§ TER BINDERIJ v X 'van X O P. JD. CONTZE , g j[ TE DELFT. X  LES HELVIENNES» O u iïTTlES provinciaj.es PHILQSOPHIQUES.   LES HELVIENNES, LETTRES PROVINCIALES PHILOSOPHIQUES. A AMSTERDAM; Et fe trouve , A PARIS, Chez Laporte , Libraire , rue des Noyers. m. dcc. lxxxi, O u   AU LECTEUR. Excité par Ie zele d'une femme,' 1'ornement de fon fexe , d'une femme véricablement digne du nom de Philofophe , j'inftruis mes Compatriotes} j'eiTaie de leur tranfmettre les lecons que j'ai recues dans lacapitale : tel eft 1'objet desLettres que je rends publiques, fous le titre <¥ Helviennes, ou Provinciale* Philofophiques j titre également juftifié 6c par l'ancien mom de ma patrie (i), & par le fujet de ma correfpondance. Si quelqu'un foupqonnoit entre eet ouvrage & les fameufes Provinciales un rapport fecret, qiul (i) Le pays des Helviens ctoic ce qu'on appelle aujourd'hui le Vivarais. * iij  vj AU LECTEUR. [pit défabufé. Mon fujet & mon plan ne me laiflent rien decommun avec Ie céJebre Pafcal. Je n'ai point Ion genie ; fes intentions fuffentelJes les miemies, je n'aurois point Ia roiie prétention de marchcr fur fes traces Cet Auteur fi connufejoue d unedoctrinequ'ilcouvred'odi'eux cc de ridicule; pouvois-je Je prendre pour modeJe , en développant les fubhmes découvertes de nos ^nilofophes! Son objet Ie bornoit ai nous entretenir des queftions de i ücole;} il avoit befoin de toutes les reflources pour intérefler le commun des Lefteurs. Par-tout ailleurs j'aurois envié fes talens • ies fujets que je traite me difpenient de J'ufage que je pourrois en faire. La plulofophie n'a befoin que delle-meme pour intéreffer Ja^ dehte a tranfmettre les lecons de «os Sages fuffit pour les faire connoure j elle fera auffi tout Ie  AU LECTEUR. vij mérite des Provinciales Philofophiques. On pourroit s'étonner de trouver ici les obfervations dont elles font mivies; maisdans les circonCtances oü nous nous trouvons , I'honneur de la philofophie exige que la voix du préjuge' ne foit point étouffée, que fes réclamations ne foient point fupprimées, qu'elles paroiflent même dans toute leur force a cöté de nos lecons. Malgré le fecret qu'exigea d'abord ma correfpondance, les progrès de la philofophie permirent b;entót dc donner a mes Lettres une cerraine publicité. Notre Obfervateur Provincial étonné de voir 1'efprit philofophique s etendre chaque jour parmi fes Compatnotes, crut devoir m'oppofer fes réflexions. Peu content d'affurer que tous nos grands hommes iemblent avoir perdu la clef de  viij AU LECTEUR. routes les fciences, que 1'abfurde} 1'erreur, Ie ridicule, les contradictions deviennent leur partage, dès qu'ils ne cherchent plus qu'a nous éloigner des principes religieux ; peu content de penfer qu'un vimple Ecolier tant (bit peu inftruir, tant foit peu accoutumé a réfléchir, en fauroit prefque toujours aflez pour nous confondre , il s'empreffe de faire fur mes Lettres des Obfervations qu'il croit triomphantes. II porte la hardiefle jufqu'è nous menacer de les publier a cöté de nos principes. Prévenons cedéfi infultant pour la philofophie. Que la lumiere ne redoute point de paroitre a cöté des ténebres. Le triomphe n'en fera que plus évident & plus glorieux. Eh ! pourquoi craindrionsnous Ia voix du préjugé! pourquoi femblerions - nous éviter de le faire combattre de pres avec la  AU LECTEUR. Ix fageffe, de montrer k la fois le pour &c le contre , d'inftruire, & d'écouter les vains raifonnemens de nos adverfaires ! L'expérience journaliere nous apprend alTez la foiblefle, & l'inutihté dc tous Ieurs efforts. Les obfervationfej^j réfutations , les brochures Qgi.en: ; Ia philofophiere(ti\ |^os|i^ïi urs, fatigués des ré .-. iyiacial , ne cherdvw-;:- de fpach lije^ de fpatk calcaire. lbid. lig. i o , teftacé Hf. teftacée. Page 24 j 21 , chymique Hf. chimique. Ptf£. 40, /igr. 5 , des liquides Hf des corps liquides. lbid. lig. 7, des unes Hf. des uns. Pag. 48, 12 , la vuide Hf Ie vuide. 49 , /i^we 2 , dire mutuellemenc Ufei mucuellement, Sc fe dire. LES  LES HELVIENNES, O U LES PROVINCIALES PHILOSOPHIQUES., L E T T R E De Madame la Baronne * * au Chevalier * *. C^uel zele eft donc le vötre , mon cher compatiiote ! je vous demande queh ques livres philofophiques, & vous m'eii envoyez de quoi former une bibliotheque ; je vous les demande pour moi, & vous en envoyez d norre Libraire plus que la province n'en lira jamais. II eft tems, dites-vous , que la philofophie A  i Les Pro vinciaies établifle fon empire dans nos champs helviens, il eft tems de faire connoicre ia luiniere a vos compatriotes , & rien ne vous paroïr plus propre a diffiper nos préjugés que ces ouvrages précieux donc vous nous recommandez Ia leóture. Je le crois comme vous; mais il falloit aumoins nous prévenir, & nous avertir des prccaucions que nous avions a prendre. Savez-vous ce qué font devenus tous ces Jivres ? Notre vieux Baüli en afaitfaifir une grande partie , fous prétexte qu'ils Êvoient été condamnés a être brüles au pied du grand efcalier. Les autres oot occafionné des événemens très'-finguiiers,dont je crois devoir vous faire parts de peur que votre zele ne vous fade commettre quelque nouvelle indifcrétion. Vous connoitfez le jeune d'Horfon : il venoit de pafler Avocat, Sc devoit plaidep a «TAudience; malheureufement il ^vüit fauvé de la conftfcation ïlnterprétation de la Nature par M. Diderot. 11 s'eft avifé d'en apprendre par cosiuquelqugs lambeaux; il s'eft eftbrcé d'en imiterle ftyle dans fon Plaidoyer. Nos Magiftrats ont cru qu'd parlo.it hebreu , Sc que fon efprit s'étoit égaré ; ilsl'ont conjja^nné a fe faxte a I'Audiezice, jufqu'i  Philosophiques. > ce qu'il eür appris le franeois, ou repris fon bon fens (i). ft) Note de l'Editeur. L'aventure du jeune 4'Horfon n'étonnera pas ccux a qui la fubhmite de M. Diderot eft un peu connue.Quand eet Auteur célebre applique l'entendement a l'entendement, il nefi pasdonnéa lont le monde de le fiuvre, & 1'on n'eft pas furpris qu'il égare un peu 1'efpns de fes Leüeurs. 11 ne reffemble point a ces F Allo fop hes fpéculatifs qui n'appercoivent la vénte que par le cóté chauve , tandis que la mam du Ffiilo* fophe manouvrier efl portee par kafard fur le cote qui a des cheveux ; mais pareil a cehu qui regarde du haut des montagnes , dont les fommetsJe perdent dans les nues, les objets de la plaine dijparoifjent devant lui, il ne lui refte plus que le fpeBacle de (es penfées & la confcience de la hau+ leur a laquelle il s'efl élevé. { V. Int. Nat. p. 43 & 47-) , , r 1 Lorfqu'il nous demande , par exemple, Ji les moules font le principe des formes ! silsfonturt être réel & préexijlant, fi t'énergie d'une molecule vim** varie par elLe-même , ou fimplement Jelon la quantité.U qualité , les firmes de la mattere morte ou vivante, limit es déterminées par le rapport de la maüere en tout fens i Lorfque pour s'éleveraux principes des chofes, ilnous fait des queftions fi fublimes {lbid. p 197 & je fens Bit» qu'il s éleve au deffus des efpnts vulgaires & je défie toute Lécole péripaténcienne de lui réponJre; mais M. Diderot defcend quelquefois du haut des montagnes, & 1'on ne peut ^ A ij  "4 Les P r o y i n c i a l e s Une aventure plus finguliere encore elt celle de mon neveu. Je le rrouve chez lm tremblant &gre!ottant de froid comme un homme qui a un commencement de fievreqnarte : notre Efculape .arnve,&prérendquece froid n'eft point du tour naturel. 11 médite, il en cherche ia caufe; enfin il appercoit fur la che«nnee un volume de M. d'Alemberr £n ! c eft ce livre-la qui vous glacé le lang, dit-il d fon maJade. En prononcant ces mots, il jetre le livre au feu & mon neveu fe rrouve foulagé. Juaez des conféquences que la fuperftition a lu en tirer. Vous ne fauriez croire combien cinq oxi fix autres événemens pareils ont décrenite Ia philofophie dans 1'efprirde nos Provinciaux. Je me fuis bien gardée de leur parler des vapeurs que me donnoit plus lui reprocher alorsd'être mincdltóbï.. tutuxb iammal, entre lui & fon chien, U „y a de d,jference ajf dans l'habh ( V« de Sénéa ' de fa hauceur a difparu ; il n'eft pas ,ufqu'au der. nier Provincial qui ne le comp,enue a mer-"'  PüIlOSOPHIQUES. 5 la lcéluie des Incas. Trois fois j'ai ef* fayé de lire eet ouvrage, trois fois j'ai fenti ma tête s'appefantir , & mes yeux fe fermer conïine d'eux-mêmes. J'étois' d'une foiblefle a ne pouvoir plus me foutenir , le volume m'échappeit desf mains; & au bout de deux heures , j'étois comme une perfohne qui fort d'un pro-' fond aMoLipiilement. 11 n'en étoir pas de même quand je HFois M. de Buffon.Qua j'étois enchantée de fes defcriptions ï avec quel plaifir je revenois a eelle de xïion ferin , de mon perroquer, de mon épagneul , Sc de tant d'autres jolis ani* maux! mais peut-êrre n'étoir-ce pas \k ce qu'on appelle de la plvdofophie. Je Voyois 1'Ecrivain tour-a-tour élégant , noble , majeftueux , fublime & torqours charmant comme la Nature. Seuiement il me fembloit qu'il nous dit quelquefois en fon nom des chofes fort extraordinaires : fans doute je ne le connoiffois pas encore aflez comme Phyficien, J'allois me pénétrer de fon fyftême , lortque le plus facheux accident me dépouilla, de toute ma bibliotheque. J'avois envoyé quelques livres chezmon Relieur, entr'autres le Syjlême de la Nature Sc leBonSens, j'avois reA iij  4 Les Provinciales commandé qu'on ne les montrat a perionne. La défenfe piqua la curiofité du garcon Relieur : il palHi la nuit a feuilleter ces livres , & prit Ie lendemain quelques libertés avec la fille de fon maitre. La pauvre enfant avoit fans doute peur d'êue damnée; car notre galant fe crut obligé de lui dire qu'il n y avoit point d'enfer 3 & qu'il venoit de Ie lire dans un livre de Madame la Baronne. On ne répliqua point, & la jeune Fanchon donna, quelque tems après , des marqués alTez apparentes de philofophie. Vous favez letapageque 1'on faitchez nous dans ces circonftances. Notre nouvel Apótre eft conduit chez le Bailli, & comme féduóteur condamnc aux galeres. Le terrible homme que ce Bailli ! il a prétendn que mes livres ayant occafionne le crime du jeune homme , devoient etre punis comme lui. Tout mon crédit n'a pu empêcher une defcenre a ma bibliotheque; on ne m'a laifTé que mes Heures & quelques Sermons de Bourdaloue. J'étois d'une colere a ne pouvoir plus fupporter la province. Je déteftois un féjour oü la philofophie eft: fi indigner-  pHIIOSOPHlQtJESJ *f ment perfécutée. Déja je partois pour Ia capitale , & fous les aufpices- de M. T. , j'efpérois devenir aufli Philofophe que Madame Géoftnn. Auffi docile qu'elle aux lecons de nos fages, j'aurois été peut-être plus généreufe (i). Helas Ivingt obftacles out rompu cevoyage. Je fuiscondamnéeacroupir encore longrems dans la province j mais nepourroisje pas efpérer de vous un dédommagement? ne pourrois-je pas même Fexigef de votre reconnoiirance! Souvenez-vous des efFortsque je fis pour perfuader avos pareus qu'il falloit éclairer votre jeunefle, & vous envoyer dans la capitale. Si vous avez eu le bonheur d'être ininé a la philofophie par M. T. , penfez que fans moi, vous n'auriez peut-être jamais connu ce grand homme. Que vos lettres foienr donc pour moi ce que fes lecons ont été pour vous , ce qu'auroienC été ces livres précieux , dont la fuperftition m'a fi indignement dépouiliée : foïivenez-vous fur-tout que j'aime les de- (i) On fait cependant qne Madame GéofFrin donnoit tous les ans a chaque Philofophe au moins une paire de hautes chaulles. A iv  ? Les Provinciale s tails , & ne craignez de ma part aucune indifcrérion. Je recevrai vos lettres avec empreflementj je les baifeiai avec refped; mais je me garderai bien de les montrer indifcrétement. Si j'ai premis a nos amis communs de les faire participer a vos lecons, c'eft qu'ils m'ont paru dignes de certe confiance ; c'eft qu'un jour peut-être ils pourront répandre fur la prgvince toutes les connoiffances que nous aurons acquifes par vous. Sans quitter la capitale, peut-être aurez-vous par ce moyen la gloire d etablir 1'empire de la philofophie jufques dans nos cantons; mais duftent nos compatriotes conrinuer a chérir leur ignorance & leurs préjugés, la philofophie 11'en aura pas moins d'attraits pour moi; je n'en ferai pas moins enchantée d'être appellée un jour la Baronne phiiofophe. Je fuis trop confufe de ne pouvoir me dire encore que votre afFeclionnée fervante Amélie, Baronne de **  Phiiosothiquês. LETTRE II. RÉPONSE de M. le Chevalier & Madame la Baronne* -TVf ADAMïj Je n'insisterai point fur le fort revoltant que les chefs-d'ccuvies philofophiques ont éprouvé dans notre patrie 'y nous fommes accoutumés a ces profcriptions, & le premier Sénat du royaume n'en a que erop fouvent donné 1'exemple a vos Baillis. Quant aces petits événemens qui vous lernblent avoic décrédité la philofophie dans nos can.tons, ils m'ont plus diverti qu'ils ne m'ont étonné. Qu'un ouvrage philofophique exalte la tête d'un Pro /incial 3 qu'il lui occafionne des frillons , des fueurs froides,ou même des vapeurs; je pourrois vous dire que teut cela provient d'un défaut d'habitude, Sc que laleóture de nos procluótions exige fouvent une certaine conltance a Iaquelle il n'Ht pas nécelTaire de s'accoutumer pour lire les A v  -ïo Les Provincuies BolTuet , les Fénelon, les Boileau, & tous ces Auteurs du fiecle dernierj qui font prefque les feuls connus dans vos bibliotheques. Je n'aurai point recours è. ces fortes d'excules : je ne veux juftifier nos grands hommes qu'en me cönformarft a vos defirs , qu'en vous faifant part des connoiflances qu'ils ont répandues dans la capitale. Le tribut que vous impofez a ma reconnoiftance eft d'ailleurs aufli jufte qu'il m'eft agréable : je vais donc m'occuper uniquement du foin de fatisfaire a votre empreflement; je n'épargnerai rien pour vous mettre au fair de cette fcience iublime que vous êtes Ci digne de connoïtre j je ne craindrai point les détails ; je développerai nos fyftêmes; j'expoferai nos principes; nos myfteres même vous feront révélés. Nos grands hommes ont depuis longtems fecoué le joug de la contrainte; nos fages dédaignent eet efprit méthodique, toujours atcentif& toujours réglé dans fa marche : content de vous expofer fidélement leurs découvertes, je n'imiterai point leurs écarts. Un refte de génie provincial m'atTervit encore a fes loix, je me fens contraint de tracer un plan qui donne a mes idéés eet ordre}  Philosophiques.. ii cette fuite dont nos compatriotes font encore fi jaloux : je diftinguerai donc les différentes fciences que la philofophie moderne a fu embraiTer , & mes premières lettres feront confacrées a vous faire connoïtre nos Philofophes comme Phyficiens. Vous verrez ces hommes fi profonds , conduits par les feules loix de la phyfique, ou plutot'lui donnanc eux-mêmes de nouvelles loix , créer y pour ainli dire , la nature , remonter aux principes 8c a 1'origine des chofes , braver a la fois tous les préjugés, 8c préfider feuls a la formation de 1'univers. Après vous les avoir montrés comme Phyficiens , j'eflaierai de les faire connoïtre fucceffivement comme Métaphyficiens s Moraliftes , Hiftoriens , Politiques r & enfin comme Religieux ou Théologiens» Puiffé-je vous tranfmettre dignement toute la lumiere que je leur dois : puiffé-je , en vous faifantconnoïtre mon zele,, mon eftime & mon refped pour ces divins génies , vous donner en même tems une preuve de tous les fentimens avec lefquels j'ai 1'honneur d'être. Madame, Votre &c. le Chevalier de * % t... A n  iz Les Provinciales LETTRE III. Du Chevalier a Mme. la Baronne'. IVf a dame, Hat ez-vcus d'appeller ceux de nos télés comparnotes qui doivent parrager avec vous la lumiere philofophique, les lecons de nos fages. Que leur étonneinent va vous réjouir , Sc de quelle admiranon vous allez êcre faifie vous-même! Les premiers principes que jérabl irai font les vérités fondamentales du fyftême le plus ingcnieux que la philofophie air encore produit; c'eft fur eux qu'eftappuyéetoute laphyfiquede M. de Eufton cecélebre interprete de la nature. Mais afin de mieux faire fentir a nos Provinciaux de quelles ténebres ils vont être déüvrés, demandez - leur d'abord , je vous prie , ce que c'eft que cette terre qu'ils habirent, ce que lont ces montagues qui les environnent, ces plaines qu'ils cultivent? quelle eft la nature du  Phiiosophiques." 13 globe, quelle fut fon origine, par quels ctats divers il a pafte , & ce qu'il dok enfin devenir un jour ? Tout ce que la province a pu leur apprendre jufqu'ici , c'eft que les montagnes & les pierres fonr des montagnes & des pierres , c'eft que notre globe 11'eft guere aujourd'hui que ce qu'il fut toujours, & qu'il reftera a-peu-prcs dans le même état jufqu'a ce qu'il plaife a celui qui le créa, de l'anéantir. Telle fera fans doute leur réponfe; & j en rougis encore, telle fut aufli celle que me didta le préjugé , lorfque je parus pour la pismiere fois a l ecolede M. T. (1). Mais quel ne fut pas mon éronnement, quand je vis ce grand homme s'approcher d'un brafier atdent, £< s'entourer d'un tas de pierres, de moeionj de roe, de granit & d'offemens divers ! Expofez, me ditil, a 1'action du feu, une partie de ces (il Quoique nos Provinciaux ne fe douraffent pas feulcmcnt t'es révolutions étonnantes décrites par M. de Euffon, ils n'ignoroient pas que le déluge, les volcans , les trcmblemens de terre , les plüies & bien d'autres caules particulieres s ont produit des changemens tres confidérables fur la fuiface du globe. (Nou de l'Editeur.)  14 Les Provinciale s matières, Sc vous apprendrez a connoïtre Ia nature des chofes. J'attendois avec impatience le réfultat d'une pareille lecon, quand enfin la violence du feu ayant diflout& liquéfié cesdiverfes matières, je les vois secouler comme une lave brülante, que 1'abfence du feu condenfe de nouveau , Sc qui n'offre plus a mes yeux qu'une maffe de verre. Cette métamorphofe ne me parut point une chofe biendifficilea expliquer pour un Phyficien ordinaire ; mais que j'érois bien loin de foupconner le grand principe que la philofophie a fu en déduire ! Toutes ces matières , me dit M. T., en raifonnant d'après M. de Buffon , toutes ces matières ont été vitnfiées parle feu ; toutes celles qui compofent le globe terreftre , expofées a la même aótion , fubuTent le même changement ; la rerre ne fur donc originairemenc qu'un globe de verre , qu'une maffe énorme d'un cryftal pur Sc tranfparent. Tout ce que vous voyez fur la furface terreftre , la pierre , les rochers, les montagnes, les arbres , les fleurs, le corps humain lui-même , tout cela eft donc encore rlu verre , ou du moins tout cela en conferve encore la nature car  PlIILOSOPHIQUES. ï)» tout cela peut être vitrifié par le feu.... Ah! Monfieur, mecriaije , en entenriant ces dernieres conféquences , je ne fuis plus furpris que mes comparriotes aient eu juïqu'ici tant de répugnance. pour la philofophie. Vous ne perfuaderez jamais a nos montagnards que leurs rochers ne font que du cryltal, ëc qu'ils ne font eux-mêmes que des hommes de verre. Je fens quejaiaulh bienqu'eux qüelque répugnance a admettre cette vérité , & je'vous prie de me dire fi tout ce cue le feu noircit ou blanchit, fut auffi néceflairement noir ou blanc dans le premier inftant de fon exiftence. Cette objeétion peut-être n'efl: digne que d'un Provineial; mais en voici une que je» tirerois de M. de Buffon lui-même. je crois avoir ouï dire que, felon ce profond Nacuralifte , le verre fe change en argile par l'aétion de 1'eau; ne pourroiton pas en conclure avec amant de droit que le verre lui-mêtne n'eft que de 1'argile. Gardez-vous bien , reprend a 1'inftant M. T., de faire cette objeétion au Philofophe j il a le feu pour lui} 8c 1'eaii feule combattroit pour vous. Ne fentezvous pas que le feu doit 1'emporter fur 1'eau J Je le fentis enfin, je n'héfitai  16 Les Pxovincuus plus , & nos compatriotes admettront aafli bien que moi ce grand principe de M. de Buffon. F rerre & r0«m matières qui la eompofent, fent en général de la nature, du verre. (V. Lp. p. 6, éd. in-4.°) Si nos Provinciaux héfitoienc encore iur cetre vérité , M. de Buffon leur fuggerera un moyen très-fimple pour s'en convaincre. Qu'ils eflaienr feulement de penétrer dansl'inrérieurdu globe , qu'ils creufent fous nos plaines jufqu'a la prorondeur de cinq ou fix cents lieux, & le noyau terreftre n'offrant a leurs yeux qu'une maffe du verre primitifd'environ deux mille lieues de diamerre , ils ne • révoqueront plus en doute legrand principe. r U ne fuffit pas au fage d'avoir découyert la narure du globe, il en confidere la forme, & qudle vérité plus étonnante encore ne dévoile-t-il pas! « Le globe terreftre, s'eft-il dit a lui-même, » le globe terreftre élevé furl'Equateur > «applatifoas les-poles, a précifément » la même figure que prendroitun fluide » en roumant fur lui- même avec la vï- ' " teffe qi'e nous connoiffons a la terre. « La première conféquence qui fort de  Philosophiques. 17 '»> ce fait inconteftable, c'eft que la ma» tière dont norre terre eft compofée, » étoit dans un état de fluidité^au mon ment qu'elle a pris fa forme. II eft né> n ceftaire que cette fluidiré aic été une » liquéfaction caufée par le feu. Notre » globe éroit donc alors un petit foleil j> qui ne le cédoit au grand que par le « volume, & dont la lumiere & la chaj> leur fe répandoient de même ( V. Ep. »> p. 7 & 59). » Tout démontre donc au Philofophe cetre vérité dont nous allons faire un fecond principe. Cetre même terre qui n'eft aujourd'hui qu'un globe d'un verre obfcur &£ compadte, a commencé par être un foleil de vgrre fondu. Par oü finira-t-elle? Ah Madame! il faudroit ici vous aftliger, il faudroirvous montrer dans M. de BurTon le prophete des glacons & des frimats. Ne prévenons pas des tems trop malheureux ; nos amis ne font pas encore alfez philofophes pour en fupporter 1'idée. Exhortons-les plutot a confidcrer encore les matières diverfes que la terre nous oftre dans fon état aétuel : des vérités moins triftes nous feront découvrir dans fon hiftoire un nouveau principe très-important.  iS Les Provin ciales Quoiqu'en général toutes ces matières expofées a 1'ardeur d'un feu violent, fe changent en verre, il en eft qui éprouvent a un degré bien inférieur une action qui les réduit en chaux, ce qui nous les fait défigner fous le nom de matières calcaires. Or, favez-vous , Madame , a qui nous devons cette feconde efpece de matières ! Savez-vous a qui la Champagne pouilleufe doit toute fa marne Sc toute fa craie ? a qui toute la lerre doit fes pierres de taille , fes marbres communs, Sc le tuf, & 1 albatre , Sc le fpath, Sc ces couches calcaires qui ont quelquefois plus de quarante lieues de long, plus de deux cents pieds de profondeur , ces collines même & ces montagnes du fecond ordre, qui font fi communes fur le globe ! Non , jamais les hommes n'euffent, fans le fecours de la philofophie , découverc 1'origine de ces matières. Quelle profondeur de raifonnement n'a-t-il pas fallu a M. de Buffon pour la démontrer! Toutes ces matières, s'eft-il dit a lui-même , ne furent point d'abord dans leur état aétuel; il faut quelles aient paffe par des filieres qui les ont dénaturées 3 il faut quelles aient été métamorphofées par le méchanifme de la  Philosophiques. 19 digeftion de ces animaux aquaüques, qui feu/s favent convertir le liquide en,folide3 & transformer Veau de la mer en pierre-y «inn* que la foie eft le produit du parenchifme des feuilles combine avec la matière animale du vers-a-foie , ainfi les collines ,1e marbre , la pierre de taille, .font le produit des eaux de la mer &c .des particules de la terre , combinées avec la matiere des animaux teftacées, par le méchanifme de leur digeftion. Aprés une démonftration fi claire, fi évidente & fi intelligible , copiée prefque mot-a-mot (1) de M. de Buffon, (1) Le texte de M. de Buffon exaftement copié f.r i\ celui-ci : Quoiqu'originairement de verre comme toutes les autres, ces matières calcaires ont paffe par des fiiieres qui les ont dénaturées; elles ont été formées dans 1'eau : toutes fout entiérement compofées de madrépores, de coquilles & de dctrimens des dépouilles de ces» animaux aquatiques , qui feuls favent convertir le liquide en folide, & transformer 1'eau de la nier en pierre. Ce texte eft expliqué dans la méme page par la note fuivante : L'eau de la nier tient en diffolution des particules de terre qui, combinées avec la matière animale , concourent a former les coquilles par le méchanifme de la digeftion de ces animaux teftacés ; comme la füie eft le produit du parenchifme des feuilles,  io Les Provincïales nous n'héliterons pas i faire de cetre vérité un croifieme principe, nous ie dirons fans cratnre : _ Tout ce qui exifte fur la terre, de pierre de taille, de marbre commun , d'albatre, de craie, de tuf, de fpath, toutes les vaftescouches, toutes les monragnes calcaires, tout cela fut jadis poiffon , huitre , moule , coquillage , animal aquatique & teftacé. Convaincue des effets de la digeftion de ces animaux, vous allez en tirer un nouveau principe , vous ne douterez pas que la terre n'ait été long-temps , & très-long-tems enfévelie fous les eaux. Quelqu aclivité que 1'on puifte fuppofer a Tappétit des huitres , il faut bien des années pour que leur digeftion produife des montagnes. Oui, Madame , il faut bien des années ; aufti regardons-nous comme démontrée cette vérité. La terre, après avoir été un foleil de verre fondu, ne fut pendant long tems qu'une vafte mer ( V. Ep.p. 93 ). Chercher a vous prouver cette vérité pat les coquillages fansnombrequ'on combiné avec la matière animale du yer-a-foie. {t-p. t. I. p. ,4.)  Philosophiqtjes. zï trouve fur la terre , par la difpofition des diverfes couches qui forment la croute dir globe , par la correfpondance des angles faillans & rentrans de nos montagnes, ce feroit recourir a desarmes déformais inutiles, & donner lieu peutêtre i des obfervations quidiminueroient i la force de nos preuves. J'aime mieux terminer cette lettre par une réflexion bien glorieufe pour M. de Buffon. Quel faut prodigieux n'a pas fait la raifon de ce Philofophe ! quelles barrières n'a-t-il pas franchies , lorfque id'un morceau de roche vitrifiée il s'eft élevé jufqu'a la découverte de la matiere primitive! lorfqu'en voyant la terre applatie fous les poles , il a prononcé qu'elle furjadis un foleil de verre fondu; lorfqu'ayant appercu dans les carrières de iSéve ou de Palfy quelques coquillages 3 il nous démontra que les hiutres avoient digéré les rours de Notre - Dame , le Louvre. Ie Pont-Neuf, & toute la Ville de Paris; & que fans les effets de cette digeftion jamais nos Arohite&es n'autoient pu batir a chaux & a fable. Livrez-vous, Madame, a votre admiration; & que nos compatriotes apprenenE ! enfin a connoïtre la fubümité du génie philofophique. J'ai 1'honneur d'être, 6cc}  li Les Provinciai.es OBSERrATIONS d'un Provincial fur la lettre précédente. jSFe refusons pas a M. de Buffon les éloges qui lui font dus; ne lui difputons pas le titre d'interprete de la nature ; mais donnons a cette expreffion fa jufte valeur , & voyons en quel fens elle peut lui être appliquée. L'interprete des Rois eft chargé de nous rendre leurs volontés, de les rendre avec fidélité , avec exaétitude ; c'eft la fon devoir 5c 1'effence de fes fonétions. Sa gloire eft de les rendre avec cette douceur qui les fait chérir , quelquefois avec cette fierté qui les fait redouter, toujours avec cette affurance , certe majefté qui les fait refpeóter. Quand M. de Buffon fe borne a nous parler de ce que la nature elle-même lui a révélé, de quels fentimens il fait me pénétret pour fa fouveraine! quelle eft belle a mes yeux! quelle eft puiffanre ! quelle eft majeftueufe ! je la chéris, je la refpeéte, je 1'admire : elle doit bien me pardonner  Philosophiques. 2j" fi celui qui m'infpire cesfentimens, les partage avec elle. Mais lorfqu'un interprete s ecarté des loix qui lui font prefcrites, lorfqu'aulieu de me dire ce qu'il eft chargé de m'annoncer, il ne m'entretient plus que de ce qu'il a cherché a deviner , & qué 1'on s'obftine a lui tenir caché , il perd fon caractere augufte -y il ne me parle plus au nom du Prince, & je fens que fa voix ne m'en impofe plus ; toute 1'éloquence de fes difcours ne fert qua me les rendre plus fufpeóts. Pourquoi M. de'Buffon a-t-il renonce a fes nobles fonótions! peu fatisfait de ce que la nature fe plait a lui révéler oubliant quelquefois les fecrets qu'elle lui découvre, pour fuppléer a ceux qu'il ne peut lui arracher , pourquoi s'eft-il rangé dans la foule des hommes a fyftême ! je reprends malgré moi des droits que je perdois fi volontiers auprès de lui • a 1'interprete de la nature, j'oppofe la nature elle-même, & j'ai tout 1'avanraae de celui qui s'en tient a fes loix. Ö _Mais lors même que j'ofe oppofer ces loix a M. de Buffon, mon intention n'eft pas que mes comparriotes ceffenc de lui rendre avec i'Europe un jufte uibuf  i4 Les Provinciales de refpecl & d'eftime. Je ne veux queleur dne:érudiez la nature, mais abandonnez les fyltêmes: ils feront toujours faux , ils font prefque toujours dangereux. Admirez les ouvrages du Créateur , fans lui den*?an Ier comment il les afairs: il s'eft tu pour M. de Buffon : quelle réponfe en pourrez vous attendre ! Malheureufement ce génie célebre s'obftine a fuppléer au filence de la nature ; il cherche a diriger la marche de 1'Etre fuprême dans la formarion de 1'Univets ; que fes premiers écarts font humilians pour la raifon humaine ! II n'eft rien de plus fimple que 1'explication du changement des pierres & de diverfes autres matières en verre pat ladion du feu; & rien affurément n'eft plus extraordinaire , rien n'eft moins conféquent que les raifonnemens de M. de Buffon fur cette opération chymique. L aólion du feu fur la mariere fe réduita la dilater , a détruire la cohéfion des parries , a les divifer par les mouvemens opoofés qu'il leur imprime.Tous les corps ainfi divifés & prefque réduits a la petiteffe de leurs élémens phyfiques, forment néceffairement uu fluide dont toutes  P H I L O S O F H I Q U E S.' les différentes parties peuvent être regardées comme de très-petits globules qui fe volatilifent, ou que leur attraction mutuelle réunic, des que la chaleur cefle de les agiter. Si 1'acSfcion du feu a été alTez violente pour diffiper les matietes trop hétérogenes , pareils a des boules d'ivoire difpofées en colonnes 1 ces petits globules lailTent entr'eux des vuides ou des pores plus ou moins réguliers, que les rayons traverfent, 8c nous avons ce corps tranfparenr, qu'ori appelle du verre. C'eft ainfi que 1'eau , en fe refroidiffant, le convertit en glacé; nous pourrions diee en verre , car toute la différence qu'il y a entre la glacé 8C le verre, vient de ce que les élémens de 1'eau étant plus petits ou plus arrondis, un moindre 'mouvement de chaleur fuffït pour les défunir & les liquéfier de nouveau. Le changement des folidea en verre n'eft donc qu'une nouvelle difpofitionde leurs molécules, qu'une combinaifon dont ils font fufceptibles } fans qu'on puifle en rien conclure pour leur état primitif. Mais cette explication eft trop 'natu-4- | i relle pour 1'efpric a fyftème. Le verre, ' *B  Les Provinciales nous dit-on, eft le dernier terme auquei le feu peuc réduire les corps : donc ils furent tous du verre dans leur origine. J'avoue que je n'ai jamais concu la logique de ce raifonnement. Ou je me trompe, ou autant vaudroit-il nous dire cjue pour rappeller tous les corps a leur état primitif, il faut les bruler „ 8c les détruire, autant qu'il eft poffible par racStion du feu. Je doute que nos Lecteurs foient de eet avis. Quel rapport y a-t il donc entre les derniers efforts de eet élément deftruéteur, & 1'état primitif de la matiere ? Qu'on raffigne, ou qu'on cefte d'établir des fyftêmes fur un principe aufii ruineux, Si le dernier terme des agens naturels doit rappeller les corps a leur premier état, confultez la chimie , elle agit fur le verre luimême, elle eft venue a bout de le détruire en le décompofant, Sc il n'eii refte plus que des fubftances terreufes ou falines , des fubftances enfin qui ne fojit plus du verre j nous ferions donc autorifés par vos propres raifonnemens a vpuloir que la deftru&ion du verre , plutot que fa formation , rappellat les corjpsj-i leur premier état» mais la vé-  PhilosOïhkjüks.' 17 ricé eft que ni 1'une ni 1'autre n'ont affez de rapport avec eet état pour autorifer la moindre conjeéture. Accordöns cependant que 1 'aótion du feu peut nous faire juger de 1'état primitif des matières terreftres les principes de M. de Buffon n'en feront pas plus fatisfaifans. II ne voit fur la terre que deux fortes de corps, les uns vitrifiables , les auties calcaires. Au lieu de ces deuxclafteSj l'aótion feule du feu en indique quatre d'une nature bien différente. Je mettrois dans la première ces grais , ces cailloux, ce quartz , 8c ces fables , que le feu ne peut ni fondre, ni vitrifier fans le fecours de quelque mélange qui ferve de fondant. La feconde leroit celle de tous les corps qui fe changent en verre par la feule action du feu,comme différens fpaths ,1e mica, le talc , &c. La troifieme feroit celle des matières calcaires , qui ne coulent jamais au feu ; elle contiendroit la chaux ordinaire, la craie , & peutêtre une feule efpece de fpath ■ calcairé. On pourroit placer dans la quatrieme claffe toutes les matières qu'un feu rnodéré calcine, mais qu'un feu plus violent réduit aufli en verre. Telles fonc * B ij  .18 Les Provinciales prefque toutes les matières calcaires. Le diamant, qui fe volatilife, le rubis & la topafe oriëntale, qui ne fouffrent aucune altération de la part du feu , ni dansJeur couleur, ni dans leur éclat, ni dans leurduretéj ne formeroient-iis pas une cinquieme &une fixieme clafTe, bien confirmées par les Mémoires de JA. d'Arcet(i), dont nous avons aufli liré les autres,, & qui peut-être encore en fourniroient de riouvelles ? Si nous devons juger de ces matières par 1'action du feu , ne devroit-on pas nous affigner pourquoi cette aétiom indique tant de variété dans leur fubftance (2) ? (1) Cet liabile Chimifte ne craint point de «lire que fes connoiffances Vont prefque mis en état d'affurer que s'il y a une terre primitive dans la nature , ce doit & ce ne peut être que la terre talcaire. (3e. Mém. pag. iéi.) Croyez après cela aux montagnes de verre. (z) Ceux qui n'ont poinr recours a la digeftion des huitres, mais qui veulent pourtant que toute montagne calcaire ait été un fond , une ■yafe de 1'Océan, ne feront pas moins erobarjaflés .que M. de Buffon. II faudra toujours qu'ils nous difent pourquoi la même vafe auroit produit des corps fulibles & vitrifiables par eutmêmes, & d'autres que le feune fautöit liquéfier éc changer en verre,  PhilosophiqüEs. 19 d'oü vient encore la différence que j'appercois dans un bloc de granit? 11 eft compofé de mica, de fpath , de talc , de quartz. Ce quartz n'eft point fufible fans addition; le fpath, le mica & le talc le font. Le quart\3 me dit ici un nouveau Difciple de M. de Buffon , n'eft encore que le verre primitif. Je le veux ; mais le grais eft-il aufti le verre primitif} 11 femble qu'il en differe affez. Le feu n'a cependant pas plus d'aélion fur lui que fur le quartz. N'infiftons pas davantage fur ce foleil de verre; deux mots fur la figure de la terre fuffiront pour en donncr 1'explication, fans^ re, courir encore a fa prétendue liquéfaction. La maffe du globe n'eft pas tellement compafte qu'elle ne put encore être comprimée , fi elle étoit beaucoup plus preffée vers les poles que fous 1'Equateur ; or j en la fuppofant parfaitement ronde, les parties polaires, moins agitées par le mouvement diurne , peferoient fur le centre avec plus de force que celles de l'équateur. II devroit donc fe faire une compenfation qui, en retranchant auxdeux exttémités, fortifiat le nombre des parties moins pefantes; compeiafa* B iij  30 Les Pr o vi n ci a iï s tion qui ne peut avoit lieu que par fttt planflement des poles & Je rendement deJequateur Ce qui arriveroit encore aujourd hui, fi la terre étoit ronde, aura fans doute pu arriver dès les premiers jours de fon exiftence. Difons mieux : f-e üieu qui Ja créa put bien lui donnet la figure a plus convenable aux loix quil etabhiToit, & au mouvement de rotation. Je renvoie les obfervations que j'aurois a fane fur le vafte Océan qui a couvert la terre, i celles que nous fourmra le fyftême de Telliamed. LETTRE IV. De M. le Chevalier è. Madame la Baronne, A£a dame, Parmi les principes établis dans ma première Lettre , diftinguons celui dont la demonftration nous apprend que la terre a commencé par être un foleil de  Philosophiques. ji verre fondu ] Sc remarquons fur-tout que toutes les planetes ayant la même forme que notre globe , ont du commencer de la même maniere. Vous avoir démontré ce grand principe , c'eft vous avoir déjarévélé 1'originej la formation, la théorie 3 les révolutions paffées , préfentes & a venit de la terre , des planetes, de la lune , Sc de tous les fatellites; car volei 3 Madame , un raifonnement bien fimple que je tire du livre des Epoques. « Nous ne connoifsj fons dans la nature aucune caufe de » chalenr, aucun feu que celui du fo>■> leil, qui ait pu fondre ou tenir en » Iiquéfaótion la matiere de la terre ou » des planetes; elles font donc toutes » forties de eet aftre ; elles ont autre» fois appartenu au corps même du foj) leil. (Ep. pag. 42.) » Telle eft norre origine : nous fumes autrefois partie du grand foleil , nous avons été détachés de eet aftre, & nous en ferions encore partie _, fans une révolution dont la philofophie feule pouvoit nous inftruire» Comment s'opéra-t-elle , cette révolution ! comment notre globe, Sc celui de la lune, Sc celui de toutes les planetes furent-ils détachés du grand foleil ! £ iv  '*>i Les Provinciai.es Rien n'eft plus fimple encore , rien n'eft plus facile a concevoir que Ia caufe de ce grand événement. Quatre ou cinq petites fuppofuions vont mettre nos compatriotes a portée de le bien faifïr. Suppofons d'abord qu'il a exifté, ou qu'il exifte encore une co/nete vingt-huit mille fois plus denfe , plus compacte que la terre } cent dou^e mille fois plus denfe que le foleil J ( T. I. p. }7) c'eft beaucoup, mais qu'importe ! fuppofons en revanche que cette comete eft cent fois plus petite que Ia terre , elle ne contiendra fous ce volume que la neufcentieme partie du foleil, elle fera exactement un boulet de canon cent miklions de fois plus petit que eet aftre. Suppofons encore que cette comete tombe fur le foleil avec une direction fort oblique , & confidérons ce qui doit arriver. La comete rafera la furface de Vaftre 3 & la fülonera a une petite profondeur ; elle en détachera une certaine quantité Suppofons que cette quantité ne fok que la neuf centiemp ou la fix centieme partie du foleil, c'eft très-peu de chofe que la fix centieme partie du foleil, a peine y en a-t-il aftez  Philosophiques. 33 pour förmer la terre , la lune , les planetes & tous les fatellites de Jupiter & de Saturne.... Suppofons enfin que dans le choc des corps, la force d'impuliion fe communiqué en raifon des furjaces. Je m'explique : fuppofez deux pelotons de laine également pefans 3 mais dont 1 un étant beaucoup plus ferré que 1'autre , air deux fois moins de furface. Suppofez qu'en frappant nos deux pelotons avec la même force, & dans le meme choc, & fous une direclion également oblique , vous donnez a celui qui a deux fois plus de furface, deux fois plus de mouvement qua 1'autre. Je ne vous dirai pas fakes-en l'expérience, car elle pourroit ne pas s'accorder avec nos principes; mais fuppofez quelle s'accorde avec cette loi de 1'impulfion ignorée jufqu'ici de tous les Phyficiens, & tout nouvellement découverte par M. de Buffon; vous concevrez fans peine les grandes conlequences qui en réfultent. Les parties que la comete detache du foleil, formeront des globes par leur attraclion mutuelle ; en fecond lieu, ces aiobes fe trouveront a des diftances ditférentes , fuivant la différente denfite des matières. (Ep.p. 54.) Les pluslourds  34 Les Provinciales formeront les planetes inférieures ; les plus légers feronc les planetes fupérieures. Admirez, Madame , admirez ici le génie de M. de Buffon. II découvre dabord furie foleil une matiere plus lourde quel'étain, {Ep. p, 5 zo.) il voit cette matiere foutenue fur un liquide quatre fois au moins plus léger que 1'eau. C'eft précifémenc comme fi 1'on voyoit un rochet de plomb flotter fur 1'Océan. Ce prodige étonnant fur notre globe n'a pour M. de Buffon rien que d'ordinaire fur Ie foleil. La comete balaie Ja matiere plus lourde que 1'étain, & la chafie a onze millions de lieues, c'eft la planete la moins éloignée du foleil, c'eft mercure. La furface de 1'aftre du jour éroit en même temps chargée d'une matiere un peu moins lourde, mais bien plus précieufe , d'une vafte miniere d'éméril. Au choc de la comete, 1'éméril s'envole a vingt-un millions de lieues, fe fixe, Sc devientla charmante Vénus , letoile du berger. Jamais la phyfique avoit-elle inventé pour 1 eclat, la beauté de cette planete, une raifon plus ingénieufe. Vous vous attendez bien z voir la comete trouver fur le foleil une mine de  Phhosophiquis. 35 ierre fondu, & la chafler a trente-trois millions de lieues; c'eft précifément de tfcette mine que s'eft formée la terre. Le Jmarbre folaire; un peu plus léger fans Idoute que notre verre, vole a quarante- fix millions de lieues, & nous avons Jl'écoile du féroce Mars, du Dieu au coeur de marbre. L'aftre de Jupiter n'eft qu'un jaftre de craie , & plus léger encore ; lauffi eft-il porté quatre ou cmq fois plus lloïn que la terre. La pierre ponce vole een même tems a deux cent quatre-vmgty tidix millions de lieues loin du grand foleil. Elle s'arrête enfin , fe fixe , & nous udonne l'aftre languiftant de Saturne ; \ aftre qu'embellit & décore une vafte i couronne, mais dans le fond aftre de | pierre-ponce (i). (i) Remarques du Chevalier. Comme nos I Provinciaux fe perfuaderont difficilement que 'f M. de Buffon ait déterminé fi exaftement la mail tiere dont chaque planete eft compofée, il ne I fera pas hors de propos de citer les paroles | mêmes de eet illuftre Phyficien : « Ces conjeftures I » raifonnables meparoiffent, dit-il, (£>. /'• 5*°') | »être devenues des induftions tres-plaufibles , I „ defquelles il réfulte que le globe de la terre elt ; » principalement compofé deprus la furface jul«qu'au centre d'une matiere un peu plus denic  Les Prövinciales II ne nous refte plus a former que Ia lune & les fatellires. D'oü voulez-vous, Madame, que nous les faffions partir' du grand foleil, ou bien des petits fj leus de verre, de craie & de pierreponce! Nous avons i choifir, & vous pourrez choifir vous-même celle des explications de M. de BufFon qui vous pUül rale plus Voulez-vous les faire partir du pand foleil par le même choc & dans ie même tems que la terre & les planetes ? „ous dirons feulement que ces grandes mafles dëtain, d'c'ménl & de pierre-ponce , „ont pu être chaffées , lans qu il y alt en quelques éclaboufiures;; ainfï J'avoit penfé, ainfi 1'avoit ecnt M. de BufFon dans fon premier volume. Les fatellires alors ne devoient ■ que le verre; ( en cent autres endroits il le dit ^a?CnKÖ,t de ve^ la »™ ^une matiere auiT » denfe que la prerre calcaire ; Mars d une made e » a-pe«-pres auffi denfe que celle du marbre ; Vd «nusdune manere un peu plus denfe qne Vélt PHl, Mercure d'une matiere un peu pllls denfe »que ewnjjupirer d'une matiere moins denfe que a craie , & Saturne d'une matiere prefque " a^ léS»f que la pierre-ponce. » P 9  Philosophiques. 37 |tre que deséclabouftures du foleil, for:ées de tourner autour de la terre, de Fupiter & de Saturne ; mais aimez vous nieux que la lune foit une product-ion de la terre , & que les fatellires foient fortis chacunde leur planete? Rien n'eft plus ingénieux que leur nouvelle création, telle que les Epoques nous lont décrire. Vous avez vu fans doute des feux d'artifice: vous avez vu ces roues qui tournent fur leur centre en vomiftant du feu dans rout leur contour , je crois ! qu'on les nomme des foleils artificiels. Suppofez que les matières enflammées qui forrent de la roue, vont fe réunir a : une certaine diftance , & tournent enfuite autour de la roue elle-même. C'eft ainli « que la terre 3 dont la vïtejfe de n rotation eftd'environ neuf mille lieues I ,> par jour, a dans fes premiers tems » projeté hors d'elle les parties les moins o denfes de fon équateur , lefquelles fe » font raflemblées par leur attradtion mutuelle a quatre-vingt - cinq mille » lieues de diftance, oü elles ont formé » le globe de la lune , (Ep. pag. 60.) ,> ' c'eft ainfi qu'ont été formés 1 anneau de  38 Les Provincialês Saturne, fes farelütes & ceux dejupiter. De peur que nos comparriotes ne vous faffenr ici quelques objeótions trop bien fondées fur la phyfique moderne, il faut vous prévenir que dans les premiers rems j les parties les moins denfes qui circuloient avec la terre, n'étoient pas eet air, cette eau, & tant d'autres matières fort légeres que nous connoiffons aujourd'hui. Alors la pierre calcaire , ou la pierrede taille , 8c le marbre étoient beaucoup plus légers que 1'air 8c 1'eau; ou , fi vous 1'aimez mieux , 1'air n'exiftoit pas, car dans notre fyftême , il fembleroit devoir s'èrre échappé le premier pour former une lune. Je vous préviens encore que la terre êc la lune tournerent d'abord dans le même plan 8c avec la même viteffe ; mais depuis ce rems-la, les chofes ont un peu changé ; 1'orbite de la lune s'eft inclinée, & fa viteffe eft devenue a-peuprès doublé de celle avec laquelle notre globe rournefur lui-même. QuandM.de BufFon nous aura appris la raifon de ces changemens, la lune formée par le feu d'arrifice, nous paroïrra une explication auffi naturelle que celle des éclabouf-  Philosophiquis. 