| LEESBIBLIOTHEEK | i van ï ! v ntwtwHmmntmvnm^  TA B L E A Ü &QMMJL 1RE E T PHILOSOPHia UE DU GENIE, DU CARACTERE &C. DES B A T A V E &   TABLEAU SOMMAIRE ET PHILOSOPHIQUE DU GENIE, DU CARACTERE, DES MCEURS, DU GOUVERNEMENT ET DE LA POLITIQUE DES M JL T J3L V JE S. TRADUIT DE L'ANOLOIS, Par M. M I L O N. avec des Remarques du Tradudteur. A LA H ji T Et Chez J. VAN CLEEF, Libraire. M. DCC. L XXXIX.  ■  Jk VIS. Ï-Sa. rêumon d'intérêts qui a eu lieti entre Ia Grande-Br et agne & les Provinces'Unies, a la fuite de la révolution operée dans cette république, a engagé Técrivain Anglais a compofer Fouvrage dont on donne ici la traduc. tion; ouvrage, quï eft le réfultat des obfervations qu'il a faites durant fa réfidence dans ce pays, bien digne de fixer a tous égards 1'attention de 1'obfervateur philofophe. En efFet les fept Provïnces-Unies, quoique refferrées dans une médiocre étendue de terrein, ont formé de tout tems un état fi floriflant & fi puifiant qu'il ne s'eft point pafte d'événemens remarquables fur le théatre de l'Europe, fans qu'elles n'y ayent eu une part confidérable. Quand onjette un coup-d'oeil en arriere fur les faits mémorables qui cara&érifent 1'hifloire de cette célebre # 4  vin AVIS. république, il faut avouer que les anrfales ni anciennes ni modernes, ne rapportent rien de fupérieur a ce qui a été achevé par l'induftrie, la perfévérance & la réfolution des Bataves ou habitans des Prov'wces- Unies-, & que 1'énergie & la fageffe, déployées par ceux qui furent a la tête de leurs affaires, égalent tout ce qui nous a été tranfmis des plus célebres & des plus grands hommes d'état. Quoiqu'il ait paru beaucoup d'écrits touchantles Provinces- Unies, on ofe efpérer que eet ouvrage fera accueilli avec eet intéréc qu'infpirent les circonflances actuelles de ce pays. ***** * * * * * * * * * *  T A B L E des CHAPITRES et des MATIERES QUI Y SONT CONTENUES CHAPITRE t Dijficultês & dangers qui accompagnent 1'établiJJement de la république des fept Provinces-Unies. Ses faibles commencemens & Jon état incertain. Conduite intrépide des Bataves en fecouant le joug de l'Efpagne, & en s'oppofant a l'invafion de la Francs. Leur patience & leur fermeté en combattant & fuhiibntant les objlacles de la nature. Vérs de Pitcairn fur ce fujet. Lcurs 'regiemens & améliorations domefliques, & leurs maximes dans les affaires, 6° en mattere de eommerce, adoptés par quelques uns des plus grands Princes. . . . . P^o^ I< *3  % TABLE DES CHAPITRIS CHAPITRE IIf Les Provinces - Unis propres feulement pour les Voyageurs d'une claffe phil'ofophique. Rapide aceroiffement de leur profpérité. Cette profpêriti feulement égalée par celle de l'Angleterre. Facilh té de s'établir dans les Provinces - Unies. Caufes de leur popuiation Ö" de leur opulence. Accueil hofpitalier fait dans les Provinces -Unies « plufieurs perfonnages illuflres. Les Bataves remarquables par leur efprit de tolérance relt' gieufe. Son utilité pour l'état. . Pag. 2 8- CHAPITRE III, Les Provinces- Unies renommées pour des hommet d'état, habiles & heureux. Bravoure des troupes ■ Bataves fous le prince Maurice. Excellente adminiftration des finances de la république. Vigilante & judicieufe intervention des Bataves dans les affaires étrangeres. La France ennernie invétérée des Provinces-Unies. Politique  ET DES MATIERES.' « des Bataves pour intérejfer d'autres êtats a ia profpéritê de leur république. . ... 4^" CHAPITRE IV. Jndüflrie des Bataves dans l'embetlijfement de leur pays & dans tout ce qui peut contribuer a t'alondance, h la propretè & h la commodité : c'efl un des principaux motifs de faffluence des itrangers. Les talens d'une utilité Jolide principalement encouragés dans les Provinces-Unies. Rejfemblance des Bataves & des Carthaginois dans cette particularité Pag. 59, CHAPITRE V. Naturel férieux & penjif des Bataves; circonjlance trés défagrêable pour les étrangcrs. Un extérieur enjoué n'en impofe point aux Bataves. Leur grand attachement a l'ar gent, & leur orgueil provenant de la pojfejfion des richejfes; ce qui ejl prouvé par quelques exemples. . .58.  Xï» T A B L E DES CHAPITRES CHAPITRE V I. Frugalitê & modération des Bataves dans teuts plaiftrs. Ils ne font pas amis des amufement difpendieux. Ils favent cependant fe les procu* rer avec êtégmee & propriété. De la Haye* Zi, - C II A PITRE V I ï, Humeur brufque & défaut de complaifance des gens de la dernier e clajfe dans les Provinces-Unies. La claffe plus élevée efl unie, franche & civile. Les Bataves en gênéral font d' un naturel amical, & préts a afjijler les gens qui ont de l'induflrie. Leur attention a procurer de l'occupation a tous les individus, a défendre l'oiftveté & o encourager les inventions utiles. . . ~qq. CHAPITRE V I I L Des eanaux dans les Provinces-Unies. Banque d'Amflerdam. Intégrité Qf fermeté des Bataves  ET DES MATIERES. xm è la foutenir & a en maintenir te crédit dans des calamités urgentes. Etabliffement des compagnies des Indes Orientates ff Occidentaies au milieu des guerres ff de grandes obflactes. ioi. CHAPITRE IX. Excetlent ordre ff bonne adminiflration des flottes ff des armées Bataves. Les Bataves font les premiers auteurs d'un fijlême complet de difcipline militaire. Leurs moyens de faire naitre l'émutation parmi leurs propres concitoyens ff de gagner des amis a~ leur caufe. Patriotifme des Bataves quelquefois portê a un excés condamnable. Leur fineffe ff leur politique è t'égard des puiffantes êtrangeres. . . .116. CHAPITRE X. Ariflocratie du gouvernement Batave. Moyens employés pour le maintenir ff le rendre agréable au public. L'habitant des Provinces-Unies nutte-  «▼ TABLE DES CHAPITRE» ment enclin et l'infurreflion, cependant extréme* ment dangereux, lorfqu'il y efl provoqué. Mo* deflie des chefs du gouvernement dans leur extérieur , leur conduite ff leurs difcours. Exem~ pies de cette circonfiance en divers cas. Egalitt dans la levée des taxes. Impartialité obfervée dans l'exécution des ïoix ff l'adminiflration dt la juflice. Les Bataves nullement fujets è la prévention. Leur diligence ff exaclitude & remplir les devoirs attachés aux- emplois pu* fliCS. . . . 2 2S. CHAPITRE XI. Conféquences falutaires de l'êconomie ff de l'induflrie des Bataves. Ils fupportent patiemment les grandes dépenfes ff les grandes pertes. Leur perfévérance a repouffer ff h furmonter les ob~ flacles dans leurs établiffemens étrangers, La nation Batave efl d'une humeur tranquille ff contente. Elle n'eft point fujette è s'enorgueillir ni a fe laiffer abbattre. Bons e ff ets d'une pa* reille tournure d'efprit. Les Bataves aiment mieux les aifances dompfliques que l'éclat ff 1'ex*  ET DES MATIERES. têrieur. Banqueroutes moins fréquentes dans te$ 'Provinces- Unies qu'ailleurs, Les Bataves ne font point aujjl inclinês è fe retirer des affaires que les autres peuptes. Quelle en efl la raifon. Efprit économique de toutes les clajfes dans les Provinces - Unies. Cet efprit eji de beaucoup fupérieur a celui des autres nations. Ses heureufes confêquences dans la vie privée. Rok important des Bataves dans les affaires publiques de l'Europe; ce qui eftun jufle fujet d'étonnement. . . , Pag, 140, CHAPITRE XII. IrAru&ion a retirer de l'hijloire des • Provinces* Unies. Reftexions fur l'élévation de quelquei nations. Caufes de la profpérité des ProvincesUnies. Conduite des Bataves comparêe avec celle de quelques états anciens (f modernes. Récapitulation de leur politique. . . . 165,  ïvi TABLE DES CHAPITRES ET DES MATIERES. CHAPITRE XIII. Cenfure injujle ff procédé peu honnête envers les Bataves de la part de quelques princes ff nations de l'Europe. Faujfes notions fur les quali» tês ff U caraftere des hommes examinêes ff refutêes* .... Pag. 171> * * * * * *• * * * * * * TA*  TABLEAU SOMMAIRE et PHILOSOPHIQUE du GENIE, du CARACTERE, des M£EURS, du GOUVERNEMENT et de la POLITIQUE des JB T 'M F JE S. CHAPITRE I. Difficuhés ff dangers qui accompagnent l'établiffement de ia république des fept Provinces-Unies. Ses faibtes commencemms & Jon état incertain. Conduite intrépide des Bataves en Jecouant h joug de l'Efpagne, ff en s'oppojant a l'invafton de la France. Leur patience ff leur fermeté en combattant ff furmontant les objlacks de la nature. V'.rs de Pitcairn fur ce fujet. Leurs regiemens ff améliorations domefliques, ff jeurJ maximes dans les affaires, ff en matiere de commerce, adoptés par quelques unt des plus grands Princes. Les Bataves, dans 1'établÜTement de leur république , eurent a lutter contre de plus gran« A  des difficultés qu'aucun pcuple dom 1'hiftoirc aït jamais fait mention. Ils parvinrcnt a la poffeffion dé la liberté, ccmmc 1'hériticr d'un fonds de terre , dont toute la valeur doit confifter dans fes améliorations futures. Ils fe montrerent toutefois entierement capables de remplir la tache que la néceffité leur avait impofe'e. Dans le cours de pen d'années, les fept Provinces-Unics, contrée que la nature a difgracie'e d'une manierc remarquable, devinrent un pays habitable & riant; des Villes & des cites furent conftraites, oü de chétivcs cabanes & de pauvres villages avaient précédemment exifté durant plufleurs fiecles; leurs frontieres furent garnies de fortcreffes. Ellcs mirent cn campagne de nombreufes armécs, & en mcr les flottcs les plus formidables. En un mot, elles fe rendirent entierement digncs de cette indépendance qui, après avoir été généreufement défenduc par une guerre de quatrcvingt ans de durée (i ), fut reconnue par la voix £i) Cette guerre dura 80 ans, en comptant du 5 aoüt 1568, jour oü furent décapïtés les comtes d'Egmont & de Hoorn, 5ufqu'au 5 du mème mois de 1'année 1048, jour oü fe fit dans les Provinces-Unies la publication du fameux traité de Muniler, figné dans cette ville le 30 janvier précédent. Alors fluit cette guerre auffi lonfiue que difpendieufe, qui enleva i  % 3 )( iwanime de 1'Europe affemblée au congres de Munfter, au milieu du dix-feptieme fiecle, pour une re'compenfe bien due a leur valeur & a leur perfévérance dans une fi jufte caufe ( 2 ). 1'Efpagne un des plus beaux fleurons de fa conronne, & affura anx Provinces-Unies eet état de calme, de fureté & de liberté, dont n'avait pas encore joui jufqu'alors cette nouvelle ïépublique. f_2) Charles V, ayant abdiqué la coüronne en faveur de Ton fils , Philippe II, celui-ei voulut établir l'inquifition dans les Pays-Bas, & obligea par ce procédé impolitique, ainfi que par d'autres aftes d'oppreflion, fes nouveaux fujets a lever 1'étendart de 1'indépendance. Ce monarque viola le ferment qu'il avait prêté a fon avénement au tröne j & par fes cruautés par fa tirannie & par les confeils de fes iniques miniftres & de fes infenfés théologiens, il perdit la plus belle portion de fes états, dont les habitans perfécutés & opprimés trouverent un libérateur en Guillaume de Naffau , prince d'Orange, qui jetta les fondemens d'un nouveau corps politique fous Ie nom de république des Provinces - Unies. Quand un fouveraïn rompt Ie pafte qu'il a juré d'obferver, fes fujets font en droit de fe fouftraire a fon autorité & on ne peut Cms injuftice les qnalifier de révoltés. Philippe ft avait pris avec fon peuple u„ engagement folemnel, & Ce n'avait été qu'a condition qu'il ie remplirait que fon peuple s'était engagé de fon eöté a lui refter «dele. Si une partie d'une nation fe foufirait a 1'autorité je fon fouverain, on peut avec raifon Ia qualifier de révoltéemaïs quand c'eft la nation entiere qui prend ce parti, c'eft l tort qu'on lui donne ce nom odieux. Ainfi d'après ces principes incontcftables, c'eft improprement que quelques écrivalns •nt traué de révoltées les Provinces-Unies des Pays-Bas. A a  )(4 X De toutes les preuves, produitcs par les tems anciens & modernes, que les peuples, comme los individus, fönt les artifans de leur propre fortunc; la plus illuftrc eft celle qui en a e'té donne'e d'une maniere fl remarquable par la république des Provinces-Unies. Peu diftinguées durant 1'efpace de pluficurs fiecles & mentionne'cs dans 1'hiftoire a peu prés comme fervant de rempliffage dans les ' titrcs de quelques fouverains , ou comme les principaute's faibles & peu confide'rables qui fe préfentcnt aux recherches du favant dans le cours de fes lectures, les provinces, qui compofent cette république, fortirent, tout d'un tems, de 1'obfcurité. Le monde vit avec étonnement un peuple, qui compofait la plus petite partie d'un empire, formé par ï'union inattendue de divers pays, s'élever fubitcment h un haut degre' de force & d'importance, au point d'aller de pair avec les nations les plus riches, les plus peuplécs & les plus puiffantes. Cc qui rend toute cette circonftance plus remarquable, c'eft qu'elle eut lieu dans un tems PU, par un concours d'evéncmens finiftres, 1'Eu-  X 5 X rope cntierc croyait les Provinces-Unies k la veille d'étre opprimécs par le doublé joug de la tirannie civile & de la tirannie rcligicufe, liguécs en quelque maniere pour les accabler de tout le poids de leur fureur; ces provinces paraiffaient dévouécs a une deftru&ion inévitablc; feules, dans un état faible, &au dépourvu, clles étaient expofées au reflentiment & h Ia furie du plus fanatique & du plus puiffant des princcs de ce fiecle fanguinaire, Philippe II, roi d'Efpar gne (3), homme enflanuné d'un zele fiipcrftil o) Aucun portrait été repréfenté par les hifloriens fous des couleurs plus oppofées qlle celui de Philippe q & cependant qUa„d on confidere la longueur & V^yii6 de 'foa regne, aucun caraftere ne devrait fembler plus facile a üxer , On ne peut douter qu'il ne poffédat a un degré éminent I, * Penétration,lavigilance * la capacité pour gouverner Ses „ yeux furent continuellement ouverts fur chaque partie de „ fes vaftes états; il entra dans le détail de chaque hran„ che de 1'adminiftration; veilla fur la conduite de fes nüni„ flres avec une attention infatigabley & dans le choix de „ ceux-ci £ de fes généraux il montra beaucoup de fag*citf, „ U. eut dans tous les tems un air compofé & raffis,"& ne „ parut jamais énorgueilli ou abattu. Son humeur étoit fort „ imPérieufe5 & fes regards & fon port étaient hautains & „ feveres ; cependant parmi fes fujets Efpagnols il était d'un. „ facUe accès; il écoutait patiemment leurs repréfentations » & leurs plaintes; & oü fon ambition & f0„ fanatifme n'é„ taient pWnt intéreifés, il était cn généra.1 difpcfé a réfor, a s  X 6 )C tieux, & qui contribua plus qu'aucun autrc mcw narquc a rendre odieufc fa rcligion par les „ nier les abus dont ils Te plaignaient. Après avoir parlé „ ainfi fort a fa louange, nous avons dit tont ce que la jufti„ ce requïert ou la vérité permet. II efl: toutefois impoffible „ de fuppofer qu'il n'était pas fincere dans fon zele pour la }, religion. Mais comme fa religion était du genre le plus „ corrompu, elle fervita augmenter la dépravité naturelle de „ fon efprit, & non feulcment approuva, mais mêmele pouf„ fa a commettre les crimes les plus odieux & les plus cho„ quans. Quoiqu'un prïnce dans le fiecle fanatique de Phi„ lippe put être perfuadé que la faufleté & la perfécution „ avancaient les intéréts de la religion, cependant on pou„ vait s'attendre que, dans un prince vertueux, les fenti„ mens d'honneur & d'humanité remporteraient en quelques „ occafions la viftoire fur les maximes de la fuperftidon ; „ mais il ne fe préfente pas un feulexemple de cette viftoire ,', dans le regne de Philippe, qui, fanshéfiter, viola fes de„ voirs les plus facrés, tontes les fois que la rcligion lui of„ frait un prétexte pour le felrë, & fous ce prétexte il exer„ 9a pendant pïafiettrs années la cruauté la plus inflexible, „ fans répugnance ou remords. Son ambition, qui était deméfurée, fon reflentiment, qui était implacable, fon natu„ rel arbitraire, qui ne pouvait fouffrir d'être contrarié, • „ s'accordaient avec fon zele fanatique pour la religion ca„tholique, & porterent eet efprit fanguinaire, que cette „ religion était propre a infpirer , a un plus haut degré dans „ Philippe, qu'il ne parvint jamais dans aucun autre prince „ de ce tems , ou de tout autre fiecle antérieur ou fuivant. " „ Quelques hifcoriens ont diilingué ce prince par le titre de Philippe le prudent, & 1'ont repréfenté comme le p!us  X 7 X moyens qu'il employa pour l'afTcnnir & la faire embraffer de force. „ fage, aufïï bien que comme le plus reügieux prince qui alt jamais occupé le tröne d'Efpagne. Mais c'eft une queftion de favoir s'il mérita d'être loué plus a caufe de fa pruden,, ce qu'a caufe de ia religion. Au commenccment de fon „ regne, il montra beaucoup de circonfpe&ion dans fes en» treprifes militaires; & en quelques cccafions, il fit même „ de plus grands préparatifs qu'il n'était nécefiaïre pour s'en 3, afiurfer le fuccès. Mais fonambition, fon refientimer.t & „ fon averfion pour les Proteftans étaient trop violens pour „ le laifler agir conformément aux maximes de la faine poj, litique & de la prudence. II aurait pu ernpêcher la révolte » de fes fujets Bataves Sz Flamans, fi après que la réforme „ dans les Pays-Bas fut fupprimée par la duchefle de P;rme ,, il eut laifle les rênes du gouvernement dans les mains de „ cette princefle, & n'eutpoint envoyé un tiran auffi odieux „ que le duc d'Albe pour les rendre efclaves. II eut pu après la défaite du prince d'Orange, leur impofer les fers „ de la fervitude Sz les accoütumer infenfiblement au joug, „ fi, eh s'engageant dans des entreprifes trop difpendieufes, „ il n'eut point épuifé fes finances, & fait en ^uelque forté „ une néceffité au duc d'Albe d'impofer les taxes du dixiemS „ & vingtieme denier, pour 1'entretien' de fes troupes. II „ eut pu, par les grands talens du duc de Parme, réduire „ a 1'obéifiance les provinces réyoltées, s'il n'eut point eü „ la folie ambition de foumettre 1'Angleterre & d'acquérir la „ fouveraineté de Ia France. Ses armées, dans les dernieres „ années de fon regne, ne furent pas affez nombreufes pour „ exécuter les diverfes entreprifes qu'il forma; cependant „ elles étaient beaucoup plus nombreufes qu'il ne pouvait „ les entretcnir. II fe pafla peu d'années oü elles ne fe mu- A 4  )( 8 )( Telle était la malheureufe fituation des Bataves , lorfqu'ils prirent la re'folution de ne point fe décourager & de rifquer tout plutót que de fe foumettre a leurs oppreffeurs; quoiqu'ils euffent devant les yeux des preuves déplorables de la barbaric inflcxible qu'ils éprouveraient, fi leur réfiftance devcnait infruótucufe. Ils en voyaient un terrible exemple dans leurs mfortunés voifins & co - fujets, les Flanïands ,, tinerent point, faute de paye. Aufli Philippe ïbuffrit-il de plus grands dommages de la part des défordres & de la „ dévaftation que fes propres troupes commirent, qu'il n'en recut jamais des armes de fes ennemis. Son plus fage „ confeiler lui fit des repréfentations, dans les termes les , plus forts, contre fes entreprifes fur I'Angleterre & la Franco. Certaïnement la prudence demamdait qu'avant „ d'attaquer les états des autres, il s'aflurat la pofiefïïoh des „ fiens propres. Cependant fon illufion était fi grande que, „ plutót que de différer 1'exécution des projets que fon ref„ fentiment & fon ambition lui avaient fuggérés, il préféra „ de rifquer de perdre les frnits de toutes les victoires que le duc de Parme avait remportées; & ayant Iaiiïë fans dé„ fenfe les provinces qu'il avait foumifes a fon autorité, il „ donna par la au'x provinces révolcécs 1'occafion favorable d'établir leur pouvoir fur une bafe fi ferme, que toutes ,, les forces de la monarchie F.fpagnole , employécs contre „ elles pendant plus de cinquante ans , ne furent pas en „ état de le renverfirr. " Hifiory of the Reign of Philip the Second, Kitts of Spain , by Robert Wat fon, &c.  X 9 X qui, quoiquedcbeaucoup fupe'rieurs k euxpar la richcffe & le nombre, avaient e'choue dans 1'entreprife qu'ils formcrent de s'oppofer aux procédés illégitimes d'une cour arbitraire. Dans la fu reur de fon refléntiment, cclle-ci les avait punis avec une inhumanité qui connut a peinc des bornes; le caraftere & les cruautés du duc d'Albe (4), font trop connus pour avoir befoia d'étre rappellés. Mais malgré ces terribles exemples & le peu de probabilité apparentc de rencontrer un meilleur fort (raifons fortement alléguées par ceux de leurs compatriotes qui étaient pufillanimes & (4) Cet homme de lang, dépofitaire de toute 1'autorité de fon maitre, foula aux pieds les privileges du clergé, de la noblefle & du peuple; la plus légere réclamation de leur part était traitée par lui d'attentat a 1'autorité fouveraine; étouffant dans Ie fang les cris du patriotifme, il viola dans tous fes points la conftitution nationale. II fut toutefois un des plus habiles généraux de fon fiecle, de 1'aveu même de fes ennemis. A fon départ des Pays-Bas pour 1'Efpagne , il fe vanta, dit-on, d'avoir faitpérir, pendant fon adminiftration qui ne dura qu'un peu plus de fix ans, plus de dix-huit miile perfonnes par la main du bourreau. Tout fanguinaire qu'il était, cn a de la peine a croire cetteanecdote. Du refte fon nom efl: refté en exécration dans les Pays-Bas, 6c y eft eneore le fynonime de la cruauté. A 5  X io x mercenaircs) leur courage, au milieu de tous les obftacles fufcite's pour le ralentir, brilla d'un éclat fans e'gal, & mit une multitude indigente & fans difcipline en état de luttcr contre les tre'fors du plus riche potentat de 1'Europe, & de faire face aux troupes les mieux difcipline'cs du monde a cette époque. Des faits de cette nature doivent fuffire pour établir le caraftcre d'une nation & le mettre a I'abri de la calomnie & de la malveillance; cependant, foit par cnvic, foit par un jugement depravé, il ne parait que les autres nations ayent montré un degré fuffifant d'impartialité & payé un juftc tribut d'eftime & d'admiration a cette magnanimité & a cette re'folution invincible des Bataves; on infifte trop en général fur 1'affiftance qu'ils reeurent fucceffivement des Anglais,des Francais & autres, dans le cours de leur longue & opiniatre réfiftance. On femble oublier qu'a 1'époque de la naiffancc & de l'enfance de leur état, tems oü ils avaient beaucoup befoin de fecours, ils n'eurcnt d'autre foutien que leur proprc valeur défefpéréc: ils en donncrent des preuves furprenantes, dans une infinite' d'occafions, furtout aux ficges a jamais me-  X X morables de Harlem (5) & dc Leyde (<5)," comparés avec raifon avec ceux de Sagonte & CAvant la fin de 1'année 1572, Ie duc d'Albe réfolut le fiege de Harlem Sc en donna le commandement a fon fils Pon Fréderic de Toléde, qui fe prëfenta devant cette villa avec une armle qui s'accrut ïnfenfiblement jufqu'a trentei mille hemmes. Harlem était alors une des plus faibles villes de la Hollande. II fe forma dans cette place une compagnie de trois eens femmes, qui fe flgnalerent par leur aöivïté & leur courage. Elles combattaient avec les habits de leur fexe , fous la conduite d'une veuve agée de 46 ans, nommée Kenauw Simons Hauelaar, d'une des meilleures families du pays. La ville commencant a éprouver les horreurs de la famine, on fixa la portion de pain que chacun devait confommer par jour. La difette de farine & de poudre a canon fut fi grande, qu'on imagina un expediënt fmgulier pour s'en procurer. Des hommes, vêtus légérement, avec des facs attachés au cou, deux piftolets a, la ceinture & de longues perches a la main, allerent en chercher, franchiffiint les foffés Sc les fondrieres a travers les fentinelles ennernies. Tous ceux que les Efpagnols arrêtaient étaient pendus a la vue des remparts. Ces cruautê.s ne faifaient qu'aïgrir les affiégés. Ceux - ci crurent braver I'ennemi en trainant les ftatues des faints fur les remparts pour boucher les breches faites par le canon des Efpagnols, en lfe couvrant d'habits facerdotaux & en formant des proceffions oü ils s'amufaient a outrager les images & a les couper en morcaaux, avec de grands éclats de rire & des railleries piquantes. Après avoir confommé tous leurs vivres, les affiégés fe virent réduits a faire du pain avec de la graine de chenevis & de rave, & de manger la chair des chevaux, des chiens Sc des chats; vers les derniers jours ils devorerent les cuirs & jufqu'aux fe-  de Carthage j ils foutinrent ces ficgcs avec un courage & un héroïflnc, néceffaircs dans ce tems melles de fouliers. Plufieurs pales & décharnés tombaïent dans les mes, morts d'inanition. A la fin, ils prirent la réfolution défefpérée de s'ouvrir, les armes a la main un paflage a travers les enncmis. Mais les femmes Sc les enfans craignant d'être abandonnés, pouflerent des fanglots Sc des cris affreux ; il fut donc décidé qu'on les placerait au centre & qu'on tenterait une fortie générale. Alors Fréderic , craignant les efFets du défefpoir de tant de braves gens , leur fit favoir qu'ils pouvaient encore efpérer des conditions favorables, s'üs fe rendaient