1021 G 32   IRENE,. TRAGÉDIE. ' I D E M. DE VOLTAIRE, Repréfentée pour la première fois le 16 Mars 1778 par les Comêdiens ordinaires du Roi. A AMSTERDAM, Chcz A. van HARREVELT, SOETENS. MDCCL XXXVII.  PERS0NNJGE8. MCÉPHORE, empereur de Conflantinople. IRENE, femme de Nicéphore. ALEXIS Comnène, prince de Grèce; XEONCE, père d'Irene. 1WEMNON, attaché au prince Alexis. ZOE, fuivante d'Irene. GARDES. La Scène ejl dans un Sallon de ï'ancien palais dt Conftantin.  IREN E. SCÈNE PREMIÈRE. IRENE, Z O É. Irene. Q.oel changement nouveau.quelle fombre terreur Out écarté de nous la cour & l'erhpereur5 Au paJais des fep: tours une garde inconnua Dans un filence morne étonne ici ma vue. En un vatte défert on a changé la cour- ' Zoé. Aux mursdeConthntin trop fouvent un beau jour Eft fiii-vi des horreurs du plus fürièfte bragé. La cour n'eft pas longtemps Ic bruyant afleniblaire Detous nosvams plailirsl'un a 1'autre encbaïnè&s Trompeurs foulagemens des coeurs infortunés De la foule importune i! faüt qu'on fe retire." Nos états afieriiblés pour corriger 1'empire P.nirle perdre peur-2tre; & ces fiers Mufulnians Ces Scythes vagabdntls, débordés dans nos chmips' Miileenhemiscaciiés, qVonnous fait craindreencore, Sans doute en ce moment occupent Nicéphore. Irene. De fes chagrins fecrets qu'il vent diifimuler A 2 ACTE PREMIER.  4 1 R E N E, Je connais irop Ia ccufe; elle va m'accabler. Je fais par qud foupcon fa dureté jaloufe, Dans fon ir.quiétude outiage fon épóufè: II écoute cn fecret ets obfeurs importeurs, D'un efprit défiajft déteftables flatteurs, Trafiquant du menfonge, & de la calomnie, Et couvrant la vertu de leur ignominie. Quel emploi pourCéfar, &que!sfoins douloureux! 3e Ie plains, & gémis — il fait deux malhcumix. —. Ah{ que n'ai-je embraffé cette retraite aufiere Oü depuis mon hymen s'eft enfermé mon pere! ]l a fui pour jamais 1'illufion des cotrs, L'efpoir qui nousféduit, qui noustrompe rcujours, La crainte qui nous glacé, & la pein'e cruelle De fe faire a foi mème une guerre etemelle. Que ne foulais-je aux pieds ma funefle grandeur! Je montai fur le tröne au faïte du malheur! Aux yeux des nations viótime couronnée, pleure devant toi ma haute deftinée; Et je pleure fur-tout un fata! fouvenir Que mon devoir condamne, & qu'il ne peut bannir. ïd 1'air qu'on refpire empoifonjje ma yie. Zot. De Nicéphore au moins la noire jaloufie, Par d'indifcrets éclats, n'a point manifefté !Le fentiment honteux dont il eft tourmenté. Irene. cache par orgueil .fa frénéfie affreufe, IDans ce trifte palais fuis-je moins malheureufe? Que le fuprême rang, toujours trop envié, Souvent pour notre fexe eft digne de pitié! Le funefte préfent de quelques faibles charmes ÏSlous eft bien vendu cher & payé par nos larmes. Crois qu'il n'eftpoini de jour, petu-êtrc de moment IDont un tyran cruel ne me fafle un tourment. Sms objet (tu le fais) fa fombre jaloufie , Souvent mit en péril ma deplorable vie. Jen ai yu fans püjir les traiis injurieux,  T R'A G E D I E. ƒ Que ne les ai je pu cacher a tous les yeux! Z o É. Je vous plains: ma's enfin contre votre innocencï; Contre tantde vernis, lui-même efl fins puiftauci.' Jé gémis de vous voir nourrir vocre douleur. Qje craignés-vous ? Irene. Le ciel, Alexis, & mon ccou^ Z o É. Ma'is Alexis Comnène aux ch'amps de la Tauride 'fout entier aia gloire, au devoir qui le guide, Sert 1'empereur & vous , fans.vous mquiéter, Fidele a fes fermins jufqu'a'vous éviter. Irene. Je fais que ce héros ne cherche que la gloire: Je ne faurois m'cn plaindr'e, Z o É. II a par Ia viéèoire Rafermi'cet empire ébranlé dès longtemps. Irene. Je crains d'admirer trop fes exploits éclatans...^ Céwit par Alex's que le ciel me fit nanre. Des-aniiques Céfars nous avons rt'9.1 l'être; ■ Et dés notre berceau 1'un a l'autre pronis, Kous touchions au moment d'ctre a janu's unts. C'elt avec Alexis que je fus élevée. Ma foi lui fut acquife, & lui fut enlevéa. L'intéiêc de l'état,.ce prétexte in wen té- » Pour trahir fa proraefl'e avec impuniié. Ce fantóme effrayant fubjugua ma familie. Ma rrure a fon orgueil facrifia- tl fille. Du bandeau des Céfars on crut cacher mes pleur» On para mes chagrins de 1'éclat des grartdèurs II mi fallut éteindre en ma douleur profönd'e Un feu plus cher pour moi, que 1 empire du monde. Du maitre de mon cceur i! fallut m'ari'acher. De moi même en pLeurant j'ofai me détacher.A 3  4 I R E N E, De la religion Ie pouvoir invincible Secourut ma foiblellé en ce combat pénible: Et de ce grand fecours apprenant h m'armer Je fis 1'affreux ferment de ne jamais aimer. Jele tiendrai. — Ce mot te fait affez comprendre, A qnels déchiremens ce cceur devoit s'attendre. Mon père a eet orage ayant pu m'expolér M'aurait par fes.vertus appris a 1'appaifer. Jl a quitté la cour, il a fïii i\icéphore: 31 m'abandonne en proie au m- nde qu'il abhorre. Et je n'ai que toi feule a qui je puifle ouvrir Ce co2urfaible& blefl*c,que rien ne peut gtién'r. _ Mais on fort du palais: je vois Memnon paraitre. SCÈNE IL IRENE, ZOÉ, MEMNON. I r e n e. bien, en liberté puis je voir votre maftre? Memnon.puis-jeamon tour êtreadmileaujourd'luu Parmi les courtifans qu'il approche de lui? M e m n o n. Madame, j'avouerai qu'il veut h votre vue Dérober les chagrins de fon ame abattue. Je ne fuis point compté parmi les courtifans. De fes defieins fecrets fuperbes cönffdeiis: Du confeil de Célar on me ferme 1'entrée; Commandant de fa garde h la porte facrée, Militaire inconnu de ces maitres altiers , Reléguédans mon pofte, ainfique mes guerriers; J'ai feulement appris que le brave Comnène J\ quiité dès longtemps les bords du Borifthène. Qu'il vouue vers Buance; &. que Céfar troublé Eeoiue en frémillum fon conièil afiémblé.  TRAGEDIE. f Irene. A'lëxis dites-vous ? M e m n o n. Jl revole au Bofphore. Irene. ïïpourroit a ce point offenfer Nicéphore! . Revenir fans fon ordre! M e m n o n. On 1'afiure, & Ia cour'» S'alarme, fe divife, & tremble a fon retour. C'eft rout ce que m'apprend une mineur foudaine Qui faitnaitre, ou la erainte.ou 1'efpérance vaine : Qui va de bouche en bouche armer les faéiions;Et préparer Bifance aux révolutions. Pour moi, je fais afiezquel parti je dois prendre: Qui doit me commander, &qui je dois défendre. je ne confulte point nos miniftres, nos grands, Leurs intéréts cachés, leurs partis difTérens; J'encroirai feulement mes foidats,& moi même. Alexis m'a placé: je fuis a lui, je l'aime, Ji le fers, & furtout dans ces extrêmités Memnon fera fidele au fang dont vous fortéif. Itlltruit de vos dangers ,plein d'un nobie courage, Madame, il ne pouvait différer davantage. Peut être j'en dis trop-, mais enfin ce retour Suivra de peu d'indans Ja naifiance du jour. Les momens me font etters; pardounez a mon zèlé ; Et fouffrez que je vole oü mon devoir m'appeüe. SCÈNE III. I R E N E, Z O -É.Irene. QiuE toiit ce qu'il m'a dit vient encor m'a'gtter .'