39 fures; mais en attendanr je confeillerois a nos comparriotes des'entenirdcelle-ci. Peut-être feroient-ils encore mieux dV* mettre tantot 1'une &c tantöt 1'autre , fuivant les tirconftances. Ce ne ieroic point la ce qu'on appelle une contradiction, mais une véritable vatiation , c'efta-dire, une preuve de ce génie fécond & furabondant, qui nous fait expliquer la même chofe par des caufes affez différentes pour être incompatibles. J'efpere vous prouver dans la fuite que M. de BufFon nous donne fouvent. a choifir dans le même goüt; mais j'ai créé la Terre, Jupiter, Saturne, Mars, Mercure, Vénus, la Lune , & tous les fatellites ; au prochain Courier, nous n'aurons a créer qu'environ quatre ou cinq cents cometes , & la génération de 1'univers ne fera plus un myftere pour nous. J'ai 1'honneur d'être , &c  4o Les Provinciales VbServations d'un Provincial fur la Lettre précédente. Le génie de la philofophie a donc fes écarts comme celui du Poëte ! Le Phyficien fe livre aux preftiges de 1'imagination, & c'eft en violant toutes les loix de la Nature qu'il prétend nous dévoiler fa marche ! & c'eft dans un tems oü la phyfique s'applaudit de fes f>rogrès, que 1'on veut nous repaitre de uppofitions dignes rout au plus du dixieme fiecle ! Non, jamais les loix de 1'impulfion & de 1'attraction ne furent plus évidemmenc contredites que dans le fyftême de M. de Buffon. Fut-il d'abord jamais une fuppofition plus chymérique & plus contraire aux obfervations que celle d'une comete cent douze^ mille fois plus denfe que le foleil, vingt-huit mille fois plus denfe que la terre! « Toutes les cometes que j'ai » vues, nous dir M. de la Lande, étoient » d'une lumiere fi foible , ü pale , fi » éteinre, qu'il y a lieu de croire que U leur fubftance a peu de denfué, & » quelles  Philosophiques.' 41 » qu'elles ont très-peu de maffe ; ainfi sj les dérangemens que peut caufer leur s> attraétioii , font peu confidérables. » Celui que nous obfervons dans leurs orbites, lorfqu'elles s'approchent de nos planetes, eft au contraire fi confidérable que la période de la comete de 1759 avoit été allongée d'environ 100 jours par 1'attracr.ion de Saturne, &c d'environ 500 par celle de Jupiter , felon lescalculs de ce même Aftronome & de M. Clairaut. Jupiter & même Saturne, ces aftresde craie & de pierre-ponce ont donc affez de force pour troubler la marche des cometes ; celles-ci n'ont donc pas cette denfité que M. de Buffon leur fuppofe. II n'eft pas de médiocre phylicien qui ne fente la vériré de cette conféquence. Dix ou douze cometespareilles a celle de M. de Buffon , fuppofées feulement aufll grandes que la terre , fuffiroient pour déranger tout le fyftême planétaire. Oii placerions-nous le cenrre commun de la gravitarion, fi elles venoient a fe trouver du même cöté ? elles contiendroient plus de matiere que le foleil lui-même ; elles auroient par conféquent une force attraélive plus grande ; une feule fufKroit pour emporC  jf* Les Provinciale» ter & la terre & la lune, fi elle s'approchoit tant foit peu de 1'une ou de 1'autre; elle n'entreroit point dans notre fyftême fans jeter la plus grande confufion dans le cours des plus groftes planetes. L'aftronomie n'obferva jamais rien d'approchant. Un Phyficien ne fauroit donc admettre la fuppofition d'une comete de cette efpece ; 8c 1'on fe difpofe a nous endonner jufqu'a cinq cents! Ce qu'il y a ici de plus fingulier , c'eft que plus M. de BufFon augmente la denfité de fa planete , plus il diminue 1'efFet qu'elle pourroit produire en fillonnant le globe du foleil; il la refferre, &c la comprimé tellement que, relativement a 1'immenfe étendue de eet aftre, elle ne feroit que ce qu'eft un boulet de canon de cinq ou fix pouces par rapport a la terre ; or concevez, s'il eft poflible, un boulet de canon qui rafant la futface de la rerre, emporre a la fois la Sicile 8c des provinces entieres de la France, autant de la HoUande , autant du Danemarck, de la Suede , enfin la fix centieme partie du globe. Encore feroit-il bien plus facile au boulet de canon d'emporter ces provinces qu'il ne le feroit a la comete d'emrainer une  Philosophiques. 45 partie du foleil. Pour une comete vingthuit mille fois plus denfe que la terre, le foleil ne feroit plus qu'un air extrêmement fubtil, une vapeur légere qui fe comprimé , cede , s'échappe a droite 6c a gauche ; a peine le corps qui la traverfe eft-il paflé, elle fe rétablit dans fa première place. Un boulet de canon fortant de 1'atmofphere , n'entraïneroic pas un pouce d'air ; la comete fortanc d'un aftre cent vingt-huit mille fois moins denfe qu'elle , n'en entraineroic ou chafferoit pas davantage. - Un Phyficien pourroit tout au plus dire qu'elle produiroit un effet pareil a. celui d'un boulet qui fdlonne la furface de 1'Océan. De cöté &c d'autre il verroit des éclabouflures s'élever & retomber fur la mer. En fuppofant même que ces éclabouffures puiflent être chaffées très-loin, elles s'éleveront avec des direótions auffi oppofées entt'elles que le font les rayons d'une roue , &c les angles fous lefquelles elles font frappées. Celles que la comete fait élevera. gauche, ne pourront pas avoir la direébion de celles qui font chaffées a droite L'imagineroit-on ! C'eft paree que les planetes ont une direétion commune C ij  ^4 Les Provincuies d'Orient en Occident que M. de Buffon veut les faire duffer par fa comete d un foleil liquide. II faut une diftraction bien longue pour confondre auifi long-tems qu'il 1'a fair, laftion des liquides & celle des folides, pour violer également les loix des unes & des autres. II falloit peut-être quelque chofe de plus pour s'oblïiner a foutenir que « la j> force d'impulfion fe communiquant w par les furfaces , le même coup aura s> fait mouvoir les planetes ou les par» ties plus groffes & les plus légeres de » Ia matiere du foleil avec plus de vï» telTè que les parties-les plus petites 3) & les plus maffives. » (t. I. p. 144.) Pour s'obftiner, dis-je , a foutenir une pareille propofition , il falloit ignorer les premières loix du mouvement, ou les contredire fciemment & de plein gré : il falloit ignorer que le mouvement fe partage toujours dans 1'impulfion en raifon des maffes , & nullement en raifon des furfaces, qu'il fe trouve toujours après 1'impulfion , divifé de maniere que le corps frappant & celui qui eft frappé aient, après le choc, le même degré de viteffe, quelle que foit la furface de 1'un. ou de l'autre j il falloit  Phiiosophiques.' 45 ignorer que , dans le même choc, il n'y Ia que le plus ou le moins d'obliquité 8c de maffe qui falfe varier les véiocités communiquées , abftraótion faite de 1'élafticité. II falloit ignorer qu'avec la même force nous communiquons plus de viteffe & moins de mouvement a un globe de fer d'une livre qu'a un balot de laine de dix livres; qu'il y a d'ailleurs entre la viteffe 8c la force ou Ia : quantité de mouvement une très-grande différence, & que Jupirer 8c Saturne érant beaucoup plus grands que la terre, pourroient avoir recu beaucoup plus de iforce 8c de mouvement, fans avoir recu laurant de viteffe. Que M. de Buffon idoit favoir mauvais gré a 1'Infrituteur ijiqui lui laiffa ignorer ces premiers éléfmens de la phyfique, ou qui lui fuggéra jides idéés contraires a fes loix. II ne fatvoit pas, eet Inffcituteur , qu'il préfidoit a 1'éducation d'un Génie, & que les premières erreurs d'un Génie Tégarent, '8c 1'entrainent dans la fuite bien plus iloin du vrai que les efprirs communs. M. de Buffon aime la vérité , puifIqu'il a rétraété , au moins tacitement, jjfa première explication de 1'origine des ijiatellites. II a compris fans doute que  4^ Les Provinciales la lune, regardée comme une éclabouffure, auroit été frappée plus obliquement, & tourneroit par conféquent fur elle-même plus vlte que la terre; mais eft-il plus heureux dans la feconde explication qu'il nous a donnée ! Jamais on ne concevra comment ces parties de la terre, lancées autour d'elïe a la haureur de quatre-vingt-cinq mille lieues, formant par conféquent une fphere de plus de cinq cent mille lieues de circonférence , fe font réunies pour former le globe de la lune. Les parties orientales de cette fphere étoient la moitié plus prés de la rerre que des parties occidentales; elles ne pouvoient pas les atteindre , puifqu'elles n'avoient que la même viteffe; comment font-elles allées s'y réunir plutot qu'a la terre ! ne vaudroit-il pas autant nous dire que les rayons lancés en tout fens par 1'équateur du foleil , vont tous fe réunir a un certain point pour former une lune! Quelle phyfique encore! C'eft le même mouvement qui a produit tous les fatellites de la même planete, & ils ont chacun une viteffe differente , & aucun n'a celle de fa planete! c'eft par un mouvement concentrique a 1'équateur qu'ils  Philosophiques. 47 ont été lancés, & toutes leurs orbites font fort inégalement inclinées fur 1'équateur de leurs planetes! ce font les parties les moins denfes qui ont été projetées pour former la lune; & il nous refte une goutte d'eau , un pouce d'air ! Brulez Newton , brülez Defcartes, brülez tous les Traités de Phyfique, ou celfez de nous repaïtre de ces chymeres. L E T T R E V. Du Chevalier a Mme. la Baronnel jVI a dame, Au commencement tout étoit foleil; il n'y avoir. ni terre , ni lune , ni planetes , ni cometes; celles-ci parurenr les premières, puifque vous avez vu qu'elles nous donnerent les planetes ; & voici ïe terrible événement qui leur donna nailTance. Un de ces foleils que nous appellons étoiles, voifin de notre foleil 3 (Ep. /7. 4 5.) agité fort long-tems &c tourmenté par  4^ Les Provinciai.es fes propres feux', cede a leur violence; il fouffre une explofïon, mais une explofion, ö cieux ! de quelle force ! C'eft une bombe immenfe, une bombe de plus de cent mille lieues de diametre , qui éclate avec un fracas horrible 3 épouvantable: fes éclatsfe font tous difperfés dans les airs. Le grand foleil n'eft plus; mais cinq cents petits foleils vingt-huit mille fois plus denfes que la terre fe font formés de fes débris; ils errent dans la vuide éthéré , fans foyer, fans piyot, fans cenrre commun, jufqu'a ce qu'enfin ils font forcés d'obéir d la force attracliye de notre foleil 3 qui devient leur pivot, leur foyer, leur centre. Nos cinq cents foleils s'éteignent, leur ancienne fplendeur a difparu; de toute leur gloire, de tout leur éclat il ne leur refte plus qu'une chevelure érincelante , une barbetouffue, une queue menacante. Au beu du grand foleil & des ciriq cents petits qui s'étoient formés de fes débris , I univers n'a plus que cinq cents cometes. II n'en refte même aujourd'hui que quatre cents quatre-vingt-dix-neuf; carcellequi tomba fur notre foleil s'eft fondue &s'eft liquéfiée ; fa matiere s'eft confondue avec celle des planetes. Je  Philosophiques.' 49 Je crois voir ici nos comparriotes effrayés, fe regarder & fe dire mutuellement les uns aux autres: notre foleil un jour pourra donc avoir le même fort que eet aftre, le pere des cinq cents cometes! 11 peut a chaque moment fouffrir une explofion; il peut fe difïoudre, éclater & fe difperfer. Quel défaftre affreuxnous annoncez-vous ! les cinq cents cometes vont encore perdre leur foyer, leur pivot ; il va s'en former deux ou trois cents nouvelles des débris du foleil que vous nous arrachez. La terre, Jupiter & toutes nos planetes vont errer a 1'abandon. Quel aftre bienfaifant nous appellera dans fa fphere ! O Sirius! c'eft toi qui fixes de nouveau nos révolutions, c'eft autour de ton cenrre que nous tournerons déformais ; toi feul peus réparer ia perte & 1'extinótion de notre foleil; mais oü irons-nous , fi ton orbe doit auffi fouffrir fon explofion ! fi de nouvelles cometes fe forment de tes débris! Telles font vos craintes , Madame , êc j'avoue que je fus faifi de la même frayeur , quand M. T. me fit voir dans M. de BufFon 1'origine des cometes ; mais rafturez-vous, me dit ce grand homme, le foleil a rendu un grand ferD  jo Les Provinciaies yice aux cometes, en les recevant dans fa fphere : celles-ci lai en rendent un autre auiïï important. « S'il eft le pivot » de la roue, elles en font les jantes mo»> biles; les rayons de leur force attrac» tive en forment les rais; Sc dès-lors s» quel volume immenfe de matiere , s» quelle charge énorme fur le corps de » eet aftre ! quelle preftion , c'eft-a-dire, »> quel frottement intérieur dans routes »> les parties de fa mafte ! » (V. Ep. p. 47 6* 50.) M. de Buffon fe contente, il eft vrai, d'ajouter que les cometes ne fieuvent ainfi attirer , preffer & frotter e foleil fans augmenter fes feux, fans rendre fa lumiere éternelle ; mais ilnous indique un autre fervice non moins effentiel qu'elles rendront toujours a eet aftre. Toujours elles le prelferont Sc le chargcront d'un poids énorme \ 1'eftet naturel de la preflion eft de reftèrrer, de comprimer les parties du corps qui la fupporre \ ainfi notre Soleil, grace aux cometes , au lieu d'éclacer Sc de fe divifer, fera toujours plus comprimé , plus refferré. 11 pourra devenir plus petiten fe comprimant; mais il ne pourra jamais fe dilater & fe difperfer, parcq qu'il ne fauroit vaincre U foulever le  PhuosophiqüEs. 51 poids énorme dont il eft chargé par les cinq cents cometes, par la terre , la lune & toutes les planetes & tous les fatellites qui le prefleni &; le frottent auili de leur coié. Ceffez donc, Madame, de redouter pour notre foleil Ie deftin de 1'étoile mere des cometes. Je vous ai démontré leur origine j j'en ai prévenu les inconyéniensj il me refte encore a fixer 1'époque de leur naiffance. Lorfque notre globe partir du foleil, les cometes étoient tres-folides , trèsdures & rrès-condenfées, c'eft-a-dire s très-refroidies. (T. I , p. 137.) Si nous connoiilions exaóteraent la grandeur d'une feule & fon degré de refroidiffement, nous vous dirions fans peine de quelle année elles datent toutes ; contentons-ncus de faire la fuppofition la moins favorable a. leur ancienneté , &c calculons d'après la methode de M. de Buffon. S'il en ejl des cometes comme des planetes j fi les plus groffes font les plus éloignées s nous pouvons bien en fuppoferunequi, tout compenfé, ait au moins la grofléur de la terre & la denfué de celle qui tomba fur le foleil. Or une paDij  5 z Les Provinciales reille comete, pour fe refroidir au point auquel la terre eft refroidie aujourd'hui, devroit être exaclement vingt-huit mille fois plus ancienne que la terre , puifqu'elle feroit vingt-huit mille fois plus denfe. Nous vous apprendrons un jour que notre globe eft, a. vue d'ceil, agé d'environ foixante-quin^e mille ans ; il y a donc au moins deux milliards cent millions d'années que les cinq cents cometes exiftent. Nous pourrions aifémenc les faire dater d'un peu plus loin , en les fuppofant plus froides que la terre, dans le tems ou la comete génératrice tomba fur le foleil; mais refpeótons le préjugé , 8c prévenons même l'efprit étroit 8c relferré de nos Provinciaux, qui fe prêteroienr trop difficilement a cette idée. Demandons-leur avec M. de Buffon , pourquoi cent mille ans feroient plus difficiles a compter que cent mille livres de monnoie ! ils n'auront affurément rien a répondre. Quel inconvénient peuvent-ils donc trouver dans l'an« tiquité des cometes! L'efprit du Philofophe embraife 1'éternité même ; & qu'eft-ce que deux milliards cent millions d'années , comparés a 1'éternité ? Ajoutez a ce nombie celles que les co-  Philosophiques» '5 J metes ont acquifes depuis 1'exiftence de la terre , Sc vous aurez 1'époque précife de leur naiffance. J'ai 1'honneur d'être , Sec. A Paris , ce 15 Avril de l'Ere vulgairs * 779- Depuis que les débris d'un grand foleil produif rent les cinq cents cometes qui arculent autour du nótre 2,100,75 °>002 ans» 6 mois & 15 jours. ÖBSERVATIONS d'un Provincial fur la lettre précédente. Quelle imagination que celle d'un homme qui a pu fe prêter a 1'idée de cinq cents cometes produites par t'explo* fion d'une éroile! & quelle phyfique que celle d'un homme qui fuppofant les écoiles liquides comme Ie foleil, paree qu'elles font également lumineufes , les voit cependant fe diffoudre par une explofion fi rerrible ! La chaleur peut faire bouillonnet les liquides, & produiredes exhalaifons ; mais des explofions effroyables dans un corps dont la matiere D iij  54 Les Provinciales eft^ route en fufion ; j'avois toujours cru quelles éroient la fuite d'une force qui momphe des plus grands obflacles & de la réhftance qu'oppofe la compreflion aux évaporations momentanées ou fuceemves: j'avoue que j'ai biende la peine d conrevoir ces grands obflacles dans un aftre brillant & liquide. On pourroit nous dire que ce grand foleil s'éroit déja refroidi Sc confoüdé ; mais alors que de milliards d'années ne faudroit-il pas comprer pour remonter au tems de fa première infkmmation ! Lailfons-la ces calculs, Si convenons que M. ds BufFon ne parle de certe terrible explofion que pour farisfaire très-imparfaitement la curiofiré de l'efprit. Peut-être auroit-il du faire attention, que fi la curiofiré de certains hommes eft facile 3 fansfaire, il n'en eft pas de même de ceux qui rénechiffenr. II ne faut aux uns que de 1'invraifemblable , de l'extraordinaire ; les autres exigent des caufes qui diminuent au moins 1'invraifemblance : les Phyficiens en demandent fur tout, Sc c'eft pour eux fans doute que M. de Buffon vouloit écrire. Peu fatisfaits de 1'origine de nos cometes , ne verronr-ils pas les erreurs & les con-  pKItOSOPHIQUES. 5$ tradictions les plus fenfibles dans la maniere dont notre Auteur fait difparoïtre celle qui tomba fur le foleil ? ( La mariere de cette comete fe hquefie par les feux du foleil; il ne falloit donc pas nous dire {Ep.p. 43- ) \e mouvement des cometes > a leur perihelie, étant très-rapide, le feu du foleil-, en brülant leur furface , na pas le tems de pénétrer la maiTe de celles qui s'ert approchent le plus; que pour les échaurfer, il faudroit au moins la quinzieme partie du tems qu'il faut pour les refroidir. 11 ne falloit pas nous inviter (T. I, p. 137.) a faire attention a la denfite , la fixité , la folidité de la matiere dont elles doivent être compofées pour fouffrir, fans être altérées , la chaleur inconcevable quelles éprouvent auprès du foleil. * „ . Si la comere a du fe confondre avec nos planetes, elle a confidérablemenc ajouté a leur matiere; dès-lors celles-ci formeront un tout bien plus grand que vous ne 1'aviez d'abord annoncé. Si elle a pu fe liquéfier , elle n'aura point confervé la folidité néceffaire pour chaffer du foleil laTerre , Jupiter, Saturne, &c. Elle ne s'eft point liquéfiée fans fe diD iv  j&- Les Provinciales later & s'évjporer en très-grande partie; elle n'éroit donc plus vingt-huit mille fois plus denfe que la terre. Dites-nous, je vous prie, dans quelle planete exifte aujo;urd'hui tette matiere cent douze rndle fois plus denfe que ie foleil; cat il faut, felon vous, qu'elle foit dans nos planetes , & qu'elle fafpe mcme une bonne partie de leurs globes. Quant i ion atmofphere 3 Madame la Baronne en a difpofé , & fes vues nous paroiffent au (li bien fondées que les vötres fur la vérirable phyfique. Le fervice que les cometes & les planetes rendent au foleil eft au moins affez finguliérernent imaginé. La terre, les cometes & toutes les planetes preffent, frottent, c'eft-a-dire , attirent le ioleil. Voila une attradfion d'une efpèce tout-a-fait nouvelle : c'eft la même corde qui éleve en haut & qui pouffe en bas le même poids dans le même inftanr. Cette attraccion qui preffe Sc qui frotte le foleil, entretient fa chaleur ? mais il atrire, il preffe, il frotte notre terre un million de fois plus fortement qu'elle ne le frotte. Les cometes Sc les planetes frottent aufti notre globe , elles fe frottent toutes, Sc font toutes frottées par  Philosophiques. 57 le foleil; la lune fur-tout nous frotte de très-près; mais nous la frottons encore jplus. Comment s'eft-il fait, malgré ces frottemens , que la lune, la terre, les 'icometes & les planetes aient perdu tous i leurs feux [comment ont-elles cede d'être foleils ! Apprenons a ceux de nos comparriotes Mui n'auroient pas étudié la phyfique un ;ou deux mois, que 1'attradtion, quelqne mom qu'on lui donne, ne pourra jamais :ictre comparée au frottement : celui-ci ne produit Ia chaleur que paree qu'il ex> cite des mouveinens oppofés dans les diftcrentes parties du même corps. L'atjtraétion au contraire ne fauroir produire iqu'un mouvement commun. Tout ce iqu'il y a d'oppofé dans la direéfcion des rorces attraélives fe détruit mutuellejmentj & refte fans eftet comme un corps ;également tiré de deux cötés oppofés lrefte fans mouvemenr. Le refte des forces iconcourt a donner a toutes les parties du ;corps attiré la même direótion. C'eft ll'effet naturel de la décompofition du mouvement: ainfi les planetes & les coimetes ont beau attirer le foleil dans des fens oppofés, ni leur action générale, 111 leur aétion particuliere ne produira ja-  5S Les Provinciales mais les effets du frottement. Quand on a pour M. de BufFon autant d'eftime & de refpect que nous en avons pour lui, on eft fmcérement affligé de voir fon irnagination le dominer, 1'écarrer a chaque inftanr des vérités réelles Sc phyfiques , le féduire également dans les caufes Sc les efFets qu'elle lui préfente. L'attraétion des corps j loin d'être une preflion réelle de la part des cometes, eft précifément ce qu'il y a de plus oppofé a la preffion ; en artirant chacune le foleil dans des fens oppofés , elles devroient plutot le divifer , ou élever au moins fa furface , comme la lune éleve celle de 1'Océan , fi fes propres forces n'éroient fupérieures a 1'efFort de tous les aftres qui 1'environnent; mais cette preflion, füt-elle bien réelle, comment nous faire croire qu'elle excite Sc redouble les feux du foleil! Plus vous vous écriez : quel volume immenfe ! quelle charge fur Ie corps de eet aftre ! plus nous voyons d'obftacles au mouvement qui produit la chaleur , Sc plus vous nous donnez le droit de répondre que cette charge énorme devroit étouff er, éteindre les feux du foleil , car tel eft 1'erTet naturel de la preflion.  Philosophiques. 59 Quant a 1'antiquité des cometes, nous conviendrons qu'elle eft affez bien calculée par notre correfpondant, fuivant la méthode de M. de Buffon, mais nous dirons un jour ce que nous penfons de cette methode. Obfervons feulementpar avance combien les réfultars qu'elle donne font peu conformes a un autre principe de M. de Buffon. Suivant ce principe, il ne faut aux corps, pour fe refroidir, que quinze fois le tems qu'il a fallu pour les échauffer; très-certamement il ne fallut pas un an a la comete pour la fondre, car leur paffage prés du foleil eft très-rapide ; fon refroidiftement prouveroir donc tout au plus qu'elle datoit d'environ quinze ans 3 ce qui n'approche guere d'un milliard & cent millions d'années; mais je ne crois point du tout a ce principe. Le tems dans lequel un corps parvient a un cerrain degré de chaleur peut varier a 1'infini , fuivant quele feu qui 1'échauffe eftplus ou moins vif. Un brafier très-ardent rougit en rrèspeu d'inftans un morceau de fer \ \\ faut ibeaucoup de tems pour qu'il acquierre ce degré de chaleur par l'adion d'un feu beaucoup moins ardent ; mais une fois rougi au même point, peu importe qu'il  6o Les Provinciai.es ait ete un quarc-d'heure ou trois minutes a s'échauffer, il n'en mettra ni plus ni moins de tems a fe refroidir. Je finis : il eft trop défagréable de trouver tant d'erreurs dans les mêmes objers. IETTRE VI. Vu Chevalier a Mme. la Baronnel JVf ADAMS3 f* C'est peu d'avoir créé Ja terre, fes planetes, les fatellires & les cometes, il faut que le Génie regie leur mouvement , qu'il affigne des caufes fuffifantes a leurs révolurions; que faciles aconcevoir, & conformes aux loix de la nature, ces caufes nous préfentent un caraócere de vérité, de clarté, d'évidence auquel le Philofophe ne fauroit refufer fon confentement. Revenons a la chüre de notre planete , & toutes ces caufes fe préfenteront d'elles-mêmes a notre efprit. M. de Buffon nous la montre Keur-  Philosophiques. 61 tant le foleil avec une direétionoblique; 1'efFet néceflaire de 1'impulfion oblique eft de communiquer a la maffe qui la recoit un mouvement de rotation j toutes les matières détachées par la comete , rous ces globes de verre fondu, de plomb , d'émeril, de pierre-ponce, de craie ou de marbre liquéfié, obliquement choqués par un aftre fondu &c liquéfié lui-même, auront donc commencéa tournet fur leur cenrre, ens'éloignant du foleil. Telle eft 1'origine du mouvement diurne, de ce mouvement qui faifant tournet la terre fur elle-même dans le court efpace de vingt-quarre heures, partage 1'empire des jours &c des nuits. Lórfque nos Phyficiens vous diront que ce. mouvemenr eft aftez impétueux pour faire parcourir a chaque partie de notre équareur fix lieues & unquarr pan fninutej vous n'en ferez plus étonnée; vous direz feulement que la comete a heurté le globe de verre très-obhquement, mais ttès-fortement. S'ils vous difent encore que Jupiter toume fur lui-mcme vingt-quatre fois plus vite que la cerre , car il ne fait pas moins de cent foixante-cinq lieues par minute , vous  6i Les Provinciai.es pourrez répondre qu'il a été frappé vingtquatre fois plus obliquement , mais en même tems bien plus fortement ; car il a été lancé cinq fois plus loin , quoiqu'il foit immenfement plus gros. Je fais bien qu'on vous objectera que plus il y a d'obliquiré dans le choc, moins fon aftion eft forte ; mais fi cela eft vrai fur la terre , il n'en étoit pas de même fur le foleil ;au moins pouvonsnous bien le fuppofer en faveur de cette heureufe explicarion. Le mouvement annuel de nos planetes, leurs révolutions périodiques autour du foleil , font encore plus fiiciles a déduire du choc de la comete. Que faut-il en effet pour les faire circuler éternellement autour de eet aftte ? Ce qu'il faut a la pierre pour tournet avec la fronde autour de la main ; c'eft-a-dire , une force ou un obftacle qui les empêche de s'éloigner , en les repouflant toujours vers le même centre, & une force d'impulfion qui tende au contraire a les en écarter par la tangente. Les planetes j chaffées par la comete 3 auronr également cette doublé force. Le foieil les rappelle fans ceffe autour de lui par fon attraftion ; la force communiquée par Ia  Philosophiques. ■> volution pafter au point d'ou elle a « été tirée. Mais li au lieu d'une balie de » moufquet, nous fuppofons qu'on aic  04 "Les Provinciales » tiré une fufée volante, ou 1'action du „ feu feroit durable , & accéléreroit » beaucoup le mouvement d'impulfion ; n cette fufée , oü plutot le cartouche » qui la contient, ne reviendroit pas au 5> même point, comme la bale de moufj> quet, mais décriroit un orbe , dont le » périgée feroit d'autant plus éloigné de » la terre , que la force d'accélérarion aujj roit été plus grande. » ( t. i p. 140. ) Or, voila exa&ement ce qui eft arrivé. La terre partant du foleil, n'eft point cette balie qui part d'un moufquet ; elle n'eft pas même la fufée volante •, elle eft feulement le cartouche. Le foleil a beau lui oppofer la force de fon attra&ion , elle monte en s'éloignant de eet aftre , comme la balie defcend en fe raprochant. de la terre ; fa viteffe augmenre & s'accélere , elle arrivé enfin a la diftance de trente-trois millions de lieues. C'eft la qu'elle fe fixe , c'eft la qu'elle commence a parcourir une orbire réguliere, & nous n'avons plus a craindre d'aller nousgriller une fois par an fur ce même foleil d'oü la comete nous a fait partir. Je ne fais pas encore ce que nos comparriotes penferont de cette phyfique abfolumenc nouvelle} d'un mouvement qui  Philosophiques. 65 qui s'accélere, oü Newton lui- même n'auroit vu qu'un mouvement retardé j mais quand je rérléchis fur les combinaifons de M. de BufFon, quand je vois ce profond Phyficien régier le cours desaftres , nous indiquer avec exaótitude la canfe première de leurs révolutions 3 &c fur-touc quand je vois ce cartouche fournir a fon génie de quoi faire fortir du foleil feize nouveaux foleils , ou plutot de quoi les empêcher d'y retomber , je voudrois que la langue Francoife eütdéja rendu a ce grand homme les honneurs qu'il mérire. Dès que nous difons le fyftême des tourbillons, c'eft une chofe recue parmi nous , chacun enrend par la. le fyftême de Defcartes : le feul mot d'attraction nous rappelle celui de Newton. Pour défigner celui de M. de BufFon , je voudrois que Fon dït feulernentle fyftême de la fufée volante, ou plutöt du cartouche , a moins qu'on n'aimat mieux dire ,1e fyftême de verre & des éclabouftures. Ces mots annonceroient la petitefte des moyens; &c la petirelFe des moyens annonceroit la gloire du philofophe , qui a fu en tirer un fi grand parti. J'ai l'honneur d'être &c.  66" Les Provinciales Obsirvations d'un Provinclal fur la Lettre précédente. A dmettre pour Ia rerre & les planetes liquides un principe de roration auflï fingulier que le choc d'une comete , c'eft dire qu'un vaifteaiï ne peut fillonner la furface des mers fans faire rourner tout rocéan, ou bien que je ne peux frapper ob'iquemenrrextrémitéd'un canal, fans communiquer un mouvement contraire a 1'extrémité oppofc'e , comme en pouftant a gauche le bout d'un baton , je fais tourner a droite 1'autre bour ; c'eft ne pas rc-flcchir , que dans tous les corps oü il n'y a point de cohéfion , la partie qui recoit i'impulfion oblique ou directe, fe féparefacilement des autres , fans les forcer a prendre une direclion oppofée ou la même. Ajouter a cela que la comete a fait tourner jupiter beaucoup plus vite que la terre , paree qu'elle 1'a frappé plus obliquement, & que cependant il a été chafte cinq fois plus loin par le même choc , quoiqu'il air beaucoup plus de matiere ; fuppofer une aclion &  Philosophïqües. éf, plus oblique & plus directe en même tems , ce feroit de la pair d'un auteur commun fejouer du public , & infulter a fes lecteurs , en s'imaginant qu'ils n'appetcevront pas les contradictions les plus palpables, ou s'expofer foi-même a leur rifée , en feignant de ne pas appercevoir ces contradi&ions. Mais nous 1'avons dit, le génie a fes écarts , & ceüx-ci lui reflemblenr. Dans M. de Buffon , ils devoient avoir quelque chofe de plus frappant que ceux du vulgaire. Ils fe fentenc du feu qui le rranfporre, & la vérité malfieureufement n'eft guere que le fruir du fens froid. Il y a quelque chofe de plus réftéchi dans la maniere dont eet auteur célebre voudroit démontrer que la terre , chaflée du foleil par la comere , ne devroit pas s'en rapprocher une fois par an , & fes preuves foutiennent au moins un certain examen. Nous conviendrons d'abord qu'elle ne devroit pas repafier a chaque révolution par ce même point d'oü elle eft partie , fi elle avoit pu s'éloigner du foleil par un mouvement accéléré \ mais rien ne reftémble moins au départ d'une fiifée que celui des pla>ietes. La poudre contenue dans ie cartouche n'exerce  68 Les Provinciaies qu'une aftion fucceffive ; la force que le feu lui donne au fecond inftant, confpire avec celle qui avoit d'abord élevé le cartouche ; ces deux forces s'uniflent & augmenrenr la viteffe. II en eft de même des volcans fur lefquels M. de BufFon veut également établir fon mouvement accéléré. La feconde & la troiüeme explofion peuvent être plus fortes que la première j la flamme s'accroït dans 1'intérieur de la montagne, 1'air devienc plus élaftique, & s'échappe en plus grande quantité; il n'eft pas étonnantque les premières matières foient Iancées avec moins de force que celles qui les fuivent. Dans la comete & les planetes qui partent du Soleil, tout concourt au contraire aretarder leur mouvement. Celui de la comete eft trèscertainement rerardé durant le choc , &c par la quanricé qu'elle en communiqué , & par la réfiftance du milieu qu'elle traverfe. Dès qu'elle commence a s'éloigner du cenrre du foleil, eet aftre lui oppofe toute la force de fon attraftion ; il I'oppofe également a toute la matiere qu'elle eft fuppofée entrainer ouchaffer. A-t-on jamais vu des corps s'éloigner du centre de gravitation par un mouvement accéléré ?  Philosophiques. 65) Suppofons cependant cette accéléra- tion dans la fuite des planetes , aura-t: elle aufti lieu quand la lune s'échappe de ; la terre ? II n'y a ici ni torrent, ni car) touche ni fufée; c'eft rout au plus la balie ! du moufquet; c'eft la lunelancéeau-dela* 1 du demi-diametre de la terre par le -. mouvement diurne, & le mouvement diurne ne s'accélere pas; il n'a pas pu donner a la lune une viteffe accélérée J ) pourquoi ne fait-elle pas ce que feroit Ia : balie du moufquet ? Pourquoi ne vienti elle pas nous rendre vifire une fois pat mois, en repalTant au point d'oü elle eft partie ? Notre correfpondant s'extafie quand il voit le foleil & quand il voit la lune » quand il voit la comete produire fi naiturellement les révolurions de nos plasnetes. En bon Provincial , je dirai fimplement : Je voudrois que 1'ctude de la iphyfique fut moins négligée dans 1'édu•cation de la Jeuneffe ; on feroit un peu moins facile a fe laiffer féduire ; les prejpliers principes méthodiquement inculpués, nous mettroient a 1'abci de 1'er-. ireur.  70 Les Provinciales LETTRE VII. KéttNSE de Mme. la Baronne au Chevalier. Il est tems, mon cher Comparriote , que je vous faffe parede 1'impreffion que vos premières lettres ont faite fur vos amis. Ils ne fonr pas tous également prévenus en faveur de M. de Buffon ; mais j'ai obfervé que les moins favorables au fyftême du cartouche ou de la fufée , font ceux qui ont pris dans les Colléges des principes un peu trop éloigiiés des vótres. 11 n'eft pas étonnant que le préjugé foit plus fort chez eux ; ils prétendent avoir fait des expériences , obfervé les forces de 1'arrraétion & de 1'impulfion, calculé les effets d'après les loix les plus conftantes , & prévu des réfultats bien différens des vètres. II faut leur pardonner. En nous expofant ce qui vous refte a nous dire fur le fyftême de M. de Buffon , vous viendrez a bout de les réconcilier avec ce grand Homme,  Philosophiques. 71 Quant a moi je fins émerveillée , je fuis enchantée de la comete. J'aime a Ia fureur la Vénus d'émeril ; j'aurois voulu la terre de cryftal de roche ; mais puifqu'elle eft de verre , c'eft a peu prés Ia même chofe. Le feu d'artifice qui a produit la lune , me paroit beaucoup mieux inventé que les éclabouftures. Nos Phyficiens Provinciaux ont beau me foutenir que fi elle eft parrie de la terre , elle devroir au moins nous rendre vifire une fois par mois. Quel mal y auroir-il donc qu'elle repaffat par 1'endroit d'oü elle eft partie , comme Ia balie de moufquet? Vfaimentce feroit une chofe charmante. Nous n'aurionspas befoin de voler auffi haut qu'Aftolphe pour favoir ce qui fe paffe dans la lune. Nous n'aurions qu'un petit faut a faire pour nous trouver fur fon globe. Ses habitans pourroient également fauter fur la terre ; nous refterions chez eux , ils refteroient chez nous un mois entier , & pour que chacun fe retrouvat chez foi , on n'auroit qu'a attendre une nouvelle conjonction, comme on attend a Montereau le retour du cöche pour fe rendre a Paris. Chacun dans ce voyage, chercheroit ce qui piqué le plus fa curiofité. Je ferois fur-tout  72 Les Provinciales bien empreflee de favoir les honneurs que 1'on rend dans la lune aux Philofophes qui ont eu la gloire de faire des fyftêmes , 8c de créer le monde ; car je ne doute pas que leurs phioles ne foient placées dans un lieu diftingué. Nous apprendrions aux habitans de la lune que leurs montagnes font de pierre , au lieu que les nötres font de verre , paree que les leurs font bien plus lcgeres. Nous leur dirions qu'ils faifoient autrefois partie du grand foleil, & qu'ils ctoienr eux-mêmes un petit foleil } lorfque notre terre les lanca a quatrevingt-cinq mille lieues. Ces vérités peut-être ne feroient pas nouvelles pour eux. Ils nous montreroient une phiole qui rend des oracles, & qui doit les avoir inftruits de leur origine , comme nous Tavons été par M. de Buffon. Avec quel refpeét je confultetois eet oracle ! Je lui demanderois pourquoi I les planetes s'éloignerent du foleil par un mouvement accéléré, tandis qu'aujourd'hui leur viteffe fe ralentit dès qu'elles s'en écartent; je voudrois favoir fi les poiffons de la lune digerent des monrsgnes anffi bien que nos huitres j fi les loix du mouvement, de Ia dieeftion 8c de  P H I L O S O P H I Q U E S. /3 de 1'atrraótion éroient , il y a foixante ou foixante-quinze mille ans , les meines qu'aujourd'hui; fi on ne trouveroit pas au moins dans la lune des archives qui datent de cinq ou fix cents fiecles. Enfin je voudrois faire a 1'oracle autant de queftionsque nos Provinciaux en feroient a M. de BufFon. Mais en voici une que je vous prie de rcfoudre vous-même. On m'a dit que la comete de i6"3o avoit prefque rafé la furface du foleil, & que felon M. de BufFon , elle pourroit bien y tomber obliquement dans quatre cent foixante & quinze ans. Je trouve ce terme un peu trop éloigné , & d'ailleurs on m'aiïure que cette comete ne feroit point comme celle qui a chafle la terre , paree que Fatmofphere du foleil fuffit pour retarder fon mouvement. ( V. t. i, p. 135.) N'en connoitriez-vous pas une autre dont le cours nous annonce qu'elle vindra au moins dans deux ou trois ans fillonner le foleil, tk. par un mouvement accéléré , nous donner de nouvelles planetes foleils , une nouvelle lune , & de nouveaux fatellires ? Quel plaifir fi M. de BufFon en pouvoit défigner une feule parmi les cinq cents qu'il a forF i  74 Les Provinciales méés des débris de la grande étoile ! fi vous m'affuriez que nous allons la voir ïomber obliquemeut fur eet aftre ! Quel fpectacle charmant de voir tout-a-coup une douzaine de nouveaux foleils tourner comme nous autour de 1'ancieii. Alors il n'y auroit fans doute plus de inrit, & de long-tems 1'hivernefemontreroit. Quand un petir foleil s'éloigneroit, nous en verrions un autre s'approcher ; quand quelques - uns iroient éclairer 1'Amérique , d'autres reviendroient briller fur 1'Europe. Demandez , je vous prie, demandez a M. de Buffon , ii nous jouirons bientöt de ce fpectacle. Je vous promets qu'alors la philofophie créatrice ne trouvera plus d'obftacles chez nous. Nos Phyficiens alors n'auront plus befoin de recourir a ce Moïfe , que je trouve d'une fimplicité étonnante. Chez lui Dieu n'a qu'a dire , & tour eft fait. Chez M. de Buffon c'eft bien autre chofe. II n'a que des foleils fans nombre , & avec un feul de ces foleils j il fait cinq cents cometes; avec une comete , il fait la terre & les planetes; avec la terre , il fair la lune ; avecj Jup.irer & Saturne , il fait les farelüces. Voila ce qu'on appelle une généalogie  pHILOSOPHIQUES. 75 qui remonte aux principes. Encore un pas feulement, cv nous aurions fu d'ou vienneiu le foleil & les étoiles. Mais , a propos, favez vous bien que je me fuis aufli ayifée Je créer une partie de la terre que M. de BufFon me femble avoir oubliée ? Nos provinciaux fe demandoient les uns aux aurres pourquoi les planetes & la lune n'ont point une atmolphere femblable a la nörre ! fi elles font toutes parties du Soleil, difoient-ils , elles ont toutes dut emporter une partie de fon atmofphere ; ou plutöt il femble que Saturne feul devroit en avoir une, paree que notre air plus léger que la pierre-ponce, devoit au moins la iuivre. Vous vous trompez, Meffieurs, leur ai-je dit ; notre air ne fiafoit pas partie du Soleil : ne voyez-vous pas combien il reffemble a celui des cometes! il nous eft donc venu de celle qui après fa chiue confondit fa matiere avec nos pla-netes. La comete nous donna alors ce qui pouvoit le mieux nous convenir. Qu'aurions - nous fait du refte de fa made vingt-huit mille fois plus denfe que la terre ! Elle nous a donné fa chevelure , fa queue, fa barbe, enfin fon F ij  76 Les Provinciales atmofphere ; & c'eft pour cela que nouS fommes enrourés d'un air que n'ont point les autres planetes. A qui donnez-vous donc, me difoient nos Phyficiens, le refte de la comete ! a telle autre planete que bon vous femfolera, leur ai-je répondu. Tout ce que je fais, c'eft que la cheVelure & la barbe de la comete nous convenoient très-bien, qu'elles fe retrouvent dans eet air dont «ous avons befoin pour refpirer ; au lieu qu'une matiere vingt-huit mille fois plus denfe que la terre eft un peu difficile a trouver. Je doute même que les autres planetes aient pu s'en accommoder, a moins qu'on ne nous dife qu'elle eft devenue légere comme la craie pour Jupiter & comme la pierre-ponce pour Saturne. Encore en fera-t-on toujours embarraflé ; car li cette maffe s'eft confondue avec les planetes, elle a de beaucoup augmenté la quantité de leur matiere , &z il ne fera plus vrai de dire que toutes nos planetes ne font que la neuf centieme partie du Soleil. Si M. de Buffon m'en croyoit, il anéanüroit cette comete dés J'inftant qu'elle a jeréé la terre j il n'en conferveroit que  Philosophiques.- 77 Ja barbe ou la chevelure , dont vous voyez qu'on peut tirer un aflTez bon patri. Au moins femble-t-il que dans motï fyftême 1'atmofphere terreftre auroit une origine très-phyfique. Je fuis impariente de favoir ce que vous en penfez. Je médite encore quelques petits changemens a faire dans la théorie de M. de BufFon» Je poVrai un jour vous en faire part , mais un Philofopbe ne précipite rien. Recevez mes remercimens & ceux de nos amis pour les premières lecons que nous avons recues de vous. Sans être également perfuadés , nous fommes au moins rous également reconnoiftans. Croyez fur-tout pénétrée de ce fentiment votre aftecFionnée. Baronne de **  1% Les Provinciales LETTRE VIII. De M. le Ch evalier a. Mme. la Baronne. Ma dame, Croirez vous que M. T. aété frappé de vos rtflexions fur 1'atmofphere! il veur en faire part, m'a-t-il die, a M. de Buffon y c'eft une variation de plus donc on pourra vous faire honneur dans la première édition , ou dans les fupplémens au fyftême de la comete. Nous aurions été bien enchantés de vous annoncer la chüte prochaine d'une nouvelle comete fur le Soleil ; nous voudrions bien pouvoir vous prédire que vous la verrez vous-même engendrer une nouvelle terre, unë douzaine de planetes & de fatellires ; mais il y a toute apparence que ce fpectacle eft réfervé a nos neveux ; ils ne pourront même abfolument en jouir que dans quatre aU cinq cents ans. Les grands  P H I L O S O V H I Q Ü E S. 79 événemens font rares ; il y a au moins foixante-quinze mille ans que celui-ci ne s'eft pas renouvellé dans 1'hiftoire des cieux. La terre a depuis cette grande époque eftuyé bien des révolutions ; les Soleils font devenus des Lunes j lesXunes font devenues des mers ; les mers font devenues des montagnes & des plaines fertiles ; les plaines & les montagnes ne feront pas toujours ce qu'elles font. C'eft au Philofophe i fuivre ces divers changemens, a fixer les époques, a calculer les tems paffés, préfens Scavenir. Graces a M. de Buffon , il n'eft rien de plus facile aujourd'hui, il n'eft rien de plus fimple que la méthode par laquelle nous pouvons fixer la durée & 1'époque des grandes révolutions que la terre a fubies. Première Époque. L'état dans lequel fe trouvoic notre globe après la chüte de la comete fut evidemment celui d'un petit Soleil qui ne' différoit du grand que par le volume. Voulez-vous favoir combien de tems elle conferva fes premiers feux, fa première fplendeur ? expofez diverfes marieres i toute la chaleur du feu jufqu'a ce qu'étant F iv  *Q Les Pro vinciales devenues du verre fondu , elles reffemblenr parfairement a ce qu'étoit la terre iortant du Soleil. Comparez enfuite les tems du refroidiflement, obfervez - en bien les degrés; vous verrez que les corps les plus denfes & les plus gros confervenc audï plus long-tems leur première effervefcence & chaque degré de chaleur. LtabhfTez enfuite une jufte proportion entre Ie refroidiffement de ces corps 8c celui de la terre ; vous verrez que le globe terreftre a du conferver fa première chaleur, fon état de liquéfadion, de verre fondu, de Soleil, exaéfement 1963 ans. C'eft une affaire de calcul. Nos provinciatix n'auront pas befoin que j'enrre la-deilus dans un plus grand détail. La même opération fixera la durée de eet état pour chaque planete en particulier; & ce temv de la terre en fijfion vous donneia 'une première époque très-remarquable. Dans ces premiers tems ou toutes les planetes brilloientde leurs propres feux , 011 elles éroient autant de petits Soleils' {Jr. Ep.p. jg) leurs poles s'applatirent. Les matières les plus légeres fuyoient vers 1'équateur, & Ja force centrifuo* «xcedant Ia force centripete, il fe fit aux  Philosophiques. Si dépens de ces petits Soleils de nouveaux Soleils plus petits encore, c'eft-a-dire des Lunes. Celles de Jupiter & de Saturne alloienr fe former a trois ou quatre cent mille lieues de diftance les unes des autres. Heureufemenr la nótre ne s'éloigna guere que d'environ quatre-vingtcinq mille lieues; & comme elle eft bien plus petite que la terre, elle ne fut Soleil que pendant 644 ans. Seconde Époque. Une feconde époque fuccede naturellement a celle-la. Notre terre, en ceflant d'étre Soleil, s'eft confolidée jufqu'au centre , & ne re (femble plus qu'a une grande maffe toute rouge de feu. Vous favez, Madame, les divers changemens qu'éprouve un corps dans eet état. A mefure qu'il perd fon incadefcence , d fe ferme a la furface, des trous , des ondes, des afpérités ; au-deffous des vuides , des cavités, des bourfoufflures. ( Ép. p• 71 j) Le premier degré de cliaJeur avoit produit la Lune; le fecond nous donne les montagnes primtnves, les cavernes & les principales inégahtes du globe. Audi ces montagnes font-elles  8i Les Provinciales compofées dans leur intérieur & jufqu'a leur fbmmet de la même matiere que la roche intérieure du globe, (Ep.p. 74,) aufli iont-elles toutes de verre. II eft vrai que M. de Buffon avoit démonrré dans fes premiers volumes , que nos montagnes primitives öc les principales inégalirés du globe font 1'ouvrage des eaux; mais un excès de complalfance pourcertainsCritiques, lui faitdire aujourd'hui, qu'elles fontl'ouvrage du feu. Dans lefond , cela revientau même ; la terre n'en a pas moins fes monragnes 5c fes inégalirés. Vous pourrezchoifirenrre 1'eau & le feu , comme nous avons eu a choifir entre les éclabouffures & le feu d'arrifice pour la formation de la lune. Quelque parti que vous preniez , Ia terre a la fin de cette feconde époque, ne doit avoir encore que trente ou trente - cinq snille ans. Troljleme Époque. La terre n'étoit pas encore a cette date affez refroidie pour être touchée au doigtj mais les eaux n'éroient plus repouftées avec la même force; & le globe en fut biencot couvert jufqu a la hauteur  Philosophiques. 