fur Ie champ. Dans cette extrémité la ville fe rendit a difcrétion, après avoir racheté Ie pillngc, moyennant deux eens quarante mille florins. Ainfi finit ce fiege mémorable qui avait duré prés de fept mois. (6) Rcquefens, qui venait de remplacer le duc d'Albe, entreprit le fiege de Leyde, en 1574. Ce fiege, qu'il avait conf é a Baldes , avait a peine duré un mois, que les affiégés fe virent obligés de regler la confommation des vivres, en ne délivrant qu'une demi-Iivre de pain par jour a chaque perfonne , les gens de garde feuls exceptés, a qui 1'on en diftribuait une livre entiere. Cependant ils ne tarderent pas a éprouver toutes les horreurs de la plus cruelle famine. Le mécontentement & la divifion ayant foulevé les habitans , ïls demanderent des vivres avec des cris tumultueux. Le bourguemaitre Pierre Adriaanszoon van der Werf, a qui une troupe de mutins faifait la même demande, eut le courage intrépide de leur pffrir fon propre corps; partaSez-le entre ■ vous, leur dit ce généreux magiftrat, &• qu'il vous. frrve de nourriture. Ce trait héroïque de ce vrai pere de fon peuple, couvrit de confofion les mutins & ranima le courage des ei-  X 13 X critique, pour montrcr a leurs ennemis a quels hommes ils avaient affaire. Des faits comme toyens. On les vit courïr fur les remparts & crier aux Efpagnols (qui les avaient follicités de fe rendre).que, plutót que de fe voir forcés par la famine a leur livrer la ville ils fe mangeraient le bras gaucfie, & fe ferviraient du bras droit tour fe défendre ou pour mettre le feu d la ville, af.n de s'enterrer fous fes dêbris, lorfque tout efpoir leur ferait ravi. Ce courage prodigieux était aiguillonné par les exhortations. des femmes, qui redoutaient moins la famine que le déshonneur. Sur ces entrefaites la ville était dans la plus affreufe difette. Plufieurs n'avaient, de fept femaines, gouté de pain. La cbair des cheraux , des chiens & des chats était un mets delicieux; on dévorait des cuirs hacbés , des peaux de poiflbn fee, des os ramafles dans les rues, des feuilles d'i.rbres, enfin tout ce qu'un befoin urgent peut imaginer de plus dégoutant ; on retirait des égouts le fang caillé pour s'en faire une nourriture. Les femmes en couclie n'avaient qu'une demi-livre de bifcuit par jour; celles qui étaient enceintes fe confumaient & périfTaient de befoin; on faifait fucer aux petits enfans des boyaux de cheval; fouvent mêrne on voyait 1'enfant expirer, avec fa mere, fur un fein dcfieché qui ne rendait plus que du fang. Bientöt la pefte, fuite inévitable de cette cruelle détreffc, rempliflant de deuil cette ville malheureufe, enleva fix mille perfonnes, que ceux qui furvivaïent, n'avaient pas la force d'enterrer. Les maux étaient a leur comble, Icrfqu'une tempête, foufflant du nord-oueft, chaffa tout-a-coup & avec violence les eaux de la mer dans les campagnes; la flotte de 1'amiral Boifot, ahondamment pourvue de vivres & de munitions , laquelle ne pouvait avancer depuis quclque tems, eut alors aflez d'eau pour venir au fecours de la ville. Les Efpagnols effrayés du fubit  K w X eeux-ci excitcrcnt enfin l'attention de l*Europ« en faveur des Bataves & leur procurerent cette amitie' & cette affiftance, dont ils s'étaient renduS fi dignes. Cette forcc invinciblc dans les plus dangereufes e'prcuvcs, peut avec juftice êtrc regardée comme un caraftcrc national des Bataves; ils en donnercnt des marqués fignale'es par leur conduitc intre'pidc dans la fameufe anne'c de 1672 , oü rignominieufe alliancc de Ia cour d'Anglctcrre avec celle de France ( 7) femblait pre'fagcr leur accroiflement des eaux & de 1'approche des vaifleaux ennemis, abandonnent leurs forts & fe retirent en défordre. C'eft ainfi que Leyde fut delivrée le 3 oftobre 1574, après un fiege de quatre mois & demi. On ne faurait exprimer la joie que reffentit cette ville infortunée a la vue de Boifot, fon généreux libérateur, qui lui apportait des alimens. Toutes les rues retentifiaient de ce cri: Leyde ejl delivrée! Leyde efl delivrée ! Dieu foit béni ! (7} II fut convenu en 1669 par un traité entre Louis XIV, roi de France, & Charles II, roi de la Grande-Bretagne, que le premier attaquerait les Provinces-Unies par terre avec une puiflante armée, a laquelle le dernier ajouterait fix mille hommes, promettant en outre de les attaquer par mer avec une Hotte d'au moins cinquante gros navires, auxquels le roi de France en ajouterait trente, Comme *es ^eux Jnonar-  X 15 X snnéantiffement total, vü la proximité, le pouvoir & la haine inve'te're'e de ces puiffans adverfaires. L'Anglctexre acque'rait & avait prefque obtenu une fupe'riorite' complette fur mer. La France, par le grand nombre de fas troupes & 1'excellence de fes ge'ne'raux paffait pour une puiffance irre'fiftible fur tcrre. Les Bataves fe trouverent enfenne's en quelque manicre, entre deux aflaillans, dont 1'un, quoique prince adonne' aux plaifirs, avoit des picques particulieres d'une nature propre a 1'aiguillonner & a 1'animer contre eux, & des hommes d'une habilete' & d'une bravoure inconteftable pour feconder- fon animofité, 1'autrc était un monarque ambitieux & fanatique, qui fe croyait autorifé par fa religion & qui était inftigé par 1'adulation de fes miniftres & de fes fujets a renverfer cette république floriffante. ques ne doutaient pas du fuccèsde leur projet,ils partagerent d'avance lesconquêtes qu'ils méditaient. II fut ftipulé que le roi de Ia Grande-Bretagne aurait la Zélande pour fa part, & le roi de France le refte des Provinces-Unies, a 1'exception de la Hollande que 1'on céderait au prince d'Orange, s'il voulait entrer dans cette alliance. Avec quelque fecret que ce traité fut conclu, les Etats-Généraux ne tarderent pas a en avoir connaiiTance ou du moins a Ie foupconner.  ' X is)( • Dans cette extremité, que rien ne put outrepafïer ou égaler, fi ce n'eft les difficultés primitivcs, qu'ils avaient énrouvées dans la première formatiön de leur état, ils fe comportcrent avec une. fermete & une prudence qu'aucun peuple ne furpafla jamais. Pouffés au comble du défefpoir , ils ne perdirent pas cette préfence d'efprit qui ne fe décourage jamais tant qu'il refte une lueur d'efpérancc: ils fe conduifirent comme les Romains, lefqucls après la défaite de Canncs , conferverent toujours ce fang-froid intrépidc, qui fit voir qu'ils n'étaient pas entie'rcment défaits & au moyën duquel ils continucrent a dcployer partout leurs génércux efforts. D'après eet exemple, les Bataves refterent inacccffiblcs a la crainte & ne témoigncrent aucun embarras dans toutes leurs déliberations & mefures. Quoique les armées Frangaifcs & les flottes Anglaifcs les environnaffent de tous cötés, quoique les premières euffent. pénétré dans le cceur de leur pays ( 8) & que les dernicres af- fiégcaf- (83 II efl ici queftion de la fameule campagne de 1672, oü les Francais pénétrerent prefque jufqu'aux portes d'Amfterdam. On dirait que le comte d'Eflrades avait deviné tout Je projet de cette campagne, ou plutót que Louis XIV en ' avait  X i7X fiégeaffent leurs eótcs, ils eurent le courage & Ia conftancc -de tenir ferme, & do ne ricn céder avait reglé le plan d'après une lettre que eet ambafladeur luiécrivit de Vefel, le 17 Juin 1672. Voici 1'extra'it de cettè lettre qui ne iaiflera aucune doute fur les deffeins qu'avaic alors le roi de France. „ — Je recois tout préfentemenc „ des avis que le peuple de la'ville d'Ütrecht a pris les ar,, mes contre ceux qui voulaient faire fortir leurs effets 5t „ leurs hardes, & même qu'ils lés ont pilléV. Il y a dans „ cette ville plus de 6000 catholïques, dont les principaux „ font de ma connaiflance, le^uels fe voyant foutenus par „ 1'armée de votre majefté ne me laiflent pas douter qu'ils „ n'ébranlent le refte des peuples, qui connaitront facile„ ment qu'ils ne peuvent être maintenus par les Hollan. „ dais, qu'en leur fournifTant des fubfides qui les ruïneront. „ Ainfi slis peuvent un jour lauver leurs Mens & leur li„ berté , Ton peut juger qu'ils traiteront avec votre fcajeHé „ 5c qu'ils fe donneront a elle. " . » Par Ia Prife de cette ville Qd-Utrecht} votre majefté re„ duira la Hollande a tout ce qu'elle voudra, en ne perdant „ pas de tems, Sc envoyant un corps de troupes pour fe „ faifir de Muiden oü font les éclufes, d'oü il poura pouffer „ jufqu'aux portes d'Amfterdam fous rien craindre Sc 1'obli„ gera même a traiter. " „ Ou en peut faire de même a 1'égard de Woerden, qu'un ,, autre corps peut emporter, 5c marcher enfuite a Swam„ merdam, & de-la a la ville de Leyde, laquelle voyanc „ les paffages Hbres, aimera beaucoup mieux traiter que „ de Iaifler ruiner fon territoire. "  X * s X comme perdu; ils pourvurent égalemcnt k la défcnfe & a la prote&ion des places, qui leur re- „ ConnailFant la manïere du gouvernement de Hollande, „ comme je fais depuis plufieurs années , j'en puis parler a votre majefté avec plus de fureté qu'un autre, & lui dire ,, que préfuppofë qu'elle s'empare d'Utrecht & des lieux ci, deflus marqués, elle poura abolir la république & faire en deux mois ce que toutes les puifiances du monde n'au- raient pu faire enfemble. " „ Pour m'expliquer mieux , Sire , je dirai a votre Majefté „ que, par la-prife d'Utrecht, avec ce qu'elle occupe déja , „ elle aflujettit les provinces deGueldre, d'Overiffel & d'U„ trecht; que celles de Frife & de Groningue peuvent être attaquées par fes alliés ., dcforte qu'il ne „ reftera plus que la Hollande & la Zélande." „ La première peut être divifée par 1'intérêt propre des „ villes, lefquelles étant fouveraines n'auront pas de peine a fe fouftraire de 1'autorité des Etats-généraux , quand el„ les verront qu'on leur confervera leurs privileges, que le „ magiftrat gouvernera le peuple comme a 1'ordinaire, & „ que leur commerce Sc leurs revenus demeureront, für le même pié qu'ils font apréfent, a la referve d:s prétentions ridicules que les Etats s'attribuent fur Ia nier, qui „ feront reglées fuivant 1'intention de votre majefté. " „ i- Amfterdam a des démêlés pour les digues, „ paturages & pour les eaux avec les villes de Harlem & de „ Leyde. " „ Rotterdam en a avec la ville de Dort pour des ^rétintions de commerce, des ifles & de eertains villages qui font en contettation. "  X ip X ftaient cncore, ainfi qu'au recouvrement de tout ce qui leur avait été arraché de force par 1'enncmi; ajoutez a cela cette fiere indignation avec laquellc ils rejetterent les bafles propofitions de „ Tout cela fera que celui que votre majefté laiflera £ „ Utrecht avec le commandement, fomentera la divifion ou „ 1'appaifera, felon qu'il conviendra pour les intéréts de 3, votre majefté.". „ Les villes de Nord-Holïande fuivrönt celle d'Amfterdam, „ deforte qu'il ne reftera plus que la Zélande, qui conferye„ ra fa fouveraineté a part & qui ne pourra pas fubfifter fans „ le commerce & 1'appui de la France & de 1'Angleterre. " „ Ce qui reftera des autres places aux Etats, comme Eois„ le-Duc , Grave, Heusden , Bommel & les forts qui en dé„pendent, Breda, Berg - op - Zoom & Maftricht tomberone „ d'elles-mêmes, n'étant plus appuyées des grolfes villes de „ Hollande, & ne pourront pas réfifter aux armées de votre „ majefté, lorfqu'elle jugera 3 propos de les attaquer; les „ armées de terre & de mer des Etats refteront fans paye5, ment . ". „ Par ce moyen la république & la forme du gouvernement „ feraient entïérement ruinées & abolies j & ce fera le plus *f 2rim!i exemple de chatiment qui fe foit jamais vu & que „ la poftérité regardera comme un ouvrage digne de la gran„ de puiffance de votre majefté ——— ". Ainfi penfait le comte d'Eftrades, qui fuivait alors 1'armëe Francaife, laquelle avait déja conquis depuis le i jufqu'aa 9 juin, Orfoi, Burick, Vefel, Rynberg, Emroerich, Rees fe Deutichem. R 2  X co )t paix, ou plutót dc fervitude, fakes par 1'orgueil* leux ufurpateur qui s'imaginait que leur de'treffe les avait fuffifamment.difpofe's a les accepter: ajoutez (cc qui cft plus encore) la grandeur d'ame inébranlable qui leur infpira cette re'folution, auffi feéroïque qu'incomparable, d'abandonner, plutót que d'embraner 1'efclavage, leur propre pays natal, & de fe tranfporter cux-mêmes , leurs femmes, leurs enfans, leurs families, en un mot toute la nation, a travers 1'océan, aux extrémite's les plus lointaines du globe. Un deffein fi etonnant ne pouvait être coneu que par des partifans enthoufiaftes de la liberté, dans la caufe de laquelle cette efpece d'euthoufiafme fut vraiment fublime & fit rejaillir le plus grand honneur fur ceux qui en étaient fufceptibles. Ce fut ainfi que les Bataves e'tablirent leur iiide'pendance malgre' la tirannie de 1'Efpagnc & qu'ils la maintinrent contre 1'ambition de la France. Leur réfiftance dans 1'un & 1'autrc cas fut accompagne'e des plus grandes difficultés & il en réfulta par conféquent une gloire infinie pour eux. La première circonftance les avait rendus affez célebres, mais la feconde ajoufa un degré de renom beaucoup plus confidérable;  X 2i x i raifon de la forcc fupe'rieure des ennemis combines qu'ils eurent a combattre, ainfi que du courage invincible & des cfforts prodigieux qu'ils manifefterent en s'oppofant a une ligue fi puifiante & en renverfant fes projets. Tel cft en ge'ne'ral le portrait des habitans des fept Provinces - Unies , peuple, comme dit Thompfon au fujet des Ecoffais, inflruit dans Vêcole du malheur a des exploits. hardis (9) & on peut ajoutcr avec autant de verité, infiniment digne de Ia profpérite' qu'il acquit & gouta fi long-tems. Cette profpérite ne fut point Ie réfultat d'evénemens purement fortuits, mais la conféquence naturelle & néceffaire de plans fagement formés & courageufement exécutés: heurcux, fi le génie, qui préfida fur, eux, n'eut point été récemment opprimé par, 1'efprit de faction &c d'inimitié domqftique!- Ce qui rend le fuccès de ces plans plus admirable, c'eft qu'ils furent formés, conduits, exécutés au milieu de guerres périllcufes & difpendicufes, & non durant la tranquillité, Je loifir. C 9 } In misfortune's fcbool trained up to bardy deeds, B 3  X m X & Ia fe'curité de Ia paix, le feul noment oü les autres nations ont tourne' leur attention vers des projets de cette nature. Les Bataves femblent avoir rempli au fuprême degré cette maxime d'Horace: rien n'ejl fiU dejjus de la portée des mortets ( x o). Louis XIV attachait une haute ide'e a forcer la nature a Verfailles; que devons - nous donc penfer des vifloires continuelles remporte'es par les Bataves fur 1'oppofition conftante qu'ils e'prouverent de la part des e'le'mens dans les diverfes entreprifes furprenantes qu'ils ont complettement cxécute'es chez eux, prefque contre leur proprc attente: oppofition la plus puiflante & la plus de'courageante, vu qu'elle n'aura ja-, mais de fin & qu'elle demande une égale continuité d'efforts, non pour la vaincre, ce qui cft impraticable dans la nature des chofes, mais pour 1'empêcher de vaincre. £10) NU mortalibus arduum,  X 23 X Fitcaifn a dccrit d'une maniere ' Jublime cette iutte des Bataves contre la nature. Tellurem fecere dei, fua littora Belg, Voulant faire flcurir le commerce & ïcs manufactures, les Bataves furent les modeles C13) Suljy anima & protégea l.'induftrie, mais il U fit toujours marchcr après" 1'agriculture. „En obfervant les na„ tions (dit Mr. Thomas dansl'Eloge de ce grand homme) „ ïl avait vu Var prendre fa fource dans ie Pérou, dela fe „ répandre dans l'ancien monde, une partie aller s'engloutïr „ dans les Indes, la plus grande portion refter en Europe; „Ia ce fleuve. immen.fe emporté d'un mouvement rapide, „ circuler fans ceffe, mais dans fon cours fe dé.tourner des „ climats ftériles & couler par uue pcnte. naturelle fur les U t",y8'qne ï'^riculture rond föcono's. II jugea dès-lors que » Ie produit des terres'cft Ia véritable riche/Te ; que ie trafic „ peut enrichir de petits états, mais que le commerce de „ propriété ccnvient feu! a une grande monarchie: il n'en,,.couragea donc que les manufaflures de laine,- foit parcequrétant Iiées a la nourriture des trcupeaux , elles devien„ nent encore pour les terres une nouvelle Cource de fécon„ dité, foit parceque le principal avantage de 1'induftrie „ étant. de. donner une valeur aux denrées en facilitant la „ confommadon, les manufactures les plus groffieres font „ auffi les plus. utiles. " Sully s'oppofa aux manufactures de foie. Doit-on le louer ou le blamer ? Ceux qui jugent de la profpérite d'un état-par fon éclat apparent; ceux qui croyentque Ie luxe & des tiflus d'or& d'argent font la grandeur & Ia richefie d'une nation, blameront Sully. Mais ceux qui percent 1'écorce pour pénétrer dans 1'intérieur des états; ceux a qui 1'cxpérience apprend que le luxe des foie* fait tomber les Iaines; que de lavilifiement des laines s'enfuit Ia diminution des trcupeaux ; que pour gagner quelques millions a fabriquer & a vendre de belles étoftes, on perd des miiliarts fur le produit des terres ; ceux-la feront enclins a louer Sully. c. - : B 5  X *6 X qu'il honora de fon imitation. II adopta leurs maximes & leurs regiemens dans 1'inftitution dc diverfes branches d'adminiftration & recompenTa libéralcment ceux d'entr'eux qui s'e'tablirent pcrfonnellement dans fes états, & contribuerent a 1'avancement de ces louables dcffeins. Les traces de ce monarque, le meilleur & le plus grand des rois de France, furent fuivies avec non moins de fuccès par les célebre Colbert (14), fous le regne de Louis XIV. (14) Colbert protégea exclufivement les manufactures, auxquelles U donna le premier rang dans 1'ordre économique, s'occupant peu de 1'agriculture; en quoi il différa de Sully. Les arts & métiers ne font que les moyens d'ouvrer la matiere première que fournit 1'agriculture. La fabrication n'elt iitile qne par le prix qu'elle donne & le débit qu'elle procure aux produits des terres. Telle était la maniere de penfer de Sully. Colbert prït une route différente. „ Le commerce „ ( dit encore Mr. Thomas) fut protégé par les deux minl- flres; mais 1'un voulait le tirer prefque tout entier du pro- duit des terres , 1'autre des manufactures. Sully préférait, „ avec raifon, celui qui, étant attaché au fol, ne peut être partagé ni cnvahi. & qui met les étrangers dans une dé„ pendance nécefHiire : Colbert ne s'appercut pas que 1'autre „ n'eft fondé que fur des befoins de caprice ou de goüt, & , qu'il peut pafler, avec les artifles, dans tous les pays du monde. Sully fut donc fupêrieur a Colbert dans la vérita„ ble connaiffance des véritables fources du commerce.';  >C -7 X Dans un tems poftérieur, ce prodige de diligence & d'a'ctivité, le fameux Pierre I (15), Czar de Mofcovic, fit de la Hollande le principal objet de fon attention, lorfqu'il imagina & pourfuivit ces grands & falutaircs plans, qu'il avait forme's pour 1'avantage de fon vafte empire, Ces faits peuvent étre confidérés comme autant d'hommages rendus par des héros a la lage/Te & a Ia politique fupérieure des Bataves. (15} L'année 1697 ell mémorable par le voyage que fit en' Hollande Pierre I, furnommé le Grand, Czar ou empereur de Raflie. Voulant donner une marine a fon empire & réfléchiffant que fes fujets, encore a demi barbares, ignoraient Jufqu'aux élémens néceflaires a la conftruöion des vaiffeaux, il arait réfolu de s'en inilruire lui-mëme. Pendant fon féjour en Hollande, qui fut de plufieurs mois, il travailla de fes propres maïns, dans les chantiers d'Amfterdam, a Ia charpente des vaifleaux, fans vouloir permettre que les ouvriers, dOnt il était devenu le compagnon, le nommaffent autrement que Pierre (Pieter). C'eft ainfi que ce fondatcur d'un nouvel empire allait chercher chez 1'étranger les connalfiances qu'il voulait tranfplanter dans fes états. * * *  CHAPITRE II, Zes Provinces-Unis proprts feutement pour let yoyageurs d'une claffe philofophique. Rapide accroiffement de leur profpérité. Cette profpérite fculement égalée par celle de l'Angleterre. Facilitê de s'établir dans les Provinces-Unies. Cau*. fes de leur population fjf de leur opulence. Aceueil hofpitalier fait dans les Provinces-Unies a plujieurs perfonnages iüufircs. Les Bataves, remarquables par leur efprit de tolérance reli-^ gieufe. Son utilitè pour Vétat. ffl n'y a point de pays oü un voyagcur judicicux trouvera plus de fujets de fpe'culation inftructive que dans les Provinces-Unies (16). ( i6") Ce paysne reftemble en rien aux autres contrées de I'Europe. Dans les Provinces-Unies, tout annonce au voyagcur la richeflè & 1'abondance^générale des habitans. En y arrïvant par 1'Allemagne, cette richeffe & cette abondance s'y font d'abord remarquer dans la Gueldre, qui Favoifine, i la quantité de beaux villages, a la propreté des maifons & rues, a rhabillemcnt, a 1'air même du payfin , de 1'artifan & de l'oüvrier. Mais è. mefure qu'on s'éloigne de cette fertile & riante province pour s'approcher du fol marécageux & inondé , du ciimat épais & hiimide de la Hollande, 1'étonr.crr.c:?t augmente de plus. en plus. Les villsges y font aufll  X '9 X A 1'cxceptidn de ces individus qüi cou'rcnt' ie monde uniquement par piaifir & par maniere d® paffe-tcms, perfonne ne peut s'empécher d'être frappe' d'admiration & de refpecl pour leurs habitans : on peut dire avec vérite' que tout ce que 1'adrefle humaine eft capable d'exe'cuter, a été d'une maniere diftinguée achevé dans ce pays. grands & même plus proprfcs que ne font dans Ie refie de 1'Enrope les villes du fecond rang. La maifon de chaque payfan efl riante & bien cntretenue ; devant, eft un petit jardin a fleurs; & derrière, un grand jardin potager, le plus fouvent eft un verger a cöté. La font des maifons & des jardins de plaifance, qui conduifent a la ville. La font des prairies immenfes oii paiiTent des vaches, des moutons & des chevaux. Mais' la fatisfaaion Ia plus grande pour 1'étranger qui a des fentimens philantrophiqucs , & qui a en horreur 1'oppreffion & les vexations de la tirannie, c'cftdevoir que dans ce pays les payfans font la clafle la plus heureufe & a proportion de leurs befoins, la plus riche des habitans; ces payfans n'ont d'autres occupations que de foigner leurs beftiaux, de chercher a placer furement ou a employer avec avantage 1'argent que leur bétail leur fait gagner, de boire leur thé & de fumer du tabac. Souvent même ils dédai'gnent de faucher leurs prairies; ils font venir des Alle-mands & furt'out 'des Weftphaliens, qui les exemptent de ce travail, ainfi que de tous les autres fervices les plus vils & les plus pénibles, & qui enfuite s'en retournent chez eux, chargés d'argent que des barons, des moines, des •ih'anoines &'c. &c. ne manquent jamais de leur srracher ïnfenfiblement & fouvent même trés fenfiblement.  X 3° X C'était 1'avis de Themiftocles que la plus forte preuve de capacité confiftait a aggrandir un petit état. Conformément è cette opinion, la réputation, que ce grand homme fe fit dans fon tems, réfulta beaucoup moins de fa vi&oire k Salamine fur les Perfes & de la liberté de la Grece qu'il de'livra de ces ufurpateurs , que du rétabliffement d'Athenes & des mefures par lefquelles il jetta les fondemens de la confidération & de la fupériorité que fes compatriotes acquirent fur les autres républiques de la Grece. Suivant cette obfervfttion, quel nombre d'habiles hommes d'état doit avoir contribué a 1'etabliiTement des Bataves, dont les commencemens , comme leur propre devife (17) 1'indique vraiment, furent fi faibles, dont l'accroiiTcmcnt en force & en confidération fut fi rapide, & dont la confiftance dans Tune & 1'autre a été de fi longue durée! L'Union des fept provinces eut Heu cn 1579.' Au commencement du dix - feptieme fiecle, elles (17") Concordia res parvee crescunt , c'eft a dire, lts petitn Cbofes troijjint par la concorde.  X S.i X avaient acquis un tel dcgré de force & de réputation, que 1'Europe les regardait déja comme une de fes principalcs puiffances. Leur commerce & leurs richeffes s'étaient accrüs a un tel point, & 1'influence, dont elles jouilTaient. en confe'quence, était fi grande, qu'elles traitcrent fur le pied d'égalité avec les plus grands princcs & que leur alliance était univerfellement recherchée (18). Quoique la plupart de leurs voifins ayent fuivi leur exemple dans la culture du commerce & dans 1'encouragement de 1'induftrie, cependant les Eatavcs rcftcnt toujours fupérieurs, a ce doublé égard, a tous leurs rivaux & imitateurs , a 1'exception feulement des Anglais; nul autre peuple ne peut prétendre a entrer en concurrcnce. II n'y a point de pays oü la facilité de s'éta- C18) Si les dix-fept provinces des Pays-Bas fufTent reftées «nies, & euffent formé, comme elles 1'auraient pu, fbus Vétendartde la liberté, „ne république, elles compoferaient aujourd'hut un des plus puiffans corps poli:!ques de 1'Europe. Quon en juge par la force qn'ont acquife les fept provinces q«i font reftées üdelles a 'la liberté. Leur union n'a pu être rompue par tous les efforts de la vengeance, ni affaiblie par tous ceux de 1'intérét particulier.  