LEGAAT Mr. P. A. BRUGMANS, OVERLEDEN 1 1'amour du de 'humaiS d\S é,émens' Ja ProtcflricS dé»r?d£d,l'i 6 ^"Phe ^ la ci vilifation ; étoic treï malfaif^ ^V°rée Par un P"i t nombre d'ê- ^tt^htó f »e vafterégion, Ia nlnmN ,FCIUue> 'a te te courbée fous un oue de la bouche h nï , char8és de fers , le baillon i fottife, trafiquée par 1'avarice, perfecucée enfin Pp» ürató sas?-par 'e me°^°& les rebu ts les mépris & la perftcutiodes méchan» beureux. La probitéétoiclechemindefaSfn la fnponner.eceluidelafortune. L'agricuftéïï* dl merce ' TP°k C0UVert d'oppröbre ; ?wml meice ne prefentoit qu'un champ de briBanda-e & de mauvajfe foi Dans les tribunaux, uTiulf mens fe vendoienc a front décou vert & au nlS nf nu' A^Tf> I'oppreffion avoientuüï W du Avec de 1'or ou un nom, vous frappiez JeftS pre,l'h„mi„E & les IJöfeEi,  5} P R É F A C E* celui qui comptoit le plus de viclimes fur fes röMesv Les arts, avilis fous le patronage des tyraps, de» fripons & des fots, n'avoient que le choix de I» mifere ou de 1'infamie. Le grand n étoit qu un opïreffeur fans pitié; le petit, qu'un opprimé fans rouraee- les héros prétendus, que des fourbes XS! ou des pervers infolens; lefoldat, qu'u? efclave dêpouillé de toutes fesfacultéshumaines. La noblefle étoit devenue un charlatanisme; le genie, un ridicule; 1'énergie, un crime; le; mot de liberté, unblasphême; lapuié, hypocnfie, 1 egoïsme, doftrinepublique; la pudeur, gnmace, la vertu, rien, & 1'argent, tout. Eh bien ! c'eft du jour marqué par la nature des chofes comme le dernier période de cebouleverfement, comme le maximum du mal; c eft du centre de eet é dépravation, c'eft une année avantla revolution, qu'un homme s'éleve pour nous afTurer . que nos maux fe réiluifent a riet)'. Êt'qu'ii a grand lujot de dire :toutestbien (i). Hé' iufteDieu, pour comblerlamefuredunial, ïl fallóit donc qu'il s'en trouvat un panégyrifte! Tl falloit aux heureux du fiécle un encouragement è fe pardonner leur dépravation, leur égoïsme èc leur tvrannie! . „ . .. Te 1'avouerai, jamais je n'ai pp, fans indignation, entendre 1'Optiraifte de M. Colhn. Je n ai noint eu de repos que le théaire n'ait etê armé d une morale fpécialement contraire aux principes de eet duvraee C'eft pour les retorquer & en diminuer 1'influence, autant qu'il étoit en moi, que j'ai compofé le Philinte de Molière, ou la suite du MlSANTROPE. 11 ne s'agit pas ici précifément de MT Colhn: laiiTons Tart & 1'artifte de cöté; il :s'agit du fonds de fon ouvrage & de fa doftrine deteftable Certes il n'v a uoint a fe vanter de fon talent, quand 51 d'evient la derniere pierre jettée a1'humanite; \i) Opnmifle, l&e 5, fecne derniere.  P R £ f A C t, flj quand II n'enfante que des fophifines deftrufteüri de Ja pitié; quand il fait une blelïure mortelle k a P^/V ff te[eR le Venin réP j«gés tels par M Collin, carPuHviLLK pouvoit naüre payfan, & alors la conféquence eft claire, il n'eut pa^ été hêureux. Pour l'ecre, il falloit qu'il fut gen tilhomme. Ainfï ce n'eft pas despuyfans qu'il sera- ?uf1 1 "e 1>eft pas' le voi,a co«Ah! M Collin, vous faviez bien a qui vous aviez a montrer votre Comédie. A quoi vous fert eet amour des champs dont vous nous rimez tantles délices! Lt puis fiez-vous aux tendres paftorales desPoetesJuivant la Cour. Quant a la gentilhomanie du héros de M. Collin ne vous figurez pas que la rime lui hit impofé cê princpe extravagant; car un peu plus loin, lorsquil veut égayer les chagrins de fon ami, dans J enumeration des avantages que eet ami poffede, il ne manque pas de lui dire: Vous avez, comme mui, naissance, bien, Tante- (2). Er*? f,onc.^,air CO Molière, Mifantrope, acte a. * 4  viij P R É F A C E. La noblefle eft-elle donc un vice? non: maïs bien 1'orgueil. Que fera-ce de 1'infpirer, dele natter, de le fervir? La noblefle héréditaire n'est pas la feule chofe qu'exige M. Collin pour être cor.tent de tuuti il veut encore la richeffe: avec ces deux moyens, il vous montre combien il vous ferafacile de trouver que tout eft pour le mieux dans ce monde. Sa propofition n'eft pas douteufe. Plinville. On eft vniment heureux d'otre né dans l'aifance. Je fuis émerveillé de ceite proviilence, Qui fit naitre le riche aaprès de 1'mdigent (i). Le fage,l'obfervateur & le malheureux avoient toujours penfé que le crime feul, fous 1'afpecl: multiplié de la cupidité, de la tyrannie & de 1'injuftice, avoit f.,it naitre le riche auprès de 1'indigent. M. Collin raffure les riches, & les invite a fe tranquillifer fur la difproportion qui pourroit les frapper quelquefois en dépit de leurs palïïons, en leur apprenant que ce n'eft que par 1'effet de JaProvidence qu ils font riches, c'eft-a-dire, de droit divin & par la grace de Dieu. En fait de politique,a-t-on jamaisécrit de niaiferie plusfaulTe? en fait d'humanité, de maxime plus barbare? Et en quel autre voifinage penfe donc M. Collin que pourroit naitre le riche, fi la Piovidence ne s'en mêloit pas, fi ce n'eft auprès de 1'indigent? Connoït-il un peuple fur la terre, chez lequel il foit des indigens fans riches, & des riches fans in. digens, liés néceffairement h cóté les uns des autres par une conféquence inévitable de la chofe même? De quoi s'émerveille-t-il? mais le vrai de 1 admiration de M. Collin, c'eft que plus une difproportion eft inique, plus on fent de plaifir a trouver une ombre de droit qui la fonde, & fur cepoint,les riches ne font pas difficiles. Croyez (i) Opümifte, aéle i, fceae U.  P R É F A C E. ix «me 1'article poécique de M. Collin leur a parur extrait de la loi naturelle ;& voila comme onraifoune, quand on veut être trouvé charmant par un noble, & fenfible par un riche. On fera peut-être étonné que M. Collin puifle ioutenir que tout eft bien en tracant le nom de riche, & lur-touc celui d'indigent? il vous répond fans facon: L'nn a tielbin cie bras, Paiitrc a befufri d*ar«erft. Aiuli tout elt fi bien arntii^ dans la \ie ° Que la moiué du monde eft par 1'autre Cc'rvie Ci). II ne pouvoic pas mieux, ce me femble, vous dire fa facon de penfer fur Je fyftème de nosfortunes, dont les maximes fontqu'il eft de droit que les gcns-comme-il-faut foient maïtres de tout & dans 1 abondance; & que c'eft è ce qu'ils apellenc la canaiU a travailler fi elle veut vivre On pratend mémc que fous 1c regnedu feu Roi, il fut prouve au Confeil, lors de la perfécution contre Jes mendians, qu'il leroit dangereux que le peuple fut a fon aife, 6c Pon pouffa Je calcul jVqu'a determmer que cmq fols par jour devoient fuffire a chaque manant. C'étoit dire, le refte eft k nous: prenons, & Pon a tout pris. Cette maniere de tenir le peuple en efclavage eft profonde & fur. tout heureufe, comme les nobles & les riches dc-ivent s'en appercevoir. Mais quelques mois avant Ja révolucion,il étoit bien doux pour les deux ordres riches, qui fe crovoient bien plus de la moj. tie du monde, de dire au tiers-état: Ainfi tout eft fi bien airanjjé dans h vie Que la mohié du monde eft par l'autre fèrvie. _ On yoit que Ia providencc de M. Collin eft d'une mvencion admirable pour ceux qui ont eu Phabi. Jeté de fe palier d elle. Après s'ctre extafié fur les propofïtions qu'il avance,! auteur de l'Optimiften'agarded'oubüer CO Optirniftc, aéte i, fcene 8. * 5  x Préface. d'en faire I'application On peut étudier, dansl'ou-' vrage mème, la dextérité qu'il emploie a rendre cette application le moins choquante, pour en taire profpérer plus imperceptiblement Vtnde mali labes, & en défigner les conféquences, vers iesquelles il marche a pas de loup. Voyez d abord comme il multiplie les fophifmes pour jetter route la faveur de 1'opinion fur les clalTes conltituees en puiffance & en richeiïe, afin d'en induire que les opprimés ont tout-a-fait tort de fe plaindre. Pica Rn, laquais de Plinvilh, h fon matlte. Pomquoi ne fuis-je pas de la moitié qu'on ieitl P l i n v i l l e. Paree que tu n'cs pas de la moitié qui paie (l> Ou'eft-ceadire,M. Collin! quoü lepeupletouiours opprimó, toujours dévoré, & dans lescamna^nes, oh comme Tantate entouré desfruitsde a terre & des bienfaits du ciel, il languit & pent de faim & de mifere ; & dans les atteliers, oh des rrnlliers de néophites en nobleffe, & de voleurs furdorès trafiquent & brocantent fa fueur, fes veilles, fon intelligence & fon génie; & dans les armées, ou des fripons k plume & a glaive ont combine les cent mille manieres de rogner fa chetive iolde;öc dans les antichambres, oh Princes maltotiers & publicains de cour, viennent rapiner les fruits de fon efclavage & le produit net de fon ame depravée & vendue. Quoi ce peuple n'eft pas de la moitié qui paie? êtes vous infenfé, ou le plusdanoereux des fophiftes ?Et dices-moi ? cette innombrable lifte d'impóts indirects qui écrafent lemalheureux & n'enrichiffent que 1'opulent, fans 1 asfouvir; & ces aides, qui rendent la bouteille de vin du pauvre plus chere du pair au pair que la cave entiere d'un Fermier général; & ce chemin incrufté par 1'indigence & foulé par la molefle; & cette pourpre, ces lames d'or, ces tiüus de loie, (i) Optimifte, afte i, fcene 9.  P R É F A C E. Xj ces glacés lubriques, fabriqués par des cadavres, & ramafles, entallés en jouiflance par nos fibarites; & ces armées, ces chaines vivantes&réciproques, hébétées par les agens miniftériels; & ceslégions de valets dont Ia loterie & 1'agiotage abufentPespérance pour efcroquer leur falaire; quoi! ces cho. les, & tant d'autres de la mcme elpece, ne vous ont pas appris, M. Collin, que la moitié qui fert eft précifément la feule moitié qui pave? Le brigand qui, après m'avoir dépouülé, 'battu, meurtri & lié les bras au coin du bois,me coiuraindroit a porter fon bagage & a charger fa carabine pour un morceau de pain qu'il me donneroit, eft pftfcifément Pimage de votre moicié fervie. VoilaiTl vènté, M. Collin. Refpecïez Pinfortune, alors Vous ne direz plus: I'linville. • 1 11 n'elt autour de moi Pas un feul pauvre (i), Aflertïon cruelle! que je démens formellement. Je vous défie, en parcourant la Franceen tout fens, d'enjamber cent pas géométriques d'une pofleiïïon. a Pautre, fans trouver, non pas un feul-pauw, maisune multitude de pauvres, & toujours en proportion accrue du nombre de riclies & de la fomme de leurs richeffes. Telle étoit la jongleriedes JMiniftres de Louis XV. Ils faifoient recruter & folder des miférables endimanchés , pour venir jouer des fcenes deprofpérité fur le pafiagédê ce Prince. O! que le Monarque avoit bonne grace è dire: ,, 11 n'eft autour de moi pas un feul pauvre." Au bout de ces triftes argumens, qui ne font bons qu'a défefpérer Pinfortuné dont on cache les miicres,& qu'a étouffer la pitié des gens heureux-, a qui on met un bandeau fur les yeux, fi quelou'. hommedu peuple, navré d'une longuefouffrance, s'obftinoit k s'élever contre Ie fyftême de POprimifte,& lalTé de fon efclavage,s'avifoit de dire: O) Optiinifte, afte j f fcene 10.  xii P d F A C E* Voila cc qui me fiche, Je remplis dans le monde une pénible taclie; Ec depuis cinquamc ans (i; M. Collin, qui ne veut pas qu'on fe plaigne, &qui, femblable au médccin Sganarelle, prétend que lorsqu'il a bien bu cf bien mangé . tout Le monde Joit faoul dans la maijon (a), répondroit: A Tu devi-ois, en ce cas , Etre fait au fcrvice (s). Réponfe aufii ridicule que barbare, & cependant lajinémeque j'entends faire tous les jours du grand |Bu petit & du fort au foible, depuis vingt ans que j'obferve les hommes. Et a cette réponfe niailé, on rit; afcendant terrible del intérèt perfonnel & de la pareffe humaine a fecourirfon femblable! influence puiffante quoiqu'imperceptible, d'une repréfent3tion théatrale! onrit! ah! fichaquefpectateur fcrutoit le fond de fon dme , il fentiroit que fon rire, en ce moment, n'efi: autre chofe que le charme cruel qu'éprouve 1'égoïsme a fecouer tout ce qui le dérange ou le fatigue. De ce rire univerfel on fe fait une approbacion du partiquel'On trouve le plus facile 6c le moins coüteux a prendre ; & dans cette fituation , gracieufement impitoyable, oh s'agencent aifément les ames foibles ou corrompues, on répond facilement aupauvre: Tu es fait a la mifere;" au prifonnier qui 1'eft depuis longtems, ,,tu dois étre habitué a ta captivité, tufouffres moins;" au villageois plaidanten vain depuis dix ans pour fon patrimoine envahi, „tu dois avoir appris a t'en poffer, fcf avoir cherché d'autres rejfources;" au malade trainant fes longues douleurs faute de fecours, „ oh! le mal d'kabitude fait moins fouffrir, {$ finit par fe pajjer." J'en attefte tous ceux qui ont befoin d'autrui, quelle réponfe eft plus commune? la voila établie en précepte. (1) Optinufte, adle i, fcene y. (2) Molière, Médecin malgré lui, acte l, fcene i, (j; Optimifte,, acle i, fcene 9.  P 5 É F A C E. XÜj A ce mot de malade qui vient de tomber fous ma plume, jWerve que M. Collin femble s'être apphqué k affoiblir toutes les ienf'ations fortes qui, ]'en conviens, font défagréables pour les délicats du grand monde; mais dont la nature fe fert pour émouvoir la pitié. Je parle de ees tableaux irappans cc douloureux que la vertu rappellequelquefois a lamémoire deceuxqui 1'abandonnent, pour en obtenir quelqu 'accès de réfipifcence en faveur de 1'humanicé. S'il eft une fouvénance impérieufe, uneémotion irréfiftible qui puiftent attendrir une ame émoulfée par les jouilfances du monde & endurcie de plaifir, c'eft fans doute le tableau des mileres & des douleursde 1'infortuné, quelesma-t Jadies ont jetté dans un coin de fa chaumiere , ou de Ion grenier,oud un hópital. Ehbien! M Collin, toujours prêt k jetter des rofes fur le pli de J edredon des riches, vient atténuer 1'idée déchirante , falutaire & coercitive par fa déplaifance meme, que les riches pourroient concevoir de la lituation d'un malade. 11 dérange & rétablit expres la fanté de fon héros, pour lui faire avancer eet étrange raifonncment: Plinville. . , . Ticns, vois-tu, chere Rofe! Dhonneur, je n'ai pas, moi, fenti ia raoindie cliofe. J étois dans un profond & morne accablement Maïs qui ne me faifuit f'ouffiir ancunement. ........ Notre machine eft alors en'gouidie. Et ceft un viai lommeil que cette njaladic Et ma foibleire même eft une volupté ' Dont 011 n'a pas d'idée en parfaite fanté. La lanté peut pareitre a la longue un peu fade (>> Ne nous y tromponspas: ces paradoxes qui, par leur extravagance,prennentune tournure de pfai. lantene, n'en font que plus dangereux, ceft le rahnement de la niaiferie; c'eft 1'humanité perlilflee: qui s avifa jamais de plaifanter avec elle? doit-on jouer, fur fon compte, avec une race il) Optimifte, aéle i, fcene ?.  x',v7 Préfac ÉS d'hómmes durs, impitoyables & corrompus, qots prompts a fourire du masqué, ne demandentintérieurement qu'une excufe apparente pour braver le refpeéc humain , & qu'un motif léger pour rasfeoir, de plus belle, leur apathique indifférence? Souvenons nous que dans les tems de corruption, mille véritéséloquentes&fortes, fur les malheurs de Phumanité,ont de la peine & nous faire avancer d'un pas vers la pitié, & qu'une feule illufion fur la profpérité publique nousrejette rapidemenc vers 1'Egoïsme. , Plus on avance dans 1'examen de la Comédie de rOptimifte, plus on s appenjoit que 1'Auteur y 'remplit les fonctions des agens de toute robe & des fatellites de toute arme, qui, circonvenant les puiffans & les riches, mettent leur foin a écarter de leur palais, de leur vue & de leur oreille, les miférables & leurs plaintes,&a faire entendre,a faire croire par la bouche de leurs charlatans & la plume de leurs valets, que la vertu feule & 1'amour de 1'ordre guident les gens en place. Le meilleur moyen de faire fa cour aux grands qui ne fuivent aue leurs caprices & leurs pafïïons, & qui vivent d'iniquités , c'eft d'établir des maximes dont 1'efprit foit de préfenter leurs méfaits comme incroyables & leur méchanceté comme imposfibïe. De la vient qu'on ne plaït jamais mieux aux méchans, aux fripons & aux opprefleurs qu'en difpofant l'efpric du peuple h ne jamais fuppofer le mal avant qu'il n'arrive; & quand il eft arrivé, a fe confoler de ce qu'on a fouffert,par ce qu'on n'eft plus k même de founrir, & de ce qu on a perdu par ce qui refte. Mais la grangc eft détreue Tlinville. 11 eft vrai, raais aulu" , Tai fauvé 1'e'curie (0 Ce fyftême de crédulité, préfenté fous le nora (i; Opümifte, aéle 3, fcene »•  P E É F A C E. XV de confiance; de l^checé, fous le nom de bonhommie; d'infouciance, fous le nom d amour de Ja paix;& de bêcife fous le nom de bonté, ce fystême, dis-je,eft fort accommodant pour les puisfant qui vont grand train en fait d'arbitraire & de rapine pour les brigands qui aiment fort qu'on ie Jaiffe voler, & non pas qu'on fe plaigne. Plinville. Veux-tu que je te dife, Je crois fort, & toujours ce fut la ma devife, QUe les hommes font tous . oui totis, honnêtes, bons. un dit quil eft beaucoup de méchans, de fr'ipons, Je n en crois tien; je veux qu'il s'en trouve peut-être Un ou deux, mats ils font aifiSs a reconuoitre. fct puis, j aime bien mieux, je le dis fans détours, luie une fois trompé que de craindre toujours. Figurez-vous la joie interne de nos dévorateurs a écouter ces hardis menfonges & a les voir applaudu par leurs dupes. Comme ils efpérent, non pas d etre crus honnetes gens, avantage que nonfeuJement ils ne recherchent guere, mais qu'il ne leur vient pas même en penfée de défirer, mais de trouver leurs viclimes plus faciles & leurs coudées plus franches! Remarqucz ce trait: Mais ils font aifés h reconuoitre, Précifément paree qu'il n'eit point du tout aifé de reconnoitre, ou du moins de convaincre les méchans & les fnpons de Ia haute volée: précifément paree que ces fatrapes rufés ne fe compromettenc jamais; précifément paree qu'ils ont centmasques pour un, & qu'a les juger fur leur formulaire, on diroit d eux précifément ce qu'en dit M. Collin Que dites-vous de ce parti a prendre? • ■ J'aime mieux ttre une fois trompé', que'de craindre toujouis. Belle fentence! profonde maxime' comme fion ne pouvoit être trompé, volé, opprimé qu'une (O Optimifte, acte 2, fcene 4.  Xvj P fe K F A C É. fois! ó que cecï ell bien dans Ie fens des inponst lis ne vousécorchent pas tout d'un coup; ilscommencent par vous tater avec précaution, & quand ils vous ont trouvé de 1'avis de M. Collin, ilsnY cherchenc plus ni ménagement, ni fineljc. 11 n y a que le-premier pas qui coüte; il falloit bien les aideralefranchir. Conduifez vous d'après la maxime fufdite, & vous verrez. Cen'eftpointla le proverbe dufage, & je dis, bien populairement, avec lui: 55 Qj'i ff brebis, le loup le viange." t ranchemcnc/je ne fuis pas le feul qui le dife;&s'ilfaut tout avcuer, j'ajoutcrai eet autre adage: „ [out ce qui héle, n'ejl pasbrebis." Mais il s'agiffoit ici ne plaire a ceux qui peuvent en tenir compte. Ceft de ce patelinage des méchans & des Inpons & de leurs courtifans chatemites, que vient cette affeftation de douceur & de fenfibilite, donc les écrits modernesfontinondés&afradis. Cette pueli.lé tartufferie a fur-tout gagnéle théatre; un eit pas jusquaux Comódiens qui ne s'en délectent. Les gens du monde & la cour n'ont pas d'autre langage; vous lesprendriezpourde pauvrespetitsmoutons. Bien fouvenc même les ordonnances &lesproclamations des fonctionnaires publiés font édulcorees decemielfaftidieux, c'eft-a-dire, qu'on fait grand bruin de la fainteté & de lapaternitè de laloi, pour masquer 1'iniauité de ceux qui en abulent. Les belles dames qui, en deux ou trois années, ont eu trente amans d'ébauchés, xrente profitables, depasua de fenfible,qui paffent le jour k vendre leur crédit, & la nuita friponner, font merveilleufemenc éprifes de cette afféterie de langage & de fentimens;elles font toujours prêtes a ie pamer. Qji un pauvre infortuné, bien candide, alïêt d'apres ces grimaces, implorer leurame compatiffante; comme il feroit atcrapé! Que d'obfervations ont allumé ma liaine contre ■ceslhvpocritesdefociété! Un jour! je me trouvois avec ün de ces optimiftes menteurs, qui, widépendamment des avantagesqu'ils trouvent a afficher cetce rclieion bónévole,calculeatquenenne lert  P R É F A C E, XVij mieux h mafquer un naturel méchanc & fqurnois, que de dire que tout Ie monde eft bon, tout lemöri* de fenfible, qu'ils lont contens de tout, & qu'il n'exifte ni méchans,ni fripons. II avoit, je ne iais pourquoi, de la ténacicé a vouloir me prouver que tel étoit le fond de fon ame. Je ne croyois, ni le difeur, ni fon dire; raon humeur èpre, franche, jamais embarraffée & fouvent embarraffante al'aspeel d'un tarcuffe,de quelque genre qu'il foit, le mettoit dans une dépenfe effroyable de douceurs, d'admirations, de fenfibleries & de phrafes vertueufes. Sürvienc une efpece de courtier, qui lui rend un effet de commerce, qu'on n'avoit pu palTer. En moins d'une minute& avec un dépit fanglant, mon horarae accufe trois perfonnes d'avoir caufé cc difcrédit. Nous fortons. Au pied de 1'efcalier, fon ami intime, le plus cherdefesamis, nous rencontre, lui demandea diner & monte pour I'attendre. Mon homme remonte auffi, je te fuis; il fait un tour de chambre en difanc troisou quatre mots vagues; & fans faire femblant de rien, voila inou Optimifte qui, en étouffant du poing le bruit de la ferrure, tire fourdement de fon fecrétaire la clcf qu'il y avoit oubüée. II laiffe alors fon ami chez lui en toute füreté, & redefcend avecmoi. Au premier coin, je quittai ce modele de confiance avec horreur, & ne lui ai plus reparlé. Depuislorsj'ai frémi cent foisde m'être crouvé chez eet homme-la.. Je voudrois bien favoir fi M. Plinvihe & adhérans foutiennent leurs procés fans plaider ; prêtenc leur argent fans tirer d'obligation , payent leurs dettes fans prendre quittance, & fortent de chez eux fans fermer les portes? S'il eft donc fot d'ajouter foi k cetteprétendue bonhommie tant prêchée & tant affedcée aujourd'hui,a cettefaufle confiance qui ne tendqu'è duper la vertu inexpérimentée, a cette hypocrifie d'efpece nouvelle; il eft eflentiel d'en démasquer les feétateurs & les apótres, inftrumens dangereux de cette apparence d'ordre, fous laquelle fe retranchent les pervers puiffans, bouclier funefte & terrible, le défefpoir de l'homme droit?  