EX BIBLIOTHECA Dr. T. H. MILO    RÉVOLUTIONS DES PROVINCES-UNIES. TOME SECOND.   RÈVOLUTIONS DES PROVINCES-ÜNIES sous l'étendard DES DIVERS STADHOUDERS, s v i r i s s DES ANECDOTES MODERNES, Ou Tableau hiftorique.,tdpogfaphique &politique des Provinces - Unies , de leur Commerce & PoJJeJfions iïoutre - mer ; les Caufes des crifes que eet Etat eprouve aujourdhui. TOME SECOND. 4» A N I M E G U E. 1 7 8 8.   REVOLUTIONS BES PROVINCES-ÜNIËS SOUS fÉTENBARÖ DES DIVERS STADHOUDERS; De Ia Conflitution ejjentklle des Etats , od de la maniere dont ils fe formtnh I-iE feul moyeh que les hommes poüvoieni ërhployer pour fe mettre è' 1'abri des maux qui les travaillóient dans 1'état de nature, 8c pöur fe procurér tous les avantages qui manquoierit a leur füreté Sf. è leur bonheuf , devoit être tiré de 1'homme mêrrié Sc des fecoursdela fociété. Pour eet effet, il falloit qu'une mültitude d'hommes fe joigmt énferrïblë ,J d'une facori (i particuliere, que la confervation des autres , afin qu'ils fuffent dans la néceffité dé s'entre-fecourir, 8c que par cette utiion de peines Sé d'intérêts, ils puffent aifément repoufler les irïftiltes dont ils n'auroient pu fe garantir chacun ea Tornt II. A  % TABLEAV H1STOR1QVE particulier, Sc contenir dans le devoir, ceux qui voudroient s'en écarter, Sc travailler plus erlïcaccment a leur commune félicité. Pour opérer cette réunion, deux chofes étoient nécefiaires : i°. U falloit réunir pour toujours les volontés de tous les membres de la fociété : i°. U falloit établir un pouvoir fuprême , foutenu de toutes les forces de tout le corps , au moyen duquel on put intimider ceux qui voudroient troubler la paix Sc faire fouffrir un mal préfent Sc fenfïble a quiconque oferoit agir contre l'utilité commune. C'eft de cette réunion de fo ces Sc de volontés, que réfulte le corps politique ou Fétat } Sc fans cela on ne fauroit concevoir de fociété civile ; car quelque grand que fut le nombre des confédérés , fi chacun s'obftinoit a fuivre fon jugement particulier par rapport aux chofes qui intérelfent le bien commun , on ne feroit que sembarraiTer les uns les autres , Sc la diverfité d'inclinations 8c de jugement , la légéreté 8c l'inconftance naturelle a 1'homme, anéantiroit bientót la concorde, Sc les hommes tomberoientdanslesinconvéniens de letat de nature. On ne fauroit d'ailleurs, dans une telle fociété , long-tems agir de concert 8c pour une même fin , ni fe maintenir dans une harmonie qui en fait toute la force , fans une puiffance fupérieure qui ferve de frain commun pour réprimer l'inconftance 8c la malice humaine, a rapporter toutes leurs aftions au bien public. Or, tout cela s'exécute par le moyen des conventions •■, car cette réunion de volontés dans une feule Sc même perfonne ne fauroit fe faire , de maniere que la diver-  Hés pROriï/CEs-UNiEs. 3 fité naturelle d'inclinations 8c de fentimens, fok totalement détruite ; mais cela fe fait par un engagement oü chacun entre , de foumettre fa volonté particuliere a la volonté d'une feule perfonne ou d'une aflemblée ■■, en forte que toutes les réfolutions de cette perfonne ou de cette afTemblée j au fujet des chofes qui concernent Ja füreté 8c Kitilité publique , foient regardées comme la volonté pofitive de tous en général 8c de chacun eri particulier : de-la fe fait fenpir la néceflité de remonter a une première convention : nous aurons bientöt oceafion d'y revenir* Etat civil. L'homme eft né pour vivre en fociété •, iï la nature avoit deftiné l'homme a vivre ifolé eommé les bêtes féroces , elle ne fauroit pas organifé diiiëremment de ce qü'elles le font, elle ne fauroit pas difpofé a recevoir , a fentir des affe&ions qui h'ont de rapport qu'avec la fociété 8c qui ne' peuvent naitre en lui qu'autant qu'il vit en fociété. N'eft-il pas évident que l'homme fufceptible de compaflïon, de pitié , d'amitié , de bienfaifance degloire , d'émulation Sc d'une multhude d'affections qu'il ne peut éprouver qu'en fociété , eft deftiné a vivre en fociété ; car ce n'eft que dans cette vue qu'elle a pu lui donner le germe des paflions qui ne peuvent convenir qu'a un être focial ; mais comme la nature a organifé tous les hommes de la même maniere , il s'enfuit que la nature n'a pas fait les uns pour être efclaves 8c les aurres pour être tyrans: il faut toujours remonter a une A 1  4 Tableau historique première conventie». Or , de quelque maniere que les hommes fe foient réunis , le but qu'ils fe font propofés , a été 1'avantage de tout pris enfemble , Sc eet avantage devoit être tel que chacun fe trouvat mieux qu'auparavant. II ne faut donc pas s'imaginer que les hommes épars fe foient fuceefrivementaifervis a un feul; il n'y auroit eu dans cette aggrégation qu'un maitre & des efclaves : ce n'auroit plus été une affeciation ; or , les befoins ayant forcé les hommes a fe réunir , ils ont tous ftipulés en particulier pour le plus grand bien de tous : ce fut le grand principe de réunion. II y eut d'abord une convention , tout au moins tacite, Sc qui n'en eut pas moins de force. Voila donc ce qui fait encore une fois fentir la néceflité de remonter a une convention que nolis aurons bientöt occafion d'éclaircir. Voyons maintenant comme l'homme fe compofe de plus en plus en fociété, L'homme confidéré en fociété. Il réfulte de ce qu'on a dit ci-delfus que 1'état naturel de l'homme eft celui de la fociété , puifque fa nature , fes befoins, fes defirs , fes habitudes 1'obhgent de vivre en fociété avec des êtres femblables a lui, afin de fe préferver par leurs fecours des maux qu'il craint, 8c de fe procurer les biens néceffaires a fa propre félicité. Donc 1'état naturel de l'homme eft cette fituation oü il eft placé dans ce monde , relativement a fa conftitution inférieure , 8c au cours ordinaire des chofes ; ce n'eft donc que par abftra&ion que l'homme peut-être envifagé dans un état de folitude ou privé de tous  des Profinces-Unies. 5 rapports avec les étres de fon efpece : ce qu'on appelle un état de nature , feroit un état contraire a la nature , c'eft-a-dire, oppofé a la tendance des facultés de l'homme , nuifible a fa confervation , oppofée au bien être , qu'il eft de fa nature de defirer conftamment. Pour bien connoitre la nature humaine , il faut la confidérer dans fa condition extérieure , dans fes befoins , dans fa dépendance, 8c dans 'les diverfes relations oü elle trouve placée : enun mot, dans ce qu'on peut appelier les divers états de l'homme. On peut le ranger dans deux claffes générales j les uns font des états primitifs 8c originaires , 6c les autres des états accef. foires ou adventifs : les états primitifs Sc originaires font ceux oü 1'homme fe trouve placé par la main même de Dieu 8c indépendamment d'aucurf fait humain : tel eft l'ét,at de l'homme par rapport a Dieu qui eft un état de dépendance abfolue, puifqu'il tient de eet être , 8c la vie , 8c tous les avantages qu'il poffede : tel eft 1'état. de fociété , c'eft-a-dire, celui oü les hommes fe trouvent k 1'égard les uns des autres 8c qui n'eft autre chofe que 1'union de plufieurs perfonnes pour leur avantage commun , ce qui fuppofe que les hommes vivent en bonne intelligence , 8c c'eft ce qu'on appelle un état de guerre , état violent 8c dire£tement oppofé a celui de fociété. II y a de plus un état naturel qui eft celui oü 1'on confidere Thorn^ me a 1'égard des biens de la terre , 8c c'eft ce qu'on peut appelier un état d'indigence , 8c des befoins toujours renailfans , auxquels il ne fauroit pourvoir d'une maniere convenable , qu'en faifam A 2,  (5 TABLEAV H1STOR1QVM ufage de fon induftriepar un travail continue]. Les états accefïöires ou adventifs font ceux dans lefqueJs, i'hpmme fe trouve placé par fon propre fait, & en conféquence des établiflèmens dont il eft fauteur. Ces états font proprement 1'ouvrage de l'homme , en voici les principaux : i°. L'état de familie eft celui qui fe préfente le premier ; cette fociété eft la plus naturelle de toutes , elle fen de fondement a la fociété nationale , puifqu'une nanon, ou un peuple n'eft qu'un compofé de plufieurs families ; du mariage naiiTent les enfans qui, en pcrpétuant les families , entretiennent la fociété humaine : i°. Le fecond état eft celui de la foiblefle & defimpuiflance de l'homme dans fa naiffanee , tant a 1'égard du corps qu'a 1'égard de lame. De cette foiblefte fuit néceftairement la dépendance naturelle des enfans de leurs peres & meres. Le troifieme état' réfulte de la propriété des biens qui produit un nouvel état acceffoire , en modifiant le dfoit que tous les hommes avoient onginairement fur les biens de la terre. Le quatneme état eftacceffoire, 8c c'eft le plus confidérable, puifque c'eft l'état civil , ou celui de la fociété civile Se du gouvernement. D'après eet expofé , il eft aifé de voir qu'il en eft a-peu-prèsde 1'univers moral , . comme de 1'urnvers phyfique , touty eft combinaifon , rapport, Jiaifon & enchainemént. ïl n'eft rien qui ne foit 1'eflbt immédiat de quelque chofe qui a précédé 8c a déterminé 1'exiftence de queique chofe quifmvra, & c'eft ce qui compofe le fvftême des rapports de Ihomme .avëc fes fcmbJables. Une fociété eft J'af-  DES P RO VIJV CES-UN 1 ES. J femblage de pluficurs êtres de 1'efpece humaine , réunis dans la vue de travailler de concert avec leur bonheur mutueL, Toute fociété fuppofe invariablement ce but. II feroit contraire a la nature que des êtres animés fans ceffe du deflr de fe conferver 8c de fe rendre heureux ? fe rapprochafTent ou s'uniffent les uns aux autres pour travailler a leur deftruétion , ou a leur malheur réciproque. Dès que deux êtres s'affocient, on doit conclure qü'ils ont befoin 1'un de 1'autre pour obtenir quelque bien qu'ils defirent en commun ; ainfi le bonheur commun des affociés eft le but néceffaire de toute fociété compofée des êtres intelligens 8c raifonnables. Le genre humain , dans fon enfemble, n'eft qu'une vafte fociété compofée de tous les êtres de 1'efpece humaine. Les différentes nations ne doivent être envifagées que comme des individus de cette fociété générale. Les peuples divers que nous voyons fur notre globe , font des fociétés particulieres diftinguées des autres par les noms des pays qu'elles habitent. Si elles avoient plus de raifon , au lieu de fe combattre 8c de fe détruire , elles devroient confpirer a fe rendre réciproquement heureufes. Dans chaque nation, une fociété particuliere compofée d'un certain nombre de families 8c de citoyens intéreffés également au bienêtre de cette affociation particuliere , Sc a la confervation de la nation dont ils font partie. Une familie eft une fociété plus particuliere, encore compofée d'un nombre plus ou moins confidérable d'individus, des defcendus de la même fouche, 8c diftingués par le nom de ceux qui ont une origine A4  8 Tableau historique fjiffétente. Le mariage eft une fociété formée pat fhpmme Sc la femme pour travailler a leurs befoins Sc k leur bonheur mutuel. L'amitlé eft une alfocianpn de plufieurs hommes qui fe jugent capables de cpntribuer a leur félicité réciproque. Les réunions dyrables ou pafïageres de ceux qui s'afl'ocjent pour quelques entreprifes pourle commerce , n ont Sc ne peuvent avoic pour but que de mettre leurs forces en commun , afin de fe procurer des avantages communs: en un mot, auffi-töt que plufteurs individus fe raftemblent dans la vue d'obtewr une fin , ils forment une fociété. Les affociations des différens peuples Sc de leurs chefs , fe nomment alliances; elles ont pour but leur défenfe , |eur cpnvenripn , leurs intéréts réciproques ; enfin des avantages que feuls ils ne pourroient fe procurer. Ces avantages font le produit des vertus fociales Sc des qualités qui en dérivent: comme le défordre focial eft le produit des vices de fociété Sc de tous les maux qui en font les fuites néceffaires. Nécejitéde remonter■ a une première convention. Que des hommes épars fur la vafte furface du globe fe foient ahervis a un feul, ou a une affemblée choifie en quelque nombre qu'ils puflënt erre , pn oe peqt: vpir la qu'un maitre Sc des efflave? j on nTy voit ppint un peuple Sc fon chef: c'eft, fi fpn veut, un aggrégation Sc non pas pne aftociation, Sc dans eet, te aggrégation, il n'y a pi bien public, ni corps politique. Les befoins ayant forcé Jes hommes a fe réunir , ils ont tous dü fti-  vEs Provijvces-Unies. 9 puler en particulier pour le plus grand bien de tous^ il ne put y avoir dautre principe de réunion. II y eut d'abord urie convention , tout au moins tacite, dont voici le fommaire : « Trouver une forme d'af>) fociations qui défendit 8c protégeat toute la force » commune , la perfonne Sc les biens de chaque » allbcié , &C par laquelle chacun, s'uniftant a » tous , n'obéirait pour tant qu'a lui-même ». En eifet, remontons en idéé au moment oü tout un peuple fe trouva raffemblé pour délibérer fur les moyens d'enlever les obftacles qui nuifoient a fa confervation dans l'état d'indépendance. II n'eft pas douteux qu'il ne fe format un même corps politique que par la réunion des volontés Sc des forces de chaque individu qui compofoit ce même corps. Quel artifice aura -1 - on employé pour mettre en jeu , par un feul mobile , cette réunion de forces Sc de volontés , Sc pour les faire agir de concert ? Comment chaque individu aura -1 - il pu engager fa force Sc fa liberté , premiers inftrumens de fa confervation, Sc negliger les foins qu'il fe dok : cette difficulté s'éclakcit par la folution fuivante : « Chacun de nous mets en v, commun fa perfonne Sc toute fa puiftance » foias la fuprême dire&ion de la volonté gé» nérale , Sc nous recevons en corps chaque » membre comme partie indivilible ». De cette maniere chacun fe donnant a tous Sc ne fe donne a perfonne en particulier ■■, Sc comme il n'y avoit pas un affocié fur lequel on n'acquerroit le même droit qu'on lui cédoit fur foi , on gagnoit 1'équir valenr de tout ce qu'on perdoit.  io Tableau historiqve Les claufes de ce contrat font tellement de, terminees par la narurede 1'afte, que la plus légere modification les auroit rendu nulles, & quoiqu'elles n ment peut-être jamais été formellement énoncées : dies font par-tout les mêmes, par-tout tacitement admifes Sc reconnues , jufqifa ce le pafte focial etant viole , chacun foit rentré dans fes premiers* droirs, Sc ait repris fa Iibérté naturelle, en renoncant aux engagemens de la convention ; ainlile bonheur commun des affociés eft le but necelfaire de toute fociété compofé d'êtres intelligens Scraifonnables. Toute fociété fuppofe invariablement ce but , car il feroit contraire aux vues de la nature, que des êtres animés fans ceffe du defir de fe conferver Sc de fe rendre heureux , fe rapprochaffenf ou s'uniflënt les uns aux autres pour travailler a leur deftruétion ou a leur malheur reciproque. Une fociété eft l'affemblage de plufieurs êtres de 1'efpece humaine réunis dans la vue de travailler de concert a leur bonheur mutuel. Des ce moment, au lieu de la perfonne particuliere de chaque contraftant, eet afte d'aftociation a proouit un corps moral Sc coikaif, compofé dautant de membres que 1'aftociation a de voix , Jequel corps recoit de ce même afle fon unit/. Ion moi commun, fa vu Sc fa volonté. C'eft ainfi que par la réunion de plufieurs il s'eft formé ce qu'on appelle la perfonne publique , connue autrefois fous le nom de Cité, Sc qui prend aujourdhui celui de Répubüque ou de Corps pohtique , Iequel eft appellé par fes membres état, quand ü eft paffif; Jbuvcrain quand il en aftif,  bes Provin ces-U nie n puijfancc en le comparant a fes femblables. A 1'egard des affociés , ils prennent colleftivement le nom de peuple , 8c s'appellent en particulier atoyens, comme participant a 1'autorité fouveraine, 8c fujets comme foumis aux lois de F état; s'il arrivé qu'on confonde fi fouvent ces termes, 8c qu'on les prenne 1'un pour 1'autre , c'eft qu'on ne s'eft jamais fait d'idées juftes du corps póli* tique ,• cette précifion feroit un crime de lefemajefté en France , dans 1'empire Ottoman Sc a Pétersbourg. Voyons maintenant ce que contient eet afte d'alfociation: on fe hate d'en donner une idéé jufte & exafte. Du Pacle focial. Le pafte focial eft la fomme des conditions tacites ou exprimées, fous lefquelles chaque merabre d'une fociété s'engage envers les autres de contribuer a leur bien-être , & d'obferver a leur égard , les devoirs de la juftice 3 c'eft la fomme des devoirs que la vie fociale impofent a ceux qui vivent enfemble , ou fi 1'on veut , c'eft une convention naturelle 8c tacite entre tous les hommes, de vivre enfemble dans une paix perpétuelle , de s'entr'aider mutuellement a fypporter les infirmités de la vie , de fe procurer réciproquement tous les avantages & toutes les jouiffances poflibles , & enfin de concourir tous d'une maniere uniforme 8c paifible au maintien de 1'ordre moral. Ce contrat eft une loi facrée qui regie toutes les autres 3 c'eft 1'enfemble de toutes les difpofitions  iï Tableau historxque qui doivent metier l'homme au bonheur de tous les rooyens qui peuvent le rendre lage : c'eft en un mot la fphere oü doivent rouler fans cefie Sc ^rr^i65,™' t0US ^fentimens, & tout Je fyfteme de 1'humanité. Si 1'on remarquè quelque convention bizare qui donne tout a 1'un & ried a lautre ; fi quantité d'abus fe font introduits dans ce contrat, ce ne font que des abfurdites de morale , des falfifications de principes, des hors - d ceuvre de la nature, ou pour rnieux dire, des acceffoires faux, ridicules Sc dangereux qu, ne peuvent fubfifter toujours, Sc qui ne pour? ront jamais f0Uff ir Ia Glarté du foJei] de ^ ^ quand une fois elle viendra a hure fur toute la multitude. Dun autre cóté , n'eft-il pas conftant que la nature, en etablifiant d'elle même un Même iociaj, bien-Ioinde vouloir détruire 1'égalité naturelle , a iubftitue au contraire par un pafte fondamemal appuié fur la néceflité des chofes Sc tor h firnple notion de la juftice , une égalité morale & jegltlme a ce qu,eJ]e auroh meme d>.né_ ïfiït1 y T emre ks h0mmes ' & ^ Pouvaat flï "li (orCes\e?ëéme , le fort Lftitué au toible , Ihomme eclairé a 1'ignorant, afin que ^nnlmAYJ 'lk devinfllwt^ égaux de conven- CZX °n ' &- 1,6 fiffent tous 1u'un ^me corps Sc une meme mtelligence. U ne faut donc pas que Ihomme convienne vaguement Sc ftupide- ment que tous les hommes font égaux : il ne fuffit donc pas que dans les gouvernemens politiques cette egalite ne foit quapparente Sc iliufoire , Sc qu elle ne ferve qu'a maintenir le pauvre dans la  pss Propinces-Unies. 13 mifere Sc le riche dans fon ufurpation : il ne fuffit donc pas que les loix foient toujours utiles a ceux qui poffedent, 8c nuifibles a ceux qui n'ont rien 3 il faut au contraire que 1'homme de bien fok convaincu que l'état focial ne peut être avantageux aux hommes , Sc ne peut fe maintenir conftamment qu'autant qu'ils ont tous quelque chofe , ÖC qu'aucun d'eux n'a rien de trop. II fuffit de vivre en fociété pour être obligé de concourir au but de la fociété, ou pour fe trouver engagé même fans déclaration formelle , a fervir fuivant fes talens Sc fes forces, a fecourirSc défendre fes affociés, a refpecter leurs droits , a fe conformer a la juftice ,è fe foumettre aux loix propres , a maintenir 1'ordre nécelfaire h la confervation de 1'enfemble. En échange la fociété toute entiere, ou les dépofitaires de fon autorité fe trouvant naturellement Sc nécelfairement engagé a feeourir , défendre protéger Sc maintenir dans fes juftes droits celui qui, fous cette garantie , s'oblige a remplir fidélement les devoirs de la vie fociale. Les engagemens réciproques qu'on contrafte dans la fociété , fok qu'ils foient écrits , exprimés , publiés ou non , ils font toujours les mêmes : il eft facile de les connoitre , ils font indifpenfables Sc facrés , ils font fondés fur la néceffité d'employer les moyens propres a obtenir la fin qu'on fe propofe en vivant avec fes femblables. Des engagemens naturels Sc réciproques que 1'on contraéte dans la fociété , il réfulte que chaque membre acquiert des droits fur la fociété, c'eft-a-dire, qu'il a droit d'efpérer que 1'obéiflance qu'il rnontre a la fociété , que Taftec™  i4 Tableau historique tion qu'il a pour elle , que les fervices qu'il lui rend, feront payés par des avantages tels que la proreétion^ la füreté de fa perfonne 8c de fes biens, la portion de félicité dont la vie fociale met a portee de jouir. Chaque membre de la fociété eft en droit d'exiger un bien-être bien plus grand que celui dont il jouiroit, s'il vivoit ifolé. La fociété ne peut fans injuftice le priver de ce droit , fans cela, elle contrarieroit fon but , elle nuiroit a fa pro pre confervation, elle ne feroit que ralfembler des " êtres injuftes , animés d'intérêts perfonnels , dont lespamons feroient continuellement en guerreavec le bien public. L'amour hncere de la patrie ne peut être dans les citoyens que 1'effet des avantages que la patrie leurprocure. Une fociété fans juftice, ou gouvernée par des loix iniques 5c partiales, invite néceffairement fes membres a 1'injuftice , a la méchanceté : on les rend indifférens fur les intéréts des autres , par 1'imprudence 8c la déraifon des peuples 8c de ceux qui les gouvernent. Les hommes font très-fouvent guidés par des loix injuftes , des ufages pervers , des opinions erronées, des préjugés capables d'anéantir la félicité publique. Enchainées par des coutumes ou des habitudes peu raifonnées, les nations fe trouvent malhetireufes; de mauvais citoyens, perpétuellement occupés a fe nuire ouvertement, ou fourdement pour des intéréts particuliers toujours oppofés a ftntérêt général. Eft-ce que 1'hiftoire de quarante fiecles ne nous préfente pas fans ceflë le tableau de la fociété , toujours gouvernée par des rois ou des chefs, 8c toujours malheureufe 8c condam-  des Provinces-Unïes. 15 aée a gémir dans les fers , 1'opprobre 8c la plus affreufe mifere. Si jamais il arrivoit que tous les hommes devinflent juftes 8c fages j quelles autres loix feroient nécelTaires que celle de 1'amitié •■, la paix deviendroit pour eux un lien indiffoluble. Le contract particulier qui unit l'homme a la fociété n'eft que conditionel 8c réciproque , c'eft-a- dire, qu'il fuppofe des avantages mutuels entre les parties contra&antes. « Le citoyen , dit un moderne, » ne peut tenir a Ia fociété , a la patrie , a fes » affociés, que par le lien du bien-ètre : ce lien » eft-il tranché , il eft remis en liberté )). Donnons plus d'étendue a cette penfée ! La réunion des intéréts particuliers avec le général , ne peut-être que 1'effet d'une fociété fidelle a remplir les engagemens du pacte focial. Des loix impartiales obligeroient tous les citoyens d'obferver les loix de la juftice , 8c tout homme raifonnable fe trouveroit dans la nécefïité d'être vertueux , c'eftè-dire, feroit dans la difpofition habituelle de reA pe£ter les droits de fes femblables. C'eft dans la balance de 1'équité que 1'on doit pefer les loix , les coutumes , les inftitutions humaines j il n'eft pas d'autre moyen de diftinguer le bien du mal , 1'utile du nuifible , le jufte de 1'injufte , ce qui fuppofe a la vérité de 1'expérience 8c de la raifon. Faute de réfléchir , les hommes, pour la plupart, regardent comme jufte tout ce que les loix, ou les ulages ordonnent ou permettent , 8c regardent comme injufte ce qu'ils défendent. De pareils principes ne peuvent que confondre, obfcurcir 8canéanïlr toutes les idéés de la juftice naturelle. On ap-  iö Tableau histokiqüè pelle licitc ce que les loix ou les ufages d'un peuple permettent Sc illiciu, ce que ces mêmes loix ou ufages defendent. II eft a obferver que ce qui eft icite ou permis par la loi ou par 1'ufage , peut quelquefoisetre très-injufte : par exemple , chez lesLacedemoniens , le brein , Ie vol , fait avec adreue , etoit permis ou toléré , Sc cependant «oir tres-injufte. Ne fuffit-H pas de la moindre réIlexion pour fe convaincre que c'eft nuire aux droits des hommes que.de leur ravir des biens dont la fociete doit être garante. Dans Une afiociation de bngands , telle que fut autrefois celle des Rornains , ces conquérans du monde , ces fléaux du genre humain , le vol, le meurtre , Ia violence , tous les exces, contre les autres peuples étoient d^s adtions, non feulement permifes , maisencore approuvees Sc iouées comme des vertus : il n'y a de yraimènt jufte que ce qui eft conforme aux droits imprefcnptibles de 1'humanité. Ce n'eft donc pas Ia volonte fouvent déraifonnable d'un peuple, ce ne lont pas fes intéréts particuliers , ce ne font pas ces loix Sc fes ufages qui rendent jufte ce qui ne leftpoint par fa nature. La violence Sc la conquete peuvent être conformes aux intéréts d'un peuple ambitieux. Ceux qui contentent leurs paflions , peuvent être a fes yeux des perfonnages eftimables Sc vertueux h mais un tel peuple n'eft qu'un amas de malfaiteurs Sc d'aualTins pour quiconquea des idees faines du droit des gens fi fourent viole, Sc avec autanr d'infolence par une nation en-' nemie de toutes les autres. L'intérêt permanentde Ihomme en général, du genre humaio , de 1* grande  des Provinces-Unies. ij grande fociété du monde , exige qu'un peuple refpedte les droits d'un autre peuple3 de même que 1'intérêt général de toute fociété particuliere , exige que chacun des membres refpedte les droits de fes aflbciés. Telle eft la nature du contract' focial qu'il ne doit jamais être violé , ni par les '■ membres particuliers qui le compofent, ni par les repréfentans de cette fociété. Qu'on remonte a l'état naturel de l'homme 1'on verra que la première fociété 8c la feule naturelle , fut celle de familie , Sc que 1'autorité paternelle qui ne peut agir que pour 1'utilité des enfans , n'a pu devenir i'origine d'une autorité fouveraine SC arbitraire , fans qu'on fe foit trop écarté du droit de la nature 8c des regies de la raifon:, car enfin un pere aimeréellement fes enfans , il travaille réellement pour eux , il les inftruit , il les confole , il les voit a chaque inftant du jour , il n'exifte que pour eux : un fouve-r rain au contraire méprife tous fes fujets , comparativement a lui. II les envoie fe faire égorger, pour une fantaifie , un caprice : il leur dérend de penfer Sc de réciamer leurs droits primicifs : il les afflige fouvent par des adtes odieux de violence Sc de defpotifme , il ne fe montre è eux que fort rarement il s'imagine qu'ils exiftent tous pour lui Sc que leurs vertus , leurs aftions , leurs richeffes, leurs plaifirs ne doivent être deftinés qu'a grofiir la fomme de fes jouiflances. S'il s'en trouve qui penfent plus fainement , ce font des phénomenes qui ne paroiirent fur la terre que tous les mille ans i d'ailleurs les monarques les plus vantés n'ont ni la puiftance , ni la volonté de faire töut le bien de la Tarnt II, B  iS Tableav h 1 st 0r1qve fociété , paree qu'il faudroit commencer par de£ cendre du tróne Sc dépofer le fceptre aux pieds de la nation entiere. Le feul contrat, la feule fociété de droit que fhomme puiife faire fans déroger i lui-même , c'eft celle qui reflemble en tout a la fociété de familie j c'eft-è-dire, que li un roi, un monarque ne peut pas agir , on n'agit pas moralement envers fes ■ enfans , il ne peut avoir en effet aucun droit fur eux , paree qu'on ne peut pas avoir d'autre'pouvoir fur fes femblables que celui de leur faire du bien. En un mot, tout pafte focial qui détruit dans le fond la morale de 1'égalité , celle de la liberté , Sc celle de la propriété diftributive , eft un pafte abfurde Sc ridicule. On eft fur de s'enchevêtrer fans ceffe dans les fophifmes , dans les contradiftions , dans un labyrinthe de maximes Sc de mots , tant qu'on s'opiniatrera avec Grotiu?, Puffendorf y Barbeyrac Sc tant d'autres, a vouloir accorder le droit naturel, le fyftême du jufte avec celui de 1'injufte Sc de 1'accelfoire avec le principal 3 d'oü 1'on doit conclure , que l'homme n'a pu fans une indolence marquée , fans un aveuglement ftupide , Sc pour mieux dire encore , fans une infirmité inftantanée de la nature entiere , négliger de s'en tenir a fa première fociété de familie , Sc entrer dans une fociété bruyante Sc tumultueufe , oü le chef qui fouvent n'étoit ni citoyen , ni pere, élu au hazard, fut chargé d'un pompeux diadême Sc d'un pouvoir immenfe. Sans doute , fa nature n'étoit alors que celle d'un enfant, ou d'un imbécille qui donneroit tous fes bijoux Sc toute la fortune  DES PROriNCES-UjSlES. IQ ide fa vie , pour voir une fois la lanterne-magique. Si cette lanterne - magique des cours, des puiffances, des armées n'avoit duré que deux ou trois fiecles •■, fi on n'avoit fait battre qua des foldats de bois \ mais, hélas une Ibttife faite pour tout le genre humain , n'eft pas une fottife d'un jour, il faut des fiecles pour la réparer! Qu'on nedemande donc plus , s'il eft des circonftances oü il foit permis de détröner un roi , les principes font pofés : on laiife au le&eur éclairé a réfoudre la queftion. Tous les problêmes qu'on peut procurer en ce genre feront réfolus aifément, fi on a foin de les bienanalyfer faas préjugé, Sc fans s'écarter jamais de leur cercle , Sc fur - tout, fi 1'on a foin de rabattre fes idéés fur ces quatre mots principaux , nature , raifon , juftice Sc vérité. Quand on confidere que les hommes n'onr formé de fociétés, que paree qu'ils ont fenti le befoin de fe donner des fecours mutuels , on découvre bientöt quels furent les ufages de tous les tems Sc de tous les climats. On voit qu'en général .les hommes devoient avoir pour regie , de ne pas fe nuire , d'être fideles aux engagemens qu'ils conT tra&oient, de fe réunir contre 1'ennemi commun , d'aflurer a chacun d'eux la propriété de fes biens, de fa perfonne , Sc de s'oppofer a quiconf{ue ten > teroit de troubler 1'ordre public. La bafe de la fociété civile repofa fur 1'obfervation de ces regies: car les loix ne furent d'abord que des ufages Sc des conventions tacites qui régloient ce que les citoyens ou affociés fe devoient les uns Sc les auisces, ce que chacun d'eux devoit a l'état, Sc ce^ B2  2P Tableau historiqus quel'état devoit a chacun d'eux$ mais Ja maniere d'appJiquer ces regies fut fufceptible de mille modifications. Comme les hommes ne s'étoient réunis , que paree qu'ils avoient fenti le befoin de fe réunir: voila pourquoi les circonftances oü 1'on s'étoit trouvé, déterminerent les devoirs auxquels on s'obligeoit réciproquement, 8c en même tems les droits qu'on acquerroit. Les premières fociétés ne firent que tatonner d'après leurs befoins , obéiA fant aux circonlhances, comme par inftinét, Jes aflbeiés changerent d'ufages , moins- par raifon que par inquiétude. II étoit aifez difficiJe de fixer une regie certaine d'après des ufages fufceptibles d'interprétations différentes. Suivant la différence des circonftances, il en réfulta que 1'ufage fervoit fouvent de prétexte a fes prétentions , paree que tous venoient de fe faire de nouveaux droits , 8c que perfonne ne vouloit s'aftreindre a de nouveaux devoirs. Les ufages fe maintenoient d'eux-mèmes ou fans efforts, fur - tout fi les circonftances ne changeoient pas, ou lorfqu'elles changeoient, fans qu'on s'en appercut. Mais arrivoit - il qu'on n'étoit pasd'accord fur 1'utilité dont ils pouvoient être , les ufages ne fe maintenoient qu'autant que ceux a qui ils étoientavantageux, étoient afiezpuiftanspoury afiujettirles autres. Les ufages conftans furent donc ou le réfultat des circonftances ou de la violence. Quand on difoit alors, c'eft 1'ufage, c'eft comme fï on avoit dit: voilé votre devoir, voila mon droit ^ 8c 1'ufage fut la loi. Une fois plié a 1'habitude de fuivre 1'ufage établi, 1'habitude de le fuivre devinC une feconde nature, 8c c'eft ainfi que J'habitudcs  T)ES P ROV IJS! CE S-U X 1 E S. 2ï tint lieu de raifon , 8c que 1'antiquité mit le fccau aux ufages. Dans 1'enfance des fociétés, on ne rendit pas (a-peu-près comme aujourd'hui) des ufages établis ,ftnon que nos peres Je font conduits de telle maniere, & voila par confe'quent comme nous devons nous conduire: telle eft la maniere des humains, ils lê couduifent par imitation Sc fans délibérer, ils fuppofent toujours que ceux qu'ils imitent n'ont rien fait qu'après une müre délibération : qu'en réfulta -1 - il ? c'eft que ce préjugé , qui confirma les ufages recus, ne permit plus d'innover qu'autant qu'on y fut forcé par les circonftances. 1 .Principe de la variété dans les ufages des peuples. Ce font les ufages qui forment Sc détruifent alternativement les fociétés. Si dans la naiffance des fociétés , on avoit demandé , dans quelle occafion eft-on cenfé nuire aux autres ? Avec quelles prétentions faut-il fe réunir contre 1'ennemi commun? Quelles mefures faut-il prendre pour afturer a chacun la propriété de fes biens , de fa perfonne ? De quelle maniere doit-on s'oppofer a ceux qui troublent I'ordre ? II auroit été affez difficile de trouverdans les ufages établis, lesréponfes k toutes les queftions qu'on peut faire a ce fujet. On auroit répondu , paree qu'il auroit fallu répondre; les réponfes auroient été différentes , fuivant la difterence des circonftances qui , Ie plus fouvent ont été mal vues. Pour répondre a ces queftións , il auroit fallu que les alfociés eulfent été affez éolairés pour chercher le nieilleur ordre poffi- B 3  zz Tableau historiqve ble; mais pour prendre le parti Ie plus fage, Ü auroit fallu avoir plus d'expérience qu'on n'en avoit j on fe conduifoit donc au jour le jour , fuivant les tems Sc les lieux , fuivant Ie caractere dominant, Sc fuivant le progrès des connoifiances qui ne pouvoient alors être que trés - bornées. Voila le principe de la variété dans les ufages»des peuples : car s'il eft des nations privilégiées oü la fucceflion des ufages eft une réforme qui tend continuellement au perfe&ionnement de la fociété j il en eft d'autres, Sc c'eft le plus grand nombre, oü les ufages fe fuccédant fans fe réformer, font une fuite d'abus Sc de défordres. Ilya plus, c'eft que dans ces nations privilégiées, les tems les plus florilfans ont un terme, après lequel la corruption des mceurs entraine néceflairement la décadence de la fociété. Alors les vices deviennent des ufages ; on s'imite , paree qu'on eft corrompu , Sc paree qu'on s'imite, on fe corrompt encore davantage 5 la contagion gagne infenfiolement toutes les conditions , 8c ruine enfin les fondemens de la fociété. Cette maladie qui eft inhérente a la plupart des états, doit fon origine aux circonftances qui donnerent 1'être a la fociété civile. A cette époque , les loix naturelles étpient encore 1'unique regie de conduite, que les individus euffent a fégard les uns des autres; mais quand les hommes jugerent apropos de s'unir par des conventions exprefies Sc muruelles, il exiftqit déja des puiffans Sc 'des riches. Les loix naturelles étant devenues infuffifantes pour mettre un frein aux pamons defïruaives , qui caufoient le malheur du genre humain, il fut néceftaire de  ■dbs Provinces-Unies. 23 ■chercher a réunir des intéréts oppofés dont le choc terrible , rendoit la terre un féjour de défolation. Le contrat focial fut le remede par lequel des hommes fages réuflirent a faire cefler le défordre 5 par cette inftitution falutaire des volontés 8c des forces , que la désharmonie rendoit nulles, ils acquirent par leur jonétion une énergie , 8c une a&ivité confidérables. La puiffance publique protégea la foibleife particuliere, 8c la loi mettant au même niveau le riche 8c le pauvre , chacun refpeéra les droits d'autrui, 8c nul ne craignit de voir empiéter fur les fiens ■■, telle dut être au moins 1'intention des premiers contradans. Mais la plupart de ces établiffemens ayant été faits a Ia hate , 8c fans qu'on eut fuffifamment réfléchi fur 1'efTence 8c fur les propriétés de 1'être moral, auquel les nouvelles conventions alloient donner nailTance , 8C fur les moyens de lui auurer une longue durée, le corps politique fut dans 1'origine un ouvrage très-imparfait 5 8c des citoyens croyant y remédier en ajoutant de tems k autre quelque nouvelle piece de rapport , ne firent qu'augmenter la confufïon, rendirent la fociété une efpece de cahos, rudis indigefiuque moles , 8c ce corps manquant d'unité , commen9a dés - lors fortement a hater fa dilfolution. Si les fociétés font lentes a fe former \ elles font promptes a fe détruire. Dans 1'origine , la fucceflion des ufages qui tendent a 1'ordre ne s'établit que peu - k - peu , &C dans la décadence , la fucceflion des ufages qui tendent au défordre , 1'amene brufquement. Quand la fociété étoit travailiée de quelque maladie , il auroit fallu pcnfcr B4  24 Tableau uistorique que fobfervation des loix naturelles, étant la fource du mal auquel on vouloit remédier , on ne pouvoit entiérement couper la racine a tous les défordres. Si on ne commencoit par prendre pour bafe de l'état civil une entiere conformité a cette voix facrée de 1'auteur de la nature , & a écarter par conféquent tout ce que la corruption naturelle des hommes avoit introduit d'étranger a leur état primitif. De ce nombre furent les propriétés foncieres qui porterent dans la fociété civile le même défordre qu'elles avoient occafionné dans l'état de nature ; car les loix n'ayant mis aucune borne a 1'induftrie qui fe trouve inégalement répartie parmi les individus, il arriva par la fuite des tems que quelqucs citoyens fe trouverent en poiTeffion de tout Ie territoire de Ia république. Tandis que le plus grand nombre étoit dépouillé de fes héritages , 8c vivoit fans domicile dans Ie fein de fa patrie , les riches fe fervant alors de leur puit fance , pour donner a la législation une impullïon a leur avantage, établirent dans Ie corps focial une différence défavouée par la nature. Les grands propriétaires afFeéterent de fe féparer du refte du peuple qu'ils regardoient comme vil , & prirent eux- mêmes la dénomination de Nobles & d'Auguflts. Par cette veine diffinétion , fous 1'extérieur d'un feulétat, il s'en forma réellement deux , qui, fujets en apparences aux mêmes loix , furent effectivement dans l'état de nature , 1'un a 1'égard de 1'autre. Cela ne tarda pas a s'annoncer par la guerre violente qui s'alluma entre les deux partis , & qui ne finit que par i'oppreflïon des foibles, 8c  DES P ROV IN CES-U NIES. 1$ i'efclavage «ju les riches le réduifirent en qualité d'ennemis , Sc comme par droit de conquêre , ce qui fait voir que la Communautéou la Communion des biens doit être Ia bafe du corps politique , Sc que c'eft le feul moyen d'éviter 1'oppolition des intéréts , Sc de les réunir tous dans celui de la patrie. L'inftrudtion fociale approchera d'autant plus de fon but, que le législateur aura vifé a établir cette unité fi defirable. Ce fut fur ces fondemens que Lycurgue établit fa république : il bannit de Sparte la richeffe 8c la pauvreté^ le nom de nobles fi odieux dans un état libre, y devient incontiu, &t 1'accès des dignités fut iibre a tout homme de mérite Sc a tout citoyen qui chériflbit fa patrie. Ce grand homme, pour refferrer les liens de la grande affociation , Sc brifer ceux de toutes les fociétés partielles , abolit jufqu'a la diftinétion des families. Un politique qui réfléchira fur la plus grande perfedtion poflible des fociétés civiles, au lieu de blamer cette difpofition , 1'admirera comme un produit de la fagefle la plus profonde. En efFet, des aifeétions qui, dans les autres états partagent ie coeur du citoyen, furent dans celui du Spartiate, concentrée dans le même objet ■■, 1'amour du bien public fut la divinité a laquelle il faifoit le facrifice de tous les autres penchans. La conftitution de Sparte fut un chef-d'oeuvre de 1'efprit humain , Sc Ie termc de la perfcdtion politique duquel ceux qui donnent des loix aux nations , doivent approcher le plus qu'il leur eft poflïble, laraifon pour laquelle nos inftitutions modernes feront éternellement mauvaifes ; c'eft qu'elles repofent fur des principes  z6 Tableav Hl storiqve totalement oppofés a ceux de Licurgue, qu'eUes font un aggrégat d'intérêts difcordans & d'aflöciations particulieres 8c ennemies les .unes des autres, 8c qu'il faudroit les détruire de fond en comble , pour les ramener a cette frmplicité qui fait la force 8c la durée du corps focial. La grande regie dont on ne doit jamais fe départir en politique , c'eft que 1'égalité légitime parmi les membres d'une même cité , eft de 1'effence de tout le corps politique , tous indiftin£tément doivent être foumis aux mêmes.obligations , 8c il n'eft pas permis au législateur de charger un citoyen d'un fardeau qu'il n'auroit pas impofé a un autre. Outre cette forte d'égalité qui fait le fond 8c le noeud de 1'affociation , il en eft un autre qui renforce ou diminue la première , felonqu'elle s'en trouve plus ou moins dans la république : on veut parler de 1'égalité de puiffance 8c de richeues. On comprend aifément que , fi a 1'égard de ces deux objets, il regne une trop grande difproportion. entre les citoyens , elle ne peut manquer de faire pencher la balance de la législation , 8c de rompre par conféquent 1'unité du corps focial , ce qui ne peut qu'en amener tót ou tard la dilfolution totale ■■, c'eft ce qui a haté la mine de tous les états , ou i'on a fouffert que quelques families s'arrogeaffent le droit exclufif de parvenir aux honneurs. L'hiftoire des républiques modernes d'Italie ne nous offre que trop de preuves de cette vérité. Les troubles perpétuels excités a Venife 8c a Gênes , par 1'ambition des nobles 8c le mécontentement du peuple , ont fini dans 1'une 8c 1'autre république , par l'opprelfion 8c le  DES pROriNCES-UtflES. ZJ defpotifme le plus accablant. Ce dok être une -regie générale pour tous les penples jaloux d'; leur liberté , de fe réferver la nomination de leurs-magiftrats. Si le corps chargé de la puiifance exécutive fe met en poflefïïon d'élire fes propres membres, il eft a craindre que les fénateurs ne tachent de perpétuer les dignités dans leurs families, 8c d'établir infenliblement 1'ariftocratie héréditaire , forte de gouvernement qui eft toujours le précurfeur du defpotifme. On vient de voir que 1'influence des ufages fur les fociétés , eft de les former 8c de les détruire : il eft vrai, qu'il y a des peuples , qui, après avoir fait certains progrès, s'arrêtent tout-aeoup , 8c perféverent dans les anciens ufages 5c s'y attachent aveuglément , quoiqu'il auroit été avantageux pour eux d'en changer , 8c ce tems eft celui oü il refte encore bien des chofes a faire pour établir le meilleur ordre. Lorfque Lycurgue voulut réformer les Spartiates , il employa la force , 8c fi Solon n'ufa pas de la même violence avec les Athéniens, c'eft que les circonftances avoient forcé ce peuple a lui demander des loix. Arrive-t-il que la fociété ait fait fes derniers progrès , Sc qu'il feroit a defirer qu'elle fe maindnt dans la iituation oü elle fe trouve : c'eft alors qu'un peuple tient moins a fes anciens ufages , &C que les regardant comme de vieux préjugés , il conrt après des nouveautés qui le .perdent: tels étoient les Athéniens au fiecle de Périclès^ ; d'oü il réfulte que Ce n'eft que fuivant les circonftances , que cette maxime eft bonne ou mauvaife. En général, les peuples n'adoptent cette  i8 Tableau his toriqu e maxime , que lorfqu'il la faut rejeter, Sc qu'ils la rejetent lorfqu'il la faut adopter : c'eft pourquoi ils ne paroiffent changer que par inquiétude , éprouyant des révolutions qu'ils n'ont ni méditées , ni prévues , Sc fe conduifenr comme au hazard. Rien de plus intéreflant Sc de plus inftrudtif, que de remonter a 1'origine des fociétés , de les obferver a leur berceau Sc dans leurs progrès, fuivre le fil Sc les nuances de leurs diverfes révolutions , pour en déduire des conféquences juftes Sc précifes. Sans cette précaution préliminaire , en vain , voudroit - on imaginer les mefures les plus fagement combinées , pour enchaïner 1'ignorance Sc le vice , Sc forcer les hommes a travailler tous de concert a s'afturer un bonheur permanent dans 1'efprit flatteur , Sc la confiance certaine de jouir des précieux avantages d'une paix inaltérable, Sc d'une exiftence douce, tranquille Sc a I'abri de leur revers. Recherches fur /'origine & les progrès de la fociété. Il faut d'abord confidérer avec quelques moraliftes modernes , l'homme fous deux points de vue généraux , comme feul Sc comme vivant avec d'autres hommes, avec lefquels il a des rapports. On donne a l'homme conlidéré fous le premier point de vue , le nom d'état de nature ou d'indépendance primitive 5 Sc a l'homme conlidéré fous le fecond point de vue , le nom de fociabilité. État de nature Il eft des perfonnes qui fe font une idéé faufte  des Pr oriNCEs-Unies. 29 de 1'indépendance primitive 3 ce font ceux qui s'imaginent que ce feroit l'état de folitude dans le quille fans penfer a rien , fans rien prévoir , il fe livrera aux douceurs du fommeil, éloigné de cette) foule d'objets qui agitent 1'imagination Sc réveillent les defirs, ignorant tous ces befoins faétices , tous ces riens féduifant qui ne font point 1'amour ; mais plus illufpires que 1'amour même , il n'éprouvera vraifemblablement que dans un tems marqué  30 Tableau uisi-orique le befoin cTaimer , qui n'eft pour lui qu'un inftinct, tandis qu'il fe prélente a nous fous mille formesféduifantes. S'il arrivé que cette douce fermentation des fens 1'arrache a fon oifiveté habituelle 8c lui faife éprouver des mouvemens inconnus. S'il rencontre par hazard une femelle , il la forcera peut-être de fatisfaire fes befoins , après quoi il 1'abandonnera 8c 1'oubliera jufqu'au moment oü les mêmes befoins renaitront chez lui. Si cette femelle délailfée eft abandonnée a elle-même , comme celui qui la féconde , elle accouchera d'nn enfant qui ne connoïtra jamais celui qui lui donna le germe de fon exiftence. Sa mere obéifTant par inftiiict au cri de la nature lui prodigue I'aliment précieux que renferme fon fein , 8c peut-être n'eftce d'abord que pour fe foulager ? Si eet enfant recoit la naiflance dans un climat favorifé du Giel, fon enfance fera heureufe ■■, paree que fans fbucis êc fans recherches , fa mere trouve d'autant plus aifément de quoi fatisfaire fes befoins, qu'ils font en petit nombre. Mais s'il a le malheur de naitre fur les terres ingrates du nord , oü la nature prefqu'engourdie femble expirante , expofé dans Ja foibleffe du premier age a toutes les rigueurs des faifons, a toutes les intempéries de l'air, fans toit, fans vêtement, fucant un lait toujours appauvri par le défaut de nature, tantót vicié par la mauvaife qualité des alimens , ou échauffé par une»fatigue exceflive , il languit peu 8c meurt bientót 3 ou s'il réfifte a tant de maux il devient un animal peu fenfible 8c néanmoins très-vigoureux. En peu de tems fes membres croyTent ? bientót fes mains at-  ,T)ES PROVINCES-U NIES. 31 teignent aux premières branches des jeunes arbres 8c en arrachent les fruits ; ou fi le fol infertile ne répond pas a fes befoins , déjè il peut attraper a la courfe , ou furprendre par fes rufes des animaux lents 8c foibles qu'il déchire , 8c dont il dévore les membres encore palpitans. Le fentiment de fes forces lui apprend qu'il peut fe pafier de fecours , le befoin le conduit ou 1'égare , nulle connoiflance , nulle idéé , nulle imprelïïon profonde : il ne cherchera donc pas long-tems une mere qu'il a perdue , 8c qui ne lui eft plus néceffaire. L'animal qui fe fuffit a lui-même ne cherche qu'a exercer des facultés nouvellement acquifes, il oublie bientót le fein qui 1'a nourri 3 ainfi dans l'état de nature , 1'amour conjugal n'a d'autre empire que celui du befoin , lequel une fois fatisfait , il n'eft plus rien qui attaché le fauvage a la femelle. II ignore qu'il en réfultera un être lèmblable a lui , il s'abandonne au fentiment qu'il éprouve fans rien voir dans 1'avenir, 8c par-la même 1'amour paternel ne peut être fenti par lui , paree qu'il faut de la prévoyance pour s'en préparer les plaifirs , 8c l'homme fauvage ne prévoit rien ; 1'amour filial ne fera pas plus fenti par le petit fauvage 3 car comme 1'amour filial eft le produit de la reconnoiffance , quelquefois de la feule habituele , le petit fauvage n'a point encore allèz d'idées pour être reconnoifiant , 8c a trop peu de mémoire pour fe faire un lien de 1'habitude. Cet amour eft auffi quelquefois dü a 1'idée d'un devoir qu'on veut remplir 3 cette idéé échaufFe le cceür & partage la chaleur de 1'efprit. Selon quelques-  j.2 Tableau historiqus uns 1'amour paternel prk nailïance dans le cceur de la première, des meres qui, obligée d'allaitcr fon enfant, s'y fera attachée par une fuite des foins quelle lui aura prodigués, ou peut-étre aulfi par le foulagement qu'elle en reeoit d'abord , dans 1'un & 1'autre cas , attachemenr foible dans un état oü 1'ön n'a point toutes ces idéés acceiroires qui exaitent nos paflions, Sc qui font dues a 1'imagination Sc a la mémoire. En effet, c'eft la mémoire feule qui caufe les regrets que nous font éprouver les perfonnes qui nous ont été cheres , Sc qui font abfentes. II fuffit a 1'ame de fe replier fur ellemême pour fentir cette vérité. Si le tems confole, ce n'eft. pas qu'il diminue la feniibiliré de notre cceur 5 mais paree qu'il affbiblit ou détruit les traces du fouvenir Sc qui fervoient d'aliment a cette fenfibilité. Mais les fauvages ne peuvent encore faire entendre que quelques fons inarticulés. Or, le petit fauvage 'n'a rien dit , Sc dans une maniere de vivre entiérement monotone , qu'auroit-il pu faire? A-t-il été admiré dans quelque circonftance ? D'ailleurs fa mere a très-peu de mémoire paree qu'elle manque de fignes pour fixer fes idéés qui font par elles-mêmes très-fugirives. Ainfi dans la vie fauvage 1'enfant abfent de fa mere eft aulfi-tót oublié d'elle qu'il 1'oublie lui - même. Mais que deviendra le fauvage ou notre homme ifblé , fi nous le placons dans ces contrées dans lefquellés il eft une faifbn oü le froid glacé les fleuves , oü les animaux fe cachent ou s'éloignent d'une terre couverte d'une couche épaifie de neige «Uircie par le foufle glacé de 1'aquilon. Dans cette pofition  DES P ROV1 N CES-U N 1ES, 33 pofition critique le fauvage fera quelques jours fans trouver de quoi fatisfaire la faim qui le dévore : quelquefois fes recherches font tour-a -fait inutiles : il s'épuife par les travaux multipliés qu'il fait pour conferver fa vie \ fes forces i'abandonnent, il languit quelques momens Sc cefie d'être. Quelque foit le climat oü le fauvage foit placé par le hazard , ne fera-t-il pas expofé a être pourfuivi par des animaux carnaciers , s'il n'eft pas afiêz heureux pour trouver un arbre qui lui oifre un afyle : encore eft-il des animaux tels que 1'ours quile pourfuivront jufques dans ce dernier retranchement ; de maniere ou d'autre il fera tót ou tard forcé de Iivrer un combat. Heureux s'il en fort victorieux, peu malheureux a la vérité s'il lui arrivé de fuccomber , puifqu'il ne perd qu'une exiftence dont il n'a jamais connu le prix qui lui eft a charge, Sc dont il n'a jamais prévu la fin 3 mais s'il ne met en fuite fon ennemi qu'après avoir rec;u quelques blefiures profondes , privé de fecours, incapable de panfer fes plaies , Sc d'en prévenir les fuites facheufes , il eft condamné a fouffrir une mort lente Sc a n'expirer qu'après les plus aifreux tourmens. Tel eft a-peu-près le plus fidele tableau de l'homme dans l'état de nature dont 00 ne peut fe faire d'idée a la vérité que par hypothefe , puifqu'on ne trouve par-tout que des hommes qui ont au moins quelque commencement d'aiTociation, Avec une fenfibilité médiocre Sc peu d'idées , il ne peut pas être auflï malheureux que l'homme civilifé, il ne peut pas être miferable par la privation C 2  3<5 Tableau uistorique te , il fe dépite contre lui-même , quand il foupconne que fes forces 8c fes facultés ne font pas capables de lui fournir les biens qu'il fe propofe , ou d'écarter les maux dontil eftmenacé. D'un autre cóté , l'homme ifolé s'applaudit , quand tout chez lui fe paffe dans 1'ordre : quand fes facultés le fervent a fon gré ; quand fes forces, fon adrelfe , fon induftrie répondent a fes vues ou le mettent en état d'obtenir le bien être 8c de repoufTer les dangers qui pourroient fe préfenter. Ces vicifTitudes de bien Sc de mal être , fuffifent a l'homme ifolé pour lui donner une idéé d'ordre qu'il doit chérir , comme M'doithaïrle défordre dont le theatre fe trouve au-deifus de lui-même. C'eft dans une femblable pofition qu'il peut appliquer a fa conduite les principes qui viennent d'être établis : ils lui apprendront a fe refpe&er 8c fe craindre , a, contenir fes paffions , a ne rien fe permettre dont il auroit lieu de fe repentir : en un mot, a s'abftenir de tout ce qui pourroit le faire rougir a fes propres yeux de fon imprudence ou de fa foiblelfe. Tel eft l'homme ifolé dans les mains de la nature. Voyons maintenant ce qu'il eft dans l'état focial. De la fociabilité. On vient de voir l'homme dans l'état de nature , libre fans loix , fans maitre , ayant un droit fans bornes a tout , 8c fur - tout , jas in ornnia. Mais tout homme ayant en particulier le même droit, il s'enfuk qu'a égale volonté d'agir , c'eft le combat feul qui peut décider entre deux contendant , 8c que la force feule 1'emporte. Malheur aux vain-  des Provinces-Unies. 37 tus , & c'eft par eet état que quelques-uns prétendent que le genre humain a commencé } mais li l'homme dans l'état de nature eft un homme dégénéré , il n'eft pas probable que tel ait été l'état des premiers hommes. Ce feroit a 1'hiftoire a nous apprendre par quelles progreflïons les hommes font parvenus infenliblemcnt au point de civilifation oü ils font 5 comment le langage 8c l'état de fociété fe font formés chez nos premiers parens 5 la révélation feule pourroit nous donner fur cela quelques éclairciirement 3 elle nous montre bien une filiation non-interrompue d'hommes favorifés du Cicl; elle nous préfente une fuite de patriarches qui tranf mirent leur mémoire , leurs noms 8c leurs préceptes fans difcontinuation a leurs defcendans. Leurs families n'ayant éprouvé depuis la tour de Babel aucun fléau capable de les féparer , refterent enfemble , 8c conferverent fans peine les arts 8c les connoiiïances qu'elles avoient héritécs de leurs ahcêtres. Voila une efpece de fociété qui fort de 1'ordre naturel , comme les moyens qui la dirigeoient. Mais ce bienfait ineftimable fe bornoit a une petite partie des enfans de Noé. Les écrivains facrés ne nous apprennent rien du refte des hommes 3 1'hiftoire profane toute entiere fans exception , attefte que Dieu dans les profondeurs de fa juftice, les ayant abandonnés a eux-mêmes , ils ne tarderent pas a fe trouver réduits a-peu-près a l'inftin£r. des animaux. Ils habitoient les forêts , fervant tour-atour de proie aux bêtes fauvages ou ils en faiibient la leur. Dévorans ou dévorés , avües fans doute par eet état de fcr-ocitc , m^is dédommagés ca C3  3§ Tableau ni st oriqve quelque forte de I'abfence de la raifon, par 1'exemp. tion de fes excès , ils n'avoient aucunes de fes lumieres , mais aufli ils ne redoutoient aucun de fes abus : ici s'ouvre un vafte champ aux conjedtures des phiiofophes. Les uns nient l'état de pure nature tel qu'on vient de le décrire , St voici fur quoi ils fe fondent. Ils ont recours a 1'analogie 8c objectent qu'un grand nombre d'animaux vivent entroupes, St que ces efpeces font précifémentcelles qui,peuplant davantage , font compofés d'un plus grand nombre d'indiridus , lefquels ont eu plus d'occa/ïons de fe familiarifer entr'eux 8t de fe réunir. On foutient que les animaux qui vivent toujours en troupes y ont toujours vécu , paree qu'ils font incapables de perfectibilité.' II eft peut-être plus vrai de dire qu'ils ne le font que jufqu'a un certain point. On ajoute des qualités nouvelles aux animaux domeftiques par 1'éducation. Dans les endroits oü les caftors font peu nombreux & fouvent inquiétés , ils n'ont qu'un poil hideux , dur , hériffé , St fe creufent des habitations fous Ja terre comme les bléreaux jdans les parages oü ils fe rrouvent en grand nombre St tranquilles, ils s'embelliffent St conftruifent des ouvrages qui nous étonnent. On inMe St on dit qu'on n'a point vu de pays oü les hommes vécuflent féparés \ mais on répond a cela qu'il faudroit pouvoir s'alfurer qu'on eut découvert des pays oü l'homme encore voiü'n de fon origine , n'eüt pas encore franchi bien des degrés de perfedfibilhé. II n'eft pas impoflible , fdon quelques modernes, que l'homme ait pu d'abord vivre ifolé, St  BES PROriNCES-UNlES. 39 que eet état même ait été trés - long. On fait quelle eft la lenteur de la population, puifque dans les circonftances les plus favorables , elle ne s-'accx jir pas d'un vingtieme dans 1'étendue d'un fiecie. D'aiileurs les fauvages peupjent moins que les nations policées : deux feuls befoins étoient connus , la faim 8c 1'amour ; mais la vie étoit trop dure , trop dépendante du hazard , pour que celuiei ne füt pas rarernent fenti; le langage n'étoit • pas encore néceffaire , ainfi il n'y avoit point encore de langage. Les hammes n'avoient rien a fe difi puter entr'eux \ ainli ils vivoient dans une efpece de paix , comme font les animaux de même efpece. II ne pouvoit y avoir que deux efpeces de guërre. Quand un homme aftamé ou amoureux rencontroit par hazard , un autre pourvu d'une proie , ou d'une femme , le combat n'étoit ni bien long , ni bien cruel entre deux ennemis qui n'avoient point d'armes. Ces fauvages ne penfoient point encore établir entr'eux des devoirs mutuels, paree qu'ils étoient encore trop dépourvus d'idées pour fentir le belbin qu'ils avoient les uns des autres. En effèt, comment deux individus ne ferencontranrprefqueja naisdeux fois en leur vie , auroient - ils cru fe devoir quelque chofe ? Mais tant qu'on fuppofera les hommes ainfi difperfés , toute leur hiftoire ne peut jamais offrir que le même tableau. Voila pourquoi d'autres philofophes fe plaifenr a faire d'aut es fuppofitions, Sc a ralfembler , par exemple , les hommes en un corps, pour qu'ils s'établiffentune fociété , 8c la rendilTent nécefiaire , autrement elle t uderoit trop a fe former , 8c voici la fuppolition qu'ils font. C4  40 Tableau m ïs tori que lis fuppofent que quelques individus de 1'efpece humaine fe trouvent renfermés dans un efpace , dont la fortie foit devenue impoflible a des hommes fans art : il ne faut pour cela qu imaginer une réVolution hien fimple. Des bois touffus, des montagnes inacceitibles peuvent fermer l'iflue de trois cótés. II ne faut plus qu'un éboulement deterre, que 1 ecroiilement d'un rocher , pour que des malfes d'eau , prenant un nouveau cours, empêchent toute retraite , infenfiblemem ces individus prifonniers travaillent a la propagation. Plus reflbrrés, plus nombreux rélativement k 1'efpace qu'ils occupent , ils font fujets a des rencontres plus fréquentes 8C fe familiarifent a la vue de leurs femblables. Cependant, comme ils ne font pas encore entalfés , il leur eft aifé de trouver une nourriture fuffifante. N'ayant pas befoin les uns des autres , ils fe rencontrent avec indiiférence Sc ne font point encore ufage de la parole , pour établir entr'eux une communication inutile ; mais bientót le nombre des confommateurs devienr enfin plus confidérable , Sc par conféquent les alimens font plus rares. Alors celui qui, après bien des fatigues , s'eft procuré fa fubliftance 8c fe la voit arracher , concoit qu'on lui ravit injuftement ce que fes peines lui avoient rcndu propre : ainfi fè forme 1'idée de la juftice. S'il veut qu'on refpe&e fes propriétés , il faut qu'il relpedfe celle des autres , voila un commencement de devoirs moraux : il eft vrai que cette idéé morale vient bien lentement. Avant de s'en pénétrer , on emploie long - tems la violence Sc la force pour la défenfe comme pour 1'attaque 3 1'inutilité  r>ss Prövinces -Unies. 