JOURNAL d'un V O Y A G E fait en 1775 & 1776. Dans lespays méridiönaux de leurope, P A R JEAN GEORGE SULZEEL Traduit de l'Jllemand. A LA H A T E Chez C. PLAAT, Libraire, dans le Hofftraat. 1 7 8 1.   JVlalgré le nombre prodigieux de Voyages qifon a pubtti de presque tous fapays deTEurope, Tin* fiéraire de Mr. Sulzer a regu en Allemagne Tac- cueil le plus favorable. Et en effet il éioit ju/Ie de diftinguer les obfervations d'un Savant Philofo- phe, bemme de bien, ami de la vérité, & exempt de teute partialité. La Géographie & la Po- litique, VAdminipraüon des Finances, Vètat des Sciences & des Arts. PAgriculture & le Com- werce, font les objets principaux qui Toccupent dans ce Journal. Cette variété intérejjame a fait naitre Vidée d'une tradu&ion Frangoife. On en a élagué quelques détails minutieux dont 'ÏOri- ginal eft chargé, & que VAuteur auroit vraifem- blablement retranché lui-même, sll avoit affez vécu pour revoir fon Ouvrage, & pour en foigner ïédition. Dans une aulji longue courfe il efl pres* * a  que impoffible ie ne pas rencontrtr des lande» j mais on peut bien s'expofer a un peu de fatiguei ïorsqu'on eft für de parcourir bientót après, des plaines fertiles & agréablesê  ITINERAIRE D' ü N VOYAGE fait A NICE dans Vannés 1775. Des raifons de fanté ma déterminèrent au voyage dont je vais rendre compte. Oo m'avoit fait espérer que le féjour des contrées méridionales de 1'Europe contribueroit a me rétablir, & on mTindiqua furtout le climat de Nice comme particulièremënt convenable a mon etat. Cetce ville fut donc choifie pour le but de ma courfe, & je me mis en route le 23. Aoüt. Une maladie der poïcrine donc j'étois attaqué depuis trois ans, & une fièvre tiercé qui s'y joi* gnic peu ayant mon départ, m'aYoient beaucoup A  ( 2 ) affbibli. Je devois chercher mes aifes, & voyager de manière a pouvoir me repofer aufll fouvent que j'en aurois befoin. Je pris pour eet effet a Berlin une voiture de louage qui devoit me rendre a Leipzig a petites journées. Le premier jour je fus jusqu'a Treuenbritzen, en paflant par Potsdam. Ce chemin n'offre rien de remarquable. II eft uni , fablonneux en grande partie, & par conféquent peu propre a 1'agriculture, mais les pins y réuffiflènt d'autant mieux & on en trouve plufieurs forêts. Au dela de Potsdam il y a des landes confidérables, qui restent totalement défertes par 1'infertilité du terroir. Le 24 Aotit. Be Treuekbrïtzen par Wittenssrg jusqu'au milieu de la Forêt de Dubben. Au dela de Treuenbritzen on trouve encore dej champs. ou entièrement incultes, ou du moins très-ftériles. Un Etranger qui fait le voyage de "Berlin par Leipzig- doitprendre une aflèz mauvaife idéé de la fertilité du Brandebourg, car fl ne trouve entre Wittenberg & Berlin qu'un terroir ingrat & des fórêts de pin. II faut excepter pourtant le diftrict a la droite de la Havel- qui eft déja d'uo grand rapport.  C 3 ) Conime j'étois trop foible pour marcher a pied, je reftai confiné dans une mauvaife auberge aux portes de Wittenberg, fans entrer dans la ville. Je regrettois de ne pouvoir vifiter cette Univerfité aujourd'hui fi célèbre par un grand nombre de Savans, que je connoiflois & que j'aurois été bien aife de revoir. Dès qu'on a paffé VElbe , le terroir devient meilleur. En entrant dans la Saxe, j'ai remarqué, comme dans plufieurs de mes voyages précédens, que la féparation des pays n'eft pas tant 1'ouvra» ge du hafard qu'elle le parott. II y a presque toujours des frontières naturelles entre deux grands Etats VoifinSj & les provinees limitrophes fe diftinguent ordinairement par la variété du fol, ou par quelqu'autre propriété naturelle. Ceci explique en quelqu» forte par quslle raifon les anciens peuples demeuroient renfermés dans les bornes des pays auxquels il donnoient leurs noms. A une petité diftauce de TElbe on arrivé \ la Fortt de Dubben, qui eft vafte & épaiüe: le pays eft montagneux, & dant certains endroits il offre un aspecl: un peu fauvage \ mais dans 1'intérieur il y a de petites vallées très-agréables, qu'on a éclaircies pour en faire des champs & des prairies, & pour y bdtir des muifons de chaflè ou A 9  ( 4 ) des mécairies, qui peuvent tenir Iïeu d'hermïta'ges. Je pafiai la nuic dans une de ces retraites, '& j'y fus mieux traité que dans une grande vilïe. Le peuple de la Saxe m'a paru beaucoup plus intelligent & plus honnête que dans le Brands* kourg. Ze 25 Aoüt'. depuis la Mét air ie par Dubben a Leipzig. La moitié de ce chemin traverfe encore la belle Forêt de Dubben, d'cü la ville de Leipzig tire la plus grande partie de fon bois de chaufiage. Le transport fe fait en chariots de payfans, & revient par conféquent afiez cher. On compte vingt milles d'Allemagne depuis Berlin jusqu'a Leipzig. J'avois fur moi une machine inventée & exécutée par feu Mr. Huïfeld', dont je me fervois utilement pour msfurer les distances. On 1'attache t, 1'une des roues, & elle en indique le nombre de tours. Ainfi en mefuranc te diamètre de la roue, on connoit d'abord 1 etenduegéométrique du chemin. Mescalculs décerminèrent de la manière fuiyante, la diftaace des lieux par oü j'avois pafTé:  ( 5 ) Depuis mon jardin ( * ) jusqu'a Treuenbritzen 206*617. pieds." Depuis Treuenbritzen jusqu'a la métairie de la forêt 169498. - - - De la jusqu'a Leipzig. . . . 144599. - - - En tout 520714. pieds. Ce qui donne le réfultat fuivant, en comptant Ie mille d'Allemagne a raifon de 25000 pie Is do Rhin, quoique cette fupputation foic encore trop force k proportion des lieues géographiques ? dons quinzefontun degré: Depuis mon jardin jusqu'a Treuenbritzen 8f. de milles. De cette ville jusqu'a ia métairie. 6\\. De Ja a Leipzig 5^. . . - - - En tout a peu prés aot- de millei» Le 2(5 Aoüt: jour de repos a L e i p zi g. J'y pafiai une jpurnée agréable dans la focie'té Leipzig. de plufieurs Savans, Je fus charmé furtout de faire (*) Moitié chemin entre Berlin & Charhttenbourg. (**) Si quinze milles d'Allemagne font un degré, il ne faut compter qua 23457! pieds de Rhin"pour chaque tnilie, A 3  ( 6 ) k connoifTatice du Do&eur Semler de Hatte, quï vint me voir avec le Profeflèur Thunmann. J'étois exceffivement abattu, & mes amis craignirent que je ne fuflè hors d'état de pourfuivre ma rcfute. Moi feul je ne perdis point courage: j'espérois non - feulement de réfifter aux fatigues , mais je me flattois encore de retirer de ce voyage un grand bien pour ma fanté. J'arrêtai de nouveau un voicurier qui me pour vu c d'une chaife: il avoit déja loué un carroiTe a quatre places k des Négocians qui alloienc a la foire de Francfort; nous fitnes le voyage enfemble. Je payai pour moi & pour mon domeftique fix Louis d'or: il m'en avoit coüté fept de Berlin a Leipzig. Le 27 Aoüt: Voyage de Leipzig a Naumbourg, Les chemins continuent a êcre unis & agréables jusqu'au dela de Weiffenfels. Je vis de loin plufieurs Mtimens qui appardennent aux Salines découvertes, il y a quelques années, dans le voifinage de Merfebourg. Cette contrée eft arrofée par la Saaie, fur laquelle on fait flotter le bois dont on a befoin pour la cuiflbn du fel. La rivi&re acreufé une vallée profonde, & on y a bati des villages , qui vus de la hauteur, forment un coup d'oeil riant. Mais cette vallée eft expofée a des inondations qui font de grands ravages, & détruifent fouvent la moifion. Par cette raifon les  C 7 ) habitans font exerapts de la plupart des impots fi onéreux dans toute la Saxe. Le grand chemin coupe le célèbre champ de bataille prés de Lutzen. On montre encore aujourd'hui une borne prés de laquelle ie Roi Guftave Adelphe dok avoir perdu la vie. Mais 1'Officier Pmsfien, Auteur des remarques qui accorripagnent la traduélion francoife du Gualdo, a prouvé qu'on fe trompe fur 1'endroit, & que le Monarque Suédtois a été tué de 1'autre cöté du chemin. rVeifsnfek eft une jolie petite ville, qui a perdu une grande partie de fon ancien luftre depuis qu'elle a ceflè d'être la Réfidence d'une Cour. Le chateau eft vafte & bien Mei, mais il tombe en mine, faute d'êcre entretenu. C'eft le cas de beaucoup d'autres beaux édifices qui ont fervi autrefois de demeure * des Princes apanagés. Je n'approuve point la politique qui a prévalu presque dans toute 1'Europe, de fixer le féjour des plus pnoches parens du Souverain * la Cour du Prince régnant. Un pareil arrangement fert fans doute a erobellir Ia Capitale & a enrichir fes habitansi mais les villes de province en fouffrent prodigieufemenc. Si on penfoita y placer les Princes apanagés, & fur-tout fi on choififibic des villes oü des palais encore fubfiftansfacilitaflentleur établifièment, on contribueroit par la au bien des provinces, a procuA 4 WeiJJin* fels.  ( 3 ) ter de I'agrémeQt a la Nobleftè du Voifinage, I civilifer deplus en plus les moeurs du Bourgeo'is, & a répandre les Arts dans tout le pays. Ön eft furpris de trouver dans plufieurs provinces del'Allemagne, tant de petites villes tombées en décadence, qui ne confervent plus que des traces de leur ancienne fplendeur. Ce mal a plus d'une fource, rnais la raifon principale en doit être attribuée a 1'agrandifiement des Capitales: il en réfulte que les Süjéts les plus aclifs s'empreflênt a quitter leur villa natale , & vont fe concentrerdans celle ou la Cour a fixé fa réfidence , & de cette facon les provinces deviennent défertes. Cet objet mériteroit une attention férieufe, ca* la connoiflance des véritables caufes quiont opéré la décadence des villes, p.urroit conduire k celles du déclin & de ragrandiflèment des Etats. II eft vrai que depuis quelques annécs on s'applique beaucoup a découvrir les véritables fources du bien-être national, & i déduire de ces recherches les principes d'une bonne adminiftration; mais a mon avis, on n'a guéres avancé jusqu'ici! Les meilleurs Auteurs qui ont traité cette matière importante, ne s'accordent pas même fur les fondemem de 1'économie politique, ce qui prouve évidemment que cette fcience eft encore très-incertaine dans fes premiers principes, pn n'en fers point étonné , fi 1'on confidère combien il eft  ( 9 > difficile de déterminer d'avance les fukes d'un nou3 yeau réglement politique (*). Du cóté de Naumbourg le pays devient monta* gneux, mai» il n'en eft pas moins intérefianc par de trés-belles vues agréablernent variées, & par les difFérens tableaux que préfentent les r©chers. C*) En réfléchiifantaux difficültés infurmontables qui s'oppofent Jt une véritable théorie de 1'économie politiquè, il me femble toujours quMl vaudroit mieux abandonner toutes ci s recherches, & tacher d'arriver au but par un détour. Jé m'imagine du moins qu'un pays dont les habitans feroient in•telligens, laborieux, économes & honnêtes gens, pourroic être auffi heureux & auMi puiffant que fa nature le comporleroit, fans qu'on eüt befoin de réglemens de police & de finances. Cependant le grand problème dont -il s'agit pourroic être réduit a celui-ci, dont la réfolution me paroït beaucoup plus aifée: quels font les moyens de rendre tout un Peuple, intelligent ,/aberieux £f bonnete? Si cette quefiion étoit réfolue, ce qui je crois n'eft pas impoffible, fi une Natton avoit pris le caraétère que je viens d'établir, on n'aqroic qu'a introduire une liberté entiêre dans le Commerce, dans 1'Agriculture & dans tous les mé:iers, & dés lors le pays s'éléveroit indubitablement au plus haut degré de prosyérité , & on en tireroit fans peine les revenus qui font das au jPrïoce. A 5  ( io ) Je remarquois avec peine tout Ie long de cette route qu'on laiüe dépérir les obélisques de pierre que le Roi Augufle II. a fait ériger dans toute 1 'étendue de fes domaines pour marquer les distances. Naumbourg eft une petite ville de peu d'apparence, mais fituée dans une contrée fertile & agréable. Ses environs confistent en petites montagnes entrecoupées de plaines & de vallées. Tout ce payfage eft du meilleu: fol, & offre un contrafte perpétuel deforêts, de prairies, de vignobles & de champs cultivés. Le vin de ces quartiers eft de trés - mauvaife qualité: il eft aigre comme dans toutes les Provinces Septentrionales de 1'Allemagne, & outre cela d'un goüc déceftable. Peutêtre aufli le gate-t-on, faute de favoir Ie préparer & le conferver -avec foin. Le 28 Aoüt, de Naumbourg a Erfort. En faifant cette route, on traverfe des montagnes & une fuite de belles vallées: elle feroit des plus agréables li des hauteurs aflèz escarpées ne la rendoient quelquefois pénible. A une lieue de Naumbourg on trouve le Collége Académique nommé la Porte ( die Schulpforte), qui  O* ) a acquis une jufte célébrité en Allemagne. II posfède plufieurs Mcimens, & un grand nombre de jardins, de prairies & de champs, renfermés daas 1'enceince d'une muraille. Les environs font ri* ans, & offrenc de belles promenades. Ainfi pour peu qu'on réuffifiè a inspirer a la Jeunefie le goftc des plaifirs champêtres, elle ne manquera point en été de diverciflèmens dans fes heures de loifir. C'eft dans cette école que Klopftock a fait fes premières écudes; je confidérois avec plaifir ces folitudes intéreflantes, oü fon imagination & fa fenfibilité ont pris 1'eflbr fublime, qucnousad» jnirons dans le poëme du Metfte. Au rede la récolte des blés me parut peu abondame dans ces contrées, a proportion de la bonté du terrain. J'ai vu dans la Marche de Brandebourg des terres d'une fertilité médiocre, qui pouvoient le disputer quant au rapport, au fol vraiment excellent de la Thuringe. Je foupgonne qu'on ne donne point ici a 1'Agriculture toute 1'attentioa qu'elle exige. J'en puis citer pour preuve les terres qu'on venoit de préparer pour les femailles d'automne: 1'engrais qu'on avoit employé étoit moins du fumier que de la paille deflechée, & il eft trés-polïïble que le labourmême foitaufli négligé. En général j'ai remarqué dans le cours  ( ï2 ) do mes difrérens voyages, que les pnyfans des provinces méridimales de 1'AIIemagne font beaucoup mieux au fait de 1'économie rurale que ceux de la B (Te AJlemagne , auxquels je n'ai reconnu ni la même intelligence, ni le mèmedegré d'aclivité. Le rerroir aux environs d'Erfirt peut être compté parmi les plus fertilés de 1'Allemagne. On le referve en grande partie pour la culture des légumes, qui y réuffiflènt mieux que dans Ia plupart des provinces voifines. Le 29 Aoüt. J'Erfort par Gotha a Eisen a c h. . En fortant d'Erfort on arrivé dans un chemin creux & inégal,, qui mène au travers des montagnes: il devient plus fupportable dans la fuite, du moins par un temps fee; mais a en ju?er par les ornières profondes qui fubflftent par tour, il doit être abfolument impraticable dans la mau-' vaife faifon: le terrain par lui ■ même eft gras & argilleux, & on n'a point penfé jusqu'ici a con-, ftruire des chauflees. Ce chemin fi mal encretenu eft cependant le paiTage ordinaire des voituriers chargés du tranfporc des marchaadifes de la Saxe & du Brandebcurg k Francfort. Le char-  < IS ) roi devient par la d'une grande difficulté, & fen; chérit en conféquence. On a tort de négligei jusqu'a ce point des routes auffi importantes; mais les établiflèmens de ce genre rencontrent d'ordt naire beaucoup d'obftacles, & n'arrivent que paf des progrès très-lents a un certain degré de peri feclion. On voit de loin fur cette route deux cMteaiix qui ont appartenu ci-devant au Comtede Gleichen, J'ai découvert a cette occafion qu'une tradition a confervé parmi le peuple la mémoire du fameux Comte de ce nom, qui doit avoir ramené une époufe Sarrazine de fa croifade en Paleftine. Mon poftillon me racotita enmemontrant les chïkeaux, qu'ils avoient appartenu a un Comte qui avoit été marié avec deux femmss a la fois. Le 30 Aoiit. /Eisenach a Hunefelp dans l'Evéché de Fulde. On rencontre prés ÜEifenacb cette longue chau ne de montagnes qui fépare 1'AUemagne Septentrionale de la Méridionale, & qui continue presque fans interruption, du Rhin jusqu'a la MerNoL re. Autrefois les chemins entre Eifenach & FuU ic étoient déteftables, mais les Princes voifins onc enfin pris Ie parti de les faire réparer 3 ffaj| EvéeH  ( 14 ) eommuns, & de conftruire des chaufiees. On voyage aujourd'hui très-commodément eFEifefiacb a Francfort, & de la jusqu'aux extrêmités des frondères de la France. Ces changemens mvantageux ont été opérés eflentiellement par les foias de 1'Ëvéque régnant de Fulde, & c'eft également k ce Seigneur qu'on eft redevable du rétabliiTement de la füreté publique dans ces montagnes, qui étoient ci-devant un répaire de voleurs. Plufieurs Princes dont les pofieflions font contigues, entretiennent fur la grande route des patrouilles de Houflards , auxquels ils accordenE réciproquement la permifiion de pourfuivre & de Caifir les brigands, fans diftinétion de territoire. Ze 31 Aoüt, de Hi'Nefeld par Fulde a Salmunster. Dans toute la Saxe, laThuringe, & 1'Evéché de t*ulde je trouvai les villages environnés d'arbres jhiitiers, parmi lesquels les pommiers furtout éloient richement chargés. Le nombre des vergers augmente a mefure qu'on approche de Ja Vetteravie. Les fruits font extrêmement abonians dans cette contrée ; fouvent on eft obligé d'empioyer le fuperflu a faire du cidre, & du cóté de Fulde & de Salmunjler cette boifion ei? très-commune. C'eft ici encore le commence*  ( 15 ) ment des pays de vignoble. En général Ia paitie de 1'Evéché de Fulde, fituée fur la route de Francfort, eft riante & fertile, quoique aflèz montueufe. Le grand chemin paflè tout prés des portes' de 1* rille de Fulde, d'oü 1'on découvre a une petite diftance le palais épiscopal qui fe préfente avec éclat. Je crois avoir obfervé plus d'une fois dans mes voyages que les Réfidences de» Princes Eccléfiaftiques opulens, annoncent presque toujours, fi non plus de fafte, ,du moins plus d'agrémens, & s'il m'eft permis de m'exprimer ainfi, un extérieur plus neuf & plus gai, que les palais des Princes Séculiers. Si la remarque étoit fondée, elle pourroit être expliquée par la différence du caractère moral & de la forrne des Goavernemens. II eft fur que d'ordinaire les Princes Séculiers font chargés de' trop de foins, d'occupations & de dépenfes, pour pouvoir fuivre le gout des batimens, & y employer la plus grande partie de leurs revenus. Au refte on m'a parlé par tout avec beaucoup d'éloges de 1'Evów «jue aftuel de Fulde.  , Le i Septembre, de Salmunster par GêlnhatN sen & Hanau a Francfort. Gelnbaufen, autrefois ville Imperiale, appartiem aujourd'hui aux Comtes de Hanau: elle eft entou.rée de montagnes qui abondent en vignobles. On s'applique beaucoup dans cette contrée a la culture du blé deTurquie & du tabac: ces deux plantes occupent une bonae partie du terrain. En Memngne ■Je maïs n'eft point comme en Italië, un des ali.mens du peuple: on s'en ferruniquement pourl'engrais du bétail. Le tabac de Hanau paflè depuis Iong-temps pour le meillcur de 1'Allemagne: c'eft un des principaux revenus du Souverain. Des plaatations de möriers qui réuffiflent k fnerveille, embelIilTenc depuis peu les environs de Hamu. Ii eft trés-probable que dans quelqnes années la culture des vers a foie y fera poufiee jusqu'k la perfeétion. On apercoit d'ailleurs dans cette Principauté plufieurs autres établiflèmens qui donnent une idéé avantageufe de ï'aérivité & de 1'induftrie de fes habitans. II en faut fans doate Chercher la' caufe dans le mélange des habitans de la Capitale. Plufieurs Colonies de Walhns, de Frangois & de Juifs s'y font réfugiées? & y exercent aujourd'hui ieurs talen3, grace aux priviléges étendus qui leur ont été accordés. La ville de fJanau eft aufli 1'entrepót principal du cornmerce de  ( 17) cte boi$ qui ft fait fur le Main. Elle eft fituée dans une grande & belleplaine, qui réjouit d'aucant plus qu'on la trouve au fortir d'un pays de montagnes. i; Je n'avois pas fait cette route depois treize ans, & . il m'a paru que la culture du blé de Turquie y a | diminuée; j'ai oublié d'en demander la caufe. ID'après tnes cafculs, le chemin de Leipzig k Francfort donne les diftances fuivantes: De Leipzig » Naumbourg, 164646. pieds, ou 6p2 milles. - Naumbourg i Et fort, 178777;. • . ; .7^ . . ; ..(Erfert * G*tba) (72832.) .-Erfort k Eifenach 162254 gf, . ■ { - Eifenacb ïHunefeld 165465. .... .6- ... y m. Hunefeld ISalmunfier 182745 ni . . , - .[S*lmunfler k Hanau') (12-6515.). . . . (5) ... i Salmunfter a Francfort 183641 7»c.'* '• " En tout . i©37526. 41^. . . . Ainfi en tout 41 milles&demi a raifon de 25000 pieds par mille, & 44 milles fi on les compte a 23497. pieds , c'eft-a-dire , felon la véricable mefure des lieues géographiques, dont 15 font ün degré. I Le a. & 3 de Septemhre. Séjour a Francfort. J'eus befoin de quelques jours de repos, & je I m'arrêtai k Francfort; mais comme mm forces ne 9  ( i8 ) me permëttoient point de fortir, je fus obJigé dë garder la maifon, & je nepus faire le tour de la ville qu'en voiture. Elle eft grande, belle & bien fituée; les jardins & maifons de campagne des environs ajoutent encore a fes agrémens, & indiquent 1'opulence de fes habitans. Francfort eft en effet 1'unique ville Impériale du Sud de 1'Allemagne qui fe foit confervée. Nuremberg a beaücoup perdu depuis quelque temps : Augsbourg commence aufli ï tomber en décadence: Ulm eft peu de chofe aujourd'hui, & les petites villes Impériales en Francmie & en Souabe font presque réduites a rien. J'eus la fatisfa&ion de recevoirk Francfort Ia vifite du Docteur Götbe, qui s'eft acquis fort jeune une grande réputation par fes ouvrages. Cet Ecrivain a véritablement 1'esprit original: fingulier dant fes opinions en matières politiques & littéraires, il joint k beaucoup de jugement une imagination vive & une grande fenfibilicé, mais fes idéés fur les hommes, les moeurs, la politique & le gottt, prouvent qu'il manque encore uo peu d'expérience. Au refte il eft d'un comroerce airaable & intéreflant. J'arrêtai k Francfort pour le prix de fept louis d'or, une voiture qui devoit me rendre dans fix jours a Male- en fuirant le Qbemin des Mentagmt  ( xj>) & les pays de 1'Empire iitué* fur Ia rive, droïte du Rhin. Ce chemin eft un des plus agréables de 1'Allemagne, & je le choififlois de préférence , quoique celui qui eft a la gauche du Rhin fok plus cour? & plus commode. Le 4 Septembre. De Francfort par Daxjj- sïadt a höppenheim. Les pays du Landgrave de Darmftadt n'offrent presque rien de remarquable; le terrain en eft fablonneux & ftérile. Je paiïii fous les murs de ia Capitale lans être tenté de revoir cetce ville, qui autrefbis m'avoit paru trifte & déferte. Dès qu'on eft entré fur le terrkoire de 1'Archevéque de Mayertce, on retrouve un fol gras & un pays bien peuplé. Les villages & bourgs que j'ai traverTés, fourmilloient de monde, & je ne me fouvians pas d'avoir vu hors de la Suifiè une population auflj nombreufe que celle de cqtte contrée. Le 5 Septembre, de Höppenh eim par HEiDSt,; berg a Langenbruck. Je ne connois pas de plus belle route que celle Beréque Ton appelle le Cbemin des Montagnes (dieflr*i<* Bergflrajje ). Elle paflè au travers d'une immenfe Blaiue, bordce d'un cöté par une chaine de ftigii-  r &) tagrces fertiies, & de 1'aütre par le Rhin. ïl y a proprement deux chemins parallèles, 1'un au pied des montagnes, & 1'autre qui coupe la plaine dans toute fon étendue. Je choifis celu:-ci qui étoit encore nouveau pour moi; cependant jepréféreroisle premier. L'oeil découvre par tout une fuite de tafeleaux d'une variécé admirable. La plaine eft dï<„ ne fertilité extreme, & les montagnes font couvertes d'une trés-belle verdure; deloinon y voitauflï qudques vieux chateaux, les uns habités, d'autres délaifles & tombés en ruiae. Le grand chemin, les chemins de traverfe & une partie des champs, font planiés de grands royers & d'autres arbres fruitiers: tout ce payfage ceiTemble k un jardin. La chaleur de la journée étoit excefiive: le thermomètre de Fabrenheït expofé k 1'ombre en plein air, paiToit les 80 degrés. Cette contrée a la réputation d'être fituée dans «ne température plus douce que le refte de rAIl- magne, & en eftet la chsine de montagnes qui la couvre , la défend des vents froids de 1'Oueft & du JMord-Oueft. Le maronier, fi rare dans les autres provinces de FAllemagne, réuflit dans celle-ci fans aucune difficulté, & on le trouve indifféremment parmi les arbres fruitiers les pluscommuns. J'aiété étonné de ce qu'on ne cultive point ici le mürier. D'ailleurs il m'a paru qu'on pourroit mettre mieux k profit les noyers, dont ilyenaunfi grand nom-  ( !! ) bre: 1'huile qu'on en tire aujourd'hui eft de la plus chétive qualké , tandis qu'avec plus de foin on parviendroit aifément a en préparer d'infiniment meilleure. Je fais par expérience que 1'huile de noix preffée avec artention, ne le cè de point a la meilleure huile de Provence. J'ai mangé plufieurs jours de fuite de la falade afiaifonnée avec de la bonne huile de noix, & le goüc m'en a paru fort agréable, quoique 1'huile fut déjk depuis deux ans en bouteilles. Les noix rendront de bonne huile chaquefois qu'on voudra s'y prendre prudemment : il s'agit pour cei effet, de les féchér a 1'ombre dans un endroit expofék 1'air: enfuite il faut en lescasfant, rejeter celles qui pourroient être moifies, & preflèr a froid les mieux confervées. On fait que les mêmes olives donnent en Proveoce la bonne & la mauvaife huile; tout dépend de la manière dont on s'y prend. II en eft de mêrae des noix, Sc je fuis für que nous pourrions nous paflèren Allemagne de 1'huile d'olive, fans que la bonne chère en fouffrit; mais il faudroit dans ce cas multiplier les plantations denoyers, & ne préparer que des huiles de la première qualité. Cette branche d'économie rurale mériteroitd'ailleursune préférecsce notable fur la culture des olives 5 les noix féches pouvant être long temps confervées, on ne feroit point aflüjetti k les preflèr dans la faifon même, au lièu que les olives doiveat Têtre peu après la récoke, B ft  HetM berg. J'amva! vers midi k Heidelbtrg, dont la fituation fingulière me frappa. Le Necker fortant d'un gouffre entre des montagnes, fe jère ici dans un lit profond 3 mais dont les eaux diminuent en temps de féchereflè, au point qu'il eft fouvent comblé de cailloux. Le fleuve pourfuit fon cours au travers de la plaine. Les montagnes qui couvrent fes rivages, font hautes & escarpées, & fon lit occupe toute la largeur d'une vallée qui s'enfonce dans Hntérieur des rmentagnes. Le'chemin par oü je venpis, cötpye la montagne fituée fur la rive droité, & s'élève en forme de terraffe as deffüs du lit du fleuve: le haut de la montagne eft planté de Vignes. Sur le rivage oppofé fe préfente Heidelhcrg , batie fur une terraflè qui s'étend le long du fleuve. A 1'extrémité fupérieure ou oriëntale de la ville, on découvre une colline détachée, oü fe trcuvent les ruines d'nn ancien fort qui fervoit de Réfidence aux Elecleurs Palatins. Au defius de la ville, le gouffre fe rétrécit peu a peu & fe perd dans l«s montagnes, oü il femble annoncer un défert fauvage, qui contrafte d'une manière très-piquante avec la beauté & la fertilité du refte du payfage» Enfin vis-s-vis du chateau, on paffe le Rccker fur un pont de bois, qui conduit k Heidelberg même. La ville eft fombre : une montagne !jui la couvre au midi, lui öte la plus grande portie |ta jour qu'elle devroit recevoir de ce cêté.  03 ) Au dela de Heidtlberg, les montagnes disparo'sfent fucceffivement. Le pays continue ï être agréable & fertile, mais Tceil n'y retrouve plus les richeffes variées de la route précédente. Le 6 Septembre: de Langenbruck par Bruchsai,, Doürlach & Carlsroh, a Rastadt. Langenbruck eft un beau village appartenant k PEvéque de Spire: les maifons en font fpacieufes, bien entretenues, & donnent une idéé favorable do 1'opulence des habitans, mais la fertilité du foln'eft plus la même, & elle dimirme encore davantage dans le Margraviat de Bade. Bruchfal eft la Réfidence de 1'Evéque de Spire. En entrant dans le fauxbourg je fus vivement frappé de la propreté, de leiégance & de 1'ordre qui régnent dans la ville. La porte mêrae par ou Ton arrivé, eft d'une belle ordonnance, & annonce déjk le goüt de la bonne architeéture. Dès 1'entrée dü fauxbourg on trouve une affèz grande place environnée d'une rangée de joiis batimens, qui font partie du ptlais épiscopal. Une large rue conduit de la place jusqu'a la porte de la ville. Tout le fauxbourg eft dispofé avec tant de gout & de propreté, qu'on le prendroit pour une décoration d'opéra, plutót que pour un quartier de la ville. j'ai vu B 4 JSruch fa!.  ( 24 ) beaucoup de places qui furpafToient celle- ci en grandeur & en magnificence, mais je n'en connois point qui 1'égale en élégance. On continue encore k Mtir dans la ville même, & j'ai remarqué plufieurs maifons departiculiers, commencées ou achevées depuis peu: elles étoient coutes conftruites en pierres & fur un bqn plan. Je me réjouis chaque fois que je vois un ouvrage feit avec jugement, avec goüt &avecinduftrie, ne fut-ce qu'un champ bien labouré, ou un verger planté avec intelligence. Je m'attrifte'au contraire chaquefois que j'entre dans un lieu falc, fombre, malr bati & mal entretenu, tel qu'il y en a tant dans le Nord de 1'AUemagne, & funout en Weftphalie. Je ne puis m'empêcher alors de faire un retour fur les habitans: en effet quelle idéé doit on fe former de 1'esprit & du coeur de ceux qui fe contentent des plus miférables réduits, fans s'apercevoir qu'ils manquent des commodités les plus efièntielles dela vie? II n'eft que trop décidé que des gens de cette efpèce vivent dans la ftupidité& l'infenfibilité, foit que la caufe d'un pareil abrurifièment doive être attribuée ï la mifère, ou au joug de la tyrannie, ou k tel autre fl-éau moral. Pour peu que 1'homme foit dans une affiette paifible, pour peu qu'il penfe& qu'il réfléchiffè, jl roe femble qu'il doit cherchera embcllir les ob-  ( 35 > jets qui fervent a fon ufagejournalier. II n'eft pas jusqu'aux peuples fauvages, qui n'aiment la parure dans leurs habillemens. Or nos habitations font pour le moins une parrie auflï effen tielle de nos befoins que nos vêtemens, & fermer les yeux fur les agrémens d'une demeure commode & propre , c'eft tenir en quelque manière de la brute. J'envtfage encore, fi non avec peine, du moins avec une forte d'humeur , les défauts que je découvre dans un batiment, ou raême dans lafacon d'un outil: je fuis également choqué de certains omemens bizarres qu'on employé fouvent fans rime ni raifon, fans prendre garde qu'ils font diamétralement oppofés k la nature même 6es chofes, & qu'ils ne fervent qu'a faire manquer le but auquel on tend. Ces fortes de contre-fens annoncent de ia folie & de 1'extravagance. Le goüt qui domme dans lesbatimens, décide beaucoup du caraélère d'une nation, tout comme on reconnoit un peuple échiré, au genre delivres auxquels il accorde la préférence. Nombre de Savans même , qui font profeffion des hauces Sciences, ou qui fe bornent feulement k 1'étude de 1'Histoire, fe piquent de faire peu ou point de cas des ouvrages de gout; mais ils prouvenc par lk qu'ils fa vent mal apprécier les chofes, puisqu'ils ignorent B 5  C 26 ) &ur- (•) Frutex lupini fuceifui optimi (icrcoris vim prrfiet, dirColumeli». Voyez auffiPline dasu foaHift: NauL. XVI1L eombien Ie bon goüt influe fur le jugement & les fenfations tnorales. Au milieu de ces réflexions, dont Bruchfal m'avöit fourni le fujet, j'arrivai dans les environs de Deurlacb, oü je vis pour Ia première; fois un champ femé d'une espèce de fèves nommées lufins, qui ne font deftinées qu'a 1'engrais des terres; car dès qu'elles ont ceffé de fleurir au mois de Septembre , on laboure fans atitre préparation le champ même oü elles avoient été femées. Cette méthode d'engraiffèr les terres eft très-ancienne, & elle étoit déja connue du temps des Romains. (*) Elle eft en ufage auffi dans le Dauphiné. Je crois cependant qu'elle n#produit pas Ie même effet que le bon funiier* mais elle abrège de beaucoup le travail. II ne faut qu'un boifTeau de ces fèves pour enfemencer tout un arpent, & ret cuvrsge exige bien moins de temps & de peines, que le transport de plufieurs charges de fumier. Dourlacb eft fituée dans une plaine fertile. La ville eft déferte, & il eft apparent qu'elle eft tómbée en décadence, depuis que la Cour a établi la Réfidence a Carlsruh. On m'a dit qu'un peu de  ( 2? ) de cornplaifance & une forome d'argent offerte k rernps, auroient retenu le Margrave. On a eu tort de négliger ces moyens, mais fouvent les hommes reconnoifient trop tard leurs vrais intéréts. Une belle chauffée conduit en droite ligne jusqu'a Carlsruh. Elle eft plamée des deux cötésde peupliers d'Italie, taillés en pyramides & d'une trésbelle crue: je n'en ai vu nulle part d'auffi hauts. A cóté de la chaufTée eft un canal h. éclufes, qui peut porter de petites barques. Carhruh en lui-même, eft un endroit de peu d'importance, & refTèmble plutöt a un chsïteau de plaifance, qu'a la Réfidence d'un Prince. Les rues en font larges & bien alignées, mais les maifons petites & en miuvais ótat. II faut excepter pourtant le quartier voifin du chateau même, qui eft un tr&s-bel édifice. II eft fitué au milieu du jardin, & celui-ci touche a une forêt coupée en longues allées, qui toutes aboutiffcnt au chateau corame a leur centre. L'ordonnance de ce palais pêche eri ce que les ailes qui partent du batiment principal, font dispofées a angles obtus , au lieu d'être a angles droits. Peut-êtrel'Architeéle a-t'il cruembellir par W la perspeélive, ou bien il aura voulu tirer parti des anpiens fondemens qui fubfiftoient encore. Carkrüh.  fladt ( 28 ) En fortantde Carhrub, j'ai trouvé un terrain ft. blonneux & peu fercile. Je paffai la nuk k Ra/iadt mais fans qukter mon auberge. Je m'apereus cependant que la ville eft déchue depuis treize ans que je ne 1'avois vue, ce qui n'eft pas furprenant, la maifon fouveraine qui y réfidoic, étant venuek s'étejndre dans 1'incervalle. Le 7 Septemhre. De Rastadt par Offeniourg a Kenzing. La chale*ur de cette juumée étoit exceffive : mon thermomètre montoit a prés de 88 degrés en plein air. J'étois trop accablé pour chercher la promenade. Offètibourg, oüjediiiai, eftun endroitbien peuplé, müis pauvre. Le 8 Septembre. De Kenzing a Fribourg en Brisgau. Le chemin qui mène k Fribourg offre par tout un pays agréable , fertile & bien peuplé. Les habitans m'ont paru laborieux & intelligens. Les terres font parfaitement bien cultivées, & il y en a quelques-unes qui produifent de la garance. J'ai vu fur-tout de ce cóté des prairies admirables, les premières fi ne me trompe, que j'aye trouvées fur ma route.  < 29 ) Je ne fais pas trop pourquoi on négligé entière* inent la culture des prairies dans le nord de 1'AHe* magne. Les moyens n'y manquent afiurérnent pas, car j'y ai vu nombre de contrées qui pourroient être arrofées fans beaucoup de difficulrés. La plus grande partie du foin qu'on recueille dans le Brandebourgy même celui qui paffe la pour beau, ne feroit guère employé en Souabe ik en SuiJJe que pour faire des litières. Je le répète encore, plus on approche des provinces méridionales de l'Allemagne, plus le payfan y eft laborieux &fenfé. La plupart des villages de la Souabefont des villes au prix deceux de la Saxe & du Brandebourgy & les maifons des payfans y peuvent être regardées comme des palais, fi on les compare aux miférables cabanes de la Basfe Allemagne. L'agriculture eft en Souabe fur un meilleur pied, & le peuple y eft bien plus industrieux, plus aftif, plus franc, plus honnête & mieux vêtu, que dans les provinces que je viens de nommer. Fribourg, autrefois une forterefTe confidérable, eft aujourd'hui une place ouverte. Ellea GarnifonAutrichienne , mais on ne fe donnepas la peine de pofer des fentinelles aux portes, puisqu'on peut entrer & fortir dans la ville de toute part, enpaflant pardesfus les remparts démolis. Les habitans ont manqué jusqu'icï ou de temps, ou de moyens, pour faire enlever le» décombres des anciens ouvrages; on Fri. èturg  < 3° l pourroit aifément applanir le terrain qu'ils occupent, & le changer en jardins ou en champs. Je ne ditai rien de 1'intérieur de la ville, y étanc arrivé a nuit tombance , & reparci le lendemain a la pointe du jour. Seulement j'ai remarqué que la rue oü je mis pied a terre étoit belle, & fréquentée jusques fort avant dans la nuit. Le 9. Septembre. De Fribourg a Bale. Les belles chauffées de cette route commencenc déja a dépérir. C'eft, je crois , le Gouvernement Autrichien qui a donné en Allemagne le premier fexemple des chaufiees, mais on a négligé d'asfigner les fonds néceftaires pour les entretenir. On a mieux pourvu a celles qu'on vient d'établir prés (TEifenacb, §c dès k préfent on veille a leur confervation. Pour eet effet on tient en referve fur le grand chemin des monceaux de pierres écrafées , dont on comble les ornièses a mefure qu'elles fe creufent. Le pays entre Fribourg & Bdle eft montagneux & riche en poiats de vue, tant dans lesplaines, que fur les hauteurs. On y apercoit déja quelques endroits incultes, mais le terrain en général eft encore bon. A deux lieues de Bdle le chemin paflè fur la croupe d'une montagne, d'oü 1'on découvre \ Ja fois, la ville même, fes environs arrofés par le  (3' ) Rhin, & les hautes montagnes qui féparent ce Canton & XAlface, du relïe de la SuiJJè. La ville de Bdle, les maifons de campagne du voifinage», plufieurs villages, le cours tortueux du Rhin, enfin une forêt d'arbres fruitiers & de vignobles qui couvre tdut ce payfage, forment une des vues Ier plus intércffantes que je connoifiè: il eft impoffible de la quitter fans emporter la plus haute idee de la variété & des richeflès inépuifables de la Nature. Rien de plus fertile & de mieux peuplé que" cette contrée. J'arrivai k Bah vers quatre heures de 1'après-diné. La route ordinaire pafte par Oppenhetm* Spire, IVorms & Strasbourg. Celle que j'avois fuivie depuis Francfort eft plus longue, & on y eft généralement affez mal fervi dans les aubefges, mais Ia beauté des pays qu'on parcourt, rachete fuffifamment ces petits inconvéniens. De Francfort k Bdle mon odomètre indiquok 63700 tours de roue. Le diamèwe de la roue étoit de 5 pieds 2 pouces 10 lignes, & la circonférence de 16. pieds. Par conféquent toute Ia route eft de 1046228 pieds, ou 41^ milles* S5000 pieds. De Berlin k Bdle j'ai compté efiviron 104 milles.  (3* ) Voici les diltances particulières: De Francfort a Darmftadt .... ; tnilhL <~r— Dartnjladt a Hbppenbeim 3^ . . * *? -— Höppcnheim a HeiJelberg 525- . . ^ 11 — Heidelberg a Langenbruck 3Ï} . . . *-~ Langenbruck k Bruchfal ..... 17 . . . .— Bruchfal a C«? . . . < . 27" . . »- Carhrub a Raftadt 2if ... il — Raftadt a Ofenbourg ^25. .. . 1 —— Ofenbourg a Kenzing 4!" ... 6 -—Kenzing a Fribourg 325- . . •• 1 Fribourg a Bdle nr ... Du jo 12. Septembre, Sèjour a Bale. J'avois befoin de repos & je réfolus de paflèr quelques jours a Bdle. IvJes forces ne me permettant point de fortir a pied ni de faire des vifites, je prïs le parti de refter dans ma chambre, oü le célèbre Ifelin voulut bien me tenir compagnie pendant tout le temps de mon féjour. Je fis auflï la connoiffance du Confeiller Kohlreuther de Carhrub, qui venoit de fe marier a Bdle. Il eut la complaifance de m'accompagner jusqu'a Berne, uniquement pour me faire plaifir. Ma voiture devoit m'y conduire dans un jour & demi. Les voyages en voiture font infiniment plus chers en Suiffe qu'en Allemagne, & cette dépenlè «^evient inévkable par le défaut des poftes publi- ques  ( 35 ) i «mes. On ne connoit guères que les poftes & i .quelques coches» Nous partimes le 12 après midi, & nous fui mes ren dus le même foir a Langenbruck. En for1 tant de Bdle on traverfe d'abord un pays uni & a I tous égards déücieux: enfuite on arrivé prés d'une Ichaiae de montagnes qui forrhe la' frontière natui'relle eritre 1'Allcrnagno & la Suifie. Sur le furri.net 1 dé Furie de ce« montagnes eft fitué le village dé I Langenbruck. Le chemin qui y mène eft auffi I bon & auffi commode qu'il pouvoit 1'étre dans uri Jpays montagncux. Autrefois les grands chemins |de la SuifTe étoient étroits & raboteux, au point d qu'ils n'étoient guères praticables qu'k cheval ou en j lltière, mais ils ont infioiment changé a leür avanitage depuis qu'on a commencé a établir des chaus. Ifées. LeCanton èeBerne en donna 1'eXempie il y a lüne vingtaine d'années, & les aütrei Cantons n'orit spas tardé a le fuivre. On voyage aujourd'hui dans ftoute la Suifie avec la plus grande facilité * & on itrouve-par tout, même dans les villages, des auIberges très-propres oü on eft bien fervh On a introduit dans presque toüs les villagés dé ice Camon 1'ufage de eertains métiers a moulin fur llesquels on fabrïque dej rubans de foye. Cette' lefpècede manufacture eft d'un grand rapport peur Ia ilville de B4!e,& vraifemblablement fera long-temps encore pour elle une fource de richeflès, a caufe dtó G  ( 3*) prix tnodique auquel ellt peut donner iès marchandifes. La Suiffe jouit de plufieurs avantages qui contribuent k faire prospérer les fabriques. D'ordinaire le payfan pofTède peu de terres, & il eft chargé d'une nombreufe familie qui toute ne peut pas étre employée au labourage. II refte donc beaucoup de bras oififs, qu'on peut occuper ailleurs fans que 1'agriculture en fouffre; c'eft: Ik le cas d'établir des manufaftures, & le feul peut-être oü elles foyent réellement utiles au pays. Stleure. Le 13. de Langknbruck par Soleure 4 Beani. Ptffé Langenbruck le chemin va toujours en des. cendant jusqu'aü défilé nommé le CIus, oü on rentre dans h plaine. La vue qui dans les montagnes avoit été bórnée, s'étend ici tout d'un coup, & dé» couvre une partie des Cantom de Soleure & d« Berne. En entrant k Soleure de ce cóté-cï, on eft frappé de la mignificence de la Cathédrale qu'o» y a ba-, tie nouvellement. On ne s'attend guères k trouver dans une aufli petite ville un pareil édifice. Son emplacement contribue beaucoup k en faire resfortir la beauté. L'Egiife eft bStie fur une ter-j raffe élevée, k laquelle on monte par un grand} «fêalier bordé des deux cótéi par dei jets d'eau,  ( SS ) Ön m'a afïuré que Ia conftruétion de eet diiké a codté k la ville une fomme de 600,000 livres, ou environ un million d'argent de Francc, fans compter le -u-avail des corvées. La ville eft bien fortiJiée, & quoiqüe petite, une des plusjolies &des mieux fituéei de la Suifie. II faut cinq heures pour aller en earrofiè de Soleure k Berne. La route eft commode & égayée par la fertilité des champs & des prairies. Le bien-être du peuple fe montre dass chaque village. Tout prés de Berne on defcend une montagne qui conduit k la porte atterrante k ÏAa-r. Ce chemin étoit ci-devant extrêmeme»t roide & difficile, maïs le Souverain n'a rien épargné pour Ie rendre plus commode, & on eft parvenu k fégalifer au point qu'on y voyage aujourd'hui avec autanc d'aifimce que dans une plaine. Ön peutaffirmer avec vérité que les établifiemens fondés par le Gouvernement de Berne tendent coujours & 1'utilké générale du pays, & qu'ils portent une cercaine empreinte de grandeur & de nobleftê fans fafte & fans oftentatiön. Je n'ai point mefuré la diftance de Bi/ff k Berne. Ön compte 18 lieues, pour lesquelles mon voivmtr me fi: payer un louis & demi, C ï  Berne, l ] ( S«) Le 14, 15, & 16 Septemlre; féjour h Berne. Le mauvais temps qui furvint le lendemain de mon arrivée a Berne influa tellèment fur ma fanté, que je fus réduit a garder le lit ou du moins la chambre, pendant tout le féjour que je fis dans cette ville. Pour comble de malheur la plupart de mes anciennes connoiffances en étoient abfentes, & j'aurois été a plaindre fi je n'avois eu la fatisfaction d'y rencontrer mon ami de coeur le Doéteur Zimmermann dCHannovre. J'apprïs que Mr. de Ualler logeoit dans le voifinage de 1'auberge oü i'étois descendu, mais il étoit malade, & même ali:é. Quoique mes propres forces ne me permiflènt ïuères de fonir, je ne pus réfifter pourtant a 1'ende de Palier voir, & je réuffis a me trainer jusques :hez lui. Je le trouvai au lit, mais il n'avoit rien ,->erdu de la vivacité de fon esprit. Toute 1'Europe a rendu juftice au vafte génie de ce grand homme, a 1'étendue de fes connoiffances & a fon acli/ité infatigable; mais lorsqu'on a 1'avantage de 1'en» :retenir dans fon cabinet, on eft furpris de Pimmeriité de fon favoir, même dans les fciences qui n'ont uicun rapport avec le genre d'étude qu'il a embrai<ê; il s'exprime d'ailleurs avec une facilité étonnane fur chaque matière. En un mot, Haller eft pour linfi dire une Encyclopédie vivante, un véricable épertoire des connoiffances humaines. Je me ré-  ( 37 ) jouiflbis beaucoup de revoir encore une föis ce vieillard respeclable , mais je m'apercus bientöc qua mon état lui paroiffbic très-critique, & qu'il désespéroit de ma guérifon. Les attentions de mes amis & patrons me firent paflera Berne trois jours agréables en dépit de mes maux; le quarrième je me crus aflèz fort pour continuer mon voyage. Le 17 Septembre, de Berne öPayerne, par Mor a t & Avanciies. Les environs de Berne font naturellement fauvages; les montagnes, les vallées, les champs & les paturages s'y fuccèdent alternativement. Ce pays doit avoir été un défert effroyable avant qu'il ait été culrivé, mais 1'induftrie des habitans, & 1'adminiftration éclairée du Gouvernement, en ont fait une contrée riante, qui intéreffè furtout par la variété des objets qu'elle préfente. Une plaine riche & fertile eft dominéé dans le lointain par les Alpes\ dont les fommets fe terminent en rochers arides, ou font couverts d'une -neige éternelle : cette perfpe&ive eft d'une beauté raviflante. Le chemin entre Berne & Mar at va toujours en montant Sc descendant, mais il n'en eft pas moins agréable. La Nature y étale des beautés de toute espèce, &la fcène change k chaque moment. Ici c3  ( 33 ) C'eft un cöteau, Ik une vallée: tantóc une petite plaine9 un village: tantóc une cabane ifolée: quelquefois une iforêt cü la nature inculte fe montre dans le plus haut degré de fertilité dont elle eft fusceptible. Si 1'on ajoute k tant de richeflès la bonne mine des kabitan», la propreté de leurs majfons, leurgaieté, celle même du bétail; fi Ton place tous cesobjets intéreffans fur un chemin fuperbe, on conviendra je penfe , que cette contrée eft une des plus belles qu'on puiffë imaginer. Les habitations de ces quartiers différent de celles de FAllemagne, tant pour leur conftruéiion, que par leur ordonnance intérieure. En paffant «Tune province k 1'autre, & en réfléchiffant fur la différence qu'on remarque par tout dans 1'économie villageoife, je me fuis entretenu fouvent d'une idéé qui m'a toujours intéreffè, Chaque province ,& presque chaque petit Etat de 1'Iiurope fe diftingue tam par le carac~tère,la fa£on de vivre, la phyfionomie , I'habiliement, & en général 1'extérieur du payfan, que par la ftruéïure des cabanes, Fordonnance des villages, le détail dfs occupations domeftiquts, le travail de la campagne, le* outils du labousrage &c. Un Voyageur attenüf obferve toutesces differences & fe plait k les comparer. Je voudrois donc qu'un Peintre habile parcourüt plufieurs pays pour deflïner dans chaque diftrict un village avec les environs: il faudroit qu'il eüt foin de placer mr le devant du tableau une maifon oü 1'on put diftin-  ( ft ; guer ce qu'elle a de particulier dans la conftru&ion & dans 1'arrangcment: il faudroit encore qu'il nous repréfentat avec la véritable expreffion de la Nature, avec le crayon d'un Chodotaiecki, une familie villa. geoife au milieu de fes occupations rurales, & de Cette manière chaque deficin offriroitune copicfidelle des ufages qui ciraclérifent les gens de la campagne. Je fuis für qu'une collc&ion de pareils payfages feroit recue avec plaifir, & elle feroic en effec intérefTante a plus d'un égard. L'entreprife, il eft vrai, demanderoit du temps & des fonds, msis je doute qu'elle fut plus longue & plus dispendieufe que la Topographie de Met-ia». Celui-ci s'eft attaché a deffiner les villes; un autre devroic nous donner les villages dans le même gott; u» tel ouvrage, exécuté avec intelligence & fidélité, me feroit plus de plaifir que certaincs galeries de tableau*. Je reviens de cette dïgreffion pour reprendre le fil de mon voyage. En approchant de Mor at, on découvre le lac de ce nom avec les collines qui Penvironnent. La vue en eft charmante , & on ne la quitte point fans regret. Ici commence le Pays de Vaui, cette belle partie du Canton de Berne, ftfr laquelle la Nature a répandu fi libéralemens fes bienfaits. Morat eft k frontière oü confment la langue allemande 6c 1* langüefrancoife: le peuple des environs les parle eouramment 1'une & 1'auue. De 1'autre cóté de la vil» PdJS d» Faud Morat  ( 4o ) - le eft une gronde plaine, les montagnes ne font plus que des collines, & on y respire un air plus doux, Un peu plus loin & » la giuche du lac, eft le champ de bataille devenu fi céièbre par la défaice du Duc Charles de Bourgogne. On y voit encore un batiment en forme de chapelle, oü 1'on a renfermé les oflemens des Bourguignvis qui furent tués dans la bataille. Ce monument remarquable a été réédifié depuis peu, & orné d'une belle infcription latine qui eft connue. Les Cantons de Berne & de Fribourg ■ y expriment leur droit de Souveraineté fur cette contrée, par le titre mine rerurn dominee. On m'indiqua dans Ie voifinage de la chapelle, !a terre de Mr. Herrenf'chwand, Confeiller privé & premier Médecin du Roi de Pologne. II quitta cette Cour dans Ie temps des derniers troubles, & depuis il s'eft retiré dans le liéa de fa naiffince. Je 1'avois connu a Berlin, & je ne manquai pas de lui rendre viftte en pafïïmt. II m'invita poliment a raster quelques jours chez lui, mais la flrifori s'av.incoit, & je n'avois plus de temps aperdre, metant prepofé de m'arrêter a Laujanne, ès de m'y metare entre les mains de Mr. TiJJut. Je pnfTai par Avanches (Avènticum) qui étoit autrffois une céièbre Co'.onie Rornaine & la Capital? d'une province. II ne refte presque autune  ( 4i ) tracé de fa première grandeur, & Ia plupart du terrain qui appartenoit anciennement a la ville, eft labouré aujourd'hui par & charrue. Le foir j'arri! vai k Payeme, jolie petice ville qui ci-devant faifoit également parcie du Royaume de Bourgogne, Jl y avoit autrefois un céièbre monaftère de Bénédictins fondé par la Reine Berthe dans le dixième fïccle: cette Princeflè, le RoiRodolpbefonépoux& plufieurs Princes de 1'ancienne Maifon de Bourgogne y ont leurs tombeaux. Le i§. Septembre. De Payerne par MoupoM d Lausanne. Moudon eft fimée a 1'extrémité d'une vallée agréable, entourée de montagnes incultes& ftériles. La ville eft bien peuplée a proportion de fa grandeur. Le fol des collines de cette contrée eft en général affez ingrat, & la plupart des montagnes font trop roides pour être cultivées. Néanmoins onparvienV droit aifément avec un peu plus d'induftrie a établir des terrafTes & a améliorer le terrain ; naais tout le pays entre Payerne & Laufanne eft moins peuplé, & les habitans y font moins laborieux que dans ]a partiè allemande du Canton de Berne. Les ; gens de la campagne ont 1'air pauvre, & on ne rctrouve parmi eux ni 1'induftrie, nil'économie qui diftingue leurs voifins Allemands. Lajeuneffe vil- ' lagcoife aime d'ailleurs a s'expatrier, &cegoütdo-  ( 42 3 minant fait fans doute beaucoup de tort a 1'agricuïture. Les payfans entrenc fort jeunes dans le fervice militaire étranger, & les perfonnes des deux fexes fe mettent e'n condition dans les grandes villes, oü on recherche affez les laquais de ce quartier. II yjen a qui pafiènt en Ar.gleterre pour chercher fortune, & on en voit presque dans toutes les grandes maifons de Londres: les Anglois les préfèrent aujourd'hui aux domefliques de leur nation, tant pour la docilité de leur caracTère, qua caufede la laague qu'ils parient. 11 s'en fsut bien que le farg foit auffi beau dans ce diftricl: , que dans la partie allemande du Canton. C'eft lh qu'il fauc chercher 1'élire de la Jcuneffë dans 1'un & 1'autre fexe. II n'exifte peut-être point de ville en Europe oü il y ait autant de jolies fervantes qu'a Berne: el les ont des phyfïononries fi heureufes, & des roanières fi au deffüs de leur état, qu'un étranger feroit tenté de les prendre pour des Dames déguifées. (*) (*) Le peintre Aberli, twtif de Winter(bur & domici. lié a Berne, a corcmtncé a publier il y a quelque» anne>», une fuite d'efranipes qui repréfement les gens de la cempagne du Canton de Berne dans leur cofium* naiional, felon les différent riiftrifts. Ces plïnches, dont üx ont p*ru, font gravées a Feiiu forte & enluminÉei. Eües cor.firmem les ilcjei que j'ai |donaés tu peupk des taviians de Btrnt.  