HISTOIRE D' U N POU FRANCOIS: O u L' E S P I O N D'UNE NOUVELLE ESPECE, Tant en FRANCE, qu'en ANGLETERRE- CONTENANT Les Portraits de Perfonnages intéreïTans dans ces deux Royaumes, & donnant la Clef des principaux Evènemens de 1'An 1779, & de ceux qui doivenc anïver en 1780, A PARIS, DE L'IMPRIMERIE ROYALE. M.DCC.LXXXI. AVEC A P P R O 1 A T I O N ET PRTVIEÏGB,  / Page. CHAPITRE XIII. Proja du Miniflre de Ia Marine peur partager la Grande Brétagne, mtre la France, PEfpagne & le Congrès. Dia' logue entre un Commiffaire de Marine & fon ami fur Pétat aftuel de la Marine Frangeife. & les abus qui s'y trouvent, & contenant auffi l'hifluire abrtgie de M. de Sartine. 47 CHAPITRE XIV. Changement de fttuation. Dialogue tres curieux de Benjamin Le Franc &de fon Voifin, au Jujet du Dr. F..K..N, ae fes aventures, de fon économie, de fon ele&ricité, & de fon élévation. 57 CHAPITRE XV. ' Notre héros trouve m bon maitre avec qui il voyage ; ils vont a Bruxelles. Dialogue fur l'Auteur des Annales du dix-huitieme Jiecle ,fur fa maitrejje & fur leurs aventures, tant d Paris qu'a Londres. 66 CHAPITRE XVI. Examen de quelques paradoxes de L..g..t fur les Anglois & la guerrt atluelle; pourquoi il efl dévot.' Hiftoire du Camarade du Pou. Linguet Pengage d'aller a Londres ,&'ily va avec Jon commenal. 74 CHAPITRK XVII. Arrivée i Londres. Vijlte au Duc d'A.... nouvelleforme d'Adminijlration que le Roi de France doit établir en Angleterre. Le Duc d'A.... nommi Viceroi de l'Angt-eterre.Lettre de Louis XVI. a ce Seigneur. 83 CHAPITRE XVIII. Nouvelles infor'unes de P Auteur, li' perd fon camarade de voyage. fl a une cuiffe & deux pattes brulées. II fa. dans une lettre chez l''Imprimeur du Général Adv..f..r ; manufaElure d'abgminations contre le Gouvernement. Le Pou, après deux jours de jeline, trouve enfin m maitre Anglois^ 8 $ A 4 CHA-  t T A B L E Page. CHAPITRE XIX. Le nouveau Maitre du Pou, Milord Sh devient Viceroi d'Irlandt pour le Roi d'EJpagne. Ses relations avec le ConfeJJeur de S. M. C. Décrets du Roi d'EJpagne ; nouvelle forme d'Adminijlration en Irlande. L'Inquijition y ejl e'tablie. Ad- \ drejje de la ville de D.b.n au Roi d'EJpagne. 93 CHAPITRE XX. AJftmblce importante chez le Matquis de R il ejl nommè par h Congres Ameriquain Protecteur. de la. ijbertÉ Ecossaise. Réfolutions du Congrès ; nouvelle forme d"Adminijlration en Ecojje. Le Prote&eur a une Cour & des 'Ambaffddeurs chez tous les Souverains de l'Eurcpe. 102 PHAPITRE XXI. Et dernier. Refultat de P AJJemble'e ; Pe'veque de P...b...gh devient Archévêque de Canteriery , 6? demande a êtré Cardinal. L''Amiral K nommè Miniflre de la Marine Angloife pour le Roi de France. L'Honorabh Ch. F..x ejl Premier Miniflre en Ecojje. Fin de Pouvrage du Pou; il le remet h un Editeur. — 111 ^Postscriptum de l'Editeur. 11 rend compte ■ cemment Pouvrage lui ejlparvenu, & lespzines qu'il aprifes pour le mettre au jour. 114 HISTOIRE  Hiftoire d'un Pou Francois, V^UE tous les êtres vivans font fujets a des calamités & a des épreuves fans nombre ! Gombien de fois n'aye-je pas regretté mon éxiftance ! Combien de fois n'aye-je pas été tenté de me donner la mort! Cependant j'ay eu affés de co rage & de force d'efprit pour me réfigner totalement a la volonté de mon créateur ; plus intrépide que ces fameux Romains fi vantés dans 1'piftoire, que Brutus , que Caffius & le fier Caton , ma raifon m'a éclairé & conduit; j'ai murement réflêchi;& ma décjfion a été que, dans une république auffi Confidérable que la mienne, je devois 1'ufage de ma vie a mes femblables; que le fuicide étoit une mort honteufe & furtive; que c'étoit un vol fait au genre Pouilleux; quej'avois encore de grands devoirs a remplir vis-a-vis de mes concitoyens & de ma nombreufe familie, & qu'erfin A 5 tout Réflexions Préliminaïres.  tout être vivant eft utile a fes femblables par cela feul qu'il exifte. Ces réflexions m'ont fbutenu jufqu'a cejour, dans les lïtuations les plus terribles & les évenemens les plus défefperés; je vis aftuellement en philofophe dans un pays libre; je me trouve heureux. O mes enfans, o mes freres,qui vivez dans des jubjlations & des tranfes mortelles, efperésjouilTés de la douce confolation d'obtenir a la fin de vos jours une retraite fure & tranquille; que ma vie,qui a été un enchainement conrinuel de biens & de maux & que je vais tracer pour votre bien & votre bonheur,, vous aprenne a ne pas vous abandonner a Votre malheureux fort j refignés vous avec confiance aux décrets de la providence qui Hjait mieux que nous-même ce qu'il nous faut, & vous ferés comme moi heureux & fortunés. CHAPITRE I. Naiffance du Pou fur la tête d'une fille d'amour: fa jcunejje efl heureufe ; il fe marie & a des enfms. Pefle univerfvlle dans fa patrie qui l'oblige de s'en féparer. JE fuis né fur un terrain fertile & d'un trés grand produit que mes ancêtres occnpoient deja depuis prés d'un an & dans lequelils avoient vécü comme des Rois; c'étoit la tête d'une fille charmante agée de i] a 18 ans. Elle demeuroit chez une  < II) une bonne maman a Paris, nommée la Montigny , qui recevoit la plus floriflante jeunefle de la capi» tale; je puis le dire a 1'honneur & gloire de ma jeune maïtreiTe, j'ai peu vü de têtes auffi belles & auffi bien fournies; c'étoit une vafte & puiffante forêt qui fuffifoit en abondance a tous nos befoins, quoique notre colonie fut trés peuplée. Mon enfance fut des plus brillantes , j'engraffois a chaque minute a vüe d'osil; ma mere qui m'aimoit & m'adoroit me difoit fouvent en me tenant étroitement ferré dans fes bras qu'elle n'avoit jamais eu d'enfant auffi bien portant & auffi fort, car en 3 jours de temps j'étoit"auffi puifïant que mon pere. Parvenu a un age nubile, je me mariai; je choifis une femme de mon age, grafie & puiffante,car j'aime beaucoup 1'embonpoint. Dans 1'efpace de 4 jours je me trouvai bientöt pere de 90 enfans, moitié garcons'& moitié filles; je béniffois mon fort & je ne préfurnois pas qu'il put éxifter d'être plus heureux que moi fur la terre, lorfqu'un evenement imprévu me plongea dans le ier de mes malheurs. Cette terre fi abondante & remplie de fruits fi fucculetits, qu* je regardois comme un véritable paradis terreftre, parut fe deffécher prefque tout-a coup. Continuellement je voiois fe déraciner des arbres de cette vafte forêt; une odeur minéralle qui s'eïhaloit de tous les pores de cette tête, jadis fi fortunée, fut pour notre république une pefte effroyable; je voyois a chaque minute mesparens, 'mes amis périr dans les plus grandes convulfions; je perdis bientöt mon pere, ma refpectable mere qui m'avoit tant cheri, &plus des 3quartsde mes chers enfans. Ma pauvre maitreffe elle-roême, qui nous donnoit fi généreufement 1'hofpitalité, étoit dans un état a faire compaffion ;fon haleine étoit devenue forte  ( ia ) forte & infupportable; fes dents n'avoient plus de confiitance , fa bouche écumoit; fes nerfs éioienc déchirés; tout fon corps trembloit; a peme pouvoit-elle fe fourenir. EfFrayé d'un tel défaftre,& voulant en pénétrer la caufe , je fortis un matin avec beaucoup de peine de cette immenfe forét; je montai fur le fommet d'unoreillerjadisblanc,mais noirci par 1'infection qui regnoit Jans les airs, & je vis un malheureux opérateur,qui, paffant & repaffant continuellement des mains graffes & huileufes fur les membres delicats de mon hoteffe, étoit 1'auteur de cette cruelle contagion. Des ce moment je ne voulus plus rentrer furce terrain maudit & ulceré; j'appellai le peu qui me reftoit-de mes enfans, & nous nouscachames pour quelque temps dans les fentes d'un rideau de fiamoife qui entouroit le lit de mon hoteffe. Nous reftarres en ce lieu 2 jours & demi, fans provifions, fans fecours, & ne fcachant a quel faint nous vouer, lorfque ma pauvre maitreffe, languiffante & n'en pouvant plus, fut tirée de fon lit & portée dans un caroffe de place qui la conduifit, a ce que j'entendois dire, au chateau royal de Biffexter. On mït des draps blancs au lit qu'elle venoit de quitter; je vis avec horreur la cruelle matrone fecouer fortement les draps fales & en faire tomber la foule innombrable de tous mes concitoyens que cette pefte avoit emportés; quelques uns étoient encore expirans & follicitoient des fecours , mais 1'impitoyable mégere, les ayant réuni aVec un balet, les pouffa tous dans un brazier ardent qui termina leurs maux & 1'idée même de leur éxiftance. CAP1TRE.  ( 13 ) CHAPITRE II. H Je réfugié fur la tête d'un confeiller-clerc au Parlement de Paris. De/cription de fon nouveau domicile; il le quitte & va chez Madame la Comteffe (te LA B QUANT a nous, tranfis de frayeur & mourani defaim, nous ignorions encore ou porcer uos pas, loriquenous vïmes pour notre bonheur arri ver une camarade de ma première maitreffe & un de fes amans j iis venoient célébrer un nouveau mariage. Craignant que cette nouvelle aventuriere ne nous fit éprouverle fort de notre première hoteffe, je pns le parti de me retirer fur la tête de fon galant; j'y pénétrai avec deux de mes filles ieulement. Mes autres enfans n'ayant pu mefuivrepar la foibleffe de leurs corps épuifés, je les recommandaialadivjneprovidence; &, ne pouvant plus leur être d'aucune utilité, je lesoubliai totalement , ayant affés d'affaires perfonnelles & de dangers a éviter. La forêt dans laquelle nous fimes notre féjour étoit d'une efpèce bien différente que celle que nous avions été forcés d'abandonner; ce n'étoit point cette pépiniere immenfe de fapins d'une hauteur prodigieufe qui faifoient le plus bel ornement de notre'ancienne maitreffe; c'étoit uneforét dévaftée, ou Pon ne voyoit qu'un petite quantité d"arbriffeaux qui, quoique jeunes encore , ne trouvoient plus fur un fol ingrat & ftérile de fiicsfe de fubftance; ils avoient langui, & étoient devenus blancs & fecs; ils étoient trés courts & en trés petite  ( H > petite quantité; ces arbrifieaux avoient auffi une forme bien différente de celle des arbres de cette efpèce; ceux qui étoient placés autour de cette pauvre forêt avoient fubi une imprefTjon forcée, & formoient ün cercle. Quant au milieu- du terrain, on y avoit fait un abbatis confidérable dans une forme ronde; je n'ai jamais pu en deViner la raifon; mais ce que je fjais, c'eft que, próbablement pour garentir les racines de cette placé, ou du trop grand froid, ou de la trop grande chaleur , mon nouvel höte avoit foin de leur donner tous les matins une couverture noire & luifante, impénétrable aux ardeurs du foleil, & a la pluie la plus forte. Ce-fut un peu au deffus de cette place que nous nous réfugiames mes deux filles & moi; nous y étions comme dans un défert > nous n'y rencontrames aucun être de notre efpèce; & nous n'y trouvames point la nouriture qui nous convenoit; cependant nous fumes obligés de nous contenter d'une bouillie onétueufe & épaiffe que j'ai scu depuis être de la graifle d'ours; c'étoit un mets qui auroit été trés agréable, & trés falubre pour nous, s'il n'eut point été mélange avec une quantité de mufc & d'ambre, dont 1'odeur trop forte fe portoit a nos cerveaux & nous étourdiffoit. Ma pauvre femme étant morte dans la pefte qui avoit ravagé notre première république, je fus obligé de lui fubftituer dans cette terre inculte mes deux filles qui partagerent indiftinétement mon cceur, & le lit nuptial; tel étoit parmi les hommes, fuivant un cantique que j'ai entendu chanter plufieurs fois, un certain Monfieur Loth, qui, après le  ( i5 ) lé changement de la femme en fel, fut également forcéde recourir a fes deux filles, faute de mieux. Nous commencions déja a former Un nouvel établiffement dans cette colonie naiffante, lorfque nötre hóte que 1'on appelloit le ioutou du premier préfident, & dont le nom étoit 1'Abbé Appietrée *, cönfeiller au Parlement de Paris, ayant été engagé a diner chés ce Magifirat, fut placé atableauprès de la maitreffe de la maifon•& d'une petite élégante, qui faifoit la précieufe , & pour qui 1'on paroiflbvt avoir beaucoup d'égards. Comme le propriétaire de mon domicilie lui témoignoit beaucoup d'amitié, & par conféquent gefticuloic continuellement, j'eus les plus grandes peines du monde a me tenir fur un de fes cheveux: je m'y crampronais du mieux qu'il m'étoit pofiible; mais par un "événement que je ne pouvois encore prevoir, ce malheureux arbriffeau fe déracina, & je tombai avec lui fur la robe de ma belle voifine. Comment me tirer de cette facheufe pofition? Je ne Ie pouvois pas par moi-même; je crus donc qu'it étoit plus prudent de me cacher, & je réfolus d'abandonner la tige a la quelle j'étois attaché, & qui étoit la caufe de ma perte. Je m'y déterminai avec d'autant plus de raifon, que la robe de cette dame étant couleur de puce, & le cheveu étant blanc, j'aurois été facilement découvert; je me cachai donc dans une bouffante du falbalas; je n'y fus pas plutot, que j'eus raifon de m'applaudir de mon idéé: le cheveu tomba fur le tapis, &bientóc un laquais mit deffus un pied d'une groffeur énorme qui m'auroit écrafé cent mille fois fi j'y * fuffe toujours refté collé. J'attendis donc dans * dppletrh en Anglois, ne reat-il pa» dire pommier? cette  ( 16 ) cette retraite forcée quelque circonflance dont je puffe profker, lorfque ma nouvelle maitreffe partie le foir dans fa voiture pour fe rendre a la Cour, ou elle fut préfenté le lendemain au Roi, a la Reine, & a la familie Royale. CHAPITRE III. Son entrée h la Cour; il a Vbonneur d'approcber de trés pres la Reine; il recoit les adorations de tous les cuurtijans; Ja difgrace. S1 ce jour ne fut pas le plus heureux de ma vïe, il en fut au moins le plus brillant, comme vous aUei voir. Mon hoteffe étant dans l'appartement de la reine, &en lapréfencedecetteaugufté Majefté, jevoulus contempler une Princeffe dont j'avois tant entendu dire de bien par tout oü je m'étois trouvé, & qui avoit le cceur de tous fes fujets; je me placai donc fur le bord du falbalas, & j'étois en extafe des charmes de la Divinité de la France, lorfqu'un mouvement que fit mon hoteffe & auquel je ne m'attendois pas me fit tomber aux pieds de la Reine; heureufement que 1'on ne fit point attention a ma perfonne, mais, malgré 1'indifrerence que 1'on me témoignoit, je craignois toujours quelque pied indifcret qui eut été trés funefte pour moi. Par . un plus grand bonheur, fa Majefté, bienfaifant a tous fes fujets, le fut auffi pour moi; Elle laiffa tomber comme par mégarde un mouchoir blanc. Malgré h promptitudc avec laquelle on fe précipita pour le  C *7 ) le ramaffer, j'eus 1'adreffedem'y attacher, & je fq$ remis ainfi trés refpeftueufement entre les mains de S. M. qui me re$ut avec 1'accueil le plus gracieus, & en remerciant affablement celui qui me préfentoit. Jugés de lorgueil qui devoit m'enflammer dans ce moment; mais ce n'étoit point encore la le faite de ma gloire. Mon augufte maitreffe porta le mouchoir oür j'étois a fon vifage; je crus alors qu'il étoit* temps d'en fortir , & melaiffai tomber fur un fein , d'une blancbeur ébiouiffante, & doux comme un fatin. Que je me trouvois bien placé! Je voyois des deux cotés, des boucles flotantes de cheveux d'une couleur qui m'enchantoit, & oü j'efpérois bientöt pouvoir me réfugier; je voyois des Princes, des Miniftres, & les premiers feigneurs du Royaume s'approcher avec vénération de Nous, n'ofer Nous re'garder en face, ni s'affeoir devant Nous. Je vis Taugutte Epoux de la Princeffe s'approcher feul, de 1'air le plus tendre, & la prendre par la main pour lui parler en particulier. Je pus facilement alors» contempler fes traits radieux & fa noble Perfonne; j'étois enfin fi enivré de mon élévation, que, quoiquet je n'euffe rien pris depuis plus de 24 h., je ne pen-^ fois point a cherchér aucune nouriture. Le Reine, après ce court entretien dont j'avois été témoin, reparut dans le cercle de fes courtifans plus belle que jamais, & tout le monde s'empreffoit a Nous admirer, lorfqu'un Prince du Sang, fixant avec plus d'attention que les autres les yeux fur letrone ou j'étois triomphant, m'apercutóc me diftingua. II alla fur le champs le dire a 1'oreilleda la Princeffe fon Epoufe, qui, s'approchantde fa fcsur, fe mit a rire en me regardant, &, nous prenant a 1'éB care*  Care, pendant que jeradmirois, Elle eut la cruauté de vouloir me chaffer du pofte ou j'étois, avec le bout de fon gant; je fis tous mes efforts pour réfifter, maisi! mefallut céderalaforce, fejetombai fur le bord d'une glacé de la croifée qui étoit ouverte; je vis qu'ainfi expulfé on me cherchoit encore, je nef^aisaquelleintention; mais, parprécaution, je me cachai Ie mieux que je pus, Sd'onne me trouva point. J'ai f§u depuis, que ma préfentation a la Cour & 1'hoóneur que j'ai eu de m'affeoir fur un trone auftr agréab'e que celui oü je m'étois placé avoient fait du bruit tant a Verfailles qu'a Paris, même dans les pays étrangers, & que mon augufte Maitreffe avoit rougi lorfque je fus congedié. Je lui demande bien humblement pardon de la témérité que j'ai prife, & jepuis 1'affurer que j'ai expreffément défendu, fous peine de la vie, a tous mes freres k mes concitoyens de jamais approcher de fa Perfonne facrée, trop jaloux d'être le feul qui aie joui d'un avantage auffi glorieux. Mais plus ma vanité a été flattée de mon triomphe, plus auffi elle a été rabaiffée parlapofition qui a fuivi mon élévation. CHAPITRE IV. Adverfité de notre biros. II s'allie avec un Soldai aux