CONSIDÉRATIONS SUR L'ORDRE DE CINCINNATUS, O u IMITATION D'un Pamphlet Anglo-Americain.' Par Ie Comte DE MIRABEAIT. s u i v t e s De plulieurs Fièces relatives a cette Inftitution; D'une Lettre fignée du Général Washington.. accompagnée de Remarques par 1'Auteur Frangois ; D'une Lettre de feu Monfieur Turgqt , Miniftre d'Etat en France, au Dodeur Price, fur les Légiflations Améncaines ; & de la Tradndion d'un Pamphlec du Dodeur Price , intitulé : Obfervations on the imponance of the American Révolution, and the means of making it a benefit to the world; accompagnée de Réflexions & de Notes du Tradudeur. The glory of Soliiers cannot be completed without deling well the pare of Cuitens. La gloire des Guerriers ne fauroit être compléte , que lorlqu'ils favent templir l»s devoits des Cicoyen;. Lettre Circulaire aux Sociétés d'Etat de Ir ordre des Cincinnati, fignée du Général Washington. A L O N D R E S , Chez J. Johnson, Sc. Paul's Churcli - Yard ; Sc chez CR. Haki, a Rotterdam. M. DCC. LX XXVIII.  KONINKLUKE BIBLIOTHEEK  AVIS. Je n'ai jamais rien imprimé fous un nom que mon père a rendu difficile a porter. J'ai cru jufqu'ici pouvoir me permettre de ne point avouer les premiers eiTais dun homme, jeune encore , Sc qui, plus quun autre, a befoin de maturité. J'aurois plus long-tems, &peutêtre toujours fait de même; mais des circonftances très-connues m'ayant force de quitter mon pays , je crois me devoir de ne publier déformais que des écrits avoués. On ne manqueroit pas, ü je négligeois cette précaution, de me donner pour a ij  (iy ) 1'auteur des ouvrages les plus'capables de me compromettre. Je protefte donc que tout ce qui déformais ne portera pas mon nom , me fera faulTement aitribué ; & j'efpère que ceux qui m'honorent de leur haine , s'appercevront que pour avoir pris un tel engagement, je n'en ferai pas plus timide. Lmftitution de 1'Ordre de CiNcinnatus , a 1'occafion de Iaquelle 1'écrit fuivant a été compofé , vient d'éprouver une aiTez grande révolution , dont nous rendrons un compte détaillé a la fuite de cet ouvrage. La Société des Cincinnati, inftituée héréditaire , letoit encore , lorfque j'ai pris la plume. Les AlTo-  ( v ) ciés ont renoncé depuis a cette partie de leurs ftatuts; on ie verra dans le Poftfcriptum. Mais comme je crois y avoir démontré que les conféquences de leur inftitution font précifément les mêmes ; que leur dignité continuera d'être héréditaire au moins dans 1'opinion , véritable fiège de la* noblelTe , Sc qu'en lailTant fubfifter les Cincinnati , on ne fauroit les empêcher d'être au moins perpétuels; comme d'ailleurs la partie de cet ouvrage qui concerne 1'hérédité contient peut-être quelques vérités neuves, ou dites d'une manière nouvelle , Sc des déductions importantes; j'ai cru devoir laiiTer cet écrit dans l'ordre qui lui avoit été deftiné avant 1'abolition de Miérédité , Iaquelle a iij  C vi ) ne change point 1'état jde la queftion autant qu'on affectera de le croire. Le titre de cet ouvrage n'eltpoint une fraude officieufe. Il a paru 1'année paffee a Philadelphie , chez Robert Bell , in Third - ftreet} un pamphlet écrit en Anglois fous ce titre : Confiderations on the fociety or order of Cincinnati, lately inflituted by the Major- Generals , Brigadier - Generals, and other officers of the American army, proving that it creates a race of hereditary Patricians or Nobility ; int erfp erfed wilh remarks on its confequences to the freedom and happinefs of the Republic: addrejfed to the people of SouthCarolina 3 and their reprefentatives : by Cajfius. Suppofed to be written  ( vil ) by Mdanus Burke , Efquire , one of the Chief Juftices of the State of South Carolïna : Avec cette épigraphe , Blow ye the trumpet in Zion. Ce pamphlet, peu ou point connu en Europe, contient en fubftance 1'ouvrage que nous rendons public. Si je me fuis permis de changer l'ordre des idees , d'élaguer des longueurs, de fupprimer quelques détails relatifs a la Caroline Méridionale , qui m'ont para trop particuliers a. cet Etat pour ne pas faire digreffion dans des obfervations générales , c'eft que je penfe qu'en tranfportant dans notre langue des écrits étrangers , il faut les rendre les plus faciles a lire qu'il eft polfible. Or chaque langue & chaque nation  ( viii ) a des manières différente? d'arranger & d'énoncer fes idees. Au refte , j'ai cru pouvoir me permettre , pour prix de mon travail, de m'abandonner a quelquesuns de mes mouvemens. A Lonirts 3 10 Stptembre 1784-  INTRODUCTION. Une Sociécé compofée des Généraux& des officiers fupérieurs & inférieurs de 1'Armée & de la Marine des Etats-unis del'Amérique, s'eft établie dans toutes les Provinces qui forment la Confédération AngioAméricaine. Inftituée fous lenomde Société des Cincinnati, elle eft déja parvenue a un degré de maturité remarquable. Chaqtffe jour apporte des forces impofantes a cette AlTociation héréditaire, perpétuelle & richement dotée, qui compte parmi fes membres ce que l'Amérique a de plus diftingué, & nommément 1'illuftre Washington. Outre une aflemblée générale de la Société déja combinée&convoquée, ilexifte, dans chaque Etat une AlTemblée particitf lière & fubordonnéei & ces dernières encore feront fous-divifées en autant de diftrias que 1'auront décrété les Sociécés particulières. L'Aflemblée générale doit  ( x ) êtreconvoquée chaque année(i), & durer autant que les membres de la Société le jugeront néceflaire. Indépendamment de cette Aflemblée annuelle, il s'en tiendra une extraordinaire au moins tous les trois ans. Les AlTemblées particulières ou d'Etat auront lieu le quatre Juillet de chaque année, & plus fouvent li les circonftances le demandent. Le Major Général Baron de Steuben elT élu Grand-maitre de la Société, fous le titre plus modefte de Préfident (2 ) j & chaque , ( 1 ) Ls premier Lundi du mois de Mai. (O C'eft aujourd'hui le Général Washington, qui eff Grand-maitre de l'ordre: il en a donné lui-même avis a Monfieur de Rochambeau dans une lettre du z9 Oétobre -178}; & voici comment il parle dans cette lettre de 1'inftitution des Cincinnati. « Monfieur, les officiers de 1'ar» mée Américaine, dans le deftein de perpétuer cette amitié mutuelle qui a été formée durant le tems d* -ïjqa"°er & de Ia détrefie commune, & pour d'autres » dëiïeins mentionnés dans 1'Inftitution, fe font avant »■ leur féparation aflociés dans une Société d'amis fous le » nom de Cincinnatus ; & m'ayant honoré de I'office de £ lcnr Préfiaent-Général, c'eft une partie de mon devoir » bien agréablc, de vous informer que la Société s'eft » fait 1'honneür de vous confidérer ainfi que les Généraux  ( xi ) Aflemblée d'Etat, ainfi que 1'Affemblée générale, aura fon Préfident &fes officiers, (i) Les Sociétés d'Etat font tenues de communiquer annuellement entr'elles par des lettres circulaires. L'Aflemblée générale doit être compofée de fes propres officiers, & des Repréfentans de chaque Société d'Etat au nombre de cinq (i), dont la dépenfe fera a la charge de chaque aflemblée particulière. Les Cincinnati portent une marqué d'honneur, par Iaquelle ils font reconnus & diftingués. C'eft, une médaille dor en forme d'aigle, avec une infcription en exer- » & les Colonels de I"armée que vous commandiez en Aménque, comme membrej de Ja Société. " LeMai°rl'Enfant5 qui aura l'honneur dé vous remet. - trc cette lettre, eft chargé par la Société de 1'exécution » de leurs ordres en France, & « eft également chargé » de vous remettre une des premières marqués qui feront » faues. li 1'eft aufïï de vous délivrer les ordres pour les » Gennlshommes de votre armée ci-devant mentionnés » que je prends la liberté de vous prier de leur préfenter' » au nom de Ia Société. Auflköt que le Diplóme feta » fait, j'aurai 1'honneurde vous 1'adreiTer. (i) Préfident, Vice-Préfident, Secrétaire, Tréforier Vice-Tréforier. ' (O Au plus.  (*«) gue, & une autre au revers, faifant allufion a 1'époque de 1'inftitution de 1'Ordre, & au falut de la République opéré par fes membres. Cette marqué de diftinaion eft fufpendue a un ruban bleu foncé & liféré de blanc , fymbole de l'union de 1'Amérique avec la France. Chaque memhrede la Société doit porter ce ruban & cette médaille , comme on porte en Europe les croix & autres marqués de Chevalerie. Déja les Cincinnati ont conféré 1'honneur & les prérogatives de leur ordre a 1'Ambaffadeur de France, a Mr. Gerard eidevant Miniftre Plénipotentiaire de cette puiffance, aux Généraux Francois qui fur terre & fur mer ont combattu pour les Américains, aux Colonels de 1'Armée employée dans le Continent, & même aux CapitainesdevaiffeaudesflottesFrancoifes. . Ainfi le Gouvernement de France a permis a fes fujets ce figne d'adoption d'une République formée par une infurreaion de Colonies mécontentes. Tel eft en peu de mots 1'objet des Confidérations fuivantes.  CONSIDÉRATIONS SUR L'ORDRE DE C I N C I N N A T U S. C'est a la fin du dix - huirieme fiècle , au moment oü 1'Aménque fembloit ouvrir un afvle a 1'efpèce humaine , au moment oü la rcvo unon Ja plus ëtohnante , la feüle peut-ctre qu'avoue 1 Philofophie, appelie tous .les regards fur Paurre Hémifphere, que la Société des Cincinnati s'écablic dans le Cominent entier de P,A mérique régénérée, fans que Ie Congres, qui reprcfente Sc régie laConfédérat on Amértcairie , fans qu'aucun des EratsUnis, fans qu'aucun Corps' dans ces Etats (i), y (i) Le Confei! des Cenfiurs rar cxemple, créé pai Ie cjaarante-feptieme Article dè la Conftitution de Penfylvanie pour cxamincr fi la Conftitution a été conferrce dans toutes fes parties fans la moindre atteinte, devroh; fans doutes'occupcr d'un établiufem.ent auffi important que celui des Cincinnati ; mais un Confeil qui ne s'aflembk que tous les fept A  C * ] forme la plus legére oppofition , fans qu'aucun particulier ole adrelTer a fes Concitoyens la moindre obfervation (i) fur cet otdre 3 d'un genre abfolument nouveau, qui doit infailliblement & bientöt changer la face du pays qui 1'a vu nanre. Plus je réfléchis fur cette inftitution, & fur les fuites politiques qu'elle aura inévitablement; plus je m'étonne que créée d'elle-même, profondément con$ue, fecrètement & rapidement exécutée, fe préfentant fous une apparence a la fois hardie & douteufe, elle n'excite pas 1'attention générale. S'il étoit en moi d'envifager un feul inftant cet ordre avec indifférence, fi mon efprit & la philofophie du moment commandoient a ce point a mon cceur, je ne pourroïs pas m'empêcher de fourire en voyant ces Américains, qui dans leurs Affemblées générales & particulieres, déclament avec aigreut contre de petits maux, s'acharnent fur les foibles ans, eft peu propre a s'oppofer fubitement aux abus qui s'élèvcnt dans 1 Etat, ou a téparer les torts faits a la conftitution , & devient très-probablement un confeil inutile.— Au refte , voyeï le Poftfcriptum. ( i ) L'Auteur Américain allure que cette Inflitution n'eft pas même 1'objet des converfations particulieres. Yet that it ïhould have been fo little attended to , that it is not even the fubjeB of a private converfation: fcroit-ce imprévoyance ou terreur ?—Au refte , voyez le Poftfcriptum.  L 3 ] reftes d un para qui n'a plus d'importance, chaffencvec fureur les Tores , lailTer introduire chez eux, fansmemeyregarder, m érabhfTement qui dottavant peu miaer la chofe publique, Ia Liberté la Patrie:; ravir aux daflè, moyennes & inférieure» route mfluencc, toute confidération; les vouer au mepns Ie moms dcgmfé ; les réduire a la nuliiré Ia plus compote, & tout plus au trifte privilège de «inrmurer quand il ne fera plus rems de reméd.er au mal .... B.farre imprévoyance d'une multitude tnconfiderée ! Queft-ceen effet que l'ordre des Cincinnati > *° ,U§er Par fon ^Pparence extérieure, Sc, pour pariet ainfi, paï |e Profpedus qui en a circulé dans les Etats Unis, l'ordre des Cincinnati . e(t une » Ajfoaaüon, une Conftuuüon , une Combtnatfon » des Généraux & des aur-es officiers de PArmée » qu. ont fervi pendant trois années, ou qui ont » ete reforméspat leCongrès, Sc qui fe raffemblent » dans une Société d'Amis, pour perpétuer Ia m,é»»oire de la Révolution, & de leur mutuel » devouemenr. Cette Société doit durer autant » qu eux-mêmes & leur poften té male la plus recu»> Ut Sc, fi ceüe.ci vient a manquer, autant que » les branches collatérales jugees dïgnes d'être mem» orts &fouuens de V Ajfoaaüon. Ion objet eft de » soccuper inceffamment d conferver ïntaüs les A z  [ 4 ] M droits les plus éminens de la nature humaine, pour a> Iaquelle ils ont combattu & verfé leur fang; d'éx tablir & d'entretenir 1'honneur national & l'union » entre les Etats refpeclifs; de rendre permanens » l'affeóhon cordiale, 1'efprit & Pamour frarernel » parmi les officiers, &de répandre desbienfaitsfur » ceux d'entt'eux & de leuV parens que le malheur pourtoit réduire au befoin. » (i) Chacun des Cincinnati avance un mois de fa paie a cet efter j 8c 1'inftitution eft de telle nature quelle admet, pour groflir ce fonds, les dons des perfonnes même qui ne compofent pas la fociété. Ainfi , de même que les Députés , teptéfentans (i) AJfociation, Conftitution, and Combination of the Generals, and ether officers of the Army, who have ferved three years, or were deranged by Congrefs, into a Society of Friends , to'ptrpetuate the memory of the Révolution, and their own mutual friendship ; to endure as long as they shall endure , or any of their eldeft male-pofterity ; and in failure thereof, the collateral branches who may be judged worthy ofbecoming lts fuporters andmembers : to attend inceffantly to preferve inviolate the exalted rights andliberties ofhuman nature, for which they fougkt, and bied: to promote and cherish between the refpeclive States, union and national honour: to renderpermanent, cordial affeclion, and the fpirit ofbrotherly Ifindnefs among the officers: to exiend afts of benefcence towards thofe officers and their families who may unfortunately be under the necefity ofreceiving it.  [ 5 ] chaque Société d'Etat, formentj par une feule convocation, raflemblée oénérale ou le conorès de cet ordre, les fonds deftinés pour un objet de charité ou de généroliré, auquel tous les Améri-, cains font appelles & admis a concourir, formeront un tréfor aux ordres de rAffociatiou (i). Ec pour compléter fa confiftance & fes farces, les Aflociés ont ftatué Tarticle fuivant: Comme dans tous les tems } il fe trouvera dans les Etats refpeclifs des hommes diftingués par leurs talens & leur patriotifme , dont les vues louables auront le même hut que les Cincinnati s on admettra les hommes de cette ( i ) L'ordre des Cincinnati n'a pas même eflayé de voiler ce projet; car leur premier diplome porte en termes expres „ que le mois de paye avancé par chaque officier reftera peur toujours au profit de ladite Société; les Intéréts feulement, fuivant ce qui fera jugé néceffalre , feront appropriés au foulagement des Infortunés. Ainfi la bienfaifance annuelle & tant vantée des Cincinnati fe réduit a un deux centquarantieme de leur paye, & le Capitainc qui avoit douze eens hvres d'appointement y contribüera dc cent fok On Jit encore dans ce diplome : 11 eft probablt que quelques perfonnes feront des donations a la Société générale aans le dcffein d'établir des fonds pour le fecours des infortunés ; dans lequel cas ces donations feront placées dans les malns du Tréforler général, & l'Ajfemblée générale difpofcra fuivant la nfcejptc feulemcnt de l'intérit de ces fonds Voyez 1« Poftfcriptum, A 3  (6). réputation comme membres honoraires de la Société pendant leur vie feulement; pourvu que le nombre des membres honoraires n'excède pas dans la proportion d'un contre quatre celui des officiers & de leurs defcendans (i). Cette politique profonde tend vifiblement a intcrelfer les Chefs de chaque Etat a l'AlTociation, qui excïut ainfi tacitement les membres de la fociété univerfelie,dont lapauvreté , ( dansles Républiques même elle eft la vraie roture) éteindroit la coniïdération } & enféveliroit les talens. Aufti 1'homme du peuple & de Pannée^ le Général Washington, eft-il déja membre honoraire de l'ordre (i) qui 3 fans doute pour rendre inattaquable fon exiftence, cherche des recrues & des appuis dans toutes les Monarchies de 1'Europe. La circonfpeótion natu- ( I ) And as there will at all times be men in the refpeBive States • eminent for their abilities and patriotifm, whofe views may be direded to the fame laudable objeBs wilh thofe of ihe Cincinnati ; it shal be a rule to admit fuch charafters as honorary members of the Society, for their own lives only; provided that the number of the honorary members does not exceed a ratio of one tofour, of the officers and their defcendants. (i) On a vu dans rintroduction , note (i), que Washington étoit aujourd'hui Préfident de l'ordre; le Baron de ttuben n'étoit qu'un prête-nom.  reile, qui paroit le caraótère diftinérif & k plus grande des qualités de cec homme célèbre, ne lui a permis la neucralité entre fa Patrie & les Cincinnati qu'auffi long-cemsque PAffociation na point ere formée. Le jour oü Padoption des membres honoraires a été votée, Washington, fi grand quand il voulut redevenir un fimp!e particulier, Washing. ton premier Citoyen & Bienfaiteur d'un peuple quil a rendu libre, a voulu fe diftinguer de ce peuple! Pourquoi n'a-t-il pas fenti que fon nom etoit au-delfus de toute diftinétion ? Héros de la Révolution qui brifoit les fers de la moitié du monde, comment n'a-t-il pas dédaigné 1'honneur coupable, dangereux & vulgaire d'être le Héros d'un parti! Si Padoption honoraire des principaux hommes de PEtat eft une combinaifon favante & redourable, on trouve Ja même profondeur de politique dans la proportion fingulière que 1'acle d'AiPociation «ablit entre les honoraires <5c les autres membres de l'ordre. Les Cincinnati ont voulu que les Honoraires ne puffent former au plus qu'un cinquième de leur corps : ils ont voulu manrifer le peuple par ceux qui feroient chargés du Gouvernement , & fe réferver le pouvoir de faire trembler cc Gouvernement par leur nombre & leur force militaire. A 4  ■ [ 3 ] La force militaire a été 1'unique objet de leur penfée, paree qu'elle étoit le grand moyen de leurs projets. C'eft pour cela qu'ils ont réfervé 1'hérédité aux feuls Militaires. Ils fe font, en vrais légionnairesj permis d'être injuftes envers leurs Co-opérateurs les plus diftingués, que des devoirs non moins importans onc empêché de combattre ; ils ont jugé que la gloire de Ia tête devoit êcre fubordonnée a celle du bras, & que les dtfeendans (i) des. . . fuffifammen: honorés par une diftinétion paffagcre» devoienr rentree enfuite dans la claffe vulgaire des Plébéiens. Peut-être auffi renoncoit-on a ces grands & fages Citoyens, véritablement dignes de fonder des Ec.itsj peut-être craignoit-on leur prévoyante fagelfe. Ce n'eft pas, j'en fuis convaincu , qu'une grande partie des officiers, qui n'ont point examiné de prés Pefprit & les conféquences de leur ordre , n'agif- ( i ) Ils leur ontpréférc jufqu'a ceux qui, pour tout avantage, devoientle jour aux officiers morts. « En témoignage n d'ajfdBion ö Ia mémoire & d la poftérité des officiers qui font m morts au fervice , les ainés de leurs héritiers md'es auront m Le même droit de devenir membres que les enfans des mem» bres actuels de ladite Société. >j  [ 9 ] fent uniquemenc par des principes honorables de patriotilme, d'amitié Sc d'humanité, qu'ils regardent comnu bafe de leur union, pour ne pas dire de leur ligue. Mais, plufieurs d'entr'eux égalanr en inftrucTion & en talent les hommes les plus diftingués de 1'Amérique, il eft bien difficile que quelques-uns xi'aient pas jetté un regard plus percanc fur une nouveauté fi importante. Une telle inattention, un pareil aveuglemenc chez un peuple qui vient de conquérir fa liberté , ne me paroiffenc pas dans la nature. J'oferai donc le dire, & le dire hardimenr, aux yeux de FAmérique & du monde ; j'oferai réveiller mes Concitoyens fur ce grand objer; & peut-être je diffiperai même 1'illufion de ceux qui, fans le favoir, renverfent la confïitution de leur pays, 8c fe rendent coupables d'un crime qu'ils ne foupconnentpas. S'ils font encore dignes de Ia liberté qu'ils onc défendue , ils me remercieront de les détromper d'une errejr involontaire. Je le dirai donc. L'Inftitution de l'ordre des Cincinnati, telle que je viens de 1'expofer d'après leurs propres paroles , eft la création d'un véritable Patriciat, & d'une nobleffe militaire, qui ne tardera poinc a devenir une noblelfe civile, & une Ariftocracie d'autant  [ io ) plus dangereufe, qu'écant héréditaire, elle s'accroitra fans ceffe par le tems, & fe fonifiera même par les préjugés qu'elle fera naftre; qu'étant née hors de la Conftitution & des Loix, les Loix n'ont pas pourvu aux moyens de la réprimer, & qu'elle pefera fans ceffe fur la Confticucion donc elle ne fait point partie ; jufqu'a ce que par des attaques, tantót fourdes & tantöt ouvertes, elle-s'y foit mêlée en s'y incorporant, ou qu'après l'avoir long-temps minée, elle 1'ébranle a la fin , & la détruife. Si 1'on en doute, qu'on ouvre Phiftoire , & qu'on y cherche 1'origine & le progrès de pareils établiffemens. Voyez 1'Ariftocratie Romaine 3 qui caufa tant de ravages. A peine trouverez vous fa fource. Une fociété d'hommes , vivans dans la plus grande fimplicité, dont les fortunes étoient égales & prefque nulles, dont les propriétés foncières n'excédoient pas deux arpens , choifit quelques vieillards pour magiftrats. Ces vieiilards n'eurent d'autre diftin&ion que leur age , leur expérience, & Paffee tion qu'on leur fuppofoit pout le peuple. Dela le nom de Peres ( Patres) leur fut donné. Bientót les defcendans de ces hommes fimples & ruftiques fe regardèrent comme diftingués de leurs Concitoyens, élevèrent des prétentions, s'arrogèrenr des prérogatives, formcrent des unions de families a  [ II ] families, les cimentèrent par des alliances exclulives: ( , ) & cette politique leule, fans titre & fans marqué d'honneur, établir dans Rome un corps de nobleffe fi alcéré de Porgueil de doroiner, (z) qu'après 1'expulfion des Rois, le peuple ne gagna prefque rien a la Révolurion, qui, p0ur la plus grande partie, étoit fon ouvrage; car les families Pacriciennes ayant réuni dans leurs mains la puiffance du monarque & Pinfluence de la nobleffe, chaque Pauicien devint un Tarquin, & Rome neut pas plus qu'auparavant fa liberté polit que (3) j Cl) Hocipfum, ne connuhium Patribus cum plebe efet, non Decemviri tulerunt paucis his annis , pefftmo exempló fubhco , cum fummd injurid plebis ? An effe u/ia major aut ■mfignior contumelia potefi, quampartem civitatis, velutcontaminatam, indignam connubio haberi ? quid eft a/iud, quhn exdium intra eadem moenia, quam relegationem pati^i ne affinitatibus , ne propinquitatibus immifceamur, cavent; vos fub legis fuperbiftma vincula conjickis, qua dhimatis Societatem civilem, duasque ex und civhate faciatis. Cur nonfanmis ne vicinus patncio fit plebeius J ne eodem itinere eat} ne idem convivium ineat ? ne in foro eodem confiftat} Tit. Liv. lib. IV, cap. 4. ( 1 ) Plebs verd dicitur in qud gentes civium patricU non infunt. TeUe eft Ia défïnition du mot plebs qu'AulugclIc rapporte d'après Capiton. Noft. Atu L 10, c z0, (3) Le pouvoir des Coufuls droit fans bornes : mais les Patriciens n'ayoient rien a craindrc d'une autorité dont ijs  ["] avec cette différence , que la tyrannie réfida déformais dans un corps i & mille Tyrans font un fléau mille fois plus horrible & plus redoutable qu'un feulTyran: car un Tyran peut être arrêté"par.fon propre intérêt; il a le frein du remords , ou celui de 1'opinion publique ; mais un corps ne calcule rien , n'a jamais de remords, & fe décerne a luimême la gloire , lorfqu'il mérite le plus dehonte. C'eft ainfi que s'éleva dans Rome le Patriciat j & cette origine eft auffi inférieure a 1'infti- étoient arbitres; les Plébéiens furent donc réduits a tout endurer. Valerius Publicola tenta en vain d'y remédier par la vore de4'nppel au peuple, & celle de 1'éleétion des Confuls par centuries. Les Patrïciens reftèrent en polTeffion des honneurs, continuèrent a difpofer des terres, & réduifirent les Plébéiens a n'être que les efclaves de leur ambition & de leur avarice. Le peuple brifa fon frein par la fuite ; mais comme il arrivé toujours, il fe jetta vers 1'autre extrémité ; & les comices des Tribus , que les démagogues inftitués fous Ie nom de Tribuns établirent , partageant 1'adminiftration avec les comices des Centuries , la volonté du peuple prévalut dans les unes; celle des grands dansles autres. Ce fut une fource de troubles & de divinons qui durèrent autant que Ia République, & qui ne cefsèrent qu'alors que les Empereurs eurent tout envahi en réuniflant en eux 1'autoriti du Sénat & celle du peuple. C'eft ainfi que le defpotifme impofe filence aux partis en les dépouillant tous. Les beaux efprits feuls fe font entendre alors Sc vantent Ia paii de la fervitudc.  [ H' 3 tution des Cincinnati, c]Ue des chefs de bandits vivans decomribution&depiUage, qui batirent des cabanes fur Ie fol que Rome couvre ^]om_ d.hUIj étoient au-deffous dun corps de chefs iU Mres, reis que Washington, Green, Gates, Moultne, Waynesfc rant d'autres , a qui furent confies la défenfe & les in^rêts ^ ^ grande nac.on, avancée dans tous les arts de Ia guerre&de la paix, & tenantj dès ]e jour de & naiflance polnique, un rang diflingué parmi les puilfances de la terre. Si les Patriciens de Rome aux prermers tems de la République, peuvent être comparés i une foible fourcc qui fut la mère d'un fleuve dévaftateur, les Cincinnati font Ie fleuve meme déja formé , iarge, profond & menaganr. La nobleffe moderne de 1'Europe, qu'éroit-elle dans fon origine? Des chefs de guerriers féroces qui ]olgnoient la barbarie de la viétoire i celle des mceurs, dont les premiers titres furent 1'ufurpa"on (Q&le brigandage, & qui ne fondèrent leut COS. nous en croyons Robenfon, pluueurs de ]eurs ntres,femblables a ceux des Cincinnati, furent de leurpropre créat.on. One fiep more completed their ufurpations Li renderedthem unalienable. With au ambition no lefs enterPnfing, and more prepofterous , they appropriated to themfe^es ut.es ofhonor, as Wellas 0#w of ^ Hüt. Chap. V, vol. 16. J  [ 14 1 prééminence au deffus de leur nation que fur le droit de commander qu'ils exercoient dans bs combats. Ainfi les champs Je bacaille furent le berceau de cecte nobl lfe; rapport fingulier, frappant, redoutable, avec l'ordre des Cincinnati! C'eft de la. qu'eft fortie cetre foule de Comtes, de Ducs, de Marquis qui ont inondé & ravage . 1'Europe. Tous ces titres de Ia vanité humaine n'étoient dans les premiers tems que de:, titres miliraires, qui marquoient les différens degrés de commandementj mais ces mêmes titres font devenus bientót des diftin&ions & des privileges éclatans dans l'ordre civil. Bientót ils ont fondé cette féodalité barbare, qui, pendant des fiècles, a avili le genre humain, a fait des nations entières des races d'efclaves, & d'un petit nombre d'hommes des races de Tyrans. Poften!Poften ! veftra resagitur. Ce fut l'infcription que 1'on grava a Naples fur une colonne après une éruption du Vefuve qui fi périr des milliers d'habitans. Er moi, je voudrois la graver fur les fymboles de l'ordre funefte que 1'on ofe inftituer parmi nous. Oui; c'eft cette nobleffe de Barbares, prix du fang, ouvrage de 1'épée , fruit de la conquête , que les Cincinnati veulent établir dans leur pays, qu'ils  [ '5 ] n ont «pendant ^ conquis, 6V qui leur avoit confiefadcfenfc! Les diffindHons Celciques & Ger V°iM rhériCage aU<3Uel ils P^rendent! Les honneurs que créèrent des Chefs de Sauvaoes voila ce quambitionnenc les Héros d un peuple' %r-'**? fiède ^^resllls^e/j Patnaat de lav.6toire.ils PufurpentJ & Pdêj « berceau de leu;ordre, ds y mêlent Ie raffineJe. corrupteurquele développement des idéés féodales amtroduKen Europe, les décorations, les fymboIes!figneseternelsderalIieraentpourlesfaélieUx.germe de vamtéinfeétepouruneclalfedeCitovens; & de frbordination fervile pour toutes lesautres' ZLTimie de cor^ion ^ ^ — Si vQas jet les veBx furto « -a ene que les Cincinnati prétendent imiter Rélil- n°UVeaU m°nde' & d3nS ,e fei" ^une Rcpubhque vous verrez que prefque par tout des ont fattnaKre.J'enlaifie les détails a Fhiftoire/(,) il me fuffic d en relever les effets. (O L'orJrede la Jarretier- Aar C, ■ ■ Celu, de a Todön d'Ot e« une f„„fce moins pure. ^  [ if ] Le mépris même qui devoit s'attacfier a leur origine na pu empêJier lorgueil & la miférable vanité de 1'homme de les embratler avidemenc. Ils font devenus un nouveau figne d'.negalité; une nouvelle marqué, qui, au gré du caprice, écablit encore des rangs & des barrières dans les Etats , oü la claue ordinaire des Citoyens eft déja furcharoée & flécrie de rant de diftinct.ons civiles. Ils onc créé des rangs jufque dans la noblelfe, fondé un nouveau Patriciat dans le Patriciat , un nouvel orgueil dans 1 orgueil, & de nouveau moyens d'op- Plince d'EcoiTe fuperftitieux donna Üeu a 1'Ordre de SaintAndré. On fait la réputation de la fociété ou confrairie pour Iaquelle fut inftitué celui du Saint-Efprit. Celui de Saint Patrick nouveilement établi chez les Itlandois, qui femblent n'y pas voir un anneau de la chaine qui ks lie , a fa fource dans un conté de la légende fait par un ptédicant fanatique. Perfonne ne foutiendta que la fantaifie ou la fuperftition des hommes riches ou puiflans qui donnerent 1'exiftence a ces ordres , aiènt été une caufc aufli adive que 1'occafion favorabk qu'ont fa.f.e les auteurs de la Révo'ution Américaine, & Pintention li vifible qu'ils manifeftent. On ne pourtoit leur comparer, & ce feroit encore avec inféfiotité, que l'ordre militaire de Saint Etïenne de Tolcane, (*; qui fut k dernier effort contre Ia Répubhque de Florence, & k monument de fa deftruétion. («, (nftiWéen par Cóme de Médicis, premier Grand Dut de Tolcane , en mémoire de la bauÜle de Mmcmbo , ou fuccomba le patti lépubUcain. - preftion  C '7 J preflïon clans I'oppreffion. Une partie de ces Patri ciensfi fiers, de ces defcendan» de guerners & d anciens T.rans du peuple, eft devenueelle même uneefpèce de peuple, par rapport a ceux de leur ordre que la faveur du Prince, |e hafard, le bon heur de plaire , ou une obéiffWe fervile aux caprices des Cours, ontdécorés de ces fignes imp0. lans. Ces Ggnes enfin ont rallié dans toute Pt» rope: autour des rrónes de nouveaux inftrumens du defpotifme, toujours prêts d aliéner les ^roits des nations pour 1'efpoir de leur vanité, & a ven_ dre un peuple pour un ruban. (i) Tel eft Ie fatal pouvoir de 1'opinioh, & des petites paffions humaines, que les marqués ies Plus fnvoles ont contribué d refferrer les chaines despeuples, ont ennobli & payé ,a fervKude Jes puiffances, pour appeiannr encore la fervitude du Fuvre; que Ia couleur même dun ruban, Ia torme d'un cordon influent fur Ie caraótère & les difpofitions des efprus, infpirenc au, uns plus de refpeót ou de baffeffe , aux autres plu- d orgued reculenr les hommes d plus ou moins de diftance' & femblent rendre vifibie d I^il cette mégaiité ( i ) Semblables a cette jeune R^omaine cj.ui fous Je ,-effnc de Ronruius trahit fa patrie pour des bracclets & des L , «caux. B  [ I» 1 factice que 1'ufurpation & 1'infolence ont commencé d'abord par graver dans 1'imagination du foible & de 1'efclave. Dela d'un bout de 1'Eutope a 1'autre ce fpedtacle fi répété, fi indecent , fi fcandaleux, qui force 1'honnête homme abaiffer les yeux devant les fignes d'honneur proftitués a des hommes deshonorés, tandis que celui qui les potte s'indigne quelquefois contre la pudeur qui lui refte, & frémit de rougir encore. Voila , n'en doutons point, les maux dont notre poftérité eft menacée, Sc dont le premier germe eft dans 1'imitation de cette dangereufe inftitution de 1'Europe oü la Nobleffe, compofée dans 1'origine d'une troupe d'oppreffeurs ou d'alfaflins , s'eft recrutée de concuffionnaires, ou de voleurs publics. (i) ( i ) C'eft une fingularité digne d'entier dans 1'hiftoire du ca-ur humain, ou fi 1'on veut de la dégradation humaine, cjue parmi ceux qui feront le plus choqués de ces vérités, il y aura un grand nombre d'hommes dont les families font plongées dans une obfcurité profonde. Mais ce qui eft infiniment afftigeant, c'eft la baflcfte ou 1'inconféquence de quelques-uns de ceux qui cultivcnt les lettres, & qui, lom dc regarder 1'exercice de la raifon & de la vertu comme la vraie & fcule noblefie , fortifient autant qu'ils peuvent les piéjugés abfurdes& barbares qui ont écrafc leurs pères, & qui les mutilent. Je ne parle pas feuleme.nt du ridicule fé-  C *f 3 En effer, fi le Patriciat, ou une noblefTe qui n'eft fondée pour ainfi dire que fur une dHtin&on abftralte, a tanc de pouvoir pour corrompre , pour mfpirer le defir & faciliter les moyens de dommer pour préparer de loin des efclaves & des maïuesquelles feront donc les fuues de ce même Parriciar s'il joiru i fa prééminence une décoration extérieure &. un figne public? neux des éïoges cjue prodiguenc a dc certains hommcs ks Poetes, les Orateurs, Ies Beaux-efprits de tout genre le tout pourêtte nés dans un palais plutót que dans une mailen , dans une maifon plutöt que dans une cabine ; je park des déclamations que prodiguent ks H.ftoriens ks Metalinks méme , fur ks méfalliances ; & de la dilhnce incommenfurabk que de prétendus efprits pbiloiophique, mettent non-feulement entre ks diverfes dalles des individus, mais entre ks individus d'une même clafle, entre les nobles Sc les ennobhs par exempk. je lifois tout- a-l'heure dans un joli recueilde Iittérature légere, comme on dit: « D'un nom rendu fameux en défendanc 1'Etac, » La majeftc des ans relève encore 1'édar. " II n'en eft pas ainfi d'un nom cjue la richeffe » Ennoblit ladiemenc au fein de la mclleflc » Le tems ne confond point dfs noms fi différens; - La gloite les fépare, &: les place a leurs rangs: » Van transforme en cryfiil le fiéle (? la poutfiere; » Mais le Jeul diamant efl fils de la lumière. » Pour moi, je ne vois dans ces deux ordres d'hommes ni cryjialm diamant; ou plutót je trouve, qn'en bonne mo- B z  L 10] L'homme met naturellement a tout de letiquetre: il aflocie ou fubftitue le figne a la chofe. Le figne le fubjugue tellement, qu'il met plus d'importance a fa conformité avec le formulaire établi, qu'aux feminiens vtais, aux motifs honnêtes, aux actions utiles qui ne fe montreroient que dans leur forme naturelle, qui dédaigneroient a la fois le menfonge d'un maintien commandé, & 1'autre menfonge d'une rale , comme en laine phyüque, diamant Sc cryftal font également fils Anfable 8c de la poujfière.. Je ne fais pas plus dc cas, je 1'avoue, des trente mille opprelTeurs bardés de fer qui, la lance a la main , ont foulé fous les pieds de leurs chevaux de bataille dix ou douze millions de Gaulois, que je n'eftime les milliers de vampires calculateurs qui ont fuccé par le tuyau d'une plume le fang appauvri de vingt millions de Francois. Je vois feulement que les premiers, pour fe perpétuer & fe maintenir dans la poueflion de leurs avantages, fe font recrutés chez, les feconds. J'obferve que la férocité & lorgueil fe font emparés des rapines de 1'avarice, Sc que l'union du pouvoir & de 1'argeut a réuni contre le peuple la dureté du conquérant barbare , & 1'avide induftrle du concuffionnaire. Il rn'eft impoffible de révérer le réfultat & Ie produit de ce noble melange. Je doute de tems en tems que ce foit-la ce qu'il y a de plus refpeftable fur Ia terre ; & en voyant que c'eft au moins ce qu'il y a de plus rcipedé, je prends quelquefois pitié du genre humain ; & quelquefois aulli je crouve qu'il mérite une partie de fes malheurs par fa haffelle & fa ftupidité.—Ces idéés ont quelque chofe de dur Sc de ttifle, diront les Ecrivains a la  hypocrue exageration. Dela les préjugés, la 6ipea. dop1nlons&d^ablmd ü„e fiené invincible, u„ courage indornp,bIe; ^^l-übnfealeJ&quire^tou: .* P,a^>"-Uxpei„esdelopinion;pIaifirscras. decevans, pe.nes rrè£-poig„antes dans Page des pafparee que les paffions s'en trouveut aidéés ou conrranees : relle efl Pame d un Républicain. mode avcc la grace aimab]e & f ;erifoBnab,r& - je ^ e ^ "Poaffees, la moraIe eft beauc ' Po »>qnc que les marheWiques Ce ]e font a j£\ e 7 d" « * vrais amis QU g£nr: ; ™« • foou cjue la moraie ft appiit]uée a Ja " Gouverneur avec le mélne fl!Ccès "« ƒ ° !G°ftr,e: Ccft --^cdira-r-on. D'abord je fn o.ndc ,ecrolre;inaisfic,ft „ ^ , par cela même leur influence eft moins dangereufe. Li tout eft pompe & décoration depuis le tröne du Mo- arque & tous les rang? intermédiaires qui rempliffent 1'intervalle entre lui & le peuple , jufquau fimple guerrier qui défend ou qui écrafe 1'Etat. Mais tous ces fignes qui diftinguent font étrangers au Gouvernement & a 1'efprir répubücain. La liberté a un coup d'ceil fier & fuperbe que route diftinction blefle; elle veut que rien n'appelle fes regards, & que tout fe confonde devant eux; elle ne voit même ces fortes de fignes qu'avec terreur ; s'd ny a qu'un ordre de Citoyens qui les porte, fa terreur redouble : pour cefler de les craindre, elle n'auroit qu'un moyen j ce feroit de les avilir  [ ^ ] en les proftituant. Mais fi le corps folitaire qui ofe ainfi fe diftinguer eft un corps de guerriers; alors tour eft perdu; la liberté ne reftera pas longtems dans des climats que de pareilles diftinótions outragent. Quoi! dans les anciennes républiques, le guerrier qui avoit vaincu fe hatoit de fe confondre & de fe mêler dans la foule des Citoyens! II fe hatoit de faire difparoicre fa gloire, Sc quittoit pour 1'habir de la paix cet habit guerrier teint de fon propre fang, ou décoré du fang des ennemis! Quoi! 1'empire de la force même eft allarmé des diftinótions militaires ! Sous le defpotifme légionnaire des Empereurs , les Héros des derniers fiècles de Rome craignoient d'effaroucher par leurs victoires une tyrannie qui n'etoit fondée que fur les armes, & en s'effacant dans le nombre des efclaves, ils tachoient par leur modeftie de fe faire pardonner d'avoir vaincu ! Quoi! au fein de 1'Angleterre dont nous venons a peine de fecouer le joug, Sc qui devroit au moins nous inftruire par fes exemples, Ia liberté ombrageufe croit devoir fe défier des corps militaires! Elle les repouffe du fein de fon ile; elle affoiblit, autant qu'elle le peuc par fes loix Sc 1'efprit de fa conftitution , cette confidération généraleactachée dans le refledel'Eu-  [ n 3 rope a Ia profeffion de gueuier! .... Er parmi nous; & dans un Etat qui ne vient que de naitre*; dans une république qui rappelle 1'homme aurant qu'elle Ie peut aux droits primitifs de la nature & de la liberté , dix mille guerriers , a. 1'inftant oü leurpays n'a plus befoin de leur fecours, comme s'ils n'avoient vaincu que pour eux & pour leur propre gloire, cherchent a devenir un corps fubfiftant, & pour ainfi dire immortehJans 1'Etat! fe créent, fans 1'autorité des Loix, une diftindtion héréditaire ! veulent êcre encore préfens jufques dans la dernière poftérité! commandent, pour ainfi dire, le refpect & des hommages aux générations qui ne font pas encore nées ! ofent établir un figne commun a eux & a. tous leurs defcendans, pour fe reconnoitre & fe rallier au premier fignal d'un bout de 1'Amérique a i'autre ! Certes, fi nous n'avions pas le droir d'eftimer autant que nous le faifons nos braves défenfeurs • fi nous ne penfions pas que dans une telle entreprife, ils n'ont été égarés que par Terreur des grandes ames, 1'enthoufiafme & 1'illufion de la gloire, nous n'héfiterions pas a les dénoncer au ^ nouveau monde & a fa liberté naiffante, comme fes plus redoutables ennemis . . . Graces au Ciel, ils aiment encote la liberté & la patrie, cette  [•■*••] liberté qu'ils ont vengée, cette patrie qu'ils ont arrachée aux Tyrans. Mais nous ne pouvons être rafturés par leurs fenrimens même & leurs vertus. Ces vertus leront-elles héréditaires dans leurs defcendans , comme leurs décorations & leurs titres? Ces vertus, que foutienneht en ce moment les regards des deux mondes attachés fur elles, le fanatifme heureux d'une grande révolution , le fpeétacle récent de la gloire, la reconnoiffance de tout un peuple, Ie fouvenir profondément gravé desoppreflions & des maux; des plaies encore fangiantes & qui de long-tems ne feront pas fermées; lorgueil même d'une confcience généreufe qui auroit trop i rougir de fe démentir ; ces vertus ne s'sffoibliront elles pas néceffairement, pat la diftance des tems, par la corruptiou lente & inévitable des fiècles, par la corruption bien plus rapide des ncheiles & du luxe, par le fommeil d'une paix qui détend tous les refforcs? Car on le fait trop, le danger le plus grand pour les Républiques eft peut-ccre de n'avoir plus de danger a craindre. Réiifteronr-elles a la féduótion du pouvoir, cette maladie éternelle de 1'homme qui eft bientót fatigue d obéir dès qu'il entrevoit des moyens de commander; de 1'homme qui veut 1 egalité, que toute egalité tourmente, & qui tend fans ceffe a s'en échapper ? Ces vertus enfin réfifteront-elles a  ï*5>] 1'afcendant de 1'inftitution que nous ofons combatcre; car chaque inftitution a dans fon efpric même une force infurmontable , rant pour le bien que pour le mal, felon qu'elle a été dirigée en naifJanc; une force que fouvent on n'a pu prévoirdans fon origine, qui fe développe par dégrés qui agit dans tous les inftans , modifie les caractères, conduitou prépare les évènemens; d'autanc plus irréfiftible que route entière dans les chofes , elle eft prefque toujours indépendante des perfonnes, & leur commande ou les entraïne, fans qu'elles fe douceur quelquefois de fon influence. Ainfi dans Rome la prééminence accordée a quelques vieillards prépara les fureurs de 1'Ariftocratie , letabliffement du Tribunat, le choc écernel de la noblefte & du peuple s le droic de Iégiflation donné a dix Magiftrats, la cyrannie des Decemvirs, le droic de commander plufjeurs années de fuice dans les provinces, la vénalicé des armées qui n'eurenc alors que des généraux, Sc n'eurenc plus de pacrie , Sc qui furenc coujours prêres a feconder les fadions fanguinaires. Enfin 1'inftitucion d'un chef civil & militaire fous le nom cYEmpereur3 qui ne fuc après rout que le chef trop puiiïanc d'une Ariftocracie trop puiffante ( i), en paroif- ( I) Les Einpei-eurs Romains 'n'èoient point des Monar-  [ 3° ] fantrécablir l'ordre, renverfa la République la plus fortement conftituée qui fut jamais, & pré ara les tems les plus horribies dans 1'hiftoire des nations; ceux ou la nature humaine épuifa tout ce que la tyrannie peut ofer , tout ce que la fervitude peut fouffrir. Telle eft la force fecrète des inftitutions que rien ne peut arrêter, qui marche dans la nuit, mais d'un pas sur, vers un but inévitable, & fouvenc ignoré de leurs fondareurs même. C'eft cette force route puiffante qui, dans 1'inftitution actuelle des Cincinnati, nous prépare a leur infcu, & malgré leur volonté même; (oui, quand ils le voudroient, ils ne pourroient pas s'y oppofer a moins de fe détruire) c'eft elle qui nous prépare un Patriciat , une nobleffe héréditaire ou perpcruelle; c'eft-a-dire, le renverfemenr enrier de notre conftitution & de nos loix ; car après avoir vu ce que cette inftitution a de menacant, ce qu'elle eft dans fon origne, ce qu'elle peur, ce qu'elle doit néceftairemenr devenir , il eft tems ques ; ils étoient des Chefs revêtus des magiftratures de 1'ancicnne République , & du Généralat des Armées; c'eft-adire , qu'un Empereur étoit le premier des Magiftrats, alfez puifTant par la réunion de fes cmplois , & fur-tout par Ia force militaire, pouropprimer & lesparticuliers & Ia Nation.  C 31 3 de la confronter avec notre conftitution même , avec les principes qui onc prélidé a notre légiflacion. Lés Délégués, les Repréfentans , les Légiflateurs des peuples d'Amérique onc pris pour bafe de leur infurrcclion, de leurs travaux, de leurs prétentions, de leurs droits, de leur code, l'égalité. C'eft a ce ticre qu'ils ont réclamé « parmi » les Puiffances de la terre le rang & la place » féparée auxquels ils ont droit, en -vertu des Loix w de la Nature_, inaliénables , dont » ils ne peuvent, par aucun contrar, priver ni » dépouiller leur poftérité; que tout gouvernement » tire fon droic du peuple (3 ); qu'aucune auto- (1 ) « Lorfque le cours des évènemens humains met un » peuple dans la néceffité de rompre les Hens politiques qui 35 1'uniffoient a un autre peuple , & de prendre parmi les m PuifTances de la terre la place féparée, & ie rang d'égalité » auxquels il a droir en vertu des Loix de la Nature, 3> &c. Sec. (2.) Conftitution de MafTachufetts, Art. I. Penfylvanie, ibid. Virginie, ibid. Sec. (3) Conftitution de Delaware, Art. I. Maryland, ibid. & toutes les conftitutions des Etats-Unis.  » torité ne peut être exercée fur Ie peuple , que * celle qui fera émanée du peuple, ou accordée » par le peuple ( i ); que les différens officiers ï> du Gouvernement, revêtus d'une autorité quel3> conque 1 giflatrice , exécutrice ou judiciaire,yê.y » magijltsts , yèj cAe/} 3 font les mandataires, les »fubfiituts3 /c* agens , les ferviteurs du PE Un PLE (2), & lui font comptables dans tous les » tems (3 ; que Ie but de Tinftit .tion du maintien n & de l'adminiftracion de tout gouvernement (qui » n'eft, & ne peut être établi que pour Pavantage » commun, pour la protection & la süreté du >3 peuple , de la nation3 ou de la communauté, & » non pour le profit ou l'intérct particulier d'un •afeul homme 3 d'une familie 3 ou d'un ajfcmblagc *> d'hommes qui ne font qu'une partie de cette » communauté) (4 J eft d'aflurer 1'exiftence du » corps politique, de le protéger, & de procurer is aux individus qui le cowpofent la faculté de » jouir en sureté, & avec tranquillité, de leurs >y droits naturels- que tout corps politique eft 3» formé par une alfociation volontaire d'indi- ( 1 ; New-york , Art. I. & les autres Conflitutions ,paffitn (2) MalTacliufeits, Art. V. (3) Virginic, Art. II. Penfylvanie, Art. IV. (4) Conftitution de Penfylvanie, Art. V. vidus  [ 3< ] » vidus obligés les uns envers les autres; enfui:e » d'un concrat focial, par lequel le peuple entier » convient avec chaque citoyen s & chaque cU toyen avec le peuple entier, que tous feront » gouvernés par certaines loix, d'une manier e uni»forme ( i ) 3 8c pour l'avantage commun ( 2) ; 33 que la jouijfance par le peuple du droit de par» ticiper a la légiftation3 eft le fondement ie la x> liberté & de tout gouvernement libr* (3 j j que » tout peuple a droit de changer fon gouvernement 3 v quand ces objets ne font pas remplis ; Ia docftrine » de nonréfiftance contre le pouvoir arbitraire & » 1'oppreflion, étant abfurde, fervile, & deftruc» tive du bien & du bonheur du genre hu» main (4) ». Tels font les principes généraux de la Confédération Américaine , littëralement traduirs , 8c fidèkment extraits de leur légiflation (5). J'ouvre le code des différens Etats, 8c je lis : Les privileges exclufifs font odieux & contraires a l'efpr'it d'un gouvernement libre; Us ne ( 1 ) Virginic, Art. XVI. (2 ) MalTachufetts, préambule de Penfylvanie , ibid. ( ? ) Maryland , Art. V. ( 4 ) Maryland, Art. IV. De Delaware, Art. V. ( S ) Voyez Conflitutions des treiie Etats- Unis de i'Jtné. c  [ 34 ] doivent point être foufferts (i)-—Aucun homme (i) ni aucune colleclion d'hommes ne peuvent avoir droit d des émolumens ou d des privileges dijlinclifs ou exclufifs {z).—Pour conferver fon indépendance 3 rique, ouvrage imprimé & diftribué a Paris avec permiflion, & traduit par un Duc & Pair, qui, a la vérité, eüt été digne par fa vertu d'être a Rome Tribun du peuple. ( i) Conftitution de Maryland , Art. XXXIX. ( z ) Celufrqui a bien voulu traduire en Anglois cet ouvrage m'a fait obferver que la fuite de cette phrafe modifioit la partie que j'en rapporte & pouvoit même fournir une objeaion contre moi. No man, or Corporation , or ajfociation of men have any other title to obtain advantages, orparticular and exclufive privileges dift in£t from thofe of the community, « thanwhat arifesfrom the confideration offervlees « rendered to the public. Aucun homme, ni aucune Corporation d'hommes ne peuvent avoir droit h. des émolumens ou d des privileges dlfiinSls ou exclufifs , « d moins que ce „nefolt en confideration de fervlces rendus au public.» Je réponds a cela, i°. que cette modification eft cflentiellementmauvaifepour les raifons déduites dans mon ouvrage, & pour beaucoup d'autres ; or l'erreur ne fait pas droit. 1«. Que cette modification eft évidemment en contradidion avec le fixieme article de 1'aéte d'Union ; puifque Ia confédération s'y eft interdit a elle-même le droit de créer un ordre de nobleiTe. 5°- Qu'en aucun cas du moins les loix des Etats ni celles de 1 Union n'autorifent des particuliers a créer fans 1'autorité des Légiflatures , & a fe conférer des titres de leur feule autorité. ( 3 ) Cor.ftitution ds la Caroline Septe||rionale , Art. III.  [ 35 1 tout homme {s'il n'a pas un bien fuffifant) doit avoir quelque profeffwn ou quelque métier, faire quelque commerce , ou tenir quelque ferme, qui puiffent le faire fubfijfer h-nnêtement. II ne peut donc y avoir néceffité ni utïlité d'établir des emplois lucratifs, dont les effets ordinaires font, dans ceux qui les pofsèdent ou qui y afpirent, une dépendance & unefervitude indignes d'hommes libres, & dans le peuple, des quer elles , des faclions, la corruption & le défordre (i). _ Le Corps légijlatif aura foin de diminuer les profits de tout emploi qui deviendra affe^ lucraüf pour émouvoir le defir, & atlirer la demande dé plufieurs perfonnes (2). Les titres ne font par leur nature ni héréditaires , ni tranfmifféles d des enfans, d des aefcendans , d des parens, l'idee d'un homme né magiflrat, légiflateur ou juge étant abfurde & contre nature (3). _ L'Arijlocratie ne Jauroit être que nuifib e (4). — II ne doit être accordé ni titres de nobleffe, ni honneurs héréditaires ( 5 ). ( 1 ) Conftitution de Penfylvanie, Art. XXXVI. (2) Conftitution de Penfylvanie, Art. XXXVI. ( J ) Conftitution de Manachufttts, Ire partie, Art. V. ( 4 ) Conftitution de Penfylvanie, Art. XIX. aucun efclave Nègre, Indien ou Muldtre , ne fera amené dans cet Etat, de quelque partie du monde que ce fok, pour y être vendu ; (conftitution de Delaware, Art. 16) & dans le plan de gouvernement provifoire adopté par le Congres pour les dix nouveaux Etats anpellés Territoire Occidental, Sc formés dans les conrrées entre ie lac des Bois & le confluent de TOhio& du Miffillipi, on trouvc 1'article fuivant : Apres l'année 1800 de l'ire cmétienne , ilny aura. ni efclavage, ni fervitude invo/ontaire dans aucun defdits Eti-ts , finon pour punition du crime que l'accufé aura été dument convaincu d'avoir commis en perfonne.  [ 37 ] refpric des Républiques, que celui de la cdnfidération , de 1'influence, du pouvoir ! quel privilege plus inique & plus redoutable que celui qui forme une aflociation illegale, attribue des prérogativesinconftitutionnelles, des marqués d'hnnneur excluhves, & par lequel enfin, un corps de dix mille hommes des plus diftingués de 1'Amérique fe trouve réuni. L'idée d'un homme né magijlrat, légijïateur ou juge, ejl ahfurde & contre nature. — Celle d'un homme né proteóteur de la patrie 1'eft davantage. Point d'smplois lucratifs , point cCémolumens. diflmclifs Les diftinótions, qui donnenc les honneurs & Ie pouvoir, avec lequel on a bientót 1'argent, tandis qu'avec 1'argent dans les pays qui ne font point encore au dernier degré de corruprion r on na pas toujours le pouvoir, rompronc plus surement 1 egalité ; ils exciteront dayantage la cupidité des guerriers que les emplois lucratifs. Point de titres de nobleffe : point d'honneurs hérédiiaires L'arifiocratie ne fauroit être que nuifible. — Nous avons démoncré que 1'inftitution des Cincinnati, c'eft a dire, l'afiociation desCommandans militaires de 1'Amérique, diftingués par des fervices éclarans, inveftis du privilege exchifif C 3.  [ 3S ] de porter & de tranfmetcre a leurs enfans le fymbole & les prérogatives de 1'Ordre qu'ils fe confèienr, & dans lequel ils admeuent dei frères d'armes étrangers, (oumis a d'autres loix, a d'autres principes , a d'autres mceurs ; nous avons démoncté qu'une telle union de Citoyens républ c ins égaux entt'eux, & qui fe créent une fupériorité réelle aüdeflus de leurs concitoyens 5 avec un figne de railiemenr, quelques motifs qu'on lui fuppofe, de quelques beaux noms qu'on la décore, n'eft en réalité, & ne peut être dans fes coniéquences que 1'inftitution d'un Patriciat héréditaire, une création de nobleffe pour les Cincin ati, pour leur poftérité male, & a fon défaut pour leurs branches collatérales. Les Cincinnati font donc des Nobles, des Arijlocrates, de vrais Patriciens, des Pairs du Royaume : Pares Regni. Et ce ne font pas feulement les loix patticulières de chaque Etat qui profcrivent un ordre d'hommes & de chofes fi contraire a 1 egalité. Le fixième atticle de la confVdération générale, loi fondamentale de 1'exiftence politique des Etats Américains, porte en terme expres : Les Etats-Unis ajfemblés en Congres} ni aucun  [ 39 ] êüeux en -particulier, naccorderont aucun tj.tre de nobleffe (i). L'ordre des Cincinnati ufurpe donc & co:.fère une nobleffe qui n'eft ni donnée ni accordée par la légiflation \ il la confère en violanr, & pour ainfi direendéfiancles loix du Congres & des Etats, qui fe font interdit cette liberté : il commence la guerre a fon pays. Et bien que cette inftitution n'aic pas recu , & ne puiffe pas même recevoir quant a préfent la fandion de 1'autorité légiilative , elle n'en eft que plus redoutable dans fes conféquences \ car fi l'ordre de Cincinnatus euc été ctéé par le Congres (i ) ou ( i) Nor skall the United States , in Congrefs ajfembled, nor any of them , grant any title ofnobility. (l) Le même Littérateur , dont nous avons pris la liberté de critiquer ( note de la page 19 ) les vers avec d'autant plus de févérité que le trair fur lequel tombe notre obfervation , eft plus féduifant par fa forme ingénieufe , a commis dans le même recueil une infidélité trés-blamable. 