41 fréquente de la force rend la morale néceffaire. L'homme affamé tache par des cris inarticulés 5 par des geftes exprefïifs , de témoigner fon befoin a celui qu'il croit capable de lui procurer des alimens : voila un comftiencement de langage , paree que le befoin de fecours commence a fe faire fentir. Mais ce langage n'eft encore qu'un langage d'action , c'eft-a-dire, les geftes , les mouvemens du vifage 8c les accens inarticulés. Les hommes n'ont pas eu d'autres moyens pour fe communiquer leurs penfées. On entend par les geftes, les mouvemens du bras , de la tête , du corps enrier qui s'éloigne ou s'approche d'un objet, 8c toutes les attitudes que nous prenons , fuivant les imprefïïons qui paffent jufqu'a 1'ame. Le defir, le refus , le dégoüt, J'averfion font exprimés par le mouvement du bras, de la tête, £c par ceux de tout le corps , mouvemens plus ou moins vifs, fuivant Ia vivacité avec laquelle nous nous portons vers un objet, ou nous nous en éloignons. Tous les fentimens de 1'ame peuvent être exprimés par les attitudes du corps j elles joignent d'une maniere fcnfible 1'indifférence, fincertitude, 1'irréfolution , 1'attention , la crainte, 8c le defir confondus enfemble , le combat des paftions tour-a-tour fupérieures les unes des autres , la confiance 8c la méfiance , la jouiffance tranquille 8c la jouiffance inquiete , le plaifir Sc la douleur , le chagrin 8c la joie , 1'efpérance 8C le défefpoir , la haine , 1'amour , la colere , 8cc. Mais 1'énergie de ce langage eft dans les mouvemens du vifage, 8c principalement dans ceux des yeux: ces mouvemens finiffent un tableau que les  42 Tableau vistorique attitudes n'ont fait que dégroflïr , 8c ils expriment Jes paflions avec toutes les modifications dont elles font fufceptibles. Ce langage ne parle qu'aux yeux , c'eft de - la fans doute , que nous vient le proverbe latin , funt oculi inamore duces. II feroit inutile , fi par des cris , on, n'appelloit pas les regards de ceux a qui on vent faire connoitre fa penfée. Ces cris font les accens de la nature , ils varient fuivant les fentimens dont nous fommes affeétés : on les nomme inarticulés, paree qu'ils fe forment dans la bouche fans être frappés ni avec Ia jangue , ni avec les levres • c'eft a quoi fe réduifoit le langage des premiers hommes. Quelqu'un ^'entr'eux fouffroit - il quelque mal, il jetoit un cri par fon langage d'aöion , il tournoit les regards fur quelqu'un de fes femblables dont il obrenoit le fecours qu'il réclamoit par fes geftes. Voila une idee de bienfaifance qui excitoit un fentiment qu'on peut appeller reconnoifiance : de ce£te maniere la versu a cóVnmencé d'être connue. Si 1'individu que nous venons de fuppofer dans un état de foufirance ne recevoit que des refus, il acquerroit fur le moment 1'idée de la dureté de cceur, Sc il la contradte fans s'en appercevoir. II faut convenir que toutes fes acquifitions n'ont pu fe faire que bien lentement. II eft propable, par exemple, que pendant long - tems l'homme ne s'eft pas plus avifé de demanderdéformais quelque chofe a fon femblable, qu'a un arbre Sc a un rocher 3 car Ia priere renferme 1'efpérance d'obtenir , Sc 1'idce d'accorder une grace n'eft plus liée dans I'enJ ter-dement de notre animal humain, a 1'idée d'un  des Provihces-Utjies. 43 homme , qu'a celle d'une chofe inanimée. D'ailleurs , 1'efpoir fuppofe la prévoyance. Cependar.t la grande foiblefle , le défaut entier de refiburces, i'extrême befoin aura enfin infpiré k 1'un de nos fauvages bruts , de pouffer machinalement des accens plaintïfs accompagnés de geftes fupplians. Le pafTant repu lui aura jeté les reftes de fa proie j alors l'homme pourra demander encore une autre fois paree qu'il a déja obtenu. C'eft ainfi que les animaux domeftiques demandent a leurs maitres , paree que leurs maitres leur ont déja donné. Dans la nouvelle fïtuation qui rapproche les hommes, qui les familiarife entr'eux, St qui fait naitre de nouveaux befoins, 1'hemme peut refter auprès de fa femme , dont la fécondité lui procure un fruit de leur union qui, en exigeant leurs fbins, contribue a les refferrer. II eft même naturel qu'il y refte, foit pour épargner des peines a 1'objet que les plaifirs qu'il a goütés peuvent lui rendre cher •, foit pour lui faire partager les fiennes ; car les fauvages ne font pas fort galans : voila donc une union conjugale. Si un voifin impétueux dans fes defirs veut enlever a 1'époux fa compagne , celui - ci refTent le tort qu'on lui fait: de - la fe forment les idéés que nous rendons par les mots de chajleté conjugale , de rapt , de libertinage , Üadultere : telle eft la maniere dont on voit s'étendre la lifte des vices, des vertus St des devoirs , Stc. La familie ainfi réunies a fouvent befoin de s'expliquer. Les cris différemment articulés St les geftes fuffifent pour témoigner le defir que font naïtre les objets préfens, ou le dégout 8t la crainte  44 Tableau historiqve qu'ils excirènt: il ne faut que montrer 1'objet 9 1'accent Sc 1'habitude du corps font le refte ; mais on defire des objets qui ne font pas préfens. Le pere qui conftruit fa cabane , veut ordonner a fon fils de lui aller chercher les matériaux nécefiaires : il veut que ce fils pourvoie a la nourriture de la familie. II faut inventer des mots qui défignent ces différens objets, ainfi naifient les fignes de Ja penfée , qui enfuite contribuent beaucoup aux progrès de la mémoire Sc a étendre la penfée même : voila les hommes réunis en fociété. Dans Jes premiers tems de cette réunion, 1'efpece fe fera multipliée rapidement ; car les befoins faétices n'ayant pas encore fait connoitre une mifere idéale, les enfans n'auront pas été long - tems a charge aux peres. L'efpece une fois devenue non> breufe , elle aura été néceflïtée a fe réunir pour Jutter contre la nature , qui femble tendre toujours a faire fouffrir l'homme, ou a le détruire pour faire place a un autre homme , Sc que l'homme toujours vief orieux, J'a forcé a lui fournir fa fubfiftance Sc les commodkés dont il veut jouir. Sur les riches bords du Gange Sc de 1'Indus, vers ces parties fortunées de notre globe , que le foleil nourrit d'une chaleür plus vive Sc qu'il enrichit d'une moiflbn abondante de fruits délicieux , les habiians d'une terre qui , fans ceffe , prodigue fes tréfors , fans jamais exiger aucun tribut, ne durent éprouver que fort tard le befoin de fe rafiembler. Renfermant des ames froides dans des corps brük's , fobres , timides ," Icnts Sc mélancoliques , ils defirent la folitude Sc n'aiment que la fraïcheur.  dss Frovinces-Unies. 45 & le lilence profond des forêts. La , fans doute , les hommes ne fe font point cherchés, mais la population , quoique lente 8c infenfible dans fes progrès, y aura cependant été beaucoup plus rapide que dans les climats moins heureux , dont la rigueur & Finfertilité ont dü long - tems combattre contre l'homme avec avantage, avant qu'il eut appris a les dompter. Dans le climat heureux qu'on fuppofe ici, les hommes plus multipliés fe feront enfin rencontrés. Ce pays, oü la religion exerce plus fortement fon empire fur des imaginations triftes 8c fenfibles, ont donné naiflance aux premiers Cénobites , 8c nourriffent encore un nombre prodigieux de folitaires, dont les macérations qui font frémir 1'humanité , ne font pour eux qu'une efpece de jeu. Mais dans les climats du nord, ou même dans les régions tempérées oü nous fommes forcés d'arracher a la terre la fubfiftance qu'elle nous refufe, oü fous un ciel froid , les habitans font dévorés d'un feu intérieur 8c concentré qui les confume , 8C qui exige une nourriture plus forte 8c plus abondante, oü malgré une jufte horreur , la néceflité plus impérieufe que le cri de la pitié , force les hommes a immoler a leur appétit carnaeier , les animaux qui refp'irent avec eux , 8c qui ont d'abord exigé leurs foins. La fociété n'a pu être lente a fe former , puifqu'elle eft devenue bientót indifpenfable pour 1'attaque , ainfi que pour la défenfe. II n'en faut cependant pas conclure qu'elle ait été êtablie dans le nord ou dans la zone tempérée , avant de 1'avoir été dans les contrées de 1'orient. U faut entendre feulement qu'a nombre  46 Tableau historique égal, les hommes ont été forcés plutót de fe réunir dans les climats plus durs , que dans ceux dont la douce influence rendoit moins fenfible le befoin des fecours mutuels. il eft certain que la fociété n'a pas pris naiffance dans le nord ou dans les régions tempérées , puifqu'il eft prouvé par la chronologie des Indiens 8c par 1'ancienneté de leurs arts , plus certaine que leur chronologie , qu'ils ont été policés , 8c par conféquent raffemblés 8c nombreux long - tems avant les autres peuples 3 c'eft que la nature a moins combattu contr'eux, contre la population , 8c que l'homme a moins eu a combattre contr'elle. Qu'on jete un coup-d'ceil fur 1'archipel Indien, fur toutes ces isles innombrables qui le forment. II fut fans doute un tems oü elles faifoient partie du continent, 8c elles en ont été féparées par une révolution de 1'antiquité la plus reculée, dont le fouvenir eft effacé , mais que fes veftiges rendent affez certaine. Dans le moment de cette révolution terrible ^ il fe fera trouvé fur les fommets de ces terreins élevés , qui n'ont pas été enveloppés dans lafubmerfïon , quelques individus de 1'efpece humaine : plus refferrés qu'auparavant, leurs rencontres auront été plus prornptes, leur nombre plutót accru 8c leur union plutót établie. De cette union feront nés quelques arts. Habitans des rivages de la mer , ils fe feront effayésfur eet élément 8c auront fabriqué de légers canots. Trop refferrés dans leurs isles , ils auront été peupler des terres dont ils n'étoient féparés que par des bras de mer affez étroits; ainfi, quoique ce elimat exige moins que beaucoup  des Provinces-Unies. 47 d'autres , la réunion des hommes, un autre genre de néceffité y aura accéléré cette révolution du fol Indien : autrement il n'y auroit peut - être jamais eu de civilifation fur la terre. Tout annonce a 1'ceil obfervateur du philofophe l'extrême antiquité du monde , les monumens de Tanden féjour des eaux fur les différentes parties de la terre , fes différentes couches ajoutées les unes fur les autres dans les plus grandes profondeurs connues j dans certains endroits , un défordre qui rend témoignage des plus terribles renverfemens 3 dans d'autres, les vef tiges fofTïles des plus arfreufes incendies \ iei, des mers couvrant des bas - fonds qui ont fervi d'habitation aux quadrupedes 7 li, des valles contrées qui femblent nouvellement forties du fein des eaux. L'expérience démontre la rareté de ces grandes révolutions , puifqu'on n'en a encore remarqué qu'un petit nombre , depuis que les hommes confervent la mémoire des faits. Cette rareté eft une nouvelle preuve de 1'ancienneté de notre globe. Cependant ne nous femble-t - il pas a le prendre au moral, que ce fut hier que les hommes commencerent a fe réunir 8t a former un corps focial ? Nous voici rendus au période , oü la fociété eft devenue par - tout indifpenfable. Puifque les hommes fe preffent en quelque forte les uns contre les autres , de maniere a ne pouvoir fubfifter que par leurs foins réciproques , ils efpéreroient en vain tirer leur fubftance d'une terre qu'ils n'auroient pas cultivée , ou de la chair des animaux qu'ils n'auroient pas nourris. Aujourd'hui l'homme civilifé fe trouve prodigieufement éloigné du fauvage ifolé.  Tableau historique L'homme focial perd de fa force Sc acquiert de Ia fenfibilité. Son adreffe s'étend fur un plus grand nombre d'objets , en même - tems qu'elle diminue a quelques égards. II faura fe conftruire un afyle , Sc ne faura plus en trouver un au fommet d'un arbre élevé. En étendant fes connoiflances , il contradte de nouveaux goüts ; en perdant de fa force , il apprend k connoïtre de nouveaux befoins. Moins exercé , il ne fera plus affez léger pour fuir le lion, ou le tigre qui 1'attaquent; mais il les domptera avec des armes qu'il a fu fabriquer. Devenu prévoyant, il craindra les dangers auxquels il ne pourroit réfifter feul; il ne s'y expofera qu'avec fes compagnons ; ils lui prêteront auffi du fecours dans les travaux que lui feul ne pourroit exécuter ; mais s'ils ne lui refufent pas leur aide, c'eft qu'ils peuvent attendre la fienne dans 1'occalion. lis donnent pour recevoir 8c ne doivent pas être trompés dans leur attente : ainfi , point de fociété fans un commerce quelconque , Sc qui même ne foit fondé fur ce commerce. De nouveaux arts s'inventent , quelques - uns en jouiffent d'abord 5 bientót ils deviennent néceffaires a tous 3 mais tous ne peuvent exercer chacun de fes arts , ainfi s'accroit le commerce Sc s'augmentent les chainons de Ia chaine fociale. L'un fournit a 1'autre fon indufftie, Sc en retire ce que lui - même ne pourroit fe procurer. Qu'un homme foit alors rejeté de 1'union commune, il trouvera bientót la mort dans fa foiblefie Sc la privation des befoins qu'il a eontraöés, Au.tr?  ï>es PRoriNCÉs- Unies. Autre fyftême fur le développement de ld fociété. On vient de rapporter une des hypothefes des plus ingénieufes qu!on puiffe imaginer fur 1'origine Sc les progrès de la fociété. M. de Montefquieu ( i ) a dit, que 1'homme dans l'état de nature ne fen droit d'abord que fbibleffe. Sa timidité feroit extréme , Sc li 1'on avoit befoin la - deffus de 1'expérience , 1'on a trouvé dans les forêts des hommes fauvages , tout les fait trembler , tout les fait fuir. Avant M. de Montefquieu , Puffendorf avoit établi le même principe. M. Linguet les réfute tous deux avec des raifons affez féduifantes, comme on peutle Voir, tome I. Des Théories des loix ciyileS , p. 253 Sc 2 3 2.11 prétend que c'eft d'après les chaffeurs qu'a du fe montrsr la première apparence de fociété : on ne s'arrêtefa point a apprécier les raifons de M. Linguet, ni ü fubtilifer fur les conjectures qu'il própofe : on fe bornera a fixer des idéés claires Sc nettes fur cette queftion qui a exercé tant de beaux génies. Eft - il bien vrai que l'état de nature , tel qu'on 1'a décrit ci - deffus, eft l'état naturel de l'homme ? Un homme condamné a vivre ifolé , eft un homme dégénéré Sc rien de plus vrai. L'état naturel de fociété eft l'état naturel de l'homme. Cette fituation oü il eft placé dans ce monde , ré* lativement a fa conftitution intérieure Sc au cours ordinaire des chofes, je dis au cours ordinaire des chofes, pour montrer d'un cóté qu'en cela, je ne conlïdere pas uniquement la conftitution intérieure (1) Efprit des Loix, üt. II, ehap. II. Tome II. D  • 5C TABLEAV KISTORIQVB de l'homme; mais que je confidere en même tems la liaifon qu'il a avec les chofes extérieures. D'un autre cöté, c'eft pour prévenir certaines objections qu'on pourroit faire fur cette matiere, 8c qui au lieu d'y répandre du jour, ne font que 1'obfcurcir davantage. Quand même il feroit certain qu'on 1'a alfuré avec confiance qu'un homme élevé parmi les bétes, marche fur fes quatre pattes , qu'il n'a point de langage , mais qu'il ne fait qu'imker les fons inarticulés des bêtes avec lefquelles il vit ; qu'il ne fait pas le moindre ufage de la raifon , 6c qu'il montre bien moins encore quelques traces de foctabilité , quand tout cela feroit vrai, qu'en réfulteroit - il ? que c'étoit l'état d'un homme dégénéré. Or , l'homme eft un animal fenfible, capable de réflexion , fufeeptible d'être faconné par 1'éducation ; celle - ci eft un bien que l'homme recoit des autres hommes qui 1'élevent, 8c le commerce familier qu'il entretient avec eux, font les conditions fous lefquelles la nature le forme pour ainfi dire homme, c'eft-a-dire , que c'eft fous ces conditions qu'elle Ie pourvoit de ces qualités Sc propriétés que la raifon 8c 1'expérience nous découvrent dans l'homme. II eft faux, que tout ce qui eft de 1'état^naturel de l'homme doive être né avec lui: il fuffit que les circonftances oü la nature 1'a placé dans le fyftême du monde , foient telles qu'elles produifent le développement des qualités qui diftinguent l'homme des autres animaux. II ne faut donc pas mefurer l'état naturel dans l'homme , fur un cas extraordinaire 8c contraire a la nature, d'oü un homme aura été alaité 8c nourri par une  DES P ROV IN CES-UN1E S. 5* louve ou par un ours femelle. Mais dira -1 - on , pourquoi l'homme n'eft - il pas par lui - même , par la difpofition intérieure de fon être , ce qu'il doit devenir par 1'éducation & par les autres circonftances? Pourquoi n'en eft-il pas de lui coriime des abeilles qui font de leur propre nature , 8c fans auctine inftruétion, des créatures fociales (qui travaillent de concert au bien commun? il n'y a point d'autre raifon de cette différence, firibn dhé la nature de l'homme doit atteindre au même but par des voies différentes. L'abeille n'agit que par une fimple impulfion d'un inftinft déterminé j fans connoifiance , fans réflexion , au lieü qdé 1'homrfié doit devenir un animal fociable , travaillant au bien commun, par une voie naturelle, a la vérité , mais plus incertaine; c'eft-a-dire , par le concours des penchans avec la raifon. S'il en étoit autrement, il oe faUdroit regarder comme naturel, que cé qui réfulte des penchans de la nature ; & ainfi que tout ufage de la raifon 8c tout ce qui eri dérive fera un eflët de 1'art ? Mais pourquoi tout ce qui regarde l'homme &C fon bonheur auroit-il été arrangé , de maniere que dans les plans de la" nature, la raifon ne dat y avoir aucune part ? On peut lire ce que Mandeville dit dans la fable des abeilles , oü les frippons font devenus honnêtes gens. Ce célebre éditeur femble fiir - tout fe tromper 4 en ce qu'il donne pour artificiel St hors de la nature , tout ce qui n'eft pas 1'ejFet néceftaire d'un penchant. II faut lire fur - tout dans la troifieme partie le quatrieme dialogue : il eft 1'antipode ds mylord Schaftsbury & de fes «araftériftiques. II D 1  5^ Tableau kistorique eft aremarquer: i° Que l'0n appelle un etre inanimé , lorfque J'art n'y a pas été employé & qu'il eft tel que la nature 1'a produit; c eft amfi qu'on appelle naturelle , la forme d'un arbre qm n'a jamais éprouvé la main du iardinier; une chute d'eau eft naturelle, lorfqu'elle n'a pas été rormee par les mains de 1'homme. 20. Parmi les ereatures vivantes, il faut diftinguer celles qui font raifonnables d'avec celles qui ne le font pas. On appelle naturel a 1'égard de ces dernieres, ce que Ja nature opere en elles par les penchans ; tout ce qui na point une fuite de 1'inftind eft artificiel Sc oppofe ala nature. Par exemple, c'eft un effet de i art, ii un chien marche en cadence fur deux patres h cette facon de fe mouvoir ne convient ni a la machine , ni aux penchans qu'il a recus de Ia na'T',.LA J'égard des créatures raifonnables tel queft Ihomme , le naturel ne peut fignifier autre chofe que ce qui eft conforme a 1'arrangement interieur de fon être , 8c aux circonftances ordinaires dans Jefquelles il fe trouve ; mais puifque Ja raifon fait partie de eet arrangement intérieur, quoiqueJJe ne fe produife pas en tout tems par fes operations, il eft évident qu'on ne peut pas borner la nature de l'homme a fes penchans feuls. iinvant cette idéé , on peut dïre qu'iJ eft naturel a fhomme detre droit en marchant, de parler, de fe vetir de fe batir des habitations , de former des Jiaifons avec d'autres hommes ; mais il ne lui eft pas naturel de fe mettre la tête en-bas pour boire ; car cette attitude eft contraire a 1'arrangement de la machine. Également, n'eft-il pas na-  des Provinces-Unies. 53 órrel a l'homme de renoncer entiérement a fa propre volonté , pour obéir aveuglément a un autre homme; car il eft impoffible que, fuivant fa difpofition intérieure , il prenne plaiiir a cette foumiffion; au contraire, malgré toutes les violences qu'il fe feroit a lui - même , jamais eet état ne pourroit lui plaire. Donc , ce qu'on appelle le naturel chez les hommes , eft bien different de ce qu'il eft chez les autres créatures , paree que l'homme eft pourvu d'une faculté particuliere dont les opérations ne font pas auffï füres Sc auffï déterminées que celles des inftinfls 8c des reflbrtschez les autres animaux. Tout ce qui eft du reffort de la raifon fe perfeéKonne avec beaucoup de lenteur , Sc il faut plufieurs fiecles pour qu'on puifle remarquer des progrès fenfibles dans 1'exercice de cette faculté. C'eft cette lenteur a fe perfectionner, qui fait qu'en comparant un peuple fans culture, avec un peuple policé , on attribue a ce dernier , bien des chofes qu'on dit être des effets de 1'art , Sc qui cependant ne méritent ce nom d'aucune facon. Par exemple, s'il y avoit fur notre globe une nation qui n'eut point encore de langage , en la comparant a une nation pariante , on diroit peut-être que la parole eft pour cette derniere un effet de 1'art. 11 feroit auffï inutile que fuperflu de fubtilifer fur 1'origine des fociétés primitives; c'eft dans la fociété domeftique qu'il faut la chercher. Progrès de la fociété. Qu'on fuppofe feulement qu'un homme 8c une P3  54 Tableau hjsi-orique femme aient habité enfemble dans un même lieu ; dpit-pn douter un moment que 1'amour n'sif formé des liaifons entre ces deux perfonnes ? N'eftil pasprobable que dés ce moment il s'eft formé s «ne fociété entr'elles. L'union de ces deux perfonnes a multiplié leur efpece. Elles ont fenti toutes deux de la tendrefie pour la créature qu'elles gnf prpduite, & par conféquent elles fe font char^ gées conjoinrément du foin de 1'élever 8c de le dé-: fendre. Cet être nouveau a acquis chaque jour de nouvelles refiemblances avec eux , 8c fes' paren? Jui pnf: dpnné une éducation dépendante de leqr ^plonté ; au moins eft-il aifé de concevoir comment avec le pouvoiï qu'ils avoient en maïn , 8c ayep la prudence qu'ils ayoienr au-delfus de leurs enfant, les parens ont fu , fans beaucoup de peine, le? fenir dans les bornes qui les obligeoient a les regarder comme les chefs de la familie , 8c a leur pbéjr en tout ce qui étoit jufte. Les enfans ont fenti a leur tour les uns pour les autres le même penchant qui ayoit porté leurs parens a s'unir, 8c I's ont encore multiplié leur efpece dans les mêmes circonftances : de-la une aurre fuite inévitable. Le petit-fils qui obéiflbit a fon pere , voyant que celuici témoignoit du refpeft 8c de la foumiflion au grand r pere, ne pouvojt manquer d'avoir pour ce derpier jes mêmes fentimens: de cette maniere la familie a formé de jour en jour une fociété plus npmbreufe , fans qu'il fut befoin d'un grand exrmen pour pomprendre qu'il étoit avantageux aug hommes , de réunir leurs forces 8c de travailkr gn fociété a leur bien. Des hommes ainfi accpu-  des Provinces-Unies. 55 tümés des leur enfance a vivre en fociété , qui d'ailleurs avoient recai de la nature avec les arfe&ioris ibciales , ce fentiment plus vif 8c plus tendre que les deux fexes éprouvent 1'un pour 1'autre , 8c un tendre attachement pour leurs enfans , devoient fans beaucoup de peine, être portés a fe lècourir dans leurs befoins mutuels , 8c a réunir leurs forces pour s'oppofer aux malheurs dont ils auroient pu être menacés. Si des hommes mêmes que la haine 8c 1'inimitié défunit, fe réuniffent cependant pour détourner un malheur qui leur eft commun , que ne doit-on pas attendre de ces hommes qui ne peuvent avoir aucune raifon particuliere de fe nuire ? Prerniérement n'a-t-il pas fallu cómbattre contre les élémens 8c s'en garantir, ce qui demandoit des foins 8c des précautions; car les hommes n'ont point k eet égard les reffources qu'ont les autres animaux. Un homme feul n'avance pas beaucoup , ce n'eft que dans 1'union avec d'autres hommes qu'il peut trouver les reffource* néceffaires pour les différens befoins. En fecond lieu ils avoient beaucoup a craindre des bêtes fauvages avec lefquelles ils ne pouvoient fe mefurer ni pour les forces , ni pour ï'agilité ; 1'union 8c 1'ufage de la raifon étoient encore ici les feules armes propres a leur défenfe. Si en troilieme lieu un de leurs femblables vouloit en agir vis-a-vis d'eux en ennemi, ils avoient tout autant de raifons k fe réunir contre lui , qu'ils en avoient a le faire contre les bêtes fauvages ; car c'étoit la même chofe pour eux , que ce fut un homme , ou une béte qui le rendit malheureux. Cette elpece de fociété paroit fi na D4  %6 TASZEAU HISTOR1Q UE melk qu'il' n'eft guere croyable que le monde ait eu. ua age oü elle n'air pas exifté. II faut convenir qu'Horace femble contredire cette opinion lorfgu'il dit, Ljv. I, Sar. III, y, 98. Cum prorepferunt primis animalia terris , Mutum ac turpepecus, glandem aique aubiliapropter Unguibus &pugnis, dein fujiibus, atque ita porro 1'ugnabant armis, quibus vocesfenfufque notarent Xominaque invenire: de hitte abjiftere bello , Oppida capmint munire & ponere leges, Nequisfur ejjet, nen latro , neuquis adulter. « Quand les hommes commencerent a ramper fur w !a terre , ce n'étoit d'abord que des animaux » brut *C muet qui fe battoient avec les ongles » 8c le poing pour une poignée de glands 8c pour » une taniere, Enfujte ils prirent dés bêtons, puis » enfin des arme? que Je befoin leur fit imaginen » Quand il? eurent trouvj? des fons, 8c des mots » pour exprimer leurs penfées , peu-a-peu ils fe » lafierent des combats , Sc fongerent a batir des v villes, a faire des loix pour empêcher Ie vol ' y le brigandage , 1'adultere. „ Pour fe former une idéé jufte Sc précife des premières fociétés il faut qbferver les hordes fauyages. Obfervations jfltr les hordes des fauvages. Quiconque veut fe former une idéé jufte Sc précife du fauvage ,' il doit obferver quels font ces befoins. La nourriture eft le premier. L'homme fauvage eft peu délicat fur ie choix des alimens : le gibier, le poifibn , les fruits , les végétaux , tout lui eft propre. Voila un avantage qu'il a fur iesani-  bes Provinces-Unies. 57 maux qui ne peuvent fe nourrir que d'une feule efpece de chofe : or , plus le fauvage a de moyens de fubfifter , moins le befoin de nourriture doit exercer fes facultés. La nourriture 8c le repos , voila tout ce qu'il defire, & il ne craint que la douleur Sc la faim. Comme rien ne 1'étohne , voila pourquoi il eft fans curiofité. II n'y a que les cho-fes qui puiffent le nourrir 8c le vêtir qui font I'objet de fes obfervations : comment en obferveroit - il d'autres, il n'en a pas befoin. Quand il n'a plus, faim, il dort oü il végete, il n'a plus befoin de penfer, Sc il ne penfe plus. II ne porte pas la vue dans 1'avenir , il ne prévoit rien. Le fentiment de fon exiftence fe borne en quelque forte au "moment préfent: il ne redoute point la mort, paree qu'il n'en a point d'idée 5 voila a-peu-près a quoi fe réduifent toutes les facultés qu'il doit a ce premier befoin. Le fecond befpiij du fauvage confifte è fe garantir des animaux carnaciers dont il pourroit être la proie: or , ce befoin développera les facultés de fon corps avec cent fois plus d'énergie que chez les hommes civilifés ; c'eft pour cette raifon que le fauvage eft plus vite a la courfe , plus agile a monter dans un arbre 8c plus adroit a lancer une pierre qu'aucun Européen. Pourquoi ? C'eft qu'il en fent plus le befoin qu'un homme civilifé. Son fommeil eft léger, paree que le danger qui le menace fouvent ne lui permèt pas de fe livrer a un profond fommeil: il a 1'ouie 8c 1'odorat d'une grande fineffe, Sc la vue fort étendue. Par exemple, les hottentóts ont la vue fi longue qu'ils découvrent des vaiifeaux a une diftance oü nous les apperser  58 Ta b l e 4 v historique vons a peine avec la lunette d'approche, Sc les fauvages de 1'Amérique fuivoient les Efpagnols a Ia pifte. 11 confte d'après toutes les relations que nous avons des fauvages, qu'ils ont un tempérament robufte Sc prefque inaltérable : en voici la raifon , c'eft que le fauvage, accöutumé dès I'enfance aux intempéries de 1'air Sc a la rigueur des faifons, exercé a la fatigue Sc forcé a défendre, nud Sc fens armes , fa vie Sc fa proie contre les bêtes féroces , ou a leur échapper a la courfe, fon corps acquiert des forces qui nous furprennent : voila pourquoi les facultés du corps font aulfi fupérieures dans les fauvages, que celles de 1'ame dans les hommes civilifés. Vivre par troupes eft un troilieme befoin pour les fauvages. L'auteur de la nature n'a pas vouiu que les hommes vécuftënt abfoJument fcparés, il les a hés par le befoin qu'ils ont les uns des autres. La mere eft nécelfaire a 1'enfant Sc 1'enfant lui-même a la mere. La longueur de Penfance pendant laquelle ce befoin fe fait fur-tout fentir , leur fait une habitude de vivre enfemble , Sc ils continuent d'y vivre , lorfque ce befoin n'eft plus le même. Si les petits des animaux fe féparent bientót de leur mere Sc la méconnoüTent, c'eft que leur éducation eft courte Sc que les meres 8c les petits font de bonne heure dans le cas de fe pouvoir paffer les uns des autres. Ce premier lien fuffit pour former infenfiblement des families ; Sc quand même ce lien ne fuffiroit pas pour former infenfiblement des families , Sc quand même ce lien ne fuffiroit pas pour refferrer le» hommes , ils fe rapprocheroient encore fuivant les circonftances  DES P ROV1N CES-UN 1ES. 55 oü ils fentiroient qu'ils peuvent fe donner des fecours mutuels. Les bêtes féroces qui habitcnt les forêts comme eux , ne doivent-elles donc pas les forcer a marcher plufieurs enfemble. Les fauvages vivent donc par troupes : Sedibus vagantur inurtis. Ils errent fans demeurer fixe , ils vont de contrée en contrée , ils ne s'arrêtent dans un lieu qu'autant qu'il leur fournit de quoi fubfifter, ils fe nourriffent de leur chafle , de leur pêche St de tout ce qui tombe fous leur main ou fe préfente a eux ; par ils font incapables de faire dans une faifon des provifions pour un autre. Tous ceux qui compofent une horde font unis par un intérêt commun , St il y a très-peu de diffentións parmi eux \ comme ils ont peu de befoins, ils ont par-la même peu d'intérêts contraires. Les hordes fe difputent entr'elles toutes les conT trees oü elles fe rencontrent. Sans ceife armées les unes contre les autres , dès qu'elles ont un ennemi commun , elles fe réuniffent contre lui , 8c c'eft ce qui refferre encore entr'eux les liens de 1'amitié. Elles ne font pas abfolument dépourvues de toute police néceffaire pour remplir leur but dans les tems de danger : par exemple , elles élifent un chef aucjuel elles obéiffent aveuglément, elles fe livrent les attaques les plus fanguinaires 8c s'accoutument aux plus grandes cruautés , elles fe font un point d'honneur d'en commettre , elles fe bravent uniquement pour fe braver , St les haines nourries par des guerres continuelles, femblent confpirer a leur deftrudtion totale. Si les contrées oü errent ces hordes de fauvages fourniffoient fans effort a leur  6» Tabzeav historiqum fiibfiftance , elles ne s'occuperoient pas du foin de chercher dans le travail un autre genre de vie ; elles regarderoient comme fuperflus les befoins des nations policées , Sc elles ne foupconneroient pas même comment on peut avoir de tels befoins. Mais s'il arrivé au contraire que les hordes des fauvages ne puhTe trouver que trés - difficilement de quoi fubfifter, elles fe trouverent forcées a former des fociétés civiles ; mais elles conferveront long-tems leur brigandage. Quoique les hordes fauvages élifent un chef en tems de guerre auquel elles obéiffcnt aveuglément, il n'en faut cependant pas conclure de-la qu'elles forment un état de fociété aufli parfaitement conftktié que ceux des Grecs , des Romains Sc des anciens royaumes d'Orient; cette conféquence feroit bien faulfe. La fociété naturelle s'écarte très-peu de l'état de liberté avec laquelle 1'égalité eft étroitement liée , 8c dès que le danger qui menacoit la communauté a difparu , dès-lors 1'inégalité qui avoit eu lieu pendant quelque tems , cene pour 1'ordinaire , avec cette différence que régahté naturelle qui fe trouve dans chaque familie entre les parens 8c les enfans, continue toujours a fubfifter. On ne fauroit douter que dans le cours ordinaire des chofes , entre plufieurs hommes qui viyent enfemble , il ne puifle s'en trouver un fi diftmgué par la fupériorité de £bs rorces 8c de fon habileté, que les autres font naturellement portés par rimpreflïon qu'il fait fur eux , a le choifir pour leur pere commun 8c leur protefteur. II n'y a rien la qui doive étonner. Cependant il fe paffe encore bien des fiecles avant que ce gouvernement prenne  bes Provinces-Uniès. Öi affez de confiftance pour pouvoir 1'appeller un état bien civilifé. Voilé jufqu'a qucl point la nature femble étendre fes droits dans les fociétés humaines, ou pour mieux dire , que la fociété eft naturelle en prenant ce mot dans fa lignification commune, en la comparant avec le gouvernement civil ©u la république. II s'agit maintenant de détermitier le point oü commence a percer 1'art qui commerice a donner une forme de civilifation k un état. Premiérement, ilfaut convenir qu'il n'eft aucunement dans 1'ordre de la nature, qu'un particulier s'éleve tellement au-deffus des autres contre leur volonté, qu'il veuille fe foumettre a tous ceux qui 1'environnent, facrifier leur volonté a la lienne , 8C en agit avec eux comme s'ils n'étoient point nés tous tant qu'ils font, pour leur propre bonheur, mais uniquement pour fervir au fien. C'eft un exces de 1'ambition humaine que la nature défavoue , 8c qui anéantit prefque la conftitution de l'homme. En fecond lieu, une fociété civile dont le plan, a la vérité, n'a pas pour objet le bien d'un feul , mais celui de tous les membres en général , 8c qui fous ce point de vue peut être appellée naturelle, doit cependant plutöt être regardéé comme un ouvrage de 1'art, lorfque les loix qui la gouv'ern ent portent un caractere de recherche trop fubtile 8c trop profonde. 11 feroit aifé de trouver des exemples de ces fortes de fociétés , mais il ne le feroit pas autant de déterminer jufqu'a quel point les combinaifons qui ont donné naiffance aux loix, doivent être portées , pour en conclure que ces fociétés appartiennent plutöt a 1'art qu'a la nature.  6l TABLEAV H1STQR1QVE Hypothè/è. Imaginons pour un moment quelques families fetées dans une isle , foit par hafard ou par deffein de fe 1'approprier. Suppofons pour un moment que le fol de cette isle inculte 8c déferte foit bon. Quei eft au moment du débarquement le premier foin de ces families : celui de conftruire des huttes 8c de défricher 1'étendue de terrein néceifaire a leur fubfiftance. Dans ce premier moment, quelles font les richelfes de 1'isle ? les récoltes & le travail qui les produit. Comment fe fera la répartition des récoltes 8c du produit des fruits de 1'isle : c'eft ici que 1'art commence a percen Jufques la toutes ces families féunies étoient a 1'égard les unes des autres dans l'état de nature. Suppofons maintenant qu'il y ait plus de terres a cultiver que de cultivateurs. Quels font les vrais opulens? ceux dont les bras font les plus forts 6c les plus aétifs. Quels font les intéréts de cette fociété naiffante ? Ils feront peu compliqués , 6c il fuffira de peu de'loix pour le mabtien de cette fociété naiflante ? elles fe réduiront prefque toutes a la défenfe du vol 8c du meurtre. De telles loix feront toujours juftes , paree qu'elles feront faites du confentement de tous, paree qu'une loi généralement adoptée dans un état naiffant, eft toujours conforme a 1'intérêt du plus grand nombre , 6c par coriféquent toujours fage 8c bienfaifante. Faifons encore une autre fuppoiifion. Que cette fociété élife un chef, ce ne fera d'abord qu'un chef de guerre fous les  DÉS pROrÏNCES-UlfïSS. 6$ Ordres duquel elle combattra les pirates & les nouvelles colonies qui voudront s'établir dans fon isle ; ce chef, comme tout autre colon, ne fera poffefieur que de la terre qu'il aura défrichée. L'unique faveur qu'on pourra lui faire , ce fera de lui lailfer le choix du terrein. II fera d'ailleurs fans pouvoir; mais que feront les fucceifeurs du premier chef, refteront-ils long-tems dans eet état d'impuhTance ? par quel moyen en fortiront-ils, Sc parviendront - ils enfin au pouvoir arbitraire ? L'objet de ces fucceffeurs fera de foumettre 1'isle qu'ils babi tent; mais leurs eflbrts feront vainstant que la nation fera peu nombreufe. Le defpotifme s'établit difficilement dans un pays qui, nouvellement habité , eft encore peu peuplé. Dans le commencement de toutes monarchies les progrès du pouvoir font lent. Les fouverains de 1'Europe pour s'afiervir leurs grands vaflaux en eft la preuve. Le prince qui de trop bonne heure atrenteroit a la propriété des biens , de la vie 8c de la liberté des puiffans propriétaires, & voudroit accabler le peuple d'impót, fe perdroit lui-même. Grands 8c petits, tous fe révolteroient contre lui. Le monarque n'auroit ni argent, ni armée pour combattre fes fujets. On ne peut trop éclairer la fociété a laquelle on tient par des liens indüTolubles j car il eft un noeud qui nous lie è la fociété , Sc ce nceud eft invifible , indiflbluble , lequel nous lie a la néceffité des chofes Sc aux circonftances de 1'ordre moral. Qu'on nous permette encore quelques détails.  6*4 Tableau HisTORiqué Dépendance. Comme les parties d'un tout dépendent de ce tout , 8c que ce tout dépend de fes parties, de la même maniere l'homme dépend de tous les élémens qui compofent fon individu, de leur action 8c de leur combinaifon; de 1'autre il dépend de tous les accidens qui varient le tableau de la fociété , de leur flux , reflux 8c repos ; 8c ainfi , tel qu'il fut, tel qu'il eft , tel qu'il doit être, il dépend fans cefle du grand tout dont il eft 1'abrégé 8c Fi? mage. C'eft dans cette dépendance abfolue , immédiate 8c circonfcrite, feulement dans la moralej qu'il faut lire le deftin de 1'homme 8c 1'axioitie de fes idéés. Que 1'ori remonte aux fiecles paffés, 8c 1'on verra comme ils ont influé lur la deftinée dé l'homme du dix-huitieme fiecle , dont 1'influence fixera le fort de ceux qui doivent nous furvivre. Telle eft la chaine des événemens que l'homme doit étudier , s'il veut connoitre les rapports élémentaires avec lefquels il a une identité plus ou moins favorable a fa confervation. Quant aux befoins phyfiques, c'eft dans la botanique 8c dans tous les arts utiles que la nature offre a l'homme les moyens de rendre fon exiftence fupportable ; quant aux befoins moraux, c'eft dans les rapports de fociabilitéd'égaiité, de liberté, qu'il trouvera une identité plus favorable a fon bonheur. La philofophie , 1'étude du droit naturel , les comparaifons mathématiques , 1'hiftoire des fociétés , de leurs erreurs , de leurs préjugés, de leurs malheurs , font les moyens que la raifon offïe k l'homme  des Provinces-Unies. 65 rhomme pour le confoler du malheur d'exifter. Voila de quelle maniere l'homme dépend de chaque partie du grand tout , 8c comme il fait dépendre a fon tour le tout 8c fes parties de fes befoins propres Sc de fa deftination. Ici 1'alternative eft frappante. Qu'en doit-on conclure ? que l'homme eft le plus bel ouvrage de la nature qu'elle élabore depuis long-tems, qu'elle conduira un jour a toute la perfeétion dont il eft capable ; mais ce terme eft bien éloigné. En attendant, tout homme éclairé par la raifon 8c guidé par la vertu , doit conduire tous les êtres fes femblables au grand but morai. Mais que conclure de-la pour fes droits particuliere 8c pour la morale de 1'égalité des conditions? C'eft ce qu'on s'empreffe d'éclaircir. S'il n'eft rien qui n'ait fa dépendance particuliere dans le moral comme dans le phyfique ; li quarante hommes dépendent de quatre-vingt autres; li tous dépendent d'un feul j fi un feul dépend de tous, oü eft le fupérieur? oü eft 1'inférieur? oü eft la diftin&ion pofitive ? oü eft l'homme qui ne veut dépendre de perfonne ? oü font les hommes qui ne doivent dépendre que d'un feul ? Y a-t-il jufqu'ici aucune inégalité morale , aucune indépendance particuliere , ni dans la nature des chofes, ni dans 1'ordre focial ? Ne feroit-ce point le petit garcoa qui gouvernoit fa mere , laquelle göuvernoit les Athéniens , lefquels gouvernoient les Grecs quï gouvernoient Philippe , lequel gouvernoit le petit garcon ? N'eft-ce point la a-peu-près le cercle généalogique de toutes nos dépendances morales ? Quant a nos dépendances phyliques, elles tiennent Tome II. E  66 Tableau historique a notre tempérament, aux élémens qui nous environnent; mais la diverfité des tempéramens 8c 1'élément dont les influences font plus ou moins favorables , n'ont jamais donné a perfonne le droit d'affervir fes femblables. 11 n'y a donc rien qui donne cette diftinétion chimérique , abfurde 8c captieufe de rangs 8c de fortunes : ce ne peut donc être que fur une folie de vifionnaire, fur 1'extravagance d'une morale inintelligible 8c barbare , fur un jeu de fcene comique. Or , comme la folie , 1'extravagance 8c 1'orgueil ne font pas droit pour le bonfens , tout homme fage , qui ne doit pas répondre de la fottife de fes aneêtres ou de celle de fes contemporains, eft libre de droit. Mais quelle peut être la liberté d'un homme enchainé parmi tant d'efclaves ? Sa liberté fe réduit tout au plus a méprifer au-dedans de lui-même toutes ces diftinétions ridicules d'états 8c de conditions, toute cette vaine pompe de politeffe affectée 8c de grandeurs factices , ce faftueux appareil de fêtes 8c eet épouvantail d'armées prêtes a porter le défefpoir 8c la défolation par-tout oü regnent le calme 8c la tranquillité. II fera libre d'efprit, le fera-t-il de corps ? II le fera s'il vit frugalement Sc avec des gens fenfés Sc raifonnables; mais qu'on ne s'abufe pas. Ce ne fera pas une raifon pour s'affranchir de toute obligation morale envers fes femblables: c'eft en quoi confifte la vraie dépendance , 8c qu'on a confondti fi fouvent avec la faufte. Car, dans notre hypothefe, l'homme éclairé par la raifon foulcra aux pieds toutes ces folies erreurs de fociété ou de bon ton , Sc pour mieux conaoitre fes vrais devoirs, Sc pour  VES PROriNCES-UNIES. 67 les mieux remplir , il fecouera le joug d'une indépendance vaine Sc injisfte pour y fubftituer le gerrne des vertus , il prêchera d'exemple, il arborera l'olive de la paix, 8c il fera refpecf é de tout le monde. I a nature 8c la raifon crient de tous cötés a 1'homme qu'il eft fait pour fe conformer a la fociété, Sc que la fociété eft faite pour fe conformer a l'homme; celui-ci fe conforme a la fociété, dés qu'il s'acquitte de tous fes devoirs naturels envers elle , 8c la fociété fe conforme a l'homme, dès qu'elle n'exige de lui que des chofes juftes, raifonnables , conféquentes , Sc dès qu'elle cherche a lui procurer fon avantage de la maniere la plus pofitive 8c la plus favorable. Si 1'un des deux manque a fes obligations, 1'autre n'y doit pas manquer ; mais il a droit de fe plaindre Sc de plaider fa caufe devant 1'humanité entiere , d'en appeller a la raifon 8c a la poftérité. Qu'il foit permis maintenant d'envifager un moment, toute diftindtion a part, la dépendance abfolue oü nous fommes dans la fociété , relativement a nos befoins, a notre foibleffe & a nos infirmités. C'eft ici oü l'homme eft forcé quelquefois de devenir efclave 8c mercenaire ; mais il ne s'enfuit pas de-la que fa liberté fociale ou relative en puifle être altérée d'aucune maniere , paree que fi la circonftance le fait dépendre d un autre pour avoir fon nécefiaire abfolu ou relatif, c'eft toujours par une inconféquence de morale politique Sc jamais par un décret de la raifon. L'homme ne doit jamais oublier que tous les devoirs font réciproques, 8c qu'il ne doit impofer, dans aucune circonftance, Ei  68 Tableau his toriq ue aucun joug facheux a fon fcmblable , afin que fon femblable n'imagine pas avoir le droit de lui en impofer a fon tour. D'oü il réfulte que rien de plus ridicule 8c de plus contraire a Fefprit focial que cette clafie de grands Sc de petits, de maitres Sc d'efclaves , d'heureux 8c de malheureux, de tyrans 8c de victimes. N'eft-ce pas donncr dans le plus grand de tous les travers, que de fubftituer le vil intérêt des diftindtions Sc la foif dangereufe de 1'or , au tendre intérêt du cceur Sc au befoin facré de 1'amitié ? La dépendance qui nous lie a la fociété réfide dans 1'ame fenlïble de nos parens Sc de nos amis , dans toutes nos obligations réelles & dans une réciprocité de fentimens 8c de devoirs. Si le malheur des tems Sc l'accefioire des fociétés font dépendre notre bonheur relatif de 1'extravagante opinion des ignorans Sc de la puiffance des méchans , on nepeut que maudire les conftitutions civiles Sc cruellement politiques du fiecle ; le cceur gémit, la raifon s'alarme 8c 1'humanité plaintive eft: condamnée a poufier des cris lamentables qui ne font entendus que de la philofophie. Rois, princes Sc fouverains de la terre , tremblez au moment oü la multitude fera éclairée fur fes vrais intéréts 5 elle touchera au moment de participer a une félicité durable ; ce fera lorfqu'elle fera afiez courageufe pour vous arracher des mains votre fceptre de fer, pour y fubftituer la houlette paftorale , vous faire rentrer dans 1'ordre focial, Sc vous apprendre par le fait, que vous devez être aiTujettis comme le moindre particulier, « aux conditions » tacites ou exprimées fous lefquelles chaque  bes Profin ces - Unie s. 69 » membre d'une fociété s'engage envers les autres, » de contribuer a leur bien-être & d'obferver a » leur égard les devoirs de la juftice. » C'eft ici que brille 1'excellence de la raifon humaine ; elle nous fait voir comme la vertu , 1'honneur, la crainte 8t 1'intérêt, difteremment ménagés ou combinés, deviennent la fource de la paix , du bonhcur 8c de 1'ordre 5 c'eft alors qu'on verrok tous les individus engrenés mutuellement, marcher d'un mouvement réglé & harmonique a 1'ombre des loix, dont le roi, le prince St le magiftrat ne feroient que 1'organe , exerceroient une autorité légitime , rcpandroient de tous cötés les douces influences de leur adminiftration , de maniere qu'il n'y auroit dans la fociété aucun individu malheureux par leur faute. On jouiroit des douceurs de la paix , de 1'amitié 8c du fruit précieux de toutes les vertus focialcs, donc la pratique rendroit 1'exiftence de l'homme auffï heureufe ici-bas , qu'il feroit poflible de 1'imaginer. Par quelle fatalité la fociété humaine eft - elle condamnée a fe dégrader a mefure qu'elle fe compofe de plus en plus ? Ne perdons point de vue notre petite peuplade, obfervons fa marche graduelle , elle nous inftruira fur la progrefTion du mal moral. On vient de jctef les fondemens, de pofer les principes immuables de fon exiftence morale , tachons de fixer également ceux qui doivent donner une bafe folide & permanente a fon exiftence phyfique.  7® TABZEAV RISTOR1QVE Coup-dozil fur la multiplication des hommes dans un État. Dans la contrée oü nous avons d'abord placé notre peuplade , les families fe feront fans doute multipliées ; cette contrée fe fera infenfiblement pourvue & du nombre de laboureurs nécelfaires , & du nombre d'artifans nécelfaires aux befoins d'un peuple agriculteur. La réunion de ces families aura progreiTivement formé une nation nombreufe; mais arrêtons-nous a chaque gradation. Dijlribution des travailleurs en colons & en ouvriers des premières nécejjités. La culture des terres demande différens outils ; elle demande qu'on fache batir, tout au moins des hangards, pour y conferver les denrées. Or , ces families a qui 1'on fuppofe tout ce qui eft néceflaire pour la culture , auront donc parmi elles des ouvriers en fer, St d'autres qui fauront batir. Les ouvriers en fer éleveront des atteiiers St échangeront les outils qu'ils auront forgés contre des denrées que les cultivateurs , a qui ces outils font nécelfaires , fe trouveront obligés de leur donner. Si le nombre des ouvriers en fer étoit trop petit, comparé a celui des cultivateurs , les forgerons feroient des échanges trés - avantageux ; en forte qu'au bout de 1'année ils fe trouveroient plus riches en denrées que les cultivateurs , ou qu'ils auroient travaillé beaucoup moins : ce dernier événement auroit lieu , fi le forgeron n'avoit aucune voie ouverte pour employer ce qu'il pourroit acquérir de denrées au-dela de ce qui lui eft nécefiaire pour  DES P ROV IN C ES-U NI ES. Jl ïa confommation de fa familie. Dans 1'un bX 1'autre cas l'état de forgeron feroit de beaucoup meilleur que celui du cultivateur. Le bien être qu'on appercevroit dans eet état , feroit paffer continuellement des cultivateurs au métier de forgeron, jufques par une jufte proportion , établie entre le nombre des uns & des autres, 1'outil ne s'échangeat plus que contre une quantité de grains qui eut coüté la même peine a faire venir que 1'outil a forger , jufqu'a ce qu'enfin le cultivateur 8c le forgeron , en travaillant également, fe procuralfent la même quantité de denrées. II faut qu'il y ait égalité de profits a travail égal, & qu'il en réfulte un jufte équilibre : or, deux dalles d'ouvriers font en équilibre entr'elles 5 dans 1'une & dans 1'autre 1'ouvrier , en travaillant également, recoit le même falaire. L'équilibre des claffes emporte nécelTairement 1'équilibre dans la valeur des chofes. Si la claffe du charpentier eft en équilibre avec celle du forgeron , c'eft paree que 1'ouvrage de 1'un 8c de 1'autre fe vend a proportion de la peine qu'il a coüté a faire. Ce qui devoit arriver a la claffe des ouvriers en fer , doit arriver de même a toutes les autres claffes d'ouvriers. Si une fois elles fe mettent en équilibre avec la claffe des cultivateurs, elles fe trouveront toutes en équilibre entr'elles. Les différentes claffes de cultivateurs éprouveroient la même chofe , fi ceux qui cultivent les vignes avoient de 1'avantage fur ceux qui cultivent les champs : on planteroit de nouvelles vignes; une partie des laboureurs fe feroient vignerons , & une partie des vignerons fe feroient laboureurs, fi l'équilibre étoit rompu en E4  7* TABLEAU HISTOR1QUE ■ faveur de ceux-ci. D'oü 1'on dok conclure que dans tout état, quel qu'il foit, toutes les claffes d'ou-vriers, toutes les denrées, 8c généralement toutes ■chofes, fe mettent naturellement en équilibre : fi eet équilibre n'eft pas parfait de nos jours, il eft bien poflible qu'il ne fait pas été dans les premières fociétés. Toutes les claffes font fans ceffe dans un mouvement qu'on peut dire de vibration ; elles s'éloignent de l'équilibre , y reviennent 8c le perdent dans un fens oppofé; mais on obferve que dans la plupart des états de 1'Europe , elles s'en éloignent toujours du plus au moins , 8c leur mouvement n'eft infenfible que quand les caufes accidentelles ne les troublent point. Lorfqu'il y a un jufte équilibre entre les différentes claffes d'ouvriers, on peut dire que 1'organifation d'un état a pris toute fa confifiance. Influence de la qualité du fol fur la profpéritê d'une peupla.de naijj'ante. Si la contrée habitée par une peuplade naiffante eft d'un produit modique , les families s'en tiennent aux métiers de première néceflïté; les ouvrages reftent grofiiers, les arts 8c métiers de commodité Sc de luxe ne pourroient pas nakre , le chef ne pouvant tirer que peu des cultivateurs, ne pourroit entretenir que peu de foldats, n'auroit que peu de gens aifés , 8c Ia cour du chef fera très-peu nombreufe. Les provinces froides de la N'prwège , celles de la Suède 8c de la Ruffie, oü 1'on trouve les derniers cultivateurs en montant vers le nord , font pofitivement dans eet état, excepté qu'elles «'ont pas leur roi au milieu d'elles.  vbs Provinces-Ujnies. 