xviij P r k f a e e. Je demande maintenant h quoi peut mener,ea derniere analyfe, 1'infouciance qui fait la bafe du fyftême de M. Collin, finon & concentrer 1'homme en lui même, & h le féparer de 1'humanité? Quel eft le caraftere de cette fotte hiJarité qui en réfulte, finon le dégagement d'une ame qui ne s'attache è perfonne en feignant d'aimer tout le monde ?M. Collin ne s'en cache pas; il eft même, fur ce réfultat, d'une bonne foi furprenante. Madame de Eoselh, m parlant de Plinville. Mais j'aime bien mon oncle; il eft fi gai '. M a 1) a h e de plinvii. le. Fort bien; Mais cette g.ilté-la pourtant n'eft bonne a rieu. Madame de Roselle. Elle eft bonne pour lui, du moins. (i) Or rièn ne manque , comme vous voyez, h 1 intention de mettre a leur aife les heureux du fiécle. Si 1'Optimisme de M. Collin ne vaut rien pour 1'humanité, il ejt bon pour eux du moins. ii leur paroït fur-tout excellent, lorsqu'il affranchit leur probité & leur délicatefle de cette auftérité qui en fait 1'effence. Vous avez été fouvent embarraffé, lefteur , de favoir comment les grands, les riches, les gens comme il faut, fi graves dans leur décence, fi délicats dans leur urbanité, fi pontilleux fur les égards, pouvoient fe pardonner les turpicudes dont on les accufoic & dont ils font convaincus. Vous ne pouyiez comprendre que des êtres auffimajeftueuxpuflent partager des bons öans les fermes, des aclions dans fagiotage, avoir un intérêt dans lesfuifs, un bénénce dans les clairs de lune, une penljon fur le pain des galériens, un profit fur la paille des priionniers , un revenant-bon fur le jeu de la belle! les voici tout excufés & dans lameilleure paffe du monde d être délicats a peu de frais. (ij Optimifte; ade 2, fcene 7.  I P R É ï A C Ê, XiX Plinvillé. Et les cent mille écus qu'a Paris j'ai laifliis ! Madame de Plinvillé. Vous avez mal choifi votrb dépofitai;e. Que ne les placiez - vous pluiót clicz un Notairci P l i n v i l l e. Un Notaire, crois-moi, ne vaut pas un ami. Boryal ailüiémen: ne s'eft pas endormi. Ce Dorval eft un Financier, & M. de Plinvillé prend fes amis a la Bourfe. 11 devoic me placer comme tl ftiut cette fommc. Madame de P l t n v i l i. e. Je fats qu'il joue. Plinvillé. Un peu* Madame db Plinvillé. Beaucoup; c'eft un joueur. Plinvillé. Il est heureux au jeu. (i) D'après cette morale Jpêculative, rien ne vous empêche de placer vos fonds dans une banque ( de Pharaon , jeu aufti expéditif qu'amical , oü les croupiers, "qui ne font jamais endormis , qui placent comme il faut, ne mauquent jamais d'être heureux N'oubliez 'pas que tout cecï rentre parfaitemeut dans les honnêtes reffources dans les innocentes habitudes & les nobles paffe-temps des gens du grand monde & de la cour. Ainli dégagés des entraves d'une délicatefle puiillanime, vous fentez que les gens pourl'amouf de qui ïOptimifte eft fait, s'accommoderont aifément des préceptes & des exemples que leur fournit M. Collin, fur la maniere dont ils doivent s'intéreffer aux peines d'autrui & aux fouffrances1 de ceux qui les endurent pour leur rendre fcrvice. (i) Optimifte, aéle 3, fceHe 3,  XX P R É" F A C «S C'eft icï que je ne peux trop exprimerFindig-' Bation qui m'a toujours faifi, a Pafpcct de la dureté de Plinvillé. Les phrafes & la fenfibilitó doucereufes dont M Collin cherche a le velouter, dans tout le cours de fa piecer n'ont faic qu'ajouter k Phorreur qui m'a toujours faifi, chaque fois que j'ai vu ce Plinvillé, fi bon, fi tendre, tenir a fon ami Belfort le propos d'un guichetier. Belfort, pour éteindre Pincendie de la grange de Plinvillé, vient de fe jetter dans le feu, k corps perdu & devant lui ; il s'eft brülé la main, en ce moment empaquetée d'un appareil. Plinvillé, pour le remercier, & mieux encore, pour nous prouver qu'il eft content de tout, c'eft k- dire, que rien ne le touche, lui dit féchement: Ah I ces Meflüres-I» ne font pas dangereufes. (i) O jufte Dieu ! voila donc la quinteffence de Ia fenfibilité qu'enfante le fvftême de JVJ. Collin l Combien cette apoftrophe doit être méditée! qu'elle eft affreufe! C'eft mot pour mot celle de Louis XV: — Comte, on dit que vous ayez été bleffé k la bataille de Crevelt! — Oui, fire,voila ma bleiïure fur cette main. .— Oh! ce n'eft pas grand chofe. — Sire, c'eft trop. Réponfe digne de Ia remarque & du fentiment qui la fit faire. Que répliqua le Roi ? il rougit & fe tut. ,, Pourguoi changer? nom fommes fi bieit" difoit Beaujon. Dites a M. Collin: Vous ne croyaz donc pas qu'il fo.ic des njaux réels ? (2) , Plinvillé. Tres p e u. Quoi qu'on en ait, il faut néceffairement prendre de Phumeur k cette réponfe extravagante. Eh quoi, M. Collin! avez-vous peur que vos (O Opt.mille, acte 3, fcene 6. " (2) Optirailti, aéte 3, fcene 9.  P R i T A C E, XXÏ patrons ne courent trop tót ou trop vke au fecours de ceux qui ibuffrent li réellement? Ec vous même, vous, qui nous apprenez par tanc de TOoyens les maux dont vous vous dites accablé, les agonies périodiques dans lesquelles vous combez, quel eft donc 1'efpece de dévouement que vous vous impofez, en démentant vos propres Touffrances pour complaire aux gens qui veulent, a toute force, qu'il n'y ait point de; malheureux, paree qu'ils ne veulent rencontrer m" obftacles, ni déplaifirs, ni demandes, ni plaintes, ni reproches? -Avancons cependant; & fuivons les folutions dont JvL Collin fe fert pour démentir les vérités qu'il s^objecte. M o r i n v a l. Ne comptez-vous pour rien l'avarics fordide, L'ambition, 1'envie & Ja haine perfide? Plinvillé. '■ Oui, ces mots font afftcux.; mais les cliofes .font rares. Au fiécle ojli nous vivous, il eü fort peu d'avares. (i) Fort peu? c'eft-a-dire, qu'il y a pis que des avares. Ce n'eft pas a théfaurifer qu'ell le plus grand mal; c'eft k fe croire tout permis & a fe permettre tout, pour envahir la fubftance du peuple, afin de la répandre foudain fur d'autres fripons, valets vicieux & fcélérats complaifans, avec une prodigalité infenfée, & fans frein ni choix; c'eft a defl'écber la furface du royaume pour engraifier les Séjan, les Narciffe, lts catins, des mains desquels ces vols retombent fur des gens pires que les premiers, fi toutefois la chofe eft poffible. D'envie-ix, Dien merci! je n'en connois pas un. (2) Voila juftement ce que les Théologiens appellent un pêché contre le Saint-Efprit, & qui eft irrémiflible (1) Op timide, acte s, fcene 9. CaJ Optimifte, afte 3, fcene y. ** 3  Xxij P R É F A C E. La hntue enfin n'eft pas un vice trés comnjnn. (O Oui, je convicns que cette haine franchc,ouverte & déclarée qui part d'une ame for'te , libre, ferme & auftere, je conviens, dis-je, que cette haine eft rare. J'ajoute que bien s'enfautcu'elle foit un vice, car. Le jufte au tnécliant ne doit point pardonhér. (a) Mais qu'elle eft commune & déteftable cette hame des fourbes, cette haïnc des hvpocrites, toujours vicieufe & par la caufe & par 1'effet! O les perfides impofteurs que ces doucereuxmécnans,dont la langue acérée vous calomnicen fecret avec adreffe, & aflette de votis louer, & de vous plaindre en public, avec plus d'adrefle encore; donc la main eft au grand jour toujours munie d'un baumc empoiibnné a mettre fur la bleflure que leur poignard vous a faite dans les ténébres! Cette haine n eft pas rare; c'eft celle deslaches, d'une méchanceté trop calculéepour fe comprornettre. StzDe fvb immolis Vipera ileliluit, csMimqus extenita fugit (3) Plinvillé continue, L'ambition peut-être eft un pen plus commune; Maïs fon qu'elle ait pour but Us hnnnturs, 'la fort mie Celt un beau mouvement, qui n'eft pas défeBSü ' Souvent lom d'etre un vice, elle eit une vtmi. ,4_) Pour peu que vous connoiffiez les patrons a qui M. Collin distribue des encouragemens,&en faveur desquels il profeffe cette morale, vous comprendrez fans peine que ce n'eft pas de 1'amour de la foiide gloire dont il s'agit ici, non plus que Ci) Optimifte, aéte 3, fcene 9. (Z' Vpltaife. J.fahomer, acte a. (3) Virjile. Gëorgiq. i. (4; Opiimifte, afte 3, fcene 9.  'P R É F A C E. Xxilj la. prévoyance domeftique. On parle aux geus felon leurs moeurs; c'eft donc 1'ambitjon propreTnent dite,& la cupidité qu'ilconléilleauxgrands & aux riches, & qu'il leur préfente comme un heau mouvement qui n'eji pas déf'endu. M Collin eft le premier a qui j'entends dire que 1'ambition eft une vertu. Quant h moi, j'ai beau confulter ï'hiftoire de tous les peuples, de tous les agcs, 1'expérience, lc coeur humain, la nature des chofes,je ne connois pas de paflion plus funeste a la fociété que 1'ambition. Je ne comprcnds 'pas, je ne foupconne pas quel vrai bien peut en découier, je ne connois pas d'errcur, de crime & de défastre entre les hommes qui n'en dérive néceffairement. Je regarde i'ambition comme 1'unique pierre d'achopement du bonheur des «ations; Pennende implacable de 1'égalipé np peut être louée que par des esclaves. , Un volume ne fuffiroit pas h cette matiere, & certes, je demeure ébahi d'encendre prê-chqj: de parePs principes Je fais cle plus, & j'en gémis, qu il n'eft pas encore défendu, en France, de pofieder vingt & trente millions de fortune, d'être feul maitre d'une région , tandis que les trois quarts des Francais ne pofiedent rien. Je favois bien que les gens puiil'ans n'avoient pas befoin qu'on les poufla.t a tout cnvahir;je favois encore que c'ctoit leur faire plaifir que d'cncenfer leur gloutonnevie , mais, on vérité, je ne m'attendois pas a voir prêcher a bon escient & fur les tóits 1'accaparcme.nt de la puilfance & des fortunes. Ceffons d'être furpris dc 1'impudenteaudace avec laquellc on couroit aux abus, & desmoyens abominabies employés pour les multiplier: de tcls paradoxes affligent. Je fuccombeta 1'affluence des rapports douloureux que mon imagination embralTe dans ces maximes; mon zele dégénéré en abattement. Ah! la révolution étoit immanquable !Si la licence des malverfateurs nepouvoir. s'accroitrc, la déraifon de leurs panégyristes ue pouvoit empirer.  xxiv Préï ac E. Cependant il faut combattre des maximes encore plus pernicieufes, & vous montrer, lecteur, a quels excès d'aveuglement & d'extravagance conduit le projet d'excufer & de juftifier les méchans. M. Collin va nous prouver qu'on ne peut complaire aux égoïstes fans trahir la fociécé; & aux vicieux fans bouleverfer la morale. N'avez-vous pas penfé jusqu'ici que lafociété n'a d'autre fondement que cette réciprocité d'intérêt fraternel. de fecours & de garantie qui lie les humains, de maniere que Jes biens & les maux foient favourés & fupportés par tous avec le plus d'équilibre poffible? Eh bien! M. Collin eft d'un avis abfolument oppofé. II veut que chacun ne fonge qu'a foi; que fi les malheurs & les fiéaux frappent la nature humaine, c'eft tant pis pour celui qui en fouffre. Le principal, felon lui, c'eft de s'en garantir. Aille la fociété comme elle pourra, pourvu qu'il foit a 1'abri; que les hommes foient tourmentés, affamés, ruds, brülés, engloutis, tout cela n'eft rien; peu lui importe. Puiirvu qifil fait ftisrneur d'orie lieue ii la ronde, £c raultté d'un chateau le plus joli du monde (1) Ne vous fentez-vous pas accablé decetafFreux fyftême? & que fera-ce,que direz- vous lorsque vous verrez ces atrocités finement déguifées fous nn ftyle badin & emmiellée de toutes les grimaces d'une faufie fenfibilité, fe débiter du ton le plus aifé, le plus leste, le moins douteux, & comme les dogmes les plus pofitifs & les plus naturels? Ne vous avifez pas d'aller déplorer devant M. Collin la cacaftrophe de dix mille families englouties par Ie tremblement de terre de Lisbonne, parmi lesquelles fe font peut-être trouvés votre mere, vocre époufe, votre fils. Gardez- (0 Optimiftc, aele I, fcöiie io.  Pkéfac e. XXV vous de vous attrister au fouvenir du défascne de la Calabre, oü il fe peut fort bien que partic de votre fortune ait péri avec vos correfpcndans. Ce feroit bien pis, fi paree que vous vous intéreffez aux fciences utiles, a ceux qui les cuki. vent, a votre ami qui eft de ce nombre, vous aviez la fottife d'être en peine de M- de la Peiroufe & de fon escadre, & que vous en témoignaiïiez quelque chofe h M. Collin! il ne manqueroit pas de vous dire avec toute la fenfibilité pollible & avec non moins de graces: Plinvill e. Voos parlrz de volc.111, de naufiage. . . cli! mon clicr , Demeurez en Touiaine, cc n'allez pas fur mer. (i) Quand on s'y prend de cette maniere,& qu'on eft parvenu a ce comble de philofophie, vous voyez qu'il n'eft pas difficile a'ètre content de ïout. Négocians utiles, marins intrépides, matelots infatigables, Per mare paLperlcm jugiens, per faxa per i.^ffes. (2) allez donc chercher h M. dé Plinvillé la foie & coton dont je le vois vêtu;le riz dont il lubréfie fon eftomach, le fagou dont il empate fapoitrine delféchée; le quinquina avec lequel il vient de congédier fa fievre ; la gomme élastique, matiere admirable des fondes qui temperent & guériflent fes douleurs de vefïie; la pomme de terre, ce précieux bienfait du nouveau - monde , qui a déja vingt fois préfervé de la famine la plus belle partie de 1'ancien; le café qu'il vient de prendre & le fucre dont il 1'a affaifonné; 1'indigo. le fernambouc, le campêchedont je vois que fes vêtemens font teints;les diamans que je vois aux oreil. Jes de madame fon époufe & de mademoifelle fa fille: allez donc lui chercher tant & tant d'autrcs productions qu'il aime beaucoup, dont il fe fert, (1) Opiiaifle, act-.* 3, fceue 9. (2) floiat, cp. I. 1, ** 5  . / xxvj P R É F A C E. & dont les échanges concinucls ont produit des milliards d'aliquotes de bónófice, qui J'onc peutetre rendu feigneur de fon chateau, vérité donc il ne fe doute pas; allez, vous recevrez les témoignages de fa fenple reeonnoiiTance. O mes amis ! je cache de prendre ceci du cöté puénle; je m'efforce de rire, mais je ne lepeux pas. L'indignation furmonte la pitié, 1'humanité 1'emporte furie mépris. Eh ! ne voyez-vous pas que ce Plinvillé, eet homme dur, non par tempéramment & avec groffiéreté, ce qui ne feroic rien, mais par calcul & avec les graces de Paménité, ce qui eft incurable, en va dire autant de tous ceux qui fouffrent & périffent des fervices rendus a la fociété ? Ne voyez - vous pas les froids heureux du fiéclc fe tenir forts de ces principes, & fe pardonner leur impitoyable égoïsme? Effayez donc de les implorer après vos in- forturies „ Monficur, je fuis ruiné, 1'oii m'a fait banqueroute." — Eh ! mon cher, gardez votre argenc, ne faites pas le commerce. — Je ibis tombé du haut d'un toïc,ma cuifXe eftcaffée. — Restez dans votre maifon, ne vous faites pas" eouvreur. — Cette nuit, en éteignant le feu d'une m.'.ifon, je me fuis brülé le bras. — Dormez dans votre lic , pourquoi vous faire pompier? Mon hotel eft enregistré a la Compagnie d'As'furance. . . ,, Oh! 1'horreur! 1'horreur! . voulez-vous gager que nos patelins vont trouver que j'ai tort, & qu'après m'avoir accufé de manquer de fenfibilité, moi-même, iis me demanderonc fur couc ccci, qu'eil-ce que cela me fait? P L I N V I L L K. On fait de méchrns vers? Eb! ne les Hfez pas. (i). Comme s'il fuffifait de ne pas lire de méclians vers pour que les poêtes méchans ne fuiTent plus a même de nuire a la fociété; comme fi des vers immoraux ne pouvoient pas être affez bons pour être lus. (i) Optimide, acte i, fcene 9.  P R É F A C E. xxvij 11 cn parok beaucoup que je vois dans cc cas. (i% Et beaucoup de poêtes qui prendraient une telle parodie fur le pied de compliment, pour mieux prouver le fophisme de'j\ü. Collin, & la diftinclion que j'y fais. „ Plinvillé continue. Bien des gens, dites-vous, doivcut; fans contredït Jls ont ttfrr; tnais pouiquoi leur a-t.on fait cicdit? Que repondre a ces gentilleffes, h moins que je ne charge de ce foin M. Collin lui-même? M. Collin, cn pliilaht (le lui. Je iciiivtte fur-tout ma reliieifhble böieffe, Sa longue patience &. fa déücaieli'u; Je. n'oublirai jamais fa conliante nnvtid. Jc la payois jurt mal, ciant firc mal paye', Eli bien! elle aüendoit. (2) Quand M. Collin n'auroit pas trouyé dans fon fait la caufe de la majeure partie des dettcs, & Je remede a 1'impoftibilité aétuelle de les payer, il ne J'audroit pas jetter des cris de furprife fur la condescendance de fes principes en matierc d'engagement de débiteur a créancier, II eft fort leste fur cette partie de' la foi publique. C'eft avec beaucoup d'adreiTe qu'il établit fon opinion h eet égard par la bouche de fon Plinvillé, qu'il rend viètime d'une 'banqueroute, bagatelle dont Plinvillé rit lui-même, pour provoquer la gaïté & fur - tout 1'infouciance des fpectatcurs. Plinvillé, en ouyrant la let/ra qui renjerme la nouvelle de la banquerci;;?. Ton* nos fonds de Paris font pentas; boival r.u jeu peul deux cen:s mille crus. C'ctr. trois cents mille francs que ce jeu-la nous coüte, Ut le I'auvue Doivtd uianque cc fait banqueroute. (1) Optimifte, A<5rc 3, fcene 9. (a) Mes louvenirs, Piece da vers de M. Collin, infétée dans rAhnniincli des Muiés. 1789;  XXVl'ij P R É F A C E. P i c a r n. Banqueroute, Monfieur? ah! le nwudit fripon. Pm n v i l l e. I l n'e s t q u e m A l h e u r e l' x. (, j Cette étrange conclufion s'accorde parfaitement avec le motif précédent ü ejt heureux au jeu, & atteste lans éqm'voque le genre de délicatefle de Plinvillé, & la fécurité de la confcienee & de fa pudeur a fonder la prolpérité de la maifon fur le tapis verd. On concoit que les fripons opulens dont' les #grandes villes de France font pleines, que les nobles redutïeurs du Contröle, gens tres malheureax aufli a leur jeu favori, font a 1'abri de la cenfure, & fur-tout de la pourfuite, au moven de ces maximes & de eet exemple; & qu'a 1'apparition de 1'épouvantable defficü, c'étoit faire fa cour aflez bien que de préparer ainfi 1'opinion publique. te n'efl pas que Plinvillé ne fafl'e 1'aveu du dommage que lui caufe la perte de ces cent mille écus. Mais ce n'eft pas lui précifément que cette perte accable, ce n'eft pas de lui qu'il s'embarraffe. Mon Dieu! il lui fauc fi peu de chofe ! II lui refte encore, Dieu merci, crois cents mille hvres de bien, & il têchera de vivre comme il pourra avec cette bagatelle. Mais fon ame patemelle & fenfible ne peut que difficilement fe faire a I'idée de voir fa fille, fille unique, coadamnée au celibac. Plinvillé. ... Ma fille, a quel fort je te vois condamnée? Tu vas donc piés de nous ufer tes plu's 'beaüx j«urs. (2) Le moyen qu'il entre dans Ia tête de Plinvillé, d'un gentilhomme qui n'eft pas Limoufin, (i) Optimifte, afie 4, fcene 4. (a> Optimifle, acte 4, fcene 5.  