EX BIBLIOTHECA Dr. T. H. MILO    RÉVOLUTIONS DES PROVINCES-UNIES, TOMÉ PREMIER.   RÉVOLUTIONS DES PROVINCES-ÜNIES SOUS Z'ÉTENOARD DES DIVERS STADHOUDERS, S V 1 V 1 B S DES ANECDOTES MODERNES, Ou Tableau hiftorique, topographique &politique des Provinces - Unies, de leur Commerce & Poffejfions d'outre - mer ; les Caufes des cri/ès que eet Etat éprouve aujourdhui. TOME PREMIER. A N I M E Q U E. 1 7 8 8.   RÉVOLUTIONS DES PROVINCES-ÜNIES OES DIVERS STADHOUDERS. PREMIÈRES ANECDOTES Guillaume I, fondateur & premier Stadhouder. CjuiLLAUME de Nassau , prince d'Orange , fondateur &. premier Stadhouder de Ia république d'Hollande, étoit iuu d'une des plus anciennes maifons de 1'Empire , puifqu'elle remonte jufqu'a Adolphe , comte de Nalfau , mort 1'an 703 , ,8c qu'Adolphe premier , auffi comte de Naflau , fut élu Empereur 1'an 1291 , ayant fuccédé a Rodolphe premier, comte d'Hasbourg, & chef de la maifon d'Autriche. SOUS x' ÉTENDARD BS Tome I. A  2. Tableau hïstoriqvê Origine & premiers emplois de ce Prince. Ce prince naquit 1'an 1533, dans Ie chatéau de Dillembourg : fon pere fut Guillaume Tanden ou Ie vieux, öc fa mere Julienne, fille de Bothon , comte de Stolberg. II n'avoit que doüze ans, lorfqu'il hérita de la fucceffion de fon coufin germain , Renée comte de Naflau 8c prince d'Orange , qui étoit mort fans enfans. Dans fa jeuneffe il fut d'abord au fervice de la reine Marie de Hongrie. U vint enfuite a Ia coür de Charles-Quint dont il fut page , 8c enfuite gentilhomme de la chambre. II euf le bonheurde plaire al'Empereur, qui lui donna toujours des marqués de fon eftime êc de fa confiance. Ce prince le choifit 1'an 155Ö , pour porter a Ferdinand la couronne impériale qu'il venoit. d'abdiquer. II l'employa dans d'autres affaires ifnportantes, 8c le nomma enfin généraliflime de fes troupes , gouverneur de Ia Hollande , Zélande 8c Utrecht. Difgracié/bus Philippe II. Il s'en fallut bien que Philippe II , roi d'Efpagne , eüt pour Guillaume les mêmes égards qu'avoit eut pour lui Charles - Quint fon pere. Celui - ci avoit établi dans les Pays-Bas trois Confeils, le confeil d'état pour les affaires politiques, le confeil privé pour juger les differens des particuliers , 8c le confeil des finances pour l'adminiftration des deniers pubücs. Le confeil d'état étoit compofé du prince d'Orange, du comte de Hom amiral, du comte de Bourlaimont,  des PrOV in ces-U n1es. 3 préfident du confeil des finances, du dodleur Viglius, préfident du confeil privé , 8c de Granvclle, 1'un des plus habiles miniftres de 1'Europe , qui mérita par fon zele pour la cour de Rome, le chapeau de Cardinal. De ces fix perfonnes Philippe exclut entiérement de la confiance de fa fceur, Marguerite d'Autriche, duchefie de Parme 8c gouvernante des Pays - Bas , le prince d'Orange , les comtes de Horn Sc d'Egmont , 8c lui ordonna expreffément de ne confulter que les trois autres dans routes les affaires délicates. Mécontentement des peuples confédérés. Philippe II ne confultoit que 1'efprit de defpotifme , dont il étoit dominé ■■, il ne cherchoit qua détruire les libertés 8c les privileges des Pays-Bas, Sc a mettre ces provinces fur Ie pied de celles d'Efpagne. Pour parvenir. a ce but, il travailloit avec ardeur a détruire dans ces contrées la religion proteflante qui venoit de s'y enraciner. C'eft ce qui lui fit prendre la réfolution d'y intro duire le tribunal de 1'inquifition , tribunal fi contraire a 1'efprit de 1'évangile , qui ne refpire que la paix 8>c la tolérance, tribunal odieux qui a fait tant de plaies a 1'humanité qui faignent encore. L'objet de 1'inquifition, déja fi odieux par lüimême , révoltoit les Flamands , dont il anéanïifioit les privileges d'une maniere fi alarmante. En effet, pouvoit - on ne pas redouter un tribunal qui ne s'occupe que du foin de rechercher fur de fimples foupcons, de répandre les déla- A z  4 TAbLEAV U1STOR1QU& teurs, confondre 1'innocent avec le coupabie, Sc jeter le trouble dans les families ? La maniere dont procédé 1'inquifition n'eft-elle pas encore plus odieufe ? Les inquifiteurs ont dans les villes, & dans les campagnes des efpions pour obferver tout ce qui fe dit & ce qui fe fait. Les perfonnes qui font arrétées comme fufpeftes ou coupablës , ne connoifient jamais leurs accufateurs; on ne les confronte pas avec les témoins ; fouvent elles ne fevent pas ce dont on les accufe. Elles n'ont donc aucun moyen de fe défendre, ni de repoufler la calomnie. Cependant, après avoir été tenues long-tems dans une prifon ou elles ont beaucoup foufferts , elles font brülées vives. La confifcation des biens, une prifon perpétuelle 8t une note d'infamie font les moindres peines auxquelles on pui/Te être condamné. Enfin , 1'inquifition fait porter aux enfans la peine du crime des peres, & fes jugemens flétrifient une familie a perpétuité. Si on donnoit a un habitant du Monomotapa ou a un Algonquin a deviner ou fe trouve un pareil tribunal , il iroit le chercher fans doute parmi les nations les' plus barbares , 8t il ne 1'y trouveroit pas. Voila cependant comme les hommes pervertiffent une religion qui ne refpire que la douceur 24 1' mour. Mrtiiana exalte beaucoup la prudence , la modératii n , h probité & la folide piété des premiers 'nquifiteurs. ün les choifit tels felon lui , pour revenu 1'abus que d autres auroient pu faire de leur pouvoir : on fit, dit-il ? des loix trés-  des Prö'finces -Unies. 5 fages pour les retenir dans les bornes de la juftice Sc de la raifbn. On voit bien qu'il eft obligé de parler aififi \ car , par fa nature, 1'inquifitión eft nécefluirement hors des bornes de la juftice 8c de la raifon } Sc il eft bien difficile de croire qu'on ait pu choifir des inquifiteurs tels qu'il les funpofe , ou faire des loix pour cantenir ceux qui voudroient abufer de leur pouvoir. Ceux qui établilfoient ce tribunal en étoient-ils donc capables ? Ün peut juger ce que c'étoit que ce choix 8c ces loix par le premier ad~èe des inquifiteurs en Efpagne : ils commencerent par faire publier une déciaration , par laquelle ils oftïoient la grace a tous ceux qui. viendroient d'eux-mêmes avouer leursfautes. On rapporte que dix-fept mille perfonnes vinrent avec confiance , dans 1'efpoir d'obtenir 1'abfolution : deux mille furent brülées, 8c les autres n'échapperent que par la fuite. Voila le premier acte de la prudence 8c de la modération y de la probité , de la folide piété de ce tribunal , dont la puilfance s'accrut encore dans la fuite. Certainement les Ithaciens n'avoient jamais été aufll crue Is contre les Prifcillianiftes. Cependant S. Martin 8c S. Ambroife refuferent de communiquer avec eux: le pape Sirice Sc un concile de Turin les condamnerent, Sc Ithace fut lui-même dépofé 8c excommunié par I'églife ( 1 ). Ce redoutable tribunal s'établit fans obftaclc en Efpagne, paree qu'il ne févifToit d'abord que contre las juifs 8c les maures que les Efpagnols (1) Tillemont, tam. VIII, des Prifcillianiftes, att. II & iuiv. A 3  6 Tableau h i storiqu e haïflbient: il fut plus cruel en Efpagne, paree que le peuple, devenu féroce par des guerres de plufieurs fiecles, aimoit a fe baigner dans le fang des ennemis qu'il avoit eu tant de peine a vaincre. On venoit en foule a ces auto-da-fé, a ces fpectacles religieux 8c fanguinaires, oü Ton livroit aux flammes avec pompe jufqu'a des milliers de victimes. Les Efpagnols ne prévoyoient pas que ces feux s'allumeroient un jour contr'eux. Cependant, 1'an 1559, ils s'allumercnt pour les dévorer par les ordres de Philippe , qui apprit que le calvinifine pénétroit en Efpagne 8c s'y faifoit des partifans. II s'y rendit par mer la merrie année , mais ayant été afïailli par une tempête fürieufe, il crut devoir fon falut au vceu qu'il fit d'exterminer tous les hérétiques, & il ne douta pas que la Providence n'eüt fait un miracle pour un auto-da -fé. Arrivé en Efpagne , il s'empreifa d'aller a Séville oü les inquifiteurs avoient ramafie des proteftans , pour lui donner un fpe&acle. digne de lui. On en brüla treize tant hommes que femmes \ quelques jours après , vingt - huit gentilshommes furent brülés a Walladolid en fa préfence, il voyoit de fes fenêtres ces rnalheureux dévorés par les flammes , il entendoit leurs cris. Bien-loin d'en détourner la vue , ou de montrer quelque refte de pitié , il portoit fur eux de fes regards avides , 8c favouroit a longs traits ce plaifir barbare , malheur a ceux qui ne le partageoient pas 5 car des efpions, répandus parmi Je peuple , avoient ordre de faire arrêter quiconque laiiïeroit cchapper quelque figne de compaffion.  y>xs Provinces-Vnibs. 7 L'humanité étoit une héréfïe aux yeux de ce prince li pieufement barbare. Conflantin Ponce 8c Jean Egidius , deux hommes de mérite , étoient morts, le premier pendant qu'on lui faifoit fon procés 5 le fecond après avoir été renvoyé abfous. Ponce avoit été confeffeur 8c prédicareur de Charles - Quint; Egidius prédicateur de réputition , avoit été nommé par 1'empereur a 1'évêché de Tortofe. II feroit difficile de dire s'ils étoient coupables, ou fi les inquifiteurs voulurent flétrir Ia mémoire de deux hommes dont le crédit avoit excité leur jaloufie. Ils en reprirent le procés 8c firent brüler deux fanrömes de paille habiilés en prédicateurs. Enfin , on arrêta Barthelemi Caranza archevêque de Tolède. II avoit affifté Charles - Quint dans les derniers momens de fa vie , ce fut la tout fon crime •, car 1'empereur étoit foupconné d'être mort avec quelque penchant pour la religion proteftante.. Ce prélat fut long - t^ms détenu en prifon 8c on lui confifqua fon temporel. Philippe gouverne en inquifiteur. Cruautés de ce prince. Philippe ayant appris qu'il y avoit des proteftans dans un canton de la Calabre , ordonna au vice-roi de Naples de faire marcher contr'eux, êctous furent tres-religieufement paffes au fil de 1'épée , excepté quatre-vingt, dont une partie fut pieufement brülée, 8c 1'autre très-fcrupuleufement pendue. 11 n'y a pas fi long-tems que le duc de Savoie voulut convertir de la même maniere des A 4  8 T A BLSAV X 1 S T O Rl QV B calviniftes qui habitoient quelques - unes de fes vallées ; on fait les cruautés inouies, les atrocités, les fupplices les plus recherchés qu'on fit fubir a ces martyrs de la vérité. Cependant de tous les fujets de ce prince , c'étoient les plus zélés , les plus honnêtes gens , ceux qui lui ont rendu les fervices les plus fignalés dans les guerres que ce prince eut a foutenir dans la fuite. Ces ames héroïques ont bien voulu oublier les barbaries que leur fouverain avoit fait foufFrir a leurs ancêtres , & n'ont fait éclater que plus de zele 5c d'attaehement pour lui. Le fanatifme ne raifonne point '■, c'eft ce quï aveugla le barbare Philippe, roi d'Efpagne , qui donna ordre au gouverneur de Milan de conduire des fecours au duc , écrivant a celui - ci de n'épargner ni le bois , ni ies cordes :, fa lettre finiifoit par ces mots : Todos a las fuercas ; todos a las juercas. Les tentatives qu'il fit plufieurs fois pour iiitroduire 1'inquifition dans le royaume de Naples ÖC dans le Milanois , ne firent que foulever les peuples ■■, cependant il ne défefpéra jamais de 1'y établir un jour; auffine cefla-t- il d'exhorter les papes a conjurer avec tous les princes catholiques , l'extincT:ion des hérétiques. II n'efr pas douteux que 1'inquifition ne contribuat en Efpagne a rendre 1'autorité de Philippe plus abfolue dans tous fes états. Mais il raifonnoit mal, paree qu'il ne favoit pas remarquer la différence des circonftances. II auroit dü obferver que les Efpagnols n'avoient fouffert l'éreéfion de ce tribunal, que paree qu'ils n'avoient pas préva  DES PROV1JS!CES-UniES. } qu'il s'érigeoit contr'eux , 8c n'y reftoïent foumis , que paree que la terreur des auto-da-fé, répandoit une méfiance générale qui ne permettoit pas de concerter un foulévement. 11 n'en étoit pas de même des Flamands , ni des Milanois, ni des Napolitains , qui ne pouvoient pas s'y méprendre j le clergé même qui commenc^it k connoitre fes droits , s'oppofoit a 1'inquifition. autant que les peuples. Philippe auroit donc dü prévoir que plus il feroit d'effbrts, plus on lui réfifteroit, Sc que 1'ombre même dun inquifiteur exciteroit des tumultes. Mais fon defpotifme aveugle ne lui permit pas de rien prévoir. Obfervations. Il eft a obferver que dans les Pays - Bas, les fouverains n'y jouifloient pas d'une autorité abfolue. L'ufage de convoquer les états s'y étoit confervé , Sc le peuple s'affëmbloit avec la nobleffe , pour délibérer fur les principales affaires 5 d'ailleurs il y avoit des villes qui étoient proprement des républiques fous la proteclion du prince. Les Pays - Bas s'étoient fpulevés contre Maximilien : ils furent foumis fous Philippe le beau-fils , paree qu'ils trouverent en lui un pere qu'ils chériffoient. Charles - Quint lui - même fentit le befoin de les ménager jufqu'au tems oü il fe crüt maitre en Allemagne. Son interim y commen§a les défordres , Sc fon fils , le barbare Philippe, y mit le comble. Trois a quatre cents villes , plus de fix mille gros bourgs Sc une population nom breufe rendoient les Pays - Bas très-floriffans. Les  I© TABZEAV HISTOniQUS habitans étoient propres a 1'agriculture , au commerce , a la navigation , Sc pendant les dernieres guerres une partie étoit devenue d'excellens foldats ; or , un peuple laborieux qui vit dans 1'aifance , aime le gouvernement qui fait fa profpérité: il craint les révolutions, il ne fe fouleve pas a moins qu'on ne 1'y force. 11 n'étoit donc pas bien dirficile de favoir comment il falloit gouverner les Flamands ; mais Philippe en vouloit faire des efclaves. Tous ces peuples avoient de grands privileges, Sc le roi d'Efpagne n'avoient pas les mêmes droits fur chacun d'eux. Par exemple , fa fouveraineté fur Groningue , fe bornoit a recevoir chaque année un tribut de fix mille écus , 8c a tenir dans cette province un lieutenant pour prendre connoiilance des caufes civiles , laifiant d'ailleurs les caufes criminelles aux magiftrats du pays , fur lefquels il n'avoit point d'autorité. Plus ou moins puhTant dans les autres provinces , il les pofiedoit a différens titres 8c n'étoit abfolu nulle part ; dans le Brabant , les loix fondamentales étoient , que le prince pouvoit autorifer a juger en matiere civile ou criminelle , autrement que par les loix 8c les formes du pays j qu'il ne pouvoit mettre aucun nouvel impöt, fous quelque nom , fous quelque prétexte que ce fut 5 qu'il ne lui étoit point permis de donner les emplois a des étrangers , d'afiembler les ctats hors du pays , d'augmenter le clergé ou de lui accorder de nouveaux biens : enfin il étoit arrêté, gue fur a«cune de ces chofes, il ne fcroit pas le  3)xs Profi&cbs-Unies. h moindre des changemens , fans le confentement des trois ordres des états , 8c que s'il entreprenoit , par artifice ou par violence , d'enfreindre quelques-uns de ces privileges , le peuple feroit dél;vré du ferment de fidélité , 8c pourroit prendre tel parti qu'il jugeroit convenable. Moyen daccroitre t autorité de Philippe. Il y avoit un moyen que pouvoit employer Philippe pour accroitre fon autorité ; il eft vrai que ce moyen étoit lent, mais il étoit fur. En tout genre de réforme , hatez - vous lentement, feftina lente. II falloit refpeéter les privileges de la nation , convoquer les états, 8c ne rien faire qu'avec leur confentement; par-la , Philippe eüt gagné la confiance 8c obtenu tous les jours de nouveaux droits. Le peuple abandonne volontiers les foins du gouvernement a un fouverain qu'il aime , on en trouve quantité de preuves dans 1'hiftoire , 8c les Hollandois vont nous en donner un nouvel exemple. Lorfque Philippe quitta les Pays-Bas , Paul IV venoit de créer a fa follicitation treize nouveaux évêchés ■■) ce pape crut que la vigilance d'un plus grand nombre d'évêquès arrêteroit les progrès des nouvelles opinions , 8c Philippe s'imagina que, plus il prendroit de moyens pour contenir les peupks dans PobéhTance , a 1'églife, c'eft-a-dire, au pape , 8c plus il les foumettroit a fa propre autorité ; car tout prouve que Philippe ne vouloit faire régner tyranniquement la religion, que pour régner tyranniquement lui - même j  ft TABZEAV IilSTORlQug mais fes précautions produifirent des efforts tout contraires. Ce ne fut pas fans chagrin que Tanden dergé fe vit dépouillé en partie par le nouveau : le peuple regaxda ces évêques comme autant d'inquifïteurs : il craignit au moins qu'on ne voulüt prendre par-la des mefures pour établir enfuite la fainte inquifition , 8c ce n'étoit pas fans fondement. Ce tribunal, comme on fait, fut d'abord établi contre les Albigeois. On le nomma inquifition , paree que le devoir des inquifiteurs étoit de rechercher , de punir ceux qui étoient coupables , ou foupconnés d'héréfie. Les papes chargerent du faint office, les Freres Prêcheurs qui avoient alors tout le zele qu'ont toujours les ordres dans leur naiffance , Sc les évêques furent afTez foibles ou affez ignorans , pour fe laiifer dépouiller d'un droit qui n'appartenoit qu'a eux, s'il eft bien vrai qu'il n'appartienne qu'a eux, ou au pape de brüler les hérériques. Dans ce tems-la toute opinion contraire aux prétentions du faint fiege étoit traitée comme hérétique par les papes , Sc pour extirper routes ces fortes d'héréfie , il auroit fallu que les papes euffent fait brüler plufieurs millions d'hérétiques. II étoit donc de Tintérêt des papes d'établir partout le tribunal redoutable de 1'inquifition \ s'il n'avoit tenu qu'a eux, ils auroient embrafé la plus grande partie de Tunivers , pour en faire dévorer les habitans dans les flammes des büchers qu'ils vouloient allumer par-tout , pour la plus grande gloire de Dieu, ad majorem Dei gloriam. Les papes n'eurent pas beaucoup de peine a éta-  ves Provin ces-U nies. xj blir 1'inquifition en Italië , ni Ferdinand le catholique en Efpagne. L'an 1478, fon defiein étoit d'achever d'exterminer ce qui y reftoit de juifs 8c de maures ■■, mais pareille exécution n'étoit pas fi facile dans les Pays-Bas. Le fang froid du cruel Philippe étoit connu des Flamands. La renommée 1'exageroit peutêtre, mais les Flamands croyoient en quelque forte appercevoir la fumée des auto-da-fé. Marguerite , duchelTe de Parme, que Philippe avoit nommée gouvernante , étoit aimée. II ne tenoit pas a elle que les peuples ne fuifent heureux , 8c que par conféquent fon frere n'eüt fur eux toute 1'autorité que les princes ont toujours fur leurs fujets , lorfqu'ils en font le bonheur j mais on lui avoit donné pour premier miniftre Granvelle , alors évêque d'Arras 8c peu de tems après cardinal: ce prélat naturellement dur, le devint encore davantage pour plaire a fon maitre, 8c fans égard pour les loix 8c pour les privileges , il voulut gouverner en defpote. II étoit violent, altier : il ne diffimula jamais d'injures , ne pardonna jamais d'oftenfe , 8c n'oublia jamais de bienfait. Après le traité de Cateau-Cambrefis, les Flamands avoient fupplié le roi d'Efpagne de retirer les troupes efpagnoles que la paix qu'on venoit de faire rendoit inutiles. Philippe les laifia , paree qu'il les jugea néceflahes pour établir fon autori é abfolue, 8c ne fit aucune attention aux repréfentations des états. Cette conduite parut fufpe&e 8c aliéna les elprits j on fit encore des repréfentations a ce  14 Tableau historiqvê fujet après le départ du roi, Sc d'autres entreprifes du miniftere donnerent lieu a d'autres plaintes. Granvelle affefta de ne pas s'en appercevoir; il éluda toutes les demandes des Etats , Sc les peuples fe refuferent aux impofitions néceffaires pour 1'entretien des troupes. Alors il fallut céder , Sc les Efpagnols partirent au commencement de 1561. Tel eft fouvent le defpotifme ; il entreprend plus qu'il ne peut, il fe compromet cependant lorfqu'il eft contraint de s'arrêter , il perd toujours plus qu'il n'a gagné par la violence. Les Flamands fe réjouirent de ne plus voir chez eux des troupes étrangeres ; ils s'applaudiffoient de la foibleffe que le gouvernement venoit de montrer , ils n'en avoient pas plus de confiance au roi ni au miniftre ; ils fe fentoient feulement plus enhardis ; ils continuoient toujours de redouter 1'inquifition. Les proteftans entretenoient peut - être parmi eux ces craintes , Sc la conduite de Granvelle ne les confirmoit que trop. Bientöt regardant la religion réformée comme un afyle contre le defpotifme , ils embraflerent a 1'envi, la doörine de Lutlier: voila le fruit des perfécutions inconfidérées. La religion mit dans leur ame un fanatifme qui embrafa dans leur ame 1'amour de la liberté , car ils ne penfoient point encore a fe fouftraire a tout fouverain ; ils prirent de la confiance en voyant jufques dans le confeil de la régente, des feigneurs du pays embrafier leurs intéréts : c'eft Guillaume de NafTau , prince d'Orange , c'eft le comte d'Egmont, le comte de Horn Sc plufieurs autres.  t>ss Propinces-Vxies. 15 C'eft la mauvaife politique de Philippe qui fut la caufe des progrès du luthéranifme dans les PaysBas , du mécontentement des peuples 8c des faétions parmi les miniftres. II en devoit réfulter des guerres , c'eft ce qui ne manqua pas d'arriver. L'inquifition , 1'abolition des privileges avoient également aliéné 8c les catholiques 8c les proteftans. Les feigneurs mécontens s'aifemblerent pour exclure Granvelle des affaires. Le prince d'Orange étoit 1'un des chefs du complot. Le cardinal fut rappellé , mais fon éloignement ne mit pas fin aux troubles. La gouvernante entreprit de faire recevoir les décrets du concile de Trente, décrets contraires aux loix fondamentales de tous les états en général, Sc en particulier de tout état bien organifé. Ce fut 1'an 1504, que Granvelle fut rappellé , è la follicitation de la duchefle de Parme, qui avoit repréfenté combien la conduite de ce miniftre foulevoit les peuples. Cependant le concile de Trente, que le plus grand nombre ne voulut pas recevoir , 1'inquiiition que tous redoutoient, 8c les édits rigoureux qui avoient été publiés, étoient toujours autant de femence de révolte. Le comte d'Egmont, chargé d'en inftruire le roi d'Efpagne , partit au commencement de 1565. Philippe affembla cinquante théologiens pour favoir ce qu'ils penfoient fur la liberté de confcience que deman < doient les Flamands. Ils répondirent qu'on pouvoit Ia leur accorder , paree qu'autrement le roi Sc 1'églife couroient rifque de perdre les Pays-Bas. Je ne vous demande pas, dit Philippe, ü je le  16" Tableau kis tor fggrxft puis , mais fi fy fuis obligé $ 8c lorfqu'iis eurenÉ répondu qu'ils ne penfoient pas que ce fut une obligation , il fe jeta a genoux , 8c tendant les mains au ciel, je vous prie , mon Dieu , dit-il , de m'entretenir dans la réfolution oü je fuis de n'être plus fouverain, plutöt que d'avoir des fujecs qui vous méconnoifient. Le voyage du comte d'Egmont fut inutile: IVlarguerite , forcée d'obéir aux ordres de foa frere , chercha toutes les voies de douceur ; mais il n'y en avoit point pour foumettre au defpotifme des peuples jaloux de leurs privileges, Elle n'étoit point aidée par fon confeil \ car les feigneurs de la nation que Philippe y avoit fait entrer dans la vue de fe les attacher, parloient ouvertement contre toute entreprife qui tendoit a détruire landen gouvernement. Tels étoient entr'autres le prince d'Orange , Ie comte d'Egmont 8c le comte de Hom. II fe trama une confédération , dont S. Aldegonde, gentilhomme calvinifte , fut le premier auteur 3 l'afte en fut figné a Breda. L'an 1566 , Ie comte de Bréderode 8c Ie comte de Nafiau , frere du prince d'Orange , accompagné de quatre cents hommes , prefque tous de la noblefie, fe préfenterent devant la régente 8c lui demanderent la liberté de confcience avec la fuppreffion de finquifition. Elle répondit qu'elle en écriroit au roi d'Efpagne, 8c en attendant elle fit fufpendre 1'exécution des édits jufqu'a nouvel ordre. Elle prit ce parti modéré , malgré le confeil du comte de Barlemont, qui lui difok de ne pas fe  des Provinces-Unies. 17 és mettre en peine de ces gueux annuités. Ligue des Gueux. Ce propos injurieux donna un nom a cette ligue, 8t un nom eft quelque chofe , fur - tout quand il rappellé un offenfe. Bréderode mit une beface fur fes épaules, 8c but dans une écuelle de bois} tous burent a fon exemple dans la même écuelle \ tous crierent vive les gueux; tous jurerent de facrifier leur vie a la défenfe de la patrie. Cette ligue devint célebre , 8c le devint peut-être plus que fi elle eüt pris tout autre nom. Soulévernent des Flamands. Arrivée du duc d'Albe. Le peuple avoit prévu la réponfe du confeil d'Efpagne , 8c Marguerite ne pouvoit plus le contenir. Tout-a-coup il fe fouleve dans plufieurs endroits , pille les églifes, brife les images, Sc on profefie publiquement la nouvelle religion. Philippe s'applaudiflbir en fecret de cette révolte , paree qu'il croyoit avoir un prétexte pour öter aux Flamands tous leurs privileges. II chargea de fes ordres Ferdinand deTolède , duc d'Albe, auquel il donna un corps de troupes efpagnoles : c'étoit un bon capitaine \ mais un homme fanguinaire qui croyoit conduire des peuples comme des foldats. Marguerite avoit fait fon poflible pour faire tomber Ie «hoix fur un autre. Portrait du duc d'Albe. Ce grand capitaine joignoit a une naifiance diftinguée des biens irnmenfes : il avoit les yeux Tomc l. B  i8 Tableav historique vifs , mais féveres ; le regard afiiiré Sc quelquefois terrible \ la démarche grave 8c le maintien auiiere ; 1'air noble Sc le corps robufte ; le difcours mefuré Sc le filence éloquent. II étoit fobre, dormoit peu , travailloit beaucoup , écrivoit lui-même toutes fes affaires. Ce fut dans la licence des armes qu'il fe forma a la politique. Dans le confeil, il fe déclaroit toujours pour le parti qu'il croyoit le plus jufte. On ne trouve point dans les faftes de fa nation , un feul capitaine plus habile que lui, h faire la grande guerre avec un petit nombre de troupes , a ruiner les plus fortes armées fans les combattre, a donner le ehange a 1'ennemi Sc a ne le jamais prendre , a gagner la confiance du foldat Sc k érouffèr fes murmures. On prétend que dans 60 ans de guerre fous divers climats contre différens ennemis, durant toutes les faifons , il ne fut jamais ni 'battu , ni prévenu , ni furpris; mais il ternit 1'éclar ■de tant de talens Sc de vertus, par une févérité outrée qui dégénera en barbarie Sc en cruauté. Defpotifme de ce Duc. Arrivé dans les Pays-Bas, le duc d'Albe parut craindre de n'être pas aiïez redouté 3 il prit toutes fortes de mefures pour répandre la terreur. II rendit public toute 1'étendue des pouvoirs qu'il avoit recu du roi d'Efpagne : il affefta de montrer les troupes qu'il avoit amenées : il déclara qu'il vouloit batir des citadelles , Sc il fit arrêter le comte d'Egmont Sc le comte de Horn. Le prince d'Orange fut ajourne ; mais il avoit difparu , Sc ne reparut plus du'a la téte d'une puiflante armée, qui fut bieniöt 'diffipée par le duc d'Albe.  des Provinces-Unies. 19 €aracleres des comtes dEgmont , de Horn & du prince d'Orange. Le comte d'Egmont étoit brave, généreux , populaire ; il étoit 1'idole des grands , de la multitude Sc du foldat. Le prince d'Orange iffu d'une maifon qui avoit autrefois figuré en Allemage avec celle d'Autriche, fort long-tems honoré de 1'eftime Sc de la tendreffe de Charles-Quint, ne voyoit rien au - delfus de lui. La nature 1'avoit préparé aux grandes entreprifes que la fortune lui deftinoit: il étoit fouple, éloquent, adroit, infinuant, hardi dans le confeil, prompt dans 1'exécution, eltimé dans fon pays , accrédité chez 1'étranger. Le comte de Horn, de 1'illuftre maifon de Montmorenci, étoit l'homme de fon tems le plus brave , le plus téméraire : il étoit ennemi de tout repos , il ne refpiroit que troubles Sc faftions pour y trouver fon élévation. Le comte d'Egmont étoit célebre par fes vi£toires ; le prince d'Orange , admiré par fa fagelfe , Sc le comte de Horn , redouté pour fon crédit. Retraite de Marguerite. Marguerite voyant qu'elle n'avoit pas la puiffance d'empêcher les maux qu'elle préfageoit, demanda Sc obtint la permiiïion de fe retirer. Elle partit après avoir tout tenté pour perfuader a fon frere plus de modération. Elle fut regrettée de touy les Flamands. Cruauté du duc d'Albe. Philippe étoit bien éloigné de défapprouver ia févérité de fon miniftre : il fe trouvoit lui-même Bz  %0 TABlEAV 814TÖRIQVB dans cette ame cruelle. Le duc d'Albe févit avec Ia derniere rigueur. Sans égard pour les privileges de la nation , il traita de criminel quiconque ofoit parler de privilege , 8c établit un confeil infernal connu fous le nom de confeil de fang. Confeil de Sang. On jugeoit dans ce tribunal de fang, contre les loix du pays , contre les crimes comsnis, contre 1'autorité royale : on déclara comme crime de lèfemajefté, le compromis, ou la ligue des nobles , la requête qu'on avoit préfentée 8c toutes les infolences de ceux qui avoient pillé les églifes 8c brifé les images. On arrête bientöt les prétendus coupables, 8c les fupplices fuivent de prés les emprifonnemens. On voyoit chaque jour de nouveaux fpeclacles d'horreur. Les comtes de Horn 8c d'Egmont , après avoir été enfermés prés de fept mois dans le chateau de Gand, font conduits a Bruxelles, 8c ont tous deux la tête tranchée le 5 juin 1568. Quelques jours avant cette exécution , dix - neuf gentilshommes avoient fubi le même fort. Antoine Stralle , bourg-makre d'Anvers , fut exécuté a Vilvorde : Cafembroot , fecretaire du comte d'Egmont , fut tiré a quatre chevaux dans la place de Bruxelles, 8c on brüla vif dans le même endroit, quatre proteftans pour la plus grande gloire de Dieu. Dans le cours d'un mois deux mille perfonnes furent arrêtées , confinées dans les cachots , 8c trente mille s'enfuirent dans les pays étrangers. Ces atrocités aliénerent fans retour le coeur des Fla» mands 3 8c placerent le prince d'Orange fans con»  bes Frovinces-Unies. %i «urrent a la tête des confédérés. II s'étoit retiré en AUemagne , d'oïi il follicitoit les peuples k la vengeance, 8c ramaiïöit des forces pour venir k leur fecoars. La France 8c 1'Angleterre lui en donnerenr , mais c'étoit des armées formées a la hate , mal équippécs, mal difciplinées, mal payées, avec lelquelles il entra deux fois dans les Pays-Bas, mais qui ne pouvoient avoir d'beureux fuccès contre ces vieilles bandes efpagnoles qui avoient fait trembler 1'Europe, 8c qui avoient a leur tête un chef que la vi&oire avoit toujours couronné. Voila le feu de la fédition qui va embrafer tous les PaysBas. Remontons aux caufes, 8c fuivons fcrupuleufement le fil des événemens 8c 1'ordre des tems lans nous en écarter. 1426. La Hollande, après avoir été gouvernée par des comtes, paffa 1'an 14Z6 , avec la plupart des autres provinces des Pays - Bas, au pouvoir de la maifon de Bourgogne. Le mariage de Marie , derniere princefie de cette maifon, 8c fille unique de Charles-le-Hardi, avec 1'empereur Maximilien 1 , annexa eafuite la Bourgogne a 1'Autriche. Philippe I, roi d'Efpagne, leur hls, gouverna paifiblement après eux les Pays-Bas, 8c Charles-Quint leur petit-fils en augmenta la gloire. Comment €harles-Qidnt gouverna les Pays-Bas* Charlës-Quint élevé parmi les Flamands fut fe conformer a leur humeur, 8c comme il eut toujours pour eux beaucoup d'affeétion , ils B3  z% Tabzeav nisTORiqvn eurent aufïi réciproquement beaucoup d'attachement pour lui. Doux , ciril , fans orgueil, fans fierté a leur égard , il en étoit adoré , mais Philippe fon fils, par une maniere d'agir tout-a-fait contraire , fe rendit auiïi odieux a la nation , que fon pere en avoit été chéri : il en réfulta des . troubles dont voici les caufes. Caufe des troubles fous Philippe II. Philippe II , fils de Charles - Quint 8c roi d'Efpagne, au lieu de fe plier aux loix du pays 8c a 1'honneur des habitans, ne montra en Flandres qu'un caraéiere inflexible , plein de févérité : le fouvenir de ce qu'avoient vu ces peuples, contribua beaucoup a leur rendre ce qu'ils voyoient plus infupportable. Charles-Quint les avoit charmés par une bonté majeftueufë 8c acceiïible : Philippe les révoltoit par un orgueil oriental qui le rendoit invifible a fes fujets. Charles - Quint parloit la langue du pays oü il vivoit , 8c témoignoit de l'eflime pour fes ufages. Philippe parloit Efpagnol dans Bruxelles , 8c vivoit a Anvers comme il auroit vécu a Madrid : le premier avoit travaillé a s'attacher les cceurs : le fecond fembloit ne fongerqu'a les aliéner. 1557 1558. Gouvernement de Marie, reine d'Hongrie , & dEmmanuel Philibert, duc de Savoie. Marie , reine de Hongrie, avoit gouverné avec beaucoup de fageffe ces belles provinces ,  des Provin ces-TJ nies. z-$ slors 1'un des plus beaux appanages de la couronne d'Efpagne. Eminanuel Philibert, duc de Savoie , en fut nommé gouverneur par Philippe II, après 1'abdication de la reine Marie : il s'y comporta en grand capitaine , il battit Parmée francoife le 10 aoüt 1557. L'année fuivante fut plus favorable aux Francais, 8c la defcente de 1'armée navale , combinée des Pays-Bas & de 1'Angleterre au Conquet en Bretagne, fous la conduite de Philippe de Montmorenci , comte de Horn 8c amiral de ces provinces , n'eut pas beaucoup de fuites. 1559- Marguerite d'Autriche , duchejfè de Parme , faite gouvernante des Pays-Bas. Par la paix qui fe fit 1'an 1559 , le duc de Savoie recouvra fes états , 8c Marguerite d'Autriche, ducheffe de Parme , fille naturelle de Charles-Quint, 8c fceur de Philippe II , obtint le gouvernement des Pays-Bas. Ce choix ne contribua pas peu a mécontenter les Flamands. Trois feigneurs formoient alors des prétentions fur eet important emploi : le comte d'Egmont , le prince d'Orange & le comte de Horn. La ducheffe de Parme ne fut proprement deftinée qu'a repréfenter. Philippe laiifa a Granvelle le fecret de fes projets, & le foin de fa vengeance : il ne pouvoit mieux choifir , puifque ce cardinal qu'un génie étendu , 1'ccole de fon pere 8t le cabinet de Charles - Quint, avoient rendu capable des plus grandes chofes , étoit d'une hauteur, d'une B4  2.4 T ASIEAU H1ST0RIQUE violence 8c d'une ambition démefurée •, auiïi n'é* pargna-t-il aux Flamands aucune des humiliations que le roi fon maitre lui deftinoit. Politique de Granvelle. Pour fe conformer aux ordres de Philippe , il travailla a les affoiblir, les éloigna peu-a-peu du confeil , 8c viola leurs privileges avec audace. Philippe avoit réfolu d'afiujettir ces peuples aux rigueurs de 1'inquifition , aux régiemens gênans du concile de Trente, a de nouveaux évêques nommés par la cour qui devoient remplacer les abbés du pays , choifis par leurs inférieurs. Granvelle entama tous ces projets avec une vivacité 8c une hauteur qui révolta les plus froids 8c les plus foumis ; mais rien n'aigrit plus le mal que la rigueur avec laquelle on procéda contre les partifans des nouvelles opinions , les Luthériens, les Calviniftes, les Anabaptiftes. Charles-Quint en avoit déja puni quelques-uns •, mais le chatiment n'avoit fervi qu'a 1'avancement des nouvelles religions. Philippe fit publier contr'eux des édits trés - rigoureux , 8c entreprit de forcer fes fujets de rentrer dans le fein de I'églife Romaine. Plufieurs de ces infortunés fouffrirent le martyr ; quelques-uns fuccomberent a la violence des tourmens ; d'autres en grand nombre fe retirerent dans les pays étrangers. Murmure g/n/ral. Le murmure devint enfin général, paree que tous les ordres de 1'état avoient lieu de fe plain-  DES PR^riNeES-UNl ES. i§ dre , Jes moines craignoient pour leurs intéréts, les protefïans pour leur religion , le peuple pour fa liberté , les nobles pour leur crédit. Ils unirent bientöt leurs mécontentemens 8c porterent leurs plaintcs au pied du tröne. Ils firent plus , ils inviterent dom Carlo , fils de Philippe II, a venir fe mettre a leur tête •■, mais ce prince paya de fa tête le confentement qu'il avoit donné a une idéé fi bizarre. Dépojition de Granvelle , & ligue nouvelle, nommée le Compromis. La dépofition de Granvelle, 1'an 1564 ne fit pas cefler la divifion. II fe ft une ligue qu'on nomma le Compromis, qui fut drefiee par les fieurs de Marnix Sc de St. Aldegonde , fignée par environ quatre cents gentilshommes , dont les principaux étoient Henri de Bréderode , Louis, comte de Nafiau, frere du prince d'Orange, 8c les comres de CulembourgSc de Berg. L'an 1506, ils préfenterent a la régente , cette fameufe requête qui leur donna enfuite le nom de gueux , comme on 1'a vu ci-defius, (1^66). 1568. Philippe II, ayant réfolu de réduire ou d'exterminer les mécontens, envoya dans les Pays-Bas le duc d'Albe qui y srriva 1'an 1568 avec une armée confidérable. Dés qu'il fut infiallé, il établit ce confeil funefte, connufous le nom de Confeil de Sang , pour juger contre les loix du pays, tous les crimes contre 1'autorité royale. II déclara  z6 Tableau historique crime de lèfe - majefté , le compromis , ou Ia ligue des nobles , la requête qu'on avoit préfentée, & toutes les infolences de ceux qui avoient pillé les églifes 8c brifé les images. Les comtes d'Egmont 8c de Horn furent faifis, condamnés a mort 8c exécutés : le prince d'Orange fut ajourné , mais il avoit difparu : on Ie verra bientót reparoitre a la tête d'une puhTante armée. La mort rragique du comre d'Egmont 8c celle du comte de Horn aliénerent fans retour le cceur des Flamands , 8c placerent le prince d'Orange fans concurrent a la tête des affaires ; mais fes premières entreprifes n'eurent pas les fuccès dont" il auroit pu fe flatter , fi les troupes qu'il commandoit avoient été plus aguerries. A cette époque, le duc d'Albe , pour fubvenir aux fraix de la guerre , exigea par force 1'impöt du dixieme 8c vingtieme denier. Lumey , qui commandoit les vaiffeaux du prince d'Orange , fe faifit le premier avril 1570 , du port de Ia Brille , entra dans la ville , 8c permit a fes foldats de fe venger fur les prêtres. Rien de plus juftes 8c de plus a propos : la révolte devint bientót générale. I571- Les mécontens fe faifirent de la Brille fous la conduite du comte de la Mark , 1'an 1571. Ce fut alors que les autres villes de Hollande fe révolterent, excepté celles d'Amfterdam 8c de Schonowen \ 8c après avoir prêté ferment au prince d'Orange , elles le prirent pour leur gouverneur. Naerden 8c Harlem , qui fe défendirent  DES P ROn N CE S-U N 1 E S. %f avec tant de courage, éprouverent toute la cruauté du duc d'Albe. Malines 8c Zutphen furent pillëes \ mais la levée du liege d'Aicmar ayant iilïipe prefque toutes les troupes d'Efpagne , fit changer de face aux affaires. 1573- Le duc d'Albe,après avoir rempli les Pays-Bas de confulïon , 8c fait pénr plus de dix-huit mille perfonnes par la main du bourreau , fut rappellé en Efpagne 1'an 1573. H eut pour fucceffeur Louis de Kéquefens , grand commandeur de Caftille , homme poli, humain , obligeant , libéral, magnifique \ mais dont les talens guerriers ne répondoient pas aux vertus civiles. Armement fait a Anvers. Ce nouveau gouverneur fit a Anvers un armement d'environ cent voiles, dans 1'efpérance de battre , avec une flotte fi confidérable , les Zélandois , 8c de ravitailler Mildelbourg , ' affiégée depuis deux ans par les confédérés : il fe croyoit fi fur de la vi&oire , qu'il fe tranfporta a Berg-OpZoom pour être témoin du combat, 8c applaudir lui-même a fes triomphes. 1574- Cette flotte fur laquelle on avoit embarqué quinze bataillons , partit d'Anvers le 24 janvier 1574. Réquefens pour divifer les forces de la Zélande , partagea fon armée navale en deux, dont la plus grande partie qui étoit de foixante  l8 TASZBAU HlstORIQUZ dix voiles , entra dans 1'Efcaut oriental. D'abord un gros des vaifleaux échoua Sc fe perdit; un autre de la même grandeur ent le même fort, 8c trente hommes d'équipage furent tués par une piece d'artillerie qui creva. Si la flotte avoit fait fa route fans s'arrêter , elle feroit entree fans obftacle dans le canal de Midelbourg ; mais le 27, quelques vaifleaux eavoyés a la découverte, ayant paru a 1'extrêmité du Hondt, les Zélandois connurent que la flotte n'étoit pas loin , ils eurent le tems de fe préparer a la recevoir : quinze vaiffeaux Efpagnols parurent a la vue de Plefïïngue} les Zélandois les allerent attaquer 8c les obligerent de fe retirer : d'autres^aiffeaux Zélandois entrerent dans 1'Efcaut oriental , Sc fon avis 1'emporta dans le confeil. Pour mieux réufïïr , il divifa eni trois efcadres fa flotte qui étoit de 50 voiles. Les chefs des Efpagnols eurent depareilles difputes. Glimes vouloit qu'on fe retirat, Sc Roméro dont 1'avis prévalut, étoit réfolu d'aller aux ennemis } ainfi le combat fut engagé de part Sc d'autre avec une pareille fureur, Sc dura 1'efpace de deux heures. Roméro fe retira vers Berg-Op-Zoom , témoignant a Réquefens d'un ton de voix Sc d'un homme en colere , qu'il ne connoiffoit point la maniere de fe battre fur mer} mais Glimes , plus courageux, donna toutes les marqués d'un brave foldat Sc d'un habile officier : il fut tué a la fin de l'adfion : 1'amiral des Efpagnols qui étoit monté par Glimes fut brülé : on ne fait fi le feu y fut mis par les confédérés ? ou  ■des Frovinces-Unies. z$ par les Efpagnols. Le vice-amiral d'Anvers 8c huit autres vaifTeaux furent pris ; quelques barques de tranfport chargées de vivres, furent coulées a fonds : les confédérés, outre ces vaifTeaux, gagnerent trente pieces de bronze 8c plulieurs autres de fer , Sc firent environ fept cents prifonniers , quelques-uns en comptent mille , qu'ils tuerent ou jeterent dans la mer. La flotte Efpagnole qui étoit dans le Hondt, fe préfenta le mème jour devant le prince d'Orange , entre Fleffingue Sc Terre - Neuve. Ce prince attentif a tous les mouvemens des Efpagnols , avoit raffemblé tout ce qu'il avoit pu de vaifleaux Hollandois &C Zélandois. II étoit parti de Delfthaven pour fe rendre a Fleffingue , &C 1'on ne fauroit exprimer combien ce nouveau fecours avoit réveille 1'ardeur de toute la jeunene confédérée qui étoit fur la flotte. Comme le vent Sc la marée étoient contraires aux Efpagnols , ils fe retirerent après une légere efcarmouche : dix vaifTeaux de ceux qui venoient de vaincre , accoururent au fecours de leurs compatriotes , Sc obligerent les vaifTeaux Efpagnols de précipiter leur départ 8c de fe rendre au plutöt a Anvers. Ces mauvais fuccès occafionnerent la prife de Mildelbourg , que les Zélandois affiégeoient depuis long - tems. Les Efpagnols effuierent encore d'autres revers : les troupes n'étant pas payées fe mutinerent Sc fe choifirent des chefs. Tout étoit a craindre pour Anvers oü ils étoient : on appréhendoient un pillagede cette riche ville} mais enfin on vint a b®ut de les fatisfake. Boifot profita de  3© Tableau historiqub cette occafïon &remonta a 1'Efcaut; il fe rendit maïtre , quoiqu'avec peine , de deux vaifleaux de guerre , qui s'étoient éloignés du corps de la flotte Efpagnole. 11 apprit que le refte s'étoit arrêté entre les forts Callo 8c Lillo qui ne font pas a trois lieues d'Anvers. Boifot fit force de voiles pour les joindre 8c les attaquer avant qu'ils fuflent avertis de fa venue. Les Efpagnols qui 1'appercurent , ne tarderent point a lever 1'ancre pour fe retirer fous Anvers : ils furent fuivis par 1'efcadre des confédérés , dont les vaifleaux étoient meilleurs voiliers. Les Efpagnols furent atteints , 8c Boifot leur prit encore trois vaifleaux , dont deux étoient des vaiffeaux de guerre, 8c il leur en brüla quatre autres. Anvers ne fut pas fans allarme ; mais heureuss Provinces-Unies. 31 battu 1'an 1574 par les Efpagnols fur la riviere de Mooker , prés de Grave , 8c fut tué dans la .bataille avec le comte fienri fon frere. Siege de Leyde formé par Valde^. La plus mémorable entreprife de cette année , fut celle de réduire la ville de Leyde. Le commandeur envoya devant cette place, Francois Valdez, général Efpagnol. Celui - ci, après s'être rendu maïtre de quelques forts occupés par des troupes Angloifes , fomma la ville de fe rendre , en lui offrant les conditions les plus avantageufes qu'elle pouvoit fouhaiter. Les bourgeois mouroient de faim , 8c la garnifon n'étoit pas affez nombreufe pour faire une longue 8c vigoureufe réfïftance. Les offres des Efpagnols ne furent cependant pas acceptées \ il fut réfolu de fe défendre jufqu'a la derniere extrêmité. Le magiftrat , le gouverneur , le foldat, les citoyens, tous firent leur devoir. Courage d'Adrien de Werf', bourg-maitre de Leyde. Pierre Adrien de Werf, I'un des bourg- maïtre de la ville , fe diftingua par fa fermeté 8c fon courage héroïque. II répondit a ceux qui lui confeilloient de fe foumettre , que puifqu'il devoit mourir, il ne lui importoit pas que ce fut par leurs mains , ou par celles de 1'ennemi 3 qu'il mouroit content, pourvu que fa mort put leur être utile.  1% Tableau uistoki^vA Wander does , ou Janus Doufa. Wander Does , feigneur de Noomvicht, plus connu des étrangers fous le nom de Janus Doufa , étoit gouverneur de la place. Sommé de fe rendre, il ne répondit que par ce vers latin: Fiflula duke canit, volucrem dum decepit auccps. c'eft - a - dire , 1'oifeleur trompe 1'oifeau par le doux fon de la flüte. L'univerlité de Leyde ayant été fondée 1'année fuivante, il en fut fait re£teur. Inondation de vingt lieues de pays. Comme le prince d'Orange n'ignoroit pas le déplorable état des afïiégés , il propofa aux états de Hollande d'inonder vingt lieues de pays entre Delft , Goude , Leyde Sc hoterdam , en rompant toutes les digues qui foutenoient 1'Ilfel 8c la Meufe , 8c de jeter enfuite du fecours dans la place avec des barques légeres a la faveur de ï'inondation. Quelques difficultés qu'on rencontrat dans ce projet, on ne laiflkpas de 1'exécuter, 8c il eut tout le fucces dont on pouvoit fe flatter. Flotte deftinée au fecours de Leyde. Louis Boisot , amiral de Zélande , vint au fecours de la ville avec 800 matelots 8c plrs de 100 pieces de canon. On fit faire a Koterdam 8c ailleurs , ïou bateaux plats a plufieurs rangs de rameurs. Ces bateaux furent montés par les matelots , 8c quelques foldats qui portoient a leurs chapeaux ou bonnets, une demie lune d'ar- gent.  des Provinces-Unie s. 33 gent, avec cette devife : plutót fervir au Turc qu'au Pape. Cette flotte partit le 11 feptembre : le vent de nord-oueft ayant jeté beaucoup d'eau dans le pays , il tourna a la haute marée du z oétobre , au fud-oueft , & pouiTa 1'eau droit a Leyde. Siege levé. Les Efpagnols, fe voyant alors furpris par un déluge d'eau , fe trouverent dans la néceflité de lever le fiege le 3 oftobre. Le fecours arriva dans Leyde le même jour. On fait monter a fix mille perfonnes la perte de ceux qui moururent dans la ville , oü la perte & la famine avoient fait d'affreux ravages. On trouva a Leiderdop , oü Valdez avoit logé , un plan du fiege de Leyde , audeflous duquel on avoit écrit ce mauvais latin : Valete civitas , valete caflelli parvi , qui relicli ejiis propter aquam , non propter vim inimicorum: c'eft - a-dire , A dieu ville, a dieu petits chdteaux , puifque vous êtes abandonnés ei caufè de leau , & non paree qu'il y a été forcé par Vennemi. Un officier de Leyde , auflï habile poëte latin que bon guerrier , fit fur ce grand événement les vers fuivans : Non opus ejl gladiis, ferroque vigentibus armis, Solapro batavo belligerantur aqu£ , Tolk metus, Hifpanefuge & ne refpice terras, Pro quibus oceanus pugnat, & ipfe Deus. Perte des Efpagnols a ce fiege. De dix mille Efpagnols qu'il y avoit a ce fiege, Tome I. C  34 Tableau historique il en fut tué plus de deux mille , fans compter plus de deux cents cinquante prifonniers, qui furent conduits dans les prifons de Horn. On s'étoit donc foulevé de tous cötés 3 la Hollande Sc la Zélande avoient fecoué le joug : le prince d'Orange avoit eu des avantages en plufieurs occaiions. Philippe avoit rappellé le duc d'Albe 1'an 1573 , rejettant les mauvais fuccès fur la conduite de ce général. II ne pouvoit cependant lui reprocher que la cruauté qu'il lui avoit confeillé lui - même. Le duc d'Albe avoit été remplacé par Réquefens j celui - ci étoit d'un cara&ere auffi modéré que le duc d'Albe avoit été cruel. Mais la modération ne pouvoit plus rien fur des peuples qui avoient en horreur la domination efpagnole. La guerre continua cependant, les peuples de Hollande Sc de Zélande craignant de fuccomber , demanderent des fecours a la reine d'Angleterre , Sc lui offiïrent la fouveraineté de leur pays; ils fuivoient en cela les confeils du prince d'Orange même. Elizabeth trop fage pour avoir 1'ambition des conquêtes , fe contentoit de maintenir la tranquillité dans fes états \ elle n'eut donc garde d'accepter une fouveraineté qui 1'expofoit a une guerre avec 1'Efpagne , ne pouvant pas d'ailleurs attendre de grands fecours de la part de ces deux provinces , elle répondit avec reconnoilfance , Sc on ouvrit une négociation avec la cour de Madrid : on continuoit les opérations de la guerre.  DES PROVINCES-U JSI1ES. 35 1575- Réquefens por te la guerre dans les islesde Zélande. Les Efpagnols rétabliflent leur réputation par quelques expéditions plus heureufes. Ils s'emparerent de quantité de chateaux Sc de petites places, dont les habitans fe réfugierent dans les isles de Zélande, ce qui détermina Réquefens a y porter la guerre. Comme ces isles font entourées de bras de mer d'une profondeur inégale, il fit entrer des vaifTeaux plats, des barques , des pontons 8c des navires proportionnés a la hauteur de Teau. II fit en même tems conduire une armée de terre qui pafTa dans ces isles, tantót fur des vaifleaux, tantót a gué. Les Efpagnols firent dans ces occafions des prodiges de valeur ■■, ils eurent a furmonter des obftacles formés par des vaifleaux enfoncés pour leur fermer les paflages par des digues, par les habitans du pays, qui combattoient pour défendre leurs foyers 8c leurs autels, 8c par Teau même de la mer , qu'ils trouvoient quelquefois fi profonde, qu'ils en avoient fouvent jufqu'au col: ils furmonterent néanmoins toutes ces difficultés avec un courage admirable, 8c s'emparerent des isles de Duweland 8c de Schoweh, oü eft la ville de Ziriczée. Sur ces entrefaites Réquefens mourut 3 alors il fe forma trois partis, celui des Flamands, celui des Efpagnols 8c celui du prince d'Orange , que les provinces de Hollande 8c de Zélande avoient mis a leur tête. Les troupes Efpagnoles, fans paie 8c fans chef, fe porterent aux derniers excès. C 2  3<5 TABZMAU H1ST0RIQUM Anvers Sc Maëftricht ayant été pillés, 8c Jes autres villes étant menaeées de 1'être , toutes ies provinces , excepté le Luxembourg , s'unirent pour repouffer les violences, Sc appellerent a leur fecours le prince d'Orange Sc les Hollandois. Elles firent un traité connu fous le nom de pacification de Gand, par lequcl elles arrêterent 1'cxpulfion des troupes étrangeres Sc le rétabliffement de la liberté. Ce traité d'union fut 1'ouvrage du prince d'Orange : les Efpagnols y furent déclarés ennemis de 1'état. 1S7C- Dom Juan dAutriche , fuccejfeur de FJquefens. Réquesens étoit mort le 15 avril 1576, Sc le roi d'Efpagne nomma pour lui fuccéder , dom Juan d'Autriche, fils naturel de Charles-Quint. Le nom de ce jeune prince étoit déja célebre dans toute 1'Europe , par le grand nombre de viftoires qu'il avoit remportées fur terre Sc fur mer , en Efpagne Sc en Afrique contre les Maures, 8c contre les Turcs a Lépante. II avoit toutes les qualités du corps Sc de 1'efprit qui font les héros. 