X 3= t blir foit fi peu gênéc par des raifons natiónales , civiles ou re'ligieufes (19 ). Tout le monde y eft en quelque forte bien veniv, & la participation a tous les privileges cft affurec a un chacun par la genércufc hofpitalité du gouvernement, qui admct avec une aiTurance liberale a fa confiancc & a fon fcrvice les individus dc toutes les contrées. Dcla ce pays a ece abondammcnt pourvu de" membres utiles a la fociéte', dc toute dénomina'tion. Scs villes ont éte pcuplees dc marchands & de gens d'afiaircs , fuyant les endroits oü ils e'prouvaicnt des opprcfiions impolitiqucs en matiercs de confcience ou de gouvernement. De parcils acles d'injufticc ne contribuerent pas moins a remplir les arme'es d'oflïciers & dc fo!dats excellens de tous les pays. Ainfi la violation des droits communs de Phu- manite', (^19^ Le bonheur d'un état dépend autant de la liberté réligieufe que de la liberté civile. Les annales des gouvernemens, qui ont refuré a 1'homme Ia liberté de confcience, font fouillécs de crimes, que n'offre point aux leöear«i'Wlloire de Ia république Batave.  X 33 X ifianité, qui avaient été la caufe de l'infurfeclioa primitiye des Bataves contre un fouverain tirannique, devint auffi une fource de population pour leurs provinces & on peut la confidérer comme le principal1 canal qui' tranimit dans leurs mainS' la richeffe & la force des autres états (20). Dans les premiers tems de la république, ïs' perfécution fit refhier dansles Provinces - Unies les habitans & les tréfors du Brabant & de la Flandre, contrées les plus commercantes & les plus Bpulêntès dc 1'Europe. On peut attribuer ï'origine dc la profpérite & de' 1'opulencc des? (20} Dans Ie cours des guerres que les Provinces-Unies eurent a foutenir contre 1'Efpagne pour la défenfe de leur liberté, il y accourut de tous cötés une foule de manufafluriers Sc d'artifass pour. y j.ouir de la liberté de confeience que I'jmbecillité cruelle des .tirans., 1'inté.êt Sc le fanatifme du clergé, la rage & 1'ignorance des rtioines prétehdaient leur ravir. Les villes du Brabant & de la Flandre fe dépeuplaient a mefure que les Efpagnols les faifaiein tornber fous leur joug & les privaient de leurs privileges. Ces villes un moment auparavant fi floriflantes dépérirent a' vu'a d'oeil parl'émigradon continuelle de leurs habitans les pfft'jf «nduftrieax, qui refugierent dans les ProYinces-Unies^ c 1  X 34 X Bataves a la chute de Gand, de Bruges & d'Anvers. Leur grandeur s'éleva rapidement fur les ruines de ces villes infortune'es par 1'affluence d'une infinité de riches citoyens & de négocians induftrieux, qui avaient habité ces places jadis floriflantes & qui défertaient en foule pour fe refugier dans un pays de liberté & de fureté. La guerre de trente ans (ai) en Allemagne prdcnra aux Provinces-Unies un pareil fecours d'hommes au milieu du dix-feptieme fiecle; lorfqu'une infinité d'individus fe déroba aux fcenes de defolation dont ce malheureux pays fut fl long-tems le théatre. La révocation de 1'édit de Nantes(a2) qui priva C*0 Adolphe Brachel, qui a «crit l'hiftoire de Ia guerre de trente ans, s'exprime ainfi au fujet de ces tronbles funeftes qui ont défolé I'Allemagne : Turborum autbores printipefque citius quam caufas eorum nperias: nam Mos ipfa lux, liter*qu, 6" facinora produnt; bas in abdito peSorU Mas atque alias non «qui agmmris, turn f*pius premanmr pudore, meluque infomi le rem'ede efl; venu trop tard, Vrincipiis obfta , fero msdecina paratur, Ca  X'tsgX te, mais moins confidérable. Quoique les pair-»' tifans..& les fauteurs de 1'efclavage appellent cette république la retraite du rebut & de- la- lie de 1'Europe, elle cft fouvent devenue', dans les tems moderncs, 1'afüe.de quelques uns des plus illuftres perfonnages. Ce fut dans le.s'Provinccs-Unies que le brave; mais malheureux, Fre'déric (23) e'lecte.ur Palatin, trouva un afile honorablc pour lui-même & pour fa familie, après fa mauvaifc fortune en Bohème & fon expulfion de fes e'tats héréditaires, & (ce qui" était plus chagrinant) après avoirété abandonné dans fa caufe par fon beaupere, Jacqucs I, roi d'Angleterrc. Cc fut dans les Provinces-Unies que le peut* ( 23 ) Les troubles élevés en Allemagne au fujet de FrédéJ rïc V, Eleeteur Palatin, qui briguait la couronne de Bohème engagerent, en 1620, les Provinces-Unies dans une guerre oü il ne fe paffa rien de fort confidérable de la pare de cette république. Toutefois 1'infortuné Frédéric ayant «té obligé de fuir, les Etats-Généraux envoyerent un detachement de cavalerie au devant du prince fugitif, que fon vit arriver a la Haye, avec fon époufe & fes ïenftns, au Wis de IWars 1611.  X 37 X Ris de ce monarque, Charles II (24) «Sc fbn frerejacques (25) recurent un a:cueil & une (24) Cronwel ayant forcé Charles II de fe fauver de Ja Grande-Bretagne, eet infortuné monarque pafia d'abord en France, enfuite dans les Pays-Bas, oü i( ne trouva un affle affuré qu'a 1'occafion de la rupture entre 1'Angleterre Sc 1'Efpagne. Pour être a portée de favorifer les projets de les partifans, il fe tenait ordinairement a Cologne ou a Bruxelles. II fit pluCeurs voyages a Breda Sc en Hollande, pour conférer avec la princefTe d'Orange, fa feur; mais' dans le plus grand incognito, vü que les etats - généraux avaient des ménagemens politiques a garder avec Cromwel. Celui-ci étant mort en 165S , on vit s'accroitre Ie nombra des partifajis de Charles II. On fait comment Richard, flls de 1'ufurpateur, n'ayant ni la fermeté , ni 1'audace de fon pcre, fut obligé de renoncer au Proteftorat, & avec. quelle rapidité le général Monk, affifté de 1'armée, fit rétab'lir 1'autorité royale Sc rapeller Charles II fur le tró'ne de fes ancêtres. A la nouvelle de cette reyolution , Charl&s partit de Bruxelles pour fe rendre a Breda, d'oü il fe Iendit a la Haye pour pafler en Angleterre fur la Flotte qui I'attendait a Scheveningen. Les Etats Généraux & ceux de Hollande s'empreflerent auffitöt d'envoyer a Breda pour féliciter le monarque. Les Etats de Hollande 1'inviterent en particulier de venir dans leur province; on 1'accabla de tant d'honneurs a Breda, qu'on n'aurait pu s'imagïner, dit le chancelier Clarendon, qu'il n'y avait que peu° de jours qu'on lui avait défendu de yenir dans cette ville. C2;) Jacques, fuccefilur de Charles II, fon frere, étant enoore Ouc d'Yorck, fut mis, après la prife d'Qxfgrd en C 3  X 38 X afiiftancc d'autant plus finguliers & plus remarquables, qu'il était alors cxtrêmement dangereux de les accorder. Pour defcendre des fouverains a des individus partieuliers, ce fut dans les Provinces-Unies que quclques-uns des plus beaux efprits & des génies les plus célebres du dix-feptieme fiecle fe retirerent pour fe inettre a couvert de la méchancctd & de la perfecution, & fe livrer en füreté k 1'étude des fciences & de la philofophie. Ce fut dans ce pays que le célebre Defcartes (26) écrivit la plupart des traités qui ont immortalifé fon nom & fait rejaillir tant d'honneur fur la France pour lui avoir donné naiffance, quoiqu'elle refufat de reconnaitre fon mérite jufqu'au moment 1646, par Ie parti rebelle des Parlementaires fous la garde du comte de Northumberland; alors il fe fauva en Hollande, déguifé en fille, auprès de fa fceur la princefle d'Orange. (26) Defcartes (>é a la Haye en Touraine) pour étudier & approfondir les principes de la nature avec plus de foin & de tranquillité, fe retira piés d'Egmont en Hollande & en plufieurs autres lieux des Provinces-Unies, oü il s'appliqua, pendant plus de vingt-cinq ans, avec une ardeur condnuelle a rechercher la vérité Sc a compofer des ouvrages qüi ont rendu fa mémoire immortelle,  X 29 X oü il ne fut plus. Ce fut auffi dans les Provinces-Unies qu'une foule d'e'rudits & de favans les plus illuftres que la France ait jamais produits, trouva 1'hoipitalité & la protection, qui leur e'taient refufe'es chez eux par le fanatifme du tems. Un janicon (27), nn Bafhage (28), un Sauna (29) & furtout un Bayle (30) étaient fa? } Janicon, né aParis,s'étant fixé dans les Provinces-Unies, travailla fucceffivement aux gaïettes d'Utrecht & de Rotterdam. Malgré Ia liberté de penfer & d'é-rire qui regnait alors, il iprouva dans cette entreprife des défagrémens qui I'obligerent de fe retirer a la Haye, oü il devint agent du Landgrave de Heffe. II eft principalement conna dans Ia littË »i sf» ,«Ti»K «t A <•*••' t '■ ■ ■ ■ h ï MMKi' : •• "fi. vcm-i**»} "t 1 »n j"j :S:rr'+fK)'( ^irjff>»H On en a tiré une conféquence d'avantagc ijgnalé pour 1'état;- plus d'un politiquc confommé fut inüruit a cette école de fageffe & dc fcience, formée par le commerce conftant des principaux membres de la république avec les plus habiles négociateurs de toutes les cours de 1'Europe ; dela s'illuftrerent les Barnevelt, les de Wïtt; leg Heinfius.  X 49 )( Hdnfrus, les Fagel & beaucoup d'autres, trop eonnus pour avoir befoin d'être mentionnés; hommes du premier mérite dans leur pofte & dignes d'ètre cités comme de parfaits modeles de ainiHres & de patriotes. II n'était pas étonnant que 1'état profpérat foiij? de pareils hommes; 1'hiftoire des Provinces-Unies, durant leur adminiftration, prouve amplement combien ils étaient capables de rcmplir la tache qu'ils avaient entreprife. Quand on refléchit a la grandeur ou parvint leur pays, tandis qu'il fut gouverné par leurs confeils, la chaleur d'expreffion avec laquelle on en rappelle fréquemment Ie fouvenir dans les Provinces-Unies eft un trjbut auquel ils ont certainement les droits les plus ■ raifonnables, Gouvernés par le génie & animés par refprit ,de pareils guides, les Bataves, foit en paix, foit ,cn guerre, brillerent d'un éclat diftingué& devinr rcnt fupérieurs a toute autre nation de 1'Europe, en tout ce qui conftitue la folide grandeur d'un peuple. Par de falutaires regiemens au dedans, ils parvinrent au plus haut degré de profpérite D  X 5° X domeftïqite; & par leur conduite judicieufe sx dchors, ils acquirent 1'eftime & le refpeÊt univerfel. Peu de tems après avoir fecoue' le joug de 1'Efpagne, vers le commencement du dix-feptieme fiecle, ils e'taient dcvenus un exemple pour tous leurs voifins dans la fcience du gouvernement intérieur. Par un traitcment honnête & généreux envers tous ceux qui entraient a leur fervice, ils s'étaient procuré 1'état militaire le plus complet qui exiftat dans cc tems. Aucune armée n'était alors comparable a celle du prince Maurice, foit que 1'on confidere 1'habileté des officiers ou la bravoure & la difciplinc des foldats. Les actions de la plus héroïque intrépidité étaient communes parmi eux; tcllc fut, pour n'en mentionncr qu'une feule ontrc un grand nombre, celle de celui qui pria fon camarade, qui était a fes cötés, de le tuer, de peur que lc bruit qu'il faifait en touffant n'allarmat 1'ennemi, que 1'on était fur le point de furprendre ( 35); exemple de magnani- (35) Voïci un trait remarquable de bravoure d'un can9nier, dont Thifloire n'a point tranfmis le nom. Dans 1» guerre que Ie» Etats-Généraux. curent sontre les Anglais ca  - )C 5i )( faité non inférieure k celle d'un foldat Piémon* tais, qui au fiege de Turin, durant la guerre de Xfijs, le capïtaine d'un vaifleau Hollandais ayant voula u~ taquer une frégate Anglaife fut malheureux dans fon projet. Voyant que fon navire était mis hors d'état de ,combattre par 1'ennemi, qui en avait abattu les mats Sc qui montait déj» furie tillac, ce capïtaine fe jetta dans Ia chaloupe, ab4n« donnant fon vaiffeau a la difcrétion du vainqueur. Sur le champ un canonier ayant pris une niëche allumée, defcendit a la chambre des poudrés, en difant: Mes camarades, ftral-ilpq£ible .qu'on fe rinde? mitlons plutSt le feu aux poudres; partd nous ferons tous en liberté. Une réfolution fi hardie effraya tellement les Anglais, qu'ils abandonnerent 'le vaiffeau, qui fut emmené par le pilote dans la meufe4 A ce traït nous en ajouterons trois autres, qui raérïtuns «Tètre connus plus qu'ils ne Ie font. Dans Ie conflit des deux faflions, connuet fous Ie nol» des Uoeck Sc des Cabilliaux, (ce fut au quinzieme fiecle) les premiers, après un trés long fiege, fe rendirent maitresi de la ville de Schoonhoven. Irrités par la réfiftance opiniatre, que leur avait oppofée le commandant, Albert Beiling., ils le condamnerënt a être enterré vif; Beiling follicita Ie délai d'un mois pour mettre ordre a fes affaires; il 1'obtint, Sc, fur fa parole d'honneur, il fut élargi de fa prifon. Lti terme expiré, il y retourna 6> fubit fa fentence. A peu prés a la même époque, ceux d'Amersfoörd, atts«hés a la faction des Cabilliaux, affiégeaient 1'autre parü dans une petite ville. nommée Barneyeld. Jean van Schakelaar & 18 ou 19 de fes compagnons perfifterent les dsrnisrè D s  X 52 X la fucceffion d'Efpagne, fe fit fauter en 1'air ave-c trois eens Francais. i fe défendre dans une églife, qui leur avait été affignée pour pofte. Enfin I'évidente inutilité de leurs efforts forea ces braves gens de demander a capituler. Les Cabilliaux repondirent qu'il n'y avait point de quartier a efpérer pour les afiiégés , f> eux-mêmes ne précipitaïent leur chef des creneaux de la tour. Pénétrée d'indignation & d'horreur, cette petite troupe réfolut de périr', plutót que de fe déshonorer par une femblable atroeïté; mais Jean van Schaffelaar, quï connaiffait 1'implacabie haine de ceux d'Amersfoord , monta volontairement a la tour. Amis, il me faut, dit-il, mxiurir ■une fois ,&]'»' '0lux f°'nt (tre ,a eaufe v°,re Vtrtefe précipite auffitót; les ennemis le recoivent fur leurs tantes, 1'achévent & donnent la vie a fes camarades. En 1662, les Provinces-Unies perdïrent 1'ifle de Formofe, que leur compagnie des Indes Orientales avait conquife en ïóïf. Le fort appellé Zélande tint le dernier. Le chinois Coxinga imagine d'envoyer un de fes prifonniers, nommé Hambroek, pour engager Ia garnifon a fe rendre. Hambroek n'eut qu'a opter entre cette commiffion Sc la mort, & on luï fit folemnellement promettre de revenir. Arrivé au fort, il repréfenté a fes compatriotes qu'ils ne doivent pas défefpérer encore de recevoir du fecours de Batavia; il les décide a ne point écouter la fommatïon de I'ennemi. Ceux-ci le follicitent alors de refter avec eux. Deux de fes filles fe jettent i fes pieds, embraffent fes genoux & le conjurent de ne pas les abandonner; il leur répond: Votre mere, le reflt H0 notre familie , pltflmrt de nos compatriotes font prifonniers avtt mi, A P*'» »«4«e i'e*P°fe Uws iours Pourfaa*  )( 52 X Avec des armées compofées d'hommes ] parmt lefquels des exploits de cette nature n'étaient pas rares, ils furent en état de tenir tête aux Efpagnols fur terre, quoique ceux-ci fuffent commandés par un prince de Parme & un Spinola; tandis que ftir mer il n'y eut aucune rivalité entr'eux & 1'Efpagne; ils défirent, prirent & détruifirent partout fes flottes & s'emparerent de fes établiffèmens dans les parties les plus éloignées du globe, Ces triomphes ne furent pas plus 1'effet de Ia fermeté des individus & de la conduite de leurs chefs , que de la fageffe & de la vigilance qui tracaient leurs opérations & de 1'ordre excellent maintenu dans leurs finances. • i En effet aucun peuple n'cntendit jamais mieux que les Bataves 1'art d'augmenter les revenus ver les mlens! ma parole d'honneur ejl engagie; je veux Is. tarder. Je m'ejlimerai beureux d êire facrifié pour mes frercs. Ces faits prouvent combien Ia nation Batave s'eft diftinguee dans tous les tems par une ïntrépidité héroïque & par une fcrupuleufe véracïté, comparables a tout ce que I3J am nales de la Grece & de Rome nous offrent de plus frappant, D 3  X 54 X publics. Leur économie' fans égale fut le fonds d'oü ils tirerent ces tréfors qui les nut en état, même dans 1'enfance de la république, de .reconnaïtre a tems & d'une maniere importante ?affiftance dc leur protedtrice la reine Elifabeth-, ïorfqu'elle fut menacée d'une invafion (36) par Philippe, roi d'Efpagne, dans la fameufe année de 1588. La pareille époque, dans le fiecle fuivant, ne fut pas moins remarquable; lorfqu'ils reconnurent pleinement les obligations qu'ils avaient h 1'Angleterre pour les avoir délivrés de la tirannie de 1'Efpagne. Ce fut toutefois une noble reconnaiffance, puifqu'il ne s'agiffait pas moins que de la Révolution, pour laquelle la nation Anglaife ne devrait jamais oublier combien elle doit beaucoup aux Bataves. Cet événement eiTaga complcttement la tache imprimée fur leur.,carac~ tere par 1'afFaire d'Amboyne, qui toutefois ne fut que l'acte d'un petit. nombre, tandis que Tafliftance en faveur des Anglais fut Fouvrage des confeils unanimes de toute la nation; mefure (on peut 1'ajouter) oü il fut hcureux pour les Anglais. que les Bataves fuffent auili capables que bicn intentionnés de coopérer fi puiflamment. Voyez la note 32, page 4?.  X ss X Tout le plan de leur conduite fut le même a 1'égard des autres nations. Epiant fans ceffe ce qui pouvait en toutc maniere concerner leurs intéréts , il fé pafla peu d'événemens en Europe oü leur intervention était équitable & propre , fans qu'ils parufient fur la fcene tant pour leur crédit & leur dignité, que pour 1'avantage du parti dont ils époufaient Ia caufe. Ainfi par leur interpofition dans les querellcs entre lc Dannemarck & la Suede, au milieu du dix-feptieme fiecle, la première puiffance fut fauvée d'une rüinc imminente, & plus récemment, au commencement de ce fiecle , la feconde fut elïïcacement protégée. Ils porterent ane égale attention vers les autres royaumes & états : aucun peuple ne conclut jamais de traités plus judicieux ou n'obferva fes divers engagemens avec plus d'honneur ou de fidélité. Ce fut donc avec le plus équitable & le plus raifonnable orgueil qu'ils frapperent cette fameufe médaille dont 1'arrogance de la cour & du miniD 4  )( 5* X ftcre de Louis XIV s'offenfa fans fondement & injufïement (37), Cette me'daille n'exprimait re'ellement pas plus que les Bataves n'avaient effectivement exe'cute''. Les loix défenducs; la religion réformée; des rois ajfiftés, protégés, reconciliés; la liberté des merS fnaintehue ; une paix glorieufè acquifë par la yalcur des armes ; la tranquillitè rétablie en Eur'opë i &c. (38), telles e'taient les expreffions qu'elle contenait & elles étaient conformes a la plus exacte vérité. (37) Après la mort de Philippe IV, roi d'Efpagne, Louis" XIV, prit occafion des prétentions de la reine fon époufe yourentrer en Flandres , avec une puiffante armée; en 1667, ïl s'empara de plufieurs places; 1'année fuivante, il porta fes armes dans la Franche-Comté, qu'il réduifit a fon ohéiffancc, Le roi d'Efpagne & celui de France ayant acceptê Ia jnédiatïon des Etats-Généraux pour la paix, Ie traité en fut traité a Breda. Les Etats-Généraux glorieux d'avoir été les rnédiateurs entre les deux couronnes firent frapper la médaille dont il eft ici queftion. Quelques-Uns ont cru qu'elle fut Ja caufe de la guerre que Louis XIV déclara en 1672 ausf Provinces-Unies, mais la jaloufie y eut Ja plus grande J>art. (3S) ASSRRflS LEGIBUS j EMENDATIS SACRIS'; ADJUTIS, TPEFENSIS , CONCILIATIS REGIBUS ; VINDICATA MARIUM LIBER.JT-ATE; PACE EGREGIA VIRTUTE ARMORUM TARTA; STABIIITA PRBIS EUROPAEI QUIETE &C.  X 57 X Maxé le fait e'tait que la France cherchaït trjj ihotif pour rompre avec les Provinces-Unies, & foute d'un meilleur, elle fit ufage de ce pitoyafale & honteux prétexte entr'autres, en drefiant avec élégance & humeur une lifte des exploits & des opérations politiques de cette république, par maniere de cenfure & de reproche indirecï de fes procédés. Toute 1'Europe néanmoins rendit témoignage a la droiture des Bataves dans leurs affertiohs* Les arcs de triomphe que les Francais érigerent a Paris pour leur roi, en conféquence de fes fuccès paflagers dans les Provinces-Unies, furent tegardés par les perfonnes impartiales comme des monumens dé fon injuftice & de fon ambition effrontée plutót que de fes conqtiêtcs. Le • monarque Fransais & tout le monde ont dü ïavoir qu'il ne remporta ces avantages que fur ün peuple 'pris au dépourvu &t fans défenfe. it fut forcé de les abandonner avec autant de rapidité qu'il les avait obtenus, dès que les Bataves revinrent de la confufion oü les avait jettés une inyafion fi peu provoquée, &z qu'ils fe furent mis en état de défenfe, en érigcant fur un nouD 5  \ X 58 )C veau pied & en augmentant leurs forces, ainfi qu'eH ïétabliffant le Stathoude'rat (39), expédient, dont 1'efficacité était fi notoire alors, que le recours qu'on y eut en 1747, en faveur de la maifon 'actuelle d'Orange, fut un puiflant motif pour porter les Francais a conclurre la paix; vü qu'ils fe rappellerent combien peu avaient réulïï leurs premières tentativcs contre les Bataves, après que eet expédient falutaire eut été employé. II faut obferver que, d'après diverfes confidéra* tions qui ont été détaillées & autres circonftances momentanées, les puüTances de 1'Europe fe font jufqu'a préfent fort intéreffées au maintien dc 1'indépendance des fept Provinces-Unies. La France fcule cft une exception. Depuis la déeadencc de la monarchie Efpagnole (a la ruine de laquelle fa propre politique porta les Francais a contribuer également avec les Bataves) la cour de France a toujours médité 1'acquifition ( 39} C'eft a la France que Guillaumc III & Guiliaume IV ont dü leur élevation au Stadhoudérat, qui n'aurait point été rétabli en l672& cn 1747 , fl les armées Francaifes nefuffent pas entrées, a ces deux époques, fur le territoire des Provinces-Unies. . i  X 5P X des pays, qui forment une barrière néccflaira eiitre ce royaume & la république des Provinces* Unies. •" .: i ;. . Un objet encore plus digne d'obfervation ; c'eft que, malgré la reputation de fagacité poli«que dont les chefs de cette république ont joul fi long-tems &a fi juftetitre k d'autreségards,ils femblent avoir moins d'appréhenfion de la part des Francais qu'une facheufc cxpe'ricnce n'aurait dü lemen infpirer. Les vues & Ie caradtère de cette puiflance ambitieufe font évidemment les mémes qu'autrefois: les Bataves n'ont furement pas oublié 1'arrogance & le traitement hautain qu'ils ont éprouvé de fa part durant le peu de tems qu'elle fut en poflcffion des Pays-Bas Autrichiens, au commencement de ce fiecle. • Entre les différens motifs qui portent les nations de 1'Europe a être bien intentionnées pour les Bataves, il en eft un qui opérera toujours avec beaucoup d'efficacité. Ils 0nt, avec une profonde politique, pris un foin particulier d'établir entr'eux-mêmes & les autres états une Iiaifon d'une telle nature, que les affaires publiques  K 60 )( & privées des uns & des autres font devenuesj dans une variété de circonftances, confondues & identifiées de maniere k ne pouvoir être fe'pare'es fans pre'judice pour les derniers. C'eft un trait d'habilete' d'une' date non récente; ils commencerent k la mettre en pratique non longtems après leur établïffement primitif, en intéreffant dans leurs fonds les principaux individus de 1'Europe; & en rendant leur pays le canal & lc centre de toutes les ne'gociations importantes, en matiere d'argent, entre les différens états & fouverains, & même quelquefois le dépót de leurs tréfors auffi bien que des richelfes de leur? fujets. * * * * * * * * * * *  X €i )( CHAPITRE IV. Induftrie des Bataves dans l'embellijfement de leur pays & dans tout ce qui peut contribuer a l'a~ bondame, a la propreté & è la commoditi: c'eft un des principaux motifs de l''affluence. des êtrangers. Les talens d'une utilité fotide princifalement encouragés dans les Provinces-Unies. ReJJemblance des Bataves & des Carthaginois dans cette particularité. ILes Bataves n'ont rien négligé de ce qui pouvait en aucune maniere contribuer a rendre agréable leur fituation domeftique • afin de remplir ce but, rien n'a été épargné foit du cöté de Part , foit du cöté dutravail; & il faut avoner que 1'un & 1'autre ne furent jamais' employés avec plus de fuccès. Quoique la beauté & les embelliffemens de leur pays foient abfolument le réfultat de ces feules caufes, cependant ils ont été déployés avec tant de gout, qu'ils ne font, ni 1'un ni 1'autre , en quelque facon perceptibles. L'afpect des Provinces-Unies duraiy les belles faifons eft finguliérement floriifant & gai, % fraple fpedlateur «tentif du plus grand étcnne>  ment, lorfqu'ii refle'chit que toute cette fcene bril» lante eft le pur réfultat de rinduftrie, de la fatigue & de la perféve'rance humaine; & que fans une vigilance & un foin continuel, le pays retomberait bientöt 'dans fon premier e'tat d'horreur & de défolation. II n'y a toutefois aucun dan^ér a. eet égard, quand on confidere les peines que prend pour y obvier le nombre de bras employés a garantir chaque endroit de ce pays des ravages des élémens. Dans aucun état le bien général n'eft plus étroitcment lie avec celui des individus dans cette circonftance: il font vivement pénétrés de cette ve'rité, & tout homme en conféquence femble appliqué a procurer a la terre. qu'il habite le dégré de füreté auffi bien que dc commodité & d'amélioration, dont elle eft fitfV ceptible. Auffi en conféquence de ce penchant qui nous porte tous a chérir les chofes qui nous ont couté beaucoup de peine & de follicitude,- ainfi que, par la prédilection naturelle que les hommes ont pour le lieu de leur naiflance, il réfulte que le§  X «3 X Bataves font finguliérement attachés a leur patrie, & y préferent une réfidence a la plus délicieufe fituation partout ailleurs. . Comme par leur induftrie ils ont fait de leur pays le fiege de Fabondance, de la richeffe & de la propreté, on y affluc journellement de tous les endroits de 1'Europe, non tant par des motifs de curiofité que dans un but plus effentiel, favoir le defir de demeurer dans ce pays ' d'opulence & d'avoir part aux avantages attachés aux talens & a la diligence, fous un gouvernement doux & prudent. Comme il n'y a que des perfonnes de cette difpofition qui defircntdes'établirdans un pays oü^le travail& 1'application font les feuls moyens de s'enrichir, les Provinces-Unies n'acquierent d'habitans que ceux qui apportcnt avec eux un fonds d'application & d'aótivité. Ces qualitéï feules font réellement un tréfor immenfe, &, fi nous confultons Fexpérience, elles font généralement dcvenues le principale fondement fur lequö fe font élevées les plus grandes fortunes.  