P R É F A C E. XXÏX qüe fa fille peut époufer un homme de naijfance, & vivre en dame de qualité avec la feule perfpec tive de cent mille écus de fortune. Car il fauc être jufte; un feigneur, un homme qui n'eft pas nè puyjan, & qui veut vivre content de tout, ne peut, en confcience, fe dépouiller d'une eentaine de mille livres pour marier fa fille. II ne lui refteroit que dix mille livres de rente. Impoiïible d'y penfer. Aufli Plinvillé pleure-t-il beaucoup fur cette néceffité évidente qu'il avoue a fa fille. La pauvre petite, peu occupée d'intérêt, confole ce bon feigneur, qui fe trouve touta-coup enchanté de n'avoir payé que cent mille écus quelques larmes théatrales de fa confolatrice. Quel charme pour les peres gentilshommes, de voir avec quelles démonftrations de fenfibilité on peut cependant conferver 1'intégrité de fon revenu! Que 1'affliction eft douce alors! II fauc plaindre celui qui jamais ne s'rtfni^e , II n'a pas le bonlieur de fe voir cunfolé. Qi) Et telle eft la maniere adroite & indirecte de montrer dans un beau jour, & d'aftermir dans leurs habitudes, les peres qui n'aiment pas plus a fe dépouiller pour établir leurs enfans, qu'a fe figurer qu'on peuc les établir fans cette richefle excefiive, & ce faste qui maintenant plus que jamais font devenus la bafe des mariages de gentilhomme. Tout cela eft bien dans nos mceurs. Vous avez donc vu que M. Collin n'aime pas qu'on falfe crédit. Nous ne nous arrêterons pas a la profondeur de fes idéés en matiere d'économie poütique, rendons lui la juftice de dire qu'il n'eft pas de ces gens qui ne faven't que fupprimer les refifources de la fociété, fans rien rnettre k la place. II donne au contraire un moyen fur de fe paifer d'emprunts. C'eft de vifer au folide. Son principe a eet égard eft précis & (i] Optimilte, afte 4, fcene 5,  XXX P R É F A C E. immanquable: aufïï ceft a qui s'en fervira; aulfi produit-il au fpectacle un effet furprenant, & 1'on ne fait trop ce que I'on doit y déplorer le plus, ou du précepte qu'il renferme , ou del'avide fatisfaétion de ceux qui 1'écoutent (i). J. J« Rouffeau a fort bien remarqué que 1'un des inconvéinens du théatre étoit, que pour avoir des fuccès faciles, les poêtes fe voyoient obligés de carelfer les vices des fpeétateurs. M. Collin n'a rien négligé fur ce point; mais il s'eft furpaiTé dans un trait oü il ne marchande pas la moralc. Si les applaudiffemens lui font plus chers que Pamendcment de fon auditoire, il peut fe vanter d'avoir fait un bon marché. Un maréchal • de-camp, autre joueur de profeffion,fe préfente pour acheter la terre de / linville, quand précifément celui - ci a befoin de la vendre, & le prix en eft fondé fur deux cents mille écus que 1'officier général vient de gagner au jeu, d'un feul coup, a un homme immanquablement ruiné par cette perte. Madame de Plinvillé, itonnéc. Quel eft celui qui perti une fomme fi ibrte? .Plinvillé. Bon! le connoifTons-nous? ainfi que nous importe! VOVONS CELUI qui G/iGNE ET NON CfcLUI QOI PERU. (z) Effet remarquable de 1'univerfalité de ce fentiment inhumain & fordide! la falie entiere parï d'un cri de joie k ce vers caraftéristique: Voyons celui qui gagne, & non celui qui perd. Vers de Juif! maxime odieufe! mais vérité triste, fous tous les rapports! oui, ceft toujours Ia faveur que 1'on courtife, le testateur que 1'on vénere, le puiffanc que 1'on encenfe ; c'eft Ia plus riche qu'on époufe , le protégé que 1'on (O f.cttres fur les Speéb.cles. (i) Opümiite, acte 5, fcene 12.  P R t F A C Ei XXX) vatite , 1'opulent qüe 1'on recherche, Phomme cn place que Pon flatte, Phomme heureux que Pon cclêbre. Par-tout, chez un peuple corrompu,. chacun fe dit: Voyons celui qui gagne, & non celui qui perd. Dat yenlam coryis, ye.xat scnfura culumbas. (i) Eft - ce par un femblable motif, & par la même propenfion que M. Collin a renchéri fur Pinhumanité du fiêcle? Mais eft-ce a Phomme de lettres, a Pinftituteur public a époufer, a fanclionner les erreurs qu'il doit profcrire ? Voyons celui qui gagne? Et pourquoi? Pour participer afon lucre? & non celui qui perd? car vous auriez h le confoler ou a le fecourir? Ce fentiment eft défolant, il défefpere Pinfortuné, il enlaiditl'efpérance, il dénature la fociété, la dilfout, & la fait voir avec horreur. O! qui que vous foyez, bon ou méchant, voudriez- vous d'une époufe» d'un ami dont la maxime feroit : Voywis celui qui gagne, & non celui qui perd? Je ne dirai autre chofe fur ce vers, finon qu'il eft la digne & la jufteépigraphedel'OpTiMisTE. En effet, je viens de prouver que cette comédie ne tend qu'a affermir les grands cc les riches dans leurs ufurpations phyfiques & morales,qu'& pallier leur cupidité, qu è effacer Podieux de leurs vexations, qu'a légitimer leur égoïsme. Par contrecoup, elle porte les opprimés a accepter la fervitude, les dupes h 1'infouciance, les vidtimes de Parbitraire a la lacheté & les malheureux; au filence. Plinvillé. Que gagnez-vous, de grace, il gérriif de la forte? Vos plaintes. après tout, ne font q'.i'un mal de plus. LaifTez donc lil, mon clier, les rcavets fuperffus. Rcconnoiflez du ciel la fageffe piofonde, Et croyez que tout eft pour le mieux dans le monde. (z) fi) Ovid. ep. 7, (2, Optimifte , acte 5, fceue 9.  XXXij P R É F A C E. N'eft-ce pas lè ce que les miniftres de !*& rannie & les agens nombreux du defpotisme ne cellaient de prêcher & de faire prècher au peuple? Et voila le confeil qu'il fallait fuivre après qu'on vous avait dépouillé, molefté, emprifonné, tortufé, fi vous pe vouüez recommencer fur nouveaux frais cette férie de fouffrances & de vexacions, & tour. cela paree qu'on étair, fans courage pour fe plaindre & fans énergie pour armer de la plume ou du glaive la juftice naturelle & le droit des nations. Et M. Collin a prétendu qu'il avoit grand fujtt de dire , tout ejl bien. Cependant comme il fuffit moins de convaincre d erreur ceux qui nous atcaquent, que de fauver les apparences , lorsqu'on veut tout-a-la-fois faire prendre le change fur fes intencions, & ea recueillir le fruit, il pourroit arriver que les dèfenleurs de M. Collin, ou les partifans de fon fyftême, prétendiilent qu il n'a vouln préfentcr dans ftinviile que Ie ridicule de 1'Optimisme. Quoique ce faux fuyant ne püt être confidéré que comme une gambade, je le démens. Je veux épargner a nos fages fubtils ce dernier trait de caractere, & je dis que c'eft a bon efcient que yiinville eft offert a la fociété, & fur-tout auX malheureux comme un modele k fuivre. Óutre que 1'aélion de 1'Uptimifte eft conduite de maniere que fes fophismes & fes extravagances ont ]e plus heureux fuccès, M. Collin écarté tout fubterfuge, puisqu'il dit lui - même dans fa préface, en parlant de 1'Optimiste, „je puistje 3S crois, fans qu'on me taxe de vanité, louer ce 3, carahere j'en ai trouvé le modele dans la ,., mai/on paternelle. . . c'efl mon Phre." Oron peut fe félicicer d'avoir démêlé un caraélere ridicule, mais on ne loue pas un caraélere que 1 on préfenterait comme un ridicule. On expofe les bizarreries de la fociété a la rifée publique , mais on ne ridiculife pas fon Pere. Enfin celui qui trouveraic un Jourdain, un Soienvilte dans fa familie, pourroit a la vérité,froffter des traits  P R i F A C E. XXX'ij traite que lui offrirait la maifon paternelle; mais il ne publierait pas , avec complailance , que c'eft fon Peke qu'il livie en proie aux moqueries du parterre. Enfin voici , mot - a - mot , comment, dans une lettre particuliere, M. Collin s'explique fur le caractere de / linville; (1) ,, j'ai tu dejjein de pré/enter Jut la fcene un 11on fere, (qui garde quinze mille livres de rente pour lui, & le célibat pour fa fille uoique;; un bon mari (qui place fa fortune chez unjoucur, paree qu'il eft heureux au jeu;) un bon haitre (qui ne trouve pas dangcreufes les bleiïures gagnéesè fon ferVicê} jüttfeübon-m pendances; d'être infenfible a la mort d'un perdreau, quand on n'eft pas, après tout, un tiran iéodal; & de ne pas fe pendre de ce que 1'on perd cent mille écus, quand il vous cn refte encore cent mille! Tels font en total les malheurs terribles que 1'mfouciancc de Plinvillé furmonte. iure upercherie, que de faire réfulter d'un eniemble de fituations frivoles. la prétendue excellence des principes de la ïacheté & de la iervicude! Au beu de nous offrir Plinvillé ridiculement infortuné, pour nous le montrer lervilement lage, pourquoi M. Collin ne nous Ja-c-.il pas préfenté tels que nous fommes, tels que nous étions , nous malheureux Fran. cois & depuis fi longtems ? 11 a voulu faire de fhnville un pere tendre &fenfible; ce Plinvillé a une fille jeune, joüê , fpirituelle & vierge ; que n'a- t-il fait convo'"ter cette fraiche enfant par un duc, par un intendant, par un factotum de commis? d'ofi vient qu'a la réfiftance de la falie, qu'a i'indignation du pereil n'arrive pas une lettre de xachet qui, difperfant la familie, pour Ia lureté accoutumée de 1'état, jette Je pere dans le fond d'un chateau fort, & la fille dans un dédale de féduclions d'oii elle fort flétne, corrompue & denaturée? Eft-ce 1'exemple qui nous manque? M. Plinvillé a une femme iurannee & grondeufe, pourquoi n'en a-t-il pas une jeune, belle < altiere, difllpéê, ambitieufe, coquette, cupide & libertine? Nous n'aurions pas tarde de voir un prince , un évêque, un miniftie, un cordon bleu, un lieutenant de poHce lequeftrer ce benêt de t'linvüle a Charenton , & ion impudique époufe trainer dans un char étrusque la honte & la fortune de 1'époux vraiment infortuné. Eft - ce 1'exemple qui nous manque?Pourquoi Plinvillé n'est - il pas un brave & loyal militaire couvert de blelTures, follicitant vainemcnc du pain dans 1'arriere anti-chambre  P R É ff A C E. XXXV d'un commis, tandis qu.'un jeune fat amant d'une meffaline de cour, paife en riant prés de lui, je coudoie, le toife avec eiTronterie,& 1'ecrafe de fon infolence radieufe de cent mille livres de rente? eft-ce 1'exemple qui nous manque?pourquoi M. Collin n'a-t-il pas fait de Plinvillé un bienfaiteur trabi par fon obligé & emprifonne pour fa bienfaifance ? un innocent chargé de ters & de calomnies, torturé dans la penfée par un enquêteur criminel; dans fa confiance par un mouton (i), dans les premiers befoins de la vie, par un géolier, & dans fon honneur enfin, par des juges ignorans ou vindicatifs, ou vendus? Eft-ce 1'exemple qui nous manque? que n'en a-t-il fait un cultivateur dépouillé par un voifiii puiffant? un vigneron a la journée, accompagné de mille autres, qu'un coquin d'intendant cemdamne a tranfporter de la montagnc a Ia riviere & par corvée une coupe de bois de deux mille arpens, paree que eet intendant & fa maitrelTe auraient recu, en bons rouleaux, des mams des exploiteurs", le dixieme de la valeur eftective du charoi de ces bois? Eft-ce 1'exemple qui nous manqueV pourquoi n'en a-t-il pas fait un Rainal, un J. J. RoulTeau perfécutés de climat en climatpar des fots & des cuiftres, pour avoir ril Un mouton.dansl'anciennc Jurisprudence criminclie & qui uibfiftera jusqu'a 1'établiffemem des Jur es , etait Sn brisand, un lcélérit épouvantable, cfpece d'offiaer ffceret de'a iuftice, que Ton mertoie en prifon ii cóte de accufé que 1'on ne pouvait convaincre, c'eft-a-dire, flue I on vouten «erdre. Le mouton tic-hoit de gagner la confiance de eet infortu né fous le voile de 1'amiué ; & au moyen des épanchemens facré's de ce fentiment, il lui «rait, comme on dit, let ven du mz - finon for 1'accufuion prétendue, fi elle étoit injufte, du moins fur les évdnemens de fa vie entiete, que les Juges fomllaient avec r.cbarnement, tant & fi bien qu'il ne manquo,t pas d'en fortir autres cas ubsultans du proces, & de la, condamnation quelconque. Vdila quelles étafcöt l*s belles inftitutions de 1'Optimisme du flécU. * * * 2  SXXVj P R É F A C E ae compromettre les vt-Ó;.3 ieur bliques, les iududtions & LVZncon^"" PU" teraient fur les m»chm? u J UpS™s que jet- verfité habitueüe h m°,ndre Petice ad- ces^eScu^crS les hommes, ni leS " .T'^^»1 patrie? De quoi 'avifï fftuation de fa même prouve qu'il connaft W1' T OL,vr^e de rhuWéi les maEr?ae w Z ^?9 aonc voulu, bien pofitivemLj liHa n>oi. je 1'aifait; r/^g^Wl'fAt oft| quand on n'a pas le counV* i • >D a,jIcurs» malheuren*, on a h pu^ Pour'es ger les méchans. Si 1'on n'ofP n,? /3S e"C°Uralans tout va mal, q d C1P t W,puis" aux faibles torn e/f\e„ a"fn ? "6 dlt Pas Quel nom donner h clne Td J- * D Ê/;Pas' clcta poütique a^cieufllVeft S?r S*?^* tftft turner contrela ?mVv{^^  P a É F A C E. xxxvij a pbifée dans fon fein ; c'eft mentirafaconfcieneé que de fasciner les yell? de fes concitoycns fur leurs adverfités, pour les préparer & les dispofer a de,plus grandes: c'eft être cruel que d'emplo\er a perpétuer nos maux les talcnsqu'ori n'a rcc,us de la nature que pour prêcher fa doctrine, propager fon inliuence , & rétablir Ion , empire. _ Je me fuis élevé avec force contre Ia doctrine rêpandue dans la comédie de 1'Optimifte, parcö qu'elle attaque les droits de /homme & ladignité de fon étre; paree au'elle tend a rompre les liens de la fociété en étbuffant ce fondement de la morale, la pitié, la bafe de toutes les vertus; paree que j'ai vu dans eet ouvrage les principes cachés du fatalisme qui n'a jamais fait que c es esclaves, & le deffein formel d'attnbuer des droits naturels & primitifs aux abus qui furenargent & dégradent ma patrie. Avant d'attaquer direclement cette comédie, j'ai compofé le fhtlinte de Molière pour la combattre; j'ai concil mon aélion de maniere a détruire par autant de vérités chaque fophisrne de M. Collin. ^eit aux moraliftes a juger fi la vicloire eft de moü cöté: la railon s'y trouve , j'en fuis bien fur. Je me tais fur tout ce qui concerne la littérature relntivement k ma comédie ; elle porte fa critique & fa défenfe; les préfaces font parfaitement inutiles fur ce point. Quant au talent de M. Collin, c'eft aflurément avoir eu le malheur de le loner que de condamner aulïï févérement 1'emploi qu'il en a fait. Je n'ignore pas, è la honte des mceurs & au grand détriment de mon pays, que les gens du monde , & qui pis eft les lettrés, lont bien plus de cas de la förme que du fond. A l'exception de quelques écrivains efl'entiellement épns de la morale, je n'ai vu que le peuple qui fut s'attacher auxchofes. II ferait bien terns que les ans, répudiant les efclaves, apportaffent leur inftu-  xxxviij P R É F A C É. ence dans la chofe publique. J'appuyerai de tous mes efforts cette noble réfolution. La nature a borné la mefure de mes talens, mais mon arne eft infatiable du bonheur d'être utile. PRO-  PROLOGUE DU PHILINTE DE MOLIÈRE.  PERSQNNAGES. L'Auteur, du Philinte, fous le nom de Damis. L'Ami de I'Auteur, fous l,e nom d'AcAsTE. La Scène eft chez Damis.  PROLOGUE DU PHILINTE DE MOLIÈRE, 0 ü LA SUITE DU MISANTHROPE. Aec otnnia, nee omnes.mihi Placüe/.i; quinam ego omnibus! DA MIS, ACASTE. D a m i s. Eh! bien, nous voila feuis, parléz., expüquez-vous Que votilez-vous de moi ? ^ acaste. D'abord point de courroux. Ie viens pour vous parler d'une importante affaire. ■' d a m i s. 1'éeoute; hatez-vous. j acastf.. Mais par préliminaire, j'cxige du fang-froid. j b da m i s. Du fang-froid ? acaste. Oui, Damls. D a m i s. Acnste, ce n'eft donc ni vous, ni nos amis, Ni la patrie enfin, que regarde la chofe? acaste. Mais pas abfolumeiit. D ( m i s, Quelle que foit Ia caufe Qui vous conduife ici, c'eft fort bien; dépêcbez. Si des fourbes du tenis, «vee art, retranchés Sons un air de douceur & de niaifcrie. Si de nos intriguans expens en fiatterie, *** 5  xnr PïotofiDï Epiant 1'hommeen place, & prönant fur fes pas, Tufques dans ft-s erreurs, le bien qu'il ne fait pasj Si de pareilles gens vous me parlez, • Acafte, Vous allez m'indigner. Mais parlez-moi du fafte Semé dans les propos de nos hardis jongleurs, Ou vks larme's d'amoür de nos petits auteurs, Ou de ets fiers géans qui, d'un air d'importance, Pour lui lire\une fable inviteroient la France; C'eft leur affaire; hélas! ils en ont bien Ie droit; Comptez que vous allez me trouver de fang-froid. acaste. Non, ce dont il s'agit eft d'une autre nature. Damis, ces jours pulles vous me fitcs leéure De votre Philinte... Damis. Ah! je vous devine. ACASTE. « ' Au fait; Jen fus, je vous 1'avoue, a lel point fatisfait, Que, depuis ce moment, par-tout oü je me trouve D'un éloge pompeux.... Damis. Et je vous défapprouve, Non que de mon travail, &, fi 1'on veut, de moi, L'éloge bien fenti, je fuis de bonne foi, Ne foit fait pour me plaire, & ne porte a mon ême Ce prix de jjentfment, qui me guide & m'eriflamme. Mais ne vbyez-vous pas, par ce mal entendu, Qu'a vee nos charlatans me voila confondu? Voulez.vous donc qu'on dife & que 1'on me reproche D'être comme ces gens dont la gloire eft en poene? Illuftres a huis-dos! qu'un cercle officieux Trouve toujours charmans, divins, délicieux? Er e'eft avec raifon; car, de cette fentence, Jl éroit, en détail, convenu par avance. Tout ouvrage, mon cher, ne doit être produit Que par délaflement, ou pour un noble fruit. S'il eft fait pour moi feul, c'eft affez qu'il me plaifej S'il eft pour voir le jour, alors, bonne ou mauvaife, Adreflbns au Public cette produclion, Droit Jr'jiirJ fans detours, fans autre ambition Que d'être utile: heureux! fi 1'ouvrage profpere; S'il ne réufiit pas, toujours prêt a mieux faire. Mais jaloux du renom plutót que des talens, Aller, par procureur, mendier des chalans,  du Pöilinte de Moltere, xliii Ër fans cefie courant de rufe en turpitude, S'emparer des oilifs & de la multitude, Abitfer le Public, arrher fon jugement, Pour faire un peu de bruit & régner un moment! C'eft le fait d'un Auteur qui quêtë a la tribune Un fauteuil, pour en faire un char a fa tortune. acaste. Héi que me dites-vous? II n'eft point de danger Qu'avec de telles gens, je veuille vous ranger. Me préferve le Ciel d'une telle bevue! Votre franchife auftere eft d'abord trop connue: Vous avez trop de ccour & pas affez de front, Pour mériter de moi ce falutaire affront. Te ne dis falutaire, au refte, je m'explique, Que dans le fens connu de Meffieurs de la clique, A qui cette méthode eft falutaire, au point De remplacer chez eux les talens qu'ils n'ont point. Quand je parle, en un mot, de vous, de vos ouvrages, Je cherche du plaifir & non pas des fuffrages. Mais je reprends mon texte & prédis vos fuccès; J'ai donné votre piece au Théatre Francois, Et 1'on va la jouer... Damis. Y penfez-vousV J'oppofe...^ a c a s t e. Quoi? ^ DAMIS. De bonnes raifons pour empêcher la chofe. le ne peux me réfuudre a courir ce hazard. j acaste. Pour cette piece, enfin, que craindre? DAMIS. D'une part.; Son titre. acaste. II eft piquant. DAMIS. J'en conviens; mais de grace Comment 1'entendez-vous? Piquant par mon audace? Ou piquant par le choix? A c A s t e. Vous jouez fur les mots. D A m r s. C'eft 1'arme des méchans & 1'argtiment des fots; 11 faut bon-gré malgré, mon cher, y prendre garde; A cuté de Molière, enfin, je me hazarde. -  X"v Prolog üe II eft de bons efprits dont je crains peu Ia voix < i rente que je connois & mille que je vois Dun zeie noble & pur s'enflammeront fars'doute, Un tóe voyant center cette or.,geufe route „ iaire parler Philinte, Mafte de nouveau' „ L ouvrage efi périlleux, mais le projet eft be,->u, „ Uiront-ils, & du moins nous pouvons en conclure „ Que lami de Molière aime encor la nature; » !,a. P" fe meprendre & les mal imker, „ Lelt une moindre erreur que de s'en écaner. ,. Voyons donc (on ouvrage; &, d'une ame lincere, ». bouhaitons h 1'Auteur ia force nécell'iire „ Pour atteindre a Ion bur. Jmques au dénouement, „ uepuw )e premier mot, trés attentivement, „ ixoutons les diicours & la verve d'AJcefte. »» fi1 reJe'tons fur-tout eet ulage ftinede „ De eet tams étoprafc, qui, toujours affaires, „ Veulent bien dans leurs cours les aótes rrepares, »» LMüllon complette, au bout c'une mépnlè, ,, Pour jouir pas-a-pas d'une adroite furprilej „ Jis y mjmerit pourtani une condition, ,, Ceft de tout devïner dés 1'expofittorj • „ Bifarre empreïfemeaifgw leur eau Ie un fupplice, „ Dont ils tirent raifon a forcé d'mjuftjce Mnif'n, der0Uf, cen«J|reeur," d/ront ces bons efprits. Mais que dira i'envie & tant de gens afgris £ar la euie raifoi qu'un autre ofe entreprendre Ce qu ils ne peu vent pas & n'auroient pu comprendrc? ,, Vcnez-vous aux Francois? dira le fraai Arcas üu doucereux Philth qu'il trouve fur fes pas; „ Auritz-vous devicé de fuite au Mifanthrope'^ " Eft-'l audacienx? J'ai fait fon horofcopè: UeteliabJe. Peui-on concevoir, s'il vous piaft „ Quelque chofe h fon titre? Oh! voici mon lifflet; „ J elpere dans une heure e:i régaier Philinte" „ Pourquoi, répond PhHon , d'un (Ijle de complainte. „ Pourquoi donc le fifflef? Som ouvrage fufTic„ A mes bons affidés, dès Ipntr.tems je réi dit „ Ayez 1'ame plus tendre. Hélas! li l'Atueur tombe „ Je veux, aux yeux de tous, Ie pleurer fur fa tombet „ tt des que, de la fcene, il va fe voir exclus " } anter, b,en baut fcs vers que Pon n'entendra pIus. ,, Vous êtes trop meehant; foyez bon rS contrainte, Ses cris a tel Auteur pouvoicnt pórter atten te; De ce que, haptemént, fans s'être compromis, U avoit ofé dire une fois fon avis; Et qu'après eet effort fublime ft téméraire, ]| n'en rencioit pas compte au prochain Commiflaire. C'eft la vériié pure; &, dans ce jeu cruel , Le defpotifme adroit, autant que criminel, T/rotivok ce doublé fruit d'abufer fes vieïimes Et' d 'épaiflir le voile étendu fur fes crimes, D'immoler les écrits, d'autant qu'ils étoient bons: La clarté fut toujours la terreur des fripOns. Mais aUjoltrd'hpi les loix ont bien changé les chofes.: Compttz donc fur 1'efFet de nos métamorphofes; Et, quand de fon ouvrage enfin 1'on eft content.... C*) Ee 7 Janvier 1789. Voyc? ma Piüface du Prtfomptueux, ou l'heureux Imaginaire, Comédie en cjnq aftes/jóuee depuis & reilde au Traite,  XtVl P' R O L O G U E Damis. Mais je ne Ie fuis pas. Ne vous preflez pas tant Content de mon ouvrage? Hé! Monfieur, puis-je 1'être, Le ferai-je jamais en contemplant mon nWtre? Mon travail a la main c* le bien dans le ccour, Ce n'eft point en rival; mais comme adorateur, Que je dépoferois cette ofTrande, amaffée Dans fes proprcs