11 arriva a Luxembourg le jour même qu'Anvers fut faccagée par les Efpagnols. Ayant fait favoir fon arrivée aux états , il fut réfolu qu'on le reconnoitroit pour gouverneur 3 mais a condition qu'il feroit fortir routes les troupes étrangeres. Ce prince accepta les propofïtions des états , Sc conclut avec eilx un traité , qui fut figné a Marche-en-Famine dans le Luxembourg. Le prince d'Orange ne voulut jamais  T>ES P RÖV IN CE S-U N IE S. 37 accéder au traité que les états venoient de conclure, 8c il les blama fort d'avoir recu un gou verneur de la main des Efpagnols, dont ils avoient tant de fois éprouvé la perfidie Sc la cruauté. La Hollande 8c la Zélande défapprouverent auiïi eet accommodement. Dom Juan deyient odieux. Dom Juan charma d'abord les peuples par fa bonté 8c fa douceur ; mais, malgré toute fon habileté , il ne' put les entretenir long-rerhs dans de favorables difpofitions a fon égard. Voyant fon autorité prefqu'anéantie , il viola tous fes engagemens , fe faiiit de Namur, 8c fit revenir les troupes, quoiqu'il fut ailez dirficile de dompter ces peuples par la force. On prétend qu'il projetoit encore d'époufer la reine d'Ecofle 8c de conquérir 1'Angleterre 3 mais Elizabeth lui donna de 1'occupation dans les Pays-Bas j car, voyant toutes les provinces en état par leur union de faire une vigoureufe réfiftance , elle ne craignit plus de s'allier avec elles 8c de leur donner des fecours. Elle négocia même en cette occafion fi adroitement avec la cour de Madrid, qu'elle mit Philippe dans la néceflité de •dilïïmuler fon rell'entiment. Dom Juan s'étoit rendu odieux par fa conduite 3 Sc les peuples, de concert avec les états, donnerent alors toute leur confiance au prince dOrange , qui fut recu a Anvers avec des acclamations extraordinaires: on le fit gouverneur du Brabant, 8c on lui donna des pouvoirs bien plus grands que ceux des autres gouverneurs de province. C 3  38 Tableau historicus IS77- Accord fait entre le prince d'Orange & Varchiduc Matthias. L'agrandissement du prince d'Orange lui attira 1'envie de plufieurs feigneurs. Le duc d'Archot , fon rival, étoit alors a la tête du parti catholique. II fe retira a Gand, oü 1'on prit la réfolution d'orfrir a 1'archiduc Matthias , frere de 1'empereur Rodolphe , le gouvernement des Pays-Bas. Le prince d'Orange tourna eet artifice contre le duc , en faifant donner a 1'archiduc le titre de gouverneur - général des Pays - Bas ; mais a des conditions qui limitoient extrêmement fon pouvoir. Cet accord fe fit 1'an 1577; les états publierent en même tems des défenfes , fous peine de la vie , de reconnoïtre dom Juan pour gouverneur , 8c on lui ordonna même de fortir des Pays-Bas, a peine d'y être traité comme ennemi. 157S. L'armee des états défaite par dom Juan. Mort de ce prince. La guerre commenca alors entre les deux partis. L'armée de dom Juan étoit compofée de 15,000 mille hommes d'infanterie 8c de 3,00e chevaux. Celle des états n'étoit que de 1,000 d'infanterie 8c is ,000 chevaux. Goignies fut fait général des troupes des états. Les deux armées fe rencontrerent a , Gemblours , petite ville fituée a quelques lieues de Namur. L'armée des états  Ï3ES P ROV 1N CES-UN IE S. 39 fut taillée en pieces, Sc bientót après un grand nombre de plases fe foumirent a dom Juan. Les armes vi£torieufes de ce jeune prince menacoient la Flandre d'une ruine totale , lorfqu'il mourut d'une maladie qui 1'emporta en peu de jours. Sa mort arriva le premier oftobre 1578. Quelques-uns prétendent qu'il fut empoifonné par ordre du roi d'Efpagne fon frere , qui le foupconnoit de prendre des mefures avec la ligue pour s'affurer la fouveraineté des Pays-Bas. On a dit que le prince ( 1 ) d'Orange avoit eu le fecret de / le rendre fufpeft au roi d'Efpagne. Quoiqu'il en foit, les Provinces - Unies eurent k fe défendre contre un ennemi bien plus grand homme , c'eft Alexandre Farnefe, duc de Parme , fils d'Ottavio , un des plus grands capitaines de fon fiecle. Ce prince étoit dans les Pays-Bas, oü il avoit amené des troupes d'ftalie , & il en prit le gouvernement. Fait pour la guerre, pour le cabinet, les négociations , il avoit 1'art, peu connu dans fon fiecle, d'employer la clémence a propos. Ce nouveau gouverneur mêloit avec tant dart la douceur qui pardonne 8c la févérité qui punit , qu'il étoit tout enfemble & la terreur des armées qu'il commandoit, Sc des peuples qu'il étoit chargé de foumettre. Son talent fut égal a punir les fiens êc a défunir fes ennemis. Ses fourdes pratiques , fes intrigues cachées, fes maneges politiques étoient un flambeau favorable ou fatal qui allumoit a fon gré , ou 1'amour ou la haine. (1) Hanc rem in medio relinqiiimus. C4  4<= Tableau historiqu& Exploits de ce Duc. Lorsque le duc de Parme prit poffeffion du gouvernement des Pays-Bas, 1'Efpagne n'y poffédoit proprement que le pays de Tsiamur, de Luxembourg Sc de Limbourg ; tout le refte étoit réuni contr'elle, 8c ne fe trouvoit partagé que fur 1'article de la religion. Le nouveau gouverneur fit adroitement valoir ce motif pour ramener a I'obéiflance 1'Artois, le Hainaut, la Flandre Francoife , 8c il attaqua avec fuccès les provinces qui lui étoient les plus oppofées. II eut a combattre dans fes expéditions le prince d'Orange , 1'archiduc Matthias , le prince Cafimir, fils de l'éle&eur palatin , 8c le duc d'Alencon. r579- Le prince d'Orange voyant que les grands du pays étoient jaloux les uns des autres, Sc que les peuples ne s'accorderoient jamais au fujet de la religion, fongea a fe mettre en état de fureté 8c a affermir fa religion. Pour eet effet, il donna occafion a une aflemblée des états de Hollande, de Zélande , de Gueldres , de Frife 8c d'Utrecht; cette aflemblée fe tint a Utrecht 1'an 1570, 8c le traité fut figné le 23 janvier 1579 : c'eft-adire , fept provinces , Gueldre 8c Zutphen , Hollande , Zélande, Utrecht, Frife, Over-Iflél 8c Groningue, fignerent alors une aflbeiation qui eft 1'époque du commencement de la république des Provinces-Unies. Le prince d'Orange en fut déclaré chef, fous le nom de Stadhouder.  des Provinces- Unies. 41 On eonvint de ne rien réfoudre, foit en paix, foit en guerre , que d'un commun confentement; 8c c'eft cette union d'Utrecht dans laquelle entrerent depuis Over-IÏTel 8c Groningue , qui a été le berceau 8c la bafe fondamentale de la république des Provinces-Unies des Pays-Bas. Médaille frappée a. cette occajion. Pour conferver la mémoire de eet événement, on fit frapper une médaille , oü d'un cöté la ville d'Utrecht paroit dans le lointain , 8c fur le devant , deux vaifleaux avec cette devife: ( 1 ) Frangimur , Jï collidimur : c'eft-a-dire , nous nous brifons, fi nous nous choquons ; 8c fur le revers, deux bceufs qui tirent une charme avec ces mots : trahite cequo jugo ; c'eft-a-dire , tire\ égalcment. 1580. Autre médaille. La Zélande fe diftingua 1'année fuivante par une autre médaille , oü 1'on voit d'un cöté les armes de cette province avec ces mots: vos terra, at ego excubo ponto : Vous monte\ la garde fur terre & moi fur la mer; 8c de 1'autre , une lance plantée en terre, au bout de laquelle eft le chapeau de la liberté, 8c a cöté un homme qui taille un arbre , avec cette légende : fi non vobis , faltem pofteris; c'eft-a-dire , fi ce n'ejl pas pour nous , ce fera du moins pour notre poftérité. (1) Ce devroit être auffi la devife des Suiffes.  41 TA BZ E AU II IS TORI QUE Le prince d'Orange élude toute négociation, Le prince d'Orange éluda la négociation de Ia paix générale qui fe traitoita Cologne, & dont 1'empereur s'étoit fait le médiateur , paree qu'il voyoit qu'un accommodement général pourroit bien rompre la ligue particuliere d'Utrecht 3 mais n'ofant pas encore fe charger lui-même d'une rupture ouverte avec le roi Philippe , il perfuada aux états de déclarer a ce prince qu'il étoit déchu de la fouveraineté de leurs provinces, pulfqull avoit violé leurs privileges , après avoir juré de les maintenir. 1581. Guillaume fait en même tems une ligue avec le duc d'Alencon, a qui il fit offrir la fouveraineté des Pays-Bas a certaines conditions. 1582. Arrivée du duc d'Alencon. Francots -Hercule de Valois, duc d'Alencon 8c d'Anjou , faifit avec ardeur 1'occafïon qui fe préfentoit pour nuire a Philippe. II arriva a Anvers le 19 de février 15823 toute la noblelfe des Provinces-Unies s'étoit rendue en cette ville pour faire cortege au nouveau fouverain , & pour rendre fa réception plus brillante 8c plus pompeufe , on avoit élevé dans la place un théatre richement paré , fur lequel il monta pour y faire les fermens ordinaires. Les jours fuivans furent employés en feftins 8c en réjouifiances jufqu'au 18 de mars , qui étoit julïement 1'anniverfaire de la naiifance  des Provinces-Unies. 43 du duc d'Alencon. Le prince devoit, après plufieurs divertiffemens , donner le foir un repas magnifique ; mais cette fête fut troublée par un accident funefte qui menaca les jours du duc d'Alencon 8c celle du prince d'Orange. Projet de Gafpard Ganatro. Gaspard Ganatro , marchand d'Anvers, qui s'étoit miné au commerce, efpéra rétablir fes affaires en gagnant le prix propofé par le roi d'Efpagne , a celui qui tueroit Ie prince d'Orange. N'ofant exécuter lui-même une entreprife fi hazardeufe , il s'adrefTa a un jeune bafque, nommé Jean de Xaurégui, qu'un zele outré pour la religion catholique , 8c une haine furieufe contre les proteftans, rendoient capable d'une telle acfion. Exécution du dejfein de Gafpard. Xaurégui choifit, pour exécuter eet horrible defTein, le jour même qu'on célébroit la naiffance du duc d'Alencon. Le prince d'Orange donnoit ce jour-la a diner aux principaux feigneurs Flamands &t étrangers qui fe trouvoient a la cour du duc d'Alencon. Après le repas, Xaurégui s'approcha du prince d'Orange , comme pour lui préfenter une requête. Tandis que le prince lifoit ce papier, Xaurégui lui tira, a bout portant, un coup de pifiolet de poche, chargé de deux balles qui lui percerent les deux joues 8c lui cafferent quelques dents 3 mais en même tems le piftolet creva, 8c Xaurégui cut le pouce emporté, ce qui 1'empêcha de fe fervir affez promptement d'un poignard qu'il prit aufli-  44 Tableau historique tot, pour achever de tuer leprinee. Xaurégui fut, en un moment, percé de mille coups. Les Franfois arrêtés. Le duc d'Alencon fut d'abord accufé d'être 1 auteur de eet aflaflinat. Aufli-tót on court aux armes & on arrête tous les Francois : le prince d'Orange fit appaifer le tumulte, en écrivant de fa propre main , un billet oü il marquoit que les francois n'avoient eu aucune part au crime de Xaurégui. 1583. Cet événement fit prendre au duc d'Alencon la refolution de fe rendre makre d'un peuple qui fe defioit de lui, & quine s'étoit foumis qu'enapparence. Ses troupes s'emparerent de Dunkerque Sc de Vilvorde : lui-même fe chargea de la réduéfion d Anvers ; mats il fut obligé de fe retirer après avoir perdu prés de 15000 hommes. Retour du Duc en France. Le duc d'Alencon , devenu odieux aux peuples, retourna en France , & laifla Chamois pour commander la garnifon de Dunkerque : les députés de la Flandre Flammande prirent alors le parti de fe détacher des Provinces - Unies. Le prince de Chimay, fils du duc d'Archot , qui en étoit gouverneur , remit entre les mains des Efpagnols, Vpres , Bruges & quelques autres places ; Sc bientót après, toute la Flandre Flamande fe vit réunie aux provinces Wallones.  ves Provin ces-Un ies. 45 1584- Le Duc rappellé par les États. Les États allarmés envoyerent en France au rnois de mai 1584, une ambaflade folemnelle au duc d'Alencon , pour le prier de revénir reprendre la fouveraineté 8c la défenfe des provinces qu'il avoit abandonnées. Mais les ambaffadeurs trouverent le duc expirant a Chateau - Thierri d'une maladie violente qui lui faifoit jeter le fang par tous les conduits. AJfaJfinat du prince dOrange. Le 10 juillet de la même année , Guillaume , prince d'Orange , premier Stadhouder , capitaine 8c amiral général des Provinces-Unies , fut affaiïiné a Delft, a 1'age de 51 ans , par unfcélérat, nommé Balthafar Gérar, franc - comtois , qui, féduit d'un cöté par les artifices de quelques moines , 8c animé de 1'autre par 1'or 8c les promeifes de 1'Efpagne , croyoit par cette aöion atroce, rendre un grand fervice a la religion catholique. Ce prince avoit été marié quatre fois. Il eut d'Anne , fa feconde femme, fille de Maurice , qui lui fuccéda dans la charge de Stadhouder. Ses belles qualités , les fervices importans qu'il avoit rendus a 1'état , le firent généralement regretter. II avoit fu, par fon humeur douce Sc populaire , s'infinuer dans 1'eftime des grands 8c dans 1'amitié des petits. II aimoit le bien public ,  4 1'archiduc Albert prit Huift 3 mais il fut battuprèsde Turnhout. L'an 1600, Maurice étant entré en Flandre , pour afliéger Nieuport, 1'archiduc marcha contre lui , 8c on en vint a une batrille , oü Maurice remporta une vi£toire complete. L'archiduc yperdit environ 5000hommes, fans compter les prifonniers , parmi lefquels fe trouva Mendofa , amiral d'Arragon : 1'artillerie de 1'ennemi 8c 130 drapeaux 8c étendards furent les trophées de cette journée. Médaille frappée au fujet de cette viBoire. On frappa, au fujet de cette viöoire, une médaille qui repréfente d'un cöté le prince Maurice a cheval, en pofture de combattant, ayant fur la tête une couronne de laurier, 8t fous les pieds de fon cheval  des Provinces-Unies. 49 fcheval des ennemis terrafies •■, dans le champ de médaille , un' combat \ dans le lointain , une armée navale \ 8c au - delïus Jehova. , avec cette légende a 1'entour : Captis CXXX militaribus Jignis , ordinum aufpiciis , princeps Mauritius viclor rediit, 1600 , c'eft - a - dire , le prince de Maurice eft revenu viéforieux après avoir gagné 130 drapeaux , fous les aufpices des états, 1600; de 1'autre cöté de la médaille eft un fort aiïiégé par mer Sc par terre , avec ces mots qui font la fuite de la légende : Compulfo ad deditionem prceJidio Andreaz , Ca/b , fugatoque ad neoportum Alberto Auflnce , c'eft - a - dire , « après avoir » contraint le fort Saint - André de fe rendre , » défait 8c mis en fuite Albert devant Nieu» port. » Autres glorieux exploits du prince Maurice. Tandis que les Efpagnols étoient occupés au fiege d'Oftende , Maurice fe fignala par de nouveaux exploits. Rhinberg avoit été pris par 1'amiral d'Arragon , lors de fon irruption dans le duché de Cleves j Sc comme la garnifon de cette place incommodoit fort les confédérés , Maurice s'y rendit au mois de juin 1601 , Sc l'emporta le 30 juillet, malgré la vigoureufe réfiftance que fit Louis Bernard d'Avila qui la défendoit. Cette conquête fut fuivie de la prife de Cadfant, d'Yfendyk , d'Ardenbourg Sc autres forts qui font aux environs de 1'Eclufe , fur la fin de mai 1604 , Sc il fe conduifit a ce fiege avec tant d'habileté, que quoique Spinola vint lui • même d'Oftende pour Ja Tome I. D  5» Tableau uistorique fêcounr, il ne put empêcher néanmoins qu'elle ne fut prife le 19 aoüt. Eloge du prince Maurice. « II y a peu de grands capitaines que 1'ou » puifie comparer a Maurice. II poiféda , dit » 1'abbé Raynal , la guerre en grand makre , Sc » la fit toujours en héros. Son camp devint 1'école » üniverfeHe de 1'Europe ; fes éleves ont foutenu » Sc peut - être augmenté fa réputation : comme » Montecuculli , il pofiedoit 1'art fi peu connu v des marches Sc des campemens : comme Vau» ban , le talent de fortifier les places: comme » Eugene , 1'adrefle de faire fubfifier de nom» breufes armées dans les pays les plus lïériles 011 » les plus ruinés : comme Vendöme , le bonheur » de tirer , dans 1'occafion, du foldat plus qu'on » n'a droit d'en attendre : comme Condé, ce coup» d'ccil infaillible qui décide du fuccès des ba» tailles : comme Charles XII, le moyen de rendre » les troupes prefqu'infenlibles a la faim , au « froid Sc a la fatigue : comme Turenne , le » fecret qui paroit s'être perdu de ménager la vie » des hommes. Au jugement du chevalier Folard, » Maurice fut le plus grand officier d'infanterie qui ait paru depuis les Romains. » Comme les bornes qu'on s'eft prefcrites dans eet ouvrage , ne nous permettent pas d'entrer dans le détail de tous les exploits de ce prince , il fuflit de remarquer que toute fa vie ne fut qu'un tilfu de vi&oires. II prit par fiege trente - huit villes , quarante - cinq forts ou chateaux , 8c emporta quinze places ira^  des Propixces-Unies. 51 jportantes. II fit lever douze fieges , fe rendit maïtre quatre fois du Brabant, 8c vainquit plufieurs fok fes ennemis en bataille rangée. 1601. Siege d'Oftende. < Le fiege d'Oftende , commencé le 5 juillet 1601 , par 1'archiduc Albert , eft fameux dans 1'hiftoire. Cette place ne fut prife que le 2 1 feptembre 1604 , par le célebre Ambroife Spinola, qui fut le plus grand capitaine de fon tems. On fit a ce fiege de part & d'autre , des prodiges de valeur. 1607. Flotte Efpagnole brülée dant le port de Gibraltar par Heemskerk. Le dernier exploit de cette guerre qui mérite encore d'être remarqué , c'eft celui de Jacob Héemskerk, connu tant par fes voyages vers le pole Aröique , foit par d'autres expéditions. Ce fameux navigateur, plus occupé de la gloire que du profit, fortit de la Meufe le 29 mars avec une flotte de vingt - fix vaifleaux de guerre , §c arriva le 1 o dans la riviere de Lisbonne. II avoit deflein de brüler tous les vaifleaux qui étoient dans cette. rade 3 mais ayant appris qu'une flotte efpagnole de dix galions bien armés , 8c de plufieurs autres vaifleaux de guerre , avoit pris la route de Gibraltar pour attaquer au détroit les navires flollandois qui venoient du levant, il leva 1'ancre & fit voile ée ce cöté-la. II pafTa le 24 ala hauteur de Cadix:  52 Tableau histöriquw la nuk il fit porter le cap fur Ia cöte de Barbarie , & le matin a la pointe du jour il revira fur Gibraltar. La flotte efpagnole qui s'y trouvoit a 1'ancre dans la baie , étoit compofée de vingt-un vaiifeaux fous le commandement de dom Alvarès d'Avila , qui s'étoit difpofé toute la nuit a recevoir les ennemis, ayant été averti de leur route , par le gouverneur de Cadix. Héemskerk tué dans la lataille. Héemskerk , réfolu de combattre , rangea fbn ordre de bataille. II devoit attaquer avec un autre de fes vaifTeaux , Tamiral Efpagnol ; fon vice-amiral, avec un autre vaifleau , devoit attaquer le vice-amiral ennemi , Sc deux de fes autres vaifleaux devoient entreprendre le 2 5 avril, un vaifleau Efpagnol. Après midi, Tamiral Hollandois fit voile pour arriver fur TEfpagnol ; mais celui-ci fit couper fes cables , fe cantonnant dans le fond de la baie , Sc mit fon vice-amiral 8c trois galions devant lui. Héemskerk , malgré ce déplacement , ne changea rien dans fon projet, il alla fur Tamiral Efpagnol , laiflant a fa gauche les vaiifeaux qui le couvroient : il accrocha TEfpagnol, fit jouer tout le canon qu'il pouvoit tirer , & fi a-propos, qu'un boulet coupa la jambe gauche de Tamiral Hollandois, qui, fans s'émouvoir, nomma un commandant , & ordonne qu'on cele fa mort jufqu'a la fin du combat 3 le bruit , le feu, la fumée , les cris des combattans contribuerent beaucoup a la cacher.  des Provinces-Unies. 53 Les deux amiraux continue rent h fe battre. L'espagnolavoit été renforcé de 300hommes, Sc ceiui des Hollandois n'étoit foutenu que d'un vaifleaux fuivant le plan de Héemskerk. Le carnage devint horrible. Le vice-amiral Efpagnol fut en même tems attaqué 8c accroché par trois vaifleaux ennemis, qui , après plufieurs canonades , y mirent le feu : il brüla jufqu'a fleur d'eau Sc prefque tout 1'équipage fut perdu. Les trois galions qui devoienr défendre leur amiral , furent aufïi vivement attaqués , un fut coulé a fond Sc les autres brülés : les Hollandois ne pouvant aborder les autres vaifleaux défendus par le canon de la ville Sc du chareau de Gibraltar , les canonerent avec furie 3 le feu prit a un de ces vaifTeaux , il fe communiqua a un fecond 3 les autres effrayés de eet incendie , voulurent fe retirer dans le fond de la baie \ mais Tépouvante s'y étoit mife , ils périrent prefque tous vicümes des flammes , ou du canon ennemi. L'amiral Efpagnol fe défendoit toujours avec viguèür contre trois vaifTeaux qui le preflöient vivement ; mais fe voyant ferré de prés , il demanda quartier. Les Hollandois acharnés au combat ne voulurent accorder aucune compofition , cette cruauté obügea la plupart des Efpagnols a fe jeter dans la mer pour fe fauver a la nage : ils y périrent prefque tous. Les Hollandois monterent fur le vaifleau pour s'en rendre maitres •■, mais n'étant point en aflez grand nombre, des foldats Efpagnols , caches entre les ponts ? reparurent, firent D3  54 Tableau historique fauter les Hollandois dans la mer , couperent les cables de Tamiral Si le fauverent. Ce combat fut d'autant plus affreux qu'il fut court : il ne dura qu'une heure. Le lendemain les habitans de Gibraltar , craignant que les vi&orieux ne les afliégealfent & ne fe rendifient maitres de leur amiral défemparé , le brülerent. Perte des Efpagnols dans cette journée. Dans cette fatale journée les Efpagnols perdirent 2000 hommes , du nombre defquels fut Alvarès leur amiral 3 tous leurs vaiifeaux furent ruinés, ou mis hors de combat. Les Hollandois eurent plufieurs vaillèaux maltraités : deux jours après ils firent voile a Tétuan fur la cöte de Barbarie , oü ils allerent fe radoubler , après quoi leur Hotte fe répara. Tranfport du corps de Héemskerk en Hollande. Le corps de Héemskerk. fut porti en Hollande , oü on le placa honorablement dans un fépulchre fait d'une pierre bleue : on mit a cöté, fur un marbre noir , en lettres d'or , une épitaphe qui marquoit toutes fes belles aflions, fes grandes entreprifes &c fes voyages hardis : il fut le premier enterré aux dépens de la république. Négociations pour la paix. Les Efpagnols ennuiés d'une guerre ruineufe qui leur avoit déja coüté cent vingt millions , Sc un nombre infini d'hommes , défolés de voir leur navigation troublée , leurs flottes battucs , leur  DES P ROVINCES-U N IES. S5 commerce interrompu , entrerent en négociation avec les Etats-Généraux. 1608. Stege de Malaca. Pendant les conférences , qui durerent prés de deux ans, les hofillités maritimes furent fufpendues en Europe \ mais elles ne ceflerent point dans les'lndes. Les Hollandois s'étant liés avec un roi de ce pays-ia , ennemi des Portugais , allerent de concert affieger Malaca , Sc s'emparerent d'abord des fauxbourgs. Comme ils étoient fur le point de prendre la ville , le vice-roi de Goa parut pour la fecourir : il avoit quatorze grands vaifleaux , au tant de moindres , 8c quatre galeres. Les Hollandois , de peur de fe trouver inveftis des deux cötés , leverent le fiege , 8c allerent au-devant du fecours : le 17 d'augulle 1608 , les deux flottes fe trouverent en préfence ; le lendemain deux vaiifeaux Portugais ayant le vent fur un vaifleau Hollandois, Tattaquerenr Sc le coulerent a fond 3 trois autres Portugais attaquerent Tamiral de Hollande, qui fe défendit vigoureufement, mit le feu a un des vaifleaux qui Tattaquoient 8c le brüla , ce qui obiigea les combattans a s ecarter. Deux autres vaifleaux Portugais ayant attaqué un vaifleau Hollandois , Sc s'étant accroché, ils périrent tous trois. Ce combat qui ne fe fit que par peloton , dura jufqu'a midi. Les Portugais rentrerent dans le port de Malaca pour fe refaire , 8c les Hollandois fe rutrerent dans un port d'un roi Indien leur allié. Un autre D4  $6 Tableau msTORiqvz' combat qui fe donna la même année , ne fut pas plus avantageux aux Hollandois.' 1609. L'accommodement auquel on travailloit en Europe , rencontroit de part 8c d'autre de grandes difficultés. Les Hollandois vouloient que les Provinces - Unies fuffent reconnues pour république libre Sc fouveraine 5 les Efpagnols qui perdoient la un des plus beaux fleurons de leur couronne , avoient de la peine a y confentir. Ceux - ci faifoient des propofitions équivoqucs Sc féduifantes , a la faveur defquelles ils fe ménageoient des moyens de revenir fur les Hollandois è la première occafion favorable. Les Hollandois ne furent point dupes de tous ces artifices , ils tinrent ferme 8c ne voulurent rien céder j réfolus de s'affranchir entiérement du joug Efpagnol , ils ne voulurent pas fe relacher fur la moindre chofe. Enfin l'accommodement fut conclu a Anvers le 9 avril 1609 , par les foins 8c 1'habileté du préfident Jeannin, ambaffadeur de Henri IV , roi de France. On convint d'une trève de 12 ans , 8c d'une fufpenfion d'armes , tant fur terre que fur mer ; Sc c'eft proprement depuis cette trève , que la Hollande peut palier pour une vraie Sc légitime république. Pendant tout ce tems , 1'archiduc en fon nom 8c au nom du roi d'Efpagne , confentit de traiter avec les Etats - Généraux , comme feigneurs des provinces d'états libres , fur lefquels il ne prétendoit rien.  zes Provin bes-Unies. 57 Continuation de la guerre dans les Indes. Pendant tout le tems que dura cette trève, les Hollandois fe livrerent a des travaux utiles Sc glorieux. Ils firent un traité de commerce avec le roi de Maroc •■, ils en firent d'autres avec le grand feigneur , 1'empereur du Japon 8c le roi de Siam. Us engagerent le roi de Danemarck k abolir un impöt qui troubloit la navigation. Ils rendirent la mer libre en donnant la chaife aux pirates qui la défoloient , ils découvrirent de nouveaux détroits pour abréger le chemin des Indes. lis aborderent k ces isles qui n'avoient point encore été connues , Sc rendirent leur commerce des Indes trés - floriflant ■■, les profits qu'ils en tiroient dans ces contrées Orientales , étoient fi confidérables , que les Portugais 5c les Efpagnols , qui les regardoient avec jaloufie , ne purent les fouffrir, ce qui les empêcha de garder en Afie la. trève exa&ement obfervée en Europe : ainfi la guerre continua toujours dans les Indes avec une alternative de bonne 5c de mauvaife fortune : on fe prenoit des vaifleaux mutuellement , 5c chacun des deux partis cherchoit a s'étoyer par des alliances avec les fouverains du pays. Vicloire remportée par les Hollandois. Tous ces petits combats en attirerent infenfiblement un plus confidérable. Comme les Efpa • gnols Sc les Portugais ne vouloient abfolument pas fouffrir que les Hollandois paflaffent la ligne équinoxiale , ils envoyerent une flotte aux Indes  58 Tableav historique pour leurs en fermer le paflage 3 les Hollandois en envoyerent une autre pour les forcer. Les deux flottes s'étant rencontrées , fe battirent avec beaucoup d'acharnement 5 mais la fortune fe déclara contre les Efpagnols , qui eurent leur amiral 8c leur vice-amiral brülés , la plupart des autres vaiifeaux ruines, 8c le refte fort endommagé. 1613. Les Hollandois avancant toujours leurs conquêtes , amegerent la principale ville de 1'isle de Ternate , 1'une des Moluques. Le vice - roi des Philippines attendoit quatre galions bien armés , pour leur faire lever le fiege. Verhagen , général des Indes pour les Provinces-Unies, alla au-devant de ces galions avec une bonne flotte ; il les rencontra vers la prefqu'isle de Malaca , il les chargea , en coula un a fond, 8c en prit un autre ; les deux qui refterent, allerent échouer fur la cöte , oü ils furent brülés. Verhagen ramena fa flotte vidf orieufe aux Moluques , d'oü il chafta les Efpagnols 8c les Portugais. Le même général battit encore 1'année fuivante le même vice-roi, lorfqu'il vint attaquer les Moluques avec une nouvelle flotte. 1615. Expéditions de Spilberg. D'un autre cóté , George Spilberg ,avec fept vaifleaux pafla l'an 1615 par le détroit de Mageilan , 8c après être entré dans Ja mer du Sud , il fe rendit maitre Je 16 juillet d'un vailfeau mar-  des Provinces-Unies. 50 ehand monté par Jean - Baptifte Gonzalès, efpagnol. II apprit de ce capitaine , qu'il y avoit dans cette mer huit vaiifeaux de fa nation ; il fut même enfuite que cette efcadre avoit été dépêchée par le roi Philippe lil , pour exterminer tout ce qui fe rencontreroit de vaiifeaux Hollandois. Vicloire remportée fur les cètes du Pe'rou. Les Efpagnols étoient commandés par Robrigue Mendoza , parent du vice - roi du Pérou. Ce jeune feigneur , qui avoit plus de courage que d'expérience 8c de prudence , hazarda d'attaquer de nuit les Hollandois } ce fut le 17 de juillet 1615 , que les efcadres entamerent cette aftion qui fut très-vive , & qui, outre un grand nombre de foldats qu'il en coüta a 1'Efpagne , fit périr encore Mendoza bX Alvarès Pigarre fon vice-amiral. Cette bataille qui fe donna fur les cötes du Pérou , intimida la ville de Lima , qui fe crut en danger \ mais Spilberg , qui n'étoit point affez fort pour infulter une place auffi importante , prit le parti de s'éloigner du rivage. 1616. Villes reflituées aux Hollandois par VAngleterre. La Brille , Flefïingue & le chateau de Ramekens , ou Zéerbourg qu'on avoit livrés a 1'Angleterre l'an 1585 , furent reftitués aux Hollandois l'an 1616 par le roi Jacques , a qui on paya les fornmes que la reine Elizabeth avoit prêtée pendant la guerre. Les Hollandois goutoient a peine cn Europe  6<9 TABLEAU 7UST0B.IQUE les doux fruits de la paix , que 1 etat fe vit déchiré par les divifions caufées en partie par une jaloufie politique , 8c en partie par de vaines difputes de théologie. On prétend que le prince Guillaume avoit afpiré fecrétement a la fouveraineté des Provinces - Unies, 8c on avoit les mêmes foupcons contre le prince Maurice fon fils. Dans i'idée oü étoient quelques feigneurs a eet égard , ils firent tous leurs effbrts pour affoiblir 1'autorité du Stadhouder. Jean Dolden Earnevelt, confeiller penfionnaire de Hollande , fut regardé comme le chef de ce parti, 8c s'attira par-la le refientiment du comte Maurice. Vu'nes difputes des théologiensfur laprédeftination. A peine les Provinces - Unies goütent la paix , qu'elles font troublées par des difputes de religion. Ces peuples qui s'étoient fi fort foulevés contre 1'inquifition , jouifibient a peine des douceurs du calme , que la religion fufcita des difputes 8c fit couler le fang. La controverfe avoit pour objet la prédeftination , la grace 8c la liberté , grandes queftions , agitées depuis longtems , 8c fur lefquelles les fentimens paroilfent fe multiplier d'autant plus qu'on s'cntend moins. Queftions agitées fur des chofes dont nous ne pouvons pas même parler. Dieu a tout prévu , il a tout arrété , il a deftiné chaque chofe a fa fin. Or, on demande s'il prédefiine a la vie éternelle , paree qu'il a prévu les a£tions méritoires , ou fi faifant abftracfion  DES PrOVINCES-U NIES. 6t ie ce qu'il prévoir, il prédeftine gratuitement, par la feule raifon qu'il le veut. Pour réfoudre cette queftion , ne faudroit-il pas pouvoir nous faire une idéé de la penfée de Dieu ? Car fi nous jugeons comment il penfe , en confidérant comment nous penfons nous - mêmes , nous ferons des aveugles qui parient des couleurs. Les théologiens, en tout tems , ont eu la modelïie de croire tout favoir 3 ils font accoutumés a trancher en maïtres 8c a décider en dernier reflbrt : ils veulent toujours faire raifonner Dieu felon le concept de leur foible imagination 3 8c cependant il eft certain que Dieu ne raifonne pas, puifqu'il ne peut pas aller d'une idéé a une autre; paree qu'ils font des abftraétions , ils veulent lui en faire faire , comme s'il étoit poiïible a Dieu de ne pas voir tout-a-la-fois , 8c qu'abftraire ne fut pas en nous une imperfedtion 3 les jugemens divins font juftes , voila ce que nous favons 3 mais nous ne pouvons pas comprendre comment ils fe forment. Pouvons-nous dire même qu'ils fe forment ? Pouvons-nous dire que Dieu juge , lui qui n'a pas bcfoin de comparer les chofes pour les connoïtre ? voila certainement des exprefïions bien impropres. Nous ne pouvons donc pas feulement parler de ces chofes, 8c voila précifément pourquoi nous en parions davantage. Une autre queftion auffi difficile que la prédeftination , c'eft de favoir comment la grace agit, 8c comment elle fe concilie avec la liberté. Or , on pourroit encore demander aux théologiens de fe faire des idéés, ou de fe taire 3 s'ils n'en ont pas ,  6i Tableau h i s t qriqub de s'en tenir au dogme 5 mais ils veulent difputeri Rien de plus raifonnable. Principes d'Arminius enfeignés publiquement. L'an 1608 , Arminius , profefleur dans 1'univerfité de Leyde , enfeigna publiquement que la grace eit de telle nature , que non - feulement nous ne pouvons réfifter , mais que même nous réfiftons fouvent, 8c que Dieu ne nous a prédeftinés ou réprouvés , que paree qu'il a prévu fi nous ferions dociles ou rébelles a fa grace. Arminius dénoncé au Jynode de Roterdam par Gomar. Comme cette do&ine étoit contraire a celle de Calvin , Gomar autre profefleur , le dénonca au fynode de Roterdam , 8c foutint que Dieu a prédeftiné les uns a la vie éternelle , 8c les autres a la mort éternelle, fans avoir égard a leurs adtions , 8c que la grace donnée aux élus, eft fi puiflante , qu'ils n'y peuvent pas réfifter Appel d'Arminius au grand confeil. Arminius , jugeant que les magifirats lui feroient plus favorables , préfenta une requête aux états de Hollande , pour demander que le grand confeil prit connoiifance de cette difpute. La requête fut admife 3 le grand confeil jugea , que toutes ces queftions étoient bien obfeures, 8c les difputes continuerent avec la même animofité de part 8c d'autre 3 quand il y va des intéréts du Ciel, tous les hommes , 8c même les meins  des Prövinces-Unies. 63 éclairés veulent décider en dernier relTort Sc fubjuguer les elprits. On en va voir un exemple frappant : voila deux partis aux prifes , celui des Arminiens ou Remontrans, St celui des Gomariftes ou contre - Remontrans 3 les premiers, aii.fi nommés, d'une remontrance qu'ils firent aux EtatsGénéraux Sc a laquelle les Gomariftes s'oppoferent de tout leur pouvoir. L'an 1611 , les états de Hollande ordonnerent aux Arminiens Sc aux Gomariftes de comparoitre devant eux, Sc après les avoir entendu diiputer, fans y rien comprendre, il les inviterent a fe tolérer mutuellement. Falloit - il donc les faire difputer fur un auffi grand théatrc : que ne les lailfoit-on croalfer ou glapir dans 1'obfcurité Sc la poufïiere de leurs écoles ? Les deux partis s'échaufferent : il étoit aifé de le prévoir 5 ils fe calomnierent 3 ils fe reprocherent des fentimens qu'ils n'avoient pas pour fe juftifier : les Arminiens firent des remontrances aux états de Hollande , Sc les Gomariftes des contre-remontrances aux états de Hollande. Mais que tout cela produifit - il ? II en réfulta qu'on donna aux uns le nom de Remontrans, Sc aux autres celui de contre - Remontrars. La tolérance ordonnée. Plus les difputes s'allumoient , plus les états s'en occupoient , Sc elles s'allumoient encore davantage \ c'eft toujours ce qui arrivé quand le gouvernement prend part aux querelles de reli-  64 Tableau historiqve ' gion , ou plutöt s'immifce dans les queftions ténébreufes des orgueilleux théologiens. Les états demanderent comment il feroit pofïible de les faire finir. Les Remontrans propoferent la tolérance paree qu'ils étoient les plus foibles , 8c les contre-remontrans propoferent un fynode général , paree qu'ils favoient qu'ils y feroient les plus forts. Les états d'Hollande ordonnerent la tolérance. Cette ordonnance paroiflbit très-fage •■, mais c'étoit fe déclarer pour les Arminiens. On faifoit des écrits , des conférences qui n'aboutiflbient qu'a aigrir les efprits , Et on ne pouvoit convenir de rien. On crut qu'un fynode pourroit terminer le différent : on en convoqua un a Dordrecht dont 1'ouverture fe fit le 13 novembre 1618 3 1'affemblée fut nombreufe & compofée de membres refpeétables. Les Etats-Généraux , les fept Provinces - Unies , le roi d'Angleterre , 1'éledfeur Palatin , le landgrave de Heffe , les Suiffes proteftans , la ville de Geneve , celles de Bremen Sc d'Embden y envoyerent des députés. Les Arminiens y furent cités , pour répondre fur les principaux points de leur doéirine : favoir, la prédeftination , 1'approbation , 1'inamiflibilité de la juftice , l'efficacité de la grace , 8t la liberté de 1'homme. Après plufieurs fommations , ils produifirent un écrit contenant leurs fentimens fur tous ces points , protefterent contre le fynode , Sc refuferent de le reconnoïtre pour juge. Ils prétendoient que leurs accufateurs , leurs plus mortels adverfaires , ne pouvoient être leurs juges, Sc que le fynode en agiflbit a leur égard , comme les catholiques  des Profinces-Unie s. 65 catholiques en avoient agi a 1'égard des proteftans. On ne lailfa pas de paffer outre : les opinions des Remontrans furent condamnées , 5c il fut arrêté qu'on fe conformeroit aux décifions du fynode fur les matieres conteftées. Mais les états , en ordonnant la tolérance, rendoient inutiles les décifions du fynode. Alors une nouvelle difpute s'éleve , Sc on demande fi c'eft aux magiftrats , 011 aux eccléfiaftiques a fe porter pour juges dans les controverfes de religion. Cette queftion anime encore plus les deux partis. Les Arminiens ont pour eux les états , 8c les Gomariftes ont le peuple. Ils s'excommunient réciproquement 5 ils s'enlevent les églifes avec violence , Sc les féditions commencent avec le fchifme. Pour ajouter encore au défordre , Dordrecht, Amfterdam Sc quelques autres villes défapprouvoient les états de leurs province , Sc favorifoient les contreRemontrans. Conflict entre les États & le Stadhouder, L'an 1617 , les états de Hollande avoient ordonné aux magiftrats de lever des troupes pour réprimer les féditieux. Le comte Maurice regarda cette entreprife comme anticipant fur fes droits: il condamna tout ce que les états avoient fait jufqu'alors : il fe déclara publiquement pour les Gomariftes , Sc il défendit aux foldats nouvellement levés, d'obéir aux magiftrats. Voila donc une difpute de religion qui produit deux factions dans la république 5 mais il eft a craindre que le Stadhouder devenant chef de parti , ne falfe Tome L E  66 Tableau historiqu e fentir aux provinces qu'elles ne font pas au/Ti fouveraines qu'elles le penfent dans une affaire purement politique : il n'eut ofé agir , ni parler en inaitre : il eft plus hardi , lorfqu'il s'éleve une difpute fur la religion , paree qu'il fait bien que le fanatifme lui fera des partifans , 8c que fon ambicion qu'il voilera d'un faux zele, palfera pour amour de la vérité. Perte de Barnevelt méditée par le prince dOrange. Barnevelt étoit, depuis prés de quarante ans, grand penfionnaire de Hollande 3 cette place lui donnoit beaucoup de crédit dans les états : il en étoit 1'ame en quelque forte , 8c il méritoit de 1'être par fes lumieres autant que pour fon amour pour la patrie. Si les princes de NafTau avoient fervi la république par leurs armes , Barnevelt ne 1'avoit pas moins fervie par fes confeils. Le comte Maurice jura la perte de ce grand homme , qu'il regarda comme 1'auteur des réfolutions qui avoient été prifes. II lui devoit le Stadhoudérat •, mais fon ame ingrate ne pardonnoit pas a Barnevelt d'avoir fait conclure la trève de 1609 , 8c peut - être d'être encore un obftacle a fon ambition. Maurice arme. Les États-Généraux dévoués a Maurice , convoquerent le fynode national dont on a parlé cideflus. En vain plufieurs provinces protefterent contre cette convocation ■■, les états firent plus, ils ordonnerent aux magiftrats de caffer les nou-»  des Pro vinces-Unies. 67 velles milices ; on n'eut aucun égard a ces ordres, paree qu'en effet les États-Généraux s'arrogeoient une autorité qu'ils n'avoient pas, Sc qui étoit contraire aux états particuliers. Maurice traitant cette défobéiflance de rebellion , arma 8c marcha contre les villes. II fe montra par-tout en fouverain , chalfant les Remontrans, caffant les foldats , emprifonnant les magiftrats, les dépofant ou les banniflant. Maurice fait arrêter Barnevelt & deux autres perifionnaires. Cette première démarche n'étoit qu'un elfai du pouvoir de Maurice. Ne trouvant point de réfiftance , il tit arrêter Barnevelt Sc deux autres citoyens zélés, amis du grand penfionnaire de Roterdam , Sc Hoogerbetz penfionnaire de Leyde. II s'étoit fait autorifer par un décret des EtatsGénéraux , ou plutöt de quelques perfonnes qui en avoient pris le nom. Aucun de ces magiftrats vendus n'avoient même ofé figner le placard qui fut affiché. Cependant le fynode national s'ouvrit a Dordrecht au mois de novembre 1618. Les remontrances récuferent un tribunal , oü leurs parties étoient leurs juges ; Sc il eft a remarquer qu'ils fe fervirent précifément des mêmes raifons dont les proteftans s'étoient fervi contre le concile de Trente 1 c'eft qu'en effet, ils n'en avoient pas d'autres. Ils furent condamnés, ils devoient s'y attendre. On dépofa leurs miniftres, on confifqua les biens de plufieurs , on en mit en prifon , on en bannit: rien de plus orthodoxe Sc de plus con- E 1  68 Tableau h is tori que forme a la charité des partifans de la grofie orthodoxie , dont le zele brülant voudroit chaque jour fe délecter a la vue de quelques milliers d'auto-da-fés. Ne reviendra-t-on jamais de cette fureur d'exterminer fes femblables fous des prétextes fimulés de religion , mot dont le fens ne fut jamais fixé pour avoir fans doute toujours un facré prétexte d'afibuvir fes petites vengeances particulieres. 1619. Barnevelt decapite', & Grotius fauvé'de fa prifon. Le prince d'Orange ( c'eft ainfi qu'on nommoit alors le comte Maurice,) voulut enfin aflöuvir fa vengeance fur les trois penfionnaires. Leur emprifonnement étoit un attentat contre la fouveraineté des états de Hollande. Cette province les réclama $ elle repréfenta que s'ils étoient coupables , elle pouvoit feule les juger , 8c elle protefta contre tout ce qui pourroit être fait. Les États-Généraux , fans être arrêtés par ces oppofitions , nommerent vingt-fix commiifaires pour faire le procés aux prétendus criminels. Barnevelt, ( r ) agé de quatre - vingt - dix ans, eut la tête tranchée a la Haye l'an 1619 ; ce fut la récompenfe des fervices qu'il avoit rendus a la république 8c au prince d'Orange même. Le cruel duc d'Albe a-t-il rien fait de plus odieux 8c de plus inique ? (1) On prétend qu'il Fut cenvaincu d'avoir requ clandeftinenient de TEfpagne, svant la trève de doute ans concilie avef cette puiffance, la fomme de isooo ducats,  des Profinces-Unies. 69 Grotius 5c Hoogerbertz furent condamnés a une prifon perpémelle. Environ dix-huit mois après , Ie premier s'échappa de fa prifon par l'adreffe de fa femme Rdgesberg : comme elle avoit obtenu la permilfion de faire porter a fon mari des livres que 1'on mettoit dans un grand coffre , Grotius fe mit lui-même dans le coffre, 6c fes gardes trompés , 1'emporterent hors du chateau. Ce grand homme fe retira en France , oü il fut très-bien accueilli de Louis XIII. La trève de 1609 étant expirée, l'an 1611 , Ia guerre qui recommenca dans les Pays-Bas, fit ceffer les difputes de religion. Le prince d'Orange eut a fè défendre contre un grand capitaine, Spinola, général des troupes d'Efpagne : ce n'étoit pas une conjonéture favorable pour ufurper fur la fouveraineté des provinces, c'eft fur le commerce qu'eft principalement fondée la puiflance des Provinces - Unies. Lorfque les républiques d'Italie faifoient celui du midi, les villes Anféatiques , fituées fur la mer Baltique ou fur les rivieres qui s'y rendent , faifoient feules celui du nord. Les villes de Flandres s'enrichiffoient alors par leurs manufacfures. Au commencement du quinzieme fiecle , 1'art de faler le hareng ayant été découvert, elles s'adonnerent a cette pêche , 5c la navigation qu'elles cultiverent , les rendit tous les jours plus commercantes. Les Pays-Bas furent très-floriffans fous les ducs de Bourgogne : ils le furent encore davantage pendant la plus grande partie du regne de Charles-Quint, paree au'ils devinrent 1'azyle de ceux E 3  ?o Tableau Hts toriqve que eet empereur perfécutoit en Allemagne , Henri II en France , 8c Marie en Angleterre. Anvers étoit alors un des grands magafins de 1'Europe. Le defpotifme qui fit perdre fept provinces a Philippe II , ruina les dix qu'il avoit confervées. Les artifans 8c les commercans qui portent les richelfes par-tout oü ils trouvent la liberté, fe réfugierent dans des marais qui , jufqu'alors , n'avoient été habités que par de miférables pêcheurs. Les guerres civiles de France , 8c les troubles qui recommencerent après la mort de Henri IV, contribuerent encore a peupler davantage cette république naiffante , 8c le dix-feptieme fiecle n'a pas été moins favorable a fa population , puifqu'elle a fait feule le commerce pendant que 1'Angleterre, la France 8c 1'AUemagne , ont été le théatre d'une longue guerre. Dès les commencemens , les habitans fe trouverent en' trop grand nombre pour un pays peu étendu, 8c naturellement peu fertile : le fol ne fuffifoit pas a leur fubfiftance , 8c cependant il falloit fburnir aux frais d'une guerre difpendieufe : 1'induftrie , leur unique reffource , fuppléa a tout. Leur commerce , qui s'étoit établi pendant la guerre même , s'accrut pendant la paix. L'an 1621, il s'étendoit dans le Nord , dans la mer Méditerranée , dans les Indes orientales, en un mot > dans tout le vieux monde, excepté la Chine. Les Hollandois commencoient même a commercer en Amérique : alors ils étoient puifians , paree qu'ils étoient fobres , libres 8c indufhieux.  DES PrOVINCES-Vn 1ES. Jl Cependant ils ne pouvoient pas être encore bien riches , fi 1'on confidere les dépenfes immenfes qu'ils ont dü faire pour affermir la république \ mais la fobriété 8c 1'induftrie font un Pérou qui devoit néceifairement les enrichir. Ce fut l'an 1619 , que les Hollandois fe mirent en pofleffion de Batavia , oü ils é'abürent le fiege de leur commerce, dans les Indes onentales. 1Ó21. Expiration de la trève. Expéditions de Spinola. L'an 1621, la guerre recommenca avec 1'expiration de la trève, entre 1'Efpagne 5c la Hollande. L'année fuivante Spinola s'empara de Juliers, mais II fut contraint de fe retirer de devant Berg-OpZoom. L'an 1625 , il affiégea Breda & s'en rendit maitre. Maurice ne put réuffir a faire lever le fiege de cette place , 8c mourut la même année, le 23 avril , a 1'age de cinquante-huit ans. 1625. Le 23 avril, 1625, mourut le prince Stadhouder ( comte Maurice) : il avoit. plufieurs fois échappé aux embüches de certains aflamns : il n'avoit jamais été marié 3 mais il eut deux fils naturels de madame Beverwert , Guillaume &C Louis, qui porterent 1'un & 1'autre le titre de feigneurs de la Leek. Guillaume fut vice - amiral de Hollande & de Weft-Frife , & fut tué d'un coup de canon au fiege de Groll , l'an 1627-, Louis fut gouverneur de Berg-Op-Zoom , enfuite de Bois-le-Duc , & mourut l'an 1665 , laiuant E 4  72 TAELMAV UISTÖR1QV B trois fils 8c quatre fiJles. L'empereur Léopold crea ces trois freres comtes de Naffau. FrédericHenn , fils de Guillaume, 8c de Louife de Cofigm , fille de Gafpard de Coligni, amiral de france , henta des biens , des titres 8c des charges de fon frere Maurice. Avant la mort de ion frere , tl fe nommoit Henri-Fréderic ; mais quand U parvJnt au Stadhoudérat, il fe fit appeller Fréderic-Henri. i6iy 1631. _ Fréderic - Henri fuccéda aux biens, aux titres 8c aux dignités de- fon frere Maurice. Ce prince poflëdoit toutes les vertus 8c toutes les quahtes qui font les héros, 8c il foutint avec éclat Ia grande reputation que fon pere s'étoit acquife. II pnt Groll l'an 1627 , 8c l'an 1629 , il s'empara de Bcus-Ie-Duc , ville entourée de forts 8c de marais, dont il avoit formé Ie fiege fur Ia fin davnl. Pendant ce fiege, les Efpagnols firent une irruption dans Ie Véluwe ; mais les Hollandois ayant furpris Wefel, les Efpagnols furent contraints de repaffer 1'Iflel en défordre. Quelques milliers d Efpagnols furent défaits, l'an 1631 , prés de Berg-Op-Zoom ; 8c Bois-le-Duc fut pris maJgré la vigoureufe défenfe du gouverneur, Sc les efforts du comte de Bergue , qui marchoit avec une armee confidérable au fecours de cette place. 1Ó32. Autres eocpéditions de Fréderic-Henri. Chaque année étoit marquée par quelque  vss Provinces-Ujvies. 73 nouvel exploit. L'an 1632, le prince Henri reprit Venloo , Ruremonde , Limbourg & Maëftricht. L'exploit le plus confidérable , & qui lui fit le plus d'honneur , c'eft le fiege de la ville de Maëftricht: la place étoit défendue par le baron de Leyde : ce gouverneur fit plufieurs forties qui incommodoient fort les affiégeans. Dom Alvarès de Bazan , marquis de Sainte - Croix, général des Efpagnols, étoit placé a leur vue , 8c tacha plufieurs fois de les forcer. Le comte de Papenheim vint même d'Allemagne au fecours des affiégés , & donna deux attaques confécutives aux lignes du prince 3 mais tous leurs efforts furent inutiles , & la ville fut prife & capitula le 22 d'aoüt. 1633. Rhinberg , qui avoit été prife par Spinola avec toutes les villes de Gueldre , fut affiégée par notre héros l'an 1633 , 8t obligée de fe rendre 3 mais les Efpagnols reprirent Limbourg. io~35 — 1647Expéditions des Hollandois & des Efpagnols. La ligue offenfive que fit la Hollande avec la France , l'an 1635 , neut pas grand fuccès , paree que les Hollandois n'euflent pas eu volontiers les Francois pour voifins par terre. Le prince Guillaume de Naffau s'étant emparé du fort de Phiiippine , qui eft un paflage trés - commode pour entrer en Flandre 3 les Efpagnols furprirert a leur tour le fort de Schenk , qui eft la clef de la Hollande 3 mais on ne laiffa pas long-tems  74 Tableau historiqub entre leurs mains une place de cette important* A peine Iavoient-ils prife , la nuit du \ó juillet On3* F' lréderk rafTié§ea ' Je 3 d'auUe. Un fit des efforts etonnans d'un cöté pour reprendre ce fort, & de 1'autre pour le conferver : jout lhxver fe paffa a le difputer. Enfin , les Hollandois setant affurés du paftage des environs, & ayant fan ecouler les eaux pour donner un aflaat general , les Efpagnols furent obligés de capnuler , au mois d'avril 1636 , fans que leur armee, qui setoit avancée jufqu'a Cleves, eüt pu faire la moindre diverfion. Une autre conquête importante de Fréderic, c eft la prife de Breda , l'an 1637 , dont Spinola setoit empare dix ans auparavant. II afliégea 8c pnt Gennep, l'an 1641 ; 8c la même année, il maria Guillaume de Naffau, fon fils , avec la princeflè Henriette - Marie Stuart , fille ainée de Charles, roi de la Grande-Bretagne. Cette même annee Jes Efpagnols s'emparerent de Venloo 8c de Kuremonde 3 1'année fuivante , les Hollandois furent maltraités prés de Callo en Flandre 3 mais, lan 16-39, Martin Tromp ruina entiérement la flotte des Efpagnols fur les Dunes. Le Sas-deCand fut pns , l'an i 644 , par le prince Henri, qui entra avec le prince Guillaume dans le pays de \ aes 3 8c après avoir emporté tous les forts des environs du Sas-de-Gand, il affiégea cette place au mois de juillet, 8c 1'emporta au mois de feptembre. La prife de Huift, l'an 1645 , fut fon dernier exploit h il mourut la Haye Ie 14 mars 1647, agé de foixante-trois ans.  des P RoriNCES -Unies. 