X 64 X Les Provinces-Unies doivent k ces caufes unfi population qui ne diminuera jamais, tant qu'elJes conferver.ont leurs maximes primitives de douceur & de tolérance, & que celles d'une nature contraire continueront d'être adoptécs pat* les gouvernemens des autres nations. II n'eft pas furprenant qu'innuécs par tant dc raifons, des multitudes d'etrangers ayent fixé leur demcure dans un endroit du monde auffi attrayant pour une perfonne prudente; oü un cf-, prit de propreté & de décence embellit chaque objet, & oü 1'on peut trouver tous les plaifirs qui font utiles dans les grandes occupations dr: la vie, A eet égard les Bataves different cffentïcllement de quelques-unes des nations réputécs pour les plus rafinées de 1'Europe, qui, tandis qu'ellcs abondent en chef-d'ceuvres dans les produdtions de Part, ont malheureufement oubiié la culture de la nature & laiffé leur pays négligé & hors d'état de fuffire aux befoins des malheureux habitans : bien plus la perfeótion de ces arts, dans j& fupériorité defquels elles s'enorgueilliffent ü fort  X os X ffies-mëmes, n'eit, felon la fainc raifon, qu'tinë preuve de la le'ge'reté & de la ftttüité d'efprit de ceux qui les favorifent d'une maniere fi exclufivc i elle montre que ceux-ci confacrent leurs tems & leurs moyens a les admirer & prote'ger, de maniere a oublier totalement ces objets infini* ment plus louables, qui auraient pu effecïuer Je bonheur univerfel de toute unc nation. C'eft dans ces grandes branches de feience po-' iitique que les Bataves 1'emportent, de 1'aveu gene'ral, fiir tout le refte de 1'Europe, 1'Angleterre feule excepte'e. C'eft une trifte ve'rite' que jufqu'a une date trés récente la plupart des gouverncmens s'occuperent prefque nniquemcnt des, vues & des intrigues de leurs voifins ou du fbin d'aftermir les rênes de 1'autorité domeftique, & peu de 1'amélioration de Ia condition de leurs fujets. En matieres de ce genre les Bataves ont unc honorable reffemblance avec les Carthaginois, a qui quelques-uns ont jugé a-propos de les comparer dans une intcntion maligne; mais, a 1'cxcepfion d'un petit nombre de cas, les Carthaginois f$3 E  X 66 x rent une nation, a laquelle il n'eitnultement ho»« reux de reffembler. Quelque opprefïive que fut leur conduite a d'autres egards, ils eurentparticulie'rement foin de re'pandre leufs connaifiances & leur expe'rience , en fait de culture & d'amelioration des pays, lk ou leur empire s'étendait: leur liabilete' dans ces arts utiles & autres fut fi eminente, que leurs rivaux & leurs deftructeurs les Romains, reconnurent leur fupe'riorite' & profitcrent de leurs lecons. Les Bataves, eomme ce peuple ce'lebre, fe font fait un devoir de rechercher toutes les diverfes fources de fertilite' & de ne laiffer aucune expe'rience, fans en faire Fe'preuve, afin de tide la terre tout ce que le -travail & 1'induftrie pouvaient commander. Dela, malgré' la multitude d'habitans qui rempliffent leurs cite's, villes & villages, & couvrent tout leur pays, d'une maniere a laquelle n'offïe une pareille proportion nulle autre partie de 1'Europe de la même e'tendue, il ne manque rien de ces produétions auxquelles leur fol eft adapte', ou, a parler plus proprement, que leurs foins & leurs travaux conftans peuvent en extraire.  X 67 X ÏI eft k peke rféceffaire d'ajouter qiïe tout ce que la nature leur a refafé, eft réguliérement fourni par la plus riche importationi & que telle eft leur vigilance & leur pre'voyance, qu'ils ont toujours jouï de I'abondance, tandis que les en' droits les plus fertiles de 1'Europe, même ceux d'oii ils tirent les principaux articles de fubfiftance en plus grande quantite', ont fouvent, par' imprudence, e'té réduits h la plus deplorablj? difette,  X 68 )(• CHAPITRE V. Naturel férieux & penfif des Bataves ; cïrconftance trés défagréable pour les étrangers. Un extérieur enjoué n'en impofe point aux Bataves. Leur grand attachement d l'argent & leur or~ gueil pravenant de la poffefjion des richeffeS ; qui efl prouvé par quelques exemples. Jf y& clafle d'hommes qui ne penfe a rien' & qui eft oifive, ne trouve aucun peuple plus défagréable que les Bataves, qui de toutes les nations poffedcnt le moins ces attraits fuperficiels, dont 1'acquifition eft recherche'e avec tant d'e'tude & a laquelle on met un fi haut prix dans d'autres pays. Leur naturel eft trop férieux pour perdre du tems a les acquérir; & leur attention continuelle a des objets d'importance ne leur permet pas d'y attacher quelque valeur ou de les regarder autrement que comme des bagatelles jagréablcs pour le mieux. Quelques voyagcurs font des plaintes continuelles a ce fujet. Fiers de ces qualités frivoles qu'ils ont obtenues a force de prodiguer leur  X 69 )( tems &leurargent,ceux-ci nefont pas moins piqués que lurpris de trouver, combien peu elles leur procurent de crédit chez cette nation brufque & peu complaifante, oü le poids de la réelle im« portance d'un homme eft la feule confidération qui procure des égards. • Une pafeille tournure d'efprit tient en échec" d'une maniere mortifiante la pétulance & 1'amour propre de plufieurs aventuriers voyageurs , dont les dehors, quoiqu'enjoués, ne peuvent en impofer a ces prudens obfervateurs. Ceux-ci connaiffent trop bien les caraótcrcs fpécieux que quelques uns de leurs voifms, les Francais & les Allemandsfurtout, peuvent prendre dans 1'occafion, pour fe laiffer tromper par les plus belles & les plus plaufibles apparences. Mais comme les bonnes & les mauvaifes qualités font fouvent étroitement unies enfemble, cette folidité de penfcr & cette profondeur de circonfpedtion dégénerent fréquemment en une indifférence contcmptible pour toutes les perfonnes , dont la profpérite' quant a la fortunen'eft pas bien affiirée» i 3  X 7° X Les raifons dc cette rudeffe & de cette groïïiérete de caradtere font fenfibles, & peuvent être de'duites de leur lituation naturelle & politique. Comme ce n'eft qu'a force d'argenr. qu'ils foutiennent leur pays & qu'ils font une ijgure refpedtable, ils font fujets atrop fe repoferfur ce fondement de leur grandeur: par confe'quent ils témoignent un refpedt tiop exceffif aux poffeffeurs de grands biens & ont une opinion trop avantageufe de ceux qui en acquierent. Ils ne regardent que de telles perfonnes comme dignes d'attention. Leurs qualite's perfonnelles, foit qu'elles foient dignes d'e'loge ou de cenfüre, font peu remarque'es & deviennent en quelque faeon totalement e'clipfées par 1'e'clat fupe'rieur de leurs richeffes; objet qui, de 1'aveu même de ceux qui ont une admiration partiale pour les Bataves, abforbe toute leur attention & toute leur eftime, & qui chez eux a une prépondérance bien audela de fon merite intrinfeque. Un individu dans d'autres pays, quoique borne' 51 unc fortune médiocre, peut toujours paraitre parmi les riches Tans leur céder le pas fur eet article. Si fon génie & fes talens l'ont rendu d'aüleurs remarquable, on lui témoigncra com-  X 7i X munément non feulement de 1'honnêtete', mais même de la défe'rence; & il fe trouvera de niveau avec des perfonnes d'importance par leur rang & par leur état, Mais ce n'eit nullement le cas dans les Provinces-Unies, oü 1'argent, quelque haut prix qu'on y attaché dans les autres pays, eft beaucoup plus confidéré & eftimé que dans tout autre endroit. Celui qui n'en a point ne fera qu'un vain étalage de fes talens & de fa capacité. En pareil cas ils feront caufe qu'on lui reprochera de ne les avoir pas employés a fe procurer de la confidération par ces motifs dont 1'influence eft fi univerfellement reconnue & fentie par toutes les claffes d'hommes. Ce n'eft pas fans raifon que les Bataves, comme leurs modeles a plufieurs égards „ les anciens Carthaginois, confiderent 1'opulence comme une partie néceiTaire de ces prétentions fur lefquelles un membre de la fociété fonde fon droit d'afpirer a l'adminiftration des affaires publiques. Plus grand eft fon crédit perfonnel, moins il éprouvera de difficulté & d'obftacle dans l exercice de 1'autorité légale; il ng faut pas oublier que plo* E 4  X 72 K il 'era faté'reffd cffentiellemcnt au bien-être de fon pays, plus (eft-il a'préfumer) il fera &&£ i en maintenir la profpérite'. 'il eft en même tems non moins évident que ce1 prodigieux -attachemcnt aux richeffes & aux moyens de les acquérir, bannit on général dc leurs efprits prefquc toute autre confidération; Sc c'eft la caufe radicale de cc défaut d'urbanhé dans leurs mceurs, duquel fc plaigncnt tant tes étrangeis. Comme 1'acquifition des richeffes confiitue ordinairement le fcul but dc 1'éducation dans les Provinces-Unies, les habitans parviennent a la jouiffancc dc leurs dcfirs fans être inftruits des moyens de goüter les douceurs de la retraite apres leurs travaux, moyens qui conftituent fans contredit la félicité la plus raifonnable, mais qui en même tems ne penvent dérivcr que d'une culture convenablc de leur entendement dans la faifon dc la jcnnelïe, Cette infouciance & cette négligencc des quaÜtés ir_tellecl:uc;lics eft malhcurcufement fort ié-  k 73 pandue; & c'eft fans doute la fource d'oü pravient ce mépris pour toutes les pretentions k 1'importance qui ne font pas fonde'es fur une bafe pécuniaire. C'eft ce qui rend leur maniere d'agir fi fréquemmcnt arrogante & offenfante pour ceux qui ne leur paraiffent pas pouvoir entrer en concurrencc avec eux a 1'égard de eet article effentiel. Le plus ou moins d'argent qui tombe en partage a chaque individu diminue ou augmente le degré de merite ou de prix, pour lequel ils lui accordent quelque crédit dans leur eftime, On trouve des excmples de eet orgueil fonde fur 1'argent parmi les perfonnes des claffcs infé. rieures, qui fe font élevées a un état d'opulence ou d'aifance. Elles font fujettcs a fe livrer a un efprit d'arrogancc, qui, quoique communérnent inféparable partout deS gens de baffc condition qui ont fait fortune dans le monde, fe fait ici particulie'rement remarquer. Les deniers même du peuplé font épris ponr les richeffes d'une vénération fi exclufivc, qui éteint entierement tout autre defir de fe faire rcfpedler dans leur conduite, que leur infoienee E 5  SC 74 X & leur groffie'reté font infupportables pour cent dont ils n'ont rien a attendre. A moins qu'ils ne foient adoucis par des vues d'inte'rêt ou tenus en crainte par 1'autorité, ils font fouvent abfolujnent intraitables, Cette hauteur réfultant de 1'opulence eft vraiment le vice national des Bataves ; & elle domine quelque fois trop vifiblement parmi les premiers du pays. Fiers de ces gains infinis qu'un commerce étendu verfe de toutes parts dans leur pays & dont la difpenfation eft commife a leurs mains, ils ne peuvent s'empêcher par occafion de montrer d'une maniere mortifiante qu'ils favent combi&n ont befoin de leur protection ces nombreux mercenaires de toutes les claffes, qui affluent chez eux par le manque ou par 1'efpoir d'occupation, Perfonne n'épröuve plus fréquemment ces airs d'importance que les militaires qui font a leur fervice-, parmi ceux-ci beaucoup d'Allemands, qu'enorgueillit l'extraction, efiuyent les mortifications les plus dures, par le peu de cas que 1'on fait de leur naiffance. & par l'exaclion rigoureufe  X 75 X is toute efpcce de devoir attaché h ia profeffion des armes. Cette rigide conformité a Ja plus fevere obéiffance eft attendue de tous ceux qui entrcnt a leur fervice. Bien loin que la nobleffe du fang prétcnde caufe d'exemption, elle femble fouvent étre mife a 1'ecart, comme un objet d'animadverfion & digne des plus fevercs eenïures. ön a affuré qu'en conféquence de quelque Commiffion a 1'armée , que 1'on avait deffein de confércr a Guillaume IV, dans fes jeune* ans, ou dont il jouiffait réellement, un célcbre bourgemaitre du parti oppofé a la maifon d'Orange eut la hardicfle dc propofer d'envoyer ce ^eune prince a Batavia. te même arrogance & la même préfomption fc firent remarquer dans la députation des membres nommés pour préfider les armées Bataves en Flan* dres,lorfqu'elles étaient commandées par le duc de Malborough. Ce grand général déplora fouvent I'exercice déplacé de leurs pouvoirs illimités, en ce qu'ils traverfaient les opérations les mieux cc-nccriécs & propofaient infolemment J'cxécution de leurs  X 76 )( propres plans. H eft avéré que le prince Ettgene de'teftait leur afpect & leur admifiion au conieil; & il avait coutume de dire qu'Alexandre & Ce'far durent leurs triomphes a 1'abfence des députés Bataves. Leur conduite hautaine envers les prïnces dé i'empire, dont les troupcs & les perfonnes font a leur folde, ne fat pas moins remarquable. Quand les affaires exigeaient leur- préfence, ils avaient coutume de les mander aupre's d'eux avec un ton auffi décifif & avec auffi peu de formalite' qu'un général pourait. le faire a 1'égard d'un fubalterne. Cette ccrtitude & cette conviction, fonde'e fur 1'expérience, de 1'afcendant des richeffes fur 1'cfprit humam, femble ne jamais fortir de 1'idéc des grands, dans les Provinces-Unies; & c'eft la fource de cette fuffifance qui fe trahit elle-même dans leurs procédés & les rond pour le mieux. plutót civils qu'engageans. De-la cette intimité fociable qui cxclut tous égards, excepté ceux qui font fondés fur les  X 77 X agrémens du commerce de la vie, & fur le mérite perfonnel, eft trés rare dans les ProvincesUnies. L'obfervation de Montefquieu que les ïiaüons & conncxions entre individus en Angleterre font plutót des confédérations que des amitiés, eft beaucoup plus applicable aux Bataves, vü que leurs affociations font évidemment beaucoup plus reglées par la proportion réciproque de 1'état pécuniaire. De ce motif provient ce mélange indiftinct de gens de la plus haute & de la plus baffe condition. Dans les Provinces-Unies, il fubfifte entr'eux une fimpathic, inconnue partout ailleurs parmi les membres de ces conditions oppofées dans la fociété. Elle y nait de cette approximation de tous les degrés qu'une parite' de richeffes opere chez une nation, oü 1'on fait peu de cas de ces diftinftions de rang purement titulaires, & oü 1'on n'agréc dc titrcs que ceux qui font attachés a la magiftrature & aux emplois officiels. Ceux-ci exceptés, 1'opulence fcule donne la préféancc; & 1'on fait peu d'attention a toute autre prétention.  X 7» X Comme aucun peuple n'eft plus paffionné que les Bataves pour cette grandeur & cette importance attachées a la poffeffion des richeffes, ils ne font de même furpaffe's par perfonne dans les efforts empreifés qu'ils font pour les acque'rir. Quelque ve'rite' qu'il puiïTe y avoir a les accufer de lenteur & de phlegme dans les autres affaires, des qu'il eft queftion d'argent, ils ne font point inférieurs en activité & en chaleur aux nations les plus vivcs." Quand ils font animés par ce me% *al, qui fait leur paffion dominante, ils deviennent abfolument d'autres hommes & montrentune ardeur & une vivacité auxquclles ils font totalement e'trangers en autre toute occafion. Cette foif beaucoup moins du gain même ^ que de la grandeur & de 1'importance qu'il procure, femble être vraiment le propre caractere des Bataves; vü que la poffeffion, plutöt que la jouiffance, eft évidemment 1'objet de leurs vues: en quoi ils different confidérablement des claffes commereantes dans d'autres endroits, fürtout en Angleterre & en France, oü le but qu'on fe propofe en acquérant des richeffes eft le plaifir provenant de leur emploi, & oü 1'habitude d'amaffer de 1'argent n'eft pas a beaucoup prés  5C 79 )C auffi fréquente que dans les Provinces - Unies. DesrichelTes infinies & une avarice infinie y vont trés fouvent enfemble. Malgré 1'état le pius floriffant, il n'eft pas rare de voir des individu* vivre auffi mefquinement que s'ils étaient deftitués des moyens & de 1'efpoir de ne jamais profpérer, Tous les pays produifent fans doute, plus ou moins, des étres qui repondent a cette defcriptiqn. Mais les Provinces-Unies font fans comparaifon les plus fertiles a eet égard, & regorgent plus qu'aucune nation Européenne, d'une race d'hommes, dont 1'ambition, le plaifir, Je bonfceur & Phonneur ne confiftent uniquement que dans la poffeffion de Pargent. Appliqués totalement a en amaffer, ils ne fe laiffent que peu interrompre par les plaifirs paffagers, & ife poor. Went fans relache la fiche laborieufe qu'ils ont entreprife. Epiant toutes les occafions & embraffant tous les expéciiens qui femblent promettre du fuccès, ils ont une induftrie fupérieure pour faire fervir toutes chofes a eet objet capital & font !oin d'être délicats dans le choix des moyens.  % 8° X Quoique ies maximes, qui ont le même btit | foient bien connues & pratiquées ailleurs, cependant elles font adopte'es dans les ProvincesUnies avec d'autant plus de force & d'e'tenduc. qu'on peut bien s'y attendre dans un pays, oüune foif ardcntepourle gain(4o)eft fi éloignée d'être honteufe, qu'un homme qui n'a pas cette marqué caradtériftiquc des nationaux n'eft aucunemcnt réputé pour un membre pre'cieux de la fociéte'. C40) Ce repreche vague & indétermïné d'avarice, ou plutót d'une extréme apreté pour le gain , eft affurément peu réfléchi. ün pays qui n'a prefque aucune reflburce territoriale } un pays qu'il faut fans ceffe & ï grands fral. difpnter aux élémens auxquels il a été arraché; un pays que fa pofition phyfique a en quelque forte exclufivement deftiné au commerce; un pays qui lui doit fon eniftence, fa populatie, . fon crédit; qui n'a d'aucre nerf, d'autre foutien, d'autre crédit que le commerce; un tel pays ferait fans doute fort a plaindre fi les habitans étaient mous, infoucians, diffipateurs, fainéans comme chez d'autres nations; s'ils ne fe montraïent fmguliérement jaloux du feul benefice qui foit i leur portée. Le commerce appelle & néceffite en outre par fa nature un efprit d'ordre, d'économie, d'application & de prudence, qui eft pouifé plus loin dans les Provinces -Umes que dans les autres pays. CHAP1TRÜ  X *x J( CHAPITRE VI, Frugaltiê & modération des Bataves dans leurs ptaifirs. lts ne font pas amis des amufemens difpendieux. Ils favent cependant fe les procu* rer avec élégance & propriêtê. De la Haye. ]F^a majorité des anciens membres de 1'état a re« gardé, jufqu'a une date récente, de mauvais ceil une Jouiffance modérée de reldche & lé goüt pour les paffetems ufités parmi les gens du bon ton dans les autres pays; leur opinion était qiue ces ufages étrangers détruifaient cette difpofition au travail & a 1'économie, a laquelle ils devaient leurs richeffes & même leur exiftence. Pour cette raifon, ils s'oppoferent longtems a les admettre & confentirent enfin avec difncuké a leur accorder une tolérance trés limitée. •Ces maximes aufteres orit encore beaucoup de partifans parmi les perfonnes agées & celles qui admirent ouvertement les mceurs antiques du pays; a leur avis, un rigide attaehement a ces mceurs doit contribuer infiniment au bien public, l  Conforme'ment h ces fentimens, dont les fauteurs font "nombreux, un goüt particulier pour tout amufcinent e'tranger eft . fouvent, fans rairon , prejudiciabie au caraótere d'une perfonne; & lui attire les traits d'une cenfure aufïi violente , qu'un train fuivi de parefTe & de diffipation lui en fufciterait autre part. Cette fevérite' & cette rigueur dans ceux qui font revêtus de 1'autorite' ont toutefois produit 1'effet falutaire de reftreindre le penchant aux plaifirs difpendieux, & de les borner, en quelque maniere, au feul point oü ils ne peuvent devenir pernicieux 'pour la nation en genera!. La Haye, le feul endroit oü 1'on peut dire qu'ils fleuriifent, n'eft un lieu de réüdence que pour ceux qui peuvent le mieux confacrer quelque partie de leur tems a des objets de cette nature. Ces objets femblent re'ellement fi oppofés au naturel des nationaux, que, fans le conj cours des e'trangers, ils feraient trés peu connus. Dans cc pays de gravite' & de parfimonie, pn n'ufe de peu de récre'ations, qui ne s'accordent parfaitement avec la plus ftride frugalité; telles font une retraite pour fe délauex lc dimanche des  X X occupations de la femaine; une fobre vifite de familie, une promenade & un rafraïchüTcment k Ia campagne, après le diner, ou, peut-être, quelque jeu bon pour 1'exercice ou la fauté. Ces manieres de fe divertir font les plus fré~ quentes, &, k 1'honneur des Bataves, celles qu'ils aiment de préférence; certainement les plaifirs qui font les plus fimples & facilement procurés, ' font auffi les plus raifonnables & les plus utiles, Ils ne font point d'une nature a fatiguer 1'efprit ni h laiffer dans 1'imagination & la mémoire ces impreffions,' qui font la fuite des jouilfances qui ' Öemandent de Tétude & de 1'apprêt. Le calme & la régularité, qui caraótérifent les Bataves dans leurs procédés domeftiques, forment une viciffitude de bon ordre, qui a la plus ueureuie rnnuence iur toutes leurs affaires, II réfulte de eet efprit d'exadtitude que je5 chofes qui, dans d'autres endroits, excitent k une vie fenfuelle & difpendieufe, font les feuls moyens de mener avec commodité & décencj , HM vie aiftfc & -agle'able. Ainfi £ temtim F 2  X u X Qe 1'abondance & la profpérité dans les affaire^ Me peuvent les faire défifter du plan de conduite .économique, auquelilsont été originairement formés. Par une pratique longue & conftante, ils fe font tellement familiarifés & habitués avec ce plan, qu'ils ne pourraient en adopter aucun autre fans faire violence a leurs goüts. Leurs habitations & amcublemens font propres fans fomptuofité, leurs maifons de campagne, élégantesfansmagnificence. Une regie fixe d'aftion eft fuivie & inviolablement obfervée dans les unes & les autres; ce qui, par une diftribution faite a propos des différens divertiffemens attachés a chacune d'elles, rend également agréable les viciffitudes d'occupation & de relache. Cet efprit d'ordre les accompagne dans leurs parties de plaifir & de divertiflement. Aucun peuple n'eft auffi habile a prévoir ce qu'elles peuvent couter & k les aflbrtir aux circonftances. Dela ils font en état de fe permettre impunément ces jouiflances qui, faute de foin & d'arrangement, portent de fi profondes atteintes aux fortunes des individus dans d'autres pays, & trainent après elles une feite coüteufe de dépenfes . jmprëvues, Pour y fubvenir C quand on en fa.it  X *S 3C jaicüri caicülpréalable) ce qu'on deftinait en gros devient infuffifant en détail, & il en réfulte ordinairement qu'on empiete d'une maniere dangereufe fur les fonds 'deftinés a des ufages plus néceffaires. 