IDYLLES E T POËMES CHAMPÊTRES^ Par M. Leonard. A LA HAYE» Et fe trouve a Pa ris , Chez Desenne, Libraire, au Palais Royal, Paffage de Richelieu. M. DCC, LXXXII.  a POESIES Un autre embouchera Ia trompette gnerriere^ Décrira le tumulte & 1'horreur des combafs, Et peindra le héros tout couvert de pquifiere »' JLancant a fes cótés les flèches du trépas. Loin de ma Mufe, une fi noire image '. Douce & timide , elle aime les vergers, Le bruit des eaux , la fraicheur de 1'ombrage ; Sa flute en mam, elle fuit les Bergers. Mais plus fouvent, c'eft Églé qui m'infpire: Mes chants alors animcs par 1'Amour, Quand ie la vois tendrement me fourire , Sont aufli dnux que 1'aube d\m beau iour. Aimable enfant ! depuis que tu m'es cliere ; Un plaifir pur embellit mes inftans ; Et I'avenir ravonnant de lumicre , Offre i mes yeux un éternel printemps. Heureux le PhiloCophe , henreux 1'homme fenfible Jaloux de s'élancer vers 1'immortaüté , Qui parcourt des beaux arts la carrere pénible, Pour attacher un jour,furfa cendre paifible,  PASTORALES. les regards fatisfaits de la poftérité ! Plus heureux qui, chc Je me fentois preffé de leurs bras innocens, A J  I POESIES Que je goürois alors un bonhcur fans nuage ! En voyant s'élever ces tendres arbrifleaux , Mes.yeux de 1'avenir pénétroient la nuit fombre ; Je djfois : ils croïtront; leurs utiles rameaux Recevront ma vieillefle a 1'abri de leur ombre. J'ai jout, grace au ciel, du fruit de mes travaux , Et j'ai vu Ie fuccès pa.Ter mon efpérance. En rappellant les foins que j'cus de votre enfance De votre pere , un jour , béniffez Ie repos ; Mes fils ! fi je n'ai pu vous laiffer 1'abondance, Je vous ai fait des crcurs a 1'épreuve des maux : Ah ! quel eft le mortel exempt de leurs aflauts i Pour la première fois, quand je connus Ia peine, Ce fut, 6 ma Zélis! ce jour oü fur mon fein Ton ame s'échappa comme une douce haleine > Oü Ie froid du trépas glaca ta foible main , Que tu tentois encor d'attacher fur la inienne, Combien ce fouvenir m'a fait vcrfer de pleurs ! Mais de tous nos chngrins le tcmps tarit la fourcc: Douze fois la faifon des fleurs Au gazon de ta tombe a melé fes couleurs , Et le moment approche oü düit finir ma courfe. J'ai > de ce terme heureux, de fürs preffentimens:  PASTORALES. 7 Ce (oir, fur la colline oü repofe ta cendre , Je veux ailèmbler mes enfans : Toi qui me fis 1'objet de tes bienfaits conftans! Au dernier de mes jours, daigne encore m'entendrej O ciel ! fuis-moi mourir dans leurs embrairemens. A4  8 POESIES IDYLLE III. I a Va ine Promesse, thestile, dafh.hh. Ij e Midi prodiguoit fes brüiantes ardeurs , Et Thcitilc dormoit fous tin épais feuillagc , Quand tont-a-coup fur fon vifage II fent tombcr un nuage de fleurs. ii s'éveille furpris , appercoit fon Amante, Vcut courir dans fes bras , &: fe trouve cnchaïné j Plus 1'obfrac'e irritoit fon ame impaticnte , Et plus fon embarras faifoit rire Dapbné. Tu triomphes , dit-il, attends, attends , mechante Du nomd qui me retient je vais me dégager, Et par mille baifers je faurai me venger. Pui ! dit en fouriant la maligne Bergère; Eh bien ! je ne te délirai Qu'après que tu m'auras juré De ne point rn'embrafier pendant une heure entiere. Theftile y confentit. Daphné difoit tout bas : l  TAST O RAZES. 9 C'eft un ferment frivole & qu'il ne tiendra pas. Mais clle a beau, pour le féduire , Tourner fur lui, d'abord , un regard languiflant Sesyeux , pour cette fois , ont perdu leur empire, Elle a beau rappeller , &, d'un air agacant , lui ferrer la main , lui fourire : Ce nouveau charme eft impuiffant. Berger, dit-elle enfin , je crois 1'heure paffïe : Non , dit Theftile , i peine efi-elle commencée. Elle attendit cncor;mais au bout d'un moment,' L'heure eft paffee , afliirément, Dit-elle avec dépit, & comme un peu laffi-e : Oh ! cela ne fe peut, répondit le Berger. Eh bien ! donc , puifqu'il faut que je fois embralKe Ne tarde plus a te venger: Je te rends ta promefie & te permets de prendre Tant de baifers que tu voudras. . . La Bergère , a ces mots , fe penche dans fes bras , Lui jettc un doux regard , lui fourit d'un air tendre, Theftile ému balance un peu ; Puis cédant au defir dont 1'ardeur le tourmente, II applique a fa bouche une bouche de feu , Et par mille baifers , fatisfait fon attente.  10 POESIES IDYLLE IV, Za P i i t É F i Z 1 a X E. lycoris et sélime. Au déclin d'un beau jour, Lycoris & Sélime Ayant rairemblé leur rroupeau , Se repofoient fur un cóteau Dont le folcil doroit la cime : lis s'occupoient de Philémon ; Car ces jeunes enfans , modeles de tendreffe , N'avoient d'atitres plaifirs que d'en parler fans cefle. Si nous fommes heureux , j'en fais bien la raifon , Difoit Lycoris k fon frere , Les Cieux protegent notre pere : II le mérite ; il elt fi bon ! S É L I M E. N'en doute point , ma fccur ; fa vertu leur eft chere.' Un foir, fous le berceau voifin de fa chaumière, 11 dormoit d'un fommeil aufli doux que fon cceur : Sur fon front j'imprimaj ma bouche,  PASTORALES. if Et foudain ( foit amour , ou foit que fon bonheur Sc falie refféntir h tout ce qui le touche) Des larmes de plaifir coulerent de mes yeux. Ce bon pere ! difois-je , a quel point il nous aime ! ïl a veillé pour nous; & dans fon fommeil même, II fait cncor nous rcndrc heureux ! Lycoris. Hier , dans quel état il revint de la plaine ! Ah ! li tu 1'avois vu fe trainer avec peine , Accablé du travail & du poids de fesans!... Tu pleures , Sélime ! S £ .l i m e. Quel pere !..; Nous lui devons auffi des foins reconnoiflans. Écoute ; mais , fur-tout, que ce foit un myftcre j Du prix de ces panicrs que tu rne voyois faire, Je viens d'acheter un mouton ; Je le deftine a Philémon Lycoris. Et mol, pour 1'amufer , quand il eft folitaire , De mon oifeau chéri, je veux lui faire un don.  »* POESJES Zeur pere entendit ce langage ; II fortoit d'un buiifón voifin : II courr a fes enfans, les tient contre fon fein , Et des larmes de joie inondent fon vifage. O Dieu ! dit-il , ó Dieu! témoin de mon bonheur, Dans mes bras paternels, tu vois tout ce que j'aime t LaifTë-moi mes enfans ! c'eft la feule faveur Que je demande encor i ta bonté fupréme !  PASTORALES, 1} IDYLLE V. L'lKTNOCENCE DE l'A MOV Ri LUCINDE ET ZERBIK. Zerbik. O ma chere Lucinde! écoute: Je crains de nfabufer ; eft-ce toi que je voi ? Lucinde* Tu ne t'abufes pas : oui, Zcrbin , oui, c'eft moi. Zekbih, J'ai beau te regardet , j'en doute ; Mes yeux peuvent m'en impofer : Pour en être plus fur , laifTe-moi t'embrafier ! Lucinde. Zerbin ! nous fommes au villagie; Ce n'eft pas ici comme aux champs : Sais-tu bien que ces lieux font pleins d'efprits méchan», Qui font paffer pour crime un fimple badinage i  14 PO ESI ES Z e r b i n. Peut-on être faché que nous foyons heureux ? Lucinde. On dit que c'eft 1'honneur qui nous défend ces jeux. Z E R I I N. L'honneur a tort de les dél-ndre. Vas , ma chere lucinde , il n'y fi,ut plus penfer: Lai/!è-la eet honneur , & permets-mo' de prendre Un Laifcr fur ta main , feulemcnt un baifer. L u c i n de. Volontiers .... mais , 6 ciel! qu'eft-ce donc qui t'agïte ? Z e r e i n. C'eft un mal inconnu qui fait que je palpite. Lucinde. Hclas! Zerbin , ce mal eft-il bicn douloureux? Z e r e i n. Je fuis comme un enfant a qui tont fait envie. Quand j'ai pris un baifer , j'en voudrois prendre deux: Ai-je baifé ta main : je veux baifer tes yeux. Cette envie eft encor de mille autres fuivie.... D'ou cela vjent-il donc? Lucinde, apprends-le mol.  PASTORALES. l; Lucinde. Je te le demande a to;-même. 2 e r e i n. Tu dois mieux le favoir : j'ai moins d'efprit que toi. Lucinde. Pourtant je n'en fais ricn. Z e r b i n. Ma furprife eft extréme! Je fuis ravi quand je te voi ; Cépendant je friifonne en t'ahordant... pourquoi? Lucinde. Et d'oii vient fuis-ie trifte , inquiete , abattue , Quand je dois être un jour, un feu] :OUr fans te voir ? Je voudrois au matin que la nuit füt venue ; Je foupire en voyant le foir. Farois-tu : je rougis & je baifTe la vue. ... Tourquoi ce tourment-la > je voudrois le favoir. Z e r b i n. Je ne le concois pas. Lucinde. C'eft pourrant ton ouvrage : Car pour d'autres que toi mon cceur n'éprouve rien.  vS. P O E S 1E$ Je crois que c'eft plutót le tien : Car fi-tót que je touche a ton joli corfage , Voila qu'un feu fubit fe répand dans mon fein.... j Lucinde. Tu fais , quand nous jouons, combien je fuis joyeufe 2 Ccpendant... Z k r. b i n. Cependant? Lucinde. J'ai par fois du chagrin % Tout-i-coup je deviens taciturne , rêveufe ; Et je ne fais plus , a la fin , Quels jeux il me faudroit pour que je fuffe heureufe, Z e r b i n. Quand les jeux t'ennuiront , tu n'as qu'a les quitter : Je t'apprendrai des chanfonnettes. Quand tu ne voudras plus chanter, Je fais beaucoup d'hiftoriettes , Je pourrai te les raconter ; Puis d'autres paffe-temps rempliront notre vie. jEa variant ainfi nos jeux & nos difcours, Nous  PAST O KALE S. * Nous verrons s'écouler nos jours Comme lc ruiffeau pur qui fuit dans la prairie, Lucinde. Hélas '. contre ma peine inutile fecours! Souvent tu m'entretiens , dès la naiffante aurore ; Jufqu'au temps ou la nuit recommence fon cours : Quand nous nous féparons, il me femble toujour» Que tu n'as point tout dit encore, Z e k. b i n. je dis' cc que je fais ; mais 'il eft , je le voi, Eien d'autres chofes que j'ignore, Lucinde, C'eft ce que j'imagine ; & toi, Zerbin, & toi, Es-tu toujours content , toujours gai prés de moi? Zerbin. ' Toujours , Lucinde, hormis quand ce mal me tourmente; Je fens alors en moi , je ne fais quelle ardeur; Je voudrois t'embrafTer , te ferrer fur mon coeur: Je t'embraffe , te ferre.... & rien ne me contente. Lucinde. Ah ! je me doutois bien que tu fouffrois auffi. Mais, par quelle étrange difgrace ,  POESÏES Kotre bonne am'itié nous gêne-t-elle ainlï ? Plus j'y rêve , Zerbin , plus cela m'embarraiïe.' Z e r b i n. Seroit-ce quelque fort qu'on nous auroit jetté ? Lucinde. O ciel! que dis-tu-li? nous ferions bien' i plaindrei Zerbin. C'eft qu'il eft des Bergers dont on a tout a craindre: On dit que d'un feul mot ils ótent la fanté. Lucinde. Les méchans ! pourquoi nuire a ma félicité ? Jamais h leurs troupeaux je n'ai fait de dommage, F r o s i n e , qui les avoït écoutésfans étre apperfmi Eft-il poflible qu'a leur age On alt tant de fimplicité ? Lucinde, a Frofine, Ah ! vous m'avez fait peur. Zerbin. Pourquoi donc nous furprendre f F r o s i n e. iCalrhez-vous , mes enfans ; je viens de vous entendre:  TAST O RAI E Si s> Je fais quel eft le mal que vous fouffrez tous deux> Et j'ai, pour le guérir , des fecrets merveilleux, LuciNDKjfl Zerbin. N'eft-ce pas de ces gens qui font des fortiléges? Z e r b i n , a Frofine. Mais, vous ne venez pas pour nous tendre des piégesi. Vous curitz ton ! Lucinde & moi, Nous fommes de fi bonne-foi! F r O S i K Et Non : foyez rafliirés , je viens pour vous inftruïre. Lucinde. Et ce mal , s'il vous plait, comment 1'appellé-t-on; F i o s i » i. Êcoutez j je vais vous le dire : Mais ne vous vantez pas de connohre fon nom: C'eft 1'Amour. Lucinde et Zekbix'. C'eft 1'Amo ;r ! F r o s i n e. Oui: ce mot vous fait i'uci Zerbin. Nous Tignoriens jufqu'a, ce jour. li *  »• PO ESI ES L u c i n d e. Je voudrois bien favoir ce que c'eft que I'Araour.' F r o S i n e. L'Amour eft, de nos coeurs, le tourment & la joie ; II anime noï"yeux, il embellit nos traits : Par lui, le teint Jreurir , la grace fe déploie. La beauté , quand elle aime , a cent fois plus d'attraits Zerbin. Ah ! je n'en puis douter , car Lucinde eft charmante. F r o s i n e. Va Amant ne croit voir que 1'objet qui 1'enchante» Lucinde. Affurément , j'ai de 1'amour ; Car je crois voir Zerbin & la nuit & le jour...; F R o s i n e. Mais I'heure m'appelle i 1'ouvrage ; Adieu. Si vous vouiez en favoir davantage , Retrouvez-vous ici, je m'y rendrai ce foir. Lucinde. Je brule déja de vous voir; Car d'en parler , cela foulage.  PASTORALES. »i F r o s i n e. leile enfant! fois tranquille, & compte fur mes foins ; Je guérirai ta maladie. Lucinde. Ma bonne ! écoutez donc; je veux être gnérie, Mais non pas tout-a-fait, au moins. * 5  ** POESIES IDYLLE VI. Xe Bouquet. NINA ET DAPHNÉ. N i n a. "Vo i s le joli Bouquet que je porte a mon fein ! Quelle douce odeur il exhale ! Qu'on a bien afförti la rofe Sc. le jafmin ! Mon bouquet eft pour moi d'un prix que rien n'égale.' Auffi , je Pai baifé fouvent !. .. Si tu favois , Daphné , qui m'en a fait préfent ! D a p h h é. Et d'oïi vient donc , Nina , -que ce bouquet t'enchantt f Veux-tu que je devine ? . . Oh ! je luis penetrante. Pamon difoit. .. Nina. Pamon! D a p h n i. Oui : tu t'émeus i  PASTORALES. *ï Oh ! non ; Je ne fuis point émue ... eh ! que difoit Damon r D a p h n É. Je fentendois dire a Lifandre».. Le connois-tu , Lifandre ? Nina. Oui , oui , je le connois. D a p h n é. Ah ! 1'aimable Berger ! je veux te faire entendre Des couplets.... Nina. Mais , Daphné ! fi tu voulois m'apprendre.. > Daphke'. Volontiers : mais d'abord , écoute fes couplets, Nina. Soht-ils longs ? Daphné, Les voici. Nina. Tu me fais bien attcndre ! B4  M T0ES1ES Daphné'. Je dois rn'en fouvenir : c'eft pour moi qu'ils font faits! ( Elle chantc. ) O ! beauté folatre & légere ! Quelle Déeffe te forma ? Eft-ce Vénus qui fut ta mere ? Eft-cc 1'Amour qui t'anima ? Comine ta brune chevelure Releve ta vive blancheur! As-tu bcfoin d'autre parure ? E'art peut-il orner une fleur ? Eaiffe-moi contempler ta bouche Et les graces de ton fouris ! Que le Guerrier le plus farouche , En te voyant > devienne épris ! Qu'i tes pieds , le Poete chante ! Qu'au feul mouvement de ton fein , II fente fa lyre trcmblante Prite i s'échappcr de fa ma;n !  PASTORALE S. *j Que l'avare-aime fa richeffé ; Que le noble aime fes aïeux ■ Va ! ton amour fait ma noblelfé , Et ma fortune eft dans tes yeux. ( k Mna ) Ehbien! de ma cbanfon tu dois £tre contente!1 N'eft-il pas vrai qu'elle eft charmante ? Voila certainement une belle chanson. . .. Mais je voudrois favoir ce que difoit Damon. Daphné. II raffèmbloit des fleurs au pied de la collina Que tu vois couronné d'un buiffon d'aubépine. Pour Nina , difoit-il , je veux faire un bouquet. O Nina ! je t'aimai du jour que nos Bergères Célébroient le printcmps par des danfes légeres : De leurs refus Thamire étoit 1'objet, Et pour danfer tu fis choix de Thamire, En 1'abordant , je te voyois fourire D'un air iï doux , iï fatisfait....  ïö POESJES Nina. Adieu , je pars : il eft dans le bofquet. 3e lui ferai le fouris le plus tendre , Et je dirai: Damon ! fi tu revois Lifandre Dis-lui que fur mon fein j'ai placé ton bouquet.  PASTORALES. »7 I D Y L E VII. Les E p o v x. MlRTIS ET DAMON. D a m o n. ooi ! lorfqu'un doux hymen ccuronne nos amours , O Mirtis ! de tcs yeux je vois couler des larmes ! Muris, Bannis mes fecreres alarmes ! Cher Damon ! loin de nos fecours , Laifierons-nous ma tendre mere , Dans fa cabane folitaire , Achever triftement fes jours ? Damon. A quel foupcon ton cceur fe livre ! Pourquoi la féparer de nous ?■ Le mcme toit , Mirtis , pourra fuffire a tous : Auprès de fes enfans notre mere doit vivre.  ** POESIES Je ferai déTormais fon fils , Et mon amour pour elle égalera la tienne. .; Mirtis. Eh bien ! écoute-moi : d'abord , qu'il te fouvienne D'être docile a fes avis. ., Damon. Ch ! ta peux y compter , & je te 1'ai promis J Sa volonté fera la mienne. .. Et toi , Mirtis , peut-être un jour Tu deviendras mere a ton tour ; Nous aurons des enfans ; ils feront ton image ; Comme toi généreux , tendres , compatiiTans... Mirtis. 'Ah ! tu me fais frémir ! ces pauvres innocens ! Ils auroient , comme nous , Tinfortune en partage ; Je les verrois fouffrir ; mon cceur, mon trifte cceut Seroit déchiré de leur plainte j En fentant de leurs bras la careffante étreinte, J'épancherois fur eux des larmes de douleur. Damon. Ees cieux nous aideront , & je fuis jeune encorc : Tant qu'il me reftera du courage & des bras ,  PASTORALES. l9 Que nos enfans, Mirtis , ne t'inquietent pas ! Pour courir au cravail, je préviendrai 1'aurore. Ol combien la fatigue aura pour moi d'appas ! Quel plaifir de braver la neige & les frimats , Pour une époufe que j'adofe ! Mirtis. Pendant 1'ardeur du jour , quelquefois dans les champs, J'irai te préfenter une coupe écumante ; J'irai te ranimer par mes embraffèmens , Et ma main, de ton front efluira 1'cau brülante. „." Damon. Quels baifers , chere époufe ! ils feront pour mon coeui Ce que la fraicheur d'un bois fombre , Durant la canicule , eft pour un voyageur Impatient de gagner 1'ombre.. . Mirtis. Et quand le foir viendra , délicieux inftans ! Damon , il faut bien vïte aller trouver ma mere , Afin de diffiper 1'ennui de fes vieux ans. Damon. N'en doute pas , Mirtis : nous faurons, pour lui plaire , Varier nos amufemens.  30 TOESIES Mirtis. Tu Iui'raconteras quelque hiftoire touchante. Oh ! que tu peias bien la vettu ! Mon coiur eft vivement ému , Quand j'entends les récits de ta bouche éloquente. Damon. Je crois déji me voir aiiprès de nos enfans , M'occupant avcc toi de leurs jeux innocens.. . Quelles fcènes voluptueufes ! Je crois voir le plus jeune affis fur tes genoux , Entre fes levres amoureufes Exprimcr de ton fein un nectar put & doux , Et d'autres plus fprmés , fur ces roches' mouffeufes 1 Comme de jéunés Fans , bondir autour de nous.' Mirtis. II faudra leur apprendre a bien aimer leur mere.. . Je fens , i ce feul nom , renaitre ma frayeur. . O Damon ! fi j'allois leur devenir moins chere ! 8'ils ofoient me laiiTer, j'en mourrois de douleur. Damon. Vas! ils t'aimer'ont ; je 1'efpere. Eh ! s'ils ne t'aimoient pas , idole de mon ccrur , Seroicnc-ils le fang de leur pere?  PASTORALES. j, MmiSi Quand nos beaux jours feront paffés, Nous renaitrons dans notre image : Dans les plaifïrs de leur jeune age , Mille doux fouvenirs nous feront retracés. Damon. Mais , Mirtis , il n'eft point de félicité pure : Un jour , il faudra nous quitter. Quand la mort, dans tes bras , viendra me vifiter Confole-toi , je t'en conjure ! ..» Mirtis. Hélas ! fi je te perds , qui pourra m'arrOtcr ? Je te fuivrai , Damon ! vivons , mourons enfemble ; Que le même tombeau , tous les deux nous raffemblel On dira : ces époux font unis pour jamais ; Charmés de fe confondre , ils repofent en paix«  ?1 FOESIES IDYLE VIII. Xe B o n h e v r. H eur. eu x qui des mortels oubliant les chimères »' Poffede une compagne , un livre , üri ami lur , Et vit indépendant fous le toit de les peres ! Pour lui , le ciel fe peint d'un éternel azur; L'innocehce ernbellit fon front toujours paifible ; Ea vérité 1'éclaire , & dcfcend dans fon co=ur ; Et iar un femicr peu pénible , Ea nature qu'il fuit le conduit au bonheur. En vain prés de fa folitude , I,a Difcorde en fureur fait retentir fa voix : Eivié dans le filence , au charme de 1'étude , II voit avec douleur , mais fans inquiétude , les États fe heurter pour la caufe des Rois. Tandis que la veuve tplorée , Aux pieds des tribunaux va porter fes clameurs , Dans les embraflemens d'une époufc adoréc , De la volupté feule il fent couler les pleurs. 11 laifie au loia mugir les orages du monde : Sur  PASTORALES. 3ï Sur les bords d'une eau vive , a 1'ombre des herceaux, II dit en béniffant fa retraite profonde : C'eft dans 1'obfcurité qu'habite Ie repos ; Le fage ainfi vieillit , a 1'abri de 1'envie , Sans regret du paffe , fans foin du lendemain } Et quand 1'Ecre éternel le rappelle en fon feinj II s'endort doucement , pour renaitre a la vie. Si le ciel 1'eüt permis , tel feroit mon deitin. Quelquefois évcillé , par le chant des fauvettes Et par Ie vent frais du matin , .Virois fonler les prés fcmés de violettes $ Et mollement atfis , un la Bruyere en main , Au milieu des bofquets humedtés de rofée , Des vanités du genre humain , J'amuferois en paix mon oifive penfée, Le regard fixé vers lés cieux , Loin de la fphere étroite oü rampe le vulgaire," J'oferois remonter a la caufe première , Et lever le rideau qui la couvre 4 mes yeux. Tandis que le fommeil êngourdit tous les êtres, Ma Mufe , au point du jour , errante fur des fleurs, Chanteroit des Bergers les innocentes mceurs, C  34 TOESIES Et frapperoit I'écho de fes pipeaux champêtres; Coulez avec lenteur , délicieux momens ! Ah ! quel raviffement égale Celui qu'un ciel ferein fait naitre dans nos fens! Quel charme piête a nos acccns L'éclat majeftueux de Faube matinale! Quel plaifir , fur la mouffe , a 1'ombre des bois verds, De refpirer le baume & la fraicheur des airs ; D'entendre murmurer une fource tombante , Bourdonner fur lethym Tabeille diligente , ïci , du Rofïignol réfonner les concerts • La , foupirer d'amour la colombe innocente Souvent la douce paix qui regne dans les bois u Éleveroit ma Mufe a des objers fublimes. J'oferois confacrer mes rimes A chanter les héros ,les vertus & les loix. De la nuit des tombeaux , écartant les ténebres, Souvent j'évoquerois ces oracles célebres A qui Tenthoufiafme a drelTé des autels , Ces efpiits créateurs , ces bienfaiteurs du monde > Qui par dfs écrits immertels, Ont chaiTé loin de nous Pignorance profonde.  PASTORALES. J$ Raflemblés devant moi, les grands légiflateurs Offriroient a mes yeux leur code politique , Précieux monument de la fageffé antique; D'autres , des nations me décriroient les morurs , Et 1'affligeant tableau des humaines erreurs, Et les faits éclatans confignés dans 1'hiftoire. Combien je bénirois Titus & fa mémoire ! Que Socrate mourant me coüteroit de pleurs ! Mais puiffé-je oublier les héros deftructeurs Dont le malheur public a fait toute Ia gloirc ! Dans un beau clair de lune , a penfer occupé , Et des mondes fans nombre admirant rharmonie> Je voudrois promener ma douce rêverie Sous un feuillage épais , d'ombres enveloppé Ou le long d'un ruilTeau qui fuit dans la prairie. La nuit me furprendroir, aflis dans un feftin , Auprès d'une troupe choifie , Converfant de Philofophie , Et raifonnant , le verre en main, Sur le vain fonge de la vie. Pour fauver de 1'oubli fes écrits & fon nom, Qu'un autre fe confume en de pénibles veilles: C *  *6 TOtSIËS Si je cueillois , Èglé , fur tes levres vermeilleï \ Le prix flatteur d'une chanfon , A mes vers négligés , fi tu daignois fourire , Seroit-il pour mon cceur tin fuffrage plus douxr T'intéreffér , te plaire , eft le but oü j'afpire : De 1'immortalité je ferois moins jaloux. Que me fait prés de toi Fopinion des hommes? Que me fait 1'avenir ? le préfent eft i nous : Notre univers eft oü nous fommes. Mais le temps ennemi précipitant fon cours , Fanera fur mon front la brillante couronne Dont je fuis décoré par la main des Amours , Comme on voit fe faner le feuülage d'Automne. Bienfaifante amitié que j'adorai toujours ! Répare du plaiiir les douloureufes pertes ! Ses fources dans mon cceur feront encore ouvertes , Si ta faveur me refte au déclin de mes jours, Félicité du fage ! ó fort digne d'envie ! C'eft Si te pofféder que je borne mes vceux. Eh ! que me faudroit-il pour être plus heureux ? J J'aurai, dans cette courte vie , Joui de tous les biens répandus fous les cieux ;  PASTORALES. 37 Chéri de toi , ma douce amie , Et des cccurs droits qui m'ont connu, D'un riant avenir, égayant ma penfée , Adorateur de Ia vertu , N'ayant point a gémir de i'avoir cmbraflée , Libre des pafiïons dont 1'homme eft combattu , Je verrai fans effroi fe brifer mon argile : Qu'a-t-on a redouter lorfqu'on a bien vécu ? Un jour pur eft fuivi par une nuit tranquille. Pleurez , ó mes amis ! quand mon luth fous mes doigts Ceffera de fe faire entendre , Et fi vous marchez quelquefois Sur la terre oii fera ma cendre , Dites-vous , run k 1'autre : il avoit un cceur tendre ; De 1'amitié fidelle , il a chéri les loix. Et toi , qui réunis les talens & les charmes ! Quand prés de mon tombeau tu porteras tes pas , Tu laifleras peut-être échapper quelques larmes. . i Ah ! fi je puis brifer les chaines du trépas, Pour vifiter encor ces retraites fleuries, Ces bois, ces cöteaux, ces prairies ,  38 POËSIES Oü tu daignas fouvent me ferrer dans tes bras: Si mon ame vers toi peut defcendre ici-bas , Qu'un doux frémiffement t'annonce fa préfence! Quand le cceur plein de tes regrets , Tu viendras méditer dans 1'ombre des forêts , Songe que fur ta tête elle plane en filence!  PASTORALES. i9 IDYLLE IX. L E E A IS ER. ÊGLÉ ET MILON. M I L O X. J'A I vu feize printemps erabellir la nature ; Aucun n'eft comparable h celui que je voi. Tout m'enchante , ces fleurs , ces eaux , cette verdure : Ma chere Églé ! fais-tu pourquoi ? C'eft que je garde ici mon troupeau prés de toi. é a l i. Et moi , j'ai vu déja treize printemps éclore ; Mais je n'cn ai point vu d'aufli charmant encore. Sais-tu pourquoi, Milcn ?. . . Eglé n'acheva pas: Par un léger fourire , elle fe fit comprendre ; Et ferrant douceinent le Peiger dars (es bras , Elle fixa fur lui le regard le plus tendre. C 4  ,f» POESIES Emends-ru , dit Milon , le concert des oifeaux ? Sous ces lilas fleuris qui fe courbent en voüte , Vois-tu ce ruilTeau pur qui promene fes eaux ? De ce bocage , Êglé, veux-tu prendre la route ? i 6 li, Je le reux bien , Milon ! viens t'aiTeoir prés de moij Car je n'ai de plaifir qu'aux lieux oü je te voi. Ah! que ne pouvons-nous être toujours enfemble! Mon cceur eft fi joyeux quand le jour nous raffemble ! Milon. 