75 Éloge de ce Prince. Fréderic-Henri avoit la taille grande 8c une force de corps extraordinaire : il avoit 1'efprit vif & une folidité de jugement admirable : il étoit civil, populaire , défmtéreffé , fidele a fa patrie , pour laquelle il s'expofa aux plus grands dangers: il étoit favant , entendoit 8t parloit plufieurs langues. Ce grand 8t bon prince fut univerfellement regretté. il ménagea fi bien fes troupes, qu'il fut furnommé le pere des foldats. II eut pour fucceffeur „ le prince Guillaume II, fon fils. Talens de Guillaupie II. Guillaume II réuniffoit dans fa perfonne , tout ce qu'il falloit pour perpétuer la gloire de fa maifon , un courage très-élevé , une habileté fort au-deflus de fon age , des connoiffances qui s'étendoient aux langues, a la poéfie , a 1'hiftoire , aux mathématiques, une expérience que ie génie 8t les réflexions avoient plus étendue que les années. II joignoit, a ces talens 8t a ces quaütés, de 1'efprit , des manieres aifées , féduifantes , populaires , des traits agréables , réguliers , majeftueux , un corps robufte , adroit, infatigable. Coup - d'oeil fur les progrès du commerce des Hollandois. Tandis que ce héros augmentoit , par fes conquêtes , la gloire du peuple qu'il dcfendoit, les États-Généraux , raffurés par 1'aimable caractere de ce prince, travailloient avec confiance a  76 TabzZAV HlSTORiqvn *C^7^Wt C°mmerce une co«»^ce Uont les divifïons inteftines 1'avoient privé jufqu alors; leurs premiers foins tomberenr fur leur cornpagnie des Indes orientales. Les Portugais setoient expofes les premiers a chercher, fur des mers= «connues, une route qui les conduisit aux indes orientales. Ils y arriverent enfin par progremon de tems, Sc porterent fi loin leurs découvertes Sc leurs conquêtes , qu'ils fe virent maitres de 4000 lieues de terrein Je W des cotes , depuis Je cap de Bonne-Efpérance en Afnque, jufquau cap de Liampo ou Ning-Po a t a ,'AnS ^°mpter les cótes de Ja mer Rouge JC du golfePerfique, qui font encore une étendue ü environ douze cents lieues. Portugais attaqués par lts Hollandois. ( Dans eet intervalle, les Hollandois travailloient a saffranchir du joug des Efpagnols , Sc ne furent reconnuspar les rois d'Efpagne, pour un étatJibre, qua Ja paix de Munfter, l'an 1648. Ce fut un grand malheur pour Je Portugal d'avoir été réduit en province d'Efpagne fous Philippe II, l'an 1580, öC detre demeuré dans eet etat jufqu'en 1640, que Ja familie de Bragance remonta fur le tröne de Portugal. Les Hollandois, voyant que 1'Efpagne « le Portugal leur avoient fermé leurs ports, allerent attaquer les Portugais dans les Indes quils traiterent par-tout comme fujets du roi ö feipagne, Sc Jeur enleverent leur commerce avec leurs plus beauxpoftes. Par ces conquêtes, la compagnie générale des Indes orientales, fondée Je  hes Provinces-Unies. 77 20 mars 1602 , fe vit en polfelfion des meiileurs établiifemens de 1'Afie, de tout le commerce du Japon , 8c s'aifura dans 1'orient un degré de puifi. fance 8c de gloire qu'il eft difficile d'imaginer. Compagnie des Indes occidentales. Barnevelt avoit formé le projet d'une compagnie des Indes occidentales, afin de procurer a fa patrie les mémes avantages qu'elle tiroit de la compagnie oriëntale ; mais ce beau projet ne fut exécuté que l'an 1621 , lorfque la guerre recommenca entre les Efpagnols 8c les Hollandois : les articles en furent dreffés le 3 juin de cette même année, 8c dans la fuite on y en ajouta d'autres pour mieux régler le commerce de cette compagnie. Les états voyant que ce qui reftoit du fonds capital de cette compagnie ne pouvoit pas fournir a fon entretien, jugea a propos d'en former une nouvelle , pour conferver ce qui leur reftoit encore , tant en Afrique qu'en Amérique : c'eft ce qui fut exécuté le 20 feptembre 1674. Les acfions de cette compagnie valoient autrefois depuis 90 jufqu'a 95 pour cent, fur la chambre d'Amfterdam , 8c depuis 5 5 jufqu'a 60 pour cent, fur les autres chambres. Elles valoient, le 16 d'augufte de l'an 1703 , 73 pour cent. Le 29 décembre 1749 , elles étoient a 3 5 8c demi pour cent 3 8c fur la fin de mars 1752 , elles étoient a 30 8c demi pour cent. On voulut s'aflurer du cöté du nord , du commerce de la mer Baltique : en conféquenee on fit, avec le roi de Danemarck, l'an 1621 , un traité  7% Ta ul eau ii is tori que qui fut ratifïé le 9 d'augufte par les États- Généraux. La compagnie des Indes occidentales devoit faire feule le commerce fur les cötes d'Afriquc , depuis le tropique du Cancer jufqu'au cap dc Bonne- Efpérance , & tout lc Nouveau - Monde, contenant les deux Amériques, les terres Auftrales , les pays déja découverts, ou qui pöurróient 1'être dans la fuite dans la mer du nord , ou dans celle du fud. Trois pro/ets des Hollandois. Cette compagnie fut fatale aux Efpagnols Sc aux Portugais. Les Hollandois avoient fbrmé trois grands projets j fun de chalfer les Portugais du Bréfil , Fautre d'aller avec les vaiifeaux de Ia compagnie aux mines d'or du Pérou , pour traverfer les Efpagnols , Sc le troifieme de faire une defcente en Galice Sc en Portugal. Le premier fut confié a Wilkens, le fecond a Jacques 1'Hermite , Sc le troifieme a Léonard Frantzen. Conquêtes des Hollandois dans le Bréfil. Toute la nation Portugaife étoit intérefiee k conferver le Bréfil , k caufe du commerce avantageux qu'on y faifoit. On y vivoit tranquillement, lorfque Wilkens vint mouiller l'an 1614 > a la baie de Tous-les-Saints , il fe rendit bientót maitre de S?int-Salvador, ville grande Sc riche, Sc capitale du Bréfil: le vice-roi, dom Diegue de Mendoza Sc fon fils , furent envoyés en Hollande. La ville fut livrée au pillage 5 Van - Dort, qui en devint gouverneur, prithuit vaiifeaux Efpagnols.  des Provinces - Unies. Saint-Salvador repris par les Portugais. La nouvelle de cette perte , répandit en Portugal une confternation générale. Pour arracher aux Hollandois la proie qu'ils venoient d'enlever , les Portugais équiperent a leurs dépens en moins de trois mois , une flotte de vingt-fïx vaifleaux, qui fe joignit a celie que les Caftilians équipperent de leur cöté dans les pons d'Efpagne. On donna le Coinrnandement de ces deux flottes a dom Fréderic de Tolède Ozorio , marquis de Valduéfa. Elles étoient abondamment pourvues de vivres Sc dj munitions , 8c portoient quatorze a quime mille hommes, tant foldats que matelots. Arrivée a la baie de Tous-les-Saints , on mit d'abord a terre quatre mille hommes qui obligerent les Hollandois de rendre la place. Saint-Salvador délivré , on y mit bonne garnifon, 8c fes deux flottes s'en retournerent en Europe. Expêdition & mort de FHermite. L'escadre commandée par Jacques 1'Hermite, 8c daftinée pour la mer du fud , avoit ordre d'inquiéter les Efpagnols, 8c de furprendre la flotte du Pérou ; mais Jacques 1'Hermite apprit a fon arrivée que la flotte étoit partie quelques jours auparavant •■, alors il fe détermina a aller attaquer quelques batimens , & il mit le feu a quarante ou cinquante , qui furent confumé's par les flammes. On bloqua enfuite Colao de Linca, avec une partie de la flotte , 8c avec 1'autre , on alla attaquer Arica. Cette entreprife n'ayant pas réuffi ?  So Tableau historique 1'Hermite en reflêntit un violent chagrin. II étoit déjamalade , Sc lepeu de fuccès qu'il eut, acheva de ruiner fa fanté. II mourut, Sc le vice - amiral pnt fa place. Celui - ci fit des courfeg dans tous les parages de la mer du fud , prit plufieurs vaifleaux , brüla un galion , réduifit en cendres les églifes Sc les maifons de Puna , porta le ravage Sc la défolation en plufieurs autres lieux , Sc regagna Ja Hollande par les Indes orientales. Ces revers furent fuivis de Ia perte de plufieurs vaifleaux marchands, que les Hollandois enleverent ]ufques dans les ports de Lisbonne , de la Corogne SC de Cadix. ö Expéditions de Pierre Hein. L'an 1627 , le fameux Pierre Hein , amiral de la compagnie des Indes, prit toute la flotte marchande qui venoit du Bréfil, Sc qui étoit chargée pour Je comptedes Portugais. L'année fuivante , eet amiral fit voile vers le Portugal, Sc après avoir ravagé les cótes , il prit la route de 1'Amérique. En arrivant fur les cötes de la Floride, il rencontra la flotte d'argent des Efpagnols, la combattit Sc s'en rendit maitre 3 cette flotte valoit plus de douze millions. Départ de lamiral Lonéke. ^L'amiral Henri Lonéke , partit l'an 1629 des cötes de Hollande , avec une flotte de vingt - fept vaifleaux de guerre. II joignit fur fa route quelques autres navires de la compagnie , Sc fur les cötes du Bréfil, il trouva encore 1'efcadre du colonel Diéderick  des Provinces-Unies. 8i Diéderik de Wardenbourg. Se voyant ainfi a la tête d'une flotte de cinquante vaifleaux de guerre , il alla mouiller a la rade de la Capitainie de Fernambouc. Wardenbourg y fit une defcente, s'avanca vers la ville d'Olinde 8c s'en rendit maïtre au mois de février 1630. Lonéke , de fon cöté, alla fe faifir du Récif oü les Portugais avoient élevé le fort Saint-George : après cette conquête , il s'empara du refte de la Capitainie. Autres conquêtes des Hollandois au Bréfil. Dans les mêmes années 1633 , 16348c 1635 , les Hollandois fe rendirent maitres des Capitainies de Maraca , de Paraïba 8c de Rio-Grande. Après avoir fait la conquête de ces trois provinces, ils entreprirent celle du refte du Bréfil. Ils choifirent pour leur capitaine général , le comte Maurice de Naffau , qui partit du Texel le 25 odfobre 1636, 8c arriva au Bréfil le 23 janvier 1637. S'étant mis a la tête de fes troupes , il livra bataille aux Portugais, les battit 8c fe rendit maïtre de Porto-Calvo , de la citadelle de Provocoon 8c d'Oppénéda. II fit, en 1638, le fiege de SaintSalvador 5 mais il fut obligé de fe retirer après avoir perdu beaucoup de monde. Vicloire remportée fur mer par les Hollandois , fur les Efpagnols & les Portugais. L'année fuivante, les Portugais 8c les Efpagnols armerent une puiffante flotte , dont on donna le commandement a dom FernandezMafcaregnas, comte de la Torre. Une pefte fortie des cötes Tornt L F  %z Tableau historique d'Afrique fe mit dans cette flotte , Sc fit périr trois mille foldats : le comte ne fe découragea pas. Arrivé au Bréfil, il y ramafla tous les foldats qu'il put trouver , & mit a la voile au commencement de janvier 1640, avec une flotte de nonante-trois vaifTeaux. La flotte des Hollandois compofée de quarante-un vaifTeaux , Sc commandée par Tamiral Guillaume de Loof, fe rendit a quatre mille du port d'Olinde, pour y attendre celle d'Efpagne. On en vint aux mains a quatre reprifes différentes. Jamais combats ne furent ni plus longs , ni plus vifs, ni plus fanglans. Loof fut tué dans le premier, dont les troupes fortirent néanmoins vidforieufes ; Jacques Huygens livra les trois autres , Sc remporta fur Tennemi des viéfoires completes. Les vaincus , pourfe fauver, furent obligés de fe faire échouer. Les Portugais fecouent le joug de l'EJpagne. Ce fut au milieu de ces hoftilités, que les Portugais fecouerent le joug des Efpagnols, en mettant fur le tröne Jean IV, duc de Bragance : ce grand événement arriva Tan 1640. Les Hollandois perdent le Bréfil. La trève que firent les Hollandois avec les Portugais Tan 1641, ne leur fut pas favorable. Sur Ia foi de eette trève , le comte Maurice quitta le Bréfd avec une grande partie de fes troupes. Les Portugais ayant mis les Bréfiliens dans leurs intéréts, entreprirent Tan 1645, de chaffer ce qui reftoit de Hollandois. Cette guerre dura dix ans, Sc finit par Texpulfion totale des Hollandois hors  BES P R0V1N CES-UN IE S. 83 'du Bréfil, oü les Portugais font un commerce qui les enrichit. La perte du Bréfil caufa un préjudice confidérable a la compagnie des Indes occidentales \ mais d'un autre cöté , cette guerre avec les Portugais, qui dura jufqu'a l'an ióói , produifit aux Hollandois eet avantage, qu'ils conquirent fur les Portugais, la plupart des places qu'ils occupoient dans les Indes orientales. L'an 1648 , les états firent la paix a Munfter avec 1'Efpagne, malgré les fortes oppofitions de la France. Ils jugerent qu'il étoit tems de terminer une guerre qui duroit depuis huitante ans , 8c dont la continuatien auroit pu caufer leur ruine. Par Ie traité de paix , les Hollandois furent connus par une nation entiérement libre , 8c fur laquelle 1'Efpagne n'avoit plus rien a prétendre. Reprenons maintenant le fil des événemens. 1650. Entreprife de Guillaume II, prince d'Orange , fur Amfierdam. La paix fake avec 1'Efpagne , quelques - uns des membres des états, 8c fur - tout la province de Hollande , infifterent fur la réforme d'une partie des troupes. Le prince d'Orange s'y oppofa , prétendant qu'il étoit dangereux de congédier ^ les troupes, tandis que la France 8c 1'Efpagne étoient; en guerre. Ses repréfentations , fes démarches furent inutiles. Pour fe venger , il réfolut de furprendre Amfterdam qui s'étoit le plus oppofé è fes vues. Les troupes, zélées pour fon fervice ,  §4 TüBlEAï? HISTORIQV E v Promirent de le feconder. Par fes ordres, les corps difperfés dans plufieurs poftes , fe ralfemblent pendant la nuit aux environs de cette grande ville. Amfterdam étoit fubjuguée, fi le courier de Hambourg n'avoit porté aux habitans la nouvelle du péril qui le menacoit : a 1'inftant les portes font fermées 8c les bourgeois prennent les armes. Le prince déconcerté accepta un accommodement que le magiftrat lui fit propofer. Corneille Biker , bourg - maitre d'Amfterdam , fut dépofé , 8c le prince fit mettre en liberté fix des principaux feigneurs de 1'état, qu'il avoit fait conduire de Ia Haye au chateau de Louweftein. II n'eft pas douteux qu'une chofe qui mérite le plus d'être remarquée dans la vie de ce prince, c'eft 1'entreprife hardie qu'il concut, 8c qu'il tacha d'exécuter , de s'emparer par les armes, de la ville d'Amfterdam. On prétend qu'animé, plus que rebuté , par le naauvais fuccès qu'elle eut , il fe lia plus étroitement avec la France , fe propofant de faire rompre la paix des Provinces-Unies avec 1'Elpagne fur des jnexécutions du traité , de venger même la mort, 8c de releyer le tröne du roi Charles , fon beaupere ; mais la mort fit évanouir fes grands projets. Mort de Guillaume III, prince dOrange. Il mourut a la Haye de la petite vérole le 6 novembre 1650, a 1'age de 24 ans, digne héritier de fes peres, au moins par la grandeur des vues 8c des defieins , fi la fortune ne lui avoit envié celle des adions. Ce prince avoit de grands talens 8c des connoilfances qui s'étendoient a tout. Sept  pes Pro vin ces-Unies. .8.5 011 huit jours après fa mort, c'eft -a - dire , le 13 novembre 1650 , la princeffe accoucha de Guillaume Henri, qui a été roi d'Angleterre fous le nom de Guillaume III; elle ne furvécut a fon époux que jufqu'en 1'année 1660. Elle mourut en Angleterre oü elle avoit, paffe pour voir le roi Charles II, fon frere , après fon rétablilfement, lailfant par fa mort le jeune Guillaume , fous la conduite d'Emilie de Solms, princeffe douairière d'Orange, aïeule de ce jeune prince. Guillaume III, cinquieme Stadhouder. Guillaume III, prince d'Orange , cinquieme Stadhouder, fils pofthume de Guillaume II, 8c de Henriette-Marie , fille de Charles I«, roi d'Angleterre , naquit a la Haye le 13 novembre 1Ó50. La mort prématurée de fon pere lui fut extrêmement défavantageufe. Les Etats-Généraux, qu'on aflêmbla auffi-töt après la mort de Guillaume II, tournerent, comme aujourd'hui, toutes leurs vues du cöté de la liberté. Ceux que ce prince avoit éloignés des affaires , qui confervoient leur relfentiment 8c leurs liaifons , Sc qu'on nommoit dans fa cour la cabale de Louveftein , rentrerent avec plus d'autorité dans les principaux emplois. Prévenus de cette penfée , que la trop ^grande puiflance des princes d'Orange cauferoit un jour la mine la république, ils dépouillerent le jeune Guillaume des charges de Stadhouder , de capitaine & d'amiral général , s'engageant par ferment de ne les point réunir enfemble. Les partifans de ia maifou d'Orange virent avsc F 3  &6 Tableau historiqub chagrin des arrangernens fi contraires a leurs intéréts. Leur mécontentement éclata par des mouvemens tumultueux , 8c peut - être auroient - ils réuffi k faire changer la face des affaires , fi Cromwel n'avoit porté les Hollandois k abandonner entiérement les intéréts des princes Stuarts , Sc a donner 1'exclufion k Guillaume leur neveu. Tutele du jeune prince : a qui confie'e. La tutele du jeune prince avoit d'abord été déférée aux états avec 1'adminiftration de fes biens. La princeffe douairière, fon aïeule, setoit fait céder 1'une 8c 1'autre , par 1'avis 8c par 1'entremife des principaux parens , le roi d'Angleterre 8c 1'éleéfeur de Brandebourg. Dans la fuite, changeant d'avis , elle voulut rendre aux états la tutele 8c 1'éducation. Llnclination du penfionnaire de Wit s'y oppofoit, comme a tout ce qui pouvoit rapprocher ce jeune prince de la république. II fe rendit néanmoins aux avis de la France , quand on lui fit confidérer combien il étoit de fon intérêt d'avoir ce jeune prince en fa main , d'être makre de ceux qui Fapprocheroient, de voir clair dans fes moindres mouvemens , 8c prefque dans fes penfées , 8c enfin d'avoir la première part en tout ce que la fuite des chofes , 8c un age plus avancé , pourroient obliger la république a faire ou a ne pas faire pour lui. 1651 1653. Gunre entre la Hollande & rAngleterre. La Hollande s'étant brouillée avec l'Angleterre  des Provinces-Unies. 87 qui étoit alors gouvernée par' Cromwel, on en vint a une guerre ouverte qui fut fatale aux Hollandois. Dans deux barailles confécutives, 1'avantage demeura du cóté des Anglois ; mais ceux- ci furent battus devant Livourne dans le dernier combat qui fe donna l'an 1653. prés du Texel: Tamiral fut tué , & les Hollandois perdirent vingtfept vaifleaux de guerre. ióóo. Les Hollandois eurent part a la guerre qu'eut la Suede avec le Danemarck. Le roi de Danemarck ayant été affiégé dans Copenhague , ils envoyerent une flotte au fecours de cette place. Dans la baraille qui fe donna dans le Sund entre les Hollandois & les Suédois , les premiers perdirent deux amiraux 3 mais ils réuffirent a faire lever le fiege de Copenhague. La paix fe fit l'an 1660 , par la médiation des ambaffadeurs de France & d'Angleterre. 1665. Les États fe broüillerent avec 1'évêque de Munfterl'an 1665 3 mais le différent fut bientót terminé , &. ce prélat inquiet , fut obligé de rendre aux Hollandois ce qu'il avoit pris fur eux : le traité fut figné a Cleves le 19 avril 1666. Sur la fin de 1'année 1665 , les Anglois firent propofer aux états de Zélande , de recevoir le jeune-prince, qui n'avoit alors que quinze ans, aux charges de fes peres , & de lui donner féance au confeil d'état; mais la délibération fut portée en lon- F4  88 Tableau histoüique gueur, Sc Ie penfionnaire , felon les confeils que Louis XIV lui donnoit par d'Eftrade, fon ambaffadeur a la Haye , fit prendre , au mois d'avril 1666, par les états de Hollande Sc de Weft-Frife , une réfolution qui éludoit celle-la, en contentant néanmoins Ia plupart des efprits. Ils déclarerent Ie jeune prince enfant de 1 etat, Sc nommerent cinq fujets pour prendre foin de fon éducation. Le penfionnaire en étoit un , Sc pouvoit tout fur les autres qui étoient Nordwick, du corps de Ja noblefie , Sc Valkenier , pour la ville d'Amfterdam , Blyenbourg pour celle de Dort, Sc Forêts pour celle d'Alcmaer : on y ajouta Ie baron de Ghent, député de la province de Gueldre , avec la qualité expreife de fon gouverneur. Ï667. Nouvelle guerre entre la Hollande & tAngleterre. La guerre s'étoit rallumée entre la Hollande Sc i'Angleterre l'an 166$ : 1'Angleterre y donna Iieu , en mterrompant le commerce des Hollandois , Sc en fe faififfant de plufieurs de leurs places fur les cötes de Guinée. Dans le premier combat , le baron de d'Obdam , lieutenant amiral , attaqua les ennemis ; mais un boulet ayant mis le feu aux poudres de 1'amiral , il faura en 1'air , ce qui caufa du dcfordre dans la flotte , Sc 1'obligea de fe retirer fur les cótes. Dans Ie fecond combat , qui fe donna l'an 1666, Ruiter remporta 1'avantage fur la flotte angloife , commandée par Ie general Monck. Ruiter fut moins heureux dans  des Pro vinces-XJnies. 89 une autre a£tion , qui fe donna au commencement d'augufte; mais l'an 1667 , il alla chercher la flotte angloife dans fes ports , remonta la lamife , emporta le fort de Charneffe , & en fit fauter les remparts. II poufla jufqu'a Chattam £C a Gravefend , brüla fix des plus gros vaifleaux Anglois, & prit le royal Charles. Apres cette aftion de vigueur , 1'Angleterre fut forcée de faire la paix , qui fut concilie a Bréda par la médiation de la Suède. Brigues en faveur de Guillaume III: fes inclinations. L'an 1608 , ily eut dans les efprits de grands mouvemens , que le parti d'Orange avoit foin de favorifer 8c d'entretenir. Le prince approchoit chaque jour de fa vingtieme année, & devoit fortir alors de la tutele publique, oü on 1'avöit mis : fes direfteurs étoient autant d'efpions de fa conduite. II paroilfoit capable d'affaires, d'apphcation & de fecret au - dela de fon age. La chalTe & la retraite fembloient être fes plus grands plaifirs, foit par tempérament, foit par choix pour fe dérober peut - être aux yeux de tant d'ennemis^, dont il étoit environné. Avêc un efprit auffi mür que le fien , il paroiflbit difficile dans 1'inchnation générale des peuples , de Féloigner longtems des affaires , 8c impoffible de mettre en d'autres mains que les fiennes , le commandement des armées en une guerre déclarée , auiïi - tót qu'il feroit capable de le foutenir 3 Sc ce premier pas vers la puifiance de fes ancêtres , lui devoit  9© Tableau historicus faire efpérer tout ce qui y manquoit; Sc c'eft ce qui arriva en effet l'an 1671, comme on va bientót le voir. 1671. L'an 1672 , la Hollande vit fondre fur elle un orage qui la menacoit d'une ruine totale , lorfqu'elle fut attaquée en même tems par deux puiflances redoutables , la France & 1'Angleterre. Ses villes étoient alors fans défenfe , 8c la plupart en très-mauvais état ; fes troupes étoient fans difciphne , 8c commandées par des officiers fans expérience. II n'y avoit point de chef, paree que par un édit perpétuel des états de Hollande Sc de Weft-Fnfe, arrêté a la Haye, le 5 d'augufte 1667 : la charge de Stadhouder ou gouverneur , d'une ou de plufieurs provinces , ne devoit jamais être conferée a qui que ce füt. Trois partis dans la république. Il y avoit trois partis dans la république ; les uns vouloient qu'on rétablit le gouvernement tel quil ctoit fous les princes de la maifon d'Orange , & que 1'on rendït a Guillaume-Henri de Naifau routes les charges que fon pere avoit eues. Le fecond parti étoit celui des freres de Wit , qui vouloient que la république fe gouvernat ellememe , fans Stadhouder, fans capitaine général. Les autres attendoient que les circonftances ehangeaflent pour fe déclarer : c'étoit le parti des indiiferens.  bes Prq vin ces-Unies. 9* Guillaume III, no/W général, jure Tobfervation de Védit perpétuel. La république avoit pourvu a ce qui regardoit la mer, oü Ruiter étoit en état de réfifter aux Anglois 8c aux Francois. Comme il n'y avoit que le prince d'Orange , a qui Ton put confier 1'armee qu'il falloit oppofer a la France, tant, paree qu il promettoit déja beaucoup, que paree qu'on etoit afluré qu'il ne livreroit le pays , ni aux Francois , ni aux Anglois , tout le peuple le nomma pour général, 8c le parti républicain fe voyant oblige de plier , fe trouva bientót comme forcé de joindre fon fuffrage a celui de la plus grande partie de la nation : c'eft ce qui fut exécuté le 15 févner par les Etats-Cénéraux. Après que le prince eut juré 1'obfervation de 1'édit perpétuel dont on vient de parler , 1'inftrudtion ayant été lue au prince , il prètale ferment en qualité de capitaine général des armées des Etats- Cénéraux , par mer & par terre. Tel étoit 1'état de la république , lorfque Louis XiV , jeune prince , qui aimoit la gloire & 1'éclat, publia le 6 avril, fa déclaration de guerre contre les Hollandois. Dejfeins de Louis XIV. Louis XIV vouloit fe venger d'une maniere éclatante fur la Hollande , paree qu'elle avoit eu ci-devant la plus grande parta la triple alliance. Pour y réufllr , il fe propofa de déterminer 1'Angleterre -a rompre les engagemens qu'elle avoit  l)t Tableau historiqub contraftés avec cette république. Sous prétexte de vifiter fes conquêtes, le roi fe tranfporta dans ?S aVÊC t0ute fa cour> & fournit a la duchefie dOrleansl'occafion de paneren Angleterre , pour voir fon frere Charles II , ou plutót pour negocier un traité avec ce prince. Charles oonnoit alors toute fa confiance a Clifford Ashley , Buckingham , Arlington 8c Lauderdale , ÖC le public nommoit Cabak , le confeil compofé de ces nuruftres , paree que les lettres initiales de ces cinq noms forment le mot de Cabal ; les vues de la cabale autant qu'on en peut juger par la condutte de ces cinq miniftres , étoit de rendre Ie rot tout-a-fait indépendant du parlement. £our y reuffir, on propofoit une alliance avec la france contre la Hollande, paree que fous le pretexte de la guerre , U feroit facile de lever 8c dentretemr un corps de troupes dans Ie royaume , yivj Pourroit encore obtenir de Louis A1V, des fecours pour foumettre fes fujets rebelles. Ce projet étoit aflêz mal concerté : il étoit a prefumer, que fi le roi de France s'y prêtoit, ce feroit moins pour rendre Charles abfolu , que pour faire naitre des troubles en Angleterre. De pareilles vues s'accordoient néanmoins avec le caraaere de Charles, quel'économie des communes laiffoit dans 1'indigence , 8c qui ne pouvoit pas prendre fur lui d'avoir une confiance entiere pour fes peuples. Telles étoient les difpolitions, oü Ja duchelfe d'OrJéans trouva fon frere : il lui fut donc aifé de fortir de fa négociation avec fuccès. Elle lui laiffa, pour n.aintenir 1'alliance entre lei daix  hes Prövixces-Unies. 93 couronnes , une demoifelle de fa fuite , dont U devint amoureux , Sc qui a été connue fous le titre de duchefe de Porfimouth. Déclaration de guerre des deux rois , de Louis XIV & de Charles II, a la Hollande. Les deux rois déclarerent la guerre aux Provinces - Unies. Comme ils n'avoient pas de raifons folides , ils employerent les prétextes les plus frivoles. Ils fe plaignirent de quelques médailles Sc de quelques peintures injurieufes a leurs majeftés : ils auroient mieux fait de ne pas publier des déclarations qui ne faifoient que dévoiler d'avantage leur injuftice. Charles eut en particulier la mortification de perdre toute la confiance de fon peuple ; car dans la vue de trouver plus de facilité dans fon parlement, il avoit feint de vouloir refter fidele au traité de la triple alliance , 8c ce motif lui avoit fait obtenir des fubfides confidérables ; mais les Anglois qui voyoient avec chagrin que ces fubfides étoient deftinés a remplir les vues de la France , ne lui pardonnoient pas d'avoir employé la mauvaife foi, pour facrifier plus fürement les intéréts de la nation. Les Provinces - Unies cultivoient le commerce Sc la marine , 8c dans la fécurité oü les laifioient la paix avec 1'Efpagne , Sc leur alliance avec la France \ elles avoient licencié la plus grande partie des troupes de terre , Sc négligé d'entretenir la difcipiine dans celles qui leur reftoient. Jaloufes de leur liberté , elles avoient fur-tout congédié un grand nombre d'officiers expérimen-  94 Tableau xisi^orique tés, qui paroiifoient trop attachés a Ja maifon d Urange. Elles n'eurent pour défenfe que quelques troupes levées a la hate , avec lefquelles on ne pouvoit ni tenir la campagne , ni mettre des garnifons fuffifantes dans les places. Conquêtes de Loms XIV , & troubles qu'elles caufent en Hollande. Contre un pays fi mal défendu , Louis XIV qui avoit engagé dans fon alliance levêque de Munfter & 1 elefteur de Cologne , marcha a la tete de cent foixante - dix - fept milles hommes. Or^i , Wefel, Rinnberg fubirent bientót le joug du vainqueur. Après ces premiers exploits , on apporta au roi de tous cótés les clefs des places. Des gouverneurs fans expérience , fans courage, eurent la lacheté d'abandonner leurs poftes , & de fe fauyer dans des barques avec leurs families epouvantées. Louis XIV s'avanca de la forte jufquauprès de Tolhuis : fes troupes y paflerent Je Rhin Ie 12 de juin : a cette nouvelle , le prince d'Orange abandonna les bords de 1'IifeJ. Arnheim fe rend , Daesbourg luit fon exemple , Ie fort de Schenqk n'attend pas 1'ouverture de la tranchée Utrecht envoie aufli-tót fes clefs, Woerden pris \ Maerden emporté , tout cede a la rapidité du torrenr. Amfterdam commence a trembler, elle fonge méme déja a faire fa capitulation , mais par la vigueur de MM. Hafielaer , Hooft , Walkencer , I ulp & de quelques autres magiftrats, elle évite de tomber fous le joug._ Louis XIV prit dans peu de mois plus de quarante villes fortifiées Sc  des Provinces-Unies. 95 envahit les provinces de Gueldres , d'Utrecht 8C d'Over-Iffel. Divifipn dans la république. A tant de malheurs rapides , fe joignit la défunion parmi les chefs de la république. Les uns demandoient la paix, 8c point de Stadhouder ■■, les autres dévoués au prince d'Orange , vouloient qu'on lui accordat les mêmes privileges qu'avoient eus fes prédéceffeurs. A Dordrecht, on arbora fur une tour de la ville deux étendards , dont 1'un étoit orangé, 8c marquoit le parti du prince d'Orange ; 1'autre étoit blanc , 8c défignoit le parti des freres de Wit, nom qui fignifie le blanc. On y attacha un écriteau avec deux vers hollandois , dont le fens étoit. « Qu'Orange ait le delfus, 8c de Wit » le detfous: Que la foudre écrafe ceux qui font » d'un autre fentiment. » Guillaume III déclaré Stadhouder. Guillaume III, que la république avoit mis a la tête des troupes , s'étoit retiré dans la province de Hollande , mettant toute fa relfource dans la force naturelle du pays. II fe rend a Dordrecht 8c y eft déclaré Stadhouder, la plupart des autres villes fuivirent 1'exemple de celle de Dordrecht. Les états de Hollande affemblés le 3 juillet, commencerent par révoquer Yédit perpétuel, 8c drefferent le même jour un adfe , par lequel ils conférerent au prince d'Orange la dignité de Stadhouder de Hollande 8c de Weft-Frife , avec celle de capitaine 8c d'amiral général de la même  96 Tableau ristorique- province. Le 8 du même mois, le prince fut inftallé dans 1'emploi de Stadhouder. Dans 1'alfemblée des Etats Genéraux , 8c le jour fuivant, il fit Je ferment ordinaire dans lailèmblée des états de Hollande. MaJJacre des freres de Wit. Les freres de Wit, a qui 1'on imputoit tous les malheurs de la république , devinrent fobjet de la haine publique. Corneille de Wit, grandbaillifde Putten, fut arrêté & mis en prifon. Jean de Wit, penfionnaire de Hollande, s'étant rendu dans la pnfon pour en tirer fon frere, qui venoit d'être condamné au bannifl'ement , ils furent 1'un Sc 1'autre maffacrés a la Haye, le 20 d'augufte , par la populace , qui exerca fur leurs corps des cruautés inouies. Le prince n'eüt aucune part a cette aéfion, 8c il n'en paria même jamais dans la fuite, qu'avec horreur 8c en la déteftant. . Tandis que Louis XIV pouffoit fes conquêtes jufqu'aux confins de la Hollande , le duc d'Orléans afliégeoit Zutphen, qu'il Prit en moins de huit jours. Nimegue fe rendit au vicomte de Turenne, 8c fa prife fut fuivie de celle de Grave 8c de Creve-Cceur. Le duc de Luxembourg, ayant joint 1'évêque de Munfter , eut aufli d'heureux fuccès. Le prince d'Orange ne réuflit pas au fiege de Weerden qu'il avoit formé, les Francois 1'attaquerent, le défirent 8c 1'obligerent de fe retirer Après cette défaite , il va en Flandre joindre les Efpagnols , 8c leur propofe de mettre le fiege devant Charleroi, cette ville eft inveftie 3 mais a 1'approche  bes Provin ces-U'n ie s. 97 ï'approche des Francois, les Efpagnols fe retirerent avec précipitation. L'éleéteur de Brandebourg s'étant mis en campagne pour fecourir les Hollandois, Turenne lui coupa le chemin dans la Weftphalie, le repouffa dans fon pays 8c l'obligea a demander la paix qu'il rompit 1'année fin-, vante. Le défefpoir fit prendre un nouvel effor\~a 1'amour de la liberté : les chofes changerent de face. L'an 1673 , Rapenhaupt, gouverneur de Groningue, qui avoit obligé les évêques de Munfter 8c de Cologne a lever le fiege de cette ville, reprend la plupart des places qu'ils avoient prifes 1'année précédente. Le prince d'Orange ayant pris Noerden le 12 feptembre , Rhinsberg 8c d'autres places , les Francois furent obligés d'abandonner prefque toutes les conquêtes qu'ils avoient faites en Hollande. Cependant Louis XIV prend, le 30 juin, Maëftricht , oü commandoit Farjan , officier d'une expérience confommée. L'empereur fe déclaré ouvertement contre la France, 8c entraine dans fon parti la plupart des prlnces d'Allemagne : le duc de Baviere 8c celui de Hannovre refterent neutres. Les éclufes étoient ouvertes : le pays étoit inondé : la mer formoit une barrière a 1'ennemi. L'Empereur avoit d'abord vu fans inquiétude les préparatifs de Louis XIV contre les ProvincesUnies: il avoit promis de ne leur point donner de fecours : il defiroit même 1'humiliation de cette république 3 8c plufieurs autres puiffances d'Allemagne avoient auffi adopté cette politique aveugle» Tome I. G  98 Tableau histoaique II ouvrir enfin les yeux , Iorfqu'il confidéra qu'après la conquête de la Hollande , les Pays-Bas Efpagnols feroient menacés, il fit une ligue avec le roi d'Efpagne, 1'éleéteur de Brandebourg 8c les États - Généraux. Louis XlV fut obligé d'évacuer plufieurs des places conquifes ; mais le parlement d'Angleterre étoit 1'allié fur lequel les Hollandois poüvoient le plus compter : il commencoit a föupconner les defleins de la cabale. Charles . connut qu'il n'obtiendroit rien pour une guerre que les communes défapprouveroient : il frémit en voyant les fuites d'un mécontentement qui fe montroit déja , & fit fa paix avec les ÉtatsGénéraux. L'éledfeur de Cologne 8c 1'évêque de Munfter furent auiïi contraints de prendre le même parti 3 8c les princes cfAllemagne, qui avoient été neutres jufqu'alors , fe déclarerent encore pour 1'Empereur. C'eft ainfi que la France perdoit fes alliés, fe faifoit des ennemis , 8c fè voyoit réduite a faire face de tous cótés. Le roi de Suède, qui avoit abandonné les vues de la triple alliance , reftoit feul a Louis XIV 3 mais il ne pouvoit lui donner aucun fecours, paree qu'il entra en guerre avec le Danemarck. Dans cette conjedture , les Francois furent obligés de changer d'objet: ils abandonnerent les Provinces-Unies, 8c de tant de conquêtes, ils ne purent conferver que Grave 8c Maëftricht. Leurs efforts fe porterenr fur les Pays-Bas 8c fur le Rhin : ils conquirent la Franche-Comté 8c plufieurs places en Flandre, 8c ils pénétrerent dans le Palatinat. Cependant la guerre fe faifoit auffi  des Provinces-Unies. 99 en Danemarck , en Suède, für la mer Baltique , fur 1'Océan, fur la Méditerranée, fur les frontieres d'Efpagne Sc en Sicile , oü la France donna des fecours aux Mefïinois, qui s'étoient révoltés contre les Efpagnols. C'eft ainfi que la république de Hollande vit tout-a-coup le danger s'éloigner d'elle : les autres puiffances avoient armé pour la fecourir elle-même. Les Hollandois s'étant fignalés fur mer , Sc le parlement d'Angleterre ayant concu de Ja jaloufie des grands progrès de la France , il fe fit, le 19 février 1674, une paix féparée entre la Hollande Sc 1'Angleterre. Louis XIV, qui s'étoit déja emparé de la Franche-Comté, mais qui 1'avoit rendue par le traité d'Aix-la-Chapelle , s'en rend encore maitre cette année. Expéditions & mort de Turenne. Turenne remporte , le 16 juin, quelqu'avantage a Seintzelm. L'acfion la plus mémorable de cette campagne, eft la bataille de Senne, entre les Francois, commandés par le prince de Condé, Sc les troupes de 1'Empire jointes a celles d'Efpagne Sc des Etats. Le prince d'Orange s'empare de Grave le 18 d'odfobre, après avoir perdu a ce fiege beaucoup de monde. Turenne , a la tête de vingt mille hommes , chaffe cinquame mille hommes des confédérés de tous leurs poftes, Sf, les oblige de repaffer Ie Rhin en défordre. G 2  i©o Tableau historique I<575- L'an 1675, Louis XIV prend Dinand , Huy, Condé Sc Bouehain. Turenne eft emporté d'un coup de canon le 27 juillet, proche de Salsbach, lorfqu'd alloit fur une hauteur , fur le point de donner bataille, 1670". Les Etats font, l'an 1676 , une ligue avec le Danemarck , 1'éleéfeur de Brandebourg 8c les princes de Lunebourg , contre la Suède. Ruiter eft blefle dans un combat fur les cötes de la Sicile , 8c meurt peu de jours après. La ville d'Aire eft prife par le maréchal d'Humieres le 3 1 juillet. Le prince d'Orange , qui avoit afliégé Maëftricht, eft obligé de fe retirer a 1'approche du maréchal Schoenberg. Tromp bat la flotte de Suède , la pourfuit 8c la force de fe fauver dans fes ports. 1677. Le premier de mars 1677 , le roi de France met le fiege devant Valenciennes , 8c emporte cette ville d'affaut le 17 du même mois. Le prince d'Orange voulant fecourir Saint-Omer, qui étoit affiégé par le duc d'Orléans, les Francois vont a fa rencontre 8c défont fon armée prés de MontCaffel. Cambrai Sc Saint-Omer tombent enfuite au pouvoir des Francois. Le prince d'Orange leve le fiege de Charleroi. Les Francois terminent cette campagne par le fiege de Saint-Guillain, dont ik fe rendent mal tres le 19 décembre.  jt>es Provinces-Unies. ïst 1678. Cette guerre finit l'an 1678 , par le traité de Nimegue , dont Louis XIV didta les conditions. Si cette guerre ne fut pas glorieufe pour ce nlonarque par les motifs qui la lui firent entreprendre, elle le fut du moins par le fuccès de fes généraux. Le miniftere Francois fut divifer les ennemis, oü plutot profiter de leur peu de concert. Les EtatsGénéraux , auxquels on rendoit Maëftricht , la feule, place qu'ils n'avoient pas recouvrée , déclarerent a leurs alliés, que s'ils n'acceptoient pas les conditions que Louis XIV leur offroit , ils fefoient leur paix féparément: Sc en effet, ils la fignerent le 10 d'augufte. Le traité affuroit a la France , la Franche - Comté , Cambrai, Aire , Saint - Omer , Valenciennes , Tournai , Ypres , Bouchain , Caffel , &c. 11 ne reftituoit a 1'Efpagne que Charleroi , Courtrai , Oudenarde, Ath, Gand , le pays de Limbourg, qui ayöient été donnés a la France par le traité d'Aix-laChapelle : enfin , il obligeoit le roi de Danemarck Sc l'éle&eur de Brandebourg a rendre tout ce qu'ils avoient enlevé a la Suède. Les puiiïances intéreffées fe plaignirent de la Hollande, qui, en les abandonnant, s'unhfoit encore a Louis XIV pour leur faire la loi. Toutes, cependant, les unes après les autres , accepterent les conditions qu'on leur prèfcrivoit, 1'Efpagne le 17 feptembre ƒ6783 Sc dans 1'année fuivante , 1'empereur le 5 février; 1'élecfeur de Brandebourg le 29 juin 3 Sc le roi de Danemarck le 2 feptembre. G3  iel Ta sr e a v historiqve Caufes des fuccès de Louis XIV. Il faut attribuer les fuccès de la France, dans cette guerre 8c dans cette négociation , a la fupénonté de fes généraux, a la foibleffe de chacun de fes ennemis en particulier, 8c au peu de concert de toutes les puiifances confédérées. L'Efpagne, aufli foible par 1'ufage qu'elle faifoit de fes forces que paree qu'elle en avoit peu , étoit dans HmpuuTanCe de défendre tout-a-la-fbis les Pays - Bas 8c fa frontiere du cöté des Pyrénées 3 cependant elle avoit encore k rétablir fon autorité dans Ia Sicile, oü les MeiTinois s'étoient révoltés. Les Hongrois, toujours opprimés, faifoient une diverfion , 8c mettoient 1'Enipereur hors d'état d'agir yigoureufement contre la France. Les princes de 1'Empire s'embarralfoient mutwellement : les uns ne s'étoient pas déclarés encore, les autres avoient pris un parti fans avoir de plan arrêté: or, la force d'une confédérarion ne confifte pas dans le nombre des alliés: il faut un chef qui ait aflez de talens pour en diriger les mouvemens, 8c qui parohTe avoir aflez d'expérience pour mériter Ia confiance de tous les membres. Guillaume III étoit le feul qui eüt les talens néceffaires 3 mais, trop jeune encore , il ne pouvoit pas prendre aflez d'autorité. II effuya des contradiöions de la part de la république : les gouverneurs des Pays-Bas n'entrerent pas dans fes vues: les princes d'AUemagne rompirent fouvent fes mefures , 8c il paroit même avoir été quelquefois trahi. II levoit des fieges, il perdoit des batailles 3 néanmoins les  DES P RVV 1$ CES-U N IE S. 133 contradiétions, les trahifons, les revers, rien ne pouvoit 1'abattre : fon courage lui reftoit, & ce courage fufcita dans la fuite bien des affaires a la France. L'Angleterre auroit balancé la puiffance de la maifon de Bourbon, li Charles neut pas eu d'autres vues que celles de fon parlement 3 mais pour avoir abandonné la France , il ne s'étoit pas joint aux confédérés. Il pouvoit au moins être 1'arbitre de 1'Europe 3 il pouvoit prefcrire les conditions de paix : fa médiation avoit même été acceptée , cependant il ne voulut jamais tirer avantage d'une conjonéture aufTi favorable , quoiqüe les communes , inquietes des progrès de Louis XIV , 1'invkaffent a prendre les armes 5c lui fiffent quelquefois des remontrances d'un ton a lui donner de 1'inquiétude. II ne voyoit de toutes parts que des fujets de crainte : il fe méfioit des communes , comme elles fe méfioient de lui 3 il n'ofoit pas non plus fe rendre *a leurs inftances, ^ paree qu'il appréhendoit qu'après l'avoir engagé dans une grande guerre, elles ne profkaffent de fes befoins pour 1'obliger au fervice de quelque partie de fa prérogative. C'eft ainfi qu'après avoir perdu la confiance de fes peuples, il ne croyoit plus leur pouvoir donner la fienne; 8c dans cette pojkion , il étoit incapable de prendre un parti: d'aiüeurs, s'il fe déciaroit ouvertement pour les confédérés , il renoncoit aux fecours qu'il attendoit de la France pour atfurer fon autorité , & s'il fe déciaroit pour Louis XIV, il foulevoit le parlement &. la nation: cette incertitude parut dans la conduite qu'il tint comme médnteur. Toujours flottant entre la G4  io4 Tableau iiisTORiQuz crainte 8c la fermeté , il agit avec une hauteur qui fervit la France peut-être plus utilement cue Sil eut pris les armes pour lui 3 car , dans ce cas, li n eut point obtenu de fubfides , il n'eüt donc pu donner aucun fecours, Sc ij eut été fans doute bien embarrafie. L'état de 1'Angleterre étant auffi favorable a 1'aggrandiifement de la France : es Provinces-Lnies, qui voyoient la foiblefie 8c le peu de concert des confédérés , ne furent plus fenfibles qu aux depenfes que la guerre entrainoit, & aux pertcs qu'elles faifoient tous Jes jours par la ruïne de leur commerce 3 elles abandonnerent donc des aüiés fur lefquels elles ne pouvoient plus compter, dou il eft aifé de voir que Louis XIV reuiïit moins par fes propres forces, que paree que fes ennerrus ne furent pas fe réunir : il auroit pu fuccomber, fi un chef habile eut été 1'ame de la confederatjon. La gloriole de Louis XIV netoit donc qu'un épouvantail 3 mais eet épouvantail pouvoit réunir encore les ennemis de ia france 8c leur apprendre a fe mieux concerter. Voila pourquoi il ne négligea rien pour diftiper les alarmes que le prince d'Orange s'émdioit a repandre. On vient de voir que Ia rapidité des conquêtes cle Loms XIV avoit jeté Ia confternation en Hollande , 8c comme Guillaume III fut habilement fe prevaloir de la terreur des Hollandois pour fe faire reftituer i'autonté que fes ancêtres avoient polieuee : on vient de voir quel fut le fuccè* de «ette guerra oü Guillaume, tout jeune qu'il étoit, ^U011ue mca , ne laifla pas de fe  des Provinces-Unie s. i©5 comporter en grand capitaine 8c de fe fignaler dans une infinité d'occafions. L'élévation de Guillaume , fon génie , fes talens, fon grand pouvoir, le rendirent 1'ame 8t 1'arbitre de 1'Europe. La France étoit parvenue au plus haut degré de puiffance oü on 1'eüt jamais vue. Guillaume chercha a 1'affoiblir & fculeva contr'elle tous les plus grands monarques , & fut le centre oü fe réunirent toutes le.s haines contre la France. II vint a bout de faire ligner a Augsbourg, au mois de juillet i68ó, une ligue entre 1'Empcreur, la plupart des princes d'Aliemagne, le roi d'Efpagne Sc les EtatsGénéraux. On ne peut fe diiïimuler que l'élévation du prince d'Orange , a la dignité de Stadhouder des Province-Unies , n'ait beaucoup contribué a écarter tous les maux dont la république étoit menacée. L'invafion des troupes Francoifës donna lieu a leledfion de ce prince , & la paix dont la Hollande a joui dans la fuite, fut un des fruits préeieux de cette même éledfion. 1677. Mariage de Guillaume III. Mais le plus grand événement de la vie de Guillaume 111, c'eft la révolution qui le placa fur le tröne de Ia Grande - Bretagne. Ce prince avoit époufé, le 17 novembre 1677 , la princefte Marie, fille ainée du duc d'Yorck, devenu roi d'Angleterre fous le nom de Jacques II. Après la mort de fon frere Charles II , arrivée le 16 février 1685 , Jacques ayant entrepris de changer la religion Sc  io6 Tableau sistorique les loix de fes royaumes, révolta les Anglois qui firent une ligue pour aifurer leur liberté 8c leurs privileges, lis appellerent a leur fecours le prince d Orange , neveu 8c gendre du roi, 8c fe préparerent a le recevoir fans que la cour en eüt aucun foupcon. Détails. Cette anecdote eft trop frappante pour ne pas entrer dans quelques détails. ( A cette époque les Provinces - Unies étoient epuifées , 8c la France foutenoit fes entreprifes fans craindre la ligue de Luxembourg. Les EtatsGénéraux ayant voulu rétablir la paix , ne trouverent d'autre moyen que de propofer une trève de vingt ans, pendant laquelle Louis XIV conferveroit tout ce qu'il avoit acquis depuis la pacification de Nimegue : elle fut acceptée. Les Anglois ne fe mêloient point alors du refte de 1'f.nrope, ils étoient occupés d'une prétendue confpiration dont on accufoit les Jéfuites. Le pape, dit-on, ayant déclaré que 1'Angleterre , 1'Ecofle Sc lïrlande lui étoient dévolues , par l'héréfïe du prince 8c des peuples , avoit tranfporté tous fes droits a Ia fociété des Jéfuites, qui fe propofuit d'affaiïiner le roi Sc de prendre poffemon de fes trois royaumes. Comme les papes n'ont jamais fait que du mal, 8c que les Jéfuites étoient capables de tout, Sc que 1'aifamnat des rois, qu'üs foup5onnoient n'être pas dans leurs intéréts , avoit toujours été leur fyftéme favori , fyftême qui a haté leur deftruaion ; les circouftances du complot  DES PrOVINCES-U MIES. I07 paroiffoient d'autant plus vraifemblables , que les délateurs donnoient les preuves les moins équivoques ; c'etoit d'ailleurs des circonftances oü la feule ombre du papifme eifrayoit les Anglois : aufli les délateurs fe virent bientót fous la prote&ion du parlement, ils en obtinrent des gratifications 3 leurs dépofitions en eurent plus de poids, & la terreur devint fi générale , que douter c'eüt été fe rendre fufpea foi-même. Le roi fut obligé de paroitre approuver les mefures qu'on vouloit prendre contre une confpiration a laquelle il ne croyoit pas. Cependant , depuis quelques années, les proteftans d'Angleterre avoient de 1'inquiétude , & ce n'étoit pas fans fondement : on craignoit le duc d'Yorck. qui s'étoit convert-i, & qui s'étoit déclaré publiquement catholique , l'an 1671. Or, comme la converfion de 1'héritier préfomptif de la couronne flattoit les catholiques de 1'efpérance de détruire un jour les héréfies, elle ne pouvoit pas moins que répandre 1'alarme parmi les proteftans : ils voyoient avec frayeur que le papifme menacoit de reparoitre fous un nouveau regne 3 iis craignoient même qu'il ne fe hatat de faire des progrès fous Charles , qu'ils foupconnoient d'être dans les mêmes fentimens que fon frere 3 ils fondoient leurs foup9ons fur les liaifons que ce prince avoit avec la France, & fur les tentatives qu'il avoit fakes pour introduire une tolérance générale 3 car ils 1'accufoient de ne vouloir tolérer les non-conformiftes, qu'afin de procurer aux catholiques le libre exercice de leur religion : telles étoient alors en Angleterre les frayeurs des proteftans, quand on  IOS TABLEAU W1ST0RIQVE crut découvrir la confpiration des Jéfuites. Plufieurs arconftances avoient accru 1'épouvante. Le duc cl ïorek devenoit tous les jours plus odieux , 8c lelprit des communes paroiffoit fe préparer a la revolte , Iorfque le roi calfa le parlement: c'étoit neanmoins le même parlement qu'il avoit aflémblé Ie mois de mai 1661. Après avoir tenu des feflions a dwerfes repnfes , il finit. avec 1'année ió7g. Uiarles fe flattoit que la diflblution de ce corps, qui entretenoit les préventions du public , rétaWiroit un nouveau parlement, dont les membres* ieroientplus modérés. Cependant celui qu'il venoit de congédier, prefqu'enriérement compofé de royaJiftes, lui avoit d'abord été très-favorable • il en avoit enfuite perdu la confiance par fa faute. La converfion du duc d'Yorck avoit donné de nouvelles mquiétudes : la confpiration attribuée aux catholiques, avoit achevé d'aliéner les efprits, paree quon jugeoit que le gouvernement ne leur feroit que trop favorable. Enfin, 1'Ecofie, tout-a-fait iubjuguee , gemuToit fous 1'opprefiion des miniftres de Charles, 8c faifoit craindre un pareil fort aux Anglois. A la maniere dont fe firent les élcftions , Ie roi previt quel feroit 1'efprit du nouveau parlement. Les peuples , perfuadés que la religion, la liberté & il n'imaginoit pas que tous fes fujets fuffent au moment de fe révolter. D'un autre cóté , Guillaume , plus intéreffé que perfonne a la confervation des loix d'un royaume dont il étoit le plus proche héritier par la princeffe fon époufe , avoit acquiefcé aux prieres de la nation; & promis folemnellement de la défendre : bientót il ne diflimula plus : il publia un manifefte , dans lequel > après un grand détail des abus qui foulevoient le peuple contre le gouvernement de Jacques > il déciaroit qu'il ne fè propofoit de paffer en Angleterre avec une armée > qu'afin de convoquer un parlement libre , 8c de pourvoir a la füreté de la nation. II mit a la voile , avec une flotte de cinquante vaiifeaux, fur laquelle il avoit plus de quatorze mille hommes de troupes , Sc débarqua le 5 novembre a Torbay, accompagné des comtes "de Schrewsbury , de Maules - Field , du lord Mordant & de beaucoup de gentilshommes Anglois. Jacques abandonné, fe reiire en France. Les peuples commencent a fe déclarer pour Guillaume. Les officiers de l'armée royale croient ne pouvoir , en confcience , combattre contre le prince d'Orange , plufieurs défertent : le lord  «4 Tableau historiq^e ChurchiJJ, depuis duc de Malboroug, qui aVoit ne flTu H ^ ' ^ hï deV°k Prince cl : de ce nomh™ fut le prince Georges de Danemarck qui avoit éooufé EcSsA r' fi,JJe de jac^S M^L fe W3 ffT P™e"ante, ainfi que iwane ia iceur, abandonne encore fon pere Tou- mens & je malheureux monarque voit de toutes Pms des trahtfons qui fenvelopp'ent: ain/i la fidé ute , Ja reconnoillance , Ie fang , Ies devoirs aletlr 7ent.dfsP-enIons en SCe. ' ^ Sf» éd"We * **** /ƒ/, proclamêroi d'Angleterre. Jacques avoit craint le fort de fon pere • mais SnTftTl ét°ientbien d^rentrL W a mee fananque , pouflëe par un hypocrite am feSle P°UVOit-°n riCH aPP^enderade atS ï ^Une-natl°n qul 3V0il en horreur eet comSé iL^Pnnce,f! °fi^ge pouvoit - ij être compare 4 Cromwel , & devoit-on préfumer iTeutlteT fe frT M Pardl Chemin ™ II eut e e bien embarrane, fi Jacques ne s'étoit pas enfin : i, Je fontit, & y Jui fe^ ,« j£j tes moyens de s'évader. Comme il ne reftok Zs blé, ade.a?na"^ion, Je parlement, afiém ble au mois de janvier fuivant , déclara e ÏÏne vacant par Ia fuite de Jacques', rédul la pS  des Provin ces-Unies. 