'Ainfi nous voyons que les équipages, la table, les concerts, les affemblées, les bals, & tous les acceflbires de ce qu'on appelle la vie du grand jnonde, affedtent rarement, fi toutefois cela arrivé jamais, 1'état des perfonnes du bon ton parmi les Bataves. L'excellent difcernement avec lequel ils ménagent, de la maniere la plus propre & la plus décente, tous les affaires de ce genre, eft d'autant plus admirable , qu'ils poffedent Part de le faire a Ja fois avec économie & cependant ayec fplendeur. Ce qui n'eft pas moins remarquable, c'eft qu'ils concilient un trés feible penchant pour ces objets de repréfentation a une apparence de fatisfadtion & de complaifance. C'eft une preuve qu'ils excellent dans 1'art de fe prêter a toutes les humeurs Sc circonftances. Par cette conduite ils ne manquent jamais dc gagner l'approbation même des plas grands con^ F 3  X 86 )C ïiaiffeurs en fait de magnificence , lesquels , malgré 'leur convidtion de 1'indiffe'rence ; des Bataves pour toute pompe extérieure, qui outrepaffe celle que la politique confeille, s'accordent univerfellement a 'les reconnaitre auffi habiles dans leurs idees de pompe & d'oftentation,' quand i'occafion le demandc, que s'ils agiiïaient par inclination & par goüt pour ces chofes. Charles II, roi d'Angleterre, qui était juftement regardé comme un habile juge de 1'élégance', {arbiter elegantiarum') avait fouvent coutume de dire que de toutes les fcenes de pompe. qu'il' avait jamais vues, (il en avait beaucoup Vu durant les voyages de fon exil) aucune n'approcha jamais de la magnificence dc fa propre réccption dans les Provinces-Unies. Les miniftres étrangers, qui ont réfidé dans ee pays & qui certainement avaient toutes les qualités requifes pour donner une décifion droite, ont unanimement rendu témoignage a la juftefïe exquife de leur gout dans les occafions folemnelles. Ils s'accordent a regarder la Haye comme Un lieü oü la politeffe regne autant qu'en aucun endfoit de 1'Europe, & a confidérer les natio-  X »7 X taaux de marqué qui y demeurent, comme inférieurs a nulle claife des gens du bon ton dans tout autre pays, toutes les fois qu'ils croyent de leur devoir de montrer leurs talens dans les mé-mes objets. Les étrangers font en ge'ne'ral beaucoup e'pris dela maniere donton vit dans eet endroit. II en réfulte eet avantage, que de la variété de mceurs particulieres aux difFérentes nations, dont un fi grand nombre des plus polis & des principaux perfonnages y affluent, il a été fait un choix judicieux, renfermant ce qu'il y a de plus agréable dans chaque: dela un étranger a la fatisfaciion de fe trouver en quelque forte dans fon propre pays. . Le voyageur favant, curieux, poli, ne peut que fe plaire dans une ville, qui, a proportion de fon étendue, peut fe vanter d'avoir une plus grande affluence de perfonnes de tous les endroits & d'être plus remplie de gens d'éducation, a talent & connaffiant le monde, qu'aucune ville de 1'Europe. Cette réunion des difFérentes mosurs & cou* F 4  X 88 X tumes des hommes dans ua, efpace étroit, eiï les affujettiffant a une continuelle infpedtion, 3. par conféquent produit un efprit de critique & d'examen de leur jufteffe & propriété. II en eft re'fulté qu'il s'eft formé un genre de civilite' & de commerce, qui peut avec beaucoup de raifon être confidére' comme un louable milieu entre 1'excès & le manque de politeffe & de manieres, qu'on peut reprocher a quelques nations, dans 1'un ou 1'autre extréme. La réfidence des membres du gouvernement Batave n'était pas moins agréable, il y a un fiecle que de nos jours : la correfpondance épiftolaire (41) de quelques perfonnages diftingués de ce tems-la, en fait mention comme d'un des lieux les plus attrayans pour y demeurer, par tous les motifs qui influent fur un homme raifonnable. St. Evremont furtout eft prodigue d'é* (41) Lorfque Defcartes était en Hollande, il écrivait a Balzac au1 fujet de ce pays : T a-t-il un pays, dans le monde , ou 1'on foit plus llbre, oü le fimmeil foit plus tranquille, oü il y ait moins de dangers d eraindre, oü les loix veillent mieux fur les crimes, o» les empoifonnemens, les trahifons & les caIpmnies fuient moins connues, oü il refle enfin plus de traccs de, thiureufe & tranquilic tnno(ttne de nos peres ? ■ , . ..  k «9 )c ïoges k fo» égard & parle des nationaux qui y demeurent, dans un ftile rempli de ces fentitnens de refpeót que le mérite réel peut feul infpirer; il s'exprime d'une maniere qui montre que ce ne font point des complhnens, mais le réfultat d'une connaüTance & d'une obfervation profonde de leur conduite & caraótere. On a remarqué depuis long-tems que, malgré 1'éclat fupérieur qui regne, finon dans la plupart des autres capitales & cours de 1'Europe, du moins dans plufieurs, les voyageurs de bon fens S'accordent a donner une préférence générale a la Haye. II y regne un calme & une férénité, attachés aux manieres d'y vivre, qui communiquent la même fenfation aux perfonnes d'un caraótere folide & tranquille, & qui font que plus: pn y demeure, plus la réfidence en eft agréable. *f * * * * ^ ^ ^ tffr tffc *  CHAPITRE VII. Humeur brufque (3 dèfaut de complaifance des geni de la derniere claffe dans les Provinces-Unies, ■ ha claffe plus élevée efl \nie, franche & civile. Les Bataves en gênéral font d'un naturel amicat, Ö1 prèts d ajjlfter les gens qui ont de Vin» duflrie. Leur attention d procurer de l'occupation d tous les individus, d défendre l'oifivetè '& d encourager les inventions utiles. C^uelques écrivains ont juge' k propos de repre'fenter les Bataves fous un jour trés défavorable,& d'en parler comme s'ils e'taient, avec trés peu d'exceptions , bourrus , impolis & ma! e'Ieve's. Si nous ne montons pas au deflus des claiTes du vulgaire, 1'affertion eft affez vraie. Mais rien n'eft plus faux, fi nous en faifons 1'application a ceux d'une claffe fupe'ricure. Ils font, il faut 1'avouer, moins enclins a fe lier & contractent moins une familiarite' foudaine avec des perfonnes qu'ils ne connaiffent pas, que les Francais, par exemple, qui, comme 1'obferve  X 9i X bjen Era&ie dans fes Diverforia, fe component avec les gens au premier abord (veluti cum olim notis & familiaribus) comme avec d'anciennes connaiflances & des amis. Ils font toutefois fuffifamment affables pour fatisfaire un homme mode're', qui peut fe contenter de manieres fimples, mais bonnes, & qui ne cherche pas dans un vain flux de phrafes vuides de fens 1'occafiori d'y repondre convenablement. Toujours eft-il vrai que les Bataves font en général une nation franche & fincere. Comme 1'application & 1'induftrie font les leuls fentiers qu'ils cherchent a fuivre & les feules reffources fur lesquelles ils aiment a fe fonder, ils ne fe font point une étude/ ni n'ont befoin de beaucoup de rafinemeiit dans leur conduite. Elle eft ordinairement accompagne'e de beaucoup de franchife & de fimplicité; une ouverture de cceur & une liberté de parler caraétérifent la plupart d'entr'eux, & ils font rarement verfés dans la fraude & la fourberie/ auxquelles réellement leur brufquerie naturelle ne les rend par bonheur aueunement propres. Cette indifférence pour 1'art de 1'infinuation  t & X öu ce que quelques uns ont appellé, d'unë ma* niere non impropre, artifice & flatterie, les a expofés a la cenfure de cette claffe difficile d'hommes, qui exigent des careffes & un ftile complinienteur de tous ceux qu'ils rencontrent. Mais du moins, fi les faits font pre'fe'rables aux paroles, il n'y a point de juftes plaintes contre eux par rapport au manqne de philanthropie; dans 1'exercice de laquelle ils ne font nullement en défaut, comme on peut en fournir des preu* yes en abondance. Ils font d'une difpofition amicale & fociable; c'eft ce qui eft inconteftablement évident par Ie nombre d'étrangers qni s'établiffent & profperent dans les Provinces-Unies, fans exciter de jaloufie parmi les nationaux. Ce font peut-être de tous les hommes les moins imbus du vice d'égoïfme national, & ils accordent leurs bons offices & leur faveur mdiftinótement a tous ceux qui en font dignes, fans beaucoup s'embarraffer de leur religion ou de leur pays. A ces deux égards les Bataves, non moins a leur avantage qu'a leur honneur, femblent étre le peuple qui connaiffe le plus par pratique la droiture de cette maxime qui condamne al'oubli, dans le caractc-  X 93 X re d'un'hoxnme, ces efFets accidentels; dont 3 n'eft point refponfable, vu qu'il ne peut les em* pécher. Ils ont été accufés de froideur & de manque d'hofpitalité envers les étrangers; mais quand on refléchit a la grande afluence de ceux-ci dans les Provinces-Unies, aux ibupgons attachés au caraftere de plufieurs, & a 1'incertitude qui accompagne celui du plus grand nombre, il eft trés railbnnable & trés prudent qu'ils prennent du tems pour approfondir le mérite de leurs hötes, par la feule épreuve fure, celle de leur conduite. Quand ils les jugent honnêtes gens, ils ne manquent jamais de leur affurer tout 1'encouragement qu'ils font en droit d'attendre. On leur a reproché de manquer de générofité perfonnelle & d'étre fort peu enclins a accorderdes fecours pécuniaires. Mais on en peut trouver én partie la raifon dans 1'emploi perpétuel'que leur vigilance conftante indique pour leur argent & dans 1'expérience que la plupart d'entre eux ont eue j que peu de perfonnes, en épiant les occafions favorables, fe trouvent réduits a la nécefflté d'avoir ïecours a la générofité d'autrui, Ce* confid^rg-  X 94 X tions, on peut le préfiimer; contribuent k ten* dre leurs cceurs infenfibles aux follicitations des individus dont la pauvreté provient de négligence perfonnelle & qui par confe'quent courent peu ou point la chance d'être appuye's parmi les Bataves. La feule recommandation a leur protection, c'eft une continuité manifefte d'efforts pour s'enrichir; dans lequel cas ils étendront promptement leur affiftance fur ceux qui ont effuyé des revers par les défaftres inévitar bles, qui arriveront quelqucfois aux plus prudens. Une détreffe d'une pareille nature efl totijours fure de rencontrer du foulagement & du fecours; & perfonne n'eft abandoime' a fa mauvaife deftinée, finon ceux qui font malheureux par leur propre faute. II n'y a point de paysoü, par des fecours publiés ou particuliers & par avancement, 1'on donne une plus grande carrière aux talens dont 1'utilité eft claire & reconnuej C'eft. ce dont on peut fe convaincre aife'ment, en faifant attention aux méthodes employées par les Bataves pour établir & améliorer leurs colonies au dehors, & pour pouffer chez eux la plupart de leur entreprifes de commerce. On peut ajquter que, par la propriété des mefures adaptées en ces diverfes occafions, toutes les  X $5 X frames intéreffées ont ordinairemejit beaucou-*' Jieu d'être fatisfaites. En convenant donc de ce vice a la mode parmi eux, favoir de fe complaire & de triompher en quelque forte au milieu de leurs richeffes fupérieures; ce qui engendre naturellement quelque degré d'indifférence & d'averfion pour ceux totf leur font inférieurs fur eet article; nous ne devons point nous refufer a reconnaitre les diverfes bonnes qualités qui contrebalancent ce défaute II n'eft toutefois que trop commun en tous lieux, & n'éprouve probablement autant la critique & la cenfure.au'a caufe dn nin» ... dividus jouhTant d'une fortune qui les met au deffus de toute complaifance inutile & qui eft propre en même tems a infpirer une confiance & une fupériorité qui ne peuvent être tempérées que par ces principes de douceur & de modération inculqués par une bonne éducation: avantage dont jouiffent peu d'entr'eux, par le mépris général qu'ils ont eu dans leurs premiers jours pour tout ce qui ne contribne pas a un profit pécuniaire. . Ce dernier objet eft pour les Bataves de li  X 9* jC ,faème coflféquence que la gloire & les conquë» tes 1'étaient dans les premiers tems pour les Rojnains & a eet égard leur avidité eft également inquiete & impatiente. Ce peuple guerrier traita long-tems les arts & les fciences avec un tel . mépris, que les lettres dans un Romain, (littera jn homine Romano^ comme nous le dit Ciceron, étaient un prodige , & que leur acquiiition était cenfée une bagatelle, comme étant inutile pour le grand & 1'unique bot de leur politique. De ."même ces perfeftions polies, qui, quoique agréables & captivantes, ne font point les fources d'oü les richeffes peuvent découler, font pour cette raifon regardées comme peu de chofe & tenues pour frivolcs par une nation commercante, qui ne s'occupe cxclufivement que de eet objet capital. f' Une pareille difpofition n'cxclut point toutefois la connaiffancc & la pratique de ces vertüs qui font trés effentielles a la fociété. Comme les Romains, quoique groffiers & féroces dans leur " origine, furent nobles & généreux dans une variété d'exemples (d'ailleurs peut-étre jamais plus dignes des dernieres épithetes que lorfqu'ils méTiterentles premières) ainfi les Bataves au mi- liea  X 7 )C üeu de cette foif du gafifj qui eft leur paflion dominante, ont montré 1'attcntion Ja plus réerle & Ja plus efficace a chercher 1'avancement de tout ce qui pouvait contribuer i la folide pro. fpérité de chaque membre de Ja fociété. Leur bienfaifance & leur charité ont été d'unö nature étendue & tenant de la providence; & en obviant a 1'introduction de 1'indigence & de la mifere dans leur pays, ils font devenus auffi fupéricurs a 1'humanité qui foulage la dé-' creffe, que la feience qui prévient les maladies eft au deilus de celle qui les guérit, Par une fuite4e regiemens, qui veillent,avec Ia plus fcrupuleufe attention, fur Ja fituation in* térieurede 1'état, chaque membre qui le conftitue, quoique obfcur .& en apparenee de peu de confidération, a été rcndu également utile pour le bien public & pour le fien propre, Ia racine de 1'indolcnceétantcoupée dans fon principe & un chacun étant forcé a s'occuper fiiiyant fes facultés. Confbrmément k ces maximes, leurs priibns G  )c 4 # g maifons de corredtian, & même leurs hopi» taux font convertis en lieux de travail & d'induftric: quiconque cft force' par la dcftine'e a en faire 1'endroit de fa demeure, a fur le qhamp de 1'occupation qui lui eft donne'c fuivant les talent oü la fanté qu'on lui trouve. De la, dans chaque coin du pays, 1'occupaüon cft en honneur & en cre'dit, & l'oifiveté regardée avec averfion. Les perfonnes agécs & infirmes ne font point exempte'es des ouvrages, que les forees naturelles leür permettent encore de faire; le travail eft attendu & requis d'elles 5 & il n'y a d'autre prétexte qu'une totale incapacité pour qu'elles en foient difpenfées. De ces caufes il réfülte tui penchant pour s'occupation & 1'adtion, qui fait frudtifier 1'adreffe & :; 1'induftric. Aucun pays n'offre un fi grand nombre d'utiles inventions pour tout ce qui concerne la vie civüe ou domeftique. Ceux qui taxent les Bataves de pefanteur de génie, peuvent bientót fe convaincre de leur erreur, en faifant attention a la multiplicité de produdtions de toute efpece, qui font dues a la fécondité laborieufc  öe, leur imagination & aux efibrts prodigieux 8? infatigables de leurs travaux. C'eft une honorable vérité que méme leurs en» Siemis ont librement & formellement reconnue, Strada, qui était jefuite & qui vivait dans un tems oü 1'animofité religieufe était répandue au loin dans 1'Europe, exprime toutefois avec une précifion particuliere 1'opinion favorable qu'on avait alor& des Bataves: ( rara hodie admiramur machinamenta, qua Belgica non invenerjt, aut non abfolveru} „ nous admirons aujourd'hui peu de découver„ tes de 1'art, qüi n'ayent été ou inventées ou t» perfectionnées par les Beiges, ft D'autres nations ont porté la culture des arts k un plus haut point de perfe&ion depuis cette époque; mais aucun pays, excepté 1'Angleterre, ne peut le difputer aux Provinces-Unies * ces égards. C'eft k la vigilance continuelle du gouvernement Batave fur chaque claffe des individus qïïe i'on a dó long-tems 1'heureufe & honorable cxemption de ee qui eft une hontc pour un pays O 2  ' X ioö'X vcivil*ïeY favoir la tolérance des mendiaus. Ce n'eft que depuis peu qu'ils ont été foufferts dans les Provinces-Unies; &, malgré le relachement de la police Batave a cette occafion, ils Tont cependant en fi petit nombre, en comparaïfon de la quantité qui infefte les autres pays, qn'ils ne méritent pas qu'on y falie la moindre attention (42). f 4Ï") Un pays qui ït'a prefque aucune reflburce territoriale , un pays qu'il faut contïnuellement & a grand frai» difputer aux éléraens auxquels il a été arraché, un pays que fa pofitïon phyfique a, en quelque forte, exclufivement deftiïié au commerce ; qui lui doit fon exiftence , fa population, fon crédit; qui n'a d'autre nerf, d'autre foutien que le cosimerce; un tel pays ferait fort a plaindre fans doute, fi les habitans étaient mous, infoucians, diflipateurs , fainéans; fi dans une lutte d'intérêts, inégale a tant d'égards, avec la plupart de leurs concurrens, ils ne fe montraient finguliérement jaloux du feul bénéfice qui foit a leur portee. Le commerce appelle & néceffite d'ailleurs, par fa nature, plufieurs qualités fort eftimables, un efprit d'ordre, d'économie, d'application, de prudence, de philanthropie. II n'eft peut-être pas de pays au monde oü, proportionnément a fon étendue, il y ait autant de fondations de bienfaifance & oü celles-ci foient mieux adminiftrées que dans les ProvincesUnies & furtout en Hollande. Ce fiecle égoïfte en a même vu confidérablement aecroltre le nombre. Ces provinces offrent encore une quantité incroyable d*é« iabliffeaen» deftinés aux progrès des füsnces & des arts.  X M )( CHAPITRE VUL Des canaux dans les Provinces-Unies. Banque d'Amjlerdam. Intêgritê & fermetê des Bataves O ia foutenir & d en maintenir le crédit dans des calamitês urgentes. Etabliffement des compagnies des Indes Orientales & Occidentates au milieu des guerres & de grands obfta* cles. Ar exemple des Romains, qui ne croyaient pas au dcffous de la dignité dc 1'élite de leurs Sans parler des Univerfités &c. , quatre fociétés principe les portent les noms des villes de Harlem, de Fleffingue de Roterdam & de Leyde oü elles fiegent. _ Jean Stolp a dl plus légué a cette derniere ville un fonds auquel nous devons déja plufieurs volumes de mémoires fur des fujets de morale, de métaphyfique, de théologie naturelle & révélée. _ Amfterdam a donné a 1'Europe la premier exempl? d'un établiflement pour la confervatién des noyés. - [ Madame Duyst de RenfVoude a fondée a Delft '& k la Haye trois écoles gratuïtes pour former par des inftruftions, par des voyages, par divers encouragemens, de jeunes artiftes. — L'opulentefondation, faite a Harlem par Pierre Teyler van der Huift, appellée la Sociêtê Tey,érien«e, pourr* devenir bientöt la rivale, des plus illuftres académies de Euiope. La propagation de 1'évangile dans 1'Inde ï'affiftance des marins mutilés ou bleirés & des veures da G 9 A  nobles d'avoir 1'infpcdtion des édifices & des ouvrages publiés de leur ville & de veiller a ceux qui ont pérï au fervice de la patrie, tels font les divers autres établifTemens, trop nombreux pour être détaillés ici & telles font encore les preuves de la libéralité & du patriotifme des Bataves. Si ceux-ci n'avaient ni le goüt des arts, ni le fentiment du vrai & du beau, s'ils étaient principalement caraöérifés par l'égovfme & par une fordide cupidité, fe feraïent-ils mis en de fi grands frais pour les articles que nous venons d'énoncer? Que faut-il penfr aprés cela non feulement des inveöives de plufieurs écrivains, furtout de Mr. Sherlock (Lettres d'un •voyageur Anglais, feconde partie, Lettre XXV) mais du reproche un peu plus fenfible des fjvans compilateurs de VHiftoire Univerfelle, publiée a Londres , & traduite de l'An-> glais dans la plupart des langues de 1'Europe ? La culture des arts, pour laqueïle on ofe prefque déclarer ïneptes les habitans des Provinces-Unies, n'y date pas des tems let plus modernes. Dès 136a, Edouard , troifieme du nom, tngagea trois artutes de Delft a ver.ir établir 1'horlogerie en Angleterre. Fromantil, Hollaudais, y fit, la première pendule en 16C2. Cet art eut, vers la même époque^ de trés grandes obligations a 1'illuflie Huigens qui perftct.-onna aufïï les télefcopes, dont Zacharie Janfen, de Middelbourg, & Jacques Metius , d'Alkmaar, fe difputent 1'invention. — Drebbel, d'Alkmaar, femble fondé a réelamer ceïfè des barometres & des thermometres. — Simon Stevin imagina lë, fameus char-volant du prince Maurice & devitia U théorie des fluides, cVrrtontrée depuis pa:- Pafcal. jtiwent Cofter envrc cn partage d? glojrr avec les -ar-»-.  X to3 X rentretien des routes & des chemins, les Batayes ont confie' le ïbin & la direétion de ee qui tirtes de Mayence pour la décoüverte de I'imprimerie. - u Les premiers efiais de peinture encauftique fur verre fonc düs a Jean van Eyck, plus connu Tous Ie nom de Jean da "Bruges; & les freres Crabeth, dc Gouda, ne tardercnt pas a Ia porter au plus haut degré de perfcftïon. Le même Jean van Eyck eft auteur de la peinture a 1'huile, dont Mr. Cormeille Ploos van Apiftel , d'Amfterdam, conferve Ie plus ancien effai connu. C'eft un pctit tableau de couleur grïfutre, repréfentant la conftruftion d'une tour d'églife; il eft figné: Johns de Eyck me fecit X437 On attribue a Guillaume Beukelfoon, de Biervliet, lefecret d'encaquer les harengs, deVenuune fource de tant de tréfors pour la république Batave ; il mourut en i397 Un bourgeois de Venlo, dont le nom «'a point pafle a la poftérité, fit les premières bombes en 158S. — Abraham Werver, d'Amfterdam, obtint en iöj3 une penfion .des états de Hollande pour avoir trouvé un nouveau moyen de boucher des ports ennemis. Jean de Witt imagina les boulets a chaine, qu'au combat naval des Dunes, en 16O6, Ruiter cmploya avec tant de fuccès. — Mathieu, Ris de Mainard Bakker, conftruifit en 1691 1'ingénieufe machine, nommée Cbanmau, dont on fe fert pour enlever des vaificaux de la première force jufqu'a 1« hauteur de plufieurs pieds , afin de les faire paffer fur les bas - fonds du Pampus. Jean van der Heyden fit en 1672 les premières pompes pour les incendies. — Adam Zilo, peintre dc marines & mécanicien a Amfterdam, fondit les tuyaux de Ia machine de Marly, en France. II fut auffi, 1'inftituteur du Czar Pierre I, pour 1'architefture navale. — Enfin les digues & les éclufes &e, font le tnomph.e dc 1'induHrie h«snaine,  X i°4 X concerne la furete', la commodité ou 1'embellif-» Cement de leur pays, aux perfonnes , les plus Aucune nation fe glorifiera-t-clle d'avoir donné le jour a des hommes d'état plus diftingués que les Marnix de Sair.te Aldegonde, les Oldenbarneveld, les de Witt, les Beverningk, les van Beuningen, les Fagel, les Slingeland; a des guerriers de terre Sc de mer plus fameux que les trois premiers Stadhouders, Guillaume I, Maurice & FrédéricHenri, que les défenfeurs de Harlem Sc de Leyde, Ripperda & Jean van der Does (_ ce dernier plus connu fous »le nom de Doufa & non moins digne fils d'Apollon que de Mars} que les Ruiter, les Tromp, les van Brakel, lej Heemskerk, les Kortenaar , les Evertfoon , les van Galen, les Waflenaar, &c. ? — Pour 1'attaque & la défenfe des places, citera-t-on un génie fupérieur a Coehorn ? La jurifprudence, tant civile que criminelle, a-t-elle en en aucune contrée des interprêtes aufli eftimés que les Grotius,lesvan Eek, les Damhouder, les Vinnius, les Schultïng, les Noodt, les Mattha:us , les Huber, les Einkershoek} les Vitriarius ? Par qm Thiftoire naturelle & la phyfique ont-elles été cultivées avec plus de fuccès que par les Hartfoeker, les Swammerdam, les Leeuwenhoek , les Huigens, les Seba, les Rum,phius , les 's Giravefande, les MuffchenbroeckS La medécine était en réput^tion, même avant Boerhave , l'Hippocn:te moderne, dont les Gaubius, les Albinus, les van Doeveren, les de Gorter, &c. ont fi dignement fuivi les traces. — Les injections anatomiques de Ruifch ne doivent ^>as être ici paffées fous filence.  X i°5 X diitingiiécs de Mat. L'admiration de toute 1'Europe peut attefter de quelle maniere elles ont rempli leur tache. Pour Ia philologie Grecque & Romaine, qui poura êcre comparé avec avantage aux Meurfius, aux Cancer, aux Rutgers,aux Scriverius, aux Gronovi.is, aux Heinfius, aux Burman, aux d'OrvilIe, aux Hemfterhuis, aux Wefieling, aux Vallcenaer ? Les idiómes & les ufages de 1'Orïent ont-ils eu de plus favans fcrutateurs que les Drufius, les Erpenius, les Alting, les Coccejus, les Reland , les Trigland, les Mill, les l'JEmJ pereur, les Vitringa, les Venema, les Schultens, tous en même tems théojogiens , a bon droit reconnus pour claffiques ? Erafine appartient avec Ie même écj*t a* tant de genres , qu'on ne fait dans lequel le placer. Eft-il des journaux littéraires plus faits pour fervir de modele que ceux des Ie Clerc, des Bernard, des Sallengre, &c. , publiés a Amfterdam & a la Haye ? Quant aux diverfes autres branches de fciences, comme VMoiré, la poéfie &c. , il ferait trop long de faire connaitre ceux qui s'y font diftingués. Pour ce qui eft de la peinture, eft-il des tableaux plus recherchés que ceux des Wouwerman , des Ruifdael, des Berchem, des Rembrand, des van der Werff, des Gerard Douw, des Potter, des Breugel, >Ses van de Velde, des van Huyzum, &c. ? Ce léger expofé doit prouver fuffifamtnem I'aptfcuie des Bataves pour les arts & les fciences. G s  X totf X L'avantage de confier une charge de cette na* ture a des perfonnes de rang & a talent, parait furtout dans la fagacité qu'ils ont montrée en tournant vers la politique toutes les occafions favorables qu'ils ont rencontre'es. Sachant que le commerce devait être le fondement de la profpérite de leur pays, ils ont combiné tous leurs èfforts & toutes leurs penfées pour exécuter tout ce qui pouvait tendre a fon encouragement. Afin dc rendre faciles & peu difpcndieufes la communication & 1'expédition, qui font les principaux avantages du commerce, ils ont entrecoupé tout le pays, de canaux, par le moyen dcfquels les affaires les plus immenfes fe font avec la plus grande facilité. Cette circonftance accoutume les habitans a 1'économie & aux voyages par eau; ajoutez qu'en placant des fcenes mercantiles continuellement fous leurs yeux , Clle leur remet dans 1'efprit, a toute occafion, ce qu'un habitant des Provinces-Unies devrait toujours avoir préfcnt a fa mémoire, fayoir que la culture du commerce cft lc principal fonds fur lequcl il doit fe rcpofcr pour la profpérite' de fon pays &■ la fienne en particulier.  