'Affis-toi fur ce trefie, & leve tes beaux yeux : Ah ! fi les miens fans ceffe étoient fixée fur eux ! D'oii vient qu'en les voyant, je baifle ma paupiere ?. Qu'eft-ce donc que je fens ? quel trouble m'afaifir Non , dir-il, en fermant les yeux de fa tlergere, Ne me regarde pas ainfi! A mes fens atten.lris cette vue eft trop cbere. ï'ignore , en vérité , d'oii ctla peutvenir: Mais quan.d je vois tes yeux avec ce doux fourire , Êglé , le cceur me bat , il m'échappe un foupir ; 3p veux parler, ma voix fur mes levres expire. è g l i. Cher Milon , fur mes yeux ne laiïïè point ta main j  PASTORALES. 4. JVproure en ce moment le trouble qui t'agite. Mon bien-aimé ! vois-tu mon fein ? Kemarques-tu comme il palpite ? Oh ! quand ton bras preffe le mien , Quand tu touches ma main , que mon ame eft émue ! Un nuage a 1'inftant fe répand fur ma vue... Ce fentiment m'étonne , Sc je n'y comprends rien, Milon, . Sur les rameaux voifins, entends ces tourterelles Former leur doux roucoulement ! De quel air d'amitié s'entrelacent leurs ailes! Vois , vois comme leurs becs. font unis tendrement! Ah ! que ces jeux , Églé , nous fervent de modeles ! Ë e l x. Oui , prelTe-moi , Milon, preiTe-moi fur ton eocur ; Entrela9ons nos bras , becquetons-nous comme elles. Milon. Quel plaifir j'ai gouté' ! .. je vous'dfHs mon bonheur» Ecaux oifeaux ! je vous remercie. Puiffe 1'Autour jamais, ne vous óter la vie !  4*. POES IE S È g l i. Grand merci : beaux oifeaux ! venez fur mes genoux } Venez jouer auprès de nous; Couple charmant! approche & ne fois point farouche. Rien ne troublera tes plaifirs ; Tandis que mon Eerger va becqueter ma bouche , Tu peux nous imiter au gré de tes defirs.. . Mais les voila partis ! Noiis les troublons, peut-être? Mil o n. Églé ! dans mon efprit un foupcon vient de naitre, Licas chantoit hier les charmes du baifer : N'en feroit-ce point un ?... oui , j'aime a le peufer, « O baifer ! difoit-il, que ta douceur m'enchante ! » Le moiffonneur brülé par la chaleur du jour , »> Se plait bien moins a boire une eau rafraichilTante ,' » Que ma bouche a cueillir le baifer de TAmour. » Le bruit ravilTant qu'il er.fante » Flatte mieux que les fons de la plus belle voix ; » Et le mie', de 1'Abeille eft moins doux mille fois » Que le baume exprimé des levres d'une amante».  PASTORALES. 4S É 6 I E, C'eft un baifer , Milon , & je le parirois : II faut C'eft dans ce lieu défcrt qu'un tyran me tourmente w C'eft-la que Duromat, mon cruel ravilTeur, b Porte avec lui 1'Amour & toute fa fureur >». I.e-s  PA STÖRALES. 49 ftes vents , aVec fracas , fortoient de la montagne : Mornï s'éveille , il s'arme , il vogue fur les eaux ; De fes braves guerriers 1'élite raccompagne , Et le troifieme jour 1'lfle s'offre au héros , Comme un bouclier bleu fur 1'humide campagne. Son amante étoit feule , & pleuroit fur ces bords. Soudain Morni paroit: elle bailTc la vue ; Un tremblement mortel agite tout fon corps: Trois fois elle fe leve & retombe éperdue. Morni lui crie : " arrête , Ithona ; connois-moi! » Arrête ! crois-tu voir un ennemi barbare ? ,> Non , ce n'éft point la mort que mon bras te prépare» " Je viens punir un iaché ; eft-il auprès de toi ? j> Parle : oü s'eft-il caché? je fens frémir mes armes. ,„ i) O fille de Nuat ! ne vois-tu pas mes larmes? I t h o n X, Qui tva fait découvrir eet horrible féjour ! Ah ! que n'ai-je expiré comme Therbe inconnue Qui, dans un champ défert, meurt fans être appercuel Pourquoi viens-tu , Morni, troubler mon dernier jout Tu donneras en vaïn des regrets a ma céndre : Ithona , chez les morts, ne pofurra plus t'entêndr».,»' D  %o P O E S IE S O fouvcnir ! la nuit enveloppoit les cieux ; Mon frere étoit abfent , mou palais fans défenfe; Des chènes embrafés m'éclairoient de leurs feux. Un bruit d'armes foudain me remplit d'efpérancc: Je crois que mon amant va s'offrira mes yeux; Mais quel eft mon effroi, quand fumant de carnage , Baigné du fang des miens qu'il venoit d'égorger , Duromar, jufqu'a. moi, vole & s'ouvre un palTage? II m'entraina mourante ;"il avoit k venger , D'unamotir rebuté 1'ineffacable outrage... Morni. Oh faut-il Ie chercher ? le traitre eft déja mort. .. Ce jour te rendra libre , ou finira mon fort. Si je meurs , Ithona , fi ma haine eft trompée, Sur ce même rivage éleve mon tombeau j Et dès que fur les mers tu verras un vai.Teau, Crie aux navigateurs : donne-leur mon épée; Qu'on la porte k mon pere, afin que ce vieillard, Du retour de fon fils 1'ame en vain occupée , N'attache plus fur Tonde un inquiet regard. Ithona. Eh!C Morni n'eft plus^, Ithona vivra-t-elle ? Mon ceeur n'eft point formé de ces fables mouvans ,  PASTORAIES, jï tl ne relTemble point a ce flot infidele Qui monte & qui s'abaifle au gré de tous les vents. Sous le glaive ennemi , fi mon amant fuccombe, Je ne quitterai plus ce funefte rocher :. Le même coup , Morni, m'étendra darts la tombe , Et mon cceur , prés du tien , ira fe deffécher.... Mais le voili , cc monftre ! il fend la vaguc fombre. Vois-tu tous fes guerriers? Je frémis^fe leur nombre. Marchons, dit le héros ; & plus prompt que 1'éclair» Déja fon bras terrible a fait briller Ie fer. « Eft-ce a moi de trembler, quand mon rival appiocher » Ithona! vas m'attendre au fond de cette roche ; i, Et nous , amis, bravons ces guerriers menacans ; » Leurs glaives font nombreux, mais nos cceurs font puiffanj; II dit : fa tendre amante , a ces mots , s'encouragej En quittant le héros , f|s pleurs fe font tarisj A travers fes douleurs s'échappe un doux fouris > Comme un fillon de feu luit au fein de 1'orage. L'orgueilleux Duromat defcend fur le rivage ; La haine & le mépris font marqués dans fes traitsj Son front s'elb replié , fon ceil rouge & fauvage d*  > POE SI ES Roule, a demi-cou*ert de fes fourcils épais. « Süt mes rochers , dit-il , quel deftin vous envoie ? » Eft-ce mon Ithona que vous venez chercher ? » Vil troupeau '. dans le fang , fais-tu que Je menoie? » Qu'on a vu , fous mes coups , le brave trébucherï » Conncis-tu le tréfor qui fait ici ma joie: » De mes bras vainement tu voudrois 1'arracher : » Crois-tu fondre mr lui comme un loup fur fa proie » ? Supetbe , dit Morni, ne me connois-tu pas , Quand tes pieds, devant moi, fuyoient dans les combats? Couvert de tes guerriers, tu fais voir ton audace : Mais montre-toi; TetTet va tromper ta menace. Öuromat s'eft cache" fous un rempart de fers : Mais Morni dans la foule , impatient , s'élance ; II le ponrfuit, 1'atteint, le frappe de fa lance , Et le lache , en tombant, poufle umcri dans les airs. Sur fes guerriers épars , la mort fe précipite ; Dix , aux traits du va'mqueur, fuccombent dans leur fuite* Le refte, a pas preffés , remonte fur les mers. Un jeune-homme expirant eft couché fur le fable J 5iS yeux erroient encor fous fon cafque abattu:  PASTORALES. 5* Des plantes , dit Morni, je connois la vertu ; Guerrier! puis-je t'orTrir une main fecourable ? Je meurs , dit 1'étranger; ton fecours feroit vain ; Mais de ces bords cruels, mon palais eft voifin ; Tu peux en voir Ia tour ; j'y vécus prés d'un frere Fameux dans les combats par fa valeur guerriere ; En lui donnant ce cafque , apprends-lui mon deftin, Morni frémit, le cafque échappe de fa main; 1 J' - C'eft Ithona mourante ,... elle s'étoit armee; Des flots d'un fang vermeil jaillilTent de fon fein; Sa vue appefantie eft pour jamais fermée. Morni, dit-elle , adieu ! tu n'as plus d'Ithona ; J'ai cherché , fous tes coups , une mort falutaire j J'avois perdu 1'honneur, & la vie eft moins chcre. O ! fi j'étois reftée aux bords de Duvrana , Dans 1'éxlat de ma gloire , au fein de ma familie , J'aurois coulé des jours tranquiles , fans remord ; Les Vierges, dans leurs chants auroient béni mon fort J Mais je meurs, & Nuat rougira de fa fille. Ainfi parle Oflïan ; tous fes Eardes émus , A ce trifte récit, lailTent tomber des larmes. Morni 1'écoute ; il tremble , il a^gite fes armes, D 3  jjf POES I ES Et croit voir devant lui fon rival qui n'eft plus, Appuyé fur laiice, il regarde la terre, Et fon corps gigantefque eft pareil au vieux pin, Dont le fommet noirci par, les feux du tonnerre S'incline , en murmurant, fur 1'abyme voifm. Au fouvenjr amer de la plus tendre amante , fl fort un long foupir de fon cceur enflammé : C'eft ainfi que les vents , dans leur courfe bruyante, Troublent encpr les airs , quand 1'oragc eft calmé»  PASTORALES. 55' IDYLLE II. L' H 1 v E R. D A P H N I S. Qu e Thivcr , malgré fa froldurc , Semble fourirc a mes regards ! Quelle clarté brillante & pure Le foleil prête a ces brouillards , Dont s'enveloppe Ia nature ! Quel beau mélange offrent ces grains , Dont Ia pointe paroït a peine , Ces noires fouches de fapins Coupant la blancbeur de la plaine , Ces perles que Ie vent promene Sur les rameaux de nos buiflons, Et cette neige éblouiffante , Sur qui la lumiere ■ uaiflante Fait étinceler fes rayons ! Dans leurs étables enfumées , Les troupeaux'repofent en paiïj D4  S« P O E S IE S Tandis qu'emportant des foréts Sa lourde charge de ramées , Le bceuf, au milieu des frimats, Imprime triftement fes pas. Je n'entends plus fur fa mufette Le berger chantant fes amours , Ni la matineufe fauvctte Qui mé charmoit dans les beaux jours; Mais prés de moi, je vois encore Le roitelet & le moineau Voler au lever de Paurore , Et becqueter le verd nouveau Dont la campagne fe. colore. Que j'aime a repofcr mes yeux Sur le toit de ma jeune amante , D'oü cette vapeur ondpyante Monte , en noirs flocons , vers les cieux Li , s'occupant de moi peut-être, Allife auprés de fon foyer , Liüs afpire i voir renaitre Le premier bouton printanier. O ma Lifis ! que tu m'es chere !  PASTORALES. 57 Je t'aimai du jour que Glycere Egara deux de fes agneaux : Tu voyois fa doulcur amere, Et tu donnas a la, bergère Deux de tes agneaux les plus bcaux. Pendant la faifon orageufc , Je veux , fur ma flute amoureufe, Former pour toi de tendres airs. O Lifis ! puiflent mes concerts Être auili doux que ta penfee , Quand des malheureux que tu fers E'image i tes yeux s'eft tracée .'  if POESIES IDYLLE III. E E R 77 S A V.' tUCETTE ET MIRTIL. Evcette, a pan. LiE voila, le perfide ! ah ! que je fuis e"mue ! Mum, J part. C'infidelle foupire ... & je foupire auflï ! Lïctiri, J'ai bien regret d'être venüe ; Je ne m'attendois pas i te trouver ici: Mais je vais m'en aller pour évitertavue; Une autre fois je chercherai Mon ruban qui s'eft égaré. Mum, Varrhant. Ah ! cruelle , es-tu donc fachée D'être encore une fois condamnée a me voir? Ebcette, chcrchant fon ruban. Ge n'eft pas qu'au ruban je fois bien attachée }  TASTO RAZ1S. 5, Pour te le rendïe, ingrat , j'aurois voulu 1'avoir. C'eft un don qu'autrefois m'avoit fait ta tendreffe ; J'en ornois mes cheveux , je le portois pour toi... Quand tu le trouveras .. . pour gage de ta foi, Tu pcux 1'oflrir lx ta majtreffe. M 1 r t 1 l , fuivant Liicette qui va ga & la , le corpi per.ché. Mon ruban ne te plaifoit pas ; Tu n'en veux recevoi, que d'une main plus chere. ..." Ceux de Lamon , fans doute , ont pour vous plus d'appas ; Je fuis pauvre , il eft ricb.e ... il a droit de vous plaire. ( S'arrétant devant elle > & croifant fes bras Hélas ! fi tu m'aimois , quel feroit mon deftin ! Nul mortel ne m'eüt fait envie , Et voila que dans le chagrin Je vais finir ma trifte vie ! L'éclat d'un jour pur & ferein , Pour mes yeux n'aura plus de charmes j Je gémirai dès le matin , Et le foleil, a fon déclin , Me retrouvera dans les larmes,  «» POE SIE S ( Se promenant d'un air accablc,) Tout ce qui m'environne irrïte ma douleur: lei , fur mes genoux, repofoit la cruelle ; lei mes plus beaux jours s'écouloient auprès d'elle, lei , par cent baifers , ( è comble de 1'horreur ! ) L'ingrate m'aiTuroit d'une amour immortelle.. .. ( S'approchant de Lucette,Sr la regardamt.\ 3e t'entends foupirer ! tu pleures , infidelle '■ Et tu ne pleures pas de me percer le cceur ! L u c e t t e. Vas! c'eft toi qui n'eft qu'un trompeur. LaiiTe-moi.... va trouvcr cette amante nouvelle Que peut féduire auffi ton langage impofteur.... Hélas ! a me tromper tu n'avois point de gloire : ' J'avois tant de plaifir i croire Que de mes fentimens tu faifois ton bonheur ! M i R t i L , fe jettant aux pieds de Lucette, Quoi! tu peux te livrcr a d'injuftes alarmes ! J'en jure par tes mainsuque je couvre de larmes : C'eft toi feule que j'aime. Lucette, Ofes-tu l'affurer i  PASTORALES. j'étois afïife auprès de ma chaumiere ; Je t'attendois , Mirtil, & tu n'arrivois pas ; Quelques larmes déja couloient de ma paupiere. le cruel vint a moi... « Pauvre Lucette! hélas! w Sais-tu que ton Mirtil aime une autre bergère ?. *i Mum, Ah ! lucette.. ■ . luCÜITE, Aces mots , je tombai dans fes bras» Et des ruiffeaux de pleurs inor,doient mon vifage ; le trompeur ajouta.: "ver.ge-toi d'un volage ; u lucette , tpoufe-moi ; tes jours feront heureux; » J'ai de Por, des troupeaux & de vaftes campagnes; » Tu jouiras d'un fort a«-deiTus de tes vceux , u Et tu feras envie & toutes tes compagnes ». Je répondis : « lamon , tu peux garder ton or: » Mirtil m'aimoit, & fa tendrelTe » Étoit pour Lucette un tréfor: a> Mittil ne m'aime plus ; j'ai perdu ma richefie ; » Mais quoique le perfide ait trahi fa promeüè > '» Je fens bien que je Panne encor ». O Dieu ! que j'ai fouffert dans cette nuit crueile! Je diiois en pleurant: « je veux aller revüir  PAST O RAI ES. h » les Heus oh tant de fois j'ai trouvé 1'infidcle, » Et j'y mourrai de défefpoir». Je fuis venueici We 4 mes alarmes; J'ai fenti mon cceur battre, alors que je t'ai vu: Je cherchois un ruban qui ifétoit point perdu; Mais je youlois cacher le fujet de mes larmes.  if POE SIES. IDYLLE IV: V O I S E A V. ATIS ET ZILA, XJn jour a fa Bergère Atis porte un oifeau. Je 1'ai pris , !ui dit-il , fous le prochain berceau ; Caché dans 1'ombre du feuillage , A tout le'peuple ailé je tenois ce langage : « Venez ! c'eft a Zila que je venst vous offrir. Eft-il qselqu'un de vous qui puiiïe ctre farouche ?, » Petits oifeaux ! combien elle va vous chérir! „ Vous aurez tout le jour des baifers de fa bouche ; u Vous ferez noutris de fa main ; « Vous ferez admis dans fa couche , » Et vous dormirez fur fon fein ». J'ignore fi ma voix a fu fe faire entendre : Mais celui-ci s'eft laiüé prendre. On eut dit que charmé d'un auffi beau deftin, II fe prêtpk a mon deifein , , Tant il fembloit peu fe défendte! Zila  PA STO RAZM S. «; Zila. Eli oifeau! tu veux donc habiter parmi nous ? Ah ! demeure , je t'en conjure : Nous t'offrirons une ofide auffi fraiche , auffi pure s' Que 1'onde qui s'échappe a travers les cailloux , Des grains, des fleurs , de ia verdure , Tous les plaifirs eiifin qui flatteront tes goflts... Mais vois-tu comme il bat de 1'aile ?.. Hélas ! s'il appelloit fa compagne fidelle ! Comme nous , n'a-t-il pas un cceur ? Sans un objet d'amour , peut-on paiTer la vie ? Quand tu Pas pris , peut-être il quittoit fon amie ; Encor rempli de fon bonheur , 11 couroit en aveugle a ce piége trompeur ! Tour un moment, tous deux mettons-nous i fa place.' Si Pon vouloit un jour me fcparer de toi , Y confentirois-tu , dis-moi > Et fi je te perdois. .. quelle affreufe difgrace! Atis ! il faut le rendre a fes premiers Hens, Adieu, petit oifeau ! vas dire a ton amie , Qu'enchainé comme toi , fous une loi chérie, En faveur de fes feux , Atis fit grace aux tiens, E  46 P O ES IES IDYLLE V. G A Z Z V s. Je t'invoqüe , Aréthufe ! ó toi ! qui fur tes bords , Du Pafteur de Sicile animas les accords ! Frête-moi de fes chants la douceur immortelle ! A mon ami Gallus , ;e confacre mes vers : Puiffent-ils parvenir jufqu'a fon infidelle , Et puiffe ton eau pure , en coulant fous les mers , Jamais ne feconfondre au fein des flets amers! Tandis que mes brebis paiiTent 1'herb.e nouvelle , Je chanterai Gallus & fa flamme cruelle : E'écho des bois m'entend,, il redit tous les airs. Naïades ! quels réduits vous cachoient fa difgrace. Quand d'un indigne amour il expiroit frappé ? De vos pas écartés nous n* vïmes la tracé , Ni fur les bauts fommets du Pinde & du ParnaiTe , Ni fur les bords Peuris de Por.de A^anippé. Ees lauricrs , les buiffons , les pins du Mont Ménale . önt arrofé de pleurs fa cime paftorale :.  PASTORALES. «•> Le Licée a gémi, quand Gallus a paru Sur un roclier défert iriftement étendu Auprès de fes agneaux qui .refufant de paitre, Sembloient s'affocier aux peines de leur maiire. II fut environné d'un cercle de pafteurs ; On voyoit accourir tout ce peuple en alarmcs i Tous répétoient : pourquoi d'inutiles douieurs' ?' Apollon s'approcha : quelles folies ardeurs ! Lycoris, lui dit-il , eet objet de tes larmes, Brave pour ton rival & la neige & les armes. Silvain parut auffi , le front couvert de fleurs, Secouant dans fes mains des tiges verdoyantes. Pan s'offrit , coloré de müres éclatantes : Treve aux regrets , dit-il ! 1'Amour rit de nos pleurs: Ils plaifent au cruel , comme 1'onde aux rivages , Et la fleur du Cityfe aux abeilles volages, Bergers , leur répondit ce malheureuz amant, Derniers imitateurs de 1'antique .harmonie , Vous conterez ma peine aux monts de 1'Arcadie, O ! que ma cendre un jour dormiroit mollement, Si vos fiütes chantoient mon amoureux tourment! £3  e8 TOESIES O ! que n'ai-je habité cette heureufe retraite t Vendangé vos raifins, ou conduit vos troupeaux -' J'aurois peut-être aimé Philis ou Silvarette : Brunis par le Soleil , leurs traits font-ils moins beauï. ? Le lys n'cflace point la fombre violette. Konchalamment couché parmi des pampres verds, Auprès de njes amours je pafTerois ma vie : Silvarette , pour moi, cadenceroit des airs ; Philis me cueilleroit les fleurs de la prairie.... Ah ! reviens , Lycoris ! que je. vive avec toi! Qu'avec toi je vieillilTe , auprès de cesfomuines , A 1'ombre de ces bois , fur 1'émail de ces plaines! Que je ferois heureux d'y polTéder ta foi! Mais dans les champs de Mars, un fol amour t'appelle, Et loin de ta patrie (ö malheur trop certain ! ) Tu cours , fans moi, cruelle , aux bords glacés du Rhin, Sur les Alpes qu'entoure une neige éternelle. iAh ! puiffent t'épargner les rigoureux frimats , Et les glacés mollir fous tes pieds délicats! Pour moi , j'habiteraj ce rivage tranquile ; Li , fur le chalumeau du Berger de Sicile , Des antiques Pafteurs je redirai les airs , Des hótes de ces bois je veux chercher 1'afyle,  PASTORALES. Damon m'aretenue , &; 1'heure s'eft paffee. )> Je voulois nféchapper pour voler fur tes pas ; » Je n'ai point eu Je paix qu'il nem'ait embralfée u. Mon jaloux murmuroit tout bas ; Mille foup9ons cruels agitoient fa penfée. II me fait ; je 1'appeile , il ne nfecoute pas : L'inftant d'après , il vient avec un air farouche , Et voyant un enfant qui jouoit dans mes bras , E4  7» EOESIES le reproche déja s'échappoit de fa bouche. Méchant , lui dis-je alors , murmure une autre fois i Ce Damon qui t'alarme ... eft 1'enfant que tu vois. J'ai bien ri , certain jour , difoit 1'autre Bergère : Mirtil affis prés d'un buifibr. Entendit prononcer fon nom Par une yoix douce & légere. Veux-tu m'aimer , lui dit la voix ? Je fuis une brune charmante. Kon , s'éctia Mirtil ; on n'aime qu'une foi$, Et j'ai Rofine peur amantc. Pourrois-tu voir , fans t'enflammer , Mes yeux noirs , mon teint frais & ma bouche mignonne i Quand tu ferois Vénus , pardonne ! Je ne puis, reprit-il, non, je ne puis t'aimer. Et la voix pourfuivit encore : Ingrat ! la beauté qui t'adore Feta déformais ton tourment : file t'enlevera ti brebis la plus chere.  PASTORALES. 7$ — Prends même le troupeau : je crains peu ta colerè; Que Rofine me refte, & je ferai content. Tu la perdras , alloit-on dire ; Mais la voix s'intetrompt par un éclat de rire. Mirtil eft furieux . .. il accourt... c'étoit moi. Trompeufe , me dit-il ! quelle étoit ton envie i Ptmvois-tu douter de ma foi ? Quand on t'aime un ieul jour , c'eft pour toute la vie.  7-i POESIES IDYLLE VIL Les T o m b e av x. DAMETE ET MILON, J' A p ï e xc o i s dans ce lac , auprès de ces rofeaux," Une colonne renverfce .' D a. m e t e. C'étoit un monument; 1'ume eft au bord des eaux, MllOHi O dieux ! quelle fcene eft trscée Sur cc marbre ou la ronce a jetté fes rameaux ! J'y vois les horreurs de la guerre , Sons des couriiers fougueux des mourans entrainés ,* Les chars des vainqueurs forcenés Roulant parmi des corps entaflës fur la tcrre. .,. La tombe que d'un crime on ofe ainfi charger N'eft point afTurément la tombe d'un Berger,  PASTORALES. ?5 D A M E t E. Un Berger ! dis un monftre ! il dévafta nos plaines : Comme un brigahd farouche , il vint donner des chaïnes A de foibles enfans , a d'innocens Pafteurs , A des vieillards cachés dan.; leurs humbles chaumieres, Foula d'un pied fanglant 1'efpoir des nv iiTonneurs , Et fema dans ces champs les membres de nos peres. Le barbare ! il craignoit qu'oublié des humains , Avec lui , chcz les morts , il n'emportat fa gloire} Et pour éternifer fa coupable mémoire , Ce tombeau que tu vois fut conftruit de fes mains. Milon. Exécrable tyran ! ... mais , certes , Je 1'admire ! II veut que le paiTanc ait foin de Ie maudire ; Et voila maintenant fon monument brifé ! La fange eft confondue avec fes ccndres viles ; Et clans ce vafe délailTé , On entend ftffler les reptiles! Qui ne fouriroit point de mépris & d'horreur De voir la grenouille paifible Souiller le cafque du vainqueur , Et d'impurs limacons fe trainer fans frayeur Le long de fon glaive terrible ?  7* POESIES Non , je ne voudrois pas de 1'or du monde entier Si par un crime il falloit le payer : J'aimerois mieux , en paix avec moi-même, N'avoir que mes brcbis , n'en eufle-je que deux! J'en immolerois une aux Dieux • Pour bénir leur bonté fuprême. D a m e t £. Viens ! je veux te montrer un monument plus beau : Suis-moi jufqu'a la tombe oü repofe mon pere, Milon. II a laiffé dans fon hameau Un fouvenir que je révere. Je te fuis; Alexis gardera mon troupeau. D a m E t e. Tout ce que tu vois eft 1'ouvrage De fes induftricux efibrts. Cette contrée étoit fauvage ; II y fit germer des tréfors: C'eft lui qui planta ce bocage j C'eft lui qui ,pourbaigner nos bords > Attira ce ruiffeau dc fon lointain rivage ; Et voici fon tombeau fous ce riant ombrage ! On diroit que , du fein des morts ,, II embellit pour nous fon modcfte héritage  PASTORALES. 7:7 M i i o «, Amï ! des Dieux vengeurs adorons Téquité 5 ils brifent le tombeau d'un tyran détefté", Qui, par les pleurs du monde , a fignalé fa gloire » Xandis que ce mortel, cher a 1'humanité , Fait refpefter fa cendre & bénir fa mémoire.  1% POESJES IDYLLE VIII. Ze B A I S E R GARDÉ. A.l ai k ) prés de faire un voyage > Demandoit a Mifis la faveur d'un baifer j Sa cruelle maitreffe ofa le refufer. Vas, dit-elle en riant , je le retiens pour gage, Et tu peux compter ,.fb' d'amour , Que tu 1'auras a ton retour. La chofe étant ainfi conclue , 'Alain part : Mifis pleure; elle croyoit Tairner. Mais le jeune Damon vicnt de frapper fa vue : Dès ce premier moment , il a fu 1'enflammer, Et la fiere Mifis a fes vceux s'eft rendue. Alain revient toujours épris ; II vole chez Mifis : mon baifer ? — L'infidelle Rougit , baife les yeux: tu vas être furpris: Pendant ta longue abfence, il eft venu , dit-elle, Un atttre Berger qiii Ta pris,  PASTORALES. ?, IDYLLE IX. Soiree d' H i r e r, 1/ O r a g e , au gré des aquilons , Promene dans les airs fon humide cortége ; Les fleuvcs fufpendus font couverts de glacons; 'Et dans la gorge des vallons , Je ne vois qu'un tapis de neigc, Ou j'ai vu fleurir les gazons. Maïs PHiver celTera d'attrifter la nature. Que ne pnis-je de même, aux rayons d'un beau jour , Voir s'éloigner les maux dont m'afflige 1'Amour ! Si-tot que le Printemps ramene la verdure , La tourterelle dans les bois, Auprès de fon ami , fait réfonner fa voix; Sur un lit émaillé, 1'onde coule & murmure; Les cieux, d'un doux éclat paroiflent s'animer; On entend fur les fletirs foupirer le zéphirc: L'air , la terre , les eaux , & tout ce qui refpirc, Annonce le bonheur d'ajmer.  