125 gative royale a de juftes bornes , détermina les privileges de la nation, & donna la couronne au prince d'Orange & a la princeffe Marie. Guillaume, devenu roi de la Grande-Bretagne , conferva fa charge de Stadhouder •, la révolution d'Angleterre donna de nouvelles forces a la ligue d'Augsbourg, a laquelle les Hollandois & les Anglois accéderent bientót après. Les confédérés fe propofoient de réduire la France aux termes des traités de Weftphalie & des Pyrénées, Sc d'aider la maifon d'Autriche dans le cas oü Charles II, roi d'Efpagne, mouroit fans héritiers, a fe mettre en poffeffion de la monarchie Efpagnole. Louis XIV , voyant 1'orage qui le menacoit , fitravager le Palatinat, le Wurtemberg Sc le Margraviat de Bade, pour mettre une barrière entre les Impériaux & lui: les campagnes furent ruinées, & on brüla prés de quarante villes 8t un grand nombre de villages. Si le confeil de Verfailles, qui ordonnoit de fang-froid ces incendies , ne fe crut pas cruel , paree qu'il les jugeoit néceffaires au falut du royaume , il pouvoit au moins fe reprocher la nécefïité oü il étoit de les commettre , puifqu'il avoit forcé tant d'ennemis a fe réunir contre la France. C'eft fur Louvois fur-tout que tombent ces reproches ■■, c'eft lui qui fut 1'auteur de ces ordres fanguinaires : il faut rendre juftice a Louis XIV , il en eut horreur dans la fuite : on croit que ce fut une des caufes qui 1'indifpoferent contre ce miniftre. La France, attaquée de toutes parts , porte fes armes tout-a-la-fois dans les Pays-Bas, fur  ii6 Tableau histqriqve Je Rhin , en Italië , en Efpagne Sc en Angieterre ; elje mettoi.t fa confiance dans des armées pombreufes 5c bien difciplinées, dans une marine puiflante , dans les fortifications de fes placesfrontieres, Sc dans les fuccès pafiês dont le fouvenir donnoit un nouveau courage aux foldats. Les confédérés comproient leurs forces , Sc fe flattoient de 1'accabler : ils ne prévoyoient pas que ces forces nombreufes n'agiroient jamais enlemble ; qu'elles s'affoibliroient par la lemeur qui accompagne toutes les opérations d'une ligue , Sc qu'elles fe diviferoient, paree que 1'intérêt particulier feroit oublier 1'intérêt général. L'Empereur, toujours en guerre avec les Turcs, avec lefquels il auroit pu Sc dü faire la guerre , ne donna que de foibles fecours a fes alliés. L'Efpagne, toujours epuifee , ne fongea qu'a fa défenfe , Sc fe défendit mal ; les princes de 1'Empire , fouvent divifés , concerterent mal leurs mefures, Léopold fit naitre des troubles en Allemagne , en voulant créer un neuvieme éleétorat en faveur du duc de Brunfwick-Lunebourg-Hanover , Sc les armées ne parurent guere fur le Rhin , que pour fe tenir fur la défenfive. Ce fut donc a Guillaume , roi d'Angleterre Sc Stadhouder de Hollande , a porter par - tout le faix de la guerre offenfive ; mais, habile a remuer 1'Europe jufqu'au moment oü elle prend^ les armes , il n'a plus la même habileté lorfqu'elle eft armée , ou du moins il cefie d'être heureux. Les Anglois méditerent la ruine de Ia France dont ils étoient jaloux: ils embraflerent avec pafnon la caufe cpmmune de 1'Europe ; il?  des Provinces-Unies. 117 furent de 1'enthoufiafme , comme ils en ont toujours eu 3 ils entreprirent témérairement, &C mal fecondés, ils fe conduifirent mal encore : tel eft en général le cara&ere des confédérations \ elles paroiflbient moins formidables , a proportion que les alliés font en plus grand nombre. Puifque Guillaume étoit 1'ame de la confédération, 8c que les Anglois devoient fournir les principales forces, il falloit, comme on a fait, entreprendre de rétablir Jacques fur le tróne, 8c faifant d'affez grands effbrts pour entretenir des troubles en Angleterre , mettre Guillaume hors d'état de fe mêler des affaires du continent , c'étoit 1'avis de Seignelai, peut-être paree qu'il étoit fecretaire de la marine, Louvois, qui avoit le département de la guerre , penfoit autrement, 8c fon avis prévalut. Le roi, embarraifé dans les projets de fes miniftres , qui avoient chacun des vues particulieres , ne démêla pas fes vrais intéréts. Pendant toute la guerre , an ne fit donc pour Jacques que de foibles ^ tentatives qui ne pouvoient réuflir j il eut été mieux de ne rien tenter 8c de menacer toujours : on ne pariera point ici de ces vaines entreprifes fur le royaume d'Angleterre , nous pafferons rapidement a la paix de Rifwich. L'an 1696 , on fit de part 8c d'autre de grands projets qu'on n'exécuta pas. Louis XIV, qui defiroit fincérement la paix, cherchoit depuis long-tems a détacher le duc de Savoie de la ligue d'Augsbourg: cette négociation réuflit. Enfin le duc confentit a une neutralité pour 1'Italie , 8c for^a les Efpagnols 8c les Allemands a 1'accepter : alors tous les confédérés,  i2g Tableau ïustorique excepté 1'Empereur Sc 1'Efpagne , fongerent è trailer avec la France. Les conferences fe tinrent l'anneefuivante a Rifwick fous la médiation du roi de ^uede ; la paix fut fignée avec 1'Angieterre , la Hollande & 1'Efpagne dans lemois de feptembre; Sc avec 1'Empereur Sc 1'Empire , dans le mok dodrobre; les traités de Weftphalie Sc de Nimègue fervirent de bafe a celui de Rifwick. La France reconnut le roi Guillaume pour légitime fouverain d'Angleterre, Sc promit de ne le troubler ni diredtementm indireaement ; elle reftitua a 1'Empereur , è 1'Empire Sc a 1'Efpagne, tout ce dont elle setoit faifie en vertu des arrêts des chambres de Metz Sc de Brifach; de plus a 1'Empire , le fort de Kehl ; a 1'Empereur, Brifach Sc Friboure: au roi d'Efpagne, Luxembourg, le comté de ^hiney , quantité de villes Sc de villages réums a la cour de France depuis le traité de Nimègue , Sc toutes les places prifes en Catalogne. Le duc de Lorraine , qui avoit été dépouillé , fut retabli, Sc le duc de Savoie acquit Pignerol, qui, depuis 1630, ouvroitfes états aux armées Francoifes. La guerre de 1'Empereur avec les Turcs font environunan après par le traité de Cariowitz dont le roi Guillaume fut le médiateur. Bientót' apres cette paix, la fucceffion d'Efpagne dortoa heu a une nouvelle guerre qui fur longue Sc fanglante , Sc dans laquelle Louis XIV fe vit autant humihe, qu'il avoit difté autrefois des loix avec hauteur. Cette guerre commencal'an 1701, Sc ne finn que par la paix faite a Utrecht l'an 173.8 Les memes principes de 1'équilibre, qui étoit Ie mobile  DES PrOVINCES-UnIES. IZ9 mobile de toutes les puiffances de 1'Europe, engagerent la Hollande a prendre parti contre la France dans cette guerre qui s'éleva pour la fuccelTion d'Efpagne. La paix qui s'enfuivit a Utrecht, donna a la Hollande une nouvelle barrière contre la France, fous la garantie de 1'Angleterre. Cette barrière fut déterminée par un traité fait l'an 1715 , entre 1'empereur Charles VI , 1'Angleterre Sc les États - Généraux. ün accorda a ces derniers , le droit de tenir garnifon dans les villes de Namur, Tournay , Menin , Furnes , Ypres Sc le fort de Knoque •■, 8c 1'Empereur s'engagea a contribuer, d'une certaine fomme par ans, a 1'entretien de ces garnifons. La Hollande s'épuifa dans cette guerre pour rendre fervice a fes alliés, Sc empêcher que la France ne fe rendit trop puilfante. Le roi Jacques étant mort a Saint-Gèrmain le 16 feptembre 1701, Louis XIV fit proclamer le prince de Galles, roi d'Angleterre, d'Ecofle Sc d'Irlande. Le traité de la grande alliance fut figné a la Haye le 17 du même mois, par Guillaume III , par les miniftres de 1'Empereur Sc ceux des Provinces-Unies. 1702. Mort de Guillaume III. A cette époque, tout étoit prêt pour 1'ouverture de la campagne, lorfque Guillaume tomba de cheval le 8 mars fur la route de Kenfington a Hamp^ ton court, Sc fe caffa la clavicule. Cette chüte , jointe a une fanté trés - foible , abrégea fes jours. Tornt L l  13© Tableau historiqvb II mourut le 19 a Kenllngton dans la cinquante^ deuxieme annéede fon age, &la quatorzieme depuis fon couronnement. On prétend que le feul regret qu'il parut avoir en mourant, fut de laiffer les Provinces - Unies expofées a 1'invalion de la France , 8c qu'en rendant 1'efprit, il pouffa fur elle un profond foupir. Remarques fur cc Prince. On a parlé de ce prince fort diverfement. II n'eft pas naturel de s'attendre que les catholiques outrés, haineux par principes de religion, en faffentl'éloge. Le dodfeur Burner a dit, que 1'abaiffement de la France étoit fa paflion favorite. Guillaume III eft le dernier prince de Naffau de la branche d'Orange : par fon teftament, il avoit inftitué fon héritier, Jean-Guillaume Frifon , Stadhouder héréditaire de Frife, 8c pere de 1'illuftre prince dont on va parler. Guillaume IV, fixieme Stadhouder. Guillaume-Charles-Henri Frison naquit pofthume le premier feptembre 1711, de Jean-GuilJaume Frifon, qui avoit eu le malheur de fe noyer le 4 juillet 17 n , en traverfant Ie Moerdyck , 8c de Marie - Louife , feconde fUIe de Charles landgrave de Heffe-Caffel. Généalogie de ce Prince. Guillaume IV defcendoit en droite ligne de Jean , dit 1'ainé ou le vieux , frere de Guillaume I, le fondateur 8c le premier Stadhouder de la  bes Provinces-Unie s. 131 république. Jean 1'ainé iuccéda aux grands biens que la maifon de Naffau poffédoit en Allemagne , Sc Guillaume fon frere, fuccéda a ceux qu'elle poffédoit dans les Pays-Bas. Guillaume , premier Stadhouder, forma la branche d'Orange, qui finit en Guillaume III , cinquieme Stadhouder Sc roi de la Grande - Bretagne , mort fans poftérité. Jean 1'ainé, comte de Naffau - Dillimbourg , eut un grand nombre d'enfans, dont quatre garcons partagerent entr'eux les états de la maifon de Nalfau en Allemagne , oü ils formerent les quatre branches fuivantes : 1 °. De Naffau-Siégen, éteinte l'an 1743 : 20. De Naffau-Dillimbourg , éteinte l'an 1724: 30. De NafTau-Dietz: 40. De Naffau-Hadamar, éteinte l'an 1739 : enforte que ces trois branches , Siégen , Dillimbourg 8c Hadamar fe trouvent a préfent réunies a celle de Naffau-Dietz , qui a aujourd'hui pour chef fon altelfe féréniffime le prince d'Orange , Stadhouder de la république. Erneft Cafimir , troifieme fils de Jean 1'ainé , fut élu Stadhouder de Frife , de Groningue , des Ommelandes & de Drente, l'an 161.0. Ce prince ayant été tué a 1'attaque de Ruremonde le 5 juin 1Ó32 , eut pour fucceffeur Guillaume-Fréderic fon frere , mort le 21 décembre 1664 , d'une bleffure qu'il s'étoit faite en maniant une arme a feu. Henri-Cafimir, fils de Guillaume-Fréderic^ mourut le 25 mars 169Ó, Sc eut entr'autres enfans , Jean - Guillaume Frifon , né le 4 augufte 1687 , mort le 4 juillet 1711 , 8c laiffant la princeffe fon époufe enceinte de GuillaumeCharles - Henri Frifon, né le 1 feptembre 1711, li  132 Tableau h i s t o ri qv s. Depuis 1'époque de la fucceflion d'Efpagne , Ia Hollande a joui alfez rranquillement des avantages de la paix jufqu'a 1'année 1747 , que Louis XIV entra hoftillement fur le territoire de la république, pour 1'obliger de refter neutre dans la guerre qu'il avoit déclarée a la reine de Hongrie , Sc au roi d'Angleterre. Toute la Flandre Hollandoife tomba bientót fous le joug des Francois. Berg-Op-Zoom Sc fes forts, Maëftricht étoient pris , Sc la Hollande , ouverte de toutes parts , couroit rifque de devenir la proie du vainqueur , lorfque les traités de paix entre les puhTances belligérantes furent conclu a Aix - la - Chapelle le 18 décembre 1748. Deux fois la république en général , Sc cinq provinces en particulier , ont été gouvernées fans Stadhouder. La i«e fois, après la mort de Guillaume II; la feconde fois, après la mort de Guillaume III, roi d'Angleterre: c'eft le danger auquel elle s'efttrouvée expofée pendant ces deux interregnes, qui a porté les peuples a demander un chef, lorfqu'en 1672 les Francois tomberent comme un torrent impétueux fur les Provinces-Unies , Sc que la république fe vit en danger d'être envahie , on demanda par - tout un Stadhouder. Guillaume III fut mis a la tête des armées , Sc les de Wigt, ennemis de la maifon d'Orange , que 1'on croyoit d'intelligence avec la France , furent facrifiés a la vengeance Sc a la fureur du peuple. Le fecond interregne , a fini précifément de la même maniere, Sc avec les mêmes circonftances que le premier. Les troupes de Louis XV étoient a peine enwéés fur le territoire de la république, qu'il fe fait^  bes Provinces-Umies. iff «fans toute la Hollande , une rëvolution étonnante. Les peuples allarmés 5c eftïayés du danger qui les menace , & d'ailleurs déja mécontens du gouvernement , demandent avec inftance un Stadhouder, 8c dans un efpace de tems très-court , toutes les provinces déclarent fucceflïvement Guillaume IV , Stadhouder , amiral Sc capitaine général Uniformité dansfon êkclion. Jamais changement ne Fut plus rapide } mille appofition de la part de ceux qui avoient en'mam toute 1'autorité , s'ils murmurent, c'eft en fecret; les plus mécontens, même frappés du coup qui les étourdit, font emportés malgré eux dans le tourbillon ; la cocarde jaune au chapeau , un ruban de la même couleur a la boutonniere , tous crient avec allégrefle 8c d'une voix unanime, vive Orange. Le projet ne paroit point avoir été formé ni par le prince , ni par aucun de fes partifans. La pree miere caufe de l'éle&ion de Guillaume IV , c'eft d'un cöté, la terreur répandue dans toute la Zélande par 1'invafion fubite des Francois, 8c de 1'autre, la bonne volonté des habitans pour un prince que les vceux de la nation mettoient déja a la tête de la république. Voici comme la chofe arriva. 1,747, LAnuit du 24 au 25 d'avril 1747 > quelques bourgeois de Wéere en Zélande, après s'être entretenus du danger éminent qui les menacoit , pro/ poferent a leurs officiers, fi , dans une fimation fi «ritique , il ne conviendroit pas d'appeller a leur I 3  134 Taszeav ttisToniQVE fecours Je prince d'Orange , en le nommant Stadhouder , capitaine Sc amiral général de Zélande. Les officiers goütent cette propofition 8c fe char'. gent de la faire goüter a leur tour au magiftrat. Lette même nuk ils vont trouver le bourg-maitre Huyften , 8c lui font part de ce qui fe paffe. Huyffen , fans perdre de tems , aflemble le magiftrat • on déhbere, le prince eft élu Stadhouder d'une voix unanime de la part de la ville, 8c cette grande nouvelle annoncée au peuple par la bouche du bourg-maitre Verelft , eft recue avec des acclamations Sc des cris de joie qu'il eft difficile d'exprinier, Le même jour Ie prince eft élu dans 1'aflemblee des états de Zélande , 8c on le proclame fucceffivement, 8c en très-peu de tems, dans toutes les fept provinces. Guillaume IV, proclamé h Amflerdam. Cette grande opération fe fit Ie ï de mai a Amfterdam. Jamais fête ne fut célébrée avec plus de pompe 8c de magnificence ; tous les vaifleaux du port étoient ornés de pavillons, de flammes 8c de banderoles : on rira le canon , il y eut des feux d amfice , desilluminations qui offroient par-tout i ;e£facle charmant: Ja joie étoit peinte fur tous J -5 vtfages. Un peuple nombreux , répandue dans toutès les rues, 8c fur les quais, ne ceflbit de crier avec une efpece de tranfport, vive Orange. ' Guillaume IV, proclamé a la Haye, Lorsqü'on eut appris a la Haye ce qui s'étoit pafte en Zélande, 8c enfuite a Roterdam , oü le  bes Pkbvinces-Unies. 135 prince avoit été proclamé le 2.9 avril :1e peuple s'atrroupa Sc vint fe raifembler devant la cour , demandant avec inftance qu'on procédat a fèfedion; la fermentation fut grande, 8c il étoit a craindre qu'elle ne devint funefte. Le comte de Bétinck , feigneur de Rhoon 8c de Pendrecht, calma les efprits fort agités 5 ce feigneur étoit adoré des habitans 8c avoit gagné 8c mérité leur confiance 8c celle de tous les bien-intentionnés par fon amour pour le bien de la patrie, par fon zele ardent pour les intéréts du prince. Entendant les cris redoublés de la multitude , il fort de 1'aifemblée , fe préfente au peuple , 1'exhorte a fe tranquillifer , 8c luidonne les plus fortes aflurances de voir bientót fes vceux accomplis: il fut fecondé dansun moment fi critique , par le baron de Wail'enaer , feigneur de Doveren, 8c grand baillif de la Haye. Pour ne laifler aucun doute fur les bonnes intentions oü étoit l'aflêmblée , on arbora deux étendards d'Orange , 1'un devant la maifon-de-ville , 1'autre aux fenêtres de la cour : a cette vue, le peuple déja rafiuré par les vives exhortations de MM. de Bétinek 8c de Waflenaer , jette des cris de joie , 8c donne mille marqués non-équivoques de fa parfaite fatisfadfion ; 1'élecfion fut fixée pour le 3 de mai , 8c elle fe fit ce jour-la de la maniere la plus folemnelle , 8c avec une ardeur & un éclat dont 1'hiftoire fournit peu d'exemples. Comment ce Prince recoit Ia nouvelle de fon éleclion. Le prince étoit a Leuwarde , dans 1'affemblée 14  ï$6 TABLEAV H 1 S T O Rl B des États , Iorfqu'un meffager , dépêche par Wérellï, vim annoncer a la princeffe royale fon époufe, i'agreable nouvelle de fon éle&ion qui venoit de fe faire a Wéere en Zélande. N'y a-t-il pas eu de fang repandu ? Non , répondit la princeire , Dieu foit loué, réphqua ce bon prince : Quelle nouvelle dans les circonflances oh nous fommes , que cette place eft au-deffus de mes forces ! Mais c'eft Dieu qui m'y appelle , il tn'y foutiendra. Tout ce que nous pojfédons , ajouta-t-il , en embrajfant fon augufte époufe , eft dès-a-préfent aux peuples qui nous donnent leur confiance je la mérite par la droiture de mes intentions autant que par le nom que je por te ; mes amis m'aideront a y répondre par leurs confeils, 6c toutes les honnêtes gens par leurs prieres. Départ du Prince. Son Alteffc Séréniflime partit de Leuwarde le £ mai, avec la princeffe royale fon époufe, 6cla princeffe Caroline leur rille ; ils arriverent le 11 a Amfterdam oü leurs Alteffe furent regues des habitans de cette grande ville avec des acclamations de Joie qu'il feroit difficile d'exprimer. Leurs Alteffes partirent pour la Haye , oü elles arriverent 1'aprèsSnidi aux acclamations réiterées d'une grande partie des habitans qui étoit allé a leur rencontre. Le prince fut inftaJlé Je 13 en qualité de Stadhouder, 8c le 17 , il partit pour la Zélande. Néceffaé de fon éleclion. ^ Le rétabliffement de la dignité de Stadhouder «ou néceffaire dans 1'état critique oü fe trouvoit  pss Profinces-Unies. 137 alors la république. Lorfque les bourgeois de Wéere engagerent leur régence a choifir pour Stadhouder de leur province , Guillaume IV , rejetons des fondateurs de leur liberté , ils alléguerent pour raifon, « que toutes les fois que la répu» blique s'étoit trouvée fur le bord de fa ruïne » totale, elle n'en avoit été fauvée que par 1'élecr » tion d'un Stadhouder de la maifon d'Orange. » Stadhoudérat, rendu héréditaire dans la poftérité. Cest ce puütatót motif & d'autres encore , qui porterent les états de Hollande & de Weft-Frife , a rendre le Stadhoudérat héréditaire dans la poftérité male Sc femelle de fon Alteffe Séréniflime. Cette réfolution fut prife le 16 d'o Par «»»" amr^r7!rie- CetexemPJefofuivi paria compagn des Indes occidentales , dontle prince Z™1 dU Z™ve™™ général , par la réfolution qu en repnrent les dtreaeurs 8c les hauts intéreffés, diplome en rut préfenté a fon Alteflè Séréniflime , pagnie.nVier m°' ^ k$ députés de cette com' i75i. le Prince re9u marquis a Véere & Flefmgue. Diverses affaires importantes ayant appellé Je prince en Zélande , fan r75i , iïfut re'u a 1 er- Veere le 1 }m en qualité de marquis decette l ' ? 5 , meme mois' ceux de Fleflingue lui confererent la même qualité. On frappa a cette o cafon une médaille : a fun des cötés de lamelle on lit ces mots : Veterem dominum videtis UlyJJem ; c eft - a - dire , vous voyez Ulyftè votre .ncien maitre 8c a 1'exergue , %m " cuique, écrir 'a r * 'n*?* k fien : fur ,e rever* eft ecnt , Agnefio Jïudmm mentemque meorum : ce qui fignifie, je reconnois Ie zele 8c 1'affpaion ?7/VmienV, 5< au bas: F* verTt d%'fTCSLI' c'eft-a-*re, hommage des villes de Ter - Véere 8c de Fleflingue 1751.  des Provinces - Unies. 13J 1751. Mort de ce Prince. Ce bon prince étoit tout occupé des arrangemens qu'exigeoit le bien de 1'état, lorfqu'une maladie de quelques jours le coucha dans le tombeau. 11 s'étoit porté a fouhait pendant le féjour qu'il avoit fait a Aix - la - Chapelle , oü il avoit été prendre les eaux. Après fon retour a la Haye , il commenca a reflentir quelques maux de tête , avec un peu d'embarras a la gorge. La fievre fe joignit a ces accidens, & fut fuivie d'alfoupiffement & de tranfport au cerveau. La faignée n'apporta aucun changement a fon mal. Une fueur confidérable parut favoir foulagé ; mais l'efpérance que 1'on avoit con$ue de eet heureux changement , s'évanouit bientót. Le poulx devint plus mauvais, les tranfports avec les alfoupiifemens fe renouvellerent, les forces déja fort épuifées diminuerent confidérablement, & ce prince fi chéri, mourut le 11 odfobre 1751 , vers les deux heures après minuit dans la 41 année de fon age , au grand regret de fon alteffe royale , fon illuftre époufe , de fa féréniffime familie 5c de toute la cour. Ouverture du cadavre. Le corps de ce prince ayant été ouvert le lendemain de fa mort , on trouva par 1'ouverture faite de la tête ? que tous les finus 8t vaiifeaux fanguins, tant des membranes que dans les replis de la cervelle , étoient extraordinairement dilatés & remplis d'un fang noir & épais ; que particulié-  i4o Tableau historique rement au cou , Ja vaine jugulaire interne s'étoit extremement dilatée du cöté droit, 8c formoit un iac de Ja grandeur 8c épailfeur de deux bons pouces, lequel s'étendoit fous le nceud de la clavicule, 8C le retreciflbit du même cöté ; que la tête de la clavicule étoit une fois plus épaiffe qu'a l'ordinaire , 8c recourbée par-dedans, faifoit un paffage tort etroit; de forte que la jugulaire 8c la vainecaye le trouvoient fortement comprimées, 8c vuides en. deffous : le fang n'ayant pu trouver un pauage libre pour fe rendre au coeur, lequel ainfi que lespoumons, fe trouvoit dans une parfaite diipolition , mais vuide de fang. Rare mérite & belles qualités de ce Prince. C'ést auxvertus 8c au rare mérite de ce prince, quon doit les regrets qu'il laiffa après fa mort. II ponedoit dans un degré éminent les qualités qui forment lhonnête homme , Sc celles qui conftituent le grand prince. Zélé 8c attaché pour la rehgion , il donnoit par fon aïTiduité aux exercices Ipintuels , un exempJe édifiant de piété Sc d'attention a remplir Jes devoirs du culte reJigieux. La ferenite de fon vifage annon?oit en tout tems celle d une ame oü habite la vertu. A ces qualités pnncipales , il joignoit une bonté , une affabilité , dont tous ceux qui avoient lebonheur detreadmis aupres de lui, s'en retournoient toujours charmés. A un efpnt toujours cultivé par les connoiflances les plus unies, il joignoit le talent recommandable dans Jes grands princes Sc dans les hommes d'état de reprefcnter dignement. Ecoutant chacun fans  des Provinces-Unies. 141 impatience, il faififlbit avec une conception admirable , tout ce qu'on lui expofoit en quelque détail que ce füt, &C il y répondoit avec autant de grace que de juftefle 8c de précifion. Parvenu au Stadhoudérat dans des circonftances très-délicates , le principal objet fut de procurer la paix a la république , pour travailler enfuite avec plus de fuccès aux arrangemens qu'exigeoit le bien de la patrie. Ce premier but ayant été rempli par la paix d'Aix - la - Chapelle , il s'occupa continuellement du fecond , jufqu'a la fin de fa vie. Le plan pour le rétablifiement du commerce qu'il remit aux Etats-Généraux , avant fon départ pour Aixla-Chapelle , eft un monument célebre de 1'attention avec laquelle il cherchoit tous les moyens de procurer le bien public. Pour mieux faire connoitre 1'heureux cara&ere de eet illuftre Stadhouder , on joindra ici le tableau qu'on en publia & la Haye , peu de tems après fa mort, &C qui eft concu dans les termes fuivans. Tableau du caraclere de Guillaume IV. « Guillaume-Charles--Henri Frison » prince d'Orange , étoit né pour être d'une » taille au-defiüs de la médiocre ; mais un acci» dent qui lui arriva a 1'age de quatre ans , la lui » avoit raccourcie, 8c avoit fait pancher fon » corps du cöté gauche , ce qui n'empêchoit pas » qu'il n'eüt 1'air noble 8c impofant. II avoit les » cheveux chatains 8c bien plantés , de grands » yeux bleus, vifs 8c animés, aux regards dek » quels rien n'échappoit , lss oraits agréables, la  142 Tableau hjstoriqvs » phyfionomie belle & heureufe : il naquit pof» thume. Ceux qui furent chargés du foin de fa » première jeunelfe , ne lui firent guere appren» dre que le latin , 8c Jes principes de ]a £éoh. » gie. U fentit tout le tort que cette négligence hu avoit caufé 8c travailla avec tant d'ardeur 8c de fucces ale réparer , que peu de princes » 1 egaloient en connoiffances. II s'appliqua par» ticuherement aux parties des mathématiques » qui pouyoient lui être utiles. En général , il » aimoit a acquérir des lumierés, 8c il ne per» doit jamais les occafions d'interroger les eens » quil croyoit habiles en quelque art. II avoit » une memoire admirable : outre le larin 8c fa » langue maternelle dans laquelle il s'exprimoit » avec une elegance 8c une jufteffe merveilleufe, » il parloit encore trés-bien trois autres Ian» gues, favoir: ÏAllemand, ïAnglois 8c le » rrancois. » Les traverfes qu'il efTuya pendant les trente» fix premières années de fa vie, ne font igno- l IZ f ?"ne ' ^ furent 8randes i ™» » elles nelafTerent point fa patience. II n'y fut » fenfible qu autant qu'il le falloit pour donner un » bel exemple de généroflté , en pardonnant , « quand il a pu fe vanger. Auffi ü montra-t-i » toujours moins fenfible a la haine qu'è I'amitié. » Jamais on ne lui a vu dans le befoin , refuferdu » fecours a ceux-la même qui lui avoient fait » ienur , quil avoit eu tort de fe fier a eux II » etoit promptj mais il revenoit d'abord è lui, » SC sempreffoit autant que fa dignité pouvoit k  des Provinces - XI nies. 143 9» permettre, a faire oublier fa vivacité a ceux » qui en avoient été les objets. Par une modév ration rare entre les princes, il a fenti que fon » autorité devoit avoir des bornes, dans le tems » que tout le monde témoignoit vouloir les » étendre. Éloigné de toute violence , il fe dé» terminoit toujours pour les moyens les plus » doux : ce penchant alloit au point d'avoir trop » de répugnance a punir Sc même a refufer. Bien » des gens 1'ont jugé févérement fur eet article , » aufli-bien que fur 1'opinion trop favorable qu'il » fe formoit des autres, Sc fur la défiance qu'il » avoit de lui-même. Cette difpofition paroitra » furprenante a ceux qui favent les applaudiffe» mens , que perfonne n'a pu lui refufer dans les » aifemblées oü il avoit fouvent occafion de par» Ier. On y admiroit toujours fon extréme facilité » a concevoir les chofes, Sc fa facon noble Sc » touchante de les exprimer , talens qui, joint a » fon affabilité , lui gagnoient tous les cceurs. Un » prince fi applaudi avoit le droit de penfer d'au» tant plus avantageufement de lui - même , qu'en » rentrant dans fon cceur , il y trouvoit une inten» tion pure Sc conftante de faire le bien, accom» pagnée de fentimens grands Sc généreux , aux» quels il facrifioit d'abord Sc fans peine , tous » fes intéréts particuliers. Son naturel le portoit » a la magnificence Sc a la libéralité; mais la » réflexion le ramenoit a 1'économie. II fe plai» foit a faire des charités, Sc il donnoit avec la » pudeur d'un homme qui fouffre de la mifere » d'autrui. Senfible aux agrémens de la converfa-  144 TASLEAV HISTOR1QVS » tion , il y contribuoit beaucoup de fa part : la w fienne étoit gaie 8c douce : comme la bonté » faifoit le fonds de fon caraétere, il aimoit a » mettre a leur aife ceux avec lefquels il s'entre» tenoit. II a beaucoup travaillé les dernieres » années de fa vie , quoique le travail düt lui » coüter plus qu'a un autre , vu fes indifpofïtions » qui alloient de jour en jour en augmentant ; » mais rien ne lui coütoit, quand il s'agiffoit de » fon devoir Sc de fon amour pour la patrie. II » étoit fincérement pieux , proteftant zélé Sc to» lérant, tel qu'il convient au gouvernement de la » république. Ennemi fur - tout de la profana» tion , du libertinage 8c du vice , il a toujours » refpe&é la vertu 8c le mérite. II a été bon 8c » heureux mari, bon pere , bon fils 8c bon mai» tre. Si d'un cöté , fa profonde foumifïion aux » ordres de la Providence , s'eft trouvée expofée J) a plus d'une épreuve , fes vertus de 1'autre , » ont été glorieufement récompenfée dans cette » vie. 11 a fauvé le pays, il a ouvert la route qu'il » faut fuivre pour faire recouvrer a 1'état fon an» cienne fplendeur , 8c il a laifTé dans fa maifon , j) avec fon exemple , le dépöt facré de la liberté » 8c du bonheur de la nation. » Laprincejfc royale , fon époufe , eft déclarée gouvernante des Provinces-Unies , & tutrice du. prince héréditaire. Le jour même de la mort du prince , les états de Hollande 8c de Weft- Frife envoyerent une députation de leur aflemblée, faire compliment de condoléance  des PrOVINCES-XJ NIES. 145 condoléarice'de leur part, a madame la princeffr royale , en les chargeant de recevoir de cette pnncene , en qualité de gouvernante de la province , Sc de tutrice du prince héréditaire , le ferment requis , en la forme que 1'avoit prêrée fon akefïe férénifjime , en acceptant la commiflïon qui lui avoit été déférée a fon avénement au Stadhoudérat. Toutes les autres provinces firent fucceftïvement la même démarche , Sc par cette unanirrtite Sc cette harmonie admirable , fe dilTïperent les frayeurs de plufieurs bons patriotes , q«i, craignoient que la mort inopinée du prince , n'pccafionnat dans 1'état quelque trouble ou quelque facheufe révolution. Rcponfe noble & modefie de cette Princeffe aux de'putadons qiïon lui fit. Rien de plus noble Sc de plus modefie eri même - tems que la réponfe que fit fon .alteffe royale aux différentes députations qu'on lui fit au fujet de Ia mort de fon illuftre époux. « Elle leur » dit, en'r'autres, qu'on ne pouvoit aflez regrettef » un prince qui étoit tout de cceur pour Ia répuj) bliqne 4 ni aflez déplorer la perte d'un fi grand » foutien : qu'elle n'avoit pu envifager d'abord >, que .comme un malheur pour elle , de fe voir s appeliée aux fonéfions difficiles de 1'admmifrra« tion du Stadhoudérat, Sc pendant la minoritédu » prince fon fils , qu'elle fentoit tout le poids SC » les peines qui y étoient attachées \ que fon n amour pour la religion 8c les libertés des Pro» vinces-Unies, la foutenoit cependant Sc 1'enTome L K  146" Tableau hjstorjque » courageoit, que moyennant la bénédi&ion de « Dieu , Sc avec la continuation de faffection » tendre Sc cordiale dont les états avoient donné » tant de marqués au prince fon époux, 8c dont » les feigneurs députés lui donnoient a elle-même » des alïuran'es li coinpletes ; elle fe promettoit » de pouvoir réuflïr , bien réfolue d'apporter aux V affaires toute 1'attention Sc 1'application pofli» ble , öc de contribuer de tout fon pouvoir v Sc par - tout fon crédit, au bonheur de Ia » république. » Expofuion du corps du feu Prince , & fon inhumation. Le corps du feu féréniffime prince Stadhouder, fut expofé le 25 d'odobre fur un lit de parade , qu'on avoit prépaié dans une des falies de la cour. Les Etats - Généraux , ainfi que les autres colleges , s'y rendirent pour le voir. Ce trifte 8c doulóureux fpeétacle qui dura pendant quinze jours , attira a la Haye , pendant tout ce tems, une foule innombrable de peuples, quivinrent rendre leurs derniers devoirs a ce prince , pere de la patrie , 8c honorer fa mémoire par des larmes que cette vue leur fit répandre en abondance. L'inhumation fe fit a Delft le 4 février 1752 , avec une pompe extraordinaire. II y eut ce jour - Ia , a la Haye Sc a Delft, une affluence prodigieufe de monde qui s'y étoit rendue des différentes provinces , malgré la rigueur de la faifon , pour épancher leurs cceurs navrés de douleur en nouveaux torrens de larmes , a la vue de cette lugubre cérémonie.  DES P RO VIJV C E S~U JV IE S. 147 Guillaume V , feptieme Stadhouder. Pour donner des marqués non - équivoques du fincere dévouement de Ia nation a la maifon d'Orange , le corps des nobles de la province de Hollande , élut fur la fin de 1'année 1752 , Sc déclara pour Ion préfident , le jeune Stadhouder , Guillaume V du nom , Sc le premier, qui par voie d'hérédké, foit devenu Stadhouder des fept provinces. Pr/rogatives qiïon lui accorda. Peu de tems après , M. de Büteux, préfident de 1'aflemblée des Etats - Généraux fe rendit, acCompagné de M. le greffier Fagel , a Ia maifon du Bois, oü il annonca a madame la princelfe royalegouvernante , cc que leurs Hautes-Puiifances avoient » conféré au prince d'Orange, Guillaume V , les » charges de Stadhouder-héréditaire & capitaine » général du Brabant Hollandois , du haut quar» tier de Gueldres, des trois pays d'Outre-Meufe , cc Sc des diftrias de Wedde Sc de Weft - Woldinr h gerland , pour remplir ces charges de la même » maniere qu'elles avoient été exercées par le feu )) Stadhouder fon pere : il regut de fon altefie » royale , en qualité de tutrice, le ferment qu'elle » prêta I cette occafion. II annonga aulfi a ma)> dame la princelle , que les Etats - Généraux » avoient conféré au prince Stadhouder-hérédi» taire , le droit de pardon Sc de rémi/non dans » 1'étendue du reifon Sc de Ia jurifdi&ion du » confeil du Brabant, de celui de Flandres , Sc » de la- cour du haut du quartier de Gueldres , K2  148 Tableau hi storique » de même qu'a Maëftricht, dans 1'étendue de » fon diftnct, 8c dans ie comté de Vroenhauve , » avec le droit de créer les magiftrats de Ia ville » de Bois-le-Duc; ces prérogatives devant être » exercées par fon alteife royale, jufqu'au tems » de la majonté du prince Stadhouder». Que les tèrriS font changcs ! Que 1'horifon s'eft rembrum ! Et par quel contrafte , ou plutót par quf;le_ fatahté , fauc-il que Ia nation Holiandoife depouille aujourd'hui de tous les emplois 5c de toutes les dignités , le prince qu'elle s'étoit hatée ó'.m revêtir, pour ainfi dire, dès le berceau ; époque frappante 8c fcandaleufe, qui répand tant d'ainertume fur les jours du jeune prince Stadhouder. Nous allons faire nos eiforts pour développer les caufss de cette révolution : 1'hiftorique doit en érre d'autant plus piquant , que c'eft de nos jours Sc fous nos yeux , que fe paire cette fcene qui intngue plufieurs puiffans monarques de 1'Europe. Vraie origine du nom de Hollande. Le nom de Hollande n'eft en ufage que depuis le milieu de 1'onzieme liecle : il eft formé de deux mots , Hol qui veutdire Creux 5c Land, qui ligniüepays , foit que par Ie mot de creux on ait entendu un pays bas 6c enfoncé , foit qu'on ait voulu dire un pays dont la terre femble creufe , paree qu'il y a en Hollande des endroits oü il ne fauroit paffer de cheval, ni de chariot, que 1'on ne fente trembler la_ terre , comme fi elle étoit creufe en - deffous, Sc qu'elle fut foutenue für 1'eau : ces deux fenscconviennent également au pays.  des Provinces-Unies. 149 FauJJe étymologie. Il y en a qui prétendent que le nom de Hollande vient du mot Holt ou Holti, qui fignifie bois: ce pays ayant été autrefois couvert de bois j mais cette étymologie n'eft appuiée que fur une conjeémre trés - frivole. Le mot de Holtlande ne fe trouve dans aucun acfe , ni dans aucun monument ancien , au lieu qu'on y voit toujours Hollande depuis qu'il a commencé a être en ufage ; d'ailleurs il eft certain que dans 1'onzieme fiecle ou ce nom s'eft accrédité , il n'étoit déja plus couvert de bois, 8c qu'il ne s'y en trouvoit prefque plus : le nom de Hollande ne fe trouve point uiïté avant le milieu de 1'onzieme fiecle. On peut divifer la Hollande , en ancienne 8c moderne. De la Hollande ancienne. L'ancienne Hollande étoit bornée au nord par le vieux canal du Rhin , 8c c'eft ce qu'on peut appeller la vraie Hollande ; du tems des romains , elle faifoit partie de la Gaule Belgique ; fes peuples étoient les Caninefates, peuple que les anciens plagoient dans la partie maritime 8c occidentale de 1'isle des Bataves. Cette isle s'étendoit jufqu'auprès de Gertruidenberg 5 tout ce qui étoit au nord du vieux canal, c'cft-a-dire , du canal qui paffe a Leyden , *'8c qui avoit fon embouchure a Catwych , s'appelloit la Frife, 2c étoient pofiédée par les Marfatiens , peuple dont le Keunemerland ccnfcrve en partie le pays 8c le nom, 8c par les Frifons qui occupoient une portion du Khinland , 1'Amftelland , le Goyland , le Waterland 8c tout K 3  15? TAS»£AU H1STOR1QVE cc qui eft préfenrement de la Weft-Frife. Tout Ie pays auïïi-bien que la véritable Frife d'aujourd'hui FriSr E ^ppelioit encore de Ia hollande étoient connus fous différens nóms , ™ PaJ* qu'ils habitoient, Scfur-tout fou ceux deCatt^ , Sc de Bataves. Les Bataves t,ui faifoient parue des Cattes , avoient au midi es «Cfes Auchesjè forjem, les Brafteres, Sc a 1'oc «adem, iocëant Dans ces tems reculés les Frifabons SC les Marfates habitoient Ja Northollande , Ie Auches , Ia provmce d'Utrecht, les Frifons la tnLGronmgue Sc I'Over-Iffel, Sc les Taxandres te belande : on voit par-la que 1'ancienne hollande , ou I ancienne Batavie, ne formoit alors qu'une petite jame de ce qu'on nomme aujourd'hui la Hollande. C etou une isle dont la bafe pouvoit ^votr cinqmdles Sc demi d'Allemagne , Sc chacun de deio: cotcs environ vingt milles ce qui ne fait l-asfcimome de la Hollande , qui a cent nulles de eirconrerence. Origine des anciens peuples. Kas de la Hollande & de Ia frife defcendent des rnaens germains , puifqu'jJs e„ avoient a peu de chofè pres iecaraftere, ies mceurs , les comles & a rellen. Ik en étoient des branches & des •: L1£S' ccaimcon Peut le voir par Céfar , Tacife Sc Arnmiea-Marcellin. ' Les Cattes ou Bataves étoient originaires de  DES PrOVINCES-U NIES. I51 Heffe , déchirés ace qu'on prétend, par les horreurs des guerres civiles : ils quitterent leur patrie & pafferent dans la Batavie , qui étoit déferte , avec des mceurs qui leur étoient particulieres , la religion , la langue , le gouvernement des germains. Mceurs & coutumes des Cattcs ou Bataves. Suivant les traits que nous en ont tracés les anciens hiftoriens , on doit s'en former une idéé avantageufe. Ce peuple avoit le corps robufte , les membres bien ramaffés, Fair du vifage menacant : on lui trouvoit plus de pénétration dans ies affaires, plus de folidité dans les alliances , plus de prévoyance clans les entreprifes , plus de fermeté dans les périls qu'aux autres germains : il choiliffoit fes chefs avec fageffe , Sc les écoutoit avec foumiffion , il faifoit plus de fond fur le général que fur l'armée : les autres germains coufoient au combat , les feuls Cattes faifoient la guerre , on ne connoiifoit point de nageurs qui leur fuifent comparable , leurs jeunes gens laiffoient croitre leurs chevcux Sc leur barbe , jufqu'a ce que, par la mort d'un ennemi de la patrie , ils euffent acquis le droit de dépouiller ces glorieufes marqués d'un dévouement volontaire a la vertu : teins de fang SC chargés de dépouiiles, ces héros naiffans coupoient enfin ces longues Sc épaiffes treffes: ce n'eft qu'alors qu'ils fe jugeoient dignes de leur pays Sc de leurs aïeux. Divinités de ces peuples. Les principales divinités de ces différens peu- K 4  fjz Tableau historiqux pies étoient le foleil Sc la lune : ils repréfentoient Je foleil tenant une roue ardente ; le dirnanche confacré a ce Dieu. La lune avoit la figure d'une femme , avec des oreilles fur la tête 5 elle étoit fur-tout honorée des voyageurs Sc des pêcheurs : on i'adoroit le lundi. Tuifco , qu'ils adoroient Je mardj , étoit le plus effimé de leurs dieux. Woden , leur dieu de la guerre , étoit adoré le mercredi ; Us croyoient que Thor , qu'ils repréfentoient fous la forme d'un vieillard , prélidoit au vent, a la pluie Sc au tonnérre. Friga étoit la déeffé de la paix , de 1'abondance Sc de 1'amour : leur dieu Séater tenoit une roue Sc un fceau rempli de fruits. Ermenfcul étoit repréfenté avec une couronne fur la tête, Sc ils 1'adoroient au retour de leurs yjijtoires, Gouvernement, Après que ces peuples fe furent fixés dans la Batavie , ils y érablirent un gouvernement qui étoit pn mélange de monarchie , d'arilïocratie Sc de démocratie : ils avoient un roi qui n'étoit proprement que le premier des nobles Sc le minifire de la patrie : il donnoit moins des ordres que des COnfeils 3 la nation ; les grands, fous le titre de comtes, partageoient entr'eux la jurifdidfion des quartiers de la Batavie. La paix Sc la guerre leur donnoient une égale autorité 5 ils jugeoient des différens, Sc commandoient les troupes : ils étoient élus comme les rois dans les aflemblées générales , £c ie choix tombant le plus fouvent fur des hommes , $w joignoient a- une naifian.ee diftinguée , un mé-  des Provinces-Unies. 153 rite extraordinaire : le peuple avoit part au gouvernement. Cent perfonnes,prifes dans la mukitude, fervoient comme de furveillans a chaque comte , 5c de chef aux différens hameaux \ la nation entiere étoit, en quelque forte, une arméc toujours fur pied. Chaque familie y compofoit un corps de milice qui fervoit fous le capitaine qu'elle fe donnoit , & oü les femmes mêmes , compagnes des travaux 8c des dangers de leurs maris, ou de leurs amans , imitoient leur valeur , &C la redoubloient par leur préfence. Les roiriains firent des tentatives inutiles pour dompter les Frifons qui demeurerent indépendans. Services fignalés que ces peuples rendent a Céfar. Ces peuples ayant offerts leurs fervices a Céfar , furent traités de freres Sc d'amis du peuple romain , dont ils acquirent 1'eftime par leurs exploits. Leur valeur acheva la défaitc des Gaulois, 8c leur rnérita la confiance de Céfar. Les Bataves furent toujours depuis fes foldats d elite : ils le dégagerent fur les frontieres des Lingons du bafligni , i'un des neuf drilrricts de la Champagne, 8c dont Langres eft la capitale : ils déterminerent en fa faveur la fortune incertaine 8c chancelante a Pharfale , 8c ramenerent ia vi&oire fous les drapeaux a 'Alexandrie. Pour prix de tant de fervices , le tyran de Rome , refpe&a la liberté de la Batavie. Conduite que tintent les fuccejfeurs de Céfar a leur égard. Les fucceffjui.s ie Céfar cont'muerenta cultiver  *S4 Tableau mis tori que 1'amitié d'un allié /I genereus, 8c afiurerent de plus en plusfonindépendance. Tandis que 1'univers étoit oumis aux remains , les Bataves confervoient leurs Joix , étoient gouvernés par leurs magiftrats , ignoroient 1'ufage des tributs 8c ne portoient aucune marqué de fervitude; une diftinaion fi fiatteufe leur fervit égalèment de rccompenfe 8c d'encouragement. C'étoient eux qui commencoient les victoires ou qui les achevoient , qui foutenoient la öignite de 1'Empire , 8c faifoient la füreté des EmPereurs , qui retenoient le romain dans 1'ordre 8c le barbare dans Ja foumifTion. Atteinte portée a leur liberté. Les Bataves perdirent une grande partie de leurs pnvileges fous le regne-de ces Empereurs odieux, qui firent tout gémir, jufqu'a Rome même. Les mmiftres de ces rjrans violerent J'aJJiance qu'ils avoient faite avec les Bataves , 8c poufferent 1'irtjulhce jufqu'aux plus grands excès; mais les romains ne tarderent pas a éprouver avec quels peuples ils avoient a faire, 8c è fentir quels hommes ils avoient offenfés ; auffi fe haterent-ils de racheter leur amitié par une paix honorable 8c par la reftitution de leurs privileges. Irruption des Barbares. Les Bataves furent fujets aux mêmes révolutions que ies romains. Des barbares qui étoient a peine connusdes nations poiicees vinrent fondre fur eux es Provinces - Unies. 165 tïe du Suderfée Sc de 1'Over-Iffel, 8c au levant par le pays de Drende 8c de Groningue, qui la féparent de la Frife occidentale. Ofl - Fries ; cette province ne comprend aujourd'hui que trois petits pays, favoir : Weft-Friesland, Oft-Friesland; Sc cette partie, fituée entre les deux, aboutit a la mer du nord 6c au Suderfée 5 le terroir y eft fertile 8c le bétail nombreux 5 les vaches, les moutons 8c les pourceaux y font d'une grandeur extraordinaire j les vaches y font deux veaux d'une portée, 8c les brebis trois agneaux. On ne voit point non plus de chevaux plus grands ni p!us~robuftes que ceux de Frife , quoiqu'ils ne confervent pas toujours ces qualités quand ils font menés hors du pays. Les bois fourmillent de cerfs 8c de chevreuils ■■, mais on n'y trouve ni ours , ni loups, ni fangliers; les habitans font d'une taille avantagcufe 8c d'une bonne complexion , ont beaucoup de courage 8c deviennent de bons foldats. Ce pays fe divife en trois contrées, 1'Oftergée ou Oftergoë 5 Veftergée ®u Veftergoé j 8c les fept bois, en langue du pays , Sevenwolden, a quoi il faut ajouter quatre isles. Du quartier d'OJïergée, en latin Tracius Orientalis. Ostergée eft fituée du cóté du levant, prés des frontieres de la province de Groningue j les principaux endroits font: Leu warden , en latin Leuvardia. Leuwarden fur l'Ée , capitale de tout le pays. C'eft une grande ville , bien batie 8c des mieux fortifiées 5 le palais du Stadhouder, celui oü les Etats saflemblent 8c la maifon- 'e-ville , font L3  i66 Tableau historique de très-beaux batimens. Cette ville eft munie de cinq bons baftions 8c de larges fofles ; il y a un arfenal bien pourvu , 8c un chateau que le duc Albert de Saxe fit batir l'an 1499 > lorfqu'il travailloit, avec 1'empereur Maximilien I, a foumettre la Frife : le confeil fouverain y réfide, elle eft partagée par divers canaux , ce qui facilite fon commerce , qui eft fort confidérable. Dockum , en latin Doccum. Dockum eft une belle ville , fort agréable ; elle eft fituée a une lieue de la mer ; cependant les vaifTeaux font portés par la marée jufques prés de la ville : il s'y fait un grand commerce. Orange-Wald ou Orangc - Woud. Orange-Wald eft un chateau de plaifance du Stadhouder , avec de beaux jardins 8c de belles allées; il eft fitué a quelque diftance d'Olde-Schoot, dans la petite contrée de Schooten , aflez prés des frontieres d'Over-Iffel. Du quartier de Vefiergée, en latin Tractus occidentalis. Le quartier de Veftergée eft fitué prés de la mer du nord; les principaux endroits font: Franeher, en latin Franquera. Franeker eft une belle ville , fortifiée , avec quatre canaux; les maifons font bien baties, les nies font belles 8c propres, 8c le chateau fuperbe: il y a une célebre univerfité, établie l'an 1585 ; il y a quantité de noblefle.  des Provinces-Unies. 167 Harling ou Harlingen. Harling, en latin Harlinga , pres de la mer, eft une belle 5c grande ville , fort marchande, munie d'une bonrïe citadelle, les grands vaifleaux ne peuvent pas entrer dans le port a caufe des bancs de fable qui y font: le principal rrafic des habitans eft celui du fel, des toiles pour les voiles, & du papier: c'eft le fiege d'un confeil de 1'amirauté. Ce Harling ne doit pas être confondu avec le pays de Harlingen dans 1'Oft-Friesland. Bols - Waert, en 1 latin Bolsverda. Bols-waert eft une ville d'une médiocre étendue , & munie de quelques fortifications. Sneck , en latin Sneca. Sneck eft une petite forterefle , fituée dans une contrée marécageufe, Sc oü 1'on fait un grand trafic de harengs: il y a un college très-renommé. Stavern, en latin Stavria. Stavern , fur le Zuiderfée, étoit autrefois la capitale des Frifons; mais la mer en a englouti une partie Sc a comblé fon port de fable. Une inondation , arrivée vers l'an 1225, forma cette mer de trente lieues de longueur, qu'on nomme Zuiderfée , qui n'eft féparée de 1'Ücéan que par les isles de Teflel, de Viéland , de Schellin 8c d'Ameland. Quand la mer eft bafle , on voit un banc de fable qu'on nomme St. Kronen - Sand. On dit qu'une femme riche ayant fait un amas prodigieux de bied, une année de cherté, 8c ne 1'ayant pas vendu, paree que peu après il devint a bon  TABZSAV HISTORICUS ttarché , ede en laiiTa gater plufieurs facs qu'on tut obhge de jetcr dans la mer , & que c'eft de-la queft verm ce banc de fabic ; cette ville eft fort peuplee. Ylfion ifi. Yst eft un petit endroit, dont une bonne partie des habitans font tous charpentiers. TVorkum , en latin IVorcunum. Workum , prés de la mer , eft une petite ville avec un port: il ne faut pas Ie confondre avec Worcum , qui eft en Hollande. Hindelopen , en latin Hindelopia. Hindelopen eft un petit endroit avec un port; tous les habitans font, ou pêcheurs ou charpentiers. Wiwert. Wiwert eft un village que les Lahadijles ont rendu ceiebre en s'y établifïant. Molckwern , en latin Molckverda. ( Molckwern eft a quelque diftance de Stavern \ ceft un petit village dont les habitans parient le langage des anciens Frifelandois. Du quartier des Sept Forêts ou Sévenwolden. On appelle ce quartier les Sept Forêts, en latin Tracks Sylvejlris , paree qu'il y croit beaucoup Ge bois. On y voit : Sloten. Sloten eft une ville bien batie , paftablement  BES P RQV IN CES - U N I JE S. 169 fortifiée 8c très-peuplée : on y entretient beaucoup de bétail , 8c on y fait quantité de fromages excellent. Kuynder. Kuynder , prés des frontieres d'Over-Iflel, eft une alfez bonne fortereffe. Des isles qui dépendent de la Frife. Ameland , en latin Amelandia, eft une isle oü il n'y a que trois villages; elle eft fituée a quelques diftances de Franecker. Schelling , en latin Schellingia, a cinq villages : bn pêche prés de - la quantité de chiens marins. Schiermonkogh eft la plus petite isle, oü il n'y a rien de remarquable. De la Zélande. Le comté de Zélande eft un compofé de plufieurs isles , on en compte quinze a feize \ mais on y remarque principalement 1'isle de Valcheren , en latin Valchria , elle eft a 1'oppofite de la Flandre êc eft trés-bien cultivée : elle a trois lieues 8c demi de long, autant de large, 8c onze de circuit. Middelbourg, Fleflingue, Armuyden 8c Véere en font les principales villes. Middelbourg, en latin Middelburgum ou Metellicajirum. Middelbourg eft la capitale de cette isle: elle eft fituée a une demi-lieue du port de Ramue , 8c eft des mieux fortifiées j elle communiqué è la mer par un canal capable de porter des vaifleaux  17® Tableau historiqub de 400 tonneaux, elie eft extrêmement riche : c'eft la réfidence du confeil fouverain de la Flandre Hollandoife : c'eft a Middelbourg que fe rapporte 1'invention des lunettes. La compagnie des Indes orientales a aufli dans cette ville une chambre des comptes , 8c 1'amirauté y a un pouvoir très-étendu. Les plus grands revenus de cette ville fe tirent fur les impöts, fur les vins de France, d'Efpagne 8c de Portugal, qui entrent dans les Provinces-Unies : c'eft la patrie de Melchior Leidecker , auteur de plufieurs ouvrages , dont le plus curieux eft une Repub/igue ies Hébreux. Le port de Ramuë, en hollandois Ramék&ns. C'est un port confidérable Sc fort connu; il dépend de la ville de Middelbourg, 8c eft défendue par un fort qu'on appelle Séebourg. Depuis Middelbourg , qui eft a une bonne demi-lieue de-la , du cöté de la Terre-Ferme : il y a un canal qui va jufqu'a ce port. Fleflingue ou Uliflïngen , en latin Fleflinga. Flessingue , port 8c place vis - a - vis de Ia pointe de Flandres 8c de 1'embouchure de 1'Efcaut : c'eft une grande ville, belle, riche 8c fort marchande , elle a donné naifl'ance au célebre amiral Ruyter , qui y vit le jour l'an 1607 \ il avoit fait huk fois le voyage des Indes occidentales, lorfqu'il fut tué d'un coup de feu l'an 1676 , prés de la Sicile, en combattant contre les Francois.  