X io7 )( Aucun peuple n'a faifi, avec une attenüioiï plus pénétrante que les Bataves, toutes les méthodes falutaires adoptées par les autres états commercans, dans. tous les tems & pays, ni montré plus d'emprelTement a imiter tous les exemples qui pouvaient être avantageufement fuivis. Ils adopterent & perfectionnerent, au-dela de toute comparaifon, le Même des banques nationales d'abord inventé en Italië, la mere patrie de tous les établiffemens de commerce dans les tems modernes. La banque, qu'ils établirenr. a Amfterdam (43.), de- C43)En 1609, Ie magiftrat d'Amfterdam établit cette fameufe banque, qui a-excité 1'admiration de toutes les nations. II fut ftatué par le reglement qu'on pourrait y porter toutes fortes de monnoyes, maffes, grenailles & billons, & en recevoir la valeur en autres efpeces ou maffes, a conditiën que la valeur füt au moins de 300 florins ! celui qui y porterait des fonds ferait le maitre d'en recevoir auffitót la Valeur ou de les y laiffer'en dépot pour pouvoir en difpofer ; a fa commodité.-' La ville faifait caution pour tout ce qu'on y dépoferait; Ia banque s'offrit auffi de donner pour un peelt bénéfice de la monnoie du pays pour de la monnoie étrangere. II fat ftatué auffi que les lettres de change de ax-cens florins & au deffus, payables a Amfterdam, ne pourraient être payées qu'a la banque, Ia ville repondant pour le prompt payement. Le même reglement ftatué enjore que ce qu'on aurait porté a la bannue ne ferait point  X 108 }t Vint bicntöt dans le Nord, ce que le modelë; fur lequel elle fut originairement formée, celle de Venife (jadis la plus floriffante & la plus puilfante république de 1'Europe) avait été pendant fi long-tems dans lc Midi. Pcrfuadés que 1'intégrité était Ja feule bafe fur laquclle un édificc fi important pouvait repofcr d'une maniere {ure & permanente, ils fe mirent eux-mémes a découvert pour. convaincre toutes les 'nations de I'inviolablc fidélité avec laquclle une affaire d'une nature fi publique &c d'un fi grand poids était conduite. Conforme'-» ment a leurs fouhaits & a leur ardeur, le crédit & lc renom prodigieux, auquel cette entre^ prife parvint en peu de tems, recompenferent poblemcnt les efForts qu'ils firent pour porter cc vafte établilTemcnt a fon point de force &, ge maturité. lijet a 1'arrèt juridique. La banque de cette ville eft la feule de cette efpcce, dont le fondement foit folide; eile r.'inftitue point de nouveaux fignes de valeur; elle ne repréïêr.tc point un crédit d'opinion, mais c'eft un dépot oü 1'uu retrouve dans tous les tems ies fommes que 1'on y confie. Voyez I'ouvrage intitulé La richejfe de Ig hollande.  - Leur probité dans 1'adminiftration de ce pré* cieux depót fe fit remarquer d'une maniere ƒ]gnalée, & parut au grand jourj k ,eur grande gloirc, dans la funefte année de 1672. .Environnés, de toutes parts, d'une deftruetioH .■apparente, ils maintinrent néanmoins avec la ponétualité la plus ftricte & la plus préjudiciable pour eux-mémes, dans ce tems périlleux, leur foi & leurs engagemcns onvers tous ceux qui étaient intéreflés dans ce dépöt de richeffes. Beaucoup de ceux-ci, pour aggraver les caiem* tés des Bataves & les priver des moyens de rétablir leurs affaires, furent clandeftinement engagés par les émiffaires de leurs ennemis a retirer leurs dividendes; pour ne rien dire du grand nombre de ceux qui furent poulfés par .une crainte réeile, a faire les mêmes demandes. S'ils euifent pris prétexte de cette extrémïté pour temporifer & tirer en longueur le .moment de rembourfer, 1'humanité n'aurait pu ■ les accufer de violer leurs conventions ; cependant ils perfifterent alors conftamment dans IMt réfolution de ne point fe départir un moment NteS principes d'honneur les plus' rigides. Tout rintérefie qui fe préfenta . fut fur le champ ftostait, & ori répondit a 'toute -demaade légal  5C ito )( Ie avec nne promtitudc & une ce'lérite' qui éton* nerent toute 1'Europe. Un projet non moins hardi fut celui de leurs eompagnies des Indes Orientales & Occidentales (44); ils formerent le courageux deffein (44) Après avoir tenté ïnutilement le paflage aux Indes par le Nord, quelques négocians s'affocierent & profiterent des confeils d'un nornmé Houtman, qui avait fait plufieurs Voyages aux Indes avec les Portugais, & que ceux-ci avaient retenu pendant quelque tems prifonnier a Lisbonne pour avoir voulu prendre une trop grande connaiflance de leur commerce. Ces négocians 1'ayant délivré de fa prifon, le chargerent de la conduite de quatre vaifleanx qui partirent du Texel au mois d'Aoüt 1559 & qui prirent la même route que les Portugais avaient découverte en paflant par le Cap de bonne Efpérance. Houtman eut de grandes traverfes k effuyer de la part des Portugais . mais il ne ramena des Indes que trois vaifleaux au mois d'aoüt 1561, chargés de marchandifes, dont le pront fut évalué a 527823 fiorins. Ces heureux commencemens donnerent lieu a de grandes efpéxances & encouragerent d'autres négocians a former des lbciétés pour le même commerce, que les Etats-Généraux réunirent fagement en 1602 fous le nom de Cvmpagnie des lades Orientales. Voyez Groot Plaeaet-Boek. Après 1'établiffement de cette compagnie, il s'en forfn» une autre par les mêmes raifons & de la même maniere, qui eft celle des Indes-Occidentales. En 1J97, Gerard Kikker, d'Amfterdam & Jean Corneliszoon leyen, d'Enkhuyfen,  )C ui X de 1'ériger fur la conquéte des établuTemens poffédés par leurs ennemis durant 1'efpace de plus d'un fiecle. II fe pre'fenta dans leur route, divers obftacles » dont les moindres furent la diftance immenfe & les dépenfes prodigieufes. Ils pre'virent une réfiftance de la nature la plus opiniatre, non-feulement de la part des principaux eux-mêmes, mais auffi de celle des difFérentes nations habituées depuis long-tems aux poffeffeurs primitifs, attachées a cux par les nceuds puiffans du fang & de Ia religion, & allarmées par la crainte de fouifrir dans leurs intéréts par un changement de maitres; comme on peut bien 1'imaginer, aucuns moyens ne furent omis pour repréfenter lés nouveaux vcnus fous un jour d'autant plus défavorable & odieux, qu'il était néceffaire d'exciter contre eux la haine des naturels. Ajoutez encore le terrible fardeau d'une guerre qui fe faifait a leurs pro*. établirent, chacun I part, «ne foeïété dont le but était dS «ommercer en Amérique. D'autres imiterent leur exemple; Ü en réfu'.ta plufieurs fociétés, qui fe nuifaient les uncs aux autres. Ces inconvéniens engagerent les Etats-Généraux S former, en r62i, de ces diverfes fociétés une compagnie, a laquelle on donna le nom de Compagnie des Indes QccidentQles. Voyez Graat Placaet-Boek,  pres portès', & dans laquelle ils furent fouvent' forcés de combattrc a la lettre pro aris & fo~ cis, pour leurs propres habitations & families, %c pour tout ce qui cft cher aux hommes. Au milieu de ces difficulte's, leur conduite réfuta pleinemcnt la defcription qu'un écrivain contemporain, ennemi de leur profpérite', donna trop précipitament de leur état encore naiffant, en 1'appellant „ une république confufément \'. formée par" le hazard & contenue par la crain„ te des Efpagnols" ( 45 ). Cette appréhenflon contre la puiffance Efpagnole n'ex-iftait toutefois que dans 1'imagination dc 1'écrivain. Les forces dc cette monarchie fe deployerent jufqu'au plus haut degré poffible & ne purent fufflre pour dompter ces républicains réfolus, même après qu'ils eurent été réduits a un état affcz ficheüx pour défefpérer prefquë dc relevcr leurs affaires, & dans un tems oü un membre des états, qui fe trouvaient alors réellcment dans la détreffe, fvu qu'ils ne fe faifaient point fcrupule de 1'a- vouer C 4?") Refeubliia en/u cwfleta, iwtg, mttus Hifpanorm t»iuintt.  Vouer eux-m&nes) mit en téte d'un difconrtj touchant leur trifte fituation, ce vers connu de Virgile: Una falus villis nullam fperare falutem; C „ Le feul falut des Vaincus eft de n'efpérer aucun falut;") donnant a entendre par la que leur unique reffource était de prendre les réfolutions les plus, défefpérées. Telles furent celles qui furent prifes en confé* quence; & lorfque par une fuite des heurenx effets qu'elles produifirent, leur confervation eut été par bonheur affurée, ils firent unefortie avec intrépidité & attaquerent 1'ennemi dans les endroits qu'ils crurent les plus ltirs par leur éloignement. Ils porterent leurs armes dans les deux Indes & exécuterent leurs plans, de maniere qu'ils furprirent & effrayerent leurs advcrfaires & furpafferent cc que leur propre confiance la plus hardie pouvait attendre. , Par lc concours imprévu de beaucoup d'évé-ncmcns fmiftres, il ne leur refte qu'une petite partie de leurs conquëtcs Occidentales. Mais celles qu'ils confervent clans 1'Orient les dédon;- H '  % ff* X mageut amplement dc cette peite. Ils ont étabft au dehors urt empire dépendant de la direction & du commandement d'une autorité fuprême au dedans. Par 1'adreiTe & 1'habileté admirable dc leurs hommes d'état il a été formé de maniere a conftituer un empire dans Fempire, {imperium in imperio ) lequel eft fi éloigné de heurter & de gêner les opérations du gouvernement, qu'il eft devenu un de fes principaux appuis.. Les Provinces-Unies , dans 1'efpace de peu d'années après 1'établiffement de leur république, parvinrent i un degré d'opulence & de profpérite' qui les rendit la merveillc des états de 1'Europe. Ceux qui aiment a rechcrcher les eiïets dans leurs caufes, trouveront autant d'inftruction que d'amufement dans la defcription circonftanciée de 1'état des Provinces-Unies a ce periode, donnée par le grand De Wit, dans fon fameux traité de 1'intérêt &dela politiquede ce pays (46"). II dé* (46) C'eft fans doute Ie traité intitulé Interest van Hoj.iand , (intérét de la Hollande ) & publié d'une maniere imparfaite Sc contre 1'intention de Jean de Wit, comme il le déclare lui-même dans fes Memoires , (Vartie III. Chap. VII) qui ne font, fous un titre différent , que le même ouvrage revu par lui en 1607, Ces mémoires font traduits en Francais, fous ce titre: Mémoires de Jean de Wit, er andftftfiotmairt dt Hollande Sc;. Ratisbojine,z7oo,  duit, d'une maniere claire & précife; qui charme lepolitiquee'clairé, les moyens par lefquels les richeffes & la population de la république s'accrurent, dans fon tems, prefque dix fois autant de ce qu'elles avaient été un fiecle auparavant; tandis que fon importance & fa dignité allaient de pair avec celles des plus confidérables états dc 1'Europe,'  CHAPITRE IX. Excellent ordre & bonne adminiflratlon des fiottes & des armées Bataves. Les Bataves font les premiers auteurs d'un ftflême complet de difctptine militaire. Leurs moyens de faire naitre l'émulation parmi leurs propres concitoyens 6? de ga~ gner des amis a leur caufe. Patriotifme des Bataves quelquefois porté a un excès condamnable. Leur fineffe & leur politique d 1'égard des puiffances étrangeres. ff ^cs Bataves furent, au cofnmencement du dix-feptieme fiecle i un exemple pour toutes les nations, par la maniere de lever & de difcipliner leurs troupes, & de les maintenir dans une julle fubordination. La fageife de leurs encouragemens & la ponctualité dc leur paie les mit a même de choifir les" meilleurs officiers & foldats qu'on pouvait trouver. Ils formerent en même tems, pour le bon ordre de leurs forces de terre & de mer, le corps de regiemens le plus complet que les tems modernes euffent produit: mefure, qui, quoique falutaire & requife, avait été négligée d'une maniere e'trange par les puiffances 1 n  X "7 X Européennes, dont les armées, excepte' en ce qui était relatif au champ de bataille, étaient a beaucoup d'égards totalement étrangeres a la difcipline & a la régularité. " Pourmettred'avantage envigueurcet efprit néceffaire de fubordination, les individus, employésdans le commerce & dans la navigation d'aventuriers particuliers, furent aflujetis de la même maniere a un fiftême de regiemens, qui, fans ■étre auffi coercitifs & auffi feveres que les premiers, furent d'une utilité effentielle pour réprimer le caraétere féroce de ces groffieres claffes d'hommes St pour les rendre plus traitables Sc plus foumifes, Les heureux fruits de ces plans utiles fïrent beaucoup d'honneur a ceux dont ils dériverent. La conduite décente & fage des marins & des militaires des Provinces-Unies devint exemplaire «Sc fouvent un modele d'imitation pour plus d'un état, furtout dans le nord de 1'Europe. Le fameux Chriftian V, roi de Dannemarck, & le grand Guftave Adolphe, roi de Suede, adopterent beaucoup de leurs maximes en matieres miJitaires,  X Jt8 )( Les Bataves ont été non moins remarquable* par cette vigilance & cette pénétration induftrieufe, qui prevoyent quels grands efiets peuvent étre produits par les petites caufes. Ces qualités cntrerent dans tous leurs confeils & les porterent a ne rien négliger qui put être utile, quoiqu'en apparence de peu d'importance. Ainfi, en perpétuant le fouvenir des dangers, qu'ils avaient affrontés avec tant de réfolution, dans le but de répandre un efprit de bravoure parmi la fiation, ils encouragerent foigneufement des commémorations anniverfaires dans les endroits qui avaient fignalé leur zele dans la caufè commune. Dans le deffein de réveiller 1'émulation de leurs contemporains, par un regard fur le paffe', leurs prédéceffeurs, les Anciens Bataves, furent adroitement rapellés au fouvenir public. Les faits les plus remarquables & les plus brillans de la courageufe réfiftance qu'ils avaient faite cqntrc les Romains, furent gravées par d'habiles artifics, & accompagnécs, en forme d'éclairciffemcnt, du texte de Tacite, de 1'hiftoirc de qui les fujets  étaient tirés. Des exemplaires dc eet ouvragc furent difperfées parmi leurs voifins, les Fl'a'-» mands, afin de réveiller le fouvenir de leur première liberté & de les animcr en faveur d'une caufe qui était autrefois la leur proprc; dont ils ne pouvaient oublier qu'ils furent les défenfeurs primitifs, & pour laquelle ils avaient fi rigoureufement foufFert. Quoique le grand but,propofé par cette mefure & autres de»la même nature, ne fdt point rempli alors, cependant la proximité d'une nation libre, dont ils avaient nagueres fait unc partie confidérable, infiua tellement fur les difpofitions des habitans des Pays-Bas, qu'elle entretint dans leurs efprits un puiffant attachement a leurs privileges & une. averfion violente pour. 1'oppreffion. Deli les divers princes, dont ils ont été fucceffivement les fujets en difFérentes époques, les ont traités avec beaucoup, plus de douceur qu'aucun peuple de leurs propres états; de peur qu'en étendant le defpotifine trop loin, 1'avantage & la facilité de fecouer le joug & de formcr une confédération avec les ProvincesUnies ne les engageaffent a embraffer une mcfurc fi aifée.  X 13° X Heureufement pour les Bataves, le principal deffein auquel ils vifaient par 1'union (qu'ils defixaient & recherchaient fi ardemment) du Brabant & de la Flandre a leur république, a re'uffi depuis par le fameux traité qui leur affigna une barrière, fi long tems defirée, entre leurs tcrritoires Sc la feule puifiance, dont ils avaient raifon de regarder le voifinage comme formidable, II eut été a defirer que la politique des Bataves, dans leurs efforts pour fervir leur patrie, ne fe fut point écaitée quelquefois de la droituTe, de maniere a donner trop de fujets de plaintes. Mais un emprclTcment a faifir toute occafion d'affurer leurs intéréts, a 1'exclufion de celui des autres, a été long-tems attachée a leur earadtere. Ils ont par occafion agi d'après ce plan, au préjudice irréparable de leurs compétitcurs. Bientót après la formation de la république, un de leurs premiers exploits de ce genre fut de ruiner tout d'un tems le commerce d'Anvers, en coulant a fond des vaiffeaux chargés de pierres d'un poids Sc d'un volume immenfe, a 1'embouchure de 1'Efcaut; fermant ainfi a jamais 1'en» ¥r?e de ce fleuve aux vaifieaux de charge^  X n* X t-e fait eft que lés Bataves ont porté 1'égoïfme du patriotifme a des excès fort immodérés. Comme les Romains, ils fembleut avoir été pleinement perfuadés de ces axiome: Omnes omnium charitates una patria compkxa efl; („ une feule patrie a embraffé tout 1'amour de tous"). Rien qu'une réfolution d'adopter la pratique de cette maxime dans fa pleine étendue, a pu les induire, dans quelques occafions, a faire céder 1'équité a 1'intérët, d'une maniere qui les expofat ala cenfure & a 1'indignation générale. II s'eft toutefois trouvé des avocats pour les défendre. Ils ont avancé que, comme 1'injuftice admet de 1'exténuation, lorfque celui qui la commeteft forcé réellement par lanéceflité d'y avoir recours pour fa confervation, la pofition des Hollandais les contraignit de ne laiffer échapper aucune occafion de s'établir, a tout événement, la oü ils avaient a efpérer du profit commer5ablc, fur lcquel feul ils fe repofaient pour leur fubfiftance & leur propre exiftence. Preffés par des motifs fi urgens, il n'était pas étonnant que par occafion ils cherchaffent a s'emparer, quoiqu'au préjudice des autres, des avantages qui pou~  5C ïai >( "vaient fe préfenter a eux & k les étendre au delè des limites de la ftricte e'quite'. Cependant il faut convenir que des imputa» tions de cette forte ne doivent point fe borner aux Bataves, & que peu de nations de 1'Europe, ê même il y en a, ont été complettement fans réproche a ces égards. Mais fi nous condamnons les fuites de eet efprit inquiet d'avidité au dehors, nous ne pouvons qu'admirer la profondeur de la politique & de la prévoyance qui les foutinrent au dedans & qui favaient jufqu'oü elles pouvaient être maintenues & encouragées, anffi bien que quand on devait les rétracter & les défavouer. C'eft a eet art de bien concerter leur condefcendance ou leiir refus que les Bataves durent le fuccès de la plupart de leurs entreprifes de commerce & la paifible jouiffance de divers avantages. Ayant trouvé moyen de les obtenir par la connivence «u la négligence des autres, ils y formerent a la fin des prétentions par la coutume ou la prefcription.  X "3 X Ainfi en faifant attention aux circonftavces,oü ils trouvcrent leurs antagoniftes en état ou incapables d'appuyer leurs demandes, & en ufant a propos de prudence, de fermeté & de patience, fuivant 1'h.umeur & le génie de ceux a qui ils avaient a faire , ils rendirent inutiles la réfolution, la politique & le reflentiment de leurs adverfaires&de leurs compétiteurs , & furmonterent, en trouvant moyen de les attaquer féparcment, des difficultés qu'ils n'euffcnt pas vaincues, fi leurs- antagoniftes euflcnt eu la précaution de s'oppofer tous a eux en même temsj De cette maniere Ils exercerent leur habileté envers plus d'une puiffance; & dans le cours général de leurs affaires,ils gagnerent toujours; quoiqu'ils rencontraffent dans ces épreuves de dexténté des gens nullcment novices en politique, & que plufieurs de ceux avec qui ils étaient ainfi engagés, fe cruffent beaucoup fupérieurs a eux dans ces fubtilités & cesfinelfes, auxquelles plufieurs hommes d'état attachent un fi haut prix. Si 1'on fe donne la peine d'examincr les négociations conduites par les miniftres Bataves a la cour de Jaques I, roi d'Angleterre, a celle dc  5C x Portugal, après que ce royaume fe fut rendu Snde'pendant de 1'Efpagne, «Sc dans les cours des couronnes du Nord, fans parler d'autres, on trouvera des raifons fuffifantes pour convenir des talens «Sc de 1'expérience de ceux a qui les EtatsGénéraux confierent leurs intéréts, dans les vues & deffeins ci-deflus particularifés.  CHAPITRE X. ^.riftocratie du gouvernement Batave. Moyeni employés pour le maintenir (3 te rendre agrêable au public. i'Habitant des Provinces-Uniep nullement enclin a 1'infurreBion, cependant extrêmement dangereux, lor}"qu'il y eft provoqué. Modeftie des chefs du gouvernement dans leur extérieur, leur conduite leurs dij'cours. Exem* fles de cette circonftance en divers cas. Egalité dans la levée des taxes. Impartialité obfervée dans l'exécution des loix & l'adminiftration de la juftice. Les Bataves nullement fujets d la pré* vention. Leur diligence & exaclitude d remplir les devoirs attachés aux emplois publics. IF^.es heureux efforts des principaux membres du gouvernement de la république Batave, pour Ie fervice public, ont puiffamment eontribue' a fixer fon attention fur les avantages réfultans de leurs travaux & a 1'empêcher de faire des jecher-: ches fur la nature d'un gouvernement qui était devenu graduellement purement ariftocratique. MB8 ■ ■ n-,u aiijmoï! ... ■ 9up jto ihA oJ • •rxuu d -i .f? li turföm alnoi over 3 laoruora- ; Afin d'obvier i la jakmfie; que pouvait cauf  >C ia* )C fer la manifcftation d'une pareille circonftance; ils n'ont negligé aucune efpece de politique qui pütcachcr 'cette défagréable vérité a la connaiflance du public. Pour le faire efficasement, ils n'eurent que" deux méthodes, favoir une adminiftration équitable & une cxclufion totale de eet appareü perfonnel d'autorité & de grandeur, qui rend furtout le pouvoir 1'objet de beaucoup d'envie. En conféquence ils embrafierent ces deux méthodes, & ils les ont conftamment fuivies avec une perfevérance & une fermeté qui font rejaillir le plus grand honneur fur leur conduite. Les partifans de la démocratie doivent convenir que la circonfpec"rion & la difcrétion, avec lefquelles ils ont agi, ont produit des effets auffi falutaires que ceux qui auraient pu jamais réfulter des re* glemens les mieux imaginés, fcmdés fur le concours, le plus libre& le plus exemptdel'influen» Ce de toiite une nation. Le fait eft que cette ariftocratie dans le gouvernement Batave roule entiérement fur la conduite prudente & impartiale de «eux qui l'exer«  X 127 X Cent. Toutes les fbis qu'une tendance k la haui teur ou a 1'oppreffion ou a des mefures contraires au bien public s'eft manifeftée ou a été fuspedlée, la nation a jetté de hauts cris & en a tiré quelquefois la vengeance la plus infleXible. Mais il y a eu fi rarement des fujets de mécontentement, qu'aucune autre nation, fous un gouvernement patricien , n'a jamais joui d'autant de tranquillité intérieure ; preuve de la conduite tempérée & modérée de ceux qui font a la tête des affaires, non moins que du bon fens & de 1'heureufe difpofition des fujets ainfi gouvcrnés. On voit par la que ceux-ci font excmpts d'efprit de trouble «Sc de faclion, «Sc veulent bien fouf&ir 1'ambition qu'un petit nombre a de dominer; pourvu que les fuites n'en foient pas préjudiciables aux intéréts effëntiels de tous, maxime * laquclle ne font point affez attention ceux qui foutiennent la nécefiité d'une égale répartition d'autorité fucceffive parmi les membres d'un état, afin d'en conferver la liberté. C'eft toutefois une opinion, dont les fautcurs femblent trop fujets a oublier que les motifs de la plupart es,  - X 1=8 X s'efForcant de devenir puiffans, proviennent noif tant de la foif du pouvoir que d'une envie d'avoir l'occafion de fe faire diftinguer & refpccter pour leurs fervices envers la fociété. Cette humeur traitable des Bataves ne provient certainement pas de la pufillanimite'. Ils ont donne' des preuves fignale'es du contraire, & ont fait connaitre au monde que, lorfqu'ils font proVoque's, on ne peut les appaifer qu'après que leur colere a jette' fon feu. Quand ils furent pcrfuade's que les De Wit, étaient les caufes des calamités qui avaient expofé leur patrie fur le "bord de fa ruine, leur fureur ne connut point de borncs; & de peur que les procédures judiciaires ne puffent feconder leur refTentimcnt, la populace impitoyable eut recours a un maffacre immédiat de ces deux hommes d'état égalcment illuftres & malheureux( 47). Les (4?) Les excès auxquels la populaee de la Haye fe porta •envers les deux de Wit révoltent 1'humanité; il fiiffit de dire a ce fujet que les horreurs qu'on vit a Paris, lor» de l'airaiTinat du maréchal d'Ancre, en i6i5>,fe retracerentavee l< mime barbarie 4 la Haye, en 1672,  X «9 X Les mêmes réfolutions populaires, qui, quoique tumultueufes &deftituées des principes dejiütice dansle cas précédent, furent fondéesfur une convicftion raifonnable de leur équité dans un cas poftérieur, placerent Guillaume IV k la téte de la république. Quoique des obfervateurs fuperficiels fc foient permis des reflexions trop libres fur le caratfere des Bataves, au fujet de ces procédés irréguliers & en apparence défefpérés, cependant 1'expérience a montré que, dans ces réfolutions rapides & inftantanées du corps d'uhé nation, les Etats - généraux ont fouvent troüvé leur falut & leur renouveliement. II y a eu toutefois peu de révoltes parmi les habitans d'un pays, oü la douceur dans 1'exerCice du pouvoir & une condefcendance a leurs fouhaits & defirs ont toüjours caraftérifé leurs chefs. La circonfpedtion de ceux-ci a évlter lès occafxons d'offenfer eft portee fi loin, qu'ils s'abftiennent même foigneufement de cette apparence de fupériorité que les formalités extérieures d'é F anneXent orai^irement aux perfonnes élevées *n place. 