RELATION DE L'ENLEVEMENT DU NAVIRE L E E O U NTY.   RELATION DE L'ENLEVEMENT, DU NAVIRE L E B O U N T Y, AppartenantauRoi d'Angleterre, & commandé parleLieutenant Guillaume Bligh; avecle Voyage fubféquent de eet Officier & d'une partie de fon équipage dans fa Chaloupe, depuis les iles des Aa«s dans la mer du Sud , jufqua Timor , établiflement Hollandais aux iles Moluques. Ecrït en Anglais par M. William Bligh , Lieutenant de la Marine d'Angkterje ; & traduit par daniël Lescallier , Commiffaire général des Colonies , cidevant Ordonnateur dans la Gu'iane Hollandaife , & enfuite dans la Guïane Francaife , Correfpondant de la Sociité Royale d''Agnculture de Paris. OüVRAGE ORNÉ DE TROIS CaRTES. A PARIS, Chez FirminDidot , Libraire, rueDauphine,N° 116. Et fe trouve k Amsterdam, chez Gabriel Dufour, Libraire. 17^0.  01706  AVIS DU TRADUCTEUR. Le Gouvernement Anglais avoit expédié un petit Navire, pour les lies de la Mer du Sud, avec le projet de procurer aux Indes Occidentales 1'arbre a pain, 6c quelques autres fruits & produ&ions utiles de ces latitudes chaudes, qui fe naturalifent avec fuccès dans les poffeflïons Européennes des Antilles. C'ell a notre fiecle qu'il appartenoit d'employer, pour 1'augmentation des moyens de vie & de fubfiftance , les Vaiffeaux de guerre, qui jufques-la n'avoient prefque d'autres deftinations que de conquérir, ravager & détruire. Puiflent des traces auffi intéreffantes être fuivies partout avec fuccès! Alors on pourra efpérer que deux Nations, qui ne fe cherchoient ïe plus fouvent fur mer que pour fe a  ij Avis du Traiudeur. combattre , ne fe rivaliferont a 1'avenir que d'induftrie, d'inftruaion, & de procédés généreux; qu'elles ehercheront effentiellement la gloire dans leurs efforts pour la civilifation & le bonheur de Thumanité. Le manque de réuflïte de cette belle & intéreffante miffion eft un malheur public , qui doit affeder tous ceux qui prennent un véritabïe intérêt a 1'humanité : la caufe par laquelle ■ elle a manqué , eft faite pour occuper les marins de toutes les Nations 6c de toutes les claffes. Le Navire du Roi d'Angleterre le. Bounty , chargé de cette miffion , & commandé par le Lieutenant William Bligh , après avoir féjourné prés de fix mois a O-Tditi, y avoir raflemblé 6c embarqué dans le meilleur état tous les plants d'arbres a pain 6c autres qu'ii pouvoit défirer, fait voile de cette ile  Avis du Tradudeur. iij délicieufe dans le meilleur ordre , fon équipage en fanté parfaite, bien pourvu, 6c rempliffant fon fervice avec cette exa&e fubordination connue fur les vaiffeaux de guerre Anglais. Le vingt-quatrieme jour après fon départ d'O-Taïtï, ce batiment éprouve une révolte d'une partie de fon équipage contre fon Capitaine ^ 8c 1'autre moitié de fon monde. Ce complot, tramé & muri dans le fecret le plus abfolu, par des hommes qui mangeoient, dormoient 6c faifoient le fervice avec ceux dont ils méditoienc de fe défaire, fe met a exécution. : la révolte éclate le 28 Avril 178$. On embarque de force dix-huit hommes 6c le Capitaine dans une Chaloupede vingtdeux pieds de longueur., telle que pouvoit la comporter un Navire de deux cent quinze tonneaux. On les lance k 1'abandon 8c en dérive dans cette vafte mer t avec cent cinquante livres de bifa 2  iv Avis du Traducleur. cuit, prefque pour toute nourriture. Ces infortunés, heureux dans leur défaftre d'avoir pour Commandant M. Bligh , heureux de lui avoir obéi complettement, arrivent (après une navigation de quarante-huit jours & de douze cent fix lieues marines) a Timor, fans avoir jeté a la mer un feul homme. Cette délivrance miraculeufe donne, non-feulement aux marins, mais a tous les hommes curieux & fenfibles , un grand defir de la connoitre dans tous fes détails. Nous avons penfé qu'on nous fauroit quelque gré de les avoir mis, par cette Tradu&ion, a la portée des perfonnes qui n'entendent pas la langue Anglaife. L'Officier qui, après avoir été maltraité par une partie de fon équipage , a été ftri&ement obéi par celle qui lui eft refté , obéi dans 1'infiniment petite diftribution de vivres par des hommes  Avis du Traducleur. v dévorés de la faim: 1'Officier qui, dans le commandement d'une Chaloupe avec dix-huit hommes, a développé les talens , le courage , la prudence & la fermeté qui font réuflir les Amiraux dans les grandes entreprifes maritimes, & dans les efcadres; eet Officier doic être par cela feul blen juftifié du foup autre batiment». Voila les craintes que plufieurs dJentr'eux manifeftèrent, pour empêcher que les délaiffés n'emportaffent avec eux des inftruments, des cartes, des livres de navigation , des outils & plus de fubfiftance. Le Capitaine Bligh a donné, a latête de fa relation, une planche qui repréfente les plans des couples, des lignes d'eau, & celui d'élévation de fa cha-  xïv Avis du TraduSeur. loupe : on n'a pas cru devoir en donner la copie , qui auroit retardé fans néceffité la publication de ce petit ouvrage. II fuffira de rapporter ici les proportions de cette Cha'.oupe , pour montrer quel étroit efpace avoient dix-neuf hommes pour exifter, dans une frêle barque ouverte de toutes parts aux coups de mer, a la pluie & aux injures du tems, oü une partie étoit obligée de refler debout pour que les autres puffent avoir 1'efpace nécelfaire pour s'étendre & fe coucher.  XV Proportions principales de la Chaloupe du Vaiffeau le Bounty dans laquelle le Capitaine Bligh s'ejl rendu a Timor. Nota. Les mefures font réduites au pied Francais. * pisds. pduces. lignes. Longueur de la Chaloupe de tête en tête . . . 21. p. Largeur au maitre-bau . . 6. 4. 6 Creux 2. 7. 2 ÉpaifTeur de la quille au milieu 3. 8 Hauteur de la quille ... 4. p ÉpaifTeur de 1'étrave . . 3. 4 ÉpaifTeur de 1'étambot en 3. 4 haut Id. en bas .... 3, 10 ÉpaifTeur de la lifle d'hourdi . 1. 11  xvj Echantillon des varangues i. 11 ld. —— a leur tête . . 2. Leur épaifleur au milieu •••«•.».« 3' P Echantillon des alonges ou couples .... l, 11 ld. ——a leur tête . . i. p AVERTISSEMENT  AVERTISSEMENT. L a Relation qu'on va lire n'eft qu'un incident furvenu dans un Voyage qui avoit été entrepris dans les vues de tranfporter, de la mer du Sud aux iles An* tilles,des plantsde 1'arbreapain.On verra ici la caufe qui a fait manquer cette expédition , & les événemens furvenus par fuite a fon Commandant & a la partie de fon équipage qu'il a ramenée. Quoique ce foit renverfer 1'ordre des tems , de commencèr 1'hiftoire de ce vöyage par°rendre compte de eet événement , on a cru cependant devoir fe prefTer d'informer le Public d'une aventure auffi extraordinaire, paree que fes circonftances font abfolument diftin£les de tout ce qui a précédé. Le refte, qui demande plus de tems & de travail, fera offert a la curiofité du Public auffitöt qu'il fera poffible: & on obfervera une A  ( a ) forme au moyen de laquelle la préfente Relation, étant jointe au refte , complettera la totaiité du Voyage. II fuffit pour le moment (pour mettre le le£teur a portée de lire avec plus de fuccès ce petit Ouvrage) de lui dire, qu'au mois d"*Aoüt 1787 , M. William Bligh fut nommé au commandement du navire le Bounty , de 21J tonneaux, portant 4 canons de fix , 4 pierriers , ayant 46 hommes a bord, compris le Capitaine ; qu'étant partis d'Angleterre au mois de Décembre fuivant, ils arriverent a O-Taïti le 16 O&obre 1788 ; qu'ils appareillerent de cette ile le 4 Avril 1789, ayant alors les apparences les plus favorables d'achever ce voyage avec une réuffite des plus complettes. C'efl a cette époque que la Relation va commencer.   RELATION DE L'ENLEVEMENT DU NAVIRE LE BOUNTY, &c; J'appareillai d'O-Taïti le 4 Avril 1789, ayant a bord 1 o 1 ^ plants d'arbres a pain, & plufieurs aurres d'arbres fruitiers rrès-précieux de ces contiées, que nous avions rallemblés par une fuite conftante d'attentions, pendant cinq mois & dix jours, & qui fe trouvoienc, au moment du départ, daas letat de la végétation la plus parfaice. Le ij Avnl, je découvris une J'e par la latitude de io' 51' fud, & par zoo*, i vous fere\ a l'injlant mis » i mort ». Et fans autre cérémonie , me tenant par la corde qui me lioit les mains, cette troupe de malheureux m'entourant, je fus jeté de force hors du bord , & alors ils me détachèrent les mains. Auffi-töt que je fus dans la chaloupe, ils nous filèrent en arrière du vaiffeau par le moyen d'une corde : on nous jeta quelques pièces de cochon falé, quelques habillemens, & les fabres dont j'ai déja fait men» tion. Ce fut dans eer inftant, que l'Armurier & les deux Charpentiers m'appelèrent, pour  [ '3 ] me déclarer qu'ils n'avoient aucune part a cette ttanfaclion. Après m'avoir fait fubir mille plaifanteries , Sc m'avoir gardé ainfi quelque tems pour leur fervir de jouet, ces indignes rebelles nous laifsèrent enfin aller en dérive fur le grand Océan. Volei la li/Ie des hommzs que j'avois avec moi d.ius la chaloupe. Leurs noms. Leurs emplois. Jean Fryer, Maitre. Thomas Ledward, faifant fonclions de Chirurgien^ David Nelfon, Botanifte. Guillaume Peckover , Maitre Canonnier, Guillaume Cole, Maitre d'équipage. Guillaume Purcell, Maitre Charpentier. Guillaume Elphinflon , Officier du vaiffeau. Thomas Hayward ,• )' ,-., , J \ Eleves de la Marine» Jean Hallet, ) Jean Norton , } Quartiers-Maitres.' PierreLinkletter, j T T , Maitre Voilier, Laurent Lebogue, Jean Smith, ) _ -r • y Cocs, ou Cuihniers; Thomas Hall, j George Simpfon, Boffeman. Robert Tinkler, Mouffe. Robert Lamb. Boucher. M. Samuel. Secrétaire. faijanc 18 hommes j & en m'y comprtnant, i  C *4 ] Lijlc de ceux qui font rejlés a bord du vaijfeau comme Pirates. Leurs noms. Leurs emplois, Fletcher Chriftian, Officier du vaifTeau. Pierre Haywood , # Edouard Young, / Eleves de la Marine. George Stewart, J Charles Churchill, Capitaine d'armes, Jean Mills, fecond Canonnier. Jacques Morrifon , fecond Maitre d'équipag*» Thomas Buikitt, \ Mathieu Quintal, I Jean Sumner, I Jean Millward, f Guillaume Mac-koy, I Henri Hillbrant, I Michaèl Byme, l Guillaume, Mufprat, ? Matelots; Alexandre Smith, I Jean Williams, 1 Thomas Ellifon ,1 Ifaac Martin, I Richard Skinner, ] Mathieu Thompfon , J ' : Guillaume Brown, • Jardlnier; Jofeph Coleman, Armurier. Charles Norman, fecond Charpentier.' Thomas Mac-Intosh, Aide-Charpentier. En tout ij hommesj le choix de tout l'équipage'.  [ «5 ] Comme nous n'avions que peu ou point de vent, nous fitnes route a 1'aviron avec alTez davantage, nous dirigeant versTofó, qui nous reftoir au N. E. a la diftance d'environ dix lieues. Pendant que nous eümes le vailïeau en vue , ü porta le Cap * 1'oueft-nord-oueft; mais je' penfai que ce n'étoit qu'une feinte , paree que, dans le moment oü on nous avoit lailTé aller en dérive, nous avions entendu les révoltés ctier avec tranfport , a plufieurs reprifes : »> Vivc O-Taïti „. Chriftian , Capitaine de cette bande, eft né de parens refpeftables , dans le nord de 1'Angleterre. C'étoit fon rroifième voyage avec moi ; Sc comme j'avois jugé nécelTaire de partager mon équipage en rrois quarrs, je 1'avois chargé d'un de ces quarts, qu'il étoit parfaitement capable de bien commander: par ce moyen, le Maitre Sc le Maitre Canonnier, ne faifoient pas le quart alternativement l eux deux , comme c'eft 1'ufage. Haywoodeftauffiné d'une familie refpedtable du nord de 1'Angleterre: c'eft un jeune hornme remph de capacité , ainfi que Chriftian. Ils éföient 1'un cx 1'autre 1'objet de mes égards,  [16 ] & de mes arcentions particulières; j'avors pns beauconp de peine i leur donner de Uaftruc«ion, paree qu'ils promettoient beaucoupde faire honneur a leur Patri., dans la profenion qu'ils avoient embraffée. i Youna m'avoir été bien recommandc. il meparoUTouêtreunexcellenr&hardiMann. Je Iréjouiffois d'avoir faitcetre acquifinon, mais ie fus bien trompé par 1'apparence. . fteU «* un jeune homme appartenant i de rrès-honnères pareus des des Orcades. duns cepays, en .780 (»» retour taion de fon voyage dans les mersdn Sud ) „„e ce fenl motif auroit foffi pour m engaget a pte„d,ea,ecn,oUeMarin:rnaisont,eeette Liron,o1„i^oitenfafavenI,lletoIt.nft^ danslenaéaer.aesW.ou.onrsb.enona te. MnLtMadotetéaveelaquelle lefus.tat.e, Ufonvtnirdemesbontéspairées.patntcaufet qoelq„eS remotdsaChnfrian. Pendant 1 L.oir de force hors du bord ,e Ut de„„„dat fi cétoit-lifa reconnotfiance pout t„ntes les preuves qu'il avoit eues de mon .nattté! Ma quetóon parut le«oubler,& t  r 171 me répondir avec beaucoup d'émotion : « Oui; » Capitaine Bligh : — Oui, c'eft jufte. — Je » ftiis en enfer , je filis en enfer ». Aufli-tót que j'eus Ie tems de Ia réflexion; ;* eprouvai une fatisfadion inférieure, qui fouooc mon courage : fort de ma confcience & demon intcgrité, afTuré d'avoir mis toute Ia follicirude que je devois d 1'exécution de ma miffion , je me trouvai merveilleufement confolé 5 & je commencai a concevoir 1'efpérance de pouvoir un jour , malgré cette horrible infortune , rendre compte a mon Roi & a ma Nation , de ce défaftre. — Il n'y avoit que quelques heures que j'étois forti de la fuuation la plus flatteufe : je commandois un vailleau dans le meilleur état, bien fourni de tout ce qui lui étoit néceflaire pour remplir fa miflion , & pour la fanté des hommes. Mon attention a tous ces détails , m'avoit fait pourvoir, autant qu'il avoit été poffible , a tous les accidens qui pouvoient m'arriver , dans le cas oü je n'aurois pas pu palier le détroit de VEn* deavour,ou aux divers événemens qui pourroienc furvenir dans ce paflage. Les plans que j'avois procurés , étoientdans 1'état le plus floriftant: je pouvois raifonnablement regarder mon voyage  [ 18 ] comme au deux tiers fait: je n'avois, pour: ce qui me reftoit a faire , qu'une petfpe&ive avantageufe.Tous les individus qui étoient a bord» jomfloient de la meilleure fanté, & j'avois mis la plus grande attention a. la leur conferver. 11 fera naturel de demander quel a pu ètre le motif d'une pareille révolte ? Je ne puis répondre que par une conje&ure : les rébelles s'étoient alfuré que le féjour d'O-Taïti leur offroit une vie plus heureufe que celui d'Angleterre ; cette idéé jointe a quelques inclinations pour des femmes de ce pays, montre probablemenc la fource de toute cette aventure. Les femmes d'O-Taïti font belles , douces ; «gréables dans leurs manièresj leur converfation eft eiijouée, elles ont beaucoup de fenfibilité; & leur d:licatefle eft bien capable d'infpirer pour elles des fentimens dadmiration 8c d'amour. Les Chefs de cette ile avoient montré tant d'attachement i nos gens, qu'ils avoient eu 1'air , plutot de les encaurager a refter par eux, que de les en détourner , Sc même ils leur avoient promis de grandes pofleffions. Ces confidérations, & d'autres fecondaires non moins engagoantes , peuvenc faire concevoir commenc une troupe de Ma-  r *91 fifisi la plupart ne tenant a rien dans leur pays , a pu fe laifler entraïner d une pareill» démarche, quoiqu'il füt prefqu'impoffible de la prévoir d avance. On doit encore obferverque ces hommes, outre des motifs auffi féduifans, voyoient la poffibilité de s'établir au milieu de 1'abondance, dans la plus belle ile de 1'univers, ou ils feroient exempts de travail è Sc du les attraits de la diffipation & des plaiffis , furpaflent tout ce qu'on peut imaginer. Malgré toutes ces raifons, un Commandant ne pouvoit tout au plus prévoir , que quelques gens de fon équipage pourroienc être tentés de déferter i fi on avancoit qu'un Capitaine doit être toujours en garde cöntre les aétes de mutinerie & de piraterie a fon bord j & prendre a eer égard d'autres précautions que lts régies ordinaires du fervice; en feroit auffi-bien de dire , qu il doit s'enfermer dans fa chambre pendant fon forameii } & être, lorfqu'il veille, toujours armé de piftolets. Plufieurs des vailTeaux qui o.. fréquente les iles de la Société , ont effiiyé plus ou moins de défertionsjmais leurs Capitaines ont toujours B 2  [ io ] pu fc faire rendre leurs déferteurs par les Chefs du pays : d'après cela , je penfe que c'eft la ConnoifTance qu'avoient mes gens , du peu de süreté qu'il y avoit a déferter, qui leur fit cómbiner qu'il feroit beaucoup plus aifé d'enlever le fódment par furprife , & qu'il ne fe ptefenteroit jamais pour eux une pareille occafion. Ce qui pafte toute mon imagination, eft le fecret qui a été gatdé dans ce complot. Treize hommes de ceux qui ctolent avec moi dans la chaloupe, avoient toujours vécu en avant avec 1'équipage-, & cependant, ni eux, ni les compagnons de gamelle de Chriftian , de Srewart, d'Haywood & de Young , n'avoient jamais rien obfervé qui put leur donner Ie moindre foupcon de ce qui fe tramoit. 11 eft poflible que fi j'eulTe eu i bord un détachement de troupes de marine , une fentinelle placée a la porte de ma chambre , auroit pu empêcher la réuffite de cette révolte. Je dormois avec ma porte toujours ouverre , afin que rOfficier de quart put a tout moment venir me parler ; mais jamais la poffibilité d'une pareille confpiration n'étoit entrée dans ma pen-  fèe. Si j'avois donné lieu a cette mutinerie $ par quelques fujets de plainres réelles ou im. ginaires, des apparences de leur mccontenteliient auroient pu m'engager a me renir fur mes gardes ; mais il n'y avoit rien de pareil. Au contraire , Chriftian fur-tout, étoit avec moi , du ton Ie plus amical; je 1'avois engagé a diner ce même jour; & U nuit précédeme il s'étoit excufé de fouper avec moi, fous prétexte d'une indifpoficion; j'en avois été chagriné, paree que je ne doutois nullement de fon intégrité , ni de fon honneur. II étoit eflentiel de prendre un parti réfléchi : ma première réfolution fut d'aller chercher une provifion d'eau & de fruit i pain, a Tofó; & enfuire, de faire voile pour Tongatabou , oü j'efTayerois de perfuader le Roi Poulaho , a me fournir de quoi cquiper ma barque, & a me procurer des vivres & de 1'eau, pour nous mettre a même de gagner les Indes orientales. Les vivres que je trouvai dans la chaloupe fe rédüifoienr a cent cinquante livres de bifcuir, feize morceaax de cochon falé, du poids de deux livres chacun, fix boureilles de rum,  Mercredi, $.§ Avril. (,) On doit obferver,que, fuivant la manière des, Marins, de calculerle tems, chaque journée finit a mid.. Ainfi,la journée du 29 Avril, doit être cenfèecojnmencer après-midi, le 28. Nou du Capuamt SUgh. (aj Ce terme étant affez connu dans nos pays man-, times & dans nos iles a iucre, pour exprimer un mélange ffsui&demm.on leconferyeici tel qu'il eft enangla^ [ » 1 Bi bouteilles de vin, quatre-vingt-dix hint pintes d'eau, & quatre barils vides. -Mercredi , 19 Avril (1): cette après-midi fut beureufement trés - calme jufqu a environ. quatre heures. Nous avions tellement gagné le vent, a 1'aide de nos avirons , que nous pümes faire voile avec une petite brife de 1'Eft qui s'éleva alors. II étoit cependant déja nuic clofe lorfque nous arrivames fur Tofö^ou je m'étois flatté de débarquer; mais les cotes. fe trouvèrent fi & pic & fi remplies de rochers, que je fus obligé d'abandonner ce projet,, & de me tenir toute la nuit fous le vent de 1'ile , fourenu par deux avirons; car il n'y avoit aucun mouillage. Ayant donné 1'ordre en conféquence, je fervis a chaque homme une demipinte de grog (l), & chacun fe livra, amant qu'il put, au repos que notre trifte fituauon permettoit de prendre.  T • 1 ^ 1 Le mann , k Ia petire pointe du Jour, not» fiuvïmes la cöte pour chercher un lieu de débarquement; ce ne fut qua dix heures, otf a-peu-près , que nous dccouvrïmes une anfe pierreufe dans le Nord-Oueft de 1'ile : j'y jetai Ie grapin a vingt bralTes de diftance des rochers. La lame fe déployoit fortement a terre; cepeu. dam , comme je ne voulois pas diminuet nos provifions, je mis i terre M. Samuel Sc quelques mms, qui grimpèrent au haut des rochers , & entrèrent dans 111e, pour y chercher des vmes. Le reftant de mon équipage, & moi, nous reftames dans la chaloupe , ne découvrant aucun autre lieu par oü il fut poffible de débarquer, que celui oü M. Samuel avoit palTé. Ce fut pour moi une grande confolation , de voir que 1'excès de nocre malheur , & notre fituation prefque défefpérée , aavtoient point abattu Ie courage de mon mondé. M. Samuel revint vers midi, avec quelques pintes deau qu'il avoit trouvée dans des ttous de rochers: il n'avoit rencontré, ni fource, ni aucune apparence de pouvoir fe procurer une provifion d'eau ; mais il avoit vu des traces d'hommes. Comme il étoit impofllble de calculer jufB4  Jeudi , 38 Avril [ >4 ] qu oü notre befoin pourroit s'étendre , je ne donnai a chaque homme qu'.un morceau de bifcuit & un verre de vin, pour diner. J'obfervai dans cetre anfe 19* 4»' de latl' tude Sud. Elle eft fituée dans la partie NordOueft de Tofó , la plus au Nord-Oueft de toutes les ïles des Amis. Le Jeudi 30 Avril, tems ferein ; mais le vent fouftla fi violemment de 1'Eft-Sud-Eft, que je ne pus m'aventurer en mer. Ce retard rendit abfolument néceflaire de chercher quelques moyens de fubfifter; car je voulois, s'il m'étoit poffible, ne pas entamer notre provifion : c'eft pourquoi je levai le grapin, je fis ramer le long de terre pour aller a la recherche. Nous appergumes quelques cocotiers après bien du tems, mais ils étoient perchés fur des falaifes élevées, & la mer quibrifoit fur la cote , rendoit le débarquement dangereux. Nous ne fümes arrètés par 1'un , ni par 1'autre de ces obftacles. Quelques-uns de nos gens parvinrent , avec beaucoup de peines, a monter au haut des rochers, & a nous procurer une vingtaine de cocotiers : d'autres les ayant attachés & defcendus avec des cordes, nous les primes dans  r 25} la chaloupe, a travers les vagues. C'eft tout ce que nous pümes faire en eet endroit; & comme aucun endroit n etoit auffi favorable que 1'anfe que nous avions IailTée, nous y retournames pour palier la nuit. Je donnai un coco a chaque homme, & nous nous livrames au fommeil dans la chaloupe. Le jour venu, j'eifayai de remettre en mer, mais le mauvais tems, & le vent contraire, m obligèrent bien vitede reprendre le même mouil. lage. Je donnai a chaque homme un morceau de bifcuit & une cuillerée de rum. Nous débarquames , & je partis , accompagné de M. Nelfon , de M. Samuel, 8c de quelques autres. Nous entrames dans 1'ïle , après nous être hifles furie haur du précipice, en nous tenant a des lianes , que les naturels du lieu avoient fixées la a ce defTein; 8c c etoit le feul chemin par ou on put s'introduire dans le pays. Nous trouvames quelques cafés (1) aban- (1) Ce terme eft reen de tous ceux qui fréquentent les pays de la Zone Torride, pour exprimer 1'efpèce de barraque batie en bois ronds & couverte de feuilles, qui forme les logemens des trois quarts de rhumanite dans cette partie du globe.  [16] clonnées, & une bananene qui paroïiToit pea foisnée , oünous ne pümes recueillir que trois petits régimes de bananes. Après avoir quitté eer endroit, nous vinmes a une ravine trèsprofonde , qui defcendoit d'une monngne fut laquelle il y avoit un volcan. Comme je penfaï que cette ravine fervoit de débouché a de grands torrens d'eau dans la faifon pluvieufe, j'efpérai pouvoir en rrouver quelque refte dans des trous de rocl.er , pour faire notre provifion: mais après une longue recherche de toute la journée, nous ne fitnes qu'environ trente-deux pintes d'eau (1). Nous nous approchames d'environ deux milles du pied de la montagne ia plus élevée de file, fur laquelle eft le volcan qui jecte du feu prefque fans inrerruption. Le pays qui IV voifine eft tout couvert de lave , & offre 1 afpedt Ie plus défolé. Ptu fortunés dans le produit de notre courfe , & voyant auffi cu de relfou'ces pour foulager nos befoins , nous remplimes nos no:.x de coco de 1'eau que nous (i) On rèduit les gallons anglais en pintes de Paris; pour la rae'illeure inüruaion des Lecteurs.  117] ftvions trouvée, & nous retournanaes vers notre chaloupe, harrafles de fatigue. Lorfque j'arrivai au bord du précipice, d'ou il falloit defcendre versla mer, il me prit un vertige , de manière a me faire craindre de ne pouvoir en venir a bout : mais avec 1'aide de M. Nelfon & des autres, on parvint d me defcendre, quoique dans un état tres-foible. Tout le monde étant revenu a bord d midi, je donnai a chacun a-peu-près une once de cochon falé , deux banar.es, & un demi-verre de vin. Une autre obfervation me donna encore 15* 4i' S. pour la latitude dè ce lieu, J'avois recommandéaux hommes qui étoient reftcs dans la chaloupe, de chercher du poilTon, ou quelques coquiliages attachés aux rochers ; mais ils ne trouvèrent rien qui fut bon a manger : ainli , rout bien examiné , nous vimes que nous étions dans 1'endroit le plus dcfolé qu'il foit poiïible d'imaginer. Quoique j'eufle eu précédemment connoiffance de cette 11e , que j'avois ouï citer comme la plus petite de eet Archipel; je ne favois pas bien fi elle étoit habitée, ou fi les Indiens n'y yenoient qu'd de certaines époques : j'avois  yendredi, ï« Mai. t ** f ?rande envie de me procurer une certitude % ;et égard, paree que , dans le cas oü ce pays n'eüt eu qu'un petit nombre d'habitans & qu'ils euflent pu nous fournir une quantité bornée de provifions , je trouvois préférable de faire nos préparatifs, quoique moins complets dans eet endroit, plutot que nous rifquer ailleurs parmi des multitudes de ces peuples, oü nous pouvions tout perdre. Je décidai en conféquence, qu'un dérachement aflez nombreux partiroit vers un autre cóté auffi-tot que le foleil auroit unpeu baifle : ils entreprirent avec bonne volonté cette courfe. Le Vendredi , premier Mai, le tems fut très-mauvais , avec les vents a 1'Eft-Sud-Efl:, Sc au Sud-Eft. A deux heures de 1'après midi, nos gens partirent : ils revinrent très-fatigués vers le foir , fans avoir rien trouvé. Dans le fond de Fanfe , il y avoit une grotte cloignée d'environ foixante-dix toifes du bord de la mer : il y avoit une largeur de pres de cinquante toifes de rochers, qui bordoient la cote ; & le feul palTage par oü on put venir a nous de 1'intérieur de 1'ilè j étoit celui dont j'ai donné la defcription : cette ficuation nous grande envie de i eet égard, paree < n'eüt eu qu'un pet euftent pu nous i de provifions , je nos préparatifs, q eet endroit, pluti parmi des multiti pouvions tout p( quence , qu'un c parriroit vers un foleil auroit un p« bonne volonté ce Le Vendredi , très-mauvais, av au Sud-Eft. A di nos gens partirei vers le foir , fans Dans le fond c cloignée d'envin de la mer : il y cinquante toifes cote ; & le feul a nous de 1'intéi j'ai donné la dei igrande envie de i eet égard, paree n'eüt eu qu'un pet euftent pu nous de provifions , je nos préparatifs, q eet endroit, plut parmi des multit pouvions tout pi quence , qu'un > parriroit vers un foleil auroit un p< bonne volonté ce Le Vendredi . très-mauvais, av au Sud-Eft. A d nos gens partire; vers le foir , fan: Dans le fond ( cloignée d'enviri de la mer : il y cinquante toifes cote ; & le feul a nous de 1'intéi j'ai donné la de  [ 2? ] mettoit a 1'abri d'une furprife , Sc Je me décermiriat a paflèr cette nuit a terre avec une partie de mes gens , afin de laiïfer plus d'efi pace aux autres, pour dormir & leur aife dans la chaloupe, avec le Maïrre. J'brdonnai a cec Officier de fe tenir fur un feul grapin , & de faire faire le quart pour prévenir une attaque. Je fis bouillir une banane pour chaque homme, & leur donnai pour fouper cette mince portion, avec un huitième de pinte de grog. Je fixai le tour des quarts pour la nuit; ceux qui n etoient pas de fervice fe couchèrent pour dormir dans la grotte. Nous entretinmes un bon feu devanc 1'entrée ; Sc malgré cela, nous fiïmes fort incommodés des mouftiques & maringouins. La même bande repartit a Ia pointe du jour, fuivant un autre chemin , pour tacher de trouver quelque chofe. Ils fouffrirent beaucoup du manque d'eau ; mais ils firent la rencontre de deux hommes avec une femme & un enfant. Les hommes les fuivirent jufqua 1'anfe, Sc apporrèrent deux noix de coco remplies d'eau. Je hai bien vïte amitié avec eux, & les engageai a retourner nous chercher des fruits a pain, des bananes 8c de 1'eau. II nous fur-  1 s i J •j Samedï, a Mai. 13° i int bientot d'autres Indiens; & a midi j'eö vois une trentaine autour de moi , faifanc rafic des objets dont nous avions befoin. Je ie pus néanmoins accorder qu'une once de •ochon falé , & un quart de fruit a pain ï -haque homme pour diner, avec une demipinte d'eau : car j'étois bien déterminé a ne pas toucher a la provifion d'eau & de pan que nous avions dans la chaloupe. Je ne vis parmi ces naturels , aucun qui eut 1'air d'un Chef: ils fe comportèrent cependant civilement, & furent traitables dans leur négoce , car ils nous donnoient les vivres qu'ils avoient apportés , pour quelques boutons & perles de verre. Le détachemenr qui étoit forti pour parcourir le pays , me rapporta avoir trouvé plufieurs jolies habitations; ce qui nous empecha de douter plus long-tems que 111e n'eüt des habitans a demeure. Cette connoiffance me détermina a ramaffer les fecours que je pourrois procurer , & 1 faire voile aufli-tot ■ que le vent & la mer le permettroient, Le Samedi , z Mai , il fouffla une ten> pète de 1'Eft- Sud-Eft : j'avois été jufques - la fort embarraiTé de favoir ce que je dirois  [ 3' I aux Indiens fur la perte de mon vaiffeau : j'étois bien sur qu'ils étoient trop clairvoyans, pour fe laifTer amufer du conté que j'aurois pu leur faire , que j'attendois le vaifleau, tandis qu'il n'étoit pas en vue du haut de leurs montagnes. Je fus d'abord en doute li je leur dirois la chofe telle qu'elle étoit, ou fi je leur ferois croire que le vaifleau avoit chaviré, & coulé a fond , & que nous étions les feuls fauvés du naufrage. Ce dernier parti me parut le plus convenable a notre fituation vis-a-vis de ces peuples, & j'en fis part a tout mon monde , afin que tous futfent d'accord avec moi dans ce cju'on diroit aux Indiens. Ils s'informèrent en effet de mon vaifleau , comme je 1'avois prévu , & furent tout de fuite perfuadés de la vérité de notre conté j on ne vit aucun figne de joie ni de chagria fur leur phyfionomie ; mais je crus y appercevoir de la furprife. Une partie des Indiens continueren! d'aller & venir toute 1'après-midi, nous achetames du fruit a pain , des bananes & des cocos , pour nous nourrir un jour de plus; mais feulement environ deux bouteilles &c demie d'eau. 11 arnva auili uue pi-  [ 52] rogue , avec quatre hommes , qui nous apporta quelques cocos & quelques fruits a pain, que j'achetai comme j'avois fait le refte. lis nous demandoient fouvent des clous; mais je ne voulus pas qu'il en fut montré un feul, voulant réferver le peu que nous en avions pour le befoin de la chaloupe. J'eus la fatisfaclion de voir notre provifion un peu augmentée vers le foir : maisces gens ne me parurent pas être extrêmement pourvus. Comme ils ne nous apportoient des vivres que par très-petites parties, je ne pus efpérer d'euxrle quoi fournir a notre voyage. Au foleil couché, les Indiens nous laifsèrent tran-. quilles pofleiTeurs de 1'anfe. Je regardaiocela comme de bon augure, & je me perfuadai qu'ils reviendroient le lendemain avec une plus grande quantité de vivres & d'eau : je me propofois de faire voile fans délai dès que jaurois. obtenu ce renfort. Je confidérois qu'en tachant de gagner Tongatabou , nous pouvions être forcés par le tems contraire de nous éloigner de toutes ces ïles, & en ce cas une provifion plus confidérable nous aidoit a fupporter cec £nconvénient. Le  ! 33 ] Le fbuper de cette foirée fut un quart da fruit a pain & un coco pour chacun : nous f imes bon feu * 8c tous s'endormirent, exceptc celui qui faifoit la garde. Je me réjouis a la pointe du jour de voir a tout mon monde un air plus fatisfait ; ils ne jetoient plus conftamment fur moi leurs regards trines 8c iaquiets, comme ils avoient fait depuis que nous avions perdu notre vaiffeaude vue. Chacun me parut avoir de la gaité & du courage pour fupporter de leur mieux notre facheufe pofition. Peu sur d'obtenir de 1'eau des Indiens, j'envoyai du monde dans les ravines qui defcendent des montagnes, avec des cocos vides, pour tacher de les templir d'eau. Pendant leur abfence , les habitans de 1'ïle vinrent nous vifïter, comme je m'y étois attendu , mais en plus grand nombre que la veille. II vint auffi du cöté du nord de 1'ïle deux pirogues, dans 1'une defquelles étoit un Chef agé , dont le nom étoit Macaquevaou. Quelque tems après ia partie de Péquipage, qui avoit été a la recherche des provifions, revint accompagnée d'un Chef de bonne mine,appelé Idgijifaou, ou C  C H 1 «deux a'ce que je crois Ifaau , parceque Ie mot ligi* ou lèui} fignifiedans leur langue un Chef. Je fis préfent a chacun d'eux dune vieille chemife Sc dun couteau , & d me futaifé de connoïtre, ou qu'ils m avoient de,a vu, ou qu'ils avoient entendu pariet de mol i Anamouca. Ils étotent informés que j'avoxs fait le voyage du Capitaine Cook; ds dernandèrent de fes nouvelle. & de celles du Capitaine Clerk. lis me firent plufieurs queftions pour favoir de quelle maniere j'avois perdu mon vailTeau. Pendant cette converfation il furvint un jeune homme nommé Najitc , qui témoigna une grande joie de me voir. Je m'informai de Poulaho Sc de Finaou ; ils m apprirent qu'ils étoient t'un & lautre a Tongatabou. lfaou convint de m'accompagner jufqu'i cette ile , pourvu que je vouluQe attendte que le tems devint plus trairable. Je fus très-fatisfait de 1'air de franchife & de 1'affabihre de eet homme. Cette pofuion riante ne fut pas de longue durée : les Indiens commenccrent i venir en foule , & je crus m'appercevoir qu'il fe tramoit contre nous quelque chcfe. Bientöt  f35 ] après iis tentèrent de haler la chaloupe a terre: je mena$ai Ifaou le fabre levé , pour 1'obliger par-la a leur faire lacher prife : cela mo réuflit, 8c tout redevint tranquille. Nos gens qui avoient été courir les montagnes , re. vinrent peu après , avec environ dix pintes 8c demie d'eau. Je continuai d'acheter Ie petic nombre de fruits a pain qu'on nous apporta, & auffi quelques lances pour armer mon monde ; car nous n'avions pour toutes armes que quatre fabres» dont deux étoient reftés dans la chaloupe. Comme nous n'avions aucun moyen d'améliorer notre pofition, je prévins mon monde , que j'attendrois le coucher du foleil , efpérant qua certe époque nous pourrions trouver quelque moyen de nous tirer d'embarras. Je leur dis que nous ne pouvions nous en aller dans ce moment, fans nous voir obligés de percer toute cette multitude e* combattant, ce qui feroit plus praticable 1* nuit; que d'ici-la nous tacherions d'embarquer petit a petit dans la chaloupe tout ce que nous avions acheté. Le rivage étoit bordé d'Indiens , & on entendoit de toutes parts le bruit des pierres qu'ils tenoient dans chaque main, C z  ] ] 1 I Di manche 3 Mai [ 3< 1 es frappant les unes cöntre les aucres : je corP ïoiflbis ce fignal pour êtce celui de lat:aque. Comme il étoit alors midi, je donnai a. cha:un de mes gens un coco & un fruit a pain pour diner ; jen donnai également aux Chefs , avec qui je confervois toujours 1'apparence de 1'intimité & de la bonne intelligente : ils m'invitoient frcquemment a. m'afleoir, mais je re-» fufai conftamment de le faire , car il nous fembla , a M. Nelfon & a moi , qu'ils avoient deffein , fi nous nous étions laiffé perfuader , de profiter de cette attitude pour me faifir. Ainfi nous tenant toujours fur nos gardes, nous pumes prendre notre trifte repas avec 'quelque rranquillité. Le dimanche 3 Mai : forte brife du S. E. & de TE. S. E. j variant enfuite jufqu'au N. E. , Sc qui devint un coup de vent. Auflltót que le diner fut fini nous commentjames peu a peu a tranfporter nos effets dans la chaloupe : ce fut une befogne difficile a caufe des fortes lames qui fe déployoient fur la cote. J'obfervai attentivement tous les mouyemens des Indiens dont le nombre augmen-  C 37 ] tok toujours : Sc je vis que bien loin de fonget a nous quitter , ils allumoient des feux, & s'étabhlfoient pour palier la nuit dans eet endroit. Ils tenoienr confeil enfemble, & tout me démontroit que nous allions être attaqués. J'envoyai ordre au maitre de tenir la chaloupe accoftée a terre , lorfqu'il nous verroit defcendre , afin que nous pufïions tous nous embarquer promptement. J'avois mon Journal avec moi a terre dans la grotte , pour y écrire les événemens : je 1'envoyai a bord , Sc en le defcendant il eut été arraché par les Indiens des mains de celui qui le portoit, fans le fecours qui fut donné bien a tems par le maitre Canonnier. Le foleil étoit prêt de fe coucher lorfque je donnai le mot pour le départ, chacun de ceux qui étoient avec moi a terre prit fa part des erTers pour les porter a bord. Les Chefs voyant ce mouvement me demandèrent fi je ne pafTerois pas la nuit avec eux. « Non, leur >s répondis-je , je ne découche jamais de mon » batiment, mais demain matin nous recoms> mencerons de rrafiquer avec vous : je compte >s refter ici jufqu'a ce que le tems devienne  [ 38 J * meilleur, & nous irons enfemble voir Pou» laho a Tongatabou , comme nous en fom•> mes convenus. » Macaquévaou fe levant a ces mots , me dit : « Tu ne veux pas dormir » a terre? Eh bien ! itfattie »(ce mot fignifie nous te tuerons.) Et auffitót il me quitta. On fe difpofa a 1'inftant d 1'attaque : chacun des Indiens, frappant deux pierres 1'une contte lautre , ainfi que je 1'ai déja décrit: Ifaou me quitta auffi. II ne nous reftoit plus d terre que deux ou trois objets, alors je pris Nagite par la jnain , & nous defcendimes au bord de la mer, tout le monde gardant un morne filence. Comme je fus vers la chaloupe, faifant em« barquer mon monde, Nagite voulut m'engager a m'arrêter pour parler avec Ifaou ; mais je m'apper5us qu'il excitoit les Indiens a nous combattre , & fi 1'attaque avoit commencé dans ce moment, j'étois réfolude le maflacrer pour punir fa fauiferé. J'ordonnai au Charpentier de refter avec moi jufqu'd ce que tous les autres fuflent embarqués. Nagite voyant que je ne voulois pas refter , me fit quitter prife & s'enfuit. Nous entrames tous dans la chaloupe , Al'exception dun feul matelot qui, a mefure  [39 que je m'embarquois, fauta a terre Sc mont» pour démarer 1'amarre de poupe , malgré les cris que firent , pour 1'engager a revenir , le Maïtre & les gens de 1'équipage , qui m'ai* doient a fortir des vagues pour entrer dans la chaloupe. A peine fus-je a bord que deux cent hommes , ou environ , commencèrent 1'attaque * 1'infortuné qui étoit a terre fut alTommé, 8c les pierres commencèrent a voler comme la grêie. Pluheuts Indiens fe faifirent de 1'amarre de poupe , pour tacher de tirer a terre la chaloupe j & ils y feroient certainement parvenus, li je n'avois pas leftement coupé la corde avec un couteau que j'avois dans ma poche. Nous nous halames auflitöt fur le grapin , chacun de nous étant déja plusou moins blefTé. Je vis dans ce moment cinq Indiens autour du malheureux Matelot qu'ils avoient tué, Sc deux d'en* tr'eux lui battoient la tête avec des pierres qu'ils tenoient dans leurs mains. Nous n'avions pas encore eu le tems de la réflexion , lorfque , a mon grand étonnermnt» je les vis remplir de pierres leurs pirogues, Sc douze hommes venir a nous pour renouveler C 4  [ 40 ] lecombat; &c ils le firent avec tftnt de vigueur' qu'ils étoient prefque venus a bout de nous défemparer. Notre grapin étoit engagé$ mais la Providence vint a notre fecours , une des pattes cafia,& nous primes le largea 1'aide de nos avirons. Les Indiens cependant pagayoient tout k 1'entour de nous, 8c nous fumes obligés de recevoir leurs coups, fans pouvoir leur npofter qu'avec les pierres qui tomboient dans la chaloupe; & a eet égard la partie étoit fort inégale. Nous ne pouvions en voir la fin , a caufe de 1'encombrement & du poids de notre batiment , 8c nos adverfaires s'en appercevoierat bien. Voyant cela, j'imaginai la rufe de jeter a Ia mer quelques hardes : ils perdirent du tems a les ramaffer , la nuit fe fit ■, ils abandonnèrent leur pourfuite , 8c retournèrent a terre, & nous laifsèrent la faculté de réfléchir fur notre trifte pofition. L'homme que je venois de perdre s'appeloit Jean Norton : c'étoit fon fecond voyage avec moi, en qualité de Quartier-maitre : c'étoit un excellent fujet, dont la perte m'a été très-fenfible. II a laifle un père agé, a ce qu'on m'a dit, a qui il fournilfoit des fecours.  [ 4. j II m'éroit arrivé une aui t pareille attaque, avec un pl pént j d'Europcens, contre une fouïe .. Ce fut après Ia mort du Capitaine Cuu.., au Morai d'O-ouaï-hi, oü j'étois par ordre du Lieutenant King. Je ne pus concevoir alors qu'un homme put, d 1'aide feule de fon bras, jeter des pierres qui pefoient depuis deux livres jufqu'a huit, avec autant de force & de jufteire. Ici j'étois fans armes , & les Indiens le favoient: nous fömes bien heureux qu'ils n'euf 'fent pas commencé 1'attaque pendant que nous étions dans la grotte : en ce cas notre perre eut été inévitable , & il ne nous feroit refté d'autre parti d prendre que de combattre , prés d prés , & de vendre chèrement notre vie, en quoi j'avois trouvé chacun bien réfolu de me feconder. Notre air de fermeté les avoit contenus : & dérerminés d ne nous atraquer qu'après notre embarquement , ayant penfé qu'ils réuffiroient alors fans courir de rifques. Cet exemple des difpofitions des Indiens d notre égard , ne faifoient pas beaucoup efpérer d'une vifite d I>oulaho, comme jen  avois eu le projet. Je confidérai que la bonne conduite que ces gens avoient tenue avec nous jufqu alors, étoit un effet de la crainte que leur infpiroient nos armes a feu : que nous les trouverions tout autres , dès qu'ils fauroient que nous en manquions:qu'en fuppofant même que nous ne nous expoferions pas a y etre maflacrés , il étoit fort probable qu'on nous enleveroit notte chaloupe & tout notre avoir , $c que par-la nous perdrions a jamais tpute efoérance de rentrer dans notre patrie. Nous faifions voile, en fuivant la bande de 1'Oueft de 111e Tofó, & je réfléchiiTois a ce qu'il étoit plus convenable de faire , lorfque tous fe réunirent pour me demander de les ramener vers notre patrie. Je leur dis que nous n'avions aucun fecours a efpérer (excepté ce que nous pourrions tacher de nous procurer a la cote de la Nouvelle-Hollande ) jufqu'a 111e de Timor, éloignée de nous de plus de 1 zoo lieues, ou il fe trouve un établiflement hollandois, dans je ne favois quelle partie de 111e. LadelTus ils confentirent tous a vivre avec une once de bifcuit, & un huitieme de pime d'eau pat jour. Je fis la vifite de notre provifion de  [ 45 ] vivres , Sc leur ayant recommandé d'être fideles a cette promelfe , comme au ferment le plus facré, nous arrivames vers la pleine mer. Nous entreprimes donc, dans une barque ouverte, longue feulement de vingt-un pieds neuf pouces, furchargée 8c portant dix-huit hommes, fans aucune carte, 8c vee le feul fecours de la connoilTance géographique que ma mémoire pou'voit me fournir, fans autre guide qu'une table de latitudes & longitudes des lieux , nous entreprimes, dis-je, de traverfer cette vafte mer, dont la navigation n'eft prefque pas connue. Je me trouvai fort heureux dans cette pofition allarmante , de ce que tous mes compagnons d'infortune en étoient moins affectés que moi. Nos provifions confiftoient en cent cinquante livres de pain ou environ, quatre-vingt-dixhuit pintes d'eau , vingt livres de cochon falé ( I), trois beuteilles de vin 8c cinq de rum. (i) Les cent cinquante livres de bifcuit, poids anglais, h'en font pas cent quarante , poids de mare : le* vingt livres de cochon n'en font pas tout-a-fait dixneuf des nötres: cefom les feuls articles qu'on a co»;  [ 44 ] La différence qui fe trouve entre ces quantités 8c celles que nous avions en quittant le vaifleau., provenoit prefque en entier de la perte que nous avions eiTuyée par Ja hate 8c Ja confufion que nous avoit occafionnées 1'attaque imprévue des Indiens. II y avoit en fus dans la chaloupe quelques cocos & quelques fruits a pain , mais les derniers étoient écrafés & foulés par les pieds des gens. Ce fut a peu-près a huit heures du foir que j'arrivai fous la mifaine , voile au tiers avec fon ris pris. Je réglai les quarts, jemisquelque ordre dans le batiment; nous fimes une prière pour remercier Dieu de notre délivrance miraculeufe. Alors , plein de confiance dans la prote&ion de fa fouveraine bonté, je me trouvai 1'efprit plus calme que je ne 1'avois eu deuuis long-temps. Le vent renfor^a a Ia pointe du jour : le foleil fe leva rouge 8c enflammé, marqué cer- lèrvès dans cette tradudtion au poids anglais, ne pou* vant pas en dénaturer la diftribution qui s'elt faite paï «aces, aulTi poids anglais.  [45 1 taine d'un coup de vent. A huit heures il ibuffla une tempête, la mer étoit très-haute, de mamere que la voile ne portoit plus dans 1'entredeux des vagues , quoique fur leur fommet, elle en eut plus que le batiment n'en pouvoit charrier : mais il falloit abfolument faire de la voile; nous éprouvions le plus grand danger par les vagues qui fe déployoienr pardefïiis 1'arrière de la chaloupe, & nous fiïines obligés de pafTer route la nuit a jeter 1'eau. On a peut-être rarement éprouvé a la mer une Ikuation' plus allarmante. Notre bifcuit, qui étoit en facs , couroit grand rifque d'être gaté par 1'eau de mer : nous ne pouvions éviter de périr de faim, G. on ne venoit pas a bout de le garantir. J'examinai donc quelles hardes il y avoit dans la chaloupe, & de quoi on pourroit fe palier. Je réglai que chacun ne garderoit que deux habillemens complets : le refte fut jeté a la mer , de même que quelques cordages & voiles inutiles , au moyen de quoi la chaloupe fut confidérablement allégée , Sc nous eümes plus de facilité a pouvoir jeter 1'eau. Heureufement le Charpentier avoit un excel-  Lundi 4 [ 4« 1 lent coffre ; nous y placames le Ufifttf au premier moment favorable : fon coffre d'outils fut auffi vidé ; les outils furent places au fond de la chaloupe , ce qui nous procura un moyen de plus. Je donnai a chaque homme pour le diner Une pleine cuiller d caffé de rum ( car nous ctions mouillés Sc tremblans de ftoid ) avec le quart dun fruit i pain, qui i p«ne etoit mangeable : le moment étoit venu d'exécuter fcrupuleufement notre réglement économique: j'étois biendéterminé d faire durer nos vivres pendant huit femaines, quelque petite que dut être la ration journaliere. A midi je fis mon point, Sc je me trouval éloicné de Tofo de U milles, la route valant°le O. N. O. 8° ~ O. Latitude efti* mée i9° Sud. Je fis route d l'O. N. Oafin de pouvoir pafTer en vue des fles appelées Figi, fi elles étoient véritablement dans la pofition qui m'avoit été indiquée par les Indiens. Le Lundi 4 Mai; le tems fut très-mauvais: il fouffla un coup de vent du N. E. Sc de 1'E. S. E. la mer encore plus élevée que la  [47] Veilfe. La fatigue de jeter 1'eau , pour nous empêcher d'emplir, fut extreme. Nous fümes obligés de fuir vent arriere; & dans cette fituation notre chaloupe fe comporta fi fupérieurement, que je fus parfaitement ralfuré de ce cöté. Mais de routes les peinesque nous avions a endurer , celle d'être toujours mouillés étoit une des plus cruelles : les nuits étant très-froides, le matin tous nos membres fe trouvèrent engourdis , & nous avions peine a nous remuer : alors je fervis une cuillerée a caffé de rum a chaque homme, ce qui nous fut très-falutaire. Je continuai de faire route a l'O. N. O. comme je 1'avois ci-devant décidé, pour gagner davantage dans le Nord , non-feulement paree que j'efpérois d'y trouver le tems plus traitable j mais auffi pour avoir la vue des ales Figi, que j'avois oui fouvent citer par les habitans d'Anamouca, comme étant dans cette direction : le Capitaine Cook les a fuppofées également dans le N. O. ± d'O. de Tongatabou. Un peu avant midi nous découvrimes une petite ile platte Sc peu élevée qui nous reftoit a VQ, S. ü. a 4 ou 5 lieues de  Mardi, 5 Mai. t 43] diftance. J'obfervai 180 5 8'de latitude Sud; la longitude atrivée , étoit de j° 4' a l'O. de 1'ile Tofó, & la route , 95 milles a l'O. N. O. 4* 30' O. repuis hier midi. Notre diner a tous confifta en cinq petits cocos, que nous partaaeames, & tout le monde s'en contenta. Le Mardi , 5 Mai: le vent baiffa confidérablement vers le foir, & fouffla dans la partie du S. E. Nous appercumes encore d'autres iles, peu après midi; 6c a trois heures \, nous en comptions huit qui nous reftoLn-.t depuis le Sud, paffant par 1'Oueft, jufquau N. O. -j N. Celles qui étoient dans la partie du Sud, les plus proches de nous , étoient a la diftance de quatre lieues. Je fis route au N. O. f d'O. entre les iles; & a fix heures du foir , je découvris trois autres petites iles au N. O.; celle la plus occidentale reftant au N. O. 50 45' O., i la diftance de fept lieues. Je fis route pendant la nuit a l'O. N. O. pour.pafTer au Sud de ces ilesj ayant les ris pris dans la voile. Je fervis quelques débris de fruit a pain pour lc fouper, &: nous fimes la prière. La  Mercredi 6 Mai. i 5* 1 de ces iles font habirées: elles m'ont paru trés* fertiles. A midi, j'obfervai 180 lo' de ktitude S. Je calculai ma route depuis hier midi au N. O. ^O. 50 37'O., le chemin 94 milles,& la longitude eftimée depiüs Tofö, 4°2 9/0. Je donnai pour diner un peu de bifcuit gaté , & un huirième de pinte d'eau. Le Mercredi G Mai, nous eumes de fortes brifes de 1'E. N. E., le tems beau , mais 1'horifon trés gras. A peu-près a fix heures de cette après-midi, je découvris deux iles , dont 1'une me reftoit a l'O. - S. O. a fix lieues de diftance ; Sc 1'autre au N. O. ~ de N. j diftance de huit lieues. Je me tins au vent de la plus feptentrionale que je dépaflai a dix heures , & je remis le cap au N. O. & a. l'O. N. O. Le matin a la pointe du jour, je découvris un nombre d'autres iles, reftant depuis le S. S. E. jufqua 1'Oueft, & faifant le tour jufqu'au N. E. ^ E., je me déterminai a palier entre celles du N. O. A midi, une petite ile ou caye de fable me refta depuis l'Eit jufqu'au S. 8° 37' O. J'avois dépafle dix iles, dont la plus grande peut avoir  Jeudi 7. £ s*1 dont j'ai approché font fcrtiles & montueufes} quelques-unes ont de hautes montagnes. Nous éprouvames une grande joie de voir un poiflon pris a. la ligne ; mais notre efpoir fut malheuteufement trompé : nous le perdimes en voulant le mettre a bord. Le jeudi 7 Mai. Tems variable & le del couvert, le vent au N. E. avec calmes. Je continuai ma route au N. O. entre les iles qui, vers le foir, parurent être fort étendues, bien boifées & montueufes. Au coucher du foleil, celle plus méridionale reftoit depuis le S. jufqu'au S. O. - O.Sc la plus au Nord reftoit depuis le N. i N. O. 50 37' O. jufqu'au N. E. 50 37' E. A fix heures j'étois i-peu-près a mi-canal entre ces deux iles, a fix lieues de diftance de chacune, lorfque je me trouvai fur un banc de madrepores , oü je n'avois que quatre pieds d'eau, fans qu'aucun brifant, ni clapotage nous en eüt pü faire douter. Je ne pus diftinguer 1'étendue de ce banc qu'a un mille de chaque cóté de nous; mais comme il eft probable qu'il s'étend beaucoup plus, je Tai tracé ainfi dans ma carte. • Je réglai la route a l'O. f N. O. pour cette  t 54 3 IV.'-."-. de rum & un morceau de bifcuit pont le déjeuner. Comme j'approchols la terre qui étoit dans 1'Oueir,, elle m'offrit une variété de formes; on voyott des rochers d'une hauteur prodigieufe , & le pays étoit agréablement entremêlé de plaines & de cóteaux, dont quelques endroits étoient boifés. Au large de la partie du N. E. il y a deux petites iles de rochers, qui en font éloignées de quatre lieues. Je paflai entre ces deux iles & la grande mais le courant, qui portoit fous le vent, nous jeta a 1'imptovifte très-près de terre. Nous ne pümes nous en éloigner qu'en nageant (i) , & encore nous rangeames de très-près le récif qui entoure les iles de rochers. Nous vlmes en ce moment deux grandes pirogues a. la voile qui paroifloient nous pourfuivre avec vitefle 5 perfuadés que telle étoit leur intention nous vogames pleins d'inquiétude , connoiflant notre foibleffej &c Pimpolfibilité de nous défendre. (i) On n'apas befoin de dire aux Marins que nager fignifie aller a 1'aviron, mais d'autres pourroient s'y tromper.    issl II étoit midi : le tems etoit calme Sc le ciel couvert de nuages : je ne pouvois par cette raifon être afluré de ma latitude a trois ou quatre milles prés. La route , depuis hier midi, m'a valu Ie N. O. r O. foixante-dixdix-neuf milles : latitude eftimée 16° x$' S. Sc la longitude aufli eftimée 6° 4.6' O. de Tofó. Comme nous étions conftamment inondés, c'étoit avec beaucoup de difficulré que je pouvois trouver les moyens d'ouvrir mon Journal pour écrire, & je ne regarde ce que j'ai fait que comme un moyen d'indiquer ou on peut retrouver ces terres, Sc de donner quelque notion fur leur étendue. Le vendredi 8 Mai. Tems fort pluvieux toute 1'après-midi, avec tonnerre & éclairs: le vent N. N. E. Une feule des pirogues nous gagnoit : a 3 heures de 1'après-midi, elle n'étoit qua deux milles de diftance de nous, lorfqu'elle abandonna la chafle. Ces pirogues, autant que j'en ai pu juger par la forme de leur voile , font pareilles a celles des iles des Amis : & comme la diftance entre ces peuples n'eft pas grande, on ne peut D 4 VendretR 8 Mai.  f \4 ] pas douter qu'ils ne fe refTemblenr. Il eft incertain que ces pirogues aienr eu quelque intencion rmalfaifante a notre égard : il eft poflible que la cornmunïcarion avec eux nous eut ete avantageufe j mais 1'épreuve étoit trop dangereufe dans 1'état défarmé oü nous nous trouvions. Je crois que ces iles font les ïles Figi, paree que leur étendue , leur pofition & leur diftance des iles des Amis s fe rapportent avec ce que nous en ont dit ces infujaires. II furvint une forte pluie a quatre heures : chacun tacha de ramafier de 1'eau, & nous parvnimes a augïnenter notre provifion jufqua cent vingt pintes, outr^ que nous en bümes a notre foif, pour la première fois depuis notre mife en mer. Mais fi nous ^ümes ce bienfait de la pluie , il nous en réfulta un inconvénient qui nous fit pafier une nuit bien facheufe : nous en fumes percés , fans pouvoir changer de hardes ni nous couvrir , & nous éprouvames un froid & des frifïbns dont on peut a peine fe faire une idée. La matinée heureufement fut belle , Sc nous pümes nous mettre nuds pour faire fécher nos habits.  r 57-1 La ration de cette journée fut une once & demie de cochon falé, une cuilletée a cafFé de rum, un quart de pinte d'eau decoco , & une once de bifcuit. Le rum , quoiqu'en auffi petite quantité j fit grand bien. Nous avions toujours une ligne de pêche a. la traine, mais nous ne putnes prendre un feul poiflon, quoique nous en viffions un grand nombre. A midi j'obfervai 16° 4' de latitude Sud , ma route depuis hier midi valut le N. O. ~ O. $° 30' Oueft : chemin eftimé foixante-deux milles; Ia longitude, auffi eftimée, 70 41' a 1'Oueft de Tofó. Les terres que j'ai dépaflees hier & avanthier font un amas d'iles, au nombre de quatorze ou feize , fituées entre les 160 16', & les 170 57' de latitude méridionale, & fuivant mon eftime, entre les 40 47' & les 70 17' de longitude Oueft de Tolö. II y a rrois de ces iles dont 1'étendue eft confidérable, ayant entte trente & quarante lieues de cótes. Le famedi 9 Mai : beau tems & petits vents depuis le N. E. jufqu'a. l'E. - S. E. Cette après-midi nous nétoyames la chaloupe, & nous pafsames tout le tems jufqu'au Samedi 9.  r y81 coucher dit foleil , a faire tout fécher , & a mettre de 1'arrangement dans le bord. Jufqu'a ce moment j'avois délivré les vivres a 1'eftime & au coup-d'ceil; je me procurai une balance compofée de deux noix de coco : je me trouvai par hazard quelques balles de fufil, dont vingt-cinq pefoient une livre , ou feize onces : je pris une de ces balles, pour pefer ce que chaque perfonne devoit recevoir de bifcuit a. chaque diftribution. J'amufai auffi mon monde en leur faifant la defcription de la Nouvelle Guinée & de la Nouvelle Hollande, & en les inftruifant de la lituation , giiTement, & autres circonftances relatives a ces contrées, afin que dans le cas ou je viendrois a. leur manquer, ceux qui refteroient puflent avoir une idee du voyage que nous avions entrepris , & fe trouver d,ans le cas de trouver 1'ile de Timor; car ils n'en connoifToient encore que le nam, & même plufieurs n'en avoient même jamais entendu patler. Le foir je diftribuai pour fouper un huitieme de pinte d'eau & une derni-once de bifcuit ; le matin j un huitieme de pinte d'eau de coco , & un peu du bifcuit avarié pour  t 59 1 (déjeuner : pour diner je pavtageai entre tous Ia pulpe de quatre cocos , & le refte du bifcuit gaté, qui ne pouvoit être mangé que par des gens comme nous, mourans de faim. A midi j'obfervai 150 47' de latitude Sud. La route depuis hier O. ~ N. O. 30 4j' N. Chemin eftimé foixante-quatre milles, longitude arrivée 8° 45' O. de Tofó. Le dimanche 10 Mai, la première partie de cette journée fut belle, mais après le coucher du foleil, il venta fort, par grains de pluie très-abondante, accompagnés d'éclairs & de tonnerre : les vents foufflant de 1'E. £ S. E., du S. E. 5c du S. S. E. L'après-midi je fis garnir une paire de haubans a chaque mat : je fis arranger une toile de baftingage tout autour de la chaloupe, Sc je fis relever les cotés vers 1'arriere d'euvkón neuf pouces, en faifanr clouer contre le bord les bancs de la poupe , ce qui nous fut trèsavantageux.. Les nuages fe ramafsèrenr d'une grande épailfeur vers neuf heures du foir , & nous eumes une pluie afFreufe, avec de forts coups de topnerre Sc beaucoup d'éclairs. A minuit Dimanche 11 MaL  t j nous avions ramaffé foixante-dix pintes d'eau>. Comme nous étions trempés & tremblans de froid , je donnai a chaque perfonne une cuillerée a cafFé de rum , pour leur faire fupporter cette ttifte pofition. Le vent augmenta & le tems fut afFreux toute cette nuit j nous Ia pafsames fans dormir, excepté ceux qui le pouvoient avec la pluie fur le corps. La lumiere du jour n'apporta que fa vue pour améliorer notre état la mer continuoit de brifer au-deffus du bord, & il falloit conltamment employer deux hommes a. jeter 1'eau. Il n'étoit pas queftiond'indiquer la route, car nous étions oblieés de fair devant la mer & de gouverner a. Ia lame , pour éviter de nous remplir. La ration que je difttibuois régulièrement a chaque homme étoit un vingt cinquieme delivre de bifcuit, & un huitieme de pinte d'eau, au foleil couché, a huit heures du matin & a midi. Aujourd'hui je donnai une demi-once de cochon filé a chacun pour diner , & quoique tout homme très-fobre eut pu ne regarder cette quantité que comme une bouchée , on en faifoir trois ou quatre morceaux.  [ 6-i 3i : A midi , la pluie ayant diminué , je pus obferver la latitude que je trouvai être de ï y' Sud. La route O. N. O. o° 3 o' N. le chemin parcouru foixante-dix-huit milles, & la longitude eftimée io° Oueft de Tofó. Le lundi 11 Mai : fortes brifes depuis le S. S. E. jufqu'au S. E., temps orageux ; la mer fort élevée & brifant fur nous. Nous étions horriblement mouillés , & nous fouffrfmes beaucoup du froid toute cette nuit. Le matin a la pointe du jour, je donnai a chacun une cuillerée a café de rum. Nous avions tous la crampe a tous nos membres, de maniere a ne pas les fentir nous-mêmes. Notre pofition étoit deveuue des plus allarmantes j la mer pafloit fréquemment par-defTus la poupe , &c nous étions obligés d'employer tous nos efforts a vider 1'eau. Le foleil qui fe montra a midi, nous fit une fenfation auiïï agréable , qu'il peur la faire en Angletetre , dans un jour d'hiver. Je diftribuai le vingt-cinquieme d'une livre de bifcuit, & un huitieme de pinte d'eau, a chacun pour diner, comme hier. La latitude obfervée fut de 14/ 3*0' Sud. La route eftimée valut Lundi iï Mai.  Mardi n. Mai. [ 62 J l'O. N. O. 3e 30'O. j ehemln fair, cent deux nulles, & la longitude calculée 11° 39' Oueft de Tofö» Le mardi 12 Mai, nous eiïmes de fortes brifes du S. E., avec beaucoup de pluie , 1» tems fombre & très-couvert, qui s'améliora un peu vers midi j Sc alors le vent tourna vers le N. E. Après avoir encore paffe une nuit déplorable, la lumiere du jour vint me montrer mes gens comme une troupe de malheureux remplis de befoin, Sc qui n'avuient aucune relfource pour les fatisfaire ; les uns fe plaignoient de douleurs d'entraiiles, tous avoient peine a fe remuer. -Le fommeil que nous avions pu prendre n'avoit prefque procuré aucun foulagement, fans ccde couverts comme nous 1'étions par la mer & par la pluie. II falloit continuellement deux hommes occupés a jeter 1'eau qu'embarquoit la chaloupe. A la pointe du jour je donnai a chacun une cuillerée a café de rum , & la ration ordinaire de bifcuit & d'eau, tant pour le fouper que pour le déjeuner Sc le diner. A midi Ie tems etoit prefque calme : on ne put voir.le foleil, & nous étions la plupart  [*3 3 ïremblans de froid. La route depuis hier valut l'O. ~ N. O. quatre-vingt-neuf milles de chemin ; la latitude eftimée 140 33' Sud. La longitude arrivée 130 5/ Oueft de Tofö. Ma route actuelle me conduic a pafier au nord des nouvelles Hébridesk Le mercredi 13 Mai: le tems très-orageux, Sc les vents dans la partie du Sud. Comme je ne voyois aucune apparence de faire fccher nos habillemens , j'engageai chacun a fe deshabiller, a tremper leurs hardes & a les tordre dans 1'eau falée, qui leur procura une certaine chaleur, tandis que 1'eau de pluie les tenoic beaucoup plus froides' : par ce moyen nous fümes bien moins expofés aux crampes Sc aux rhumatifmes. L'après midi nous vhnes flotter fur 1'eau une forte de fruit que M. Nelfon reconnut pour être la Bappingronia de Forfter ; & le lendemain matin, en ayant revu encore de la même efpece, & auffi quelques-uns de ces oifeaux que nous nommons Frégan s, jen conclus que nous ne devions pas être fort éloignés de quelque terre. Nous embarquions toujours des lames, nous Mercredi i3-  Jeudi 14. r'*4 3 étions fans cefie occupésa jeter 1'eau, & nous fïïmes trempés & fouffrans du froid toute la nuit. A la pointe du jour je ne pus allouer la dofe ordinaire de rum ; je donnai feulement un vingt-cinquieme d'once de bifcuit, Sc la quanrité d'eau accoutumée. A midi je vis le foleil, Sc la latitude fut de 14° 17' Sud '• la route me valut l'O. ^ N. O. foixante-dixneuf milles de cbeminj la longitude arrivée i4° li' Oueft. Le jeudi 14 Mai, brifes fraiches, tems couvert Sc vent de Sud. Nous embarquions toujours des lames : nous pafsames encore cette nuit continuellement mouillés Sc tremblans de froid. Je diftribuai la ration accoutumée de bifcuit Sc d'eau, trois fois par jour. A fix heures du matin , nous vimes une terre qui nous reftoit depuis le S. O. ~ de Sud, a la diftance de huit lieues, jufqu'au N. O. { O. 8° 16' O., a la diftance de fix lieues. Je reconnus bientót après que c'étoit quatre iles toutes hautes Sc remarquables. A midi, nous apper^ümes une ile de rochers au N. O. \ N. a 4. lieues de diftance, Sc une autre ile reftant a 1'Oueft a huit lieues: ce qui faifoit en tout fix  C ] fix ïles : les quatre que'j'avois vues les premières nous reftoient alors depuis le Sud 50 37' E. jufqu'au S. O. ~ de Sud : notre diftance de l'ile la plus proche étoit de trois lieues. j'obfervai 130 29' de latitude Sud : & la longitude eftimée depuis Tofö ij° 49' Oueft : la route depuis hier midi N. O. j O. 6° ^.y' O. & le chemin quatre-vingt-néuf milles. Le Vendredi ty Mai, nous eümes les vents au S. E. bon frais, le tems très-couvert & de la pluie : la mer nès-haute, deux hommes occupés fans cefle a jeter 1'eau de la chaloupe. A quatre heures de 1'après midi je dépalTai l'ile la plus occidentale. A une heure du matin j'en décoavris une autre , reftant d l'O. N. O. d cinq lieues de diftance , & d huit heures je la vis pour la derniere fois, reftant au N. E. & diftanre de fept lieues : nous vïmes divers oifeaux comme goëlans, fous & frégates. Ces ïles font fituées entre 130 16' & i+° io' de latitude Sud : leur longitude, fuivant mon eftime , s'étend depuis i_c° jV jufqu'd 170 6' Oueft de 1'ïle Tofó (1). La plus grande (1) Après avoir corrigé Terreur trouvée a la fin du E Vendredi  [ off j peut avoïr vingt lieues de tour, Sc les autres feulement cinq ou fix : la plus petite eft la plus Eft; elle eft très-reconnoiftable par une montagne en pain de fucre. La vue de ces iles ne fit qu'augmenter Ia triltefie de notre fituation. Nous étions prefque mourans de faim , avec 1 abondance devant les yeux; mais il y avoit un danger fi imminent a chercher la quelque foulagement a notre mifere , que nous préférames de la fupporter , tant qu'il y avoit une lueur d'efpérance de pouvoir arriver au terme. Quant a. moi je regarde cette longue fuite de pluies & de tems couvert, comme un bienfait de la Providence envers nous : un tems chaud Sc ferein nous auroit fait périr de foif , Sc il eft probable que 1'humidité continuelle, caufée par la pluie Sc par les vagues , dans laquelle nous exiftames tout ce tems , nous a garantis de cette calamité. voyage fur ma route eftimée, & 1'avoir répartie proportionnellement, je place ces iles entre 1670 17' & 1680 34' de longitude Eft du méridien de 1'obfervatoire de Greenwich.  