73 Partant de ces points avancés dans le nord Sc marchant vers le midi, on voit toujours le nombre des métiers 8t des arts augmenter a mefure que les terres deviennent plus fécondes : on trouveroit encore la proportion bien plus exaétement fuivie, li des capitales éloignées , des gouvernemens différens, des viciflitudes de commerce n'y apportoient de 1'altération. Qu'on fuppofe pour un moment , dans notre nouvelle peuplade , qu'il n'y eut que la quantité de gens aifés St de foldats néceffaires a 1'utilité publique , les citoyens y jouiroient de toute la félicité dont la nature , 8c dont la qualité du fol qu'ils auroient a habiter , les rendroit fufceptibles: ils feroient au point oü le travail St les plaifirs , tous deux également néceffaires aux hommes , fe trouvent le plus avantageuferoent diftribués. Pour peu que les terres fuflent fécondes, il refteroit au cultivateur qui n'auroit point de maitre , St qui ne donneroit que peu a fon prince , plus de tems a donner a la joie & au repos, qu'il ne lui en faudroit pour en bien goüter la douceur St réparer fes forces : 1'ouvrier, par la loi de l'équilibre , jouiroit du même bien-être. N'eft-ce pas a ce point de perfeétion que devroient tendre tous les gouvernemens modernes ? Époque oü la condition de tous les travailleurs doit devenir plus mauvaife. Il eft une époque oü la condition des travailleurs doit devenir plus mauvaife , ce fera par 1'accroiffement de la population ; c'eft alors que l'état de tous les citoyens fe détériore. Notre peuplade ,  74 Tabzeav HiSTOniQvx par exemple, aura d'abord cultivé les meilleurs champs. Les hommes augmentant en nombre, elle aura toujours été en défrichant du plus fécond au moins fécond. La quantité moyenne du travail des cultivateurs , aura donc augmenté avec la multiplication des families : le travail moyen aura augmenté dans la claffe des cultivateurs. On entend ici par travail moyen , la répartition idéale de la totalité des travaux d'une clafTe entiere d'ouvriers fur chacun de ceux qui la compofent. Or , il doit réfulter que cette clahe d'ouvriers fouffrira , 8c qu'elle ne peuplera pas autant qu'elle devroit naturellement le faire , fi une partie des hommes qui la compofent, ne retourne pas a la culture des terres. Car oü les ouvriers , pour fe mettre au niveau des cultivateurs baifferoient d'eux-mêmes le prix de leurs ouvrages , ce qui eft la feule fi^on , dont leur travail moyen puiffe augmenter , ou ceux-la ne baifiant pas leur prix, les cultivateurs qui s'appercevront que 1'ouvrier gagne plus qu'eux a travail égal, pafferoient dans la claffe des ouvriers , 8c la feroient regorger. Dans le premier cas , les ouvriers obligés de vendre leurs ouvrages a meilleur marché ne gagneroient plus par leur travail une quantité de denrées qui put fuffire a leur nourriture ; dans la feconde hypothefe , ils fe trouveroient bientót plus malheureux encore. On ne peut pas dire que 1'ouvrier en baifiant le prix de fon ouvrage , en feroit quitte pour travailler davantage. La quantité d'outils 8c de maind'oeuvre eft déterminée par la fomme des befoins des claffes qui les emploient inutilement. L'ou-  bes Provinc es-Un i e s. 75 vrier travailleroit - il a forger au dela du befoin une quantité d'outils que perfonne ne lui demanderoit. Pour mettre cette vérité dans un plus grand jour, fuppofons que la multiplication de notre peuplade ait monté jufqu'a huit cent mille cultivateurs Sc cent mille ouvriers qui, a travail égal , s'entretenoient mutuellement. Suppofons que par" l'accroiflement de la population, le nombre des uns 8c des autres fut monté au doublé, 8c que le moins de fécondité des derniers champs mis en valeur , eut augmenté d'un tiers le travail moyen de toutes les claffes , le prix de la main - d'ceuvre fe trouveroit baiffé d'un quart, 8c celui qui vivoit en forgeant trois outils par jour, feroit contraint d'en forger quatre pour avoir la même quantité de denrées qu'auparavant. Si les huit cents mille cultivateurs ne demandoient aux cent mille ouvriers que trois cent mille outils par jour, fuppofant toute main - d'ceuvre néceflaire réduite è ce terme , les feize cents mille cultivateurs dont il eft fait ici mention dans notre hypothefe , ne demanderont que fix cents mille outils, 8c eu égard au baiffement du prix des ouvrages , ces derniers cultivateurs ne donneront pour les fix cents mille outils que la même quantité de denrées, qu'on auroit donnée auparavant pour quatre cents cinquante mille. Mais dans les premiers inftans , le prix des trois cents mille outils faifoit vivre cent mille ouvriers \ le prix de quatre cents cinquante mille au même taux , n'en pourra donc faire vivre que cent cinquante mille : fi 1'on compte par 1'ouvrage, on  7<5 TaSZEAV H1STOR1QVE tronvera Ja même chofe. IJ faut dans notre peuplade fix cents milie outils, chaque ouvrier doit en faire quatre, il ne faut pas cinquante mille 01 vners. Cependant Ie nombre des ouvriers ayar.t doublé , il s'y en trouve deux cents mille : il faut donc qu'il y en ait cinquante mille qui retournent aux terres , s'ils ne veulent pas périr de mifere , ou que toute leur claffe endure la difette d'un quart du néceffaire ; ce qui Ia mettroit dans un état de fouffrance , qui arrêteroit fa population naturelle, & qui, diminuant le nombre de fes agens, les réduiroit bientót a ia jufte quantité qu'ils doivent être. Je fens qu'on pourroit ici m'accufer d'inexaétitude dans la luppofition que je fais, il ne faut pas qu il retourne précifémént cinquante mille ouvriers aux terres pour rétablir l'équilibre entre leur clafTe Sc celle des cultivateurs j car fi le nombre y étoit ï-etourné , il refteroit trop peu d'ouvriers pour les colons; la proportion feroit rétablie , fi 1'on fait retourner aux terres feulement quarante - cinq mille fept cents quatorze ouvriers, en négligeant la fraaion qui devient nulle , lorfqu'il s'agit d'êtres que la diyifion détruiroit. J'ai cependant mis cinquante mille pour ne pas prolonger des calculs que tout Ie monde n'eft pas en état de fuivre. Plus la main-d'ceuvre eft è bon marché , plus il faut que 1'ouvrier travaille pour gagner fa fubfiftancc ; pluslouvrier travaille , moins il faut d'hommes de fa claffe pour faire une quantité dérerminée d'ouvrage, & dans un état ifolé la quantité de main - d'ceuvre eft déterminée par le nombre des habitans.Mais dira-1 - on, plus le cultivateur tra-  BES pROri n CE S-Un 1 E S. ff vaille, plus il confomme des chofes nécelfaires pour fbn labour, 8c plus conféquemment il occupe d'ouvriers ; mais fi cela eft vrai, 8c dé quelque confidération a 1'égard de certaines profeffions , on pourra dire d'un aurre cöté, que plus le cultivateur eft pauvre , plus il fe refufe de chofes \ plus les denrées lui coütent de travail a acquerir , plus il économife : de ces deux raifons , 1'une compenfera 1'autre. Si comme a la Chine, il étoit ordonné dans ces contrées aux enfans de refter dans la profeflïon de leurs peres, la condition des ouvriers refteroit long - tems meilleure que celle des cultivateurs. Ces derniers n'ayant pas la faculté de palfer a 1'autre claffe , les ouvriers foutiendroient toujours leurs ouvrages au même prix ; ainli vendant dans tous les tems une quantité d'ouvrages proportionelle a leur nombre , qui ne peur qu'augmenter en raifon égale de celui des cultivateurs , ils retireroient de leur vente une quantité de denrées proportionelle a leur augmentation naturelle. De cette ïbrte le travail moyen augmenteroit toujours dans la claffe des cultivateurs , lans augmenter dans celle des ouvriers. Mais quand les bornes du terrein en mettroient a 1'accroiffement des colons, les deux claffes reviendroient bientót en équilibre , paree que les ouvriers continuant toujours è. aug menter fans que les cultivateurs augmentaffent, ils ne pourroient plus vendre une quantité d'ouvrages proportionnelle a la progreflion de leur popu ■ lation , 8c leur claffe tomberoit néceffairement erj fouffrance. De ce qu'il s'y trouveroit trop d'ou-  7 8 TABLEAU H1S2-0R1QÜE vriers , il s'enfuivroit qu'une partie d'entr'eux refteroit néceffairement .fans débit de leurs ouvrages. Pour trouver k vendre , ceux qui éprouveroiernce malheur , fe verroient obligés de baiffer Ie prix des chofes qu'ils auroient travaillées. Ce baiffement de prix rejeteroit leur malheur fur d'autres qui baifferoient le prix encore plus bas ; la même chofe fubfiftant rpujours, ces prix continueroient a baiffer , & le travail de 1'ouvrier au-deffous de fa véritable valeur , c'eft - a - dire , de celle qu'il devroit avoir par la loi de l'équilibre. Cet incident aura toujours lieu tant qu'il y aura plus d'ouvrages que de demandes, plus de marchandifes que d'acheteurs. Ce bahTement de prix augmenteroit ï'mdigence commune de la claffe des ouvriers , le mal dureroit jufqu'a ce que le befoin 1'ayant fait diminuer , les ouvriers fe trouveroient réduits au nombre jufte , qu'ils devroient être pour fournir au befoin du refte des citoyens: alors le prix de leur main - d'ceuvre haufferoit, 8c les ouvriers fe trouveroient en équilibre avec les cultivateurs. Coup -d'ceilfur la naijjance & les progrès des arts & métiers de luxe. Un peuple placé dans un pays fécond ne peut voir naitre promptement les arts 8c métiers de luxe. Suppofons que notre peuplade habite un terrein fertile, on verra bientót naitre au milieu d'elle tous les arts 8c métiers du luxe brillant 8c commode. Ils s'y perfedfionneront même rapidement , li la nature du gouvernement n'y apporte point d'obftacle. La Grece en eft une preuve y  des Provin ces-Unies* 79 puifqu'en moins de deux cents ans , a compter du premier moment oü 1'on en vit les premières ébauches, les arts y furent portés a un point de perfection que nous admirons encore. II n'eft pas douteux que fi le degré de fertilité d'un pays eft tel que le cultivateur puiflë fe procurer tout ce qui lui eft néceffaire , en ne travaillant que quatre ou cinq mois par année , il emploiera une partie de fon loifir a rechercher le commode 8c le gracieux. L'habitude des premières commodités fera pafler a de nouvelles. Le delir brülant 8c infatiable d'améliorer fon état 8c de pafier a des plaifirs nouveaux, fera continuer cette progreflion de commodités, de plaifir 8c de luxe , tant qu'il reftera au cultivateur du tems a facrifier. La poéfïe naquit au fein du loifir Sc de 1'aifance , a dit un célebre auteur moderne , qui le répete d*après les anciens \ or , fi dans notre peuplade tout le monde étoit dans 1'aifance 8c le loifir, la poéfie y nakroit donc ainfi que tous les autres arts: ils ont tous la même origine. Les hommes font naturellement portés aux chofes d'agrément , 8c a embellir tout ce qui tient a eux. Les fauvages de 1'Amérique fe peignent le corps des plus belles couleurs qu'ils fachent imaginer. Les négrefies. fe parent de coquillage : les hommes 8c les animaux mêmes font fenfibles aux charmes de la mufique. Nos cultivateurs , dans les longs relaches de leurs travaux , s'occuperont de ces divers objets. II n'eft pas douteux qu'il y aura toujours un homme qui excellera par - defius tous les autres dans chaque art. L'excellence dans le fens ordinaire qu'on donne  So Taszeav historique a ce terme, ne fuppofe aucune perfeétion réelle 5 elle ne confifte que dans 1'avaotage que 1'on a dans un genre , étant cornparé a tout autre homme connu. Quelque groffier que 1'on veuille fuppofer le talent de ces premiers artiftes prééminens , ils feront recherchés , paree qu'on aime leurs arts 8c qu'ils font fentir mieux qu'aucun autre , les plailïrs que ces arts donnent. Ces hommes qui excelleront dans un art, recevront une récompenfe de ceux qui les auroit employés. Comme nous fuppofons ici notre peuplade nombreufe 8c dans 1'abondance , 1'artifte devra trouver des récompenfes telles qu'il lui foit plus avantageux , ainfi qu'il trouvera plus agréable de vivre de fon talent, que de la culture de la terre. Uniquement occupés de leur art , ils y feront des progrès; 1'ufage leur donnera occafion d'obferver, 1'habitude leur déterminera des regies, 1'art entre leurs mains fera toujours quelque pas vers la perfecfion , les arts deviendront plus difficiles par la découverte fucceffive de nouvelles regies. Plus le nombre de ces regies augmentera, plus les arts s'éloigneront de la portée du génie du cultivateur , plus ils demanderont que les artiftes s'y confacrent, Sc qu'ils faflent par conféquent une claffe diftindte de toute autre. La grandeur des récompenfes réglera le nombre des artiftes , 8c la poéfie fera mife au même rang que les autres arts d'agrément. Chez les nations fauvages de 1'Amérique on voit les arts dans leur nailfance , tels fans doute qu'ils ont été parmi nous dans le principe , & tels qu'ils feroient aux premiers momens dans les families ralfemblées  J3ES PROriNCES-UjVIES. %z raflêmblées de notre peuplade. Mais comme ces fauvages de 1'Amérique ne font pas cultivateurs, ils ne peuvent jamais être ni nombreux , ni aifés. Comme ils n'ont en quelque forte aucune habitation fixe , il ne peut fe former parmi eux ni artiftes , ni ouvriers proprement dit. Les arts conféquemment doivent y refter dans leur enfance. Les arts & les métiers ne peuvent fe fixer que chez les peuples nombreux 8c aifés. Le peu de fécondité d'un pays fuffira donc pour les empêcher d'y naitre 8c de s'y établir , fans examiner fi dans le nord , la dureté du climat öte aux hommes ou non , 1'aptitude aux chofes d'agrément. II fuffit que la terre qu'ils habitent foit ingrate pour que les beaux arts 8c le luxe ne puiffent pas fe naturalifer parmi eux. Stokolm par le concours de toutes les contributions d'un royaume 8c par le commerce, répare ce que fon fol peut avoir d'infécondité. II y a des artiftes. Les arts y font certainement poufies a un point plus haut qu'ils ne le font adtuellement dans ïa Grèce , 8c dans la plupart des régions ou 1'anti» quité les vit fleurir ; mais ils ne peuvent s'établir dans les provinces méridionales de la Suède , paree que 1'infécondité de la terre y eft telle que le cultivateur ne recueille de denrées que ce qu'il en faut pour les ouvriers qui lui font nécelfaires, pour le petit nombre de gens aifés qui font dans le pays, & pour lui-même. De cette maniere, il ne refte rien pour 1'entretien des artiftes. L'étendue du luxe &C des arts eft toujours proportionnée a la popuJation des villes. II eft a remarquer que 1'infécondité des terres, lorfqu'elle eft trop grande, s'oppofe a Torne II, F  82 Tableau bistorique Ja perfection du gouvernement ainfi qu'a 1'avancement des arts. Pour qu'il y ait un gouvernement, il faut que le colon trouve dans fa récolte de quoi payer 1'impöt. Si la terre eft ingrate, on ne pourra tirer que tres - peu du cultivateur. Le prince ne pourra entretenir fous lui qu'un petit nombre de commandans j il ne pourra y avoir que peu de perfonnes employées au maintien de 1'ordre j le gouvernement en fera moins étendu dans fes branches & moins agifiant. Par-tout on trouve dans les pays d'autant moins policés qu'ils font moins abondans ; foit que leur infécondité vienne du climat , foit qu'elle vienne de la mauvaife qualité du fol , foit qu'elle ait fa fource dans le vice des habitans. On ne voit par exemple aucune efpece de police dans les provinces méridionales de la Norvège , 1'influence du gouvernement y eft extrêmmement foible St bornée. Le voyageur n'y eft point en füreté ; le citoyen même n'y eft point en paix. En Laponie, oü la terre eft pour ainfi dire d'une ftérilité abfolue , il n'y a non-feulement aucune efpece d'artiftes , ni d'ouvriers proprement dit , St on n'y appercoit aucun veftige de gouvernement. Ce n'eft pas que les habitans de ces régions froides ne foient auffi difciplinables que ceux des pays chauds : ils paroiffent au contraire 1'être davantage ; mais oü prendre pour 1'entretien de ceux qui feroient employés a les gouverner. Avantages de la claffe des artiftes fur celle des ouvriers de luxe. Dans quelqu'aifance que foit le cultivateur , il  DES P ROV1N CES-U NI ES. 83 donnera toujours moins aux ouvriers de luxe , qu'aux artiftes. Si 1'on examine les hommes dans la naiflance des fociétés , on trouvera qu'ils font bien éloignés d'avoir pour .le brillant un goüt aufli vif que pour les arts proprement dit , tels que la mulique , la danfe , le fpectacle. Par exemple, dans une peuplade naiifante , oü il n'y auroit encore aucun poffefleur de terres , les profeflions qui auroient Ie luxe pour objet, ne pourroient approcher du luftre oü nous les voyons parmi nous. Si par des circonftances extraordinaires , les arts 8c les métiers de luxe prenoient dans un pays fécond un accrohTement foible &£ trop lent , la clalfe des cultivateurs fe trouvant moins diminuée , 8c ayant d'ailleurs moins de monde a nourrir , refteroit dans . une grande oifiveté. C'eft ce qu'on a remarqué au Pérou quand les Efoagnols y aborderent pour la première fois , ils y trouverent peu d'arts & de métiers ; mais en revanche un nombre étonnant d'hommes employés au gouvernement , & tirant de lui leur fubfiftance. Nul pays dans le monde n'eut plus de police Sc ne fut gouverné avec plus de précilion , que ce royaume avant fa découverte par les nations européennes. II réfulte de ce qu'on vient de dire que dans les premiers inftans les pro ■ grès des arts font toujours plus rapides que ceux du luxe. La caufe phyfique de l'accroilfement de celui-ci comme des autres eft la même. Caufe phyfique de laccroiffement du luxe & des arts. De deux nations également nombreufes, mais F 2  §4 Tableau m'istorique placées dans des fols difFérens, 1'une pourra entre tenir beaucoup pJus d'artiftes que 1'autre; Sc fi 1'on veut prendre les chofes a I'extrême , 1'une des deux nations peut - être en état de faire fleurir tous les arts au milieu d'elle ; tandis que 1'autre ne pourra abfolument entretenir aucun artifte. La chofe arriveroit, fi par la différence de leurs terres, 1'une de ces deux nations étoit obligée d'employer au travail des champs beaucoup plus de monde que 1'autre. Qu'on fuppofe chacune des deux nations compofée de quatre millions d'habitans : que dans 1'une , il faille trois millions de cultivateurs pour faire croitre les denrées qui lui font nécelfaires ; Sc que dans 1'autre il n'en faille qu'un million , il eft évident que celle - ci pourra nourrir une quantité d'artiftes , fans comparaifon plus grande que celle-la. Tout le monde fait qu'il y a des terres qui, quoique d'un égal produit, demandent plus de travail 1'une que 1'autre. N'eft - il donc pas des pays oü une partie des terres eft extrêmement féconde, St 1'autre extrêmement mauvaife ; dans ceux - Ik il peut y avoir beaucoup d'artiftes : il en eft d'autre oü toutes les terres font cultivables Sc d'une médiocre fécondité. IJ faut qu'il y ait plus de monde occupé aux terres dans ces dernieres, pour avoir la même quantité de denrées ; de cette maniere, il y reftera moins de monde pour les arts. Mais, dira-t-on, les vicifiitudcs du commerce extérieur ont une trés-grande influence fur 1'étendue du luxe Sc des arts dans tous les états ; cela n'eft pas douteux, mais il ne s'agit ici que d'un état ifolé. Or, il feroit égal pour 1'avancement des  DES PROVl N CE S~UN IE S. 85 arts , que la fécondité des terres fut augmentée, ou qu'on trouvat une méthode pour diminuer le travail de leur culture 5 d'une 8c d'autre facon le cultivateur chez le nouveau peuple qu'on fuppofe ki, recueilleroit plus de denrées a travail égal, Sc fe trouveroit en conféquence en état de tirer plus de 1'ouvrier 8c de donner plus aux artifbs. La contrée oü 1'une ou 1'autre de ces chofes arriveroit \ la population des villes y feroit augmentée. En diminuant les travaux de la culture , on forceïoit une partie des cultivateurs qui fe trouveroient inutiles aux terres, a paffer dans les villes. Si les poffeffeurs actuels des terres avoient un moyen pour faire cultiver par un feul payfan , ce qui en occupe aótuellement deux, fans augmenter le travail du premier , ils fe trouveroient plus riches de tout ce qu'ils cédoient a celui des deux qui leur devient le plus inutile. Les peines de celui dont ils continueroient de lè fervir, n'étant pas plus grandes qu'auparavant , ils ne lui donneroient que le même falake. Les propriétaires des terres fe trouvant plus riches, augmenteroient leur dépenfe en domeftiques, en ouvriers de luxe Sc en artiltes a proportion de leurs nouveaux moyens. C'eft en partie des champs qu'on tireroit ce furcrok d'ouvriers 8c d'autres gens. Obfervations fur les claffes d'artiftes & d'ouvriers de luxe. La claffe des artiftes 8c des ouvriers de luxe, éprouve des entraves dès le premier inftanr de fora erablifïement. A mefure que le nombre des cuki- 173  85 Tableau kistorique vatairs augmenté, il faut plus d'ouvriers de néceffité, 6c cette derniere claffe groffit en nombre. II croit plus de denrées dans l'état , le produit de lïmpót fe trouve plus fort, le gouvernement a de quoi entretenir plus de monde , Ia claffe de ceux qu'il emploie doit augmenter, tout marche enfemble. Mais quand Ja claffe des cultivateurs augmenté , leur condition comme on 1'a fait voir cideffus, devient plus mauvaife par 1'augmentation du travail moyen, ils ont moins a donner a 1'amufement : voila pourquoi les artiftes 6c les ouvriers de luxe recevront moins. Si la claffe dont nous parions ne tiroit fa fubfiftance que des gens aifés , elle augmenteroit en même proportion que toutes les autres claffes de l'état , pourvu qu'il y eut de nouvelles terres a défricher , 6c que celles - ci fuf fent en état de fupporter la totalité de I'impót ctabh. En voici la raifon , c'eft qu'alors le produit de 1'impöt augmenté a - peu-près en même raifon que le nombre des cultivateurs; mais il faut que la claffe des gens aifés fur laquelle ce furcroït d'impöts reverfe, augmenté en même proportion, 6c qu'elle fafle augmenter de la même maniere toutes les claffes qui dépendent d'elle. I 11 eft un tems oü la claffe des fufd'its artiftes eprouveroit la plus grande fouffrance f c'eft lorfqu'on en viendroit a défricher des terres qui ne pourroient pas fupporter les mêmes charges que les premières. Voici pourquoi , c'eft que Ie produit de 1 impöt ne pouvant plus augmenter , Ia claffe des gens aifés fe trouvera bornée a une quantité determinée de denrées; cependant cette claffe  DES PrOVINCES-UnIES. f>7 augmentant par fa population naturelle, confommera plus par elle-même \ de cette maniere die 'fera obligée d'en retrancher quelque chofe , c'efta-dire, de donner moins a 1'amufement Sc au luxe. Si dans les premiers inftans, les artiftes Sc les ouvriers de luxe ne paroiffent pas diminuer la population de l'état, leur établiifement 1'empêche cependant de parvenu: auffi promptement qu'il fe pxirroit a la plénitude de fa force. Qu'on fuppofe pour un moment qu'il y ait dans un état trois m üions de cultivateurs Sc' douze cents mille ouvriers de luxe, Sc qu'on en foit a défricher des terres fur lefquelles on ne puilfe mettre aucun impöt j 1'année d'après il doit y avoir cent mille cultivateurs de plus, leur nombre devant^ être augmenté d'un trentieme 5 maïs on ne doit compter que fur douze cent mille ouvriers de luxe. Leur claffe ne recevant que la même quantité de vivres qu'elle recevok auparavant, elle ne peut augmenter , ou fi elle augmenté , elle reviendra bientót a fon premier point , puifque le nombre de ceux qui la compofent doit néceffairement fe mettre en équilibre avec leurs moyens de fubfiftance. Si au lieu de cela , tous ceux de cette derniere claffe étoient reftés aux terres , 1'accroiffement total de la population, fe feroit trouvé de trente mille hommes de plus : il n'en eft pas des ouvriers de première néceffité comme des ouvriers de luxe. Quand les premiers feroient reftés confondus dans la claffe des cultivateurs , 8c quand chacun travailleroit foi - même toutes les chofes dont il fe trouveroit avoir befoin , la population n'en de- F4  §# Tableau historiqve viendroit pas plus grande en aucun tems , &C tout n'en iroit que plus mal. Si quatre cultivateurs tiranc tout d'un ouvrier qu'ils occupent feuls , cultivent chacun quarante arpens, ils ne pourront en cultiver que trente - deux, s'ils font obligés a faire par eux - mêmes ce qu'ils prennent de lui. En remettant celui - ci aux terres, il ne cultiveroit que trente - deux arpens comme les autres , & il ne fe trouveroit en tout que les mêmes quantités de terre qui fuffent cultivées : tout en iroit moins bien, paree que chacun étant occupé a plus de chofes , on les feroit toutes plus mal. 11 réfulte de ce qu'on vient d'expofer, qu'il eft évident que 1'établiffement du luxe augmenté dans Ia fociété la fomme des travaux, fans y rien produire de réel : il n'augmente ni le nombre des hommes , ni celui des chofes: il détruit tout. Autre caufe qui contribue d la force de f/tat, ^ Vavancement des arts & a lafacilité du travail des terres. On peut dire qu'il en eft , par rapport a l'état, comme par rapport aux arts, augmenter le nombre de fes champs en reculant fes frontieres, diminuer le travail de culture pour ceux qu'il renfermc, ou augmenter leur fécondité, ce feroit lui procurer a-peu-près la même augmentation de force & le même bien. L'état ne peut, fans fe détruire luimême , employer a fon fervice que le furplus des denrées du cultivateur, que la fomme de ce furplus augmenté , paree que 1'addition de nouvelles prowices lui donne un plus grand nombre de terres ,  DE!f P R0V1N CES-V NIES. 8? paree que fes terres viennent a produire plus de denrées, ou paree que les travaux de leur culture étant dinfnués, la claffe des cultivateurs devenue moins nombreufe , confomme moins. II en réfulte toujc urs pour l'état la même augmentation de force lorfqu'il le veut. Si les terres fe cultivoient a moins de ffais, n'eft-il pas vrai quelles pourroient fupporter de plus forts impöts ? Or, qu'il y ait plus de champs impofés, ou que chaque champ fupporte une impofition plus forte, cela revient au même. Si les frais de la culture diminuoient de moitié, le gouvernement, en s'appropriant le profit de cette nouveauté , pourroit convertir en foldats la moitié des cultivateurs fans que les propriétaires des terres, ni aucune des autres claffes s'en reffentiffent : il eft aifé de rendre la chofe fenlible parun exemple. Suppofons que la Suède St le Danemarck foient de la même étendue 8t de la même fécondité, que toutes leurs terres foient au plus haut point de culture , St qu'il y ait dans chacun de ces royaumes fix millions d'habitans, dont quatre millions foient employés a la culture des terres ; fi 1'on parvient en Danemarck a découvrir un moyen de cultiver tout avec deux millions d'hommes feulement, il arrivera que la moitié des cultivateurs paffera néceffairement St en peu, dans les autres claffes de l'état. La populace n'augmentera pas, puifque les terres ne produiront toujours de denrées que pour fix millions d'hommes j mais le Danemarck ne s'en trouvera pas moins deux fois plus fort que la Suède ; car , lorfque ces deux nations voudront fe faire la guerre , Ie Danemarck pourra attaquer  je Tableau ristori que la Suède avec un fonds de quatre 'millions d'hommes , Sc tout le monde fera toujours nourri par les deux millions de cultivateurs qui refteroient aux terres. La Suède au contraire ne pourra lui réfifter qu'aVec un fonds de deux millions d'hommes, étant obligée de lailfer , comme le Danemarck , tous fes colons au travail des champs pour ne pas s'affamer elle-même. Tout le monde ne va pas _a la guerre ; mais de quelque faijon qu'on envifage la chofe , on verra qu'a faire des eiforts égaux, la Suède fe trouvera toujours la plus foible de la moitié. Si la Suède acquiert des provinces femblables a celles qu'elle poftede déja St qui doublent fon étendue , ainfi que le nombre de fes habitans , elle aura douze millions d'hommes , dont huit millions étant nécefiairement employés aux terres, il ne lui reftera donc que quatre millions de troupes a lui oppofer. La Suède trouvera aufli, en levant fur chaque champ une impofition de moitié moins forte que celle que leve le Danemarck , a faire des finances égales aux fiennes , 8t le même nombre d'hommes pourra marcher de part St d'autre. Si la Suède , en doublant fon étendue, a eet ayantage que fes huit millions de cultivateurs répareront quatre fois plutöt , par leur excès de leur population, la pene de citoyens que la guerre lui occafionnera , que les cultivateurs du Danemarck ne pourront réparer celles des leurs. D'autre part, les cultivateurs Danois étant quatre fois moins nombreux , occupent quatre fois moins d'ouvriers , fouffrent moins St laiflent au Dane-  des Provinces-Unïes. oi rnarck plus de foldats. Si la Suède , au lieu de doubler fon étendue , avoit augmenté d'un tiers la fécondité de fes terres, elle auroit gagné d'avantage: elle n'auroit, a la vérité , que huit millions d'hommes en tout i, mais il n'y en auroit que quatre millions d'occupés k la culture des champs. Ses cultivateurs , en plus petit nombre, employant moins d'ouvriers & d'autres gens , elle pourroit faire une guerre plus forte fans faire fouffrir aucune des claffes néceffaires , claffes dont le dépériffement entraine la ruine de l'état. II n'y a que deux moyens plaufibles d'augmenter ia puhTance d'un état; la première fe fait en diminuant les travaux des hommes Sc en leur facilitant le bonheur; le fecond , en augmentant la population. Mais s'il arrivé qu'il naiffe dans un état plus d'hommes que n'en peut occuper la culture des terres 8c les arts que fuppofe cette culnire : que faire de ce fuperflus d'habitans ? Car, plus ils croitront en nombre 8c plus l'état croitra èn charges , Sc de-la la néceffité, ou d'une guerre qui confomme ce fuperflus d'habitans , ou1 d'une loi qui tolere comme a la Chine , 1'expofition des enfans. Tout homme fans propriété Sc fans erhploi dans une fociété , n'a que trois partis a prendre , ou des'expatrier Sc d'aller chercher fortune ailleurs, ou de voler pour fe procurer fa fubfiftance , ou d'inventer enfin quelque commodité ou parure nouvelle en échange de laquelle fes concitoyens fourniffent a fes befoins. On ne s'arrêtera point ici a confidérer ce que deviendra le voleur ou le banni volontaire, ils font hors de la fociété.Bornons-nous  9*. TABZEAV lïISTÖRlQUB: a confidérer ce qui doit arriver a J'inventeur d'une commodité ou d'un luxe nouveau. Si par exemple , il découvre le fecret de peindre Ia toile 8c que cette invention foit du goüt de peu d'habitans , peu d'entr'eux échangeront leurs denrées contre fa toile. Suppofons que le goüt de ces toiles devienne général, 8c qu'en ce genre on lui faire beaucoup de demandes, il s'afiociera un plus ou moins grand nombre de ces hommes qu'on peut appeller fuperflus , il levera une manufaéture , 1'établira dans un lieu commode 8c agréable fur les bords d'un fleuve , fi cela fe peut, pour. faciliter le tranlport de fes marchandifes. Suppofons encore que la multiplication continuée des habitans donne lieu a 1'invention de quelque nouvelle commodité 8c de quelqu'autre objet de luxe, 8c qu'il s'éleve encore une nouvelle manufaéture, aufTi-töt 1'entrepreneur placera autfi fur les bords d'un fleuve fa nouvelle manufadfure, il 1'établira même prés de la première. Bientót ces nouvelles formeront un bourg, Sc dans la fuite ce bourg deviendra ville confidérable : cette ville renfermera bientót des citoyens les plus opulens, paree que les profits du commerce font toujours immenfes, lorfque les négocians peu nombreux ont peu de concurrens. Les richefies ne tarderont pas a fluer dans cette ville, qui va devenir le féjour des plailirs: les riches propriétaires quitteront leur campagne pour y aller jouir des commodités que le luxe y procure ils pafferont quelques mois dans cette ville, 8c ils ne tarderont pas a y faire confiruire des hotels. Cette ville s'aggrandira de jour en jour, paree qu'il s'y  des Profinces - Unies. 95 rendra une affluence de perfonnes de toutes parts: Jes pauvres pour y trouver plus de fecours, les vicieux plus d'impunités, 8c les voluptueux plus de moyens de fatisfaire leurs goüts; 8c cette ville fera, a cette époque, ce que nous appellons ville capitale. VoWk les premiers effets de 1'extrême multiplication des citoyens. Voici un autre effet de la même caufe 5 c'eft 1'indigence de la plupart des habitans, leur nombre fe fera prodigieufement accru , il y aura plus d'ouvriers que d'ouvrages} la concurrence baifle le prix des journées5 1'ouvrier préféré eft celui qui vend moins chérement fon travail, c'efta-dire , qui retranche le plus de fa fubfiftance : alors 1'indigence attaque un plus grand nombre d'individus. Qu'arrive-t-il ? Le pauvre vend , le riche achete, le nombre des poftefleurs diminue , 8c les loix deviennént de jour en jour plus féveres. Avec des loix douces on peut régir un peuple de propriétaires: la confifcation des biens y fuffit pour réprimer les crimes. Chez les Germains, les Gaulois 8c les Scandinaves, des amendes plus ou moins fortes étoient les feules peines infligées aux différens délits; mais il n'en eft pas de même lorfque les propriétaires compofent la plus grande partie d'une nation : on ne les gouverne que par des loix dures. Un homme eft-il pauvre ? ne peut-on le punir dans fes biens ? il faut le punir dans fa perfonne , 8c de-la les peines afflictlves. Or , ces peines afflictives d'abord infligées aux indigens font, par le laps du tems, étendues jufqu'aux propriétaires , 8c tous les citoyens font alors régis par «des loix de fang ; tout concourt a les établir , 8t voici comment.  94 Tableau historique Chaque citoyen pofiède-t-il quelque bien dans un état ? Le defir de la confervation efi fans cön* tredit le vceu général d'une nation. Il s'y fait trèspeu de vols ; le plus grand nombre au contraire y vit-il fans propriétés ? Le vol devient le vozu général de cette même nation. Les brigands fe multiplient: qu'arrive-t-il alors ? C'eft que eet efprit de vol, généralement répandu, néceffite le plus fouvent a des adtes de violence. Les coupables trouveront fouvent les moyens d'échapper au chatiment, foit par la lenteur des procédures criminelles, foit par la facilité avec laquelle l'homme fans propriété fe tranfporte d'un endroit a 1'autre. Voila comme les crimes deviendront plus fréquens, & comme la trop grande multiplication d'hommes fans propriété, introduifant a-la-fois dans un empire des vices 8c des loix cruelles, y développe enfin le germe d'un defpotifme qu'on doit regarder comme un nouvel effet de la même caufe. C'eft pour parer a eet inconvénient que la Suifie ne fouffre que perfonne s'établifle chez elle fans fe procurer une bourgeoifie, paree que chaque bourgeoifie eft tenue d'entretenir fes pauvres ; auffi les voleurs y font-ils aulfi rares qu'ils font en grand nombre chez leurs voifins , qui leur en envoient afiez fouvent. Les anciens connurent les malheurs occafionnés par une extréme population : c'eft pour y parer , qu'ils eurent recours a mille moyens diftérens. Voila pourquoi 1'amour focratique en Crète prit confiftance comme les bordels dans les grandes villes de 1'Europe. II y a plus, c'eft que eet amour, dit M. Goques, confeiller au parlement, étoit autorifé  x) e s Provinces-Unies. 95 en Crète par les loix même de Minos. Un jeune homme , loué pour tant de tems , venoit-il a s'échapper de la maifon de fon amant, il étoit cité devant le magiftrat, St par 1'autorité des loix , remis jufqu'au tems convenu entre les mains de ce même amant. Le motif bizarre de cette loi, difent Platon St Ariftote, fut en Crète la erainte d'une trop grande population. Ce fut dans les mêmes vues que Pythagore commanda a fes difciples le jeune St 1'abftinence : les jeüneurs font peu d'enfans. Aux Pythagoriciens fuccéderent les Veftales, qui ont été remplacées par les moineffes St les moines, qui ont été pour la même raifon alfervis a la loi de la continence; ceux-ci, par conféquent, ne font que les repréfentans des anciens Pédéraftes. En Europe la confommation d'hommes occafionnée par la guerre , le commerce, la navigation St 1'exercice de certains arts eft très-confidérable, St par la même pare a la trop grande multiplication. Les uns difent qu'on ne travaille pas affez a la propagation de 1'efpece humaine , d'autres au contraire prétendent que les hommes font trop multipliés: les uns St les autres peuvent avoir raifon. II faut, pour la tranquillité d'un état très-peuplé, que la dépenfe en ce genre foit égale a la recette, ou que l'état, comme en Suiffe, prenne le parti de confommer dans des guerres étrangeres le fuperflus de fes habitans : c'eft probablement pour cette raifon que la France 8t 1'Angleterre font fi fouvent en guerre. On vient de rechercher les principes St les effets du développement des arts 8t des métiers de pre-  e6 Tableau histükique miere néceflité 6c de luxe ; voyons maintenant cömment a pu s'établir ra propriété des terres, par quelle gradation parmi les defcendans de cette alTociation d'hommes tous également libres 6c puiflans, il pourroit arriver, par la fucceflion des tems , que les uns impofent aux autres les frais de leur exiftence , ont acquis le droit de jouir de la plus grande abondance 6c d'entretenir une troupe de gens aufli inutiles qu'eux, tandis que I'exiftence d'une infinité d'autres eft précaire , qui ne peuvent fe procurer qu'une quantité infufhTante de denrées les plus groflïeres, 8c font condamnés a ne voir dans 1'avenir qu'une vieillefle prématurée que hatera immanquablement 1'excès de leurs maux 8c la perfpeétive d'une mifere affreufe 8c décourageante. Origine de la propriété des terres , & Jon étendue naturelle. L'homme nait avec 1'amour de fa confervation , amour aéfif qui le porte a fe procurer tous les objets qui y font propres , ou auxquels il attaché fon affeftion. II n'eft pas douteux que ce fentiment inné le met dans un état de guerre continuelle avec fes femblables , qui convoitent les mêmes chofes que lui : état de guerre d'autant plus violent , qu'il fe trouve un plus grand nombre d'hommes, puifque les chocs de concurrence font toujours proportionnelles a ce nombre. II fuit de ce principe , que ft une quantité quelconque d'hommes fe trouvent a portie les uns des autres , il ne pourront avoir la fubhftance 8c leur vie même aflurées , qu'autant que par un intérêt commun ils conviendront enfemble  des Provinces-Unies. 07 ble de quelques droits de propriété 8c qu'ils donneront a un ou a plufieurs d'entr'eux 1'autorité néceffaire pour les faire refpecter lui-même. D'ailleurs les premiers hommes n'avoient pas feulement a combattre contre leurs femblables , mais encore contre les animaux carnaciers. Or, l'homme qui de fa nature frugivore 8c carnacier , eft d'ailleurs foible , mal armé 8c par conféquent expofé a la voracité d'animaux plus forts que lui j l'homme, dis-je , fe vit donc obligé de fe réunir a fon femblable, tant pour fe nourrir que pour fe fouftrairea la fureur du tigre Sc du lion : quel fut 1'objet de cette union ? Ce fut d'attaquer , de tuer les animaux , ou pour les manger , ou pour défendre contr'eux les fruits ou les légumes qui lui fervoient de nourriture. Bientót l'homme fe multiplia \ comment vivre ? II lui fallut cultiver la terre. Mais pour 1'engager è femer ne falloit-il pas que la récolte appartïnt a 1'agriculteur : pour eet effet ne fallut- il pas que les affociés firent au moins tacitement quelques conventions &C quelques loix. Ces loix refferrerent les liens d'une union qui, fondée fur des befoins réciproques, étoit 1'effet immédiat de la fenfibilité phyfique. L'intérêt 8c le befoin furent donc le principe de la réunion des premiers hommes 5 puilque fe fentant trop foibles pour veiller féparément a leur confervation, ils fe virent forcés par les circonftances a fe donner mutuellement des fecours \ voitè pourquoi plufieurs confentirent a vivre enfemble , 8c eet accord fut le premier fondement des fociétés: 8c ils ne purent fe propofer d'autre but , finon qué leur union fut avantageufe i chacun en particulier 8c a tous Tome II. G  5>8 Tableau nis tori que enfemble. II ne reftoit plus qu'a concilier les intéréts différens, 6c a les faire concourir a un feul 6c a un même intérêt général ; ce qui probablement aura occafïonné bien des difputes , des animofités St des combats, premiérement entre les families, enfuite parmi les différentes hordes. Aux premières rencontres de ces combats , il en fera réfulté des haines , des animofités 6c des vengeances ; le fang aura coulé ; le plus fort n'aura pas été plus en füreté que celui qui 1'eft le moins. Tout homme comparé a un autre eft plus fort ou plus foible fuivant fes relations. Celui qui a intrinféquement plus de force perfonnelle aura fuccombé fous fon adverfaire, fi ce dernier 1'a furpris ou attaqué avec avantage : Virtus andolus quis in hqfte requirat. Deux? foibles maltraités féparémenr, fe feront réunis contre un fort qu'ils auront fait périr , Sc 1'inftant d'après devenus ennemis , ils auront verfé le fang 1'un de 1'autre. II n'eft pas pofïïble que les hommes n'aient fait enfin des réflexions fur une fituation auflï miférable, Sc fur des calamités auxquelles ils ne voyoient point de fin : il eft probable que le riche preffé par la néceffité , concut enfin le projet le plus réfjéchf qui foit jamais entré dans 1'efprit humain : ce fut d'employer en fa faveur les forces même de ceux qui fattaquoient, de faire fes défenfeurs de fes adverfaires , de leur infpirer d'autres maximes , Sc de leur donner d'autres inftitutions qui lui fuflènt auffi favorables que le droit naturel , Sc il aura harangué fes voifins a-peu-près , en ces termes : fi 1'on en croit Jean-Jacques Rouifeau,(page 135,  DES P ROVIM CES-UJ>i1ES, 99 Difcours fur Vinégalité.) » Unifiöns-nous, leur dit» il , pour garantir de 1'oppreffion les foibles , » contenir les ambitieux , 8c affurer a chacun la » pofleffion de ce qui lui appartient: inftituons des » régiemens de juftice 8c de paix auxquels tous » foient obligés de fe conformer , qui ne falfent » acception de perfonne 8c qui réparent en quel» que forte les caprices de la fortune , en foumet» tant également le puiffant 8c le foible a des de» voirs mutuels: en un mot, au lieu de tourner » nos forces contre nous-mêmes, raftemblons-les » en un pouvoir fuprême qui nous gouverne felon » de fages loix , qui protégé 8c défende tous les » membres de TafTociation , repouffe les ennemis » communs , 8c nous maintienne dans une conj) corde éternelle.» Sice ne fut pas ce difcours, ce fera probablement un autre pour le moins auffi éloquent , que quelque rufé mattois aura adrelfé a la multitude pour Ia captiver , 8c la faire réfoudre è facrifier une partie de fa liberté a la confervation de 1'autre, comme celui qui auroit un membre gangréné fe le feroit couper pour fauver le refte du corps. Telle fut, ou dut être 1'origine de la fociété 8c des loix, qui donnerent de nouvelles entraves au foible , 8c de nouvelles forces au riche , détruifirent fans retour la liberté naturelle , fixerent pour jamais la loi de propriété, 8c de I'inégalité d'une adroite ufurpation firent un droit irrévocable , 8c pour le profit de quelques ambitieux , affujettirent deformais tout le genre humain au travail , a la fervf eude 8c a la mifere. Ainfi conclut Jean - Jacques G z  ioo Tableau historiqum Rouffeau. Mais pour ne rien outrer , voici ce qu'H' y a de plus probable. Comme les premiers affociés avoient tous éprouve que le droit a une liberté illimitéé qu'ils avoient tous également , nuifoit également a tous. Alors tous convaincus de la néceffité d'abandonner une partie de leur liberté , pour obtenir en échange les fecours dont ils avoient befoin , ils contracterent enfemble , du moins tacitement , aux conditions que d'un cöté , chacun s'engageat a ne rien faire qui put être contraire au bien de tous , & que de 1'autre cóté tous s'engagerent a protéger enfemble chacun d'eux. Ce n'eft pas que je veuille affurer que les premiers affociés ne fe foient réunis qu'après s'être bien expliqués fur les conditions de leur union. Ils n'ont pas été dans la néceffité de faire les raifonnemens que je fuppofe ; mais les circonf tances qui les auront conduits , auront pour ainfi dire raifonné pour eux. Les obftacles qu'ils trouvoient a leur confervation lorfqu'ils étoient féparés , fuffifoient feuls pour les réunir. Une fois réunis , ils ont fenti la néceffité d'agir de concert ; agilfant de concert, ils ont tous concourut au bien de tous, St dès-lors chacun d'eux a limité fa liberté , ou plutót aucun n'a eu 'le tems d'imaginer qu'il avoit droit a une liberté illimitéé. D'oü il réfulte que, foit qu'ils fe foient expliqué ou non , la fociété n'en a pas été moins fondée fur leur confentement , Sc ce confentement eft donné , puifqu'ils continuent de vivre enfemble. II elf feulement a remarquer que les conditions, au lieu d'être expreffes, ne font que tacites. Si des circonftances ont commencé leuj  hes Provinces-Vnies. ioi union , d'autres circonftances auront peu-a-peu fait découvrir les moyens de la rendre plus avantageufes. Les ufages qui paroiffent les plus propres a produire eet effet , fe feront introduits d'eux-mêmes ; ils auront été recus par un nouveau confentement tacite , qui auront été comme autant de conventions qui ont ia même force que iï elles étoient expreffes, que ce foit a un ou a plufieurs que les nouveaux affociés aient conféré le maintien des loix auxquelles la néceffité les avoit contrahit de fe foumettre , celui ou ceux qui auront fixé leur choix , auront probablement été les plus capables d'entr'eux, ils auront été les membres les plus favorifés de la fociété , Sc ils auront joui de toutes fortes de préférences. Si la fociété a d'abord été trop petite & les loix peu nombreufes , le chef ou. les chefs pouvant remplir par cux-memes tous leurs devoirs, i! n'y aura point eu d'ordre hiérarchique. L'état des chofes étant tel que les occupations du chef ou ces chefs leur laiffoient le tems de travailler comme particulier : leur devoir confiftoit alors a montrer 1'exempie de tout ce que les nouveaux affociés devoient faire. C'eft-la pofitivement l'état oü les Européens ont trouvé , & oü 1'on voit encore .une partie des fociétés de fauvages dans 1'Amérique feptentrionale 5 8c les premières fociétés ne furent pas d'abord autre chofe. Combien de fiecles il a ■fallu pour que les arts fe foient perfe&ionnés. Le premier aura été 1'agriculture comme le plus néceffaire , chacun fe fera fait fa cahute oü il 1'aura jugé a propos, & aura défriché 1'étenduede terrein qiïÈ aura pu : il eft probable qu'il fe fera borné au O i  't&l T A StBAU RiSTORlQ VS fïmple néceffaire; mais le terrein oü il fe fera fixé, lui aura appartenu comme au primo occupanti. On aura alfuré a chacun la propriété de ce qu'il travailloit de fes mains , 8c le produit des champs qu'il cultivoit. On fera encore convenu du moins tacitement d'accorder a tout homme qui aura cultivé un champ, le droit de continuer par la fuite a le cultiver de préférence a tout autre nouveau venu. Outre que cette convention eft naturelle , elle a fon utilité. N'eft-il donc pas a préfumer qu'un homme en travaillant toujours les mêmes terres, connoitra mieux ce qu'elles peuvent produire 8c 1'efpece de travail qu'elles demandent j qu'il ne cherchera pas a les épuifer ; qu'enfin il en tirera meilleur parti que qui que ce foit. Si cette convention n'avoit pas eu lieu , chacun voulant cultiver les meilleurs fois , n'en réfulteroit-il pas des querelles, 8c des combats fans fin, 8c l'homme qui ne feroit attaché k rien, deviendroit néceflairement vagabond. Nature du droit de propriété. La propriété du champ , de la maniere même dont on concoit parmi nous , n'eft autre chofe que cette préférence a le cultiver. L'efprit de la loi qui établit la propriété des terres, n'a pu être autre que d'accorder une fimple préférence a leur culture. N'eft-il pas évident que la loi n'a jamais pu avoir en vue de donner a des citoyens le droit de rendre inutiles, s'ils le veulent, les terres de l'état en ne les cultivant pas ? Ne parok-il pas patla qu'on doit perdre le droit de propriété qu'on a fur une terre, quand on la laiife tombcr en friche ?  DES PROVl NCSS-UNIES. I03 C'eft pour cetre raifon qu'en France Sc prefque par-tout ailleurs, on n'a jamais héfité de porter, pour le bien de l'état, des loix qui accordent les terres incultes a ceux qui voudroient les mettre en valeur. Hérédité du droit de propriété. Le droit de préférence a cultiver nne terre doit naturellement pafter du pere aux enfans \ car, outre que les enfans ont déja pris polfeflion du champ en aitlant leur pere a travailler, le pere , dans la vue du profit que ceux-ci doivent en tirer parti, y fera toutes les améliorations pofhbles : on ne voit d'ailleurs aucune raifon qui porte a transférer ce droit a d'autres. Refiriclion qu'on pourroit oppofer. L'établissement du droit dont il s'agit ici ■ ne peut évidemment produire aucun abus, tant qu'il ne s'étendra qu'aux terres que chaque familie pourra cultiver par elle-mcme. Sans 1'y bomer par aucune loi, il s'y trouvera naturellement reftreint, tant que toutes les terres , du moins celles d'une certaine bonté , ne feront encore ni défrichées ni occupées; car celui qui, par différentes caufes qu'on va détailler , pofféderoit plus de champs qu'il n'en pourroit cultiver , ne trouveroit perfonne qui lui fit un avantage pour travailler a fa place : chacun auroit a prendre pour foi-même affez d'autres terreins. Le propriétaire feroit donc obügé d'abandonner au premier occupant les terres qu'il auroit .de trop.:, mais quand tout fera cultivé , ce droit de G 4  io4 Tableau nis tori que préférence donnera lieu a des accenfemens Sc § des baux: on va le voir. De Finégalité des pojfefions. Des accenfemens & des baux. Origine des accenfemens & des baux. La différence de population , d'indultrie 8c de goüt au travail , fera bientót naitre des partages confidérablement inégaux. II en réfultera que les uns auront trop 8c les autres trop peu de terres, Sc les indigens fe trouveront forcés de contradfer avec ceux qui feront furabondans en polfeflions, lorfque toutes les bonnes terres feront cultivées. Première caufe naturelle de l'inegalité des poffefions. Supposons que dans le moment de la pleine culture il fe trouve, comme il doit naturellement arriver par la variété des accidens, que de deux families compofées chacune de quatre enfans, 1'une augmenté jufqu'a fept, 1'autre au contraire diminue 8c fe réduife a un ; le fils unique héritera feul d'aurant de poffeflions que les fept enfans de 1'autre familie en hériteront entr'eux : le premier aura trop 8c 1'autre trop peu. Si la loi avoit mis au droit de préférence Sc a la culture la reftridtion dont j at fait mention ci-deflus , tout ce qui réfulteroit de ces deux états de familie, c'efi- que la plus nomforeufe reprendroit pour foi les terres que 1'autre feroit obligée d'abandonner; mais fi la loi laiflé ce droit fans reftriaion, alors la familie nombreufe ne pouvant retirer de fes fonds qu'une fubfiftance trèsinfiiffifantej fera obligée de contracter avec 1'autre.  des Provin ces-Unie s. i©5 Les pauvres diront aux riches: « Donnez-nous vos » terres pour que nous ayons un moyen de vivre 5) en travaillant, 8c nous vous donnerons une partie » des fruits que nos travaux leur feront rapporter. » Ce contrat fait, fi le riche cede fon droit a perpétuité, voila un accenfement, 8c s'il ne le cede que pour un tems , c'eft un bail. Droit naturel des furabondans pojjefeurs. IM'est-il pas naturel, ne fcroit-ce que pour éviter les conteftations , que la loi laine au poffeffeur d'une portion furabondante de champs, le droit de choifir a celui qui doit cultiver a fa place ce qu'il en abandonne ? II n'en faut pas d'avantagcpour établir les eens. II y aura donc des gens qui recueilleront dans les champs qu'ils n'auront pas enfemencés, 8c qui tireront du cultivateur fans lui rien rendre. Seconde caufe de ïinêgalitê des pqfejfions. La même inégalité de fortune entre les families peut venir du plus d'induftrie 8c du plus de goüt au travail, comme celle qu'on vient de voir naitre de leur différence de population , 8c a la longue cette inégalité peut fe trouver très-grande. Mais ce qu'on vient de dire ici au fujet de 1'induftrie 8c du goüt au travail, ne peut avoir lieu qu'autant que les arts 8c les métiers de luxe déja connus donneroient lieu aux cultivateurs de faire ufage des denrées qu'ils pourroient faire venir au dela de leur néceffaire, fans cela ceux qui auront de bonnes tmes, fe bornant a une quantité déterminée de  ioiS Tableau m storique denrées en cultiveroient toujours, d'autant moins qu'elles feroient plus fécondes: nul ne feroit dans le cas de 1'abondance , elle feroit parfaitement inutile : nul ne travailleroit a avoir plus de poffeflïons qu'un autre. Troijieme caufe de Vinégalité des pqjjejfwns. Les richeifes pourroient encore devenir inégales, quand même la loi, regardant tout accenfement 8c tout bail comme contraire au droit naturel , les défendroir exprcflément. II eft des fonds qui rapportent beaucoup fans être travaillés: tels font les prés 8c les bois. Chaque cultivateur , dans le principe, en a du avoir proportionnellement aux champs qu'il cultivoit : plufieurs parts venant par la fuite a fe réunir, ne doit-il pas fe trouver des hommes qui, en abandonnant même fans retenue les champs qu'ils auroient de trop a ceux qui voudroient les cultiver, auroient de quoi vivre dans 1'aifance par 1'échange de leur excédent de fourrages Sc de bois contre d'autres denrées ? Inutilement prétendroit - on que ces fonds , qui ne demandent point de culture, duffent refter en commun ■■, l'état ne peut pas le fouffrir fans en voir le dépériffement. Le propriétaire d'un fonds quelconque en eft Ie gardien aux yeux du gouvernement. Quatrieme caufe de Vinégalité des pojj'ejfions. Les champs étant plus ou moins bons, approchent plus ou moins de la nature des prés, putfque 3es meilleurs rcndent plus a travail égal. II fe trouvera qu'une partie des cultivateurs aura toutes  hes Provinces-V nies~. i®7 lbonnes terres 8c que d'autres n'en auront que de mauvaifes: les premiers recueilleront beaucoup plus que les autres; par cela feul il y auroit des riches &C des pauvres. Quand les cultivateurs, devenus nombreux auront défriché toutes les bonnes terres par leur augmentation fncceffive , 8c par la continuité du défrichement qui la fuivra néceffairement, il fe trouvera un point oü il fera plus avantageux a un nouveau colon de prendre a ferme des terres fécondes , que d'en défricher de nouvelles beaucoup moins bonnes : 1'ufage des baux s'établira encore par cette voie. Ces hommes étant tous libres, ne paroitroit - il pas injufte de les empêcher de contraster enfemble pour leur avantage commun. Raifons décifives en faveur de l'établijfement des eens. Il eft une raifon bien plus forte en faveur des contrats d'accenfernent ou de baux. Raifon qui doit non - feulement les faire permettre ; mais encore les faire regarder comme nécelfaires, c'eft qu'il faut du bétail pour cultiver , 8t des avances pour défricher. Ne peut - il pas arriver a une familie des accidens qui détruifent fon bétail \ cette familie ne peut-elle pas elfuyer un incendie 8c perdre tout ce qu'elle a d'avances : ne peut - il pas arriver que des enfans lahfés en bas age aient confommé dans leur enfance, tout ce que leur pere leur avoit laiffé d'économie , &C parviennent dénués de tout a 1'age de travailler:, ne pcut-il pas leur furvenir des infirmirés ? Si 1'on ne peut pas dire  IC?? TABLEAV E IST0R1QU E que dans tous ces cas, les families malheureufes ne pourroient abfolument pas travailler fans fecours. On voit du moins qu'il leur fera avantageux 8c plus expédient d'affirmer des champs féconds, ou de demander a ceux qui auront été plus heureux , des avances qui les rétabliifent fur-le-champ , a charge de payer a leurs bienfaiteurs un eens ou un intérêt convenu , que de s'en tenir a 1'unique reffource de travailler de leurs bras comme journaliers. Sile chef d'une familie malheureufe ne prenoit pas un de ces partis, cette familie refteroit long-tems dans des fouffrances auxquelles fuc* comberoit peut-être une partie de ceux qui la compofent : le moins qui en pourroit arriver, c'eft qu'elle feroit réduite a une population moins forte. Ainfi , les defcendans des cenfitaires dans 1'origine , doivent fouvent leur vie aux fecours que leur familie a recus des ancêtres 8c de ceux a qui ils paient le eens. Cette raifon de 1'attache du eens a la poftérité du cenfitaire , eft la même que celle qu'on donne de 1'extenfion de 1'efclavage a la poftérité de 1'efclavage. II eft probable que fi 1'inégalité des richeffes n'avoit point eu d'autres fources que celles dont on vient de parler, elle n'auroit jamais été aufti grande que nous la voyons en Europe. Dans le vrai, les accidens qui la produiroient feroient rares , 8c pourroient fe contredire ; celui qui a été fils unique 8c feul héritier d'une portion de terre étendue 8c féconde, pourra devenir pere d'une quantité d'enfans qui donnera le jour a une poftérité nombreufe. Celui qui aura gagné un eens fur im autre , en lui prêtant pour rétablir fa maifon ,  DES PROyiNC es-Un 1 e s. ico pourra être forcé a le perdre par le feu qui prendra a la fienne , Sc ainfi du refte : il a donc fallu une autre caufe pour porter cette inégalité au point oü elle fe voit a préfent. Nouvelles caufes de Tinêgalité des pojjejfions. L'usage de 1'argent, ou plutöt le profit qu'on a trouvé dans les entreprifes qu'il donnoit occafion de faire , eft une des plus grandes caufes de la vente des terres Sc de Tinêgalité des richeffes. Les charges de Tétat , la multiplication des befoins qui eft venue de Thabitude des aifances, en font encore d'autres caufes. On a autorifé la vente des terres. Qu'en eft - il réfulté ? que celui qui s'eft enfin trouvé riche par quelque voie que ce fut, a eu un moyen pour augmenter continuellement fes richelfes &C pour les porter par le laps du tems a un point prodigieux 8c au dela de toutes bornes. L'heureux héritier a voulu en acquérant de nouvelles poffefiions, augmenter fon bien-être 8c fixer Ie bonheur fur lui Sc fur fa poftérité. Les artiftes d'une capacité audeflus de la médiocre , par Texcès de leurs gains, Sc les gentilshommes par un peu d'économie, ont été en état d'acheter 5c Tont fait. Depuis ce tems , tout cultivateur qui a eu un accident confidérable, s'eft vu ainfi que fes defcendans ruiné a perpétuité, Sc toutes les terres ont été bientót enlevées aux premiers poffeffeurs qui les cultivoientde leurs mains. Onne s'arrêtera point ici a confidérer, fi la faculté de s'approprier les terres par achat eft ou «'eft pas contraire au droit naturel. Plus d'un peu-  ii© 'Tableau h is tori que ple dans 1'antiquité ne le permit pas. Chez d'autres peuples les moins riches 8c les plus forts , ils dépouillerent les puhTans 8c rétablirent dans le partage des terres, 1'égalité primordiale : pour prévenir le retour de 1'abus qu'ils détruifoient, ils fixoient pour toujours Ja quantité des terres que pourroit poüeder un chef de familie. Dans 1'empire Romain , le bas peuple qui avoit droit d'élever la voix, trouvoit fort abufif ce droit illimité de pofféder des terres. II fe fouvenoit toujours que dans le principe , elles avoient appartenu par part égale a tous les citoyens. Le pauvre demanda plus d'une fois a main armée aux riches, de rentrer 1'un 8c 1'autre dans la condition de leurs peres. Mais loin de regarder ces monumens hiftoriques comme une autorité qui puilfe appuyer 1'opinion qui condamne la vente perpétuelle 8c la pohe/Tion illimitéé des terres, on ne peut s'empêcher de trouver cette demande ridicule , dans un peuple comme celui de Rome qui penfoit qu'on pouvoit fe vendre foi - même pour de 1'argent , 8c réduire en même tems fes defcendans a 1'obligation d'être efclaves aux mêmes termes que le font les negres que 1'on emploie en Amérique. Coup - dceil fur la claffe des poffeffeurs des terres» On a vu jufqu'ici toutes les claffes fe foutenir mutuellement. Les cultivateurs en fe multipliant font augmenter Ja claffe des gens aifés 5 ceux-ci font multiplier avec eux les artiftes 8c les ouvriers de commodité 8c de luxe. Toutes ces claffes enfemble un devenant plus fortes font augmenter leg,  des Prqvin ces-Unies, m 'travaux 8c Ie gain, 8c conféquemment le nombre des ouvriers des profeflïons nécelfaires. Mais la claffe des propriétaires des terres ne tire rien de 1'accroiffement des autres. Sa maffe de denrées eft fixe comme fes fonds : elle eft obligée d'arrêter fa population dès le moment oü elle fe forme. Elle n'a pour foutenir Ion accroilfement naturel, que la voie de faire continuellement de nouvelles acquilitions: voie difficile 8c incertaine , auffï vraifemblablement dès qu'elle fera un peu forte , elle croïtra plutöt en nombre par 1'addition de nouveaux citoyens heureux ou induftrieux, que par fa population naturelle. Dès qu'il y a des poffeffeurs de terres, 1'un fe fe plak a économifer pour acheter de nouveaux fonds ; 1'autre diffïpera 8c vendra les hens: fi 1'un a beaucoup d'enfans , 1'autre n'en aura pas , ainfi du refte. L'établiffement des propriétaires des terres diminue dans l'état la maffe des denrées : cela eft évident, puifqis'il diminue le défrichement. Qu'un cultivateur qui a cinquante arpens de terre labourables , 8c cinquante autres en prés 8c en bois, afferme ces fonds a un autre citoyen , il n'y aura plus dans l'état qu'un cultivateur , au lieu de deux , le fermier auroit été obligé de défricher , s'il n'avoit pas trouvé a travailler des terres toutes préparées : la maffe des denrées en eüt été plus grande. Voici encore un nouveau mal que produit 1'établiffement de la claffe des poffeffeurs de terre, c'eft que la claffe des artiftes, celle des ouvriers de commodité Sc de luxe , diminue Sc fe  112 TASLEA V U 1 S T O RIQV E trouve dans une grande fouffrance , lorfque cello des poffeffeurs des terres commence a fc former, Le fermier 8t le propriétaire vivant fur les mêmes fonds, ce font deux families au lieu d'une , qui prélevent le néceffaire fur leur produit, avant que rien n'en puiffe être facrifié au commode. Le propriétaire moins riche qu'auparavant de tout ce qu'il laiffe au fermier, ne trouve plus autant a donner a 1'aifance. A mefure que 1'ufage d'aifermer les terres s'étendra , le nombre des gens aifés diminuera. Lorfque les richeffes feront devenues fort inégales par le long ufage d'affermer 8t de vendre les terres, la claffe des ouvriers de luxe augmentera. En voici la raifon : c'eft que cette claffe qui ne tiroit d'abord fa fubfiftance que du fuperflu des gens aifés St de celui du cultivateur , recevra une augmentation de travail 8t de gain de la part des riches poffeffeurs' des terres. Le luxe doit fa naiffance a 1'inégalité des richeffes 8t en fuit toujours les progrès. Les ouvriers de luxe devant être dans 1'aifance , les ouvriers de commodité fe multiplieront avec eux. Mais li 1'on vient a mettre une impofition trop aggravante , on ne p ourra plus rien affermer : qu'en réfultera - t - il ? Le néceffaire du cultivateur 6t 1'impót, abforberont le produit de toutes les terres. Les fonds n'auront plus d'autres poffeffeurs que ceux qui les auront travaillés, ou plutót l'état aura été le vrai propriétaire de tous les fonds. L'augmentation des impóts doit vifiblement diminuer la maffe des denrées que ces poffeffeurs non - cultivateurs recoivent. Cette claffe en doit fouifrir feule le cultivateur qui doit toujours préle* vet  DES PrOVINCES-UnIES. 113 ver fon néceffaire, 8c fe réfervera', malgré le furcroït d'impöts, la même quantité de denrées. La claffe des employés pour le gouvernement , en fouffrira d'autant moins, que c'eft a fon profit que les impöts s'établiffent \ les différentes claffes d'ouvriers refteront dans leur état, paree que fi les poffeffeurs des terres devenus moins riches , les emploient moins 8c leur font moins gagner : les gens aifés & autres devenus plus nombreux 8c plus riches , les cmploieront davantage. Tant qu'il y aura de nouveaux fonds a défricher, les cultivateurs auront un fort affuré 8c feront a 1'abri des vexations des poffelfeurs de terres. Leur condi- ! tion fera bonne , on leur laiffera prendre fur les fonds , au dela du néceffaire. II eft vifible que perfonne ne trouveroit a affermer, s'il ae laiffoit a fon fermier plus que celui - ci ne pourroit gagner en défrichanf. Mais quand tout fera occupé 8c défriché , les propriétaires devenus les maitres des cultivateurs, après été avoir réduits au plus fimple néceffaire, pourront, fi le gouvernement n'y met la main , le forcer encore, a fe retrancher pour partager avec eux le poids des nouveaux impöts. Alors la claffe des colons ne recevant plus une quantité fuffifante de denrées , dépérira Sc fera tomber toutes les autres claffes avec elle. Dans tous les états de 1'Europe il y a un conflict continuel entre la claffe des propriétaires 8c celle des cultivateurs , 8c ce conflicl: devient toujours plus fenfible a chaque impót que 1'on met fur les terres, jufqu'a ce qu'ëhfin 1'impót étant au plushaut, ; 'la claffe des propriétaires foit entiérement étcinte, Tome II. H  ii4 Tableau historlqus Moyens employés en divers lieux pour arrêter les vexations des poffeffeurs des terres. Sous les deux premières races des rois de France 6c encore affez fouvent fous la troifieme , les payfans ne payoient d'impöt qua leurs feigneurs. Charlemagne pour empêcher que les grands feigneurs ne nuififfent a la population du royaume, en exigeant du cultivateur plus qu'il ne pouvoit donner, après avoir fixéce que le cultivateur devoit rendre au. feigneur de la terre,défendit qu'on augmentat jamais leurs charges. On peut voir fes Capitulaires , Liv. V. Pierre premier, empcreur de Ruflie , s'y prit d'une autre maniere pour protéger les cultivateurs. Dans ces états, les gentilshommes levent 1'impöt a leur profit fur les payfans de leurs terres qui font leurs efclaves. Enfuite ils paient au gouvernement les impots auxquels ils font eux-mêmes taxés. Cet Empereur impofa tous les gentilshommes proportionnément au nombre de payfans qui leur appartiennent lors de fon édit , 8c il ordonna que li le nombre en diminuoit, le gentilhomme paieroit toujours la même fomme , 8c que s'il augmentoit, il ne paieroit pas davantage. Par ce moyen Pierre premier crut engager fes gentilshommes a ne point détruire leurs payfans par des vexations. Dans beaucoup de républiques anciennes , on ne vouloit pas que les citoyens travaillaffent au commerce , a 1'agriculture ni aux arts : ils ne devoient s'occuper que des exercices qui ont rapport ït la guerre. Ön ne reconnoiffoit auffi pour citoyens que les poffeffeurs des terres : ils étoient cenfés  DE& PROriNCES-UjSrjES. 