11 èn réfüfté que, malgré la réalité de leur importance, lés bourguemaitres & au«es perfonnes en charges éminentes, affefteöt' I /  X X dans leurs manieres & dans leur genre de vie un air uni «Sc funple qui efface 1'idée de leur fupériorité; tandis qu'ils gouvernent en même tems d'une maniere abfolue & conferent toutes les poftes & emplois civils a qui bon leur femble, «Sc cela avec une telle plénitude de pouvoir qu'ils obligent leurs plus proches parens & amis fans exciter aucune plainte ni aucun mécontcntement apparent. Une forte raifon, pour Iaquelle les Bataves montrent eet acquiefcement & s'abftiennent de trouver a redire a la conduite de leurs magiftrats, c'eft que les richeffes étant le titre qui procure une connexion avec les premières families de re'gence, les gens induftrieux qui conftituent la majeure «Sc la première partie de la nation, ne voyent point d'obftacle a leur efpoir d'obtenir a leur tour affez de confidération pour s'élever par de tels moyens a 1'importance & a 1'autorité. Cependant comme leur opgueil n'eft point blefle' par ces appareils de fouveraineté & d'éclat officiel qui regnent tant dans les autres nations, «Sc comme 1'égalité des fortunes produit une familiarité de conduite qui fait difpa-  X I3i X raitre la dignité des emplois, excepte' dans le moment oü ils font exercés, le pouvoir & le poids de ceux qui en font revêtus ne font en aucune maniere appercus ou reffentis, fi ce n'eft qu'en ce qu'on les voit de niveau avec ceux fur lefquels ils pre'fident. Par leurs a&ions & difcours ils profeffent une parite' d'obéiffance a toutes les ordonnances publiques, en commun. avec leurs concitoyens. Ils attribuent avec fora & refpecl: le feul empire & la feule majefté aux loix; ce n'eft que, comme exécuteurs de ces loix, qu'ils requierent & demandent de la foumifïïon & de la condefcendance, & non comme dérivant ces prétentions d'aucun droit de domination inhérent a eux mémes. Tels font les moyens populaires & judicieux par lefquels 1'intérêt patricien eft foutenu dans les Provinces - Unies & norit prefque fans être un objet de jaloufie & n'étant que peu appcrcu. Conformément a ces maximes, dans les commencemens, un petit nombre de chefs, en évi- tant toute apparence de commandement & en ne 's'arrogeant aucunes marqués extérieuies de pr§- I 3-  X 132 X éminence, s'infinuerentfavorablementdans 1'efprit & les bonnes graces de leurs concitoyens, qui, charmés de leur affabilité & de la fimplicité de leur conduite,ne virent en eux que les laborieux & infatigables ferviteurs du public. Ainfi i'aïfr fimple & la modération d'un Barnevelt & de fes iliuftrcs compagnons exciterent a la fois 1'admiration & le refpedt de toute 1'Europe •, &, ce qui était encore d'une plus grande importance pour la caufe commune, produifirent 1'imitation & la confiahce de fes compatriotes. Ceux-ci étaient convaincus qu'il n'y avait nul danger a fe réfigner de la maniere la plus implicite a des hommes qui donnaient de telles preuves de leur mépris pour tor.te vaine oftentation, qu'elles étaient une marqué fuffifante qn'ils n'avaient aucun defir d'accumuler les moyens de la foutenir. Une expofition fi efficace de défintéreffement patriotique était toutefois nécefTaire dans un tems, oü toute vertu, alliée a 1'épargne & a 1'abnégation de foi-même, était requife pour augmenter un fonds qui ne s'éleva de rien que par un travail «Sz une induftrie extrêmes;& oü une marqué d'égalité «Sc un efprit de bonté fociale étaient abfolument  X 133 X nécelTaires pour cimenter tous les degrés dans une cordialite' dïunion. Ges grands exemples laifferent de fi profonr des traces dans la me'moire de ceux qui en avaient été témoins, qu'on forma & tranfmit a la poftérité une regie traditionelle, par laquelle on fe fit une efpece de loi tacite de les imiter. A la gloire particuliere des Bataves, il n'y eut, pendant long tems, qu'un trés petit nombre d'occafions oü ils s'e'carterent de cette regie. Avec la fucceflïon des tems, beaucoup après que les fondemens de la république eurent repofé fur la bafe la plus ferme & qu'on y eut élevé le plus noblc édifice ; a une epoque oü ils étaient ' devenus le plus puiflant peuple fur mer & la nation la plus opulente fur terre, dans toute 1'Europe; nous trouvons que, comme les anciens Romains dans les jours tripmphans de la république, lorfqu'ils vainquirent un Pyrrhus & un Hannibal & affujetirent 1'empire de la Grece, les Bataves cpnferverent toujours leurs mceurs primitives au milieu de toutes les tentations qui purent les engager a s'en départir. Ainfi, tandis qu'un Tromp , un I 3  )( 134 X Rayter & beaucoup d'autres perfonnages me• rnorablcs foutenaient 1'honneur de leur pavillon & portaient la terreur de leurs forces maritimes fur tant de mers; tandis que dans le même tems leurs tréfors femblaient inépuifables par les fommes prodigieufes qu'ils de'penfaient continuellement pour fe défendre eux-mêmes fi vigoureufement de tous cóte's & pour affifter & prote'ger puiffamment leurs allie's, les chefs de 1'état aae cherchaient d'autre luftre perfonnel que celui qui réfultait de leurs aftions & de leurs confeils., & réfervaient toute la grandeur & la magnificence pour les occafions pabliques. Le grand De Wit, 1'ame de toute leur politique, eet homme dont le caraftere allait de pair avec celui des jnonarques , ne fe fervit que rarement d'un équipage & n'eut d'autre fuite domeftique qu'un fimple particulier. A 1'imitation de ces excellens modeles, tousles autres individus fe conduifirent avec une économie & une modération qui pafferent en proVerbe chez les nations de 1'Europe, & qui furent d'autant plus étonnantes, qu'ils avaient plus qu'elles toutes les moyens de s'adonner au luxe.  X 135 X Mais leur tempe'rance & leur averfton pour les excès furent toujours auffii remarquables que leur opulence. II faut dire a la louange particuliere des Bataves, que, comme les Carthaginois le furent dans 1'antiquité, ils ont été, dans les tems modernes, le feul peuple chez lequel les richeffes n'ont point produit leur eftét ordinaire, favoir d'introduire le luxe & la prodigalité. Cet efprit de tempe'rance, fi rare ailleurs, continue jufqu'a ce jour avec trés peu d'exception. La modeftie de conduite & la maniere d'agir des premiers du pays eft encore dans toute fa pleine force. Les affemblées même des Etats-généraux a la Haye fe tiennent avec üfj calme & un éloignement de pompe & d'oftentation, lefquels furprennent les étrangers qui ont vu 1'appareil que 1'on met, dans leur pays & ailleurs , a des cérémonies beaucoup moins importantes. C'eft ce mépris pour les décorations & les ornemens de 1'ambition , qui les rend capables de gouter la jouiffance d'un pouvoir réel & folide. On doit avouer toutefois I 4-  X I3< Les Bataves connaiffent parfaitement cette maxime, finon par the'orie, du moins par pratique. Peu d'objets font en état d'exciter en eux ces tranfports d'admiration & d'applaudiifement qui font fi communs ailleurs. ' Ils voyent les chofes, non toutefois avec une indifférence abfolue, mais avec un flegme qui fait qu'ils n'y attachent pas plus que leur valeur précife & qui ne permet pas a 1'obfervateur d'être emporté par une vaine opinion de leur excellence. Delk entr'autres eflèts produits par une pareille difpofition, ils ne font que peu charmés de ces modes & de ces inventions de luxe brillant, apportées de fi loin & achetées k fi haut prix, pour la jouiflancc defquelles tant de tems & d'argent eft prodigué par les nations les plus curieufes & les plus rafmées, fi toutefois de telles épithetes peuvent s'appliquer k ceux qui ont altéré la nature de ces objets, & qui, au lieu de les confidérer & d'en faire ufage, comme n'étant admifiïbles qu'en certaines occafions , les ont convertis en concomitances régulieres & néceffaires des perfonnes du bon ton. K4  X i.p X II n'y a donc que peu de Bataves qui foient eaptivés par ces'gaietés paffager-es ou- qui fe foucient d'émployer leur argent a des articles qui ne font d'aucune folidité'ni d'aucune durée„ ïls font beaucoup plus jaloux de s'affurer les moyens de vivre avec aifance que de fe jetter dans cette profufion & cette pompe, vers lefquelles 1'acquifitioh des richeffes entraine fi puiffamment, dans la plupart des autres pays, oü les individus femblent croire 'le bonheur imparfait «Sc iacomplet, a moins qu'il ne foit orne' d'embelliffemens acceffbires & environné d'une foule de témoins; bien différens a eet égard des Bataves qui ne eherchent le bonheur que pour luimême,. «Sc fe mettent peu en peine de ces fitperfluités brillantes, qui attirent une multitude de fpedtateurs. On en voit des preuves remarquables dans la fimplicité de leurs amufemens, qui font le plus fouvent bornés au cercle de leurs amis intimes & de leurs connaiffances familieres; & plus encore dans le peu de penchant a la fomptuofité qu'ils montrent dans la décoration de leurs maifons. Leur principal & fouvent leur unique mérite, comme on 1'a déja obfervé, en eft la  X 153 X propreté. On ne fait qu'une légere attentlon £ ces ornemens d'archite&ure & a ces délicateffes' étudiées de 1'art, que les riches, dans d'autres endroits, s'attachent fcrupuleufement a employer avec le moindre détail & confiderent comme des preuves de leur gout fupérieur & comme des articles néceffaires dans la fphere de leur vie. De pareils objets dans ce pays de parfimonie ne font en aucune facon regardés eomme faifant une partie elfentielle Sc propre des dépcnfes des individus même les plus opnlens , «Sc ne font par conféquent appropriés qu'aux édifices publiés. De la fur les bords de ces nombreux canaux, qui répandent les richeffes «Sc 1'abondance dans le pays, legrand nombre de maifons'qui en quelque forte les refferrent, eft remarquable par' une décence champêtre qui conftitue ordinairement leur principale beauté. Quoique ces édifices démontrent pleinement que les habitans des villes, dans le voifinage defquelles ils font fitués, jouiffent d'un état fortuné, cependant ils prouvent en même tems qu'ils font également verfés dans. la fcience de 1'économie, «Sc non auffi jaloux de vivre fomptueufement qu'agréablement. Dans K 5  leurs villes les plus opulentes, M n'eft pas rare de voir des marchans confide'rables logés d l'étroit, comme le difent proprement les Francais, & ce qui eft encore plus, entierement fatisfaits de cette fituation. On ne confulte que peu les rafinemens modernes dans la diftribution réguliere & commode des appartemens. Les aifances imagïnées avec tant de gout en Angleterre, & les élégances fi ingénieufement inventées en France font prefque totalement negligées: en un mot le fiftême qu'ils obfervent dans leurs habitations eft généralement celui qu'une perfonne riche, dans 1'une ou 1'autre de ces deux nations, regarderait comme trés difproportionné k fon importance. Mais c'eft de cette abftinence même de pompe & de fomptuofité que les Bataves fe piquent toujours dans le train ordinaire de leur vie privée. Si jamais ils s'en écartent, ce n'eft que rarement, dans des occafions extrêmement particulieres. Quand on refléchit que les faillites & les banqueToutes font beaucoup plus rares chez eux que chez leurs voifins qui font plus vifs & plus rna- f  X i55 X gnifiques, on doit convenir que leurs notïons ap« prochent beaucoup plus de la droiture fur ces articles & qu'ils font expofés a trés peu de cenfure. Leur principal de'faut eft de faire paraitre trop de rne'fiance & d'ufer de trop de( précautions inutiles en traitant d'ttffaires; on peut ajouter enjcöre le de'faut de ne pas fe prévaloir, avec un propre degre' d'indulgence, des largeflès que la fortune a fi prodigalement, &, pour le dire a leur e'loge, fi juftement répandues fur un grand nombre d'entr'eux. Cependant, comme des erreurs de cette nature peuvent affeéter peu le bien-étre particulier de ceux qui les commettent, ou ce public dont ils font membres, on ne doit pas les leur reprocher auffi féve'rement que 1'ont fait injuftement beaucoup d'e'trangers inconfide're's, qui femblent oublier les conféquences de eet efprit de profufion qui regne avec tant de licencc parmi un grand nombre de leurs compatriotes, dont les revenus ne font que mal aflbrtis avec leur extravagance. Dans beaucoup d'endroits de 1'Europe, 1'imi.tation du genre de vie adopté par les claffes fu-  x *s6 a périeuresi eft fouvent le dernier btit defiré Si trop fidelement mis en pratique tant par ceux qui travaillent a amaffer du bien que par ceux qui font au comble de leurs fouhaits. Dela entr'autres fuites funeftes, les nerfs d'un état ont été relachés non feulement par la diffipation, en frivoles projets, des fonds qui auraient c\Ci être confacrés aux objets du commerce, mais auffi par la retraite prématurée du théatre des affaires de la part de beaucoup d'individus a qui la date de leurs années ou la fituation de leur fortune ne donnaient aucun jufte prétexte d'avoir droit de renoncer a leurs travaux; mais qui étaient irnpatiens de figurer dans une fphere que la vanité leur repréfentait 'comme plus honorable ou que 1'indolence montrait comme un afile après la fatigue. Quels que foient les élogesque les perfonnes indifcrettes accordent a la conduite de ceux qui, dans la force & la vigueur de la vie, aiment a fe retirer de 1'embarras des affaires du monde, cette conduite provient en gënéral beaucoup plus d'un efprit de vanité ou d'un defir de 1'aifance que de la niodération & du contentement, dont la véritable nature ne confiftc pas dans une renoncia-  X i57 X tion a ces fcenes d'aclion oü nous fommes engagés pour 1'avancement de notre fortune, mais dans une joyeufe acceptation des avantages qui en réfultent, quoique ne repondant point a notre attente, ou disproportionne's a 1'induftrie que nous avons de'ploye'e dans la pourfuite de nos plans. Un motif capital pour lequel dans les Provinces - Unies les commergans fongent rarement a fe retirer des affaires, tant qu'ils peuvent refter dans eet état fans être expofés a aucun inconvénient, c'eft qu'aucun pofte dans Ia fociété ne produit plus de crédit & de refpecï que celui d'un individu que Ia diligence & la fagacité ont élevé k 1'opulence. Cette circonftance lui donne, dans toutes les affaires d'importance, une égalité de poids avec les premiers de fes concitoyens. Parmi ceux-ci, les ridicules & les farcafmes avec lefquels la jaloufie ou la légéreté attaquent, d'une maniere fi mordante & fi injufte, la baffeffe de la naiffance & 1'obfcurité de l'extradtion dans la plupart des autres endroits, ne font que peu connus ou peu favorifés, & leur faveur & leur eftime font les  X 158 X récompenfes aflurées d'une application heureufé a fa vocation. « Cette confidération toujours prëfente, comme on peut bien le fuppofer, a 1'efprit des hommes , qui voyent journellement avec combien de juftice elle eft fondée, devient fans doute un puiffant aiguillon pour perfevérer dans une carrière qui promet autant. Peu d'entr'eux en conféquence aiment a la quitter, même lorfque leur ambition eft le plus amplement fatisfaite & que dans le cours de ces avancemens dont leur induftrie jetta les fondemens, ils font au moins devenus des perfonnes de la plus haute importance. La fource principale d'oü découle ce fuccès général d'efforts pour profpérer," 1'heureux talent d'éviter des dépenfes non néceffaires & de nulle utilité, eft non feulement la gloire des claffes commercantes &c laborieufes, mais également de ceux dont le patrimoine eft affez confidérable pour leur procurer toutes les jouifiances. Quoique exempts de la follicitude requife pour faire fortune, ils obfervent néanmoins dans 1'adminiftration de leur revenu un ordre & une économie, auxquels les héritiers de biens fonds, dans  X i59 X d'autres pays, font trop malheureufement étran* gers. II en réfulte que, tandis que ces derniers diffipent, fansgarder de mefure, leur fortune, fouvent de la maniere la plus ignominieufe, les premiers jouiffent d'une portion décente & raifonnable de ces plaifirs qui ne laiffent aucuns remords après eux par le fouvenir de leur prix & de leur impropriété. Les perfonnes influées par une dépravité de goüt ou un déreglement d'imagination regarderaient ces plaifirs comme en méritant a peine le nom; mais pour une vie de fobriété & de tempérance ils font d'une valeur infinie par la férénité qui en accompagne la pourfuite & par 1'abfence totale de cette ardeur & de cette follicitudê inquiete qui agitent un efprit fort épris de brillans paffe-tems & dela plus propre a en faire des objets d'occupation que de délaffement. Le réfultat naturel de cette difpofition modérée 65 circonfpedte eft que, tandis qu'en France, en Angleterre & dans d'autres pays, oü des feenes de prodigalité font fréquentes, oü des fortu-  X i6ó X nes vont perpetuellement en ruïne & oü des families honnêtes font journellement re'duites a 1'indigence; dans les Provinces-Unies on ne fouffre point de diffipation en aucun article, quelque faible& légere qu'elle puüfe être ;&, par la pratique continuelle de cette économie en toute occafion , avec le cours des années, on amaffe des fommes confidérables avec des revenus médiocres & 1'on pourvoit en même tems d'une maniere décente aux befoins domeftiques„ tVaprès ces prémiffes, on peut avec beaucoup de vérité affirmer qu'en tout ce qui concerne la conduite des affaires pécuniaires, les Bataves font fans doute plus experts qu'aucun peuple, vu qu'a la fcience d'acquérir du bien, ils joignent celle non moins nécelfaire de le conferver. Aucun pays donc ne peut entrer en rivalité avec le leur, quant au nombre des habitans, qui ont en partage, finon les richeffes, du moins une honnête fuffifance. C'eft toutefois le réfultat néceffaire de eet efprit univerfel de circonfpeclion & d'ordre qui les caradtérife fi fortement, & dont 1'exercice eft fi répandu & fi populaire, qu'une trempe contraire d'efprit eft d'une efpece étran- gere,  X i Si X èere, peu conriue; & lorfqu'elle efl découverte. on la met a 1'écart, comme extrémement digne de cenfure & déshonorante. Dela au milieu -d'une infinité de taxes & de contributions pour les befoins publiés, telles qu'aucun pays n'en eprouve & dont les étrangers n'ont une idée^jufte, que lorfqu'ils connaiffent Ie gouvernement intérieur de cette république, les habitans floriflent, deviennent riches & parviennent k un dégré de profpérité, égalé par peu de natiom & nullement furpaffé par aucune mentionnée dans 1'hiftoire, Louis XIV avait fouvent coutume d'exprirner fon étonnement, lorfqu'il comparait les impofidons dont il chargeait fon peuple avec celles dont les Bataves fe chargeaient volontairement; ce monarque trouvait que les dernieres étaient, d'une maniere difproportionnée, beaucoup plus fortes & que les Provinces-Unies étaient encore fupérieures a la France en population, en richeffes & en puiffance, par rapport a 1'étendue du territoire poffédé par cette république.  Cc monarque avait la vanite' de croire fon adminiftration auffi douce & autant dirigée vers le bien des individus que celle d'aucun état do 1'Europe. II n'était donc pas étonnant qu'il ne compiït nullement les caufes qui donnaient naiffance au fujet de ion étonnoment. II nVtait pas aifé a un prince defpote & abfolu de découvrir quclles font les difFérentes efpeces d'afccnaai.t & d'influence que la jouilfance de la liberté politique ou un état d'obéilfance illimitée prennent fur refprlt humain; combien la première éleve celuiei & lui infpire la réfolution de tacher de fe fur* paffer, par la perfpective de cette fécurité qui eft 1'ame de tous les efforts que nous faifons pour nous enrichir «5c améliorer notre condition, & combien le deuxieme 1'abbat & rallentit fa vigueur & fes efforts, par les reflexions qui fe préfentent fur 1'état précaire de notre fituation, quelque profpere «Sc heureufe que notre induftric puiffe 1'avoir rendue. Des confidérations de cetté nature mettent k même d'expliquer pourquoi ce prince ambitieux avait tant raifon de s'émcrveiller de ce qu'un ' pays, dont 1'étendue allait a-peine au quinzieme .da fes états, ofiit cependant le braver; de ce  X i*3 X tque fans appui, abandönnés,alfaillis même,avec autant d'injuftice que de mauvaife politique , par un autre voifin non moins formidable; les Bataves eurent nè'anmoins alfez de force pour re'fifter a toute fa puiffance fur terre t & lui furent affez fupérieurs fur mer pour 1'obliger de fe repofer entierement fur 1'affiftance de leurs feuls rivaux fur eet élément; de ce qu'ils furent en état de jouer contre lui, après 1'Angleterre, le röle le plus confidérable dans cette fatale alliance, qui mit un terme final a la carrière d'un demi-fiecle de fuccès, & qui par une fuite de victoires oü ils eurent une part honorable, détruifit fes flottes,1 & défit & vainquit fes armées d'une maniere fi réitérée & fi décifive, qu'il n'eut a la fin d'autre reffource par devers lui que d'implorer la clémence de fes ennemis en demandant la paix aux «sonditions les plus humiliantes.' La poftérité fera également étonnée , quand elle apprendra qu'un pays, dont la furface n'a pas dix mille miles en carré & dont une vafte partie eft perdue en marais & en landes , trouva moyen, par 1'induftrie de fes habitans & par la fageffe & 1'cfprit de fon gouvernement, d'entretenir dans cette fameufe querelle plus de cent mille L 2  X 1*4 X hommes en campagne, «Sc plus de cent Vaiffeaux de guerre fur mer : forces plus confidérables (celles de France «Sc d'Angleterre refpedlivement exceptées) que celles qu'aucun autre e'tat ou potentat de 1'Europe pouvait alors entretenir; & dont les frais exce'daient les revenus de toute puiffance dans cette partie du monde, a 1'exception des deux mentionnées ci-dcflus.  X i«5 X CHAPITRE XII. InflruHion & retirer de l'hiftoire des ProvincesUnies. Reflexions fur l'élévation de quelques nations. Caufes de la profpérite des ProvincesUnies. Conduite des Bataves comparée avet celle de quelques états anciens modemes. Récapitulation de leur politique. u. coup d'osil fur l'hiftoire des fept Provinces-Unies préfente k un leéteur attentif une chaine d'e'vénemens & de faits, tant étrangers que domeftiques, k la fois fi extraordinaires & fi inftructifs, & compris dans des efpaces de tems fi étroits, qu'aucunes annales modernes ne peuvent lui être comparées a ces divers égards. Quand on confidere impartialement le grand nombre de paffages extraordinaires qu'on rencontre dans le cours de la lecture de cette hiftoire, on doit avouer que les habitans de ces provinces méritent a un haut degré le caraétere de bravoure, de fagacité & d'induftrie, qui leur eft univerfellement accordé, & qu'ils ont L 3  X 166 X ) t " >" en même tems montré, dans leur gouvernement inte'rieur & dans leur conduite au dehors , un fiftême de politique fupe'rieur a celui de tout état queleonque, durant les deux fiecles, qui conftituent préfcntement 1'exiftence de leur 'république. Quand un peuple ne fort que par occafion de 1'obfcurité & qu'il ne fe fignalife que d'une maniere paiTagere, de pareils événemens ne peuvent être dus qu'aux talens fupérieurs de ces perfonnages extraordinaires, que chaque age & chaque nation produifent quelquefois. Ainfi le génie d'Epaminondas donna la fuprémacic fur toute la Grece aux Thébains , fes compatriotes, qui immédiatement a fa mort retomberent dans leur premier état de nullité. De la même maniere, Timoléon rendit redoutables & invinciblcs les Syracufains, qui furent avant & après lui la proie des tirans. Dans le dernier fiecle, les Suédois, fous Guftave Adolphe, & au commencemcnt de celui-ci, fous Charles XII, joucrent un róle auquel ils furent auparavant & ont été depuis étrangers. Ainfi de nos jours, un illuftre monarque (49), par 1'opération infatigable de la capacité la plus étonnante , donna un luftre C49) Frederic n, roi de Prufle.  