8? POESJES Maïs le cliant des oifeaux, les fleurs de la prairrip Ricn ne peut ine guérir de ma mélancolie. Si le char du fokil quitte le fein des mers , Je commcnce ma trifte plainte ; Si du cicl azaré , la nuit couvrf reneeifltê , Par de nouveaux füupirj je fatigue les airs. Heureux le viilageois , quand du haut des montagnes 3' II voit Tobfcurité tomber fur les campagnes f Sa tache eft terminée , il goüte le repos ; Des alimens groffierr font rangés fur fa table, Et le plaifir inaliérable Lui fait oublier fes travaux. Pourm0' > lorfqu'au front des étoiles La nuit a déployé fes voiles , Je rê»e a mes tourmens, je brüle , je gémis; Le fommeil ne m'eft plus permis ; Je me dis quelquefois : quand cefleront mes larmes? Qaand mes regrets amers n'auront-ils plus de cours i Ce fantóme adoré m'accompagne toujours ; Rien ne peut effacer Timage de fes charmes; I/art me prête contre eux d'inutiles fecours. Je revois cette Églé , cette amante fidelle ; Je la revois encor plus belle; Je fens quelque foulagement  PASTO RAÈES. ti Aux pieurs que je verfe pöur elle, Égié ! ma douleur te rappelle! felas ! c'eft Je feul Men qui refte S ton amant, Que me fait le jour qui mVclaire ? Je n'en jouiffois que pour toi : Que m'importe ce monde oü tu n'es plus i moi, Oü ta belle ame eft Wrangere ? Du plus vil inté-rêt on y chérit la loi • L'univers eft peuplé d'une fuule vulgaire Qui ne refpire que pour foi ; Et la üncéiité , la têndreflè , la foi , Pour ces cceurs corrompus ne font qu'une chimère. Fuyez leurs jeux & leurs concerts ! iloignez-vous des lieux oü brille 1'allégrefle, Chers confidens de ma triftefle! O mes vers! préférez les plus affreux déferts. Je veux , au fond des bois, égarer ma penfée; C'eft-li que mon amante eft par-tout retracée. Souvent je crois l'entendre, & ce n'eft qu'Un rui/reau Qui baigne , en murmurant, les bords de fon rivagea Souvent je crois la voir , & ce n'eft qu'un ramean Dont les vents agitent 1'ombrage. Affis fur un rocher , & plus morne que lui, J'invoque , dans mon infortune, F  St POESJES les aftres de la nuit, & le ciel & Ia lune.". .. Ils font fourds , & mon cceur ne trouve point d'appui. Doux entretiens de ma maitreffe! Hélas ! Tombez, arbres, tombez vous ne la verrez plu».  Pastorales. s} IDYLLE X. l S Vl Z Z Jl G E D É T RV I T. Enfin je vous revois , délicieux vallons ! Lieux oü mes premiers ans couloient dans Tinnocence Campagne oü régnoit Pabondance! Je reviens fouler tes gazons. Mes regards vont chcrcher , du haut de ia coliine, Le ruiflêau qui fuyoit d'une roche voifine , Intarifiable dans fon cours , La ferme cultivée oü je paflois mes jours, L'EgliCe vénérable , & le bois d'aubépine Qui fervoit d'afyle aux amours... Comme tout eft changé ! ce ruiflêau folitaire . Roule couvert de mcAtfle au milieu des rofeaux: On n'entend fur fes bords que les trilles vanueaux. Et ce haut peuplier, dont la feuille légere Frémit autour de fes rameaux. Sur le rivage de cette onde , Je prétendois fixer ma courfe vagahonde: Je voulois , heureux cafaniex, F»  g4 POESIES Vivre avec mes voifins dans une paijt profonde , Les attirer fouvent auprès de mon foyer , Végéter dans 1'infouciance , Et vieillir fous le marronier. Dont la cime touflue ombragea mon enfance. Combien de fois fous fon berceau , Qui maintenant protégé une trifte bruyere, 3'ai vu les jeux naïfs des fillcs du bameau , Les danfes quon formoit fous les yeux d'une mere 3 Les prix donnés par un vieillard , Et leur gaité fans feinte , & leurs plaifirs fans art ! Combien de fois, le foir, dans la faifon fleurie, J'entendis réfonner les frêles chalumeaux , Le cornet des bouviers rappellant leurs taureaux , Le bruit d'une ruftique orgie, Le chant du villageois libre de fes travaux, Et le bêlement des agneaux Qui regagnoient la bergeri»! Dans cette friche inculte o'u rampe Ie chardon i Le Pafteur vertueux avoit fon Presbytere : C'étoit un bon vieillard adoré du canton, Occupé des devoirs de fon faint minilteie ■,  PASTORALES. gj Riche wee pen de bien , n'ayant fartóJtion Que ceile d'aidcr la mifere. A tous les malheureux il ouvroit fa maifon ; Sa bourfe leur étoit commune. De jeunes orphelins , des foldats mutilés , Et d'humbles paffagers , jouets de 1'infortune , Prés de fon feu , 1'biver, fe trouvoient raiTemblés. Tous ces rebuts de Pindigence, A fa table frugale , étoient fürs d'étre admis , Et recevoient Paccucil qu'après fa longue abfence , On fait au meilleur des amis, lei , du Mag.ifter la demeure bruyante A fait place aux buiffons qui bordent le chemin , De leur muraille verdoyante. Dès qu'il paroiflbit le matin , Les enfans , a fa voix paifiMe ou mena9ante, Étoient inftruits de leur deftin. Quand par fois un bon mot s'échappoit de fa bouche , Son front épanoui brilloit d'un ris flatteur; Mais il infpiroit la terreur Si-tót qu'il reprenoit fon air dur & farouche. F J  ¥ ". 3. «S PO £ S IE S Ses grands talens le rendoient vain ; Car il fe connoilïöit un mérite fuprême : 11 favoit lire , écrire , & chaiuer au lutrin , Trédire la marée , arpenter un terrain ; II chiffroit aifément, & le bruit couroit méme Qu'il favoit un peu de latin, Sa gloire a difparu , trifte effet de la guerre! Le toic qu'il habitoit n'entend plus fes accens. Plus loin fur ces débris, un fefton de lierre Attiroit les regards des avides paflans. Li , le joyeux convive , en buvant a la ronde ? Débitoit fon hiftoire & régloit le canton. Li, tout en gouvernant le monde, Le grave politique oublioit fa raifon. J'aime i me rappeller encore , i L'humble appareil de ce réduir , Le mur blanc , le plafond fonore , Le meuble favamment conftruit, Servant le jour d'armoire, & d'alcove la nuit, Le jeu de 1'oie , & les images, .  PASTORALES. Les foyeis égayés, dans la belle faifon, D'une tenture de feuillages , Et le chambranle orné de tafles du Japon, Qui, du temps ennemi , liifloient voir les ravages, Et 1'horloge de bois fufpendue au 1'allon. Agréable féjour ! ta ruftique opulence , Qui donnoit a chaque buveur Un foup9on de fon importance, N'a pu retarder ton malheur. | Le bucheron fous la tonnelle Ne va plus dire fa chanfon , L'époufe du feimier, racanter fa nouvelle : L'artifan, pour 1'entendre , immobile auprès d'elle, N'a plus le coude i table & les mains au menton , Et 1'hóte i les fervir , prodigue de fon zele , Ne fait plus circuler 1'écumante boifibn, Maintenant exilés dans les champs du tropiquei lis vont s'enfevelir au fond de ces déferts, Oii les fiots irrités de la mer Atlantique, De leurs mugiflemens épouvantent les airs. Quel coritrafte Si leur vue offrira ce tivage!  88 TOESIES Des traits de feu tombant d'un foleil fans nuage, Des bois qu'aucun oifeau n'anime par fes fons, Un marécage impur & fertilc en poifons , Des animaux cruels , 1'horame encor plus fauvage! Combien de fois , dans ces prifons, lis regretteront leur village Et Ia fraicheur de fon bocage, Kt fon ruilTeau limpide & fes riches yajlpris! Qu'ils ont maudit Ie jour oü Ioin de leur patrie, lis fuyoient fous un nouveau ciel! Que de pleurs , en ouittant leur' cabaue chérie ! Comme ils tournoient les yeux vers ce toit paternel, En proie a la flamme ennemie ! I.'adieu qu'ils lui difoient devoit Ctre éternel. Prés de s'en féparer , leur troupe fugitive Y retournoit, pleuroit, baifoit encor la rive. Hélas! s'écrioientrils dans Ieuts fanglots amers , Sur des bords inconnus nous trouvtrons peut-être Un afyle fcmblable au lieu qui nous,;vit naitre j Mais comment traverfer ce,s effroyables mers ? . . Un vieillard , le premier , s'approcha du rivage.  PASTORALES. ï» II pleuroit , mais pour eux ; car 1c monde nouveau , Dont 1'efpoir flattoit fon courage , Éioit aii-dela du tombeau. Sa fille , jeune obiet cmbclli par fes larmes, De fes débiles ans , unique & cher appui , Morne & les yeux bailfés , marchoit auprès de lui , Abandonaant les bras d'un amant plein de charmes. Une mere éplorée exhaloit fa douleur , Frappoit de fes deux mains fes mamelies tremblantes, Pour fes tendres enfans prioit un Dien vengeur, Les couvroit de baifers & de larmes brülantes, Et fentoit fon amour accru par le malheur. Ils partoient : avec eux s'éloignoit 1'induftrie , La piété , 1'amour , la franche loyauté , Le zele bienfaifant de i'hofpitalité j Et toi, divine Poéfie, Source d'inquiétude & de félicité, Toi que 1'ignorance décrie , Toi qui m'enorgueillis dans mon obfcurité , Tu portois loin de nous le flambeau du génie. Ah ! foit que du midi tu charmes les climats , Soit qu'au monde polaire alfiégé de frimats >  9o TOESIES Tu fafies de tes airs entendre 1'harmonie J Puifles-tu confoler la trifte huraanité , Aux aveugles mortels montrer la vérité , Et leur faire oublier les peines de la vie ! Rn du Livre fccond*  PASTORALES. 9» L I V R E III. IDYLLE PREMIÈRE. Promenade bu Mat is. (^u el charme a pénétré mon cceur ! 3e renais avec la nature ! Le doux afpeil de la verdure Semble düliper ma langueur ! Le muguet & le prime-vere Couronnent le front des cóteaux j La role embaume les berceaux Couverts des feux de la lumiere , Et fur le bord de ces ruifleaux Oü le ramier fe défakere , L'aubépine ouvre fes ramcau.w .. Koirs foucis ! un moment fuyez de ma penfée ! Mes yeux contempleront ce tranquile Élyfée , Tandis que le folei! s'éleve radieux , Du fein de la mer écumante , Et laifie flotter dans les cieux  9* VOESIES Sa chevelure étincclante. Conimc h 1'ombre dcsbois ce limpide canal I'romene fa nape ondoyante ! , ] Comme la jonquille tremblante S'incline auprcs de fon cryftal ! O fleur aimable & pafligere ! Nous n'avons , cornme toi, qu'un rapide deftin ; Les ans viendront flétrir 1'innocentc bergère Dont tu vas parfumer lé fein. Moi-même confumé d'une triftefle amere , Je péris, je m'éteins fur des bords étrangerss Bientöt peut-être aux vents légers J'abandonnerai ma pouffiere. Celle que j'adorois n'eft plus : Mes mines , dans ces lieux , gémiront inconnus, Et fur ma tombe folitaire , Les pleurs d'aucun ami ne feront répandus. Ah ! détourne de moi ta flèche meurtriere! Mort cruelle ! épargne mes jours .' Ma fccur n'eft pas ici pour fermer ma paupiere : Je ne puis d'une tendre mere Implorer les derhiers fecours.  PASTORALES. „j Refpe&e ma frêle jeune/Te ! Quel crime ai-je commis ? je révere les Dieux: Graces a leur bonté, mon ceeur religieus Ne s'eft point écarté des Ioix de Ia fagelTe ; Je n'ai point exhalé le blafphême odieux. Si tu comptcs mes ans , 1'importune vieillelfe Ne fonge pas encore a blanchir mes cheveux. Quand 1'age dans mon cceur éteindra 1'efpérance , Quand de mes vieux récits j'amuferai 1'enfance , Alors il fera temps de paiTer 1'Achéron , Et d'aller vifiter 1'empire de Pluton. Mais j'ai quelques momens encore A donner aux tendre Amours: JLe feu qui dans mon fein recommence d'éclore Semtle m'annoncer d'heureux jours. Dieux ! laiffez un Poé'te i fa douce manie t II en eft tant parmj lesmorts! N'avez-vous pas aux fombres bords Le Chantre de Corinne & 1'Amant de Délie ? Si vous me confervez , j'irai, dans mes tranfports, Publier en tous lieux que je vous dois la vie : C'eft k 1'augufte Poéfie Que la gloire ouvre fes tréfors \  34 TOESIES Vous feriez moins fameux , fans !es divins accords De la Grèce & de 1'Aufonie. Si mon Êglé vivoit , ranimé dans fon fein , Je n'aurois plus de vceux a faire : le nocher ténébreux m'appelleroit en vain ; Retenu par Églé , les arrêts du Deftin Ne m'empêcheroient pas de revoir la lumiere : Mais vous 1'avez frappée , impitoyables Dieux ! Eh ! qui la chantera , fi je tombe avec elle ? Qui peindra fa grace immortelle Sans cefle préfente a mes yeux ? Qui peindra le moment oü fa tÊte penchée Se précipitoit aux enfers, Eorfqu'on vit du foleil la lumiere cachée Les buiflons de larmes couverts , La fléur de fa tige arrachée ; Quand les vents aux bofquets apprirent mes malheurs, Que les bofquets rremblans aux ruiflëaux les redirent, Que de mes longs fanglots les rochers treflaillirenc , Et que TOlympe même en répandit des pleurs ? O fanté bienfaifante ! écoute ma priere; Mes chants attefteront ton appui falutaire !  PASTORALES. 9J Blonde Cérès ! a tes autels Je veux attacher des guirlande* ; Et vous , mes lares paternels ! Vous aurez aufli des oftrandes. Un lait pur épanché pour vous , Coulera d'un vafe d'argile : O mes Dieux ! dans mon humble afyld Je n'ai point d'aliraent plus doux. Tu feras célébré , toi qui charmes nos peines ! Dieu du vin ! !"ur 1'Etna , je te peindrai nailTant: On verra dans mes vers les armes Indiennes Tomber devant le chceur de tes joyeux Silenesj JLycurgue t'oppofer un délire impuiflant, Et Penthée égorgé par fa mere en furie , Du mépris de ton culte expier la folie. Ie lierre autour de toi formera des feftons ; Je veux orner ton front d'une mïtre éclatante . w Et ton pied dégagé de ta robe flottante , Au bruit du tambourin , frappera les gazons, *  • t PO ESIE S IDYLLE II. Le Sacrifice des petjts Exfaxs. MIRTIL ET CHI, O É. XjE tendre enfant Mirtil , au lever de 1'aurore , Vit la plus jeune de fes fceurs , Triftement occupée a ralfembler des fleurs. En les réuniflant » Chloé mêloit fes pleurs Aux larmes du matin qui les baignoient encore. Elle laifla couler deux ruifleaux de fes yeux , Si-tót qu'elle apper9ut fon frere. C h l o i, Hélas ' Mirtil, bientót nous n'aurons plus de pere ! Que notre fort eft douloureux ! . Ml l T I ti Ah ! s'il alloit mourir , ce pere qui nous aime ! Ma fceur! il eft fi vertueux! II a tant d'amour pour les Dieux 1 Ckioi',  Pastor al es. 9? C h l o e. Oui , Mirtil, & les Dieux devroient 1'aimer de même. Mirtil. O ma fceur ! comme ici tout me paroït changer ! Comme tous les objets femblent dans la triftelTe! En vain mon agneau me carefle ; Depuis cinq jours , je le délaifle, Et c'eft une autre main qui lui donne k manger. Vainement mon ramicr s'approche de ma bouche ; De mes plus belles fleursje n'ai point de fouci : Enfin , ce que j'aimois n'a plus rien qui me touche. Mon pere ! fi tu meurs , je veux mourir aulfi. C h l o Hélas ! il t'en fouvient, mon frere! Cinq Jours bien longs fe font panes Depuis qne fur fon fein nous tenant emhrafles « II fe mit a; pleurer. . .. Mirtil. Oui, Chloé ! ce bon pere ! Comme il devint pale & tremblant! Mes enfans, difoit-il , je fuis bien chancelant, JLaiffez-moi,.. je fuccombe au mal qui me tourmenti; G  s8, ÏOESIES II fe traina jufqu'a fon lit : Depuis ce temps il s'afToiblit, Ei tous les jours fon mal augmente. C H L o E. Écoute quel eft mon deiTein : Si tu me vois de grand matin Occupée k cette guirlande , C'eft qu'au Dieu des Bergers j'en veux faire une offrande. Notre mere nous dit toujours Que les Dieux font clémens . qu'ils prêtent leur fecours Aux fimples vceux.de 1'innocence: Moi , je veux du Dieu Pan implorer la clémepce. Et vois-tu eet oifeau , mon unique tréfor? Eh bien! je veux au Dieu le" préfenter encor. O ma foeur ! attends-moi: je n'ai qu'un pas k faire ; De mes fruits les plus beaux i'ai rempli mon panier : Je vais 1'aller chércher; & pour fauver mon pere , Je veux y joindre mon ramier. » Ces mots finis , il court , va failir fa richefle , Et fous un poids fi doux , il revole a 1'inftant: II fourioit en le portam,  PASTORALES. 9f Tour-a-tour aglté d'efpoir & de trifteffe. Les voila tous deux en chemin , Pour arriver aux pieds de la ftatue, Elle fe préfentoit fur un cóteau voifin , Que des pins ombrageoient de leur cime toufTue.' La , s'étant proftemés devant le Dieu des champs , lis élevent vers lui leurs timides accens. C H 1 O É, Daigne , 6 Dieu des Bergers , agréer mon offrande ,] Et laifle-toi toucher aux pleurs que je répands ! Tu vois ! je n'ai qu'une guirlande i A tes genoux , je la fufpends : J'en ornerois ton front , fi j'étois alfez grande. O Dieu ! rends notre pere k fes pauvres enfans '. Mltm, Conferve ce bon pere ! 6 Dieu ! fois-nous propice ! Voila mes plus beaux fruits que j'ai cueillis pour toi ! . Si mon plus beau chevreau n'étoit plus fort que moi, J'en aurois fait le facrifïce. Quand ie ferai plus grand , J'en immolerai deux , Si tu. vois en pitié deux enfans malheureux. Ga  loo VOESIES Cbioi, Nous partageons les maux que notre pere endure. Quel don peut te fléchir ?... tiens ! voila mon oifeau ? C'eft pourtant tout mon bien ! ó Pan ! je te le jure : Vois ; il vient dans ma main chercher fa nourriture , Et je veux que ma main lui ferve de tombcau. Mirtil. O Pan ! que faut-il pour te plaire ? Regarde mon ramier ! je le vais appeller. Veux-tu fa vie ? elle m'eft chere : Mais pour que tu fauves mon pere , Je vais ... oui, Dieu puiffant ! je vais te Timmoler, » Et leurs petïtes mainS tremblantes Saififlbient des oifeaux les ailes frémi[Tantes. Déji glacés de crainte , ils détournoient les yeux , Pour commencer leurs facrifices. Mais une voix s'éleve: " Enfans trop généreux ! » Arrêtez ! 1'innocence intérene les Dieux. u Gardez-vous d'immoler ce qui fait vos délices J u Jerends votre pere 1 vos vceux ».  PASTORALES, iox Leur pere fut fauvé : ce jour même avec eux, II alla du Dieu Pan bénir la bienfaifance , II palfa de longs jours au fein de 1'abondanee» * Et vit naitre les fils de fes petits neveu». 03  iOï POE SI ES IDYLLE III. Les S e r m e n s. Silvandee avoit quitté Nicette ; II offroit k d'autres attraits Les fons flaneurs de fa mufette Et 1'hommage de fes bouquets. Jadis a eet ingrat Silvandre Nicette avoit donné fon cceur : Qand on Ta donné par malheur, On a grand'peine i le reprendre. Ee fouvenir de fes amours Rendoit fa douleur éternelle : Des rubans de fon infidele Nicette formoit fes atours , Et chantoit encor tous les Jours I.es airs qu'il avoit faits pour elle. Des confolateurs pleins de zèle Vinrent en foule a fon fecours : Mais au feul mot d'amour nouvelle , On étoit banni pour toujours;  PASTORALES. i0| Damon plus heureux, ou plus fage, Parvint a fe faire écouter : II parloit d'un Berger volage Dont le nom fembloit révolter : On promit de le détefter , S'il en reparloit davantage. Mais s'avifoit-il de conrer Quelqu'aventure de Silvandre? N'ayant pas eu 1'air de 1'entendre, On fe la faifoit répéter. Lorfqu'aux pieds d'une autre maiae;.i II peignoit fon léger rival , On en difoit beaucoup de mal j Mais on s'en occupoit fans celfe. Enfin Damon faifit 1'inftant D'ouvrir fon cceur & fon amie : II crut vóir Nicette attendrie , Et lui jura d'être conftant; Mais elle dit , en fanglottant : Hélas ! penfes-tu que j'oublie Qu'un ingrat m'en juroit autant ?  »°4 TOESIES IDYLLE IV. jl D o r i s. Je ne veux point, comme Apollon, De mes doftes accords charmer la Theflalie : Je borne mon ambition A flat ter de mes vers ton oreille attendrie: C'eft pour toi que PAmour conduit ma rêverie Aux bois facrés de 1'Hélicon. Jeune beauté ! cliéris les Nyrivphes du Pcrmefie, Et leur fidele nourriilbn ! Dins ce fiecle d'argent , tout vole a la richefle : Hélas! le temps n'eft plus , oü , pour une chanfon, On obtenoit une maitre.Te. Auprès des bords fleuris oü fuit le Mincio , Virgile nous apprit , fur fa flüte légere, Qu'il fuffit, pour féduire une jeune Bergère, De dix pommes & d'un chevrcau. Ah ! loin , loio de nos coeurs un amour mercenaire. Je ne fuis point aflis fur des lambris dorés ; 3c ne poffede point de fertilcs campagnes :  PASTORALES. 105 Mais fous mon humble toit mes jours fonr ignorés, Et les Mufes font mes compagnes. Dc 1'ardent Sirius je puis braver les feux : Sous l'ombre épaifle d'un feuillage Que baignent des flots écumeux , PuifTé-je t'y preïïèr fur mon fein amoureux! Quand je n'aurois pour lit que la mouiTe fauvage, Mon repos , h ce prix , feroit délicieux, Les tapis faftucux plaifent-ils davantage Que Ie gazoa foulé par les amans heureux ? Qu'un autre foit faifi d'une fublime extr.fe A 1'afpeft des forêts qui chargent Ie Caucafe! Qu'eft-ce que 1'ünivers aupiès de mon amour ? Oui, 1'amour me tiént lieu des richefles du monde. Que Doris a ma foi s'abandonne un feul jour ! Le Pacfole , a mes pieds, viendra rouler fon onde. Si nous ne connoifiions qu'un délire amoureux , Le fer ne feroit pas 1'inftrumcnt de nos crimes j La mer ne verroit pas fes flots tumultueux Rougir du fang de nos viflimes , Et nos vailTeaux chargés de guerriers furieux N'iroient pas foudroyer des peuples malheureux,  «66 POESIES Que féparoient de nous les plus vaftes abymes, Aimons , Doris ; 1'Amour peut-il blefler les Dieux ? Vas ! fes plaifirs font légirimes. Chaque foleil acheve & reproduit fon tour j Mais la volupté fugitive Nous abandonne fans retour, Et l'éternelle nuit arrivé : La jeuneffe s'enfuit pour ne plus revenir. Contemple ces ramjers , & prends-les pour modeles: lis ne craignent point d'infideles : le véritable amour ne peut jamais fïnir. On verra le foleil , avant que je t'oublie , Atteler a fon char les courfiers de la nuit , Et la terre changcr la femence du fruit Que le Laboureur lui confie. Vois ces feuilles tomber de leur branche flétrie ! A leur exemple , hélas ! tout tombe & fe détruit : Mais rr.on amour vivra; j'en jure par mon pere ! J'en attefte fa cendre & celle de ma mere! Que leurs mar.es vengeurs , fi je trahis ma foi, Du fond de leurs tombeaux s'élevent coctre moj!  PASTORALES. 107 IDYLLE V. a mes Am i s. T_i' HivEi.i pas Ients , Defcend des montagnes , Et fes voiles blancs Couvrent nos campagnes J Les frimats nouveaux Ont chafle Pomone : Comus abar.donne Lcsrians berceaux, Oü , pendant PAutomne , Le jus de la tonne Couloit a longs flots. • L'indifcret Zéphyre Ne va plus redire Aux prochains vallons Les folies chanfons Que Bacchus infpire A fes nouriiflons.  ioS POESIES Amis ! vos Pénates Vous fervent d'abris, Pendant que j'Jcris Ces rimes ingrates , Prés de vos foyers > Triftes cafaniers , Brülant un vieux hêtre Vous dites peut-être : O douce faifon! Quand tes hirondelles M'inviteront-elles A fuir ma prifon ? Quelque lourd volume Occupe vos yeux: Un travail poudreux, Sans fruit , vous confume, A quels foins, hélas ! Votre ame fe livre, Dans 1'efpoir de vivre Après le trépas ! Ie Printempj s'efface Et fe reproduit; Mais tien ce lemplace  PASTORALES. ,oo Le plaifir détruit; Le volage fuit Sans luider de tracé. Ah ! qu'au gré du temps , Ma Mufe périfle j Mais que je jouiffe De tous mes inftans ! Parfumons nos têtes ; Et dans un feftin , Au bruit des tempctes , Chantons nos conquêtes, L'amour & le vin ! Pendant que la neige , De fes tourbillons , Blanchit nos maifons Que THiver affiege , Demeurons affis Prés de nos Bergères , Et dans nos pleins verres , Noyons les foucis ! Dans la tombe noire , Quand j'irai fans gloire Joindre mes aïeux,  POESIES Je veux qu'on publie : II n'eut point 1'envie D'illuftrer fa vie ; Mais il fut heureux. li©  PASTORALE S. IDYLLE VI. L' A B S E X C E. •> Des bameau* éïóignés retiennent ma compagne : Hélas ! dans ces forêts , qui peut fe plaire encor? Flore raême a préfent déferte la campagne , Et loin de nos Bergers, 1'Amour a pris 1'elTor.! Doris , vers ce cèteau, précipitoit fa Fuite , Lorfque de fes attraits Je me fuis féparé : Doux Zéphyr ! fi tu fors du féjout qu'elle habite , Yiens ! que je fente au moins Fair qu'elle a refpiré. Quel arbre, en ce moment, lui prête fon ombrage? Quel gazon s'embellit fous fes pieds sarenans i Quelle onde fortunée a re9u fon imagè ? Quel bois mélodieux répete fes accens } Que ne fuis-Je la fleur qui lui fert de parure, Ou le nceud de ruban qui lui prefle le fein,  iiz POESIES Ou fa robe légere , ou fa molle chauflïire » Ou Toileau qu'elle baife & nourrk de fa main ! Rofïignols , qui volez oü famour vous appelle , Que vous êtes heureux ! que vos deftins font doux! Que bientót ma Doris me verroit auprès d'elle , Si j'avois le bonheur de voler comme vous ! 'Ah ! Doris ! que me font ces tapis'de verdure , Ces gazons émaillés qui m'ont vu dans tes bras, Ce printemps, ce beau ciel, & toute la nature, Et tous les lieux enfin oü je ne te vois pas ? Mais toi , parmi les jeux & les bruyantes fêtes, Ne vas point oublier les plaifirs du hameau , tes champctres feftons dont nous parions nos têtes J Nos douplets ingénus , nos danfes fous Tormeau ! O ma chere Doris ! que nos feux foicnt durables S II me faudroit mourir, fi je perdois ta foi. Ton féjour t'offrira des Bergers plus aimables; Mais tu n'en verras point de plus tendres que moi. Que  PASTORALES. „j Que tón amant t'occupe au lever de Taurore , Et quand le jour féclaire , & quand il va finir ! Dans tes Congés légers, qu'il fe retrace encore , Et qu'il foit au réveil , ton premier fouvenir! Si mes jaloux rivaux te parloient de leur fhmme, Rappelle a ton efprit mes timides aveux : Je rougis, je tremblai; tu vis toute mon arae Refpircr fur ma bouche & pafler dans mes yeux. Et maintenant , grands Dieux'! quélle êfr mon infortune ! De mes plus chers amis je méco.mois 7U;X j Tout ce qui me charmoit m'afflige & m'importune J Je demande Doris a tout ce que je vois. Tu repofois ici; fouvent dans ce bocage , Penché fur tes genoux , je chantois mon amour -. Li , nos agneanx pailToient au même pAturage ; Ici , nous nous quittions vers le déclin du jour. ' Revenez, revenez , heures délicieufes, Oü Doris habitoit ces tranquiles déferts ! L'écho répétera mes chanfons amoureufes, Et fur ma flut: encar je veux fbrrncr des airs. &  iS< POESIES IDYLLE VII. La Fi t e de Pan. Un jour , dans la faifon des fleurs , Tous les Bergers & leurs compagnes , Tour fêter le Dieu des Pafteurs , S'afTemblerent dans les campagnes. Après le facrifïce , on mit fur des gazons Du vin , des fruits & du laitage ; On but a pleine coupe , & Ton dit des chanfons. Les vieillards réjouis parloient de leur jeune agc : Philete fe vanta que jadis au bameau Nul Berger , comme lui , n'enfloir un chalumeau. Tout le cercle , & ces mots, defira de 1'entendre: Sa flüte étoit cbez lui, Titire 1'alla prendre : Pendant ce temps , Lamon les pria d'écouter Une aventure afièz jolie Qu'il avoit oui raconter A des Bergers de 1'Arcadie.  