8 j de vingt-deux mille toifes au moins. Oli combien de chofes aclmirables nous offriroit cette époque 3 s'il m'étoit poffible de vous les expofer toutes ! D'abord 1'acrion de 1'eau réduit en poudre les fcories du verre primitif, &C nous avöns du fable ; bientót le fable & le verre ne font plus que de 1'aigile (v. Ep.p. 13); celle-ci fe defféchera un jour , & nous aurons des fchiftes , des ardoifes. Les fables vitrefci'oles reccvront une forme concrete , & au lieu du verre primirif, nous aurons du roe vif , du grès & du granit. L'eaufaijit enfin toutes les matières qu'elle peut délayer ( p. 97 ) ; elk fic combine avec Vair 3 la terre 3 le feu , pour former les acides , les fels ; & 1'Océan fe trouve falé. Cette vafte mer eft encore bouillanre ; elle conferve encore cette chaleur qui ne permettroit pas de la toucher fans être vivemenr offenfé (p. 168); mais déja il exifte des poifTons , & la nature ne fait que rravailler la matiere organique avec plus de force. Les animaux marins n'en font djue plus grands ; les huitres, les polypes , les coraux , les madrépores , les aftroïtes n'en digerent qu'avecplus d'adivité j & les eaux tranf-  §4 Les Provinciales portam de córé & d'autre le fruit de leur digeftion , en torment les colines , la pierre de taille & les montagnes calcaires. Dans ce même rems le mouvement des marées & les vents régies , commencent a former les couches horizontales de la furface terreftre, par le fédiment & le dépöt des eaux; enfuite les courans donnenta toutes les montagnes de mediocre hauteur des direétions correfpondantes , enforteque leurs angles faillans font toujours oppofés a des angles rentrans. C'eft peu de faconner ainfi les montagnes , les courans de la mer creulent avec art les fources Sc les réfervoirs des fontames, les lits des rivieres Sc des «euves 3 qui rendront un jour d 1'Océan les eaux qu'il perdra par 1'évaporation. ^es effets prodigieux nous autoriferoient a donner a cette époque la durée de quaranre acinquante mille ans. Nous fauronsnous reftreindre; nous ne demande- rons nnnr \o Anri*. j,, j j/i qu envuon vingt mille ans. Quatrieme Époque. Les eaux fe retirent enfin; Ia centieme partie de Ia terre eftdéja couverte de fes  Philosophique s. g| premières productions. Obfervez , je vous prie , cette quatrieme époque. C'eft eelle des volcans. Les grands arbres öc les végétaux que la terre a produirs dans les premières années de fa fercilité , fe métamorphoferont bienrot en mines de charbon , de fel & de Pyrites. lis ne croilfoient d'abord que fur les hauteurs & fur les montagnes ; mais les eaux ont fu les dépofer fous ces mêmes montages 3 en les tranfportant dans les fentes de la roche du globe 3 elles vont en faire le premier fond de l'aliment des volcans. ( Ep, pügr 13 4. ) J'indique des caufes très-phyfiques, très-natui elles, trés - fimples , comme vous le voyez; je voudrois détailler des effers, qui fourniroient les defcriptions les plus éloquentes; mais nos compatriotes n'ont qu'a s'imaginer la -quantité immenfe de grands arbres & de végétaux qui (brem tranfportés a travers les fentes des rocherS , pour être changés en mine de charbon , en matières inflammables; ils en verront fortir des volcans fans nombre. » Par-tout des tourbillons » épais d'une noire fumée , ou d'une » flamrhe lugubre , des nuages maffifs  t6 Les Provinciales » de cendres & de pierres , des torrens s) bouillonnans de lave en fufion , rou» lans au loin leurs flots brülans & def» tructeurs , manifeftent les mouvemens » convulfifs des entrailles de la terre. « Cette métamorphofe de forêts changées en mine de charbon dans les creux des montagnes , vous donnera encore i'explicarion des eaux chaudes & minérales qui les traverfent. Les flottes englouties dans la mer, &c changées en mines de charbon fous le mont Véfuve, vous fourniront même une raifon plaufible & très-phyfique de fes fréquentes cruptions; mais vous aurez foin de confondre 1'époque des volcans avec les derniers tems de la retraire des eaux ; car, malgré 1'attencion que nous avons d'abréger nos époques, la terre a la fin de celle-ci, doit au moins fe trouver agée de cinquante-fept mille ans, & je crois enrendre une objeclion grave qui pourroit dégénérer en imputation. « Comment accordez-vous, dira-r-on, » cette haute ancienneté que vous don»> nez a la matiere , avec les traditions (i facrées qui ne donnenr au monde que ra fept a huit mille ans! contredire les  Philosophiques. $7 » faits rapporcés pas Moïfe, n'eft-ce pas jj manquer a Dieu, qui a eu la bonté de » nous les révéler ! »» Ah ! Madame, je fuis afflige' toutes » les fois que 1'on abufe de ce grand , de ce fainr nom de Dieu ; je fuis blelfé » toutes les fois que 1'hommele profane, » Sc qu'il proftitue 1'idée du premier » être a celle du fantóme de fes opi» nions. » (Ep.p. 29.) Je fuis indignc que ce Dieu nous difant lui-même : J'ai fait dans fix jours le ciel Sc la terre, & rout ce qu'ils contiennent; je me fuis repofé le fepcieme jour, Sc c'eft pour cela que j'ai fanctifié le jour du Sabbat, (Exod. c. 20.) Oui, je fuis indigné que ce grand , ce fainr Dieu s'exprimant d'une maniere fi intelligible , de fimples moreels ofent foutenir que les fix jours de la créarion ne font pas des époques de vingt, de quinze, de trente mille ans. « Ecoutons attencivement la j5 parole de 1'interprete divin : la cerre » écoit informe Sc toute nue ; les ré» nebres couvroient la face de l'abïme. « Larerre étoit;les rénebres couvroient; " ces expreffions par 1'imparfait du verbe » u'indiquent - elles pas que c'eft pen» danc un long efpace de tems que la  18 Les Provinciales 15 terre a été informe , Sc que les tén nebresont couvert la face de 1'abïme! *> Si 1'Ecrivain facré n'eüt voulu défigner qu'une durée très-eourte , n'auroit-il pas employé ie préfentou le parfritdu verbe: en difant la terre eft, ou fut informe; les ténebres couvrent, ou couvrirent la face de 1'abime ! Si 1'on réfiftoir a cette terrible preuve de M. de Bufton, la tran~ fition qui J"uit fuffiroit encore pour confirmer fon fyftême. « Or Dieu dit : ce 35 mot or fuppofe des chofes faites Sc s3 des chofes a faire ; c'eft le projet d'un » nouveau delfein. » II indiqueau moins quelques milliers d'années entre les chofes faites & les chofes a faire. « Il faut fe fouvenir que la parole de 13 Dieu nous a été tranfmife dans une 33 langue pauvre , dénuée d'expreflions 33 pour les idéés abftraites >3 , qu'il falloic une langue trés - riche pour exprimer 1'idée très-abftraite de cinquante ou foixante mille ans. Moïfe,dans fa langue naturelle, ne pouvoic guere la rendre que par fix jours. « 11 n'eft pas même j» poffible que ces jours fuflent fem33 blables aux notres, Sc 1'interprete de 53 Dieu femble findiquer alfez en les « comptant du matin au foir. Non ces 33 jours  Phiiosophiques. 89 »> jours n'étoient point des jours folaires » femblables aux nótres, ni même des >5 jours de lumiere, puifqu'ils commenj) coient par le foir 3 Sc nniffoient au » matin. » C'étoit des jours de nuit, & d'une nuit de vingc a trente mille ans, comme nos Epoques. Que 1'on cefle donc de nous oppofer la lettre qui cue _, êc qui feule met quelque diftérence entre les jours & les années. L'efprit qui vivifiej rapproche fans peine la parole de Dieu &c celle du Philofophe, la Génefe & les Epoques, Moïfe Sc M. de Buff'on. Au refte , Madame , vous fentez que ü nous infiftons fur cette objection , c'eft que le préjugé auroir pu s'en prévaloir, Sc qu'il falloit lui oppofer des réponfes triomphantes. La folidité de celles que j'ai copices de M. de Buffon 3 étonnera nos Provinciaux, j'efpere redoubler leur admiration dans les Epoques qui me reftent a vous développer, J'ai 1'honneur d'ctre , &c. G  50 Les Provinciales LETTRE IX. De Madame la Baronne a M. Ie Chevalier. Je suis tropimpatieinte, jen'attendrai pas vos autres lettres fur les dernieres Epoques; les premières m'ont mis dans un embarras dont il faut abfolument que vous me tiriez. Nous avons voulu faire 1'expériencedont vous nous parlezj pour déterminer combien de tems la terre a dü être un foleil de verre fondu. Vos amis s'étoient rous alTemblés chez moi; nousavons fait fondre un globe de verre; nous étions prêts a faire nos obfervarions & nos calculs, quand il s'eft élevé une conteftation pour favoir en quel endroit Sc dans quelles circonftances il auroit fallu que 1'expérience fe fit pour qu'on eüt droir de comparer fon refroidiftement a celui de la terre. Etoir-ce en hyver ou en été, dans un lieu fermé ou en plein air, & par un très-grand vent, dans un tems très-fec ou fort hu-  Philosopi-iiques. «Jfï' rnide qu'il falloit la faire? La différence de ces circonftances pouvoir en mertre une trés conlidérable dans le refroidiffement du globe. J'ai prétendu, moi, qu'il falloit le mettre dans 1'eau , ou tout au moins 1'expofer a la pluie , paree que la terre, au commencement, étoit environnée d'une très-grande quantité d'eau qui devoit continuellement tomber, fe relever , retomber fur la furface. En difant ces mots : J'arofe notre verre fondu, & fa liquéfaction a prefque celfé dans le même inftant. Adieu notre première époque ; la terre , a en juger par notre expérience , n'auroitpas été foleil pendant plus de huit jours; & les trente mille ans de la feconde époque fe trouvoient réduits a vingr ou trente jours. Dites-nous, je vous prie , comment s'y eft pris M. de Buffon pour démontrer qu'un globe environné d'une atmofphere toute chargée d'eau , a pa conferver fi long-tems fa première chaleur. Je dois vous prévenir que nos Provinciaux font un peu étonnés de cette quantité immenfe d'eau , qui fe trouvoit alors fur la terre. M. de Buffon me difent-ils, fait partir notre globe G ij  9i Les Pr ovin cial e s du foleil. Cet aftre eft donc entouré d'une atmofphere très-humide & trèsaquarique; il femble que cela devroit produire une pluie conrinuelle fut la furface de ce globe , donc Ia chaleur feroic fans douce évaporer les eaux; mais la pluie romberoit , recomberoit encore jufqu'a ce qu'enfin les feux du foleil fe trouveroienc éceincs. Comment ont-ils pu fe conferver fi long-tems , malgré cecce pluie concinuelle ? Je crois que nous ferions encore fort bien de faire venir norre Océan , non pas da foleil, mais de la comere : fon atmofphere a pu fe trouver très-humide ; elle avoit d'ailleurs fes mers & fes deuves : rien ne nous empêche de dire qu'elle a fair préfent a la terre de toutes fes eaux. Un de nos comparriotes me difoit un jour qu'il ne pleut jamais fur la lune ni fur les planetes, & fa raifon étoit que les pluies , les nuages, les neiges , les brouillards donneroient a leur éclat une variéré que le télefcope ne nous annonce point. II devroit cependant y pleuvoir aufti bien que fur Ja terre, fi notre Océan étoit venu du foleil; il eft donc affez important de 1« feire venir de la comete.  P H ILO S 9 P HIQUE Si 5>$ Je vous avoue que je fuis route glorieufe de cecte découvette & de mes raifonnemens fur la comete, j'aurois envie d'en faire revenir la coëfture ; mais je voudrois qu'il n'y eut que les femmes philofophes qui en priftént la mode. Le nombre en feroit plus grand que 1'on ne penfe , & peuc-êtte plus grand que celui des hommes ; car je m'appercois qu'ils ont un peu plus de répugnance que nous, a croire a la comete. 11 faut leur pardonner. La vieille phyfique de Newton les captive , &£ M. de Buffon ne trouve point chez nous depréjugés. Peut-être cependant en eft-ce un de ma part de croire que 1'eau éteignoit le feu au commencement! Peutêtre un Océan immenfe pefe-t-il encore fur le foleil, comme les eaux de 1'atmofphere pefoienr fur la terre pendant les deux premières époques , fans nuire a fa chaleur; peut-être cette atmofphere aqneufe n'eft-elle pas feulement capable d'éteindre les bluetes ou les rayons folaires , quoique ces rayons aient bien de la peine a traverfer nos nuages. En ce cas , je me rétracle; je veux que nos eaux foient venues d'un aftre tout de feu. Je ne retiens de la  24 Les Provinciale s comete que la chevelure ; je fens que j'abrégeois un peu trop nos Epoques : avec deux mille toifes d'eau dans 1'atmofphere , j'éteignois la terre & le foleil même dans trés - peu de tems : je vous faifois toucher l'un & 1'autre au doigt j fans être vivement bleffé, dans moins d'un ou deux mois. C'étoit exi^er un trop grand facrifice de la part°de M. de Buffon. Je me rétra&e donc encore, 8c pour vous prouver que je ferois bien fachée d'abréger les Epoques, aulieu de vingr mille ans que vous donnez a la troifïeme, au lieu de ce petir nombre d'années que vous accordezaux poifTons pour digérer toutes nos montagnes calcaires , je veux leur en donner cinquante mille, & je crains encore que ce ne foit trop peu. J'en donne au moins autant a la mer pour tranfporter a travers les fentes du globe 8c des rochers cette quantité immenfe d'arbres qui a formé le premier forid des volcans; quantité vraiment prodigieufe , car pendant buit ou dix mille ans que les volcans onr ravagé la terre, ils auront certainementconfumé bien des arbres. II afallu aufli bien des années pour filtrer ces grands arbres fous les hautes montagnes;,  Philosophiques. 95. a travers des fenres prefqu'entiérement bouchées par les matières que les eaux. dürent tranfporter Sc dépofer dès le commencement du déluge. En un mot, je trouve que M. de Buffon femble trop* fe prémunir contre Moïfe & la Sorbonne. II falloit nous dire bonnement que les jours de la création font des jours de cenr mille ans. Nous les aurions comptésaulTi facilement que cent mille écus, Sc le tems auroit été plus proporiionné d l'ouvrage, fur-tout a celui des animaux teftacées, mais j'allois encore faire le procés a nos maitres, Sc je ne vous dois que des preuves de ma docilité, de la reconnoiffance avec laquelle je fuis, &c. Baronne de * *. Observations d'un Provincial fur la VIII. Lettre. Mn. ré la docilité réelle ou apparente de Madame la Baronne, il feroit difficile de rien ajouter a la maniere dont elle réfute les premières époques. Trèscertainement les eaux de 1'atmofphere ne pouvoient être repouffées par la cha-  S<* Les Provinciales leur du globe, s'évaporer & remonter fans celfe que pour fe condenfer de nouveau a une certaine hauteur, y former des nuages très-épais,& retomber en pluie. Ces chütes continuelles d'une immenfe quantité d'eau éteindroient bientót le Soleil lui-même. Nous favons bien qu'il a une atmofphere très-étendue; mais jamais Phyhcien ne s'étoit avifé de trouver dans cette atmofphere au moins autant d'eau qu'il en faudroic pour en couvrir fon globe a la hauteur de deux ou trois mille toifes. La feconde époque nous donne les montagnes vitrefcibles, la troifieme les montagnes calcaires , & faconne les unes & les autres jufqu'a une certaine hauteur. Je n'aime point a chicaner, j'accorde a M. de Buffon que les Alpes, 1'Appennin , le Caucafe , &c. font du même verre que le noyau de la terre, pourvu qu'il m'accorde que ce verre eft du granir. Je lui accorde même que, dans fon fyftême, ces grandes monragnes devroient tenir immédiatement a la roche intérieure du globe, pourvu qu'il convienne que dans le fait leur bafe eji toujours un quar^ plus ou moins mêlé de feIdfpath , de mica & de peütes bafahes éparfes  P H I l O 5 O P H I Q U E S. 97 éparfes fans aucun ordre3 felon les plus habiles Obfervateurs^/^.ZJi//^furies mont. Pallas, p. 5 , ) je me contenterai de demander comment le verre de ces montagnes eft devenu du granir. M. de Buffon nous allure dans fon premier volume, (p. 273 , ) que le granit, le gres, le rocff3 doivent leur origine au fable & d l'argile • & dans les époques qu'ils font fimplement des maffes vitreufes ou des fables vitrefcibles fous une forme concrete ( p. 13 ) : les fables & l'argile ne paroiffent chez lui qu'a la troifieme époque & après la chüte des eaux y comment les montagnes ont-elles pu exifter dès la feconde ! Ou je me trompe , ou il y a ici une contradiólion palpable. Je vais plus loin ; je fuppofe que Ia roche inférieure des grandes montagnes ne foit pas de cette roche qu'on nomme granit 3 mais du verre primitif 5 comment ce verre eft-il devenu une roche quelconque ! il étoit très-compaére, il exiftoit depuis trente mille ans quand les eaux ont paru y elles n'ont donc pu que 1'environner fans le pénétrer ? au moins n'auront-elles jamais pu le délayer pour en faire du fable, de l'argile, & lui donner enfuite une forme concrete; H  9? Les P r o v i n c i a r, e s cette opération auroit commencé pat détruire les montagnes. Comment ontelles donc confervé leur hauteur ? comment font-elles devenues fi parfaitement femblables a la pierre, au roe vif, au granit, que tous les yeux s'y trompent! Que M. de Buffon nous montre une feule bouteilie de verre entourée d'eau, Sc devenue fable , argile , granit ou roe vif fans fe délayer, nous pourrons foupconner que les montagnes de verre font devenues auffi du fable, de l'argile, enfuite du roe vif ou du granit fans avoir été délayées. Quant a ces montagnes calcaires 3 effet fingulier de la digeftion des huitres, je dirai feulement que je ne fuis pas même convaincu du changement de 1'eau en pierre. Je croirois que fa lubftance refte toujours la même, de maniere qu'il y a toujours fur la rerre apeu-près la même quantité d'eau & de vrai liquide. Lorfque la coquille d'une huitre eft bien defféchée, je penferois que toute 1'eau qui a contribué a la former s'eft évaporée , & qu'il n'y refte plus que les marieres folides dont 1'animal s'écoit nourri, comme dans le mortier bien defféché, il ne refte plus que le  Fhilosoph'iques. 9? fable & la chaux. II faut certainemenc que dans ce dernier cas toute 1'eau fa foit évaporée , car M. de Buffon ne trouvera pas dans le mortier ces animaux teftacées qui feuls ont le privilége de cnanger le liquide en folide. Je penferois que la coquille fe forme de même que* les os des animaux , cependant je n'óte pas a mes comparriotes la liberté de croire que les huitres ont changé la plus grande partie de 1'océan en montagnes calcaires, qu'elles continuent même a opérer cette métamorphofe , comme on le verra dans une des lettres de Madame la Baronne. Bien des gens s'étoient imaginés que M. de Buffon expliquoit plus heureufement la correfpondance des angles faillans & rentrans de nos montagnes par les courans des eaux ; mais cette correfpondance eft - elle bien aftez générale pour en autorifer la théorie ? M. Pallas nous prévient qu'e/Ze fouffre bien des ex~ ceptions }même dans les montagnes fecondaires. M. Giraud Soulavie , eet infatigable & favant obfervareur de monts &c de vallées , nous affure que dans un pays entrecoupé de montagnes, dans un elpace de quarante lieues, dans toute la, H ij  los Les Provinciaiï! vallée qu'arrofe 1'Ardeche, il n'a pu découvrir cette correfpondance que dans fix angles feulement; auffi , malgré fon grand attachement aux idees de M. de BufFon, s'eft-il abfolument déclaré conti» cette partie de fon fyftême. La carte de 1'Académie des Sciences a confirmé les obfervationsde M. Giraud Soulavie; le fyftême des angles rentrans & faillans nes y trouve nulle part: 1'explication de M. de BufFon reflemble donc un 'peu a celle de la dent d'or qu'il falloit trouver avant d'en rechercher 1'origine & les caufes. Je ne m'en tiens pas a cette preuve: j'obferve que dans le fyftême de M. de BufFon les courans font venus du midi jufqu'a l'entier établiffement des eaux fur la terre 3 & j'en conclus que toutes les grandes montagnes devroient former des avancemens } des angles faillans vers le midi, auffi-bien que la pointe de VJfrique & de tous les anciens continens. Cette conféquence eft évidemment conforme au principe de M. de BufFon ; mais elle n'eft point confirmée par le fair, elle démontre donc la faufFeté du principe. J'examine encore 1'efFet naturel des courans entre deux monragnes oppofées & de la même matiere y je demande  pHILOSOPHIQUES.' ïOI enfuite : ou la roche de ces montagnes forme déja des avancemens, des pointes, des angles faillans, ou elle n'en forme pas ? Dans le premier cas, je n'ai pas befoin des courans de la mer pour les former & les faire paroïtre ; les e3ux qui coulent des montagnes pendant les pluies ordinaires fuffiront pourentrainer la terre qui pouvoit les couvrir. Dans le fecond cas, les rorrens ne pouvoient pas etre détournés par des avancemens qui n'exiftoient pas, pour aller battre avec plus de force la montagne oppofée, &C pour y former un angle rentrant. Les fleuves qui coulent entre des rochers paralleles ne rongent pas plus d'un cóté que de 1'autre, ils ne forment ni angles faillans ni angles rentrans. Qu'eft-ce donc que, cette explication qui avoit paru fi rriomphante ? elle eft faufle dans fon principe, en ce qu'elle fuppofe une généralité qui n'exifte pas, elle ne rend pas même raifon des faits qui exiftent. Mais de bonne foi comment nous perfuader encore que les mêmes courans ont creufé les lits des fleuves & des rivieres ! Je me place fur le Rhöne ; a ma droite une foule de rivieres dans le H üj  hi02 Les Provinciale, Dauphiné coulent d'orient en occident; a gauche, Sc dans le Vivarez, jen vois wne foule d autres couler d'occident en oriënt ; au milieu eft le Rhöne qui les abforbe toutes en coulant'du nord au midi. De cöté Sc d'autre les vallées Sc Jes rivieres font a des diftances tout-afait inégales. J'appercois dans le cours de tous les fleuves & des rivieres, qu'ils recoivent,la même oppofition : concevra-r-on jamais dans 1'océan des courans fi rapprochés, fl multipliés avec des diredions fi contraires ! La p'rétendue formation des montagnes fecondaires par les eaux de la mer nous fourniroit encore bien des obfervations a faire : nous remarquerions que 1'eftet naturel des eaux eft plutót de combler les profondeurs Sc de tout réduire au même niveau que d'élever les montagnes. Nous confirmerions cette remarque par_ des raifons phyfiques. Nous obferverionsquefi les couransproduifenc des inégalités dans le fein des eaux, plus Ia retraite des mers eft lente, & plus les endroits qu'elles abandonnent fe trou vent de niveau avec Tanden rivage s comme on peut Ie voir dans les environs de la mer Noire, d'Aigue-Morte Sc de plu-  Phiiosophiqtjes.' io| fieuis autres endroits. Mais nous voulons au moins laifler croire que M. de Buffon a prévu quelques-unes des difficultés que nous pourrions lui oppoler. Et plutot que de nous arrêter a refuter les événemens de la quatrieme époque , nous dirions prefque qu'il eft bien poffible qu'une forêt fdtrée i travers les fentes du Véfuve s'y change en charbon, & faffe le premier alimenr des volcans. C'eft par une fuite de cette déférence que nous applaudirons comme Théolooiens aux efforts que fait M. de Buffon pour concilier Moïfe 8c la comete, la Genefe 8c les époques ; nous fommes trop charmés de fon refpeét envers nos ' fainrs livres, pour foupgonner ladérifion 8c le farcafme dans l'hommage qu'il leur rend publiquement. Le feul reproche que pourroit lui faire la Théologie , feroit d'avoir cherché dans les ceuvres de Dieu une proportion entre les jours & les ouvrages. Le Dieu que nous croyons n'a befoin ni des jours ni des tems. M. de Buffon créa cinq cents cometes d'une feule explofion ; notre Dieu créera dans un inftant la mouche ou 1'univers. II dit, & la lumiere eft faite ; qu'il dife , 8c ringt millions de mondes paroïtront. H iy  io4 Les Provinciales Comme Phyilciens, nous ferons u« peu plus feveres que la Sorbonne. Nous ne permettrons pas a M. de BufFon d'aflurer qu'il a été force d'admettre les epoques par une connoiffance démonftrative des phénomenes de la nature. Nous iui reprocherons que s'ildonne quelquefois fes idéés fur la formation de Filmvers comme une pure hypothefe, trop fouvent ,1 prétend qu'on ne peut s'y reruier fans combattre les fairs & la raifon ; paree que les fairs, Ia raifon, Jes loix tk les phénomenes de la narure ae permettent pas même de les admettre comme une hypothefe. Nous le dénerons de nrer de la Phyfique une objeétion tant foit peu folide contre les livres de iMoife ; nous ferons plus encore, nous ^lrrnr que la Phyfiq«e commence ou Moife finit; que jamais cette fcience ne connut de loix pour la ci'éation & la rormarion de 1'univers, mais feulement pour fa confervation dans 1'état ou il fe rrouve. Nous ne lui dirons pas: tout homme qui s'écrie : donnez-moi des öoleils, j en ferai des cometes > des planetes, des terres & des lunes, reffembie un peu au charlatan criant fur Ie Pont velles j paree que les moules intérieurs 95 des êrres actuellement exiftans abforn berent les molécules organiquesj mais » fi tout-a-coup la plus grande partie n de ces êtres étoit fupprimée, on ver39 roit paroitre des efpeces nouvelles , »» paree que ces molécules organiques fe m réuniroient pour compofer d'autres » corps organifés. » (Ep. pag. 184.) C'eft donc aux animaux exiftans qu'il faut nous en prendre, fi nous ne voyons pas chaque jour une efpece nouvelle de quadrupedes, de reptiles ou de volatiles. Les Anciens dévorentj (k nous dévorons avec eux une infiniré de molécules organiques. Dans un feul ragout, nous  %oJ? Les Provinciales «!i mangeons quelquefois plus qu'il n'en faudroit pour faire naïtre vingt efpeces dineren tes. Nous les abforbons , nous les empêchons d'exifter. Hélas ! none crime eft nécelFaire; car il faut bien que Thommenaiffe, graudilfë, fedéveloppe, « & toute produftion j toute généfation, j> tout accroiffemenr même } tout déve« loppement fuppofe le concours, la réu» nion d'une grande quantité de molécu» les organiques vivantes. » Remercions 1'éléphant & le rhinocéros d'avoir digéré, pendant bien des années, tant de molécules, fans abforber celles qui devoient former 1'efpece humaine. Telles font les découverces vraiment pbyfiques de M. de BufFon fur 1'origine des animaux; c'eft a lui encore a nous apprendre quelle partie de la terre a du recevoir ces premiers habitans du globe , fruit des molécules organiques. Jepourrois vous dire avec M. de Buffon , que les poles s'étant refroidis les premiers, ont été naturellement peuplés les premiers ; mais vous obferveriez que les poles étantplus prés du cencre, ont dü conferver leur chaleur plus longrems que les autres parries de la furface. Je vous oppoferois avec le même Phy-  Philosophiques. 10 f i ficieil la chaleur folaire confidérable fous \ 1'équateur 3 & prefque nulle fous les poles; i mais je ferai un jour obligé de vous préfenter cette chaleur comme rrenteI deux fois plus petite que celle des régions les plus froides, 8c vous feriez furprife de nous voir attribuer aux rayons folaires I'effec le plus confidérable dans un tems oü leur chaleur , .comparée a celle de la terre 3 étoic bien plus pei tite. Je vous^ montrerois les Mïniftres du froid, tombans fur les provinces du nord ; mais vous auriez trop de peine a concevoir comment il pouvoit neiger & geler fur les poles, lorfqu'iis étoienc encore plus chauds que la Lybie. II vauc mieux s'en tenir aux preuves de fait; elles font fans réplique , & je prie nos compatriotes de les bien remarquer. De groïfes dents, dont la face qui broie eft en forme de trefle ; d'autres dents encorej dont la face qui broie eft: compofée de groffes pointes mouft'es , ont été trouvées en Canada. Auprès de ces dents, on trouve des machoires trop lourdes pour être portées par deux hommes j des fémurs entiers qui pefent cent livres, des fquelettes monftrueux , •nterrés debout j avec des défenfes de  no Les Pro vinciales cinq a fix pieds de long , qui font de. la forme & de la fubfiance des défenfes d'éléphans. Faites bien attention a ces défenfes, elles appartenoient a de vrais éléphans, quoiquela machoire, les dents 8c tous les oflemens des fquelettes qui les environnoient, aient appartenu , felon M. de BufFon, a une autre efpece d'animal qui n'exifte plus; ( Êpoq. not. p. 504.) mais fi les éléphans n'ont laifle en Canada que leurs défenfes, au moins ont-ils laifléen Sibérie & leurs défenfes 8c leurs fémurs & leurs omoplates , 8c même des fquelettes entiersauffi bien que le rhinocéros; d'ou nous concluons que ces animaux habitoient autrefois le Canada 8c la Sibérie. Or le rhinocéros 8c Féléphant n'ont pu habiter la Siberië 8c le Canada que dans ces premiers tems, oü les régions du nord fe trouverent alfez refroidies pour être habitées ; les contiées feptentrionales furent donc les premières peuplées de ces animaux formés par la réunion des molécules organiques. Tel eft le précis , telle eft la conféquence des raifonnemens démonftratifs de M. de Buffon. Je ne m'arrache pas a vous en montrer toute la force, vous la fentirez affez de vousmême.  Philosophiques. i i r II reftoit a favoir comment ces premiers habitans du nord fe fout tranfportés vers Ie midi, & pourquoi 1'on n'en vn jamais de vivans en Srbérieou dans le Canada : fuivons notre principe, & nous découvrirons la caufe de leur émigration. Le feptentrion n'apu conferver Ie degré de chaleur favorable au rhinocéros, au finge 3 au lion, a l eléphant que pendant cinq mille ans , fuivant ces calculs dont vous connoifTez la folidité. Au bout de cinq mille ans, ce même degré de chaleur n'exiftoit qu'en France^en AlJemagne, en Italië & dans toute notre zone tempérée. Le finge & 1'éléphant furent donc obligés de voyager, & vinrent enfemble habiter nos climats, auffi bien que le chameau, le rhinocéros., le dromadaire & rous les animaux qui cherchentnaturellement lespays chauds. A-peine eurent-ils féjourné dans nos provinces encore cinq mille ans, que le Froid les cbaffa vers la zone torride , qu'ils habicent aujourd'hui depuis le même nombre d'années, mais oü leur efpece difparoitra bientót j car je ne faurois trop vous dire oü ils pourroienr fuir dcformais, fans retrouver ce froid qui  112 LïS PROVINClAtlS les a chafles de la Sibérie & de nos provinces. Oferai-je vous propofer, Madame, d'établir une fouille dans quelqu'une de vos terres, pour voir fi 1'on n'y découvriroit pas quelques machoires ou fémurs , au moins quelques dents d'éléphans , de rhinocéros, de finge & de lion : une pareille découverte confirmeroit admirablement 1'hiftoire de leur féjour en France pendant cinq mille ans, & les objecFions que Fon nous a faites ne tiendroient pas contre nos principes. Mais préparez-vous a une perte plus fenfible que celle des lions, des éléphans & des tigres qui ont abandonné nos provinces, armez-vous d'un courage philofophique, il vous refte encore un facrifice a faire. Vous aimez les oranges, les figues, les citrons , & tous les excellents fruits de la Provence. Je le dis tnalgré moi, nous les perdrons, ces fruits délicieux. Les oranges, les figues, les meions font le même voyage que les éléphans , & pour la même caufe. " Dans „ le même tems 011 ces animaux habi„ toient nos terres feptentrionales, les plantes & les arbres qui couvrent acn tuellement nos contrées méridionales, j> exiftoient  PhIIOSOPHIQUES. IIJ '» exiftoient auffi dans les terres du nord» Ils fe font tranfplantés de proche en » proche. » Ils ont fui leur première patrie ; ils fuiront un jour loin de nous. Déja les orangers font parvenus aux extrémités de la France ; il ne leur refte plus qu'un pas a faire pour nous quirter. Oü les Provencaux iront-ils les cueillir , quand ils auront quitté les ifles d'Hieres ? Ce dernier pas leur coüte un peu a faire; car depuis long-tems ils ont ceffé de fuir; mais comme ils ont celfé d'embaumer les jardins de Stockholm, les vergers des Lapons, ils diront auffi un éternel adieu a la Provence &£ au Portugal. Que le ciel éloigne ce trifte avenir; ne vous preflez pas même d'en révéler Fidée a nos compatriores , ils croiroient voir bientöt le Bourgogne &c le Frontignan voyager comme les orangers. Ne troublons- pas le plaifir qu'ils ont a fabler le Champagne ; il pourroic d'ailleurs arriver que nous viffions les plantes revenir fur leurs pas. Les cerifes de Montmorenci avoient difparu , la Bourgogne avoit vu fuir fes vignes ; de retour des régions du midi, elles reparurent en France avec les Romains: peut-être le palmier , le cedre , le café  Iii4 Les Provinciai.es reviendront-ils auffi ; mais quant aux éléphans, tout nous dit que depuis la fin de la cinquieme époque , depuis environ cinq mille ans, ils ont difparu de nos campagnes fans efpoir de retour. J'ai 1'honneur d'être , &c. Observations d'un Provineial fur la Lettre précédente. Jus qu'a ce que j'aie vu nos Philofophes refufer le diner d'un FermierGénéral, de peur d'y dévorer un trop grand nombre de molécules organiques, je ne croirai pas a ces petits êtres toujours acFifs , toujours vivans , roujours indeftrudbibles. Je mangerai tranquillement du bouilli, du róti, a moins qu'on ne me prouve que les molécules organiques du boeuf & du mouton, dont je me nourris, fuffxroient pour produire une efpece de nouveaux crres qui combineroient des fyftêmes auffi-bien que nos fages , & les prouveroient mieux. Le voyage des éléphans nous fembloic d'abord orfrir quelque chofe de plus fpé-.  Philosofhiques.! j if cieux , mais les recherches de M. de BufFon lui-même, Sc celles de M. Pallas, ont fait difparoitre les difficultés.^ Quelque reffemblance qu'il y ait entre les défenfes découvertes dans le Canada Sc celles de 1'éléphanr, il eft évident quelles appartenoient a Fanimal dont les oflemensj les fémurs, les omoplates , Ie fquelere entier , fe ttouvent" toujours dans le même tombeau, & fur-tout a la machoire ou Fon découvre encore qu'elles écoient attachées ; or ces oftemens indiquent, felon M. de BufFon, mi animal dont 1'efpece n'exifte plus. Quel inconvénient trouverez-vous a croire que eet animal j dont vous précendez que 1'efpece eft détruite, avoit des défenfes parfaitement reftemblantes a celles de 1'éléphant , quoiqu'il en difFérat pat toutes les autres parties de fon corps! Et comment pouvez-vous au contraire vous perfuader que fi 1'eléphant vécut en Canada , il a pu n'en refter que fes défenfes toujours entourées du fque'ete d'un autre animal ? S'il m'étoit permis de dire mon fentïmenr, je dirois que tous ces oftemens Sc eet ivoire du Canada me paroilFent avoir appartenu a des morfes ou vaches mari- 1 n  \i6 Les Provinciai,es nes, animal très-commun dans leNord, & que la reflemblance de fes défenfes a fait nommer l'éléphant-de-mer. II n'en eft point ainfi des découvertes faites en Sibérie. On y trouve au moins quelques fqueletes d'éléphans dans les mêmes endroits ou 1'on voit une grande quantité d'ivoire (i) , & peut- être fuffiroit-il au fyftême du refroidiffement de la terre que ces animaux euffent pu autrefois habiter la Sibérie ; mais nous n'avons qu'a lire la differration de M. Pallas , pour favoir combien peu toutes ces découvertes autorifent leur féjour dans les régions du Nord. Voici comment s'explique eet auteur que M. de Buffon cite plufieurs fois comme un des plus fameux naruraliftes. « En Sibérie oü i'onadécouvert lelong (i) Note. M. de Buffon vouloic autrefois que 'eet ivoire ne fut que le produit de la morfe , t Hifi. Nat. Tom. XIII, pag. 378, éd. ïn-iz.) mais a quoi s'en te-nir avec un Auteur qui change E fouvent de fentiment ? c'eft I'autorité de Paljas, qui nous décide a croire qu'il exifte en Siberië des reftes de vrais éléphans. D'ailleurs, Jes rhinocéros que 1'on y découvre, fuffiroient pour nous forcer de recoiuir a riuoadatiori,qui les y iranfporta.  Phiiosofhiques. tlf » de prefque toutes les rivieres, ces reftes •> d'animaux étrangers & Tivoire même » en fi grande abondance qu'il forme un » article de commerce; en Sibérie, dis-je, »> c'eft auffi la couche la plus moderne » du limon fabloneux qui leur fert de » fépulrure. Ces grands oftemens tantöt « épars tantot entafles par fqueletes Sc >■> même par hécatombe, confidérés dans 35 leurs fites naturels,m'ont fur-tout con55 vaincu de la réalité d'un déluge arrivé 35 fur notre terre, d'une cataftrophe dont » j'avoue n'avoir pu concevoir la vraif33 femblance avant d'avoir parcouru ces » plages, & vu par moi-même tout ce 35 qui peut y fervir de preuve a eet évc35 nement mémorable. Une infinité de ^5 ces oftemens couchés dans des Hts 35 mêlés de petites télines calcinées, d'os 35 de poiiTons, de gloflopetres, de bois 33 chargés d'ocre, prouve déja qu'ils ont 53 été tranfportés par des inondations. >s Mais la carcafte d'un rhinocéros trou» vee avec fa peau entiere , des reftes 35 de tendons, de ligamens Sc de carti»» lages dans les terres glacées du bord 35 du Viloüi, dont j'ai dépofé les parties »3 les mieux confervées au Cabinet de v 1'Académie, forme encore une preuve  aiS Les Protinci A les j> convaincante que ce devoit être un »> mouvement d'inondation des plus vioj> lens 8c des plus rapides qui encraïna » jadis ces cadavres vers nos climats gla5> cés , avant que la corruption eüt eu le j? tems d'en détruire les parties moles. a> (Obf fur laf or. desmont. p. 3 8 & 39.)»» A 1'évidence de ces preuves nous ajouterons celle que fournit la grandeur des oflemens que 1'on rrouve en Sibérie. Ils ne peuvenr avoir apparrenu qu'a des éléphans & a des rhinocéros de la plus haute taille ; &c très-certainement fi cetre région avoit jamais été Ja patrie de ces animaux , on y rrouveroit des dépouilles d'éléphans de toute grandeur & de rout age ; au lieu que le déluge de Moïfe rend très-bien raifon de cette égalité. Il n'y eut guere que les plus forts qui puffent parvenir aux montagnes de la Tartarie fort éloignées de leur féjour ordinaire; les eauxatteignirenrces hauteurs 8c enrrainerent les animaux qui s'y étoient réfugiés, dans la Sibérie fuivanr le cours naturel d'une inondation qui venoit furtout du midi. La coucJie du limon fabloneux, les os de poidon, les produétions marines qui enrourcnt ces olTemens d'éléphans , les fleuves prés defquels on les  Philosophiques. i i 3 « Vous avez entendu patier des Patagons. 33 C'eft dans ce peuple feul qu'exif33 tent encore de nos jours les géans de 33 1'efpece humaine, (Ep. p. 213.) leur 33 race s'eft confervée dans ce continent 33 défert tandis qu'elle a été détruite par 3>-le nombre des autres hommes dans les » contrées peuplécs. ,3 Les nains & les pygmées venus après eux leur faifoient la guerre & les réduifoient en captivité; nos géans allerent chercher en Amérique la liberté } la tranquillitéou d' autres avantages que peut-être ils riavoient pas che% eux. Leur race gigantejque s'ejl enfin propage'e fans obfiacle , &c peut-êrre avec la taille de nos ancêtres ont-ils aufli confervé leurs hautes fciences, leurs vaftes connoiflances, car le premier peuple eur non-feuleirienc tout 1'avantage de la taille , mais encore la gloire d'ctre un reuple très-éclairé , un peuple d'aftronomes, de profonds Phyficiens, de Phiiolor^es, un peuple enfin digne de tous  P II I L O S O F H I Q U E S. 11$ nos refpccls > comme cre'ateurdes fciences, des ans, & de toutes les infinutions utiles. J'ai befoin d'une preuve très-forte pouc vous démontrer cette vérité hiftouque. Ecoutez, je vous prie, celle que nous fburnit M. de BufFon ; elle eft d'un genre neuf & très-convaiilquante. Selon Ie témoignage de Jofeph , les parriarches connoiflbient la période lunifolaire de de leur période fuppofe de plus une »? grande perfecfion dans les inftrumens >s néceflaires aux obfervations \ elle fup35 pofe au moins une étude de crois mille 3> ans.» Le peuple Aftronome avoir donc ïnventé & perfeétionné le tclefcope ; or nos Patriarches, avant le déluge , ne connoiflbient ni le fyftême de Copernic ni le télefcope ; ils ne favoienr pas plus d'aftrondmie que Dominique Caflini ou M. de BufFon ; ils n'avoient pas même étudié 1'aftronomie plus de trois mille ans; il faut donc remonter aux premiers hommes pourtrouver ce peuple qui avoit découverc la fameufe période, & de la |e conclus que ce premier peuple étoit non-jfeulement un peuple, de géans, mais  Philosgphiques. ii f tin peuple digne de tous nos refpeóts , comme ayant créé & perfedionné les fciences & les arts. Oü vécürent ces hommes fi digrleS de nos hommages ! quelle fut la patne de ce peuple primitif! Interrogeons encore M. de Buffon , 8c nous apprendrons que ce fut fans doute « dans un climat heu„ rèux, fous un ciel pur pour 1'obferver, » fur une terre féconde pour la Cultiver j » dans une de ces régions comprifes » entre le quarantieme 8c le cinquante» cinquieme degré de latirude , dans M cette contrée d'.oü les fleuves portent „ leurs eaux dans la mer du nord, dans „ les mers du midi 8c dans laCafpiennej » dans cette terre plus élevée, plus fohde ,> que les autres qui fait aujourd'hm par„ tie de la Sibérie méridionale & de la » Tarrarie. » Prenez une carte géographique 8c vous verrez, Madame, que cette région plus heureufe , plus fohde, plus favorifée que les autres, eft précifément la Calmaquie, 8c vous apprendrez avec étonnement que les Calmoucks font les premiers hommes du monde. Oui, vous en conviendrez, le premier géan', le premier Aftronome , le premier Philofophe fut un Calmouck. Les K üj  iiS Les Provinciales tems ont bien changé ; le Calmouck eft devenu peut & trapu & fort feperftitieiu. X en foyons pas furpris, les Calmoucks de nos ,ours fonr les nains & les pygWes qui ont chaffé les Calmoucks géans & Aftronomes , les Calmoucks Patagons. Pourquoi n'avons-nous pas cherché d confirmer eet article ft important dans «p-re des hommes, & récemment revele a'notre fiecle par M. de Buffon ' 11 ny ayoit rien de plus facile que de aonner a cette découverte le dernier degré d evidence. La Czarine, zélée pour ies progres des fciences, avoit appellé jufqu a Petersbourg M. Diderot. Que ne l envoya-t-elle jufqu en Sibérie ou en Calmftquie ! quelles découvertes intéreflantes n'aurou pas fait un fage affez cohvaincu du fyftême de verre pour nous avoir du tres-pofitivemenr que le noyau du globe eft une maffe de verre, que ia lurrace n'eft coaverre que de détrimens de verre ! ( Int. Nat. p. ,9.) Repréfentons-nous ce célebre formateur de la nature dans les champs Sibénens.au milieu des martres & desRuffes captifs. ld , s'écrieroit-il dans un enthouuaime vraiment philofophique, ici ont  P H I t O S O X> H I Q. V E S. II? vécu les premiers correfpondans de 1'Académie Calmouque. Ces ruines 11e font point les veftigés d'une chaumiere ; ce font les fondemens de cette tour du haut de laquelle les doftes Sibériens obferverent la lune pendant trois mdle ans 5 pour favoir combien de jours a le mois & combien 1'année a de lunaifons Cette monnoie ne porte point 1'empreinte des Alexioviz. Sa légende denote évidemment les jettons que les quarante de 1'Académie Calniouque envoyoient a leurs correfpondans Ce fillon n eft point 1'effet du hafard ou de la charue. La. méridienne tracée par les Caifini de Cal* maquie traverfa fes campagnes. . . . Ce tuyau a demi-rongé par la rouille ne hit-il pas "jadis le télefcope du Contaifch ou clu Kutuktu (0 '• Oui j'y découvre encore toutes les dimenfions du tube optique... au milieu de ces roes entafies les uns fut les autres, quelle mafte pareille a un coloffe a bravé les ravages du tems ! recois mes hommages, ó divin Calmouck . tu fus le premier fage qui porras la (,)Le Contaifch eft le Grand Kan des Calmoucks; le Kutuktu eft leur Pontife , Vicaire du Grand Lama. . K IV  -i*8 Les Pro vinciales Jumiere dans Ia Sibérie. « La nature » t avoit donné une imagination forte " une grande éloquence, 1'art de pré» ienter res idéés fous des images frap» pantes & fublimes. L'édifice que' ra » avois conftruit a pu tomber, mais ta » ftatue eft reftée debout au milieu des » ruines. La pierre qui s'eft détachée de » Ja montagne nel'apoint brifée, paree » que res pieds ne font pas d'areile. » ( V. Int. Nat. p. jt. ) „ Concevez-vous , Madame , combien Ie lejour d'un pareil Philofophe dans ces régions du nord répandroit de lumiere iur 1 hiftoire des premiers hommes'Paftout depuis Tobólsk jufque fur les hauteurs de Ia Calmaquie, il fouilleroir les cnamps & les rombeaux ; il déchifreroit Jes cpiraphes, il nous apprendroit quels futen t les ancêtres du géant Ferragus qui Jut tue par Roland, neveu de Charlemagne. \ EP-P- 5 7i.) Le fémuroulomoplate du premier Contaifch ne lailTeroit pllls douter que le Roi Teutohochus, un de ies defcendans, n'ait eu environ trentedeux pIeds de hauteur. Nous faurions en quel tems fut déterminée la période iuni-folaire, en quel tems les pygmées vainquirent & chafferent ies géans d'un  P H I L O S O P H i Q U E S. II? pole a 1'autre. Nous apprendrions furrout en quelle année parut le premier homme ; arricle d'aütant plus effenriel, que M. de Buffon femble le laifter indécis, ou plutót ne 1'avoir décidé que de trois ou quatre manieres différentes. D'abord il confent qu'on ne donne guere a notre Adam que fix ou huit mille ans d'ancienneté ; mais 1'Adam Calmouck , le pere de ces Rois puiftans qui régtioient dans 1'Atlantide fubmergée il y a dix mille ans, doit remonter au moins deux mille ans plus haut. Ces fameux Aftronomes qui avoient découverc la période, &c par conféquent obfervé la lune trois mille ans avant Mathufalem, nous monrrent des générations bien plus reculées; les volcans nombreux qui faifoient trembier la terre fous les pas chancelans des premiers hommes, ( Ep. p. 2.25 , ) les feroient prefque regarder comme plus anciens que les éléphans. Mais nous aimons a prendre un jufte milieu ; nous ne donnerons a 1'Adam Calmouck, Tarrare ou Sibérien que treize ou quatorze mille ans d'ancienneté a dater de ce jour en arriere. J'ai 1'honneur d'être , c\'c.  ï}0 Les Pr o v in c i al ê s Observati ons d'un Provinciat fur la lettre précédente. J'aime affez la maniere dont M. Ie Chevalier voudroit conflater la taille énorme des premiers hommes. 