• A 4-  f l R. E N E, Pour moi dans ce moment tout eft a redouter. Memnon s'explique affez;ah que vient il m'apprendrel. Quoi, Céfar alarmé refufe de m'entendre! Alexis en ces lieux va paraïtre aujourd'hui; Et je vois que Memnon eft d'accord avec lui. Les états convoqués dans Bifance incertaine Patiguant dès longtemps la grandeur fouvcraine Troublent 1'empire entier par leurs divifions; Tout ce peuple s'enflame au feu des faöions! Et moi, dans mes devoirs a jamais renfermée, Sourde aux bruyans éclats d'une ville alarmee,. A mor) époux "foumife, & cachant ma.douleur Parmi tant de dangers je ne crains que mon cceur! Peut-ètre il me prépare un avenir terrible, Le ciel en le formant I'a rendu trop fenfible. Si jamais Alexis en ce funefte lieu, TrahiiTant fes fermens. — Que vois-je, juftcDieu! SCÈNE IK 1-8 ENE, A LEX IS, Z O É. Alexis. Datgnez fouffrirma vue, &banniffez vos craintes. Je ne m'égare point en d'inutiles plaintes. I'étais né pour ce tróne, oü s'aflied votre époux. Et j'ofe dire ici que j'étais né pour vous. Le deftiri rne ravit la grandeur fouveraine: II m'öta plus encor, il me ravit Irene: Mes fervices peut-être en Oriënt rendus, Auroient pu mériter les biens que j'ai perdus. Mais loifque fur le tröne on placa Nicéphore, La gloire en ma faveur ne parlait point encore: Et D'jijajit pour appui que nos com.nuns ayeuxj, |  T R A G E D I-B'- & Ie n'avpis rien tenié qui dut m'approcher d'eux. i'rébifonde aujourd'hui par mes armes foumile, Les^Scythes repouffés, Artaxate conquife, Servent du moins d'exeufe a ma té.nérité: Je reviens a vos pieds; & je me luis flatté Qu'aujourd'bui fans rougir vous pouviez reconnaitrè Dans le lang dont je luis, le fang qui vous rit riaitïé; Irene. Prince que faites-vous? Dans quel temps, dtns queis lieux Par ce retour Jatal étonnez-vou-s mes yeux' Vous connoiffez trop bien quel joug m'acaptivée, La barrière óternelle enu'e hous élevée; Nos devoirs, nos fermens; & fur-tout cette loi. Qui ne voir permet plus de vous montrer h moi. Pour cdmer de Céfar 1'injuRe -dén mee, 11 vous aurait fuffi , d'éviter ma préf-'i.ce. Vous n'avez pas prévu ce que vous haf.r-'ez., Vousmefaitesfrérriir— feigneur —vous vous perdez. Alexis. Quand je tremble pour vous,pourroïs-je èire coupable? Ma préfence h Céfar doit être redoutable. Quoi donc! fuis-je a Bifance? eft ce vous queje vois ? Lft-ce un Sultan jalouxqui vous tient fous fes loix? Et'es-vous dans Ia Grece une efclave d'Alie, Qu'un defpotc barbare achete en Circiffie? Qu'on enferme enprifon fous des 'monftres cruels, A jamais invifi-ble au refte des mortels' Céfir a-t-il changé dans fa fombre rudeffe L'eipïitdè 1'Occident, & les mceurs de la Grece? Irene. Du jour oü Nicéphore ici recut ma'foi, Vous le favez affez —tout eft changé pour moi. A l e x I s. Hors mon cccur, le deftin Ie forma pour Irerc. II ^brave des Céftrs la grandeur fouveraine: 11 la. cioit égaler. — Quoi vos dernièrs fujei;r 1 A 5  io IRENE, Vers leur impératrice auront un libre accès! Tout mortel jouira du bonheur de fa vue! TJicéphore h moi feu! 1'aura t-il défèndne? Et fuis je un criminel a fes yeux offenfés! Allez, je Ie ferai plus que vous ne penfez. Jai trop été fujet. I r e n e. Je fuis réduite a 1'être; Seigneur, fouvenez-vous que Céfar eflmon maitre. Alexis. ÏJon, pour un tel honneur Céfar n'étoit point né: 31 m'arracha le bien, qui m'était deftiné: .11 n'en était pas digne, & le fang des Comnenes JJe vous fut point tranfmis pour fervir dans fes chaines: 'Qu'il gouverne s'il peut de fa tremblante main 'Ces débris malheureux de 1'empire romain, Qu'aux campagnes de Tbrace, aux murs deTrébi fondue Tranfporta Conftantin pour lemalbeurdu monde. Etquej'ai défendu moins pour lui que peur vous; Qu'il regne, s'il lefaut, je n'en fuis point jaïoux : Je le fuis de vous feule, & jamais mon courage Ne lui pardonnera votre indigne efclavage. "Vous cachez des malheurs dont vos pleurs fontgarands; Et les ufurpateurs font toujours des tyrans; Mais fi le ciel eft jufle, il fe fouvient peut être Qu'il devaït a 1'empire un moins indigne maitre. Irene. Trop vains regrets! Je fuis efclave de ma foi. — ■Seigneur — je 1'ai donné — elle n'eft plus h moi, Alexis. Ah! vous me Ia deviez. I r e n e. Et c'eft h vous de croire Qu'il ne m'eft pas permis d'en garder la mémoi'-e. e fais des vceux pour vous, & vous m'épouvantes.  tra g ed i e: it U n Ga r d s, • Ssi'gncur, Ctfar vods mande. Alexis au 'garde. II me verra. — Sortez, — Öui, je vais lui parler. Une telle entrevue Ne doit point alarmer votre ame combatue : Necraignezrien pour lui. Ne craignez nende msi. A fon fang, comme au mien.je fais ce que je doi. Chere Irene, foyez tranquille&raffurée. 0'' forc0 Irene. De quel faififfement mon ame cd pénétrée! Que je fens a la fois de foibleffe & d'horreur! Chaque mot qu'il m'a dit me remplit de terreur,; Que veut-il?— Va Zoé, commande que fur 1'beure On parcoure en fecret cette trilte demenre Ces fept affreufes tours, qui depuis Confianrtn Ont vu tant de héros terminer leur defiin. 8.énds moi compte de tout. Prends pitié de ma era in te. Zoé.' J'irai, j'obferverai cette terrible enceinte. ' Mais je tremble pour vous. Unrhaitrë foupconneus Vous condamne peut être & vous profcrit tous deu?„ Dans ce jour orageux que précendez- vous faire? Irene. Garder h mon époux ma foi pure & fincerej Dompter ma paffion fi fon feu rallumé Renaiffait dans ce cmur autrefois enflammé; Demeurer de mes fens maïtreffe fouveraine, Si la force eft poflible a la faibieffe humaine; Ne point combattre en vain mon devoir & mon fort, Et ne déshonorer, ni mes jours", ni ma mort. . Fin du premier Aiïe> A 6  *4 I R E N E\ ACTE II. SCÈNE PREMIER E, \ ALEXIS, MEMNON, M e m n o n* O ui, vous etes mandé; maïs Céfar délibere,Dans (bn inquiétude, il confulte, il difiere. Avec fes vils flatteurs en fecret enfermé, Le rétour d'un héros 1'a fans doute alarmé. Jvlais nous avops Ie temps de nous parler encorei Ce fallon qui conduit a ceux de Nicéphore JVlene auffi chez Irene; & je commande ici. Sur tous vos conjurés n'a}'ez aucun fopci. 3e les ai difpofés; une vaillante efcorte Du. rempart des fept tours ira faifir la porte, J.es autres font armés fous un habit de paix Et fans donner d'ombrage empliflent ce palais. Tv'icépr.ore vous craint; mais j'ai fa confiance; II fe croit affuré de mon obéiflancej Tout eft en füreté, Alexis. Ruflan, Phédor, Arbas, Polémon, font-ils prêts? M e m n on. Seigneur „ n'en doutez pas* Leur troupe jufqu'a vous dok s'ouvrir un paffage: Leur amitié, leyr zele, & fur-tout leur courage, Vaudront pour vous fervir dans ces périis preffins Les merceuaires bras payés par les tyrans.  TRAGEDIE. 13 Alexis Les éta-ts nflemblés. foutiendront ma querelle. Mais Ie peuple? M £ m n 0 n. II vous aime; au tröne il vous appelle? Safougueeft inconftarite*elleéclatea--gratid biuit> Un indam la fait naïtre, un inftant la détmit. j'enüamme cette ardeur, & j'ofe encor vous diro 'Que je vous répondrais des camrs de tout 1'empire. Paraiffcz feulement, mon prince; & vous ferez Du féoat, & du peuple, autant de conjuresv Dans ce palais l'aiiglant, féjour dis homicides,-. Les révolutions furent toujouis rapides: Vingt fois il a fuffi pour changer tout Pétat De la voix d'un pontife, ott du cri d'un foidat. Ces révolutions,font des coups de tonnerre. Qui dans des jours fereins éclatent lur la terre. Plusils font imprévus, moins on peut échapper f, A ces f'eux dévorans, dont on Ié fent frapper» Nous avons vu palier ces ombres fugitives» Fantömes d'empereur élevés fur ces rives, Tombant du haut du tröne, en 1'éternel oubli, Ou leur nom d'un moment fe perd enfeveli. 