PASTOR AL E S, Syrinx étoit anciennement Une Bergère jeune & belle, Gardant fes brebis fagement , Jouant avec fon chien fidele , Chantanr par fois modeftement Une chanfonnette nouvelle , Et fuyant tout engagement. Pan , qui voyoit cette cruelle Comme il nous voit préfentement, Devint épris d'amour pour elle , Et fe promit facilement De dompter fa fierté rebelle. Pour les Dieux , vaincre une mortelle Paroit 1'ouvrage d'un moment. II lui paria de fon tourment; Mais Syrinx , avec ün fourire , Dit qu'il fe plaignoit vainement , Et qu'un Dieu fait comme un fatyre Ne feroit jamais fon amant. Pan , courroucé de eet outrage , Veut la faifir entre fes bras; Elle court au prochain rivage , Et tombe , en faifant un faux pas , Parmi les joncs d'un marécage. Ha 115  «is POES1ES Le Dieu brife tous les rofeaux...." O douleur ! il voit la Bergère Transformée en tige légere , Périr fous les coups de fa faulx! Alors , honteux de fa furie , II joignit ces joncs inégaux , Et fon fouffle , i leurs chalumcaux , Cherche encor^a rendre la vie. Cc Conté étoit fïni, quand Titire arrivant Mit la flute aux mains de fon pere, Philete n'en Jouoit plus guere , Et lui-mème avouoit que fa Hute fouvent Demeuroit fufpendue aux murs de fa chaumiere. II commenca d'abord un prélude favant : Tantöt il exprimoit la tempête qui gronde ; Tantöt il imitoit le murmure du vent Qui vole en fe jouant fur la glacé de Tonde. Puis il montra les airs qui plaifent aux troupeaux; II enfloit pour les bceufs le fon de fes pipeaux ; 11 le rendoit plaintif pour Ia brebis timide , Pefant pour les taureaux , pour les brebis rapide, Clair & percant pour les chevreaux.  PASTORALES. 117 Enfin , du Dieu Bacchus il chanta les Iouanges : Drias repréfenta la fete des vendanges; II feignoic en danfant de couper le raifin , De Ie porter dans. des eotbeilles , Et de fouler la cuve & d'entonncr le vin, Et de boire le jus des treilles. II rendoit fi bien ces tableaux , QiTon croyoit voir le vin , les cuves , les tonneaux, Et Drias vuidant les bouteilles. Enfuite , un jeune couple offrit un jeu charmant : Daphnis contrefit Pan , & Chlcó , la Eergere. 11 Ia fupplioit humblement; Elle rioit de fa pricre , Et s'enfuyoit légerement; II fuivoit fa courfe légere, Et fur le bout des pieds fautoit pour contiefaire Les pas de chevre de 1'amanr. Chloé fit femblant d'étre laffe, , Et fe cacha dans un verger ; Daphnis feignit auifi d'avoir perdu fa tracé , Et prit la flute du Berger. Tour-a-tour il faifoit entendre Des fons doux & plaintifs , comme pour la toucher , H i  nS TOESIES Des fons paffionnés, comme d'un ami tendre, Et des fons animés , comme pour la chercher. La lune qui brilloit a travers Ie feuillagc , De ces jeux innocens vint terminer le cours. En quittant du Dieu Pan le vénérable ombrage, Le couple , au pied de fon image , Promettoit de s'aimgr toujours. Mais vraimcnt , dit Chloé , ce Dieu , c'eft un volage ; On lui prête bien des amours; On dit qu'a tourmenter des Nymphes de bocage II s'amufe encor tous les jours : On ne peut s'y fier: fi tu m'étois parjure , II fe riroit de mon injure ; Dut ta foi s'engager a plus d'objets nouveaux > Que fa fltite n'a de pipeaux ! Jure par la brebis qui r'a fervi de mere D'être fidele a ta Bergère. Daphnis, touché de fa frayeur, Jura par fa brebis chérie D'aimcr Chloé toute fa vie , Et de perdre Ie jour s'il n'avoit plus fon cceür.'  PASTORALES. IDYLLE VIII. La Bergère p e k d u «, Ma Doris un jour s'égara ; Je dis : qu'on courre en diligence ! A celui qui la trouvera Je promets une récompenfe. Dans les bocages d'alentour , Vous pourrez découvrir fes tracés: Elle eft brune comme 1'Amour, Elle eft faite comme les Graces. A peinc j'achevois ces mots > Qu'elle-même s'eft approchée; Dans le plus épais des berceaux , Par malice elle étoit cachée, Voici , dit-elle , ta Doris Que je remets en ta puiuance i Puis elle fit un doux fouris, Et demanda fa récompenfe. H 4  "O POESJES IDYLLE IX. L a Ve I z z É E de VÉ n v s, T J- Sur les guerriers couverts de cicatrices , » Sur les vieillards vers la tombe emportés. Par toi , la Vierge innocente & craintive Sut endormir fes jaloux furveillans ,  »24 PO ESI ES Et fe glilfant dans fa marche furtive, Vers fon ami, guida fes pas tremblans. Defcends , Amour! defcends i notre orgie ! Mais viens fans arme , éloigne ron flambeau ; Veille aux Bergers, veille k la bergerie ; Que le Pafteur lai/fe errer fon troupeau , Et que la main qui tournoit le fufeau Cueille aujourd'hui les fleurs de la prairie ! Je veux , dans un repas charmant , Entourer ma coupe ,de rofes : Vénus en fait fon ornement. Au fiecle des métamorphofes , La Déefle les vit éclofes Du fang vermeil de fon amant. Quand TAmour danfe avec les Graces, La rofe orne fes beaux cheveux; La rofe eft le plaifir des Dieux; Le Zépbyr en eft amoureux , Et Flore en parfume fes traces : On aime a cueillir fes boutons Malgré leur épine cruelle ; Les Mufcs la trouvent fi belle , Qu'elle eft 1'objet de leurs chanfons.  PASTORALES. «S Mais elle ira bientöt parer Ie noir rivage: O mes amis ! comme elle on nous verra finir; £h ! que laiflerons-nous , après ce court paffage ? Une ombre , un peu de cendre , un léger fouvenir. A quoi fert d'embaumer nos dépouilles mortelles? Et fur de vains tombeaux, pourquoi femer des fleurs? C'eft tandis que la vie anime encor nos cosurs , Qu'il faut nous couronner de guirlandes nouvelles. Profitons du jour ferein Que ramene la nature : L'impénétrable deftin A caché le lendemain Dans la nuit la plus obfture. loin de nous chagrin , tourment, Inquiétude ennemie ! La faine philofophie Eft de voyager gaiment Sur la route de la vie : On n'y paroit qu'un inftant; Je le donne i la folie , Et je m'en irai content Dans 1'abyme oii tout s'oublie,  i« P O E S I E S fidele adorateur des lok du tendre Amour , Qu'aurai-je a redouter k mon heure fuprême? Je toucherai Pluton, & Vénus elle-même Des bois élyféens m'ouvrira le féjour. la , fous de frais berceaux, les Graces demi-mies JSous fervent Tambroifie k la table des Dieux ; Et comme au fiecle d'or, les filles ingénues De leur feule pudeur fe voilent k nos yeux. La , des danfes , des cho:urs , des chants mélodieux Exercent des humains la jeuneflè éternelle; Les rayons d'un jour pur y defcendent des cieux , Pareils au doux éclat d'une aurore nouvelle : Un charme inexprimable anime ces beaux lieux: Les gazons émaillés de rofes printanieres Offrent des lits de fleurs pour les amans heureuxj Des groupes de Bergers & de vives Bergères Se livrent fans réferve a de folatres jeuxj Et celui dont l'Amour finit les deftinées , Habite pour jamais ces rives fortunées , Oü, d'un fefton de myrte il pare fes chevenx.  PASTORALES. tsf IDYLLE X. Le Chant de ia Reconnoissaxcs, IICIBAS ET M CE R I S. IiICID as» u fulvre, Mceris , lechemin de la ville ? -M (H r i s. O mon cher Eicidas ! uri fort doux & tranquile Fait fuccéder la joie i mes ennuis cruels. Un héros , de ma Mufe eft le Dieu tutelaire : II a baiiTé fur moi fes regards paternels : II a verfé les hiens dans mon humble chaumiere , Et je vais maintenant porter fur fes autels Ces deux tendres agneaux que j'enleve i leurmere. L i c i n a s; On difoit , en effer , que pour prix de tes vers , Un Prince ami des Arts t'avoit rendti le maitre , Des lieux oü ces cóteaux penchent leurs tapis verds , Jufqu'aux rives du fleuve, & jtifqu1a ce vieux hêtre.  POESIES M m r i s. II eft vrai: mais , hélas ! avant ce jour heureux Une éternelle nuit s'approchoit de mes yeux : Au midi de mes ans , courbé fous finfortune , Je quittois fans regret uae vie importune. LlCIDASi O ciel!... c'en étoit fait: avec toi, fans retour , Nos confolations euflent été ravies : Qui daigneroit chanter les campagnes fleuries ?... Mm:, Berger ! veici des vers que je fis 1'autre jour : J'éc.ivois fur un hétre , & chantois tour-a-rour. ( II chante. ) Enfin de tous les cceurs Tépouvante eft bannie ! Un fils des immortels va ramener encor , Après 1'age de fer , les temps de 1'age d'or. Veillez fur votre image , ó Dieux de ma patrie , Etbientöt par fes foins , nos fertiles troupeaux Du neftar le plus pur épancheront les Hots; Les ferpens vont périr , les poifons difparoitre , Et le baume en tous lieux s/empreffera de naitre. Avaat  , PASTORALES. «.» ■J ■ Avant qu'un jour ferein brille fur 1'Univers , II faudra des combats , il faudra qu'on envoye Un autre Achille aux murs d'une nouvelle Troye : Mon héros doit s'armer pour affranchir les mers ; Mais quand fa voix puilfante aura calmé nos haines , La paix fera gcrmer d'innombrables moiffons ^ Les grappes du raifin chargeront les builfons , Et le miel coulera de 1'écorce des chènes. L'agriculteur alors délira fes taureaux ; Le pilote oublira de voguer fur les eaux. Loin , les couleurs d'emprunt dont fe fardé Ia laine ! Un rouge naturel teindra 1'agneau psilfant , Et d'un jaune oranger , d'un pourpre ébloui/Tant, La toifon du bélier s'orncra dans la plaine. Sur toi feul , ö mon Roi ! tous les yeux font ouverts. Attends de grands honneurs ! tes beaux jours vont éclore» Je vois déji i'Olympe & la terre & les mers , Refplendir aux rayons de ta célette aurore ! Déji 1'efclave exempt de fon joug odieux Ofe lever la tête & regarder les cieux : Le laboureur bénit fes moiflbns achevées, Et ne les quitte plus pour de triftes corvées : J  ijo TOE S I E S Nos champs qui vont fleurir font dans la volupté ; Les Nymphes , les Pafteurs , Pan mème eft enchanté: D'aife on entend mugir les montagnes tremblantes , Et ce cri , dans les airs , eft cent fois répété : » Oui, c'eft unDieu, Mceris ! c'eft un Dieu que tuchantes» ï Je viens de confacrer deux autels de gazon ; L'un eft drelTé pour toi , 1'autre pour Apollon : Je metttai , chaque année , au pied de ron image Deux vafes de porphyre écumans de laitage : Ces jours , dans nos hameaux , feront des jours de paix ; On verra nos Bergers t'y porter leur offrande ; L'enfanc qui marche a peine y tirndra des bouquets , Et jufqu'au foir, affis dans de joyeux banquets , Le front environné d'une fraiche guirlande , J'occuperai ma lyre a chanter tes bienfaits. Fin du Lhre troifismt.  PAST O RAL ES. ij» L I V R E IV. IDYLLE PREMIÈRE. L' Hermitage. J'AI long-tcmps cherché le bonheur : J'ai connu des humains les faveurs menfonger'es , Et 1'efpnir entouré de brillanres chimères, Et le chagrin réel , & le plaifïr trompeur, Aujourd'hui qu'une humble forturte Allure ma félicité , O ciel ! fi ma voix t'importune , Si quelquefois encor j'implore ta bonré , Permets que le jus de mes treilles, Tous les ans , baigne mon prefToir , Que mes fruits abondans garniiTent mes corbeilles , Et que chaque moiffon furpaile mon efpoir ! Devant ma folitude humblement décorée , Pes jafmins odorans formeront des berceaux; Sur fes murs couverts d'arbriifeaux , I ï  >3i POESIES Je cueijlerai la pêche & la prune azurée : Prés de la , fur un tertre ombragé d'amandiers , Un ruifleau répandra fon onde fugitive; La timide colombe & 1'eiTairrt des ramiers , Tour fe défaltérer , defcendront fur fa rive J Mille oifeaux attirés dans ce riant féjour , Viendront des bois & des campagnes , Gazouiller pendant tout le jour , Et d'une branche a 1'autre appeller leurs compagnes. Heureux & jouifiant d'un tranquile repos , Tantót fur mes rochers fauvages , Je verrai grimper les chevreaux ■ Et les béliers bondir dans mes gras paturages ; Tantót 1'ceil égaré fur la plaine des mers , Je verrai les Tritons dans ces routes liquides , Pourfuivre , en fe jouant , les blondes Néréides , Et le char de Phébus quitter les flots amers. Au premier rayon de 1'aurore , Sur les cóteaux fleuris que fa pourpre colore , J'irai me parfumer des vapeurs du matin ; Ou vers le haut du jour , dans mes forêts profondes, Guidé par le ruifleau qui fe perd dans leur fein, J'entendrai le doux bruit du zéphyr & des ondes.  PASTORAZES, i3J Vous lc favez, grands Dieux ! je ne demande pas L'or qui du nouveau monde enrichit les climats : La médiocrité fuffit aux vceux du fage : Mais que ma jeune Amante accompagne mes pas ; Que je puiïïe , auprcs d'elle affis fur ce rivage , En regardant les flots , la tcnfcdans mes bras ; Que mollement bercé fur ma couche paifible , Je goute un doux fommeil, au bruit de Paquilon ; Que je chante gaiment , quand Pouragan terrible Verfe un torrent de pluie autour de ma maifon. Je veux, dans mon champctre afyle , Planter la tendre vigne & greffer mes pommiers , PrefTer de Paiguillon le bccuf lourd & tranquile, Et, la ferpe a Ia main , tailler mes efpaliers. Ma flüte appëllera le chevreau témcraire , Si , loin de mes troupeaux , je le vois s'écarter : II me fera doux d'emporter» Le jeune & foible agneau délaifle par fa mere. O vous , Amans de Page d'or ! ïlabitans fortunés des paiflbles campagnes ! Vous ne connoilfiez de tréfor Que les bois , les vergers , les champs & vos compagnes.  i34 FOESIES Vous donniez des raiïins, des lys éblouiflans , Des violettes printanieres, Qui briiloient fur Toner tiflii par vos Bergères ; Et pour ces ruftiques préfens , Au fond des antres folitakes , L'Amour vous réfervoit des^rifers innocens. Une Nymphe avoit pour parure Sa pudeur & fa nudité : On ne favoir point Tart de farder Ia nature Et de déguifer la beauté. Sous le regne aimable d'Aftrée , L'homme voyoit les Dieux , jaloux de fon bonheuf, Defcendre jufqu'a lui , du fein de 1'empirée : Apollon mime étoit Pafteur. Vivons pour nous , Doris , & bravons le vulgaire. Que TUnivers me blame , & que je fois heureuxi Je ne rougirai point d'habiter ma chaumiere , De garder mes troupeaux , & d'atteler mes bccufs , Et d'enfoncer le foc dans la plaine légere. Eh ! quel ambitieux , épris de vains lauriers, S'il pouvoit poflédtr tes charmes, Oferoit préférer le tumulte des armes Et les champs de carnage oü volent les guerriers ?  PASTORALES. iJS Qu'il traïne, ah ! j'y confens , leur dépouille fanglante ; Qu'a fon char de triomphe , il enchaine des Reis ! Moi, quand mon cceur battra pour la derniere fois , Je preflerai ta main , d'une main défaillante. Qu'il devienne opulent , celui qui fend les mers Pour fatiguer fes jours fur de lointains rivages ! Je veux vieillir dans ces déferts , Et je bornerai mes voyages A parcourir les bords des ruiffeaux toujours clairs , Ou ces vallons , ou ces bocages. Si de nos ans légers 1'or prolongeoit le cours , Je voudrois l'amaficr avec un foin avare , Et prés de defcendre au Ténare , Le donner a la mort, pour racheter mes jours, Mais fi la fortune éphémere Ne peur reculer nos tombeaux , Irai-je abandonner mes tranquiles berceaux Et le bonheur de ne rien faire , Pour m'occuper fans fruit de pénibles travaux ? Faut-il , pour un peu de fumée , ( A 1'inconftante renommée , Vendre follement mon repos ? 14  »35 TOESIES Faut-il , pour découvrir des vérhés nouvelies , M élancer , comme Icare , aux campagnes des airs , Et quitter les routes mortelles , Pour aller tomber dans les mers ? Que me fert de franchir, dans mon vol téméraire, Le mur qu'entr'elle & moi la nature a placé ; De favoir fi jadis le monde a commencé , S'il doit s'écrouler en pouffiere , Et fi tout va fe perdre au fein de la maticre ; Et s'il eft un pays oü brulent les Titans , Oü la fiere Alecfto fait fiffler fes ferpens , Oü 1'on entend hutier les gueules de Cerbere ? Oh ! que j'aime bien mieux è 1'ombre des forêts , Couché fur la moufle légere , Dans une coupe de fougere Verfer un ne/tar doux & frais ! Tandis que je bois a longs traits , Le char du Dieu de la lumiere S'éleve au célefte palais , Et dans fa courfe palfagere , Le temps emporte mes regrets. Un jour , je n'aurai plus qu'un refte de moi-même: Un jour , engourdi par les ans ,  PASTORALES: H7 Je craindrai d'avouer que j'aime , Et latroupe des Ris fuira mes cheveux blancs: Alors en vain on vous rappelle , JeuneiTe, amour , plaifir , jeux folatres &doux! Alors d'une main quichancelle , On cherche a réparer 1'aftront du temps jaloux, Et triftcment on renouvelle L'hiftoire de Baucis & de fon vieil époux. Et vous , charmantes Sceuis , vous que j'ai carelfées! Mufes ! vous ceiTercz de répondre i ma voix : Ma verve doit tarir dans mes veines glacées , Et mon luth amoureux difcorder fous mes doigts. JouiiTons de 1'heure préfente , Sans nous inquiéter des maux de 1'avenir : Quand mes yeux auront vu finir Ces jours délicieux oü tu fus mon amante , J'en chérirai le fouvenir.  >}3 POESJES IDYLLE IL It Gage mu t ve x. He ureux les cccurs qu'un doux penchant raflemble ! Mais que 1'abfence eft cruellc a leurs feux! Nife & Mirtil fe faifoient leurs adieux : Prés du départ, ils conclurent enfemble Qu'a certaine heure , en regardant les cieux , ' Ils s'enverroient des baifers amoureux. De leur doulcur on fe forme 1'image. I.e couple abfent fut, pendant tout un mais , Inconfolable , & c'eft un long veuvage! Au temps marqué , les baifers , chaque fois , Alloient, venoient , foufflés entrc les doigts > Et les Zéphyrs fe chargeoient du menage, Eas , a la fin , dc ces baifers perdus , Ee beau Mirtil ne fut plus qu'un volage : Sur Nife abfente , Émire eut 1'avantage ; II oublia 1'objet qu'il ne vit plus ; Êtant un jour entre les bras d'Émire , II fe fouvint que. dans ce même inftant,  PASTORALES. i;V Nife envoyoit fon gage i i'inconftant : A cette idéé , il éclata de rire ; A fon récit , fa Belle en fit amant: Elle difoit dans fa maligne joie : Rends-moi foudain les baifers qu'on t'envoie ! Mais favez-vous ce que Nife faifoit i Elle donnoit fes baifers 1 Silvandre ; En les donnant , 1'infidelle difoit : A mon Berger , charge-toi de les rendre.  143 PO E S IE S IDYLLE III. Les Ad i eux de Mélibée. TITIRE ET MÉLIBÉE. mélibée, Tu repofes , Titire, a 1'ombre de ce hêtre , Ec tu fais réfonner tes légers chalumeaux : Pour nous , il faut quitter le champ qui nous vit naitre : Malheureux exilés ! nous fuyons nos hameaux , Nous fuyons , & toi feul , couvert d'ombré & tranquile , Tu charmes les forits du beau nom d'Amarille, Titire. O Mélibée ! un Dieu m'a donné ce repos ; Oui, je crois voir un Dieu dans ce mortel propice; Son autel rougira du fang de mes agneaux : II permet qu'a mon gré ma flüte retentiffe Et laiiTe errer ici mes paifibles taureaux,  PASTORALES. 141 M.s l i b é e. Je n'en fuis point jaloux : mais que ton fort m'étonne , A 1'afpect de nos champs que le trouble environne! Vois ce troupeau plaintif s'éloigner fur mes pas ! Je le traine avec peine , Sc cette chevre , hélas ! Parmi les coudriers , au milieu des montagnes, A laiffë deux chevreaux , 1'efpoir de fes compagnes. Des chènes foudroyés m'annoncoient ce malheur : Aveugle que j'étois ! de finiftres corneilles , Souvent du creux d'un arbre ont frappé mes oreilles ; Mais , Titire ! apprends-moi quel eft ton bienfaiteur. Titire. O mon cher Mélibée ! admire ma folie ! J'ai cru qu'a mon héros , cette Rome affervie RelTembloit i la ville oU je vends mes agneaux. Mais c'étoit comparer des objets inégaux , Des chiens i leurs petits , des chevreaux a leur mere. Rome fur les cités leve fa tête alticre , Comme le haut cyprès fur d'humbles arbrilTeaux. mélibée, Quel fiijet de la voir t'a fait naitre 1'envie ?  POESIES Titire. ta tiberté trop lente a feconder mes vcetix : Sur ma vieillelTe oifive , elle a jetté les yeux , Quand j'ai quitté pour Rome une injufte patrie. Sans efpoit d'être libre , avant mon choix nouveau , Sans foin de ma fortune, ami, je te 1'avoue , ïe prefibis un Iait pur pour 1'ingrate Mantoue , Et d'offrandes en vain j'épuifois mon troupeau. M i t i J £ i, Je vois pour quel objet la charmante Amarille Négligeoit de fes fruits 1'abondance inutile , Et d'une trifte voix follicitoit les Dieux ! les ruifieaux , les bofquets , les pins de fon afyle ledemandoient Titire abfent de ces bcaux lieux. Titire. Que [faire ? 6 Mélibée ! oü trouvcr loin de Rome le terme de mes maux , 1'appui des immortels ? C'eft-laque je 1'ai vu , ce héros , ce grand-homme. Pour qui , douze fois 1'an , j'encenfe nosautels I A peine ai-je parlé : cultivez vos prairies , Et reprenez , dit-il , le foin des bergeries, mélibée, Heureux vieillard ! ainfi tu conferves tes biens !  PASTORALES. i4J Ce terrain te fuffit, quoiqu'humide & fauvage : Des troupeaux empeités ne nuiront pas aux tiens ; Tes brebis fouleront leur ancien pSturage; Heureux vieillard ! ici > fur ce même rivage , De tes ruiffeaux facrés refpirant la fraicheur , Souvent tu iouiras d'un fommeil enchanteur , Au doux frémiflement de 1'abeille volage , Qui des faules voifins vient picorer la fleur ; Et tandis qu'au foramet de ces hautes montagnes, Le chant de 1'émondeur frappera les échos , Tes ramiers favoris & leurs tendres compagnes Roucouleront encore a Tombre des ormeaux. Titire. On verra les poiflbns abandonner les flots , Ee daim fendre des airs la campagne azurée , les Parthes de la Saone aller boire les eaux, Et les Germains du Tibre habiter la contrée , Avant de voir mon cceur oublier fon heros. H É li ■ £ I, Et nous , ïnfortunés ! le deftin nous fépare ! L'un va chez les Bretons , au bout de PUnivers ; L'autrc chez 1'Afriquain , chez le Scythe barbare , Dans la Crète oii 1'Oaxe arrofe des déferts,  «44 POESIES Hélas ! verrai-je encor mon totr couvert de chaurne , Et le champ qui formoit mon ruftique royaume ? Ces moiflbns , ces beaux lieux cultivés de ma main Vont devenir le lot d'un foldat inhumain! O citoyens ! voila le malheur de vos guerres! Vüili pour qui ( bons dieux !) j'enfemencois mes terres ! Que j'aille maintenant , autour de mes foyers , Ou planter une vigne > ou gteffer des poiriers! 'Adieu, troupeaux ! adieu , chevres jadis heureufes ! Je ne vous verrai plus du fond des 'antres verds , Fendre aux flancs éloignés de ces rochcs moufTeufes : Vous n'écouterez plus mes chanfons amoureufes , En broutant le citife & les faules amers. Titire. Cependant , fiens chez moi : j'ai des fruirs , du laitage ; Tu palferas la nuit fur un lit de fcuillage : Je vois déji fumer le toit de ces maifons , Et 1'ombre qui s'accroit tombe du haut des monts. , ': IDYLLS  PAST O RAI ES. M5 IDYLLE IV. La Q_u e s t i o n ixdiscrstte. Je dis un jour a mon amie : Avant i]ue Doris füt a moi , Avant le bonheuf de ma vie , Quelqu'autre avoit-il eu fa foi ? Je vois ma Bergère qui compte Gravement avec fes dix doigts : Le rouge au vifage me monte , Je frifibnnois a chaque fois. Ton calcul a de quoi confondre! As-tu formé tanr de liens ? Paix !dir-elle, avant de répondre , Je nfamufe a compter les tiens.  i4« TOESIES IDYLLE V. La Soxitvde. Que j'aime dc ces bois le tranquille féjour! Que le calme profond de cette allée obfcure Convient 'aux peines de 1'amour !. J'y viens pleurer une parjure : Heureux du moins , heureux qui peuc verfer des pleurs Sous les yeux de fon inhumaine! Mais plus heureux celui qui , las de fes rigueurs , Peut fe donnet une autre chaine ! Vous le favez , hêtres touffus ! Et vous , pins confacrê's au Dieu de 1'Arcadie ! Et vous , antres témoins de mes regrets perdus ! Quels maux ne m'a point faits mafuperbe ennemie! Que n'ai-je point fouffert de fes foupcons jaloux , De fa fierté , de fes caprices , De fon humeur pareille aux vagues en courroux , Et victime de ces fupplices , Je n'ofois m'en plaindrc qu'a vous L Hélas ! je condamnois ma douleur a fe taire. Tout mon bonheur fut de chercher > Sous un ombrage folitaire,  PASTORALES, 147 Dans les abymes d'un rocher , Un vain remedca ma mifere , Un fommeil que la nuit refuie & ma paupiere , Une paix dont mes fens ne peuvent apptocher. Quand j'ai vu mon amante attirer fur fes traces Une foule d'adorateurs, Peindre fon teint fleuri, fe parfumer d'odeurs , Et fous de faux atours enfevelir fes graces , Je lui difois : l'amour eft ennemi de Part ; ' Vois Péclat des oouleurs dont fe pare la terre! Vois s'élever fans foin les branches du lierre ! Vois comme Parboifier s'cmbcllit a Pécart! La nature aux oifeaux a donné le plumage , Au ruiileau fon cryftal , des fleurs i fon rivage; Ainfi tes agrémens doivent briller fans fard. Mais comment détourner d'une volage amante L'ambition de plaire a mille obiets nouveaux ? Eflayez ce prodige , ö vousi dont Part fe vante D'arrèter dans leur cours les céleftes flambeaux! Que votre baguette pui (Tante , Par un charme vainqueur , éloigne mes rivaux! Ou plutót fur moi feul exercez votie empire ; Ki  '48 POESIES Arrachez de mon fein le trait qui le déchire • Faites-moi traverfer 1'irnmenfitté des mers , Et d'un rapide vol, puilüez-vous me conduire Jufqu'aux hornes de 1'Univers ! On dit que par le temps , la douleur eft domptée f Mais qui peut vaincre mon amour i Celui qui biifera les fers de Prométhée , Et de fon cceur fanglant chaflèra le vautour, Celui qui fixera fur la rive infernale L'onde fuyant toujours des levres de Tantale. Cependant les guerriers , après de Iongs travaux , BlanchifTent dans le fein de leurs Dieux domeftiques; On difpenfe du joug le front des vieux taureaux ; On attaché aux piHers les armures antiques , Et le cceur d'un amant n'a jamais de repos ! Je me vantois d'une rupture ; Je publiois ma liberté : Que j'ai peu connu ma ble/Ture Et Ie pouvoir de la beauté ! Ah ! qu'elle fait bien , la cruelle , Rappeller la paix dans mon cceur! Un gefte , un mot de 1'infidelle  PASTORALES. 