écrits, pleine de fa penfée, Aux pieds de ce génie. O! fublime écrivain, „ Lui dirois-je, après toi nous moifl'onnons en vain. „ Maïs connois ton difciple; &, daignant lui fourire, „ Vois du moins, vois encor ce qu'on gagne a te lire!" ACASTE. Sous eet afpeQ, fans doute, aifément je concois Que vous ne ibyez pas content.... D A m i s. Que je Ie fois. Sous vingt autres rapports , le croyez-vous polfible ? Le Parnaife devient un mont inaeceflible. C'étoit peu qu'Apollon, par des écueiis nombreux, En.eüt fait le chemin pém'ble & dangereux; Je nc fais que! demon, jaloux de notre Scène, En rend faccès bizarre &.Ia route incertainei' C'eft un amas confus, contradictoire- ingrat De cent pétitcs Joix d'un goüt tout dó:icat ' Qui font la, tout expiès, pour forcer la nature A fe montrer fardée, & peinte en mignanire. Et pourquoi tout cela? Pour complaire a des'fors, Dont la langue n'admet que deux ou trois cents mots Hors defquels ne fort pas leur hautaine ignorance. Un mince caillctage ell leur noble fcience; Jis ont peur de parier comme parle un bourgeois. Dans leurs locutions, dans le fon de leur voix Cette crainte les tient a tei point en réferve ' Que leur bouche pincée, a tout propos s'obfe'rve. Audi comme ils font froids! jamais la pafiion Ne compromet leur cceur, ni leur condition. En petits appercus leur efprit s'alambique: Ils veulent vous foumettre a cette poétique; Et comme tout-puiflans ils difpofent de tout, Vous êtes un pédant & vous manquez de gout, Dès lors que, par 1'efTet d'un vers plein de 'énie, Vous mettez en défaut Ia bonne compagnie,0 Cjui n'y comprend plus rien, & n'y fent plu's Ie tour Des phrafes a la glacé, en ufage a ia Ccur.  du Philinte de Molière, xevii a c a s t k. Cefl un plaifant contrafte 11 en eft quelquc c'->ofe; Faut-iJ que, pour cela, votre efprir. s'indil'pol'e ? Vous devez obferver.... Damis. I'obferve, avec dépif, Que notre Inngue eft riche & que tout 1'nppauvrit. Grace auCiel! les trois quarts de mon Diétionnaire Sont des mots réprouvés dont je n'ai plus que faire. acaste. Ce feroit aux Auteurs a s'entcndre, je crois, Pour renverl'er bientöt ces ridicules loix. S'étayant 1'un par 1'autre, ils n'auroient n'en h craindre, Ils étendroient !e cercle oü 1'on veut les reilremdre, Et pourroient corriger cette crreur par le fait: De iörte qu'au Tfiéarre D a m i s, Au Théatre? En effet, Hé! ne voyez-vons pas qu'a l'enyi 1'on y flatte Dis cenfeurs pointilleux la fadeur délicate, Que chaque Mufe y parie en terme d'un beau choix, Èt ne diflere en Hen, pas même de la voix3 Que tels Auteurs foumis, pour vouioir trop bien faire, Tracent tout fans couleur, fans feu, fans caractere? Qu'a förce d'être pur, joli, doux & galant, On a tout ce qu'il faut, excepté le talent? lis en gémiflent tous; la mode les entraïne. Placez-vous au Parquet, & contemplez la Scène; Vous y verrez des gens bien rangés de niveau.. Et fe rtflemblant tous comme des gouttes d'eau. Vous y verrez enfans, hommes, filles & femmes, En termes les plus frais parler par épigrammes; Des payfans docteurs chez le libraire éo!os. Et des laquais charmans qui récitent Duelos. A c a s T n. Mais, mon cher., a la Cour, h la Ville, au Village, Les Francois aujourd'h\ n'ont qu'un même vifage, La langue, les égards öe Ia civilité, Et tous les lieux communs de notre nrbanité, AffurvifTant nos mayirs a des formes égales, Ont produit ce vernis & ces fadeurs morales. L'art en fouffre beaucoup; ces complimens bannaux Ont chalTé loin de iious tous les originaux. 11 n'eft plus de Jouf&aint, A'Orgsxu, ni de femelles, Un carofie doré traïne nos Sganaielles,  XLVIII Prologub Et tout Paris voit bien, qu'au temple d'ApolIoni La mode a rappel Ié Caihos & Madeion, II faut donc au hazard deffiner des chimères. Et s'il reftoit a peindre encor des carafcieres, Penfez-vous que déja de fublimes efprits/ N'en euflent pas, en foule, ennchi leurs écrits? Lifez nos Almanachs, il eft tant de géniesl Damis. II eft pour Ie talent des fources infioies. Les modeles, morbleu! ne nous manqueroient pas. Mais on veut des tableaux bien jobs, délicats, Des feigneurs vertneux, de vertueufes dames, Jufques dans les fripons on veut de belles ames. Qu'il échappe a 1'Aéf.eur un mot bien doucereux; Ün croit voir fe pamer tout un peuple d'heureux. S'il faut s'en rapporter a la Mufe éperdue De tous ceux que j'entends, Aftrée eft defcendue; Et le vice préfent, qui fe fent cajoler, Pour'peu qu'on le démafque, eft tout prêt a fiffler. Je peins ce que je vois, & non ce qu'on invente. Mes modeles aufli pSliffant d'épouvante, Si j'expofois un jour en Scène leurs portraits, M'accableroient bientót de leurs perfides traits. On les verroit, honteux de trop de refiemblance, Nommer 1'auteur méchant, fon courage inlblence; Et, faute d'autre excufe, analyfer un vers, Ou dénonccr en pompe un mot a 1'univers. A c a s t e. Hé bien! il fmt braver une injufte critique. J'avoCirai cependant qu'un peu trop véridique, Vous ne ménagez pas aflez l'homme du jour: Vous le heurtez de front, fans le moindre détour. A l'afpeét de fon cceur, votre ame courroucée Dans le moindre repli va fcruter la penfée. De fon mafque agréable il a beau fe cacher, Stir fa difformité vous allez 1'arracher. Un portrait a fon prix, du moment quül relTemble. Mais c'eft votre intérêt, du moins il me le femble, Qu'il falloit ménager avec dextérité, Au lieu de vous armer de tant d'auftériré. N'eüt-il pas mieux valu, d'une plume docile, Complaire aux mceurs du tems? En Auteur plus habile, A fon bon naturel, imputer fa douceur. Et fenfible avec art, pour n'être pas penfeur, De crainte de produire une mufe importune, Excufer les heureux & nier 1'infortune. Sur  DU PHItlNTE DE MotlERE. XLIX Sur les abus chéris nous faire illufion. Sur-tout donner matiere a quelque allulion: Et coufant au fujet quelque tendre epilode, Y flatter- a propos la puiftance a la mode. Voila le vrai rrioyen d'affurer fon fuccès. DAMIS. Mon fuccès? Que me fait le gain de ce procés? Sans doute j'y prétends; mais fi. je Ie fouhaite, C'eft en bon Citoyen bien plutót qu'en Poete. fai trop d'auftérité, dites-vous? He! morbleu! Prenez-vous mon Philinte, après tout, pour un jeu? Le Théatre n'eft-il qu'an paffe.tems frivole? Au jour de liberté, qu'il devienne une ecole. Allez., qui vojt le fiécle & tout ce que j'ai vu, Dans Ie cceur du méchant quand on eft defcendu, Et qu'alors indigné, du bord de eer abyme, On'eft pouffé de verve a démafquer Ie crime, A-t-on 1'ame timide & le ftyle mielleux? Déchirons, fans pitié, le voile fratiduleux, Dont 1'Egoïfte adroit fe pare & s'enveioppe; Sur la Scène, évoquons 1'ombre du Milanthröpe; C'eft a lui qu'il convient de parler de vertu. Chaffons ces froids pleureurs , au ftyle rebattu, Ces fages controuvés, ces b.enfaiteurs poftiches, h. ?j OVnnic nrnnnrJes hemiftiches. JJ'un ïciniiiJ»-"' >-»m"— - Mais avec tant d'attache & de profufion, Ou'il n'eft plus de laquais fans fa bonne action. Fafiidieux menfonge! Eft-ce ainfi que nous fommes? Sur ces plates fadeurs, appreciez les hommes; Et courez du Théitre, ou 1'on vous a montre ■r-*- -„„,. An hnnnps eens le modele platre; Courez dis-je, implorer le riche & lhomme en place; Vous vèrrez le revers & tout ce qm fe pafte, Vous comprendrez comment un Auteur delie, A force de la feindre, étouffe la pitiéOuand la France renaït, écrafons 1'impofttire. Au refte, mon Philinte eft peint d'après nature; le 1'ai vu. De la Cour, il vint k la Cite.^ Mais faut-il m'appuyer d'une autre autorite? C'eft Je an-Jacques Rousseau. ' tli tire un li-ore de fa póche, ïouvre fcf le dowie 1 a Acafte. Lifez ce paragraphe; Voila fon fentiment, & c'eft mon épigraphe. ^  p Prologug A C A S T E, Ut. Ce Philinte eft un de ces honnëces gens du j, grand monde , dont les maximes refiemblenc beaucoup a cel'es des fripons; de ces gens 13 doux, fi modérés, qui trouvent toujours que tout va bien, paree qu'ils ont intérêt que rien n'aille mieux; qui font toujours contens de tout „ le monde, paree qu'ils ne fe foucient de pers, fonne; qui, autour d'une bonne table, fou3, dennent qu'il n'eft pas vrai que le peuple ait y, faim; qui, le gouffet bien garni, trouvent fort 5, mauvais qu'on déclame en faveur des pauvres; s, qui, de leur maifon bien fermée, verroient 3, voler .piller, égorger, maffacrer tout le genre „ humain, fans fe plaindre , attendu que Dieu les 3, a doués d'une douceur méritoire a fnpporter i ii j!.......: >> s-\ ies raaiueurs u auuui. j D A M I,S, reprenantje livre. Mon cher, c'eft h ce livre, S fon inrention, Que je dois mon ouvrage & fa conception ; Je Ie di» hölitemfeiH. Si le méchant rn'alfiége, Qu'il fache que RoufFeau lui-même me protégé! Et certes ce n'eft pas implvrer aujourd'hui Une frê'e afliftance un médiocre appui, Que d'être préeédé de 1'ame d'un grand-homme, Digne de 1'age d'or & de 1'antique Rome, Profeéleur de 1'erifarice' & de 1'humamté, L'apótre précurfeur de notre liberté! Ainii ^onc, cher Acnfle, au gré de votre envie, Puifqu'on offre au Public Philinte en £omédie, Plutót que d'affbiblir une foïte lecon, A ce même Public je dirai, fans fac;on: „ Meffieurs, pour un inftant, onbiiez donc de grace ,. De mille faux portraits la coquette crimace. „ C'eft mal, h qüi les peint, de déguifer nos mecurs. ,, Je viens vous révéler de coupables erreurs. „ Par les fautes d'aütrui s'amender & s'inftruire, ,, C'eft un bien. Dalgnez donc m'écouter & me lire. Les pervers que ma plume a tracés avèc foin, >, Le maique fur Ie front, font la dans quelque coinf (ij Lettre fur les Spedhcles,  DTJ PHILINTE DE MotlERE. tt f, ïmpofez-leur lllence, & que leur feule rage „ Prouve la virité qui luit dans mon ouvrage." Je ne plaifante point, tels feront mes difconrs. 4dïeu, tel on me voit, tel je ferai toujours. Fin du Prologue.  PERSONNAGES. Philinte, ami d'Alceile. ^ Alceste, ami de Philinte. / ^fonnaS" Eliante, femme de Philinte. > la Comêdie du D d B o i s, valet-de-chambre V Mijamhrope. d'Alcefte. J Un Avocat, pauvre. Un Pro cur eur, riche. Un Commissaire de Police. Uk Huissier. Vat Garde du Commerce ,> Laqoais, > Perfonnages muets. Recors, j La Scène eft h Paris, dans Vh&tel de Poitouy gami , & fe paffe' dans une anti-chambr? commune aux appartemens de fhótel.  LE PHILINTE DE M O L I E R Ej O u LA SUITE DU MISANTHROPE. AGf E PREMIER. SCÈNE PREMIER. ELIANTE, PHILINTE. Philinte, avèc humeur. Je prends tout doucément les hommes comme ils fonts J'accoutumi mon dme d fouffrir ce qu'ils font (*). Eliante, on fait mal, pour vouioif trop bien faire; Un défaut peut fervir, & ce qui nuit peut plaire. Mais fl vous faut. Madame, un empire abfolu. Ce qu'une femme Veut, ce qu'elle a réfulu, Ne peut föufTrir d'obftacle; & quand la circonftance Lui fournit les moyéns d'ét; blir fa pui(Tince< II ne faut pas douter de fa précaution A dominer par-tout avec prétemion: Qu'importe le fuccès? L'erreur n'eft jamais grande: Tout va bien, après tout, pourvu qu'elle commande. (*) Ces deux vers font de Molière, & c'eft Pïuliute,' dms ter tóifantbropc, qui les prongnce.  ( * ) Ét TA ST ï. Pourquoi donc cette humeur? Philinte, y penfez-vóusf D'ou vient cette colere? Et quand Philinte. Moi, du courroux? Non, Madame: je fais que, fi je fug le ma!tre Dans ma maifon, c'eft vous, oui, vous,qui dcvez 1'être Maintenant. E l i a n t E. Maintenant ? Philinte. Votre tour eft venu. Au Miniftere enfin votre oncle parvenu, A votre volonté donne un reliëf êtrange; Et fur ce grand crédit, il faut que je m'arrange. E l i a n t e. Oh! que cette querelle eft bien d'un vrai mari! Philinte. Mais point. Je fens très-bien tout ce qu'un favori, Un oncle tout puiffant, depuis quelques femaines, Doit donner, a nous deux, d'influence ou de peines* Un peu d'ambition m'a gagné; je le fais. We voila, par vos foins, Comte de Valancés; Mais Philinte toujours d'humilité profonde. Comte de Valancés, pour briller dani le monde; Mais Philinte, céans, autant qu'il fe pourra, Pour n'y faire, en un mot, que ce qu'il vous plaira. E l i a n t e, riant. Comte de Valancés, mais toujours cher Philinte, Avez-vous tout dit? Philinte. Oui. E l i a n t e. N Voyons: de cette plainte, De eet excès d'humeur, dites-moi la raifon? Raifon jufte ou plaulihle. Philinte. Eh bien! quelle maifon, Dites-moi, je vous prie, eft celle que j'habite Depuis fix jours? Eli ante. C'eft un hötel garni. Philinte. Quel gïte! Lorfqu'un titre d'honneur exige de 1'éclat, Que, tour-i-tour, chez moi, les plus grands de 1'Eta:*  ( 3 ) Vont venir k la file; il vous a plu de Faire De 1'hö'ei de Poitou ma demeure ordinaire. E L I A N T R. Sur de nouveaux projets notre hótel s'établit; Et quand, du haut en bas, on arrange, on batitj Falloit-ii, pour trois mois d'inten-allc, peut-ene. Se meubler autre part? Vous en êies le maitre. Mais qui s'en ehangera? Sera-ce vous, ou moi. Cette efpece de foin veut de la bonne tol. ■ . Qu'k quelque Entrepreneur la charge en foit donnés* Et 1'on vous volera vos rentes dJune annee. P H I L I N T E. . C'eft fort bien dit, Madame, & vous ne pournez pas M'alléguer aujourd'hui ces motifs d'embarras, Si, comme j'ai déja commencé de le dire, Vous n'aviez, par avance, ufé de votre empire, Pour me faire chaffer Robert mon Intendant. E L I A N T E. C'eft un fripon. PHILINTE. Robert étoit adroit, prudent, Aétif, officieux. E L i A N T E. C'eft Un fripon, vous dis-je; Oui, Monfieur. & croyez, lorfqu'un valet m oblige A le faire chalTer, fans nul ménagement, Ou'il le mérite bien. PHILINTE.^ Madame, affurément Te n'ai pas balancé. Soit raifon, foit caprice, Ce Robert, en ün mot, n'eft plus k mon fervice:^ Que voulez-vous de plus? Mais d'un vol controuve ]e penfe qu'on 1'accufe, & rien n'eft moins prouve. J E L 1 A N T E. . Et moi, j'en fuis certaine- &, fans trop vous déplaire* Voulez-vous que j'ajoutc- un avis néceffaire? Sans zele pour les bons, foible pour les mechans, Vous vous ménagez trop,mon cher,dans vos penchanê.- PHILINTE. ]e fuis comme i! feütêcre; & tout me dit, me prouve... i  C 4 ) SCÈNE II. ELI ANTE, DUE-OIS, PHfLINTE. « «■ D u b o i s. 1*1 onsie uR! grace au Ciel, a la fin, je vous trouve^ J'a-i eru.... Philinte. C'eft vous, Dubors! que faites-vous ici? D u b o i s. Je vous eherche tous deux. Philinte. Que veut dire ceci ? Comment Eli a n't e. N'êtes-vous plus au fervice d'Aleefte? i Dub o i s. Py fuis jufqu'b la mort; mais un tracas funefte..., E l i a n t e Eprouve-t-i! encor des revers, aujourd'hui, Dans fa retraite? d U b o i s. Encor? Le diable eft après lui. lis vont chanter viótoire, a préfent, les in firn es; Et s'il tombe un malheur, c'eit fur les bonnes imes. philinte. Vous verrez qu'au milieu des rochers & des bois, Sévere défenfeur de Ia vertu, des lois, II fe fera mêlé, je gage, en quelque affaire, Ou dans quelque débat, dont il n'avoit que faire. D V b o i s, Monfieur 1'a deviné. C'eft fon cceur excellent....- philinte. Oh! voila mon cenfeur auftere & violent.... D O Bois. Tout ceci vient d'un champ, prés d'une métairie, Qui depuis furt long-tems eft dans fa feigneurie. Et pour le conferver.... mon maitre a tant de mal !....' Le champ n'eft pas a lui... non vraiment... c'eft égal;. Tout comme Ie tien propte il eherche a le défendre. Les enragés, voyant qu'ils ne pouvoient le prendre» L'ont voulu faifir, lui... douze ou quinze SergensSout veuus i'arrêter..  ( s ) eliante, alarmêc. Votre maitre!.... d ü b o i s. Ses gens Ont écarté bientöt toute cette canaille: Et lui de fe fauver. Enfin, vaille que vaille, II fult, pour aller loin dévorer fon louci; Et pour vous embraffer, il paffe par ici. eliante. Et quand arrive-t-i!' D D J O I Si Mais, de la nuit derniere, _ Nous fommes dans 1'hótel. La chofe eft fiuguliere^ Vous y logez autïi. L'on m'a dit: „ Demandez ... Car vous avez deux noms, a préfent, attendez.... On vous nomme Monfieur...Monfieur... D'abord ) oublie Les noniSi Quoi qu'il en foit, 1'hötefle, fort jolie, Qui me voyoit courant depuis le grand matin, Et qui fait vos deux noms, m'a dit:.... e l 1 a n t e. Heureux deltin! Ton maitre eft dans 1'hótel ? D v b o i s. Uui, vraiment. Philinte. Viens; je vole... D'UBOIS. Attendez. N'allons pas, ici, faire une école. II écrit. Vous fentez qu'après de pareils coups, Les affaires, la-bas, font fens-deffus-defibus; 11 m'a bien dit: „ Dubois, ne lat ff* entrer perfonne... , Paree que..." Peftei il faut faire ce qu'on m'ordonne; Attendez, s'il vous plaït, que j'aille un peu favoir.... gi vous.... On! qu'il aura de plaiiir a vous voir! {II fort.) SCÈNE III. ELIANTE, PHILINTE. _ philinte. Cet homme, je le vois, fera toujours le même. eliante. Monfieur, plaignons Alcelte. A 3  C « ) Philinte. Ou plutót fon fy(lême« eliante. Que nous devons bénir la fortune, aujourd'hui, Qui nous offre un moyen de lui fervir d'appui! Mon oncle, avec fuccès, fur notre vive inftance, Emploira fort crédit', fonzele, fa puiffanee, Et furtout fa juftice, a fervir notre ami. philinte. Je promets de ne pas m'employer a demi, ± Pour finir une affaire, afléz embarraffée, Puifque fa Iiberté fe trouve menacée. Mais encore, Madame, il eft prudent, je crois, E>e connoïtre, avant tout, fa conduite, fes droits| Car fa bizarrerie, impoffible a réduire, En^de tels embarras auroït pu le conduire, Qu'il^ feroit melféant & même dangereux De s'avouer, bien haut, fottement généreux. Mais je le vois. SCÈNE IV. ELIANTE, ALCESTE, PHILINTE. PHILINTEfejettant au cou d'Alcejle. Aixeste, embraflbns-nous! que j'aims Ce fouvenir toucbant! qu'en un malheur extréme, Vous ayez pris le foin de venir, de voler Vers vos plus chers amis, prompts a vous confoler! eliante émue. Rafiurez-vous, Alcede, & croyez qu'Eliante Ne voit pas vos malheurs d'une ame indifférente. alceste ferrant de droite de gauche les mqins de fes amis. Je cherchois, fur la terre, un endroit écarté Oh d'être homme d'honneur on eüt la Iiberté (*}. Je ne Ie trouve point. Hé! quel endroit fauvage, Que le vice infolent ne parcoure & ravage? 00 Ces deux veis fcnt de Molière, & les derniers que proripnee Alceitg daqs le Mifaiulirope,  C 7 ) Airïfi, do proche en proche, & de chaque ché File, au loin, le poifon de la perverfité. Dans la corruption le luxe prend racine; Du luxe 1'iniérêt tire fon origine; De l'intérêr provient la dureté du cceur. Cet endurciffement étouffe tout honneur; II étouffe pitié, pudeur, loix & juftice. D'une apparence d'ordre & d'un de voir factice, Les crimes les plus grands groffiérement couverts, Sont le code effronté de ce fiécle pervers. La vertu ridicule avee fafte eft vantée;^ Tandis qu'une morale, en fecret adoptee, Morale défaftieufe, eft 1'arrne du punTant, Et des fripons adroits pour frapper 1'mnocent. Philinte. Croyez qu'il eft encor des ames vertueufes, Promptes a fecounr les verrus malheureufes. II en eft, cher Alcefte. ainfi que des amis, Prêts a s'intérefler a vous. alceste. Eit-ii permis, Que'parmi tant de gens, préreris a ma mémoire, Ie n'en fache pas un que je voulufle croire Aflez franc & lincere, ici comme autre part, Pour mériter de moi Ia faveur d'un regard! Et que, dans le projet de quitter ma patne, _ Vous deux, foyez les feuls, que mon ame attendne Ne pui (Te abandonner parmi ceux que je vois , Sans vous revoir au moins pour la derniere fois. eliante. fefpere un meilleur fort. Vous changerez d'idee. L'efpérance, cn mon cceur, en eft jufte & fondea. Vous ne nous quittez pas? alceste. • je ne vous quitte pasi fe porterai fi loin ma franëbi'fe & mes pas, Ou'enmi je trouverai pour eux un fur afyle. Morbleu! grace au deftin qui de ces iieux m exile, Je veux voir une fois fi ce vafte univers Renferme un petit coin a 1'abri des pervers: Ou fi j'aurai la preuve effrayante & certaine Que rien n'eft fi méchant que la nature humame. Philinte ricanant. Allons...appaifez-vous. Vous n'êtes pas changé; Et li je puis, ici, former un préjugé A 4  ( 8 ) Sur un deffeln fi prompt & fur votre colere, Kous pourrons aifément arranger votre affaire. On la dirnit terrible, £ voir votre courroux; Mais je m'en vais gaifer, cher Alcefte, entre nous, Que ce nouveau défaftre eft au fond peu de chofe. A L c e s i e. C'eft un arpas d'horreurs; dans 1'efTet, dans la caufe, Et vous oéja, Monfieur, qui me déléfpérez, Qui jugez de fang-froid ce que vous ignorez, Voyez s'il fut jamais une afJtion plus noire, Que le trait... attendez avant que ce>re hiftoire, Qui fera pour notre 3ge un éternel affront, Vous fafle, ici, drefier les cheveux fur le front, Attendez qu'a Dubois je donne en diligence Un ordre affez prefTant & de grande importance. Dubois. SCÈNE V. ELIANTE, DUBOIS, ALCESTE, PHILINTE. MD u b o i s. ON SI EUR. alceste. Va-t-en chercher un Avocat, Pour tenir mes papiers & mes biens en état. Je ne veux plus du mien. Cours. D u b o i s. Monfieur!..: alceste. Va, te dis-ja, Dubois. P$ donc? alceste, Ou je te dis. Dubois. Je ne fais..., alceste, Quel vertige! N/entens-ru pas? Dubois, J'entens. alceste. Vas donc.  ( 9 ) Dubois. En quel endroit? A l c e s t e. *Di tu voudras. Dubois. Monfieur; mais encor.... alceste. Maladroit, je te dis de m'ailer chercher & tout-h-l'heure, 'Vn Avocat. Dubois. Fort bien.... alceste. Pars donc. dubois. Mais fa demeure? alceste. Sa demeure eft le lieu que choilironr tes pas. Premis le premier venu. Cours; ne t'inforrïle pas (Ce qu'il eft, ce qu'il fait, ni comment il fe nommè, Vas: du hazard lui feul j'attends un honnête homme. d u b o i s. AHons. (II fort.) SCÈNE VI. ELIANTE, ALCESTE, PHTLINTE- v philinte rkanant Y pen sez- vous? Peut-on , de bonne foi, Charaer un inconnu, mon cher, d'un tel emplol3 Et pour trouver un homme exaét, plein de droiture... a l c e s t e. Vraiment, je rifque fort d'aller a l'aventure. Philinte. Mais... alceste. Comme fi tous ceux que je pourrois rboifir Ne fe prétendroient pas (ormés a mon defir? Et que le plus fripon ne foit, par fon adrefie, Répuié le héros de la délicatefis? Philinte. Mais il faudroit encor, pour livrer votre bien, Pe votre prépofé connoiire dabord.... A |  C 10 ) alceste. Ri'en." Je veux un honnête homme, il eft bien vrai, Philinte: Mais je ne 1'attends pas, a vous parier fans'feinte, Même en fortant ici de 1'ufage commun; Et c'eft un coup du Ciel, s'il peut ïn'en tomber un. Philinte. Cependant... alceste. Vos difcours font perdus, je vous jure. Voulez-vous écouter ma facheufe aveuture? Philinte. Voyons donc. alceste. Quand 1'hymen vous unit tous les deux, Jallai m'enfeveiir dans un défert afTreux Affreux! pour le méchant; pour la vertu, fuperbe! L'bomme avoit, en ces lieux, pour tréfors une gerbej Pour fafte, la fanté; le travail, pour plaifirs, Et, Ia paix de fes jours pour uniques defirs. Grace au Ciel! dans ce iieu fauvage & folitaire, Parmi de bons vafiaux je trouvois ma chimère; Douce pitié, candeur, raifon, franche gaité, L'ignorance des maux, & 1'antiqtie bonté. Mais qu'elle dura peu, cette charmante vie! En un jour, la diTcorde & le luxe & 1'envie, Les defirs corrupteurs &. Pavide intérêt, Et les befoins parés de leur perfide attrait, Avec un parvenu, turbulent perfonnage, Vinrent, en s'y logeant, troubler mon voifinage. Vous vous doutez fort bien, a cette invafion, Des rapides progrès de Ia contagion? Le bonheur déferta... Je tais les brigandages, Qui -vinrent aflaillir nos paifibles ménages. Je veux, dans le principe, effrayé de'ces maux, Maintenir, a la fois, la paix & mes vafiaux. Mais enfin, a 1'appui d'un renom de puiflance, L'iniqüité parut avec tant d'impudence, Que j'<;ppofe, en courroux, au front de 1'oppreueur, Le front terrible & fier d'un jufte défenfeur. Le champ d'un villageois, fon patrimonie uniqne, Couvient au parvenu, qui, de ce bien modique, Veut agrandir un pare, je ne fais quel jardin, Qui fatigue Ia terre & mon village. Enfin, Ij veut avoir ce champ-, on ne veut pas Ie vendre; Et voila cent détours inventés pour le prendre.  C ii 5 Titres infldie.ux, procés, rufe, incidens, Créanciers fufcités, perfécuteurs ardens, Bruit, menaces, teneur & domeflique guerre, L'enfer eft déchainé pour un arpeni de terre; Et moi, lache témoin de ce crime inoui, Je 1'aurois énduré! Je me Tuis réjoui De braver les friporis & d'en avoir vengeance; Ét faifant tête a tous, plaidant h toute outrance, J'ai foutenu le foible; & le foible vainqueur A confervé fon bien. Alors, la rage au cceur, Les traitres ont tourné, contre moi, leurs machines, Ils ont tant fait d'horreurs, tant fait jouer de mines, Tant controuvé de faits, avec dextérité, r ■ Que, je ne fais comment, je me vois décréte. (II montre un portefeuille.) J'ai cent preuves, ici, de leur lache conduite, Et cependant il faut que je prenne la fuire. La loi donne aux méchans fon approbation ; Et 1'exil eft le prix d'une bonne aébon. eliante. Oui, fans doute, elle eft bonne, Alcefte; je la loue* Et des loix c'eft en vain que le méchant fe joue. Avant peu, croyez-moi, vous aurez de l'appui. Mon oncle de i'Ëtat eft Mimftre aujourd'hui, Et fon rang m'autorife a promettre, d'avance, Que vos vils ennemis.... alceste. Qui, moi? je Pen difpenfe. De vos foins généreux je luis reconnoiffant: Mais la feule vertu doit garder 1'innocent; Et j'aurois a rougir qu'une main proteclrice ~Redrell'at la balance aux mains de la Jultice. philinte. Mais il peut arriver alceste. Tout ce que 1'on voudra? Des (uges, ou de moi, voyons qui rougira. Philinte. Enfin a l c e s t e. Et devant eux j'accuferois en face Quiconque en ma faveur iroit demander grace. P h i l i n t e. C'eft tenir un difcours dépourvu de raifon. Et fi, par un effet de quelque trahifon,  C 12 ) Des calomninreurs d'une vc-ix clandeftliie Ont ftifcité 1'arrêt, comme je J'imagine, H faut bien s'employer, avant d'être arrêté, A fe laver du fait qui vous eft imputé. La faveur eft utile alors, & j'ofe croire.,.. A l c e s t e. Et peut-on m'alléguer d'iniquité plus noire, Que ce jeu ténébreux & ces perfides foins, Par lelquels, a l'appui de quelques faux témoins, De 1'homme le plus jufte, & fans qu'il le foupconne, Oq peut, a tout moment, arrêter la perfonne? A la perverfité dès-lors tout eft permis, Et tout horrune eft coupable, ayant des ennemis. Ah! c'eft trop écouter ces avis politiques. La vér'té répugne a ces lücbes pratiques. Ln ceci je n'ai fait que le bien, Oui, morbleu! Je fa's tête a 1'orage; & nous verrons un peu, iSi 1'on refufera de me faire juftice; Juftice? Ceft trop peu. Je veux qu'on m'applaudifib. JMon, que ma vanité s'abaifle a recevoir De I'encens pour un trait qui ne fut qu'un devoir; Mais enfin, dans un fiécle égoïfte & barbare, Oü le crime eft d ufage & la vertu fi rare, Je prétends qu'un arrêt, en termes folemnels, Cite mon innocence en exemple aux mortels. Philinte riant. La méthode, en effet, feroit toute nouvelle. A l c e s t e. %n feroit-elle donc & moins jufte & moins belle? Philinte. Mais comment voulez-vous, obügé de partir?... A l c e s t e. Mon bien refte; & plutót que de me démentir, J'en emplojrai la rente & le fond, je vous jure, A fauver a l'honneur une mortelle injure. j'attends un Avocat, & je vais Pen charger. Et vous, en ce moment, qui voulez m'obliger, Par la proteétion d'un oncle qpe j'honore, Que je connois beaucoup, j'ajoute même encore Digne du noble pofte otl j'appreods qu'on 1'a mis; Gardez-vous, je vous prie, au moins, mes chers amis, De fouiller, par vos foins, la beauté de ma caufe; S'il faut d'un tel crédit que votre main difpofe, Que ce foit par clémence, ou pour aider des droits, Que ne peut proiéger la foiblefle des lois.  ( 13 ) SCÈNE VII. ELIANTE, ALCESTE, DUBOIS, PHILINTE. A l c e s t e. Te voila ? Tu viens feul ? Dubois. Ah! Monfieur, quel mefTagei A l c e s t e. Quoi donc? Dubois. Si vous faviez.... A l c e s t e. Parle fans verbiage. Dubois. Je n'aurois jamais cru, puifqu'il faut achever, Monfieur, un Avocat fi pénible a trouver. A l c e s T e. En vient-il un enfin? Dubois. Donnez-vous patience» A l c e s t e. Morbleu t..- Dubois. je viens, Monfieur... A l c e s T e. Et d'oü ?Dubois. De 1'audienceï A i c e 8 ï e. Mé bien i Dubois. Vous m'avoürez qu'en un femblable cas, C'étoit un bon moyen d'avoir des Avocals? A l c e s t e. Finis, bavard. Dubois. J'arrive en une grande falie. J'entre modcileinenf, & fans bruit, fans fcandale,.  ( 14 ) Pafffli vingt pelotons d'hommes noirs, doucemenï J'adrefle a 1'un d'entre eux mon peiit compliment. '11 avoit un grand air, une attitude a peindre; II m'a bien écouté; je ne peux pas me plaindre. alceste. Abrége, impertinent. Dubois. Lk fans faire Ie fot, . ■ Ce que vous m'avez dit, je 1'ai dit mot k mot. Que croiriez-vous, Monfieur?... alceste. Parle. Dubois. II s'eft mis k lire. Non, vraimcnt, comrae j'ai 1'honneur de vous Ie dire. A tous fes compagnons d'un & d'autre cöté, II m'a conduit lui-même avec civilité; Et, dans moins d'un in (tant, autour de moi, fans pcine> Au lieu d'un Avoeat j'en avois Ia centaine. A trente queftions j'ai fort bien répondu, Et de rire toujours. Du refte, tems perdu; Nul n'a voulu venir. alceste. Comment, Maraud!... Dubois. De grace, Attendez un moment. Alors, d'une voix bafle, L'un des rieurs m'a dit: ,, Mon ami, voyez-vous ,, Cet homme feul, Ik-bas, qui lit? C'eft, entre-noüs, „ L'homme qui vous convient. Abordez-le." J'y vole: C'eft un homme allez mal vétu; mais la parole 11 la pofféde bien, fi je peux en juger. Bref, nous fommes d'accord ; & pour vous obliger, II va venir ici; j'ai dit votre demeure; Et vous allez Ie voir, Monfieur, dans un quart d'heure. SCÈNE VUL ELIANTE, ALCESTE, PHILINTE, JP H i l i N t e. e vois, a fon difcours bien circonltancié, Qu'tm homme de rebut va vous être envoyé. , alceste» Qu'importe?  ( 15) PHILINTE. Un ignorant, & quelque pauvre hère.... ALCESTE. Que mon opinion de Ia vötre differe! Car il me plaït déja. PHILINTE riant. Je n'en fuis pas furpris. ALCESTE. Hé! mon Dieu, laiffez donc vos farcafmes, vos ris. Rentrons. Je fuis a vous, Madame, a 1'inftant même. (Eliantc fort.') Et vous, Monfieur, malgré Ia répugnance extréme, Que pour un homme pauvre, ici, vous faites voir, Sachez que, dan.s un tems fi funefte au devoir, Oü rien n'enrichit mieux que le crime & le vice, La pauvreté fouvent eft un heureux indice. Fin du premier AEte* ACTE IL SCÈNE PREMIÈRE. DUBOIS, L'A V O C A T. MD n b o i s. o n maïtre eft fur mes pas: bientöt vous I'allez vofr. Mais, Monfieur 1'Avocat, voulez - vous vous afleoir? • L'A v o c A T. Non; car je fuis prefie. Retournez, je vous prie, Comme, dans ce moment, le tems me contrarie, Dites a votre maitre, en grace, de héter L'entretien qu'il demande. Dubois, Oui, je vais 1'exciter A venir...; (II va revient.) Voyez-vous; certain tracas raffomme.... Mais vous ferez content; car c'eft un honnête homme»' {II fort.)  C te 3 SCÈNE II. L' A V O C A T, feul. Je ne peux fetarder un fi prefTant fecours. Dans deux heures d'ici, j'ai rendez-vous; j'y cours; Et fi !'on me procure une prompte audience, Mon fripón n'aura pas tout le fuccès qu'il penfe. Rien n'eft tel qu'un fripon, pour démêler d'abord Le front d'un honnête homme.t Et quelque grand effori Que j'aie, "a fon afpèft, pu faire fur moi -même^ Le fourbe a démêlé ma répugnance extréme. Sa lettre me le prouve. fl eft aifé de voir, Que, fi je ne me héte, il trompe mon efpoir. Uifques au moindre mor, 11 je 1'ai bien comprife, Tout y montre fon but... IVIais que je la relife. (// lit la lettre d'une maniere lente , bien aiticulée & réfiécliie.) „ Aprés tout ce qué je vous ai dit, hier,j, Monfieur 1'Avoeat, je ne vois pas pourquoi „ vous n'avez pas déja faic choix d'un Procu}, reur qui comprenne & hate comme il faut j, notre affaire. J'arriverai demain au foir (aus, jourd'hui) de Vcrfailles a Paris. Si, dans la journée , vous n'avez pourvu a cela, pour yi contraindre, fans retarrj , le Comte deValanj, cés aü payerrcnt de fon billet, & d'une ma- niere convenable k bien lier ee Comte de 3, Valancés, ii faudrachercherd'autresmoyens. }, Je fuis votre ferviteur. Robert." (II plie la lettre la ferre.) Ali! fourbe dangereux! Robert, Monfieur Robert, Dans les crimes adroits vous êtes un Expert. Mais je vous préviendrai, pour peu qu'on me feconde. On vient... C'a, pour remplir 1'efpoir oü je me fon dé, Dcpèclious. ■..' SGENE  ( 17) SCÈNE in. DUBOIS, ALCESTE, L' AVOCAT. , , ALCESTE. Hé! Dubois!... fors; & fais qu'uu moment, On me IaiiTe tranquille en eet appartement. (Dubois fort) SCÈNE IV. ALCESTE, L' AVOC AT. . ALCESTE. Aux périls du hafard, Monfieur, fans vous connoitre, je vous fais appeller, & j'ai bien fait peut-être; Car fi tout votre afpect eft un parfait miroir, Vous êtes honnête homme, autant que je puis voir. L' A V o C A T. Monfieur... ALCESTE. Ne croyez pas qu'ici je m'en informe, Dc telles queftions font toujours pour la forme; Et c'eft dans le travail que je vals vous livrei-, Que je verrai, de vous, ce qu'il faut augurer. L' A V O C A T. N'attendez pas non plus, Monfieu<-, que je m'épuife A vous perfuader fur ma grande frauchife. Dès le premier abord, deux hommes ont le droit De fe jugcr entre eux fur ce que chacun croit, C'eft 1'ufage au furplus. Je fais ce que je penfe; Et je n'arrache pas, Monfieur, la confiaace. ALCESTE. Vous me plaifez ainfi. Venons au fait. Exprès.... L' A V o C A T. Avant de me mêler, Morfieur, a vos fecrets, Apprenez-moi s'il faut, fans dé'ai, ni remife, Dans quelque objet prelTant prêter mon entremife? ALCESTE. Dans ce jour, tout-a-riieure, aTinfiant.  ( 18 ) L'A v o c a t; Je ne pui» M'cn charger. alceste.' Savez-vous en quel état je fuis, Monfieur? Et pouvez-vous, dans une telle affaire, Sans trahirles devoirs de votre miniftere, Me refufer les foins que j'implore de vous? C'eft une iniquité. L'a v o c a t. Calmez votre courroux; A de nouveaux devoirs chaque fois qu'on m'appeUe, J'y vole avec plaiiir, je puis dire avec zele, Et c'eft pour le prouver que je me trouve ici. Tous ceux que j'entreprends, je les rempiis. Auffi Quand 1'efprit d'une affaire, ou mon tems m'en é'oi^nentj 11 n'eft point de motif ni de loi qui m'enjoignent De me charger, fans choix, de foins embarraflans , Pour négliger alors les plus intéreffans. a l c e s t e. L'affaire qui me touche eft preffée, importante $ Arrivé cette nuit, je pars demain. L'attente Peut être dangereufe. L'A v o c a t. Une même raifon Dans deux heures au plus m'appelle en ma maifom alceste. Ah! Monfieur, eft-ce donc Ia chaleur noble & forte Qui devroit animer !es gens de votre iorte ? L'A v o c a t. Mais, Monfieur... alceste. On devroir, par une expreffe loi ^ Défendre aTAvocat de difpofer de foi. L'A v o c a t. Je fuis flatté, vraiment, de cette préférence Qui vous fait... alceste. Vous avez gagné ma conliance, Et c'eft en abufer. L* A v o c a t. De grace, difïérons... A l c e s t 11. Mais vous prendrez ma caufe, ou parbleu! nous verrons. L' A v o c a t. Monfieur, daignez m'entend re; & loin que ces murmures PuilTent dans mou efprit pator pour des injures,  t 19 > Loin de m'en offenfer, peut-être ce courroux Dérermine, a 1'inftant, mon eftime pour vous. Et, s'il faut en donner une preuve certaine, Apprenez feulement le mótif qui m'enchaine, _ Et qui, pour quelques jours, ou moins pouraujourd'huij M'empêcbe, a vos delirs, de prêter mon appui. (Avec chaleur.) Vous al!ez décider du zele qui me pouffe. Et fi c'eft jultement que Xteglieur fe courrouce, Quand je refufe un tems que je viens d'engage*» Pour parer, fans retard, au plus piell'ant danger. A L C E S T E. Voyons, ivlonfieur... ce ton me Irappe & m'intérefTei L' A v o c A T. Je tais dans mon récit, & par délicateffe, Les noms des deux acteurs d'un obfcur démêlé, Ou 1'un eft le voleur Sc 1'autre le volé; Car j'ignore après tout quelle en fera la fuite. Un bómme, a moi connu par fa lache conduite, Sans probité, ni mceurs, un homme qu'autrefois je fauvai par pitié de la rigueur des lois, Qui n'eut jamais de bien, ni de reffburce tionuête," Avant-hier vient h moi, me dit en tête a tête Qu'une fomme montant a deux cent mille écus , Portee en un billet, en termes bien concus, Eli düc a lui patiant. La (ignature eft vraie, 1'en fuis fur, & voila, Monfieur, ce qui m'efTraie; La dette ne i'elt pas: je vais vous Ie prouver. ALCESTE. O grand Dieu!... L' A v o c A T. Cependant, je ne fais ou trouver' L'homme trop confiant qui figna ce faux titre, Que je tiens en rnes mains, lans en être 1'arbitre. ALCESTE. Mais vous favez Ie nom de ce Monfieur? L' A v o c A T. D'accord* J'ai demandé, cherché, couru par-tout d'abord; On ne fait que! il eft; deux jours n'ont pu fuffirej Et le fripon adroit refufe de m'infrruire, Jufqu'a ce qu'un éclat. finement ménagé, Mé tienne en un procés a fa caufe ahgagé. ALCESTE. C'eft un grand malheureux. S si  C 20 ) L' A V O C A T. 11 fe repen:, fans doute. De m'en avoir trop dit, & veut changer de route, ALCESTE. Le traitrc! , L' A V O C A T. Ecoutez-moi, Monlieur; vous allez voir La parfake évidence en un crime li noir. Je dis crime a la lettre, &^wJtveux de preuve Qu'un feul trait du fripon 'pour me mettre h i'épreuve\: Car, me voyant enfin quelque peu foupcjnneux, Après certains détails & .... même des aveux, Pour fe faire appuyer a pourfuivre fon homme, II m'ofe offrir un tiers pour ma part dans la fomme... J'ai caché devant lui mon indignation, Et gardé le lilence en cette occafion, Pour fauver, s'il fe peut, d'une ruine fflre Un homme, qui lans doutc a cette fraude obfcure Ne s'attend nullement, non plus qu'k fon malheur, Et croit n'avoir ligné qu'un titre fans vaieur, Quelque fimple mandat ou bien quelque quittance. ALCESTE. Vous me faites frémir. En cette circonftance, Que ne dénoncez-vous foudain au Magifirat, La manoeuvre & Ie cceur d'un pareil fcélérat? L' A V O C A T. Eh! Monfieur, en ceci, ma certitude intime, Suffit-el!e a la loi, pour attefier le crime? Cette loi le protégé; & je crains, aujourd'hui. De le forcer lui-même a s'en faire un appui. Contraint par le péril a plus d'effronterie, II foutiendroit 1'éclat de cette fourberie; Et de ce mauvais pas, en procés conuerti, L'opprimé ne pourroit tirer aucun parti. ALCESTE. Que ferez-vous, Monfieur? Je vous vois fort en peinei L' A v o c A T. II me refte h trouver la demeure certaine De 1'homme que menace un femblable billet. Le fripon eft rufé; ma letiteur lui déplait; |'ai peur que de ma main bientöt il ne reiire Son titre frauduleux... Je n'ai rien a lui dire; A des gens moins au fait, moins délicats que moi, Ce billet peut palier; & dans ce cas, je voi De fort grands cmbarras.  '( 21 ) ALCESTE, Quelle eft votre reflburce? Ne puis-je vous aider de mes lbms, de ma bourle? Car fur voire récit je me lens en courroux, Et je prends a i'affaire intérêt comme vous. L' A V O C a T. Monfieur,... un homme en place,.. .un Miniftrepropice, Qui, fans bruit, fanséclat, fans forme de Juftice, Manderoit devanrlui le faufftfire impudent, Pour éclaircir le fait d'un ton fage & prudent, A prévenir le coup réufiiroit peut-êtra. Je n'héiiterois pas, en ce cas, a paroitre. A mon afpeéf. lui feul, le fourbe confondu, Tout rempli d'épouvante & fe croyant perdu. Se trouveroit fans voix, fans détours, fins défenfe, Et 1'aveu de fon crime obtiendroit la clémence. A L c e s T E. Fort bien imaginé!... Je peux vous y fervir. L' A v o c i\ t. Inconnu, fans crédit, je ne peux réuffir Dans ce projet fenfé, mais dangereux peut-être, Si fans ménagement je me faifois connuitre. On m'en promet ce foir un moyen politif. J'ai rendcz-vous bientot pour ce prelfant motif: Et voila les raifonS qui' m'empêchent de prendre Tous les foins que de moi, vous aviez droit d'attendre. A L C E S T E, (vivement.) Ne parions plus de moi; c'eft pour un autre jour. Nous nous verrons Je fonge a votre heureux détour, Pour confondre un méchant... j'ai, je crois, votre affaire. L' A V O C a T. Vous, Monfieur ? ALCESTE. Grand crédit auprès du Miniftere. L' A v o c a x. Eft-il pofllble? Vous! ALCESTE. Non pas moi: mes amis. L' A v o c a T, Quelle rencontre! ALCESTE. Allez oü vouz avez promis, Etrevenez, Monfieur, s'il fe peut, dans une heurc.' Je ne fortirai pas, & pour vous je demeure; jiicrivez votre adreflé, ici, pour schever; Car les gens tels que vous font rares a trouver. Dubois! B 3  ( 22 ) SCÈNE V. ALCESTE, L' AVOCAT, DUBOIS. SA Ickste, a Dubois qui entre. ebvez Monfieur. ' (A ÏAvocat.) Je vole a 1'inftant même Vous chercher un appui dans votre ftratagême; Que vous me comblez d'aife en vos foins obligeans! Ah! giace au Ciel! il eft encor d'honnêtes gens! (Iljort.) SCÈNE VI. DUBOIS*, L'AVOCAT. QD u $ o n, ue faut-il i Monfieur? L' A v o c a t. Papier, plume, écritoire. Dubois. Je comprends. Vous allez barbouiller du grimoire; Et nous n'en fommes pas quittes dc ce coup-ci. Nous en avons regu notre faoul, Dieu merci! Je comptois, chaque ,,our, fur un paquet énorme.... Et toujours on difoit: „ Monfieur, c'clt pour la forme." L' A v o c a Ti Hatez-vous, je vous prie. Dubois. Ah! pardon. (II va (f revient.) Croyez fort Que je ne penfe pas que vous ayez grand tort. Loiïque les chicaneurs, que Dieu puiiTe confondre! Vous attaquent; vraimcnt, i! faut bien leur répondre, Rencire guerre pour guerre, & papier pour papier. A qui la faute? a vousr non pas; c'eft au métier. L'A v o c a t. Vous m'arrêtez ici, mon ami, donnez vite.  