11 femble au moins que fi la Calmaquie, la Sibérie & la Tartarie ont été les premières régions habitées , on devroit, felon M. de Buffon , y rrouver un certain nombre de fquelettes de géans j mais je crains bien que les fquelettes des pygmées n'aient fait difparohre ceux des géans. Ce n'eft pas que je douces'il y a eu des géans; il en paroït encore de rems a autre. Je doute feulement que les Patagons foient de vrais géans , qu'ils aient été chaffés par les Pygmées , Sc qu'il n'y ait eu de ces Pygmées, c'eft-a-dire des hommes de cinq pieds, fix, huir & dix pouces, que long-cemps après qu'il y eut des géans. Je doute pour le moins autant de 1'exiftence de ces favans Aftronomes qui fur les haureurs de la Tartatie avoient perfeótionné les inftrumens aftronomiques. Pour autorifer fes raifonnemens, M. de Buffon devoit au moins nous  Philosophiques. i 3 x indiquer dans ces régions du nord quelques-uns de ces monumens que le tems dégrade mais qu'il n'anéantit pas, & qui indiq lent une contrée oü les fciences 8c les ans ont fleuri pendant bien des fïecles. Celles oü 1'on nous tranfporte n'offrenc que les débris trés-peu magnifiques de quelques villes ou villages abandonnés par les Tarrares ; & rien n'eft plus gratuit q:ie ce que 1'on nous dit fur les trois miile ans d'érude que fuppofe la découverte de la période lunifolaire. La vie paftorale des Parriarches lés obligeoit a obforver les aftres. Leurs mois , comme ceux de prefque tous les anciens peuples étoient réglés fur le cours de la lune. II ne faut pas favoir obfervée bien long-tems pour favoir qu'il fe pafte vingt-neuf jours & demi d'une nouvelle lune a 1'autre. C'eft une obfervationfacile, nous dit M. de la Lande, & les premiers pafteurs ne manquerentpas de la faire. Le premier qui eur 1'idée de combiner les mois lunaires avec 1'année folaire, n'eut certainement pas befoin de télefcope, ni d'obferver la lune pendant plus de dix ans pour trouver a-peuprès combien il faut de lunaifons pour  i?2 Les Provincialés faire fix cents ans. II s'appercut peut-être qu'il ajoutoit ou retranchoir deux ou trois ans ; il s'en tint au nombre roud & rencontra jufte. Mais pour aftiirerque eet homme étoit auffi bon Aftronome que Dominique Caftini , il faudroit favoir:. s'il auroit démontré mathématiquement 1'exaétitude de fes calculs, ce que M. de Buffon n'affurera pas, ou du moins ne nous prouvera pas. Je croirois cependant qu'a force d'obfervations répétées les Chaldéens & les Parriarches purent s'affurer que s'il y avoit une erreur dans leur calcul, elle etoit tout au plus d'un ou deux jours , erreur très-légere pour eux dans une période de fix cenrs ans. Les Druides Gaulois avoient déterminé fans télefcope leur cycle de trenre ans, & 1'inftant précis du lever héliaque de la canicule. On peut donc acquérir des connoiffances alfez exaétes fur ie cours des aftres, fans le fecours de nos inftrumens aftronomiques, fur-tout quand on les obferve avec autant d'intérêt & de conftance que les Patriarches j les Chaldéens Sc les Druides. Ces derniers confacroient particuliérement a cette étude un noviciat de vingt ans; j'invite mes compa-  Philosophiques. Ij 3 • triotes a lire le Mémoire a confulter par M. 1'Abbé Beaudeau, en faveur de ces Aftronomes. lis y verront combien nos Philofophes fe font égarés , en s'obftinant a la recherche d'un peuple primirif, & rrès-ancien & très-favant, dont ils ne rendent pas même 1'exiftence tant foit peu probable : ils y verront que les Druides feuls furent ces Aftronomes révérés dans 1'antiquité ; ils feron'r étonnés que des Francois s'obftinent a priver leurs comparriotes d'une gloire & d'une réputation trcs-juftement acquifes, pour en faire honneur a des hordes de Tarrares , de Sibériens & de Calmoucks. Je ne fais trop par quelle prédilection M. le Chevalier a choifi les Calmoucks dans ce vafte pays, déligné par* M. de Buffon comme la patrie du premier homme. II pouvoit au même titre inftituer fa première Académie chez les Mugales &c les Mongons , ou Tartares puans; les uns & les aurres habitent les montagnes de laTartarie; mais je dirois bien pourquoi nos prérendus Sages font charmés de voir que M. de Buffon trouve fon paradis rerreftre dans ces froides régions du nord, au lieu de le placer avec Moïfe, dans ces lieux arrofés par 1'Eu"  134 Les Provinciales phrate & le Tigre , & que baignoient ie plus autrefois le Phifon & le Géhon, comme le dit 1'HiuVjrienfacré, & comme on le reconnou par le témoignage des plus anciens Géographes , Hérodote & Xénophon. (Géog. de Lacroix.) Je dirois bien encore pourquoi ces Mellieurs aiment tant a voir la terre peuplée depuis quinze ou vingt mille ans j mais tant qu'ils n'auronr pas conftaté leurs Annales par un feul événement qui remonte au moins a huit ou neuf mille ans, nous nous en tiendrons a la Genefe. LETTRE XII. Du Chevalier a. Mme. la Baronne» j\| abame, Sïxïeme Epoque. Dans ces premiers tems oü les Aftronomes Calmoucks obfervoient la lune avec d'excellens tèlefcopes , la terre & 1'océan n'éroient pas ce qu'ils font aujotird'hui ; les continens n'étoient pas  Philosopiiiques. 13$ divifés ; il n'exiftoit pas une feule ifle; ces arbres , que les eaux dépofoient dans le fein de la cerre pour les transformer en mines de charbon , n'avoient pas encore produit leur effer le plus merveilleux. Ce fur a la date d'environ dix mille ans, a compter de ce jour en arriere, ce fut a la fixieme époque qu'ils changerent la face de la terre. Un volcan terrible, mille fois plus terrible lui feul que tous ceux dont la terre avoit été la proie pendant dix mille ans \ ce même volcan , dont le tremblement de Lisbonne nous indique encore les dernïers effcts , ouvrit une caverne de ij i 18 cents lieues de long, fans compter la largeur & la profondeur , eugloutit le royaume des Atlantes , qui s'érendoit depuis PEfpagne jufqu'au Canada , divifa 1'Amérique de 1'Europe, entr'ouvrit le détroir de Gibraltar, « Sc * » par une fuite néceflaire de la grande » diviilon , fépara 1'Angleterre de la «France, 1'lrlande de 1'Angleterre, la 33 Sicile de 1'Italie , la Sardaigne de la s>Corfe, routes les deux du continent 33 d'Afrique, les Antilies ^Saint-Domin>3 gue & Cuba de 1'Amérique. » [V. Ép, f. 106,) Par cette r^ême caufe, ou du^  i$/S Les Provinciales moins par un effet femblable, & dans le même rems, la Norwege , l'Ecoffe & le Groenland fe virent divifés, comme les volcans de l'Ir lande paroijjent l'indi^ quer. Rien n'eft plus étonnant que cette origine de toutes les ifles qui exiftententre 1'Europe & 1'Amérique \ mais comment en douter , depuis le tremblement de terre de Lisbonne, & fur-tout quand on voit les volcans de 1'Iflande! On pourroit tout au plus nous objecter que 1'Arlantide n'étoit déja qu'une Ifle avant 1'éruption du grand volcan; mais Platon & Diodore, qui nous en ont donné cette idéé, ne faifoient pas réflexion « quelle 33 étoit fort peuplée & gouvernée par des »s Rois puiffans , qui commandoient a 33 plufieurs milliers de combattans 3 ce 33 qui déja indique affez pofitivement le 33 voifinage de 1'Amérique. » Ils ne favoient pas que les éléphans avoient trou vé dans 1'Atlantide la route la plus naturelle pour aller d'Efpagne en Canada, lorfque le froid les eur chafles de la Sibérie, ils ne connoiflbient pas les bancs de fable 3 & les ifles dont cette route eft encore fe~ mée 3 & que nos Géographes négligent d'indiquer 3 en laiflant des efpaces im- menfes  PniLOSOPHIQUES. 137 menfes entre 1'Efpagne & le Canada, fans ifles Sc fans bancs de fable. M. de Buffon a fenci le poids de toutes ces raifons ; il a vu les volcans qui exiftent encore, il a calculé leurs forces, leurs effets, les fuites néceflaires de leurs anciennes explofions, & fans remonter audela de dix mille ans, il les a vu ouvrir des cavernes affez valles pour affaifler des régions bien des fois plus grandes que TÈurope enriere. Tandis que le feu agifloit a 1'occident avec tant de violence, nos compatriotes voudront favoir ce que faifoient les eaux a 1'orient , Sc fi elies formoienc encore des ifles. Oui , Madame , pendant notre fixieme époque , les eaux produifoient de leur coté le même effen que ie feu. Par un mouvemenrcontinuel dont tous les Phyficiens ignorentlacaufe, Sc dont plufieurs nieroient 1'exiftence , fans 1'autoriré de M. de Buffon, par un mouvement confinuel d'orient en occident, la mer gasnoit fans ceffe du terrein , Sc ne laifloit par-rout que des ifles. Oh que ce mouvement devoit produire un jour d'étranges révolutions ! Déja il avoit fait envahir a 1'Océanplus L  Ï3S Les Provinciales de cinq cents lieues de terrein fur les cótes orientales; déja il avoit détaché du continent les ifles Mariannes, celles du Japon , des Philippines, de Ceylan , & une f'oule d autres. En gagnant toujours du terrein fur les cótes orientales , LOcéan devoit englourir fucceflivement la Chine & la Tartarie , la Perfe &c le Mogol, la Turquie , la Ruflie, la Pologne Sc 1'Allemagne. Strasbourg & Befancoh devenoient nos porrs de mer: jnais autant 1'Océan gagnoit de terrein fur ies cótes orientales, autant en perdoit il fur les cótes occidentales ; Breft Sc Rochefort alloient fe trouver a cinq cents lieues de Ia mer , 1'Angleterre ceffoit detre uneifle,& 1'Amériques'éloignoit autant de nous que nous devions nous approcher d'elle. En fuivant ces principes, il n'y avoir pas^ bien long-tems que Paris Sc Lyon étoient des ports de mer ; nous avions acquisparalluvion IaNormandie , la Bretagne Sc Ia Guienne ; nous étions le peuple le plus nouveau ; nous allions devenir le plus ancien, par la fubmerfïon de tous les autres ; mais M. de Baffon a jugé i propos de raffurer Ia Chine, ia Tartarie & toutes les autres  Philosophiques. i j9 contrées de 1'Afie contre les prédidions de fes premiers ouvrages.Pekm,Vienne &c Moskou n'auroit plus a redouter le mouvement des eaux d'orient en occident. 11 fubfiftera toujours avec la même force; mais c'eft dans notre fixieme époque qu'il a produit tous fes effëts. Depuis cinq ou fix mille ans , la mer s'eft arrêtée aux portes de la Chine. Les eaux ont ceffé d'envahir de grands terrains <3 & dans la fuite la terre a plus gagnè quelle na perdu , elle a même acquis une étendue de plus de cent vïngt lieues fur les cótes de la Cuiane, c'efta-dire, dans une de ces parties du globe oü le mouvement d'orienr en occidenr devoit le plus contribuer a détruire 1'ancien terrein. A 1'occafion de toutes ces ifles que nous avons formées, vous me demande- , rez oü fe tenoient les eaux de la mer avant que 1'Atlantide & toutes ces régions bien plus grandes que 1'Europe ne fuffent englouties. L'océati étant plus reflerré avant cette époque, les eaux plus clevées devoient couvrir 1'Efpagne, la France & bien d'autres contrées. Comment 1'Atlantide Sc 1'Efpagne étoientelles donc habitées ! M. T., a qui je L ij  140 Les Provinciaies faifois cette obfervation, ma tranquillifé d'un feul mot. L'océan, m'a-t-il dit , étoit alors beaucoup moins large, puifque la terre avoit beaucoup plus de furface, mais il étoit auffi beaucoup plus profond. Les eaux étoient peut-être dans ces cavernes d'oü Ie volcan ne fortit que pour y faire enrrer 1'Atlantide & les autres pays fubmergés. Elles étoient deflous & n ont fait que prendre le deffius. Ainfi il n'eft pas étonnant qu'elles n'occuprtftent pas plus d'étendue , & que I Efpagne, 1'Atlantide, le Canada puftent ctre habités il y a dix mille ans 3 c'eft-adire avant la formation des bles. La reponfe m'a paru démonftrative , & j'efpere que mes comparriotes en feront Latisraits. U me refte encore a vous prévenir que nous ne faurions donner a cette époque m moins ni plus de dix mille ans d'ancienneté. Si vous admettez moins de tems depuis la divifion de 1'Efpagne & du Canada 3 depuis la fubmerfion de tant de Royaumes , on fera réhVxion que felon nous la terre étoit très-peuplee dès ce^tems, que les fciences étoient tres-cultivées; on nous demandera comttienc le fouvenir de ces grands événe-  Philo s ophiqses. 141 mens s'eft perdu dans Thiftoire. Nous répondrons a rout en difant qu'il y a dix mille ans que ces chofes font arrivées, & que Thiftoire ne remonte pas li loin que la Philofophie. Si vous admettez beaucoup plus de rems, nous ferons en peine de faire pafter en Amérique les éléphans & les Patagons ; la divifion des continens ne donnera plus a notre époque le même intérêt ; tenons-nons-en donc précifément a ce nombre d'années, Sc défions Thiftoire de nous contredire. J'ai Thonneur d'être , Sec. Observations d'un Provincial fur la Lettre prècèdente. L'Atlantide étoit gouvernée par des Rois pui (fans qui commandoient a plufieurs milliers de combattans; cela nous indique ajfe^ pojitivement le vo'Jinage de cette terre & de 1'Amérique ! . . . II y a des bancs de fable Sc quelques ifles entre 1'Efpagne Sc le Canada ; cela nous indique que 1'Atlantide étoit unie d l'une & d 1'autre j qu'elle offroit même aux éléphans chatfés par le froid du nord au midi, la  I t4i Les Provinciaies route laplus naturelle pourpafferd'Efpa°ne en Canada, fi l on veut qu'ils y fiolent arrivés d'Europe\. .. Lisbonne' a efïuyé de «os jours un trembiemenc de terre • ce tremblement nous indique les derniers ejfets d un volcan qui fiubmergea l'Atlantide ily a dix mille ans \ ... L'lllande a les volcans, cela nous indique la caufie de la tepararion du Groenland, de i'Ecofle & de la Norwege ; & tour cela nous montre les caufes , le rems, la véritable epoque de la formation des ifles occidentdes , de la féparation de 1'Europe & de 1 Amenque ! . . Dufle-je, en acquérant 1 art de raifonner fur de femblables indices, dufle-je eu me prêtant a certe ogique, acquérir le ftyle , la noblefie , V^fT^ 'eS Charmes ' ,e Sé™ ^ M. de Buffon , je n'en voudrois pas. Tour 1 art d'un aureur ne fuppléera jamais a la lohdite des preuves; & routes celles que 1 on nous dopne ici fur les faits I°s plus eflentiels font en elles - mêmes fi legeres, fi dépourvues de connexions avec les conféquences, que nous croinons mutile de les réfuter. Remarquons feulemenr que les contradióhons perpétuelles de nos Philoiophes fur les Adames devroiem bien  PHILOSOPHÏQUES. I 4 J- les dégoüter de raifonner fur ces peuples & leur patrie. Platon & Diodore nous parient de 1'Atlantide comme d'une ifle fubmergée, fans indiquer clairement ni le lieu oü elle fut, ni le tems auquel elle cella d'être. Monfieur de Buffon en fait un empire qui s'étendoit depuis 1'Efpagne jufqu'au Canada : M. le Bailly va la chercher vers le pole arófcique, un autre a prétendu la trouver dans la Méditerranée, un qnatrieme la voit fur 1'Océan aux cótes d'AFrique. Ne vaudroit-il pas mieux avouer qu'on n'a rien d'affez pofitif fur les Arlantes pour autorifer tous les raifonnemens que 1'on fait fur eux ! Au moins lorfqu'on cite le texte même de Platon, ainfi que I'a fait M. de Buffon, ( Th. de la Ter. t. i , p. 606 , ) au moins faudroit-il ne pas contredire fi évidemment cette autorité. Ce texte nous apprend que 1'Atlantide ne fut englourie qu'après la guerre de fes héros contre les Athéniens. Traditur AthenienJis Cïvïtas reftitijje olim inrutmeris hojiïum copïis , qua Aüantïco -marl profecldt prope cunclam Europam A/tam que ebfederunt... pofthtzc faclum eft ut terra dehifcens omnes illosbellïcofos abforbcret,& Atlantisinfula yafto gurgite mergeretur. M. de Buffon 3  144 Les Provinciales après avoir cité ces paroles, voudroir-il donner a Achenes & a Cecrops , dix ou onze mille ans d'ancienneté ! nons ne croyons pas qu'il ait envie de faire a Phiftoire un pareil outrage. Paffons a 1'origine des ifles orientales. Quand nous admettrions ce mouvement des mers d'orienr en Accident j nous demanderions roujours par quel miracle un mouvement que 1'on reconnoit être infenfible auroit agi avec tant de force contre 1'Afie en éparonant 1'Afrique, expofée comme elle 1'eft fous la zone torride, f V. Palias Dij}', fur Vorig, des mouv.) oü 1'on prétend que fa force eft la plus grande ! nous demanderions doü vïent cette quantité prodigieufe d'ifles dérachées de 1'Afie, tandis qu'on en rrouve fi peu a 1'orient de 1'Afrique ! mais examinons les caufes que M. de Buffon affigne a ce mouvement, « Du mouvement alternatif de flux & » reflux il réfulte, nous dit-il, ( T. i M P- 43 3 .) un mouvement continuel de » Porient vers 1'occident, paree que 1'af» tre (lalune) qui produit Pintumefcence » des eaux va lui-même d'orient en occi» dent, & qu agiffantfucce/Hvementdans »> cette direétion, les eaux fuivent le mou» vement  Philosophiques.' 145 » vement de l'aftre dans la même direc» rien. » M. de BufFon parle Fans doute ici du mouvement diurne & appareut de la lune , puifque deux jours dobfervation fuffifent au peuple même pour s'appercevoir que Fon mouvement réel eft d'occident en orienr. Ne pourrionsnous pas dire avec plus de raifon que l'aftre qui produit le mouvement des eaux , ayant une direction réelle d'occident en oriënt, les eaux devroient avoir cette même direction ! la vérité eft que la lune ne peut ni retarder ni accélérer le mouvement général commun a la terre & a 1'Océan. Que 1'on confïdere avec tant foit peu d'attention l'aétion de la lune fur ies eaux de 1'Océan ; dans le même inftant que fon attraéFion contrarie d'un cöté le mouvemenj; général, elle concourt de 1'autre a 1'augmenter, puiiqu'elle attire égalemenr a droite & a gauche. La parrie des eaux qui étoit attirée & pouftee vers 1'occident, fe troüvera donc douze heures après attirée vers 1'orienr. Ces deux actions fe fuccedenr journellement a caufe de la révolution diurne elles fe détruifent donc mutuellement, & ne pioduifent qu'un flux & un reflux contiuuel, M  i4 pes de eet ouvrage, tels que M. T. me | les développa. I Le mónde n'a jamais été compofé que Ne globes alternativement très-lourds & très-légers, très-humides 8c très-fecs, Itrès-opaques & très-lumineux. „ Le So' j» leil jui-même étoit jadis opaque, 8c le j» deviendra encore. Le? Cometes, réj» gies autrefois par un foleil , ont été j»obligées d'aller chercher fortune ailI» leurs, ou ne font peut-être que les |» reftes épars de ce même foleil, éteint, S» einder, ou brifé. » . La lune iroit aufli chercher fortune ailleurs fi elle ne favoir que la terre deviendra laproie des flammes 3 & fera enjcore un nouveau foleil. L'article elfentiel de ce fyftême , eft: iHonc de concevoir comment chaque globe tó'éteint & fe renouvelle; & c'elfaufli pe que Telliamed nous explique trés-  i$4 Les Provinciaies phyfiquement par ces mots que je vais rranfcrire , & que je vous prie de bien méditer. Vous n'y trouverez pas 1'élégance de M. de BufFon ; mais vous y verrez en revanche des chofes bien extraordinaires. » Tout ce que les rayons du foleil » enlevent de matières aux globes les *> plus voifins de lui (p. 11 o, t. i); la poufm fiere , les particules d'eau , dont ils fe j> chargent en les faifant mouvoir , & en ,> paffant avec rapidicé vers les plus éloi« gnés , ce que ces mêmes rayons emi3 portent de la fubftance du foleil j tout 33 cela elf porté a travers le fluide de Fair 33 vers 1'extrémité dutourbillon , oü 1'ac33 tivité de ces rayons , a la fin amortie Sc 33 languilfante , n'a pas plus de force » qu'en ont pour notre globe pendant la m nuit ces mêmes rayons réfléchis de la 33 lune. C'eft-la qu'au milieu d'un air 33 prefque fans mouvement, ils fe dé33 pouillent des matières dont ils font 33 chargés. C'eft auffi a cette extrémité du 33 tourbillon oü le cadavre d'un foleil i3 cteint, qui y aura été pouffé par fa lé33 géreté , recoit les dépótsde ces matie33 res , & recourre a leur faveur, ce qu'il » avoit perdud'humidité&de pefanteur, » pendant  Philosophiqubs. i S 5 » pendant qu'il étoit enflammé. C'eft-la. » que s'enrichiftant de la dépouille des »autres , ces globes font recouverts » d'eaux , Sc regagnent avec elles des » limons qui rétabliftent en eux le poids » Sc la fubftance qu'ils avoient perdus. » C'eft dans le fein de ces eaux queles cen» dres qui font reftées de leur incendie , » les fables , les métaux , les pierres cal»> cinées , font roulées & agitées par les » courans des nouvelles eauit qui s'y » amalfenr. Ces mers diminueront un » jour , Sc c'eft de leur diminution que » forriront les montagnes de ces nou» velles terres, ainfi que les noties ea » ont été tirées. » M. T. trouvoit dans ces paroles Thiftoire de tous les corps céleftes, Sc toute la théorie de notre globe, Confidérez , me difoir-il , confidérez la rerre dans Tétat oü elle eft actuellement. Les rayons du foleil, qui traverfent notre air , ca qui font réfléchispar la furface ,ne peuvent pas s'éloigner , fans emporter cbaeun une petite quantité des parties terreftres ou humides. Il viendra nn tems qu'ils auront emporté, toute 1'eau de 1'Océan. Tout mourra alors fur la rerre j Sc cela , m'a-t-il ajouté depuis ,celasTac- P  Lis Provinciales corde alfez bien avec le fyftême de Madame la Baronne , toute la nature mourra de foif. La terre devenue très-feche, s'enflammera 8c deviendra foleil. Ses rayons , comme ceux des autres foleils , emporteront encore une partie de fa fubftance \ ils épuiferonr toutes les matières combuftibles. Le globe fera donc alors très-léger ; & felon les regies de la pefanteur, il ira de lui-même vers cette extrémité du rourbillon _, oü les rayons du foleil aboutiflent 8c dépofent toute 1'eau dont ils s'étoient chargés. La terre,dans ces endroits humides, ne peur que s'imbiber de toutes les eaux qu'elle avoit perdues; fon inrérieur en eft tout pénétré 3 fa furface en eft route couverte; de foleil qu'elle venoit d'être, elle devient un véritable Océan. Alors fa pefanteur la ramene au poinr d'oü elle étoit partie, a moins que le foleil épuifé ne foit allé lui-même fe rafraïchir aufli a 1'extrémité du tourbillon ; car, dans ce cas, il faut que la terre cherche fortune ailleurs, & qu'elle aille tourner autour d'un autre foleil. Comme elle.n'eft plus qu'un vafte Océan , elle ne peut être alors habitée que par les poiflons; 8c les eaux ne peu-  Philosophiques. 187 vent naturellement que former des montagnes , dont 1'intérieuc doit être mêlé d'un grand nombre de coquillages, a. 1'exceprion de celles que nous appellons primitives, foir paree qu'elles font reftées de 1'ancien monde j foit qu'elles aient été formées avant la nailfance des poiffons. En ce cas les montagnes fecondaires les moins haures , & celles oü il fe trouve des coquillages , auront été formées des débris des autres 3 d me/ure que la mer fe retiroit & fe defféekoit. {P«g-77.) Quand les rayons du foleil auront de nouveau emporré une affez grande quantité d'eau pour que la furface de la terre foit découverte 3 elle deviendra habttable pour les hommes & pour les animaux; toute la nature reffufcitera; & la terre fe trouvera au point dont je fuis parti pour vous développer fon hiftoire & fa théorie. Tous les autres globes céleftes, psr les mêmes raifons , fubironr fans ceffe les mêmes changemens. Ils furent, Sc feront toujours alternarivement Océan, terre Sc foleil. Ces révolutions trés naturelles Sc très-phyfiques, comme vous P ij  iSS Les Provinciales le voyez , fe fuccéderont dans les fiecles des fiecles. J'étois dans une efpece d'extafe , en écoutant 1'hiftoire de ces révolutions éternelles. J'admirois fur-tout ces rayons du foleil, qui emportent les eaux de 1'Océan a 1'extrémité du tourbillon, Sc |e convenois que la terre devoit enfin fe trouver très-feche ; j'admirois la force qui retient notre Océan, Sc celui de tous les globes céleftes a cette extrémité du tourbillon, jufqu'a ce que chacun aille reprendre le fien; j'admirois cette terre aflez intelligente pour venir chercher un foleil qui la délivre encore de fes eaux, Sc la rende de nouveau foleil; j'admirois bien "des chofes , quand revenu enfin de mon étonnement, je fis a M. T. quelques queftions dont la réponfe me fournira un jour le fujet d'une nouvelle Lettre. J'ai 1'honneur d'être, en attendant, &c. &c.  Philosophiques. 1S9 LETTRE XVII. De M, le Chevalier a Madame la Baronne, AIa dame, Après avoir appris cotnment les rayons du foleil épuifenc les eaux de 1'Océan, je priai M. T. de m'expliquer comment ces mêmes rayons font rourner la rerre, Sc dirigent tous ces mouvemens. Voici quelle fut fa réponfe. La terre, dans le fyftême de Telliamed , au lieu de s'applatir, s'allonge au contraire vers les poles , « fa figure eft » femblable a celle d'un fufeau qui fe » dévideroir daas une eau tranquille ; » les rayons du foleil font fur elle 1'effet » d'un fil dont Ie fufeau feroit entrainé » en fe dévidant. Par ce mouvement, » ils la font tourner fur elle-même dans » un air Iibre en un de nos jours 3 Sc » parcourir dans un an toute 1'éclip-  19o Les Pr.ovinciai.es » tique. » ( Tom. II, p. 83.) Les deux extrémités du fufeau s'élevent Sc s'abaiffent lenrement, Sc rien n'eft plus facile a concevoir dans ce fyftême que la nutation de l'axe. Vous riez, Madame, vous allez effayer fi les rayons d'une bougie ne dévideroient pas un fufeau que vous aurez mis dans uneeau tranquïlle; mais je vous prierai de faire attention que les expériences peu vent être infaillibles en grand, Sc ne pas réuflir en petit. C'eft apparemment pour cette raifon que le foleil ne dévide la lune que dans un mois ; car vous concevez bien qu'érant beaucoup plus petite que la terre, les rayons ne peuvent pas agir fur elle avec aurant de force que fur notre globe. Ces difficultés ne font donc qtie bien peu de chofe; mais en voici une qui pourroit paroirre importante. Lorfque le foleil a perdu tous fes rayons, pourra-r-on nous dire, quand eet aftre devient opaque , car dans notre fyftême , cela lui arrivé aufti-bien qu'a tous les aurres globes, comment la terre peur-elle tourner fur efe-même, Sc par quel aftre alors eft elle dévidée ? Norre réponfe eft toute fimple. Lorfque ie fo-  Philosophiqüïs. 191 leil devient opaque , la terre fans doute recouvre fa lumiere ; fes rayons font alors fur le foleil ce que le foleil faifoit fur elle-même ; elle dévide l'aftre qui la dévidoit, jufqu'a ce que celui-ci s'enfuie aux extrémités du tourbillon. Je fens bien que malgré fa fimplicités cette réponfe peur abfolument vous ëtonner un peu ; mais quand on a vu chez M. de Buffon les cometes qui frottent le foleil, on peut bien pardonner 2 Telliamed les rayons du foleil qui dévident la terre, &: ceux de la terre qui dévideront un jour le foleil. Je demandai encore a M. T. fi Telliamed , que j'avouois être aufli bon Phyfïcien que I'Auteur des Epoques, avoit calculé auffi bien que lui, pendant combien d'années la terre avoit été couverte d'eau ? depuis quand elle étoit habitée? & combien de tems elle feroit foleil ? Ce grand Phyficien , me répondit-il, avoit prévenu M. de Buffon dans bien des chofes; il avoit indiqué 1'origine des cometes , il avoit découvert le grand déluge, la formation des montagnes par 1'Océan, la retraite des mers, 1'apparitionde 1'homme versies poles, & nous avoit laiffe de grandes recherches fur les  iyZ LïS PiOVlNCIAHJ coquillages ; il avoit eu*, même avant Boulanger , cette belle idéé que M. de BufFon a mife depuis en fi beau franco is a la tête de fes époques. 11 chcrchoit aufli dans les couches de la terre des monumens ftables qu'il coinparoit aux pierres milliaires, & par lefquels il croyoit pouvoir remonter aux différent ages de ia nature. J'avouerai cependant que fes manufcrits n'aurontpas été aufli uriles a M.de Buffon que ceux de Boulanger; car fes loix , pour fixer les époques ne font pas tout a-fait aufli süres que celles de la digeftion des huitres Sc de la fiitration des forêts fous les montagnes ; il ne parle pas même avec cette aflurance fi naturelle a M. de Buffon. « Si 1'on rrou>j voitj dit-il, pat ex-emple, des mor» ceaux de brique ou de terre cuite dans » des carrières élevées au-deflus de la u mer de douze cents pieds, en fuppo» fant la mefure commune de la dimi» nution de fes eaux a trois pouces par m fiecle, on fauroit que la rerre a éré » habitée par les hommes, il y a prés » de cinq cent mille ans. » ( Tom, II9 pag. 6i.) Je n'ajouterois pas trop de foi a certe mefure ,  .Philosophiques. T03 mefure , concinua M. T. , foit paree que des morceaux de brique ou de terre cuite trouvés dans des mines , pourroient bien n'indiquer que deux ou trois fiecles, foit paree que la merne s'abbaiile très-certainement pas de trois pouces par fiecle ; car les Vénitiens auroient vu fon niveau s'abbaifler de trois pieds depuis que leur Ville exifie. Marfeille & bien d'autres. Villes auroient fait des remarques bien plus fenfibles encore : d'ailleurs, fi la mer s'eft retirée de cerrains endroits, c'étoit en comblant quelques rivages, & non pas en changeant de niveau: ainfi je ne m'en tiendrai pas a cette mefure afiignée par Teillamed. En voici une autre qui nous indiqueroit des révolutions bien étranges, s'il étoit poflible de la confrater. M. de Buffon nous confeille de creufer dansles entrailles de la terre pour y découvrir dans un noyau de verre les débris d'un foleil liquifié; Teillamed voudroit auffi que 1'on « put creufer jufqu'au centre » du globe, & parcourir les divers ar» rangemens de matie,e dont il eft 55 compofé. On feroit en état de juger » fur ces recherches , s'il s'eft trouvé a> dans plufieurs fubmerfions fucceflives Q  ro4: Les Provinciales » fans avoir été la proie des Hammes, 'i> En cecas, on rencontreroit dans Ie 73 globe les veftiges de plufieurs mon3> des arrangés les uns fur les autres, 33 des Villes encieres , des monumens durables , & tout ce que nous re33 marquons aujourd'hui fur la furface 33 de la terre, des os d'hommes & d'a» nimauxles uns pétrifiés, les autres 33 non ; des pierres & des marbres, 33 dans lefquels on trouveroit tout ce 33 qui fe trouve dans les nöcres jj ( Tom. z, pag. 113). . . \_ Si j'étois Roi., me dit ici M. T... . plein d'un noble enthoufiafme fi i'étois Roi de France on fcauroit bientót a quoi s'en tenir. Je ferois un Roi philofophe ; je n'éleverois pas des pyramides; je ne batirois pas des chateaux fur les hauteurs; je creuferois en bas; je voudrois employer mes Sujets a fouiller jufqu'au centre de la terre 3 ou tout au moins jufqu'a ce que 1'on fut parvenu a découvrir la vérité. Si j'arrivois enfin au noyau de verre , M. de Buffon feroit proclamé le premier Phyficien de mon Empire. Permis aux Allemands d'en faire autant pour Leibnicz, qui le premier fit fondre notre  Phiiosophiques. 195 foleil de verre; mais fi je découvrois a deux ou trois eens lieues au delfous de la Seine une feule Ville auffi grande que Paris i Teillamed auroit feul le droic d'infkuire mes Peuples fur 1'origine des chofes. II leur apprendroit que fous eet Empire, donc je tiendrois le fceptre^ étoient autrefois un Empire, & des Franfois gouvernés par des Rois un million de fois plus anciens que Phararnon ; que cent lieues au delïïis de nos têtes, il paroitra un jour une nouvelle France & des peuples nouveaux, dont les Rois Philofophes fouilleront encore pour découvrir ces mondes arrangés les uns fur les autres, comme nous fouillons dans les ruines d'Herculanum. Vous ferez peut-être moins curieux que M. T. de ces découvertes; mais il faut convenir que des Villes arrangées les unes fur les autres, depuis le centre jufqu'a la furface, feroient une preuve très-forte, que nos idéés fur 1'ancienneté du monde ont été bien reflerées par Móïfe. La Philofophie n'eft pas abfolument dépourvue de toute preuve fur ces anciens mondes. Car, nous dit Teillamed (torn. 1 , p. 97 ), « on m'a j> alfuréj lorfque j'étois a Paris J qu'en  ïq6 Les Provinciales » fciant ce grand morceau de pierre ; » donc les parties égales forment le ai frontifpice de la grande entree du » Louvre du cöré de Sainc-Germain , sj on rencontra vers le milieu une barre » de fer de la forme de la platine d'un 33 fufil ». Cette découverce bien conftatée, prouveroit feulement au commun des hommes que la pierre fe forme en peu de temps dans la carrière, ou cette platine avoit été laiflee; elle indique a nos fages qu'il exifloit jadis un autre monde ou la poudre a canon étoit connue , & dont les habitans avoient des armes a feu auffi meurtrieres que les nótres „ qu'ils fe faifoient la guerre, Sc qu'ils fe détruifoient comme nous. Quand trouverons-nous des monumens plus propres a nous confoler ? Quand pourrons-nous démontrer qu'ils avoient aufli leurs Philofophes ? J'ai 1'honneur d'être, &c. P. S. Depuis cette Lecon fur Teillamed , j'ai lu qu'on a trouvé plufieurs fois des Ecrevilfes , des Crapauds Sc d'autres animaux dans des bloes de pierre, ft même dans les pierres les  PniZOSOPHlQUES. l$f plus dures , fans aucune ilTue au dehors (i). Ne pourroit-on pas dire que c'étoic des EcrevilTes, des Crapauds de 1'autre monde qui vivoient encore ? LETTRE XVIII. De M. le Chevalier a Madame la Baronne ]Vl a d a m e , Nos fyftêmes feroient bien imparfaits, & la Philofophie auroic fait connoitre bien peu de relfources , fi nous avions chacun la même marche, fi nous recourions tous a la même origine pour peupler la terre. Vous ne trouverez poinr chez nous cette difette. Les poles fe defféchenr pour M. de Buffon, & le Nord devient la première patrie de rhomme. Les poles confervent leur hu- (0 Voyez les Mém. Acad. an. 171? & 1751 , Ie Diót. d'Hifl. nat., par M. Valmon de Bomare, tom. 3. Q ü)  198 Les Provinciaxes midité chez Teillamed , & ils ne font pour lui que notre feconde patrie : il voit nos ancêtres peupler depuis longtemps le fond des mers. « L'eau eft le principe de toute cho»fe, nous dit ce Philofophe [fix. » Dial. } , elle contient toutes les fe33 mênces. Les premiers animaux qu'elle 33 produk dans chaque efpece , vivent 33 d'abord dans fon fein; ils's'accoutument » enfuite 1 en- foreir & a vivre en plein » air; mais la nature qui prépare tout » avec fageffe, leur montre les endroits 33 les plus propres a ce paffage, c'eft-a» dire, les plus humides: ainfi le Nord, » chargé de parties acqueufes, fera le* 33 heu que les hommes marins ont com33 mencé a hibiter. Auffi y a-t il appa» rence que les tranfmigrations de ces » efpeces marines ont toujours été, & » feront toujours plus fréquentes vers » les poles óc dans les pays froids ; & v c'eft pour cette raifon, que les mul33 titudes innombrables d'hommes, dont » les parties méridionales de 1'Afie & » de 1'Europe onr été inondées J font »> fon ies des régions feptentrionales ». Si Thiftoire des Éléphans confirme admirablement Ie fyftême des molécu-  Phi iosophiques. 199 les organiques , vous voyez, Madame, que celle des hommes eft plus favorable a Teillamed. Qu'étoit-ce en effet que ces hommes , dont nos ancêtres conjuroient les cieux d'arrêter les ravages , par cette priere ajourée pendant un temps a nos Litanies : A furore Normanorum jiberanos Domine : Seigneur,, délivrez-nous de la fureur des Normands ! C'étoit des légions de Guerriers forties de 1'Océan fur les cótes de la Noivege ou de la Suede. Ces héros , lafies de vivre parmi les Harengs & les Saumons., abandonnent leur premier élément. Pendant quelques années , ils s'exercent dans 1'art de ravager des provinces; ils forgenr des glaives, des lances, des fleches ; & bientót la France eft obligée d'avouer que des hommes, n'agueres Carpes & Brochets J peuvent triornpher de tous ceux qui , depuis bien des fiecles, n'ont plus de nageoires, d'arrêtes & d'écailles. Mais eft-il bien vrai que nous avons abfolument perdu ces indices de notre première origine? Non, Madame, « il » y a encore., & il y aura toujours dans y» tous les hommes une marqué impé*> riflable qu'ils tirent leur origine de la Q iv  '2oo Les Provinciaies » mer: confidérez leur peau avec un de » ces microfcopes, qui groffilfent aux " yeux un gram de fable a 1'égal d'un » ceuf d'Autruche ; vous la verrez » route couverce de petites écailles » comme 1'eft celle d'une jeune carpe ( lbid. >.Ofons après cela révoquer en doute que nos premiers peres n'aient long-temps nagé dans le fond des mers. . Une marqué plus évidente encore &. hien plus commune que fon ne penfe, nous apprend que les hommes ne font pas rous ïfius de la même efpece de Poilfon. Ceux , qui dans leur. état primitif avoient une queue un peu trop longue , n'ont pas pu s'en défaire entierement J &• che? eux Vépim du dos Je termine en queue de Brochec ou de Merlan. Vainement affettent-t-ils de cacher cette preuve de leur origine. Teillamed nous affure qu'il a vu lui-même de fes propres yeux, que d'autres perfonnes très-dignes de foi, ont vueonv me lui des hommes chez qui ces reftes précieux de leurs premiers peres étoient très-fenfibles. faut-il porterla démonftration a un plus haut degré de certirude ? Nous  Phiiosophiques." 201 vous citerons Thiftoire véritable d'un Capitaine Anglois, qui a vu une foule de ces hommes encore vivans dans Ie fein de TOcéan. C'étoit, aurant que je puis me fouvenir de Tavoir lu dans Teillamed , c'étoic vers les cótes dTrlande que notre Anglois faifoic voile ., quand il appercur un cerrain nombre de petites chaloupes montées par des hommes tout nuds. II veut leavoir quels font ces hommes; il s'approche d'eux, mais tout. a coup les hommes & les chaloupes difparoiiïènt. Vous penfez peut être que c'écoit des pêcheurs qui furent fubmerges dans ce moment. Non , c'étoit réllemenc des hommes marins, car ils prirent chacun leur chaloupe Sc Vemporterent fous le bras au fond de la mer. Le Capitaine Anglois oublia peut-être de dreffer fon procèsverbal; mais voicï un fait confirmé par les preuves les plus juridiques, par le témoignage de cinq perfonnes, par un procés-verbal drelfé dans toutes les formés a la Martinique , fur Tapparition d'un homme marin. Pour votre fatisfaction & celle de nos compatriotes., je vais copier prefqu'en encier trois de ces dépofitions auchentiques, telles que je  202 Les Provin«iaies les crouve a la fin du fecond volume dé Teillamed. Première Déposjt/ojv. 33 Moi André, Negre du fieur Dé33 forge, dépofe ce qui fuit: J'ai vu béte 33 fake comme homme dans la. mer, 33 cheveux long*, épaules, un poil gris, 33 barbe ly gris comme main., le poil 33 gris fur le fein ; ( affurément, c'étoic 33 un homme gris), la queue faite conv is me carangue ; ly veni crois fois fur =» 1'eau & gardé nous toujours avec fes 33 gris yeux ; moi teni mouche pour ly 33 faire. Autre Negre couri après ly 3» pour prendre comme ligne; ly caché 33 dans la mer, & pui pu voir lui 3?. Deuxieme DépOsition. 33 Pierre , Negre dudic Noël Le33 moulle de la Rofiere , a dépofé ce J3 qui s'enfuic , & dit : moi miré un 33 homme en mer de Diamanc; moi 33 miré lui crpis fois; lui cenir cêce. Bon * vifage de ly comme monde, Iy ceni >3 barbe gris, ly lorei hors de 1'eau, re33 gardé nous. Je vous moi prendre lui n dans ains pour prendre lui; moi cenir 33, point peur, non pas grand , non; &  Philosophiqu es. .203 >3 puls lui caché ; lui fouvent gardé 33 nous; & pourcant tenir. queue comme 33 poiflbn >3. TrOISI£M£ D É P OS IT IO N. Le troifieme Dépofant eft Pierre, Negre dudit fleur le Gras. « Moi miré 33 Bete, non pas bien miré lui, paree » que lui étoit dans lyeau. Lui fem» bloir pourtant poiflbn; moi tenir peur. jo Autre dire Ange , c'eft un Ange 33 monde , lui regardé plufieurs fois., » puis lui caché dans 1'eau, & moi non 33 miré lui davantage ». Que nos comparriotes combinent ces trois témoignages auxquels je pourrois en ajouter deux autres > qui n,en differeroient que par le ftyle, celui de Julien Vattemort, jeune homme de dix-fept ans, & celui de Cyprien Poyer, qui ne fcavcit pas écrire ; ils verront que de pareils témoins ne fcavent pas mentir. Je vous avoue au moins que leurs dépofuions fufpendroient mon jugement entre le fyltême de M. de Buffon & celui de Teillamed , entre les molécules organiques & les hommes poiflons. Si le premier avoit quelqu'avantage, c'elt qu'il a démontré fort clairemenc com-  204 Les Provinctaies1 ment les molécules organiques ont ptt fe réunir pour former toutes les efpeces d'animaux, comment elles fe réuniroient encore pour en former de nouvelles fans notre appétit dévorant; au lieu cSjueTeillamed , en faifant forcir de la mer tous les animaux , négligé de nous dire quel poiflbn eft devenu Ëléphant, quel autre eft devenu SingeJ Rhinocéros, &c. Je ne déciderai donc pas entre les deux fyftêmes; vous choifirez vous même, ou plu.ót vous atcendrez pour vous décider, que mes Lettres vous aient fait connoïtre de nouveaux fyftêmes , de nouveaux grands hommes. J'ai Thonneur d'être, Sec. Obfervations d'un Provincial fur les trois Lettres précèdentes. s comparriotes ne s'attendent pas a me voir réfuter férieufement ces rayons du foleil qui dévident la terre; ces globes alternativemenc océan., terre , foleil ; ces cadavres qui vont fe ranimer a 1'extrémité du tourbillon ; ces hommes  PhHOSOPHIQU ES. lOf marins qui ont les yeux gris , barbe grife, la queue comme Carangne ; mais croiroit-on bien que ces idéés fi bizarra n'ont d'autre fondement que les coquillages fi multipliés qu'on trouve fur la terre, les veftiges d'un ancien déluge , la retraite des mers loin de cerrains rivages?' Oui, c'eft uniquement pour nous expliquer comment les eaux ont pu eouvrir les plus hautes montagnes, comment elles ont pu fe retirer & difparoitre , que Teillamed invente un fyftême fi peu phyfique & fi abfurde. M. de Buffon, & Wifton, & Burnet & tant d'autres, ne fe font eux - mêmes donné tant de peine que paree qu'il y avoit un déluge a expliquer, paree que la terre a évidemment éprouvé des révolutions qu'on ne peut attribuer qu'a lachüte & au féjour des eaux fur la furface du globe. Eft-il donc impoflible de trouver la raifon de ces révolutions dans le déluge dont parle Moïfe ? Nous ne répondrons a. cette queftion qu'en établiffant les trois propofitions fuivantes. i°. Moïfe feul afligne au Déluge univerfel une raifon plaufible & fufflfante. a°. Le Déluge , tel qu'il eft raeonté par Moïfe, fuffit pour expliquee  izod Les Prdvinciai.es touc ce qui nous démontre que les eaux ont couverc la furface de la terre & des montagnes. 30. Les preuves inconteftables du Déluge univerfel font en même-temps pour tout homme infiruit & phyficien une preuve phyfique, inconteftable , & toujours fubiiftante de la vérité de la Religion. M. de Buffon nons fournit lui-même la preuve la plus complette de notre première propolïtion, en alfurant formellement « que la faute de Burnet „ » de Wifthon & de Wodwart eft d'aj3 voir regardé le Déluge comme pof» fible par 1'action des caufes natu« relles. II n'y a , ajoute-t-il ( torn. 1 , 33 pag. 199), il n'y a aucune caufe nay turelle qui puiffe produire fur la fur33 face entiere de la terre la quantité 33 d'eau qu'il a fallu pour couvrir les »plus hautes montagnes ; & quand 33 même on pourroit imaginer une caufe » propörtionnée a eet effet , il feroit 33 encore impoffible de trouver quel33 qu'autre caufe capable de faire dif33 paroitre les eaux.... a moins de fup33 pofer que 1'eau tombée de la comete » a étédetruite par miracle, elle feroit 33 encore anjourd'hui fur la furface de  Philosophiques. 507 » la terre, couvrant les fommets des » plus hautes monragnes. Rien ne ca35 radtérife mieux un miracle que 1'im33 polïibilicé d'en expliquer 1'effec par » les caufes naturelles. Nos Auteurs ont 33 fait de vains efforts pour rendre rai>3 fon du Déluge,- leurs erreurs de phy13 fique au fujet des caufes fecondes 33 qu'ils employoient, prouvent la véri33 té du fait tel qu'il eft rapporté dans » 1'Ecriture Sainte, & démontrent qu'il 33 n'a pu être opéré que par la caufe « première, par la volonté de Dieu >3. Après une déclaration auffi formelle que 1'eft celle-la, on ne s'attendoit pas, il eft vrai, avoir M. de Buffon fe donner luimême tant de peine, pour trouver dans les caufes naturelles Pexplication des eaux, qui de fon aveu , ont couvert nos montagnes au moins jufqu'a la hauteur de deux mille trois eens toifes, & pour nous faire comprendre comment elles ont difparu ; mais 1'inutilité de fes efforts n'eft-elle pas une nouvelle preuve qu'il faut abfolument recourir a 1'action immédiate du Tout-Puiflant, pour trouver une caufe capable de produire un Déluge univerfel ? Convenir avec lui que la quantité des eaux fouterraines eft  108 Les Provinciaies trés peu de chofe en comparaifon de 1'Océan, & recourir aux animaux teftacées, pour changer en montagnes toutes celles qui n'exiitent plus, nous ofons lé dire, c'eft prouver qu'elles n'ont difparu que par un vrat miracle. Je fcais que des hommes bien moins infiruics que M. de Buffon, prétendent que ces eaux avant leDéiuge étoient dans les cavernes intérieures du globe , & qu'elles s'y font retirées après le Déluge. Mais ne faudroit-il pas un vrai miracle pour faire fortir les eaux de leur retraite fouterraine , puifqu'elles y feroient toujours portées & retenues par leur pefanteur naturelle , a moins que toute la voute fupérieure ne s'écroulat pour prendre leur place ? Et dans ce cas, comment les faire rentrer dans des cavernes qui n'exifteroient plus ? 