149 Suffit pour calmer ma fureur. Qu'un ouragan s'éleve ; on voit les mers troublées : Le foleil brille dan? les airs ; Soudain les vagues écoulées S'endorment dpucement fur la face des mers. Auprès de toi , Doris, quelle étoit ma folie! L'enfant , le foible enfant qui cueilloit ton baifer , Les careffes de ton amie , Jufqu'a vos entretiens, tout me faifoit envie , Et mon injufte jaloufie De tes foins pour un frere ofoit bien s'offenfer ! Vas ! cache-moi ta perfidie , Trompe-moi , j'y confens ; mon cceur veut s'abufer. Vas! mon triomphe étoit un rève : La paix que fait l'Amour n'eft jamais qu'une trèvc. Toi qui féduis les cceurs des Mortels & des Dieux ! O Vénus ! favorife un amant qui t'implore ! Fais que 1'ingrate m'aime encore ! Viens , telle qu'autrefois tu parus k mes yeux , Quand fouriant h ma priere, . > Du palais doré de ron pere , Tu conduifis vers moi ton char voluptueus. KJ l  »5« P0F.S1ES De tendres paiTereaux , dans leur courfe légere Lui firent traverfer les campagnes des cieux. Alors , ó puiflantc DéelTe , Tu vins au milieu des plailiïs > Et de ta bouche enchanterefie Tu m'annoncas qu'une maitreffe Seroit le prix de mes foupirs. Qu'elle m'a fait payer fa tendrefTe perfide! Que mon bonheur a peu duré ! Elle fuit maintenant , comme un fan égaré Court , au bruit du chaiTeur , vers fa mere timide. Son cceur friffonne auprès de moi : Mon ombre même 1'épouvante. Suis-je un tigre , un lion qui fait naitre reffroi ? Tant de haine entre-t-il dans le fein d'une amante \ Ai-je offenfé l'Amour ? Si je fuis criminel , Pour s'appaifer, qu'il me contemple ! Je vais colier ma bouche au pavé de fon temple, Et mon front touchera les bords de fonautel. J'en attefte les deux , & la douce rofée, ' Et le bel aftre du matin , Et les tiges des bois que mon pied clandeftijt Heurtoit dans fa maiche preffée ,  PASTORALES. «5» Et cette potte , hélas ! que j'ai tant careffée , Cette clef que toutnoit une furtive main! Ils ont vu mon ardeur : les vents & la terapête N'ont jamais arrêté mes pas ; En vain des flots de pluie ont inondé ma tête , Quand Doris m'appelloit , je volois dans fes bras. Combien de fois j'ai dit! que ne puis-je avec elle Habiter les hameaux , vivre comme un Berger'! Doris garderoit mon verger ; Elle confetveroit ma vendange nouvelle Et le jus des raifins foulés d'un pied léger. Ah ! que fous les yeux d'une amante , J'aimerois a tracer de fertiles fillons , A fendre avec le foc la terre obéiflante ! Je ne me plaindrois point, fi le Dieu des faifons Faifoit briller fur moi la canicule ardente , Ou fi la ferpe des moifibns Avoit enflé ma main fanglante. Cruelle ! tu ne connois.pas Le cceur de 1'amant que tu laifies : Tu le verrois lui-même , ou renouer tes treflcs , Ou chaulfer tes pieds de'licats. Si tu fuivois Diane , armé d'un trait rapide , J'irois frapper 1'oifeau qui rafe les guérets , 8 4  »5» TOESIES Ou fur les hótes des forêts , Lancer a tes cötés une meute intrépide. Si du vafte Océan tu traverfois les eaui, On nous verrok voguer au gté des niêmes flots , Ahorder au mtme rivage , Eo;re au même ruilTeau , chercher le même ombrage. Mais fi tu trouves plus d'attraits Dans une vie obfcure & douce , Viens habiter ces vallons frais , Ces rochers tapiflës de mouCfe ! Des'tambourins font fufpendus Dans ma grotte retentiflante : La molle argile y repréfente Le chalumeau de Pan , le thyrfe de Bacchus ; Au milieu des neuf Stcurs , on voit le vieux Silène , Et les colombes de Vénus Plongeant leur bec de rofe aux fources d'Hipocrène Oü s'égarent mes vceux ! . . j'ai perdu la raifon ! Mais , tremble ! il eft des Dieux qui puniflëftt Toutrage. As-tu vu le tonnerre enflammer Phorizon? Ce n'eft pas 1'humide Orion Qui produit la foudre & 1'orage :  PASTORALES. »53 C'eft Jupiter armé contre un fexe volage Dont il connoit la trahifon... Ceflbns cette plainte importune ! Hélas ! un laboureur parle de fes taureaux, Un commercant de fa fortune : Moi , j'aime i parler de mes maux. Je ne dtfire point une gloire frivole ; Mais que ces vers foient lus de 1'amant malheureux , , Que des pleurs coulent de fes yeux , Et que mon deftin le confole. O mesamis ! laiiTez des enorts fuperflus. Je voudrois vainement oublier ma tendrelTe : Si je fuis trifte ou gai, ne me dcmandez plus DVu vient ma joie ou ma triftelfe ; Ne vous étonnez pas fi Ton vous dit un jour Que je viens de defcendre au ténébreux empire : C'eft le fort d'un mortel .déchiré par 1'amour ; II marche , & tout-i-coup on apprend qu'il expire. Si vous foulez ma tombe oü naitra le fouci , Oü les vents berceront ma lyre gémilfante , Écrivez-y ces mots : " il fut conduit ici , •> Par les rigueurs de fon amante n.  ff* POESJES IDYLLE VI. ZSS PZAISIRS DV RlVAQt. A. s s i s fur la rive des njers , Quand je fens 1'amoureux Zéphyre Agiter deucement les airs Et fouffler fur Thumide empire, Je fuis des yeux les voyageurs, A leur deftin je porte envie : Ee fouvenir de ma patrie S'éveille & fait couler mes pleurs. Je trefiaille au bruit de la rame Qui frappe 1'écume des flots ; J'entends retentir dans mon amc Ee chant joyeux des Matelots. Un fecret defir me tourmente De m'arracher k ces beaux lieux , Et d'aller , fous de nouveaux cieux . Porter ma fortune inconft^nte.  PASTO RAL ES. «jj Mais quand le terrible Aquilon Gronde fur Tonde bondilfante , Que dans le liquide fillon Roule la foudre étincelante , Alors , Je repofe mes yeux Sur les forêts , fur le rivage> Sur les vallons filencieux Qui font a Tabri de Torage ; Et je m'écrie : heureux le lage Qui réve au fond de ces berceaus , Et qui n'entend fous leur feuillage Que le murmure des ruilfeaux!  '5« POESIES IDYLLE VII. E E B A I N. Ê G L É , IRIS. Êgié. I. E jour , a fon déclin , brille encor ce rivage: Viens rcfpirer le fiais a 1'ombre du bocage, Oü ce ruiflêau charmant précipite fes flots. Iris. Allons.... avance un peu ! les branches des ormeaux Me defcendent fur le vifage. E g l i, Que ce ruiflêau me plait ! que fon murmure eft doux ! De fes flots de cryftal n'es-tu pas enchantée? Quittons nos vétemens , Iris, & plongeons-nous Au fein de cette onde argentée. Iris, Mais , Églé, fi Ton vient ? fi 1'en nous appercoit ?  PASTORALES. 157 é 0 l t'. . Ancun fcntier ne mene a ce rivage érroit, Et cette grotte de feuillage Répand autour de nous le plus épais ombrage. Les Bergères foudain quittent leur vêtcment, Et Tonde les faifit d'un doux frémifiemenr. Églé difoit: j'cprouve une nouvelle viel... Que ferons-nous, Iris? fais-ui quelque chanfon ? Iris. Bon ! rêves-tu ? quelle folie ! Pour nous faire entendre au vallon ? É G l É. Ah! je n'y fongeois pas. ... écoute mon envie : 11 faut que tour -h- tour chacune fe confie Quelqu'hiltoire.... Iris. Vraiment ! j'en fais une jolie; Mais.,.. É o 1 E. Pourrois-tu douter de ma difcrétion? Suis-je pas ta meilleure arnie i  '5* POESIES Iris. Tu Ie veux ?,.. L'autre jour je menois mon troupeau Prés du vieux cerificr planté fur ce cóteau Mais je fuis folie , quand j'y penfe ! De mon plus grand fecret te faire confidence ! é G l li. Eh ! bons Dieux ! que crains-tu ? voila bien des apprêt» 1 Ne dois-je point aufiï te dire mes fecrets ? Iris. Comme je defcendois le fentier folitaire , J'entends mon nom chanté par une voix légere ! Je regarde , j'écoute & m'arrêre foudain; Je ne voyois perfonne : inquiete , étonnée , Je m'approche : la voix fuit le même chemin; J'avance encor : la voix s'cfl alors éloignée; Je vis qu'elle partoit du cerifier voifin. Mais quoi! dirai - je tout ? E G l É. Oui : les jeunes Bergère» Ne fe cachent rien dans le bain , Et fous cette ombre épaifle il n'eft point de myfteres. Iris. Je retourne au logis, iettant les yeux par fois  PASTORALES. 159 Vers le lieu d'oü fortoit la voix. Je marchois lentement pour mieux prêter 1'oreille. Enfin la nuit furvient. Églé ! tu peux juger Si dans 1'inquiétude un inftant je fommeille ! Bientót j'entends la voix, & le même Berger Auprès de ma fenêtre attaché une carbeille : Son ombre, i la faveur du flambeau de la nuit, ParoiiToit s'allonger jufqu'au pied de mon lit. Oh ! le cceur me battoit .... enfuite.... é g l i. Eh bien? Jacheve ! Iris. Quand Je le vis fe retirer, Ne falloit-il pas m'affürer Si tout cela n'étoit qu'un rêve ? J'approche douccment, j'ap^ercois lc panier j J'ouvre, & tout en tremblant , je le vais délier: II étoit rempli de cerifes D'un goüt.... je n'en mangeai jamais de plus exquifes. Mais , ne vas pas me demander Quel étoit ce Berger ? ... é g l £• Voudrois-tu me le taire.?  ,6a POE SI ES Oui le beau fecret a garder! Tu ne dis pas que c'eft mon frcre! Iris. Qui ? ton frere ! É G L É. Sans doute. Iris. Et d'oti vient ton foup9on ? É g L é. Ce panier , n'eft-ce pas un don Que dans ce même jour je venois de lui faire ? Et, tiens ! ne vois-je pas quelle vive rougeur Monte depuis ton fein oü la vague fe joue, Jufqu'i ces beaux cheveux qui carreffent ta joue? Tu regardes les flots ! pourquoi tant de pudeur?... Vas '. j'ai déja pour toi 1'amitié d'une fceur. Iris. Hélas ! tu vois , 'Êglé , tu vois combien je t'aime ! Pour ofer t'avsuer le fecret de mon cceur , II faut t'aimer comme moi-même. é g l é. Eh bien ! Iris , é'coute , & recois a ton tour L'a>en  PASTORALES. xèt L'aveu fecret dé mon amour. Ï.Iön pere , au Dieu des champs , offroit une geniiTe : Daphnis , le beau Daphnis parut au facrince.... Mais , chut! j'entends du bruit! . .. Iris. Ociel' oü nouscacher? t « n', te bruit cröjt; il s'avance. Iris. II fort de ce bocage. i o t i. Ö Nymphcs ! fauvez-nous ! ... on vient vers le rivage, Iris. Prenöns nos vêtemens & gagnons ce rocher. Les Bergères füyoïent comme deux tourterelles Qu'un avide rfpervier pourfuit du haut des airs, Et ce n'ctoit qu'un faon auiïï timide qu'elles, Que la fource attiroit fous ces ombrages verds,  lis P O E S I E S IDYLLE VIII. La Jaiovsis. DAMON ET LïCASi P * m o n. A-s-tu vu, jeune Berger, PaiTer la brunc Égérie? L v c a s. Elle éroit dans ce verger Avec fa brebis chérie. Damon. Eh i dis-moi ; ne voyoit-on Que fa brebis avec elle ? h Y C a s. Un Berger fuivoir la Belle. Damon. O Dieux ! c'étoit Coridon!  Ï^STORAZÈS. tff| IïCASi, Juftement ! c'étoit lui-mcme. i ïi Mais, tu changes de couleur ! Damon. Hélas! quel eft ton bonheur ! Tu ne iais pas comme on aime.  mii POESÏES IDYLLE IX. Les deux'Rvisseaux. a p h n i s i privé de ion amante > Conta cette Fable touchante A ceux qui blamoicnt fes douleurs. Deux ruiifeaux confondoient leur onde > Et fur un pré femé de fleurs Couloicnt dans une paix? pro^onde. Dès leur fource , aux mêmes déferts, La même pente les raifemble, Et leurs vceux font d'allcr enfemble S'abymer dans le fein des mers. Faut-il que le deftin barbare S'oppofe aux plus tendres amours ? Ces ruiifeaux trouvent dans leur cours Un roe affreux qui les fc'pare. L'un d'eux , dans fon trlfte abandon, Se déchainoit contre fa rive , Et tous les échos du vallon Eépondoient a fa voix plaintive.  PASTORALES', i*y Un paflani lui dit brufquemens : Pourquoi, fur cette molls arêne , Ne pas murmurer doucernent ? Ton bruit nvimportune & me gêne-, N'entends-ta pas, dit Ie ruiflêau * A l'autre bord de ce cóteau , öémir la aioitié de tnoi-taérneï Toarfuis ta route , ó voyageut, Et demande aux Dieux que ton coüfj Ne perde jamais ce qu'il airae I I-S  U6 POESIES IDYLLE X Sf dtrnim. L'A V T O M K E. voit fe cnurbcr !cs ver?crs Sous Ie poids de leur opulence : T-e fruit mür fe détache & tombe cn abondance Emporté par les vents legers ; Les Etappes pleines & vermeilles , A travers le pamprc des treilles , Découvrent Tambre du raifin. Déji les villageois & leurs jeunes compagnes ' Arrivcnt pour cueillir les tréfors des campagnes; Pomone les conduir , fa corbellle a la main; Bacchus mene avec lui Iclfain De fes folatrej vendangéufes, Qui célebrent en chceur , dans leurs chanfons joyeufes, Les Amours & le Dieu du vin. On entend le Paifcur chantant fous la feuillée , Son troupeau qui mugit dans la fraiche vallée , Le ruiffeau qui frilTonne, & qui flotte incertain Au pied de la voute émail lée  VAST O RAL BS, ïfi? Du laurier rofe & du jafmin. Quel charme eft répandu fur le monde paifiMe) C'eft ici le moment de la réflexion : C'eft dans cette aimable faïfon , .Que la mélancolie infpire un cceur fenfibic. J'irai dans 1'ombre des forêts , Dans les bocages toujours frais Qui nourriflent ma rêverie, Dans les rochers retentilTans Dont les échos frappent me* fens D'une touchante mélodie : Heureux , fi j'entends quelqucfois Une fontaine gémiffante, Ou la feuille feche & bruyante Que le vent détache des bois , Ou le chant languiflant d'un oifeau folitaire , Qui ranime , pour me diftraire, te foufflc expirant de fa voix, Tandis que les pincons, les linots , les fauvettes Qui, pendant les beaux jours , ont fi bien gazouillé , Habitans défolés de ces voütes muettes , Se perchent en tremblant fut 1'arbre dépouillé ! L 4  ssS jP OESIES Le chevreuil n'eft plus fous 1'ombrage i Le fond de ces berceaux commence a s'éclaircir : Le voyageur s'arréte . en jettant un foupir , Dans les bois jonchés de feuillage. Adieu nature ! adieu , plaifir ! L'oifeau conduit par le zéphyr, Dans des climats plus doux va porter fon raraage» Déja les humides brouillards Viennent annoncer la froidure; Et le foleil , fur la verdure , Va lancer fes derniers regards, ,.. Ah ! du moins , le printemps fera revivre encore Ces champs que doit ftétrir Thaleine des hivers: Mais moi , foit que la nuit faffe place a Taurore, Soit que 1'aftre du jour fe plonge dans les mers, Je vous rappelle en vain , félicité paffée ! Tendres illufions de mon ame abufée ! Votre vol a fuivi la courfe des éclairs. ., Pourquoï ces pleurs involontaires Que mes yeux laiffent échapper J?ourquoi fonger i des chimères  TAST0RA1ES. IJS« liönt tout m'aide A me détromper ? Regretterois-je , Amour , ton fuperbe efclavage . Et voudrois-je aujourd'hui recommencer d'aimer ? Ee nautonier tremblant , tout baigné du naufrage, Sur les flots orageux eft-il ptêt de ramer i Vas ! laifle-moi , eruel ! fur 1'émail de ces plaines, Sur le rivage de ces eaux , Je n'irai plus chanter tes plaifirs & tes peines ; Je n'irai plus dire aux échos Le nom de la beauté dont je portois les chaines. Du bonheur que j'ai vu finir L'image dans mon cceur ne peut être effacée : Mais , que fert de 1'entretenir ? Hélas! le plus doux fouvenir Ne peut qu'afüiger la penfée. Combien de fois , dès le matin, Je vins , fur ces gazons , rêver a 1'infidelle '. Combien de fois 1'aube nouvelle M'y retrouva le lendemain! Si quelqu'haleine bienfaifante M'apporte 1'odeur des bofquets, Je crois refpirer [\es bouquets Que je cueillois pour mon amante: Au retour du printemps , fi dans 1'ombre des boii,  i7o POE SIES Les roflignols fe font entendre; jfc Je penfe aux douces nuits oü j'écoutois leur voix , Quand l'Amour, dans ces lieux, me preffoit de me rendre. Ainfi, quand le navigateur S'éloigne d'une ille enchantée, Son ccil fe tourne avec douleur Vers la rive qu'il a quittée. CefTez d'exciter mes regtcts , Lieux charmans! lieux témoins des jeux de mon bel a»e ! D'un bien qui m'cft ravi , pourquoi m'offrir 1'imagc ? Laiffez , laiffez mon cceur en paix! Ah ! n'eft-il pas temps d'ètre fagc? Dans le vuidc affrcux de mes jours , Vicns flatter ma langueur , grave mt'lancolie ! Prés de moi , s'il fe peut, remplace la folie , Er confole mon cceur du départ des amours ! Tu fins des indifcrets la foule turbulente , Et les ris infenfés & les frivoles jeux : Ce n'eft que fur les bords d'une onde murmurante , A 1'ombre d'un bois tér.ébreux , Que tu berces Fame indolente Dans un repos voluptueus, O délicieufe trif/te.fc,  PASTORALES. 17» Plus douce encor que la gaité! Ce monde fatigué d'une éternclle ivrefle Ignore ta félicité. Je m'abandonne i toi , vénérable immortelle ! Ne permets qu'i la tourterclle De troubler , par fa voix , la paix de ces déferts! Qu'elle attendrijTe ma penfée , Quand Phébé répand dans les air» Le demi-jour de 1'élyfée ! . .. M^s quoi ! jufqu'en tes bras le regret me pourfuit! Je me rappelle encor des fonges trop aimables, Et je portc mes veux vers ce pays des Fables, Dont 1'enchantement eft détruit ! Dieux ! lailfez-moi da moins 1'illufion champêtre ! LailTcz-moi mes bergers, mes fleurs & mes ruilTeaux ! Mais le charme eft fini, j'ai perdu ces tableaux j J'ai vu , de 1'age d'or , 1'image difparoitre , Et je brife mes chalumeaux. Aux champs comme aux cués , 1'hommeeft par-tout lemêmc, Par-tout foible , inconftant, ou crédule , ou pervers, Efclave de fon cceur, dupe de ce qu'il aime: Son bonheur que j'ai peint n'étoit que dans mes vers. Adieu donc pour jamais, campagnes menfongeres!  ij-* F0ES1ES Séjour peuplé d'Amans, de Nymphes > de Bergères i Prés. coiliues , vallons oii réfonnoit ma voix ! Qu'ètes-vous devenus , doux plaifirs de ma vie t N'étes-vous plus ces lieux que j'ai vus autrefois ? D'oü vienr qu'a votre afpeil mon ame eft moias ravie ? N'eft-ce point-li cette eau qui baignoit la prairie? La fcichcur & 1'ombrage ont-ils fui de ces bois ï Hélas ! il m'a quitté , eet enchanteur perfide, Qui me trompoit fi doucement: 11 m'a quitté , ce Dieu charmant Qui m'olfroit les jardins d'Armide ; Et le monde, a mes yeux, rentte dans le néant. Fin du Livrc suatrhme & dernke.  LE TEMPLE DE G N Y D E, MIS EN FERS.   AUX MANES D U MA R Q U IS DE CHAUVELIN, Tlo i , qui des ombres fortunées , Habites les bois touj'ours verds ! Je t'ai vu fourire i ces vers Tracés dans mes jeunes années. C'eft en vain qu'en 1'honneur du Dieu Qui m'apprir a trouver la rime, Sur mon ouvrage , en plus d'un lieu , Je viens de repafi'er la lime : Ses défauts refteront toujours ; Montefquieu peignit une Belle, Simple , naïve , fans atours : J'ornai fa beauté naturelle ; J'en demande grace aux Amours, Quand je rimois par fantaifie, Cet écrit d'un heureux génie,  .t?« PO ESI ES ïu fais qu'a charmer mon Icifïr, Je bornois ma lyre timide ; Et qu'un fimple habitant de Gnide , D'une gloire fouvént perfide , N'a jamais concu le defir. Ma Mufe n'eft qu'une mortelle Et n'attend rien de 1'avenir : Mais je revois avec plaifir Sa poétique bagatelle , Comme on voit un lieu qui rappeüe Un agréable fouvenir. O Gnide! 6 campagnes ficheres! Bois confacré's aux doux myfteres I Que j'aimois vos jeunes Eergercs Dont 1'innocence eft le tréfor , Et ces jeux , ces danfes légeres , Ces cceurs purs, ces amours finceres , Ces mceurs dignes de l'.ïge d'ot ! Tous ces biens font imaginaires : Mais j'ai joui de leurs chimères , Et j'en voudrois jouir encor. I- S  LE TEMPLE D E G N Y D E , C H A N T PREMIER. V É n u s a Gnyde aime a fixer fa cour, Elle n'a point de plus charmant féjour: Jamais fon char ne quitte 1'empirée , Sans aborder a ce rivage heureux : Fiers de la voir fe confondre avec eux t Ees Gnydiens , i fa vue adorée, N'éprouvent plus cette frayeur facrée Que fait fentir la préfence des Dieux: Si d'un nuage elle marche entourée, On reconnoit la belle Cythérée , Au feul parfum qui fort de fescheveuxj Gnyde s'éleve au fein d'une contrée Oüla nature averfé fes bienfaits. Le doux printemps 1'embellit a jamaisj Une chaleur égale & tempérée * M  i7« IE T E MP L M Y fait tout naïtre & prévient les fouhaits, Vous n'entendez que le bruit des fontaines, Et le concert des oifeaux amoureux ; Tous les bofquets femblent harmonieux ; Mille troupeaux bondiflent dans les plaines ; L'efprif des fleurs par les vents emporté , Dans tous ces lieux , embaume leurs haleines : L'air s'y refpire avec la volupté. Trés de la ville , habite rimmortelle t Vulcain batit fon palais fomptueux, Pour réparer raffront qu'k l'infïdelle II fit jadis en préfence des Dieux. II n'apparrient qu'aux Graces de décrire Tous les actraits de ces lieux enchantés : L'or , les rubis , Tagathe & le porphire .... Mais ces tréfors n'en font pas les beautés. Dans les vergers , par-tout on voit éclore Les dons brillans de Pomone & de Flore ; Sur les rameaux, la fleur fuccede au fruit; Le bouton fort du bouquet qui s'erfeuille J  D E G N X D E. i79 Le fruit renait fous la main qui la cueillé : Les Snydiens que Vénus y |conduit Foulent en vain i'émail de la verdure : Par un pouvoir , rival de Ia nature , Le frais gazon eft foudain reproduit. Vénus permet & fes Nymphes légeres De fe meier aux danres desEergeres: La , quelqnefois , afïïfe i leur cócé , Se dépouillant de fa grandeur fuprême, Elle conttmple, & parage elle-même , *e ces cceurs purs 1'innocente gaité. On voit de loin une vafte campagne Qui fair brillcr les plus vives cou'eurs: Le jeune Amant y mene fa compagnie: Fait-elle c' oix de la moindre des rfèurS > Pour fon Eerger. c'eft tou"o\:rs la plus belle: II croit que Flore ejtprès la fit pour elle. L'ea'j cu Cépliée y fait mille détours! E'tle y reiient les Belles fugitives-: Ma  i8o IETEMPLZ II faut payer „ quand on eft fur fes rives, Le doux baifer qu'on promit aux Amouis. Au feul abord de quebque Nymphe agile , Le fleuve épris eft fixé dans fon cours: Le Hot qui fuit trouve un flot immobile. Se baigne-t-eile i amant de fa beauté y. II l'envïronne, ;1 lui forme une chaine j Vous Ie voyez , bouillant de volupté, Qui fe fouleve , & Tembraffe, 2: 1'entraine ; La Nymphe tremble , & pour la ralïiuer, II la foutient fur fa liquide plaine , Avec orgueil lentement la promene, Et vous diriez , prêt de s'en féparer, Qu'en fons plaintifs il exhale fa peine. Dans cette plaine , un bois de myrte frais Offre aux Amans 1'abri de fon feuillage : L'Amour forma ces afyles difcrets Pour égarer le couple qu'il engage, Toujours .guidé vers des lieux plus fecrets , Toujours couvert d'un plus épais ombrage*  DE GNYDE. Üi Non loin de li, des chènes fourcilleux , De noirs fapins dont la voute touffue S'entr'ouvre a peine i la clarté des cieux, Percent la terre , & cachent dans Ia nue Leur vieux fommet qui fe dérohe aux yeux. D'un faint effroi Tame y reilënt Tatteinte ; Des Immortels on croit voir le féjour : Ils ont, fans doute , habité cette enceinte 9 Quand 1'homme encor n'avoit point vu le jour. Hors de ce bois , & fur une colline, S'éleve un Temple a Vénus conlacré: II fut bati par une main divine; L'art Tenrichit, les Graces Tont paré. Bel Adonis ! Vénus dans ce lieu même, A ton afpefl brüla d'un nouveau feu. Feuples , dit-elle , adorez ce que j'aime ! Dans mon empire , il n'eft plus d'autre Dieu, Vénus ;encor , lorfque deux Immortelles De la beauté lui difputoient le prix , ï confulta fes compagnes fidelles.  l8ï X-ETEMPLZ Comment s\>rTrir aux regards de Paris » Déja fur elle on répand 1'ambroiiie ; Elle a caché fous 1'or de les chcveux Cette ceinture oü folAtrent les jeux; Son char 1'emporte , elle arrivé en Phrygie ; E'heureux Berger balancoit dans fon choix : Mais il la voit, foudain fon cceur la nomme ; II veut parler, rougit , rcfte fans voix , Et de fes mains laiiTe échapper la pomme. Jeune Pfyché ! l'Amour , fous ces lambris, Par tes regards fut lui-même furpris. Quoi! dilbit-il, eft-ce ainfi que je bleffe ? Mes traits , mon are , tout pefe a ma foibleffe * Et dans 1'ardeur de fes premiers foupirs3 II s'écrioit au fein de fa maitrelTe : Ah ! c'eft k moi de donner les plailirs ! Ce Temple atiguue excite , dès l'entre'e , Un doux traniport qui remplit tous les fens! On eft f'aifi de ces raviffemens Que les Dieux feuls gpütent dans 1'envpjré'e.  