C 43 3 Le refte du chemin entte Moudon & Laufanm paffe par des montagnes qui font partie d'une branche du Jura. Cette route eft auffi commode qu'alle pouvoit fêtre dans un pafiage auffi difficile. Laufanne eft au Sud Oueftde la montagne," en descendant du cfoeau qui mène a la ville, on découvre une vue de la plus grande beauté. Le lac de Genève presque en entier, avec les villes & villages qui bordent fon rivage; au dela du lac la partie Ia plus brillaniedu Ducbé de Chablais, plufieurs villes, yillages, plaines & collines appuyées -contre les Alpes de la Savoyc; a 1'orient les montagnes fauvages du Valais, & les Alpes Bemoijes qui y confinent; cette multitude d'objets fe préfente fous un même point de vue , quipeut-être n'apas fon pareil fur toute la terre. Cette contrée raflèmble dans un petit efpace d'environ quarante milles quarrés d'Allemagne , le plus haut degré de fertiiité & de culture a cóté des lieux les plus déferts & les plus ftériles, & a la variété qui en réfulte fe joint encore le voifinage du lac . qui ouvre cette belle fcène. On compte dix - buit heures de marche de Berne aLaufanne. J'aimefuréle chemin de ville en ville, & mon compas m'a indiqué les diftanc^ fuivantes:  ( 44 ) De Berne a Morat, 87848 pieds ou $\% milles. — Morat a Avanches 27128 . . . . i-\ . . . -—Avancbes a Payerne 32991 . . . . ] 8_ . . . — Paycrne a Moudon 85952 . . . . 3'! "—Moudon kLaufanne <5c8o"[ .... 2:1 En tout 294779 p cols uu 1 f■♦ mines Ce qui feroit pour cette route 16376 pieds de Rhin par heure. La dépenfe de ma voiture me revint a deux louis d'or. Lmufknne. i 1 ] Du 19 Septembre au 10 ÓéJabrs. Séjour a Lausanne. Je me fis annoncer d'aoord après mon arrivée chcz Mr. Tiffot, auquel j'avois été recommandé d'avance par mon ami ZimmertHUton. 11 eut la complaifance de venir me voir dès le lendemain matin, & s'informa avec la plus grande exaclitude de toutes les circonftances de ma maladie. J'étois'attaqué d'une fièvre lente. Mr. TiJJot approuva le régime que j'avois obfervé jusqu'ici: il applaudit mffi a 1'ufage du petit-lait, & a mon defièih depasèr 1'hiver dans un pays chaud: il m'ordonna pour oute médecine un léger purgatif, & me confeilla le manger journellement des meilleurs raifins des dgnobles de la Vaud (Ryfibal). Je fus quitte de a fièvre au bout de quelques jours, & je me portai  C 45 ) paffablement bien pendant lè refte du féjour qüe jé fis a Laufanne. Mr. TiJJbt me continua fes vifites) ijféguiièretnent tous les jours , fans me préfcrire ' d'autres remèdes. II me donna en partant une iniftruclion par écrit, felon laquelle je devois me diri* i ger en cas de rechüte, & il mit tant d'affection & itant de désintéreffement dans tous les foins qu'il me rendit, que je lui en aurai obligation toute ma 3vie. Ce digne homme paroit au premier abord1 un peu froid; fon extérieur annonce même une humeur affèz indifférente : mais il devienc :de jour en jour plus intéreffant, & plus on le siconnoit, plus on apprend a 1'aimer & a 1'es»' itimer. Comme je m'étois propofé de me fixer ici pour Iquelque temps & d'y vivre a ma fantaifie, je pris lïes chambres dans une maifon de campagne voifine 3e ia viile, &: j'y établis mon petit ménage. Laufanne eft fituée fur la pente d'une montagne qui s'étend le long du lac jusqu'a Fevay, & qui fe termine en plaine au deflbus de la ville vers 1'endroit qu'on appelle la Cote. Le pied de la montagne ;'avance jusqu'au lac plus d'une demi lieue au dela. ie la ville. Toute cette étendue confifte en vignobles, <:bamps, prairies & jardins, outre un grand nonaDre d'arbres fruitiers & de noyers, qui contribuens :)eaucoup a rembelliffëment de cette contrée. Le errain eft fort inégal, & divifé en larges terraflèa  C 40 Intrecoupées de ravins: ceux-ci font arrofés par plufieurs ruiflèaux qui descendent de la moatagne voifine oü on trouve des fources d'eau en abondance. Ce petit morceau de terre, qui a tout ad plus une demi - lieue de largeur & une lieüe de longueur, eft infiniment varié, & offre une quantité de belles promenades fréquentées ou folitaires, & même fauvages: un Étranger a de la peine » S'y orienter. , La ville même eft fituée fur un terrain qui paroït aivoir été autrefois un vrai défert. Eile eft diiperfée fur trois collines poincue» & dans les vallées qui en occupent les intervalles. En traverfant la ville en voiture on eft fouvent obligé d'enrayer une roue , précnution fans laquelle il y auroit du danger k descendre les rues escarpées: la montée eft encore plus pénible. Ces inconvéniens font racbetés par de grandes beautés, mrtout dans le quartier fupérieur, aux environs de la Cathédrale ou de Fancienne églife épiscopale. Les dehors de la ville fourniffent dés agrémens d'un autre genre; Ie cóté occidental eft entouré d'une grande terraffe naturelle, courerte de belles allées d'arbres qui font deftinées k la promenade. Comme la temflè eft élevée audefius du niveau du lac, fa vue s'étend fort loin. Le lac de Genèvf fait ici un coude, & fe replie k droite & k gauche, c'eft- kdire du cóté de I'orient & de 1'occident, fur le rivage méridioaal, de manière qu'on découvre de cette hauteur le lac  (47 ) «n entïer. Pour peu que le temps foit favorable cïi diftingue d'ici un nombre prodigieux de villes, de chlceaux & de villages. Le rivage oppofé k Laufanne prétente les villes d"Evian & de Tbonon, le monadère de Ripaille, & plus loin vers Genève, une riche cóte couverte des plus belles collines & de plaines lertiles parfemées de viïlages & de maifons ifolées. La partie oriëntale de la même cöt» eft appuyée fur une chaine de montagnes qui s'éièvent en amphithéatre , & confinent aux Alpes du Valais & du Canton de Berne. L txtrémité fupérieure du lac aboutit a Villentuve dans le Gouvernement ÜAigle. Enfin le rivage citérieur ofFre toute la Cóte proprement dite, avec les villes dé Mor ges, Rolle, NyontkCoptt, dominéés par des collines couvcrtes de vignobles & de maifons de campagne fans nombre. La ville eft entourée d'une quantité de maifons ie campagne placées au milieu des vignobles, ou dans les prairies. Tant d'objets diverfifïés compofent un enfemble du plus bel effet. II n'elt pas étonnant que des étrangers aifés, qui n'ont d'autre fouci que depaïïèr leur vie dans le repos & lesplaifirs, choififlènt la ville oü les environs de Laufanne pour demeure, Les bourgeois de Laufanne confidèrent leur ville comme une ville de cour; &en effet le genre de vie dss gens de quali*É dent beaucoup des airs da  (48) grand monde. Ils ont tous les jours leurs afïeftiblées, oü on pafl! la foirée foit au jeu, foit a faire la converfation. Les étrangers y font les bienvenus, & ils peuvent compter fur ce paflè temps tout le long de Fannée. Au rede la facon de vivre m'y* a paru très-libre, & même beaucoup trop parmi les Dames du premier rang. La ville ne fl.uric que médiocrement, & il ne faut qu'une légere attention pour s'apercevoir que le luxe y tft moins 1'cffet de 1'opulence, que du goüt des habitans. 11 n'y a pas jusqu'au petit bourgeois de Laufanne qui ne ie croye un trep grand feigncur pour exercer un métier quelconque. Les artifans font des Étrangers, pour la plupart Suiffès allemands. Le commerce eft peu confidérable,- ainfi les habitans n'ont d'autre reflöurce que les appointemens attachés aux petits emplois de la ville ou de la Régence, & le produit de leurs biens-fonds, dont ils favent tirer tout le parti poffible. D'autres vivent du loyer de leurs maifons,ou des penfions des Ltudians étrangers: en général le bourgeois eft foft borné dans fa dépenfe, & il lui faut peu de chofe pour fe tirer d'affaire. L'Académie de Laufanne n'eft proprement qu'un Séminaire fondé en faveur des jeune s Théologiens du Pays de Vaud. Les Étrangers qui y font leurs études font obligés de prendre des kcons particulières chez les Savans de pr§feffion, & ces cours  U9) font fort chers. Le Sétninaire eft d'ailleurs touiourg fréquente par quelques jeunes Princes Allemands I •& par d'autres riches Gentilshommes, qui trouvenc I ici de bonnes occafions pour s'inftruire dans les Sciences,- on y enfeigne également ksExercices du * Corps, tels que le Manége, 1'Escrime & la DanI fe. Nombre de jeunes Anglois viennent auffi fe I rendre a Laufanne pour y faire leurs études, de I forte que la ville eft toujours rcmplie d'EtranI gers. Les habitans ont coutume de paflèr, fi non tou% te 1'année, du moins 1'été a leurs maifons de camI pagne. Celles-ci font a peu de diftance de la ville , \ généralement bien baties & bien diftribuées. On y voit peu de jardins de pbifance, & on a raifon de i les négliger dans un pays qui n'eft pour ainfi dire !| qu'un jardin continuel, & oü le terrain eft beauI coup trop précieux pour être facrifie au pur agréijtment. La mtifon de plaifance d'un Laufannoh ' n'eft au fond qu'une habitation commode avec un ïpetit jardin i flcurs, 1'un & 1'autre placés au milieu Id'un vignoble, ou dans une belle prairie bordée H'arbres fruitiers. Au refte toute cette contrée peut lêtre citée comme un modcle d'excellente culture ; sfchaque pied de terre y eft mis a profir. i L'état de ma fanté ne me permettant point de fréquenter les Afièmblées, ni de faire des vifir.es., e tachai de me divertir par des promenades, a pied D  ( 5° ) ou 'a cheval. Ce n'eft pas cependant que je fuffe fans fociété ; plufieurs des Membres de 1'Académie, & autrcs perfonnes diftinguées me firent 1'honneur de venir me voir affez fouvent. J'eus a me louer funouc des bontés de Mr. Polliers de Boltens , Doyen ou Infpecleur du Clergé du Pays de Vaud, de Mrs. les Profeflèurs üApples & Traittorens, & de Mr. de Meyrolles, qui tous m'ont comblé d'anrt & d'attentions. J'eus auffi la fatisfaftion de faire a Laufanne la connoiffance de Mr. de Lucy 1'un des plus zélés défenfeurs de la liberté rivile dans les derniers troubles de Genève, connu d'ailleurs dans la République des Lettres par fon ouvrage fur les baromètres & thermomètres (i). Cet homme auffi aimable qu'éclairé occupe aujourd'hui le pofte de Lefteur a la Cour de la Reine d'Angleterre. II accompagnoit une Demoifelle ScbweWenberg, Favorite de la Reine, qui voyage pour des raifons de fanté. Cette Dame venoit de paffer 1'hiver avec Mr. de Lac a Hières, & 1'idée avantageufe qu'ils me donnèrent 1'un & 1'autre des agrémens de cette ville & de la douceur de fon climat, me firent naitre 1'envie de my fixer pendant quelques mois. (i) Avec quel intérêt & quelle admiration Sulzer n'eut-il point parlé des Lettres pbyfiques & moralet &c. de Mr. de Luc, s'il eut vécu affez pour les connokre? Ntte du Tra» ducteur.  (51 ) J'eus encore le plaifir de lier connoiftance iei lavec 1'Anglois Brydone, Auteur d'une belle Defcrip. :tion de la Steile & du Mom Etna: c'eft un jeune hormne plein de vivacité & de franchife. De cette manière je pafiai mon temps fort agréa!:blement, & je m'apcrcus fenfiblement du rétablisifement de mes forces. J'aurois volontiers prolonilgé mon féjour dans une ville oü je me plaifois tant, imais Mr. Tijfot lui-même me confeilla de hater iimon départ, pour que je puffé gagner la Provencc avant le retour des froids de 1'automne. I J'ai eu occafion de recueillir k Laufanne des faits ^certains concernant la perfonne du céièbre Court de Gebelin, qui s'eft attiré 1'attention de tous les gens de lettres, par la grande entreprife qu'il a annoncés fous le titre du Monde Primitif. 11 èft né a Laufanne , oü fon père autrefois Pafteur Proteftanc dans le Languedoc, s'étoïc réfugié. Le jeune Court ie Gebelin après avoir achevé fes études dans la patrie, y fut recu Pafteur, mais il quitta bientót fa vocation pour fe retirer a Paris, dans 1'espérance '3'être de quelque utilité a fes frères les Proteftans lu Languedoc. 't Je voulus profiter de mon féjour k Laufanne, jour faire un tour k Fevay, donc j'avois entendu /anter les agrémens. Cette ville eft fituée fur le Lac de Genève, a trois fortes lieues au delfus de ï D 2  ( 52 ) Laufanne. Le chemin qui y mène paflè le long da pied de la montagne qui s'étendde Tune a I'au- I tre ville. La partie méridionale de cette monta- ■ gne, qui forme propremenc la cóte du lac , eft I planté; de vighes, a 1'exception de quelques petits ; endroits oü les ruifleaux ontcreufé des ravins. Mais I comrae la montagne eft généralement fort roide, , il a fallu la partager en terraflès, & celles-ci font i foutenues par des milliers de petites murailles , I moyennant quoï on eft parvenu a prévenir 1'éboukment des terres. On admire le travail immenfe que cettte montagne doit avoir coüté pour la rendre propre a la culture de la vigne. Dans ces environs-ci on a éré obligé non-feulement a des dépenfes prodigieufes pour conftruire les murailles & pour applanir les terraflès, mais il en coiue encore annuellement de neuveaux frais pour enrretenir ces ouvrages. Souvent les terres s'affaiflènt par la p'uie & font créver les murailles : eet inconvénient eft quelquefois augmenté par la chüte des rochers qui fe détachenc du haut de la montagne & caufent le plus grand dégat: en un mot le travail eft; toujours h recommencer. Du refte les vignobles ne discontinuent point depuis Laufanne jus- I cpizVevay: le chemin paflè presque toujours fur des collines élevées au deflus du niveau du lac; quelquefois , mais rarement, il descead jusques fur le livage.  ( 53 ) A une lieue au deflus de laufanne commenee le per.it diftrióV. la Vaud, appellé en allemand IRyftbal, ou Vallée de maturité, fi toutefois il eft permis de donner le nom de vallée a une étendue de pays fituée fur le penchant d'une montagne. Les villes de Lutri, Cuilly Sc Sc. Saphorin, de même ique le village de Corfier ou Corfi en font partie. Cette contrée eft céièbre par fon vin, qui furpaflè fans contredit tous les autres vins de la Suifie. Les connoiffèurs prétendent même qus les rai;fins 1'emportent fur ceux qui out le plus de réputation. Je fuis a peu prés du même avis, & k dire vrai les raifins de la Vaud m'ont paru meilleurs que ceux d'Espagne, de France & d'Italie.. Sans avoir le mielleux gluant des raifins d'Espagne, ils font d'un goüt extrêmement agréable : la pellicule en eft fort mince, & le jus entièrement 3uide. La qualité fupérieure de ces vignes renchérit orodigieufement le prix des vignobles: je croirois oresque que c'eft le terrain le plus cher de 1'Euro3e, fi Fon excepte celui des jardb.s voifins des ^randes villes, qui dans le fond ne doit point ê:re mis en parallèle avec le terrain de la campagne. Un arpent, ou comme on dit ici une pe"e, qui tient environ 40,000. pieds de Roi, coü;e fouvent 8 ou 10,000. Livres, c'eft-a-dire, 13 i 1 (3,000.livres monnoie de France,- fomme exor; D 3 la Fa ai  ( 54 ) bitante, a proportion de ce qu'on paye dans les provinces les plus fertiles de 1'AUemagne pour une portion de terre equivalente. Je me fouviens d'avoir entendu dire autrefois a un Confeiller de Finance deBruxelles, que dans ces quartiers le bonnier du rneilleur terrain cultivéavec foin, peut rapporter jusqu'a i looflorins, argent du pays. Un bonnier revient environ a deux arpens de la mefure des po fes. On a en juger d'a- I prés un produit auffi énorme, les terres voifines de Bruxelles doivent être tout auffi chères qu'ici. On me montra fur cette route un endroitdevelui remarquable par un étrange phénomène arrivé il y a quelques années. On trouva un matin qu'une petite pièce de terre fiiuée fur la pente escarpée d'une montagne, étoit descendue a une dis* tance corfidérable, avec la maifon , les arbres : fruitiers & les vignes qui y appartenoient, fans que la cabane, ni les arbres en euflent fouffert la moindre altération. Je fis ma courfe en voiture, & dans troisheures & demie je fus rendu a Fevay. La fituation : de cette petite ville elt tout k fait fingulière, & femble defiinée aux amateurs des beautés roinanesques de Ja Nature, a cette claffe d'hommes'qui fe plaifenc a couler leurs jours dans une re-  < 55 ) traite paifible, Ioin du bruit du monde. La Lac ie Genève eft entouré vers fon extrémité fupérieure de hautes montagnes qui s'avancent jusques fur la cóte. Elles fe retirent au nord du rivage a one certaine diftance du lac, & y hiffènt une vallée d'environ une demie lieue d'étendue, qui n'a qu'une feule iffiie du cóté méridional. Cette vallée s'élève fucccffivement vers 1'intérieur des montagnes en forme d'amphithéatre, au fond duquel eft fuuée la ville de Vevay. Les montagnei les plus reculées vers le Nord font plus baffes que les autres, & conduifent dans le Canton de Fribourg. De cette facon la ville eft entourée de toutes parts de montagnes, & par la mêrne a Fabri des vents, ce qui eft caufe auffi que 1'hiver y eft plus doux que dans les environs. Le terrain fitué entre la ville & les montagnes eft d'une fertihté extréme, tant fur les cöteaux que dans les plaines; on y voit des jardins, des prairies, des vignobles , des champs, beaucoup de maifons de campagne & autres habitations. Derrière ce payfage on découvre plufieurs villages bien peuplés: vis-a-vis de Vevay fe préfentent fur la cör.» oppofée les montagnes fauvages de la Savoye & du Valais: le lac demeure expofé en entier a la vue du cóté du Sud-Oueft. Q 4  C5<5) La ville même n'a qu'un petic nombre de rues. affez étroitcs, mais les maifons font généralement bien baties & annoncent 1'opulence. Les habitans font d'un caraclèré gai & d'un commerce facile: on voic qu'üs fentent leur bien être. Les agrémens du local attirent a Vevay plufieurs families aifées du pays, & même quelques Étrangers qui y ont introduit le ton de la bonne compagnie. Un Voyageur eft agréablement furpris de trouver dans ce petit coin ifolé & enfermé de montagnes, une ville qui fe diftingue par fa propreté & fes richèlTes, pnr de s manières, de la politeffe, des moeurs douce* & honnêtes. La ville n'eft pas fans commerce: elle eft Ten. tr^pöt nes marchandifes qui paflènt de la Suifie a Cenève, & de ia en France. D'aillcurs les pavfans des Cantons de Berne & de Fribourg, & ceux de la Hépublique du Valais, vierment acheter ici les provifions dont ils manquent chez eux. Un homme bien inftruit m'a afluré qu'on embarquoit annuellement 2. Vevay pour deux millions de frommages de Gruyère, que leCanron de Fribourg débite en France: JVn ai vu efftctivemenc un ma^ g-ifin bien fourni prè* du port. Emre La ville même cc le fauxbourg voifin du lac il y a u e grande place ou fe tient ia foirc publique. J'arrivai précifément un jour de marché, & je irouvai la place remplie de monde & de  C57>' 'inarchandifes. Je. jouis a cette occafion du fpec;tacle intéreffmt de voir ruffèmblés dans un même .ilieu des payfans de plufieurs lieues « la ronde, Ichacun cara&érifé par une phyfionomie & une fiügure nationa'es. Les Savoyards & les gens du \Pays de Vaud, les Bernoh & les Fribourgeois -Saliemands & firancoia, quoique tous proches voiffins, différent amant les uns des autres, que s'ils appartenoient a des provinces infiniment éloignées. },Les Allemands des Cantons de Berne & de Friibourg fe dillinguent p.ir leur bonne mine, & leurs cbabillem^ns annoncent 1'aifance. Rien de plus miiférable au contraire que les Savoyards: j'ofe dire j qu'ils m'ont infpiré du dégout & même de 1'horreur. Htes pauvres gens, & furtoutlesfemmes, fontcou3verts de vieux haillons fdles, qui n'ont pas même ü l'apparence d'un vêtement; leur phyfionomie & leur ü extérieur en généralell d'ailleurs firébutant, qu'on |a de la peine a y retrouver la nobleflè de la fi^gure humaine. On voit clairement par la combien la bonne vnourriture, la liberté & un certain état d'aifance iinfluent fur le phyfique. Ce malheureux peuple j habite les montagnes défertes qui bordent le riI vage méridional du Lac de Genève vis a vis de I Vdvay. Ils n'y ont d'autre nourriture que des I charaignes, d'autre gagnepain que celui que leur I fourniffènc les fapins de leurs montagnes: ils en D 5  C 58 ) font du charbon, ou 1'employent a fabriquer des coffres de toute forte de grandeur, & ils viennent débiter enfuite ces marchandifes aux foires de Vevay. Encore faut-il qu'ils achètent de leur Souverain par des impöts onéreux, le droit de vivre skins un défert fauvage. Les triftes réflexions que je faifois fur Ie fort de cette nation infortunée, disparurent bientöt pour faire place a des idéés p!us agréables. En pouflant Hta promenade le long de la cóte, j'arrivai dans une allée de cbaraigniers, d\ ü je découvris les ïoclaers ósMeillerie, dont le fouvenirdoit être ineffecable chez tous ceux qui connoifTent la Nouvelle Héloïfe. je me repréfentois dans ce moment St. Preux errant fur ces rochers fa lunette a la snain, & cherchant fur le rivage oppofé la maifon de fa chère Julie. L'endroit oü je me trouvois placé aétuellement, étoit le théatre des fcènes finguHères que Rouffeau dépeint dans la dix-feptièmelettre du quatrième tome, & a ma droite je voyois le village de Garens. En un mot le local de ces en- , virons fit fur moi unc fi vive impreffïon, que je fus ten té de prendre les aventures de Julie & de St. Preux , pour une hiftoire véritable qui s'étoit pasfée ici depuis peu. Ii fauc convenirque RouJJeau a choifi très-hetireufement le lieu de la fcène: toute cette contréc parle a 1'imaginacion.  (59 ) Le 10. OSïobre, ^Lausanne par Aubonne a Nyon. J'étois revenu le foir a Laufanne pour en repartir le lcndemain. J'y avois fait un féjour délicieux de trois femaines, & ne cédois qu'avec peine i la néceffité de m'en arracher; mais la faifon m'y forcoit, & d'aüleurs je devois m'arrêter encore dans plufieurs des endroits qui fe trouveroient fur ma route. En forcart de Laufanne on entred'abord dans le grand chemin qui conduic a Genève le long du rivage , dont on ne s'écarte jamais que de quelques centaines de pas. On traverfe, fur cette route plufieurs jolis villes & villages ficués fur le Lc, & on laiffe a. droite les vignobles fertiles des collines qui compofent la Cóte proprement dite. Ces collines font parfemées d'une quantité de villages, de cMteaux feigneuriaux & de maifons de campagne; celles-ci appartiennent pour la plupart a des Particuliers de Berne, qui viennent pafler ici 1'automne & contribuer par leur préfence aux agrémens de la fociété. Toute 1'étendu© de pays entre Laujanne i & Genève eft d'une beauté raviffante, & je ne crains I point de le mettre au nombre des plus belles contrées I du monde. A une bonne lieue de Laufanne eft fituée la jolie petite ville de Morges, le fecond port du lac, Mor. ges.  ( 60 ) Aubanne. {*) II vieot de mourir a la fleur de fon age: fa patrie perd en lui un homme dont les lumiêres, 1'aaivité & le Z-èle lui promÊttoieot les fervices les p!us importaas. & un entrepot confidérable du commerce de 1* France avec le Piémont. Ses rues font larges, gaies & bien pavées, les maifons bien baties & entretenues avec propreté. 1 out y invite au plaifir & a la gaieté. C'eft 1'cndroit que je choifirois fi je devois fixer mon féjour dans le Pays de Vaud. A une lieue au defibus de Mor ges je quittai Ie grand chemin, & jc montai fur une hauceur quimène a Aubonne. Pour donner une idéé de la fituation délicieufe de cette petite ville & du chateau qui en fait partie , il fuflira de dire que le céièbre Voyageur Tavernier la choifit pour le lieu de fa retraite ,comme le plus bel endroit qu'il eüc vu dans fes courfes. II fit en effet 1'acquifition de la Seigneurie KAubontte, & ajouta plufieurs édifices au chateau. C'eft lui qui en a bad entr'autres l'avant-cour & k colonnade qui l'entoure. La Seigneurie appartient aujourd'hui auCanton de Berne: Elle eft administrée par un Ikillif qui a fa demeure au chateau. Cette charge eft remplie aftuellement par (*) Mr.  ( n 6-977 2ï' ... «— Afytf» a (7»/><^ 27809 ..... \}t . . . • — C^ür a 16939 • • . • — Perfoy a Centou 5801 *F 172185 pieds ou 61'- milles. II y a tout auffi loin de Laufanne a Genève, car la diftance de cette ville a Gentou équivaut le détour que j'ai fait par Aubonne. J'arrivai a deux heures chez Mr. & Madame BonTiet , qui me recurent avec beaucouo de bonté & de cordialité. La maifort de camp igne qu'ils habitent eft belle, & je dirois presque ma^nifique: elle eft entourée d'un fuperbe jardin & d'un vignoble. La vue ne le cède point aux plus belles du voifinage: elle porte d'un cóté fur la ville de Genève & fes environs, de 1'autre fur la partie la mieux peuplée & la mieux cukivée du Cbablais: ce pay. fa  i ftge riant eft pour ainfi dire fousles fenêtres'dè Mr. I Bonnet. Je pafTai dans fa maifon cinq jours, que je I compte parmi les plus heureux de ma vie. L'esI prit & le coeur y trouvoient également a fe fatis;| fai>e, & i'y jouiffois cTailleurs de touces fortes de comi modités & d'agrémens. On connoit le caraótère & les s talens de Mr. Bonnet par fes écrits: ilgagneencoi! re a ètrc vu de pres. Son commerce eft marqué il au coin de Famitié & de la frarichifë: il eft a tous I égards un excellent homme ; 1'amour du" bien, i|j de la vérité & de la vertu, font les qualités I naturelles de fon coeur. Le caraétcre de fon I Epoufe la met au rang des femmes vraiment efti1 mables. Outre le' bonheur dé loger chez de tels hótes, I j'eus encore celui de trouver dans leur maifon quelil ques Étrangers de la meilleure fociété: Mr Beaux I de Margueüles, Avocat au Parlement cle Wtdwft j | qui étoit vcnu voir Mr Bonnet, pour conférer avec I lui fur quelques poiots importans de Philofophie: I Mr le ProfeffeurMü//erde ScÏÏafbonfe, jeune homi me inftruit & qui s'occupe acluellemenc d'une I Hiftoire des Treize Cantons: enfin un jeune I Anglois nommé Kinloch, né & élevé dans les I Colonies Américaines , d'un caraclère naïf & Bntérefiant; & k ces Étrangers fe joignoient encore E  C 66 ) de fréquentes vTues qui nous venoient de Genève. Mr Bonnet ne négligé» rien pour varier nosplaifirs. Nous eumes la fatisfaction de posféder le céièbre Aufjine, qui f: trouvoit pour Jors a Genève , fa patrie. Cet admirable Acteur eut la complaiïsnce de jouer devant nous quelques fcènes choifios du Théatre Francais. II excelle furtout dans le haut> comique, & il furpafiè fans contredit dans cerre partie tous les Comédiens frarjcois de nos jours. Jc lui ai vu rendre auffi avec autant de vérité que d'énergie plufieurs fcènes tragiques, &a bien deségards je le préférerois même au grand le Kaïn. i Nous fimis partie un jour Mr Bonnet & moi, d'aüer a Fcrr.ex. Cet endroit, devenu céièbre par fon poffèflèur aéïucl Mr de Volt air e, eft Gtuéfl une demie licue de Gentou fur une colline, d'oü 1'on découvre une vue fort étendue, & entfautres le mont Jura, qui fépare ici la France de la Suiffè. Ferntx n'éroit ci-devant qu'un chétif village , mais depuisqne Mr de Foltaire en eft le propriétaire, il s'eft agrandi & ombelli confidérablement. II contient un grind nombre de maifons deftiuées a 1'économie rurale, ou fèrvant de demeure a des perfannes de tout état. Les maifons font généralement baties en pierre & d'un bon gefit. Les Artiftes, les Artirans, ou cels autres Particuiiers qui ont envie de s'y établir, s'adrefienc au Seigneur du lieu,  C *7) &. ils obdennent fans diffkuhé la propriété d'une Éaifon, quelquefois même auffi celle d'un jardin, irtoyennant une rcdevance modique qui doit cefièr Japrcs la mort de Mr de Vtitairt- & de Madame Démis, fa nièce & Ton béritière. Des conditions fi javantageufis ont déjk acdréa Fernex plufieurs Horlogers & autres Artiftes. On continue encore, k batir dans tous les coins du village. J'ai vu de différens cótés des fondemens creufés, des maifons * demi achevées, d'autres plus avancées auxquelles il na manquok plus que la charpente. Plufieurs places étoienc couvertes de briques & de bois de conftruction: de toute part on charioit des matériaux & du lable pour réparer les chemins: en un mot touc le village étoit en mouvement, & on 1'auroit pris pour Fétabliffèrnent d'une Colonie nouvellement arlivée. Le chiteau, ou la maifon feigneuriale, eft i 1'extrémité de Fernex fur une hauteur: ce bel St grand édifice élevé de fond en comble par Mr ie Voltaire, eft entouré de jardins & de plufieurs illées d'arbres fauvages. 11 eft certain que le célèibre Vieiiiard n'a rien épargné pour embellir le lieu Me fa retraite. II paroit s'occupcr auffi d'agriculture , fcar j'ai trouvé dans la cour du chiteau un féImoir inventé depuis peu en Angleterre. Après Ique j'eus tout examinéa loifir, nous retournames a m}entou. Neus ne vimes point Mr de Voltaire. Mr wennet qui n'a pas trop fujet de fe louer de fon voi]fin, n'entretient aucune efpèce de commerce avec E t  Genève. ( 6S ) lui, & i'étois tout auffi peu curieux de lui faire ma tour ( * ) Mr. Bor.net eut encore la bonté de m'accórnpagner a Genève. Nous y altèmes un dirtiaricbe. On fait que cette ville eft a proportion de fa grandeur une des plus richcs de 1'Europe. Ses avenues annoncent déja fon opulence'; toutindiqueun peuplcqui vit eu fein ce 1'abondance. Je n'ai vu nullepart autant de maifons de campagne que dans le territoire de cette petite République: les bords du lac en font entièrement couverts. Ces Bdmcns orit tous un extérieur agréable , qui annonce il non la magnificence, du moins le dernier' eegre de propreté. Chaque maifon a des jardins fupcrieurément entretenus, fouvent même des vignobles, des prairies & des terres labourables. Le grand chemin fourmiK loit de piétons, de chevaux & de voitures, & les environs de la ville étoient auffi fréquentés qu'ils le font aiReurs dans les jours de grande folemnité. (*) Cette indiffJvence ne doit faire tort ni au goüt ni it 1'équité de Air Sulzer. II rendoit juflice aux grands talcns de Mr. de Foltuire, maïs il le connoiffoit perfonnelleniciu, & il avoit véeu avec lui ii Berlin. Depuis ce temps il fubfifloit eritre ces deux Ecrivains uneespèce de méfintelligeru ce, qui 11'avojt d'autre origine que !es feminiens relaehés de Mr. de Voltaire en matière de religion, & a cet egard les principes du Philofoplie Aliemand différoient prodïgfeul fement de ceux du Poé'te FraBCofj. (Note du Traduftetir,)!  C 69 ) Le lac fe rétrécit confidérablement k mefure qu'il approche de la ville, & cette pofuion favorifeinfid piment la vue du rivage oppofé. La ville même, j lituée a 1'emfaouchure du Rhóne, occupe le centre I du payfage , & s'élèye avec pompe au milieu de fes 1 pofièffions: elle eft appuyée fur une haute montagne 1'qui fait le fond du tableau: il réfulce de cet enfemï'ble un coup d'ccil vraiment frappant. L'intérieur | de la ville ne diminue en ricn cette imprcffion. Ge* t'fiève eft un des endroits les mieux batis q ue je connois|fe, fur-tout Ie quartier fupéricur, habiié par les gens Jde diftinclion: il eft fitué fur une hauteur divifée en ■ terraflès: fes maifons font d'une belle archiacrure, !& on peut les appèler de véritables palais. La foule perpétuelle qui fe voit dans les rues , forame un nouveau fpechcle également intéreflant. Un ■eertain air de liberié, d'aifance & de gaieté, joint a une phyfionomie des plus heureufes, prévicnr finr f gulièrement en faveur des habitans. Je n'ai vu nulilepart tant d'énergie dnns les traits, tant de vivacï: I té dans les yeu*, & en général rien deplus animé, |& de plus expreflif que ces vifages; II feroit diffiacile d'ailleurs de trouver une ville oü les connoifianIccs, le goüc des lettres, & 1'envie de s'inflruire, ■foyent auffi répandus parmi le psuple. Nombre, jd'Artifanspaffènt ici leurs foirées aia 1( .61 ure d'un bon jllvre: 1'Hiftoire, la Géographie, laBelle Littératu■ire, & j'ofe même dire la Philofoohie, leur font fa*. E 3  ( 7© ) miiièrcs, & réradition qu'on rermrque dans cette. clalTe d'hommes k Genève , feroit fans contredit honneur aux perfonnes du premier rang dans d'autres pays. Plufieurs Savans auxquels j'aurois été bien aife de me préfemer, étoient k ia campagne. Nous vimes cependant Mr. de Saujjure, & le Profefllur Bertrand que je connoiflbis déja. Mr. Bonnet pour me procurer plus long-temps le plaifir de leur fociété, les invita de neus fuivre a Genteu, ou nous retourndmes enfemHe vers midi. Je n'y reftai plus que jusqu'au lendemain. Le 16 OEïobre: de Gentou par Coulange d Chatiilon. En quittant Gentou on traverfe Ie pays de Gix, par un chemin agréable & commode. U rnène au Jura qu'on a toujours en vue depuis Fernex. Au pied de cette montagne la grande route continue par une plaine agréable & affez fertile. A droite eft la montagne , & k gauche une longue étendue de pays-: bordé par le RhCne. Prés de Coulange on entre dans un gouffre très-étroit, oü le Rbóne^arok s'être ouverc autrefois un paflage en France: on voit diftinétement que ce fleuve rapide s'eft creufé par degré le lit qu'il occupe dans les rochers. On arri-  ( 7i > i xe enfuite au Fort de PEclufe qui n eft éêfèftèi i que par une feule porte fbrtifiée. La garnifon eft i compofée d'un petit nombre d'Invalides, mais ili ï fuffiroient pour arrêter uns Armée encière. II faut. I ici un paftèporc lans lequcl il n'eft point permis de i paffër la frontière: on le prend ordinairement \Ge~ I tiève chez Ie RcüVent de la Cour de France. J'en I avois un du Roi de PrufTe, expédié fous le grand | fceau & la fignature de Sa Majefté, & il m'a fervi 1 pour toute la route. A Coulange on fubit unf vi- Ifite très-rigoureufe de Ia part des Coinmisde la Douane, & on y pr-.ye fix livres par tête pour 1'entrée '3 dans le Royaume, mais c'elV auffi le (lui pèage' i qu'on m'ait demandé : onne connoit poht enFran>i ce le droit importun des paflages qui eft uute duns I toute 1'Allemagne. Au dék du Fort de PEclufe on voynge'très-dés- i agréablement dansles fables des montagnes: k pei- I né fait-on une demie lieue par heure, & ce n'eft it que de loin i loin qu'on apei^oit une pièce de i terre cultivée. Tout eft fauvage & défert, & les | montagnes font couvertes de petlts buiflbns. J'ar- a rirai fort tard k Chatillon-Bugey, petic endroit oij | je trouvai un mauvais gice. E 4  (?») Le 17, de Chatillon par Nantua d, St. Denis, II refte encore des montagnes ftérilcs a parcourir, mais on voit pourtant déja quelques vallées cultivées; dansl'une eft fituéc la petite ville de Nantua Prés de VontMaille les vues recommencent a s'éclaircir, & diffipenc un peu 1'uniformité de celles des montagnes. Le foir j'arrivai a St. Devis. Le 18. De St. Dênis d Lyon. Le pays devient plus fertile, furtout en vignobles. Je vis ici pour la première fois battre le bied en plein champ. Le grand chemin eft planté de müriers qui ne valent guère mieux que ceux du Brandebourg, quoique peut-être dans un meilleur terroir. Je dinai a Mohtluel, petite ville joliment fituée. J'étois desccndu dans une auberge dont les dehors promettoient aflèz, mais le dedans n'en étoit pas moins d'une faleté dégoutante. On a de lapeine a fe faire ure idéé du peu de prix que le pcuple attaché en France a tout ce qui regarde la propreté, Pagrément & l'ordre dans fes habitations. J'ai trouvé a cet égard la même négligence depuis le Fort de TEcluje jusqu'a Marfeille. Les perfonnes  ( 73 ) de qualité même y paroifient habituées; du moins elles ne s'en plaignent pas, ou pour mieux dire, elles n'en font pas feulement choquées. Quejquefojs, quand par exces de dégoüt je témoignois un peu de mauvaife humeur, on étoit furpris que je trouvaffe a redire * des chofes dont tout le monde s'accommodoic. J'ai man gé par exemple, a des tables Tervies d'ailleurs avec abondance, mais oü 1'esu étoit préfentée dans des flacons de cryfhl, qui a force de mal-propreté avoient perdu toute leur transpareuce. Je n'en dis affurément pas trop. La route entre Montluel & Lyon eft tres ■ belle, furtout depuis 1'endroit oü on découvre pour la première foïs la ville dans le lointain. On descend infenfiblement les collines qui font a la droite du Rbóne: a gauche font deux plaines coupées par le fleuve, & dans le fond s'élèvent les montagnes du Dauphinê. Les fauxbourgs de Lyon s'écendent fort en avant le long du rivage. On y arrivé par un chemin qui a été fait depuis peu, mais je douce qu'il foit folide, la descente des collines étant très-escarpce, & le terrain extrémement moü. Dans les environs de Ia ville ilyaun grand nombre de maifons nöüvellement conftruites, qui font presque appuyées contre les montagnes Je fuppofe que les Architcctcs auront examiné d'avancq les fondemens , car il ne faudroit qu'une légere E 5  ( 74 ) fecouffe de trerrb'ement de terre pour faire écrou« Ier les mótttaghés, & pour renverler tous les batimens du voifinage. J'arrivai a 6 heures cux portes de Lyon. J'y fus vilï[é très-fcrupuleuümcnt, & même on me fuscita des d.fficulres au fujet d'une trés - petire provifion de tabac que j'avois confervé dans une boette de plomb. Un des ln 'pedtturs de la Douane a qui je m'adrefiai, eutpourcant aiïèzd'équité pour me tirer d'embarras. Je joins ici le calcul des difbmces de cette route: De Centou a Coulange 74663 piedi ou *^«illè#. > Coulange k Cbatillon 5*368 a~ . . Cbatillon a Nanttt* 60882 . . «~ ' • • *5f • • • ■ Nantua k Pmt-Maille 28355 ih- - Pt.Maillek St, Denis. 102509 4-. —— St. Denis a Munt Luel 78484 . . . . . %~ . ■ — MontLutlk Lytn 66409 . .... 3*7. . tost .... 461670 piidt oh I8§mi!les. Ma voiture de Genten a Lyon me revint è 60 livres. Je reftai a Lyon Ie 19 Oétobre & la matinée du 20 , & a mon grand regret je ne me fentois pas aflez fort pour parcourir cette belle ville en entier & pour voir tout ce qu'elle offre de remarquable.  ( 75 ) J'avois des lettres de Genève pour Mr. le Docteur Raft, Médecin & Membrede 1'Académie des Scien:i ces de Lyon: il eut la complaifance de me fervir de guide pendant le peu de féjour que j'y fis. Lyon paffe pour être la feconde ville du Royaume. Le quartier inférieur, qui eft le plus grand j & le feul que j'aye vu, eft fitué dans. une. plaine i entre le Rbóne & la Saone. Le fecond de ces fleu» ves traverfe la ville, & en fépare le quartier f?p. i tentrional qui eft fitué fur une ha meur. Le Rbóne i coule au midi en droite b'gae , fe courbe enr fuite k 1'occident, & enfin vers le nord, oü il fe •: mêle avec la Saóne. Delk les deux fieuves réuI nis vont arrofer le pied dei montagnes qui font au j, couchant, & enfin ils pourfuivent leur cours du I c6té du midi. Le quai qui borde le Rbóne eft le plus beau quar- II tier de la ville. II a une demie lieue en longueur: il eft revétu de pïerres de tailles, & orné de fuperbes édifices. On y a partout la vue fur le \ Rbóne &,fur le psys qui eft au dela du fleuve. ! C'eft dommage qu'on n'ait point penfé k garnir I d'arbres une fi belle rue, qui eft expofée en plein i foleil. Le quartier Occidental eft le fl-ul oü on ait : phnté quelques allées: elles forment des prome- I naies agréables prés de 1'endroit oü fe joigient les v deux fieuves. Parmiles bauroens du qua, lilóiel-  (T6) Dieu mérite une attention particuliere: il refiemble plusa un palais royal qua un hópital. Les rues de Lyon font étroites, mais les maifons bien ba des & d'un meilleur goüt que dans les premières villes de 1'Allemagne. Quelques-uns des édifices pub lies font dela plus grande magnificence, tel que 1'hórel de ville, un des plus beaux de 1'Europe, quoiqu'un peu furchargé de décorations. Prés de-la eft un riche Monaftère dont j'ai oublié le nom. Ourre le marché devant 1'hötel de ville, il y a encore une place qui paflè pour une des plus belles du Royaume, celle de Louis Ie Grand, ornée de la ftatue équeftre du Monarque dont elle porte le nom. Je fixai toute mon attention fur une entreprife qui a pour objet 1'agrandiflèment de la ville, mais qui n'eft pas encore entièrement exécutée: ce projet eft remarquable par fon érendue & fa hardieflè, & fait honneur k 1'esprit actif li propre a la nation Francoife. J'ai dit qua 1'extrémité occidentale de la villes 3e Rbóne fe détourne du levant au couchant, & s'unk enfuite k la Saóne vers Ie feptentrion. II y a cependant un bras du fleuve qui fuit fa dircclion primicive du levant au couchant , & qui a une demie lieue au deflbus de la ville, rejoint le Rhóns  ( 77 ) réuni avec la Saóne. Le cours entrecoupé de ces rivières forme une ile triangulaire qui par fa fituation étoit expofée a des inondations & reffoit inhabicée. Mr Perrache trés - habilé Architefte Lyonnois, concut le plan de batir des maifons dans la partie fupéricure de l'ile, &il promita fa ville des avantages confidérables de cette entreprife. Voici les trois points eüentiels qu'il avoit en vue. D'abord il s'agir. de combler le fleuve prlricïpal a 1'endroic oü il forme un coude, moyenrianc quoi on le forceroit k fuivré fon cours naturel du levant au couchant le long de l'ile, & alors fa réunion avec la Saóne n'auroit lieu qua la pointe de File. Le grand quai gagneroit ainfi le doublé en longueur & feroit continué jusqu'a 1'extrémité de Filé. La on conftruiroit fur la Saóne un pont de pierrë, qui aboutiroic au rivage oppofé, oü 1'on ouvriroic un nouveau chemin vers 1'intérieur du Royaume. En fecond lieu, le lit du fleuve étant c'omblé, File fe trouveroit directement jointe a la ville, & 1'on y batiroic un nouveau quartier, en obfervant de continuer 1'alignement des rues qui dans 1'ancien font percées de I'oriënt a 1'occidant. Le nombre ' des édifices élevés dans File augmenteroit la ville du quart de fa grandeur acluellc.  (?s ) Troifièmernent, on conduiroit i traven de 111e un canal de pierres de taille; un grand refervoir placé dans le quartier neuf pourvoiroic k fon entretien, & Few néceffaire feroit tirée du Rbóne & de ia Saóne par des éclufes. On procureroic d'ailleurs k 1'eau une chu e fuffifante pour faire aller des rooulins maffi&, dont vingt-cinq devoient être écablis h Fextrémité du nouveau quartier. C'étoïc la ua poinc principal. On ne fe fert aujourd'hui a Lyon que de moulins k Mteaux; quelquefois la cruedes eaux, ou une forte debacle les emporte, & alors on risque une difeite de farine , toujours dangereufe dans une ville auffi peuplée. Après la conftruction des moulins maffifs on renonceroit a 1'ufage précaire de ceux a bdteaux. Telle eft 1'entrepnTe de Mr. Perrache, h Iaquelleil a voué to»te fon attention. Hen adreffé un plan & 1'a préfenté k ia ville. La dépenfe a été évaluée a quatre rnillions de livres, qui devoient être avancés par des Aftionnaires. Le projet a rencontré des obftacles & des cóntradictions fans nombre: on 1'a envoyé en Cour, & le Confeil d'Etat a fini par 1'approuver. La-deflus' il s'eft formé une fociété d'Aétiounaires, & on a commencé le travail. Les ouvrages aéïuellement achevésont déik abforbé 1,600,000livres, &on m'a afluré que les aétions commencoient a hauflèr.  ( 70 ) | Les rnréreiïes s'attenderjt k êfre dédommagés de leurs cébourfés en obccnant i'entière propriété de 1'iK', du quartier neuf & des moulins. Ils revenI dront une partie du terrain k ceux qui voudrouc pybatir, & les places qui ne trouveront point I da^heteurs, refteront cn commun k la Société, I qui y b&tira des maifons pour les vendre ou les I louer dans la fuke ï fon profit. Lyon étant une ville très-peuplée dont le nomI bre des hahitanï aggtncnce encore tous les jours > i on a eu raifon de penfer k étendre fon enceinte, !& ce ccVé-ci étoit Ie feu! fusceptible d'agrandisI fement, puisque Ie cours du Rbóne & le voifina- ■ ge des montagr.es ont affigné aux autres quartiers, I des limitcs naturelles qu'il eft impoffible de fran- ! chir. Je me fuisrendu dans l'ile pour examiner les oüvrages: ils font affèz avancés. L'endroit oü le Rbóne fe joint aujourd'hui k la Saóne, eft déja comblé :] en grande partie, & Ie lit du bras par lequel on veut i coaduire Ie fleuve étoit entièrement achevé. On ij a donné aux bords un talus d'environ 45. degrés', >\ Cc on les a pavés de groffes pierres pour les gaI rantir du courant de 1'eau. Cette fortification ne I m paroic pas affez folide pour un fleuve auffi ra}pide & auffi impétueux que ïe Rbóne, maisilefl  ( 8o ) probable quïl perdra de fa force quand il coule» ra en droite ligne. L'exécutidn de cette grande entreprife occupe plus de mille perfonnes. II y en a des centaines qui font employees a creufer Te nouveau lit qu'on defh'ne au fleuve'. ' Les décombres fervent au rel hauflèment de l'ile. Le quai eft achevé, & on 1'a planté de beaux pcupliers. Le grand refervölr' fur l'ile, & le canal qui doit latraverfer, font ausfl fort avancés: on commencoit a conflruire les moulins; par tout il régnoit une activité admira-j ble. Je fis connofflance avec Wt.Pérracbe; m êut la complaifancé de me montrer le plan gé-] néral de 1'ouvrage & les déflins de fes diverfes 1 partics. Je reniarquai furtout dans ceux des moulins plufieurs inventions trés - heüreufes. II me] communiqua aufli les objections qu'on lui afaites,' & fes reponfes aux critiques. J'ai lieu de mei perfuader que cet Artifie ell fur de fes princi-3 pes, & qu'il a prévu en homme de génie les mo-| yens de furmonter les obftaclcs. En attendant m trouve encore parmi fes Compatriotes beaucoüffl d'incrédules qui doutent de la réuflite de fon projet. En retournant chez moi je vrfitai 1'églifö de la ParoiJ/e d'Enay, oü 1'on m'avoit dit qu'il fubfiffoit des reftes d'Architeclure Romaine. Lacou- polé  ( 8i ) pole du choeur repofe fur quatre colonne* de granit, donc le füt eft taillé d'une feu:1e pièce. H y avoit ici autrefois un Autel (SAugufle, & on croit que ces colonnes y ont japparteisu. La fuppofition n'eft pas fans vraifemblance, car les proportions & les membres de la bafe & du chapiteau, font décidemment aa■ tiques. D'ailleurs on voit que ces colonnes ne font , pas ici a leur véritable place; les deux qui font vproche de Fautel dans un lieu élevé, étoienttrop Kantes pour y tenir, avant qu'on les eut rendu i éeales aux autres en coupant une partie de la bafe. ■Leur diamètre eft d'environ quatre pieds de IRhin. Le lendemain matin j'allai chez Mr. le Doéteur Rast qui logeoit tout pres de mon auberge. H me montra un ancien monument trés - remarquable , qu'un de fes amis a rapporté ó'Egypte, il y a quelques années. C'eft une table de pierre, haute de 4 pieds fur deux de largeur, & gravée en bas - reliëf. Elle repréfente trois espèces de Cérémonies religieufes, & dans chacune on voit d'autres Dij I  C 82 ) vinités, & des Prêtres qui différent dans leurs attitudes , leurs vêtemens & leurs fondions. A cóté de ces figures il y a des hiéroglyphes & des infcriptions. Le monument eft des mieux confervés, & on y reconnoit encore les couleurs dont les figures étoient enduijes. A midi je partis de Lyon, & pris Ia route de Marfeillt. Ma première idéé étoit d'aller jusqu'a Avignon par le coche d'eau, bar-' que publique qui descend le Rbóne deux fois par femaine; mais on me déconfeilla cette manière de voyager. On y rencontre fouvent mauvaife compagnie, le pafTage n'eft pas fans danger, Ie gite mauvais , & avec du brouillard ou un vent contraire, on risque de refter long temps en chemin. Au lieu de jn'expofer a ces inconvéniens, j'eus le bonheur de trouver dans la première auberge des ▼oitures de retour. Je fis choix d'un cabriolet k quatre roues, dont je payai J4 jj_ vres pour toute la route. Le prix fiXe eft de ioau Louis, mais le chemin de Lyon eft fi fréquenté, qu'il fe préfente fouvent dei occafïons de. voyager k bon marché.  (83) Le 20. Oclobre après-diné, de Lyon & Vienne. | De Lyon a Avignon on cdtoye larive gauche dii ! Rbóne. Les montagnes qui ia couvrent, cachentle fleuve en partie, & on ne le voit reparoitre que de Itemps en temps. La Province du Dauphiné que je Jtraverfois aeluellement, eft une des moins fertiles 1de la France. Elle eft remplie de montagnes esjcarpées & ftériles, mais qu'on pourroit cependant Ifendre fiisceptibles de culture, fi le terrain en étoit Imoins pierreux & aride; Ce qu'on voit du payshabiié entre Lyon & Viertme\ n'en donne pas une haute idée. On m'a dit Wil y avoit des villages a 1'écart dans les vallées jprès du Rbóne, mais le grand chemin n'offre que ■jk fimples cabanes ifolées, & encore font-elles afièz iares. Les terres font par tout cultivées, mais ifl'un mince rapport, & les vignes en petit nombre. |ll n'y a ni prés, ni forêts, & les montagnes ne proijluifent que des buifföns qui ne parviennent point ila hauteur des arbres. t Prés de Vienne on descend dans une valle'e fituéé rntre le Rbóne & les montagnes: elle eft étroite^ taais fertile & agréable. Le pied des collines eft Jlanté de vignes, & la vallée même confifteen prairies & terres labourées. Cet endroit paroit deftiné F %  ( 34 ) Vienne. a Ia promcnr.de: j'y ai rencontré qüantité d'Ec- cléfiaftiques défoeuvrés. Vienne eft fituée fur Ie rivage du RèSne Elle eftappuyéefur une chaiue de montagne*, & quelques unes: des collines avancées font encore comprifes dans fon': enccinte. Le voifinage des montagnes ne laifie de; cc eóté qu'un paflïig;' écroit & Ibn.bre, mais il défl fend en même temps la ville contre les vents d'Eft. Vers le Couchant la vue elt d'autant plus rianter» elle porte fur Ie fLuve, fur les collines & vignobles du rivage oppofë. L'un des fauxbourgs eft arrofé par un gros ruis-' feau qui fc jète dans le Rbóne, & fur lequel on a conftruit plufieurs tanneries, muülins a papier &, autres ouvrages utiles. L'intérieur de Vienne elt d'un arptct lugubre; les rues en font étroites &'< d'une mal propreté dégoutante. Le fauxbourg é. II feroit difficile, ou plutót impoffible, d'emraflèr dans ce projet les fiècles fort éloignés, lais fi on ne remontoit qu'a une époque de mille is, il y auroit peut • être moyen encore de raflèm- 1 Ier une pareille colleétion, puisqu'il exifte ifltó e moaumens & de titres, dom on poujroit fe fefF §  ( U ) vir utilement. Quoiqu'ilen foit, on devroit au moins adopter mon idéé k 1'égard des nouveaux érabliffemcns Européens dans les autres partics du ; monde. Rien n'empêche, par exemple, qu'on j ne nous donne des cartes topographiques trés- j exaftes des Colonies Angloifes en Amériquel Dans les premières feuilks il faudroit rëpréfen-1 ter 1'état du pays lors du débarquement des Co-1 lons, & dans les fuivantes on montreroit fuccefïï- ; vement les chnngemens qui y ont été faits de joI en 50, oude 100 cn 100 ans. De cette manière nouspréparerions alaPoftérité un recueilpré- • cieux, parlequel elle pourroit jugcr des progrèsdeI nos établiffemens. Vers midi j'arrivai dans le village de Rouffillon^ autrement appellé Vêagc de RouJJillon. Prés de la,! onvoit fur une hauteur les murailles d'une ancien-* ne ville, avec une mafure que j'ai prife pour lesj débris d'une tour. Les environs font trés agréJ bles ; j'y effayai mes forces par une promenade ai pied, & je fentis en effet que j'avois déja gal gné. Les montagnes qui couvrent la rive gauche du.1 Rhone fe retirent d'ici dans 1'intérieur du pays, &i> reparoiffent enfuite fur les bords du fleuve. Cetfl j pofiuon forme un demi-cercle, dont le milieu eft! \ une large plaine, fertile en müriers. Le terraini \  ( 87 ) i eft ceppn^ant mauvais, & tellement feme de pier* i res qu'il reflèrabte dans plufieurs endroits a un i chemin privé. II n'en eft pas rnoins cukivé, & | Ia réolte du b!é farrafin qu'on venoic de couj per, fembloitpayer largementla peine du culrivai teur. L'engrais des champs confifte en lupins; les bê! tes de charge font rares & d'un entretien dispen| dieux. On fe fert ici d'une espèce de charrue, dont la compoficion m'a paru fort fimple. Elle eft I faite d'une pièce de bois quarrée de quatre I a cinq pouces d'épaiffèur; on y attaché fur le de! vant une pointe de fer, & le bois pofe direétei ment fur la terre. Dans la pièce principale on eni chaffè deux manches de bois, & on attèle les j bêtes de charge fur le devant: le Laboureur fe i tient prés dü manche qui dirige la charrue. Un clou de bois fert a hauffer ou baiffer le timon felon la taille des beftiaux qui compofent 1'attelage. En i foulevant la charrue par derrière, la pointe de fer « enfonce dans la terre a mefure qu'on avance 1'outil. I Vers 1'exrrémité poftérieure le bois eft plus gros, I pour élargir davantage le fillon ouvert par la ; pointe. Lespayfans montrentbeaucoup dedextérité dans j lemaniement decetinftrumenr,6k leur labourageen ( acqmertune belle fymmètrie. Les lillons fontcomme ; ürésau cordeau, & les champs partagés en quarrés réF 4.  ( 88 ) guliers qu'on croiroit mefurés au compas: ils re$-> femblent a des couches de jardin. Le village oü bourg de RouJJillon eft peu de chofe, & paroit pauvre. II yaquantité d'auberges, & en général il n'en manque pas dansles villes & villages de cette route fréquentée, qui du matin au foir na défemplit point de chaifes, decoches, de voyageurs h. cheval, & de voitures chargées de coton. Je ine ftiis beaucoup diverti des enfeignes pompeufes de ces cabarets. L'un de ces iniférables batimens qui n'a que deux croifées, porte pour infcription." Grand Hêtel d la belle fontaine. Sur la facade d'un autre on lit en grands caractères : AuCajféRoyal & noble jeu de billard, Les -Maifons de ce village, comme dans la plupart des endroits de cette Province, font baties en pierre, & les murailles repréfentent une espèce de mofdque d'une architecture affez fingulière, Qn choifit pour chaque affifé des pierres de grandeur & de forme égales, & on les maconne de manière qu'elles s'inch'nent toutes d'un même cóté, mais alternatiycment une affilc a droite «Sc 1'autre ai gauche. Entre deux de ces affifes on enpofeune horizontalement, & c'eft ainfi que la muraille eft conftruite dans toute fa hauteur. Les maifons ne (ont point enduites de mortier, a 1'exception d'u«  ( §9 ) .; ne bande étroite qui fépare les étages, & fur la» i quelle on place les écriteaux. Les cabanes de ces quartiers, quoique baties en : pierre, font petites & en mauvais état. Elles n'onc t ni granges , ni étables, ni maresa furnler. Unetel,j le maifonnetre ifpïée en plein champ refiemble de I loin a cesbeftrois démolis, qu'on voit encore dans | les provinces feptentrionales de 1'Allcmagne. Les I granges deviennent inutiies ici, car les payfans n'onc ;| pas de foin, & ils battent leur bié ou aux champs, | ou a cóté de leur habitation. Ils confervent les I grains dans la maifon, & la paille reffce a i'air dres! fée en cöne autour d'un póteau. Un dncou deux, { & quelquefois un vache compofent tout Ie bétajl ■! & trouvent aifément leur place, ou dans la maifon i même, ou dans une pstic réduit féparé. Ainfi les j: jfpacieufes métairies de nos payfans Allemands fe I trouvent concefltrées ici dans de trés - petites cabaI nes. Les habitans font d'ailleurs un peuplé aétif&labo,I neux: j'ai déja rendu juftice al'induftrte avecïaquejI le ils labourent leurs terres, & ce n'eft pas le feu! i éloge qu'ils mérken*'. J'ai vu des champs béchés, :i auffi proprement qu'un jardin: emr'autresj'airemarqué un payfan qui préparoit fa terre pour les fe'i mailles d'hiver, & fa femme fuivoit de prés la charrue jpour ramaflèr les farcrorés. II ne manque a ces F 5  ( 9o ) St.Fa iitr, bonnes gens qu'un meilleur fol & plus de liberté, pour mener une vie aifée. J'allai coucher a St. VaBer & fus logé dans un des fauxbourgs de cette ville dégoutante. Comme j'étois arrivé de bonne heure, j'eus le temps encore de parcourir lei environs. Le fauxbourg eft une longue file de maifons fituées entre le Rbanc & une vieille rfiürallle qui mcnace ruine. Cette rue aboutk aux bords du fleave, d'oü 1'on découvre un payfage des plus rians. Je fuivis le rivage pour faire le tour du fauxbourg en dehors, & a mon grand étonnement je n'y trouvai que des objets de mifère & de dégoür. Les bidmens de derrière fervent a des volières & a des cloaques; les habitans préfèrent de fe loger fur ledevant, oü ils n'ont d'autre point de vue qu'une vieille raafüre, & ils négligent la partie de leur maifon qui eft la mieux expofée. Je m'afBigeqis de voir un peuple fi infenfible aux beautés de la Nature, & aux avantazes d'une demeure faine & agréable. Cela s'appellepuifer dans une eau erbupiflanie, tandis qu'on eft a portée d'une belle fontaine. L'état de ces pauvres gens infpire la compafilon. Abforbés par des foucis domeftiques ils tombent dans une apathie qui les met au rang de la brute. La grande auberge oü j'é-  tois descendu, lcdispute aux plus mal- propres de cette route. Le 2*. OSlobre. de St. Valier d Lauriole, courfe de 10. lieues. La route entre St. Valier & Tain eft plantée de beaux müriers. Les montagnes qui la dominent ne font qu'une maffe de rocbers ariies. Du cóté de Tain elles joignent le Rhêne de fi prés, qu'il a fallu tailler le chemin dans les rochers, &quelque= fois même reculer le lit du fleuve par une muraille. En fortant de ce paflage étroit on entre dans le bourg de Tain, vis a vis duquel efl fitué fur le rivage oppofé la ville de Tournon en Vivarais. Les montagnes fe retirent enfuite de nouveau dans 1'intérieur, & forraem un demi-cercle qui s'étend jusqu'auprès de Vaknee. Sur les collines k 1'orient de Tain, croït Fexcellent vin rouge qui a recu fon nom d'un Hermitage voifin du bourg. II eft rare & cher: on le paye fur le lieu même, 3 livres la bouteille. La plaine que les montagnes renfermenteft plus agréable que fertile: dans quelques endroits elle eft même entièrement ftérile, partout on y voit des müriers. C'eft auffi la feule efpèce d'arbre fruitier  ( 9* ) qu'on y trouve, ce qui eft d'autant plus furprenant, que le terrain ne vaut rien pour l'agriculture. Les mont.igres qui recommencent au bout de la pl.ine conduifent a Valence, ville affez confidérable, & agréablement fituée fur une hauteur prés du Rhöne. J'ai vu dans fesenvirons de belles prairies bien arrofées, ce qui n'eft pas ordinaire dans ces quartiers. Au dela du Rhfae & en face de la ville, s'élève une haute montagne escarpée & entièrement inculte. Cette maflè de pierre préfente cependant un coup d'oeil intéreffant, tant par la dispofition & la couleur des rochers, que par d'autres fingularités dont il eft difficile de rendre compie. Cet endroic eft le lieu de fupplice ordinaire des contrebandiers. La potence qu'on appelle ici les fourcbes- paübulaires, en eft toujours cowerte, & offre le hideux aspect des cadavres qu'on y expofe. C'eft la que Ie fameux Mandrin a fini le cours de fes exploits, il y a quelques années; la mémoire de ce brigand n'eft pas encore effacéo dans 1'esprit du peuple. Quand on a paffé Valence, le pays prend une autre forme. On s'apercoit qu'on entre dans un climac plus chaud, dont les produétions & 1'a-  (93) gricukure différent des provinces moins ménGionales. D'abord on eft transporté dans un riche pays de vignobles. On s'eft défait ici de la cou« tume de donner des foutiens a la vigne. Les fèps ont de la confiftance depuis la racine,& viennent a la hanteur d'un pied, ou d'un pied & demi. Enfuite on laiffe pouffèr les farmenS, & on lés coupe une fois par an jusqu'au fecond boürgeon, fans qu'on prenne la peine de nouer ceux qui fortent plus tard. De cette facon on évite dans tout le Sud de la France la dépenfe onéreufe des échalas, quidiminuent ailleurs confidérablemene le rapport des vignes. Cette espèce de culture étoit déja connue des Anciens: Caton & ColumeU le nous en ont laiffé des descriptions circonftanCiées. Plus loin on parcourt de grandes plaines plantées de müriers, d'amandiers, de ch&nigniers & de noyers: malgré la quantité & la diverfité des arbres, on y fème encore du blé. A une demie Heue de Lauriole on paflè la Dro~ me, petite rivière affez baffè, mais qui en temps de pluie derient trés rapide & même dangereufë: elle fort des montagnes, & s'eft creufée ici un ]ft profond. Autrefois elle n'avoit qu'un pont de  ( 94 ) , mais le courant 1'a emporté a plufieurs reprifes, & on y conftruit aujourd'hui a grands fi. is un fuperbe pint de pierres de taille incrustées en marbre. II a trois arches, dont celle du milieu eft de 14 toifes ou 84 pieds de largeur; 'les deux autres font de 12 tcifes. Ce morceau d'architeóture feroit un ornement, même dans une Capkale. Les truffes font trés ■abpndantes dans cette contrée: on en fert dans toutes les aubeges. Le 23. ÖêJobre, de Lauriole par Mon- teli.m.ard d la PALUD. De Lauriole a Montelimard il y a quatre lieues qui ne mentent aucune attention, fi ce n'eft pour quelques belles prairies. Prés de Donfere on retrouve encore des collines, & en defcendant on entre dans le Comtat SAvigmn. Le diftrict fitué au dela du Rhone produit un vin blanc très-agréable, connu fous le nom de Vin de St. Perès: il approche du Champagne, mais il a plus de douceur. De 1'autre cóté de Donfere le terrain eft pitoyable, & a quelques méchantes vignes prés, il ne confifte qu'en fable & gravier.  C 95 ) J'ai ciéjk fait mention de j'exceffive rüal-propreté des auberges francoifes, mais j'aurois dü reférver toutes mes plaintei pour la talud, oü je pafiai Ia nuit. Je bénis le moment oü je pus remonter en voiture. Malheur aux gens qui voudront faire les difficiles fur cette route; ils risquent de mourir de faifn. Ce n'eft pas qu'on ne ferve des mets en abondance, mais tout eft apprêté de manière a faire paflèr le meilleur appetit. Linge detable, couverts, tout eft dans Ie plus trifte étar, & par un ufage bizarre on matige fans couteaux. II vaudfóït mieux abmdonnet entièrement aux Voyageurs le föih de fe noürrir euxmêmes. Le 24. Ocïohre. De la Palüd par Orange öAvignon, 8. firtes Heuss de Provenck. Après avoir pafte quelques collines pierreufes, on trouve prés de Mont dragon les premiers oliyiers. Le pays gagne en fertilïté a mefure qu'on approche d'Orange. Cette petite vüle eft fituée au Nord-Eft d'une montagne ftérile , mais qui couvre une plaine très-fertile & coupée de plufieurs ruiflèaux. A une petite diftance dela, on voitl'arc de triomphe de Marius, monument précieux & parfaitement  (c;6 ) bien confervé, qui par fes belles proportionf doic plaire a touc connoifièur. Je ne pus a mon grand regrec obferver ce morceau curieux que de loin: un vent du Nord trcs-froid ne me permit point de defcendre de ma voiture, & par cette circonftance je perdis ie plaifir d'examiner plufieurs Antiquités du voifinage, Tout prés de la Ville eft une belle promenade de müriers. Le grand chemin setend le long des montagnes jusqu'a Courtefon. II eft difiicile ce fe faire une idéé du degré de ftérilité de cette plaine , qui comprend. une partie confidérable de la Principauté d'Orange. Elle n'eft propreroent qu'un dépot de petits cailloux. Dans quelques endroits les habitans fe font donné la peine de dé» barraffer le terrain & d'y planter des Vignes; mais cette culture prospère tout auffi peu que celle des oliviers & des müriers. Plus loin le pays n'eft qu'un vafte défert qui produit une efpèce d'arbrifieau appellc petite germandrée ou petit chênevert, dont les feuilles font toujours vertes, Sc fervent a la préparation de la cochenille d'Europe. Pline en fait mention (Livre XVI. Chap. 7.) fous le nom Hfflex aquifolia parva. Outre cette plante on trouve encore dans ces lieux incukes quelques éois de lavande. Ce  (97 5 : Ce déferc finit pres de Coürteioh a urie lïeüé WOrange. Quelques champs moins arides y fuqjiCèdenc, maïs les landes reeommencent bientóc <5s Continüent jusqu'a Avignon. Le terroir quoique' Fort agreite produit cependant un peu de raifin o5 de blé, & par intervalle du chène-vert; Cette route a du moins 1'avantage u'offr'r des vues intéreffjntes, tant fur le Venaijjin que fur les belles collines qui féparenc ce Comtat de la 1 frovence. J'arrivai tard a Avignon^ par un vené 2 très froid & très nuifible pour ma fanté. Le z 5. OEtobre. Sé jour a AvigNon, & ' Voyage d Orgon. Mon intenrion étoit de me repofer un jour a Avignon, & de voir ce qu'il y a de plus remariuable. Je fortis efiectivement dès le matin pour iirontenter ma curioficé, mais le mauvais temps m'o»; jpligea bien vice a retourner dans mon auberge.- . La ville eft grande, bien fituée & bien disp'o*« Rel Elle eft entourée d'une muraille en pierre' me-taille, & garnie extérieurement d'un petit foffé; de 1'autre cö;é elle eft defendue parle Rbóne. ' On peut faire tout Ie «our de la ville en voitur* Ó  (98 ) dans un chemin commode, & k 1'ombre d'une allee. Le rivage occidental eft décoré de plufieurs! rangées d'arbres, qui font une promenade char- I niante, au bout de laqucile on voit encore trois: arches d'un pont de pierre qui conduifoit ci-de-vant a Vilk-neuve. Cette dernière s'élève fur le. rivage oppofé en forme d'amphithéatre, & fa: fituation ne contribue pas peu a rembellifTernent de cette concrée pittoresque. II eft furprenant que d'auffi beaux environs foyent entièrement dépourvus de jardins & de maifons de campagne; les habitans, a ce qu'il pa roit, facrifient les plaifirs champètres aux amu-, femens de la ville, Les Amateurs de la littérature francoifè trom vent a ASignon de quoi fe fatisfaire. On y imi prime beaucoup & a bon marché, les Librairei font bien fournis, & ven lent \ meilleur prix que. dans la plupart des villes du Royaume. Je parcis a midi pour arriver encore Ie même foir k Orgon. Les champs prés ÜJivigmn font tous bordés de müriers. Le grand chemin ef: planté de faules & de peupliers, pour en tirer dt bois de chauffage, qui manque ici &dans presquij  cn) : toute la Provence. Les arbres fruitiers font toul ! auffi rares. Entre Jvignon & Bonpas prés du paflagé ü de la Durance, on découvre dans le lointain fuf I tme colline , le bourg de Pauclufe, oü PétrarI que chanta fa Laure en Amant platoniqüe mais infpiré. Sans le mauvais temps je me feroig i permis de faire un petic pélérinage a cette in té- reffante folitude; On paffe la Durance dans un bac dont Ia conftruétion m'a paru aüez mauvaife. En AUemagne I ils font faits de manière que les earroffès entrent' i! & fortent indifféremmenc, fans qu'il foit néceffaire de changer la pofition du bac. Celui-ci étoic :couvert d'un pont, qui ne peut approcher du rït vage qu'en virant de cóté: d'ailleurs il eft a peiI ne affez large pour contenir une voiture a quatre Iroues, & par cette raifon il faut dételer les cher. vaux. La Durance eft une rivière très-dangei;:reufe: elle groffit prodigieufement a la moindrë I pluie, & dés lors elle cefTe d'étre uavigable jus* I qu'a ce que les eaux foyent écoulées. Ses inon-, s dations dérangent béaucoup le cours des poftes, & fouvent on recoit deux malles de Paris a la I fois. Auffi met-on cette rivière au nombre des' iijéaux de la Provence, & on dit en proverbe^ G 2  ( ICO ) Le Parlement, le Bliftral& la Durmcé, Font trembler toute la Provence, Le (*) Mijlral ou Miflrau eft un vent trés per-cant, dont j'ai eu beaucoup a fouffrir en dépit d'ü-;: ne groffe peliffè que je portois en plein foleil. La rivière fait la féparation entre Ie Comtatl VénaiJJin & la Provence: a la descente du bac: eft un Bureau de Vifitc, mais les Commis n'en:: font pas févères, & j'en fus quitte pour une pièce: de 24 fous. Les deux lieues fuivantes font par-1 tagées alternativement en vignes & en champs dm blé. A cóté du grand chemin font de petitss ruiffeaux ombragés de faules, de peupliers & dei figuiers. On donne ici beaucoup de foin a 1'agriculture: lescharmes y font a Ia vérité en ufage,; mais on bêche plus communément la terre avec;: la houe. Quelquefois on employé auffi au lieu.: de herfe, un outil de bois qui a la forme d'uni T couché j-t. Le payfan traine après foi le man-i che, & la poutre de traverfe applanit le ter-i rain. Depuis les frontières de laSuiflèje n'avoisrieas ( * ) Dan» le Golfe de Vtnife on appelle ce yen? Maeflra.  ( ioi ) vu qui reflemb'at a une forêt, ou feulement k un bosquet; j'en découvris un a la fin dans le Ébintain, & je me faifois un véricable plaifir de le pafTer; mais je fus bientóc détrompé, & ce llue j'avois pris pour un bois, n'étoit qu'un pare faifant partie du domaine d'un Gentilhomme de :ampagne. J'en vis un autre tout prés de la. II Faut avoir voyagé dans des pays plats pour fentir combien les bois cootribuent a la beauté du payfage. Plus haut je trouvai plufieurs chateaux ifolés, qui n'avoicnt dans le voifinage ni jardin* ni aliée: ce défaut total d'ombre, doit rendre le féjour de la Campagne trés-incommode dans un climat auffi chaud. La petite ville cCOrgon eft fituée entre des collines. ( Le 26 O&obre. ö'Orgon par Lambesc c5* Aiguille d Sr. Pont. Depuis Orgon jusqu'au rivage de la mer, le terrain eft d'une fubftance pierreufe. Les endroits fufceptibles de culture ont été planté^ de vignes, d'oliviers & d'amandiers. Prés du village de Malemort je rencontrai un grand troupeau de brebis, ce qui eft une apparition trensrare dans ces quartiers. Du cóté de Lambefc il y a de petites foréss  ( ioa ) de pinaftres & de chênes-verts; mais les plaines I des environs de la ville lont un vrai paradis. Les, h champs partagés en couches d'environ douze pieds : de largeur, fecroifent & font alternativement plan- |r tés de vignes & femés de froment. Cette va- I riété de culture leur donne de loin 1'air d'un tapis i rayé a fl.urs. Les vignes offroient un mélange r de couleurs verte, jaune & rouge; les couches i de froment étoicnt a'un beau vert-clair, & les p jeunes oliviers repréfentoient les bouquets de 1'é- p toffe. Ces arbres font d'ailleurs en grand nom- [in bre, & ils étoient richement chargés. Les fruits pi prrvcnus a difréiens degrés de maturité produi- p foient de nouvelles nuances, & cette décoration k eft u*ie des plus belles que je me fouvienne d'a- fe' yoir vues. J'obfervai que tous les oliviers étoient encore 'i jeunes, & on me dit qu'en effet tous les vieuxp arbres de cette contrée avoient été emportés parp Ia gelée il y a huit ans. Ceux que je voyoisjc con .rts de fruits, étoient des rejetons desancien-t nes tiges. La u-rtiiité disparoit au dela de Lambefc, oüp l«?s nroritagfies ne font que des rochers ftériles.l: C' ft un on'i ur que ce climat n'ait pas der. g ro i- ' ^«-ainJre. Si 1'hivcr y étoit auflif Hf-te qu'eu A^emggne, le pays ne fauroit êtrej  ( 103 ) habké faute de bois de chauffage. Depuis Lyon jusqu'a Marfeille on ne brüle que des fannens de vigne, des fagots de faules & de müriers, des brouffiilles , & tout au plus quelques buches d'oliviers mores ou d'aman diers. J'aurois du aller de Lambefc droic a Aixt mais je m'étois propofé de paüer au Chateau cYAiguUle, oü réfide la Veuve d'un de mes meil. leurs amis, feu le Marquis cT'Argent. Un voya. ge en province, dont elle n'étoit revenue que depuis peu de jours, me 1'auroic presque fait manquer: elle fe réjouit beaucoup de 1'arrivée imprévue d'une ancienne connoiflance qu'elle croyoit bien loin. Mr. le Prélident d'Aigttille t frère du defunc, étoit abfeat. La Marquife me dit qu'elle s'étoit arrêtée quèlque temps a Aix, pour y faire pofer dans PEglife des Minimes, la tombe qui avoit été érigée en 1'honneur de fon Epoux aux dépens du Roi de Pruffe. Le monument étoit achevé, il ne manquoit plus que d'y graver 1'épkaphe indiquée par le Monarque lui même: Veritatis Am'icus Erroris Inimicus. Quelques femaines après, la Marquife m'écrivit k Nice, qu'on avoit profité de fon abfence pour G4 Chateau iTAi&uiUt.  ( i©4 ) fubftituer a cette infcriprion une autre d'un ftyle tout a fait différent. La voici en propres termes: In ft ante morte Anno; (cternos recogitanti Velum nugacitatis ablatum eft. H i c Cum cegnatis fidti cuhoribus Quorum fpes immortaïitate plena eft Requiejcere teftamento tnandaverat. S E D Improvide Tolo Martio defunctus /« Ecclefia Major e fèpuhus eft Anno — Die ... ... Je ftiïis voïontiers cette occafion pour faire cpnnoïtre le Marquis dArgent par fon plus (* ) L'Arcbeveque SAix ayoic fait difficulté d'adïnettre dans mie ér!;!i!e Catbolique, un Monument doat un Prjuce Preteft..nt avoit fait ies frais. On crut apparemment qu'u.ie Epinphe un peu mordsme feroit un préfervaüf coHtre la profanation. (^Note du Tradufleur).  C J©5 ) : beau cóté, a ceux de mes Iecteurs qui ne le 1 connoifiènt que par fes Ecrits. C'étoit un ! foneièremenc honuêté honime, a qui il ne man1 qua que les moyens, pour fe diftinguer par des ij aétes de bienfaifance. Serviable par caracïère, il 1 étoit incapable de faire du mal a fes plus grands ij ennemis, lors même qu'il en avoic le pouvoir. J'jllai couchcr a St. Pont, qui n'a que deux I auberges pour toute habitation. Le 17 Oftobre. De St. Pont a M A If. S E I L t K. Le vent du nord continuoit toujours, & au Soleil levant le thermomètre de Fabrenbeit étoit a 33 degrés; je vis mème des prairies couvertes de gelée blanche. C'eft unc des fingularités de la Provence, que 1'inégalité dela tempcrature de Pair dans des lieux trcs-voifins. Aux environs de St. Pont le froid détruic tous les oliviers, tandis qu'ils réuffilfent fort bien a Aiguille, dont la fituation eft un peu plus élevée. On pourroit citer plufieurs exemples de ces fortes de vuriations. G5  ( io6 ) Le chemin qui conduit a Marftille va toujours en descendant. Cette ville préfente un coup d'oeil admirable. A 1'eft & au nord-eft elle eft emourée d'une chaine de montagnes, dont les cöteaux font couverts de jardins & de maifons de campagne. Le port eft défendu par des rochers fur lesquels on a conftruit plufieurs forts: plus en avant dans la baye s'éièvent différentes petites iles, dont quelques - unes font fortifiées par des tours; tous ces objets réunis forment un tableau impofhnr, & 1'activité perpétuelle quiregne dans le port, contribue encore a lammer. Le grand chemin pavé de pierres a chaux & d'ailleurs très-fréquentê, ne fe conftrve guères; le mortier qui le couvre fe pulvérife aiférrientj & caufe une pöuffiëre d'autant plus infupportable, qu'une grande partie de cette route eft enfermée entre les murailles des jardins, ce qui 1'empêche d'être fuffifamment aérée. Les bdtimens & les arbres voifins fembloient couverts de farine. Je Fefltiyai en plein cette incommodiré, puisque j'arrivai précifément tandis que les payfans revenoieut du marché: ils transportent leurs denrées  ( i©7 ) en ville fur des tmfets richement chargés de fon. nettes, & ce carilion joint aux cris des conducleurs, j forme un concert très-peu harmonieux. Les muiets fervent auffi de monture aux fem1 mes de la campagne: celles que je rencontrai me ;j parurent d'une figure agréable: elles ont beauI coup de vivacité dans les yeux , & malgré I leurs vifages halés, un teint frais & vermeil. Elj les portent des chapeaux rabattus de feutre noir , & cette coëffure n'eft nullement désavantageufe. L'enfemble de leur phyfionomie eft très-intérefTant, mais le fon de leur voix eft défagréable. Les phyfionomies nationales ne doivent être étudiées qua la campagne, oü les habitans fuivent fans gêne 1'inftinét de la Nature. Dans les j grandes villes les hommes font par tout a peu prés les mêmes, & 1'éducation ne fait en quelque forte de 1'Europe entière qu'une feule nation. Je n'ai pu mefurer les diftances que depuis Vienne. En parcant de Lyon mon domeftique avoit mal attaché le compas, & je ne me fuis pas apercu d'abord de fa faute, Voici le réfukat de mes calculs.  ( i°8 ) De Vienne \ Berible . . 4394$, pieds. . . Berible l\ RouJJillon . . 3,0089- . . . . Ronjfmon a St. Fa tier . -717-0, . . . St. Valier a Tain . . . 44.127. • • Tain a Valence . . 5555-'. . . Valence a Lauriole . . 53983- . . . . Lauriole a Montelimarei . 74140. . . . . Montetimard a /a Palud. . 80037. . . la Paiud a GourtcsSon . .111012. . . . .. Courkzon a Avignon . . 6821-7. . . . . Avignon a Orgow . . . 97104. . . . . Orgon a Lambefe . . 89175. . , . . Lambefe a St. pont . , 65308. - . . . St. Pont a Marfeilte . . $4476. 9^935- pieds. Ce qui fait Fèqulvalem d'environ 39 milles d'Allemagne, & en ajóurarït 3; de Lyon a Vienne, il y auroit de Lyon a Marfeille 42* milles. L'étendue des lieues de France eft afl'ez incertaine. Dans le Daupbiné par exemple, on corrrpce 8 lieues de Vienne a St. Valier, ce qui feroit felon mon calcul 16978 pieds par lieue: de St. Valier a Lauritie la diftance reeue eft de 10 lieues, & alors la lieue ne feroit que de 15766 pieds. Le terme moyen entre ces deux variations eft par conféquent de 16372 pieds, ou de 15826  IC ) pieds de Roi. Les lieues de Provence font beau* icoup plus fortes. On en compte huit de la \Palud a Avignon, ainfi chacune feroit de 23653 ^pieds, & presque égale au mille d'Allemagne. De ^Marfeille a Ilières je n'ai trouvé dans la fuite Jque des lieues de 19090 pieds ; on peut les ifixer ji crois 1'une pirmi 1'autre, a 20,000 ■jpieds de Rhin. La route que j'avois faire depuis ^Berlin jusqu'a Marfeille rend a peu prés 1931 sjmilles d'Allemagne. . 