C 23 ) Dubois. Du papier? Vous allez en avoir'tout de fuite. {II va chercher du papier.) L'AvocAï, è lui-même. A ce nouvel appui me ferois-je attendu? Que je me fais bon gré de m'être ici rendu! Cet homme m'a fait voir une ême non commune, Dubois, revmnnt. Pardon, encore un coup, fi je vous importune; (e ne puis vous fervir, Monfieur, a votre gré! Vous écrivez toujours fur du papier timbré, Et nous n'en avons pas. L' A V O C A t. Eh! non: en diligence, Donnez m'en quel qu'il foit. D u B' O i S s'en allant. C'eft une diftërenee. L' A v o c a t. A cet air de eandeur, je vois de ce cöté, Pour aller a mon but, plus de célérité. Quel zele véhément!... Dubois appottant ce qu'il faut pour ècrire'. Voici fur cette table, Ce qu'il vous faut, Monfieur. CL'Avocat écrit, £ƒ Dubois un pen êloigné continue :) Quel procés déteitable! Nous fuivra-t-il par-tout?... jugez donc! de courir Trente poftes, au moins, fans pouvoir en fortir. Paimerois mieux, je crois, f;e le v^l fok remis; Le mal rettera mal toujours; il eft commis. Que le fripon triomphe, il lui tapt ces complices, Des agens, des fuppoits: par m'ile facrifiees. De mille parts du voi il fera dépjuiilé; Le tréfor conle & feit; diltribué, pilié, J! fe difperfe: enfin, par un reflex uti'e, La fortune d'un homme en er.nehit ceux rrf."e. Un fot a tout perdu , mais 1'Erat n'y perd n'en. Ainfi j'ai donc raifon de dire: Tout eft bien. A l c e s t e. O mreurs! Philinte. O c'arté, moi, je prèche ici... A l c e s t e. Des m'mnp Je ne veux pas repondre a ces laches maximes. Vous futes mon smi... Philinte. Quand on fe voit prifie. alceste. J'en fuis honteux pour vous. Philinte. D.tes embarraiTê. alceste. Embarrsffé! grand Dieu!... Si fur votre parefib Je ce jertois PafFront que vous fait .votre adreBe, Si ces principes-Ia conduifjient votre errur, Je ne vous verrois plus qj'avec des ycux d'horreur. Et voila oonc commert les heureux de Ia terre Savenr fe difpenfer ai;jo'jr*d'hui de bien f«rrel Tout elt bien, dites-vot.s? Et vous n'établiffisi Ce fyiteme accablant, que vuus embelul&z  C 23 ) Des feuls effets du crime & des couleurs du vice, Que pour vous difpenfcr de rendre un bon office a quelque infortuné, victime d'un pervers. AllezI pour vous punir d'un li cruel travers, Je ne voudrois vous voir qu'un inllant en préfence De cet infortuné réclamant la vengeance Et du Ciel & des loix, au moment douloureux Qu'il fe verra frappé de ce coup défaltreux. Ses cris, fon défefpoir, fa familie affligée, Sa probité, peut être, h fes biens engagée, Verriez-vous tout cela d'un ceil fee & cruel? Philinte. Je lui dirois: „ Mon cher, votre état aétuel, Croyez-moi, chaque jour, eft celui de mille autres. Tel homme étoit fans biens & s'enrichit des vótres. Vous les aviez. pourquoi ne les auroit-il pas? Rappellez la fortune & courez fur fes pas. Quand vous 1'aurez, craignez qu'on ne vous la dérobc; Vous n'êtes qu'un atöme & qu'un point fur le globe. Voulez-vous qu'en entier ii veille k votre bien? II s'arrange en total;" en total, tout eft bien. alceste. Non, je ne croyois pas, je dois enfin le dire, Que la foif de mal faire allat jufqu'au délire. le ne fais plus quel mot pourroit être emprunté Pour peindre cet excès d'infenfibilité, Cet efprit de vertige & ces lueurs ineptes Qui réduifent ainli 1'égoïfme en préceptes. Tout eft bien! infenfés? Hé; vous ne pouvez pas Sans toucher votre errcur faire le moindre pas. Tout eft bien? Oui fans doute, en embraftant le monde, J'y vois cette fagelfe éternelle & profonde, Qui voulut en régler INmniuable beauté; Mais 1'homme n'a-t-il point fa franche Iiberté? Ne dépend-il donc pas d'un impudent faufiaire, De ne pas friponner ainli qu'il veut le fa're? Ne tient-il pas k vous de prêter votre appui A 1'homme infortuné qu'on ruine aujourd'bui ? Ne tient-il pas k moi, fur un refus tranquille, De vous fuir h jamais comme un homme inutile? Or, on peut faire, ou non, le bien comme le malt Si nous avons ce droit favorable ou fatal, Dans ce que 1'homme a fait, au gré de fon caprice; Or donc, tout n'eft pas bien; ou vous niez le vice? Parmi les braves gens, loyaux, fenfibles, bons, 'ujdroic donc aufii des méchans, des fripons,  1*9 ) Dans l'optimifine affreux que votre efprit époufe ? De fa peifecüon la nature efr jaloul'e, Sans doute, & c'eft toujours le but de fes bienfaits.' IVlaïs nous ne fomnies pas comme elle nous a faits. Moins nous avons changé, plus nous fommes hor.nêtes; Et je vous ai connu bien meilieur que vous n'êtes. Lailléz ce faux fyftême a ces vils opulens, Qui, jufques dans le crime, énervés, indolens, Dans la mort de leur cceur fommeillent & repofent Loin des maux qu'ils ont faits & des plaintes qu'ils caufent. Eh! quoi! fi tout eft bien, a ce cri défaltreux, Que va-t-il donc refter a tant de malheureux. Si vous leur raviffez jufques a 1'efpérance? Vous endürciffez 1'homme a fa propre fouffrance ? II alloit s'attendrir, vous lui fécfie'2 le cceur? Vous clotiez le bienfait aux mains du bienfaiteur? Ah! je n'ofe pius loin poulTer cette peinture. Pour le bien des humains & grace a la nature, Aux erreurs de 1'efprit la pitié furvivra. L'homme fent qu'il eft homme; &, tant qu'il fentira Que les malheurs d'autrui peuvent un jour 1'atteindre» II prendra part aux maux qu'il a raifon de craindre. Quoi qu'il en foit enfin, voulez-vous m'obliger? A fervir ces gens-ci puis-je vous engager? Soliiciterez-vous votre oncle? Philinte. Mais de grace, Obfervez donc, Alcefte... alceste. Au fait. Le tems fe paffe: Mon homme va venir. Répondez? Philinte. Je ne vois... a l c e s t e. Monfieur, le voulez-vous, pour la derniere fois? Philinte. Mais vous êtes prelfant d'une étrange maniere: II eft mille raifons, qu'avec pleine lumiere, Je peux vous expofer: raifons fortes pour nous. Mais on ne peut jamais s'expüquer avec vous. alceste. Ah! jufte ciel! pourquoi, dans mon inquiétude, Cherchois-je des amis, de qui 1'ingratitude....  C 36 ) SCÈNE X. ALCESTE, L'AVOCAT, PHILINTE. VALCESTE, dl'Avocat. & vivement. enez. Voila, Monfieur dont je vous ai parlé, Qui peut finir d'un mot un facheux démêlé, Qui (e dit mon ami, que 1'égoïTme abufe Jufques k fe parer d'une honteufè excufe, Pour ne pas engager un oncie, fon foutien, Miniftre généreux, vraiment homme de bien, A. fervir un projet aiiffi fimple qu'honnête. A le.perfuader je perds en vain Ia tête; Sur fon üme intraitable & qu'a préfent je voi, Prenez, fi vous pouvez, plus d'afcendant que moi. L' A V O C A T. Je ne puis d'aucun droit appuyer ma demande: Et Dia crainte pourtant ne fut jamais plus grande. En' fortant, j'ai trouvé, Monfieur, fur mon chemin, Cet ami qui devoit me procurer demain L'entretien & l'appui d'un homme d'importance; ]( remet k huit jours cette utile audience. Le tems fuit, le mal vole; & dans fes vils détours, Le crime peut alfeoir fon fuccès en huit jours. Je reviens vous conter cet accident funelie; Car votre ame a préfent eft 1'efpoir qui me refie- ALCESTE. Hé bien! Philinte, hé bien! , L' A V O c A T, a Philinte. Monfieur, je n'ofe pas Vous prier, k mon tour; mais de mon embarras Si vous êtes inftruit, comme vous devez 1'être, Un malheur auffi grand vous touchera, peut-être. Peut-être, répandu dans un monde éleié, Plus que Monfieur. d'hier feulement arrivé, Plus que moi, qui n'ai pu rechercher quelque tracé Qu'auprès de queiques gens d'une moyenne clafie; Peut-être, dis-je, vous, Monfieur, vous connoitreZ L'homme k qui 1'on furprit ce billet. Vous verrez. (11 tire jon portefeuille, & fah mine de chercher le billet.) Je confens. fur Ia foi d'une exacïe prudence, A vcus faire du tóut entiere cunfiuence; Vous allez voir....  C 31 ) Philinte. Non . non, Monfieur; je ne veux pas Pénétrer ces fecrets: ils lont trop délicats. L' a v o c a t. Cependant.... Philinte. Jugez mieux de ma délicatefle. alceste, tendant la main. Mais, voyons.... Philinte,/? retenant. Non . mon cher; les gens dans la détrefle No font pas fatisfaiis que des yeux étrangeis Pénécrent ieurs befoins ainfi que leurs dangers. La curiofiié peut-être vous attire; Mais 15 vous Ie lifez, foudain je me retire. (A V'Avocat, qui referre Jon portefeuille avec une confufion doulvureufe.) Monfieur, fans me mêler, de fait, ni d'entretien, Au péril qui ne doit me regarder en rian, Je vous obferverai qu'un homme raifonnable, D'une hontcufe affaire & fort défasréable, Ne doit pas époufer les foins infruétueux. Et vous voyez déjh cet ami vertueux, D'abord impatient jufqu'k I'érourderie Par ce premier afpeét d'une friponnerie, Qui, rtraces au fecours de Ia réfiexion, Vous éconduit vous-même en cette occafiorf. Sagefie naturelle & louable.... alceste. J'enrage. Je me feche d'humeur a ce honteux langage. Comble d'égarement des hommes vicieux, De s'étayer du mal qui vient frapper leurs yeux, De pratiquer ce mal, d'en être les apótres, Paree qu'il fut commis & pratiqué par d'autres! Philinte. Cet autre dont je parle, homme incroyab'e & prompt, A fait ce qu'il faut faire & ce que tous feront. Et, fans trop m'ériger en cenfeur, je demande A Monfieur que voiia, dont Ia chaleur eft grande Pour divulguer k tous, par excès de pitié, Un fecret important qui lui fut confié; Je demande, fi, vu le pofte qu'il occupe, Jl eft tout-a-fait bien, pour fauver une dupe, Un fot, un mal-adroit, k lui très-inconnu, De trahir ie CJient, fecrétement venu  C 32 7 Vers lui, dans cet efpoir & dans cette afiuranee Qu'un Avocat ne peut tromper fa confiance ? ALCESTE, e» fureur. Vous tairez-vous, Philinte?.. Ah ! c'en eft trop... grand Dieuï Allons, il faut mourir; il n'eft point de milieu, Quand on voit ces détours, ces défenfes fubtiles.... Oh, morbleu!... c'elt ici le venin des reptiles.... Quoi! pour autorifer 1'infenfibilité, Biamer Ia venu même en fa fublimké! Sacnez donc.... L* Avocat, avec dignité. Non, Monfieur; c'eft a moi de répondre Au reproche étonnant qui ne peut me confondre. Les difcours, je le vois, deviendroient fuperflus; Quand on fent bien fon cceur, on ne difpute plus; Lt lorfqu'a cet excès Pefprit peut fe méprendre, On doit fe retirer pour n'en pas trop entendre. (II fort.) SCÈNE XI. ALCESTE, PHILINTE. PHILINTE, fuivant de l'ail £«f avec dépit C Avocat Qqvi fort. u'est-ce a dire?... ce ton... ces grands airs de vertu... ALCESTE. II fait bien. Vous n'avez que ce qui vous eft du. üaillez Phomme de bien, aimables gens du monde; 11 vous refte toujours cette tracé profonde, Ce trait défefpérant, qui, dans vos cceurs jaloux, Pour vous humilier s'enfonce malgré vous. Adieu. N'attendez pas, Monfieur, que je vous prie. Je vais voir Eliante; & fon ame attendrie Deviendra notre appui. Par un lêche confeil, Plus endurci toujours, a vous-même pareil, Faites donc échoucr cet efpoir qui me refte: Et comptez bien alors fur la haïne a'Alcelte. Fin du fecond Aiïe. ACTE  ACTE III. SCÈNE PREMIÈRE. ELIANTE, PHILINTE, ■»«■ Philinte. . . Madame, comme vous, avec facilité, Mon cceur fait exercer des actes de bonté. Mais, pour des étrangers alors qu'on s'intéreffe , N'allons pas, s'il vous plaït, jufques a la foiblélfe. Eliantè. Appellez-vous ainfi ce zele attendriffiint, Cette noble chaleur d'un creur cornpatifiant? Alcefte m'a toucbée; & fes récits encore, M'ofTrent un vrai malheur, xMonfieur, que je déploré* je tremble du danger que court un inconnü, Comme fi le pareif nous étoit fürvenu. Pen fuis vraiment émue. Oui, je fens.... philintè. Ilé! Madame t II faut fi peu de chofe a 1'efprit d'une femme Pour l'exalter-d'abord , & montrer, a fes fens, Jufques dans le péril des plaifirs ravifians% Mais comme. un rien 1'animé, un rien la décourage. II faut fur cet objet réflechir davantage: Et fans doute, changeant & d'avis & de loi, Vous fërez la première a penfer comme moi. ELIANTE. Dans vos opinions, dillinguez, je vous prie, Le fentiment, Monfieur, de la bizarr-rie ; Vous me furpienez fort, en confondant ainfi L'ème fenlible & bonne & le coeur réiréci. On doit pen s'y tromper, cependant: & je trouvé Un intérêt fi vif dans 1'elfet que j'éprouve; Dans nies fentimens v'rais & bien appréciés je changerai fi peu, quoique vous en difiez, "Qu'avec nouvelle inftance, ici, je vous conjure' De fatisfaire Alcefte. Philinte. Oh 1 non; jé vous Ie ju re.. S C 33 5  ( 34 ) eliante. Allez trouver mon oncle. Philinte. Impoffible. eliante. . -* Du moins, Laiflez a mes plaiiirs 1'embarras de ces foins. Philinte. Non, non. Madame,'non. D'une affaire fufpe&c,. En aucuna facan, détournée 011 directe, De gracc, obligez-moi de ne pas vous mêler. eliante. II fufiiroit d'un mot. Philinte. C'eft toujours trop parler, Quand ce mot gratuit ne nous efl pas utilev eliante. Quoi, faut-il Philinte. Je Ie vois, votre efprit indocile Feipt de ne pas fentir ma folide raifon, Et 1'intérêt commuh de toute ma maifon. Ceite feinte eft fans doute une nouvelle adrefiè Pour me eontrarier & vous rendre maitreffe. Hé bien! Madame, hé bien! puifqu'il faut m'explrquer* Sachez donc que tout homme eft funefte a choquer, Et le fourbe intriguant encore pius qu'un autre. De quoi nous mêlons-nous? Eft-elle donc la notre, Cette piteufe affaire, oü, par cent ennemis, Je verrois mon repos peut-être compromis? 'Du dangereux fa u (faire & de fa vile agence Ne puis-je pas enfin exciter la vengeance? Je le dis h regret; mais, malgré' fes penchans. Si 1'on blefle les bons. épargnons ies méchans; Leur courroux clandeilin dure touté Ia vie. Mais une autre raifon forte, & qui me eonvie Plus que toute autre encor a de fermes refus, C'eft que de fa faveur il faut craindre l'abus. Quand on a du crédit, c'eft pour nous, pour les nötres^ Qu'il faut le conferver, fans le paffer a d'autres: On n'en a jamais trop, pour que, de tonte part, On aille Pemployer & 1'ufer au hazard; Son affoibliflement n'arrive que trop vite; Vous vóulez Ie rebours de tout ce qu'on évite, Comme fi Ja coutume en effet n'étoit pas, Au lieu de porter ceux qu'on jette fur vos bras;  C 35 ) Pour fi peu de crédit qui vous tombe en partagé, D'être prompt au contraire k prendre de 1'ornbragë De toute créature & de tout protégé, Par qui Ton pourroit voir ce credit partagé, Soit pour les détourner, ou pour le mettre en fuïté. "Voila fur quels motifs je regie ma conduite.^ Je penie & vois le monde, & dis. de vous a moi, "Qu'il faut, pour vivre heureux, fe replier fur foi. ELIANTE. Pouvez-vous?... PHILINTE fechemsni. II fuffit. Que notre ami s'emportë,C'eft en vain; ma prudence eft ici la plus forte: De fon prix. je Ie fais, il peut disconvenir:_ Pagis au gré ou monde, & je veux m'y tenir. (li fort.) SCÈNE II. ELIANTE, feult. Je ne le vois que trop; c'eft ainfi que 1'on penfé; En eft-on plus heureux? Quelle tnfte prudencej De vouloir s'ifoler, de fe lier les mains, Et d'étouffer fon cceur au milieu des humains! Vous avez tort, Philinte! & je fuis importune. Ivlais ne pouvez-vous pas éprouver d'infomine? Èt vcrriez-vous aJors, d'un ceil tranquille &doux, Les hommes vous pourfuivre ou s'éloigner de vous? S C E N E III. ALCESTE, ELIANTE. -lt ELIANTE. .Nous avons fait, Alcefte, une vaine entreprife. Je ne puis vous aider. Je fuis femme & foumife* Philinte a des raifons qui fondent fon refus; Oui, j'avois trop promis. Mon efprit eft confus.,, ALCESTE. Madame, fur vos foins je ne forme aucun doufe. AlIónSj puifqu'on agit de la forte j j'écoute C i  (aö p Le feul cri de mon cceur & fon noble penchant. Je vais trouver votre oncle; oui, moi, moi, furie cbarap'J £t, quelque rifque enfin que je coure moi-même A me montrer a tous, quand un arrêt fuprêmo Menace dans ces lieux ma Iiberté.... eliante, alarmée. Comment ? Vous expofer ainfi? alceste. Plus de retardement, Si de mes ennemis la force m'environne, Jls verront a quel prix je livre ma perfonne, Et j'aurai le plaifir u'ajouter cet affront Aux mille aotres encore imprimés fur leur front, Que j'éprouvai toujours leur noire violence, ï3ans le moment piccis d'un trait de bienfaifance. ]I fera beau me voir, fauvant un inconnu, Par la main des méebans dans les fers détenu. eliante. Nous ne permettrtms pas que, paf exces de zeie, Vous eouriez ie danger.... alceste. La fortune cruelle Peut difpofer de moi tout comme ii lui plaira. Votre oncle m'eft connu, fon cceur m'écoutera, Et j'en obtiendrai tout; j'en fuis für, oui, j'y compteJe ferois bien faché d'épargner cette honte Au traitre de Philinte, a qui je ferai voir, Malgré tous les périls, comme on fait fon devoir., eliante. Non, je vais le trouver,... alceste. Rtmontrance inutile» E l i a n t e. Attendez,... A l c e s t e. 11 verra qae le bien eft facileAu cce.ur qui veut le faire. eliante. Alcefte, réprimez .. Voyons encor Philinte... Ah Dieu!... vous m'alarmez (Elle Jtirt avec promptitude.)  ( 37 ) SCÈNE IV. ALCESTE, feul. Qu'impokient mes dangers? Je terne 1'aventure. Oui, je vais demander des cbevaux, ma voiiure. Mon honnête Avocat avec moi peut venir, En deux heures de tems je lui fais obtenir.... SCÈNE V. ALCESTE, LE PROCUREUR. Qa l c e s t e, ü e vous plait-il, Monfieur? L e Procürep r. C'eft a vous, je préfume, Qu'en vertu de mon titre & fuivant la coutume, U faut que je m'adrelTe, en cette occafion, Monfieur, pour un billet dont il eft qupftion? alceste. Un billet? L e Procureur. Oui, Monfieur; conftituant la fomme De deux cent mille écus. alceste. Ah! — C'eft un honnête homme> Dont je fais trés-grand cas, qui vous envoye ici? Le Procureur, Précifément. alceste. Jl faut.... Le Procureur. Le payer. alceste. Qu'eft ceci? L e Procureur. C'eft un billet, Monfieur, qu'il faut payer fur 1'heure. alceste. Qui? moi? Le Procureur, Vous; n'eft-ce pas ici votre demeure? C 3  ( 38 ) alceste, Qui; qui donc êtes-vous, Monfieur, k votre tour? L f. P r o c u r e p r. |e me nomme Rolet, Procureur en Ia Cour. alceste. N'eft-ee pas pour 1'affaire importante & prefiee, Qui de mon Avocat occupe la penfée? Et ne s'agit-il pas d'un billet clandeftin, Pont ce Monfieur Pbcenix m'a parlé ce matin? L e Procureur. Oui, Monfieur. Ce billet, on bien lettre de chanee, Au gré de ma partie en mes ifiains paffe & change. Maitrc Phcnnix n'eft plus chargé de ce billet; Et c'eft moi qui pourfuis le paiment, s'il vous plait. a l c e s t e. Quqi donc? Mon Avocat, de cette grande sffaire..., L e Procureur. Ne fe mêlera plus, &. n'a plus rien a faire. C'eft moi qlll, mieux que lui", foijineux & vigüant, Me faifis de la caulc; &, grace a nion talent, L'eftet fera payé, croyez-en ma paroie, Sans quartier, ni 'rctard, ni grace d'une obole. alceste. Seroit-il bien poftible? Le Procureur, avec importance. Et j'ai des amis chauos. a_l c e s t e. Mais favez-vous, Monfieur, que ce billet eft faux? L e PliOC u r eur, faifant ie courroucé. Qu'eft-ce h dire? Et. quels font ces difeóurs illicites? Prenez garde, Monfieur, a ce que vous me dites. lly va de bien plus que vous ne Ie penfez, A tenir devant moi ces difcours infenfes, Jl y va de 1'honneur. Comment! une impofture? II eft faux? Et peut-on nier la fignature? alceste. Qu'importe h ce billet, comme a Ta faufteié, La iignaturc enfin, avec fa vériié? L e Procureur. Ah! vous en convenez, même après'ce fcandale? Vous ia confeflez vraie, exaéte, originale? Ah! je fuis enchanté de voir, par ce détour, A qui j'ai , pour le coup, affaire dans ce jour! je ne m'éronne plus de cette négligence De ce Maitrc Phccnix a commencer l'inftance. Digne & belle a dl ion d'un homme délicat! 11 s'eu charge en fecret, & c'eft votre Avopat!  ( 39 ) Prévarieation! coüufion perfide! JVlais vous avez en tête un Procureur rigide, •Un homme, grüce au Ciei, pour les mceurs renommé, A pourfuivre la fraude, en tout, accoutumé, Qu'on ne corxompra pas, dont Ie regard aullere i ijvaile foi r;e lailfe .aueun myftere. \ l C E s ï E, furieuv. -.■, as-tu bientöt fini? Jc ne (,„,....,,„, me tient que tu ne fois banni Loin dfi%»"par roes gens, & felon tes mérites. "•' P ' ! ,1 ; PROCUREUR. V io. c:: W>*»nHejr, 1'affaire aura des fuites. A L C E S T E. Stïrï: -'redoute r*éïc h bien! quel eft donc ce fracas ? Le Procureur, Vimplorant, Monfieur!... Monfieur!... Philinte. Que vois-je? Et que's fêcheux éclats! (Aux Laquais qui entourent le Procureur, £f cependant héfitent & "affect de Philinte.) Dubois! retirez-vous. (Les gens fortent.) SCÈNE VIII. ALCESTE, PHILINTE, LE PROCUREUR, Le Procureur, a Philinte. M o n s i e v r , je vous attefle Contre cet attentat infigne éi" mmifefte! Philinte, d Akeften Eb! mon cher, qu'eft ceci? A l c e s t e, furitux. Laiffêz-mói; mes tranfpom: Ma colere n'opt pas de termes afiez forts. Le Procureur, (faifant le courroucé,} Je viens pour un billet que Monfieur me dénie, En ofant me trafter avec ignominie. P ii i l } n t e, Un billet?  C 4i ) Le Procureur. Bod billet de deux cent mille écus. p h 1 l i iS t e. Ah! je commence a voir.... A l c e s t e. De vos laches refus Voyez-vous maintenant la fuite déplorable ? Mon Avocat n'a plus ce billet déteftable, Et le voila tombé dans les mams d'un fripon, l e procüke ur, Vous 1'entcndez, Monfieur? philinte, 4 Akefie. Cette fois, tout de bon, Vous perdez la cervelle; 8c votre humeur s'emporte A de facheux exces & d'une étrange forte a l c e s t e. Et comment faites-vous pour voir de ce fang-froid Toute perverfiori de juftice & de droit? Félicitez-vous bien de votre indifférence ,• Én voüh de beaux fruits, en cette circouftancej Dn fourbe fans pudeur, que fon pareil dél'end, Un homme ruiné, le crime triompbant; Et, parmi tant dnörreuts, 1'effet le plus étrange, C'eft qu'il femble que Pordre encore les arrange, Philinte, bien froïtement, £ƒ ricannant. Nc vous y trompez pas, & c'eft l'ordre en effet Qui dans le fond prélide k tout ce qui fe fait; Et vous verrez, Monlieur, que, malgré vos murmures, En ceci, tout ira fuivant mes conjeétures. Le grand malheur enfin pour fe tant gendarmer, Comme fi 1'univers tendoit k s'abïmer: Je plains les maux d'autrui; mais, au vrai, cette affaire, Dans la fomme des maux, me femble une misère. C'eft un billet de fait? D'abord. on plaidera; Et puis, su bout du compte, er,fin, on le patra; C'eft la regie, la loi; qui lij;ne ou répond, paye, Et je ne vois ia rien, rien du tout, qui m'efftaye. L e Procureur. Monfieur prend bien 1'affaire; & j'ofe demander, Moi, dont le devoir eft: d'inftruire, de plaider Pour les infonunés fans appui, fans refuije. Si j'ai tort ou raifon ? Je vqus en fais le jiige. Qn a fait un biilet: j'en préieiuis la valeur.... A l c e s t e. ïiifldieux agept, yotre homme eft un voleur.  ( 42 ) Le Procureur. Ceft ce qu'il faut prouver. philinte, au Procureur, Monfieur, lailfez.le dire} Faites votre métier. On vient de vous élire ; Pourfuivez donc 1'affaire, & vous aurez raifon. alceste. Ferme! Excitez-le encor h tant de trahifon. Je n'y faurois durer; & dans ce qui m'arrive, je ne puis plus tenir ma colere captive. jNe voyez-vous donc pas, ou feignez-vous enfin De ne pas voir Ie but de cet homme, plus fin Et plus fourbe, a jeu fur, des pieds jufqu'a la tête, Que mon lage Avocat lui-même n'eft honnête; Jl ne le fait que trop, que le billet eft faux. Le Procureur. C'eft un fait que je nie. Philinte, h Alcefte. Exces de vos défauts, De demander aux gens plus de droiture d'ame, Plus de lincérité que la loi n'en réclame. L e Procureu ai Qu'on ofe m'infulter ainfi devant témoins! On verra. alceste. Si je 1'ofe? Oui, traltre, de tes foins Tu fais bien quel fera Ie prix! Mais je protefle D'en rendre Ia noirceur publique ia manifelte; Oui, morb'eu! moi tout feul, je braverai tes coups. Oui, moi-même au procés.... philinte. Eh bien ! y penfez-vons? Comment? Vous engager dans la caufe ? alceste. Sans doute. Philinte. C'eft en trop. Ecoutez.... alceste. U n'eft rien que j'cccute. Philinte. Le dépit eft bizarre, & c'eft trop fort aufTi. alceste. Rien, rien, je plaiderai. Philinte. Parbleu! non.  ■ ( 43 ) A i. c li s ï e. Parbleu! ft Qui m'en empêchera? Philinte. jouünt te fentimenf. Moi, Monfieur, qui déplore Ce projet infenfé. J'ajoute même encore Que la faine raifon, les égards, la pitié Commandent a mon cceur bien moins que Tamitié. Par le fentiment feul ma prudence animce Devant ce zele ardent tient mon ame alarjnée.... De crainte. . . de regret. . . je me trouve faifi. Alceste, {ébec dègnüt.~) Quel langage étonnant avez-votis donc choifi? Vous, effrayé d'un trait qui me comble de jdieJ Et penfez-vous. Monfieur, que fottement je croie A tous ces faux femblans de fenlibiliié ? Non, non, elle n'a point ce langage apprêté. Quittez, ou démentez ces grimaces frivoies, Mais par des actions, & non par des paroles. Avouez-moi plutöt que je vous fais rougir; Que mon zele confond votre refus djagir,; , Et que, par un dépit rongcur, qui vous nccufe, Vous foüffrez li'un bienfait que votre Sme refufe. Voila votre état vrai ; voila ce que je crois; i Et comment la vertu ne perd jamais fes droits. Plus d'explication. Et vous, agent honnête, Nommez-moi; pour répondre au combat qui s'apprêie, Nommez-moi du billet, dont vous ctcs porteur, Le traitre créancier & ie faux débiteur, Vous n'avez pas encore une pleine viéloire. Philinte, «h Procureur. Non, ne le nommez pas, Monfieur, veuillez m'en croire. a l c e s t e. Je veux 1'apprendre, moi. Philinte. Vous ne le faurez pas. L e Procureur. Meineurs, je n'entends rien a de pareils «.•ébats. Les noms dont il s'agit , dont l'enquête m'ótonne, Monfieur le fait fort bien. A l c e s t e. Qui? moi? L, e P r o c u r eu r. Miepx que perfonne.  C 44 ) A l c e s t e. Comment? . . . Le Procureur. Le débiteur, c'eft vous .... A l c e s t e. Moi? fcélérat. L e procureur, cherclmnt jon carnet* Vous. En voici la preuve en ce brief contrat. Soufcrit dans Ia teneur d'une lettre de cbange, Au feul profït d'Ignace - André Robert. Philinte, jurpris. Qu'entends-je? Robert? Un Intendant de maifon? Le Procureur. Je le fais. Monfieur fon débiteur, Comte de Valancés. Philinte. av$c effroi. Qu'avez-vous dit?..Comment?..Monfieur, prenez-y garde! Comment!... L e Pr o'c u r e u r. Sans le prouver, jamais je ne hafarde Aucun fait; & voici. ... Philinte, avec une force ejfrayante. Savez-vous que c'eft moi? Le Procureur. Comte de Valancés? Philinte. Moi-même. A l c e s t f., étourdi. Vous?... Eh quoi!... Qu'eft ceci ? L e Procureur, mmtrant de jes deux mains le billet qu'il üent avec prècaution. Vous devez en cette conjonélure Connoltre donc ce titre & votre iigngture? Philinte, avec le cri du déjejpoir. O grand Dieu! c'eft mon feing! A l c e s t e. Le vó,tre? Julle Ciel! Philinte, vivement d Alcefte. Comte de Valancés; c'eft mon nom aétuel: Et le traitre Robert eft un fripon infigne, Qu'avec une rigueur dont il étoit bien digne,  C 45 ) Depuis quinze ou vingt jours j'ai chaffé de chez rrioi % C'eft lui qui m'a furpris le billet que je voi. A tt c e s t e , avec terreur. Vous? ... Philinte, d'un tems au Procureur. Billet faux! Monlieur, que vuus devez me rendre. Ah! gardez-vous, au moins, d'oier rien entreprendrel Le Procureur. Je ne connois ici que mon titre. (Philinte Je jette dam un fauteuil, accabié parfondéfefpoir.) alceste. Oh! morbleu! C'eft vous que le deltin, par un terrible jeu, Veut inflruire & punir? ... O célefte juftice! Votre malheur m'accable, & je fuis au fupplice. Mais je ne prendrois pas, moi, de ce coup du fort, Cent mille écus comptant , . . Eh bien! avois-je tort? Tout eft-il bien, Monfieur? philinte, ƒ« levant a-sec fureur. Je me perds. ... je m'égaie - , . O perfidie! . . oliede & pervers & barbare! . . Hommes vils & fans foi! . . Que vais-je de venir? . . Rage 1.. fureur.'.. vengeance!.. il faut... on doit punir.. Juxterminer. . . (Le Procureur file pour fe fauver; ü va le faifir,~J Monfieur! . . . Reftez, fur volte tête! Le Procureur. Comment? & de quel droit eft ce que 1'on m'arrête? PHHl» t li. Vous répondrez du mal que vous alfez caufer. Le Procureur. J'y confens. Philinte. Mon déni doit vous défabafer. Vous feriez compromis, 1'honneur & votre place. . . . ' Le Procureur. Bagatelle! . . . Ceci n'a rien qui m'cmbarraffe. alceste, au Frocuteur. Sors donc; fuis loin de nous. Le Procureur, mtnagant. Oui , je fors... a mon tour... II eft tard, la nuk vient... demain il fera jour. (II i'avance pour foriir.')  C 46 ) Philinte, égarê. Hé! Champagne! a l'inftant, ies chevaux, Ja voittiref.ï Le Procureuh, retournant. Evailon fubite! . . . a demain. . . . SCÈNE IX. ALCESTE, PHILINTE. Philihte, déjefpéré cjf s'abymant dans un fauteuil* L'lMPOSTUR* Peut-elle aller plus loin? . . Je ne fais ou j'en fuis. ALCESTE. 'Vous pouvez difpoftr de tout ce que je puis. Mes reproehes, Monfieur, feroient juftes, je penfe; Mais-mon cceur les retient; le vótre m'en difpenfe. Tour mérité qu'il eft, le malheur a fes droits, La pitié des bons cceurs, le refpeét des plus froids. Mon urne fe contrahit, quand la vötre eft preffée. ' Quand vous ferez heureux, vous faurez ma penfée^ Allons nous confulter fur cette affaire-ci. Je vais faire avertir mon Avocat auffi. Je fouffre borriblement pour votre aimable femme. Quand a vous... Profitez; c'eft le vcau de mon Sme. (ƒ/ va pour fortir: il voit que Philinte eft abymé dans fi dauleur; la pitié leramene; il le prend par la main, l*emmene avec lui,) Fin du troifieme Afte*  ( 47 ) ACTE IV. SCÈNE PREMIÈRE. ALCESTE, fe levant £? t'ajfeyant avec iniuiétude,, DUBOIS. JD o B o i s. e ne puis m'en cacher, foi d'ljonnête valet, Je ne contredis point & veux ce qui vous plak; Mais vous vous faites mal, par ces facons de vivre; Voulez-vous vous tuer? Vous n'avez qu'a pourfuivre. alceste. Que viens-tu me conter? Qu'on me laiiïe en repos. D ü E o i s. Je vous conté, Monfieur, des chofes a propos. Départ préeipité, pofte & mauvaife route, Et d'un; ce font deux nuits que tout cela vous co.üte. Vous palfez la troiiieme a ranger vos papiers ; Et eelle-ci fait quatre: oui: quatre jours entiers Que, vous n'avez dormi. Et de quelie maniere Avez-vous donc encor paffe Ia nutt derniere? Debout, affis, debout; c'eft un métier d'enfer; Monfieur, penfez-y bien; Ie corps n'eft pas de fer. A l c e s t e. As-tu bientut ftni ton f§cheux bavardage? Dubois. Non, Monfieur; battez-moi, fi vous voulez. J'enrage De vous voir ménager fi peu vorre fanté; Et toujours pour autrui, par excès de bonté. Kecdre fervice? Oui da; fort bien! je vous admirej Mais il faut du repos; & je dois vous Ie dire. alceste. Pefte foit de ta lanpue! & ton maudit babil.... Dubois, calant, Alions, alions.,.. A l C e S T e» Dubois?  ( 48 ) D u b o i s. Monfieur? A L c E S t E Quelle heure efl-il ? Dubois. Neuf heures du matin. A L c e S t e. Dèja, Comment, encore. Ils ne font pas venus? Long-tems avant l'aurore lis avoient projetté d'être ici de retour. Dubois. II falloit vous coucher, & vous lever au jour. alceste. Al) l pour le coup... Vois donc... j'entends une voi turé.. * Dubois. Irai-je voir? A l c e s t e; Oui, cours. D u b o i s, allant £f revenanti J'y vais... Par aventure, Si ce font eux, faut-il leur dire? alceste. Que j'aftends. D u b o i s, de même. Bien... Je ne dirai pas que c'eft depuis long-tems? alceste, Non. Dubois, va. (11 revient) Qui dois-je averlir, Monfieur, de votre attente! Eft-ce Monfieur Philinte, on Madame Eliante5... alceste. Ah! que d'amufement! Veux-tu bien décamper? Dubois. Tout ceci, c'eft, Monlieur, de peur de me tromper. Les vuila tous les deux.... A l c e s t Ê. a'lons, fors donc. (Dulois fort.) SCÈNE  C 49 ) SCÈNE II. ELIANTE, ALCESTE, PHILINTE. ALCESTE, allant prendre Eliante, qu'il conduit dans un fauteuil. * » 1YI a d a m è ,' Voici des embarras facbeux pour une femme; Et des peines d'efprit, plus cruelles encor, Pour vous fur-tout, pour vous qui n'avez aucun tort, Qui méritez fi peu cet accident finiftre. Eh bien! qu'a dit, qu'a fait, que pourra le Minifire? Ce brave homme, je crois, n'a pas vu fans douleur, Sans un vif intéröt votre cruel malheur? Philinte. Nous n'avons fait tous deux qu'un vóyage inutile. alceste. Comment donc? Eliante, fe levant. Cher Alcefte, il eft affez facile D'imaginer la1 part & 1'intérêt que prend Mon oncle, h cette affaire: il eft fort bon parent. Mais trop tard, en effet, nous implorons fon aidé. Votre moyen d'hier étoit un för remede, Tant que votre Avocat, par un concours heureux, Avoit entre fes mains ce billet dangereux; TVlais aujourd'hui qu'il eft entre les mains d'un autre Dans le parti du i'ourbe & trés contraire au nótre, Mon oncle nous a dit & clairement fait voir Que, même fans blefier les loix ni fon devoir, S'il prêtoit ïi nos vceux fa fecrete entremife, On pourroit 1'accufer d'une injufte entreprifè, Que nos vils ennemis feroient fonner bien haut Tour appUyer leur caufe & nous meitre en défaut. Et 1'honnête Avocat, qui nous fervoit de guide, L'a trouvé, comme moi, plus prudent que timide; ALCESTE. Mon avis eft le même.... Et qu'en avez-vous fait De mon cher Avocat? Eliante. Oh! bien cher en effet. ALCESTE. A travers les foucis que ce moment préparé, Madame, conveiiez que c'eft un homme rare. D  ( 50 ) ELIANTE. Homme rare en tout point, & par fa probiié, Par fon grand jngement, par fa iïmplicité, Et fa fcience claire a quiconque 1'écoute, Et qui nous a frappés durant toute la route. ALCESTE. Vous me faites plaifir. Qu'eft-il donc devenu? Philinte. Avant notre retour, un projet m'eft venu, Et je l'at fupplié de prendre un peu 1'avance, De venir a Paris, lui feul en diligence, Pour parer a la hace a tout faeheux éclat. ALCESTE. Quel eft donc ce projet? SCÈNE III. ELIANTE, ALCESTE, DUBOIS, PHILINTE. DBBOIS, annonfant. M o n s i e u r votre Avocat alceste. Bon! qu'il entre.... (Dubois fort.') SCÈNE IV. ELIANTE, ALCESTE, PHILINTE. alceste, a Eliante. M ad A m e , un pénible voyage Vous a fort fatiguée; & je trouverois fage Qu'en votre appartement, pendant tout ce propos, Vous allaffiez enfin prendre un peu de repos. De ce qu'on aura fait nous faurons vous inftruire. Philinte. II a raifon, Madame; allez.... ELIANTE. Je me retire. (Elle ferCy  (Si ) SCÈNE V. ALCESTE, L'AVOCAT, PHILINTE. ■p L'AVOCAT, J Philinte. -Kolet n'eft pas chez lui. J'ignore la raifon Qui, de fi grand maiin & hors de fa maifon , L'occupe & le retient avec inquiétude; Car c'eft-la ma remarque au train de fon étudet On 1'attenü, il y doit rentrer; & j'ai laiffé Pour I'appeller céans un billet trés preffé. S'il vient, nous en aurons du moins ce bon augure j Qu'il s'attend k traiter en cette conjonéture. A L C E S X E. Quel eft ce traitement dont vous voulez parler ? L' A v o c A T. Monfieur fe réfoudroit, dit-il, au pis aller, En ce moment facheux, k faire un facrifice. ALCESTE,a Philinte. Perdez-vous la raifon? Les lois & la ïultico! Lorfqu'en un tel procés on fe trouve engagé, Le vice inpuuément fera-t-il ménagé? Perdez tout votre bien, plutót qu'en fa foibleffö Défavouant 1'honneur & la délicatefle, Votre cceur fe réfigne au reproche effrayant, D'avoir encouragé le crime en le payant. Que le crime pouffé jufqu'k cette infolence Du glaive feul des lois tienne fa récompenfe! Et ne lui donnons point par la. timidité L'efpoir d'aucun triomphe ou de 1'impunité. L' A V o C A T, h Philintei Vous voyez, au parti que 1'amitié confeilie, Que fon opinion k la mienne eft pareille. Je vouS 1'ai dit, Monfieur; Un accommodement Eft un fage moyen, que 1'on fuit pruaemmeot, Quand d'u-e & d'autre part, avec pleine affurance^ On peut d'un droit teel établir 1'apparence; Et la foibleflé même alors peut, je le crois, S'applaudir d'acheter la paix par quelques droits; Mais tout ce que Monfieur vient de vous faire entendre Eft ici, fans üétour, le parti qu'il faut prendre. C'eft mon avis iincere; & je ne doute point Ou'cn vous en ésarunt dans le plus petit point, D %  (êi) Que fi vous exigez que j'entame & ménage Un traité, toujours fait avec défavantage, On n'aille 1'exiger ou facheux par Je prix, Ou fatal a vos droits pour J'avoir entrepris. Philinte. Et dois-je tout rifquer, Monfieur? L'A fo C A Ti J'ofe répondre Que le fourbe faura lui-même fe confondre; En marchant droit a lui nous faurons le braver, Et fa friponnerie enfin peut fe prouver. Hier, J'en craignois bien plus 1'effet & 1'importance; Mais a'ttentivement j'ai lu votre défenfe, Les lettres, les états & les comptes nombreux Quiparlent ciairement contre ce malheureux. L'aflaire eft, je le fais, longue & défagréabJe . . . i P H I r. I N T E. Voila précifément ta crainte qui m'accable; Et quand je confidere, avec attention, Le fardeau qui m'attend en cette occalion, Tant de foins k porter, d'intérêts k reftreindre, Ue gens a ménager & d'ennemis k craindre, Tant de travail, de gêne & d'ennuyeux propos , Je veux d'un peu d'argent acheter mon repos. alceste, amérement. Oui, fuivez ce projet; &, quoiqu'il me dépiaife, Vous mettez mon humeur & mon efprit k 1'aife. Vos jours voluptueux mollement ècoulés Dans cet affaiffement dont vous vous accablez, Ce goöt de la pareffe oü Ja' froide opulence Laiffe au morne loilir bercer fon indolence, Sont les fruits corrompus, qu'ati milieu de 1'ennui L'égoïfme enfanta; qui remontent vers lui Pour en mieux affermir le trifte caractere. Mais auflj de ces fruits dérive leur falaire. Votre ame eft tout orgueil, votre efprit vanité, La hautetir elle feule eft votre dignité. Du refte, anéantis, fans feu, fans énergie, Vous immolez 1'honneur k votre léthargie; Et dupes des méchans vous favez, fans rougir, Marchander avec eux un refte de plaifir. Faites, faites, Monfieur. Philinte. Hé! mon Dieu, cher Alccfle, Délivrons-nous foudain d'un embarras funelie, 1  ( 53 ) Et donnons-nous Ie tems de fuivre, a fon fignal, La fortune propice a réparer Ie mal. {A l'Avocat.) Vous, Monfieur, je vous prie, arrangez cette affaire. SCÈNE VI. ALCESTE, L'AVOCAT, D UB O IS , PHILINTE. Dubois, (avec humeur.) Ce Monfieur... Procureur... il eft-la. L'A v o c A Ti Je vais faire Tout ce qui dépendra de moi dans ce moment. alc es te, indignè. Ah! je ne refte point h eet arrangement. Ce feroit pour mon cceur un chagrin trop fenfible, Que 1'afpeCÏ d'un pervers, qui d'une ame paifible, Et fous cape riant des affronts qu'il a faits, En triomphe remporte un prix de fes forfaits. (II fort,) SCÈNE VII. L'AVOCAT, DUBOIS, PHILINTE. Jphilinte. e le fuis, pour calmer cette humeur trop hautaine. De tuflce, terminez ce débat & ma peine. (IÏ foit en faifanl figne d Dubois , qui a attendu, d'introduire le Procureur.) SCÈNE VIII. L'AVOCAT, LE PROCUREUR. L e procureur. Sua un billet de vous, que chez moi j'ai trouvé, Malgré tout ce qui m'eft en ces lieux arrivé^,  C M ) j'ai bien voulu, Monfieur, toujours bon, franc, honnête, Avec vous cepenclant rifquer un tête a tête. Voyons, expliquez-vous, que voulez-vous de moi? L' A v o c a t. Monfieur, connoiffez-vous la probité, Ia foi, L? conduite, les mqeurs & les moyens de 1'homme Qui réclame, en ce jour, une aufii forte fomme? L e Procureur. Ce n'eft point mon affaire, & fon titre fuffit. L* A v o c a t. Si 1'on prouve le faux, & l'erreur de 1'écrit. , . . , L e Procureur. Ceft ce qu'il faudra voir. . , . L' A v o c a t. J'ai de sQres épreuves Des tours de ce Robert.... Le Procureur. Vous en auriez centpreuves, Que m'importe?,.. Qu'il foit Irannête homme ou fripon, Je m'en moque, dés lors que le billet eft bon. L' A v o c a t. II ne I'eft pas. Le Procureur. Chanfons! L' A v o c a t, fèvèrement. Malgré vous & les vótres, On vous fera bien voir. . . . L e Procureur. Bah! j'en ai vu bien d'autres, L' A v o c A t. Et moi, je me fais fort de prouver.... Le Procureur. Vous? L' A v o c a t. Oui, moi. L e Procureur. Que veut dire ceci? Voyons: eft-ce la loi Qui jugera 1'affaire? Eft-ce,pour autre chofe Qu'ici je fuis venu? Déclarez-en la caufe. Expliquez-vous; j'ai héte. Eh un mot fi je viens, C'eft pour êtrö payé, non pour des entretiens. L' A v o c a t. Hé bien, Monfieur, parlez. Dites votre penfée. > L e Procureur. Qui, moi? je ne dis rien. Si la v&re eft preffés ! « 1 »  L' A v o c A T. A Ia bonne heure; mais vous avez un pouvolr Sans doute: propofez, Monfieur; nous allons voir. LE Procureur. Propofer ? L' A v o c a t. Oui, vraiment. L e Procureur. Allons, plaifanterie! L'A v o c a t. Par-la, qu'entendez-vous ? Le Procureur. Hé! non; je vous en prie, Vous vouï donnez, je crois, des foucis fuperflus. L' A v o c a t. Quoi! . . . L e Procureur. Vous êtes rufé; 1'on peut Pêtre encor plus. U a. V O C A T. Te ne vous comprends pas.... LE procureur. Fi! donc; vous voulez rire. L'A v o c a ï. En honneur! . . . Le P-rocureur. Allons donc. L'A v o c a t. Comment! Le Procureur, faluant. Je me retire. L' A v o c a t, k retenant. Un mot encor, Monfieur; je puis vous afiurer Que je fuis fans détour. Pourquoi délibé er Pour vous ouvrir a moi ? pour me faire comprendre Quel biais, après tout, ici, vous vouiez prendre? Le Procureur, avec audace. Je ne biaife point; jamais, en aucun cas. Et je vous dis bien baut, comme a cent Avocnts, Euflent-ils tous encor mille fois plus d'adrelïe, Que ie ne fus jamais dupe d'une finefie. Vous êtes bien tombé, de vouloir cn ces lieux Tendre a ma bonne foi des piéges captieux; Ah! je vous vois venir! vraiment je \ous la garde: Oui, fans doute, attendez qu'ici je me hazarde A vous offrir un tiers ou moitié de rabais; Que j'aille innocement donner dans vos filets, D 4  Et féduit par votre air, qui me gagnera 1'ame, Convenir plus ou moins des droits que je réclame; Tandis que, mot a mot, du cabinet voifin, Des témoins apoflés en tiendront magafin; Tandis que finement deux habiles Notaires' Y drefleront un texte a tous vos commentaires. Je vous le dis, Monfieur: mais pour vous faire voir Que je connois Ia rufe, autant que mon devoir. (Se tournant vers le fonds £f les portes, £? criant:) Au refte Ie billet eft bon, la caufe eft bonne; Tablez bien la-deffus, & je ne crains perfonnè. L' A v o c a t, honteux &? JlupéfaiU Mais, fur ce pied , pourquoi venir dans la maifon? L e Procureur. Si vous êtes fi fin, devinez ma raifon. L' A v o c a t. Je ne connus jamais cet art, ni ce langage. Le Procurkur. Cette raifon pourtant eft bonne; c'eft dommage. L' A v o c a t. II fufnt: je ne veux, ni ne dois la favoir. L e Procureur. On me ticnt pour m'entendre; &moi, je viens pour voir, L' A v o c a t. Finiffons, s'il vous plaït, un débat qui m'affomme. Le Procureur. Adieu donc; on m'attend. Serviteur.... (A part.) Le pauvre homme' O'fort.) SCÈNE IX, L'A V O C AT, feul. E r je lui céderois? Un malhonnête agent, Maitre par fa vigueur d'un efprit négligent, Mettroit donc a profit fon coupable artifice', Et 1'équité timide obéiroit au vice^ Non, non. Je lui réfifte, &, fi 1'on ne m'en croit. Je ne partage pas i'affront fait au bon droit.  