DE GNYDE. Li , Ie génie enflarnmant fes pinceaux, Créa par-tout des peintures viyames : On voit Vénus quittant le fein des eaitx > Les Dieux ravis de 1'es graccs naiflantcsj Son embarras né de fa nudité, Et fa pudeur la première beauté» On y voit Mars fier & même terrible : Du haut d'un char , dans fa courfe invincible, Le Dieu s'élance au milieu des combats; Dans fon ceil noir , un feu guerrier s'allume ; La Renommée a volé fur fes pas , Et fes chevaux poudreux , couverts d'écurne > Ont devancé la peur & le trépas. Plus loin, couché fur un lit de verdure, A Cythérée il fourit mollement : Ce n'eft plus Mars ; on cherche vainement Son front altier qu'adoucit la peintute ; Avec des fleurs l'Amour les a liés : Le couple amant fe regarde , foupire , Et ne voit point, dans fon ifeureux délire , L'enfant malin qui badine 4 fes piés. M 4  iS« LE TEMPEE Des lieux fecrets offrent une autre fcène: Vous y voyez les noces de Vulcain. E'Olympe aflifte a ce bifarre hymen; Du Dieu rêveur vous remarquez la gene ; Vénus , par grace , abandonne une main Qui femble fuir de la main qui 1'entraine : Sur eet époux, fon regard porte a peine. Et vers l'Amour fe détourne foudain. I On voit Junon, dans une autre peinture, De leur hymen former les triftes nceude. I.a coupe en main , Vénus devant les Dieux Donne fa foi ; le ciel rit du parjure ; Vulcain l'écoute avec un front joyeux. Au lit d'hymen , 1'époux veut la conduite ; Elle réfifte , & fi 1'ceil qui Tadmire Se méprenoit a 1'éclat de fes traits, On croiioit voir la fille de Cérès Que va ravir le Dieu du fombre empire. II la faifit; les fcietix fuivent leurs pas 5 Vénus en pleurs s'ayte dans fes bras i  DE G N Y D *S5 Sa robe tombe; elle eft i demi-nue : De fa pudeur il fauve 1'embarras , Plus attentif a couvrir tant d'appas , Qu'impatient de jouir de leur vue. Au fond du Temple , il paroit fans témoin ; L'époufe touche au fatal facrifi.ee: Dans fes rideaux il Tenferme avec foin : Chaque DéefTc en rit avec malice ; On voit les Dieux qui vont gémir au loin : Mais ce moment pour Mars eft un fupplice. Vénus créa , dans ce Temple enchanté, Des jeux facrés , & le culte qu'elle aime : Toujours préfente, elle en eft elle-même Et le Pontife & la Divinité. De toutes parts on lui rend, dans les villes, Un culte' impur qui blelfe la pudeur : II eft un Temple oh des Beautés faciles Vont s'enrichir des fruits du déshonneur : II eft un Temple ou Pépoufe adultere A fon Amant s'abandonne une fois,  «** ZE TEMPLE Et tra jetter au fond du fanctuaire E'or critninel dont il paya fon choix : Ailleurs encore , on voit des courtifannes A fes autels porter leurs dons profanes , Plus honorés que ceux de la vertu ; On voit enfin , fous Thabit de PrêtrelTe Des hommes vils offrir a la Déeffe te vain regret de leur fexe perdu. tes Giydiens rendent i 1'Immortelle Des honneurs purs qu'elle changeren plaifirs, Pour facriiice, on offre des foupirs , Et pour hommage , un cceur tendre & fidele; Par-tout, a Gnyde , on adore une Belle - Comme Vénus , elle eft fille des cieux : A fon Amante on adreffe des vceux, Et c'eft Vénus qui les recoit pour elle. Dfieureux Amans , remplis de leur ardeur, Vont embrafTer Tautel de la conftance; Ceux qu'une ingrate accable de rigueur Y vont chercher la flatteufe tfpérance:  DE GNYDE. jgy Toujours Vénus propice aux vrais Amans, Sait mefurer le bonheur aux tourmens. Un cceur jaloux doit cacher fa bleflure : De la beauté les goüts capricieux Sont adorés comme un arrêf des Dieux Qui dcvient jufte alors qu'on en murmure. L'Amour , fes feux , fes tranfports , fa fureur , Sont des bienfaits qu'accorde la Dée/Te: Moins un Amant eft maitre de fon cceur, Et plus Vénus en dtvicnt la maitrelTe. Loin les cceurs froids qui n'ont jamais aimé ! Le faniftuaire a leurs vceux eft fermé. Ces malheureux conjurent rimir.ortelle De leur ouvrir Ia fource des plaifirs , De les fauver de cette paix cruelle Que laiffe en eux 1'abfence des defirs. Vénus infpire , aux Bergères de Gnyde, La modeftie & fa gracc timide, Qui, fous le voile , ajoute a la beauté,  i«8 LE TEMPLE Mais leur front pur oü la candeur reilde, Ne rougit point d'un aveu mérité. Dans ces beaux lieux, le cceur fixe lui-même L'inftant charmant de fe rendre a fes feux : II eft fi doux de céder quand on aime ! Mais , fans aimer eft-ce faire un heureux ï L'Amour choifit les traits dont il nous blefie» Les uns trempés dans les eaux du Léthé , Sont pour 1'amant que fitit une maitreue: Armés de feux, d'autres volent fans celTe Sur deux cccurs neufs , pleins de leur volupté : Un autre augmente ou bannit la tendreffe, Quand un amant eft foihlement atteint: L'Amour prévient , dès qu'on perd fon ivrelfe , Le froid dégout d'un ardeur qui s'éteint. II a laifle ces traits faits pour la guerre Qui déchiroient Ariane & fa f«cur, Et dont fes bras s'armoient dans fa fureur, Comme le ciel s'arme de fon tonnerre.  DE GNYDE. iS„ Quand Tart d'aimer eft donné par l'Amour, Vénus y joint Tart féduifant de plaire. A fon autel, les'filles chaque jour Vont adrefièr leur naïve priere. E'une difoit, avec un doux fouris : Reine des cceurs! renferme dans mon ame , Pour quelque temps , le fecret de ma flamme , Et mes aveux en auront plus de prix. E'autre difuit: Divinité •fuprême ! Tu fais qu'Hilas ne m'intérefle plus : Ne me rends point les feux que j'ai perdus; Fais feulement , fais que Mirtil m'aime. Aucun plaifir ne fauroit me charmer , Difoit une autre ; en fecret je foupire: 3'aime peut-ètre Ah ! fi je puis aimer , Ee jeune Atis a pu feul me féduire. A Gnyde alors il étoit deux enfans Simples, na'tfs, d'une candeur fi pure  *!>• l e temple Qu'ils paroilToient après quinze printemps, Sortir encor des mains de la nature. Se regarder , fe ferrer dans leurs bras Satisfaifoit leur paifible innocence : Heureux par elle , ils ne foupconnoient pas Qu'il fut au monde une autre jouiflance; Mais une abeille, aux levres du Berger, Fit une plaie ; & pour Ie foulager , Phylis prefTa , de fa bouche vermeille , t'endroit blefTé par le dard de 1'abeiIIe : Qu'arrive-t-il? Un tourmenr plus facheux Depuis ce jour, les a furpris tous deux : Daphnis s'émeut dès que Phylis le touche ; II ne fait plus que Me puniroit d'en dire davantage. Fin da premitr Chanu CHANT  LE TEMPLE DE GNYDE, C H A N T S E C O N D. A Gnyde , il eft un antre aux Nyniphes confacré J E'Amant fui fes deftins , en revient éclairé : On n'y voit point trembler la terre mugiffante , Sur le front paliflant fe drelfer les cheveux , Et fur un trépied d'or, la PrêtrefTe écumante S'agiter en fureur i la voix de fes Dieux. Vénus prête aux kumains une oreille indulgente , Sans tromptr de leurs cceurs les foup9ons ou les vceux,- Une fillé de Crète aborda Plmmortellë : Des flots d'adorateurs s'emprefToienr autour d'elle. A Toreille de Tun , elle parloit tout bas ; Elle accordoit k 1'autre un fouris plein de charmes ; Sur un troifiême encore , elle appuyoit fon bras, N  i94 IE TEMPLE O ciel ! que dans la foule elle caufa d'alarmes! Combien elle étoit belle , & parée avec art ! Sa voix étoit perfide*, ainfi que fon regard : D'une Divir.ité la démarche eft moins fiere,., Mais Vénus lui cria : "-Sors de mon fanftuaire , m Ofes-tu bien porter ton manége impoftcur » Jufqu'aux lieux oü l'Amour regne avec la candeur ! » Je veux qu'a ta beauté ce même orgueil furvive. » Je te laiffe ton cceur &. détruis tes appas ; » Les hommes te fuironr, comme une ombre plaintive» » Et 'e mépris vengeur attaché fur res pas , » Pourfuivra chez les morts ton ame fugitive. Fléau de fes Amans , riche de leurs débris , Des murs de Nocrétis , vint une courtifanne. Quel fafte étoit le fien! de fa flamme ptofane , Avec un front fuperbe , elle étaloit le prix. » Crois-tu , dit la DéefTe , honorer ma puiffance ? » Ton cceur refTemble au fer : dans ton indifférence, » Mon Fils même, ori , mon Fils ne fauroit t'enchainer, u Au lache q"i t'appelle & va t'abandonner , » D'un charme féduéreur tu montres 1'apparence : » Ta ber.uté , dont tu vends la froide jouifïance , » Promet bien le plaifir , mais ne peut le donner,.. »Fuis ! porte loin de moi ton culte qui m'offenfe.  DÉ GNYDE. ,95 Un homme riche & fier vint quelques temps après ; II levoit des tributs pour le Roi de Lydie , Et s'étoit chargé d'or , efpérant qu'a grands frais , II pourroit s'enflammer une fois en fa vie. » J'ai bien , lui dit Vénus , la vertu de charmer ; » Mais je ne puis répondre k ce que tu fouhaites : » Tu préténds acheter la beauté pour 1'aimer ; » Mais tu ne i'aimes point paree que tu 1'achctes. » Ton or ne va fervir qu'a t'öter pour jamais , >» Le gout délicieux des plus charmans objets. Ariftée arriva des champs de la Doride. 11 avoit vu Camille aux camjagnes de Gnyde j II en étoit épris , & tout brülant de feux , II venoit demander de 1'aimer encor mieux. La DéeiTe lui dit: « Je connoisbien ton ame : » Tu fais aimer ; Camille eft dlgne de ta flamme : » J'aurois pu la placer fur le tróue d'un Roi : » Mais un fimple Berger mérite mieux fa foi u. Je vins aulfi, tenant la main de ma Thémire : La DéeiTe nous dit : « Jamais dans mon empire , » Je n'ai vü deux mortels plus foumis k ma loi: » Mais que pourrois-je faire ? en vain je voudrois reodre N *  i96 LET E M P I. E n Thémire plus charmante, & fon Amant plus tendre » » Ah ! lui dis-je , j'attends mille graces de toi ! » Fais que dans chaque objet mon image tracée » De Thémire fans ceffe amule la penfée ; » Qu'elle dorme & s'éveille , en ne fongeant qu'a moi; » Qu'abfent , elle m'efpere , & préfent, craigne encore » Le douloureux moment qui doit nous féparer : » Fais que Thémire enfin , du foir jufqu'a 1'aurore , » S'occupe de me voir , ou de me defirer. » Gnyde alors célébroit des fêtes folemnelles Dont le fpectacle attire un eflaim de Beautés : Jaloux de triomphcr , il vient de tous cótés Four difputer les prix réfervés aux plus belles. La , prés d'une Bergère eft la fille des Rois; La Beauté feule y brille, & Vénus y préfide •Entr'elles d'un coup d'ceil la DéeiTe décide ! Elle fait quels appas déterminent fon choix. Héléne triompha , quand 1'amoureux Théfée Ravir a Ménélas cette Amante abufée , Et quand elle fe vit dans les bras de P.ïris : Rendue a fon époux , elle eut encor le prix ,  DE GNYDE. t97 Et eet époux heureux , au gré de Vénus même , ïut, comme fes rivaiix , un ttiomphe fuprême. Des remparts de Corinthe , il vint trente Beautés Dont les cheveux tomboient en boucles ondoyantes : Dix autres qui n'avoient que des graces naiffantes Venoient de Salamine , & comptoient treize Étés. Les filles de Lesbos fe difoient Tune a 1'autre : j) Mon cceur eft tout ému , depuis que je vous voi : » Vénus , fi votre afpedt 1'enchante autant que moi , » Parmi tant de Beautés , doit couronner la vótre, Milet avoit fourni les plus rares ttéfors : Cinquante objets plus frais qu'une rofe nouvelle De la perfedfion préfentoient le modèle : Mais les Dieux ne cherchant qu'a former de beaux corps Manquerent d'y placer la grace encore plus belle, Chyprc avoit envoyé cent femmes au concours: Elles difoient: " Vénus a recu nos prémices; » Aux pieds de fes autels , nous pafïöns nos beaux jours, » Et d'un fcrupule vain qui s'allarme toujours , » Nos charmes , fans rougir, lui font des facrifices. N }  193 LE TEMPLE Celles que 1'Eurotas vit naïtre fut fes bords, Dans leurs libres atours , bravoient la modeftie , Et prétendant complaire aux loix de leur Pattie , De 1'auflere pudeur fe jouoient fans remords. Et toi! mer orageufe , en naufrage féconde! Tu fais nous conferver de précieux dépóts. Jadis tu t'appaifas, quand de jeunes héros Portoient la toifon d'or fur ta plaine profonde , Et cinquante Beautés qui fortoient de Colchos , Sous leur fardeau chéri, firent courber ton onde. Dans un cercle nombreux de légers courtifans „ Oriane parut , telle qu'une Dée.fe : Les Beautés de Lydie entouroient leur PrincefTe ; Cent fïlles, a Vénus , apportoient fes préfens. Diftingué par fon rang moins que par fa tendrefle 9 Candaule , jour & nuit , la dévoróit des yeux ; Sur fes jeunes attraits , fa vue erroit fans ceffe : » Mon bonheur , difoit-il , n'eft connu que des Dieux ; s> II feroit bien plus grand s'il donnoit de 1'envie : « Belle Reine ! quittez cette toile ennemie ; » Préfentez-vous fans voile aux regards des mortels; » C'eft peu du prix qu'on offre ; il vous faut des autels »,  DE GNYDE. 1,9 Prés de li, paroifloient vingt Babiloniennes: La pourpre de Sidon , 1'or , & les diamants , Sans augmentei leur prix , chargeoient leurs vêtemens : Comme un iigne d'attraits , d'autres encor plus vaines, Ofoient bien étaler les dons de leurs Amans. Cent Brunes qui du Nil habitent le rivage , Avoient a leurs cótés leurs dociles époux : » Si les loix , difoient-ils , vous font régner fur nous , » Votre Beauté vous donne un plus grand avantage : » Nos cceurs , après les Dieux , ne chériifent que vous : » II n'eft point fous le ciel de plus doux efclavage. is Le devoir vous répond de nos engagemens ; » Mais 1'amour peut lui feul garantir vos fermens : » Aux honneurs de ces lieux, montrez-vous moins fenfibles, » Qu'au plaifir délicat de nous garder vos cceurs , » De recueillir chez vous des hommages flatteurs , u Et d'embellir le joug de vos maris paifibles ». D'autres vinrent d'un port qui fur toutes les mers Déploie avec orgueil fes flottes opulentes : II fembloit qu'en ce jour , leurs parures brillantes Avoient, de tout fon luxe , épuifé l'Univers. N 4  *oo LE TEMPLE II vint de 1'Orient dix Filles de 1'aurore : Ces Nymphes , pour la voir , devancoient fon réveil 3 Et de fon prompt départ fe plaignoient au foleil : Elles voyoient leur mere , & fe plaignoient encore Que le monde jouit de fon éclat vermeil. II vint du fond de 1'Inde une Reine charmante : Ses enfans déja beaux folatroient dans fa teute. Des hommes la fervoient en détournant les yeux : Efclaves mutilés , honteux de leur baflélTe , Depuis qu'ils refpiroient fair briilant de ces lieux , Ils fentoient redoubler leur affreufe triftefTc. Les femmes de Cadix fe montroient fur les rangs. Les Belles ont par tout des hommages fideles : Mais dans tous les climats , les honneurs les plus grands Peuvent feuls appaifer 1'ambition des Belles. Les Bergères de Gnyde attiroient tous les yeux : Quel doux frémilïement s'élevoit fur leurs traces ! Au lieu J'or & de pourpre , elles avoient des graces; Les feuls préfens de Flore entouroient leurs cheveux : Leurs guirlandes couvroient une gorge naiiTante  DE GNYDE. 2«* Qui pour fuir fa prifon , s'agitoit vainement, Et leur robe de lin n'avoit d'autre agrément Que celui de marquer une taille élégante. On ne vit point Camille a ces fameux débats : i> Que m'importe le prix ? cher Amant , difoit-elle , j> C'eft pour toi , pour toi feul que je veux être belle : » Le refte eft pour mon cceur, comme s'il n'étoit pas ». Diane dédaignoit une gloire profane ; Mais on voyoit briller fes charmes ingénus : Tandis qu'elle étoit feule , on la piit pour Vénus ; Diane avec Vénus n'étoit plus que Diane. . Gnyde , pendant ces jeux , préfentoit 1'Univers : On eut dit que l'Amour , pour un jour de conquêre, RafTembloit des'attraits de cent climats divers ; Jamais on n'avoit vu d'auffi pompeufc fête. La Nature aux humains partage la beauté , Comme elle eft aflbrtie a chaque Déité. Par-tout on retrouvoit, d'efpaces en efpaces , Ou Pallas , ou*Thétis , la grandeur de Junon ,  *«* L E T E MP I E Ou la fimplicité de la fceur d'ApolIon ; Le iburis de Vénus , ou le charme des Graces. La pudeur dans fon air , varioit tour-a-tour, Et fembloit fe jouer de ce peuple folatre : Ici, 1'ceil s'arrêtoit fur deux globes d'albatre , Et plus loin , fur un pied faconné par Tamour. Mais les Dieux immortels ravis de ma Thémire , En voyant leur ouvrage , aiment h lui fourire ; Vénus avec plaifir contemple fes appas ; C'eft 1'uuique beauté dans le célefte empire , Que d'un jaloux dépit les Dieux ne raillent pas. Comme parmi les fleurs qui fe cachent dans 1'herbe La rofe avec éclat leve fon front fuperbe, On vit fur tant d'attraits mon amante régner. Ses rivales a peine eurent le temps de 1'être : Leur foule étoit vaincue , avant de la connoitre : » Graces , dit la Déefle , allez la couronner ; » De mille objets charmans que le Cirque raflemble , » Voila , dans fa beauté , le feul qui vout reflemble  DE GNYDE. »©, Tandis qu'avec fes fceurs , aux autels de Vénus, Thémire triomphante eft encore arrêtée, Je trouve dans un bois le fenlible Ariftée : Je 1'avois vü dans Pantre , & je le reconnus. Nous fümes attirés par un charme rapide : Car Vénus k 1'afpeét d'un habitant de Gnyde , Fait gotiter en fecret les doux raviffemens De deux amis rendus k leurs embralfemens. Je fentis que mon cceur fe donnoit k fa vue ; Vers les mèmes liens nous étions emportés : II fembloit que du ciel Pamitié defcendue Venoit dans ce bofquet s'alTeoir a nos cótés. Je lui fis de ma vie une hiftoire fïdelle. Mon pere quifervoit notre augufte Immortelle , M'a fait naitre , lui dis-je , au fein de Sibaris. Quelle cité ! fes goüts font des befoins pour elle : A qui peut en trouver d'une efpece nouvelle , Des tréfors del'état , on y donne des prix. Ces laches habitans ont banni de leur ville Tous les arts dont le bruit trouble un fommeil tranquille.  104 L E TEMPLE Ils plcnrent des bouffons , quand ils les ont perdus , Et laiflent dans 1'oubli le héros qui n'eft plus. Ils prodiguent fans fruit 1'éternelle richefle Qu'entretienf dans leurs murs un terroir opulent , Et les faveurs des Dieux , fur ce peuple indolent , Ne fervent qu'a nourrir le luxe & la moleffe. I.es hommes font fi doux , parés avec tant d'art» Occupés fi long-temps a compofer leurs graces , A corriger un gefte , un fourire , un regard , A chanter , minauder , s'admirer a leurs glacés , Qu'ils ne paroiflent point former un fexe a part. Une femme fe livre avant même qu'elle aime : Que dis-je ? connoit-elle un mutuel amour ? Sa gloire eft d'enchainer ; jouir eft fon fyftême ; Chaque jour voit finir les vceux de chaque jour : Mais ces riens ou le cceur trouve tant d'importance > Mais ces foins attentifs , mais ces égards chéris , Tous ces petits objets qui font d'un fi grand prix , Tant de momens heureux avant la jouiffance , Ces fources de bonheur manquent a Sibaris.  DE GNYDE. »05 Si du moins fur leurs fronts , on voyoit fe répandre Cette foible pudeur , ombre de la vertu ! Mais hélas ! c'eft un fard qui leur eft inconnu : L'ceil eft fait A tout voir , 1'oreille A tout enrendre. Loin que la volupté les rende délicats , A diftinguer leurs goüts , ils ne parviennent pas. Dans une gaité faufTe , ils s'occupent de vivre ; Ufés par 1'inconftance , ils fe laflent de tout ; Ils lailTent un plaifir qui caufe leur dégout , Tour s'ennuyer encor du plaifir qui va fuivre. L'ame froide au bonheur eft de feu pour les maux La plus légere peine & 1'éveille & 1'agite : Une rofe pliée au lit d'un Sibarite , Pendant toute une nuit, le priva du repos. Le ppids de leur parure accable leur pareffe : Le mouvement d'un char les fait évanouir : Leur cceur eft fi flétri, qu'il ne peut plus jouir , Et que dans les feftins , il leur manque fans ceffe. Sur des lits de duvet qu'ils couronnent de fleurs , ils pa(Tent une vie uniforme & tranquille :  M LE TEMPLE Leur corps , pendant le jour , y repofe immobilej Hs font exténués , s'Hs vont languir allleurs. Enfin le Sibarite efclave & fait pour l'être , Fatigué d'une armure , effrayé du danger , ïrembiant dans fon pays & devant Pétranger, Comme un ttoupeau fervile , attend le premier maitre. Dès que je fcus penfer , je méprifai ces lieux ; Car la verru m'eft chere , & j'honore les Dieux. •> Ah ! difois-je , fuyons une terre ennemie ; » D'un air contagieux je crains de m'infëfter. » Que ces enfans du luxe habitent leur patrie ! » Ils font faits pour y vivre , & moi pour la quitter Pour la derniere fois , je cours au fanftuaire , Et touchant les autcls qu'avoit 1'ervi mon pere , » O puiffanre Vénus , lui dis-je k hautj voix , » J'abandonne ton témple & non tes faintes loix. •> Tu recevras mes vceux , quelque lieu que j'habite • » Mais ils feront plus purs que ceux d'un Sibarite ». Je pars , j'arrive en Crète , & ce trifte féjour M'offre les monumens des fureurs de 1'amour,  DE GNYDE. tof On y voyoit encor le fameux Labyrinthe Do u un heureux Amant avoit franchi Tenceinte , Er le Taureau iPairain par Dédale inventé , Pour tromper ou fervir une flamme odieufe , Et le tombeau de Phèdre , époufe inceftueufe , Dont le crime charta le jour épouvanté , Et Tautel d'Ariane , Amante délaifTée , Qui, fur un bord défert , conduite pat ThéfeV, Ne fe repentoit pas de fa crédulité. Cruel Idomenée ! impitoyable pere ! On y voyoit auffi ton palais fanguinaire. Ce Prince , a fon retour , n'eut pas un meilleur fort Que tant d'autres chargés des dépouilles de Troye ; | Tous les Grecs , dont la mer n'avoit point fait fa proie, Ne purenr fous leur toit échapper a la mort : ' Vénus , a leurs moitiés , infpirant fa colere , Se vengea par la main qu'ils croyoient la plus chere, » Qui m'arrête , ai-je dit ? cette ifle eft en horreur » A laDivinité dont i'attends mon bonheur ». Je me hatai de fuir : m-.is battu par 1'orage , Mon vaiifeau de Lesbos abotda le rivage.  wS ZE TEMPLE C'eft encor un féjour peu chéri de Vénus : Elle óte la pudeur au vifage des femmes , La foiblefle a leurs corps , & la crainte a leurs ames. J'y vis avec effroi les fcxes méconnus. Vénus ! fais-les bruler de feux plus légitimes ! A la nature humaine , épargne tant de crimes! Lesbos eft le pays de la tendre Sapho i Les murs de Mitilène ont été fon berceau. Cette fille immortelle, ainfi que fon génie , Se confume fans fin d'une flamme ennemie : A foi-mème odieufe & pleuranr fa beauté , Elle cherche toujours fon fexe qu'elle abhorre. » Comment d'un feu fi valn eft-on fi tourmenté ? i> Ah ! Pamour , difoit-elle , eft plus terrible encore , » Plus cruel dans fes jeux , que l'amour irrité ». Je paffai de Lesbos dans une ille fauvage : C'étoit Lemnos : Vénus n'y recoit point de vceux : On la rejette ; on craint que fon culte amoureux , Du farouche habitant , n'énerve le courage : Vénus punit fouvent ce peuple audacieux ; Mais il fubit les maux , fans expier 1'outrage, .D'autant plus obftiné , qu'il eft plus malheureux. Loin  £» E G N r D E. 1C, fcoin de cette ifle impie , égaré fur les ondes , Je cherchois un féjour favorifé des deux , Délos fixa long-temps mes courfes vagabondes i Mais foit que nous ayions quelques avis des Dieux, Soit qu'un inftinft célefte éclairciiTe a nos yeux Du fort qui nous attend les ténébres profondes , Je me crus appellé vers des bords plus heureux, Une nuit que j'étois dans ce repos paifible 6ü 1'efprit, par degrés , rendu comme impaffible , Semble fe délivrer de fes Hens fecrets , II m'apparut en fonge une jeune Immortelle , Moins belle que Vénus , mais brillante comme elle-, Un charme inéfiftible animoit tous fes traits ; Ce que j'aimois en eux , je n'aurois pu le dire; J'y trouvois ce qui piqué , & non ce qu'on admire; lis étoient raviflans , & n'étoient point parfaits, En anneaux ondoyans , fa blonde chevelure Tomboit fur fon épaule & flottoit au hafard: Mais cette.négligence étoit une parure ; Mais elle avoit eet air que donne la Nature , Cet air dont le fecret n'eft point conrtu de 1'art, Elle fourit : « tu vois la feconde des graces , Dit-elle , avec un ton qui paffoit jufqu'au cceur: » Vénus t'appellei Gnyde Sc fera ion bonhejr... O  aio LE TEMPLE DE GNYDE. Elle fu.it dans les airs ; mes yeux fuivent fes traces ; Je me leve , enflammé de plaifir & d'efpoir : Comme une ombre légere , elle étoit difpatue, Et le tranfport divin que me caufoit fa vue , Bïentót céde au regret de ne la plus revoir. Je refpirai 1'amour , en arrivant a Gnyde ; Mais ce que je fentois , je ne puis Pexprimer : Mon cceur fe pénétroit d'une flamme rapide ; Je n'aimois pas encor ; mais je brülois d'aimer. Je m'avancai : je vis des Nymphes enfantines Jouet innocemment dans les plaines voifines ; Je fus comme entrainé vers ces jeunes appas : » Infenfé , m'écriai-je, ou s'égarent mes pas ? » Quel trouble me faifit ? d'oü vient que je foupire i » J'éprouve fans aimer 1'ivrefle dg Vénus ! » Mon cceur déji pourfuit des objets inconnus ! Tout-a-coup , j'appercus la charmante Thémire ; Je ne regardai qu'elle , & j'expirois , je croi, Si fes regards flaneurs n'étoient tombés fur moi. Je courus a Vénus : écoute ma priere , Lui dis-je , & puifqu'ici tu dois me rendre heureux , Ordonne que ce foit avec cette Bergère ! Seule , elle peut remplir ta promefle & mes vccux ! Fin du fecond Chant.  