11 fait dire au eharlatanifme:' « A 1'Amérique Angloile encore un peu fauvage, » Je n'ai pu jufqu'ici faire accepter mes dons: » Mais j'en tfpère davan:age " Depuis que Ie Congres invente des cordons. » Non-feuh uient le Congrés n'a pas invcnté des cordons ; m&» C4 .  [ 4° ] par les Légiilatures particulières des Etacs-Unis, il auroir renverfé la conftitution ; mais il 1'auroit faic d'une manière légale, & nous faurions tous du moins ce que feroient des Comtes, des Ducs, des Pairs Cincinnati qui auroient recu la fan&ion du Congres; nous fixerions leur exiftence) nous déterminerions 1 etendue de leur privilége exclufif & de leur influence. Mais les Cincinnati fe font créés eux-mêmes: femblables a ces defpotes qui ne relèvenr que de leur volonté & de leur épée, ils étoient guerriers, & ils n'ont admis aucunesbornes a leurs prétentions ; ils n'ont rien voulu devoir qu'aux conditions ambitieufes qu'eux-mèmes fe tout annonce qu'il les réprouve très-févèrement. ( Voyez au Poftfcriptum, Obferv. fur la Lettre cirr. la Note relative a 1'Ordre de la divine Ptovidence ). A luppofer qu'un Poè-te puiftepour fa commodité ahérer a ce point les faits; les notes qui fuivent le portrait hiftorique du charlatanifme , ne devoient elles pas redreffer cette erreur ? Celles des Poëtes _ font rarement indifférentes. Ils vivent de vols j mais ils yi'vent éterneHcrnent: 1'avantage d'employer des formes qui n'appartiennent qua eux a 8c des formules harmoaieafes qui féduifent tous les hommes & qui repouftent les détails toujoqrs fautifs pour ne préfenter que des réfultsts, leur affure 1'immortalité. 11 eft permis de douter que l'Efprit des Loix furvive aux belles Epitres d'Horace, ou même a fes jolies Odes. II faut donc relever toute erreut morale Sc tout menfonge hiftorique accrédité par les poëtes.  [ 4i ] font impofees, & a 1'exiftence qu'ils fe font formée pour eux & pour leur poftérité. Créés par une infraótion formelle a une loi générale de l'union, pourvu qu'ils exiftenc ils n'ont pas befoin de la fandrion des loix pour augmenter leur confiftance. Le courage & la fermeté ne peuvent leur manquer; s'ils réfiftenr avec perfévérance a Ia molle oppoficion qu'ils pourront rencontrer; s'ils perfuadent que leur inftitution n'eft tout au plus qu'une décoracion flarceufe & de nulle importance (c'eft ainfi que juge Ie vulgaire ); s'ils ont la patience , 1'adreffe, la fubtilité, la foupleffe néceifaires pour cacher leurs profonds defleins fous le titre pieux & rintéreffant pretexte de la levée d'un fonds de chaticé , de manière a fe lai/Ter tolérer feulement pendant quelques années; n même, par une déférence purement politique, ils confentent ou font conftraints a modifier 1'inftitution dont ils ont fondé la perpétuitc avec une adrefte ptodigieufe; ils pourront bientót braver impunément les contradióreurs; car la moindre partie n'en peut être foufferte fans rendre une forte de vie a fa totalicé. Si 1'on accorde aux Cincinnati qu'ils ont pa fe diftinguer de leurs Conciroyens; fi 1'on confent qu'ils en foient diftingués même a terme, & qu'ils forment un corps pour quelques inftans,  [ 4* 1 même dans de fimples vues de bienfaifance, ce fera rccompenfer la violation des loix de la République & fan&ionner une mauvaife a&ion qui mériteroit bien plutót d'être punie : on ne pourra empêcher qu'il n'en réfulte pour la poftériré des Cincinnati un titre d'honneur héréditaire. La médaille que leurs defcendans n'oferont pas porter , mais qu'ils conferveronc dans le tréfor particulier de leur familie, leur tranfmettra a perpétuité un fenrimenc d'orgueilqui s'oppofera aux alliances de ces families avec celles de leurs concitoyens , égales & peut être fupérieures en mérite ; mais qui du temsde la Révolution n'auront pas eu le bonheur d'avoir des membres dans le corps des officiers. Ces fortes d'inégalirés fondées fur une vanicé puérile, qui mettent obftacle au cours naturel de 1'amour honnête; qui font féparer des individus que le ciel fembloit avoir formés 1'un pour 1'autre, & qui ne peuvenr trouver dans une autre alliance un bonheur égal a celui qu'ils fe feroient procuré, font un des maux les plus cruels dont 1'Europe eft affligée, & qui par des mariages mal affortis au phyfique & au moral y détériore les races, fut-tout les races les plus illuftres, punies & non pas corrigées paria de leur propre orgueil. Les mêmes caufes auront les mêmes effets. La géniration fuivante des Cincinnati fera aufti enivrée de la prééminence de fon  t 43 ] fang; le Patriciat fera auffi profondement enraciné dans chaque familie puiffante, & imprimé dans notre gouvernement, qu'aucun autre ordre de nobleffe peut 1 être dans les monarchies de 1'Europe. Une ambition vive & enflammée, 1'avidité du pouvoir, lorgueil exalté ont femé ce «rand arbre dont les branches ombrageronc la tyrannie. II eft de 1'efprir de la Nobleffe, de fe regarder Comme compofant feule la Société. En moins d'ua fiècle 1'inftitution qui tracé une ligne de féparation entre les defcendans des Cincinnati & leurs concitoyens, ojcafionnera une telle inégalité qu- le pays , qui ne contienc aujourd'hui que des Citoyens égaux aux yeux de la conftitution & des loix, fera compofé de deux fortes d'hommes; des Patriciens , des Plébéiens. Tel eft le réfultat naturel, imminent, infallible d'un établiflement d>nt 1'origine foudaine eft li oppofée aux principes républicains, qu'il nous offre les plus triftes préfages. Créer une nobleffe , violer & par conféquent détruire notre conftitution, au moment même oü nous nous élancons dans Ie monde fur les aï'esde la liberté , c'eft faire de cette liberté, a Iaquelle leciel nous a permis d'atteindce, une profanacion crimineile & qui tient du facri-  [ 44 ] lége; c'eft tournér a notre ruine les bénédicYions* de la providence Non, je ne me fais point illufion. Tout concourt a établir, a fonder la force de cette Alfociacion. Le nombre des Affocïés—II eft d'a- peu-près dix mille en ce moment (1 ), &c l'ordre annonce hautement le projet d'adopter tous ceux qui feront diftingués par leurs talens & leur réputation; c'efta-dire rous ceux a qui leurs places, leur confidération, ou toutautre motif donneront un crédit utile a l'ordre. Si chacun deux par fon influence perfonnelle fe fait feulement trois partifans qui adherent a fes intéréts, a fes fentimens, a fes opinions (il eft peu de calcul moins éxagéré ) un corps de quarante mille hommes d'élice que chaque génération augmentera s'éléve foudainement. Eh! qui dans l'Etat n'en tecevra pas la loi ? La force militaire—qui de toutes eft la plus rédoutable pour 1 egalité. Nombreux, aguerris, connoiffanr par état toutes les facfités que préfente leur ( i ) Comme on pourroit cro're. en Europe ce catrnl éxagéré , je cite l'autorité Anglo-Américaine. « For the number » of the Peers of the order, reckoning honorary msmbers , ( )cannot be far sh«rt of ten thoufand. »  [ 45 J pays pour 1'attaque ou la défenfe, & jufqu'aux qualités pcrfonnelles des compagnons darmes qu'ils on: commandés; fupérieurs au refte de leurs concitoyens; fupérieurs aux loix même que leur exiftence infulre, & donc elle accefte Timpuiflance, qu'auroncils a ménager ces guerriers, ck que ménageront ils ? Le pouvoir & 1'influence des différens corps de la République, des différentes pórtións de la Légiflature, augmenceronc & diminueronr a leur gré. Si quelque chef ambitieux, fi quelque faction puiflante menace la liberté des communes ; fi le Congrès luimême dans quelque circonftance politique qu'il eft non-feulement poffible, mais facile de prévoir , fe trouve avoir a fa difpofition un revenu , une .flocte , une armée & veuc accencer a nos libertés; les Cincinnati prendronc-ils un autre parti que celui qui conviendra le mieux a leur Ordre armé ? Etleurpoids n'emportera t-il pas la balance ? La conjidération—nécelfairemenr attachée a de grands fervices rendus a 1'étac; a de grands fouvenirs, a des actions éclatantes , exagérées par 1'orgueil national & le penchant des hommes pour le metveilleux; force qu'il eft impoffiMe de calculer , & qui de la reconnoiffance & dc la gloire p.uc faire des inftrumens de fervitude & de ryrannie. L'hérédué—qai éternife ce danger , qui 1'aug-  mente même de généra ion en génération & de fiècle en fiècle, par le poids roujours nouveau que letems ajoute a un préjugé qui vieillit; pat Pefpèce de fanction que 1'antiquité imptime a tout étabhffement; par 1'intérêt d'ambition qu'il infpire nonfeulement aux perfonnes décorées, mais aux families entières , oü les fils , les petits-fils, les neveux, les collatéraux éloignés pouvant prétendre un jour au même honneur ou aux mêmes efpérances , formenc dans 1'Etat une efpèce de ligue éternelle , une conjuration non iruerrompue des races tk des families pour foutenir , perpétuer, aggrandir même des privileges 8c des droits une fois établis 7 en un mot un Ariftocrarie perpeiuclle. Or foit que la légiflature , qui en réfotmant la !oi générale de runion , auroic feule le pouvoir légal de 1'inftituer , lui donne naiffance; ou qu'elle foit ufurpée par des Ciroyens, des Guerriers d'éiite , unis par des relations intimes aux officiers notables de 1'Europe ; les conféquences font a peu prés les mêmes; c'eft-a-dire infinimenC funeftes. Le refpeél qu'on porte naturellemeur aux races illuftres , anciennes 8c opulentes ; la confidération 8c le crédit qui réfultéronr d'une aftociarion fi puiffanre } fe perpétui ront avec le Patriciat; & tant d'avantages une fois obtenus , qiii lle familie aura le courage ou feulement la penfée d'y renoncer 5 Lorfque la génération préfente aura difparu de la  E 47 3 fcène humaine , lorfque les defcendans de ces Patriciens qui fe font crées eux-mêmes n'éprouveront plus les malheurs qu'onc effuyés leurs pères , & qui devroient leur avoir appris qu'on ne peut rien pour la liberté que par l'union politique dont 1 egalité feule eft la bafe ; ces enfans des Demi-dieux fi élevés audeflus de leurs voifins confentiront ils a defcendre ? Se remettront-ils au niveau de ceux dont ils pourroient être les maitres ? Préfcreront-ils 1 egalité de la Démocratie aux avantages exclufifs d'un gouvernement Ariftocratique qui ne pourra plus réfïder que fur leur tête ? Non fans doute ; un Ordre qui par fa compofition , fon étendue & fes' rapports ne peut qu'avoir la première influence dans PEtat , un tel ordre cabalera., confpirera, détruira le Gouvernement pour conferver fes avantages j ou plucót il fera le Gouvernemenr. Le droit de tenir d volonté ou d des époques rég/e'es des ajfemblées tant particulieres que générales.— Droit qui confticue un corps, qui fuffiroit potir le créer quand il ne feroit pas déja établi; qui rapproche toutes les ambitions, rous les intéréts , Sc les me; pour ainfi dire en préfence les uns des autres; qui les enflamme & les foutient par le fpectacle impofant de leurs forces réunies; qui entretient & alimente cet efpric de corps fi rédoutable , le fait fer-  E 48 ]» menrer 3 Sc de routes les paffions ifolées n'en fbrme qu'une feule plus adtive Sc plus ardente, d'autant plus dangereufe que tous ces hommes taffemblés croiront repréfenter la partie Ia plus confidérable , & repréfenteronc en effet la plus puilfaute de I'Etat. Enfin le droit d'avoir des fonds & de les employer—■ qui ajoute a rant de puiffance la puiffance de 1'argent; cette puiffance toujours corruptrice dans une république, bien plus redoutable encore quand elle s'exerce fous le nom de bienfaits; paree que dans des tems de troubles & de difl'entions, elle peur foudoyec conrre I'Etar, les befoins , les malheurs, les haines , & les vices. Telle eft la force de cette AfTbciation , & 1'on pourroic dourer fi elle blefte 1'efpric de nos loix! fi elle renverfe les principes de cette égalité dont nous fommes fi jaloux! fi elle établit & fixe a jamais dans I'Etat un ordre de Citoyens féparés des autres Citoyens ! Non, il eft impoffible d'en douter; Sc fi cette inftitution fubfifte , la plus grande partie de cette nation libre Sc fiére, qui, dans les acles de fa conftitution s'appelle Souveraine, Sc qui 1'eft par les droits de la nature & de la vidoire, eft deftinée déformais a fe voir flétrir du nom de Peuple, dont les efclaves titrés de 1'Êuropefont parvenus a faire une injure j Sc a Iailfer dominer fur fa tête & fur celle  [ 49 ] celle de fa poftérité une race éternelle d'Ariftocrates qui bientót peut-être ufurperont tous ces titres infultans dont Ia Nobleffe Européenne écrafe Ie fimple cuoyen, fon égal & fon fiére. IJ n"eft que [rop yrai que toute conftitution porte en foi un germe d'affo.bl.ffement & de deftrudtion. C'eft ie malheur inévitablement attaché aux chofes humaines ; mais du moins ce poifon né avec les Etats ne fe développe que lentement Sc dans le cours des fiècles. Voici un fpedacle nouveau, Sc donc la poJitique n'a point fourni d'exemple. P0Ur la première fois, on voit paroïtrechez un peuple inftruu & guidé'par des hommes habiles & prévoyans, une conftitution murement réfléchie, unanimement adoptée , folemnellement proclamée; & prés d elle au moment meme de fa naüTance, une inftitution parfaitemenc contradictoire* fon plan, Sc i l'efprir général de fes loix. Amfi les Américains élèvent d'une main ïeur conftitution, de-i'autre le principe même de fon anéantiftement. Eb! n'en fermente-t-il donc pas déji trop dans no re fein ! Le luxe de la nature, trop pifodtgué énvers nous, eft Ie premier & 1'érernei écuèil dont nousavons a nous défendre; 1'inégalicé des fortmes qu'elle a préparée, cqmbat 1'égalitc de droits que nous avons étafelie; les moeurs, les préjugés D  [ 5° 1 . contractés fous la domination Angloife, n'appellenc que trop 1'Ariftocratie par la défeótuofné des loix même (i), fans que nous nous hations de ( I ) Au moment de publier cet ouvrage , compote longtems avant 1'impremon ■ nous lifons dans un llvre attribué a M. 1'Abbé dc Mably (* ) & qui porte fon nom: cc La loi veut que les enfans des Franc-tenanciers agés » de vingt un ans aient voix dans 1'éledion des Repréfenü tans , quoiqu'ih n'aient point payé de taxes. J'y confens : » mais je demande comment cette diftindien ariftocratiquc » peut, fi je puis parler ainfi , s'amalgamer avec les prin„ cipes tout démocratiques des Penfylvaniens. La vanité » rui eft dans le cceur de tous les hommes , eft de toutes » lef paffionslaplus agilTante & laplus fubtile. Je gagerois » que ces Franc-tenanciers regaideront leurs privileges „ comme une forte de dignité qui lesfépare & doit les féparer M des Citoyens qui ne pofsèdent pas de terres. Après les avoir dédaienés , ils ne voudront point fe confondre avec „ eux. Voila'deux ordies de familie. Dc ce que les unes » jouiront d'une prérogative particuliere , elles concluront « qu'ellcs doivent former un ordre a part. Je vois fe former „ une nobleire héréditaire que les loix Américaines profcrim vent. Je vois des cömbats continuels entre KAriflocratic =>, que les paflions établiront, & la Démocratie que les loix ï protégeront; & pour que la République en fornt avec „ avantage, ou du moins fans fe perdrc , il faudroitque les „ Citoyens euffent les rcttus des beaux tems de Rome , < ») Obfervations fur le Gouvernement & les Ewo-Onis d'Améli^e, r.47 , i%, 49.EJidon d'Amfterdam, chc8 J.F.Rofart,  [ 513 linftituer, de Partner, de la doter. Des femences infernales de divifions, de jaloufies, d'envie, de cupidité, de partialités publiques Sc particnlières , de mécontentemens avoués Sc fecrets, tous les vices " "tt-a-0'1^ > cruffenc qu'il y a quclcjue chofe de plus présa cieux que I'argent. ». Ce feul exemple développe notre idéé; & 1'on voudroit rcncontrer plus fouvent de parellles obfcrvations dans l*ouvrage d'un homme de mérite qu'on ne croyoit pas devoir donner pour premiers confeils aux Etats d'Amérique de reJlremdreSide ne pas établir trop entiére la Démocratie /(*) la Tolérancc religieufe & la liberté de U Preffe. (*) « Permertez-moi, Monfieur, de vous demander Ci dans vo* * nou'el!es . on s'eft bien proportionné aux lumiéres & aux paf» «ons de la multirude , qui n'eft jamais aife éclairée pour ne pas "confondre la liberté & la licence; ne lui a-t-cn pas plus prorais > » qu'on ne vouloit & qu'on ne pouvoit tenir: S'il eft vrai que par une » fuire de tos liaifons avec l'Anglererte il y ait parmi vous un getme » d'Ariftocratie qui cherchera continuellemenr i s'étendre ; n'y auroit» il point quelque imprwdence a vouloir établir une Démocratie trop » entière ! C'eft mcccre en comradiaion les loix & les morurs. 11 ma » femble qu'au lieu de réveiiler magnifiquement l'ambition & les ef»pérances du peuple, il auroit été plus fege de lui propofer fimple" ment de s'affiranchir du joug de la Cour de Londres, pour n'obéir » qu'a des magiftrats que la médiocr^ de leur fonune rendoit m0. » deftes & amis du bien public; en réglant fes droits de fas-0n qu'il » ne pöt craindre aucune injuftice , il auroit fa'Iu principalement » s'occupet a mettre des emraves a 1'Ariftocratie, & faire des loix » pour empé-cher les riches d'abufer de leurs richelTes, & cfacherer » une autorité qui ne doic pas leur appartenir. § » Vous n'obéiflèz plus aux Anglois qui pourvoyoient a vorre fure. » té ; vous étes obügés de vous gouverner aujourd'hui car vous-' D z  t5l] > M , del'Europe, en un mot, fomentes par dimpla- cables ennemis qui n'avoient pas afkz de leurs ar- mes pour nous combattre, fonr répandus dès long- „ mêmes; & peut-être qu'en accordant les mêmes droits i toutes les „ fcaes diffétentes, & qui fe font accoutumées & familiarifées les => unes avec les auttes, il auroit été néceffaite de reftreindre un peu =. votte exttême toléranee pour prévenir les abu» qui en peuvent » tcfulter. J'ajouerai Qu'ü eft très-dangereux d'établir 'par une Ioi la liberté la plus abfolue de la preffe, dans m un Etat nouveau, qui * acquis fa liberté & fon indépendar.ce avant ,. que d'avoir 1'art ou U fcience de /en fervir. II eft vtai que fans la liberté de la preffe il ne peut y avoir de liberté de penfer, Sc que » nos mceurs par conféquem & nos connoiffances ne peuvent faire » aucun progtès Accotdez; tout aux favans qui étudient les fecrets de * la nature, qui chetchent la vérité dans les débris de l'antiquiré 8t les »ténèbres des tems modernes, ou qui écrivent fur les loix. les ré• . glemens, les réfolutions, & les arrangemeas particuliers de la po. litique & de 1'adminiftration : leurs erreurs ne tirent point a cen» fcquence ; leuts difcuflions, telles qu'elles foient, aigu.fent notre «entendement, 1'accoutument a une marche téglée, & jettent des » lumières utiles a la morale & i la politique. „ Mais les Américains étant ttop familiarifés ayec les idéés philo» fophiques, les opinions & les préjugés de 1 Angletetre, pour s'e» » détacher fubirement, comment pourroit on efpérer qu'ils ne con» tmuaffent pas a titer des conféquences dangereules des erreurs qu ils » resident comme autant de principes? .... . S'ils avoient „ la liberté de tout imprimer «andis que vos Républiques n'ont poinc . cncote ctéé che, elles un Confeil ou un Sénat pour leur fervir d, >> Palhëum, conferver & perpétuet le même efprit; i quelle „conf„ tancede doatine , i quel'es bifarteries , a quels délotdtes ne de„viiez-vous pas vous attendre, G chaque Citoyen, qui a quelque „ ,?.Ientpour écrire , pouvoit impunément entretenir le Public de fes » rêveties, & attaqaer les principes fondamemaux de la fociétéi -  [ 53 ) tems dans notre patrie. Si 3 loin d'en tempérerPactivité, nous en mulriplions, h nous en réchauffons les germes, nous fommes perdus, & nous ne mériterons pas même un rcgrer. Et pour achever de fe convaincre que l'ordre de Cincinnatus établir en effet au fein de 1'Amériqueun Patriciat, il ne faut qu'examiner les motifs avoués de cette inftitution : car s'ils font tous illufoires ou dangereux , fi, pour colorer leur union , les Cincinnati prononcent de grands motsvuides defens, il reftera dans leur ligue les clauies pofuives qui forment la cortfédératio.n des puilfans, & conftituenc la diftinction orgueilleufe qu'ils s'arrogent. Les Cincinnati fe font aflociés, difent-ils, pour perpétuer le fouvenir de Ia révolution, & de la confedération (i). Une médaille furmontée d'un ruban ! voila donc le vénérable monument de la plus grande des révolutions! Et 1'exiftence de la Patrie! & ce nouvel empire fondé! & la face de PAmériq'ue changée par nos vertus & par nos loix! & rous ces lieux témoins de nos exploits! les champs de batailles, les fleuves j les mers teints du fang des ennemis! ce ne font pas des monumens alTez nobles pour attefter ( i ) To perpetuate the retnembrance of the Révolution^ D 3  [ 54 3 ce grand événement!..... '. Ah! malheur a nous, fi le fouvenir de cetre révolution fe perd dans la poftérité ! c'eft que nous aurons perdu notre gloire, avili nos vertus, dégradé nos ames ! c'eft que nous aurons anéanti 1'ouvrage de nos Ancêtres! Et croyons- nous qu'alors un vain ruban, une diftinótion frivole, feront revivre des fouvenirs que nous aurons nous-mêmes éreints par notre lacheté, notre fervitude & nos vices? Confervons 1'égalité pour Iaquelle nous avons combattu; & la poftérité n'oublira pas la révolution qui nous valut cette égalité que les Cincinnati rompront en peu d'inftans, fi leur fociété n'eft pas dilfoute. Mais les Etats unis ne peuvent pas payer l'armee a Iaquelle ils doivent leur exiflence \ & ne font-ils pas heureux que les officiers acceptent pour Jolde une marqué d'honneur dont ils nabuferont pas ? (i ) Ou I'Etat peut payer vos fervices; & alors il ne commettra ni l'injuftice , ni 1'ingratitude de ne pas s'acquitter envers vous. Ce malheur avililfant n'ar- ( i ) That the States cannot pay the army, the officers ■will be contented with this baable , and they will not abafe it. 'Tis like throwing a tub to a whalc.—Au refte cet aveu jngénument échappé* a 1'inadvertance des Cincinnati, dénonce aflcx 1'irnpoitance politique dc leur ruban.  >■ \ 55 1 ^ rivera pas fans doute ; mais dut-il arriver, nobles Républicains! ce feroic encore une lacheté de 1'avoir prevu 5 & vous devez ê.re allez grands pour pardonner un corc a la Patrie. Ou la République ne peur donner de Por a fes braves défenfeurs; & fautil alors qu'elle s'acquitte en renverf nc de fa propre main la conftitution qu'ils lui ont achetée ai prix de leur fang ? faudra-t-il qu'elle les paie de Pefclavage de la poftérité ? de certe poftérité dont les pères aufli versèrenc leur fang 1 les Cincinnati fe déclarent frères des officiers: pour leur fraternicé darmes il fauc un grade. Que feronr ils donc a leurs autres compactiotes, a ceux qui combattirenc avec eux Sc aufli vailiamment qu'eux dans un rang inférieur ? Biencör le dernier des Souslieutenans , décoré de fon ruban, rougira de la comparaifon Sc de 1'alliance avec le premier fergenc, avec le plus brave folda: de Parmée. Cependanc ces poftes fe rouchentdans un Etat cépublicam, ou les armes n'ont été prifes que pour le maiiitien des droics nacurels. La fupérioricé du mérite eft même du cóté du fergenc, auquel il n'a du manquer qu'un peu de forcune pour êcre élevé au grade d'officier. Eh bien! ces foldacs , ces fergens n'onc ni rubans, ni médailles; Sc ils attendent leur folde, qui eft leur pain, qui eft leur fang. Les officiers feront ils plus avides , ou moins généreux ï Des 3>4  15- 1'orgneil a qui tu dédies ce monument; s'il eüt exifté avant " toi; s'il eüt fallu pour y être admis les conditions qu^ tu as impofées, ton enfance obfeure & indigentc y cür-clle »j trouvé un afyle ? Ton fafte a cru déguifer ie malheur de a» ta nailTance Je ne dirai point la ba fl elle ; tu Ie » mériterois pouttant; car tu as montré celle de ton cceur » & la petiteffe de ton efprit Ta vanité incme s'eft >3 méprifée. Tu rappellcs ce que tu voulois cacher. Ouvre 33 cet hofpice a 1'enfant qui fouffre,/quelque part qu'il ait » pu naitre ; alors je te crois noble, homme de qualité même , » comme tu difois; ou jc m'indigne que tu ne 1'aics pas écé.  [ S« J bienfaifance comme particulier , & le doir comme homme. Mais de quel droir un Corps s'annoncet-il dans I'Etat comme le difpenfaceur des bienfaits ? Une affociation puiffance, diftinguée pat N. B. Je vais impnmer la réfutation de cette note , cjue je laifle fubfifter, paree que 1'idéc qui m'a frappé , a la vue de 1'Ecole militaire, comparce a St. Oir, peut frapper beaucoup d'autres, & que fi elle eft mal fondée, tout honnête» homme me faura gré de lui fauver une injuftice ou une erreur. Je tranferirai donc pour corre&if de cette note ce qu'un homme d'un grand mérite & d'une honnêtcté au« defius de tout foupejon me mande a cet égard. Quelque doux qu'il m'eut été de défércr a fon feul defir , j'ai eu le courage de refufer aux follicitations de fon amitié la fuppreflion d'un morceau que je crois honnête & moral. Mais je dois ii la juftice & a moi-même de publier Ia juftification de M. Duvcrney, fondée fur des détails dont M.*** me garantit la vérité. " L'homme que vous accufez étoit beaucoup plus philo>> fophe que ,vous ne 1'avez cru ; il gémiiloit comme vous m & moi des conféquences malheüreufes du préjugé féodal ; a» & il blamoit 1'adminifttation d'employer exclufivemenr la » nobleffe pour commander dans les troupes ; il penfoit avec 33 raifon qu'un jeune homme né de parens honnêres , infsstruit, bien élevé , ayanc une fortune aifée , devoit fans » doute faire un meillcur officier, qu'un ruftre fachant a =» peine lire , n'ayant aucune des bonnes qualités des pay33 fans, & raüemblant tous leurs défauts renforcés par 1'a33 meur propre le plus fot 5t le plus extravagant. » M. Duvcrney ne pouvoit détruire ni le préjugé, ni  [ 59 ] des prééminences, qui peut verfet de 1'or, acheter la reconnoiiïance des malheureux, eft uneaffociation plus que fulpecte a la liberté républicaine. Ce droit de foulager 1'indigence, de payer les fer- 331'efprit du gouvernement; mais il crut qu'on pouvoit en 33 diminuer les inconvéniens en donnant aux enfius des 33 nobles lléducation la plus capable de les renJre propres a 33 1'état qu'on leur deftinoit ; il donna fon projet d'une 33 école militaire , non comme celle que vous avez vue, non 33 comme celle que vous voyez encore. 33 L'aminiftration faifft 1'idéc de M. Duverney ; mais 1'or33 gueil s'en ernpara, la gata, la dénatura. Le Secrétaire 33 d'£tat, de qui fon exécution dépendoit, vit dans cet éta33 "blilfcment un moyen d'immortalifer fon miniftère ; Sc 33 croyant rendre fa gloire d'autant plus éclatante qu'il -33 feroit plus brillant, il fit un Etat-major, donna des ap33 pointemens a une foule de_ maitres inutiles, commanda 33 des plans; & comme on fajroit fes intentions , ils furent 33 fi magnifiques & fi fous , que la feule Cour Royale étoit 3d plus grande que la fuperficie entière des invalides. 33 Ces difpofitions n'étoici>t point du tout celles de M. D. »3 V. qui ne vouloit point d'Etat-major , ni d'édifices fupcr33bement ruineux & extravagans. I! defiioit les batimens as nécelfaires d'une architeéture fimple & modefle. II détel3> toit les maitres frivoles. II vouloic que les enfans fuffent 33 nourris grolfièrement; qu'on fortifiat leur tempérament 33 par des exercices violens; qu'on leur montrat les armes , 33 1'équitation , le deflin , 1'exercice & a nager; qu'ils eullent 33 des maitres de mathématiques, des langues Allemande & » Angloife. II toléroit avec peinc deux ou trois mois de  t eut la main forcée fur tout. II éprouva des chagrins d'au33 tant plus vifs qu'il fupportoit impatiemment la conrradic33 tion , & qa'il tenoit avec entêtement a fes opinions; fes » amis l ont fouvent cntcndu fe repentir amèrement d'avoir , 33 en voulant réformtr un mal, donné 1'occafion de faire pis. 33 On peut reprocher a M. D. V. de n'avoir pas , avec 33 beaucoup d'efprit Sc d'expérience , prévenu les obftacle3 33 qu'il a rencontrés, de n'avoir peut-être pas choifi les 33 meilleurs moyens d'aller a fon but. Sepr ou huit jeunes »3 gens a Ia fuite de chaque Régiment auquel on auroit atta33 ché un maitre de mathématiques, & qui leur auroit donné 33 prefque tous les autres, auroient peut-être rempli fon 3» objet plus complètement Sc d'une manière plus écono33 mique. 33 Quoi qu'il en foit, fon idéé étoit belle, dignc dc louangc, 33 Sc d'un exctllent Citoyen ; Sc je ne doute point que toute 33 ame honnête ne trouve très-répréhenfible qu'on lui fuppoli 33 fans preuve , dans la feule vuc de faire une note piquante -o Sc bien encadrée, les coupables motifs d'une infupportable 33 vanité. 33 Je vous prie d'être perfuadé , Monfieur, que Ie defir 33 de vous préferver d'une aélion que je crois injufle, entre 33 prefque autant dans les motifs qui m'ont fait écrire ces33 détails dont je vous garantis la véiité, que celui d'éniier » un chagrin très-vif a mes amis. 33  [ 6i ] général de reconnoiffance que les Citoyens doivent a la Patrie j il détache d'elle les cceurs de fes enfans pour les attacher a. des particuliers puiffansj il commet un crime aux yeux de la liberté. Dans les Républiques anciennes la plupart des Tyrans ont commencé la fervitude par des bienfaits; ils ont foudoyé le pauvte pour alfervir le riche 3 Sc préparé le malheur général en foulageant des maux patticuliets. Ce Manlius, qui avoit chaffé les Gaulois du Capitole & fauvé les Romains? enorgueilli peut-êtte de favictoire, fut accufé de vouloir régner dans le pays pour lequel il avoit vaincu ; & ce furent les ttéfors qu'il verfoit qui le dénoncètent comme un Tyran. Je crains bien que plus accoutumés a voir des Monarchies que des Républiques, nous ne voulions imprudemment meier enfemble des infticutions qui fe combattent Sc fe tepoulfent. Sans doute on eft trop heureux fous des Monarques, que des fociétés particulères s'uniffent pour adoucir les maux que le gouvernement fait naïtre & que fa coupable indifférence négligé de fecourir. La que les vertus des hommes fervent de contrepoids a la puiffance$ que les particuliers acquittenc la dette de PEcat; j'y confens. Mais nous égaux , Sc libres; nous donc le pre-, mier devoir eft une vertu publique; nous qui ne devons, qui ne pouvons fubfifter que par elle.  [ 62 ] gardons nous bien de donner un femblable exemple, & de laifler dépofféder I'Etat de fa plus noble fonétion 3 celle de prévenir les maux , ou de les adoucir quand la néceffité les fait naitre. S'il la négligeoit, avercillons-le de laremplir, mais ne 1'en dépouillons pas. II feroit dangereux pour 1'infortune même qu'un corps s'arrogeat un tel privilege. L'Etat s'accoutumeroit a croire qu'il feroit difpenfé du plus beau de fes devoirs. En abandonner Pexercice a un corps, ce feroit a la fois nous prcparer des fers Sc des vices, rifquer notre conftitution & nos mceurs. Ils fe vouent d conferver intacls les droits les plus éminens de la nature humaine. ( i ) & détruifent le premier 3 qui eft celui de l'égalite'. Illuftres Cincinnati ! eft-il donc deux fortes de droits apparrenans a la natute humaine ? Eft-il dans la nature une efpèce qui foit forcée par état de trahir ou d'abandonner fes droits? Eft-il dans la nature une efpèce réduite a 1'humble condition des Plébéiens} & une autre plus éminente , dont les individus foient incapables de conferver leurs droits fans 1'attention continuelle d'un ordre doté de la ( I ) Atteni inceffantly to pre/erve inviolate the exalted rights of human nature.  i «3 ] dignité de Patriciens ? Voila cependant ce qu'ils entendeur., ou ils ne s'entendent pas! Les peuples de 1'Amcriquene leur paroitfent don: pas dignes qu'on leur lai(fe le foin de leur honneur national, ou celui de leurs propres affaires, a moins qu'un ordre diftinct n'en prenne la furintendance ! Ah! tant de foins font trop officieux!.... Eft-il une contradiction plus frappante? En un inftant ils inftituent un ordre, ils élèvent une diftin&ion , du haut de Iaquelle ils abaiffent des yeux proteóteurs fur tout ce qui n'eft pas eux : ils ont battu en ruine cette belle & fimple Sc naturelle egalité que 1'Aureur des Etres avoit créée pour notre utilité & notre bonheur , que le philofophe contemploic avec un plaifir confolateur, que nos loix & notre gouvernement nous promettoient Sc devoienc nous garantir Ils ont tout violé ! Sc c'eft dans le traité même de leur ligue ufurpatrice, qu'ils parlenci/w droits éminens de la nature humaine! ils vantent ce qu'ils outragent ! ils jurenc de défendre le domaine de la liberté publique qu'eux feuls attaquent aujour- d'hui! Ah ! le voile n'eft pas atfez épais! Certes il n'eft plus d'homme , jouilfaut de fa raifon, qui puiiïe croire que les droits d'un peuple, qui les a payés de fon fang , ne feronr pas bientót envahis par des guerriers qui, méprifant la  [ f4j] condition de citoyens privés , Pabandonnent pour s'élever a un titre préfomptueux qu'ils fe fonrforgé ! Le premier des droits fublimes de 1'humaniré eft la Lberté, le fecond eft l'égalité 3 fans Iaquelle la Iberté ne peur être refpeótée; le iroifième eft la proprïété , fruit légitime d'un ufage égal de la liberté. Les Cincinnati en détruifant le fecond de ces droits, abufenc du premier, portent atteinte au dernier, Sc anéanciflent leur lien commun. Ils exiteront, ils entretiendront dans les Etats refpeclijs l'union & 1'honneur national ! (i) . . . Union ! Honneur ! Défunion plutot Sc aviliftement! Quoi ! l'union par un écablifiemenc d'Ariftocrates, donc Peffet néceffaire eft de divifet les Citoyens, & den armer une partie contre 1'autre ! Quoi ! l'Honneur national par une inftitution qui doit dégradet la nation même , en lui ravillant ce droir d'égalité, première fource de Ia grandeur, premier gage de la liberté ! Laiffons au Baron de Steuben vanter le bien qu'un Ordre produit dans les petites Principautés d'AIlemagne, oü chaque génération voit inventer dans chaque village un nouveau fymbole de nobls fervitude; oü le rarif ( l ) Promot e and cherish , bet-wem the refpe&ive States, union and national honour. de  [ <5 1 de 1'honneur eft Pancienneté des titres Sc des livrées. Pour nous 3 qui ne connoiftbns d'honneur que la liberté, & de maïtre que les loix; loin de voir un lien d'union politique dans un ordre national j harons-nous d'y découvrir une (puree intariflablé de diflenfions , puifqu'une telle inftitution établic parmi nous deux corps diftinóVs; Pim compofé de 1'armée, & Pautre du peuple. N'ouvrons pas un vafte Sc humiliant théatreaux diftinólionsopprefiives, aux jaloufies incendiaires, Sc bientbr aux haines civiles qui finiuenc toujours par le lilence honceux de 1'efclavage. (i) Quant a. cet honneur national donr les Cincinnati réclament le dépot; malheur a nous s'il ne peut rélider que dans un corps , s'il ne peut être entretenu que par lui ! Quoi ! toujours des idéés monarchiques dans des têces répubücaines! J'avoue que ce mélange & cette confufion d'idées m'épouvante. Encore n'eft-il pas vrai que ihonneur natio- ( i ) Cat le parti long-tems opprimé devient a fon tour opprefleur. Adeb moderatio tutnds. libertatis, dam, square veile fimulando , ita fe quifque extollit , ut deprimat alium , in difficifi eft. Cavendoque ne metuant homines , metuendos uhrb fe efficiunt, & injuriam a nobis repulfam , tanquam aut facere aut pati netejfe fit, injungimus aliis. Tit. Liv. L. ui, C. éf, E  1**1 nal, même dans les monarchies , réfide dans un corps de nobleffe. L'Allemagne a plus & de meilleurs nobles que la France & 1'Anglecerre ; & fi 1'Angleterre & la France ont plus de gloire , c'eft qu'eiles ont produit plus de ralens ; or les ralens fonc 1'apanage & la nobleffe de la roture. Mais enfin 1 honneur, cette prodtidion Europcenne qui fupplée aux vemr, peut, fi 1'on veut, être confié fous des Rois a un corps, paree qu'il peut difficilement exifter dans le corps entier des Citoyens j il a befoin de préjugés; il vit de diftincrions; c'eft une vanité déguifée en orgueil qui peut donner quelque reffbrc a des ames affaiffées fous la fervitude générale. Mais parmi nous, oü chaque Ciroyen eft 1'égal d'un Citoyen , 1'honneur ne doit être que la vertu, que Pamour de nos droits, que 1'horreur & le mépris de l'inégalité } que la dilpofition éternePe a verfer tout notre fang pour I'Etat 3c la liberté \ Sc fous peine d'être déja vils Sc corrompus, nous devons tous donner 1'exemple d'un pareil fentiment. Quiconque prétend en être feul ou premier dépofitaire , nous oucra-ge. C'eft a nos loix, c'eft a notre conftitution , c'eft aux magiftrats que nous choififfons , Sc qui nous gouvernenc, que nous devons conher ce feu facré. Placé ailleurs, il ne feroij;  { 67 3 plus que comme ces lampes funéraires qui rcpandent quelque foible lueur fur un maufolée s mais qui ne peuvent communiquer la vie aux cendres inanimées qui 1'habitenr. Mais un ordre de nobleffe donnera de la force, de la dure'e, de la conjidération d notre gouvernement. (1 ) Eh ! quoi ! la guerre d'Amérique n'a-t elle donc pas affez ccuvaincu t'univers qu'un Ordre de nobleffe il 'eft pas néceffaire dans notre confédération? Ne pourroit-elle pas faire doneer qu'elle foit utile dans les autres ? Faut'il une autre épreuve? Quand nous osames lever la cête devanc nos opprelFeurs , nous n avióiis aucune diftinóhon parmi nous. Notre peuple étoit principalement compofé de ces hommes , que, dans les contrées efclaves, oiTappelIe Payfans (1): & fes cultiva- (l ) An order of Nobility will give ftrengtk , duration , and révérence to our Government, ( i ) Ga lit dans une noticc de la vie du Comte de Panin, traduue du RuiTe : a L/ame dc fon père »toit aulli noble que « ft nahTance; quator\e mVle payfans étoient tout fon bien; =3 toute médiocre qu étoit cette fortune , & maigré ia fituation » 011 étoit aio s la patrie ( la patrie c'eft la Ruffte) il ne né- » gligea rien pour 1'éducation de fes enfans » Telles font les opinions , la modération , la pauvicté, les vertus des Patriciens héréditaires L E 1  lm ] teurs, qui n'avoient ni décorations, ni titres, ni médailles, ni rubans, produifirent de bons officiers, de braves foldacs, de véricables hommes d'Etat, a qui 1'adulation ou la préfomption des courtifans de 1'Europe oferoic a peine trouvet des rivaux, ou des émules , dans cette foule d'efclaves ticrés & décorés qui predenc les gradins du trbne des monarques. Que difoie t-ils cependant au commencement de la guerre ? comment traitoient-ils dans leurs difcours ces hommes qui biencóc alloient devenir des Héros? ces vils Laboureurs, ces Arüfans mé- prifables, devoient fuir devant un régiment de Ci- payes Européens Ils rougiilbient de les com- battre, ils dédaignoient de les nommet , de les dc- ügner Ils ont vu pourtanc, ils ont vu com- bien le vrai courage brave la routine militaire, appellée difcipline; ils ont vu ce que pouvoient des Laboureurs , des ouvriers républicains conrre les flottes, & les armées, & les tréfors, & les intrigues des monarques ils lont vu ! & ils onc retoutné baifer leurs chaines! Et nous lommes libres! Cette vertu militaire de nos Concitoyens, ce fentiment de leur dignité, ce mépris des dangers & des Tyrans; tant d'erForcs généreu.x qu'ils onc accumulés, & que la liberté & la gloire ontcouronnés ;  i/9 ] qu'étoit-ce donc que 1'efiet naturel de I'égaUre; de 1'énergie male & fiere d'hosnm .-s qui combattoienr pour eux-mêmes, Sc non pour des maitres \ qui fe fervoienc de leurs Chefs refpectés Sc qui ne les fervoient pas, Sc dont 1'ame Sc le caraétère n'ctoieut enveloppés ni comptimés par aucune fuperiorité faótice ? Ce fut cet orgueil fublime qui die a Thomme , qu'un être de fon efpèce n'eft pas audeffus de lui ; ce fut cet orgueil qui nous leva des flottes Sc des atmées \ qui nous créa des reflburces, qui nous fit foutenir contre une des plus formidables puiffances de l'univers des campagnes fans paie & fans murmures; dévouemenr fi gforieux que 1'hifroire n'en offre aucun exemple I & qu'il eft impoffible qu'on en trouve jamais un aurre chez les nations quelconques oü la nobleffe a ufurpé une confideration exclufive! Si 1'infticution qui 1'établiroic dans notre patrie n'y eft pas entièrement exthpée 3 les vertus nobles Sc généreufes qui onc opéré la révolution s'éteindronr pour ne fe rallumer jamais. Lorgueil Sc le mépris infultant } ójvè le Patriciër! Sallufte appelle le mal épïdtmïque ie lanoblejTe (i), aviüront tellement 1'ame de nos,enfans y que bientbc on ofera leur imprimer 1'idée que dès fon origine (t j Ccntemtor animus & fuperbia , commune Nobilltatis malum. Eell. Jug. 64.  [ 70 l 1'indcpendauce de 1'Amérique fut ainfi limitee; que l'efFufion de ranc de fang , la mort de tant d'illuftres viébmes , une fi grande variété d'actions glorieufes de fouffrances honorables , d'explorrs qui tiennent du prodige, n'ont pas été 1'ouvrage du peuple n'ont pas eu fon bien pourobjec ,quils font la gloire particulière d'un certain nombre de families, dont ils ont juftement for.dé la grandeur, le privilege exclufif} & pour ainfi dire le monopole du pouvoir dans le Coutine it: car après la violation des droi s de la nature , il rede a la tyrannie de chercber dans un prétendu droit pofitif, ou dans le code de la fupeiftiuon , les titres hiftoriques qui confacrenc fes prétentions & légitiment fes attentats. II eft un peuple a qui la fagefle femble avoir donné le droit d'immorra'icé parmi les nations. Le ptivilège d'ennoblir les ancêtres (i) eft chez lui la récompenfe des fublimes vertus , des fervices diftingués rendus a I'Etat & a 1'humanité. Li tout grand homme eft trop au-de(Fus des diftinctions qu'jnvente & ptoftitue Ia vanité humaine , pour ( i) Si un Cliinois eft placé par 1'Empercur au rang des Mandarins , fon père & fa nière ont aufli tot dioit aux mêmes honneurs que le Mandarin;6i fi fon mérite eft tiè«-élevé, on dor.nc des titres d'honneur a fes ancêtres} cn remontant quelquefois jufqu'a la dixième génération.  [ 7* 1 qu'on ofe enverfer fur fa cête. On récompenfe cem i qui la nation doit le bienfair de fon exiftence. Les Cincinnati prétendent un aiitre falaire; ils ennoblilfent leurs enfans aux dépens de leur parr;e! La coutume d'ennoblit les ancêtres eft a la fois nobie & fa«e ; rhonneur qui remonte n'eft pas du moins contraire a la ra fon , comme 1'honneur qui defcend ; il fuppofe avec vraifemblance que 1 mftruclion & 1'exemple des pères ont préparé d'excellens Citoyens a I'Etat, & que les vertus des enfans font un héritage domeftique (1). Mais que dire en faveur de la coutume d'ennobiir les enfans ? de cette coutume qui communiqué lorgueil d'une récompenfe a ceux qui n'ont rien fait pour 1'obtenir? qui contribue même a les rendre indignes de certe noblelfe en faifant germer les vices a cóté des honneurs (i) ? qui applique trop (i) Virtus generis , dit Plutaique, en ce!a plus pbiiofophe qu'Ariftote, qui, felon Charron, définit lancbleffe: antiquhé de race & de richtjfe. On dircit qu'A i iftote cerivoit dans ie Pays otileP. Meneftrier a fait imprirrièr un traité de ia véritable nobleffe, & un autre fur les devifcs qu'il appeile la philofopkie des images. ( i ) Cette coutume renvcrfe les bicnféances, qui, après les loix & mieux que les loix , régiffent la fociésé , en fubfsitnant aux égards dus a la fupériorité de lag?, le ïefyéa E4  [ 7* 3 fouvent a des hommes vils le prix des fervlces & du fang des grands hommes? a-peu-ptès comme la fuperftition a tranfporté a des fimulacres de piert» ou d'airain le cuhe que la reconnoilfance n'inftitua d'abord que pour la diviniré. L'honneur rétroactif eft d'aiüeurs utile a I'Etat : il encourage les parens a donner a leurs families une éducation vercueufe ; & c'eft ainfi qu'il rend héréditaire !a vraie nobleffe , celle de 1'ame. Mais l'honneur de fuccefticn, tombant fur une poftérité qui ne peut prétendre aucune part a ces vertus paffées d'un vieillard pour un jeune homme fupérieur a lui par le rang. Cette coutume corrompt jufqu'aux fentimens de la nature, en mêlant a l'hommage dü au rang l'expreftion du refpefl pour Ia paternjté. On montre a R,ofny, dans ce féjour faftueux de i'Ariftide Francois, du Caton millionaire des monarchies modernes , on y montre encore les deux bancs de pierre od cet illuftrc Chcvaiier, de race li ancienne , fe repofoit avec fa familie, lui bien aflis, el'c debout, chapeau bas, prés d'un banc vis a-vis Je me trompe peut-être ; mais j'aime mieux Ie baron fur lequel Agéfilas jouoit avec fes enfans. II fe trouve entre les grands hommes anciens & les modernes les plus célèbres, a peu prés Ia même difTcrence que les ralens mettent enrrc Tacite Sc le P. Daniël. D'oii vient cela ? on en alfigneroit beaucoup de caufes; mais les petitelfes du cérémonial quj rétréciffent les hommes, & avilinent 1'hiftoire ? font une de ces caufes.  173 ] dont il eft pourtant la récompenfe, n'eft pas feulement abfurde; il eft encore ridicule , paree qu'il s'accrok dans 1'opinion a mefure qu'il s'affoiblit réellement en s'éloignant de plus en plus de fa fource (i). II nuit a cette poftérité même , paree qu'il lui eft plus commode de jouir d'une dignité de convention que de fe faire une dignité perfon- ( i) Ccci n'eft pas feulement une vérité philofophique. C'eft encor un caieul mathématique de Ia démonftratien la plus fimple Sc Ia plus facile. En effet on conviendra que Ie fils d'un homme n'appartienc que pour moitié a la familie de fon père ; 1'autre moitié appartient a la familie de fa mère ; ainfi quand le fils entre dans une aulre familie, la part du père de celui-ci fur fon petir-fils n'eft que d'un quatrième; fur 1'arrièrc perir-fijs, d'un huitième ; a Ia génération fuivante, d'un feizièrue; enfuite d'un trente-denxième ; 5: progrelTivemcnt ainfi : de forte qu'en Peuf générations qui embraneront environ trois eens ans , tel qui eft aujourd'hui Chevalier de l'ordre de Cincinnatus ne participera que pour sn cinq-cent-dou'iième dans le Chcvaiier exiftant alors; ce qui, en admettant comme indubitable la fidélité des femmes Américaines pendant neuf générations, mérite fi peu dc conlïdération , qu'il n'eft pas un homme raifonnable qui, pour afpirer a un fi mince avantage, voulitr courir les dangers de la jaloufic , de 1'envie, de la maiveillance de fes compatriotes. Rcmontons d'après ce calcul a Ja portée d'un enfant depuis ce jeune noble qui ne fera qu'un cmq-cent-douzième d'un Chevalier dc nos jours, & faifons-le arriver a travcis les  r 74 ] nelle; paree qu'il la rend fiére & pareffeufe •,-paree qu'il ne lui lailfe de perfpedive que le métier de foldac, qui n 'énige ni ralent, ni travail; paree qu'd fonde fut lorgueil héréditaire 1'inégalicé des par- | tages & des fortunes, Iaquelle nuit autant aux families qua I'Etat. Telle eft la fource intariffable de vanité & de pauvreté , de haffelle & d'orgueil s de neuf générations auxqueites il devra 1'exiftence jufqu'a I'année de 1'inftitution de f otdre—il aura un père & toe raère *-» Et chacun d'eux aura i:n pèrê & uncmèrc 4 J Voici quatre individus qui ayant auffi J chacun un père & une mère nous en 9 denneront huit a la troifième géné- I ration, 8! Alafuivante, . 16N 10» Enfuite ï%( Enfu're éA Puis Puis . iS(ï\ Enfin la dixième génération en rétrogra- 1 dant ofFre 512 Jindividus ijui doivent toas exifter aujourd'hui pour contribuer chacun cn ptoportion au fut'ur Chcvaiier de Cincinnatus. Tot al , mille vingt-deux auteurs de ce Chevalier. Ainfi, pour que nous ayons mille de ces Chevalicrs a venir, il faut qua préfent, ou par Ia fuite , il exifle un million viegf deux mille pères & rnères qui contribuent a cette preduction.  L 75 l fetvirude & de tyrarmie , qui verfe , dans les pays infe&és de cette nobleile de race., tous les maux parculiers & publics. lis feront dans notre patrie 1'ouvrage des Cincinnati, La nobleffe , dit Machiavel , la nobleffe ejl une Confidércz, je vous pric, li, après une jufte eftimation des fo!s, des mauvais fujets , des fnppons, des Royaiiftes & des pr-oftituces, qui doivent néceflairement fe rcncontrer dans ce mijlion de prédéceffeurs, la roftérit» aura de grande; railons de fe vanrer de la nobleffe du fang des Cincinnati alors exiïïans. Le Généalogifte même de ces Chevaliers, en prouvant la fucceflion de leur honneur a travets rant de générations, ne pourta que prcuver auffi la foiblc part de cet honneur qu'ils auront d40it.de réclamer, puifipje la. ptogreffion arithmétique ci-defus démontre que ie droit a 1'honneur de 1'Ancêtre diminuera en raifon de 1'ancicnneté de la familie. Je ne vois qu'une réponfe a cela. II faut que Ie Cincinnatus ac/tuel me dife n:ïvement: « Votre calcul eft jufte ; «c mais vous avez oublié d'y faire entrer un élément prin33 cipal, ma vanité: elle eft entièremenr incaicuïable & in33 commenfurable : c'eft elle qui déja réfide & repofe dans 33 la perfonne de ce futur & précieux Chevalier, fraétion 13 de mon neuvième defcendant dont l'exütence rappellcia33 la miemie , dont le nom feta revivre mon nom ; & c'eft =3 a ce noble intérêt , c'eft a cette grande idéé que je facrific 33 ma sureté préfente, Sc que j'immole le bonheur des géné33 rations a venir. 33  [ 76 ] vermine qui carie infenjiblement la liberté. Cönfolidc par le tems , 1'Ordre, que 1'Amérique envifage avec indifférence , fera des enfans des Chefs militaires une race diftinfte , privilcgice , dominatrice ; car 1'homme voic une divinité dans tout ce qui lui eft utile ou rédoucable (i). Des Poètes nourns aux menfonges, de ferviles Orateurs proft:tueronr Ieloquence a conférer les honneurs de i'apothéofe aux parricides qui alTerviront leur pays (2). Le refte des Citoyens ne fera qu'une tocirbe obfcure, humilice , dégradée , avilie , indigne de ménagemens , deftinée aux vexations, comme fi , felon la belle expreflïon de Tite Live, toutPlébèien étoit odieuxaux immortelsmême($) Peu d'inftans encore, & les Cin- (! ) Deus eft mortali juvare mortalem, & h&c ad /tternam glorïam via. . . . . . kic eft vetuftijfimus referendi bene me- rcnribus gratiam mos , ut taies numinibus adfcribantur; quippe & omnium aüorum nomina deorum , 6" qutt fupre retuli fiderum , ex hominum funt nata meritis, Plin. lib. ii, cap. 7. ( 2 ) Ce ne (ont pas des Poëtes; c'eft le Sénat de Rome qui fit mettre dans leCapiioIe , du vivant de Céfar, a fa ftatue, une infcription dans Iaquelle on lui donnoit le nom de demidieu, ( Dion, L. 43 ); & c'eft aux Sénateurs qui venoicnt lui rendre compte de leurs délibérations pour lui trouver de nouveaux honneurs que Céfar répondit: il faut plutot penfir a retrancher une partie de ceur. qu'on ma déja décernés.Plurar. in Cef. (3) Im-ift diis immoitalibus. Tit. Liv.  [ 77 ] cinnati fe perfuaderonc qu'ils defcendenr en ügne droice du Ciel , qu'ils font de droic diviu les Incas de nocre Amérique; ils regarderont comme un déshonneur, & prefque comme un facrilège de s'allier avec la race profcrite , cV leur cafte fuperbe condamnera leurs frères a 1'efclavage. Telle eft la lecon éternelle qu'offre ï toutes les pages 1'hiftoire de 1'homme & des nations. La nature des chofes ne fauroic changer. La corruption nak a la fuice de 1'inégalité. Les diftenfions s'aggravenc avec la corrupcion. Les partis fe formem. La guerre civile furvienr. De nouveaux Sylla fe placent a la tête de la nobleffe • de nouveaux Marius font les chefs du peuple. Vainqueurs ou varncus, lesbanniflemens, les confifcations, les profcriptrons, toutes les cruautés, toutes les opreffions font Tinévitable effet du chocdes partis. Un Dictateur furvient, & fur les ruines de la patrie il élève 1'édifice du pouvoir arbitraire. Ainfi, pour condefcendre a la timide circonfpedron de nos tems modernes, & ne citer que des exemples anciens, Céfar , ce pretendu défenfeur du peuple , neut pas plutót criomphé de Fompée, cec imprévoyam chef des Ariftocrates , qu'on le vit fouler a fes pieds la liberté publique. Ainfi tant d'aóFions, de vidorres & de cravaux , qui ébranlenr encore nocre imaginacioa étonnée', ne  [ 78 ] profkcrent qti'a l'ambition d'un ordre de Cincinnati , non décorés , moins nombreux, moins im pofans, moins rédoucables que les nóires \ & ne valurent a un peuple de héros que des maitres aticces , Sc le defpotihne le plus cruel qui jamais ait enfoncé le poignard au fein de l'humanité. Voila ce que 1'ir.ftirution d'une nobleffe héréditaire , ou fi 1'on veut perpétueile; voila ce que ce défonire contre nature .qu'on décore .du nom (L'ordre (i) rapporte a la Société. Pai tout il fut un volcan de diifenfions, de troubles & de tyrannie ; par-rout il le fera , & fur-tout dans une R publique : car on ne peut oppofer a l'inflitntion d'une nobkffe, que 1'inllicution d'un Roi qui défende le peuple contr'elle j & peut-être ce point de vue pourroit ii feul excufer un homme de bien., qui, n'ayanr pas pour but roppreffion du peuple s concourt a 1'inftitution d'un corps de nobles. Loin d'être d s colonnes pour foutenir VFtat ou la Cow~ ronne (i , comme il plait au Juge Blackftone de ( i ) C'eft le défordrc légitimé par une fanétion publique. C'eft !e cahos tranquille. ( i ) Pillars nared from among the people to fupport the thror.e. Com. i, ij8. Le pamphlet Américain m'a induit en erreur; il a mal cité Blackftone; & cela eft d'autant plus fingulier, que Ie véiitable texte étoit plus favorable a I'ami  [ 79 ] les fiommer , ;Ies nobles des Républiques n'ont I été , & ne font que des tyrans; les nobles des Mor narchies n'ont éré , Sc ne 'font que des inftrumens I fiJèles d'oppreffion (2) 5 maitres aufli durs qu'ef- claves rampans, toujours prêts a humilier, a vexer, I de la liberté. Blackftone Hit, dans le paffagc que je viens de ij citer: Des colonnes éievées au milieu du peuple pourfoutenir \ le tróne. ( a ) II faut peut-ét re en excepter la nobleffe d'Angleterre; I mais c'eft paree qu'elle eft efTcntiellemsnt différente de toute l autre nobleffe Europécnne, Sc notamment de la Francjoife. l°. La nobleffe d'Angleterre fait une pattie effentiellc de la Conftitution , & 1'on peut dire qu'a fuppofcr que 'a conftitution Francoife ne foit pas un être de raifon , rien n'y eft : plus étranger que la nobleffe , qui , comme je 1'ai écrit ail! leurs, ne fait pas même corps en France, tandis que ks artifans y forment des jurandes. i°. La nobleffe Angloife ades prérogatives comme corps; ! Sc comme corps judiciaire recruté parmi ks Chefs de Jufticc I diftingués, Sc des hommes de mérite de toutes les claffes; Sc non pas cxclufivement, comrr.e en France, parmi les Satellites armés du Monarquc, ou paimi les Si ribes au les Publïcains. L'exercice dc ces prérogatives a plus d'une foi« fauvé la conftitution. Les nobles Francois n'ont de prérogatives que comme individu* ; & les prérogatives des individus nobles font toutes des prérogatives d'oppreffion pour > les individus qui ne le font pas. ;<\ En Apgleterre la qualité de noble Ji'appartient qu'aux feuls Pairs du Royaume ; c'eft-a-dire, aux Ducs, Marauis . Cumtes , Vicomtes , Sc Bprons. En Fiar.ce eilc Ic commu-  f 8c ] a preffuter Ie peuple miné, defleché, anéanti pat ces nobles, comme de foibles taillis , ombragés & aframés par des chènes trop nombreux, languiirent, rappetÜfent, meurent. Les Cincinnati, n'en doutons point, traiteront nique par la naiffance aux perfonnes qui n'ont ni titres, ni terres ; elk fe communiqué pour de 1'argent aux defcendans des derniers individus des dernières claffes de la fociété. Cc n'eft precifément qu'une fpécuiation fifcale qui peut multiplier les nobles jufqu'a 1'infini, & qui les a déja multipliés jufqu'a Ij plus pitoyable dérilion. 