11$ faire le fonds de l'état. Après avoir examiné les différentes caufes de rinégalitédespoffeffionsde terres, jpromenons maintenant nos regards fur le partage trop inégal des richelfes nationales. Goup-d'ozilfur la trop grande inégalité des richeffes nationales. En Afie les Souverains accumulerent les richeffes de l'état fur un petit nombre de grands, Scles revêtirent d'un pouvoir exceffif; ces grands alors fe plongerent dans leluxe 8c languirent dans la corruption. C'eft pour la même raifon qu'il fe fait aujourd'hui dans les nations Européennes, une répartition de richeffes qui, plus inégale 8c plus prompte dans le gouvernement defpotique que dans tout autre , les précipite plus rapidement a leur ruine. Plus un prince croit en pouvoir , plus il a de richeffes a fa diipofition convoitées par fes favoris ; ceux-ci fous le vain prétexte de rendre fa perfonne plus refoectable 8c plus impofante , affeéterent de la voiler a tous les yeux , 1'approche en eft interdite aux fujets. Le monarque devient un dieu invifible j il fe trouve bientót, fans le favoir, rélegué par fes favoris dans un ferrail oü dans le cercle étroit d'un petit nombre de corrupteurs , dans le fein defquels vont s'abforber toutes les richeffes nationales , c'eft-a-dire, dans un petit nombre de families. En Europe comme en Afie le defpote s'aime de préférence aux autres j il veut être heureux & fent,comme le particulier,qu'il participe a la joie 8c a la trifteffe de tout ce qui 1'environne. Son inféiët eft de s'attacher fes courtifans •, 1'or eft ün Hz  n6 Tableau historique moyen für ,• mais leur foif pour ce mérail eft infatiable. S'ils font a eet égard fans pudeur , comment leur refufer fans ceffe ce qu'ils lui demandent toujours ? Si peu d'hommes ont ce courage , il ne pourra donc fe difpenfer devuider fans difcontinuer labotarfe defes peuples dans celle de fes courtifans, 8c c'eft entre fes favoris qu'il partagera prefque toutes les richeffes de l'état. Le defpote fera fourd au cri de la mifere publique , il continuera de verfer dans le fein de fes favoris toutes les reffources de fon empire jufqu'a ce qu'il arrivé une révolution. C'eft donc le pouvoir arbitraire qui hate le partage inégal des richeffes nationales. Mais | quoi attribuer la trop grande inégalité des fortunes des citoyens. C'eft ce qu'on fe hate d'examiner. De la trop grande inégalité' des fortunes des particuliers. Dans tout pays oü des loix fages commandent a des hommes libres , ( 5c ces pays font peu communs , ) nul homme ne s'arroge impunément Is droit d'appauvrir fa nation , pour s'enrichir lui Sc quelques particulier*. Cependant dans ces heureufes contrées oü la raifon fe fait entendre , tous les citoyens ne jouiffent pas de la même fortuné , cela eft même impoflible : comme les richeffes ont une pente naturelle a fe réunir , cette réunion s'y fait avec le tems, quoique lentement , la raifon en eft toute limple. N'eft-il pas vrai que le plus induftrieuxj gagne plus , que le plus ménagé épargne davantage , 8c qu'avec des richeffes acquifes il doit eri acquérir de nouvelles. Ajoutez a cela que de tems  bes Provin ces -Unies. ï'17 & autre il eft des héritiers qui recueillent de grandes fiicceflions •, des négocians mettent de gros fonds fur leurs vaiffeaux Sc font de gros gains ^ or , en toute efpece de commerce , n'eft-ee pas 1'argent qui attire 1'argent ? Son inégale diftribution eft donc une fuite de fon introdudtion dans un état. II eft de la fageffe d'un état bien organifé d'empêcher Ia réunion des richeffes en peu de mains •■, fur-tout quand elle eft trop rapide , 8c voici comment. Empêcher qu'un peuple fe déclare héritier de tous les nationaux , Sc a la mort d'un particulier très-riche répartir entre plufieurs les biens trop confidérables d'un feul. Proportionner tellement les impóts a la richeffe de chaque citoyen , qu'au dela de la polfeilion d'un certain nombre d'arpens , 1'impót mis fur ces arpens excede le prix de leur 'fcrmage i fous un gouvernement qui prendroit de li fages précautions, croit-on qu'il s'y fit de grandes acquilitions ? Combien de loix de cette efpece il eft facile d'imaginer ; il n'eft donc pas impoffible de s'oppofer a la trop prompte réunion des richeffes dans un certain nombre de mains , Sc de lutter avec fuccès contre les progrès rapidcs du luxe. II eft vrai que dans un pays oü 1'argent a cours,' on ne peut pas fe promettre de maintenir toujours un jufte équilibre entre les fortunes des citoyens : on ne peut pas empêcher qu'a la longue les richeffes ne s'y diftribuent d'une maniere très-inégale, Sc qu'enfin le luxe ne s'y introduife Sc ne s'y ac1 crohTe. Le riche fourni du néceffaire , mettra toujours ie fuperfu dj fon argent a 1'achat des fuperfluités, 5c'des loix fomDmaircs feroiert infuffifantes H3  n8 Tableau vistöriqve pour réprimer en lui ce defir. Dans tout pays oü 1'argent eft une fois introduit & toujours inégalement partagé entre les citoyens , il y devient un principe d'activité dont la deftruÖion entraine tot ou tard celle de l'état. Les métaux font-ils néceffaires dans un état, 8c comment peut-on apprécier leur valeur ? Coup-dozil fur la valeur réelle des métaux. Si les métaux ne font pas d'abfolue néceflïté a un peuple pafteur, ils le font en quelque forte a un peuple cultivateur j car il faut a celui - ci des maifons dans lefquelles ces métaux entrent, tant par la liaifon des matériaux que pour quantité d'autres ufages: il faut des outils de mille efpeces qu'il eft avantageux de conftruire des matieres les plus réfiftantes & les plus durables. Le métal doit néceffairement avoir chez tous les peuples une valeur réelle , c'eft-a-dire , repréfenter une portion de denrées 5c de toute autre marchandife. La moindre valeur dun métal. Quand même les mines feroient aulfi comjnunes que les carrières 6c le fable , un lingot de métal s'échangera toujours au moins contre une quantité de denrées égales a ce qu'en auroient pu faire venir les ouvriers qui 1'ont fondu 8c purifié , s'ils avoient travaii'lé a la terre au lieu de travailler a la mine: c'eft la loi de l'équilibre. Valeur relative. C'est par leur rareté 8c leur meilleure qualité  des Provinces-Unies. iï$ que fe détermine la valeur des différens métaux. On comprend ici, fous le terme de rareté , nonfeulement le moins d'abondance des mines St le plus de difficulté a rencontrer dans leur exploitation ; mais encore le plus d'ufage qu'on ait a faire du métal. C'eft le grand ufage qu'on en fait, qui augmentant fa confommation St multipliant les demandes des acheteurs , forme fa vraie rareté dans le fens du commerce: elle produit le même effet fur fa valeur que li fa maffe étoit diminuée. Par meilleure qualité , on entend la falubrité , la duétiiité , le liant, le poli, le brillant St la dureté. Avantages du cuivre fur le fer. ■ Le cuivre , par fon exces de valeur fur le fer, nous donne un exemple frappant de ce que peuvent la dudtilité , le brillant St la rareté fur le prix des métaux : fi 1'on excepte les pieces d'artillerie qu'il rend plus fortes a pefanteur égale , il pourroit être remplacé par-tout avec avantage par le fer. Cependant , malgré ce qu'il a de mal fain 8t le danger oü nous met fon ufage , on le recherche , on 1'emploie dans toute occafion de préférence au fer, St fon prix fe foutient en Europe au-deffus. de celui de ce dernier. Or tv argent. Comme 1'or St 1'argent ont, a un degré très-haut, toutes les qualités qui peuvent rendre un métal cher, ont - ils néceffairement dü avoir une valeur beaucoup plus grande que tous les autres métaux , 8t 1'on a dü toujours avoir une grande quantité d'or St H 4  iio Tableau nistorique d'argent. Ces métaux ont beaucoup de valeur fous peu de poids , Sc font trés - commodes pour les échanges. N'eft-il pas bien plus facile, pour acquérir une quantité de denrées ou de marchandifes , de porter deux livres d'argent qu'une quantité de grains de même valeur? Le tems Sc les accidens ne changent rien a leur qualité inrrinfeques : celui qui cherche a vendre doit préférer 1'argenr a des denrées de même valeur. Ceux qui ont voulu afturer leur repos en fe formant un amas de chofes , ont dü rechercher le plus précieux pardeffus tout. Voila pourquoi 1'or Sc 1'argent font devenus le centre de toute échange Sc la mefure commune de la valeur de toutes chofes: c'eft paree qu'ils font la plus durable, la moins fujette aux avaries de toutes les marchandifes : c'eft encore paree qu'ils font de toutes les marchandifes celle qu'il eft ie plus aifé de réduire a un titre ou valeur uniforme. Métaux confidérés comme monnoies. L'argenï n'eut pas plutót été de moitié dans prefque tous les échanges, que le gouvernement pour procurer le bien public, en prévenant les fraudes , a exigé qu'on ne fe fervit pour les achats que des pieces auxquelles il auroit mis fa marqué pour en affurer le poids Sc le titre. Cette marqué ne fut d'abord qu'un poincon a-peu-près de même efpece que les marqués de controle qu'on met en France fur les pieces de vaiffelle Sc autres. Les piftoles de Portugal ne font encore a préfent qu'un petit lingcg «or pomconné. On fait qu'il n'y a pas long-tems  ves Provin ces-U n ies. 121 qu'on donne dans les autres royaumes de 1'Europe 1 une forme réguliere aux monnoies, &. une marqué j qui remplit toute la furface. Jufqu'a cette époque ■ 1'argent n'avoit fervi que comme métal, St on s'avifa bientót de le faire fervir comme monnoie : I ' ce nouvel ufage augmentant fa rareté, dut faire j augmenter aufli fa valeur. Tous les métaux fixes peuvent être employés comme monnoie. Comme 1'or & 1'argent fe font trouvés d'un trèsgrand prix, on s'eft trouvé obligé de faire , avec des métaux plus communs 8c moins bons, des monnoies qui ayant peu de valeur, pulfent fervir aux petits achats. Chez plufieurs nations on s'eft fervi de cuivre. Aux Indes on en a fait d'étain, St ce métal entre aufli dans les monnoies adtuelles de plufieurs princes de 1'Europe. A Sparte on en fit de fer. On peut en faire de tous les métaux fixes. Les monnoies de fer a Sparte n'avoient de valeur que comme lingot de fer, de même que nos pieces d'or n'ont guere d'autre valeur que celle de 1'or qu'elle renferme. La preuve en eft, que les hiftoricns nous apprennent que dans cette ville , oü les citoyens fe voloient continuellement entr'eux, 1 un homme , en volant fa charge de monnoie courante , n'en emportoit que pour une trés - petite valeur * aufli nc voloit-on que pour le mérite d'avoir volé. Quelqu'étrange que la chofe puilfe nous paroïtre, on ne voloit pas dans ce pays-la pour le profit, mais pour la gloire qui revenoit de l'adrelfe avec laquelle on avoit volé.  122 Tabzeav nisroRiqvE La monnoie de fer pouvoit fuffire dans une petite république comme Sparte, d'oii toute efpece de luxe étoit bannie , 8c dont les citoyens, vivant prefque toujours en commun, n'avoient jamais a faire que de trés - petits achats 8c en trés-petit nombre; mais il feroit abfurde d'en propofer 1'ufage parmi nous, quand même il n'y auroit point de luxe, il fuffit qu'un état foit grand pour exiger qu'il y ait des monnoies précieufes. Dans un grand état, il doit fouvent fe faire de grandes entreprifes , 8c conféquemment de grands achats. Rien n'étoit plus conforme a l'EJprit des loix de Lycurgue , que la profcription de 1'or 8c de 1'argent, foit en meubles foit en monnoie j mais eüt-il omis ce point, il paroit que ces loix auroient toujours eu leur plein effet. Tout objet de luxe étant banni 8c tous les citoyens ayant leur nécelfaire fans travailler d'aucune facon, 1'or 8c 1'argent leur devenoient inutiles. On place 1'époque de la corruption des mceurs a Sparte , au retour de 1'or 8c de 1'argent que Lyfandre y fit entrer ; mais ne prend-on point ici 1'effet pour la caufe ? Si les mceurs n'avoient pas été déja corrompues, les citoyens n'auroient fait aucun cas de 1'argent, il n'auroit pu être d'aucun ufage parmi eux, ils 1'auroient rejeté, ne fut-ce que paree qu'il étoit contraire aux loix de s'en fervir ou d'en garder chez foi. C'eft donc vraifemblablement la corruption qui rappelle 1'or a Sparte, 8c non pas le retour de ce métal qui corrompit les mceurs.  des Prqvinces - Unies. 123 Loix générales fur les différentes efpeces de monnoie. Il faut qu'il y ait , dans un état, depuis la monnoie la plus haute jufqu'a la plus balfe , une fuite de pieces intermédiaires qui rendent aifés les échanges de toutes les monnoies entr'elles: il faut que la valeur de toutes les différentes efpeces foit déterminée très-jufte par la valeur du métal dont elles font compofées , fans quoi il fe fera fur leur échange un agiotage très-inquiétant & trèsdommageable pour le peuple ou les meilleures efpeces difparoitront du commerce. Forme des monnoies. Tout ce qu'on peut dire de la monnoie , confidérée dans fa forme, c'eft que plus les pieces ont d'épaiffeur , plus elles donnent de facilité a la fraude ; plus elles font minces, plus elles perdent par le frottement ou par 1'ufage. De la monnoie dans un état ifolé. Il eft affez indifférent pour un état d'avoir peu ou beaucoup de monnoies; car le total des monnoies repréfentent toujours Je total des denrées: tout ce qui arrivera, s'il y en a peu, c'eft que chaque piece fera plus de valeur: ainfi dès qu'il y aura un petit nombre de mines d'or & d'argent de découvertes dans un pareil état, il ne lui fera guere plus intéreffant d'en voir découvrir de nouvelles que fi on découvroit du fer , & fi le fer étoit rare chez lui, il lui feroit plus avantageux de voir augmenter Je nombre de fes mines de fer que celui des mines d'or. ün fait le peu de cas que les Péruviens fai-  ii4 Tableau historique foient de 1'or Sc de 1'argent, Sc combien ils eftimoientdavantagenos outils tranchans qu'une barre d'or ou dargent du même poids ; d'oü il réfulte qu'il feroit plus avantageux que nuifible dans un état ifolé , que les particuliers filfent beaucoup de meubles d'or 8c d'argent, paree qu'alors la monnoie étant plus rare, elle conferveroit toujours beaucoup de valeur fous très-peu de poids. La maffe d'argent peut-elie plus repréfenter dans un état non ifolé que la totalité des denrées du pays ? On a dit ci-deffus que la totalité des monnoies repréfentoit le total des denrées ; mais cela n'eft exa&ement vrai que dans un état ifolé. Dans un état très-commercans qui rire habituellement des denrées du dehors , Ia maffe d'argent repréfente plus que la totalité des denrées du pays. Dans un état qui envoie de fes denrées a 1'étranger , & qui ne fait que peu de commerce par lui-même, la totalité de 1'argent repréfente moins. Ainfi , en Hollande la fomme des efpeces circulantes repréfente plus que Ia totalité des denrées de l'état: en Pologne elle repréfente moins: en France elle la repréfente a-peu-près jufte. Faux préjugés. C'est un préjugé très-faux de penfer que nos monnoies adtuelles ne font qu'une mefure commune de la valeur des chofes établies pour faciliter les échanges fans valeur intrinfeque , 8c n'ayant de prix que celui qu'il plait au gouvernement de leur  des Provinces-Unies. 125 donner. Perfonne ne peut douter que 1'argent ne foit utile , & n'ait par conféquent une valeur réelle, confidérée comme métal: s'il eft d'une qualité fupérieure a celle des autres métaux, ce que perfonne n'ignore, ne doit-il pas être d'un prix plus haut? Ce qui fe dit ici & ailleurs de 1'argent, comme dénominateur vague de haute valeur , fe doit entendre de nos pieces d'or, ainfi que de toutes autres pieces qui pourroient exifter. Pourquoi un fauvage ne fait-il aucun cas d'une piece d'or ? c'eft qu'il lui préfere 1'eau-de-vie & le tabac ; mais on ne peut rien conclure de cette préférence contre la valeur intrinfeque de ce métal. Cet homme brut ne rejetoit-il pas de même le foc de la charme, paree qu'il ne 1'abjure pas ; un balot de coton, paree qu'il ne connoit pas 1'art de 1'employer 5 un fufil, s'il ne connoifibit pas 1'üfage de la poudre ? On ne peut pas nier cependant que . la charme, le coton , le fufil, ne foient vraiment l utiles & n'aient une valeur intrinfeque. Parmi les i chofes utiles , il en eft qui ont une utilité directe : telles font tous les comeftibles 8c toutes les 1 chofes qui ont recu leurs dernieres préparations ^ pour être de quelqu'ufage. 11 en eft d'autres qui n'ont qu'une utilité indirecte , telles que les machines , les matieres premières qui fervent aux ma! nufactures 5 & le fauvage fait cas des premières, 1 paree qu'il ne faut que des fens pour être frappé de leur utilité : il méprifera les dernieres, paree 1 qu'il faut, pour comprendre leur utilité, des lumieres qu'il n'a pas. i • 11 en eft de 1'argent cornme des pierreries, il a  i2<5 Tableau histohique une valeur aufli réelle qu'elles, valeur qui ne dok rien a 1'autorké des princes, 8c fur laquelle les hommes ne firent jamais de condition générale. L'argent eft tellement marchandife , qu'il s'échange ou fe vend comme toutes les autres marchandifes , indépendamment de la marqué du gouvernement. En Chine même, on paie aufli fouvent en lingot qu'en monnoie. Le gouvernement peut-il abfolument changer la valeur des monnoies ? Le prince ne peut pas plus changer la valeur de J'argent que celle des autres chofes ufuelles. II peut doubler la valeur numéraire du mare; il peut faire nommer fix livres une piece d'argent que 1'on nommoit trois livres auparavant; mais ce n'eft que le nom des monnoies qu'il change par cette opération , 8c non pas leurs effets. Le cultivateur ainfi que le commercant, compareront ce qu'ils ont a yendre a la valeur intrinfeque des efpeces, 8c non a leur valeur numéraire : ils hauflèront le prix de leurs marchandifes è proportion du hauflement des monnoies ; en forte que pour la même quantité d'argent pefant, on ne recevra toujours que la même quantité de marchandifes qu'on recevoit auparavant pour ce poids. Par le hauflement de 1'écu de trois livres a fix, on ne change pas plus 1'effet de eet écu dans le commerce, 8c fa valeur intrinfeque n'augmente pas plus que n'augmenterok celle du froment, fi 1'on ordonnok que la contenance du boifleau fut diminuée de moitié, 8c qu'au lieu du poids de trente-fix livres dont il auroit été jufqu'a  BES P ROriN CES-U'iV 1ES. 117 «ette époque, il ne dut plus être que du poids de dix-huit. Ce qui fait ici illufion a bien du monde, c'eft qu'on a cru que 1'argent n'avoit qu'une valeur arbitraire, paree qu'on a vu les princes changer a leur gré la dénomination de la valeur des efpeces; 8c comme dans les paiemens de débiteurs a créanciers , ces derniers font obligés de fe conformer aux nouvelles dénominations des chofes, on a cru que la valeur réelle de 1'efpece changeoit par fes opérations. Confidérons ici les chofes dans leur principe 8c dans le terme de leur effet. Les variations dans les monnoies comme dans tout le refte , ne produifent pas d'abord tout 1'effet qu'elles ont a produire : les chofes ne reviennent a l'équilibre que par un mouvement fucceffif plus ou moins lent. Un nouvel édit fur les monnoies qui change la livre numéraire , 8c qui a pour bafe 1'autorité plus que la proportion exiftante, caufe avant que de parvenir a fon plein effet, un nombre infini de défordres d'autant plus grands qu'ils choquent plus cette proportion , 8c que 1'autorité s'y fait fentir davantage, 8c ce qu'il y a de plus étrange dans cette révolution , c'eft que plus le mouvement doit être grand, plutót il fe trouve achevé : accélération de fecoulfe qui doublé le mal que toute fecouffe produit naturellement. Pour que le gouvernement, en hauffant les monnoies , augmentat leur erfet dans le commerce , il faudroit qu'il diminuat le nombre des elpeces proportionnellement a la valeur qu'il veut donner aux monnoies fubfiftantes. Par exemple, pour que 1'écu  n8 Tableau nis-tori que de trois livres montat 5c produisit 1'effet de fix livres^ il faudroit öter de la France la moitié des monnoies circulantes qui y font; alors, pour cette piece, on recevroit en marchandifes le doublé de cc que fon recoit a préfent, 6c cela arriveroit, foit que 1'on changeat fa dénomination par un édit, foit que 1'on continuat a lui donner la même valeur numéraire qu'auparavant. Les débiteurs gagnent-ils une partie de leurs dettes par le haujfement des efpeces ? Voici tout le réfultat du hauflement des efpeces ; c'eft que les débiteurs gagnent fur leurs dettes une partie proportionnelle a leur nouvelle augmentation de valeur numéraire , 8c fe liberent en conféquence avec plus de facilité vis-a-vis de leurs créanciers: d'oü il arrivé que par de parcilles opérations on donne ou 1'on fait paffer aux diflïpateurs 8c aux fainéans une partie des fruits du travail des citoyens laborieux 8c économes. Suivant l'état aétuel des chofes , celui qui doit en France douze mille livres , ne peut s'acquitter qu'en donhant a-peu-près fix mille boiffeaux de froment, ou leur valeur en autre marchandife : il en a rer:u le prix. Qu'on doublé la valeur numéraire des efpeces, celle du froment doublera de même , 8c le débiteur s'acquittera avec trois mille boilfeaux. Qu'on n'aille pas s'imaginer que le prix du froment étant doublé , il fera aufli diflïcile a un débiteur d'en donner trois mille mefures après le hauflement des monnoies, qu'il le lui étoit d'en donner fix miile auparavant : dans un  des Frovin ces-Unies. iz$ ün tems comme dans un autre, il lui fera également aifé de s'en procurer, 6c d'en donner le même nombre, Avantages que le Gouvernement tire du haujfement des efpeces. Le hauffement des monnoies eft tellement a 1'avantage des débiteurs, que 1'on ne voit pas qu'aucun gouvernement les ait jamais hauffées , que quand fe trouvant lui-même débiteur trop chargé , il fe donnoit par-la un moyen fur de fe libérer plus aifément. Par l'aviliffement de la livre numéraire, 1'état pe gagne pas feulement fur fes créanciers proprement dits , tels que font ceux de qui il a emprunté , &t vis-a-vis defquels il s'eft engagé , foit a un rembourfement , foit a payer un intérêt annuel} mais il gagne encore vis-a-vis de tous ceux qu'il emploie , &c dont les appointemens ou gages baiffent d'autant plus que les efpeces hauffent con* ventionnellement davantagedorfqu'elles reftent pondérément les mêmes. Pour ne parler que de 1'officier militaire, fans avoir adtuellement égard aux régiemens qu'on a faits depuis Henri IV , pour leur retrancher toujours de plus en plus de leurs prérogatives , quelle diminution n'a pas été fake dans Ie bien être de leur état, foit par 1'augmentation de Ja maffe d'argent, foit par le variation des monnoies. II n'eft guere poffible aux créanciers de fe garantir entiérement des variations qu'il plait au gouvernement de mettre dans les créances. Quand dans |es contrats, on ftipuljroit par marcs 8t par onces s Tome U, l  ïyo Tableau his tori que comme 011 le fit d'abord, le gouvernement en changeant la quantité du poids que le mare 8c 1'once repréfentent , changeroit tout de même la valeur de toute dette. Quelque mefure fixe qu'on puüTe chercher , le prince toujours maitre de la valeur des termes , le fera toujours auflï de la quotité des cicances. Cependant , comme le gouvernement dansjes changemens qu'il fait aux monnoies, n'a jamais en vue que de fe donner un moyen de s'acquitter lui-même , il paroït que ceux qui prenciroient une maniere de ftipuler, différente de celle dont Ie gouvernement fe fert, 8c qui ftipuleroient par exemple leur créance en mefures de froment , lorfque le gouvernement compte par livres , il paiolt, dis-je, qu'ils n'auroient pas a craindre de variation dans leur dü. Nous voyons par des exemples fans nombre combien Ia ftipulation en grains efi préférable a Ia fiipulation en argent. Ceux qui ont ftipulé de cette forte ont bien fait. Tous les anciens eens qui ont été fiipulés en argent , font tellement tombés de valeur , qu'on peut dire qu'ils font annullés : ceux qui i'ont été en grains ,. font encore dans toute leur valeur primitive. Si on baiffoit la valeur des monnoies, ou fi la quantité des efpeces venoit a diminuer , fans qu'on augmentat la valeur numéraire de celles qui demeureroient dans le commerce , on feroit tort aux débiteurs. Dans 1'exemple qu'on a donné ci-defius , celui qui doit douze mille livres , s'acquitte avec fix mille boiffeaux de froment. Si 1'on diminuoit le nombre des efpeces de moitié , fans augmentes  DES P ROV 1NCES-UN IE S. 131 Ia valeur numéraire de celles qui refteroient, ils ne pourroient plus s'acquitter qu'avec douze mille boiffeaux. Kien n'eft plus contraire au bien de l'état que la variation de valeur des créances. Pour 1'éviter 8c pour fixer toujours les dettes au point oü elles doivent 1'être , il faudroit baiffer les monnoies , lorfque la maffe d'argent augmenté , 8c les hauffer lorfqu'elle diminue. Si 1'on y fait attention , on verra que rien n'eft plus intéreffant , ni plus avantageux a l'état que la ftabilité du fort des citoyens , tout ce qui y met du mouvement , tout ce qui le dérange le détruit. Or, qui eft-ce qui dérange plus le fort des citoyens, que les variations des monnoies, foit qu'elles arrivent par la mutation de leur valeur numéraire , feit qu'elles arrivent par 1'augmentar.ion ou la diminution trop fenlible de leur maffe. Monnoies faclices. Quelque mauvaife que foit une monnoie , fi Ie gouvernemenr lui donne cours pour le paiement des impóts, s'il contraint les créanciers a la recevoir en paiement de leur dette , elle acquerra né ceffairement quelque crédit, du moins dans les premiers momens. Le fouverain peut donner cours a une monnoie factice 8c la faire valoir ce qu'il veut. Par une fuite du pouvoir qu'il a fur les dettes, foit fur celles que les particuliers contraétent entre eux, foit fur cette dette perpétuelle cX irredimable , dont chaque citoyen fe trouve chargé vis-a-vis du fouverain lui même. Telles furent les monnoies de cuir & de papier dont nous voyons qu'on s'eft fervi dans I 1  i3i Tableau .nis tori q vs 1'antiquité & même dans des tems peu éloignés1 du notre : les monnoies faétices confiderées en elles-mêmes font un bien pour tout état quel qu'il foit. Elles y produifent le même elfet , que fi la malle de 1'or & de 1'argent qu'elles repréfentent y étoit augmentée de la quantité qu'on les fait valoir; teute leur valeur dans le premier inftant eft au profit du gouvernement. En les ménageant avec économie , elles feroient dans fes mains une reffource intariffable pour tous fes befoins \ mais la facilité & le gain qu'il y a a les contrefaire , li 1'on ne fait pas 1'empêcher , changent en mal tout ce qu'elles ont de bien. Multipliées bientót a 1'excès , elies deviennent de nulle valeur. Lne multitude de families fe trouve ruinée, le commerce perdu , ÖC l'état dans le plus grand défordrè. Dans un état ifolé, la monnoie factice feroit plus utile que la découverte d'une mine d'or ou d'argent, paree que c'eft par elle-même , une mine qui rend tout ce qu'on veut 8c précifément dans le tems qu'on le veut. Faifant dans la partie oü on 1'emploie la même fonétion que les métaux , elle occupe moins de monde 8c n'exige aucune confommation des matieres combuftibles. Si 1'on pouvoit foutenir le crédit d'une monnoie factice, il feroit avantageux de n'en point avoir d'autre '■, c'eft peut - être ce qui donne a 1'Angleterre une fi grande fupériorité fur toutes les autres nations de 1'Europe. On ne pourroit imnginer rien de plus avantageux pour un ét it que d'y décrier toute mon-» noie de métal , fi dans eet état 1'on pouvoit donner une valeur fixe aux monnoies fadfices, Parc3  8ës Provï n ces-U'n ie s. 133 «jüe retranchant par-la un des ufages des métaux > On les rendroit moins rares , 8c par conféquent moins chers. Qu'on les décrie ou non , la monnoie ïa&iee feroit toujours tomher de beaucoüp la valeur des efpeces monnoiées , puifqu'elle produiroit le même effet, que fi le nombre e-i étoit augmenté.' Si on ne les décrioit pas, tout haufferoit de prix , hors 1'argent; Sc en continuanta multiplier la monnoie factice, on parviendroit a diminuer teilement la valeur des monnoies de métal, qu'elles feroient toutes retirées du commerce cX que 1'argent ne feroit plus qu'une marchandife. Si la monnoie facf ice étoit la feule, il en réfulteroit que la valeur des marchandifes en cette monnoie, feroit proportionnelle a fa quantité , ou fi 1'on veut, a la valeur numéraire de fa maffe. Toutes les fois 'qu'on en doubleroit la fomme , tous doubleroit de prix, l'état retireroit un bien plus grand avantags de 1'opération de la monnoie factice que du hauflement des efpeces , ou que du baiifement de la livre numéraire , qui eft la méme chofe. Dans la monnoie faétice , l'état gagne tout , & dans le baiifement de la livre numéraire , il ne gagne qu'une partie. Suppofons qu'un état oü il y a un milliard de monnoie circulante , doive un milliard. & falie de la monnoie fa&ice pour cette fomme , ou qu'il hauffe les efpeces de moitié , c'eft la même chofe pour le particulier ; les marchandifes moment de même numérairement au doublé de leur prix .anterieur. Le débiteur gagne de même la moitié de fa dette. Mais par la première de ces opérations , l'état -s'acquitte net & fans rien débourfer; parl'au- 1 l  1^4 Tableau s istoriqu e tre ii Jui faut cinq eens millions de 1'ancienne mon-' noie pour fe folder. Baijfement da titre des efpeces. Il réfulte du baiffement du titre dans les efpeces que celles-ci deviennent a tous égards , da vraies monnoies fadices , mais dont la bafe eft d'une valeur intrinfeque confidérable. Elles ont le même inconvénient que la monnoie faftice , celui d'être bientót multipliées par des particuliers qui en fabnquent jufqu'a ce que a force d'en diminuer Ia valeur par 1'augmentation de leur nombre , ils ne trouvent que peu de profit a courir le danger auquel cas ce travail les expofe. Comme elles , elles ae bailfent de valeur , qua proportion de leur nombre. Dans toutes les deux , le prince gagne également tout ce qui les fait valoir au-deffus de leur valeur intrinfeque, Sc le créancier eifuie la même perte dans 1'un 8c dans 1'autre cas. . Dans J'«at a&uel des chofes , Ie bahTement du titre des efpeces eft Ia moins dangereufe de toutes les opérations fur les monnoies. L'altération des monnoies produit un effet plus Ient, parconféquent moins fenuble 8c moins deftruéteur que Ia contrefaétion de Ia monnoie fadice. Le peuple rec;oit long- tems fans défiance 8c fans chagrin les efpeces altérées. Cen'eft que peu-a-peu le fecret s'ébruite. ' Voyant qu'on la recoit toujours fur 1'ancien taux , pour Je montant des impofitions, il la croit toujours également bonne. II eft moins facile au particulier de fabriquer de la monnoie , qU3 de celle de napier. Elle arrivé moins vite au point de n'avoir point  DES pr0v1nc ES-Un I E S. I?$ -cours que pour la valeur de fa mattere. Si 1'on baiffe le titre de 1'écu , c'eft comme fi 1'on augmentoit fa valeur numéraire fans augmenter celle du mare d'argent. C'eft donner cours encore a une monnoie fa&ice. Dans 1'une Sc dans 1'autre de cesopérations on voit le même principe Sc les mêmes effets. 11 y a cette différence , entre 1'opération de hauflér tout 1'argent , Sc 1'opération d'augmenter Ia vaieur des efpeces fans toucher a celle du mare que par cette derniere , le prince fe met dans le cas de voir contrefaire fa monnoie , Sc de perdre en conféquence le profit qu'il tire de fa marqué Sc de la voir encore multiplier contre fon gré. Car fi on doublé la valeur de 1'écu , en laiflant le mare a fa valeur antérieure , on trouvera plus de moitié de profit a frapper des écus. Si on doublé la valeur du mare en même tems , on ne trouvera pas plus de pro rit a en frapper après , qu'avant 1'opération. Quand il y a dans un état des efpeces courantes de différens métaux, doit - on déterminer leur valeur relative fur la valeur réelle du métal dont chacune d'elles eft compofée. Si un état vouloit donner la même valeur a poids égal aux efpeces de cuivre qu'a celles d'argent , voici ce qui en réfulteroit 5 c'eft qu'il fe fabriqueroit bientót une étrange quantité d'efpeces de cuivre , c'eft que toutes les denrées Sc autres chofes fe vendroient fur le taux de la plus baffe monnoie , c'eft a d.re , fuivant leur valeur réelle en cuivre , que 1'argent dont on ne pourroit plus fe fervir qu a perte , comme monnoie , cefiéroit d'être employee aux échanges, Sc diminueroit de prix , en perdant un I 4  i$6 Taèzmav üïstorïqüé des ufages auxquels il étoit employé auparavant;ïs cuivre, au contraire haufferoit de valeur par Ie plus grand ufage qu'on feroit dans le commerce. N'eftce pas ce qu'on a vu en Allemagne dans la pénultieme guerre. On y frappa de-s demi-florins de cuivre , 8c 1'on voulut qu'ils eulfent la même valeur1 dans le commerce , que les demi - jïorins d'argent qui avoient cours auparavant. Dans un moment tout fut inondé de la nouvelle monnoie , Sc tous les demi-florins d'argent difparurent, 1'on n'en vit plus un feul. Les écus de France , dont on ne détermine pas affez promptement la Valeur comparative avec la nouvelle monnoie auffï haut qu'elle devoit I'être , difparoiffoient aüffi-töt qu'ils étoient livrés. Le prix de toutes denrées ou marchandifes bauffa extrêmement, Sc fe régla fur la valeur intrinfeque des pieces courantes dü plus bas titre , c'eft-a - dire , fur ce que valoient, en tant que cuivre les nouveaux demi - florins. Ne fuffit - il pas de eet exemple , pour faire voir combien un état perdroit en adoptant un pareil fyftême : en effet, comme il fe trouveroit ■ Une plus grande quantité de métal employé en efpeces, il en refteroit moins pour les autres ufages auxquels on 1'emploie , 8c tout le genre métalliqüe , a 1'exception de 1'or 8c de 1'argent fe trouveroit renchéri; l'état y perdroit davantage encore , en ce que fon commerce feroit toujours gêné par 1'embarras que le peu de valeur des monnoies cauferoit dans les paiemens. r Dans le fyftême oü 1'on voudroit foutenir le mé1lil !e plus précieux contre Celui qui 1'eft le moins b veki 1'inconvénient aufli qui en réfulteroit ! paf  Ï)SS PROVïWCES-UNIES. I?7 •exemple, 1'or contre 1'argent, en accordarrt a ce premier métal fur 1'autre plus de valeur , que ne lui en donne fa rareté 8c fa qualité prédominante } alors toutes les marchandifes fe compareroient a 1'or j les efpeces d'argent deviendroient rares , on auroit des débats continuels pour être payé eu argent , on exigeroit un change pour en donner , 8c le commerce en feroit troublé. Confidérons maintenant la chofe dans un état non-ifolé , 8c Voyons ce qu'elle y produiroit, en y foütenant 1'or contre 1'argent. On attireroit 1'or des étrangers 8c 1'on feroit fortir de l'état 1'argent qui iroit remplacer dans les royaumes voifins 1'or qu'on en auroit attiré. Pour la même raifon , fi on vouloit foutenir le cuivre contre 1'argent, on feroit fortif celui-ei &C on attireroit le cuivre. Chez toutes les puilfances commer9antes de 1'Europe , une livre d'or vaut a-peu- prés quatorze 8c demie d'argent, poids de mare. S'il y avoit un pays oü 1'or en ^ valüt vingt,nos commercans y porteroient de 1'or en échange de 1'argent, 8c il eft aifé de voir combien ils y gagneroient. Pour deux livres d'or , ils recevroient quarante livres d'argent , 8c rapportant ici eet argent, ils le changeroient contre_ deux livres douze onces d'or. Tant qu'ils trouveroient un bénéfice aufli confidérable , ils continueroient d'aller troquer au même endroit notre or contre de 1'argent , 8c de revenir ici troquer de nouveau eet argent contre notre or, jufqu'a ce que la valeur •relative de ces deux métaux, redevint a - peu-près ja même dans un endroit comme dans 1'autre. Én Chine 5 la livre d'or n'équivaut qu'a la valeur  Ï3& T A EZE AV U1ST0RIQVS d'enrre neufa dix livres d'argent : on nousy donne prés de dix livres d'or. En rapportant eet or en France, on nous en donne cent quarante - cinq li> Vres d'argent; c'eft donc quarante - cinq livres d'argent poids de mare , qu'on gagne fur cent livres. Variation dans la valeur des monnoies. Dans la proportion des maftes de différens métaux qu'on emploie aux monnoies , il doit naturellement arriver des changemens. Les mines d'un métal peuvent s'épuifer ; on peut en découvrir de nouvelles d'une autre fubftance. En France , la découverte du Nouveau-Monde a prodigieufement changé la proportion du cuivre a 1'argent. Le commerce de Guinée a diminué la proportion de 1'or a celui - ci. Par le premier de ces événemens , le prix de la livre de cuivre fe trouva rapproché de beaucoup de celui du mare d'argent ; 5c les monnoies des deux métaux ayant été lamees dans la même proportion de valeur numéraire qu'auparavant, tout le monde trouva 1'avantage a retirer les efpeces de cuivre , elles difparurent. Par le fecond événement, il arriva que vers le commencement de ce fiecle , on ne voyoit plus que de 1'or en Angleterre, 1'argent avoit difparu du commerce. On exigeoit un change conlidérable pour compter en argent. Circonftances ou le gouvernement doit changer la valeur numéraire des efpeces. Si les maftes des deux métaux venant è varier entr'elles par accroilfement, le gouvernement ne  X>ES P RO V IN CES-UN 1ES. I39 change rien a la valeur relative des efpeces qui s'en fabriquent: il en réfulce le même ertèt, que s'il foutenoit le métal dont la maffe augmenté , contre celui dont la maffe refte fixe ou varie le moins. Si ces maffes varioient entr'elles par diminution , ce feroit évidcmment le contraire. Dans le premier cas , les débiteurs fe trouveroient favorifés 5 dans le fecond , ce feroit les créanciers ? Dans 1'un §c dans 1'autre , c'eft un trés - grand mal. II eft donc de 1'intérêt du gouvernement d'être attent/if aux variations qui arrivent dans la maffe des métaux qu'il emploie aux monnoies , & de fixer la valeur des pieces qu'il en fait , fur le degré de leur abondance , foit d'abondance abfolue, fi leurs maffes reftent fixes , elles varient toutes dans le même fcns; foit d'abondance relative , Jorfqu'il ne fe fait de changement que dans les maffes d'une partie d'entr'eux , ou qu'elles varient dans un fens contraire. C'eft pour n'avoir pas fait attention a 1'effet que i devoit produire en France 1'augmentation de la l maffe d'argent , que la découverte du NouveauI Monde y devoit néceffairement occalionner : c'eft I faute d'avoir biiffé la valeur numéraire de 1'argent 1 monnoié , a mefure que fa maffe augmentoit, qu'on a vu en France tant d'anciennes families de nobleffe ruinées. Combien n'y en a -1 - il pas encore qui, ayant confervé toutes les mêmes rentes , faifoie nt vivre leurs aïeux dans 1'abondance , n'ont pas aujourd'hui de quoi fubfifter \ paree que la livre numéraire , fur laquelle on fe regie pour le paiement des intéréts de toute rente, vaut 1 5 a xo fois moins qu'elle ne valoit, il y a deux ans.  Ï40 TAÈtEAV JiïSTORlqVÈ Moyens de proportionner la valeur numéraire de deux métaux d leur valeur réelle. Si la mafte de cuivre reftant la même année > celle d'argent augmenté , on fera obligé d'approcher de valeur les pieces courantes de ces deux métaüx. Cela ne fe peut pratiquer que de deux manieres, ou en hauflant les valeurs des efpeces de cuivre, ou en bailfant celles des efpeces d'argent. Par la première opération , les créanciers qui devroient toujours être favorifées, perdent de deux cötés, Sc les pofiefleurs de 1'argent qui font les riches , 8c qui doivent toujours être en défaveur , gagnenr : par 1'autre , les créanciers ne perdent rien , 8c les poffeffeurs de 1'argent ne font ni favorifés ni lefës. ■Raifons pour lefquelles le créaticier doit êtrt favorifé de préférence au débiteur. Un homme en pfétant fon argent, en occaïionne la circulation. En communiquant fes richeffes , il fait non-feulement vivre celui qui les re5oit} mais il le met a portée de travailler, ce qui , ert toute fa^on , ne peut être qu'un bien pour l'état. II n eft pas befoin d'inviter aux emprunts, mais on ne peut pas trop engager a prêter, 5c on ne peut ie faire qu'cn favorifant les créanciers. Toutes les fois que le gouvernement a opéré en faveur des débiteurs , il en a réfulté un refierrement d'efpeces qui •a fait languir l'état : 8c le pauvre qu'on vouloil lècourir, ne trourant plus de reftources , s'eft to»  BES PrOT'INCES-UjVIES. 141 jours vu , dans ces tems plus a plaindre que dans aucun autre. Toute créance par elle - même , eft fujette aux coups de fortune. Combien ne voit-on pas de débiteurs infolvables! Si le riche voit d'une part fa créance toujours baiffer , 8c que de 1'autre le gouvernement la lui diminue toujours , il n'eft pas douteux qu'il augmentera le taux de fon or qu'il ne prêtera pas. Dans 1'un 8t 1'autre cas, 1'honnête homme malheureux trouvera plus difficilement a rétablir fes affaires en travaillant fur un fonds d'emprunt. Enfin , on ne peut pas douter qu'il n'y ait bien des débiteurs coupables comme débiteurs , 8c il ne peut certainement pas y avoir des prêteurs coupables en qualité de prêteurs. II n'eft point ici queftion des ufuriers. II faut bien diftinguer le riche du créancier, 8c le pauvre du débiteur. Le pauvre doit être foulagé : le riche doit être moins ménagée fans doute ; mais beaucoup font créanciers fans être riches, 8c débiteurs fans être pauvres. Quand il en feroit autrement, le foulagement du pauvre ne devroit pas porter fur fa dette , ni la charge du riche fur fa créance, Quand a cc qu'on a dit que fi 1'on hauffoit les efpeces de cuivre pour les rapprocher des efpeces d'argent, lorfque la maffe d'argent augmenté , les créanciers perdroient de deux cótés , 8c que les poffeffeurs de 1'argent gagneroient a cette opération , tandis qu'ils ne perdroient .rien de réel, fi on baiffoit 1'argent, en yoici la preuve. Lorfque la maffe d'argent augmenté , fa valeur réelle diminue \ de cette maniere , en ne touchant point aux monnoies, les créanciers perdent a eet  142 Tableau historique événement , a proportion de 1'augmentarion do ,cette maffe. Si elle eft doubiée , les créanciers perdent jufte la moitié ; fi alors pour raprocher de valeur 1'argent St le cuivre , on hauffoit le dernier , on feroit effuyer aux créanciers une nouvelle perte: ce feroit comme fi on eut baiffé la livre numéraire : d'un autre cóté les poffeffeurs d'argent ne peuvent rien perdre. Si on baiffe la valeur numéraire de leur métal, paree que qu'elle que foit 1'opération avec la même quantité d'argent , ils auront toujours la même quantité de marchandifes. Au furplus , quand il en feroit autrement , il ne fauroit y faire aucune attention, paree que les poffeffeurs d'argent font les riches , dont les intéréts doivent être moins ménagés que ceux d'un, autre. D'ailleurs ils doivent être regardés dans ce cas comme des marchands qui gagnent d'autant moins fur leurs marchandifes qu'elles deviennent plus communes. Pour rendre . la chofe plus fenfible , reprenons la comparaifon des métaux 8t revenons aux principes des opérations des monnoies. Opération du gouvernement dAngleterre. La proportion de 1'argent a 1'or eft la même qiae celle du cuivre a 1'argent. Lorfque la maffe d'or fe trouva augmentée en Angleterre , en plus grande proportion que celle d'argent, pour raprocher de valeur ces deux métaux , on baiffa 1'or , en hauffant 1'argent, 1'opération auroit eu le même effet, que fi on eut baiffé la livre numéraire ; par 1'autre maniere, ©n laiifoit la livre numéraire au même état qu'auparavant. De quelque cöté qu'oa  DES P ROV IN CES-U N I E S. 143 1'envifage , on trouvera 1'opération qu'on fit alors en Angleterre trés - bonne. Le gouvernement britanniquefe trouva embarralfédansle choix des deux différens partis qu'il y avoit a prendre dans la circonftance. D'abord il confulta les officiers de Ja monnoie , mais il n'en put tirer aucune lumiere fuffifante. II recourut au fage &C favant Newton, qui eut bientót terminé la queftion Sc découvert la vérité. II décida qu'il falloit bailfer 1'or. De prétendus beaux génies qui tranchent Sc décident de tout fans fe donner la peine d'approfondir les queftions, en un mot,de ces efprits fuperficiels,comme il y en a encore tant aujourd'hui, ont attaqué la décifion del immortel Newton.Voici fur quoi ils fe fondent : ils difent qu'en baifiant 1'or , au lieu de hauffer J'argent, on a fait perdre des millions a 1'Angleterre. Mais il auroient dü 1'expliquer avant que de conclure d'un petit air de triomphe : « Tant il eft » vrai qu'on peut-être grand géometre , Sc mau» vais homme d'état! On fent combien cette turlu» pinade décele le délire de la fuffifance. » Ce qu'il y a de plus étfange , c'eft le motif que ces prétendus beaux efprits prêtent k Newton pour décider le baiflément de 1'or , füivanr 1'idée qu'ils ' s'en font faite j c'eft paree que Newton a cru de: vo;r regarder 1'or commemarchandife ;,mais fe peutil que quelqu'un qui a réfléchi fur ces matieres, regarde tout ce qui n'eft pas monnoie factice , autrementque comme marchandife. Mais yeut-il cent forte's de métaux employés aux monnoies , ces métaux ne feroient-ils donc pas tous auffi marchandife Sc auffi monnoie 1'un que 1'autre l Lorfque ces  144 Tableau iiistoriqvs auteurs difent que 1'Angleterre fe feroit trouvée numérairement plus riche li elle avoit haulfé fes efpeces d'argent : peuvent-ils s'abufer au point de croire avoir fait en cela une grande découverte* Qu'eft-ce qui ne le fent pas d'abord ? Le chevalier Newton ne 1'ignoroit certainement pas ; mais il favoit aulfi que 1'augmentation de la richelfe numéraire ne produit abfolument rien a la réalité des richelfes qu'il poffédoit. Or, ce n'eft que numérai» rement que 1'Angleterre a perdu des millions: c'efta-dire , que ia mafte d'or & d'argent étant reftée la même après fon opération , 1'Angleterre a exprimé la valeur de cette malfe par un nombre plu* petit qu'elle n'auroit fait , li elle avoit haulfé 1'argent. Mais en prenant la chofe fous ce point de vue, il faudroit expliquer en quoi les noms peuvent influer fur les chofes. On appelle en France une quantité d'or , vingt-quatre livre que les Anglois appellent une livre. Les Franc;oisen font-ils pour cela plus riches qu'eux dans Ia réalité , paree qu'ils 1'emportent fur les Anglois en richelfes numéraires. Si c'eft Ia maffe du métal le plus précieux qui décroït, Sc qu'on n'en augmenté pas la valeur, on fait quelque tort aux débiteurs; paree qu'alors, ou la maffe totale des elpeces en refte diminuée , ou le métal le moins précieux rempliffant les vuides du premier augmenté le prix de quelque chofe par fon plus d'ufage. Mais li le métal le plus précieux augmenté en ne baiffant pas, on fait beaucoup de tort aux créanciers. Regie générale. Lorfqu'on veut rapprocher de valeur deux métaux qui ont varié entr'eux , on doit opére?,  DES P ROVI N CE S-UN IE S. 145 opérer fur celui dans la maffe duquel la variation eft arrivée; puifque c'eft celui qui, confidéré comme marchandife , a réellement changé de prix, 8t que la marqué qui le rend monnoie , ne doit pas lui en ajouter davantage qu'aux autres métaux qu'on marqué pour Ie même ufage. N'eft-il donc pas plus difficile de doubler une grande maffe qu'une petite. De-la les métaux les plus communs doivent toujours avoir une valeur plus fixe. Si 1'on avoit découvert au Pérou , ou même en Europe des mines de cuivre aufli féconde 8c aufli aifées a exploiter que celles d'argent qu'on a irouvées dans ce nouveau royaume , le cuivre auroit incomparablement moins baiffé de valeur que n'a fait 1'argent. Si la maffe de cuivre eft quarante fois plus grande que celle d'argent, ü faudra tirer quarante fois plus de métal pour la doubler St pour la faire baiffer de moitié. D'ailleurs les frais de tranfport 8t d'exploitation auroient été les mêmes , St le cuivre en devenant moins cher , auroit été employé a' mille nouveaux ufages auxquels on ne peut pas employer 1'argent, eu égard a la cherté dont il eft encore. Lorfqu'on ne peut pas diftinguer nettement quel eft le métal qui a éprouvé de la variation , on doit toujours opérer fur le plus précieux. II eft en* cere a obferver que quand il faut changer la proportion de valeur de deux nations , on ne doit nullement avoir égard a la quantité plus ou moins grande des efpeces qui font fabriquées de 1'un 8t de 1'autre , ni a la quantité de livres numéraires que repréfente leur fomme. Si dans un état oü il y 3 Tome II, K  i4<5 Tableau historique pour douze cent millions en or , la maffe d'argent vient a doubler , c'eft la valeur des efpeces d'argent qu'il faut changer 8c non celles d'or , quelque difproportion qui doive fe trouver dans le mouvement que produiroit 1'opération , c'eft une fuite évidente du fyftême qu'on vient d'établir. Conclujion. Il luit de tout ce qu'on vient de dire que pour qu'un état put être maitre de la valeur des efpeces, il faudroit qu'il put être maïtre de leur nombre. Ne pouvant pas 1'être , tous les coups d'autorité qu'il peut porter fur les monnoies , n'auront qu'un effet momentanée , 8c les efpeces qu'il voudra accréditer , viendront bientót a n'avoir cours que pour ce qu'ellés ont de valeur intrinfeque. Le défordre qui luit de ces coups d'autorité , fait payer chérement a ceux qui les portent , le profit qu'ils y trouvent dans les premiers inftans. En un mot, le hauffement des efpeces , 1'altération de leur titre 8c 1'accréditement des monnoies faéficcs tourneront a la pe/te du fouverain , s'il ne hauffe numérairement Pimpót a proportion qu'il fait baiffer la valeur de la livre numéraire. Des pays oh Vargent ria point de cours. , S'il eft un peuple chez Iequel 1'argent n'a point de cours , fi d'ailleurs il eft éclairé , c'eft a coup fur un peuple fans tyrans 8c même fans ennemis; car qui fe propoferoit d'attaqucr un peuple chez Iequel il n'y a que des coups a gagner , un peuple par exemple tel que les Lacédémoniens , fera invincibie, s'il eft nombreux. ♦  BES PROriNCES-UjVIES. 147 La non - introduétion d'argent dans un état eft une barrière infurmontable a la tyrannie ; il eft bien difficile que le pouvoir arbitraire s'établifie dans un état fans canaux , fans commerce 8c peutêtre fans grands chemins. Comment un prince qui leve fes impöts en nature, c'eft-a-dire en denrées, pourroit-il foudoyer 8c raflembler le nombre d'hommes nécelfaires pour mettre un peuple aux fers. Un defpote d'orient auroit eu bien de la peine a fe foutenir fur le tróne de Sparte ou de Rome naiftante. Mais,dira-t on, un peuple lans argent ne peut être que pauvre 8c miférable , paree qu'il ne peut faire le commerce que par échange , Sc les échanges font incommodes , d'oü il réfulteroit qu'il fe feroit peu de ventes , peu d'achats 8c point d'ouvrages de luxe; mais fi ce peuple eft fainement nourri, bien vêtu, 8c s'il igoore entiérement ce qu'on appelle luxe , ce peuple fera le plus heureux qu'il y ait jamais eu fur le globe : on n'y pourroit introduire 1'argent fans crime. Le lacédémonien fans commerce Sc fans argent étoit a-peu-près aufii heureux qu'un peuple peut 1'être. Un homme eft-il bien nourri, bien vêtu , il eft fatisfair. Le furplus de fon bonheur dépend de la maniere plus ou moins agréable dont il remplit Vintervalle qui Jèpare un befoin fatisfait d'un befoin renaiffant. Or , a eet égard rien ne manquoit au bonheur du Lacédémonien, 8c malgré 1'apparente aufterité de fes mceurs , de tous les Grecs,dit Xenophon, c'étoit le plus heureux. Les Spartiates avoit-il fatisfait fes befoins? il defcendoit dans 1'arène , 8c c'eft-la qu'en préfence des vieil&rds Sc des plus belles femmes , il pouvoit chaque  148 Tableau historique jour déployer dans des jeux Sc des exercices publiés , toute la force , 1'agilité , la foupleffe de fon corps Sc montrer dans la vivacité, de fes réparties, toute la jufteffe Sc la précilïon de fon efprit. On peut donc affurer d'après Xénophon Sc d'après 1'expérience, qu'on peut bannir 1'argent d'un état Sc y conferver le bonheur. Nos Sybarites modernes ne manqueront pas de demander fi 1'on jouiffoit a Sparte de certaines commodités de la vie. Riches, puiffans Sc luxurieux égoïftes , qui faites cette queftion , ignorezvous donc que les pays de luxe font ceux oü les peuples font les plus miférables. Si des mets bien apprêtés irritent 1'appétit du riche Sc lui donnent quelques fenfations agréables , ne donnent - ils pas auffi des pefanteurs Sc des maladies, Sc tous compenfé, le tempérant eft au bout de Fan pour le moins auffi heureux que le grand. Quiconque ayant faim Sc fatisfaifant ce befoin, eft content. Le payfan a-t - il du lard Sc des choux dans fon pot, il ne defire ni la gélinote des Alpes, ni Ja carpe du Rhin, ni 1'hombre du lac de Geneve. Aucun de ces mets ne lui manquent. O vous , qui êtes uniquemenr occupés du foin de fatisfaire vos fens Sc 'Vos befoins fantaftiques, vous prenez - vous donc pour la nation entiere : vous croyez - vous feuls dans la nature ? O hommes fans pudeur , fans humanité Sc fans vertu, qui concentrés en vous feuls toutes vos affe£tions , Sc qui vous créés fans ceffe de nouveaux befoins , apprenez que Sparte étoit fans luxe, fans commodité , 8c que Sparte étoit heureufe! Sc fi la félicité humaine réfidok dans la  VES P ROV1 N CES-U N 1E S. I49 fomptuofité des ameublemens , 8c dans les recherches de la molleffe , il y auroit trop peu d'heureux fur la terre. Un pays oü 1'argent n'a point de cours a bien des avantages qu'on ne connoit pas fur celui oü 1'argent elt le mobile de toutes les a&ions de chaque individu de la fociété. Rien de plus facile que d'entretenir 1'ordre 8c 1'harmonie , d'encourager les talens Sc d'en bannir les vices. On entrevoit même en ce pays la polfibilité d'une législation inaltérable : ce n'eft que dans un tel pays que le problême d'une législation parfaite Sc durable , peut trouver fa folution. Dans les pays oü 1'argent a cours , il y feroit trop compliqué. C'eft que 1'amour de 1'argent y étouffant tout efprit , toute vertu patriotique , y doit a la longue engendrer tous les vices dont il n'eft que trop fouvent la récompenfe. Du moment oü les honneurs ne font plus le prix des aétions honnêtes, les mceurs fe corrompent. Lorfque le duc de Milan arriva a Florence , le mépris, dit Machiavel , étoit le partage des vertus Sc des talens. Les Florentins fans efprit Sc fans courage étoient entiérement dégénérés j s'ils cherchoient a fe furpalfer les uns les autres , c'étoit en magnificences d'habits , en vivacités , en exprefllons 8c en réparties ; le plus fatyrique étoit chez eux le plus fpirituel. N'eft - ce point la le reproche qu'on pourroit faire avec juftice aux Francois de nos jours ? Quoiqu'il en foit, ce n'eft point dans des contrées foumifes au defpotifme oü 1'argent eut toujours cours , oü les richeffes font déja raffemblées en un petit nombre de mains, qu'on puiftè donner une bafe folide a K 3  IS« Tabzeav bistoriqve une législation inaltérable. Paree que le partage inégal des richeffes eft un mal prefqu'incurable. Ce n'eft point dans la maffe plus ou moins grande des richeffes nationales , mais de leur plus ou moins de répartition que dépend le bonheur ou le malheur des peuples. Suppofons qu'on annéantiffe la moitié des richeffes d'une nation , fi 1'autre moitié eft apeu-près également répartie entre tous les citoyens, l'état fera prefqu'également heureux Sc puiffant. Plus on compre dans un état d'hommes libres , indépendans 8c jouiffans d'une fortune médiocre , plus l'état eft fort. Auffi tout prince fage , n'a-t-il jamais accablé fes fujets d'impöts , ne lesa-t-il jamais privé de leur aifance, 8c n'a gêné leur liberté eu par trop d'efpionage , ou par des loix trop minutieufes 8c trop incommodes de police. Le flux de commerce le plus avantageux a chaque nation eft celui dont les profits fe partagent en un plus grand nombre de mains. Tout prince qui ne refpeae ni 1'aifance, ni la liberté de fes fujets, fe plait a voir leur ame languir dans 1'inertie. Cependant le crime le plus habituel des gouvernemens Européens, eft leur avidité a s'approprier tout 1'argent du peuple leur foif eft infatiable. Que s'enfuit-il ? Que les fujets dégoütés de 1'aifance par 1'impoflibilité de fe le procurer, font fans émulation 8c fans honte de leur pauvreté. Dès ce moment la confommation diminue , les terres reftent en frictie , les peuples croupiffent dans la pareffe Sc 1'indigence , paree que 1'amour des richeffes a pour bafe : i°. La poflibilité d'en acquérir ; i°. L'affurance de les conferver ; 30. Le droit d'en  DES P R0V1N CES-UNIES. 151 faire ufage. Suppofons 1'ufage 8c 1'introduction de i'argent défendu dans un pays 3 ce ne pourroit être , il eft vrai, qu'au moment de la fermentation d'une fociété ; mais enfin , l'état d'une telle fociété feroit-il a comparer a celui oü fe trouvent mairt-tenant la plupart des nations de 1'Europe ? Des pays oü Vargent a cours. Dans 1'affiette a&uelle des gouvernemens de 1'Europe , le fyftême de la non - introduéHon d'argent eft impraticable. Suppofons un état en Europe , oü fon défende comme a Sparte, 1'introduction de I'argent, 8c 1'ufage de tout meuble n'étant pas fait avec la hache ou la ferpe; alors le macon, l'architeéte, le fculpteur , le ferrurier de luxe, le charron, le vernifteur , le perruquier , 1'ébénifte, la fileufe , 1'ouvrier en toile, en laine fine , en dentelles , foieries, 8cc. abondonneront eet état &c chercheront un afyle ailleurs. Le nombre deaces exilés volontaires montera peut - être au quart de fes habitans. Or, fi le nombre des laboureurs 8c des artifans groffiers que fuppofe la culture , fe proportionne au nombre des coafommateurs, 1'exil des ouvriers de luxe entrainera donc a la fuite celui de beaucoup d'agriculteurs. Les hommes opulens fuiroient avec leurs richeftes 8c avec un nombreux cortege de domeftiques , 8cc. Que deviendroit alors un état d'oü 1'exclufion de I'argent feroit fuir tant de monde ; eet état pourroit - il porter la guerre chez fes voifins , non , il feroit fans argent ■■, fa pourroit - il foutenir fur fon territoirc, non , il feroit fans hommes. Cet état feroit donc expofé a une K4  i$i Tableau histqriqub invafion. Quel eft le prince qui voulut a ce prüt bannir I'argent de fon état ? Une nation qui tombe de la richeffe dans 1'indigence , n'attend plus qu'un vainqueur & des fers. II en eft du corps politique comme de celui de l'homme, il faut une ame , un efprit qui le vivifie 8c le mette en adtion , bref, il faut un refiort; or , le grand reffort des corps politiques, c'eft I'argent, 8c quoi, encore de I'argent; il faut donc perfus & nefas , fe procurer de I'argent. Cependant I'argent eft deftru&if de 1'amour de la patrie, des talens 8c de la vertu ; mais comment imaginer, qui, fans argent foulagera l'homme dans fes befoins, qui le fouftraira a des peines 8c lui procurera des plaifirs ? Aujourd'hui dans tous les gouvernemens Européens I'argent a cours , 8c il y eft feul moteur, le feul principe de 1'adtivité j ce n'eft ni le mérite, ni les talens qui conduifent aux honneurs 8C aux dignités , mais I'argent feul \ 8c avec I'argent un ramoneur éclaboulfera tout le monde. Encore une fois de I'argent, 8c de I'argent , c'eft le tarif de toutes les vertus 8c le taux de toutes les a£tions héroiques, 8c avec de I'argent en Europe on peut commettre impunément les crimes les plus noirs , les plus atroces, 8c le plus grand fcélérat fera travefti en héros , comme on en a 1'exernple tous les jours. Travaillons donc pour de I'argent, 8c ne foyons pas délicats fur les moyens de nous procurer de I'argent, car item, il faut de I'argent. Pri mais grace a 1'intolérance des druides francois , la France a jugé a propos d'enrichir fes voihns de fes plus précieufes dépouilles ; fi cela s'appelle bien entendre les intéréts duciel, c'eft bien mal entendre ceux d'un étar. On ne s'appefantira point fur eet article qui a fourni matieres a tant d'ecnts qu'on ne lit plus en France , paree qu'on y eft encore difpofé k faire les mêmes fottifes , dès qu'il plaira a Ia cabale eccléfiaftique de faire entendre de nouveau fes hurlemens, 8c d'agiter les Élambeaux de Ia difcorde. Cet effaim de fautcrelIcs noires fut, de tout tems 8c le fera probablement toujours , le fléau des nations , 8c trouvera toujours des pauvres d'efprit difpofés a fervir aveuglement fes plus chers intéréts. Intdligentipauca. Paffons a la ville de Roterdam. Celle-ci n'a prefqise point de manufaétures , mais fon commerce s étend dans prefque toutes les parties du monde,  dv Commerce en Hollande. 