LE TEMPLE £> E GNYDE, CHANT TR O IS IE ME, JE parlois encor de Thémire ; Ariftée attentif a ce doux entretien , Soupiroi: fon amour , & vouiut le décrire 1 Voici ce qu'il me dit ; je ne fupprime rien ; Le Dieu qui 1'infpiroit eft le Dieu qui m'infpire. Ma vie eft peu fertile en grand* événemens: Tout en eft fimple : j'aime , & vous allez apprendre Les fentimens d'une ame tendre , Et fes plaifirs & fes tourmens, Ce même amour qui fait mon bonheur & ma gloire Fait aufii toute mon liiftoire. Camille eft née a Gnyde au milieu des grandeurs. Faut-il peindre celle que j'aime ï O»  ut LE TEMPLE Son image s'hnprime au fond de tous les cceurs ! Elle a ces agrémens flaneurs , Cet air qui vous ravit plus que la beauté même. Les femmes , dans leurs vceux , demandent a 1'amour Les graces de Camille , objer de leur envie : Les hommes qui Tont vuê un jour Voudroient la voir , toute leur vie , Ou s'en éloigner fans retour. L'habit Ie plus modefte embellit mon Amante , Elle a le maintien noble , une taille charmante , Des traits fait pour s'unir , & qui frappent les yeux , Le regard plein de feu , mais rout pret d'ètre tendre , Une voix que fans trouble on ne fauroit entendre , Des appas qu'on admire & qu'on fent encor mieux. ' Sans fierté , fans caprice , oubliant qu'elle eft belle , Camille , fi Ton veut, penfe profondément; Si Pon veut, elle rit , & dans fon enjoüment, Les Graces badinent comme elle. Tout ce que fait Camille a la fimplicité De la plus naïve Bergère :  DE G NY D E. »ij Ses chants peignent la volupté : Danfe-t-elle ? on croit voir une Nymphe légere, ' Camille fans efTort fe püe a tous le goüts ; Plus vous avez d'efptit , plus fon efprit vous flatte ; C'eft une raifon fine , adroite , délicate ; Elle a Tair de parler, de penfer comme vous ; \ Ce qu'elle a dit , fans peine on croit pouvoir le dire : Que fon ton eft touchant! que fon iangage eft doux ! II femble que toujours c'eft le cceur qui finfpire. Camille en gémilTant me pre/Te dans fes bras , Quand il faut , un inftant , m'éloigner de fes charmes : Ne tarde point , dit-elle , a te rendro- a mes larmes , Comme fi Je vivois , quand je ne la vois pas! Je dis qu'elle m'eft chere , elle fe croit chérie ; Je dis que je 1'adore , & fon cceur le fait bien : Mais elle en eft .auffi ravie Que fi fon cceur n'en favoit ricn. Je lui dis qu'elle fait le bonheur de ma vie : Elle dit que la fienne i la mienne eft unie. Enfin je fuis payé par un fi doux retour , O3  «i4 ZE TEMPLE Que j'ai prefque la folie envie , De croire fon amant digne de tant d'amour. Depuis un mois , Camille avoit touché mon ame , Et Je n'ofois encor lui parler de ma flamme ; Tremblant de me ttahir par un mot indifcret, J'aurois voulu moi-même ignorer mon fecret; Plus elle m'enchantoit, moinsil m'étoit polfible D'efpérer qu'a mes vceux elle devint fenfible ; Je t'adorois , Camille, & tes charmans appas , Me difoient qu'un Berger ne te méritoit pas. Je voulois... ah ! pardonne ! oui , loin de ma penfée , Je voulois rejetter ton tendre fouvenir : Que je fuis fortuné ! je n'ai pu 1'en bannir : Pour jamais, ton image y demeure tracée. » D'un monde rurbulent, j'aimai longtemps le bruit , » Lui dis-je , & maintenant d'un paifible réduit, » Je cherche 1'ombre & le filence. » L'ambirion m'avoit féduit : M Je ne defire plus que ra feule préfence. » Sous un ciel éloigné du mien , » Je voulois habiterdans de valles empire»,  DÉ GNYDE- ïif » Et mon cceur n'eft plus citoyert » Que de la terre oü tu refpires : » Tout ce qui n'eft pas toi , pour mes yeux n'eft plus rien. Camille trouve encor quelque chofe £ me dire , Quand elle m'a parlé de fa tendre amitié : Elle croit avoir oublié Mille aveux dont fur 1'heure elle vient de m'inftruire, Ravi d'écouter fes difcours , Je feins tantöt de n'en rien croire, Tantót d'en perdre Ia mémoire , Afin d'en prolonger Ie cours, Alors regne entre nous eet aimable filence , Cc langage muet dont la douce éloquence , Eft 1'interprête des amours. Lorfqu'aux pieds de Camille emprefTé de me rendre, Après une abfence d'un jour , Je lui raconte a mon retour , Ce que je viens , loind'elle , & de voir & d'entendre : Elle me dit, « cruel ! que vas-tu rappeller? » N'as-tu pas d'entretien plus tendre ? » Parle de nos amours, ou laiffe-moi parler , « Si ton cceur n'a rien a m'apprendre. « O4  *i« L E TE MP L E Quelque-fois elle dit: Ariftée ! aime-moi! Oui , je r'aime. —- Eh ' comment i —Envérité je t'aime , Comme le premier jour ou tu recus ma foi : Je ne puis comparer 1'amour que j'ai pour toi, Qu'i 1'amour que j'eus pour toi-même, Camille une autre fois me dit avec douleur : Tu parois trifte ! — Hélas ! je fuis fur de ton cceur , »> Lui dis-je ; & ccpendant je fens couler mes larmes! » Ne me retire pas de ma douce langueur ! » Laiflè-moi foupirer ma peine & mon bonheur ! u Pour les tendres Amans , la triftellè a des charmes, » Les tranfports de 1'amour font trop impétueux: » L'ame , dans fon ivrefTe , eft comme anéantie : » Mais je jouis en paix de ma mélancolie : n Eh ! qu'importe mes pleurs , puifque je fuis heureux !» J'entends louer Camille , & fier d'être aimé d'elle , L'éloge que j'entends me femble être le mien: Quand un Berger 1'écoute , elle parle fi bien , Que chaque mot lui prête une grace nouvelle ; Mais je voudrois qu'alors Camille ne dit ïien,  Dl GSrDI. 117 A-t-elle pour quelqu'autre une amitié légere ? Je voudrois en être 1'objet: Eientöt je me dis en fecret, Que je ne ferois plus celui qu'elle préfere. Auxdifcours des Amans n'ajoute point de foi! Ils diront que dans la nature , II n'eft rien d'auffi beau, d'aufiï parfait que toi: Ils diront vrai, Camille, & comme eux je le jure ; Ils te diront encor qu'ils t'aiment. Je les croi ! Mais fi quelqu'un difoit qu'il t'aime autant que moi, J'attefte ici les Dieux que c'eft une impofture. Quand je la vois de loin , je m'agite foudain * Elle approche t & mon cceur s'enflamme : Quand j'arrive auprès d'elle , il femble que mon ame Eft a Camille & va fuir dans fon fein. Souvent Camille , a ma priere , Refufe la moindre faveur , Et fur le champ., m'accorde une faveur plus chere. Ce caprice eft involontaire : Ce n'eft point de fa patt un manége trompeur ;  *i8 L E TE MTLE D E GNri) 2?. Non ! Tart ne peut entrer dans cette ame fincere : Mais Camille écoutant 1'amour & la pudeur, Voudroit m'être k Ia fois indulgente & févere. «' Qu'efpérez-vous , dit-elle , audeflus de mon cceur ? » Ne vous fuffit-il point, ingrat, que je vous aime ? » Tu devrois , dis-je encor , te pcrmettre une erreur, m Une erreur de 1'amour , qu'excufe 1'amour même. Camille ! fi Jamais Je ceflbis de t'aimer, Si pour d'autres attraits , je pouvois m'enflamer , Que ce jour foit pour moi le dernier de ma vie ! Que laParque trompée en termine le cours ! PuiiTe-t-elle effacer de miférables Jours , Dont je détefterois la lumiere ennemie , En fongeant au bonheur de nos tendres amours ! II fe tut : & je vis que eet Amant fidele Ne celfoit de parler , que pour s'occuper d'elle. Fin du Chant troifieme.  LE TEMPLE DE G N Y D E, CHANT QUATRIEME. C u" un chemin de fleurs , errans dans !es prairies, Nous étions occupés de douces rêveries , Quand nous fumes conduits vers des rochers affreux , Redoutés des mortels , profcrits même des Dieux ; Un nuage de feux qui roule fur leurs têtes Y promene en tout temps la foudre & les tempêtes : A leurs pieds eft un antre inaccelfible au Jour , Qui des Amans trahis femble être le féjour. Une invifible main dans ce lieu nous entraine ; Mais, ö Dieux! qui 1'eüt cru ? je le touchois i peine... Mes cheveux fur mon fjwnt fe font dreffés d'horreur ; Une flamme inconnue a paffé dans mon cceur : Plus j'étois agité , plus je cherehois a 1'être. Ami, dis-je, avancons , duflent nos maux s'accroitre ! A travers cent détours , j'errois de toutes parts, Guidé par des lueurs qui fe perdoient dans 1'ombre..,  no ZE T E M P Z E La pale Jaloufie a fixé mes regards : Son afpect paroiflbit moins terrible que fombre : Les vapeurs , le chagrin , le filence & l'entiui Envitonnoient ce monftre , & voloient devant lui. Nous voulons fuir : il parle , & fa voix nous arrète; II nous fouffle la crainte & les foupcons jaloux , Met la main fur nos cceurs , nous frappe fur la tête , Et foudain 1'univers eft transformé pour nous; Soudain enveloppé d'un voile de ténebres, Je ne vois , je n'entends que des fpeftres funebres. Je cours au fond de Tantre épouvanté, tremblant:. J'y trouve la Fureur , Déité plus cruelle ; Sa main faifoit briller un glaivc étincelant ; Je recule ... ó terreur '■ 1'odieufe Immortelle Mc lance un des ferpens dont fon front eft armé : II part , fiffle , & m'atteint comme un dard enflammé. Pareil au voyageur que la foudre dévore , Je demeure immobile & ne fens rien encore, Et déji le ferpent s'eft glilTé Sans mon cceur; Mais dès que fon poifon , coulant de veine en veine, De mon fang plus aftif, eut allumé Tardeur, Tous les maux des enfers n'égaloient point ma peine; J'allois d'un monftre a 1'autre , agité , furieux ; Cent fois je fis le tour de 1'antre épouvantable;  DE GNYDE. *»* Et je criois : Thémire ! & ces muts ténébreux Me répetoient Thémire! en «cho lamentable. Si Thémire eüt paru , ma main , ma propre main , Pour aflbuvir ma rage , eüt déchiré mon fein, Enfin je vois le jour , & fa clarté me blefle. L'antre que j'ai quitré m'infpiroit moins d'effroi. Je m'arrête .... je tombe accablé de foibleffe , Et ce repos lui-même eft un tourment pour mor. Mon ceil fee & brulé me refufe des larmes , Et pour me foulager , je n'ai plus de foupirs '■ Du fommeil, un momenr, je goute les plaifirs... O Dieux ! il eft encore environné d'alarmes ! Mille fonges cruels m'obfedent tour-è-tour; Ils me peignent Thémire ingrate a mon amour ; Je Ia vois... mais hélas ! fe peut-il que j'acheve ? Les foupcons que mon cceur formoit pendant le jour , Je les trouve réels dans 1'horreur de mon rêve ! Je me leve, «II faut donc , ai-je dit, qu'a mes yeux, » Et le jour & Ia nuit deviennent odieux ! u Thémire ! ., la cruelle ! il faut que je 1'ouMie !  «* L Z TEMP IX » Thémire , fur mes pas , eft comme une furie ! » Ah! qui m'eüt dit qu'un jour , le plus cher de mes vceur, » Seroit de 1'oubüer & pour toute ma vie ? Un accès de fureur s'cmpare encor de moi. « Viens, ami , m'écriai-je ; allons , courons , lui dis-je j » II faut exterminer ces troupeaux que je voi, » Pourfuivre ces Bergers de qui 1'amour m'afflige... » Mais non ; je vois un Temple , il peut être a l'Amour; »> Renverfons fa ftatue , & qu'il tremMe a fon tour » ! Je dis , Sc nous volons , pleins du même vertige ; L'ardeur de faire un crime irrite nos efforts : Rien ne nous retient plus; nous courons les montagnes ; Nous traverfons les bois , les guerets , les campagnes ; Une fource paroït ; nous franchiflons fes bords : Que peut ,contre les Dieux, le vain courroux des hommes? Confondus , étonnés du défordre oti nous fommes, A peir.e, dans le Temple avons-nous fait un pas, Qu'un charme impérieux femble enchalner nos bras. Bacchus , de nos tranfports faifoit ceffer 1'audace ; Ce Temple étoit le fien : «'grand Dieu , je te rends grace , » Moins pour avoir calmé mes honteufes fureurs,  DE GNYDE. ji3 » Que pour m'avoir , d'un crime , épargné les horreurs» I A ces mots , m'approchant des autels que j'embrafle : » O Prètrefle, ai-Je dit, le Dieu que vous priez » Vient de nous appaifer , par fon fecours propice; » Daignez ici, pour nous, lui faire un facrifice ». » Je cherche une viflime , 8c 1'apporte a fes piés. Lorfque le fer brilloit aux mains de la Prêtreflc , Ariftée éleva ces accens d'allégrefiè. » Bacchus ! Dieu hienfaifant! Dieux des Ris & des Jeux ! » Tu fais régner la joie & fon léger tumulte : » Pour la Divinité , nos plaifirs font un culte; » Tu ne veux ttre aimé que des mortels heureux. » Saifi de fon ivreffe, en vain 1'efprit s'égare ; » II fe retrouve encor dans ce doux abandon ; » Mais quand il eft troublé par quelque Dieu barbare, «>. Tu peux feul , ö Bacchus ! lui rendre la raifon.' » La noire Jaloufie, aux fers de 1'efclavage , » Voudroit afTujettir le Dieu qui fait aimer :  «4 ZE TEMPEE » Mais tu brifes les traits dont elle ofe s'armer , » Et tu la fais rentrer dans fon antrc fauvage ». Après le facrifice , on vint autour de nous , Et je fis le récit de nos tranfports jaloux. Bientót nous entendons mille voix éclatantes , Au fon des inftrumens , marier leurs concerts : Je fors , & vois courir des troupes de Bacchantes , Qui, Tceil en feu, le fronr orné de pamprcs verds, Laiffant aux vents le foin de leurs rrefTes flottantes , Agitoient a grand bruit leurs thyrfes dans les airs. Tout le joyeux cortége environnoit Silene : Ea tête du vieillard vacillante , incertaine , Alloit chercher la terre , ou tomboit fur fon fein : Dès qu'on Tabandonnoit, penché vers fa monture, Son corps fe balancoit par égale mefure , Se baifibit , fe drcffoit , fe rebaiflbit foudain. Ea troupe avoit le fronr tout barbouillé de lie; Pan fe montroit enfuite avec fes chalumeaux ; Les Satyres danfoienr, ceints de pampres nouveaux ; Ee défordrc , la joie , & 1'aimable folie Confondo.ent les chanfons , les jeux & les bons mots. Enfin , je vis Bacchus gai, riant, pleins de charmes, Tel que 1'Inde le vit , au bout de 1'univers , Diftribuant  DE GNYDE. Diftribuant par-tout des plaifirs & des fers. De Ia jeune Ariane il efluyoit les larmes : Pour fon ingrat Théfée , elle pleuroit encor , Quand Bacchus , dans les cieux, mit fa couronne d'or ; Et s'il n'eut triomphé des pleurs de cette Belle , San amour 1'alloit rendre infortuné comme elle. « Aimez-moi , difoit-il; Théfée eft loin de vous ; » Oubliez a jamais Ie nom de l'infidele; » Ne voyez que le Dieu qui brüle a vos genoux ; " Pour vous aimer toujours, je vous rends immortelle.' Bacchus étoit tralné par des tygres fougueux: II fortit de fon char , conduifant fon amante; Elle entra dans le Temple : « Habitons ces beaux lieuxj » Dit-elle , Dieu charmant! foupirons-y nos feux ; » Donne k ce doux climat une gaité conftante: » Vénus ici préfide k des peuples heureux ; u Ajoute k leur bonheur , & regne aufli fur eux, i> Pour moi , je fens déja que mon amour augmente. » Quoi! tu peux être un jour plus aimable i mes yeux » II n'appartieBt qu'aux Dieux, dans leur fphere brillante; P  *»* IE TEMPLE » D'aimer avec excès& d'aimer toujours mieux , u Et de voir leur bonheur paiïèr leur efpérance , » Plus bornés dans leurs vceux que dans leur jouiflance. » Sois ici mes amou'rs! fur la voute des cieux, » On eft trop occupé de fa gloire fuprême : » Ce n'eft que fur la terre & dans ces lieux qu'on aime. » LaiiTons ces infenfés a leurs foütres jeux ; u Tandjs que mes foupirs , ma joie & mes pleurs même » Sans ceiïè te peindront mes tranfports amouteux ». Elle dit:& Bacchus enchanté de lui plaire, La mène , en fouriant, au fond du fandtuaire. Un délire divin pénétra dans nos cceurs : Nous rtfpirions les jeux , les danfes , la folie, Et le thyrfe a la main, Ie front couvett de fleurs, Nous alames nous joindre a la bruyante orgie. Mais nos tourmens cruels n'étoient que fufpendus : En fortant de ce Temple , k nous-mêmes rendus , Nous fentions des foupcons Ia dévorante flamme , Et la fombre ttiftefle avoit faifi notre ame.  DE GNYDE. „7 Pour annoncer nos raaux, il fembloit que l'Amour Nous eüt fait agiter pat I'arTreufe Euménide ; Nous regrettions Bacchus & fon riant féjour ; Mais un charme puiiTant nous entrainoit k Gnyde. Je voulois voir thémire , & craignois eet inftant : Je ne retrouvois pas cecte ardeur qui nous preiTe , Alors que fur le point de revoir fa maitrefle te cceur s'ouvre d'avance au bonheur qu'il attend, « Peut-être je verrai ticas prés de Camille , « Dit Ariftée : ó Dieu ! fur ce cceur inconftant, » II pouvoit obtenir un triomphe facile ! » Peut-étre avec plaifir la perfide Temend, » Tircis , dis-je i mon tour , a brulé pour Thémire: » On dit qu'il eft a Gnyde, & j'en frémis d'erTroi. » Sans doute il Taime encore! il faudra me réduire » A difputer un cceur que j'ai cru tout k moi, » Licas , pour ma Camille , avoit fait un air tendre » Infenfé! j'aurois dü t'imetrompre ceat fois!  tit LETEMPLM » J'applaudinbis , hélas ! aux accens de fa voix: o II chantoit mon amante , & j'aimois k 1'entendre. » Thémire , devant moi, fe paroit un matin u D'un bouquet que Tircis avoit cueilli pour elle: » C'eft un don de Tircis, me difoit l'infidelle!... » Je devois , a ce mot , 1'arracher de fon fein, » Un jour , Camille & moi, (que je crains ce préfage !) o Nous allions , a Vénus , oifrir deux tourtereaux ; » Camille de fes mains, vit s'enfuir ces oifeaux.,,, » Vénus ne vouloit point de fon perfide gage! » Sur 1'écorce des bois, nos noms par moi tracés » Atteftoient mon amout & celui de Thémire; » Je me plaifois fans ceffe k les lire & relire ; » Un matin.... 6 douleur! je les vis eflacés. » D'un cceurinfortuné n'aggrave point la chaine ; » Camille! épargne-moi 1'horreur de me venger! «L'Amour devient fureur quand on Tofe outrager; s. L'Arqour qu'on défefpere a le fiel de la haine.  DE GNYDE. tlf » Hitons-nous , & malheur a tout audacieux » Que je verrai parler k 1'ingrate que j'aime ! » Quiconque fur Thémire arrêtera lei yeux, » Mon bras 1'immole au Temple... aux pieds de Vénus même, Bientót nous arriyons pres de 1'antre fameus D'oü fortent les arrêts que 1'OracIe prononce: Tout le peuple roulant k flots tumultueux, Avec un btuit confus , attendoit fa réponfe. Je nVavance : Ariftée emporté loin de moi, Ariftée eft déji dans les bras de Camille : J'appelle encor Thémire ; enfin , je 1'appercoi! Furieux , j'allois dire : ah ! perfide , eft-ce toi ? .., Mais elle me regarde , & je deviens tranquille. Ainfi lorfqu'Alefto vient troubler 1'univers , L'ceil éclairé des Dieux la renvoye aux enfers, ■ Ah ! dit-elle , pour toi j'ai verfé bien des larmes! » Le foleil a trois fois parcouru ces climats , » Depuis que tu noutris mes mortelles alarmes. » Je difois : non , mes yeux ne le rcverront pas. » Quel noir preflèntiment! Dieux puiflans que j'implore ! » Dieux tant de fois témeins de nos tendres amours !  *jö L E TEMPLE » Je ne demande point fi fon cceur m'aime encore : » Je ne veux que favoir le deftin de fes jours : * S'il vit, puis-je douter qu'il ne m'aime toujours i » Excufe , m'éciiai-ie , excufe mon déüre! >» La fombre jaloufie a troublé mes efprits : » J'allois haïr ... 6 ciel!... mais ma fureur expire , »> Mais après le danger de perdre ma Thémite, » De ma félicité , je fens mieux tout le prix. » Viens donc fous ces berceaux oü 1'amour nous appelle; » Les Dieux ont pu tromper , mais non changer mon cceurj » Viens ! c'eft un crime aftreux de te croire infidelle, » Et je veux par ma flamme en expier Thorreur. Non, jamais des enfers les retraites heureufes Faites pour le repos des ombres vertueufes , Ni les bols de Dodone , & fes chênes facrés, Ni ces riches bofquets oü font des fruits dorés, Jamais tous ces beaux lieux n'auroient fu me féduire, Autant que le bocage embelli par Thémire. Un fatyre nous vit ; il fuivoit follement Une Nymphe échappée i fon emportement.  DE GNYDE. s3i " Heureux Amans , dit-il , vos yeux favent s'entendre: » Vous payez un foupir d'un foupir auffi tendre : » Mais moi , d'une cruelle en vain je fuis les pas, » Plus malheureux encor quand elle eft dans mes bras» Prés de nous , une Nymphe errante & folitaire Sentit, en nous voyant , s'humedter fa paupiere: Non! c'eft , dit-elle encor, pour nourrir mes tourmens, Que le cruel Amour me fait voir ces Amans.' Nous vfmes Apollon au bord d'une onde pure ; Brilhnt par fon carquois & par fa chevelure , Sur les pas de Diane , il marchoit dans les bois. II accotdoit fa lyre ; on a vu mille fois Les atbres, les rochers accourir pour 1'entendre, Et le lion terrible en devenir plus tendre : Mais nous écoutions peu cette divine voix. On eut dit que Thémire 4 toute la nature , Donnoit , en ce moment, le fignal du bonheur: Ee zéphyr , a nos pieds , carreffoit chaque fleur ; P 1  I E T E M P L E L'eau baignoit fon rivage avec un doux murmtite ; Les myrtes étendus , comme un dais de verdure , En s'embrafiant fur nous exhaloient leur odeur ; Des ramiers foupiroient fous le même feuillage » Et Teffaim des oifeaux, dans fon joyeux ramage , Chantoit déja la gloire & le prix du vainqueur» Je vïs TAmour pareil au papillon fol.ïrre , Voler prés de ïhémiie & fur fes beaux cheveux s Baifer fon front naïf & fa bouche & fes yeux , Defcendre & s'arrêter fur fa gorge d'albatre : Ma main veut le faifir; j'avance . . . il prend 1'eübr ; Je le fuis ) je le trouve aux pjeds de mon amante ; II fuit vers fes genoux , & je 1'y trouve encor. Je le fuivois toujours : fi Thémire tremblante , Thémire toute en pleurs n'avoit fu m'arrêter, J'allois atteindre enfin fa retraite charmante; Elle eft d'un fi grand prix qu'il ne peut la quitter» C'eft ainfi que réfifte une tendre fauvette Qu'auprès de fes petits 1'amour femble enchainer t  DE GNYDE. «* ■Sous Ia main qui s'approche , immobile & muette, Rien ne peut la contraindre a les abandonner. Thémire entend ma plainte & devient plus févete ; Elle voit ma douleur & ne s'attendrit pas : Je ceflai de prier , & je fus téméraire : Thémire s'indigna , je craignis fa colere ; Je tremblai, je pleurai; bientót nouveaux combats, Nouveau courroux .. . enfin , je tombai dans fes bras, Et mon dernier foupir s'exhaloit fur fa bouche; Mais , en me repouffant , Thémire moins farouche Met la main fur mon cceur ... & j'échappe au ttépas. » Pour me défefpérer, que t'ai-je fait, dit-elle ? a D'une indifcrete atdeur , modere le tranfport: » Vas! je fuis moins que toi dute , injufte & cruelle ; » Je n'eus jamais detfein de te caufer la mort, » Et tu veux m'entrainer dans la nuit éternelle ! •> Ouvre ces yeux mourans , au nom de nos amours s t> Ou tu verras les miens fe fermer pour toujours ni  p si4 LE TEMPLE DE GNYDE. Jufqu'au dernier moment , Thémire inéxorable , A force de vertu, rappelle ma raifon : Elle m'embrafle , hélas ! & j'obtiens mon pardon , Mais fans aucun efpoir de devenir coupable. Fin ia Polmt,  LA JOURNÉE DE PRINTEMPS, P O Ë M E.   LA JOURNÉE DE PRINTEMPS, P O Ë M E. J'Ai laiiTé Ioin de moi ces Palais orgueilleux ," Ces murs dont le rideau me cachoit la nature: Ici ma vue embrafle & la terre & les cieux ; Ie föule fous mes pieds les fleurs & la verdure. O tranquilles ferêts! folitaires berceaus! ' Riches vallons couverts d'une douce rofée ! Campagnes dont 1'afpedt réjouit ma penfée ! Que le fon de ma Iyre éveille vos échos: Mes chants vont retentir au lever de 1'aurore , Et les vents ï la nuit les rediront encore. Recois, jeune Aglaé , ce tribut de 1'amour: Mes vers font , comme toi, 1'image d'un beau jout!  *38 LAJOURNÊE Ealumiere encor foible argente les nuages , Et teint, d'un feu léger , les bords du firmament: Scs premiers traits épars coulent rapidement , Et defcendent des airs fur de frais payfages : Déji Tceil appercoit , de moment en moment , Ee Jour qui s'ïnfinue £ travers les bocages: Ea rofée a formé des lits de diamans ; On voit blaochir les monts , & dans 1'éloignement Une mer de vapeur enfler les paturages. Quel filence profond ! 1'oifeau fans mouvement Demeure fufpendu dans la nuit des ombrages : A peine un fouffle pur, errant fous les feuillagcs , Imprime i leurs fommets un doux frémiffement : On n'entend que le bruit de ce ruilfeau fumant, Qui , pat bonds inégaux , roule fur fes rivagw. Mais bientöt la lumiere a frappé tous les yeux : Elle vole , s'étend, brife, éclaircit les ombres , Et les chafiè , £ grands pas, dans les cavernes fombres: Ee Jeune aiglon fe livre £ la clarté des cieux; E'alouette , en chantant , s'éleve fur la plaine , Ee milan , 1'épervier, dans leur courfe hautaine , Traverfent de 1'Ether 1'efpace lumineux ; Sur le baume & le thin, la btebis fe promene,  DE PRINTEMPS. «j., Et Ie cerf attiré vers Ia fource prochaine Amufe les regards du Berger matineux. Toi qui fais les plaifirs & les maux de ma vie ! Beauté douce & cruelle ! emblême de la fleur Que Ia nature arma d'une épine ennemie ! Tu jouis du repos dont tu prives mon cceur: Tu dors paifiblement fur ta couche innocente , Comme dort fur fa tige une rofe naiflante , Quand 1'air eft pénétré d'une molJe langueur. Ouvre tes yeux charmans a 1'aurore 'nouvelle ! N'as-tu pas entendu la voix de Philomele ? E'aftre du Jour s'approche .., avec quel appareil II s'annonce de loin fur les cimes fauvages! Des flots d'or font partis de 1'horizon vermeil; Ees bois font animés , & les chanttes volages , Ptêts de faire éclater mille joyeux ramages , Avec un doux tumuite attendent le foleil. O tranfport ! eft-ce lui dont je fens la préfence f L'univers retentit des accens du bonheur ; Ees ruiifeaux font émus, le chant des airs commence ;  M=> LA j O URNÊ E L'écho mélodieux répond k leur cadence ï Tout brille de clarté , de joie Sc de fraicheur. Que j'aime les rochers ondoyans de verdure, D'oïi 1'ceil peut embrafler un immcnfe horizon! Sans doute c'étoit-14 que Virgile & Thomfon , Un crayon a la main , deffinoient la nature : C'étoit-lk qu'ils tracoient des tableaux enchanteurs, Aufii grands que leur ame , aufiï doux que les fledrs. Toi que le Dieu des arts attend fous la feuillée! Viens fur 1'herbe toufïïie & fraichement mouillée , De tes fens aUbupis ranimer les langueurs ; Viens contempler la terre a tes yeux dévoilée ; Baigne-toi dans 1'air pur , jouis de fes odeurs : Alors éprouves-tu les acces du génie ? Promene fierement tes pinceaux ctéateurs, Et fois fur de franchir les bornes de la vie. Des nuages de feu roulent fur les céteaux : L'azur des cieux s'embrafe ; un totrent de lumiere Inonde tout-i-coup 1'air , la terre & les eaux. Le puilïant Roi du jour paroSt dans la carrière ; II lance les rayons de la fécondité , Donne  DE PR INTEMPS. ï4» Dunne 1'être au néant, la vie k la matiere, Et 1'efpace eft rempli de fon immenfité. O pere des faifons ! que 1'Orient t'implore ; Qu'aux bords facrés du Gange , aux campagnes du Maure, Ea foule des hurriains rende un culte k tes feux : Qu'aux champs Péruviens , le peuple qui t'adore Éleve devant toi fon cantique amoureux ; Ces tributs font la voix de la reconnoiffance : Eh ! comment 1'univers , charmé de ta préfence , T'auroit-il refufé fon encens & fes vceux ? Ta force attire , enchaine , & conduit tous les mondes. Depuis.l'Orbe oü Saturne , en trente ans révolu , Parcourt des vaftes cieux les limites profondes , Jufqu'aux bords de ta fphere oü Mercure perdii, Par 1'ceil du Philofophe eft k peine appercu. Ame du mouvement! principe de la vie! O combien tu produis d'êtres multipliés, Depuis 1'efprit humain que ta flamme délie, Jufqu'au plus vil atóme inconnu fous nos piés! C'eft par roi que tout nait , tout agit, tout defire, Ee cortége léger dont Ia pompe te fuit, Ees heures, la rofée & le tiéde zéphyre Prodiguent a nos champs , pour orner ton empire, Q  *ï*A LA JOUR NÉ E Les couleurs, les parfums , & ia fleur & le fruit. Tu ne te bornes point k décorer la terre : Ton regard des rochers perce 1'abyme obfcur,. Fait croitre les métaux , fait végéter la pierre , Donne au rubis fon pourpre , au faphir fon azur: De tes ardens rayons la topaze étincelle , Le diamant re9oit leur éclat le plus pur j Tu les fais vaciller fur Topale infidelle, Et la verte éméraude égale en fa beauté Ee rideau du Printemps par les vents agité. Quel charme tu répands fur la nature entiere! Ee fougueux ouragan fe calme k ton retour ; On croit voir s'égayer , a Pafpeit d'un beau jour , Le bois mélancolique Sc fa trïlte fougere. Si le ciel m'ordonnoit d'aller chanter tes feux Dans les déferts brülans du nouvel hémifphere , J'irois , puifque ton aftre éclaire tous ces lieux j J'y porterois ma lyre , & je moutrois heureux Si mon dernier regard contemploit ta-lumiere. Quelle magnificence ! elle étonne mes yeux Trop foibles pour faifir cette ïmmenfe étendue ! Peiadrai-je de ces monts les groupes radieux,  ■Z» E PRINTEMPS. ,4Ï Que Ie foleil enflamme au travers de la nue, Ces vallons ombragés qui s'ouvrent a la vue, Répandus fur la plaine en rideaux tottueux, Ce vent doux qui frémit fur les ondes brillantes, Ce long voile de fleurs qui tapifle les prés , Ces collines, ces rours , ces villages dorés, Ces bleds qui font mouvoir leurs gerbes jauniflantes, Et le vafte horizon qui , fuyant par degrés, Paroit au loin , fe perdre en vapeurs tranfparentes ?.. Mais 1'Océan m'appelle ; il offre a mes regards Un abyme argenté de vagues bondiffantes : E'aftre a couvert de feux les nacelles flottantes, Ees iles , les rochers , le port & fes remparts : Dans fa courfe pompeufe , il chalTe les brouillards ' Qui repofoient encor fur les cimes fumantes, Et 1'air étincelant fe peint de toutes parts, Que ce rivage eft frais ! que cette haleine eft purel On entend foupirer la cime des berceaux; Un fleuve de luzerne agite fa verdure; Cette fource plaintive unit fon doux murmure Aux flutes des Bergers, au ehant de mille oifeaux. Q»  i-W LA JOURNÉE Que vous êtes heureux , enfans de 1'harmonie ! Oifeaux ! que chantez-vous ? vos plaifirs , vos amours : Sans crainte, fans regrets , fans chaines qui vous lie , Vous volez du tilleul a 1'épine fieurie : L'eau qui vous défaltere eft moins libre en fon cours. La nature a pris foin de former vos atours; Elle a müri pour vous les grains de la prairie. Héias ! petits oifeaux ! fi vos momens font courts , Un feul de vos printemps vaut toute notre vie. Vous charmez , vous aimez , vous jcuiffez toujours; Dès que vous defirez , votre attente eft remplie ; L'inftin£t vers le bonheur vous mene fans détours; Ah ! chantez! c'eft a moi de vous porter envie. Bientót, cn vous quittant, j'irai prés des mortels , Chercher de faux plaifirs & des tourmens réels : Dans leur commerce ingrar , je vais apprendre a feindre , A déguifer mon front , a relTerrer mon cceur : Je vais aimer , haïr , m'inquiéter , me plaindre , Me jetter dans la foule, & courir a Terreur. Sous le poids de mes fers , dois-je languir encore > O douce liberté ! cher objet de mes vceux ! Ne pourrai-jete voir dans des jours plus heureux, Conduifant par la main Tamitié que j'adore , Sécher les pleurs amcrsqui coulent de mes yeux?  