bes Provinces-Unies. 171 Véere ou Terre -Ver-e, en latin Campoveria. C'est une ville avec un port, oü les Écoflbis font un commerce confidérable : il y a un arfenal fi bien pourvu , qu'il furïïroit a équipper une flotte entiere $ les environs ont le titre de marquifat, 8c appartiennent au prince de Naflau-Orange. Armuyde , en latin Arnemunda. Armuyde eft une petite ville 8c vicomté, qui a un bon trafic de fel. De Fisle de Schowen. Cette isle s'appelle en latin Scaldia; elle eft d'une aflez grande étendue 5 on y fait un trafic confidérable en bied, en fel 8c en poiflbn falé , les «ndroits les plus remarquables font: Ziric\ée, en latin Zuric^pz. Ziriczée eft une petite ville avec un bon port: ©n ia croit la plus ancienne ville de la Zélande } la mer a englouti une bonne partie de cette ville. Brouvershafen , en latin Brouvenhavia. Brouvershafen eft une ville médiocrement grande, mais riche 8c fortifiée, avec un bon port •, les habitans font prefque tous pêcheurs ou marins. Bomène eft une ville qui a beaucoup fouffert par les inondations} elle ne dépend pas de la Zélande, mais elle appartient a la Hollande. De l'isle de Sud - Béveland , en latin Bavelandia. aujlralis. BÉVELAND eft fituée prés du bras de 1'Efcaut,  tjz Tableau iiistorique qui coule du cóté du couchant; Je commerce qu'on y fait eft paflablement grand : on y remarque particuliérement : Goës ou Ter-Goës , en latin Goefa. ' Goes , ville forte 8c riche , Ia plus grande de la Zélande eft a i'orient de Walkren. Borfelem eft une ancienne baronie , dont la mer a englouti la plus grande partie : les Hollandois I'appellent le Vertronckene fud - Béveland. Romerfvaal fur 1'Efcaut, eft une ville qui a été ruinée en partie par les eaux ; c'étoit, avant ce défaftre , une belle 8c riche ville, oü les comtes de Zélande recoiventfoi 8c hommage de leurs fujets ; elle fut lix mois inondée pendant 1'efpace de douze ans \ la derniere inondation arriva l'an 1563 j il s'y faifoit ci-devant un grand trafic de fel. De Visie nord-Béveland. Cette isle s'appelle en latin Bévelandia feptentrionalis; elle a bien de la peine a fe défendre contre les eaux. Kolynsplaat, ou Colinsplaat 8c Wijjenkercke. _;, Ce font les deux principaux bourgs de cette isle \ le premier appartient, comme une feigneurie, au gouverneur de la province. De tisle de Tolen. Ce tte isle , qu'on appelle en latin Tola, eft munie de trés-bonnes digues; elle n'a point d'inondation a craindre : on y remarque :  des Provinces- U n ies. ij$ Tulen, en latin Tola. Tolen eft une petite forterefle , munie de boulevards , capitale de Pisle ; elle a le troifieme rang parmi les villes de Zélande. Scherpenijfe eft une petite feigneurie qui dépendoit de la fucceifion d'Orange , Sc qui appartient aujourd'hui au prince d'Orange , le chateau qui y eft , s'appelle Stykenborg. Stavenijfe eft un village a 1'oppofite Sc a quelque diftance duquel les Efpagnols perdirent un combat naval Sc foixante vaifTeaux , l'an 163 1. Saint-Mertendyck eft une ville qui dépendoit de la fücceiTion d'Orange \ elle tomba au prince de Frife l'an 17 3 2; les deux autres isles n'ont que des bourgs Sc des villages. De lYtendue de toutes ces isles. L'isle de Valcheren a trois lieues Sc demie de long , autant de large Sc onze de circuit. L'isle de ' Zuydr - Béveland contient cinq lieues de long , deux Sc demie de large , Sc treize de tour. L'isle de Schoven-Duyveland contient fix lieues de long fur deux de large, Sc quatorze de circonférence. L'isle de Tolen a trois lieues de long , une Sc demie de large , Sc fept de circuit. De la feigneurie d Utrecht. La feigneurie d'Utrecht contient quatorze lieues de long fur fept de large 5 1'air y eft plus pur Sc plus fain que dans les autres provinces: on y recueille du bied en quelques endroits. La feigneurie d'Utrecht a la Hollande au nord,  174 Tableau hi storiqve au couchant & en partie au midi, Sc le duchc de Gueidres au midi Sc au levant j il n'y a pas encore deux cents ans que c'étoit un évêché: c'eft pourquoi on 1'appelle encore aflez communément J'évêché d'Utrecht. Elle eft fituée entre la Hollande , la province de Gueldres , le Rhin Sc le Suderfée , dans une contrée fertile , oü 1'on refpire un air falubre Sc oü 1'on n'a point d'inondations a craindre. Utrecht, archevêchê & univerfitê. Utrecht , en latin Utrajetlum , ou Trajectum ad rhenum , pour ne pas 1c confondre avec Maëftricht, qu'on appelle en latin Trajeclum ad mofam : les Romains la nommerent Trajeclum , paree qu'on y paflbit le Rhin; 8c pour la diftinguer de Maëftricht , dit Trajeclum fuperius ; elle fut appellée Inferius ou Ulterius trajeclum ; d'oü s'eft formé Ultrajeclum , Sc d'oü eft venu d'abord le mot d'Ultrecht, Sc puis Utrecht. C'eft une grande Sc belle ville , bien peuplée : elle eft fituée prés du Rhin, ou plutöt prés d'un bras de ce fleuve , qui ne confifte plus que dans un canal aflez médiocre : on y voit cinq belles églifes, dont celle de Saint-Martin , qui eft la cathédrale, eft la plus remarquable par fa beauté Sc fon élévation: 1'univerfité , qui y fut établiel'an 1636,a toujours été fort renommée ; elle célébra fon jubilé l'an 1736, avec beaucoup de pompe. Les évêques d'Utrecht dépendoient de 1'archevêché de Cologne, & les provinces voifines étoient lbumifès a leur jurifdicfion quant au ipirituel: eet évêché étoit ü  des Provinces-Unies. 175 peuplé , que les évêques pouvoient mettre une armée confidérable en campagne. Philippe II, roi d'Efpagne , érigea Utrecht en archevêché, l'311 1557 5 mais, a 1'époque de la réformation, tous les biens eccléfiaftiques furent fécularifés: on ne laiffa fubfifter que les canonicats des églifes cathédrales , 8c quand les états s'y alfemblent, ils ont voix 8c ceflion dans les chapitres. Utrecht eft célebre par deux événemens remarquables qui font époque dans 1'hiftoire moderne : 1'un eft 1'union des fept provinces, qui fe fit dans cette ville le 13 janvier 15 79 ; 1'autre eft la paix d'Utrecht, qui mit fin a la guerre de la fucceffion d'Efpagne. L'an 1712, on commenca a travailler a ce grand ouvrage : l'an 1713 la paix fut conclue entre la France , 1'Angleterre , le Portugal , la Pruffe , la Savoie 8c la Hollande, 8c l'an 1714 elle fe fit entre 1'Efpagne, 1'Angleterre 8c la Hollande. Le mail d'Utrecht paffe pour le plus beau qu'il y ait en Europe. Louis XIV étant arrivé a Utrecht dans le cours de fes conquêtes, l'an 1Ó72 , fut fi frappé de la beauté de ce mail, qu'il défendit qu'on y touchat. Ce monarque fit chanter le Te Deum dans 1'églife cathédrale ; mais, la même année , l'armée Francoife fut obligée d'abandonner fa proie ; il eft vrai que les habitans lui payerent quatre cents cinquante mille livres de contri-butions; c'étoit payer un peu cher les lecons de la politeffe francoife, que les habitans d'Utrecht regardoient apparemment comme inappréciables. Utrecht eft la patrie du pape Adrien VI, de Jean Leufden, célebre philofophe du dix-feptieme  ijó Tableau h i storiqu ë fiecle , Sc d'Anne-Marie Schurmann, femme d'un grand favoir Sc d'une vafte érudition. On voit aux environs d'Utrecht quantité de jolies petites villes , a une très-petite diftance les unes des autres. Si vingt-lix perfonnes fortoient le matin d'Utrecht , elles pourröient aller diner chacune dans une ville differente , Sc s'en' revenir coucher a Utrecht. On compte trente mille ame , pour le moins, a Utrecht. De cette ville, a Amfterdam, eft un canal qui fait 1'admiration de tous les étrangers , 8c a bon dron; car, il y a tout a parier , qu'il n'eft rien de pareil fur la terre. Quoique de huk lieues de longueur, il eft bordé k droite Sc a gauche , Sc prelque fans interruption , de n^ifcms deplaifance Sc de jardins délicieux , ornés de ftatues, de vafes dorés , de belveders, de grottes en rocailles , de charmilles taillées au croiffant, oü enfin tout ce que 1'on voit refpire le plailir. Depuis Arnheim a Utrecht, la route eft bordée des deux cötés de parcs immenfes, Sc d'allées a perte de vue qui viennent y aboutir. C'eft ainfi que , chargée des dépouilles de 1'orient, Sc vingt lieues avant que d'y arriver, s'annonce Amfterdam, capitale de la Hollande Sc la maitreflè des mers. Amersfort , fur la riviere d'Eem au nord-eft d'Utrecht; c'eft une ville bien fortifiée : fa fituation, dans des campagnes fertiles en grains Sc en excellens paturages, eft très-agréable. Monfort, petite ville très.forte fur la riviere d'Yflel, au fud-oueft d'Utrecht. Rhenen  des Provinces - Unies. 177 Rhenen fur le Rhin , petite viile qui a eu autrefois fes feigneurs particuliers. De la province de Hollande. Le comté de Hollande contient trente lieues de long, 8c treize dans fa plus grande largeur; fa capitale elf ; Amfterdam , en latin Amftelodamum. Amsterdam , capitale du comté de Hollande 8c de toute la république, eft la plus riche 8c la plus floriflante ville de 1'univers , 8t 1'une des plus belles 8t des plus puilfantes 5 elle doit fa fplendeur au commerce prodigieux qu'elle fait dans les quatre parties du monde , 8c particuüérement aux Indes orientales. Cette ville , qui recele plus de cinq cents mille habitans , eft fituée fur le golfe de Zuiderfée : fes rues font tirées au cordeau , 8c fes édifices publics font magnifiques 8c nombreux. Cette ville eft traverfée d'un grand nombre de canaux, la plupart bordés d'arbres 8c chargés de navires : fon port eft un des plus grands 8c des mcilieurs de 1'Europe ; les vaifleaux dont il eft couvert, & qui y abordent de toutes les parties du monde , y forment comme une ville flcttante : le terrein oü Amfterdam eft bati, eft extrêmement mouvant &£ rnarécageux , ce qui eft caufe que la plupart des maifons font baties fur des pilotis extrêmement ferrés. Cette ville fut ceinte de murailles l'an 1428 , pour la première fois : on y compte plus de cinquante mille maifons. II y a entre la ville & le Suderfée un banc de fable caché fous 1'eau , qu'on eppelle Pampus, qui empêche les gros vaifleaux Tornt. I, M  ïy'è Tableau nisTQRiquE marchands de pénétrer jufqu'au port, prés d'Amfterdam , qu'a la faveur de la haute marée ou d'une machine nommée chameau , par le moyen de laquelle on fouleve les vaiifeaux , 8c on les empêche ainfi de prendre beaucoup d'eau. Le port d'Amfterdam eft bordé d'un quai qui a plus d'une demilieue de long. A une des extrêmités de ce long quai, eft un bel édifice bati de pierres de taille , tout au milieu de 1'eau : il eft quarré 8c a trois étages : on 1'appelle YAmirauté; il renferme tout ce qui eft nécefiaire pour équipper les vaifleaux. Le port formé par les rivieres è'Amftel 8c de YYe eft li vafte , qu'il peut contenir plus de mille batimens : il eft prés du Zuiderfée , d'oü, en venant a Amfterdam , on rencontre le Pampus dont ou vient de parler. On remarque fur-tout 1'hótel-deville , Ie plus fuperbe, fans contredit, qui foit au monde. Le fronton , d'un des cötés longs, en eft furmonté d'un hercule de bronze coloflal, qui foutient le globe du monde fur fes épaules; 1'autre eft orné d'un campanile. Le génie républicain a préfidé a la conftruéfion de eet édifice , oü 1'on ne voit pas de grande porte principale qui annonce, dans ce fan&uaire de la liberté, quelque géant qui étende fes bras fur la multitude. Ce vafte 8c magnifique édifice eft de forme quarrée 8c de pierre blanche 8c très-dure : il réfulte de trois ordres d'architecf ure les uns au-deflus des autres; il a vingttrois croifées de face, 8c il eft orné de bonnes flatues allégoriques de bronze 8c de marbres : il eft aflis fur treize mille pilotis. Sa longueur eft de cent dix pas, fa largeur de quatre-yingt: 1'intérieur eft  des Provinces - Unies, ijo revêm de marbre blanc. Dans le bas de ce palais fe trouvent 1'arfenal Sc les trélbrs de la banque ; le haut eft rempli par les différens tribunaux de juftice qui occupent un grand nombre de falies décorées avec magnificence. Les mariages de routes les religions s'y font devant le magiftrat, & les époux fe préfentent enfuite a leurs pafteurs refpecfifs. Ce fuperbe édifice fut bad l'an 1648 , d'abord après la paix de Weftphalie. Ce batiment, qui eft entre deux places, eft fans ornement d'architecvture, & d'une belle uniformité : outre le rez-de-chauffée, il y a deux étages. Au milieu de ce chateau , dans 1'intérieur , regne une grande galerie ou falie , toute revêtue de marbre , depuis le haut jufqu'en bas; elle partage ce grand édifice en deux parties, qui font entourées d'autres galeries ornées de la même maniere , mais moins larges ; autour de ces galeries font rangées dilférentes ehambres , décorées de tableaux & de bas-reliefs magnifiques : une plate-forme couverte de plomb occupe tout le deffus du batiment; aux quatre coins lont de belles ftatues : du milieu de la platte-forme s'éleve uue lanterne , dans laquelle eft placé 1'horloge , dont le carillon exécuté les plus belles cantates, par le moyen d'une machine finguliere qui fait mouvoir trente ou quarante petites clochettes , avec une jufteffe & une précifion admirable. La bourfe eft un batiment quarré, qui renferme une belle cour, garnie de quatre périftiles : c'eftla que fe raffembient ies négocians d'Amfterdam. M z  i8o Tableau historique Ce batiment eft vafte , 5c chaque nation , chaque genre de commerce y ont leur place aflignée \ dans un quart-d'heure il s'y fait pour des miilions d'affaires : les aflurances des vaiifeaux n'y font pas une des moindres parties. Les autres édiftces remarquables font : 1'amirauté, qui eft d'une étendue immenfe 5 le magalin de la compagnie des Indes , toujours rempli de chofes les plus rares Sc les plus précieufes • la fynagogue des Juifs Portugais, celle des Allemands , Ja tour occidentale. II y a encore dans cette ville plufieurs belles églifes, fur-tout celles de Saint. Nicolas 6c celle de Sainte - Catherine , dont on admire 1'orgue Sc la chaire : on obferve a ce fujet , que dans les pays proteftans , on trouve quantité de temples fous le vocable de quelques faints 5 c'eft feulement paree que ces églifes confervent leurs anciens noms, puifque la réforme rejete le culte des faints. Ün compte a Amfterdam dix - huit höpitaux , entre lefquels il y en a fept pour Jes enfans orphelins : les catholiques, qui font en grand nombre clans cette ville , en polfedent deux , 1'un pour les garcons 6c 1'autre pour les filles : ils y ont aufti un grand nombre d'églifes ou paroifles. Les Arméniens de Perfe , unis au fiege de Rome , y ont une églife 5 les Juifs Portugais 8c Allemands y ont auffi des fynagogues: celle des Portugais eft trés-belle, ils y font auffi a leur aife que les Juifs Allemands y font pauvres 8c miférables. Prefque toutes les mes d'Amfterdam font grandes, belles, alignées:  des pRGriJVCES -Ujvï-es. l8i Iridépendamment des canaux, des allées d'ormes 8c de tilleuls, des mats de navires ornés de banderoles de toutes couleurs, fes rues recoivent un air de dignité , de grandeur 8c de fuperbes glacés de Venife, dont les croifées font décorées: ajoutez a cela 1'extrême propreté ( vertu favorite des tioU landois ) que 1'on y voit régner. Les maifons, qui font fïmples a 1'extérieur, font ornées intérieurement de tapis de Turquie 8c de Perfe, des plus belles tapifTeries de Flandre , Sc d'amples collections de tableaux de grands prix : ie marbre y eft prodigué dans les veftibules 8c dans les autres endroits de moindre irrïportance : tout y refpire la fomptuolité. Dans la maifon Schwartzo , la rampe 8c la grille font d'argent: le Juif Portugais Pinto a un cabinet aflez vafte, tout pavé de moftnoies d'argent étrangeres : le palais du négociant Braamkamp , qui eft mort il n'y a pas long - tems , renfermoit une colleéfion de tableaux qui fembloit réfervée au plus puiflant monarque de 1'univers. On admiroit entr'autres un tableau de Gerardow, abfolument inappréciable. II y a quantité de maifons a Amfterdam qui ont jufqu'a cent cinquante milüons de florins de rente annuelle , 8c plufieurs jouiflent d'une fortune immenfe , parmi lefquels on en diftingue qui ont jufqu'a deux cents miilions de florins d'Hollande de rente annuelle : les mil* Jionaires y font en trés-grand nombre. Aux approches d'Amfterdam , on découvre un aflemblage de faites de maifons, de cimcs d'arbres 8c de mats de navires, qui annonce un lieu qui. réunit la ville, la campagne 8c la mer: la plupart M 3  ï?2 TAS IEAV HISTQR1QUE des carroffes n'y font pas fufpendus fur des roues," mais fur deux plateaux de huk ou dix pouces de profondeur, 8c traïnés par un feul cheval. Indépendamment des ouvrages immenfes qui mettent cette viile a couvert du cöté de terre , eft une barre de fables, qui ne la laifferoit point approcher plus prés de quatre lieues par des vaiifeaux de guerre du cöté de la mer. Dans un cas extréme , elle mettroit toute la campagne 8c 1'enncmi fous 1'eau. Sur les remparts Sc au tour de la ville, on voit plus d'un miliier de moulins a vent : ils font employés fans ceffe a moudre du bied 8c a fcier du bois. Le prix de toutes chofes eft réglé a Amfterdam , 8c il n'y a point a marchander. Dans les habillemens, on y obferve la plus grande fimplicité. La foie , les dorures 8c les dentelles y font abfolument inconnues. Toutes les religions y ont un libre exercice , méme la catholique , qui pourtant n'y a pas Pufage des cloches , 8c dont les églifes ne font que de grandes falies. Les Juifs y ont un quartier particulier. On y remarque un jardin de plantes , le plus beau 8c le plus complet qu'il y ait. Le beau pont de 1'A nftel a foixante 8c dix pieds de large , fur cent dix toifes de longueur 5 c'eft une des promenades les plus agréables de la ville. Les horloges publiques, ainfi qu'en plufieurs villes de Hollande , y annoncent chacune des heures , une demi-heure auparavant, fur un timbre différent, 8c durant la nuk, des crieurs püblics les annoncent a haute voix dans les roes*. La maifon de la compagnie des Indes orientales, I'arfenal, la maifon de difciplme , le Gymhafe 8c  des Provinges-Ujvies. 183 la maifon de Charité, font de fomptueux batimens. Ce ne feroit rien hazarder, de dire que la ville d'Amfterdam eft un monde en raccourci ; car on y trouve des marchandifes de toutes les fortes , gens de toutes les nations , de toutes les différente? religions, feéfes & langues. Cette ville doit fa grandeur a la décadence de celle d'Anvers , celle - ci ayant été foumife au joug Efpagnol, l'an 1585., le commerce fut comme transféré dans celle-ia : il y fleurit encore davaiitage , Sc s'y eft continué jufqu'a préfent. Le Stadhouder , Guillaume II, de la maifon d'Orange , ayant recu quelque mécontentement de cette ville , fut fur le point de s'en emparer; il en avoit fait approcher plufieurs re gimens pendant la nuit, qui auroient fans doute fait reffentir aux habitans de triftes effets de 1'indi gnation de ce prince , fi le poftillon qui venoit d'Hambourg n'eüt découvert tout le myftere. A peine eet nomme eüt-il répandu 1'alarme , qu'on leva les éclufes pour inonder les environs de la ville , ce qui obligea ces troupes a fe retirer a la hate. Guillaume 11 étant mort peu de tems après, on a foupconné que fa mort avoit eu des caufes préméditées. Amfterdam eft la patrie du célebre Spinofa &. de Berghem. TVeJbp. Wésop eft un petit endroit, fitué dans ie territoire qui dépend d'Amfterdam, & dont elle tire la plus grande partie de fon eau douce , & de la très-bonne biere. M4  t$4 T A ÜfË AV IIlSTORlQuB Narden ou Naërden, en latin Nardenum. Narden , a trois lieues d'Amfterdam 8C enviroiï autant d'Utrecht , n'eft aujourd'hui qu'un petit village, mais commandé par une bonne fortereffe , qui fert de boulevard a la ville d'Amfterdam : les Francois la prirent l'an 1672, après un fiege de plufieurs femaines; mais ils ne la garderent pas löng-tems. Narden fut prefqu'entiérement ruinée dans le quatorzreme fiecle , 8c la mer fubmergea enfuite prefque tout ce qui reftoit de cette ville. L'an 135 5 , Guillaume III de Baviere , comte de Hainaüf Sc de Hollande , furnommé Yirifen/é, la fit bark : les habitans d'Utrecht la prirent l'an 1481, ayant fait déguifer des hommes en femmes, qui y entrerent un jour de rriarché mais, peu de tems après, ceux de Narden rrouverent le fecret de fe venger de cette furprife. L'an 1486 elle fut prefque toute incéhdiée : environ cent ans après elle fouffrit beaucoup par la cruauté des Efpagnols, commandés par Fréderic de Tolèdc, fils du duc d'Albej quoique les habitans lui eufient ouvert les portes de leur ville, cela ne 1'empêcha pas de les faire tous égorger de la maniere la plus atroce 8c la plus barbare : k ces traits on doit reconnoitre les doux , pieux 8c faints Efpagnols, qui de tout tems ont été avides de verfer le fang humain. Muyden , en latin Muda. A trois lieues d'Amfterdam eft un petit endroit ttommé Muyden. Les Francois avancerent jufqucsIa l'an 1Ö72 ; mais ils furent obligés de reculcr, a. Gaufe d'un brouillard épais qui furvint.  %es Pr o vin ces- XJ n i ê s. 185 Alcmaër, en latin AlCmaria. Alkmaer eft une des plus belies vilies de Ho'iande 5 elle a une fortereffe munie de huit bons baitions; il y a quantité de riches habitans qupfl appelle rentiers, paree qu'ils vivent de leurs revenus. Cette ville pafte pour la plus ancienne ville de Hollande : on prétend que c'eft dans fes environs que 1'on fait le meilleur beurre Sc le plus excellent fromage du pays : elle a beaucoup perdu de fon ancien luftre , depuis qu'Amfïerdam s'eft attiré prefque tout le commerce de la nord-Hollande. L'an 1637, ony fit lavente de cent vingt oignons de tulipes en faveur de la maifon de Charité , Sc on en tira la fomme de cent quatre-vingt mille livres \ parmi ces oignons, il y en avoit un, appellé amiral Enckuyfen , qui fe paya dix mille quatre cents francs, Sc un autre qui fut vendu cinq mille deux cents florins. Hoorn, en latin Horna. Hoorn eft prés de la mer du fud ou Zuiderfée 5 c'eft une belle ville avec un bon port. On ne fauroit voir fans étonnement la quantité de beurre 8c de fromage qui fe vendent dans cette ville, Sc qu'on conduit dans les pays étrangers : le trafic qu'on y fait de bétail eft aufli trés-confidérable. Les états de Weft-Frife y tiennent leurs afiemblées : c'eft le fiege du confeil de 1'amirauté. Medemblic, en latin Mede.nblickiu.rn. Medemblic eft fitué plus avant du cóté da feptentrion Sc a une très-petite diftance do la mor,  ï86 Tableau iiistörique Cette ville, quoique petite , eft aflez bien fortifiée 5 elle a un bon port 6c un chateau , c'eft oü les Hollandois déchargent prefque tous les bois qu'ils tirent de Suède & de Norwège. Petten ou Petteinhen. Petten , prés de la nier, eft remarquable, paree que c'eft-la que commencent les digues qui font du cöté du nord Sc qui regnent tout le long de la mer 5 elles ont coüté des fommes immenfes 5c font d'une abfolue néceflité : telles font celles qu'on appelle Hondsbofch prés de Petten. La confervation de plufieurs milliers de perfonnes dépend de celle de ces digues. Texel, en latin Texelia. Le Texel eft une grande isle , dont le terrein eft extrêmement bas, ce qui a forcé les habitans a y élever de fortes digues: on y fait d'excellens fromages , qu'on appelle ordinairement des fromages du Texel. La plus grande partie des vaifleaux paf fent prés de cette isle, par 1'endroit qu'on appelle Mardiep. Ce fut prés de cette isle qu'en 1653 fe Jivra le fameux combat naval entre les Anglois bX les Hollandois , oü le célcbre amiral Tromp eut le malheur d'étre tuéj ce fut encore prés de-la que Tamiral Ruyter fut obligé de fe battre contre les Francois & les Anglois. On voit, a une très-petite diftance de - la 1'Eyerland , que plufieurs placent dans l'isle de Texel, tandis que d'autres en font une isle féparée.  DES PROrjN CES-U NIES. 1S7 Fliéland, en latin Fkrolandia. Fliéland eft aufii une isle dans la mer, prés de laquelle paflent les vaiifeaux qui vont dans la mer oriëntale ; ce paftage eft trés-dangereux, a caufe des bancs de fable qui s'y rencontrent: on trouve, pres de-la , quantité de toutes fortes de beaux coquillages d'une variété prefqu'infinie. Wéringen. Weringen eft une petite isle prés du Zuiderfée. L'an 1672 , il arriva fur ces cötes" un miracle éclatant qui mérite d'être rapporti ici comme une preuve fenfible de la Providence divine : les Anglois avoient équippé une fiotte a la fourdine pour entrer prés du Texel, dans la Suderfée , 8c de-la aller mettre le poignard a ia gorge des Hollandois : il arriva, pour le bonheur de ceux-ci, que la marée ne remonta point cette fois-la, de forte que le deflein des Anglois échoua , 8c qu'ils furent obligés de s'en retourner comme ils étoient venus. Harlem , en latin Harkmum. ' Harlem , fur le lac du même nom , a une lieue de la mer, a trois d'Amfterdam , 8c a cinq de Leyde , avec lefquelles elle communiqué par le moyen de divers canaux : c'eft une grande ville , riche 8c très-marchande ; elle eft coupée par de beaux canaux, dont les bords font plantés d'arbres. Elle a au nord-eft la riviere de 1'Ye, qui eft proprement un amas d'eau qui communiquent d'une part a plufieurs lacs 8c de 1'autre au Zuiderfée , 8c au fud un grand lac qui s'eft formé dans les grandes  Ï88 TabIEAV H1ST0RXQU E inondations: on 1'appelle la mer d'Harlem. Cette ville fe glorifie de finvention de fimprimerie , que Mayence Sc Strasbourg lui difputent; dans le fait, la première ville oü 1'on imprima fut Harlem •, mais les caraéferes n'étoient pas mobiles, 8c 1'inventcur Kiefter ne faifoit que graver des pages entieres fur des planches de bois : 1'impreflion fut inventie a Strasbourg par un citoyen de Mayence, Sc perfectionnée en cette derniere ville vers l'an 1447 , par des citoyens a qui 1'inventeur vendit fon fecret; il eft vrai qu'elle le fut auiïi a Strasbourg par celui qui avoit travaillé fous 1'inventeur. II y en a qui prétendent que eet art fut apporté de la Chine , oü fimprimerie eft établie depuis plus de deux mille ansi Ün fabrique a Harlem des toiles , des bazins, des batiftes , des draps Sc des étolfes de foie. La rubanerie y eft auiïi un objet de trafic , ainfi que les fleurs qu'on y cultive avec une attention Sc un intérêt qui ne fe trouvent nuile part. C'eft - la qu'on voit ces forêts de tulipes que 1'art varie tous les ans , 8c auxquels les Hollandois donnent fucceflivement des nuances différentes par la tranf plantation , par la nourriture plus ou moins abondante , par I'accélération ou le retardement du développement des fleurs. La biere qu'on brafte dans cette ville eft excel^ lente , auiïi en envoie -1 - on jufques dans la Frife Sc a Trente. II y a, prés de la ville , du cóté de Leyde, un petit bois , oü 1'on voit pendant les beaux jours une quantité prodigieufe de monde fa promener. On remarque la graaide églife qui eft  des Piiori.nces-U.r-/izs, 189 très-vafte : les orgues en font magnifiques 6c trèsélevées, foutenues par quatre belles colonnes de marbre. On voit au - deilus les trois vertus théologales repréfentées par des figures de marbre blanc. Harlem eft la patrie de Vowermans, & de Laurent - Cofter , a qui les Hollandois attribuenr. 1'invention de fimprimerie, Leyde ou Leyden , en latin Caput Germanorurn ou Lugdunum Batavorum. Leyde eft après Amfterdam , la plus grande Sc la plus belle ville du pays ; elle eft batie fur le vieux canal du Rhin, 8c célebre par fon univerfitó 6c fon imprimerie. L'univerfité a eu de grands hommes dans le droit, la médecine 6c les mathé* matiques. L ecole de chirurgie a beaucoup de répu» tation 5 catholiques ou réformés , tout le monde eft recu indifféremment dans 1 univerlité, oü fe trouve un trés-beau théatre anatomique, établi dans une ancienne églifé catholique. Le jardin des plantes y eft trés - bien fourni. On y conferve dans un fallon, parmi plufieurs chofes curieufes , quelques-uns de ces vers , qui vers 1'année 1735, rongerent les pieux qui forment la digue de la Nord - Hollande , Sc empêche que le pays ne foit inondé par la mer, Cette digue cpmmence a 1'endroit ou finilfentles Dunes , qui fervent de barrière naturelle ; les vers, dont on vient de parler, furent amenés de 1'Amérique : ils s'échapperent du vaiffeau qui étoit a 1'ancre prés de la digue, s'attache rent au bois 6c les criblerent en peu de tems. Pour obvier & de pareils inconvéniens, les Etats-  190 Tableau historique Généraux font apporter de loin de la pierraille , pour en former a Ia longue des efpeces de petites Dunes. Ce projet eft digne de la prévoyance & de la patience des Hollandois. L'hötel - de - ville eft fuperbe \ il y a au-dehors de la vüle un mail , & autour des murs un cours d'arbres trés - agréables; mais les habitans s'y promenent fort peu. II en eft a - peu - prés de même dans toutes les grandes villes : on y trouve les plus belles promenades , mais les Hollandois aiment mieux refter chez eux , ou aller dans des efpeces de cabarets boire du thé , du café St de la biere. On trouve a Leyde, 1'arbre du café, celui du thé , celui qui donne la canelle , des cannes a fucre , des ananas, &c. tout cela y vient a grar.ds frais. 11 n'eft pas rare de voir en Hollande des jardins médiocrement grands , dont 1'entretien coüte douze a quinze mille livres. On donne a Leyde tous les ans la lifte des morts de 1'année précédente, de plus, un état détailié des efpeces de maladies ou d'accidens, qui ont occafionné la mort : on y remarque 1'églife de Saint Pierre , 1'un des beaux édifices de toute la Hollande. C'eft dans cette ville que s'eft faite pour Ia première fois la fameufe expérience de Yéleclricité, dite expérience de Leyde : on y fabrique les plus beaux draps de Hollande. C'eft la patrie d'Ifaac Voftius, de s'Gravefande , de Gerar - Don , 8c du fameux Boerhave : cette ville eft peuplée de foixante mille habitans. Catwick eft un village a quelque diftance de Leyde , prés de la mer oü le Rhin fe perd dans les Dunes ou bancs de fables. On voit k  des Provinces- Un ies. 191 une demi - lieue de - la le village de Catwick-Op Zei, aux environs duquel étoit ci - devant 1'embouchure du Rhin j c'eft-la qu'étoit litué le fameux Chateau - Briton , Arx Britannica. L'empereur Caligula 1'avoit fait batir, 5c c'étoit-Ja qu'on s'ernbarquoit ordinairemuet pour aller en Angleterre ; mais comme on n'eut pas foin d'entretenir les digues qui étoient au bord de la mer de ce cötéla, cette contrée fut inondée, particuüérement ce ce chateau , qui a été couvert des eaux de la mer pendant quelques fiecles. II commenca a reparoitre l'an 1520 , l'an 1552, 6c l'an 1562 la mer fe retira , de facon qu'on vit jufqu'au terrein fur lequel ce chateau étoit bati : on ne le vit les deux premières fois que pendant quelques jours j mais a la troilieme , la mer le lailfa a fee pendant trois femaines entieres , de forte qu'on eut tout le tems d'y aller, d'en enlever les pierres fur lefquelles il y avoit des inferiptions , ÖC d'en tirer Je plan a loifir. La Haye , en latin Haga militum. La Haye eft fituée entre Leyde 6c Delf; la plupart des maifons y refiemblent a des palais , 8c on y voit quatre mille jardins. La Haye n'eft pas batie comme les villes le font ordinairement; c'eft pourquoi on 1'appelie ordinairement le plus beau village du monde ; il furpaflë plufieurs villes célebres de 1'Europe , par la magnificence de fes batimens 6c par fes autres ornemens. Ses rues font alignées, la plupart font traverfées de canaux, bordés de quais plautés de tiUeuls j les rues qui  191 Tableau hisi'Orique n'ont pas de canal font aufli plantées de tilleuls dans le milieu. La Haye eft fituée a une lieue 8c demie de la mer , 6c on a pratiqué a travers des Dunes un chemin pavé & bordé d'arbres de chaque cöté , qui conduit de cette ville jufqu'au beau village de Schcvelinger, qui eft a une trés-petite diftance de la mer. Les anciens comtes de Hollande y féjournoient fouvent: de-la vient qu'on appelle eet endroit Saint - Gravenhaag , 5c 1'on y voit le chateau oü ils réfidoient , quoiqu'il y ait cinq cents ans que ce chateau a été bati , tous les bois qu'on y a employés paroiftent encore aufli faint que s'il n'y avoit que quelques années qu'on les y eut mis ; en voici la raifon , c'eft que ces bois furent tirés d'Irlande , & que les vers n'attaquent jamais le bois qui croit dans ce royaume. La Haye eft le centre de 1'adminiftration de la république de Hollande ; les Etats - Généraux s'y affemblent, & c'eft la réfidence du Stadhouder , des miniftres 8c des ambafladeurs étrangers, Comme les rues font fort larges & extrêmement longues , on y voit dans les beaux jours quantité de gens de diftindtion qui s'y promenent en carroffe. C'eft un trés - beau coup - d'eeil de voir tant déquipages de toutes fortes de nations , avec de fuperbes livrées , fe fuivre a la file. Le palais oü s'affemblent les Etats - Généraux , eft un vafte batiment , qui , par fes quatre cötés , renferme une très-vafte cour quarréc : vis-a- vis eft une piece d'eau qu'on appelle le Vivier. Sur la grande place eft le fuperbe palais qu'on nomme la Maifon d'Amfterdam* Le commerce eft floriffant a la Haye;  des Provinces - Unies. 193 Haye : on y compte quatre mille maifons, 8c on y fait un trés - grand trafic de livres. Cette vilie, par Je tableau qu'on vient d'en efquiffer, peut - être réputée la capitale de la Hollande. Si les géographes lui donnent ordinairement Je nom de village, paree qu'elle n'a point de murs, ce ne peut être que par abus ; c'eft ainfi qu'a Paris on appelle Pont-Neuf, le pont qui eft au - deflbus de l'isle du palais, 8c que 1'on appellera ainfi , tant qu'il exiftera. Une raifon qui peut - être encore de quelque confidération , c'eft que Ia Haye n'a pas droit d'envoyer des députés aux états de la province. On prétend qu'il y a föixante mille habitans a la Haye : dans une ville qui n'eft pas fermée , qui eft ouverte par - tout, oü 1'on entre a toute heure de jour 8c de nuit , il femble que les délibérations y font plus libres. Ce lieu furpafte toutes les autres villes de Hollande en politeffe ; grand nombre de citoyens parient les deux langues flamande 8c francoife , 8c les femmes y font curieufes des modes de Paris: ( c'eft la patrie d'Hygens 8c de Ruyfch. ) dans 1'idiöme Hollandois, elle fe nomme Haghe ou Haghen. Le mérite y eft autant confidéré qu'il eft peu recherché dansles autres villes de la république. La nobleffe y eft fort opulente, on en peut juger par 1'exemple fuivant. L'an 1777 , le baron de Schwartzo, juif, jouiffoit de douze millions de florins de revenus ; on lui en donne aujourd'hui plus defeptante de revenus annuels. La Haye eft: la patrie de Fréderic Ruyfch, célebre anatomifte r de Chrétien Huygens, un des plus favans aftronomes du dernier fiecle , de Jacques Golius , prorome I. N  ip4 Tableau hisj'ORiqve feffeur en arabe dans 1'univerfité de Leyde, Sc de Jean II , mort a 25 ans, dont on a un grand nombre de poéfies latines. Louife Hollandine Palatine, abbeffe de Mont-Buiflon», étoit née a la Haye. C'eft dans cette ville que les deux freres Corneille Wit, maïtre-bourgeois de Dort 8c Jean Wit , penfionnaire de Hollande , y furent maffacrés 8c déchirés par lapopulace, le 20 d'augufte 1672. Gravefmd, en latin Gravefenda. Gravesand eft un vieux chateau dans les Dunes , oü les anciens comtes de Hollande ont quelquefois réfidé. Prés de - la eft un viliage fort ancien , oü 1'on fait d'excellens fromages verts , dans la compofition defquels on fait entrer différentes herbes odoriférantes. Le roi de Pruife acquit ce village l'an 1732 , par le partage qui fut fait de la fuccefïion d'Orange. Rifwick. Riswick , village 8c chateau prés de la Haye, fameux par le traité de paix qui y fut conclu l'an 1697 , entre la France d'une part, 8c la Hollande , 1'Efrngne , 1'Angleterre 8c 1'Allemagne de 1'autre. Ce chateau , qu'on appelle Neubourg ou Nieubourg, dépendoit de la fucceflion d'Orange 5 mais dés 1'année 1732, il apparticnt au prince de Naffau - Orange. Loos - Dunen. Loos - Dunen , a une lieue de la Haye, eft un village , oü 1'on prétend que la comtefle de Hollande , née comteffe de Henneberg , accoucha  des Provinces-Unies. 195 dans un même jour de 365 enfans l'an 12.76" i on y voit encore le baflin de cuivre , dont on fe fervit au baptême de ces enfans 5 on nomma tous les garcons Jean , & Eli\abeth fut le nom de toutes les filles; mais tót après, ces enfans Sc leur mere moururent darts un même jour : Credat Judmis apella. Une partie de ce village appartient au roi de Prulfe , 8c 1'aUtre moitié au prince de NajfauOrange. Le port d'Orange en langue du pays, Oraniem Polder, eft un port fur la Meufe , oü 1'on peut s'embarquer ; le mot Polder qui revient fouvent dans la defcription de ce pays , 8c qu'on trouve fur plufieurs cartes géographiques , ( la meilleure carte de Hollande , la plus nette 8c la plus exadfe eft celle de Valck, ) fignifie proprement un marais qui a été comblé ou defleché par des canaux , dont on Fa entrecoupé. Ce Polder forme une feigneurie qui appartenoit autrefois a la maifon d'Orange; mais l'an 1732 elle fut déclarée appartenir au roi de Prufle. Vlaerdingen, en latin Phladirtinga. Vlaerdingen fur la Meufe , étoit ci - devant une ville pafiablement grande, oü les comtes de Hollande faifoient quelquefois leur réfidence ; mais 1'exondation de la mer y a fait de fi terribles dégats , que ce qui refte de cette ville ne reflemble plus qu'è un village. ' Schiédam. Schiédam fur la Merve , qui a donné fon nom a cette province , eft un endroit, oü il y a de très- N z  i9<5 Tableau historique bons pécheurs 8c d'habiles charpentiers pour la marine. Roterdam , en latin Roterodamum. Roterdam , port fur la Meufe, prés de 1'embouchure de ce fleuve , que les Hollandois nomment en eet endroit Merve ; c'eft une ville qu'on peut regarder comme la plus confidérable de la Hollande. Après Amfterdam , elle tire fon nom d'un ruilfeau nommé Rote , qui y coule j elle eft traverfée par plufieurs canaux capables de porter les plus gros vaiifeaux. Les promenades hors la ville font charmantes 8c ornées de jolies maifons de campagne 8c de beaux jardins , dont plufieurs font décoré de ftatues 8c de vafes dorés. La grande rue , qui traverfe toute la ville , fe trouve batie fur une digue ; le refte de la ville eft beaucoup plus bas , 8c a couvert par ce moyen de 1'inondation. Au bout de la ville , du cöté de l'efl , on voit un nombre prodigieux de moulins a vent deftinés a faire de 1'huile , fouler des draps 8c fcier des planches. En un mot , on peut dire que Roterdam eft la première ville des ProvincesUnies , après Amfterdam. Quoiqu'il s'y fafie un grand mouvement, elle eft d'une propreté raviffante, 8c qui éclate de toute part: on y commerce particuliérement avec les Anglois 8c les Ecoflbis j après Londres 8c Amfterdam , le commerce de Roterdam 1'emporte fur celui de toutes les villes du monde: il y aborde annuellement douze a treize cents batimens de difterentes nations. Les canaux qui la traverfent font plus beaux qu'en aucune ville  BES P ROV IN CES-U N 1 E S. I97 de Hollande , ils fervent de port, & recoivent les plus gros vaiifeaux qui viennent décharger a la porte du négociant , les marchandifes des extrêmités du monde : ils y prennent de même leur cargaifon \ la facilité y eft même plus grande qu'a Amfterdam, en ce que levant 1'ancre a Roterdam, on peut prefqu'aufli - tót cingler en pleine mer } au lieu qu'a Amfterdam on eft obligé de faire un fort grand détour par le Zuiderfée 8c la mer d'Allemagne ; les vaifleaux peuvent parcourir la ville au moyen de ponts - levis qu'on haufle 8c baifle au befoin , ou bien même on n'ouvre dans un pont qu'une traverfe de deux pieds environ de large, pour livrer paffage aux mats. La bourfe mérite d'être vue : c'eft un grand batiment neuf, quarré , au milieu duquel. eft une vafte 8c belle cour : autour de cette cour, font des galeries couvertes , oü fe retirent dans les tems de pluie les marchands qui viennent pour leur commerce. On trouve aufli plufieurs belles places dans cette ville. La cathédrale de cette ville eft de toute beauté 8C de magnificence , 8c fa tour eft d'une hauteur extraordinaire. C'eft la patrie d'Erafme, k qui on a érigé une ftatue de bronze fur un pont \ mais n'en déplaife aux Roterdamois , cette ftatue a été peu judicieufement placée \ en effet , un favant , en robe académique , le livre a la main , 8c cnfoncé dans les méditations , n'eft-il donc pas déplacé au milieu des voiles , des cordages 8c des cris des matelots ? N'eft - ce pas a - peu - prés , comme fi 1'on placolt Dom - Quichotte au cloitre des chartreux avec 1'armet de Mandrin fur la tête ? N3  iqS Tableau historiqvs Cetoit ia place de Tromp oude Ruyter, qui de matelot, devint amiral , après avoir rait dix vovages aux Indes , Sc ioutenu huit baraiiies naTalei. L'an 177Ó , M. Biilhop, marchand de ril en gros ÖC en détail qu'il vendoit Iui-méme, avoit chez lui une riche collection de tableaux ftamands , de va!"e-; «riques dor èv c email . de porcelaines de Japon , & de toutes fortes de raretés que les errangers étoient curieux de voir, tant dans fa maiibn m: re ar. rik que daas aa rnaifor cu Cimanciie . cui érok auiTi vafte que la première étoit petite Sc ferree : on eftimoit cette collec&on - agréable. On peut nettoyer tous les jours les canaux qui traverfent la ville au moyen de qaelcue; éckfes , ce qui rend fort faiur>re- i air cu'on refoire, dans cette ville : il y a deux chofes qui mérirect d'étre vues . c'eft le fuperbe maufolée du prince ce Xaftau , 6c 1'arfenaL Le maufclée eft dans une églife au fond du cteur , & rient la place qa'occupe le maitre-herei dans les églifes catholiques. L arfenai eft un gros batiment quarré environnee d'eau , dans lequel il y a de quoi armer  des Provin ces-Unies. 199 «ent mille hommes de toutes pieces. La biere qu'on bralTe a Delft eft excellente : on y remarque deux églifes, c'eft dans la nouvelle que fe voit le magnif que maufoiée de Guillaume I. La tour de cette égiife eft une des plus hautes des Pays - Bas. Delft a une manufaCture très-conlidérable de belle faïence, &C il s'y fait de trés - belles porcelaines qui imite bien celle des Indes. On fait remarquer aux étrangers une rable énorme de cuivre jaune , fufpendue dans une égiife , fur iaquelle eft gravée fhiftoire de la naiffance des trois cents ibixantecinq enfans , dont une comteffe de Hollande , nommée Marguerite de Htnneberg , accoucha dans un même jour l'an 1276. Ce qui a donné lied a cette fable , c'eft que cette princeffe vouiut être préfente au baptéme de 365 enfans trouvés , qu'elle adopta 8c dota j mais ils périrent tous le méme jour que mourut cette princeüe. Au-deifus de la porte de 1'hótel - de-ville , eft un fuperbe batiment fur lequel on lit un diftique aflez lingulier: Ndc domus odit, amat, punit, conferoat, honorat ] Xcquiticm,pacem , crimiaa, jura, probos. Delft eft la patrie de Hugues Giotius, fameux par fes ouvrages, fur-tout par fjbn traité du droit de la guerre Sc de la paix , qui paffe pour un chefd'ceuvre : ( Le fameux Jean-Jacques Roufleau n'eft pas de eet avis.) il en a fait aufli un qui n eft pas fans mérite fur la vérité de la religion carétienne. Delft eft encore la patrie de Chrétien Andricho-! mius , auteur d'une géographie facrée en un volume «n latin , in-folie , avec des.cartes. Le port de N4  ieo Tableau historique Delft , en latin , Delphorum Portas , eft fitué a deux lieues de Delft, fur la Merve , a quelque diftance de Roterdam. Goude ou Tergou. Goude eft fituée au confluent de 1'Yflel Sc de la Gou ; c'eft une jolie ville aflez peuplée , fort marchande , trés - bien fortifiée , aux environs de laquelle il y a de trés - beaux jardins. II y a une trés-belle égiife , Sc fort vafte avec doublés bas cótés : on admire fes vitraux. Les freres Théodore & Gualther Crabeth , y ont épuifé tout leur art ; les orgues de cette égiife font d'une trés-grande beauté. C'eft la patrie de Nicolas Hartfoëker , célebre phyficien. La Brille ou Briel. La Brille eft fituée dans l'isle ou la terre de Vorn, a 1'occident, a 1'embouchure de laMeufe avec un bon port. Le terroir des environs eft fertile en bied, mais fair eft fort groflier Sc malfain. L'an 1372, la comteffe Maltilde y fonda une égiife collégiale; cette ville eft célebre dans 1'hiftoire du feizicme fiecle, paree que ce fut-la que les confédérés jeterent les premiers fondemens de leur république. Le duc d'Albe ayant chafle quantité des gens des Pays - Bas , plufieurs fe retirerent en Angleterre , oü ils équipperent une flotte d'environ quarante voiles fous la conduite du comte de Lumeri ; comme ils faifoient des eourfes continuelles fur les cötes , cela leur attira le nom A'oies de mer , Sc obligea en même tems le duc d'Albe , de fe plaindre a Elizabeth, reine d'Ar.?  ves Provinces- XJ n ies. 201 gleterre , de ce que ces pirates avoient leur retraite dans fes ports; cette princeiTe les ayant fait fortir de fes états, ils fe retirerent a Enkhuyfe • ils prirent trois vaiifeaux Efpagnols richement chargés a Anvers , avec un autre de bifcaïe : de - la ils aborderent a l'isle de Brielle, oü le Rhin 8c la Meufe fe joignent 8c fe déchargent dans la mer : ils attaquerent la ville de Brielle 8c s'en rendirent maitres le jour des Rameaux , premier d'avril. Le duc d'Albe 1'ayant repris quelque tems après , dit nada , nada , ce qui lignifie rien , rien, cepen^ dant 1'événement trompa fon attente : on fit a 1'occafion de ce que ce duc avoit dit, le vers latin fuivant: Crevit in immenfum quod fuit ante nihil. Ce monde a été créé de rien : on voit tous les jours dans ce port jufqu'a deux cents vaiifeaux, qui attendent un vent favorable pour mettre a la voile. Briel a donné la naiffance a Martin Happertz Tromp, célebre amiral des Hollandois. Dordrecht ou Dort, en latin Dordracum, Dordrecht fur la Meufe, eft une ville des mieux fortifiées , avec un bon port. Les anciens comtes de Hollande faifoient leur réfidence ordinaire dans cette ville \ c'eft de-la qu'elle a le premier rang entre toutes les autres villes du pays. Elle étoit autrefois attachée au Brabant; mais l'an 1421 , la mer ayant rompu une digue , inonda tout le pays, Sc fubmergea foixante 8c douze villages, dont le terrein eft a préfent un grand lac nommé Biesbos: plus de cent mille  ïoi Tableau historique perfonnes périrent par eet accident. De ces villages fitués dans le Biesbos , on eft parvenu a en rétablir cinquante - un ; le pays qu'occupoient les autres eft encore aujourd'hui couvert des eaux de la mer. €ette ville exerce aujourd'hui une efpece de monopole dans lbn commerce de vin du Rhin •, elle a droit de battre monnoie \ elle eft fameufe par le fynode qui s'y tint l'an 1618 , entre les théologiens réformés. Francois Gomarus, a la tête des calviniftes , déclama fi fort contre Arminius Sc fc-s feétateurs , que ceux - ci, qu'on'nomme aulTi remontrans , furent déclarés hérétiques ; ce qui entraina la république fur le bord de fa ruine totale , Sc dont elle n'a été préfervéc que par une efpece de miracle. C'eft la patrie du célebre Jean de With , confeiller penfionnaire de Hollande. On a parlé ci-'deflüs de fa fin tragique. Gorcum ou Gorihen , en latin Gorichemium. Gorcum , prés des frontieres de la Gueldre fur la Meufe, a 1'orient de Dordrecht , eft une ville bien batie Sc bien fortifiée : c'eft la patrie de Henri Gorcum , vice - chancelier de Cologne , qui vivoit au dernier fiecle, auteur de plufieurs ouvrages de théologie , entr'autres d'un traité fur l'Euchariftie ; de Guillaume Eftius, favant théologien , Sc le commentateur le plus eftimé des épitres de Saint Paul 5 de Jean Néér - Caftel , évêque de Caftorie 8c vicaire apoftolique en Hollande , auteur de l'Amorpoenitens , Sc de plufieurs autres ouvrages eftimés 3 Sc de Thomas Erpenius ,  BES P R0V1 N CE S-UN 1 E S. 2©3 homme trés - verfé dans les langues orientales. Leerdam, en latin Lerdanum. Leerdam eft un comté qui apparticnt aufli dès 1732 au prince de Naffau - Qrange : ce comté eft prés des frontieres de la province de Gueldre , il appartenoit ci - devant au comte d'Egmont : c'eft prés de cette ville , dans le village d'Acquoi , qu'eft né le célebre Cornelius Janfenius , évêque d'Ypres. Bornes de la Hollande. Les Provinces - Unies font bornées au midi , par- le Brabant, 1'évêché de Liege , la Gueldre pruflienne & «tutrichienne 3 au levant, par les duchés de Cleves Sc de Juliers, 1'évêché de Munfter , le comté de Bentheim 8c le pays d'Oft - Frife. La mer du nord ou d'Allemagne les baigne au feptentrion Sc au couchanr. Obfervations fur la Hollande. La Hollande eft le triomphe de I'induftrie , de 1'aétivité Sc de la bonne intelligence. Ce pays, avec un foi ingrat Sc de peu d'étendue , fe trouve au niveau des puiffances les plus refpectables de 1'Europe. L'air y eft humide, épais, le terrein marécageux , pariemé de landes, Sc couvert de' giaces en hiver , Sc il ne s'y brule guere que de la tourbe qui fait un feu défagréable : on n'y recueille ni bleds, ni vins 5 cependant I'induftrie de fes habitans a tiré un parti pnadigieux de fes immenfes Sc excellens paturages , pour y nourrir beaucoup de beftiaux leurs manufaüures, leur habileté dans  204 Tableau historique la navigation 8c le commerce , en ont fait un pays des plus abondans, des plus riches 8c des plus peuplés qui foient au monde. Des fept provinces qui compofent la république la plus confidérable , celle qui fut bientót ainfi qu'elle 1'efl aujourd'hui, (la Hollande) le fiege principal de fes richeifes 8c de fa puiflance, n'étoit au tems de la révolution qu'un vafte marais , dont les habitans ne fubfiftoient que du produit d'une pêche médiocre , d'un commerce d'économie extrêmement borné, 8c de leurs paturages prefque toujours noyés par les eaux de la mer , ou celle des rivieres. Gette province , aujourd'hui , eft comme 1'entrepöt 8c le magafin général du monde. Tout y gil en adtion ; elle emploie annucllement cent cinquante navires a Ja feule pêche du hareng ; la même a&ivité fe retrouve dans toutes les branches du négoce. L'année 1774, au mois d'avril, mai 8c juin , il entra 8c fortit par la Meufe 8c par le Texel , plus de deux mille voiles deftinées au commerce de la république. La population 8c la richefle font Ie produit néceflaire du génie agilfant de ces peuples : a proportion de 1'étendue; elle eft fept fois aufli peuplée que 1'Angleterre, 8c elle s'eft rendue tributaire de toutes les monarchies de 1'Europe 5 elle a plus de deux cents millions feulement dans les fonds publics de Londres : dans le levant, les Portugais chaflés de leurs pofleflions; des rois , les uns leur font foumis, les; aiitres tributaires ; des forces navales refpcdfées 'de: toutes les nations , dans 1'un 8c dans 1'autre hémifphere : c'elt le fpectacle qu'offre a la terre une poignée d'hommes  des Pr o r ijk c e s-Un i e s. 2.05 libres , retirés dans un pays perdu , oü les quatre élémens ne valent rien. Non - feulement les villes y lont en grand nombre , elles font toutes très*belles 8c d'une propreté incroyable ; les rues en font pour la plupart, ornées de canaux , revétus de quais, plantés de deux rangs d'arbres" Sc couverts de navires 8c de felouques: aux portes , ni foldatefque , ni gardes , ni bureaux. Les m 1 )ns font de brique: le dehors en eft joumellement frotté 8c lavé a 1'éponge , les vitres le lont aufli. Les rues font ordinairement pavées de carreaux pofés de champ , Sc font aufli lavées 8c braflëes avec foin. Dans 1'intérieur , on fait régner la propreté jufques dans les endroits oü il eft fi difficile de 1'obtenir , les cuilines 8c les boucheries : elles font revêtues de carreaux de faï'ence , que 1'on entretient toujours brillans , aufli-bien que les platines , crémailleres 8c plaques de fonte qui recoivent le foyer ; le pavé ou le plancher des appartemens eft couvert de tapis, 8c chez le peuple de natte* , ou d'une légere couche de fable fin , que 1'on renouvelle chaque jour. La porcelaine y eft: commune , au point qu'il n'eft pas de maifon fi mince oü il ne s'en trouve un plein buffet. Chez quantité de particuliers, la fleuiimanie eft portée au plus grand degré de perfeétion, fur-tout a Leyde 8c Alcmaër. La population y eft incroyable. M. Templemann, célebre Ecoflöis, a calculé que fi toute la terre habitée , dont on eftime la population a neuf cents millions, étoit peuplée comme la Hollande , elle contiendroit quatre mille fept cents vingt millions d'habitans. Le pays n'of-  2,o6 Tableau histokique fre qu'une uniformité qui, cependant ne laffe point la vue. Ce ne font que des prairies, des arbres * des canaux, fans collines , fans vignobles , fans vergers, fans forêts. Les villages font tous pavés, propres 8c agréables : on n'y voit ni chaumieres, ni haillons , par - tout on voit s'annoncer l'aifance^ 1'abondance 8c la férénité. Dans les chantiers de la Hollande , on conftruit grand nombre de vaiffeaux qui fe vendent a 1'étranger. Le pays a de grandes plantations de tabac , on n'y brüle que de la tourbe : a cóté des chemins deftinés aux voitures , il en eft d'autres pour ceux qui font a pied : ils font ferrés par des coquillages de mer. On tire de Hollande quantité de chevaux de carroffe ; les meilleurs viennent de la province de Frife : 1'intérêt de 1'argent n'y eft que deux Sc demi pour cent. La compagnie des Indes orientales de cette république , a a fa folde trente mille hommes de troupes bien difciplinées , cent foixante vaiifeaux en mer , plue de huitante - mille perfonnes qu'elle emploie aux Indes , Sc entretient un gouverneur dont la pompe égale celle des rois. Le comté de Hollande eft un pays fort bas ; la mer le fubmergeroit , fi elle n'étoit pas foutenue par de fortes digues. II eft entrecoupé d'une multitude de canaux qui fervent tant a le deifécher qu'è faciliter les tranlports. Quand on voyage pour la première fois de la Haye a Roterdam , on voit avec une furprife mêlée de frayeur, qu'au de-la de Delft, les eaux du canal font de beaucoup exhauffées audeffus de la furface du pays voifin , fur lequel on domine de dedans la gondole. Les eaux qui, mal-  des PRorizrcEs-Unies. 