173 elle en fait un fur-tout très-confidérable en France, en Anglererre 8c dans plufieurs villes d'Allemagne. Le voifinage de 1'Angleterre 8c de la Hollande a toujours facilité un commerce tres - confidérable entre ces deux nations,8c la commodité de la Meufe eft caufe que c'eft fur-tout par les marchands , 8c par les vailfeaux de Roterdam que ce commerce eft entretenu. II faut convenir qu'il ne s'exerce pas avec des conditions égales , la jaloufie des Anglois pour le négoce de leurs isles, en ayant impofé d'alfez dures aux Hollandois , 8c le befoin que ceux-ci ont des ports que les Anglois ont dans la Manche, les oblige, quoique forcément, de fe foumettre aux loix trop féveres qui leur font impofées. II y a quantité prodigieufe de vaiffeaux Hollandois frétés par la république , pour différens ports de France , d'Italie 8c de Barbarie , d'oü ayant ramaffé les marchandifes qui leur font propres, ils font leur route vers le levant , 8c les y vendent, foit pour leur compte., foit pour celui des marchands Francois 8c Italiens pour qui ils ont chargés,8c a qui ils viennent partager les retours qui appartiennent a chacun des intéreffés. Les Hollandois tirent de France des huiles, des faffans, des favons, amandes , fels, tabacs , vins, eau-de-vie , bied , farazin 8c légumes , miel 8c cire. La France the de la Hollande a peu de chofe prés , tout ce que les vailfeaux immenfes de cette république vont «hercher dans les quatre parties du monde. ^ II eft aifé de voir par le détail que 1'on vient de donner du peu de produétions naturelles de la Hollande 8c de l'état de fes manufaófures, que le con>  174 Tableau c ra d u e l merce de cette république ne feroit pas fort coh» fïdérable , fi c'étoienc fes feules producfions naturelles qui duffent 1'entretenir ; mais a leur défaut, on peut dire que tout ce qu'il y a de contrées dans les quatre parties du monde oü il fe fait quelque négoce , eft mis par les Hollandois a contnbution pour augmenter leur commerce , 8c 1'on peut dire en quelque forte que c'eft une efpece de tribut 8c d'hommage que ces fages 8c entreprenans négocians ont mérité , pour avoir appris au refte des nations jufqu'oü 1'on pourroit poufler la gloire 8c la richefte du commerce \ d'oü il réfulre que le commerce des Hollandois eft un commerce univerfel , auquel ils ne contribuent eux - mêmes que par leur habileté 8c par leur induftrie. Les Hollandois ne reftraignent pas leur commerce dans le fein de leur république $ mais ils 1'étendent avec le plus grand fuccès dans prefque toutes les parties du monde, en Afie, en Afrique 8c en Amérique. Tableau des pqjfejjlons Hollandoifes en Afie. Les Hollandois font plus puifTans dans les Indes que toutes les autres nations de 1'Europe enfemble: ils y ont un confeil fouverain a Batavia dans 1'isle de Java 8c fix gouvernemens généraux :favoir. Le premier, a la cöte de Coromandel. Le fecond, a Amboine. Le troifieme , a Banda. • Le quatrieme , a Ternate. Le cinquieme , a Ceylan. Lefixieme, a Malacca.  du Commerce en Hollande. 175 Gouvernemens particuliers, tels font ceux qu'ils appellent Commanderies : favoir. Le cap de Bonne-Efpérance, en Afrique. Le Macaffar, dans 1'isle de Célèbes. Le Pahang , dans 1'isle de Sumatra. Le Timor ou Motir, une des petites Moluques. L'Andragiry , dans 1'isle de Sumatra. Le Cochin Sc plufieurs Iieux fur la cöte de Malabar, de même que fur toutes les cótes de 1'isle de Ceylan. Comptoirs des Hollandois en divers endroits dAfie. A IfPahan> X En Perfe. A Gamron ou Benderabaflï. \ . 0 0 , ~ .. 7 Dans les états du grand A Surate Sc a Oughn, J- MogoL b A Palinbam , | Dans 1'isle de Sumatra. A Jumbi > Z Au royaume de Siam. A Siam Sc a Lmgor, ) 1 Les rlollandois ont encore des comptoirs au Tunquin Sc au Japon 3 mais depuis quelque tems ils n'ont plus d'accès a la Chine. Tous ces gouvernemens Sc tous ces comptoirs refibrtifient au confeil fouverainde Batavia, Sc rien ne fe fait que par fes ordres. Les Hollandois ont encore pour tributaires aux Indes plufieurs rois, Sc 1'empereur de Materan dans 1'isle de Java. Les rois tributaires des Hollandois, font: De Bantam , dans 1'isle de Java.  iy6 Tableau c h a d u e % De Céram, "\ De Macaffar , \ Aux isles Moluques. De Ternate , J Les Hollandois poffedent encore en Afie ou aux Indes orientales quantité de villes Sc de fortereffes, dont les principales font : Palicata , place forte oü les Hollandois ont un comptoir pour le commerce de Golconde , de Bifnagar Sc de Coromandel, prefqu'isle au de. I En Guinée. Cormentin, \ Benguela - Nova , place forte au royaume de Congo. Le fort du cap de Bonne-Efpérance , dont on a déja fait mention, fur la cóte des Cafres. Le fort de la Patience, fur la cöte d'or en Guinée. Un comptoir k Tétuan 8c plufieurs autres places Sc comptoirs. Poffeffions des Hollandois en Amérique. Les Hollandois ne poffedent en Amérique que quelques isles avec quelques habitations dans la Caribane , fur les cötes de 1'Amérique méridionale. Des isles Hollandoifes. i°. L'isle Sainte-Euftache , qui n'eft pas fort 'grande Sc ne rapporte pas de grands revenus aua Tome II. M  i78 Tableau cradvel Hollandois, eft a foixante 8c douze lieues de fa Martinique , a trois ou quatre lieues de Saint-Chrif tophe. 2°. L'isle de Saba, oü 1'air eft fort chaud 8c le terroir très-fertile en fucre, tabac 8c café , elle n'a que cinq lieues de tour. 3 °. Partie de l'isle de Saint-Martin, dont le refte appartient aux Francais. 4°. L'isle de Curacao eft la feule isle de conféquence que les Hollandois poffedent en Amérique : 1'air y eft affez fain , quoique chaud: le terroir y eft très-fertile, principalement en fucre 8c en tabac: on en tranfporte auffi des cuirs 8c des laines. Curacao , place forte , en eft la capitale, a cent quarante lieues de la Martinique. L'isle de Bon-Aire n'eft qu'a dix lieues de Curacao. L'air y eft chaud, mais fort bon, le terroir fertile, 8c les Hollandois tirent de cette isle quantité de peaux de chevres 8c du fel. L'isle d'üruba ne fournit que des chevres, des brebis 8c quelque peu de fucre. Colonies Hollandoifes dans le continent de VAmêrique. La principale habitation des Hollandois dans Ia terre-ferme de 1'Amérique eft a Surinam fur les cótes de la Caribane, l'air y eft chaud 8c mal fain. Elle eft cependant affez peuplée 8c d'un affez bon commerce , principalement en tabac 8c en fucre» Sunnam eft a foixante-trois lieues de Cayenne.  du Commerce en Hoilande. 179 'Coup - d'ceil philofophique & politique fur les établijfemens Hollandois, tant en Afie qiüen Afrique cv en Amérique. Ce fut d'après la relation d'un nommé Houtman , 8c les lumieres qu'on devoit a fon voyage , que les négocians d'Amfterdam concurent le projet d'un établilfement k Java. Ce Houtman avoit été arrêté a Lisbonne pour dettes ; il avoit fait favoir aux négocians d'Amfterdam, que s'ils vouloient lui faciliter les moyens de fortir de prifon , qu'il leur communiqueroit un grand nombre de découvertes qu'il avoit faites , dont ils tireroient grand parti. Ses propolitions furent acceptées , on paya fes dettes; fes libérateurs qui avoient formé une alfociation , lui confierent quatre vailfeaux pour les eonduire aux Indes par le Cap de Bonne - Efpérance. Ce Houtman étoit un homme de tête , 8c d'un génie hardi, il reconnut dans fa navigation les cötes d'Afrique 8c du Bréfil, s'arrêta a Madagafcar , Sc fe rendit aux isles de la Sonde. Quelle ne fut pas fa joie mêlée de furprife, quand il vit les campagnes couvertes de poivre: il en acheta de même que d'autres épiceries qui font encore plus précieufes. 11 fut trouver le moyen de faire alliance avec le fouverain de Java , mais ce ne fut pas fans éprouver des contradidtions ; car les Portugais quoique haïs k Java, 8c qu'ils n'y euffent aucun établilfement , ils lui fufciterent cependant des ennemis 3 mais de tous les combats qu'il eut a cffuyer, il eut le bonheur d'en fortir toujours victorieux. Fier de fes fuccès , il repart avec fa flotte M 1  180 Tableau graduel peur Ia Hollande : fa navigation fut heureufe , St il arriva dans fa patrie avec un peu de richeffe 8c de grandes efpérances. II avoh ramené avec lui des Negres, des Chinois, des Malabares, enfin Abdul , pilote de Gufbrate , plein de talens , 8c qui connoilfoit parfaitement les différentes cötes de J'Inde. La relation 8c les'inftructions de Houtman déterminerent les négocians d'Amfterdam a faire un établilfement a Java , pour s'y procurer le poivre, 8c d'oü ils fe flattoient pouvoir facilement fe rendre dans les isles , oü croiffent des épiceries plus précieufes que celles de Java ; 8c de plus, leur delfein étoit de fe faciliter 1'entrée de la Chine 8c du Japon, en s'éloignant du centre de la puiffance qu'ils avoient le plus a redouter dans 1'Inde. Ce fut 1'amiral Van-Neck, qui fut chargé avec huit vaiffeaux de cette expédition importante. II arriva fort htureufement dans l'isle de Java , mais il y trouva les habitans indifpofés contre fa nation. II y fut obligé d'en venir aux mains •■, mais bientót aux combats fuccéderent des négociations qui applanirent toute difïiculté. Les Hollandois durent leurs fuccès au pilote Abdul, aux Chinois, 8c plus encore a la haine qu'on avoit contre les Portugais. Les Hollandois eurent donc la liberté de faire Ie commerce, 8c ils eurent bientót expédié quatre vaiffeaux chargés d'épiceries 8c de quelques toiles. Van - Neck établit des comptoirs dans plufieurs de ces isles, il fit des traités avec quelques fouverains, remit a la voile , vogue a travers les mers, 8c revient en Europe comblé de gloire 8c chargé de richeffes. Son retour caufa d'autant plus de joie aux Hoi-  vu Commerce en Hollande. 181 landois, que 1'an 1592 j les Zélandois avoient tenté inudlement de s'ouvrir une route aux Indes onentales. On regarde comme les auteurs de cette entreprife des Zélandois , Jacques Valk , Chriftophe Roeltius, 1'un tréforier, 1'autre penfionnaire des états de Zélande Sc divers marchands. Mars pour éviter d'un cöté la rencontre des Efpagnojs qui fe navigent ordinairement prés de la ligne , ris réfolurent de chercher un paffage vers le nord , afin de cotoyer la Tartarie , le Cutay , Sc de - la défendre dans la Chine Sc dans les Indes. L'execution de ce delfein fut confiée a deux grands hommes de mer, Guillaume Barenls, Sc Jacques Heemskerk Sc a quelques autres. Mais comme cette expédition n'eut pas le fuccès dont on s'étoit flatté, >voi!a pourquoi il fe forma a Amfterdam, 1'an 1595» une compagnie de marchands , fous le nom de Compagnie des pays lointains , dont les directeurs envoyerent aux Indes quatre vailfeaux , qui furent de retour en Hollande, deux ans Sc quatre fflols après leur départ. Ce premier fuccès avoit excité une nouvelle émulation; d'autres marchands fe joignirenta cette compagnie des pays lointains. On équippa une Hotte de huit vailfeaux qui partirent du Texel 1'an 1598 , fous le commandement de 1'amiral Jacques Van - Neck , comme on vient de le voir. II fe forma en même tems en Zélande une compagnie , qui équippa quelques vailfeaux & les fit partir pour les indes. A Roterdam , on mit en mer cinq vaïlTeaux fous la conduite de 1'amiral Jacqi.es Mahu - pour aller aux Moluques par le detroit de Magellan Sc par la mer du fud. M 3  i8z Tableav qradvez La compagnie d'Amfterdam, fans attendre fe retour des huit vahfeaux qu'elle avoit envoyés aux Indes , en équippa trois autres, qui firent voile le 4 mai 1599 , fous le commandement de 1'amiral Etienne Vander - Hagen. D'autres marchands de la même ville , la plupart Brabants, ayant formé une nouvelle compagnie , équipperent quatre vaiffeaux qui partirent au mois de décembre 1599 , avec quatre autres qui appartenoient a 1'ancienne compagnie. Ces huit batimens revinrent deux ans après fort riehement chargés; mais avant leur retour , cette nouvelle compagnie en équippa encore deux , & 1'ancienne y en ajouta fix , qui tous enfemble mirent a la voile 1'an 1600 , fous le commandement de Jacques Van-Neck. Mais bientót ces afibciations trop multipliées fe nuilïrent les unes aux autres, par le prix exceffif oü la fureur d'acheter fit monter les marchandifes dans 1'Inde & par 1'aviliflement oü la néceffité les fit tomber en Europe, ce qui provenoit de ce que fouvent ces compagnies chargeoient toutes en même tems des vailfeaux pour un même port , il n'en pouvoit réfulter qu'un trés - grand préjudice pour les entrepreneurs. Pour remédier a ces inconvéniens, les etats de Hollande inviterant ces compagnies a fe réunir toutes enfemble pour n'en faire qu'un feul corps. Tous les intéreftes acquiefcerent a cette propofition, & c'eft ce qui donna lieu a 1'établilfement de la compagnie générale des Indes orientales. Le traité qui fe fit alors fut confirmé par Jodroi des Etats - Généraux pour yingt - un ans, a compter du jour de la date qui étoitleic demarsieuo.Cette  vu Commerce en Hollande. 183 compagnie ainfi autorifée par l'état , fit alors défendre a tous les négocians particuliers des Provinces - Unies de négocier dans les Indes orientales^ depuis le Cap de Bonne-Efpérance jufqu'a 1'extrémité de la Chine. Voila un nouvel état dans l'état même qui ne tarda pas a 1'enricbir Sc a augmenter fa force au dehors , mais qui pouvoit auffi relacher le reflbrt politique de la démocratie qui eft 1'amour de 1'égalité , de la frugalité des loix 8c des citoyens. Cette nouvelle compagnie des Indes fit un fonds de fix millions , quatre cents quarante mille deux cents florins , Iequel fut employé k 1'équippement de deux flottes , 1'une de quatorze vailfeaux , qui partit de Hollande au mois de février 1'an 1603 , Sc 1'autre le 13 , qui partit au mois de décembre de la même année. Les villes de la province de Hollande 8c la province de Zélande participent a ce fonds de la maniere fuivante. Amfterdam , pour \ 3680,430 florins. La Zélande, pour \ ^75^53 Delft, pour è U4,S^ Roterdam , pour h, ^AiS67- Hoorn , pour ^ 168,430 Enchuyfen, pour ye 568,563 L'entier capital eft de 6440,400 florins. Quoiqu'on dife ici que la moitié a laquelle Amft. participe dans le fonds capital de 6440,200 flonns, fe monte 33686,430 florins, cependant cette moitié ne fe monte qu'a 3220,100 florins, Sc les autres pordons mantent aufli plus ou moms. Mais M4  184 T ABZEAV GRADVEL la compagnie fait toujours fes comptes 8c répartïtions fur iepied de ces fommes; ce qu'il eft bon de remarquer, afin qu'on ne fe rrompe pas en voulant prendre la |, Ie 2 , ou le _L des 6440,200, florins. Au retour de deux flottes, la compagnie fit des profits confidérables, 8c elle fe trouva bientót en état de faire la guerre aux plus puilfans monarques de l onent , 8c d'enlever aux Portugais une bonne partie des poftes qu'ils occupoient. Cette compagnie fans exemple dans 1'antiquité, modele de toutes celles qui 1'ontfuivie, commenca avec les plus grands avantages: on lui accorda le droit de faire la paix ou la guerre avec les princes de 1'onent, de batir des fortereftes, de choifir les gouverneurs , d'entretenir des garnifons 8c de nommer des officiers de police 8c de juftice. Si en Hof lande, cette compagnie connue fous le nom de Compagnie des grandes Indes , eft dépendante des Etats - Généraux , aux Indes , elle eft fouveraine fur les Etats - Généraux : elle y agit pour la paix 8c pour la guerre, comme le général 8c fon confeil le trouvent a propos ; elle entretient dans les Indes beaucoup de troupes réglées. Le général qui fait fa réfidence a Batavia, n'eft que pour trois ans ; mais il eft quelquefois continué pour toute fa vie. Batavia eft la capirale de 1'empire des Hollandois dans les Indes. Cette ville fi fameufe par fa puiffance 8c par fon commerce , èft dans l'isle de Java; elle eft grande , bien batie 8c bien fortifiée. La compagnie eft gouvernée par une aflémblée , que fon nomme des dix-fept , comme s'ils repréfentoie.it les dix-fept provinces des Pays-Bas. C'eft  DV 60MMER.eE EN HOLLANDS. 185 dans cette affemblée qu'on délibere a la pharalité des voix , fur 1'équippement des vailfeaux, fur les répartitions , & généralement fur toutes les affaires de conféquence qui concernent la compagnie. Les principale? marchandifes que les Hollandois retirent des Indes orientales, font le poivre , le falpêtre , la canelle , la mufcade , le gérofle , les toiles de coton , la foie de Perfe, de Bengale 8t de la Chine , les armoifins , le cuivre du Japon , fétain , plufieurs fortes de drogues, le mufc, 1'ambre , les perles , les diamans : il y a des fruits qui ne fe cueillent que dans les isles Moluques , SC dont le négoce appartient en propre aux Hollandois. Ces fruits font le gérofle, la mufcade, la fleur de mufcade ou le macis. La compagnie en débite beaucoup plus aux Indes qu'en Europe. La compagnie des Indes orientales Hollandoifes confiderée dans fes progrès. La compagnie ne fut pas plutöt établie qu'elle fit partir pour les Indes quatorze vaiffeaux 8c quelques yachts fous les ordres de 1'amiral Warvick, que les Hollandois regardent comme le fondateur de leur commerce & de leurs puiffantes colonies dans 1'orient. En peu de tems il batit un comptoir fortifié dans l'isle de Java , il en batit un autre dans les états du roi [de Johor, il fe hata de faire des alliances avec plufieurs princes dans le Bengale. II envint aux mains fouvent avec les Portugais, & il fortit prefque toujours viétorieux de tous les combats qui lui furent livrés. II employa les moyens les plus efficaces pour détruire les préventions qu'on  i8c> Tableau graduel avoit contre fa nation , dans les pays oü les Hollandois n'étoient que commercant , Sc oü on les avoit repréfentés comme un amas de brigands ennemis de tous les rois Sc infectés de tous les vices. La conduite des Hollandois Sc des Portugais apprit bientót aux peuples d'Alie a laquelle des deux nations ils devoient accorder la préférence. Trompés par les apparences de la droiture Sc de la franchife, bientót éclata une guerre fanglante entre les Portugais Sc les Hollandois; cependant la balance fut long-tems égale Sc les événemens affez variés : en voici la raifon. Les Portugais a leur arrivée aux Indes n'avoient eu a combattre que de foibles navires afTez mal conftruits , auffi mal armés que mal défendus. Sur le continent ils n'eurent pas beaucoup de peine a vaincre des hommes efféminés , des defpotes voluptueux Sc des efclaves tremblans. II n'en étoit pas ainfi des Hollandois qui venoient arracher aux Portugais le fceptre de I'Alie , il falloit enlever a l'aboïdage des vaiffeaux femblables aux leurs , emporter d'affaut des fortereffes réguliérement conftruite , vaincre Sc fubjuguer des Luropéens enorgueillis par un fiecle de viaoires par la fondation d'un empire immenfe. On pouvoit dire a 1'avantage des Portugais, qu'ils avoient pour eux une parfaite connoilfance des mers , 1'habitude du climat, 8c les fecours de plufieurs nations qui les détefloient a la vérité , mais que la crainte forijoit a combattre pour leurs tyrans 3 d'un autre cóté les Hollandois étoient aiguülonnés par le fentiment prefiant de leurs befoïns , animés par 1'efpoir flatteur de donner une bafe fta-  SU &OMMERCE EN HOLLANDE* 1%7 ble & immuable a une indépendance qu'on leur dilputoit encore. Encouragés par 1'ambition de fonder un grand commerce fur les ruines de celui de leurs anciens tyrans , nourrilfant une haine que la diverfité de religion rendoit implacable, tels étoient les ennemis que les Portugais avoient a combattre. Ajoutés k cela que les Hollandois fe comportoient avec beaucoup de précaution. Ils s'appliquerent k fe concilier les peuples par les charmes de la douceur & par 1'attrait irréfiftible dé la bonne foi. Auffi ces peuples ne tarderent pas a fe déclarer contre leurs anciens opprelfeurs. Dans ces entrefaites les Portugais abandonnés a leurs propres forces, attendoient inutilement des flottes marchandes que 1'Efpagne négligeoit de leur envoyer , tandis qu'elle auroit dü les foutenir par 1'efcadre qui avoit été entretenue jufqu'alors dans 1'Inde Sc qu'elle auroit dü fe hater de réparer les places fortes des Portugais 8c d'en renouveller les garnifons , au contraire, les Hollandois failbient palfer continueüement en Afie de nouveaux colons, des vailfeaux & des troupes fraichës. A quoi attribuer la négligence affedtée de 1'Efpagne k 1'égard des Portugais ? au defir fecret d'abbaifer fes nouveaux fujets , qui ne lui paroiflbient pas affez foumis, & d'affurer la perpétuité de fon empire fur la multiplicité de leurs défaites: voila pourquoi, dans la crainte que le Portugal ne trouvat des reffources inattendues , 1'Efpagnc lui enlevoit fes habitans qu'elle envoyoit en Italië , en Flandres , 8c dans les autres contrées de 1'Europe oü elle faifoit ia guerre. II eft aifé de prévoir les événemens.  !i88 Tabzeav gradvel Hétons-nous d'arriver a cette époque ménagée par la providence, pour faire expier aux Portugais leurs perfidies , leurs brigandages 8c leurs atrocités. Ce fut alors que fe vérifia la prophétie d'un roi de Perfe ; car les rois prophétifent quelquefois. Ce prince ayant demandé a un ambalfadeur , arrivé de Goa, combien de gouverneurs fon maitre avoit fait décapiter depuis qu'il avoit introduit fa domination dans les Indes : aucun , répondit 1'ambafladeur, tant pis , répliqua lemonarque ,fa puiffance , dans un pays oii ilfe commet tant datrocités & de barbaries , ne fera pas de longue durée. Si dans le cours de cette guerre que fe firent les Portugais 8c les Hollandois, on ne remarqua pas cette témérité brillante , cette intrépidité qui fignalerent les entreprifes des Portugais, ils firent voir une fuite 8c une perfévérance immuables dans leurs deffeins. S'ils furent fouvent battus , jamais on ne les vit découragés : ils ne fe lalfoient point de faire de nouvelles tentations avec de nouvelles forces, & des mefures dirigées par la plus haute fagelfe. Jamais on ne les vit s'expofer a une défaite entiere. Quand il leur arrivoit d'avoir plufieurs vailfeaux maltraités , ils fe retiroient a tems, 8c comme le commerce fixoit toute leur attention , la hotte vaincue alloit fe réparer chez quelques princes de 1'Inde , y achetoit des marchandifes 8c retournoit en Hollande. De cette maniere la compagnie fe procuroit de nouveaux fonds qu'on employoit aufli-tót a de nouvelles entreprifes. Si les Hollandois n'exécutoient pas toujours de grandes chofes , du moins ne pouvoit-on pas leur rcprocher d'en faire d'inu-  vv Commerce en Hozianse. 189 bles. Ils ne faifoient pas parade de cette fierté 8c de cette vaine gloire qu'affectoient les Portugais qui avoient guerroié plus long-tems qu'eux , SC peut-être plus facrifié a la renommee 8c a 1'illultration, qu'a 1'agrandiifement fixes dans leur premier deffein, ni motifs de vengeance, ni projets de con* quête ne purent les en faire défifter. Avec du courage, de la prudence Sc de la patience, on vient a bout de tout. Les Hollandois nous en fourniffent ici la preuve la plus complete. Lontinuons de les obferver dans leurs progrès 3 mais ne languiflbns pas dans les détails, tachons d'être rapides. L'an 1607 les Hollandois tachent de s'ouvrir les ports du vafte empire de la Chine. A cette époque 1'accès étoit très-difficile aux étrangers. On leurrefufal'entrée de la Chine , que 1'or des Portugais 8c les intrigues de leurs mifiionnaires leur fit fermer \ caril faut que par tout les prêtres foient les apötres du diable, leur digne fuppöt. Les Hollandois auroient pu arracher aux Chinois par la force ce qui avoit été refufé a leurs prieres 3 mais les Hollandois furent de tout tems de prudent phlegmatiques : ils fe Contenterent d'intercepter les vailfeaux Chinois j mais ce petit brigandage neut pas pour eux tout le fuccès qu'ils en attendoient. Menacés d'être affaillis Sc craignant de devenir a leur tour la proie d'une flotte Portugaife fortie de Macao , ils eurent la prudance de s'éloigner. Qui feroit afiez infenfé de hafarder un combat a forces inégales , dans 1'impoffibilité de fe radouber dans des mers oü 1'on. manquoit d'afyle , dans la crainte de commettre 1'honneur de la natiën Hollandoife óaterefiee a f*  190 TAS LE AV GR ADV EL ménager un grand empire dont 1'accès étoit fi ardemmentambitionné, il étoit donc de la prudence d'éviter Ie combat , c'eft ce qu'on fit pour le moment , mais ce ne fut pas pour long-tems. Peu d'années après les Hollandois affiégerent une place dont ils avoient appris a connoïtre 1'irhportance. Malheureufement pour eux ils échouerent dans leur entreprife ; mais ils ne fe rebuterent pas; la patience des Hollandois eft è toute épreuve. ^ Ils firent fervir les armemens qu'ils avoient dirigé contre Macao , & former une colonie dans les isles des Pêcheurs, retraite fcabreufe oü 1'on manque d'eau dans des tems de fécherelfe Sc de vivres en tout tems. Ces facheux inconvéniens n'étoient pas rnême rachetés par des avantages folides , paree que dans ie continent voifin , on mettoit les plus grands obftacles a toute efpece de communication avec ces étrangers, dont le voifinage paroifibit fi dangereux. Les Hollandois ayant été invités, l'an iói4 , a s'aller fixer a Formofe avec 1'affurance que les marchands Chinois auroient une liberté entiere d'aller traiter avec eux , fe déterminerent a abandonner un établilfement dontils défefpéroient de tirer aucun parti avantageux. Oh ejl Jituée l isk Formofe , & quelle efi fon enceinte. Elle eft fituée vis-a-vis de Ia province de Fokhein, è trente lieues de la cöte ; elle peut avoir Cent trente ou quarante lieues de circuit, du moins cette fuppofition n'a pas été jufqu'ici démentie. On foupconne que les habitans de cette isle , a en ju-  dv Commerce en Hollande. 191 ger par leurs mceurs Sc par leur figure , font defcendus des Tartares de la partie la plus feptentrionale de 1'Afie. Dans cette hypothefe, il faudroit qu'ils fe fulfent frayé une route par la corée 3 on ne rifque jamais de faire de pareilles hypothefes en pareil cas. Quoiqu'il en foit , les habitans de cette isle vivoient alors , du moins le plus grand nombre, de pêche ou de chaife , Sc alloient prefque tous nuds. 11 paroit hngulier qu'une isle qui n'eft qu'a trente lieues de 1'empire de la Chine, ne lui ait pas été alfujetti. Seroit-ce paree que eet empire n'a pas comme 1'Europe , la paflion des conquêtes, ou que par une politique aufli barbare que mal entendue , on préfere dans eet empire d'y laifler périr une partie de fa population , plutót que d'envoyer la furabondance de fes fujets dans des terres voifines. C'eft une énigme politique qu'on ne s'obftinera pas a deviner j mais ne perdons pas de vue , nos Hollandois. Après de müres réflexions, ils jugerent que le lieu le plus favorable a un établilfement , étoit une petite isle voiline de la grande qui leur offroit trois avantages confidérables , de la facilité a fe défendre au cas que la haine ou la jaloufie euffent cherché a les débufquer , un port fermé par les deux isles Sc enfin la facilité d'avoir dans toutes les moncons une communication füre avec la Chine , ce qui auroit été impoflible dans quelque pofition qu'on eüt voulu les attaquer.En peu de tems la nouvelle colonie fe fortifie comme a la fourdine , Sc tout-a-coup elle s'éleve a une profpérité qui étonna toute 1'Afie. A qui fut dü ce bonheur inefpéré'A la conquête de la Chine par les Tartares,  i02 Tableau gradueè C'eft ainfi que lesvallons fe fontengraiffés de la fub£ tance des montagnes ravagées par la rapidité ruineufe des torrens débordés. Cent mille Chinois pour échapper aux fers forgés par leur vainqueur , fe réfugierent a Formofe , 'ou ils porterent avec eux f aétivité qui leur eft particuliere , la culture du riz 8c du fucre , 8c y attirerent des vailfeaux fans nombre de leur nation ; d'oü il réfulta que bientót l'isle devint lecentre de toutes les liaifons, que Java , Siam , les Philippines, le Japon 8c d'autres contrées voulurent former. En peu d'années, cette isle devint le plus grand marché de 1'Inde. Les Hollandois fe flattoient de plus grands fuccès encore, lorfque Ia fortune trompa leurs efpérances, 8c voici de quelles manieres. Du fein de 1'obfcurité 8c do la piraterie , un Chinois nommé Equam s'étoit éievé par fes talens a la dignité de grand amiral. II foutint long tems les intéréts de fa patrie contre les Tartares j mais voyant que fon maitre avoit fuccombé , il fe facilita les moyens de faire fa paix. On 1'avoit attiré a Pekin oü il fut auffi , Sc s'y vit condamné par 1'ufurpateur a une prifon perpétuelle , dans laquelle on foupconne qu'il fut empoifonné. Sa flotte fervit d'afylë a fon fils Coxinga, qui jura une haine éternelle aux oppreffeurs de fa familie Sc de fa patrie. S'imaginanr qu'il pourroit exercer contr'eux des vengeances terribles , s'il réufiffoit a s'emparer de Formofe , il 1'attaqua avec vigueur 8c fit prifonnierle miniftre Hambroeck. A la defcente dans l'isle, celui-ci avoit été choifi pour aller au fort de Zélande déterminer fes compatriotes a capituler , il arriva un prodige qu'on n'avoit encore YU  du Commerce en Hollande 193 vu qu'une fois fur la terre, & qu'on ne reverra peutêtre jamais. Ce fier républicain fe fbuvenant de Régulus, exhorte fes compatriotes a tenir ferme , Sc tache de leur perfuader qu'avec beaucoup de fermeté , ils forceront 1'ennemi a fe retirer. La garnifon ne doutant pas que ce citoyen généreux ne payüt fa magnanimité de fa tête , fit les plus grands effortspour le retenir au camp. II fe refufaa toutes les inftances qu'on put lui faire 8c qui furent tendrement appuyées par deux de fes filles qui fe trouvoient alors dans la place. On fent qu'elle violence il fe fit j mais fon héroïfme 1'emporta fur la tendrelfe. cc J'ai promis, dit-il , d'aller reprendre mes » fers : il faut dégager ma parole. Jamais on ne » reprochera a ma mémoire , que pour mettre » mes jours a couvert, j'ai appéfanti le joug Sc » peut-être caufé la mort des compagnons de mon » infortune.» Trait a jamais mémorable ! A peine ce nouveau Régulus eut-il prononcé ces paroles héroïques , qu'il reprit tranquillement la route du camp Chinois Sc le fiege commencia. Le gouverneur Coyet fit les plus grandes réfiftances , quoique les ouvrages de la place fuffent en très-mauvais état , que les munitions de guerre Sc de bouche ne fuffent rien moins qu'abondantes , Sc que pour comble de malheur , les fecours envoyés pour atraquer 1'ennemi , fe fuffent honteufement retirés. . Le gouverneur fe vit forcé au commencement de l'an 1662 de capituler. II fe rendit a Batavia oü fes fupérieurs , par une de ces iniquités d'état communes a tous les gouvernemens, le flétrirent pour ae pas laiffer foupconner que la perte d'un etablifTome Xf * N  194 Tableau gradvel fement fi important fflt 1'ouyrage de leur ineptie our de leur négligence. On fit enfuite des tentatives inutiles pour recouvrer la place quön avoit été obligé d'abandonner : Sc 1'on fut réduit dans la fuite , a faire le commerce de Canton aux mêmes conditions , avec la même gêne , Sc la même dépendance que les autres nations. Pourquoi depuis l'an 1ÓS3 , aucun peuple de 1'Europe , n'a-t-il entrepris d'arracher l'isle de Formofe aux Chinois pour s'y établir, du moins aux mêmes conditions que les Portugais a Macao ? C'eft peut-être paree que Formofe n'étoit un pofte important que lorfque les Japonois pouvoient y naviguer 8c que fes produétions étoient recues fans reftridtion au Japon. Voici un contrafte plus frapans. L'empire du Japon paroiilbit fermé pour toujours aux Hollandois. Après les tentatives inutiles qu'ils avoient faites , ils défefpéroient d'y entrer , lorfque par un fingulier hazard un de leurs capitaines jeté par la tempête fur les cótes japonoifes l'an 1609 , les avertit que les peuples étoient tout a-fait difpofés en leur faveur. Commerce des Hollandois avec le Japon. Le gouvernement du Japon avoit éprouvé une révolution frappante. Un tyran nommé Taycofamay de foldat devenu général, Sc de général Empereur, avoit üfurpé tous les pouvoirs, anéanti tous les droits , & rendu féroce un peuple magnanime. Le defpotifme étoit établi par les loix , le comble de la tyrannie. La nouvelle législation n'étoit qu'un code criminel 5 1'on ne voyoit que des échafauds ,  du Commerce én Hollande. 195 des fupplices, des coupables Sc des boureaux. Le Japonois a la vue des chaines qu'on lui apprêtoit, avoit pris les armes, Sc le fang couloit dans tout 1'empire. Le Japon ne fut pendant un fiecle qu'un cachot rempli de criminels, Sc un théatre de fupplices. Le tróne élevé fur les débris de 1'autel étoit environné de gibets, Sc les Japonois étoient devenus atroces comme leur tyran. Taycofama leva un fceptre de fer Sc frappa fur les chrétiens comimennemies de l'état. II drelfa des büchers 8c des millions de viétimes s'y précipiterent. Pendant quarante ans les échafauds furent 'teints du fang innocent des martyrs. Les empereurs du Japon enchérirent fur ceux de Rome dans 1'art de perfécuter les Nazaréens. Prés de quarante mille chrétiens , dans le royaume ou la province Darima , s'armerent an nom Sc pour le nom de Chrifl : ils fe défendirent avec tant d'acharnement 8c de fureur, qu'il n'en furvécut pas un feul au carnage excité par la fédition. Pendant toute cette crife , la navigation, le commerce, les comptoirs des Portugais s'étoient foutenus , mais leur ambkion 8c leurs intrigues les avoit rendus fufpedts au gouvernement, 8c leur avarice 8c leur orgueil les avoit renduodieux au peuple. Mais comme on avoit pris 1'habitude de leurs marchandifes, ils furent encore fupportés quelque tems , jufqu'a ce qu'enfin ils furent exclus du Japon a la fin de l'an 1638. II y avoit alors des négocians en état de les remplacer. Les Hollandois qui étoient en concurrence avec les Portugais , ne furent point heureufement pour eux enveloppés dans cette dilgrace. Ils avoient prêté N 2,  icj6 Tableav gr adv ez leur artillerie contre les chrétiens! ijs paroiuoiefiS réfervés , fouples 8c modeftes. Uniquement occupés de leur commerce, ils furent tolérés quelque tems, mais trois ans après ils furent dépouülés de la liberté & des privileges dont ils jouiflbient. Usfe font relégués dans l'isle artificielle de Defima , depuis l'an 1641. Cette isle eft élevée dans le port de Nangazaki, qui communiqué par un pont a la ville. On défarme leurs vailfeaux a mefure qu'ils arrivent , Sc la poudre, les fufils, les épées, 1'artillerie, le gouvernail même, font portés a terre. Dans cette efpece de prifon * ils font traités avec un mépris dont on n'a point d'idée, Sc ils ne peuvent avoir de communication qu'avec les commiftaires , chargés de régler le prix 6c la quantité de leurs marchandifes. II n'eft pas poflible que la patience avec laquelle les Hollandois fouffrent ce traitement depuis plus d'un liecle , ne les ait avilis aux yeux de toute la nation qui en eft le témoin , 8c que 1'amour du gain ait amené a ce point 1'infenfibilité aux outrages , fans avoir flétri le caractere. Voici les principales marchandifes que les Hollandois portent au Japon, ce font des draps d'Europe , des foies , des épiceries, des toiles peintes, du fucre Sc des bois de teinture. Les retours de la compagnie monterent a feize millions 1'année même de fa difgrace^ mais des entraves multipliées ont réduit par degrés fa profpérité a rien. La cargaifon de deux vaiffeaux qu'elle envoie annuellement, ne peut être vendue au dela d'un million. On donne en paiement onze mille cailfes de cuivre a quarante-une livres quatre fois la cailfe, pefaaê  DïïJZOMMERCE EN HOLLANDE. 197 tent vingt livres. Ses frais, en y comprenant les préfens, Sc l'ambalfade qu'on envoie tous les ans a 1'Empereur, rflontent communément z 280,000 livres, 8c fes bénéfices ne paffent pas 310,000 livres ; de forte que lorfque la compagnie a gagné 40000 livres , 1'année paffe pour fort heureufe. Les Chinois font les feuls peuples admis en concurrence avec les Hollandois dans 1'empire du Japon ; mais Ie commerce qu'ils y font n'y eft pas fort étendu, St c'eft avec les mêmes gênes. Car depuis l'an ióó8 , ils font enfermés, pendant tout le tems que leur veiite dure, hors des murs de Nangazaki dans une efpece de prifon , compofée de plufieurs cabanes, environnée d'une palilfade , SC défendue par un bon foffé avec un corps-de-garde a toutes les portes. Voici pourquoi on a pris ces précautions contr'eux, c'eft que parmi des livres de philofophie Sc de morale , on y avoit introduits des ouvrages favorables au chriftianifme , 8t qu'on avoit donnés a Canton a des miffiönnaires Européens pour les répandre , 1'appat du gain conduifit les Chinois a une imprüdence qui fut févérement punie. Les Moluques paffent fous la domination des Hollandois. Les Portugais avoient été long-tems les maï* tres des Moluques , mais ils s'étoient vus réduits k en partager les avantages avec les Efpagnols devenus leurs maitres, 8c même a leur céder bientót après ce commerce prefqu'entiérement. Ce fut une «ccafion favorable pour les Hollandois qui pouvoit N 3  lytf Tableau gr a du el les dédommager de ce qu'ils avoient pu perdre au Japon. Ils n'étoient pas encore entrés en commerce avec les isles les plus remarquables de la zoneTorride , lorfqu'ils chercherent a s'approprier celui des Moluques , dont les anciens conquérans avoient été chafies vers l'an 1627. Ils furent remplacéspar les Hollandois, qui n'étoient pas moins avides que ceux qui les avoient précédés, mais moins inquiets 8c plus éclairés. Dès que ceux - ci fe virent folidement établis aux Moluques , ils chercherent a s'approprier le commerce exclulif des épiceries : cétoit un avantage que ceux qu'ils venoient de dépouiller, n'avoient jamais pu fe procurer. Voici comme les Hollandois manceuvrerent : ils eurent l'adrefie de fè fervir des forts qu'ils avoient emportés 1'épée a la main, de-même que de ceux qü'on avoit eu 1'imprudence de leur lailfer batir, pour engager dans leur parti les rois de Ternate 8c de Tidor y maitres de eet Archipel. Bientót ces princes fe virent réduits a confentir , qu'on arrachat des isles lailfées fous leur domination , le mufcadier 8c le giroflier. Pour prix de ce grand facrifice , le premier de ces efclaves couronnés, recoit une penfion de 64500 livres ; 8c le fecond, une d'environ ïiooo livres. Une garnifon qui devoit être de quatre cents hommes , eft chargée d'alfurer 1'cxécution du traité : c'eft ainfi que les guerres, la tyrannie 8c Ja mifere ontréduit a un état d'anéantiffement des fouverains que les forces des hfpagnols font plus que fuffifantes pour foutenir , s'il ne falloit pas furveiller les Philippines , dont le voifinage caufe quelques inquiétudes de tems en  eu Commerce en Hoizande. 1994 rerhs aux bons Baraves, qui ne font cependant aujourd'hui aux Moluques qu'un commerce languiffant. En voici la raifon : c'eft qu'ils n'y trouvent point de moyen d'échange, ni d'autre argent que •celui qu'ils yenvoient pour payer les troupes , les commis Sc les penfions j, cela paroit ƒ autant plus furprenant que toute navigation eft interdite aux habitans dans ces parages, St qu'aucune nation étrangere n'y peut avoir aucun acces. II en coüte a ■la compagnie Hollandoife par an 140,000 livres , les petits prorits déduits , pour folder le gouvernement qu'elle entretient dans ces isles : il jc& vrai qu'elle s'indemnife amplement des faux frais qu'elle y fait , par les grands avantages qu'elle retire d'Amboine , oü elle a concentré la culture du girofle , dont la defcription eft trop intéreffante pour la paffer fous lilence. Defcription du giroflier. Le giroflier reffemble beaucoup a 1'olivier par fon écorce, Sc au laurier par la grandeur 8c la forme de fes feuilles. Ses nombreufes branches fe chargent a leur extrêmité d'une prodigieufe quantité de fleurs, d'abord blanches, enfuite vertes , rouges enfin Sc affez dures j c'eft dans ce defnier degré de maturité que ces fleurs font proprement des cloux. A mefure qu'il feche , il devient jaunatre j quand il eft cueilli, le clou devient brtin , 8c lorfqu'il eft cueilli , il prend la couleur d'un brun foncé. On ne voit jamais de verdure fous le géroflier, paree qu'il attire fans doute a lui tous les fucs nourriciers, Tous les habitans des isles N 4  20© Taszeav ghaduez Moluques fout obligés a cultiver un certain nombf é de girofliers. On leur paie leurrécolte : ils recueilJent ces fleurs a Ia main , ou les font tomber avec de Iongs rofeaux. On les recoit dans de grandes toiles, placées a ce deflein , enfoire on les fait fécher au rayons du foleil ou a la fumée des cannes aBambou. Lesclouxqui échappent a 1'exaftitude de ceux qui en font la récolte , ou qu'on veut laifler fur 1'arbre continuent a groflir jufqu'a 1'épaifleur d'un pouce ; ils tombent dans la fuite , Sc reproduifent le giroflier qui ne donne des fruits qu'au bout de huit a neuf ans. Ces cloux , qu'on nomme matrices , quoiqu'inférieurs aux cloux ordinaires , ont des vertus. Les Hollandois ont coutume d'en confire avec du fucre , Sc dans les longs voyages ils en mangent après le repas, pour rendre la digeftion moins laborieufe ; quelquefois aufli ils s'en fervent comme d'un remede agréable contre le fcorbut. Le fruit du giroflier fe nomme antofle de girofle, ou mere de girofle , ou clou de matrice. Ils contiennent ainfi que les fleurs, une prodigieufe quantité d'huile eflentielle aromatique, que 1'on retire par la diftillation j on 1'altere quelquefois avec 1'huile de coulilawan. Cette huile aromatique eft employée par les parfumeurs: elle ranime dans 1'apoplexie, Sc appaife les douleurs de dents ; mêlée avec de 1'efprit-de-vin , elle arrête les progrès de la gangrene. Les cloux ou fleurs de girofle s'emploie dans les aflaifonnemens : ils font échaufians, incififs. On porte de petits cloux de girofle en poudre, pour fe garantir de la pefte. Tous les habitans des «les Moluques font obligés de cultiver un-certain  dü Commerce es Soit asm. 4©i Eombre de girofliers. La compagnie Hollandoiie leur*a aflïgné quatre mille terreins, fur chacun defquels elle a d'abord permis, St s'eft vue forcée vers l'an 1720, d'ordonner qu'on plantat cent vingt arbres, ce qui forme un nombre de cinq cents mille girofliers. Chacun donne , année commune , ad dela de deux livres de girofles 5 St par conféquent leur produit réuni paffe un million pefant. C'eft avec I'argent qui revient toujours a la compagnie qu'on paie le cultivateur, St avec quelques toiles bleues ou écrues, tirées du Coromandel. On auroit pu donner de faccroiffement a ce foible commerce , fi les habitans d'Amboine 8t des petites isles qui en dépandent, avoient voulu fe hvrer a la culture du poivre 8t de 1'indigot, dont les effais ont été affez heureux. Tout miférables que font ces infulaires, on n'a pas réufli a les tirer de leur indolence , peut-étre paree qu'on ne les a pas amorcés par une récompenfe proportionnée a leurs travaux. Quant aux isles de Banda , 1'adminiftration y eft un peu différente; elles font fituées è trente lieues d'Amboine. Ces isles font au nombre de cinq : deux font incultes 8t prefqu'inhabitées , les trois autres jouiffent de 1'avantage de produire la mufcade exclufivement a tout 1'univers. Ce fruit aromatique fe recueille fur un arbre qui croit aux Indes orientales , de la grandeur de nos poiriers. Lorfqu'on cueiHe la mufcade fur ces arbres, elle eft recouverte de deux autres écorces : la première eft charnue , molle , rouffe , parfemée de taches purpuritjes comme nos abricots \ on enleve  2.02 TABZEAV ORADVEt fur-le-champ cette première écorce , on Ja met a terre, elle y pourrit: il croit deffus une efpece de champignon mufqué , eftimé comme un mets déJicieux. La feconde écorce eft rougeatre , mince, dilpofee par filets : c'eft le maas. On arrofe la •noix mufcade qui eft fous ces deux écorces avec une eau de chaux falée , on la fait fécher a l'air, au foleil; fails ces précautions on ne pourroit la conferver. On choifit les plus belles mufcades pour le commerce, on laiffe les moins belles pour les habitans; on brüle les plus petites 8c les moins müres, ou on en retire de 1'huile. On confit quelquefois les mufcades toutes entieres dans le fucre, dans le vinaigre; c'eft un deffert très-agréable : on rejette la noix, on ne mange que les premières écorces. On retire de la noix mufcade, par diftillation ou par exprefiion , ainfi que du macis, une huile aromatique; eJle appaife le hoquet, facilité le fommeil fi 1'on s'en frotte les tempes. La mufcade fortifie 1'eftomac, aide a Ja digeftion , fon ufage immodéré, ainfi que les confitures de eet aromate, attaquent Ja tête, échauffent, occafionnent des maladies foporeufes. Les Hollandois recueillent la mufcade dans les isles Moluques 8c de Banda. Ce fruit eft neuf mois a fe former, il eft de la groffeur d'un ceuf, 8c a la couleur d'un abricot. La mufcade eft plus Ou moins parfaite, fuivant 1'age de 1'arbre, le terroir, 1'expofition 8c la culture : on eftime beaucoup celle qui eft récente , grafie, pefante , 8c qui étant piquée rend un fuc huileux \ elle aide a la digeftion , diffrpe les vents 8c fortifie les vifceres. Les Hollandois font parv^nus a en faire  nv Commerce en HolIande. 203 feuls le commerce ainfi que de la canelle Sc du girofle , foit en poffédant Sc en achetant des peuples qui les cultivent dans les lieux oü ils croiffent, foit en les faifant arracher dans les autres endroits. Ils ont des magafins immenfes de ces aromates , tant dans les Indes qu'en Europe , Sc ne vendent que leur récolte cueillie quinze ou feize ans auparavant. Lorfqu'ils en ont une trop grande quantité , plutót que de les vendre a un plus bas prix ils les brülent: en voici un exemple qui fait frémir 1'humanité. L'an 1760, on fit a Amfterdam un de ces feux dont 1'aliment étoit eftimé huit millions de Franceon devoit en brüler autant le lendemain. Les picds des fpecfateurs baignoient dans 1'huile effentielle de ces fubftances: il n'étoit permis a perfonne d'y toucher, ni de ramaffer les épices qui étoient dans le feu. Quelques années auparavant Sc dans le même lieu, un pauvre particulier , qui dans un femblable' incendie ramaffa quelques mufcades qui avoient roulé du foyer , fut pris 8c condamné a être pendu & exécuté fur-le-champ. Quid non cogis aurifacra fames ? Ce trait feul fuffit pour flétrir a jamais la nation Hollandoife. Les Anglois minent fourdement leur commerce des épiceries} ils commencent a retirer de la canelle, du poivre , du girofle de l'isle de Sumatra, Sc on tranfpiante avec fuccès de la canelle a la Martinique. C'eft a-peu-près la feule produftion que les Hollandois recueillent des isles de Banda Sc de toutes les Moluques ■■, car elles font d'ailleurs d'une ftérilité affreufe. Ce n'eft qu'aux dépens du néceffaire qu'on y trouve le fuperfhi j la nature s'y refufe a la culture de tous les grains: la  204 T A BZ E AV 6RAJ3V EZ moëlle de fagou y fert de pain aux naturels du pays, On prepare cette fubftance alimentaire dans les isles Moluques Sc Philippines, avec Ia moëlle de certames efpeces de palmiers. Ces arbres font appelles par les botamftes, faguifera , toddapanna, &Xlandan aux Moluques. Us font de la plus grande utilité: on emploie leurs feuiiles a couvrir les maifons. Les nervures de ces feuiiles font un fort bon chanvre. 5>ür ces mêmes feuiiles on trouve un duvet, dont 6n fait de bonnes étoffes. On retire, par incifion de ces palmiers , une Jiqueur très-agréable. Pour preparer le fagou onle coupe, on délaye la moëlle dans 1'eau , on la pafte a travers des tamis de erin; les fubftances filandreufes qui reftent fur les tamis, fervent a nourrir les pourceaux : on laifle repofer 1 eau dans des vafes, on en forme une pate ou pain mollet d'un doigt d'épaiffeur Sc de demi-pied en quarre. On en fait des chapelets Sc on les vend dans les rues. 11 eft encore une autre maniere dont on la prépare; on paffe la pate a travers des platines perforées, elle fe réduit en petits grains deffechés, la chaleur leur fait prendre une couleur rouffeatre: voila Ie fagou. On y ajoute quelquefois des aromates pour les rendre plus agréables. On les mange bouillis dans du Iait ou du bouillon : c'eft une des meilleures nourritures qu'on puiffe donner aux jeunes enfans dans les fievres étiques Sc la phtyfte. Comme la moëlle du fagou ne feroit pas une nourriture fuffifante aux Européens fixés dans les Moluques, on leur permet d'aller chercher des vrvres a Java, a Macaffar, ou dans-1'isle extréme.  ï>v Commerce en Hollande. 205 ment fertile de Bali. La compagnie porte elleinême a Eanda quelques marchandifes. Voila le feul établilfement des Indes orientales qu'on puilfe regarder comme une colonie Européenne , paree que c'eft 1'endroit feul oü les Européens foient propriétaires des terres. Si la compagnie Hollandoife trouva les habitans des isles du Banda cruels Sc perfides, c'eft qu'ils étoient impatiens du joug auquel ils étoient alfervis} ce fut une raifon pour les Hollandois d'exterminer ces malheureux, qui n'ont rien perdu a leur anéantiflement. Bientót leurs poffeflions furent partagées è des blancs qui rirent de quelques isles voifines des efclaves pour la culture. La plupart de ces blancs font ou créoles, ou quelques mécontens d'un caractere chagrin ou inquiet, qui fe font retirés de la compagnie. II eft une isle parmi celles de Banda, nommée Rojingen , paree qu'on y relegue ordinairement des bandits flétris par les loix , ou des jeunes gens fans mceurs , dont les families ont voulu fe débarraffer. Le climat en eft fi mal fain, que ces malheureux n'y vivent pas long-tems. Une fi grande confomrnation d'hommes a fait tenter de tranfporter a Amboine la culture de la mufcade. Deux puiffantes véhicules ont pu déterminer la compagnie a prendre ce parti, celui d'éeonomifer 8c 1'autre d'affurer fon économie ; mais jufqu'ici les tentatives • ont été infructueufes , Sc les chofes font reftées dans l'état oü elles étoient. C'eft pour s'afiurer le produit exclufif des Moluques que les Hollandois ont été obligés de former  2o5 Tableau g r a d u e ï, deux établiifemens, 1'un a Ti/nor Sc 1'autre a Cé~ lebes, produit qu'ils appellent avec raifon, les mines d'or. Etablijfement des Hollandois d Ti/nor. L'isle Tirnor a foixante lieues de long fur quinze ou dix-huit de large: elle eft partagée en plufieurs feuverainetés : les Portugais y font en grand nombre. A leur arrivée dans les Indes, ces fiers conquérans avoient, dans leur courfe rapide , parcouru une carrière immenfe 6c remplie de précipices, ils franchiifoient tout, 8c tout fléchiftbit fous eux. Maitres d'un vafte empire, ils ne déployerent pour le conferver aucune de ces aétions héroïques qui leur en avoient procuré la conquête. II eft vrai que eet empire qu'ils avoient conquis fi brufquement, ébranlé par fon propre poids, étoit pret a crouler de toutes parts, iorfqu'attaqués par les Hollandois, ils furent forcés dans une citadelle, chalfés de leur empire , Sc difperfés après une défaite complete. Ils furent lachement mendier un emploi ou quelque folde auprès des mêmes princes Indiens qu'ils avoient fi fouvent outragés 8c avec tant d'audace. II leur étoit cependant facile d'aller chercher un afyle auprès de leurs freres , 8c de, fe réunir fous des drapeaux jufqu'alors invincibles , pour arrêter les progrès de leurs ennemis ou pour recouvrer leurs établilfemens. Ils étoient trop laches pour prendre une réfolution fi gênéreufe : les plus efféminés préférerent de fe réfugier a Timor, isle tout-è-fait pauvre 8c fans induftrie, perfuadés qu'un ennemi occupé de conquêtes utiles  ~év Commerce en Hollande. 207 ne les y pourfuivoit pas, mais ils fe firent illufion ; car, l'an 1613 , les Hollandois les chalferent honteufement de la ville Kupan 8c s'emparerent prefque fans réfiftance d'une fortereffe qu'ils ont gardée depuis avec une garnifon de cinquante hommes. La compagnie y u e z y font fi forts, fi méchans 8c fi nombreux , qu'ott en feroit tourmenté, fans une efpece de ferpens qui leur donne continuellement la chaffe. Cette isle, dont le diametre eft d'environ cent trente lieues, contient plulieurs royaumes, dont le principal eft celui de Macaffar , qui en occupe prés de la moitié. Quoique fituée au milieu de la zone Torride, les chaleurs y font tempérées par des pluies abondantes, 8c par des vents frais. Ses habitans font les plus braves de 1'Afie méridionale; leur premier choc eft furieux ; mais une vigoureufe réliftance fait bientót fuccéder un abattement total a une fi étrange impétuofité. En voici la raifon: c'eft que 1'ivreflé de 1'opium fe diflipe bientót, après avoir épuifé leurs forces par des tranfports qui tiennent de la frénéfie. Leur arme favorite s'appelle le crid, qui eft d'un pied 8c demi de long, il a la forme d'un poignard dont la lame s'alonge en ferpentant: on n'en porte qu'un k la guerre , mais les querelles particulieres en exigent deux; celui qu'on tient a la main gauche fert k parer le coup 8c 1'autre a frapper 1'ennemi: la blefiure qu'il fait eft très-dangereufe , 8c ordinairement le duel fe termine par la mort des deux combattans. Si cette méthode étoit adoptie en Europe , les duels y feroient plus rares, fur-tout en France. La ville la plus confidérable de l'isle eft Macaffar ; elle eft affez forte 8c a un bon port, mais elle eft afiez mal batie : les Hollandois y ont conftruit une fortereffe pour affurer leur commerce. Le roi de Macaffar fuit le mahométifme; fes fujets étoient autrefois payens: ils ne reconnoiffoient d'autres  vu Commerce en Hozzanve. zag d'autres dieux que le foleil Sc la lune, qui furent fes premières divinités de tous les peuples dans leur enfance. Les Macaflarois n'offroient des facrifices que dans les places publiques , paree qu'on ne trouvoit pas de matiere aflez précieufe pour leur élever des temples. Dans 1'opinion de ces infulaires le foleil 8c la lune étoient éternels, comme le ciel, dont ils fe partageoient l'empire. L'ambition les brouilla : la lune fuyant devant le foleil, fe blelfa 8c accoucha de la terre , elle étoit grolfe de plufieurs autres mondes qu'elle devoit mettre fucceflivement au jour , mais fans violence, pour réparer la ruine de ceux que le feu de fon vainqueur doit confumer. Ces abfurdités éroient généralement recues a Célebes i mais elles n'avoient pas dans 1'efprit des grands & du peuple, plus de confiftance que certains dogmes religieux n'en ont aujourd'hui chez ceux qui fentent 8c qui penfent. II y a environ deux fiecles que quelques chrétiens & quelques mahométans avoient répandu leurs opinions chez les Macaflarois, & les avoient dégoüté de leur culte national. Le principal roi du pays , frappé de 1'avenir terrible dont les nouvelles religions le menacoient également , réfolut avec fon confeil, d'embrafler une autre reiigion. On envoya en même tems des ambaffadeurs au gouverneur Portugais de Malaca, 8C au roi d'Achem dans l'isle de Sumatra , qui étoit mahométan , pour leur faire favoir que les Macaffarois étoient déterminés a fuivre la reiigion dont les miflionnaires arriveroient les premiers. Les apötres de 1'alcoran furent les plus actifs : le roi fe fit circoncire \ le refte de l'isle fuivit fon exemple, ÖC Tornt IL O  21 o Tableau gra d u kz embraffa le mahométifme auquel le peuple eft ea* core aujourd'hui très-fuperflirieufement attaché. Ce contretems n'empêcba pas les Portugais de s'établir dans l'isle de Célebes. Ils s'y maintinrent , même après avoir été chafies des Moluques. La raifon qui les y retenoit 8t qui y attiroit les Anglois, étoit la facilité de fe procurer des épiceries , que les naturels du pays trouvoient moyen de leur faire paflêr , malgré les précautions qu'on prenóit pour les écarter des lieux oü elles croiffoient. Cette concurrence empêchoit les Hollandois de s'approprier le commerce exclufif du girofle & de la mufcade. Ils prirent la réfolution Fan 1660 , d'arrêter cc ttafic qu'ils appelloient une contrebande. Pour y réuflir, ils employerenr des moyens que la morale a en horreur , mais qu'une avidité fans bornes a rendus trés - communs en Afie. D'ailleurs de tout tems les Hollandois ne furent jamais bien délicats fur les moyens de fe procurer des richelfes. Auffi parvinrent-ils bientót a chaffer les Portugais, a écarter les Anglois , enfin a s'emparer du port 8c de la fortereffe de Macaffar. Dès-lors ils ont toujours été les maitres abfolus de cette isle fans 1'avoir conquife. Les princes qui la partagent firent une efpece de confédération. Ils s'affemblent de tems en tems pour les affaires qui concernent 1'intérêt général ; ce qui eft décidé devient une loi pour chaque état. Survient-il quelque conteftation, auflitót elle eft terminée par le gouverneur de la colonie Hollandoife qui préfide a cette diete. II éclaire de prés ces différens defpotes qu'il tient dans une entiere égalité. On les a tous défarmés fous pré,-  ï>v Commerce en Hollande. mi ïextes de les empêcher de fe nuire les uns aux autres \ mais plutöt dans la crainte que quelqu'un d'eux ne s'éleve au préjudice de la compagnie , & pour les mettre dans 1'impuiffance de rompre leurs fers. Les Chinois font les feuls étrangersqui foient retjus a Célebes; ils y apportentdu tabac, du fil d'or, des porcelaines & des foies en nature. Les Hollandois y vendent de 1'opium , des liqueurs , de la gomme laqué, des toiles fines & groflieres. On en tire un peu d'or , beaucoup de riz, de la cire , des efclaves 8c du tripam , efpece de champignon , qui eft plus parfait, a mefure qu'il eft plus rond & plus noir. Les douanes rapportent 80,000 livres a la compagnie. Elle tire beaucoup davantage des bénéfices de fon commerce bX des dimes du territoire qu'elle polfede en toute fouveraineté. Cependant ces objets réunis ne couvrent pas cependant les frais de la colonie qui fe montent a 150,000 livres & au dela. II n'eft pas douteux que les Hollandois abandonneroient ces parages , s'ils ne les rcgardoient avec raifon comme la clef des isles a épiceries. Au fud de Macaffar, les Hollandois font maitres de Jompandam : ils y ont conftruit un fort, Scils ont fait de eet établilfement,un entrepot très-avantageux pour leur commerce avec les pays voifins. Quant aux habitans de l'isle de Macaffar , ils font grands, robuftes , très-laborieux & les plus courageux de tous les indiens. Une éducation auftere ïes rend agiles , induftrieux & robuftes. A toutes les heures du jour, les nourrices , les enfans qu'elles allaitent avec de fnuik ou de Peau tiede , ces O 2  212 Tableau craduel onctions répétées, aident Ja nature afe développer avec aifance. On les fevre un an après leur naifian* ce , dans 1'idée qu'ils auroient moins d'intelligence , s'ils continuoient d'être nourris plus long- tems du lait maternel. A 1'age de 5 ou 6 ans , Jes enfans males de quelque dilfindtion qu'ils foient, font mis, comme en dépot chez un parent , dans la crainte que leur courage ne foit amolli par les carelfes de leurs meresöc par 1'habitude d'une tendreife réciproque. Ils ne retournent dans leur familie qu'a 1'age oü la loi leur permet de fe marier , c'eft-a-dire , a 15 ou 16 ans. Rarement ils ufent de cette liberté avant de s'être exercés dans 1'exercice des armes oü ils réuflifient parfaitement. Ils ne font pas moins propres aux fciences 8c aux arts , ils ont tous une mémoire très-heureufe. On ne pariera point ici de la ville de Célebes qui ne fe trouve ni fur les cartes les plus nouvelles 8c les plus exaétes , ni fur les tables de longitude 8c de latitude Hollandoife , oü elle ne feroit pas appopriée , s'il étoit vrai qu'elle fut un port dont tout un royaume porteroit le nom. Les Hollandois Jont recus d Borneo. L'isle Borneo eft très-grande, elle produit quantité de poivre 8c le meilleur camphre des Indes. Le camphre eft la gomme d'un arbre extrêmement haut, dont les branches s'étendent beaucoup, 8c qui a beaucoup de reftlmblance avec le laurier* . qui croit en Europe ; mais il s'éleve a la hauteur de nos tilleuls. ison bois eft rougeatre , panché comme celui du noyer, d'une odeur aromatique propre a faire divers ouvrages. Dans les provinces de  dit Commerce en Hollande. 