4°. En Angieterre, ia nobleffe n'eft tranfmiffible qu'aux fils aïnés des Pairs , ou aux ainés des collatéraux forfque les Pairies ne doivent pas s eteindre dans la ligne direéle. Les cadets des Ducs portent a la vérité le titre de Lords ; mais uniquement par courtoifie, comme les fillesdes ComteS s'appellcnt Lady: ils ne le tranfmettent point a leurs enfans, dont toute la diftinction eft dans le titre d'honorable placé devant leur nom. Ce titre ne leur eft point dü , & fe perd dès la feconde génération. Les cadets de la nobleffe, rangés ainfi dans la clalfe des fimples Gentlemen, (*) forment pour (*) II eft bon de remarquer pour les Francois (qui l'ignorem généralemem„ou qui du moins 1'oublient fans ceffe pat un effec naturel de la routir.e des maux qui jette une grande confulïon dans les chofes) il eft bon is remarquèr, que ce qu'on appelle Gentlemen ou Genrry , pat oppofidön a Noblemen & a Nobility, ne veut pas le n.oins du tnonde dire noMtflè & gemilshommes: c'eft un mot générique, dont les fous divifjoni leur a , difent-ils, fait naftre tidce de donner fon nom d leur fociété{i). Ainfi le RépuFjlicain , qui, dans fon héroïque fimplicïté, rapportoit auprès de la charrue , dont 1'avoic arraché la confiance publique, fon épce victorieufe & fes palmen triomphales , eft invoqué par des ambitieux turbulens , appelles comme lui s de leur aveu , a la miffion facrée de défenfeurs de la patrie , S< qui n'ont pas fu attendre de fa main lesdiftinétions qu'ilsconvoitoient! Les a-r elleappellés aulTi a une récompenfe héréditaire ? lis vantent leur retraite, comme s'il eüt été a leur choix de pofer les armes ) En retournant a leur état de Citoyensont-ils cru faire grace a leur pays ? S'étoit-il donné ï eux ? On immole très-bien dix mille Céfan! ils s'arrogent une dignité ir.O'nftitutionnelle ! & ils ufurpent le nom; & ils prétendent a. 1'imitation du Romain qui fut le plus foumis & le plus modefte des enfans de fa république ! C'eft unique- ( 1 ) The officers of the American army having generally heen taken from the citi^ens of America, poffefs high veneration for the characler of ihat Uluflrious Roman , Lucius Quintius Cincinnatas ; and being refolvti to follow his example , by returning to their citi^enship, they' think they may with propriety denominate themfelves the fociety of the Cincinnati. F z  C 84 ] ment fous cet afpeót qu'on le connoit, & qu'on le loue. Oü donc ont-ils lu que Cincinnatns fe foit donné un ordre, & fait conféré a ceux qui avoient combattu avec lui? qu'il ait gardé fes faifceaux en labourant fon champ ? Une telle entreprife étoic trop au deffous de fon ame; mais cetoit plus qu'il n'eüt ofé tenter. Pour de moindres crimes , la République Romaine , aux jours de fa liberté & de fa vraie gloire, chalfa, bannit, mie a mort quelques ambitieux, auffi recommandables par leurs talens, & par leurs fervices, que les plus illuftres de nos Concitoyens. Les Romains tenoient d'une facheufe expérience une importante lec.on. Ils favoient que les Commandans militaires accoutumés a Pobéiflance paffive des armées, enivrés de leur réputation , font en général Ariftocrates dans le cceur& implacables ennemis de Pégalité. A mefure qu'ils deviennent illuftres, ils font rentés d'ufurper, fous Papparence plaufible de mérite & de juftice, des prérogatives d'une pernicieufe conféquence. Le vulgaire les adore avec une vénération ftupide, (1) qu'ont (i) M. jEmilius Scaurus, viveinent foupconné d'avoir fufcité en Italië la guerre des Alliés pat reconnoilTance pour 1'or de Mithridate, comme il avoit autrefois au même prix fauvé Jugurtha, eft accufé devant Ie peuple auffi-  [ 85 ] dédaignée les grands hommes (i), &qui fait redouter aux véritables amis de la liberté la reconnoif- bien que Cotta Sc Mummius. Cotta s'exile lui-même. On relègue Mummius a Delos. Scaurus, agé dc 71 ans, fe rencT a la place publique, appuyé fur de jeunes Pacriciens, Sc s'adrelfant au peuple affemblé : « Romains ! leur dit-il, eft» ce a vous de juger de mes actions ? Ce fout vos pères qui m les ont'vues. Je m en rapporte cependant a vous-mêmes. s> Un certain Varius de Sucrone aceufe Mare Emile d'avoir m traki la République en faveur d'un Roi de Pont, Marc- » Emile , Prince du Sénat le nie : que faut-il croire ? » A 1'inftant le peuple oblige par fes cris 1'accufateur a fe délifter de fa pourfuite. Sans doute auprès du peuple la fermeté tient fouvent licu de raifon; mais I'origine de la maifon patricienne ^Emilia, dont fortoit Scaurus, fe perdoit dans Ia nuitdes tems j mais il avoit eu ks honneurs Confulaires , & ceux du triomphe ; & k peuple , ce peuple que 1'on dégrade Sc que 1'on calomnie avec tant de perfévérance & de concert , eft toujours Ia dupe de fa générofité. Toute apparence de magnanimité k furprend & 1'entraine: il faut k garder de lui-même. Je me repréfente des Cincinnati moins vertueux que les officiers Américains; je les vois traitant dc vains fophifmes toutes nos objections, & fe plaignanipathétiquement de 1'envie qui veut leur ravir une récompenfe a Iaquelle ils fe font hatés d'enlever eux-mêmes tout ce qu'elle avoit d'alarmanr. Ils iroient jufqu'a convenir des conféquences ; mais ils diroient qu'il eft afFreux de craindre d'eux rien de pareil ; qu'en leur arrachant leur ruban on va flétrir a jamais des hommes qui ont bien mérité de Ia patrie ; & cela pour une erreur du patriotifme même qu'ils avoieut F *  [ 86- 1 fance du peuple comme un gage de fa fervitude : cette vénération fomentée exalte leur orgueil; & le defpotifme s'élève derrière la fumée de 1'encens qu'on brüie a leurs pieds. Aufli certaines républiques prennent elles toujours un étranger (2) peur commander leurs armces, Sc les peuples éclairés par la prévoyance des fa es fe font vus forcés deloigner les Citoyens illuftres par leurs fervices militaires; ils onc te ex lus des dignités; on a fans ceife lucté con;re le ir influence. Leur célébrité , leur réputation , leur gloire étoient regardées comme une récompenfe alfez grande pouc les conl>er de ce:te furveillance févète. Peutêtre, Sc probablemenc même, ce fur par crainre , autant que par vertu, que quelques grands hommes de Pantiquité s'abftinrent de ce qui pouvoit alarmer leurs concitoyens; car je ne fuppofe pas qu'ils fuflent plus défincérelfes que nos chefs j & déja réparée il nc faudroit qu'un moment peut-être pour que ces vains prétextes devinfl'ent la robe de Céfar. ( 1 ) Scipion 1'Africain refufa que fa Ifatue pilt place fur les lits facrés parmi celles des Dieux. Voluerunt imaginem ejus triumphali ornatu iniutam capitolinis pulvinaribus applicare. Val. Max. 1. iv. ( z ) Les Vénitiens. Leur Général efl aujourd'liui M. Pateifon, EcoHbis.  [ §7 ] 1'on peut, indépendemment des documens hiftoriques, conclure de leur modéracionque leurs Républiques avoient des moeurs que nous n'avons plus, ou des loix réprimantes que nous n'avons poinc encore. II n'eft pas une de ces vérités qui ne foic connue des hommes de fens qui compofenc Parmée Américaine ; mais ieur ambicion ne fauroic fe contencer de la réputation que leurs fervices leur onc donnée, fi elle ne leur affure poinc un patriciat. 11 ne leur furfit donc pas que 1'admiration des ages élève un trophée fur leur tombe que ni la révolution des fiècles ni la puiffance du forc ne puiffènt démolir ! S'ils n'ont pas un titre encé dans leur familie, tk fur leur poitrine un fymbole, que dans d'aurre tems ils auroient regardé comme une parure puérile , ils ne font pas récompenfés. Ah ! fi les magnanimes défenfeurs de 1'Amérique veulent refléchir dans le feeree de leur confeience tk de leur génie; ils fe convaincront qu'un mouvement de vaniré plus que d'orgueil leur a fuggéré un projer qui ne peut qu'empoifonner leur bonheur & ternir leur gloire. D'euxmêmes, ils diffoudronc <-'ette inftitution funefte } tk fe contenteront du cribuc de la vénération tk de la reconnoiflauce de leurs concitoyens. ï 4  i 88 ] Quoi qu'il en foit, 1'alarme eft fonnéej que lesbraves fe réveillent. La liberté peut être renverfée par des caufes imperceptibles aux yeux de la multitude j fur-tout lorfque les allëmblées popuIaires, emportées par la pallion, frappent fur les perfonnes au lieu de frapper fur les chofes. Alors on travaille très-rapidemenr a 1'agrandiflement des ambitieux; & tandis qu'on fe vengedes petits ennemis & d'injures légères , on tend un piège a la liberté , ce premier objet des ttavaux des hommes, ce tréfor de leur poftérité. Mais il ne s'agit plus de légères atteintes, de menées fecrètes, de caufes imperceptibles. Les Cincinnati, nous 1'avons démontré , créent dans leur patrie deux ordres diftinéts : Une race de Patrïciens, de nobles héréditaires, élite de 1'armée, des families puiffantes, des Citoyens du premier rang, des Chefs de I'Etat, recommandables par leur mérite , la nature & Ia gloire de leurs fervices, 1'éclat de leur réputation ; redoutables par leurs alliancesj & qui auront pour but éternel de commander. Le Peuple , ou les Plébéiens , appelles par la médioerité même de leurs fortunes a la modérationj dont ils ne s'écartent jamais aufli longtems  L 8o ] qu'on ne les irrke, ni par des mépris, ni par des injufticesj & qui n'ont d'autre but que de n'être pas opprimés; mais qui font trop inévuablement deftinés a 1'être , par cette inftitution ufurpatrice , qui ne peut que perpétuer la grandeur des families dans une nobleffe ariftocratique, Sc fe terminer a une tyrannie monarchique ( 1). L'Amérique peut, & va même déterminer avec certitude fi Pefpèce humaine eft deftinée pat la nature a la liberté ou a 1'efclavage. Car un gouvernement Républicain n'a jamais rencontré dans aucune partie du globe des circonftances auffi favo- ( i ) Le peuple Romain étoit en poflelTion de choifir in comitiis calatis tous ceux qui devoient avoir fur lui quelque autorité dans les armes, dans le gouvernement, ou dans la religion. ( 5; hoe fieri non potejl, ut in hdc civitate quifquam nullis comitiis imperium aut poteftatem ajfequi pojftt. Cic. de Leg. Agr. ii.) Servius Tullius, qui s'empara le premier du tróne fans fon confentement, changea la forme du gouvernement , pour faire palfer toute 1'autorité aux riches & aux Parriciens, auxquels il étoit redevable de fon élévation. (*) ( Turn demum palam facto , & comploratione in regia orta , Servius pnfidio firmo munitus, primus injujfu popu/i, voluntate Patrum regnavit. Tit. Liv. i, G. 41. ) ( *) Denis d'Halicarnafle, liv. iv. femhle contredire cette opinion ; mais on concilie ces deux auteurs en diftinguan: les tems. Voyez M. Eoiniin fur les tribus Romaines.  [ 90 ] rables a fon établiffement. Terre nouvelle, incpuifable, dotée de toutes les richeffes de la nature; enceinte de mers immenfes; facile a défendre; éloignée des fouillures Sc des attenrats du defpotifme. Siècle de lumières & de tolérance. Epuifement ou impuiffance , enfance ou délire du refte du globe, Exemples récens de révolutions femblables , de fuccès Sc de fautes qui les ont fignalées. Corps de nation déja redoutable. Principes Sc même préjugés favorables; germes de bonnes loix; ébauche d'une conflitution refléchie Sc nonfortuite; hommes de génie; chefs vaiilans...» tous ces avantages, l'ordre des Cincinnati les ctouffera dans peu d'années. Eh ! quelle bleffure mortelle pour la liberté humaine! Faudra-t-il donc croire avec fes ennemis, que les belles idéés des Sidney, des Locke, des Rouffeau, & de tant d'autres qui ont rêvé le bonheur politique , peuvent être 1'objet d'une fuperbe théorie; mais que Pexécution en eft impraticable ? Notre exemple fervira-t-il a fortifier le Defpo.ifme qui pèfe fur 1'Europ; , en démontrant qu'un peuple qui fut foumis a un monarque eft trop dégradé pour fe gouverner déformais par lui-même , pour fupporter la lib«rté, ou tout au moins pour fe pafferdes diftinctions, des ordres, des titres, de tous les hochets avec lefquels le gouvernement monarchique amoice  [ 9» 1 la vanité humaine, (i) & qui nous ont tellement fafciné 1'efprii & les yeux , que les talens, les vertus, ( i ) Un nommé Jenkins , a la fin de 1762. , ou au commencement de 176}, préfenra a Milord Bute le projet luivant , pour préyenir non-feukment 1'indépendance, mais même l'émancipation des Colonies Angio-Américaines, & les retenir a jamais dans l'obéüldnce. i°. II propofoit avant tout de conferver fur pied la plupart des troupes qui fe trouvoient alors en Améiique, & qui furent licentiées ou rappellées a la paix.—II entretenoit les fortsdifperfés fur lafrontière des fauvages, qu'on a démolis ou abandonnés ; & il en conftruifoit de nouveaux fur \t cöte, pour s'oppofer aux invafions des Francais. Les coa» ceffions de terre accordées aux vétérans devoient toujours le trouver dans les arrondiffemens d'un fort, ce qui dans peu de tems devoit former , fur-tout vers la frontière, des banlieues militaires fort refpeélables. i°. La création d'un certain nombre d'Evêques Anglicans förmoit le fecond article de Ion projet : il les établilToit d'abord a Philadelphie , dans le Maryland , la NouveileYot.k , & les Carolines.—Jenkins craignoit peu d'oppofition de la part de ces Colonies; & quant aux téclafnatiorjs des qu^tre Provinces anti épifcopales qui cörfftituent la Nouvelle Angletcre , elles eulTent été trop foibles , vu 1'cngoumenr général &; la prépondérance Britanniqu' au moment de la paix , pour empêcher cet érabÜfiemcnt dans les autres provinces.—Jenkins les laiflbit fe plaindre : il fuivoit fon projet, & fe flattoittnême d'être en état avant peu d'annécs d'établir quelques Evêques in partibus dans la Nouvelle Angleterre. Le Gouvernement commencoit par foudoyer magnifique-  [ 9* I ia fortune même ne fon: pas pout nous des objets aufli refpeótables qu'une médaille & un ruban ? ment chacun de ces Evêques, auxquels on auroit fait fur les lieux , des conceffions de terre proportionnées a leur état.—Si 1'on en croit i'auteur du projet, chaque Evêque auroit eu avant dix ans révolus une Cathédrale avec fon Chapirre, compofé de Doyens & de Chanoines comme en Angleterre, auxquels il auroit été également facile d'accorder des concelfions. II ne faut pas oublier qu'il ajoutoit a cet établiifement une Univerfité Royale. 3°. I' créoit une quantité indéfinie de Baronets & de Lords héréditaires ( tous conférant Ie titre de Lady a leurs femmes) & les choilïfloit parmi les citoyens les plus riches & les plus accrédités. Le Confeil des Gouverneurs refpe&ifs, qui formoit une efpèce de Chambre haute , n'auroit été compofé que des Lords héréditaires , mais avec des modifications différentes dans chaque Colonie , & toujours avec des exceptions que le Gouvernement dans fa fagejfe devoic fe réferver. Obfervez que Jenkins vouloit établir tout cela a la fois; Evêques, Noblefle héréditaire, Armée proteétrice, Univerfité ; tout devoic paroitre au même moment. L'entbouuafme étoit au conïble ; on voyoit dans les Anglois les libérateurs des Américains, que la France devoit dévorer. Ils s'étoitnt couverts de gloire dans les quatre panies du monde Qui . auroit pu , qui auroit ofé leur fuppofer d'auties motif^ que ceux d'une mèie tendre & éclairée , qui veut alTiuer 1'état de fes enfans après les avoir fauvésdu naufrage l Thomas Jenkins, mort en 1771 , avoit é'.é Commis de 1'Accife , enfuite Fafteur dans les Carolines& la Penfylvanie,  t 93 3 Ah ! ne trompons pas ainfi 1'attente des Nations; n'imprimons pas ce déshonneur au nom Américain, i cecte tache a la nature humaine; ne donnons pas ce fujet de douleur aux fages ! « II eft impoflible : » qu'ils ne faiïent pas des vceux pour que la Ré- » publique Américaine parvienne a toute la profpé- < »> rité dont elle eft fufceptible. Elle eft 1'efpérance i » du genre humain; elle doit en devenir le modèle; » elle doit prouver au monde par le fait que les : » hommes peuvent être libres & tranquilles, & » fe paner des chaines de toute efpèce que les 4» tyrans & les charlatans de toute robe ont pré» tendu leur impofer fous le prétexte du bien »> public. Elle doit donner 1'exemple de la liberté : » politique, de la liberté civile, de Ja liberté relï: » gieufe, de la liberté du commerce & de 1'in» duftrie. Elle doit donner 1'exemple de toutes les ; » libertés. L'afyle qu'elle ouvre a tous les opprimés < »> de toutes les nations doit confoler la terre. La « facilité d'en profiter, pour fe dérober aux fuites » d'un mauvais gouvernement, forcera lesgouvet» nemens d'être juftes & de s eclairer. Le refte puis employé a la fuite de 1'armée Anglo-Amérieaine qui conquit le Canada. II croyoit de bonne foi que fon projet devoit afliircr le bonheur & le repo, des Américains. A^, moins n'étoit-il ni fanguinaire, ni abfurde.  [ 94 3 » du monde ouvrira peu a peu les yeux fur le » néant des illufions donc les politiques fe font » bercés; mais il fauc pour cela que 1'Amérique » s'en garantiffe, & qu'elle ne redevienne pas une » image de nocre monde vieux & corrompu, un » amas de puilfances divifées, fe difpucanc des » territoires, ou des profirs de comnierce, & » cimencant continuellement 1'efclavage du peuple » par coutes les manceuvres de la policique Euro» péene » (i). Que la Légiflation foudroie cette inftitucion meurcrière d'une nobleffe faótice & dccorée qui ( i) Ce fragment apparticnt a une lettre de M. Turgot a M. le Dodieur Price , cjui fe trcuve a la fuite de cet ouvrage, (*) & dans Iaquelle les Américains trouvcront ce qui a éte écrit de plus profond & de plus fage fur les vices de leurs conftiturions, St fur les moyens dc les améliorer. La phiiofophie de 1'homme d'état, du fincère ami des hommes de la liberté, n'a jamais mieux guidé un plus beau génie. C'eft 1'ame de Fenelon , avec bien plus d'étcndue dans 1'efprit. (*) Cette lettre vient d'être imprimée pour la première fois dans un ouvrage de M. le Dofteur Price, intitulé, Obfcrvations on the importance oj the American Revjlution and the means of mak'mg it a Benefit to the World. On ne fauroit trop .-'ccoinmander aux Américains la leftuie de cet écrit rempli d'cbfeivations judicieufes , de vues fages, de confeils utiles; & refpirant 1'amour de la liberté & de 1'humanité.  [ 55 ] en eft le chef-d'ceuvre; mais avant de frapper, avant de déttuire jufqu'au nom 'des Cincinnati, quelle inftruife fes enfans; qu'elle leur dife; (ils ont métité d'elle cette tendre déférence:^ « Les vues pattiotiques, les pieux projets qui » vous ont féduits, feront tót ou tatd le voile » d'une combinaifon politique des Commandans » militaires., combinaifon périlleufe pour la chofe 33 publique, & par conféqucnc criminelle. Des 33 hommes libres ne peuvent que cenfurer, réprou» ver, extirper une telle inaovr.aon. Que votre >3 lot foit notre reconnoilfance, & la gloire que 33 vous avez méricée; il eft aflez digne d'envie; 33 il vous donne une affez grande ïnfluence dans »3 vo;re patrie. 33 3» Rappellez-vous ces jours d'alarmes, oü les 33 troupes méridionales, campées prés de Jackfon3> borough, couvroient 1'Affemblée'de la Caroline » occupée de 1'affaire trifte Sc cruelle des confifca33 tions (1). L'armée entière, depuis le Général 33 jufqu'au foldat le moins intéreffé au refpeér. des 33 propriétés, avoit cette profcripcion en horreur. •3 Ils s'éronnoient que les habitaus de Ia Caroline .3 Méridionale pudent être dévorés d'une foif fi (1) En 17S2,  [ 9^ 1 » ardente de vengeance. Demi-nuds 8c prefque » affamés, ces guerriers magnanimes avoient bravé »travaux, befoins, périls. Sans paie 8c prefque » fans efpoir, ils avoient affronté les rigueurs de » tous les ciimats depuis les muts de Quebec juf» qu'aux lignes de Savanah. La plupart 8c plus » d'une fois prifonniers fur tetre & furmer avoient » effuyé tous les outrages des plus infolens vair.» » queurs qui , dans les vaincus, ne voyoienc que w des révoltés. Eh bien ! ils ne comprenoient pas » que le malheur put rendre cruels. La rage immo» dérée de nos compatriotes, qui précipitoit la >» ruine de leurs frères, leur infpiroit une forte » d'horreur. Leur pitié ne fat pas ftérile. Ils fe » mèlèrent parmi les Membres des deux Cham>» bres, 8c s'opposèrent par la feule force de la » difcuffion , & d'une raifon fenfible & modérée, *> aux réfolutions violentes, avec un tel fuccès, que jo la liftedesprofcrits fut très-diminuée. . . .Hom» mes illuftres & généreux ! tel eft 1'empire de vos j> verrus, 8c nous en béniftons la providence !.. .. m Puiffe la m.;in de 1'oppreffion ne jamais conn traindre vos defcendans deboire a la coupe amère i> de 1'adverfité! ou fi l'ordre du Ciel les deftinoit » a fouffrir , qu'ils ttouvent un êtte reconnoif» fant qui fe rappelle que leurs pères furent les » amis de 1'humanicé fouffrante ! .. . . Hommes » illuftres  » illuftres & généreux ! qui nous avez délivrés » du joug d'une nation hautaine, n'attentez pas » a votre fublime ouvrage ! ne flétrilTez pas votre » gloire! ne léguez pas a vos enfans le pouvoir » d'être oppreffèurs, & le danger d'être punis ! 33. Les honneurs & les privileges exclufifs d'un » ordre héréditaire fonc une ufurpation formelle 33 de la fouveraineté, puifqu'ils attentent a la » conftitution : ils font au-delfous de vous, puif-, » qu'ils fuppofent le befoin de conftater ce que » fair 1'univers. Guerriers Américains! nobles >» entre tous les hommes par vos a&ions! craignez » de vous avilir .' Quelle noblellè plus réelle & » plus grande cherchez-vous-que la participation » a la Souveraineté, qui vous aparrient comme »a vos frètes? Que feroit auprès d'elle certe » nobleffe faóhce que vous tentez de vous donner ? » Que feroit-elle même parmi les Nobles d'Eu» rope ? Portez chez les Européens votre décora» tion futile, & la diftinótion que vous prétendez » tranfmettre a vos enfans; voyez comme elles » y feront dédaignées; voyez a quelle diftance fe « croient de vous les efclaves titrés des Defpotes, 33 qui confervent foigneufemenr depuis plufisurs 33 fiècles lesmonumens de leur fervitude; voyez » quelle fupériorité ils affedlenc fur des hommes G  [ 9« 3 »» qui ne font que des héros; & jugez ce que n c'eft que la nobleffe de convention , puifque , » rayonnans de vertus & de gloire, vous n etes » encore, aux yeux des Nations d'Europe, que » des Roturiers. ■ » Vous avez afpiré au nom d'hommes libres; » vous 1'avez conquis : c'eft le premier des titres; » refpeótez-le, faites le refpeéter. La bafe du »> gouvernement que vous avez fondé, c'eft l'éga» lité; vous ne la détruirez pas, vous qui 1'avez « achetée de votre fang : vous n'oublk-rez pas que » ce peuple généreux n'a pas ceffe de combattre » avec vous. Héros de la Liberté, vous n'en „ ferez pas les ennemis ! Libérareurs du nouveau » monde , vous n'en ferez pas les fléaux » mais fi vous ofiez le tenter, vous fauriez » bientbc que ce n'eft pas pour changer d'opprefn feurs que 1'Amérique a combattu.  [ 99 ] POSTSCRIPTUM. Les vceux du Cicoyen donc on vienr de lire les ucdes obfervations, none pas été crompés. 11 paroïc que 1'Amérique a des hommes pour qui les véricés philofophiques & policiques ne fonc pas de lampies abflractions. Rhode-IJland, pépinière illuftre de Républicains prévoyans & intrépides, a rctiré d toutes les perfonnes de l'Etat, membres de la fociété des Cincinnati, leurs privileges, & les adéclarées incapables d'aucun office dans le Gouvernement. La Penfylvanie ne pouvoic pas être la dernière i fentir & manifefter les dangers d'une relle inftitution. La patrie adoptive de 1'immorcel Franklin ( i) ne cefTera poinc d'êcre éclairée de fon génie , & n'a pas de Concicoyens indignes de lui. II a paru un Rapport du Comité des deux ( i ) Cet homme étonnant eft né a Bofton dans la Nouvelle Angleterre, le 17 Janvier 1706; mais il a refté la pk-s grande partie de fa vie dans la Penfylvanie; & c'eft au Corps Légiflatif de cet Etat qu'il appartenoic lots de la révolution. G %  [ IOO ] Chambres de la Cour générale de cet Etat, nommé pour faire des recherches fur 1'exiftence, la nature, 1'objet &c la tendance probable} ou 1'effec de l'Ordre, ou Société des Cincinnati 7 & ce rapport leur a été entièrement défavorable. L'Etat de Majfachufetts} dont on peut dire que la liberté Américaine eft vraiment fon ouvrage, & qui s'eft toujours diftingué dans la Confédération par la fermeté & la fagacité de fes réfolutions, vient d'arrêter dans un Comité des deux Chambres de la Légillature : que la Société des Cincinnati ne peut pas être tolérée3 & que jï elle n'eft point détruite, elle troublera la paix & la liberté des Etats-Unis. Cet Arrêté, qui a été lu aux deux Chambres a(femblées_, & approuvé par elles après une müre délibération , nous a paru digne d'être mis fous les yeux de nos Leéteurs (i). « I. L'exiftence de cette Société eft notoire pat r> une copie atteftée de fon inftitution; & par lan dite inhitution il confte auffi qu'elle n'a pas « été formée avec la fanction ou la protedion » d'aucune autorité légiflative; mais qu'elle s'eft ( I) Cette pièce fe trouve dans le Journal de Penfylvanie en date du 14 Avril. On n'a prétendu donner qu'une traduüion précifciaent littérale de cet excellent morceau.  t xot ) » crééc elle-même, & fondée fur les principes fui*> vans qui doivent être invariables. » Savoir : une attention continuelle a préferver » de toute violation les droits fubümes Sc les »libertés de la nature humaine pour lefquels ils » onc combatcu & répandu leur fang , & fans *> lefquels le haut rang d'Etre raifonnable eft une » mafédictiön au lieu d'être une bénédidion (1); » Sc une détermination inalcérable a avancer Sc a »cu!tiver, entre les Ecacs refpedifs, cetce union » & eer honneur national fi effentiellemenc né■» celfaires a leur bien-êrre, Sc a la dignicé fucure » de 1'Empire Américain. Cette Inltitution fe pro» pofe encore de rendre permanente 1'affeéUon » cordiale qui fubfifte entre les officiers; efprit » qui leur infpirera un amour fraternel en toutes *>chofes, & 1'étendra particulièremenc aux ades » les plus effenriels de bienfaifance, a proporcion » des facultés de la fociété, envers ces officiers Sc » leurs families, qui malheureufemenc peuvent ( I ) II ne peut jamais y avoir de malédiBion a être raifonnable ; car c'eft par la raifon qu'on réfifte a tous les maux, qu'on acquiert tous les biens, qu'on s'oppofe a tous les abus, qu'on réprime toutes les violation, des droits; même celle,- quefepennettent aftucllement les Cincinnati.—r Note de 1'Auteur Franfois. G j  » être dans la nécefficé de les recevoir. A chaque »Aflemblée les principes de 1'inflitution feront » pleinement confidérés, tk 1'on adopcera les meil» leures mefures pour les ptopager. » II. II fuit de la que ladite Société prend fur » elk même le pouvoir d'adopter telles mefures » qu'après müre confideration elle jugera les meil33 leures, pour avancer certains objets importans 33 publics & nationaux ; pour lefquels objets le 35 peuple des Etats-Unis a conftitué & établi fes >, Affemblées , revêiues du pouvoir légiflatif, & 33 le Congres. 33 III. Quoiqu'il foit du devoir de tous Citoyens, » dans leur qualité refpedive & leut conduite ,3 générale, de prêter leur fecouts aux différens 33 pouvoirs du Gouvernement établi, légalement is exercés pour la confervation des droits communs >3 tk pour 1'avancement de l'union des Etats conn fédérés; cependanr 1'acUon de quelque claffè de >3 perfonnes que ce foit, de fe fotmer en focicte ,3 choifie, & de s'affembler expreffément pour 33 délibérer fur des mefures, (en juger tk les » adoprer) qui concernent des matières de telle 33 nature, qu'il appartient exclufivement a la puif v) fance légiflative d'en connoitre, tk de fe dé»» terminer a ce fujet, ou a tels autres corps qui  [ «<»J 3 j> font connus dans Ia conftitution , ou autorifés « par les loix du pays; fint trop une difpofinon, » qui afpire a 1'indépendance de 1'autorité légale & 33 conftitutionnelle, rendante a créer, fi elle n'eft 33 reftreintCj Imperium in imperio 3 & par confé33 quenr a la confufion & a la fubverfion de Ia >3 liberté publique. 33 IV. Ladite Sociécé, par fon inftitution , s'ar»> roge auffi le pouvoir de lever des fonds, & de j> recevoir des dons, fans limitation , par 1'auto33 rité du Corps légiflatif; lefquels fonds pouri> roienc être augmentés par la fuite a une valeur 33 énorme, & quoique réellement deftinés a des 33 objets légaux & louables, convercis a des ufages 33 illégaux & dangeteux. >3 V. Comme il a été trouvé par expérience >3 que le pouvoir & 1'influence font inféparables 33 de la propriété; & comme 1'inftitucion de la>3 dite Société pourvoit avec beaucoup de précau3> tion & de précifioi: i ce qu'il fe tienne des 33 Aifemblées réglées & fixes, tant dans les dif33 trióts &Etatsparticuljers , que dans une Affemblée » générale des Délégués de tous les Etats, ainfi 33 qu'a la correfpondance, a 1'informajion la plus » exaéte entr'elies ; 1'on pourroir obtentr par la 33 une influence indue, & former des ligues def- G 4  [ io4 ] sj trutHves des libertés des Etats > Sc de 1'exiftence » de leurs conftitiuioiis libres. 53 VI. Le danger de telles ligues fe montre j; plus vifiblemenr, non-feulemenr en ce 'que les 33 membres qui conftituent la Société dans fon ori39 gine, ont été des officiers militaires, détachés >3 de la communauté civile, & accoutumés, pen93 dant une guerre de huit ans, aux loix , maxi« mes, opinions, habitudes & fenfations raili93 taires; mais auffi paree que l'ordre & la mar33 che , par lefquels les membres de la Société 93 feroienr connus, & fe diftingueroient de leurs 93 Concitoyens, devroient être héréditaires aux 33 ainés de léur poftérité male, & a leur défaut def99 cendre aux branches collatérales; & il eft foi99 gneufement ftatué que les membres honoraires 99 ne le feront que leur vie dutant, & que le nom33 bre de tels membres n'excédera pas dans la 33 proportion d'un a quacre celui des officiers Sc 99 de leurs defcendans. >3 «VII. Le danger fus-mentionné n'eft nullement 39 diminué par I'admiffion d'officiers militaires 33 étrangers dans ladite Société, qui , quelque 39 refpeótables que foient leurs caraótères, font » néanmoins foumis & fortemenr attachés a un 33 Gouvernement qui difère eflentiellement en  [ io5 1 »j principes, non moins qu'en forme, des Conftitutions Républicaines des Etats-Unis. .» » VIII. L'ambition Sc 1'envie de dominer fon: 33 des paffions qui gouvernen: 1'efpri: humain, &c n qui fon: les plus dangereufes pour Ia Société & » 1'adminiftratiori civile; & 1'expérience du pallé j> a pleinement convaincule monde que des diftinc» tions héréditaires Sc des Ordres pompeux frappen: » 1'efprifd'une mulritude incapable de réfléchir, Sc » favoiifent les vues & les deffeins d'hommes » ambitieux, qui s'élèvent fouvent parmi la noblelle „ héréditaire; ce qui eft contraire a 1'efprit des » gouvernemens libres, & expreffémen: défendu » par un arricle de la Confédération des Er.ar.s53 Unis. * « IX. Le refpeór reconnoiffan: que la poftérité 53 pourra conferver pour la mémoire de ces hommes 33 quiJ dans le cabinec 3 ou au champ de baraille , 33 on: eu une par: diftinguée a délivrer leur patrie 33 de la tyrannie Britannique, Sc a établir la liberté 33 & 1'indépendance, pourra probablemen: faire >3 fur leur efprit des impreffions peu convenables, 3» & les accoutumer, dans un tems ouik ne feroient 33 poin: en garde contre l'ambition humaine, a 33 1'idée de récompenfer les families de ceux d'en33 tr'eux qui pourroient être décorés de ce qui auroit  [ io( ] # ii 1'apparence d'honneurs héréditaires , en leur cons» féranc les pouvoirs ufités, non moins que les 33 pompeufes diftindtions de la nobleffe. » « X. Le Comité après mure délibération eft 33 d'avis que ladite Société, nommée les Cincïn' .3 nati, ne fauroir fe juflifier; & que fi on ne s'y 3> oppofe pas comme il convient, elle poiuroit 33 être dangereufe pour la paix, la liberté , & la 33 fureté des Etats-Unis en général , & pour celles » de cette République en particulier. » « XL Le Comité rapporte auffi comme Ion „ opinion , qu'il convient de renvoyer la confidé3» rationultérieure des mefures propres & nécelfaires 33 a être prifes a 1'égard de la Société des Cincin33 nati, a 1'alfemblée prochaine de la Cour géné33 rale. 33 Enfin le Gouverneur de la Caroline Méridionale, dans une affemblée du mois de Février dernier, a tenu le difcours fuivanr, qui probablement hatera la réfolution de cet Etac. Je crois de mon devoir de vous communi»3 quer mes idéés fur ce qui parok être d'une ren» dance dangereufe dans ce nouvel iuftituc qui  [ 1*7 ] » s'étend au loin, la Société des Cincinnati. Nous « paroiffbns entichés aujourd'hui de la manie des » Sociécés II eft inutile que je m'écende fur 1'uti- » lité des Sociécés (i); c'eft contre leur nombre „ uniquement, & ce qu'il y a de peu convenable » dans celle dont il s'agit en particulier, que je » veux vous prémunir. Si 1'on peut remplir les » mêmes vues utiles, en devenant membre du grand 35 nombre des très-excellentes Sociécés déja établies, 3> (mais c'eft ce qu'on ne veut pas faire; on veuc en >3 former de nouvelles) alors il eft naturel d'inférer » qu'on vife a obcenir par ces nouvelles Sociécés, 33 auxquelles on porce fa petite contribution , quel33 ques objets cachés, & que leur patriotifme , ( i ) I! nc doit y avoir qu'une Société dans 1'Erat; & furtout qu'une Société qui prétende a fe mêler des affaires publiques. Cette Société qui conflitue la République eft compofée dc tous les Citoyens avant age d'homme & jouiflart de leur raifon : hors de la il ne doit y avoir que d;S indiv dus & des families; lefquelles n'ont elles-mêmes a reclamer que lés droits qui appartiennent aux individus dont elles font compofées. mais n'ont aucun droit en qualité cfe corps ou de families. Les liaifons font fans douce permifes, les Sociétés libres de commerce font utiles ,É les rapports de bien-* faifance doivent être encouragés; mais feulement lorfqn'il n'en réfulte aucune Affociation ufurpattice des droits de la République , & propre a introduire 1'inégalité entre fes membres.—Note de l'Auteur Francais,  [ t°* ] » leur charité 3 leur piété ne font que pour la » montre; tandis que des defleins dangereux , 35 l'ambition, lavaniré, enfont lesraifonscachées, 53 mais réelles. 33 Les Sociétés s'élévent quelquefois tout d'un 33 coup par des motifs très-peu honorables, myfj3 térieux, artificieux & finiftres de la part de 33 leurs fondateurs. Des hommes entreprenans, 33 ambitieux , égarent & trompent quelquefois les 33 Sociétés elles-mêmes , en y faifant paifer des »3 points mafqués qui les rendent entièrement dépen33 dantes de leurs defirs. J'efpère que les Citoyens 33 vertueux de l''Amérique, particulièrement les ?3 Pilotes qui nous ont conduit fans toucher ni 33 Charibdis ni Scylla, ne permettront jamais que 33 leur gloire foit fouillée, ni leurs noms ternis <5c 33 affeélés par des imputations de cette efpèce: & 33 quoique je fouhaite fincèrement a notre Armée 33 tout applaudinement, gratitude & honneur , je 33 voudrois néanmoins qu'elle reprit en confidéra»5 tion cette Inftitution alarmante, & qu'elle pesat 3» murement le grand nombre de remarques très>3 oppofées qui ont été avancées, ou qui pourroienc 33 1'ètre encore contre le projet de 1'adopter in 33 toto. (i) ( i ) Qu'il nous foit permis de rappeller ici le tex:c vral-  [ I09 3 » Soulager des veuves dans 1'indigence & des » enfans d'ofïiciers mores au fervice, élever la » jeuneffe dans la guerre; voila fans doute des » vues que rout le monde doir approuver & rece» voir avec applaudiffement: mais s'arroger de fa » propre autorité le pouvoir de créer des ordres, » qui defcendent aux ainésde la poftérité male, & » conférer des honneurs, des récompenfes & des » faveurs a des membres honoraires , leur vie » durant, (efpèce de titre femblable a celui de » Chevalier pour la vie, titre plus fouvent conféré » a des inftrumens laches, vénaux & corrompus , mént prophétique du difcours précédent (pages 42.. &45 ). « La moindre partie de cette infiitution ne peut être tolérée » fans rendre ur forte de vie a fa totalité. Si 1'on accorde » aux Cincinn .1 qu'ils ont pu fe diftinguer de leurs con» citoyens, & fi 1'on confent qu'ils en foient diftingués » même a terme, Sc qu'ils forment un corps pour quelques » inftans, même dans de fimples vues de bienfaifance'; cc » fera récompenfer la violation des loix de la République " » & fanétionner une mauvaife aftion qui mériteroit bien » plutöc d'être punie. On ne pourra empêcher qu'il n'en » rélulte pour leur poftérité un titre d'honneur héréditaire ; » que la médaille que leurs'defcendans n'oferont pas porter, « mais qu'ils conferveront dans le tréfor particulier de leur » familie, ne leur tranfmette a perpétuité un fentiment » d'orgueil qui s'oppofera aux alliances de ces families avec n celles de leurs Concitoyens, égales & peut-êtrc fupérieures  C ] » qua des hommes d'une valeur réelle & d'un >» mérite diftingué); voila ce qui préfente incon» reftablement des fuices très-alarmantes. » Si cette inftitution eft maintenue dans fa forme » préfente, 1'exemple fera dangereux & contraire » a la politique jufqu'au dernier degré, autant 33 du tnoins qu'on peut porter la prévoyance. Si ce » corps & cette Société d'Hommes, qui fe lient » enfemble, peuvent, toutes les fois qu'il leurplak, » s'arroger un pouvoir de la même durée que Ia » Légiflation, le boulevard d'une République & » le Palladium de la liberté, a quoi ferviront nos » en mérite , mais qui du tems de la Révolution n'auront 33 pas eu le bonheur d'avoir des membres dans le corps des 33 officiers. Ces fortes d'inégalités fondces fur une vanité 33 puérile, qui mettent obftacle au cours naturel de 1'amour 33 honnête, qui font féparer des individus que le ciel fem» bloit avoir formés Pun pour 1'autte, & qui ne peuvent » trouver dans uue autre alliance un bonheur égai a celui 33 qu'ils fe feroient procurés , eft un des maux les plus cruels »> qui affiige 1'Europe, & qui par des mariages mal-aifortis 33 au phyfique & au moral, y détériore les races, fur-toiu to les races les plus illuftres, punies & non pas corrigées 33 par la de leur propre orgveil. Les mêmes caufes auront >3 les mêmes eftèts, &c. 33 L'inftitution des Cincinnati ne doit donc êtte adoptée ai en tout ni. en partie.—Note de /'Auteur Franfois.  [ "I ] » Loix-, & qui pourra dire que nous ayons fureté » ni affurance pour nos perfonnes & nos biens? » Ces alTociations ne reconnoitronc point de^ fupé» » rieurs. Ainfi les liens d'union , les fyftêmes » les plus fages fe relacheronc & s'anéantiront: a xi leur place la rage civile prédominera; effets » horribles, que le Ciel détourne de deffus nos »i cêtes'. » Lorfque des Hommes fe féparent par un pou» voir qu'ils ont créé eux-mêmes, de la maffe »> du peuple, leurs égaux; lorfqu'ils s'arrogent un » rang fupe'rieur, leur procédé dénonce, qu'ils » croient >que tous les Hommes qui ne font pas » également élevés, font kurs inférieurs, fans ajou33 ter ici qu'on exclut notre marine (i) & notre » milice de tout droit de participer a l'ordre, Sc » d'immortaiifer leurs noms , quolqu'elles 1'aient » également mérité, comme s'étant également » évertuées.—Cette circonftance feule de placer les » autres au-deffous de foi fera certainemenc naïtre » des foupeons, de la jaloufie, des divifions, &c » une difcorde domeftique, fi finalemenc elle n'a» bourit a nous ouvrir 1'anère, & a nous noyer 33 dans un déluge de fang. i ) C'tft une erreur. Les officiers de la marine font adrais dans 1'orJre des Cincinnati.—Note dc l'Auteur Franfoif.  [ II» ] » L'ordre eft auffi réverfible aux branches colla»térales.(i) De reis hommes peuvenc fe trouver 33 être les gens les plus indignes, du caraótère le 33 plus vil, qui méritenc mieux la corde, que des » honneurs ou des illuftrations propres a perpéruer » leurs noms. Conférer des dignités a des hommes 33 de cette efpèce, ce feroit récompenfer 1'infamie a 33 1'égal de la vertu. Des traitres méritent-ils d'au33 tre élévation que d'une facon unique ? Sont-ils >» des membres qu'on puiffe defirer dans une «3 Société ou communauté quelconque ? J3 Inviter des Citoyens a devenir membres hono33 raires_, membres dignifie's d demi, c'eft leur de» mander de fe foumettre a manquer de délicateffe \ 33 c'eft faire une infulte infigne a. leut bon fens, » a leur efprit, a leur générofité; c'eft exiger 33 qu'ils portent des offrandes fur 1'autel de la 33 bafleiTe & de la lachêté; car ils doivent fentir 33 qu'une telle invitation équivaut a les ptier de 93 foufctire a leur propre infériorité, de reconnoitre »3 & de fanótifier un pouvoir ufurpé. ( I ) On en pourroit malheureufement dire autant quand la fucccfïïon ne feroit qu'en ligne dire&e. Commode pafla pour fils, & fut fucceffear ie Mare Aurele.—Note de l'Auteur Franco is. >3 Après  C "3 3 « Après avoir vaincu leur Ennemi, il eft réelle- ' » menc trop humilianr pour les officiers de Pannés » Améncainc} dont la réputation s'eft érendue au » loin avec juftice, de copier une nation érrangère * dans fon extravagance, dans fon luxe, dans fon » amour pour la volupté & les mceurs efféminées , » dans fon envie de s'orner de miférables décora» tions & de dignités vuides par elles - mêmes ; » décorations & dignités qui ont été la fource de 53 tous les maux de fon pays, & qui finalement 33 feront la caufe de fa chute totale. >3 Pour finir t Pordre deCincinnatus eftincompa» tible avec la magnanimité, la modeftie, & le » bon fens. II y a même, pout une bande intré»3 pide & illuftre de Héros, un air de foiblefle & 33 de vanité a entreprendre de figner eux-mêmes >3 leurs propres louanges, & de perpetuer leur 33 mérite & leurs hauts faits ! Des hommes fages >3 tk grands attendent toujours avec patience, avec 33 défiance même , que la Renommee embouche >3 la trompette, & que Phiftoire configne leurs 33 éloges darts les faftes des nations. Une conduite »3 contraire dans le cas préfent fournira un pré33 texte pour dire , que la vanicé , que la foif des 3» dignités, de colifichets , & de babioles, onr i « été les objets de la dernière conteftation , ik non H  [ 1*4 ] « pas fimplement le Patriotifme, l'lndépendance 3 » & la Liberté. n Je dois avouer que j'ai pris beaucoup de votre » tems en vous faifant voir ce qu'il y a de repré» henfible dans cette Inftitution : mais dans le pofte » que j'occupe j'ai du néceflairement remplir ce »> devoir. Ces difpoficions ont effrayé les Cincinnati: ils ont fenti que 1'on ne faifoit pas impunément ombrage a des hommes récemment libres, & qui doivent a eux-mêmes leur liberté. Dans une aflemblée générale de 1'aflociation tenue a Philadelphie le trois Mai, on a modifié les ftatuts de 1'Ordre. Nous commencerons par les tranfcrire tels qu'ils fe trouvent dans le premier diplome; & nous fuivrons la traduclion qu'on en trouve dans le Journal militaire du 15 Avril de cette année. Peu de monumens auffi précieux! dit le Journalifte : on croit relire thijioire des beaux Jiècles d'Aihènes & de Rome ! Le Leóteur appréciera les raifons pour lefquelles nous ne fommcs pas du même avis.  [ "5 ] Premier Acte Les Sociécés de I'Etat auront un Prcfideut.^ H j  [118]! „ un Vice Préfident, un Secraitaire, unTréforier, „ & un Aide-Tréforier, qui feront élus annuelle„ ment a la pluralité des fuffrages a PAftemblée „ de 1'Etac. „ Chaque Affemblée de I'Etat écrira annuelle„ ment, ou plus fouvent fi cela eft néceffaire, une lettre circulaire aux aucres Sociétés de 1'E„ tat; notant ce qu'ils jugetont digne d'obferva,j tion pour le bien de la Société & l'union „ générale des Etats, & les informera des ofE„ ciers choifis pour 1'année courante. Copies de „ ces letttes fetont régulièrement tranfmifes au „ Secrétaire général de la Société qui en tiendra „ regiftre. „ La Société d'Etat réglera toutes chofes pour „ elle & les fociétés de fes diftrióts, conformé„ ment aux1- maximes générales de l'ordre de „ Cincinnatus; jugera des qualités des membres qui leur feront propofés, & chaffera tous ceux de fes membres , qui, par une conduite indigne „d'un gentilhomme, d'un homme d'honneur, & qui, en oppofition aux intéréts de la commu„ nauté en général, & de la Société en parti„ culier, feront jugés indignes de continuer a j, en être membres.  [ "9 ] » Dans le deffein de former des fonds qui » puiffent être fuffifans pour affifter les infortux> nés , chaque officier délivrera au tréfor de la >» Société d'Etat un mois de paie , qui reflera »> pour toujours au profit de ladite Société; les » intéréts feulement, fuivant ce qui fera jugé né»ceffaire, feront appropriés au foulagement des 33 infortunés. 33 II pourra être fait des donations par des peri3 fonnes qui ne font pas de la Société, & par 3> des membres de la Société , dans le deffein ex3> prés de former des fonds permanens pour 1'ay> vantage de la Société d'Etat, & les intéréts de 33 ces donacions feront appropriés de la même 33 maniere que le mois de paie. >» On pourra foufcrire dans les Sociétés de ssdiftriót, ou dans les Sociétés d'Etat, fuivant la 33 volonté des membres, difTérentes fommes pour is le foulagemenr des membres infortunés, de 33 leurs veuves & enfans orphelins, pour être dif33 tribuées par la Société d'Etat feulement. »3 L'Affemblée de la Société générale confiftera » dans fes officiers & une repréfentation de chaque 3» Etat, en nombre qui n'excède pas cinq , dont H4  [ ï" ] >» les dépenfes feront fupportées par leur Société »> d'Etat refpedtive. » Dans 1'Affemblée générale, le Préfident gé«néral, Vice-Préfident, Secrétaire, Secrétaire «Affiftant, Tréforier & Aide-Tréforier, feront s> choifis pour fervir jufqu'a la première Affem33 blée. j3 Les lettres circulaires qui auront été écrites >s par les Etats refpectifs 1'un a 1'autte , & leurs 3> loix particulieres feront lues & confidérées, & S3 toutes les mefures qui pourront conduire au 33 bien-être général de la Société y feront con>3 certées. »> II eft probable que quelques perfonnes feront J3 des donations a la Société générale, dans le >3 deffein d'établir des fonds pour le fecours des 33 infortunés, dans lequel cas ces donations fe33 ront placées dans les mains du Tréforier gé)> néral , & PAffemblée générale difpofera fui33 vant la néceffité feulement de l'intérêc de ces »3 fonds. 33 Tous les officiers de Parmée Américaine, ainfi 33 que ceux qui ont réfigné avec honneur après  [i m ] »trois ans de fervice dans 1'état d'officiet , ou »qui ont été déplacés par les réfolutions du ^Congrès dans les différentes réformes de 1'ar» mée, comme ceux qui continueront jufqu'a la »fin de la guerre, onc droic de faire partie de » cetce inftitution, pourvu qu'ils foufcrivent un » mois de paie , qu'ils fignent les régies générales » dans les Sociétés de leurs Etats refpedtifs: fa3>voir ceux qui font préfens, avec 1'armée immc» diatement; & ceux qui font abfens, fix mois »après le licenciement de 1'armée, ks cas ex„ craordinaires exceptés. Le rang , le tems du >, fervice, les réfolutions du Congrès par lefquelles » quelqu'un d'eux pourroit avoir été réformé , & 33 les places de leur réfidence devoient être ajou*> tées a leur nom. 33 Et en témoignage d'affeérion a la mémoire » & a la poftériré des officiers qui font morts au 33 fervice, les aïnés de leurs héiitiers males auy, ronc le même droic de devenir membres, que 33 les enfans des. membres aótuels de ladite So33 ciécé. 33 Les officiers écrangers qui ne réfidént dans 33 aucuns Etats , feront infcrits par le Secrétaire 33général, & feront confidérés comme membres  [ 1" ] » de k Société, dans quelque Etat qu'ils fe ttou» vent par Ia fuite. » Et comme il y a, & qu'il y aura en tout » tems dans chaque état des hommes éminens par »leur habilité & leur patriotifme, dont les vues » peuvent être dirigées aux mêmes objets louables »avec ceux de la Société de Cincinnatus, il fera » de règle d'admettre des hommes de tel carac» tere , comme membres honoraires de la So*> cieté pour leur vie feulement, pourvu toutefois x que les membres honoraires de chaque Etat » n excedent pas dans la proportion d'un concre *> quatre le nombre des officiers, ou de leurs def» cendans. » Chaque Société d'Etat fera une lifte de fes » membres, & a la première Aflemblée an>' nuelle le Secrétaire de I'Etat enregiftrera fur * parchemin deux copies de 1'Inftitution que cha»> que membre préfent figneraj & le Secrétaire « tachera de fe procurer la fignature de chaque »> membre abfent. Une de ces liftes fera tranf33 mife au Secrétaire général, pour être confervée ja dans les atchives de la Société, & 1'autre reftera 33 dans les mains du Secrétaire d Etat. » De ces liftes des Etats, le Secrétaire général  [ "3 J ■) fera a la première Affemblée générale une Iifte »s compléte de la Société entière, dont il tranf» mettra des copies au Secrétaire de chaque » Etat. 5> La Société aura un ordre par lequel fes mem» bres feront connus & diftingués, qui fera une 33 médaille d'or d'une largeur convenable pour > La principale figure, Cincinnatus; trois Sé33 nateurs lui préfentant une épée & d'autres attri33 buts militaites; au fond & plus loin, fa femme a a la porte de fa chaumière ; prés d'elle fa 33 charrue & les inftrumens du labourage; autour : io omnia reüquit fervare Repumblicam. Sur le revers, 33 le Soleil levant; une Cité avec fes portes ou33 vertes, & des vaifteaux entrans dans le port; )i la Renommée couronnant Cincinnatus, & cette 33 infcription , virtutis pr&mium: au-deftbus, deux 33 mains jointes fupportant un cceur, avec le mor: >3 EJlo perpetua; autour du tout: Societas Cincin>» natorum injlituta A. D. 1783. 33 La Société, vivement pénctrée de reconnoif-  C **4 » fance de 1'aflïftance généreufe que cette con» tree a recue de la France, & defirant de per» pétuer 1'amitié qui a été formée, & a fi forte33 menc fubfifté entre les officiers des forces alliées n dans la pourfuite de la guerre, ordonne que »3 le Préfidenr général tranfmettra auffi tóe que 33 poffible a chacun des perfonnages ci-après nom>» més, une médaille contenant l'ordre de la »3 Société. » Fait dans Ie cantonnement de Ia rivière d Hudfon »3 dans 1'année 1783. Signé par le Commaudant en Chef} les Officiers Généraux, les Délégués de plufieurs Re'gimens & corps de Varmee. NOUVEAUX STATUTS (1). 33 Seclion I. Les perfonnes qui compofent cette » Société, forir tous les officiers brévetés de l'Ar- ( 1 ) Nouscroyons devoir rapporter le texte des nouveaux ftatuts, puifque les Cincinnati les regardent aujourd'hui comme la bafe de leur exiftence. Nous omettons le préambule , qui eft en fubftance , quoique fort abrégé , le même que dans le premier diplome. Section I. « The perfons wlio couftitute this Society, are all the  [ "5 ] „ m/e- & de la Marine des Etats-Unis, ayant fervi ,» trois annéesj & quitté le fervice avec difiinc„ non; tous les officiers qui étoient en adivité de „ fervice a la fin de la guerre, tous les principaux » officiers de i'Etat majot de 1'Armee continen„ tale, & les officiers qui ont été licenciés pat » les diverfes réfolutions du Congrès fur les dif»j férentes réformes de 1'armée. » Seciion II. Seront auffi admis dans cette » Société les detniets Miniftres, & les Miniftres » aduels de S. M. T. C. auprès des Etats-Unis, tous les Généraux & Colonels de régimens & » des légions des forces de terre, tous les Ami» raux & Capitaines de vaiffeaux ayant rang » de Colonels, qui ont coopéré avec les armées » des Etats Unis a 1'établilTement de leur liberté; » commxffioned and brevet officers of the Army and Navy » of the Unked-States, who have fervedf/i«e years , and M who left the fervice wiih réputation ; all officers who M were in ackual fervice at the conclufion of the war; all „ the principal ftaf-officers of the continental army; and » the officers who have been deranged by the feveral refo- » lutions of Congrefs , upon the different reforms of the » army. ■y, Seciion II. There are alfo admitted into this Society, „ the/dte and prefent Miniflers of hh Moft Chiftian Ma-  [ izS ] ? Sc les autres perfonnes qui ont été admifes par » les AfTemblées d'Etat refpeóïives. Seciion UI. La Société aura un Préfident, un » Kice Préfident, un Secrétaire Sc un Sous-Se» crétaire. » Seciion IK Li Société s'aiïemblera au moins une fois tous les trois ansJ le premier Lundi » du mois de Mai, dans le lieu indiqué par le » Préfident. Ladite Aflemblée 'fera compofée des wfufdits officiers (dont les dépenfes feronr fup» portées également par les fonds de I'Etat) & » jefiyxo the United-States ; all the Generals and Colonels « of regiments and legions of the land forces, all the Ad» mirals and Captains of the Navy , ranking as Colonels , » who have co-operated with the armies of the United» States in their exertions for Liberty; and foei otherper*> fons as have been admitted by the refpedlive Statest meetings. » Seciion III. The Society shall have a Préfident, Vice» Préfident, Sccretary , and Auiftant Secretaty. » Sea.onlK There shall be a meeting of the Society, » at leafl once in three years , on the ruft Monday in May » at fuch palce as the Préfident shalappoint. The faid meet» iag shall confift of the aforefaid officers , ( whofe expen» «I jhall be cqually botnc by the Statc-funds ,) and a  [ «*7 ] » d'une repréfentation de chaque Etat. Cette » Aflemblée générale s'occupera du foin de régler » la diftribution du refte des fonds, de nommer s> des officiers pour les trois années fuivantes, & >3 de conformer les Statuts des Aflemblées d'Etat *> aux objets généraux de 1'inftitution. „ Seciion V. La Société fera divifée en Aflem„ blées d'Etat; chaque Aflemblée aura refpeóti„ vement un Préfident, un Fice-Préfident, un Se„crétaire & un Tréforier, qui feront choifis tous „ les ans a la pluralité des voix. „ Seciion FI. Les Aflemblées d'Etat fe tiendront a l'anniverfaire de 1'lndépendance. Elles prendront » repréfentation from each State. The bufinefs of this ge» neral meeting shall be—to regulate the diftribution of a» furplus funds—to appoint officers for the enfuing term— » and to conform the bye-law of State-meetings to the ge» neral objedts of the inftitution. 