11 eft temps qu?at Bifance on reconnaifTe un bomme Digne des vrais Céfars, & des beaux jours de Rome. BiGmce offre a vos mains le fouverain pouvofr, . Ceux que j'ai vu rêgncr n'ont eu qu'a le vouloir; Poités dans 1'bipodröme ils n'avaient qu a paraitre Décorés de Ia pourpre, & du fceptre d un mattre. Au temple de Sopbie un prêtre lesfacrait: Et Bifance h genoux foudain les adorait. lis avaient moins que vous d'amis & de courage; Jlsavaient moins de droits;tentezle mêmeouvrage : Recueillez les débris de leurs fceptres brifés. Vous régnezaujourd'hui, feigneur, fi vous 1'oféè. Alexis. Moi fi je 1'oferai! j'y vole en affurance. Je-mets aux pieds d'Irene &-mon cccur & Bifance, A 7  14; I re n et Vai de 1'ambkipn, & je hais 1'empereur —■ Maïs de ces pafltons qui dévorent mon cceur, ' Irene eft Ja première felle feule n'anime; Pour elle feule, ami, j'aurais pu faire un crime; Maïs on n eft point coupable en frappant les tyrans • t-elt mon tróne après tout, mon bien que ie reprends: II m'enlevait 1'empire, il m'ótait ce que j'aime. M £ II K O u. Je mctrompe, feigneur, ou 1'empereur lui-même Uoit sexphquer a vous dans ce lieu retiré ï confentircz-vous ? Alexis. Oui, je lui répondrai. ,. M e m n o n. Deja parait fa garde, elle m'eft confiéeSi de votre ennemi la baine étud.ee A concu contre vous quelques fecr -s deflcins j Son ordre ne fauroit pafter que par mes mams.' Soyez sör mais il vient. scène m NICÉPHORE, ALEXIS, MEMNON,les gardes fe retirent. Nicéphore. P . _ u, . 1 Rince, votre préfence A jetté dans ma cour un peu de défiance Auxbords du Pont-Euxin vous m'avezbien fervi. Maïs quand Celar commande, il doit être obéi D'un regard attentif ici l'on vous contemple. Vous donnez a ce peuple un dangereuz esemple.  TR AG EB IE. jr Vous ne deviez parartre aux murs de Conftanün Que fur un ordre expres émané de ma main. Alexis. Je ne le croyais pas. Les états de 1'empiie Connaiffent peucesloix que vous voulez prefcrire» Er j'ai pu fans faillir remplir la volonté D'un corps augufte & fainr, & par vous refpeöé. Nicéphore. Je le protégerai tant qu'il fera fidele. Cr'aignezde 1'imirer: mais lorfqu'il vous rappe'le3 C'eft moi qui vous ren voie aux bords du Pont-Éu;Jn. Sortez dès ce moment des murs de Conftantin, Vous n'avez plus d'excufe: & /i vers le Bofph( re L'aftredu jour qui luit vous revoydt encore, Vous n'êtes plus pour moi qu'un fujet révolté: Vous ne le ferez pas avec impum'té. Voila ce que Céfar a prétendu vous dire. Alexis. Les grands.de qui les voix vous ont donné l'emp'res , Qui m'ont fait de 1'état le premier après vous, Seigneur, pourrront fiéchir ce violent courroux, lis connaifiént mon nom, mon rang& mon fervice: Et vous-même aveceux vous me rendrez juflicej Vous me laiflerez vivre entre ces murs faciés Que, de vos ennemis, mon bras a délivrés. Vous ne m'óierez point un droit inviolable Que la loi de 1'état ne ravit qu'au coupable, . . N i c é p h o r e. Vous ofez le prétendre? Alexis. Un fiinple citoyen L'oferait, le devrait, & mon droit eft le iicn. Nicéphore. Ecoutez. Je fuis las d'une telle arrogance. Pour la derniere fois redoutez ma vëngearicè. Alexis, Vous meconnaiffez mal: un co;ur tel quelemien Sait-braver la menace, & ne peut craindre rien.'  ié' I • R E N E, ; Mes fervices paffes, ma valeur, ma naiffince^.. Pourronr me garantir d'une iojufte puiffance. Je ne partirai poinr. Nicéphore. Eh bien, c'en eft affez. (_a 'Memnon.') Servez 1'empire,, & moi, vous qui m'obéiffez.'• (7/ donne un billet a Mmnnon.) S C ENE II. ALEXIS, ME M N O N£ M e m n o n. I l fe livre a nos coups. Alexis. II faut d'abord m'apprendre Ce que dit ce billet que 1'on vient de te rendre. M e m n o n. Lifez. A l e x i s. (après avoir /«.} Dans fon eonfeil i'arrét était porté. Je m'attendais fans doute a cette atrociié, II fe flattait qu'en maitre il condamnait Comnene. II a figné ma mort. M b m sr o tril a figné la fienne. D'efcLaves entouré, ce tyran ténébreux, Ce defpote aveuglé, m'a cru lache comme eux*' Mais achevez, lifez eet ordre impitoyable. Alexis. (relifant.) Plus que je ne penfais Nicéphore eft coupable. Irene prifonniere! eft-il bien vrai, Memnon? M e m n on. Lö toabe'au pour les grands eft prés de la prifon.  TRAGEDIE. Jj£ De ce complot fe^glanf Irene eft elle inflruite? M e m n o n. Elle en peut foupconner & la caufe & la fuite. Le refte eft inconnu. Alexis. Gardons de 1'affliger. Et üïr-tout. cher ami, cachons lui fon dangcrv La conjuration doit êtte découverte: Mais c'eft ouand on faura ma v.öoire, ou ma perte.. M e m n o n. Du peuple foulevé j'entends déja les cns. A l e x i s» Nous n'avonsqu'unmoment; je regne.ou jespéris,I e fort en eft ietté, combattons Nicéphore, ïloS, braves amis, dont mon deft.n m'honore;, Marchans fans bajancer. SCÈNE IV. ALEXIS, IRENE.. Irene. Ou courez vous, 6 ciel! AWi<5 atrètez: que faites vous cruel! DeineiS rendez-vous a mes foins Iégmmes: fe v ens vous épargner des malheurs & des crimes... Les peuples font armés; déja de toutes parts . Le fangPdes citoyens coule au nom des Céfar 11 ne m'eft plus permis dans ma douleur muetto De de"vorcrmespieurs au fond de ma.retra te;■, Mon pene en ce moment, par Ie peuple excue, . Re vient vers ce palais qu'il avait deferte. Le pontife le fiiit, & dans Ion nv.niltere.  18 IRENE, Du Dieu que !'on offenfe nttefïe la co!ere Ilsvou^cherehent tous deux dans cfèrïéfs mo* Seigneur, écoutez-Ies. Je les ecoutcrai quand vous ferez vengée S Qll part avec les foldats.') SCÈNE V. IRENE feule. J' "mem!"' m deviüns-Je ? & affreux tour, Mon époux va périr, ou fraper mon amant! Je me jetteen tes bras , fl Dieu qui mw'K™ I To, qm fis mondeftm, qui mudon ^ ' Gondu.s mes pas; foutiens ceite fifibie Sn™r Ren* la v,c ce cceur, qui meurt de f„ 3„ Rends la pdfx h I empire, aufil bien qu'a moi S"' Confcrve mon époux: commande^que je ffi?- S.? t0Ui*' -UaPeUX t0ut; ies •nalheSreuïhuiïS. Sont les vlis mflrumens de tes divines mai ™ Et quand pour mon epoux mon défefpoir i'nmplore j & d autres feminiens me font encor permis 1 »«u, qui fais pardonner, veille fur Alexis\  T R AG E D I E. 19 SCÈNE VI. IRENE, Z O É. Z o É. lts font aux mains, rentrez. Irene. Et mon pere? Z o É. 11 arrivé.' 11 fend les fiots du. peuple; & Ia foule craintive,. Defemmes.devieillards, d'enfans,qui dans leurs bras Poufient au ciel des ciis.que ceciel n entend pas. Le pontife facré par un fecours utile, Aux bleflës, aux mourans, en vain donne un afyle;. Les vainqueurs acliarnés immolent fur 1'autel Les vaincus écbappés k ce combat crue!.;. Ne vous expofez point a ce peuple en furie: Te vois tomber Bifance, &.périr la patrie Que nos tremblantes mains ne peuvent relever;. Mais ne vous perdez pas en voulant la fauver. Attendez du combat au moins quelque nouvelle. 1 K E N e. Non, Zoé, le ciel veut que je tombe avec elle. Non , je ne dois pas vivre cn nos murs embrafés %.. Au milieu des tombeaux que mes mains ont creufé»,. Fin du fecond Afte*  2 R E N E, ACTE JIJ. SCÈNE P R EMIER E. IRENE, ZOÉ; Z o É. WflTREüniqueparti, madame, était d'attendre- Lirrévocable arrêt que le deltin va rendre Un Scytbe aurait bien pu dansles rangs des foldats* AppeIer les dangers, & chercher !e trépas öous le ciel ngoureux de leurs climats fmvages i-a clurete des mceurs a produk ces ulages i-a nature a pour nous établi d'autres loix Soumettons nous au fort. & quel quefoit fon chois Kclignons nous a lui fans plaintes inutiles Uu attend d'Alexis des jours doux & tranquilles. 