Gardes. UN coup de vent m'emporta, &me fit tomber ikr la tête d'un Soldat aux Gardes qui paffoit par  la; je m'y arrétai, faute de mieux; & je dèrneüraf jours dans ce pays qui n'avoic d'autre défagrement pour moi que ceJui de me trouver bien audeffousde celui oü je brillois auparavant. Du refle j'y fus heureux; j'y rencontrai de mes freres erf grande quantité: c'étoit une terre afTez fertile &c bien approvifionnée: nous allions, mon nouveau maitre & moytrés fouvent au cabaret; nous faifions aufll de jour a autre 1'éxercice , & la nuit noufi la pafllons chez la gentille Margot, 1'objet de fes? amours, une blanchiffeufe de la rue Satory, trèsr connue & trés éveillée, qui avoit toujours de 1'argent comptant & fourniitoit a tous les befoins Sc meme aux fantaifies de mon maitre; le compere auffi ne la laiffoit point chommer; prefque toutes les nuits il agiflbit plus qu'il nedormoit, cequime gênoit beaucoup ; ear le petit bonnet de cotort qu'il avoit fe dérangeoit continuellement, Sc mori foldat ne ceffoit de le remettre, mais d'une maniere grofliere & bien fatiguante pour nous , il nous" tourmentoit fans fin : il avoit encore une autre habitude trés défagréable, c'étoit de fe gratter la tête, prefqu'a tous moments; fes ongles, longs & crochus, qu'il enfoncoit avec force, enlevoient, avec notre fubftance. un bon nombre de mes freres* qu'il rouloit enfuite dans fes doigts & jettoit avec mépris a fes pieds. Pour rétablir notre colonie j'étois obligé de Ia repeupler de mon mieux & je n'épargnai ni mes: foins ni mes peines: j'eus 1'agrément de me re-» trouver prefqu' avec une nouvelle familie donc j'étois le pere, Je grand pere & 1'ayeul; mais cette farisfaclion fut de peu de durée. b s cmmM  CHAPITRE V. II efl forcè de quitter fon Soldat aux Gardes, fait ^ malgré lui^ connoiffance avec Margot Ja blancbiffiufe. TJN beau matin que eet amant fortoit des bras de fa maitreffe. celle-ci, avant de s'habiller, voulut rendre un feirvice a fon affocié; elle prit un inftrument terrible, femblable a ceux que 1'on voic dans des jardins pour arrenger & embeliir les allées ; &, le paflant & repaffant dans i'immenfe forêt que nous habuions, elle troubla cruellement notre fociété: trois fois je gliffai entre les dents de ce maudic inftrument, n'ayanteu qu'une pattebrifée; je crus en être quitte pour la peur; mais un quatrieme coup depeigne m'emporta malgré moi & me fit tomber fur le fein de mon inhumaine. Furieux du traitement qu'elle me faifoit éprouver, je la mordis le plus ferré qu'il me fut.pofiible, aux rifques même d'en être puni fur le champs; ma nouvelle hoteffe fentit la bleffnre, & fe mit a frotter bien rudement 1'endroit offenfé. Ce mouvement mepoufla fur un paquetdelinge que Margot venoit de repafler & qu'elle devoit porter a une de fes pratiques; je pénétrai dans les plis d'une chemife qui appartenoit a une Demoifelle connue dans toute 1'Europe par les fingularités de fes aventures, chez qui je fus conduït dtux heures après; & avant Je diner jeprisféancc fur le col de cette nouvelle aventuriere. CHAPITRE  ( 21 ) CHAPITRE VI. II a le bonheur ae fe fauver de chez Margot, &f va h- ger chez Mdlïe d'Eon, Cbevalier de St. Louis, an« cien capitaine de dragons. — II s'inftruit avec elle, fjf je croit un grand perfonnage. JAMAIS je n'ai connu de femme qui eut les mar.ières plus grotefques & plus cavalieres: toujouis en attion, toujours en mouvement, geüicufant comme un dragon , ne pouvant è'accoutüfner aux habiilemensdefbnfexe, n'aimancpoinr la converfation des dames; telle étoit la perfonne qui vouloit bien me donner un azile Je vecus une quinzaine de jours dans cette habitation ; j'y étoisfeul cepandant : mais cette folitude ne me déplut point dans les commencements; j'avois une table excellente & en abondance, car ma maitreffe, y faifoit porter tous les jours des provifions & n'aimoit point qu'on en retirat; elle trouvoit que le temps de la "toilette étoit un temps perdu, & elle 1'abrégeoit le plus qu'elle pouvoit. A eet égard je trouvois qu'elle raifonnoit trés bien, & j'en tirai plus de profit qu'elle. Je puis auffi ajouter a fon honneur Sc gloire que, par le moyen de la tranfpiration&de la fubftance ia; plus fpiritueufe de cette héroinedont jemenouriffois autant que des aiïmens ordinaires qu'elle me procuroit, je pris ua courage & une force fupérieurs a tous les êtres de mon efpèce ; elle m'inftruifit auffi un peu dans la langue Angloife qu'elle paroifïbit fgavoir auffi bien que la fienne, ayant deB 3 meuré  ( 22 ) jsieuré longtemps a Londres, & étant toujours en relation, quoi qu'a Verfailles, avec plufieurs Anglois ,& Amériquains. Cette connoiffance, dont je lui ai 1'entiere obligation , m'a été trés utile, fur tout relativement aux événemens poftérieurs qui me font arrivés, & dont je rendrai compte dans la fuite de cette hiftoire. m . On me demandera peut-être comment j ai pu apprendre une langue étrangere , ftrtout lorfque mon hoteffe, ignorant même mon éxiitance, qu'elle n'auroitpas manqué d'anéantir , fi elle 1'eutconnu, ne pouvoit avoir aucun entretien avec moi. A celajeréponds: i°que, m'adaptantauxêtres bumains qui veulent bien avoir foin de moi, je ne fais qu'un avec celui fur lequel j'éxifte. 2°. Que , fixant mon habitation óV mon domicile fur Ie cerveau, les efprits continuels qui en fortent & qui forment pour moi un véritable élément, roe font connoitre toutes les idéés que ptuvententrer dans Ia tête de mon pourvoyeur. 3a. Qu'aucuneidee nepeutêtre formée& concüe que par la réunion de quelques paroles, fans lesquelles 1'idée ne fubfifteroit pas; que c'eft une vérité inconteftable que j'ai remarquée en tous temps, voyant fouvent des hommes fe parler a eux mêmes feuls; &, quand ils ne s'expriment point de maniereafe faire entendre, ils s'énoncent toujours tacitement; leur langue remue prefqu' infenfiblement, malgré eux, & fans même qu'ils y penfent. De ces principes établis par des fairs, on en peut facilement tirer 1'induétion que, comprenant les jdées de mon héroine qui fe formoient dans fa tête ^n Igngue F'ancoife qu'elle rendoit enfuite en A/igJois, Jef^avois fur le champs ce qu'elle vouloit  ( 23 ) dire dans cette langue étrangere j je comprenoit également par les réponfes qu'elle faifoit a ceux qui la queftionnoient en Anglois ce qu'on lui avoir deroandé ; ainfi , me faifant une grammaire particuliere , fimple & facile, je puis en peu de temps me metire au fait de cette langue utile & noble, & rien ne me devenoit étranger. J'ajoute encore a ces obfervations qu'ayant été, comme je 1'ai déja dit, 15 jours fur la tête de ma maitreffe de langue, &, n'ayant rien qui put me diftraire, puifque j'étois feul & livré a moi-même, j'ai fait des progrès beaucoup plus confidérables que fi j'euffe étéenvironné demesfemmes,demes enfans & de mes concitoyens; en outre je n'avois aucune crainte ni inquiétude pour ma vie que Ton ne cherchoit point a m'oter, de forte que j'avois 1'efprit libre & continuellement occupé a m'inftruire. CHAPITRE VII. II prend des connoiffances fur le cnmpte de fa maitreffe qui ne lui font point plaifir , &f diminuent beaucoup fon amour propre. JE viens de dire dans le chapitre précédent que, me nouriflant de la fubftance de mon héroïne, je devins plus fort & plus courageux que tous les êtres de mon efpèce ;je me croyois, il eft vrai ,plus hardi & plus entreprenant que jamais; mais , comme mon mérite ne pouvoit être plus confidérable que celui de ma maitreffe qui me le communiquoit, je B 4 trouvai  ( 24 ) trouvai bien a rabattre de mon amour propre & de ma vanité pouilleufe quelquts temps avant notre féparation. Je vis, la veille que je la quittai, un Francois qui paroiffoit homme de mérite & de bon fens lui reprocher entre quatreyeux,d'avoir voulu trahir fa patrie chez fes plus grands ennemis, de leur a\ oir révélé,pour dePargentcomptant,les fécrets de la France dont elle avoit été dépofitaire d'abord comme fécretaire d'Ambaflade du Duc de Ni vernois.enfuitecommeMiniftreRéfidentalaCourde Londres, après le départ de eet Ambaffadeur ,• il lui obfervoit encore qu'il avoit été indécent a elle de n'avoir pas confervé a Londres le decorum des emplois dont elle avoit été honorée ; qu'elle alloit fouvent tirer des armes dans un jeu de paulme public de Londres; qu'tlle efpadonnoit avec des laquais, des nègres, & tout ce qu'il y avoit de plus vile & de plus abjeér, dans cette capitale; qu'elle alloit dans les bagnos & les mauvais Ik ux; que, quand il y avoit quelque tumulte,elle fecachoit fous leslits; qu'elle fe proflituoit aux hommes le plus méprifables; qu'un prétendu chevaber Francois, penfionné de la cour de France pour les injures dont il l'avoit accablée, avoit été dans tous les caffés & les endroits publics de Londres, en difantque, malgré fes habits d'homme & fa croix de St. Louis, ce n'étoit qu'une femme lache & fans pudeur avec laquelle il avoit couché plu^ieurs fois,& que,pour fes infolences, il lui donneroit le fouet en pleine rue, fi elle n'étoit plus honelte dnns fes propos, &c. &c. Ma fanfarone ne répondoit pas grand-chofe a des reproches auffi fanglants. Elle ne nioit pas tous ces faits qui paroiffoient inconteflables, & fe coritentoit de dire qu'elle n'avoit pas trouvé qu'il y eut de crime, étant abandonnée par fon Prince, d'offrir  ( 25 ) d'offrir fes fervices a un autre; qu'elle aimoit encore mieux vivre a Londres aux dépens desAnglois, que de trainer fes jours a la Baftille; que, fi elle s'étoit cachée dans des bagnos, c'éroit pour ne pas avoir le défagrément d'ëtre conduite chez unjuge de paix;qu'a 1'égard dece beau chevalier , c'eft un homme fans honneur, qui, comme il le difoit luimême, Flécri par fon paya ponr une caufe jufte, N'eft aux yeux des Anglois qo'un importeur groffier, Un fciibe méprifable , un vil avencarier; & que par conféquent il ne faut point ajouter foi a fes propos & a fes irnpoftures. Voila comme mon hoteffe répondoit aux imputationsdont on la chargeoit; je ne fuis pas affez habiie pour pouvoir juger de la folidité de fa defenfe, mais ce que je fcais, c'eft que les reproches ont fait beaucoup plus d'impreffion fur moi que la juftificatiun, & que j'ai commencé a dimïnuer de 1'eftime que j'avois pour mon héi oine, &, par fuite, de celle que je croyois auifi mériter. CHAPITRE VIII. // va 'diner chez fon Excellence, Monfeignew Benjamin Franklin. Portrait de ce Miniflre Plénipotentiaire; ce quife paffe a Ja table. LE lendemain de ces belles inftructions que je; vehois d'acquérir, mon hoteffe fut invitée d'aller diner a Paris che's un homme d'une grande réputaB 5 tion,  < s6 ) lïori, venant d'une partie du monde bien éloignée de la notre, & Miniflre Plénipotentiaire d'un peuple confidérable qui venoit defe révolter contre fa mere patrie. Je fus charmé de cette vifite, paree qu'ayant fouvent entendu parler de ce perfoanage, je défirois le connoitre particulièrement. Nous nous rendimesdonc a deux heures chés fon Excellence, quejenepus bien diflinguer qu'a la fin du repas, parcequ'il me fallut un temps affés confidérable pour fortir de ma retraite & pouvoir faire 1'obfer vateur, en me placant fur une fleur qui ornoit les cheveux de ma Cavaliere. Heureufementque je me trouvai nez a nez, face a face de Monfieur rAmbafladeur. J'avoüe que je ne pus m'empêcher de rire de boncosur,encontemplant lafigure grotefque de eet original, qui. fous 1'habit le plus groffier , affeftoit de temps en temps le ton & les gefles d'un petit-maitre. Un tint bruni par le foleil, un front ridé, des poireaux fur toute la figure, qu'on difoit être pour lui un auffi bel agrément, que les fignes qui caraftértfoient le joli vifage de Madame la Comteffe du Barry ; un gros & large menton comme font ceux que 1'on qualifie de mentons de galoche; un nez épaté, & des dents que i'on auroit plutót prifes pour des clous de gérofle, fi on ne les eut vu fichées dans une machoire épaiffe: te!eft,apeudechofeprès le portrait au naturel de fon Excellence. Quant a fes yeux je n'ai pu les diflinguer, parceque, comme je 1'ai dit, j'étois en face de lui, & qu'il avoit une paire de lunettes acrochée a fes tempes qui lui cachoit un bon tiers du vifage. Je remarquai que les convivej étoient affés gais; 1'on rioit beaucoup, & 1'on plaifatttoit fur le cömpte de Meffieurs las Anglois. Je vis qu'on but treize fantés  ( 27 ) fantés ,-&> cequimeficplaifir, c'eft que la iere. &la 2de. furent pour le Roi & la Reine de France mon ancienne maitreffe. celle que j'ai le plus aimée, & que je n'oublierai de ma vie. Ces treize fantés bües, a peu de diftance Furie de 1'autre, tantöt avec du vin rouge, & tanröi avec du vin blanc, rêveillerent la gay té des afMans; mon héroine alla fe placer auprès du maitre d li maifon, & lui chanta quelques vers de fa comp >lïtion qui ne m'ayoient pas paru bien merveüieux quand elle les avoit faks, mais auxquels on ne manqua cepandant point d'applau^ir. Je vis trés diftinélement fon Excellence, pour remerckr föjl Apollon ,1'embraffer avec ardeur , fans quitter néanmoins feslunettes,&lui dire tout basal'oieilie: « h ce /oir, ma divine, " j'augurai bien de ces deux mots, & j'efpera qu'il y auroit un petit tête-a- tête dont je ferois fpeétateur, ce qui me divertilToit beaucoup d'avance; j'en avois déja v&plufieursdans ma vie,& eelui-cy, fuivanj mes petitsidéés,devoit me paroitre trés curieux; mais je fus cruellement trompé dans mes conjectures: & peu s'en eft fallu que le lendemain de cette fête ne fut le dernier de mes jours. CHAPITRE IX. Le Pou perd /a maitre/fe; nouvelles inf>rtunes; déluge univerfel. Ses' réflexions Jur Vdme des poux; II trouve un nouveau maitre. MON hoteffe après diner fe trouvoit incomrjBodée pour avoir bu la valleur de quatre bouteilles, tandis  ( 28 ) tandis que fon ordinaire n'étoit que de deux. Elle fe mitalafenêtrepourprendre l'air,&fit malheureufement un mouvement un peu trop violent auquel je ne m'attendois pas. II eft bon d'obferver que j'étois encore fur la fleur qui faifoit un des ornemens de ma bienfaitrice. & que je n'avois pas eu le temps de pouvoir rentrer dans ma retraite. Ce mouvement imprévu me fit tomber fur un banc depierre prés de la porte de fon Excellence; le coup fut rude & métourdit pour le moment: quand je revins a moi, je me trouvai plus embaraffé que jamais, Que devenir?J'attendois quequelqu'un vint s'affeoir a mes cotés, pour que j'y puffe trouver un afile; mais ce bonheur n'arriva pas comme je le défirois:une averfe affreufe vint au contraire une heure après m'oter toute efpérance. A quelles viciffitudes fommes nous expofés, & que de maux nous avons a fouffrir dans la vie! Vous en allez voir deux échantillons dans ce chapitre & dans le fuivant. Je friflbnne encore lorfque j'y penfe. i°. Cette pluye abominable ; c'étoit comme un nouveau déluge: une merorageufe rempliffoit toute laröe; &des torrens, qui tomboient de tous les toits, oftroient a mes yeux un fpe£tacle effroyable- Pour furcroit de douleur une goutiere d'une groiTeur énorme étoit perpendiculairernent au deffus de ma tête, & les volcans d'eau qui en fortoient me plongeoient dans la dernière extrémité: j'avois beau me tapir dans une petite foffette que des enfans avoient próbablement faite pour leurs plaifirs fur ce banc, c'étoit comineunabime dans lequel,continuellementpouffé& repoüffé par la violence des vagues,tantot je montois au deffus de ce golphe, tantot j'étois replongé jufqu'au fonds. Enfin j'y perdis toute connoiffance, j'étois comme rentré  ( 29 ) fentré dans le néant,je ne fouffroisplus, ne voyois pius, ne fentois plus. Je ne puis dire le temps que dura cette cruelle cataftrophe ; mais ie foleil reparoiflant enfuite, plus ardent que jamais, diffipa a la longue les eaux qui avoient probablement couvert toute la furface du globe; 1'abime ou j'étois fe deffécha & la chaleur vivifiante du confervateur de la nature réveilla mes fens engourdis; je revins enfin de ma profonde létargie ; c'étoit comme une nouvelle éxiftance pour moi: la feule difFérence, c'efl que j'étois plus gros & plus puiffant qu'au moment de ma naiffance, & que je me rappellois encore trés diftincïemenc tous les événemens qui m'étoient arrivés. Mais dans eet aflbupiffement univerfel de mes fens & de toutes mes facultés, ou étoit alors mon ame , cette fubftance célefte fans laquelle mon corps ne feroit qu'une matiere infenfible & telle que lapierre fur laquelle j'etoit par hazard tombé? Partageoit-elle l'engourdiffement de la machine qui la tenoit renfermée? Etoit-elje tellement inhérente a mon corps, que, lors de 1'anéantiffement de celui-cy, elle en dut fuivre le même fort ? Pourquoi ne pouvoit-elle plus fentir ? Pourquoi n'avoitelle plus la liberté de penfer? Qu'étoit-elle alors? Ou étoit-elle ? Les hommes, d'après les réflexions que je leur ai entendu faire plufieurs fois, prétendent que 1'ame eft une fubftance fpirituelle diftinóte du corps & immortelle. Si elle 1'eft, comme ils le difent,& fi lapreuve de fon éxiftance réfide dans la faculté de penfer, il s'en fuivroit, que quoique mon corps fut comme anéanti, mon ame auroit toujours dü dans ce moment jouir de fa raifon, de fon entendement ,& nepas ceffer d exifter, indé-  C3ö) iödépendamment de 1'autre fubftance. Toutes ces idéés, que je me forme aéluellemenr, me font croire, qi>e cette ame n'eft qu'une chimère; qu'elle ne eonfifte que dans l'organifaiion de nos corps, & que , c<--ue