5J Seilion V. The Society shall be divided into State33 meetings: each meeting shall have a Préfident, Vice» Préfident, Secretary, and Treafurer, refpeitively to be i» chofen by a majority of votes, annually. >3 Seciion VI. The Statc-meetings shall be on the An>s niverfary of lndépendance: they shall concert fuch mea» fures as may conduce to the bencvolent purpofes of ths  [ t2i ] „ les mefures relatives aux projets de bienfaifance „ de la Société; 8c les diverfes Affemblées d'Etat j, s'adrefletont, en tems convenable, a leurs LéJ} giflatures refpeótives, pour foólroi des Chartes. „ Seciion VII. Tout membre fs retirant d'un „Etat dans un aurre, doit être confidéré k tous „ égards comme appartenant a rAlTemblée de I'Etat „ oü il réfidera pour lors. „Seciion Vlll. L'Aflemblée d'Etat fera juge „ des qualités de fes membres, réprimandera., 8c „ chaffera s'il eft néceflaire tout membre qui ne „ fe conduiroit pas comme il convient. „ Seciion IX. Le Secrétaire de 1'Aflemblée d'E- w Society, and the feveral State-meetings s'hall, at fuitajj ble periods, make application to their refpeciive Legiflaa> tures for grants of charters. 33 Seciion VII. Any member , removing from one State dj to another , is to be confidered in all refpeBs as belon" ging ro tn- meeting of the State in which he shall acjj tually relide. ij Seciion VIII. The State - meetings shall judge of the jj qualification of its members, admonish, and (if necefj» fary) expel any one who may conduót himfelf un» worthily. 33 Seciion IX. The Secrctary of each State-meeting shall tac  [ «9 ] i} rat enregiftrera les noms des membres réfidans „ dans chaque Etat, & en délivrera une copie au „ Secretaire de la Société. „ Seciion X. Afin de former des fonds pour le foulagement des membres qui ont befoin de „ fecours, ainfi que pour leurs veuves & orphe„lins, chaque officier remettra un mois de fa paie au Tréforier de 1'Affemblée d'Etat. „ Seciion XI. Aucune donation ne fera recue „ que des Citoyens des Etats- Unis. „ Seciion XII. Les fonds de chaque Affemblée „ dEtat feront prêtés a I'Etat pat permilïïon de » regifler the names of the inembers refident in each State, u and tranfmit a copy thereof to the Secretary of the Soa> ciety. « Seciion X. In order to form funds for tre reüef of unM fortunate inembers, their widows and orphans, each officer shall deliver to the Treafuret of the State-meeting » one month's pay. » Seciion XI. No donations shall be received but fiom 39 Citizens of the United-States. dj Seciion XII. The funds of each State-meeting shall be 33 loaned to the State, by permilILn of the Legiflature, » and the intereft only annualy to be applied for the pur- I  L ] „ la Légiflature, & Piritérêc de ces fonds fera „ appliqué aux projets de la Société: & fi par la „ fuite des tems il furvenoit des difficultés dans „ 1'exécution des intentions de la Société, les 3J Légillatures des différens Etats feront requifes „ de faire les difpofitions qui leur paroïtront les „ plus équitables & convenir le mieux aux vues „ primiiives de 1'inftitution. „ Seciion XIII. Les fujets de S. M. T. C., „ Membres de cette Société , peuvent tenir des „ Aflemblées a leur volonté , & faire des règle- mens pour leur police, conformément aux ob„ jets de 1'inftitution, & a 1'efprit de leur Gou„ vernement. s> pofes of the Society; and , if in procefs of time difficul-3 ties should occur in executing the intentions of the Soy> ciecy , the Légillatures of the feveral States shall be re» quefted to make fuch equitable difpofitions as may be » raoft correfpondent wiih the original defign of the infti•> turion. « Seciion XIII. The fubjects of kis Moft Chrijlian Ma" jefty > members «f this Society, may hold meetings at » their pleafure, and form regulations for their police , w confo mably to the objed of the inftitution, and to the w fpirit of their government.  [ i$i 1 j, Seciion XIV. La Société aura un Ordre, qui jj fera un Aigle d'or portam fur fa poicrine les ,j emblêmes décrirs ci-après ( i ) fufpendus a un „ ruban bleu foncé, liferé de blanc, qui répré„ fente l'union de 1'Amérique & de la France. „ Les obfervations que nous pourrions faire fur ces nouveaux Statuts, fe trouveront pour Ia plupart dans celles que nous avons pris la liberté deplacer en marge de la lettre fuivante, adreffée circulairement avant 1'Affembléegénérale du 3 Mai.1784, aux différentes affociations de POrdre par fes Délégués, & iïgnée du Général Washington en fa qualité de Préfident. » Seciion XIV. The Society shall have an Order; which » shall be a bald Eagle of golJ, bearing on its breaft the a> emblems heteafter defcribed , furpended by a deep blue m ribbon edged with white , defcriptive of the union of » Ameiica and France. ( I ) Ce font les mêmes qü'on trouve dans le premier diplome. lx  [ *3» 1 Obs ervation s. LETTRE CIRCULAIRE (i) Ateffée aux Sociétés d'Etat de 1'Ordre de Cincinnati par rAffemblée Générale convoquée a Phitadelphie le 3 Mai 1784, fignée du Général Washington en fa qualité de Préfident. N ous Délégués des Cincinnati , après les plus mtires délibérations & la. difcujjion la plus approfondie des principes & des objets de notre Société' 3 ( 1 ) Comme a notre avis il y a quelques différences notables entre le véritable lens, le fens littéral de la Lettre Circulaire fur Iaquelle nous nous fommes permis quelques obfervations que nous croyons importantes, & la tradudhon que 1'on en a donnée dans les papiers publics, & dont nous nous fommes fervis en général ; nous ra/porterons au bas de la page le texte Anglois , afin de juftifier nos corredions. Cihular to the State Society of the Cincinnati. tc Gentlemen , « We, the Delegates of the Cincinnati, after the moft » mature and deliberate difcuffion of the principles and » objedsof our Society, have though: proper to tecom-  [ m 1 Observations. Lettre Circulalre. avons jugé d propos de recommander que l'inclufeinflitution de la Société des Cincinnati , telle qu'elle a été réformée & modifiée d leur première Ajfemblée générale, foit adoptée par la Société de votre Etat. Pour que notre conduite en cette eccafionfoit connue & approuvée de tout l'univers ; pour ne point encourir le reproche d'objiination d'une part, ou de lége* reté d'une autre v i ) ; (i) C'eft une extrémité facheufe pour des 3> mend that the inclofcd Inftitution of the Society of the 3! Cincinnati, as altered and amen.ied at their firft meeting, 33 should be adopted by your State Society. 33 In order that our conducT: on rhis occafion may ftand » approved in the cyes of the world ; that we may not incur 33 the imputatioa of obftinacy on the one hand , or levity 3» on the other, and that you may be induced more cheau- I J  [ 134 1 Observations. Lettre Circulaire. hommes alTociés a Wafhingcon & préiidés par lui, que de fe trouver, de leur aveu, prelTes enrre ie reproche d'obfünation & celui de légêreté. II étoit un moyen d'éviter celui de légèreté: c'étoit de ne rien faire que fous 1'autorité & la fanótion du Gouvernement. Quant a tobftlnation, elle feroit révolte quand les Légillatures ont parlé. Et afin que vous vous déterminie^ plus volentiers d efjrecluer ce que nous vous recommanduns, nous demandons la permijjïon de communiquer les raifons d'apres lefquelles nousavons agi. u fully to comply with out recomrnendation, we beg »• kave to communicate the teafons on which we haye s> aóted.  E 135 1 Observations. Lettre Circulaire. Avant de vous en rendre compte, nous nous crayons obligés par nos devoirs envers vous & envers nos Concitoyens, de déclarer, & nous prenons Ie Ciel a. témoin de la yéracité de notre déclaration (b) (b) Honore" lesDieux; &refpecle-[leferment (*): c'ecoic Ie premier précepte des anciens. Le vrai refpeór. pour le ferment c'eft de s'en abftenir; car le plus sur moyen de n'en pas abufer c'eft de n'en point ufer.Une République eft perduele jour oule grand » Previous to out laying them before you, we hold it *> a duty to ourfelves and to our feliow-citizens to decla» re, and we call Heaven to witnefs the veracity of our m declaraticn, that, in our whole agency on the fubjedr, » we have been a&uated by the pureft principles. Not( + ) K«) trtjitv »»ut, I 4  [ X3* 1 Observations. Lettre Circulaire. myftêre de fa politique n'eft pas le ferment *. Que dans toute notre conduite d ce fujet nous avons été dirigés par les principes les plus purs. Quoique nous foyons intérieurement & invinciblement perfuadés de la droiture denos intentions en établiffant une Confrairie3 (c) & en nous y unijfantj (e) Ce mot eft remarquable. Les Cincinnati font, de leur aveu , une Confrairie militaire. Mais les Templiers, les Chevaliers de St. Jean de Jerufalem, ceux de » wiehftanding vee are thus confcious for ourfelves of the «■ rcdtitude of our intentions in inftituting or becoming (*) L'Empereur Maxiinin appellou Ie Sernient le grani myflère i( ld Képuilique Romiine : Stftti> ti,( Vop«,ïx.tS tipfciijf ftvslifici, HSROPIANj liv. a.  [ »J7 ] Observations. Lettre Circulaire. 1'ordre Teutoniquej ceux de S. La^are n'etoient-ils pas auffi des Confralries ? & de telles Confralries fout-elles uneacquifition très-républicaine ? le Congrès général ne le pem'epoint, puifqu'il n'a pas voulu permettre que quelques officiers Américains fuffenc admis dans 1'ordre de la Divine Providence (*). II ne le penfe » members of this fratemity ; and notwithftanding we are 33 confident the highefl évidence can be produced froru your ( ) Refolution du Congrès du 5 Janvier 17s4--Sur le rapport d'un Cor..ué auquei avoit été renvoyée une lettre du Comniandanc en Chef, en date du -8 Aoiïc, contenant une propofition de la part du ieciétaire de l'Ordre Polonois de la Divine Providence, que Ie Congrès nommeroit un nombre de perfonnes propies pour être crééet Chevaliers dudit Otdre , réfolu : «Que 1'ancien Commandant en » Chef fera prié d'informer le Chevalier Jean dt Hiie\. Secrétaire » de l'Ordre de la Divine Proviitnce , que le Cong'è; eft fenfible » a l'attention de cet Ordre, en lui ptopofant de nomme: un nom*> bte de perfonnes propies pour être créées Cheva'iers de ia Divine ■ 33 Providence; mais que le Congrès ne fauroit, confotmémenc aux 1 j> principes dc la Coufédérauon, accepter fon obiijjeaiue yiopo• » fition, »  [ 1}S ] Observations. Lettre Circulaire. pas, puifque dans le plan du Gouvernement provifoire, propole pour les dix nouveaux Etats , adopté & paffe en loi , on trouve cet article: leurs gouvernemens rejZ peclifs auront une forme républicaine; & aucune perfonne jouiffant dun iure héréditaire, ne pourra être au nombre des citoyens de ces états. & maigre ia conviclion intime ounous fommes qu'on trouvera dans votre conduite, tant pajfée que future , la preuve évidente que vous n'ave^ été déterminés par aucuns autres motifs que ceux de l'A- » paft, and will be given by your future behaviour, that » you could not have been influenced by any othet motives  r 1 Observations. Lettre Circulaire; mitié , du Patriotifme & de la Bienveillance , (d) (d) Etrange Patriotifme que celui qui s'ifole de la Patrie! Bienveillance veut dire protec- ■ don: Sc convient-il a des fujets de protéger leur Souverain? Ne'anmoins comme nos vues} d certains égards, ont été mal fenties; comme l'acle de notre Affo.iation a été néceffairement rédigé d la hdte (e), (e) Vacle d'ajfociation d'hommes fi diltingués tendant a élever un » than thofe of friendship, patriotifm , and benevolcnce ; => yet, as the infirument of our affociation was of neceilïty *> drawn up in a hafty manner, at an epocha as extraordi» nary as it will be memorable in the annalï of mankind—  [ 14° ] Observations. Lettre Circulaire. nouveau corps dans leur République a été rédigé d la hdte ! Pourquoi cette précipitation ? les peuples de Maffachufetts Sc de Penfylvanie, dans les préambules mémorables de leurs conftiturions, rendent hommage „ a la bonté fignalée du „ Légillateur fuprême „ de 1'univers 3 qui, par „ une fuite des dé„ crets de la providen„ ce, leur a procuré „ 1'occafion & la facul„ té de faire, avec le terr.s j, d'une müre délïbératïon, J5 avec rranquillité , Sc „ fansfurprife, un pafte „ original, explicite Sc , folemnel, & de for- s> when the mind , agitated by a'variety of emotions, was » not at liberty to attend minutely to every circutnftante  [ 14' ] Observations. Leltre Circulaire. „ mer une conftitution ,j nouvelle de gouverne„ ment civile pour eux }, pour leur poftérité. ■» N'eft-ce pas infultera cette bonté Jignalée du Légi/lateur fuprême de Tunivers que de violer les loix de la Patrie, faites en fuite d'une mure délibération, par un aóte d'aftociation inconititutionnelle, rédigé d la hdte ? „ a une époque „ aujjï extraordinaire qu'elle fera mémorable „ dans les annales du „ genre humain , oi , „ agit és par un foule de „ fenfations différentes 3 j, nous n'avions point ,j la libertéd'efprit nécef a> which refpectcd our focial connexion , or to digeft our » ideas into fo correct a form as could have been wishedj  C 14* ] Observations. Lettre Circulaire. (f) L'inftitution d'un „ faire (f) poür prêter ordre de Chevalerie illé- „ une attendon minugal & inconftitutionel tieufe a toutes les cirétoit-elle donc fi preffée ? }J conftances qui avoient & ne pouvok-on pas 3) rapport d notre conatcendre le tems oü l'on „ nexionfociale,oup@ur auroit eu la liberté'd'efprit 3> rédiger nos idees dans nécejfaire pour réfléchir fJ une forme auffi corfurles conféquences d'un „ retle qu'on auroit pu tel projet ? „ U defirer ; comme „ l'inftitution originaire aux yeux de plufteurs „ perfonnes refpetlables „ a paru comprendre des „ objets que l'on juge injj compatibles avec le génie & 1'efprit de la Confèdération ; & jj comme dans ce cas, il j, pourroit fe faire que notre but ne fut pas u as the original inflitution appeared in the opinion of many » refpeftable characleirs to have comprehended objefts ■yy which are deemed incompatible with the genius and fpirit » of the Confèdération ; and as in this cafe it would even-  [ *43 ] Observations. Lettre Circulaire. » rempli 3 &produisit des » fuites que nous n'a» vions pas prévues: en *> conféquence , pour dé» truire toute forte de » Jaloujies, (g) (g) Pourdécruire toute forte de Jaloujies , jettez vos croix , & déchirez votre acte. 33 pour éloigner » toute caufe d'inquie'tu» de,pourdefgner d'une 33 manière dijlincleleter» rein fur lequel nous » voulons nous fixer, & » pour donner une nouJ3 veile preuve que les » anciens officiers de l'ar>3 mee Américaine ont le 33 droit d'etre comptés « tually fruftrate our purpofes , and be produftive of con» fequences which we had nocforefeen;—therefore , to » remove every caufe of inquietude, to annihilate every « fource of jealoufy , to defignate explicitly the ground on 33 which we wish to ftand, and to give one more proöf  [ H4 ] Observations. Lettre Circulaire, » parmi les Citoyens les 33 plus fidèles ; nous 33 avons arrêté quil fej» roit fait d notre infti>3 tution les réformes & » modifications impor» tantes que volei: la s, fucceffion héréditaire 33 fera abolie ; toute in,3 terpofition dans les » affaires politiques cef 33 fera d'avoir lieu; & 33 les fonds feront pla33 ces fous la connoif33 fance immédiate des 33 différentes Légiflatu33 res , qui feront auffi requifes d'oclroyer des 33 Chartes ( h ) (h) Pourquoi des Chartestll n'eft qu'une „ that the late ofSccrs of the American army have a daim „ to be feckoned .among the moft faithful citi.ens, « „ have agreed that the fohWing material alterat.ons and „ amendments should take place : that the hereditarv fuc- charte  [ i45 ] Observations. Lettre Circulaire, charte néceflaire dans un pays, & furtouc dans une République, c'eft celle de 1 AlTociation générale, ce fonr les pacta conventa de la Patrie. Si des chartes font accordées, voila donc une jurande & une jurande militaire ! Si des chartes font accordées, voila un corps diftin au projet que nous » avons de fecourir l'hu33 manité (i). (i) Nul befoin de chartes pour exercer la bienfaifance, chacun en a la charte de par la nature, & nul corps n'a le droit de s'étiger en difpenfateur public des bienfaits. » En expofantnos rai»fons pour le change» ment du premier article, » nous devons vous de~ » mander la permijfion » de rappeller d votre >3 fouvenir & d votre atj> tention la caufe primi- « to grant chartets for more effectuallycarrying our humane » defigns into execution. 13 In giving our reafons for the alteration of the firft =3 article we muft ask your indulgence while we recall your  [ ] Observations. Lettre Circulair*; 53 tive qui nous a engages » d nous former en une 33 Socie'te' d'amis. Ayant 33 été conjiamment unis j> par les Hens de la plus 33 éttoite amitié (k) (k) L'amitié entre dix mille hommes! Des officiers qui ont vaillamment combartu pour la même cauie., dans la même armée, dans le même régiment, ont 1'un pour 1'autre de 1'eftime, de la confidération > des égards, fouvent du refpeét, quelquefois de la vénération , quand ils ont déployé leut talent ou verfé leur fang d'une manière très- *> attention to the original occafion which induced us to » form ourfelves into a Society of Friends. Having lived » in the ftric"teft habits of amity through the various ftagcs » of a war, un parallellcd in many of its circumftances ; K x  [ H8 ] Observations. Lettre Circulaire. diitinguée L'amitié s!achète pluscher ! ** » dans les diffé- y. rentes révolutions n d'une guerre qu'une )} infinité de circonfian>j ces rendent remarqua» bles & vraiment exn traordinaires ; après » avoir eu le bonheur de w remplir 1'objet pour 33 lequel nous avions pris » les armes J d l'époque » du triomphe & de la 53 féparation , parvenus 3» enfin d la dernière »fcene de notre drame 33 militaire , dont le dé33 nouetnent étoit d la 33 foisun fujet d'allégrejfe » & d'affliclion pour nos ra having feen the objecls for which we comended, happily j>attained, in the moment of triumph and féparation, » when we were about to ad the laft pleafing melancholy u fcene in our military drama ,—pleafing, becaufe we were 33 to kave our country polTeffed of independence and peacc—  t l49 ] Observations. Lettre Circulaire. sj cozurs — d'allégreffe , » paree que nous voyions » notre patrie en pojfef» Jion de l'indépendance » & de la paix—d'afflic53 don , paree que nous » allions nous féparer , >3 & peut - être pour ne 33 nous revoir jamais. >3 Dans un moment ou » tous les cozurs étoient jj pénétrés d'affeclions 33 plus aifées d concevoir >3 qua décrire , ou le » moindre acle de bien>3 veillance & de fenfibi33 &e étoit encore tout 3» récent dans notre fou33 ve/zir; il étoit impojfi 53 ble de ne pas iefirer la jj mclancholyj becaufe we were to part, perhaps never to jj meet again ; while every breaft vas penetrated with fee3j lings which can be more eafily conceived than defcribed ; jj while every little aét of tendernefs recurred fresh to the jj tecolledion, it was impollible not to wish our friend- K 3  [ 15° 1 Observations. Lettre Circulaire.' jj continuation d'une ami' » tié fidouze & finécef}j faire a nos amcs atten53 dries, & il étoit très33 naturel de fcuhaiter >3 quelle put être tranfj- mifepar notre poftérité » jufqu'aux fiecles les » plus reculés (1). fi) Un ordre, une jurande, une inftitution pour tranfmettre une amitié, la continuation d'une amitié, entre dix mille hommes & leur pojlérité! >j Tels étoient , nous 33 le confejfons naïve33 ment 3 & nos fentimens j> Gr nos imprejfions , 33 lorfque nous ■ avons » ships should be continued; it was extremely natural to a> defire they might be perpetuated by our poftcrity to the sa tcmoteft ages. With thefe impreffions, and with fuch fenti-  Observations. Lettre Circulaire. jj Jigné 1'lnJlitutïon.Nous 3> favons que nos motifs » étoient irréprochables; ■a mais plufeurs de nos i) compatriotes craignant » que ce ne fut tirer, contre » tout droit, une lignede n féparation entre nos » defcendans & les autres jj citoyens; & bien éloiw gnés nous - mêmes de 33 vouloir créer des dify> tinclions inutiles & def n agréables, nous nhéfi>3 tons point d faire le 33 facrifice de tout (m). (m) Pourquoi donc ^ conferver les médailles & les rubans? pourquoi demander des chartes? 33 ments, we candidly confefs we fïgned the inftitution — 33 We know our motives were irreproachable—But, fpidïrig i: 33 apprehended by many of our countrymen, that this would 33 be drawing an unjuftifiable Iine of difcrimination bctween » our defcendants and the reft of the community, and avcrfe K 4  [ '5* 1 Observations. Lettre Circulaire. On ne peut plus, fi on laifle fubfifter les Cincïnnati, lesempêcherd'être héréditaires , quand même ils renonceroient a jamais , comme ils le feignent aujourd'hui, a cette branche de leur inftitution. Nous 1'avons dit: le fiege de la nobleffe eft dans l'opinion, on gardera dans la familie 1'Aigle de 1'ancêtre qui fut Cincinnatus. On refufera d'époufer les filles qui ne conferveronr pas un pareil titre de noblelfe. Ainfi non-feulement 1'ordre doit être détruit ; mais le facrificeque fes membtes doivent a la u to the creation of unneceffary and unpleafing diftinétions; » we could not hefitate to relinquish every thing but our ij perfonal fricndships , of which wecannot be divefted ; and  [ m i Observations. Lettre Circulairs, patrie, eft celui de leurs médailles même, qui doivent être remifes au tréfor public & fondues pour acquitter d'autant les dettes envers 1'armée; car c'eft ainfi qu'on aime une armée. » a l'exception » de nos amitiés perfon» nelles, dont nous ne ■>■> pouvons nous de'partir, » & des acles de bien>j faifance qui , fuivant » notre intention, doivent » en être. l'ejfet. C'ejl » avec une intention auffi n pure , & auffi déjïnté» reffée que nous avons 33 propofe' de faire ufage 33 de toute notre infiuence *> thofe acts of beneficence which it is out intention should 33 flowfrom thera. With views equally pure and dilintcrefted, sj we propofed to ufe our collective influence in fupport of  [ '54, Observations^ Lettre Circulaire. ja colleclive pour défendre » le Gouvernement (n). (n) Une infiuence colleclive dans la République , autre que celle de la République ! Qu'entendez-vous par Gouvernement? Sont-ce, comme on le doit croire, les magifttats nommés par le peuple ? II n'y a aucune raifon d'entreprendre leur défenfe • le peuple les défendra tant qu'ils le fetviront bien. S'ils ne le fervent pas bien, ils ne doivent pas être défen- dus 5 & dans aucun cas ils ne doivent 1'être que par lui. Eft-ce le corps de la Société que vous voulez défendre? Alors » that Government, and confirmation of that union, the » eftablishment of wich has engagcd fo conlïderable a part  [ »$$ 1 Observations. Lettre Circulaire. ce n'eft pas leur gouverment. Eh '. qu'elle force eft , ou doit être fupérieure a la fienne ? & comment féparez-vous la vótre de la fienne ? — Mais nous fommes propres a fa défenfe, car nous fommes des guerriers.—Fort bien Meffieurs, a Standing Army, dont celle, qui fut votre mère-patrieelle même, ne veut pas. L'armée d'Angleterre ne peut pas être Standing Army, paree qu'elle a bsfoin d'être renouvellée par le confentement des repréfentans du peuple & de fon argent. La vötre ttouve le moyen de fe re- » of our lives; but learning from a variety of information , » that this is deemed an officious and improper interference x  C 15O Observations. Lettre Circulaire. cruter & de fe perpétuer fans argent. » & confirmer cette union » d l'établijfement de la» quelle nous avons em33 ployéune partie fi conti jïdérable de notre vie j jj mais ayant appris de » plufieursparts,queTon » ejlimoit nos ojfres de 33 fervices par trop offi33 cieufes & même dépla33 ce'es, fir quefi l'on ne 33 nous a pas direclement 33 accufe's d'avoir des def)> feins dangereux , du 33 moins nous a-t on re33proché d'avoir tropenjj trepris 3 en nous arro33 geant le droit de défen33 dre les libertés de notre n patrie : dans ces cir>3 conflances nous nepou- y and that if we are not charged with having Imifter » defigns, yet we are accufed of arrogating too much, and  [ '57 ] Observations. Lettre Circulalre. » vions pas penfer dnous n oppofer d l'opinion gén nérale de nos Conci» toyens, quelque fondés jj que nous yfuffions (m); (o) Vous ne pouviey. pas penfer a faire une chofe a laquelle vous vous croyei fondés ! Dans les Républiques on n'accorde, ni ne recoit de grace: on doir penfer, dire & faire, tout ceque l'on eft fondé a faire, dire ou penfer. On peut y dire que les loix font mauvaifes; onne peut jamais s'y oppofer a leur exécution. Vous ne pouviei donc pas être fondés a vous oppofer a l'opinion générale de vos Conciroyens, réduite en loi, quoique » afluming the guardianship of the liberties of our country: » thus circumftaaced we could not think of oppoling our-  [ is* 1 Observations. Lettre Circulaire. vous pufiiez indiquer les changemens que vous auriez cru néceffaires a ces loix. Si vous ofez croire que vous fufliez fondés a rien de plus, vous avouezque vousvous imaginez être élevés au-deiïus des loix par la force militaire dont vous avez été revêtus; & par conféquent être devenus les fouverains de votre pattie; mais cela , vous ne pouvie\ pas penfer die dire, paree qu'en votre confcience vous ne croyez pas encore y êtte fondés^ » ni caufer des de'fagréjj mens d ceux dont il » étoit de notre intérêt & » de notre devoir de pro» mouvoir le bonheur. ■ I » felvesto the concurring opinion of out fellow-citizens, n however founded, or of giving ansi ty to fhofe whofe » happinefs it is out intereft and duty to promote.  [ 159 ] Observations. Lettre Circulaire. » Pajfons acluellement » au point de vue chari» table qui fait la baf ede » notre inftitution. En s, dépofant vos fonds enn tre les mains de la Lé» giftature de notre Etatt 3° pour qu'elle veille d leur y> jufte emploi 3 vous 33 prouvere^ l'integrite' de » vos aclions & la recli33 tudedevosprincipes (p). (p) On neprouve rien avec de 1'argent, mais on affoiblit des réfiftances. Plaife an ciel que cela ne foit pas encore dans une république auffi nouvelle ! 33 We come next to fpeak of the charitable part of our insiftitution, which we efteem the bafis of it. By placing 33 your fund in the hands of the Legiilature of our State, 33 and letting them fee the application is to the beff purpofes, is you will demonftrate the integrity of your aflions, as well 33 as the rectitude of your principles. Ar.d having convinced  C ] Observations. Lettre Circulaire. *» j» Convaincus en » confe'quence de l'inno» cence & de la générojité » devosintentions> nous y> ne doutons pas qu'elle » ne protégé un djfein f> qu'elle ne fauroit quap39 prouver > & qu'elle ne » nouriffe & n entourage 33 les bonnes difpofitions 33 ou vous êtes d'adopter 53 les moyens les plus jj efficaces & les plus furs 33 pour fecourir les malj> h.ureux. A cet effet, 33 il y a lieu d'efpérer >» them your intentions are only of a friendlyand benevolent » nature, we are induced to believe they will patronife 93 adefign which they cannot but approve, that they will jj fofter the good difpofitions, and encourage thebeneficent jj adts of thofe who are difpofed to raake ufe of the moft jj effedlual and moft unexceptionable mode of relieving the aj diftreffed : for this purpofe it is to be hoped that charters » may be obtained in confequence of the applications which 3» are direfted to be made. It is alfo judged moft proper Observations  [ »êj 1 Observations. Lettre Circulaire.' » que fon obüendra des » Chartes (q)j (q) Encore une fois, il ne peur y avoir qu'une eharte dans un pays bien gouverné ; la conftitution. Voulez-vous des corporations ? On en fair en Europe, mais c'eft par des vues filcales; aufli propofez-vous de 1'argent au Gouvernement. jj en conféquence des » demandes qu'on en doit « faire. II paroït auffi » tres d-propos que l'on »fe règle d'après tfj Chartes (1 , (r ) II paroit très-d- propos! L'obéiffance a Ia loi ne " that the aclmiffion of members shoüld be ïubmirred 5» to the regulation of fuch charters, becaufe, by thus L  [ ^ ] Observations. Lettre Circulaire. fera donc déformais pour des Républicains qu'un acte de déférence ! 35 pour tadmijjion des » membres , puifquen " aëlJFant ainfi > conforn mément aux fentimens n du Gouvernement} non 3> feukment nous lui don» nerons une nouvelle »preuve de notre con33 fiance en lui (s), (s) Qu'eft-ce que votre c-onjiance dans le Gouvernement ? Comme particulier chacun de vous a droir de contribucr de fa voix a le réprimer, s'il fe comporte mal. Comme Alfociation, vous ne lui devez qu'obéijfance & a ce titre » aéling in conformity to the fentiments of Government, we not only give another inftance of our reliance upon it>  [ i6i ] Observations. Lettre Circulaire. vous n'auriez pas du vous former faus fon intervention. Mais commenc pouriez-vous refufer votre confiance aux dépofitaires de celle de la Patrie ? » mais » encore de notre difpojï» don d oter tout motif » de mécontentement concernant notreSociété (t). .. ,-Vöus t:a::ez rour.mne a ■ ' c ' a imperator in imperio. n but of our difpofinon to remove every foutce of uneaG» nefs refpeóring our Society. L 2  [ 1*4 ] Observations. Lsltre Circulaire. » Vous x aure^fans doute remar„ qué, Meffieurs , que »> les feu/s objets, dont » nous déjirons conferver n leJouvenir («), i (u) Diftinguonslesyotfvenïrs qui vous font juflenient précieux, & que rien ne peut faite perdre ni a vous ni a 1'univers, des établiffemens inutiles & dangereux qui rendroient ces fuuvenirs moins honorables pour vous. » font d'une nature qui « ne peut déplaire d nos jj Concitoyens, ni faire »5 tort d la poftérité : 3» We truft it as not efcaped your attention , Gentlemen , » that the only objedb of which we are defirous to preferve a the remembrance, are of fuch a nature as cannot be difw pleafing to our countrimen-, or un piofitable to pofterity :  [ 1*5 ] Obsevvatiöns. Lettre Circulaire. >j nous avons en confc* » quence confervé les dew vifes qui reconnoijfent i ij la maniere dont nous » devons rentrer dans » l'e'tat de Citoyens non » comme des marqués » d'une dijlinclion or« gueilleufe, mais comme 33 des gages de notre ami33 tie', & comme des ern3i bicmes dont lapréfence i3 nous empêchera d nous si e'loigner du Jentier de u la vertu (x). (x) Des rubans flattent une vanicé puérile, ou font un (igne de rallie- 33 ws have retained accordingly thofe devices which recog33 nize the manner of reftiming to our cituenship ; not as 33 oftentations marks of difcriraination , but as pledges of our 3> friendship, and emblems whofe appearance will nevcr per33 mit us to deviate from the paths of virtue : and we pre- L3  Observations. Lettre Circulair*: ment: des rubans ont été plus fouvent Ie figne de Ia complicité, que 1'emblême d'une union vertueufe: des rubans enchament mal a la vertu, & n'attachent guères a la patrie. n IIeft même a-propos » de rappeller ici que ces =o de'corations font ejli» méés comme des gages n précieux d'amitié, & » qu'ils font révérés par » ceux de nos alliés qui » les ont mérités de notre 33 part, en contribuant » par des fervices perfon33 nels a Vétabliffement n fume , i» this place , it may notbe inexpedient to infonn »3 you, tharthefe areconfidered as the moft endearing tokens » offrieridship.andheldin the higheft eftimation by fuch „ of out allies as have become entitled to them , by having 30 contributed their petfonal fervices to the eftablishment of  [ 1*7 ] Observations. Lettre Circulaire. y> de notreïndépendance ; j» que ces perfonnes difiin5> guées, & du premier » rangfoit par leur » naijfance ou leur répu» tation, ont eu l'agré3j ment de leur Souverain jj pour s'en décor er; & » qu 'enfin ce Monarque jj illufire regarde cette » union fraternelle, comjj me un nouveau Hen »propre d rejferrer de jj plus en plus l'harmo» nie, & la réciprocité de 33 bons offices, qui rè33 gnent déja fi heureufe- -j our independence; that thefe gentlemen, who are among 33 the firft in rank and reputation, have been pcrmitted by sj their Sovereign to hold this grateful memorial of our reci3a procal affections ; and that this fraternal intercourfe is jj viewed by that illuftrious Monarch , and other diftingui33 shed charaéters, as no finall additional cement to thart L 4  1***1 Obsbrvations. Lettrb Circueatrb. » ment entre les deux » nations (y). (y) Les Républicains peuveiu refpecter les Rois j ils peuvent être pénétrés pour eux de reconnoilïance: mais ils ne don ent jamais imiter ce qui fe paffe dans leurs Etats, ni raire de l'opinion de leur cour un motif de conduite. Celle qui fut votre mère patrie frémit au feul nom d'infiuenee fiecrete. Sa fille fouffrita-t-el!e qu'on appelle pubhquement dans fon fein une infiuence e'trangère ? » hatmony, an ) reciprocation of good offices, which 10 •o hjppily prevaii betvcen the two nations.  C !?J ] Observations. Lettre Circulairs. » Après avoir » ainfi réformé tout ce que » l'on a critique' dans » notre inftitution origi» naire, /Ïm-J" rien dimi» ««er cependant de la » confidération que nous » how flattons de confer» ver tta/z* f'efprit du » Tfèc/e prefent, 6' ófe-s" » ge'ne'rations d venir (^), (z) Rien n'eft plus affuré dans le fiècle préfent, & che\ les générations d venir 3 que la'confidération & le refpect 53 Having now relincjuished whatever has been found ob33 jeclionable in our original inftitution; having by the desa ference thus paid to the ptevailing fentiments of the com33 munity^ neither, as we conceive, leffened the dignity nor 53 diminished the confiftency of charadler , which it is our 33 ainbition to fupport in the eyes of the prefent, as well as 33 of future generations; having thus removed every pof-  [ 17° J Observations. Lettre Circulaire; qu'ont mérité Washing-ton& les guerriers Américains. Rien n'y pourroit porter atteinte que l'inftitution de leur confrairie militaire, mais il eft a croire qu'elle n'aura pas de durée. » Après avoir » defe'rè d la pluralité des » opinions de nos Con» citoyens; après avoir » re'pondu d toutes les ob» jeBions que l'on pour» rolt faire relativement n d notre union fociale, 33 & d fa perpe'tuite', nos » amitiés mutuelles de33 vant durer jufqu'a no33 tre dernier foupir; 33 après avoir e'tablifur 33 fible objeclion to our remaining connected as a fociety, 33 and cherishing our mutual friendships to the clofe of life;  1171 ] Observations. Lettre Circulaire; 35 un fondement auffi per33 manent & auffi folide » qu'il puiffe l'être, » Varticle primïtif de 33 notre ajfociation, qui 33 regardeles malheur eux » il ne nous rejie plus ,3 qua confolider l'êdi93 fice de notre inftitution 33 fur ces deux bafes ori>j ginaires 3 l'Amitié. & 33 la Charité (a); (a) Citoyens avant d'etre amis: Juftes avant d'etre charitables. 33 i?; a invoquer votre 33 libéralité, votrepatrio- 33 and having, as we flatter ourfelves , rctained in its ut moft 03 latitude, and placed upon a more certain and permanent ?. foundation , that primary article of our affociation which 33 refpects the unfortunate ; on thefe two gteat originalpil=3 lars, friendship and charity, we reft our inftitution; 33 and we appeal to your liberality, patriotifm and magna-  Observations. Lettre Circulaire. tifme & votre généy> rofite', ainfi que votre » conduite paffee dans » toutes les occafions » qui fe font prefente'es, » & la purété de vos in» tentions dans la con» jonclure prefente , » pour la ratification de » nos réfolutions. Nous » attendons également „ de la jufiice & de l'in„ tegrite' du public que les reform es & les jj modifications que nous J5 venons de faire knotte „ infiitution, paroitront ,j très-fatisfaifantes (c/), (b) Comment lepublic fera-t-il fatisfait quand 33 nimity ; to your continet on every other occafion , as well »3 as to the purity of your intentions on the prcfent, for »3? the ratification of our proceedlngs. At the fame time we » <.re happy in evprefiing a full confidence in the candour , 33 juv.ice and inregrity < f th: pub ic, that the inft:tution as » roy altered and arnende.1 will be [erfectly fatisfacloxy,  [ '73 ] Observations. Lettre. Circulair*. vous prétendez vous diftinguer de lui ? & que la Puiffance ,, Légiflative paffera „ bientót des acles qui j, mettront le fceau d j, \otre Bienveillance{c). (c) Vous menacez de retirer votre bienveillance a. la Puiffance Légiflative fi elle ne paffe pas en rotre faveur des actes dérogatoires au premier pafte de la Conftitution! ,j Qu'il nous j, foit encore permis d'ajouter que la culture de l'amitié & de la cha„ rité, que nous profef fons j fera , d ce que » and that acts of légiflative authoriry will foon be paffed to » give efficacy to your bencvoleuce. » Before we condude this addrefs, permit us to add, that >' the cultivation of that amity w e profefs, and the extenfion « of this charity, we iiattcr ourfdves, will be cbjedts of  [ '74 ] Observations. Lettre Circulaire. „ nous efpéronSj un objet ajjer important pour ,, prévenir toute négli- gence ou reldchement dans leur exécution. „ Confoler & fecourir j, ceux de nos infortunes j-j compagnons qui ont vu luire pour eux des jours plus heureux , & j, qui ont mérité unméil„ leur fort, fécher les „ larmes desveuves mal- heureufes , qui, fans j, notre charitable injli„ tution j fe feroient jj vues réduites, avec ,, leurs enfans, auxhor- reurs de l'indigencc & •3 fufficient importance to prevent a relaxation in the profe« cution of them—To difFufe comforr ar.d fupport to any of s» our unfortunate companions who have feen better days, » and merited a milder fare ; to wipe the tear from the eye s§ of the widow, who muit have been coniigned, with het  [ 175 1 Observations. Lettre circulalre. 3) du malheur; foutenir Jy les orphelins des deux „ fexes; foufiraire cTinnocentes filles au vice » W; (d) O douleur! déja les plus vertueux des Américains fonr affez corrompus pour que chez eux les filles indigenres foienc expofées au vice , & ils Favouent! La beauté & la vertu ne font donc plus a leurs yeux des titres fufftfans pour déterminer une union légitime! II leur faut des dots ! L'ambition & la cupidité influenc fur leurs mariages! L'amour • n lielplefs infants , to indigence and wretchednefs f but for this charitable inftitution—to fuccour the fatherlefs—to » refcue the female orphan from deifrucliou—to enable  L J7* ] Observations. Lettre Circulaire, honête commence a fuir de leurs climats! . . .. fl n'y a plus de nouvÉaumonde! ,j encourager i} les fils d fiuivre les „ traces d'un père ver}, tueux: telles font les 3J ceuvresconfolantes que nous nouspropofons de „ faire {e) (e) L'Evangile dit: que votre main gauche ne fache pas le bien que fait la main droite. Les Cinr cinnati difent: Regarde^ notre ruban bleu; nous faifons du bien d tout le monde. Mais la République vort 1'Aigle, qui n'a » the fon to emulate the virtues of his father, will be no » unpleafing task : it will communicate happinefs to others, Observations,  [ 177 1 Observations. Lettre Circulaire. jamais été uii oifeati bienfaifant. ,j Le bonheur des mal„ heureux que nous au,j rons fecourus fera le ■» notre; & cette idee }J charmera nos douleurs & nos derniers moy, mens. Pourfuivons 3> donc avec chaleur ce j, que nous avons pro„ jetté avec cordialité; „ que le ciel, & notre „ confcience ratifient » notre conduite; fai- fons par nos aclions le meilleur commen„ taire de nos idéés ; & laiffons pour précepte ,, d la poftérité, que la » while it increafes our own ; it will chear our foütari re» fleclions , and foothe our lateft moments.—Let us then » profecute with ardour what we have inftituted in fince» rity; Iet Heaven and our own confciences approve o«r M  [ i?8 ] Observations. Lettre Circulaire. J5 gloire des guerriers ne ne fauroit être complète que lorsqu'ils „ favent remplir les de„ voirs de Citoyens. (f) (Signépar orire) G. Washington , Préjïdent. (f)La gloire des Guerriers ne fauroit être compléte que lorsqu'ils favent avant tout remplir les devoirs de Citoyens ! Ici l'on retrouve Washington 3 & le langage qni convient a ce noble & fage bienfaiteur du monde. Après avoir parlé pour fes frères d'armes, il eft revenu au fentiment naturel dont il eft pcnétré pour leurs ainés fes frères de Patrie. La gloire des guerriers ne fauroit être complete que lorsqu ils favent avant tout remplir les devoirs de citoyens. ■>. cor.dud ; Iet our aclions he the beft comment on our woids; and let us leave a letton to pofterity , that the » glory of foldiers cannot be completed , without acling » wcll the part of citizens. » Signed by order, G. WASHINGTON, Presidint,  [ '79 3 Qu'il paffe a la poftérité, ce beau précepte! qu'il foit 1'Aftêt de tout guerrier qui croiroic avoir pu fe liet a une autte Société que fa Patrie ! qui pourroit imaginer quelque oppontion entre fes attachemens & fes devoirs! Si quelqu'un fut digne d'apprendre au monde que la plus belle récompenfe eft dans 1'eftime de fes compattiotes, méritéej & non commandée; que la plus brillante des décorations eft dans la vertu, qui fe fait remarquer d'elle-mème, que la plus noble des chartes eft celle de membre d'une fouveraineté qu'on a eu le bonheur d'éclairer par fa raifon, & de fonder par fa vaillance; c'étoit WASHINGTON. M *   LETTRE DE M. TURGOT, MINISTRE D'ÉTAT EN FRANCE, A M. LE DOCTEUR PRICE. (*) (* ) Annoncéc page 94 (en note) de I'ouvrage précédent, M 3  ,4<  LETTRE de M. TURGOT, Ministre d'Etat in France, Écrite a M. le Docteur P R 1 C E, De Paris , le 12. Mars 1778. M . FRANKL1N m'a remis , Monfienr, de votre pare la nouvelle édition de vos Obfervations fur la Liberté Civil? , Sec. Je vous dois un doublé remereïment , i°. de votre ouvrage, dont je connois depuis long tems le prix , Sc que j'avois lu avec avidiré , malgré les occupaiipns multipliées donc j'étois affadli, lorfquil a paru pour la première fois; i°. de 1'honnêteté que vous avez eue de retrancher 1'imputationde mal adreJfe(:)ciuQ vous aviez mèlée. ( 1 ) Ceci fe rapporte a quelques détails ïelatifs a 1'adminiftration de M. Turgot, qui fe trouvent dans le fecond Traité fur la Liberté civile, £f fur la Guerre d' Amérique dc M. le Docteur Price (p. ijo, &c. ). Dans la preaiière Edition de ce Traité, M. Piice avoit compté le dêfaut d'adrejfe au nombre des caufes du renvoi de M. Turgot. Celui-ci, dans une lettre bien précicufe s informa le vertueux Anglois des véri- M 4  [ i«4 ] au bien que vous difiez d'ailleurs de moi dans vos obfervations additionnelles. J'aurois pu la merker , fi vous n'aviez eu en vue d'autres mal-adreffe que celle de n'a voir pas fu démêler les refforts d'intrigue que faifoient jouer contre moi des gens beaucoup plus adroits en ce genre que je ne le fuis, que je ne le ferai jamais, 8c que je ne veux 1'ètre. Mais il m'a paru que vous m'imputiez la mal-adreffe d'avoir choqué groffièrement l'opinion générale de ma natjon ; & a cet égard je crois que vous n'a- tables raifons qui lui avoient fait perdre fa place. Telle fut 1'origine d'une corrcfpondace qui a duré jufqu'a la mort de M. Turgot, & dont la lettre que le ledeur a fous les yeux fait partie, Que les honnêtes gens, que les hommes éclairés de tous les pays du monde , pleurent 1'ami de 1'humanité , le philofophe , 1'homme grand par fes vaftes connoiflances , trèsgrand par fon génie, plus grand par fes verrus, qui avoit approché les Rois, habité les Cours, traité avec les hommes, Sc confervé de tels ptincipes, de tels fentimens ,de telles opinions} Sc auquel on n'a pas permis de rcftaurer un Royaume dont les fautes ou la fagelle impottent égaiement a 1'humanité !—Je ne connois parmi ceux qui ont gouverné les hommes que Marc-Aurèle digne d'avoir laifle un tel écrit—Marc-Aurèle fit le bonheur du monde, dont il fut, dont il eft adoré j Sc Turgot n'a pas pu refter deux ans Miniftre en France ! Sc Ja génération préfente, la génération honorée de fes travaux, de fes bienfaits, compte encore un très-grand nombre de fes d.4tra£kurs Sc de fes ennemis.!  j 185 ] viez rendu juftice ni a moi } ni a ma nation , ou il y a beaucoap plus de lumières qu'on ne le croic généralement chez vous , Sc 011 peut-être il eft plus aifé que chez vous même de ramener le public a des idees raifbnnables. Jen juge par 1'infatuation de votre nation fur ce projet abfurde de fubjuguer 1'Amérique, qui a duré jufqu'a ce que 1'aventure de Burgoyne ait commencé a lui défiller les yeux. J'en juge par le fyftême de monopole Sc d'exclttfion qui règne chez tous vos Ecrivains politiques fur le commerce (j'excepte Mr. Adam Smith& le Doyen Tucker ) j fyftême qui eft Je véritable principe de votre féparation avec vos colonies. J'en juge par tous vos écrits polémiques fur les queftions qui vous agitent depuis une vingcaine d'années , & dans lefquelies , avant que le vótre eüt patu , je ne me rappelle prefque pas d'en avoir lu un 011 le vrai point de la queftion ait été faifi. Je n'ai pas con$u comment une nation , qui a cultivé avec tant de fuccès toutes les branches des fciences naturelles, a pu refter fi fort au-defTous d'elle-même, dans la Icience la plus intérelfante de toutes , celle du bonheur public; dans une fcience 011 la Liberté de la Preife , dont elle feule jouit, auroit dü lui donner fur toutes les autres nations de 1'Europe un avantage prodigieux. Eft-ce 1'orgueil national qui vous a empêchc de mettre a profit cet avantage ? Eft-ce  t '86- j paree que votis étiez un peu moins ma! que les autres , que vous avez tourné toutes vos fpéculations a vous perfuader que vous étiez bien? Eft-ce 1'efprit de parti, & l'euvie de fe faire un appui des opinions populaires qui a retardé vos progrès en portam: vos politiques a traicer de vaine métaphyjique (i) routes les fpéculations qui tendent a établir des principes fixes fur les droits & les vrais intétêts des individus & des nations ? Comment fe fait-il que vous foyez prefque le premier parmi vos Ecrivains qui ayez donné des notions juftes de la liberté , &c qui ayez fait fentir la fauffeté de cette notion rebattue par prefque tous les Ecrivains les plus républicains, que la liberté confifte i n'ètre foumis qu'aux loix , comme fi un homme opprimé par une loi injufte étoit libre. Ce'a ne feroit pas même vrar 3 quand on fuppofcroic que toutes les loix font 1'ouvrage de la nation affembléej car enfin 1'individu a auffi des droits que la nanon ne peut lui óter que par la vïolence , & par un ufage illégkime de la force générale. Quoique vous ayez eu égard a cette vérité , & que vous vous en foyez expliqué , peut- être méritoit-elle que vous la dévéloppafliez avec plus d'étendue, vu le { I ) Voyez ia lettre de M. Buike au Shérif de Briilol,  C **7 ] peu d'attention qu'y onc donnée même les plus. zélés pattifans de la liberté. C'eft encore une chofe étrange , que ce ne fut pas en Angleterre une vérité ttiviale de dire qu'une nation ne peut jamais avoir droit de gouverner une autre nation , & qu'un pareil gouvernement ne peut avoit d'autte fondement que la fotce, qui eft auffi le fondement du brigandage & de la tyrannie ; que la tyrannie d'un peuple eft de toutes les tyrannies connues la plus cruelle & la plus intolérable , celle qui laifle le moins de reffource a lopprimé : car enfin un defpote eft arrêté pat fon propre intérêt; il a le frein du remords, ou celui de l'opinion publique : mais une multitude ne calcule rien , n'a jamais de remords, & le décerne a elle-même la gloire lorfqu'elle mérite le plus de honte. Les évènemens font pour la nation Angloife un terrible commentaire de votre livre. Depuis quelques mois ils fe précipitent avec une rapidité trèsaccélérée. Le dénouement eft arrivé par rapport a 1'Amérique. La voila indépendante fans retour : fera-t-elle libre & heureufe ? Ce peuple nouveau , fitué fi avantageulement pour donner au monde 1'exemple d'une confticution oü 1'homme jouifle  [ 1*8 1 de tous fes dtoits , exerce librement toutes fes fac'ultés , & ne foit gouverné que par la nature, la raifon Sc Ja juftice, faura -1 - il former une pareille conftitution ? faura -1 - il 1'affermir fur des fondemens éternels, prévenir toutes les caufes de divifion Sc de corruption qui peuvent la miner peu a peu, & la détruire ? Je ne fuis point content, je 1'avoue , des conftitutions qui ont été rédigées jufqu'a préfent pat les différens Etats Américains. Vous reprochez , avec raifon, r. celle de Ia Penfilvanie le ferment religieux exigé pour avoir entrée dans le corps des Repréfentans. C'eft bien pis dans les autres j il y en a une , je crois que c'eft celle des Jerfeys, qui exige qu'on croie a ladivinité de Jefus-Chrift (i). Je vois dans le plus grand nombre 1'imiration fans objet des ufages de 1'Angleterre. Au lieu de ramener toures les autorités a une feule , ( celle de la nanou , ) l'on écabiit des corps différens ; un corps de Rerréfemans, un Confeii , un Gouverneur, ( i) C'eft Ia conftitution de Delaware qui impofc Ia néceffité de ce ferment. Celle de Jerfcy , plus impartiale, ïn> terdit route prcférence de fedte a fedte , Sc accordedes droits & des privileges cgaiix a tous les Protefians—Voyei a. cet égard ci-apres l'ouvragt de M. le Docieur Prke ; & les notes que je me fuis permis d'y joindre.  [ i89 J paree que 1'Angleterre a une Chambre des Communes , une Chambre Haute 8c un Roi. On s'occupe a balancer ces différens pouvoirs ; comme fi cet équilibre de forces qu'on a pu croire nccelïaire pour balancer 1'énorme prépondérance de la Royauté , pouvoir être de quelque ufage dans des Répubüques fondées fur 1'égalité de tous les Citoyens; 8c comme li tout ce qui établit différens corps n'étoit pas une fource de divifions. En voulant prévenir des dangers chimériques , on en fait naitre de réels. On veut n'avoir rien a craindre du Clergé: on le réunit fous la barrière d'une profcription commune. En 1'excluant du droit d'étigibilité , on en a fait un corps , & un corps étranger a 1 Etat. Pourquoi un Citoyen , qui a le même intérêt que les autres a la défenfe commune de fa liberté 8c de fes propriétés, eft-il exclus d'y contribuer de fes lumières & de fes vertus paree qu'il eft d'une profeftion qui exige des lumiètes 8c des vertus ? Le Clergé n'eft dangereux que quand il exifte en corps dans 1'Etat , que quand il croit avoir ea corps des droits & des intérêrs , que quand on a imaginé d'avoir une religion érablie par la Loi , comme fi les hommes pouvoient avoir quelque droit, ou quelque intérêt a régler Ia confcience les uns des autres ; comme fi 1'individu pouvoit facrifier aux avantages de la Socicté civile les opinions aux-  c ï?0 ] quelles il croit fon falut éternel attaché ; comme fi l'on fe fauvoit ou fe damnoit en commun. La oü la vraie tolérance , c'eft-a-dire 1'incompétence abfolue du Gouvernement fur la confcience des individus eftétablie , 1'Eccléfiaftique au milieu de 1'Affemblée nationale n'eft qu'un Citoyen, lorfqu'il y eft admis; il redevient Eccléfiaftique lorfqu'on 1'en exclur. Je he vois pas qu'on fe foit affez occupé de réduire au plus petit nombre poffible les genres d'affaires donr le gouvernement de chaque Etat fera chargé j ni a féparer les objets de légiflation de ceux d'adminiftration générale , & de ceux d'adminiftration particulière 8c locale ; a conftituer des affemblées Iocales fubfiffantes , qui rempliffant prefque toutes les fonótions de détail du Gouvernement , difpenfent les affemblées générales de s'en occuper , & ótent aux membres de celle-ci tout moyen , & peut-être tout défir d'abufer d'une autorité qui ne peut s'appliquer qu'a des objets généraux , & par-la même éttangers aux petites paffions qui agitent les hommes. Je ne vois pas qu'on ait fait attention a la grande diftinórion, la feule fondée fur la nature, entre deux claffes d'hommes } celle des propriétaires des tetres , & celle des non-propriétaires , a leurs intéréts, & par conféquent a leurs droits différens ,  [ '9* ]- relativement a la légiflation , a radminiftration dè la juftice & de la police, a la contribution aux dépeiifes publiques, 8c a leur emploi. Nul principe fixe établi fur 1'impöc. On fuppofe que chaque province peut fe taxer a fa fantaifie , érablir des raxes peribnnelles , des taxes fur les confommations, fur les importations , c'eft-a-dire fe donner un intérêt contraire a 1'intérêt des autres provinces. On fuppofe par-tout le droit de régler le commerce j on autorife même les corps exécutifs ou les Gouverneurs a prohiber 1'exportation de certaines denrées dans de certaines occurrencesj tanc on eft loin d'avoir fenti que la loi de la liberté entière de tout commerce eft un corollaire du droit de propriété; tant on eft encore plongé dans le brouillard des illufions Européennes. Dans 1'union générale des provinces entre elles , je ne vois point une coalirion , une fufion de toutes les parties qui n'en faffent qu'un corps, UN & homogene. Ce n'eft qu'une aggrégation de parties , toujours trop féparéesj & qui confervenr roujours une tendance a fe divifer, par la diverfité de leurs loix , de leurs mceurs, de leurs opinions j par 1'inégalité de leurs forces acf uelles j plus encore  [ 19* ] par Pinégalké de leurs progrès ultérieurs. Ce n'eft qu'une copie de la République Hollandoife , & celle ci même n'avoit pas a craindre , comme la République Américaine , les accroiflemens poflibles de quelques unes de fes Provinces. Tout cet édifice eft appuyé jufqu'a préfent fur la bafe fauffe de Ia rrès-ancienne tk rrès-vulgaire politique ; fur le préjugé que les nations, les provinces , peuvent avoir des intéréts, en corps de province tk de nation , autres que celui qu'ont les individus , d'être libres , & de défendre leur propriété contre les brigands & les conquérans; intérêt prétendu de faire plus de commerce que les autres , de ne point acheter des marchandifes de 1'étranper , de forcer l'étran°-er a confommer leurs produótions & les ouvrages de leurs manufactures ; intérêr prétendu d'avoir un territoire plus vafte, d'acquérir telle ou telle province , relleou telle ïle ^ tel ou tel viliage ; intérêt d'infpirer la crainte aux autres nations; intérêt de 1'emporter fur elles par la gloire des armes, par celle des arts & des fciences. Quelques-uns de ces préjugés font fomentés en Europe , paree que la rivalité ancienne des nations, & 1'ambition des Princes oblige tous les Etats a fe tenit armés pour fe défendre contte leurs voifins armés , & a regarder la force militaire comme 1'objet principal du Gouvernement. L'Amériqne  [ I9i ] L'Amérique a le bonheur de ne point avoir, d'ici abien long-tems, d'ennemi extérieur a craindre , fi elle ne fe divife elle-même ; ainfi elle peut & doit apprécier a leur jufte valeur ces prétendus intéréts, ces fujets de difcorde qui feuls font a redouter pour fa liberté. Avec le principe facré de la liberté du commerce, regardé comme une fuite du droit de la propriété , tous les prétendus intéréts de commerce difparoiffent. Les prétendus intéréts de pofféder plus ou moins de terricoire s'évanouiffent par le principe que le territoire n'appartient point aux nations, mais aux individus propriétaires des terres; que la queftion de favoir fi tel canton , tel viliage, doit appartenir a telle Province , a rel Etat, ne doit point étre décidée par le prétendu intérêr de cette Province ou de cet Etat; mais par celui qu'ont les habitans de tel canton , ou de tel viliage , de fe raffembler pour leurs affaires dans le lieu ou il leur eft plus commode d'aller; que cet intérêr étant mefuté par le plus ou le moins de chemin qu'un homme peut faire loin de fon domicile , pour trai- ter quelques affaires plus importanres , fans trop nuire a fes affaires journalières ,.devient une me- fure naturelle & phyfique de 1'étenduc des Jurif- diótions & des Etats , & écabüt entre tous un équilibre d'étendue & de forces ( I ), qui écarté ( i ) L'inégalité d'étendue Sc de force entre les différens N  [ '9+ ] tout danger d'inégalité & de toute prétention a la fupérioriré. L'intérêc d'etre craint eft nul quand on ne demande rien a perfonne , & quand on tft dans une pofition oü l'on ne peut être attaqué par des forces confidérables avec quelque efpérance de fuccès. La gloire des armes ne vaut pas le bonheur de vivre en paix. La gloire des arts, des fciences , appartient a quiconque veut s'en faifir: il y a dans ce genre a moilfonner pour tout le monde; le champ des découvertes eft inépuifable , & tous profitent des découvertes de tous. J'imagine que les Américains n'en font pas encore a fentir toutes ces vérités, comme il faut qu'ils les fentent pour affurer le bonheur de leur poftérité. Je ne blame pas leurs chefs. II a fallu pourvoir aux befoins du moment, par une union telle quelle , contte un enncmi préfent & rédoutable. On n'avoit pas le tems de fonger a corriger les vices des conftituiions, & de la compofition des différens Etats , mais ils doivent craindre de les éternifer , & s'occuper des moyens de réunir les opinions & les Etats me paroit Ia circonftance Ia plus défavorable cjuoffre la firuation des Américains. Voye^ ci après lts notes a U fuite de l'ouvrage ie M, Price.  t '95 ] intétêts A & de les ramener a des principes uniformes dans toutes leurs provinces. Ils ont a eet égard de grands obltacles a vaincre: en Canada (I) la conftitution du Clergé Romain , & 1'exiftence d'un corps de nobleflTe. Dans la Nouvelle Anglererre, lefprit encore fubfiftant du Puritanifme rigide, & toujours, diton , un peu intolérant. Dans la Peniilvanie, un très-grand nombre de Citoyens établiiïant en principe religieux que la profeffion des armes eft illicite, & fe refufant par conféquent aux arrangemens néceflaires pour que le fondement de la force militaire de 1'Etat foit la réunion de la qualité de citoyen aveccelle d'homme de guerre & de milicien; ce qui oblige a faire du métier de la guerre un métier de mercenaires. Dans les colonies méridionales, une trop gtande inégalité des fortunes, & fur-tout le grand nombre ( i ) II paroic que M. Turgot regaidoic la réunion du Canada a la Röpublique Américaine comme un événement inévitable. Le Canada eft encore a 1'Angleterre; mais ce n'eft pas le philofophe qui s'eft trompé. S'il étoit donné h la politique de faire d'avance ce qu elle fera infaillibUment forcée de faire plus tard, l'Angleterre ne centeroit pas fur le Canada les fpéculations ruineufes dont elle s'occupe ; 5c les vrais amis de la profpérité BritannJcjue s'en réjouiroienc, N x  [ «9f 1 d'efclaves noits , dont 1'elclavage eft incompatible avec une bonne conftitution politique , & qui même en leur rendant la liberté embarrafleront encore en formant deux nations dans le même Etat. Dans toutes , les préjugés , 1'attachement aux formes établies , 1'habitude de certaines taxes , la crainte de celles qu'il faudroit y fubftituer , la vanité des Colonies qui fe font crues les plus puiffantes , & un malheureux commencement d'orgueil national. Jecrois les Américains forcésas'aggrandir, non par la guerre , mais par la culture. S'üs laiffoient derrière eux les déferts immenfes qui s'étendent jufqu'a ia mer de l'Oueft , ( i ) il s'y établiroir., du mélange de leurs bannis & des mauvais fujets échappés a la févérité des loix avec les fauvages, des peuplades de brigands qui ravageroient 1'Amérique , comme les barbares du nord ont ravagé 1'Empire Romain. Dela un autre üanger, la né- ( i ) Par la mer de l'Oueft il faut entendre la partie du nord de 1'Océan Pacifique , & non pa, une vafte mer intcrieure, comme M. Turgot femble le croire d'aprcs MM.de 1'Jflc , Buache, & d'autres Géograplies Franrois, qui, fur les rapports mal compris des fauvages, avoient imaginé cette merde l'Oueft. Ce font les Anglois qui nous ont appris qu'elle n'exifloit pas.  C '97 ] ceffité de fe tenir en armes fur la fronrière , Sc d'êcre dans un étac de guerre continuelie. Les colonies voifines de la fronrière feroienr en conféquence plus aguerries que les autres , & cette inégaliré dans la force militaire leroit un aiguillon terrible pour 1'ambirion. Le remède a cette inégalué feroit d'entrerenir une force militaire fubfiftante, a laquelle toutes les provinces contribueroient en raifon de leur population ; Sc les Américains, qui ont encore toutes les craintes que doivent avoir les Anglois, redoutent plus que toute chofe une armée permanente. Ils ont tort. Rien n'eft plus aifé que de lier la conftitution d'une armée permanente avec la milice , de facon que la milice en devienne meilleure, Sc que la liberté n'en foit que plus affermie. Mais il eft mal aifé de calmer fur cela leurs alarmes. Voila bien des difficultés; & peut-être les intéréts fecrets des particuliers puilfans fe joindrontils aux préjngés de la multitude pour arrêter les efforts des vrais fages & des vrais ciroyens. II eft impoffible de ne pas faire des vceux pour que ce peuple parvienne a route la profpérité dont il eftfufceptible. II eft 1'efpérance du genre-humain •> il peut en devenir le modèle. II doit prouver au monde , par le fait 3 que les hommes peuvent être libres Sc tranquilles } Sc peuvent fe paifer des N 3  L *?* ] chames de toute efpèce, que les tyrans & les charlatans de toute robe ont prérendu leur impofer fous le ptétexte du bien public. II doit donner 1'exemple de la liberré politique, de la liberté religieufe, de la liberté du commerce & de 1'induftrie. L'afyle qu'il ouvre a tous les opprimés de routes les nations doit confoler la tetre. La facilité d'en profiter , pour fe dérober aux (uites d'un mauvais gouvernement , forcera les gouvernemens d etre juftes & de s'éclairer j le refte du monde ouvtira peu-a-peu les yeux fur le nêant des illufions dont les politiques fe font bercés. Maisil faut pour cela que 1'Amérique s'en garantiffe, & qu'elle ne redevienne pas, tomme lont tant répété no;> Ecrivains miniftériels , une image de notre Europe , un amas de puitTances divifées, fe difputant des territoires ou des prorits de commerce > & cimentant continuellement 1'efclavage des peuples par leur propre fang, Tous les hommes éclairés , tous les amis de rhumaniré , devroient en ce moment réunir leurs lumières , & joindre leurs réflexions a celles des fages Américains , pour concourir au grand ouvrage de leur légiflation. Cela feroit digne de vous , Monfieur. Je voudrois pouvoir échauffer votte zèle ; & fi dans cette leute je me fuis livré, plus que je ne 1'aurois dü peut-être, a reffufion de mes propres  ^ées, ce défir a été mon unique motif 3 Sc m'excufera, a ce que j'efpère, de 1'ennui que je vous aurai caufé. Je voudrois que !e Tang qui a coulé & qui coulera encore dans cette quejelle, ne tut pas inutile au genre-humain. Nos deux nations vont fe faire réciproquement bien du mal, probablemenr fans qu'aucune d'elles en retire aucun profit réel. L'accroiffement des dettes & des charges, peur-être la banqueroute de 1'Etat &la ruine d'un grand nombre de citoyens, en feront probablemenr 1'unique réfultar. L Angleterre m'en paroïr plus prés encore que la France. Si,au lieu de cette guerre ^ vous aviez pu vous exécuter de bonne grace dès le premier moment ; s'il étoit donné a la politique de faire d'avance ce qu'elle fera infailüblement forcée de faire plus tard; fi l'opinion nationale avoit pu permettre a votre gouvernement de prévenir les évènemens , en fuppofant qu'il les euc prévus; s'il euc pu confentir d'abord i 1'indépendance de 1'Amérique fans faire la guerre a perfonnej je crois fermement que votre narion n'auroit rien perdu a ce changement, Elle y perdra aujourd'hui ce qu'elle a dépenfé v ce qu'elle dépenfera encore: elle éprouvera une grande diminution pour quelque rems dans fon commerce de grands bouleverfemens intérieurs , li eLle elt N 4  [ i°o ] forcée a la banqneroute ; &c3 qaoi qu'il arrivé, une grande diminution dans 1'influence politique au dehors. Mais ce dernier article eft d'une bien petite importance pour le bonheur réel d'uta peuple ; & je ne fuis point du tout de l'avis de 1'Abbé Raynal dans votre épigraphe (i). Je ne crois point que ceci vous mène a devenir une nation méprifable , & vous jette dans 1'elclavage. Vos malheurs feront peut-être au contraire 1'efTet d'une amputation néceflaït.e ; ils fonr peut-être le feul moyen de vous fauver de la gangrène du luxe & de la corruption. Si dans vos agitations vous pouviez corriger votre conftitution en rendant les éleótions annuelles , en repartiffant le droit de repcéfencation d'une maniére plus égale & plus proporcionnée aux intéréts des repréfentés ; vous gagneriez peut-être autant que 1'Amérique a certe révoiu- ( I ) « Cependant fi les jouiflanccs du luxe venoient a dj pervertir entièrement lesmoeurs nationales;—fi FAngles> terre perdoit fes colonies a force de les étendre , ou de les 33 gêner, elle fcroit tóe ou tard alTervie elle-même.—Ce 33 peuple reflembleroit a tant d'autres qu'il méprife, & » 1'Europe ne pourroit montrer a 1'univers une nation dont » elle osat s'honorer. ^—Hiftoire PhUofopkique f> Politique du Commerce des deux Indes, liv, xix, tom. vi, p. 80. Geneve, 1780.  [ ioi ] cion; car votre liberté vous refteroit & vos autres perres fe répareroient bien vite avec elle & par elle. Vous devez juger 3 Monfieur , par la franchife avec laquelle je m'ouvre a vous fur ces points délicats, de 1'eftime que vous m'avez infpirée , & de la fatisfaóHon que j'éprouve a penfer qu'il y a quelque reffemblance entre nos manières de voir. Je compte bien que cette confidence n'eft que pour vous. Je vous prie même de ne poinr me répondre en détail par la pofte ; car vorre réponfe feroit infailliblement ouverte dans nos bureaux de pofte , & l'on me trouveroit beaucoup trop ami de la liberté pour un Miniftre , & même pour un Mmiftre difgracié. J'ai 1'honneur, &c. (Signé) TURGOT.   OBSERVATIONS SUR L'IMPORTANCE De la Rèvolution de VAMÉRIQUE, E T Sur les Mqyens de la rendreudle au Monde. Par RICHARD PRICE, D. D. IX. D. Membre de la Sociêté Royale de Londres,& de 1'Académie des Sciences & des Arts de la Nouvelle Ansleterre.   AVIS DU TRADUCTEU R. L'OUVRAGE fuivant a pam lorfqu'on finilToit d'imprimer celui qui précède. La réputation de Monfieur le Docteur Price , fi eftirné Sc fi digne de i'être , pour fes excellens écrits fur la Liberté , &fur rArkhmétique politique ; la confiance que lui ont témoignée les Américains, & l'utilité des obfervations qu'il leur confacre comme un dernier témoignage de fon dévouement, m'ont infpiré de les tradtaire. Mais il s'eft rencontré entre fes idéés  [ io6 ] Sc les miemies pluHeurs différences, dont quelques - unes font peut-être fort eiTentielles; Sc quelque défiance que j'aie de mes lumières, fur-tout lorfque je les compare aux fennes, j'oferai dire mon avis; la folemnité de 1'occafion, 1'intérêt de cespeuples dont le bonheur eft fi intéreffant pour 1'humanité; la vérité qui doit paffer avant tout, Sc qui ne naitra jamais que du concours des efforts Sc du choc des opinions , me paroilTent des objets trop grands pour céder a des confidérations d'un autre genre. Je dois a Monfieur Price cette juftice honorable, qu'il m'a prié avec ardeur d'expofer mes objeólions Sc mes doutes a la fuite de fon ouvrage;  [ ^7 ] tant la vérité Sc i'utiiité font le premier but de fes recherches Sc de fes travaux. Je difcuterai donc les opinions du refpectable Citoyendont je m'honore d'etre le Traducteur , avec une liberté égale a mon refpect pour fon caractère, fes intentions Sc fes lumières; Sc j'ai cette doublé fatisfaction , que j ecris mes notes de fon aveu, Sc avec lefecours dun homme très-diftingué. Nous voudrions tous trois; pluileurs Anglois, qui favent, en eftimant Sc fervant leur nation , s'élever audeffus de fes préjugés, voudroient auffi vivement que nous, que les penfeurs Sc les fages de tous les pays fe réuniiTent pour donner des confeils au Nouveau - Monde donc  [ "8 ] Fancien attend fa régénération ; mais qui fe trouve dans une crife plus périileufe peut-être que la guerre qui 1'a précédée. La SagelTe elle-même feroit a peine un pilote digne d'un tel danger. OBSERVATIONS  De Vimportancc de la Re'volurion qui a établi l'Indépendance des Etats-unis. C'EST enfuite d'une conviction fincère que j'ai piis un intérêc très-vif aux fuccès des colonies Angloifesj devenues les Etars-unis de 1'Amérique; Ce fentiment de bienveilJance m'ayant expofé i des cntiques amères, &c même a quelque danger, on fuppofera facilement que j'aitendois 1'évènement avec inquiétude. Je me crouve heureux d'en voir la fin , & d'avoir affez vécu pour être témoin de la paix qui n'a pas cefle d'être 1'objet de mes defirs. Je vois fur-tout avec une fatisfadion profonde la Révolution en faveur de la liberté univerfelle, dont l'Amérique a été le théatrej cette Ré- O OBSERVATIONS SUR L'IMPORTANCE De la RJvolution de L'AMÉRIQUE, E T Sur les Moyeas de la rendre utile au Monde.  4iï0 3 volution qui ouvre une- nouvelle periode dans l'hiltoire du monde; qui préfente aux hommes une grande perfpe&ive , & dont les Anglois eux-mêmes retiteront d'importans avantages, s'ils favent mettre a profit le coup porté au defpotifme de leurs Miniftres } Sc s'ils s'enflamment du faint amour de la liberté qui a fauvé leurs frères d'Amérique. La demière guerre a fair un grand bien dans fon principe Sc dans fes progrès t en femanr parmi les nations des opinions faines fur les droits du genre humaiiij & fur la nature d'un gouvernemenc légitime; en excitant univetfellement eet efprit de refiftance a la tyrannie qui a déja émancipé une des conrrées de 1'Europe, (i) & qui probablemenr en émancipera d'autres \ en donnanr a 1'Amérique un gouvernemenr plus équitable Sc plus ami de la liberté, qu'aucun autre du monde connu. Mais li cette guerre fut utile, la paix qui la termine eft plus falutaire encore. Elle conferve ces ' Gouvernemens favorables qui auroient péri dès leur naiflance, fa 1'Angleterre eut triomphé; elle afliire dans un vafte continent , favorifé de la nature, un afyle auxopprimésde toutes les nations; ( i ) Je fuppofe que TAuteur parle de 1'Irlandc. Note du TraduMeur.  [ tïl ] elle pofe les fondements d'unf Empire qui peur devenir le ficge de la liberté, le fanétuaire de la fcience Sc des vertus; elle nous donne droit d'efpérer que 1'Amérique confervera ce tréfor facré jufqu'a ce que tous les peuples en jouilfenr, & que le rem« arrivé oü il ne fera plus au pouvoir des Rois 3c des Prêtres d'opprimer, ou 1'infame fervicude qui dégrade la terre fera pour jamais exterminée Oui, je crois voir la main de la ProviJence travaillant pour le bien général dans la dernière guerre j Sc je puis a peine m'empêcher de m'écrier: c'ejl l'ozuvre du feigneur. La raifon, auffi bien que la tradition & la révélation, nous porte a croire que le fort des hommes s'améliorera avant la confommation des chofes. Le monde s'eft perfeétionné par degrés : la lumière & la fcience fe font étendues, & la vie humaine des fiècles qui nous ont précédés eft £ celle de nos jours ce que 1'cnfance eft a la jeuneffe voifine de la virilité. La nature des chofes eft telle que cette progreffion doir continuer. Elle peut être interrompue elle ne peut pas être détruite. Chaque ptogrès fraie un chemin a de nou/eaux progrès; unelimple expérience, une feule découverte eft quelquefois la fource de plufieurc connoilfances d'un O i  [ genre plus élevé, & produit foudainement 1'effet d'un nouveau fensj ou celui de 1'étincelle qui tombe fur une trainee de poudre Sc fait jouer une mine. L'homme peut donc arriver a un degré de perfeótion dont notre imagination ne devine pas même la poflibilité. Un fiècle de rénèbres peut ftiivte un fiècle de lumières; mais alors la iumière, pour avoir été cachée quelque tems, brille d'un nouveau luftte. Les beaux fièclesde la Grèce&de Rome ont été fuivis d'une période de barbarie a laquelle fuccède notre age perfecfionné. Certains progrès une fois obtenus ne peuvent jamais fe perdre entièrement. Ceux de 1'antiquité s'étoienr confervés dans 1'obfcurité des fiècles batbates, puifqu'a la renaiffance des letttes; les fciences & les atts ont recouvré une vigueur donr 1'accroiifement rapide diftingue nos tems modernes. Cette réflexion doir plaire a 1'efprir humain, elle doitl'encourager. Un homme de génie obferve dans un jardin les effers de la gravité. Ce hafard heureux lui offre la découverte des loix qui gouvernent les mondes (i), & nous permer de regarder avec une forte de pitié 1'ignorance des tems les (4) Ceci fe rapporte aux détails que l'on trouve fur Ifaac Newton dans la Préface du Doctcur Pemberton.—— VifW of kis Philofophy.  [ *1J ] plus éclairés de 1'antiquité. Quelle nouvelle dignité n'a pas donnée a )'homme,'que n'a pas ajouté a fa puiffance 1'invention des verres optiques, de 1'imprimerie, de Ia poudre, le perfeclionntment de la navigation, des mathématiques, de la philofophie naturelle! Qui auroit ofé imaginet dans les premiers ages du monde que les hommes parviendroient a déterminer la diftance & la grandeur du foleil & des planères ? Qui même au commencemenr de ce fiècle auroit pu penfer que dans peu d'années lhomme acquerroit le pouvoir de foumettre la foudre a fa volonté, ou de planer dans les airs a faide d'une machine aè'roftatique ? Le dernier de ces pcuvoirs, quoique fi long-tems ignoré , eft il autre chofe que 1'application fimple d'un principe familier ? Beaucoup d'autres découvertes paroitront encore, qui procureront a 1'homme de nouveaux moyens d'étendre fa puiffance; & ce n'eft peut-êrre pas trop préfumer que de dire: « fi les gouvernemens civils » n'y apportent point d'obftacleSj les progrès » humains ne s'arrêteront pas que l'ignorance, & » les vices j & la guerre ,. ne foient bannis de notre 33 globe (i ). » (I ) Volei Ia phrafe de Monfieur Ie DcétenrPrice : « and » it may not perhaps be too extrayagant 10 itrugine that O 5  [ fff 1 Parmi les évènemens moderne* qui contribueront a reftaurer le genre humain ., il n'en eft probablemenr aucun qui préfente des conféquences auffi étendues que celui qui eft 1'objet des obfervanons fuivantes. Peut-être pourrois-je foutenir fans crainte d'exagération, qu'après l'inrrodudrion du Chriftianifme , la Révolution de 1'Amérique eft 1'époque la plus imporrante dans le cours progreffif des évènemens humains qui rendent a la perfeérion de 1'efpèce. Cette Révolution peut produire une diffufion générale des vrais principes fur les droics de Phomme, Sc procurer aux nations les moyens de s'affranchir du joug de la fuperftition Sc de la tyrannie, en apprenanr, en démontranr: » » Que rien dans les chofes humaines n'eft fonda»> mental, fi ce n'eft une difcuffion impartiale, une » ame honnête, & la pratique des vertus—que la >s politique d'un Etat ne doic pas avoir pour objet 33 ( should civil govcrnment throw no obftacles in the way ) 33 the progrefs of improvement will not ceafe till it has ex>j cluded from the earth, not only vice and war , b u t 53 even DEATH itfelf, and reflored that paradifaical ij ftate , which, according to the Mofaic hiftory preceded » our prefent ftate. 33 Comme 1'efpérance de chafler la mort du fein des hommes ne m'a point paru s'accorder avec une faine philofophie , j'ai omis cette phrafe.—Note du Traducieur.  » d'otdonner ou de protéger desopinions fpécuianves » & des formules de foi—que les membres (rune „ communauté civile font confedérés , 8c non pas J5 leurs chefs fsrviteurs & non pas/nazVej-— „ que tour Gouvernement légltime confifte dans J} 1'autorité des loix, cgales pour tous 8c faites du _,, confentement de tous; c'eft-a-dire dans 1'autonté „ raifonnable des hommes fur eux-mêmes; &c non „ pas dans 1'autorité d'un homme fur d"autres hom„ mes, ou d'une communauté d'hommes fur une communauté d'hommes.» Le monde fera heureux lorfque ces véritcs feront généralement reconnues & pratiquées. Alors ie bigotifme, cette produétion des enfers, fera bientbz oublié. Les gouvememens, les hiérarchies, qui ourdiffent 1'efclavage , feronr anéantis-, 8c l'on verra enfin 1'accompliffement des vieilles propheties: le dernier empire univerfel fur la terre fera celui de la raifon & de la vertu; l'évangile de la paix (mieux entendu j aura un libre cours, & fera glorifié; plufieurs courront ca & ld, & lefavoir fera augmenté; le loup demeurera avec ïagneau ; le léopard avec le chevreau, & une nation ne tirera plus l'épée contre une autre nation. Je fuis convaincu que 1'indépenJance des colomes Angloifes en Amérique eft un des évènemens O 4  C »i* ] ordonnés par la Providence pour amener ces rems fortunés; & je ne crains pas que mon attente foit dé^ue , fi les Etats-unis échappent aux dangers qui les menacent; s'ils s'occupent fagement des moyens de mettrea profit leur fituation préfentej 8c de I'améliorer. Alors on dira avec vérité, comme on difoit du peuple choifi : quen eux toutes les families de la terre feront be'nies. II eft prefque impoffible que ces peuples aient une trop grande idéé d'eux-mêmes: peut-être n'enfut-il jamais dont on ait dü attendre plus de fagefle& de vertu. Peut-être n'en fut-il jamais auquel la Providence ait dans fes décrets affigné une plus haute importance. Ils ont commencé avec gloire ; ils onr triomphé pour eux, 8c pour le refte du monde. Au milieu des dévaftations d'une guerre périlleufe, ils ont établi un Gouvernement favorable aux droirs du genre humain. Ils ont beaucoup fait—mais il leur refte beaucoup z faire, & beaucoup plus même qu'il n'eft poflible de le dire. Mon deffein dans eet écrit eft de notet feulement les points principaux qui me paroiffent dignes de leur plus grande attention, s'ils veulenr alfurer fur une bafe permanente leur bonheur 3 Sc pro-  [ **7 1 tnouvoir celui du genre humain. Je dirai ce que je penfe avec la liberté qu'autotife la pureté de mes intentions, mais avec une défiance fincère de mon opinion; car j'ai la confciencc de mes foibles lumières.  [ 218 ] DE LA DETTE NATIONALE. Il paroït évident que le premier objet qui doit occuper les Etats-unis eft 1'abolition de ieur detre nationale, & la folde de 1'armée qui a foutenu la guerre. Leur crédit vient de naïtre: s'ils ne le confervent pas., s'ils ne l étendent pas, fa chüte eft certaine , Sc leur réputation , leur honneur national ne peut que tomber avec lui. Heureufement il eft facile de le maintenir. Les Américains ont de grandes reffources intérieures& Territoriales dans un vafte continent qui pofède tous les avantages du fol Sc du climat3 Sc qui contient une multitude de terres non concédées. Lesétabliffemens y feronr rapides , ainfi que 1'augmentation de leur valeur. Si les Etats-unis en difpofent en faveur des rroupes & des émigrans, bientót la plus grande partie de la dette nationale fera éteinte > mais quand ils n'auroient pas cette reffource, ils peuvent fupporter des impöts fuffifans pour la réduire graduellement.. En fuppofant que leurs dettes montent a neuf millions fterlings qui portent un intérêt de cinq & demi pour cent; un impór d'un million payetoit eet intérêt & fourniroit chaque année un excédant  r 2ic, ] d'un demi-million pour une caiffe d'amortiiTement, qui éteindroir le.principal en treize années. Un excédant dun quarc de million feroit la mèrae chofe en vingt ans & demi. Le principal une fois acquitté, Fimpot n'étant plus néceffaire, on pourroic en allcger lefardeauj mais il feroit imprudent defabolir en entier. Cent mille livres fterlings annuellement réfervées, & religieufement employees a défricher les terres non concédées, & a. d'aurres améliorations, deviendroient en peu de tems un tréfor, ou plutöt un patrimoine Continental qui fubviendroit a toute la dépenfe de la confèdération, & qui préfetveroit a jamais les Etars particuliers de dettes & de taxes ( i ). Un tel fonds, a fuppofer qu'en le faifant valoit on en retirat le cinq pour cent, formeroit un capital de trois millions fterlings en dix-neuf ans , ( i ) Les terres , les forêts, les impöts, &c. qui formoient le revenu de la Cwuronne d'Angleterre, fubvenoiet>t a la plus grande partie des dépenfes du Gouvernement. II eft heureux"pour les peuples Britanniques, que par I'extravagance de 1'Adminiftratien Angloife ce domaine ait été aliéné , car il en feroit btentöt réfulté 1'indépendance de la Couronne ; mais en Amériqoe un tel domaine deviendroit une propiiéré continentale, qui pourroit être utilement employée au bien public fous la direftion des repréfentans du peupje.  [ ixo J de trente millions en cinquante-fept ans ■ de "Mnons en quatre-vingt-un ans, de deux cenr , ]UI fa,re Produire « intree de dix pour cent ^0n7tt-ci»^iliio„s en dix-neufans;* milhons enquatre-vingt dix-fepr ans. II eft incroyable quon ne puiffe pas citer un ieul Gouvernement qui air penfé a un moven C nmple d augmenrer fa grandeur & fes ricne(reS! ' 2 P'US leSer fonds d'amortiiTement, s'ii eft fidèle-cnt refpeété, influe fur 1'abolition des dertes, comme Wc de lintérêc fur l'accroilTement d« capual dans Ie eommeree de 1 argent. Une telle relerve eft donc une fpéculation de la plus haute importance (i). Mais fi l'on fe permet de difpofer des fonds en referve, tout eft perdu. L'Angletetre en eft un ( I ) Un fol placé a cin(] pour cent - ,. ?réT & COmbi'^! 3V« compofé , „pporteioit *« «„. miJilo de glüb£s Je cótre ««f, ma, ca cnlé avec Pinter* firnpie, „ JLr rapPorte c,ue fept shellings & fix f0,s. Les Gomet [. -nenc ,es Ws deftines a des rembourfemcns, facrtfl pour a,le proper leur argenr le premier de ces movens au  [ "I ] exemple bien frappant. Les fonds de la caiffed'amortiffement, autrefoisl'uniqueefpéranceduRoyaume, pour avoir éré alienés fonr devenus inutiles & impuiifans. Si on les eüt employés a 1'obiet auquel ils avoient été deftinés, ils auroient, en 1775, augmenté le revenu de 1'Etat de plus de cinq millions par an. Au lieu de cela la narion étoit alors écrafée d'une dette de cent trente fept millions portam prés dequatte millions & demi d'intérêt, qui ne laiffoit dans le revenu de 1'Erat qu'un excédanc de peu d'importance. Cette dette s'eft acctue depuis jusqu'a la fomme de deux cent quatre-vingt millions portant neuf millions & demi d'intérêtj fi l'on y joint les frais de régie. Quelle fatue monftrueufe 1 Si l'on n'emploie pas des moyens efficaces pour réduire cette dette effroyable, de manière a diminuer les inquiétudes publiqueSj il en réfultera, dans un tems ou dans un autre, mais infailliblemenr, d'horribles ccnvulfions. Que eet exemple mémorable ferve de legon aux Etats-unis! Leurs dettes actuelles ne font pas énormes. Une cailfe d'amortiifement a 1'abri de toute malverfation (1) doit bientöt les acquitter, ( z) Quand les fonds publics ne font pas fidékrnent ad-  [ 2 Z Z J & feroit une reflburce aiïiirée dans les occafions les plus importantes. Que ce fonds foit établi; qu'il foit auffi refpeóté que 1'arche du Seigneur 1'étoit chez les Juifs, & les Américains en recevront la même affiftance. Je ne dois cependant pas oublier qu'il eft une de leurs dettes qu'une caiffe d'amorciffemenr ne diminuerapoinr,& qu'ilsne peuvent jamais acquitter: dette plus grande qu'aucune autre nation ait jamais contraótée; dette incalculable3 & qui s'étendra jufqu'a la dernière poftérité. Mais ce n'eft pas une dette dargent; c'eft une dette de reconnoiffance éternelle envers le Général fufcité paria Providence pour établir la liberté & 1'indépendance de 1'Amérique, & donr le nom doir briller parmi les annales furures des bienfaiteurs du genre humain. Les reffources que je viens de propofer préferveront a jamais 1'Amérique d'une rrop grande accumulationde dettes, & conféquemment du fardeaudes impots; maladie mortelle, qui vraifemblablemenr caufera la deftrudion non feulemenr de la Bliniftrés, ils devienncnt le pire des maux, en ce qu'ils donnent aux Gouvernemens toute Co- te de facilité pour coriompre, en lui laiffant la difpofition entière du revenu de 1'Etat.  t*M ] Gtande-Bretagne, mais encore des autres Etats de 1'Eutope. II eft des mefures d'une plus haute importance, que je defire ardemment de voir adopter par les Américains. Ce fonr celles qui tendront a conferver chez eux la paix , 8c a faire des Etats-unis le théatre d'une liberté entière 8c pacifique, ou, fans verfer du fang, on puiffe difcuter les droits de 1'homme.  t "4 ] DE LA P A I X, Et des moyens ds la rendre perpétuelle. L'objet de tout Gouvernement eft de réunir la fagefïe & la force d'une communauté, ou d'une confèdération, pour préferver la paix & la liberté de toute attaque intérieure ou extérieure. Les Etatsunis font parfaitement a 1'abri des invafions du dehors ; mais ils font bien éloignés d'être auffi en süreté au dedans. Le fuccès de leur réfiftance contre la puiffance Britannique, & leur éloignement de 1'Europe ne leur laiffent aucun ennemi étranger i redouter; mais ils font en dangfr des'armer les uns contre les autres, & ce feroit-la le plus grand des malheurs; ils doivent a tout prix le prcvenir, ou 1'Amérique n'offrira bientot que des fcènes fanglantes j & loin d'être le réfuge des autres nations, on ne regardera cette tetre parricide qu'avec horreur. Pourquoi la paix, entre des Etats confédérés, ne pourroit elle pas êtte confervée ou rétablie par les mêmes moyens qui la mainnennent entre lesindividus r Les particuliers portenr eurs htiges a une cour de loi; c'eft-a-dire, a la juftice & a. la fageffe de  L "5 3 de 1'Etat. Cette Cour décide ; les parties condamnées acquiefcent \ fi elles ne le font pas, la puiffance publique les y force Je ne puis nfempêcher de croire qu'il eft poflib e que des moyens du même genre établilfent un jour la paix unive;felle, & banniffent a jamais la guerre de la furface du globe.— Pourquoi nelpérerions nous pas de voir commencer cette grande révolurion chez les Américains i Elle peut dépendre de la rédactjon des articles de la Confèdération. Si un différend s'élève entre quelques Etats, 1'Aéle d'Union otdonne un appel au Congrès. Enquête de la part du Congrès.—II difcute; il décide.—La s'eft arrêté le Légidateur. II aomis cequi étoit le plus effentiel. On n'a rien fair pour donner de la force aux décifions du Congrès, Sc par cela même elles feront inefficaces & frivoles. Je fuis Ioin de me flarter de pouvoir remédier a ce grand défaut de la Légiflation Américaine : il faur beaucoup d'efforts pour y parvenir , Sc l'on n'en fauroit trop faire. Nul doute que le pouvoir du Congrès ne doive être augmenté , Sc fur-tout qu'il ne faille lui donner le droit de ralTembler en certaines occafions les forces des Confédérés , Sc de les employer pour faire exécuter les délibérations de 1'union. Celui  [ **.6* 1 des Etats contre Iequel le Congtcs aura décidé ne balancera point a fe foumettte quand il faura qu'il peut y être contrahit, & qu'il n'a nulle efpérance de réfifter. Mais par la force coa&ive dont jedefire que le Congrès foit invefti, je n'entends pas une armée perpétuelle. A Dieu ne plaife qu'une telle inftitution foit jamais établie en Amérique. Les armées perpétuelles font par-tout le gtand foutien du pouvoir arbittaire, & la principale caufe de 1'aviliffement du genre humain. Un peuple fage ne laiflera point échapper de fes mains le foin de fa propre défenfe, & ne confentira jamais a livrer fes droits a. la merci d'efclaves armés. Les Etats libres doivent former un corps de Citoyens bien armés , bien dirigés , bien difciplinés , roujours prêts a. marcher quand il eft néceffaire de faire exécuter les loix , d'appaifer une révolte , demaintenir la paix. Telle eft j fi je fuisbien informé , la fituation des Américains. Pourquoi donc le Congrès ne feroit-il pas revêtu du pouvoir de demander aux Etats-unis leur contingent d'une milice fuffifante pour forcer a la foumiflion celui des Etats qui voudroit rompre 1'union en réfiftant au jugement de fes repréfentans ? Je fuis bien perfuadé qu'il fera difficile d'empecher que quelques abus ne fe glilfent a la fuite de  [ "7 ] «e pouvoir; & peut-être eftil quelque moyen plus efficace Sc plus sür de remplir le but propofé. Mais dans les affaires humaines, lorfque le choix nous eft offert, de deux maux il faut choifir le moindre. Nous préférons la gêne d'un Gouvernement civilj paree qu'il -ft un mal moins funefte que 1'anarchie: de même dans le cas préfenr le danger de 1'abus du pouvoir qui appuyera quelquefois peut-être des délibérations peu juftes & peu fenfées, eft un mal moindre que les calamités d'une guerre inteftine. Au refle il eft beaucoup de moyens d'obvier a ce danger. Le neuvieme arricle de la Confédéiation ou quelque loi femblable, préviendra en grande parrie les décifions partiales ou trop précipitées. La rotation des Repréfentani établie par le cinquième doit prévenir !a corruption que la longue poffeffion du pouvoir entraine ordinairement avec elle. Le droit réfervé a chaque Ktat de rappeller fes députés quand ils en font mécontens, les maintiendra toujours circonfpe&s & foumis au connöle de l«urs Conftituans. Les obfervations que je viens de faire fur 1'infuffifance de pouvoirs accordés au Congrès, doivent auffi s'appliquer aux finances. II faut qu'il ait le pouvoir de lever les fubfides indifpenfables pour P 2  [ *** ] fubvenir aux dépenfes de la Confèdération ; de contra&er des dettes, d'établir des fonds néceffaires pour les acquitter j & ce pouvoir ne doit pas êtte détruit par 1'oppofition de la minorité dans les Etats. Enfin le crédit des Républiques Américaines, ]eur force, leur eonfidération chez letranger, leur liberté civile & politique , & même leur exiftence dépendent d'une union étroite & folide , qui ne peut fe conferver qu'en donnant tout le poids Sc toute 1 energie poffible a 1'autorité de la députation qui repréfente 1'union , Sc qui la caraótérife. Ne feroit il pas a-propos de faire un examen périodique de chaque Etat, du nombre de fes habitans, de leur fexe, de leurage , de leurs propriétés, de leurs occupations 3 de leurs reffources ? Une telle recherche confignée dans des regiftres fidèles de mariage , de naiffance & de mort, fourniroit les ïnftruétions les plus importantes; montreroit quelle eft la fituation , quelles font les loix 3 les inftitutions, l?s ttavaux les plus favorables a la multiplication , a la fanté , au bien-être , au bonheur de 1'efpèce humaine. Le meilleur, Sc peut • être le feul moyen de déterminer avec certitude Ia propprtion d'hornmes Sc dargent dans laquelle chaque Etat  t "9 ] doit contribuer pour maintenir la Confèdération , ou pour lui donnet plus de force; c'eft d'avoir conftamment 1'oeil fixé fur lesprogrèsde la populction, furl'accroiffement& fur la diminutiondes rellources de chacun des Etats.  C 23® ] DE LA LIBERTÉ. L e premier de tous les inrérêts fans doute eft celui de la liberté. L'objet fur lequel j'infifterai, comme le plus important, eft donc 1'établiffemenc d'un fyftême de liberté parfaite, foir religieufe, foit civile, qui fera de 1'Amérique le pays de la vénté, de la raifon, exempte de préiugés & de contrainte; oü les tacultés humaines auront une libre carrière, & pourront atteindre enfin le terme de la perreótibilité de 1'efpèce. Le libre ufage des faculrés de 1'homme a été dans tous les pays du monde plus ou moins reftreint par 1'intervention de Pauioricé civile dans les matiètes de fpéculation, par les. loix ryranniques contre l'héréfie,par 1'efprit exclufif &dominateurde toutes lesinftitutions hiérarchiques & religieufes. Combien n'eftil pas a defirer que 1'Amérique n'impofe jamais de telles chaines a la raifon! J'obferve avec un plaifir inexprimable qu'il n'y en exifte point encore. Les Légiflations Anglo Américaines font a eet égatd incomparablement fupétieures a toutes les autres; les Etats-unis ont 1'honneur diftingué  [ 1 d'etre les premiers fous le ciel dans lefquels des formes de gonvernemens favorables a Ta libcrcé humaine aient été établies. Telle fut leur enfance ; & que ne peuvent ils pas devenit dans un pétiode plus avancé , lorfque le tems , 1'expérience , & le ' concours des hommes fages & vertueux de toutes les parties du monde , auront introduit dans chacun de ces Gouvernemens les réformes & les améliorations qui les rendront encore plus amis de la liberré, plus propres a augmentet le bonheur & la dignité de 1'efpèce humaine!—Oh } puiffions-nous leur devoir 1'aurore du jour le plus ferein qui ait jamais brille fur la terre! Puiffe le monde fe renou- veller par eux! Mais je m'artète pour n'être pas emporté trop loin par 1'ardeur de mes efpérances. La liberté , telle que je Ia concois, emporte avec elle toute liberté de conduite dans les affaire? civiles,—toute liberté de difculfion dans les matiètes fpéculatives toute liberté de confc'.ence dans celles de religion. — C'eft ainfi que fe compofe la liberté parfaite, qui n'admet d'autte reftri&ion que le tort fait au tiers dans fa petlonne, fa proptiété, ou fa réputation.  Dans Ia liberté de difcuflion je comprends celle d'examiner la conduite des gens en place , aufïibienque les mefures publiques; decrire fur tous les objets de doéttine & de fpéculation, «5c de publier ces écrits.  [ *33 ] DE LA LIBERTÉ DE DISCUTER. L/opinion commune eft que certaines doctrines fonr tellemenr facrées, & d'autres tellement dangereufes dans leurs conféquences , que l'on ne doit pas les difcuter publiquemênt. Mais li certe opinion écoit fondée, toutes les perfécutions poffibles feroient juftifiées: car ii c'eft une partie du devoir des magiftrars civils de ptévenir 1'examen des doctrines de ce genre, il d ivent y travailler d'après leur jugeroent perfonnel fur la nature & fur la tendance de ces doctrines; Sc conféquemment ils doivent avoir le droit d'empêcher qu'on n'argumente fut celles qu'ils croient trop dangereufes ou ttop facrées pour en p.rmetcre la difcuflion. Orils ne peuvent exercer ce droit que de la feule manière dont le pouvoir civil agilfe , c'eft a dire, en infligeant des peines a tous ceux qui combattent des doótiines facrées3 ou qui fouriennent des opinions dangereufes. Ainfi dans le> pays Mahométans le magiftrac civil auroit le droir d'impofer fdence a tous ceux qui nieroient la divine miflion de Mahomet & même de les punir, puifqu on y regarde cette doctrine comme trés facrée. I! en feroit de même des  C ik 3 dogmes de Ia tranfubftantiation , du culte de Ia vierge Marie, &c. dans les pays Catholiques; ainfi que des dogmes de la Trinké & des fatisfactions religieufes, &c. dans les pays Proreftans j & nul ne feroit fondé a réclamer la rolérance. En Angleterre même on a fuivi ce principe; & il y a produit lis loix qui affujettïlTent a diverfes peines quiconque écrir ou parle contre la fuprême Divinité du Chrift , contre Ie iivre des Prières Communes,, ou contre les trente-neuf Articles de leglife Anglicane. Si le principe eft jufte, toutes ces loix font équitables. Mais en réalité le pouvoir civd eft incompétent dans ces matières ; & les adminiftrateursdes humains outre paffent leurs droirs, & dérogent pitoyabiemenr dleur dignité, lorfqu'ils prennent fur eux de protéger Ia vérité de telle ou telle dotftrine; ils ne font point les juges de cette vétité. S'ils prétendent 1'établir ou 1'expliquer, ils fe compromettent. Tels font les vrais principes fur 1'application du pouvoir civil aux points de doctrine ; principes qu'il eft affez facile de faire adopter a tous les peuples, pour tous les pays du monde, excepté pour Ie leur. Mais fi toutes les opinions religieufes ne font pas également vraies; fi c'eft une fuperftition , une idolatrie, une extravagance que la plupart des Gouvernemens protègent fgus  le prétexte ou dans l'opinion de foutenir une verite facrée, & de s'oppofer a des erreuts dangereufes , la neutralité parfaire du Gouvernement en matière de reügion ne feroit-elle pas le parti le plusfage? La liberté ne gagneroit-elle pas infiniment a ce que les chefs de 1'Etat n'euffent d'autre but que de con- fetvet la paix, & fe regardaffent comme chargés des matières féculières, & non des matieres eccléfiafiiques ; du bonheur temftre des hommes ; & non de leur bonheur éternel, du falut de leurs ames & de leur croyance ? L'expérience a prouvé que la conféquence néceffairedu pouvoir de juger la natufe & la tendancs des différentes doctrines, eft d'empêcher infailliblement les progrès de la vérité & le perfedionnement de 1'efpèce. Anaxagotas fut jugé & condamné , pour avoir enfeigné que le folcil & les écoiles n'étoient point des divinités , mais feulementdes maffes cotruptibles. Une accufation a-peuprés femblable prépara la mort de Socrare. Les menaces des dévots & la crainte de la perfécution, onr empêché Copernic de publier pendant fa vie fes découvertes fut le vrai fyftême du monde. Galilée futobligé de renoncer a fa théorie du mouvement de la terre , & fubit un an de prifon pour  1 avoir affirmé. Dans ces derniers tems (i) Ie plus bel ouvrage de philofophie naturelle qu'ait produit lefpnt humain (/„ Principes de Newton) a été defendu a Rome, paree qu'il foutenoit la même doctrine; & fes commentatenrs ont été obligés de précéder leurs écrits d'une déclaration qu'ils ie foumetto,ent a eet égatd aux décifions des Saints lontifes. Telle a éré, telle fera, auffi iong-tems que les hommes feront aveugles&ignorans, 1'efïec de 1'intervention des Gouvernemens civils dans les matières de fpéculation. Quand les hommes fe réuniiïent pour former une fociété , ils ne le font ni pourétablir des vérités metaphynques, ni pour maintenir des formales de toi ou des opinions fpéculatives; mais pour défendre leurs droits civils , & fe protéger muruellement dans le hbre exercice de leurs facultés phyfiques & morales. Donc lorfque 1'aurorité civile intervie.it dans les matières de cette efpèce, elle va diredement contre Ie but de fon infticution. Le vrai moven de favorifer les intéréts du genre humain, de refpeder & d'augmenter fa dignité , c'eft d'encourager les hommes I chercher Ia vérité par-tout ou ils peuvent Ja trouver, & de protéger leurs re- (i ) En 1742.  [ 137 ] cherches contre les méchans & les fuperftitieux. Si quelques feótes cherchent a fe nuire dans leurs conteftations refpectives , le Gouvernemenr doic s'oppofer a leur violence & maintenir impartialement la liberté de chacune d'elles en puniffant ceux qui effayeroient d'y attenter. La conduite de tout magiftrat en cette occafion devroit être celle de Gallio. Ce fage Proconful chaffa de fa préfence les délateuts qui s'étoient faifis violemment de la perfonne de 1'Apotre Paul, en leur difan::—S'il étoit quejlion d'aclions méchantes ou de propos fe'diüeuXy la raifon me dicleroit de vous écouter: mais ce n'ejl ici quune quejlion de mots ; il s'agit de votre doctrine : c'eft d vous d'y regarder ; je ne fuis point juge dans les matières femblables ! — Combien le monde auroit été plus heureux fi tous les magiftrats eiuTent agi de même! Que 1'Amérique pronte de cette importante legon , & de 1'expérience des fiècles ! La diffidence des opinions & des doctrines établies a troublé horriblement la fociété f produic de grands maux, & fait verfer des flots de fang; mais il ne faut point oublier que ces troubles n'ont eu lieu que pat 1'intervention du pouvoir civil, qui a voulu faire recevoir par force des points de doctrine abandonnés depuis. Si le Gouvernement eüt fait fon devoir, s'il euc établi Ia liberté de confcience, s'il eut ouvert un champ libre a 1 argumeu-  [ ] ration au lieu de s'y oppofer , le mal fe feroit arrêté de lui-même, & les hommes auroienr fair infinimenr plus de progrès dans les Sciences & dans les Arts. Quand le Chriftianifme , le premier & le meilleut de tous les moyens pour faciliter les progrès de 1'efpèce humaine > commenca a pénétrer dans le monde, on prétendit qu'il devoit le boulevetfer. Les chefs des religions Juive & Païenne prirent 1'alarme; ils s'opposèrent a fa propagation, 8c firent d'une religion de paix 8c d'amour, une fource de violences & de meurtres. Par ia fut accomplie Ia prophétie du Chrift : Qu'il étoit venu non pour envoyer la paix , mais une épee fur la terre. Tous ces défordres furent I'effet du mauvais emploi du pouvoir civil, qui, loin de donner naifTance a. de tels maux , devoit les prévenir, & n'employer l'aéHvité du Gouvernemenr qu'a préferver les Chrétiens de toute inlulte, & a leur procurer les moyens d'êrre écoutés fans trouble.—On en peut dire autant au fujet des premiers réformateurs. Mais ce qui auroit été auttefois évidemment fage, de la part des Gouvem^mens Païens &Catholiques relativement au Chriitianifme 8c a la réformation , ne 1'eft-il pas de même aujourd'hui pour  L 139 1 les Gouvernemens Chrétiens ou Proteftans, relativement a une religion nouvelle, ou a touté autre doctrine oppofée a celles qu'on regarde parmi nous comme facrées? De nouvelles religions, de nouvelles dodrines, fi elles nW pas pour elles la raifon, ou même 1'évidence, fe décréditeront bienrot d'elles-mêmes; 1'impofture ne foutiendra jamais une difcuflion libre & éclairée; tandis que la vérité ne peut qu'y gagner. Le Mahométifme feroit tombé dès fa naiflance, fi 1'onn'eut employé d'autre force que celle de 1'évidence pour le propager; & 1'argument le plus viótorieux en faveur du Chriftianifme, c'eft qu'il s'eft répandu fucceffivement par 1'évidence feule, en oppofition aux plus grands efforts du pouvoir civil, jufqu'au point de deyenir la religion univerfelle au période ou le monde eft le plus éclairé. II ne peut pas exifter une preuve plus fatisfaifante que la liberté de la difcuflion fuffit pour détruire 1'erreur, & pour répandre la vérité. Je fuis cruellement affligé lorfque je vois des Chrétiens invoquer le pouvoir civil pour défendre leur religion. Rien ne la dégrade autant. Si elle a befoin d'un tel fecours, elle ne peut pas être divine. Sa corruption & la dégradation datent du moment oü lc Gouvernement civil 1'a prife fous fa proteótion; & cette corruption , cette dégtadation fe font aggravées jüfqu'a  C '4* ) ce que la théorie du vrai Chriftianifme ait été conve.t.e en un fyftême d'ibfurd.té & de fupetftinon pk;s grofligs & plus barbare ,e p mfme même. La religion du Chrift ne doit avoir aucün rapport avec les établiffèmens civils de ce monde, &leurunion lui a beaucoup nui. Aulieudecontraindre au filence les incrédules, qu'on lesencou«ge au contraire a produire leurs plus forts argumens. Ce qui s'eft parté fur ce fujet en Angleterre montre afTez que ceft-la le moyen le plus sur de faire mieux connoitre, comprendre & c.oirela religion Chrétienne. . Je "e crai»drois pas d etendre ces obfervations a ]°aS hs P°ints de '» foi , quelque myftérieux qu ils puifTent être. Ce qui eft raifonnable ne peut «en perdre a être d.fcutc; roure doctrine vraiment facrée doit être fufceptible d'une démonfcra«on qu,bra-,e les objeéhons. L'autorité civile ne lui eft nullement néceflairej elle n'inrerviendra jamai. que pour foutenir desabus, ou protéger de faufTes mterprétations. Le pré exte qu'on a tant allégué pout défendre la difcuflion publique d'une infimté de doétrines, «ft leur preteuduc immoralité. Mais cette immo- ralité  [ mi 1 ralité réfulce directemenc & irnmédiatement de Ia doctrine accufée, ou elle n'exifte que dans les conféquenceséloignéesou indiredes qu'on lui actribue. Dans le premier cas, de telles dodrines ne fe répandront jamais parmi les hommes; les principes empreints au fond de leur ame de la main de Ia narufe les feront rejerter; & ceux qui les répandront n'obtiendtont que du mépris. Si au contraire on ne condamne ces doctrines que pour des conféquences éloignées ou indiredes., il faut confidérer qu'il n'eft point de fedte qui ne rejette le même blame, & n'atrribue de mauvaifes vues a toute autte doctrine que la fienne. Qui ne fait que les Calviniftes & les Arminiens , les Trinitaires & les Sociniens , les Fataliftes 8c les partifans du Libre Arbitte déclament continuellement contre les conféquences dangereufes & licentieufes de leurs doctrines refpectives? Le Chriftianifme même n'a pu échappera de telles accufations. Ceux qui le profeffoient furent a fa naiffance regardés comme des Athées , paree qu'ils condamnoient 1'idolarrie: leur zèle religieux étoit, difoit les païens, un enthoufiafme pernicieux & deftructeur. En un mot, fi les chefs de l'Ecac ont droit d'empêcher la propagation des doctrines donc i!s appréhendent la tendance immorale, la carrière Q  [ Mi ] eft onverre a toute perfécution. II n'y auta point de doctrine , quelque vraie^ quelque importante qu'elle puilTè être, dont leszélateurs ne fe trouvent alfujettis aux peines civiles dans un pays ou dans un autre. Sans doute il eft des doctrines dont les principes bleflent la faine morale; mais la morale des opinions fpéculatives a fouvent peu d'effet dans la pratique. L'auteur de Ia nature a imprimé dans le cceur & dans i'efprit humainSj des principes & des fenfations qui déttuifent infailliblement 1'eftet de toute théorie qui femble les contredire. Chaque fecte, quelques foient fes dogmes, a toujours quelque exception qui fuppofe la néceffné de la vertu. Les philofophes, qui foutiennent que la matière 8c le mouvement n'ont d'exiftence que dans nos idéés , ne croient a cette théorie que dans leur cabiner. II en eft de même de ceux qui foutiennent que rien n'exifte que la matière & le mouvement; que 1'homme n'a par lui-même aucun pouvoir décerminé; qu'un deftin inflexible gouverne toutes chofes, que chaque individu n'eft que ce qu'il ne peut pas éviter d'êtte; qu'il ne fait rien que ce qu'il ne peut pas éviter de faire. Ces philofophes n'agiflent-ils pas dans Ia fociété comme les autres hommes? Le lens commun, Ia  [ M3 ] raifon commune, ne manquera jamais de 1'emporter fur leur théorie j & je connois beaucoup de ces philofophes qui fonr de très-honnêces gens, 8c les amis les plus chauds du véritable incérêt de la fociété. Leur doctrine femble conduire au vice ; leur pratique eft un exemple de vertu; & le Gouvernemenc qui voudroit leur impofer filence fe feroit du mal a lui-même. En un mot il n'y a que les actes d'injuftice, de violeuce, ou de diffamation piéméditée, dont le pouvoir civil doive prendre connoiflance. Si j'étois magift rat, 8c qu un particulier prêchat au milieu de Londres que la propriété eft fondée fur la grace, je le laifferois prêcher tranquillement auffi long-tems qu'il ne feroir qu'enfeigner , fans rien craindre finon qu'il trouvat bientót un logement a Bedlam; mais s'il étendoit les conféquences de fa doctrine jufqu'a fe permetrrej en fa qualité de faint, de filouter, je croirois de mon devoir de le faire arrêter comme voleur, fans examiner fon opinion ou fa théorie. Je (nis perfuadé qu'il ne réfultera que peu ou point d'inconvéniens d'une telle liberté. Si les magiftrats font leur devoir a la première violence; s'ils interpofent le pouvoir civil dès 1'inftant ou quelques act es publics dctruitont la paix; la neu- Q 2  [ 144 ] tralité qu'ils auront gardée jufques la n'aura nul danger: &c fallüt il accorder qu'au moyen d'une telle liberté 1'autorité civile fera rallentie dans fes opérations, on n'en pourroit pas conclure que cette liberté ne doit pas être accordée ; mais qu'il faut opter entre deux maux, le moindre defquels doit fans doute êtte ptéféré. L'un n'eft que le défaut de rapidité dans les opérations du Gouvernemenc: 1'autre renferme chacun des maux qui pourra naïtie de l'erreur des adminiftrateurs érigés en juges de la tendance des doctrines, foumettant toute liberté de recherche & de difcuflion au controle de leur ignorance, 8c perpétuant 1'obfcurité, 1'intolérance & 1'efclavage. Je n'ai pas befoin de dire le que! de ces maux eft le plus grave.  [ «45 3 De la liberté de Confcience, & des établijfemens civils conccnant la Religion. D A N S la liberté de confcience 3 je renferme beaucoup plus que la tolérance. Jéfus-Chrift a érabli une égalité patfaite entre fes difciples. Son commandement eft qu'ils ne s'artribueronr ausone jurifdiétion Van fur 1'autre, & qu'ils ne reconnoitront d'autre maicre que lui-même. C'eft donc une préfomption orgueilleufe dans quelques-uns d'eux de reclamer un d'oir de fupériorité ou de prééminence fur leurs frères; & cette réclamation eft fuppofée de leur part, quand ils préten Jent les tolérer, Non-feulement tous les Chrétiens, mais rous les hommes de toutes les teligions, doivenr etre confidérés par 1'Etat comme ayant un droit égal a fa protection, autanc qu'ils fe comportent honnêtement & paifiblement. La tolérance ne peut donc avoir lieu que dans les pays oü il y a un établilfement civil pour une forme particulière de religion; c'eft-a-dire, ou une fedle dominante jouit d'avantages exclufifsj fait entrer comme une partie effentielle dans la conftitution de 1'Etat 1'encouragement a fuivre cette forme de créance & de culte, & juge eependant CDnvena- Q  [ 246- ] • ble de tolérer 1'exercice des autres tormes religieufes. Graces a Dieu, les nouveaux Etats de 1'Amérique font.a. préfent étrangers a de tels établiffemens. A eet égard , ainfi qu'a beaucoup d'autres , ils ont moncré j en réglant leurs conftitutions, un degré de fageffe & de libérté qui eft au - deffus de toute louange. Les établiifemens civils qui fixent les formules de foi & de culte, font incomparibles avec les droits de la liberté individuelle; ils engendrent les difputes; ils font de la ttligion un trafic; ils fervent d'appui a. Terreur; ils produifent 1'hypoctilie & la prévarication ; ils détournent 1'efprit humain de Ia rectitude qui doit diriger fes recherches; ils arrêcent les progrès de la vérité. Une religion pure eft un intérêt qui n'exifte qu'entre Dieu & nos ames. Cet intérêt ne peut recevoir aucun fecours des inftitutions humaines. 11 eft fouillé auffi-tót que des loix & des motifs mondains y mêlent leur influence. Les hommes d'Etat ne doivent 1'appuyer quen monttant dans leur propre conduite une attention fincère pour cet intérêt, fuivant les tormes qui s'accordentle mieux avec leur propre jngement, & en encourageant leurs compatriotes a lesimiter. En qualité d'hommes publics ils ne peuvent rien de plus. Tout ce qui eft au-de-  L 247 ] la, tout ce qui eft infiuence pvèlique dzns la religion} a produit les conféquences les plus facheufes & fait un mal effentiel a la religion mème. L'établiffement civil de 1'églife en Angleterre eft l'un des plus doux qui exifte. Cependant, la même, quel piège n'a t-il pas éré pour la bonne foi? Quel obftacle aux recherches libres? Quelles difpofitions favorables au defpotifme n'a-t-il pas nourries ? Quel penchant a 1'orgueil, a la vanité , a. la domination n'a-t-il pas donné aux eccléfiaftiques ? Quels combats n'a-t-il pas ptoduits en eux pour accomoder leurs opinions a la foumiffion & aux fermens qu'il impofe ? Quel abus de fcience n'a-t-il pas occafionhé pour défendre des fymboles aujourd'hui hors d'ufage, des abfurdités reconnues? Quel fardeau n'eft-il pas pour la confcience de plufieurs des membres les plus eftimables du Clergé, qui forcés da ie foümettre a un fyftême qu'ils n'approuvent pas, Sc n'ayant d'autre moyen de fubfifter que celui qu'ils tirent de leur état en fe conformant a ce fyftêroe , fe ttouvenc dans la néceffité cruelle, ou de prévariquerou de tomber dans la misère? Perfonne ne doute que le Clergé Anglois en général ne put déclarer qu'il ne doune pas fon confentement fincère a. ehacune des chofes contenues dans les- trenre-neuf Q4  [ z4S ] Articles, &r dans le Hvre des Communes Prières, avec plus de vérité qu'il ne déclare qu'il le donne; & cependant ce n'eft qu'après cette déclaration folemnelle que fes membres peuvent entrer dans un office, qui, par-delfus tous les autres, exige que ceux qui 1'exercent foient des modèles de fimplicité & de fmcérité.—Quel honnête homme peut s'empêcher de maudire la caufe d'un tel mal ? Mais ce que je defire de démontrer, c'eft la tendance des infticutions religieufes a empêcher le perfeétionnemenr de notrè efpèce. Ces inftitutionsfont des bornes prefcrites paria folie humaine aux recherches des hommes; elles font des obftacles qui inrerceptent la lumière & bornent 1'exercice de la raifon. Que l'on imagine quelle peut être 1'influence de tels établiffemens fur la philofophie , fur la navigation, la métaphyfique s la médecine ou les mathématiques 1 Quelque chofe de femblable a eu lieu dans Ia Iogique 8c dans la philofophie. Qu'on en confidère les elfets. Le ipfe dixit d'Ariftote & les abfurdités de 1'Ecole maintenoient une autotité pareille d celle des confeffions de foi des eccléiiaftiques. La confequence en a été que le monde a refté plus long-tems dans 1'ignorance Sc la barbarie des  [ *49 ] fiècles de ténèbres. Mais les écabliffemens civils de religion font encore plus pernicieux. Le genre humain eft fi difpofé a fe former une fauffe idéé du caracTrère de la divinité, a. faire dépendre fes faveurs de quelques formules particulières de foi, qu'on doit néceffairement artendre qu'une religion ainfi établie fera ce qu'elle a été jufqu'a. préfent, une fuperftition fombre Sc cruelle , portam le nam de religion. On a long-tems difputé pour décider lequel eft le plus dangereux par fes effets fociaux d'une telle religion, ou de 1'athéifme fpéculatif. Pour moi, je donnetois prefquela préférence au dernier. L'athéifme eft fi oppofé a tous les principes du fens commun, qu'il ne gagnera jamais beaucoup de terrein, ou ne deviendra point dominant. Au contraire, il y a dans 1'efprit humain une pente particuliere a la fuperftition , & rien ne peur plus vraifemblablementdominer les hommes. L'athéifme nous laiffe entièrement a Tinfluence de la plupart de nos fenfations naturelles Sc des principes de fociabilité; & cette influence eft fi forte dans fon aétion , qu'en général elle préferve fufnfamment 1'ordre de Ia fociété. Mais la fuperftition combat fes principes, en repréfentant les hommes les uns aux autres comme des objets de Ia haine  [ 2 50 ] divine, en les engageant a fe tourmenter, i impofer filence a leurs femblables., a emprifonner, a briïler leurs frères pour rendre fervice a Dieu. L'athéifme eft un fanctuaire pour le vice^ en ce qu'il óte a la vertu les motifs qui naiffenc de Ia volonté de Dieu & de la crainte d'un jugement a venir: mais la fuperftition eft plusfunefte encore , paree qu'elle enfeigne aux hommes qu'on peut plaire a Dieu fans vertus morales, & qu'elle les conduit même a compenfer leurs crimes par des rites, par des expiations & des mortifications corporellesj en ornant des reliquaires, en entreprenant des pélerinages, en récitant un grand nombre de prières, en recevant 1'abfolution des prêtres, en exterminant les hérétiques, &c.— L'athéifme détruit la faintcté & 1'obligation du ferment: mais n'eft-il pas une religion ( car on lui a donné ce nom ) qui ptoduic le même effet, en enfeignant qu'il eft une puilfance qui peut difpenfer de 1'obligation du fetment, que les fraudes pieufes font juftes & qu'on ne doit point gatder la foi donnée aux hérétiques? Certainement il n'eft qu'une religion noble 8c raifonnable; c'eft la religion fondée fur de juftes notions du Grand Etre, qu'elle nous repréfente comme reszardant du même ceil fes finccres ado-  I rateurs, & les favorifant tous également, autant qu'ils fe conduifent fuivant les lumiétes dont ils font doués. Cette religion confifte dans 1'imita» tion des perfeótions morales du Gouverneur de la nature , tout-puiffant mais bienveillanr, cV qui dirige tous les évènemens pour le mieux ; dans la confiance aux foins de fa providence, dans la réfignation a fa volonté., & dans 1'exercice fidéle de tous les devoirs de la piété & de la morale, par la confidération de 1'autotité du grand rémtinérateur, & par la crainte d'une jufte rétribution a venir.—Cette religion, principe adtif de tout ce qui eft beau, bon, fatisfaifant, n'eft que 1'amourdeDieu, des hommes & de la vertu, qui échauffe le cceur, & dirige la conduite: elle peut feule faire le bien de lefpèce & 1'avantage de la fociété. C'eft cette religion que tout ami éclaité du genre humain enfeignera & propagera avec zèle : mais c'eft une religion que les puiffances de la terre connoiffent peu, & qui fera roujours d'autant plus floriffante qu'elle fera lailfée libre & a découvert. Je ne puis m'empêcher d'ajourer ici que telle eft la Religion Chrétienne. Le Chrillianifme nous enfeigne qu'il n'y a qu'un feul être bon, c'eft Dieu t qu'il veut que tous les hommes foient fauvés, &c  [ J qu»I nepunira que Ie crime; qu'il veut rmféricorde & non facrifice; bienfaifance plutot que cérémonies; que 1'aimer de tout notre cceur, aimer notre prochain comme nous-mêmes, eft la fomme de nos devoirs; & que dans chaque nation celui qui Ie craint, & qui fait ce qui eft jufte, eft bien re$u de lui. Le Chriftianifme appuie fon autorité fur la puiffance de Dieu, non fur celle de I'homme; il sen rapporre entièrement pour 1'inftruétion des mortels a leur inrelligence. II nous fait les fujets d un Royaume qui n'eft pas de ce monde ; i! nous demande delever nos -efprits au-deffus des avanrages temporels, & d'afpirer a un érat de pureté & de récompenfe au-dela du tombeau, oü les ames vertueufes feront élevées, fous. ce Meffie qui a cprouvé la mort pour chaque homme. Qu'eftce que les puiffances de la terre ont de commun avec une telle religion ? Cette religion eft née & s'eft érendue malgré ces puiffances, elle s'eft defhonorée & avilie lorfqu'elle a été fontenue par elles. On peut entrevoir, par les confidérations fuivantes, le torr que les inftitutions eiviïes font au Chriftianifme,  .'1*5* 3 i°. L'efpric des écablillèmens religieux eft un i efpric d'orgueii & de tyrannie, contraire a l'efpric humble du Chrétien ; un efprit étroit & perfonnel, contraire a l'efpric de bienveiliance étendue dn Chrétien • un efprit terreftre , contraire a l'efpric célefte du Chrétien. 2.°. Les étabüffemens religieux font fondés fur une prétention d'autotité dans 1'Eglife Chrétienne, j qui renverfe 1'autorité de Jefus-Chrift. II a donné i afes difciples, dans 1'Ecricure fainte, un code de I loix auquel il leur demande de s'attacher comme a leur feul guide. Mais le langage de ceux qui fori ment les établiffemens religieux eft au contraire: « Nous avons 1'autorité dans les controverfes de » foi, & le pouvoir de décider des rites & des » cérémonies : nous fommes les députés du Chrift » fur la terre; nous avons recu de lui la commif» fipn d'interpréter fes loix, & de diriger fon » Eglife. Vous êtes donc obligés de nous obéir. » Les Ecritures font infuffifantes. Vous devez re» cevoir nos interprétations comme les loix du » Chrift: nos confeffions de foi font fa doétrine , » & nos inventions font fes inftitutions. » II eft évident, comme 1'excellenc Hoadly 1'a  montré ( i ), que ces prétentions otent a JefusChrift le gouvernement de fon propre Royaume , & placent des ufurpateurs fur fon rróne. Elles font dérogatoires a 1'honneut qui lui appartient, & l'on (i) Voyez fes écrits polémiques dans la Controverfe , appellée en Angleterre the Bangorian controverfy; paree que Hoadly étoit Evêque de Bangor quand il prononca devant George 1, en 1717, un fermon célèbre fur la nature du royaume de l'églife du Chrift (*;, dont le texte étoit: mon royaume nefi pas de ce monde ; & que ce fermon fut 1'origine d'une difpute théologique entre lui & Sherlock} Evêque de Londres, & plufieurs- autres partifans de la hiërarchie eccléfïaftique. La controverfe Bangorienne fit éclore environ quatre eens pamphlets, & n'a pas peu cor.tribué a augmenter en Angleterre la liberté des opinions en matière de religion. II eft a remarquer que la familie régnante venoit d'etre appellée au tröne ; & que Guillaume & George I. ont fort encouragé les principes favorables aux révolutions, & conféqtiemment propres a juftifier leur avénement alacouronne. Auffi 1'Evêque Hoadly &l les Diffidens trouvèrent-ils de I'appui a la Cour lorfque l'ArTemblée du Clergé montra un grand acharnement a les perfécuter; & cette aiTembléc fut difloute. Depuis cette époque , le Clergé Anglican s'affemble encore , mais fa Convocation } car c'eft ainfi que l'on appelle fon affemblée, n'eft de nulle conféquence , paree que le Roi la proroge aufli-tór.—Au refte, on dit en Angle- (*) The nature of the Kingdom ot Chutch of Chrift; a fermon preached before the King, March.31, 1717,  [ *55 ] ne peur s'y foumettre fans manquer a 1'obéiiïance qui lui eft due. Elles ont prefque été fatales au vrai Chriftianifme; & c'eft en tdchant de le foutenir par des peines civiles que les gouvernemens ont inondé le monde Chrétien du fang desfaints &des marcyrs. 3°. La difUculté d'introduire des changemens dans les ctabliflemens religieux , lorfqu'ils fonc formés eft une autre objeórion contr'eux ; car il arrivé qu'ils reftcnt toujours les mêmes, au milieu de toutes les variations des mceurs Sc des opinions publiques, ( i) Sc qu'un peuple peur perfifter pen- terrc que les principes de liberté religiën fe Sz politique qua favorifoient Cuillaume & George I. font très-afToib!is a Ia Cour ; & rien n'eft moins furprenanr; car tels principes qu'on protégé immédiatement après une révolution , perdent leur faveur lorfqu'on a pour foi ie confcntement univerfel & la prefcription.—Hoadly eft né en 1676, & mort 'en 1761.—Note du Traducieur. ( 1 ) C'eft un inconvénient qui fe trouve dans les établiffemens civils , aulfi-bien que dans les établiffemens religieux , Sc dont les nouvelles cor.ftitutions des Américains fe font préfervées avec beaucoup de fagclfe. En décidant qu'il en fera fait une révifion a de certaines époques, on laiffe toujours une place aux améliorations, fans courir Ie rifque des convulfions qui accompagnent ordinairement la correction des abus quand ils ont acquis la fandion du tems.  C M* l dant des fiècles dans un culte idolatre , après avoir acquis la convid.on qu'il n'y a qu'un feul objet de culte religieux, favoir Dieu , qui eft le père de notre Seigneur Jefus Chrift. Quel funefte fpedacle d'hypocrifie religieufe doic produire une telle difcordance entre ïa conviétion générale & les formes publiques! Aujourd'hui, dans quelques Etats de 1'Europe, 1'abfurdité fervile des hiérarchies religieufes eft reconnue; mais comme elle eft incorporée avec 1'Etat, il eft a peine poffible de s'en affranchir. Quoi de plus frappant, a cet égard, que la fituation de TAngleterre? Le fyftême de foi Sc de culte, qu'on y voit établi, étoit formé il y a plus de deux eens ans, quand 1'Europe forroir a peine des ténèbres & de la barbarie. Depuis cette époque les lumières ont fair des progrès continuels, mais fcns aucun efFet fur cet établiiTemenr: nul rayon de cette lumière toujours croiffante , ne 1'a pénétré; aucune imperfeétion, quelque groffière qu'elle füt, n'a été corrigée. On foufcrit aux mèmes articles de foi; on pratique les mèmes rites de dévotion : il eft fort a craindre que l'on n'ait fouvent recours a tabfolution des malades, qui forme une partie de ces rites } comme a un pafteport pour le «el ., après une vie coupable; Sc cependant on la conferve  [ ht J conferve. Peut-être jamais rien de plus choquant pour la raifon & pour 1'humanité 3 que les claufes de condamnation du fymbole de S. Athanafe qui fait partie d'un fyftême religieux; & cependanc 1'obligation du Clergé de déclarer fon confentement a ce fymbole, & de le lire comme une partie de la dévotion publique, fubfifte encore. La conféquence néceffaire d'un tel état de chofes eft que, 4°. le Chriftianifme lui-même eft deshonoré; & Ton en vient a confidérer route religion comme une rufe d'Etat, & une barbare momerie. II eft bien notoire que dans quelques Royaumes catholiques il y a peu de Chréciens dans Ia claffe d'hommesja plus élevée. Dans ces pays. Ia Religion de 1'Etat eft confondue avec la Religion de 1'Evangile. Ce mélange montre une inattention criminelle dans ceux qui commettent une telle erreurj car ils devroient confidérer que le Chriftianifme a été exceffivement corrompu , & que pour en avoir des idéés faines, il faudroit ne les prendre que dans le Nouveau Teflament. II eft cependant fi naturel de : confondre le vrai Chriftianifme avec la forme i qu on lui a donnée dans rous les établiffemens reli; gieux, qu'une telle erreur ne peut manquer d'arri. ver, 8c de produire de trés - facheufes conféquences. R  l ] II y a probablemenr un plus grand nombre de Chrétiens raifonnables ( c'eft-a-dire, de ceux qui le font d'après leur examen) en Angleterre que dans tous les pays catholiques. La raifon en eft, qu'ici 1'établiflement religieux eft le Papifme réformé , & qu'un corps confidérable n'y adhère point, mais qu'il s'applique au contraire a montrer Ia néceflité de faire une diftinótion entre le Chriftianifme établi par les loix , Sc celui qui eft enfeigné dans la Bible.—II eft certain que jufqu'a ce que eette diftinótion foit faite } le Chriftianifme ne pourra recouvrer ni fon influence lcgitime , ni fon utilité. Tels font donc les effets des inftitutions civiles pour la Religion.—Puiffe Ie Ciel y mettre bientór une fin! Le genre humain ne fera jamais généralement fage., vertueux , heureux , jufqu'a ce que cesennemis de fa paix & de fon perfeótionnement foient renverfés. Graces a Dieu, ils s'affoiblilfent a mefure que les lumières font des progrès. Qu'ils ne fe montrent jamais en Amérique ! Qu'un monftre tel que V autorité humaine en matière ie Religion n'y foit jamais connu 1 Que tout homme honnête Sc paifibie, quelie que foit fa foi, y trouve protection ! Qu'il y trouve une défenfe affurée contre les attaques du bigotifme Sc de I'intolérance!—  I Puifle la religion fleurir dans les Etats-unis! Ils ne fauroient fans elle être vraiment grands & heureux. Mais que ce foit une Religion meilleure que Ia plupart de celles qui ont été jufqu'a préfent profeffées dans le monde ! Que ce foit une Religion qui renforce les obligations morales; non une Religion qui les relache, ou les élude : une Religion tolérante & vraiment catholique; non une rage pour le profélytifme : une religion de paix & de charité; non une Religion qui perfécute, qui maudit & qui damne ! En un mot, que ce foit Ie' pur Evangile de paix, qui élève au-deffus de ce monde , qui échauffe le cceur par 1'amour de Dieu & de fes créatures, qui foutient la fortitude des gens de bien par 1'efpérance affurée d'une délivrance furure de la mort, & d'une récompenfe infinie dans le Royaume éternel de notre Seigneur & Sauveur. On peut conclure des obfervations précédentes, qu'd eft impoffible que je n'admire pas I'arcicle fuivant, dans la Dêclaration dis Droits qui (én de fondement a la Confticucion de Maffachuffets « Dans cet Etat , les Chrctiens , de quelque » dénomination qu'ils fojent, qui fe conduiront » d'une manière paifible & comme de bons fujets » de Ia République, feront également fous la pro. R i  [160] » teórion des loix; aucune fubordination d'une j> feéte a une autre ne fera jamais écablie (i). Une telle loi eft libérale au-dela de tout exemple: cependant je 1'admirerois encore plus, fi elle 1'eüt été davantage, & que les mots : tous les hommes de toutes les Religions euffent été fubfticués a ceuxci: les Chre'tiens de toutes les dénominations. On peut conclure auffi des obfervations précédentes , que je défapprouve profondément le ferment religieux qui fair partie des Conftitution Américaines. Dans la Conftitution de Maffachuffers, il eft ordonné que tous ceux qui prendront féance dans la chambre des Repréfentans , ou dan le Sénat y » déclareront qu'ils font fermemenr per^ » fuadés de la vérité de Ia Religion Chrétienne »>. La même chofe eft requife par la Conftitution de Maryland comme une condition néceffaire pour être admisdans les places lucratives ou de confiance. Dans la Penfylvanie chaque membre de la chambre des Repréfentans eft obligé de déclarer qu'il reconnoïr » que les Ectitures de 1'Ancien & du ( i ) La Conftitution de la Caroline Septeutrionale ordonné auffi qu'il n'y aura dans cet Etat aucun établürement de quelque Eglife, ou de quelque dénomination religieufè que ce foit, préféré a aucun autre.  [ 16-1 ] » Nouveau Teftament onc été divinement infpi» rées. » Dans 1'Etat de Delaware , Il doit jurer qu'il croit en Dieu le père, & en Jefus-Chrijl fon fis unique, & au Saint Efprit , un feul Dieu béni éternellement. C'eft plus que l'on n'exige même en Angleterre , ou l'on eft tenu de participer a la communion, füt-on un libertin effréné ou un athée opiniatre, fi Ton prétend même aux places inférieures; mais oü aucun autre ferment religieux n'eft impofé aux membres du Parlement qu'une déclaration contre le Papifme.—C'eft une obfervation auffi jufte que fréquente, que de reis fermens n'excluent que les hommes honnêtes, les autres ne fe faifant aucun fcrupule de les prononcer. Montefquieu n'étoit probablemenr pas Chrétien. Newton & Locke n'étoient pas Trinitaires, & par conféquent pas Chrétiens, felon Tidée vulgaire qu'on attaché a ce mot. Les Etats-unis voudroientils ref ufer a de tels hommes, s'ils étoient vivans toutes les places de confiance & d'autorité?  [ ^ ] DE L'ÊDUCATION. Tel eft le fyftême que je defirerois que les Etats-unis d'Amérique adoptaffent. Mais pour l'introduire & le perpétuer, & en même-tems pour lui communiquer cette force irréfiftible qui fixe les mceurs & les épure rien n'eft plus néceffaire qu'un plan d'éducation fondé fur des principes nobles & raifonnables. II eft impoffible de préfenrer dignement 1'importance d'une pareille inftirution. II a plu a 1'Auteur de la Natute d'ordonner tellement les chofes que } dans le développement de l'efpric humain , fa forme bonne ou mauvaife dépende en grande partie des premières impreffions qu'il re§oit; & j'ai fouvent réfléchi qu'il y a peut être dans l'éducarion un fecret a découvrir, lequel, une fois trouve, formeroit des générations d'hommes vertueux & heureux, 8c accéléreroit les progrès de l'efpric humain dans un degté dont il eft bien difficile aujourd'hui de fe former une idée. Le but de leducation eft de diriger les facultés de l'efpric dans leur développemenr, & de leur aider a prendre le pli & a acquérir le degré de force donc elles font fufceptibles. Pour y réuffir,  [ ^3 1 #n devroit s'attacher a enfeigner la manière de bien penfer, plutót qifa préfenter des objets a la penfée; a mettre dans la voie de la vérité, plutot qu'a enfeigner la vérité même. Et quel homme eft en état de s'acquitter de cette derniète fonclion ? Plufieurs a la vérité 1'entreprennenr avec autanc d'ernprelfement que de préfomption. Tous les partis, toutes les fec-tes fe croient en poffeffion de la véricé, &c s'imaginent feuls en défendre dignement la caufe. Mais qu'ils font bien loin de la connoïcre , ces hommes, & que leurs contradi&ions multiphées, leurs inconféquentes affertions prouvent bien qu'il vaudroit mieux ne rien enfeigner du tout que de prêcher ce qu'ils prennent pour la vérité! Plus leur confiance eft grande 3 plus on duit fe défier deux. En général leur zèle femble s'échauffer a proportion que le fujet qui 1'allume eft plus abfurde. Ces obfervations tendent a ptouver que 1'éducation doit plutót donner a l'efpric une diipofition a 1'impattialité & a la candeur, que 1'affujettir a un fyftême quelconque; le former a 1'habitude de chercher cranquillemenc & patiemment la vérité, que 1'enchainer aux opinions d'auttui. Mais jufqu'ici 1'éducation a été conduite fur R 4  [ 164 ] des principes diamétralement oppofés : on s'eft moins appliqué aétendre les facultésintelleócuelles, qua les rétrécir; a les éclairer & a les perfe&ionner, qua les dépraver par de faux principes qui rendenc rour retour a la vérité comme impolfible. Au lieu d'ouvrir 1'efprit, de le fortifier, & de lui apprendre a voir & a penfer en agent libre, on a relaché tous fes refforts, on I'a accablé de chaines, on ne lui a laiffé qu'une manière de voir. Au lieu d'infpirer de 1'humilité de la bienveilIancej de la générofité, &z de faciliter ainfi la recherche & 1'accès de la vérité, 1'éducation n'a rempli 1'homme que d'une vanité folie Sc préfomptueufe; fource de tous les préjugés qui le ryrannifent Sc Ie rendenc miférable. On fent que plus 1'efprit humain a fait de progrès avec une femblable éducation., plus il a de chofes a oublier & a défapprendre , avant que les véritables connoiffances puiffent s'y faire jour. Telle étoit 1'éducation dans 1'origine du Chriftianifme. L'art malheureuxdedifputer Sc d'embrouiller la vérité par des fophifmes, 1'invincible attachement a un fyftême re^u qui en faifoit la bafe, avoient perverti I'efprir humain 3 Sc lui avoienr fourni de nouvelles armes pour combattre 1'évi-  [ **5 1 dence avec plus d'efïronterie, ou pour lui échapper plus sürement. II eft arrivé de la que cette doctrine célefte eft devenue pour les Juifs une pïerre d'achoppement, & pour les Grecs une folie; 8c qu'en dépit des miracles même , les perfonnes qui la rejertètent avec le plus de dédain , ou qui la combattirent avec le plus de violence, furent ceux qui avoient été élevés dans les colléges, 8c qui étoient plus profondément verfés dans la fauffe fcience de ces rems-la. Mettez la vraie Philofophie a la place de la vraie Religion , vous verrez qu'elle auroit eu le même forr. Le fyftême qui démontre" que le Soleil eft immobile, & que la terre tourne autout de lui, n'eüc pas paru moins abfurde & moins incroyable que le dogme d'un Meffie crucifié. Et ceux qui fe feroient élevés avec le plus de fureur contre certe Philofophie, ceux qui 1'auroienc couverte de plus de ridicule, fe feroient trouvés dans cette claffe d'hommes doótes & fages, c'eft-a-dire, des fiers fophiftes 8c des profonds docteurs de ces tems-ld, qui avoient étudié le fyftême de Ptolomée, 8c au moyen de cycles & d'épicyles , y avoient appris a rendre raifon de rous les phénomènes des corps céleftes. Ainfi lorfque 1'Effai de Locke fur 1'Entendement humain, ouvrage qui a tant contribué a  [ z66 ] perfe&ionner la Logique , parat en Angleterre, les principes lumineux qu'il développe furent adoptés avec moins de peine par eenx qui n'avoient point recu leur éducation dans les colléges , 8c dont I efprir n'avoit par conféquent noinc été corrompu par 1'abfurde jargon des écoles; mais quant aux ProfefTeurs, fon Effai, comme fon Chriftianifme raifonnable , leur parut une nouveauté & une héréfie dangereufe , & 1'Univerfité d'Oxford en particulier fe fignala par 1'anathême qu'elle lanca contre 1'Auteur. La même chofe arriva lorfque Newton publia fes découvettes. Un roman (je veux parler de la Philofophie de Defcartes) étoit alors le fyftême a la mode. L'éducation 1'avoic comme aflimilé au cerveau des doétes , & il s"écoula vingt-fept ans avant que le Livre des Principes füt affez connu pout qu'une feconde édition en devïnt néceffaire. Voila les préjugés qui fe font généralement oppofés a i'introduétion des lumières nouvelles. Tels font les obftacles 8c les entraves qu'une éducatioii étroite a toujours apportés aux progrès des connoiffances. De nos jours même^ le principal objet de l'éducation, fur-tout en théologie , eft d'enfeigner des fyftêmes é:ablis comme de vérités certaines } de faciliter a leurs feélateurs les moyens de la défendre contre les attaques des rebelles, d'armer ainfi 1'efprit contre 1'évidence, & de le rendre impénétrable a la lumiète.  [ 26-7 ] En vérité fi j'avois a opter entre le fimple bon fens d'un bomme qui ne devroir rien a l'éducation, & la profonde érudirion de nos Profeffeurs d'Univerlïrés , je préférerois fans balancer le premier , bien perfuadé qu'avec lui je ferois moins éloigné de la véritable fcience. Un efprit fimple & nud me paroh infiniment préférable d un efprit empêtré dans fes fyftêmes, & le défant de favoir , a la plus grande partie de cette efpèce de fcience qui a fait jufqu'ici 1'objet de notre admiration & de nos recherches; fcience qui enfle 1'efprit, &c qui n'eft au fond qu'une ignorance plus épaiflè & qu'un préjugé plus enraciné. II n'eft pas inuiile d'ajouter, qu'une éducation étroite & circonfcrite , quand même elle ne produiroit pas les maux dont nous parions, en occafionneroit vraifemblablement d'aurres rour auffi graves quoique d'une nature contraire. Je veux parler de ces dangers que courront les perfonnes élevées de cette manière, quand elles viendronr a découvrir 1'abfurdité de quelques opinions dont elles ont été imbues. II eft a craindre qu'alors elles ne fe Iaiffént prévenir contre routes, que par con~ féquent elles ne les rejerrent toutes, & ne donnent cête baiffée dans le fcepticifme & 1'incrédulité,  [ 26-8 ] , effec qui de nos jours n'eft que trop commnn en Europe. Je ne me fens pas les ralens néceflaires pour développer la méthode particulière qu'on devroit fuivre pour éviter ces écueils , c'eft a-dire, pour dégager 1'efprit de fes entraves, pour lui donner ce coup-d'ceil pénétrant & sur qui faifit 1'évidence, & pour le difpofer a 1'embraffer de quelque cóté qu'elle lui arrivé & de quelque manière qu'elle lui foit offerte. Mais il eft certain que la meilleure cducation fera celle qui pourvoira ie mieux a ces chofes, qui prémunira plus surement 1'efprit contre les fots préjugés, qui 1'enflammera davantage de 1'amour du vrai, qui le difpofera le mieux a 1'impartialité & a Jacandeur, & qui lui laiffera un plus profond fentiment de ce qui lui refte encore d apprendre. Si l'éducation avoit toujours eu un fi noble but, les hommes auroienc fait de plus grands progrès dans la vérité. Cette éducation cependant fuppofe une fociété perfeótionnée ; mais une fois bien établie , elle en favorife, elle en accélère les progrès. Dans le cours de ces obfervations, j'ai monttc quelque averfion pour les fyftêmes. Mais j'ai  [ *«9 1 voulu feulement condamner cet entêtemenc trop commun qui nous les fait adopter comme modèles de la vérité. II ne fera pas inutile dans l'éducation de faire ufage des livres qui les expofent. Mais on ne devroir s'en fervir que comme de guides & de foutiens dans la recherche de la vérité. Pour que cette étude foit vraiment utile , il faut bien pofer Pétat de la queftion , pefer avec candeut les preuves pour Sc contre , difpofer 1'efprit d ne fe déterminer que d'après la prépondérance des preuves , Sc a proportionner dans tous les cas 1'affencimenr au degré précis de cette prépondérance , fans avoir aucun égard pour 1'autorité , 1'antiquité , la lingularité , la nouveauté, ou les préjugés qui ttop fouvent déterminent cet affentiment. Rien n'eft plus propre a faire naure & a cultiver cette heureufe difpofition que 1'étude des Mathématiques. Dans i ces fciences nul ne donne fon alTentiment a une propofition que lorfqu'il lacomptend parfairemenr, & qu'il en voit les preuves déduites logiquement de propoficions déja enrendues & démonrrées. Dans ces fciences l'efpric fe forme d une attention fixe Sc foutenue ; il appetcoit la marche de la raifon & la vraie nature du fyllogifme; il apnrend a fe former des idéés diftindtes des chofes, & a ne fe rendre qu'a 1'évidence. Ces fciences fonc par conféquenc le véritable alimenc des facukés  [ 2?0 "] intelleétuelles; elles les exercent, & font pour l'efpric la meilleure défenfe contre cette crédulité 3 cette ptécipitation, & cette confufion d'idées, qui font les fources ordinaires de 1'erreur. II y a cependanc ici un écueil k évitet. L'étude des Mathématiques peut abforber 1'attention a un point qui devienc dangereux; alors elle rétrécit 1'efprit en le rendant incapable de voir en grand , d'apprécier toute évidence qui n'eft pas mathématique , & le difpofe ainfi a un fcepticifme déraifonnable dans routes les queftions qui ne font pas fufceptibles de cette évidence rigoureufe. Plus d'un Mathémacicien peut fervir d'exemple de ce que j'avance ici. Mais pour revenir a mon fujet dont certe digteffion m'a un peu écarté, je ne puis m'empêcher d'obferver ici que , relativement au Chriftianifme en particulier, l'éducation devroit conduire a 1'habitude de juger de fa do&rine celle qu'elle exifte dans le code même ; que cette doócrine ne faucoic s'apprendre que par une interprétation judicieufe du fens de ce code, & des recherches faites avec candeur; que toute inftruétion relative a cette doctrine ne devroit être qu'une préparation a ces recherches , & une communication de fecours dans  [ *7I ] 1'examen des preuves qui établiffent la divinicé de 1'Inftitureur, & du degré précis de force de ces preuves, après avoir donné toutefois a chaque objeéhon le poids qu'elle peur avoir. Mais c'eft ce qui ne s'eft jamais pratiqué parmi les Chrétiens. Ona regardéjufqu'ici TEvangile comme unmodèle infuffifant de la théologie Chrétienne; & fous prétexre de 1'expliquer 8c de 1 eclaircir, on a fubftitué a fa doctrine des formules d'invention humaine3 qui n'ont fervi qua 1'embrouiller & a le deshonorer : & c'eft ce cahos monftrueux d'obfcurites qu'on a appellé la fcience 8c 1 ecole du Chrétien. II eft a remarquer que » dans les Univerfités d'Angleterre, on n'a jamais fouffert ces forres de leclures &c de commentaires fur le Nouveau Teftament, & que dans toute la Chrétienté on 1'a beaucoup moins étudié que les fyftêmes & les credos qu'on a entés fur Ie rronc. J'ajourerai fimplement, a ce fujer, qu'il eft fouverainement nóceffaire de mêler a l'inftruérion de fréquenres réflexions fur 1'imbécillité de 1'efprit humain & fur fon extreme penchant a Terreur; de le difpofer a prêter 1'oreille aux objeétions, même dans les matières en appatence les plus claires ; 8c de faire regarder un cozur intègre cómme Ia feule chofe qui ait un rapport immédiat ï notre intérêt futur.  [ l7* ] La nature nous a conftitués de manière que nous ne pouvons nous empècher de nous attacher aux opinions que nous avons une fois concues. II étoit néceffaire que cela fut, pour prévenir en nous cette légéreté, cette inconftance, cerre irréfolution d'efprit qu'eüt produites infailliblement une trop grande facilité a renoncer a nos idéés. Mais ce penchanr naturel , fi fagement combiné d'ailleurs, tend a franchir fes limites & a nous rendre trop enrêtés. II faut donc s'appliquer a le modérer , ainfi que tous les autres; & c'eft a quoi l'éducation ' doit pourvoir. II faut fur-tout fortement inculquer cette obfetvation déja faite: « Que les hommes « ont toujouts été d'autant plus entêtés de leuts ;> opinions qu'elles étoient plus fauffes, 8c qu'ils » fe font crus plus éclairés a. proportion qu'ils » éroient enveloppés de plus profondes rénèbres. » Cette réflexion eft, je 1'avoue _, fort humiliante; mais elle eft d'un grand fecours pour nous guérir 'de ce miférable orgueil, de ce ton ttanchant & dogmatique, qui oppofent tant d'obftacles aux progrès de nos lumières. Quel eft 1'homme qui ne fe rappelle pas un tems ou fon efprit fe repofoit ttanquillement & en route confiance fur des matières que des réflexions plus approfondies lui ont fait regarder enfuite comme forr au-deffus de fon intelligence ? Quel homme, par exemple, ne fe rappelle  [ 273 ] rappelle pas une époque de fa vie oiï la queftion fuivante l'auroit fort étonné: Pourquoi l'eau def-, cend-elle ? Quel ignorant n'eft perfuadé qu'il entend cela parfaitement ? Mais tout homme éclairé voit que c'eft une queftion qu'il ne fauroic réfoudre; & c'eft précifcmenr cette perfuafion de fon infuffifance qui le diftingue dans ce cas ci de 1'ignorant. Ceci eft également vrai dans une foule d'autres exemples qu'on pourroic citer. Une des meilleures preuves de notre favoir eft la conviétion de notre ignorance, & celui-la eft le mieux inüruit qui en eft le plus perfuadé. En jettant les yeux fur moi, cette réflexion m'encourage. Je vois aujourd'hui que je n'entends rien a plufieurs chofes qui jadis me fembioienc fort claires. Plus j'ai approfondi & érendu mes recherches, & mieux j'ai appercu les ténèbres de mon efprit. Un coup-d'ceil jetté fur une période de ma vie rendra fenfible ce que j'avance. Je me fouviens que dans ma jeuneffe 1'ouvrage de PEvêque Butler fur l'Analogie de la Religion naturelle & révélée, avec la Conftitution & le Cours de la Nature , me frappa. Je regarde comme un bonheur pour moi que ce livre ait été un des premiers qui me foit tombé entre les S  [ *74 ] mains. J'y ai pnifé la vraie méthode de raifonner fur les fujets religieux Sc moraux, & de bonnes idéés fur l'importance de fe convaincre da 1'imperfection des connoiffanres humaines. Les fermons de Butler alors auffi me parurenr excellens, & jen fais encot? un très-grand cas aujourd'hui. Après ces ouvrages ceux que j'ai roujours le plus eftimés font les livres du Dr. Clarke. Et j'ajouterai, quelque étrange que cela paroiffe, que j'ai de grandes obligations aux Ecrits Philofophiques de Mr. Humej que j'ai auffi médicés dans ma jeuneffe. Bien qu'ennemi de fon fcepticifme, je n'ai pas laiffé de le mettre a profir. En attaquanc avec beaucoup d'art tous les principes de la vérité & de la raifon, cet écrivain m'a appris a bien examiner mon rerrein, & a ne jamais recevoir ' rien fur parole. Les premiers fruits de mes leétures & de mes recherches parurent dans un traité intitulé: Examen des Quejlions & des Difficultés princïpales dans Vétude de la Morale. Cet ouvrage a été fuivi de plufieurs autres fur divers fujets. Er mainrenant dans le déclin d'une vie confacrée toute entière a la recherche de la vérité, Sc employée a fetvir3 quoique foiblement, 1'humanité, Sc a 1'cclairer fur fes vrais intéréts préfens & futurs, j'attends tranquillement le jour du Grand Juge des mortels j bien convaincu que  [ 275 1 1'ordre de la nature eft parfait, qu'une fageffe & . une bonté infinies gouvernent le monde, & que la Religion Chrétienne émane de la Divinité; arrèté d'ailleurs par plufieurs difficulrésj imploranc de nouvelles lumières, mais me repofant en pleine conffance fur cette gtande & unique vérité : que la vertu eft le devoir & la dignité de thomme, & qua tout événement, en la fuïyant il ne fauroit s'égarer. S z  [ ] Des dangers auxquels les Etats-unis d'Amèrique font expofés. J'AI taché d'indiquer dans les obfervations précédentes plufieurs moyens Ü'améUörer la firuacion des Etats-unis, & d'accélérer leurs progrès. J'ai infifté particulièremenc fur 1'importance de régler & de conftater le pouvoir de Vunion fédérale, d'établir & de garantir une liberré encière dans les matières de fpéculation, dans celles du gouvernement, dans 1'éducation, dans la religion. Les Etats unis ne font que de naïtre, & tout dépend du foin & de la prévoyance avec lefquels on commence. Un plan bien concu, doit n'avoir befoin par la fuite que d'être affermi 8c müri. C'eft donc en ce moment qu'il faut donner aux Américains des avis; & les intens, quelque médiocres qu'il foient, peuvent du moins inlpirer des vues utiles. En Angleterre, quand on propofe quelque amélioration, ou qu'on entreprend de remédier a des abus fi choquans qu'ils rendent notte prétention de liberté vraiment ridicule (i), auffi-töt il s'élève ( i ) La majorité dc la Chambre des Communes Britanniques eft choifie par quelques miliiers d'individus rités de  [ »77 ] une clameur générale contre l'innovadon; Falarme eft univerfelle ; on tremble que les efforts pour reftaurer nedétruifent.—En Amérique on n'a point a craindre de pareils préjugés. Le tems n'y a point encore rendu les abus facrés. Le chemin eft ouvert a la dignité fociale 5c au bonheur. La raifon peut faire entendre fa voix avec confiance 5c fuccès. Ia lie du peuple, & dont on achète conftamment les fuffrages:—n'eft-il pas ridicule d'appcller libre un pays ainfi gouverné ?—Voyez un détail frappant fur 1 etat de la repréfentation du Parlement d'Angleterre dans les Recherches Politiques de M. Burgh , vol. I, p. 39, Sec—Telle eft la note de M. Price. On crouvera dans celles que j'ai mijes h. la fuite de fes Confidérations la queftion de l'inégalité de la repréfentation parlementaire nettement expofée , t> quelques détails frappans fur ce fujet tirés , foit de l'ouvrage de M. Burgh, auquel l'Auteur renveie; foit d'un écrit récent & tres-exact fur la Repréfentation de l'Ecojfe , Letters of Zeno, frc.—Note du Tradu&eur. $5  Des Dettes, & des Guerres intérieures. J'AI obfervé dans finrroduétion de cet écrit que les Etats Américains ont plufieurs dangers a éviter. Je vais donner un détail abrégé des principaux de ces dangers. J'ai fuffifamment remarqué 1'accroiffement indétïni des dettes publiques. J'ai porté une attention particulière fur le danger des guerres inteftines. Mais je voudrois infifter encore fur la néceflité de prendre toutes les mefures Sc d'employer routes les précautions qui peuvent préferver les Etats-unis de ce malheur. II feroit affreux de voir dans le nouveau monde tous les maux qui ont jufqu'a ptéfent tavagé 1'ancien.— La guerre exercant fes fureurs dans les lieux oü Ton croyoit que la paix Sc la liberté avoient enfin fixé leur féjour.—Les bayonnettes & les canons réglant les objets en difputes, au lieu de la fageffe des membres réunis d'une confèdération.—Peut-être un Etat inquiet Sc ambitieux s'elevant par une conquête fanglante au-deffus des autres j & devenant un Etat Souverain, qui reclameroit avec impiété (comme la Grande-Bretagne  [ *79 ] 1'a fait une fois) la pleine autorité de promulguer des loix obligatoires pour les autres Etats fes frères, & qui attiieroit a lui exclufivement tous les avantages del'union. Je maudis cetre calamité; je frémis quand je confidère combien il eft poffible qu'elle furvienne, & j'efpère que ceux-la fe rrompent qui penfent que telles fonc les jaloufüs qui gouvernent les hommes, & les imperfeftions des meilleurs arrangemens humains, qu'il n'eft pas au pouvoir de la fagelfe de dccouvrir les moyens affurés de prévenir ces maux, fans empicter trop fur la liberté & 1'indépendance des Etats. J'ai parié d'augmenter les pouvoirs du Congrès. D'autres o'ir propofé de coiicentrer les pouvoirs de chaque Gouvernement dans un feul Parlement qui repréfenteroit tous les Etats, & d'abrcger les Pariemens particuliers pat lefquels chacun d'eux eft maintenanr gouverné. Mais iI eft évidentqu'une telle iuftitution feroit fuivie des plus grands in^onvéniens, & qu'elle empicteroit fur la liberté des Etats, bien plus que 1'augmentation de pouvoir que j'ai propofé de donner au Congrès. Si un Parlement commun ne doit abroger aucun des autres Pariemens j ce feroit le Congrès, tel qu'il eft a préfent conftitué. S 4  [ i8o ] De la dijlribution inégale des Proprie'tés. C'eft une obfervation triviale que la puiffance eft fondée fur la propriété. Plufieurs Erats libres ont montré qu'ils fentoientla vérité de cette obfervarion, en s'efforcanr de trouver-des moyens pour prévenir une trop grande inégalité dans la diftribution des biens. Quels tumultes ne furenr pas occafionnés a Rome dans les plus beaux jours de la République par les tentatives que l'on fit pour mettre en exécution la loi agraire ! Chez le peuple d'lfraël, fous la direétion du Ciel, routes les proprictés foncières, qui avoient éré aliénées pendant 1'efpace de cinquante ans, retournoient X leurs poffeffeurs primitifs a la fin de cette période. Une des circonftances les plus favorables aux Etats Américains dans la formation de leurs nouvelles Confiitutions de Gouvernement, eft 1'égalité qui fubfifte entr'eux. L'état le plus heureux de 1'homme eft 1'état moyen entte le fauvage & le policé. C'eft précifément a ce point qui fe trouve la fociété en Connecticut & dans quelques autres des provinces Américaines, lefquellesj fi je fuis bien informé,  [ ] font habitées par des culcivateurs indépendans & robufteSj a peu pres tous au niveau les uns des autres. Accoutumés a manier lesarmes—inftruits de leurs droits doués de mceurs iimples—ctran- gers au luxe habillés de toiles nlées chez eux—retirant avec abondance le ptoduit de leurs rerres , recueillant aifément cette abondance par la main de 1'induftrie ;—dela des mariages formés dès la jeuneffe, nombreux, heureux, féconds;—■ conlervant la fanté & la vie , & donnant a 1'Etac un accroilfeme nt rapide.—Dans ces pays fortunés, le riche & le pauvre, le grand hautain & le fyco- phanre rampanr , font également inconnus. Les citoyens font procégés par des loix qui ne peuvent être oppreffives, puifqu'elles font leur volontéj & par un gouvernement égal, qui, n'offrant pcint de places lucratives, ne donne lieu ni a la corruption , ni a la brigüe (i ) , ni aux intrigues de 1'ambition.' O peuple diftingué! puiffiez-vous refter long tems dans cette heureufe fituation! & puiffe le bonheur dont vous jouiffez fe répandre fur tcfute la terre!—Mais je m'oublie. ( I ) Dans cec Etat, aufll-bien que dans ceux de Majfachujfets, New Jerfey , &c. la moindre brigue , ou feulement l'expreiTïon du defir d'etre clioifi , exclut un Candidat de la Chambre des Repréfentans. II en eft de même s'il a quelque tache dans fon catadère moral.  [ ] II eft dangereux qu'un état de fociété fi heureux ne foit pas de longue durée; que la dépravation ne prenne la place de la fimpiicité & de la vertu; que le tems ne détruife 1'égalité; que la fatale pafiion de dbminer ne fe montre; que la liberté he languifle; & que le gouvernement civil dégénérant par degrés ne devienne un inftrument dans les mains d'un petit nombre d'ambitieux pour opprimer & pour dépouiller la fociété.—Tel a été jufqu'a préfenr le progrès du mal dans les chofes humaines. Quelques grands hommes, Platon, Thomas Morus, M. Wallace onr propofé, pour s'oppofer a cette perre rapide, des plans, qui, en établilTant une communauté de biens & en aboliüant la propricté , rendroient impoffible a aucun membre de 1'Ecat de penfer a mettre les autres dans Tefclavage , ou de fe confidérer comme ayant quelque intérêt diftinót de celui de fes Concitoyens. De telles théories font agréables dans la fpéculatioh , & probablemenr elles ne font pas entièremènt impraticables. On pourra s'en approcher dans la fuite , & peut-être Thomme parviendra-t il a trouver une forme de Gouvernement qui lailfera fi peu de moyens de dutinttion , autres que le mérite perfonnel, qu'elle exclura de la fociété la plupart des caufes du mal. Quoi qu'il en foit, OU ne peut pas douter qu'il ne foit une égalité fo-  I! t *«3 1 ciale effentielle d la liberté, que tout Etat qui met quelque prix d la vertu & au bonheur , doit maintenir de toutes fes forces.—II n'eft pas en mon pouvoir de donner la meilleure méthode pour y parvenir; j'obferverai feulement qu il y a trois ennemis de 1'égalité, contre lefquels 1'Amérique doit fe tenir en garde. I ' . , , . . i°. La conceflion d'honneurs heréditaires & de titres de nobleffe. Les perfonnes ainfi diflin— i guées j quoique peut-être d'un caractère plus bas que les derniers des individus qui dépendent d'eux , i font portées a fe confidérer comme appartenant a un ordre d'Etres plus élevés , fairs pour exercer le - pouvoir & pour gcuverner. Leur naiffance & leur rang les difpofent néceffairement ici.te les ennemis de Ia liberté générale ; & quand ils ne le font pas, quand ils montrent un vrai zèle pour les droits du genre humain, c'eft toujours un triomphe du bon fens Sc de la vertu fur les féduétions & les piéges de leur fituation. C'eft donc avec une vive fatis- faétion que j'ai trouvé paffé en loi dansles articles de la Confèdération , qu aucun ütrt de nobleffe ne fera jamais accorde' par les Etats-unis. Qu'il y ait des honneurs pour encourager le mérite, mais que ces honneurs meurent avec les hommes qui les ont  mérités: qu'ils ne defcendent pas a leur poftérïté; ils nourriroient un efprit de dominationj Sc produiroient une Ariftocratie orgueilleufe & tyranni- que; en un mot, que les Etats-unis confervent J roujours ce qui fait maintenant leur gloire ■— une confèdération d'Etats heureux & profpères, fans Lords, fans Evêques, (i) & fans Roes. 2°. Le droit d'aïnejfe. II eft tres - évident que ce droit tend a produire une inégalité nuifible. La difpofition a élever un nom en accumulant les propriétés dans une branche d'une familie} eft une vaniré non moins injufte & cruelle que dangereufe pour les intéréts de la liberté. Aucun Etat fage ne doit ni 1'encourager, ni le tolérer. ( I ) Je n'entends pas par les Evêques des officiers purcment Spirituels entre les Chrétiens, mais des Lords Spirituels , en tant cjue difiingués des Lords Temporels, ou des Eccléfiaftiqucs élevés a cette prééminence 5c revêtus d'honneurs & d'autorité civile en vertu d'une inllitution dans 1'Etat. Je dois ajouter que je ne prétends point exprimer une préférence générale pour la conftitution du Gouvernement Républicain. II eft un degré de dégénération politique incompatible avec une telle conftitution. La Grande Bre- I tagne en particulier eft trop compofée de haut Sc de bas , d'écume & de lie pour 1'admettre ; & des gouvernemens républicains n: conviendroient plusa 1'Amérique, fi elledevenoit auffi corrompue que 1'Anglcterre.  [ *»J ] 5*. Le Commerce étranger eft un autre des ennemis contre lefqusls je fouhaite de précautionner I les Etats-unis. Mais il a une influence contraire au j bien de 1'Etat fous tant d'autres rapports-que la deftruétion de 1'égalité 3 première bafe de la liberté , qu'il fera convenable d'y porter une attention plus particuliere.  Du Commerce , des Banques & du Papier Monnoie. L e Commerce éttanger, a quelques égards , a les plus utiles effets. En établiffant une cammunication entredes Royaumeséloignés, il étend I'exercice d'une bienveillance univerfelle; il éloigne les préjugés locaux; il engage chaque homme a fe confidérer plutót comme Citoyen du monde que comme membre d'aucun Etat particulier; & , par conféquent, il modète les excès de l'amour de la Patrie (i), fi long-tems applaudi comme un des (i ) L'amour dc Ia Patrie n'elï une paffion noble que lorfqu'ellc nous engage a avancer le bonheur intérieur dc notre pays, & k défendre fes droits & fes libertés contre toute invafion domeftique ou étrangére; en confervant en même-temps un refpedt égal pour les droits & les libertés des autres pays. Mais ce n'eft point la, & cc na point été un de fes effets les plus ordinaires. Au contraire l'amour de la Patrie n'a été en général qu'un efprit de rivalité entre différentes fociérés, qui a produit des difputes , Sc allumé la foif des conquêtes & de Ia domination. Qu'eft-ce que la patrie d'un RufTe , d'un Turc, d'un Efpagnol, &c. 17 ce n'eft un pays ou il ne jouit d'aucun droit, & oti fes maïtres difpofent de lui comme s'il étoit une béte de fomme ? Sc qu'eft-ce que fon amour pour la Patrie, fi ce n'eft un atra. chement a la dégradation & a 1'efclavage ? Qu'étoit l'amour  [ ««7 ] principes les plus nobles du cceur humain , &c qui, dans le faic, eft un des plus deftructits que noutrille la nature. Le commerce , en donnant a chaque pays la facilitéde tirer des autres contrées les commodités & les avantages qu'il ne peut trouver en lui-même , produit parmi les nations un fentimenr de dépendance mutuelle., il accélère ie petfeótionhement général. Mais il n'eft aucune partie du genre humain pour laquelle 1'ufage du commerce foit moins important que pour les Etats Américains. Répandus fur un vafte continent, ils frrment un m'onde a eux feuls. Le pays qu'ils habitent renferme tous les différens fols & les différens climats. II produic non-feulement toutes les nécefficés, mais auffi toutes'les commodités de la vie. Les grandes de la Patrie parmi les Juifs , fi ce n'eft une malheurcufe partialué pour eux-mêmes, & un mépris orgueilleux pourles autres nations ? Qu'étoit-il même parmi les Romains, quelque fublimc qu'il ait été dans pluficurs de (es efïets, fi ce n'eft un principe qui réunifloit une bande de voleurs dans leurs attentats pour détruire toute liberté exceptéla leur propre ï Le Chriftianifme s'eft fagement difpenfé de recorn» mander l'amour de la Patrie. En le prefcrivant il auroit favorifé un vice parmi les hommes. II a fait infiniment mieux, il a recommandc la bienveillance univerfelü,  [ i88 ] rivières, & les lacs immenfes qui le coupent, forment une communicacion intérieure entre fes diverfes parties qui n'eft connue au même degré dans aucune autre région de la rerre. Les Etatsunis pofsèdent donc en eux-mêmes les meilleurs moyens de^trahc intérieur, le plus utile des trafics; & le but le plus étendu qu'ils puiffent lui donner. Pourquoi regarderoienr-ils au-dela ? Qu'eft-cequi pourroit leur faire defirer d'étendre leur commerce étranger, ou même d'élever une grande force maritimei' La Grande-Bretagne, peuplée d'habitans qui ne font pas armés, & menacée comme elle 1'eft par des voifins ambitieux & puiflans, ne peut fe flatter de conferver long-tems fon exiftence lorfqu^en perdant fa fupériorité fur la mer elle fera ouverte aux invafions. Mais les Etats Américains n'ont pas les mêmes craintes. Ils none rien a redouter de voifins puiffans: il faut traverfer Ia vafte mer Atlantique avant de pouvoir les attaquer: ils forment tous une milice bien exercée; & Ia réfiftance eflicace qu'ils ont oppofée, dans 1'enfance de leur Etat Sc fans forces navales, a la première Puiffance de 1'Europe, découragera fans doute Sc préviendra pour 1'avenir toute invafion. Avec un tel bonheur pourquoi chercheroient-ils a former en Europe des liaifons qui les expoferoient au danger d'être enveloppés dans fes querelles ? Qu'cnt-ils  [ 189 jj Qu'ont-ils a faire avec fa politique? Y-a-r-il des chofes très-importances pour eux qu'ils puiffent en tirer , li ce n'eft l'infeétion fociale ?