11 règne- for lescccars, ü porre en ce conioat Uibras, ce mêana> bras, qui défenJit 1'état Le p.us grand des fecours ell dans la voix publique Amant qu elle détefté un pouvoir defpotlquei Autant eile cherit un héros»opprimé II vaincra, puifqu'on 1'aime. I 8 E N E. n„ an i que fert d'étre aimë? On eft plus malheureureux; & je fens que moi même Je crains de rechercher s'il eft vrai-queje 1'aimeD interroger mon cceur, &-d'ofer feuiement Jiön?aJ?-der du combat q'-iel eft levénementU'Jel faog a pu couler, quelles font les vicBmes?'5 Combien dans ce palais j'ai raflemblé de crimes-' •lis lont tous mon ouvrage, .  TRAGEDIE. 21 Z O É. A vos juftes douleurs Voulez vous des remo/ds, ajouter les terreurs'? ■'Votre père a quitté la retraite facrée, Oü fa trifie vertu fe cachait ignoréë: C'eft pour vous qu'il revoit ces dangereux mortels Dont il fuyait 1'approche a i'ombre des autels. 11 é a'u mort au monde; il rentre pour fa rille Dans ce même palais, oü régna fa familie: Vous trouverez en lui les confolations Que le deftin refufe h vos affl ftions. Jettez vous dans fes bras. Irene. Wen trouvera t-il digne? Aurais-je mérité que eet effort infigne Le ramène a fa fille en ce crue! féjour? Qu'il affronte pour moi les horreurs de la cour? SCÈNE II. IRENE, LÉONCE, ZOÉ. I r e M e. Est - ce vous que je vois ? efi-ce vous que fembralïe? «O mon père, venez confoler ma difgracel Quoi! vous quittez pour moi le féjour de la.paix? Helas'. qu'avez-vous vu dans celui des forfaits ? 'L li O N c E. Les murs de Conffamin font un champ de carnage. J'ignore, graces aux cieux, quel éionnant orage., Quels intéréts de cour, & quelles faöions Ont ■enfanté foudain ces défolarions On m'apprend qu'Alexis armé comre fon maitre Avec les révoltés avait ofé paraitre. L!uq dit .qu'il a recu Ja mort qu'il jaéritait;  22 IR E N L'autre que devant lui fon empereur fuyait: On croit Céfar bleffé; Ie combat dure eneore Des portes des fept tours au canal du Ëofphore: Le tumuite.la mort, le crime eft dans ces lieiix : Te vicns vous arracber de ces murs odiettx. Si vous avez perdu dans ce combat funefte Un empire, un époux, que la vertu vous refte. J'ai trop vu de Céfars en ce fanglant féjour De ce tróne avili renverfés tour a tour. Celui de Dieu, ma fille, eft feul inébranlable. Irene. On vient mettrelecomble-al'horreurqui m'acca'iïe, Et voila des guerriers qui m'annoncent mon fort. SCÈNE III. IRENE , ZOÉ , LÉONCE , MEMNON, Suite. M e m n o n. Ii. n'eft plus de tyran; c'en eft fait, il eft mort. Je 1'ai vu; c'eft en vain qu'étouff'ant fa colère. Et tenant fous fes pieds ce fatal adverfaire, Son vainqneur Alexis a voulu 1'épargner: Les peuplesdans fonfang bnVaientde fe baiuner. Madame, Alexis regne, a fes vceux toutconfpire* Un inltant a changé le deftin de 1'empire. Tandis que la vicloire en nos heureux remparts Relève par fes mains le tróne des Céfars, Qu'il ranpelle Ia paix, h vos pieds il rn'envoie, Interprête & témoin de Ia pubiique joie. Pardonnes li fa bouche en ce même moment Ne vous annonce ce grand événement: Si le foin d'arrêter le fang & Ie cirnage Loin de vos yeux encor occupe fon courage: S'il n'a pu iappuner a vos facrés genoux "  T R A G E D I E. %% •Des lauriers que fes mains n'ont cueilli que pour vous. Je vole a 1'hipodróme, au temple de Sophie, Aux états afiemblés pour fauver la patrie. N< us allons tons nommerdu faint nom d'empcretrr Le vrai héros de Rome,& fon libérateur. (11 foi t.) Irene. Que dois je faire, ó Dieu! L é o n c e. Croire un père, & le fuivre. Dans ce féjour .de fang vousnepouvez plus vivre Sat.i, vous rendre exécrable h la poftérité. Je fais que Nicéphore eut trop de dureté. Mais il tut votre époux, refpeétez fa mémoire: Les devoirs d'une femme,& furtout votre gloire: ie ne vous dirai point qu'il n'appartient qu'a vous )e venger par le fang, le fang de votre époux; •Ce n'eft qu'un droit barbare , un devoir qui fe fonde Sur les faux préjugés du faux honneurdu monde» Mais c'eft un crime affreux qui ne peut s'expier D'être d'intelligence avec le meurtrier Contemplez votre état. D'un cöté fe préfente Dn jeune audacieux, de qui la main fanglante Vient d'irnmoler fon maitre a fon ambition; De l'autre eft le devoir & la rtligion, Le véritable honneur, la vertu, Dieu lui-même.' Je ne vous parle point d'un père qui vous aime: C'eft vous que j'en veux croire, écoutez votre cceur. Irene. J'écoute vos confeils, lis font juftes, feigneur, lis font facrés; je fais qu'un refpeéhble ufage Preftrit la folitude a mon fata. veuvage. Dans votre afyle fainr je dois chercher Ia paix Qu'en ce palais fanglant je ne connus jamais. J'ai trop befoin de fuir & ce monde que j'aime, Ët fon preftige horrible & de me fuir moi-même, L é >■ N c e Venez donc, cher appui oe ma caducité; üubliez avec moi tout ce que j'ai quitté;  24 I R E N Ë, Croyez qu'il eft encor au fein de Ia retraile Des confolations pour une ame irquiète. J'y trouvai cette paix, que vous chei ehiez en vain-; Je vous y conduirai; j'en connais le chemin. Je vais tout préparer, jurez h votre père Tarle Dieu qui m'amène&dont l'ceil vous éclarre, Que vous accomplirez dans ces triftes remparts Les devoirs impofés aux veuves des Céfars. 1 r e n e. Ces devoirs, ileft vrai, peuvent fembler aufièrcs; T\lais s'ils font rigoureux, ils me font néceffaires. L é o n c e. Qu'Alexis pour jamais foit oublié de vons. Irene. "Quand je doisi'oublier.pourquoi m'en parlez-vous'? L é o n c b. "Ta douleur m'attendrit: ma fermeté s'étonne; |e vois tous tes combats, & je te les pardonne. *Ah! je n'abufe point ici de mon pouvoir; L'inexorable honneur a diöé ton devoir: Crois moi: ne doute pas que Ie ciel ne permette Que le calme renaifte au fein de la retraite: Le'feu des pafiions n'a que quelques inftans: Le prettige bientót cède a 1'abfence, au temps. Et quand 1'illufion eft enfin diffipée, l,a paix rentre a jamais dans 1'ame détrompée. Irene. ïlélas^! quoique bien loin de pouvoir efpérer Cette paix qu'a mon rceur vous ofez afiurer. Je fais que j'aurais du vous demander par grace Ces fers que vous m'offrez, & qu'il faut que j'embraffc, 'Aprèi> 1'orage afTreux que je viens d'eiTuyer Dans le port avec vous il faut tout oublier; J'ai ^aï ce palais lorfqu'une cour flatteufe TM'üffrait devains plailirs & me croyait heureufe: Quand il eft teint de fang je le dois détefter. Eh! quei regret, feigneur, aurois-je a le quittcr? Dieu  TRAGEDIE. 