V IE D E BUFFON.   V I E P E BUFFON5 Seigneur de Montbart, Marquis de Rougemont, Vicomte de Quincy , Seigneur de la Mairie , les Harens, les Berges & autres Veux ; Intendant du Jardin du Roi & des Cabinets d'Hiftoire Naturelle ; Vun des quarante de VAcadémie Francoife , & Membre de VAcadémie Royale des Sciences, &c. &c. A AMSTERDAM, Et fe trouve h Paris, Chez MARADAN, Libraire, rue des Noyers, N°. 33.   V I E D E M. D E BUFFON. G EORGES-LOUIS LE CLERC, Comte de Buffon , naquit a Montbard en Bourgogne, le 7 Septembre 1707, d'uh 'Coufeiller au Parlement, qui deftinoit fon fils aux mêmes emplois de Ia robe ; raais ies fciences s'en emparerenc de bonne heure, & toute fon ambition fut de lescultiver excluflvement. II avoit de grands exemples dans fon pays, poi.r courir une carrière auffi brülanre , & 1'émulation aidoir encore fes difpofitions naturelles. La Bourgogne, fe'conde en A  (O hommes de lettres du premier ordre , lui offroit dans des tems recule's un faint Bemard, le premier genie de fon fiecle & qui eut tant d'influence fur Pefpric d'alors; & dans une époque plus récente, un Bofluet ,fifameux par fon éloquence & la force de fon génie; les Crébillon , les Piron , les la Monnoye , les PréfidentBouhier; noms^faits pour animer 1'ardeur d'un jeune homme qui fe fenc une étincelle de génie. 11 fit fes études au college de Dijon , occupé alors par une fociété céicbre qui a produit tant de grands hommes & de Ci illuftres difciples. Ses makres apper^urent d'abqrd en lui le germe de ces talents qui ont honoré la nation. Ils travaillerent a les développer, & leur clevc répondic de refte a leurs foins; né avec une force de tempérament peu commune,avec cette ardeur infatigable au travail que le génie n'a pas toujours,  <3 ) il fe paflïonna pour 1'e'tude , & heuteufement pour nous, fon activité ne fut point applique'e a des objets frivoles. La ge'ométrie eut des attraits pour lui dès fes premières années. On fait combien cette fcience fert a fbrmer des efprits juftes, & fuppofe déja de juftefTe dans 1'efprit. M. de Buffon e'tant a Angers, oü il faifoic fon académie, au lieu de fe livrer comme fes autres camarades, aux amufemcns de fon age , forma une liaifon particuliere avec le P. de Landreville , de 1'Oratoire , profeueur de mathematiques au college d'Angers. L'amitie' & les confeils de eet Homme fage & inftruit t lui furent utiles, & il fe rappella toujours avec attendriflement cette reflource pre'cieufe qu'il avoit trouve'e dans le défceuvrement & 1'inertie de la province. II e'toit fait pour avoir des amis trèsdiftingue's. II les choififloit dans cette clafle d' hommes, qui joignent les lumieres Al  ( 4 ) & les talents aux principes d'une excellente éducation. Avant même qu'il fut forti de Dijon, il s'e'toit lié étroitemenc avec le gouverneur du jeune duc de .Kingfton, f'ün des premiers Lords d'Angleterre. Le Mentor anglois fongea a s'affocier un (econd Téle'maque pour un voyage qu'il projettoit en Italië. M. de BurTonavoitalors dix-neufans.Ce voyage, que tant degens n'entreprennentque pour voir des tableaux, des itatues & des ruines, eut un erTet plus inte'reffaftt pour le jeune francois. II confidéra 1'Italie comme un riche magafinde connoiflances d'hifloire naturelle, qu'on pouvoit acque'rir fous le ciel & en plein air. Addiffon y avoit vu avant lui des fites pittorefques, qu'il comparoit avec les defcriptions des anciens. BufFon , aidé d'un ge'nie fupe'rieur , y vit les belles fcènes de la nature , fes anciens de'bris & fes convulfions journalieres. II laiffa tomber des larmes fur les  (5) cendres d'Herculanum qui avoient enfeveli Piine 1'ancien, comme fi Ia nature avoit voulu fe venger du ge'nie qui e'pioit de trop prés fes laborieufes opérations. Ces cendres éteintes depuis tant de fiècles fembloientfe ranimerencore pour échau£ fer 1'eiithoufiafme du jeune naturalifte, & c'eft peut - être a ce voyage d'Italie que nous devons les monumens de fon immortel ge'nie. De retour en France, il s'occupa de quelques traductions d'ouvrages- Anglois; ce qui prouve qu'il avoit fenti de bonne heure le befoin de connoitre une langue devenue fi'riche en bons e'crits de teut genre, &"plus favorable encore au génie par eet air de liberté & d'indépendance qu'elle refpire. Mais les traduétions n'étoient pas faites pour arrêter long-temps un jeune homme qui commencoit a fentir fes forces, & qui étoit deftiné luimême a être traduit dans toutes les langu'és. A 3  ( 6) Un voyage en Anglettere vint le diftraire encore des travaux qu'il méditoit, fi 1'on peut appeller diftraction le defir de s'inftruire par fes yeux , & de voir en détail un pays ce'lebre , dont les favans peuvent être fi utiles a celui qui a l'ambition dele devënir. Troismois de fcjour a Londres furen't pour M. de Buffon, qui favoit employer le temps, ce que p!ulïeurs anne'es auroient été pour un autre. Souvent le ge'nie manque des reflources de la fortune , & fa marche en eft ralentie. Buffon échappa a un malheur lï commun dans la carrière des lettres & des fciences. Riche de la fucceffion de fa mere, aflez entendu dans les affaires pour la recueillir, & aflez e'conome pour la conferver,il e'toit deftine', comme Voltaire a être au-deffus des befoins, & a finir comme lui avec une très-grande fortune j ï^ooo livres de rente étoient un fonds immenfe pour un jeune homme rangé,  (7 ) & qui fubordonnoit au gout del'étude fes autres paflions. Quoiqu'il recherchat avidement la fociété des femmes , il n'étoit pas d'humeur de fe ruiner pour fatisfaire a leurs fantaifies. D'ailleurs un génie dominant pour le travail, ne laifloit pas le temps a leurs charmes de faire trop d'imprenion fur fon cceur. Arrivé enfin dans la capitale & réfolu de s'y fixer, il fongea a formcr des liaisons utiles pour fes projets. II les avoit müris par la réflexion , & ils étoient tous dépendans de la grande idee de fe diftinguer de la foule, en faifant prendre aux connoiflances de la nature un eflbr qu'elles n'avoient point avant lui. Non que des efprits excellens ne s'en fuflent occupés ; la France avoit eu fes Tournefort & d'autres hommes célebres; mais leur imagination n'avoit été ni aflez féconde, ni leur ftyle aflez brillant, pour rendre les beautés de la nature fenfibles A 4  (8) a tous les efprits. II falloit un grand peintre, & on n'en connojflbit pas; cette gloire étoit réfervée a M. de BufFon. M. du Hamel du Monceau avoit de'ja donné a la France une forte im'pulfion vers ces objets ; tous les journaux , tous les cercles étoient remplis du bruit de fes expériences fur les bois, fur les arbres fruitiers,. fur les difFe'rentes pnrties de la botariique. II avoit tranfplante' dans fes terres de Gatinois, les chênes de Canada, les Rhuya de Virginie, les Piatanes d'Ocddent & les Cedres mêmes du Mont-Liban. II étoit unpeu plus agé que M. de Buffon , jouiiToit comme lui d'une certaine opulence pour un favant , ( ils étoient moins riches dans ce temps-la ) , & il avoit déja donné des ouvrages utiles qui avoient fixé 1'attention du gouvernement. II n'en fallut pas davantage pour engager M. de BufFon a rechercher fon amitié. Nous n'entrerons point dans la difcuf-  ( 9 ) fïon desdémêlés qu'ils eurent enfemble, au fujet de certains me'moires concernant des expe'riences faites fur les bois, que M, du Hamel , narurellement confiant , communiqua a M. de BufFon , pour 1'engager a répéter a Montbard, les eflais qu'il avoit faits lui-mcme dans fes terres de Gatinois. M. du Hamel entendant lire , a la rentree de 1'académie , un mémoire oii M. de BufFon avoit recueilli en abregé ce qu'il y avoit de plus intéreffant & de plus remarquable dans les mémoires qu'il lui avoit prêtés , il en témoigna fa furprife, s'en plaignit hautement, & M. de BufFon, poufFé a bout par les reproches d'infidélité qu'il recevoit de fon confrère, fe contenta de lui .dire , pour toute réponfe , qu'il s'emparoit du bon par-tout oü il le ttouvoit. On expliquera, comme on voudra, un tel procédé ; ce qu'il y a de certain , c'eft qu'il donna lieu a un refioidifTement fenAS  (ro) fïble cntre les deux acade'mici'ens; & M. du Hamel, homrae franc & vrai, ne manquoit pas de le faire paroitre dans 1'occafion (i). (i) Un Acadeniicien célebre fort inftruit des dcmélés de M. du Hamel du Monccau avec M. de BufFon , nous a fait communiquer cette note quenous allons rapporter. M. de BufFon ayant été inftruit par M. du Hamel du travail fur Ia force des bois qui Poccnpoit depuis Iongtems, fe preffa de faire lecture a 1'Académie , d'un me'moire fur la méme matiere. M. du Hamel le contreJit en plufieurs endroits, & annonea a la compagnie fon ouvrage, en lui demandant que fa minute fut paraphée a la prochaine féance , afin qu'on put s'afFurer des difrerences , & qu'on ne crut pas qu'il avoit profité du travail de M. de Buffon. La féance d'enfuite , M. de BufFon demanda a relire fon mémoire , qu'on n'avoit pas, difoit-il, bien compris; mais i! étoit changédepuis lesréflexions de M. du Hamel , qui lui dit feulement: mon confrère , vous ave{ bonne mémoire. M. de BufFon lui répocdk : mon con-  (») Le mérite de M. de BufFon , déja connu a 1'Académie , le défignoit i fiere , je fais profiter du bon lorfque je le trouve. O mémoire eft imprimé fous les noms des deux Académiciens. M. du Hamel re faifoit cas que des faits , des expériences & des obfervations , & étoit méme trés - réfervé & timide fur les conféquences & les réfultats. M. de Buffon formoic un fyltême & y faifoit cadr.r les obfervations. Deux carafteres auflï différ5ns ne pouToient pas fympatifer. Quant a 1'intendance du jardin du Roi , M. du Hamel étoit abfent & envoyé en Angleterre par M. de Maurepas , lorfqu'elle vïnt a vaquer. Le Miniftre répondit a M. de Denainvilliers » qui la réclamoit pour fon frere , je ne le puis ; mais je réfervepouf M. du Monceau une place qui lui conviendra amant, & ou il me conTicndra mieux. II eutcelle d'Inipedeur Général de la M-sine. J'avois .donc raifon de vous dire que s il y a quelques légeres différences, elles font mcme pcu eflentielles. A 6  ( 12 ) quelque place importante, qui fut"du refTort des fciences; & M. du Fay Intendant du Jardin du Roi, penfoit k lui, pour lui léguer, avee 1'agrément de Ia Cour, cette partie la plus précieufe de la fucceffion d'un favant. II ic propofa a M. le Comte de Maurepas, & voici comment s'en eft expliqué M. de Fontenelle,dans I'éloge de M. du Fay. » II fit fon teftament, dont c'etoic prefque une partie qu'une lettre qu'il ccrivit a M. de Maurepas , pour lui indiquer celui qu'il croyoit leplus propre alui fuccéder dans 1'intendance du jardin royal. II le prenoit dans 1'Académie des Sciences , a Jaquelle ij fouhaitoit que cette place fut toujours unie , & le choix de M. de Buffon, qu'il propoioit, étoit £ bon, que le Roi n'en a pas voulu faire d'autre. » Ce témoignage de Fontenelle, eft rei marquable3 & rien ne faitplus d'fionneur  (i3) a M. de BufFon , que la manière dont leNeftor de la littérature & des fciences, s'exprimoit dès-lors, a fon fujet. II avoit préfagé la gloire du fuccéffeur de M. du Fay , dont Moge eft le dernicr qui foit forti de fa plume, & il ne vouloit pas Enir cette carrière brillante , fans annoncer a la nation , un ge'nie , qui alloit fournir une carrière non moins glotieufe. Des perfonnes dignes de foi , nous önt aiïuré que la place d'Intendant du jardin du Roi, avoit cté promife a M. du Hamel, avant qu'il fïït queftionde M. de BufFon. C'e'toit, en efFet une efpece de convenance, que de donner cette place a un homme de'ja célebre par fes connoifFances en botanique , & qui facrifioit fa fortune a Pavancement de cette fcience. D'ailleurs, il étoit depuis long-tems 1'ami intime de M. du Fay; lié avee lui, par le gout des mêmes  ( '4) travaux, Sc 1'habitude des merries moeurs. Mais a la mort de M. du Fay, M. du Hamel éroit en Angleterre , pour des expériences relatives aux bois de conftruction. Cependant M de DenainvilHers, fonfrere, qui ne perdoit^pas de vue le genre d'utilite' publique, qui reïulteroit de 1'e'tat de ion frere place' d'une maniere analogue a fes goüts Sc a fes travaux, accourut au premier bruit de Ia mort de M. du Fay , vint demander au Miniftre la place promife a fon frere. La re'ponfe fut qu'on avoit pris des engagemens indifpenfables, & au retour de M. du Hamel, on lui donna, pour le de'dommager , la place d'Infpe&eurge'néral de la Marine. Ces deux re'cits de la maniere dont M. de Buffon parvint a Pintendance 3u jardin du Roi, n'ont rien qui fe contredife. II eft très-poflible que M. du Fay, invefti en mourant de follicitations puif-  ( M ) fantes, ait oublié Ion aini abfent , & penfé a un homme , digne , (Tailleurs , a tous égards, de lui fuccéder. Pour peu que 1'on connoifïe le monde, on fe reffouviendra que ce n'eft pas la millieme fois que les abfens ont eu tort. A peine M. dc Buffon étoit-il au jardin du Roi, qu'il travailla férieufement a 1'exécution de fon grand projet. Il en fit fon affaire principale , celle dont il s'étoit toujours occupé, & qui devoit déformais remplir tous les inftans de fa . vie. C'eft un bonheur pour ua homme d'avoir 1'efprit de fa place, un bonheur pour l'ctat, qui peut alors fe promettre de recueillir le fruit des avances qu'il fait pour le progrès des fciences & des arts. En 1744 on vit pofer la première pierre du majeftueux édifice, de 1'hiftoire naturelle ; le difcours fur la théorie de laterre,daté de Montbard, prouva au Royaume que M. de Buffon, favoit era-  (i6) ployer le loifir de Ia campagne; c'étoic la qu'il muriflbit, qu'il perfedtionnoit les idees prifes dans le commerce des favatis de 1'Acade'mie. Jufques-la 1'hiftoire naturelle n'avoit Pas été traitée en France avec la dignité qui lui convenoit; il en étoit de cette fcience comme de la médecine, de la chymie & de 1'optique, qui attendent encore la main du génie. D'habiles gens, il eft vrai, en avoient ralTemblé les matériaux, foit en France ou dans les pays etrangers; mais nul homme n'avoit concu la penfée d'en former un édifice impofant. Mettons a part 1'efprit de fyftême que M. de Buffon a peut-être pouffé trop loin; eet aveu ne fauroit être injurieux a fa mémoire. Les fyftêmes, quand ils ne font point appuyés fur 1'expérience & que 1'imagination feule les étaye par fes conjeétures, font des édifkes ruineux,qui déguifent par la richeffe de leurs déco-  (i7) rations, Pinftabilité de leur bafe. Maïs fi 1'on penfe a la beauté du travail de Fhiftoire naturelle, aux vues grandes 8c profondes qui la diftinguent, a ces defcriptions fi riches & fi variées , a ces rapprochemens heureux de faits ifoles que la comparaifon a rendus fi lumineux; a cette force d'imagination qui a conduit Pauteur dans des fujets fi divers, a la noblelTe de fon ftyle, & au goüt exquis avec lequel il a placé les ornemens dans les chofes qui en étoient fufceptibles, on fera étonné de ce qu'il a fait, on le mettra a part de tous les naturaliftes anciens 8c modernes; Pline lui-même fe feroit énorgueilli de fe voir a cbté de lui. Si nous faifons réflexion a Pétendue de fes connoiffances , elles étoient immenfes; il avoit fous fes yeux toute la géographie de Pnnivers, 8c rien ne peut égaler la rapidité avec laquelle il parcou-  (i8) roit ces efpaces infinis, rapprochant rotijours les obfervations des faits *géographiques. II avoit en cela un grand avantage fur Pline, dont les defcriptions du globe terreftre ne font fouvent qu'une fte'rile & aride nomenclature. M. de BufFon avoit lu tous les voyageurs, & les avoit lus en philofophe , qui voit ce qu'il faut prendre & laifTer; de-la le parti qu'il a tiré des faits configne's dans les voyages, & que fa plume a embellis dans fes difcours fur 1'homme & les animaux. Ce n'eft point une érudition pefante ou futile ; ce font des réfultats qui donnent fouvent a penfer ;rien de fï aifé que de fuivre 1'auteur dans fa marche, quoiqu'elle foit très-rapide ; mais on eft entraïne', & la vivacité du ftyle ne permet pas au lecteur d'êtrepareffeux. Quant a la connoifJance de tant de fyltêmes analyfe's dans l'hiftoire naturelle, c'eft une chofe prodigieufc que le fonds de  ledarcêc de jugemen: qu'il afallu pour cela; la partie de 1'iavention n eft pas „e'gligée dansl'art d'apprécier tant d idees* J^cequidonnne^'eftl'epntd'ob- fervatian qui a découvert dans les corps & dans les êtres fennbles tant de nouvelles propriétés.desinftinas & des habicudes peuconnues.desfacultes dont les favans ne fe doutoient pas, quoiquc les mêmes objets eulTent été cent fois fous leurs veux. Ceft ainfi que le genie appercoit lui feul ce qui fe dêrobe a la rnultkude; comme 1'ceil percanc de laigle voit.plus loin &mieuxque le peuple des oifeaux. II feroit luperflu de s'étendre plus au long fur le mérite de 1'hiftoire naturelle, oiwage immortel,dontle plan Sd'execution ont eu le fuffrage de la nation & de 1'Europe. II eft beau de faire partager aux autreslegout des connoiffances que l'on a perfedionnées. L'ambmon de  ( 20 ) dc Buffon f«t de repandre les fciences dans le monde , de leur gagner des parcifans que fon ftyle enchanteur neut pas de peine k féduire. Pour y reuffir , il fentic qu'il Mbit parler | iefpm par des images , & au coeur par les expreffions de la fenfibilité. Tout s'anima fous fon pinceau j fa profe eut prefque 1'élévation & la couleur de la poéfie; la nature parut dans fes tableau* avec teute fa pompe & fes graces: fi le fujet prêtoit beaucoup a 1'éloquence on peut direque 1'auteur e'toit dignc de letraiter. Aucun peintrc n'a fu mettre tant de richeiTe dans fes vaftes & heu. reufes compofitions. Tout eft mode dans notre nation, & ce goüt pour la nouveauté, la plus chere idole des Francois, produit fouvent des efFets.très-avantageux. Celui dont on fut redevable au ftyle de M de BufFon , ce fut de repandre dans routes  (21 ) les clafles de la fociété polie , le gouc de Phiftoire naturelle ; tout le monde voulut être naturalifte ou le paroure a fon exemple. L'on vit fe former de toutes parts de riches colle&ions, des cabinets de curieux oü les rarete's de tous les pays de la terre furent claflees, étiquetées. On ouvrit des cours de cette kience; les femmes fe firent honneur de les fuivre ; pour faciliter une étude déja fi attrayante par elle-même & rrop loag-temps négligée, des compilateurs mftruits firent des diótionnaires, dont la pafeiTe & 1'amour propre pouvoient s'aider au befoin. On apprit les noms des dif&'rentes productionsque la nature a femées en fe jouant fur la fuitaace de la terre, ou qu'elle a cachées dans fes entrailles. Plufieurs de ces prétendus favansn'étoient, il eft vrai, que de riches amateurs; mais leurs nom, breufes colledions pouvoient aider le génie indigent, lorfque la mcdiocrité  (22 ) opulente daignoitcommuniquer fes richeffes, & n'étoit pas exclufïve comme ellc 1'eft prefque toujours. II étoit donné a. M. de BufFon d'imprimer ce mouvement a fon flecle. II fut un des grands hommes de cette époque célebrc, ouVoltaire étonnoit le monde par fon univerfalité, Jean Jacques Rouffèau par fon éloquence & la (ïngularitc de fes opinions, Montefquieu par 1'efprit de légiflation, d'Alembert & Diderot par le vafle plan de leur Encyclopédie. Le Pline Francois tient un rang diftingué parmi ces grands-hommes. II eut cela de commun avec le Pline Romain, que fes Maitres & leurs Miniftres le favoriferent toujours, que la fortune le mit a même de fuivre un travail impoffible fans de grands moyens, & que Paiguillon de la gloire vint encore Texciter a parcourir a pas de géant la noble carrière qu'il s'étoit ouverte.  (23) Ami des champs, puifqu'il 1'e'toit de la nature, M. de Buffon paftoit plus de la moitié de fa vie dans fa terre de Montbard, ou il avoit fait conltruire de magnifiques jardins, qu'il avoit peuplés de toutes fortes d'arbres indigenes & exotiques. Ainfi il étoit par-tout environné des objets de fes travaux, & fes délaflemens mêmes les lui rappelloient. Que dis-je ! il trouvoit a Montbard, mieux qu'a Paris, le tems néceffaire pour perfectionner fes idéés, & les couleurs propres a les peindre. Cétoitla, qu'il fe livroit au charme de la : compofition, fous un plus beau ciel, dans le recueillement d'une retraite pro« fonde, qui n'étoit troublée ni par les affaires de la ville, ni par les vifites des importuns. Un pavillon de la plus grande fimplicité étoit le cabinet oü il aimoit a fe trouver feul avec la nature. II y tracoit d'un pinceau ferme de valles  ( 24 ) tableaux, il y faifoit des rêves fublimes Montbard mérite d'être célebre dam 1'Hiftoire des Sciences , comme Ferney dans celle des Lettres. Les étrangers qui voyageoient en Bourgogne n'en approchoient qu'avec une forte de vénération. Un beau moment pour M. de Buffon , fut celui oü 1'Académic Francoife, ce corps illuftre, dont les places font fi briguées, parut defirer de le pofféder dans fon fein. S'il faut en croire quelques perfonnes , on voulut même lui épargnër 1'embarras des vifites & des follicitations. Quoique cela s'accorde affez peu avec 1'ufage confhnt de 1'Académie, toujours accoutuméea être priée, M. de Buffon, qui étoit alors a Montbard, écrivit fon difcours dans le loifïr de fa retraite, & revint a Paris prendre poffeffion de fa place d'Académicien. II eftapréfumer cependant qu'ilremplit les devoirs d'ufage, avant que de prohon- c-er  eer fon difcours de re'ception, que nous allons rapporrer prefque en entier, comme un modele de ftyle qui remplit parfaitement 1'objet que 1'Auteur s'eft propofe' , en choififfant cette matiere de pre'férence. Seulement nous lui ferons un leger reproche fur la première ligne de fon difcours, ou il femble encourir le foupgon de vanité, en difant a. 1'Acade'mie affemble'e: Mejfieurs, vous m'ave{ comblc d'honneur, en ni1 appellant tï vous. II ne falloit peut-être pas dire que PAcadémie nous avoit appelle' a elle. La modeftie fied toujours bien aux grands hommes, & ils doivent eet exemple k tant d'efprits me'diocres, de feparer dans les occafions brillantes d'une vertu qui rend encore plus e'minentes les rares qualite's du ge'nie. Quoi qu'il en foit, voiciles idees vraiment Iumineufes qui font repandues daas cs difcours, oü 1'Auteur qui s'y coni  ( *6 ) noilToic, a eu pour objet de traiter du ftyle. Morceaux extraits du difcours de M. de Buffon, lors de fa réception cl VAcadémie Fran$oife. Il s'eft trouve' dans tous les tems des hommes qui ont fu commander aux autres par la puiffance de la parole. Cc n'eft que dans les fiecles éclairés que 1'on a bien écrit & bien parlé. La ve'ritable éloquence fuppofe 1'exercice du génie & la culture de 1'efprit. Elle eft bien différente de cette facilité naturelle de parler, qui n'eft qu'un talent, une qualité accordée a tous ceux dont les paffions font fortes, les organes Couples & 1'iraagination prompte. Ces hommes fcntent vivement, s'affeftent de même, le marquent fqrtcment au dehors, &  < *7 > par une impreffion puremcnt méchanique , ils tranfmettent aux autres leur enthoufiafme & leurs affeótions. C'eft le corps qui parle au corps; tous le; mouvemens, tous les fignes concourent & fervent égalenjent. Que faut-il pour émouvoir la multitude & l'entrainer ? Que faut-il pour ébranler la plupart des autres hommes & les perfuader ? Un ton ve'he'ment & pathe'tique, des geftes expreffifs & fre'queps, des paroles rapides & fonnantes. Mais pour le petit nombre de ceux dont la tête eft ferme, lc goüt délicat & le fens exquis, & qui , comme vous, Meflïeurs, comptent pour peu le ton, les -geftes & le vain fon des mots; il faut des chofes, des pen-> fées, des raifons, il faut favoir les préfenter , les nuancer , les ordonnet; i ne fuffit pas de frapper 1'oreillc & d'occuper les. yeux, il faut agir fur l'ame öc toucher le cceur en parlant a 1'efprit. Ba  Lc ftyle n'eft crue Pordre & le mouvement qu'on met dans fes penfe'es. Si on les enchaine e'troitement, fi on les ferre, le ftyle devient fort,nerveux Sc concis. Si on les laifle fe fuccéder lentement, Sc ne fe joindre qu'a la faveur des mots , quelqu'e'le'gans qu'ils foicnt , le ftyle fera diftus , lache Sc trainant. Mais avant de chercher l'ordre dans lequel on préfentera fes penfe'es, il faut s'en être fait un autre plus ge'ne'ral, oü ne doivent entrer que les premières vues & les principales idees : c'eft en marquant leur place fur ce plan, qu'un fu-> jet feta cireonfcrit Sc que 1'on en connoïtra 1'e'tendue : c'eft en fe rappellant fans ceffe ces premiers linéamens, qu'on de'terminera les juftes intervalles qui féparent les idees principales, Sc qu'il naïïra des idees acceflbires & moyennes qui f tYirpnt a les remplir. Par la farce dij  (*9 ) génie, on fe rèpréfentera toutes les idéés générales & particiüieres fous leur véritable point de vue; par une grande finelTe de difcernement j on diftinguera les penfe'es ftériles des idees fécondes •, par la fagaciré que donne la grande habitude d'écrire, on fentira#d'avance quel fera le produit de toutes ces opérations de 1'efprit. Pour peu que le fujet foit vafte ou compliqué, il eft bien rare qu'on puifTe 1'embrafler d'un coup d'oeil, ou. le pénétrer en entier d'un feul & premier eftbrt de génie, & il eft rare encore qu'après bien des réflexions, on en faififle tous les rapports. On ne peut donc trop s'en occuper, c'eft même le feul moyen d'affermir, d'étendre 8c d'élever fes penfe'es: plus on leur donnera de fubftance & de force , plus il fera facile enfaite de les réalifer par 1'expreffion. Ce plan n'eft pas encore le ftyle, mais B3  (3©) il cn eft la bafe ; il le foutient, il le dirige, il regie fon mouvement & le foumet a des loix : fans cela, le meilleur Ecrivain s'égare, fa plume marche fans guide & jette a. 1'aventure des traits irréguliers & des figures difcordantes. Quelque brillantes queitfoient les couleurs qu'il emploie , qüelque beafttés qu'il feme dans les de'tails, comme 1'enfemble choquera, ou ne fe fera point fentir , I'ouvrage ne fera point conftruit; & en admirant 1'efprit de l'Auteur, on pourra foupconner qu'il manque de genie. C'eft par cette raifon que ceux qui écrivent comme ils parient , quoiqu'ils patiënt très-bien, écrivent mal; que ceux qui s'abandonnent au premier feu de 1'imagination, prennent un ton qu'ils ne peuvent foutenir ; que ceux qui craignenc de perdre des penfe'es ifolées, fugitives, &c qui écrivent en différens temps des i*orceaux détachés , ne les réuniffent  jamais fans tranfkions forcées; qu*en ütt mot, il y a tant d'ouvrages faits de pie* ces de rapport, Sc fi peu qui foient foiv dus d'un feul jet. Cependant tout fujet eft un; Sc quelque vafte qu'il foit , il peut être renferme dans un feul difcours; les intcrruptions, les repos, les fe&ions ne devroient être d'ufage que quand on traite des fujets différens , ou lorfqu'ayant a parler de chofes grandes, épineufes Sc dilparates, la marche du ge'nie fe trouve interrompue, par la multiplicite des obftacles, Sc contrainte par la néceffite' des circonftances; autrement le grand nonbre de divifions, loin de rendre un ouvrage plus folide, en de'truit 1'aflemblage J le livre en parok plus clair aux yeux, mais le deftein de 1'Auteur demeure obleun u ne Peuc ^'re iinpreftion fur 1'efpvit du Le&eur , il ne peut même fe tairë ientir que par la continuité du fil, B4  par Ia dépendance harmonique des idees, par un développement fucceffif, une gradation foutenue, un mouvement uniforme, que toute interruption détruit óu f it languir. Pourquoi les ouvrages de la nature fcnt-ils fi parfaits ? C'eft que chaque ou^rage eft un tout, & qu'elle trayaille fur un plan étemel dont elle ne s'écarte jamais; elle prépare en fllcnce les gerrnes de fes produftions; elle ébauche par uh acte unique la forme primirive de tout être vivant; elle la développe; elle Ia perfedionne par un mouvement continu , & dans un temps prefcrit. L'ou.-vrage'étonne, mais c'eft 1'empreinte divine dontil porte les traits qui dok nous frapper. L'efprit humain ne peut r-ien créer; il ne produira qu'après avoir été fecondé par 1'expérience & la méditation; fes connoiffances font les germes de fes productions: mais s'il imite la na-  ( 33 ) ture dans fa marche & dans fon travail, s'il s'éleve par la contemplation aux vérités les plus fublimes, s'il les re'unit, s il les enchalné, s'il en forme un fyftêmc par la réflexión , il établira fur des fondemens ine'branlables des monumens immortels. C'eft faute de plan, c'eft pour n'avoir pas aflez réfléchi fur fon objet, qu'un homme d'efpritfe trouve embarrafle', 8c ne fait par ou commencer a e'crire : il appergoit un grand nombre d'ide'es; 8c comme il ne les a ni comparées, ni fubordonnées, rien ne le détermine a préférer les unes aux autres, il demeure donc dans la perple'xité: mais lorfqu'il fe fera fait un plan, lorfqu'une fois il aura raffemblé & mis en ordre toutes les idees 'eflentielles a fon fujet, il s'appercevra aifément de 1'jnftant auquel il doitpren« dre la plumc, il fentira le point de mamme' de la production de 1'efprit, il fera  (34) prefte de k faire éclorre, il n'aura même que du plaifir a eenre; les penfe'es fe fuccéderont aife'ment & le ftyle fera naturel & facile; la chaleur naitra de ce plaifir, fe répandra par-tout, & donnera de la vie a chaque exprellion; tout s'animera de plus en plus, le ton s'e'lcvera, les objets prendront de la couleur, & le fentiment fe Joignant a la lumie're, 1'augmentera , le portera plus loin, le fera pafter de ce que 1'on dit a ce que Ton va dire, & le ftyle deviendra intéreffant & lumineux. Rien ne s'oppofe plus a la chaleur que le defïr de mettre par-tout destraits faillans; rien n'eft plus contraire a la lumiere qui dcit faire un corps & fe repandre uniforme'ment dans un écrit, que les étincelles qu'on ne tire que par force en choquant les mots les uns contre les autres, & qui ne vous éblouiffent pendant quelques inftans, que geur  (35) vous laifTer enfuice dans les ténèbres. Ce font des penfe'es qui ne brillent que par Poppofuion, Ponne préfenre qu'un cóté de Pobjet, on met dans Pombre toutes les autres faces, & ordinaire ment ce cóté qu'on choifit eft une pointe, un angle fur lequel on fait jouer 1'efprit avëc d'autant plus de facilité, qu'on Péloigne davantage des grandes faces fous lefquelles le bon fens a coutume de confidéret les chofes. Rien n'eft encore plus oppofé a la véritable éloquence que 1'emploi de ces penfées fines, & la recherche de ces idéés légeres , déliées , fans confiftance, öc qui, comme la feuille du métal battu, ne prennent de Péclat qu'en perdant de la folidité: aufïï plus on mettra de eet efprit mince & brillant dans un écrit g moins il y aura de nerf, de lumiere „ de chaleur & de ftyle, a moins que eet efprit ne foit lui-même le fond du fujets B 6 ,  C 3°" ) & que 1'e'crivain n'air pas eu d'aüfrrf objet que Ja plaifanterie; alors Pare de dire de petites chofes devient peut-être plus difficile que Part den dire de grandes. Rien n'eft plus oppofe' au beau naturel , que la peine qu'on fe donne pour exprimer des chofes ordinaires ou communes d'une maniere finguliere ou pompeufe; rien ne dégrade plus Pécrivain. Loin de Padmirer, on le plaint d'avoir pafte tant de temps a faire de nouvelles combinaifons de fyllabes pour ne dire que ce que tout le monde dit. Ce de'faut eft celui des efprits cultive's, mais fte'riles; ils ont des mots en abondance, point d'idées; ils travaillent donc fur les mots, & s'imaginent avoir combine des idees paree qu'ils ont arrangé des phrafes, & avoir épuré le langagcquand ils Pont corrompu en de'tournant les acceptions. Ces écrivains n'onr point de  (37) ftyle, ou Ci Pon veut, ils n'en ont que l'ombre;.le ftyle doit graver des penfe'es, ils ne favent que tracer des paroles. Pour bien écrire, il faut donc pofféder pleinement fon fujet , il faut y réflechir aftez pour voir claireraent Pordre de fes penfe'es, & en former une fuite, une chaine continue, dont chaque point repréfente une idee 5 & lorfqu'on aura pris la plume, il faudra la conduire fucceffivement fur ce premier trait, fans lui permettre de s'en écartér , fans Pappuyer trop ine'galement, fans lui donner d'autre mouvement que celui qui fera déterminé par Pefpace qu'elle doit parcourir. C'eft en cela que confifte la févérité du ftyle, c'eft auffi ce qui eh fera Putilite', & ce qui en re'glera la rapidite'; & cela feul aufïï fufEra pour le rendre précis & fimple, égal & clair, vif & fuivi. A cette première regie dictee par le génie, fi 1'on joint de la dé-  ( 38 ) iicatciTe & du goüc, du fcrupule fur le choix des exprelfions, de Pattention a ne nommer les chofes que par les termes les plus généraux , le ftyle aura de la. nobleiTe. Si Pon y joint encore de la de'fiance pour fon premier mouvement, du mépris pour tout ce qui n'eft que brillant, & une répugnance conftante pour 1'équivoque & la plaifanterie, le ftyle aura de la gravité, il aura même de la majefté. Enfin fi Pon écrit comme Pon penfe, fi Pon eft convaincu de ce que Pon veut perfuader, cette bonne foi avec foi-même, qui fait les bienféances pour les autres & la vérité du ftyle, lui fera produire tout fon effet, pourvu que cette perfuafion inférieure ne fe marqué pas par un enthoufiafme trop fort & qu'il y ait par-tout plus de candeur que de confiance, plus de raifon que de chaleur. Ceft ainfi, Meffieurs, qu'il me fem-  ( 39 > bloit, en vous lifanr que vous m'inftruifiez; mon ame, qui recueilloit avec avidité ces oracles de la fagcffe, vouloit prendrc reflbr, & s'élever jufqu'a vous : vains efforxs! Les regies, diiïez-vous encore rne peuvent suppleer au ge'nie; s'il manque , elles feronr inutiles. Bien eenre , c'eft tout-a-la-fois bien penfer, bien fencir & bien rendre, c'eft avoir en même-tems de 1'efprit, de 1'ame & du goüt ; le ftyle fuppofe la réunion & Pexercice de toutes les faculte's intellectuelles; les idees feules- forment le fond du ftyle , 1'harmonie des paroles n'en efth que 1'acceflbire , Sc ne dëpend que de la fenfibilité des organes. II fuffit d'avoir un peu d'oreille, pour e'viter les diflbnances des mots; & de 1'avoir exercée , perfedionne'e par la lecture des Poetes Sc des Orateurs, pour que méchaniquement on foit porté a 1'imitation de la cadence poétique Sc des tours oratoires. Or jamais  . (4° ) I'imitation n'a rien cre'e'; aufïi cette har- monie des mots ne fait ni le fond, ni le ton du ftyle, & fe trouve fouvent dans des e'crits vuides d'ide'es. Le ton n'eft que la convenarice du ftyle a la nature du fujet; il ne doit jamais être force' ; il naltra naturellement du fond même de la cliofe, &c de'pendra beaucoup du point de ge'ne'ralite' auquel on aura porté fes penfe'es. Si 1'on s'eft élevc aux idees les plus generales, & fi l'objet en lui-même eft grand, le ton paroitra s'e'lever a la même hauteur; & fi, en le foutenant a cette élévation , le ge'nie fournit aflez pour donnera chaque objet une forte lumiere, fï 1'on peut ajouter la beauté du coloris a 1'énergie du deffin , fi 1'on peut, en un mot, repréfenter chaque idéé par une image vive & bien terminée, & fonner de chaque fuire d'ide'es un tableau harmonieux & mouvanr, Ie ton fera non-feulement élevé, mais fublime.  ( 4* ) lei, Meffieurs, 1'application feroit plus iquela regie, les exemples inftruiroient trnietix que les préceptes-, mais comme il ne m'eft pas permis de citér les morceaux fublimes qui m'ont fi fouvent tranfporté >en iifant vos ouvrages, je fuis contraint ;de me borner a des réflexions. Les ouvrages bien écrits feront les feuls qui paiTeront a. la poftérité; la multitude des connoiffartces, la fingularite' des faits, la rnouveauté même des découvertes , nc ■ font pas de fürs garans de 1'immortalité; ft les ouvrages qui les contiennent ne roulent que fur de petits objets, s'iis font écrits fans gout, fans nobleife & fans génie, ils périront, paree que les connoifiances , les faits & les découvertes s'élevent aifément, fe tranfportent , & gagnent même a être mifes en oeuvre par des mains plus habiles. Ces chofes font hors de 1'homme, le ftyle eft 1'homme jnême. Le ftyle ne peut donc ni s'élever ,  ( 4* } ni fe tranfporter, ni s'altérer; s'il eft e'leve', noble , fublime, 1'Auteur fera e'galemenc admire' dans tous les tems; car il n'y a que la ve'rite' qui foit durable, 8c même étemelle. Or, un beau ftyle n'eft tel en effct: que par le nombre infini de ve'rite's qu'il pre'fente. Toutes les beautés intelleótuelles qui s'y trouvent, tous les rapports dont il eft compofé, font autant de véritésaufti utiles, 8c peut être plus précieufes pour 1'efprit humain , que celles qui pcuvent faire le fond du fujet. Le lublime ne peut être que dans les grands fujets. La poëfïe, 1'hiftoire 8c h philofophie ont toutes le même objet, & un ttès-grand objet, 1'homme 8c la nature. La philofophie décrit & dépeint la nature; la poefie la peint 8c 1'embellit, elle peint auflï les hommes, elle les agrandit, elle les exagere, elle crée les Héros & les Dieux. L'hiftoire ne peint que 1'homme & le peint tel qu'il eft:  ( 43 ) ainn le ton de 1'Hiftorien ne deviendra fublime, que quand il fera le po mandes plus grands hommes, quand il expofera les plus grandes adxions, les plus grands mouvemens , les plus grandés révolutions , & par-tout ailleurs il fuffira qu'il foit majeftueux & grave. Le ton du Philofophe pourra devenir fublime toutes les fois qu'il pariera des loix de la nature, des êtres en géne'ral, de Pefpace, de la matiere, du mouvement & du terrts, de 1'ame, de 1'efprit-humain, des fentimens , des paflïons. Dans le refte, il fuflira qu'il fok noble & #evé. Mais le ton de 1'Orateur ou du Poëte , des que le fujet eft grand, doit toujours être fublime , paree qu'il eft le maitrc de joindre a la grandeur du fujet autant de couleur, autant de mouvement, autant d'illufion qu'il lui plak, & qui devan t toujours peindre & toujours agrandir fes objets, doit auflï , par-tout,  ( 44) cmployer toute la force & déployer toute 1'étendue de fon ge'nie. C^UAND M. de BufFon.