11 faut n'avoir pas la moindre idéé de phyfique., pour penfer que tout notre Océan pourroit fans miracle fortir de fon lit, & couvrir la furface terreftre. Neferoit-ce pas unbien plus grand miracle, que du feindes cavernes intérieures, il put s'élever un Océan vingt ou trente fois plus profond, & une fois au moins plus large, tel que cette mer qui couvroit la terre au moins jufqu'a  Philosophi'ques. 209 jufqu'a 2300 toifes de hauteur ? Je dis plus encore, ne feroit-ce pas un vrai miracle, qu'il y eüt dans Pintérieur du globe une mer vingc ou trente fois plus grande que notre Océan ? Non , me répondrez-vous, route la furface du globe formeroit en ce cas une voute immenfe, dont les quatre parties , 1'Europe , 1'Afie, 1'Afrique & 1'Amérique fe foutiendroient mutuellement. Vous ne faites donc pas attention que les intervalles immenfes qui féparent ces quatre parties de la terre, fuppofent néceffairement qu'elles repofent toutes fur le centre du globe ? Et fuffent-elles jointes & ferrées comme toutes les parties d'une voute, fur quoi cette voute feroit-elle portée, s'il fe trouvoit entre elle & le centre trente fois plus d'eau que 1'Océan ne peut en contenir ? Convenons-en donc, les eaux du Déluge n'ont pu fe trouver fur la terre & en difparoïcre que par un effet immédiat de la ToutePuiflance divine, que par un vrai miracle. Or Moïfe feul nous préfente le Déluge comme un effet immédiat de la Toute-Puiflance divine, comme un événement produit par une caufe furnaturelle. Tenons nous-en donca Moïfe, R  2.io Les Prov'inciaxes fans nous épuifer en fuppofnions chi- mériques. II faut, nous dit ici M. de Buffon , il faut que la terre ait été fous les eaux plus d'une fois, & beaucoup plus longtemps qu'elle ne le fut pendant le Déluge donc parle PEcriture; car celui-ci ne fuffic pas pour expliquer tous les effets des eaux fur la furface du globe. Je pourrois repartir : il y a donc eu plulieurs miracles , puifque felon vousmême, jamais les caufes naturelles n'ont fuffi & ne fufflfbht pour innonder toute la furface du globe : vous ferez donc forcé plus d'une fois de recourir a la caufe qui vous eft affignée par«Moïfe. Mais eft-il bien vrai que le Déluge univerfel dont parle 1'Ecriture, ne fuffife pas pour expliquer tout ce qu'on peuc atcribuer a une innondacion générale f J'ai annoncé le contraire, & j'efpere le prouver. Le feul mot de Déluge J nous dit M. Valmon de Bomare , exprime la plus grande alluvion qui aic jamais couverc la terre; celle qui a dérangé 1'harmonie première , ou plutóe la ftru&ure de Tanden monde; celle, qui, par une caufe excraordinaire des plus violences , a produit les effets les  Ph 110 s oph i ques. ^11 plus terribles en bouleverfant la terre, foulevant ou applaniffanc des montagnes , difperfant les habitans des mers, couches par couches fur la rerre; celle enfin qui a femé , jufque dans les entrailles du globe terreftre , les monumens étrangers que nous y trouvons , & qui doic être la plus grande, la plus ancienne & la plus générale catadrophe dont il foit fait mention dans 1'Hiftoire ; en un mot , la plus grande époque de la Chronologie. (Di&. tCHift. Nat. art. Déluge ). En effét, M. de Buffon recourt vainement a PEcriture, pour nous démontrer que le Déluge fervit uniquement d détruire Vhomme & les animaux, qu'il n'a chsrnyé en aucune fapon la furface de la terre. Les eaux bouleverferent tout le globe , Sc 1'Ecriture-Sainte nous 1'annonce pofitivement par ces paroles: La terre eft remplie de leurs iniquitésj & je les perdrai avec elle: Repleta eft terra, iniquitate d facie eorum Sr ego difperdam eos cum terra (Gen. c. 6.). Pouvoiton annoncer plus pofitivement le deffein de changer la face de la terre en détruifant les hommes ? Et certes la maniere dont s'opere le Déluge doit ab-  2.X2. Les Provinciaies folument la bouleverfer, ou bien il faut encore recourir a un miracle qui empêche les effets de la chüte, du féjour & de la retraite des eaux. Ce n'eft point ici une pluie bienfaifante , qui n'arrofe la terre que pour la féconder; ce ne font pas même ces nuages épais & noiratres, qui enfantent la foudre &c les orages, & font couler les eaux a pleins torrens. C'eft une mer nouvelle ; c'eft un Océan plus vafte, plus profond que toutes nos mers enfemble, qui fond fur Ia terre coupable, & dont toutes les digues ont été rompues; c'eft un Dieu irrité, qui appelle les eaux de ces réfervoirs, ou jadis fa puiffance ne les raffembloit que pour les faire fervir a fa vengeance; c'eft du haut des airs que fe précipite eet immenfe Océan. Nos plaines font couverres de fes flots, & il les redouble; la furface des mers s'eft élevée, & il ajoute a leur immenfité; les montagnes même fe trouvenc fous les eaux, & les flots de 1'abyme ne font point épuifés; ils auront furpaffé de quinze coudées les plus hautes montagnes; toutes les cataradfes des Cieux auront été ouvertes pendant quarante jours & quarante nuits, avanc  Phiiosöphiques. .213 que Dieu ne fe fouvienne de Noé, avanc que les portes de Pabyme ne foient fermées. Que 1'on concoive , s'il eft poffible, les terribles effets d'une pareille innondation. Huic , jours d'une pluie extraordinaire fuffifent quelquefois pour changer la face des campagnes , pour creufer de nouvelles profondeurs , & combler les anciennes, pour encraïner du fommet des montagnes des rochers énormes, changer le cours des fleuves & faire difparoitre des Villes entieres. Qu'eft-ce que les effets d'une pluie de quelques jours , comparés aux effets d'un Déluge univerfel ? Combien de milliers de torrens onr paru k la fois dans cette cataflrophe ? Et dès-lors, quelle quantité de terrein emportée des collines dans les plaines , des plaines dans les rivieres", & de celles-ci dans le fein des mers. Ici les rivages s'élargiffent, & la ils difparoiffent; ici de vafres lacs ont fuccédé a de valles champs, & la , dépouillées du ciment qui les uniflbic , les montagnes s'écroulent fur la terre; ailleurs les terreins s'amoncellent & forment de nouvelles hauteurs , s'ils trouvent des obftacles. S'ils roulent  21 £ Les Provinciales fans pouvoir être arrêtés, ils iront combler d'anciens abymes. Quelle partie du globe a pu conferver une image de ce qu'elle écoit ? Quelle partie n'a pas été alternativement creufée & recomblée, pour fubir encore de nouvelles révolutions par le féjour des eaux ? Par-rout elles preflènt la terre du poids d'une colone de plufieurs mille roifes de hauteur; par tout elles font agitées d'un flux & d'un reflux continuel; elles ne commencent a diminuer que cent cinquante jours après leur chüte. Leur retraite n'efl point celle d'une mer qui creufe lentement fousun terrein nouveau , en applaniflant fes premiers rivages ; c'ell un vent impétueux qui deiféche la terre : Adduxit fpiritum fuper terram ; Gr imminuta funt aqua. Les flots ne quitteront le f >rnmet qu'ils ont battu, que pour venir le battre de nouveau , & que pour tranfporter de nouveaux débris: Reverfe funt aqute euntes £r redeuntes. Ces paroles feules de Moïfe annoncent par-tout un bouleverfemenc que Pimagination ne fcauroit concevoir; ce flux & ce reflux que redouble le foufle des vents , produira feul 1'effet des torrens les plus impé-  Phiiosophiques. 2l%tueux ; & cette retraite des flots aufli précipitée que leur chüte avoit été violente , loin d'applanir les bords qu'ils abandonnent, ne laiflera par-rout que les traces du ravage & de laconfufion. Que le Philofophe porte fur la terre un ceil obfervateur , dans 1'inflant ou les eaux ont enfin dilparu de deflus la furface. Quel fpectacle doit-elle offrir a fes regards! Combien d'anciens fommets auront difparu .' Que de hauteurs nouvelles fe montreront a lui ! Combien de barrières franchies par les eaux! Que de détroits ouverts ! Qne d'Ifles détachées de Tanden continent par la violence des torrens! Ailleurs au contraire , que de régions nouvelles acquifes fur la mer par les débris qui ont éloigné les rivages Long-temps le fouvenir de ces révolutions fe confervera parmi les hommes; long-temps les dépouilles de TOcéan laiflées fur la terre, annonceront aux enfans de Noé T'affreufe cataftrophe qui les a produites. Depuis le fommet des montagnes les plus élevées jufque fur la furface des plaines, dans Pintérieur même des collines nouvellement formées, & dans les plus pro-  216 Les Provinciaies fonds fouterrains, les poilTons pétrifiés j les coquillages, les madrepores, les fables tranfportés ou abandonnés, les produétions marines les plus variées rappelleronc fans cefle les crimes de la terre livrée a la fureur des eaux; & plus le fouvenir de ce grand déluge fe confervera , moins la variété & le nombre de ces produétions répandues fur la terre étonneront le fage. Une infinité de poilTons 5c d'animaux teftacées recherchent les rivages: 1'Océan cefia pour un temps de leur en offrir; ils fe répandirenc fur la terre; ils y furent pouflés par les flots, & peutêtre attirés par une nourriture plu» abondante. lis fe trouveronc dans la fuite mêlés & confondus parmi ces matières que les eaux avoient délayées, que le temps durcira. Cent produétions terreftres long-temps promenées fur les eaux , pürent enfin être dépofées loin du fol qui les avoit produites; leur empreinte gravée fur un limon pétrifié ne trompera point 1'Obfervateur plus ami du vrai que du fyftêmatique. Si de vafles forêts enfevelies fous le fable & le limon, ont fubi dans la fuite des  Phiiosophiques. 517 des fiecles divers cbangemens. Si des hommes ou des animaux pourfuivis par les eaux, fe font retirés dans des cavernes , oü leurs oflemens pérrifie's fe crouveront confondus avec les matières qui s'ébouloient fur eux. Si d'autres ont fui, ou furenc tranfportés loin des régions qui les avoient vus naitre : toutes ces découvertes ne feront que manifefler la violence de Pinondation générale. La furface de la terre offrira par-touc des couches, cantor plus légeres & tantot plus lourdes, donc la diipofition horifontale rappellera 1'effèt naturel des eaux qui auront tranfporté & dépofé fucceflivement les matières plus légeres ou plus pefantès, a mefure que les unes Sc les autres s'étoient oppofées a leurs cours. Le Sage en concluera peut être que dés 1'origine du monde, la furface du globe fe trouva compofée de bandes & de couches d'une pefanteur inégale , paree que dans tous les fyftêmes poflibles , il fera diffkile de fe perfuader qu'avant Pinondation générale toutes les matières étoient confondues; paree que dès-lors elles ne pouvoient être divifées qu'en formant de vaftes couches difpofées les unes fur les autres; te furS  .2ï8 Les Provinciales tout , paree que les couches formées par les eaux fuppofent nécelfairemenc des couches ancérieures a leur chine. Elles ont pu fans doute en déranger 1'ordre, metcre les fupérieures au - deffous des autres, & les entremêler de nouvelles couches tranfportées d'une région lointaine ; mais elles n'auroienr point dépofé le gravier fur la marne, le fable fur l'argile, fi elles n'avoient pas trouvé ces matières deja arrangées par couches •les unes fur les autres. L'époque du Déluge fixera peut-être encore celle d'un grand nombre de volcans qui ont autrefois ravage la terre. Une grande partie du foufre, du bitume , des huiles terreflres de toutes les matières inflammables, répandues fur toute la furface du globe, aura été portée par les eaux dans le fein des montagnes ; les matières de la même efpece déja contenues dans ces lieux fouterrains auront commencé a fermenter, quand les eaux retirées de delfus Ia furface fubfiftoient encore dans les cavernes inté-rieures. Nous fcavons les combats qu'excice le mélange des eaux & des matières pyriteufes; les volcans de PAuvergne, du Vlvarais & de tant d'autres Provin-  Phixosophiques. are ces pourroient bien avoir naturellemenc fuccédé a Pinondation générale, auflitöc que les eaux ceflanc de prévaloir il n'en refla plus que la quantité néceffa'ire pour favorifer la fermentation (i). Enfin, fi la Phyfique pouvoit fe perfuader que les angles faillans & rentrants des montagnes & leur correfpondance, n'ont pu être formés que par des courans réguliers; le féjour des eaux fur la terre, leur flux & leur reflux pendant (i) Je ne prétendrai pas cependant qu'une grande partie de ces volcans n'ait pu s'enflammer dans des temps plus rapprochés du nótre. II exifte même quelques preuvesqueceux du Vivarais brülerent avec violence vers le quatrieme fiecle. Avant que nos Francois n'écrivilTent 1'Hjfloire, combien d'éruptions peut-il y avoir eu, fans que le fouvenirs'en foit confervé? Elles firent fans doute une vive impreffion dans la géncration alors exiflante ; mais les Peuples avoient peu de communication les uns avec les autres, fur-tout avant Farrivée des Roroains. On pouvoit ignorer dans uue Province les cataflrophes les plus terribles d'une rétjion peu éloignée , & dans celles mêmes qui en ^vcuent le plus [buffert , quelques fiecles lumlwent pour les faire oublier. Ces volcans ne font donc pas une bien grande preuve de la haute antiquité que nos Philofophes donnent a la terre. r Sij  2.20 Les Pr.ovinciai.es le Déluge d'une année enciere fourniront le principe de ces courans. Un mois de flux ou de reflux avec une pareille maffe d'eau, fuffiroir fans doute pour découvrir les angles que formoic déja la roche intérieure , & nous ne ferons pas forcés de recourir a un Déluge de vingt mille ans pour expliquer la régularité que nous offre quelquefois leur correfpondance. Nous pouvons donc le dire: Tout ce qui peut fervir a prouver que la terre s'eft trouvée fous 1'empite des eaux, s'explique' par Peflët naturel d'un déluge pareil a celui dont Moïfe nous a confervé 1'Hiftoire ; & M. de Buffon, Teillamed & tant d'autres devoient moins fe livrer a l'efprit de fyftême pour nous trouver une caufe phyfique a cette fameufe révolution. Ce qui éloigne ici les Philofophes de nos faints Livres, eft précifément ce qui doit les en rapprocher davantage. Celui qui réfléchit fe dit a lui-même : il eft inconteftable que les eaux ont couvert la terre & les montagnes. Après les recherches de Wodwart, de Maillet, de M. de Buffon & de tant d'autres Philofophes , il n'y a que f'ignorance, la  PhHOSOPHIQUES. -221' fatuité & 1'obftination qui puiflent le nier; il n'eft prefque pas un feul Philofophe qui en doute aujourd'hui. Or il eft phyfiquement impoffible que les eaux contenues dans tout le globe aienc pu s'élever a cette hauteur; il étoit encore phyfiquement impolhble de faire difparoitre 1'Océan fous lequel les montagnes étoient enfevelies , il eft donc phyfiquement démontré qu'il a exifté un vrai miracle; le Dieu de Moïfe , le Dieu qui opéra ce miracle doit donc être le Dieu du Phyficien. Nous ne craignons pas de le dire; les poiffons pétrifiés fur les montagnes, les Éléphans & les Rhinocéros tranfportés en Siberië, la difperfion des coquillages de toute forme Sc de toute grandeur , & fur toutes les hauteurs, prouvenr aux Phyficiens la vérité du récit de Moïfe prefqu'aufli fortement que la difperfion des Juifs démontré la vérité des prophéties de Daniël & du Meflie. Quand on a bien fenti la force de ce raifonnement, on croit fermement a 1'Ecriture. En fuivant a la fois les lumieres de la Religton , & celles de la Phyfique ., on fe montre véritablement Philofophe, Sc 1'on eft charmé des preuves que les S iij  222 Les Provinciaie s faics confignés dans les archives de Ia nature fourniflenc au culce du vrai Dieu. On nous demandera peut-être fi nous attribuons aufli au Déluge toute la matiere calcaire qui exifte dans nos continens; nous répondrons a cette queflion, 1°. qu'il exifle trop de matières £r de montagnes calcaires fans traces de péirification (1), pour que nous puiflions nous perfuader qu'elles doivent toutes leur origine aux dépots de la mer; 2°. Nous fcavons qu'elle produit encore de ces marieres, mais nous ne croyons pas pouvoir en conclure, que Dieu ne créa dans le commencement ni marbre, ni albatre, ni pierre de taille, ni platre, ni marne , ni craie. 30. Nous avons obfervé qu'avant le Déluge les eaux de 1'Océan pouvoient occuper un lit bien différent de leur bafïin actuel. C i ) Voyez fur-tout Pallas, Dijfert. fur la form. des Mom., pag. 40. Cet excellent Naturalifte voyant des chaines entieres de montagnes calcaires, fans pétrification , loin de les attribuer au féjour de 1'eau, penfè que cefl le feu des Volcans qui les a caleinées. Tant il eft peu conflant que la mer puiffe feule produire des montagnes calcaires.  Philosophiques. 11$ Peut-être étoient-elles beaucoup plus divifées au milieu des continens. Pendant un féjour de plus de 1600 ans anrérieur au Déluge, elles auront produic une infinité de ces coquillages, renfermés aujourd'hui dans le fein des montagnes. 40. Puifqu'il eft des carrières calcaires oü Ton ne rrouve prefque que de tiès-petits coquillages fluviatiles, nous croirions que les eaux des fleuves , des lacs, des étangs; des marécages, ont dépofé aufli en bien des endroits des matières calcaires, foit avant, foit après le Déluge. Que Ton confidere les régions défertes, ou mal peuplées & peu cultivées, elles ne font couvertes que d'antiques forêts & d'eaux flagnantes, les marais y font beaucoup plus communs , les débordemens plus fréquens; les coquillages moins tourmentés par la main deftrudrice des hommes, s'y multiplient beaucoup plus facilemenr. Tel a été long-temps Pétae d'une grande partie de la terre ; mais que les arts fe montrent dans ces mêmes régions, le cours des fleuves fe reflêrre , les marais difparoiflent, les terres fe deflechent, les anciennes vafes fe durciffent & offïent a Thomme des S iv  224. Les Provinciaies fables, des terreins, des carrières farcies des coquillages que le féjour des eaux y avoit produics. Celles du Déluge ne s'écoulerent pas apparemment fans laiflêr dans bien des endroits des lacs ou des marais , dans lefquels les produétions marines purent fe multiplier pendant bien des années. Toutes ces caufes reünies nous paroiflent très-fuffifantes pour rendre raifon de cette multitude de coquillages répandus aujourd'hui fur la furface aride du globe. Mais que 1'on prenne garde qu'elles ne peuvent point nous difpënfar de recourir au Déluge de Moïfe , paree qu'il n'y aura jamais qu'un vrai miracle qui puilfe nous donner affez d'eau pour tranfporter une foule de produétions vérirablement maritimes a deux ou trois mille toifes de hauteur, & non-feulement au fommet des montages calcaires , mais fur celui des montagnes granitiques. On nous a objeété que les coquillages , vivant pour la plupart a la même place qui les a vu naicre , feroient reftes fur Tanden rivage ., tandis que les eaux diluviennes s elevoient au fommet des montagnes. M. Valmon de Bo-  PHI XOSOPHIQTJES. 22 quilles qu'on y trouve font originaires 3» du lieu. 11 y a de ces animaux voya» geurs •, & que la mer a 1'occafion » d'une tempête , charie ou dépofe 33 quelquefois en abondance fur des ri» vages éloignés ». Si tel eft PefTet des tempêtes , que n'aura pas fait le Déluge ? Nos compatriotes pardonneront fans doute la longueur de ces obfervations a 1'importance de la matiere ; nous les terminerons en averciflant nos Leóteurs, qu'une caufe aufli miraculeufe que celle du Déluge, a dü occafionner un grand nombre d'eflets particuliers qu'il n'efl: pas poflible de détailler. Cette cataftrophe a pu & a dü bouleverfer la terre; ce bouleverfemenc étoit dans 1'intention du Dieu qui vouloit, pour ainfi dire , la laver de fes crimes. Le moyen qu'il employa dut rendre la furface du globe méconnoiflable , combler d'anciennes mers , en creufer ou en élargir de nouvelles , applanir des montagnes, en élever d'autres, entremêler aux couches  226 LiES Provinciaies tantöt irrégulieres, tantöc tranfportées avec une certaine régularité, les veftiges de toutes les anciennes mers & de 1'Océan univerfel, & retracer fans ceffe aux yeux du Phyficien obfervateur la mémoire d'un Dieu trop jufiement couroucé ; pour empêcher ce boaleverfemenr , en inondant la terre , il auroit fallu de nouveaux miracles auffi grands que celui de 1'inondation même : voila ce que nous nous étions propofés de prouver, & ce que nous croyons avoir démontré. Quand même une révolution auffi prodigieufe auroit été fuivie de quelques effets particuliers dont nous ne verrions pas la connexion avec la caufe générale, elle n'en feroit pas moins conftatée, & les Phyliciens n'en feroient pas moins forcés d'y recourir pour retrouver cec immenfe Océan, dont les eaux s'éleverent jufqu'aux plus hauts fommecs. Nous fcavons bien qu'il eft des hommes , fur-tout des jeunes gens, qui penfent que les eaux ont pu couvrir fans miracle des fommets élevés de plufieurs mille toifes au - deflus du niveau actuel de POcéan , 8c parcourir ainfi fucceffivement toutes les montagnes du  Phiiosophiqu es. 227 globe , fans avoir jamais couvert dans un même temps toute fa furface; mais ce n'eft point pour ces forces de Phyficiens que nous écrivons. Nous leur permettons de faire les fcavans a la toilette d'une jeune Dcmoifelle , & de s'imaginer qu'ils ont folidement réfuté Moïfe en riant du Déluge. LETTRE XIX. De M. le Chevalier a Madame la Baronne. JVÏ a d a m e , Oubliez, s'il fe peut, & Teillamed , & M. de Buffon, pour ne vous occuper aujourd'hui que d'un Philofophe plus étonnant encore , plus digne de nos refpeéts & de nos hommages, du fameux Robinet. Les premiers fuppofoient toute la matiere déja exiftante, pour vous expliquer Porigine des chofes , la formation de PUnivers; celui-ci pour créer la Terre, les Planetes , le Soleil J & tous les Elémens, & tout ce qui exifte, óc tout ce qui exiftera , ne  228 Les Provinciaies vous demandera qu'un point de matiere, le plus petic qu'on puiffe imaginer , qu'une tête d'épingle. Avec un pied de mouche, il va vous faire nakre un million de mondes. C'eft dans un Ouvrage intitulé de la Nature , que eet homme extraordinaire a développé fes idees. C'eil la que fuivant avec la nature la marche la plus vite * quoique la plus lente, comme la plus claire, quoique la plus obfeure & la plus énigmatique, il fe trouve au bout de cent chapitres avoir tout doucement amené fes Letleurs bénevoles au point convenu. Je veux en faveur de mes compatriores laiffer la marche la plus lente & la plus obfeure, pour prendre la plus vite & la plus claire. Deux principes me fuffiroht pour vous amener tout doucement ou toutes les recherches de ce Philofophe doivent aboutir. « De forres raifons d'analogie nous 33 portent a croire que le monde a com>3 mencé d'exifter par le plus petic ter33 me , comme la fuite des nombres is commence par Puniré. Sa progredion 33 naturelle ne croit que par 1'addition 33 du moindre nombre encore. Dans » i , 2 j 3 , 4, chaque terme ne gagne  PHI LOSO P H I QUE 5. 220 55 jamais que 1'unicé fur celui qui la pré53 céde: ainfi 1'Univers ne recoit a la 33 fois que la plus petite portion de 1'êcre , 33 une portion égale a celle qu'il eut au commencement». Tel eft notre premier principe fidelement extrait du neuvieme chapitre, Liv. premier. Le fecond fe rrouve très-clairemenr pofé, très-ingénieufement amené , au Liv. 2 , chap. 14, & Ievoici. « Tout dans la nature augmente & fe *> reproduit par génération Prenez garde, je vous prie, que nous n'exceptons rien. Avec ces deux principes & un pied de mouche , j'ai die que nous allions créer tout 1'Univers, & je le prouve. Le premier nous montre ce qu'étoic 1'Univers dans fon commencement. II ne put d'abord être qu'un brin de pouffiere imperceptible , & la raifon qu'en donne M. Robinet eft affurémenc très-fenfible. Ne faut-il pas en effet en toute chofe avoir un perit terme avant d'en avoir deux ? Pour arriver a mille, ne faut-il pas commencer par un ? Ainfi pour qu'il y ait eu mille parries , mille petits points de matiere dans le monde, il faut abfolument qu'il n'ait d'abord exifté qu'un de ces petits  230 Les Provinciaies poincs. Pour arriver a mille, ne faut-il pas auffi ajouter a 1'unité de nouveaux termes toujours égaux au premier , en difant 1,2,3,4,, &ln^ de fuite? II en fut de même de ce petit point., qui dans les premiers temps étoit a lui feul tout 1'Univers. Ce petit point gagna 1,2,3, 4 points de matiere , & fit de nouveaux mondes, une, deux , trois, quatre fois plus grands que le premier. Tout confidoit donc a fcavoir comment ce petit monde primitif fut fuivi d'un fecond, d'un troifieme, & comment ceux ci ont été fuivis d'une infinité d'autres : C'eft a quoi je réponds très-facilement par notre deuxieme principe. Le monde primitif, le premier pe. tit point de matiere augmenta comme tout augmente aujourd'hui; il n'avoit pas pu être engendré , puifque rien n'exiftoit avant lui; mais il avoit la faculté d'engendrer , de fe reproduire par généracion : il accoucha d'un fecond point; celui-ci accoucha d'untroifieme, qui fe reproduifit encore, & de générarion en géuération il fe trouva une infinité de petits mondes pareils au premier. Ne croyez pas que notie Phi-  Philosophiques. 231 lofophe borne a. ces petits points la facuké d'engendrer par eux - mêmes. « Les pierres chez lui engendrent les « pierres, comme les animaux engen33 drent leurs femblables, comme les 33 montagnes engendrent les monta33 gnes, comme 1'air engendre 1'air , 33 comme 1'eau engendre 1'eau, comme 33 1'Océan engendre tous les jours un « nouyel Océan par des femences, des 33 graines ou des ceufs ( Voy. Liv. 2 , 33 chap. ip ) ct. Vous me demandez peut-être comment font faits ces ceufs de 1'Océan , de 1'air & des montagnes. Je ne vous dirai rien de ces derniers; mais le grand Piobinet vous apprendra que lesmultiplications de Vair font auffi régulieres que celles des efpeces animales (lbid.). 'II vous apprendra même a diftinguer les infiants oü pondent l'air & 1'eau. «< Les vents irréguliers , vous dira-t il, 33 peuvent être pris pour des fuperfceta33 tions de l'air 33. Ainfi vous n'aurez qu'a obferver ces jours pu le vent foufle tantöt au Nord & tantót au Midi, a 1'Orient ou a 1'Occident, ces momens enfin oir le barometre eft au variable. C'eft alors fur-tout que 1'air fait  2. ^2. Les Provinciaies fes pontes; mais des jours plus décififs encore fonr ceux oü vous fentez dans l'air une chaleur accablante. Oui , ces jours fonr fur-touc pour l'air des jours de ponte. « Comment nommeriez-vous 33 autrement 'cette génération d'air brü- 3. lant qui, le 30 Juillec 1705 , fe fit 33 fentir a la feule Ville de Montpellier? 33 On fit cuire des ceufs au Soleil 33. (^'auroit été bien pis, fi une pluie abondante rfeüt noyé ca air devenu mal fain a force de pondre ( Voy. lbid. ). Les ceufs de l'air auroient non-feulement cuic ceux de la poule, mais roti la poule elle-même , tant ils font brülans. Quand aux pontes de 1'eau, « Des » caufes accidentelles pourront les mul>j tiplier ou les fufpendre. Dela , les 33 années de féchereffe & les années plu33 vieufes , les inondations & les Dé« luges j qui feront dans ce cas feffet »> d'un nombre de pontes extraordinaire. „ Par la nous expliquons encore pour33 quoi 1'Océan fe retire d'un cöté & » gagne de 1'autre ; car le dépérilfement 33 des eaux doit commencer & conti33 nuer par les anciennes générations, >3 tandis que les eaux mulriplient d'au^ » tre part (lbid.) ». Comme les vieil- les ]  PHl IOSOPHIQUE S. 233 les poules ne fcauroient pondre, il n'y aura de même que les jeunes eaux qui fafTent des ceufs. Avec autant d'efprit que vous en avez, vous concevez , Madame , que fi Pair, les eaux & les monragnes fe forrnent par des pontes, « les planetes 33 douées auffi de la faculté génératrice » produiront d'autres Planetes; vous ne » ferez plus étonnée que les Satellites 33 de Jupiter n'aient pas été découverts 33 avant 161 o, & ceux de Saturne avant 33 1655. Comment auroient-ils été ap3> percus s'ils n'étoient pas encore nés ? 33 Qui fcait fi le tourbillon folaire n'a 33 point eu d'autres Planetes qui foienc 33 mortes ? Qui aflurera qu'il ne s'y en ensjgendrera point d'autres dans la fuite des 33 temps ? Je me trompe ; Vénus a ac33 quis de nos jours ; pourquoi pas pro33 duit un Satellite ? Les Cometes prou3» vent incontefiablement que la fécon33 dicé des globes céleftes n'eft point 33 épuifée ( lbid) >3. II eft donc démontré que les étoiles pondent tout comme 1'Océan. Deux chofes me plaifent fingulierement dans ce fyftême. La première eft de voir fon Auteur fort éloigné de ce T  234. Les Provinciaies qu'on appelle vulgairement le fens commun. II ne fe laiffe pas même captiver par les Phyficiens, qui n'attribuent la décou verte des Satellites qu'a 1'invenrion du télefcope, fans penfer que les meres Planetes pourroient bien n'avoir accouché que du temps de Galilée , d'Huygens, de Caffini, qui s'en font appercus les premiers. II a même la noble hardielfe de nous préfenter les cometes comme des adres qui naiffenc chaque jour du fein de quelque étoile , quoique vous ayez vu qu'elles font honêtement anciennes chez M. de Buffon. Tout cela me fert a vous prouver que la Philofophie ne connoit point d'efclaves , que c'eft vraiment chez nous que chacun parle comme il 1'entend. Nous avons ennobli ce proverbe triviali Tot capita , tot fenfus: Autant de Philofophes , autant de fentimens; nulle part on ne trouve a choifir comme chez nous. La feconde chofe qui me frappe dans ce fyftême, c'eft qu'il eft vraiment d'une fimplicité étonnante. Un atome , un petit monde engendre un autre atome, un autre monde; celui ci produit encore fon femblable; la terre enfin paroit  Phiiosophiquei,. 2.3 5parmï ces mondes. « Les germes de la » plus fimple organifation s'y dévelop» pent.... Des générations de 1'eau , » il s'en forme des lacs, des fleuves, » des mers... Les femences pierreufes » & métalliques qui avoient été fécon» dées dans le cahos, ne tardent pas a a» éclore ; les montagnes & les pies fe » forment lentement, les végétaux pa« roiffenc 33. La terre fe trouve naturellement ce qu'elle eft aujourd'hui ; Sc voila comme avec un atome , ou un pied de mouche , le grand Robinet barit tout 1'Univers. « C'eft-la que j'avois 53 promis de vous amener tout douce}> ment, & c'eft oü je vous laiffe (ch. » 28 j torn. 1 ) 33. J'ai l'honneur d'être, &c. LETTRE XX. Réponfe de Madame la Baronne d la Lettre précédente. u e mon fdence ne vous étonne pas, mon cherChevalier; je metais, mais j'admire; 6c puifque je ne vous ai point envoyé mes réflexions fur vos dernieres Tij  236 Les Provinciale? Lettres, v®us avez bien pu vous imaginer que je n'avois aucune explication a vous demander. Teillamed me fembloit 1'emporter fur M. de Buffon , aurant que le poilfon ou fhomme barbe gris Temporte fur les molécules organiques ; mais Robinet efface l'un & 1'autre. Un atome, qui feul engendre un autre atome ] Les montagnes, les planetes, & tout 1'Univers fortis d'un pied de mouche.' Que cela eft charmant! Que cette idee eft riche , féconde & ingénieufe ! J'aurois cependanc déliré que vous m'euffiez appris d'oü ce premier atome tira la matiere du fecond , d'ou il venoit lui-même. Vous en ferez fans doute Patome éternel; car étant le premier, il ne peut avoir été fait par un autre. Vous en ferez aufli 1'atome créateur ; car il faudra bien qu'il aic non feulement engendre, mais créé'la matiere, puifqu'elle alloit toujours en augmentant: mais tout1 cela s'explique en lui donnant avec la faculté génératrice une faculté créatrice. J'aurois voulu fcavoir encore cequ'étoit le cahos oü tous les germes avoient été fécondés, tandis qu'il n'éxiftoic que le petit monde primitif, le petit atome  Phiiosophiques. 237 duquel tout eft forti ? Je fens votre réponfe : le grand cahos étoit dans ce pent atome. Je n'infifterai pas; je ne vous demanderai pas même par quelle vertu eet atome engendra des atomes qui onc dans la fuite engendre une plante, un animal, le chêne, Teléphant, la fouris, Robiner. J'aime bien mieuxvous remercier de m'avoir fait connoïtre ce Philofophe. Robinet ] quel grand homme • Je m'en vais le mettre dans mes tablertes, a cöté de M. Diderot. On m'a dit que ces deux Philofophes fe reffembloient affez pour la rournure du génie ; qu'on trouvoit chez l'un & 1'autre , cette marche algébrique & myftérieufe , cette emphafe énigmatique , ces nuages épais Sc ténébreux, qui fervent fi bien a voiler au commun des hommes les grandes vérités philofophiques. Je n'appercois pas dans vos Lettres cette myftérieufe obfeurité. Vous avez peut-être cherché a la difiiper en notre faveur. Je vous en fais bon gré ; mais ne pourriez-vous pas nous donner du Diderot tout pur ? Cela exerceroit notre fagacité, Sc peut-être pourrionsnous juger de nos progrès dans la Philofophie par notre facilicé a le compren-  •238 Les PROviircrAiES dre. Je fuis réellement" curieufe d'en faire 1'efiai. Ainfi n'y manquez pas: j'atcends du Diderot par le premier Courrier. Adieu. La Baronne de» Nóte de l'Editeur. Il eft des fyftêmes qu'on ne réfute pas, & celui de M. Robinet eft fans doute de ce riombre., puifqu'il n'a pas plu a notre Provindal d'y oppofer fes réflexions. De la part d'un autre homme, j'aurois attribué ce filence au refpedt pour 1'Auteur; mais de la pare du Provincial, je crains que le mépris n'y ait un peu de parr. *\>c/>t  Philosophiques. 239 •c-^—■—■- ■ ■— -r- a- LETTRE XXI. De M. le Chevalier d Madame la Baronne. iVI a d a m e , Votre derniere Lettre ne pouvoit m'être remife plus a propos. J'étois hier chez M. T. , & nous failions quelques expériences, lorfque rout-a coup le hruit d'un remife annonce 1'arrivée d'ün perfonnage important. Au profond refpeét avec lequel il eft recu , je ne me crois pas digne d'attendre qu'il ait ouvert la bouche: je cherche a m'échap- per. Non , me dit alors M! T vous ne perdrez pas Poccafion de vous mettre fous la proteétion du génie füblime a qui nous devons Vinterprétation de la nature. En difant ces mots, il me préfente k ce perfonnage révéré, comme un afpiranc a la gloire philofophique, J'incline refpeétueufement Ia rête, & le Monarque ayant vu 1'appareit de nos expériences t daigne m'addrener. ces. paroles:  240 Les Provinciaxks « Jeune homme, tout m'annonce ici » que vous afpirez a la gloire de nos » Philofophes manouvriers , de ceux » qui fe remuent & faififfent la vérité « par le cöté oü elle a des cheveux. » Scavez-vous le fervice le plus impor33 tant que nos grands Manouvriers aient 33 a rendre a ceux qu'ils initient a la Phi33 lofophie expérimentale ? C'eft bien 33 moins de les inftruire du procédé & si du réfultat, que de faire paffer en 33 eux eet efprït de divination par le3» quel on fubodore, pour ainfi dire, » des procédés inconnnus . des expé33 riences nouvelles, des réfultats incon» nus. Comment eet efprit fe commu33 niquera-t-il ? II faudroit que celui qui » en eft poifédé, defcendit en lui-même 33 pour reconnoitre diftinétement ce que 3> c'eft , fubftituer au démon familier 33 des notions intelligibles & claires, & 3> les développer aux autres. S'il trou33 voit, par exemple, que c'eft une fa33 cilité de fuppofer ou d'appercevoir 33 des oppofitions ou des analogies, qui » a fa fource dans une connoiffance pra33 tique des qualicés phyfiques des êtres ,3 confidérés folitairement, ou de leurs »J effetsréciproques, quand onles confi- 33 dere:  Phiiosophiques. "24 r » fidere, il encendroit cette idéé» ; & vous devez jeune homme vous appliquer a 1'entendre (1) ( Voy. Int. nat. pag. $8). Je profitai de eet inflant oü notre Philofophe fembla refpirer, pour répondre que tout perfuadé que j'étois du mérite des Philofophes grands Manouvriers , je m'étois occupé plus particulieremenc de la gloire qu'ont acquife les Philofophes fyftêmatiques. J'ofai ajouter que je le priois de vouloir bien me faire connoïtre ce qu'il penfoit lui-même fur le monde & fon origine. Je ne vous dirai point, me réponditil, ce que j'ai moi- même concu fur cette matiere ; * mais j'expoferai les 3> idees fublimes du Dodteur Beauman. » Ce Dodteur attribue a 1'être corporel » le defir, 1'averfion , la mémoire & j> 1'intelligence, proportion gardée des » maffes & des formés, dans la plus pe- (1) Ceux de nos Ledteurs qui ne fe fentent pas un certain gout pour les Enigmes, pourront fe difpenfer de lire ce pafTage, & bien d'autres que nous pourrions extraire de Vlnterjjrétation de la Nature, V  2^2 Les Provinciales » cite parcicule do la matiere comme » dans le plus gros animal. Chaque par„ cie élémentaire , en s'accumulant & » en fe combinant 3 ne perdra pas ce » petit degré de fentiment & de per3> ception qui lui funt eflenriels. De ces perceptions d'élémens raflémblées & » combinées , il en réfultera une per*j> ception unique , proportionnée a la » maffe & a la difpofuion ; & ce fyflê» me de perceptions dans lequel chaj> que élément a perdu la mémoire du ,5 Ibi, & concourt a. former la conf33 cience du tout, fera 1'ame de 1'ani,3 mal. En vertu de la copulation uni» verfelle de toutes les molécules fenfi33 bles & penfanfes, le monde j fembla33 ble a un grand animal , auroit une 33 ame ; & le monde pouvant être infini, S3 cette ame du monde pourroit être un 35 fyftême infini de perceptions, & le 3> monde pourroit être Dieu 33 ( Int. nat, pag. 140). Heureufement pour moi, je n'avois pas perdu un feul mot de cette explica-! tion du monde; car notre Philofophe ne la termina que pour eflayar s'il trouveroit dans moi eet efprit de diyination qui fubodore des réfultats inconnus,  PHiroSOPHIQUES. 243 Voyons, me die 11, fi j'aurai fait pafler dans votre efprit des notions intelligibles & claires fur le monde. Vous avez, répondisje, vous avez fait encore davantage, oh! grand Philofophe! vous m'avez perfuadé. Le monde ne peut être quün grand animal; & le monde pouvanc être infini, eet animal eft Dieu, le Dieu de Beauman, ou plutót cette idee vous paroiffanr fublime, le grand animal eft le Dieu que vous nous apprenez a révérer , le Dieu de Diderot; mais fi le monde n'eft qu'un grand animal J toutes les particules dont il eft compofé ne font pour le Sage qu'un petit animal doué de mémoire & d'inteiligence. Ces petits animaux acumulés & combinés ayant formé le monde tel qu'il eft, auront fous perdu la mémoire du foi, aucun ne fe fouvienc de ce qu'il écoit avant de contribuer par fes combinaifons a former 1'Univers. II n'y a que le tout,. le grand animal qui en aic confervé la mémoire. Les petirs animaux , dont les combinaifons forment un Philofophe, nes'en fouviennent pas eux-mêmes 5 mais le Philofophe a feu le deviner; il voit par ce qu'il eft , ce qu'il fut autrefois J & ce que dut être le Vij  244 Les Provinciale. monde lui-même ^ avant de devenir par la copulation univerfelle des molécules fenfibles & penfantes J le grand animal. Je m'applaudilTois d'avoir fi bien coneu le fyftême fublime du grand animal j de ce monde formé par la copulation des petits animaux ; & voyez , Madame , s'il ne m'étoit pas permis d'être un peu content de ma perfonne. « Tes difcours, me dit notre Philofo« phe, ne décellent point un raifonneur » pufillanime & demi-fceptique i qui fe n laiffe effrayer par les conféquences. 33. Tes notions ne font point placées >■> dans un recoin de ta cervelle comme 33 dans un fan&uaire dont tu n'ofes ap33 procher ( Voy. Penf. phil. 34 ). Ap33 prends cependant gue le Dofteur ,3 Bauman devoic fe contenter de fup33 pofer aux molécules organiques une 33 fenfibilité mille fois moindre que celle 3> que le Tout Puiffant a accordée aux 33 animaux les plus ftupides. En confé» quence de cette fenfibilité & de la 33 différence des configurations, il n'y 33 auroit eu pour une molecule organi33 que quelconque , qu'une fituation Ia 33 plus commode de toutes qu'elle au. » roit cherchéepar une inquiétude-au?  Phiiosophiques. 24 ƒ » tomace , comme il arrivé aux anijs maux de s'agicer dans le fommeil ». (II nous auroit appris que le monde s'eft fait en dormanc ). «Ce feul principe » eüc fatisfaic d'une maniere affez fim» ple & fans aucune conféquence aux as phénomes qu'il fe propofoit d'expli33 quer 33. Rien n'auroic été fur-touc plus facile a expliquer que la formation de tous les animaux. cf II auroit >3 défini 1'animal en général, un fyflê33 me de dilférentes molécules organt3j ques, qui, par 1'impulfion d'une fen33 fation femblable. a un toucher obtus >3 & fourd, que celui qui a créé la ma33 tiere en général leur a donnée , fe 3> font combinées jufqu'a ce que cha33 cune ait rencontré la place la plus 33 convenable a fa figure & a. fon repos 33 ( Voy. Int. nat.p. 15 5 ) 33. Vous vouliez, Madame , du Diderct tout pur: en voila du fublime. J'efpérois pouvoir vous en donner aujourd'hui quelqu'autre échantillon ; mais il étoit deux heures après midi , & notre Philofophe fentit une inquiétude automate, qui 1'appelloit a la table d'un Milord, a qui il interprete depuis fix mois flnterprétation de la nature. 11 Viij  2^6 Les Provinciales euc la bonté en tirant de fa poche ce Livre précieux, de m'en faire préfent : « Jeune homme , prends & lis , me » dic-il', & fi tu peux aller jufqu'a la 33 fin de eet Ouvrage , tu ne feras pas » incapable d'en entendre un autre 33 ( Prtf- Int. nat. ). Vous feriez-vous attendue a cette modeftie de la part d'un génie fi fameux ? II femble foupconner qu'on aura de la peine a foutenir la leéture de fon chef-d'ceuvre. 11 nous prévient qu'il faut des efforts au-deflus de la patier.es du vulgaire pour aller jufqu'au bout. La modeftie fuc toujours 1'appanage des Philofophes. J'ai 1'honneur d'être, Sec. LETTRE XXII. De M. le Chevalier d Madame la Baronne. j\ï a e a m e , Vous aurez fans doute parfaitement compris ce que c'eft que le monde ou le grand animal; mais 1'inquiétude au-  Pm LOSO PH I QU E S. 247 comate , la fenfation femblable a un toucher obrus & fourd dans les molécules organiques , n'aura pas fuffi pour vous faire comprendre 1'origine des aurres animaux ; & je fens que cette idéé a befoin d'être développée. Emprefle d'en chercher 1'explication dans 1'Interprétacion de la nature , j'ai été enchanté que cette matiere me fournit encore 1'occafion de vous donner du Diderot. « Si la foi, nous dit ce grand » homme , ne nous apprenok que les s> animaux font fortis des mains du Créa33 teur, s'il étoit permis d'avoir la moin33 dre incertitude fur leur commence» ment 33. ( Ne vous étonnez pas de ce préambule, la Philofophie doit impofer filence au-préjugé; la plus grande partie de ros Lecteurs fcait a. quoi s'en tenir). « Ne pourroit-on pas foupcon» ner que 1'animalité avoit de toute 33 éternité fes élémens particuliers, épars 33 & confondus dans la maffe de la ma33 tiere ; qu'il eft arrivé a ces élémens 33 de fe réunir, paree qu'il étoit poffi33 ble que cela fe fit; que 1'embryon 33 formé de ces élémens a paffé par une 33 infinité d'organifations & développe/ „ .... r„^^„(r,„„ a„ 33 mens ; ou u > mouvement, de la penfée, de la ré«flexion, de la confcience, des fenti*> mens , des paffions, des fignes, des » geiles, des fons articulés, une lan» gue , des loix, des fciences & des » arts » i C'eft-a-dire, ne pourroit-on pas foupconner que 1'embryon formé par ces élémens fut d'abord une fimpla machine , un automate, enfuite un animal, & fuccefïivement un moücheron, une fouris , un chien, un renard, un cheval, un perroquet , un aigle , un éléphant , un homme dirigé par des loix, Sc auteur enfin des fciences & des art,S \ Pourr°h-on pas ajouter qu'il a été trés long-temps dans chacun de ces états ; « qu'il.s'eft écoulé des mil55 üons d'années entre chacun de ces dé55 veloppemens; qu'il a peut-être encore 35 d'autres dé veloppemens a fubir, d'au33 tres accroifiëmens a prendre , qui 33 nous font inconnus » ; ( qu'il deviendra un jour quelque chofe de plus qu'un Philofophe), « mais qu'il a eu auffi , 35 ou qu'il aura un état ftationnaire; qu'il » s'éloigne , ou qu'il s'éloignera de fon 33 état par un dépériffement, pendant 33 lequel fes facultés fortiront de lui » comme elles y fonc entrees » ; ( Voy.  Phiiosophiques. 