25 Dieu me I'a commandé par 1'organe d'un père: Te lui vais obéir; je vais vous fatisfaire. "j'en fais entre vos mains un ferment foiemnel: Je defcends de ce tröne, & je marche a 1'autcl. L É o n c e. Adieu, fouvenez vous de ce ferment terrible. SCÈNE IK IRENE, Z O É. Z o É. Q.UEL eft ce joug nouveau, qu'a votre cocur fenfibïe Dn père impofe encor en ce jour effrayant? Irene. Oui, je le veux remplir ce rigoureux ferment. Oui, je veux confommcr mon fatal facrifice: Je change de prifon; je cliange de fuppiice. Toi, qui toujours préfente a mes tourmens divers Au trouble de mon cceur, au fardeau de mes fers, Partageas tant d'ennuis, & de douleurs fecrettes, Oferas-tu me fuivre au fond de ces retraites Oü mes jours malheureux vont être enfevelis? Z o É. Les miens dans tous les temps vous font affujettis. Je vois que notre fexe eft né pour 1'efclavage. Sur le tröne en tous temps ce fut votre partage. Ces momens fi brillans, fi courts & fi trompeurs Qu'on nommait vos beaux jours, étaient de longs malheurs: Souveraine de nom, vous ferviez fous un maitre: Et quand vous êteslibre,&que vousdevezl'étre, Le dangereux fardeau de votre diamité Vous replorge a I'inftant dans la captivité. Les ufages, les loix, 1'opinlon pubüque, B  26 IRENE, Ledevcir, tout vors'tient fous un joug tj rannique. Irene, Je porterai ma chaine; il ne m'ell plus permis JD'ofer m'ii.tércfler aux deftins d'Alexis. Je ne puis refpirer ie même air qu'il refpire; Qu'il (bit ad'autres yeux le fauveur de 1'empire, Qu'on ehérrsfe dans lui le plus grand desCélars, 11 n'eft qu'un erimincl a mes tritles regards; 1! n'eft qu'un rarricide, & mon ame elt forcée A chaifer Ak-xis de ma trifte penfée. Si dans )a fulitude oü je vais renfermer Des feminiens iëcrets trop prompts h m'alarmer, Je me reffouvenais qu'Alexis fut aimable, tju'il était un héros; je ferais trop coupable. Va, ma clière Zcé, va preffer mon départ. Sauve-moi d'un féjour que j'ai quitté trop tard. Je vais trouver lbudain le pontife & mon père: Et je marehe fanscrainte au jour pur qui m'éclaire. Ciel! (en voyant Alexis.) SCÈNE V. ALEXIS, IRENE, ZOÉ. (Gcrdes qui fe retirent après avoir mis un tropiite aux pieds d'Irene.) Alexis. Je mets k vos pieds dans ce jour de terreur Tom ce queje vous dois ,un empire & mon cccur. Je n'ai point difputé cct empire funefie. Jl n'était >ien fans vous. La jufliee célefte N'en devait dépouiller d'indignes fouverains Que pour le rétablir par vos auguftes mains. kégnez, puifque je régne; &que ce jour commcnce Won bor.heur, & le vötre, & celui de Bifance.  TRAGEDIE. i-7 Irene. Quel bonhenr cffïoyable! A!i prince! oubüez vous Que vous êtes couvert du fang de mon époux? Alexis. Ah! j'avais trop prévu ce reproche terrible, D'avancc il déchirait cette ame trop fenfible. Entrainé, combattu , partagé tour-a-tour, Tremblant.prefqu'h regrct j'ai vaincu pour i'amour. Oui! Dieu m'en eft témoin, & je le jureencore: Toujours dans Ie combat j'évirais Nicéphore: ]\ rne cherchair toujours; & lui feul a forcé Ce bras dont le deitin; malgré moi, Pa percé»' Ne m'en puniflez pas; & laïfiez-mai vous dire, Que pour vous,non pour moi,j'ai reconquis 1'empire. li efl a vous , madame; & je n'ai confpiié Que pour voir fur vos jours mon amour ralïuré. Mais je veux de la terre elfacer fa mémoire: Que fonnom foit perdu dans 1'éclat de ma gloire : Que 1'empire romain dans fa Félicifé, Ignore s'il régna, s'il a jamais éié. Je fa:s que ces grands coups la première journée Font murmurer la Grèce, & PAfie éionvót: II s'éleve foudain des cenfeurs, des rivaux; «Bientöc on s'accoutume k fes m .itres nouveaux: On adore en tremblant leur puiflance établie; Qu'on ftchegouverner, madame, & tout s'oubüe. Après quelques momens d'une jufle rigueur Que Pimérêt public exüc du vainquetirj Ramenons les beatix jours d'Augufle & de Livie Qui régnèrent en paix fur Ia terre affetvie. Irene, Alexis, Alexis, ne nous abufons pas. Les forfaits & Ia mort ont marehé fur vos pas. Le fang crie, il s'élève, il demande juftice. Meurtrier de Céfar, fuis je votre complice? A l e x t s. Ce fang fauvoit le vfttre, & vous m'en puninesi Ne fuis-je qu'un coupable a vos yeux ofi .ni'és? B 2  28 IRENE, Un dcfpote jaloux , cmel, impitoyable, Graceau (bul nom d'époux.eft pour vous refpeóhble? Ses jours vous font facrés? & votre défenfeur IN'était donc qu'un rebelle,& n'eft qu'un ravifleur ? Contre votre tyran quand j'ofais vous détendre A tant d'ingratitude aurais-je du m'attendre? Irene. Je n'étais point ingrate Un jour vous apprendrés L,es maiheureux eombats de mes fens déchirés. "Vous plaindrez une femme en qui, dès fon enfance, Son cceur & fes parens formérent l'efpér3nce De couler de fes ans 1'inahérable cours, Sous les loix, fous les yeux du héros de nos jours. Vous faurez qu'il en coüte alors qu'on ficrifie A fes devoirs facrés le bonheur de fa vie. Alexis Quoi!vous pleurez, Irene, & vous m'abandonnés! Irene. A nous fuir pour jamais nous fommes condamnés. Alexis. Eh! qui donc nous condamne? une Ioi fanatique, Un refpeft infenfé pour un ufage antique, Embrafle par un peuple amoureux des erreurs, Méprifé des Céfars, & fur-tout des vainquers! Irene. Nicéphore au tombeau me retient affervie. Et fa mort nous (épare encor plus que fa vie. Alexis. Chère & fatale Irène, arbitre de mon fort, Vous vengez Nicéphore, & me donnez la mort. Irene. Vivez.régnez fans moi; rendez heureux 1'empire. Le deftin vous 1'ordonne. 11 veutqu'unautreexpiie. Alexis. Et vous daignez parler avec cette bonté? Et vous vous obftinez a tant de cruauté? Q :e m'offïirait de pis la haine & la colère ? Seiez vous h vous-même a tout moment contraire ?  TRAGEDIE. 29 Un père, je le vo's, vous contrahit de me fuir: A quel autre auriez-vous promis de vous trahir? 1 r s n li . A moi même, Alexis Alexis. Non, je ne le puis croire. Vous n'avez point cherché cette affreufe viétoire. Vous ne renoncez point au lang dont vous fortés j A vos fujets foumis; k vos profpérités ; Pour aller enfermer cette tête adorée Dans le réduit obfcur d'une prifon facrée. Votre père vous trompe; une impruJente erreur Après i'avoir féduit, u 1'éduit votre cceur. C'efi un nouveau tyran, dontlamain vousopprime: ]1 s'immola lui même, & vous fait fa viibme. N'a-t-il fui les humains que pour les tourmenter? Sort-il de fon tombeau pour nous perfecater ? Plus cruel envers vous que Nicéphore même, Veut il kffjlfiner une fille qu'il aimeY Je cours a luL, madame; & je ne prétends pas Qu'il donne contre moi des loix dans mes éra:s; S'il méprife Ia cour, & fi fon cceur 1'abhorre, Je ne fouflrirai pas qu'il la gouverne encore ; £t que oe fon efprit i'imprudente rigueur Pcrfecute fon fang, fon maitre, & fon vengeur. Z o É (qui revient.*) Madame , on vous attend. Léonce, votre père , Le mimftre de Dieu qui règne au finétjiire, Sont prêis a vous conduire avec fécurité Dans i'afyle fjcié, par vous même arrêté. Irene, C'en eft fait, je vous fuis. Alexis. l£t moi je vous dévance. Je vais de ces ingrats réprimer 1'infolence: iM' .fi'iirer h leurs yeux du prix de mes travaux. Et deux fois en un jour vaincre tous mes rivaux. B 3  3° IRENE, SCÈNE FI. IRENE feule. VOe vais-je devenfr! comment échapperai ie Au précipice aff.eux, au redoutaWe piéjie Ou mes pas égarés font «mcïufts malgré moi? Mon amant a tfté mon époux & mon roi r Et, fur ce corps fanglant, cette main forcenée Oie aüumer pour moi Jes flambenux ü'byménée' Jl vetit que cette bouche aux marehes da i'autel Jtre a Ion meurlrier un amour éternel! < ui, je 1'aimais, ö ciel! & mon ame égarée De ce poifon ftital eft encor enivrée. Que voulez vous de moi, dangeretix Alexis? Am mt quS-j'arandonre, amant que je chéris, Me forcez vous au crime? & voulez-vous encore Wt p.'us mon tyran que ne fut Nicéphore? Fin du troifiew Acle>  TRAGEDIE. $T SCÈNE PREMIÈRE. IRENE, ZO É. Z o è. Quoi! vous n'avez ofé, timide, & confondue, D'un père & d'un amant foutenir 1'éntrevue? Ah! madame , en fecret auriez-vous pu fentir De ce départ fatal un jufte repentir? Irene. Moi! Z o É. Souvent Ie daneer dont on bravait I'imajje Au moment qu'il approche, étonne Ie courage: La nature s'effraie; & nos fecrets penchans Se reièveat dans nous plus forts & plus puiflans. Irene. Non,je n'ai point changé; je fuis toujours Ia même; Je ni'abandonne entière a mon père, qui m'aime. II eft vrai, je n'ai pu dans ce fatal moment, Soutenir les regards d'un père & d'un amant. Je ne pouvais parler, tremblante, évanouïe. Le jour fe refufait a ma vue obfcurcie: Mon lang s'étaitghcé; fans force,& fans fecours Je touehais a 1'inftant qui finljTair. mes jours. Rendrai-jegrace aux mains dont je fuis fecourue ? Soutiendraf - je la vie, hélas! qu'on m'a rendue? Si Léonce parajt, je fens couler mes pleurs; Si je vois Alexis, je frémis, & je meurs; Et je voudrais cacher a toute la nature B 4 ACTE IV.  32 IRENE, Mes fentirr.ens, ma crainte, &Iesmaux que j'endure, Ah! que fait Alexis ? Z o É. II veut en fouverain Vous forcer aux autels a recevoir la main. A Léonce, au pontife il s'expliquait en rnaïtre. Dans fes emportemens j'ai peine a le connaJtre. II ne fouffrira point que vous ofiez jamais Difpoferde vous même & fortir du palais. Irene. Ciel, qui lis dans mon cceur, qui vois mon facrifice , Tu ne (öuffriras pas que je fois fa complice! Z o É. Que vous êtes en proie a de trift.es combats! Irene. Tu les connais: plains moi-; ne me condamne pas. Tout ce que peut tenter une faible mortelle Pour fe punir foi même, & pour régner fur elle, Je l'ai fait, tu le fais: je porte encor mes pleurs. Au Dieu dont la bonté changé, dit on, les cceurs. Jl n'a point exaucé mes plaintes affidues: 11 repoufle mes mains vers fon tróne étendues: II s'éloigne. Z o é. Et pourtant, Iibre dans vos ennuis. Vous fuyez un amant. Irene. Hélas! fi je le puis. Z o é. Je vous vois réfifter au feu qui vous dévore. Irene. En voulant 1'étouffer, l'al!umerais-je encore? Z o É. Alexis ne veut vivre & régner que pour vous» I r e n e. Non, jamais Alexis ne fera mon époux. Z o é. Eh bien, fi dans la Grèce un ufage barbare.  TRAGEDIE. 33 Contraire b ceux de Rome, indignement féparè Du refte des humains les veuves des Celars, Si ce dur préjugé règne dans nos rempart*, Cette loi rigoureufe, eft ce un ordre fupreme Que,du hautde fon tröne, ait prononce Dieu niems? Contre vous de fa foudre a-t-il voulu s'armer? Irene. Oui: tu vois quel mortel il me défend d'aun:r. Z o é. Ainfi, loin du palais oü vous fütes nourrie, Vous allez, belie Irene , enterrer votre vie? [ren e. Je ne fais oü je vais. Humains, faibles riutmii», Ré'lons-nous uotre fort? eft - il eutre nos mams? SCÈNE IL IRENE, ZOÉ, MEMNON. M e m n o n. J'apportf. a vos genoux les vieux de eet empire. Tout le peuple, madame,en ce grand jourin. afplrse Qu'h vous voir réunir par un nccud glorieux Les reftes adorés du fang de vos aïeux. Confirmez le bonheur que le ciel nous envoie: Réparez nos malheurs par Ia publique joie: Vous verrcz h vos pieds le fénat, les états, Les députés du peuple, & les chefs des foldats, Solliciter, preffer cette union chérie, D'oü dépend déformais le bonheur de leur vie» Affurez les deftins de 1'empire nouveau, Endonnant des Céfars formés d'un fang fi beau: Sur ce vceu général que ma voix vous annonce, On attend qu'aujourd'hui votre bouche prononce j Et nul vain préjugé ne doit vous tetenir. B 5  3+ IRENE, PénfTe du tyran jufqu'h fon fouvenir! (j/ fort.) Irene. E'i bien! tu vois mon fort! fuis-je afTez malbeureufe ? Ce vain projet rendra ma peine plus affreufe. -De ceder a leurs voeux il n'eft aucun efpoir. SCÈNE III. JRENE, LÉONCE. L é o n C e. M a fille, il faut me fuivre, & fuir en diligence Ce féjour odieux fatal a 1'innocence. Ceffez de redouter, en marcbant fur mes pas, Les efforts d'un tyran qu'un père ne craint pas. Contre ces noms fameux d'augufle, d'invincible, TJn mot au nom du Ciel eft une arme terrible: Et la religion, qui leur commande a tous, Leur met un freiu facré qu'ils mordent h genoux. JVIon cilice, qu'un prince avec dédain contemple. L'emporte fur ft pourpre, & lui commande au temple. Vos honneurs avec moi plus sürs&plus conftans, Des volages humains feront indépendans. ]!s n'auTont pas befoin de frapper le vulgaire Par 1'éclat emprunté d'une pompe étrangere. Vous avez trop appris qu'elle eft a dédaigner. C'eft loin du tróne enfin que vous allez régner. Irene. Je vous 1'ai déja dit: fans regret je le quitte. Le nouveau Céfar vient; je pars, &je 1'évite. , OHe fort.) L e o n c e, Je ne vous quitte pas,  TRAGEDIE. 35 SCÈNE IV. ALEXIS, LÉONCE, Alexis. C'en eft trop, arrêtez: Pour la derniere fois, père injufte, écoutez: Ecoutez votre manrc h qui le fang vous He, Et qui pour votre fiile a prodigué fa 'ie, Celui qni, d'un tyran, vous a tous délivrïs, ,Ce vaioqueur malheureux, que vous défeipéres» Le fouverain facré des autels de Sophie, Dont la cabale altiére h la vótre eft unie, Contre moi vous feconde, & eroit impunement, Ravir au nom du ciel Irene a fon amant. Je vous ai tous fervis, vous, Irene, & Bifance: i Votre fiile en érait la juftc récompenfe: Le feu! prix qu'on devait h mon bras, a ma foi: Le feul objet enfin qui föit digne de moi. Mon cceur vous elt ouvert, cv vous five/. li j'aime, Vous venez m'enlever la moitié de moi-même: Vous qui dès le berceau nous uniffant tous deux D'une main paternelle aviez formé nos nceuds; Vous par qui tant de fois elle me fut promile, Vous me Ia refufez, lorfque jè'l'ai ccnquife.' A trabir fes fermens c'eft vous qui fa forcez, Brrbare! & c'eft a moi que vous ia raviliez! Sur eet hetireux Hen, devenu nécefiaire, Injuftement 1'objet d'une rigueur auftere, Sourd a la voix publique, .oubliant mon devoir, L'amour & 1'amitié fondament tout mon efpoir. Ne vous figurez pas que mon cceur s'en détache. II faut qu'on me la cède . ou que je vous l'arrac ie. Embraffez un fils tendre. & né pour vous chcrir. C 6  36 IRENE, Ou craignez un vengeur armé pour vous punir. L É O N C E. IVe foyez 1 un ni l'autre; & tachez d'être jufle. Rapkiement porté jufqu'h ce tróne augufle, IVléritez votre gloire. Ecoutez-moi, feigneur: Je ne puis ni fhtter, ni craindre tm empereur: Je n'ai point déiérté ma retraite profonde Pour livrer mes vieux ans aux imriguesdu monde; Aux paffions des grands, a. leurs vceux emportés:. Je ne pms qu'annoncer de dures vérités. Qui nefertquefon Dieu, n'enapointd'autre„dire. je vous parle en fon nom comme au nom de 1'empire. Vous êtes aveuglé; je dois vous décotwir Le crime, & ies dangers oü vous voulez eourir. Sachez que fur la terre il n'eft point de contrée-. De nation féroce, & du monde abhorrée, De climat fi fauvage. oü jamais un moneï D'un pareil facrifice osai fouiller 1'autel. Ecoutez Dieu qui parle, & la terre qui crie: ,, 'fes mains a ion monarque ont arrachè la vie: „ N'époufe point fa veuve." Ou fi de cette voix Vous ofez dédaigner les éternelles loix, AUez ravir ma fiile, & cberchez a lui plaire, Teint du &ng d'un époux, & de celui d'un père. Irappez. A L E X T S. Moi vous frapper! Ah! malgré mon courroux Ce cceur que vous percez s'eft attendri fur vous. La ctireté du vötre eft-elle inaltérable' J\e verrez vous dans moi qn'un ennemi coupable h Et regretterez- vous votre perfécuteur Pour élever Ja voix contre un libérateur? Oui! je Ie fuis, Léonce; & perfonne n'ignoreA quel Ie cruauté fe porta Nicéphore. Mon bras a 1'innocence a dü lervir d'appui: Détröner le tyran , fans m'armer contre lui Tel était mon defli-in, fa fureur éperdue A pourfuivima vie, &j> 1'ai défendue.  