107 gré tous les foins qu'on y donne , fe font jour a travers les digues , font élevées 8t rejetées par des machines hydrauliques que le vent fait agir. Rien de plus difpendieux pour la nation Hollandoife que Pefltretien de fes digues. Ettndue des Provinces-Unies. Les Provinces - Unies ont environ quarantehuit lieues de longueur, depuis 1'extrémité de Limbourg Hollandois jufqu'a celle de la feigneurie de Groningue. Leur largeur, depuis 1'extrêmité de la Hollande méridionale jufqu'a celle de 1'OverIlfel, eft d'environ quarante - lieues. Outre cette étendue de terrein , les Provinces - Unies dominent dans des contrées voifines qu'elles ont conquifes dans diverfes circonftances. Conquêtes des fept Provinces-Unies. On appelle les pays conquis par les Hollandois, pays de généralité , paree que les Provinces-Unies les polfédent en général. Leurs habitans font proprement fujets de la république , & ne participent point aux privileges des provinces fouveraines, n'étant admis dans aucune charge publique. Crs pays font au nombre de cinq : favoir , partie de Flandres , partie de Brabant, partie de la haute Gueldre , partie du Limbourg & partie de 1'évêché de Liege : on y remarque les villes fuivantes qui ont été conquifes fur les Efpagnols depuis 1'union des fept provinces : dans la Flandre-Hollandoife au nord de Ia Flandre-Awtrichienne :  208 Tableau hjstorique VEclufe. L'écluse eft diftante de deux lieues de la mer , elle y communiqué par un large canal. C'eft une ville médiocre , mais marchande j elle a un petit canal qui va a Bruges. Vis - a - vis de 1'Éclufe , vers le nord , eft le pays ou l'isle de Cadfand, qui eft trés - abondante en paturages, 8c oü il fe fait d'excellens fromages. Le Sas ou le Sas de Gand. Le Sas de Gand , place forte toute environnée de marais; elle communiqué a Gand, par un petit canal, 8c par un autre a la mer : les Hollandois y ont un arfenal. Axel. Axel , ville trés-forte , également environnée de marais. Huift. Hulst , petite ville bien fortifiée ; elle a un trés - bel hotel - de - ville. L es Francois s'emparerent de toutes ces villes au commencement de la campagne de 1747 ; mais elles furent rendues aux Hollandois, par le traité de paix d'Aix - laChapelle, l'an 1748. Partie du Brabant -Hollandois au nord, & dat Brabant-Autrichien. Breda. Breda eftune ville fort belle 8c très-marchande; fes maifons font d'une propreté parfaite au-dehors , Sc encore plus au-dedans , comme dans prefque toutae  des Profinces-Unies. 209 toutes les villes de la Hollande ; fes rues font larges , bien percées Sc quelques-unes arrofées de canaux couverts de barques Sc de marchandifes } fes fortifications font confidérables : tous ces environs peuvent être inondés facilement en cas que qu'elle foit menacée d'un liege. II fe fit, dans cette ville l'an 1667 , un traité de paix entre les Anglois Sc les Hollandois. Le chateau des princes de Naffau , a qui appartient la baronie de Breda , eft trèsbeau ; il a des jardins magnifiques, ornés de parterres Sc de ftatues. Berg-Op-Zoom , en latin Bergce - Ad - Zomam. Berg-Op-Zoom port Sc ville forte, fituée fur la riviere de Zoom , ainfi appellée pour ne la pas confondre avec la ville de Bergue , qui eft dans le Hainaut. Cette ville eft la capitale du marquifat de fon nom qui appartient a l'éle&eur Palatin , au ' r.jm duquel la juftice s'exerce. Son nom fignifie montagne fur le bord , Sc ne vient pas, comme le prétend JV1. de la Martiniere , de la petite riviere de Zoom qui n'eft qu'un canal qu'on a creufé expres pour tranlporter les tourbes que 1'on fait aux environs j elle a un autre grand canal qui vient de la mer Sc qui eft bordé d'onze forts. On peut, par ce canal , fecourir la ville , dont Ia fituation dans des marais rend 1'approche très-difficile. Louis XV s'en eft rendu maitre le 15 feptembre 1747 ? après deux mois 8c deux jours de fiege. Bois-le-Duc ou Bol-Duc, en latin Sylva ducis* Bois-le-Duc eft une des plus fortes places de^ Tornt l, o  210 Tableau historiqub Hollandois , elle eft non-feulement munie de bons remparts , de forts baftions 8c de plufieurs ouvrages avancés \ mais elle eft encore environnée de marais impraticables. Toutes les avenues font aufli défendues par des forts : tels font le fort Crhe-Cceur, le fort Ifabelle , le fort St. Antoine , 8c on pourroit en cas de befoin inonder tous les environs par le moyen de la riviere de Dommel Sc de celle d'Aa, qui coulent prés de cette place. Bois-le-Duc eft une mairie de laquelle dépend un aflez grand diftriét ; les anciens ducs de Brabant faifoient fouvent des parties de chafle dans les environs \ Sc c'eft de-la que lui eft venu le nom de Bois-le-Duc : on y prend encore aujourd'hui quantité de Faucons qu'on envoie dans les principales cours des princes. La bourgeoilie eft compofée en partie de catholiques romains , 8c en partie de réformés; mais les catholiques font le plus grand nombre. Les Hollandois ont bati un fort dans la ville qu'ils ont nommé Papen-Brille , la lunette des papiftes , pour donner a entendre aux catholiques qu'on les obferve de prés , Sc que leur lalutdépend de leur foumiflion 8c de leur fidélité. Les Hollan* dois fe rendirent maitres de Bois-le-Duc , l'an 1629, Sc 1'évêque qui y étoit alors , fut contraint de fe retirer avec tout fon clergé. On remarque k Bois-le-Duc 1'églife de St. Jean , qui eft de toute magnificence. Ravefiein. Ravestein , fur la Meufe , petite ville , avec un chateau, capitale de la feigneurie du même  des Provin ces-U nie s. air. riem , qui appartient a 1'éleéteur Palatin. Les États - Généraux ont droit d'y entretenir garnifon 8c d'y avoir des commis pour percevoir les droits qu'ils levent fur Ia Meufe. Enydoven , en latin Eindovia. Enydoven , au confluent du Dommel Sc du Leyns , capitale d'un pays qui fait partie de la maifon de Bois-le-Duc Sc qu'on nomme la Campine Brabacone, pour la diftinguer de la Liégeoife ; cette ville appartient a la maifon de Naflau. ■ Grave , en latin Gravia. Grave , place forte, fur la Meufe , avec titre de baronie ; les environs s'appellent le pays de Cuick , en latin Regio Cuicana , Sc appartiennent au prince d'Orange. Cette place avoit l'an 1672 , un commandant qui manquoit , ou d'intelligence ou de bonne-foi; car le prince d'Orange lui ayant écrit d'envoyer promptement mille chevaux pour occuper un certain palTage qui eft pres de la place , il fuipendit 1'exécution des ordres de fon maitre ? en attendant qu'il eut appris de lui , s'il falloit envoyer les mille chevaux feuls, ou montés par autant de cavaliers. Dans la haute Gueldre , ou Gueldre Autrichiènne. Venlo. Venlo , fur la Meufe , eft une ville très-forte, fituée entre Ruremoade 8c la Gueldre, Sc dont les Hollandois font les maïtres. C'eft la patrie de O 2  2i2 Tableau historiqve Hubert Goltzius, excellent antiquaire, 8c de Henri du Puy, hiftoriographe du roi d'Efpagne. Stephanfwert. Stephaxsvtert , dans une isle de la Meufe , eft une forterelfe importante aux Hollandois. Dans le Limbourg. Fauquemont ou Valckembourg. Valcke.mbourg a une lieue de Leyde , eft une ville , oü il fe tient tous les ans une foire oü 1'on vent quantité prodigieufe de chevaux ; c'eft une ville extraordinairement fortifiée , & qui a le titre de comté. Les habitans de ce petit pays font traités comme fujets , & n« font admis a aucune charge publique. Dalem. La ville de Dalem eft fituée fur une petite riviere, a deux lieues de Liege , Sc a trois lieues d'Aix-laChapelle. Elle eft défendue par un bon chateau. Majirick ou Maëftricht, en latin Trajeclum ad Mofam. Mastrick , ville fur la Meufe dans 1'évêché de Liege; mais comme elle appartient aux Hollandois qui la poffedent depuis plus de cent ans , on met cette ville au nombre des anciennes places-barrieres du Brabant Hollandois. Son nom fignifie paf fage de la Meufe que les flamans appellent Maës. Les ducs de Brabant en étoient feigneurs avec 1'étêquede Liege ; mais l'an 1530, Charles-Quint en adjugea le haut domaine au Brabant, ne lailTan^  des Provinces-Unies. 213. è Tévêque qu'une partie de la juftice ordinaire Sc la feigneurie utile. Les Efpagnols céderent cette ville aux Hollandois fan 1648 , par le traité de Munfter , Sc 1'évêque a continué d'en être feigneur en partie , c'eft pour cela que la régence de cette ville eft compofée de magiftrats catholiques 8c d'Hollandois. Maëftricht eft très-peuplée Sc fort grande : on y compte environ 14000 habitans , fans la garnifon qui eft ordinairement confidérable j elle y a été portée jufqu'a quinze Sc vingt mille hommes. L'hótel-de-ville, qui eft un des plus beaux des Pays-Bas, eft orné d'une bibliotheque Sc eft fitué fur la place du grand marché. La religion catholique Sc la proteftante y font publiquement exercées. Les catholiques romains y ont deux collégiales , qui font aufli des églifes paroifliales. II y en a encore quatre autres, Sc vingt-une maifon religieufes de 1'un Sc de 1'autre fexe. Les proteftans y ontaufli trois églifes Sc deux colleges, Scles uns 8c les autres y ont deshópitaux 8c des maifons pour les orphelins.La maifon desdéputés desÉtats-Généraux Sc du gouverneur méritent d'être remarquées : il y a aufli un arfenal dans lequel on trouveroit aflez darmes pour une armée entiere,8caflezd'artillerie pour tout un camp entier, d'oü il eft aifé de juger combien cette place eft importante pour les Hollandois. Louis XIV prit, l'an 1673 Maëftricht en treize jours, 8c l'an 1748 elle fe rendit a Louis XV, après un fiege de trois femaines. On prétend qu'il faudroit au moins une garnifon d'environ vingt-cinq mille hommes pour défendre cette vafte enceinte O 3  2i4 Tableau historique de ville : on y fabrique quantité d'armes a feu, trés - eftimées a caufe de leurs bonne trempe. Les environs de cette ville font extraordinairement marécageux , dont les exhalaifons rendent 1'air de cette ville trés-mal fain. Les Hollandois firent confiruire a Maéftricht l'an 1703 , un fort qu'on appelle le Chateau St. Pierre qui lui fert aujourd'hui de boulevard , mais qui feroit bientót foudroyé par des troupes ennémies campées fur la montagne Saint - Pierre. II eft a remarquer que l'an 1715,les Hollandois obtinrentpour leur füreté, d'avoir feuls garnifon dans plufieurs villes des PaysBas Autrichiens , qui pour cela furent appellées les barrières , que 1'empereur Jofeph II vient d'anéantir. Ces villes font, d'orient en occident, Namur , Tournay , Ménin , Warneton , Ypres , Furnes 5c le fort de la Quenoke; de même que dans Teuremonde 8c Ruremonde , mais conjointément avec les Autrichiens. Rivieres des Pays-Bas. Les grandes rivieres des Pays - Bas font: la Meufe , VEfcaut 8c le Rhin. La Meufe prend fa fource a quelques lieues de Langres , paffe a Verdun , a Sédan 8c a Namur oü elle prend la Sambre : de-la a Liege , a Maëftricht, enfin a Roterdam au-defibus de laquelle elle fe jete dans la mer. La partie baffe de ce fleuve , depuis Gorcum , paffant devant Dordrecht 8c Roterdam , fe connoit encore fous le nom de Merwe ou Méruwe. Sa fource eft au village de Meufe dans le Baffigni.  'des Provinces-Unies, 2,15 L'Efcaut, qui prend fa fource en Picardie, arrofe Cambrai, Valenciennes , Tournai , Gand Sc Anvers, au-deflbus de celle-ci , il fe perd dans la mer par deux branches , dont 1'une paiTe a Fleflingue 8c J'autre proche de Berg-Op-Zoom. II recoit la Lys a Gand, 8c la Scarpe qui vient d'Arras audeflus de Tournai : fon nom flamand eft Schell. Le Rhin prend fa fource au mont Saint- Gothard en Suifle , fépare la Suabe de 1'Alface , arrofe le cercle éle&oral du Rhin 8c celui de Weftphalie , puis au fort de Skenk il fe divife en deux branches; la gauche s'appelle Vahal, ladroite retientle nom de Rhin : au-deflbus du même fort, il fe partage encore en deux branches a Arnheim ; 1'une prend le nomd'IJfel, 8c tirantdroit au nord , fe jete dansle Zuiderfée ; 1'autre bras qui retient le nom de Rhin, continue fon cours droit a 1'occident: enfin il fe partage encore en deux branches Sc une troifieme fois dans la province d'Utrecht ; le bras gauche prend le nom de Leek, 8c va fe joindre a la Meufej 1'autre retient le nom de Rhin Sc fe perd dans les fables au-deflbus de Leyde; car depuis l'an 860, que 1'océan s'étant débordé, ruina 1'embouchure du Rhin , ce fleuve ne porte plus fon nom jufqu'a la mer. II faut encore obferver que le Vahal, qui eft la branche gauche du Rhin de la première divifion , palfe a Nimegue , puis fe joignant a la Meufe a 1'orient de l'isle de Bommel, 8c s'en féparant enfuite , s'y unit une feconde fois a 1'occident. Gette doublé union forme cette isle : le Vahal prend alors le nom de la Meufe 8c palfe a Dordrecht. O 4  zi6 Tableau historzqve Les différentes branches du Rhin , la Meufe êc les canaux dont les Provinces-Unies font entrecoupées de tous cötés, facilitent letranfport des marchandifes 8c aident beaucoup le commerce. Par le moyen de ces canaux, on va d'une ville a 1'autre : il y a defius des chaloupes réglées qui partent , non deux ou trois fois la femaine , non tous les jours, mais deux ou trois fois par jour 8c même d'heure en heure; rien n'eft fi propre a donner une idéé de la population , de 1'adtivité 8c du mouvement qu'on retrouve en Hollande. Ces canaux n'ont pas été difficile a conftruire , en ce que le pays eft plat 8c uni : le fol du terrein eft fahlonneux 8c entiérement deftitué de pierres. Suite des obfervations ci - dejfus. L'Europe doit aux Hollandois la fcience Sc les avantages du commerce. Pour mettre fin a la léthargie dans laquelle elle étoit plongée ; il falloit un peuple qui fortit du néant, répandit la vie 8c la lumiere dans tous les efprits, 1'abondance dans tous les marchés, qui put offfir toutes les productions a un meilleur prix , échanger le fuperflu de chaque nation avec ce qu'elle n'avoit pas , qui donnat une grande a&ivité a la circulation des denrées , des marchandifes , de 1'argent , qui, en facilitant , en étendant la confommation , encourageat la population , 1'agriculture , 8c tous les genres d'induftrie. On pardonne a I'aveugle mul* titude de fe bomer a jouir fans connoitre les fources de la profpérité qu'elle goüte ; mais Ia philofo-  des Profinces^Unies. xij phie & la politique doivent perpétuer la gloire des bienfaiteurs de 1'humanité , 8c fuivre , s'il eft poflible , la marche de leur bienfaifance. Si 1'on venoit a dire a quelqu'un, que dans un coin du monde , il eft un pays femé de landes , oü il ne eroit ni grains , ni vignes , ni oliviers , ni fruits , ni au cune des productions néceflaires a la vie j fi 1'on ajoutoit que ce pays eft fort peuplé , que les villes y font nombreufes 8c les unes fur les autres \ ii) que ces mêmes villes lont grandes, belles, fplendides, opnlantes , florilfantes 8c environnées de très-beaux chateaux de plaifance \ que 1'abondance y regne plus qu'en aucun lieu de la terre, 8c que fes habitans jouiflent a leur aife des productions des quatre parties du monde : n'auroit - il pas le droit de demander en quel chapitre des livres bleus, ou contes des fées, fe trouve une pareille hiftoriette ; mais pourtant qu'il palfe en Hollande , il verra fe réalifer a fes yeux ce pays en queftion ? Si le tableau qu'on vient d'efquilfer paroit illufoire en parcourant la Hollande, le preftige cefiera 8c le prodige éclatera dans tout ce qu'il a de frappant ? Si 1'on demande quel eft le grand 8c puüfant enchanteur qui a opéré ce miracle , on lui répondra avec autant de certitude que d'afturance , que cette grande merveille, unique dans le monde entier, eft le produit innappréciable de la navigation 8c de la liberté ? ( i ) Dans un efpace de douze i quinze lieues fur une même ligne, on peut compter fept villes , toutes des plus gratides & des plus confidérables : ce font, Amfterdam, Harlem, Leyde, la Haye, Delft, Roterdam & Dordrecht.  2i8 Tableau ristorique Lorfque les généreux habitans des ProvincesUnies leverent la tête au-deifus de la mer 6c de la tyrannie , ils virent qu'ils ne pouvoient afleoir les fondemens de leur liberté fur un fol qui ne leur offroit pas même les foutiens de la vie. Ils fentirent quale commerce qui, pour la plupart des nations, n'elt qu'un intérêt accelfoire, qu'un moyen d'accroitre la maffe 6c le revenu des produdtions territoriales , étoit le feul appui qui s'offroit a leurs vceux. Sans terres 8c fans produdtions, ils réfolurent de faire valoir celle des autres peuples , afliirés que de la profpérité univerfelle , fortiroit leur prolpérité particuliere. L'événement julfifia leur politique. Leur premier pas établit entre les peuples de 1'Europe , le change des produdtions du nord avec celles du midi. Bientót toutes les mers fe couvrirent des vaiifeaux de la Hollande: c'étoit dans fes ports que tous les effets commercables venoient fe réunir; c'étoit de fes ports qu'ils étoient expédiés pour leurs deftinations reipedtives. On régloit fans concurrence la valeur de tout, 8c c'étoit avec une modérarion qui écartoit toute concurrence. L'ambition de donner plus de ftabilité, plus de carrière a fes entreprifes rendit, avec le tems , la république conquérante \ fa domination s'étendit fur une partie du continent des Indes 8c fur toutes les isles précieufes de 1'océan qui fenvironne , elle les tenoit affervies parfes forterelfes ou par fes efcadres. Les cótes d'Afrique, oü elle avoit porté le coup-d'ceil attentif 8c prévoyant de fon utile ambition, les feules contrées de 1'Amérique oü la culture eut jeté les germes des vraies richef-  des Pr&vin ces-Unies. 219 fes, reconnoiiTent fes loix. L'immortalité de fes combinaifons embraflbit 1'univers , dont elle étoit 1'ame par le travail 8c I'induftrie \ elle étoit parvenue a la monarchie univerfelle du commerce: tel étoit 1'état des Provinces-Unies, lorfque les Portugais, fortant de 1'efpace de néant 6c de mort oü la tyrannie Efpagnole les avoit piongés, réuflirent a leur arracher, l'an 1661, la partie du Bréfil qu'elles avoient conquifes fur eux. Dés ce premier ébranlement de leur puiflance , les Hollandois auroient été chaflës entiérement du nouveau-monde , s'il ne leur fut refté quelques petites isles, en particulier celle de Curacao 5 qu'en 1634 ils avoient enlevée aux Caftillans qui la pofiedoient depuis 1527. On ne pariera point ici des pofleflions Hollandoifes en Alle , en Afrique 8c en Amérique; c'eft par leur expofition que fe terminera ce tableau. Nous voici rendus a la partie qui intérefle le plus le philofophe. Tableau des Hollandois. Les Hollandois font laborieux, économes , bons marins , bons politiques, entendus dans le commerce 6c la navigation , attentifs a leurs intéréts , jaloux de leurs pofleflions , de leurs droits, 8c fur - tout de la liberté qui fut la fource de leur profpérité , au point de rifquer tout pour la maintenir. L'efprit de gain 8c d'épargne les portent fouvent a la meiquinerie , ce qui fait qu'avec leurs grandes richefles, ils jouiflent moins des plaifirs de la vie que toute autre nation. Leur tempérament flegmatique les rend lents j fouvent cette lenteur  ii® Tableau historique ne les abandonne pas même dans les affaires les plus preflantes \ naturellement froids, ils le font extrêmement en vers les étrangers qui ne font ordinairement bien accueillis qu'après s'être familiarifés a leurs ufages Sc leurs coutumes. Un amour aveugle pour leurs enfans 8c une fauflè économie leur font négliger leur éducation ; on ne fait ce que c'eft que de les reprendre, 8c moins encore de les chatier j c'eft ainfi qu'en naiflanr, ils jouiflént tant au phyfique qu'au moral, des avantages d'un climat libre : on remarque la même chofe a Berne. Les Hollandois font confifter le premier mérite d'un garcon dans la connoiflance de fes affaires, 8c celui d'une fille , a favoir bien diriger un ménage , en quoi ils font trés - judicieux parmi eux. On en voit quelques-uns en très-petit nombre, a la vérité, qui font voir du goüt pour les fciences Sc les arts, 8c qui ont le courage de Jes cultiver , quoiqu'ils les voient méprifés Sc déprimés avec une affëétation aufli revoltante que décourageante. En général les Hollandois fe laiflent facilement gagner 8c gouverner par la douceur ; mais ils font opiniatres, fi ort veut les dompter par la force. Chez eux les cceurs font généralement vertueux Sc fecourables. L'an 1777 , dont 1'hiver fut fi rigoureux , indépendamment de la colleéte qui fe fait tous les ans au profit des indigens , celle qui fe fit au mois de janvier de la même année,produifit a Utrecht 7128 florins , ou 14968 livres de France j a Harlem 5840 florins, ou 12265 livres de France ; a Amfterdam un peu plus de deux cent mille florins de Hollande, Sc a- peu -prés Ia même proportion  t>es Provinces-Unies. in dans toutes les autres villes. Le plus grand nombre des donateurs voulut être ignoré. Chez leg Hollandois, les crimes font prefqu'inconnus dans les plus grandes villes comme Amfterdam : on eft ordinairement trois ou quatre, Sc même dix ans fans qu'on y voie des exécutions. Les iiollandoifes bornent leur ambition au Ibin de plaire a leurs maris , s'occupent de 1'intérieur du ménage, Sc a y faire régner la profpérité 5c 1'économie, en quoi elles contraftent prodigieufement avec lesFrancoifes. Les Hollandoifes font fort bien faites 5c d'une blancheur éblouiflante. Le paftetems des Hollandois, eft la pipe, la bierre,le punch , les liqueurs fortes, le café' Sc fur-tout le thé, dont ils font un continuel ufage. Ils confomment trèspeu de pain : on n'en fert a table que de très-petits morceaux , comme a Berne 8c dans la plus grande partie de 1'Allemagne 5 la portion de huit ou de dix fuffiroit a peine a un Francois de médiocre appétit. Du gouvernement. Les fept Provinces-Unies font un corps d'alliés dont 1'union a pour bafe le traité d'Utrecht, conclu l'an 1579 : or, par cette union, ces provinces forment moins une feule république qu'une aflbciation de plufieurs républiques qui confervent chacune fa fouveraineté. Jaloules de leurs anciens ufages , elles fe font foumifes pour 1'intérêt commun, Sc ©nt voulu être indépendantes les unes des autres.' Chacune aflemble fes états particuliers , fait fes loix, difpofe de fes finances ? gouverne 5c juge  222 Tableau uistoriq&e auffi en matiere de religion , elles ne peuvent fè contraindre mutuellement fur aucune de ces chofes : bien plus, il y a encore la même indépendance entre toutes les villes qui ont droit de députer aux Etats de leur province, 8c chacune fe gouverne par les loix qu'elle fe fait : voila par conféquent bien des répuliques fouveraines.On ne peut fe diffimuler que ce gouvernement n'ait des défauts •■, mais les circonftances dans lefquelles ces provinces fe font unies , ne leur ont pas permis de choifir un plan plus régulier. Si on eüt entrepris de neformer qu'une feule fouveraineté , chaque province 8c chaque ville auroient cru perdre dans la révolution , 8c dèslors la jaloufie 8c la méfiance les auroient mis hors d'état de pouvoir fe défendre contre 1'Efpagne ; paree que 1'indépendance , dont chaque ville eft jaloufe, feroit aufli par elle-même un obftacle a la réunion des forces, 8c un principe continuel de divifions. II y a, dans chaque province, un confeil toujours fubfiftant , qui, veillant aux intéréts de toutes les villes, fert de lien a leur confédération ; c'eft ce confeil qui propofe aux états provinciaux les matieres fur lefquelles il eft a propos de déliberer.Les affaires générales,qui intéreflènt toutes les provinces, font traitées 8c arrêtées dans les États - Généraux qui font compofés des députés des états particuliers; ainfi les Etats-Généraux ne font pas fouverains , ils ne font que le corps des députés de fept fouverains confédérés. II en eft de même des États-Provinciaux} la fouveraineté ré« lide toujours dans les villes, 8c leurs députés au* états, ne font.que leurs miniftres. Depuis la fin dn  bes Provinces-Unies. 223 feizieme fiecle les États-Généraux fe font toujours affemblés a la Haye : auparavant ils ne s'aflembloient que par intervalle, lorfqu'ils étoient convoqués par le confeil d'état qui veilloit alors aux intéréts des fept provinces. Chaque province y peut envoyer autant de députés qu'elle en veut entretenir, 1'alfemblée eft ordinairement campofée d'environ cinquante perfonnes j mais il n'y a jamais que feptvoix, paree que le aombre des fuffrages eft comme celui des provinces, & non pas comma celui des députés. Les députés ne peuvent rien prendre fur eux : il faut que chacun fe renferme dans les inftruétions qu'il a recues : ce qui borne encore 1'autorité des États-Généraux , c'eft qu'ils ne peuvent ni faire la paixni déclarer la guerre , ni contra&er des alliances , ni lever des troupes , ni mettre des impofitions, ni faire des loix, ni rien changer aux anciens régiemens , fans le confentement unanime des fept provinces. Si fur quelques-uns de ces articles les députés n'ont pas des inftruclions, les États-Généraux ne peuvent rien décider qu'après avoir recu les ordres des fept provinces. li faut même encore, avant de pouvoir arrêter quelque chofe , que les états particuliers foient aflêmblés dans chacune, &C que 1'unanimité des fuffrages concoure a la même réfolution: enfin, dans ces affemblées générales, les députés ne peuvent opiner que conformément a leurs inftru&ions, 8c s'il fiirvient quelque difficulté qui n'ait pas été prévue , tout eft fufpendu jufqu'a ce qu'ils aient pris les ordres de leur fouverain. Au refte, le confentement  2i4 Tableau historiqu e unanime n'eft nécelTaire que dans les affaires majeures dont on vient de parler ; les autres fe décident a la pluralité des fouffrages. En tems de guerre, les États - Généraux 5c le confeil d'état envoient des députés a l'armée > Sr. le général ne peut,fans leur confentement,ni livrer bataille, ni. faire aucune entreprife confidérable. II y a, fans compter les corps de la nobleffe, cinquante fix villes, dont le confentement eft néceffaire en affaires majeures: on délibere d'abord dans les états particuliers •■, le réfultat des délibérations eft enfuite communiqué aux villes 6c aux nobles , Sc ceux-ci, après avoir débattu féparément la queftion propofée , envoient leurs ordres aux états de la province qui les font paffer aux États-Généraux: ce n'eft qu'après ce long circuit, qu'on parvient a prendre une réfolution. On voit par- la combien toutes ces petites républiques craignent de perdre leur liberté , Sc 1'on voit aufïi qu'en voulant prendre trop de précautions pour la conferver , elles ne tenderit qu'a s'embarraffer mutuellement. II femhle qu'elles aient cherché a fe mettre des entraves: en effet, cette forme de gouvernement ralentit toutes les opérations, elle peut tout-a - fait arrêter le mouvement; car fi une puiflance ennemie s'aflure d'un fuffrage , elle mettra la république hors d'état d'agir. Du Stadhoudérat L'union de ces provinces Sc de ces villes n'auroit pas fubfifté long-tems, fi elles n'avoient trouvé dans le Stadhoudérat un principe qui leur a donné de l'a&ivité, Sc qui les a fait mouvoir malgré elles.  ves Provin ces-U nies. zz<$ PuiJJance du Stadhouder. Lh Stadhouder commande toutes les forces de terre 8c de mer , il difpofe de tous les emplois militaires: il préfide dans toutes les cours de juftice, les fentences y font rendues en fon nom , il nomme les magiftrats des villes fur la préfentation qu'elles lui font d'un certain nombre de fujets, il donne audience aux miniftres étrangers, il eft chargé de 1'exécution des décrets que portent les États-Provinciaux; enfin, il eü 1'arbitre des différens qui furviennent entre les provinces, entre les villes 8c les autres membres de 1'état: or, un arbitre qui commande les armées eft proprement un juge fans appel. Cette puiflance illimitée a été le falut des Provinces-Unies , paree qu'elle a été confiée fucceffivement a Guillaume 8c a Maurice de Naffau s il falloit les talens de ces deux grands hommes , 8c il falloit encore qu'ils fuffent moins ambitieux crue citoyens , ou que du moins, cachant leur ambition , les coups d'autorité même qu'ils fe permettoient , ne laiffaffent pas foupconner qu'ils penfoient a la fouveraineté. Heureufement ils étoient trop -éclairés pour fonger a devenir les tyrans de leur patrie, 8c fur-tout pour y afpirer ouvertement. Ils ont vu, qu'en formant un pareil projet, ils ferviroient FEfpagne fans en tirer aucun avantage j car il eft bien évident qu'ils n'auroient fait que mettre la divifion dans la république , qui encore mal-affermie , avoit bien de la peine afe défendre contre 1'ennemi commun. L'ufage le plus prudent, qu'ils pouvoient faire, étoit donc de makitenh; Tornt I. £  2l6 T A E Z E A V HISTORICUS 1'nnion, de nefaire qu'un corps de tous ces membres mal-afortis, Sc de Jes faire agir de concert. C'eft ainfi que dans ces premiers tems Je Stadhouder n'ayant d'autres intéréts que ceux des Provinces-Unies , en eft devenu le lien Sc Ie principal reflört. Mais fi les circonftances changent, la république fe trouvera entre 1'anarchie qui peut naitre des différentes vues d'une multitude de fouverains , Sc le defpotifme dont elle fera menacée : fi le otadhoudérat perpétuel tombe dans une familie ambitieufe , comme celle du Stadhouder d'aujourd'hui. Coup - d'ceil politique fur la forme du gouvernement des Hollandois. . La liberté eft 1'idole des ames fortes qui les rend féroces dans 1'état fauvage , 8c fieres dans 1'état civil. Tout peuple jaloux de fa liberté , fur-tout quand il n'y a pas long-tems qu'il a fecoué le joug, doit être trés-économe dans la diftribution des pouvoirs, Sc fe défier de fes repréfentans. Cependant pour affermir fa liberté , il ne doit pas s'abandonner a une défïance outrée Sc prendre des mefures qui peuvent lui nuire. Peut-on ne pas blamer les Provinces-Unies d'avoir refufé a leurs états , foit particuliers , foit généraux , la même autorité que la feigneurie de Frife accorde aux fïens ? Les députés aux états de cette province ne confuitent point leurs commettans , 8c leurs réfolutions ont force de loix. Quel inconvénient peut-il en réfulter , fi une province a la prudence de borner a un tems très-court la députation de fes miniftres aux états, 8c d'empêcher par de fages précautions que  des Provinces-Unies. 227 Pintrigue , la cabale 5c 1'efprit de parti ne décident de leur éledion. En établiftant un ordre different , combien les Provinces-Unies ne fe font - elles pas mis d'entraves: en voulant éviter. un mal , ne font-elles pas tombées dans un pire ? La célérité eft quelquefois de la plus grande importance , Sc cependant la république paroitra manquer de législateur 8c pencher vers 1'anarchie. Dans les circonftances les plus critiques , tous les jours la puiffance exécutrice fera arrêtée ou rallentie , quoique 1'exercice en doive être aufli prompt 8c aufli facile que celui de la puiflance 1'egislative. Avant que les États-Généraux puiffent prendre une réfolution décifive , il faut que les affaires a délibérer , foient portées aux états particuliers des provinces , 8c de-la renvoyées al'examen de leurs commettans , c'eft-a-dire, que cinquante villes 8c tous les nobles doivent traiter une queftion , la débatrre 8c prendre un autre parti pour que les ÉtatsProvinciaux, par leur décifion, mertent les ÉtatsGénéraux en liberté d'agir. Quelles longueurs toujours fatiguantes , 8c fouvent ruineufes ne doivent pas accompagner cette politique ? Par quelle fingularité faut-il que chez un peuple éclairé 8c qui a joué un röle fi confidérable dans 1'Europe', on retrouve cette loi polonoife aufli abfurde que ridicule ( on veut parler de 1'unanimité requife pour la conclufion des affaires les plus importantes ) ne femble-t-il pas qu'un défaut aufli effentiel dans la législation auroit dü empêcher la république des Provinces - Unies de triompher de fes ennemis, 8C dans la fuite auroit du porter le plus grand préju- P 2  zzü Tableau historiquz clice aux affaires de 1'état ? Avec un pareil gouvernement , jamais 1'union n'auroit fubfiilé , li les Provinces-Unies n'avoient eu en elles-mêmes un reffort capable de hater leur lenteur Sc de ramener a la même maniere de penfer, des villes Sc des multitudes de nobleffe , fouvent jaloufes les unes des autres , qui avoient des préjugés différens, St qui plus ou moins éloignées du danger , plus ou moins intéreffées en apparence aux fuccès de chaque entreprife , ne pouvoient avoir le même zele pour la caufe commune , ni par conféquent les mêmes opinions j ce reffort , c'eft le Stadhoudérat que cinq provinces avoient conféré , trois ans avant le traité d'union a Guillaume I, prince d'Orange , Sc que les feigneurs de Frife Sc de Groningue,donnerent dans leurs provinces particulieres au comte de Naffau , les prérogatives ou droits du Stadhouder, capitaine Sc amiral général font immenfes : il commande également les forces de terre Sc de mer, Sc nomme a tous les emplois militaires: il accorde grace aux criminels, prélide a toutes les cours de juftice,8c les fentences y font rendues en fon nom. II nomme les magiftrats des villes fur la préfentation qu'elles lui font d'un certain nombre de fujets. II donne audience aux ambaffadeurs Sc aux miniftres étrangers, Sc peut avoir des agens chez leurs maitres pour fes affaires particulieres : il eft chargé de 1'exécution des décrets que portent les États - Provinciaux ; enfin, arbitre ou plutót juge des différens qui furviennent entre les provinces , entre les villes Sc les autres membres de 1'état: il prononce Sc fes juge-  bes Provin ces-Ün ies. zzq' mens font fans appel. Étrange effet des contradiéfions humaines des hommes trop jaloux de leur Überté pour fe confier entiérement a leurs commettans qui n'étoient que leurs égaux , abandonnent a un prince un po'uvoir Sc un crédit dont il lui étoit d'autant plus aifé d'abufer, que les affaires de la république étoient plus importantes, Sc qu'elle n'avoit pas encore prife une afTiette affurée : tant de pouvoir entre les mains d'un prince qui avoit fous les talens d'un grand homme 8c 1'ame d'un républicain , non-feulèment ne fut point funefte , mais répara même tous les défaufs du gouvernement , & fuppléa aux établilfemens qui lui inanquoient. Maurice ufa de cette autorité en bon citoyen 8c en héros comme fon pere \ il tint les efprits unis Sc leur communiqua fon adtivité. Son frere Fréderic-Henri qui lui luccéda , fe conduifït par les mêmes principes, Sc même fa régence ns fut qu'une longue fuite de profpérité Sc de triomphe. Son fils Guillaume II , revêtu des mêmes di • gnités l'an 1647 , fe rendit fufpedf a Ia république, foit que les Provinces-Unies, après avoir conclu a Munfter une paix définitive avec 1'Efpagne , euffent moins befoin de Stadhoudérat , Sc commencaffent a s'effrayer du pouvoir énorme de cette magiftrature , foit que de fon cóté Guillaume occupé d'objets moins importans que fes prédécefieurs, parut plus jaloux de fon autorité a mefure qu'elle devenoit moins néceffaire a la république : il ne régna plus la même harmonie entre les États Sc le Stadhouder. La liberté eft foupconneufe , 1'ambition eft inquiete Sc vraifemblablement la répu- P3  zyj Tabzeav h1st0riqu e.. blique .auroit été déchirée 8c peut-être détruite. par des diflèntions domeftiques , fi 1'ambitieux Guiilaume ne fut mort l'an 1650. Les allarmes des zélés républicains fè difïiperent,8c plus frappés des derniers' dangers auquel le Stadhoudérat les avoit expofés , 'que des avantages qu'ils en avoient recus , ils prirent des mefurespour empêcher que le fils pofthume de Guillaume II , ne put jamais obtenir les charges de fon pere. Mais n'étoit-ce pas éviter les maux de la tyrannie , pour s'ex-, pofer a ceux de 1'anarchie , puifque le Stadhoudérat avoit fervi de lien entre les parties trop féparées 8c trop indépendantes des Provinces-Unies. Puifqu'il avoit été 1'ame de leurs confeils 8c le principe de leur unanimité , n'eft-il pas certain que 1'édit qui le profcrivoit pour toujours fans 'remédier aux vices du gouvernement, condamnoit la république a üne inaéiion mortelle. Pourquoi détruire irrévocablement cette magiftrature , tandis que les Provinces-Unies accoutumées a la politique intrigante , aétive 8c tracafliere de 1'Europe , 8c occupées de toutes fes affaires auxquelles elles vouloient prendre part, avoient befoin des refforts les plus aéfifs 8c les plus diligens ? Quand la république auroit eu lafageffe de né s'occuper que d'elle» même; n'eft-il pas évident qu'en lailfant fubfilier les irrégularités de fon gouvernement , elle devoit buffer fubfifter le Stadhoudérat 8c fe bomer a fe faire une magiftrature extraordinaire, telle que fut la dief ature chez les romains. 11 falloit que le Stadhoudérat paffager 8c créé feulement dans les tems de troubles domeftiques ou de guerre érrangere,  2$es" 'Pr.ovïn'cés - Unies. 23"i: püt encore par fon autorité fuprême préferver les Provinces - Unies 'des périls auxquels leur gouvernement ordinaire les expofoit. La république ne tarda pas a éprouver le befoin qu'elle avoit d'un diétateur. Voyant fondre fur elle, l'an 1672, les forces de la France , 8c de fes redoutables alüés , elle crut toucher au moment de fa ruine , 8c paroilfoit prête a fe diifoudre avant que d'avoir été vaincue , avec quelque fupériorité que Jean-de-Wit, grand pen'ionnaire deHollande eut gouverné jufques-la ; il voyoit que faprudence , fon courage , ". fa fermeté 8c fes lumierés ne lui fuflifoient pas : le vailfeau étoit battu par une tempête 'trop violente, 8c le gouvernail, lui échappoit des mains; en effet, fi ce vertueux 8c zélé citoyen eüt réufli a ruiner les efpérances du jeune Guillaume III , 8c a profcrire pour toujours le Stadhoudérat. Bien loin que les Provinces-Unies euffent alors retrouvé en ellesmêmes les fources néceffaires pour repouffer les coups dont elles étoient menacées ; on ne peut fe* déguifer que les vices de leur gouvernement 8c leur conlfernation n'euOënt rendu leur perte inévitable. A eet ancien efprit de courage 8c de patience qui avoit fondé la république 8c produit quelquefbis des prodiges , la paix avoit fait fuccéder eet efprit de fécurité 8c de molleffe qui énerve ordinai-rement les états. Quand on ignore qu'il faut fe défier des douceurs de la paix : les milices de terre avoient été négligées •, le commerce commencoit a attacher trop fortement les citoyens a leur fbrtune domeflique : il n'y avoit plus pour ainli dire de point de réunion entre les fept provinces 8cn'o P4  i3i Tableau sist ori qve fant fe fier les uns aux autres , ni a leurs magif* trats ordinaires, chacune fe feroit hatée de traiter en particulier pour mériter des conditions plus avantageufes. Grotiusa dit,que la haine de fes compatriotes contre la maifon d'Autriche les avoit •empêchés d'être détruits par les vices de leur gouvernement. Cette haine agiflante ne fubfiftoit plus, 8c celle qu'ils devoient avoir contre la France Sc qui devoit produire les mêmes effers, n'étoit pas encore formée. Guillaume III , étoit né avec de grands talens pour la guerre 8c de plus grands encore , pour ce que nous appellons communément Ia politique. Ses ennemis, par les obftacles qu'ils lui oppofoient,8c fes partifans par leurs efpérances, avoient également concourru a lui donner une ambition fans bornes. Son élévation aux charges de fes peres, rendit la confiance 8c le courage a fa patrie j les Hollandois trouverent des alliés ; la France perdit les fiens la guerre prit une face nouvelle }.en un mot, Ie Stadhoudérat fauva encore la république qu'il avoit formée. Dans un de ces acces de reconnoüTance qui ne font que trop ordinaires aux peuples libres , les partifans de Ia maifon d'Orange obtinrent le i février 1674, que le Stadhoudérat déformais héréditaire, paffèroit aux enfans males 8c légitimes de Guillaume HL Laloi qui rendoit cette dignité perpétuelle, n'étoit pas moins funefte a la république , que la loi qui 1'avoit autrefois profcrite pour toujours; heureufement le Stadhouder ne lailfa point de pofiérité, 8c les Provinces-Unies fe trouverent a fa mort dans un état alfez floriffant, pour n'avoir befoin que de  des pRóriweEs-UNixs1. 233" leurs magiftrats ordinaires. Les fuccès des alliés , pendant la guerre de la fuccefïion Efpagnole, cauferent une telle fermentation , que les reftbrts du gouvernement agirent avec autant de célérité , qu'ils devoient naturellement avoir de lenteur. L'hérédité du Stadhoudérat étoit la faute la plus confidérable que les Provinces-Unies puffent commettre. S'il eft avantageux a un peuple libre d'avoir dans des conjeéfures extraordinaire's une magiftrature qui donne au gouvernement une a£f,ion 8c une force nouvelle , rien n'eft plus inconféquent que de la rendre perpétuelle 8c héréditaire ; elle n'aura plus fur les efprits accoutumés k la voir , le même empire j elle ne leur infpirera plus le même zele , la même chaleur 8c la même confiance. Un magiftrat dont 1'autorité eft bornée k un tems trèscourt , peut fans danger être tout-puiffant, paree qu'il ne fe propofera que le bien public j mais un magiftrat k vie commence a féparér fes intéréts de ceux de la république. II faut donc limiter fon pouvoir : un magiftrat héréditaire devient en quelque forte 1'arbitre du pouvoir qu'on lui confie ; il faut donc s'attendre qu'il en méfufera bientót. Quand on examine de prés les prérogatives du Stadhouder, on Ie prendroit pour un vrai monarque , Sc pour peu qu'il veuille en abufer en divifant les efprits, en flattant les paffions 8c furtout en cachant fon ambition fous des manteres populaires , on croiroit qu'il doit devenir en peu de tems un fouverain abfolu : il fait grace aux criminels , fes flateurs en concluront que fa perfonne eft facrée 8c inviolable , qu'il ne peut-être traduit  234 Tableau historique en jugement, 8c qu'il eft par conféquent au-deffus des loix. II eft préfident , né de toutes les cours de, juftice , c'eft-a-dire qu'il peut facilement les corrompre toutes , éluder la force des loix par des jugemens, 8c après avoir établi peu-a-peu une jurifprudence de routine favorable a fes intéréts , devenir enfin législateur. Tous les magiftrats des villes doivent leur place au' Stadhouder; s'il eft adroit, il Jeur apprendra .a devenir reconnohfant a fon égard, jufqu'a devenir des traitres envers leur patrie , 8c il dominera fur toute la bourgeoilie qui afpire aux magiftratures. Sa prérogative de négocier direétementavec les étrangers , le met a portée de fe faire des alliés , 8c de trouver au-dehors les fecours néceffaires pour fubjuguer fon pays. Tel étoit au/Ti le fyftême politique du duc de Brunfwick qu'il avoit fi bien inculqué a fon neveu , fon éleve , 8c dont les Hollandois fe font enfin apper$us. Si un intrigant adroit juge fans appel les différens des provinces 8c des villes , que lui man-. que-t-il pour les divifer 8c devenir leur maitre ? Le Stadhouder difpofe des emplois militaires, 8c commando les forces de terre 8c de mer. Tremblez | flegmatiques bataves : pourquoi votre Stadhouder ne diroit-il pas un jour a fes.foldats mercenaires :, « Mes amis „ ces: bourgeois qui vous paient font » avares , timides 8c riches, 8c n'entendent rien. au ijf gouvernement.: vous prodiguez votre fang , 8c n ils vous refufent votre argent. Vous êtes les dé» fenfeurs de la république , il ne fuffit pas de la I ». défendre contre les armes des étrangers , il faut » la défendre contre 1'avarice des citoyens. Guif  des Provinces-Unies. ■» laume III, étoit dit-on,roides Provinces-Unies, » 8c Stadhouder en Angleterre \ s'il eut laiffé un w fils pourluifuccéder, dequelle puiflance ne jouii> roit-il pas aujourd'hui ? » La dignité du Stadhouder étant vacante dans les provinces de Hollande, Gueldre , Zélande, Utrecht, Over-ifTel. Après la mort de Guillaume III , la république ne vit les avantages qu'elle pouvoit retirer de cette magiftrature en la rendant paflagere , ni combien les circonftances étoient favorables pour tenter cette entreprife. En effet, il ne reftoit plus de poftérité de ces Stadhouders immortels dont le courage 8c le génie avoient formé 8c confervé la république , 8c il s'en falloit bien que les provinces fuffent aufli attachées a la feconde branche de la maifon de Naffau , qu'elles 1'avoient été a la première. D'ail leurs les Hollandois étoient tellement enivrés a la fin de la guerre de 1701 , de la gloire qu'ils avoient acquife fous le nom de leurs magiftrats ordinaires, qu'ils auroient adopté avec joie tous les régiemens qu'on leur avoit propofés a ce fujet. Mais foit que les magiftrats qui gouvernoient alors ne connuflent pas le fyftême de leur gouvernement, foit qu'ils ne fongeaflent qu'a étendre leur pouvoir , ils firent revivre les anciennes loix qui profcrivoient le Stadhoudérat politique , d'autant plus faufle dans ces circonftances , qu'il n'étoit plus poflïble de fe déguifer que la noblefte indigné de voir des bourgeois a la tête des affaires , feroit tous fes efforts pour avoir un Stadhouder , 8c entraineroit le peu-. ple a penfer Comme elle. Pour comprendre 1'intérêt du peuple, il faut  TABLEAV RISTÖIIÏQVE remarquer qu'a la nailTance de la république , les affemblées de la bourgeoifie choififfoient a la pluralité des voix, les perfonnes deftinées a former le fénat de chaque ville. II le fit quelques brigues , quelques cabales dans les éiections , dans ces élections , Sc de mille moyens propres a arrêter ce mal , on prit le plus mauvais 8c le plus dangereux : on donna au fénat même le droit de nommer a fes places vacantes. Les fénateurs ne s'aflbcierent que leurs parens, & toute 1'autorité devint le partage de quelques families qui s'emparerent de tous les emplois. Celles qui fe trouverent exclues murmuroient contre 1'olygarchie , étoient moins affeéfionnés au gouvernement , 8c pour abaiffer des magiftrats dont elles vouloient fe venger , devoient s'unir a la nobleffe pour le rétabliffement du Stadhoudérat. Ce fut l'an 1722 , que les états du duché de Gueldre , nommerent pour leur Stadhouder Sc capitaine général , le prince d'Orange Sc de Naffau , déja Stadhouder héréditaire de Frife Sc de Groningue. La province de Hollande ouvrit les yeux fur le péril dont elle étoit menacée 3 mais ne prit aucune mefure capable de la prévenir, au lieu de négocier inutilement avec la Gueldre. Pour empêcher une démarche a laquelle elle étoit déterminée , il falloit empêcher que eet exemple ne devint contagieux , il falloit examiner les caufes qui avoient produit cette révolution dans la Gueldre, Sc fi elles pouvoient avoir les mêmes fuites dans les autres provinces, il falloit s'y oppofer, Sc pour empêcher que la nobleffe Sc le peuple ne deliraffent un Stadhouder,  des Provinces-Unies. 