étoit a Paris, les devoirs de fa place, les bienféances de la fociété ne lui laiffoient pas le même loifir; mais fon ame aótive n'étoit pas moins occupéê. Habile dans 4'art d'intérefFer le Gouvernement aux pro- orès de fa fcience favorite , il mettoit o de la profufion, du luxe même a enrichir le fuperbe cabinet du Jardin du Roi. 11 auroit voulu en faire le temple de la nature, & le décorer de toutes les" efpeces d'animaux répandus dans 1'univers, & d'échantillons de toutes les produdions que la terre montre fur fa furface ou recele dans fon fein. Ses vues, a eet égard, étoient vrairhént fublimes, & il a manqué a fes moyens & non a fa gloire qu'elles n'aienr point été rem-  ( 45 ) plies. Du refte il mie tous les pays; { tous les Souverains a contribution; les , vaifleaux lui rapportoient, de leurs courtfes lointaines, des richefles d'un genre : qu'il aimoit, & dans Fes horreurs même :de la guerre , ces richefFes défendues par jfon nom, e'toient refpeótées. Grace a fes jfoins, le cabinet du Jardin du Roi deIvint le plus magnifique & le plus comiplet de PEurope, Ce fut une nouvelle Jraifon pour les Etrangers de fréquenter ;une Capitale qui leur offre des fpectajcles fi variés. C'étoit bien le moins qu'il y en eut un pour les fciences qui nous ivengeat du reproche de frivolité dont t:pn nous charge en tant d'autres chofes. Le Jardin du Roi étoit circonferit i avant lui dans une efpacc affez refferré; il n'y avoit pas même d'efpoir de PaI grandir, paree que des propriétés facrées Wé mettoient obftacle. M. de BufFon coni|ut le prajet de lui faire franchir ces  (4* ) barrières oü 1'on tenoit comme captives tan: de plantes deftinées a avancer les progrès de la botanique , ceux de la médecine, & a fatisfaire 1'ceil des curieux. II acquit de i'Abbaye de Saint Vi&or un vafte terrein ignoblement occupé par des chantiers qu'on pouvoit tout auffi bien tranfporter ailleurs. De belles alle'es s'ouvrirent, de nouveau* dépots furent formés en faveur des plantes , & ce quartier trop long-temps négligé dans cette immenfe Capitale, devint, grace a M. de BufFon , le théatre de la véritable fcience. Cc grand génie accablé , pour ainfï dire, de tous les lauriers de la gloire, eut cependant fes contradióteurs. Plufieurs trouvoient que fon ftyle n'étoit pas toujours au niveau de fon fujet, ni auffi varié que les modeles qu'il vouloit peindre. D'autres lui reprochoient de ï'empliafê, défaut capable de gater lei  i 47 ) meilleures chofes, fi M. de BufFon e» avoit e'té convaincu. On fe rappelle rcncore la plaifanterie de M. de Voltaire, ( bon juge d'ailleurs , quand il étoit fans paflion, ) qui jouant fur le mot d'hiftoire naturelle , difoit en riant , pas fi naturelle. Le même Auteur n'étoit pas plus indulgent pour les fyftêimes de M. de BufFon ; il s'en eft cxpliiqué afFez libremeht dans ces vers r iEt les mers des Chinois font encore étormées , D'avoir par leurs courans, fermé le s Pyrénés. D'autres perfonncs célebres 1'accujfoient d'avoir fait le roman plutot que ll'hiftoire de la nature; ils rrouvoient ;dans fes ouvrages beaucoup de faits ha» ^fardés, dont 1'imagination feule de 1'ililuftre Auteur étoit le garant. Sans doute :ces critiques étoient beaucoup trop féiveres : ce reproche qui , chcz des Frangois , pouvoit paffer pour être un JefFet de la jaloufie de métier, dont les  ( 4* ) favans ne font pas plus exempts que let autres , devenoit plus grave dans la bouche des étrangers qui fouvent ne le lui épargnerent pas: mais tout le monde rendoit juftice a la beauté' de fon ftyle, & c'eft ici fur-tout que 1'on pouvoit dire que la forme emportoit ld fond. Ceux qui ont connu M. de BufFon, favent combien il e'toir ennemi des intrigues & des cabales; auffi n'aimoit-il point les intrigans & les cabaleurs. II en eft dans les focie'te's litte'raires comme par-tout, 8c c'eft ordinairement le parrage de la me'diocrité de s'agiter par le intrigues pour arriver a la renommee. Le ge'nie de'daigne ces petits moyens^ mais le propre des intrigans eft de chercher a mortifier le ge'nie, 8c il n'eft pas étonnant que la fenfibilite' d'un grand homme en foit quelquefois vivement bleflee. C'étoit peut-être ce qui avoit ai- 8ri  ( 49 ) gri M. de BufFon contre certains efprics qui Paccufoient de ne vouloir poinc faire corps avec eux. Ils lui reprochoievit (nous fommes porce's a croire que c'ctoit fans fondement) d'avoir ambitionné des titres d'honneur qu'un homme de lettres ne me'prife point, mais dont il peut fe paffer : 1'humeur de 1'Hiftorien de la nature e'clara dans une lettre de. venue trop ce'lèbre, & qu'il fut bien fache' qu'on fe fut tant haté de faire im. primer. Nous favons de très-bonne part que 1'intention de 1'Auteur n'e'toit pas qu'clle fut rendue publique, quoique les motifs qui 1'avoient dictee n'eufFent rien que de bien refpectable en eux-mêmes. Toutefois comme elle e'toit faite pour irriter ceux qui' y e'toient de'figne's, on ne penfe point que M. de BufFon eüt voulu affliger fes derniers jours par des querelles qu'il n'aimoit pas. La fenfation que cette lettre occafïonna dans le pu- c  ( v ) blic, eut encore cela de facheux pour l'illuftre ocroge'naire que des impudens fe pennirent de vouloir le rourner en ridicule dans un pamphlet dont 1'odieux retornba, comme on fent bien, fur ceux qui en e'toient les auteurs. Cette fameufe lettre donna lieu a une grave difcufïïon de Grammaire , pour laquelle il y eut des paris. II s'agiffoit de favoir fi M. de Buffon n'avoit pas fait une faute de francois, en employant le mot échapper dans une fignification adtive, comme on le voit dans cette phrafe de la lettre a M. la M, de S : tous n'avcz pas échappé aucuns des rraits qui les cara&érifent ( il veut parier des philofophes.) M. de Buffon réponiit a la perfonne qui avoit perdu le pari pour de'fcndre 1'expreffion , par cette» lettre que nous allons tranferire en entter , & dont nous garantifTons rauthenticité,  (U) " » M, de Buffon a regu la lettre que M. * * lui a fait 1'honneur de lui c'crire. II convient qu'il n'a jamais e'tudie' la Grammaire ; mais il penfe qu'un verbc neutre peut quelquefois devenir actif, fur-tout quand il fert a bien exprimec une penfe'e. II eft vrai que cela n'eft pas du reffort de la Grammaire, qui ne s'eft jamais occupe'e que des mots , comme on le voit par une infinite' de livres qui n'expriment rien , quoique très-correétement écrits. M. de Buffon remercie M. ** de toutes les honnêtetés qu'il veut bien lui dire a ce fujet, Sc il I'invite a ne plus parier fur fa parole , paree qu'il eft toujours dangereux de plaider devant des Juges pour qui la forrne eft tout, & le fond tres- peu de chofe >.». On voit par cette lettre, que l'illuftre Académicien Frangois auroit même ré«ufc en pareil cas le jugement de fa Cz  compagnie ; le fentiment de *fa fupériorité le rendoit jaloux de fes fautes mêmes. On dit qu'il aimoit beaucoup la louange; foibleffe pardonnable a ceux qui ont tourmenté leur vie pour captiver Popinion publique; les efforts continuels qui nous ont valu une grande re'putation , trouvent leur récompenfe dans les louanges qui la conftatent. Perionne n'avoit plus laborieufement travaillé que M. de BufFon , a perfecT-ionher Ton ftyle; il difoit lui-même que le ge'nie n'étoit qu'une grande aptitude a la patience : d'après cela , il évaluoit fes ouvrages au prix -qu'ils lui avoient coüté, & Popinion générale lui dennoit le droit de les eftimer beaucoup. Mais s'il étoit fenfible a la louange , ciuel homme a jamais recu des hommages aufll flatteurs de la part des Seuverains, qui tous fe font empreflés  (53) de lé vifiter, quand ils font vènus eil •France , & qui du fond du Nord, comme du Midi de PEurope, lui ont donné des marqués diftinguées de leur eftime ? Des Poè'tes éélebres lui rendirent hommage ; rien ne flattoit fi délicieufement fon coeur. Les Poetes qu'un grand talent tire de la foute, font peut-être ce que le mérite, qui aime les louanges , doit le plas ambitionner d'avoir pour foi; moins ils prodiguent Pencens, & plus la vapeur en eft douce. Auffi M. de Buffon aimoit-il a voir fon immortalicê s'aflbcier a celle de PAuteur du Poè'mc de la nature. II lui avoit déja infpiré des jyr, lc Biu.ij Odes pleines de verve ; cV il auroit defiré jouir avant fa mort de la publication du grand ouvrage du même 'Auteur, qui, en travaillant fur le même fonds que lui, devoit être a fon égard ce que Lucrece avoit été pour Epicure. C3  M. de Buffon, avec une figure noble & impofante , avoit un cara diere & une converfation qui annoncoicnt beaucoup de fimplicité dans les mceurs: cependant il donnoit beaucoup a la repréfentation extérieure ; il penfoit que Pidée qu'on prend d'un homme dc'pend beaucoup de la maniere dont il eft vêtu, dont il fe pre'fente; dela ce goüt qu'il avoit pour la magnifkence des habits ; goüt juftifie' en quelque 'forte par 1c rang qu'il tenoit dans le monde , & par la repre'fentation a laqueüe il fe croyoit tenu par fa place. Mais je fuis fiché qu'un homme qui fe vante dV voir été dans fa fociété intime^nous ait appris dans le Journal de Paris , qu'il faifoit paffer fes cheveux au fer tous les jours, & qu'il préfcroit pour cette partie de fa toilette , un perruquier de la Ville a fon valet-de-chambre, a Paris comme aMontbard. La raifon que Pon  (ai* donnê de cette prcférence , c'eft ie plai» fir qu'il avoit d'apprendre des nouveiles, .dönt ces Mcflieurs font toujours bieri pourvus, &C de lier une converfation fuivie avec fon baigneur, qui le tenoic fort long-temps fur fa chaife, En vérité, c'eft dégrader la mémoire des grand* hommes que de donner place dans kur nécrologe a de feinblables puérilités. Si M. de Buffon paffoit trop de temps X fa toilette, s*il mettoit trop de rrcherche„dans fon extérieur, c'eft un ridicule qu'il falloit laiiTer tomber dans Poubli. II eft rare que le génie ait de paleilles foibleffes; le foin de fa parure Poccupe peu ; il connoit trop le prix du temps, & Paftedtation en ce gente, même dans un grand homme , n'eft pa.; un exemple a propofer aux gens de lettres. M. de Buffon avoit afïbcié a fes tra* vaux fur Phiftoire naturelle, MM. d' A \J-  i- 'fïO benton & Gucneau de Montbelliard ; o» fait la part confïdérable que M. d'Aubenton a cue a ce grand ouvrage, dont il a fourni toute la partie anatomique , tandis que M. de Buffon fe réfervoit celle du ftyle. M. de Montbelliard & M. 1'Abbé Bexon , Chanoine de la Sainte-Chapelle , ont travaillé a quelfjues volumes dont les morecaux parurent ft bien faits, qu'on les crut dc M. de Buffon lui-même : ce qui prouverok tout au moins que le genre de fon ftyle pouvoit aife'ment être imité. Mais les vrais connoiffeurs feront toujours la différence dc fa plume & dc cell.e de fes coopératcurs. Ce grand homme étoit depuis longtemps attaqué de la pierre, & il y a apparence qu'il eut prolongé fes jours , s'il cfk pu confentk a fubir la doulourcufe opération de la taille. Le decteur Portal , 1'un des Médecins les plus cé-  (57) lebres de la Capicale , lui a continue les foins les plus affidus , pendant tout le temps qu'il a été' tourmenté de fes maux, A 1'ouverture de fon corps,'on a trouvé cinquante-fept pierres dans la . vffie. C'eft ainfi qu'il a terminé fa vie dans le mois d'Avril de cette année , 3. Page de quatre-vingt ans Sc demi : fon convoi a été honoré par .la préfence d'une foule ds gens de lettres Sc de perfonnes d'un rang diftingué. A Londres, on lui auroit rendü les honneurs qu'on rend aux Rois après leur mort. II eut été porté en pompe dans 1'Abbaye de Weftminftcf, qui eft le Saint-Denis de ce pays-la. Ses fentiffients fur la Religion n'étoient point équivoques, quoiqu'on eut dirigé contr£ lui dans le temps, des attaques qui Pauocioicnt a d'autres noms également célebtes , également fufpectés de fentiments peu refpe&ueux fut  des arcicles délicats. Mais M. de Buffon , en voyant te monde en naturalifte , n'eut jamais 1'inrention d'ébranler les bafes facrées fur lefquelles repoftnt 1'efpe'rance & la tranquillité dc» psupks. La maniere dont il fe conduifok dans fa terre de Montbard , i'hommage public qu'il a rendu a la Religion dans fes derniers moments, le mettent z couvert de tout reproche; il eft mort en Philofophe Chrétien, & 1'ide'e fublime d'un avenir qui perfedlionne les connoifïances bornées de cette vie, eft le dernier objet fur lequel fes regards mourans fe font arrêtés.  ( 5?) Analyfe du difcours fur la théorie de la terre. C'E globe immenfe nous orfre a Ta furface , des hauteurs , des profondeurs , des plaines , des mers, des marais , des fleuves, des cavernes , des gouffres, des volcans ; & a la première infpedtion , nous ne de'couvrons en tout cela aucune régularité, aucun ordre. Si nous pénétrons dans fon intérieur, nous y trouvons des métaux , des minéraux , des pierres,- des bitumes, des fables , des terres,des eaux & des matieres de toute efpece, placées comme au hafard & fans aucune regie apparente : en examinant avec plus d'attention, nous voyons des montagnes affailTées , des rochers fendus 8c brifés, des contrées englouties , des ifles nouvelles, des terreins fubmergés , des cavernes comblées ; nous trouvons C6  ' '(6o) des matieres pefantes fouvent pofées fur des matieres légeres, des corps durs environne's de fubftances molles, des chofes feches, humides, chaudes, froides, folides, friables, toutes mêlées & dans une efpece de confufion qui ne nous préfente d'autre image que celle d'un amas de débris & d'un monde en ruine. Cependant nous habitons ces ruines avec une»entiere fécurité; les générations d'hommes, d'animaux, de plantes , fe fuccedent fans interruption; la terre fournit abondamment a leur fubfïftanc»; la mer a des limites & des loix, fes mouvements y font affojettis ; Pair a fes eourans régies, les faifons ont leurs re: ours périodiques & certains ; la verdure n'a jamais manqué de fuccéder aux frimats;tout nous paroit être dans Por— dre; la terre qui 'tout-a-l'heure n'étoit qu'un cahos, eft un féjour délicieux oü regnent le ealtr.e & Pharmonie, oü tout  (6i) eft. anime' & conduit avée une puiffance. Sc une intelligence qui nous rempliftent d'admiration, & nous élevent jufqu'au •Créatcur. BufFon nous exhorte enfuite a ne plus nous prefter de prononcer fur la nature ctece globe que nous connoiffons fi imparfaitement; il veut qu'auparavant nous confïdérions ce qui s'y pafte. — II faut donc nous borner a examiner Sc i de'crire la furface de la torre , & la petite épaiffeur inte'rieure dans laquelle nous avons pe'ne'tré. La première chofs qui fe pre'fente , c'eft 1'immenfe quantité d'eau qui couvre la plus grande partie du globe ; ceseaux occupent toujours les parties les plus baffes ; elles font auflï toujours de niveau, & elles tcndent perpctuellement a 1'équilibre & au repos. Ccpendant nous les vojons agite'es pat une forte puiflance , qui s'oppófant a la 'tranquillité'de eet élément , lui jmprime  ( 6*i ) un mouvement périódique Sc régie , fouleve & abbaifle alternati vemen t les flors , & fait ua balancement de la maffe totale des mers, en les remuant jufqu'a^ la plus grande profondeur. Nous fayons que ce mouvement eft de tous les temps, & qu'il durera autant que la lune Sc le foleil qui en font les caufes. Confïdérant enfuite le fond de la mer, nous y remarqsons autant d'inégalités que fur la furface c!e la terre;nous j trouvons des hauteurs, des vallées, des plaines, des profondeurs, des rochers , des terreins de toute efpsce; nous voyons que toutes les iflcs ne "font que les fommets de vaftes montagnes, dont le pied Sc les racines lont convertes de l'élément liquide; nous y rrouvons d'autres fommets de montagnes qui font prefque a fleur d'eau ; nous y remarquons des cojrans rapides qui femblent fe fouttraire au mouvement général : cn les  ( *3 > voit fe porcer quelquefois conftamment dans la même direction , quelquefois re'rrograder & ne jamais excéder leurs limites , qui paroiffent auffi invariables que celles qui bornent les efforts des fleuves de la terre. La font ces contre'es orageufes oü les vents en fureur pre'cipitent la tempête , oü la mer & le ciel également agités, fe choquent & fe confondent; ici font des mouvemehs inIteftins; des bouillonnemens, des trombes & des agitations extraordinaires caufe'es par des volcans dont la bouche fubmerge'e vomit le feu du fein desondes, & pouffe jufqu'aux npes une e'pailTe vapeur mêle'e d'eau, de foufrre & de bitume. Plus loin je vois ces gouffres iont on n'ofe approcfoer, qui femblent ittircr les vaiffeaux pour les cngloutir; lu-deia j'appercois ces vaftes plaines toujours calmes & tranquilles, mais tout auffi dangereufes, oü les vents n'ont ja-  mais exercé leur empire , oü 1'art du nautonier devient inutile , oü il faut refter & pe'rir ; enfin, portant les yeux jufqu'aux extre'mite's du globe , je vois ces glacés e'normes qui fe détachent des continents des poles, & viennent comme des montagnes flottantes, voyager & ie fondre jufques dans les re'gions tempe'rées. Voila leis principaux objets qne nous offre le vafte empire de la mer; des milliers d'habitants de differentes efpeces, en peuplent toute 1'étendue ; les uns couverts d'écailles légeres, en traverfent avec rapidité les différents pays ; d'autres chargés d'une épaiffe coquille , fe trainent pefamment & marqueni avec lenteur leur route fur le fable ; d'autres a qui la nature a donné des naseoires en forme d'ailes , s'en fervent o * .. ^ I pour s'élever & fe foutenir dans les airs; d'autres enfin a qui tout mouvement a  1 < *ï> ■itc refufé, crbiflent & vivent attachés ; aux rochers; tóus trouvent dans eet c'lé■mënt leur pature ; le fond dc la mer ■éroduit abondamment des plantes, des iimouffes , des ve'ge'tations encore plus t r.fingulieres; le terrein de la mer eft dc ■ fable, de gravier , iouvent de vale, Iquelquefois de terre ferme, de coquiliBages , de rochers , & par-tout il refi ifemble a la terre que nous habitons. — L'Auteur voyage enfuite fur la partie i .feche du globe : parmi les varie'te's qu'il • y remarque, il obferve principalemcnt ; .que les grandes chames de montagnes ,"fe trouvent plus voifines de 1'e'quateur i que des poles ; quê les montagnes onc ;:des direótions fuivies & correfpondari. tes, de forteque les angles faillans d'une t montagne fe trouvent toujours óppöles ij. aux angles rentrans de la montagne i: voifine, qui en eft feparce par un vallon ou par une profondeur; que les colli-  ( 66 ) nes oppofc'es ont toujours a très-peu- pres ]a même hauteur ; que la direccion des grands fleuves eft prefque perpendiculaire k la mer oü ils ont leur embouchure; que les rivages de la mer font ordinairement borne's de matieres dures, ou bien de terres & de fables qu'elle a accumulés, ou que les fleuves ont amencs ; que les cötes voi/ines, que la mer fépare par un bras ou un petit trajet, font compofées de lits de mêmes matieres range's de même; que les volcans fe trouvent tous dans les hautes montagnes ; qu'il y en a d'e'teints; que d'autres ont des correfpondances fouterraines, & que leurs explofions fe font quelquefois en même-temps. — J'appercois une correfpondance femblable'entrecertains lacs & les mers voifines : ici font des fleuves & des torrens, qui fe perdent tout-a-coup , & paroiffent fe pre'cipiter dans les entrailles de  (67 ) la terre. La eft une mer inte'rieure oh fe rendent cent rivieres qui y portent de toutes parts une énorme quantits d'eau, fans jamais augmenter ce lac irr> menfe qui femble rendre par des voies fouterraines tout ce qu'il recoit par fes bords; & chemin faifant, je reconnois aifément les pays anciennement liabités; je les diftingue de ces contrées nouv elles oü le tetrein paroit encore tout brut, oü les fleuves font remplis de cataraétes, oü les terres font en partie fubmergées, marécageufes ou trop arides, oü la diftribution des eaux eft irréguliere, oü des bois incultes ceuvrent toute la furface des terreins qui peuvent produire. L'Auteut entre enfuite dans le détail de ce qu'il voit dans le globe que nous habitons. II voit par-tout une même fubftance envelopper le globe. Ce qui ïert a faire crokre & a nourrir les vé-  ( $Ó .getau:: & les aiumaux, n'eft qu'un compofe' de parties animales & . ve'gétales de'rruites, ou plutót re'duites en petites .parties, dans lefquelles 1'ancienne organifarion n'eft pas fenfible. II parle enfuite des couches forme'es dans 1'intcrieur de la terre, des marbres, des pétrifications fans nombre qu'on trouve fouvent par grandes couches dans toute la terre. II raifonne ü-denus, & dit que fclon toute apparence/les eaux de la mer ont autrefois fe'joumé. fur cette terre: car eomment expliquer fans cela les phcnomenes qui nous frappent dans 1'intêrieur de la terre ? II ajoüte que le de'luge ne fauroit avoir produit tout cela, & qu*il a fallu ne'ceffairement pluneurs fiecles de fe'jour