TRAGEDIE. 3? Si malgré moi ce fer a pu trancher fon fort; C'eft le fruit de fa rage, & le crime du forr. Tendre père d'Irene ! helas! foyez mon père. D'un ju^e fans pitié quittez le caraótère. JNe facrifiez point & votre fiile & moi. Aux fuperftitions qui vous fervent de ]oi: JN'en faites point une arme odieufe & cruelle; Et ne 1'enl'oncez pas d'une main patemelle ._Dans ce cceur malheureux qui veut vous révérerEt que votre vertu fe plait k déchirer. Tant de févérité n'eft point dans Ia namre. D'uri affreux préjugé laiflez-la 1'impofture: Ceffez L é o n c e. Dans quelle erreur votre efprit eft plongé! La voix de 1'univers eft-elle un préjugé? A i. e x i s. Vous difputez, Léonce; & moi je fuis fenfible, L é o n c e. Je le fuis comme vous. Le ciel eft inflexible. Alexis. Vous Ie faites parier; vous me forccz crue!, A combattre a Ia fois & mon pere & le ciel. Plus de fang va coukr pour cette injufte Irene Que n'en a répandu i'ambition romaine. La main qui vous fauva n'a plus qa'h fe vengeri Je détruirai ce temple oü 1'on m'ofe omragen Je briferai 1'autel Öéfendu par vous-même, Cet autel en tout temps rival du diadême, Ce fatal infirument de tant de paffions, Charf.é par liiös aïeux de 1'or des nations, Cimenté de leur fing, entouré de rapines. Vous me verrez, ingrat, fur ces vaftes ruines, Del'hymen qu'on réprouveallumer lesflambeauri Au milieu des débris du fang & des tombeaux. L é o n c eVoila doncles horreur oü la grandeur fuprême, Alorsqu'elle eft fans frein s'abandonne eüe-même? fi 7  38 IRENE, Je vous plains de régner. " Alexis. Je me fuis emporté, Je le fens, j'en rougis: mais votre cruauté, Tranquille en me frappant, barbare avec étude, Infulte avec plus d'art & porte un coup plus rude. Retirez-vous, fuyez. L é o n c e. J'attendrai donc, feigneur, Que 1'équité m'appelle & parle a votre cceur. Alexis. Non, vous n'attendrez point, décidez tout a 1'heure S'il faut que je me venge, 011 s'il faut que je meure. L é o n c e. Voila mon fang, vous dis-je; & jel'offrea vos coups. Refpeétez mon honneur; il elt plus fort que vous. (// fort.) SCÈNE V. A L L' X I S feul. Q.ue Léonce eft beureux! affis fur Ie rivage II regarde en piiié ce turbulent orage, Qui de mon trifte regne a commencé le cours. Sa malheureufe fiile empoifonne mes jours. Sa faiblefié m'immole aux erreurs de fon père, Aux difcours infenfés ci'un aveugle vulgaire. Ccux en qui j'efpériis font tous mes ennemis; 1'aime) je fuis Céfar. & rien ne m'eft foumisl Quoi! je puis fans rougir dans les champs du carnace, Lorfqu'un Scythe, un Germain fuccombe a mon courage: Sur fon corpstout fanglant qu'on apporte h mres yeux Enlever fon époufe k la face des Dieux, Sans qu'un prêtre, un foldat ofe lever la tête:  TRAGEDIE. 39 Aueun n'ofe douter du droit de ma conquête: Et mes concitoyens me défendront d'aimer La veuve d'un tyran qui voulut 1'opprimer! Ah, c'eft trop en fouffrir, perfécuteurs d'frene Vous qui des paffions ne fentez que la haine! Laiffez-moi mon amour, rien ne peut arracher De mon cceur éperdu, 1'efpoir d'un bien Ji ener Malgré le fanatifme, & la haine, & 1'envie Je faurai m'affurer du bonheur de ma vie. Fin du quatrieme Afte.  40 IRENE, ACTE V. SCÈNE PREMIÈRE. ALEXIS, ZOÉ. Alexis. Enbien .chereZoé, que venez vous m'apprendre? Z o É. Dans fon appartement, gardez vous de vous rendre : Léoi ce & le pontife épouvantent fon cceur: Leur voix (liinte & terrible y porie la terreur: Gémiflante a leurs pieds, tremblante, évanouie, Mos triftes foins a peine ont rappelié fa vie. Du palais des Céfars ardens a 1'arracher Dans Ia tombe d'un clottre ils vont enfin cacher Du refte de la terre Irene abandonnée. Des veuves des Céfars telle eft la deftinée. On ne verrait en vous qu'un tyran furieux , Un foldat facrilege, un ennemi des cieux; Si, voulant abolir ces ufages finillres. De la religion vous braviez les mjniflres. L'impératrice en pleurs vous conjure a genoux De ne point écouter un imprudent courroux; De la laifler remplir ces devoirs déplorablcs, Que des maïtres facrés j'ugent inviolables. Alexis. Des maitres oü je fuis! j'ai cru n'en avoir p'ns! (Les gardes paroiffent, Memiwn h leur iête.~) A moi gardes, venez, mes ordres abfolus Sontque, de cette enceinte,aucun mortel ne forteQu'on foit armé par tout, qu'on veüle a cetteporte:  TRAGEDIE. 41 Allez. On apprendra qui doit donnar Ia loi: Qui de nous ett Céfar, ou Ie ponrife, ou moi. Et vous Zoé, remrez; avertinez Irene Qu'elle eft impératrice, & qu'elle s'en louvienne. (_<, Msmnon.) Ami, c'eft avéc toi qu'aujoürd'hui j'entreprends De brilér en un jour ious les feis des tyrans. Nicéphore eft tombé; challbns ceux qui nous reftenr, Ces tyrans dis efprits que mes chagrms déreftent. Que Le pere d'Irene a i'inftar arrêié Refte dans Ie palais cunime moi relpeóté; Mais que, fans voir fa fiile & coniraint au filence, ]1 ne féduife plus les peuples de Bifance Que eet ardent pontife au palais foit gardé. Un autre plus foumis par raon ordre eft mande-, j Qui fera plus docile a mavoix fouvetaine. Conitantin, Théodolé, en ont trouvé fins peine;. Plus criminels que moi dansce même féjour, Les cruels n'avaient pas 1'excufe de 1'amour. M e m n o n. Je hais autant que vous ces cenfeurs intraitables, )ans leur auftérité, toujours inébranlables: Ennemis de 1'état, ardents a tout blamer: Tyrans de la nature, incapables d'aimer. Alexis. A ce pofte important, non moins que diffleile, j'ai penfé mürement, tu peux être tranquille: Toi qui lis dans mon cceur, il net'eft point fufpeéh Pour la religion tu connais mon refpeét: J'ai faitchoix d'un mortel, dont la douce faaeffe Ne mettra dans fes foins 1'orgueil ni la rudelTe: Pieux fans fanatifme, & fait pour s'attirer Les cceurs que fon devoir 1'oblige d'éciairer r Quand des miniftres faints tel eft le caraétere, La terre eft a leurs pieds, les aime & les revere» M e m n .0 n. Les ordres de Pétat, avilis, abaitus. Vont être relevés, feigneur, par vos vernis.  42 IRENE, Mais fbngez que Léonce efc le père d'Irene: Et, quoiqu'd aic voulu ia farmer pour la haine, Elle chérit ce père; & même pour anpui Jrene en ce grand jour après vous n'a que lui. Pardonnes; mais je crains que cette violence Na (bit, au cceur d'Irene, une éterne'le offenfe. Ménagez fes efprits par Ia crainte égarés. Vous ia voulez fléchir, vous la défefpérez. Alexis. II eft vrai. Mais veux-tu que je faifïeauprèsd'ella Un farouche énnemi de ma grandeur nouvelle, Un ftoiqne inflexible, un maitre impéricux Qui lui reprochera le pouvoir de fes yeux ? Qui lui faifark fur-tout un crime de me plaire, Et tournant h fon gré ce cceur fimple & fincere Gouvernantfa faibleffe, & trompant fa candeur, Saura 1'accotitumer h m'avoir en horreur? Je veux régner fur elle, ainfi que fur Bifance, La couvrir des rayons de ma toute puifiance: Et que ce maitre altier, qtii veut donner la lor, Kefpeéle enfin fa fiile, & la ferve avec moi. (Memnon fort Zoé arrivé.') SCÈNE II. ALEXIS, ZOÉ. Zoé. Refusant d'écouter un avis falutaire, Vous offenfez Irene en la privant d'un pere. Alexis. A ce vieillard cruel on va reudre du moins Ce qu'on lui doit ici de refpeóls & de foins; Et fa fiile un moment dérobée a fa vue,  TRAGEDIE. 