organifation une fois derangée, tout eft diffipé & rentré dans le néant d'ou il a été tiré. Je n'ignore pas que les hommes dont 1'orgueil & l'amour propre font inconcevables, fe mettent dans la tére que tous les êtresqui nefont point eux & qu'ils qualifient du nom de bêtes, n'ont point d'ames & qu'a eux feuls eft le droit & 1'honneur d'en avoir. Pour expliquer ce qui nous fait agir de telle ou telle maniere , ils nous accordent fimplement une faculté qu'ils nomment inftinft. Mais eet inftinct, quel eft-il? Comment peuventils y trouver unedifférence avec celui qu'ils difent être leur ame? C'eft ce qu'ils n'ont jamais pu définir jufqu'ici, & qu'ils ne définiront jamais. Ce que je fcais, moi, c'eft que nous autres meffieurs les Poux nous raifonnons & penfons quelquefois auffi bien qu'eux;& je puis encore ajouterque je ne voudrois pas troquer mon infiin£t contre 1'ame de la pluspart d'entr'eux. Mes compatriotes voudront bien me paffer cette difTertation qui eft en notre faveur j revenons maintenant a mon hiftoire. Revenu de ma cruelle létargie, je paffai environs 8 heures a me remettre de mes fatigues & a , reprendre les premières forcesdelaconvalefcence; en fuite 1'appetit, pu plutot le befoin vint m'affaillir; c'eft une maladie bien cruelle quand on n'a pas de quoi alfouvir la faim. Je ne fcavois quei étoit le reiiaurateur a qui je pulfe avoir recours; j'en voyois bien des fourmillieres qui paffoient & repaflbienc  ( 3ï ) repaffoient continuellement, mais aucun ne s'arrêtoic. Telle fut ma pofnion défagréable pendant une nuit entiere, jufqu'au lendemain midi; le mal qui me confumoit alloit toujours en augmentant; & je me voyois au moment, oü, forti d'un naufrage, tel qu'il n'en a jamais exifté de mémoire de pou, j'allois périr d'inanitiön , lorfqu'enfin Dieu eut pitié de fa pauvre créature, en m'envoyant deux braves garcons qui fe mirent 1'un a ma droite, 1'autre a ma gauche. Auquel des deux devois-je m'attacher ? Tel qu'un ine, entre deux bottes de foin,j'ai d'abord héfité quelques minuces, enfin je me fuis déterminé pour celui qui étoit a ma droite; c'étoit peut-être le fort le plus funefte qui pouvoit m'arriver; mais enfin, ne connoiffant ni 1'un ni 1'autre, je ne fcavois qui méritoit la préférence. CHAPITRE X. 11 retrouve quelques uns ie fes enfans. Ses réflexions Philofopbique fur la Mort. 11 eft prêt è être brulê vij. II évite ce nouveau Hanger, ö* je trouve chez le fameux Caron de Beau Marchais. CELUI donc qui devint mon höte paroiffoit avoir une forêt bien garnie; c'étoit pour moi un appas trés agréable. J'eus beaucoup de peine 3 gravir au fommet de mon protecteur, mais enfin j'y parvins, & je me trouvai heureux & fatisfaic pour le moment. II mé fervit une table bien approvifionnée: la première cholè que je fis fut de me légaler: Dieu fgait fi j'en avois béfoin, m'en donnai. Je crois que, fans ce fecours fi défiré & fi long temps attendu, deux minutes plus tard c'étoit fait de ma vie. Qu and je me fus bien raffafie , je fis quelques pa* dans le bc-is & j'y rêricontrai pour mon bonheur, entre un grand nombre de mes freres, trois de mts enfans qui étoient nés fur la tête du loutou de M. le Premier Préfident, & que je n'avois pas revus depuis. , . Mes pauvres enfans avoient effuye bien des mbulaiions & des infortunes; leurs aventures qu ils m'.mt contées &quejene retraceraipoint ici,pour ne m'en tenir qu'a ce qui m'eft perfonel, m ont rait verfer de» larmes de fang, en meme-temps que je goutois la fatisfaaion de les revoir & de les prelfer fur mon fein. II faut être pere pour connoltre les différentes fenfations que j'ai éprouvees en pareille occafion. " Hélas! mes pauvres enfans, leur " aN-iedit, nous ne fommes nés que pour mouri': « une année entiere eft le plus long cours de notre " vie;qu'eft ce oue ce temps,en comparailon de *< 1'érernité ? Si notre ame meurt avec nous, tous « ros maux font finis ; fi elle nous fur vit, peut-être « ornera-t-elle le corps de quelques etres pluö «' fonunés. D'ailleurs la mort en elle memen eft « rien, un clin d'oeil n'eft pas plus rapide quellej «« Laiffons au vulgaire des hommes « Redouter de la more les piéges imprevns; «« Elle n'eft point, tant que nous fommes: « Quant elle eft, noas ne fommes plus. « Pour nous, mes chers amis,/w aye-je ajouté% " oublions lepaffé ; regardons le comme un fonge , « 1'avenïr eft incertain;nous ne tenons que le pre« fent; ainfi jouiflbns-en, puifque nous le poffedons  ( 33 ) & chafibns tous les chagrins & toutes les Inquiétudes, qui nous rendent feuls malheureux. Ceft ainfi que je cherchois a confoler mes enfans dans le nouvel afile que je venois de rencontrer. J'efpérois que mon bonheur feroit de quelque duree,mais le ciel en avoit difpofé autrement. Mon höte étoit un malheureux qui ne m'avoic donné Phofpitalité que pour me faire fouffrir un fuplice encore plus terrible que celui que je venois d'éprouver; heureufement que fans une autre méchanceté qui lui a paffé par la tête &quin'étoic point relative a moi J'ai encore échapé a cette terrible catafèrophe. M. la Fleur, c'eft fon nom , avoit 1'honneur d'être valer de chambre; c'étoic un grand gaillard , bien découplé . haut de prés de fix pieds: j'ai toujours remarqué que parmi les domeftiques uneriche taille leur donnoit une tres grande confidération; & la taille de M. la Fleur lui avoit procuré Ia place de premier gentilhomme de la chambre d'un efpèce de petit Miniftreen fous ceuvre, qui, par fon hipocriOe, fes intrigues & fon efprit, étoit devenu une efpèce de perfonnage fameux, & jouoit une rolle dans le monde. M. Lt Fleur n'étoit pas content de fon maitre, car j'entendis, lorfqu'il fut de retour dans fon grenier, qu'il murmuroit ouvertement contre lui & fe fervoit de termes trés indécens & trés peu convenables a la modeftie dont fon maitre fe parait. " Cet impertinent, difoit-ii, afFeére avec moi " une hauteur qui ne lui convient pas: ilfjaitque " nous fommes parens; fi je fuis chez lui, ce n'eft " point par charité qu'il m'a pris: j'aurois trouvé, " fi je 1'eulTe voulu , de meilleures places aillieurs; " il devroit donc avoir plus d'égards pour moi. " II medeffend de porter le nomdeCaron; voyés * 1'impudent! Comme fi je lui 'faifois deshonC " neur!  ( 34 ) neur! II eft plus dans le cas de me faire rougn1 « de honte que moi de lui faire torc., Mon pere '« valloit bien le Gen; un ferrurier vaut bien , je m c ois, un horloger; mon pere, fans me vanter, '*S fufoit les plus beaux ouvrages du monde. Ma " fceur, toute cuilinierequ elle eft, a bien raifon de ** ne pas le voir ; elle dit qn'elle ria -pas été blamée " par arrêt du Parlement & qu'elle a toujours fon *' honneur; par parenthefe, elle fait bien de ledire, w pour qu'on la croye ; pour moi j'ai grande enyie *' de planter mon homme la,& de me mettreala i< tére des affaires de Mademoifelle Fanfan: quand « on eft auftl bien bati que je fuis , on fgait u mettre fon épingle au jeu, &on fcait 1'en tirer " a propos chez une aélrice d'Opéra. Ne voila» »' t-il pas mon animal qui fonne, comme s'il falloic " être a chaque minute a fes ordres, hébien qu'il •f attende , je ne fuis pas fait pour me preffer pour t( lui ; il ne veut pas feulement me laiffer le temps «? de me donner un coup de peigne. Oui, fonne, " fonne toujours, vas, vas,je fuis bien mécontent " de toi; pour peu que la moutarde me monte au m nez,jet'envoyeatouslesdiables;prends-ygarde." M- ia Fleur en étotk la de ce foliloque , lorfqu'un autre valet entre. "Monfieur vous appelle, lui dit" il ; ils'empatienceck nous fait tous enrager, allés« yjdo 'C, jevousprie.,, " Quil aille je faire —, ré" pondit mon patron ; comment! Jenepuisavoir « un moment a moi: & que veut-ildonc? Je jais n deffendre &lui parler comme il le mérite. " II deflendit donc de 1'air le plus furieux & le plus mécontent. " Que demande, Monfieur? f*' Ou étiez vous donc depuis une heure que je vous ' *' fonne.-- II n'y a pas quatre minütes que Monfieur u a fonné & j'allois m'accontmoder; je croiois en „ avoir  ( 3J ) " avoir le temps, puisque Monfieur a dit qu'il ne ie " feroit coëffer qu'a deux heures. — Non, je veux t* l'être adtuellement. " Levalec s'apprêtoitenconféquence a rempür fes fonclionsjdcjail avoit mis fon tablier; deja fes peignes étoient dans fes cheveux, lorfque le maitre lui dit: „ je change de fentimens, ce nefera que pour deux heures." M. la Fleur retourna donc a fa chambre, & ce fut la qu'il en die encore de plus belles contre fon parent. Comme i! fjavoit défiler le chapeletdes fottifes de fon maitre, & comme il mediverriffok! Mais, tout en grondant & peftant, il lui prit une idéé qui me déplut beaucoup. On ne gagne, difoit-il, que des Poux avec eet impertinent, je crois que j'en ai la tête pleine , je ne cejje de me gratter; il faut que js me peigne a fonds. A ces terribles mots tout mon fang fe gela." " Voila donc pour lecoup mon dernier moment, ** me difois-je. O'mes enfans, ne vous ay-je re* " trouvés que pour vous voir périr avec moi; 'ic " quel fuplice afi'reux on nous préfente!" En effet un réchaud plein de feu, que notre bourreau avoit monté, étoit a nous attendre,& a nous engloutir pour jamais. Le malheureux commence en effet fon éxécution. Déja plus des trois-quarts de mes compatriotes & deux de mes enfans font faifis paree barbare qui les jette impitoyablement dans les Aammes. Chaque fuplice, par 1'éclat qu'il faifoit, étoit autant de poignards que 1'on m'enfonjoit dans le cceur; je fouffrois mille rnorts pour une; j'étois fi troublé öc fi hors de moi-même, que je ne cherchois même plus a éviter le danger, je fus pris, comme mes camarades dans le redoutable inftrument préparé pour notre perte. J'étois déja placé C 2 fax  ( sO fur un papier avec huit autres patiens, & nou£ n'attendions que le moment d'ètre brulés vifs * lorfque M. la Fleur eut une idee bien flatteufe pour moi. . « Parbleu, fe difoit il, Mr. le Fat (il parloit*« ainfi de fon maitre) il faut vous apprendre ce « que 1'on gagne a votre fervice; je veux donc «« vou3 fervir un petit plat de mon métier; il faut " que ces petits Melfieurs (en parlantdenous) yi" vent a vosdépens, je vais donc en orner la tête " du fameus auteur du Barbier de Séville. Quand " vous ferez avec vos Marquifes& vos Ducheffes, " il fera fort joli de vous gratter comme un tt Pouilleux que vous ferez. Comme on rira de it vous voir! Qiiels complimens vous recevrezde " la belle acquiiition que vous aurez faice, & que f* vous m'en aurez d'obligations! " Tel fut le projet de eet homme & ce projet fit cefler toutes mes terreurs; ce fut un baume falutaire qui fe répandit dans mes veines; je ne pouvois être mécontent que d'une chofe , c'étoit le mépris que ce valet avoit pour moi: mais, dans un moment oü il me rendoit la vie, je n'y regardai pas de fi prés. . , , Alors M. la Fleur continue avec plus de courage que jamais a extirper de la tête le refte des malheureux qui yvégetoient encore; il nous reunit tous avec grand foin , craignant même de nous faire dumaljnousétioos au moins vingt-cinq. Pour nous faire trouver meilleure la table qu'il nous deftinoit, il crut que nous devions avoir un bon appetit;en conféquence,après nous avoir retirétous les alimens quï fe trouvoient avec nous ,il nous enferma dans un papier bien plié & nous mit dans fa poche, oü nous reftarnes environ une bonne heure  (pi heure dans 1'efpérance d'éprouver un fort pius heureux & plus noble; car j'ai des fentimens; & je le dis a mon honneur & gloire, j'aime beaucoup mieux les maicres que les domeltiques. On eft aulïi bien mieux fervi chez eux & on y apprend des aventures & des anecdotes beaucoup plus intérefLntes. Enfin au bout de ce temps M. la Fleur fit ce qu'il avoit dit; il nous placa dans le nouveau dor micille qu'il nous avoit deftiné, & eut 1'attention de nous fournir une ample provifion de vivres. CHAPITRE XI, Le petit Miniflre ; fon apotèofe par lui même; fes grands expkits; il gouverne la France, fes quweSécrétaires, fon Aumonier. 11 va a 1'opéra, s'y fait admher, & finit ja journée chez Madame Gourdan. Mr. la FLEUR avoit bien raifon de dire que mon petit Miniftre étoit fat & impertinent; mais cela ne fuffifoit-pas; il pouvoit dire le plus fat, & le plus impertinent qu'il y eut en France; jamais je n'ai vu fon égal, quoique j'aye connu bien du monde. J'en puis parler pertinemment, car je m'étois placé juftement au milieu de fa tête au point de réunion de toutes les idéés qui s'y formoient, & rien ne me divertiffoit d'avaneage. Je ne bougeai point de mon pofte pendant le temps que je reftai dans cette habitationj je laiffois mes C 3 camarades  ( 58 ) eamarades s'arrenger comme ils le vouloient; ik lfe marioient, ils faifoient des enfans; mais moi, plusoccupé qu'eux, jem'inftruifois,je raifonnois, & phflofophois. * Mon important Petit Maitre dina le premier jour que jefus avec lui, feul, contre fon ordinaire, a ce qu'il m'a paru. Après fon repas, il s'enfonja dans une grande bergère, les pieds fur un couflin de velours, & fe rappelloit avec plaifirlehaut point d'élévation oü il étoit monté, difoit-il, par fon mérite, Voici,a peu prés, le réfumé des obfervationsqu'il faifoit fur lui-même. " Je ferai certainement plus célèbre & je mé** rite plus de 1'êtreque les plus puiffants Miniftres ** de bien des empires, & que méme plufieurs Mo" narques qui ont eu de la réputation & qui ne la " devoient fouvent qu'a leur naiffance &au hazard " d'avoir rencontré de grands généraux d'armées *c & des gens inftruits. Pour moi, je ne dois ma " fortune & ma réputation qu'a mon feul mérne " & a la profondeur de mon génie. Mon hiftoire " fera furement trés curieufe & trés intéreffante; " mais il faudroit pour la faire un écrivain digne " de moi, &oüle trouver ?Sortidunéant f ee que " je ne dis pourtant qu'a moi) quelles difficuités " n'a-t-il pas fallu furrrjonter pour m'élever au *' point oü je fuis! Un corps entier de laMagif*' trature a voulu me perdre, je 1'ai écrafé. Mon '* efprit affendant & mes farcafmes m'ont attiré " d'abord 1'amitié des Princes du Sang&desplus ** grands Seigneurs du Royaume, & enfuite les " regards & 1'admiration de tout le public étonné " & encbanté de me pojjedtr. II n'exiftoit qu'un " Voltaire: ceDieu n'eft plus; on me donne acl* tuellemjent fa p'ace. II n'eft point, dit-on, aftu- " ellement  ( 39 ) *{ elleroent de plus grand Génie dans 1'Europe que £S le mien. Je gouverne une vielle Comtesse; t\ j'ai pris fur elle un aflëndant irréfiftible, & lui " fais faire tout ce que je yeux; cette wille femme " mtne fon vieux mart par le bout du niz ; ce " vieux bon homme, fans avoir le titre de Premier M Miniflre de la France, n'en a pas moins tous les " pouvoirs, & éxerce, lui feul, toute 1'autorité du " Roi; me voila donc, par lefait, prefque le Sotj" verain du Roiaume. C'eft moi qui ai fomenté " la rébelhon des Amériquains, j'ai fait la cuerre f* avec les Anglois, & j'en attenda une fin, qui, por* " tant ma gloire au plus haut dégré. fera én mém© f* temps Je bonheur de ma nation; je viens de ff forcer TEmpereur a aceepter les propófisons de " paix que je lui ai impofées , le mt'nacant, fan» " cela, de me réunir au Roi de Pruile. j*ai fait M donner a Sartine le département de la Marine, " a Necker, celui des Finances , a Amelot cel u de u Paris; les ger-s de lettres m'elHment, Ie peup1© ff m'adore & les grands me craït?,nent; j'ai routes *' les lettres de cachet a ma difpofiuon G h - a " ceuxqui me provoquercoir; ils feront rerraifés a " 1'inftant & je forcerai amfi mes ennemis a fe tasre " & a me redouter." II fonne dans ce moment & demande a fon por^ tier les invitations qu'on lui avoit envoyées Oa les lui préfente. —" Voyons, dit-il, s'il y a quelque chofe qui me convienne. «« Le Duc de Chartres, pour ce fmr La " DuchetTe en fera, il faudra être trop réfervé & i* trop raifonnable; je veux aujourd'huy de la " gayeté; je n'y irai point. . •« Le Prince deConty rriattend a fa loge a la fin " de la comèdie, II poura m'attendre Jougtemps., \ C 4 "La  (4o) " La petite Fanier. ... Toujours avec fon Do* ft rat; ce font les deux doigcs de la main. Ils « font inféparables; je ne veux point nuire a leur »« bonheur. u L'Ambassadeur d'Esfagne Ce n'eft " point chez lui que je trouverai de ramufement, " mais il faut que je lui parle pour affaires; ilat" tend toujours ce manifefte; je vais lui mander ** que je 1'aurai fini demain, qu'il peut paffer chez «« moi mardi a dix heures. •« La Comtesse Semmternelle Non , « ma chere, pour aujourd'huy, mais demain je «ƒ ferai a votre lever. «* Amelot Aura-t-il des filles cefoir? Cela t( pouroit trés bien être, j'y vais paffer pour m'en «' informer. " Madame la ComteJJe de Gourdan. Oh, oh! voy- *' ons: ... . Du nouveau deux: . .. Quinze *' ans .... Des boutons de rofes prets a s'épanouir. "... . Me voila décidi. «« Ou ejl mon premier fécretaire? — Monfieur, il " n'eft pas revenu de chés M. de Sartine. Cejl " bonuüeftlefecond! —11 eftrenfermédepuisdeux «« heures dans fon cabinet avec fon Excellence " Monfeigneur de Francklin — Et le troifiême ? . M II eft forti, en difant qu'il alloit donner des inf* ftructions de votre part au Miniflre de la Guerre. « .