C s? ) SCÈNE X. ALCESTE, L'AVOCAT, PHILINTE. , L' Avocat, en allant a eux-* Inutile efpérance! & reffource impofllble! Je n'ai vu qu'un cceur faux & qu'une ame infenfible, (A Philinte.) Et fi dans vos projets, Monfieur, vous perfifiez, Epargnez-moi 1'afpecl de tant d'iniquitës. J'ignore a quels égards une morale aultero Etend d'un Avocat Ie noble miniflere, Mais lorfque je balance en cette affaire-cf, La droiture tremblante implorant la merci Du fourbe qui l'opprime, & Ie fourbe perfide Qui montre a 1'immoler une audace intrépide, Il ne me refte plus dans ma confufion Qu'a fuir pour dévorer mon indignation. SCÈNE XI. ALCESTE, DUBOIS, L'AVOCAT. PHILINTE. A' DüBOl s, accourant effrayé, h Alceflt h! Monfieur 1 qu'eft ceci? voici bien des affaires. alceste, Quoi donc? Dubois. Tout eft perdu. alceste. Maraud! fi tu differes.... D u E o i s. Sauvez-vous. alceste. Et pourquoi ? Dubois. C'eft qu'il faut vous fativer. A L c E s t E. Qu'eft-ce a dire? P S  f 53 ) D O B O I s. A 1'inftant, ALCESTE. Veux-tu bien achever. DUBOIS. Si j'acheve, Monfieur, on vous prend tout-a-l'heure. ALCESTE. Qui me prendra? Dis donc? Dubois, Quittez cette demeure. ALCESTE. Impertinent au diable! avec tous ces tranfports.... Dubois. Les efcaliers font pleins d'Huifiiers & de Recors, ALCESTE.' Que dis-tu ? Dubois. L'on vous eherche... Ah! je les vois paroïtre. Une autre fois, Monfieur, vous me croirez peut-être? SCÈNE XII. ALCESTE, UN COMMISSAIRE , UN HUISSIER : L'AVOCAT, PHILINTE, UN GARDE DU CUMMERCE, RECORS, DUBOIS. QA L C e s t E. oe vous plat t-il, MeiTieurs?.. parlez donc.avancez.., le commissaire.' Je demande céans, Monfieur de Valancés. P h 1 l i & t e. C'eft moi. L E commissaire. Je viens, Monfieur, & comme Commiflaire, Pour veiller au bon ordre, & non pour vous déplaire; Je viens, dis-je, appellé par ma commiflion, Pour afiifier Monfieur, CMontrant /'Huiffier.') dans 1'exécution De certaine fenténce, a 1'efTet de capture, Dont il va fur Ie champ vous faire la Ieéture. Philinte. Quelie eft cette infolencc? Ofezvous bien, chez moi, Venir avec éciat remplir un tel emploi?  C 59 ) LE COMMISSAIRE. Monfieur!... je vais par-tout oü la loi me réclame. L' A v o c A t, d Philinte. Modérez, s'il vous plait, les tranfports de voire ame, Eclairciflbns la chofe, & nous verrons après. A e C E s t E, d rHuiJp.tr. Eh bien, üfez, Monfieur. Voyons ces beaux lecrets. L'HniSSIER, carknture; il met fes lunettes, „ A vous, & ca»era Très-humblement fupplie „ Ignace-André Robert, difant qu'avec folie „ Au fieur de Valancés il prêta, dans un tems, La fomme ou capital de fix cent mille francs, „ Dont billet dudit fieur joint a cette requète. „ Sur l'avis que déja, par un trait malhonnête, ,, Le fufdit débiteur a quitté fon hótel, Et ce fecrérement: dont un regret mortel „ Survient au Suppliant, craintif pour fa créance, „ Qu'en outre, par abus de trop de confiance, „ Le fieur de Valancés, de rufe prémuni, ,, A pris fon domicile en un hötel garni; ,, Lequel dit fieur encor, pendant la nuk obfcure, „ A fait, pour s'évader, préparer fa voiture. ALCESTE. Quelle horreur! Philinte. jufte ciel ? ALCESTE. Fut-on plus effVonté! Ec comment ofe-t-on de rant de fauffeté S'armer infolemment en face de fon Juge? L' A V O C A T. Contre de pareils traiis, i! n'eft point de refuge. L' H V I s s I e r. Vous plait-il d'écouter le refte? L' A v o c a t. Pourfuivez. L' H O i s s i e r Ut. „ Pour que du Suppliant les droits foient préfervés, „ Vü l'urgencc du cas, péri! h la demeure, ,, Qu'il vous plaife ordonnerque, fansdélai, furl'heure, „ Il fera fait recherche, avec gens affèz forts, ,, Dudit fieur Valancés; a 1'effet, & par corps, D'aflürer lefdits droits, & ce, fans préjudice ^ De la failie entiere, & par mains de Juftice,  C 6o ) De tous fes biens, ainfi qu'il pourroit arriver," „ Par-tout oü fe pourront Jefdits biens fe trouver. ,, Signé, Rolet." Et fuit, par forme de fentence, Appointement qui donne, au gré de 1'Ordonnance, Loifir d'exécuter le fufdit contenu. Signifié par moi, Boniface Menu. alceste. Eh bien, que vous faut-il après ce verbiage? L' H ü i s s i e r. Les fix cent mille francs, fans tarder davantage, Ou que Monfieur nous fuive a 1'inftant en prifon. Philinte. Marauds! voulez-vous bien fortir de ma maifon! Le commissaire, s'interpnfant. Monfieur!,.. ah! point de bruit. alceste, b, V Avocat. Quel moyen faut-il prendre? L' A v o c a t. Vers Ie Juge avec eux, je crois qu'il faut nous rendre. Philinte,» ï Avocat. Qui, moi, Monfieur' L' A v o c a t. Vous-même. Obfervez, s'il vous plait, Que le Juge a parlé fur la foi de Rolet. Sur fon faux expófé, la Juftice en alarmes Protégé le menfonge & ies perfides larmes. Rolet, dans fa requête, avec dextérité Donne a fa fourberie un air de vérité. Vous quittez votre hótel pour prendre cet afylej I! vous montre rufé, même fans domiciie; Vous allez a Verfaille, il vous peint fugitif; La chofe prefié, il faut vous avoir mort ou vif. ]l tait adroitement la qualité de Comte; Rien n'arrête Rolet. Par une fauffe honte, Ne réfiftez donc plus; & Ia conclufion. Au pis, fera, Monfieur, de donner caution. A l c e s t e, vivement. Au! fans aller plus loin, je préfente la mienne. Philinte. Ami trop généreux !... L'K U i s s i e r. Oh ! qu'a cels ne tienne. En blanc, j'ai pour ceci des aétes différens. (II les tire de fon carnet ) Monfieur peut fe nummer; s'il eft bon, je le prends.  C 61 ) * L'Avocat, penant la formule en blanti Donnez, Monfieur eft bon. (7/ écrit.) alceste. Mettez le Comte Alcefte. LE commissaire. Qui vous, Monfieur ? alceste. Oui, moi. Le Commissaire, a 1'HüiJfter fc? au Garde. Je vous promets, j'attefte. Que les biens de Monfieur paflent un million. L'Huissier,» Alcefte. Signez. ALCESTE, Avec plaifir. CA' figne, fj? l'Huiftier prend fatte.) L e Commissaire, a Alcefte. Après cette a6tion, Vous me pardonnerez au moins, Monfieur le Comte, Un éclaircilfement qui vraiment me fait honte. Vous vous nommez Alcefte? alceste. Oui, fans doute. Le Commissaire. Seigneur Du lieu de Mont-Rocher. alceste, Juftement. LE commissaire. En bonneur! Vous me voyez confus, on ne peut davantage. Pourquoi m'a-t-on choifi pour un pareil meflage? alceste. De quoi donc s'agit-il? LE commissaire. J'arrive cette nuit De votre feigneurie, oü, fans éclat, fans bruit, En vertu d'un décret, j'avois été vous prendre, Et qu'ici j'exécute, a regret, fans attendre. l'a V o c a t. O grand Dieu! philinte, Se peut-il? Dubois. Ohl le traitre mauditf  C62 ) Le Commissaire. Monfieur, vous me fuivrez? alceste. Oui-da. Sans contredik Philinte. Alcefte! eft-il bien vrai? quel accident terrible! ALCESTE. Quoi; Monfieur? Vous voyez enfin qu'il eft pofiïbïe Que tout ne foit pas bien. philinte. 1 ' . Après un pareil coup, Je fuis défefpéré... Que faire? A L C e s t e. Rien du tout. (Au Commiffaire.) Monfieur, me voila prêt. Menez-moi, ie vous prie, Au Juge fans tarder. (A l'Avocat.) Et vous, qui. pour la vie, Serez mon digne ami, vous, Monfieur, fuivez-moi« (Se retournant vers Philinte.) Je ne m'en prends qu'au vice, & jamais h la loi. Fin du quatrieme A£te. ACTE V. SCÈNE PREMIÈRE. ELIANTE, PHILINTE. VPhilinte. ous ne voulez donc pas abibiument m'entendre, Madame ou feignez-vous de ne me pas comprendre?' Ne parlé-je pas clair? Oui, je cours le hazard De voir nos biens faifis, faifis de toute pari; Et comme de ces biens la plus xrande partie, Paree qu'elle eft a vous, peut être garantie* 11 eft^bon d'empêcheE, & par provifiony Lu gêne & ï'e tracas jje cette iavafion,  ( 63 ) Ët li vous ne venez, oui, vous-même en perfbnne; Oppoier a la loi les droits qu'elle vous donne, Quand bien même nos vceux auroient un plein fuccès; 11 faudra fourenir la longueur d'un procés; Er fi 1'on faifit tout une fois, la chicane Saura bien reculer ce que la loi condamne. Vos droits feront trés bons, mais vos biens trés faifis. Prévenons donc les coups que 1'on auroit choifis. L'aéiive avidité nous entoure & nous preflé. Tant qu'il refte a jouir, careffons Ia pareffe; Mais quand de tous cótés on fe voit invefti, ll faut bien fe réfoudre a prendre fon parti. Hêtons-nous donc, Madame, & prenons 1'avanrage. Je compte vingt maifons a voir dans ce voyage; Notaires, Avocats, agens a prévenir, La moitié de Paris enfemble a parcourir. Eliante. Je comprends trés bien. Mais, en mon üme éperdue, Une voix plus puiflante eft encore entendue. De vos précautions le but intéreffant, Füt-il encor, Monfieur, mille fois plus prefTant, Je crois que les maiheurs du généreux Alcefte Veulent nos premiers foins; notre intérêt le refte. Philinte. Que dites-vous, Madame, & quel eft ce difcours? Lui fais-je, s'il vous plaït, refus de mes fecours? Eliante. Vous rentrez feulement, & vous venez de faire Une affcz longue abfence.... Philinte. Eh oui! pour mon affaire. Eliante. Et je vois que pour nous inquiet, emprefle, A ce fincere ami vous n'avez pas penfé. Ah! Philinte.... Philinte. Ecoutez; venez, chere Eliante: Je vous demande une heure, & vous ferez contente. Eliante. Ah! tout ce que j'apprends me frappe & m'attendrit j Alcefte, Alcefte feul occupe mon efprit. Oubliez-vou* fi-tót fa peine & fes fervices? Avez-vous donc, pour lui, d'affez grnnJs facrifices5 Mon ami, redoutes un peu moins vos dangers. A qui fait Ion devoir les maux font plus lé^rs,  ■ (64 ) Rappellez, croyez-moi, votre cceur 5 lui-mêrhej Et, malgré les efforts cie ma tendrefl'e extréme, Ne laiffez pas le foin a ma timide voix D'exciter 1'amitié, d'en retracer les loix. Elle parle a votre ame, écoutez fes murmures. Lailfez pour aujourd'hui dans leurs routes obfcures j Les méchans préparer leurs inutiles coups. Alcefte a leur fureur vient de s'offrir pour vous; Et quand, d'une autre part, on 1'attaque, on Farrêtej Seriez-vous le premier h détourner la tête? Allons le voir; peut-être attend-il notre appui. Nous ferons pour demain,- mais Alcefte aujourd'hui. Philinte. Demain, fera-t-il tems de prévenir 1'orage? Et demain cependant, avec doublé avantage, Débarrafte de foins, d'un cceur plus afFermi, Je pourrai, fans retard, voler vers mon ami. E L i a n T e. Vers votre ami, Monlieur! Comment, de votrebouche, Ce nom peut-il fortir ainfi, fans qu'il vous touche? Et favez-vous quel fort le menace a préfent? Ce qu'on a fait de lui? Ce qu'il fait? ce qu'il fent? Ce dont il a befoin?... qu'il réclame peut-être? Hé! devant lui, du moins, hatons-nous de paroitrej Et s'il peut être vrai qu'on peut 1'abandonner, Qu'il ne puiffe, Monfieur, du moins Ie foupconner. Sfechez vous conferver 1'honneur de fon approche, Que fon premier regard ne foit point un reproehe. philinte. Mais déja prés de lui j'aurois porté mes pas, Je m*y rendrois encor. . . Mais ne voyez-vous pas Qu'une fois entraïné dans fes propres affaires, Je m'interdis alors mille foins néceflaires? Nécelfaires pour vous. Mais vous vous refufèz A jdger fainemcnt de nos périls. Pefez, Maïs pefez donc, Madame, avec exaétitudej La gêne, les foucis, 1'ennui, 1'inquiétude, Qui vont nous affaillir, s'il faut que ma maifon Languiffe fous 1'effort de cette trahifon. Ah! cette crainte feule a 1'inftant me décide. Partons, voyons nos gens. . . . . Eliante. Ah! je fuis moins timide, Od plus epouvantée & plus foible que vous. Mais de ces deux périls le nótre a le deflbus. Mais  («$■) Mais 1'rmage d'un-homme, innocent de tout cruise,, Arrêié dans vos bras, u-u', noble & magnanime, II fe rend 1'inftrument de votre Iiberté, Qui, par un jeu cruel de Ia fatalité, Se vöit chargé des fers dont fa main vous déiivre, Que vous laiffez aller tout-a-coup, fans le fuivrej Que, depuis la douleur de ce coup imprévu, Vous n'avez ni foigné, ni confolé, ni va... Ah! Monfieur, cette idée.... P B i l i n t é , avec humeüts Un peu de complaifance Madame, s'il vous plait. J'ai de votre éloquence Déja, plus o'une preuve & d'affèz bons garans, Pour que, dans ia chaleur de pareiis différends',Vous n'ayez pas befoin, foit zele ou -politique, D'en étaler i'éclat pour faire ma critique. Certes, vous m'étoonez dans vos facons d'agir, Vos efforts ne tendront qu'a me faire rougir. Èt, lorfqu'a Ie bien prendre, on ne me voit feniiblé Qu'a vos feuls intéréts; lorfqu'un amour viftble Eclate affurément dans les foins d'un époux; Que cet époux enfin, épouvanté pour vous, Veut,( par délicatefle, épargner a fon 3me L'afpe'éi humiliant des chagrins d'une femme, Cette gêne fub'ite & ces privatians, Que peut-être bientór, en mille occafions, Vous me repröcherez vous-même, a tout vous diré; Quoi, c'eft alors qu'afin d'étaler votre empire, Vous afTeéiez, ici, des foins compatiffans» Mais, Madame, après tout, comme vous, je les feniï Et vous voudrez, de grace, obferver que peut-être, Je fuis tout-a-la-fois fenlible, jufte & maïtre. Eliante, la larme è-l'eeil. Ah! Monfieur.... Philinte. Pardonnez a mon jufte dépit^ Et fuivons notre affaire, ainfi que je 1'ai dit. Eliante, (foumijjion dmiloureuj1},) Allons, Monfieur.... Philinte. Allons. Champagne! mon caroffe. Kous allons eommencer paf le-Banquier Mendoce. E  ( 66) SCÈNE II. ELIANTE, L'AVOCAT, PHILINTE. Eliante, courant è V Avoeal. A h! Monfieur, vous voila? quittez-vous notre ami? Que fait-il ?... L' A v o c at. Sur fon fort vos ames ont gémi. Mais je viens dilïïper cette douleur cruelle, Et vous apprendre, au moins, une bonne nouvelle. II eft en Iiberté, - Eliante, avec tranfport. Se peut-il? Quel bonheur'. P H I r. I N T E. Hetrreux événement! L'Avocat. C'eft ainfi que 1'hcnneur Et la noble pitié d'une ame généreufe Triomphent aifément d'une atreinte honteufe. 11 court a'u Magiftrat, comme vous le favez: A peine devant eux fommes-nous arrivés, (Ilsétoient deux enfemble) on !e plaint, on i'accueille On rmftruit. Sur le champ ouvrant fon portefeuille, Sans proférer un mot, mais Treil étincelant, Votre ami leur remet un feul titre parlant, Une lettre, oü Ie ftyle avec Ia ftgnature Prouvent par quel motif & par quelle impofture Ses laches ennemis ont ofé contre lui Surprendre le décret qui 1'arrête aujourd'hui. Cette preuve eft fi claire, entiere, inconteftable, Que le Juge aulfi tót, d'une voix formidable, Attefte la juftice & promet d'amener Devant elle celui qui 1'ofa profaner, Vous, lui dit-il, Monfieur, foyez libre fur 1'heure, Bendez la bienfaifance a fa noble demeure. Qu'on ofe 1'y pourfuivre encore & 1'outrager, Soyez fflr que les loix viendront Ia protéger. Après quelques difcours & les égards d'ufage, Votre ami, d'un ton vif, le feu fur le vifage, M'emmene; &, fans parier de ce qu'il vient de voir, Rempliflbns, m'a-t-il dit, Ie plus 1'acré devoir.  (6? ) örace au Ciel! je fuis libre, & je puis, fans contraime Jnfpirer aux mechans encore queique crainte. Enfemble allons trouver 1'agent pernicieux Qui pourfuit nos amis. Eliante. Eft il bien vrai ? grands Dieux! L' A v o c i Ti Nous allons chez Rolet... Trifte & bonne rencontre! Robert il fes cótés h nos regards fe montre. „ Le hazard eft heureux, fuivant ce que je voi, Me dit Monfieur Alcefte, en s'approchant de moi; Volez vers nos amis; ma funefte aventure „ Doit les tenir en peine. Allez, je vous conjure; ,, Ralfurez les bien vite; inftruifez ies de tout; ,, Et, pour poufler errfin nos fcélérats k bout, „ Revenez fur le champ avec Monfieur Philinte: „ II peut faire k Robert mettre bas toute feinte." D'accord de ce projet, je viens donc vous chercher. Eliante. O fecours généreux! ah! qu'il doit vous toucher, Monfieur!... L'Avoca t, Ne tardons pas; cet efpoir qui nous refte.. Philinte. Oui, mon carofle eft prêt j venez.... SCÈNE III. L'AVOCAT, ELIANTE, ALCESTE, PHILINTE. eliante, V^u e vois»je ? Alcefte!. Philinte. Eft-ce vous, cher ami?... ELIANTE, avec fentiment, penant les mains £ Alcefte. Vous n'imaginez pas Ma joie a vous revoir. ALCESTE. j'ai plaint votre embarras. E 2  r?<5$ ) f^i fentivos donleurs bien plus que mon outrage, Madame, & des pervers 6 j'ai trompé la rage, je bém's mes dellins, allez favorilés Pour réparer les pleurs que je vous ai cayfés. . philinte. Comment fe pourroit-il ? Alces i'E, criant d'cxclaimtipn cet bémiflicht* Ecoutez! je vous prie. L'A v o c a t. J'ai toüt dit.... A L c E s t E, Pourfijivons. Jamais, je le parie, II ne fut, dans le monde, un plus hardi méchant (Que ce lache Robert, jadis votre Intendant. , L'oeil fixe fur Ie fien, j'ai beau de cent maniercs Circonvcnir fon cmur: nienaces , ni prieres N'en viennent pas a bout; & fa perverfité, Dans 1 "teil de fon agent puifant la ferm.eté, li m'ofe tenir tête, avec une impudence , A laffer mille fois la plu« forte conftance. II fait .p'us; & prenant un langage imprcn-u, If 'rii'öfef'h moi, eter 1'honnetir & fa vertu. Oh ! morbleu! pour Ie coup Ja fureur me tranfports. Le fourbe veut fortir, j'empêehe qu'il né forte; Les eflorts de Dubois a cette trahifqn , 'De fes bruyans éclats remplill'ent la maifon. On accourt, on furvienr. Le tront rouge cie bonte, J'implore k cris prelfés juftice la plus prompte. "Bonne infpiration ! puifque, dans Ie moment, Un Commiffaire, Archers, font dans 1'appartement. Ah! fourbe, je te tieni;, dis-je avec véhémence! Le miférable encor fait bonne enntenance. Mais je n'héfite point, & m'adrelfant alors A l'hom.me que la loi rend maitre en ce difcors: On a commis» lui dis-je, un faux abominable. „ Dés l.ong tems la Juftice a frappé le coupable; „ Nous avons de ce faux trente preuves en main, ,, II y va de la vie, & voici mon chemin. Si Robert a 1'inftanr, a I'inftaut ne me donne Le billet frauduleux, ainli que je l'ordonne, ,, Comme fauffaire, ici, je Ie livre a Ia loi; je demande, je veux qu'on 1'arrête avec moi; Qu'un emprifonnement, jufqu'au bout de 1'affaire,' n Au crinnnel des deux garamiffe un falaire.  169 ) % Ceft moi, moi', Comte Alcefte, homme de qualitê (*); ,f Qui, fans aller plus loin, réclame ce traité." A ces mots, foutenus de ce que le courage Peut donner d'énergie ainfi que d'avantage, Le P'röcureur affeóte un fcrupuleux foupcon; Robert épouvanté fait bien quelque facon, Sous de vagues propos fa crainte fe déguifes Mais, 'infaillible effet d'une ferme franchife Qui va droit au méchant, il fuccombe a cela: On me rend le billet, & je 1'ai : le voila. (11 donne fechement le billet d Philinte.') E L I A N T E. Cher Alcefte 1 <6 vertu! quel zele magnanime! A L C E S T E. pour vous, toujours, Madame, égal a mon eftime. Et quand il éclatoit, même hors de ces lieux, .Votre douleur, fans ceffe, étoit devant mes yeux. L* avocat, d Alcefte. Combien de vos fuccès mon cqeur vous félicitel ALCESTE, 4 V Avocat. Je le crois. Voulez-vous, Monfieur, que je m'acquitte D'en avoir par vps foins obtenu le moven ? L'A V o c A T. Monfieur.... ALCESTE, Soyons amis. L'A V O C A T. Ce fortuné Iien. , . , ALCESTE, L'a&eptez - vous ? » L'A v o c AT. ; Monfieur, du plus vrai de mon ame. A L C E S T E. Eh! bien; Iibre aujourd'hui d'une pourfuite infame, Je retourne a ma terre, y voulez-vous venir? C'eft-lk que 1'amitié faura vous retenir: Vous me convcnez fort, nous y vivrons enfemble. L'AvociT» C'eft un bonheur de plus, &. . . . (*) On m'a reprocué cette quaüfkation homme de qualitb. Ce reproclié eft bien naïf. Je liens ce titre, mis tout au bout dij caraéfare & des efforts d'Alcefte, comme mie des bonnes clmfes de la piece, C'elt ainfi que la vertu lire parti des préjugés. E 3  (70) ALCESTE. Tant mieux, Je refiemble A quantité de pens, & j'ai de grands défauts, Vous les tempérerez, & j'aurai moins de maux. philinte,» Alcefte. Digne ami, . . . quoi! . . . ALCESTE, réloignant du gefte, &? avec un mépris tempéré de dignité Monfieur; de ce nom je fuis digne, Je le crois. Mais qu'ici votre cceur fe réfigne, Pour jamais, a ne plus appartenir au mien, Ni par aucun difcours, ni par aücun lien. Je vous déclare net, qu'a votre ame endurcie Nul goüt, nul fentiment & rien ne m'aflbcie. Je vous rejette au loin parmi ces êtres froids, Qui de ce beau nom d'homme ont perdu tous les droits , Morts, bien morts dès long-tems avant I'heurefuprême, Et dont on a pitié pour rhonneur de foi-même. Eliante. Cher Alcefte, il craignoit qu'un imprudent fecours.... A L c E s T e. Madame, avec regret, je lui tiens ce difcours, Mais nos nceuds précédens font ma louable excufe. Quand fabjure un ami, jamais je ne 1'abufe Je le lui dis encor; ce nceud m'étoit facré: Mais je le romps, dès-lors qu'il 1'a déshonoréTrop de bonheur encor, Madame, eft fon partage; Vous êtes fon époufe. Ah! de cet avantage, L'unique qui demeure a fes jours malheureux , ^ PuifTe-t-il profiter. pour le bien de vous deux! W Puiffe la cruauté qu'il a pour fes femblables, S'adoucir, chaque jour, par vos vertus aimablesl La vertu d'une époufe eft 1'empire charmant, hc plus doux, le dernier qui refte au fentiment. Par ce vceu que je fais, lorfque je 1'abandonne, ]| doit voir a quel prix ma tendrefie pardonne. Adieu; je pars, Madame, après cet entretien: Qu'il regrette mon cceur, & le fouvienne bien Que tous les fentimens, dont la noble alliance Compofe la vertu , Charmeur, la bienfaifance, L'équiié, la candtur, Camour &f l'amitié, N'exifterent jamais dans un cceur fans pitié» (11 ftrt avec l'Avocat)  < 71 ) SCÈNE IV. ET DERNIERE. ELIANTE, PHILINTE. ELIANTE, affeSueufemtnt, allant a Philintt. O mon amil PHILINTE, eonfondii, J'ai tort. ELIANTE. Ma tendrefie demande A vous dédommager d'une perte fi grande. Repofez vous fur moi du foin de recouvrer Un ami fi parfait, que nous devons pieurer. Fin du cinquieme dtrnitr Acïe.  II