43 Dès qu'elle aura parlé fera fotidain rendue. Gériéreufe Z(é, vous fivez mes defl'eins, Et tout cc que j'efpere, & tout ce que je craics.' Je n'ai point ordonné qu'une ódieufe iéte Au temple du Bofphore avec éciat s'apprètc: Je b'infuiterai point a ces préventions Que le temps enracine au cceur des nations. j'ai voulu préparer eet hymen eü j'afpire, Loin du peup'e importun, qu'un vain fpeéhble attire. Vous connaiff.'z 1'autcl qu'éleva dans ces lieux Avec limplicité Ia main de mes aïeux: N'admettant pourgarants de la foi qu'on fe donne, Que deux amis, un prèrre, & Ie ciel qui pardnnne. L'eft-laque.devant Dieu,je veuxdonner mon cceur. Eft - il indigne d'elie? infpire-t-il 1'horréur? Dites-moi par pitié ii fon ame agitée, Aux offres que je fiis, recule épouvantée: Si mon empreffement ne peut que 1'indigner: Enfin fi je 1'offanfe en la faifant régner? Z o É. Ce matin, je 1'avoue, en proie h fes alarmes Votre nom prononcé faifait couler fes larmes: Mais, depuis le moment oü fon pere a parlé, L'ceil fixe, le front pale, & 1'efprit accablé, EHc garde avec nous un farouche filence: Son cceur ne nous fait plus la trifte confidence De fes troubles fectets & de fes déplaifirs: Sesyeuxn'ont plus de pleurs, &fa voixde foupirs. De quelque grand deffein profondément frappée, Son ame toute entiere en parait occupée. A nos empreffemens elle n'a répondu Que d'un regard mourant, d'un vifage éperdu, Ne pouvant repouffer de fa fombre penfée Le douloureux fardeau dont elle eft opprefféc. Mais, ou mon ceil me trompe, ou jufqu'en ce féjour, Je la vois s'avancer par ce fecret détour.  44 IRENE, A l f. x i s C'eft elle-même, ö ciel! Zoé. Elle paraït troublée: Sa vue a notre afpecï montre une ame accablée; Elle avance vers vous, mais fans vous regarder: Je ne fais quelle horreur femble la pofféder. Alexis. Irene, efr-ce bien vous? Quoi! loin de merépondre A peine d'un regard elle veut me confondre! Irene, QUn des foldals qui Paccompagnent, lui approche un fauteuil.) Un (lege. Je fuccombe. En ces lieux écartés, Attendez-moi, foidats. Alexis, écoutez. SCÈNE III. ALEXIS, IRENE, ZO E. Irene. Je reviens vous chercher,& n'en fais point d'excufe. Sur mon intention je crains peu qu'on m'accufe: Et 1'on faura bientót fi j'ai dQ vous parler: D'un reproche affez grand je puis vous accabler: Mais je fins commander h ma jufte colere. Teint du fang d'un époux vous m'enlevez un pere, Vous cherchez contre vous encore a fjulevcr Cet empire, & ce ciel que vous of z braver. Je vois femportement de cet affreux déu're, Avec cette pitié qu'un frénétique infpireEt je ne viens a vous que pour v0us retirer De 1'effrayant abime oü je vous vois entrer. Je plaignais de vos fens 1'aveuglement funefte: On ne peut le guérir. Un feu! parti me refte. Allez trouver mon père: obtenez ion pardon.  TRAGEDIE. 45 Revenez avec lui. Croyez que la raifon, Le devoir, 1'amitié, 1'intérêt qui nous lie, La voix du fang qui parle h fon ame attendrie, Rapprocheront trois cceurs qui nes'accordaient pas. Un moment peut fim'r nos malhcureux débats. Allez. Ramenez-moi Ie vertueux Léonce. Sur mon fort avec vous je confens qu'il prononce. Fuis- je y compter? Alexis. J'y cours, fins rien examiner. Ah', fi j'ofais penfer qu'il put me pardonner, Je mourrais a vos pieds de 1'excès de ma joie: Je vole aveuglement ou votre ordre m'envoie: Je vais tout réparer; oui, malgré fes rigueurs, Je veux qu'avec ma main fa main féche vos pleurs. Vous 1'avez entendu; Ie bonheur oü j'afpire, Fait le bien de 1'état, la gloire de 1'empire: lVlais du vceu général loin de me prévaloir, A vous, a mon amour je voulois vous devoir. Irene, croyez-moi, ma vie eft deftinée A vous faire oublier cette affreufe journée. Votre père adouci ne reverra dans moi, Qu'un fils tendre & foumis, digne de votre foi. Si trop de fang pour vous fut verfé dans laThrace, Mes bienfaits répandus en couvriront la tracé: Si j'offenfii Léonce, il verra tout 1'état Jixpier avec moi cet indigne attentat. Vous régnerez tous deux: ma tendrefTe n'afpire Qu'a laiffer dans fes mains les rênes de 1'empire. Oui, mon cceur fe partage entre vous, Irene; & je reviens fon fils, & votre époux. (II fonO Irene. Suivez ies pas, Zoé. Vous qui me fütes chere, Vous le ferez toujours.  46 IRENE, SCÈNE IV. Irene (fe levant.) E h bien , que vais-je faire ? ]e ne le verrai plus! tandis qu'il me parlait, Au feul fon de fa voix tout mon cceur s'échappait. II te fuit Alexis. Ah ! fi tant de tendrefie, Par de nouveaux fermens attaquait ma faibicffe, Cruel! malgré les miens, malgté le ciel jaloux, lUal^ré mon pere & moi tu ferais mon époux Qu'as-tu dit, malheureufe! en quel piege arrêiée, Dans quel goulfre d'horreurs es - tu précipitée? Regardc autour de toi; vois ton mari fanglaut, Egorgé fous tes yeux des mains de ton amant. 11 était après tout ton niaitre lé^itime: L'image de Dieu même! il devient ta vitStiaiel Vois fon fier meurtrier le jour de fon frépas, Elevé fur fon tröne, & volant dans tes bras! Et tu 1'aimes, barbare ! & tu n'as pu Ie taire! Dans ce jour effrayant, de pompe funeraire Tu n'attends plus que lui pour étaier 1'horreur De tes crimes fecrets confommés dans ton cceur. K va joindre a ta main fa main de fang fumante! Si ton père épcrdu devant toi fe prélénte, Sur Ie corps de ton père il te faudra marcher Pour voler a 1'amant qu'il te vient arrachcr! (Elk fait quelqucs pas.) Nature, honneur, devoir, religion facrée! Vous me parlez encor: & mon ame enivrée Sufpend a votre voix fes vceux irréfolus! (Elle revient.) Si mon amant parait, je ne vous cntends plus. Dieu que je veux fervir! Dieu puiffantquc j'outrage ! Pourquot m'as-tu livrée a ce cruel orage!  TRAGEDIE. 47 Contre un faible rofèau pourquoi veux tu t'armer? Qu'ai-je fait ? tu leiais, tout mon ciimeed d'aimer. (elle fe rojfied.) Malgré mon repentir, malgré ta loi fuprême, Tu vois que mon amant 1'emporte fur toi même. 11 regne, il t'a vaincu dans mes fens obfcurcis. (elle fe releve,) Eh bien! voila mon cceur, c'eft-Ik qu'eft Alexis. (elle the un poignard.) Je te venge de lui. Je te le facri'fie. Je n'y puis renonccr qu'en m'arrachant Ia vie. (elle fe frappe, tombe fur un fauteuil.') SCÈNE DERNIERE. IRENE mourante, ALEXIS, LÉONCE.' Alexis. Je vous ramene un père: & je me fuis flatté Que nous pourrions fiécliir fa dure auftérité. Que fa juftice enfin,me jugeant moins coupable, Daignerait. Jufte Dieu! quel fpeétaele effroyable! Irene! chere Irene! léonce. O ma filie! ö fureur! Alexis. (fe jcttant 4 fes genoux.) Quel démon t'mfpirait? Irene, (è Alexis.) (h Léonce.) Mon amour, votre honneur, J'adorais Alexis, & je m'en fuis punie. (Alexis veut fe Uier, Memnon l'arrite.) léonce. Ah! mon zele funefle eut trop de barbarie. Irene (leur iendant les mains.) Sou venez- vous de moi,... plaignez tous deux mon fort.  48 IRENE, &t. Ciel! prends foin d'Alexis: & pardonne ma mort. Alexis (d genoux d'un cöté.~) Irene! Irene! Ah Dieu! Léonce (de l'autre cêté è genoux ) Déplorable viétime! Irene. Pardonne, Dieu clément; ma mort eft-elle un crime ? FIN.