1 Du 27 au 31 Oclobre: féjour a Marseille. Je n'ai guères mis a profit le féjour de Mar~ ftilk. Outre le Miflral qui continuoit toujours, lil régnoit ici une maladie connue en Franee fous ïle nom de Grippe, dont les effets ont été tréspernicieux cet automne dans tout le Royaume. |Les rhumes & Ia toux étoient des incommodi■iés générales. J'avois done les plus grandes nVaifons d'être fur mes gardes, & je ne fortois jamais que fur le midi quand j'étois bien fur da :emps. Malgré cela j'aurois pu voir beaucoup de chofes, fi j'avois trouvé quelqu'un qui m'eüt oroduit dans les fociétés, mais je manquois de ifconnes adreffes pour faire des connoiffances. II ne fufiïc pas dans une grande ville decre re- MarfeiOc,  ( HO ) Cornmandé a des Négociars. Pour bien faire \i fauc tacher de fe prccurer des lettres pour de»| perfonnes moins occupées, cc qui font en tdm tion avec les habitans de la première cl.fiè. Ce; n'eft pas que dans les maifons de commerce': on ne foit recu nvee toute la polhefie poffiblej rr.ais on ne s'y ii.ftruit pas comme on voudroici & on y refte toujours dans le mé me cerclfl Dailleurs le Négociant doic vnquer a fes afFail res, & avec la meillèure vo'onté il n'a pas lel temps d'accompagner un Étranger du matin aüi foir. Je n'ai dor.c guères en ocerfien de connouré! de prés les habitans de Marfeille , r,i d'étudiei leurs meeurs 6c leur carsctère. Jtfidiquerai cel pendant le peu que j'ai vu dans cette ville rei marquabk. Le rivage fur lequel elle eft fituée, s'étend: du nord au fud, & touche du cóté de Foccidentj a une grande boye, qui eft féparée du port parj un pafTage étroit pratiqué entre deux rochers. La| vieille ville eft huie fur les hauteurs des monta-| gnes qui couvrtnt le rivage, & laneuve eft disperj fée dans le fond autour du port , qu'elle entourén presque en forme de cercle. Les deux quartiers de la ville font féparés par une longue & belle rue parfakement bien ali«|  C ii* ) gnée. La partie feptentrionale en eft fort large, & pavée feuleraent aux cörés; Je milieu eft une grande place fans pavé, plantée d'arbres, & deftinée a la promenade. Une rue ainfi difpofée eft appellée par les Francois un Cours, du mot Italien Corfo, vraifemblablemcnt paree qu'on y célébroit des jeux de courlè dans les temps oa les exercices du corps étoient plus en ufage qu'aujourd'hui. La rue peut avoir en tout une lieue de longueur. La partie meridionale eft entièrement pavée, & les maifons quoique baties avec fimplicité, font d'une belle ordonnance. Une feconde rue qui coupe la précédente* conduit droit au port, & y aboutiroit même dire&ement, fi le grand Arfenal qui la termine en biais, n'en cachoit la vue. D'ici la ville s'étend des deux. cótés autour du port. Le quartier feptentrional eft Ie plus confidérable: iï fe diftingue fur-tout par la beauté du quai, au milieu duquel eft la maifon de ville. On voit dans ce quartier un concours de monde dont il eft difficile de fe former une idée. C'eft 1'endroit oü abordent la plupart des navires, & oü fe fait 1'embarquement, le débarquement & le transport des marchandifes. Le^ quai devient le rendez - vous des équipages de quelques centaines de vaifieaux, & on trouve  C ii2 ) danscètte multitude, des gens de toütes fdrtes de nations Européennes & Afiatiques. Ovue ces Étrangers, les Négocians viennent s'y affembler, car C'eft le lieu de la bourfe, & la curiofité y attire encore les oififs de h ville, tant eccléfiaftiquesque' laïques. Malgré cette affluence prodigieufe, tout fe paffe dans 1'ordfe & fans querelle. Le port étoit trop rempli pour contcnir tous les vaiffeaux qui devoient y entrer : dans quelques endroits ils étoient h trois ou quatre de hautcur. Les Galères Royales montées par les forcats qui y font condamnés pour des crimes, exCitèrent particufèrement mon attantion. La plus grande partie de ces prifons maritimes ont été envoyées a Toulon, & il nen refte plus que deux dans le port de Marfeille. Elles font placées entre deux vaiffeaux garde-cötes d'une conftruclion fmgulière , & dont le tillac eft muni d'un toit de bois pour la commodité des foldats qui y moment la garde. On a bad d'un vaiffeau a 1'autre , le long du quai, une rargée de boutiques qui' fervent' d'atteliers, a ceux des Galériens qui font en état d'ache'er la permiiTion de travaillef pour leur propre compte , ou d'exercer une profeffion.On trouve parmi cux desCordonniers, des Tailleurs, des Menuifiers, des Perruquiers , des Barbiers, des Frippkrs, & même des ^ora^s;  < ii3 ) Chacuntache de mettre fon induftrie a profit, & on ne les géne en rien a cet égard; mais ils a'en portent pas moins la chaïne, & ilne leur eft point permis de s'abfeiter un inftant de leurs réduits. Le menu peup'e fe plait affez a faire trafic avec ces -Galériens. L'entrée du port eft étrÓite, & je crois qu'unè frégate n'y pourroit être introduite qü'avèc beaucoup de précaution. Le paffage eft défendu par deux forts placés fur des röchers , qui mettent la ville en füreté contre toute attaque ennemie du cóté de la mer. On s'occupe maintenant^i prolonger d'un tiers, jusqu'au dela de la porte méridionale, la grande rue qui fépare les deux quartiers de la ville. Pour cet effet il a fallu applanir le terrain, emporter des collines, combler des foffés, & entreprendre ainfi des travaux fort pénibles. L'ouvrage eft déja avancé; plufieurs maifons font achevées, & les matériaux des autres font tout prêts. On 'ménage a 1'extrémité méridionale de ce fauxbourg une grande place ronde oü 1'ön tiendra marché. Elle fera nommée la place Caflellane, en 1'honneur du Marquis de ce nom qui eft le propriétairé du terrain oü fe font les nouveaux b^timens; la H  ( *H ) réparation du chemin a écé faite en entier & fes frais, & uae grande partie des maifons refteront également pour fon compte. II les revendra ou les louera dans la fuite, pour recouvrer fes avances. Ce projet d'agrandifTement femble avoir été calqué fur celui de Lyon; Mr. de Caffelkne n'y court aucun risque, car la ville de MarfeiUe, eft beaucoup trop petite pour le nombre de fes habitans &. 1'étendue de fon commerce. De pareilles ehtreprifès de la part d'un Particulier font infinimeni louabjes, & tendent au bien réel du pays. Peut être cependant leur préférerois-je celles auxquelles on s'attache depuis quelques années en Angl< terre, j'entends les canaux navigables qu'on fait conduire «Tune ville ou d'un Comté a 1'autre, pour faciliter Je commerce intérieur. Jeus le plaifir de rencontrer dans mon auberge Mr Ellis, ci-devant Gouverneur dela Neuvellc~ ï'orkc, que j'avois vu autrefois a Spa. C'eft ce Marin expert qui a publié un Voyage inrérefiant a la Baye de Hudfsti. II me dit qu'il avoit renoncé aux courfes de mer, 6c qu'il consacroit maintenant fon loifir a des voyages de terre. C'eft aujourd'hui le goüt dominant des Anglois. On en trouve dans toutes les grandes villes des provinces méridionaies de France & d'Italie, & 1'on eft teüement accoutumé en Provence aux Voyageurs  ( "5 ) He cette nation, que chaque Étranger qui n'eft paï marchand, y paftè pour Anglois, & le; peuple les qualifie tous de Mylords. Le 31. OBobre. ie Marseslle a Héeres. Le froid me chafia bientöt de Marfeille, & d'ailleurs j'aspirois au repos après toutes mes courfes. J'arrêtai une voiture qui devoit me transporter dans un jour k Hières. On employé ordinairement une demie journée de plus k ce voyage, & alors on paffe la nuit a Toulon; mais j'évitai cette ville, que je me propofois de vifiter lorsque je ferois fixé k Hières. En fortant de Marfeille on refte enfermé pendant une bonne lieue entre les jardins qui interceptent la vue de tout cóté. On compte plufieurs milliers de baftides ou 'maifons de campagne dans les environs de la ville. Elles font peu fpacieufes, & les jardins manquent d'ombre; on trouve dans quelques-unes une petite pièce de vigne bordée d'oliviers; ceux qui ont une allée de peupliers ou d'aliziers, font moins communs. Les maifonnettes fervent de retraite aux propriétaires, depuis le Samedi au foir qu'au Lundi, les grandcs chaleurs ne permettant point d'y établir une demeuré fixe. H i  C ) Quand on a paffe ces longues avenues de Marfeille, la vallée s'éiargic un peu, mais elle fe rétrécic de nouveau au dela üAubagne, & plus lok les montagnes la fermententièrement. Depuis cet endroit il faut fuivre le chemin fur les cöteaux jusques dans le voïfinage de Cujés , oü on revoitune plaine, dont les champs font plantés en quinconce de cdpricrs. Cet arbriffeau meurt en automne jusqu'a la hauteur d'une coudée au deffus de la racine: on coupe enfuite le bois fee & on élague les branches, après quoi on couvre la racine de terre pour la gara-ntir du froid & de 1'humidité. Les cöteaux qui dominent la plaine font tous partagés en terrafTes pcrpendiculaires. C'eft ici oü commence cette utile invention, qui rend les montagnes les plus ftériles fusceptibles de culture: elle eft mife en ufage tout le long des cótes de Ja Méditerïanie, & on la retrouve encore au dela de Gèncs. On ne fauroit s'empêcher d'admirer ces fortes de travaux, qui font 1'éloge de 1'induftrie & de 1'activité du pèuple; il a fallu fans douse des efforts extraordinaires pour créer du terrain, la oü la nature en avoit refufé. Je dinai a Cujes avec plufieurs Voyageurs, parmi lesqucls il y avoit des Militaires, des Moines, des Marchands, & entr'autres un Arminien. Malgré le grand nombre d'auberges qui fe trou-  C "7 ) ! vent entre Lyon & Hières, il ne m'eft arrivé ; qu'une feule fois d'être feul a table; cette route i eft toujours fréquentée. II règne d'ailleurs dans la ' Bafe-Provence moins de mal-propreté que dans le * Daupbiné. PafTé Cujes on trouve un beau chemin plan té I de müriers & bordé de champs fertiles; mais a cette contrée riante fuccède un pafiage des plus effrayans. Les deux chaines de montagnes que j'avois eu en perspeftive depuis Cujes, fe joignent ici & fermeroient entièrement le chemin vers Toulon, fans Ie torrent qui s'eft ouvert un pafiage a travers les rochers. Ces montagnes font abfolument inaccesfibles & dénuées de toute apparence de culture. Le lit creufé dans les rochers va toujours en ferpentant. Ce gouffre eft d'ailleurs très-étroit, & a tout au plus 30 a 50 pieds de largeur: on tferoit tenté de le prendre pour une crévafiè icaufée par quelque tremblement de terre, C'eft Ik qu'on a pratiqué un chemin qui eft élevé de 10 ou 12 pieds au deffüs du torrent, §£ foutenu par une muraille du cóté de 1'eau. Les H 3  ( ii8 ) rochers dans lesquels il eft taillé, moment a une hauteur perpendiculaire de plufieurs centaines de pieds. Dans quelques endroits ils fe courbent vers le fommet, & laiflfent a peine entrevoir une bande trcs-étroite du Firmament. A mefure qu'on avance, on descend toujours davantage dans le fond du précipice, & comme on eft embarraffé pas des tours & retours perpétuels, on ne voit jamais qu'a peu de pas devant foi, & on fe croit a tout moment en danger d'étre arrêté par les rochers , ou de faire des chütes terribles. Ce chemin fingulier n'a pas moins d'un quart de lieue d'étendue; au refle il eft plus uni & plus commode qu'on n'oferoit Fespérer au milieu de tant d'obftacles. II auroit été digne de fournir a Homère un tableau pour l'OdyJJee. Je 1'ai paffé par un trés-beau temps, qui joint a Ia couleur blanchatre des rochers, nous donnoit affez de jour; mais je me repréfente aifément quel afpeér. cette route fouterraine doit offrir dans un temps d'obfcurké, de pluie, ou d'orage. Quand on a franchi ce pas fcabreux, il refte a parcourir une vallée profonde, qui en elle-même eft encore un défert, mais qui femble un paradis , au prix du gouffre infernal dont on viewt de fortir.  ( lip) Vers les plaines de Touïon eft fituée Ja petite ville d'Ollioules. devenue céièbre par Paventure fcandaleufe du Jéfuite Qirard & de la Religieufe Cadière. Eile a des favonneries confk'érables. J'ai remarqué que les habitans de cet endroit pn.-fiurent le raifin en plein air daas de grands prefibirs portatifs. Toute Ia contrée entre Ottimles & Toulon eft très-fertile en oliviers, mais 1'huile qu'on en tire eft de très-chétive qualité, & on ne 1'employe guères que dans les fabriques de favon. Les avenues de Toulon font femées, comme celles de Marfeille, d'une quantité prodigieufé de baflides. Plus on approche de la ville, plus 3e payfage s'embellit, & les datriers y font une [ preuve de la chaleur du climat. On ne négligé cependant pas la précaution de couvrir les capriers de terre. Je fis le tour du glacis de la fortereffe fans entrer dans ja ville: vers le foir je pasfai par la Valette, & a huit heures je fus rcndu è Hières. La diftauce de Marfeille a Cujes eft de 95179. piedi. & celle de Cujes k Hières, de 155^40. Enfetnble . . 247819 p. ouoj m« H 4  C I20 ) Biires. y Séjour a Hieres depuis le ir. Novembré jusqu'eü as. Defcription de la ville & de fes habitans. J'eus le bonheur de trou'/er le jour même de toon arrivée une maifon de campagne très-jolie & rrés-commode, que j'arrêtai pour le loyer modique de 40 livres par mois. Je m'y établis auffitót, & je me djspofai a y pafL-r quelque temps. Mr. de Luc m'avoit donné a Laufanne une lettre de recommandation pourMr. Albiet, 1'un des premiers Citoyens c Hières. II étoit a fa campagna fituée a une lieue de la ville; je lui envoyai ma lettre, & il eut la complaifance de venir me voir le lendemain , pour m'affilter dans les petits arraBgemens qui me reftoient a faire. C'eft dans ces for;es d'occafions qu'on apprend a fentir tout le prix d'un fervice. Sans les fecours de ce galant homme je me ferois vu dans le plus grand embarras; je ne connoiflbis perfor.ne, & la langue même du pays étoit inintelligible pour moi: le peuple ne parle ici que le Provencal, & ce dialecte n'a meun rapport avec la langue francoife, quant ala prononciation. Mr. Alhiet régla lui-même ma Jetite économie & me procura une Cuiunière, 'unique perfonne peut-être qui feut le francois 1 Hères. Rien de plus franc & de plus ferviable jue les habitans de cette ville: cesvertusfemblenr  ( IK 5 \\ëm être innée?. Ceux du rroins a qui j'ai eu (affaire les poffédoient au plus buut degré, & j'en iconferve un fauvenir plein d'elUme & de reconinoiffance. J'avois mis pied a terre en arrivant, idans une mauvaife auberge devant la porte dela ville: je n'y reltai que la nuit fuivante. Madéipenfe fut donc très-bornée; cependant j'y fus jtraité en ami de la maifon: mon hóteflè une bonne vieille, fa fille d'une figure agréable, & fon Bis qui faifoit le métier de Cuifinier dans 1'hotelilerie, me comblèrent de politeffes; il ne men fcoötoit qu'un figne pour être fervi a fouhait. J'ai des mémes éloges a donner a la Cuifinière que 'ij'avois engasée , & a la familie qui habitoit une laile de la maifon que j'ai occupée dans la fuite. Je le répète, je n'ai trouvé nulle part amant de i cordialité qu'a Hières.. Je ne puis m'empêcher d'en citer encore un ||rait,' quelques minucieufes que paroiffent des üobfervations de ce genre, je les crois pourtant urès-dignes de 1'attention d'un Voyageur. Ua ifjour étant forti de ville avec mon domeftique, (.je pouffti ma promenade trop loin, & m'égarai qdans les montagnes, au point que je ne vis plus ijla moindre iffue. J'apercus au deffous de moi qune petite cabane , a laquelle je tachai d'arriver tpour retrouver de la le chemin de la vilie. La H5  C 12% ) deseente de eette montagne étoit des plus diffiv dies: elle m'offroit dans plufieurs endroits des rochers escarpés presque inacceffibles. Enfin a force de descendre j'atteignis un champ cultivé qui appartenoit a la cabane; je me vis dans la nécesiité de marcher fur des terres labourées, je me fis jour au travers d'une plantation de vignes, quelquefois même il me fallut empoigner de jeunes arbres pour ne pas tomber fur ce terrain raboteux. Dans ce momentje rencontraile Propriétaire de cette terre. J'appréhendois une explication défagréable, & naturellement il devoit être peu content de trouverdans (es plancations deux Étrangers qui y étoient entrés de force, & qui s'y frayoient une route nouvelle k fes dépens. Mais je fus bien agréablement furpris lorsque cet homme accourut vers moi d'un air riant, pour me tendre la main & m'aider a descendre. Je ne compris pas trop ce qu'il me difoit, mais nous nous expliquimes par fignes. 11 m'invita obligeamraent dans fa chaumière, & me pria d'accepter quelques rafraichiifernens. Comme il étoit déjk prés de midi, & que j'étois preffé de rentrer chez moi, je ne pus profiter de fon honaêteté. Sur ce refus il j'adreffa a mon domeftique, infiftant pour que celui-ci du moins goutat de fon vin. J'avoue qu'un procédé auifi amical me toucha infiniment. II m'eft arrivé fouvent dans la fuite dc m'égarer  (I*J) fur Ia route & d'entrer dans des jardins potagers , cjj'oü j'espérois regagner mon chemin; j'ai trouvé jjar tout la même politeffe. Dans bien des pays es Propriétaircs accueilliroient trés-mal un Incon- iu qui s'aviferoit d'entrer dans Jeurs jardins, futj:e même par néceffité; mais ces bonnes gens-ci lont toujours également honnêtes & complaifans; j'ai emporté de la douceur de leurcaraclère 1'idée la plus avantageufe. I Les environs d'Hières forment un pays bas & juni, entouré de tous cötés de montagnes, excep. ■ vers le fud, oü il eft bordé par Ia mer. Cette ijblaine peut avoir une lieue d'étendue & autant de fargeur. Quand on s'y trouve au milieu , oncroit iêtre enfermé entre des montagnes qui ne laiflènt iucune ifTue. Cependant il y a ve» le Couchant ilune vallée érroite quiconduit jusqu'a Toulon. La petite rivière Gapaud, quiprendfa fource au Nord ides montagnes & fe jète dans la mer, coupe le itolat pays en deux parties : celle qui eft fituée a la Idroite de la rivière eft très-fertüe. Les montagnes qui environnent ce petits pays, Ife divifent en quantité de collines de forme & de sgrandeur différentes. Quelques-unes ne font que esdes rochers ftériles , d'autres font couvertes de. tpinaftres & de fimples buiffons. Le pied de ces imontagnes, généralement fort efcarpées, eft cul-  '( 124 ) avé, mais avant que d'en tirer parti il a fallu comi I meneer par faire des terraflès, & malgré cette pré- I caution le pays eft encore inégal & pierreux. II il) n'y a que les oliviers qui y réufllffènt, & ils y ont I été plantés en grande abondance. A mefure qu'on approche de la Mer , le plat- 'g pays fe change en marais , & il ne refte plus que, | peu d'endroits oü 1'on puiffe s'avancer jusqu'au I rivage. Les iles $ Hières font fituées a une lieue u de diftance des cötes: elles font affez élevées, 6: & féparées de la terre-ferme par une baie qui eft füre, |a a la vérité, mais d'un accès difficile. On n'a la m vue entre ces iles fur la haute Mer, qu'en deux ou 'A trois endroits. II eft apparent que toute cette plaine a été au- j trefois une baie de mer. Mr Büfching dit dans.i fa Géographie, qu'il y avoit ci-devant un port prés d''Hières, & que la Mer s'eft retirée enfuite a \ une diftance de deux-mille pas. II eft aifé de fe | faire une idéé de cette opération, qu'on obfervc | vraifemblablement de même dans d'autres ports. La baie étant fort baflè, aura été comblée peu \ peu par les cailloux & le fable que la rivière charie de ce cóté en temps de pluie , & 1'eau chaffée de 'i cette manière, devoit naturellement fe retirer. L'on concoit auffi que ces förtes de phénomènes devienpent moins fréquens a ia longue , puisque par le  ( 125 ) idébordemcnt fi fouvent répété des rivières & des iiruiflèaux qui s'y melent , les cailloux & le fable tqui fe trouvoient fur la cóte ont été totalement lemporté, & ont donné a ces raêmes rivières & ruiffèaux, les rivages fölides qu'on leur voit aujourd'hui. II arrivé encore aéluellement a Hières, qu'en'temps de pluie, ou de dégel fubit de la neige qui s'eft raffèmblée pendant 1'hiver dans les montagnes , le Gapaud fe déborde & inonde tout le pays d'alentour a la hauteur de cinq ou fix pieds; mais comme il n'entraine plus dans fon cours qu'une très-petite quantité de cailloux & de fable , fes inondations ne laiffent auffi qu'un dépot peu confidérabie. On n'entend plus parler de nos jours de ces fortes d'accroiffemens du Continent, & il paroït que ja Terre , après avoir fubi autrefois de grandes révolutions, eft parvenue maintenant a fon état de confiftance & de ftabilité. Dans les anciens temps les bornes de la Mer ont été fouvent reculées. Mr. Robert Wood dans fes Obfervations fur Homère, a démontré que la cóte de la Baf e-Egypte avance aujourd'hui dans la Méditerranée, beaucoup plus que du temps du Poëte Grec. Mr. Cbandler fait la même remarque au fujet des cótes ff/ome dans VAfie-Mineure , & fi nous remontons jusqu'aux Sfiècles antérieurs a Homère, nous trouvons des tjchangemcns encore plus confidérables, tels que 1?  ( n6 ) déluge de Deucalion , & 1'irruption du Pont darii la Mer Egée, rapportée par Polybe. On peur. coiv clure de tout ceci avec affez de vraifemblance ,d que la Terre, ou du moins fa forme aftuelle, n'eftYi point d'une antiquité auffi reculée, que celle quelp lui attribuent quelques -uns de nos Phyficien$ modernes. Ourre le Gapaud on trouve encore quelquj ruifilaux de peu d'importance, qui fortent des vallée& étroites fituées entre les montagnes. Ils fe réunisfi fent enfuite & fe jètent dans la Mer , après avoirH traverfé la plaine. Les habitans induftrieux lesl mettent a profit pour arrofer leurs prairies & leursti jardins. Au Nord-Oueft des montagnes qui environnen ce petit pays, & a 1'endroit même oü commence Ut vallée qui conduit h Toulon, eft fituée la villdti Hières a cóté d'une haute montagne qui fe termi-a ne en pointe , & dont le fommet reffemble de loiro k;une tour, qu'on prendroit pour la citadelle dé la ville. Celle-ci eft batïe fur une hauteur escarpée jè & fe préfente affez bien du cóté de la plaine; pla fieurs de fes églifes & autres édifices font un très^i bel effet; mais vue de prés & dans 1'intérieur, ellel: perd beaucoup. La partie fupérieure de la ville eft fituée fur un fond de roche élevé & raboteux • on y voit un Chapitre de jeunes Demoifeiles N04  ( t*7 ) iles, & une Collégiale de douze Chanoihes. Cette marde de la ville eft encore la demeure de plufieurs perennes de qualité & de quelques families bourIraoifes aifées, mais le plus grand nombre des ha* stans eft compofé de Laboureurs, d'Arcilans& de pétits Marchands. i On manque non-feulement a Hières des chofes 'jle luxe & de pur agrément, mais on eft même pligé de faire venir de Toulon, c'eft a dire a une diftance de trois lieues , les néceflïtés les plus int lispen fables de la vie. II eft vrai qu'on peut fe es procurer journellement avec afiez de facilité. Je iin'étoisattaché ce qu'on appelle ici,une Pourvoyeufe: ette ferame venoit prendre chez moi trois fois >ar femaine la lifte de ce que je voulois avoir, He faifoit enfuite mes commiffions , & fe eroyoit I den payée de fes peines moyennant quelques fous que je lui donnoiï. De cette manière on fait nchetera Toulon la viande , le poifïbn, les fruits, secafie, lefucre, &c. je ne pus pas même réufiir j i trouver de 1'encre a Hières. Du refte les herbages 51 font en abondance , & nullepart je n'ai mangé I['auffi bon pain. Le bois y eft rare, & fe vend I ,u poids a raifon de 9 fous le quintal. I Du cóté de la plaine & dans la plaine méme, ur-tout dans la vallée qui mène a Toulon , la ville :ft entourée d'une prodigieufe quantité de jardins,  C 128 ) dont chacun a fa baftide, c'eft a dire une maison* Öétte plus ou moins grande felon les circonftances,s: mais toujours batie en pierre. Les jardins leal, plus voifins de la vijle font presque tous planté|fl de citroniers & d'orangers, & enfermés d'une hautét muraille. Nombre de p»tites ruelles fort étroitesfi croifent ces murafles en long & en large, & ld § tout enfemble forme une espèce de labyrinthe dontii un Étranger a de la peine a fe tirer. Cette difficul-f té eft défagréable pour ceux qui aiment la promejpj nade , car il faut néceffairement traverfer ce laby^f rinthe pour gagner la Campagne. Les jardins dont je parle , font uniquemeriii deftinés k la culture des citroniers & orangersJL & les rangées d'arbres font auffi ferrées qu'il eflf; poffible. Tel étoit le jardin qui appartenoit a lal. maifon que j'occupois ; k peine avoit-on laiffé uri espace de huk pieds entre les arbres, & il ne rcftoid point de place pour marcber: auffi n'ai-je été qu'unet feule fois dans mon jardin, pour m'y arrêter toulff au plus deux minutes. Les jardins plus éloignésf' de la ville font mieux dispofes, divifés en quartiersf' & coupés d'allées. On y plant* les orangers com^i'1 me les arbres-fruitiers dans les jardins-potagers enf Allemagne, & on y accorde auffi une place kf d'autres arbres-fruitiers, amandiers, figuiers & cé-r rifiers ; le refte du terrain eft refervé pour les légu-f1 mes. On plante peu d'orangers dans les lieux trop!  ( ISO ) èeanés; les jardins y fervent principalement k k culture des légumes & des fleurs; les jardins de pur agrément- font entièrement ineonnus ici, & on ne trouve pas même dans les plus grands, une (imple terraflè pour la vue: la moindre petite pla;e eft mife k profitdeux triftes cyprès k 1'entrée Ju jurdin, ou tout au plus quelques dattiers compofent tout le luxe des jardins d'Hières. Le trafic des citrons & des óranges eft d'un rapport confidérable. Ces fruits font emballés dans les caiflès & envoyés dans 1'étrangen On m'a nontré un jardin de neuf a dix arpens, chacun de 180. toifes de douze piêds de Roi, qui rendoit* n'j-t-on dit, huit a neuf-mille livres dans les anïées communes, & quelquefois jusqu'a quatorzenille dans les années bien fertiles. Qu'on juge le 1'abondance extréme de ces fruits j puisqu'on ie les vend qu'k raifon d'une livre la cemaine. Dn tire parti auffi de la fleur qui tombe de 1'arbre j >n la ramafiè pour la vendre aux parfumeurs. Les abriques de parfumeries établies k Marfeille & lans presque toutes les grandes villes deProven:e, fervent k faciliter ce débit, & c'eft dans cete vue aufli qu'on cultive plufieurs arbriflèaux )doriférans, tels que le jasmin & 1''acacia mu nofa. 1  ( i3° ) Les Iégumes & les fleurs forment encore unè branche de commerce importante. Toutes les espèces de choux font délicieufes, & on trouve des champs entiers plantés d'artichauts; ces productions font envoyées a Toulon & a Marfeille , dé même que les fleurs qui fe confervent ici dans une faifon ou les climats moins chauds n'en donnent plus. La culture des jardins eft donc un article effentiel pour Hières. Les habitans ont réuffi & fe procurer de 1'eau pour arrofer leurs jardins. Rien de plus industrieux que les arrangemens qu'ils ont pris pour mettre a profit le peu d'eau courante dont ils font pourvus. On voit partout le long des murailles de petits aqueducs de pierre, qui font dispofés de manière qu'on en peut cenduire 1'eau dans les jardins, ou la détourner. La plus grande partie du plat-pays confifte en' terres labourabIes.