249 Int. nat. fol. 191) qu'il ceflera un jour d'être homme & philofophe pour redevenir chien, chat, renard, fouris, moücheron , toujours en décroiffant comme il s'étoit accru ; « qu'il difparoitra pour » jamais de la nature , ou plutöt qu'il j> continuera d'y exider, mais fous une » forme & avec des facultés tout au33 tres que celles qu'on lui remarque 33 dans eet inftant de la durée 33 ? La Religion, ajoute M. Diderot, en prenant encore ici fes précautions philofophiques ; « la Religion nous épargne bien 33 des écarts». Mais que nos compatriotes ne s'y méprennent pas. On n'éxigera pas apparemment que nous renoncions en faveur de la Religion aux Iumieres de la Philofophie rationelle. Or vous allez voir a quoi Pon s'expofe, en refufant d'admettre 1'animal prototype, dont M. Diderot nous annonce 1'exiftence d'un ton plus décifif, par le texte fuivant. « Quand on confidere le regne ani33 mal; quand on s'appercoit que parmi 33 les quadrupedes, il n'y en a pas un 33 qui n'ait les fondions & les parties » fur-tout intérieures, entierement fem33 blables a un autre quadrupede , ne  2 nature n'a fait qu'allonger, racourcir, 53 cransformer, multiplier, obiicérer eer33 taines parties? Imaginez les doigtsde 33 la main réunis a la matiere des on55 gles fi abondances , que venanc a s'é3> tendre, a fe gonfler, elle enveloppe 55 & couvre le couc: au lieu de la main 33 d'un homme vous aurez le pied d'un 3j cheval. » Quand on voic les mécamorphofes 33 fucceffives del'enveloppemencdu pro» cotype , quel qu'il ait écé , approcher >5 un regne d'un aucre regne par des de33 gres infenfibles, & peupler les cony> fins des deux regnes, s'il ed permis » de fe fervir du terme de Confins, ou 35 il n'y a aucune divifion réelle., & peu- pier les confins des deux regnes d'ê33 cres incercains, ambigus, dépouillés >3 en grande parcie des formes, des qua33 licés, des fonétions de l'un, & revêtus 33 des formes, des_ qualicés, des fonc33 tions de 1'autre, qui ne fe fentiroic 33 pas porté a croire qu'il n'y a jamais eu 33 qu'un premier être prototype de tous 33 les êtres» ? .. Cecte conjeclure, (re-  Philoso ph iques. Zft jj marquez , je vous prie , cette afiertion ) ; « cette conjecfure rejettée par » M. de Buffon, doit être embralfée » comme une hypothefe effentielle au » progrès de \& Phyfique expérimentale 33 & a. celui de la Philofophie ration35 nelie (Int. nat.pag. 33 ) ». Voyez-vous, Madame, comment notre Sage fcaic fe replier, comme il ne ménage les préjugés recus, que pour nous faire voir combien ils s'oppofent au progrès de la Phyfique & de la raifon ? Quels progrès en effet pourronsnous faire ? Comment le Philofophe pourra-t-il concevoir qu'il ait acquis des fons articulés , une langue, des loix, des fciences & des arts, s'il ne fe croit iffu de 1'animal prototype ? Comment peut-il avoir aujourd'hui cinq doigts a la main, & fe tenir debout, fans penfer que jadis il marchoit a quatre pattes, & que fes mains étoient un pied de bceuf ou de cheval ? Comment prouvera-t-il que fes oreilles ont pu fe racourcir, s'il n'eft parfaitement convaincu qu'elles furent jadis bien plus longues, qu'elles s'allongerontde nouveau, qu'il redeviendra tout ce qu'il fut d'abord , qu'il changera d'état, jufqu'a ce  z^z Les Provincialës qu'enfin chacune de fes molécules , paf une impuljion femblable d un toucher obtus &fourd, ah rencontré la place la plus convenable a fa figure & d fon repos ? N'en doutez point, Madame , 1'ani- . mal prototype de M. Diderot démontré feul a 1'homme fa vraie origine ; il pouvoit feul dider 1'interprétation de la natur ,e le plus beau des fyftêmes. J'ai 1'honneur d'être, &c. LETTRE XXIII. Re'ponfe de Madame la Baronne aux deux Lettres précédsntes. JE n'en peux plus, mon cher Cheva. lier, je n'en peux plus; treve de Diderot, je vous en prie. Vos deux dernieres Lettres m'ont donné un mal de tête affieux. Vainement j'ai paffe deux jours & deux nuits a les méditer. Que je fuis mortifiée! que je fuis humiliée! Votre grand Manouvrier ne fait point paffer en moi fon efprit de divination qui fubodore des expériences ;" il n'a point fubflitué a ce démon /amilier dont il efi  Fh UOSOPHIQUESj 251 polTédé, des notions afïez incelligibles pour moi. Ah ! je ie fens bien, j'ai vécu trop long tems en Province. Les Dames de Paris auront fupporté 1'animal prototype , & je ferai réduite a vous confeflèr que je n'y entends rien. Oui , j'en fais 1'humble aveu ; je n'entends rien du tout a ce prototype; je n'entends rien encore a eet autre animal dans lequel chaque élément conferve le degré de fentiment & de perceptions qui lui font effentielles , en perdant la mémoire du foi, & concourt a former la confcience du tout. Je me tue a de^viner comment un million d'êtres intelligens ont pu ne former qu'une feule intelligence. Comment cette copulation univerfelie des molécules fenfibles & penfantes a produit la grande ame du grand animal, ou de 1'Univers. Je ne vois pas même quelle idee fublime vous trouvez dans un homme chez qui Tintelligence & la mémoire font en raifon des malles. Cela voudroit-il dire que les grandes montagnes, ayant plus de malle que les pecices, auront auffi plus de mémoire & plus d'intelligence ; qu'un homme aux épaules larges & ma (lives aura plus d'efprit que Voltaire  254 Les Provinci'aies & Jean-Jacque ? Qu'eit-ce que ce toucher obcus & fourd , cette inquiétude automate , qui fait toujours chercher aux molécules la place qui convient a. leur repos ? Place qu'elles me femblent ne jamais trouver , puifque pour la chercher, elles font tantót finge , & tantót chat, tantóc fouris Sc tantöc Philofophes. J'en fuis défefpérée ; mais a mon gré, le viiain animal que ce prototype! II feroit donc un temps oü j'aurois eu pour doigts la corne d'un cheval ou un pied de bceuf? Un temps viendroit encore oü chacun reprendroit fon pied de bceuf, fa patte de chat, fa griffe de lion, fa queue de fouris? Nous repafferións tous par ces divers écars pour aller de nouveau nous confondre avec le prototype. Ah ! je vous en conjure , plus de prototype & plus de Diderot. Non , je n'en veux plus; il me révolte quand je 1'entends ; il me donne la migraine quand je ne Tentends pas, & quand il dit le plus, il me femble qu'il ne dit pas grand'chofe. D'oü venoit, je vous prie, fon premier animal ? Celui qui le forma , n'en pouvoit-il pas faire un million d'autres ? Et ce Tout-Puijfant qui  Philosophiques. .255 accorde la fenfibilité aux plus jiupides , ne pouvoir-il pas des les premiers temps difpofer des molécules organiques comme bon lui fembloit ? Quel befoin avoic-il d'un prototype; de faire un moucheron avant de parvenir a faire un éléphant ? Seroic-ce donc la ce que vous appellez remonter aux principes des chofes ? U valoic bien la peine de faire une interprétation de la nature, pour fe voir forcé de recourir a ce que le ToutPuilfant donne ou ne donne pas, a un prototype forme on ne fcait quand , ni par qui, ni comment. Oh) vous ne fcauriez croire combien j'en veux k eet animal prototype, de me faire araignée ou quadrupede , pour me faire Baronne ou Philofophe. Jamais , non jamais vous ne m'accorderez avec lui. Chez M. de Buffon, il peut bien fe former de nouvelles efpeces, dés que les anciennes cefferont de manger les molécules organiques; mais le finge ne fut jamais qu'un finge, & 1'homme ne crainc pas de devenir fouris. Avec Teillamed nous furnes, il eft vrai, des brochets , des faumons; mais nous ne craignons pas de 1'être de nouveau. Avec Kobinet, je ne fcais pas même ce que je  Les Provinciaies fus ; mais la Lune n'engendre qu'une Lune, & chaque chofe refte dans fon efpece. Avec Diderot, fi donc ! que ne faudroit-il pas avoir été ? Que ne faudroit-il pas devenir encore ? Salut a 1'animal prototype. Je fuis fa très-humble fervante & la votre: mais ne m'en parlez plus. La Baronne de. P. S. Comme 1'Interprétation de la nature a un peu décrédité la Philofophie dans l'efprit de nos amis, donneznous en d'un autre ; je voudrois que ce fut du Syftême de la nature. Obfervations d'un Provincialfur les deux Lettres précèdentes. J E n'aime point a croire avec notre Correfpondanc , que M. Diderot fe joue abfolument de 1'opinion publique , lorfqu'il nous alfure que la Religion nous épargne bien des écarts & bien des travaux , fur-tout quand il ajoute : «Si la Religion ne nous v eüt point éclairés fur 1'origine du 3} monde  Ph i l © sopkiq u es. 257 35 du monde & fur le fyftême univerfel 33 des êtres, combien d'hypothèfes dify> férentes que nous aurions éré rentés 35 de prendre pour 1? fecret de la na33 ture f Ces hypothéfes étant toutes 3> également faulfes, nous auroient pa33 ru toutes a-peu-près également vrai33 femblables. La queftion pourquoi il 33 exifte quelque chofe , eft la plus em33 barraffante que Ia Philofophie put pro33 pofer, & il n'y a que la Religion qui 3' y re'ponde ( Inc. nat. ) ». Mais après eet aveu , que la force de la vérité pouvoit feule arracher a M. Diderot, n'auroic-on pas droic de lui demander commenc il a pu fe livrer lui-même a des fyftêmes, & nous propofer 1'hypothèfe de Beauman comme nécelfaire aux progrès de la Phyfique & de la raifon ? Il nous femble au contraire que ces hypo. thèfes néceffairement douteufes & improbables, toujours oppolêes a la vraie Phyfique , prefque coujours abfurdes Sc rifibles, comme celle du monde grand animal Sc de l^animal prototype 3 ne peuvenc que retarder les progrès des fciences. Quand on a perdu un temps précieux a former de pareilleshypothéfes, X  258 Les Provinciales qu'en réfulte-t-il autre chofe que des conféquences aufli douteufes, aufli improbables, aufli abfurdes que les principes , & qui font la fource de mille erreurs phyfiques ? On ne fcauroit fe faire entendre; on ne s'entend pas foimême ; on nous donne des interprétations de la nature mille fois plus obfcures que le texte. En comment fe rendre intelligible, quand au lieu d'une explication phyfique & naturelle, on nous propofe les chofes les plus oppolees au cours de la nature ? L'animal prototype feroit lui feul un être plus miraculeux que touc 1'Ancien & tout le Nouveau Teftament. Quelle fuite de prodiges & de miractes ne faudroit-il pas pour faire fortir du même animal le chat & la fouris j le loup & la brebis, le cerf Sc le lion , & tous les animaux Sc 1'homme lui - même ; pour que ces animaux , qui ne feroient alors que devrais monftres dans leur origine, puflent fe multiplier , & fonder chacun leur efpece ; pour que ces efpeces dégénérant enfuite celle de 1'éléphant fe trouvat confondue avec celle de la fouris , & celle-ci avec l'animal prototype ? Propofer des myf-  P Hl LOS OPHI QU E S. 2^ teres & de pareils miracles comme une explication phyfique de notre origine, n'eft-ce pas fe jouer du Public ? ou plutöc n'eft ce pas s'expofer au mépris & a 1'indignation de tout homme tant foit peu inftruit, en fe targuant du titre de Phyficien & de Philofophe , tandis qu'on ne voit pas feulement ce que c'eft qu'une fuppofirion phyfique ; tandis qu'on ne nous donne pour des hypothéfes naturelles que des myfteres 8c > des miracles ? Eh ! puifqu'il nous faut des myfteres & des miracles , ne nous en oflrez pas au moins d'aufii rifibles que ceux de l'animal prototype ; laiffez nous croire a ceux dont la Religion admire la grandeur & la majefté ; laiffèz nous croire au Dieu de la Genèfe : II dit, 8c tout eft fait. Xij  2.6® Les Provinciales LETTRE XXIV. De M. le Chevaller a Madame la Baronne. ]VI a d a m e , . Quel dommage que vous foyez fi vivement brouillée avec rinterprétacion de la nature ) c'eft notre apocalypfe ; & je me propofois d'en extraire encore bien des chofes, de vous confulter même fur certains articles. j'aurois voulu fcavoir, par exemple, » fi Paggrégac « de la matiere vivante Sc de la ma» tiere morte eft vivant ou mort; quand » & pourquoi il eft vivant , quand » & pourquoi il eft mort. ( Voye% a> Interp. natur. pag. 197. £r 199.) » Si les iimites déterminées par le rap;» port de Pénergie » mais votre migraine vous reprend ; Sc c'eft du Syftême de la Nature qu'il faut vous entretenir. Comment m'y prendrai-je pour vous  Phiiosophiques. n6t prefenter eet important fyftême d'une rnaiuere plus fatisfaifante ? Peu de mots iufhroient pour l&développer s'il étoic poffible de bien diftinguer ce que PAuteur entend par la nacure; mais après avoir dit avec ce moderne Lucrece:» La " nacure n'eft autre chofe que le grand »couc, ou bien le réfultac de Paffem" blage des différentes matières, de » leurs différentes combinaifons & des » différens mouvemens que nous voyons «dans 1'Univers , (Syfi. nat. eh. i ). Ulerai-je vous dire avec le même Auteur qu'elle eft un être abftraic ? (lbid.) c'eft-a-dire un être qui n'exifte pas réellemenc, un être qui n'a rien de pofitif; & ne craindrai-je pas de vous voir confondre le grand couc avec le grand nen ? Ec quand j'ajouterai : La nacure faic touc; « elle altere , elle augmente, 'f elle diminue touts les êtres, les rap» proche ou les éloigne, les forme ou * les détruit (ch. 4 ). Elle enfante par *> fes combinaifons des foleils, qui vont fje placer au centre d'autant des fyftêmes ; elle produic des planetes qui gravitenr & décrivenr Iphre r-W»!».-.'*.™ autour de ces fo!pil<= I rh ,\ Kr» „a„ ^ ^ y j. X,v. lierez-vous pas que j'ai perfonifié cette  Les Provinciaies nature & que je lui fais produire bien des effets ? Vous ferez dans l'erreur; car en vous difant, La nuture » produit un » effet * je nentendrai point qu'elle le xproduifej mais feulement que Teder s> dont je parle, efl; le réfultat néceffaire 33 des propriétés de quelques-uns de ces 33 êtres qui compofenc le grandenfemble 3» ( v. ch. 1. Not. ) ; c'efta-dire qu'il eft le réfultat de quelqu'un^ de ces êtres donc réfulte le grand réfultat , le grand rout. Si je vous dis-encore : La nature combine , elle eft induftrieufe , elle eft affez habile pour produire des êtres incelligens, pour élaborer des élémens propres a faire éclore de nouvelles générations; ferai-je bien recu a vous dire qu'elle n'eft point incelligente , paree qu'elle n'a point d'organes ? Oferai-je ajoucer qu'elle n'a poinc de buc, par ce que le grand tout ne fauroit en avoir , quoiqu'elle aic un plan formé , quoique fon buc foic de fe conferver, d'exifter & de conferver fon enfemble ? Vous dirai je qu'elle eft abfolument aveugle , quoiqu'elle y voïe affez pour marquer a 1'homme chacun des poines de la ligne qu'il doit décrire , & pour placer fur fon chemin touts les objecs  Phixosophiques. 2.6} qui le modifient ? Après m'être écrié : Eamenons les mortels aux pieds de la nature, après lui avoir adrelfé de longues & ferventes prieres, comment m'y prendrai-je pour vous perfuader qu'elle n'entend par mieux qu'elle ne voit, & pour vous adreffer ces paroles: N'adorons point, ne flattons point une nature fourde qui agit néceflairement & dont rien ne peut déranger le cours. Tous ces texces fidélement extraits du fameux fyftême, feroient peut-être croire a nos Provinciaux que cette nature eft chez nous un grand tout, & un grand rien qui fair tout & ne fait rien, qui voit tout & ne voit rien , qui entend tout & n'entend rien, qui réfulte de tout, & de qui tout réfulte. Quoique tout cela ne s'accorde pas moins que les oui & les non de M. de Buffon, 1'Aureur du Syftême auroit beau nous dire , « qu'il n'y a » qu'un renverfement de la cerveile qui 53 puiffe faire admertre des contradic55 tions 53. vous me demanderiez dans quel étac étoit la fienne lorfqu'il a faic fon Livre. Vainement exp'iquant le fyftême de la nature par celui du bon fens, vajnemenc  264 Les Provinciaies vous dirois je avec 1'Auteur de celui-ci: « La nature eft un nom dont nous nous =° fervons pour défigner 1'aflemblage des » êtres, des matières diverfes, des comx binaifons infinies, des mouvemens va» riés dont nos yeux font témoins» ; je craindrois que ce mot ne perdïc toute fa force auprès de nos comparriotes. Ils le profaneroient par leurs mépris; ils vous diroient peut-être dans leur langage que ce mot fut toujours pour nos Philofophes une felle a tout cheval, & que pour vouloir tout expliquer par ce mot, nous n'expliquerons jamais rien , paree que nous ferons toujours forcés d'en varier le fens, paree que ce mot défignera chez nous, tantöt un être pofitif, tantöt un être abftrait, tantót un être atfif, & tantót un être purement paftif, tantöt le principe des chofes, & tantót les chofes mêmes. Je voudrois vous parler de la matiere, & vous expliquer comment fon attracrion & fes combinaifons peuvent former des êtres phyfiques & moraux , des plantes, des métaux, un animal, un homme, des unions, des mariages, des fociétés, des amitiés, des vices, des vertus (v. Syft.nat. chap. j jt.i). Vous me  Philosophtques. l6<) me demanderiez d'ou lui vient un pouvoir fi éconnant, & je vous parlerois de fon énergie infinie, des eflènces , des fympathies, des affinités, des antipathies, de la fubftance amie ou ennemie, de la faculté de fe coordonner, & de la coordination relative ; mais ne croiriezvous pas que je vous donne encore du Diderot ? Les maux de tére vous reprendroient, & je ne ferois plus dans l'efprit de nos compatriotes qu'un vieux péripaticien , ou qu'un radoteur ininteiligible, qui les renvoit fans ceffe aux qualke's occultes. ^ Serois-je plus heureux quand nos Provinciaux ne pouvant pas mieux nous comprendre fur la matiere que fur la nature , je voudrois au moins leur faire comprendre ce que c'eft que le mouvement par lequel la nature & la matiere operenc tous les effets pofïibles ? « Le 33 mouvement, dirois-je, n'eft autre » chofe qu'un effort par lequel un corps » change, ou tend a changer de place » (torn. i, ch. 2 ); & peut-être alors croiriez-vous m'entendre dire que Ia fanté n'eft qu'un remede par lequel je me porte bien , ou tends a me bien porcer. Cette définition auroit cependant un Y  2.66 Les Provinciaies grand avantage; car elle prouveroft que le même corps peuc être en mouvement & en repos dans le même inttant. II feroit en repos s'il ne changeoit pas de place; mais dans eet inftant il feroit aufli en mouvement, paree qu'il tendroit au moins a en changer. Nos Philofophes fontadmirables pour les définitions; & vous ne fcauriez croire 1'avancage que nous en retirons. Que ne ferois je pas, parexemple, aveccelles-ci ? Je vous démontrerois quele mouvement ou le concours des atomesfuffït non-feulement pour former des foleils, la terre & tous les corps céleftes, mais pour piper des dés& compoferdes poëmesépiques, tels que l'Iliade, 1'Enéïde, la Henriade. Nos compatriotes croiroient me furprendre en défaut; ils voudroient parier que le concours fortuit des dés pipés ou des atomes ne produiroit jamais une tragédie, pasmême une comédie qui fit autant rire que celle du Fils naturel (i) fait pleurer. Ici je me verrois forcé de vous donner encore du Diderot. Nepariez pas , vous dirois-je, « caril ya (i) Comédie de M. Diderot.  Philosophiqu'es. 26? «fel nombre de coups dans lefquels je » gagerois avec avanrage d'amener cenc » miUe fix a la fois avec cent mille dés. *> Quelle que fut la fomme finie des ca33 racferes avec laquelle on me propofe»roit d'engendrer 1'Iliade, il y a telle » fomme de jets qui me rendroient la 33 propofition avantageufe.... Et penfez 33 enfin que fi la poffibilité d'engendrer 33 fortuitement 1'Univers eft très-pecite, » la quantité des jets eft infinie, c'eft-a33 dire, que la difficulté de 1'événement « eft plus que compenfée par la mulci33 tude des jets». ( Penf. PA/7, n. 21. ) • Malgré tout le fafte de eet argument, je craindrois de voir nos Provinciaux rire de la gageure & de la conféquence. lis demanderoient bonnement au célebre paneur s'il prétendroit auffi tirer de fon fac de cent mille dés, non plus cent mille fix, mais une feule loi du mouvement, de la gravication ou de 1'impulfion. C'eft peu, ajouteroient-ils, c'eft peu, ce n'eft rien même pour la terre, les aftres & tous les élémens, que 1'ordre dans lequel ds fe trouvent rangés; il faut des loix conftantes qui maintiennent eet ordre malgré 1'agitation d'un mouvement contmuel; il en faut pour régler les révolu-  20*8 Les Provincïalës tions, il en faut pour les germes 5c la végétation; il vous en faudroit pour produire des êtres fenfibles & penfans; il vous en faudroit même pour le raifonnement, pour 1'imitation réfléchie de ce que le hafard auroit produir. Tirez toutes ces loix de votre fac, Monfieur le parieur; tirez-en une feule du concours fortuit des atomes; montrez-nous la penfée, 1'intelligence, la volonté fortant de vos cornets •, agitez vos atomes tant que vous voudrez, 6c montrez-nous-les arrangés enfin comme un petir être qui réfléchit, qui parle, qui calcule par combien de jets le concours fortuit des atomes a pu lui donner une tête, des pieds 6c des mains, un efprit raifonneur, un cceur tendre, fenfible , 6c quelquefois affez ingrat envers Pauteur de fon exiftence, pour le blafphémer; 6c ce petit impie, ce petit athée fortant de vos cornets, fuffita pour nous faire croire que 1'Univers peut n'être que 1'erfec d'un mouvement fortuit 6c de toutes les combinaifons poflibles des atomes. Après tous ces farcafmes on me demanderoit au moins quelques détails phyfiques fur la formation de 1'Univers, ou fur la théorie de notre globe; 6c  Phiiosophiques. 26$ 1'Auteur du Syflême ne me fourniroic ici que des peut-être donc nos Provinciaux ne fentiroient pas coute la force. « Peut3» être, devrois-je vous dire, peut-être 33 cette terre que nous habitons n'eft-elle 33 que le réfultat de ces taches ou de ces 33 croutes que les Aftronomes apper>3 coivent fur le difque du foleil; peucS3 êcrece globe eft il une comete éceinte " & déplacée. ( ch. 6, t. i ) Peuc-êcre 39 que les approches d'une comece ont 33 produic fur notre cerre plufieurs ra33 vages univerfels qui onc chaque fois 33 anéanti la portion la plus confidérable 33 de 1'efpece humaine 33. ( ch. 2 , t. 2 ) Avec tous ces peut-être ne rifquerois-je pas de faire dire que très-certainement 1'Auteur de ce fyftême n'encendoic rien du couc a PAftronomie Sc a la Phyfique, ou qu'il mentoic contre fes propres connoiflances, paree qu'abfolument rien de tout cela ne peut-être, felon les loix phyfiques connues du vulgaire. Vous devez fentir a quoi j'expoferoïs notre nouveau Lucrece par un plus grand détail. Noscompatriotes, trop peu Philofophes encore, n'appercevroienc dans touc le fyftême de la nacure qu'un cahos informe , qu'une compilation monfYiij  *7o Les Provinciales trueufe d'erreurs en tout genre, de contradiftions, d'abfurdités, d'extravagances & de déclamations fanatiques : ce mépris retomberoit fur la Philofophie, & feroit trop contraire a nos intentions. Je penfe donc , Madame, qu'il feroit expédient de laifler encore quelque tems nos Provinciaux dans 1'heureufe ignorance de ce profond fyftême. II ne faudroit mêrre leur révéler qu'avec beaucoup de difcrétion ce que j'en ai fait entrer dans cette Lettre. J'efpere les dédommager au premier jour, en leur ex-pofant un fyftême plus étonnant encore, mais trés facile a concevoir, très-court fur-tout & trés-conforme a la portée des Philofophes lesplus novices. J'ai 1'honneur d'être, Sec. Obfervations d'un Provincial fur la Lettre précédente. V ouiez-vous une méthode trèsfimple pour concevoir le faux, le ridicule & 1'abfurde de tout ce que nous difent les Philofophes fur la toute-puif-  Phiiosophiques. 271 fance, 1'énergie, 1'aétivité decette nature qu'ils regardent comme le feul principe de rout ce qui exifte, & comme je ne fais quel être dont les combinaifons nous difpenfenc derecourir a un Dieu créateur ? A la place du mot nature mettez ce qu'ils vous difent entendre par ce mot. Quand le nouveau Lucrece vous dit par exemple : ;< La'nature combine des foleils, 33 elle elf occupée dans fon laboratoire 33 immenfe a faire éclore des générations 33 nouvelles ; elle marqué a 1'homme 33 tous les points de la ligne qu'il doic 33 décrire ; c'eft elle qui élabore & cofn33 bine les élémens dont il eft com33 pofé, Sec. 33: au lieu du mot nature, mettez la définition qu'il vous en donne. Le véritable fens de ces propofitions fera celui-ci: Le réfultat de 1'affemblage des différentes matières, de leurs différentes combinaifons & des différens mouvemens que nous voyons dans 1'Univers, combine des foleils. Ce même réfultat, dans fon laboratoire, eft occupé a faire éclore des générations, a marquer a 1'homme tous les points de la ligne qu'il doit décrire, a élaborer, acombiner fes élémens.... Que penfez-vous de ce réfultat de combinaifons qui combine? Yiv  zjz Les Provinciaies Que penfez-vous de fon laboratoire immenfe & de toutes fes occupations ? La même méthode vous fera fans peine appercevoir toute 1'abfurdité de nos prétendus fages, chaque fois qu'ils voudront faire de la narure un vérttable agent capable de fuppléer a la Divinité. L'Auteur du fyftême de la nature ne paroic avoir fenti cette abfurdité que pour nous en donner une autre également palpable. II nous avertit une fois pour tout qu'en difanc : « La nature produic un effet., il jj n'entend point perfonnifier cette na33 ture, qui eft un être abflrait, il entend 33 que 1'effet dont il parle eft le réfultat 33 néceffaire des propriérés de quelqu'un 33 des êtres qui compofent le grand en33 femble cjuc nous voyons >■>. Pefez ces paroles, & dites-moi fi on n'eft pas tenté de hauffer les épaules de pitié ou de mépris. La nature-, le grand tout, le réfultat de tous les êtres pofuifs eft un être abflrait! Et de quoi, jevousprie, fait-elle abftraótion , fi elle embraffe tout ? Vous n'entendez pas la perfonnifier ! pourquoi 1'avez-vous donc perfonnifiée a chaque page ? Les effets que vous lui attribuez font le réfultat néceffaire des propriétés de quelques-uns de  Philosophiques. 273 ces êtres qui compofent le grand enfemble. Parmi tous ces êtres, il en eft donc qui ont la propriété de combiner néceffairement des foleils & des planettes ? Il en eft qui pipent néceffairement les dés qui feront des poëmes épiques, des fonnets, des chanfons , des hiftoires >" d'autres marquent a 1'homme la ligne qu'il doit décrire; & le réfulrat néceffaire des propriétés de quelqu'un de ces êrres fut d'élaborer & de combiner le fyftême de la nature ! II faut convënir que ce réfultat élaboroit & combinoic dans fon laboratoire des chofes bien fingulieres. Ce qu'il y a ici de plus éronnant, c'eft que l'ons'accoutume a confidérer comme de vrais génies les Auteurs de toutes ces abfurdités. On ne veut pas voir combien ils fe rapprochent de celui qui voyant une montre pour la première fois, s'occuperoit des années entieres a chercher comment cette montre s'eft faite ellemême. Cet homme nous feroit cent raifonnemens auffi rifibles les uns que les autres. II nous parleroit de 1'énergie de fa montre, de fa fympathie, de fa coordination relative aux heures, du réfultat de fes roues qui élaborent & combinenc  274 Les Provinciales d'autres roues, d'autres cadrans, d'autres montres. II rempliroit un gros volume de fes idees, & fe croiroic un homme de génie. Que réfulteroit-il cependant de fon long & pénible travail, fi ce n'eft qu'il a l'efprit affez bouché pour ne pas concevoir dans bien des années ce que le bon fens nousapprend au premier coupd'ceil ? Soit défaut d'intelligence , foit obftination „ il ne concevroit, il s'aveugleroit plucöt que d'avouer que fa montre fuppofe un artifte fupérieur a 1'ouvrage , & d'une nature toute différenre. Ce raifonneur auroit peut-être de l'efprit; mais ne devroit-on pas lui fouhaiter un peu de bon fens ? & de quels hommes ne feroit-il pas la fidele image ?  Phiiosophiques. 275 LETTRE XX. De M. le Chevalier a Madame la Baronne. IVÏ ADAMS, Je vous 1'ai promis, je vous tïens ma parole: voici fans contredit le plus courc, le plus facile de tous nos fyftêmes; celui qui d'un feul mot tranche toutes les difücultés & réfout la queftion la plus importante. Me demanderez - vous par qui & comment 1'Univers a été fait : je n'ai qu'a vous répondre avec 1'Auteur du Bon Sens : La queftion porte toute fur un faux fuppofé; « L'Univers n'a point été ai fait, paree qu'il étoit impoffible qu'il » le fut (le Bon Sens> Jf. 39) Voila nos compatriotes bien étonnésfans doute; les bras leur tombent, ils fe regardent les uns les autres; ils font tout ftupéfaits; enfin ils fe récrient: Comment 1'Univers n'auroit pas été fait! il  2y6 Les Provinciales auroic toujours été ce qu'il eft, ou biet! il feroit un efTec fans caule! Au contraire, MefTieurs, « 1'Univefs eft une » caufe & n'eft point un effet; il eft fa 33 caufe a lui-même ». ( ibid) Mais eet ordre admirablequi regne dans la marche des aftres, la terre, les cieux & tout ce qui exifte dans 1'Univers, tout cela feroit donc cufü fa caufe a lui même ; & rien de tout cela ne feroir un efTec ? .... Au contraire encore; la terre, les cieux Sc tout ce qu'ils contiennenc ne font que des effets. L'Univers feul eft caufe, « Sc 33 tous les êtres qu'il renferme font des 33 effets néceffaires de cette caufe 33. ( 43) L'éconnemenc de nos Provinciaux redouble. L'Univers n'a poinc écé fait, Sc tout ce qui compofe 1'Univers a écé fait! Comment diftinguez vous donc 1'Univers de tout ce qui le compofe, de tout ce qui exifte ? Rien ne fera plus fimple que notre réponfe a cette prétendue fubtilité. Nous avons un mot par lequel nous défignons 1'Univers; nous Pappellons caufe; nous en avons un autre par lequel nous défignons tour ce qui exifte, nous Pappellons effet. Nous diftinguons donc 1'Univers de tout ce qui exifte, comme la  Ph I IOSOPHi QUES. 277 caufe eft diftinguée de 1'effec. Nos compatriotes pourroient infifter, 6c me dire que notre diftin&ion n'eft que dans les mots; mais je ne prétends point entrer avec eux dans un détail que 1'Auteur du Bon Sens a eu foin d'éviter. Il a vu que fon fyftême étoic fort fimple; il Pa tout renfermé dans trois ou quatre mots qu'il n'a répété que trois ou quatre fois, pour les mieux prouver. Si je voulois entrer dans des difcuffions, le plus court des fyftêmes deviendroitle plus long : admirons-en plutöt la noblefimplicité : admirons-en fur-tout la commodité. De combien de recherches ne délivrera- t-il pas nos comparriotes ? ils n'ont qu'a s'en tenir a PAuteurdu Bon Sens, 6c dè>lors ils pourront fe dire a eux-mêmes : Nous étions bien aveugles, de nous tant tourmenter pour forger des fyftêmes, pour favoir Porigine des chofes , pour favoir qui a fait tout cequi exifte, 6c de quelle caufe nousfommesles effets! Eh! c'eft 1'Univers qui eft notre caufe; c'eft lui qui nous a faits,... Mais il n'a fait encore de nous que des hommes: puilfe-1-il bientöc nous faire Philofophes) Tel fera fans doute le vceu qu'ils formeront en applaudilfant au Philofophe Auteur du plus fimple de tous les fyftêmes.  278 Les Provinciai.es Quant a moi , Madame , vous ne fauriez croire quel plaifir je fens a penfer & a vous dire que depuis long-temps 1'Univers m'a fait. Votre très-humble & trèsobéilfant ferviteur. Obfervations dun ProvincialJut la Lettre précédente, O Philofophie! ó fageflefuprême ! toi qui ne brillois dans nos cceurs que pour y répandre le jour le plus pur, quel crime pourfuis-tu dans ces hommes que nous avions cru tes difciples chéris ! Ils ne vouloienc briller que de ta lumiere; ils ne devoient indruire qu'en nous répétant tes oracles : & ton divin flambeau s'eft éteint pour eux. Pareils a Penfant dont la foible raifon eft le jouet des erreurs & des préjugés d'une folie nourrice, le menfonge pour eux & la vérité n'ont plus de caraéleres diftinétifs. Les abfurdités, les inconféquences, les contradiétionsj toute Pincohérence & I'invraifemblance potlible ne leur font pas  Ph I lOSOPHIQUES. 279 même foupconner Terreur. Un fantöme leur femble parler en ton nom; & fes difcours vagues& ténébreux, fansliaifon, fans fuire, fans idees, tu permets qu'ils les prennent pour tes propres lecons. II leur dit : L'Univers eft fa caufe a luimême , Sc tout ce que renferme 1'Univers eft Teffët d e T Uni vers. Les eaux de Tocéan ont été faites, Sc Tocéan n'a pas été fait. 11 n'eft point de caufe fupérieure; il n'eft point un Dieu auteur Sc créateur de 1'Univers. Tout ce qui exifte a été fait, & 1'Univers n'a pas été fait. Le fantöme a parlé, Sc le Philofophe croit avoir entendu la voix de la fageffe; Sc ce font les lecons du bon fens qu'il croit nous répéter ! O fageffe fuprême , tu Tavois donc frappé d'aveuglement j Tu voulois que femblable a celui dont la fievre a troublé les fens, auffi éloigné de ton temple que ces criftes mortefs dont un réduit étroit cache au refte des hommes la foibleffe Sc 1'imbécillité, tu voulois qu'il fe crüt au milieu de'ton fanctuaire, tu le condamnois a prendre fes propres rêveries pour la voix de Toracle. Que ce prétendu fage te dut être odieux , fi fon crime égaloit fon aveüglement! Ton nom étoit fans doute dans  ^9o Les P rovi nciaies fa bouche, il fembloit t'invoquer ; maïs fon cceur appelloit le menfonge ; il vouloit abufer de fa raifon pour égarer les hommes fes freres; tu voulus qu'il s'égarat lui-même au-dela de toutes les limimes: tu fus le livrer au délire le plus évidenr , pour rendre 1'impofture plus manifefte. v „ ' LETTRE XXVI. De M. le Chevalier d Madame la Baronne. 3VI a d a m e , Sans nous occuper en ce moment de tout un fyftême, bornons-nous a voir combien un feul Philofophe a trouvé de manieres diverfes pour donner a la terre fes premiers habicans. Ecoutons aujourd'hui le fage Lamétrie; nous verrons la nature, la terre, 1'océan, un ceuf, des animaux, des plances lui fournir tour a, tour les reffources les plus fimples pour montrer a 1'homme fa première origine; &  Philosophiques. 28t & vous remarquerez fur-touc Ie foin qu'il a d'exclure 1'adTion de la divinité dans toutes ces reffources. « La nature„ nous dic-il d'abord, a 33 fait fans voir des yeux qui voient, elle 33 a fait fans penfer un homme qui >3 penfe >3. ( Abr. des Syft.) Je ne vous donne pas ce fentiment comme généralement admis par nos Philofophes; car fi Lamécrie a cru pouvoir fe paffer des yeux de la nature, 1'Auteur du Bon Sens ne penfe pas de même. Voulez-vous comparer leurs opinions? Voici comment s'explique le dernier : « La ma33 chine humaine me paroic furprenante ; 33 mais puifque 1'homme exifte dans la 33 nature, je ne me crois pas en droic 33 d'affurer que fa formation eft au-defiüs 33 des forces de la nature. J'ajouterai que 33 je concevrai bien moins la formation 33 de la machine humaine, quand pour 33 me 1'expliquer on me dira qu'un pur 33 efpritquinin'a des yeux, ni des pieds, 33 ni des mains, ni une têce, ni des 33 poumons /ni une bouche, ni une ha33 leine, a fait 1'homme en prenant un 33 peu de boue & en foufflant deffusss. { h Bon Sens , 42. ) Vous le voyez , Madame , ce dernier Philofophe veuc Z  2.%i Les Provinciaies abfolument que 1'Auteur de la nature" ait routes les parties du corps humain; & puifque la nature nous a formés, il faudra felon lui, qu'elle ait tout comme nous des yeux, des pieds, des mains, une rête, des poumons, une bouchej une haleine. Puifqu'elle a formé le renard, le bceuf & 1'éléphant, il faudra auffi qu'elle ait une queue, des corneSj une trompe; puifqu'elle a formé Paigle, il lui faudroit des plumes & des ailes; puifqu'elle a formé les poilTons, il lui faudroit au moins des nageoires. Mais vous auriez peut-être de la peine a lui donner en même-temps le bec de la cicogne, le vifage de 1'homme & le mufeau de 1'ours. Ainfi tenons-nous-en a Lamétrie, & nous nous pafferons des yeux., de la tête & des poumons de la nature; nous penferons même que c'eft un fingulier préjugé que de vouloir donner aux premiers hommes un eftomac, des jambes, une tête, des pieds, &c. La Philofophie nous apprendque « les pre3> mieres générations ont dü être fort im» parfaites. Ici 1'éfophage manquoit; la 33 l'edomac, la vulve, les inteftins...;. 33 Les premiers animaux qui auront pu * vivre, fe conferver & perpétuer leur  Philosofhiques. 283 » efpece, auront été ceux qui fe feront » trouvés munis de toutes les picces néss celfaires de la généricion. Ceux-la y feuls auront eu la ficulté de voir & 33 d'entendre, a qui d'h-ureufes combi-, 33 naifons auront donné des yeux & des 33 oreillesex iétement faits & placésconv 33 me les notres 13. ( Lamétrie, p. 266 Gr 268 ) La nature fit donc en premier lieu des aveugles, des fourds, des boiteux, des manchots ; elle fut long tems a deviner oü placer les yeux & les oreilles; elle en mit quelquefois au milieu du : front, ou fur le bout du nez ; d'autres 1 fois elle mettoit un pied a la place d'un I bras; enfin il fe trouva quelques indi' yidus heureufement combinés, & par: faitement femblables aux hommes d'aui jourd'hui. « Mais ne croyez pas que ces | 33 premiers hommes foient venus au : 33 monde grands comme pere & mere, I 33 & fort en état de procréer leurs femj 33 blables (p. 264. ) Ne croyez pas fur33 tout que le premier nouveau-né aït : 33 trouvé un teton ou un ruiffeau de lak I 33 tout pret pour fa fubfiftance. Les au33 tres animaux, émus de compafllon a 33 1'afpecf de 1'embarras oü il fe trouvok, 5) ont bien voulu prendre foin de Tallai* Zij  284 Les Provincïaies » ter, comme plufieurs Ecrivains dignes as de foi aflurent que cela arrivé quela> quefois en Pologne ». (p. 277 &* 278. ) Une ourfe charitable ou une lionne compatilfante fut la bonne nourrice du véritable Adam. D'ou étoit-il donc forti ce véritable Adam, me demanderez-vous ?<* Peutas être , répondrai-je avec Lamétrie, » peut être avoit-il été jetté au hafard fur » un point de la terre, fans qu'on puifle » favoir ni pourquoi ni comment : fem33 blables a des champignons qui paas roiffent d'un jour a 1'autre, nous ne as fommes pas faits pour avoir une idéé 33 de 1'infini. ( v. VHom. mach. ) II faut 33 cependant que la terre ait fervi d'ute33 rus a 1'homme, qu'elle ait ouvert fon as fein aux germes humains déja prépa33 rés, pour que ce fuberbe animal en 33 put éclore 33. Ne reprochons pas a la terre fa ftérilité actuelle ; ne lui demandons pas pourquoi on ne voit plus d'enfans éclore de fon fein : « elle a fait fa 33 portée de ce cöté-la; une vieille poule 33 ne pond plus, une vieille femme ne 33 fait plus d'enfans s>. ( Lam. pag. 264, £f 2,66) La terre en a fait pendant alfez long-tems; fa vieilleffe feule eft  Phiiosophtques. 285 une raifon trés - phyfique de fa ftérilité. Vous voyez, Madame, que nous nous éloi gnons un peu du fage Teillamed. L'océan ne fut point notre pere, la carpe ne fut point notre mere commune; cependant nous pouvons lui paffer la carpe, pourvu qu'il nous paffe les ceufs ; ou pour parler plus vrai, nous lui accorderons que la mer pondit 1'ceuf humain , pourvu qu'il convienne que la terre & le foleil 1'ont fait éclore. « Car toujours x> faudra-t-il que la mer, abforbée par » les pores de la terre, confumée peu » a peu par la chaleur du foleil & le » laps infini des tems, ai été forcée en » fe retiranc, de laiffèr 1'ceuf humain , » comme elle laiffe quelquefois le poif» fon a fee fur le rivage. Moyennant cc quoi, fans autre incubation que celle *> du foleil, 1'homme 8c tout autre ani53 mal feroient fortis de leur coque ». {p. 275.) IIparohfëulemenrqueThomme fut Ie d'ernier a fortir de la fienne, puifqu'il fut recu , allaité, nourri, élevé par les animaux. 11 grandit enfin; une louve charmante, une aimabletigrefie furent fucceffivement éprifes de fes charmes ; 8c de. Uur union naquiunt  Les Provinciaies les differens Peuples de VUnivers. (i) Que cette origine des peuples ne vous étonne pas. Quelques-uns de nos fages n'ont pas héfité a nous préfenter 1'homme comme un monftre qui doi: a chaque efpece d'animaux une partie de fon exiftence : le favanc Lamétrie lui-même ne paroit pas toujours éloigné de ce fentiment. C'eft de lui que j'apprends « que 33 les animaux éclos d'un germe éternel, 33 quel qu'il ait été, venus les premiers 33 au monde, a force de fe mêler entre si eux, ont felon quelques Philofophes, 33 produit ce beau monftre que 1'on ap33 pelle homme ». (p. 181. ) Ce fyftême auroit quelque chofe de très-pbyfique, s'il exiftoic des monftres féconds & capables de fe reproduire : il expliqueroit a merveille les qualités de 1'efpece humaine. Quand nous voyons la force du lion, la fierté du cheval, la douceur du mouton, la finelfe du renard reünies dans 1'homme, ne pourroit-on pas dire que ces animaux, a force de fe ( i) Le texte porte exa&ement : celui-cï ( 1'Homme ) a fon tour, par fon mélange avec les animaux , auroit fait naitre les différens Peuples de 1'Univers. ( hornet, p. 281 ).  Phiiosophiques. i%7 mêler enfemble , ont produit le beau monftre qui participe a toutes leurs qualités ? Mais voici, Madame, une opinion philofophique qui. fera un peu plus de votre goüt. C'efi: encore le fage Lamétrie qui nous la propofe, peut-être uniquement pour s'égayer, peut-être auffi pour nous apprendre que la nature a bien des refiburces que nous ignorons. Teillamed découvroic fur la peau de petites écailles, & il en concluoit trèsphyfiquement que fes ancêtres avoient été poiffons : Lamécrie obferve favamment que nous avons des bras, des jambes, des poumons; nos jambes ne reffemblent pas mal aux tiges des plantes; nos bras pourroient bien n'avoir été que des branches d'arbres; nos poumons ne feroient-ils pas les pétales d'une tulipe? Ne pourroic-on pas dire que les premiers hommes furent d'abord une plante, un arbre ou une fleur? (i) Quelque Provincial va s'écrier ici : Ah.' Coridon* ( i ) Les Poumons font nos Feuilles .... Si les Fleurs ont leurs feuilles ou pétales ,■ nous pouvons regarder nos bras & nos jambes comme de pareüles parties. (L'ho.planté p. 71).  288 Les Provinciaies Coridorij quce te dementia caepit ! Ah l Coridon , quelle eft donc ta folie ! Mais dans le fond que reftoit-il au Philofophe a décider? Une feule queftion. II auroit tou: die, s'il nous avoit appris de queÜe plante ou fleur nous fommes iflus. Le Maure aflurément n'eft provenu que de quelque fleur trés - noire. Nos anciens Gauloisconnus par 1'éclat de leur teint, le devoient a lablancheur dulys. Un penchant décidé pour le rouge me perfuaderoit que les ny mphes de la Seine naqüirent de la rofe. C'eft a vous, Madame, a développer ce fyftême a nos compatriotes; je dois vous en laifler ia gloire. Aufli me haté-je de terminer ma Letrre, en vous aflurant du profond refpectavec lequel j'ai 1'honneur d'être, ckc. Obfervations cCun Provincialfur la Lettre précédeute. Comment 1'fiomme peut-il conferver la plus foible étincelle de fa raifon , & fe livrer a toutes ces idees de Lamétrie fur 1'inciibation du foleil, fur les ceufs de la terre ou de 1'océan, fur ce beau monftre pro j uit  _ PttlXoSOPHIQTjES. ,0» Phnofophe, & eenre de pareilles a*bfur- Ion a fijtes fur 1'origine des hommes & de tous les êtres. L'Auteur du Bon Sens reparoic dans S"et^e-Qu,llyfo^ientbiendigne! ment I idee que nous en avions déja c^cuelquds'ytrouvedignementado. c e avec Lameme ! Celui qui nous dit: Un D^u n a point fait 1'homme, paree qu unDieu purefprit , ne peut a^h ni bras, m jambes, ni poumons; & celui qui nous dn: La nature a fait fans penfer un homme qui penfe, nous paroitront toujours deux Philofophes dignes du meme rang. 6 uu  zoo Les Provinciales LETTRE XXVII. De M. le Chevalier a Madame la Baronne jVI. a d a m e , Quel ne doit pas être votre étonnement! le nom du plus grand, du plus célebre, du plus étonnant de tous nos Saees, le nom de ce génie fupérieur , qui dans nos Philofophes eux-rnemes voyoit tout au plus des hommes dignes de potter fa livrèe, le nom de Voltaire n'a point encore paru dans ces Lettres confacrées a la gloire de la philofophie. Vous penfez fans doute que mon protond fdence fur ce Héros du fiecle philofophlque n'avoit d'autre principe que le: deinde vous furprendre un jour agreablement, & deredoubler votre admiration , en vous dé veloppant fon fyftême comme la perfeftion & le complément de tous les autres. Hélas! votre efpoir ne fera pas rempli. Voltaire a dédaigné la gloire  Philosophiqubs. 2qr decreer 1'Univers; ilacombattutousles lyilemes, d n'en a point formé. Les Buffon, les Maillet, les Moïfe, il Jes atraquojc tous; feul il détruifoit tout • il ne fe refufoit qu'au plaifir d'édifier ' Qjen?Tmaêe' Madame, que ce grand Pbyficien n'ait point fait de fes connojffances 1'ufage que nous en attendions. 11 avoit en lui-même le fentiment de toutes fes forces, quand il nous difoit • » L exiftence de Dieu riejipoint du toutné» ceiiaire a la création des êtres». (t. S p. 3 ) U fentoit qu'il pouvoit fe paffe? de ce Dieu pour créer 1'Univers; mais taüoit-il donner le mouvement a cette etonnante machine, en combiner la marcne établir fes loix, & faire paroure un feul etre penfant? Le préjugé reprenoic ion empire ; Voltaire fe croyoic obhge ne nous dire : cc Dieu feul eft le « principe de toutes chofes, & toutes » exiftenc en lui & par lui; il agit fur *> tout être ; la matiere de 1'univers lui «appartient, & il n'y a pas un feul » mouvement, pas même une idéé, qui «#ne foit 1'effec immédiat de ce principe 7 UuiVfe! ( ^ En°y- Idees ) O foibleffe humiliante dans le héros de« iages! 11 donne plus a Dieu que le préA a ij  z voir clairement comment un être vient » d'un autre, que de comprendre com»3 mentileftarrivédu néant». (Q.Ency.  t l pH'ïOSOPHIQUES. 293 genérat )1 Quel dommage qu'il ait ainfi perdu le fentiment de fes propres forces' Cent craits épars dans fes ouvrages nous ont annoncé tour ce qu'il pouvoit faire , s il avoit entrepris de régler 1'Univers , & de nous expliquer notre origine. Jamais il n'auroit dit avec Moïfe : Au commencement Dieu créa le ciel & Ja terre. Jugez-en, Madame, par fes obfervations phyfiques fur le premier verfet de la Genefe« Dans !e tems-oü » Ion place Moïfe , les Philofoplres » fheniciens en favoient-ils affez oour » regarder la terre comme un point en » comparaifon de la multitude infinie » des globes que Dieu a placés dans » immenfité de Pefpace qu'on nomme * le c'e ?. C'e& * prés comme fi » on difoit que Dieu créa toutes les « montagnes & un grain de fable „. ( lbid. Gerief. ) Les connoiffances pbyliques de Voltaire ne lui auroient donc pas permis de nous dire : Je crois en un Dieu créateur du ciel & de Ia terre oous peme de paifer pour ignorans, nous ne le dffons plus. Mais comment dironsnous : Voltaire n'a pas pris la peine de nous lapprendre. Tout ce que nous favons, eed qu'il auroic été raremen(. A a iij  294 ,Les Provincialës d'accord avec le Légiflateur des Hébreu x. JemerepréfentecegrandPhyficiencommentant la.Genefe, corrigeanc Moïfe au milieu d'une fynagogue. D'url cóté j'aime a voir le Philofophe oppofant au préjugé toutes fes connoiflances phyfiques; de 1'autre vingt Rabins oppofant au Philofophe tous, les raifonnemens & toute 1'obftination du préjugé. II nous a démontré qu'il eft ridicule d'appeller un Dieu le créateur du ciel & de la terre; il leur prouvera que fans un finguKer renverfement de 1'ordre ce Dieu ne pouvoit pas dire dès le premier jour : Que la lumiere foit faiteJ paree qu'il n'avoit point encore de foleil pour faire la lumiere. II ajoutera que ce Dieu n'a point féparé la lumiere & les ténebres,, paree que la nuit & le jour n'étoient point mêlés enfemble comme des grains d'efpeces différentes,, comme des grains d'orge & des grains de millet. 11 rira favamment de cette lune appellée par Moïfe le flambeau de la nuit, exprellion qui défigne toujours dans les Juifs la mime ignorance. II leur apprendra que eet aftre ne brille que d'une lumiere réijéchie; qu'il n'eft pasfur-toutun grand  Phïio so ph iques. 255 luminaire, puifqu'il eft tantöt quarante, tantót cinquante fois plus petit que la terre ; il fcaura reprocher a Moïfe de nous avoir die tout fimplement que Dieu fit les Etoiles, au lieu de nous dire qu'il fit autant de Soleils, dont chacun a des mondes roulans autour de lui. Nos Rabins diront-ils a tout cela que le Dieu de Moïfe put créer la lumiere fans le feeours d'un aftre, qui doit a ce Dieu toute fa fplendeur ? Qu'avant 1'exiftence du Soleil 9 il pouvoit éclairer 1'Univers, divifer les temps, partager 1'empire des jours & des nuits ,• & gouverner même tour ce qui exiftoit par des moyens tout autres que ceux dont il a voulu fe fervir après avoir donné au monde une forme conftante, & quand 1'ouvrage des fix jours a été confommé. Diront-ils a Voltaire que toutes fes obfervations fur les premiers chapicres de la Genefe ne font que des chicanes puériles, ou des jeux de mots, ou qu'un vain étalage des connoiffances les plus communes ? A quel homme font-i!s un pareil reproche ? S'il faut du Newton pour réfuter Moïfe, quel homme en peut donner a nos Rabins autant que Voltaire, & du moins commun, furA a iv  2^6 Les Provinciaxes tout quand il s'agic de Ia lumiere ? Seayez-vous en effet, Madame, pourquoi d ne fait pas jour pendant la nuit ? C'eft paree qu'alors les rayons rencontrenc un efpace vuide ; « & paree qu'un rayon » rencontrant des efpaces vuides , eft » obligé de revenir fur fes pas » , ou ft vous aimez mieux : C'eft paree qu'alors les paffages ouverts a la lumiere font beaucoup trop larges pour qu'elle les traverfe. Car, nous dit Voltaire, plus un paftage ou un pon eft étroh > plus les rayons traverfent avec facilité; & plus il eft large, plus ils om de peine a y pafter. Lapreuve en eft certaine , & c'eft Voltaire feul qui 1'a découverte, en nous apprenarjc qu'a mefure que nous pompons Vair J il paffe moins de lumiere dans le recipiënt, è> qu enfin il n'en entre plus du tout. ( Vol. Element. Newton. PP- Jfci » & Lett. a la fin des Elém. ) (i). Trés - certainement ce ne ( i) Comme les diverfes éditions de Voltaire ne fe reflèmblenc gueres, itous croyons devoir prévenir les Lecteurs, que fi quelqu'un de ces textes fur la Phyfique ne fe trouvoit pas dans celles qu'ils ont entre les mains, ils les trouveront prefque tous cités dans un petit  Phiiosophiques. 297font pas-la des connoffan'ces communes , mais je ne voudrois pas en faire pare a nos Rabins. Les uns fe mettroient a pomper l'air, & verroient la lumiere pénétrer dans le recipiënt tout comme auparavant; les autres fermeroient portes, fenêcres & volets, pour voir fi les rayons traverferont mieux quand le paffage fera plus étroit, & n'y ▼erroient plus goute. Je ne voudrois pas même leur donner fur 1'atrract.ion les connoiflances peu communes de Vol. taire; je ne leur dirois pas avec ce grand Homme, que fi les liqueurs s'élevent an-deffus de leur niveau dans les tubes eapillaires, « c'eft 1'attraction feule du » haut du verre qui eft la caufe de ce » Phénomene , & que 1'eau montera » toujours d'autant plus dans ces tu» bes qu'ils feront plus longs ( Elém. "P' 451)"- ^os Rabins en feroient encore 1'expérience; & voyant que 1'eau ne monte pas davantage dans le tube Ouvrage intitulé le Newtonianifme de Voltaire. D'ailleurs , quelle que foit PEdition qu'ils ont entre les mains, la Phyfique de ce grand Homme leur offrira toujours des explications aiTez extraordinaires. Note de VEditeur.  298 Les Provinciaies d'un pied, que dans celui de dix pouces de hauteur, ils perdroient le refpecr, du a ce Philofophe; ils lui diroient peutêtre qu'après avoir fait tant de bévues fur la Phyfique, il ne lui convienc pas de corriger Moïfe. Mais Partiele elfentiel fur lequel je ferois le plus curieux de voir nos Hébraïfans aux prifes avec Voltaire, c'eft 1'Adam de Moïfe , & 1'origine qu'il donne k tous les Peuples. Je voudrois voir Voltaire argumentant fur les hommes blancs, & fur les noirs, lur les jaunes, les rouges & les gris, fur les imberbes & fur les barbus. « Tous font r> également hommes , leur diroit-il, « mais ils le font comme un fapin, un x chêne & un poirier font également 33 arbres; le poirier ne vient point du y> fapin , & le fapin ne vient point du » chêne » ( Queji. Ency. Hom.). L'imberbe & le barbu , 1'homme noir, le blanc, le jaune & le rouge ne viennent donc point de la même tige. « Je vous * 1'ai déja dit, mais vous êtes fourds... » II n'a jamais écé poffible de compofer » un Régiment de Lapons & de Sa» moyedes; vous ne parviendrez jamais » a faire de bons Grenadiers d'un pau-  Phiiosoph iques. ït vre Darien ou d'un Albino II n'y « a qu'un aveugle , & même un aveu55 gle obffiné qui puifie nier 1'exifience 33 de routes ces différentes efpeces 33. II faut donc un Adam a chacune de ces efpeces; il nous faut un Adam noir & un Adam blanc; il nous en faut un jaune, un rouge & un gris; un imberbe & un barbu , un Chinois & un Lapon , un Darien & un Caraïbe; il nous en faut un aux cheveux plats, un autre aux cheveux noirs & frifés, un autre encore aux yeux de perdrix, aux cheveux & aux fourcils de la foie la plus fine Sc la plus blanche ; il nous faudroit même un Adam grenadier & un Adam poltron. Comment après cela croirons-nous a un homme, qui d'un feul Adam ofe faire fortir tout le genre humain ! Quel terrible argument contre la Synagogue, fi M. de Buffon ne nous apprenoit, que du même Animal il peut fortir vingt races différentes & bien plus variées que celles de ces hommes noirs, blancs, jaunes Sc gris; que le pere commun du chien danois , du dogue d'Angleterre , du levrier , de 1'épagneul , du barbet & de tant d'autres races fe trouve dans le chien du berger; fi de  3oo Les Provinciaies Tours le plus noir , tranfporté en Sibérie , il ne fortoit avee le temps une race.d'ours blancs , fi même dans TEurope on ne voyoit pas des hommes fans barbe, fortis d'une race barbue, d'autres a cheveux moutonnés, fortis d'un homme acheveux plats; fi nos plus robufles Héros n'avoient pas quelques *°3S des enfans malingres & poltrons, s'd n'écoit démontré que la différence des climats , des alimens, &• même que les maladies héréditaires, ou une humeur vicieufe fuffifent pour occafionner dans les animaux , les plantes & les, hommes, des variétés plus remarquables que celles de la couleur & de la barbe? Queile difnculté, fiTenfant d'un Américain , d'un Negre ou d'un Lapon , ne reflembloic pas a celui d'un Européen un peu mieux que le gland ne reflemble a la poire; ou fi d'un poirier enté fur le chêne , il fortoit un germe qui nous donnat des poires, comme les alliances des Negres & des Blancs forment avec le temps des races d'hommes noirs ou d'hommes blancs ? Que Voltaire auroit bien eu raifon d'oppofer tant de fois a Moïfe cette difficulté, fi le préjugé ne trouvoit jufque dans nos Pbilo.  