— Et le quatrieme—U a grande compagnie aujour«< d'huy chez lui, & doit donner un bal ce foir, de" forte qu'il n'eft pas vifible pour le moment. II " me faut pourta^it quelquun pour le pré/ent. Allés *( me chercher mon Aumönier." L'abbé vint. Mon ami, lui dit mon maitre, voici plufieurs lettres, lifés-les, & repondés-y ce foir; c'eft un fervieeque vous rendrezames com- mis  ( 4i ) mis qui font tous occupés, & dont je vous fcauraf gré, car j'ai tant d'afFaires pour le moment que je ne puis me mêler de ces bagatelles. Faites partir ces réponfes auffitöt qu'elles feront finies; je vais préfenter mes homages a la Reine. "Mais, ** Monfieur, dit l'Aumonier, que dire dans ces i4M V tres ? — Vous excujerés fi je ne puis me rendre aux " invitaüons; voila tout. — Et quand les fignerez*( vous, fi vous fortez ? — Tenés, VAbbé, prenés ma ff Ghiffe j * Jervés-vous-en, mais rien abuj'es pas." Ces ordres ainfi donnés, mon impertinent s'habilla , mit a fon doigt un diamant de plus de 100,000 livres qui lui avoit été donné par Plmpératrice-Reine de Hongrie, monta dans un joli vis-avis, & nous conduifit a 1'Opéra. Sa Majefté mon ancienne & glorieufe maitreffe y arrivoit en même temps que nous, & recut les acclamations detóut le peuple: j'aurois aulli voulu y pouvoir réunir mes battemens de mains pour lui témoigner mon refpeér. & mon attachement; mais la pofition oü j'étois, étant ferré étroittement entre cinq a fix cheveux, m'en a oté ia liberté. Mon introducteur fit deux fois le tour des loges: c'étoit 1'homme univerfel, il connoiffoit toute les dames qui ornoient le fpeótacle; tantöt il parloic a 1'une a 1'oreille ; tantöt il baifoit la main de l'autre; il faluoit celle-cy de 1'air le plus affable & le plus refpectucux; a celle-la il difoit feulement avec un léger figne de tête; " bonjour la belle * Une Griffe eft un notneftampé, ouempreint: dans tons les bureaux on a ainfi le nom du Roi poor former des lettres de cadet dont il n'a pas la moindre connoiflancev. les Miniftres ont aufll leurs Griffes , pour n'avoir pas la peinedefigner; leurs commis en font autant. il n'eft donc pas étonnant qu'on fi grand perfonnage que Beaumarchais air. aufll la fienne.' C 5 enfant j  ff») " enfant" II fe mit enfuite au balcon, fetenoitplus debout qu'affis ; il avoit 1'attention de prendre fouvent du tabac pour faire briller fon magnifiqua brillant; bien des hommes vinrent lui parler; enfin s'il n'a pas été vu & admiré de tous les fpecbateurs, ce n'a point été de fa faute. Quand 1'Opéra fut fini, il fe placa fur 1'efcalier poar femontrer de plus prés; tout le monde s'arrétoit pour lui parler, toutes les dames vouloient 1'avoir a fouper; mais il ne pouvoit, difoit-il, fe fub» divifer a 1'infini; il refufoit avec un air de chagrin & une modeftie qu'il fcavoir. afFecler divinement, Soncarotïe arriva, il s'éianca dedansavecun grace furnaturelle, & nous conduifit a 1'hótel de la Com* tejje de Gourdan. Mon paillard fut recö avec beaucoup de politeffe & de préveoance; on avoit pour lui la plus grande circonfpettion; on le fit entrer dans un joli fallon, oü les deux Rofes qui lui avoient été annoncées furent introduites un inftant après. *' Venis, mes anges, leur dit-il, vous avez l'air " craintif; riayés aucune inquiétude; je veux être t*. votre ami." C'étoit réellement deux figures céleftes } je fortis un peu pour les admirer, & ma cunofité fut amplement fatisfaite ; Je plus bel incarnat animoit Jeurs vifages: 1'une étoit une brune piquante, 1'autre une blonde raviffante; elles étoient toutes deux faites de cire a Pégard des bras, des mains, de ja gorge, & des pieds. JSi mon prote&eur eut été eccléfiaftique, il n'auroit pas manqué de gouter des deux.fruits deffendus qu'on lui préfentoit; mais, n'étant qu'un fimple laic, tout impudent qu'il étoit, il fit unchoixdans les deux, prodigua a fa,bien-aimée toutes les ca- reffes  (43 ) reffes qui pouvoient la dédommager du facrifice auquel elle fe foumettoit; &, après un tête a tête de deux heures"; il quitta fa divinité, &retourriaa fon hotel oü nous nous couchames tous de bonne heure, car il n'étoit que minuitj ce qui lui arrivoit trés rarement. CHAPITRE XII. Dialogue entre le Petit Minijïre fif le Dr. Benjamin Franklin , rélativement aux projets de Ut France contre VAngkterre. Le Pou ejl cbajfé de fon domicilie, il en trouve un d'une conditiën plus relevée, mais moins avantageufe pour lui, LE lendemain matin , on vint annoncer fon Excellence le Dr. Benjamin Franklin, avant que nous fufïions levés, ce qui nous empêcha de refter plus longtemps au lit, oü nous commencions a faire encore de nouvelles réflexions. Ces deux hommes d'importance eurent une conférence intéreffante dont je vais faire le récit tel que je 1'aientendu. Dialogüe Interessant. Le DoSleur. II faut enfin, mon cher, prendre des arrangemens folides, car tout notre temps fe paffe a ne rien faire; & cependant les Anglois trouvent conti* nuellement des matelots, ils conftruifent des navires, üsarmenta force, & nous fommes ménacés d'être détruits fans les fecours les plus puiffans de la France. L'Impudent.  U4 1 L'Impudent. Doêleur, ce que je vous ai prornis, je 1'ai tenu; l°. vous avez en Amérique notre flotte du Comte d'Eftains qui tient bloquée celle de 1'Amiral Biron. Le Doiteur. Qu'appellez-vous'? Mais c'eft Biron qui bloque d'Eltains. L'Impudent. Voila comme vous ne pouvez jamais rien comprendre dans les affaires politiques; fgachés que ce que je vous dis efl jufte; vous en verrez des effets avant la fin de 1'année. Le DoSteur. Dieu le veuille! L'Impudent. En fecond lieu, je vous ai prornis une nouvelle flotte qui croifera d'abord dans nos parages; nous menacerons les Anglois d'une deffente dans leur pays; cela les intimidera; leur flotte commandée par Hardi n'ofera point s'éloigner; c'eft tout ceque nous voulons. Le Dotleur. Belle avance! Et a quoi cela menera-t-il? L'Impudent. A vous foutenir dans votre propre pays; a empecher les Anglois de renouveller leurs forces en Amérique, a vous mettre dans le cas de les prendre par famine, & enfin a les traiter comme vous avez déja 'traité Burgogne. Le Docleur. Dieu le veuille! Mais je crois qu'il vaudroit beaucoup mieux , au lieu d'une deffente en Irlande, conduire a Bofton toutes les troupes prêtes a être embarquées,- &, avec ce renfort, nous ferons furs de  ( 45 ) de chaffer pour jamais les Anglois de tout notrë pays. L'Impudent. C'eft ce que nous verrons, fi vous ëtes bien ralfonnables, & fi le Congrès nous accorde que Sar* tine & moi nous demandons depuis longtemps. Le Dofteur. Je vous ai engagé ma parolej cela doit vous fuffire. L'Impudent. En troifieme lieu, je vous ay promis de forcer le Roi d'Efpagne a déclarer ouvertement la guerre 3 la Grande Bretagne; j'ai tenu, comme vous voyez, ma parole. IS 'avez-vous pas plus que vous défiriez ? Le Dofteur. Mais nous étions convenus que la flotte du Comte d'Orvilliers ne fe réuniroit point a une divifion de celle d'Efpagne, parceque cela nous fera furement plus nuifible qu'utile. L'Impudent. Mon cher, vous avez la vue courte, on le voït bien; vous n'allez pas plus loin que le bout de votre nez; je ne puis vous en dire d'avantage. A. propos, je vous prïe, comment trouvez-vous cette juftification du Roi de France a la face de toute i'Europe ? Le Docleur. J'avoue qu'on ne peut guères mieux foutenir une plus mauvaife ctufe; mais je crois qu'on auroit mieux fait de garder le fileDce, parceque cela mettra les Anglois dans la néceffité de répondre; & ils ont tant de chofes a dire! L'Impudent. Oui, mais non pas avec autant d'efprit & d'élégance. Le DocIlw.  (4«) Le Docleur. II paroit que la tête vous démange beaucoup» Seriez vous par hazard éleftrifé ? L'Impudent. 'Je me fuis un peu amufé hier au foir a cette occupation, & je ne m'en fuis pas mal trouve cette nuit. Le Docleur. II falloit me prévenir; vous fcavez que je ne fuis pas ignorant dans cette partie; je vous aurois fait voir de belles chofes. L'Impudent. Si vous voulez, ce föir, je vous en ferai voir de bien plus belles. Le Dotleur. J'y confens: a quelle heure & oü? L'Impudent. J'irai vousprendre a huitheures, attende's-moi. Alors ils fe quitterent; mon proteéreur mécontent des légers frottemens de mes camarades qui paturoient en lieu gras, y mit la main & fut trés furpris d'y trouver un Pou. " O Dieu.' dit-il, une " pareille infeclion chez moi/ Cefera cette malheureufe " d'hier aufoir qui m'en aurafait pré/ent. " II fait alors venir fon valet de chambre, fe fait peigner a fond & nous fumes faits tous prifonners de guerre. Comme nous ne nous rendimes qu'a la derniere extrémité, on n'eut aucun égard au droit des gens: &, a méfure que 1'on mettoit la main fur quelques utis de nous, on nous plongeoit dans un baffin d'eau. Je ne croiois point en réchapper; je luttois bien contre les flots, mais je ne le faifois que nsachinallement, & je me voyois de nouveau a mon dernier moment, lorfque M. la Fleur voulut nous jetter  ( 47 ) jetter dans des commodités a 1'Angloife qui fe trouvoici.t prés du cabinet de toilette de Mr. l'Im. pudent. Mes compatnoces furent tous engloutis pour jamais; mais, par un bonheur inattendu, je tombai fur le bord du précipice, on ne fit point attention: il ne s'agiüoit que de fcavoir que bon Chrétien viendroit me fauverj peut-être devoit-ce être im domeftique, race que j'ai toujours maudite mais j'ai été plus heureux; un véritable Miniflre qui avoit a Monfieur l'Impudent 1'obligation de i% place; vint me tendre une main propice & bienfaifante, une heure après le danger que je venois d'éprouver. CHAPITRE XIII. Projet du Miniflre de la Marine pour partager la Grande Brétagne, entre la France, l'Efpagne c? Is Congrès. Dialogue entre un Commiffaire de Marine g fon ami fur l'état acluel de la Marine Eranpoifc ü les abus qui s'y trouvcxt. • MON libérateur avoit depuis deux jours urt projet dans la tête qu'il ne pouvoit effeétuer qu'aprèsl'avoir fait approuver du Comte de Maurepas;, mais, avant tout, il falloit que mon dernier maitre. 1'eut gouté & fait gouter a la ComtefTe Sempiternelle. Voila pourquoi il étoit venu lui rendre de bonne heure une vifite.  | v 43 ) Je n'ai guères pu comprendre qu'elles étoient touces les vues politiques de ce vafte Génie, car la converfation s'étoit paffée, lorfque j'étois au fécret; fe, quand je parvins au point le plus élevé de mon Protefteur, je fus trés lurpris de voir que toute la forét qui faifoitvle plus bel ornement de fa tête fublime, étoit empruntée j pas un feul arbre n'étoit de lui: ils étoient plus blancs que blonds, & totalement defféchés; enfin, pour me fervir du mot tecnique ufité parmi les hommes, c'étoit une perruque d'un volume coniidérable, qui, tapèe & retapée tant qu'il avoit été poiTible, &poudrée.ablanc, préfentoit une figure bizarre & extraordinaire; elle étoit de 1'efpèce de celles que 1'ori nomme a Paris perruques a la Sartine. Le vuide qui fe trouvoit emre la coëffe de la perruque & la tête de mon nouveau maitre m'a empeché de pouvoir connoitre diftinctement tout ce qui fe paffoit dans fon efprit; j'ai feu feulement en gros qu'il s'agiffoit d'un traité de partage entre le Roi de France, celui d'Efpagne Ö* le Congrès Amériquain, par lequel, après qüe 1'on fe feroit emparé de toute la Grande Brétagne, & pour ne plus entendre parler de cette PuilTance fi formidable fur mer. on la divifoit en trois parties; le Roi de France devoit avoir 1'Angleterre proprement ditte, i'Efpagne auroit 1'lrïande, & 1'Ecoffe étoit le lot de Meffieurs du Congrès. J'ai été auffi inftruit trés particulièrement que Mr. l'Impudent devoit être nommé Gouverneur pour le Roi de la ville de Londres , paree qu'il connoiffoit déja cette ville oü il avoit beaucoup d'amis, & que d'aillieurs il falloit lui promettre une récompenfe proportionné a fon zêle & a i'importance de 1'entreprife. L'Impudent a para applaudir a 1'exécution d'un projet auffi noble  ( 40') on ami lui demanda alors 1'explication de cette comparaifon, & le pria de lui dire quels étoienc les défauts qu'il avoit remarquésdans eette partie elfentielle du Gouvernement. Comme ils n'étoient pas eja^ore prets d'avoir audiance de ce Miniflre, le Commiffaire confentita fatisfaire fon ami; ils femirentauprès de moi, &, fe voyant feuls, ils parierent avec liberté, ne fe doutant pas qu'il y eut un Pou k leurs cotés qui put comprendre Sc retenir ce qu'ils difoient. Dialogue entre un vieux Commissaixe de Marine et son Ami. Le Commiffaire, Connoifiez-vous 1'ordonnance du grand Colbert fur la Marine ? V Ami. N'étant point dans cette partie, je vcus dirai feulement que j'en ai entendu parler par des gens inflruits comme d'un chef d'ceuvre; on m'a ajouté quMle avoit fervi de modèle pour toutes les autres Puiffances Maritimes de 1'Europe. Le Commijjaire. Vous avez raifon de dire qu'elle étoit un chef é'ceavre: je vais vous en donner 1'effence. " En  (51 ) En Louis XIV. forcé d'entretenir des armées de terre formidables, chercha auffi a rétabür, ou créer la Marine en France. Mais pour fubvenir aux dépenfes éoormes que eet établiffemenc devoit entrainer, il falloit une économie extreme & foutenue. Cette économie devoit être le fruit de la plus grande intelügence & de l'aclivité Ia plus infatigable dans les perfonnes chargées de ce travailimmenfe; mais oü les trouver, ces hommes fi laborieux? Ce ne pouvoit être dans la noblefie, deftinée aux fbnftions brillantes de la guerre & du commandement: des officiers militaires, fansceffé obligës de s'éloigner des ports & des arfénaux , ne pouvoient fe livrer a cette adminiftration paifible & continue, & a tous les détails de la conflruction & de 1'équipement des vaiffeaux. On forma donc un corps toujours fubfiftant pour la manutention intérieure. VAmi. N'eft-ce pas le corps de 1'Adminiftration dont vous voü!ez parler? Le Commiffaire. Vous avez raifon; mais dans le commencemenè qu'il a été établi, on le nommoit la Plume, par contraire avec l'Epée. Pour entrer dans ce corps, il falloit avoir des connoiffances, des talens, & beaucoup d'ardeur pour le travail. Comme les fonctions aux quelles il étoit deftiné fe multiplioient & fe varioient a 1'infini, il falloit auffi' un trés grand! nombre de fujets pour les remplir. Les fonds de la Marine n'étant point fuffifans pour payer ce corps a prop'ortion de fes fervices, on n'y donna que des appointemens trés modiques, mais on compenfa par les honneurs & la confidération ce qu'on löj rèfofoit du coté de la fortune; on conimenca par Ö 2 $  ( 5* ) le fooflraire a Pautorité de 1'épée; on excita fort émulation, on y établit des grades & une hiérarchie dont voici la gradation. Ecrivains, écrivains principaux, Commiffaires ordinaire* , Commijfairesgénéraux , Intendans cif Confeillers iïétat, avec la perfpeclive de parvcnir au Mini/tere. L'/lmie. Voila un ordre admirable, &qui auroit bien du enflammer les cceurs de tous ceux qui compofoient le corps de la Plume. Le CommiJJdire. Ce n'eft pas tout: on ajouta depuis le grade ö'é'ève avant celui d'écrivain ; c'étoit une école dans laquelle il falloit paffer avant que d'entrer dans le corps de la Plume, qui, des lors, fe trouvant égal en nombre de grades a celui de 1'épée, marchoit parallelement avec lui. L'EIéve avoit rang de Garde-Marine; 1'Ecrivain, d'Enfeigne; 3'Ecrivain Principal, de Lieutenant; le Commiffaire, de Capkaine; le Commiffaire-Général, de Chef d'Efcadre ; & 1'lntendant, de Lieutenant Général. V Ami. Mais quelles étoient pofitivement les fonctiorrs des officiers de la Plume! Le Cnmm'JJaire. Elles étoient confidérables ; les voici : i° la vifite, 1'achat, la recette & 1'emploi de toutes les matieres fervanta la conftruftion, al'equipement, & a l'armement des vaiffeaux; 2° 1'admiffion, la formation, la police & la levée des matelots. Dés que le vailfeau étoit armé & en mer, le Capitaine devenoit dés ce moment le maitre abfolu dans fon bord; & 1'officier de plume n'étoit p'us que 1'économe des elfets du Roi, & 1'hifto- riea  ( 53 ) Hen des fautes, ou des fuccèsdes repréfentans de Sa Majefté. Ü Ami. Combien eet' équilibre falutaire dura-t-il de temps ? Le Commiffaire. II a fubfifté, mon cher, jufqu'au Regne de Louis XVI, a quelques modirications prés. Par exemple, ce fut le Duc de Praflin qui donna a la Plume le titre plus honeftede Corps d'Adminiflration; &dépuis, fousleMinifteredeM. de Boynes, on accorda a plufieurs de mes confrères, ainfi qu'a moi, des croix de St. Louis. L'Ami. Qui donc dérangea eet ordre & cette harmonie fi intéreffante ? Le CommiJJaire. Hélas! Vous devez bien vous en douter; c'eft Je Porteur de cette perruque. Cet homme, d'abord fimple Confeiller au Chatelet moyennant une finance de 125 Louis, étoit parvenu au grade de Lieutenant de Police, c'eft-a-dire du troifieme Commis du Prévöt de Paris; il devoit refter dans ce pofte qu'il rempliffoit aflez bien au défavantage des filoux. Quoique d'origine Efpagnol , il n'avoit point la fierté, ni 1'arrogance de ce peuple; il étoit au contraire bas & rampant; il s'étoit enrichi dans fa place de Lieutenant de Police par toutes fortes d'intrigues & de malverfations qu'il pouvoit facilement voiler; il étoit fous différens prête-noms, & fans débourfer un fol, aflbeiéades communautés de marchands & de fabriquans , a des entrepreneurs a qui il faifoit avoir des privileges ; & c'eft par toutes ces voyes ténébreufes qu'il étoic devenu feigneur fuzerain de plus de 20Q^goo 1. de D 3 rente,  ( 54 ) rente, tandis qu'avant fa Lieutenance de Police il ne jouiflbit pas de 1200 1. de revenus. Tel efl le perfonnage qui, ne connoiffant que les cours des filuux, & la