t 07 ] N'ayant tien qui-put aider ma mémoire fur la pofition géographique des lieux , je ne püs décider fi ces iles faifoient partie ou non de celles appelées les nouvelles Hébrides. Je jugeai avoir fait une découverte entierement nouvelle , & j'ai trouvé depuis que la chofe étoit ainfi , car quoique ni M. de Bougainville, ni le Capitaine Cook ne les aient vt?es , elles font cependant fi voifines des nouvelles Hébrides , qu'on doit les regarder comme faifant partie du même gtouppe, Je les crois fertiles & habitées, ayant vu de la fumée dans plufieurs endroits. Le Samedi 16 Mai, vent au S. E. bon frais j & pluie : la nuit fort noire ne permit d'appercevoir aucune étoile d'après laquelle on pik fe gouverner, & la mer nous inondoit fans interruption. Je jugeai très-nécefTaire de nous précautionner le plus qu'il feroit polfible, conrre les vents de Sud, pour tacber de netre pas jetés trop ptès de la Nouvelle - Guinée. Nous étions fi fréquemment obligés de fuir veot arriere , que fi je n'avois pas eu 1'attention de prendre du Sud toutes les fois que le tems devenoit plus maniable, il eüc o E » iamedi 16.  Dimanche '7- [ 58 3 été prefque inévitable , après une telle éonftance des vents dans cetce partie, de nous voir poufler en vue de cette cöte j Sedans ce cas , il étoit fort a craindre pour nous de terminer U notre voyage. Ce jour-U, pour augmenter la trifte por'tion dunvin^t-cinquieme de liyre de bifcuit & d'un huiuemè de pinte d'eau, je diftribuai a chaque homme 'environ une oncejde cochon falé. J'avois efliiyé de fréquentes follicitations pour cette viande ; mais je préférois de la donner par petires quantités , pour la faire durer : car fi je les avois écoutés, elle feroit partie en une ou deux diftributions. A midi, la- latitude obfervée fut de 130 35' Sud ; la longitude arrivée , 190 27'Otieft de Tofo ; la route , l'O.-i N. O. 30 13"' O.; & le chemin patcouru , cent un milles. Le foleil qui fe montra, nous donna efpoir de pouvoir fécher nos hardes. Le Dimanche, 17 Mai: Ie foleil ne parut pas long-temps : nous eümes de trés fortes brifes du S. E. § de S., avec un tems noir & couvert de nuages , des grains de pluie , des orages, du tonncrre & des éclairs. Cette nuit  E 69 j fat vraiment épouvantable, on ne vit aucune étoiie , &■ on ne put étre afiuré de la route. A la pointe du jour , tout le mönde fe plaignoit , «Sc quelques-uns demandoient une augmentatictn de.radon, a quoi je me refinai avec fermere. Notre état etoit des plus déplorables: toujours mouillés, Touffrant des froids exceffifs toute la nuit, fans le moindre abri, roujours obligé de jeter 1'eau pour empêcher la chaloupe de fe remplir : mais cette demiere eirconftance a eu peut-être un avantage, celui de nous tenir en adtion. La petite provifion de rum que j'avois , nous étoit de ia plus grande utilité : lorfque nous avions paffe des nuits dcfaftreufes, j'avois coutume den diftribuer une pleine cuillere a. café, pu même deux , par perfonne , & lorfque j annoncois cette intention, cette nouvelle répandoit la joie parmi I'équipage. A midi, nous fumes au moment d'avoir une trombe i bord. Je diftribuai une once de Cochon faléj avec la ration de pain Sc d'eau.. Avant de diner , chacun fe déshabilla , trempa fes hardes dans 1'eau de mer, Sc les y E 3  Lundi 18. L 70 ] tordit, au moyen de quoi nous les trouvions moins froides Sc plus fupportables. La route , depuis hier midi, valut l'O. S. O. & le chemin parcouru , cent milles ; la latitude eftimée, i4° *x' Sudj *a longitude arrivée, 2i° 3' Oueft. Le Lundi, 18 Mai: vent bon frais de la partie du S. E. avec pluie. La nuit fut fombre & dcfaf- treufe: Ia mer brifant fans celTe dans le bord, Sc rien pour nous diriger dans notre route, que le vent & les lames. Je me déterminai a attéret fur la Nouvelle Hollande ,au Sud du détroit de 1'Endeavour. Je crus néceflaire de conferver une telle pofuion , que les vént* de Sud pulTent nous fervir , afin de pouvoir ranger les récifs qui bordent cette cóte , jufqu a ce que nous puflions trouver quelque ouverture pour nous introduire entre eux &c la terre, dans une eau plus tranquille , & pour avoir quelque efpoir de nous procurer quelques fubfiftances. Le matin, la pluie diminua. Nous nous déshabillames, nous trempames & tordimes nos hatdes dans 1'eau de mer, comme de coutume , Sc nous nous en trouvames très-bien.  [ 7* ] Quoique chacun fe plaignïc de douleurs, il n'y avoit encore, a mon grand étonnement, perfonne de malade. Je diftribuai un vingt-cinquieme de livre de bifcuit, & un huitieme de pinte d'eau , comme a 1'ordinaire , tant pour le fouper , que pour le déjeuner Sc pour le diner. A midi, je'n'eus que 1'eftime pour régler mon point, n'ayant pas appercu le foleil. Ma latitude eftimée , fut 140 5 z' Sud. La route , depuis hier midi, O. S. O. cent fix milles de chemin j la longitude arrivée , zz° 45' Oueft de Tofo. Nous vimes plufieurs oifeaux , de 1'efpece des fous Sc des butords, qui nous firent juger que nous n'étions pas loin de terre. Le Mardi 19 Mai, vent frais de 1'E. N. E. Sc forte pluie , le tems noir & couvert : on ne vit pas le foleil. Nous fümes toute cette journée mouillés fans cefle de 1'eau de la mer Sc de la pluie, Sc nous fouffrimes beaucoup du iroid , dont nous ne nous foulagions un peu, que par momens, en quittant nos habillemens & les trempant dans la mer. Nous eumes toute cette nuit beaucoup d'éclairs , Sc dans les intervales qu'ils laifloient entr'eux, le tems t toi* E 4 Mardi 19 *  fi 1< b s F c I c i \ 4 ■] Mercredi 20. [ 7* J noit, que nous ne pouvions pas nous voit !S uus les autres. Le matin, j'entendis faire eaucoup de doléances fur la rigueur du tems, : j'aurois bien deficé pouvoir diftribuer la etit. raticn de rum, mais comme je craignois ue nous n'euffions encore a paffer de plus udes épreuves , je préférai de conferver le peu [ui nöus en reftoit, pour quelque autre occaion oü nous pourrions en avoir un befoin plus irgent , Sc être moins en état de lupporter ant de maux. Pour les dédommager du n nque de rum, je leur donnai a chacun me once de cothon falc , jointe a la portion ordinaire de bifcuit & d'eau pour le diner. Nous fümes obligés toute cette nuit, & toute la journée, de jeter 1'eau fans interruption. A midi, le tems étoit effroyable, Sc la pluie continuelle : la latitude eftimée , 140 37' Sud ; la route eftimée depuis hier, valut l'O. j N. O. 30 15' O. j le chemin parcouru , cent milles; &la longitude arrivce, 240 30'Oueft de Tofö. Le Mercredi 20 Mai , brifes fraiches de 1'Eft-Nord-Eft , avec pluie continuelle , femblable par momens a- un déluge : nous fümes fans cefle occupés 1 jeter 1'eau.  [ 73 ] A la pointe du jour , quelques uns' de nos gens me parurent a moitié morts ; leurs regards faifoient peur ; & je ne pouvois jeter les yeux d'aucun cóté, que je ne rencontrafle ceux d'un malheureux dans les fouffirances. On appercevoit chez rous, les horreurs d'une faim extreme. On n'éprouvoit du moins pas la foif , car ce befoin étoit fatisfair, même a travers la peau. Nous n'avions pu prendre un peu de fommeil qu'au milieu deseaux , 8c nous ne nous réveillions jamais, fans fentir des crampes 8c des douleurs dans les os. Cette matinée , je donnai a. chaque perfonne, a-peu. pres deux cuillerées a café de runij avec la ration ordinaire de bifcuit & d'eau. A midi, le foleil fe montra, &c nous fit tous renaitre. J'obfervai 140 4p' de latitude Sud; la longitude arrivée , 2 j° 46' Oueft de Tofó , le chemin , foixante-quinze milles, a l'O. z° S. Le Jeudi 21 Mai, les vents bon frais dans la partie de 1'E. N. E. , avec de forts grains de pluie. Nos fouffrances étoient au comble : nous étions fi inondés de pluie & d'eau de mer, que nous pouvions a peine ouvrir les yeux. Le I reudi  [ 74 ] fommeii, que nous defirions ardemment, ne nous apportoit aucun foulagemenc. Quant a. moi, je me paflois prefque entierement de dormir : nous étions toujours très-tourmentés du froid , & 1'approche de la nuit nous infpiroit toujours de 1'erFroi. A deux heures du matin, nous fümes inondés d'un déluge de pluie , qui tomba d'une telle violence j que nous craignions qu'elle ne remplit la chaloupe, & pour 1'empêcher , nous pafsames toute la nuit a jeter 1'eau de toutes nos forces. A la pointe du jour, je donnai une forte portion de rum. Vers midi la pluie cefta, & le foleil fe montra, mais nous étions toujours mouillés & tremblans de froid. La mer , qui ne ceiToit de brifer fur nous , nous avoit empêchés de profiter de cette forte pluie pour augmenter notre provifion d'eau fraiche. La diftribution ordinaire, d'un vingt-cinquieme de livre de pain , & d'un huitieme de pinte d'eau, eut lieu le foir, le matin & a. midi. La latitude obfervée , fut de 140 20' Sud ; Ia longitude arrivée , 27° 15' Oueft de Tofö j le chemin corrigé depuis hier midi , quatrevingt-dix-neuf milles a l'O. \ N. O. o° 45' N.  [ 75 l Je m'eftimai alors fur le même méridien de Ia partie la plus oriëntale de la Nouvelle-Guinée, & a foixante-cinq lieues de diftance de la cote de la Nouvelle-Hollande. Le Vendredi 22 Mai : vent grand frais de 1'E. S. E. jufqu'au S. S. E., avec une très-grofte mer. La nuit fj.it noire & trifte. Notre fituation étoit miférable au dernier degré. Nous étions obligés de gouverner a la lame avec la plus grande attention; & la plus petite négligence de la part du timonier, nous auroit expofés a périr dans 1'inftant. La mer brifoit & paftbit continuellement par-deflTis nous tous, cependant, comme nous ne fouffrions pas autant de froid que dans les tems de pluie, je ne donnai que la portion ordinaire de bifcuit & d'eau. A midi le vent fouffla avec la plus grande violence,&" 1'écume des vagues paftbit conti-~ nuellement par-deflus la poupe & les deux cótés: cependant, en me faifant tenir , je pus prendre hauteur , & je trouvai I40 17' de latitude Sud. ,La route a POueftj 50 N., chemin fait, cent trente milles j longitude arrivée, 2 90 3 8' Oueft de Tof6, Vendredi 2.2.  Samedi 23. / [ 7* ] Le Samedi 23 Mai, grand frais du S. E. &c du S. S. E., avec des grains pefans & de la pluie. Les maux que nous éprouvames dans cette journée ,' furpafsèrent encore ceux de la veille : la nuit fut horrible. La mer, qui nous inondoit avec une violence inexprimable, nous obligeoit de jeter 1'eau fans interruption, avec Ia crainte de périr a chaque inftant. Le jour me montra tout le monde dans 1'état le plus effroyable, &C je commencai a craindre qu'une autre nuit femblable ne terminat les jours de plufieurs , qui me paroifToient hors d'état de fupporter tant de fouffrances. Chacun crioit, & fe plaignoit de fortes douleurs : je les foulageai un peu par une diftribution de deux cuillerées de rum a chacun : après quoi, nous trempames & tordimes nos hardes a 1'eau de mer, nous déjeunames avec notre portion ordinaire de bifcuit & d'eau j & nous nous trouvames un peu mieux. Le tems s'éclaircit vers le midi, mais Ie venr ne diminuoit prefque pas, & Ia mer étoit toujours également grolfe. Ce fat avec beaucoup de peine que je pus obferver 13° 44' de  C 77 3 latitude Sud ; le calcul de la route me donna depuis hier midi,- cent feize milles a l'O, - N. O. 4° 43-' N., la longitude arrivée , 3 i° 5 2/ O. de Tofó. Le Dimanche 24 Mai: beau temsj & vent bon frais au S. S. E. & au Sud. Le tems s'améliora beaucoup vers le foir, ce qui caufa beaucoup de fatisfaótion a tout 1'équipage, Sc leur fit prendre leur rhince repas avec plus d'agrément qu'ils n'avoient fait depuis long-tems. Nous eümes aufli une fort belle nuit. Cependant Ia mer nous mouilloit toujours , & nous fouffrimes beaucoup du froid. Le matin qui fe montra beau , opéra un changement heureux dans toutes les phyfionomies, ce qui me caufa bien de la joie. A midi le tems s'embellit encore , Sc nous fentimes la chaleur du foleil pour la première fois depuis quinze jours. Nous quittames nos habillemens pour les faire fécher : ils étoient fi ufés, qu'ils ne nous garantifloient plus ni du froid} hl de 1'humidité. A midi, j'obfervai 130 33' de latitude méridionale : longitude eftimée 330 2.S' Oueft de Tofoj le chemin cent quatorze milles, Dimanche 14.  Lundi 25. t 7« 1 ia route valant l'O. 6° N. J'ajoutai a la portion accoutumée de bifcuit Sc d'eau , une once de cochon falé a chaque homme. Le Lundi 2 ƒ Mai : beau tems Sc vents bón frais au S. S. E. Nous vimes cette aptès midi beaucoup de ces oifeaux qu'on ne voit qu'aux apptoches de terre , comme fous & butords. A trois heures, la mer devint plus belle , Sc nous n embarquions prefque plus de lames: j'en profitai pour tacher de reconnoitre la quantité exacte de bifcuit que nous avions de refte. Cet examen me fit connoitre qu'en fuivant les mêmes diftributions, j'avois de quoi fournir a vingt-neuf jours de ration. J'efpérois bien être au bout de ce terme rendu a Timorj mais comme on ne pouvoit pas en être afluré, Sc comme il étoit même pofiible que nous fufiions forcés par les circonftances a pouffer jufqu'a. l'ile de Java , je me décidai a faire durer mes vivres encore fix femaines, & a régler les diftributions en conféquence. J'avois tout lieu de craindre que cette propofition ne fut mal rec,ue , Sc je penfai que j'anrois befoin de toute ma fermeté pour la mettre a  t 79 1 exécution : 'car, quelque petite que fut la diminution que je comptois faire fur chaque repas , pour notre plus grand avantage , je craignois que mon équipage ne regardat ce retrancbement comme un tort que je leur faifois au détriment de leur exiftence, & je m'attendois même a de forts obltacles de ia part de quelques-uns plus impatients que les autres. Je parvins cependant a repréfenter avec' fuccès la néceffité indifpenfable oü nous nous trouvions de nous précautionner contre les retards que pourroient apporter a notre voyage , foit les vents contraires , foit d'autres caufes: je promis en même-tems d'augmenter la ration, a mefure que nous aurions avancé notre chemin , & tous y confentirent fans murmures. Je réglai en conféquence que, dès ce moment, la ration du déjeuner feroit d'un vingt-cinquieme de livre de bifcuit, celle du diner aurant; & que le fouper feroit retranché : au moyen de quoi nous avions encore de quoi fubfifter pendant quarante-trois jours, A midi quelques fous nous approchèrent tellement, qu'on en prit un avec les mains. Cet oifeau eft a-peu-près gros comme un petit  Mardi 26. (1) Un homme tourne le dos a 1'objef qu'on fe propofe de partager : un autre défigne les portions 1'une après 1'autre, demandant tout haut au premier, a chaque fois : a qui cette part ? Celui-ci répond en «ommant quelqu'un de 1'équipage, a qui la part refte dévolue. Ce moyen très-impartial de faire les diftributions ; donne a chacun une chance égale d'obtenir le meilleur lot, eft [ 80 ] pigeon, Je le partageai, y compris les inteftins, en dix-huit parts, & on employa, pour fixer les parts , la méthode uiitée en paieil cas par les matelots Anglais, avec le cri : d qui cette part (1) ? On y ajouta la diftribution accoutumée de bifcuit Sc d'eau pour le diner , Sc l'oifeau fut dévoré os & tout, avec de 1'eau de mer pour toute fauce. J'obfervai 13° 31' de latitude Sud; longitude eftimée 3 50 19' Oueft de Tofó, la route a 1'Oueft 1° N. O. j chemin corrigé, cent huit milles. Le Mardi 26 Mai é beau tems, Sc vents bon frais au S. S. e. Le foir nous vimes "oltiger plufieurs butords qui s'approchoient tellement de nous qu'on en prk un avec les mains. Cet oifeau  X 81 j . eft de la grolFeur d'un bon canard : les rfta» rins lui ont donné ce nom, comme au fou1, paree qu'ils fe laiflent prendre ïmvSc 1'autre a la main fur les mats Sc vergues des-navire>. Nous ne connoiiTons pas d'oifeauqui donne unindiceplus afliiré du voifinage de ia retre que celui-cL Je fis tuer eet oifeau pour le fouper, & jen fis don^ner le fang a trois de nos gens qui foufroient le plus de la ifaim, Le corps , les inteftins , le bec Sc les pieds, furent partagés en dix-huit portions , & en y ajoutant une radon de bifcuk que je mefis un mérite' d'accorder, nous Omes un bon fouper, en comparaifon de ceux que nous faifions'ordinairement. Le matin nous prinses un autre butord: ainfi le Ciel fembloit s'occuper, d'une maniere extraordinaire , de foulager nos befoins. Vers midi nous vimes paffer le long du bord plufieurs morceaux de branches d'arbres, dont quelques-unes paroiiToient n'être pas dans 1'eau depuis bien long-tems. Je fis une très-bonne obfervation de latitude, que je trouvai de 130 41' S. Ma longitude eftimée fut 37° de Oueft de Tofó. La route O. f S. O.; Sc le chemin corrigé cent douze milles. Chacun re§ut fa • F  Mercredi f ^2 ] portion dé loifeau, & cette augmentation au diner repandit la joie parmi nous: je fis cette diftribution comme la veille, & donnai le fang a ceux qui étoient les plus affamés. Nous trempions fouvent notre bifcuit dans 1'eau falée,pour le rendre plus appétiflant : quant a moi, j'avois coutume de le brifer en petits morceaux, de le tremper dans ma ration d'eau, dans une noix de coco, & de le manger ainfi a la cuillere. Je mettois une attention économique a ne pas prendre de gros morceaux a la fois , afin de faire durer ce mince repas aufli long-tems que fi c'en eut été un plus abondant. Le Mercredi 17 Mai : les vents au S. E., bonne brife & beau tems, Le tems deyenu ferein eut pour nous un inconvénient : nous ne pouvions fupporter la chaleur du foleil :plufieurs en éprouvèrent un état de langueur & de foiblefie, qui leur faifoit regarder la vie avec dédain. Nous eumes le bonheur aujourd'hui d'attraper deux butords : nous trouvames dans leur géfier plufieurs poilTons volans , & autres petits poifions , que je confervai très.-précieuferaent , pour  183 J én augmentet Ia diftribution du di.nef» Nous vhnes pafter le long du bord beau* coup de bois en dérive, Sc nous appercümes beaucoup d'oifeaux : d'après cela , je n'héfitaj pas d'annoncer que nous devions être prés des récifs qui bordenr la cote de la NouveiieHollande, Sc d'alïurer tout le monde que nous atterrerions inceilimment, en fuivant la méme parallele > que nous rangerions le récif jufqu a ce qu'on put trouver un paftage, au moyen duquel nous entrerions dans une eau plus rran» quille,& que nous pourrionsy ramalfer quelques fubfiftance. D'après ce que ma mémoire me rappeloit de la reconnoifTuice qui a étéfaite de cette cote par le Capitaine Cook , je la re^ardois comme courant S. E. Sc N. O. , & j'étois afiuré que le vent au Sud de 1'Eft me mettoit a même de parer tous les dangers. A midi, j'obfervai ïf 10' de latitude Sud, La route eftimée depuis hier me donna cent neuf milles, a l'O. 4 N. O. ,° 4;' O. La longitude arrivée, 390 4'Oueft de Tofö. Après avoir écrit mon journal., je panageai en dixhuit portions les deux oifeaux, & ce qui avoit été trouvé dans leurs géfiers; & comme cette ï x  Jeudi 28. [ 84 ] capture étoit de grande conféquence, k diftribution fe fit comme je 1'ai expliqué précédemment , par le cri : d qui cette part ? Ainü. dans cette journée j'eus le plaifir de voir chacun complettement rafTafié , au moyen de 1'addition du vingt-cinquieme d'une livre de bifcuit, tant a déjeuner qu'a diner. Le Jeudi 28 Mai : beau tems & brifes frakhes de 1'E. S. E. & de 1'Eft. Le foir nous vimes un goclan. Je vis les nuages fi fixement arrètés dans la partie de 1'Oueft , que je ne pus plus douter que nous ne fuflions très-près de la Nouvelle-Hollande. Chacun , après avoir pris fa portion d'eau pour le fouper , commenca a fe réjouir de 1'idée probable de ce que nous allions bientot découvrir. A une heure après minuit l'homme qui étoit au gouvernail entendit le bruit des brifans. Je levai la tète, & je les appercus en effet fuite fous le vent a nous, prefque a nous toucher , c'eft-a-dire a un quart de mille de diftance. Je fis tenir a Finflant le lof au N. N. E., & au bout de dix minutes , nous ne les voyions ni ne les entendions plus.  [ §5 ] . J'ai déja rendu compre de mes motifs en atterranc autanc dans le Sud fur la cote de la Nouvelle-Hollande : je ne doutois nullement de trouver diverfes ouvertures au récif, pour pouvoir approcher de la terre. Sachant que la cote couroit au N. O., & que les vents regnent fréquemment au Sud de 1'Eft, il m'étoit facile de longer cette barre de récifs , jufqua ce que je piüTe trouver une entrée qui nous devenoit abfolument nécenaire , fans perte de tems. Le courage de tout mon monde étoit foutenu par i'idée d'entrer dans une eau plus tranquille , & d'y trouver quelques vivres. Leur joie fut très-grande lorfque nous nous fumes dégagés des brifans , dont nous avions été beaucoup plus piés que je ne 1'aurois cru poilible, avant de les appercevoir. Le matin a la pointe du jour, je fis arriver, pour nous rapprocher des récifs que nous revïmes a. neuf heures. La mer y brifoit par-tout avec violence. Auffitót que je m'en fus approché, le vent vint a 1'Eft, & nous ne pümes que fuivre le long de ces récifs. Nous voyions au-dela 1'eau fi tranquille , que chacun jouiftbit d'ar vance de la fatisfaótion qu'il fe promettoh  E 85 ] lorfque nous pourrions y parvenu. Dans ce moment je m'appercus que nous étions arTalés : je ne pouvois parer les dangers par le fecours des voiles , le vent nous ayant coiffés, & la mer nous poufToit vivement vers les rochers , ce qui rendoic notre pofition très-périlleufe. Nous ne pouvions pas produire non plus grand effet avec nos avirons , nous avions a peine la force de les foutenir. 11 devenoit a chaque minute plus apparent que notre unique reffoiirce feroit de tachel de nous poufTer pardcflus 'es récifs, en cas qu'il nous fut impofftble de nous en éloigner en voguant. Je ne c .fefpérois pourtant pas encore d'y réuffir, lo fque par un heureux hafard nous découvnmes une ouverture entre les récifs, a enviion un mille loih de nous : nous appercuinis, en même tems, en-dedans, & en droite hgne de cette ouverture , une ile d'une hau' teut bomée, oui nous reftoit al'Oueft f 38 N. O. J'enfilai ce paffage , poufTé par un fort courant qui portoit a POueft; je reconnus que cette entree avoit a-peu-près un quart de mille de largeur, avec apparence d'une grande profondeur d'eau.  