—Je cremble lorfque je penfe a cerce rage univerfelle pour le commerce qui trop vraifemblablemenc prévaudra parmi les Amiricains. Cette paffion funefte peut leur occafionner de grands maux. Toutes les nations dreffent des pièges autour d'eux, & les recherchenc pour établir avec ce grand continent une communication qui ne peuc que lui être fatale. Le plus grand intérêt des Américains demande qu'ils sen préfervenr par tous les moyens convenables, & particulièremenr en impofanc des droits coniidérables fur les importations. Mais ces moyens ne réuffiront pas} a moins qu'ils ne fo ent aidés par les mceurs. II eft fur-tout a craindre que la paffion pour -les marchandifes étrangères, s'augmentant fans celfe, ne rende les meilleurs règlemens inui tiles; &, fi cela arrivé , cette funplicité de caractère , cet efprit male & ferme, ce dédain du clinquant dans lequel confi:te la vraie dignité, difparoitront de 1'Amérique. La mollelfe, 1'efprit de fervitude, & la vénalité, en prendronr la place. La liberté 8c la vertu feront englouties dans 1'abyme de la corruption. Tel fera le cours des évènemens dans les Etats Américains, s'ils s'adonnent au commerce. Ne feroit-il pas infiniment plus avan- T  [ 29° 1 tageux pour eux de former une nation de fimples & honnêtes fermiets , plutót qu'un corps de marchands opuiens Sc faftueux F Oü les mceuts les plus pures prévalentelles dans les Etats-unis? Ou les habitans viventils plus heureux & plus égaux ? N'eft ce pas dans les parties intérieures ou Pagriculrure donne la fanté Sc 1'abondance , Sc ou le commerce eft a peine connu ? Dans quels lieux au contraire les habitans font-ils perfonnels , adonnés au luxe, abandonnés Sc vicieux, Sc en mèmetems malheureux ? N'eft-ce pas le long des cótes de la mer j Sc dans les grandes villes , oü le commerce fleurit , & oü les marchands abondent? L'effet de ces différentes fituations fut la vigueur Si la félicité de la vie humaine , eft fi frappanr Sc fi rapide, que dans 1'une la population languir, fi elle n'eft pas fuppléée par les émigrations, pendant que dans 1'autre elle s'accroit a un degré prefqu'inconnu jufqu'ici. Mais paflons a des obfervations d'un autre genre. Je crois que les Etars-unis ont une raifon particuliere de craindre les elfitsfuivans du commerce ctranger.  Si l'importation augmente pour nourrir le luxe , & fatisfaire la prodigalité, leur argenc monnoyé fortira du pays; ce qui occafionnera la fubftitution d'un papier-monnoie trompeur, dont la conféquence fera qu'une richeffe idéale prendra la place dek richeffe réelle, & que leur süreté dépendra comme de la force & de la durée d'une illuhon. Je fens trés bien que le papier-monnoie eft une des reffources les plus commodes qu'ait trouve 1'homme; mais cela même rend cette monnoie idéale une des plus grandes rentations qui puiflent irriter la cupidité humaine. Une banque publique, tanc qu'elle peut faire circuler fes billets, facilite le commerce & feconde les opérations de 1'Etat, a proportion de fon crédic. Mais quand elle n'eft pas foigneufement reftreinte & farveillée, quand fes billets excèdent les fommes dont elle peut difpofer, & font portés prefque jufqu'au dernier terme que la confiance publique puiffe accorder; quand en conféquence fa durée dépend uniquement de la durée de la créduliré univetfelle ; une telle banque pourra pour un tems , ( c'eft-a-dire pendant que la balance du commerce rrop défavorable n'occafionnera pas une trop grande quanrité de demandes; Sc qu'aucun événement n'excitera des craintes ) une telle banque pourra, dis-je, produire pouc T x  [ i?* ] un tems tous les effets d'une mine de laquelk on peut titer des millions dans une minute : elle remplira un royaume dargent, elle le rendra capable de foutenir quelque dette que ce foit 3 elle lui donnera une efpèce de toute-puiffance. Mais cette banque, malgré ces avantages pafTagers , deviendra infailliblement une grande calamüé dans les circonftances que j'ai fuppofées; & un Royaume foucenu par cet expediënt, au moment même de fes plus grandes opérations, ne fera, par fes efForts les plus violens, qu'augmenter 1'horreur de la convulfion qui s'approche, Les Etats-unis ont déja vérifié une partie de ces obfervations j ils ont éprouvé jufqu'a un certain degré les conféquences que j'ai expofées; obligés pendant la guerre de créer une quantité de papiermonnoie qui n'avoir point d'appui folid;, ils lui ónt vu perdre toute fa valeur: il eft bien furprenant fans doute que n'étant affuré fur aucun fonds, &■ ne pouvant pas ctre converti en efpèces 3 il ait jamais pu avoir cours 3 ou fervir a remplir aucun but important. Malheureufement pour la Grande- Bretagne , elle a employé les moyens néceff ires pour donner  [ iQ3 ] plus de ftabilité a fon papier monnoie: c'eft ainfi qu'elle s'eft donné les moyens de loutenir des dépenles qui furpatfent tout excès connu jufqu'a nos jours 3 Sc de contraóter une dette qui étonne aujourd'hui, mais qui occafionnera dans la fuite une cataftrophe dont le monde fera ébranlé. Si la dernière guerre eut duté plus long-tems 3 elle auroit néceflité cette catafttophe. La paix 1'a éloignée. Veuille le Ciel que , s'il eft encore poffible , l'on adopte des mefures qui 1 ecarcent a jamais 1 T 3  [ 294 1 DES S E R M E N S. X-/e Serment eft un expediënt auquel tous les Etats ont eu recours, afin d'obtenir des informations vraies , & de fe convaincre des faits , en s'alfurant de la véracité des témoins. Mais je ne fais fi je puis approuvet 1'imprécation qui fait toujours partie d'un fetment. Peut-être n'eft-elle pas auffi néceffaire qu'on 1'imagine communément. Une affirmation folemnelle , avec des loix qui infbgeroient des pet nes févères au menfonge quand il feroit découvett, rempliroit probablemenr le but des fermens. Je fouhaite donc que dans les Etatsunis l'on aboiiffë les fermens accompagnés d'imprecationsj Si qu'a cet égard la même indulgence qui eft maintenant accordée aux Quakers le foit a tous les hommes. Mais je crains qu'on ne penfe que cette èxpérience ne füt trop dangereufe. Ce qu'il eft du moins de la plus grande conféquence d'éviter, c'eft: i°. Une telle multiplicité de fermens quils en deviennent trop familiers. a°. Une manière légere d'adminiftrer le ferment.  [ m 1 ( L'Angleterre a cet égard paroïr être tombée au plus profond degré poffible de corruption. On exige les fermens parmi nous dans tant d'occafions , on les adminiftre avec fi peu de foin 3 qu'ils ont perdu prefque toute leur eflicacité. II eft probableque, fi l'on compre les fermens d'éle&ion, les fermens de la douanne, &c. &c, il fe commet annuellement environ un million de parjures en Anglererre. C'eft-la fans doute une des plus atroces de nos iniquirés nationales, & il fetoit éronnant qu'elle n'attirat pas fur nous quelques uns des plus févères jugemens de Dieu. T 4  C ] Du Commerce des Nègres, & de l'Efclavage. Le commerce des Nègres ne peur être cenfuré dans des rermes trop févères. C eft un rrafic qui , tel qu'il a été fait jufqu'a préfent, eft infultanc pour 1'humanité 3 cruel , impie , & diabolique. J'ai lé plaihr d'apprendre que les Etatsunis ont pris des mefures pour 1'empêcher, &c pout abolir 1'odieux efclavage qu'il a introduit. Jufqu'a ce qu'ils y foient parvenus, il ne paroïtra pas qu'ils méritenr la liberté pout laquelle ils ont combattu. Car il eft de route évidence que s'ils ont le droit de tenir quelques hommes dans 1'efclavage, d'autres hommes ont pu avoir le droit de les y tenit eux-mêmes. Je fens cependant que cette gtande révolution ne peut pas fe faire fubitement. Je fuppofe que 1'émancipation des Nègres doit être abandonnée en partie a. 1'influence du tems & a celle des moeurs; mais rien ne pourroit excufer les Etats-unis, s'ils n'exécutoient pas cet acte de juftice avec autant de promptitude & d'efHcacité que les circonftances particulières de leur fïtuation le leur permettent. Je  [ *S>7 ] me réjotüs de pouvoir dans cette occafion leut recommander . 1'exemple de mon pays. Dans la Grande - Bretagne , un Nègre devient libre du moment oü il met le pied fur le tertitoire du Royaume.  f i?8 ] CONCLUSION. Tel eft 1'avis que j'offre humblement , mais avec un zèle ardent, aux Etat unis de 1'Amérique. Tels font les moyens par lefquels leur pays peut devenir le fiège de la liberté, de la fcience , de la paix & de la vertu , 1'ayle du bonheur pour eux-mèmes, & le réfuge du refte du monde. En écrivant ces feuilles^ fai fouvent defué que mes confeils méritaffent plus d'influence. Le moment préfenr, queloue favorable qu'il foit aux Etats unis, fi l'on en profite fagement, eft encore critique j & quoiqu'ils foienc vraifemblablement d la fin de tous leurs dangers, le péril le plus profondément redoutable peut furvenir en:ore. Depuisque cet éctit eft fini, j'ai été plus affligé que je ne peux Texprimer, par des relations qui me conduifent a craindre , que je n'aie concu une opinion rrop haute des Américains, & que je ne (bis trompé par une attente chimérique. Si cela eft vrai, fi Ie retour de la paix, & 1'orgueil de 1'mdépendance les conduifent a la fécurité & la diffipation; s'ils perdent ces maeurs vertueufes & fimples par  t *99 ] lefquelles feules les Républiques peuvenr fubfifter long-tems; fi une faufle délicateife , fi le luxe & 1'impiété fe répandent parmi eux •, fi des jaloufies exceflives divifent leurs gouvernemens; fi aucun des Etats ne reconnoiffant une autorité fupérieure a fon autorité pattkulière , des chocs d'intérêt particulier rompent 1'union fédérale; il en réfultera cette conféquence infaillible Sc déplorable, que la plus belle expérience qui ait jamais été tentée dans les affaires humaines reftera fans fuccès, Sc qu'une révolution qui avoit reffufciré les efpérances des gens de bien, Sc qui promettoit a notre efpèce des tems meilleurs, un nouvel ordre de chofes, deviendra un exemple fatal , propre a décourager tous les efforts a venir en faveur de la liberté, & ne fera qu'oiivrir une nouvelle fcène de corruption humaine Sc de misère.   REFLEXIONS SUR ÏOUVRAGE PRÉCÉDENT.   (*) La Paix. RÉFLEXIONS SUR L' OU VRA GE PRÉCÉDENT. (*)Que de révolutions défaftreufes, dans les mceurs &c dans la conltitution des Etats-unis de 1'Amérique, ne faudroic-il pasprévoir, pourcraindre entre-eux ces rivalités & ces guerres qui onr fait de 1'Europe un théatre de meurcres & de brigandages? Jamais aucunes narions n'ont eu d'aufli grandes raifons de s'aimer. Jamais des intéréts fi puilfans n'ont refférré les Hens de la fraternité entre les hommes. Comment les Citoyens de chacun de ces Etats pourroienr-ils oublier ce qu'ils doivent aux Citoyens des autres? Ils rencontreront a chaque pas un monument du courage employé par leurs amis pour la défenfe de la liberté ^ le bonheur donr ils jouironr fera le garant éternel d'une mutuelle reconnoiiïance; &, divifésen provinces , ils fentiront qu'ils peuvent faire trois cent lieues fans changer de pacrie.  Ie Congres. [ 3°4 ] D'oü pourroient naltre un jour des germes de Üvifion entre ces peuples de frères ? Ils ont tant le conquêtes a faire fur la nature avant de pouvoir brmer 1'abfurde vceu d'une polfeffion nouvelle! Une terre immenfe d couvrir de demeures , de :harrues, d'habitans, s'étend de la mer au dela des montagnes, & force les Américains d rourner /ets une louable induftrie 1'acVivicé de leur popuSation nailfante. Un monde entier i peupler avant ie fe fentir preffés les uns par les autres ; voili le préfervatif que Ia Providence leur a donné; voila ce qu'elle n'avoit donné avant eux a aucune nation connue; voila chez ces peuples appelles au bonheur le garant de Ia paix; fans même avoir befoin de compter fur leur modéracion ou leur vertu. Mais les précautions qu'indique le refpedable Auteur dont on vient de lire 1'ouvrage n'en font pas moins diótées par la fageffe. L'augufte affemblée du Congrès Continental ne peut jamais être i craindre. Les choix feront faits avec prudence, paree qu'un peuple libre ne s'eft jamais trompé fur le choix de fes repréfentans. La courte , & peut être trop courte durée de leur adminiftration , ne  [ 5o5 ] ne permet pas Pinquiétude. La nature de leurs fonétions, éttangères au gouvernement intérieur de chaque Etat particulier, eft une barrière fufSfante a Fambition. lis ne peuvent ni fonger a tout foumettre, ni employer contie la liberté d'un feul Etat les forces fédérales. Donnez donc de la confiance au Congrès; don! nez-lui du pouvoir. Soyez jugés par les Députés de toutes vos contrées; c'eft-a dire, foyez jugés par vous mêmes. Rien ne réfiftera aux décifions d'une juftice impartiale. Mais armez vos Juges d'une puiffance qui ne peut être dangereufe: armezles de toute votre force pour appuyer leurs arrêts ; & c'eft ainfi que vos propres décrets, prononcés par la bouche de vos fages, feront encore exécutés par vos mains. Sans doute il n'entrera dans 1'efprit d'aucun Homme libre que la défenfe d'une terre arrofée de votre fang puide être confiée a des mercenaires. Je le fais, 6V jen bénis le Ciel: le fiècle, le moment eft arrivé oü l'amour de la Parrie ne fera plus la haine du genre humain; oü la profpérité d'un Ecat libre ne fera plus fondce,, comme a Rome, ■ V m:nter fes pouvoiis.  EJu catlon. [ ) fur la foif de la domination, comme aSparte, fur l'amour de la guerre. Mais la nature des hommes n'eft pas changée. Rien de grand ne s'eft jamais fair, & ne fe fera jamais 3 fans de grands motifs , fans de fortes émotions ; & la raifon' feule , les notions de 1'ordre s les idees de juftice , ne foutiendront pas 1'activité néceffaire a la liberté, li l'on ignore 1'art de les convertir en paflions. La liberté feroit perdue peu de momens après celui oü elle cefteroit d'être la plus douce & la plus fentie des jouiffances. Pour la conferver il faut en are toujours épris: il faut que la polfeflion d'un fi grand bien n'en éteigne jamais les charmes : il faut que chaque jour rapporre a 1'ame le fentiment d'ivrelfe dont elle a joui au premier cri de la victoire. Voulez-vous obtcnir ce grand effet? Parlez aux fens • parlez leur fans celTe: placez a chaque inftanr fous les yeux 1'image affligeante des jours de votre efclavage ; 1'ima'ge ravillante du iour de votre indépeinance. Prenez 1'enfant au berceau. Que pour premiers mots il bégaye !e nom de Washington. Que fes pemières lecons d'hiftoire (oient les injuftices que vous éprouvates & le courage qui vous  C 3°7 ] en afftanchir. Que fes prières de chaque jour folenc un hommage de reconnoilfance au Dieu qui vous donna des chefs habiles, qui guida vos armées 3 qui fortifia vos Iaboureurs contre Ia ryrannie dc Ia difcipline Européenne. QuJil grandiffe , ce jeune enfant , efpoir de la patrie, qu'il grandiffe au milieu des cérémonies annuelles, des feces confacrées aux évènemens de la guerre & a la mémoire de vos Héros. Qu'il apprenne de fon père a pleurer fur leur tombe, & a bénir leurs vertus. Que fon premier livre foit le décret de votre indépendance, & le code de vos conftirutioüs ébauchées au bruit des armes. Qu au bout du champ qu'il labourera dans fa jeuneffe, il s'arrêre, ik, les yeux humides, life ces mors fur la pierre brute— Ici, des barbares foudoyés par le defpotifme ont étouffé dans les flammes , ont brifé contre les arbres unvieillard infirme, & des enfans arrachés du fein de leur mere expirante—La, les fatellites de l'opprefJion ont ploié les genoux, recu des f en & demandé la vie.—Que le calendrier de 1'année concienue ces faits immortels rapportés a ch ique jour. Que Pépée dont fon père défendit aucrefois fon époufe, que 1'épée donc il fera ceinc lui-même au jour de la raifon & de la force, que ces épées foienc attachées au foc de fa charrue. Que 1'arme de la guerre, V z  L 3°3 1 ainfi unie d Knftnimem de la paix, renouvelle pour lui cette hngue des fignes fi puilTamment employée dans 1'antiquité pout des ufages moins facrés. Quel'e lui dife, ce qu'il n'oubüra jamais après 1'avoir appris ainfi, que la fier:é de 1'homme libre brave tous les dangers, mais ne trouble jamais 1'ordre; que le fang humain doit être prodigué pour la liberté, & ne doit cou'er pour aucune autre caufe-, que la guerre eft tfreafc.fi elle n'eft .pas nécéflaite 5 qu'elle eft un opprobre pour le loldat mercenaire qui vend fa vie d l'argent ou d 1'honneur odieux d'un froid état de barbarie; mais qu'elle confacre d ïimmortalité le héros citoyen qui donr.e fa vie pour fes frères. Enivré d'amour pour la liberté, comme ces anciens Germains dont parle Tacite, qui libenatem depcribant, ut potè Janguinc partam, que ce jeune couta^e, un ou deux jours par inois, abandonne les travaux de la culture pour aller nournr fa herté dans les exercices militaire*; qu'il manie les armes & s'exercedla difciplme fous les yeux des hommes les plus révérési qu'il promette dans leurs mams i fa patrie de périr pour la défenfe Sc poür celle des loix  [ 3°9 3 Voila, voila les troupes qu'il vous convient d'avoir. Que dans nos monarchies on divife, on clafTe les Etats; qu'on les foudoie avec de 1'or, & un honneur de convention Parmi vous, réunilfez toutes les fonétions. Que le même homme foit d la fois laboureur, foldat, repréfentant de la citéj qu'il contribue de fes travaux., de fon courage, de fes lumières a la profpérité publique, & ne fe croie quitte envers la patrie qu'en tui donriant tout fon êcte & tous les momens de fa vie. Ne craignez rien d'une milice ainfi conftituée. Voila la force dont il faut armer le Congrès pour 1'exécution de fes jugemens. Voila celle qu'il fauc oppofer aux courfes des fauvages, fi l'humanite& la bienfaifance de vos invincibles Citoyens ne vous acquiert pas leur amitié. Voila celle qu'il faut tenir préparée contre 1'agreffion des peuples Européens , qui ne voudtont, qui n oferoiiï jamais rroubler la paix de vos demeures.. Mais que de chofes vous reftent a faire!....» Après avoir donné le grand exemple d'ane légiflatiön philofophique éclofe au milieu du carnagea donnez 1'exemple plus admirable encore d'uue Miiice.  [ r»« ] noble &z fage modeftie. Revoyez vos loix. Penfez aux mceurs. Penfez aux inftirutions qui les entretiennenc. Achevez votre ouvrage. Ne vous repofez qu'après avoir atteitu la perfection que comporte notre nature; & ne fouffrez pas que par votre négligence le plus bel inftant de I'efpèce humaine pafie fans fruit pour 1'univers. On le voir: mes idees ne font que celles de rtiomme vénérable donr j'ai traduit 1'ouvrage. Mais j'oferai rejetter fon opinion fur la nature des diffétens pouvoirs dont il croir que le Congrès continenral doit être invefti: * 11 faut l'autoriferj dit il, » a fe procurer les moyens de fubvenir aux frais »> de la confèdération. On doit même lui conférer i) le droit d'emprunrer & de pourvoir a 1'amor» tiffemenr de la dette. » Je fuis loin de penfer ainfij & c'eft a Monfieur Price lui-même que j'offre mes objecrions, comme un hommage dü a fon amour pour la vérité & pour le genre humain. La plus funefte i lufion de ce qu'on appelle/o/itique en Europe a été de regarder le crédit comme ntile, & de rejetter fur les races futures une par- Le Congiès ne doit point avoir. drojt d'em- prunter.  C 311 I tie des devoirs de la génération préfente. Ce fyftême horrible eft né de 1'indifférence pour la patrie, &c prépare Ie moment, plus ou moins éloigné, mais lnfaillible, d'une révolution qui effrayera le monde. Le fardeau agrave le fardeau; les charges de chaque année font preffées de tout le poids des précédentes. L'emptunt néceffite 1'emprunt ; enfórte que cette politique li vmtée ne conduit qü'a la cettitude de rendre le fervice public impoflible, c'eft a-dire, a la diiïblution de la fociété, qui ne peut trouver de remède que dans la violacioii de la foi & dans le renverfemenc général des for- tunes Hommes libres, gardez-vous de la cón- tagion de 1'efclavage, & fongez que vous ne pouvez devenir ce qu'il faut que vous foyez, qu'en oublianc tout ce que vous avez été. Un vrai Ciroyen appartiènc rout entier d la cité. C'eft avec jöle qu'il paie fa dette annuelle : jamais il ne la laifle arrérager ; jannis il ne remec au lendemain le fervice du jour. C'eft de fa perfonne même qu'd exécute tout ce qui eft nécelïaire. Les méchans qui troublent la foei-ré, i! les faifit & les livre a la loi. Les Communications néceffaires au commerce intérieur, d la chofe publique, illesouvre, il les ehtretierit; Ls difterends qui divifeut fes frères , il les arbitrs , il les juge ; V 4  f ff* ] les hordes ennemies, il les combat de la même main donc il dirige la charme fur le champqui nourric fa femme, fes enfans, & fa familie. Dans tout cela il n'eft pas queftion cYemprunts; il n'eft même prefque pas queftion d'argent, mais de fervices; Sc voilii commenc agit, commenc s'entretienc & fe cranfmec le généreux fentimenc du patriocifme. Payez donc Ia dette que vous avez contraérée pour la plus noble des caufes dans une crife exttaordinaire, qui ne fouffroit ni règle, ni délai; mais riemprunte\ jamais. Quittes a la fin de chaque armee de tout ce que vous devez a la patrie, recommencez 1'année fuivante les mêmes ttavaux avec un zèle éga!, qui fera récompenfé des mêmes jouilfances. Rcgardez de loin votre ancienne métropole preflee du fardeau de fes papiers circulans, de fon crédir, de fa banque, s'enorgueillir de la faftueufe illufion de fon opulence , & hater par fon avide crédulité, ou fa préfompcueufe confiance, Pépouvantable réveil d'un fi long rêve Mais vous, paifibles, heureux, modeftement fiers d'avoir vengé les droits de 1'homme , foyez toujours au niveau de chaque journée, & montrez au monde ce que peuvent, pour le vrai bonheur, la modération, 1'ordre, l'économie i a la fuite de la liberté.  [ 3iJ ] N'emprunte\ jamais.—La première délibération d'emprunt feroir un figne infaillible de ladécadence de l'efpric qui doic vous animer. Ce feroic déléguer a d'aucres le foin qui vous eft impofé par la nature & votre ferment, & acquitter le cinq pour cent de vos devoits. Ce feroit une injuftice horrible qui forceroit vos defcendans a porter en mêmetems le poids de leurs journées & des votres ( i). ( I ) Et voila ce qu'on n'a prefquc point ofé dire. Je ne connois qu'un Ecrivain Anglois , qui, dans un ouvragc recent, ïmprimé en pent nombre, & diftrihué feulemcnt a quelques amis , ait foutenu 1 injuflice & 1'illégalité des emprunts. Ce morceau me paroit fi bien fait, & tellement fans replique , que je ne puis me refufer au plaifir dele traduire. ce Un Anglois a par fa naiflancc le droit de n'être taxé 35 que par des Repréfentans de fon choix propre Sc immé33 diat. (*) Si l'on eüt refpeclé ce droit, les fubfides de33 mandés par le gouvernement auroient été levés dans » Fannéemême; car la méthode conftitut'onneüe de voter 33 les fubfices eft que le Roi ayant déclaré quelle eft la ( * ) « La süreté qu'avoit autrefois un Anglois contre I'abus du i) pouvoir de taxation , étoit que le Membre du Parlement lui-même " payoit fa quote-part de chaque taxe qu'il confentoit d'impofer, en » forte qu'il ne pouvoit pas bleffer la propriété de fes Elefleurs fans 3> faire tort a la fienne : mais il y a long tems que cette fécurité s'eft " évanouie par les effets ds 1'influence; & depuis que le Parlement » elt devenu une fi grande partie du négoce des courtiers des fonds, on voit comment les fortunes des foufcripteuts aux eniprunts pu33 b'ics s'augmentent pat l'a&e même qui ruine leurs conftituans.  [ 3X4 1 Ce feroit fur-tout une contagion funefte, qui, détruifani rapidenienr vos maeurs 3 éveilleroit la cupidité , mulriplieroir les intrigues, & tourneroic vers la bafTeife de 1'agiotage 1'élévationde vosames. II n'y auroit bientót plus de patrie leschamps de 1'honneur, 1'afyle de la liberté, fe changeroient en une bourfe de négocians. " fomme nécefl'aire pour le fervice , Ia Chambre des Com» munes décide s'il eft plus prudent O plus de l'intérêt du *> public 6> de fes conftituans de fupporter la dépenfe, ou 3» d'airéter tout fervice ». « II eft inconteftable que ce principe a été violé, lorfque m les fubfïdes ont ceffé d'etre levés dans 1'année, & qu'on » les a rejettés fur Ia poftérité; car lorfque Ie fubfide étoit 30 de cinq millions, par exemple, & qu'il étoit levé dans 3> 1'année , ceux qui l'impofoient en fupporcoient le fardeau. » Le mal pouvoit étre fufhTant pour le jour; mais il expiw roit avec lui; au lieu que ceux qui accordent cinq mil» lïons levés par hypothèque ne fe chargent que de fimple » intérêt, tandis qu ils grèvent du principal & de I'intérêt as dc cinq millions leurs enfans & les enfans dc leurs enrans. m Nous donnons & accordons : telle eft ia formule des bills »> d'argenr. Elle ne fut imaginée que pour exprimer le don 33 & Ia conceïïïon de la propriété des donateurs; & non pas 33 de la propriété de leur poftérité. 33 La violation de ces principes paroitra fous un plus »? grand jour, fi l'on conlidère que; I'accumuiation de la 33 dette nationale eft uhe que 1'inuié: feul mon:c a dix mil-  Mais fi les Américains n'empruncent pas , combien de fiècles pefera fur eux le fardeau de la dette aótuelle, qu'a la fin il faudra payer? Et quel crédit auronc-ils, auffi long-tems que cette dette ne fera point acquittée ? Les Etat - unis doivent. On fuppofe que leur dette s'élève a neuf millions fterling. Sans doute il faut qu'ils la paient, non pour acquérir un crédit « lions fterlings, qui doivent être levés chaque année dans a> 1'année mime fur les habitans de la Grande Bretagne. Eh'. » quelle part avons-nous donc eu dans le choix des hommes »> qui ont impofé fur nos biens une taxe fi exorbirantei a> Ils étoient les repréfentans, les uns du dernier fiècle , *> quelques-uns du fiècle actuel; mais aucun d'eux n'a été » élu par ceux fur L-fqueis tombe le paiement de ces taxes. 33 Lever des taxes fur la poftérité , fans doute c'eft s'écar» ter de la conftitution : c'eft encore violer les devoirs dc 33 Particulier , de Citoyen, d'homme d'Etat; car le devoir » d'un Particulier , père de familie, eft de proréger 1'héri» rage de fes enfans & non pas de lui faire ton. Le devoir 33 d'un Citoyen eft de facrifier fon intérêt perfonnel & paf33 fager a 1'avantage permanent & au bien-être a venir de 33 fon pays. Enfin la différence entre un bon & un mauvais 33 adminiftrareur eft que celui-ci fe contente de pourvoir aux 33 bc-foins du moment , tandis que 1'autre fe précautionne =o contre les évènemens qui doivent metrre en danger la !» chofe publique dans les tems a venir. Nul befoin de s'allurer un crédit-  futur, qui feroit le plus funefte des avantages, fi la réfolution de ne pas emprunter n'écoit pas burinée dans le livre des loix fondamentales; mais paree que cela eft jufte, & que la juftice eft la première vertu des hommes , & que la Rcpublique nouvelle eft perdue , fi elle ceffe d'adorer la vertu. « C'eft a"ail!eurs un devoir dont les bons Citoyens lont 3t tenus envers le Souverain , de ne point mettre d'obfïacle jv a fes delTeins pour le bien public , Sc 1'ur-tout de ne roint u le gêner dans 1'exécution dc fon premier & de fon plus I >j grand office , celui de défendre Sc de protéger fon peuple. 33 Le pitoyable fyftême d'anticiper & d'accaparer les relTour>« ces nationales eft donc plus nuifible, s'il eft poffible, au j5 Roi qu'aux fujets; car fi le Rol eft le plus intérefle a Ia confervation & a la profpérité de 1'Etat , on lui fait plus 39 de tort qu'a tout autre en ótanr de fes mains les moyena 33 de défenfe Sc d'amélioration. Et corr.ment, avec le far4 »3 deau de notre dette aftuelle , la couronne pourra-t-elle 33 embraller aucune mefure , même de défenfe nationale , 33 fans entafler des oppreffions fur des opprimés, & fans 33 frapper toujours plus profondément le crédit public déjal 33 bkiTé peut être au-dela de tout remède : ^ Le mal paioit fi grand a 1'Autcur, qu'il ne craint pas de dire que, s'il s'aggravc, il faudra , pour expiimer la fituation de 1'Angleterre , emprunter 1'expreffion d'un Ancien & dire: Deus, etiam fi Deus velit , ftrvare rempublicam r.on voteft.—^ > Political Letters. Letter X. W'ritten in March and April I 1784. p. 54 Sc yj- Printedby W. Rithardfon.  [. J17 ïv J'ofcrai le dire : je n'aime point 1'efprit arithmérique qui règne dans tout le chapitre qui traite de la dette publique. On n'y parle que de millions, de moyens de les augmenter , d'accroilfement d'inI térêts, de produits qui en peu d'années doublent3 triplent, & multiplient les caj itaux a un degré que 1 j'admettrai fans examen , plutöt que de me deffé- ] cher en en faifant le calcul Pourquoi faire fonner lor aux oteilles des enfans de la liberté & des cultivateurs d'une terre bénie par la Providence ? Q'importent les moyens, imaginaires ou réels, de devenir riches & corrompus, quand il ne s'agit que d'atTurer Ie règne de la vertu & du bonheur? .... '. O mes amis! vous devez neuf millions fterlings. Payez-les doucement, lentement, fans efforts, par de fages contiïbutions établies fur les propriétaires. Privez-vous quelque tems d'un partie de votre aii fance. Ce facrifice eft le ptix de votre liberté. Pourra-t-il être onéreux a vos ames nobles & courageufes? Que les fervices publics foient tous exé\ cutés par vous-mêmes; que la contribution diminue a proportion de l'extindtion de la dette; &z que J le? fonds,dont la confèdération n'aura plus befoin, ; recournenr en améliorations au fein d'une terre ! féconde , qui verfera dans vos mains des tréfors i purs, donc vous n'aurez a remercier que la ProI vidence.  [ MS j Hélas! il eft comire impoflible que les ames les plus droites &c les plus éclairées ne regoivent pas quelque altération des préjugés qui les environnent. C'eft d'Angleterre qu'on vous écrit; c'eft d'Angleterre qu'on vous donne le confeil d'écablir un credit permanent Sc de former aux Etats-unis un patriinoine continental. Le Credit! Le ctédit eft un ver qui ronge laracinede 1'Etat. Croyez-moi, la fagefle humaine confifte a fe dérier d'elle-même. Si un tems arrivoit oü vous euffiez moins de zèle, oü 1'intérêc privé pesat fur la chofe publique , oü vous aimaffiez mieux votre fortune que celle de 1'Etat, 1'habitude d'emprunter feroir formée, vous emprunreriez au lieu d'agir; vous convertiriez les fervices d'hommes libres en fervices de mercenaires; & cette extrémité du monde, oü repofe 1'efpérance du refte, ne feroir plus qu'une conrrée avilie, dont 1'exemple fourniroit un principe de plus aux tyrans pour 1'op. preffion de 1'efpèce humaine. Vcus êtes au commencement de tout: n'adoptez rien des Etats vieillis, que les préjugés, les révolutions, les habitudes ont altérés fans remède. Leur plus trifte ignorance eft celle des maux dont ils font affiégés. Leur plus mcrtelle maladie eft cet  [ 319 ] aveuglemenc des paffions invétérées, qui perdent jufqu'au defir de ia guérifon. Le germe des maux qui menace 1'enfanc au jour de fa naiffance échappe a 1'ceil le plus éclairé ; mais il contienc la conrao-ion ö & la mort. II en eft dc même des Etats. C'eft dans i la première idéé fauffe , dans le premier principe injufte mêic d leur conftitution nailfante, qu'eft la : fource de tous leurs malheurs & de leur ruine ; ' d'autant plus dangereux que la fermentation fera plus lente & plus difficile a prévoir. Le moindre : levain de vice ou d'erreur fuftit pour mettre fouri dement en difcotde les mceurs & les loix , & pour opérer la diflolution des répubüques les mieux éta- blL-s en apparence. Tous les Etats confondent aujourd'hui 1'argent avec la richeffe , la richeffe avec le bonheur, l'éelat javec Ia puiffance, la renommée a«. ec la vraie gloire. Tuyez ces illufions; & n'en jettez pas la femence dans le betceaude vos fociétés. Satjhez, & n'oubliez i jamais, qu'on n'eft heureux que par la modéraiion, .puiffant que par le nombre 8c le courage , illuftre d'un éclat durable que par Ia veuti. Vaki donc une règle süre de conduite : tout ce qui peur aitcrec vos mcEtirs, affoiblir votre zèle , vous détacher de ;vos devoirs d'homme & de citoyen, eft un mal, au grand mal, qui, dangereux dès aujourd'hui ,  [ 3*° ] deviend oit infailliblement un principe de mine pour vos nations. L'emprunr réunit tous ces défordres a la fois. Que ce foit donc une loi invariable de n'emprunter jamais. Le Je trouve dans 1'Auteur une autre idee qui n'a , j ne°doitS Pu naitre fur les moyens de le réalifer, n'aura jamais n lieu. Ni individu, ni char , ne parcourront » l'atmofphère : VimpoJJibilité phyftque eft décidée. Mais fi elle ne 1'étoir pas, il feroit ttès-per» nicieux qu'un tel deffern fut conduit a 1'exécusj tion : les hommes ne fe font que trop de maux » en avancant fur ce globe, foit par leur marche, 1 s> foit a 1'aide de leurs montures. Que feroit-ce 33 fi Ion voyoic 1'air s'obfcurcir, & des b3taillons 53 former un gros nuage qui viendroit fondre avec 3> 1'impétuofité des tempêtes fur des contrées 3> qu'aucune ptécaution ne pourroit mettte a 1'abn 33 d'une femblable invafion 'f La fociété feroit » pareillement boulevetfée fi les hommes pou- ( I ) 11 eft queftion fans doute ici des annonces du Sieur BlancUard & conforts, prétendus méchaniciens, qui étoient sürs , il y a bien des années, d'évoluer dans les airs, pourvu qu'on leur donnat un moyen de s'enlever, & qui ont oublié pette invention depuis qu'on leur a donné ce moyen.  [ i¥ ] *> voientfe rendre invifibles, travetfer rapidement » les plus grands efpaces, & pénétrer dans les lieux les mieux fermés j mais il faut efpérer que cela ne fe trouvera jamais que dans les contes des fées {i)„ » Je crois qu'il eft inutile de relever 1'abfurdité de ce galimathias emphatique. On diroit qu'il a fervi de texte, foit en Angleterre, foit en France, fok dans beaucoup d'autres contrées de 1'Europe, aux efprits fuperficiels & ttanchans qui, depuis queïques mois affeclent de parler avec mépris ou terreur d'une des plus grandes découverres qu'ait fait 1'efprit humain. Tout homme de fens comprendra facilemertt qu'il eft impoffible de faire contre les ( I) Tiré d'un mémoire de M. Formey fur ia queffión : Toutes les vérités font-elles ionnes a dire!—Mémoires de 1'Académiede Berlin pour i777> p. 538.—Voyez quelque chofe de plus ridicule, s'il eft poffible, dans les Annales Civiles, Politiques & Lirréraires de Genève,, anne'e 1782, N°. 2i, article Pompes hydrauliques en fervice aftuel. Il eft affez remarquable que cet article , od l'on perfifHoit fi Iourdement 1'efpérance d'un art aëïoftatique dont le fecrct étoit perdu depuis feu Icare de décourageante mémoire , s'imprimoit peu de femaines avant celles oü M. de Mongolfier conftatoit fa fublime découverte; & cela eft d'autant plus remarquable , qu'on ne peut afturément refufer de I'eftime , du moins aux talens & aux connoiflances de 1'Auteur de ce. Journal» *3  [ 34* ] machines aëroftatiques une objeótion qui neut pas du profcrire le foc de la charme, Ie feu, 1'echelle, 1'allumette, en un mot toute in vennon utile, ou même de néceffité première. Mais répétons fouvenr s pour léternelle lecon des hommes ptéfomptueux & des détraéreurs de rout ce qui eft grand , qu'en 1777 on impnmoit dansles Mémoires de 1'Académie de Berlin, que Vimpojféilité phyfiqie pour tout homme, pour tout char,' de parcourir Tatmofphère, étoit décidée ; & qu'un pareil voyage ne fe trouveroit jamais que dans les contes des fécs. Ainfi donc, cinq ans avant Pinvention des machines aëroftatiques, un philofnphe a dit: qu elles étoient impojfihles & qu'elles feroient funejles! Quand les Philofophes auront-ils le courage datcendre & de doutet? Quand les hommes fauront i's que fi le Ciel leur avoit refufé le petic nombre de penfeurs qui les onr inftruits, il feroit fort douteux que 1'efpèce humaine méritat quelque préeminence fur les orang-outang, & qu'ainfi c'eft une démence facrilège que de rabaiffer les efforts du génie 1 Quand les peuples feront-ils convaincus que tout fuccès de 1'efprit humain eft digne de la faveur, du refpeét, de la reconnoiffance , de 1'encoutagement de toutes les nations ?— Mais laiffons pariet M. le Duc de Chaulnes.  [ 343 ] SUR LES BALLONS AÈROSTA TIQUES. Pour fe faire entendre fur un objer nouveau, il faur d'abord expofer les principaux fairs qui ont accompagné fa découverte. Celle de Tart aëroftatique appartient inconteftablemenr a M. de Monrgolfier. II eft le premier qui ait enlevé de gtandes enveloppes pat la raréfaétion de Pair contenu : ee procédé produir a peuprès de 1'air plus léger que 1'atmofphérique dans la proporrion de i a 2. M. Charles avoit déja élevé & fait crever des bulles de favon remplies d'air inflammable, fuivant le procédé de M. Cavallo. Cet air, fait par 1'acide vitriolique & le fer, & prodnit en petit dans les labcratoires, eft a 1'air extérieur comme 1 a Io. Fait en grand, il eft a-peu-près comme ik; & par des procédés particuliers, on peut 1'obtenit comme 1 a 17. 11 y avoit donc bien de 1'avantage aemployer l'air inflammable pour enlever des ballons. D'ap.rès la découverte de M- de Monrgolfier y ■ M. Charles eut 1'idée d'employer cet air. MM. Robert, deux frères qui logent avec lui & qui Y4  [ 344 1 entendent parfaïtement la partie méchanique , exécutètent le premier ballon parti des Thuileries avec lequel ont voyagé MM. Charles Sc Robert. MM. Robett ,'feuls, ont exécuté depuis a St. Cloud le ballon de 52 pieds de long fur 30, qui apparrient a M. le Duc de Chattres; & celui de 44. pieds fur i6, cylindrique comme le précédent, dans lequel ils ont fait voyage dans le mois de Seprembre dernier. Remplir les ballons d'air inflammable par le moyen de 1'acide vitriolique étant fort cher, M. Prieftley vient d'imaginer un procédé très-peu couteux , Sc qui reffemble fort a celui que M. Lavoifier emploie pour créer cet air. Le chymifte Ftancois fait paffer la vapeur de 1'eau bouillanre au travers d'un canon de fufd e.ntretenu rouge par des charbons ardens. M. Prieftley a fubftitué au canon de fufd un tube de cuivre rouge embrafé, fur lequel la vapeur de 1'eau n'a aucune acVon, 8c qu'il remplit avec les copeaux de fer que produit le foret en forant des canons. II fe procure par ce moyen un air inflammable qui efta 1'air commun comme 15 ai. M. Prieftley a eu la bonne foi , auffi refpeókable qre rare, de parler de ce qui avoit éré fait eri Trance avant lui fut ce fujeu  / 345 ] Enfin M. Meunier, jeune officier trés inftruit, qui a fuccédé a M. d'Alembert a 1'Académie des Sciences, vient de publier le mémoire le plus favant, le plus ingénieux, le plus clair, en un mot, le plus diftingué fur la manière d'élever les ballons fans perdre de left ni d'air infLmmable 3 deuxpertes, 1'une impoffible, 1'autre très-difficile a réparer dans les airs. 11 renferme dans fon ballon un petit ballon rempli d'air commun, qui eft tout naturellement comprimé par la dilatation de 1'air inflammable, d mefure qu'il s'élève dans des couches d'air qui deviennent progreffivement plus rares encore que lui. Cette compreffion fait perdre de 1'air atmofphérique, & par conféquent du poids, au petit ballon quand il s'élève. Un foufflet placé dans la galerie répare facilement cette pette lorfque cela eft néceffaire. A la fuice de cet ingénieux moyen M. Meunier donne une table trés favamment calculée des différens degrés de pefanteur fpécifique de 1'air aux hauteurs progreffives ou la rupture d'équilibre fait monter le ballon. En lifant cet excellent Mémoire, il eft difficile d'apprendre fans plaifir que M. Meunier eft un des commiffaires nommés par 1'Académie des Sciences de Paris pour perfeérionner 1'art aëroftatique, & de voir fans chagrin que le nom de M, Meunier eft d-peine connu en Angleterre.  li 347 ] " II y a donc jufqu'a ce jour deux moyens pour élever les ballons L'un par la raréfacfion de 1'air. Ce moyen ne produit qu'un exces de légèreté comme i eft a a, -& demasde par conféquent une enveloppe d'un volume beaucoup plus confidérable; mais on peut entrerenir la raréfaéHon avec des matériaux peu difpendieux & faciles a trouver. II eft d'ailleurs aifé d'éviter la combuftion des ballons ainfi remplis; accident ttop ordinaire jufqu'a ce jour. L'autrej par 1'air inflammable, qui préfente de grands avantages. II a été fort difpendieux jufqu'a ce moment; mais il le fera beaucoup moins par le ptocédé des copeaux de fer & de la vapeur de 1'eau que par celui de 1'acide vitriolique; les matériaux font peu coüteux & fourniffent beaucoup d'ait relativement a leur poids & a leur volume. Celui des ballons, & conféquemmentdes enveloppes difpendieufcs qu'on y emploie, eft confidérablement réduite ; puifque 1'excès de légèreté, qu'on n'obtient en rarénant 1'air que comme 1 eft a 2, & par Ie gaz ordinaire que comme 1 eft a 6, eft annoncé pat M. Prieftley comme 13 eft a 1. D'ailleurs en employant, comme MM. Robett, la forme cylindri^ue par  C 34» ] laquelle on doublé la capacité fans augmenter la réfiftance, on gagne beaucoup, fur-touc pour la poffibilicé de la direction; de forte qu'il eft probable qu'avec des ballons de 30 pieds de long fur 15 aio de diamètre, on pourra enlever le même poids qu'onr porté MM. Roberc dans leur dernier voyage. Ce poids eft d'environ 800 a 1000 livres au-delTus de la pefanteur du globe acroftatique. On ne peut pas annoncer des faits auffi fatisfaifans fur les moyens de diriger les ballons. 11 eft a craindre qu'on ne foit long-tems arrêté par le principal obftacle, la réfiftance que les ballons préfenrenr par leur grande furface. On n'a point dans les airs, comme dans 1'eau, Ia reffource d'un point d'appui fut un fluide qui d'ailleurs réfifte beaucoup plus que 1'air. Ainfi il eft difficile de compter pour une longue route fur les efforrs foutenus du petit nombre de perfonnes que le ballon peut porter, & dont on ne peut augmenter le nombre qu'en augmentant la capacité de 1'enveloppe. II eft vrai que la réfiftance de fa furface, qui eft celle du grand cercle de la fphère, n'augmente pas autant que fa folidité_, & conféquemmenc pas autant que la force requife par fon étendue pour la ruptute d'équilibre. Mais on n'a encore  C 34S ] rien d'afféz précis fur ce point pour fe décider £ augmenter beaucoup cette capacité, en raifon de laquelle feule on pourroit porter plus d'hommes, ou plus de moyens méchaniques capables de vainaé la réfiftance d'un courant d'air déterminé. II eft cependant certain, & c'eft Ie feul efpoir fondé de direótion que l'on ait jufqu'a préfent; il eft certain, graces aux obfervations déja faites, qu'il exifte, a différentes hauteurs, différens courans d'air quelquefois oppofés. Or, comme dèsa préfent on eft le maitre de monter & de defcendre a volonté, peut-être fera-til poffible d'a'ller chercher ces courans ! Peut être auffi 1'étude des moyens par lefquels les oifeaux tiennent contre le vent, & des obfervations d'anatomie comparée fur les poiffons & fur les oifeaux (1 ), qui furmontent les courans des deux fluïdes qui nous font communs avec eux, donneront-ils des idéés nouvelles fur la direótion des machines aëroftatiques. t C'eft au rems feul & aux expériences qu'il appartient de rhnrit ces réflexions & de réalifer ces efpérances. On ne fauroit donc trop encourager & multipliet les expériences. (\ ) M. Tenon a déja donné fur'ce fujec un favanr rnémpirc a 1'Académie des Sciences de Paris.  [ 349 1 Mais fans parler de la diteétion , le plus grand, & prefqué le feul progrès qui refte a faire depuis environ un an que Part aëroliatique eft découverc, quels avantages ne préfente-t-il pas dans fon état prefenc ? On peur fe procurer les obfervatoires & les laboratoires les plus élevés pour toutes les circonftances. II en eft peu qui exigent une élévation qu'il fut pénible d'atteindre. On pourra répéter dans toutes les régions & a toutes les hauteurs les obfervations de phyfique & de chymie déja faites ; en effayer beaucoup de nouvelles, particuüèrement fur 1 electricité , & fur les caufes de la direétion & de la déclinaifon de Paiguille aimantée; enfin parcourir dans 1'atmofphère tous les dégrés de raréfaction & de température indiqués par le baromètre & par Ie thermomètre. Toutes les fciences naturelles ont donc acquis un grand moyen de plus. L'art de la guerre eft déja changé. Par le moyen des ballons on pourra favoir a poinr nommé routes les manoeuvres de 1'ennemi. Une tempête ne pourra plus féparer les flottes, fi chaque vaiffeau élève du pied de fon mat un ballon qui porte un obfervateur & un télefcope. On fera le maïtre de jetter des avis dans une place affiégée. La Géographie& 1'Aftronomie devront peut-être encore davantage aux machines aërottatiques. On pourra déformais monter tacilement fur les fommets qui ont été inaccef-  [35°] fibles jufqu'ici par tous les moyens connus. On ne fera, pour ainfi dire, que copier, avec unecetticude abfolue, des plans & des cartes géogtaphiques, qui n'ont été jufqu'ici que des guides infidèles. Ce fera maintenant avec la plus grande facilité & la plus grande fécurité que l'on verra derrière les objets inacceffibles dont on ne pouvoit avoir que des rapports infidèles ou tout au moins doureux. Enfin on le procurera tous les avantages qui réiuitent de la poffibilité de voir fur un plan & d'une hauteur i volonté tous les objets. Jufqu'ici les ballons n'ont été que le domaine prefque exclufif des charlarans, qui ont déguifé, le plus qu'ils ont pu , tout ce qui pouvoit rendre cette découverte aifée a répéter &c conféquemment a perfecfionner. La plupart guidés feulement par 1'apre appas du gain, & par une ignorance prefque abfolue, fe font livrés a une fpéculation purement lucrative, & n'ont defité autre chofe que de faire voir dans de grandes falies, a un shelling par tête, leurs ballons & jufqu'aux animaux qui les ont accompagnés, comme fi l'on ne favoit pas qu'un chien ou un chat refpitent oü un homme refpire. D'autre part, pendant que l'on a répété dans prefque toutes les parties du globe les expériences  [ 35* 1 actoftatiques, cette découverte n'a fait en Angleterre que réveiller la haine& lajaloufie nationales. On a, pour ainfi dire , daté la découverte du premier ballon qui a été élevé en Angleterre par un étranger 3 a condition qu'il ne fut pas Francois. J'ai fouvent entendu dire a Londres, avec autant d'efprit que de philofophie : Nous nous foucions bien de vos ballons, II femble qu'il y ait eu une efpèce d'accotd, même entre les Savans, pour fuir 1'expérience la plus curieufe qui fut jamais, donc Ie hazard avoit placé la découverte fur le fol de la France. I I. " La majorité de la Chambre des Communes Bri» tanniques eft choifie par quelques milliers i'indi» vidus tirés de la lie du peuple, & dont on achète » conftamment les fuffrages.—N'eft-il pas ridicule n d'appeller libre un pays ainfi gouverné? Note, p. 277. J'ai entendu taxer cette note d'exagération. Un coup-d'ceil rapide, mais exact, fur la manière dont les Anglois font repréfentés en Parlement > fuffira, jecrois, pour juftifier M. Price, &pour donner une idéé nette de la queftion; car on répète tous les  t C 3 J* ]. jours dans les pays étrangers que le peuple Anglois n'eft point repréfenté cotnme il devroit Pêtre & je doute que l'on s'entende. J'emprunte, relativement a 1'Angleterre proprement dite , les faits rapportés par M. Burgh (i). On ne les contefte point; & ils font, comme il le dit lui même , le rcfultat des calculs de M. Brown Willis, contre lefquels on n'a point propofé d'obje&ions. Quant a rEcoffe, dont la repréfentation eft plus inégale encore que celle de 1'Angleterre, ce fonc les lettres de Zenon (i) , qui me fournilTent les faits dont la vérité eft conftante. On s'eft borné eri Angleterre a prendre la majorité des voix comme total du nombre des éle&eurs. Par exemple : fi dans telle ville il y a cent cinquante perfonnes qui aient le droit de voter , le nombre foixante-feqe conftitue la majorité ; comme en Parlement deux eens quatre-vingt équivalent a cinq ( i ) Political Difquifitions , er an Enquiry into public errors , defecls, and abufes. Vol. I. cap. iv. p. 39, & feq. ( z ) Letters ofZeno, addrejfed to the Citiiens of Edinburgh on Parliamentary Reprefentation ; and, particuiar/y , , onthe imperfect Reprefentation for the City of Edinèurgh, and the other burg ts of Scotland—1783. eens  C 353 ] eens cinquante-huit, & donnent a un bill fanétion de loi. C'eil-ldj fans doute, un premier inconvénient j mais il eft nul en comparaifon des difproporrions exceliïves entre les droits d'éleéHon des villes & des bourgs reprélencés ( i ). Par exemple : GRAMPOUND envoie deux Repréfenrans qui font élus par une majorité de cinq, le droic d'élection s'y trouvant dans un corps compote de neuf membres. A WHITCHURCH les francs-tenanciers nomment deux Repréfentans; ils font au nombre de quarante.—IIy a cent maifons deins la ville. ANDOVTR envoie deux Repréfentans nommés par une majorité de irei^z vöix. Ily ajïx eens maifons dans la ville. NEWTON—deux par une majorité de un; Ie Maire & les douze Bourgeois qui les élifent étant a la nomination du Seigneur du lieu. OLD-SARUM—deux par une majorité de un. ( I ) M. Burgh foutienc q_u'en comparant les fommes que chaque comté fournit pour les dépenfes de 1'Etat, on trouve entr'elles des difpioportions uon moins frappantes que celles de la repréfentation. z  [ 354 ] Willis dit qu'il n'y avoit en 1750 a OldSruns qu'une feule maifon. Aujourd'hui cette niaifon n'exifte plus: mais le Seigneur du lieu nomme un Bailli Sc lix Bourgeois auxquels il donne congé d'élire. Les deux membres qu'ils nomment font les Repréfentans duSigneur, lequel, auffi bien que celui de Newton , eft magnifiquement repréfenté en Parlement; puifque LONDRES même , ou le nombre de ceux qui ont droit de voter fe mon te a. plus de vingt mille , n'eft repréfenté que par quatre membres dans la Chambre Bafle (I } j d'oü il fuit que dans la balance de 1'Etat, deux hommes ont un poids égal a celui de vingt niille. Les deux petits bourgs de BOROUGHBRIDGE & d'ALDBQROUGfi font dans la même paroiffe, &: cette paroiffe eft Ia feule en Angleterre qui nomme quatre Repréfentans. , DEVIZES en nomme deux qui font élus pat une majorité de foixante-dou^e. MARLBOROUGH—deux , qui font élus par une majorité de deux .c'eft-a-dire, par un Maire & deux Baillifs. (1) Weftminfter Sc Southwark envoient auffi quatre Membres au Parlement; mais ce n'eft pas-Ia Londres prof rement dit.  L3>5] En raflemblant ainfi les autres villes & bourgs; on voit par une fimple addicion que deux eens cinquante quatre Repréfentans font élus par cinq mille fept eens vingt-trois voix. Or 1'alTembIée la plus nombreufe des Communes fut au fujet du Miniffre Walpole en 1741 ( 1). II s'y trouva cinq eens deux membres ; ainfi le nombre deux eens cinquantequatre approche de très-près la majorité de la repréfentation nationale. La plupart des cinq mille fept eens vingt - trois perfonnes qui nomment les Légiflateurs du peuple Anglois 3 Sc qui leur donnent un controle illimité fur les propriétés des Citoyens, n'ont pas un pottce de terre. Ajoutez que des deux eens cinquantequatre Membres Parlementaires qui repréfentent la majorité de la nation , il n'y en a pas un feul qui ( 1 ) Au fujet de 1'éleclion de Chippenham , qui fut conteftée en Parlement dans un tems ou ces queftions étoient jugées par la Chambre des Communes Sc non par des Comités. Cette infurreflion , au fond de peu d'importance, avoit pour objet véritable d'elTayer Ie pouvoir de Walpole, qui, n'ayant eu qu'une majorité de quarante voix, quitta le Miniftère , difant qu'un Miniftre qui ne 1'emportoit fur 1'oppofirion que d'une telle majorité, n'étoit plus Miniftre.— Ses fuccefleurs n'ont pas été G difficiles. II n'eft pas aifé de déterminer fi c'eft la le fymptöme ou 1'eftet d'une plus ou moins grande cortuption. z *.  C Hf ] foi: élu par trois eens voix; & il y en a une foule qui le font par moins de vingt, tous hommes fans propriétés & par conféquenc très-propres afe laiffer corrompre. La Repréfentation de 1'Ecoffe eft bien plus étrange encore. On y compte foixante-Jix villes ou bourgs qui ont droit d'etre repréfentés en Parlement. Avant l'a&e d'union, Edinburgh envoyoit au Parlement d'Ecoffe deux Repréfentans, & chacun des bourgs en envoyoit un. Ainfi le tiers-Etat du Parlemsnt d'Ecoffe confiftoit en foixante-fept Membres. Cependant pat 1'aóte d'Union les bourgs d'Ecoffe n'ont droit d'envoyer que quin^e Repréfentans au Parlemenr de la Grande-Bretagne. De ceux-ci l'an eft élu par la ville d'Edinburgh; les autres le fonr par les différens bourgs divifés en quatorze diftriéts , compofés chacun de quatre ou cinq bourgs. Cheque diftricl n'envoie qu'un Repréfentant. L'éleétion de ces quinze Repréfentans fe fait de la manière fuivante. Le Repréfentant pour Edinburgh eft élu par le Confeil de la Ville qui n'eft compofé que de trenteiroh Membres. Les Repréfentans des différens diftricts font élus chacun pat quatre ou cinq Commif-  [ Mi 3 faires ou Délégués, un pour chaque bonrg. Ces Delégués fonr élus par les Confeils Municipaux des bourgs dans chaque diftrid. Mais après l'éleclion 3 ils ne fonr fujets en aucune manicre au controle des fujets qui les ont nommés. I!s ont pleine liberté de donner leurs fuffrages comme ils 1'entendent. Ainfi , il faut envifager ces Délégués , une fois nommés, comme les éledteurs abfolas & incontrólables de la Repréfentation des différens diftriéts dans lefquels les bourgs font diftribués; & ies Confeils Municipaux, ayant feulement le pouvoir de nommer les Délégués , ne font repréfentés en Parlement tout au-plus qu'indireétement. Voici maintenant un Etat numérique de la repréfentation des bourgs d'Ecoffe (i ). Repréfentans. Eleöeun, Edinburgh envoie au Parlement i 33 Fain, Dingwall , &c. 1 5 Invernefsj Nairn, &c. 1 4 Elgin , Banff, &c 1 j Aberdeen, Montrofe, &c. . . 1 5 Penh, Dundée, &c. 1 <. Anftruther , Pittenweem, &c ï 5 ( 1 ) Letters of Zeno.—Appendix.  [ 35§ 1 Dyfarc, Kirkcaldy, S'.c. i 4 Scirling, lnverkeithing, &c. . . 1 5 Glafgow, Dunbarton, &c. . . 1 4 Haddington, Jedburgh, &c. . 1 5 Linlirhgow, Selkirk, &c. 1 4 Pumfries, Kirkcudbright, &c. 1 5 "Wigion, Wuhotn, tkc. 1 4 Air, Irvine, &c 1 5 15 98 D'ou l'on voit que les Repréfentans de tous les bourgs d'Ecoffe ne font élus que par quatre-vingtdix kuit éleéteurs. Or on fuppofe, d'après un calcul modéré , que ces bourgs contiennen: trois eens mille habitans. II y a tr.i.te Repréfenrans pour les comtés d'Ecofle qui conciennent environ dou^e eens mille habitans.—De pareils faits n'ont pas befoin de commentaires. Enfin des cinq eens cinquante- huit Repréfentans pour 1'Angleterre & 1'Ecoffe (1 ) il y en a cent ( 1 ; II eft a remarquer que les fils ainés des Pairs Ecorlois font déclarés incapables de Céger dans la Chambre des Communes ; tandis que les fils des Pairs Anglois ont ce privilege: ainfi dix perfonnes d'une même familie peuvent être a la fois Légiftateurs.  