2.13 Goter , de Satfuma , on coupe le bois 8c les racines de eet arbre, on les met dans des vafes remplis d'eau , on les échauffe doucement. Le camphre fe détache d'entre les pores du bois; ce fublime s'attache a des chapiteaux faits d'argille & garnis de chaume. Ce camphre détaché mis en maffe, grenelé , jaunatre , eft le camphre brut , tel que les Hollandois 1'apportent des Indes \ ils en font le principal commerce , le purifient chez eux , en le fublimant dans des matras de verre blanc. Le camphre de Borneo eft le plus eftimé. On n'en apporte que très-peu en Europe. II eft réfervé pour les grands du pays. Les fruits de eet arbre confit , font un préfervatif contre le mauvais air. Le camphre réuffit merveilleufement dans les affections nerveufes. Dif fous dans 1'efprit de vin , il s'oppofe a la gangrène. 11 ne faut pas croire au proverbe qui dit: « carnphora per nares caftrat odore mares. » Ceux qui y iravaillent continuellement n'en font pas moins d'enfans que les autres. Le camphre eft fi inflammable , qu'il brule entiérement fur 1'eau. On 1'emploie dans les feux d'artifice. On prétend qu'il entroit dans ia compofition du feu grégois. On retire une efpece de camphre de 1'écorce du cannellier , de fes racines , de celle de Zédoaire , du jonc odorant d'Arabie , du thym , du laurier, du romarin , de la fauge , de la camphrée & de prefque toutes les plantes labiées. On trouve encore du camphre entre les veines du bois , & 1'on en fait fortir auffi de 1'écorce rompue. Cette efpece de camphre eft rouge d'abord , & devient blanche , ou par la chaleur du foleil ou a force de feu.II yen aencore une O 3  214 T ABZEAV GRADVEZ efpece brune Sc obfcure qui eft moins eftimée. Lé camphre eft une fubftance végétale , volatile , inflammable , qui paroit, abftraction faite de fa forme concrete, fe raprocher beaucoup de 1'éther. Elle differe effentiellement des réfines avec lefqaelles , au premier coup-d'ceil , elle a quelque reffemblance. Cette fubftance découle d'un arbre quï croit au Japon , a Borneo Sc a Sumatra. On a découvert depuis peu que cette fubftance finguliere pouvoit fe tirer , en plus grand nombre ou moindre quantité de tous les arbres qui font de la familie des lauriers. Pour obtenir du camphre , on coupe les bois du camphrier en petits morceaux , femblables a des allumcttcs ; enfuite on les met dans un vailfeau qui a la forme d'une velTie : on les fait bouillir dans de 1 eau, 8c le camphre s'attache au chapiteau fous une forme concrete. Les Hollandois font les feuls peuples de 1'Europe qui ait le fecret de le raffiner en grand. Entre les camphres , celui de Borneo eft fans contredit le plus parfait. Sa fupériorité eft fi bien reconnue, que les Japonois donnent cinq ou fix quintaux du leur pour une livre de celui de Borneo. Les Chinois qui le regardent comme le premier des remedes , 1'achetent jufqu'a huit cents francs la livre. Les gentils fe fervent dans tout 1'orient du camphre commun pour des feux d'artifice $ 8c les mahométans le mettent dans la bouche de leurs morts . lorfqu'ils les enterrent. Ce fut vers l'an 1516 que les Portugais chercherent a s'établir a Borneo. Mais comme ils fe  du Commerce en Hozlande. 115 fentoient trop foibles pour s'y maintenir Sc s'y faire refpe&er par les armes, ils imaginerent de gagner la bienveillance d'un des fouverains du pays , en lui offrant quelques pieces de tapiiTerie. Ce prince imbécille prit les figures qu'elles repréfentoient , pour des hommes enchantés qui 1'étrangleroient durant la nuit, s'il les admettoit auprès de fa perfonne. Les explications qu'on donna pour dilfiper cesvaines terrcurs, nele raifurerent pas $ 8c il refufa opiniatrément de recevoir les préfens dans fon palais 8c d'admettre dans fa capitale ceux qui les avoient apportés. Ces navigateurs furent pourtant tousregus dans la fuite 5 mais ce fut pour leur malheur. Ils furent tous maflacrés : un comptoir que les Anglois y établirent quelques années après fubit 1c même fort. Les Hollandois qui n'avoient pas mieux été traités , reparurent l'an 1748 avec une efcadre , quoique très-foible, elle en impofa tellement au prince qui polfede feul le poivre , qu'il fe détermina a leur accorder le commerce exclufif. Seulement il fut permis d'en livrer cinq cents mille livres aux Chinois , qui de tout tems fréquentoient fes ports. Depuis cette époque , la compagnie envoyoit a Bendarmailèn du riz , de 1'opium , du fel, 8c environ lix cents mille pefant de poivre , a trente 8c une livre le cent. Le gain qu'elle fait fur ce qu'elle y porte , peut a peine balancer les dépenfes de 1'établiHèment , quoiqu'elles ne montent qu'a 31,000 livres, c'eft fans doute pour cette raifon que la compagnie a abandonné le comptoir ■qu'elle y avoit. Quoique les Hollandois n'aient plus de places fur les cötes , ils ont cependant ie pro- Ö 4  n6 Tableau graduez fit de tout Ie commerce de cette isle dont les habitans viennent commercer eux-mêmes a Java ; ils y apportent de la cafiè, du poivre , de la cire , Sc des drogues pour la teinture. Les grandes forêts qu'on y trouve , fournillent des bois propres a batir les vaifieaux. L'intérieur du pays efthabité par des idplatres nommés Beajous. Ces peuples font bienfaits , robuftes trés - fiiperftitieux 8c extrêmement opprimés par les Malais, Chez eux 1'adultere eft pum de mort. Si les Hollandois ont été obligés d'abandonner Bendarmaffen, ils trouvent a fe dédommager amplement a Sumatra. Établiffèment des Hollandois d Sumatra. L'isle de Sumatra eft féparée de la prefqu'isle oriëntale de 1'lnde , par les détroits de Malaca , 8c de Singapara. Elle eft très-fertile 8c produit beaucoup d'épiceries. Le poivre qui y croit eft le meilleur des Indes après celui de Cochim , fur la cóte de Malabar. On diftingue beaucoup d'efpeces de poivre , le poivre blanc , 8c le noir ; ils different très-peu 1'un de 1'autre. Ils croiffent dans Jes Indes. On eft obligé de les planter au pied des arbres ou de foutenir leur tige trop foible avec des batons. Le poivre blanc du commerce n'eft autre chofe que le poivre noir humedfi d'eau de la mer féché au foleil 8c dépouillé de fon écorce. Le poivre blanc en poudre eft fait avec le poivre noir écorcé. Le poivrier noir fleurit deux fois l'an 8c donne deux récoltes. 11 vient fort bien de bouture. II fe fait une grande confommation de ces graines. Lepoivrelong eft une autre forte de poivre dont la  dü Commerce en Hozzande. rrf graine a prefque le goüt du poivre commun. L'arbre qui porte ce fruit, croit a la hauteur de fept a huit pieds, dans le Bengale 8c dans les isles de 1'Amérique : les Indiens boivent non - feulement 1'infufion de ce poivre , mais encore 1'efprit ardent qu'ils en retirent par cette fermentation. Le poivre long noir fe nomme auffi grain de \éüm ou poivre d'e'thiopie. Sa graine a peu de goüt 3 fa gouffe eft plus acre , plus brülante. II eft rare en France: on en fait peu d'ufage. Le poivre de Guinée , ou corail des jardins , eft un poivre rouge que 1'on cultive en France oü il croit fort bien , fur-tout en Languedoc. II fleurit au mois d'aoüt. Son fruit mürit en automne. Sa capfule , d'une belle couleur rouge eft d'une acreté fi brülante qu'elle enflamme la bouche. Un morceau de cette gouffe jetée fur les charbons , répand une fumée qui porte au nez 8c fait éternuer. Les Indiens mangent le poivre tout cru. Plus fort dans leur climat que le nótre , ils en boivent la décoction comme ratafiat. Ce fruit recueilli avant fa maturité 8t macéré dans le vinaigre , fe mange comme les capres 8c les jeunes boutons de la capucine. II y a encore un autre poivre ^de Guinée qu'on nomme auffi poivre des negres , paree qu'ils en font beaucoup d'ufage pour 1'affaifonnement des viandes. Les Indiens tirent parti de 1'arbre pour la peinture 3 fon écorce fourniroit un tan propre a corroyer les cuirs fans mauvaife odeur. Le poivre de la Jamaïque eft du goüt des Anglois j 1'arbre qui le porte eft une efpece de myrthe a feuille de laurier. Son bois eft très-dur Sc croit lentemenr. Son fruit donne par la diftillation  ii8 Tableau gradvez une huile odorante qui va au fond de I'eau. On fait deflecher au foleil les baies pour les tranfporter 8c les vendre. Cet aromate, comme tous les poivres en général , releve le goüt des fauces , donne un reflbrt a 1'eftomac 8c a la circulation du fang, mais 1'excès en eft nuifible. On donne le nom de poivre fauvage a la femence de l'Agnus caftus. Le poivre n'eft pas la feule production de l'isle de Sumatra : on y trouve encore des mines d'or , d'argent 8c d'autres métaux. II croit un arbre fïngulier qu'on appelle 1'arbre trifte : il fleurit au coucher du foleil, 8c fes fleurs qui font d'une agréable odeur , tombent au commencement du jour. Tous les arbres ffuitiers des Indes y viennent très-bien. La partie du nord qui eft le royaume d'Achem a des paturages excellens , qui nourriffent quantité de bufles , de bceufs 8c de cabris. Les chevaux y font en grand nombre 8c de petite taille. Ce pays a une multitude prodigieufe de fangliers , mais moins grands 8c moins furieux que les nötres. Les ccrfs, 8c les daims au contraire furpaflent ceux d'Europe en grandeur. Le gibier y eft commun , excepté les lievres 8c les chevreuils. On y voit beaucoup d'éléphans fauvages dans les montagnes, des tigres , des rhinoceros , des finges , des couleuvres 8c de fort gros lézards. Les rivieres font aflèz poiflbnneufes , mais remplies de crocodiles. L'abondance des poules 8c des canards y eft extraordinaire. L'isle de Sumatra eft divifée- en plufieurs royaumes dont le plus confidérable eft celui d'Achern , qui occupe la moitié de l'isle. Les Hollandois y poffedent quatre ou cinq fortereflés, 8c y ont plus de pouvoir  &v Commeme Eïf Hollande. 219 que les rois , dont ils font prefque les maitres. Quoique l'isle de Sumatra , avant 1'arrivée des Européens fut partagée entre plufieurs fouverainetés, tout le commerce fe réuniifoit a Achem. Le port de ce royaume étoit fréquenté par tous les peuples de 1'Afie , 8c le tut dans la fuite par les Portugais 8c par les nations qui s'éleverent fur leurs ruines. On y échangeoit toutes les produéfions de 1'orient contre de 1'or , du poivre 8c quelques autres marchandifes qui abondoient dans ce climat, plus riche que fain. Les troubies qui bouleverferent ce fameux entrepot, y firent tomber toute induftrie, 8c en écarterent les navigateurs. Les Hollandois profiterent de cette décadence pour former des établilfemens dans d'autres parties de l'isle qui jouiifoient de la plus grande tranquillité. On leur permit d'abord de s'établir dans I'Empire d'Indapura , ce qui s'eft réduit a fort peu de chofes , depuis que les Anglois fe font fixés fur la même cóte. Le.comptoir de Jumbi eft encore moins utile , paree que les rois voifins ont dépouillé de fes pofleffions le prince de ce canton. La compagnie fe dédommage de ces malheurs a Palimba, oü pour foixante mille livres , elle entretient un forr , une garnifon de quatre - vingts hommes Sc deux ou trois chaloupes qui croifent continuellement. On lui livre tous les ans deux millions pefant de poivre , a vingt 8c une livres le cent, 8c un million 8c demi de calin , a 57 livres 10 fois Ie cent. Ce prix tout bomé qu'il doit paroitre eft avantageux au roi qui en donne a fes fujets a un prix encore moindre. Quoiqu'il prenne a Batavia une  120 TABtEAV ÖRAbVEZ partie de la nourriture Sc du vêtementde fes états, on eft obligé de folder avec lui en piaftres. De eet argent, de 1'or qu'on ramalfe dans fes rivieres , il a fbrmé un tréfor qu'on fait être immenfe. Un feul vaiffeau Européen pourroit s'emparer de tant de tichelles, Sc s'il avoit quelques troupes de débarquemenr, fe maintenir dans un pofte qu'il auroit pris fans peine. Ne paroït - il pas étonnant Sc même extraordinaire , qu'une entreprife li utile Sc même li facile n'ait pas tenté la cupidité de quelqu'avanturier. Nous touchons peut-être a ce moment. Un crime, une cruauté de plus ou de moins ne doit pas arrêterles Européens accoutumés a facrifier a leur avidité ce qu'il y a de plus facré fur la terre , Sc a fouler aux pieds tous les fentimens de la nature pour s'approprier 1'univers. Commerce des Hollandois d Siam. Le royaume de Siam a environ deux cents vingt lieues de long du nord au fud, Sc cent dans fa plus grande largeur : il eft borné au nord par celui de Laos, au fud par le gohe de Siam, au fud-oueft par la prefqu'isle de Malaca, a 1'orient par les royaumes de Camboge Sc de Laos. Ce pays eft fertile en riz , en fruits Sc en coton •■, on y trouve quantité d'animaux , tous différens de ceux d'Europe. Les habitans relfemblent alfez aux Chinois: ils font fpirituels , fobres, mais parelfeux ', ils font idolatres, ils admettent la métempfyeofe. Le roi eft defpote , Sc fes fujets le regardent comme un Dieu. II envoya des ambalfadeurs a Louis XIV, qui lui en envoya auffi l'an 1685. Les Portugais ont donné  ï)v Commerce en Hollande. 221 •ij ce royaume le nom de Siam $ les habitans Fappellent dans leur langue Menang-Taï, c'eft-a-dire, pays des libres. Le commerce des Hollandois fut d'abord affez confidérable dans ce royaume , mais un defpote , dont le fceptre de fer opprimoit alors ce pays , l'an 1660 , manqua d'égards pour la compagnie Hollandoife. Celle-ci voulut Pen punir en abandonnant les comptoirs qu'elle avoit placés fur le territoire de Siam , comme fi c'eüt été un bienfait qu'elle eut reriré d'elle. Les Hollandois vouloient en impofer par un air de grandeur St de magnanimité qui leur réuflit fi bien, que le roi de Siam fut obligé de leur envoyer une ambaffade éclatante pour faire oublier le paifé St donner les plus fortes affurances pour 1'avenir. II y a un terme a tout, & il y en eut bientót un a ces déférences que le paviilon des autres nations amena très-rapidement. Comme la compagnie Hollandoife n'a point de fort dans ces contrées , il ne lui eüt pas été poflible de foutenir le privilege exclufif qui lui avoit été accordé: voila pourquoi fes affaires ne tardercnt pas a aller toujours en déclinant, Malgré les préfens que le roi exige , il livre néanmoins des marchandifes aux navigateurs de toutes les nations, St en recoit d'eux a des conditions fort avantageufes. Tous les navigateurs font obligés de relacher a 1'embouchure de Menan$ les Hollandois ont le privilege de remonter ce fleuve jufqu'a la capitale de 1'empire , oü ils ont toujours quelques agens. Cette prérogative ne donne cependant pas une grande acfivité au commerce de la compa-  22.i Tableau grat>ueï. gnie3 car elle n'envoie plus qu'un vaiffeau charge de chevaux de Java, du fucre, d'épiceries 8c de toiles. Les Hollandois en tirent du calin, efpece de métal fort blanc, a foixante 8c dix livres Ie cent 3 de la gomme lacque , a cinquante - deux livres3 quelques dents d'éléphans, a trois livres fix fois la livre ; un peu d'or, k cent 8c quinze livres dix fois le mare. C'eft feulement au trafic du bois de fapan , que s'attachent les Hollandois dans ces parages , paree qu'on ne leur vend que cinq livres Ie cent, bois qui leur eft néceffaire pour 1'arrimage de leurs vailfeaux. Sans ce befoin, il y a long-tems que la compagnie auroit renoncé a ce commerce, dont les frais excedent les bénéfices , paree que le roi , feul négociant de fon royaume , met les marchandifes qu'on lui porte a un trés-bas prix; mais les Hollandois ont trouvé le moyen de fe dédommager a Malaca. Situation des Hollandois d Malaca. La prefqu'isle de Malaca eft extrêmement longue 8c fort étroite3 les anciens l'ont connue fous le nom de Cherfonèfe dor : elle eft maintenant occupée par divers petits rois, vaffaux de celui de Siam. Malaca en eft la principale ville, qui a une très-bonne fortereffe 8c un fort boa port fur le détroit qui porte fon nom , vis-a-vis de l'isle de Sumatra 3 c'eft une des plus marchandes de 1'Afie : les Hollandois la prirent l'an 1640 , fur les Portugais , qui y avoient établi un évêché , fuffragant de Goa. Voici comment ils tenterent le gouverneur Portugais, connu pour être fort avare. Le marché  %>V COMMERCE EN HOZZANDE. 223 aconclu , le gouverneur introduifit de nuit 1'ennemï dans la ville , mais il fut puni de fa trahifon ; car les affiégeans coururent tous vers lui 8c le maffacrerent pour être difpenfés de payer les cinq cents mille livres qui lui avoient été promifes. II faut ce-pendant rendre juftice a la bravoure des Portugais, ils né fe rendirent qu'après une défenfe très-opiniatre. On prétend qu'un officier Hollandois ayant demandé a un officier des vaincus, quand lui 8c ceux de fa nation comptoient revenir ? lorfque vos péchés feront plus grands que les nótres, répondit fans fe déconcerter, 1'officier Portugais. Les Hollandois vidforieux trouverent une fortereffe batie comme tous les ouvrages Portugais, avec une folidité qu'aucune nation n'a depuis imitée. Le climat eft fort fain quoiqu'humide 8c fort chaud. Comme des exaéfions continuelles avoient éloigné de ces parages toutes les nations commergantes, le commerce y étoit tout-a fait tombé: il y languit encore aujourd'hui , foit que la compagnie ait trouvé des obftacles infurmontables, foit qu'elle ait manqué de modération, foit enfin qu'elle ait eraint de nuire a Batavia. Les opérations de la compagnie Hollandoife lè réduifent a la vente d'un peu d'opium , de quelques toiles bleues , 8c a 1'achat des dents d'éléphant, du calin, qui coüte foixante 8c dix livres le cent 5 d'un peu d'or qu'elle paie cent quatre-vingt livres le mare. Les agiotages feroient plus confidérables, fi les princes étoient plus fideles au traité exclufif qu'ils ont fait avec les Hollandois 5 mais malheureufement pour eux, ces princes ont formé des  214 TABLEAU ORASÜBV liaifons avec les Anglois , qui fournilfent leuöS befoins a meilleur marché, 8c qui achetent plus cher leur marchandife : il eft vrai que la compagnie Hollandoife fe dédommage un peu fur fes ferme? 8c lur fes douanes, qui lui donnent deux cents mille livres par an. Cependant fes revenus, ajoutés aux bénéfices du commerce , ne furfffent pas pour 1'entretien de la garnifon 8c des employés ; la compagnie folde annuellemeut quarante mille livres pour 1'entretien de la garnifon Sc des employés. Ce facrifice parut long-tems léger a la compagnie Hollandoife, jufqu'a ce que les Européens* eulfent doublé le cap de Bonne-Efpérance 3 paree qu'alors les maures , feuls navigateurs dans linde , fe rendoient de Surate 8c de Bengale a Malaca, oü ils trouvoient les batimens des Moluques , du Japon 8c de la Chine 3 mais quand les Portugais eurent envahi cette place , ils allerent eux-mêmes chercher le poivre a Bantam, 8c les épiceries a Ternate. Pour abréger leur retour, ils fe hafarderent a travers les isles de la Sonde , 8c leur navigation leur réulfit ; mais quand les Hollandois furent devenus polfelfeurs de Malaca 8c de Batavia, ils fe trouverent alors maitres des deux feuls détroits connus. Dans les tems de trouble, les Hollandois y croifoient 8c interceptoient tous les vailfeaux de leurs ennemis \ mais cette petite guerre a ceffé dès le moment que les Frangois, a la fin de la guerre de 1774, ont découvert le détroit de Bali, 8c les Anglois celui de Lombok , dans la pénultieme guerre. II eft probable que Batavia continuera toujours d'être 1'entrepöt d'un commerce immenfe; mais^  du Commerce en Hollande. 225 maïs on ne peut fe dillimuler que Malaca perd infenliblemenr 1'unique avantage qui lui donnoit de la confidération. Jufqu'ici les Hollandois continuent de faire payer fancrage a tous les vailfeaux qui paflent par le détroit de Malaca : les Anglois feuls en font exempts. La compagnie Hollandohe ne tarda pas a fe procurer un établilfement a Ceylan. Etablijjhment des Hollandois d Ceylan. L'isle de Ceylan s'étend depuis le fixieme degré de latitude feptentrionale jufqu'au dixieme 5 elle a quatre-vingt-dix lieues de longueur du nord au fud, cinquante dans fa plus grande largeur , Sc deux cents cinquante de circuit. On convient alfez généralement que cette isle eft 1'ancienne Iaprobane , dont le roi envoya une ambaftade a 1'empereur Augufte. L'isle de Ceylan eft très-fertile, l'air y eft plus pur 8c plus fain qu'en aucun endroit ; les habitans-, que 1'on appelle Cingales ou Chingalais , font des negres mieux faits 8c plus Ipirituels que ceux d'Afrique. Sa plus haute montagne a été nommée par les Portugais Pic dAdam , 8c les naturels 1'appellent Hamalet. Sa figure eft celle d'un pain de fucre , Sc on voit au fommet une pierre plate , qui porte 1'empreinte d'un pied humain , deux fois plus grand que fa mefure naturelle. La variété de l'air y eft linguliere : on jouit d'un tems fee dans la partie oriëntale, tandis que les pluies tombent dans la partie occidentale. Cette isle produit d*exeellens fruits, beaucoup d'épiceries, Sc fur-tout Tome II. P,  zi6 Tableau graduel quantité de canrrelle, la meilleure qui foit au monde I 1'arbre qui la produit fe nommecannellier. La feconde écorce des jeunes arbres de trois ans eft la cannelle: onendiftingue depluiïeurs qualités fuivant l'aged'expofition 8c les diverïes parties de 1'arbre dont on la retire. On coupe cette écorce par lames, elle fe deffeche au foleil 8c fe roule dans l'état oü on nous 1'apporte : eet aromate eft des plus délicieux. Dans le pays 8c fur le milieu même de la récolte, on exprime par diftillation une certaine quantité d'huile effentielle de 1'écorce nouvelle , 8c très-peu de la vieille. Elle fe vend jufqu'a foixante 8c dix livres 1'once: on la falfifie affez fouvent avec de 1'huile de ben. Appliquée fur les dents cariées, elle appaife la douleur, deffeche le nerf: fon parfum pénétrant la fait entrer dans les pots-pourris. Des bougies frottées de cette huile répandent dans un appartement 1'odeur la plus agréable 5 1'écorce de la racine fournit par la diftillation, un camphre beaucoup plus doux que le camphre ordinaire : fon odeur fuavc fait précifément la nuance entre la cannelle 8c le camphre : c'eft un puilfant remede contre les rhumatifmes 8c paralyfies. Les fruits du cannellier donnent, par la décoétion , une fubftance gralfe , de conliftance de fuif très-odorante: on en fait des bougies , vendues par les Hollandois fous le nom de cire de cannelle. Ceux-ci font fort exclulivement le commerce de la cannelle, ain'; que celui de la mufcade 8c du girofle. Les Hollandois poffedent feuls les lieux oü croilfent ces précieux aromates , qu'ils ont conquis fur les Portugais. Après leur avoir enleyé Ceylan, ils fe font rendus  du Commerce mn Hollande. 227 maitres de la cöte de Malabar, comme nous aurons bientót occafion de le voir, d'ou ils ont impitoyablement arraché toute efpece de cannelliers qui y croilfoient. Les Pojtugais vendoient 1'écorce de ces arbres, connus fous le nom de cannelle fauvage ou de cannelle grife. Toute la cannelle qui fe confomme dans 1'univers eft recueillie par les Hollandois dans un efpace de quatorze lieues, fur les bords de la mer, dans l'isle de Ceylan. Cet aromate , pour être agréable , ne peut être employé qu'a une légere dofe 3 aulfi les Hollandois ne laiffènt-ils croitre qu'un certain nombre de ces arbres, 1'expérience leur ayant appris qu'ils peuvent en débiter dans 1'Europe de cinq a lïx cents mille pefant: voila pourquoi le grand objet de la compagnie Hollandoife a Ceylan eft la cannelle. La racine de 1'arbre qui la donne eft grolfe , partagée en plufieurs branches , couverte d'une écorce d'un roux grifatre endehors , rougeatre en-dedans 3 le tronc qui s'éleve jufqu'a lui a huit 8c dix doifes, eft couvert, de même que fes nombreufes branches , d'une écorce d'abord verte 8c enfuite rouge \ la feuille a quelque reffemblance avec celle du laurier, fi elle étoit moins longue 8c moins pointue. Quand elle eft tendre , elle a la couleur du feu3 quand elle vieillit & feche , elle prend un verd foncé au-deflus , 8c un verd plus clair au-deflbus \ les fleurs font petites, blanches, difpofées en gros bouquets a 1'extrêmité , & a des tiges d'une odeur agréable qui approche de celle du muguet. Le fruit du cannellier a la forme du gland, mais il eft plus petit: il mürit ordinaiïement au mois de feptembre. Si on le fait bouillir P2  22.8 TABLEAU GRADUEt dans 1'eau , il rend une huile qui furnage 8c qui fe) brüle : fi on Ia laifle congeler, elle acquiert de la blancheur 8c de la conliftance. L'on en fait aufli des bougies, mais dont 1'ufage eft réfervé au roi de Ceylan. II n'y a de précieux dans le cannellier que Ia feconde écorce. C'eft au printems , lorfque la feve eft plus abondante, qu'on 1'enleve 8c qu'on la fépare de 1'écorce extérieure, qui eft grife 8c raboteufe : on la coupe en lamss, enfuite on 1'expofe au foleil, 8c en féchant elle fe roule. Quand les cannelliers font vieux, ils ne donnent qu'une cannelle grofliere : il faut que 1'arbre n'ait que trois ou quatre ans pour qu'elle foit de bonne qualité. Quand le tronc eft une fois dépouillé , il ne prend plus de nourriture ; mais la racine ne périt point, elle poufle toujours des rejetons ; d'ailleurs le fruit des cannelliers contient une femence qui fert a les reproduire. Les Hollandois ont des pofleflions oü le cannellier ne croit point du tout: on n'en trouve que dans le territoire de Négombo , de Colombo 8c de pointe de Gale. Les forêts du prince rempliffent le vuide qui fe trouve quelquefois dans les magalins: on en trouve abondamment dans les montagnes occupées par les Bédas 3 mais ni les Européens, ni les Chingalais n'y font admis. II faudroit déclarer la guerre aux Bédas pour fe partager leurs richeffes. II eft a remarquer que les Chingalais, de même que les Indiens du continent , font diftribués par caftes qui ne s'allient jamais ies uns aux autres, 8C qui exercent toujours Ia même profeflïon. L'art da) 4i  vu Commerce en Hollande. 215 dépouiller les cannelliers eft réfervée a la cafte des Chalias, comme étant la plus vile de toutes les occupations : tout autre infulaire fe croiroit déshonoré , s'il s'abaiflöit a faire cette cueillette. On diftingue la bonté 8c 1'excellence de la cannelle -quand elle eft fine , unie, facile a rompre , mince, d'un jaune tirant fur le rouge , odorante , aromatique , d'un gour piquant, 8c cependant agréable. Celle dont les batons font longs &C les morceaux petits, mérite la préférence par les connoilfeurs. Si elle contribue aux déiices de la table , elle ne fournit pas moins d'abondans fecours a la médecine. Les Hollandois fe font engagés a recevoir du roi de Candi une certaine quantité de cannelle a un prix plus confidérable que des autres Indiens : la cannelle ne leur coüte guere plus que douze fois la livre. II ne feroit pas impoflible aux navigateurs qui fréquentent les ports de Ceylan , de fe procurer 1'arbre qui produit la cannelle •■, mais on a expérimenté que eet arbre a dégénéré au Malabar, a Batavia , a l'isle de France 8c par-tout oü il a été tranfplanté. L'isle de Ceylan ne produit pas feulement des cannelliers , dont il y a des forêts entieres, mais encore quantité de fimples admirables 8c de belles fleurs fauvages; une entr'aütre , nommée findfitmal, qui fert d'horloge , s'ouvrant a quatre heures du foir 8c fe fermant le matin, pour s'ouvrir de nouveau a quatre heures après midi. On y trouve toute forte de pierres précieufcs5 8c on y pêche des perles. Cette isle a des cléphans qui font les plus eftimés de toutes les Indes. On y trouve auffi des finges d'une efpece finguliere, P 3  43® Tableau gradvèt qu'on appelle hommes fauvages 3 ils ont prefque la figure humaine : ils font robuftes , agiles, hardis , 5c fe défendent comme des hommes armés ; on les prend avec des lacets , Sc on les dreffe a marcher fur les pieds de derrière , Sc a fe fervir de ceux de devant pour rincer les verres. Les Hollandois chaiferent de cette isle les Portugais, l'an 165© , après une guerre longue, fanglante Sc opiniatre : tous les établilfemens des Portugais furent envahis par les Hollandois , qui les poffedent encore aujourd'hui. Les Moluques lui fourniffoient la mufcade 6c le girofle , Ceylan devoit leur fournir la cannelle. Spilberg, le prémier amiral Hollandois qui aborda fur les cótes de l'isle de Ceylan, y trouva les Portugais occupés a bouleverfer le gouvernement Sc la reiigion du pays , a détruire les uns par les autres les fouverains qui la partageoient, a s'élever fur les débris des trönes qu'ils renverfoient fucceflivement. Que fit Spilberg ? II oftrit les fecours de fa patrie a la cour de Candi : ils furent acceptés avec les plus grands tranfports de reconnoiffance. « Si vos maitres , lui fit dire le » monarque, veulent batir un fort, moi, ma femme » 6c mes enfans nous ferons les premiers a porter » les matériaux néceffaires. » Les peuples de Ceylan ne virent dans les Hollandois que des ennemis de leurs tyrans , ils fe joignirent a eux , Sc par ces deux forces réunies, les Portugais furent chaffés de leurs établiffemens , qui tomberent tous entre les mains de la compagnie Hollandoife, Sc qui en eft encore aujourd'hui en poffeflion. Si 1'on excepte un efpace affez borné fur ia cóte oriëntale, oü 1'on  vu Commerce en Hollande 231 ne trouve point de port, 8c dont le fouverain du pays tiroit fon fel, ils formerent autour de l'isle un cordon régulier, qui s'étendoit depuis deux jufqu'a douze lieues dans les terres. Pour empêcher toute communication avec les peuples du continent vöiiin , les Hollandois ont bati un fort a Jaffanaparhan, 8c dans les isles de Manar 8c de Calpentin. A Négombo, il,y aun port fuffifant pour les chaloupes , qui fert a contenir le diftriéï: qui produit la meilleure cannelle : il eft vrai que ce port n'eft pas fréquenté, paree qu'il y a une riviere navigable qui conduit a Columbo. Cette place eft devenue le chef-lieu de la colonie : les Portugais 1'avoient extraordinairement fortifiée , paree qu'elle étoit pour eux le centre des richeffes. Sans les dépenfes qui y avoient été faites , les vices de fa rade auroient vraifemblablement déterminé les Hollandois a établir leur gouvernement 8c leurs forces a la pointe de Gale. On y trouve un port dont 1'entrée eft difficile a la vérité , 8c le balfin fort relferré, mais qui réunit d'ailleurs toutes les perfedtions qu'on peut defirer. La compagnie a établi dans eet endroit-la un entrepot pour fes marchandifes qu'elle fait palfer en Europe ; elle fe fert de maturé pour recueillir les cafés 8c les poivres, dont elle a introduit la culture. II y a pour toute fortifkation une redoute , fituée fur une riviere qui ne peut recevoir que des bateaux. Trinquemale eft le plus beau 8c le meilleur port des Indes: il y a quantité de bayes oü les plus nombreufes flottes trouvenr un afyle affuré : on n'y fait cependant aucun commerce , paree qu'il n'y a aucune marchandife dans P4  232. Tableau gradvez ce pays, qui ne fournit même que très-peu de vivres: fa ftérilité lui fert de rempart affuré contre toute efpece d'avidité armée. La compagnie a encore fur la cöte d'autres établiffemens qui font moins confidérables , mais qui lui fervent a faciliter les Communications Sc a écarter les étrangers. II n'eft pas furprenant qu'avec de fi fages précautions Ja compagnie fe foit appropriée routes les produc tions de l'isle. Les plus précieufes font: i°. Les amétiftes, les faphirs Sc des rubis, qui font trèspetits, a la vérité, 8c très-imparfaits : des maures qui viennent de la cöte de Coromandel les achctent en payant un prix modique , les taillent Sc les font vendre a bas prix dans les différentes contrées de 1'Inde. 20. Le poivre que Ja compagnie achete huit fois la livre ; le café, qu'elle ne paie que quatre, Sc le cardamome qui n'a point de prix fixe. Les naturels du pays fo*t pareffeux Sc indolens, pour que ces cultures, qui font toutes-d'une qualité trèsïnférieure , puiffent jamais devenir confidérable. 30. Une centaine de balles de mouchoirs, de pagnes Sc de guingamps , d'un trés beau rouge , que les Malabares fabriquent a Jaffanapathan, oü iJs font établis depuis très-Iong-tems. 40. Quelque peu d'iyoire Sc environ cinquante éléphans. On les porte a la cöte de Coromandel, Sc eet animal, doux Sc pacifique , va fur le continent augmenter 8c partager les périls Sc les maux de la guerre. Cet animal eft trop utile a l'homme dans cette isle pour qu'il ne lui foit pas affervi. 50. L'arèque, qui croit fur une efpece de palmier. Ce fruit eft ovaire , a quelque relfemblance avec Ja daue, mais ij eft plus  du Commerce en Hoilande. 233 tefTerré par les deux bouts. Ce fruit n'eft pas rare dans la plupart des contrées de 1'Afie, Sc eft trèscommun a Ceylan. L'écorce de ce fruit eft épaiffe , Kffe 8c membraneufe j le noyau qu'elle environne eft blanchatre, en forme de poire, 8c de la grolfeur d'une mufcade. La compagnie Hollandoife ach&te ce fruit a raifon de dix livres l'ammonan , 8c elle en vend trente-llx ou quarante livres fur les lieux mêmes, aux vailfeaux de Bengale , de Coromandel St des Maldives, qui le paient avec du riz , de grolfes toiles Sc des cauris. L'arèque a ceci de fingulier , c'eft que fi on le mange feul, comme le font quelques Indiens, il appauvrit le fang Sc donne la jauniffe ; mais il eft aifé de fe garantir de eet inconvénient, en mêlant ce fruit avec le bétel. Cette plante des Indes orientales rampe 8C grimpe comme le lierre , mais n'étouffe pas. L'agotis, petit arbre auquel elle s'attache Sc lui ferfrd'appui, 8c qu'elle aime finguliérement. On la cultive comme la vigne ; fes feuiiles font affez femblables a celles du citronnier , quoique plus longues Sc plus étroites a 1'extrêmité. Le bétel croit par-tout, mais on ne le voit profpérer que dans les lieux humides. Les Indiens font avec ces feuiiles Sc des aromates, une préparation qu'ils machent continuellement, les hommes pour fortifier leur eftomac Sc les femmes galantes pour s'exciter a 1'amour. L'ufage du bétel dans linde eft auffi fréquent que celui du tabac en France : il a 1'avantage de donner a Phaleine une odeur agréable : on n'entre pas chez les grands fans en avoir dans la bouche : on s'en préfente mutueb Jement lorfqu'on fe rencontre. Les Indiens vont Sc  2.34 Tableau graduel viennent le bétel a la main , Sc s'en font entr'eux un petit commerce de politelfe Sc de galanterie. Le bétel , qui donne a la falive Sc aux levres une couleur rouge Sc enfanglantée , déplait aux étrangers ; 8c les Indiens , par fon fréquent ufage , perdent quelquefois les dents a vingt-cinq ans. Les Indiens, a toutes les heures du jour, même la nuit, machent des feuiiles de bétel, dont 1'amertume eft corrigée par 1'areque dont elles font toujours enveleppées: on y joint conftamment du chunam , efpece de chaux brülée, faite avec des coquilles: les gens riches y ajoutent fouvent des parfums qui flattent leur vanité. On ne peut fe féparer pour quelque tems fans fe donner mutuellement du bétel dans une bourfe , c'eft un préfent de 1'amitié qui foulage 1'abfence : on n'oferoit parler a fon fupérieur fans avoir la bouche parfumée de bétel ; ce feroit même une groftiéreté, tout au moins une grande impolitehe, de négliger cette précaution avec fon égal. On prend du bétel après. les repas, on mache du bétel durant les vilïtes, on fe préfente du bétel en s'abordant, en fe quittant, Sc toujours du bétel. Si les dents s'en trouvent affeéfies qu'impprte , 1'eftomac en eft plus fain Sc plus aftif: e'eft du moins un préjugé généralement établi aux Indes. II eft encore un autre commerce que les Hollandois font dans l'isle de Ceylan, Sc qui en eft un des principaux revenus, c'eft la pêche des perles. La perle , avant d'être habitante de l'air, a vécue dans 1'eau , logée comme la teigne aquatique , dans une efpece de tuyau ou fourreau, intériey-  dv Commerce en Hozzande. 235 Tementtifiu de foie& couvert extérieurement de fabies, pailles, bois, coquilles, 8tc. Lorfque le ver hexapode veut fe changer en nymphe, il bouche 1'ouverture de fon fourreau avec des fils d'un tiffu lache par Iequel 1'eau pénetre ; mais qui défend 1'entrée aux infedfes voraces : fa chryfalide eft légérement gafée , 1'on découvre aifément alors la nouvelle forme de 1'infede. La perle , fur le point de changer d'élément, vient a fleur d'eau, quitte fon fourreau, s'éleve dans l'air , va jouir des douceurs de la campagne, voltige fur les fleurs St les arbres, mais bientót elle eft rappellée fur le bord de 1'eau pour y dépofer fes ceufs , d'oü 1'on voit naitre fa poftérité. ün trouve fréquemment dans des eaux dormantes de ces vers aquatiques, qui s'habillent avec la lentille d'eau , taillée , coupée én quarrés réguliers Sc ajuftée bout a bout. °Tous les coquillages bivalves, nacrés intérieurement, tels que 1'hirondelle , le marteau, la pintade grife 8c autres efpeces d'huitres, produifent des perles. On en trouve aufli dans les moules du nord ; mais il n'y a pas de coquillage qui fournifle de plus belles perles que 1'huitre nacrée qui fe pêche dans les mers orientales, dans l'isle de Tabago , dans le golfe Perfique Sc fur les cötes de 1'Arabie. D'habiles plongeurs, accoutumés a retenir leur refpiration un quart-d'heure , font defcendus dans des corbeilles a plus de foixante pieds de profondeur: munis d'un inftrument de fer, ils détachent les huitres attachées aux rochers , les corbeilles pleines d'huitres, ils tirent une corde qui avertit ceux qui font dans la chaloupe de les enlever. Ils prétendent  i35 Tableau gradvez qu'il fait aufli grand jour dans le fond de la mer que fur terre : ce qu'ils craignent le plus eft la rencontre de quelques requins ou autres poilfons voraces. Ces huitres tirées de la mer font expofées au foleil: a 1'inftant qu'elles s'ouvrent on en détache les perles. On va aufli a la pêche des perles dans le golphe du Mexique, fur les cötes de la Méditerranée , de 1'Océan, en Ecofle Sc aillcurs ; mais ces perles occidentales font moins eftimées. La nacre de perles entroit autrefois dans le fard des dames. On en fait aujourd'hui des manches de couteaux , de navettes, des tabatieres 8c autres jolis petits bijoux fort précieux. Les lapidaires appellat^ nacre de perles des excrefcences en forme dans 1'intérieur des nacres; ils ont 1'adreffe de les fcier , de les joindre enfemble 8c de les mettre en oeuvre. Ce nacre de perles eft le réfultat de ces concrétions pierreufes, concentriques, calcaires, diffolubles aux acides , 8c d'une faveur terreufe, comme on en trouve dans le corps même des huitres, voila pourquoi quelques naturaliftes ont regardé ces fubftances comme une efpece de befoart. Les perles occidentales, comme on vient de le dire , font les moins eftimées: les plus belles font orientales. Les unes 8c les autres font naturellement blanches lorfque les huitres ne font point attaquées de maladies. Celles qui font jaunatres doivent leur couleur, foit a la maladie de 1'hutre , foit au terrein vafeux , foit enfin au féjour dis huitres en tas fur la cöte. On nomme perles haroques, celles d'une forme irréguliere , telles que la plupart  i>ï/ Commerce en Hollande. 237 ile celles qu'on tire des moules du nord, comme on 1'a dit ci-delfus. Linnseus a trouvé le fecret de faire groflir les perles. La découverte de ce naturalifte Suédois lui a procuré des titres de noblelfe qu'il auroit dü méprifer, 8c le droit de fe nommer un fuccelfeur a la place qu'il occupoit, qu'il auroit dü refufer. L'on a remarqué que les moules, piquées par les fcolopendres marins , contenoient les plus grolfes 8c les plus belles perles. L'ufage des perles pour le luxe 8c la parure des femmes, en a fait un trés-gros objet de commerce. Colliers , bracelets , pendans d'oreilles, coërfures, ajuftemens, toutes ces parures introduites par le caprice, adoptées par la mode, perfe&ionnées par 1'art 8c le goüt ,'font des bijoux de toilette faits pour ajouter aux graces de la beauté 8c pour y fuppléer. Les dames de la Perfe 8c les Indiennes, achetent les perles au poids de 1'or. Le roi d'Efpagne deftina par dévotion les plus belles perles a 1'ornement des églifes. On voit a la Guadeloupe une ftatue de la vierge toute habillée de perles, de rubis 8c d'émeraudes. En France le prix des perles fe regie fur celui des pierreries. On ignore ce qui a pu donner lieu au bruit populaire, que 1'eftomac d'un juif a plus que celui d'un chrétien ou d'un mufulman, la faculté de nettoyer les perles en leur donnant plus de poids. La faculté qu'a la perle de fe dilfoudre, fait qu'on n'en rencontre prefque jamais de bien confervées dans les anciens tombeaux. Les perles recoivent de la nature le poli 8c le brillant que les pierres précieufes empruntent de 1'art: on en pêche au nord de Jaifanapathan 8c aux environs. Lecom|  238 Tabieav g rad vei, mandant Hollandois qui y réfide de la part des Etats-Généraux en a 1'intendance , de même que de la pêche qu'on en fait autour de l'isle de Manar. Les plus belles fe pêchent dans l'isle de Barein , prés de 1'Arabie Sc dans le golphe Perfique , ou au cap de Comorin Sc prés de l'isle de Ceylan , qui n'eft qu'a quinze lieues du continent. JI eft probable que celle-ci en fut détachée dans des tems plus ou moins reculés , par quelqu'éruption fpontanée de la nature : 1'efpace qui la fépare aftuellement de la terre eft rempli de bas-fonds qui empêchent les vailfeaux d'y naviguer. On trouve dans quelques intervalles quatre ou cinq pieds d'eau qui permettent a de petits bateaux d'y palfer. Les Hollandois , qui s'en attribuent la fouveraineté, y tiennent toujours des chaloupes armées pour exiger les droits qu'ils ont établis. C'eft précifément dans cqt endroit que fe fait encore aujourd'hui la pêche des perles qui fut autrefois d'un li grand rapport; mais qui fe trouve de nos jours tellement épuifé , qu'on n'y peut revenir que rarement: on vifite a la vérité tous les ans ce banc, pour favoir a quel point il eft fourni d'huitres, mais communément il ne s'y en trouve que tous les cinq ou fix ans ■■, alors la pêche eft affermée , 8c tout calculé, on peut la faire entrer dans des revenus de la compagnie pour deux cents mille livres. II fe trouve fur les mêmes cótes une coquille appellée xanxus , dont les Indiens de Bengale font des bracelets: la pêche y eft libre , mais le commerce en eft exclufif. Les Hollandois ont un gouverneur qui réfide a Colombo: ils croyoient avoir befoin autrefois de  'du Commerce en Hollande. 239 quatre mille foldats pour s'affurer les avantages qu'ils retiroient de l'isle de Ceylan 3 mais ils ont réduit ce nombre a quinze ou feize cents. Les dépenfes qu'ils font annuellement fe montent a deux millions deux cents mille livres ■■, 8c fes revenus, de même que fes petites branches de commerce, ne rendent pas plus de deux millions de livres: ce qui manque fe prend fur les bénéfices que donne la cannelle. La compagnie doit fournir encore aux frais qu'occafionnent les guerres qu'on a de tems en tems a foutenir contre le roi de Candi, aujourd'hui feul fouverain de l'isle. Candi, qui en eft la capitale , ville affez grande & fort peuplée, eut beaucoup a fouffrir des Portugais pendant le tems qu'ils en furent les maitres. Les Hollandois ne peuvent fe diflimuler aujourd'hui que les divifions qui agitent de tems en tems cette isle , leur font bien fouvent funeftes. Dès qu'elles commencent, les peuples qui habitent les cótes, fe retirent la plupart dans 1'intérieur des terres. Malgré le defpotifme qui les attend , ils trouvent encore plus infupportable le joug Européen. Les Chalias n'attendent pas toujours les hoftilités pour s'éloigner, ils prennent quelquefois cette réfolution extréme a la moindre mélintelligence qu'on remarque entre le roi & les Hollandois. La perte d'uae récolte eft alors fuivie des dépenfes qu'il faut effuyer pour pénétrer, les armes a la main , dans un pays occupé de tous cótés par des rivieres, des bois, des ravins & des montagnes. Ce fut d'après des conlidérations fi puiffantes , que les Hollandois fe déterminerent a gagner le roi de  240 Tableau grx nu ez Candi par toures fortes de complaifances : iis lui envoyoient tous les ans un ambalfadeur chargé de riches prélens. Ils tranfportoient fur leurs vailfeaux fes prêtres a Siam, pour y étudier la reiigion, qui eft la même que la (ienne. Quoiqu'ils euffent conquis fur les Portugais les fortereffes, les terres qu'ils occupoient, ils fe contentoient d'être appellés par ce monarque , les gardiens de fes rivages : ils lui faifoient encore d'autres facrifices. Malgré des ménagemens fi marqués, la paix a été troublée plus d'une fois : la guerre qui a fini le 14 février 1766, a été la plus longue , la plus vive de celles que la défiance 8c le conflict: des intéréts ont excitées. Quand le monarque de l'isle de Ceylan s'eft vu chalfé de fa capitale 8créduit a errer dans les forêts, il a été facile a la compagnie Hollandoife de faire avec lui un traité très-avantageux: c'eft auffi ce qu'elle fit. Le monarque a reconnu la fouveraineté de la compagnie Hollandoife fur toutes les contrées dont elle étoit en poffeffion avant les troubles : on lui a abandonné la partie des cótes qui étoit reftée aux naturels du pays : on lui permet d'épeler la cannelle dans toutes les plaines, 8c la cour doit lui livrer la meilleure des montagnes, fur le pied de quarante 8c une livre cinq fois pour dix-huit livres. La compagnie eft encore autorifée a étendre le commerce par-tout oü elle verra jour a le faire avantageufement. La cour s'oblige a n'avoir 8C n'entretenir aucune liaifon avec aucune puiffance étrangere, 8c même a livrer tous les Européens qui pourroient s'être gliffés dans l'isle. Pour prix de tant de facrifices, la compagnie s'engage ü payer annuellement  bv Commerce en Hozzanbê. 241 annuellement la valeur de ce que les rivages cédés lui produilbient , St pn permet a fes fujets d'y aller prendre le fel néceffaire a leur confommation. Combien de précieux avantages la compagnie ne peut-elle pas fe procurer d'une fi heureufe pofition i II y a dans l'isle de Ceylan un fyftême deftructeur qui produit néceffairement les effets les plus funeftes : c'eft que les terres y appartiennent encore plus particuliérement au fouverain que dans le refte de 1'Inde : voila pourquoi les peuples y vivent dans la plus grande inaéfion. Ils font logés dans des cabanes , fans meubles, fe nourriffent de fruits ; les plus aifés, St comme par tout ailleurs, ce n'eft pas le plus grand nombre , n'ont pour tous vêtement qu'une piece de groffe toile, qui leur ceint le milieu du corps. Pourquoi ne pas diftribuer du terrein en propre a chaque familie ? N'eft-il pas probable que toutes les families gracieufées de cette maniere , oublieroient bientót St détefteroient même leur ancien fouverain, pour s'attacher k leurs bienfaiteurs , St au gouvernement qui s'occuperoït du foin de leur procurer leur félicité. Ces families travailleroient , confommeroient : c'eft "alors que l'isle de Ceylan jouiroit de 1'opulence , k laquelle la nature 1'a appellée ; elle feroit a 1'abrï des révolutions , St en état de foutenir St de protéger les établiffemens de Malabar St de Coromandel qui en ont befoin. Si l'isle de Ceylan paroït 'fi éloignée de touchera ce termede félicité , c'eft 'que les bons Bataves ne font encore guere familia' rifés avec Ie fyftême de 1'humanité. Tome II. Q  242 Tableav gr ad vei Commerce des Hollandois d la cöte de Coromandel» Cette isle eft ainfi appellée, a caufe de 1'abondance du riz qu'elle produit ; mais fes principales richefles font les perles qu'on pêche auprès du cap Camorin, 8c les diamans qu'on y trouve : on a donné ci-defius une defcription des perles, celle des diamans mérite de trouver place ici. Le diamant eft la plus dure , la plus tranlparente 8c la plus précieufe de toutes les pierres, c'eft aufli la plus belle des produétions de la nature dans le regne minéral, 8c la matiere la plus chere du luxe. Llle fait en France 1'ornement 8c la parure des femmes, Ia richefle Sc le prix des bagues 8c autres bijoux. Les plus blancs Sc les plus gros font les plus eftimés. Les plus riches qu'on connoifie dans 1'univers, font ceux du Czar, taillé en rond , qu'on évalue a 11723280 livres , il pefe 279 karats neuf quinzieme , a 150 le karat. Celui du grand duc de Tofcane, eftimé 2608,3 3 5 hvres , il pefe 139 karats 8c demi , a 135 le karat 3 8c enfin , les deux qui appartiennent au roi de France, le premier appellé fancy ou fans fi, ainfi appellé du nom d'un ambaifadeur, ou paree qu'il eft fans défaut, pefe 226 grains : il a couté 600000 livres. Lefecond appellé le régent, paree qu'il a été achetc par M. le duc d'Orléans, régent du royaume, pefe 547 grains , Sc a coüté 2500000 livres, le diamant rélifte au feu. Expofé pendant le jour au foleil , il brille dans 1'obfcurité : échauffé par le frottement, il acquiert une vertu éleétrique •, fi le frottement fe fait contre un verre, le diamant devienc  Dt? Commerce en Hollande. 243 pholphorique. Les diamans jaunatres brillent dans les ténebres , lorfqu'on les a fait rougir au feu. Les défauts des diamans fe nomment poiats & gendarmes. Les points font de petits grains blancs 8c tioirs \ les gendarmes, des grains plus grands en fagon de glacé brut. En fortant de la carrière , le diamant eft couvert d'une croüte grifatre : c'eft de la poudre même de cette croüte qu'on fe fert pour le polir. Le diamant rofe ou roferte eft taillé a facettes par - delfus , 8c plat en - delfous. Le diamant brillant eft taillé a facettes par-delfous comme par - delfus. II ne fe trouve de diamans que dans les Indes orientales 8c au Bréfil : ceux des Indes orientales font dans les royaumes de Golconde, de Vifapour, de Bengale 8c dans l'isle de Bornéo. On n'y compte que quatre mines , ou plutöt deux mines 8c deux rivieres, dont 1'on tire les diamans. Ces mines font: i°. La mine de Raolconda dans la province de Carnatica , a cinq journées de Golconde 8c a huit ou neuf de Vifapour 3 elle n'eft découverte que depuis environ 200 ans. Aux environs de cette mine , la terre eft fablonneufc 8c pleine de roches 8c de taillis. Dans ces roches fe trouvent plufieurs petites veines , d'oü les mineurs tirent le ïable , ou la terre dans laquelle lont les diamans. Ces mineurs font tout nuds, a la réferve d'un petit linge qui les couvre par - devant ; cette précaution 8c la préfence des infpeéteurs ne les empêchent pas toujours de détourner quelques pierres •■, ils en avalent même fouvent d'une grolfeur afiez confidérable. La fecondc mine eft celle de Gani ou Coulour, a fept journées de Golconde»- 9 2  244 Tableau g r a d u e l laquelle fut découverte il y a environ cent vingt arts* C'eft dans cette mine qu'on trouva cette fameufe pierre d'Aureng-Seb , empereur du Mogol , qui, avant que d'être taillée pefoit 907 rabis, qui tont 793 karats 8c | de karat: les pierres n'y font pas nettes. II y a fouvent 60000 perfonnes qui y travailknt. 30. La mine de Soumelpour, qui eft un gros bourg du royaume de Bengale , affez prés du lieu oü fe trouvent 4es diamans, eft la plus anciennes de toutes. C'eft dans le gravier de la riviere de Gouel que les diamans fe trouvent, Cette riviere quï vient des hautes montagnes qui font du cöté du midi, paffe au pied du bourg 8c va fe perdre dans le Gange. C'eft de la que viennent toutes les belles pointes de diamant qu'on appelle pointes naïves. 40. La mine de Succadane, dans l'isle de Borneo eft peu connue, paree qu'il n'eft pas permis aux étrangers ni d'emporter, ni de trafiquer des pierres qui s'y trouvent. II s'en voit cependant d'affez belles a Batavia , que les infulaires y viennent vendre en cachette. La mine du Brélïl a été découverte par les Portugais au commencement de ce liecle ; c'eft la plus riche mine de diamans qui foit au monde. L'an 1740 , le roi de Portugal en a accordé la ferme a la compagnie de Rio - Janeiro } pour 13800 crufades. La perfe&ion du diamant confifte dans fon eau , dans fon luftre 8c dans fon poids. Ses défauts font les glacés, les pointes de fable rouges ou noires. Un appelle diamant foible celui qui n'eft pas épais: diamant brut, celui qui eft taillé: diamant gendar»  bv Commerce en Hollande. 245 meux , celui qui n'eft pas net: diamant brillant , celui qui eft taillé en facettes deflus & deffous, Sc dont la table , ou principale facette du deffus eft plate : diamant en rofe, celui qui eft tout plat deffous & taillé deffus en diverfes petites faces, ©rdinairement triangulaires, dont les dernieres d'enhaut fe terminent en pointe : diamant en table, celui qui a une grande facette quarrée par-deffus 8c quatre bifeaux qui 1'environnent. Les diamans d'une groffeur ou d'un prix extraordinaire fe nomme parangons. On dit un diamant parangon, pour dire un diamant excellent, ou qui n'a pas fon pareil. Les plus beaux diamans qu'on connoiffe , font ceux que nous avons défignés cideffus, auxquels on peut ajouter celui de M. Pitt, gentilhomme Anglois, qui pefe 547 grains parfaits. On fe flatte que le le&eur fera charmé d'avoir fous les yeux le mémoire fuivant, dreffé par un homme expérimenté dans le commerce' des pierres précieufes, a 1'aide duquel il eft fort aifé a faire juger de la valeur des diamans fins, de la taille de Hollande. De 1 grain , vaut 13 a 14 kV. De 1 grain 8tl vaut 24 è 2 5 De 2 grains , vaut 36 a 40 De 2 grains &C I vaut 5° a 5 2 De 3 grains , vaut 66 k 70 De 3 grains St |vaut 100 De 4 grains , vaut 108 a 110 De 4 grains L vaut 15° De 5 grains , vaut 200 a 210 q %  Z46 Tableau gr a du el De 5 grains & i vaut 220 a 230 livres De 6 grains, vaut 300 a 330 De 7 grains, vaut 400 k 450 De 8 grains, vaut 560 a 60© De 9 grains, vaut 800 De 10 grains 1000 De 11 grains, vaut 1300 De 12 grains, vaut 1500a i<5o« De 13 grains, vaut 1800 a 2000 De 14 grains, vaut 2200 a 230» De 15 grains, vaut 3300 De 16 grains, vaut 3314 De 17 grains, vaut 3600 De 18 grains, vaut 4000 De 19 grains, vaut 4500 a 500© De 24 grains , vaut 6000 De 3 o grains, vaut 10000 De 35 grains, vaut 150003 20000 De 40 grains, vaut 20000 a 25000 De 45 grains, vaut 30000 a 4©ooo De 50 grains, vaut 50000 a 6ooso De 60 grains, vaut 60000a 75000 II faut cependant obferver a 1'égard de cette évaluation des diamans a facette d'étendue, que le manque d'étendue, le défaut de couleur ou de forme , les glacés , les pointes rouges ou noires & autres défedf uofités en peuvent diminuer le prix, fouvent d'un tiers Sc quelquefois de la moitié. Le prix des diamans épais ou briUans eft toujours moins fort d'un tiers que ceux qui font a facettes d'étendue : ils paroiifent beaucoup plus que  bv Commerce en Hozzanbe. 247 les autres, lorfqu'ils font mis en ceuvre dans leurs chatons. On trouve dans les tranfaótions philofophiques de la fociété royale de Londres , année 1745 , un mémoire de M. hlliot, fur la gravité fpécifique des diamans , dont le climat, la grolfeur & la tranfparence différent. Ces différences n'en produifent pas fur la gravité une de -I^. II y a des pierres, des cryftaux , dont on fait de faux diamans pour les habits de mafque, 8c particuliérement pour ceux des acteurs des opéra, tragédies 8c comédies: il y a de ces diamans fi nets, fi •brillans, qu'on les a quelquefois pris pour de vrais •diamans. Quand on veut tailler des diamans, on commence par les égrifer, c'eft - a - dire , a les frotter lorfqu'ils font encore bruts, après les avoir maftiqués au bout de deux batons affez gros pour les tenir a la main. Les diamans ne fe peuvent tailler que par euxmêmes, St par leur propre matiere. C'eft de la poudre qui fort des deux diamans, qu'on égrife, 8c qui fe recoit dans une petite boite , qu'on nomme grifoir ou égrijbir, dont on fe fert pour les dégroffir 8c pour les polir. On les taille 8c on lespolit è 1'aide d'un moulin qui fait tourner une röue de fer doux , qu'on arrofe de poudre de diamant dé•layée avec de 1'huile d'olive. On fe fert auffi de la v Commerce en Hozzande. i$ï s'eft établi aux frais Sc dépens de la compagnie. Commerce des Hollandois fur les cótcs de Malabar. La cöte de Malabar eft fenile en épiceries, en coton, en cocos 8c en noix d'Inde. L'arbre qui produit le coco eft une efpece de palmier , qui fuffit a prefque tous les befoins de la vie: les fruits de cet arbre fourniffent feuls a un petit ménage 1'aliment, la boifTon, les meubles, la toile , 8c un grand nombre d'uftenliles. Ils croiffent en Afie, en Afrique 8c en Amérique ; les feuiiles grandes 8c larges fervent de papier pour écrire 8c de tuile pour couvrir les maifons. On en retire des fils propres a faire des voiles de navire, on monte le long des jeunes arbres avec des echelles de jonc, on y fait des incifions, on en recueille un fuc vineux, c'eft une boiffon agréable: ce fuc diftillé fournit une bonne eau-de-vie. Le fuc des fécondes incifions donne du fucre par 1'évaporation. La noix da coco coupée avant fa maturité , fournit une boiffon aigrelette trés - odorante. Un peu plus müre, la moéllè renfermée dans 1'écorce, prend de la confiftance, 8c eft bonne a manger. L'amande du coco donne par trituration un lak doux a boire : on en retire une, huile pour faire cuire le riz: on s'en fert auffi pour s'éclairer. La coquille eft dure, ligneufe, on en fait des vafes, des mefures. A Dieppe, on en fabrique des gobelets 8c autres petits ouvrages nuancés de diverfes couleurs 8c du plus beau poli. Les Indiens font avec la bourre rougeatre qui entoure ce fruit, des toiles,des cables, des cordages. Quant au coton, c'eft le fruit d'un arbre qu'on  251 TABZEAV GR A DU EZ nommecotonnier.il croit dans 1'üne 8c 1'autre Inde: on en diftingue de plufieurs elpeces , les unes en arbre, d'autres herbaeéês 8t annuellés. Les cotoniers ne demandent prefque pas de culture : leurs gouffes rondes contiennent des femences enveloppées par des aigrettes de coton. Le cotort de pierre eft celui oü les graines , au lieu d'être éparfes dans la gouffe , font ramaffées en tas d?ns le centre, ferrées 8c enveloppées du duvet. C'eft la plus belle efpece : on en éleve beaucoup a la Martinique 8c dans plufieurs des autres isles francoifes. On cultive aux Antilles le cotonnier de Siam t le coton en eft d'un beau jeaune , d'une trés-grande fineffe. Les ouvrages faits de ce coton font très-eftimés a caufe de leur belle couleur naturelle. A la Chine, on feme après la récolte , ce cotonnier herbacé. Peu de tems après on en retire le coton. Dans les isles , on ne laiffe monter les cotonniers qu'a la hauteur de huit a dix pieds : tous les trois ans, on les coupe rafe terre. Ils pouffent de nouveaux jets : la récolte en eft plus belle , plus facile, elle fe fait en été 8c en hiver. La première eft plus abondante, on ramaffe toutes les gouffes lorfqu'elles font müres , on les met dans un panier, on les expofe au foleil pour qu'elles s'ouvrent , on les porte au moulin qui fépare la graine du coton , on en fait des balles de deux cents jufqu'a trois cents livres. Quelle indufi trie finguliere dans ia maniere de le préparer! Quelle différence de la toile, de la futaine , du bafin , du velours de coton , de la tapifferie , a ces mouffelines fines, chefs - d'ceuvre de 1'art ! Le choix des cotons 8c l'induftrie nous procurent ces  dü Commerce en Hollands. 