C 87 ] A 1'extérieur, le récif couroir au N. E. pendant quelques milles, & enfuite au N. O. : dans la partie du Sud de ce paffage, le récif couroit au S. S. O., autant que j'en pus juger. Je préfume qu'il y a un patTage femblable a celui-ci , vers les récifs que nous avions approchés les premiers, qui font fitués a vingttrois milles plus Sud. Je ne me rappelois pas la latitude du Chenal de la Providence ( 1) : mais je penfai qu'il étoit a quelques milles feulement de diftance de celui-ci qui eft fitué par 51' de latitude méridionale. Comme nous étions heureufement entrés dans les eaux intétieures & tranquilles en-dedans des récifs, je fis enforte de me tenir prés d'eux pour tiener d'attraper quelque poiftbn : mais la marée qui portoit vivement au N. O. nous obligea d'arriver dans cette direction ; & comme j'avois promis de prendre terre au premier endroit convenable qui fe préfente- (1) Ce Chenal de la Providence eft par ia° 34' tfe latitude S., & par 1430 33'de longitude E., du méridien de Greenwich. f4 ' '  \ [ 83 1 rok il fembla dès ce moment que tous nos maux étoient oubliés. A midi j'eus une bonne hauteur qui me donna i z° ^6' de latitude Sud t d'oü on peut conclure que les fituations précédemment indiquées ont été déterminées avec aflez d'exactitude. L'ile que nous avions d'abord reconnue nous reftoit a l'O. S. O. a la diftance de cinq lieues. Cette ile , a laquelle j'ai donné le nom d'ile de la Direction , peut fervir a montrer la pafte .dans un beau tems: elle eft droit a POueft de 1'ouverture, & peut fe voir , auflitbt que les récifs , de la tête des mats d'un vaifleau. Elle eft par iz° 51' de latitude Sud. Au refte ces remarques ne feront pas fufiifantes pour les faire retrouver par un batiment , a moins qu'on ne puifle par la fuite vérifier fi en eftet il y a, le long de cette cote, un nombre d'ouvertures entre les récifs, comme je penche a le croire. En ce cas on ne. courroit prefque aucun rifque d'aborder cette cóte, excepté lorsque le vent porte droit a terre. Le calcul de ma route me donna 400 10' de longitude Oueft,de l'ileTofo auChenal entre  C 89 ] les récifs. Le ( henal de la Providence eft, je crois , a peu-près fur le même méridien que celui oü nous avons pafte. D'oü il eft réfultc que nous nous étions faits trop de 1'avant d'un degré p'. Nous rendïmes graces a 1'Être Suprème de la proteétion fpéciale qu'il nous avoit accordée; Sc ce fut avec contentement que nous primes notre mince repas , d'un vingt - cinquieme de livre de pain, & d'un huitieme de pinte d'eau , a diner. Le Vendredi 29 Mai: beau tems & brifes modérées de TE. S. E. Comme nous avancjons chemin en-dedans des récifs , nous commencames a. voir la cóte trés - diftin&ement : elle étoit entremêlée de montagnes & de plaines , & on y voyoit quelques efpaces couverts de bois. En faifant route vers la terre nous trouvames la pointe d'un récif qui fe tient avec celui qui eft au large : j'y jetai le grapin, pour tacher de prendre du poiflon ; mais ce fut fans fuccès. L'ile de la Direction nous reftoit alors au Sud , a trois ou quatre lieues. II y avoit deux Vendredi i9.  C 9° 1 autres iles a l'O. - N. O. j éloignées de nous d'environ quatre milles: elles me parurent propres a nous procurer du repos, & j'efpérois même quelque chofe de mieux ; mais en approchantla première, je ne vis qu'un amas de pierres, & fon étendue ne fuffifoit pas pour y tenir notre chaloupe a 1'abri. En conféquence je gagnai 1'autre ile , qui éroit voifine de la première & plus a terre : j'y trouvai dans le N. O. une anfe & une belle pointe de fable propre au débarquement. Dans cette polition, nous n'étions pas éloignés de plus d'un quart de mille , d'une pattie avancée du continent , qui nous reftoit depuis le S. O. \ S. jufqu'au N. O. -- N. i° 49' N. Je débarquai pour examiner s'il 'y avoit quelques traces qui défignaffent que les naturels du pays fuflent dans le voifinage. Je trouvai quelques marqués de feux anciennement alluinés , mais rien qui püt faire craindre de pafler la la nuir. Chacun s'occupoit de chercher de quoi mangel , & comme la mer étoit baffe , j'appris bientot qu'on avoit trouvé des huitres : mais la nuit approchoit, & on ne püt en ramafler qu'une très-petite quantité. Je dccidai d'at-  C 91 ] tendre le matin, pour favoir ce que nous aurions de mieux a faire; & je réglai que la moitiédu monde coucheroit a terre , & Pautre moitié dans la chaloupe. Nous aurions bien voulu faire du feu , mais n'ayant pu y parVenir , nous nous décidames a nous étendre pour dormir, & la nuit fe palia parfaitement cal me & fans inquiétude Le jour venu , nous nous trouvames plus forts & plus contents que je ne m'y étois attendu, Quoique chacun fut très-affoibli, il me parut qu'il nous reftoit a tous aflcz deforces, pour me faire concevoir 1'efpoir le plus favorable defurmonter les fatigues fubféquentes, auxquelles nous étions encore dans le cas de nous expofer. Auffitöt que je vis que nous n'avions point de naturels du pays dans notre voifinage, j'envoyai divers détachemens chercher des provifions : d'autres s'occupèrent de mettre Ia chaloupe en état, afin de pouvoir remettre en mer, fi nous y étions forcés par quelque événement imprévu. Dans ce travad , le premier objet qui dut attirer notre attention , fut le gouvernail : un des éguillots s'étoit dé-  [ 9* 1 monté dans la nuit, & étoit petdu.Si eet accident nous fut arrivé en pleine mer , il étoit ptobable qu'il auroit caufé notre perte , paree qu'il eut éte impoffible de gouverner le batiment, avec la précifion qui avoit été indifpenfable pour nous tirer des terribles mers que nous avions eues. J'avois fréquemment témoigné de l'inquiétudefur la poffibilité d'un pareil événement, & par pre»-; caution j'avois fait placer des eftrops d'avirons aux deux cötés du plat bord vers 1'arriere. Mais il eut été fort a, craindre que toute 1'attention poflible a concluire ces avirons ne nous eut pas fauvés. Ainfi nous devons bien louer la Providence de n'avoir pas éprouvé un pareil accident avant d'arriver en eet endroit, oü il étoit en notre pouvoir d'y apporter remede. Nous trouvames , par un heureux hafard dans la chaloupe , une longue crampe de fer , qui püt remplir notre objet. Les gens revinrent de leurs courfes , fort fatisfaits d'avoir trouvé une quantité d'hiuttes & de 1'eau douce. J'avois allumé du feu, par le moyen d'une loupe de verre, que je portois toujours fur moi, pour m'aider a. diftinguer les degrés de mes fextants; & pour compléter  ï 93 ] iiotre bonne fortune, il fe rencontra, parmi les effets qu'on avoit jetés a la hate dans la chaloupe pour notre ufage, un morceau de foufre & une boïte a briquet; de fagon que j'avois pour Pavenir des moyens affurés de faire dii feu. Un des gens avoit eu aufli 1'excellente précaution de 'prendre une marmite de cuivre , qui nous donna les moyens de tirer un parti avantageux des fubfiftances que nous avions trouvés. Je fis un mélange de bifcuit & de cochon falé, & j'en compofai un ragout qui auroit pu fatisfaire des perfonnes dun goüt plus recherché ; chacun recut la mefure d'une chopine de ce mets. Les maux que nous éprouvions tous le plus généralement étoient des vertiges, une grande laffitude dans les jointures, & un rénefme violent : plufieurs de nous n'avoient pas été évacués depuis que nous avions quitté le vaiffeau. J'avois pour ma part une grande douleur d'eftomac. II n'y avoit néanmoins rien d'allarmant dans la fituation d'aucun de nous : au contraire , tous confervoient aflez d'apparence de vigueur, pour pouvoir, avec quelque force d'efprit, fupporter encore d'autres fatigues bieo  [ -4 1 plus confidérables que celles qui nous reftoient a éprouver pour arriver jufqu'a limor. Je ne voulus pas permettre qu'on s'exposat aux rayons ardens du foleil j & comme il étoit alors prés de midi, chacun fe cantonna, pour dormir quelques inftans, a i'ombre des arbrilTeaux. Les huitres que nous troüvions étoient fi fortement tenues aux rochers, qu'on avoit bien de la peine & les en détather; Sc nous virnes enfin, que le moyen le plus expéditif de les avoir étoit de les ouvrir fur leur lit même. Elles étoient d'une belle groffeur Sc de trés - bon goüt, Sc nous procuièrent un grand fecours. Une autre circonftance heureufe fut d'appercevoir, dans la partie bafle de cette terre, de 1'herbe fine , qui nous indiquoit de 1'humidité. En y enfoncant un bacon, de trois pieds de profondeur, nous trouvames de 1'eau : nous creusames fans peine un puirs , au moyen tiaquei nous en eümes aurant qu'il nous en falloit. Cette eau étoit excellente , mais je ne fais.fi elle provenoit ou non d'une fource. Comme nous avions befoin de beaucoup d'eau, nous rümes  [ 9! ] obligés de creufer davantage ce puits , paree qu'il fe rempliiTbita mefure que nous le vidions: je jugeai dela que c'écoic une fource, la nature du fol étant trop fpongieufe pour pouvoir retenir de 1'eau de pluie. La fituation de ce puits n'étoit pas a cent toifes au Sud Eft d'une pointe qui eft dans la partie du Sud Oueft de l'ile. Je vis des traces évidentes du féjour de quelques naturels du pays dans cette ile : outre les reftes de feux qui y avoient été allumés, j'appercus deux chétifs ajoupas (1) qui n'étoient couverts que d'un cóté. Nous trouvames auffi un baton épomté «Sc fendu par un bout, fervant a lancer des pierres, & tel que les habitans de la terre de Van-Diemen en onr. On diftinguoit clairement la tracé d'un animal, que M. Nelfon convint avec moi devoir ètre le Kangoutou, ou efpèce A'OpoJJum. J'ignore comment ces animaux peuvent venir du continent , a moins que les Indiens ne (i) Ce terme exprime une efpèce de baraque faite a la hate, de branches d'arbres & de feuilles de palmiers , &c.  [ ^ 3 les y apportent pour les y faire multiplier & pour les tenir , comme dan: une efpèce de garenne , pour leur nourriture , la chafle en étant fort difficile & précaire dans un auffi grande continent. L'ile oü nous étions a environ deux milles de tour.: c'eft une haute mafte de pierres & de rochers , couverte d'arbres de petite ftature & rabougris , la nature du fol étant peu favorable a leur végétation. Les arbres que nous pümes y reconnoicre étoient principalement le manccnïlier & une efpèce de purow i); quelques palmiers, dont nous coupames les tètes ou les cceurs , appelés chous • palmijles , qui étant très-bons a. manger , nous procurèrent une augmentation utile de fubfiftance. M. Nelfon découvrit quelques racines de fougeres (i) que je crus propres a reinplir loffice du pain en les rötiflanr fous la (1) J'lgnore .le genre de 1'arbre que 1'Auteur a défigné fous ce nom. (2) Cette efpèce de racine, particuliere aces cantons & a la Nouvelle-Zélande , eft cpnnpe depuis les voyages du Capitaine Cook , comme formant une des principales bafes de la nourriture des peuples de cette partie du monde. , cendre:  [ 97 ] cëndre ; mais nous en fümes peu fatisfaits s cependant: ces racines, dans leur état naturel $ étoient bonnes pour appaifer la foit, & pat cette raifon j'en fis ramafler Sc embarquer une quantité dans la chaloupe. Nous vïmes, le long de li eóte , plulieurs morceaux de noix de coco, Sc de leur brou ; mais nous ne pümes trouver de cocotiers ni la s ni fur le continent Toifin, J'avois fort recommandé a tout le monde de ne toucher aucune graine ou fruit du pays > qu'ils ne eoiinÓKtoieiit pas : mais lorfqu'ils furent hors de ma portee ils s'aventurèrent , maigré mon injonction, a en toucher de trois efpèces différentes qui croifloient abondamment dans cette ile ; Sc même ils en mangèrent en quantité. Quelque tems après, il y en eut qui éprouvèrent les fymptómes ordinaires aux gens qui ont trop mangé ; mais ayant queftionné ceux qui en avoient pris avec plus de modération , ils fe tranquillisèrent un peu. Les autres cependant prirenc a leur tour 1'épouvante , cratgnant d'éprouver les mêmes fymptómes Sc fe croyant empoifonnés» Ils fe regatdoient tous avec les apparences de G  [ 93 ] la plus grande inquiétude, attendant les effets de leur imprudence. Heureufement les fruits fe trouvèrent être de bonne qualité: 1'un d'eux croiiroit fur une forte de vigne, ou liane ; il étoit de la gtoffeur d'une grofeille a. maquereau un peu forte , relTemblant a ce fruit par fa pulpe , mais d'un goüt fucré. Sa peau étoit d'un rouge pale, rayé de jaune dans le fens de la longueur du fruit : le goüt en étoit bon & agtéable. Une feconde efpèce fe trouvoit fur un arbriifeau relTemblant a ce qu'on appelle aux Antilles , raijinier du hord de mer \ mais ce fruit étoit différent de celui du raidnier, & reffembloit plutót aux graines de fureau , croiflant de même en grappes. La troifième efpèce étoit une graine noire , femblable aux prunelies, ou prunes fauvages, tant par fa groffeur que par fon goüt ; cette efpèce étoit moins fréquente que les autres. Comme je vis les oifeaux en manger , je conclus qu'on pouvoit en faire ufage fans danger, furtout après 1'épreuve des gens qui en avoient mangé fans en être incommodés. On voyoit beaucoup de pigeons ramiers, de perroquets &c d'autres oifeaux, vers le fom-  [ 99 ] met de i'ïle : mais fans atmes a feu 's il paroifloit impoffible d'en avoir , a moins de trouver quelque endroit fölitaire oü on p&t leï prendre a Ia main. On trouva uri petit filet d'eau dans la partie métidionale de l'ile , & a un demi-mille a-peüprés de diftance de notte puits: mais commé onn'en chercha pas 1'origine , je n'en puis dire davantage. La cote de cette ile, a 1'exception du lieu de notre débarquement, eft bordée de rochers; j'y ramaflai plufieurs pierres ponces. On appercevoit dans la partie voifine du continent plufieurs anfes de fable , oü, a bafle mer> il fe découvroit un long banc de roches. Le pays avoit en général 1 air affez ftérile 3 excepté quelques endroits oü la terre étoit couverte d'arbres. II y avoit une file de rochers rrès-remarquable a quelques milles de diftance de nous, dans la partie du Sud-Ouelt. La cóte étoit terminée du cêté de la mer par une haute montagne terminée en pointe , avec quelques autres montagnes & plufieurs iles au Sud. Un gros cap fort élevé paroilfoit indiquer que la cote G *  [ 100 ] couroit au N. O.: il écoit éloigné de nous d'environ fept lieues, & a trois ou quatre lieues au Nord de lui , il y avoit deux petites iles. Je vis des guêpes ou abeilles, plufieurs lézards; & a tous les arbrifleaux qui portoient des graines noires, il y avoit des nids de fourmis qui étoient tilïus comme une toile d'araignée , mais fi ferrés & fi épais que la pluie n'y pouvoit pénétrer. Un tronc d'arbre, d'environ cinquante pieds de longueur, que je vis étendu le long du rivage , me fit juger que la mer fe porte violemment dans cette anfe , lorfque les vents font au Nord. Ce jour étoit celui de la reltauration du Roi Charles II. Comme ce nom avoit aflez de rapport avec notre pofition, puïfque nous venions auffi de nous y reftaur'er , j'appellai cette ile , 1'ïle de la Reftauration , penfant "qu'il étoit probable que le Capitaine Cook ne 1'avoit pas 'remarqiiée particulierement* Quant aux autres noms que j'ai donnés aux dirTérens points de la cöte que j'ai parcourue, ils ferviront du moins a indiquer la route que j'ai fuivie.  r ioi ] J'obfervai a midi la latitude de cette ile ; de 12° 35/ Sud: nous avions dix-huit milles de chemin corrigé depuis hier midi j la route a l'O. N. O. i° 30' N. Le famedi 30 Mai , nous eumes un tems fuperbe, & les vents a 1'Eft-Sud-Eft. Dans cette après-midi je détachai diverfes bandes de nos gens, pour ramafïèr des huitres qui, jointes aux chous palmiftes, nous fournirent un bon ragout pour notre fouper ; chacun en recut une bonne mefure de trois quarts de pinte. Je ne voulus point ajouter de bifcuit a cette diftribution; je préférai de réferver pour 1'avenir, cette principale bafe de notre fubfiftance; & je repréfentai a eet effet a mon monde que nos befoins pouvoient redevenir très-preflans. Nous nous féparames en deux bandes, comme la veille, pour pafler la nuit , les üns dans Ia chaloupe & les autres a terre : j'étois de ces derniers, & nous allumames un bon feu. Le matin, chacun me parut changé en mieux j je les renvoyai a la recherche des huïtres. 11 ne me reftoit plus que deux livres de cochon falé ; je n'avois pu tenir eet article fermé a clef, comme le bifcuit ; quelque G 5 Jamedï 30»  [ ioi ] indifcret en avoit fait un ufage illicite; mais perfonne ne voulut avouer. Je réfolus d'éviter un pareil inconvénient pour 1'avenir, en partageant a notre diner ce qui nous reftoit de cette viande. Pendant qu'on ramaflbit des huitres, je mis la chaloupe en état de reprendre la mer ; je fis remplir d'eau toutes nos futa'lles,ce qui faifoit en tout a-peu-près cinquante - deux ou ttois pintes , mefure de Paris. Les chercheurs d'huitres étant revenus, on fervit le diner bientót aptès , & chacun eut une portion aufii bonne que celle du fouper ; car ils eurent avec le cochon falé une ration de bifcuit. J'étois déterminé a continuer notre route fans délai; & comme il n'étoit pas encore midi, je dis a tout le monde de faire tout ce qu'ils pourroient pour ramafler une quantité d hui tres pour notre provifion de mer, paree que j'étois décidé a repartir cette même après-midi. A midi j'obfervai encore 11° 39' de latitude Sud. II étoit alors pleine mer: 1'eau avoit monté de trois p;eds , mais je n'avois pu m'affurer de la diredion du flot. J'en conclus que  [ io3 ] lc moment de la plelne mer, les jours de lunaifons , eft a. fept heures dix minutes du matin. Le dimanche 31 Mai, on revint a bonne ] heure dans 1'après-midi avec quelques huitres, & tout fut rembarqué dans la chaloupe. Je fis la vifite du bifcuit, & je trouvai qu'il nous en reftoit pour trente-huit jours de rations, en la réglant au dernier taux, d'un vingt-cinquieme de livre a déjeuner, & autant a diner. Nous eumes ce jour - la beau tems , & de petites brifes de 1'E. S. E. & du S. E. Tout prêt pour le départ , je fis faire une priere : &c a quatre heures nous nous difpofions a nous embarquer, lorfque nous apperc,umes vingt naturels du pays, qui couroient le long du rivage oppofé , nous appelant a. grand cris. Ils portoient de la main droite une lance ou javelot, & de la gauche une arme courte. Ils nous firent des fignes pour nous engager a venir vers eux. Nous vimes les têtes de plufieurs autres paroitre fur lesfommets des cbteaux. Je ne fais fi c'étoit leurs femmes & leurs enfans , ou d'autres hommes, qui fe tenoient la, pour ne fe montret que lorfque nous. G4 )imancha 31'  [ m aurions mis pied a terre , afin de ne pas nous intimicler pu leur trop grand nombre. Quoi qu'il en foit , voyant que nous étions découverts 3 je crus qu'il étoit prudent de nous retirer le plus promptement puffible, dans la crainte de leurs pirogues, quoique le Capitaine Cook n'en ait rieri dit qui put nous faire croire d'en rencontrer aucune de confidétable. Je pafiai, en faifant route k aufli prés que je pus de ces gens ( c'eft-a-dire a moins d'un quart de mille de diftance): ils étoient tout nuds, noirs en apparence , avec les cheveux, ou laine, courcs & crépus. Je dirigeai ma route pour pafler en dedans de deux petites ïles ficuées au Nord de 1'ïle de la Reftauration ; nous paflames entre elles & le Continent , vers le cap Fair3 a la faveur d'une forte marée; nous nous trouvames par leur rravers a huit heures du foir. La cote que nous venions de paffer éroit boifée & montueufe. Comme je ne voyois plus de terres au-dela de ce cap , je jugeai que la cote devoit enfuite courir au N. O., ou a l'O, N. O.; ce qui s'accordoit avec la recon«oilfimce qu'en a faite le Capitaine Cookj  [ io5 1 autant que je pouvois m'en rappeler. D'après cela , je gouvernai un peu plus a 1'Oueft: mais a onze heures du foir je vis que j'érois dans Terreur; car nous rencontrames une terre platte qui couroit S. O. & N. E., & a trois heures du matin nous y fümes afFalés, ce qui nous forc_a a reprendre la bordée du Sud. Au jour ma furprife fut grande, de voir 1'afpect de la cóte tout différent de la veille, comme fi pendant la nuit nous euflions été tranfportés dans une autre partie du monde : nous avions devant les yeux une cóte platte & défolée , prefque fans verdure, fans. aucun objet qui püt la faire croire habitée ni habitable, a 1'exception de quelques bouquets d'arbriffeaux ou de petits arbres. Il y avoit plufieurs petites iles en vue, du cóté du N. E., a la diftance d'environ deux lieues. La partie la plus oriëntale du Continent nous reftoit au Nord a. quatre milles, & le cap Fair au S. S. E. a cinq ou fix lieues. Je choiiis le paflage entre le Continent & file qui en étoit la plus voifine, h'y ayant guères entre deux qu'un mille de largeur de canal, §c je laiflai toutes les auttes iles a tribord.  [ IC« ] Quelques-unes de ces iles offroient de jolies pofitions : elles étoient couvertes d'arbres, & fituées avantageufement pour la pcche. Nous vimes des bancs entiers de poifion autour de nous, mais nous ne pümes en attraper un ,feul. En palTant ce détroit , nous apperciimes une autre bande de fept Indiens, qui couroient pour nous approcher, faifant des ctis & des fignes afin de nous engager a débarquer. Quelques-uns d'eux agitoient des branches des arbrifleaux qu'ils avoient auptès d'eux, ce qui parmi ces peuples eft un témoignage d'amitié & de paix , mais leurs autres geftes ne portoient pas tous le même caraétère. Nous vimes un peu plus loin une autre bande qui venoit vers nous. Je pris la réfolution de ne pas mettre a terre ; j'aurois cependant bien défité avoir quelque communication avec eux, &, accoftant dans ce deflein la chaloupe contre les rochers, je leur fis figne de m'approcher; mais aucun d'eux n'ofa venir a cent toifes de diftance. Ils étoient armés comme ceux que j'avois vus de l'ile de la Reftauration; ils étoient également tout nuds, paroiffant d'un beau noir d'ébene, avec les cheveux  [ i°7 1 •u Iaine courts & crépus, étant a tous égards le même peuple. Nous appercevions dans ce moment une ïle d'une aflez bonne hauteur, reftant au N. 50 ~ O, a quatte milles de diftance : je réfolus d'aller y voir ce qu'on pourroit fe procurer, Sc jeter un coup d'ceil fur la cóte. J'y débarquai vers les huit heures du matin : le rivage étoit formé de rochers, avec quelques plages fablonneufes en dedans des rochers : 1'eau y etoit néanmoins fort tranquille, & le débarquement fut aifé. J'envoyai deux bandes de mes gens a la recherche des fubfiftances, 1'une vers le Nord &l' autre vers le Midi; j'ordonnai a d'autres de refter auprès de la chaloupe. Dans cette circonftance , 1'excès de la fatigue Sc de la foiblefle fit tellement oublier a quelques-uns d'eux la fubordination, qu'ils fe mirent a murmurer, Sc a mettre en queftion qui avoit pris le plus de peines, difant qu'ils préféroient fe pafler de diner plutót que d'être obligés d'aller le chercher. Il y en eut un entt'autres qui poufta la mutinerie jufqu'a. me dire d'un air infolent : quil me valoit bien. Je ne pouvois prévoir jufqu'oü cette infubor-  I 10$ ] dination étoit dans le cas d'aller, fï je n'en arrêtois pas a temps les progrès, & dans cette idéé je voulus y couper court s'il étoit poiïïble, bien déterminé a conferver mon autorité ou a mourir : c'eft pourquoi je me faifis d'un fabre, je lid ordonnai d'en prendre un autre pour lui & de fe mettre en défenfe. Sur cela, il fe mit a crier que j'allois le tuer, & commenca a filer doux. Je ne permis pas que cette aventure dérangeat 1'harmonie dans l'équipage, 8c tout reprit auflitöt la tranquillité ordinaire. Les gens qui étoient allés a la recherchedes provifions ne purent trouver que quelques petites hiritres, quelques féches, & un petic nombre de chiens de mer ( i ) , qu'ils trouvèrent dans les trous des rochers. Nous trouvames aufli, dans un creux de ces rochers, au Nord de l'ile , environ deux tonneaux d'eau de pluie; de facon que nous eümes encore le bonheur d'être approvifionués de eet article de première néceflité. Aptès avoir réglé la manière dont nous de- (i) En anglais Dog fish; je n'affure pas bien la correfpondance de ces deux termes.  [ l°9 ] vions continuer le voyage , je montai vers le fommet de l'ile, pour voir le coup d'ceil de la cóte, & la route qu'il convenoit de faire pendant la nuit. Je' fus fort étonné de ne pas voir de la une plus grande étendue du Continent, que je n'en avpis diftingué du bord de la mer. La cóte ne s'étendoit que depuis le Sud 5° - E. a la diftance de quatre milles jufqua l'O. ;N, O.a environ trois lieues; & elle étoit toute formée de monticu'es de fable. Outre les iles qui me reftoient a 1'E. S. E. & au Sud, que j'avois appercues auparavant, je ne voyois aucun autre objet, qu'une petite caye dans le N. O. - N. 4 Cette caye étoit beaucoup plus éloignée duContinent que l'ile ou je me trouvois : c'eft pourquoi je pris le parti d'y aller vers la nuit, comme paroiflant offrir un afyle plus afluré pour y prendre quelque repos. Ici j'étois expofé a être attaqué, li les Indiens avoient eu des pirogues, paree qu'il étoit certain qu'ils m'avoient vu débarquer. Après que je me fus arrêté a ce parti, je defcendis en examinant la nature du. lieu oü j'étois, & je vis qu'il .ne produifoit que quelques atbrifleaux & une  [ I IO ] herbe groflïère j eet liet n'avoit pas en tout deux milles de tour. Je vis fur une anfe de fable, dans Ia partie feptentrionale de l'ile, une vieille pirogue d'environ trente-un pieds de longueur, renverfée «Sc a. moitié enterrée dans le fable: elle étoit formée de trois pièces , dont une - faifoit tout le fond d'un bout a 1'autre , & les deux pièces de coté étoient coufues a cette première, a la maniere ordinaire de ces peuples. La proue étoit faillante «Sc pointue , fculptée groiTièrement en forme d'une tête de poilfon. Sa plus grande largeur étoit de deux pieds dix pouces , & il me parut qu'elle pouvoit porter vingt hommes. A midi, tout le monde étoit de retour, ayant éprouvé de la difficulté a ramaffer des huitres qui tenoient fortement aux rochers, & les autres coquillages étoient rares : je conclus de la qu'un plus long féjour en cette ile ( oü nous ne pourrions nous procurer chaque jour que la confommation de la même journée) feroit une pene de tems iufructueufe. II falloit abfolument rencontrer un local plus abondant «Sc mieux fourni , pour pouvoir efpérer une provifion paffable pour le voyage.  [ I-I I ] Je donnai a cette ïle le nom d'ile du pimanche (Sunday Island). Elle eft lituée au N. N. O. 2° 49' N. de l'ile de la Reftauration. La latitude , par obfervation, eft de 11° 58' Sud. Le lundi premier Juin : beau tems & bonne brife, qui finit par être carabinée , dans la partie du S. E. ~ E. Nous dïnames a deux heures après midi, avec chacun trois quarts de pinte d'une étuvée d'huitres & de féches , liée avec de petites fèves, que M. Nelfon me dit être une efpèce de Dolichos. Après avoir fait notre repas de bon appétit, je n'attendis plus que pout obferver le moment de la pleine mer: je 1'eus a trois heures précifes, & je reconnus que la marée s'élevoir d'environ cinq pieds. D'après cela, il eft pleine mer en eet endroit, les jours de nouvelle & de pleine lune, a neuf heures dix-neuf minutes du matin. Je reconnus la que le flot portoit au Nord, quoique j'euiTe cru le voir portet au Sud pendant que j'avois féjourné a l'ile de la Reftauration. Il me femble que le Capitaine Cook dit avoir rrouve beaucoup d'irrégularité dans la diredtion des marées le long de cette cote. Lundi pre nier Juin.  C "» ] Je quittai auffitót 1'ïle du Dimanche 8i Gi voile pour la caye que j'avois vue dans la partie du N. O. \ N. Nous y arrivames a 1'entrée de la nuit, mais je trouvai qu'elle étoit tellement défendue & entoutée d'un banc de roches , qu'il n'étöit pas poflïble d'y débarquer, fans courir rifque de défoncer la chaloupe : c'eft pourquoi je fus obligé de mouillet pour paffer la nuir. A la pointe du jour , nous débarquames , en halant la chaloupe vers un abri; car le vent étoit très-frais en dehors , le fond éroit de roches, & je craignois, en reftant fur le grapin, que la chaloupe ne füt emportée au large j il fallut donc 1'échouer pendant le jufant. Des traces récentes de tortues nous firent efpérer d'en avoir quelqu'une en reftant la jufqu'a la nuit. Cette ile fert de refuge a. un nombre infini d'oifeaux de 1'efpèce des fous : ainfi j'avois lieu de me flatter que je trouverois a m'approvifionner en eet endroit plus abondamment que dans tous les autres oü j'avois abordé. Nous étions la a plus de quatre lieues de la grande terre, 8c fur la plus N. O. de 'quatre  t n3 3 tre petites cafés , entourées d'un récif de ro^ chers, qui eft enttemêlé de bancs de fables cxcepté vers les deux cayes qui font dans la partie du Nord. La partie oü nous étions, afkchoit * .bafte mer , & ]e t0ut forme une ïlé avec un kgon au milieu; dans laquelle la ma^ ree entre : ce fur i 1'entrée de ce lagon que je placai la chaloupe4 J'envoyai, comme i 1'ordinaire , des détaéheniens a la recherche des fubfiftances; mais nous fümes bien trompés dans notre attente, car nous n'obtïnmes que quelques féches & un peu de ces petires fêves, appelées Doluhos i de cela , joint aux huitres que nous avions apportées de 111e du Dimanche, je compofai un mets pour notre diner, Sc ajoiuai ün& petite portion de bifcuit. M. Nelfon qui , avec tóe autre bande avoit été viftter la caye laplus orienrale, teWit foible & fi abattu qu'il étoit obligé de fe faire foutenir par deux hommes pour narcher. II fe plaignoic d'une grande chaleur 1'entrailles, d'une foif ardente, de la perte de * vue, & de laflitude dans les jambes. Je rouvai que ces incommodités lui étoient occa- H  [ "4 ] fionnées par Pardeur du foleil qu'il n'étoit pal en érat de fupporter , Sc a laquelle il étoit refté expofé trop long-temps, ayant toujours voulu continuer d'aller & de faire au-dela de fes forces, au lieu de fe repofer a. 1'ombre dès qu'il s'étoit fenti foible & harralTé de fatigue. Je trouvai avec fatisfaction qu'il étoit fans fièvre, & dans cette occafion la petite provifion de vin , que j'avois fi précieufement confervée , devint d'une grande utilité. Je lui en donnai par très-petites quantités avec quelques petits morceaux de bifcuit trempés dedans : je le déshabillai, Sc le mis a 1'ombre de quelques arbrilTeaux touffus. 11 commenca a fe rétablir. Le maitre d'équipage Sc le charpentier fe trouvcrent auffi incommodés , fe plaignant de maux de tête Sc de douleurs d'eftomac; d'autres , qui n'avoient point du tout évacué , furent horriblement tourmentés de ténefme : Sc il n'y avoit prefque aucun individu qui ne fut fouffrant. On fe figura que ces maladies étoient occafionnées par les fêves que nous avions mangées , Sc quelques-uns en furent alarmés au point de fe croire empoifonnés.  [ Ml ] Je ne me fentois nullement dérangé , non plus que d'autres qui avoient, ainfi que moi, maugé de ces fèves. On vérifia enfin que tous ceux qui étoient maïades, a 1'exception de M. Nelfon, 1'étoient pour avoir trop mangé a la fois de ces fèves crues : de plus, M. Nelfon me dit, qua chaque graine ou fruit qu'ils rencontroient, ils étoient fans cefle a 1'importuner de queftions, pour favoir li on pouvoie en manger avec süreté; & il en conclut qu'il ne feroit pas bien étonnant que plufieurs d eu* tr'eux fe fufTent rcellement empoifounés en mangeant des fruits qu'ils ne connoifToient pas. Notre diner, oü on avoit mêlé de ces fêves, ne fut pas mangé avec le même appétit que celui de 1'ïle du Dimanche ; mais la foupe Sc les huïtres convinrent a tous , excepté a M» Nelfon, que je nourris avec quelques morceaux de bifcuit trempés dans un demi-verre de vin : il continua de fe remettre. En me promenant autour de 1'ïle , je trou* Vai plufieurs débris de noix de coco , les reftes d'un vieux ajoupa , & les écailles du dos de deux tortues. Je ne vis de traces d'aucuii H 2  [ né ] animal quadrupède. Un de nos gens trouva trois ceufs d'oifeaux de mer. Le fol n'efl: prefque que du fable, comme on le voir affez généralement dans de pareils endroits : il y croiflok cependant quelques petits arbres qui nous étoient inconnus. Le lagon étoit poiflbnneux, mais nous n'y pumes rien prendre. Voyant que nous ne pouvions pas nous flatter de pourvoir a nos befoins dans eet endroit , pas même 1'eau néceffaire a notre confommation journaliere, je pris la réfolution d'en partir le lendemain matin, après que nous aurions encore éflayé, pendant la nuit fuivante, de prendre des tortues & des oifeaux. Je penfois aufliqu'une nuit paffée a dormir tranquillement feroit un très-grand • bien a tous ceux dont la fanté étoit dérangée. La rencontre de eet ajoupa & de ces écailles de tortue prouvent que les naturels du pays ont des pirogues, avec lefquelles ils viennent quelques fois fur cette ile : je ne penfai pas cependant que nous couruflions aucun danger d'y pafler la nuit. Je recommandai néanmoins par précaution d'allumer notre feu derrière ie  r "71 rouffu des broufTailles , pour cviter qu'on ne nous appercut pendant la nuit. A midi j'obfervai 11° 47' Sud pour la latitude de cette ile. Le continent s'ctendoit vers Je N. O., & il étoit couvert de monticules de fable : il y avoit une autre petite ile en dedans de nous reftant a l'O. | N. O. 30 N. a la diftance de trois lieues : comme nous étions placés fort bas, je ne pouvois rien voir du récif du cöté du large. Le mardi 2 Juin. Dans Ia première partie de cette journée nous eümes quelques petits grairis de pluie, le refte fut beats j les vents au S. E. bon frais. Nous employames cette après-midi a dormir , & nous en avions grand befoin. Comme il y en eut cependant quelques-uns qui n'avoient pas fommeil , je les occupai a faire cuire quelques féches pour les emporter a bord, Sc pour le diner du lendemain; nous en coupames d'autres en tranches, Sc les mimes a fécher : c'étoit la meilleure provifion a mon gré, que nous puftions trouver en eet endroit. Mais , contre mon attente , 011 n'en ramafla que ttès-peu. H 3 Mardi % Juin.  [ nS ] Je recommandai le foir a tout le monde de ne pas allumer un grand feu , & de ne pas le laüTer trop briller dans 1'obfcurité. M. Samuel & M. Peckover furent chargés de eet objet, pendant que je parcourois le rivage , pour examiner s'il paroiffoit poffible d'appercevoir notre feu , du rivage oppofé : je m'etois alTuré qu'on ne pouvoit pas le voir de cette partie du continent , lorfque tout a coup l'ile entiere parüt jeter des dammes qui pouvoient fe voir de bien plus loin. Je courus pour en apprendre la caufe ., & je la trouvai dans 1'imprudente opiniatreté d'un de nos gens, qut pendant mon abfence s'étoit obftiué, malgré les repréfentations de tous les antres, a vouloir un feu a lui feul : en allumant ce feu, d s'étoit communiqué aux herbes voifines qui étoient feches, & avoit fait des progrès rapides. Cette action coupable auroit pu carjfer un très-grand malheur, en faifant conno'itre notre pofuion aux naturels du pays ; s'ils nous avoient attaqués, nous aurions tous péri infailliblement, victimes de leur barbarie,n'ayant aucune arme, ni même la moindre force corporelle , pour pouvoir réfifter a un ennemi. Je fus  r M? ] privé par cette aventure du foulagement que j'avois déliré d'un peu de fommeil j & je n'attendis plus que le Hot, non fans inquiétude , pour avoir les moyens de mettre en mer. J eus pleine mer cette après-midi a cinq heures & demie, & j'en déduis qu'elle arrivé a dix heures cinquante-huit minutes du matin , les jours de nouvelle & pleine lune. La marée monte de prés de cinq pieds : je ne pus pas obferver fa direction , mais je penfe qu'elle porte au Nord , & que j'avois fait une erreur a eet égard a l'ile de la Reftauration; car j'ai remarqué que le flot arrivé fucceflivement plus tard fur cette cote , a mefure qu'on va plus dans le Nord. A l'ile de la Reftauration , la pleine mer , les jours de nouvelle & de pleine lune , eft le matin a _.t h. iQ' A File du Dimanche, a . . . . o. i5 J Nous vimes le long de la cóte quelques pafties boifées. A cinq heures , comme nous avions le cap au N. O. , nous paüames devant une belle & grande ouverture entre les terres, qui eft je crois une entree fort praticable & füre: elle eft fituée par 11° de latitude Sud. A environ trois lieues au Notd de cette ouverture eft une ile j ou nous arrivames au foleil couchanr. Nous nous y mimes a 1'abri pour cette nuit, fous une pointe de fable, le feul endroit qui fut propre au débarquement: je fus obligé par cette raifon de me contenter d'une poiition aftez fauvage, &je reftai a dormir dans la chaloupe. J'envoyai néanmoins un détachement de nos gens a terre pour chercher des rafraichiflemens, mais ils ne réuffirenr pas: ils virent une quantité d'écailles & d'os de tortues, dont il paroiflbit que les naturels du pays s'étoient régalés , & même depuis peu. Cette ile , qui n'étoit d'aiileurs qu'une mafte de rochers, étoit entierement couverted'arbres. Nous y reflames mouillés fur un grapin jufqu'au jour , ayant un gros vent & le tems couvert. Le continent nous reftoit depuis le S. E. ~ S. jufqu'au N. N. O. 50 37' O., a. trois lieues de  diftance : une 11e montueufe avec un iommet? plat 3 nous reftoit au N. - N. O. a quatre ou cinq lieues : il y avoit plufieurs autres iles entre celle-la. Sc la grande rerre. J'appelai l'ile oü nous étions ïile aux Tortues; mon cftime en place la latitude S. a ic° 5-2', Sc fa diftance a 42 milles i 1'Ouelt de l'ile de la Reftauration. La cóte qui eft vis-a-vis ne repréfente qu'un défert fabloneux ; mais elle a meilleure apparence a environ trois lieues plus au Nord: la elle fe termine en une pointe , au voifinage de laqueile il y a un nombre de petites iles. Je fis voile entre ces dernieres iles 5 Sc je ne trouvai point de fond a 13 brafies (1) dans ce chenal : j'avois a tribord File montueufe 3 au fommet plat 3 de même que quatre rochers qui font dans le S. E. de cette ile , & que j'ap_ pelle les Freres. J'appercus bientót après une ouverture tiès-vafte , dans les terres du continent , oü on diftinguoit un nombre d'iles fort élevées: j'appelai eet endroit la baye das ïles. Nous continuames de gouverner au N. O. ayant (i)L'Anglais dit douze brafies, qui en valent un peu plus de treize de celles de France.  t **7 ] plufieurs ïles Sc cayes dans la partie du Nord. L'ïle la plus Nord étoit montueufe , Sc avoit uit pic rond Sc très-élevé; une autre plus petite ïle étoit remarquable par une feule montagne terminée en pointe. Au Nord & a 1'Oueft de cette baye des ïles, la cote eft d'une toute autre nature que celle du Sud : elle eft élevée & bien boifée , ayant auprès d'elle un nombre d'ïles, Sc étant fort entrecoupée. II y a parmi ces ïles d'excellentes pofitions pour le mouillage des vaifleaux. Je donnai a l'ïle la plus au Nord Ie nom d'ile du Mercredi. Au N. O. de cette ile, je rencontrai un récif fort étendu , qui , a ce que je crois , fe joint I plufieurs cayes que j'avois alors en vue, reftant depuis le N. O. jufqu a 1'E. N. E. Vers midi nous mïmes le cap au S. O. pendant 1'efpace d'une demi-lieue: j'eus bonne hauteur, Sc ma latitude fut de 10° 31' Sud. L'ïle du Mercredi reftoit alors a 1'Eft - S. E. , a la diftance de cinq milles : la terre la plus a 1'Oueft giftbit au S. O. a 1 ou 3 lieues : les ïles de la pattie du Notd me reftoient depuis leN. E. ^O. a quatre ou cinq lieues de diftance , jufqu'au N. E. a fix lieues 7 Sc enfin le récif, éloigné de  C 3 mol d'un mille, me reftoit depuis l'O. jufqu'au N. E. J'aiTurai dans ce moment a tout mon équipage , que nous débouquerions des terres de la nouvelle Hollande avant le foir. II ne m'eft pas poffible de déterminer 1'étendue de ce récif. Ce peut être une continuation , ou plutót une partie détachée de cette ligne de récifs Sc de bas-fonds qui entourent toute cette cóte. Quoi qu'il en foit, je regarde les iles montueufes comme étant abfolument féparées des récifs, Sc je ne doute pas qu'il n'y ait prés d'elles plufieurs palfages pour les vaifleaux. Je confeillerai cependant a ceux qui venant de 1'Eft, voudront palier ce détroit , de le chercher de préférence, en prenant leur partance de la cóte de la Nouvelle-Guinée : je crois aufli qu'un vaifleau, venant de la partie du Sud , trouveroit un déttoit très-praticable par io° de latitude Sud. J'aurois bien voulu m'en alfurer; mais dans la trifte pofition oü nous étions , il etoit du plus grand danger de s'aventurer a. augmenter nos fatigues , ou a perdre du tems, c'eft pourquoi je pris la réfolution de faire route fans délai. Je diftribuai ce jour, en augmentacion a la por* tion    C i*5> 1 tien ordinaire de bifcuit 8c d'eau, fix huïtres a chaque homme. Le Jeudi, 4 Juin, beau rems & vent bon frais au S. E. A deux heures de 1'après midi \ gouvernant au Sud Oueft , 8c nous dirigeanc vers la partie la plus occidentale de la terre que nous avions en vue , nous rencontrames de grands bancsde fablesqui feprolongent jufquesla depuis terre. Nous fümes obligés par la de remettrelecap au Nord , & quand nous eümes arrondices bancs, je fis gouverner d 1'Oueft. A quatre heures , l'ile la plus occidentale , de celles que nous avions dans la partie du Nord , nous reftoit au N. a quatre lieues de diftance : 111e du Mercredi a 1'Eft - N. E. a cinq lieues ; & le cap Shoal, ( ou dttbas fond ) au S. E. ~ E. a deux lieues. Nous appercevions en ce moment unepetke ile, droit dans 1'Oueft; j'y arrivai avant la nuit , & je trouvai que ce n'étoit qu'un rocher fréquente par les oifeaux de 1'efpece des butords; c'eft pourquoi je lui donnai le nom de 1'ïle aux butords (Booby Islani), II y a une petite caye , a toucher la partie occidentale de la cóte que j'ai appelée cap Shoal. . C'eft ici que fe terminèrent les rochers & bas I reudi 4,  [ io ] fonds de la cóte feptenttionale de la NouvelleHollande ; & a 1'exceprion de l'ile aux butords, nous ne voyions plus de terre i 1'Oueft du Sud, dès les trois heures de cette après-midi. J'ai trouvé depuis, que le Capitaine Cook a eu cönnoiflance de l'ile aux butords 5 & pat un fmgulier rapport d'idées, il lui a donné le même nom que moi i mais je ne puis pas accbrder avec exaditude la fituation de plufieurs parties que j'ai vues de cette cóte, avec les reconnoiffanc-esde eet illuftre navigateur;ce que j'attrlbue ila forme ttès-diffétentefouslaquelle fe préfente une cóte, vue des hauteurs très-dirFérentes d'un vaifleau , ou d'une chaloupe. 