a la mer pour former ces maftès de rochers 8c ces lits de coquülages: d'ailleurs , le de'luge auroit tout mis en confufion , au lieu que les cou-  (69) ches en queftion font pofe'es parallelement & de niveau. Ces couches font forme'es par la mer qui mine les matieres de fes rivages, quelques dures qu'elles foient. Ce font des fédimens que les eaux tranfportent. parallelement. S'ilfetrouve des coquilles dans 1'endroit de la mer oü fe fait le depót, les fédimens couvriront ces coquilles, & les incorporeront dans les couches de cette matiere dépofée. Les flux & les reflux, les vents &c toutes les autres caufes qui peuvent. agiter la mer, doivent produire par le mouvement des eaux, des éminences & des iné'^alités dans le fond de la mer. ö Ces inégalités venant a former des collines, les courans d'entre deux fuivront la même direétion que les fleuves de la terre. — Peu a peu les matieres molles , dont les éminences étoient d'a* bord compofées , fe feront durcies par  <7°) leur propre poids; les «nes formées de parties purement argilleufes, auront produit ces collines de glaife qu'on trouve en tant d'endroits ; d'autres compofées de parties fablonneufes & chryftallines ont fait ces énormes amas de rochers & de cailloux d'oü 1'on tire le cryftal & les pierres pre'cieufes; d'autres faites de parties pierreufes mêlées de coquilles, ont formé ces lits de pierres & de marbres oü nous retrouvons ces coquilles aujourd'hui 5 d'autres enfin compofées d'une matiere encore plus coquilleufe & plus terreftre , ont produit les marnes , les craies & les terres; toutes font pofées par lits i toutes contiennent des fubftances hétérogenes; les débris des productions marines s'y trouvent en abondance & a. peu prés fuivant le rapport de leur pefanteur ; les coquilles les plus légeres font dans les craies, les plus pefantes dan les argilles & dans les pierres, &c elle  ( 7i ) Tont remplies de Ia matiere même des :pierres & des terres oü elles font ren«fermées; preuve inconceftable qu'elles ont : été tranfporrécs avec'la matiere qui les jenvironne &c qui les remplit, & que cette min'ere étoit réduite en particules limpalpables: enfin toutes ces matieres , dont la fituation s'eft établic par le niveau des eaux de la mer, confervent icncore aujourd'hui leur première pofition. — L'Auteur répond enfuite a 1'objectioa itirée de la plupart des collines dont le fommet étant de rocher, la bafe eft de iiraatieres plus légeres. II explique cela ipar les premières opérations des eaux iqui en rongeant leurs rivages , auront 'd'abord tranfporté la glaife ou le fable iqui faifoit la première couche des cótes ou du fond de la mer; ce qui aura proiduit au bas une éminence toute de fable 'Sc de glaife, Après cela, les eaux ayant  (7*) détaché en pouflïere impalpable les ma-,' tieres plus fermes qui fe feront trouvées i au-deflous de ces premières couches de : glaife & de fable, elles en auront formé ■ les rochers &les carrières qui fe trouvent; au-delfus des collines. — Dans les couches que les rivieres ont: forme'es, on trouve des coquilles fluvia- ■ tiles; mais il y en a peu de marines, &: le peu qu'on y en trouve eft brife', de'- ■ placé, ifolé; au lieu que dans les couches s anciennes, les coquilles marines fe tros-* vent en quanrité; il n'y en a point de i fluviatiles, & ces coquilles de mer y font a bien confervées & toutes placées de laj même maniere comme ayant été tranf-j portées & pofées en même-temps par lal ïnême caufe. — — Le mouvement général du flux &J da rerlux a donc produit les plus grandesj montagnes qui fe trouvent dirigées d'0>| cident en Oriënt dans Panden continent,  (73) A' du Nord au Midi dans le nouveau ; dont les chaines font d'une étendue trèsconfidérable; mais il faut attribuer aux mouvemens particuliers des courans, des vents & des autres agitations irrégulieres. de la mer, 1'origine de toutes les autres montagnes. — Mais comment eft-il arrivé' que cette terre que nous habitons, que nos ancêtres ont habite'e comme nous, qui de temps imme'motial, eft un continent fee, ferme & éloigné des mers, ayant été autrefois un fond de mer, foit actuellement fupérieure a toutes les eaux, & en foit fi diftinclement féparée > Pourquoi les eaux de la mer n'ont-elles pas refté fur cette terre, puifqu'erles y ont féjourné lï long-temps ? Quel accident ■ quelle caufe a pu produire ce chan^e! ment dans le globe ? Eft-il même poflible d'en coneevoir une aflez puiflante pour opérer un tel effet ? — D  (74 ) ■L'Auteur tient lesjndu&ions fuivantes pour des raifons très-plauiibles de ces changemens. Nous vovons tous les jours la mer gagner du terrein dans de certaines cötesi, & en perdre dans d'autres ; nous fav ons que 1'Océan a un mouvement gér*M & continuel d'Orient en Occident; nous entendons de loin les efforts fenfibles que la mer fait contre les- bafTes terres & contre les rochers qui la bornent; nous connoiffons des Provinces entieres oü on eft obligé de lui oppofer des digues, que 1'induftrie humaine a bien de la peine a foutenir contre la fu, reur des flots; nous avoris des exemples dc pays ré«emmeni fubmerge's, & de débordernens réguliers; 1'hiftoire nous parle d'inondations encore plus grandes & de déluges: tout cela ne doit-il pas nous porter k croire qu'il eft en effet arrivé de grandes révolutions fur la furface d«  (75 ) la' terre, & que la mer a pu quitter &C laifler a de'couvert la plus'grande partie des terres qu'elle occupoit autrefois —.... — Mais il y a bien d'autres caufes qui concourent avec le mouvement continueI de la mer , d'Orient en Occident, pour produire 1'effet dont nous parloi s. Com~ bien n'y a-t-il pas de terres plus bafies que le niveau de la mer, & qui font de'fendues pas un ifthme , un banc de rpchers, ou par des digues encore plus foibles? L'efTort des eaux de'truira peu a peu ces limites , & dès-lors ces pays feront fubmergc's. De plus, ne fait-on pas que les montagnes s'abaiiTent continuellcment par les pluies qui en de'tachent les terres , & les entrainent dans les valle'es ? Ne fait-on pas que les ruifteaux roulenc les terres des plaiaes & des montagnes "dans les fleuves, qui portent a leur tour cette terre fuperflue dans la mer? Ainfi peu a peu le fond des me:s fe ;mplir,* D2  C ?6) fe furface des continents s'abaifle & fe mee de niveau , & il ne faut que du temps pour que la mer prenne fucceffivement la place de la terre. — — La plus grande irruption de 1'Oce'an dans les terres, eft celle qui a produit la mer me'diterrane'e. Entre deux promontoires avance's , 1'Oce'an coule avec une grande rapidité par un paffage e'troit, 8c forme enfuite une vafte mer qui couvre un efpace, lequel, fans y comprendre la mere noire, eft envirón fept fois grand ■ comme la France. Ce mouvement de 1'Oce'an par le dérroit de Gibraltar, eft contraire a tous les autres mouvemens de la mer dans tous les détroits qui joignent 1'Oce'an a 1'Océan, car le mouvement ggnéral de la mer eft d'Orient en Occident; & celui-ci feul eft d'Occident en Oriënt; ce qui prouve que la mer me'diterrane'e n'eft point un golfe ancien dc 1'Océan, mais qu'elle a c'té  ( 77 ) formée par une irruprion des eaux , produite par quelques caufes accidentelies , comme feroit un tremblement de terre, lequel auroit affaiflé les terres a l'endroit du de'troit, ou un vioknt eftbrt de 1'Oce'an caufë par les vents qui auroient lompu la digue entre les proniontoireg de Gibraltar & de Ceuta. Cette cpinion eft appuyée du te'moignage des anciens qui ont écrit que la met méditerranée n'exiftoit point autrefois; & elle eft , comme on voit, confirmée par les obfervations qu'on a faites fur la nature des terres a la cöte d'Afrique &: a celle d'Efpagne , oü 1'on trouve les mêmes lits de pierre , les mêmes couches de terre en de^a Sc au-dela du détroit , a peu prés comme de certaines vallées oü les deux collines qui les furmontent fe trouvent être compofées des mêmes matieres & au même niveau. ». L'Océan s'étant donc ouvert cette D3  '(78), porte , a d'abord coulé par le détroit avec une rapidité beaucoup plus grande qu'il ne oude aujourd'hui, & il a inondc le continent qui joignoit 1'Europe a 1'Afrique; les eatix ont couvert toutes les bafles terres dont nous n'app:rcevons aujourd'hui que les e'minences ou les fommets dans 1'Iralie & dans les Ifles de Sicile, de Malthe , de Corfe , de Sardaigne , dé* Chypre , de Rhodes & de 1'Archipel. - — On fait qu'avec le terns les grands fleuves rempliflent les mers, & forment des continens.nouveaux, comme la Province de Pembcmchure du fleuve Jaune a la Chine, la Louifïane a Pembouchure du Miffiffipi , & la partie Septenrrionale de PEgypte, qui doit fon origine & fon exiftence aux inondations du Nil. La ragidité de ce fleuve entraine les terres de Pintérieur de PAfrique, & il les dépofe enfuite dans fes déborderaens  (79 ) L èn Ci grande quamité, qu'on peut fi?tr* Ier jufqu'a cinquante pieds dans 1'épaiffeur de ce limon dcpofé par les inottda* tions du Nil ; de même les terreins de la Province de la riviere Jaune, & de la Louifiane, ne fe font fortnés que par le limon des fleuves. — A Venife le fond de la mer Adriatique s'éleve rous les jours , & il y a déja long-tems que les lagunes & la ville feroient partie du continent, fi on n'avoit pas un très-gr-and fora de nétoyer & vuider les canaüx : il en eft de même de la plupart des ports, des pctkes bayes & des embouchures de toutes les riviercs. En Hollande le fond de la mer s'éleve aufll en plufieurs endroits, car le peric golfe de Zuiderzee & le dctroit de Tetel ne peuvent plus recevoir des vaiffeauxaufli grands qu'autrefois. On trouve a 1'embouchnre de prefque tous les fleuves, des ifles, des fables, des rérrfS D 4  ( 8o ) amoncelées, & amenees par les eaöx , & il n'eft pas douteux que la mer ne fe rerripline dans tous les endroits oii elle recoit de grandes rivieres. Le Rhin Je perd dans les fables qu'il a lui-même accumulc's; le Danube, le Nil, & tous les grands fleuves ayant entrainc' beaucoup de terrein, n'arrivent plus a !a mer par un feul canal; mais ils ont plufieurs touches dont les intervalles ne fcntremplis que de fables ou de'limon qu'ils ont chariés. Tous les jours on deffcche des marais, on cultive des terres abandonnées par la mer, on arrivé fur des pays fubmergés • enfin , nous voyons fous nos yeux d'affez grands changrmens de terres en e. h & d'eau en terres, pour être affure's que ces changemens fe font faits, fe font & fe feront: enforte qu'avee le tems les golfes deviendront des continens, les ifthmes feront un jour des détroits, les marais deviendront des terres arides, & les fom-  ( 8i ) mets de nos montagnes les écueüs de Ia mer. — Les grands affaiflemens, quoique produits par des caufes accidenteiles &c fecondaires, ne laiffent pas que de tenir une des premières places tntre les principaux I faits de Phiftoire de la terre, & ils n'ont t pas peu contribué a changer la face du ; globe. La plupart font cauie's par des feux il inte'rieurs, rant Pexplofion fait les tremblemens de terre & les volcans: rien n'eft comparable a la force de ces matieres enflammées & relferrées dans les eni trailles de la terre : on a vu des villes entieres englouties, des provinces bouleverfe'es, des montagnes renverlées par leur effort. II ne faut pas croire que ces : feux viennent d'un feu central, comme quelques Auteurs Pont e'crit, ni même qu'ils viennent d'une grande profondeur, < comme c'eft Popinion commune ; car ; Pair eft abfolument néceflaire a leur em-  ( 82 ) brafement, au moins pour Pentretenirj on peut s'affurer, en examinant les matieres qui fortent de ces volcans dans les plus violentes e'ruptions, que le foyer de la matiete enflamme'e n'eft pas a une grande profondeur, & que ce font des matieres femblables a celles qu'on trouve fur la croupe de la montagne, qui ne font de'figurées que par la calcination & la fonte des parties métalliques qui y font mêle'es. On voit fouvent couler du fommet du volcan , dans les plaines, des ruifTeauxdebitume & de fouffre fondu , qui viennent de Pintérieur, & qui font jette's au-dehors avec les pierres & les mine'raux. Eft il naturel que des matieres fi peu foüdes & dont la maffe donne fi peu de prife a une violente adtion,puiffent être lancées d'une grande profondeur > Toutes les obfervations qu'on fera fur ce fujet, prouveront que le feu des volcans n'eft pas éloigné du fommet de la  C 83') montagne, & qu'il s'en faut bien qu'il ne defcende au niveau des plaines. — Ce qui fait que les volcans font toujouts dans les montagnes, c'eft que les minéraux, les pyrites & les fouffres fe trouvent en plus grande quantité & plus a de'couvert dans les montagnes que dans les plaines, & que ces lieux élevés recevant plus aifément, & en plus grande abondance, les pluies &c les autres hripreffions de Pair; ces matieres minérales, qui y font expofe'es , fe mettent en- fermentation, & s'échauffent jufqü'au point dè s'enflammer. Enfin, on a fouvent obfervé qu'après de violentes e'ruptions pendant lefquelles le volcan rejette une très-gtande quantité' de matieres, le fommet de la montagne s'affaifTe & diminue a peu prés de la même quantité qu'il feroit néceffaire qu'il diminuat pour fournir les matieres' rejettées; autre" preuve qu'elles ne vien-' D 6  («4) nent pas de Ia profondeur intérieure du pied de la montagne, mais de la partie voifine du fommer,& dufommet même. Les tremblemens de terre ont donc produit, dan? plufieurs endroits des afïaiffemens confïde'rables, "& ont fait quelques-unes des grandes fèparatiohs qu'on trouve dans les chaines des montagnes: toutes les autres ont e'te' produitcs en même-tems que les montagnes mêmes, pair le mouvement des courans de la mer; 8c par-tout oü il n'y a pas eu de bouleverfement, on trouve les couches hori2ontales, & les angles correfpondans des montagnes. — On voit,par tout ce que nous venons de dire, combien les feux fouterreins contribuent a thanger la face & 1'intérieur du globe : cette caufe eft aflez puiflante pour produire d'aufli grands eiFets. Mais on ne croiroit pas que les vents puflent caufer des alte'rations feniibles fur la  < 8? ) i terre; la mer paroït être leur empire; &£ ■ après le flyx& le reflux rien n'agit avec plus , de puiflance fur eet élément; même le I flux & le reflux marchent d'un pas uniI forme, & leurs effets s'operent d'une maniere égale & qu'on prévoit; mais les vents impétueux agiflent, pour ainlï dire, I par caprice, ils fe précipitent avec fureur, 5 & agitent la mer avec une telle violence, i qu'en un inftant cette plaine calme & I tranquille devient hériflee de vagues hautes comme des montagnes, qui vien> nent fe brifer contrêles rochers & contre : les cotes i les vents changent donc a tout : moment la face mobile de la mer. Mais | la face de la terre, qui nous paroir fi folide, ne devroit-elle pas être a 1'abri ' d'un pareil effet ? On fait cependant que : les vents élevent des montagnes de fable s dans PArabie & dans 1'Afrique, qu'ilsen couvrent les plaines, & que fouvent ils tranfportent ces fables a de grandes dif-  ( 86- ) tances, Sc Jufqu'a plufieurs Iieues, dans: la mer, oü ils les amoncelent en1* grande quantité, qu'ils y ont formé des bancs , des dunes & des iiles. On fait que les ouragans font le fléau des Antilles, de Madagafcar , & de beaucoup. d'autres pays, oü ils agiffent avec tant de fureur, "qu'ils enlevent quelquefois les arbres, les les plantes, les anim'aux avec toute la terre cultivée; ils font remonter & tarir les rivieres; ils en produifent de nouvelles; ils renverfeent les montagnes & les rochers; ils font des trous Sc des goufFres dans la terre, & changent entiérement la furface des malheureufes conrrées oü ils fe forment. Heureufement il n'y a que peu de climats expofés a la fureur impétueufe de ces terribles agirations de 1'air. — Mais ce qui produit les changemens les pfus grands & les plus généraux fur la fürface de la terre, ce lont les eaux du  ( -7)' ciel, les fleuves, les rivieres Sc les torrens. Leur première origine vient des vapeurs que le foleil éieve au-deffus de la furface des mers, & que les vents tranfportent dans tous les climats de la terre ; les vapeurs foutenuesdans les airs Sc pouffées au gré du vent, s'attachent aux lommets des montagnes, qu'elles rencontrent, & s'y r«xumulent en fi grande quantité, qu'elles y forment continuellement des nuages, Sc retombent inceffamment en formede pluie, de rofée, de brouillard ou de neige. Toutes ces eaux font d'abord defcendues dans des plaines, fans tenir route fixe; mais peu a peu elles ont creufé leur lit en cherchant par leur pente naturelle les endroits les plus bas de la montagne , Sc les terreins les plus faciles a divifer, a pénétrer ; elles ont entrainé les terres & les fables; elles ont formé des ravines profondes en coulant avec rapidité dans les plaines; elles fe fent  (88) ouvert des chemins jufqu'h la mer, qui recoit autant d'eau par fes bords, qu'elle en perd par 1'évaporation; & de même que les canaux & les ravincs que les fleuves ont creufés, ont des lïnuulités& des contours dont les angles font correfpondans entr'eux; les montagnes & les collines, qu'on doit regarder comme les bords des vallées qui les féparent, ont auffi des finuofités correfpondantes de la même facon; ce qui femble démontrer que les vallées ont été les courans de la mer , qui les ont creuiés peu a peu 8c de la même maniere que les fleuves ont creufé leur lit dans les terres. Les eaux qui roulent fur la furface de la terre & qui y entretiennent la verdure 8c la fertilité, ne font peut-être que la plus petite partie de celles que les vapeurs produifent; car il y a des veines d'eau qui coulent & de 1'humidité qui fe fikre ade grandes profondeurs dans 1'intérieur  ( -9) de la terre. Dans de certains lieux, en quelque endroit qu'on fouille , on eft sur de faire un puits & de trouver de Peau ; dans d'autres , on n'en trouve point du tout ; dans prefque tous les vallons & les plaines bafles , on ne man que guère de trouver de. Peau a une profondeur médiocre ; au contraire , dans tous les lieux élevés* & dans toutes les plaines en montagne ,, on ne peut en tirer du fein de la terre, & il faut ramaffer les eaux du ciel. II y a des pays d'une yafte étendue , oü Pon n'a jamais pu faire a^?uits', & oü toutes les eaux qui ferHa abreuver les habitans & les animaux, font contenues dans des mares & des citernes. En Oriënt, fur tout en Arabic , dans PEgypre, dans la Perfe, &c. les puits font entiéremenr rares, auffi bien que les fources d'eau douce, & ces peuples ont été obligés de faire de grands réfervoirs pour recueillir les eaux des pluies & des neigesjces ouvrages,. faits  C 9° ) pour la néceflité publique, font peut»* être les plus beaux & les plus magnifi-ques monumens des Orientaux. II y a deSs réYervoirs qui ont jufqu'a deux lieues de: furface , & qui fervent a arrofer & ai abreuver une province entiere au moyem des faignées & des petits ruiffeaux qu'on i en de'rive de tous cóte's. Dans d'autres! pays au contraire, comme dans les plaines; 'oucoulent les grands fleuves de la terre , , on ne peut pas fouiiler un peu profon- ■ dement fans trouver de Peau , & dans un t camp fitue' aux environs d'une riviere,, fouvent chaque tente a /on puicfMtki moyen de quclques coups de piocheaH Cette quantité d'eau qu'on trouve: par-tout dans les lieux bas , vient des; terres fupérieures & des collines voiflnes,, au nioins pour la plus grande partie ; car : dans le tems des pluies & de la fonte des ; neiges, une partie des eaux couie fur !a i furface de la terre, & lerefte ncnetre dans \  - (90 1'intérieur a travers les petites fentes des terres & des rochers, & cette eau fourKtte en différens endroits, larfqu'eHe ;rrouve des iflucs, ou bien elle fe filtre dans les fables, & lorfqu'elle vient a [trouver un fond de glaife, ou de terre fferme&folide, elle forme des lacs, des mifTeaux, & peut-être des fleuves fouMreifts, dont le cours & 1'embouchure i nous font inconnues, mais dont cepenj dant, par les loix de la nature, le moui vcment ne peut fe faire qu'en allant d'un : lieu plus élevc dans un lieu plus bas, & : par conféquent ces eaux fouterraines doii vent tomber dans ia mer , ou fe raffemt bier dans quelque lieu bas de la terre, foit a la furface , foit dans 1'intérieur du ; globe; car nous connoiifons fur la terre i quclques lacs dans lefquels il entre & i defquels il ne fort aucunc riviere, & il y i en a un nombre beaucoup plus grand, ( qui, ne recevant aucune riviere conftdé-  (9*) rable, font les fources des plus granó fleuves de Ia terre. — Au refte, il ne faut pas croire, eómfl quelques gens 1'onr avancé , qu'il j trouve des lacs au fommct des plus haute montagnes; car ceux qu'on trouve danr les Alpes & dans les autres lieux hautss font tous furmontés par des terres beau* coup plus hautes, & font au pied d'ain tres montagnes peut-être pluséievées qua les premières; ils tirent leur origine des eaux qui coulent a 1'extérieur , ou feJ filtrent dans 1'intérieur de ces montagnes.; .Tout de même que les eaux des vaüons; & des plaines tirent leur fource des collines voihnes & des terres plus éloignéesJ qui les furmontent. — Bien des gens ont prétendu que la . quantité des eaux fouterraines furpafïbiï de beaucoup celle de toutes les eaux qui font 4 la furface de la terre, & fans parler de celle qui ont avancé que 1'intérieur  f93) u globe étoit abfolument rempli d'eau , I y en a qui -croient qu'il y a une infiité cie fleuves, de ruifleaux, de lacs dans ;profondeur de la terre; mais cette opiion , quoique commune, ne me paroit as fondéé'; car s'il y avoit un fi grand |mbre de rivieres fouterraines , pouruoi ne verrions-nous pas a la furface de . terre les embouchures de quelquesnes de ces rivieres, & par conféquent es fources groffes comme des fleuves ? Tailleurs, les rivieres & toutes les eauxjurantes produifent des changemens trèsonfidérables a la furface de la terre : elles ntrainent les terres, creufent les rochers, pplacent tout ce qui s'oppofe a leur (affage. II en feroit de même des fleuves,* >uterrains, ils produiroient des altéraons feniïbles dans 1'intérieur du globe ; iiais on n'y en a point remarqué, & ce 'eft qu'en fort peu d'endroits qu'on a fefervé quelques veines d'eaux fouter* ;iines un peu confidérables.  (94) Conclufïon de tout 1'ouvrage. ■ Ce font donc les eaux raflemblces dan la vafte étendue des mers, qui, par 1 mouvement continuel du flux & du reflux, ont produit les montagnes, les val* lees Sc les autres ine'galite's de la terre; c font les courans de la mer qui ont creufi les vallons Sc e'levé les collines, en leui donnant des direcfions correfpondantes ce font ces mêmes eaux de la mer, quien tranfportant les terres, les ont difpo< fées les unes fur les auttes par lits horf zontaux, Sc ce font les eaux du ciel qui. peu a peu, détruifent 1'ouvrage de li mer, qui rabaiffent continuellement 1; hauteur des montagnes, qui comblem les vallées, les bouches des fleuves & le: golfes, & qui, ramenanttout au niveau, rendront un jour cette,terre a la mer; qui s'en emparera fucceflivement , en laiflant a découvert de nouveaux conti-: nens entrecoupe's de vallons Sc de mon-i  ( 90 tagnes, & tous femblables a ceux que nous habitons aujourd'hui. Analyfe des epoques de la Nature. CoMME dans 1'hiftoire civile, on confulte les titres, on recherche les me'dailles, on de'chiffre les infcriptions antiques i pour de'terminer les e'poques des révolutions humaines, & confrater la date des éve'neraens moraux; de même dans Phiftoire naturelle , il faut fouiller les archives du monde, tirer des enttailles de la terre les vieux monumens, recueillir leurs débris, & raffembler en un corps de preuves tous les indices des changemens phyfiques qui peuvent nous faire remonter aux differents ages de la nature. C'eft le feul moyen de fixer quelques points dans 1'immenfité de 1'efpace, & de placer un certain nombre de pier-  i96> res numéraires fur la route e'ternelle du tems. Le paffe erf comme la diftance; notre vie y décroit , & s'y perdroit de même , fi 1'hiftoire & la chronologie n'euiTent placé des fanaux, des flambeaux aux points les plus obfcurs; mais malgré ces lumieres de la tradition écrite , fi 1'on remonte a quelques necles, que d'incertitudes dans les faits ! que d'erreurs fur les caufes des événemens ! & quelle obfcurité profonde n'environne point les tems antérieurs a cette tradition ! Aintl 1'hiftoire civile, bornée d'un coté par les ténebres d'un temps affëz voifin du nötre, ne s'étend de 1'autre, qu'aux petites portions de terre qu'ont occupés fuGceflivement les peuples foigneux de leur mémoire; au lieu que 1'hiftoire naturelle embralTe également tous les efpaces, tous les temps , & n'a d'autres lïmites que celles de Punivers. La  1t> J La nature étant contemporaine dc la taatiere, de 1'efpace & du temps, fon hiftoire eft celle de toutes les fubftances, de tous les lieux, de tous les ages» 6c quoiqu'il paroiflè a, la première vue que fes grands ouvrages ne s'alrerent ni ne changent, cependant en 1'obfervant de prés, on s'appercevra que fon cours n'eft pas abfolument uniforme ; on reconnoitra qu'elle admet des variations fenfibles; qu'elle recoit des alte'rations fucceffives ; qu'elle fe prête même a des combinailons nouvelles , a des mutations de matiere & de forme; qu'enfin, autanc elle paroit fixe dans fon tout , autant elle eft variable dans chacune de fes parties. La nature s'eft frouve'e dans difrerens érats; la furface de la terre a pris fucceffivement des formes diffe'rentes; les cieux même ont varie', & routes les chofes de 1'univers phyfïque font, comme E  ( 9* ) celles du monde moral , dans un mouvement continuel de variations fucceffives. II faut aller chercher 8c voir la nature dans ces re'gions nouvellemcnt découvertes , dans ces contre'es de tout temps inhabitées , pour fe former une idee de fon état ancien ;. 8c eet c'rat ancien eft encore bien moderne en comparaifon de celui ou nos continens terreftres e'toient couverts par les eaux, ou les poiffons habitoient fur nos plaines , oü nos montagnes formoient les e'cueils des mers. Combien de changemens 8c de différens e'tats ont l 'i fe fucce'der depuis ces temps antiques ( qui cependant n'étoient pas les premiers) jufqu'aux ao-es de 1'hiftoire ! Que de chofes enfevelies ! combien d'événemens entiérement oubliés! que de révolurions antérieures a la mémoire des hommes ! II a fallu une très-longuc fuite d'obferYa-  (99) tions; il a fallu trente iïeclcs Je culture a 1'efprit humain, feulement pour reconnoitre 1'e'tat pre'fent des chofes. La terre n'eft pas encore entiéremcnt decouverte ; ce n'eft que depuis peu qu'on a de'terminé fa figure; ce n'eft que de nos jours qu'on s'eft élevé a la the'orie de fa forme inférieure, & qu'on a démcntré 1'ordre & la difpofition des matieres dont elle compofée. Ce n'eft donc que de eet inftant oü 1'on peut commencer a comparer la nature avec elle— même, & remonter de fon e'tat actuel & connu, a quelques epoques d'un état plus aacien. Mais comme il s'agit ici de percer la nuk des tems ; de reconnokre par l'infpedion des chofes actuelles , 1'arcieune ëxiftence des chofes ane'anties, pour nous e'lever jufqu'a ce point de vue , nous avons beloin de toutes nos •forces reünies, & nous emploierons trois E a  ( 100 ) grands moyens. i°. Les faits qui pcuvent nous rapprocher de 1'origine? de la nature; 2°. les monumens qu'on doit regarder comme les te'moins des premiers ages; 3". les traditions qui peuvent nous donner quelque idéé des ages fubféquens: après quoi nous tacherons de lier le tput par des analogies, &c de former une chaine qui, du lommer de 1'échelle du tems, defcendra jufqu'a nous. Premier fait. La terre eft élevée fur 1'équateur, &£ abaiifée fous les póles, dans la proportion cta'exiVent les loix de la pefanteur §c de la force centrifuge. SttCOND fait. Le globe terreftre a une chaleur inférieure qui lui eft propre , & qui eft indépendante de celle que les rayons du foleil peuvent lui couununiquer.  ( io* ) Tröisieme fait. La chaleur que le foleil envoie a la terre , ne feroit pas feule fuffifante pour maintenir la nature vivante. quatrieme fait. Les matieres qui compofent le globe de la terre, font en ge'ne'ral de la nature du verre, & peuvent être toutes réduite* en verre. ClNQUIEME FAIT. On trouve fur toute la furface de la terre , & même fut les montagnes, jufqu'a quinze eens 8c deux mille totfes de hauteur, une immenfe quantité' de coquilles 8c d'autres débris des produdions de la mer. Le premier fait du renflement de Ia terre a Péquateur, & de fon applatiffement aux poles,eft mathematiquement demontré & phyfiquement prouve' par E3  ( I»2 ) la théorie de 1 a gravitation , 8c par les expériences du pendule. Le globe terreftre a précifément la figure que prendroit un globe fluide qui tourneroit fur lui-même avec la viteffe que nous connoifTons au globe de la terre. Ainfi la première conféquence qui fort de ce fait incenteflable,.c'eft que la matiere dont notre terre eft compofée , étoit dans un état de fluidité au moment qu'elle apris fa forme, 8c ce moment eft celui oü elle a commencé a toumer fur ellemême. La nature avoit d'abord , ce femble , deux moyens pour opérer eet état de fluidité. Le premier eft la diffolution ou même le délaiement des matieres terreftres dans l'eau , 8c le fecond leur liquéfaélion par le feu. Mais 1'on fait que le plus grand nombre des marieres folides qui compofent le globe terreftre ne font pas diflblubles dans l'eau; 8c en  ( io3 ) meme-tems 1'on voit que la quantité d'eau eft ft petite en comparaifon de celle de la matiere aride , qu'il n'eft pas poffible que 1'une ait jamais été dékyée dans 1'autre. Ainfi eet état de fluidité , dans lequel s'eft trouvée maffe entiere de la terre , n'ayant pu s-'opérer ni par la diffolution, ni par le délaiement dans Peau , il eft néceflaire que cette fluidité ait été une liquéfaófion caufée par ie feu. Cette jufte conféquence , déja tresvraifemblabïe par elle-même , prend un nouveau degré de probabilité par le fecond fait, & devient une certitude par le trcifieme fait. La chaleur intérieur* du globe encore acluellement fubfiftante, S: beaucoup plus grande que celle qiu nous vient du foleil, nous démontre quï cct ancien feu qu'a éprouvé le globe, n'eft pas encore, a beaucoup pres , entierément diffipé. Des expériences eer-  taines Sc réitérées, nous afïurent que la mafte entiere du globe a une chaleur propre Sc tout-a-fait indépendante dc celle du foleil. On la reconnoit d'une maniere encore plus palpable , des qu'on pénetre au-dedans de la terre ; elle eft conftante^en tous lieux pour chaqua profondeur, Sc elle paroit augmenter a mefure que 1'on defcend. Mais que font nos travaux en compardifon de ceux qu'il faudroit faire pour reconnoitre les degre's fucceflifs de cette chaleur inte'rieure dans les profondeurs du globe! On doit préfumer que fi 1'on pénétroit plus avant, cette chaleur feroit plus grande, Sc que les parties voifines du centre de la terre font plus chaudes que celles qui en font éloignées. II eft encore prouvé par 1'expérience, que la chaleur des rayons folaires ne pénetre pas a quinze ou vingt pieds daus la terre, puifque la glacé fe con-  ferve a cette profondcur pendant les étés les plus chauds. Qujnt au quatrieme fait, on ne peut pas douter que les matieres dont le g'obe eft compofé , ne foient de la nature du verre ; le fond des minéraux, des végétaux & des anknaüx, n'eft qu'uwe matiere vitrefcible, car tous leurs réddus , tous leuts détrimens ultérieurs peuvent fe réduire en verre. Le cinquieme fait que nous avons mis en avant, prouve que toutes les matieres qui n'ont pas été produites immédiatement par l'adtion du feu primitif, out été formées par Pinten-rede de Peau , paree que toutes font formées de coquilles & d'autres débris des productions de 'a mer. Le fable n'eft que du verre cn poudre ; les argiies, des tables pourris dans Peau ; les ardoifrs & les fchiftes, des argiies defféchées & durcies ; le roe vif, ies gres , le granite , ne font E5  que des matfes vitreufes, ou des fables vitrefcibles, fous une forme concrete ; les cailloux , les cryftaux , les me'tatix & la plupart des autres mine'raux, nefont que les ftillations, les exudations ou les fublimations de ce; premières matieres qui toures nous de'celent leur origine primitivc Sc leur nature commune, par leur aptitude a fe re'duire imrne'diatemenL en verre. Mais les fables Sc graviers calcaires, les craies, les pierres de taiile, le moellons.les marbres, les albatres, les fpaths calcaires opaques Sc tranfparens, toutes les matieres, en un mot, qui fe convertiffent en chaux, ne préfentent pas d'abord leur-première nature , quoiqu'originairement de verre, comme tous les autres ; ces matieres calcaires ont paffé par de filieres qui les ont de'naturées; elles ont cté brme'es dans l'eau, toutes font entie'rement compofées de madrepores, de coquilles & de détrimens des dépouille  ( io7 ) de cesanimaux aquauques, qui tous lavent convertir le liquide en lolide, & transformer 1'eau de la mer en pierre. Tout cela peut fe prouver par Pinfpection de ces matieres, & par Pexamen attentif des monumens de la nature. On trouve a la furface & a Pintérieur de la terre, des coquilles & autres produóHons de la mer \ & toutes les matieres qu'on appelle calcaires, font compofées de leurs détrimens. En examin mt ces coquilles & autres produétions marines , on reconnoit fcs'une grande partie des efpeces d'animaux auxquels ces dépouilles ont appartenu, ne fe trouvent pas dans les mers adjacentes , & que ces efpeces- ou ne fubfiftent plus, ou ne fe trouvent que dans les mers méridionales. On trouve en Siberië & dans les autres contrées feptentrionales de PEurope & de PAfie, des fquelettes, des dêfsnfes, E5  (io8) des oflcmens d'éléphans, d'hippópommes & de fhinocêros, en aflez grande quantité pouraflurer que ces aniraaux y exiftoient sutrefbis. Le même fait fe remarquc dans le Nord de 1'Amérique. On trouve dans le milieu des continens, dans les lieux les plus éloignés des mers, un nombre infini de coquilles, dont la plupart appartiennent aux animaux de ce genre, aftuellement exiftans dansles mers méridionales, & dont plufieurs autres n'ont aucun analogue virant, en -forte que les efpeces en paroiffent perdues Sc détruites par des caufes jufqu'a préfent inconnues. Quoi! dira-t on , les éléphans Sc les autres animaux du midi ontautrefois habité les terres du Nord! Ce fait, quelque fingulier , quelqu'extraordinaire qu'il puifle p roitre , n'en eft pas moins certain. On trouve tous les jours en Sibérie, en Ruftte & dans les autres contrées feptentrionales  ï I0f ) 3c I'Europc & de PAfie, des offemenj & Tachons d'cntendre fainement les premiers faits que i'Interprête divin nous a tranfmis au fujet de Ia cre'ation. Recueillons avec foin ces rayons échappés de la lumierece'Iefte. Loin d'offufquer la ve-rite',  p fis ne peuvent qu'y ajoüter un nouveau degré d'éclat &c de fplendeur. Nota. On pent voir dans le texte même la maniere dont M. de Buffon tache de conci'ier le récit de Moïfe avec fon lyftême. Epoques de la Nature, Supple'ment, tome IX-, pag. 4,3 , jufqu'a la pag. j 8. PREMIÈRE ÉPOQUE. Dans ce premier tems, oü la terre en fufton tournant fur elte-même, a pris fa forme,& s'eft élevés fur l'équateur, en s'absiflant fous les póles, les autres planetes étoient dans Ie même état de liquéfaótion, puifqu'en tournant fur eüesmêmes, elles ont pris, comme la terre , une forme renflée fur leur équateur, &c applatie fous leurs póles, & que ce renflement & cette dépreflion font proporüonnels a la viteffe de leur rotation.  Un) Kous ne connoiffons dans la nattfre aucune caufe de chaleur, aucun feu que celui du foleil , qui ait pu fondre ou tenir en liquéfaétion la matiere de la terre & des planetes; nous devons donc préfumer que cette matiere des planetes a autrefois appartenu au corps même du foleil, & en a été féparée par une feule &c même impulfion; car elles circulent toutes dans le même fens, &c prefque dans le même plan; les cometes au contraire , qui circulent comme les planetes, autour du foleil, mais dans des fens & des plans différens, paroilïent avoir été mifes en mouvement par des impulfions différentes. On doit donc rapporter aunefeule époque le mouvement des planetes. Le réfroidiffement de la terre & des planetes, comme celui de tous les corps chauds, a commencé par la furface; les matieres en fufion confolidées dans  ( ï'4 ) un tems aflez court; des que le grand feu dont elles e'toient pénétrées, s'eft échappé, les parties de la matiere qu'il tenoit divife'es , fe font rapprochées & re'unies de- plus prés par leur attraction mutuelle ; celles qui avoient aflez de fixité pour foutenir la violence du feu , ©nt formé des maffes folides; mais celles qui,comme 1'air & i'eau,feraréfient ou fe volailifent par le feu, ne pouvaut faire corps avec les autres, elles en ont été féparées dans le premier tems du réfroidiflement ; réduites en vapeurs &c difperfées au loin, elles ont formé autour des planetes une efpece d'athmofphere, femblable a. celle du foleil. Tant que les planetes ont été , comme eet aftre, dans un état de fufion ou de orande incandefcence, elles n'étoient que des maffes de verre liquide , environnées d'une fphere de vapeurs. Mais a mefure qu'elles^prenoient de la con-  (?»5) Hftance , elles perdoient de leur lumiere; elles ne devinrent tout - a - fait obfctires qu'après s'être confolidées jufqu'au centre , comme 1'on voit dans une maffe de métal fondu, lalumiere &c la rougeur fubfifter très-long-tcms après la confolidation de fa furface. Et dans ce premier tems oü les planetes brilloient de leurs propres feux, elles devoient lancer des rayons, jetter des e'tincelles, faire des explofïons, & enfuite fouffrir en fe refroidiffant, diffe'rentes ébullitions, a mefure que l'eau , 1'air & les autres matieres qui ne peuvenr fupporter le feu , retomboient a leur furface. La product-ion des élémens, & enfuite leur combat, n'ont pu manquer de produire des inégalités, des afpérités, des profondeurs, des hauteurs, des cavernes a la furface , & dans les premières couches de 1'intérieur de ces grandes maffes ;& c'eft a cette époque que 1'on doit rapporter la formation des plus hautes montagnes de la terre, de celles  ( Hó*) de la lune, & de routes l<*s afpe'rités ou rrie'galftes qn'on appercoit fur les planetes. Mais, me dira-t-on , pourquoi n~uS jetter dans un efpace auffi vague qu'une dure'e de tant de fiecles ? car, a la vue de votre tableau, la terre eft 2gée d'un tres - grand nombre de fiecles , & la nature vivante doit fubfifter encore pendant des fiecles trés - norabreux. Je n'ai d'autre re'ponfe que 1'expofition des monumens & la confidération des ouvrages de la nature : j'en donnerai le de'tail , & 1'on verra que bien loin d'avoir augmenté fins néceffité la c!ure'e: du tems, je 1'ai peut-être beaucoup trop: accourcie. Et pourquoi 1'efprit fiumain femble-til fe perdre dans 1'efpace de la durée , plutöt que dans ce'ui de 1'étendue , ou dans la confidération des mefures , des pieds & des norabres ? N'eft-ce pas  l"7) Lsrpi'etant accqutumés paf notre trop courte exiftence a regarder cent ans comme une groffe fomme de tems, nous [avons peine a nous former une idee de mille ans , ne pouyant plus t pus [repréfentet dix mille ans , ni même en concevoir cent mille ? Le feul moyen (eft de divifer en plufieurs .parties cej longues périodes de noms, de comparer [par la vue de 1'efprit la durée de cha- [cunede fes parties avec les grands effets, Sc fur-tout avec les conftru&ions de la 1 jftature. j SECONDE ÉPOQUE. %orfque la matiere s'ëtant confolide'e , a formé la roche intérieure du globe . ainji que les grandes majfis vitrefcibles qui font a fa furface. Les élémens fe font fotmés par le refroidiffement & pendant fes progrès. "Toutes ces matieres volatiles s'étendoient  (nS) autour du globe en forme d'athmofpherei a une grande diftance oü la chaleur étoit moins force , tandis que les matieres: fixes, fondues Sc vitrifiées s'étant confolide'es, formerent la roche iritérieure dm globe & le noyau des grandes montagnes , dont les fommets, les maffes intérieures & les bafes font en effet comt pofe'es de matieres vitrefcibles. Airifi lei premier établiflement local des grandes1 chaines de montagnes appartient a cettei feconde e'poque, qui a précédé de plu-, fieurs fiecles celle de la formation des montagnes calcaires , lefquelles „n'ont exifté qu'aptès 1'établifïement des eaux.: Repre'fentons-nous , s'il eft poffible , 1'afpect qu'offroit la terre a cette fecondes époque ; les plaines, les montagnes , ainfï que 1'intérieur du globe , étoient également & uniquement compofées dei matieres fondues par le feu , toutes vitrifiées , toutes de la même nature. Qu'ont  ( "9 ) fe figure pour un infiant la furface actuelle du globe dépouille'e de fes mers, ) les trous & infruduohtés & toutes les cavite's intérieures de cette roche qui en ctt la bafe, & qui fert de foutien a toutes les matieres terreftres amenéts enfuite par les eaux. TROISIEME ÉPOQUE Lorfque les eaux ont couvert notrC continent. On a des preuves évidentes que les mers ont couvert le continent de 1'Europe jufqu'a quinze eens toifesau-delTus du niveau de la mer aótuelle , puifqu'on trouve des coquilles & d'autres productions marines dans les Alpes & dans les Pyrenne'es, jufqu'a cette même hauteur. On a les mêmes preuves pour les continens de 1'Afrique , de PAfie & même de 1'Amérique. La, furface de la terre e'toil en ge'néral beaucoup plus élevée qu'elle ne Peft aujourd'hui ; & pendant une longue fuite de tems, les mers Pont re- couYeri  (' 121 ) •ouvert en entier, a 1'exception peutctre de quelques terres très-élevées & des fommets des hautes montagnes qui feuls furmontoient cette mer univerfelle, dont 1'élévation étoit au moins a cette hauteur oü 1'on cefle de trouver des coquilles: d'oü 1'on doit inférer que les animaux auxquels elles ont appartenu , peuvent être regarde's comme les premiers habitans du globe, & cette population e'toit innombrable , a en juger par 1'immenfe quantité de leurs dépouilles. Or, dans les commencemens de ce féjour des eaux, fur la furface du globe, n'avoient-elles pas un degré de chaleur que nos poiflbns & nos coquillages actuellement exiftans, n'auroient pu fupporter ? Cette grande chaleur ne pouvoit convenir qu'a d'autres ïatures de coquillages & de poiffons. Ces premières efpeces maintenant anéanties, ont fubfifté F  ( 122 ) pendant le nombre d'années qui ont luivi le tems auquel les eaux venoient de s'établiri Mais pour ne pas perdre le fil des grands Sc nombreux phénomenes que nous avons a expofer , reprenons ces tems antérieurs oü les eaux, jufqu'alors réduires en vapeurs, fe font condenfe'cs, Sc ont commencé de tomber fur la tërf-Cï brülante, aride, defïéchée, crevafféepar le feu ; tachons de nous re'préfenter les prodigieux eftcts qui ont accompagné Sc fuivi cette chüte précipitée des matieres volatiles, toutes féparées, combirfees , fublimées dans le tems de hconfolidation, Sc pendant le progrès du' premier refroidiffemenr. La féparation de' 1'élément de Pair, '& de Télément de" Peau , le choc des vents & des flots qui tomboient en tourbillon fur une terire fumante ; la dépuration de Pathmofphere , qu'auparavant les rayons du fo-  ( I23 ) kil ne pouvoient pe'ne'trer ; cette même athmofphere obfcurcie de nouveau par les nuages d'une épaifie fume'e ; la cohobation mille fois re'pe'te'e, & le bouillonnement continuel des eaux tombe'es & rejettées alternativement ; enfin la leffive de Pair, par Pabandon des matieres volatiles pre'ce'demment fublirnées qui ■ toutes s'en fe'parerent &c defcendirent avec plus ou moins de pre'cipitation : quels mouvemens, quelles tempêres ont dü pre'ce'der, accompagner & fuivre Pe'tabliflement local de chacun de ces e'le'mens r Et ne devons-nous pas rapporcer a ces premiers momens de choc & d'a» gitations, les bouleverfemens , les premières de'gradations, les irruptions &les changemens qui ont donne' une feconde forme a la plus grande partie de la furface de la terre ? II eft aife' de fentir que . les eaux qui la couvroient alors prefque toute entiere, étant continuellement agiFz  {1*4') tées par la rapidicé de leur chute, par Pacliott de la lune fur 1'athmofphere, Sc fur les eaux déja tombe'es, par la violence des vents, &c auront obéi a toutes cesimpulfions, & que dans leurs mouvemens elles auront commencé par fillonner plus a fond les valle'es de la terre , par renverfer les éminences les moins folides , rabaiffer les crêtes des montagnes , percer leurs chaines dans les points les plus foibles; & qu'après leur établiffement,ces mêmes eaux fe font ouvert des routes fouterraines ; qu'elles ont mine' les \outes des cavernes , les ont fait e'crouler, Sc que par confe'quent ces mêmes eaux fe font abaiffe'es fucceflivement pour remplir les nouvelles profondeurs qu'elles venoient de former. Les cavernes étoient 1'ouvrage du feu; l'eau des fon arrivée , a commencé par les attaquer; elle les a détruites, & continue de les détruire encore. Nous devons  done attribuer 1'abaiiTement des eaux a. 1'affaifTement des cavernes , comme a la feule caufe qui nous foit démontrée par les faits. La nature re'pandoit les principes de vie dans les mers qu'elle fecondoit , Sc fur toutes les terres que 1'eau n'avoit pu furmonter, ou qu'elle avoit promptement abandonnées ; Sc ces terres , comme les mers,'ne pouvoient être peupiées que d'animaux Sc de yégétadx capables de fnpporter une chaleur plus grande que cellle qni convient aujourd'hui a la nature vivante. Les coquillages , ainfi que les végétaux de ce premier tems, s'étant prodigieufement multipliés pendant ce long intervalle d'anne'es, Sc la durée de leut vie , n'étant que de peu d'anne'es, les animaux a coquilles , les polypes , les coraux , les madrepores, les aftroïtes, Sc de tous les petits animaux qui corivertifF}  (126) fent 1'eau de la mer en pierre, ont, k mefure qu'ils périffoient , abandonnc leurs dépouilles & leurs ouvrages . au caprice des eaux; elles auront tranfporté, Tbrife & de'pofé ces dc'pouilles en mille & mille endroits; car c'eft dans ce mêmétems que les mouvemens des mare'es & des vents régies , ont commencé de forrner les couches horizontales de la fur£u;é de la terre par les fédimens' &C le dépöt des eaux ; enfuite les courans ont donné a toutes les collines & a toutes les' montagnes de médiocre riauteür , des directions correfpondantes : enfin 1'eau a tranfporté dans les cavités intérieuies de la terre , les matieres combuftibles provenant du détriment des végétaux , ainfi que les matieres pyriteufes , bitumineufes&minérales, pures ou mêlées de terres & de fédimens de toute elpece. La feule chofe qui pourroit être dif-  ( ) flcile a concevoir, c'eft rimmcnfe quantité de débris de végétaux que la compofition des mines de charbon fuppofe; mais on peut fe faire une idee en peti: de ce qui eft alors arrivé en grand. Quelle énorme quantité de gros arbres, certains fleuves , comme le Mifliflipi, n'entrainent-ils pas dans la mer ! Le nombre de ces arbres eft fi prodigieux, qu'il empêche dans certaines faifons la navigation de ce large fleuve. II en eft de même fur la riviere des Amazones 8c fur la plupart des grands fleuves des continens déferts ou mal peu piés. On peut donc penfer par cette comparaifon, que toutes les terres élevées au-deflus des eaux, étant dans le commencement couvertes d'arbres & d'autres végétaux que rien ne détruifoit que leur vétufté, il s'eft fait dans cette longue période de tems, des tranfports fucceflifs de tous ces végétaux & de leurs detrimetts  (128) «ntralnés par les eaux courantes da ham des montagnes jufqu'aux mers. Les mêmes contre'es inhabitées de 1'Amérique nous en fourniflent un autre exemple frappant; on voit a la Guyane des forêts de palmiers latamiers de plulïeurs lieues d'e'tendue, qui croilTent dans des efpeces de marais , qu'on appelle des favanes noyées , qui ne font que des appendices de la mer; ces arbres, après avoir ve'cu leur age, tombent de ve'tufté f & font emporte's par le mouvement des eaux. Les forêts plus éloigne'es dc la mer, & qui couvrent toutes les hauteurs de 1'intérieur du pays3 font moins peuplées d'arbres fains & vigoureux que jonchées d'arbres décrépits & a demi pourris; les voyageurs qui font obligés de paffer la nuit dans ces bois, ont foin d'examiner le lieu qu'ils choififfent pour gite, afin de rcconnoitre s'il n'eft environné que d'arbres folides, & s'ils nc  (I29 ) courent pas rifque d'être écrafe's pendant leur fommeil par la chüte de quelques arbres pourris fur pied; & la chüte de ces arbres en grand nombre, eft trèsfréquente : un feul coup de vent fait fouvent un abbatis fï confide'rable, qu'on en entend le bruit a de grandes diftances. Ces arbres roulant du haut des montagnes, en renverfent quantité d'autres, & ils arrivent enfemble dans les lieux les plus bas, ou ils achevent de pourrir, pour former de nouvelles couches de terre végétale; ou bien ils font entramés par les eaux courantes dans les mers voifines , pour aller former au loin de nouvelles couches de charbon foffile.  ( !3° ) QUATRIEME ÉPOQUE. Lorfque les eaux fe font retire'es , & que les volcans ont commencé' d'agir. Dans ce même tems ou les terres , éleYe'es au-deflus des eaux, fe couvroient da grands arbres & de végétaux de toute efpece, la mer générale fe peuploit partout de poiffons & de coquillage ; elle étoit auffi le re'ceptacle univerfel de tout ce qui fe de'tachoit des terres qui la furmontoient. La quantité de végétaux produits & détruits dans ces premières terres , eft trop immenfe pour qu'on puiffe fe la rcpréfenter. II en eft de même de mines de fel, de celles de fer en grains, des pyrites, & de toutes les autres-fubftances dans la compofition defquelles il entre des acides, & dont la première formation n'a pu s'opérer qu'après la  (13O chüte des eaux; ces matieres auront ére entrainées & dépofées dans les lieux bas & dans les fentes de la roche du globe , oü ttouvant déja des fubftances minéwies fublimées par la grande chaleur dc la terre, elles auront formé le premier fond des volcans a venir: je dis a venir; car il n'exiftoit aucun volcan en aclion avant 1'établifiement des eaux, & ils n'ont pu prendrc aucune aólion permanente qu'après leur abaiffement; car Ton doit diftinguer les volcans terreftres des volcans marins; ceux-ci ne peuvent faire que des explofions, pour aiflfi dire, momentanées, patce qu'a l'inltant que le feu s'allume par 1'effervefcence des matieres pyriteufes & combuftibles, il eft immédiatement éteint par 1'eau qui les couvre, & fe précipite a flots, jufques dans leur foyer, par toutes les routes que le feu s'ouvre pour en fortir. Les volcans de la terre ont au contraire une acfioij ¥6  ( n2) durable & proportionnée a Ia quantité de matieres qifils contiennent; ces matieres ont befoin d'une certaine quantité d'eau pour entrer en effervefcence, & ce n'eft enfuite que par le choc d'un grand volume de feu contre un grand volume d'eau, que peuvent fe produire leurs violentes e'ruptions, & de même qu'un volcan fous marin ne peut agir que par inftans , un volcan terreftre ne peut durer qu'autant qu'il eft voifïn des eaux. C'eft par cette raifon que tous les volcans actuellement exiftans font dans les ifles, ou pres des cótes de la mer, & qu'on pourroit en compter cent fois plus d'éteints que d'agiflans; car a mefure que les eaux, en fe retirant,fe font trop éloignées du pied de ces volcans, leurs cruptions ont diminue' par degrés, & enfin ont entie'rement ceffé ,& les le'geres effervefcences que 1'eau pluviale aura pu caufer dans leur ancien foyer n'aura pro-  duit d'efFct fenfible que par des circonftances particulieres & très-rares. Les obfervations particulieres confirment parfaitement ceci. Tous les volcans qui font maintenant en travail, font fitue's pres des mers; tous ceux qui font e'teints & dont le nombre eft bien plus grand, font place's dans le milieu des terres, ou tout au moins a quelque diftance de la mer; & quoique la plupart des volcans qui fublïftent, paroiffent avoir appartenu aux plus hautes montagnes , il en a exifté beaucoup d'autres dans les e'minences de me'diocre hauteur. La date de 1'age des volcans n'eft donc pas par-tout la même. D'abord il eft sur que les premiers, c'efta-dire les plus anciens, n'ont pu acque'rir une aótion permanente qu'après 1'abaifTement des eaux qui couvroient leur fommet; & enfuite il paroit qu'ils ont cefte d'agir dès que ces mêmes eaux fe font trop  éloigne'es de leur voifinage; car , je le répete, mille puiffance, a 1'exception de celle d'une grande maffe d'eau choquée contre un grand volume de feu, ne peut produire des mouvemens auffi prodigieux que ceux de 1'e'ruption des volcans. 'D'autre part, 1'électricité me paroit jouer un très-grand röle dans les tremblemens de terre & dans les éruptions des volcans. Je me fuis convaincu, par des raifons très-folides &c par la comparaifon que j'ai faite des' expériences fur 1'e'lectricité, que le fond de la matiere e'lectrique eft la chaleur propre du globe terreftre ; les e'manations continuelles de cette chaleur, quoique fenfibles, ne font pas vifibles, & reftent fous la formc de chaleur obfcure, tant qu'elles ont leur mouvement libre & direct ; mais elles produifent un feu tres - vif "& de fortes explofïons, dès qu'elles font de'tourne'es de leur direction , ou bien  ('35) ' accumulées par lc frottemcnt des corps. Les cavités inte'rieures de la terre contenant du feu, de Paft & de Peau, Paction de ce premier element doit y produire des vents impe'tueux , des orages bruyans & des tonnerres fouterrarns, dont les effets peuvent êtte com^ parc's a ceux de la foudre des airs; ces effets doivent même être plus violens & plus durables, par la forte re'iiftance que la fblidité de la terre oppofe de tous cötés' a la force électrique de ces tonnerres fouterrains. Le reffort d'un air mêlé de vapeurs denfes & enflammées par Pe'ledtricité, Peffort de Peau , reduitè en vapeurs elaftiqucs par le feu, toutes les autres impuliïons de cette puiflancè élaftique, foulevent, entr'ouvrent la furface de la terre, ou du moins 1'agitent par des tremblemens, dont les fecouiTes nt durént pas plus long-tems que le coup de k foudre inte'riedre qui les produirj  & ces fecoufTes fe renouvellent jufqu'a ce que les vapeurs expanfives fe foienc fait une iflue par quelque ouverture a la furface de la terre, ou dans le fein des mers. Aufli les éruptions des volcans Sc des tremblemens de terre, font précédées & accorripagnéesd'nn bruit fourd Sc roulant, qui ne differe de celui du tonnerre que par le ton fépulcral Sc profond que le fon prend ne'ceffairement en traverfant une grande épaifleur de matiere folide, lorfqu'il s'y trouve renferme'. Cette électricité fouterraine , combinée comme caufe générale , avec les caufes particulieres des feux allumés par 1'effervefcence des matieres pyriteufes & combuftibles que la terre recele en tant d'endroits, fuffit a 1'explication des principaux phénomenes de l'aélion des volcans : par exemple, leur foyer paroitêcre aflez voifin de leut fommet; mais 1'orage eft au-delfous. Un volcan n'eft qu'un  ( ï.37 ) vatte fourneau , dont les ïoufflets, ou plutót les ventillateurs , font placés dans les cavités inférieures , a cóté & audeffous du foyer : ce font ces mêmes cavités , lorfqu'elles s'ètendent jufqu'a la mer, qui fervent de tuyaux d'afpiration pour porter en haut, non-feulement les vapeurs, mais les maffes mêmes de 1'eau & de Pair. C'eft dans ce tranfport que f« produit la foudre fouterraine, qui s'annonce par des gémiffemens, & n'éclate que par Paffreux vomifTement des matieres qu'elle a frappées, brülées &c calcinées; des tourbillons épais d'une noire fumée, ou d'une flamme lugubre; des nuages maffifs de cendres & de pierres ; des torrens bouillonnans de laves en fi.1fion, roulant au loin leurs flots brülans tk deftruéteurs, manifeftent au-dehors le mouvement convulfif des entraillesde la terre. Ces tempétes inteftines font d'autant  plus violentes qu'elles font plus voifines des montagnes a volcans Sc des eaux de la mer, dont le fel & les huiles «afles augmentent encore l'attivité du feu : les tetres iituées entre le volcan Sc la mer ne peuvent manquer d'éptouver des fecouffes fréquentes. Mais pourquoi n'y a-t-il aucun endroit du monde oü 1'on n'aitreiTenti, même de me'moired'homme, quelques tremblemens de terre? La réponfe eft aife'e; c'eft qu'il y a eu des mers par-tout, Sc des volcans prefque par-tout $ Sc oue quoique leurs e'ruptions aient cefte, lorfque les mers s'en font éloione'es, leur feu fubfifte , '& .nous eft de'montrc' par les fources des huiles terreftres, par les fontaines chaudes Sc fulfuieufes qui fe trouvent fre'quemment au pied des montagnes » jufques dans lé milieu des plus grands continens. Cej feux des anciens volcans, devenus pluj tranquilles depuis la retraite des eaux ,  ( r39) faffifent néanmoins pour exciter de tems en tems des mouvemens inte'rieurs Sc produire de le'geres fecouffes, dont les j' ofcillations font dirigées dans le fens des r cavite's de la terre, Sc peut-être dans la ' direction des eaux ou des veines des méptaux, comme conducteurs de cette élec:tricité fouterraine. On ne doit point s'e'tonner que les • volcans foient tous fïtue's dans les hautes 'montagnes, puifque ce font les fculs :aneiens endroits de la terre oü les cavite's :inténeures fe foient maintenues, les'fculs oü ces cavités communiquent de bas en haut, par des fentes qui ne font pas encore comble'es,'Sc enfin les feuls oü Pefpace vuide étoit affez vatte pour contenir la très-grande quantité de matieres qui fervent d'aliment au feu des volcans permanens Sc encore fubfiftans. Au refte , ils s'éfeindront comme les autres dans la fuite des fiecles ; leurs éruptions ceffe-  (i4<0 ront. Oferai-je même dire que les homme! pourroient y contribuer? En coüteroitil autant pour couper la communicatior d'un volcan avec la mer voifine, qu'il er a coüte' pour conftruire les pyramides d'Egypte? Ces monumens inutiles d'une gloire fauffe & vaine, nous apprermeni au moins qu'en employant les mêmes forces pour des monumens de ïagelTe j nous pourrions faire de très-grandes chofes, & peut-être mairrifer la nature au poiht de faire ceffer, ou du moins de diriger les ravages du feu, comme nous favons de'ja , par notre art, diriger Si rompre les efForts de 1'eau. CINQUIEME ÉPOQUE. Lorfque les élephans & les autres animaux du midi ont habitt les terres du nord. Tout ce qui exifte aujourd'hui dans la