maniere d'avoir des efpions, eft devenu tout a-coup, Premier Miniftre de la Marine, fans avoir jamais vu d'autres navires que dans des tableaux, ou des gravures. Porté a un grade auquel il n'entendois rien, il a été obligé de s'en rapporter a des protégés dont il a fuivi les confeils. Ces Mentors, fe trouvant pofitivementdansle parti del'Epée, ont fait entendre a leur vieux Télemaque qu'il pafferoit pour plus fage & plus intelligent que tous fes prédécefleurs s'il vouloit détruire & renverfer ouvertement le Fiftême & les principes du grand Colbert & formet un nouveau code de Marine. L Ami. Voila pofitivement le portrait qu'a fait prqphètiquemenc GreiTet: " Des protégés li bas, un protecteur si bete ! " Et comment donc s'y font-ils pris dans cette noble entreprife ? Le CommiJJaire. C'eft ce que je vais vous apprendre: ces Meffieursfirent d'abord fupprimer le Corps des officiers de 1'Adminiftration & celui de 1'Epée fut chargé de remplir la delmation de la Plume dans toutes les parties du fervice; on a laiffé néanmoins a quelques uns de 1'ancienne Adminiftration les regiftres & la caifle de la Marine quand ils font a terre; mais feulement pour écrire fous la diclée des officiers & fournir des fonds a leur volonté; ils font abfolu^ïent exclus de toutes fonctions fur mer. Tel eft le réfultat  ( 55 ) réfultat deplufieurs Ordonnancas multipliées&très diffufes rendues par le nouveau Miniflre de la Marine depuis 1776. VJmi. Faites moi fentir, je vous prie, tous les abus & les inconvéniens qui réfultent de ce bel établiffement. Le CommiJJaire. Ils fourmillent j je vais vous en expliquer les principaux. i°. En confiant ainfi aux officiers militaires de la Marine, la direétion des travaux réiatifs a la conftruétion, au gréement & a 1'équipement des yaiffeaux, on les fuppofe plus inftruits dans la théorie qu'ils ne pouvoient 1'être du temps de Louis XIV. mais cette fuppofition elt bien éloignée de la réalité; je foutiens au contraire qu'il regne dans le corps de 1'Epée beaucoup d'ignorance qui réfulte néceffairement de la maniere de recevoir & d'inftruire la jeuneflë deftinée a la profeótion de la Marine; la condition de ne prendre les Gardes de la Marine que dans la nobleffe, & le préjugé qui mettant ce fervice au defloDS de celui de terre n'y deftine que les cadets, ou les gentilhommes fans fortune, ces deux confidérations, jointes a la néceffité d'y entrer de trés bonne heure pour obtenir des grades longs a parcourir, font qiie ces enfans, arrivant dans les ports, fcivent a peine lire & écrire, & font dénués de ces connoiffances préliminaires qui répandent dans les autres la méthode, 1'ordre Ik la clarté,chofes indifpenfablesdansle travailde 1'efprir. 2°. Le métier d'un excellent marin, efl: fi difificile par lui-même, & demande un pratique fi conftante, que c'eft lui faire beaucoup de tort en le chargeant d'occupations fédentaires.. D 4 30. Les  (56) _ gp. Les détails minutieux, dans lefquels 1'Admïpiftration étoit obligée d'entrer, feront fouvent jnterrompus quand ce feront des officiers de mep qui s'en chargeront; & par conféquent toute la partie effenneiie de la Plume ceffe & sanéïntit. 4°. Oi fcait que 1'eiprit économique ne peut fe fuppofer dans ceux contre qui il eft fpecialle» rnent dingé ; ceprndant , d'après le nouveau fiftême, Ie corps de l'Epée n'étant,plus furveiüé par l'Adminiftration, n'étant comptable de rien, n'envifageant que le brillant de fon expédition & fa commodité perfonnelle, fe trouvant amêmede fe pourvoir en abondance & fans oppofition de qui que ce foit, neferefufera rien: leschofesnéceflaires ne lui fuffiront point, il fe pourvoieradu fuperflu avec un excès de luxe trés dangereux; il s'adonnera a la molleffe, manquera de cette vigilance continuelle, qualité eilentielle d'un chef a la mer; & gare a une défaite a ia première action fur mer qu'il y aura. s°. Quel tort énorme n'en refultera-t-il pas pour le Roi par la négligence, le gafpillage, & les déprédations que l'Adminiftration n'eft plus chargée de contenir ? M. le Commiffaire alloit continuer, & j'en aurois appris bien d'avantage , car il paroiJToic trés inftruit, lorfqu'un laquais vint prendremon afile; on le mit avec fon contenu dans une boè'te, que 1'on portoir. je ne fcavois oü, ce que je n'ai appris ou'au bout de cinq a fix heures, lorfqu'on m'a fendu a la lumiere. CHAPITR^  (57 ) CHAPITRE XIV. Changement de fituation. Dialogue trés curieux de M. Benjamin Le Franc Jon Voifin au Jujet du Doeteur Franclin, de fes aventures,de fon économie, de fon ékclricité', de Jon élévation. JE vis une falie bafie meublée comme je n'en avois jamais vüe. C'étoit a 1'entour des murailles un triple rang de ces forêts poffiches, telles que celle oü j'étois, mais cependant dans différentes formes ; les unes étoient rondes .d'autres avoient des paquers d'arbres réunis qu'on nommoit des marteaux, paree qu'étant bien preffés & maftiqués ils étoient durs comme dufer; celles-cy avoient leur garniture poftérieure d'une longueur démefurée, dontle bout cepandant étoit cerclé; onpretend qu'elles donnoient de la raifon a ceux qui les portoient, & une capacité fuffifante pour décider de la vie & de Ja more de leurs concitoyens; celles la, a peu prés dans le gout de la mienne, étoient deftinées pour Meffieurs de la Faculté, & leur donnoient 1'intelligence d'approfondir les Cécrets de la Nature & les caufes de tous les maux qui afHigent le genre humain, fans cependant pouvoir y remédier efficacement. Dés que la mienne fut préfentée,le maitre de la maifon la mit honorablement fur la plus belle tête de bois qu'il y eut dans la boutique, & la fit placer avec diftinétion fur une tablette. Je vis plufieurs étrangers entrer & fortir de cette falie, les uns pour fe faire enlever jufqu'a laracine, avec un inftrument d'acier, ces tiges qui font cepandant P 5 crées,  ( SI ) créés pour faire le plus bel ornement de leurs figures j les autres puur fimétrifer & nourir les arbres de leurs forêts. Ces Metfieurs n'étoienc point les premiers financiers de Paris;leur parure n'étoit pas recherchée ; ils ne paroiffoient non plus avoir beaucoup de politeffe ,ni profiter d'une éducation briljante; mais ils paroiflbient contens, ils rioient de bon cosur, ils avoient un efprit naturel qui 1 uppléoit au défaut de la civilité & qui ne laiffoit pas que de me divertir. Un d'entr'eux cepandant, plus inftruit que les autres, raifonnoit beaucoup fur lesloix & la coutume de Pans qu'il paroiffoit connoitre; il avoit éré, ace qu'il difoit, Clercde Notaire, enfuite de Procureur, & infenfiblement il étoit parvenu au pofte honorable de Commis d'un Sécrétaire d'un Confeüler de Grand-Chambre; il m'a beaucoup diverti par le raifonnement fuivant, qui avoit une trés grande analogie avec celui que faifoit M. 1'Irnpudent qui gouvernoit une vieille femme , qui gouvernoit un vieil homme, lequel gouvernoit d fon tour, Sec. Voici celui de ce petit Magiftrat. ,( Le Parlement de Paris repréfente le Roi; la V Grand-Chambre de ce Parlement eft celle oü 1'oq e' juge les affaires les plus importantes concernant " 1'honneur & Ja fortune de tous les Francois; le i* rapporteur de chaque procés, par la tournure " qu'il lui donne, fait pancher labalance comme il " veut' pour oü contre; le rapporteur le plus oc" cupé de la Grande-Chambre efl; M. 1'Abbé P....r; " il a trop d'affaires pour pouvoir les éxaminer par f' lui-même, & s'en rapporte a 1'extrait que lui en " donne fon Sécrétaire. Celui-cy, ayant auffi trop " d'occupations.me charge de fa befogne.Je fais *.' donc les extraits des procés amafantaifie& j'y f' joins la note du jugement que je crois devoir " être.  ( 59 ) V être rendu dans la forme que je prefcris; mes ext( traits fontremisau rapporteur qui Jes Jit,ou eïl w cenfé les lire au Parlement; la note du jugemenc ff que je prefcris devient 1'arrêt définitif; confé" quemment je fais faire au Parlement ce que je ?' veux,&jedeviens, fans qu'il s'en doute le mai:ra « de Phonneur, de ia fortune &quelquefois même «f de la vie de mes concitoyens. " La converfation fur eet objet ayant ceffée, on raifonnadelaguerre,car tout le monde s'en raêle , tant bien que mal; on étoit encore fur ce chapitre.lorfqu'un pauvre malheureux, mais cepandant mis honeftement & qui avoit déja parlé affez bien prés d'un quart d'heure, prit le rafoir des mains d'un gareon de la boutique; il fe rafa fans favon , fe donna enfuite un coup de peigne bien léger, mit trés modeftement de lapouare fur fes cheveux & enluite vint fe remettre auprès de moi pour continuer la converfation qui l'intéreffoit,& que voici. Dialogue entre Benjamin le Franc et som Voisin. Le Voifin. II paroit, Monfieur, que c'eft par économie que vous êtes fi réfervé dans votre parure. B. le Franc. Vous croyez badiner, mais rien n'eft plus vrai; Monfieur (parlant du maitre de la maifon) veut bien me permettre de venir ainfi faire ma toilette chez lui deux fois par femaine, & il ne m'en coute qu'un fol, chaque accommodage. Le Voifin. II paroit que vos revenus ne font pas bien confidérables. B. le Franc.,  B. le Franc. Je n'ai que 119I. iios. par an} ce qui me fait juftement par jour 6 fois. Le Voifin. Et comment pouvez-vous voug foutenir avec fi peu? B. le Franc. Trés bien; vous n'êtes pas habitué a vous contenter de peu; pour moi, je fuisun tiersplusriche que nes'eft trouvé pendantlongtemps un homme de trés grand mérite, d'un génie fupérieur, & qui eft actuellement AmbafTadeur a la Cour de France. Le Voifin. Vous me furprenez; nommés le moi donc, ie vous prie. B. le Franc. C'eft le Miniftre PIénipotentiaire du Conerés Amenquain. Le Voifin. Quoi! Le fameux Docleur Benjamin Franklin. B. le Franc. Lui-même. II n'a eu pendant longtemps que 4 fois par jour, & il étoit heureux. Le Voifin. Je 1'avois cru médecin. Pourquoi donc prend-il Ie citre de Docteur? B. le Franc. On peut être Docleur dans toutes fortes de profeffions, il ne s'agit que d'y exceller. Docleur, veut dire do6te .fcavant; & je fuis trés furpris que les médecins fe foient arrogé cette prérogative, car il y a parmi eux de grands ignorans. Le Voifin. D'après ce que vous dites, je ne fuis point furpris que les médecins fe foient attribué cette qua- htg,  ]ité,mais ce que je ne puis concevoir, c'eft que Ie peuple ait été affez fimple pour la leur donner. Laiffons la ces Meflieurs; fcavez-vous l'hiftoire" de M. Franklin. Icy 1'on en raifonne, tantöt d'une maniere, tantot d'une autre, & 1'on n'eft certain de rien fur fon corapte. B. le Franc. Trés volontiers; je vais vous dire ce que j'en fijais. M. Franklin eft né a Bofton de pere & mere qui lui ont donné une trés foible éducation, car ils n'étoient pas rïches; fon premier métier fuc d'être ouvrier dans une imprimere. Le voila donc, de fait, deventi homme de lettres; car vous fcavez, mon voifin, qu'un imprimeur eft, plus que tont autre, homme de lettres, puifque fans imprimeurs il n'y auroit pas de livres. 11 gagnoit par jour a peu-près fon petit écü, & toujours il s'inftruifoic par la leéture des livres de la biblioteque de fon bourgeois; il aimoit par deffus tout les lecons de phifique de 1'Abbé Nollen & fes recherches fur 1'élecf ricité; ce fut la fon gout, & il s'y adonnoit dés qu'il avoit du temps a lui. Au bout de quelques années il eut envie d'aller s'établir a Pniladelphie, viile beaucoup plus confidérable que Bofton, & oü il pouroit pluftöc trouver a faire fortune qu'ailieurs ; il s'y rendit donc Comme il ccoir, encore jeune, il y dépenfa en peu de temps le fruit de fes épargnes & dc fon économie de Bofton, & fuc obligé de fe mettre chez un autre imprimeur a Pniladelphie oü il refta environ quatre ans. 11 trouva le moyeï< d'amafler dans eet imervalle au moins 60 guinées; alors* s'ennuyant de fon métier, i! fic une découverte importante dans fes obfervations fur la phifique; c'eft  ( 62 ) c'eft qu'unhommepuilTevivre, feloger, &s'entre" ternr avec 4 fois par jour. '«C'eft bon, dit-il.aved " largent que j ai mis de coté je puis aller Join, en me contentant de ce modique revenü " Alors il quitta fon imprimeur,fe mit dans fon particulier, & vécut aitili pendant plufieurs années avec 4 fois par jour. Le Voifin', Mais comment donc pouvoit-il faire? Cela me paroit impoffible. B. le Franc. Rien n'eft plus ample cepandant; il ne s'agit que de vouloir. Mon modêle, car je le regarde ainfi, achetoit pour 3 fois de pommes de terre, qui lui fervoient de pain &de bonne chair, le tout enfemble,&il avoit de quoi fe nourir avec cela pour une femaine: un boulafiger les lui faifoit cuire pour un demi-fol; il achetoit par jour pour un demi-fol de lait;&,tout compte fait, cela lui faifoit 7 fois de dépenfe par femaine pour fa nourriture. II logeoit dans une guéritea 1 fol par jour, parcequ'il vouloit être bien & commodément, car il auroit pu avoir un appartement a meilleur marché, s'il Peut voulu. II buvoitdela petite bierre & del'eau. La bierre nelui revenoit pas a 2 fois par femaine," & il met^oit de coté le refte pour fon entretien. Quant a fon blanchiffage,il n'avoit recours a perfonne, non plus que pour rapieceter fes bas & fon linge. _ Calculons maintenant, & vous verrez s'il lui étoit difficile de vivre a ce prix. j Quatre fois par jour. lui en faifoient par femaine ; vingt-huit. / Sei  (c*3> Ses pommés de terre lui coutoient par femaine j avec la cuiffon & le lait—7 fois cy 7S. Son logement faifoit un objet de 7 Et fa bierre lui revenoit a 2 fois cy 2 Total, 16 fois Vous voyezquede 28 fois il lui en reftoit encore 12, pour faire le grand garcon. Le Voifin. Votre compte eftclair; il n'ya point a. lecontredire ; mais moi qui gagne un petit écu paï jour,j'ai bien de la peine a vivre; comment cela fe fait-il donc ? B. le Franc. C'eft que vous n'êtes pas un Docleur comme lui. Le Voifin. Mais comment un Gentilhomme de 4 fois par jour a-t-il pu s'élever au point oü il fe trouve? B. le Franc. Cela s'eft fait petit-a-petit. Ce gentilhomme eft devenu trés profond dans 1'éledt.ricitéj i) forcoit le tonnerede tomber oü il 1'ordonnoit, il lui cornmandoit de s'éloigner, & le tonnere s'éloii-noit. II faifoit des chofes furprenantes; il éleétrifoir un ehien de 1'autre coté de la riviere, & le faifoit crier, comme un martir, fans que le pauvre chien fe doutat de 1'auteur de fes fouffrances. C'eft par ces talens rares & merveilleux qu'il parvint a' être nommé colleéteur ou receveur des droits du Roi d'Angleterre a Pniladelphie, ce qui lui valloit 5001. fterlings. (environi2oool.argent deFrance> par an. Le Voifin. Oh, oh! Cela lui faifoit bien des 4 fois par jour. Ec comment pouvoit-ilvenira boutdelesconfommer? B. le Franc  U4 ) B. le Franc, i II s'en acquittoit le mieux du monde; il avoit une femme, des enfans, du bon vin danS fa cave du rum, de Peau de vie, & une trés bonne tabie' ïl etoit alors zelé Royalifte, parcequ'fi y a|jolt de fonavantage. II procura a fon fi/s du fervke dans fes troupes; & celui cy, ferme dans fon devoir & Ion attachement a fa Majefté Britannique, eft encore Gouverneur pour le Roi de la nouvelle Jerfev. Quant a fes intéréts perfonnels , il les entendoit tres bien & peut-être trop bien, fi on en peur juger par ce qui afuivi,caraubour d'un temps affez confiaérable on le remercia trés poJiment, & 1'on donna la place a un autre. Le Voifin. II étoit donc revenu a fes 4 fois par jour. Cela devoit lui paroitre trés défagréable. B. le Franc. Auffi fit-il tout ce qu'il put pour pouvoir être re'i tabh dans fon pofte, mais il n'y réuffit point; de la yint fon animofité & fon inimitié contre fon Roi; & même contre le Gouvernement Britannique Le Voifin. * Mais que fit-il donc pour fe foutenir? B. le Franc. Ayant vu dans i'électricité qu'il ékiftoit du feu en tout & partout, il s'imagina qu'il pouvoit en tirer parti pour vivre fur Je bon ton. En conféquence il éleftrifa tous les efprits Amériquains & leur donna a entendre que les douleurs qu'ils eprouvoient leur venoient du Palais de St. Jacques a Londres; que dans ce Palais on avoit réfolu de les regarder comme des peuples dans la fervitude, ö£ de leur faire payer arbitrairement toutes les taxes & les impots que le caprice & 1'intérêt pou- voiené  ( «S ) vbieht enfanter. II n'en fallut pas d'avahtagë pour exciter ces pauvres patiens a la révolte; Benjamin Franklin fut erivoyé i Londres pour faire des propoütions de leur part qui parurenc trop impérieufes & même infultantes a la Majefté du Trone; elles furent rejëttées; l'éieclrifeür s'en doutoit bien. De retour dans fon pays, il repréfenta des torts de la part du Gouvernement Britannique qui n'exiftoient point ; il enflamma les efprits, leur confeilla de fecouer le joug chimérique de la mere contrée: il leur promit une liberté qui devoit faire leur bonheur & celui de leurs enfans, il voü'ut bien être leur Légiflateur, il établit une forme de Gouvernement Républicain j & les mit fous le despotisme du Congres. Le Voifin. Mon cher, il paroit que vous faites un bêaü portrait de votre héros; mais comment prétendezvous être fon imitateur? B. le Franc. Ce ne fera certainement pas en chérchaht a détourner les Francois de leur devoir & de leur attachement pour le Roi. Je ne fuivrai mon mentor que dans la première partie de fa vie,c'eft-a-dire, me contentant d'abord de trés peu, comme je faii a préfent, & m'inftruifant dans quelque talent fupérieur pour me rehdre capable de pofféder üné bonne place dans les fermes. _ M. Ie Franc rie put continuer, parcequ'ori Vint lui dire qu'un carolfe 1'attendoit a fa porte. Üri earoffe! C'étoit la première fois qu'il recevoit un pareil honneur: il quitta donc fon voifin, & në me donna pas le plaifir de fcavoir fon hiftoire particuliere qui devoit être originalle > étant calquéë fur ün fi bon mödélc. Ë GFUfiTRË  ( 65 ) CHAPITRE XV. Notre héros trouve un bón maitre avec qui il voyage $ ils vont a Bruxelles. Dialogue fur l'Auteur des annales du dixhuitieme fiecle &f Ja maitrejje, fur leurs aventures tant a Paris qu'a Londres. QUAND M. Benjamin le Franc eut fini Moge hiftorique de M, Benjamin Franklin , pendant lequel tous les affiftans avoient gardé un profond filence,chacun voulut parler,& 1'on raifonna fur le bonheur. — II faut avouer, difoit 1'un, que 1'on peut vivredetrès peu& s'éviter bien des peines, des fatigues , & des embarras.