X i«7 X i fa couroïine & une reputation aux qualitéi militaires de fes fujets, qui, étant 1'un & 1'autre. fondés uniquement fur les talens perfonnels & nullement dus a aucune - excellence particuliere danslaforme de leur gouvernement, ne font point preTumés lui furvivre, a moins que fes mérites ne foient e'galés par ceux de fon fucccffeur. Cette grandeur paffagcre des empires & des nations peut auffi être formée par le concours fortuit de ces incidens favorables, qui, fans 1'intervention d'une profonde'politique ou d'r.ctions héroïques, effedtuent a la fois 1'élévatioH d'un état. Ainfi le mariagc d'Ifabelle de Caftille avec Ferdinand d'Arragon, & celui de leur fille avec 1'héritier de la maifon d'Autriche, &v la découverte accidentelle de i'Amérique produifirent 1'importance fabite & momcntanée de 1'Efpagne. Tandis que ces caufes opéraient, cette monarchie grit Ie deffus & devint la principale puiffance de 1'Europe; mais, lorfqu'elles celferent, elle déclina bientöt; & a proportion du décroiffement de ces fecours fortuits, elle tomba graduellement dans un état de faibleffe étonnante.. Cet état fut accéléré par les chefs de cette monarchie qui méconnurent les foiirccs L 4  X 1*8 X de fa première puiffance & 1'attribuerent a la force intrinfeque & naturelle & a 1'efprit de la nation. Dela ils furent porte's a des entreprifes' qui les convainquirent promptement de 1'inca-, pacité de 1'Efpagne, quand elle fe repofa fur la feule vigueur de fon gouvernement & de fes ■habitans pour appuyer & faire réujïir de grands deffeins. \ Mais, lorfqu'un pays long-tems de'robé a rattention du monde & intrinféquement d'une faible poids dans la balance de la politique, s'éleve a travers les obftacles qui 1'environnent, & contre toute attente & probabilité tient ferme contre les efforts les plus puiffans & les plus invétérés, «mployés pour lc réduire; lorfqu'au milieu de calamitésde tout genre il fait journellement des progrès conftans & uniformes vers la profpérite & arrivé enfin a un dégre' de puiffance & de 'dignité, fuperieures,a proportion de fes moyens, a celles de tout autre état; lorfque ces faits nq font point bornés a la durée d'un petit nombre d'années, mais qu'ils fourniffent maticre aux annales de deux fiecles; lorfque 1'efprit & la fa~ geffe qui leur ont donné naiffance, exiftènt & flenriflent en pleine force, & qu'il n'y a d'au^  tres motifs apparens de craindre la chute de ce Boble édifice, que ceux qui proviennent de la fragilité générale attachée a tous les ouvrages de 1'homme; lorfque des faits de cette nature, confpirent en faveur d'une nation, alors il eft évident qu'on ne doit point attribuer plus longtems ces effets admirables a 1'éclat accidentel des moyens paifagers de tout individu quelconque ouau concours fpontané d'heureux hafards. Leurs caufes font beaucoup plus extraordinaires & s'appuyent fur une bafe plus durable, favoirJa politique conftitutionnelle & 1'excellente adminiitration d'une pareilétat. Celles-ci, comme un fonds radical de fanté & de vigueur dans le corps humain, lequel communiqué l'a&ivité & la folidité a tous fes membres, entretiennent la vie & le mouvement requis dans les diverfes parties qui conftituent la république, en n'en laiffant aucune refter fans emplqi, en donnant de 1'encouragement aux talens utiles & aux entreprifes avantageufes, & en tirant parti de toute occafion de contribuer au bien-être du public. Aucun gouvernement n'a été plus attentif que celui des ProvincesUnies a cette particularité, qui eft la véritable fhéorie de la profpérite' dans tous les pays. h s  Cependant on prit les foins néceffaires pouf; unir ces deux extrêmes difcordans, fi difficiles »reconcilier chez unc nation lihre & opulente, un penchant pour la paix & une aptitude pour la guerre. Aucun gouvernement ne pourait donner des prcuves plus fortes de la préférence que les Bataves ont cordialement donne'e aux arts & aux occupations de la première fur ceux de la deuxieme. Toutes les fois qu'ils prirent les armes, ils le firent par toute autre motif que celui de 1'ambit.ion, & cependant leur conduite a toujours rnontré que leur inclination pour la tranquillite ne provenait .point d'un defaut de re'folution. La bravoure, qu'ils ont montrée dans les différentes guerres qu'ils ont éte' obligés de foutcnir, peut être place'e de niveau avec celle de toute autre:nation. Un parcil efprit d'e'quité dans les affaires publiques eft uil mérite auquel ne put jamais pre'tendre avec une égale propriété toute autre république, foit ancienne ou moderne, jouiffant dc quelque dégré confidérable de richeffes & dc pouvoir.  'X I7i X Pour ne rien dire des Spartiates & des Romains (avec lefquels, comme peuples entierement guerriers, la comparaifon pourait ne pas fembler ftrictement jufte) Athenes & Carthage, deux répubiiques commereantes , avec qui. comme telles, les Bataves ont la plus grande reffemblance, furcut continuellement engage'es dans des projets ambitieux. Mais comme ils e'taient étrangers a 1'efprit de leurs inftitutions domeftiques, elles ne pouvaient manqüer, en y perfiftant obftine'ment, malgré les plus feveres avcrtiffemens, de caufer leur propre deftruction. stfsï'bb' 'sj»rtcv""Br ti'.trï) e;:aich''>,:q zil iopQ Une fureur étrange & bifarre pour les conquêtes inutiles dans des pays lointains épuifa continuellement les Athéniens a force d'entrcprifes téméraires au dehors, & fuggéra enfin cette fatale expédition en Sicile, d'oü 1'on peut dater ie commencement de ces revers qui aboutirent a leur ruine entiere. j Les Carthaginois fuivirent les mémes voics dangereufes. Ils avaient trop d'avidité & d'ambition, pour fe borner au continent de 1'Afrique oü-la nature femblait leur offrir un fiege d'cmpire, inacceffible a la feule puifTance qu'ils  X il* X avaient a redouter, s'ils avaient fu profiter dé leurs forces navales & de leur fituation maritimes. Mais ils negligerent celles-ci, afin de s'établir en Efpagne, contre'e qui devint un fle'au perpétuel pour leurs hommes & leurs tréfors. En abforbant toute leur attention, elle les rendit prefque infenfibles aux dangers imminens auxquels ils furent expofés, en laiflant leurs propres cótes fans défenfe & ouvertes a ces invafions, dont les fuites font fi bien connues. Dans les premiers tems, la vanité de faire des conquétes iufatua les confeils de plufieurs répubiiques Italiennes. Ce fut la caufe primitive de la diffblution de quelques-unes d'entr'elles; & elle manqua prefque d'opérer la chute de Venife, la plus puiflante de toutes; tant eft préjudiciable au bien-être de toute conftitution, fondée fur le commerce, 1'efprit d'acquérir des états par la voie des armes; vu qu'en cas de mauvais fuccès, un état, dont la force n'eft point intrinféquement confidérable, court rifque d'une deftruótion immédiate; ou, fi fes dcfieins réuffiffcnt, il n'en eft pas beaucoup moins rédüit a 1'extrémité par les efforts qui ont été néceffaircs pour obtenir du fuccès.  X 173 X ' Des erreurs de cette nature dangereufe n_'ont jamais été, ni ne feront jamais probablement commifes par les Bataves, dont la conduite, par un ferme attachement aux principes de modération, a toujours été fuivie de fa recompenfe, la fécurité. Toutes les fois qu'ils ont été afféz violemment preffés par leurs ennemis, pour que leur fituation foit devenue critique, la plupart des grandes puiffances Européennes ont unanimement concouru a époufer leur eaufe, & fe font vivement intéreffées a leur défenfe. Avertis par le deftin de ces nations, qui ont été les vi&imes de leur ambition, ils ont fagement fuivi 1'avis qu'un de leurs hommes d'état le plus diftingué avait fouvent coutume d'inculquer, dans un tems oü leur profpérité était a fon comble & oü leurs fuccès fur terre & fur mer enflaient trop quelques uns de fes collegues, h qui il répéta par occafion ce précepte d'Ovide: . . . . medio mijpmus ibis. ( » Le milieu eft pour vous la voie Ja plus ÏUrc, ")  X 174 X Dirigés par eet efprit falutaire, ils femblent d'après tout le fiftème de leur politique, avoir confidéré Yauream médioeritatem („ la mediocrité „ qui vaut de 1'or ") qui eft la plus fure route vers le bonheur dans la vie prive'e, comme é'galement applicable aux affaires d'e'tat & pareillement efficace pour avancer la félïcité publique des nations. Conformément a ce principe, ils ont e'te' plus' attentifs a conferver leurs propres poffeffions que jaloux de les aggrandir, Lorfqu'a 1'iffue de la guerre generale, qui fut termine'e par le traite' d'Utrecht, leurs frontieres furent e'tendues, leur fureté fut e'videmment le feul objet qu'ils eurent en vue, d'autant plus que la fouverainete' territoriale refta a d'autres dans les villes fortifiées , qui leur furent céde'es, comme une fureté contre le danger d'un voifmagc auffi fufpecT: que celui de la' France. Le feul accroiffement qu'ils ayent eu en vtie a éte' celui du commerce & dc la navigation. Comme ils doivent a tous deux leur force «Sz leur gloire & qu'ils ïje fe repofent que fur 1'un & 1'au»  X i?5 X fre pour continuer le röle qu'ils ont joué jufqu'ici, ils ont employé tous leurs foins & toute leur étude a les perfe&ionner. Ils favent parfaitement, que du moment qu'ils font perdus tous deux, finon leur exiftence politique, du moins leur importance doit ceifer immédiatement, & que de cette perte s'enfuivra fans doute un éloignement de ces maximes, d'induftrie & d'économie, a la plus ftrióle obfervance defquelles ils doivent leur confervation. Ils y ont donc été fidelement attachés, & par la (ce qui au jugement des politiques contribue principalement a donncr une confiftance perpctuelle a un état) ils ont été d'une maniere inaltérable la même nation, a tout égard effentiel, depuis 1'origine de la république jufqu'a ce jour. Pour rendre juftice aux Bataves, ce n'eft point fans raifon qu'ils fe vantent d'avoir tous les motifs de refter inviolablement attachés aux principes & aux plans de conduite dc leurs ancêtrcs. Ce fut en les adoptant & en y adhérant qu'ils furent en état de combattre viclorieufement les plus grandes difficulte's, & de juftifier , fuivant leurs propres expreffions, ces devifes qu'ils pri-  X *7* )(. rent dans ces tems périlleux, afin d'infpiref h la nation de la confiance & de 1'intrépidité. II eft certain qu'on ne trouVa jamais que dans Thiftoire des Provinces-Unies de plus forts exemples, qu'une nation, quoique dans une fituation abbattue, devient invincible par Tunanimité, & que la confiance & la fermeté ne manquent jamais d'accomplir leur but, quelque difficile & lointain qu'il foit. Le monde eft redevable a la profpérite' des Bataves dè la plus convaincante de toutes les preuves, que 1'indolence & le découragement, en faifant naitre des empéchemens trop difficiles pour que nos efforts & notre réfolution puiffent les furmonter, font, dans le cours ordinaire des chofes, les obftacles les plus réels a nos deffeins.  X 177 X CHAPITRE XIII. 'Cenfure injuftt & procédé peu honnête envers fes Bataves de la part de quelques princes & nations de 1'Europe. Faujfes notions fur les qualités & ie caraclere des hommes examinées Ö" refutées. algré les mérites trés particuliers & extraordinaires des Bataves , il n'y a aucune nation en Europe, dont les autres habitans de cette partie du monde ne foientplus inclinés a critiquer & eenfurer le caraclere, & a en faire, en beaucoup d'occafions, même un objet de ridicule. II éft difficiie d'expliquer d'oü peut provenir ün penchant fi condamnable & fi fcandaleux, k moins qu'on ne 1'attribue a 1'inimitié, a la j'aloufie ou a la légéreté; car certainement il ne peut provenir d'un motif bien fondé & raifonnable. Louis XIV, roi de France, & Charles II, roi d'Angleterre, eurent, comme on fait bien, une antipathie particuliere pour les Bataves & trouvaient du plaifir, dans toute occafion qui fe préAf  X i?8 X fentait, a en faire 1'objet de leurs railleries & de leur de'rifion. Mais les oplnions & la conduite de ces deux princes ne pre'judicieront aucunement aux Bataves, quand on confidérera quelle politique dominait dans les cours de France & d'Angleterre a cette époque. Une inimitié, toutefois mal-fondée, fut évidemment le véritable motif des feminiens peu généreux, plutót exprimés que nouris par ces deux monarques a 1'égard des Bataves, qui certainement n'avaient pas donné a 1'un ou 1'autre d'eux le moindre fujet de penfer mal de leur politique ou de leur courage. La jaloufie qu'excite leur opulence fupérieure eft fans doute un motif fréquent pour les farcafmes & les moqueries de la plupart de leurs voifins; vu qu'on manque rarement de faire allufion a leur richeflè, même dans les difcours dont le but eft de les repréfenter dans le jour le plus badin. Ils ne font pas moins expofés a devenir un objet de raillerie, par eet efprit de légérété, qui eft fi fujet 4 ne pas faire attention aux bon-  X 179 X rtfcs qualités des individus, afin de tombe'r für cette partie de leur caractere dont on peut par» Ier de maniere k faire rire a leurs dépens. Sous ce point de vue, les Bataves peuvent être compare's k ces perronnes d'un mérite éminent dans la vie privée, que leurs qualités, quoique gran-* des & refpectables, ne peuvent gararrtir des traits fatiriques auxquels leurs défauts peuvent les expofer; & il ne faut pas oublicr que la malignité humaine eft fans ceffe a la découverte des taches & que les caraóleres les plus diftin* gués ne font jamais fans en avoir. Mais outre ceux qui traitent les Bataves comme des objets de leur rifée, il y en a d'autres qui ont décrit les qualités particulieres, qu'on leur attribue, avec des couleurs capables d'effacer toute idéé de mérite intrinfeque & réel, nonfeulement dans ce peuple, mais encore dans tout autre, fi 1'on admettait une pareille defcription & un pareil raifonnement. Lorfque les grands exemples de diligence & d'induftrie dans la nation Eatave ont été mentionnés devant quelques individus & cités comme de* M a  X i8o X preuves du mérite fupérieur de ce peuple, on a quelquefois répondu que les habitans de tous les pays ont leurs vertus fpécifiques, attachées a leur difpofition naturelle, comme des produdlions particulieres font appropriées au fol oü elles viennent; donnant a entendre par-la que les qualités & les vertus nationales font le réfultat des purs accidens & réellement accordées gratuitement par la main de la nature, fans la coopération de ceux qui les poffedent. Quelque difpofées que les perfonnes fuperficielles & fans attention foient a admettre une pareille notion, a 1'examen elle ne parait pas fondée fur des faits & ce n'eft qu'un effai fpécieux pour couvrir les démérites d'un peuple, en les repréfentant comme les fuites néceffaires d'une fatalité inévitable, qui diftribuc indiftmótement les bonnes & les mauvaifes qualités de la même maniere aveugle que la fortune eft repréfentée faifant pleuvoir les emblémes du bonheur ou du malheur fur fes nombreux courtifans. Mais le fait eft que, comme les perfections perfonnelles proviennent des efforts de ceux qui les ont acquifes, de même le mérite de quelques  X i«i X nations furpafie celui des autres dans la même proportion «Sc par les mêmes moyens qui placent quelques individus ü éminemment au deflus des autres. On en a des preuves notoires, quand on compare Ia mifere, qui regne dans quelques parties du monde, avec la profpérite' qui occafionne une difFérence fi remarquable dans les aur tres. Quoiqu'on ne puifle nier que la première provienne de 1'indolence «Sc la deuxieme de 1'induftrie, cependant conformément a 1'opinion précédente, des fophiftes ont prétendu que 1'induftrie eft un attribut dans les hommes attaché a leur endroit natal, & que 1'indolence, par une femblable maniere de raifonner, eft un malheur provenant de la même fource: qu'en conféquence ni 1'une ni 1'autre d'elles ne donne du démérite ni ne jette du blame fur le caraótere de ceux qui font fous leur influence refpective. Quoique 1'une, comme la laideur ou la maladie , excite la commifération, cependant 1'autre, comme la fanté ou Ja beauté, ne donne aucun lieu a eet éloge qui eft fondé fur 1'eftime. M j  XisOC Pour répondre a des opinions fi mal-fondées & fi frivoles, faifons attention a la fituation méprifable de quelques nations modernes & au róle refpectable que jouent les autres, par exemple les Anglais & les Bataves, deux nations dont la faine politique & la pre'e'minence dans ces arts, qui contribuent au bien-être de la fociéte', torment un contrafte complet avec les fiftêmes d'adminiftration mal-confeillés & ruineux qui re= gnent dans les divers autres états. Ils ne furent pas toujours néanmoins dans eet état défirable dont ils jouiffent préfentement; il y eut un tems oü ils étaient abfolnment barbares; ce qui avait lieu précifément a une époque oü quelques nations, aujourd'hui fort déchues, é^ taient fortunées & fiorifiantes. II cft donc inconteftable, d'après ces vieifiïtudes dans la fituation des habitans de 1'Angleterre & des Provinces - Unies & d'autres pays, que ni leur bonne ni leur mauvaife fortune n'était due k la pofition locale; puifque, fuivant cette méthode de raifonner, elle aurait du refter eonftamment la même jufqu'a ce jour.  X i8S X La difparité prodigieufe, qui fubfifte aujourd'hui entr'eux, doit être provenue dans 1'origine d'une autre caufe. Ce ne fut évidemment autre chofe que le changement d'humeur & d'inclinations dans les na:urels de ces difFérentes contrées, occafionné par les révolutions du gouvernement, qui en exaltant ou en abbattant leurs efprits, leur ont infpiré de la vigueur & de l'adlivité ou les ont piongés dans un état de faiblefFe & de parefle. De-la il s'enfuit clairement que le génie national & la vivacité ou la lenteur dans 1'exercice de nos talens & de nos facultés ne font point le re'fultat fpontané des climats particulicrs, mais inconteftablement les effets, 1'un d'une adminiftration heureufe, & 1'autre d'un gouvernement oppreflif. 11 ne faut pas une profonde recherche pour expliquer d'oü provint un fi heurcux changement: d'affaires chez les habitans de 1'Angleterre & des Provinces - Unies. II fut entiérement dü aux efforts de ces patriotes, qui eurent la fagacité d'embraffer & la refolution de fuivre des maximes fe des mefures plus falutaires que celles qui M 4  X ï84 X avaient eu cours chez leurs ancétres; qui faifirent 1'occafion favorable d'entreprendre & parvinrent heureufemént a former de nouveaux plans de conduite, & qui, afin de perpetuer les avantages, qui en dérivaient, infpirerent a leurs compatriotes un efprit d'application, d'induftrie & de fermeté, dont, comme on l'efpere, ils ne dégénéreront jamais. Les changemens qui ont été fi funeftes a la profpérite des autres nations, font auffi facilement déduits du manque de capacité ou de courage dans ceux qui étaient a la tête des affaires ou de la negligence & de la pufillanimité dans ceux a qui on avait confié les droits de la fociété; maux qui occaiionnent promptement une décadence d'.ictivité & de zele en ceux qui font employés dans les divers départemens du fervice public. C'eft le plus grand malheur qui puiffe arriver a un état; vü qu'il s'étend bientót, comme une contagion, dans la fociété, & fe termine a la fin en une fatale indifférence pour 1'intérét général; difpofition qui conduit manifcftemeut aux conféquences les plus dangereufes. Dela des vues particulieres, la désunion & des conteftations, qui produifent une faibleffe intérieure &  X i85 X I'ineapacité de refifter a Fennemi. Dela auffi la conquête & la diffolution de 1'état, fuivies de ces calamités, 'qui naturellement accompagnent une pareille fituation. Ainfi 1'on voit, fans avoir recours a des argumens trop recherchés, que la bonne ou mauvai& fortune des etats depend de 1'ufage qu'on fait des qualités attachées aux humains; '& que la diredtion de ceux-ci étant vifiblement au pouvoir de ceux qui préfident fur eux,' le bonheur ou le malheur public eft clairement 1'ouvrage d'une adminiftration vigoureufe & énergique, ou d'un gouvernement imprudent & faible. ' La droiture politique dans ceux qui dirigent fes confeils, eft pour une nation ce qu'une éducation propre eft pour les individus. Comme la derniere les forme a de louables habitudes, & par la découverte &c 1'amélioration de leurs différens talens, pofe un folide fondement pour leur profpérité future, ainfi la première maintient une ftricte difcipline dans chaque département & furveille les diverfes difpofitions des membres qui compofent 1'état, afin de les diriger vers les emplois & les objets qui peuvent devenir d'une utilité géM S  >( i8C flérale; la grande & principale fcience de la v\e publique «Sc privée e'tant de faire concourir chaque occafion au plus grand avantage. On peut raifonnablement infe'rer des raifonneniens pre'cédens que ni la poffeffion ni le défaut de talens ne doivent être invariablement attribue's a aucun incident comme a celui du climat, & que les difFérentes tribus, qui divifent 1'efpece humaine, participent en général a une égale diftribution des femences de la plupart des perfectums intelledtu elles, auffi bien que des autres qualités louables, dont la nature propre eft ou de frudtifier par la culture ou de périr par la négligence. Rien donc ne peut être plus abfurde que d'imaginer qu'elles font localement produites, comme les plantes «Sc les végétaux , & renfermées, comme eux, dans des limites particulieres. Quelques partifans de cette opinion ont cherché a juftifier les habitans des nations méridionales de 1'Europe, qui font d'une maniere particuliere addonnés a 1'oifeveté, en alléguant que dans des régions, comme les leurs, fi expofées a 1'influence du foleil, les forces corporelles &  f»ar eonféquent les forces intellecluelles font & fortement abbattues par la chaleur exceflïve du ' tems, qu'elles ne peuvent fuffire a cette perféve'rance labprieufe dans la pourfuite du travail ou des affaires, en quoi ils font tant furpaffe's par leurs rivaux du nord, On découvre toutefois bientdt 1'apparence fpécieufe & 1'illufion de eet argument, en refle'chiffant que eet efprit d'a&ivité n'eft point reftreint a la la» titude de ces endroits de 1'Europe dont les habitans lont diftingue's par cette qualite', mais qu'il eft e'galement manifefté dans les Colonies qu'ils ont établies dans les Indes Orientales & Occidentales. Dans ces contre'es, quoique fitue'es au centre de la Zone torride, ils agiffent, malgré la chaleur exceffive de climat, avec la même ardeur & la même affiduité, qui les caractérifent dans leur propre pays. Ce qui eft encore plus frappant & plus decifif, dans les pays méridionaux de 1'Europe, dont on a voulu juftifier les poffeffeurs actuels quant a la negligence, par les allégations fusdites, la majeure partie des habitans, il y a quelques fiecles, était un raodele d'adreffe & d'indu-  X 188 X ftrie, & fe diftinguait par une vive acrivité. E n'eft pas moins remarquable qu'on trouve encore aujourd'hui dans les diftriéts les plus me'ridionaux de 1'Efpagne, contre'es auxquelles on fait allufion, 1'efpece d'hommes la moins fainéante de tout le pays. Maïs fans avoir recours aux habitans de 1'Europe , ceux des latitudes beaucoup plus chaudes ,fourniront un nombre fuffifant de faits pour invalider une affertion fi peu reflechie. Si nous confultons les annales de 1'antiquité, nous trouverons que 1'Egypte produifit les hommes les plus induftrieux dans les tems éloignés. Les Chinois anciens & modernes ont droit au même éloge. Les naturels de 1'Indoftan, de la Perfe, & de 1'Arabie n'aiment pas 1'oifivete'. Au Mexique même & au Pe'rou, pays oü la civilifation n'a fait que peu de progrès, les habitans étaient, fuivant une tradition indubitable, vifs & laborieux, lorfque les Européens pe'nétrerent pour la première fois dans eet hémifphere. On peut donc avec juftice conclurre, des raifbns & des remarques fufdites, que la difparité entre le génie & les-, talens des diverfes nations  X i8p X eft principalement fonde'e fur la nature de leur gouvernement, ainfi que fur la capacite' & la trempe d'efprit de ceux qui font a la tête des affaires , & qu'il eft trés peu 1'effët de leur fituation accidentelle fur la furface du globe. Les Européens, qui font établis dans tous les endroits de la terre habitable, le prouvent continuellement, en apportant avec eux partout oü ils vont «Sc en tranfmettant a leur pofterite', ne'e & re'fi- , dante au dehors, le earactere & les inclinations qui dominent dans la mere-patrie. Enfin pour confirmer & mettre cette circonftance dans un jour plus clair, toutes les fois que, par des révolutions domeftiques, les ide'es, les opinions & les mceurs d'un peuple éprouvent une alte'ration, le changement fe communiqué immédiatement & fe repand avec une rapidite' non interrompue dans les établiflemens les plus éloignés. FIN. ***** * * * * * * * * * *