DE PRINTEMPS. Alors j'envirai peu les tréfors de Golconde , Et Ie luxe des grands , & les plaifirs du monde. Mais je t'appelle en vain , tu me fuiras toujours, Trompeufc liberté ! tu n'es qu'un beau fantóme : Efclave des hameaux , des cités ou des cours , L'un rampe chez les Rois , & Tautre fous le chaume. .. Laiffèz-moi , vains regrets ! lailfez-moi refpirer A 1'ombre des vergers parfumés d'ambroifie! Laiffèz-moi de ces bois fuivre la mélodie ! Labyrintes profonds oü je vais m'égarer ! Délicieux féjour de la mélancolie ! Quel charme a vos tableaux prête ma rêverie! De quelle émotion je me fens pénétrer ! Que j'aime a voir les fleurs qui bordent cette rive , Voler , en s'effeuillant, fur Tonde fugitive , Et la fraiche rofée éparfe au gré des vents , Tomber, en larmes d'or , des arbufles nouveaux! Comme les doux zéphyrs, échappés des fontaines, Courent , en murmurant , fur Témail de ces plaines Dans des flots de verdure , ils roulent la fraicheui : Le réféda s'émeut , & fa flatteufe odeur Se mêle dans les airs a leurs molles haleines. Le Berger dont Tamour infpire les chanfons , Affis a mes cötés , fous ces voütes champêtres ; Qj  *4tf LA J O V R H Ê E S'arrête , en fouriant, pour entendre fes fons 1'rolongés par 1'écho dans 1'épai/Teur des hêrres. Sur ces monts efcarpés, couverts de fes troupeaux, Le chevteau fufpendu broute la ronce amere : Les jeunes dains , les cerfs couronnés de rameaux FafTent rapidement fur la haure fougere : Le courfier généreux , fier de fa liberté , PrefTe fes crins flottans , hennit de volupté , Fait fumer fes nafeaux , & prés de fes compagnes , Frappe , d'un pas léger la mouffe des campagnes. Qui peut voir fans plaifir tout ce peuple joyeux , Ces béliers , ces agneaux folatrer fous 1'ombrage , Ces laboureurs charmés qu'un beau ciel encourage , Êmonder , en chantant , le verger fruflueux , Ébourgeonner la vigne , éclaircir le feuillage , Ou détourner le cours des ruifTeaux orageux, Et ces vives Beautés , daris le printemps de 1'age, Cueillir la rofe humide a 1'arbufte épineux ? Venez , vous que l'Amour foumet a fa puifTance ! Et toi dont la candeur embellit les attraits , Toi dont le fein palpite au nom de bienfaifance,  DE PRINTEMPS, »47 Dont le cceur s'entretient, dans fes fonges difcrets, Des heureux qu'il doit faire & de ceux qu'il a faits ! Viens de ce doux matin refpirer PinHuence ! Maintenant tout invite i la félicité , Tout zéphyr eft parfum , tout bois eft harmonie ; Un fang pur Sc vermeil , fource de la fanté , Dans fes canaux d'azur , fait circuler la vie: L'efprit eft fans nuage , & la férénité , Ce ttéfor que les Rois n'ont Jamais acheté , D'un calme raviflant faifit 1'ame attendrie. Dans cette humble campagne , ó bienheureux cent fois Ceux dont 1'amour confond les cceurs & les fortunes, Ceux que 1'eftime unit , non ces vulgaires loix Que I'intérêt impofe i des ames communes ! La , le defir rencontre ou prévient le defir; Li, vous diriez que 1'ame i Tame eft enlacée. Comme il ne font qu'un être , ils n'ont qu'un feul plaifir, Un feul goüt , un feul but , une même penfée. Qu'eft-ce , pour ces Amans , que le monde & fes Jeux ? Le lieu qui les raffemble eft Punivers pour eux. Un afyle champêtre , orné par 1'induftrie , Des plaifirs fans apprêrs , des amis p quel coin de TUnivers, Quel lieu de leur paflage k confervé la tracé » Les voila difparus ! leur mémoire s'efface ; ' Leur cendre abandonnée eft le jouet des airs. Mais fi dMn beau matin notre vie eft 1'aurore ; Si dans un meilleur monde , on peut aimer encore, Peut-être mon Églé répond k mes foupirs: I'eut-être elle defcend de la voüte étherée , Belle comme aurrefois , de fes graces parée , Livrant fa chevclure au fouffle des Zéphirs. O jours 1 6 doux inftans préfens a ma mémoire <  DE PRINTEMPS. ifij Parmi tous les humains , Églé m'avoit choiii: Elle ornoit ma raifbn , m'enflammoit pout la gloire , Et de mon front paifible écartoit le fouci ; J'allois paffet prés d'elle une heure fortunée : Je ne prétendois rien que l'entendre & la voir ; Hélas ! Ie feul projet de la chercher le foir » Fit fouvent le bonheur de toute ma journée. A peine je 1'ai vue ! ainfi fuit un beau jour : Ainfi pendant 1'Été nous voyons fur les plaines , Le Soleil promener les ombres incertaines. Le temps irréparable emporte fans retour Ces heures du plaifirs doucement difparues , Qui fe fuivoient fans bruit & fans ctre appercues. Dans nos repas charmans , loin de 1'ceil des jaloux , Les coudes appuyés fur la table champêtre , Philofophes fans art, gais fans penfer i 1'être , Le refte des mortels n'exiftoit plus pour nous : Souvent affis prés d'elle , aux jeux de Melpomène , J'aimois 4 retrouver fes vertus fur la fcène : Souvent prés de fa fceur , dans les foirs de 1'Été , Au pied d'un vieux tilleul elle venoit m'attendre ; C'étoit-lk que du fort trompant Ia cruauté , Nous puifions dans les maux un femiment plus tendre. R4  ' *«4 IA JOUR NES Errant fur les débris de ceux que j'ai perdus j Délaifle mainrenant & plein de leur image , Je rraverfe le monde oh je ne les vois plus , Et je confie aux bois mesregrets fuperflus Comme le roffignol qui gémit fous 1'ombrage. Que vais-je faire encor? revoir ce que j'ai vu ; Tourner & retourner fur une même icene ; Marcher avec ennui dans un fentier battu , De la haine i 1'amour , de 1'amour a la haine ; Dans un cercle uniforme enchainerle plaifir, Attendre en foupirant que le chagrin 1'éveille „ Défavouer le jour les projets de la veille , Et fans toucher Ie but, épuifer le defir, Oh ! quand pourrai-je enfin , délivré des orages , Sous un ruftique toit, oublier tous ces maux , Aux arts confolateurs dévouer mon repos , Entendre le doux bruit des abeilles volages , Et preffer fous mes doigts le lait de mes troupeaui! Si j'avois feulement une fource d'eau pure , Si je voyois s'étendre autour de ma maifon, Des vcrgers & des champs dorés par la moiffbn , te .Ciel de tous mes vceux combleroit la tudbm.  DE PRINTEMPS. Ainfi vivoit un Sage inftruit par les revers : ïl habitoit gajment unecabane obfcure , Jouiflbit de lui-mème , au fond de fes déferts , Cultivoit fa. raifon , & fuivoit la nature. Un jour il me parloit de fes malheurs paffes ; Sur les prés d'alentour , fes yeux s'étoient fixés i 11 s'écrie en pleurant : ö campagne fertile ! Ai-je pu , fi long-temps , te préférer*la ville ? Attaché, jeune encore , au char de la faveur , Je me vis déplacé par la brigue & l'envie; Le temps me confola d'une injufte rigueur : A mon humble fortune accoutumant mon cceur , J'oubliai mes revers (car enfin tout s'oublie ! ) Et mon obfcurité me valut le bonheur, Qu'en vainje pourfuivois dans ma bruyante vie. J'ai confervé mon luth , mes livres , mes pinceaux ; Le jardin qui conduit a mon abri champêtre , Eft 1'objet de mes foins plus que de mes travaux; Bois , parterre , verger , mes mains ont tout fait naitre: Je m'amufe des Arts , fans négliger l'Amour ; Une tendre compagne orne ma folitude , Et Philofophe Amant , je paffe rour-a-tour , Des voluptés du cceur aux charmes de 1'étude : Oh ! que pour moi, 1'aurore amene un jour ferein ! Quand mes bois balancés par de douces haleines,  *sS ZA JOURNÉE Commencent a mouvoir leurs ombres incertaines Mon tranquille fommeil, léger comme mes peines ,' S'envole , diffipé par le frais du matin : Je vais revoir mes fleurs , j'arrofe mon jardin ; Quelque fois , un ruiflêau dans fa courfe me guide,' Ou prés de fon rivage , aflis , un livre en main, J'amorce le poiiTon par un appas perfide. Mais quand je n'enrends plus que le cri des vautOUK La voix des Bucherons , & le fon des coignées , Qui fappenr des vieux pins les cimes couronnées , Le ténébreux hyver m'oflre encor d'heureux jours. Que j'aime k m'éveiller au bruit de la tempête , A braver fous mon toit la rigueur des frimats , Et tandis que les vents mugiflènt fur ma tète , A prefier ma moitié qui fourit dans mes bras! Quand vous aurez vieilli fur la fcene du monde, Lorfqu'après un long cours d'infruétueux travaux, II vous fera permis de fonger au repos , Vous fqntirez le prix de cette paix profonde , Et combien il eft doux d'être obfcur , oublié , De cultiver les Arts au fein de 1'amitié : Le temps vous apprendra que le feul bien fuprême , Eft d'échapper au bruit , de vivre avec vous-même, De favoir modérer vos defirsinquiets , D'être fans pafflons, fans projet, fans fyftéme ,  DE PRINTEMPS. *67 De vous réfugier prés d'un cceur qui vous aime: Que faut-il au bonheur ? la retraite & la paix. II fuit ce tourbillon oü la jeunefie roule : C'eft-la qu'un nceud fuccede aux nceuds qu'on a rompus; On fe prend ; on fe laiffe ; on ne fe connoit plus; Maitrefle , amis , parcns , tout fe perd dans la foule. Et voila les plaifirs de ce monde vanté ! Je plains 1'homme infenfé que leur tumulte enivre , Qui dans le mouvement met fa félicité , Qui jouit dans le trouble , & s'agite pour vivre: Un vuide affreux 1'attend , quand tout 1'aura quitté. Je fonge avec douleur a ces jours de folie , Oü d'aveugles penchans tyrrannïfoient ma vie ; Je gémis de penfer que le cours de ces ans Fut marqué dans mon cceur en brülans carafleres , Par des foucis cruels , par des peines ameres , Et je rends grace au Ciel de la fuite du tcmps. Je tougis de moi-même > & de cette importance Que j'attachois aux Grands , £ leur ftérile appui , A leurs vains préjugés de rang & de naiflance, A leur accueil payé par la gêne & 1'ennui. Je les connois ces Dieux qu'adore le vulgaire ! Efclaves a la Cour , tyrans dans leur Palais , Aujourd'hui dans les Cieux , demain dans la pouflïere ,  «8 ZA JOUR NÉ £,&C; Qu'ils font loin de goüterune folide paix l J'ai vu des courtifans la trompeufe foupleflè ; Ie chagrin qui fourit , la haine qui carefle t L'intrigue au doublé front , 1'efpoir & la terreur, Toutes les paflions dont 1'ame eft dévorée , Affiéger de nos Rois 1'enceinte révérée : C'eft-li que le faux zèle embrafle la faveur; C'eft-1£ que 1'amitié s'éloigne du malheur. Je n'ai point ces tourmens , & j'ai pour opulence , Mes honnêtes loifirs , ma noble indépendance ; Arbitre de mon fort, libre dans mes déferts , Je regarde les Cours & leurs fameux revers , Comme un rocher fuperbe immobile fur 1'onde , Voit fur un bord lointain , la tempête qui gronde. Je ne vais point tonner au Tribunal des Loix : Je ne vais point groffir la horde meurtriere , Qui vend Ie fang de 1'horame aux intéréts des Rois ; Je ne vais point chercher dans un autre hémifphère Les biens que fous mes pas la terre offre a mon choix ; Riche des vrais tréfors , & des vertus que j'aimc , Je jouis d'un Ciel pur , des champs, & de m.i-même. Sj FIK.  CHANSONS E T ROMANCES.   CHANSONS E T ET ROMANCES, i. Air: Que ne fuis-je lafougere ) N 1 s 1 étoit dans fon aurore , Er fur fon fein agité , Déji commencoien' d'éclore, EestréTors de la Beauté : Sur fes levres demi-clofes Erroient déji les foupirs , Comme autour des jeunes rofei On voit voler les Zéphirs. Nife avoit vu le feuillage, Seize fois naïtre & mourir: Silvandre étoit du même age; C'eft 1'age heureux du plaifir :  *7* CHANSONS Ils s'aimoient d'amour fi tendre , Qu'on doutoit , voyant leurs feux , Qui de Nife ou de Silvandre , Etoit le plus amoureux, Dès que Nife étoit abfente , Tout affligeoit fon Amant; Loin de lui, fa jeune Amante , Soulfroit-le même tourmcnt : Ils alloient aux mêmcs plaines Faire paitre leur troupeau , Euvoient aux mêmes fontaines , Danfoient fous le même ormeau. Si 1'un chantoit un air tendre , L'autre aimoit k le chanter : Nife en écoutant Silvandre , Sentoit fon cceur palpiter : Silvandre étoit dans 1'yvrefTe , En 1'écuutant k fon tour , Et rinterrompoit fans ceffé ,. Par des baifers pleins d'amour. Miii  Ét ROMANCE.S. Mais un jour , Nife friffbnne , Ses yeux fe mouillent de pleurs j Et fon ame s'abandonne , A de fecrettes terreurs. Hélas ! dit-eüe , je tremble . Et ne fais que feupirer ! Nous fomoies fi bien enfemble .' Faudroit-ii nous féparer ? Dansl'inftant, le Ciel fe couvre ; Un voile épais noircit 1'air , Et du nuage qui s'ouvre Sörtent la foudre & 1'éclair : Nife éperdue & tremblante * Tient fön Amant dans fes bras , Et la fléche étincelante , Donne a tous deux le trépas. Ils repofent fous 1'ombrage , Ou le Ciel finit leurs jours Sur les arbres du boccage , On a gravé leurs amours , Et fur la tombe paifible Qui contient ces tendres cceurs^ Souvent un Berger fenfible , Aime a rcpandre des fleurs, S *7i  *74 'CHANSONS I I. Ai k : Comm'vla, qu'efl fait » Un Berger rencontrant Lifette , tui dit , veux-tu me fuivre au bois? On y va cueillir la noifette ; On y danfe au fon du hautbois j II prit Ie bras d; la Bergère , Qui lui réfiftoit mo'Iement : Au bois , dit-elle , qu'ai-je affaire ? taifle , lai/Te-moi donc , vralment Maman 1'défend ! (i,\s ) \ Tout en lui réfiftant, Lifette , Suivoit le Berger dans les bois, Et tout en cueillant la noifette, Cblin l'agacöit quelquefois ; II faifit fa main & la haife : tife foupire doucement, Et fans montrer qu'elle en foit aife, tui dit : laifTe-moi donc , vraiment! Maman Pdéfend. (bis)  ET ROMANCE S. La Bergère un peu moins farouche , Avoit abandqnné fa main , Et bientót Colin, fur fa bouche , S'avifa d'un plus doux larcin : Life lui dit , tout en colere , LaifTe , laiffe-moi donc j vraiment ! Un fecond haifer la fit taire ; Elle dit encor foiblement : Maman 1'défend. ( bis ) Admirez le progrès rapide Qu'amour fait dans un jeune cceur! Ce n'eft plus Lifette timide , Et luttant contre fon vainqueur. Au Berger , par un doux caprice 3 Elle donne un baifer charmant ; Colin s'écrie avec malice ; Laiffe , lailfe-moi donc vraiment! Maman 1'défend ! ( bis) *7S Si  *75 CHA NS g NS 11 r. Air: L'Amour me fait, belle Brunette , l'Amour ine fait mourir, Un E jeune Bergère , Les yeux baignés de pleurs , A Pécho folitaire , Confioit fes douleurs; Hélas ! loin d'un parjure ,. Oü vais-je recourir ? Tout me trahit dans la nature , Je n'ai plus qu'a mourir. Eft-ce la ce boccage ». Oü j'entendois fa voix , Ce tilleul dont Pombrage , / Nous fervit tant de fois ? Cet afyle champêtre , En vain va refleurir ; O doux Printemps ! tu viens de naftre," Et moi, je vais mourir !  ET ROMANCES, Que de foins le perfide , Prenoit pour me charmer ! Comme il étoit timide , En commencant d'aimer!. C'étoit pour me furprendre , Qu'il fembloit me chérïr: Ah ! falloit-ii être fi tendre , Pour me faire mourir ? Autrefois fa mufette Soupiroit nos atdeurs ; II paroit ma houlette De rubans & de fleurs : A des Beautés nouvelles , L'ingrat va les offrir , Et je 1'entends chanter pour elles, Quand il me fait moutir. Viens voir couler mes larmes , Sur ce même gafon Oh l'Amour , par les eharmes , Egara ma raifon: 6? *77  S7S CHANSONS Si dans ce lieu funefte Rien ne peut t'attendrir , Adieu parjure ! un bien me refte j C'eft 1'elpoir de mourir. Un jour viendra peut-être , Que tu n'aimeras plus : Alors je ferai naitre Tes regrets iuperflus : Tu verras mon image ; ïu m'entendras gémir ; Tu te plaindras , Berger vola'e , Pe m'ayoir fait mourir.  er R O MAN CE s. I V. Sur Vair de la Romance du Tonnelier, j\ ütre-fois la jeune Annette , S'en alloit fur nos cóteaux , En filmt fa quenouillette , Et répétant aux échos : Je ne veux point d'amourette: Ne fongeons qu'a nos troupeaux, Annette aujourd'hui foupire ; L'amour trouble fon repos. Depuis qu'il 1'a fu féduire , Elle a laiffé fes fufeaux , Et toujours il faut lui dire , Songez donc a vos troupeaux S 4  CHANSONS V. Air: Dans un bafquet de Cythere, Jo uissons ; 6 ma Bergère, De la faifon des Amours ! Ce Soleil qui nous éclaire, Demain reprendra fon cours : Mais quand la 1'arque ennemie ,■ Tranche le fil de nos jours, A tous les biens de la vie On dit adieu pour toujours. Donne a 1'Amant qui t'adore , Mille baifers au matin , te long du jour , mille encore , Mille encore i fon déclin ! Ta nuit , brouillons-les dans 1'ombre i ïl faut tant les répéter , Qu'enfin trompés par le nombre , Nous ne puiffions les epmptcr,  ut' romances. Contre Tamour qui nous lie ,. Eaifibns crier les jaloux ! / II eft beau de faire envie ; le bonheur en eft plus doux : Que le nötre air tant de charmes Qu'il irrite les defirs , Et puiffe en verfer des larmes , Ee cenfcur de nos plaifirs !  CHANSONS V I. Am: Quoi., ma. roifme , e/ï-tu fichée * Un beau Berger , fur fa mufette , Chantoit toujours : II n'eft point de douceur parfaitc, Sans les amours; De vos Amans , jeunes Bergères , N'ayez point peur ! Ils ont, quoi qu'cn difent vos meres * Ils ont un cceur. Souvent Ifmene alloit fe rendre , Prés du Berger, Et prenoit plaifir k 1'entendre , Sans y fonger : Elle apprit bientöt, Ia pauvrette , Pour fon malheur, Qu'on pent . ponr une chanfonnette , Donner fon cceur. *8s  ET ROMANCES. Aujourd'hui la plaintive Ifmene , N'a plus d'Amant , E: tout le long de ia femaine , Va répétant.: Péfiez-vous de la voix tendre , D'un féduöeur : Hélas ! fans celle de Silvandre, J'aurois mon coeur.  *8* CHANSONS VIL AiR d'Albanefe : Au bord d'une fontamr. A UT.nuts de mon amie , Je coulois de beaux jours ; D'une fi douce vie J'ai vu finir le cours. Félirité paffee , Qui ne peux revenir ! Tourment de ma penfée ! Que n'ai-je , en te perdant , perdu le fouvenir ! On peut être auffi belle , On peut autant charmer : Mais qui peut , autant qu'elle , Qui peut jamais aimer ? Féliciré paffee, &c. Souvent de cette eau pure Nous fuivions les détours : Quand j'entends fon murmure , Je fonge a nos aniours. Félicité paffée, &c.  ET ROMANCES. Souvent j'allois 1'attendre Sous ces ormes touffus: Elle venoit s'y rendre : Cet heureux temps n'eft plus! Félicité paffée , &c. Voyez dans ces afyles , Kos chiffres enlacés! Dans des jours plus tranquilles > Ma main les a tracés. Félicité paffée , &c. Ce même air que je chante , Que jc chante en pleurant, Avec ma jeune Amante , Je Tai chanté fouvent. Félicité paffée y &c. Combien de fois 1'aurore , Fut témoin de nos jeux ! Combien de fois encore ,■ te foir nous vit heureux! Félicité paffée , &c, «dg  *S.ï CHANSONS Elle ceffa de vivre , Quand on nous fépara : Mon cceur devoit la fuivre ; Rien ne me Ia rendra. Félicité paffee , &c. Eyre tendre & plaintive ! Tes airs font fuperflus : Sur 1'infernale rive, Églé ne t'entend plus. Félicité paffee Qui ne peux.revenir! Tourment de ma penfée ! Que n'ai-je , en te perdant, perdu le fouvenir!  ET ROMANCES. %fy VIII. Air: O ma tendre mufette! IjA belle Alcimadure AUnit un jour chantant : Dans toute la nature , II n'eft rien de conftant ; On veut que je m'engage: Mais difcours fuperflus ! On deviendroit volage : Non , je n'aimerai plus. 3'avois pris foin d'inftruire L'oifeau le plus charmant ; II ne celfoit de dire Qu'il m'aimoit tendrement. Hélas! par ce langage., Tous les cceurs font décus! L'oifeau quitta la cage... ■ Non , je n'aimerai plus.  *8I CHANSONS j'avois un cliien fidele , Et beau comme le jour ; II étoit le modele Du plus parfait amour : j'ai tu périr fes charmes ; Voili mes foins perdus! j'en ai verfé des larmes.... Kon, je n'aimerai plus. Le Berger qui 1'adore Vole k fes pieds foudain; Elle vouloit encore Répéter fon refrain : Mais quand le cceur foupire Quand les fens font émus, Eft-il bien temps de dire : Kon , je n'aimerai plus ? On dit que Pimprudente Se rendit k fes voeux ; II quitta fon amante Si-tót qu'il fut heureux s te  È T ROMANCES, la Bergère trahie S'en va d'un air confus , Jurant que de fa vie Eïle n'aimera plus. Du fort d'Alcimadure , GémifTez , tendres cceurs ! i Pour un amant parjure , Elle verfe des pleurs i Ne faites point de même Des fetmens fuperflus : Hélas ! fouvent on aime Quand on croit n'aimer plus. •8,  **• CHANSONS I X. Au: De la Romance des trois Fcrmiers* TT XI e u r £ o x qui prés de toi foupire , Et qui t'enflarame de fes feux! Heureux qui te voit lui fourire, Et qui lit fon fort dans tes yeux! Réduit a bruler en filence , Je n'ai pas Ie même bonheur; On peut aimer fans efpérance , Si fen juge d'après mon coeur. (ifj) Ah ! que n'es-tu fimple Bergère , Gardant comme nous des troupeaux! Que n'es-tu dans une chaumiere, Tournant de ruftiques fufeaux ! J'oferois dire que je t'aime; Mais pour moi feroit-ce un bonheur > Tant d'autres le diroient de même, Si j'en juge d'après mon cceur. (bit )  ET ROMANCES. sji J'iraï dans un défert fauvage M'occuper de ton. fouvenir; J'y porterai ta douce image » Et rien ne pourra ia bannir. Je chanterai le temps pailible Oii ta ïue a fait mon bonheur: Ton nom rendra fécho fenfiMe > Si j'en ju ge d'après mon cceur, (bh} T»  *** CHANSONS X. Air; 71c In Romance d'Emma, ( par J. J. Roufleau.) A onne des pleurs a mon tre'pas ! Mais vois rexcès de ma milere , Et prends pitié de mes tourmens ! Accorde une grace derniere Au plus malheureux des amans ! Je vais faire un bien long vcfyage , Peut-être pour ne plus te voir: Ah! Lucy, que j'obtienne un gage Qui calme un peu mon défefpoir !  ET ROMANCES. *S* Loey frémit a ce langage , Et pour lui montrer fes douleurs, Elle jetta fur le rivage Un mouchoir trempé de fes pleurs. Son amant le faifit bien vite , Cent fois le baife avec tranfport, Le met fur fon fein qui palpite, Et laiffe enfin ce trifte bord. Bientót , dans un fonge terrible , L'efprit, frappé de noirs tableaux , Lucy voit ce mortel fenfible Errer autour de fes rideaux: Quel rjveil, lorfqu'a la lumiere Du pale flambeao Idylle V. L'innocence de l'Amour, 'ï Idylle VI. Le Bouquet, *" Idylle VII. Les Epoux. a7 Idylle VIII. Le Bonheur, 5* Idylle IX. Le Baifer, 39 Idylle X. Vue de la Campagne apres une pluie d'Eti, 44 LIVRE II. Idylle I. Le Chant d'un Barde , 47 Idylle II. VHiver, 55 Idylle III. Le Ruban , 58 Idylle IV. L'Oifeau, «4 Idylle V. Gallus , 66 Idylle VI- Les rufes de l'Amour, 71 Idylle VII, Les Tombeaux 3 74  '9S I A B t I, f in, £e ^ gari,^ 7j !n,ut IX. Soiree d'hiver, IïU" X- Le VilUge détmit ^ g' L I V R E III. Idylle I. Promenade du Matin Idylle II. Lc facrifice des petit, Enfans , 9s ItïU£ HL X« iïr/nêw, 1