—L'eftomac de M. Franklin , difoit un autre * quand il n'étoit qu'a 4 fois par jour, ne confommoit pas moïns de nourriture qu'aótuellement qu'il a une trés bonne table; & je foutiens qu'il étoit alors plus heureux. Comment cela.lui demanda Ie maitre de la maifon?— C'eft,répondic-il, parcequ'il n'avoit point dans ce temps de remords de confeience ,• au lieu qu'il doit avoir atluellement l'dme bounelée. Non, dit un quatriême, il eft des criminels fi coupables,que la confeience ne leur reproche plus rien. Pendant tout ce beau colloque,on prit la perruque oü j'étois réfugié, & 1'on fe mit après. A force de la taper & retaper, on m'en chaffa, & Pb« *?e fit tomber fur le peignoir d'un voifin que 1'on accommodoit & qui avoit de trés beaux cheveux naturels; j'eus Padreffe d'y pouvoir parvenir avant que fa toilette fut finie & ie peignoir oté. C'eft dans ce nouvel azüe que'je commencai a refpirer: je m'y trouvois feul, mais la folitude de- venoit  tfenbit pour moi une confolation&même un agré» ment. J 'avois déja parcouru la moitié de ma carrieré pour Jemoins; lafouguedespafiions, cïlachaleur de mon tempérament étoient prefqu'éteintes"; depuis quelque temps même je cherchois a êtré phiiofophe: maintenant je vais le devenir bien d'avantage. Mon nouvel höte étoit pret de faire un vdyagë dans ks Pays-Bas Catholiques pour voir s'il pouroit s'y placer; & de li, s'il n'y trouvoit rien qui lui convint, il devoit fe rendre,foit a Londres, foit ï Amflerdam. ^ Comme je n'avois jamais quitté Paris, ni Verfailles,je fus enchanté de pouvoir ainfi voyager. Je fouhaitois furtout voir 17\ng!eterre j ce pays ennemide la France, Souverain des mers & devenu prefque le plus puiffant de 1'Europe: je fgavois que 1'on pouvoit y vivre avec la plus grande liberté; que 1'on y rencontroit des hommes, & non des efclaves. Je défirois beaucoup quë mon camarade put fe décider a fe rendre a Lon~ dres & am'y conduire; mais je craignois qu'il nè furvint quelque obftacle qui fit évanouir toutes mes efpérances; heureufement tout alla aü grédè mes défirs, & vous me trouvérei a Londres ad Chapitre fuivant; Je vais fimplement dans celuicy vous faire connoitre le perfonnage qui devinc mon camarade pour plus de trois femaines, & les aventures qui nous font arrivées en routeCe camarade étoit un homme d'efprit, quiavoiü beaucoup lu, étudié, mais quin'avoicpu faire fortune en France, parceque, difoit-il comme Je/as Cbrift, nul n'eft propbêts dans fon pays. Co'mmé il fcavoit auez bien la langue, il s'étoit fait un plan, c'étoit de montrer le Francois en pays étrangcr i il avoit plafieurs lettres de recommaüdaiiört E % tüfff ,  ( 68 ) tmt pour Bruxelles que pour Londres & Amfte?dam; de forte que, ne réuffiffant point dans un endroit, il pouvoit être plus heureux dans un autre. Te ne' pouvois mieux tomber 5 &, pour qu'il me confervatavec lui pendant tout lechemin, j'eus 1'attention dene lui faire aucune piquure, de ne le gêner en rien, de me contenter de la limple nouriture que fes perruquiers me préfentoient. Nous nous mimes donc en route par la diligence de Bruxelles, oü nous arrivames le troifiême jour, fans qu'il y eut rien d'iutéreffant que i'aye pu remarquf-r. Le lendemain de notre arrivée dans cette ville, nous allames faire une vifire a un réfugié Francois qui a tait beaucoup parler de lui; il fe nomme L..g..t. Mon camarade avoit une lei trede recommandation auprès de lui; on nous fit attendre une bonne heure dans une antichambre; après quoi nous entrames. Bonjour, mon ami , csit-il a mon camarade ; il paroit que votre protecleur fe porte bien , d'après les nouvelle: qu'il me donne de fa fanté, je ne demnnde pas mieux que de vous rendre fervice , puifquil trien prie mais revenés demain ; car pour aujonrd'huy j'ai )rop d'occupations. Cela fuffit, Monfieur, répondit mon compagnon ;a quelle heure vous plairat-il de me donner audiance? A midi, repliqua Mr. L.g..; &, en difant ces derniers mots, il nous laifla'' Je n'eus pas trop le temps de 1'envifager, parceque cette première fé ince fut trop courte; rnais je me prornis bien de m'occuper férieufement de fa figure le lendemain. _ ' Mon camarade me conduifit le foir a la Comédie: on nous fit remarquer le Prince Charles, Gouverneur General des Pays-Bas, qui y efl: aimé & cheri jufqu'a 1'adoration , c'eft ce que j'ai entende direa tous ceux qui nous environnoient. As»  (69 ) Au fortir de la Comédie, mon camarade fut conduit par un homme qui s'étoit trouvé auprès *de lui au fpeétacle dans un efpèce de cabaret que 1'on nomme ejïaminée, oü 1'on voit bonne compagnie dans le bourgeois. Ils foupèrent enfemble, &, tout en foupant, la converfation tomba fur Mr. L..g.„fc Dialogue sur le fameux Auteur des Annales du XVlll. Siècle. Mon Camarade, J'ai une lettre de recommandation pour lui; je j'ai déja é'é voir ce matin, mais il n'a pas eu le temps de me donner audiance & m'a remis a demain. Le tlamand. Je le crois bien; il tranche du grand; il fait 1'homme d'importance. Comment avez-vous trouvé fon puits de la verité ? Mon Camarade. Je ne vous comprends pas. Le Flamand. M. L..g..t eft le feul homme qui ait Ie courage de dire la verité dans fes annaies; car tous les autres auteurs, & furtout ks journalistes, ne débitent que des impoftures: cette pauvre verité étoit enfevelie dans le puits oü la perverfité des hommes avoit forcé cette Fille du Ctcl a fe retirer. Lui feul a eu la noble hardieffe de lui tendre une main fecourable&de lapréfenter.al'Europeétonnée. Voila pourquoi la maifon de plaifance oü il réfide a pris le nom du puits de la verv a. Mon Camerade. Vousparlez, je crois, ironiquement. Le Flamand. Je parle d'après lui-même; car je me fers de fes propres expreffipnjs. E 3 Mon  (70) Mon Camarade. II paroit avoir un peu d'amour propre-; mail» dites moi, je vous prie,s'il eft aimé dans ce pays car je fcais qu'il avoit de furieus ennemis en France. Le Flamand. II n'y eft point hai, tant qu'il n'y fait point de mal, ?c qu'il ne cherche point a calomnier notre Gouvernement. Juifqu'ici on n'aguères afeplaindre de lui fur eet objet; il s'eft fait le bon ami de Ydman ou Lieutenant de Police de cette ville, en le flattant dans fes Annales: de forte que, s'il venoit quelques ordres de France pour J'arrêter, fon ami le préviendroit; en conféquence il eft affez en fureté pour fa perfonne ; mais ce que 1'on n'aime point en lui, c'eft que ce fouveur de la vé* rité donne ici le plus mauvais exemple de liberlinage qu'il foit poltible, en vivant publiquement avec une femme qui paffe pour fa maitreffe, toute Jaide qu'elle foit. Mon Camarade. Je fcais de qui vous voulez parler; mais a ce^ égard, il eft pïus a plaindre qu'a blamer. Le Flamand. Comment cela ? Mon Camerade. 1! paroit que vous ne fcaves pas fon hiftoire; je vais vous la conter: mais auparavant dites moi ii vous 1'avez vue quelquefois. Le Flamand. Oui, affez fouvent on les voit de temps en temps alaComédie enfemble. Voici fon portrait, vous me direz fi c'eft bien elle. Cette femme,qui peut avoir environ trente-fix aps, eft un colofle pour la hauteur & la groffeur  (7i ) «3e fa taille; elle a le front élevé, les cheveux bien plantés, des fourcils larges & -bien touffus, de gran-is yeux trés noirs & bienfendus, un gros nez de perroquet, deslevres enfoncées, un large menton, & de la barbe comme un Capucin ; on pouroit dire que c'eft une figure de foldat aux gard. s habillé en femme: nos Flamandes ne font pas en général trés propres: mais celle-cy renchérit encore fur la mal-propreté. Mon Camarade. Je vois que vous la connoiffez |>ien ; voici maintenant comment elle eft devenué la maitreffe de M L,g..t. Celui-cy s'éroit mis a dos tout le corps des Avocats de Paris, le Parlement deMaupeou, le Parlement Hüs, tous les gt-ns de lettres, PAcadémia Francuife & les Miniftres. Ne pouvant plus éxercer fa profeffion d'Avocat, ne pouvant plus continuer a Paris fon métier de journaüfte, & craignant quelque lettre de cachet, il ne fcavoir a quel faint fe vouer. Cct ange femelle, a qui il avoit rendu des fervices dans deux ou trois procés, fe préfenta a lui , & lui dit: " L..g..t, vous " êtes bien embaraffé, vous n'avez point d'ar" gent ,& vous ne pouvez refter en France ; vous " n'avez de reffource que dans votre biblioreque, " il ne faut pas la vendre; écoutés moi. Vous V* m'avez fait féparer d'avec mon mari; je puis " faire de touce ma fortune environ ico.cool. *' comptant; je vous les donne avec ma per*' Jonne, & je fuis prêre a vous fuivre parcout." Elle s'arrête alors, L.,g..t fe jette a fes genoux,lui témoigne toute la reconnoiffance dont il fe croit capable: lui voue un attachement fans tornes, & ,|raffurant de fon eftim.e& de fon reE4  C 72 ) |pe£t, luijure qu'il fera fon plus zêlé ferviteur jufgu'au dernier foupir. " A 1'égard du refpeét, luj « dit cette dame généreufe, je n'en éxige pas, je *« ne veux que 1'amitié & de 1'attachement; &, f« pomme vous me les promettez, voici notre conm traft fait; entre honeftes gens la parole feule f« fuffit: mais je vous previens, MonCherL..g..t, <• que fi jamais vous me quittez, ge ne fera point aux Loix que je m'adrefferai pour avoir **■ la vengeaoce qui me fera düe, c'eft a ma main " feule que je m'en rapporterai; un piftolet ou, un poignard termineront vos jours." L> g. t avant renouvellé toutes les affurances de fon zêle&de fon amitié, nos deux amans quitt£rent Paris & même la France. Ils voulurent & ne purent fe fixer en Hollande, & allerent a Londres , oü ils vécurent environ deux an$. Vous fcavez qu'il n'eft point de ciel fans nuage, & qu'il ell impoffiblequ'un ménage puilFe fubfifter fans aucune altercation. II vint une querelle dans celuicy qui brouiila les deux tourterelles: le male, peu endurant, gronda; la femelle innocente ne vou3oit point avoir tort, &, encherchanta fejulfifier, elle mettoit la faute fur 1'autre moitie d'elle-même. Ma foi cette moitié n'y pouvant plus tenir laifla. un beau Matin Madame dans Fa maifon & aHa prendre un autre logement en ville. Madame fut trés fuprife de ne pas, le voir rentrer a la maifon de la journée j ce fut encore bien pis Ie lendemain. Elle fit, dés ce moment, toutes les démarches poltibles pour le découvrir , ik y parvint: elle entra avec vivacité dans la chambre oü Monfieur travailloit. "Vous voila donc, f« U. le J... F.... dit cette colombe animée? Oü 'S font mes 100,oool. puifquevousm'abandonnez ? !' jenepuisvouslesreniettreacluelleraen ,répon-  C 73 > " dit L..g..tjj mais, fi vous voulez, je vous en " ferai la rente. — Ce n'eft point la ce qu'il me " faut, reprit la colombe, en tirant de fa po" che un piftolet a deux coups , & le préfentant a *' fon amant; je veux avoir votre perfonne morte *' ou vive au deffaut de mes ioo.oool comptant; «' ainfi prenés la peine, Monfieur le drole, de " dire votre in manus, ou bien de plier vos papiers *' & de marcher devant moi. Allons, dépéchés '* vous, je n'aime point a attendre." Le pauvre L..g..t trouva que la raifon que Madame avoit en main étoit peremptoire-, il repritpromprement fes papiers , les mit fous fon bras, fit une révérence a Madame, 1'embrafla, & fut enfuitereconduit dans fon ancienne maifon. II ne lui eft point arrivé depuis de faire une pareille équipée, & bien lui en a pris. Le Flamand. Elle le mene tout-a fait comme un enfant. Bon Dieu! Comment un homme d'efprit peut-il faire de pareilles fottifes! Mon Camarade. Ce font fouvent les gens qui ont le plus d'efprit qui en font le plus; mais, dites moi, jevousprie; croyez-vous qu'il puifië m'être utile dans ce payscy? Le Flamand. Peut-être oui, peut-être non; cela dépend de 1'intérêt qu'il voudra prendre a vous. Revenés demain a pareille heure icy, vous m'y trouverez, f» & s'eft jetté du cöté du Clergé. C'eltlafafauvs *c garde; cepandant, ajou'a mon camarade, je le rt blame & le trouve méprifable de parler ouver'* tement contre fafagonue penfer, &dechercher " a vouloir prouver aux horomes de ce Gècle-cy " des chofes qu'il regarde comme ridicu/es & ab«« furdes; c'eft un vil métier que celui-la; il eft ¥ vrai qu'il en tire de 1'argent Je lui confeillerois " donc, aprèss'être bienenrichiavec fes Annaies ¥ du dix huuiême fiècle, de dire a tout fe genre " humain, Meffieurs vous riêtes que des fots; n\t¥ yant point de fortune, je me fuis joui ae vos/ojief ** pour gagntr beaucoup d'argent. Voila quel étoit ¥ mon but; j'ai réufji; je fuis content. " L.g..t s'addreffant enfuire a mon camarade, lui demanda quelles étoient les cccupations qui pouvoient lui plaire, ÓV a quelles études il s'étoic livré jufqu'a ce moment; celui-cy lui conta fon hiftoire dont voici la fubftance. «• J'ai fait de trés bonnes études chez les Peresde ¥ 1'Oratoire, je les ai quittés enfuite pour rentrer " dans la maifon patenielle, mais fétat de mon " pere, &auquelil medeftinoit, n'avoit pour moi " aucun agrément; il étoit Médecin; je n'aimois «« point a voir diftéquer des corps, a affifter a des «• panfemens d'opérations cruelles, a voir languit " des malheureux dans des maladies longues & 4i aigues, & ne pouvoir leur donner des remedes " certains & falutaires. Mon pere luï-même, de«* puis 30 ans qu'il fuivoit cette profefïion, m'a " avoué, que la médecine étoit une fcience occulte, *5 impénétrable aux plus grands génies, & que, " quand quelques uns de fes malades revenoient «' en fanré, il ne s'en attribuoit point intérieure¥ ment la gloire, mais a la Nature feule qui avoit *' aei.—Eri ce cas, Twi dis-je, mon pere, püifqu'if k* eft  ( 78 ) " eft impofïïble de bien remplir eet état, potifquoi «' m'y deftinez vous ?—Parceque, merépondit-il, " il faut d'abord commencer par foi, &dansn^tre «' état on peut gagner beaucoup d'argent. Nous " nefommes, il eft vrai, que des Charlatans, mais ** des Charlatans néceffiires, & dont les hommes " nepeuventfe paffer; ainfi autant vaut que vous " le foyez qu'un aucre, puifqu'il vous rapportera ** de quoi vivre. •* Toutes ces confidérations ne firent aucune *' impreffion fur moi; j'aimois, préférablement a " tout, les Helles-Lettres, laPoéfie, felesTpsda*' cles; jefisuneComédie, je croiois que c'étoit un *' chef d'muvre; & la préfentaiala TroupeFran" coife qui refufa de la recevoir; je voulus la " faire imprimer, croiant trouver dans le Plublic " de meiileurs juges que parmi les Comédiensj " 1'oiivrage parut donc feulement en étalage de vant tf quelques boutiques de libraire, mais p^-rfonne «' ne 1'acheta. Scavez-vous pourquoi ? C'eft «• que je n'en avois point envojé d'éxemplaires «« aux faifeurs de journaux & que je ne leur avois " point été rendre de vifite; de forte qu'ils n'ont *{ parlé de moi dans aucune de leurs feuiües, & que le Public n'a pu avoir connoiffance de ma ** Comédie. «« Cependant mon pere voyant que je n'avois «' aucun gout pour fa profeffion, fe facha & me *' demanda pofitivement ce que je -voulois faire, *' puifque je n'étois pas riche; je lui dis que je *l n'avois d'autre gout que celui de la littérature, , *« & que je défirois pouvoir m'y livrer. Vous »« voulez donc faire le metier d'Auteur, me ré- ■ *' pondit-il ; fy , c'eft un métier de gueux qui y vous fera végé;er dans un grer.ür jufqu'aü ** moment  ( 79 ) ** moment cü vous mourrez de faim.-—Mais, Ju? " obfervay-je, mon pere, il y a des auteurs qui onc " fait fortune & qui n étoient rien auparavant 'a f voyés D'Alembert, La Harpe, Maimontel & *« mille autre comme eux. — Ceux que vous me *} nornmez la, me repliqua-t-il, font la tange de ia «• littérature, ils ne fe font point élevés par leur ** mérre, h'allez pas vous lefigurer; ce n'efl: que ** la haffelle, la fervile adulation, la flatterie la " p'us méprifable, ctdes ignomioiesfansnombre, «« qui leur ootprocuré une efpèce de fortune qu'ils '* ne méritotentpa»;& j'aimerois mieux vous voir u apprentif favétier que de fuivre de fi mauvais " éxempteü. Ainfi déterminés vous pour un mé•« tier, choififfez celui qui vous plait d'avamage, " fi non je vous abandonne a votre malheureux ** fort, & ne veux plus entendre parler de vous; " je vous donne trois jours. Alors il me laiffa. " Bien mcertain fur ie parti que [evouroi? pren** dre.je confultai un Pere de l'Óratoire de mes *« amis qui m'engagea a entrer dans ia Congrégatf tion C'eft peut-être la meilleure, qu'il y aic " dans le monde: on nes'y occupe que del'édu44 caüon de la jeuneflê , on n'y fait point de ** voeux; vous en fortez quand il vous plait, vous " n'êtes lié a rien, ne dépendez de per fonne, & " vous reflez toujours votre maitre; vous ê'tes " feulernent obügé de garder le célibat tant que " vous y demeurez, voila tout. Ce fut donc a cec u état que je me fixai, Monpérene pouvant ai'eö " empefcher, je roe mis dans la Congrégation de " 1'Oratoire a 1'age de 23 ans , & j'y relrai 7 w an.s- Ce qui m'en fit fortir, c'eft que j'avois **_ fait connoiffance d'une perfonne aimableque je * voulois époufex; je 1'aimois 8c j'en étois aiméj V mak  f mais elle avoit de la fortune, & je n'en avoïi «' point; de forte que fon pere & mere, pour me tf donner un congé dans toutes les regies, la ma" rierent malgré elle a un homme riche & béte. " lly a déjafix moisque ce malheur m'eft arrivé; *.