237 ïl auroit fallu que perfonne n'eüt eu a fe plaindre du gouvernement actuel. En partant de tout autre principe, on ne pouvoit avoir qu'un fuccès malheureux : tandis que les ennemis du Stadhoudérat ne faifoient rien de ce qu'ils auroient dü faire. Ses partifans appuiés du crédit de George II, roi d'Angleterre , 8c beau-pere du prince d'Orange , devenoient de jour en jour plus nombreux: ils n'attendoient qu'un prétexte pour changer la face du gouvernement, Sc il fe préfenta l'an 1747. Lorfque le roi de France attaqua le territoire des Provinces-Unies , route la cabale du prince d'Orange feignit les plus grandes allarmes pour rendre la confternation 8c intimkler les magiftrats. Nous fommes perdus fans un Stadhouder ; donne^nous un Stadhouder. On n'entendoit que ces cris mêlés a des menaces. La province de Zélande obéit a la clameur publique, Sc les états de Hollande 8c d'Utrecht fuivirent eet exemple , bientót imité par la province d'Over-Ilfel. Le premier fuccès encouragea les ennemis du gouvernement, 8c comme fi la république avoit craint de recouvrer un jour fa liberté , elle ne fe contenta pas de rendre le Stadhoudérat héréditaire; elle voulut même que les filles fulfent appellées a cette fuprême magiftrature. La loi porte , que cette dignité ne pourra appartenir a un prince revêtu de la dignité royale ou éleétorale , ou qui ne profeftbit pas la religion réformée : les Stadhouders pendant leur minorité doivent être élevés dans les ProvincesUnies. Cette fuprême magiftrature ne paflêra a la poftérité des princefles de la maifon d'Orange t  a 3S Tableau historique que dans le eas oü elles auront époufé , du confentement des états, un prince de la religion réformée, 8c qui ne foit ni roi, ni éleéteur. Une princeife héritiere du Stadhoudérat 1'exercera fous le titre de gouvernante, 8c pour commander en tems de guerre , propofera a la république un général qui lui foit agréable pendant la minorité du Stadhouder. La princeffe en exercera le pouvoir avec le titre de gouvernante , a condition cependant qu'elle ne fe ramariera pas. On vient de voir que les Hollandois font jaloux de la liberté fans en avoir des idéés bien juftes. Crimes des Rois. Nous voulons tous être heureux , c'eft Ie but de la nature , c'eft le cri de la raifon, 8c le fouverain n'eft deftiné abfolument par les autres hommes fes femblables, qu'a veiller continuellement a leur bonhcur \ 8c cependant tous les princes ne s'occupent que du leur propre, aux dépens de leurs imbécilles fujets. Toutes les richefies font a leur commandement; ils jouilfent de toutes les commodités de la vie 8c de tous les plaifirs. Ils fatisfont leurs goüts dépravés 8c leurs fantaifies au détriment des loix , de 1'honneur 8c de la liberté descitoyens, 8c trés - fouvent au prix de leur fang. Ils foupconnent a peine qu'ils ont des devoirs a remplir: ils font dans la plus ferme perfuafion que tout eft a eux , que les autres n'ont rien, que Ie monde eft fait pour eux , 8c que tout le refte de la fociété doit être facrifié a leur caprice. Toute leur politique confifte a retrancher au bonheur du peuple s  des Provinces-Unies. 239 pour ajouter a fa foumiflion : ils ont pour principe inconteftable que la pauvreté eft le plus fort rempart du tróne. « Que moins les particuliers auront » de richefies , plus la nation fera obéiflante 5 » une fois pliée a ce devoir, elle aura par ha)> bitude, que ce qu'on a donné a fes fujets , il » faut le reprendre a d'autre ; qu'il n'y a pas » de maniere d'être obéi, qu'il eft d'expérience » qu'un peuple qu'on abandonne a 1'aiiance eft » moins laborieux ,qu'un autre , 8c fouvent même » devient infolent. II faut par conféquent multiw plier les impóts de toute efpece , paree que le » prince ne fauroit jamais être aflez riche, attendu » qu'il eft obligé d'entretenir des armées, 8c les » orficiers de fa maifon qui doit être de toute » magnificence. Si le peuple furehargé ofe élever » des plaintes , il aura tort, il faut le réprimer » fur le moment: on ne fauroit jamais être injufte » envers lui, paree que dans le fond il ne pofiede » rien que fous la bonne volonté du prince , qui w peut lui redemander en tems 8c lieu, ce qu'il a j) eu la complaifance de lui laiifer, fur - tout quand » il en a befoin pour 1'intérêt 8c la fplendeur de fa » couronne: il faut d'ailleurs fi peu de chofes a » cette efpece d'hommes endurcis a la peine. Leur » ambition ne doit jamais aller au de-la despre» miers befoins , qu'ils aieat du pain, ils doivent » être contens. » Tel eft a-peu-près le réfultat de ce qui fe dit dans le confeil du plus grand nombre de« monarques,ou plutót tel eft le langage ordinaire des cours, langage bien propre a flatter la fotte yanité du defpote ixiflexlble, 8c 1'orgueil farou-  24© Tableau hi stürzque che du cruel tyran. Tous les monarques ne fontils donc pas environnés de vils adulateurs 8c de laches courtifans qui ne ceffent de les forcer a dépouiller les peuples 8c a les accafaler fans remords: on ne manque même pas de plumes vénales qui , pour embellir ces belles aifertions , ont foin d'ajouter avec un air de confiance, que 1'ambition des payfans ne doit pas aller au de - la de leurs premiers befoins: ils n'ont pas, il eft vrai, les befoins infenfés du luxe, mais aufli c'eft une raifon de plus pour fe convaincre que , quand ils fe piaignent, c'eft avec juftice •, d'ailleurs, réduire le peuple au fimple néceffaire, n'eft-ce pas le réduire au pain 8c a 1'eau. Cependant Grotius a dit, d'après le diclamen univerfel, qu'il ne fuffïr pas que le peuple foit pourvu de chofes abfolument néceffaires a fa confervation, qu'il faut encore qu'il ait 1'agréable ? mais ce n'eft pas le fyftême des cours européennes ou européanes. Dans le langage des cours , manquer du néceffaire, c'eft n'avoir pas de quoi nourrir vingt chevaux inutiles 8c vingt valets fainéans \ mais dans le langage du laboureur , c'eft n'avoir pas de quoi nourrir fon pere accablé de vieillelfe , fes enfans , dont les foibles mains ne peuvent 1'aider encore , 8c fa femme enceinte , ou nourrice d'un nouveau fujet de 1'état; c'eft n'avoir pas de quoi fbutenir une année de grêle ou de ftérilité , de quoi fe procurer a foi 8c aux fiens, dans la vieilleffe ou dans la maladie , les fbulagemens, les fecours dont la nature abefoin. Qui pourroit s'empêcher de verfer des larmes ameres , fur le fort de ces pauvres ruftres euro- péens ,  des Provinces- U n ies. 241 péens,cette portion d'hommes la plus précieufe d'un èt'at j chez lefquels la nature humaine fe trouve pour ainfi dire dégradée ? Ces êtres malheureuX vivent dans des cabanes obfcures avec leurs families 8c quelques animaux , expofés fans celfe a toute 1'intempérie des faifons , ne connoiffent que la terre qui ies hourrit, 8c le marché oü ils vont quelquefois vendre leurs denrées pour y acheter quelques habillemens grofliers , parient prefque tous un langage qu'on n'entend point dans les villes , ayant peu d'idées, 8c par conféquent peu d'expreffions, foumis fans favoir pourquoi, a un homme de plume è qui ils portent tous les ans au moins les deux tierS de ce qu'ils ont gagné a la fueuf de leur corps, fe ralfemblent une fois ou deux dans une efpece de grange pour célébrer des cérémonies oü ils ne comprennent rien, fur-tout dans les états catholiques romains, écoutentun autre homme vêtu mieux qu'eux 8c qu'ils ne comprennent point , quittent quelquefois leur chaumiere , lorfqu'on ba; le tambour, 8c s'engagent a s'aller faire tuer dans une terre étrangere 8c a tuer leurs femblables, pour le quart de ce qu'ils peuvent gagner chez eux en travaillant. N'eft - ce pas la le fidele tableau de la plupart des payfans en Eürope, fi 1'on excepte peut - être la Suede oü ils formoient ci - devant un ordre , la Surfte oü ils ne fentent peut - être pas aflez leur bonheur , 8c 1'Angleterre oü 1'agriculture eft encouragée; par - tout ailleurs la clafle des payfans eft cent fois plus cruellement traitée que les plus vils efclaves. Peut - on voir avec indifférence cette claffé d'hommes , ou plutöt cette Tomé l. Q  2.4* Ta bi e au hjstoriqvb partie de la fociété humaine , foit aufli négligés, aufli méprifée dans des états qu'on dit être policés ? Si les hordes fauvages ont quelqu'idées de nos gouvernemens politiques , doit - on être furpris de 1'horreur qu'elles ont pour les Luropéens ? Aux yeux du fage 8c impartial appréciateur des chofes , les fauvages ne font - ils pas mille fois moins barbares ? Mais ne cefle-t - on de crier aux oreilles fuperbes des fouverains , il eft a craindre que le peuple ne devienne parefleux , arrogant, rebelle , intraitable ? Jufte ciel ! quel gouvernement fut jamais plus fur de 1'obéiflance de fes lujets , que celui qui, par les bienfaits , la reconnoiffance 8c 1'amour, s'eft acquis tous les droits du pouvoir paternel. Le peuple n'eft pas tel qu'on le calomnie dans les cours. Ce qui 1'énerve , 1'aigrit Sc le révolte , c'eft le défefpoir d'acquérir fans cefle 8c de ne polféder jamais: on craint qu'il foit arrogant, intraitable eh ! veut - on qu'il tremble comme 1'efclave fous les verges ? Devant qui doiti! donc trembler, s'il eft fans crime 8c fans reproche ? Sous quel pouvoir doit - il fléchir, li ce n'eft pas fous celui des loix 8c du fouverain légitime. A - t - on d'ailleurs jamais rendu un peuple intraitable en le rendant plus heureux. Le pouvoir abfolu a -1 - il donc jamais donné au fouverain le droit de maltraiter fes fujets , puifque perfonne ne peut fe dépouiller de la liberté , jufqu'a fe foumettre a une puiflance arbitraire , paree que ce feroit renoncer a fa propre vie , dont il n'eft: pas le maïtre , 8c paree que ce feroit renoncer a ftn deveir , ce qui n'eft jamais permis. Monarques  bes Provin ges-Unies. 243 infoucians, indolens 8c infenfibles, que vous faites fouffrir 1'humanité ? Defcendez un moment de votre tróne pour confidérer cette multitude de fujets difperfés dans les bourgs 8c dans les campagnes , privés des chofes néceffaires a la vie , fi négligés , fi dénués des fecours auxquels ils ont droit comme les autres , a raifon de leurs befoins 8C plus que les autres , paree qu'ils ont moins de reffources; ayez le courage de ne pas détourner vos regards attendris de ces êtres infortunés, cette portion d'hommes la plus précieufe d'un état, chez qui la nature humaine fe trouve dégradée \ daignez confidérer un moment ce que devient le prix de leur fueur. II paffe dans des mains étrangeres, leurs hameaux tombent en ruine , les vieillards, les enfans ne favent plus oü repofer leurs têtes$ leurs plaintes fe perdent dans les airs, 8c chaque jour une pauvreté plus extréme fuccede a celle fous la-quelle ils gémiffoient la veille; a peine leur reftet - il quelque trait de la figure humaine. On bok leur fang , 8c on leur défend la plainte : en vain implorent-ils le bras qui tient le glaive des loix, il fe détourne , il fe refufe a leurs döuleurs , il ne fe prête qu'a ceux qui les oppriment. Les befoins renailfans qui les tourmentent ont altéré la douceur de leurs mceurs \ la mauvaife foi, 8c la rapine fe font gliffées parmi eux, paree que 1'urgence du, befoin ne connoit guere de loi. Plufieurs d'entr'eax ent refufé de mettre au jour des enfans que la fatnine viendroit faifir au berceau 3 d'autres dans leur défefpoir ont blafph'êmé contre la providence : des soups plus fenfible* encore readent leur fituation  244 Tableau hïstoriqux plus défefpérante , 1'hoinme puiflant les méprife 8c ne leur attribue aucun fentiment d'honneur , fouvent même il va les troubler jufques fous le chaume. A 1'afpeét du fafte qui infulte a leur mifere , 8c 1'homme dur environné d'un luxe infolent, rend encore leur état plus infupportable : tel eft d'après 1'expérience 8c le cri général, le fidele tableau de la plus grande partie du peuple dans prefque toute 1'Europe oü il eft condamné a gémir fous un fceptre de fer , 8c a s'exhaler en plaintes inutiles. Ajoutez a ce tableau la multitude des pauvres couverts de haillons qui inondent les villes, leur afpeét hideux , leur teint have 8c plombe , leur contenance abbattue 8c leur défefpoir annoncent 1'endurcilfement 8c la cruauté du gouvernement. Si la terre eft peuplée de malheureux , c'eft le crime des rois. Qu'on vienne après cela nous prêcher la légitimité des fouverains, 8c faire 1'étaiage pompeux de leurs grandes vertus ? N'eft - ce pas infulter impunément a la mifere publique ? Souverain qui que tu fois, qui te dis mon maïtre 8c mon chef, li tu veux que je travaille , que je fois honnête , que j'aie des mceurs, des vertus, montremoi 1'exemple, 8c veille fur - tout a ce que tout ton peuple 8c jufqu'au dernier de tes fujets puifle fe procurer en travaillant, une fubfiftance honnête. Ce n'eft qu'en rendant tous tes fujets heureux , qu'un monarque acquiert des droits fur eux : ce n'eft qu'en vertu de cette obligation naturelle , k un fouverain de veiller continuellement au bonheur de fes peuples , qu'on lui met une couronne lur la tête, comme le fymbele de la concorde qui dek  DES P RQt F1 N CE S- UN TE S. 245- régner dans la fociété, Sc comme 1'emblême des vertus bienfaifantes qui doivent feriller dans fon ame ainfi que fin fon front} ce n'eft qu'a cette condition qu'un fouverain a droit de commander \ mais s'il veut forcer par des fophifmes ou a coup de canon de 1'adorer , fans favoir pourquoi, c'eft un monftre qu'il faut exterminer s'il eft poflible ; au.trement 1'humanité entiere va être expofée a expirer fous letranchant du glaive, que ce tyrah tiendra toujours prêt a frapper le premier objet qui fe préfentera a fes regards farouches. Un prince jufte Sc éclairé eft un vrai phénomene: il a fallu des liecles pour produire un Henri IV, 8c de nos jours un Jofeph II. On ne peut fe retracer le précieux fouvenir du premier, qu'avec un faint tréfaillement, Sc en verfant des larmes d'attendriffement; fes manes auguftes femblent frémir dans . le tourbillon qui nous enveloppe , Sc encourager des ames généreufes a montrer hardiment la vérité aux princes qui gouvernent ; mais ne feroit-ce point fe donner des peines aufli fruftraires que périlleufes: en effet , quel avantage en réfulteroit-il pour 1'humanité? A-t-on jamais pu apprivoifer des tigres ? Tous les rois naiflent comme eux avec le befoin prelfant, Sc fans cefle renailfant d'égorger de nouvelles viéfimes. Point de rois fur la terre , puifque ce font autant de monftres nés pour dévorer les habitans des contrées oü ils commandent. L'hiftoire du bon Trajan , de Marc-Aurele Sc d'Alexandre , fait impreflion fur des cceurs fenfibles \ on ne peut qu'admirer les grands talens de Pierre premier; mais ont-ils jamais pu opérer tout le bier» Q3  *4ó Tableau his tori que auquel leur heureufe organifation les portoit naturellement. Un vrai rrfodele de bons princes, c'eft le grand Arnafis, roi d'Egypte, Ce monarque , de limple foldat , devenu chef de fa nation, gagna le cceur de fes fujets par fon aftabilité Sc fes vertus. 11 poiica fon royaume, y attira des étrangers 8c fit un gtand nombre de loix toutes extraites du droit naturel, parmi lefquelles on en remarque une qui prefcrivoit a chaque particulier, de rendre compte tous les ans, de la maniere dont il fubiiftoit. Pourquoi cette loi fi humaine , qui marqué jufqu'oü la prévoyance d'un fouverain vraiment fage doit s'étendre , n'eft pas celle des gouvernemeris modernes. Ne faut - il pas s'en prendre aux rois ? Tant qu'il en exiftera , la terre fera peuplée de malheureux : 8C cependant dans tout gouvernement bien organilé , il ne doit pas y avoir un feul individu qui fouffre par la faute du fouverain Sc a fon infcu. jl'autorité d'un roi ou d'un conquérant , qui n'emploie d'autre meyen pour la foutenir , que le glaive St la menace , n'eft qu'une autorité abfurde 8t odieufe , qui ne peut jamais être fanétionnée par le droit naturel , ( dut - on couvrir la terre de flots de fang , paree que le droit naturel eft dans le cceur de 1'homme St non a 1'embouchure d'un canon , St ni a la pointe d'une épée ), cette autorité ne peut en impofer a perfonne, que par la flatterie d'un droit politique Sc barbare , qui, a le prendre comme on voudra , ne fut jamais avantageux que pour un feul, Sc fut fans celfe dangereux pour toujours. D'ailleurs, tandis que tout s'emprefte a nous prouver 1'égalité des conditions, ne  jbes Provinces-Unies. 247 feroit-ce pas avancer un paradoxe , que de parler d'une autorité pour laquelle la nature éleve aveuglémentun homme au-deflus de fes femblables 8c les alfujettit abfolument, fans aucune preuve de néceiTité morale ou phyfique, 8c fans aucun réfultat heureux pour la fociété générale. Pourvu qu'on démontre clairement la vérité de 1'ordre 8c celle- de la juftice qui conftituent ou bannilTent 1'autorité , peu importe que les orgueilleux, les fots 8c les méchans faffent entendre leurs pitoyables glapilfemens , les vrais amis de 1'humanité fuivront les traces de ces fentimens purs 8c généreux , & trouveront chez la poftérité éclairée le prix 8c la récompenfe que mérite un courage auffi héroïque. Peut-être n'eft-il point ici-bas de vraie route pour conduire au bonheur ? Mais feroitil donc impoffible de procurer aux fociétés en général , 8c a chaque individu en particulier , les moyer.s d'alléger le poids de fon exiftence ? Dans le phyfique , il eft un maximiim Sc un minimum , que les mathématiciens favent apprécier j il n'en eft pas ainfi , a la vérité , des qualités morales., puifqu'elles ne peuvent pas être aflujetties a la même précifion ; mais feroit - il donc impoffible de parvenir a quelque chofe prés, a des réfultats auffi juftes dans cette partie , que le mathématicien dans la fienne ? II n'eft , par exemple , aacun gouvernement dont on ne puifle trouver le fort §C le foible: il réfulte d'un calcul exact de fes forces , elles confifteht dans la combinaifon des rapports phyfiques 8c moraux , qui conftituent un état quelconque. H faut donc connoïtre aupara- Q4  ï4§ Tableau sistorique vant les rapports phyfiques 8c moraux, qui don-t nent de la conlïftance a un état, avant de chercher a en apprécier les forces. On peut mefurer tout corps politique dont on veut trouver les rapports, de deux manieres, favoir: par 1'étendue du territoire & par le nombre du peuple : les rapports du territoire, avec un nombre donné d'habitans, dom nent le produit des forces d'un peuple , de même que du rapport des loix, avec telle religion dans tel climat, dokent réfulter telles mceurs: le terrein nourrit le peuple , le peuple conftitue 1'état , Sc 1'état prend telle ou telle forme 8c telles loix combinées avec telle religion. Dans ces trois grands objets , on conlidere les rapports phyfiques 8c moraux ; on les combine, on les apprécie , on trouve leur valeur, 8c c'eft de leur produit que réfulte dans cette matiere , le maximum & le minimum, des forces réunies de tel état, de tel empire, de tel peuple , de telle nation. Pour qu'il y eut une parfaite harmonie dans la nature , il faudroit de toute néceflité que les hommes agiffent en toute occafion, conformément a ce qu'ils font , a ce que font les chofes , a ce qu'ils fentent Sc a ce qu'ils peuvent fentir, Ëclaircijfement. Pour peu qu'on veuille réfléchir fur foi - même, on diftinguera dans fon individu, trois principes effentiels 8c abfolus de détermination pour notre volonté \ la vue claire 8c diftinöe de la nature d s chofes 8c de leurs rapports, c'eft la raifon écl r e qui en juge; le fentiment précurfeur de notre état  des Provinces-Unies. 249 qui nous fait diftinguer St préférer, ce qui eft pour nous une fource véritable de fentimens paifibles St agréables, St le defir de notre confervation qui nous fait craindre tout ce qui pourroit nous priver de nos plaifirs, nous caufer de la douleur , .St enfin nous détruire. II eft même deux caufes d'aéfivité qui modifient ces refforts de détermination , c'eft le degré naturel des forces que nous avons en partage , 8t le plus ou moins de difpofition St de facilité a nous en fervir. Le defir St la „rainte font les deux grands refforts qui font agir 1'homme, St le font prévoir fans cefte pour marcher au bonheur. Pour y parvenir, il a cette relfource précieufe , les lumieres de la raifon , 1'énergie des idéés, St la faculté arbitraire de diriger fes forces pour les employer convenablement a fa conftitution phyfique, a fes rélations morales St a la confcience de la nature. II eft vrai , que tous les hommes n'ont St ne peuvent avoir la même étendue de lumieres , le même degré de forces , la même adf ivité , la même efficacité ; mais dans le fonds , la nature n'a-t-elle donc pas pourvu a cette inégalité morale , en deftinant par des loix fecretes d'ordre St d'humanité , le plus a£tif , le plus éclairé, a fuppléer a ce qui manque a 1'autre , afin que les deux ou plufieurs faflent un tout heureux St parfait , St rempliffent deux objets cohérens. Celui de la nature qui n'eft pas obligé de donner autant a 1'un qu'a 1'autre , qu'afin qu'il fache confoler 1'autre de ce que lui manque , c'eft précifément par cette raifon , que cette même nature nous a mis en fociété , St c'eft en cela que  l$9 TaBLKAV HÏSTORICiUB réfident le principe , la caufe 8c le but de cette fociété qui , en agitant a diverfes reprifes la maffe de fes devoirs 8c de fes befoins, doit enfin parvenir , après nombre d'eflais acceffoirss 8c malheureux , a trouver le fil de 1'ordre 8c a fixer 1'équilibre focial. Mais pour y parvenir, il faut commencer par mettre 1'homme fur la route de la vérité 8c du bonheur , parée des fleurs de la vertu , 8c couverte de 1'égide de la raifon, enfuite lui enfeigner le vrai 8c le bien , le déterminer a agir par un principe de douceur 8c d'affeéfion ; voila les traits caractériftiques d'une autorité légitime , qui veut que tous 8c un chaeun tendent vers le bonheur, 8c qui prend toutes les précautions que lui diéfe la prudence , pour empêcher qu'il y ait aucun malheureux dans la fociété par fa faute. C'eft une autorité qui recueille avec fageffe , 8c avec choix le miel du fentiment 8c le baume de la raifon , trouvant fa propre fatisfaétion dans fes efforts glorieux ; elle apporte fes riches découvertes dans la maffe commune , pour y être agitées, examinées, difcutées , pefées 8c épurées par tous ies individus ; c'eft alors que fortement éguillonné par le trait peignant de la vérité , 8c par le reflet de fa confcience, 1'homme focial fe foumetavec empreffement a une autorité fi jufte 8c fi légitime , 8c obéit avec joie: i! reconnoit qu'il faut une fubordination , fur-tout pour les fots 8c les méchans ; que cette fubordination doit être reglée 8c prefcrite par les plus éclairés , les plus juftes &C les plus fages de la mu'titude. On ne peut que réclamer contre les rois. En effet, comment puis - je me flatter d'une  des Provinces-Unies. 25T aflurance pofitive 8c abfolue , que celui qui conv mande , 8c qui fe dit mon maitre , mon propriétaire de droit divin , 8c de droit humain eft leplus éclairé , le plus jufte 8c le plus fage de ma nation ? L'expérience ne nous apprend-elle pas tous les jours , que les rois font les plus corrompus de toute une nation , qu'ils fe jouent impunément du bien , de 1'honneur 8c de la vie de leurs fujets. Ne fita-on pas dans 1'hiftoire combien de maux 8c de plaies , ils ont fait en tout tems a 1'humanité ; mais quand on n'auroit pas une certitude aufli authentique : qui me convaincra que tout ce que je fais , au nom de celui qui fe dit mon roi , mon maitre, 8c par fon ordre , n'eft point contre le droit naturel, contre 1'équité , 8c contre la vérité de 1'ordre ? Qui m'aflurera , qu'il eft aflez bien organifé pour ne faire 8c ne vouloir que le bien ? Qui m'aflurera qu'il a été aflez bien élevé , pour n'avoir que des principes de fagefle , d'humanité 8c de juftice ? Qui me perfuadera que tous ceux qui 1'environnënt, font les plus honnêtcs gens du monde, 8C que les courtifans ne font ni faux , ni intérefles , ni abfurdes ? Mais fi je n'ai pas toutes ces aflurances : fi de plus, les théologiens 8c la raifon ne m'ont pas fait voir clair comme le jour , que mon maitre eft plus habile , plus fenfé , plus jufte , 8c plus fage que moi : ne m'eft - il pas permis de douter de fon droit fur ma perfonne , 8c de croire que de ce principe , il faut une fubordination , c'eft une chofe plus admirable dans la fpéculation, qu'il n'eft aifé d'en déterminer la pratique. Si 1'autorité n'étoit confiée qu'a des vieillards fages, fenfés ,  i5i Tableau uistoriquü fenfibks Sc nos égaux en titres, propres en tout fens a nous commander 8c a nous fubordonner , plutót qu'a tel 8c tel monarque, qui fe prétend fupérieur , & précifément paree qu'il a plus d'orgueil, de paffions & de vices que nous, fe dit deftbé par Dieu , pour nous faire tourmenter au gré de fon bizarre caprice. Mais oü trouver des gens junks & éclairés , pour prefcrire & régler au jufte la fubordination ? 11 eft vrai, que tous les hommes ne font pas des Solons , des Lyeurgues, des Socratos , des Platons , des Cicerons, des Newtons , des Clark, des Lock , des Leibnitz , des Wolf, des Defcartes , des Bernoulli , des d Alembert , des Diderot , des Vc'taire , des Roulfeau, &c. Le public fait bientót découvrir le mérite, dans quelqu'endroit qu'il puifte être caehé : c'eft des liaifons naturelles qui nous mettent en état de nous connoitre , 8c de nous apprécier, que naiftent les occalions de faire comparaifon de la capacité de nos femblables, öt des avantages qu'ils peuvent nous procurer avec ceux qu'ils peuvent tirer de nous. 11 eft vrai que cette comparaifon tacite , dont 1'intimation pefe fi fort fur 1'crgueil & fur le préjugé , ne doit empêcher perfonne de reconnoitre chez d'autre une fuperiorité réelle de lumieres plus étendues, un jugement plus fur, un coup - d'ceil plus jufte , une fagacité plus intelligente & une plus grande énergie; dés que 1'influence de toutes ces vertus s'annonce fans prétention , avec une fagefte plus tranquilk . & conftante ; c'eft au contraire une raifon pofitive pour détermber 1'inférieur a confier fa foibleflë a  DES PROriNCES-UNIES. I$3 rhomme de génie , a réclamer en fa faveur 1'aftivité de fes forces, Sc. a chercher a faire corps , pour ainfi dire avec lui, en fuppofant toutefois que eet homme de génie , a qui l'adminiftration publique feroit confiée , eut donné des preuves éclatantes Sc indubitables, qu'il eft intimément convaincu par fes lumieres Sc par fa confeience ,. que toute autorité de droit naturel, Sc tout pouvoir confié, fe borne a ces deux maximes: « Que » 1'homme n'a plus aucun droit fur fon femblable, » dés qu'il cefle de lui faire du bien, Sc que fon » femblable eft löuftrait a fon autorité , dés qu'il » a acquis par lui - même Sc par fa propre éner» gie, les fscultés 8c les lumieres néceftairespour » courir la carrière de fon propre bonheur ». D'un autre cöté , qui ne chercheroit pas a s'inftruire par lui-même , Sc a ne reconnoïtre . comme vrai que fes propres découvertes, 80 a jeter le refte dans une ignorance opiniatre 8c volontaire, dans un fcepticifme parfait, qui ne lui permit, ni de croire ce que les autres feuls ont découvert, ni d'examiner les conféquences de leurs principes, 8c k dire comme quelques gens mal organifés , qu'il ne faut admettre que les premières fpéculations apportées par les préjugés recus h mais n'eft - ce pas dire , je veux aufli devenir aveugle, fourd , fot, orgueilleux , abfurde , pédant, paree que mes parens Sc mes ancêtres étoient tout cela^ Sc paree qu'il y a une néceffité déterminée, que je fois aufli tout cela. L'homme a trop d'amour - propre pour ne pas foupconner qu'il y a encore bien des découvertes a faire, qui font plus importantes què celles  154 Tableau hist orique qu'il trouve dans une fociété acceffbire, oü le* fentimens Sc la morale font encore dans une efpece d'aoarchie. Qui feroit aflez mal organifé , pour ne pas reconnoitre qu'il eft des génies tranfcendans Sc lumineux, autour defquels le tourbillon des idéés fortes Sc juftes , circule fans celfe , Sc qui fofent arracher hardiment le fecret a la nature , pour le bonheur du genre humain. Ces hommes de génie font aifés a reconnoitre , ils portent fans celfe le flambeau dé la raifon Sc 1'olivier de la paix, leur front brille de candeur, leur fenforium eft un tiftü délicat Sc fenfible qui s'échappe fans cefle en atömes rapides, mais bienfaifans, 8c leur influence s'annonce dans un cceur limple Sc docile , comme le léger murmure d'un ruilfeau qui cherche a s'inlinuer dans un fable pur. Mais li leur afcendant pefe fi violemment fur 1'ame des fots Sc des méchans , fi eet afcendant agite leiw fureur aigre Sc bouillonnante , c'eft que le génie eft une flarnme dévorante qui les tourmente pour les épurer , Sc qui, pour les rendre a 1'humanité, eft obligé de diffoudre pour ainfi dire la fange groffiere 8c le fiel dont ils font pêtris. II n'eft donc pas a craind*-e , qu'on ne trouve dans tous les états des perfonnes éclairées , a qui 1'on puiffe confier l'adminiftration économique. Pourquoi donc des rois l L'hiftoire de tous les fiecles ne nous retrace-t-elle donc pas fans cefle le tabieau de la fociété, toujours gouvernée par des rois ou par des chefs , Sc toujours malheureufe ? Ne feroit-ce point er quelque forte l'hiftoire de 1'enfant prodigue , qui, après avoir quitté la maifon paternelle , pour aüer chercher la  des Provinces-Unies. 255 liberté Sc les plailirs, n'a trouvé que des fers Sc de la mifere ? Avifé par 1'excès de fes maux Sc par une dure expérience , il revient dans les bras de fon pere ; c'eft ainfi que la fociété avifée par fes malheurs , par fon expérience Sc la raifon, doit un jour rentrer dans le fein de la liberté. Dans quelle époque , cette heureufe révolution doit-elle arriver ? Quand tous les hommes feront juftes Sc fages ? Les rois n'ont donc rie-n a craindre de long-tems, Sec. C'eft alors que les hommes ne reconnoitront d'autres loix que celles de 1'amitié, Sc dans la place de leurs rois automates, ils n'auront d'autre idole è couronner que celle de la paix. Cette révolution fera due a la perfuafion générale , que chacun eft obligé, par le droit naturel Sc politif , non-feulement de ne point troubler 1'ordre établi, ni d'y apporter des modifications pernicieufes d'intérêt, de domination Sc de diftinétion , mais encore de faire agir toutes fes vertus , toute fon énergie Sc toutes les lumieres de fa raifon , pour procurer le bien général dont dépend abfolument le bien particulier. Tant qu'd exiftera des rois fur la terre , on ne pourra jamais fe flatter d'y voir ce miracle , depuis le premier roi qui fut couronné par fignorance, Sc 1'imbécillité humaine, jufqu'a 1'époque préfente ; ü 1'on en excepte peut - être trois ou quatre, y en a-til eu un feul qui n'ait fait confifter la gloire dans un vain appareil , dans une magnificence fans bornes , dans des plaifirs coüteux , dans des conquêtes arrofées de torrens de fang. Quand on sonfidere de prés leur conduite ne  i5<5 Tableau histöriqu e feroit-onpas tenté de croire que leur état ne les oblige £t rien , qu'ils ne font fur la terre que pour la ravager , 1'aflervir , dévorer les peuples, ou pour s'amufer fans celfe fans rien faire d'utile pour les nations qu'ils tourmentent fans relache. Eft - ce donc régner que d'abandonner les rênès de 1'empire a quelques favoris, tandis que celui qui devroit gouverner , croupit lachement dans une honteufe oifiveté. On ne s'occupe que du foin de faire diverfion a fes ennemis par des plaifirs fouvent fales , 8c qui dégrademt 1'efpece humaine , par des fêtes difpendieufes, par des édifices inutiles qui coütent des larmes a tout un peuple. Con-» damné a fatisfaire fans celfe les vices 8c Ia vanité d'un monarque le plus fouvent automate, 8c jamais difpofé a faire du bien a fes fujets. «O peu- » pies qui êtes li patiens dans vos maux , que n'aj> vez-vous Ie courage de mourir avec gloire 5c » générofité ! II eft des tems , des circonftanees » oü le lache feul , dit: il faut obéir & hair. » Quand le mal eft fans remede , 8c parvenu a fon dernier période , il faut ou égorger les monftres qui dévorent la fiibftance du pauvre peuple, ou ii la fortune vient a tromper votre valeur; prenez li bien vos mefures que vous ne mourriez pas fans vengeance ; combattez en défefpéré , & ne cédez la viftoire aux auteurs de vos maux, qu'aux prix de leur fang & de leurs larmes. Peuples mal- heureux , condamnés a gémir dans 1'efclavage 8c fous le joug infupportable de la tyrannie , ayez le courage d'exterminer vos tyrans : que ce foit - Ia déformais votre devife. Les rois trernbleront devant vous  des Provinces-Unies, 257 vous, 8c vous ne tremblerez devant perfonne. II eft une époque qui devient néceffaire dans certains gouvernemens , époque terrible , fanglante , qui devient le fignal de la liberté, c'eft de la guerre civile dont on veut parier. C'eft - la que s'élevent tous les grands hommes; les uns attaquent 8c les autres défendent la liberté ; la patrie feule peut former des citoyens généreux. Réduit a être témoin des maux qui affligent fa patrie , il faut, ou a 1'exemple de Nerva, terminer le cours de les jours, en maudiffant les auteurs de tant de calamités, ou prendre exemple fur ce Chinois vertueux , qui , juftement irrité des vexations des grands, fe préfente a 1'Empereur , lui porte fes juftes plaintes , 8c lui dit : « Je viens m'offrir au fupplice , auquel » de pareilles repréfentations ont fait trainer fix » cents de mes concitoyens, 8c je t'avertis de te 5> préparer a de nouvelles exécutions. La Chine » poffede encore dix - huit mille bons compatrio3) tes , qui , pour la même caufe viendront fuc» ceffivement te demander le même falaire ». Al ces mots, 1'Empereur fe tait: étonné de fa ferineté , lui accorde la récompenfe la plus fiatteufe pour une ame héroïque, la punition des coupables 8c la fuppreflion des impöts : voila de quellc maniere fe manifefte le bien public. Rois, grands de la terre, s'il en eft parmi vous , dans le fiecle oii nous vivons, qui n'aient des yeux que pour ne point: voir, 8c des oreilles pour ne pas entendre, s'il eft vrai, que vous ayez un cceur de bronze , 8c que vous vous croyez faits pour infulter a 1'humanité & 1'avilir ; apprenez qu'un roi n'eft puiffant qu'i Tomé I, R  258 Tableau historique la tête d'une nation généreufe 8c contente ; eft-* elle une fois avilie, le tróne s'arfaifle , tót ou tard éclate une guerre civile qui déploie les talens les plus cachés , les reftburces les plus inattendues. On voit des hommes extraordinaires s'élever 8c paroitre dignes de commander a des hommes \ tel s'eft montré derniérement Waghinton , aux yeux de 1'univers étonné. C'eft un remede affreux , il eft vrai, mais après la ftupeur de 1'état, après 1'engourdiflèment des ames , il eft indifpenfable. La liberté enfante des miracles , elle triomphe de la nature , elle fait croitre des moiflbns fur la cime des rochers arides , elle donne un air riant aux régions les plus triftes, elle éclaire des patres 8c les rend plus pénétrans que les fuperbes efclaves des cours. II faut opter ou d'être heureux ou miférable ; armer fon bras , point de milieu j mourir avec gloire , ou vivre malheureux ou déshonoré. Souvcraiiss de la terre, apprenez encore que votre grandeur 8c votre füreté font moins fondées fur votre puiflance abfolue , que fur 1'amour de votre peuple. S'il eft malheureux , il fouhaitera plus ardemment une révolution , 8c il ébranlera votre tróne ou celui de vos enfans ; le peuple eft immortel 8c vous devez pafler ; la majefté du tróne réfide plus dans une tendrefle paternelle, que dans un pouvoir illimité ; ce pouvoir eft violent 8c contre la nature des chofes-, plus vous ferez moderés 8c plus vous ferez puiffans; donnez 1'exemple de la juftice , 8c croyez que les princes qui ontune morale , font plus forts 8c plus refpe&és. Les  des Provinces-Unies. 259 peuples que vous vexez , font attachés au fol de la patrie , ou plutöt en forme la partie la plus efientielle ; ils ne peuvent fe difpenfer de fournir a vos befoins \ ce qu'ils exigent de vous , c'eft que vous defcendiez un moment de votre tróne , pour vous appliquer a connoitre la mefure de leurs forces, 5c a ne pas les écrafer fous le fardeau , qu'ils auroient porté avec moins d'impatience dans une plus jufte proportion. Si 1'oppreftlon va toujours en croilfant, ils fuccomberont, Sc la patrie fe renverfera •■, en tombant, elle écrafera fes tyrans. Obfervations, ad hoe 6c propter hoe. Si par - tout le peuple étoit bien inftruit de fes droits, éclairé fur fes vrais intéréts, prudent 6c coulageux , on toucheroit au moment d'une révolution entiere \ s'il préféroit 1'honneur 6c ia liberté a 1'aviliifement 6c a la mifere, il n'écouteroit ni les promefles inlidieufes de fes chefs , ni leurs vaines menaces : il oferoit bientót, a 1'exemple des braves Américains , lever 1'étendard de la liberté , & ouvrir le code facré des droits de 1'honneur Sc de ceux des nations : il fommeroit tous les membres de fa fociété a fe joindre a lui fous peine de liaute trahifon : il feroit tous fes effbrts pour rentrer dans tous fes droits , bien réfolu de verfer plutót jufqu'a la derniere goutte de fon fang, que de retomber fous la tyrannie d'un monarque qui fe croyoit le Dieu des hommes , paree qu'il n'avoit jamais fu en être 1'ami 6c le protedteur. De tout tems les rois furent les fléaux des nations. En Afie, ee fut toujours un horrim.e qui commanda k d'autres  26o Tableau his toriqu e hommes ; la volonté du defpote y eft encore la loi fuprême. II ordonne Sc on lui obéit : voila le gouvernement Afiatique. On prétend que c'eft toute autre chofe en Europe , oü chaque conftitution poütique eft combinée. Les législateurs ont donné, dit-on , comme un left a chaque pouvoir pour fervir d'équilibre a un autre j ce n'eft point, ajoute-ton , le caprice qui conduit les hommes •, mais la raifon , Sc a cette occafïon , on s'eft écrié : quel bonheur de vivre fous 1'Empire de la raifon? Après une longue fuccefiion de fiecles pendant lefquels les différens peuples avoient plufieurs fois défolé la terre , les Egyptiens après eux , les Grecs parurent a la fuite de ceux-ci, 1'univers vit naïtre les romains qüi pillerent le monde : ils firent la conquête de toutes les nations 5 mais ayant été écrafés fous le poids de leur grandeur, tous les fouverains qui fe formerent des débris de leur puiflance , fe firent la guerre pour favoir qui devoit être le premier ufurpateur. Pendant qu'ils fe difbutoient les dépouilles des romains , parut fur la fcène un nomme Charkmagne qui les fubjugua tous, après celuici d'autres aventuriers fe difputerent entr'eux. Les violences continuerent jufqu'a ce qu'il prit fan taille a ces ufurpateurs de faire des droits de ce qui n'étoit que des ufurpations , Sc on fe battit continuellement pour pofféder légitimement ce qui ne pouvoit 1'être que d'une maniere illégitime. Enfin, au milieu du fiecle pafte, il parut fur le théatre du monde un monarque chrétien auquel les uns donnent le nom de grand St d'autres de petit, qui envahit des provinces, délbh des états, brüla da  DES PROVINCES-UNIES. 2ól villes, 8c difpofa de vaftes monarchies en faveur des fiens : il paffa foixante ans a faire des fottifes 8c a donner des batailles dont il fe trouve fort grêvé, 8c fon pauvre peuple encore plus exténué fur la fin de la carrière de ce vieux monarquc fybarifte , qui, pendant fa vie, brouilla fi bien les cartes, que depuis ce tems-la , il a toujours fallu négocieroü fe battre. Ccci ceffera de paroitre furprenant, quand on confidérera que Rornulus, ayant fondé la ville de Rome, créa un fénat; que Céfar détruilit fa puilfance 8c réunit en lui toute 1'autorité de la république j que ies autres céfars qui vinrent après lui eontinuerent a fe i'approprier 8c fonderent un Empire 5 que eet Empire a été dépecé 8c mis en lambeaux , Sc que dans eet état, il a palfé dans nos tems modernes dans une certaine maifon Européenne dont Charles VI fut le dernier defcendant par enfans males , lequel avoit une belle province qu'un prince voiiïn enleva dans la fuite a fon héritiere. Ce prince, de peur qu'on ne lui ravit aufli cette méme province , prit les armes en tems de paix, 8c fit une invafion par précaution fur un prince voifin dont il déföla les états pour le mettre hors d'état de lui nuire. II fut un tems oü la France voulut fans doute profiter de la divifion de ces deux maifons pour s'approprier elle-même certaine province ; mais ion efpérance fut décue ; cependant de quelque cóté que dut pencher la balance , la France ne pouvoir pas profiter d'un pouce de terre en Allemagne : qu'importe , elle prit le£ armes pour faire une diverfion ? ür, il faut entendre par diverfion R 3  z6z Taszeav n istör1qv e mettre une armée confidérable fur pied , 1'entre^ tenir a fes dépens , détruire fes finances , fe battre pour les autres , Sc épuifer 1'état de fujets ; il n'en réfulte d'autre avantage que la deftrudtion des armées, 1'épuifement de fes finances , Sc la ruine totale du royaume; mais telle étoit la politique du moment, Sc le plus fouvent la politique de la plupart des états de 1'Europe le demande ainfi : voila ï'avantage ineftiihable pour les peuples d'avoir des rois a leur tête. Mais par quel aveuglement, par quelle fatalité faut - il que la maffe générale des hommes n'ait encore pu franchir de grands intervalles qui les tiennent encore fi éloignés de cette grande Sc importante vérité, qu'il ne faut point de rois fur la terre ; c'eft que pour appercevoir les chofes telles qu'elles font Sc fous leur véritable point de vue , c'eft que les principes de la morale ignorés de la plupart des hommes , ce n'eft malheureufement que par le microfcope trompeur des préjugés deftrudteurs, que nous confidérons les principes de la morale ; ces préjugés font des jugemens deftitués d'expériences mffifantes. Si 1'on remarque encore tant d'ufages barbares , tant d'opinions feuffes régner parmi les hommes qui fe laiftent entraïner par une routine aveugle, dont 1'effet eft de les tromper, de les empêcher de connoitre leurs véritables intéréts Sc les objets qu'ils doivent eftimer ©u méprifer ; c'eft qu'ils font condamnés a être continuellement dupes des préjugés qui les écartent fans cefle du bien être vers lequel ils croyent s'acheminer. C'eft a 1'inexpérience qu'on doit tant de fauiTes opinions, dont tant de nations font en-  DES PrOVINCES-U NIES. 2<5jf core imbues St contraires a Ia raifon. Ces loix , cesufages font confacrés par 1'habitude , Stfetranfmettent fans examen des peres aux enfans. Si la raifon de tout tems réclame contre ces abus , rarement elle eft: viéforieufe. II n'eft donné qu'a un petit nombre derfages , de connoitre la nature des chofes , d'appercevoir diftindfement le vrai rapport qu'il y a entr'elles St de les favoir apprécier. 11 ne faut donc pas être étonné fi 1'homicide , les guerres, les duels, les cruautés religieufes St politiques publiques St particulieres , les adulteres , ies rapines, la mauvaife foi ne font point des crimes aux yeux des rois St de bien des nations qui fe difent civilifées. Qu'on cefle d'être frappé d'étonnement a la vue de la conduite que la plupart des hommes tiennent entr'eux , St fi en conféquence de cette conduite , des fpéculateurs ont cru que la morale n'étoit qu'une chimère , que fes devoirs dépendoient du caprice des législateurs St des conventions des hommes , on ne peut que déplorer le fort du genre humain quand on voit par-tout la vio~ lence St la force ériger en droit les préjugés les plus grofliers , les opinions les plus abfurdes Sf. ies coutumes les plus abominables, fonder toute ia morale de la plus grande partie des nations. II n'appartient qu'a la vérité fondée fur 1'expérience , dejuger les hommes, leurs inftitutions , leur conduite St leurs mceurs; c'eft la vérité feule qui, en éclairant les mortels fur la nature des chofes , peut un jour parvenir a les rendre meilleurs ou plus raifonnables ; c'eft a Ia philofophie a confondre 1'igaorance 8t Terreur, St c'eft a 1'éloquence a fou- R 4  z64 Tableau historique droyer les fources fécondes du mal moral: abréger Ia royauté , c'eft attaquer le mal par fa racine. Ergo reges è medio tollantur immifericorditer. Produits du defpotifme. Que 1'état d'un peuple qui gémit fous Ie defpotifme eft déplorable ! Combien la fervitude engourdit le cceur des citoyens : combien le retour a la vertu eft difficile pour ne pas dire impoffible , auand une corruption lenre a enhardi, la tyrannie a s'élever fur les débris des loix. Bientót 1'ufurpateur revêtu de toute la puiflance publ;ije, jouit de la lacheté de fes efclaves , augmente* leur corruption en fomentant leurs paflions les plus balles 8c pour s'abandonner enfuite plus tranquillement a fes plaifirs , livre ce troupeau a fes miniftres qui, en enchérillant fur leurs maitres, font a 1'humanité des infultes méthodiques. On les voit preffurer la pauvreté même ou plutót dévorer fa fubftance , dévafter les campagnes pour fournir a leur luxe, & contenter leur avarice infatiable. Sous leur proleet ion, des hommes aufli corrompus qu'eux, exercent fur les foibles un affreux brigandage. Si le peuple , réduit au défefpoir, fait entendre quelques murmures , fes pleurs Sc fes cris font regardés comme féditieux &. attentatoires a la majefté du tróne 5 1'intrigue , la cabale , la baife flatterie regnent dans tous les ordres de la nation, Sc la fociété n'eft plus qu'un amas de loups raviffant, Sc de foibles agneaux qui trembJent 8c fuyent devant eux. C'eft alors que 1'état eft abforbé dans une funefte léthargie a laquelle certainement la plus  des Provinces-Unies. 