253 tiches variétés. On en a fait des bas du poids de deux onces jufqu'a foixante & huitante livres : on retire aufli du coton des arbres nommés fromager Sc mahot. Le frotnager eft un arbre des Antilles Sc des Indes , ainfi nommé a caufe de la forme Sc de la fragilité de fon bois ; fes racines lui fervent d'arcboutans a huit pieds de hauteur : il vient de bouture , croit promptement, eft fiexible 8c donne beaucoup d'ombre 3 fes épines mettent fa délicatefle a 1'abrï des infultes Sc de 1'étourderie. Les habitans font fervir fes épines aux mêmes ufages que les cloux. Les canots qu'ils font avec le bois de fromager font de peu de durée : il faut les renouveller fouvent. Ses fleurs rouges ou blanches font fuivies de petits fruits en tuyaux qui contiennent une efpece de laine ou de coton fin, foieux St luifant, ce qui lui a fait donner le nom de gojjampin, trop courte pour être filée. Les Indiens en font des lits, des couflins fort mollets d'une douceur Sc d'une chaleur trés douce 3 mais elle prend feu comme de 1'amadou Sc fe confume avant qu'on puiffe 1'éteindre , ce qui exige de grandes précautions : peut - être entreroit - elle avec fuccès dans la fabriqöc des chapeaux. * Le mahot croit en Guyanne , aux isles Antilles dans les lieux marécageux : on retire des gouffes un coton doux au toucher , jaune , mais fi court qu'on ne le peut filer. II eft chaud , Sc peut être employé pour filer les étoffes. On fait ufage de 1'é* corce du mahot pour calfatrer les vailfeaux Sc faire des cordss.  254 Tableau graduez : II nerefte plus qu'a décrire la noix; mais on eri diftingue de diverfes fortes: la noix des barbares, la noix de Bengale ou myrobolans, noix deBicainiba St noix de galle. . La noix des barbares ? autrement ricin, eft une efpece de feves purgatives fort connue dans les climats chauds de 1'un St 1'autre continent au Senegal , en Egypte, dans les deux Indes St en Amérique. Ces fruits viennent les uns fur des arbres, les autres fur des arbrilfeaux , ou fur des plantes. Le ■palma Chrifli que 1'on cultive dans nos jardins, 8c qui s'eft comme naturalifé dans nos climats eft une efpece de ricinier. Les pignons d'Inde 8t de barbarie ou grain de tilly, font des efpeces de ricins , ainfi que le fruit du medicinier d'Efpagne. En général, tous les ricins font violemment purgatifs , acres , 1'ufage intérieur n'en eft ordonné qu'avec les plus grands ménagemens 5 autrement il feroit nuifible St pourroit même caufer la mort. L'huile qu'on retire des ricins a les mêmes vertus, elle eft puante : on n'en fait guere d'ufage que pour brüler St dans les onguens. Appliquée comme iopique , elle eft réfelutive St vermifuge. Les Indiens préparent avec l'huile exprimée de pignon d'Inde la pomme royale purgative dont 1'odeur feule purge les~perfonnes délicates. C'eft un orange ou va citron infufé pendant un mois dans cette huile prelfée dans les mains , échauffée St refpirée fortement : on ne tarde pas éprouver des atteintes purgatives. Noix de Bicuiba. Ce fruit des Indes fournit, en brülant, une huile dont 1'épreuve médicale a  'Bv Commerce en Hollande. 255 'été faite avec fuccès fur des cancers 8t dans des accès de colique. La noix de galle eft une excrohTance végétale occafionnée par la piqüre d'un infedte qui dépofe fes ceufs fur les chênes du levant. Elles viennent d'Alep. La tekture violette ou noire qu'elles donnent a la folution du vitriol, la rend propre a faire de 1'encre. Les chapeliers , foulons , teinturiers, tanneurs en font ufage \ les plus noires St les plus pefantes lont les meilleures. La noix vomique eft 'un fruit qui contient des amandes au nombre de quinze r il vient fur un trèsgros arbre de Malabar St de la cóte de Coromandel , qui relfemble beaucoup a celui connu fous le nom de bois coulevre.La noix vomique eft un violent, poilbn pour l'homme St les animaux 3 ceux qui en mangent, éprouvent, au bout d'un quart - d'heure ou d'une demi • heure , un déchirement d'eftomac , des contra&ions de nerfs , des convulfions épileptlques 8t la mort: une potion d'eau pour les oifeaux, St une potion de vinaigre pour les chiens, font des remedes indiqués dans {'Encyclopédie. La noix - terre ou terre - noix eft une plante trés - commune en Angleterre St en Hollande 5 elle fe plait dans les lieux humides St terres a blé. Sa ; racine balbeufe a le goüt de chataigne. Ün la mange bouillie ou cuite fous Ia cendre. On trouve fur les cótes de Malabar une elpece - de figuier , nommé Térégam ; fa racine , broyée dans le vinaigre , préparée avec le cacao St prife a jeün le matin , eft trés - rafraichiftante. La cóte de Malabar eft partagée en trois princi-  1$.6 TaSZJSAU GHAliÜMZ paux royaumes, fa voir: celui de Canatior 'de : Calicut 6c de Cochim. Cananor , autrefois la capitale du premier , appartient aux Hollandois;, c'eft une grande ville, bien fortifiée oü il fe fait un grand commerce de poivre , qui croit dans les environs : il y croit aufli quantité de bois d'ébcne. Les Hollandois ont encore un fort prés de la ville de Cranganor, capitale du royaume de ce nom , dont le roi eft valfal de celui de Calicut ; c'étoit autrefois la réfidence de 1'archevêque d'Angamale , que le roi de Portugal nomme encore ? aufli bien que ceux de Cochin , Méliapour ou Saint - Thomé 6c Malaca ; mais c'eft feulement pour 1'honneur 6c le titre. Les Hollandois ont trouvé le moyen de s'alfujettir le roi de Cochin , qui fe dit leur allié \ mais qui , dans le vrai , eft leur valfal ; aufli ont - ils foin d'entretenir toujours une fort bonne garnifon a Cochin , depuis qu'ils ont enlevé cette ville aux Portugais : c'étoit un évêché du tems que les Portugais en étoient maitres. La compagnie Hollandoife tire du Malabar deux 'millions pefant de poivre , qui eft porté fur des chaloupes a Ceylan, óü il eft verfé dans les vaiffeaux qu'on y expédie pour 1'Europe. Elle ne paie que cent nonante-deux livres le candy de cinq cents livres , que les autres compagnies achetent deux cents quarante livres , qui coüte même cent huitantc-huit livres aux négocians particuliers; mais le bénéfice qu'elle peut faire fur cet article, eft plus qu'abforbé par. les guerres fanglantes dont il eft l'occafioru Les  dv Commerce en Hollands. 257 Les ventes de la compagnie fe réduifent k un peu d'alun, de benjoin , de camphre, de toutenague , de fucre , de fer, de calin, de plomb , de cuivre & de vif argent. Le vailfeau qui a porté cette médiocre cargaifon, s'en retourne k Batavia avec un chargement de kairce pour les befoins du port. La compagnie gagne au plus fur ces objets 360,000 livres, qui avec 120,000 livres que lui produifent fes douanes, forment une maffe de 480,000 livres dans la plus profonde paix. L'entretien de fes établiflémens lui coüte 464,000 livres , de forte qu'il ne lui refte que 16,000 livres pour les frais de fon armement: ce qui ne peut du tout fuffire. Golonefs, directeur général de Batavia, fe faifoit donc une bien grolfiere illufion , lorfqu'il ofoit avancer que l'établtffement de Malabar qu'il avoit long - tems régi, étoit un des plus importans de la compagnie , aufli le général Moffel qui avoit tout autre télefcope, n'a point craint de dire : «je fuis » fi éloigné de cette facon de penfer, que je fou» haiterois que la mer 1'eüt englouti il y a prés » d'un fiecle ». En effet, ce n'eft qu'aux dépens des Hollandois que cet établiffement s'eft formé fur les cötes de Malabar , & voici de quelle maniere. Depuis que les Portugais avoient perdu Ceylan , ils vendoient en Europe la cannelle fauvage de Malabar, k- peu -prés fur le même pied qu'on avoit toujours vendu la véritable. Quoique cette concurrence ne put pas durer , elle donna de 1'inquiétude aux Hollandois qui ordonnerent l'an ï66i , a leur général Vangoens, d'attaquer Co~ Tome IL R,  258 Tableau graduez chin. A peine avoit - il invefti la place , qtfil apprfï que fa patrie avoit, fait la paix avec le Portugal» Cette nouvelle fut tenue fecrette : on précipita les travaux , Sc les afliégés, rebutés par des aflauts continuels fe rendirent le huitieme jour. Lelendemain une frégate , partie de Goa , apporra les articles de la paix. Le vainqueur ne juftifia pas autrement fa mauvaife foi , qu'en difant que ceux qui fe plaignoient avec tant de hauteur , avoient tenu quelques années auparavant la même conduite dans le Brelil. Après cette conquête, les Hollandois fe crurent folidement établis dans le Malabar. Cochin leur parut propre a protéger Cananor Sc Culan dont ils ▼enoient de s'emparer , 8c le comptoir de Porca qu'ils projettoient dès - lors, Sc qu'ils ont en effet formé depuis. L'événement n'a pas répondu aux efpérances qu'on avoit concues. La compagnie n'a pu réuflür, comme elle 1'efpéroit , a exclure de cette cöte les autres nations européennes. Elle n'y trouve que les mêmes marchandifes qu'elle a dans fes autres établiffemens, Sc la concurrence les lui fait acheter plus cher que dans les marchés oü elle exerce un privilege exclufif. Paffons aux autres établiffemens des Hollandois. Empire des Hollandois dans Visie de Java. L'isle de Java eft féparée de celle de Sumatra par le détroit de la Sonde. On y recueille du riz , du fucre, du poivre trés - eftimé, du gjngembre 8c du benjoin. Le riz eft une plante qui fe plak tellement dans les lieux humides qu'elle croit dans  Du Commerce en Hollande. 259 Peau ; mais elle a befoin de 1'ardeur du foleil pour mürir. Ses graines qui nous viennent des Indes orientales , du Piémont, de la Caroline 8c d'Efpagne , font un bon aliment, nourriffant 8c pedtoral. Les Indiens en font de bons pains 8c des ga ■ teaux : ils en tirent par la diftillation , un eforit ardent qu'ils nomment Arack. Dans 1'Afie 8c furtout dans l'isle de Ceylan , on feme la graine de riz dans les terreins fangeux. L'on a encore foin d'y creufer des puits qui regoivent 1'eau de pluie , 8c entretiennent 1'humidité du terrein, au poinB que lorfque les inondations furviennent, les cultivateurs ont de 1'eau jufqu'aux jambes. A 1'approche de la moilfon, on fait deffecher le terrein, 8c fans fe fervir de batteurs, les graines font foulées aux pieds des bceufs. On les recueille enfuite dans des facs qu'on enferme dans des pots de terre cuiïe ou des paniers couverts, afin de les garantir des infectes 8c des rats. Le fucre vient dans des rofeaux qu'on appelle cannes a fucre, qu'on trouve dans les Indes, aux isles Canaries 8c dans les pays chauds de 1'Amérique. Ces rofeaux fe plaifent dans les terreins gras 8c humides: on en éleve auffi dans les ferres chaudes. Les plantations en font faciles: on couche les tiges de rofeau dans les fillons préparés. De chaque nceud s'éleve une tige \ lorlqu'elles font müres, on en öte les feuiiles , on les écrafe fous des meules, on en retire une liqueur douce, vifqueufe , qu'on nomme miel de canne : le fel effentiel qu'il contient, eft le fucre. Comme cette liqueur eft très-fufcepïible de fermentation, au lieu de retirer le fucre Rz  z6o Table av c r a d v e t par cryftallifation , on emploie la voie la plus prompte de la coagulation. On met ce miel dans des chaudieres fur le feu : on y ajoute a plufieurs reprifes de 1'eau de chaux 8c une leiïive de cendres ; la liqueur fe clarifie , fe coagule ou fe cryftallife confufément: c'eft la mofconade. Celle qui refte liquide 8c qui en découle eft la mélajje : fermentée , on en tire par diftillation une eau-de-vie de fucre appellée taffia. On fait fondre la mofconade dans 1'eau pour la purifier : on réitere les mêmes opérations, elle parolt fous la forme connue de caffonade. On la met dans des vafes de terre coniques , percés par le fommet; on verfe delfus de la terre blanche délayée dans de 1'eau. Cette eau , en defcendant 8c filtrant a travers la calfonade, dépouille le fel effentiel du fucre de toutes les particules mielleufes qui 1'enveloppent. C'eft en réitérant ces opérations qu'on parvient par degrés jufqu'a obtenir le fucre blanc plus fin , le plus pur, le plus brillant, nommé fucre royal. II eft fee , fonore : frotté dans 1'obfcurité avec un couteau, il donne un éclat phofphorique. On dit qu'il faut douze cents livres de fucre raffiné pour donner fix cents livres de fucre royal. II y a des raffineries dans plufieurs endroits , même dans les cofonies. La qualité des fucres varie, fuivant les endroits 8c la maniere dont on les prépare. Le fucre de la raffinerie d'Orléans, quoique moins blanc que celui de Hollande 8c d'Angleterre eft plus eftimé , paree que moins dépouillé de fes parties mielleufes , il fucre davantage. Le fucre du Brefil eft moins blanc , plus huileux 8c plus gras que celui de Saint-Domingue  vu Commerce en Hollanve. 261 êc de la Jamaïque. Celui d'Egypte eft eftimé plus doux 8c plus agréable que celui de 1'Amérique. Le fucre , fous la forme de fa cryftallifation naturelle eft le fucre candi: on le prépare, on en modifie le goüt de mille manieres diverfes: fon ufage modéré eft très-falutaire. Un morceau de fucre a la fin du repas facilité la digeftion •■, fondu dans 1'eaude-vie , c'eft un excellent vulnéraire. Ün retire du bambou , de 1'érable du Canada, un fel elfentiel, analogue a celui du fucre. Margraff a même fait des effais pour en retirer de plufieurs de nos plantes potageres, telles que carottes, panais, betteraves, poirées blanches 8c rouges. II refte un mot a dire du fucre d'érable : on obrient ce fucre par évaporation d'une liqueur fucrée que 1'on retire par incifion d'une efpece d'érable qui croit en Virginie 8c au Canada, C'eft depuis lé mois de mars jufqu'a la fin de mai, que les habitans font récolte de cette liqueur : ils font une incifion ovale julqu'aux fibres ligneufes ■■, car c'eft d'elles que fort la liqueur fucrée. Ils adaptent une petite canule de bois 8c la recoivent dans des vafes: dès que la feve commence a monter dans 1'écorce , la liqueur n'eft plus bonne 8c n'a qu'un goüt herbacé. Si 1'on faifoit plufieurs incifions a un arbre on le feroit périr. Les jeunes arbres donnent une certaine quantité de liqueur, mais elle eft moins fucrée que celle qui eft fournie par les vieux. Cette liqueur, trés - agréable a boire , a 1'avantage d'être très-apériiive 8c de ne pas incommoder, lors même qu'on la boiroit étant en fueur. La bonté du fucre u e z partagée entre plufieurs fouverains qui étoient continuellement en guerre les uns avec les autres. Ces diftèntions éternelles avoient entretenus chez ces peuples 1'oubli des mceurs 8c 1'elprit militaire. Le Javanois n'abordoit point fon frere fans avoir le poignard a la main , toujours en garde contre un attentat, ou toujours prêt a le commettre. Ennemis de 1'étranger, dans une continuelle défiance entr'eux , ils ne foupiroient qu'après le moment de frapper quelques viétimes de leur relfentiment: on auroit dit que 1'envie de fe nuire, 8c non le befoin de s'entr'aider, les eüt ralfemblés en fociété. Jamais il n'y eut de nation plus exafpérée par la haine; c'eft la que l'homme étoit réellement un loup pour l'homme: homo homini lupus. Les grands avoient beaucoup d'efclaves qu'ils achetoient, qu'ils faifoient a Ia guerre , ou qui leur étoient livrés pour dette: ces efclaves étoient traités avec la plus grande inhumanité; ils étoient condamnés a cultiver la terre 6c a faire tous les travaux les plus pénibles. Le Javanois machoit du bétel, fumoit de 1'opium, vivoit avec fes concubines, combattoit ou dormoit j cependant ils ne manquoient pas d'efprit, mais les principes moraux leur étoient tout-a-fait étrangers, a-peu-près comme ils le font aujourd'hui au peuple papifte. Les Javanois étoient des hommes, qui d'un gouvernement alfez bien organifé, étoient palfés rapidement a une elpece d'anarchie, 6c qui fe livroient fans frein aux mouvemens impétueux dont la nature eft fi libérale dans ces climats. A Ia vue d'un tableau fi effrayant, les intrépides Bataves ne peidirent point courage ; la compagnie  dü Commerce-sn Hollands. 265 ne craignoit que d'être traverfée par les Anglois , qui étoient alors en poffeffion d'une partie du commerce de cette isle 3 mais la foiblefle de Jacques premier Sc la corruption de fon confeil, leverent bientót tout obftacle. Les Anglois furent tellement ïntimidés, qu'ils fe lailferent lupplanter, fans faire des efforts dignes de leur courage. Les naturels du pays, privés de cet appui, furent bientót alfervis: il eft vrai que ce fut 1'ouvrage du tems, de l'adrelfe & de la politique. Les Portugais avoient une politique excellente a 1'égard des princes qu'ils vouloient mettre ou tenir fous leur joug •■, c'étoit d'envoyer leurs enfans a Goa , pour y être élevés aux dépens de la cour de Lisbonne , Sc s'y naturalifer en quelque maniere avec fes mceurs Sc fes principes ■■, mais pour s'afturer du fuccès, il n'auroit pas fallu admettre ces jeunes gens a leurs plaifirs les plus criminels Sc a leurs plus honteufes débauches : il n'en pouvoit réfulter que les plus funeftes effets, la haine Sc le mépris dans le cceur des jeunes éleves pour des inftituteurs fi corrompus. Cette pratique fut adoptée par les Hollandois , mais ils la perfeétionnerent : ils s'appliquerent a bien convaincre leurs éleves de la foibleffë, de la légéreté Sc de la perfidie de leurs fiijets, 8c plus encore de la puiffance, de la fageffe , de la droiture Sc de la fidélité de la compagnie. Ce fut avec cette politique que les Hollandois affermirent leurs ufurpations ; mais héfas, il faut le dire a la honte des Bataves, ils employerent auffi la perfidie, la cruauté comme autant de moyens fürs pour réuflir dans leurs entreprifes: St voici comme ils fe conduifirent.  i6<5 Tableau gra du el Les loix féodales étoient Punique bafe fur laquelle repofoit le gouvernement de l'isle de Java; c'étoit comme autrefois en Europe, une fource de difcorde. Que firent les Hollandois ? ils armerent le pere contre le fils, 8c le fils contre le pere; on appuya, fuivant les circonftances, les prétentions tlu foible contre le fort, du fort contre le foible i tantót les Hollandois prenoient le parti du monarque & tantót celui des valfaux. S'il montoit fur le tróne quelque prince qui annongoit des talens redoutables , on ne tardoit pas a lui fufciter des concurrens ; on fubjuguoit par la crainte ceux qui avoient le courage de ne fe laiflêr féduire ni par les promefies, ni par Péclat éblouilfant de 1'or. Chaque jour amenoit une nouvelle révolution , toujours préparée de loin par les bons Bataves, 8c qui tournoit toujours a leur avantage 5 auffi ne tarderent-ils pas a devenir les maitres des poftes les plus importans de Pintérieur de l'isle , de même que des forts batis fur les cótes. A peine Ce tableau d'ufurpation étoit ébauché, qu'on établit a Java un gouverneur qui habitoit un palais , qui avoit des gardes SC environné d'un extérieur impofant. Que fit alors la compagnie Hollandoife ? Perfuadée que les Portugais avoient tiré un grand avantage de la cour brillante que tenoient les vices-rois de Goa , elle crut devoir frapper 1'imagination des Indiens, plus aifés a conduire par les fens que tout autre peuple. En conféquence la compagnie s'écarta des principes d'économie qu'elle avoit fuivi jufqu'alors avec tant de précifïon, 8c ne s'occupa plus que du foin d'éblouir les peuples de 1'orient pour les mieux  eu Commerce en Hollande. 267 fubjuguer. II y avoit d'ailleurs une autre raifon qui déterminoit la compagnie a prendre ce parti 8c a fè donner un air de grandeur. Les Hollarjdois avoient vu avec une fècrete indignation qu'on les avoit peints en Afie comme des pirates, fans patrie, fans loix 8c fans maitres. II étoit naturel de faire tomber ces calomnies. Pour y réuflir, ils propoferent a plufieurs états voifins de Java , d'envoyer des ambaffadeurs au prince Maurice d'Orange. En effet, ils trouverent dans 1'exécution de ce projet le doublé avantage d'en impofer aux orientaux 8c de flatter 1'ambition du Stadhouder, dont ils fentoient que la prote&ion leur étoit néceffaire alors pour les raifons qu'on va détailler. Le détroit de Magellan ne devoit rien avoir de commun avea les Indes orientales, 8c cependant on 1'y avoit afiez mal a propos compris, lorfqu'on accorda a la compagnie fon privilege exclufif. Ifaac le Maire, négociant riche 8c entreprenant, que fa patrie auroit dü regarder comme fon bienfaiteur, forma le projet de pénétrer dans la mer du fud par les terres auftrales, puifque la feule voie connue alors pour y arriver , étoit interdite. Des vailfeaux qu'il expédia palferent par un détroit qui depuis a porté fon nom , fitué entre le cap de Horn 8c l'isle des Etats, 8c furent conduits a Java oü ils furentconfifqués, 8c ceux qui les montoient furent envoyés prifonniers en Europe. Cet acte de tyrannie révolta les efprits déja effarouchés par tous les commerces exclufifs. II y a toute apparence que la compagnie auroit été facrifiéê a la haine publique , 8c qu'on ne lui auroit  268 T A B Z E A V G RA D V E Z pas renouvellé fon privilege qui alloit expirer, s'il n'avoit été hautement protégé par le prince Maurice , favorifé par les Etats-Généraux 8c encouragé a faire tête a 1'orage, par la confiftance que lui donnoit fon établilfement a Java. Quoique cette isle ait été troublée par plufieurs guerres 8c par quelques confpirations, elle ne lailfe pas d'être affiijettie aux Hollandois de la maniere dont il leur convient qu'elle le foit. Batavia eft Ia capitale de cette isle : les Hollandois batirent cette ville l'an 1619 , a la place de la ville de Jacatra. C'eft une grande ville, belle, propre , riche,, bien peuplée 8c trés-forte ; les mailbus, fans être magnifiques , font agréables , commodes 8c bien meublées; fes rues font larges, tirées au cordeau , bordées de grands arbres, percées de canaux 8c toujours propres \ mais on ne les a point pavées, dans la crainte d'augmenter la chaleur par la réverbération. Tous les édifices publiés font vaftes. La ville a quatre portes, huit grandes rues droites ou de traverfe •, il y a plufieurs bópitaux, dont le plus magnifique eft 1'hópital général 8c quelques marchés, un college, des magafins pour les vailfeaux. La plupart des voyageurs regardent Batavia comme une des plus belles villes du monde : la population , en y comprenant celle des fauxbourgs 8c de la banlieue , ne pafte pas cent mille ames. On y voit auffi des Malais, des Javanois, des Macaftars libres, tous affez parelfeux, des Chinois qui exercent prefqu'exclufivement tous les métiers , cultivent feuls le fucre 8c font a la 1 tête de prefque toutes les raanur'adtnres. On y.  bv Commerce en Hozzande. 269 icompte environ dix mille Européens: quatre mille d'entr'eux , nés dans 1'Inde, ont dégénéré a un point qu'on a peine a croire. On attribue cette dégénération a 1'ufage général d'abandonner 1'éducation des enfans aux efclaves. On a beaucoup exagéré la cofmption.de Batavia ; les mceurs n'y font pas plus corrompues que dans les autres établilfemens que les Européens ont formé en Afie. II n'y a que des hommes fans engagemens qui aient des concubines , le plus fouvent efclaves. Les prêtres qui aiment a s'immifcer dans toutes les affaires les plus étrangeres ü leur vocation , avoient cherché a rompre ces fortes de liaifons toujours obfcures , en refufant de baptifer les enfans qui en étoient les produits \ mais ils font devenus plus traitables depuis qu'un charpentier de la compagnie , qui vouloit que fon fils eut une reiigion, fe mit en difpofition de vouloir le faire circoncire. Le luxe des femmes, fur-tout des Hollandoifes , y eft prodigieux; elles ont toutes la folie ambition de fe diftinguer par la richeffe des habits , par la magnificence des équipages, 8t pouffent a 1'excès ce goüt pour le fafte; elles ne Ibrtent jamais qu'avec un cortege nombreux d'eficlaves , trainées dans des chars magnifiques, ou portées dans de fuperbes palanquins: leurs robes font d'un tiffu d'or ou d'argent, ou de beaux fatins de la Chine , avec des réfeaux d'or : leur tête eft chargée de perles 8c de diamans. Le gouvernement voulut, l'an 1758 , modérer ces profufions en proportionnant au grade 1'éclat des habillemens s on méprifa fes régiemens, on fut les éluder ou les  zjo Tableau graduèï, racheter par une amende ; on trouvoit étrangé qu'on interdit en quelque forte 1'ufage des pierreries dans le pays même qui eft leur fol natal, 8c que les Hollandois s'ingéralfent de régler aux Indes un luxe qu'ils en apportent pour le répandre ou pour faugmenter dans nos contrées. C'eft en vain que la force 8c 1'exemple d'un gouvernement Européen luttent contre les loix 8c les mceurs du climat d'Afie. On ne peut rien imaginer de plus agréable que les environs de la ville; la campagne y eft couverte de maiiöns riantes , de bofquets qui donnent un ombrage délicieux: on y voit des jardins fort ornés, tnême avec goüt: il eft du bon air d'y vivre toute 1'année. Les gens en place ne vont ü Batavia que pour les affaires du gouvernement. Ces retraites délicieufes devoient autrefois leur tranquillité a des forts placés de diftance en diftance, pour arrêter les courfes des Javanois. Depuis que ces peuples ont contraété 1'habitude de 1'efclavage, ces efpeces de redoutes ne fervent que de quartier de rafraïchiffement aux recrues qui arrivent fatiguées par un long voyage. Les chaleurs ne font point exceffives a Batavia comme on fe 1'imagine communément, 8c comme elles devroient naturellement 1'être ; elles font tempérées par un vent de mer fort agréable , qui s'éleve tous les jours a dix heures , 8c qui dure jufqu'a quatre : les nuits font rafraichies par des vents de terre qui tombent a 1'aurore. Pour rendre l'air aufli pur que le ciel eft ferein, il fuffiroit de donner un peu plus de profondeur aux canaux , 8c de conf-  *ü Commerce es Hoziande iji Èruire quelques éclufes. On ne voit pas cependant beaucoup de maladies: la mortalité qui regne parmi les foldats &C les matelots, doit être plutöt attribuée a la débauche, a la mauvaife nourriture & a la fatigue, qu'aux intempéries du climat. La ville de Batavia eft fife dans fenfoncement d'une baye profonde, couverte par plufieurs isles de grandeur médiocre qui rompent 1'agitation de la mer. Ce n'eft proprement qu'une rade; mais on y eft en füreté contre tous les vents 8c dans toutes les faifons comme dans le meilleur port: il n'y a qu'un feul inconvénient, c'eft la difficulté qu'on éprouve d'aller dans les gros tems a bord des vaiffeaux qui font obligés de mouiller a une affez grande diftance. Les batimens regoivent les marchandifes dans la petite isle d'ürmuft, éloignée feulement de la ville de deux lieues 8c demie , qui eft une de celles qui contribuent le plus a la bonté de la rade. C'eft un excellent ehantier, bien fortifié, qui n'eft jamais fans trois ou quatre cents charpentiers Européens, 8c oü la facilité des changemens a fait former les magafins des groffes mai> chandifes qu'on deftine a être exportées. Une riviere affez confidérable, après avoir fertilifé les campagnes 8c rafraichi Batavia, femble ne fe jeter dans la mer que pour être le canal d'une communication réciproque entre la ville 8c les vaiffeaux. II eft a craindre que les fables 8c les immondices qui ont formé un banc, ne jettent la compagnie dans des embarras 8c dans des dépenfes fort confïdérables. Autrefois les alleges , qui fe croifoient continuellement , pouvoieut tirer jufqu'a douze  lyi Tableau gra du el pieds d'eau ; elles font réduites a la moitié, Batavia eft la ville la plus confidérable de 1'Inde j il s'y fait un grand commerce , 8c les marchands de toutes les nations viennent s'y réunir. Les Chinois fur-tout y trafiquent beaucoup 5c contribuent le plus a la richeffe de cette ville : ils y font en fi grand nombre, qu'ayant excité, l'an-1741 , un Ibulévement, les Hollandois eurent beaucoup de peine a le calmer. Batavia eft Ie fiege du confeil fouverain des Indes pour les Hollandois. Ce confeil eft compofé d'un général qui a 1'autorité de viceroi, d'un directeur, de fix confeillers ordinaires" 5c de quelques autres extraordinaires , dont 1® nombre dépend de la compagnie des Indes orientales qui réfide en Hollande. Ce même confeil a fous lui fix gouverneurs-généraux, favoir: ceux de Paliacate fur la cóte de Coromandel, d'Amboine, de Banda, de Ténate, de Ceylan 6c de Malaca. La compagnie Hollandoife des Indes orientales envoie tous les ans a Batavia plus de vingt vailfeaux chargés de marchandifes d'Europe pour les Indes, 6c ils en rapportent de 1'or, de I'argent, des diamans , des perles, du cuivre , du thé , des porcelaines, des épiceries, des foies , du coton 8c quantité d'autres marchandifes de toute 1'Afie. Cette ville a un trés-bon port 6c une fortereffe qui paffe pour imprenable. Les Hollandois y entretiennent toujours une forte garnifon : c'eft la patrie de Guillaume Humbert, célebre chymifte de 1'académie des fciences de Paris. On voit aborder dans cette ville tous les' vailfeaux que Ia compagnie envoie en Europe pour l'Aüe. A 1'exception de ce qui part directemeiu  du Commerce en Hollande. 2.73 dire&ement du Bengale 8c de Ceylan j ils s'y chargent en retour de tous les objets de ces riches ventes qui font notre furprife 8c notre admiration. Les expéditions pour les différentes échelles de 1'Inde, font aufli confidérables 8c peut-être même davantage. Un y emploie les batimens Européens durant leféjour forcé qu'ils font réduits a faire dans ces mers éloignées. C'eft de cette maniere que cette doublé navigation lie tous les établiffemens Hollandois avec Batavia. Ceux de 1'eft, a raifon de leur iituation, de la nature de leurs denrées 8c de leurs befoins , y entretiennent des liaifons plus vives que les autres. II faut a tous des paffe-ports: les batimens particuliers qui negligeroient cette précaution, imaginée pour empêcher les verfemens frauduleux , feroient faifis par des chaloupes qui croifent continuellement dans ces parages. Lorfqu'ils font arrivés è leur deftination , ils livrent è la compagnie celles de leurs produétions dont elle s'eft réfervée le commerce exclulif, 8c vendent les autres a qui bon leur femble. La traite des efclaves forme une des branches , principales de ce dernier commerce : on en porte a Batavia fix mille tous les ans, deftinés au fervice domeftique, au travail des terres 8c des manufactures. Les Chinois, qui ne peuvent ni amener ni faire venir aucune femme de leur patrie , en choififfent parmi ces efclaves. Une douzaine de jonques Chinoifes parties d'Emoui , de Limpo 8c de Canton, grofliffent les importations qu'on fait annuellement dans cette Ville. Leur charge peut valoir trois millions ; elle Tome IL S  274 Tableau gbadueI confifte en camphre , en porcelaines, en étoffes de foie Sc de coton qui fè confomment a Batavia & dans les autres colonies flollandoifes , en foies écrues que la compagnie achete, li elles forment un objet un peu confidérable , ou qui, lorfqüil y en a peu , font vendues è ceux qui les font paffer a Macaffar, a Sumatra, oü on en fait des pagnes pour les grands ; en thé , dont la compagnie fe chargeoit autrefois, mais qui eft abandonné aujourd'hui aux particuliers. Ils 1'envoient en Europe, oü il eft vendu par la compagnie qui retient quarante pour cent pour fon droit de fret: ce thé eft communément mauvais Sc de la derniere qualité. üutre les objets dont on vient de parler, les jonques tranfporrent réguliérement a Java deux mille Chinois, attirés par 1'efpérance d'y faire fortune. Dans leur retour ils emportent avec eux des nerfs de cerf Sc des nageoires de requin dont on fait un mets très-délicat ü la Chine, qui recoit de plus, en retour de fon commerce avec Batavia , du tripam , dont elle prend tous les ans deux mille picles. Chaque picle fe vend depuis douze jufqu'a quarante livres , fuivant fa qualité : il ne croit qu'a deuxpieds de la mer, fur les roches ftériles des isles de 1'eft Sc de la Cochinchine , dans tout 1'orient, qu'on trouve dans les mêmes lieux. Le picle de cette derniere marchandife fe vend depuis mille quatre cents livres jufqu'a deux mille huit cents livres; Sc les Chinois en emportent mille picles. Ces nids, de figure ovale d'un pouce d'hautenr, de trois pouces de tour Sc du poids d'environ une demi once , font 1'ouvrage d'une efpece d'hirondelle qui  bv Commerce en Hollande. 175 a Ia tête, la poitrine 8c les ailes d'un fort beau bleu, 8c le corps d'un blanc de lak. Cette efpece d'hirondelle compofé fes nids de frai de poiflbn, ou d'une écume gluante que 1'agitation de la mer forme autour des rochers auxquels elle les attaché par le bas : alfaifonnés de fel 8c d'épiceries , c'eft une gelée nourriffante, faine 8c délicieufe , qui fait le plus grand luxe de la table des orientaux mahométans : la délicatelfe dépend de leur blancheur. Les Chinois emportent aufti du calin 8c du poivre, quoique la compagnie s'en fok réfervée 1'exportation. Ses principaux agens jugent pour leur avantage , que cette extraétion n'eft nullement nuifible au corps qui leur a confié leurs intéréts. Outre les marchandifes que les Chinois exportent de Batavia , leur trafic leur vaut encore une folde en argent. Cette richelfe eft groflie par les fommes confidérables que les Chinois établis a Java font paffer a leurs families, 8c par celles qu'emportent tót ou tard ceux qui, contens de leur fortune, s'en retournent dans leur patrie , qu'ils perdent rarement de vue. Les Européens ne font pas fi privilégiés a Batavia que les Chinois. On n'y recoit comme négocians que les Efpagnols : ils viennent de Manille avec de 1'or , qui eft une produ&ion de l'isle même; avec des piaftres 8c de la cochenille. La cochenille eft un infeéte qui differe du kermes , en ce que la femelle conferve la forme animale lorfqu'elle eft delféchée. La plupart des cochenilles qui fe trouvent dans les ferres, ont été apportées atec les plantes étrangeres. Cette efpece Si  zj6 Tableau graduez de gallinfeéte eft d'ufage en teinture. Lorfqu'orl laiffe tremper la cochenille dans 1'eau ou du vinaigre , les parties fe gonflent, on appergoit les anneaux du corps de l'infedte , les attachés des jambes , quelquefois même des jambes entieres. Au Mexique on éleve foigneufement la cochenille : elle s'attache naturellement aux feuiiles de diverfes efpeces de plantes. Les Indiens les ramaffcnt, en mettent dix ou douze dans de petits nids faits de moulfe ou de bourre de coco, les fufpendent aux épines de la plante connue fous les divers noms de raquette, cardajfe .figuier d'Inde, opuntia Sc nopal, Ils élevent une grande quantité de cette plante autour de leurs habitations. Les gallinfeéfes don*nent naiflance a des milliers de petits : ils fe difperfent, fe nourriffent du fuc de la plante St y reproduifent une nouvelle génération. Un en fait trois récoltes pendant 1'année. La première fe fait en enlevant les nids apportés St placés fur Ia plante. La feconde, en détachant Ia cochenille de deffus les feuiiles avec des pinceaux , St Ia troifieme a 1'approche de 1'hiver, en coupant les feuiiles qui font encore chargées de ces infeétcs. Ces plantes, qui fe confervent long-tems vertes , leur fourniffent de la nourriture : arrivés a leur groffeur, on les enleve en raclant leurs feuiiles. Cette cochenille n'eft pas d'une aufli belle qualité , paree qu'il s'y mêle un peu de 1'épiderme de Ia feuille : les Efpagnols la nomment granilla. Auflïtót qu'on a ramaffé ces infeétes , on les fait périr: la maniere dont on s'y prend influe beaucoup fur la couleur ; elle porte alors divers noms. Celle  r>v Commerce en Hollande. x-j-j qu'on fait périr a la chaleur douce des fours eft d'un gris cendré ou jafpé : on la nomme jafpeada. Si on la fait périr en la plongeant avec des corbeilles dans de 1'eau chaude , elle s'appelle renegrida : celle-la n'eft pas recouverre d'une poudre blanche : enfin elle porte le nom de négra , fi on la fait périr fur les plaques chaudes qui ont fervi a faire cuire le maïs. Par ce procédé , elle prend quelquefois trop de chaleur 8t devient noiratre. Trois livres de cochenille fraiches ne pefent pas plus qu'une livre lorfqu'elles font defféchées.^ La cochenille, ainfi élevée fur des plantes cultivées , donne une plus belle couleur que la cochenille Sylveftre. La cochenille defféchée peut conferver fa partie colorante pendant des fiecles: aucun autre infecte ne s'y attaché, & jamais elle ne fe corrompt. On 1'emploie en teinture ; elle donne une couleur rouge d'un excellent teint: on en varie les nuances; on en fait 1'écarlate & le cramoifi. Les_ Anglois la mêlent avec la gomme-laque, pour teindre leurs draps : cette teinture eft plus prompte , aufli bonne èC a meilleur marché. La cochenille fournit aux peintres les couleurs les plus vives St les nuances les plus belles. Cette fubftance , broyée St préparée, donne le Carmin, qui, difpofé avec art fur les joues des dames, devient rival de la nature. On vend a Conftantinople du crépon ou linon trésfin , teint avec de la cochenille : on 1'imite a Strasbourg. Ce linon, trempé dans 1'eau , peut s'employer, ainfi que la laine nacarat de Portugal , au même ufage que la cochenille: on s'en fert pour colorer les liqueurs. On eftime qu'il entre en Eu- S 3  178 Tableau graduel rope , tous les ans dans le commerce huit cents quatre-vingts mille livres de cochenille: rien de plus facile que d'en élever dans la plupart des isles de 1'Amérique , oü le climat paroit favorable a ces infectes. C'eft ce dont on ne s'eft pas encore avifé, ni de tirer parti de notre cochenille Européenne , qui refTemble beaucoup a la cochenille de 1'Amérique. II y a encore une autre efpece de cochenille qu'on nomme cochenille de Pologne, ou kermès du nord. On trouve cette gallinfeéte en Pologne , fur les racines d'une efpece de renouée, vers la fin de juin •■, les payfans vont a fa récolte une beche a la main , enlevent la plante , fecouent la racine dans un panier, la remettent dans le même trou , afin de ne la pas détruire , féparent la cochenille de la terre a travers d'un crible, la font périr dans du vinaigre Sc 1'expofent au foleil : la deffication précipitée en altere la couleur. Cette cochenille donne un beau rouge • les Turcs 6c les Arméniens s'en fervent a teindre la foie, le cuir, le marroquin, la laine 8c la queue de leurs chevaux. La diffolution de ces gallinfeétes dans du jus de citron , eft employée par les dames Turques pour fe peindre en rouge 1'extrêmité des pieds 8c des mains : mêlés avec de la craie &C un peu de gomme arabique , on en fait pour les peintres une laqué auffi belle que celle de Florence. On dit que les Hollandois mêloient cette teinture avec la cochenille pour obtenir 1'écarlate •■, mais foit que la cochenille venue de Dantzick ait été éventée , foit qu'on en ait fait trop d'éloge , M. Hellot n'a pu en tirer que des lilas, des couleurs de chair , des cramoifis  bv Commerce en Hozzande. 179 plus ou moins fins. On ne 1'emploie point dans les manufadtures d'Europe , & on n'en porte point a Batavia: on n'y voit que celle que les Efpagnols qui viennent de Manille y tranfportent avec de 1'or bX des piaftres, bX qui regoivent en échange des toiles pour eux bX pour Acapulco ; mais fur-tout de la canelle, dont la confommation s'eft extrêmement étendue , par 1'ufage du chocolat qui eft général, bX fait tous les jours de nouveaux progrès en Europe. Depuis que les Anglois bX les Frangois ont prk la route des Philippines, la première branche de commerce eft fort tombée: la derniere a fouffert de 1'altération l'an 1759. On avoit livré jufqu'alors aux Efpagnols la cannelle a un prix affez modéré; mais on voulut a cette époque la leur vendre le prix qu'elle valoit en Europe. Cette nouveauté mit de la froideur entre les deux colonies: les fuites de cette brouillerie ne nous font pas encore connues. Nous favons feulement que les Frangois ne vont guere a Batavia que pendant la guerre : ils y prennent du riz 8c de 1'arrak pour leurs vailfeaux, pour leurs établiffemens , bX ils paient ces denrées avec de I'argent ou en lettres de change. Les Anglois s'y montrent davantage. C'eft la que relachent tous ceux de leurs raiffeaux qui vont de 1'Europe a la Chine , fous le fpécieux prétexte de renouveller leur eau ; mais en effet, pour vendre leurs marchandifes qui appartiennent en propre aux équipages. Ce font des draps , de la clincaillerie , des miroirs, des armes, des vins de Madere, des huiles de Portugal. Ce commerce clandeftin se- S4  Z$0 T ASZEAU GRADUEZ leve rarement au-delTüs d'un million de livres. Outre les vaiffeaux Anglois d'Europe, on voit tous les ans a Batavia trois ou quatre batimens dc cette nation , expédiés de différentes parties de 1'Inde. Ils ont effayé de vendre de 1'opium 5c des toiles; mais ils ont été obligés de renoncer a une importation trop contrariée par les intéréts particuiiers pour être foufferte. Leur commerce fe borne a acheter du fucre, qu'ils répandent par-tout, 5c de 1'arrak, dont il fe fait une confommation immenfe dans leurs colonies. L'arrak eft une eaude-vie faite avec du riz , du firop de fucre 5c du yin de cocotier , qu'on laiffe fermenter enfemble , 8c qu'enfuite on diftille. C'eft encore une des branches de commerce que l'induftrie des Hollandois a enlevée a la pareffe des Portugais. La manufaéfure de l'arrak , établie originairement a Goa, a paffe en grande partie a Batavia. Cette ville leve fur toutes les marchandifes qu'elle laiffe entrer ou fortir , un droit de cinq pour cent. Le produit de la douane eft affermé un million huit cents vingt-huit mille livres. II ne faudroit pas juger de 1'étendue du commerce par cette regie , qui eft pourtant conftamment la plus fure. Les gens en place ne paient rien , paree qu'elle fe payeroit a elle-même. Quoiqu'elle foit la, comme ailleurs le plus grand négociant de l'isle , le gain qu'elle fait ne couvre pas les dépenfes de ce fameux entrepot, qui montent a fix millions. Paffons maintenant au commerce que la compagnie Hollandoife fait a Bantam, capitale d'un royaume de même nom, qui occtrpe la partie oe-  BU COMMER.es Elf HOIIANDE. X%1 eidentale de l'isle de Java. C'eft une ville forte & trés - commercante , qui a un trés - bon port: les Hollandois y font le principal commerce. Le royaume de Bantam obéit a un roi mahométan qui eft lui-même affujetti aux Hollandois. Voici de quelle maniere ceux- ci font parvenus a maitrifer ce monarque 8c a dominer dans fes états. Un des defpotes de Bantam avoit remis la couronne a fon fils. L'an 1680, il fut rappellé au tröne , tant par la mauvaife conduite de fon fucceffeur que par une fuite de 1'inquiétude naturelle du pere, 8c par une faétion puifl'ante. Le parti du pere étoit fur le point de prévaloir, lorfque le jeune monarque fon fils fe voyant alfiégé dans fa capitale par une armée de trente mille hommes, n'ayant pour tout appui que les compagnons de fes débauches, fe vit forcé d'implorer la prote&ion de la compagnie Hollan* doife qui vola a fon fecours , battit les ennemis, délivra le jeune monarque de fon rival 5c rétablit fon autorité. L'expédition fut vive, courte 8c rapide , quoique par - la même peu difpendieufe , on ne lailfa pas de faire monter les dépenfes de la guerre a des fommes prodigieufes. L'épuifement des finances mettoit le jeune monarque dans 1'impoffibilité de s'acquitter, 8c la fituation critique oü il fe trouvoit, ne lui permettoit pas de difcuter le prix d'un fi grand fervice qu'on venok de lui rendre. Dans cette extrêmité, que pouvoit faire ce foible roi ? II n'eut d'autre parti k prendre que de fe mettre dans les fers des Hollandois 8c pafièr fous leur joug \ c'eft ce qu'il fit fans la moindre répu-  l82 TABZSAU 9RADVXZ gnance , en leur accordant le commerce exclufif de fes états j de cette maniere il leur a aflervi toute fa poftérité. La compagnie maintient ce grand & précieux privilege avec trois cents huit hommes qui font diftribués dans deux mauvais forts, dont 1'un fert d'habitation a fon gouverneur, 8c 1'autre de palais au roi. Cet établilfement ne cotite a la compagnie que huit cents mille francs par an , fomme qu'elle retrouve fur les marchandifes qu'elle débite fur les lieux; il lui revient en pur bénéfice tout ce qu'elle peut gagner fur trois millions pefant de poivre, qu'on s'eft obligé de lui livrer a vingt - cinq livres douze fois le cent, ce qui eft fort peu de chofe en comparaifon de ce que la compagnie tire de Tsieribon, qu'elle a réduite fans efforts , fans intrigue Sc fans dépenfe. A peine les Hollandois s'étoient-ils établis a Java , que Ie fultan de cet état, relferré a la vérité , mais très-fertile , fe mit fous leur protedtion pour éviter le joug d'un voifin plus puiftant que lui. II leur livre annuellement mille laftes de riz, chacun du poids de trois mille trois cents livres, a foixante Sc feize livres feize fois Ie laft: un million pefant de fucre, dont le plus beau eft payé treize livres neuf fois le cent: un million deux cents mille livres de café, a quatre fois la livre: cent quintaux de poivre, a quatre fois huit deniers la livre : trente mille livres de coton, dont le plus beau n'eft payé qu'une livre huit fois la livre : fix cents mille livres d'areque , a douze livres le cent. Quoique des prix fi bas foient un abus manifefte  t>u Commerce ed Hozzande. 183 de la foibleiïë des habitans , cette injuftice n'a jamais mis les armes a la main du peuple de Tsieribon , le plus doux Sc le plus civilifé de l'isle. Cent Européens fuffifent pour le tenir dans les fers. La dépenfe de cet établiffement ne monte pas audeffus de 41000 liv. qu'on gagne fur les toiles. L'empire de Materan s'étendoit autrefois fur l'isle entiere : il en embralfe encore aujourd'hui la plus grande partie ; il a été le dernier fubjugué , fouvent vaincu , quelquefois vainqueur : cet Empire combattoit encore pour fon indépendance lorfque le fils Sc le frere d'un fouverain mort l'an 1704 , fe difputerent fa dépouille. La nation fe partagea entre deux concurrens. Celui que 1'ordre de la fucceffion appelloit au tröne , prenoit fi vifiblement le deffus, qu'en peu il pouvoit fe flatter d'être le maitre , fi les Hollandois ne fe fuffent déclarés pour fon rival ; ils firent pencher la balance , 5c prévalurent enfin. II eft vrai que ce ne fut qu'après des combats plusvifs, plus répétés , livrés avec plus d'art , Sc beaucoup plus opiniatres qu'on ne devoit s'y attendre. On fut étonné de voir un jeune prince qu'on vouloit priver de la fucceffion du roi fon pere , montrer tant d'intrépidité , de prudence 8C de fermeté, Sc qui auroit triomphé fans 1'avantage que fes ennemis tiroient de leurs magafins , de leurs fortereffes Sc de leurs vailfeaux : il étoit digne du tröne Sc il en fut privé. Son oncle y monta, mais ce ne fut que pour faire voir qu'il en étoit indigne. La compagnie ne lui remit le fceptre qu'en lui diéfant des loix. Elle choifit le lieu oü il devoit fixer fa cour , Sc s'affura de lui par une citadelle  184 Tabzeav graduez oü eft établie une garde qui n'a de fonétion apparente que celle de veiller a la confervation du prince. Toutes ces précautions prifes, Ia compagnie eut 1'adreffe de 1'endormir dans le fein des voluptés, d'amufer fon avarice par des préfens 8c de flatter fa vanité par des ambaffades de grand appareil. Depuis cette époque le prince 8c fes fucceffeurs auxquels on a donné une éducation convenable au róle qu'ils font appelles a jouer , n'ont été que les vils iuftrumens du defpotifme de la compagnie. Pour le maintenir elle n'a befoin que de trois cents cavaliers 8c de trois cents foldats , dont 1'entretient avec celui des employés , coüte 760,000 Jiv. Les avantages qu'on retire de cette pofition dédommagent au centuple la compagnie de Ia dépenfe qu'elle eft obligée de faire. Les ports de cet état font devenus les chantiers oü 1'on conftruit tous les petits batimens , toutes les chaloupes que la navigation de la compagnie occupe. Elle y trouve les boiferies nécelfaires pour fes différens établiffemens de 1'Inde , Sc pour une partie des colonies étrangeres. Elle y charge encore les produéfions que le royaume s'eft ob'igé a lui livrer, c'eft-adire , cinq mille laft de riz , a 48 liv. le laft 5 tout le fel qu'elle demande a 28 liv. 16 folsle laft , cent mille livres de poivre , a 19 liv. 4 fois Ie cent 5 tout 1'indigo qu'on cueille a 3 liv. 16 fois le laft ; Ie fil de coton , depuis 12 fois jufqu'a 1 livre 10 fois la livre, fuivant fa qualité : le peu qu'on y cultive de cardamome eft a unprixhonteux. Ce cardamome eft connue fous Ie nom de maniquette , graine de Paradis. On en diftingue de trois efpeces ; elles  i>v Commerce ejn Hollande. 28$ nous viennent des Indes 8c d'Afrique , elles font odorantes 8c d'une faveur piquante. C'eft un puiffant cordial. II eft encore une isle qui n'eft féparée des ports du Materam que par un canal fort étroit que la co'npagnie Hollandoife met a contribution. C'eft l'isle de Madure. Elle eft forcée par une garnifon de quinze hommes, de livrer fon riz a unprixtrèsfoible. Cette isle éprouve, ainfi que las autres peuples de Java , une vexation plus odieufe encore. Seroit-il poflïble que les commis de Ia compagnie fe fervilfent de fauffes mefures pour groflir la quantité de denrées qu'on doit fournir ? Cependant rien de plus vrai. Un a jufqu'ici fermé les yeux fur cette infidélité , qui ne tourne qu'a 1'avantage de ces commis. On n'a mis aucun frein a leur infatiable avidité, & on ne peut fe flatter que jamais on la réprime. II n'y a qu'un feul pays dans l'isle de Java qui ne foit pas expofé a de pareilles extorfions : c'eft le pays de Balambuan qui a été jufqu'ici dédaigné par les Hollandois , paree qu'ils n'y trouvoient pas d'objet de commerce , ni d'aliment a leur cupidité i voila pourquoi ils n'y ont pas formé de liaifon. Tout le domaine de la compagnie Hollandoife dans l'isle de Java , fe réduit au petit royaume de Jacarta. Les horreurs qui accompagnerent la conquête de cet état par les Hollandois, & la tyrannie qui en fut une fuite néceffaire , en firent un défert qui refta inculte 5c fans induftrie. Pourquoi Ia compagnie n'a-t-elle pas cherché a acquérir des propriétés dans l'isle de Java ? C'eft qu'elle s'eft contentée d'avoir dirninué 1'inquiétude  i8<5 Tableau gr a duel des Javanois, en fapant peu-a-peu les mauvaifés loix qu'ils entretenoient, de les avoir forcés k quelqu'agriculture , 8c de s'être allure d'un commerce exclulif. D'ailleurs il eft a remarquer que les Hollandois, Sc fur-tout ceux qui vont chercher fortune aux Indes, ( y en a-t-il d'autres) étoient trés - peu propres è tirer cet excellent fol de l'état d'annéantilfement oü il fe trouvoit alors SC oü il eft encore. Frappés de cet état d'annéantilfement, les Hollandois imaginerent plufieurs fois de recourir aux allemands dont ils entreprirent d'encourager la laborieufe induftrie en leur faifant quelques avances 8c quelques gratifications , toujours dans le deifein de diriger les travaux de la maniere la plus utile pour la compagnie. Mais n'y avoit-il pas une voie plus courte 8c plus expéditive ? C'étoit d'attirer de la Chine des ouvriers en foie , d'appeller des tilferands de la cöte de Coromandel , qui auroient executé dans des atteliers, pour la prolpérité des manufaétures , ce que les laborieux allemands auroient pu opérer dans les campagnes. II n'y eut ' rien d'exécuté de tout ce qu'on avoit projetté d'utile , paree que cela ne favorifoit en rien 1'intérêt particulier. II faut rendre juftice aux généraux Imhoff Sc MeffL'I qui s'occuperent férieufement du foin de remédier a ce défordre. Pour réufiir dans leurs entreprifes, ils vendirent a des Chinois Sr. a des Européens pour un prix léger , les terres que 1'oppreflion avoit mifes dans les mains du gouvernement ; mais il n'eft pas réfulté de cet arrangement tout le bien dont on s'étoit flatté. Les nouveaux propriétaires fe feroient probablement  du Commerce en Hollande. 287 livrés a la culture qui demande des avances , des bras 8c des foins , fi la compagnie n'avoit pas exigé qu'on lui livrat les denrées au même prix qu'elle le paie dans le refte de l'isle: voila pourquoi ils n'ont hazardé fur leurs habitations que des troupeaux , dont ils trouvent un débit facile , fur, 8c avantageux. On prétend que toute la population fe réduit a cent cinquante mille efclaves , tous dirigés par un petit nombre d'hommes libres. Les produits de tous ces travaux fe montent a cent cinquante mille livres de poivre , a vingt-cinq mille livres de coton , a dix millions de fucre , a dix mille livres d'indigo , a fix mille livres d'areijue , 8c a deux millions de café. L'indigo ou anil croit naturellement au Bréfil: on le cultive avec fuccès a Cayenne 8c dans toutes les colonies Francoifes , de même que dans l'isle de Java. Au bout de deux ans de femence, il eft bon a recueillir. Si on coupe cette plante un peu avant fa maturité , elle donne un plus beau bleu , mais en moindre quantité ; cueillie trop tard , elle n'en donne prefque plus ; le moment eft lorfque les feuiiles commencent a fe cafier , 8c qu'elles ont une couleur vive. On met la plante macérer dans une cuve avec de 1'eau , elle y fermente ; les particules colérantes fe détachent ; on fait couler 1'eau qui en eft chargée dans une cuve placée deffous. Les negres battent cette eau avec des manivelles : on faifit le moment oü la fécule commence a fe précipiter : on fait couler 1'eau 8c la fécule dans une troifieme cuve placée delfous: elle fe dépofe petit a petit aa fond de ce vafe: on la met  288 Tableau graduez dans des chaulTes coniques dans un lieu aéré 8c & l'ombre ; le foleil ardent détruiroit la couleur, 1'humidité la gateroit : ce fécule delféchée eft la pate de 1'indigo. Si on n'a employé què les feuiiles de la plante , c'eft 1'inde. Le bleu d'indigo donne une teinture d'excellent teint fur la laine , le ff! , le coton , la foie ; mêlée avec la graine jaune d'Avignon , elle donne le verd. Les blanchiffeufes 1'emploient pour paffer leur linge au bleu. On 1'emploie dans la peinture en détrempe : on le mêle avec du blanc , fans cela il paroïtroit noir. C'eft avec cette couleur qu'on imite les couleurs du ciel , de la mer , 8c qu'on fait toutes les parties fuyantesdes tableaux ; broyée a l'huile elleperdroit fa couleur. Quant a 1'arec ou areca , c'eft le fruit d'une efpece de palmier qui croit a Malabar , a Surate, a Pegu , fur les autres cótes de 1'Inde 8c dans l'isle de Java. Ce fruit mangé encore verd , caufe une efpece d'ivrelfe. Elle fe diftipe aifément en buvant de 1'eau fraiche , dans laquelle on fait diffoudre un peu de fel. C'eft avec 1'arec qu'on pfépare le cachou , fubftance qui a été nommée, mais improprement , terre de Japon , par les marchands auxquels la féchereftë 8c fa friabilité en impofoient. D'après les recherches de M. de Jufïïeu , il eft démontré que le cachou eft un fuc gommo-rélineux, extrait des femences de l'areca , fruit d'une efpece de palmier, comme on vient de le dire. On met ces femences encore vertes dans de 1'eau par 1'ébullition , le fuc gommo-rélineux s'y diffout; évaporé en eonfiftance d'extrait, c'eft le cachou»  bv Commerce en Hollande 289 cachou. Pour le rendre agréable , on y ajoute du fucre 5c des aromates : c'eft ce qu'on appelle la pate de cachoudé. Les Indiens en machent continuellement , fe le préfentent dans les vifites comme Ie bétel. Le cachou , lorfqu'il eft bien pur , fe fond entiérement dans la bouche , rend 1'haleine agréable , 6c fortifie 1'eftomac. Ce fuc joint la douceur de la reglilfe 6c du faint dragon a 1'aftriétion de I'accia 5c de 1'hypocifte , 6c réunit en foi les vertus de ces différens extraits. Le cachou diifous dans 1'eau eft une boilfon falutaire dans le relachement des vifceres , mis en infufion en petite quantité dans du thé, il lui donne un parfum très-gracieux : en général le cachou communiqué une odeur de violette aux liqueurs , dans lefquelles on le fait fondre. Le café eft un arbre originaire de 1'Arabie heureufe 5c trés-fréquent dans la province de Jamam On 1'a tranfporté a Batavia, a Surinam, a Java, a Bourbon , 6c dans plufieurs isles de 1'Amérique. II n'acquiert pas dans nos ferres chaudes plus de deux pouces de diametre , Sc ne peut y végéter que dix ou douze ans. II vient jufqu'a la hauteur de 40 pieds. Son diametre n'eft que de 4 a 5 pouces. II eft couvert dans prefque toutes les faifons de fleurs 5C de fruits. Aux fleurs de forme de jafmin , fuccédent les fruits d'abord verds Sc rouges dans leur maturité. La chair en eft fade , mucilagineufe , 5c renferme la femence connue fous le nom de café. Cette graine mife en terre, leve au bout de fix femaines ; mais il faut qu'elle foit nouvelle. Ce fait détruit la fauffe imputation qu'on fait aux habitans de faire Tome II. T  2(,e> T A B L S A V GR ADV El. bouillir ou fécher au feu le café , afin de 1'empêcher de germer. Sa qualité dépend du climat dans Iequel il croit. Le café rnoka eft le plus eftirné. On le reconnoit a fa couleur jaune , a fon odeur fuave Sc agréable. Les habitans de Jaman en vendent tous les ans pour plufieurs millions. On en diftingue de trois qualités. Le plus précieux eft le bahouri. On le réferve pour le grand feigneur 8c les fultanes. Le faki Sc le falabi un peu inférieur fe vendent pour la Perfe , 1'Arménie , 1'Europe. Le café bourbon eft blanchatre , alongé Sc inodore. Celui des isles eft verdatre, a une odeur 8t un goüt légérement herbacé. La connoiflance des propriétés du café eft due, difent les uns , a un chef de monaftere , qui témoin de 1'effet que produifoit ce fruit fur les boucs 8c chevres, en fit boire 1'infufïon aux moines pour les empêcher de dormir pendant les offices de la nuit. D'autres difent qu'un muphti en prit le premier pour fe tenir éveillé Sc prolonger fes prieres plus avant dans la nuit. Son ufage n'étoit pas connu avant le 17 fiecle. On le prépare de diverfes manieres, ou infufé fimplement dans fon état naturel, ou röti 5c réduit en poudre , ou préparé a la fultane. Chacun peut juger par les effets que lui produit cette infufion , fuivant fon tempérament. L'abus exceffif qu'en fait le peuple au Pays-de-Vaud Sc en Suiffe y fait dégénérer 1'efpece d'une maniere frappante , 8c y caufe des maladies inconnues jufqu'ici , Sc pour lefquelles le célebre Tilfot n'a encore pu trouver de nom , ni de remede ; ce qui devroit attirer 1'attention du gouvernement. Tous  du Commerce en Hollands. 