11 s'en faut de beaucoup que je ne prétende fubftituer la carte que je donne, I eellè du Capitaine Cook qui a eu de meilleures occafions pour faire fes reconnoiffances , & qui étoit parfaitement poutvu de tous les moyens nécelTaires. Mon intention principale en donnant cette carte, eft de rendre ma relation plus intelligible , & de montrer de quelle maniere lacóte s'eft préfentée ama vue, navigant dans une petite barque non-pontée. Jefuis prefque certain que 1'ouverture, a laquelle j'ai donné le nom de baie des iles, eft  [ 13 1 ] Je détroit de VEndeavour ; & que notre route a paflé au Nord des ïles du Prince de Galles. Peut-être ceux qui navigueront par la fuite dans ces parages pourronr-ils ttouvet quelque avantage a confulter ces deux cartes, & a les comparer enfemble, plutöt que d'en avoir une feule. A huit heures du matin , nous nous trouvames une autre fois lancés en pleine mer. Je fus furpris, a part moi, de voir que notre pofition , quelque affligeante qu'elle fut, n'affe&oit aucun des gens de mon équipage autant que je 1'étois moi-même ; on eut dit au contraire qu'ils entreprenoient un voyage pour Timor , dans un batiment für & bien pourvu. Leur air de fécurité me fit grand plaifir, &c je fuis bien alTuré que c'eft ce qui les a fauvés j car on peut croire que fi un feul d'enrr'eux fe fut laifle abattre par le défefpoir , il auroir péri, avant de gagner même la cóte de la Nouvelle-Hollande. Je donnai dèsdors a mon monde 1'efpérance d'être rendus dans un pays de refiources , au bout de huit ou dix jours. Nous fimes une priere a Dieu pour demander qu'il nous continuat fa I x  C ij» 3 proteófcion fpéciale ; & je diftribuai une ration d'eau pour le fouper. Je fis route a l'O. S. O., pour me précautionner contreles vents de Sud, dans le cas oü ils viendroient a fouffler avec violence. Nous avons été jufte fix jours fur les cötes de la Nouvelle-Hollande , & pendant ce tems nous avions trouvé des huitres , & autres fubfiftances marines, des oifeaux & de 1'eau. Mai9 toutes ces nuits pafiees a bien dotmir, & les journées exemtes de travail dans la chaloupe , n'avoient pas été un moindre avantage. Ces caufes reünies nous ont fauvé la vie : quelque petite qu'ait été la provifion de vivres que nous y ramafsames , je fens combien nous en fumes foulagés. La nature étoit a cette époque prête a fuccomber fous la rigueur extréme de la faim, de la foif, & de la fatigue. Plufieurs d'entr'eux auroient celfé d'employer la moindre peine pour Ja confervation d'une vie qui ne fembloit plus leur annoncer que miferes & fourfrances: d'autres, quoique plus vigoureux, auroient nécefiairement fuivi de prés leurs infortunés compagnons. Dans notre état aótuel } nous étions des objets d'horreur, & cependant nous confervions de la force d'ame & un grand courage , foutenus par  [«ui 1'efpoir de voir bientót Ia fin de nos malheurPour ce qui me regarde, quelque étonnan que cela puifte paroitre , je n'étois rourmenn txtraordinairement ni du befoin de la faim ni de celui de la foif. Je me conrenrois de m; portion pareille a celle des autres , paree que je favois qu'il ne m'en revenoit pas davantage, Je donnai ce jour un vingt-cinquieme de livre de bifcuit, & une ration d'eau a chaque homme pour déjeuner ; & a diner la même diftribution eut lieu , augmentée de fix huitres pour chacun. A midi j'eus io° 48 ' de latitude Sud par obfervation : ma route depuis hier midi valut l'O. $ S. O. 20 15' O. ; Sc le chemin corrigé 111 milles ; longitude eftimée depuis Ie Cap Shoal, i° 45'O. Le vendredi 5 Juin : tems ferein , mêlé de quelques grains , avec une forte brife de 1'E. S. E. Nous vimes, pendant cette journée, un grand nombre de ferpents d'eau , qui étoient rayés de jaune & de noir; Sc vers midi nous vimes paffer le long du bord beaucoup d'herbes marines. Quoique le tems fut beau , nous embarquions fans cefle des coups de mer, Sc il 13 t VendrecK  2 j Samedi 6. I ] ' avoit conftamment deux hommes occupés a eter 1'eau de la chaloupe. A midi je pris hauteur , Sc j'eus io° 45' le latitude Sud. La route calculée depuis hier me donna l'O. S° 2ó'N.; chemin 10S milles; Ia longitude eftimée 3° 35' O. du Cap Shoal. Je donnai un vingt-cinquieme de livre de bifcuit Sc un huitieme de pinte d'eau pour le déjeuner, & a diner la même portion avec fix huitres. Le fouper confifta en une portion d'eau. Le famedi 6 Juin : beau tems mêlé de quelques grains, avec un vent bon frais du S. E. Sc de TE. S. E. Nous embarquions toujours des coups de mer , Sc nous avions toujours du monde a vider 1'eau. Le foir, quelques butords étant venus voltiger autour de nous , j'en attrappai un avec la main. J'en fis diftribuer le fang a trois hommes qui étoient les plus néceifiteux, mais je fis garder 1'oifeau pour le diner du lendemain. Je donnai un huitieme de pinte d'eau a chacun pour le fouper; Sc un quart de pinte a quelques -uns qui avoient un befoin plus urgent de ce fecours.  C '35 J Nous fouffnmes beaucoup, pendant cette nuit, du froid & des frhTons. Au jour je m'appercus qu'on avoit volé une partie des féches que j'avois fufpendues au fee pour la provifion ; tous fe défendirent formellement d'en avoir aucune connoiftance. Nous vimes cette matinee un oifeau nommé Gannet , une efpèce d'alouette , & quelques ferpens d'eau , dont la longueur étoit , pour la plupart, de deux a trois pieds. Je donnai pour Ie déjeuner la portion accoutumée de bifcuit & d'eau , & autant pour Ie diner , avec 1'oifeau que j'avois pris la veille, qui fut partagé a notre maniere connue, 8c par le cri : d qui cette part ? Je me décidai aatterrer fur Timor, vers 90 30', ou io° de latitude Sud. A midi j'obfervai io° 19' de latitude S.: ma route valut l'O. ~ N. O. i° 45' N ; & le chemin corrigé 117 milles : longitude eftimée, depuis le Cap Shoal au nord de la Nouvelle-Hollande , 50 31' Oueft. Le dimanche 7 Juin : nous eümes un vent frais , & le tems fetein jufqu'a huit heures du foir: le refte des vingt-quatre heures le tems 14 L)irnanche 7-  [ '5* ] fur orageux , avec beaucoup de vent du S. S. E. & de 1'E. S. E. , Sc la mer haute : ainfi nous fumes fans celTe inondés des lames Sc obligés de jeter 1'eau. L'après midi , je pris un intervale pour faire de nouveau la vifite de natre provifion de bifcuit : je trouvai qu'au taux précédent, d'un vingt-cinquieme de livre par repas , & de trois repas par jour, il nous en reftoit encore pour dix-neuf jours de diftribution. D'après cela, voyant qu'il y avoit tout lieu d'efpérer une courte fin de traverfée , je me hazardai a. donner la ration de bifcuit ce foir a. fouper , pour tenir ce que j'avois promis , lorfque j'avois retranché ce repas. Nous pafsames cette nuit fort piteufement, mouillés & tremblans de froid , & le matin chacun pouftoit des lamentations fur la trifreffe de notre pofition. La mer étoit fort haute Sc brifoit fans ceffe fur nous. Je ne pus donner pour le déjeuner que la portion de bifcuit Sc d'eau , mais a diner je diftribuai une once de chair de féches defféchée a chaque homme , 8c c'étoit tout ce qui nous en teftoit. A midi je fis arriver a l'O. N. O , pour que  r M7 ] la chaloupe ferme moins la mer, avec le gros vent qui fouffloit. La latitude obfervée fut de 51° 31' Sud ; la route corrigée N. O. i O. o° 45' O., 88 milles de chemin : la longitude arrivée 6° 46' Oueft du cap Shoal. Le lundi 8 Juin : les vents bon frais a 1'Eft & a TE. S. E., avec de forts grains de vent Sc de pluie. Cette journée, nous eumes la mer très-haute, Sc nous en fümes continuellement mouillés j nous fouffrimes beaucoup du froid toute cette nuit. Je commencai a m'appercevoir que M. Ledward Chirurgien , & Laurent Lebogue , qui étoit un vieux, mais excellent matelot, dépérilToientl'un & Tautrea vue d'oeil.Tout ceque je pus faire pour les fecourir, fut de leur donner une cuillerée a café ou deux de vin que j'avois gardé foigneufement, pour un cas pareil. Je remarquai dans Je plus grand nombre des autres une envie de dormir plus qu'ordinaire , qui fembloit indiquer Tépuifement total de leurs forces. Je diftribuai Ia ration ordinaire de bifcuit Sc d'eau, tant pour le fouper que pour le dé- Lundi 8  Mardi 9. C n.8 ] jetmer & Ie diner : nous vïmes plufieurs de ces oifeaux nommés gannets. A midi je pris hauteur, qui me donna 8° 45' de latitude Sud : la route corrigée me valut l'O. N. O. 40 2.6' O.; chemin eftimé ioi> milles ; longitude 8° 23' Oueft. Le mardi 9 Juin ; les vents au S. E. : le tems étant maniable j je mis le cap a l'O. \ S. O. A quatre heures de 1'après-midi , nous primes un petit dauphin : c'étoit le premier ■fecours de cette efpèce que nous euflions obtenu. J'en diftribuai a-peu-près deux onces a chacun , compris les inteftins Sc les débris , «5c je confervai le refte pout le diner du lendemain. Vers le foir le vent fraïchit beaucoup, Sc il fouffla grand frais toute la nuit; ce qui fut caufe que nous embarquames beaucoup d'eau, Sc que nous fouffrimes infiniment du froid Sc de 1'humidité. Le jour venu, j'entendis, comme de coutume, beaucoup de plaintes Sc de gémiffemens, que je jugeai par ma propre fenfation, n'être que trop fondcs. Je diftribuai un peu de vin au Chirurgien Sc a Lebogue ;  [ 139 3 mais je ne pus leur procurer d'aucre fecours cjue l'aflurance que je leur donnai, qu'un tréspetit nombre de jours d'une pareille navigation nous mettroit en süteté a Timor. Les butords , les gannets, les frégates &c les oifeaux du Tropique, voltigeoient en nombre autour de nous. Je diftribuai la portion ordinaire de bifcuit & d'eau , & a midi nous eümes a diner le refte du dauphin , dont chaque homme eut a-peu-près une once pour fa part. J'obfervai 90 9' de latitude Sud : — longitude arrivée 1 o° 8' O. du cap Shoal : la route depuis hier midi eftimée a l'O. ~ S. O. 20 45' S. \ & 107 milles de chemin. Le mercredi 10 Juin : les vents bon frais a 1'E. S. E. & beau tems ; mais toujours trèsgrofle mer, brifant fans cefte a bord ; nous étions fans cefte mouillés d'une maniere pitoyable, & nous eümes toute la nuit grand froid. Je me trouvai fort incommodé toute cette après-midi, pour avoir mangé une partie fort huileufe de 1'eftorrtac du poifion, qui m'étoit échu pour ma part du diner. Au foleil couché je diftribuai une ration de bifcuit & d'eau pour Mercredi [O.  Jeudi iï. C 14° ] le fouper. Après avoir palTé une très-mauvaife nuit, je trouvai le lendemain matin un changement vifible en mal, dans 1'état de plus de la moitié de mon monde- Je donnai la portion ordinaire , tant a. déjeuner qu'a. diner. J'eus a midi 90 i6' de latitude Sud. La longitude, comptée de la partie du Nord de la NouvelleHollande , n" i' Oueft \ la route depuis hier midi me valut l'O. y0 37' S. O. Chemin corrigé cent onze milles. Jeudi 11 Juin : beau-tems Sc les vents bon frais au S. E. & au S. S. E. La vue d'un nombre d'oifeaux & de beaucoup d'herbes marines, nous indiquèrent que nous n'étions pas fort éloignés de terre : mais j'avois lieu d'attendre dans ces parages de pareilles annonces, y ayant un nombre d'ïles entre la partie oriëntale de Timor Sc la Nouvelle Guinée. J'efpérois néanmoins atterrerbientót fur Timor j &j'enavoisbien befoinjcar 1'état de plufieurs de mes gens me mettoit dans le cas de craindre qu'ils ne pufient pas réfifter a une plus longue traverfée. Une débilité extreme , des jambes enflées, des phyfionomies maigres , Sc défaites , une envie de dormir  [ U* j continuelle, & 1'efprit fenfiblement affoibli , tels étoient les triftes fymptómes qui me préfageoient leur prochaine diflolution. Mais les plus maltraités de tous étoient le Chirurgien 8c le nommé Lebogue : Je leur donnois par fois quelques cuillerées a café de ce vin que j'avois confervé foigneufement pour ce cas défaftreux; & je ne doute pas que ce petit fecours n'ait beaucoup aidé a les foutenir. De mon cóté , ce qui m'aidoit le plus a fupporter cette pofition , étoit une grande force d'ame , 8c 1'efpoir de voir la fin de ce voyage : cependant le Maitre dequipage me dit naïvement qu'il croyoit que j'avois encore plus mauvaife mine que tous les autres : la maniere fimple dont il me débita eet aveu , m'amufa, & j'eus le bon efprit de lui ripofter par un compliment plus gracieux. Chacun rec,ut, pendant cette journée, fa part de vivres compofée d'un vingt-cinquieme de livre dë bifcuit, Sc d'un huitieme de pinte d'eau, aux trois repas, du foir, du matin Sc de midi j Sc en outre une augmentation d'eau a ceux qui en demandoient. A midi j'obfervai 9° 4i' de latitude Sud.  Vendredi 12. [ 1 La route me val ut l'O. ~ S. O. i' 45*' Sud. Chemin corrigé cent neuf milles : longitude arrivée 130 49' Oueft du cap Shoal. J'étois prefque certain d'avoir a préfent dépafle le méridien de la partie la plus oriëntale de Timor , qui eft marqué fur les carrés a 1 z8° E. du méridien de Greenwich. Cette nouvelle répandit la joie dans tout 1'équipage. Le vendtedi 12 Juin : beau tems, quoique très-brumetix; bonne brife depuis 1'E. jufqu'au S. E. Nous vimes cette après-midi voltiger un nombre d'oifeaux de plufieurs efpèces qui nous indiquoient le voifinage de la terre. Au foleil couchant nous examinames avec attention 1'horifon , & nous fimes bon quart en avant toute la nuit. Cette foirée nous primes un butord , que je gardai pour le diner du lendemain. A trois heures du matin , quel fut 1'excès de notre joie, lorfque nous découvrïmes l'ile de Timor qui nous reftoit depuis l'O. S. O. jufqua l'O. N. O. ? je fis tenir le lof, le cap au N. N. E., jufqu'au jour » alors la terre nous refta depuis le S. O. l- de Sud, a environ deux •iieues de diftance , jufqu'au N. E. -< de Nord a fept lieues.  [ 143 ] Je n'elfayerai pas d'exprimer la fenfation délicieufe que nous éprouvames tous a cette vue 11 défirée de la terre. Avoir pu gagner la cóte de Timor en quarante-un jours depuis l'ile deTofó ; avoir fait cette route de $6i$ milles marins mefurés au loc , dans une chaloupe ouverte ; Sc malgré notre extreme difette, n'avoir pas perdu un feul homme dans toute cette traverfée : c'eft un événement auquel il eft prefque impollible d'ajouter foi. J'ai déja dit que j'ignorois la fituation de rétabliflement qu'ont les Hollandois dans cette ile; j'avois feulement quelqu'idée qu'il devoit être dans la partie du Sud-Oueft. C'eft pourquoi , lorfque le jour fut fait, je fis arriver au S. S. O., en élongeant la terre: je le fis avec d'autant plus de raifon que le vent ne nous auroit pas fervi pour aller au Nord-Eft, a moins de perdre beaucoup de tems. La lumiere du jour nous fit paroitre Pafpeet de la rerre très-agréable ; elle étoit entremêlée de forêts Sc de plaines de verdure ; 1'intérieur du pays éroit montueux, mais le voifinage de la cóte étoit bas. Vers midi la cóte parut plus élevée, ayec quelques caps avancés.  Samedi 13. t M4 1 Lepays en général nous fembla délicieux , plein de fites charmans, & cultivé par efpaces; mais nous n appercumes dans rout cela que quelques petites cafés ; ce qui me fit juger qu'il n'y avoit point d'habitation d'Européens dans cette partie de l'ile. • La mer brifoit violemment a. terre , ce qui rendoit le débarquement d'une. chaloupe impraticable. A inidi je me trouvai par le travers d'un cap rrès-élevé : les parties extrêmes de la terre nous reftoient en ce moment S. O. 50 37' O. & N. N. E. 50 37' E. N'étant éloignés de terre que de trois milles , j'eus pour la latitude obfervée 90 59' Sud; la longitude eftimée , 150 6' O. du cap Shoal, au nord de la Nouvelle-Hollande. Je donnai a diner la portion ordinaire de bifcuit & d'eau, a quoi j'ajoutai le partage.de 1'oifeauque nous avions pris la veille : je donnai de plus au Chirurgien & a Lebogue, un peu de vin. Le Samedi 13 Juin, nous eümes un horifon très-gras, avec des vents bon frais a 1'E. & a TE. S. E. Nous fitnes rouce toute cette après-midi, en  t ut 1 CU conrinuant de fuivre une cóte bafTe & cötf* verte de bois, oü on voyoit un nombre infini de Jataniers, efpèce de palmifte, dont la feuille a la forme d'un éventail. Cette partie de l'ile étoit abfolument dénuée de culture , & fon afpecT étoit moins agréable que celui des endroit* que nous avions vus plus dans 1'Eft. Cependant, après un petit intervale de ce pays fauvage & inhabité, le coup-d'ceil devint plus flatteur i nous appercümes au coucher du foleil plufieurs fumées , & des habitans qui défrichoient Si cultivoient leurs terreins. Nous avions fait depuis midi vingt - cinq milles a l'O. S. O., & nous n'étions plus qu a cinq milles d'une pointe bafTe, qui nous reftoit droit a TOueft, & que j'avois cru , dans 1'aprèsmidi, devoir être Textrèmité la plus méridionale de l'ile. Ici la cóte formoit un grand enfoncement , & dans le fond du golphe il y avoit des terres plates qui reffembloient i des ïles. La cote de 1'Oueft étoit écore ; mais depuis eet endroit-ci de la cóte, jufqu'au cap montueux, pat le travers duquel nous avions pafte la veille , la cóte eft bafTe, & j'ai lieu de croire que la mer y a peu de fond. Je fAis K  E M J remarqaet cette fituation, paree que la trèshaute chaïne de montagnes qui traverfe 111e depuis fa partie de 1'Eft, vient finir ici; & touta-coup 1'apparence du pays change en mal, tellement qu'on croiroit être dans une autre contrée. Je me décidai a conferver ma pofition jufqu'au lendemain matin , dans la crainte de dépaflèr de nuit quelque établiftement: c'eft pourquoi je mis a la cape fous la mifaine avec tous fes ris pris, fous laquelle la chaloupe fe comporta fort bien. Neus avions dans eet endroit peu de fond , notre diftance de terre n'étoit pas de plus d'une demi-lieue : la partie la plus occidentale de la terre que nous avions en vue nous reftoit k l'O. S. O. 5° 3?' O. Je diftribuai du bifcuit & de 1'eau pour le fouper; après quoi, la chaloupe tenant fort bien la cape, chacun taeh» de dormir, i 1'exception de 1'Officier de quart. Nous fïmes fervir k deux heures du matin , & nous mïmes le cap i terre jufqud la pointe u jour ; alors je m'appergus que nous avions dérivé pendant la nuit, d'environ trois lieues a l'O. S. 0.3 la partie la plus méridionale de la  [ 147 ] terre en vue, nous reftant a 1'Oueft. Comme en examinant la cóte, je ne vis aucune apparence cl etabliflement, nous arrivames a 1'Oueft avec un vent grand frais, & le courant portant au vent, ce qui nous occafionnoit une trésgrofte mer. La cóte en cette partie étoit haute & boifée; mais nous ne fimes pas beaucoup de chemin avant de retrouver la terre bafTe & plate. Voyant alors fes pointes tourner vers TOueft, je me perfuadai une feconde fois être parvenu a la partie la plus méridionale de 1'ïle; mais a dix heures, nous trouvames que la cóte fe dirigeoit encore au Sud, & qu'une partie de la terre nous reftoit a l'O. S. O. 50 j/ O. Nous appercumes en même-tems des terres hautes, reftant depuis le S. O. jufqu'au S. O. ~ O. 50 37' O ; mais comme Thorifon étoit très-^ras, je ne pus décider fi ces deux terres étoient féparées; 1'intervale apparent entre Tune & Taurre , n'étant que d'une aire de vent de la bouffole. Par cette raifon, je fis gouvemer fur la plus avancée; & en Tapprochant, je larecoimus pour être Tile de Rotti. Je retournai alors vers la cóte que j'avois K x  [ i4S 1 quittée; & la, je jetai le grapin,pour pouvoi'r calculer avec plus de tranquillité ma pofition. Nous vimes en eet endroit plufieurs fumées a. terre, & les habitans occupés k défricher leurs terreins. Pendant le peu de tems que je reftai mouillc en cette partie, je fus fort follicité par le Maitre Sc par le Charpentier, pour les laiffer aller a tetre chercher des provifions: j'y confentis après quelques importunités; mais comme ils ne trouvèrent perfonne qui voulut les y fuivre, ils reftèrent a. bord. N'ayant féjourné la que pour pouvoir remplir 1'objet dont j'ai fait mention, nous continuames bientót après, de faire route en fuivant la cóte. Nous eümes le coup-d'ceil d'un fnperbe pays, qui fembloit avoir été formé par la nature en pare de plaifance, entremêlé de bois Sc de plaines de verdure. La cóte eft balie Sc couverte de forêts, oü on voit s'élever un grand nombre de lataniers, qui relfemblent a des plantations de cocotiers. L'intérieur du pays eft montueux , mais beaucoup moins élevé que celui de la partie de 1'Eft de l'ileSc ici 5 le terrein paroït beaucoup plus fertile. A midi, l'ile de Rotti nous reftoit au S.  [ J49 ] O. j O., a Ia diftance de fept lieues. Je ne pus prendre hauteur , mais j'eftimai la latitude a io° 11' Sud. Notre route depuis hier midi, me donna l'O. f S. O. i° 4|'S.; chemin corrigé , cinquante-quatre milles. Je diftribuai Ia ration accoutumée de bifcuit & d'eau, tant a déjeuner qua diner; a quoi j'ajoütai un peu de vin pour le Chirurgien & pour le nommé Lebogue. Le Dimanche 14. Juin, nous eümes toute 1'après-midi un tems très-brumeux, & un fort vent a 1'E. S. E., après quoi il devint plus maniable. A deux heures de cette après-midi, après avoir paffé un intervale oü la mer étoit très-rude & clapoteufe ( ce que j'attribuai a une forte marée portant au vent, & au peu de fond ) nous découvrïmes une vafte baie ou enfoncement dans les terres, avec une très-belle enrrée, qui avoit deux ou trois milles de largeur. Je commengai a prévoir la fin de notre voyage , paree que eet endroit me paroiflbit très-favorable pour former une rade aux vaiffeaux , & très-propre a ètre choifi pour Ia fituation d'un établiflement de commerce Européen. Dans cette idéé 3 je fis jeter le grapin vers K3. Dimanche 14.  [ «5o] la partie oriëntale de cette entree, dans une petite anfe de fable, oü nous vimes une cafe , un chien, Sc quelques pièces de bétail. J'envoyai tout de fuite a terre le Maitre d'équipage Sc le Canonnier, pour aller voir a cette cafe les habitans de 1'endroit. La pointe Sud-Oueft de Pentrée nous reftoit a l'O. 5° 37' S. , a la diftance de trois milles. La pointe du Sud-Eft nous reftoit au S. ^ S. O., a trois quarts de mille 3 Sc l'ile Rotti , depuis le S. | S. O. i° 49' O., jufqu'au S. O. z° 49' O., a environ cinq lieues. Pendant que nous étions li mouillés, j 'obfervai que le jufant portoit au Sud j & avant notre départ, la mer perdante nous découvrit un banc de rochers, qui eft éloigné de terre d'environ deux encablures : comme la totalité de ce banc eft couverte a mer haute, il peut ètre fort dangereux. On voyoit aufli fur la rive oppofée , de très-hauts brifans ; il y a néanmoins un grand efpace, Sc un bon chenal, même pour un vaifleau du premier rang. La baie ou rade intérieure, me parut être d'une grande étendue ; fa partie du Nord que j'avois en vue, étoit éloignée de moi d'environ  [ ÏJI ] cinq lieues. La terre y étoit formée de petits monticules, entrecoupés de petites plaines; mais l'ile Rotti, qui refte au Sud de cette ouverture , eft la meilleure remarque pour trouver cette rade. A peine avois-je eu le tems de faire ces obfervations , que je vis revenir a. bord le Maitre d'équipage & le Canonnier , accompagnés de cinq naturels du pays. Dés ce moment , je me perfuadai que nos peines étoieur fmies, & que tout réuffiroit au gré de nos delirs. Ils m'informèrent qu'ils avoient trouvé la deux families d'Indiens, dont les femmes les avoient recus avec une politeiTe digne de 1'Europe. Ces gens m'apprirent que le Gouverneur Hollandais rélidoit dans un lieu nommé Coupang , fitué a quelque diftance, dans la partie du Nord-Eft. Je fis figne a un d'eux de venir dans la chaloupe, pour me piloter vers eet endroit, en lui faifant comprendre que je récompenferois fes peines : il y confentit aifémentj & s'embarqua. Ces gens étoient de couleur bafanée trèsfoncée; ils avoient les cheveux longs & noirs. Un morceau de toile quarré leur entouroit K 4  les hanches, & dans cette ceinture étoit placé un grand couteau. Ils avoient un mouchoir autout de la tête, & un autre, attaché par les quatre coins & pendu a leur cou , fervoit comme de fac pour enfermer leur provifion de Bétel, dont ils machoient continuellement une grande quantité. Ils nous apportoient quelques morceaux de tortue féchée , & quelques épis de maïs : ce dernier mets nous fut très-agréable ; mais Ia tortue étoit fi dure, qu'on ne pouvoit en manger fans la tremper dans 1'eau chaude. Ils auroient apporté d'autres provifions, fi je m'étois arrêté plus long-tems en eet endroit: mais je me décidai a partir tout de fuite , pour proflter de la bonne volonté du Pilote, & nous mimes a la voile a quatre heures & demie. Notre Pilote nous fit fuivre de ttès-près la cote de 1'Eft, routes voiles dehors; mais Ie vent étant tombé a 1'entrée de la nuit, nous eümes recours aux avirons, & ce ne fut pas fans étonnement, que je vis que nous étions encore en état de les faire agir. Comme j'obfervai cependant, vers dix heures du foir, que nousfaifions fort peu de chemin, je fis jeter le grapin,  [ *53 J Sc je donnai pour la première fois une doublé portion de bifcuit, avec un peu de vin, a chaque homme. Nous appareiilames a une heure après minuit, après avoir joui du fommeil le plus heureux. Nous continuames de ranger de prés la cote de 1'Eft, navigant dans une. eau fort tranquillej mais quelque-tems après, je reconnusque nous étions encore a Pouvert de la pleine mer. La terre que nous avions laiflee a 1'Oueft , eft une ile que le Pilote me dit porter le nom de PouloSamo (ij, L'entrée de ce canal, du cöré du Nord, a un mille & demi ou deux milles de largeur, Sc je n'y trouvai point de fond a dix brafles. Nous fümes tous ravis d'entendre deux coups de canon ; Sc nous appercümes peu-après deux Trait-quarrés Sc un Cutter, mouillés dans la partie de 1'Eft. J'eftayai de louvoyer pour gagner le vent; mais comme je vis que nousperdions a chaque bordée, nous fümes obligés une autrefois d'armer les avirons. Nous vogames en (i) On fait que Poulo dans le langage de ces peuples (qui eft, je crois, le Malay ) fignifie une ile.  C V54 ] nous tenant très-prês de terre, jufqua quatre heures que nous jetames le grapin. Je donnai a chacun une autre difttibution de bifcuit & de vin, &c après un peu de repos , nous levames le grapin, & on fe remit a. voguer jufqu'aux approches du jour, que nous mouillames devant un petit Fort & une Ville, que le Pilote me dit être Coupang. II s'étoit trouvé , parmi les objets que le Maitre d'équipage avoit jetés dans la chaloupe a notre départ du vaifleau, un paquet de pavillons de fignaux, qui avoient été faits pour 1'ufage des batimens a rames, pour fervir a déligner les brafles de profondeur d'eau en fondant. Je m'étois occupé pendant la traverfée, d'en faire un petit pavillon Yack, qui me fervit en ce moment a hifler aux haubans du grand mat, pour faire fignal d'incommodité : car je ne voulois pas débarquer fans en avoir obtenü la permiflion. Un peu après la poinre du jour, je fus hélé pr un foldat, qui me dit de defcendre a terre, ce que je fis a Pinftant, me trouvant parmi nne foule d'Indiens. Je fus bien agréablement furpris, de rencontrer la. un Matelot Anglais, ap-  r *rj 3 partenant a un des vaifleaux qui étoient rnouillés dans cette rade. II me dit que fon Capitaine étoit la feconde perfonne du lieu: c'eft pourquoi je Ie priai de me conduire chez lui, ayant appris que je ne pouvois pas voir le Gouverneur qui étoit malade. Je fus re$u par le Capitaine Spikerman ( c'etoit fon nom ) avec de grands témoignages d'humanité. Je lui fis part de notre état pitoyable , le priant de faire donner fans délai des fecours a. mes compagnons d'infortune. II donna ordre a 1'inftant de les recevoir dans fa propre maifon , & fut lui-même chez le Gouverneur, demander Pheure a laquelle je pourrois étre admis a lui faire ma vifite, qui fut fixée a onze heures. Je fis enfuite débarquer tout notre monde: «Sc ce ne fut pas fans peine , quelques uns d'eux pouvant tout au plus mettre un pied devant 1'autre. Ils parvinrent enfin tous jufqu'a la maifon du Capitaine Spikerman, oü ils ttouvèrent un déjeuner de thé, de pain Sc de beurre, qu'on leur avoit fait préparer. Je ne crois pas qu'un habile peintre püt trouver un fujet plus intérelTant pour fon pin»  r mi ceau , que le tableau des deux groupes de figures , qui fe préfenroient en ce moment : d'un cöté un nombre de fpectres affamés , les yeux ballans de joie du fecours qui leur étoit offert; de 1'autre la furprife extréme mêlée d'horreur de ceux qui les fecouroient, a la vue de ces figures haves & défaites, plus capable d'infpirer la frayeur que la pitié a des gens qui en auroient ignoré la caufe. Nous n'avions plus que la psau collée fur les os; nous étions couverts de plaies, & nos habits tomboient en lambeaux. Dans eet état, la joie & la reconnoifTance nous arrachoient des larmes , &c le peuple de Timor nous obfervoit avec des regards qui exprimoient enfemble, l'horreur , 1'étonnement & la pitié. M. Guillaume Adrien Van Efte , Gouverneur de 1'endroit 3 s'occupa tellement de moi, malgré fa maladie très-grave , qu'il me fut permis de le voir avant l'heure qu'il m'avoit d'abord fait indiquer. 11 me recut avec beaucoup d'amitié , & me prouva par fes manieres, que fon cceur étoit rempli de tous les fentimens les plus honnêtes & les plus humains. II me dit que tout chagrin qu'il étoit du malheur qua  [''57 J nous venions d'éprouver, il regardoit comme le plus beau moment de fa vie, celui qui nou» avoit conduits auprès de lui; que puifque fa maladie le privoit de la fatisfaófcion de nous recevoir & fecourit lui-mème, il alloit donner des ordres pour qu'on me proeura touc ce que je pourrois deiïrer. On me loua une maifon, & notre nourriture a tous fut préparée chez le Gouverneur lui-même, en attendant que Ion put faire un arrangement plus commode. Quant a mon monde s M. Van Efte me dit qu'ils pourroient avoir des logemeris a 1'höpital , ou k bord du vaifleau du Capitaine Spikerman , mouillé dans la rade : il me tcffioigna beaucoup d'inquie'tude du peu de moyens de Coupang, me dit que la maifon qu'il me procuroit étoit la feule vacanre de toute la ville , & que le peu de families qui y habiroient étoient tellement a 1'étroit, qu'il leur étoit impoflible de loger aucun érranger. Après cette converfation, on me fervit un fuperbe repas, que M. Van Efte me pria de recevoir , en excufant le peu de reflburces &c 1'ufage du pays, peu capable de me fatisfaire : & par cette tournure honnête, ilfembloit cher-  [ ijs l cher a aftoiblir le mérite du plus grand bienfait que j'aie jamais pu recevoir. Quand je retournai vers mes gens , je trouvai qu'on leur avoit fourni toutes fortes de fecours. Le Chirurgien avoir panfé leurs plaies; on avoit fongé a leur propreté , & on leur avoit donné amicalement toute efpèce de hatdes. / Ayant prié qu'on me montrat la maifon que je devois occuper , je la ttouvai prête , avec des domeftiques , dont un étoit, par ordre du Gouverneur , attaché en particulier a ma perfonne. La maifon étoit compofée d'un falon t avec une chambre a chaque cóté, & un plancher fupérieur : elle étoit entourée d'une galerie , & avoit un appartement extérieur a un des coins. On pouvoit communiquer du derrière de la maifon dans la rue. D'après cette diftribution je me décidai a loger tout le monde avec moi, & a. ne pas me féparer d'eux. Je réglai les logemens , ainfi qu'il fuit : je pns une chambre pour moi, &c je deftinai 1'autre chambre de vis-a-vis au Maitre, au Chirurgiens a M. Nelfon & au Canonier ; le plancher fupérieur aux autres Officiers, & 1'appartemenc  i *$9 1 extérieur aux Matelots. Le falon étoit com> mun a tous les Officiers , 8c les Matelots eurent en commun la galerie de derrière. J'informai de eet arrangement le Gouverneur , qui me fit pafier tout de fuite des chaifes, des bancs , des tables, & tous les objets dont nous pouvions tous avoir befoin. Lorfque j'avois pris congé du Gouverneur , il m'avoit prié de lui faire favoir les chofes dont je pourrois mauquer. J'appris enfuite qu'il n'avoit que très-peu de momens de libres, a pouvoir s'occuper de quelque affaire, que fon mal étoit incurable, 8c qu'il ailoit mourir. D'après cela, je fus qu'il convenoit que je m'adreflafie , pour toutes les affaires que j'aurois a tranfiger , a M. Timothée Wanjon , le fecond de 1'endroit, gendre du Gouverneur , qui s'efforcoit déja par toutes les attentions poffibles , de rendre notre pofition commode. II étoit donc faux , que Ie Capitaine Spikerman fut le fecond perfonnage de 1'endroit après le Gouverneur, comme le matelot Anglais avoit voulu me le faire croire. A midi, on apporta a la maifon un fort  joli diner, qui auroit pu rente*, même des perfonnes plus accoutumées que nous a Pabondance, a. donnet dans Fexcès. D'après cela on auroit du craindre que les avertiiTemens que je donnai de prendre garde a eet inconvénient, ne fnflent pas écoutés : je craignois fur-touc qu'ils ne mangealTent trop de fruits; mais il eft difficile de fe perfuader que des perfonnes dans une pareille fituation , aient pu obferver aurant de modération. Après que j'eus afiifté a eet abondant repas de mon monde , je fus diner avec M» Wanjon ; mais je ne me trouvai pas une envie extraordinaire de manger ni de boire. Le repos &c le fommeil me femblèrent plus eflentièls a ma fanté ; & je me retirai dans ma chambre que je trouvai commodémenc meublée. Mais au lieu de dormir , je ne fis que penfer aux maux que nous venions d'éprouver , &c a mon expédition manquée. Je réfléchis fur-tout aux graces qui étoient dues au fouverain Être qui nous avoit donné la force de fupporter d'aufli graves infortunes , & qui m'avoit enfin permis d'opérer la délivrance de dix-huit hommes. Les  [ 161 ] Les circonftances difliciles pèfent plus fut un Commandant que fut fes fubakernes. Un de mes plus grands tourmens dans la trifte aventure que nous venions d'eiïuyer , étoit 1'importunité continuelle des piteufes follicitations de tous mes gens pour obtenir quelque augmentation a la diftribution des vivres , que j'étois au défefpoir de refufer. Sentant combien il étoit indifpenfable d'obferver a eet égard la plus ftriéte parcimonie, je réfiftai i toutes leurs demandes avec la fermeté la plus foutenue, fans m'écartet jamais du réglement dont j'étois convenu avec eux au départ. Par 1'eflèt de ces foins, il nous reftoit encore, a. notre arrivée a Timor, pour onze jours de diftribution, au taux bomé qui avoit étéétabli. Ainfi, dans Ie cas ou nous euflions eu le malheur de manquer 1'établiflement Hollandais de Timor , nous aurions pu continuer jufqu'a Java , oü on étoit aftuté de trouver toute forte de fecours. Une autre raifon qui rendoit ma pofition bien déplaifante, étoit la néceflité d'eftuyer les caprices de gens mal appris. Si je n'avois pas fu me comporcer avec eux convenablement, ils au- L  r lSl ] roient mis la chaloupe a terre, au premier endroit de la cóte de Timor, fans faire réflexion qu'en débarquant la , au milieu des naturels du pays, loin de l'établiflement Europeen , on s'expofoit peut-êcre aux mêmes dangers que parmi les autres Indiens. Nous n'aurions eu , en quiitant ie vaifleau, que pour cinq jours de vivres, au taux ordinaire , Sc s'il n'y avoit pas eu néceffité abfolue de le ménager. Les révoltés s'étoient naturellement perfuadcs que nous ne pouvions chercher afyle que dans quelqu'une des iles des Amis : il n'étoit aucunement probable que nous puffions tenter le retour en Europe , aulli mal pourvus Sc mal armés que nous étions. Ils ne fe doutent pas que Ton eft déja inftruit dans leur Patrie de leur adion infame. Quand je réfléchis au bonheur incroyable qui nous fauva la vie a tous dans l'ïle de Tofó , par le retard des Indiens a. nous attaquer; quand je penfe que nous avons pafté un efpace de plus de 1 loo lieues de mer , prefque fans vivres , fans aucun abri contre les i njures du tems , dans une barque ouyerte ; quand je penfe que malgré tanc de  C ïtfj ] mauvais tems 6V: de mauvaifes mers , nous n'avons pas coulé a fond, que perfonne de nous n'a été emporté par maladie, que nous avons été aflez favorifés du fort, pour palier auprès des barbares habitans de plufieurs autres contrées, fans éprouver d'accidents ; & qu'enfin nous avons abouti chez les gens les plus affables & les plus humains , oü tous nos maux ont été fodlagésj quand je rcfléchis, dis-je, a une délivrance auffi miraculeufe, & a tant de bienfaits de Ia Providence, ce fouvenir me donne la force nécefiaire pour fupporter avec réfignation , le m'anque de réuffite d'une miffion que j'avois fi fort a cceur, & dans le moment oü j'avois la plus belle apparence de la tcrminer complettement, & a Ia fatisfaótion de S. M. & des dignes Protecleurs d'un auffi fuperbe projet de bienfaifance. Une des caufes qui a contribué a nous conferver la fanté, pendant feize jours de pluie forte & continuelle , a été le moyen que j'imaginai, de tremper nos hardes dans 1'eau de la mer 3 & de les y totdre, a chaque fois qu'elles fe trouvoient imbibées d'eau de phu*. L i  i 1*4 1 On ne peut fe figurer a quel point cela reffemble a un changement de hardes féches , & combien cette idee nous a été falutaire : je ne puis que recommander a. toutes les perfonnes qui feroient dans le cas d'éprouvec quelque chofe de pareil , d'employer cette même relfource. Mais nous avions eu befoin de la répéter (i fouvent, qu'a. la fin nos habillemens, a. force de les tordre , s'étoient mis en lambeaux : car , fi on en excepte le petit nombre de jours que nous pafsames le long des cótes de la Nouvelle-Hollande, nous n'avons ceffé d'êcre mouillés pendant toute cette traverfée, foit de la pluie ou de 1'eau de mer. C'eft ainfi que , par le fecours de la divine Providence , nous avons furmonté toutes les infortunes & les difficultés d'un voyage auftl dangereux ; que nous fommes arrivés fains & faufs dans un port, ou des petfonnes bienfaifantes & hofpitalieres nous ont ptocuré, de la maniere la plus généreufe, tous les fecours & toutes les confolations poffibles. Les bienfaifantes attentions du Gouvertveur de Coupang Sc des autres perfonnes de  r ] 1'endroit , & les reflources de tout genrecju'ils nous procurèrent , nous rendirent la fanté a vue d'ceil. Ainfi, pour pouvoir arriver a Batavia avant le départ de la flotte du mois d'Oótobre pour 1'Europe, j'achetai, le premier de Juillet, une petite Goclette de trentedeux pieds de longueur, qui me coüta mille piaftres fottes, que j'équipai, fous le nom de la Goëlette du Roi la Rejfource. Le 20 Juillet; j'eus le malheur de perdre 20 Juillet; M- David Nelfon , qui mourut d'une fi;vre inflammatoire. Je le regtettai infiniment 3 il s'étoit acquitté avec beaucoup d'attention Sc d'aétivité de 1'objet de fa miffion , & je 1'avois toujours trouvé prêt a fcconder toutes mes idéés pour le bien du fervice que nous avions a remplir. II avoit été fort utile auffi dans cette derniere traverfée jufqu'a Timor, pendant laquelle il m'avoit donné beaucoup de fatisfaétion, par le courage Sc la patience dont il avoit donné 1'exemple. Le 21 Juillet: j'employai cette journée a zi Juillet. affifter aux funérailles de M. Nelfon. La bière fut portée par douze foldats vêtus de noir , préccdés par le Miniftre. Je marchois en-  20 Aofit. . I 166 ] fuite , accompagné du Gouverneur en fecond : après nous venoient dix babitans de la ville , & les Officiers des vaifleaux qui «étoient dans Ie port, &c enfin mes propres Officiers & mon équipage. Après avoir lu les prieres & I'office de 1'enterrement , le corps fut inhumé derrière la chapelle , dans le cimetière appartenant aux Européens de cette ville : je fus bien affeóté de n'avoir pu me procurer une pierre pour pouvoir mettte, avec une infcription , fur fa tombe. C etoit le fecond voyage de M. Nelfon , dans la mer du Sud ; il avoit été du dernier voyage du Capitaine Cook , ou M. Banks 1'avoit employé, pour lui faire une colleétion de plantes , graines & objets d'hiftoire naturelle : & voila, qu'après avoir fait le plus difficile , plein de reconnoiffance envers Ia Providence , & au moment ou il s'y attendoit le moins , la nature lui demande Ion ttibut. Je m'embarquai le 20 Aoüt, après avoir pris congé cordialement de mes excellens hótes : nous fimes voile du port de Cou-  [ 167 ] pang , en nous faiuant réciproquement avec le fort 8c les batimens qui étoient au mouillage. M. Van - Efte étoit expirant au moment de mon départ. Nous devons a ce Gouverneur les témoignages les plus vifs d© reconnoiflance , pour les procédés 8c les attentions dont il nous a comblés , malgré 1'état faeheux de fa fanté. II eft malheureux de ne rendre ce tribut qua fa mémoires Nous avons eu également a nous louer de M. Wanjon, fecond du Gouverneur, qui, non moins humain , & nou moins difpofé a nous rendre fervice , n'a cefte de nous obliger; & qui lorfque je trouvai de 1'embarras a me procurer des fonds de la pare du Gouvernement, pour pouvoir acheter uri batiment , me le fit avoir fur fon propre crédit. Sans ce fecours eftentiel , il eft certain que j'aurois manqué 1'occafion de la flotte de Batavia pour 1'Europe , au mois d'O&obre. Je n'ai d'autre moyen de reconnoitre tant de bienfaits , que mes fentimens , 8c 1'éternel fouvenir que j'en conferverai. M. Max , Chirurgien de 1'endroit, s'eft  29 Aoüt. 10 Septembre 1789. t ia i compOité avec nous de la maniere la plus obligeante & la plus généreufe : il donna fes foins a tous, & lorfque je voulus lui faire accepter un paiement , ou lui demander un compte , je ne pus obtenir de lui, pour toute réponfe, finon, qu'il n'avoit fait que fon devoir. Coupang eft fitué par les to° \t! de latitude Sud, Sc par 1140 41' de longitude Eft du méridien de Green\vich. Le vingt - neuf Aoüt, je paffai a 1'extrémité occidentale de l'ile de Flores , a travers un détroir fort dangereux, femé d'iles & de rochers. Lorfque j'eus arteint 8° de latitude Sud, je fis route a 1'Oueft , & paflai les ïles de Sombava , Lomboc & Bali : enfin j'atterrai fur Java le 6 Septembre. Je continuai alors de faire route a 1'Oueft par le détroit de Maduré. Le 10 Septembre , je mouillai devant Pafloutouang , par 7° 3 6' de latitude Sud, Sc a i° 44' en longitude, a 1'Oueft du cap Sandana qui eft a 1'extrémité du N. E. de 1'ïle de Java. J'appareillai dela le 11, Sc j'arrivai le 13 X  [ i69 ] i Sourabia , par 7° n' de latitude Sud Sc 1° 52' de longitude Oueft du cap Sandana. Le 17 Septembre , je fis voile de Sourabia , Sc je mouillai le même jour a Crifley j d'ou je repartis après y avoir féjourné deux heures. La latitude de Crifley eft de 70 9' Sud, & fa longitude i° 55' Oueft du cap Sandana. Ayant dirigé ma route vers Samofang, j'y mouillai le 22 Septembre. La latitude de Samofang eft de 6° 5 4'Sud, fa longitude 40 -]' Oueft. Le z6 du même mois, j'appareillai de la pour Batavia , oü je mouillai le premier Oótobre : fa latitude eft de 6° 10' Sud, Sc fa longitude 8° 12'a TOueft de 1'extrémité la plus oriëntale de l'ile de Java. Le lende main de mon arrivée, ayant eu quelques fatigues a efluyer, pour parvenir a négocier le débarquement de mes gens qui étoient reftés a bord de la Goe'lette , mouillés dans un endtoit mal-fain de la riviere , je fus faifi d'une forte fièvre. Le 7 on me tranfporta a la campagne , chez le principal Médecin , oü Ie Gouver- M l  [ '7° 1 neur-général me fi: dire que je trouverois toute forte de fecours & de foins, & c'eft a cela que je dois mon rétabliflement. Il me devint cependant indifpenfable de m'éloigner de Batavia fans délai; & Ie Gouverneur me donna en conféquence la permiflion de m'embarquer avec deux autres , fur un Paquebot qui devoit partir avant la flotte. II m'afliira qu'il feroit partir les autres peu après moi, dans la flotte dont le déparc étoit fixé pour tout le courant de ce mois. II m'obferva que j'expoferoïs beaucoup ma fanté, a refter plus long-tems dans eet endroit, & que d'ailleurs il lui etoit impoiïïble de nous donnet paffage a tous dans le meme vaifleau. II étoit donc efientiel de partir tout de fuite , quand mème ma fanté ne 1'auroit pas exigé. En conféquence , je m'embarquai fur le Paquebot le Vlydt, qui appareilla le .16" O&obre. Le 16 Décembre , j'arrivai au cap de PonneEfpérance , oü je commen^ai a fentir le retour de ma fanté ; quoique j'aie encore après continué d'être foible & languiflant. Le Gouverneux-Général de l'ile de Java , & toutes les perfonnes qui y occupent des  C 17» 3 emplois, m'ont comblc d'honnêtetés & d'attentions : j'ai recu auffi mille politeffes, Sc des marqués de la plus fincere anection de la pare de M. Van-de-Graaf, Gouverneur du cap de Bonne-Efpérance. Nous parcimes du Cap pour PEurope le 2 Janvier 1790; Sc le 14 Mars, je fus mis a terre a Portsmouth , par un bateau de Pils de Wlghr. F I N.