2^5 fumulrueufe anarchie eft préférable. Si par hazard quelque citoyen vertueux fe reflbuvenanr de findépendance de fes ancêtres , fait fonner Ie mot de liberté aux oreilies de fes compatriotes , ces hommes avilis Sc couverts d'ignominie , le regardent comme un infenfé , 8c fourient dédaigneufement aux mots de vertu 8c d'amour de la patrie. Dans une pareiile lituation, il faudroit les plus terribles révolutions pour tirer du fommeil des ames qui ont perdu ce fentiment de leur dignité. Le defpote eft un ufurpateur , Je delft de dominer qu'infp„e 1 amour de fbi5 lui donna 1'exiftence; Ja fuperftition Je foutint, enfanta des preftiges, fit de J'homme un efclave , nourrit 1'orgueil du tyran , 1'orgueil le rendit féroce , en fit un conquérant 8c un barbare; maislivré a des hommes vils qui le flattent, ils devient le jouet de fes paflions , il détruit le patriotifme , fait déferter les campagnes , eteint le commerce , I'induftrie , la vertu, anéantit la juftice ; c'eft dans de vaftes états qu'il prend naiflanee. Les foldats, amis de la licence , accoutumés a voir la juftice dans la force, 1'élevent; ies miniftres de la fuperftition afl'urent fes pas; il les honore par reconnoiffance : ils cimentent fon pouvoir en prenantun foin particulier de couvrir le peuple du voile ténébreuxde 1'infoucience : le defpotifme veut régner fur la penfée même. Le fanatifme lui fert, les fciences lui nuifent, il en étouffe le üambeau ; les mceurs fe corrompent , paree que 1'énergie, la force d'ame qu'elles donnent, lui font redoutables; c'eft un animal furieux Sc aveugle qui fe bleffe pour fe foutenir. En occident, le  z66 Tableau h istoriqux defpotifme eft moins cruel, le pouvoir y eft adouci par des loix , fur-tout par des mceurs; mais il exifte par-tout oü il fait taire la loi, oü la juftice fe tait devant les richeffes, oü le crédit 8c 1'innocence eft fans voix, oü la loi interprêtée arbitrairement devient partiale 8c deftruétive. Le defpotifme eft un abus du pouvoir qui invite a le détruire. Saris cefle en contradiétion dans fes vceux , dans fes intéréts , les dangers 1'environnent 8c expire enfin fous les coups d'une révolution inopirée. II fe trouve des ames aflez généreufes pour attaquer de front ce colofle de puiflance 8c le font couler tót ou tard fous fon propre poids : car qui voudroit ramper a jamais fous une verge de fer. II faudroit fans doute étouffer nos malheureux enfans au berceau , ou plutót dérober de nouvelles vidtimes aux defpotes, en nous refufant, comme les Péruviens, au vceu de la propagation , fi la liberté ne devoit pas tót ou tard prévaloir. Heureufe liberté , brife les chaines des nations, bannis 1'affreux defpotifme, ranime dans ces ames ce feu dont tu embrafas jadis tant de héros, que leurs noms refpeétables excitent encore notre vénération la plus tendre , forme au milieu de nous des hommes qui leur reflemblent , que 1'efclave avili rougifle de fes fers, que le cceur du citoyen s'échauffe 8c tréfaille a ta voix, infpire le fage qui médite 8c donne-lui le courage de réclamer tes droits. C'eft le defpotifme quüplus ou moins nuance , fait le deftin des empires 8c en hate la chüte. Naijpince du defpotifme. Il eft vraifemblable que les peres des families  z66 Tableau h istoriqux defpotifme eft moins cruel, le pouvoir y eft adouci par des loix , fur-tout par des mceurs; mais il exifte par-tout oü il fait taire la loi, oü la juftice fe tait devant les richeffes, oü le crédit 8c 1'innocence eft fans voix, oü la loi interprêtée arbitrairement devient partiale 8c deftruétive. Le defpotifme eft un abus du pouvoir qui invite a le détruire. Saris cefle en contradiétion dans fes vceux , dans fes intéréts , les dangers 1'environnent 8c expire enfin fous les coups d'une révolution inopirée. II fe trouve des ames aflez généreufes pour attaquer de front ce colofle de puiflance 8c le font couler tót ou tard fous fon propre poids : car qui voudroit ramper a jamais fous une verge de fer. II faudroit fans doute étouffer nos malheureux enfans au berceau , ou plutót dérober de nouvelles vidtimes aux defpotes, en nous refufant, comme les Péruviens, au vceu de la propagation , fi la liberté ne devoit pas tót ou tard prévaloir. Heureufe liberté , brife les chaines des nations, bannis 1'affreux defpotifme, ranime dans ces ames ce feu dont tu embrafas jadis tant de héros, que leurs noms refpeétables excitent encore notre vénération la plus tendre , forme au milieu de nous des hommes qui leur reflemblent , que 1'efclave avili rougifle de fes fers, que le cceur du citoyen s'échauffe 8c tréfaille a ta voix, infpire le fage qui médite 8c donne-lui le courage de réclamer tes droits. C'eft le defpotifme quüplus ou moins nuance , fait le deftin des empires 8c en hate la chüte. Naijpince du defpotifme. Il eft vraifemblable que les peres des families  hes Provinces-Unies. ïCf primitives s'étant une fois réunis fe feront afTemblés de tems a autre pour déliberer fur les intéréts communs; mais elles n'auront pas tardé de s'élire un chef, qu'on y prennent bien garde , le germe def potifme eft dans le cceur de tous les hommes ; par conféquent dans celui de ce chef, ce germe ne tardera pas a fe développer; fes gradations font fen/ibles. Les peres des families primitives auront bientót fenti toute la néceffité de fe choifir un chef, Sc ce chef n'aura d'abord été qu'un chef de guerre fous les ordres duquel ils auront tous confenti a combattre pour défendre leurs poffeffions , Sc ce chef n'aura été comme tout autre colon , poffelfeur que de la terre qu'il aura défrichée. L'unique faveur qu'on aura pu lui faire , c'eft qu'on lui aura laiffé le choix du terrein, fon pouvoir d'ailleurs aura été fort iimiré ; pour peu que ce chef ait eu d'induftrie , la paffion de dominer lui aura fait imaginer toutes fortes de moyens plus plaufibles les Uns que les autres felon les circonftances pour conferver 1'empire rnomentanée qui lui a été confiéparla multitude , Sc dés-la même aura employé la rufe Sc 1'intrigue pour conferver 1'afcendant qu'il aura pris fur fes égaux. Jaloux de conferver fon pouvoir, il fe fera bien donné de garde d'en abufer: il aura employé toutes les relfources de fon imagination pour le conferver ; il aura d'abord flaEté la multitude : il aura bientót trouvé des circonftances pour fe faire valoir , fe créer des partifans Sc affeérer un certain air d'indifférence : il fê fera toujours mafqué de 1'intérêt commun : il aura de cette maniere continué a fix:r fur lui 1'at-  i58 Tableau uistorique tention 8c 1'attachement de la peuplade naifiante ; jufqu ici il n'aura pas pu commettre beaucoup d'injuliices : il n'aura pu fourber au point d'eachainer la multitude au mohdre mécontentement: il auroit été dépoffédé , ou expiré viétime de fon audace , paree que la fociété étoit encore trop prés de fon berceau. Rémus en fournit un exempie; d'ailleurs Ja peuplade n'étoit pas encore alfez étendue 8c le defpotifme ne peut s'établir dans un pays nouveilement habité 8c encore peu peuplé. Progrès infenfibles du defpotifme. Le premier chef mort, la peuplade fe fera hatée de lui donner un fucceifeur \ celui-ci flatté de Ia confiance de fes égaux , aura réuni tous fes efforts pour paroitre la mériter : fi fon prédéceffeur n'a pas répondu parfaitement aux vceux de la peuplade , il aura réfléchi fur quoi portoient les reproches qu'on lui faifoit tacitement, il aura pris fes mefures pour renchérir fur fon prédécefleur , il aura ménagé la foibleife de ceux dont il a fixé le choix, il auracaptivé les efprits 8c n'aura rienomis pour s'attacher la multitude ; mais la crainte de tomber dans fa difgrace lui aura coüté quelques facrifices : il aura probablement rufé pour fe maintenir Sc acquérir un pouvoir plus étendu ; mais ce chef fe fera encore fenti trop foible pour enabufer. La peuplade dans la naifiance s'étoit occupée du fom d'inventer les inftrumens propres au labourage, elle les aura bientót perfeétionné , elle auraappris a trï-.vailier les métaux , elle aura déterminé ies faifoas Sc aura bati des villes ; ces arts précédent  des Provinces-Unies. isp les progrès de 1'agriculture , comme la caufe précéde fon effet , Sc a 1'agriculture perfecfionnée fuccedent d'autres arts , comme les effets fuccedent a leur caufe. Quel eft le moment oü le defpotifme s'accroit ? c'eft celui ou la peuplade fera devenue riche Sc nombreufe : on aura commercé , étendu fon commerce : or le commerce apporte des richefies : d'un jour a 1'autre, il fera devenu plus floriftant Sc les richeffes fe feront accrus infenfiblement: on fe fera fait des befoins fuperflus , les arts du luxe fe feront multipliés , Sc voila précifément 1'époque oü les anciennes loix ne peuvent plus fuffire , Sc qu'il en faut de nouvelles, paree que de nouveaux intéréts divifent les citoyens : or les anciennes loix qui fufnfoient pour régler notre peuplade dans fa naifTance Sc dans fes premiers pro • grès, n'étoient que les loix naturelles, paree qu'el-' les peuvent fuffire aux fauvages , Sc même a la ri J gueur è des peuples pafteurs. On y ajoute quelques conventions tacites pour les peuples cultivateurs; mais a mefure que ceux-ci s'enrichiflbient par le commerce , il leur faut des loix pofitives dans la même progrefïïon, Scil faut qu'elles foient d'autant plus claires, Sc d'autant plus précifes,que les befbins qui fe multiplient , mulriplient aufli les hrérêts contraires. S'ils continuoient dans tous les tems a fe conduire uniquement d'après les ufages , ilstomberoient dans des contradidtions, ils feroient expofés a des abus de toute efpece , Sc les coutumes qu'ils prendroient pour des loix, autoriferoient les injuftices les plus criantes ï l'hiftoire en fournit quantité d'exemples. Notre peuplade fera-t-elle de»  ija Tableau historique venue une nation riche, nombreufe 8c trés florif-' fante : voila 1'époque a - peu - prés oü chaque citoyen celfe d'être foidat, 8c oü pour repoufler 1'ennemi , le peuple confent de foudoyer les troupes 8c de les tenir toujours fur pied. Le defpotifme eft gravé dans le cceur de 1'homme, 8c il fe développe dés qu'il trouve un libre eflbr. On vient de voir que dans les premiers chefs de notre peuplade, le defpotifme fe trouvoit forcé de fe concentrer: or voici le moment oü il va produire les plus grandes explolions. Notre peuplade parvenue a fon période de richeffes a toujours eu un chef, mais ce chef commande les troupes , il a trouvé le moyen d'en conferver le commandement dans la paix 8c dans la guerre : fon crédit a aUgmenté infenfiblement , il en a profité pour groftir une armée devient aflez forte pour fubjuguer la nation. Alors le chef ambitieux a levé le malque , il a opprimé les peuples 8c a annéanti toutes les propriétés : il a pillé la nation,parce qu'en général 1'homme s'approprie tout ce qu'il peut r'avir , paree que le vol ne peut être contenu que par des loix féveres , 8c que les loix font impuiflantes contre le chef 8c fon armée. II n'eft qu'un feul moyen de fouftraire un empire au defpotifme de l'armée , c'eft que fes habitans foient comme a Sparte 8c en Suifle , citoyens 8c foldats. Quand une nation eft ainfi fubjuguée par fon chef, elle éprouve tous les mouvemens convulfifs de la plus aflreufe agonie. Ce chef, devenu ufurpateur, exerce le plus affreux delpotifme. Un premier impót lui fonrnit les moyens d'en lever de nouveaux, jufqu'a ce qu'enlin armé d'une puiflance  des Provinces-Unies. ij$ Irréfiftible, il puiife comme a Conftantinople, engloutir dans fa cour, fon armée & toutes les richeffes nationales. Nulle loi ne garantit alors aux citoyens la propriété de leur vie, de leurs biens, de leur liberté , Sccependant faute de cette garantie, tous rentrent dans 1'état de guerre. Le peuple indigent Sc foible attaqué d'une maladie incurable , eft condamné a gémir dans les fers , Sc a maudire fes tyrans. Les citoyens vivront encore dans les mêmes cités ; mais dans la fervitude Ia plus défefpérante $C commune a tous. N'efl-ce pas - la 1'image des révolutions qui arrivent dans toutes les fociétés * Eft-il rien de plus conforme a ce qu'on lit dans l'hiftoire Sc aux révolutions qui fe fuccedent fans celfe dans les états civilifés. Mais li dans Ie défefpoir , pour venger la caufe commune , on attaquoit un empire fi formidable en apparence, avec intrépidité 8c précaution , ne pourroit-elle point s'aflurer du fuccès ? Rien de plus vraifemblable qu'on batte par exemple trois ou quatre fois l'armée du Grand Turc, point de relfource pour lui dans 1'amour, ni dans la valeur de fes peuples , lui Sc fa milice font craints. Le bourgeois de Conftantinople ne voit dans les janiflaires que les complices du Sultan Sc les brigands a 1'aide defquels il pille Sc ravage 1'empire,de la même maniere que les fermiers généraux dépouillent Sc preflurent le pauvre peuple francois a la faveur de nouveaux édits burfaux qu'ils ont toujours a leur difpofition, 8c pour 1'exé-' cution defquels il fuffit de faire un figne. Quand ces crifes convulfives font bien concertées , elles font prefque toujours cowonnées du fuccès. Le  zji Tableau histop.iqus vainqueur a - t - il affranchi les peuples de la crainte de l'armée , ils favorifent fes entreprifes , 8c ne voient en lui qu'un vengeur. En veut-on des exemples ? Rome fit cent ans la guerre aux volfques, elle en employu cinq eens a la conquête de 1'Italie 8c elle lui fut affervie. La puiflance d'Antiochus SC de Tigrane difparut a 1'approche de fes armées, de la même maniere que celle de Darius fut annéantie a 1'alpedt d'Alexandre ; d'oü il réfulte que le defpotifme attefte la vieillefle , la décrépitude d'un empire , c'eft fa derniere maladie , elle n'at-^ taque jamais fa jeuneife , 1'exiftence du defpotif me fuppofe prefque toujours celle d'un peuple déja riche 8c nombreux. Ariftote a dit que parmi les hommes , les uns naiffent pour 1'efclavage, Sc les autres pour la domination \ fi tous les hommes naiffent égaux, 1'efclavage eft donc contre nature \ la force les a fait efclaves Sc leur lacheté les a perpétués. Renoncer a fa liberté , c'eft renoncer a fa qualité d'homme aux droits de 1'humanité , Sc même a fes devoirs. Les efclaves, ditle citoyen de Geneve, perdent tous dans leurs fers jufqu'au defir d'en fortir : ils aiment leur fervitude,,comme les compagnons d'Ulyffe aiment leur abrutiffement. Enthoufiafme de la liberté. O liberté , noble paftion des grandes ames! trois fois, quatre fois heureux celui dont tu as ccint la tête de 1'honorable couronne de citoyen ! II coule des jours tranquille fous la protedtion des loix , ouvrage du corps dont il eft membre. Per- fonne  des Provinces- XJ n i e i. 273 fonne ne prétend commander a ces Jok,ni1oumettre les autres a des obligations dont il youdroh fe difpenfer. L'homme libre ne craint póint ces coups imprévus, ces ordres terribles qui fortent de la bouche d'un defpote pour écrafer les malheureufes viéfimes du pouvoir arbitraire : il prend un vif intérêt a 1'état comme a fon propre bien , 8c donne a fes concitoyens 1'exemple du refpeét pour les loix 8c de toutes les vertus patriotiques i Ü fait plus , il ne ccffe d'exalter fon bonheur 8C d'en faire fehtir tout le prix a fes compatriotes : il plaint le fort de tant de peuples miférables condamnés a" gémir dans les fers de la plus cruelle fervitude: il redoute le même malheur pour fa patrie; il eft prêta lui faire le facrifice de tous fes biens 8c de fa vie même. O patrie , objet de 1'adöration des. plus grands héros , qu'il eft doux, qu'il eft glorieux pour le citoyen généreux de tout facrifier a la noble paflion que tu infpires , 8c au bonheur qui én eft la jufte récompenfe ! Eft-il dans la nature d'être plus' fublime que le citoyen qui porte fa patrie dans fon cceur ? n'eft-ce pas 1'ouvrage leplus parfait de la Divinité ? n'eft-ce pas celui fur lequel elle jete fes regards les plus favorables ? Ses difcours portent dans tous les cceurs le faint amour de la. vertu \ fes aéfions, toutes marquées au coin du patriotifme, allument une noble ardeur dans les ames les plus tiedes. Semblable a ces aftres bienfaifans qui regardent la lumiere 8c Ia vie dans la fohere de leur aétkité , le vrai citoyen embrafe fes compatriotes d'un zele dévorant qixi coiïimu-. nique a tout cequi 1'environne, une chaleuf vlviTome I. S  174 Tableau hi storique fiante: il n'exifte, il ne vit que par la vie de la république; fa gloire fait ia llenne St fon bonheur allure le lien. Dans quelque rang qu'il foit placé par le choix de fes concitoyens, quelles que foient les fonétions dont on veuille le charger, 1'avantage de fa patrie fixe toute fon attention , il n'a pas d'autre boulfole, c'eft fon unique mobile. Magiftrat , il emploiera fes veilles St fes fueurs au repos de 1'état; févere , integre, il veillera au maintien St a la confervation des loix; a la tête des armées , fi la viéfoire fuit fes étendards , il ne cherchera qu'a procurer une paix glorieufe a fa patrie \ St dans les revers, plutöt que d'étre témoin de fon opprobre, il fe hatera d'expirer fous les coups du fort. Le vrai citoyen eft-il condamné a 1'oubli par la modeftie naturelle , a la vertu ou par la négligence de fes compatriotes ; le même amour pour fa patrie honorera 1'obfcurité de fa vie privée. Dans la place publique, les loix juftes 8l le vrai mérite auront feuls fon furfrage. Simple foldat, il donnera a fes compagnons 1'exemple de la valeur St de la difcipline , St dans la confulion des déroutes, il oppofera a 1'ennemi un front alfuré St un courage inébranlable. Un fort peu propice 1'a-t-il fait naïtre dans des tems difficiles 8t troublés par les faétions, la caufe la plus jufte pourra feule le compter pour un de fes défenfeurs. La licence des mceurs, St 1'inditTérence pour le bien public , ont-ils ébranlé la conftitution de 1'état, il s'armera d'un faint zele pour en prononcer hautement la condamnation j mais encore plus par une conduite conftamment irréprochable St par la pratique des vertus Jes plu»  t>ES P ROV IN CE.S-UN-i E S. 2j£ aüfteres, que par les gémifiemens de fon cceur 8c des murmures inutiles. Le gouvernement éft - il devenu oppreffif, il ne lui préfenre plus que le fpedtaele de fa patrie gémiffante fous 1'efclavage , 8c du defpotifme élevé fur la ruine des loix? Trop fier pour partager 1'ignominie de fes concitoyens , il réunira tous les effons dont ii eft capable pöur' réveiller dans les cceurs abattus queiqu'étinceile d'amour pour la liberté : peut-étre aura-t-il le bonheur de les tirer de raftbupiifement, alors il fera le premier a braver les fureurs de la tyrannie ; mais $ fi contre fon attente, 1'avilifiement de leurs ames j familiarifées avec la honte , lui ravit tout efpoir dd leur rendre le fentiment de leur dignité , il quittera brufquement ce vil troupeau, 1'abandonnera a fon malheureux fort, Sc franchira a pas de géant les limites de fa patrie : devenu cofmopolite , il parcoura tout 1'univers pour chercher une fociété qm jouifle encore de fes droits primitifs i il s'enfoncera dans les déferts les plus affreux j plutót que de donner aux ames vraiment héroïques le fpeéfacle affligeant d'un infortuné citoyen qui connoit la noblelfe de fon être ; mais alfez foifele pour fe ravaler au point de fe foumettre a un joug ignominieux : telle étoit la noble 8c héroïque facon de penfer d'un Phocion, d'un Épaminondas chez les Grecs, d'un Regulus, d'un Scipion, d'un Fabricius , 8c d'un Caton chez les Romains; paree que , dans le fiecle' oü nous vivons, on ne voit plus d'aftions dont Ja fource fort pure 5 paree que ceux qui fe couvrenf du mafque de 1'intérêt public, ne fongerit eifeétivementqu'a fatisfaire leyr ambition, Fondez fur de S 2  Zj6 TABLEAU HIST'ORIQUE pareils exemples, nos égoïftes modernes ofent pénétrer dans 1'ame de ces grands hommes , ou affirmer avec un petit air de fufKfanee, que 1'amourpropre étoit la fource fecrete des vertus qui ont immortalifé' ces héros de 1'humanité. Ames petites Sc foibles, qui n'éprouvates jamais ce divin enthoufiafme qui éleve le patriote au - delfus de luimême , ne cherchez point a rabaiifer la gloire de ces grands hommes par vos balles interprétations ; 1'éclat dé leurs faits hèroïques eft trop fort pour vos débiles yeux ; leur ame fublime n'a rien de commun avec la votre : la gloire ne vous paroit qu'une vabe chimère Sc la patrie un mot vuide de fens : vous reftëmblez a ces oifeaux noéturnes qui font oftufqués par les rayons du foieil, St qui s'enfoncent dans les ténebres pour les éviter •, 1'obfcurité des tems modernes eft votre-élément naturel. Égoïftes de nos jours, ne portez plus vos regards fur des objets trop brillans pour vous, & celfez de juger des fentimens qui animent le cceur des héros par les petites paftions dont le vótre eft continuellement agité. O' Regulus ! ó Decius ! ó héros dont les noms' fénls rempliftënt 1'ame du faint amour de la vertu ! de quelle indignation ne doivent pas être failies vos ombres magnanimes , en voyant 1'état abjeét oü lont tombés vos defcendans ? La terre entiere , frappée d'étonnement au bruit de vos aétions, auroit-elle regardé Rome comme le temple de la vertu , li vos cceurs généreux fe fuftent conduits par les maximes ba (fes de notre fiecle ? Qu'eft de'venu eet enthoufiafme pour les grandes actions , fi propre 4 conduite a 1'héroïfme , ce  des Provinces-Unies. 177 mépris des richefies 8c ce défintéreflement, qui font les plus fermes remparts de la liberté \ ces vertus, qui faifoient la gloire des anciens Grecs 8c Romains, Sc qui contribuent autant que leurs armes a les faire refpecter des nations étrangeres, font oubliées de nos jours. Tous ces prodiges de juftice 8c d'amour de la patrie, qui les faifoient regarder par leurs ennemis,même comme des êtres élevés au-deffus de l'humanité , font mis par les égoïftes de nos jours, au nombre des chimères dont on a accoutumé de bercer les enfans. Depuis que legoïfme eft devenu le caracfere diftincfif du fiecle oü nous vivons , ce dangereux fyftême n'a fait que trop de progrès parmi nous; les palfions , qu'elles favorifent lui ont fait en pep de tems de nombreux profélytes, 8c les fentimens, qui font la fuite naturelle du vil égoïfme , ont pris la place des vertus qui ont illuftré les anciens Romains. La liberté 8c la vertu font étroitement unies; elles fe donnent une force mutuelle , 8c la chüte de 1'une ne manque jamais d'entrainer la chüte de 1'autre. II eft impoffible de voir naitre des fentimens héroïques chez une nation qui fe méprife aflez ellemême pour croupir dans 1'efclavage. Quel amour. du bien public peuvent avoir des peuples miférables,. qui voient qu'un homme feul 8c fes favoris engloutilfent toutes les richefles d'un état ? 'fous les talens utiles font étouffës; une ridicule élégance ou une débauche grofliere en prennent la place; 1'état diilbus par la defbrucfion des loix ne fubfifte. qu'en apparence , 8c fes parties étant réellement défunies , tombent en pieces au moindre choo qu'elles recoivcnt. S 3  %yZ TASIBAV H1STOR1QUE II n'eft que trop vrai que les corps politiques portent dans leur fein , comme les corps naturels, je germe fata! de leur deftruftion, le plus fouvent occafionnée par la licence 8c les faétions, qui font toujours introduit'es 8c fomentées par le defpote. Créé pour défendre les propriétés , il ufurpe fans cefle fur elles, il commet le forfait le plus dangereux pour les hommes dont la confiance eft trahie , 6c par conféquent le plus odieux &C le plus puniflable. La nation finit toujours par être plus puiflante que le tyran , lorfque le pouvoir arbitraire a diflóut tous les liens de 1'opinion , 6c épuifé les reflburces que la terre offre a ceux qui la cultivent en liberté. fl arrivé que le plus grand nombre fe fait illufion fur ce mot, liberté: il eft 3 propos de donner des éclairciflëmens fur eet objet, tclaircijfément fur la liberté, L'AUTEUR del'Efprit des loix définitlaftbertécir vile 6c tout ce que les loix permettent. Si un citoyen pouvoit faire tout ce qu'elles défendent, il n'auroit plus de liberté, paree que tous les autres auroient ce même pouvoir. La liberté , fille de 1'équité 6c des loix ■> eft la faculté de faire pour fon bonheur tout ce que permet la nature de 1'homme en fociété, c'eft-a-dire , fans nuire au bien-être d'autrui, ou le moins que poflible , a dit Jean-Jacques Koufleau, II faut remonter a 1'crigine des fociétés. Or , a, cette époque, les membres qui les compofoient, réunis rbrtuitement 6c far des convenances peu ïéflecbies, furent quelque tems fans femir la nt*  j) e s' Provinces-Unies. 2.79 •efïité des loix proprement dite*. Comme ils ne portoient jamais leur vue au de - la du moment préfent, qu'ils n'appercevoient les cas, tels qu'ils fe préfentoient dans 1'inftanr , 6c que par un» fuite néceffaire ils en próvoyoient, après 4'cnchai nement 8c les conféquences , qu'ils ne pouvoicat d'ailleurs s'élever a les généralifer , 8c a le* ranger fous différentes claifes. A chaque moment inopiné , ils durent fe contredire prefque tous , d'oü il ne put réfulter q'ue la plus grande confufion : il eft probable que dans ces circonftances, il s'éleva des génies lumineux qui apprirent a leurs concitoyens , a imiter 1'admirable iimplicité de la nature, 8c a établir un petit nombre de principes , d'oü par une heureufe fécondité découloient dés conféquences innombrables. Ces principes clairs 8c déduits immédiatement des nations primitives , furent la bafe fur laquelle ils éleverent l'édifice des loix ; édifice majeftueux, 8c le plus glorieux monument de la fagacité de 1'efprit humain; mais eet efprit ne put être que trés - informe , car on ne fe conduifoit guere alors qu'au jour le jour, felon les circonftances 8c le progrès des connoilfances , qui ne pouvoient encore être que très-bornées. Ce ne fur cependant qu'alors que commenca la vie politique des nations, 6c qu'on put leur attribuer une exiftence morale ; ce ne fut qu'a cette époque que les préceptes de la raifon publique indiquerent I'exiftence d'une volonté générale , 8c que 1'on put fixer le fens du mot liberté. Une comparaifon va rendre cette vérité fenfible. Avant I'exiftence des loix , la cité avoit bien une forte de vie , qu'elle S4  Tableau histokique tircüt d'un contrat focial ; mais ce n'étoit, s'il eft permis de s'exprimer ainfi, qu'une vie purement phyfique & femblable a celle de 1'homme dans 1'état d'enfance : or, a eet age les membres ont tine certaine a&ivité , les organes s'acquittent de leurs fonótions ; mais la raifon aifoupie ne fe maiiifefle par aucun lïgne , & la volonte dominéé par la force impérieufe de 1'inftinét, eft entiérement privée de liberté. La véritable vie de 1'homme, fa vie morale ne commence que dans le tems que 1'ame 'fe réveille de fa létargie , Sc par des aétes raifonnés, fait enfin éclater fa lumiere au travers de lepaiffeur des organes matériels : il en eft demême des états ; la loi eft l'expreflion de la volonté generale, Sc la délibératiou libre qui 1'établit, eft le feu! ligne de la liberté politique , comme celleci le donne a la liberté civile. A la naiftance des fociétés civiles, on s'occupa fans doute, des moyens a'afiurer les engagemens que les citoyens contracroient: faute d'écriture, ons'engageoitenpréfence de rémoins , on prenok a témoin Ia divinité même. Dans tout gouvernement légitime, la loi comme un oracle falutaire didfa a chaque citoyen fes devoirs envers les particuliers , Sc la chofe publique lui aftignoit fes fonéfions , Sc ce n'étoit qu'5 elle qu'il étoit tenu d'en rendre compte. II n'y a rien de plus important que de donner aux fouverains Sc aux fujets des idéés juftes 8c précifcs de la liberté de 1'homme. II y en a de deux fortes, la liberté naturelle , 8c la liberté civile. Après avoir montré en quoi confifie la première , on fera voir ce cue c'eft que la liberté civile, comme cllel'em-  ves Provinces-Unies. z8i porte fur la liberté naturelle 5 d'oü il réfulte que 1'état de fociété eft 1'état naturel de 1'homme. De Ia liberté naturelfei. La liberté naturelle , c'eft le droit que la nation donne a tous les hommes, de difpofer de leurs perfonnes , de leurs biens Sc de la maniere qu'ils le jugent la plus convenable a leur bonheur, fous la reftriction qu'ils le faftent conformément au fyftême des loix naturelles ; bien entendu, qu'ils n'abufent pas de leur liberté pour nuire a fes femblables. A ce droit de liberté, répondune obligation réciproque, Sc par laquelle la loi naturelle engage tous les hommes a refpedf er la liberté des autres , 8c a ne les point troubler dans 1'ufage qu'ils en font, tant qu'ils n'en abufent pas. Les loix naturelles font donc la regie Sc la mefure de la liberté , 8c dans 1'état primitif de nature, les hommes n'ont de liberté qu'autant que les loix naturelles leur en accordent. 11 eft donc a propos de remarquer ici, que 1'état ,de liberté naturelle n'eft point un état d'une entiere indépendance ; dans eet état , les hommes font eftcét ivement dans "la dépendance des loix de la nature , Sc anujetti a une multitude de befoins qui ne font que trop fentir a 1'homme fa dépendance. L'indépendance en général, eft un état qui ne iauiroit convenir a 1'homme. La liberté Sc 1'ihdé* pendance de tout fupérieur , font deux chofes touta - fait diftinétes, St qu'il ne faut pas confondre; la première appartient eiièmiellement a 1'homme ; 1'autre ne fauroit lui convenir , Sc bien - loin que la liberté de 1'homme foit par elle-même incom-  Tableau uistorique patible avec la dépendance d'un fouverain , 8t 1'obéiffance a fes loix; au contraire , c'eft eet empire du fouverain , Sc la proteétion que les hommes en retirent , qui fait pour eux le plus fort rempart de la liberté. C'eft ce qu'il fera aifé de comprendre , pour peu qu'on veuille faire attention , que la liberté de 1'homme eft limitée par les loix naturelles ; mais la liberté naturelle n'eft pas celle qui nous eft diétée par la feule nature , 8c dont 1'exécution eft effentiellc a 1'homme dans quelqu'état qu'il fe trouve ifolé ; elle lui eft néceffaire pour affurer fon exiftence, 8c la préferver des accidens qui s'oppölènt a fa perpétuité ; en fociété elle lui devient d'une néceffité abfolue , pour régler fa conduite d'après 1'impulfion qu'il a recue de la nature , de fe rendre utile a fes femblables , 8c de tirer de la fociété tous les avantages qu'il y doit trouver. Comme ce n'eft point 1'homme qui a fait cette loi, il en doit dépendre : elle eft donc la première 8c 1'unique regie fur laquelle 1'homme doit fixer fes vues: il doit la confulter avant que de fe* rapprocher de celles qui n'en font que des réfultats combinés, fur des événemens 8c de9 circonftances qui dépendent des tems 8c des difpofitions nouvelles , qu'ils ont fait naitre par une fucceftion continuelle de révolutions , dont la nature humaine ne fera jamais exempte. En vain , 1'homme a-t-il cru s'écarter des premières loix, quand il a formé des fociétés Sc qu'il s'eft fait des loix fociales, dont les difpofitions ne lui femblent que peu ou point de rapport avec elles, dontil vouloit fe diffimuler même jufqu'a 1'illulion. En vain a-t-il voulu donner de  des Provinces-Unies. 283 nouvelles interprétations a fes ufages, a fes habitudes, elles étoient modifiées par 1'opinion. Si 1'homme fe fütrapprochédes premières, ileütpeutëtre mieux fenti le prix d'une liberté, dont il s'eft ravi lui - même les apparences; les autres lui euifent été moins funeftes 2c conféqucmmenr ii eut été moins malheureux ; mais 1'homme exiftoit pour changer , 8c ce changement devoit produire des motifs de conduite , 8c des réfultats toujours enchainés a la forga êc ala néceffité des tems. Comme des circonftances particulieres les avoient fait naïtre , d'autres révolutions moins favorables devoient les anéantir; eet enchainement de caufes 8c d'effets étoit donc effentiel 8c caradfériftique de 1'état de 1'homme , tel que nous 1'envifageons aétuellement. Voyons maintenant quel eft le but des loix naturelles ? C'eft de faire agir 1'homme conformément a fes véritables intéréts , 8c d'ailleurs ces mêmes loix mettent un frein a la liberté de 1'homme, dans ce qu'elle pourroit avoir de dangereux pour les autres; elles afturent ainfi 3 tous les hommes le plus haut, degré de liberté , qu'ils puiffent fouhaiter raifonnablement a celui qui leur eft le plus avantageux. II réfulte de ce qu'on vient de dire , que dans 1'état de nature , les hommes ne pouvoient jouir des avantages de la liberté , qu'autant que cette liberté auroit été foumife a la raifon , 8c que les loix naturelles auroient été la regie 8c la mefure de fpn exercice. Quel meilleur ufage les hommes pouvoient - ils donc faire de leur liberté , que de renoncer a tout ce qu'elle pouvoit avoir de dangereux pour eux, 8cden'en conferver qu'autant qu'il  284 Tableav historique en falloit pour fe procurer un folide bonheur ? De la liberté civile. La liberté civile eft dans le fonds , la même que la liberté naturelle ; mais dépouillée de cette partie qui faifoit findépendance des particuliers par 1'autorité qu'ils ont donnée fur eux a leurs fouverains , cette liberté fe trouve encore .accompagnée de deux avantages très-conlidérables, 8c que n'avoit pas la liberté naturelle. Le premier, c'eft d'exiger du fouverain, qu'il ufe de fon autorité conformément aux vues pour lefquelles elle lui avoit été confiée. Le fecond, ce font les füretés que la prudence permet, que les peuples fe ménagent pour 1'exécution de ce premier droit , füreté néceifaires Sc fans lefquelles les peuples ne peuvent jouir d'une liberté folidement établie. Définition de la liberté civile, Pour bien définir la liberté civile, il faut dire , que c'eft la liberté naturelle elle - même , mais limitée , dépouillée de cette partie qui faifoit 1'indépendance abfolue des particuliers , modifiée par 1'autorité qu'ils donnent fur eux a leurs fouverains , accompagnée du droit d'exiger de lui, qu'il fera un bon ufage de fon autorité , avec 1'aflurance morale que ce droit produira fon effet. Dans une indépendance abfolue, les hommes perpétuellement divifés entr'eux , dans un état continuel de guerre , le plus fort auroit opprimé le plus foibie , chacuri auroit été dans une frayeur conti-5 nuelle , Sc n'auroit joui d'aucun repos : tels font les maux qu'auroit produit la liberté naturelle illi-  des Provinces-Unies. 185 mitée.Les hommes a force d'être libres ne 1'auroient point éte du tout, paree qu'il n'y a plus de liberté dès que les loix n'en font plus la regie. NeceJJlté des loix politiques. ÏL eft donc vrai que le corps politique , ou Ia fociété civile donne une nouvelle force aux loix naturelles. N'eft - il pas évident que fi 1'homme fut refté ifolé , les feules loix qui euftent du lui convenir , auroient été celies qui lui étoient didtées par l'inftinét naturel; mais réuni en fociété, il lui fallut des loix fociales, effentielles au nombre d'hommes qui compofent toutes fociétés. De pareilles loix devoient fuffire pour prefcrire aux hommes les devoirs naturels de 1'état focial , fi les paffions liées a la nature humaine , n'eulfent anéanti 1'ordre des loix fociales qui étoient émanées de celles de ia nature pour leur donner un libre eftbr, Scfe former des opinions analogues a leurs ufages. Pour remédier aux abus Sc corriger les yices dont fourmilioit une multiplicité de loix , qui dépendoient ellesmême du caprice des hommes , Sc des befoins qui^ varioient a 1'infini, fuivant le degré d'habitude qu'ils avoient acquis, il fallut recourir a des difpolïtions émanées de la force Sc de 1'autorité, il n'y eut qu'elles qui purent déterminer la révolution , qui devoit fuccéder aux événemens antérieurs qui avoient laifte les fociétés dans une efpece d'indécifion fur leurs avantages. On confidéra quelparCout oü il y a des hommes, il en réfulte des vertus & des vides ; ces réfultats engendrerent les loix politiques qui devoient changer 1'état des choles -y  X%6 TABIEAV H1ST0R1QVE elles furent établies fur des combinaifons particulieres St générales des caufes St des elfets qui déterminent les aótions humaines j elles concoururent a produire de grands biens, comme de grands riiaux ; elles alfurerent St maintinrent 1'ordre des loix pofitivès 'i mais en paroiifant s'oppofer aux défordre général des loix , dépendantes des inltincfs qui avoient rendu auparavant 1'homme plus efèlave que libre, elles fervirent quelquefois uop los puiffances pour fe foumettre les peuples. Éclaircijtfèment. Nos idéés , nos perceptions , nos fenfations , nos facultés , tout nous dit que nous fommes des êtres fociables: tout nous le prouve ; les befoins que nous avons acquis ou que nous nous fommes fairs, St les intéréts rélatifs a nous, que nous avons confidérés dans une union univerfelle. II ne s'agit point de difcuter péniblement li 1'état ifolé eft 1'état primitif de 1'homme, fi réellement il a été réduit a vivre feul ou en fociété $ fi le premier état a été de fon eflence ? quelle irripulfion recue 1'a porté k s'unir a fes femblables 8t a s'y conferver : quels avantages il a pu trouver 5 fes plaifirs, fes peines ,• les différens changemens auquel il a été expofé , fes defirs jamais fatisfaits quoiqu'a I'infini , fes paffions néesde 1'habitude de voir, St de fatisfairi fes premiers goüts , tant d'objets dépofent afi'ez en faveur de 1'un ou de 1'autre état qu'on lui fuppofe. Le grand point eft de favoir, quel ufage l'hommeT a fait de la fociabilité , St quelies loix il s'eft prefcrit dans fon «riginc. 11 eft probable, que dés que  DES PRQVINCES-U NIES. 287 les hommes furent en nombre fuffifant pour compofer un corps uni par les mêmes intéréts, par les mêmes goüts , les mêmes palïions, ils fe firent des loix de convention , relativement aux inftinéts communs : pour obvier aux excès qu'auroient pu occafionner des befoins Sc des intéréts différens , quoiqu'encore nouveaux , mais préjudiciabies aux ufages naturels St aux regies fociales : pour déterminer 1'exécution de ces loix, il dut fe former une efpece d'ariftocratie naturelle, gouvernée , non par des nobles, ainfi que dans 1'ariftocratie politique ; mais par la prépondérance naturelle St néceffaire qu ont les plus forts d'une fociété , fur - tout le refte des membres qui la compofent 5 mais comme ies affedtions des hommes dépendoient de mille circonftances , St que leurs facultés n'étoient encore que précaires , il exiftoit toajours en eux une certaine fource d'indépendance St d'égalité, dont le degré leur avoit été confervé par la nature , St dont ils devoient faire ufage dans le cas, que , quelque puiflance vouiüt attenter a leur liberté. Les moyens fe préfenterent d'eux - mêmes 5 quand 1'homme fe vit efclave des loix, quoique fondées fin la nature, il réfolut de rompre fes chaines : de 1'extinction des loix, il dériva des ufages qui fe changerent bientót en droits : ils femerent dans les efprits une lorre d'indifférence, pour les premières conventions qui dut les renverfer. Cette fucceffioa momentanée de fyftêmes en devint le fléau, St s'oppofa k 1'obfervation des loix qui fembloient les fayorifer; en effet, quelle force pouvoient avoir des Joix , en but aux paffions $t aux intéréts divers de-s  2.88 Tableau historioua hommes qui lui avoient admis fans en confidérer les défavantages ou la réalité ? Ils les changcrent, ainli que les générations difparurent par fucceflion de tems. II dut réfultcr de ce défordre néceffaire a 1'enfance de 1'efprit humain, un nombre compüqué de fyltêmes &C de principes liés aux goüts de chacun des individus ; ils les adopterent & les renverferent a 1'eiwi par impulfion d'une habitude contractie par un changement continuel préjudiciable a 1'ordre , ie mobile St le foutien de toute fociété. Mais une conduite li bizarre , Sc cependant li naturelle devoit faire envifiger aux générations futures , quels avantages elles pourroient recevoir d'une fociété établie fur le fondement des loix qui puflent Ia foutenir. Les hommes alors fe repréfenterent leur premier état , en envifageant leur état de liberté, encore pire que 1'efclavage , ils ne pürent foutenir long - tems le poids qui les accabloit; errans , quoique multipliés ; ifolés, quoiqu'en fociété , en but aux loix de leur feul inltindt, qui ne pouvoient leur affurer I'exiftence Sc leur procurer les rnoyens d'y femer des douceurs , ils changerent leurs opinipns, ils héiiterent dans leur décilion, Sc ils recoururent a fe donner des maïtres. De cette maniere, les hommes en inftituant la fociété civile , ont renoncé a leur liberté naturelle ; ils fe font foumis a 1'empire des maitres dont ils firent choix. Or, ce ne pouvoit être dans la vue de fe procurer les biens dont ils auroient pu jouir fans cela ; c'étoit donc la vue de quelque bien fixe Sc durable, qu'ils ne pouvoient fe promettre que par rétabliffement d'un fociété civile.  des Provinces-Unies. 289 civile. Ce bien qu'ils confidérerent en s'aflbciant, ne put être que celui de fe garantir réciproquement du choc.des événemens particuliers, Sc fe mettre en état d'oppofer a leur violence, une force plus grande • celle de tous les membres d'une fociété qui dut alfurer 1'autre, Sc 1'autorité légitime des puiilances 5 puifqu'elles furent établies d'un confentement unanime, puifqu'elles durent balancer les intéréts communs, Sc en produire des avantages réels Sc perfonnels pour le bien public Sc particulier. Mais li 1'ufage réfervé qu'on devoit faire de cette autorité, fe changeoit en ufage arbitraire Sc tyrannique ; il doit en réfulter la deftruétion de la fociété. Mais jufqu'a cette révolution, 1'établilfement de la fouveraineté procura les plus grands avantages a la fociété , puifqu'il apporta des modifications confidérables a la liberté naturelle , il fallut que 1'homme focial renongat 3 1'arbitraire fouverain qu'il avoit dans 1'état de nature fur fa perfonne 8c fes aéfions: en un mot , fon indépendance abfolue. Quel meilleur ufage les hommes pouvoient - ils donc faire de leur liberté , que de renoncer a tout ce qu'il y avoit de dangereux pour eux, Sc n'en conferver qu'autant qu'il en falloit pour fe procurer un folide bonheur. Conclufion des principes ci - dejfus établis. Puisqüe la liberté civile 1'emporte de beaucoup fur la liberté naturelle , il en faut donc conclure , que 1'état civil qui procure a 1'homme une telle liberté , eft de tous les états de 1'homme le plus parfait, Sc par conféquent Je véritable état naturel Tome J. £  i mais non incorruptibles; ils aiment leur indépendance , mais ils ne favent point la cönfervef. Pour rendre plus fenfible la dïfférencé qui fe trouve entre deux peuples dont 1'un devra fa gloire & la félicité a une fage législation, dont fautre aü contraire Cömpofée d'individus, fiérs de leurs forces naturelles , fe refufe a toute efpece de regie. ÖüVrons l'hiftoire Sc comparöns enfemble deux peuples célebres dans 1'antiquïté , les Romains 8C les Germains : tant que ces derniers fe contenterent de leur chaffe Sc des groflieres produdtions d'un climat glacé , ils vécürent dans leurs forêts , fimples, libres Sc heureux,8c 1'éloge de leurs mceurs mérita d'occuper la plume rapide 8c éloquence dü célebre Tacite qui a fait contrafter le tableau de leurs vertus avec celui de 1'effrayante corruptiott de fes compatriotes. Mais a peine fe livrerent-ils k leur inqüiétude naturelle , a peine fe furent - ils tranlpörtés dans des Contrées favorables, ces vertus qui n'avoiênt point de bafe politique ne purent réfifter aux attaques de 1'avarice SC de la volupté ; elles difparurent tout-a-eoup, Sc aulieu de 1'honorable überté dont ils avoient été ii jaloux, ils fe virent en proie tour-a-tour a la Confofion de 1'anardue. Si nous jetons les yeux fur la république ro»  bes Provinces-Vnies. 19$ feriaine, elle nous offrira urfe fcene tout-a-fait differente ; nous verrons un peuple fier abattre le coloflè de la tyrannie qui menagoit de 1'écrafer ; nous le verrons épris de 1'amour le plus violent pour cette précieufe liberté qu'on avoit voulu lui ravir 8c chercher aufli - tót a ralTeoir iur des fondemens inébranlables. Convaincu de la néceflité d'une législation certaine , il prefle fes magiftrats de lui drefler un code de loix , il les oblige a force de clameurs. Le code fe compofe , 8t le peuple y met le fceau législatif. Des ce moment la conftitution ébauchée par un peuple roi 5 prend une aflïette plus folide 5 les troubles 8t les débats de la place publique 1'affermiflent au lieu de 1'ébranler , femblables a ces exercices violent qui mettent toutes les parties du corps dans un état de tenfion , 8c augmentant par la leur jeu 8c leur vïgueur naturelle , ces loix fages & 1'établuTement du tribunal furent comme la bafe de 1'édifice, 8c dans la fuite les pieces qui pouvoient manquer, vinrent pour ainfi direfe ranger d*ellesmêmes a leur places. Des mceurs aufteres, des vertus héroïques durent leur naiflance a ce fyftême de législation , & Rome devint 1'admiration de 1'univers. Cette auftérité, cette pureté de mceurs honora long-tems la république romaine, 8c fi par un deftin inévitable 8c commun a tous les empires , la corruption parvïnt a y répandre fon funefte poifon , ce ne fut que par degrés 8c prefque infenïiblement.Les vices, nés d'une trop grande fortune, furent obligés de dilputer le terrein pas a pas aux ■vertus qui leur oppofoient la plus grande réfiftanceAu milieu des fureurs de 1'ambition, 1'amour de la ï4  T ABZEAV K1ST0R1QVB patrie 8c de la liberté parut avec le plus grand éclat, le plus fiiblime héroïfme forga la cabale 8c la calomnie a fe cacher dans 1'ombre du lilence , 8c le plusauftere définréreflernent fit fouvent trernblerla vénalité. Rome finit paree que tel eft le fort de tous les établiflemens humains ; mais en tombant écrafée fous Ie poids de fa profpérité , elle laifla aux liecles futurs 1'exsmple a jamais mémorable de cinq eens ans de vertu. C'eft un prociige, dit Jean-Jacques Roufieau, qu'il nefaut pas fe flatter de voir jamais reparoitre fur la terre. La loi 8c la liberté, avons-nous dit ci-deflus,font deux correlatifs, quorum un una neceffario importat aliud, 8c dépendent 1'une de 1'autre. C'eft que comme les loix &C la liberté ont un rapport eifentiel 8c leur exiftance fe trouve liée par la nature des chofes, d'ou il fuit que 1'inftituteur d'une république quelconque a du, en tracant le plan de fon édifice, porter la vue fur la liaifon qui eft entre ces deux objets, afin que ce rapport ne fe trouvat point altéré dans fon fyftême.Si ces réflexions lui ont échappé , fon inftitution ne peut avoir aucune bafe folide 8c ne doit point tarder de tomber en ruines. C'eft pour n'avoir pas fait attention a cette connexion que la plupart des législateurs modernes ont eu dans leurs établiflemens fi peu d'égards pour la liberté : ils n'ont pas cru,qu'attaquer ce droit facré de Ia nation, c'étoit óter aux loix le caraétere qui les rend refpecf ables 'j que mettre la violence a la place de la volonté générale , c'étoit détruire les fondemens de la propriété civile , 8c fe replacer dans 1'état de confufion dont elle a été le remede.En un mot,  dés PrOvincjss-Unïss, 107 il eft un principe fondamental dont on ne peut jamais s'écarter en politique, fans replonger la fociété dans fon ancien cahos , c'eft que 1'homme eft libre par eflence , que par conféquent aucun des états adventifs n'a pu détruire en lui un droit qu'il tient de fon créateur , que quand même 8c contre toute apparence , il eut voulu s'en dépouilier, il ne le pouvoit légitimement, puifque cette faculté fait ainfi que la raifon, partie de fon être, 8c qu'enfin la fociété civile n'a du fon origine qu'a la liberté , qu'elle ne peut fubfifter fan; , 8c que fans cela elle feroit un état violent 8C totalement oppofé a la nature de 1'homme. Per» fonne ne peut donc fe dépouiller de fa liberté jufqu'a fe foumettre a une puiflance arbitraire qui le traite abfolument a fa fantaifie , paree que ce feroit renoncer a fa- propre vie dont il n'eft pas le maïtre , 8c paree que ce feroit renoncer a fon devoir , ce qui n'eft jamais permis : dire qu'un homme fe donne gratuitement, dit Jean Jacques Rouffeau , c'eft dire une chofe abfurde 8c inconcevable. Un tel acte eft illégitime 8c nul par cela feul , que celui qui le fait, n'eft pas dans fon bon fens j dire la même chofe de tout un peuple, c'eft fuppofer un peuple de foux ; la folie n'eft pas de droit. Quand chacun pourroit s'aliéner lui-même , il ne peut aliéner fes enfans : ils naiffent hommes 8c libres , leur liberté leur appartient, nul n'a droit d'en difpofer qu'eux. Avant qu'ils foient en age de .raifon , le pere peut en leur nom ftipuler des conditions pour leur ftipulation 8c pour leur bien être ; mais non les donner irrévocablement  ^9% TABZE'AV MSTÖRJQVR Sc fans condition; car un tel don eft contraire aux fins de la nature, Sc paffe les droits de la paternité. Renoncer a fa liberté , c'eft renoncer a la qualité d'homrrie, aux droits de 1'hunaanité , même è fes devoirs j il n'y a nul dédommagement poflible pour quiconque renonce a tout } une telle renonciation eft incompatible avec la nature de 1'homme , Sc c'eft öter toute liberté a fa volonté ; enfin c'eft une convention vaine Sc contradictoire , de ftipuler d'une part une autorité abfolue, Sc de 1'autre une obéiffance fans bornes. II eft a remarquer qu'il ne faut pas confondre la liberté naturelle qui na pour bornes que les forces de 1'individu $ de la liberté civile qui eft limitée par la volonté générale ; Sc 1'on entend ici par la liberté , I'obéiffance a la loi qu'on s'eft prefcrite. On vient de mettre fous les yeux du leéfeur un étalage de vérités dont il n'eft plu6 permis de douter dans les tems éelairés oü nous vivonsj mais ce feroit un crime de lefe - majefté ( i ) au premier chef de les afficher a Conftantinople ou a Varfailles; ce qui eft une nouvelle preuve de la grande vérité établie ci-deffus, qu'il ne faut point de rois fur la terre: Reges è medio tollantur immifiricorditer. Si le facré cordon eft un épouvantail a Conftantinople a Paris les lettres de cachet font ca. pables d'infimider les plus fages. Mais qu'eft-ce qu'une lettre de cachet en France ? C'eft un ordre (i ) Fnntenelle difoit que s'il avoit tenue toutes les vérités renfermées dans fa main, ii fe feroit 'bien donné* TaSLEAV H1ST0R1QVE pue par le couteau du defpotifme , on a tout a craindre li 1'on manque de courage. De tefclavage. Si les hommes n'ont pas plus de droit fur la liberté que fur la vie les uns des autres ; il s'en fuit que Tefclavage, généralement parlant, eft contre la loi naturelle. En effet le droit d'efclavage ne peut venir ni de la guerre , puifqu'il ne pourroit être fondé que fur le rachat de la vie , St qu'il n'y a plus de droit fur la vie de ceux qui n'attaquent plus, ni de la vente qu'un homme fait de lui-même a un autre ; puifque tout citoyen étant redevable de fa vie a 1'état , lui eft, a plus forte raifon, redevable de fa liberté , St par conféquent n'eft pas maitre de la vendre ; d'ailleurs quel feroit le prix de fa vente : ce ne peut - être 1'argent donné au vendeur, puifqu'au moment qu'on fe rend efclave, toutes les poffeffions appartiennent au maitre •■, or , une vente fans prix eft auffi chimérique qu'un contrat fans condition. M. Linguet critique amérement la laconicité St la frivolité des réflexions de M. de Montefquieu fur la liberté ; mais la grande prolixité de M. Linguet fur eet article, nous öte jufqu'a Tefpoir de nous affranchir de nos fers. II feroit dangereux , dit-il même a la fociété de les brifer. Or , la fociété eft néceffaire , donc Tefclavage Teft auffi : eet argument eft in ferio , eft par conféquent fans replique , d'autant plus que nous lifons que'parmi les juifs , auffi bien que parmi les autres nations, les hommes fe vendoient eux - mêmes ; mais les maitres de ces ferviteurs,  des Provinces-Unies. 301 bien-loin d'avoir un pouvoir arbitraire fur leur vie , ne pouvoient point les .mutiler , 8c s'ils leur faifoient tomber une dent, ils étoient tenus de les laifter aller. Exode XXI. M. de Montefquieu dit qu'il n'y a peut - être jamais eu qu'une loi jufte en faveur de Tefclavage , c'étoit la loi romaine qui rendoit le débiteur efclave du créancier , encore cette loi, pour être équitable, auroit du borner la fervitude quant au degré Sc quant au tems ; mais n'auroit-il pas fallu un tarif pour apprécier la fervitude d'un homme, Sc ce tarif n'auroit pas du être celui des créanciers. Maisondira peut - être avec Grotius, li un particulier peut aliéner fa liberté Sc fe rendre efclave d'un maitre, pourquoi tout un peuple ne pourroitil pas aliéner la lienne Sc fe rendre fujet d'un roi ? Un homme qui fe fait efclave d'un autre ne fe donne pas, il ftipule tout au moins par les befoins de la vie , Sc voila une convention ? Mais pourquoi un peuple fe vendroit-il a un roi : ne feroitce pas plutót a celui-ci a fe vendre au peuple,puifqu'il en tire fa fubiiftance. Autrement les fujets donneroient leur perfonne a condition qu'on prendroit auffi leurs biens ; voici qu'elle feroit a peuprès la teneur de la convention du peuple avec fon roi. Je fats avec toi une convention toute a ma charge Sc toute a ton profit , que j'obferverai tant qu'il te plaira , Sc que tu n'obferveras que tant que tu voudras; mais une pareille convention, foit qu'elle fe falTe d'un homme a un homme , ou d'un peuple a un homme, eft également infenfée, Sc par conféquent nulle de droit.  TaBZEAV HXSTORtQUE Obfervation* Si Ton recherche en quoi confifte précuement pour les états 8c pour les peuples le plus grand bien qui doit être la fin de tout fyftême de législation , on trouvera qu'il fe réduit a ces deux objets principaux , la liberté 8c la propriété '■> la liberté paree que toute dépendance particuliere 8£ forcée eft autant de force ötée au corps de 1'état •■, 8c la propriété, paree que la propriété ne peut fubfifter lans elle* Ces deux objets de bonne inftitution doivent être modifiés en chaque pays par les rapports qui naiffent, tant de la fituation locale que du caraéfere des habitans , 8c c'eft fur ces rapports qu'il faut afligner a chaque pays un fyftême particulier d'inftitution* Quel eft le peuple. qui jouit de ces deux biens l Celui qui, fe trouvant déja lié par quelqu'union d'origine , d'intérêt ou de convention , n'a point encore porté le vrai joug des. loix ; celui qui n'a ni coutumes, ni liiperftitions bien enracinées 5 celui quine craintpasd'êtreaccablé par une invafion fubite ; celui dont la religion & les mceurs ne lont point oppofées a Ion bienêtre y celui a qui on a laifle le libre choix d'opinions fur des ufages myftérieux 8c fans confiftance ; celui enfin qui, dégagé de mauvaifes loix, fe trouve fous un gouvernement tempéré 8c ibutenu par la fociété. Toutes ces conditions , il eft vrai, fe trouvent difficilement raflemblées : aufli voit-on bien peu d'état bien organifés. Faifons-nous un fyftême régulier pour eet effet, 8c remontons a 1'origine des fociétés civiles. Fxa d» Tornt l