Phiiosophiques. jor fophes tant de réponfes fatisfaifantes ? Je fcais qu'on peut répondre également a toutes fes autres objeétions. Lorfqu'il dit, par exemple , que « le y> même pouvoir qui fait naitre de » 1'berbe en Amérique a pu y mettre » auffi des hommes ». Je fcais qu'on répondra qu'il ne s'agit point de ce qui pouvoit être , mais de ce qui fut. Lorfqu'il ajourera qu'il n'y a plus que les ignorans a croire qu'Adam n'avoic ni pere ni mere , on lui demandera quel Scavant découvre dans 1'Hiftoire un feul homme de plus ancienne date que eet Adam a qui il en veuc tant ? Mais nous, qu'embarralfe le plus vieux de tous les,préjugés, ne devons nous pas lui fcavoir gré des armes qu'il employoit pour le combattre ? N'applaudirons-nous pas également a 1'expédient qu'il a imaginé pour dé. livrer encore la Philofophie des foucis, des peines que nous donnent les débris de ce Déluge dont parle Moïfe ? Ces produétions marines, ces divers coquillages que 1'on trouve fur nos montagnes ne feront plus la moindre difficulté, li comme Voltaire, « nous faifons réfle» xion a. la foule inombrable de Pélew lerins qui partoient a pied de Saint-  302 Les Provinciaies » Jacques en Galice , & de toutes les » Provinces pour aller a Rome par le 5j Mont-Cénis, chargés de Coquilles a >s leurs bonnets » ( Q. Encyc. Coquil.). Nous regretterons feulement que quelques-uns de ces Pélerins n'aient pas perdu leurs bonnets a coquilles dans le Pérou , dans le Chili , & fur toutes les montagnes les plus élevées de 1'Amérique, oir Pon trouve des coquillages en auffi grande quantité que fur toutes celles de 1'Europe , de 1'Afie & de PAfrique. Si Voltaire avoit fait un fyftême , tous les changemens que la furface terreftre a éprouvés., ne Pauroient pas embarraffé davantage. La nutation de 1'axe, c'eft-a-dire, un léger mouvement qui éleve & abaiffe fucceftivement les poles de la terre , ce mouvement qui vous paroïtroit incapable de déranger une feule goutte d'eau t lui auroit fuffi pour déranger tout 1'Océan , pour vous expliquer la retraite des mers, Sc leur faire occuper fucceftivement toute la furface de la terre; & puifque tout montre que les eaux de la mer ont déja couvert au moins une fois toute cette furface , cette explication détruiroit trés- efficacement un nouveau préjugé.  Phiiosophiques. 303 Elle feroit dater 1'exiftence de notre globe au moins de deux millions & trois eens mille ans; car il en faudroit encore davantage pour que ce mouvement eüt fait faire a la mer le tour de la terre. II eft vrai que felon M. de Buffon, 1'Océan devroit fe retirer d'Orient en Occident; au lieu que Voltaire paree mouvement le feroit alternarivement avancer & reculer du Nord au Midi, & du Midi au Nord; il eft vrai encore que les poles ont beau s'élever & s'abaiflër, tant que le mouvement diurne fe fera fur ces poles, toutes les mers devronc conferver leur fituation : mais Voltaire dédaigne les détails; il nous a privés des grands avantages que fes connoiffances phyfiques auroient procurées a la Philofophie, & nous fommes réduits a regretter qu'il n'ait pas voulu nous "donner un fyftême complet. Je me trompe, Madame , la Philofophie n'y a rien perdu. Un fyftême exigeoit de férieufes méditations, de longs raifonnemens, des combinaifons, & fur-tout une grande connoiffance des loix de la nature ; le commun des hommes ne fe prête point a cette étude. II faut pour lesgagner a la philofophie, vol-  204 Les Provinciales tiger, Sc ne pas les contraindre par des réflexions trop fuivies. II fauc les divercir, les délalïer, les faire rire, même au dépens. de ce qu'ils appellent leur plus grand intérêt. Un bon mot, une raillerie fine, un ton enjoué , un farcafme bien afiaifonné, voila legrand art d'attacher fes LecTeurs. Raifonnez trèspeu en votre faveur, couvrez de ridicule Nonnote , Sabbatier , Fréron , & Patouillet; vous aurez tout fait pour la Philofophie. Ménagez 1'ironie ., mais faites-la fentir, Sc qu'elle accompagne roujours le nom de Moïfe ou du bon homme Job ; tancez joliment Habacuc & plaifantez cent fois avec grace fur le déjeuné d'Ezechiel ; combien de jeunes gens vous arracherez au préjugé ! Vos hons' mots feront répétés a toutes les toilettes ; vous remplirez de jeunes Philofophes les Caffés 5c 1'Opéra. Un age plus mur ne défendra pas même vos Leéteurs des imprefïions que vous cherchez a faire. On veut rire a tout age; on lit pour s'amufer plutöt que pour s'inflruire ; quelque léger que foit un argument, dès qu'il favorilè certains penchans , il fera toujours bien acceuilli ; 5c s'il eft propofé de maniere a divertir ,  PHiiosoPHrQUEs. 305 divertir, il vaut cent fois mieux qu'une bonne raifon. Ne craignez pas même de repeter cent fois la même chofe. Si vous n'avez pas une nouvelle plaifantene a nous donner, répétez les anciennes : on pourroit les avoir oubliées ; vous les rappeilerez, vous les inculquerez; vous ferez de nouveaux Philofophes. Or quel homme a jamais mieux connu que Voltaire eet art de fupplèer a. la raifon par 1'ironie , la plaifanterie, le ridicule, les farcafmes & les répécinons; & eet art heureux a quoi 1'employoit-il? Etoit-ce a combattre nos vices , nos paffions , nos penchans .? Won , il feut le tourner adroitement contre le préjugé religieux. Il écrivic beaucoup, raifonna forr peu ; mais il fit fouvent rire. Il connoiffoic les hommes; & la Philofophie lui doit plus de conquêtes qu'aux Jean-Jacque, aux Freret, aux Boulanger. On a dévoré fes brochures, on lesrelit encore, on les lira long-temps. S'il fe fut amufé a raifonner comme les Dalembert & les Diderot, quel homme auroit jetté deux fois les yeux fur fes ouvrages ? Non, toute rEncyclopédie , tous les raifonnemens de l'animal prototype n'infpirent pas Bb  30Ó Les Provinciales autant d'efprit philofophique qu'une feule plaifanterie de Voltaire. Faut-il vous en donner une exemple ? lifez feulement la tradudtion qu'il fait des premières paroles de 1'Ecriture fainte. « Au » commencement, fait-ildire a Moife, » au commencement les Dieux firent, » ou les Dieux fit le Ciel & la Terre; 3> or la terre étoit tohu bohu ». N'eftce pas-la du vrai, du plus.puilfant ridicule jetté fur Moïfe ? Ne vous fentezvous pas bien difpofée a rire par avance de tout ce que 1'Auteur de la Genefe eft pret a vous dire de ces Dieux qui fit le Ciel & la Terre , ou le tohu bohu ? Voila le grand Homme, le vrai Philofophe : il s'habille en Momus , quelquefois en.Pafquin ; mais a peine a-t-il ouvert la bouche , que les Dieux, Eve, Adam , la Création , font couverts d'un ridicule qui empêcheroit toutes les petites maitrelfes du monde de croire a 1'Ecriture. Ne demandez pas a Pafquin ce qu'il met a la place de la Création telle que Moïfe nous 1'expofe. Ne lui, demandez pas quel Adam il nous donne. II a chalfé le votre, c'eft tout ce qu'il demande. II lui en faudroit bien une vingcaine; mais trop adroit pour en  PHI 10S OPHIQUEs. 307 nommer un feul , il fe contencera de vous egayer. Admirez-vous fon ton léger & facile? Riez-vous avec lui de Moïfe & de la révélation ? Dès-lors vous pouvez occuper un rang diftingué parminous. Vousêces Philofophe. Que votre refpeét pour Voltaire annonce le age qui a feu vous enjouer, & vous déiJvrer de vos préjugés, fans fe donnet la peine de vous inflruke, & fans vous donner celle de raifonner. J'ai 1'honneur d'être. P. S. Aux fyftêmes que j'ai eu 1'hom neur de vous expofer, je pourrois ajou\vr-aUX de Wod^art, de Burner, de Widon , de Leibnitz ; mais ce feroit vous rappeller a la rerre foleil de verre Jondu , au choc des Cometes , a de Jongs Deluges, & toutes ces idéés n'auroient plus pour vous 1'agrément de la TXeaMté; h glüire de ces Philofophes elt dailleurs étrangere a notre Nation: «n me bornant a vous faire connoïtre celle de nos Sydêmatiques Francois, J ai cru que leurs lecons fuffifoienc 'pour vous démontrer combien la Philofophie rrouve de relïources dans leurs connoifiances phyfiques, comment ils fe palBbij  308 Les Prqvinciai.es fent de Dieu & de Moïfe , quand il s^agit de batir 1'Univers ou de le peupler. J'efpere que mes Lettres, en changeant d'objet , n'en deviendront pas moins intéreflantes. Nous attaquerons des préjugés bien plus enracinés encore que celui de la Création, & vous verrez nos Sages les combattre avec la même ardeur, les mêmes fuccès & le même accord, ou plutöt avec la même variété. Obfervations dun Provincial fur la Lettre précédente. J E Pai vu , eet homme, pour qui 1'Auteur fuprême de tous les talens, parut oublier ces réferves 8c cette économie qu'il obferva toujours en les diftribuanc au refte des hommes. Mes yeux ont vu Voltaire. Je n'oublierai point les premiers tranfports que fon afpeéf. excita dans mon cceur. Je crus voir a la fois dix grands Hommes, 1'Emule de Virgile 8c d'Homere, 1'elégant Tibule, le charmant Anacréon, le fenfible Racine, le terrible Gébillon, le fublime Corneille. II étoit entouré d'une foule  _ Phiiosophiques. 309 d'Admiraceurs •, 1'air recentiffoit de cris dejoie, de batremens de mains. Quel homme a 1'afpect, de Voltaire eüt pu s'empêcher d'unir fes applaudiilèmens a ceux du public! Les miens furent finceres. Ils étoient infpirés par la reconnoiffance que doit un Francois au Chantre d'Henry IV, au Poëte, qui ieul nous empêcha long-temps de regretcer le fiecle de Louis XJV. Mais une horreur fecrette fufpend tout-a-coup ces fentimens dejoie, de refpect & d'admiranon. J'applaudis a Voltaire, & je vois Pfès de lui Dieu! Quels hommes affecfent d'ajouter aux tranfports du public ! Que mon hommage ne foit point confondu avec le vötre, fophifles odieux! JeToffrois au génie, k tous les talens réunis, au Poëce chéri des jeux Sc desgraces, &fur-toutaufavori deMel■ pomène ; le vötre n'a d'objet que 1'abus des talens & le génie révolté contre les Cieux. A cöté de Racine & de Corneille, 1'Auteur de Zaïre, deMérope, d'Alzire Sc de Mahomet m'a paru grand come eux. Je vous vois empreffés autour de lui. Votre afpeét me rappelle toutes fes foibleffes Sc tout fon opprobre ; vingt produétions informes , &  3io Les Provinciales toutes impies, & toutes fcandaleufes, s'offrent a mon efpric ; Voltaire n'elt plus a mes yeux que le trifte emblême de la nature humaine, la boëte de Pandore , ce rréfor fatal , d'ou fortent a la fois les biens & les maux , les vernis & les vices , la vérité & le menfonge, la raifon Sc les paffiuns , la lumiere 8c les ténébres. L'eftime & le refpecT Temporteront-ils fur ia douleur Sc Tindignation r Le blame devra-t-il égder les éloges ? mes plus juftes reproches tomberonc fur ces hommes dont la préfence feule obfcurcit fon triomphe , Sc dont les cranfpotfs annoncent qu'il le doit a fes égaremens plutóc qua fon génie. J'accuferai ces hommes , qui , connoffant Voltaire dévoré de 1'amour de la gloire , fembloient, lui avoir dit: que notre fageffe devienne la votre: adoptez notre efprit Sc nos opinions; vous ferez notre idole, Sc tout notre encens fumera pour vous. Frondez tous les principes que nous avons ofé atraquer ; prêtez-nous ces charmes fédudeurs, ce coloris, cette. légérecé, ces faillies, eet art de (uppléer au fond par la fuperficie , au vrai par 1'agréable; faites-nous des difciples, Sc nous vous  Phi L O S o phi ques. 3 i i ferons des adoraceurs. Malgré tous les écarts, toutes les erreurs, toutes les peticeffes , toutes les contradiétions oir nos fyftêmes pourront vous entrainer, vous ferez toujours loué, toujours exalte; toujours votre nom fera répété avec enrhoufiafme. Une nouvelle erreur fera toujours pour nous un nouveau fervice; une nouvelle gloire & de nouvelles Iouanges en feront toujours le prix. De combien de chefs -d'ceuvres ce pacfe infidieux n'a-t-il pas privé 1'empire des Lettres ? Voltaire attaché aux grands principes ne pouvoit que marcher a coté du génie ; fa gloire étoit fans tache; fon cceur en jouiffoic fans trouble, fans reproche, & fans amertume.^ Mais Voltaire aveuglé par un phancóme ceffe d'être lui mémc ; penfe plus que d'apréj; les Frcrci . Ie* Boulanger, les Baile, les Bolimhrok. Une fïuffe fagelie cl 1 <-> >)éi\§^ fleuve fur un terrein t ^ I fiffl'f . fes eaux, qui ne peut .--"""*:'/>;|:*l|f fange, Sc porter qi " . * alors on voit cc! ^^3,:-;;.:;;;M'/,:'||;'|!i t'; 1'obfcénité & la PhiTofopn^ ' révoltent ^ également, 1'une par fes imageslafcives & fans pudeur, 1'autre par fes maximes im-  312 Les Provinciai.es pies &'fans frein. La Pucelle, la Guerre de Geneve, 1'Epitre aUranie déshonorent le Poëce Philofophe. Cent traits orduriers dans Candide & dans la Princeffe de Babilone, déshonorent le Philofophe Romancier. Les infidélitésla mauvaife foi, les menfonges redoublés de 1'Effai fur 1'Hiftoire , du Tableau du genre humain , déshonorent le Philolbphe Hiftorien. Le DiéTionnaire Philofophique, le Cathéchifme del'honnête Homme , les Queftions Encyclopédiques, le Sermon des Cinquante, les Quedions de Zapata ., vingt Produétions informes , confacrées a combattre avec une obftination & un acharnemenr inconcevable tous les vrais principes, a. répéter, & a reflafler les raifonnemens les plus foibles & les plus frivoles , les mêmes erreurs , les mêmes menfonges , a falfifier les textes , a tronquer les paffages a. fe contredire perpétuellement, a noircir les Auteurs, a vomir des injures dignes du langage des halles , feroient prefqu'oublier le Chantre d'Henry IV., tnfj) Cc ij  Ai6 Les Provinciales lune préfidea la nuit comme imflambeau plus petit, luminare minus. 11 n'y aura jamais que l'efprit de chicane acondamner ces expremons comme contraires a la phyfique. Vous trouvez encore un fngulier ren? perfement de Vordre d ne faire crèet le foleil que quatre jours après la lumiere. Je vois dans cette marche un Dieu bien plus grand que le vócre. Sa voix feule fupplée a l'aftre du jour. Les loix de la phyfique n'exiftent pas encore ; il n'en a pas befoin; & fans le fecours du foleil, il divife les tems, les jours & les nuits, le foir & le matinj il pouvoit s'en paffer pour divifer les fiecles; fa routepuifiance appelle les êtres & les fait fortir du néant quand bon lui femble , & dans 1'ordre qu'il juge a propos. Ce n'eft point aux premiers qu'il doir le pouvoir d'en produire de nouveaux ; il n'a pas befoin d'intermede; & quand Je foleil exiftera, il ne lui dira point : Je devois paroitre avant la lumiere. Ces vaines objections ne feront pas plus d'impreftion fur nos Compatriores que 1'Adam gris, 1'Adam jaune , & tous* Jes Adam de Voltaire. Après les réponfes que notre Correfpondant nous fournit lui-même contre ces Adams, il refte tout  PttlLOSOPHIQUES. 317 au plus une difficulté a examiner. Pourquoi , nous dira-t-on , les enfans des Negres tranfportés en Europe ou dans nos colonies , y confervent-ils tous les caradteres de leur Nation! Pourquoi les Européens, tranfportés en Afrique, ne fe font-ils pas rapprochés de la couleur des Negres? 11 femble que les uns Sc les autres devroienr, en changeant de chniat, changer également de couleur, ou bien il faudra dire que leur origine ne fut jamais commune ; qu'ils forment des efpeces effentiellement différentes. Je réponds a cela que le climat feul pourroit avoir changé la couleur d'un peuple, fans que le changement du climat put lui rendre fa couleur primitive. Les eaux du même fleuve, en fe divifanr, en arrofantdes régions différentes, peuvent acquérirdes couleurs &despropriérés différentes qu'elles ne perdrent pas , quoiqu'on les tranfporre au üeu de leur fource ; elles font devenues ou jaühés ou noirarres ! II faüdra , pourleur rendre leur érar primitif, ou les décompofer, & les déchargerdes diverfes matières auxquelles leur fubftance s'eft mêlée , ou les délayeravec d'autres eaux qui n'ont point fubi Ie même changeCc iij  31S Les Provinciales ment. 11 en eft de même de 1'humeur qui noircit 1'Africain; elle ne coule plus dans fes veines qu'après avoir paffé pardes canaux qui Font dénaturée ] tant qu'elle n'ira point fe confondre & fe délayer avec un fang plus pur, elle confervera tout le vice qu'elle aura conrracté. En deux mots: de 1'eau la plus limpide, vous avez fait une encre très-noire ; fous quelque climar que vous la tranfportiez , tant qu'elle reftera dans des vafes de la même nature , & ne fe mêlera qu'X des eaux également noircies, n'efperez pas lui rendre fa limpidité. Je ferois moins furpris de voir 1'Ethiopien fortir d'une génération de blancs, que de voir blanchir les enfans d'un Negre & d'une Négrefle. Les couleurs dégénerent facilement; mais le tems & les lieux ne fuffifent pas pour leur rendre leur éclar. Les Portugais tranfplantés en Afrique, nous dites-vous ici, auroient donc auffi dégénéré , & feroient aujoutd'hui femblables aux Negtes ! L'Abbé Demanet vous répondra qu'oui. & fi 1'expérience a déja confirmé fa réponfe, comme il le prétend, i! ne refte plus rien a examiner : cependant comme il pourroit fe  Philosophiques. 319 faire que ces Porrugais, noircis en Afrique, ne duffent un pareil changement qu'a une incontinence phyfique , au mélange des femmes Portugaifes avec les Negres du pays , nous ajouterons que des Européens tranfplantés en Afrique pourroier.tbien ne paséprouverau même degré que les Negres toute Pinfluence du climat, a moins qu'ils ne fe livraffent entiérement au même régime , a la même maniere de vivre que les Negres. Nos colons prendroient naturellement les plus grandes précaurions pour éviter les ardenrs du foleil (i); ils en fent.iroient moins les impreflions , & ils pourroient peut-être y vivre bien des fiecles fans en éprouver les mêmes ef- ( 1 ) Les Européenncs , curieufes de leur beauté, ontfoin, dit Pierquin , de fe frotter en. certain tems de 1'année avec de 1'huüe de noiï tirée fans feu. Les NcgrefTes ont aufli befoin teur : mouvement très-vraifemblable j> qu'on commence afoupconner depuis » cinquante ans , & qui ne peut s'efsj feétuer que dans 1'efpace de deux miljj lions 8c plus de trois cents mille a» années. ( Quejl. ency. Art. Inond). Accordons a Voltaire la réaliré de cette révolution , 8c fa longue période ; que s'enfuivra-t-il de fon explication! que la Méditerranée quittant Aiguemorte & Fréjus s s'eft avancée de deux lieues du nord au midi : elle devroit donc s'être éloignée aufli de tous les Ports de France, d'Italie 8c d'Efpagne qui font fur fa rive feptentrionale, de Marfeille, d'Antibe, deToulon,&c. elle auroit gagné fur 1'Afrique ce qu'elle perdoir fur 1'Europe : au lieu de s'éloigner de Rofette 8c de Damiette , elle auroit englouti toutes les villes de la baflé Egypte ; elle auroit couvert Tunis , Alger 8c toute 1'Afrique feptentrionale. La conféquence eft trop évidemment déduite du principe , mais trop hautement démentie par le fair 3 pour être réfutée plus au long : nous fentons d'ailleurs trop de répugnance a ne Yoir dans Voltaire qu'un génie  PHIIOSOPHI QU E S. J 29' éloigné des principes religieux par des erreurs phyfiqïies : nous aimerions bien mieux n'avoir jamais eu d'autres fentimens a témoigner pour eer Aureur célebre que celui durefpect& de 1'admiration , dont la lecture de fes chefs-d'ceuvres nous a fi juftement pénétrés. f =-g£g- s—s, LETTRE XXVIII. Réponse de Mme. la Baronne d la Lettre précédente, Afl ! Cbevalier, que vous allez être' content de vos compatriotes ! nous n'imirerons point M. de Voltaire ; notre zele pour la philofophie ne fe bornera poinr a rire de ces dieux qui firent ou qui fit tohu bohu. Peu conrents d'admirer les; riches produétions de nos fyftématiques,, nous ajouterons a leur féeondité, & nous aurons aufli notre fyftême, que vous appellerez par excellence le fyftême des Helviens ou de vos comparriotes.. Meflieurs vos Philofophes de la capitaleDd  330 Les P r. cr v i n ci a i e s fe difpofoient depuis quelque tems i nous en ravir la gloite. Vous les préviendrez qu'il leur eft déformais fort inutile de venir s'expofer a mille accidens, en fouillant dans le fein de nos montagnes s en graviflant nos rochers efcarpés. Nous avons deviné leur intention \ nous nous fommes enfin appercus que chaque pierre ici nous retracoit 1'hiftoire du monde , les annales phyfiques du globe, le grand, le véritable fyftême de la formation. Parmi vos compatriotes & vos amis il en eft un fur-rout grand coureur de montagnes, grand efcaladeur de rochers, grand pêcheur de coquilles, grand obfervateur de pierres j de cailloux 3 de poudingues , de bréches, de fciftures, &c. Vous reconnoiflez a eet éloge M. de Rupicole, Nous Pavons prié de nous faire part de fes obfervations. 11 nous en auroit ïu des volumes entiers ; une feule a fuffi pour nous développer toute la théorie de la . terre, pour nous faire voir dans nos montagnes les archives du globe, 1'empire fucceflïf des élémens , la divifion des regnes, les quatre principales époques de la nature. Aucun Sage avant nous navoit eu 1'idée de ces empires j aufli  Philosophiquis. 331 nous hatons-nous de la publier par le profpeclus que nous vous envoyons, & que nous vous prions de faire imprimer Sc diftribuer dans votre capitale. Vous le ferez au moins inférer dans quelque Journal, en prévenant fort modedement le Public de ce qu'il peut attendre de nos efforts. On nous a dit ici que cette précaution devenoit a la mode parmi nos Philofophes, qu'elle nous affuroit le mérite Sc la gloire de 1'invention, Sc que c'étoit la ce qu'on appelle prendre date de fes idéés. Prenez donc auffi , nous vous en prions, prenez date de notre fyftême, de peur que quelqu'un ne veuilie s'en attribuer 1'invention & nous la difputer. Vous aurez foin auffi de nous ménager un bon nombre de foufcriptèurs. Les obfervations de M. Rupicole nous fourniroienr au moins dix ou douze in~ quarto ; car il n'y a pas un feul rocher dont il n'ait fait 1'hiftoire. Nous réduirons le tout a Ia moitié, afin de fatisfaire a l'empreffement du public ; Sc comme les grandes entreprifes effuient toujours de grands obftacles, nous prierons nos foufcriptèurs de ne pas s'impatienter fi 1'exécution de notre plan eft un peu retardée. Le voici ce plan tel que nous Dd ij  33 i Les Pr o v in c i al e s 1'avons concu & arrêté dans notre derniere affemblée. Avant de 1'expofer aux yeux du public, nous le foumeuons a vos lumieres & a celles de M. T. Lifez & jugez- nous.. Plan du Syftême Helvien. Fait. C'eft un fait inconteftable , & dont la preuve eft düe aux lumieres de M. Rupicole , que toute la furface des champs Helviens eft compofée de quatre efpeces de matières que nous pouvons clafter dans 1'ordre fuivant. i.° Matières granitiques & volcaniques. i.° Matières calcaires encore humi- des & mal durcies. 3.* Matières calcaires defféchées 8c rrés-dures. . 4.0 Matières terreufes. Epoques & Annales du Monde phyjïque j, déduites du fait précédent. DlVjSION DES EMPIRES. Ces diverfes matières rappellen! néceflairement au Philofophe l'a&ion fuc-  Phiiosophiques.' $35 celïive des quatre élémens. Le granit 8c les volcans n'exifteroienr pas fans Ie fecours du feu. Les eaux feules ont pu nous donner des montagnes calcaires. Ces montagnes feroient encore humides 8c fangeufes fans Taótion de 1'air & des vents. Enfin la terre feule a pu nous donner les matières terreufes. Le feu dans nos annales devra donc occuper la première place. Notre première époque fera celle de fon empire, auquel fuccédera 1'empire & 1'époque de 1'eau. Nous confacrerons la troifieme a 1'empire de l'air, & la derniere enfin au regne de la terre. Parcourons fommairement Thiftoire de ces grands. empires. PREMIÈRE EPOQUE. Empire du Feu. En faifant Thiftoire de cette époque ; nous démontrerons comment tout étoit verre quand le feu embrafa la nature ; comment eet élément liquéfia d'abord tout le globe vitreux ; comment dans la fuite des tems il dénatura toute la matiere ; comment , par les reffources les plus inconnues a nos grands Chymiftes, par les fublimations, les décompofitions ^  f334 bis Provinciaies les précipitations, les mélanges, il fit d'un verre pur & homogene des malles énormes, compofces des matières les plus variées , telles que le fpath , le fable, le quartz, le choeri, le mica, le fcafalte , 8cc. comment il opéra dans le même tems 8c fur le même corps tant de différentes métamorphofes; comment il vint a bout d'unir ces matières en petits fragmens épars 8c entremélcs fans ordre , comme dans nos poudingues. Nous démontrerons encore que dans ces premiers rems les matières liquides 8c fondues par 1'aétion du feu ne s'étendoient pas horifontalement en long 8c en large, comme de nos jours, mais qu'elles s'élevoient en pain de fucre, en pointe, en crêtes de montagnes, pour aller fe perdre dans les nues. Cette époque exigeant un tems proportionné a fon importance, nous affignerons a 1'empite du feu environ cent mille fix cent foixante 8c quinze ans. Si le préjugé fe récrie , nous lui répondrons: qu'eft-ee que cent mille ans pour changer en granit des maffes de verre comme les Pyrennées , les Alpes, le Caucafe, &c. &c. Ans du monde. Ci donc, pour 1'empire du Feu 100,675  Philosophiques. 3jj; DEUXIEME EPOQUÊ. Empire de l'Eau. L'empire du feu ne pouvoit être éteinc que par celui de 1'eau. Auffi la nature fit-elle fuccéder l'humide élément a 1'embrafement univerfel. L'hiftoire de cette époque fera très-curieufe pour les naruraliftes & très-digne de leur attention. Les obfervations de M. Rupicole nou* ferviroat a démontrer que 1'Océan exifta fur la terre prés de fix mille ans fans nourrir ni poiiïons ni coquilles ; que pendant bien des fiecles toute fon aétion fe réduifit a décompofer le granit primitif pour en faire un granit fecondaire, qui fut la première vale maritime > vafe abfolument dépourvue de toute forte de coquillages & de toute autre production des eaux. Nous diviferons cette grande époque en cinq ou fix autres fubalrernes, dont Ja première pourra être confacrée au grand Océan fans coquilles & fans poif- lons pendant lix mille ans. La leconde nous montrera 1'Océan remoli deconnil- lages primitifs , tels que les ammonites, ies anrroques, les belemnites, les téré-  jjo* Les Provinciai.es brarales, les gryphites. Elle fera aa moins de foixante mille ans. La troifieme nous oftiira encore 1'Océan fans poilTons ; mais aux Coquillages primitifs nous verrons fe joindre des efpeces fecondaires qui fubfiftent encore ; nous démontrerons que ces coquillages fecondaires ne font que les enfans batards des coquillages primitifs, a-peu-prés comme on voit dans le fyftême de M. de Buffon, que les nains de notre fiecle ne font qu'une race dégénérée des anciens géans. Dégénération plus fenfible encore dans les coquillages que dans 1'efpece humaine, car nous elpérons démontrer que ces anciennes cornes d'ammon dont plufieurs avoient trois pieds de diametre , Sc qui ne pouvoient vivre que dans 1'eau, font les vérirables ancêtres de nos trés-petits limacons qui vivent fur la terre. Le regne des coquillages fecondaires unis aux primitifs nous paroït exiger au moins une durée de deux cent cinquanre-fix mille ans. A la quatrieme époque fecondaire nous verrons les coquillages primitifs abfolument difparoïtre , & abandonner a leurs enfans batards , aux limacons , aux hullies, aux modes, aux pélerines, Sec. L'empire  Philos'ophiquës. 337 L'empire des mers, trois mille neuf cents ans avant la nailfance des écrévilfes. Enfin 1'Océan aura des poilTons, Se nous les verrons naitre trois .cent dixneuf mille neuf cents ans après la naiffance de la grande mer. Ils régneronc long-tems, & 1'enfemble de toutes ces époques fecondaires nous apprendra que l'empire de 1'eau a duré au moins environ trois cent quarante mille douze ans, ci j ...... . 340,011 j N. B. C'eft pendant eet empire de 1'eau que nous verrons fe former nos carrières & nos montagnes calcaires. Par les diverfes couches dont elles font compofées , par les fuperpofitions régulieres de ces couches daus une oü deux montagnes , nous expliquerons, i°. comment 1'Océan ne put former que du granit fecondaire , tant qu'il ne fut qu'une mer fans coquilles 5 z°. comment, dés qu'il parut un feul coquillage , 1'Océan acquit la faculté d'altérer la nature du verre déja changé en granit , Sc de le changeren montagnes de marbre; 30. nous dirons comment ala nailfance des liljiacons, des huïtres Sc des moules, la Ee  33S L E S P R O V I N C I A t E S mer fe trouva dépouillée de la faculté de' produire des montagnes de marbre; comment elle ne put former dès-lors que. ces carrières & ces montagnes bien moins précieufes dont nous tirons nos pierres de taille \ 4.0 nous prouverons qu a la mort des coquillages primirifs , 1'Océan perdit encore le pouvoir de former de la pierre de taille , pour ne produire que des pierres fort tendres & fort blanches, pareilles a.celle que 1'on voit a cent pieds de profondeucfous fobferyatcnrede Pa-< ris , & a. cent toifes d'élévation fur nos montagnes ( 1 ). Nous répondrons encore ici a 1'objec- ( 1) Cette brillante idéé d'un Océan qui produit du marbre aü lieu d'liuitves, & des montagnes au lieu de poilTons, ou du moins bien long-tems avant de produire des huitres & des poilTons , fe trouve déduite tres au long dans Je premier volume de M. Giraud Soulavie ; mais ne confondons point eet Auteur avec ceux qui ont fecoué le préjugé religieux. II n'a point fixé la dutée de fes Epoques , & üous ne favons pas quels feront fes derniers réfultats , ainfi nous ilipprimons tout ce que nous poumons^dire de fon ouvrage ; nous n'en aurions pas même fait raention, fans le petit «alt de rclfemblance que Jes Lefteurs verront entre fon fyftême. & celui jje M. Rupicale. [Nvte de ïEiüeur.)  Philosophiques. 339 tion que 1'on pourroit nous faire furl'origine que nous donnons a nos montagnes calcaires formées de la vafe des mers. Nous ferons voir que cette vafefangeufe ik a demi liquide a pu fe trouver élevée en pointe jufqua la région des nues , comme le fommet dumontjura, montagne abfolument calcaire , quoique de nos jours la vafe & tous les corps fangeux ne s'élevent jamais en pointe. TROISIEME ÉPOQUE. Empire de l'Air. II eft évident que les eaux occuperenc jadis fur le globe deux ou trois mille toifes de hauteur , puifque des montagnes pareilles au mont Jura ne furenc jadis qu'un fond de mer 3 & puifque nous voyons des coquillages fur des fommers plus élevés encore. Comment toutes ces eaux ont-elles difparu ? Comment les montagnes calcaires ont-elles pu fe durcir & fe deffécher ? L'expérience nous apprend tous les jours que le deftechement s'opere par Faction de Pair. Ce font les vents qui hateut Pévaporation , qui diflipent Phu£e ij  '140 Les Provinciales mide élément , & le font difparoitre. Nous avons caleulé cette a&ion de 1'air fur notre Océan par la diminution des eaux de la mer, nous avons trouvé que fix mille ans ne fuffifoient pas pour la rendre fenfible. Ainfi, pour donner a deux ou trois mille toifes d'eau tout le tems néceffaire pour s'évaporer , nous aflignerons au moins a l'empire de l'air la durce de trois cent cinquante fix millions deux cent cinquante - trois mille trois ans, . . a \ }ï$>Hb00)' QUATRIEME ÉPOQUE, Empire de la Terre, Tout étoit granit ou pierre calcaire ,* quand l'empire des eaux fe trouva détruit par celui de l'air. Le globe dans ce tems étoit par conféquent inhabité & auffi ftérile que le granit , le marbre oü la pierre de taille.''La terre vint enfin prendre le fceptre de ce globe auquel fes bienfaits ont confervé fon nom. Nos montagnes alors fe couvrirent de forêts , la 'ver-dure embeliir nos campagnes ; le eerme des fleurs & des fruits fe répandit fur toute la furface, & le globe ferrde vit naïtre toutes les efpeces d'animauxa qui  Phiiosopüiqoes. J4< déformais il pouvoit prodigaer fes richefles.Ces diverfes efpeces ne parurent point toutes a la fois, ni dans toutes les contrées. Une dent d'éléphant, feul refte de ces animaux dans notre province, nous démontré qu'ils durent la peupler long-tems avant qu'elle ne fut habitée par ces loups & ces renards amis du froid que nourrilfent aujourd'hui nos'montagnes, & fur-tout long-tems avant que le genre humain ne paiüt fur la rerre. Nouscalculerons Ie tems néceffaire a lat production des diverfes efpeces j nous démonrrerons qu'elles ne fe fuccedenr que très-lentement, que depuis fix a fepc mille ans il n'en a pas paru une feule nouvelle. Cepen'danc l'empire de la terre n'aura point encore la durée de l'empire de 1'eau. Elle n'aura régné qu'environ deux cent vingt mille foixante ans; . . Ci 220,000. N. B. Nous efpérons calculer un jour combien d'années la terre doit durer encore ; & déja & vue d'ocil nous pouvons décider que fon empire ne ceffera que dans foixante & quinze millions d'années. Nous ne doutons point que le préjugé Ee iij  341 Les Provinciales & Ia phyfique même ne nous préparent bien des difficultés; mais nous efpérons les prévenir & les réfoudre auffi phyfiquement que les de Maillet, les BufFon, Lamerrie , Diderct & Robinet. UnifTons d préfent la durée de nos quatre empires fous un même coup-d'oeil, & nous aurons la durée totale du monde phyfique. Années. Empire du Feu. 100,675. Empire de 1'Eau. 340,012. Empire de. PAir. 356,253,003. Empire de la Terre juf- qua nos jours. 220,060. Empire de la Terre depuis nous jufqu'a nos derniers neveux. 75,000,000. Som me de la durée des quatre Empires jufqu a 1'année préfente. 356,913,750. Total des Epoques du monde phyfique, paffe, préfent & a venir. 43 ^S»13>75°Fait &c arrêté en Vivarais, par M. le Marquis de Rupicole & une fociété de Philofophes. Ce 1 9 Avril, de 1'Ere vulgaire 1780. De 1'Ere philofophique 356,5)13,750.  PflitosoPHi o_v e s. 543 Qu'en penfez-vöus ? Chevalier : vos comparriotes n'onr-ils pas affez bien profité de vos lecons ? ne croyez-pas que ce foit la le feul fyftême que nous vous préparons. Les fchiftes, les grès , 1'ardoife , la mafne , la craie , & bien d'autres couches entremêlées a nos montagnes nous en fourniront bientöt un nouveau. Nous efpérons prouver que la mer a formé toutes ces matières par 7 Ou 8 déluges ; on m'a dit qu'un nouveau fage fé préparoit a prouver qu'il y en avoit euau moins douze.Tant mieux,plus nous en aurons, moins celui de Mvffe fera miraculeux. Nos voifins Philofophes du haut Vivarais, auront encore un autre fyftême ; carM. de Granimon n'ayant jamais trouvé dans cette partie de notre province ni marbre calcaire, niardoife, ni craie , prétend que l'empire de Peau n'eft pas encore arrivé j mais qu'il viendra enfin , paree que la terre fe change en eau. Nous en aurons un cinquieme , paree qu'un de nos Philofophes foutient au contraire que Peau fe change en terre, & diminue chaque jour.NouS en aurons un fixieme , paree qu'un de nos voyageurs voyant que les couches de bien des montagnes ne reiïemblent point du £e iv  '344 Lés Pro vikcialis tout aux nórres, affure que Ia mer dev-oït former ailleurs du grès oü de Ie marne , randis qu'elle ne formoic chez nous que du marbre. Nous em aurons bien d'autres encore , car un de nos Sages penfe que jios montagnes calcaires onr été pro- duites en grande partie par lefeu&rnon par 1'eau. Quelques-uns abrégeront un peu les époques en nous apprenant que les montagnes fe font formées dans 1'eau par une efpece de précipitation Scd'aglu- tinaiion femblable a. celle d'un lait qui fe caille fubitement dans an vafe. Enfin chaque nation &C chaque pro- vince inftruite par notre exemple, Sc cherchant les annales du monde phy- fime dans fes montagnes , pourra dé- formais le former un fydême particulier; & nous aurons le fyftême ,des Suilfes , le fyftême des Efpagnols , celui des Po- lonois , des Rulles , des Anglois , des Ti* Italiens, &c. &c. nous en aurons amant qu'il y de montagnes. Mais Monfieur Rupicole aura donné 1'exemple, & nous nous flattons que nos quatre empires tiendront dans les fyftêmes philofophiques un rang diftingué. Je me flatte aufli que vous me permettrez déformais de ne plus me dire fimplemem votre  P H I L O S O P H I Q U E S. 34S affecHonnée fervante : quand on a eu la gloire de coopérer a un fyftême , ou peut bien fe croire , Sc figner : La Baronne Philofophe. Obsirvations d'un Provincial fur la Lettre précédente. Des Empires successifs de cent mille ans & de cent mille fiecles! un Océan fans coquilles pendant fix mille ans,& fans poilTons pendant trois cent mille ! un Océan qui forme des montagnes de marbre, paree qu'il nourrit enfin dans fes eaux des cornes d'Ammon Sc des Bélemnites ! qui celfe de produire du marbre , paree qu'il commence, cu dès qu'il commence i produire des huitres Sc des moules , Sc qui ceffe encore de produire la pierre de taille , paree qu'il a ceffé, ou dès qu'il a ceffé de produire des cornes d'Ammon! Ah ! Monfieur Rupicole, je refpeéte infiniment vos connoilfances; maisfi nos Livres faints conrenoient depareilles anecdotes fur 1'HiftoireNaturelle ,il ne faudroit rien moins que 1'autoricéd'un Dieu, pour qu'elles  34^ Les Pro vinciaiis ceifaffenr d'être fufpecfes. La philofophie vous les a infpirées ; mais fi la philofophie les trouvoit dans Moïfe, a quelle dérifion, a qnels farcafmes ne'feroient pasexpofés les bons Croyans! Je le fais j vous voyez dans nos marbres des coquillages que vous ne rrouvez ni dans nos mers , ni dans certaines couches de nös montagnes; vous en découvrez dans celles-ci qui nëfe montrent point a vous dans le marbre , & notre granit fecondaire ne vous offre ni les uns ni les autres. Ce fait eft ., je 1'avoue, très-difScile a expliquer; mais quand on ne peut en rendre raifon que par une mer long-tems fans coquillages, & bien plus long- tems fans poiffbns, je crois qu'il feroit fage de renoncer a fon explicarion, & de laifier ali Dieu de la nature le droit d'humilier 1'homme par quelques produétions énigmatiques. La vanité humaine fouffre de ces énigmes. Eh bien ! que ne leur donnezvous au moins une explication plus vraifemblable & moins oppofée a 1'Hiftoire Sainte, & en même tems moins révoltanre pour la phyfique ! Si vous nous aviezdir, par elemple: la terre a encore fes coquillages peut-être en avoic-elle  Philosophiques. 347 autrefois des efpeces qui n'exiftent plus, telles que ces Ammonites, ces Bélemnites que vous trouvcz dans des matières durcies par le tems, &c changées en marbre ; fi vous nous aviez dit: Dans ces tems antérieurs au déluge, les mers & les fleuves occupoienr des régions & des lits difTérens •, chaque efpece de vafe nourriffoit peut-être des coquillages différens, comme chaque terre nourrlt des plantes différentes. Ou bien encore: Les mêmes coquillages exiftoient épars dans toutes les matières calcaires ; mais le marbre s'eft tellement incorporé avec certaines, qu'il n'eft plus poffible de les y diftinguer. D'un autre coté,la marne , la pierre blanche , ont pu s'incorporer avec d'autres coquillages; ils y ont fouffert une diffolution entiere , qu'ils n'ont point éprouvée dansle marbre; d'autres fucs lapidifiques n'en ont diffout aucune efpece, & voila pourquoi on les trouve toutes dans certaines pierres , tandis qu'elles varienr dans les autres carrières. Si vous m'aviez donné quelques explications femblables, je ne fais laquelle j'aurois préférée; peut-être les aurois-je toures rejetées ; mais au moins m'auroient-elles moins révolté que yos pré-  54^ Les Provinciales tendues mers , qui ont eu tout le tems de former nos couches de granit fecondaire, avant d'avoir une Ammonite , Sc celui de former tous nos marbres, avant d'avoir une huïtre, Sc celui de former nos montagnes de pierre de taille, avant d'avoir un feul poiffon. _ Je me tais fur les trois autres empires. M. de Rupicole & fes confrères nous en donnent le plan , j'efpere que les détails de Pexécution ne leurpermetrront guere de confommer Pentreprife. Je ferai feulement une réflexion un pen oppofée a celles de Madame la Baronne. Si chaque région nous offre des montagnes calcaires toutes différentes dans leurs couches , & qui pourroient foumir aurant de fyftêmes différens, je croirois qu'il vaut mieux abandonner les fyftêmes furies montagnes, que fe rcjouir en difant: Nous aurons autant de fyftêmes que de montagnes; mais Telliamed a commencé , Ia gent rhouronniere le fuir. Quel homme croiroit aujourdJhui avoir vu les Alpes Sc les Pyrénées, en Philofophe, s'il ne rapporroit dans fon porte-feuiile les regiftres Sc la. date cle tous les rochers qu'il a rencontrés. Nos neveux, en lifant ces extraits  Pmuosophiqujs. 349 de naiflaiTce du granit, du marbre , de l'argile., du fable, de la marne , dirontils : Oh fageffe, oh profondeur! Dirontils : Oh vanité, oh folie defhomme! * " =#^=——3. LETTRE XXIX. De M. le Chevalier ü Madame la Baronne. Oui, Madame, oui nous publierons votre Profpectus, nous vous ménagerons des Soufcripteurs, nous prendrons furtout date des empires, de peur que la, gloire de 1'invention ne vous foit difputée^ mais, vous le- dirai-je! je fuis peut-être moins touché de la gloire que vont acquérir nos compatriotes , que d'une certaine guerre civile & inteftine dont un de nos fages vient de dannec 1'exemple. Je croyois pouvoir répondre a votre lettre,en vousenvoyant fyftême pour fyftême. Au feul nom d'un ouvraoe qui vient de fortir de la plume de M.% Baron de Marivetz, au feul titre qu'il porte de 'Phyfique du monde , je croyois  3jo Les Provinciaiis voir éclorre un nouveau monde, dont je me préparois a vous tracer Thiftoire 6c les époques. Je cours chez monLibraire, je me hate de lire la Phyfique du monde. Je dévore une longue préface , un long avertiflement; je me crois arrivé au corps de Touvrage; & que vois-je enfin 1 au lieu d'un nouveau monde que j'efpérois trouver, c'eft un Philofophe acharné a détruire les mondes de Burnet, de Wifthon, de Woodwart, & fur-tout le monde de M. de Buffon. Eft-ce donc la le fort de la philofophie ? me fuis-je écrié. Ses enfans s'arment donc les uns contre les autres ! Un fage ne faur-oit élever un édifice qu'en renverfant rous ceux des fages qui Tont devancé. Cette penfée m'attrifte, je ne faurois diflïmuler ['humeur qu'elle me donne. Quel intérêt avoit M. le Baron de Marivetz a s'armer contre le livre des Epoques! A quoi bon ces calculs fi exacts, ü minutieux, pour nous démontrer que Tan du monde trente ou trente-cinq mille, c'eft-a-dire , en ce tems auquei M. de Buffon fait naitre les poiiions , Ia •chaleur de la terre devoit, dans le fyftême de ce grand homme , fe rrouver encore au trois cent loixante-troineme  Philosophiques. 5jr degré, & beaucoup au-dela de ce qui iumrc.it pour fondre Je plomb, 8c pour faire bouilhr un Océan de mercure ! A quoi bon encore nous prouver qu'd k naiffance de léléphanc & du riiinocéros en Siberië , Ia chaleur de cette contrée &de toute la terre devoit furpafTer celle de 1'eau bouilknce? Pourquoi fe tuer adleurs a ne voir que de 1'eau ou qu'un imon humide dans ce même centre de Ja terre oü M. de Buffon voir un brafier ardent! On auroit patdonné eet acharnement a un Ahbé Royou , dont les Lettres n'avoient que trop prévenu les meilleurs Phyficiens contre le célebre Auteur des Epoques 8c du monde de verre. J'aurois été peut-être moins indigné , fi M. Ie Baron fe fut haté de iuppleer au monde de verre par fon monde aquanque ; mais , dans un affez gros volume, il n'a répandu ca & ü que quelques idéés, dont il eft encore difficile de faïfir l'enfemble. Heureufement je crois en découvrir affez pour efpérer qu'un jour M. de Buffon aura beau jeu pour prendre fa revanche. Quand nous verrons paroïtre tous ces tourbillons renouvellés des Grecs , Sc ce demi-vide en faveur duquel M. de  jji Les ProvinciAi.es Marivetz fe flatte que nous lui pafferons le demi-plein ; quand nous 1'aurons vu reffufciter cette matiere fubtile qui remplit tout 1'efpace Sc ne réfifte point au mouvement des aftresjce fluide aérien, plus épaisj plus denfe, plus ferré que le mercure , & plus léger que la yapeur de 1'eau 5 plus denfe , puifqu'il doit remplir tout 1'efpace qu'il eft phyfiquement poffible d'occuper • plus léger, puifqu'il eft chaffé , agité, tranfporté en tout fens Sc par tous les corps, fans leur oppofer la moindre réfiftance ; ce fluide plus lourd Sc plus puiftantquenos mades planétairesj puifqu'il les foutient, Sc dirige rous leurs mouvemens avec toutes les forces de 1'impulfion ; mais bien moins aótif Sc moins fort, puifqu'il les laiffe toutes s'approcher, s'éloigner , augmenter ou diminuer leur viteffe , felon des loix tout autres que celles de 1'impullion. Lorfqu'avec ce fluide étonnant, M. de Marivetz nous aura donné ces tourbillons plus étonnans encore, qui fe croifenr les uns les autres fans fe troubler mutuellement; ces tourbillons elliptiques ou paraboliques qui tranfportent certains aftres d'Orient en Occident , & d'autres au contraire d'Occident en Oriënt,  Philosophiques. 