291 les produits dont on a fait ci-deifus 1'énumération, ainfi que tous ceux de Java, font tranfportés a Batavia. On fe livre a la culture du fucre 8c de 1'arec avec plus d'ardeur dans l'isle de Java , qu'a toute autre. En voici la raifon. C'eft: que les particuliers pouvant les acheter 8c les exporter , les payent vingt pour cent plus chers que la compagnie Hollandoife, qui fait encore un commerce conlidérable de cacao dont la defcription mérite de trouver place ici. Le cacao ou cacaoyer eft naturel au nouveau continent , 8c fe rencontre fous diverfes contrées de la zone Torride de 1'Amérique. Son fruit en forme de concombre eft toujours fufpendu le long de la tige 8c des meres branches, comme dans plufieurs arbres de 1'Amérique. C'eft dans ces fruits que font contenues les amandes de cacao , que 1'on emploie pour faire le chocolat. Une fubftance blanche , mucilagineufe , d'un goüt agréable 8c acide, fépare ces amandes. Un morceau mis dans la bouche étanche la foif : il faut prendre garde de eomprimer la peau de ce fruit avec les dents; elle eft très-amere. De la queue du fruit partent une multitude de petits vaiffeaux qui vont porter la nourriture a chaque amande. Les cacao yers font couverts pendant prefque toute 1'année de fruit de différens ages qui mürilfent fucceffivement. Dans le tems de la grande récolte , on y envoie tous les quinze jours les negres les plus adroits. Avec de petites gaules ils font tomber les coffes müres fans toucher ni a celles qui font encore vertes, ni aux fleurs, cette douce 8c frêle efoérance. On met tous ces fruits en tas pendant Ti  292 Tableau gr adv el trois ou quatre jours : on les remue de tems en' tems. II fe fait une douce fermentation : les amandes relfuenr. Le cacao eft d'autant meilleur que la fermentation a été arrêtée a propos, finon il fent le verd , conferve beaucoup plus d'amertume 8c germe quelquefois. Le cacao caraque eft le plus onctueux SC le plus eftimé. II ne paroit pas cependant qu'il y ait plufieurs efpeces de cacaoyers ; mais la cultüre Sc la préparation peuvent donner aux cacaos diverfes qualités. Celui des isles n'en differe que par un peu d'amertume , que Fon peut corriger avt c le fucre. En Efpagne , en France on préfére le cacao caraque •■, celui des isles eft plus eftimé en Allemagne. Le cacao caraque eft un peu plus plat. Celui des antilles eft plus gros que celui de la Jamaïque Sc de l'isle de Cuba. Avant 1'arrivée des Efpagnols , les Américains faifoient avec le cacao de la farine, du maïs Sc du piment bouillis dans 1'eau , une liqueur colorée par le rocou. Cette boif fon qu'ils nommoient chocolat , étoit d'un goüt fi. fauvage qu'un foldat Efpagnol dit qu'il ne s'y feroit jamais habitué de fa vie , fi le défaut de vin ne 1'y eut pas forcé , la préférant encore a de 1'eau pure. Le cacao préparé par les Efpagnols 8c les Francois avec le fucre, la vanille Sc la cannelle, eft devenue une boiffon très-agréable , a laquelle on a confervé le nom de chocolat. On óre la peau des amandes , on les fait rótir dans une bafline a un feu léger. Du degré de torréfa£tion dépend en partie la qualité du chocolat. Moins il eft roti , plus il eft nourrifC n , 8c plus il épaiflït les humeurs. Lorfqu'il eft plus Orülé , fon huile plus attenue, excite plus d'ef-  du Commerce en Hollande. 293 fervefcence dans le fang. On fait avec ces amandes röties 8c broyées , une pate ; fi 1'on n'y ajoute du fucre, c'eft le chocolat de fanté. Le chocolat le plus agréable au goüt eft celui oü il entre de la vanille Sc de la cannelle. On en prépare a différentes dofes , pour fatisfaire la pluralité des goüts. On le falfifie quelquefois , en y mettant du poivre 8C du gingembre. II eft important d'être afluré de la bonne fabrique de chocolat dont on fait ufage. Ces aromates portent 1'effervefcence dans le fang. Dans lés isles francoifes , on fait des pains avec les amandes de cacao pures : lorfqu'on veut faire du chocolat , on les met en poudre. On y ajoute du fucre pulvérifé , de la cannelle , un peu de fleur d'orange , chacun felon fon goüt. Le chocolat eft d'un parfum exquis 8c de la plus grande délicateffe. On retire par exprcffion des amandes de cacao , une huile épaifte nommée beurre de cacao. Cette huile ne fe rancit pas. C'eft un excellent cofmétique : il rend la peau douce , polie , fans laifter rien de gras , ni de luifant. Les amandes de cacao confites, font un mets délicat qui fortifie 1'eftomac fans échauffer.' Si les Hollandois font un commerce confidérable en cacao , celui qu'ils font en thé 1'eft pour le moins autant. On diftingue une infinité d'efpeces de thé , qui pour la plupart font les mêmes , 8c ont les mêmes qualités. Leur principale difterence vient de 1'age de 1'arbufte , du terroir , du climat, du tems oü on a recueilli les feuiiles , enfin de la maniere dont on les a préparés. Les Chinois 8c les Japonois qm fourniffent a 1'Europe 8c dzm linde T 3  *94 Tableau gr a du el plus de dix millions de thé par an , trouvent leur compte a cultiver leurs arbuftes dans les plaines bafles & fur les montagnes a 1'expofition du foleil. Quarante ou cinquante follicules de thé jetées dans des folfes rondes de fept a huit pouces 8c recouvertes de terre , donnent dix ou douze arbrilfeaux plus ou moins , dont les feuiiles ne peuvent guere être récoltées dans les trois premières années ; mais palfé ce tems, la récolte eft abondante. On étête les arbrilfeaux pour les empêcher de s'élever. Les feuiiles qu'ils donnent dans leur vieillelfe , font trop dures 8c trop épailfes. Le mois de mars eft Ie premier de 1'année japanoife : c'eft dans ce mois, lorfque le tems eft fee , que 1'on cueille les nouvelles feuiiles , a mefure qu'elles paroilfent. Meres , enfans , fervantes , tous quittent le logis , vifitent les arbres a toute heure du jour , s'expofent a 1'ardeur du foleil , emportent le foir les feuiiles dans des paniers , les mettent fécher fur une plaque de fer chaud a plufieurs reprifes , jufqu'a ce qu'elles foient dures 8c amenées a une parfaite ficcité, Sc les enferment ou dans des bouteilles de verre bien bouchées , ou dans des boites d'étain recouvertes de fapin , en forte que l'air humide ne puiffè y pénétrer. Le thé impérial n'eft autre chofe que les feuiiles qui paroilfent a peine déployées au fommet des plus petits rameaux. La récolte s'en fait a Udri , petite ville du Japon, avec le plus grand appareil. Ceux qui doivent la faire , ne mangent ni poilfons , ni viandes, fe lavent deux fois par jour dans la riviere 8c dans un bain chaud 8c ne touchent les feuiiles qu'avec des gants. Le plan eft environné  du Commerce en Hollande. 295 d'un vafte Sc profond folfé. Les allées d'arbriffeaux font balayées tous les jours. Des commis veillent a la culture Sc a Ja récolte. Cette forte de thé eft envoyé fous cachet a la cour de 1'empereur , avec bonne efcorte. Ce que 1'empereur a choifi eft confervé dans des vafes de porcelaine. II n'y a que les mandarins 8c grands feigneurs qui falfent ufage de ce thé. Le the' verd des boutiques doit fa douce odeur a la racine d'iris de Florence , dont on garnit les caiffës remplies de thé. II fe prend a 1'eau. Son acreté demande a être corrigée par le fucre. On le boit pur a la Chine , paree qu'il a été nouvellement préparé. Le thé bohé, ou thé bou differe du précédent , paree qu'il a été plus froilfé , plus roti. Sa récolte ne s'en fait que dans les mois d'avril 8cmai. On le prend au lait. Le thé le moins cher eft celui qui porte le nom de thé de Flandres. C'eft le thé de la Chine dont les Anglois 8c les Hollandois ont tiré une légere teinture, 8c qu'ils vendent enfuite en France 8c en Allemagne aux gens de la campagne. Le thé de la Martinique , du Paraguai, des Antilles , du Mexique ne font que des variétés du thé ordinaire. On vend quelquefois pour du thé , des feuiiles de diverfes autres plantes, telles que le thé d'Europe , connu fous le nom de véronique male ; le thé de France ou de Provence , qui n'eft qu'une efpece de petite fauge que les Chinois préférent a leur thé : celui du fort St. Pierre, efpece de caryophillita; mais parmi les différentes fortes de thé , on diftingue la cafine de la mer du Sud.hes Indiens Sc habitans de la Caroline font en certains tems de  lt)6 T ABLEAV GRADVEL J'année fur les bords de la mer, cueillent les feuiiles de cette plante , les font bouillir dans une chaudiere pleine d'eau , s'alfoyent autour de la chaudiere, boivent tour-a-tour cette décoéfion dans une grande talfe commune , vomiffent fans effort ni douleur , continuent cette purgation deux ou trois jours, & s'en retournent chez eux avec une braffée de feuiiles. Les Efpagnols de Lima prennent la cafline au fucre avec un chalumeau qui fait la ronde , pour ne pas avaler les feuiiles fur lefquelles on remet du fucre Sc de 1'eau. L'ufage de cette boilfon eft: falutaire contre les exhalaifons des mines du Pérou. \JApalachine n'eft qu'une efpece de caffine. En général le thé eft une boiftbn douce, agréable , propre pour la digeftion , on en croit cependant 1'excès nuilible , fur-tout lorfqu'il eft pris a 1'eau , paree qu'il relache les fibres de 1'eftomac. Les grands buveurs de thé a 1'eau font maigres Sc quelquefois fujets a des mouvemens convulfifs; mais pris au lait , il n'eft point mal-faifant. La meiileure maniere de le préparer conlïfte , non a le faire bouillir , mais a jeter dans 1'eau bouillante une pincée de feuiiles, de lui en laifter prendre une légere teinture , de jeter les feuiiles Sc d'en remettre de nouvelles a plufieurs reprifes. Les Hollandois, en buvant cette teinture tiennent du fucre candi dans leur bouche. Au Japon 1'on verfe 1'eau bouillante fur le thé réduit en poudre; de petits pinceaux de rofeaux Indiens découpés avec art, fervent a agiter cette poudre jufqu'a ce que 1'écume vienne a la furface de 1'eau , qu'ils boivent fans fucre. On vient de voir en détail le commerce que  jsv Commerce en Hollanbe. 197 les Hollandois font avec 1'Afie : il ne fera pas inutile de jeter un coup-d'oeil fur le commerce que tous les Européens y font. Commerce des Européens en Afie. Il n'eft guere de compagnies de commerce, ni de nations , foit de 1'Afie , foit de 1'Europe , foit de 1'Afrique , qui faifent le commerce maritime, dont on ne voie des navires a Moka. C'eft dela que viennent prefque tous les cafés qui fe confomment en Europe. Les Anglois , les Hollandois y envoient ordinairement leurs navires des lieux des Indes oü ils font établis, ce que faifoient auffi les Francois du tems que leur commerce y étoit encore floriffant : ils y alloient en droiture , öt faifoient fort fouvent de riches retours. On en tire encore quantité de plantes 8c de drogues médicinales ou odoriférantes , Sc le café fait aujourd'hui un des plus confidérables objets du commerce des Européens en oriënt bX au levant. On alfure qu'on en enleve pour 1'Europe feule prefqu'autant qu'il s'en confomme dans les Indes &C dans 1'empire du Turc , d'oü cette boiflbn a paffe dans 1'occident. Un des meilleurs cafés que fournit 1'Arabie , c'eft le café qui croit aux environs de la Meque, c'eft auffi le plus eftimé. C'eft de la Meque par le port de Zizer qu'on envoie a Moka la plus grande partie de celui qu'on charge dans cette derniere ville. II y en a qui prétendent que les Arabes pour fe conferver ce commerce , altérent par le feu la femence du café , afin que cette efpece de feve në puiffe produire ailleurs. II eft ce-  2>S Taezeau oradvez pendant certain que quelques curieux d'Europe en ont élevé dans leurs jardins. Mais ce qui vraifemblablement empêche qu'elle n'y vienne en parfaite maturité , c'eft la diverfité du fol 8c la température de l'air. Le commerce de Moka 8c des autres villes d'Arabie oü il s'en fait quelqu'un , pafte par les mains des Juifs 8c des Banianes, dont la plupart font banquiers , marchands ou courtiers, tous fort habiles dans le négoce , 8c il faut fe défier de tous également , dans la néceffité oü 1'on eft prefque toujours de s'en fervir. Moka eft comme le rendez - vous des vailfeaux qui viennent de tous les endroits des Indes oü il fe fait quelque commerce. A 1'égard des Européens , il en vient de France , d'Angleterre , de Hollande , de Danemarck 8c de Portugal: enfin on y trouve des marchands de Barbarie , d'Egypte , de Turquie 8c de toute 1'Arabie , dont elle eft comme le magafin , oü fe réunit une efpece de commerce univerfel. Le débit de toutes les marchandifes y eft afiez facile , 8c les marchands étrangers n'en apportent jamais aflez. A 1'égard des monnoies , celles qui fe fabriquent a Moka , font les comqffès , petite efpece qui haufle ou qui baifle fuivant le caprice ou 1'intérêt du gouverneur. Mais toutes les efpeces d'or ou d'argent étrangeres y font recues 8c feulement au poids, fuivant leur degré de fineffe. On fe fert dans les comptes du cabéers, qui ne vaut guere que huit fois de France. II eft a remarquer que toutes les épiceries en général font d'un grand profit a porter en Arabie , les Arabes les aimant beaucoup 8c affaifonnant  nv Commerce e» Holianbe. 199 avec profufion tout ce qu'ils mangent. Le port de toute la Perfe oü fe fait le plus grand commerce eft Gamron : il n'a été en réputation que depuis que les Anglois 8c les Hollandois eurent chalfé d'Ormus : au commencement du 17 fiecle , les Portugais font reftés feuls maitres du commerce. Toutes les nations qui trafiquent a Gamron y ont des magalins 8c des maifons. Celles des Francois , Anglois , Hollandois , ont plutöt l'air de palais que de comptoirs de marchands , 8c font placés le long de la mer, ce qui leur eft très-avantageux pour charger 8c décharger les vailfeaux quand ils arrivent. Les Frangois font les derniers qui aient para a Bender-Abilfy , ville du golfe perilque oü il fe fait un grand commerce. Dès qu'on penfa en France a rétablilfement d'une compagnie des Indes orientales , on s'occupa du foin de lui alfurer le commerce des états du roi de Perfe. Les premiers députés arriverent a Ispahan l'an 1664 8c ratifierent leur traité l'an 1665 , par Iequel on accorda a la compagnie la remife des droits de la douane de Gamron pendant trois ans, a la charge d'un prefent qui égaleroit cette remife. D'autres députés envoyés l'an 1674, obtinrent, non-feulement la confirmation de ce privilege , mais encore 1'exemptión des droits fans terme limité ; ce qui leur coüta un préfent de plus de vingt mille écus, dépenfe a ce qui paroit fort inutile , puifque la compagnie qui commengoit dé\a a décheoir, quoiqu'a peine établie depuis dix ans a cette époque , n'y a guere envoyé fes vailfeaux: ce qui a pu fervir d'exemple a la compagnie Frangoife des Indes ..'e  3©o Tableau gradvez 1719 , pour mieux afturer fon commerce 8c a meilleur marché dans le golfe perfique , quand elle fa voulu porter de ce cöté la. II ne faut pas oublier d'ajouterque l'an 1715 , derniere année de la vie de Louis XIV , 1'on vit paroitre a la cour un ambalfadeur de Perfe , qui y fut recu avec de grands honneurs dont les inftrudtions ne coricernoient , a ce qu'on a fuppofe depuis, qu'unrenouvellement d'un rraité de commerce entre les deux Empires. La pêche des perles fe fait a Baharem , dans le golfe perfique. Au mois de feptembre on envoie des plongeurs au fond de la mer , qui les ramaffent fur le fable. 11 y a un certain droit a payer au roi de Perfe pour être admis a cette pêche. Les pêcheurs font tous Arabes. La maniere dont fe fait la vente des perles eft fort extraordinaire ; lorfqu'elles ont été tirées Sc partagées chacune fuivant leurs qualités , les marchands s'alfemblent , Sc s'étant rangés en rond autour des perles qu'on a mifes par terre 8c qu'ils ont examiné a leur aife, le vendeur fe couvre la main avec un mouchoir , 8c touche celle de tous les acheteurs les uns après les autres , marquant par certains fignes le prix qu'il en veut, 8c les autres par des fignes différens , ce qu'ils en peuvent donner. Quand le vendeur eft content , il délivre fa marchandife fans que perfonne fache le prix qu'on lui en donne. Quand un courier intervient a ce marché , s'il conclut , il prend les mains de 1'acheteur Sc du vendeur, Sc les joignmt enfemble , donne deffus un coup du plat de la fienne , ce qui en eft la confommation. A 1'égard de la lignification des fignes , fi 1'on prell'e  ï)v Commerce en Hozzande. 301 toute la main , on veut dire mille; li 1'on ne touche que la paume , cinq eens; li c'eft un doigt, cent, li c'eft une jointure , dix. Les Perfans fe contentent de voir arriver les vailfeaux des Indes 8c de 1'Europe dans leurs ports. Jamais ils ne font , ou du moins très-rarement, Je commerce de mer par eux-mêmes : ils confient les vailfeaux qu'ils envoient au-dehors a des chrétiens , particuliérement aux Arméniens , qui font leurs fadteurs dans tous les pays étrangers , fur-tout en France , en Italië , en Hollande , auffi ont-ils une grande horreur pour la navigation , traitant d'athées ceux qui rifquent leur vie fur un élément auffi perfide que la mer , Sc dans des machines auffi frêles, auffi peu folides 8c auffi fragiles que des vailfeaux. Ifpahan eft comme le centre du commerce ; c'eft de la que partent les caravannes pour BenderAbilfy , les marchandifes que les fadteurs des nations étrangers y ont achetées , 8c c'eft de la oü il en arrivé tous les ans plufieurs , foit du dedans du royaume , foit du dehors , comme celle de Sehiras, d'Alep 8c toutes celles du levant. On trouve fur les routes quantité de caravanferas que ladévotion mahométane a infpiré a des particuliers de batir , ou que les rois de Perfe ont fait conftruire par politique , pour foutenir 8c augmenter le commerce dans leurs états. On voit a Ifpahan quantité de ces caravanferas, 8c tous ceux que 1'on trouve de diftance en diftance ont été batis pour la commodité des caravannes 8c des marchands qui les compofent. C'eft a Ifpahan que réfident les facteurs des principales nations de 1'Europe qui y  3*2. Tableav graduez entretiennent quelque négoce , 8c les Anglois 8t les Hollandois y ont des maifons ou plutöt des palais , que les premiers tiennent de la faveur de Schach-Abbas , après qu'ils 1'eurent aidé a reprendre Ormus 8c que les autres ont acheté , pour leur fervir tout enfemble de logement 8c de magafin. Quand les caravannes font féjour dans les villes, les Arméniens ont coutume de fe mettre par chambre pour vivre a moins de frais. En Afie , ils débitent fur le chemin de la quinquaillerie de Venife , fur-tout celle de France 8c d'AUemagne pour avoir des vivres ; en Europe c'eft avec du mufc 8c quelques épiceries qu'ils s'en fournilfent. On trouve h Ifpahan , mais en moins grand nombre , des Francois , des Anglois, des Hollandois, des Italiens , des Efpagnols , des Tartares, des Arabes 8c des Turcs , 8cc. Au milieu de la place fe vendent les bois, Sc le charbon ; un peu plus loin les vieilles futailles, les vieux harnois , les vieux tapis 8c tout ce qui eft en France du métier des frippiers. Prés ceux-ci eft le quartier de la volaille 8c des viandes cuites ; les boutiques des vendeurs de cuir de roufiy viennent enfuite ; puis celles des droguiftes, 8c celles de ceux qui vendent des arcs 8c des fleches. Prefque toutes les boutiques de ces marchands 8c de ces artifans font faites comme celles qu'on nomme a Paris des échoppes 8c des barraques. II n'eft forte de marchandifes qu'on ne puifie trouver 4 Ifpahan \ mais le plus grand commerce qui s'y fafie , eft celui des foies , dont on recueille chaque année en Perfe une quantité prefqu'incroyable. Quelques provinces réunies du royaume peuvent en  »T7 Commerce en Hozzande. 303 fournir jufqu'a 22000 balles, chaque balie eft de 276 liv., ce qui fait un produit de 6 a 7,000,000 liv. de fbie , dont la culture augmenté fans cefle , a caufè du débit immenfe qui s'y fait, 8c du profit que les étrangers y trouvent. Les draps d'Europe font fi eftimés en Perfè, qu'une aune de drap d'une qualité médiocre s'y vend quelquefois jufqu'a 20 ou 24 écus \ auffi Ie commerce qu'il fe fait en ce genre en Perfe eft prodigieux. C'eft a Gamron que les Anglois 8c les Hollandois apportent leurs draps. Parmi les alfortimens de draps d'Angleterre 8c de Hollande qui fe font pour la Perfe , on y met auffi des draps de France: il y a toute apparence qu'actuellement que les ouvriers francois fe font perfectionnés dans les manufaétures de draps , on ne peut douter qu'ils ne 1'emportent en peu fur leurs voifins , 8c qu'ils ne puiflent en peu fournir des cargaifons confidérables deftinées pour la Perfe. Les marchandifes que les Perfans font paffêr dans 1'étranger, font des porcelaines , des plumes, du maroquin , du chagrin de toutes couleurs , fait avec une partie de la croupe des anes du pays , du tabac , des noix de gale , du fer 8cde 1'acier , des fourures , entr'autres celles de mouton de Kirvan , fort eftimé en Mofcovie , du lapis qui vient des Usbecks, peuple Tartare qui fe fert de dromadaires peur porter leur familie 8c leur bagage , 8c du poil de ces animaux , ils en font une étoffe aflet femblable au camelot qui entre aufli dans leur commerce avec les Mofcovites. Les Perfans font encore paflër dans 1'étranger  3 ©4 Tableau g n a d u e z des parfums de toutes fortes , productions étrangeres a la Perfé ; mais qui s'y trouvent en abondance , 8c qui font apportées des Indes 8c de la mer rouge , des perles du golphe Perfique , des Turquoifes, dont 1'ancienne 8c la nouvelle roche , font dans les états du roi de Perfe. A Nichapour 8c a Caralfon on fait le commerce que les Hollandois y font par exportation ; c'eft pourquoi on le reftreindra a conclure que la Perfe fournit encore aux étrangers des chameaux , des chevaux 8c des agneaux , des excellens vins du cru de Perfe, comme ceux de Schiras 8c d'Yerd , dont il fe confomme une trés - grande quantité dans le pays , malgré les défenfes de 1'alcoran , étant extraordinairement adotinés a 1'ivrognerie. II s'en tranfporte cependant tous les ans pour de très-groffës fommes dans tous 1'indoftan , 8c même jufques dans la Chine. Les Hollandois voient avec chagrin 8c un fecret dépit, les Européens commercer en Afie , d'oü il les auroient déja fait exclure è force ouverte, s'ils n'avoient craint de s'en trouver mal en Europe. Qu'ont-ils fait 1 ils ont eut rccours a des manoeuvres fourdes 8c ruineufes pour eux-mêmes pour donner 1'exclulïon aux Européens : ils ont arfeété de donner tantot leurs marchandifes a fi bas prix 8c a tant de pene , tantót ils ont acheté celles du pays a un fi haut prix , qu'aucun compétiteur Européen n'a pu les imiter fans feruiner: c'eft ce qu'ils ont fait aux Francois a Bender-Abiffy au fujet des toiles 8c du poivre dont ceux-ci avoient un débit prodigieux dans ces parages. Voila pourquoi tous les  su Commerce en Hozzanse. 305 les Européens qui rrafiquent en oriënt avec les Hollandois , fur-tout en Perfe s'eftiment trop heureux quand ils échappent au danger de s'y ruiner. C'eft pour cette raifon que les Perfans ont coutume de dire qu'ils trafiquent en marchands avec les autres nations de 1'Europe , mais qu'avec les Hollandois ils ne traitent que comme des efclaves avec leurs maitres , tant la compagnie Hollandoife s'eft rendue 1'arbitre du commerce dans leurs états. Les Anglois n'ont paru aux Indes que depuis 1'année 1600 , 8c c'eft encore bien plus tard que les Francois ont eftkyé de partager leur commerce: leur compagnie pour les Indes n'ayant été établie que l'an 1664. II eft affez furprenant que d'une même entreprife , ces deux nations aient eu des fuccès bien différens. Les Anglois ont de grands établiifemens aux Indes 8c ne le cedent guere par 1'étendue & la richelfe de leur négoce aux Hollandois , tandis que les Francois ont bien de la peine a s'y foutenir , 8c fe feroient peut-être vu obligés d'y renoncer entiérement,fiune compagnie établie l'an 1719, Sc a ce qu'il fembloitfous de plus heureux aufpices que la première , n'y avoit continué encore le commerce avec quelque réputation. Pondichcri bati fur la cóte de Coromandel eft le lieu oü les Francois. ont fait leur plus grand commerce. Les Anglois ont auffi des pofleffions fur cette même cóte , mais éloignées de 3 o lieues de Pondicheri. Batavia eft 1'entrepót de tout le commerce que les Hollandois font en oriënt , 8c c'eft oü arrivent 6c d'oü partent tous les vailfeaux , ou qui y viennent d'Europe , ou qu'ils y envoient, ou dont ils Tome II. V  3o<5 Tableau g ra du sz fe fervent au négoce qu'ils font d'Inde eri Inde. Ofl trouve beaucoup moins de mines d'argent aux Indes que celles de 1'or. II n'y a a proprement parler que celles du Japon qui aient de la réputation , mais auffi elles font fi abondantes 8c fi riches , que ce n'eft prefqu'en argent que 1'on y paie les marchandifes que les étrangers y portent. Le meilleur cuivre fe tire auffi du Japon. C'eft principalement en or Sc en argent monnoié que confifte le commerce des Européens , qu'ils y apportent Sc qui n'en fort guere , quand il y eft une fois entré. Outre I'argent que les Hollandois tirent d'Europe , ils y deftinent encore celui qu'ils tirent du Japon 5 mais foit pour celui-ci, foit pour toutes les diverfes efpeces de France , d'Angleterre, de Portugal Sc de Hollande , qui entrent en fi grande quantité dans les états du Mogol, les Européens ne recoivent que des marchandifes. Tous ces riches métaux-Sc même tout 1'or que les Mogols vont eux - mêmes chercher dans les ports de 1'Arabie - heureufe , £e convertiflent a Agra en orfévrerie, ou paffent a la filiere, pour leurs manufaétures, entr'autres pour celles des toiles d'or , d'argent Sc des brocards. Les marchandifes qui manquent a 1'Indoftan, font des épiceries, du cuir, des éléphans Sc quelques autres marchandifes que les Hollandois fournilfent Sc qu'ils tirent du Japon , de la Chine , des Moluques Sc de Ceylan , ou qui »font la cargaifon des vailfeaux qu'on leur envoie d'Europe; de 1'étain Sc des draps que les Anglois y portent; des draps d'écarlate rouge, teinture des gobelins, qui font une partie du commerce des  bv Commerce en Hollanbe, 307 Francois, & des chevaux qu'on y mene de Perfe 8c des Usbecks. Les Francois avoient ainfi que les Hollandois, Anglois, Portugais , l'an i68ó, un établilfement afiez confidérable dans le royaume de Siam, pour efpérer d'y faire a 1'avenir, le meilleür commerce de tous les étrangers; mais on fait les révolutions qui les en chaffèrent l'an 1688 , Sc qui les obligerent de fortir de Bancok , que le roi de Siam leur avoit confié 8c qu'ils ne rendirent qu'après une longue réfiftance 8c a des conditions honorables. Ils ónt depuis été rétablis dans le royaume, mais le commerce qu'ils y font eft fort peu confidérable , 8c même incapable de renouveller cette jaloufie des nations, qui fut caufe è ce qu'on croit, de la mort du roi, du célebre M. Conftant, 8c de 1'expulfion des Francois, qui envoient aujourd'hui plus de milfionnaires que de marchands. II n'y a que les Chinois, les Maures, c'eft - a - dire, les Mahométans 8c les marchands Européens , qui aient le privilege d'avoir des maifons dans la ville ; les nations des Indes , ayant au-dehors, mais toutes fét parément, leurs quartiers, qu'on appelle des Camps, ou ils font leur négoce 8c les exercices. de leur reiigion. Les Hollandois y font les plü«" accrédités, aufli y font - ils leur plus grand commerce. Voici les marchandifes étrangeres qui font propres au commerce de Siam : des étoffes de foie , des épiceries, toutes fortes de marchandifes de la Chine, du Japon , comme des paunes, des ouvrages verniffés , des porcelaines, des ouvrages d'orfévrerie , diverfes marchandifes d'Europe, de V 1  308 Tableau graduez 1'or 8c de I'argent en barre, 8c des épiceries •■, mais les marchandifes dont le débit eft le plus fur , font les toiles de Surate, de Coromandel & de Bengale , fur lelquels les profits feroient immenfes, fi les Mogols , les fujets du roi de Golconde , 8i les habitans de Bengale , chez qui fe font toutes ces toiles, ne les y apportoient eux - mêmes, & ne tiroient tout 1'avantage de ce commerce , paree qu'ils peuvent les donner a meilleur compte que les Européens , 8c qui ne les ont que de Ia feconde main. Aufli ce font les profits, que les nations d'hurope peuvent faire fur les marchandifes qu'elles apportent a Siam, qui les engagent a foutenir les comptoirs qu'ils y ont, plus que le gain qu'ils font fur celles qu'ils en tirent, en les diftribuant dans toutes les Indes, qui ne peuvent s'en paftèr qu'avec bien de la peine. On porte encore a Siam du corail rouge , de 1'ambre jaune & du vif argent, des draps & du fandal. Le poivre y étoit autrefois d'un ^rand débit, mais depuis qu'on en a planté dans le royaume , il en fournit même aux étrangers. La meilleure marchandife qu'on puilfe porter au Tonquin, eft de 1'or ou de I'argent, & particuliérement des piaftres. Ce qui eft d'autant plus furprenant qu'il n'y manque aucun de ces métaux, puifqu'il leur vient beaucoup d'or de la Chine St quantité d'argent du Japon. Les Francois n'envoient guere aujourd'hui dans la Cochinchine que des miifionnaires. 11 fut un tems oü la politique des Chinois leur fit fermer 1'entrée de leur empire a toutes fortes de nations , fe contentanr du commerce intérieur qu'ils y faifoient eux-mêmes; cette  bv Commerce en Hozzanbe. 3 «9 politique étoit diétée par la crainte, que la fréquentation des étrangers ne corrompit leurs loix , ou ne donnat a ceux-ci une occalion d'entreprendre fur leur liberté. Mais l'an 1685 , 1'Empereur régnant jugea a-propos d'ouvrir fes ports a tout le monde : les Indiens 8c les Européens fe font également emprelfés d'ufer de la liberté de ce nouveau commerce , 8c 1'on a vu en France de riches marchands 8c d'autres perfonnes d'un grand crédit , s'alfocier 8c y former une compagnie de commerce , fous le nom de la Compagnie de la Chine. Un des principaux commerce de la Chine, tant au-dedans qu'au-dehors , confifte dans les foies 8c dans les étoffes, ou unies ou mêlées d'or 8c d'argent qui s'en fabriquent. II y en a une fi grande quantité , que la plupart du peuple 8c jufqu'aux domeftiques , font ordinairement habillés de fatin ou de damas. II n'y a point de nation plus propre au commerce , 8c qui Tentende mieux que la chinoife , auffi ne refufe-t-elle aucun gain qui fe fafle parle négoce , trafiquant de tout 8c profitant fur - tout avec une grande habileté, mais non pas avec cette fidélité, qui, ailleurs eft regardée comme 1'ame du commerce : en un mot, les Chinois font en Afie ce que les Juifs font en Europe, répandus partout , oü il y a quelque chofe a gagner; trompeurs, ufuriers, fans parole , pleins de fouplefle 8c de fubtilité pour ménager une bonne occafion , tout cela fous apparence de fimplicité 8c de bonne foi, eft capable d'en impofer aux plus rittentifs oC aux plus défians. Auffi les Chinois ont - ils coutume de V3  §i© Tableau gr a du el dire, en efpece de proverbe , que toutes les autres nations font aveugles en matiere de commerce , que les feuls Hollandois ont un ceil; mais pour eux, ils en ont deux ; s'ils connoifiöient les Genevois a fond , ils diroient fürement de ces derniers , qu'ils en ont pour le moins trois. Ce n'eft pas fans raifon qu'on foupgonne qu'il y auroit deux cents pour cent a gagner fur les foies crues de la Chine , fi les Européens pouvoient les tirer de Nanquin en droiture, St qu'elles ne pafiaffènt pas par les mains des Chinois de Canton , ni des autres peuples de 1'inde. D'habiles négocians ayant fupputé que les foies qui ne valent que cent écus a Nanquin, s'achetent cent cinquante a Canton , 8c jufqu'a trois cents k Siam ? Les plus belles étoffes fe fabriquent dans la province de Nanquin, paree que c'eft la oü les meilleurs ouvriers viennent établir prefque toutes les manufaétures. Cependant les étrangers n'enlevent guere de cellesci; prefque toutes les étoffes dont ils chargent leurs vaifleaux, 8c qu'ils tranfportent en Europe auffi-bien que les foies crues , fe font a Canton 8c dans la province , dont cette ville eft la capitale , 8c qui porte fon nom. 11 y a quantité de laines dans plufieurs ptovinces de la Chine , mais ils n'en favent point faire de draps comme ceux d'Europe, 8c fur - tout comme ceux de France 8c d'Angleterre •■, les étoffes qu'ils font de cette matiere , ne font que des ferges trés - fines, qui leur fervent en hiver, ou de camelots. Les étrangers y portent néanmoins de leurs draps ; mais ils les tiennent fi chers, que quoiqu'ils y foient tres - eftimés , parti-  t>v Commerce en Hollande. 311 euliéremenr ceux de France &C d'Angleterre , les Chinois n'en achetent guere, paree qu'ils coütent incomparablement plus que les belles étoffes de foie. Quant aux marchandifes étrangeres qui font propres pour le commerce de la Chine , I'argent en eft la bafe , peu importe qu'il foit en piaftres , qui viennent du Mexique aux Manilles par la mer du fud , ou qu'il foit en barres , comme les Hollandois le tirent du Japon : les Chinois qui n'en ont point, 1'eftiment beaucoup , 8c 1'échangent volontiers contre leur or 8c leurs meillerures marchandifes , comme les perles, les marbres , 8cc.^ Le leefeur.ne.faura peut - être pas mauvais gré, qu'on lui faffe obferver a propos de commerce , que I'argent n'y étant, par rapport i 1'or , que comme un eft a dix, 8c étant communément en Europe, comme un eftaquinze, le profit eft trésgrand dans cet échange, 8c c'eft en effet un des meilleurs trahes qu'on y puiffe faire. L'an 1671, les Portugais firent quelques tentatives pour s'étabiir dans l'isle de Ceylan. Le roi de Candi qui auroit eté bien aife de les oppofer aux Hollandois , comme il avoit fait auparavant de ceux - ci aux Portugais. Quand les Hollandois eurent commencéa s'y faire connoitre l'an 1602 , il leur avoit cédé par un traité le port de Cothiar; mais 1'entreprife de Saint - Thomé, oü M. Deshaies engagea un peu légérement 1'efcadre frangoife dont il étoit amiral, 1'ayant empêché de foutenir cet établilfement qu'il avoit commencé. La guerre qui fut déclarée entre la France 8c les États - Généraux des Provinces - Unies, ayant V4  3" Tableav gradvel donné 1'occafion & Ie tems aux Hollandois de déplacer IesFrangois , la compagnie de Hollande eft reftee dans fa première poiTeiïion , c'eft - a - dire, feule maitreffè des cótes St du commerce , mais toujours mal avec les Chingulais, qui lui reprochentcontinuellement fon infidélité, St ne peuvent plus prendre confiance en elle. Avant que les Européens eulfent paru aux Indes, les Chinois étoient les maitres du commerce de Ceylan j enfuite les Perfes , les Arabes St les tthiopiens le partagerent avec eux, mais les Hollandois en ont exclu toutes les autres nations. Celt a- peu -prés a quoi fe réduit tout le commerce des Hollandois en Alie. Paflbns maintenant aux établiftëmens qu'ils ont en Afrique. Commerce des Hollandois en Afrique. . L* fitua»on de 1'Afrique lui donne une vafte étendue de cótes fur lefquelles les Européens font leur commerce^ le dedans de fon continent leur eft peu connu , foit a caufe de 1'apreté du fol St des chaleurs mfupportables qui y regnent prefque partout , foit a caufe de la férocité de fes habitans qui font plus que demi - fauvages. II n'y a que depuis peu de 1,ecles , que les négocians d'Europe fe font ouvertsune route par 1'océan pour porter le commerce fur cette partie des cótes de 1'Afrique qui en eft arrofée. Ce font les Hollandois qui y ont le plus riche établilfement, c'eft au cap de BonneEfperance. Les Hollandois s'étant appercu qu'il leur manquon un lieu de relache, ou ceux de leurs  BV COMMERCE EN HöZlANpS. 113 vaiiïeaux qui alloient aux Indes , ou qui en revenoient, puflent trouver des rafraïchifiemenS. On étoit embarrane du choix, lorfque le chirurgien Van-Riebeck propofa fan 1650 , le cap de BonneEfpérance , qui avoit été méprifé mal - k - propos par les Portugais. 11 ne fallut qu'un féjour de quelques femaines a cet homme judicieux , pour^ le mettre en état de voir qu'une colonie feroit bien placée a cette extrêmité méridionale de 1'Afrique, pour fervir d'entrepöt au commerce de 1'Europe avec 1'Alie. On lui confia le foin de former cet établilfement: on ne peut rien imagincr de mieux dirigé que ce plan. II fit régler qu'il feroit donné foixante acres de terre a tout homme qui s'y voudroit fixer. On devoit avancer des grains, des beftiaux 8c des uftenfiles a ceux qui en auroient befoin. De jeunes femmes tirées des maifons de charité , leur feroient aifociées pour adoucir leurs fatiques & les partager. II étoit libre a tous ceux qui dans trois ans ne pourroient fe faire au climat, de revenir en Europe, & de difpofer de leurs polfeffions comme ils le voudroient. Quand tous ces arrangemens furent pris , on mit a la voile. La grande contrée qu'on fe propofoit de mettre en valeur , étoit habitée par les Hottentots , peuples divifés, fi 1'on croit un voyageur Francois, en plufieurs hordes, dont chacune forme un village indépendant. Des cabanes couvertes de peaux , dans lefquelles on n'entre qu'en rampant, Sc qui font diftribuées fur une ligne circulaire , forment les habitations. Ces huttes ne fervent guere qu'è ferrer quelques denrées St les uftenfiles de mé-  14 T ABZEAV GR ADV EL nage. Le Hottentot n'y entre ,que dans les tems de pluie : on le voit toujours couché a fa porte. S'il interrompt de tems en tems fon fommeil, c'eft pour fumer une herbe forte qui lui tient lieu de tabac. Ces fauvages n'ont d'autre occupation que de conduire des beftiaux. II n'y a qu'un troupeau dans chaque bourgade, qui eft commun a tous , chacun afon tour eft chargé de le garder, cette fo nétion doit être accompagrtée d'une vigilance continuelle; paree que le pays eft rempli de bêtes féroces, plus voraces que par - tout ailleurs. Chaque berger envoie a la découverte : 8c li un iéopard ou un tigre viennent a fe montrer dans le voihnage , la bourgade entiere prend les armes. On voie a 1'ennemi, Sc bien rarement il échappe a une multitude de fleches empoifonnées, Sc a des pieux aiguifés 8c durcis au feu. II n'eft peut - être pas de peuples plus unis fur la terre que les Hottentots; en voici Ia raifon , c'eft qu'ils n'ont ni richeffes, ni figne de richeffes \ ils n'ont d'autre bien que des bceufs Sc des moutons qui lont en commun ; voila pourquoi la concorde eft inaltérable parmi eux. S'ils font quelquefois en guerre avec leurs voifins, c'eft paree que le bétail enlevé ou égaré occalionne des querelles entre les bergers. Les Hottentots ont des marqués diftinéfives auxquelles on peut les reconnoitre. Ils ont le ncz écrafé , la tête applatie , les oreilles percées, ils ont des cicatrices faites par la brülure, ils portent des peintures, 8c ont des chevelures. Voila leur uniforme , ils n'ont aucun plan de morale 8c d'éducation, des habitudes univerfelles leur tiennent lieu de police 8c de gouvernement.  Br/ Commerce en Moizande. '315 Ces enfans de la nature dépendent uniquement du phyfique du climat qui leur a donné les mceurs des Patres. A 1'arrivée des Hollandois, ces peuples étoient comme tous les peuples pafteurs , remplis de bienveillance , ils étoient a-peu - prés aufli mal-propres Sc aufli ftupides que les animaux qu'ils conduifoient. On trouva un ordre établi parmi eux , dont on honoroit ceux qui avoient vaincu quelqu'un des monftres deftruéteurs de leurs bergeries , Sc ils révéroient la mémoire de ces héros utiles aux hommes •■, 1'apothéofe d'Hercule eut la même origine. Riébeck ayant abordé fur ces cótes, fe conformant au fyftême des Européens qui confifte a ravir, commenga par s'emparer du territoire qui étoit a fa bienféance , Sc s'occupa enfuite des moyens de s'y affermir. II ne faut pas s'étonner fi cette conduite déplut anx Hottentots, qui ne tarderent pas a leur faire de vives repréfentations qui furent fuivies de quelques hoftilités. Ces contradi&iorts qu'éprouva le fondateur de la colonie , le ramenerent a des principes de juftice Sc d'humanité , qui étoient conformes a la trempe de fon caraétere. II prit donc Ie parti d'acheter le pays oü il voulok faire un établiffement; cette contrée lui coüta nonante mille livres , qui furent payées en marchandifes , tout fut pacifié, Sc depuis cette convention 1'on n'a vu aucun trouble. On afiure que la compagnie a dépenfé jufqu'a quarante - fix millions, pour donner de Ia confiftance a la nouvelle colonie, Sc 1'élever a l'état £k>-  3X6" T ASZEAV GRABVEZ riffant oü elle eft aujourd'hui. On compte au cap de Bonne-Efpérance environ douze mille Européens , tant Hollandois, qu'Allemands 8c Francois réfugiés: une partie de cette population eft concentrée dans la capitale 8c dans deux bourgs affez conlidérables , le refte eft difperfé fur la cóte ;.on s'enfonce jufqu'a cinquante lieues dans les terres. Le fol fablonneux des Hottentots n'eft bon que par intervalles, 8c les colons ne veulent fe fixer que dans les lieux oü ils voient réunis 1'eau , le bois 8c un terrein fertile , trois avantages qui fe trouvent rarement réunis dans ces contrées. Autrefois la compagnie Hollandoife tiroit de IVladagafcar , des efclaves pour foulager les blancs dans leurs travaux , mais la concurrence des Francois a fait interrompre cette navigation. Les colons ne peuvent guere fe procurer que quelques Malais amenés des Indes, 8c qui font trés - peu propres aux ouvrages qu'on en exige. La compagnie tireroit un grand avantage des Hottentots, s'il étoit poflïble de les fixer ; mais leur caraótere ne permet pas de 1'efpérer : on n'eft encore parvenu qu'a déterminer les plus miférables d'entr'eux , a un, deux, ou trois ans de fervice. Ils font dociles, fe prêtent au travail qu'on exige d'eux •■, mais a 1'expiration de leur engagement , ils prennent le bétail qu'on eft convenu de leur donner pour falaire , vont rejoindre leur horde, 8c 1'on ne les revoit que lorfqu'ils onr des bceufs ou des moutons a troquer contre des couteaux, du tabac 8c de 1'eau-de-vie. La vie oifive 8c indépcndante que ces hordes fauvages menent dans leurs déferts, a pour eux ..des charmes  dv Commerce en Hollande. 317 inexprimables, rien ne peut les en détacher; on en va citer un exemple frappant. On prit un Hottentot au berceau , il fut élevé dans les mceurs européennes , 8c dans les principes du chriftianifme. Ses progrès répondirent aux foins qu'on prenoit de fon éducation , il fut envoyé aux Indes 8c utilement employé dans le commerce. Les circonftances 1'ayant ramené dans fa patrie, il alla vifirer fes parens dans leur cabane •■, frappé de la fimplicité de ce qu'il voyoit , fe couvre incontinent d'une peau de brebis, 8c alla reporter au fort fes habits Européens. « Je viens , dit - il, au gouverneur , » renoncer pour toujours au genre de vie que » vous m'aviez fait embraffer , je fuis dans la ré» folution de fuivre jufqu'a la mort la reiigion 8c » les ufages de mes ancêtres. Je garderai pour » 1'amour de vous, le collier 8c 1'épée que vous » m'avez donné, ne trouvez pas mauvais que » j'abandonne le refte : » fans attendre de réponfe , il difparut 8c on ne le revit jamais. La compagnie Hollandoife tire de grands avantages de cette colonie , quoiqu'elle ne puhTe pas tirer des Hottentots tout le parti qu'elle defireroit. Le produit de la dime , du bied 8c du vin qu'elle pergoit, de fes douanes 8c de fes autres droits ne paffe pas .240,000 livres, elle n'en gagne pas plus de quarante mille fur les gros draps, les toiles communes de nl 8c de coton , la clincaillerie, le" eharbon de terre 8c quelques autres objets peu importans qu'elle y débite. Ses profits font encore moindres fur foixante lecres de vin rouge, 8c quatrevingt ou quatre-vingt-dix lecres qu'elle tran/porre  3i? Tableau graduel tous les ans en Europe. Le lecre pefe envlrofl douze cents livres : deux feules habitations contiguës a Conftance , produifent ce vin. II devroit entrer tout entier Sc a très-bas prix , dans les caves de la compagnie : il eft heureux pour les cultivateurs que le gouverneur trouve fon intérêt, a leur permettre de ne livrer leur vin que mêlé, avec celui des vignes voifines. Cet excellent vin , ce vin fi renommé du cap , c'eft-a-dire , celui qui refte pur, fe vend quatre francs la bouteille aux étrangers , que le hazard conduit fur les cótes du cap. Ce vin eft ordinairement meilleur que celui que la tyrannie arrache par la force 8c la violence , c'eft peut - être paree qu'on n'obtient jamais rien de bon que de la volonté. On prétend que les dépenfes inféparables.d'un fi grand établilfement, abforbent au moins tous ces petits profits réunis : fon utilité a fans doute une autre bafe. La voici •■, c'eft que les vailfeaux Hollandois qui vont aux Indes, ou qui en reviennent, trouvent au cap un afyle fur , un ciel agréable , pur Sc tempéré , les nouvelles intéreflantes des deux mondes: ils y prennent du beurre , des farines , du vin, une grande abondance de légumes falés pour leur navigation , 8f. pour les befoins de leur colonies. Les refiöurces y feroient encore plus confidérables, fi par une aveugle avidité la compagnie n'arrêtoit continuellement l'induftrie des colons. Elle les force de lui livrer leurs denrées a un prix li vil, qu'ils ont été fort long tems, dans rimpoflibiliré de fe procurer des vêtemens, Sc Jes- autres befoins les plu$ eflentiels.  Dü Commerce en Hozzajvde. 319 On ne peut fe diffimuler que la jaloufie du commerce eft un des plus grands fléaux qui affligent rhumanité ; les colons du cap de BonneEfpérance en font une preuve , contre laquelle on voudroit en vain réclamer. La tyrannie fous lasquelle ils gémiifent feroit peut-être fupportable, li ceux qui en font les malheureufes viftimes autorifés a vendre le fuperflu de leurs productions aux navigateurs étrangers , attirés dans leurs ports pour y prendre des rarraichiffemens , ou pour y faire quelque trafic ; mais on les a inhumainement privés de cette relfource. C'eft en vain qu'on s'eft long - tems flatté, qu'en refufant cette commodité aux autres nations commergantes, on parviendroit a les dégoüter des Indes : mais 1'expérience n'a encore pu apporter aucun changement; il étoit cependant aifé de preuentir que toutes les richeffes qui entreroient dans la colonie , reviendroient de maniere ou d'autre a la compagnie. C'eft le gouverneur feul qui a été autorifé a fournir aux néceffités les plus urgentes de ceux qui abordoient au cap. II en eft réfulté une infinité de vexations, cela étoit aifé a prévoir, on n'a pas encore jugé a propos d'y apporter aucun remede, tant 1'avidité eft habile a fe maintenir dans fes injuftices. C'eft ici le moment de donner a M. Totbac les éloges qu'il mérite •■, cette ame généreufe a montré pendant le tems qu'il régiffoit cet établilfement, 8t fer - tout pendant la derniere guerre un défintéreffement St une humanité , dont aucun de fes prédéceffeurs ne lui avoit laiffé 1'exemple. S'il a été alïez éclairé pour s'éleyer au -delfus dupréjugé, il  310 Tablmav gradvez n'a moins montré de fermeté pour s'écarter des ordres didtéspar une avarice abfurde qui lui étoient adrelfés. Aufli par fa grande modération, il encourageoit les nations rivales qui réuniffoient toutes Ieuis forces pour fe fupplanter, a venir chercher au cap les fubfiftances dont ils avoient befoin. Toutes ces nations indiftinótement , obtenoient a un prix affez modéré pour ne pas fe rebuter, 8c cependant aifez fort pour encourager l'induftrie du cultivateur. C'eft prcbablement le feul batave qui ait eu 1'héroïfme de contribuer a la fortune de fes concitoyens, 8c de négliger la fienne. La Hollande lui doit des autels, 8c 1'humanité entiere, le jufte tribut de fes hommages. On ne peut que faire des vceux pour que la compagnie adopte fes vues 8c fe dirige d'après 1'exemple qu'il vient de donner , capable de 1 immortalifer aux yeux du fage. II n'y a peut - être pas d'autre parri a prendre, fi cette compagnie veut s'occuper férieufement du foin de donner un centre a fa puiffance, 8c une bafe folide a fon commerce. Autres pojjejjions des Hollandois en Afrique. Les Hollandois poffedent encore en Afrique, Mourée ou le fort de Naffau en Guinée : Axim , 8c Cormentin en Guinée, Benguela - Nova , place forte au royaume de Congo. II n'y a pas long-tems que les Hollandois fe font emparé de cette place, oü il y a environ deux cents families de blancs, dont la plupart font des Portugais qui y ont été relegués pour leurs crimes ; il y en a un nombre beaucoup plus grand de noirs. Tous les batimens de Benguela  BV COMMER.eE EN HoZLANDE. ^zi Benguela ne font faits qu'avec de la paille 8c de la boue; l'air , 1'eau 8c les alimens y font trés - contraires a la fanté des Européens. On trouve aux environs de trés - riches mines d'argent. Le fort de la Patience, fur la cöte d'or en Guinée, appartient auffi aux Hollandois qui ont un comptoir a Tétuan, Sc pluheurs autres places Sc comptoirs, qui ne méritent pas qu'on s'y arrête. Obfervations. Le commerce Sc la marine ont une liaifon effentielle •■, la marine eft la mere du commerce , St le commerce ne peut fe faire fans vailfeaux , St 1'on ne peut avoir de vailfeaux fans commerce •■, en un mot, ils fe foutiennent mutuellement 1'un Sc 1'autre , 8c 1'on peut dire qu'ils naiifent enfemble, Sc s'engendrent réciproquement •■, cependant quelle que foit leur influence réciproque, foit qu'on les envifage comme une amélioration ou une découverte , il eft toujours certain que ce font deux chofes eflentiellement différentes. Après avoir tracé le tableau du commerce Hollandois, il paroit convenable de faire fuivre de prés fon pendant, c'efta - dire , de tracer le tableau de la marine Hollandoife dans tout fon brillant. De la marine des Hollandois. La Hollande, fi florilfante aujourd'hui, ne fubfifteroit plus probablement depuis long - tems, li les Hollandois n'avoient mis un frein a la mer , en lui oppofant par d'immenfes travaux , des digues, qui même ne font pas fi infurmontables , qu'il ne faille continuellement pourvoir a leur reparation : Tome II. X  322 Tableav gradv el les rades y lont trés - dangereufes , 8c le mouillage mauvais; car en plufieurs endroits la patte des ancres s'embarraife dans les têtes 8c dans les racines des arbres engloutis , de facon que dans les gros tems on eft obligés alfez fouvent de couper les cables. C'eft contre ce danger qu'on a conftruit en Hollande une grande quantité d'excellens ports. Progrès infenfibles de la marine Hollandoife. Quoique prefque tous les pays Hollandois foient maritimes, la marine y fut néanmoins d'abord fort peu de chofe : ce ne fut qu'a mefure que les Hollandois vinrent a bout d'élever des barrières contre 1'impétuofité de la mer , que fes progrès furent a peine fenfibles. XIII'. Siècle. Au commencement du treizieme fiecle Ibus le gouvernement de la comtelfe Ada , Ziriczée en Zélande , fit batir de gros vailfeaux propres a faire le commerce, Sc c'eft la première ville Hollandoife , qui a donné ocealïon aux premières expédkions maritimes. Diverfes expédkions fur mer. Guillaume IV , vingt - troifieme comte , mit en mer plufieurs vailfeaux dont il fe fèrvit pour conduire en Efpagne les troupes qu'il m.:noit au fiege de Grenade. Peu-après la Hollande fe trouva cruellement déchirée par les divifions domeftiques furvenues entre Jean , duc de Brabant, Sc fon époufe Jaqueline, comtelfe de Hollande.  bv Commerce ew Hozlanbe. 313 Les Hollandois fe partagerent, les uns prirent parti pour le mari, les autres pour la femme : le mari étant mort dans le cours de ces démêlés , ceux qui avoient époufé les intéréts de la comtefle , firent un eftbrt pour recouvrer ce qu'elle avoit perdu. Le feigneur de Bréderode , qui écoit a leur tête, mit des vailfeaux en mer, fur lefquels il embarqua beaucoup de troupes, Sc fit voile vers les isles de Wiérenghen Stdu Texel. Les villes d'Amfterdam , de Harlem, de Hoorn, d'Enckuifen 8c d'autres, qui étoient entrées dans des engagemens contraires a ceux de la comteftë , ralfemblerent leurs vailfeaux , Sc en compoferent une flotte , qui alla chercher celle de la comtelfe pour la combattre. Bréderode qui connut le deffein de fes ennemis, débarqua fes troupes dans l'isle de Wiérenghen qu'il fournit; mais voyant que la flotte des villes confédérées vouloit 1'enfermer dans cette isle , ou 1'obliger a combattre , il ie détermina lui-même au combat •■, la vidtoire le déclara pour les villes alliées, St Bréderode fut luimême fait prifbnnier. Vaijfeaux équippés par un marchand de XVéere. Tandis que les Hollandois s'eflayoient ainfi dans les combats de mer, ils formoient aufli leur marine a leur apporter du profit. Un riche habitant de Wéere , ville lituée fur le bord de la mer a une lieue de Mildelbourg, ayant armé a fes frais quelques vailfeaux, il en retira tant de profit, qu'il excita 1'émulation de fes compatriotes, qui en firent autant, 8c eux - mêmes réuflirent fi bien que cette ville ©n devint trés fameufe. X z  3i4 Tabzbav gradvez Jaloufie des villes Anféatiques. Les villes de Lubeck , Hambourg , Sc autres villes commercantes des environs de la mer Baltique , entreprirent de troubler cette profpérité naiflante ; elles ordonnerent a leurs vailfeaux de pilier ceux des Hollandois, 8c de les traiter en ennemis, comme li en devenant riches, ils étoient devenus criminek. «43$ Avantages remportés par les Hollandois. Les Hollandois fouffrirent pendant quelque tems ces infulte.s; mais enfin Iaffés, ils fe difpoferent a rendre hoftilités pour hoftilités. Ils firent conftruire des vailfeaux de guerre dans les villes de Harlem., d'Amfterdam , de Hoorn , de Fleflingue , de Wéere , de Midelbourg , de Ziriczée Sc autres, en cornpoferent une flotte bien armée Sc bien équippée , qui alla chercher celle des villes alliées, I'attaqua, la battit, 8t lui prit vingt grandes hourgues, Sc quatre caraques richement chargées. Monument Jingulier du triomphe des Hollandois. Les Hollandois confacrerent ce glorieux triomphe , par un monument aflez fingulier, 8c conforme a la fimplicité qui régnoit alors parmi eux. Ils mirent au haut de leurs mats de petits ballets, pour marquer qu'ils avoient balayé la mer des tyrans , qui vouloient les priver de la liberté du commerce. Cet ufage fe conferva long-tems parmi les Hollandois. 1510. D/faite des Hollandois. Lès hoftilités ne recommencerent que long-  BV COMMSPXE EN HoiLANBE. 32$ tems après, a 1'occafion d'une guerre entre le roi de Dannemarck & les villes Aaféariques, qui voulurent engager les Hollandois a y entrer 8c a rompre tout commerce avec les Danois. Les Hollandois ayant été attaqués par les vailfeaux des villes alliées , perdirent huit navires. Ils recurent encore un autre échec. Une flotte nombreufe de vaiiTeaux marchands , faifant voile pour le Dannemarck, fous 1'efcorte de quatre gros vailfeaux de guerre , fut attaquée brufquement par la flotte ennemie, qui mit en fuite leurs vailfeaux de guerre , 8c en prit plus de cinquante de la flotte marchande. Réconciliation des Hollandois avec les villes Anféatiques. Dans la fuite , 1'intérét, ce grand mobile des a&ions humaincs , réconcilia les villes Anféatiques avec la Hollande. Les principales villes de 1'OverIlfel , comme Deventer , Zwol , Camper 8c d'autres, avoient rendu leur commerce trés - floriffant; mais il ne s'étendoit point du cóté de la mer Baltique 5 elles furent les premières qui prirent cette route 8c qui formerent une correfpoi*dance avec Lubeck, Hambourg & Dantzic. 1511. Puiffance de la marine Hollandoife. De jour en jour , avec le commerce , s'augmentoit la puiffance maritime des Hollandois. Ils en faifoient de tems en tems d'heureux effais. Charks-Quint leuren fournit quelques occafions, 8c y trouva même de grandes reffources. Ils armerent cent vailfeaux, lorfque ce prince forma une ligue  il6 TabZBAV €*AT)VBt avec le Pape & les Vénitiens pour faire Ia guerre aux Turcs, guerre pourtant qui n'eut point lieju , a caufe de la diverfion que caufa celle contre les Proteftans. Cet Empereur étant armé contre la France , neuf vailfeaux Hollandois entrerent dans la riviere de Bordeaux, y prirent la plus grande partie d'une flotte marchande , 8c ravagerent quelques villages. La même année , dix navires de la même nation enleverent quatre vailfeaux Francois, qui venoient de Terre -Neuve: ces combats 8c divers autres accoutumoient infenfiblement les Hollandois a attaquer 8c a fe défendre, 8c mettoient a 1 epreuve leur valeur 8c leurs forces maritimes ; ils ne les connurent jamais mieux , 8c n'en firent un ufage plus important que pendant les troubles , a la faveur defquels ils fecouerent le joug onéreux des Efpagnols. Conquêtes des Hollandois fur les cótes d'Afrique & aux Indes. Les Hollandois s'étant fouftraits k Ia domination de 1'Efpagne dans le tems oü les Portugais faifoient partie de cette monarchie , enleverent a ceux-ci prefque tout Ie Bréfil , partagerent avec eux le commerce qu'ils faifoient fur les cótes d'Afrique dans i'Arabie , aux Indes , 8c les en dépouillerent enfuite prefqu'entiérement, de forte qu'il ne leur refte a peine que Goa Sc la fortereffe de Din , de tant d'établiffemens qu'ils poffédoient depuis Olmus dans Ie golfe de Perfe, jufqvi'a Macao daas Ja Chine.  Di/ Commerce en Hollande. 317 Progrès des Hollandois dans la navigation. La fcience de la navigation paroit avoir été p0"uffée a fon plus haut point de perfeétion par les Hollandois. On en peut juger par les grandshommes qu'ils ont eus ; rien n'a paru au - delft» du courage Sc de J'habileté de leurs amiraux, ni de 1'adreife de leurs pilotes , Sc de leurs matelots • c'eft par cette intelligence dans la marine, qu'ils font arrivés au point d'élévation , de richelfe Sc de grandeur oü ils font aujourd'hui. Nombre prodigieux de vaiffeaux Hollandois mis en mer. Le chevalier Temple, dans fes recherches fur l'état de Ia Hollande, dit qu'il fe trouvoit de fon tems en Hollande, plus de vailfeaux que dans tout le refte de 1'Europe enfemble. Du feul port d'Amfterdam , il fortoit autrefois tous les ans plus de quinze cents vailfeaux frêtés pour le Nord , Sc Ia mer Baltique. On a vu en trois jours fortir des ports de Hollande plus de quinze cents buches, efpece de fhbats, pour la pêche du hareng: cette pêche en occupoit plus de trois mille tous les ans; chaque année il partoit ci - devant des ports des' Provinces-Unies environ quarante vailfeaux pour Archangel; le commerce de Norvège en occupoit tous les ans plus de trois cents, la mer Baltique mille ou douze cents vahTeaux, les états du grand feigneur trente ou trente-cinq, ils en avoient a catavia plus de cinquante. Richeffes & magnificence dAmflerdam. ^ Le grand crédit de ia banque (1) d'Amfter- IS'} ^ tait?a"ter k:fo,1,,s de cette banqueaplus dT^ZT tonnes d'sr.U'teiwe d'or vaiit cent millo fl0rins. , 3°W  318 Tableau gra d u el,&c. dam , a toujours beaucoup contribué au foutien d'une fi brülante marine. Cette ville fameufe dont nous avons donné la defcription , eft batie comme Venife au milieu des eaux, renfermant dans fes magafins tout ce que la Chine , les Indes 8t toutes les parties du monde ont de plus exquis \ c'eft une ville des plus belles 8c des plus opulentes de Funivers , dont elle femble être 1'entrepót. Elle eft coupée par de magnifiques canaux, ornés d'arbres des deux cótés , 8c fon port eft rempli d'une multitude extraordinaire de vailfeaux. Coup - dccil fur fa Hollande. La Hollande n'eft rien par elle - même , c'eft un pays ftérile, oü tout manque, 8c par le moyen de la navigation, elle fe ménage 1'abondance , 8c fournit aux autres pays, la plupart de leurs befoins. Elle eft fans forêts 8c prefque fans bois, Sc il n'y a point d'endroits dans lé monde oü 1'on travaille plus a 1'architecture navale ; elle n'a point de vignes , 8c elle eft 1'étape des vins 8c des eaux-de-vie de toutes les parties du monde ; elle eft fans mines 8c fans métaux: on y trouvé cependant prefqu'autant d'or 8c d'argent que dans la Nouvelle-Efpagne, 8c dans le Pérou, autant de fer qu'en France, d'étain qu'en Angleterre , de cuivre qu'en Snede. Elle produit peu de bied, mais elle en fournit aux autres provinces. ün diroit que les épices croiflent en Hollande, que les huiles s'y recueillent, que le fel s'y forme, que les foies, les drogues pour la médecine 8c la teinture , foient des produftions de fon crü; en un mot, la Hollande renferme dans fon fein toutes les richeftës des deux mondeïi Fin du, Tome II.