* j'eus beaucoup de peine a m'en confoler, cepan<* dant la raifon apris le deffus, & Dieu-merci, je t( n'en fuis plus affect é. Maintenant je veux cou*' rir après la fortune ; voila pourquoi je fuis *' avéc vous, prêt a refter icy, fi je crois la trouver, ou a 1'aller chercher aillieurs s'il le faut." Je vois, lui répondit L..g..t, que M. votre pere eft un homme d'efprit & de jugement ; vous auriez beaucoup mieux fait de fuivre les confeils qu'il vous avoit donnés; mais il ne faut pas vous défefpérer pour cela. Vous voUlez être - Auteur. Hébien, faites au moins quelqu'ouvrage qui puiffe vous rapporter, mais n'imirés pas 1'infamie de ces malheureux que vous venez de nommer il n'y a qu'uninftant, La Harpe, D'Alembert, &c. Ne vous couvrés pas du même opprobre dans lequel ils font engloutis; ce n'eft point la le moyen, ni de vivre, ni d'être eftimé. Prenés une route plus glorieufe & peu cannue en France \ allés a Londres. Le Souvc rain de cette nation, ajouta-t-jl, eft comme un homme feul a une trés bonne table. Un grand nombre dechiens eft autourdelui. Quelques uns font fes favoris, & il leur diftribue tous les os de fes affiettes. Les autres en plus grande quantité ne ceffent d'aboyer, tant contre les favoris, que contre le maitre, pour avoir part a la bonne chair qua celui-cy pettt leur procurer au préjudice des premiers: Ie pauvre homme n'a pas le droit de les ehaffer, & il eft obligé de les entendre toujours  (8r ) tanjours malgré lui,ou, s'il veut les faire taire, de leur j etter auffi des os de fa table. Comme les Mihiftres, ajotua L .g. t, ne peu-» vent refter toujours en place, mettés vous du parti oppofé; écrivés pöur eux, ils n'ont point d'écrivain Francois dans leur manche; vous leur ferez agréable. Ils vous donneront d'abord une pen» fion honefte, & enfuite 1'augmenteront, s'ils parviennent, a force d'importunité, a chaffer ceux qui ont la prédileétion & qu'ils défirent pouvoir remplacer. Ce moyen de faire fortune eft excellent en Angleterre, quoiqu'en France il vousconduiroit droit a la Baftiile, ou a Biffêtre. — Mais, luiobferva mon camarade, je n'ai guères déconnoiflaiices a Londres, & il me faudroit d'abord la faveur d'un de ces Chiens Anglois qui aboyerie fi fort.—-Cen'eft point la le plus grand embarras* lui répondit L'.g..t$ &, pour vous être utile, jé vais vous recommander a deux de mes amis qui vous mettront au fait de tout. Revenés demain k midi }e vous donnerai deux lettres pour Londres. Tel fut leréfultatdela proteêtion dei'Annaiifte du dix-huitiême fiècle: mon camarade en fut trei fatisfait; il remercia fincèrement L..g..t, prit le lendemain les deux lettres de recommandation,c<<: partit le même jour avec moi pour Oftende, oü nous nous embarquames dans un des quatre nouveau*: paquebots établis par Frédérick Romberg «Se Compagnie de Bruxelles, & oü nous n'avions ê» craindre aucunes hoftilités, étantfous Pavillon Imperial. Nous eümes un vent affez favorable, le Anglois , & " vous les enverrés tous a Tiburn, oü ils feront *? éxécutés aux acclamations & cris de joye de *' tous les affiftans. U Toutes  X M > *' Toutes les taxes & les impots aélaellement (< fubfiftans en Angleterre feront cominués dana " leur état actuel, jufqu'a ce que Sa Majefté puiffe, *' pour le bien de fes fujets, en diminuer le poids; §' a 1'exception des droits d'entrée en Angleterre r fur les feuls vins de France, étant naturel que " les peuples d'une même domination jouiffent du tl produit refpedlif de leurs terroirs. V La première chofe a la qu~lle vous kous oc-» *' cuperez comme la plus effent iel le & ia plus füre V pour maintenir FAutorité du Roi, fera dejaire *' fortifier la tour de Londres, d'y conjtruhe da f jtts, " £f de la mettre a l'instar de la Bastille a if Paris. *' Les lettres de cachet aurqnt lieu en Angleterre, comme en France; vous feul en " aurez la diftribution a votre gré, fuivant 1'éxi*' gence des cas & votre prurience orcun.'iire. " Quant a la Religion, comme les hommes ne " croient plus a toutes les fuperftitions des der" niers fiècles, tou'es les Sectes feront to'érées en " *.* Angleterre, avec la feule difFérence que perfonne " nepourra éxercer aucun pofte public fans é re " de 1'Eghfe Rornaine; vous êtes prié en confé" quence, M. le Duc, de donner 1'éxemple de " cette foumifïion a la volonté de Celui que vous " reprefenterez. " Il n'y aura plus de Parlement d'Angle? " terre dans la forme de celui aciull, ce f * qui otera toute idéé de révolte, & confervera la " paix intérieure, en prévenant toutes U-s diffen" dons & lesguerresciviles; maison étabüra dans ts les différentes Provinces de ce Royaurne,divers " Parlements, dont les charges feront vénales, ainü j* que font établis, les Pariemens en France."" F 3 " Tous  (86) u Tous ces Pariemens jugeront fèulement les f' procés desparticuliers, & fecontenteront d'en*' regiftrer,purcmera&ffimplemmt, lesEdits& Dé*' clarationsdu Roi,a la première fommation qui " leuren ferafaite. S'ils jugent a propos, pour le *t bien des peuples, de faire quelques Remon?' trances, ce ne fera qu'après 1'enregiftrement. *' S'ils contreviennent a eet ordre,ils feront fup** primes, le prix de leurs Charges fera confifqué au «' profit de Sa Majefté ,& 1'on créera de nouveaux «' Pariemens qui feront plus raifonnables &jplus s, foumis. ' *' Le Viceroi nommera a toutes les Charges, " Emplois & Gouvernements, tant civils que mi*• licaires, a la charge néanmoins par ceux qu'il *' aura choifis de faire agréer leurs nominations *' dans le délai de fix mois par Sa Majefté. " Pour qu'il n'y air plusd'antipathie, ni d'animo*' fité entre les deux Peuples , Anglois Francois, *« & qu'il n'y ait point de prédiléction marquée, *' dans tous les actes qui feront faits en Angleterre *' au nom de Sa Majefté, elle fera qualifiée de Roi «' d'Angleterre, de France, & de Navarre, & «' la ville de Londres, fera défignée fous le titrè «« de Sa Bonne Ville, ainfi que 1'eft celle de Paris. '* II y aura habituellement en Angleterre 50000 «* hommes de troupes réglées, non compris les mi'** lices ; elles feront toujours prêtes a marcher «' aux premiers ordres que le Viceroi leur donnera. Telsfont,a peu prés, M. le Duc, les ordres que f' nous comprons faire éxécuter auflitot que Sa Ma»* jefte fera reconnue Souveraine de votre pays. '\' Nous en avons conféré avecElle;elle s'en raporte ¥ a vous pour coopérer au mieux poffible, & vous l( recevrez par le même courier une lettre qu'EUea ' - ■•« bien  (87 ) *' bien voulu vous écrire EHe-même;je ne doute " pas de toute l'affeclion qui y regne & que vous méritez a tant de titres. Je fuis, &c. " Signé, De V..g.,nes. ,| Mon camarade lut auffi la lettre de Louis XVI dont il eit fait memion dans celle cy deffus. Elle efl trop a Phonneur uu Duc a qui elle eft addreffee, pour que je n'en faffe pas auffi mention j la voicy. Lettre du Roy de France au DüC d'ri....gné. " Le Comptc fidéle que Von ma rendu, Mon Cou* *' Jin, des preuves fins nombre devote attachemcnt ** d ma Perjonne Sacrée, fj? de votre zêle a Joutenir " mes intéréts tif ma gloire, ne me pet met point de t( douter de votre fidélité &? de la continuation de vos /ervices; en conjéquence je vous nomme pour gous " verner en mon nom toute l'Angleterre, fous le titre de Viceroi , & vous recommande de traiter mes " nouveaux fujets avec toute la douceur qu'il con* " vient, la même affetlion que j'ai pour eux. Sur " ci je prie Dieu, Mon Coufin , qu'il vous ait en fa 'J fainte garde. '* Signe', Louis. F 4 CHAPITRE  CHAPITRE XVIII. ftouveaux malheurs arrivés d 1'Auteur; il peri fon camarade de voyage. II a une cuijje 6f deux pattes Irulées ; il va dans une lettre chez l'Auteur dn Q..n..al Advertifer ; manufatlwe d'abominatipns contre le Gouvernement. Le Pou, après deux jours de jeune, trouve enfin un maitre Anglois. VOILA, dis-je alors en moi-même, de grandes, 'f hofes; il paroit qu'il y aura fous peu de temps de furieufes révolutions en Europe, & Milord-Duc y jouera un role des plus intéreffans. 11 faut que ce foit un homme de trés grand mérite, & qu'il aime furieufement fa patrie au point de tenter tous jes moyens poffibles de la délivrer des Mïniftres acfuels qui, fous le nom du R.oi, ne font que la tirannifer; tels étoient mes raifonnemens, lorfqu'il rne prit fantaifie de vouloir éxaminer particuliérementceperfonnage important; je meplagaidonc, le plus haut que je pus, fur la tête de mon camarade , dans un inftant oü il avoit un entretien particulier avec Milord-Duc; mais a peine fus-je a r;e pofte que mon camarade s'avifa, je ne fcais pourquoy, de remuer la tête; je ne pus foutenir ce mouvement auquel je ne m'attendois pas, &je tombai fur une lettre que Milord-Duc venoit d'achever ,& fur laquelle il mettoit de la poudre pour faire fêcher 1'encre dont il s'étoit fervi j de forte que, me trouvant collé a cette liqueur, on ne fit point attentiona maperfonne,& je fusenveloppé dans cette lettre, lorfqu'on la püa. • * • • . • H|  Ma nouvelle pofition devenoit bien critique^ je regrettois la perte de mon cher camarade de voyage, le meilleur des maitres qui ne m'avoit jamais maltraité, & qui avoit pour moi tous les foins poffibles. II eft vrai que je ne 1'avois prefque jamais inquiété, je n'avois jamais cherche a lui faire la moindre bleffure qui put 1'offenfer; &, quand la néceffité me forcoit, pour ma fubfiftance, alui faire quelque piquüre, je le faifois le plus légèrement que je pouvois, & toujours pendant la nuit, pour qu'il ne s'en apergut pas. D'un autre coté, qu'allois-je devenir? Oü cette lettre qui me fervoit de prifon alloït-elle être tranfportée ? A quel nouveau maitre allois je m'attacher ? Un Pou Francois ! Comment Meffieurs les Anglois le confideroient ils, Sc quels traitemens devoient ils lui faire eprouver ? Toutes ces idéés me tourroentoient beaucoup, lorfqu'un fuplice nouveau vint me faire reffentir les douleurs les plus vives & les p'us aigues. Une cire bouillante & ennammée , tombant a gros bouillons prefque perpendiculairement fur la partie du papier a laquelle j'étois collé, me fit pouiTer les cris les plus pereans; mais le bourreau qui caufoit tout mon mal n'y fit pas la moindre attention} malgré ce tourment terrible, j'eus affez de courage & de force pour pouvoir quitter 1'endroit oü j'étois, & j'en aurois peut-être été totalement délivré fi unepierre, d'une lourdeurénorme, ne fut venüe a la traverfe fur cette huile bouillante, & ne m'eut écrafé une cuiffe entiere & deux pattes. Je perdis a 1'inftant toute connoiffance, tant la douleur étoit violente; Sc, quand je la recouvrai au bout de quelques minutes, je fus furpris de voir que cette huile qui m'avoit ainfi eftropié etoit - F 5 froide  (90) ' Froide comme le marbre. A 1'égard de ma pauvre cuifle, eJle y refta enclavée; encore fus-je trés heureux , dans mon malheur, d'en être réchappé a fi bon marché. Une cuifle de plus ou de moins ne m'eropêcnera pas d'aller; je m'en fuis donc confolé, & j'ai trés bien fait, car il n'en auroit été ni plus ni moins Suivons donc le cours des autres évenemens peutêtre plus importans pour la plus part de mes lecfeurs que mes accidens particulier* aux quels ils font réunis. Cette milêrable lettre étoit adreffée, avec d'autres papiers, a un cenain Auteur d'une feuiile qui fe diftribue tous les jours a Londres fous le titre ó'AvertiJetnent Général , & les papiers étoient pour être inférés dans & s feuilles continuelies qui nounfient la mélancolie & la mauvaife humeur du peupe Anglois. • L'ËcrF ain dé.cacheta donc Ia lettre, & merendit a la liberté. 11 m'apereut; mais, me prenanc pour un grain de poudre, il foufla fur moi, & r*e jetta fur une table trés grande, couverte de ciifférens papiers, les uns manufcrits, les autres imprimés. Je paffai ainfi'deux jours fans böïre, ni manger , n'ayant pu trouver J'occafion ae parvenir fur quelque nouveau proteéteur qui voulut bien fe charger de moi. Ce jeöne n^oureux me fit beaucoup fouffrir, furtout après le fuplice que je venois de fubir. Je n'avois 'donc d'autre occupation que d'entendre parler continuellement des affaires de 1'Erat; & Dieu Ijait Ie tableau effrayant que 1'on faifoit de la pauvre vieille Grande Bretagne. A entendre les uns, elle étoit aux abois, n'avoit aucune relfource en elle-même; le crédit public étoit perdu, le coramerce anéanti. A ea  (9i ) A en entendre d'autres, la patrie n'avoit pas de plus grands ennemis que les Miniftres du Roi; eux feuls étoient la caufe de la révolte des Amériquains & les auteurs de la guerre contre les Francois & les Efpagnols, qui n'agiffoient qu'en récriminant: plufieursfoutenoientqueces Minittres s'entendoient avec les Francois & les Efpagnols, & même avec les Arriériquains, qu'ils vouloient, par des manoeuvres éxécrables, trahir leur nation & leur Souverain, & livrer 1'Angleterre a leurs ennemis extérieurs: prefque tous concluoient qu'ils méritoient Ia mort, & que c'étoit a la Nation a fe rendre jufiice. II fe trouvoit même des effrenés qui pouffoient 1'infolence jufqu'a donner aenuendre qu'on devoir; fe défaire d'un Monarque affez foible pour s'en rapporttr a des Miniftres incapables d'aucun bien & indignes de toute confisnce'; oncitoit, pouréxemple, 1'éxécution du malheureux Charles I. ' D'oü partoient ces germes de féditior.s, qui ne rendoient qu'a révolter tous les Anglois contre leur Souverain & la conltitution de leur Gouvernement.'? De gens qui, comme. je 1'ai appris paria fuite, ne cherchoient qu'a chaflèr les Mi* niftres, &as'emparer de leurs places; de gens qui n'avoient ni am"ur ni affe6tion pour leur pitrie, quoi qu'ils en euffent les déhors , mais qui ne penfoient qu'a eux; de gens qui défiroient que FAngleterre fut écrafée par fes ennimis , pour avoir le plaifir de dire, "on na pas voulu nous *« écouter, en voila les conféquences; nous les " avions bien prédites; voila ce que c'elt de n'aJ' voir pas fuivi nos confeils;" de gens qui, cher- chant  (9* 5 criant inager en eau trouble, efpéroienr que, dans Ie délabreraent univerf-1 de la naii'n, on vieudrovc a leur confier les rénes du Gouvernement ; de gens enfin qui avoient méme des liaifons fécrête$. avec les ennemis de 1 'état, &qui comptoient parvenir aux premières places du Royaume, s'il tornooit dans des mains étrangeres. Le lieu oü je me trouvois étoit la manufadture générale de toutes ces abominatiuns; on y envoioit des matériaux de tous les cötés ; on en payoit une partie; les auteurs de 1'autre fe trouvoient encore trés fatisfaits de pouvoir déchar^er, leur bile & leur animofité, fans qu'il leur en coutat la moindre chofe; mais tous, comme de vils ferpens, n'ofoient jamaisfefiureconnoitre, &ernpruntoient de noms fuppofés- J'ignorois dans cette fituation les motifs qui portoient ces malheureux a fe déchainer ainfi contre leur patrie, n'en ayanteu connoiffance que par la fuite , comme je Pai déja dit, & je les regardois comme des héros, enflammés de Pamour patriotique, qui, pour le bien de la nation, pouvoient tout craindre de Miniftres puiffms, & couroient les rifques d'éprouver leur reffentiment & leur vengeance. Celui que je regardois avec le plus d'admiration étoit le rédadteur même de cette feuille, qui, fefaifant feul connoitre ouvertement, paroiflbit affronter impunement tous les dangers, & fe préfenter aux coups que fes ennemis pouvoient lui porter. Je fis donc tous mes efforts pour tacher de parvenir jufqu'a lui ; j'attaquai une de fes manches, & j'étois fur le point de réuffir dans cette entreprife, lorfque le malheureux qui avoit'une vifite importante a faire, tira une petite brofie qu'il avoit dans fa poche pour net- toyer  (93 ) S toyer fon habit, &, dans le moment oü je m'y atte'idoisJc; moins, il la pafla a l'endroitoüj'étois,& me fit. cornb'-r fur fon mouchoir placé fur le bord de la table que je venois de quitter , & qu'il mit dans fa poche. Nouvelle infortune qui me mettoit encore au défcipoir: heureufement qu'elle ne fuc pas de longue durée. Car mon homme ne fut pas piutot auprès de celui qu'il alloit voir, que, fe fervant de fon muuchoir, j'en échappai, me ghffai j quoiqu'avec peine, fur 1'épaule de ce dernier, & de la je parvins fur fa tête. CHAPITRE XiX. Milord Sb... eft le nouveau Maitre du Pou; il devient Viceroi d'Irlande -pour le Roi d'Efpagne; fes relations avec le Confeffeur de S. M. C. Décrets du Roi d'Efpagne; nouvelle forme d1'Adminijlration en Ir* lanie; l'Inquifition y efl e'tablie ; AddreJJe de la ville de D.b..n au Roi d'EJpagne. J'AVOIS, je 1'avoue, grand befoin de ce reftaurateur pour recouvrer mes forces perdues tant par la bruiure de ma cuifle & de mes deux pattes, que par Pabftinence rigoufeufe qui avoic fuivi ce cruel fuplice. La nouriture que je pris dans cette nouvelle auberge étoit forte & fucculente. C'étoit la quinteflence des meilleurs roaft beefs de 1'Angleterre, quoique mon höte ne fut pas; lui-même des plus gras du pays, mais il n'en écoit pas moins bien nouri. Etant logé chez lui, je  ( 94 ) ft plus facilement le connoitre, & voici ce que j'eri cais. Milord Sh..b...e eft, comme Miiord Duc, un des oppofans les plus acharnés au Gouvernement • il y a jadis fi^uré. & fon reffentiment d'avoir étée'xpulfé par des gens qu'il regarde bien audelTous de lui eft un des puiffans motifs de fa conduite actuelle. II a fait tous fes efforts pour pouvoir rentrer en faveur; mais, voyant qu'il lui éroit impojfible de réuffir, il a pris une route toute oppofée; quoi qu'ami en apparence de Milord-Duc & quoi qu'il paroifïe en adopter les fentimens, il fe! roit jaloux fi celui-cy attrapoit, d'une manière ou d une autre, quelque chofe qu'il croic mériter rnieux que lui; en conféquence, il crie & fe déï5—a' comme Milord-Duc, contre le Roi, & fes Miniftres; <&, faute de pouvoir obtenir ce qu'il défire, il s'eft retourné d'un autre coté, & dreffe fes batteries pour s'élever fur les ruines de 1'Angleterre. Se doutant que la Cour de France tramoit fourdement une correfpondance avec Milord-Duc 3 s'eft jetté dans le parti dü Roi d'Efpagne, & ' il n'y a pas fait jufqu'icy de mauvaifes affaires £ car les chofes, réuffiffant fuivant fes défirs, il fe trouvera en Irlande au même point d'élévatiori que Milord-Duc doit avoir en Angleterre. On ne peut avoir aucun doute fur la vérité de ces faits; ils font conftatés dans les afftes les plus féneux que mon nouveau maitre m'a lus plus d'un fois; il en étoit fi emhoufïafmé, qu'il les avok prefque toujours fous les yeux, quand il étoit feul. Mais quelle rélation avoit-il, & a-t-il encore auprès du Roi d'Efpagne pour Ja réuffite deVon entreprife? La meilleure qui foit au monde. Le Confejjeur de Sa Majefté'. Voici ce que le bon Pere en Dieu lui mandoit dans la troifiême lettre qu'il lui addrefTé. Lettre  (. 