353 Oriënt, Sc d'autres encore du Midi au Nord , ou du Nord au Midi ; quand, avec fon fluide Sc fes tourbillons , il nous expliquera le triple mouvement qui produit les jours Sc les nuits, les faifonsSc les années j la nutation de Paxe Sc la préceflion des équinoxes; quand il en viendra aux variarions de la lune , des cometes & des planetes dont les vitefles s'accélerent précifément, quand elles s'approchent les unes des autres c'eft-a-dire, quand le choc de leurs tourbillons devroit retarder leur mouvement; enfin quand il nous pariera de ce fluide Sc de ces tourbillons quifuivent ou font fuivre aux corps céleftes la raifon inverfe du quarré des diftances , penfez-vcus , Madame3 queM. de BufFon ne trouvera. pas de quoi humilier lui-même Padverfaire des Epoques ? Ne vous flatrez point que notre Philofophe ait été plus heureux' dans fes; propres idéés que dans celles que nos Carthéfiens décrépits lui ontdiéfées. En. voici au moins quelques-unes que vous. trouverez un peu fingulieres. Savez-vous pourquoi la terre tourne fur elle-même dans un jour, la lune dans un de fes mois r Jupiter dans dix heures ? c'eft paree que E£  354 Lis Provinciaiis le foleil tourne fur lui-même dansvingtcinq jours & demi. Savez-vous pourquoi nos cometes & nos planetes tournent dans des fens fi dirférens l c'eft paree que le foleil tourne toujours dans le même fens. En un mot , tout ne tourne que paree que le foleil tourne. Voila ce qui a paru démonrré a M. de Marivetz {Phyf. du monde 3 Lettre d M. Sennebier). Savezvous encore pourquoi 1'Océan s'étend d'un pole a 1'autre dans les deux hémifpheres ? c'eft paree que les poles fe font applatis. Vous aurez de la peine a concevoir cette explication , & vous direz peut-être a M. le Baron que fi la force compreftive des poles a produit quelques fentes dans lefquelles la mer s'eft précipirée, ces fentes pouvoient aufli-bien fe former,. & placer 1'Océan enrre 1'Afie & 1'Europe , qu'entre 1'Europe & 1'Amérique : loin de m'éronner de ces objeékions , enchanté de venger M. de Buffon, je ne chercherai qu'a. vous en fournir de nouvelles. Ainfi , quand vous lirez dans la Phyfique du monde , pag. 2 $ 9, que 1'Afrique a du fe féparer de 1'Europe, paree qu'elle faifoit effort vers 1'équateur, je vous inviterai a demander fi 1'Europe ne faifoit  Phiiosophiques. 3 j j pas auffi effbi t vers 1 'équateur, & fi eet efFort ne la preffoit pas vers 1'Afrique, au lieu de 1'en féparer. Quand M. de Marivetz voudra vous perfuader que la viteffe de rotation de la terre augmente (P. 240), c'eft-a-dire j que les jours deviennent chaque année pluscourrs que les années précédentes, je vous prierai de lui demander combien d'heures ils ont perdu fur 24,depuis affez long-tems qu'on les obferve ? s'ils ont jamais été de 48 ? Sc quand viendra le tems oü les nuits Sc les jours ne feront plus que d'une heure. II faudra bien croire d'autres chofes avec 1'antagonifte des Epoques. Les eaux diminuent chez lui,fi je ne me trompe, aufli-bien que les jours 3 Sc 1'Océan enfin doit fe trouver a fee j ce qui revient affez a votre idéé Sc a celle de quelques autres Philofophes ; mais puifque M.de Marivetz ne nous dit point avec M- de Buffon que les huïtres changent 1'Océan en pierres de taille , nous lui demanderons ce que les eaux deviennent. II faudra encore (Oh! pour le coup, Madame, ceci me paroït un peu fort), fi nous en croyons M. de Marivetz, il faudra (e laiflér perfuader que les monFf ij-  5 6 Les Provinciales tagnes font plus légeres que les plumes; qu'elles font plus légeres, paree qu'elle» font plus folides ; que plus elles étoient folides., plus elles ont dü s'élever; qu'elles deviendront ft folides qu'elles pourront un jour floiter fur les eaux s 8c voguer dans le vague des airs. Malgré 1'envie que j'ai de trouver des rores a M. le Baron , ne croyez poinr, Madame , que celui-ci ne foit qu'imaginaire. Il faut qu'il rétracle fes principes, ou qu'il en admette les conféquences. Ne nous ditil point, pag. 2.40^ que les régions qui occupoient le milieu des continens, ont .dü j par leur exces, de folidité, prendre plus de force centrifuge, & s'elever audejjus des régions qui s'approchent davantage des parois des grandes ftiffures , ou des bords de la mer! N'a-t-il pas ajouté que c'eft en effet vers le milieu des continens que font les plus grandes hauteurs , ou les plus hautes mouragnes.! Or, qu'eft-ce pour un corps , je vous prie, qu'eft-ce que prendre plus de force centrifuge par excès de folidité, fi ce n'eft de venir moins pefant fur le centre, 8c plus léger, paree qu'il devient plus folide? Les montagnes de M. le Baron font donc moins pefantes fur le centre  Philosophiques. 35^ de la terre, elles font plus légeres que la plumej paree quelles font plus folides. Par une conféquence égalemenr jufte , nos plaines , éloignées des parois de la grande fcilfure ou des bords de la mer, ne devroient-elles pas devenir chaque jour plus légeres & plus folides j en fe defféchanr, & s'élever en forme de montagnes ? les anciennes hauteurs ne devroient-elles pas continuer a s'élever ? ne vous feriez-vous pas appercue que le mout Coiron & le Tanargue s'élevent chaque jour , depuis que POcéan eft loin de nos cótes? ou plutót, dites-moi, fi quand on a de pareils principes fur Porigine des montagnes , on ne feroit pas mieux de nous laiffer croire a. celles que M. de Buffon a vu fe former, a mefure que la terre ceffoit d'être foleil de verre fondu ? Non , je ne reviens pas de ma mauvaife humeur. Vainement M. de Marivetz paroït-ü difpofé a fe réconcilier avec la philofophie , par des époques bien aurremenr anciennes que celles de Moyfe ; il nous a appris a calculer celles de M. de ■Button ; les hennes, foumifesa la même épreuve, fe trouveronr-elles mieux démentrées? Vainement encore cherche-t-  3 5 S Les Provinciai.es il a donner le change au préjugé religieux , en voulant diftinguer dans la Bible des vérités de raifon , & des vérités de révélarion. Tous nos bons croyans lui diront, que Thiftoire de la création ne contient en effet que ces vérités de révélation auxquelles il veut proure fi foumis. Loin de lesadoucir, en prétendant que Dieu n'a révélé que ces vérités néceffaires aufalut, ces vérités auxquelles la raifon ne pouvoit s'élever d'elle - même , ( Pref. p. 112 ), il les révoltera par cette diftinétion , qui nous laifferoir parfaitement libres de croire ou de ne pas croire une bonne partie de leurs Livres facrés. Ils lui répondronr, que foir que la raifon puiffè ou ne puiffe pas s'élever a une vérité , dès qu'elle eft confignée dans leur Bible , elle devienr auffi ftri&ement vérité de foi, que routes les autres vérités de révélation ; il aura beau faire , ils prendront cette excufe pour une véritable injure faite a leurs Ecrivainsinfpirés , dont il eft en effet affez abfurde de penfer qu'ils auroient plutót adopté le menfonge dans les objets de la raifon , que dans les vérités de la révélation. Aura-t-il encore rendu un grand fer•vice a la philofophie, quand il aura dit  PHIIOSOPHÏQtJES. 359 que nous fommes de ceux aux difputes defquels Dieu a livré le monde ? (ibid. ) On rira de nous voir emprunter nos droits d'un pafTage qui n'eft qu'une détiüon de la philofophie , & dans lequel nous fommes condamnés a faire de nouveaux &c de nouveaux fyftêmes jufqu'a la fin du monde , fans efpoir de découvriu la vérité. ( Eccl. ch. 3. v. 11). Convenez, Madame } que la philofophie pouvoit fe pafter d'un pareilAvocat j mais telle eft fon adreffè; il cite pour nous juftifier des textes qui feroient notre eondamnar-ion ; & pour fe juftifier luimême , il fe rend plus odieux. Pour diminuer le crime dont il fe rend coupable par la réfutation d'un de nos Phifofophes, les plus accrédités , il recueille avec foin des autorités contre ce génie fupérieur. II nous cite des hommes refpeéfables , qui ont imprimé que M. de Buffon. n'avoit ni l'efprit d'analyfe , ni.... L'indignation m'arrache la plume des Riains. Si je Ia reprends , que ce foit pour rcrafer le fyftême de celui qui a voulu jkrafer fous fes calculs & le monde de »rerre , & les molécules organiques ; que ce foit pour combattre ce prérendu fage, trui fenible avoir dit au préjugé de nous  360 Les Provinciai.es laiffer faire , que nous fuffirons nous* I même a nous détruire. Pardonuez, Madame, a mon indigna-l tion.Mamauvaife humeur contre M.deJ Marivetz ne m'empêche point d'être! avec le plus profond refpeót, &c. 1 Observations cïun Provimial fur la Lettre précédente. A.ux difficultés que la mauvaife hu-, meur de M. le Chevalier lui a fuggérées contre le fyftême de M. de Mari-i verzj nous ne chercherons pas a en: ajouter de nouvelles : nous obferverons feulement que fi la paflion d'établir un fyftême nuit en gt'néral aux progrès des fciences, nous déplorons fur-tout fes ttiftes effets, lorfqu'elle s'empare de ces hommes dont les connoiffances &é les talens promettoient a la patrie les plus grands fervices. Quelle obligation n'aurions-nous pas a M. de Marivetzi &c a fon favantCoopérateur M. deGauffier , fi au lic'u de s'occuper a nous pré» parer un fyftême qui aura fans doute le forï  Philosophiques. 56V fort de tous les autres , ils euiïent confacré leurs travaux a perfectionner cette carte générale dont la France attend les pjus grands avancages pour fa navigation intérieure & la direétion de fes grandes roures ! Quel tems précieux «'ont-ils pas employé a combiner leurs tourbillons , leur mariere fubtile , la force centrifuge, &c. Eh que font ces tourbillons a nos grands chemins, aux cours de nos rivieres , aux canaux qu'il convienc de creufer pour l'utilité du commerce ! Qu'importe a nos Savans Géographes que les adres tournent uniquement paree que le foleil tourne ! C'eft la terre qu'dfaut confidérer , puifque c'eft fa furface qu'il s'agit de connoïtre: tous les regards lyftématiques que .vous jettez ailleurs , vous expofent a Terreur &: aux contradiclions les plus juftes. Je Tai dit : je n'ajouterai point aux objeclions de M. le Chevalier ; mais quelle que foit fon antipathie contre Torigine que M. de Marivetz donne i TOcéan , je fuis bien aife de lui apprendre que j'ai vu deux Philofophes qui penfoient bien différemmenr. Je rapporterai même une auecdote qui fera Gg  Les Provinciai.es comprendre aux Leóteurs combien nos fyftématiques font jaloux de leurs idéés, quel prix ils attachent a la gloire de 1'invention , & ce que c'eft pour eux que prendre date. f M. Buffillon nous a déja donne quelques volumes : j'ai trop d'égard pour lui pour le nommer ici par fon vrai nom , fe Chevalier de ** nous prépare un nouveau fyftême : j'étois chez le premier de ces Meflieurs , quand je vois entrer le Chevalier affublé d'un long manteau , la tête enfoncéedans fon capuchon, les cheveux en défordre lui couvrant une partie du vifage, un exemplaire de la phyfique du monde fous le bras : je n'avois pas encore 1'honneur de le connoïtre j a fon air je le foupconne Auteur & Philofophe. Eh bien , lui dit lYÏ. Buffillon , dès le premier abord , que penfez-vous du Baron de Marivetz! car je n'ai pas encore lufon monde. Je Pai lu tout entier dans la joumée , répond le Chevalier , je n'en diiai pas grand chofe ; j'y ai rrouve cependant une bonne idéé que j'avois depuis long-tems ; il m'aprévenu , je fuis fiché de n'avoir pas pris date, il en aura la gloire Quelle eft donc  Philosophiques. 363 certe idéé?. . C'eft Ia théorie des men & des montagnes fondée fur Tapplanfu femenc des poles . . . Comment! s'écrie ici M. Buffillon , il a eu cette idéé ! il la déja imprimée ! je fuis perdu, je fuis perdu ; il faur que je déchire rous mes manufcrrts. C'eft mon fait, mon orand fan , celui par lequel j'expliquois tbut* voda qui eft fini, je ne puis plus donner la fuite de mes ouvrages; mais comment aviez-vous eu vous - même cette grande idéé , je Pavois gardée fecrete jufqu'ici. Que n'en ai-je pris date... Je crois devoir confoler M. Buffillon; je lui dis que les grands hommes fe rencontrent fouvent, que cela ne doit pas empêcher.... M. Buffillon eft inconfolable. Ah! ne men parlez pas. Quel plaifir de venir après les autres! Mon lyftême ne fera plus a moi. On ne croira jamais que j'aie été le premier a connoïtre le grand fair. . . . Mon idéé majeure , mon grand fait ! A ces mots , je crois voir M. Buffillon s'évanouir de douleur. II retombe fur fon fauteuil , il ne dit plus le mot. Le défefpoir le 'réveille. Mon idéé majeure ! mon fait, s'écrie-t-il encore; & alors de frapper fur la table, de jeter par terre fes ouGS ij  '3^4 Les Provinciales vrages 3 de chercher fes manufcrits. II alloit les jeter au feu , lorfque je le vis s'appaifer tout-a-coup (i). Le Chevalier prend ce moment pour fortir , en difant qu'il a encore quelques autres jdées majeures. 11 court en prendre date, Sc prier un Journalifte de les publier au premier jour. Je m'échappe en même tems, Sc Pon penfe bien que c'étoit en difant: Ou étois-tu , Molière ! ( i) J'ai fu depuis que ce qui avoit confolé fi fubitement M Buffillon , c'eft qu'il réfléchit qu'en donnant a fon idee majeure une nouvelle tournure, en faifant, comme tant d'autres Philofophes, qui fe copient pour le fond, & ne varient que dans la maniere de débiter les mêmes idees, la fienne pourroit encore avoir le mérite §i la glojre de 1'invcntion,  Phii,osophiqves: f'éê LETTRE XXX. #e M. / trats, vos Curés, & même tant de jeunes gens dont la tête eft encore remplie de leur catéchifme ? Qu'y gagnerez.vous , en montrant d'abord toutes nos intentions ? On refufera de vous entendre ; la philofophie fera rcpouftee par les premiers fcrupules. Au lieu qu'en éloignant toute idéé d'incrédnlité , en ne préfenrant vos fyftêmes que comme un objet effentiel & important dans l'hiftoire phyfique & naturelle du globe , vous excüerez au moins la curiofité. Bientöt vos compatriotes eiïaieront de combiner nos hypothéfes avec leurs anciennes opinions ; enfuite ils connoïtront 1'impoffibilité &le ridicule de cette prétention. Il faudra faire un choix ; & foyez perfuadé qu'après avoir fait de vains efforts pour concilier Moyfe & nos cometes génératrices , ou nos déluges de vingt mille ans, après s'être un peu familiarifés avec 1'homme poiffon de Telliamed, ou le Prototype de Diderot, vos bons Helviens fe trouveront Philofophes , prefque fans Ie favoir. Il s'agit feulement de les déterminera nous écouter fansfcrupule, de leur perfuader combien ils fontinjuftes en traitant d'incrédules des gens qui ont toujours quelques  57° Les Provinciales pages confacrées a fe réconcilier avec Moyfe, Iors même qu'ils font forcés de croire aux molécules organiques, au rhinocéros & & la fouris fortis du même pete j anx ceufs des monragnes ou de la June ou bien au mouvement, feul auteur des plantes, des animaux , de Thomme. Lailfez-vous perfuader. M. d'Alembert femble précifémenr n'avoir écrit que pour vos Provinciaux. Nous exrrairons au moins quelques palfages de fon apologie de nos fages. Vos amis auront foin de fe les inculquer dans la mémoire. Ils fauront en faire ufage dans les fociétés ; ils les placeront a propos. Avant d'entrer en matiere , & d'expofer nos fyftêmes , ils commenceront par tranquillifer les confciences alarmées. Dulfent-ils en venir a vos Océans fans coquilles pendant fix mille ans , & fans poiffons pendant trois ou quatre cents fiecles, foyez perfuadé qu'ils feront écoutés fort paifiblement. J'aurois cru réfiftera la fagelfe même , & vous refufer un moyen dans le fonds affez efficace pour préparer les voies a la philofophie , fi j'avois rejetté plus longtems les confeils d'un homme qui fe connoit fi bien dans 1'art de ménager  Philosophiqu es. 371 nos profélytes. Je me rends afes lecons , & vous trouverez a la fuite de cette lettre, les divers paffages qu'il a extraits lui-même de notre prudent Apologifte. Puilfe 1'ufage qu'en feront nos amis j accélérer auprès de nos comparriotes les progrès de la Philofophie. Puiftions-nous au moins devoir a la fageffe &c au zele de M. d'Alembert , des fuccès que des lecons données avec moins d'art & de ménagemenr ne fauroienr nous promettre. Mais vous fentez bien la différence que nous mettrons toujours entre ces efprits timides & pufïllanimes , qu'il faut difpofer a nos fyftêmes par tant de précautions, & ceux qui, comme vous, iront au-devant de la philofophie , &C s'emprefTeront de lui applanir les voies* J'ai 1'honneur d'être , &c  '37* Les Ph.ovinciai.bs ExTRAlTS de PAhus de la Critique en matiere de Religion t par M. d'Alembert. -»====ii^^^ -■ ■■> PREMIER I ÜX T E. tndijférence des fyftêmes } relativemcnë d la Religion. C)n a votjlu lier au Chriftianifmé les fyftêmes de philofophie les plus arbitraires. En vain la Religion, li fimple & fi prccife dans fes dogmes , a rejeté conftamment un alliage qui la défiguroit: c'eft d'après eet alliage imaginaire qu'on a cru la voir attaquée dans les ouvrages oü elle 1'étoit le moins. [Abus de la Crit. N.° 4. } SECOND TEXTE. Incompe'tence des The'ologiens. L'Etre fuprême a pu dans un même inftant, créer Sc arranger le monde,  P H I l O S O P H I Q UE 5. f73 fans qu'il foit pour cela défendu au Philofophe de chercher de quelle maniere il auroit pu être produit dans un tems plus long, tk en vertu des feules loix du mouvement érablies par 1'Auteur de la Nature. Le fyftême de ce Philofophe pourra être plus ou moins d'accord avec les phénomenes; mais c'eft en Phyficien, & non en Théologien qu'il faut le juger. (lbid. n°. 16.) TROISIEME TEXTE. JVc^/e idee de la Divinité, puifée dans les Syfiêmes. Quel inconvénient y a-t-il a dire que ï'Etre fuprême, en créant la matiere , & la formant d'une feule malfe homogene & informe en apparence , a imprimé a fes différentes parties le mouvement néceflaire pour fe féparer ou fe rapprocher les unes des autres, & produire par ce moyen les dirférens corps$ que de cette grande opération , 1'opération du Géometre éternel font fortis fucceftivement & dans le tems prefcric par le Créateur, la lumiere, les aftres, les animaux & les plantes. Cette idée., fi grande & li noble non-feulement n>  374 Les Provinciai.es rien de contraire a la puiflance ni a la fageffe divine , mais ne fert peut-être qu'd la développer davantage du monde enüer. Que feroit-ce en effet que le chaos, (mon une malle auffi informe que vafte, compofée de toutes les parties de la matiere exiftante; 8C dèsdors quelle force phyfique pourra  Philosophiques. 3S3* fes féparer pour en former des globes, des terres, des foleils, des planetesy. Sec. ? Le chaos exifte feul, tomes fes parties tendent avec effort vers lemêmecentre; d'ou ferez-vous partir la force qui doit les défunir & les tranfportés a des millions & des millions de lieues, en les arrachant a la gravitation univerfelle qui les rapproche toures ? Eft-ce a 1'action de Dieu que vous recourrez? Dès-lors 1'explication n'eft plus phyfique. Eft-ce a d'autres corps plus puiffans que le chaos f 11 n'en exifte point. Ce chaos une fois fuppofé , reftera donc éternellement chaos! M. d'Alembett ne nous préfente pas une explicarion plus phyfique , quand il a recours a 1'opération de 1'éternel Géometre. Ce n'eft point aux hommes a décider ce que 1'éternel Géometre peut ou ne peut pas faire; mais s'il étoit vrai de dire qu'il imprima d'abord a toutes les parties du chaos le mouvement néceffaire pour produire les différens corps , & pour que Ie monde fe trouvar non-feulement arrangé dans le tems prefcrir, mais encore enrichi de toutes fortes de plantes, & peuplé de Routes efpeces d'animaux: il feroit aufti  '3*4 Les Provxnciales vrai de dire que ce mouvemenr ne fut poinr du rout conforme aux loix actuelles de la phyfique. II n'eft point dans ces loix que parmi des aftres chalfés par une même impulfion, aux diftances les plus variées, & par les dire&ions les plus divergentes, les uns cedent de fe mouvoir pour obferver entr'eux la même fituation, ainfi que le font nos étoiles fixes , tandis que lés autres , agités encore par la même impulfion , confervent autour d'un centre commun des rnouvemens diurnes & annuels, trèsvariés. Il n'eft point dans ces loix que la même impulfion produife des aftres, des animaux, des plantes. Si vousadmettez plufieurs impulfionSj elles feront chacune un effet immédiat de la toute-puiffance divine & un nouveau miracle. Le développement du chaos n'admettra donc jamais une explicarion phyfique. Nous 1'avons dit ailleurs , nous croyons devoir le répéter ici : les loix de la phyfique font pour maintenir 1'ordre ; il n'en exifte point pour 1'écablir. Ce fut cependant un vrai génie, que celui qui nous dit le premier : Donnezmoi de la matiere & du mouvement',  r Philosophiques. t Sc je ferai un monde. Sous un certain af• peót , cette idee préfente quelque chofe ' de grand & de fublime; mais le malheureux fuccès de Defcartes fuffifoic a pour montrer ce qu'elle a de faux & de | défeétueux. II falloit ajoutet : Lailfez| moi mairre de donner au mouvemenrde nouvelles loix , car celles qui exiftent ne fuffifent point a mon deffein. Au refte , li M. de Voltaire fe rrouve englobé dans la diarribe de M. d'Alem^ j bert contre ceux a qui la penfée de Defcarrés femble préfomptueufe ,cet inconvénient eft fans doute contraire aux intentionsde M. d'Alembert. C'eft aux cenfeurs théologiens qu'il paroït en vouloir plus particuliérement. Qu'il nous foit permis d'examiner fi leurs torts font auffi grands qu'il nous les préfente. - j. Dans ces tems 011 les loix de la phy11 fique étoient trop peu connues , dans « i ces tems fur-tout oü la révélation n'avoit ■: i< point appris aux natious comment Ie c i P^mier être avoit tiré les autres du néant, Sc dans quel ordre fa toute puifx fance les avoit appellés pour former 011 aipeupler Punivers, le développement du ■M chaos fut Pobjet naturel des recherches | i philofophiques. li  jStJ Les Pro vinci ale s Thalès , Anaxagore , Leucippe , & tant d'autres anciens faifeurs de fyftêmes , ne fauroient donc être blamés des efforts qu'ils ont faits pour le concevoir & 1'expliquer. , , Les loix de la phyfique , & la révélation , nous montrerent enfin Pinutihte de ces efforts \ mais lesGrecsnous avoient tranfmis leur maniere de Philofopher; il nous falloit encore des fyftêmes. Nos fages, en croyant a la révélation, ne s'en crurent pas moins autorifés a chercher au moins ce qui auroit pu arriver en prefcindant de 1'adion immédiate du Createur. La théologie pouvoit abfolumenc fe taire , & lailfer nos Philofophes fe livrer a leurs inutiles fpéculations. Je dis inutiles , paree qu'euffent-ils tous enfemble invenré une feule hypothefe phyfiquement poflible , il auroit toujours eté fort incertain fi le Créateur , en formant 1'univers s avoit réellement fuivi leur fyftême , & paree qu'euffent-ils rencontré des poffibilités,la révélation n'auroj pas été moins néceffaire pour s'affurer du fait. . Cette inutilité des fyftêmes ne frappa point feule les Théologiens. lis craignirent que les hypothéfes ne fuflent un jout  Pmilo s ophiques. 387 prifes pour la réalité , & qu'en adopranr. les fuppofitions poffibles ou impoffibles des Philofophes, on ne s'accourumat a oubher les fairs tels qu'ils font expofés par 1'Hiftorien facré. Nos Lucreces modernes n'ont-ils pasjuftifié cette crainte ? Forcés de rougir des abfurdités qu'ils onc écrites dans tous les autres genres , c'eft par les loix de la phyfique, qu'ils fe font flattés d'oppofer a la révélation des armes plus puiftantes. Ce fonr ces loix fur-touc qu'ils affeftent d'invoquer contre Moyfe. lis nous font des hiCtoires phyfiques du foleil, des hiftoire,s phyfiques dek terre , des hiftoires phyfiques des montages ; Sc toutes ces hiftoires ne font que des fyftêmes anti-Mofayques, ami-Religieiix. Ils n'entaftent pas, commes les Géans , montagnes fur monragnes , pour efcalader les cieux , Sc pour dctröner Jupiter ; mais ils entaftent fiecles fur fiecles, pour ia formation d'une feule montagne , Sc pout détröner le Dieu qui dans fix jours créa le foleil, k terre Sc les montages.' Al'ombre de leurs hypothéfes , plufieurs ont travadlé a nous faire abfolumenr rejetter la création. M. d'Alembert eft trop jufte , fans doute, pourdéfapprouver notre indignation contre ces fanatiques enli ij  388 Les Provinciai.es nemis de la Genefe. H nous dira peutêtre qu'il ne faut point confondre avec cesfanatiques , ni les Buffon, ni ceux qui s'effbrcent au moins d'accorder leurs fyftêmes avec nos Livres faints. Nous en couvenons; mais combien de gens ne voient dans ces efforts qu'une fimple précaution contre laSorbonne , & quelquefois même qu'une vraiedérifion ?On ne fauroit au moins difconvenir de la violence qu'il faut faire au texte facré, pour y trouver le moindre rapport avec les jiées de nos fyftêmatiques: & qu'en arrivé -t-il ? Les gens peu jnftruits , croyant ces fyftêmes phyfiquement prouvés , abandonnenr Moyfe : plus fouvent ils ne croient ni aux fyftêmes, ni a 1'Ecriture trop inndélement expofée. La foi n'en eft pas moins perdue pour eux. Les fyftêmes des Philofophes ne fonr donc pas une chofe indifférente pour Ia Théologie. , Malgré la tournure que M. d A^emhert cherche a leur donner, ils ontdü exciter 1'attention de PEglife par PiJée qu'ils nous donnenf de la Divinyé. Qu'eft-ce donc que ce Dieu de nos fyftêmatiques ? Qu'il me parok petit dans leurs lecons! que fes moyens font fox-.  Philosophiques. ^89 bles ! que fes opérations font lentes ! que fa toute puilfance eft obfcurcie ! Quoi, eet Etre fuprême a ctêé Tunivers, & il attendra des fiecles & des fiecles , que le mouvement ait mis Tot* dre dans fes ouvrages, Sc rempli fes projets ? 11 lui faut des tems , Sc des tems plus longs , pour former les cieux , la terre , Tocéan , Sc pour voir fortir de 1'impulfion , la lumiere , les planres & les animaux. II veut peupler la terre , & lui donner un Roi; Sc il la laifféra pendant deux mille ans en proie au feu qui La dévore ? & _ il préparera , par des fiecles d'inondarion la demeure de 1'homme ? Sc des milliers d'années s'écouleront après la naiffance des fimples animaux , avant qu'elle ne puiffe lui donner des adorateurs ? Pareil au foible artifte dont Touvrage dépend des moyens Sc des tems , il invoquera tour-a-tour 1'acTion des élémens , pour confommer fes opérations ! Ce n'eft point la Tidée majeftueufe que j'aime a me former de la Divinité. Qu'on ne me dife point que le Dieu de Moyfe femble annoncer auffi qu'il a befoin des tems, puifque fix jours s'écoulent avant que Touvrage de la création' ne li iij  j't)0 Les ProVinciales foit confommé. Je ne vois ici les effets fufpendus , que paree qu'il lui plan de fufpendre fes qrdres. Les opérations ne font divifées que pour multiplier les merveilles , pour enmettre , ce femble, lacontemplation ala portéede 1'homme , & pour fervir de regie a fes travaux. Quand le Dieu de Moyfe , prononce : Que la lumiere fe fade, que la terre paroiffe 3 la lumiere fe fait, la terre a paru. Je fens qu'il pouvoit tout vouloir. tk tout faire dans le même inftant. Ce n'eft pas la le Dieu de vos fyftêmes. 11 importoit donc a la théologie que l'efprit de fyftême füt moins acerédité j paree qu'il impotte a la Religion & i 1'Etat, que 1'idée de la Divinité ne foit point avilie parmi les hommes. 11 importe encore a la Religion , que le fens naturel de fes Livres facrés, ne foit point fans cefTe forcé & altéré par des interprétations fyftématiques & arbitraires , qui feroient varier la parole de Dieu comme celle des Philofophes. Ilimporte que les jours & les inftans ne foient pas pris pour des années & des fiecles , de peur que les merveilles du Tout-Puiffant ne foient regardées comme les effets les plus fimples & les plus naturels. 11 im-  P H I L O S O P H I Q U E S. 391' porte que nos fages foient moins occupés de ce que la matiere & le mouvement auroient pu faire , afin de nous Paillet admirer & contempler ce que Dieu a, fair. 11 importe que la terre &c les cieux annoncent a 1'homme la gloire & la puiffance de fa Divinité ; &C tous vos fyftêmes obfcurciflent fa gloire & fa puiffance. Us finiront bientót par annoncer l'empire du plus trifte des Dieux , de la ncceffité 3 du deftin , & des loix phyfiques qui le captivent. A Dieu ne plaife cependant que nous cherchions a exciter le courrouxde PEghfe contre nos fyftêmatiques. Toute notre intention eft de juftifier aux yeux de M. d'Alembett les précautions que^ des craintes trop bien fondées ontinfpirées a ceux que le danger de la foi devoit alarmer. Nous ajouterons mc-mequeces précautions , autrefois nécetfaires, font peutêtre aujourd'hui fuperfiues. Sans vouloir diriger la prudence de ceux qui veillent au dépöt de la foi, nous leur dinons prefque : Tolérez un inftant la fureur & Pabos des fyftêmes. Ceux de nos jours détroifent les anciens , de nouveaux détruiront ceux de nos jours. L'Allemand Leibnitz ne veut point de 1'Anglois li iv  3";?ï Les Provinciales Woodwart ; M. de Buffon réfute Leibnirz & Woodwart; M. le Baron de Marivetz réfure M. le Comte de Buffon ; Voltaire ne veut ni des Francois, ni des An2l ois , ni des Allemands fyftématiques; M. d'Alembert les excufe tous; Ia phyfique les profcrit toiis j elle fuffira un jour pous vous venger. Je n'infifterai point fur la maniere dont M. d'Alembert s'y eft pris pour juftifier par 1'Ecriture Sainte quelques unes de ces opinions fyftématiques. Si 1'on eft édifié de le voir recourir a de pareilles armes , on reconnoit fans peine a la maniere donr il s'en fert, qu'elles ne lui font pas tout-a-fair familieres. Quant a la diftinction que M. le Baron de Mariverz a imaginée entre les vérités de raifon & les vérités de révélarion contenues dans 1'écriture , les réflexions de M. le Chevalier fuffifent pour en faire connoïtre les incon véniens; mais puifque nous nous trouvons engagés par M. d'Alembert aparler le langage de la théologie s tachons de fixer les limites au-dela defquelles il n'eft pas permis au Phyficien de s'égarer , fans rendre fa foi trop juftement fufpeóte. L'Ecriture Sainte n'eft point un traité  Philosophiques. 39J de phyfique , & la raifon humaine fe pourra toujours librement exercer fur les objets de cette fcience \ voila ce que la théologie accorde fans peine a nos fyftématiques. Mais 1'Ecriture Sainte contient des vérités de fait, dont 1'explication tient en quelque forte a la phyfique. La théologie ne s'oppofera point aux diverfes explications que vous pourrez en faire ; elle exigera feulement qu'avant toute chofe vous commenciez par admettre le fait tel qu'il eft rapporté par 1'Hiftorien Sacré : on vous accorde même ledroitde démêler le vrai fens de 1'Ecriture dans les objets de votre fcience , c'eft-a-dire le droit de diftinguer le fait réel& vérirable, tel quel'auroient offert des expreftions phyfiques , du fait apparent, tel que le préfentent quelquefois des expreffions vulgaires Sc recues dans le langage ordinaire. Ainfi quand on objeéte au Phyficien que Jofué arrêra le foleil dans fa courfe 3 Sc que ce fait dépofe contre la révolution de la terre , il pourra répondre , Sc nous répondronsavec lui, fans crainte de manquer a la foi , que le vrai fait n'eft point ici celui que préfente 1'expreflion commune admife par 1'Hiftorien Sacré : il  "394 Les Provinciales importoit fort peu a Jofué que ce fut le foleil ou la terre qui s'arrêtat. Ce qu'il demandoit au Dieu d'Ifraël , c'étoit que le jour fut alfez prolongé pour que les ténebres de la nuit n'interrompiifent pas la victoire: Dieu prolonge le jour , & le foleil éclaire Jofué jufqu'ace que la victoire foit complette. Voila le vrai fait, celui que le Phyficien même ne fauroit nier fans taxerd'erreur 1'Hiftorien Sacré. II pourra 1'expliquer en faifant arrêcer le foleil ou la terre, dont Ie cours fufpendu auroit toujours produit le même miracle en faveur de Jofué; mais s'il veut que fon fyftême puifte êtreadmis, qu'il commence d'abord par Ie rendre conciliable avec ce fait & avec tous ceux que PEcriture fainte pourroit lui offrir de la même efpece ; que jamais Pabus de fes connoiffances ne le porte a en révoquer en doute Pexiftence, ou a les dénaturer ; qu'il n'attribue pas même aux caufes naturelles ce que 1'Ecriture Sainte attribue évidemmenta Popération immédiate & miraculeufe de la Divinité. Quand il aura lu dans la Genefe : Dieu dit au premier jour, que la lumiere foit; & la lumiere fut: au troifieme jour 3 que les eaux fe raffemblent, que la terre paroiifej  Philosophiques. 3 9 S les eauxfe ralTemblerent & la terre parut : lorfqu'au'cinquieme 8c au fixieme jour il verra encore a la voix de Dieu , les poilTons , les autres animaux & 1'homme paroïtre , qu'il n'aille point forger mille 8c mille fyftêmes pour nous expliquer comment au bout de trente ou de cent fiecles , ou dans un tems plus long , felon 1'exptellion de M. d'Alembert, la . lumiere fe développa , les eaux fe féconderent, la terre fe peupla. L'Hiftorien Sacré nous rappelleévidemment des ordres immédiatement fuivis de leur effet. Le Syftématique cbercbant a expliquer ces faits par de longues périodes & par des moyens puremenr naturels , ne fera jama"iS sue les dénaturer. Qu'il renonce a la révélation, pu qu'il croie a la voix du Dieu qu'elle annonce ; qu'il ceffe d'affeéter un vain refpecT plus féduifant peut-être que 1'outrage 8c le méptis décidé. Je le fais, ce mépris n'eft point également dans le cceur de tous nos Syftématiquesj ils ne veulent point tous infulter a Moyfe 8c a la foi de 1'Eglife ; c'eft uniquement la marche de la nature qu'ils cherchent a coniioirre ; il leur faut un aiguillon , un motif qui les fou-  35>^ Les Provinciai.es tienne dans Tétude pénible de fesmoyens, 6c dans les recherches laborieufes de fes produétions ; mais 1'efpoir de forger un fyftême eft-il donc le feul motif qui puiife nous foutenir dans cette étude ! Ja variéré , la beauté des objets qu'elle nous préfenre ne fufEfent donc pas pour nous dédomtnager ! & pour avoir la gloire de creer, il faudra méconnohre la voix du Créateur ! la nature elle - même mieux confidérée réprimeroiten nous ces folies prétentions : nous fixons fa marche , nous calculons les tems , nous lui aflïgnons des époques ; &c s'il eft permis de m exprimer ainfi , k nature fe jouedu rems & des époques; elle produit ici dans peu de jours ce qu'elle n'opere ailleurs que dans bien des années. Vous k faites paroitre dans fes premiers tems nue^pauvre, dépouillée de toute fa beauté ; & fes premiers tems furent dignes du Dieu libéral 8c magnifique qui la voit appellée du néant. Sa gloire eft: aujourd'hui d'imiter ou de reproduira fes premières richeffes. Souvent elle déHe votre ceil de diftinguer fon ouvra^e & celui de k Divinité; & fouventa Touvrage d'un inftant vous attribuezdes fiecles , i Touvrage des fiecles vous  Philosophiques. 397 dpnnez un inftant; elle rit de votre méprife , elle fe joueroit de vos fyftêmes ; mais la religion en gémit: l'un & 1'autre fe font réunis pour vous défabufer. *~—==*g|^ —» LETTRE XXXI. Réponse de Mme. la Baronne aux deux Lettres précédentes. Yous le diraüje franchemenr, mon ener Chevalier , vos deux dernieres lettres m'ont un peu divertie. j'ai ri de votre mauvaife humeur contre M. le Baron de Marivetz. N'eft-ce pas un principe de Ia philofophie que le choc des opinions ne peut qu'clecfrifer les efprits tk forcer la lumiere a fe montrer! la yar riétén'eft-elle pas d'ailjeurs la plus belle chofe du monde ! Vous avez beau dire. je crois qu'il nous faut des Philofophes qui réfurent des fyftêmes 3 comme ij nous en faut qui en imaginent il en faut même qui en rient ainfi que Voltaire , comme il nous en faut qui les juftifient trés - fcrieufement ainfi que  3 9$ Les Provinciale s M. d'Alembert: a propos de ce dernier favez-vous bien que nous n'avions plus guere befoin de fon plaidoyer ? la Philofophie dans votre patrie n'eft plus réduite a notre petite fociété ; nous avons déja fait un adez bon nombre de Profélites, a qui j'ai cru pouvoir communiquer vos lettres;p!ufieursfe font fait undevoir de les copier , & je me flatte qu'elles pourront bientöt être regardées comme publiques. Autant que je m'en fuis appercue , ce n'eft guere avec Moyfe qu'on eft jaloux ici de concilier nos fyftêmes ; ainfi le argumens de M. d'Alembert ne nous feront pas d'un grand fecours : j'ai vu que 1'embarras de nos bons Helviens étoit de les concilier les uns avec les autres, ou bien de favoirauquel s'en tenir. Vous avouerez qu'il n'eft pas facile de les loger tous dans le même cerveau ; les rejetter tous ne feroit pas aufli un parti bien philofophique ; il me femble au contraire que plus on en a dans la tête , plus on eft Philofophe. Voici donc le parti que j'ai propofé a vos amis ; je ne fache pas qu'aucun de nos fages s'en fut encore avifé ; il a paru neuf, & il a été acceptéd'une commune voix; nous fommes donc convenus de donner a chacun  Philosophiques. 399' des principaux fyftêmes un jour de la femaine. Le iundi nous ferons pour les foleils de verre, d'érnetil, de craie , de pierre-ponce , fur-tout pour la comete 8c les époques de M. de Buffon ; le mardi nous tiendrons avec Telliamed pour la terre dévidée par le foleil, 8c pour le broclwt ou la carpe nos très-dignes ancêtres ; Robinet nous fera paffer le mercredi afft s joyeufement avec les ceufs que pondent les montagnes , 8c ceux dont il a vu éclorre la lune 8c les étoiles; le jeudi Lametrie nous racontera les amours de la tigreffe, durenard, de la louve 8c de tous ces animaux charmans , dont 1'union a produit ce beau monftre que nous appellons homme; le vendredi fera pour la nature qui a faic 1'univers ; & le famedi pour funivers qui n'a point été fait. Par refpecT pour Voltaire , nous lui^ronfacrerons le dimanche: ce jour-la nous croirons aux Adams de toures les couleurs , ainfi qu'aux pélerins de St. Jacques; & puifqu'avec Voltaire il faut toujours rire aux dépens de quelqu'un , nous luilivrerons'l'animal prototype de M Dideror. Ainfi nous aurons chaque jour notre  4oo Les Provinciales philofophie; mais celle de la veillene reffemblera jamais a la philofophie du lendemain. Les mois Sc les femaines ne fe relfembleronr pas davantage : les oui & les non du même Sage nous fourniront affez de quoi varier. Nous ferons nous-mêmes bien de nouveaux fyftêmes, comme vous avez pu vous en convaincre par ma derniere letrre; Sc j'appercois encore un articledans lequel il nous fera facile de donner du neuf. L'objet eflentielde la philofophie n'eft-il pas de n'être jamais d'accord avec Moyfe ! N'eft-ce pas dans certe vue que vous ajoutez rous quelques milliers d'années a 1'époque du premier Adam 1 Eh bien nous nous y prendrons d'une autre maniere dans un certain fyftême que je médite encore. Nous retrancherons de Ia Genefe vingt ou trente fiecles; nous dirons que depuis le premier Adam , les monragnes n'ont pas eu le tems de pondre une feule fois ; qu'on n'a pas vu encore mie feule plaine fe confolider au point de devenir plus légere que la plume, Sc de s'élever en. monragne; que les molécules organiques n'ont pas produit une feule efpece nouvelle; qu'on n'a  Philosophiques. 401 n'a pas vu tomber fur le foleil une feule comête ; qu'il n'eft pas encore né une feule lune; que nos jours , nos mois & nos années ne fe font pas racourcis d'une feule minute. Avec ces argumens nous démontrerons que 1'homme eft un fruit très-nouveau dans ce monde, puifqu'il n'a pas eu le tems d'obferver une feule de ces merveilles. Nous retranchei rons donc des générations de Moyfe envirön trois mille ans. C'eft bien aflez , je penfe, pour être Philofophe; mais afin de 1'être encore davantage , nous aurons auffi des oui & des non, nous ajourerpns ce que nous avions retranché , en faifant toutefois attenrion que nos calculs ne fetrouvent jamais correfpondre aceux des bons croïans ; car c'eft la 1'effenriel; nous rétracferons ce que nous avions dir, nous redirons ce que nous avons rétra&é, enfin nous ne craindrons rien tant que Ia trifte uniformiré. Vos jeunes Parifiennes fe montrent raremenc deux jours de fuite avec la même coê'ffure ; nous n'aurons jamais deux jours de fuite la même opinion , le même fyftême : elles font toujours charmantes j en variant comme; elles nous ferons toa'Klc  'jfOt Les ProvinciAi.es jours Philofophes. Adieu, Chevalier; il n'y a que mon eftime pour vous Sc la philofophie , qui ne variera jamais. La Baronne de **: Ce 10 Juin, 1'an du monde, felon notre Bible, fi je neme trompe, 5,780 ou environ. L'an du monde, felon mon nouveau fyftême, i,684. ObSERVATIONS d'un Provineial fur la Lettre précédente , & fur les Syflêmes en général. jVTadame la Baronne eft au moins de la meilleure foi du monde. Ce qui lui plaït dans la philofophie fyftématique, c'eft qu'elle ne gêne point la liberté de l'efprit , c'eft qu'elle lui permet de varier dans fes opinions \ comme la mode luia permis de varier fa coé'ffure. Lamode desfyftêmes ne paffèra^peur-être pas entiérement, mais efpérons que les efprits folides s'en dégoüteront, & que nos Philofophes créateurs ou ordinateurs de la terre Sc des ciewx rougiront eux-  Philosophiques. 4 mêmes de toutes ces erreurs phyfiques, de ces contradicTions perpétuelles, de ces abfurdités fi multipliées que nous avons été fbrcés de leur reprocher. Gardons-nous cependant d'infulter a notre fiecle. Malgré tous les fyftêmes qu'il a produits , que l'efprit de parti , qu'un faux enthoufiafme ne nous fade point méconnoitre la fupériorité que 1'Aftronomie, la Phyfique & les Mathématiques ont acquife dans ces derniers tems. Gardez-vous , fur-tout, d'infulter a ce corps augufte qui chaque jour prépare de nouvelles lumieres a la poftérité , en confignant les fiennes dans lesvéritablesarchives des fciences & des arrs. Penfez que le nom feul des Clairaut, Lacaille , de Lalande , le Monier , Pingré , & de tant d'autres qui ont ajouté ou ajoutent encore a la gloire de notre Académie , rappellera toujours un fiecle de triomphe pour les hautes fciences. Nous vous permettons d'admirer le contraire, il eft trop fingulier. D'un cóté la fcience de la nature étend chaque jour fon empire ; 1'expérience & les obfervations nous donnent chaque jour des connoiffances plus exaéles ; & de Kkij  40'4 Lés Provinciales Paucre l'efprit fyftématique femble nin* fulcer a Pautorité denos Livres faints, que pour heurter de front les notions phyfiques les plus communes , & pour fubftituer a 1'expérience & aux obfervations les idéés les plus chimériques. Mais ce contrafte feul vengera Moyfe & la révélation. Ce n'eft plus fur les bancs de la Sorbonne que nous déciderons des fyftêmes ; c'eft dans le fanéhiaire même de la Phyfique que nous appellerons leurs auteurs. Oui c'eft au milieu dé fes propres confrères que nous invirerons Monfieur de Buffon a plaider pour fa Comete générattice vingt-huit mille fois plus denfe que la terrè , & fceur de cinq cents autres Cometes engendrées'par la même explofion , pour eet étain, ce verre, & eer éméril nageant fur la furface d'un aftre liquide plus léger que les eaux de notre Océan , pource foleil que frottent & font brillér les Cometes & les Planetes, mais qui frotte lui-même plus fortement la rerre 3 les Planetes, les Cometes, 8c les laiffe s'éteindre, &c. &c. C'eft encore devant ce même tribunal que nous voudrions voir Telliamed pérorant pour ces rayons qui dévident la  Pfll LOS'OPHIQUE S. 405 rerre ; Robinetpour Saturne & Jupiter tjui accouchent de leurs fatellires ; le Lucrece auteur du fyftême de la nature pour ces croutes folaires transforniées en Planètes, & Monfieur Diderot brochant fur le tout, pour nous démontrer que jamais notre ïliuftre Académie ne fera de grands progrès dans la Phyfique expérimentale ou dans la Philofophie rationnelle , a moins qu'elle ne foit bien perfuadée que le Philofophe, la fouris tk Péléphant ont le même animal pour pere commun ; & Voltaire après lui démontrant que la barbe d'un Suiffe fufKr pour nous inftruire que 1'Adam de la Genèfe ne trouveroit point fa poftérité dans les Américains. J'ofe ledemander, nos Académiciens pourroient-ils entendre fans être révoltés, des erreurs phyfiques auffi palpables que cellesda. Je le demande encore, fi les Philofophes qui nous onr débité ces erreurs, en voyoient de pareilles dans nos Livres faints , que n'auroient-ils pas fait pour les combattre? que n'auroientils pas dit de notre refpeéfc pout 1'Ecriture fainte? Ce font la cependant ces fyftêmes, ces théories prétendues phyfiques qu'on  40^ Les Pii©vinciai.ïs ofe oppofer a. Moyfe. C'eft ainfi qu'on prétend arranger 1'Univers , & nous faire oubüer la Genefe. Et c'eft dans le cours du dix-huitieme fiecle qu'on vient nous repairre de ces chimères Tnous n'avons eu befoin pour les réfuter que des premiers élémens de la vraie phyfyque. Pour peu qu'ils deviennent familiers a nos compatriotes , nous ne craindrons pas que 1'illufion puilfe durer long-tems. Mais dans ce fiecle même oü nos véritables Phyficiens s'occupent ovec tant d'avantage des progrès de leur fcience , ne pourroit-on pas dire que 1'étude de la phyfique eft beaucoup trop négligée dans 1'éducation du commun des hommes ? Tout le monde veut lire des fyftêmes , Sc très-peu de gens connoiifént les principes fur lefquels il faudroit en juger, indépendamment des regies de la foi. On fait, fi vous le voulez, un cours d'expériences plus curieufes qu'inftructives ; on admire quelques phénomenes de , 1'éleétricité , quelques opérations chymiques ; mais on abandonne les principes généraux , les loix invariables de la nature , celles de 1'impulfion Sc de la pefanteur j Sc voila la vraie caufe  Phiiosophiqües. 407 d'une féduction , que la plus fimple application des premiers principes auroit prévenue. J'ai vu de ces hommes qui avoient fait des cours de chymie SC d'éle&ricité , ignorer jufqua la proportion conftante dans laquelle fe diftribue le mouvement dans le choc des corps , & n'avoir pas la plus légere idéé des loix qui dirigent le cours des Aftres. Auffi les ai-je vus hors d'érat de réfoudre les moindres difficultés, héfiter en lifanjt le fyftême de la nature, dévorer aveuglement les fuppofitions le plus phyfiquement impoffibles comme des réalités , & finir par croire que le monde pourroit bien s'être arrangé de luimême. J'ai vu de ces Meffieurs qui fe croienr philofophes , lire les époques avec enthoufiafme , les expliquer même a une jeune époufe : ils appelloient cela former fa femme. Madame croyoit bientóta la Comete auffi fortement que nos bonnes vieilles croient au loup-garou. De tendres enfans devoient fe former a la même école; & une génération ignorante préparoit une générarion d'incrédules. Nous ne faurions donc trop exhorter ceux qui font chargés de 1'éducatioa  4o8 Les P r o v i n c i a l e s, &c. des jeunes gens, a les munirau moins des principes généraux de Ia phyfique. L etude en eft facile & agréable.la connoiffance en eft toujours farisfaifante ; mais fon grand avantage eft de nous mettre i porree d'apprécier les fyftêmes anti-religieux, de nous démontrer que jamais la fageffe de fhomme ne pourra fuppléer a la révélation , .& de nous rappeller néceffairement au Dieu de Moyfe, comme au feul principe de toute exiftence. FIN.