L 3 59 1 trente-un pour les Comtés , dont quarc.nte deux pout 1'Ecoffe & la Principauté de Galles. Ainfi lei Repréfentans des bourgs font quatre fois plus nombreux que ceux des comtés. c De ce réfumé, dit M. Burgh, on peut » (irer cette conféquence générale, que ce n'eft » qu'une trés petite partie du peuple Anglois qtii » nomme les Repréfentans de la nation, & que » ce petit nombre n'a aucune volonté a fui. — » Elt-ce donc la, continue 1'Auteur Angkis, ce » fublime gouvernement, cette magnifique ftruc» ture, ouvrage de tanr de fiècies? Non.—Eft-ce y> une Ariftocratie, une Monarchie, ou une Répu>j blique ? Non.—Qu'eft-ce donc ? » Une ptochocracie: c'eft toujours 1'Auteur An» glois qui parle ; oui : une ptochocracie , un » gouvernemenr de gueux. C'eft a ces gueux que la » Chambre des Communes doit fon êtte. C'eft a 33 ces gueux qu'elle doit le pouvoir de difpofer » de la bourfe des Citoyens. Diffoudte un Park» ment n'eft pas remédier au mal. Ces mêmes gueux » furvivent au Parlement de leur tréation tk le >» reirafcicent. Je ne ferai pas fi fcvère que M. Burgh; tk a Z 4  [ }6o ] dire vrai, je n'en ai pas le droit. 11 faut ètte Anglois poiir avoir celui de médire d'eux. 11 femble qu'on ait voulu jufqu'ici confoler les auttes nations en leur parlanr des défauts de la conftitution Angloife & de fes abus. On a fait comme ceux qui porteroienr leurs gémiffemens fur de légers Hiens a des efclaves chargés de lourdes chaïnes. On ne penfe pas que les liens lailfent toute la lenfibilité, tandis que les chaïnes 6tent tout fentiment. Je ne fuis ni fi injufte, ni fi léger. Mais i'oferai dire que la repréfentation Anglcifc telle qu'elle eft aujourd'hui, exclut la liberté politique. U faut une transfujion de nouveau fang dans notre co/^ir««o/2,difoitl'il[uftreChatham.Peur-être feroitil tems que les Anglois s'occupaffent , férieufement ck avec leur perfévérance naturelle, de certe grande opération. J'ajouterai une obfervation paree que je la crois nouvelle. Le proces du Doyen de Sr. Afaph occupe 1'attention publique en cet inftant. Peut-être fixerat-on enfin la juri prudence des libel les dans un pays oü la Liberté de la Preffe eft a fi jufte titre regardée comme le pal adhim de routes les I bertés; & oü jufqu'ici l'on n'a d'autre fauve-garde en ce ge' re que 1'efprit public, qui dirige ordinairement les Jutés; lefquels, cependant, comme on vient  [ 3*r ] de Ie voir en cette occafion, ne jugent pas toujours a-propos d'exercer leur droit, ou fur pouvoir de décider fur les hbelies. Comme fi l'on ne devoit pas faire pour la liberté, tout ce que l'on peut pour elle! comme fi les accufés, pour fair de libelles, n'étoient pas continuellement menaces d'arbitraires, du moment oü les Jurés fe permettent de lailfer quelquefois les Juges maltres de la queftion 1 Quoi qu'il en foit, le fujet de ce ptocès célcbre eft un dialogue fur la réfiftance politique, un peu brufque peut-être, c'eft-a dire oü les tranfitions ne font pas affez ménagées, mais qui, du moins a mon avis, ne porte pas la théorie de la réfiftance auffi Ioin qu'un bon efprit & une ame libre peuvent le defir r. Cependant on mee en queftion fi ce dialogue n'eft pas un libelle. Et en effet, qu'on réfléchilfe a la difliculté prefque infurmonrable que renconrreroit un homme, qui auroit une averfion prefque égale pour le menfonge & les demi-vérités, & qui ne voudroit être ni pufillanime, ni féditieux, en rracant, même en Angleterre, la théorie de la réfiftance, aulfi long-tems que la nation fera fi inégalement repréfentée; & l'on ne fera plus étonné de Tex-  ceffive variété des opinions dans une affaire fi fimple. Certes, nul autre corps que la majorité de la nation n'a ni ne peut avoir le droit de réhfter au pouvoir exécutif : & , a dire vtai, le moe réfiftance eft impropre; car la nation ne doit pas réfifter; elle eft, & ne peut jamais cefler d être fouveraiue : quand fon intervention eft devenue nécellaire, elle doit commander & non réfifter.—Mais oü eft la nation ?—oü eft la majotité de la nation ? • comment la connoitre ?—comment la cotnpter. Combien ces queftions deviennent embarraffantes chez un peuple fi mal repréfenté! Combien plus épineufes , Jorfqu'on penfe que dans la Conftitution Angloife le pouvoir exécutif eft une partie intégranre du pouvoir légiflatif; deforte que, théoriquement parlanc, le Parlement, c'eft-idire, deux parties du pouvoir légiflatif, n'ont pas Ie droit de juger la troifieme!—Si la nation feule a le droit de réfifter , & que la nation ne foit pas repréfentée, & que la réfiftance foit nóxffaire pour obtenir une veritable repréfentation de la nation; oü en font les Anglois? Qui les tirera de ce cercle ? C'eft ce que je ne ptétends point examiner ;  [ 3*5 ] non que je penfe, avec Rouffeau, que le mal foit dans la nacure même de la chofe; non que je penfe avec un grand nombre d'Anglois qu'une repréfentation plus égale foit impoilible, ou même difïicile a érablhr. Mats c'eft aux hommes éclairés de 1'Angleterre a réfoudre ce grand problême. Je ne comprends pas, je 1'avoue, les écrivains qui s'érigent fi facilement en inftructeurs des nations éttangètes, tant je rencontre de difficultés a éclaircir le moindre fait y tant je m'appercois mieux chaque jour qu'on ne fait que ce qu'on a vu. En vérité je trouve qu'il faut s'inftruire pendant des années entières du local, & des chofes, & des hommes, pour fe mcttre en état de confeillet un quart d'heure. Je n'ai donc voulu que montrer dans cette note que Monfieur le Doóteur Price n'a point exagéré , & qu'un des plus grands malheurs de 1'Angleterre eft en effet que fa Repréfentation Parlementaire foit très-inégale , &Ton peut ajouter, fort intérejfée a refter tres inégale. Car lorfqu'on fair, par exemple, que tel Membre de la chambre des Communes, Seigneur & Repréfentant du petit bourg de Banbury, (lequel eft compofé de quatre ou cinq eens feux, & dont les Eleéteuts fe réduifent a feize ou dix-huit perfonnes qui compofent Ie  [ 3*4 1 corps de ville;) lorfqu'on fait que ce Repréfentant s'elï oppofé a ce qu'on améliorat la Repréfentation Angloife, fous prétexte du refpeót invioJable du d la vénérable fabrique de la ftruclure eternelle de l'augufte conftitution; on fait ce que le feigneur de Banbury a dit & voulu dire, & ce qu'il dira & voudra toujours dire a ce fujet. Mais fi un fïncère ami de la liberté difoit a fon tour: Anèantiffe^ le droit d'éleclion de tous ces bourgs féodaux, qui ne font pas des bourgs, qui , n ont pas de vrais Citoyens, qui font des foyers de corruption , qui ne contiennent que des falarie's, des valets d'Ariftocrates ambitieux & cupides, tantot achetés, tantot acisteurs ; anéantiffe^ le droit d'éleclion des bourgs, & multiplier les Elecleurs & les Repréfentans dans les Comtés .... n'entendroit-on pas auffi ce que 1'Ami de la Liberté voudroit dire ? N. B. Depuis que cette Note eft écrite, il a été rendu dans la caufe du Doyen deS. Afaph une décifion foleranelle. Lamajoriré des Juges du Banc du Roi a déclaré: que, fuivant la loi, le Juré eft obligépar fon ferment, dans tout proces pour fait de libelle, de décider feulement Ji l'accufé a ou na pas publié l'écrit qui lui eft imputé, & de laiffer  [ 3*j 3 aux Juges d prononcer fi cet e'crit eft ou n'eft pas un libelle { i) En admertanr que cette docfrine eft indubitablement la loi du pays (car un Étranger ne peut guères fe permetcre un autre fuppofition); il nous ; paroit évident que la Liberté de Ia preffe n'eft eu Angleterre qu'un privilege fort illufoire, & que Je jugement par Jurés n'eft dans les queftions de la plus haute importance qu'une formalité aftez inuti'e. Et certes, ce n'eft pas-la ce que nous avions entendu dire, & ce que nous nous plaifions i répéter fur la Liberté Britanique, & fur les avantages incomparables du jugement par Jurés. II faut plaindreamèrement la bonne foi des Anglois qui fe j vantoient de ces deux privileges qu eax feuls poffédoienc en Europe, öc fur lefquels repofoit leur fécuricé. Ils ont rêvé que c'étoit-la. les plus éminens des droits que leur conféroit leur naüfance , que ces droits affuroient öc garantiifoient tous ( i ) Bien entendu que 1'application des Inuendos , c'eil. a-dire, la déterrnination des perfonnes ou des faics fur lef; qucls toinbent les paroles injurieufes de lecrit dénoncé pour être un libelle, appartient aux Jurés , de 1'aveu même des Jugcs.  [ }64 ] ^ les autres. Ils 1'ont rêvé jufqu'a la décifion de cette caufe fatale; mais 1'illufion eft détruire; & le réveil qui fuit cette longue erreur doit les écl irer bien profondémenr fur les dangers d'une fituation 11 imprévue. Alfurément on ne peut que féliciter les Ciroyens de la Grande Breragne de ce qu'on ne leur a pas appris pLrör qne leur opinion fur des droits illimités des Jurés dans ces fortes de caufes , étoit une erreur abfoluej car, fous le règne de Jacques II, cette opinijn s'éroit fi univerfellement emparée des efprits, qu'on doit principalement attribuer a fon , influence dans le procés des Sept Evèques la révolution glorieufe & fortunce dont les Anglois s'honorent, & a laqu.lle ils doivent d'être un peuple libre. Comment ne regretteroient-ilspasfttie théorie qui leur fur fi falutaire, & dont on a decouvert fi tard la fauffeté ? A la vérité les Juges du Banc du Roi, tout en niant que les Jurés aient le droit de décider fi 1'écrit déféré a leur examen eft ou n'eft pas un libelle, reconnoiffent qu'ils en ont Ie pouvoir; fans que 1'exercice de ce pouvoir puiffe leur faire encourir aucune peine , & même fans qu'il foit prffible d'infirmer leur Jugement.  [ 3*7 3 Auffi long temps que cerre diftinclion entre le droit & le pouvoir, ("laquelle n'eftapparemmenr iutclligible que pour celui q ii pofsèd-: une connoiirancetrès-profondedelajurifpruilence Angloife, car j'avöue naïvement que je ne la comprends point du tout ) auffi long-tems qu.- cette diftinction très-fubrile fera confervée , il reftera aux Anglois du moins cette reffource. En effet, fi dans 1'avenir il fe préfente quelque grande occafion oü les Jurés, en décidant par le fait que tel écrit rieft pas un libelle, fauvent la conftitution quoiqu'ils offenfent la lettre de la loij fi en contrevenant a leur ferment, tel que 1'entendent les Juges, ils arrachenr aux vengeances de . 1'autorité quelque généreux défenfeur des droirs du Peuple, dont le zèle auroit encouru 1 indignation du Gouvernement; (ce qui A même en Angleterre, il faut en convenir t n'eft pas précifément impoffible); on trouveroit a bon droic cruellementfévère le moralifte qui blameroit le Juré, & qui ne prononceroit pas que c'eft-la une des circonftances inhniment rare, oü l'on peut, oü taa dok s'écrier: . Magnanima merrrogna ! ó qnando è il vero Si bello che fi pojfa a te preporre ! Mais les Jurés conferveront-ils long tems le/ta»-  voir, après avoir perdu le droit ? Suflit-il a la Liberté que les Jurés retiennent le pouvoir apiès avoir perdu le droit} Eft-elle bien entière & bien inexpugnable, cette Liberté fainte, li l'on ne lui connoit plus d'autre rempart que les efforrs extraordinaires des grandes ames, & le concours de 1'enthoufiafme particulier avec 1'efprit pub ic , lequel , fi l'on en croit les bon Citoyens, s'aftoib'.it tous les jours davantage en Angleterre?— Voila des queftions qui nous paroiflent dignes des plus férieufes reflexions de tout Anglois qui aime Ion pays, fes enfans, & même fon repos per- . fonnel. I I I. » Quelques grands hommes, Platon, Thomas » Morus , M. Wallis, ont propofe'pour s'oppofer » d cette pente rapide, &c.n p. 282. M. Wallis, ou plutót M. Wallace; car c'eft ainfi que s'appelle 1'écrivain dont parle M. le Docfeur Price; Monfieur Wadace, que l'on fera peut-être étonné de trouver a cbté de Platon & de Thomas Morus, & qu'on ne peut fans exagération appelier un grand homme, eft'p u connu même dans fa patrie, & mérite ceoendant de Fctre. L'eftime qus lui ont témoignée deux de fes plus  t 3*9 1 plus ïlluftres ContemporainsDavid Hume que M; Wallace a critiqué, & M. le Doóteur Price qui en a parlé plufieurs fois avec éloge> devoit donner plus de célébrité a fes ouvtages. David Hume, dans fon Effai fur la populatiori des nations anciennes , imprimé en j 7 5 z ( 1) } fe déclare en faveur de la populacion des modernes. M. Wallace, dans une differtation fur lapopulation humaine dans les tems anciens & modernes (z), impriméeen i7S3j foutient au conttaire que la ponulation des anciens étoit fupérieure. David Hume a placé dans une édition poflérieure de fes Elfais ( 3 ), une note oü il convient: « Que la cri» tiquede M. Wallace eft pleine de politeffe, d'érus> dition , & de fens—qu'il en a infïniment pronte—< » que eer ingénieux Ecrivain a découvert beaucoup » de méprifes tant dans fes autorirés que dans fes » raifonnemens & qu'enfin il ne lui refte de (l ) EJfay on the populoufnefsof ancient nations. ( l) Difertation on the numbers of mankind in ancient and modern times , with an appendix containing remarks on Mr. Hume's ejfay. ( 3 ) Ef«ys and treatifes on feveral fubiedls—n6i — May XI. A a  [ 37° 1 » jfauve-garde que le fcepticifme derrière lequel w il s'eft retranché (i ).» L'ouvragè de M. Wallace fur la population humaine n' ft pas fort en principes; (en 1753 les pd.icipes de la population n étoient pas même coltruis) ; ma:s il cohtient des recherches utiles & cuneufes. M. Wallace donna enfuire un volume anonyme ( 1 ) « An ingenious writter lias honourerl this difcouife » with an antVer full of politenefs, erudition, and goed » fenfe.—So leamed a refutation wou'd have made the 3> author fufpeft that bis reafonings were entireiy oveijj thrown , had he not ufe the praaution, from the begin* » ning, to keep himfeif on the fceptical fide ; and hav.'ng « taken this advantage of the ground , he v/as enabled } » though with much inferior forces, to prefetve himfeif sj from a totat d^feat. That revcrend gentleman wi 1 always »j find, where his antagonilt is fo entrenched, that it wiü jj be diificult to force him The author, however , „ veiy willingly a.knowiedgcs that his antagoniit has de», te&ed many miftakes both in his authotitiés and reafojj ningsj and it was owing entireiy to that gentleman's sj indulgence, tbat many more errors were notremarked.— 3> In this edition advantage has been taken of his learned » animadverfions, and the eflay has been rendered lefs ira« perfeót than formerly. »  r 371 j d'ejfaisfurl'£fpècehumaine,fur la Nature, & fur la Providence ( 2) ; M. Ie Dodeur Price a parlé de cec ouvrage avec dirtindion. Les quatre premiers effais de ce recueil trairenc des imperfedions de la fociété & des remèdes a y apporter. M. Wallace propofe un modèlc de Gou* vernement parfait, non pas pour un feu/ peuple, mais pour toutes les naüons de la terre ( 2 ). Egaliré parfaire entre les Citoyens. Propriétés communes. Travail modéré & réparti fur chaque membre de la Spciété • un certain tems aceordéaux amufemens. Enfans appartenans au public; élevés pour lui. Petits Ecats. Correfpondance mumelle, Langage uniforme. Telle eft en maffe le plan dé M. Waliace (1 ), qui, felon lui , peut êcre exé- ( I ) Various profpecls of Mankind, Nature, and Providence 3 1761. ( z ) ProfpeS x , the model of a perfect government, not forafingle natwn only} hut for the whole earth. ( 3 ) David Himie a intitulé' un de fes éVrits , Idéé d'une parfaite République ( Idea of a perfeci commonweahh ) ■ &• eet ouvrage, tout autremem important <,ue celui dc M. Wallace, auroit eu plus de fuccès, Ü 1'hiftoire d'An 33 Faudra c il&c. &c. (i) »• L'imagination de 1'Auteur s'écbauffe tellemene qu'il ne voit d'autre remède a la calamité de Fexcè s du bonheur que la guerre & la mort. Cette idée1'afflige & le décourage. II n'attend plus rien des. Ucopies,- des fyftèmes de Gouvernemens parfaits qu'ont pïoduits les anciens Sc les modernes. II les abandonne tous j il défefpère de Thumanité. Hélas J'qu'on nous donne des Gouvernemens paifibles Sc profpères ; fulfeht-ira imparfairs; car rien de parfait ne fortira de la main de Thomme; Sc jouilTons avec fécuritc d'une longue période de calme Sc de bonheur, en attendanc fépoque fatale oü la terre fera furchargée de fes habitans. Peutêtre le bon M. Wallace , car fes écrits refpirenr era effet la vraie bonté, je veux dire 1'amour des hommes , de la juftice Sc de la paix , peut-êtte fe feroiril ralTuré } s'il eüt réfléchi qu'a peu près les trois quarts du globe font en friche, Sc promettent pour pluiieurs myriades de fiècles des fubfiftances au Cl ) Page 117,. A.a 3  C 374 ] pius prodigieux accroifiement de population; qu il y a probablement plus loin de 1'Etac a&uel de 1'agriculture jufqu'au degré de perfeétion que 1'imaginacion humaine peut concevohj que des premiers efforts de 1'homme ,- au tems oü fes ongles fillonnoient la terre , aux progrès aóhiels de 1'agriculture ; qu'enfin 1'homme, parvenu a améliorer fon efprit & fes facultés jufqu'au point de trouver un Gou~ vernement parfait 3 auroit auffi trouvé fans doute des moyens innocens de prévenir les maux trèsdouteux d'une population furabondante. Quand a la paix de ïy6i certains faifeurs de projets confeilloient au Miniftère Anglois de laifier les Fran^ois maïtres du Canada } afin qu'ils arrêtaffent l'accroiffement trop rapide des Colonies Angloifes , i'illuftre Frankün difoic : w ce mot y> arrêter eft modefte lorfqu'il s'agit d'exprimer les 35 horreurs de la guerre, le maflacre des hommes, sa des femmes , des enfans. C eft poulfer loin la jj prévoyance que de fentir déja la néceffité d'arrê■» ter 1'excès de la population des Colonies An~ » gloifes. Mais, continuoit le grand homme dans y> la firn} licité focratique qui eft le caractère dif33 rinctif de fon efprit , fi vous croyez néceffaire j> d''arrêter 1'accroiflemenr de notre population , ss permettez moi de propofer une méthode moins  E 375 ] _ jjcruelle, & donr 1'Ecriture fainte nous offre un » exemple ( i). » Le meurtre des époux 5 des femmes 3 des « frères , des enfans, qui önt faic long-tems le " charme & les délices de leurs families, aflette >3 profondément les pareus qui leur furvivenc-, Mais >' le chagrin que donne la mort d'un enfant né " depuis peu n'eft pas comparable a cecte douleur. » Que neprenez-vousdonc la méthode des hummes » detat d'Egypte, lorfqu'ils voulurent arrêter Ia 35 population des enfans d lfraël? Pharaon dit aux 33 Egypriens : le peuple d'lfraël e(l plus nombreux 33 & plus puijfant que nous, Allons • ufons-en fage33 ment avec lui} de peur qu'il ne fe multiplie, & 33 que fi nous nous trouvons engagés dans quelque 3> guerre dangereufe, il ne s'éléve , combatte conti tre nous & nous e'chappe En confé- » quence le Roi paria aux accoucheufes d'lfraël, Sec. Sec. y> Imitez cette politique profonde. Qu'il paroiffe » un acte de votre Parlement qui en oi ne aux; » fages-femmes des Coluni s d'étouffci a leur . i» fance chaque troifième ou quatrième enfant. Par ( i ) Exod. chap. I. A a 4  E 27* 1 . »i ce judicieux moyen vous maintiendrez vos Colo aj nies dans leur état actuel; vous armere^ leur» population; & s'il faut abfolument qu'elles fe » foumettent a la guer*e ou au facrifice des deraa niers-nés dans les families nombreufeSj j'ofe. » répondre que les Américains préféreront 1'expéï3 dient Hgyptien (i ).».... II nous paroit qu'ils en ont trouvé un encore meilleur, Mais pour revenir a M. "Wallace} il attaque dans les 5 , 6, & 9e feclions de fon recueil 1'efiat de philofophie de Maupertuis, qui, comme on le fair j prétend que la fomme des maux 1'emporte dans ce monde fur celle des biens ; opinion qui m'a toujours paru injufte , cruelle & infoutenable , & que le métaphyficien Francois n'a fu adoucir que par fon extravagante découverte de la moindre quant'ué d'aclion. Maupertuis croyoit-il avoir bien confolé les hommes de la douleur qu'ils épronvent 8c des maux que les crimes leur caufent, en leuf apprenant une vérité froide & commune fur les Joix du mouvement? Ce n'eft point avec des vérités géométriques, ( 1) Voye^ the Canada pampkkt, in the political, pki-> {ofophical, and mifcellaneous pieces, hy Dr, Fra/ikiiri 4 printciin 1779 , p. 198,  F 377 1 quand elles feroient aufïï relevées que celles dont Maupertuis a tant éxalté la découverte font rriviales((), quel'on peut éclairer& fonifierla raifon., (l) Maupertuis n'eft pas un des philofophes qui era. ploient le moins d*cmphafe pour débiter des véricés communes. Ce grand principe de hmoindre cuantité d'aSion auquel il attaché un fi haut prix, cette rare découverte dont il fe vante avec une modertie fi plaifante, fe rédujt aceci; Nul mouvement ne fe fait fans caufe ; nul mouvement na bcfom pour fe faire d'une caufe plus forte que celle qui lui fuffit; nul mouvement ne peut fe faire par la force d'une caufe qui ny fuffiroit pas ; muis des que la force ou l'aólion fera fuffifante, le mouvement aura lieu. 11 aura donc lieupar la plus petite force, ou la moindre aciion pojfible; puifque des quclle arrivé au degré fuffi'fant pour agir, elle cgit; & que tout effort plus grand feroit fuperflu, II n'a certainement pas fallu un grand effort de génie , pour trouver ces beaux axiomes. II eft étrange qu'au dixhuitième fiècle on les ait donnés pour des découvertcs, & plus étrange qu'un homme qui avoit autant de fens & d'efprit que Maupertuis, ait cru y voir une preuve de 1'exittence de Dieu , plus forte que celle tirée de J'iutelligence qui fe fait remarquer dans 1'arrangcment de 1'univers, & dans la produétion des ctres fenfibles & penfans. Il tombe bien dans 1'inconvénicnt qu'il ïeproche aux philofophes, d'attacher aux preuves une valeur plus grande qu'elles n'«i out. Sa découverte prétendue n'eft qu'une trivialité ou une pétition de principe qui ne prouve rien du tout, & ne peur. ncn prouver. C'eft 1 enoncé d'un fait commüu , comme  L 373 ] adüiicir 'des fenfations pliyfiques défagréables, balancer leur effet, 6V répii.rier la mauvaife impreffïon qu'elles peuvent dormer aux idees morales. deux & deux font quatre; ou , une balance trébuche au moindre cxcès qu'on mettra dans un de fes bajfms. Les preuves qu'il rejettej comme celle tirée des caufes finales, du deffx-in . de la puiflance , de 1'inteüigence qui fe manifeftent également dans la conftiuition générale de 1'univers , Sc dans celie de fes moindres parties, & fur rour dans celle des éires intelügens, eft au contraire très-forte Sc très-concluante; mais elle eft dénuée de 1'appareil géométrique, & elle lui a paru moins impofanrc. L es Géomèties font de grands feigneurs qui metrent beaucoup d'importance a leur livrée. Mais il faut regaider d'abord fi letofte en eft bonnc. Cette étofFe de tout bon raifonnement, en toutc Icence, eft la métaphvfique Les Géomètres n'en ont pas tous une très-süre ; & dans 1'ouvrage de Maupertuis qui eft 1'objet de cette note ce qui eft vraiment cofmologie eft efti- mable & commun ; ce qui eft de métaph) fique , fait pitic. Si I'on peut imaginer quelque chofe de plus ridicule que Pimportance mife par Maupertuis a fa prétendue découverte, c'eft la querelle née a ce fujet, & la bonhomie de Kcenig qui cioit réeilement qu'il y a une découverte , qui Ia réclame pour fon maitre Lcibnitz, Sc qui devient martyr de fa réclamation. Ajoutez lafainte colère de Maupertuis, qui., pour conferver 1'honneur de s'étre apper^u de la moindre quantite pojfible d'aciion, emploic toute Yaüion de fa préfidence, qui (*) Eflfai de Cofmologie.  , c 379 1 L'Auteur du Syftème de la Nature diroit, « Que 33 m'importe que Maupertuis foit un bon Géomètre » s'il eft un Préfident defpotique & impitoyable; » Sc fi je fuis obligé de vivre dans fon académie ? » Un être bienfaifant me vaut mieux pour chef » qu'un être dnr & favant. » La philofophie de Maupertuis feroit pis que des athées; elle feroit des impies murmurans & révoltés. Oppofez aux douleurs phyfiques la confidération des biens & des plaifirs phyfiques, qui, s'ils ne font pas rous d'une auffi grande inrenfité, font infiniment plus nombreux & rempliflent un efpace infinimenr plus grand dans la vie; Sc non-feule* ment dans la nótre, mais dans celle de tous les êtres fenfibles; réglez la balance de ce compte; & fi vous faites voir qu'a tout prendre le fort de tout ce qui a vie eft bon, que les fouffrances negalent pas les jouiffances, même pour les plus malheureux des inJividus, que deviendront toutes les déclamations fur le mal qui pèfe fur la terre? eft en Pruffe un petit miniftère, pour chafTer Kcenig de 1'AcaJémie. Eit-ce donc le fort des hommes depuis les ' favans Géomècres & les profonfls Métaphyficiens, jufqu'aux Grenadiers ignorans, de s egorger pour des bagatelles dont ils n'ont pas d'idées net'tes ?  _ C 38o ] Comhien 1'orgueil altère Ie jugement! N'admi^ rons pas, difent les hommes, & les plus fages d'entre les hommes, nadmirons pas; car cela nous eft nuïfiblc. Ou dans une occafion différente : admïrons ■ car cela nous eft uüie Eh ! mes, Amis! délintérellez-vous, jevousprie, & admirez tout umplemenc, paree que la chofe eft admirable. Vous avez une fingulière préfomption, atómes. de deux jours! Vous vous croyez réellement les Rois & le but de 1'ünivers. C'eft pour vous que la terre produit, que les animaux exiftent, que les aftres tournent. Syrius fut fait, vous ofez le croire & le dire, pour ajouter la va'eur d'une bougie a votre illumination nocturne, & les innam-» brables étoiles de la voie lactée, pour vous récréec la vue. Votre orgeuilleufe imagination deftine tout pour vous jufqu'au Dieu fuprême de 1'univets, qu'elle fait naïtre & qu'elle immole a fon gré. Ne le croyez point fi déraifonnable, vous qu'il a rendus capables de raifonner, que d'avoir ainfi prodigué les ceuvres de fa toute-puilfance uniquement pour un des plus foibles ouvrages fortis de fes mains. La pofuion de votre globe, les bornes de vos facultés & de votre intelligence, les maux  [ 33i ] qui fe mêlent aux biens dont vous jouinez; tout vous dit que vous n'êtes pas les Rois du monde, ni même les premiers favoris du grand être. Vous n'aviez nul droit de 1'exiger. Ne vous enorgueillilfez pas; mais ne vous aviliflez pas non plus. Vous êtes des Ciroyens notables dans une des plus petites villes de eet immenfe empire qu'on appelle 1'univers. Celui qui fixa votre place la fit bonne, & meilleure pour des êtres de votre efpèce qu'aucune de celles que vous pouvez connokre & concevoir. Vous lui devez beaucoup de reconnoiffance: car il vous a donné plus de bien que de mal, infiniment plus de momens ou vous êtes bien aifes de vivre que de ceux ou vous voudriez mourir. Mais cette bienfaifance qu'il a exercée envers vous, & qui doit vous profterner aux pieds dó fon rröne, il ne Papas eue pour vous feuls. 11 1'a répandue avec profufion fur tous les êtres qu'il a rendus capables de fentir; & nous ne favons pas oü s'arrête dans la grande chaïne des créatures cette heureufe propriété. Nous la voyons dans les animaux toute femblablea lariórre", a quelques degrés de perfedion prés. Nous pouvons la deviner jufqu'a un cerrain point dans les plantes auxquelles 1'amour même ne fut pas refufé. Nous ignorons  li elle s etend plus loin; mais du moins parrni les êtres dont la fenfibilité n'eft pas équivoque, nous voyons que chacun fent pour lui-même, & que chacun doit a cette fenfibilité mille plaifirs, que chacun eft doué d'organes propres a fa confervation, & d'une intelligence, qui, ne pouvant bien juger que de celle de fon efpèce., doit fe croire d'un degré très-relevé. Nous ne pouvons pas favoir a quel point les abeilles , les fourmis, les caftors, & peut-être d'aurres animaux moins ingénieux fe croienc fondés a nous méprifer. C'eft une fable d'un grand fens que celle des compagnons d'Ulyffe, qui, devenus animaux, ne vouloient plus redevenir hommes. C'en eft une non moins admirable que celle de Voltaire dans un de fes difcours, ou les fourisj les canards, lesdindons, 1'ane, 1'homme, & 1'ange, difent chacun en particulier que tout eft fait pour eux ; & Dieu leur répond : J'ai tout fait pour moi feu/. II falloir ajouter feulement qu'en faifant tout pour lui, il a tout fait auffi pour les autres ; & ce n'eft pas un des moindres dons de fa bonté} que cette étrange illufion qui fait que non feulement chaque efpèce s'eflime préférable aux autres; mais que même dans cfaque efpèce nul individu ne  C 385 youdroit fe troquer en totaticc contre un autre individu. J'ai vu beaucoup de gens qui defiroient la Fortune du Marquis de Brunoy , mais nul qui voulut êcre i ce prix le pauvre Brunoy , fi ennuyé Sc fi bete. Maupertuis n/auroit pas voulu êcre le Roi de Pruffe , & leRoi de Prufle u'aurcit pas voulu être Maupertuis. Celui qui prendra du platte a me lire ne voudroit être, non plus que moi, ni Fun, ni Parure; & celui qui dédaigne notre philofophiö feroit bien faché de changer avec nous. Le crochejeur même qui porte noseffets, le manowvre qui laboure nos vignes, ne voudroient pas pour notre aifance facrifier leur vigueur & s'afïujetcir d nos ttavaux. Chacun eft donc au fond content de foi & de fa pofuion , quoique chacun cherche d anxhorer celle - ci felon les moyens qui lui onr été donnés, & dont perfonne n'eft encièrement dépourvu. Si au lieu de regarder Ie monde comme notre empire , oü tout nous femble mal loriqu'il n'eft pas a notre gré, nous vouüons bien n'y voir que ce qui y eft; une grande auberge , ou chacun trouve le nécefiaire & même le commode en payar t fon écot; & oü il y a des logemens a tout priXj paree que tout y doit trouver place depuis 1'homme ' & au-delfus , jufqu'a Phuitre Sc au-deffous; nous  13H1 ne blamerions polnt le maitre qui cherche a cörn tenrer également tous les hor.es., & qui ne peut empêcher que dans la foule quelques-uns d'entre eux n'incommodent un peu leurs voifins. C'eft moins a 1'homme a fe plaindre de cette incommodité refpective qu'd quelque être que ce foit , lui , qui, ayant plus de facultés 3 eft celui qui tourmente le plus fes confrères & les autres animaux. Les hommes ont tué bien plus de ferpens que les ferpens n'ont tué d'hommes; encore Ie reptile n'a guères bleffé qu'a fon corps défendant: 1'homme , comme le tigre, tue pour fon plaifir. Les ferpens fiffleroient donc le philofophe qui foutient que les chofes que nous connoiffons comme nuifibles font déplacées dans le grand appareil de 1'univers; ou tout au plus diroient-ils, qu'il faut öter du nombre des créatures animées, fur-rout les hommes qui ne laiffent aucun autre animal en paix. Mais le ferpent auroh tort comme le philofophe. Le monde ne doit pas être jugé d'après 1'intérèt d'aucun individu , ni d'aucune efpèce ; mais toutes les efpèces & tous les individus trouvent dans fes loix & leurs facultés les moyens de rravailler efficacement a leur propre intérêt. Ce qui fait le bien de tous eft la plus grande fomme de bien poflible j c'eft une vérité qu'aucun homme de fens  [ 3§5 1 fens ne doit fe diffimuler. On exagère , on peint les dangers qui nous environnent; on tau nos pJailirs fi multipliés ; on parle de nos malheurs, on oublie nos félicicés. On voic, diton , plus de vices , de crimes & de fouffrarces, que de biens & de verrus. Cela n'eft pas vrai; car le monde dure 8c les fociétés fubfiftenr. Or fi nous avions plus de mal que de bien} nous ferions biencoc anéancis. S'il n'y avoic pas plus d'hommes qui refpectent les droirs d'autrui qu'il n'y en a qui les violent, plus de pères qui élèvent leurs enfans que de ceux qui les expofent; plus d'époux qui fe chériffent que de ceux qui fe tourmentenr; plus d enfans qui loignenc leurs pères & qui les refpectent que de ceux qui les abandonnent ; plus d'hommes qui fecourent leurs femblables que de ceux qui les affaffinent , nous nous entr'égorgerions tous, & notre efpè, e n'auroic pas duré deux gén^rarions. Elle a duré , elle a mulriplié j elle a même étendu fon domaine aux dépens des autres efpèces; elle multiplie encore : il y a donc plus de bien que de mal, fur-tout pour les hommes; & ce feroit une ingratitude bien honteufe aux mieux doués d entr'eux^ a ceux qui ont le plus de génie, s'ils affeéloient de mrconnonre ce bien dont ils jouiffent, & s'ils ne prenoient pa* foin de le faire remarquer aux autres. B b  [ $8* 1 Si ces réfiexions font un hors-d'ceuvre inutile, j'ai tor: de les publier ; mais s'il feroit a defirerque certe philofophie réfignée & malheureufement trop fimple pour plaire a 1'amour-propre de ceux qui s erigent en inflruóteurs des hommes , füt univerfellemetn admife; on peut toléter ma note, füt-elle une digieffion. Dans les cinq dernières fecHons de fon ouvrage , M. Wallace défend la Providence contre les fyftêmesde la liberté & de la néceffité; il foutient le dogme d'une autre vie. M. Wallace eft un philofophe eftimable. A la vérité fes vues ne font pas très-étendues, fon ftyle eft dinars, & fa manière commune; mais on ne lira pas fans fruit fes ouvrages. I V. Sur le Chapitre du Commcrce, 6'c. p. ai6 & fuivantes. Le plus fage, le plus important confeil que M. le Do&eur Price ait donné aux Américains , c'eft de fe métier du commerce extérieur, & de le déconrager, loin de 1'appeller , ou de le favorifer. Nous avons confitmé fes idéés avec une chaleur  [ 387 ] qui tienc a une invirieible convióHon. Nous avons feulement repoulfé les prohibitions comme un arrenrat a la liberté, qui doit couvrir de fon pavoisfacré tout commerce, comme tout individu; mais nous n'avons pas pu développer dans un fi court efpace les réflexions fans nombre que le feul mot commerce réveille en nous. Qu'il nous foit permis d'ajouter du moins quelques obfervahobs fur 1'étrange renverfement d'idées & d'expreffionsj fur la multitude d'erreurs abfurdes & d'illufions phantaftiques que la paffion du commerce a différninées parmi les nations.—Voyez PAnofeterre, le pays de 1'univers oü Ion entend Ie mfeux le commerce & Ie rrafic, & oü 1'on devroit en avoir le mieux étudié 1'influence & Ies effets; voyequel délire, j'ai prefqué dit quel vertige , aoite" les hommes d'Ecat de cette nation calculatrice° & réfiéchie, aufli tot qu'il eft queftion du commerce de fes intéréts fcdé la profpérité qu'on lui aunbue * ou qu'il produit. Tout Ie monde connoït Pouvrage du Chevalier Wh.tworth , intitulé: Commerce de U Grande Bre^ tagne&Tableau de fes Impouations & Expo nadans progrejives, devuis i697 jufqu'en r77c (,). ( . ) State of the trade of Great Bntain in ici import; *nd experts progref^ from the year I6p? . a/fi> g/^ Bb x  C 338 ] On a fait imprimer en France dans un ouvrage pcriodique les obfervations iuivant.es fur ces tables. « Ces tables font, dit 1 Auteur Anglois, rele» vées des comptes annuels rendus par les bureau* y, decomptabilitéalaChambre des Communes. » Si tous les anciens regiftres des douanes éroient ainfi réfumé.-. dans tous les Etats civililés, on tireroit probablement quelques lumièresdes réfuliars particuliers & de leur comparaifon. Ce feroit toujours autant de profit tiré d'une inftitution j a la vérité très-ancienne & très-univeifeüe, mais dont 1'utilité paroït aujourd'hui, pour le moins trèsproblématique a beaucóup de fpéculateurs. Rien de plus impofant que 1'objet préfenté par le Chevalier Whiiworth a fes compatiiotes, pour fomme totale de fes tabkaux. Prés de cinq eens foixante & quatorze millions d'importations, plus dehuit centquarante & un millions d'exportations, deux eens foixante & huit millions gagnés par la balance du commerce, le tout en livres fterlmg; ce qui fait en monnoie de France a peu-près douze milliards d'importations , aix-neuf milliards d'ex- trade to eack partlcular country , during the above period, diflinguiskineachyear.—lTTé.  [ 3»9 ] portations, & fept milliards de bénences. V>i!a des calculs qui méricent confidérarion. Mais il faut d'abord divifer cette grande maffe en foixante 8c feize parties, afin d'avoir le réfultat moyen d'une année ; puifque 1'Auteur embrafTe une époque de foixanre 8c feize ans. Nous crouverons pour 1'année commune environ quatre-vingtdix millons monnuie Francoife de bénéfice du commerce. Voyez, dira-t-on fans doute , d cette première expofinon, combien le commerce enrichit les Etats ; 1'Angleterre feule gagne quatre-vingt-dix millions de notre monnoie annuellement par la balance. Avant de fe livrer aux conféquences qui paroiffent dériver de cette première impreffion, examinons s'il ne s eft pas gliffé dans ces tableaux quelsques doublés ou faux emplois qui faffent illufion. Par exemple, en Ang'eterre, quand on parle de l'Etat, il femble qu'on doive entendre nonfeulement le Royaume d'Angleterre, proprement dit, mais encore 1'Ecoffe, 1'lrlande , les Mes qui font autour, comme Jerfey 3 Guernefey, Aurigny., Bb 3  [ 5 9° v < 1'Ille de Man, &c. les Colonies Angloifes en Afrique & en Amérique. Les profits que les matchands de Londres & des autres pons Anglois peuvent faire aujourd'hui fur les Ecoiïbis & les Irlandois, ceux qu'ils faifoient autrefois & qu'ils font encore fur les Provinces & les Mes d'Amérique , font ils un bénéfice pour 1'Etat Britannique? II eft permis d'en douter; car enfin la puilTance Angloife eft compofée des forces & des ricS efles des rrois Royaumes , 8c routes les régions foumifes a Ia Couronne d'Angleterre, font les membres du même corps. Si quelqu'un de nos Ecrivains vouloit fa re le tableau du commerce de la France comme le Chevalier Wbitworth fait celui de fon pays, & qu'il prït pour point central Paris feul, avec 1'Ifle de France , comme 1'Anglois a pris Londres 8c PAnglererre ftrictement dite ; s'il mettoit en ligne de compte le commerce arJtif & paflif avec la Normandie , la Pic rdie, ia Brie, la C hampagne, la Bourgogne ', 1'Or'éanois, la Beiuce; & avec routes les autres Provinces plus éloignées, :e Poitou , la Breta'jne, laGaieune, !'-• Languedoc a Provence, le Di *phinéj PAIface, la Handre pêle mêle avec Jes Royaumes étrangers & les Colonies Fran^oifes des trois partjes du monde 3 je crois que le réfumé  [ m 1 total furpafferoit de plufieurs milliards celui des Anglois: mais la Narion en général n'en ferou pas plus riche, ni le Roi plus puiffant. On eft donc étonné de voir entrer dans les deux eens foixante-huit millions de livres fterling que 1 Heat doit avoir gagné depuis la fin du dernier iiecle , dix-neuf millions fix eens mille livres fterling de benefice fur 1'Irlande , qui fait Tarnde dixième du grand rableau général; prés de fix eens mille livres fterling gagnées fur les petites ifles de Jerfey, Guernfey Sc Aurigny , qui font les Numéros ü , ii Sc 2.3 ; prés d'un million fterling fur les feules toiles envoyées aux Colonies Angloifes, N°. 46; & fur les autres articles de marchandifes, une fomme trés - confidérable , pour ces mêmes Colonies , qui occupent prefque feules la rable générale depuis le N», z4 jufqu'au N». Go. Cette fomme eft d'environ quarante-cinq millions fterling. Cela eft, difons-nous, fort étonnanr. Car enfin, de quelque manière qu on put les envifager, les bénéfices fairs par quelques provinces lur d'autres provinces du même Empire -ae concibueront ceicainement ni a la richefte w a la puiffance de TEtar dont elles font membres : nuis d'ailleurs, c'eft la main droite qui gagnéroit fur k, Bb 4  [ 39* ] main gauche; & c'eft une réflexion qui ne doit pas échapper. Eft-il bien certain , comme 1'Anglois voudroit nous le faire entendre, que ce foit toujours autant de gagné poin un pays que 1'excédant des valeurs exportées au-deffus des valeurs importées? C'eft encore un point fort douteux (i). Les Anglois difent eux - mêmes aujourd'hui , qu'ils ont fait de grandes avances pour fonder les Colonies Américaines. Ces avances ont dü confifter en beaucoup d'effetsexportés d'Angleterre en Améque, qui étoient donnés & non vendus; eftets qui forment par conféquent, dans le tableau d'exportation, un toral ttès-confidérable qui n'a point de balance dans celui de Ximportation. Ces avances , qui peuvent bien en effet avoir paffe quarante-cinq millions fterling depuis 1697, ont probablement enrichi les Anglois, comme un particulier s'enrichiroit en achetant bien cher une terre , qu'il perdroit enfuite fans reftitution du prix avec les dépens d'un gros procés. Le Chevalier Whitworth a donc vraifemblable- ( 1 ) Voyez depuis Ia page 181 jufqu'a Ia fin de notre ouvrage; car c'eft fur-tout cette erreur que j'ai prétenck combattre dans cette note.  [ 393 ] ment fur eet article transformé la dépenfe en recette , & les faux frais en bénéfices. L'erreur eft doublé en pareil cas. En effer, entre dépenfer inutilement quarante - cinq millions fterling3 ou les gagner, il y a quatre-vingt-dix millions de différence , ou plus de deux milliards monnoie de France. Un autre article de fa table générale auroit du lui rendre cette erreur bien fenfible ; c'eft celui de Gibraltar qui eft le dix-feptième. Dans la colonne qu'il intitule : Balance en faveur de l'Angleterre, il fe rrouve vingc-huit millions fix eens mille livres fterling a eet article, Gibraltar; c'efta dire, qu'il eft forti d'Angleterre pour aller a Gibraltar, pour au-dela de vingt-huit millions & demi enargentou en marchandifes, plus qu'il n'en eft venu de Gibralrar en Angleterre; & rien n'eft plus croyable. Mais commenr peut-on imaginer que ce foir-la une balance en faveur de 1'Angleterre? II auroit fallu tranfporter a Londres tous les rochers de Gibraltar, & les y vendre bien cber le quintal, pour en tirer vingt-huit millions fterling. Parquelle illufion 1'Auteur Anglois s'eft-il perfuadé que fon pays avoit gagné ces vingt-huit millions fur ce coin de montagnes ? II eft évident que ce font des frais.  [ 394 ] Le Tableau prouve rrès-bien une vérité fort importante i c'eft qu'il en coute a 1'Angletetre environ fix eens foixante millions de notre monnoie pour avoir gardé Gibraltar. Cette dépenfe, faite uniquemenc pour foutenir la balance du commerce, doit être fouftraite des bénéfices, au lieu d'y êtte ajoutée. La difference eft de cinquante-fept millions fterling & au-dela; c'eft-a dire, d'environ un milliard trois eens millions de notre monnoie. Vous avez donc déja plus de rrois millards trois eens millions a déduire fur fept. Et voici encore deux articles du même genre. i°. Dans les deux eens foixante-huir millions fterling de prétendue balance en faveur de 1'Angleterre, nous avons compris quatre-vingr-feize millions fterling d'or &c d'argent en efpèces , lingots, vaiflelle ou bijoux, exportés au-dehors, qui fe trouvent fur les regifrres de la Douane; paree que les métaux précieux paient a lafórcie. L'Angleterre ne recueille chez elle-même ni or niargent; les quatre-vingt-feize millions fterling avoient donc été importés d'ailleurs. On ne les trouve point fur les livres des douaniers, paree qu'ils ne paienr point a Yenirée. Le Chevalier Whitwotth en conyient, & confent qu'on en lafte  [395 3 la déduclion. Cetobjet fe monte, en monnoie de France , a plus de deux millards cent millions. Un dernier article a confidérer, eft celui des ptifes faites par les Anglois fur les autres nations en tems de guerre. Elles montent a fept millions trois eens foixante-douze mille livres fterling environ , c'eft-a-dire , a-peu-près cenr foixanre-dix millions monnoie de France, depirs la fin du dernier fiècle. L'Auteur qui pafte en recette la valeur des prifes , auroit bien du mettte en dépenfe ce qu elles ont coüté: on n entend pas le total des frais enormes occafionnés par les guerres qui ont autorifé ces prifes; mais au moins la conftruótion, 1'entretien des corfaires qui les faifoienr, & la valeur des vaifféaux Anglois enlevés par tepréfailles. Réfumons donc : fur fepr milliards de balance en faveur de 1'Angleterre, il pourroit bien fe trouver, en vertu des faux & doublés emplois, cinq milliards & demi environ a déduire par les raifons ci-deftus expofées , qui paroiffént 1'établir avec évidence. Refteroient quinze eens millions gagnés par la balance du commerce; mais gagnée en foixanrequinze ou foixante-feize ans; c'eft environ vingt  [ 39*1 millions paran, monnoie de france. Faifons maintenant deux refiexions. La première, que le revenu territorial des Provinces qui compofenc 1'Empire Brirannique, le produ'u r.et des terr.s , frais de culture précomptes, fe monte sürement a plus de fix eens millions par an, vu ce qu'en prélèvent les impóts y & ce qu'il en refte aux propriéraires. Vingt d fix cent. Voila donc, même en Angleterre, la proportion du produit entre le commerce & I'agriculturej & cependant, quand il s'agit de balancer les intéréts refpectifs, on facrifie ceux de la terre Sc de fa culture aux intéréts mercantiles: Sc quand nos Ecrivains moJernes parient des richelfes de 1'Angleterre, & de fa puilfance, il femble que le commerce feul y foit pour le tout, & I'agriculture pour zéro. Mais d'aillcurs ces vingt millions a-peu près, de prétendue balance du commerce, quelles caufes les produifent ? Des prohibitions , des exclufions, un fyftême d'intolérance mercantile& d'ufurpations, foutenu par cinq ou fix grandes guerres maritimes, & par 1'encretien d'une flotte formidable Sc ruineufe.  L *97 ] . L'Anglererre a contradté plus de trois milliards de dertes. Les citoyens de tout Ecat paienr plus de cent vingt millions d'impót par an, uniquement pour acquitter les intéréts de ces emprunts. Quand même ils profiteroient tous des vingt millions que produiroit annuellement le commerce, ce qui e(l au moins fort douteux pour les fimples cultivateurs & propriéraires des terres (i); il s'enfbivroit toujours qu'ils ont acheté vingt nf.llioas de rente annuelle au prix de trois milliards de capital, & cent vingt millions d'intérêts annuels. C'eft la feconde réflexion. Ces réfulrats, qui font dignes de toute 1'attentlon des hommes d'Erat & des bons Citoyens , rendent infiniment précieux le livre du Chevalier Wl.itworth & les tab'.eaux qui le compofent. Depuis un fiècle la politique mercantiie a inondé (I ) Suivant des calculs très-récens , la taxe des pauvres monte en Anglcterre a trois millions de livres fterling ( foixante-dix millions de livres tournois ) ; & cette fomme ne fuffir pas pour faire fubfïfter & pour foulager la mulritude «le malheureux qui fe troUvent chez Ia nation la plus opulente de 1'europe ; tant il eft vrai que Ie commerce n'cnrichit que peu de Citoyens. Voyez$ketches oftheHiftory of Man, Tome II, p. 45 Sc fu;vantes.  [ 398 ] de fang & couvert de ruines les quatre parties du monde. La balance du commerce a paru le bien fuprême. II n'eft point d'horreurs qu'on n'ait prodiguées pour s'approprier une portion des tréfors qu'elle devoit procurer Eh bien ! Voila ce qu'elle produifoit en réalité a celui de tous les peuples que vos charlatans politiques vous propofoient comme le plus gtand objet d'émulation Sc d'envie. Dépouillez cette balance de tous les acceftbires chimériques. Effacez les doublés & faux emplois; & voyez combien il faut de fcience & de fagefte pour facrifier peut-être un million d'hommes & trois milliards de richefles i 1'effet de procurer aux marchands qui demeurent chez vous, vingt millions environ rous les ans de bénéhees a parrager entr'eux. Ce réïultat de vingt millions tournois pour balance annuelle en faveur de Vangleterre (i) eft bifarre (i) Je fais, & je ne dois pas déguifer, que 1'ouvraga de Sir Charles Whitwoi th n'a jamais été confïdéré en Angleterre que comme une copie impriméedes rables de !a Douane; & que l'autorité de celui qui a pri« la pcine de les publier eft trés-médiocre parmi fes compatriotes. On pourroit relever  [ 399 1 fans doute dans les idéés de la politique agioteufe & mercantille, & fi bifarre que la plupart des Anglois calculateurs aimeront mieux haufter les épaules que chercher une réponfe. La voici cette réponfe ; & peut-être la conféquence qu'il faut naturellement & néceffairemenc en tirer eft digne de quelque attention. dans ces tables une foule d'erreurs de détails tantêt pour, tantöt contre 1'hypothèfe de 1'Auteur. Par exemplc, voici quelque chofe de vralment bifarre. La contrebande ^ ce commerce né de la guerre des prohibirions, ce commerce falutaire , qui retarde la chüte des empires dévorés par le fifc ; la contrebande comprée pour nen, ! abfolument omifedansla balance du commerce de Ja Grande Breragne ! lc thé feul eft un objet immenfe. Les eaux-de-vie, les autres liqueurs importées par la contrebande non-feulement des pons étrangers , mais de 1'Ecofle, font prefque incalculables. II en eft de même du tabac. Le lucre } exporté pour recevoir le rabais d'encouragemeiit, & réimporté par contrebande pour obtenir dü confommateur le même prix des fucres chargés de droits, eft un autre objet très-confidérable. Le Chevalier Whiworth négligé une autre confidération affez importante. La valeur des importations Angloifes eft comptée relativement a 1'AngIete.ue , & non pas relacive- ment au pays ou les denrées qui en font 1'objet ont été achetées.Par conféquent les importations fonr évaluées après le fret, les commilfiions , l'alTurance , &c. Mais les expor-, l  [ 4°a ] Suppofons que 1'exportation an- nuelle de 1'Angleterre foit de . 300,000,000 Que la maticre première en perte pour la nation foit de . . . 100,000,000 L'induftrie en profit fera de . 100,000,000 tations font évaluées telles qu'elles fe trouvent dans les magafins des ports Anglois, libres de toutes charges; & ces charges font peut-étre un objet de 10 ou même de 10 pour cent fur la fomme totale des exportations, donc il faudroit charger la balance. II y a d'autres déceptions non moins capitales dans les tables fur lefquellcs nous jettons un coup-d'ceil rapide. La balance du commerce avec les Antilles Angloifes , par exemple, ne mérite point de foi. Les exportations de la Jamaïque ne font fouvent qu'une moitié, un tiers, un quart même des importations. La raifon en eft claire. Les propriétaires réfident en Europe, oü ils dépenfent dans cette proportion lc produit de leurs habitations. La Jamaïque n'eft qu'une moitié des Iiles Angloifes; on peut faire la même remarquc pour 1'autre moitié. L'Irlande eft 1'objet d'une erreur en fens contraire, qui n'eft pas moins palpable. Un grand nombre d'Irlandois réfident dans la Grande-Bretagne, oii 1'on a calculé qu'ils confommoient des tevenus formant une fomme d'environ un million fterling. Une exagération très-abfurde dans les tables d'exportation, ce font les armées, les hardes, les provifions, les Si  C 401 3 Si l'Angleterre empJoyoit ces 200,000,000 millions, en cocalicé, a payer les denrées impor- munitions néceflaires aux flottes , aux forcs, aux garnifons de la nation Angloife dans ks différentes parties Ju monde. Le Chevalier WhiWorth les porte en gain. Non-feulemenc ces avances immenfes 11e font pas en pur profït; mais il eft au moins fort douteux qu'elles foient compenfées par le profit des places gardées ou ravitaillées, & même par ks retours de commerce de ces places en tems de paix. Et les exportations qu'abforbe I'Afrique pour I'achat des Nègres, eft-ce un gain aux yeux de la politique ou de 1'humanité ? Que dire anffi des grandes Inde. ? Si Ie commerce d'importation eft défavorable dans le fyftême Anglois, pottrquoi la nation Britannique prodigue-t-elle tant defforcs &de tréfors pour arrofer de fang un pays oü tik importe infiniment plus qu'elle n'en exporte ; & , ce qui eft plus remarquable, ou quelques-unes de ces principaks importations tournent en rivalité contre 1'induftrie de la' GrandeBretagne? Je ne fais fi elle fe préparé a la perte des Indes quiparoit imminente & inévitable; mais je doute qu'elle ait vraiment a y regretter autre chofeque la conduite qu'elle y a tenue. On pourroit faire un volume d'obfervations de détails du même genre fur ks tables du Chevaii.r Whitvorth ; mais ce n'eft pas I'examen de fon ouvrage que j'ai entrepris. Je ne j'ai rappellé dans cette notc que pour attaquer par un exempk frappant le préjngé qui cakuie k bénéfice du commerce par 1'exces d'exporcacion. Cc  [ 4°* 3 tées pour la fubfiftance des hommes; c'eft alofs que fon induftrie utilement dirigée alimenteroie des fonds écrangers «Joojooo Citoyens > ce feroitla le maximum de fa profpérité: & cependant elle n'auroic point en fa faveur de balance pécuniaire; & c'eft paree qu'elle n'en auroit point qu'elle feroit heureufe autant qu'il eft poftible. C eft donc une fpéculation fauffe de commercans a têtes écruites que de calculer le bénéfice du commerce par l'excès de l'exportation 3 lequel eft un mal. Le vrai, le feul bénéfice eft, dans ce que voient les gensfenfés, qu'une grande nation, par fon induftrie, nourrit, furunfoliufuffifant, un fixième de fa population aux dépens des denrées étrangères. Telles font les extravagantes idéés fur la balance du commerce, que les Anglois, & en général les commercans agioteurs, voudroient beaucoup d'argent de refle; tandis que le commerce n'eft bon aux peuples qui en ont befoin, qu'autant qu'avec une induftrie portee oü elle peut aller, ils n'ont pas un fol de balance de re/Ie. Ainfi; non feulement 1'Angleterrej en ayaut annuellement vingt millions tournois de fon induf-  C 403 ] trie, n'eft ni moins heureufe, ni moins fage que dans le calcul des quatre-vingt-dix millions de M. Whitworthj mais elle eft quatre fois plus l'une & l'autre. Et en effet, fi elle eüt accumulé par la balance du Commerce, chaque année pendanr un fiècle, quatre-vingt-dix millions comme le prétend M. Whitworthj elle auroit, outre ion argent natif, fi je puis parler ainfi, neuf milliads. Eb! qu'elle induftrie pourroit lui refter? Combien de guiuées faudroit-il aujourd'hui pour polic a Londres un bouton d'acier ? Comment 1'Angleterre vomiroitelle ces torrens dor? Ceft alors que ce peuple fi impofant, fi eftimable, fi refpeftable fous ram de rapports, mais qui paroit avoir peu connu jufqu'ici les avantages de la paix, feroit obligé de chercher, de fufciter, d'enfanter des guerres, pourfe débarralfer de l'intolérable fardeau de fon or qui le priveroit de mouvement & de vie; & c'eft alors qu'il faudroic bien que toutes les nations de la terre fe üguaffent pour effacer du livre de vie le peuple ennemi de tous les peuples qui ne pourroit plus vivre que de carnages. Rara locorum felicitate } qua fentire qua velis , & qu* fentias dicere Heet. Tacit. De rimprimerie de T. Spilsbdry, Snow-hill.    ■