95 ) Lettre du Confesseur du Roi d'Espagnej au Lord Sh..b..e *' Ce n'eft: point fans peine, Milord, que S. M. «' C. veut bien fe déterminer a vous préférer, dans " le e,lorieux pofte de fbn Viceroi en Irlande, a " tous fes plus fidêles fujets. Outre les raifons po" litiques que je lui ai alléguées pour vous cboifir, " j'ai été obligé de prendre le flambeau de la Re" ligion pour aller a votre fecours; je lui ai dit quet ,£ par une rêvéiation particuliere de la Ste. Vierge lm* 41 maculée. je ff avois la volontéde Dieu, & qu'il vous " avoit déja infcrit au Livre des Deftins pour confo*? liderla véritable Religion dans le Royaume d'Ir'f lande, au nomde S. M. C. que vous répréfente*' rez. Mais, Milord, vous ne pouvez efpérer de !' monter ace pofte qu'en promettant fous ferment f« de remplir éxadtement tous les anicles contenus " dans le traité fecret queje vous envoye; &, aufïï" tot que je ferai für de votre facon de penfer a eet " égard , je vous ferai paffer le décret qui vous éle" vera a cette illuftre Vice-Royauté, &c." Ce traité particulier eft trop important pout n'en pas faire mention icy. Traite' secret du Roi d'Espagne avïc ee Lord Sh. b..e. Ordre qvz moi le Roi veux qui soit tentj dans mon Royaume d^rlande. Art. i. 11 n'y aura que la feule Religion Catholique dans toutes les parties de ce Royaume; tous les Huguenots feront tenus dans les huk premiers jours de mon regne de fe convenir a la foi, fipon feront chaffés de tous mes Etats , & tous leurs bieas confifquées au profit des bons Religieux qui youdront  (*0 vöudront y vivre dans la retraite & dans la contemplacion des merveilles de la Sainte Trinité. t°. 11 y aura dans toute 1'lrlande' dix Evêques que je ferai nommtr par le St. Pere le Pape, ainfi qu'un Arch'évêque, dont le fiège fera a Dublin. 3°. La Sainte Inquisition sera etablï dans les principales villes de ce Royaume, et 'le tlubunal supekieur sera dans la Capitale le tout pour la propagation de la Foi & latranquillitédeces nouveauxEtats; car c'eft ace faint établiffement que Je dois le repos de mes1 autres Royaumes qui n'ont jamais éprouvé dé guerres civiles pour fait de Religion, ainfi qu'il y en a eü tant, en France, en Angleterre, & aillieurs, 4°. Les Irlandois auront la libertéde commercë dans toute I'Europe, ainfi & de la mêmemanièré qu'en jouiffent mes autres Sujets de mes différent Royaumes, 5°. Comme 1'Angleterre proprement dite va appartenir a mon cher frère le Rol de France, les Irlandois pouront également commercer dans ce pays, fans aucunes taxes ni impots; Je les reléve désa préfent de tous les droits établis fur leurs manufactures «5c leurs fabriques. 6°. 11 n'y aura plus de Parlement en Irlandej Je caffi- dès a préfent celui qui y éxifte. Quand mes Sujets de ce Royaume auront quelques graces a demander, ou quelques repréfentations a faire, ils! s'adrefleront direélementaMoi, & ma bonté pour* voiera a tous leurs befoins. 7°, Auffitot l'inftallation de mon Viceroi, il fe-* ra faire dans tout ce Royaume la recherche la plus éxacte de tous les livres contre la Religion, & les fera bruler en place publique dans chaque ville oü ils auront été troavés,til n'y en aura d'au- tres  f 97 ) *fes dans toute 1'Irlande que ceux qui font apJ prouvés par la Sainte Inquifition dans tous mesi Etats; & pour eet effet, on les traduira fur le ehamps dans la langue du pays. Milord SH..B..E ayant foufcrït a tous cèi articles, & prornis de les faire éxécuter dans la plus grande rigueur, abjura en même temps fa Religiori pour adopter la feule qui pouvoit le fauver, «5c il recut peu de temps après, le Décret & la lettrë fuivants. Üecret de sa Majeste' CatholiquÈ , QVt NOMME MILORD SH..B..E, VlCEROY d'IrLANDE. Don Ca rlos, par la Grace dè Dieu, koi dè Caftille, de Léon, d'Arragon, des deux Siciles, dë Jérufalem, deNavarre, de Grenade, délbledej de Valence, de Galice, de Majorque, de Séville; de Sardaigne, deCordoue, de Corfe, de Murciej de Jaen, des AlgarveS, d'Algéfire, de Gibraltar j des Ifjes Canaries, .des Indes Orientales & Occi» tjentaies, des lfles & Terres Fermes de 1'Öc'éan & d'Irlande; Archiduc d'Autriche, Duc de Bourgogne, de Brabant, & de Milan, Comte de Habfbourg, de Flandres, de Tirol, & de Barcelone ; Seigneur de Bifcaye, & de Molina, &c: A ceu* de mon Cónfeil, auPréfident, & aux Auditeurs d.p mes Audiances & Chancelleries, aux Alcades qaelque état, qualité, & condition qu'elles foient dans Jes cués, villes & heux de mes Royaumes öc Seigneuries, scavoir faisons que J'ai jugé a propos d'adreffer a mon Confeil un Décret figné de ma main «Si concu en ces termes. «' Ayant, parlamiféricordedeDieu, réunifous ma domination le Royaume d'Irlande, avec toutes lescités* villes, forts, chateaux & ifles en dépendans. Le premier de mes devoirs eft de commencer par les mettre fous la proteftion immédiate de la trés Sainte Trimt é . & le fecond, de les gouverner en bon pere, ainfi que J'ai fait jufqu'ici pour més autres fujets. " J'ai donc criten premier lieu devoir n'y établir que la Sainte Eglife Catholique, Apoftolique, & Komaine, dans laquelle nous vivofls, & hors laquelle il n'y a point de falut : en conféquence J'ordonneatouskslnfidefes, Hérétiques, &SchiC matiques, qui fe trouventaétuellement enlrlande, & qui ne voudront pas fe convertir a la Foi, de forcir de ce Royaume dans huit jours a compter de celui de la nolification qui y fera faite du préfent Décret. <« ]e déclare tous leurs brens confi fqués a mon profit, & J'ordonne qu'ils feront vendüs dans fix mois de ce jour, pour, les déniers provenans de la vente qui en fera faite, être féqueftrés, & enfuite em* ployés al'établiffement deCduvents, tantd'hommes que de fcmmes qui voudront, pour la plus grande gloire de Dien, s'y réiirér & fervir, tant par leurs travaux, que par leurs éxemples, a 1'édification de leurs freres. " J'établis auffi dans tout ce Royaume, Ia Sainte Inquïfition, ainfi qu'elle éxifte, a la falisfa&ion géasralle, dans mes autres états. E»  (99 ) "En fécond lieu, rAdminiftration civile & nii. Jitaire fera auffi la même que dans mes autres "Royaumes. Je fupprime le Parlement d'Irlande comme contraire au Gouvernement Monarchique, & capable de pouvoir fomenter des divifions & de troubles. "II y aura toujours un Viceroi qui fera fa réfidence a Dublin , Ck qui maintiendra dans tout ce Royaume, fous mon nom, 1'ordrè & ]a tranquilté qui doivent y regner. uJe nommè dès a prefent, pour remplir cette place DonSH..B..E, connu jufqu'ici fous le nom de Grand d'EJpagne de la première clajje, & en qui J'ai toute confiance, par 1'attachement qu'il aa ma Perfonne Sacrée, & le zêle qu'il témoigne pour \i propagation de la Sainte Foi. " J'entends & ordonne que tous mes Sujets iè feconnoiffent pour tel en Irlande, & qu'on obéifle a fes Décrets, comme fi ils étoient émanés de Mbimême. " J'accorde a tous les Irlandois les mémes prï» viléges qu'a mes autres peuples; Je fupprime, dès a préfent tous les droits précédemment établis fur leurs fabriques & manufattures. "Le Confeil aura foin d'éxpédler les ordres fi? les avis néceffiiires pour que tous mes Sujets foiehc informés de ma prélénce Réfolution Royalle." A ArarijiieZ, le premier joiir de mon Regné ëh Irlande. ■ Signé, Mol, ie Roi. G * LïttÜ  ( IQÖi) Lettre bu Roi Catholiquë , a Milotiö ÜÜ..B..È, Grand d'Espagne de la première classe, VlCEROY d'IrLANDE. " Mon Décret Royal cy-deffus ayant été publié « dans mon Confeil, il en a ordonné 1'éxécunon; &, « pour eet effet, il a fait publier les préfentes: en «« conféquence Je vous ordonne qu'auffitot que «' vous aurez recu mon dit Décret, & que vous au<( rez vu ma Réfolution y eontenue, vous, en qua«« li'é de mon Viceroy en Irlande, 1'obferviez, ac« complilfiez, & éxécutiez, & la faffiez obferver, « accomplir, & éxécuter en tout & partout, conti formement a fa teneur ,• donnant les ordres & «f faifant les difpofitions eonvenables, afin quil " confte a tous mes Sujets d'Irlande de ma ditte * Détermination Royalle; car telle efl ma Volonte. *< Et a la copie imprimée de la préfente cédule cer« tifiée par Don Antonio Martinez Salazar , mon «' Sécrétaire Grefher des Réfolutions , & le plus «< ancien Ecrivain de la Chambre & Gouverne« ment de mon Confeil, la même foi fera ajoutée «' qu'a 1'original. . " ««Donné a Aranjuez, le premier de notre Regne "en Irlande. (Signé) » Moi, le Ror. Plus bas eft écfit: Don Juan Frar.cifco de Laflire, Secretaire du Roi, notre Seigneur, ai écrit la préfente par fon ordre. Signé deplus: Don Mamel Ventura FigUeroa, Doft MameldeVillafane, Don.ManuelDoz, DonRaymundo de Irabien, Don Bias de Hinojofa. Regiftré; Don Nicolas Verdugo.  ( ioi ) II faut avouer, difois-je en moi-même, que Mi* lord-Duc & mon patron fcavent trés bien tirer ]eur épingle du jeu; mais, ajoutois-je , ils vendent la peau de 1'ours , avant de l'avoir jetté par terre; fi Meflleurs les Rois de France & d'Efpagne eomptent fans leur höte, les Vicerois n'auront pas de grandes Vice-Royautés. Ces .obfervations m'intriguoient, & j'ignorois quel étoit Je delfous de carte d'après lequel on avoit tant deconfiance, lorfqu'il fut remis de la part de tous les bons Catholiques d'Irlande a mon Viceroi Padreffe fuivante pour être par lui préfentée au Roid'Ffp^gne. Adresse de la Ville de D..b..n, a sa Majeste Catholiojue. " Tres Gracieux Souverain» " Nous, les Chefs, les Communes, & citoyens Catholiques de 1'ancienne & loyalle ville de D..b..n, demandons la permiffion d'approcher le pied de Votre Trone Royal, pour Vous offrir nos cceurs, & Vous faire le don de nosperfonnes&de nos biens, comme a notre seul et unique Souverain , que Dieu nous a donné dans fa grace & miféricorde. w Nous avons été excédés par un Peuple qui devoit nous traiter en frêres, 6c nous a cepandant fait continuellement fubir le joug de la fervitude. Toutes nos repréfentations & nos fuppliques a 1'effet d'alléger le poids des fers que des Miniftres durs & cruels appéfantiffoienc fur nous, onc été infruétueufes. Toutes les fois que nous nous fommes préfentés, nous avons été rejettés, & méprifés. Nous devions vivre fous un Gouvernement libre & nous étions efclaves. Si Pon avoic Pair de nous accorder quelque juftice que Pon affecloit de regarder comme une faveur, on y met» G 3 tojr;  C10O tpit des éftrictions injuftes fe itnpolitiques, quï en diminuoient & altéroient 1'efficacité. '" C'eft donc avec la plus grande fatisfaclion que rious ayons vouluTrèsHaut prendre en main notre. deffcnfe , & nous rerirer de cette cruelle fervitude. 11 nous confïe a un Monarque pieux, bon, jufte, & rempli d'attacheraent pour fes fujets. 11 fouifiendra la gloire du Roi des Rois; il amenera fabondance dans nos contrées, & fera fleurir nos manufadtures & notre commerce. 11 nous donne déja pour fon Repréfentant un de nos compatriotes, fage, vertueux, desinteresse', que nous aimons & qui nous aime. Nous fommes donc, Sire, pénetrés de la plus vive reconnoiiïance pour Votre Augufte. Perfonne, nous ne ceüerons de bénir le Ciel de nous avoir mis fous Votre Proteétion, & nous le fuplierons de Vous accorder, & a Votre Augufte Familie, des jours longs & profpères. Ce font les fincères & affeétionés fentimei.s & fouhaits des tres loyaux. & a jamais fidêles Sujets de Votre Majefté.. Signé au Nombre de 380. CHAPITRE XX. 'AJJtmblèe importante chez le Marquis de R..K..M.; tl eft nommé par le Congrès Amériquain Protecteur dk la liberte' ceossaise. . Refolu. tions du Congres; nouvelle forme d1 Adminijlration en Ecojje. Le Protefleur a une Cour &1 des AtnbaJJ'adeurs chez tous les Souverains de VEurope. JE vécus pendant plus de quinze jours fur la fcêtede Milord Viceroi; j'y étoisencore dans lafo- liiude,  Etude, mals elle m'étoit toujours agréable & Je* nouvelles importantes que j'aprenois chez lui tous les jours occupoient mon tems , & chaffbient i'ennuy qui auroit pu m'attaquer. Mon Proteéteur recevoit beaucoup de vifites: tantot c'étoit des gens qu'il occupoit a décrier le Gouvernement adtuel, tantot c'étoit des émiflaires chargésjle fomenter des troubles & des féditions en Irlande en faveur de fa Majefté Catholique: un jour nous tenions des conférences avec Ie Viceroi d'Angleterre , pour concerter les dijcours patriotiques qu'ils devoient 1'un fc? , 1'autre rèeiter dans le Parlement, £ƒ pour augmenter, a force d'argent &f de promejjes , ie nombre des Oppo/ans dans le Parlement procbain: un autre jour nous donnions un grand repas a plufieurs membres de la Majorité , & nous en mettions plufieurs dans notre parti. Voila quelle étoic notre conduite, lorfque mon maitre fut invité a diner chez M, le Marquis de R..K.. M, oü il devoit fe tenir dans la foirée une affemblée importante pour les affaires de 1'Etat. Mon Proteéleur fe rendit a 1'tnvition Sc m'y conduific. Je mis toute mon attenüon a connoitre ces différens perfonnages, pour enfuite apprécier leur mérité, Sc m'inltruire a fonds de leurs deffeins; je Jes éxaminai pendant tout le repas qui fe palfa en propos indifférens, mais a travers lesquels on voyoit bien 1'efprit de parti qui les animoit. Je vais efquiffer ie portrait de quelques uns de ces graves Sénateurs, avant que de rendre compte des objets qui ont été agités dans cette Augufte Compagnie. i°. Le maitre de la maifon , ancien Miniflre des Finances; c'eft urt homme laid, petit, maigre «Si noir; il a les yeux enfoncés, & por te perruque; Q 4 il  ( 104 ) i| jouit d'environ t5o ans & de 4o,oool. fter^ de rente; il eft indigné contre le Roi d'Angleterre de ce qu'ayant eu autrefois fes bonnes graces, |1 n'a pu les conferver, & employé tout fon crédit & fon argent pour faire culbuter fon fucceffeur & les autres Sécrétaires d'Ecar. 2°. Charles F.. x ; un homme fin & rufé , gros & court, prodigue «5: ruiné, qui cherche k s'accrocher oü il peut, & qui efpère faire fortune dans la Minorité, puifqu'on ne veut point de lui dans la Majorité. 3°. Le Général B g.e, partizan zêlé de 1'Op- ÏioQtion. Les Miniftres aftuels avoient cru qu'en e mettant a la tête d'une armée, il abandonneroit fes premiers amis pour fervir fidélement fa Patrie & fon Prince: ce brave homme, ferme d fes premiers attachemens , a accepté le commandement " de ces troupes , & les a livrèes aux Ameriquains, (n fe rendant lui-même avec elles prifonnier de guerre. ' 4°. L'Amiral par Excellence ; c'eft le nom qui lui donnoient les autres > convives. Cec homme, d'une expérience confommée, quoique oppofé au parti du Roi & des Miniftres, & quoique parënt de Milord-Duc, fut choifi par S. M, pour cotnmander une flotte confidérable , attaquer celle des Franpois qui étoit inférieure; mais, d'après les confeils de fon coufin, & les in, térets de fon parti, il n'a point fait ufage de ces forces, s'eft conduit de fnaniére qu'il n'a remporté aucun avantage fur les ennemis, quoiqu'il leur uit fupérieur en nombre, & les a , au contraire , mis dans le cas de pouvoir fe vanter avec yaifen d'être les vainqiieurs,, 5°. Milord  ( 105 > 5f>. MilorD-Duc, celuy qui m'a fait fubir Ie fuplice cruel dont j'ai parlé, en me brulant ma, cuiilè & mes deux pattes. • 6°. L'Eveque pe P... B... GH; Je ne me ferois point atcendu a trouver un Prélat dans cette aflemblée. 7°. Et enfin, mon maitre & mon protecteur, le Viceroi d'Irlande. Quand la féance s'ouvrit, M. ie Marquis, en qualité de Préfident, fe leva, & dit: Discours interessent du Marquis de R...K...M. " Meflieurs, " Les motifs, d'après lefquels je vous ai prié de