nature vivante a pu exilïer de même, d*s  t Ï*I) •pie la température de la terre s'eft trouve'e la même. Or, les contrées feptentrionales du globe ont joui pendant long-tems du même degré de chaleur dont jouiffënt aujourd'hui les terres méridionales; & dans le tems oü ces contrées du Nord jouiflbient de cette tempe'rature, les terres avance'es vers le midi "étoient encore brülantes, & font demeure'es défertes pendant un long efpace de tems. II femble même que la me'moire s'en foit conferve'e par la tradition; car les anciens étoient perfuadés que les terres de Ia zone torride étoient inhabitées: elles étoient encore inhabitées long-tems après la population des terres du Nord. Et dans quelle contrée du Nord les premiers animaux terreftres auront - ils pris naifrance? N'eft-il pas probable que c'eft dans les terres les plus élevées, puifqu'elles ont été réfroidies avant les autres ? Et n'eft-il pas également probable  ( i42 ) que les éléphans & les autres animaux-. aótuellement habitant les terres du midi, font nés les premiers de tous, & qu'ils ont occupé ces terres du Nord pendant quelques milliers d'anne'es, 8c long-tems avant la naiflance des rennes qui habiter.t aujourd'hui ces mêmes terres du Nord ? Dans*ce tems,les éléphans, les rhinocéros, les hippopotames, & probablement toutes les efpeces qui ne peuvent fe multiplier actuellement que fous la zone torride, vivoient donc & fe multiplioient dans les terres du Nord, dont la chaleur étoit au même degté, 8c par conféquent tout convenable a leur nature ; ils y étoient en grand nombre ; ils y ont fcjourné long-tems; la quantité d'ivoire & de leurs autres dépouilles que 1'on a découvertes 8c que 1'on découvre tous les; jours dans ces contrées feptentrionales, nous démontre évidemment quelles ont été leur patrie, leur pays natal, 8c certai-  c 143) nement la première terre qu'ils aient occupe'e. £n donnant une très-grande ancienneté a la nature vivante , telle qu'elle nous eft parvenue, c'eft-a-d'ire aux efpeces d'animaux terreftres nces dans les terres du Nord, & aótuellement exiftantes dans celles du midi, nous pourrons fuppofer qu'il y a peut-être cinq mille ans que les élephans font confinés dans la zone torride, & qu'ils ont féjourne' tout autant de tems dans les climats qui forment aujourd'hui les zones tempérées, &c peut-être autant dans les tlimats du Nord, oü ils ónt pris'naiflance. Mais cette marche réguliere qu'ont fuivie les plus grands, les premiers ani¬ maux de nótre continent, paroit avoir fouffert dés obftacles dans 1'autre. Ces, - - «• / • I animaux n'a'uront pu gagner lés rcgions de l'équateur dans le nouveau continenr, comme ils 1'ont fait dans Tanden, tant  ( '44) en Afïequ'en Afrique. En effet, fi 1'on confidere la furface de ce nouveau continent , on voit que les parties méridionales, voifines de Pifthme de Panama , font occupe'es par de très-hautes montagnes : les éléphans n'ont pu franchir ces barrières invincibles pour eux, a caufe du trop grand froid qui fe fait fentir fur ces bauteurs. Ils n'auront donc pas été audela des terres de Pifthme» Sc n'auront fubfifté dans 1'Amérique feptentrionalc qu'autant qu'aura dure dans cette terre le degré de chaleur ne'ceflaire a leur multiplication. Les animaux , au contraire, qui peuplent adtuellement nos re'gions tempére'es Sc froides, fe trouvent e'galement dans les parties feptentrionales des deux continens; ils y font nés poftérieurement aux premiers, & s'y font confervés, paree que leur nature n'exige pas une aufll grande chaleur. Les rennes Sc les autres animaux  (i45) animaux qui ne peuvent fubfifter que dans les climats les plus froids, font venus les derniers; 8c qui fait fi, par fucceffion de tems, lorfque la terre fera plus réftoidie , il ne paroitra pas de nouvelles efpeces dont le tempérament différera de celui du renne, autant que la nature du renne differe a eet égard de celle de 1'éléphant ? Les animaux qui peuplent aujourd'hui les terres du midi de notre continent, y font venus du Nord , & je crois pouvoir 1'afhïmer avec tout fondement. Mais fi 1'on veut diftinguer dans les terres méridionales de notre continent les animaux qui y font arrivés du Nord, de ceux que cette même terre apu produire par fes propres forces, on connoitra que tout ce qu'il y a de coloffal & de grand dans la nature , a été formé dans les terres du Nord, 8c que fi celles de 1'équateur ont produit  (J46) quelques animaux.ce font des efpeces inférieures, bien plus petites que les premières. L'établiflernent de la nature vivante , fur-tout celle des animaux terreftres , s'eft fait dans PAme'rique méridionale , bien poftérieurement a fon féjour fixé dans les terres du Nord,& peut-être la d>fférence du tems eft-elle de plus de quatre ou cinq mille ans; la nature, bien loin d'y être dégénérée par vérufté , y eft au contraire née tard, &c n'y a jamais exifté avec les mêmes forces , la même puiffance aétive que dans les contrées feptentrionales ; les grandes & premières formations fe font faites dans les terres élevées du Nord , d'oü ellgs ont fucceffivement paffé dans les contrées du Midi, fous la même formc & fans avoir rien perdu que fur les dimenfions de leur grandeur} nos éléphans & nos hippopotames qui nous paroiffem f, aros. ont eu des ancêtres plus grand!  (*47) dans les tems qu'ils habiterent les terres feptenttionales, oü ils ont laifïé leurs dépouilles. . Dans ce même-tems oü les e'le'phans habitoient nos terres feptemrionales, les arbres Sc les plantes qui couvrent actuellement nos contre'es me'ridionalcs exiftoient auffi dans ces mêmes terres du Nord. Les monumens femblent le démontrer. On me dira que les arbres Sc les plantes n'ont pu voyager comme les animaux, ni par conféquent fe tranfporter du Nord au Midi; a cela je re'ponds que ce tranfport ne s'eft pas fait tout-acoup, mais fucceffivement. Les efpeces de végétaux fe font femées de proche en proche dans les terres dont Ia température leur devenoit convenable; d'ailleurs ce tranfport n'eft pas néceflaire pour rendre raifon de 1'exiftence de ces végétaux dans les pays méridionaux. En général, la même température produit Ga  (148} par-tou» les mêmes plantes fans qu elles y aient été tranfportées. La population des terres méridionales par les végétaux, eft donc encore plus fimple que par les animaux. - II refte donc celle de 1'homme. A-telle été contemporaine a celle des animaux ? Des motifs majeurs 6c des ra* fons très-folides fe joignent ia pour proiiver qu'elle s'eft fake poftérieurement i toutes nos époques, & que 1'homme eft en effet le grand & dernier oeuvre de la création. Le fouverain Être n'a pas répandu le fcuffk de vie dans le même inftanr fur toute ia férface de la terre ; il a commencé par feconder les mers, & enfuite les terres les plus élevées;&il a voulu donner tout le tems néceftaire a la terre pour fe confolider, fe refroidir, fe de'cou* yrir , fe lécher ,& arriver enfin a 1'état de repos & de tranquillité oü l'hommc  ( *49) pouvoit être le témoin intelligent, Padmirateur paifible dn grand fpeétacle de la nature & des merveilles de la création. Ainfi nous fommes perfuadés, inde'pendamment de Pauterité des livres facrés, que Phomme a été le dernier, Sc qu'il n'eft venu prendre le fceptre de la terre, que quand elle s'eft trouvée digne de fon empire. II paroit ne'anmoins que fon premier fcjour a d'abord éte' , comme celui des animaux terreftres, dans les hautes terres de ÏAlïe ; que c'eft dans ces mêmes terres oü font nés les arts de première nécefficé, & bientót apres les fciences également nécefTaires a 1'exercice de la puiflance de Phomme, & fans lefquelles il n'auroit pu former de fociété , ni compter fi -vie , ni commander aux animaux, ni fe fervir autretnent des végétaux que pour les brouter. G3  tM°) SIXIEME EPOQUE. Lorfque s'ejl faitt la féparation des continens. Le tems de la féparation des continens eft certainement poftérieur au tems oü les éléphans habitoient les terres du Nord, puifqu'alors leur efpece étoit également fubfiftante en Amérique, enEurope & en Afte. 'Mais comment eft-il arrivé que cette féparation des continens paroitfe s'êrre faite en deux eudroits , par deux bandes de mer qui s'étendent depuis les contrées feptentrionales, toujours en s'élargifiant jufqu'aux contteés les plus méridionales ? N'eft-ce pas une preuve nouvelle que les eaux font primitivement vennes des poles, & qu'elles n'ont gagné les patties de 1'équateur que fucceffivement? Tant qu'a dure la  (Hi) chutc des eaux, & jufqu'a 1'entiere féparation de 1'athmofpliere , leur mouvement ge'ne'ral a été dirigé des poles a 1'e'quateur; & comme elles venoient en plus grande quantité' du pole auttral, elles ont formé de vaftes mers dans eet hémifphere, lelquelles vont en fe retréciflant de plus en plus dans 1'hémifphete boréal, jufques fous le cercle polaire. En rénéchiffant fur ces grands bouleverlemens arrivés dans tout 1'univers, & nous renfermant dans ceux de notre continent , il fembleroit que la Me'diterrane'e , & même le détroit qui la joint a 1'Océan, exiftoient avant la fubmerfion de 1'atlantide. Néanmoins i'ouverture du détroit pourroit bien être de la même date. Les caufes qui ont produit 1'afTaiffement fubit de cette vatte terre , ont du s'étendre aux environs ; la même commotion qui 1'a détruite a pu faire  ( M2 ) • écrouler Ia petite portion de montagnes qui formoit autrefois le détroit: les tremblemens de terre qui , même de nos jours , fe font encore fentir fi violemment aux environs de Lisbonne, nous indiquent aflez qu'ils ne font que les derniers effets d'une ancienne & plus puiflante caufe, a laquelle on peut attribuer 1'affaiflement de cette portion de montagnes. Au refte, 1'époque de la féparation des deux grands continens , & même celle de la rupture de ces barrières de 1'oce'an & de la mer noire , paroiflent être bien plus anciennes que la date des déluges dont les hommes ont confervé la mémoire. Après la féparation de 1'Europe & de l'Amérique, après la rup'ure des détroits, les eaux ont ceffé d'envahir de grands efpaces, & daas la fuite, la terre a plus gagné fur la mer, qu'elle n'a  ( m) perdu ; les grands fleuves ont prefque tous formé des ifles & de nouvelles contre'es , prés de leurs embouchure?. On fait que le delta de I'Egypte , dont 1'étendue ne laiffe pas d'être confidérable, n'eft qu'un atterri .Temen t produit par les dépots du Nil; il en eft de même de la Louifiane, pres du fleuve Mifïïflïpi,& de la partie oriëntale fïtuée a 1'embouchure de la riviere des Amazones. Mais nous ne pouvons choifir un exemple plus grand d'une contrée récente , que celui des vaft:s terres de la Guyane ; leur afpeót neus rappellera a i'idée de la nature brute, & nous préfentera le tableau nuancé de la formation fucceflive d'une terre nouvelle. Dans une «endue de plus de cent vingt lieues, ciepuis i'embouchure de la riviere de Cayerine, jufqu'a celle des Amazones . la r er de niveau avec la ' re,n'a d'autre fond que de la vafe, G5  Sc d'autres cótes qu'une couronne^ de bois aquatiques, de mangles ou palétuviers , donc les racines, les «ges & les branches courbées trempent également dans Peau falée , & ne préfcntent que des halliers aqueux , qu'on ne peut pénécrer qu'en canot & la hache a la main. Ce fond de vafe s'écend en pente douce a plufieurs lieux , fous les eaux de la mer. Du coté de la terre, au-dela de cetre large liflere de palétuviers dont les branches plus inclinées vers 1'eau , qu'élevées vers le ciel, ferment un fort qui ferr de repaire aux animaux immondes , s'écendent encore des favanes noyées, plancées de palmiers lataniers , Sc jonchées de leurs débris : enfuite commencent des forêts d'une autre effence; les terres s'élevent en pente douce, Sc marquent, pour ainfi dire, leur élévation pat la folidité Sc la dnreté des bois qu'elles produifent : enfin, après quel-  ques lieues de cherniu, en ligne dh-ecte, depuis Ia mer , on trouve des collines dunt les cöteaux, quoiques rapides, &c mêmes les fommets, font également garnis d'une grande épaiffeur de bonne terre, plantes par-tout d'arbres de tous ages, fi preffe's, fi ferrés les uns contte les autres , que leurs cimes entrelaffées Iaiffent a peine paffer la lumiere du foleil , & fous leur ombre épaiffe, entretiennent une hunaidité fi froide, que'le voyageur eft obligé d'allumer du fea pour y paffer la nuit, tandis qu'a quelque diftance de ces fombres forêts, dans les lieux de'friche's, la chaleur excefllve pendant le jour , eft encore trop grande pendant la nuit. Cette vafte terre des cótes & de 1'inte'rieure de la Guyane, n'eft donc qu'une forêt tout auffi vafte , dans laquelle des fauvnges en petit nombre, ont fait quelques clairieres & de petits abatis pour pouvoir G6  s'y dóttlftiljer, fa.is perdre la jouiflance de la chaleur de la terre & de la lumier du jour. Ces hommes, ainfi que la terre qu'ils habitent, paroiflent être les plus nouVeaux de 1'univers : ils y font arrivés des pays plus élevés & dans des tems poftérieurs a 1'établilTement de 1'efpece humaine dans les hautes contrées du Mexique, du Pérou & du Chili. Mais n'eftil pas fingulier que ce foit dans quelques -unes de ces dernieres contrées qu'exiftent encore de nos jours les géans de 1'efpece humaine, tandis qu'on n'y voit que de pygmées dans le gente des animaux ? Car on ne peut pas douter qu'on n'ait rencontré dans 1'Amérique méridio..ale des hommes en grand nombre, tous plus grands, plus carrés, plus épais & plus forts que ne le font tous les autres hommes de la terre. Les races de géants autrefois h communes en  (M7> Atte,ne fubfiftent plus: pourquoi fe trouvent-elles en Amérique aujourd'hui? Ne pouvons-nous pas croire que quelques géans,ainfi que les éléphans, ont paffe' de 1'Afie en Amérique, oü s'étant trouvés pour ainfi dire feuls , leur race s'eft confervée dans ce continent défert, tandis qu'elle a été entiérement détruite parlenombre des autres hommes, dans les contrées peuplées ? Suppofant donc quelques couples de géans pafles d'Afie en Amérique, oü ils auront trouvé la Ifberté , la tranquillité, la paix, ou d'autres avantages que peut-être ils n'avoient pas chez eux, n'auroient-ils pas choifi dans les terres de leur nouveau domaine , celles qui leur convenoient le mieux tant pour la chaleur, que pour la falubrité de 1'air & des eaux ? Ils auront fixé leur domicile a une hauteur médiocre dans les montagnes; ils fe feront arrêtés lous le climat le plus favorable  (!5S) a leur multiplication ; & comme ils avoient peu d'occafions de le méfallier, puifque toutes les terres voifmes étoient défertes, ou du moins tout auffi naturellement peuplées par un petit nombre d'hommes bien inférieurs en force, leur race gigantefque s'eft prorogée fans obftacle, & prefque fans mélange ; elle a dure & fubiïfté jufqu'a ce jour, tandis qu'il y a nombre de fiecles qu'elle a été détruite dans les lieux de fon origine en Afie, par la très-grande & plus ancienne population de cette partie du monde. Mais autant les hommes fe font multipliés dans les terres qui font a&uellement chaudes&tempérées, aHtan: leur nombre a diminué dans celles qui font devenues trop froides. Toutes les régions feptenttionales au dela de 76' degré depuis le Nord de la Norwege jufqu'a 1' extrêmité de 1'Afie, font actuellement dénuées d'ha-  titans , a 1'exception de quelques malheureux que les Danois & les RulTes ont établis pour la pêche, & qui fetils entre-* . tiennent un refte de population & de commerce dans ce climat glacé'. Les terres du Nord, autrefois aflez chaudes pour faire multiplier les éle'phans & les hippopotames, s'étant déja re'froidies au point de ne pouvoir nourrir que des ours blancs & des rennes, feront, dans quelques milliers d'anne'es. entiérement de'nue'es & défertes par les feu's effets du ' re'froidiflement. II y a même de trèsfortes raifons qui me portent a croireque la re'gion de notre póle, qui n'a pas c'té reconnue, ne le fera jamais ; car ce re'froidiflement glacial me paroit s'êcre empare' du póle, jufqu'a la diftance de fept ou huit degre's, & il eft plus probable que cette terre polaire, autrefois terre ou mer, n'eft aujourd'hui que glacé. Et fi cette préfomption eft fondée, le cir-  (i6o) cuit & Pétendue de ces glacés, loin dc diminuer, ne pourra qu'augmenter avec le réfioidiffenient de la terre. SEPTIEMEN derniere époque. Lorfque la puiffance de Vhomme a fecondé celle de la nature. Les premiers hommes, te'moins des motivemens convulfifs de la terre, encore récens & très-fréquens, n'ayant que les montagnes pour afySes contre les inondations, chafles fouvent dc ces mêmes afyles par le feu des volcans, tremblans fur une terre qui trembloit fous leurs pieds, nus d'efprit &.de corps, expofés aux injures de tous les élémens ; viftimes de la fureur des animaux féroces dont ils ne pouvoient éviter de devenir laproie ; tous également pénérré-; du fentiment commun d'une terreur funefte, tous éga-  (t*t) lcmenr prefles par la néceflïté, n'ont-ils pas crès-promprement cherché a fe re'unir, d'abord pour fe défendre par le nombre, enfuite pour s'aider & travailler de concert a fe faire un domicile & des armes ? Ils ont commencé' par aiguifer en forme de haches, ces cailloux durs, ces jades, ces pierres de foudre, que 1'on a cru tombe'es des nues & formées par le tonnerre, & qui ne'anmoins ne font que les premiers monumens de Part de Phomme dans 1'état de pure nature : il aura bientót tiré du feu de ces mêmes cailloux, en les frappant les uns contre les autres; il aura faifi la flarnme des volcans, ou pronte' du feu de leurs laves brulantes pour le communiquer , pour fe faire jour dans les forêts, les brouffailles; car, avec le fecours de ce puiffant élément, il a nettoyé, affaini , purifié les terreins qu'il vouloit habiter : avec la hache de pierre , il a tranché, coupé les arbres, menuifé  (Ito) le bois, fa'conné l es arm es & les inftrumens de première néceffité ; & après s'être munis de maffues & d'autres armes pefantes &: de'fenfives, ces premiers hommes n'ont-ils pas trouve' le moyen d'en faire d'offenfives , plus le'geres , pour atteindrc de loin ? Un nerf, un tendon d'animal, des fils d'aloe's , ou 1'e'corce fimple d'une plante ligneufe leur ont fervi de corde pour rc'unir les deux extrêmités d'une branche claftique dont ils ont fait leur are 5 ils ont aiguifé d'autres petits cailloux pour en armer la fleche; bientèt ils auront eu des filets > des radeaux, des canots, & s'en font tenus la tant qu'ils n'ont formé que de petites nations compofées de quelques families, ou plutot de parens iffus d'une même familie , comme nous le voyons encore aujourd'hui chez les Sauvages, qui veulent demeurer Sauvages, & qui le peuvent, dans les lieux ou 1'efpace  f i*3 ) I libre ne leur manque pas plus que 1c I gibier, le poiflbn & les fruits. Mais dans tous ceux ou 1'efpace s'eft I trouvé confine' par les eaux ou reflerré Kat les hautes montagnes , ces petkes fcations, devenues trop nombreufes, ont lété force'es de partager leur terrein enKr'elleSj & c'eft de ce moment que la I terre eft dcvenue le domaine de 1'homme ; lil en a pris pofleflïon par fes travaux de rjculture, & 1'attachement a la patrie a ifuivi de rrès-près les premiers acles de fa fpropriéte'; 1'inte'rêt particulier faifanc {partie de 1'inte'têt national , 1'ordre , |la police & les loix ont dü fuccéder, & la focie'te' prendre de la ccnllftance & des Iforces. Néanmoins ces hommes profonde'ment |affccte's des calamite's de leur- premier Kat, & ayant encore fous leurs yeux les /ravages des inondarions , les incendies ::desjvolcans, les gouffres ouverts par les  (i54) fecouffes de la terre , ont confervé utl fouvenir durable & prefqu'e'ternel de ces malheurs du monde ; 1'ide'e qu'il doil pe'rir par un déluge univerfel, ou par un embrafement ge'ne'ral ; le refpect p,oui certaines montagnes, fur lefquelles ils s'étoient fauve's des inondations ; 1'horreur pour ces autres montagnes qui lancoient des feux plus terribles que ceti? du tonnerre ; la vue de ces cembats de li terre contre le ciel, fondement de 1; fable des Titans & de leurs affauts contn les Dieux; l'opinion de Pexiftence re'elh d'un être malfaifant ; la crainte & 1: fuperftition qui en font le premier produit : tous ces fentimens, fondês fur 1; terreur, fe font dès-!ors empare's a ja mais du cceur & del'efpiit de l'homme a peine eft-il encore aujourd'hui raffun par 1'expérience des tems, par le calmi qui a fucce'dé a ces fieclesd'or^ges; enfin par les connoiiïances des effets & de  ( i*s ) ©pérations de la nature; connoiflance qui n'a pu s'acque'rir qu'après 1'établiflément de quelque grande focie'té dans les terres paifibles. Ce n'eft point en Afrique, ni dans les [terres de 1'Afie les plus avancées vers le ! midi, que les grandes fociétés ont pu d'abord fe former, C'eft dans les conjtre'es feprentrionales de 1'Afie que s'eft e'levée la tlge des connoiffances de phomme; & c'eft fur ce tronc de 1'arbre ide la fcience que s'eft élevé Ie tróne de fa puiflance. Plus il a fu, plus il a pu , mais auffi , moins il a fait L moins il a fu. Tout cela fuppofe les hommes adifs jdans un climatheurcux, fous un ciel pur jpour 1'obferver, fur une terre féconde feour la cultiver, dans une contrée prillle'gie'e, a 1'abri des inondations, e'loikme'e des volcans, plus e'levée, & par «conféquent plus anciennement tempérée que les autres, & toutes ces conditioas  (i66) fe font.u'ouvées reünies dans le centre: du continent de 1'Afie, dcpuis le 40e degró de latitude , jufqu'au 5$c. Lesj fleuves qui portent leurs eaux dans la men du nord, dans 1'Océan oriental, dans les mers du midi & dans la Cafpienne, parn tent également de cette région éleyéej qui fait aujourd'hui partie de la Sibériej méridionale & de la Tartarie. C'eft danj cette terre plus élevée,plus folide quelej autres, puifqu'ellc leur fert de centre, &| qu'elle eft éloignée de pres de cinq centj lieues de tous les Océans; c'eft dans cett. contrée privilégée que s'eft formé || premier peuple digne de porrer cenomj digne de tous nos refpects, comme créaé teur des fciences, des arts & de toutes le inftitutions utiles. Cette vérité nous elj également démontrée par les monumenji de 1'hiftoire naturelle & par les progrèj prefqu'inconcevables del'ancienne afttoj mie. Commcnt des hommes fi nouveau^  (167) ont-ils pu trouver la période luni-folaire de fix cents ans ? Je me borne a ce feul : fait, quoiqu'on puiiTe en citer beaucoup d'autres tout auffi merveilleux & tout : auffi conftans : ils favoient donc autant i d'aftronomie qu'en favoit de nos jours . Dominique Caffini, qui le premier a déi inontré la réalité & 1'exactitude de cette |période de fix cents ans; connoiffance a üaquelle ni les Chaldéens, ni les Egypttiens, ni les Grecs ne font pas arrivés; iconnoiiTance qui fuppofe celle des mouivemens précis de la lune & de la terre, :& qui exige un grande perfection dans les inftrumens néceflaires aux oblerva:tions ; connoiffiance qui ne peut s'ac:quérir qu'après avoir tout acquis, la;quelle n'érapt fondée que fur une longue 'fuite de recherches, d'études & de travaux aftronomiques, fuppofe au moins Ideux ou trois mille ans de culture ï Pefprit humain pour y par venir.  ( x68) Mais malheureufement elles font perdues, ces hautes & belles fciences, elles ne nous font parvenues que par débns trop informes pour nous fervir autrement qu'a^econnoïtre leur exiftence pafTée. Je dois renvoyer ici al'excellent ouvrageque M. Bailly a publié fur 1'ancienne aftronomie, dans lequel il difcute a fond tout ce qui eft relatif a 1'origine & au progrès de cette fcience; on verra que fes idéés s'accordent avec les miennes, & d'ailleut s il a traité ce fujet important avec une fagacité de génie & une profondeur d'érudition qui méritent des éloges de tous ceux qui s'intérefTent au progrès des fciences. Les Chinois, un peu plus éclairés quei les Brames, calculent aflez groflierement les éclipfcs, & les calculent toujours de même depuis deux ou trois mille ans; puifqu'ils ne petfeaionnent rien, ilsn'ont jamais rien inventé: la fcience n'eft done pas  ^ (i6-9j pas plus née a la Chine qu'aux Indes. Quoiqu'auffi voifins que les Indiens du premier penple favant, les Chinois ne paroiffent pas en avoir rien tiré ; ils n'ont pas même ces formules aftronomiques dont les Brames ont confervé 1'ufage, & qui font néanmoins les premiers & grands monumens du favoir Sc du bonheur de 1'homme.-Il ne paroït pas non plus que les Chalde'ens, les Perfes , les Egyptiens & les Grecs aient rien recu de ce premier peuple e'clairé. La perte des fciences, cette première plaie faiteal'humanité par la hache de la barbarie, fut fans doüte 1'effet d'une malheureufe révolution qui aura détruit peut-être en peu d'anne'es, l'ouv:age Sc les travaux de plufieurs fiecles. II y a toute apparence que quand les terres fitue'es au Nord de cette heureufe contre'e, ont éte' trop réfroidies, les hommes qui les habitoient, encore ignorans, faH  (!70) rouchcs & batbares, auront reflué vers cette même conttée , riche, abondance & cukivée par les arcs; il eft même aflezétonnant qu'ils s'en foient emparés, & qu'ils y aienc détruit non-feulemcnt les germes , mais même la mémoire de toute fcience; enforte que trente fiecles d'ignorance ont peut-être luivi les trente fiecles de lumieres qui les avoient prccédés. De tous ces beaux & premiers fruics de 1'efprit humain, il n'eft reftc que le mare : Ia metaphyfique religieufe ne pouvaot être comprife, n'avoit pas befoin d'étude & ne devoit ni s'altérer ni ie perdre que faute de mémoire, laquelle ne manque jamais des qu'elle eft frappée du merveilleux. Auffi cette mécapbyfique s'eft-elle répandue, de ce premier centre des fciences, a toutes les parties du monde: les idoles de Calicut fe font trouvées les mêmes que celles  (*70 de Se'léginskoi. Les pélerinages, versie grand Lama , établis a plus de deux mille lieues de diftance, 1'ide'e de la métemplycofe portee encore plus loin, adoptée comme article de foi par les Indiens, les Ethiopiër»*, les Atlantes ; ces meAmes idees défigurées, revues par les Chinois, les Perfes, les Grecs, & parvenues jufqu'a nous, tout femble nous démontrer que la première fouche & la tige commune des connoiffances humaines, appartienta cette terre de la haute Afie, & que les rameaux flériles ou dégénérés de* nobles branches de cette ancienne fouche, fe font étendus dans toutes les parties dc la terre, chez les peuples civilifés. Et que pouvons-nous dire de ces fiecles de barbarie qui fe font écoulés en pure pertc pour nous ? Ils font enfevelis pour jamais dans une nuit profonde; 1'homme d'alors replongé dans les H 2  (I72) ténèbres de Pignorance, apour ainn dire celTé d'êcre homme ; car la groffiereté , fuivie de 1'oubli des devoirs , commencé par relacher les liens de la fociccé , la barbarie acheve de les rompre : les loix méprifées ou profcrires, les meeü'ts dégénérées en habitudes farouches, Pamour Phumanité , quoique gravé en caracteres facrés , effacé dans les ceeurs ; Phomme enfin fans e'ducation , fans morale , re'duit a mener une vie folitaire & fauvage , n'offre , au lieu de fa haute nature, que celle d'un être de'gradé audeffous de Panimal. Neanmoins, après la perte des fciences, les arts utiles auxquels elles avoient donné naiffance, fe font confervés : la culture de la terre, devenue plus néceffaire , a mefure que les hommes fe trouvoient plus nombreux, plus ferrés; toutes les pratiques qu'exige cette même culture , tous les arts que fuppofent la conftruction  ( J73 ) des e'difïces, la fabrication des idoles & des armes, la texture des étoffes , &c. ont furvécu ala fcience; ils fe font répandus de proche en proche; perfeótionnés de loin en loin, ils ont fuivi le cours des grandes populations; l'ancien empire de la Chine s'eft éleve' le premier, & prefque en même-tems celui des Atlantcs en Afrique , ceux du continent de PAfie, celui de 1'Egypte, d'Ëthiopie te font fuccefTivement e'ta'olis, & enfin celui de Rome, auquel notre Europe doit fon exiftence civile. Ce n'efl: donc que depuis environ trente fiecles que la puiffance de 1'homme s'eft réunie a celle de la nature. Par fon intelligence, les animaux ont éte' apprivoifés, fubjuguc's, dompte's, réduits a lui obe'ir a jamais ; par fes travaux, les marais ont e'te deffe'che's, les fleuves contenus , leurs cataractes efface'es , les forêts eclaircks, les landes cultivées; par H3  (*74) la réflexion, les tems ont été comptés, les d^aces mefurés, les mouvemens céleftes reconnus , combinés, repréfentés , le ciel & la terte comparés, 1'univers agrandi, & le créateur dignement adoré ; par fon art émané de la fcience, les mers ©nt été traverfées, les montagnes franchies, les peuples rapprochés, un nouveau monde découvert , mille autres terres ilolées font dévenues fon domaine; enfin , la face entiere de la terre porte aujourd'hui 1'empreinte de la puiffance de l'homme, laquelle, quoique fubordonnée a celle de la nature, fouvent a fait plus qu'elle, ou du moins 1'a fi merveilleufement fecondée , que c'eft a 1'aide dc nos mains qu'elle s'eft développéc dans teute fon étendue, & qu'elle eft arrivée pardegrés au point de perfection &c de magnificence ou nous la voyons aujourd'hui. Suppofons le monde en paix, & voyons  (m) de plus prés combien la ptiiffance de l'homme pourroir influer fur celle de la nature. Rien ne paroit plus diflicile, pour ne pas dire impoffible, que de s'oppofer au réfroidilTement fucccflif dc la terre, & de réchaufttr la température d'un climat; cependant Phomme le peut faire & Pa fait. Paris & Québec font a peu prés fous la même latitude, & a la même éiévation fur le globe; Paris feroit donc au (li froid que Québec, fi la France 8c toutes les contrées qui Pavoifinent, étoient aufii dépourvues d'hommes, auffi couvertes de bois, auffi baignées par les eaux que le font les terres voifines du Canada. Affainer , défricher & peu pier un pays, c'eft lui rendre de la chaleur pour plufieurs milliers d'anne'es, 8c ceci prévient la feule objedrion raifonnable qu'on puifle faire contre mon opinion , ou pour mieux dire contre lefaic réel du réfroidiflement de la terre. H4  (j76) C'eft de la différence de température que dépend la plus ou moins grande énergie de la nature. Heureufes les contrées oü tous les élémens de la température fe trouvent balancés & affez avantageufement combinés , pour n'opérer que de bons effcts! Mais en eft-il aucune qui, dès fon origine , ait eu ce privilege , aucune oü la puiffance de Phomme n'ait pas fecondé celle de la nature , foit en attirant ou détournant les eaux, foit en détruifant les herbes inutiles, & les végétaux nuifïbles ou fuperflus , foit en fe conciliant les animaux utiles, en les multipliant ? Sur trois cents, efpeces d'animaux quadrupedes & quinze cents efpeces d'oifeaux qui peuplent la furface de la terre, Phomme en a choifl dix-neuf ou vingt, & ces vingc efpeces figurent feules plus grandemcnt dans la nature , & font plus de bien fur la terre, que toutes les autres efpeces réu-  ( '"7 ) nies. Elles operent de concert avec 1'homme qui les a prodigieufement multiplie'es, tout le bien qu'on peut attendre d'une fage adminiftraticn de forces & de puiflance pour la culture de la terre, pour le ttanfport & le commerce de fes productions , pour 1'augmentation des fubfifhnces ; en un mot, pour tous les befoins & même pour les plaifirs du feul maitre qui puilfe payer leurs fervicespar fes foins. L'homme fauvage n'ayant point d'idée de la focie'té, n'a pas même cherché celle des animaux. Dans toutes les terres de 1'Ame'rique méridionale , les fauvages n'ont point d'animaux domeftiques; ils de'cruifent indifféremment les bonnes efpeces comme les mauvaifes; ils ne font choix d'aucune pour les élever &c les multiplier , randis qu'une feule elpece féconde comme celle du hocco, qu'ils ont fous la main, leur fourniroit  (i78) fans peine Sc feukment avee un peu de loin, plus de fubfiftances qu'ils ne peuvent s'en procurer par leurs chafTes pénibles. En muitipliant les efpeces utiles d'animaux, Phomme augrnente fur la terre la quantité de mouvement Sc de vie ; il annoblit en même-tems Ia feite entiere des êtres, Sc s'annoblit lui-même , en transformant le végétal en animal f Sc tous deux en fa propre fubftance qui fe répand enfuite par une nombreufe multiplication. Des millions d'hommes exiftent dans le même efpace qu'occupoienr autrefois deux ou trois eens fauva-j ges; des millions d'animaux, oir ilyavoita peine quelques individus : par lui Sc pour lui, les germes précieux font les feuls développés, les productions de la claffe la plus noble les feules cultivées : fur Parbre immenfe de la fécondité, les branches a fruit feules lubfiftantes & ioutes perfedionnées.  .(i79 ) Si Pon veut des exemples récens de la puifTance de Phomme fur la nature des végétaux , il n'y a qu'a comparer nos légumes, nos fleurs & nos fruits avec les mêmes efpeces telles qu'elles e'toient il y a cent cinquante ans ; cette comparaifon peut fe faire immédiatement & tréspre'cife'ment, en parcourant des yeux la grande collecfion des deffeins colorie's , commence'e dès le tems de GaJIond'OrUans , & qui fe continue encore aujourd'hui au Jardin du Roi ; on y verra peut-être avec furprife , que les plus belles fleurs de ce tems , renoncules, ceillets, tulipes , oreille-d'ours, feroient rejettées aujourd'hui , je ne dis pas par nos fleuriftes, mak par les jardinier8 des villages. Ces fleurs, quoique de'ja cultive'es alors, n'e'toient pas encore bien loin de leur état de natuie. Un fimple rang de pe'tales, de longs piftiles & des couleurs dures ou faufles, fans volonte', sans varie'te'j  ( 18o ) sans nuances, tous caraóteres agreftes de Ia nature fauvage. Dans les plantes potageres , une feule efpece de chicorée , &C deux fortes de laitues , toutes deux aflez, mauvaifes, tandis qu'aujourd'hui nous pouvons compter plus de cinquante laitues & chicorées, toutes très-bonnes au gottt. Nous pouvons de même donnerla date trés- moderne de nos meilleurs fruits h pepin & a noyaux, tous différens de ceux des anciens, auxquels ils ne reffemblent que de nom :d'ordinaire les chofes reftent, & les noms ehangent avec le tems; ici c'eft le cortraire , les noms font demeurés, & les chofes ont changé. nos pêches, nos abricots, nos poires , font des productions nouvelles auxquelles on a conlervé les vieux noms des produftions antérieures : pour n'en pas douter , il ne faut que comparet nos fleurs & nos fruits avec les defcriptions ou plutót les notices que les  (i8i) Auteurs Grecs & Latins nous en ont laiffées ; routes leurs fleurs e'toient fimples , & tous leurs arbres fruitiers ïfétoient que des fauvageons affezmal choifis dans chaque genre, dont les petits fruits apres ou fecs, n'avoient ni la faveur ni la beauté' des nötres. Tous ces exemples modernes & récens, prouvent que Phomme n'a connu que tard 1'étendue de fa puiffance , & que même il ne la connoit pas encore affez; elle de'pend en entier de 1'exercice de fon intelligerice : ainfi plus il obfervcra, plus il cultivera la nature , plus il aura de moyens pour fe la foumettre , &: de facilitc's pour tirer de fon fein des richeffes nouvelles, fans diminuer les tre'fors de fon ine'puifable fécondité. Eh que ne pourroit-il pas fur luimême, je veux dire fur fa propre efpece , fi la volontc étoit toujours diri-  (i8z) gée par Pinrelligence ? Qui fait jufqu'a quel point Phomme pourroit perfeftfonner fa nature , foit au moral , foit au phyfique? Y a-t-il une feule nation qui puiffe fê vanter d'êrre arrivée au mei!* le,ur gouvernement poffible , qui feroit non pas de rendre tous les hommes également heureux , mais moins inégalement malheureux, en veillant a leur confervation , a Pépargne de leurs fueurs & de leur fang , par la paix , par 1'abondance des fubfiftances, par les aifances de la vie & les facilités pour leur propagation ; voila le but moral de toute focicté qui chercheroit a s'améliorer. Et pour la phyfique , la médecine & tous les autres arts dont Pobjet eft de nous conferver, font-ils auffi avance's, auffi connus que les arts deftructeurs enfante's par la guerre ? II femble que de rout tems , Phomme ait fait moins de réflexions fur le bien, que de  (i83) recherches pour le mal ; toute fociété eft mêle'e de 1'iui & de 1'autre ; 8c comme de tous les fentimens qui afteétent la multitude, la ctainte eft le plus puiffant, les grands talens dans Part de faire du mal, ont éte' les premiers qui aient frappé Pefprit de Phomme; enfuite ceux qui Pont amufé, ont occupé fon cceur, & ce n'eft qu'après un trop long ufage de ces deux moyens de faux honneut 8c de plaifir ftérile , qu'enfin il a reconnu que fa vraie gloire eft la fcience, 8c la paix fon vrai bonheur. F I N,  LIVRES NOUVEAUX, Qui fe trom ent a Paris , che\ \ M a r a d a n , Libraire, me : des Nojcrs, N°. 33- ;"V" IE de Frédéric , Baron de Trenck, traduite de PAllemand, par M. le i Tourneur, 3 volumes j/2-12, avec < figures, 7 1. 4 f. . Mémoires de Francois, Baron de Trenck,. Commandant des Pandoures , coufin 1 de Frédéric, Baron de Trenck, écrits; par lui-même en Italien, traduits en i Francois par M. L. C. A. 2 vol. in-12 , avec fig. 3 ^ 12 ^ ' LesNuitsde Paris, ou le Speótateun Noóturne , 8 Parties, m-12 , 1 5 1. ,— ld. Parties 7 & 8, féparément, • pour ceux qui ont acquis les fix pre-: mières, 3 Hiftoire de laBaronne d'Alvigny, o\i<  C x§5) les dangers de la paffion du jeu ï 1 vol. in-12 , 1 1. 10 f .le'flexions fur les Immunite's Eccléliaf- itiques, 1 vol. in-8. 2 1. 8 f. Géorgina, Hifloire véritable , par 1'Auteurde Ce'cilia , traduite de 1'Anglois; 4 Parties in-i 2, 41.16 f. Le Tartare a Paris , ou entretiens philofophiques, r vol. in.S. Lecons d'un pète a fes Enfans, d'après lefqueHes on de'montre la ne'ceflité d'occuper Ie Militaire, pour fe rendre utile a fa Patrie , 2 vol. in-\l. La Femme infidelle , 4 parties in-n, 4I. 16* f iVie de Feu Meffire Louis-Francois-Gabriel d'Orléans de la Motte, Evêqiie d'Amieus, par M. 1'Abbé Proyart, 1 vol. in-12. L'amitié trompe'e , ou Lettres du Comte de Saint-Julien, traduites de 1'Anglois 2 yoI. in-12. 3 1.  (i86) Les Contes de mon bifaïeul, tire's des annales fecrettes de la Cour de Thémis, 2. vol. w-i2, 3 1. 12-f. Lolotte & Fanfan , ou les avantures ■ fïngulières de deux Enfans abandonne's dans une Ifle déferce , re'digées & publiées par M. D. D. M. 4 Parties in-11, avec fig. mêlces de Romances & de de'tails fur les Nègres. Eloge de 1'impertinence, 1 vol. i/2-8. Les grands Seigneurs & les riches Proprie'tairës éclairês fur leurs propres inte'rêts, brochure in-%. du prix de 18 f. Fragmens de Lettres originales de de Madame Charlorce-Elizabeth de Bavière, veuve de Monfieur, Frere unique de Louis XIV, écrites a S. A. S. Monfeigneur le Duc AntoineUlric de B** W**** , & a S. A. R. Madame la princeffe de Galles, Caroline, ne'e Princeife d'Anfpach, — De 1715 a 1720.  (i*7) Hymnes du nouveau Bréviaire de Paris, traduites en vers Francois, i vo!. in-12. 2 1. Mufarion , ou Ia philofophie des Graces , in-8, i 1. iof. Hymne au Soleil, in-S , 11.4 f. (Euvres de Molière, 8 vol./n-ic, 12 1,