& en prairies, d'un fol qui m'a. piru très-fertile. Les champs y font partagés,; comme dans tout le refte de la Provence, en bandes étroites, alternativement plantées de vignes & femées de froment. Outre cela on y trouve encore de riches plantationsd'oliviers, de figuiers& d'amandiers. On n'a pas la coutume de nouer la vigr.e. Les tiges ont environ une demi-aune dé h&öteur; elles pouffent annuellement des provms  ( iii ) qu'on élague jusqu'au fecond bourgeon, & IePayfan s'entend fi bien k cette opération, que la vigne reproduit toujours de nouveaux feps faris que Je tronc gagne en élévation. (* ) On a ménagé dans les vignobles de petites places quarrées de dix pieds d'étendue, qui font pavées de pierres enduites de chsux , & qui forment un carré lage ferme & uni. Elles fontentou? rées de trois cótés d'une muraille de deus pieds & demi dehauteur: du cdté qu'on laüTe ouvert, le terrain va en pente vers le mur poftérieur, dans Isquel on a pratiqué un petit canal qui touche k terre. C'eft fur ces carreaux qu'on raffemble les grappes en temps de vendange , de lk on les transporteen ville oü elles paflent au preffoir. L'ouverture du mur extérieur fert k filtrer le jus qui s'écoule des raifins: on pofc excérieürement un vafe pour le recueillir. La partie de la plaine qui confine auz montagnes, & le pied même des montagnes offrent un terrain (*) Palladim prétend que c'eft \t nieilleure méthode de cultiver la vigne. Fint*, dit il, in proviaciis mult»^ generibns f.unt; ftd optimum genus ejf, ubi vitis arbuieula fiat brevi erure fwdata. I 3  ( 132 ) raBüteux, divifé en terraflès étroites deftinées h Ia culture de la vigne. Le terrain plus élevé eft refervé potir des plantations d'olivier?. On voit ausfi quelques champs femés de froment, la oü 1'inégalité du fol Ie permet. Le fommet des montagnes préfente des rochers arides, ou tout au plus des arbres de peu de rapport, tels que des pin* fcuvages, plufieurs efpèces de chênes & quelques arbriüeaux de genèvre, de römarin & de cife. Le pays en deca du Gapaud eft plus raboteux encore, mais il fournit des oliviers en abondance. Des marais & de fpacieufes falines dont je parlerai tantót, occupent une grande partie de ces plumes. Her es eft agréablement fituée, & fon climat eft fort fam , furtout en hiver: elle eft dans cette faifon 1'afile de quantité de Valétudinaires. Les bons piétons y trouvent de belles promenades, mais elles manquent d'ombre. Un Étranger qui aime lebeurre & le laitage ne fera pas mal, s'il fe propofe de faire quelque féjour ici, de penfer d'avance a fa provifion. je lui confeillerois même de fe pourvoir d'une vache, puisqu'on ne peut fe procurer a Hières ni beurre, ni d'autre lait que celui de chèvrc. Les vaches y font auffi rares que les chevaux on n'y connoit d'autre bé-  C 133 ) tail que les anes 6c les chèvres. J ai vu un fcul pdturage de boeufs dans un endroit ent'.èro ment écarcé. I J'ai été encbanté de rencontrer ici en plein air plufieurs arbres & plantos que nous fommes obligo's P'enfermer en Alternagne dans des ferres. Voici quelques-uns des arbriffeaux qui croifient fur lc grand chemin & fur toutes les collines : le greradicr, le lentisque , le myrte a grandes feuilles , le jasmin jaune, le chèvre-feuiile , plufieurs espèces de rofiers en fleurs &c. Mais ce qui rend furtout la promenade délicioufe , c'eft la fleur d'une phnle extrênaement odoriférante qui croiÉ dans chique haie , & qui parfume toute la centrée en automne (fmilax aspera fruStu rubente ). Le riheus offre encore a 1'ceil un aspccl agréable ; on le ;rouve ordinairement parmï des buifibns épais dans les endroits humides: fes feuilles roides & polics cornme le parchemin , font d'un trés-beau verc , qui eft encore relevé par la couleur du fruit : celui-ci eft un grain d'un rouge-vermeil ; il fort du milieu de la feuille même. La partie fupérieure des montagnes , qui eft la moins fusceptible de culture , pror.uit le pin fauvage ou pinaftre dont j'ai déja fait mention, le chêne-vert a feuilles pointues, 5c le hège dont 1'scorce donne le bois connu fous ce nom: le der» I 3  ( 134) nier 8e ces arbres ne parvienc guères ici k une , certaine hauteur. Parmi les arbriffeaux de la fe-j conde claflè le diilingue fiirtout le fraifier, (arbutusl retiido); dans Tarrière -failbn il eft chargé a lal fois de fleurs & de fruits partie a demi-mürs, partie' en parfaite rnaturité. Ce fruit refïèmble a unej grande fraife & en a presque le geut , fi non qu'ilj eft moins fin & un peu aig"e : il eft fuspendu ï de longuss queue» comme les ceiifès , & d'une belle couleur jaunc, avant qu'il foit entièrement mur.: Le genevrier mérite auffi quelque attention : fes grains font d'un bruu-clair, & d'une grandeur peu commune. J'ai par!é plus hau: des grandes falines qui font, fituées a une lieue de Hières, a 1'extrémité Sud-: Oueft de la plaine; je va:s en donner la description. Eik-s font compofées de quantité de baffini' creufés en terre fur Ic bord de la Me* ? on remplit, ces refèrvoirs d'eau de mer, cu attend qu'elle foit évaporée, & on rccucille enfuite le dépót de fel qu'elle a laiffé. Cet établiflèment occupe un terrain; dispofé en un giand quarré 'd'environ une lieul d'étendue, entcuré d'un foffé profand rempli d'eau: de mer : ii eft muni d'ailleurs d'un rempart qui en' défend 1'accès. On y entre par un portail qui touche a plufieurs batimens conftruks pour la commodké des ouvrierJ.  ( 135 ) Le rempart dont je viens de parler emfermc tous |es refervoirs, dont chacun eft entouré d'une di^ue particuliere & conferve par conféquent fes eaux, fans qu'elles s'écoulent. A cóté de ces digues on k pratiqué encore des canaux fur lesquels on navigue dans de petites barques d'un 're-fervoir k 1'autre, pour en retirer le fel. Enfin on conferve toujours entre deux refervoirs une place, ou 1'on a établi des machines hydrauliques k demi enfoncéeè en terre: on en fait tourner les roues par des che* vaux, & elles fervent k puifer 1'eau, qui de cette nianière peut être verfée d'un refervoir. dans1'autre. C'eft des canaux qu'on tire ordinairement 1'eau de mer deftinée a 1'évaporation dans les refervoirs. Mais pour en retirer une certaine quantité de fel a la fois , on ajoute encore de 1'eau lorsque 1'aricienne eft presque évaporée, & on répète cette opération jusqu'k ce qu'on croye la couche de fel aflez forte : alors on laifie achever 1'évaporation , après quoi on recueille le fel qui s'eft formé, & on le met en roonceaux dans un endroit fee ; ce -qui étant fait, on remplit de nouveau les refervoirs. II faut faire attention de les préferver de la pluie lorsque 1'évaporation eft presque finie; fans cette précaution les couches de fel déja formées ne manqueroient pas de fe diffbudre. On peut prévenir cet inconvénient en verfant dans les refervoirs en temps de pluie une nouvelle dofed'eau l 4  ( I3Ö ) de mer,- celle-ci ne réfoudra rien, & 1'eau de pluie qui s'y mêlera, n'aura plus aüez de force pour produire le même ener. Le fel après avoir paffe par ces différentes opé-, rations , eft transporté dans le magaln , grand édifice placé au bord de la Mer & encouré de murailles qui en forment une espèce de fort; dela pn 1'embarque fur des bateaux pour être rendu a fa deftination ultérieure. Les falines $ Hières rendent annuellement 90 I ioet,coo minots de fel ; le minot contient précifément un quintal. Le Roi , ou plutót les Fermiers.Généraux bonifient au propriétaire cinq fous par minot , moyennant quoi il eft obligé de livrer le fel fur les bateaux , & de fe charger de 1'entretien dispendieux des ouvrages. Les dépenfes annuelles montent a 14000. livres , ainfi il ne refte au propriétaire de cette fuperbe emreprile , que quelques milliers de livres de profit net. Les Fermiers revendent pour un Louis d'or, ce qu'ils ont payé cinq fous. Eft-il apparent que les prédécesfeurs du poffèffeur actuel euffènt pris la p.ine de former cet établiflement , s'ils avoient prcvu qu'on ne laifferoit a leurs Descendans que la centième partie du revenu ? { La garde de§ falines eft corffiée k un Officier  C ï37 ) qui eommande un Détachement de quelques Soldata; il eft logé proche du magafin. II me refte encore quelques obfervations a'faire fur les montagnes qui environnent la plaine. Celles qui font fituées vers le Nord font formées d'une espèce d'ardoife grife tirant fur le rouge; elle eft d'une fubftance limoneufe qui fe décompofe en plein air. Le peu de fable qui couvre ces montagnes , ne paroit être autre chofe qu'une pareille ardoife décompofée. Les couches font fort minces, & n'ont guères plus d'épaiffeur qu'une feuille de papier. Au refte j'ai eu occafion de faire ici une obfervation qui confirme ce que j'ai déja vu dans d'autres montagnes de la même compofjtion , c'eft-a-dire, qu'on y trouve par-ci par la des couches d'un minéral étranger, qui approche du quartz ou du caillou , & qui contient différentes pierres crystallifées. II eft difficile de deviner par quel hafard ces couches étrangères fe trouven: la mêlées avec les autres Les montagnes fituées au fud font moins élevées que les feptentrionales, & d'une nature entièrement différente. Elies font d'un minéral calciné, qui confifte' ou en fïmple mortier, ou en marbre d'une qualité plus ou moins bonne. 11 y a même quelques carrières de marbre. L'espèce la plus comI 5  ( 13» ) iriune qu'on en tire, eft d'un gris foncé & de peu de valeur: la plus eftimée eft Manche, tachetée de rouge, d'ailleurs fort dure, & fusceptible d'un beau poli. L'épaifïèur dés couches varie entre ?rois a quatre pouces & autant de pieds. On trouve entre ces couches, de la craie connue fous le nom de bol d"Arménie, qui contient de trés-, jolis Spatbs. J'ai trouvé fur une de ces montagnes méridionaJes.dans un endroit enrièrement ftéfïie , & fous ün tas de pierres qui s'étoient détachées des rochers un morceau de marbre Salin, que j'ai pris pour Ie débris d'un monument antique , mais je n'ai pa, découvrir d'autres traces de vieilles ruines. J'ai déjk fait 1'éloge du caraclère des habitans, J'ajouterai encore qu'ils m'ont paru un peuple laborieux & économe. Des families emières forten;: de viile le matin pour aller travailler aux champs. Les mères qui nourriflènt y emmènent leurs enfans dans un berceau qu'elles pofent fur leur tête, & i Ie ft>h" elles rentrent en ville chargées du même fardeau. Chaque champ a fa maisonnette oü le Jaboureur va fe délaflèr pendant 1'heure du midi, & fe mettre a 1'abri de la chaleur & de b. pluie. Les cerrcs font en général bien cultivées: faute da  feérail on les laboure avec la bêche. Qn porte la plus grande attention k ramafler .& k épargner tout ce qui peut fervir k 1'engrais; j'ai vu fouvent des terres nouvellement défrichées au pied des montagnes. J'ai été tenté quelquefois de comparer ce peuplé- ci avec les habitans des petites villes de Suiflè & des petites Villes-Impériales, & j'avoue que le parallèle ne tournoit nullement k 1'avantage des derniers. Ceux-ci poffèdent pour la plupart des Communes d'un grand rapport: ils comptent fur la portion qui leur en revient , & il s'en faut de beaucoup qu'ils foyent auffi laborieux que les Citoyens d'Hières. En Allemagne & en Suifie on voit fouvent dans les rues des troupes de gens désceuvrés: les tavernes en font remplies , ils aiment mieux refter chez eux & vivre dans 1'indigencej que d'augmenter leur bien-être par un travail honnête. (•.) (*) Ce reproche eft un pe» févère. Les Süiflc» & la Altenwnds ont toujoars paffé pour laborieux, >& Mr. Sulzir lui-mêae leur rend cetce juftice plus d'une fois. Aüroient i's donc ü grand toit de fe divertir dans leun keutet de loifir ? ou plutót leurs diveniffemeas ne prouvent-ils pas qu'ils font plus a leur aife & plus heuveax que lei pauVIs$ habitans de Hiirtsl (Note du TradufteurO  C 14° ) On pourroït conclure de la que rhomme fauva^ ge, prïs dans 1'étac de pure nature, eft ennemi du travail. enclin a 1'oifiveté, & qull n'y a que la néceffité ou la réflexion qui puiffent 1'engager au travail. La néceffité en elt le refTort le plus ordinaire , car il laut avoir fait déja de grand progrès dans la réflexion, pour fentir qu'un travail réglé ct les avantages qui en réfulcent, font les meilleurs moyens de conduire a une vie heureufe & agréable. Quelques Politiques ont foutenu qu'a force de furcharger le peuple d'impóts, on parvient a 1'obliger au travail. 11 eft vrai qu'une nation accablée de la forte, trr.vaillera plus que le fauvage qui réuffit a fatisfaire tous les befoins fans beaucoup d'application. Mais le vrai moyen d'exciter le peuple a 1'amour du travail, c'eft de réveiller en lui le fentiment de 1'aifancë & des agrémens qui accompagnent 1'abondance. Quand une fois il fe fera apercu que 1'ordre & le travail lui fourniffent encore, outre le nécefiaire, une certaine opulence; qu'il ne tient qua lui d'y puifer les moyens d'augmenter de plus en plus fon bien-être & fes plaifirs , alors 1'envie de travail Ier lui viendra d'elle-même. Et cette espèce d'aétivité elt fans contredit infinf* ment préférable a celle qui n'elt produite que par la néceffité.  ( Hi ) Je vivois ainfi heureux & content dans ce beau I pays & parmi ce bon peuple. Ma fanté s'étoit Bemife en partie , & je me propofois de refter ici •i jusqu'a la fin de 1'année. Mais il fallut changer d'idée après un féjour de trois femaines. II furvint un temps de neige & un vent orageux qui me firent craindre pour 1'hiver, & d'ailleurs j'eus le malheur de perdre ma Cuifinière par une mort fubite. Ces circonftances réunies me déterminèrent a quitter Hières, & a reprendre mon ancien projet de me fixer a Nke. On ne trouve a Hières ni chevaux, ni voitures ) de voyage. j'étois obligé deretournerk Toulon, , & même je manquois d'occafion pour faire cette i: petite courfe. Un Gentilhomme Normand, Mr. l Grandeville de la Lande , qui s'arrêtoit ici pour des raifons de fanté, eut la complaifance de me ; prétér fon équipage, & je partis le 23 No< vembre. Le produit des terres que j'ai vues fur cette route confifte principalement en vignes & en oliviers, & c'eft a ces deux branches que la jolie petite ville de la Valettt doit tout fonbien-être, i Hières eft éloignée de Toulon de JÖ414 pieds, qui font 2 milles & un quavt.  tsukn. ( 14* ) Le »3 & £4. Novembre. Sé jour a Toulon. Cette ville eft jolie & afiez bien Mcie, quoique fes rues foyent trop étroites. Elle eft fituée le long du rivage, & fa longueur de 1'Eft k 1'Oueft eft k peine de mille pas. Non-feulement elle eft bien fortifiée par fa fituation naturelle, mais 1'accès en a été rendu pour ainfi dire impofiible , par les forrs qu'on a placé fur les montagnes voifines.. Une partie des ouvrages, tels que le f ofte extérieur, le chemin couvert & le glacis, ne font pas entièrement finis. De terre une attaque ennemie ne ferolt guères k craindre. L'espace entre la ville ck les montagnes eft très-petït & dominé d'ailleurs par les forts disperfés fur les hauteurs. Ceux-ci font k leur tour défendus par lesbatteries desrempans, & la place peut être regardée comme imprenable, pourvu qu'elle ait afiez de troupes k diftribuer dans tous les petits poSes qui exigent garnifon. Toulon eft furtout remarquable par fon port, qui contient une grande partie de la flotte Francoife. Outre les frégates, le nombre des vaiffeaux de ligne qui y étoient k 1'ancre pouvoit monter k.15 ou 16. Je ne les ai pas comptés, car il eft dangereux pour un Étranger de montrer ici trop de curiofité. Je ne pus obtenir la permiffion de voir les Arfeaaux, malgré les follicita-.  ( «43) tions preffantés d'un Négociant très-confidéré dans Toulon, auquelj'avois été recommandé. A 1'égard du commerce le port eft de moindre importance. J'y ai vu tout au plus une cinquantaine de navires marchands, dont les cargaifons confistoient en vin, mauvaife huile, favon'; miel, figues & raifins, d* même qu'en citrons & oranges qu'on tire des jardins d'Hières. Au milieu d'une rangée de maifons qui bordent le port, eft 1'hócel de ville, d'une architeéture extrêmement limple. Les Toulonnois y admirent deux Termes qui foutiennent le balcon, & qui font 1'ouvrage du céièbre Puget. Ils font effectivement bien deffinés & d'une exécution élégante, mais 1'invention en eft très-médiocre : lea têtea manquent d'exprefïïon, & 1'attitude en général eft trop négligée. Ces ftatues reffemblent plutöt z des figures Académiques qu'a des morceaux d'exprefïïon: elles ne fauroient être mifes en parallèle avec celles du méme genre, dont le Sculpteur AlIemand Sluier a décoré 1c cMceau Royal d« Berlin. Entre Ie glacis & les montagnes qui font au Nord de la ville, il y a plufieurs petites campagnes, parmi lesquelles le jardin Royal eft le feul remarquable. lilntendent de la Marine en a la jouisfance,  ( 144 ) & il fert en même temps de promenade pv> blique. Je ne dois point oublier une fingularité qui appartient a l'Hiftoire Naturelle de la Provence. Un homme inftruïc & digne de foi m'a dit que le grand hiver de 1709 a fait périr la plupart des arbres de ces quartiers, & que les orangers & les figuiers n'y réuffilTènt plus depuis cette époque. Les orangers gèlent presque toujours, & on s'eft k la fin Lfie d'en planter. Les figuiers fe font un peu mieux con'ervés , mais il s'en faut qu'ils parviennent a leur première hauteur, & les vergers qui rapportoient autrefois dix a quinze quintaux de figues fèehes, en rendent a peine le quart aujourd'hui. Peut-être ce mauvais fuccès ne doit-il être af* tribué qu'au genre de culture qui eft en ufage ici. On plante de bouture, & les Naturaliftes ontcbfervé depuis long-temps, que les arbres provenus de femence deviennent beaucoup plus vigoureux que ceux qu'on élève par des marcoctes. Le 55. Novembre. De Toulon d Vidau- b an. je quittai Toulon kb* heuresdumatin, accompagné d'un poftillon; j'avois fait un accord avec lui  C H5 ) !lui au taoyen duquel je devois lui payer 60 livrei ipour me conduire k Nice. Le chemin eft;peu fréiquenté & trés - incommode: j'eus befoin de toute ma provifion de fanté pour réfifter k la fatiigue. i Toute cette contrée eft hériflèe de montagnes, ■>& on n?y connoit presque d'autre culture que les t oliviers. Je ne me rappelle pas d'avoir vu tout le c ong de la route un village proprement dit, mais i es petites villes & les habitations ifolées y font nl'autant plus nombreufes. : Je pafiai pour la troifième fois par la Valette, rlela k Souliers, & de Souliers fur une chausI êe a Cuers. C'étoit le temps de la récolte des 3(lives, pendant laquelle le payfan transporte tout bn ménage dans les plantations. Le fpeclacle de ant de families raffemblées fous des arbres, me ,:it naitre 1'idée d'un climat heureux, ou le peu. ile n'auroit d'autre habitation que fes jardins, i'k vivroit fans inquiétude dans 1'état de pure •.ïature. I Je me fuis convaincu k cette cccallon que la i ;rande différence qui fe trouve entre Ia qualité de 'huile, provient moins de la nature de 1'afbre, ilu fruit & du fol, que de la manié re de recueil» iiir & de traiter les olives. Quand on veut prêi  C 1*6 J pnrer la bonne huile de table, on cueille foigneu-' fément les olives avant qu'ejles ayent atteinc le' dernier degré de maturiri, on les manie proprement, & on ne les preffe que légèrement & k froid. Par tout oü 1'on voudra employer cette méthode on pourra être fur defe procurer d'exceilente huile. Lc payfan s'y prend arce moins de précaution. La moitié des fruits deviennent trop murs, tombent & refent par terre, oü ils fermentent déja, pendant cue 1'autre moitié achève de mürir. A la récolte on fecoue les arbres, & ce qui rélïfte encore eft abattu avec des perches. Enfuite on ramafiè le tout pêle-mêle & on le met en tas. La prefiure fc fait avec tout auffi peu d'attention. On jète de 1'eau bouillante fur les olives écrafées pour donner plus de fluidité au jus, puis on retire la; première huile, & on arrofe encore une fois le mare. Cette feconde opération produit 1'espèce d'huile qu'on appelle infernale: on la mêle avec 1'autre, & de cette manière on gate le tout. Cec-j te négligence eft cependant excufable a quelques égards. Elle épargne des frais, & on rachetJ par la quantité ce qu'on perd fur la qualité: d'ailleurs dans les manufoemres de les favonneries Iaj mauvaife huile rend les memes fervices que la meilleure, & fi on n'en faifoit que de bonne, il eft ewtain qu'il y en auroit beaucoup trop pour l"u>'  C H7 J fage de la table. On n'a donc pas tere dè proportionner la qualité de 1'huile a 1'ufage auqueJ elle eft deftinéé. Du cóté de Pignafis on voit des champs, des prés , & fur-tout des müriers. Ceux-ci me parurent d'une fi belle tige , que je les croyois encore de 1'ancienne espèce. Je m'en informai a des gens agés qui auroient dü le favoir par tradition, mais ils 1'ignoroient parfaitement. On devroit toujours dans lesgrandes plantations, laifler des marqués auxquelles on puiffe reconnoitre dans la fuite 1 age des arbres; cette attention ne feroit point fané utilité. Je trouvai contre mon attente une auberge prö^ pre d Pignans. J'ai été fouvent choqué du peudè cas qu'on fait dans ce pays-la des commodités les plus ordinaires dela vie: les portes, parexemple, manquent de loquets, & on ne peut les fermer qua la clef, ce qui caufe dei embarras continuelsi Les environs de le Luc reflèmblent k une fbrêt d'oliviers: je n'en ai vu nullepart d'aufl» beaux dans toute la Provence, & il n'y a guères que ceux de Menton dans la Principaüté dfi Monaco, qui les fufpaflènt en grandeur. J'arrivaj fort tard k Viiauban.  Fréjus C i*l ) te 20*. Novembre. De Vidauban i Cannés,; ; Ce trajet eft afTez long, & je düs me mettre en I route avant le jour pour 1'achever k temps. A une j petite diftance dn Vidauban je pafTai la rivière $Ar- I gens fur un pont de pierre, & vers midi j'arrivai I a Fréjus. Le Csrdinal de /frwry ayant été nom^ I mé dans fa jeuneffe k 1'Evéché de cette ville, écri- \\ vit k un de fes Amis: qu'il trouvoit fa Fiancée un I peu laide& il n'avoit pas tort. C'eft un chétif I endroit, quoique d'ailleurs agréablement fitué. On w y voit encore les ruines de quelques édifices qui k datent du tempi des Romains, mais elles n'ont |n n'en de remarquable. L'aloès d'Amérique, qui tfl nc vient que dans les ciimats chauds, croit ici fur I les chemins panni les bruyères. ; t Tout prés de Fréjus eft un ancien aqueduc 5 Ij qui s'étend jusqu'au pied des montagnes. Cet ou* i, vrage précieux, exécuté pour une ville fi peu con- I fidérable, prouve combien les Roraains étoient at- « tentifs k fe procurer de 1'eau de fource. Aujourd'hui I plufieurs grandes villes opulentes, & même la plu» \ part des Capitales, font privées de cet avantage. 1 On pourroit y fuppléer fans qu'il en courét des I fommes exorbitantes, mais perfonne ne s'en mer I. en peine, & les habitans n'en font pas moins I, heurevix.  < 149 ) Le chemin paffèTur Ia montagne d''Eflerelks, & je 1'ai fait avec le plus grand plaifir. Outre la diverfité des vues, il m'a intérefië a caufe de plufieurs arbuftes que j'y ai trouvés, fltparmilesquels ' j'ai diftingué liir tout le fraifier. Les pinaftres y : font auffi d'une beauté particuüère. Ils portent i une jolie couronne fur une tige fort mince , & les ' branches terminées en pointes vertes ferment autant de petits bouquets, qui joints ï de grandes ; pommes brunes écailleufes, donnent k 1'arbre un ) air exotique qui plait beaucoup. Je ne pus atteindre Je fommet de la montagne jqua nuit tombante. C'eft Jk qu'eft la maifon de ' pofte d'Efterelhy oü le Voyageur Anglois Smallet dit avoir trouvé 1'été & 1'hiver enfemble. On découvre d'ici le Celfe de Napeule avec les Iles. Lirincs, Ce pafiage étoit autrèfois peu für, mais il eft moins dangereux, depuis qu'on a brülé une grande partie des buiflbns qui fervoient de retraite aux brigands. Descendu dans la plaine j 'eus atraverfer le bourg •de Napoult fitué fur la mer, & de la je rae reridis nar une belle chaufiee a Cannes. K3  C 150 ) ■ Lez-j' Novembre. de Cannes/>ar Antibes^ Nicb, Cannes eft fituée fur les bords du Golfe de Na- I foule dans un endroit oü il forme unbjffinquarrécouvert de deus petits promontoires qui le mettent a 1'abri des vents d'Eft & d'Oueft. Au SudOueft font I«s Iles Lérincs, Les environs de la ville reffemblent beaucoup st ceux de Vevay en Suifie. Cannes m'a paru un féjour charmant, & je fuis furprisque parmi tant d'Anglois qui vont pafier la mauvaife faifon en Jta-I lie, il n'en eftpointqui choififlècet endroit-ci de préférence. L'hiver y doit être affez doux, t en juger par la quantité d'orangers & de citroniers dont les jardins font rcmplis. De Cannes ï Antibes on fuit le rivage de la Mer; La culture des terres diffère ici un peu de celle qui eft ufitée dans le refte de la Provence. Les champs font a la vérité part agés en ban des, mais la vigne au lieu d'être plantée fur les bandes mê*j mes, leur fert feulement de bord ure. Les feps qu'on élève en espalier font rangés fur des lignes droites a 12 oü 15 pieds de diftance ij le terrain intermédiaire eft femé de bied. C«| couches étoient alternativement couvertes de fe-M flience nouvelle & de chaume , ce aui me fj'  C 151 ) croire qu'on les laiffè en jachère; on cultive auffi des légumes aux environs Antibes. Tout prés de cette ville eft une petite collino 011 Ton jouic d'un coup d'ceil admirable. Cm y découvre k la fois, la ville & le golfe $ Antibes, toute la cóte jusqu'a Nice, la ville de Nke même, ót. plus loinda cóte qui s'étendjusqua Gènes. Ce fuperbe payfage eft d'une richeflè & d'une beauté incomparables. Pour ne pas trop m'arrêter en chemin , je laiflai Antibes k ma gauche, & je continuai' a cótoyer le Golfe. On a établi le long du rivage des re. doutes pour s'oppofer en cas de befoin a une des-, cente ennemie. Je pafiai enfuite par Ie village de Cagne , fitué; 'au milieu d'une vallée fertile fur la crête d'une colline pierreufe. Je prïs la peine d'y monter k caufe de 1'agréable aspeft qu'il préfcnte, mais je lus croellement trompé: vu de prés cet endroit eft des plus miférables. Les maifons bities fur des rochers font des espèces de ruines, fans portes & fans fenêtres. Nous crumes d'abord mon domeftique & moi que ce village étoit abandonné, & nous fumes trés étonnés de voir fortir des habitans ' des trous des murailles. H appartient k un eerI tain Marqttis de Grmald't de 1'ancienne famill* I' des Princes de Monaco, auxquels il dispute m'ai K 4  ( ï52 7 t.on dit, une partie de ieur Principauté. Son chsV teau eft au fommet de la colline , mais je ne ful pas curieux d'y grimper. A une demie Jieue d'ici on arrivé st St.Laurent, petite ville fituée fur le Varron , qui fépare la Provence duComté de Nice, & fak en même temps ia frontière entre la France & 1'Italie. Cette contrée produit ua vin mufcat trés recherché, qui eft connu fous Ie nom de Vin de St. Laurent. Avant que de fortir du Royaume il faut produife fon paffeporr. On voulut auffi vifiter mes coffres, mais les Commis me firent grace de cette cérémonie , quand je leur dis que je n'avois fur mot aucune espèce de marchandifes. Prés des portes de St. Laurent on entre dans le lit du Varron. Ce fleuve eft très-large & fujet a s'enfler , & quoique 1'eau fut fort baflè alors, fon cours n'en étoit pas moins rapide. On trouve h Sf. Laurent des hommes robuftes commis pour accoapagner les voyageurs dans le paffage , & qui connoiffent les endroits guéables. J'en pris trois pour mon escorte, dont 1'un fervok de guide a mon poftillon , & les autres gardoient ma chaife, L'eau ne montoit guères au defius de 1'effieu. Ce pafiage me coüta 4 livres: il eft beaucoup plus cher quand la rivière eft haute.  ( 153 5 II n§ refte plus qu'une lieue a faire depuis 1© Tarron jusqu'a Ntce, &j'y arrivai a % heures après:midi pour y palier 1'hiver. Voici la diftance des Üieux s k compter de Toulon. De Tauhn è Pigirans ..... 11674e. pieds «— Pignans è Vidauban .... 84402. . . ; —' Vidaubun fa laonture. Les chevaux de Provence font' pe« rits, maislégers & vifs. Comme 1'engrais eft excesnvement rare ici, furtout dans la Baffe Provence, il n'eft pas extraordinaire de voir des gens dans la rue qui ramafient avec la main la fiente des anixnaux. J'en ai vu St Toulon & a Marftllle, qui tiroienr les immondices des égouts pour les rasfembler dans des paniers. Un peuple auffi aftif mériteroit d'être plus heureux. Les cabanes ifolées fur le grand chemin , font k la vérité baties en pierre, mais d'ailleurs d'une obetive conftruétion. Le peu de villages que j'ai traverfés , ont 1'air pauvre, quoique les maifons y foyent régulièrement dispofées en rues, dans le goüt des anciens villages Romains (*). Du reste on n'y apercoit ni granges, ni autres conftructions propres k 1'Agriculture. On remarque tout auffi peu cet extérieur champêtre & ces vergers rians qui décorent fi agréablement les villages dans d'autres pays. Ceux-ci refiemblent de loin a des raaflcs de rochers. (*) Vicot locant (Germani) non ia noftrura moreta comiexis & eohserentibus sediflciis: fuam quisque domuiïj fpatio circumdat. Tacit: de Mor: Geraas  Les villes ont également une phyfionomie étrani,; gère. Les maifons font hautes & étroites, avec des toifs plats, & très-peu de fenctres. Un Voya« geur Allemand n y retrouve pas non plus les clo« chers qui font en ufage dans fon pays. Je ne faurois Iouer afiez lei bonnes tnanières des perfonnes de diftinaion arec lesquelles j'ai mangé dans les auberges. Je me fuis trouvé a table avec des Gentilshommes,desMilitaires,des Eccléftaftiques, & leur ton étoit, celui de la décence & de la meilJeure fociété. Perfonne ne fe permet le moindre excès: on ne boït que du vin trempé, ex. cepté au defïert. On épargne aux Étrangers les? propos indifcrets & les queftions déplacées. La Baflè-Provence prife en général, ne me pa-i L roit pas un pays agréable, malgré 1'excellence dt [ fon climat, & je lui préférerois la plupart des I provinces del'Allemagne, tant a 1'égard de la fer- (; tilité que desagrémens. II eft vrai que nos hivers Ê font rudes, mais d'un autre cóté 1'été eft bien in- I commode dans les provinces méridionales de la i France. Les richefies de la Provence ne confiftenc I qu'en huiles; c'eft d'ailleurs un payspauvre, & je $ fuis aflez de 1'avis du Francois qui 1'appelloit une \ Gueufe farfumée.  ( «57 3 DESCRIPTION De la Ville de Nice & de fes Environs , c}? de la Principauté de Monaco. |1ï" e rivage du Golfe i'Antibes s'étend en forme IJLi de demi - cercle duSud-Oueft au Nord-Eft. }A l'extrémité Nord-Oueft de cette ligne eft la iville de Nice, éloignée de celle $ Antibes d'eniviron trois milles d'Allemagne. Les deux vilïles font fituées immédiatement fur h Mer, 1'une \% la vue de 1'autre , & c'eft apparemment cette jpofition qui a déterminé les anciens habitans de vNicée aujourd'hui Nice, a donner ï Antibes le inom grec d1'Antipolis, qui fignifie ville oppofée. Le rivage du Golfe eft uni, mais i peu de distance de la Mer il offre de petites collines, qui S'enchaïnent dans 1'intérieur du pays aux moncalignes de la Provence. Du cóté de Gènes, la cóte l'ft élevée, escarpée & couverte de rochers. fl Nice a la forme d'un triangle, dont Ie cóté Étnéridional touche a la Mer, & les deux autres ({Ce joignent a 1'extrémité feptentrionale de la vilJe. Elle eft arrofée a 1'Occident par le P/S; Golfe ?AfU, libeu  ( 153 ) glio{*), quifejèteicidansla mer; cette rivière eü fort bafte en temps de féohereflè, mais a la moindre pluie fes eaux s'accroifTent cenfidérablement. Duj cóté de 1'Orient la ville eft bornée par un. immenfe rocher, qui s'étenda quelques centaines de pas dans 1'intérieur du pays; fa hauteur eft de plufieurs centaines de pieds. Sur le fommet fe trouve le céièbre chateau, autrefois réputé imprenable, mais qui a été emporté en 1704 par le Maréchal de Catinat ; aujourd'hui il eft entièrement ruïné. Nice a tout au plus une lieue de circuit en y comprenant le rocher, dont la bafe occupe autanc de place que la ville méme. Vis-a-vis de ce rocher eft fitué le Mont-AU ha», qui fe replie vers le Nord du Continent: le port de Nice eft entre deux. On a creufé de- (*) Pline dit dans fon Hittoire Naturelle , Livre III. I Chap: 5. Igitur ab (tinne Farro Nicea oppidum d \ Mefiilienfihts conditum , fiuvius Padus &C. La véri:a-1 fcle lecoa doit être fiuvius Pal», & plufieurs Manufcrit» I la portent ainfi. Le paflige fuivant prouve d'ailleurs que la I description de Pline fe rapporte aux endroits fituüs dans le I voifinage de Nice: Alpes, pepuli Alpini multis nominul bus, fed maxime capillati; oppidum Vediantiorutn ci* I vitatis Cemenelion, ptrtus Herculii Monoeci, &c.  ('?9 I ; püis peu dans Ie rocher un chemin fpacieux, élevé \ de 30 a 60 pieds au defliis du niveau de la mer» ij qui conduit le long du rivage, depuis le quartier méridional de la ville jusqu'au port: il eft prati- cable k pied & en voiture. La partie méridionale de la ville eft défendue contre le choc des vagues par un rempart conftruic en pierre. II contient des fouterrains voütés, qui fervent de magafins aux marchands; le deffus eft une plate-forme deftinée k la promenade. Lecêté occidental baigné par le Paglio , eft muni d'une forte digue de terre, revêtue d'un mur & pavée de pierres. On monte de la ville fur cette digue par ün efcalier ; ün autre conduit au pont de pierre qu'on a bati fur la rivière, & qui aboütit k 1'un des fauxbourgs. La digue eft par conféquent accelïïble des deux cötés, & Nice peut être cenfée une place öuverte, quoiqu'elle foit garnie de ' portes. La promenade autour de la ville eft d'une beau-' té merveilleufe. D'abord on traverfe le long. du rivage une belle rue, au bout de laquelle un efcalier de pierre mène fur la plate-forme du grand rempart. De lk on pourfhit fon chemin fur le ■ rempart vers 1'Occident, ou 1'on découyre toutle  t ï6*3 ) golfe, la cóte avec fes collines, cV Ia ville ^Antibes. De ce rempart on paffe fur la digue voi» fine, & on y continue a marcher vers le Nord. '„ Ici on a une vue vraiment ravilTante; d'un cóté lés plaines de la ville, parfcmées de plufieurs centaines de jardins avec leurs pavillons: de 1'autre les Collines des environs, ornées d'une quantité innom- i br;ble de baftldts ou maifons de campagne, &:! couvertes de forêts d'oliviers: d'autres montagnes s'élèvent derrière celles-ci en amphithéatre. Quand on eft parvenu z Fextrémité fëptentriona{e de la ville, ou descend de la digue pour entrer dans un large chemin , qui fait tout le tour du rochcr. Dans cette courfe on découvre encore üne petite étendue de p!at-pays divifé en jardins & plus loin le Mont-Alban avec les débris du chateau dont j'ai parlé. Le port offre enfuite : un autre coup d'oeil affez frappant; on y a éta» | bli un grand nombre de guinguettes, oü les Matelots vont fe divertir. Du cóté de la mer com- 1 mence le fuperbe chemin qu'on a creufé dans le t rocher, & qui reconduic fur le rempart dont on I eft parti. La fe préfente une partie des cótes : èlevées qui s'étendent vers Gènes, la haute mer, & même dans un jour bien clair, le fommet des montagnes de Csrfe. Cette promenade eft la pi plus belle qui puiffè être imaginée. Ler I  Les ondes qui viennent fe brifer contreles rcf* : chers dans Je temps des hautes marées, offrenf. 1 encore un fpeftacle intérefianc qu'on peut ft i procurer fur le chemin qui aboutir au port. L'eau : écumante rejaillit en 1'air après le choc, & : retómbe en partie fur des rochers plus ou moins iélevés, dont chacun a pour ainfi dire une figurè particuliere: ces chütes forment autant de cascades différentes. Le fpeéhteur placé dans ufi ichemin élevé au deffus de la mer, ne perd riefi de toutes ces beautés, & ne fe raffafie pas 4$ iles admirer. I L'intérieur de Ia ville eft affez dépourvu d'agrésmens. Les rues font étroites, & la hauteur de& jmaifons contribue encore k les rendre plus fomibres; d'ailleurs elles font fort fales en temps de pluie, on y fent une très-mauvaife odeur, & i£ ï'y a que le pavé qui en foit bon. Le quartier méridional eft mieux bad & danslegoüt moderne-i ies rues en font plus larges óc bien alignées, en-i In on y trouve une grande place tout k fait réguliere , oü les Soldats montent la garde. i La ville ne coneient pas tin feul édifice public tui mérite d'être remarqué, k 1'exception du tirrand rempart dont j'ai fait mendon, & de 1'es^ Palier qui y appartient. Celui.ci eft incrufté erf L  C 162 ) marbre, on 1'acheva pendant mon féjour a Nicty Les facades des Eglifes fcroient affez belles, f elles étoient moins furchargées de corniches al d'autres ornemens. Les maifons du quartier neuf L & fur-tout celles qui font voifines de la place di , parade, font grandes & bien baties. Il y en 11 quelques autres encore qui font d'une bonne ar ^ chiteéture, mais la plupart font dans un trift $ état, & annoncent déja au dehors la mal-propre it, té qui règne dans l'itnérieur, & le peu d'atten l tion qu'on porte, foit a l'entretian, foit aux ré n parations néceffkires. Les escaliers intérieurs font communément et pierre, & les marches couvertes d'une légenï table d'ardoife noire. E ji On employé auffi ces fortes de platines a de lambris de portes & de fenêtres: elles viennetn ! du Génois, & font d'une grande utilité pour rat: chiteélure de ce pays-ci. L'intcriear" des maifons eft en gér.éral foW mal-propre, & la plupart des escaliers font in fee5 F tés d'une odeur très-ineommode. On fe me: peu en peine de nettoyer & de réparer, Or ne penfe pas même a laver les vitres, ce qu b[ feroit indispenfable dans des rues étroites ol m ks chambres ont fort peu de jour. j'ai éti  c m) (péns plufieurs bonnes maifons oü les cafreaUX |des vitres avoient perdu toute leur transparenï ce a force de pouffière & d'ordure de mouche. On ia de la peine a fe faire a une facon de vivre ■auffi dégoutante. C'eft fans contredic la grande I mal propreté qui engendre la prodigieufe quantité ! de moucbes dont fair fourmille ici. On eft obligé : de couvrir les miroirs d'un rideau de gaze , pour 3ne pas les voir abimés en peu de jours. Si j'excepte tout au plus wie douzaine des meilleUres maifons, je n'en connois pas une feule dans laiquelle il me fut poffible de demeurer. Je crois d'ailleurs que la ville eft mal-faine eri |hiver. On ne peut guères donner de Fair "aux Jmaifons, & corame le foleil n'y pénètre presque Jamais, elles font froides & humides. On fe pro'Anène ordinairement dans les beaux jours de 1'hislver, & pour peu qu'on ait transpiré , on eft ex'Jpofé a fe refroidir en rentrant dans les maifons ; te qui eft d'autant plus aifé , qu'on fait rarement fdu feu , & que la plupart des chambres n'ont pas 'imême des cheminées. , Au refte la ville eft bien peüplée a proportiora Be fa grandeur. Outre le nombre afTez confidérable de fes habitans , elle eft encore trcs-fréquentéé ©ar les payfans du voifinage: les rues en* font wii'Jjours p leines. L 3  C 16a j J'ai déja dit un mot de la fuuation du port: 'j| j eft tout entier 1'ouvrage de 1'Ai. La Nature n jB a fait autre chofe que de lui affigner fon emplace-ai ment fur une petite langue de terre entre le rocherll & le Mont-Alban: c'eft la qu'il a étécreufé. L'entrée en eft afTurée par deux fortes digu^sil oü moles ,• baris en pierre. Jusqu'ici fon étenduel eft peu confidénble, & il ne contiendroit guèresI au dela de 40 navires marchands ; mais il eft fus- f ceptible d'agrandiflement du cóté du Continent,! & on s'en occirpe effcclivement a 1'heure qu'il eft. I II (èroit tout auffi néceffaire qu'on donnar plus de 1 profondeur a la rade , puisqu'cllc renferme encore § des rochers qui ne permettent point l'entrée a des I vaiffeaux du port de 400 tonneaux & au dela;*» c'eft pourquoi les navires de cette force font obli- I gés d'alléger dans le port voiÜn de Ville Franchc. \ On n'épargne rien pour Fentretien de celui de 1 l! Nice. Les moles font d'une trés belle conftruclion,■1! fur-tout celui qui eft a gauche en fortant. II 0 contient plufieurs fouterrains, & des niches ouver- ■' tes dans iesquellcs les Matelots fe retirent pour faire leur cuifine. On a pratiqué dans chacune de W ces niches un tuyeau de bronze, dont on tire par le moven d'un robinet, une très bonne eau qiü fuffit pour 1'ufage journalier, & mème pour les provifions des vaiffeaux. A 1'extrémité de ce molc |  iFeau fe 'précipite 'par une mufle jde" lion dans une ftrès-jolie niche, & retombe enfuite en cascades. ^La fource de cette eau elt a une lieue de diftance jiu port, oü elle eft conduite par des aqueducs 3e pierre. i Prés du port eft une belle carrière d'une pierre, li chaux blancMtre, qui tienc un peu du marbre: 3 ;lle a fourai les matériaux du mole & des rivages ! Ui port. [ Je ne dois point oublier deux (ingularités de cette iarrière, qui méritent d'être rapportées On y jrouva il y a quelques années , entre deux pierres : ëparées par une légère couche, un clou de cuivre ipuillé qui étoit enfoncé dans Tune des pierres. ^'Architeéte prépofé aux ouvrages du port, m'a lit que cette pièce curieufe lui avoit été volée, lais il en avoit confervé un deffin colorié qu'il ie montra. Peu de temps après on déterra en» 3 ore plufieurs clous pareils au premier; j'en ai jforenu un de Ia générofité de 1'Architeéle, & j'en Ij fait préfent au Cabinet d'Hiftoire Naturelle de WAcadémie des Sciences a Berlin. La feconde fingularité de cette cóteconfiffe en me espcee de moules appellée moule de dat te, a. Laufe de la reffemblance de fa figure avec le fruit I ie ce nom. Ces moules a peine formées encore , L3  { ) coramcncent par fe creufer une ouverture dans la, pierre h chaux qui eft dépofée au fond de la Mer ^ elles y percent de plus en plus, & a mefure qu'elles grandiffent, le caml qu'elles ont fait, s'éJargit de même. Cette habitation refte cependanc fort étroite, puisqu'elle furpafie tout au plus le volume de la moule, de 1'épaiHeur de deux ou trois cartes a jouer; 1'espace n'eft pas fuffifant pour que la moule puifie s'y tourner. On eut la complaifance de fortir de 1'eau a ma prière , une pierre a chaux qui y étoit demeurée enfoncée pendant cinq ans: elle avoit trois pieds de longueur fur un pied d'épaifféur, elle étoic remplie de dactes & d'une autre espècje de moules velues (muscu,? lus) ; je 1'ai trouvée d'ailleurs rongée d'un bout k 1'autre, amant qu'une pièce de bois peut 1'ètre par des vers j il n'y reftoic pas un pouce de pierre ferme. Je caflai la pierre, & j'en confervai un morceau avec les moules dans 1'eau de mer. Je fis un repas des moules, & je les trouvai d'un goüt plus délicat que les huiifes les pius eftimées de la Mer du Nord. Le Chevalier de Foncenex, que j'allai voir quelque temps après a Fille Franche, fit tirer de 1'eau quelques-unes de ces pierres en ma préfence: elles ne différoient en rien de celles de Nice, & nous en mangeames les datces eomme des morceaux friands.  t ro> ) JVjouterai ici les obfervations que j'ai eu oecafion de faire fur le commerce de Nice. U eft de peu d'importance, malgré la Franchife donc jouic le port. Trois ou quatre Comptoirs fuffifenc pour faire face a toutes les affaires. Dans 1'inter? valle de fix mois que j'ai paffés ici , j'ai vu arriver tout au plus douze vaiffeaux, & il n'en eft pas forti da van rage. L'exportation confifte dans les objets fuivans : ik. une quantité confidérable d'huile , de première Mc de moindre qualité: le Comté de Nice en eft ffourni en abondance. 2. de la foie : le Comté jimême en fournit, mais la plus grande partie vient rdu Piémont. 3. du ris, & 4. beaucoup de chan* vre , qui 1'un & 1'autre viennent du Piémont. 5. lune prodigicufe quantité de Jimons , citrons & i oranges. 6. des anchois, des fardines & du thon, f quelques légumes & un peu de cuir, peu ou point f de marchandifes fabriquées ; car de ma connoislaQCe le Comté de Nice n'a point de manu! faélures. On recoit de Fétranger : r. le blé , dont le Comté eft entièrement dépourvu. Le commerce de blé y eft en même temps un objet de fpéculation, & on en revend dans d'autres pons : les Négocians de Nice tircnt quelques-unes de leurs proviüons de grains, des Coionies Angloifes én Amé* L4  ( io's > fique. 2. tout le fel qui fe confomme tanr 'er, Vièmont que dans le Comté: c'eft h Sardaignk qui le fournit. 3. toute espèce de marchan.1üe3 fabriquées , parmi lesquelles on prétend quVl y ea a'plufieurs dont on fait un commerce de contrebande lucratif avec la France. £ k bois de con~ ftruction, & quelques denrées recherchées que 1'ufage a rendu néceiTaires, comme fucre^ cacao caffé, &c. , Le commerce ne fauroit jamais acquérir ici un certain degré d'importance , tant i caufe du voilïnage de plufieurs villes commercances plus confidérablcs, telles que Gr nes & Marfeille, qu a caüfe de la difficulté des ch'arrois dans 1'intérieur de k province ; on manque presque totalement de chemins pour les yoitures. Voila ce que j'avois a remarquer fur Ia firüation & 1'étac de la ville de Nice. Avant que de pariér de Ia conftitution politique & des mceurs des habicans, je dirai encora un mot des environs qui font partie du territoire de la ville. Le pays quï ïouphe au Nord, au Ndrd-Oueft $ a PQueft de Nice, eft uni: 1'une de ces plaines s'étend du cóté de 1'Oueft le long du Golfe , jusqu'a la rivière Fap le peu de plaine qui eft au Nord-Oueft, & qui n'a pas plus d'une lieue quarrée de circuit, Cft entouré de petites montagnes partagées en col'  < **9 3 jftoes, derrière lesquelies s'élèvent d'autres mon/ tagnes en arnphithéatre , qui font de cette contrée une espèce de défert de plufieurs lieues a la ronde. J'ai parlé plus haut de la vue que le rempart de la, ville a fur ces montagnes. Quelques-unes des plus proches collines fe proIongent dans la plaine ; 1'une appellée Cimié , s'avance le long de la rive droite du Paglio , jusquesprés de la ville. Parmi ces collines avancées font fituées de petites vallées charmantes, dont les unes aboutifienta la plaine , & d'autres s'enfoncent dans le fein des montagnes, oü elles ferment de jolis ermitages. Au dela de cette chaine de hauteurs fe trouvent encore plufieurs vallées vraiment romanesques , les unes défertes , les autres fertiles; 1'enièmble préfente un coup d'üeil donc on a de la peine a s'arrachcr. La plaine qui confïne ü la ville, eft diftribuée en jardins; ils font tous entourésde murailles d'une certaine élévation, parmi lesquelies fe croifent une infinité de petites rues de traverfe. Ces jardins n'onc d'autre beauté que leurs riches plantations de citroniers & d'orangers , & les légumes exquis qu'on y recueilie en abondance dans toutes les faifons de 1'aanée, même en hiver. Le terroir y eft perpétuellement en aftivité , & a mefure mi'une coüche a produit, on recommence déja a  k bécher, & a y planter ou femer de nouveau. Au refte ces jardins font dépouillés de tout agrément: ils n'onc ni ombre , ni promenade , rien en un mot qui foit deltiné uniquement pour le plaifir. Chaque jardin a une maifon particuliere qui en fait partie; elle eft ordinairemer: occupée par la familie du jardinicr, pendant que le Propriétaire demeure en ville. Rarement les jardiniers font pofieffeurs des jardins qu'ils culfivent; quelquesuns les tiennent a fer.ne: d'autres, & ceux ci font en plus grand nombre, en ont 1'ufufrujt pour la moitié du rapport anrueS. Parmi leg maifons doa je parle, il y en a d'affèz commodes, qui fontconftruites & entretenues avec foin. Ei'es font pre*» que toutes occupées par des Anglois, qui vienne:,t paffer 1'hiver a Nice , foit pour des raifons de fanté, ou par fantaifie. On y rencontre cependant auffi des Étrangers d'autres pays: moi-même j'avois loué une de ces maisonnetr.es. Le refte du plat-pays fitué a quelque diftance dela ville dans les vallées & au pied des montagnesa eft diftribué en nombre dc petites terres ; c'eft un mélange de champs & de jardins : elles font toutes d'une médiocre grandeur, de quatre , fix , dix, quinze a vingt arpens, & deftinécs a la culture des jardins, de la vigne & du blé. Chaque terre a,  '{\1J ) fa maifon, & il y en a de très-jolies. Toute cette contrée, & les collines des montagnes qui 1'entourent, font couvertes d'un nombre innombrable de pareils batimens; on en trouve jusques fur les fommets les plus élevés , & il en réfulte un coup d'ceil magnifique. Le pied des montagnes eft bordé de vaftes plantations d'oliviers , & la plaine en eft également bien fournie. On y voit auffi d'autres arbres fruitiers , des müriers , des figuiers, mais en petit nombre. Les forêts manquent entièrement a ce pays, a moini qu'on ne veuille donner ce nom a quelques pinaftres & arbrifièaux ifolés, qui occupent les endroks les plus escarpés des montagnes; le bois eft en général fort rare dans cette contrée. Des milliers de terraffes dont les collines font couvertes de toute part , offrent a 1'ceil une variété étonnante : elles font foutenues par des murailles conftruites a fee, c'eft a dire, fans mortier. De quelque cóté qu'on tourne fes regards, on découvre par tout de ces terraffes élevées 1'une fur 1'autre, & on ne peut s'empêcher d'admirer 1'induftrie laborieufe des anciens habitans, qui ont pris la psine de défricher un terrain auffi arideJ Ce travail furprenant fuppofe un nombre prodigieux d'ouvriers, qui vraifemblablement ne con-  ( w ) ïioifToient pas d'aure; moyens de fe Procur:r leur fubfiftance. K Lorsqu'on démolit en idéé toutes ces terraffis., qu'on fe repréfente ces montagnes dans Jeur forme originaire, avec leur fol aride & ingrat, on auroic prévu difficilement qu'elles logeroient & nourriroient un jour tant de monde, Je fuis % qu'une Coloniequi y aurok été envoyée avant que le pays fut habité, ne fe feroic guères imaginé qu'il put fournir a h fubfiftance d'une centaine de perfonnes. Aujourd'hui il nourrit plus de mille families , mais il faut convenir auffi qu'on a mis tout a profit: le plus petk espace a été employé , a 1'exception de quelques rochers entièrement ftéiiles. Plufieurs centaines & peut-être un mïllier de chemins, grands & petits, traverfent la plaine & les montagnes, & font de cette contrée une espèce de Iabyrinthe. Ces chemins font acceffibles de toute part, & on pourrok y varier fes promenades tous les jours pendant une annce entière. Un bon piéton y trouve des resources inépuifables] mais faute de chaufiees on ne fauroit en profiter en voiture, pas même h cheval, car les chemins ne font ni affez krges, ni affez battus. Le pays eft généralement fee, h quelques maré-  ( 173 ) cages pres. II eft furprenant qu'au milieu de tanc de montagnes, les fources d'eau foient firafes- les ruiflèaux ne font guères plus abdndans, & le peu d'eau qu'ils donnent eft éccnomifé avec intelligence: je reviendrai fur cette matière en parlant de pagricültiire. J'eflayerai mainrenant de donner une idéé des habitans, "de leurs occupations, de leur manière de vivre & de leurs moeurs. Mes réflexions feront toujours fondéesfurce que j'ai vu moi-même ou du moins fur ce qui m'eft revenu par des voyes authentiques. Ön éVaïue le nombre des habitans de la ville & 25,000, mais ce calcul me paroit exagéré, quoiqu'il foit vrai que les rues fourmillent de monde. II y a beaucoup de Nobleffe a Niet, mais én général elle eft pauvre. Si j'en excepte quelques perfonnes en place, & trois ou quatre des premières families, qu'on peut appelerrichesdans cepaysci, quoique leurs revenus foient compris entre 20, & 50,000 livres, je ne risque rien d'affurer que le refte de la Nobleffe vit dans la pauvrété, & même fouvent dans 1'indigence & la mi* fère. Auffi ne connoït-on point ici Ie luxe introduit dans les grandes villes de 1'Europe: point de ftf.  '( 174 ) perbes équipages, qui d'ailleurs deviendroient inutiles dans un pays qui manque de grands chemins, & dans une ville dont les rues font trèsétroites: point de divertiffèmens publics: point de fpeéhcles: point de tables fomptueufes, fi ce n'eft de loin en loin dans des occafions extraordinaire?. En temps de Carnaval la Nobleffe s'asfcmble le foir dans trois ou quatre dea premières maifons; le jeu, quelquefois la danfe, fouvent ia converfation feule,, font tous les frais de ces asfemblées, auxquelles on a même doncé'le nom de Converfatione. On donne auffi alors des bak masqucs dans des falies qu'on Ioue pour cet ufage, & oü l'entrée fe paye. Les perfonnes qui occupentles grands emplois, &c même les Avocats de familie bourgeoife, fe mettent au rang de la Nobleffe,' eux feuls ont le droit de porter 1'épée. C'cil la marqué quz diflingue la Nobleffe de la Roture; auffi ne verra-t-on jamais un Gentilhomme fortir défarmé, quelque pauvre & mal-vêtu qu'il foit d'ailleurs. Souvent leurs épées font fi ufées & en fi meevals état, qu'elles ont de la peine a tenir dans le fourreau,- j'en ai vu qui étoient nouées avec une ficelle. Le peuple témoigne beaucoup de respect pour tous ceux qui font'revêtus de cette' marqué d'honneur.  C i/5 ) Parmi une Nobleffe auffi nombreufe il y eh a beaucoup de nouvelle créacion. Les lettres de Nobleffe s'achètent duSouveraïn, & 1'acquifition d'un fief vacant annoblit de même, foit que Ie Roi, ou 1'ancién poffeffeur enaic été le vendeur. Do cette manière on peut s'élever pour quelques milliers d'écus au titre de Comte (Conte\ & même a celui de Marquis (Marchefe). Malgré cete extréme facilité, la Nobleffe d'ici fe tienc fiere des prérogatives de fon écat. Le Clergé qui compofe Ia feconde Clafie deï Citoyens, eft nombreux , mais il ne jouit pas d'une grande confi iération: les bénéfices desEo cléfiaftiquc-s féculiers font trés-modiques, & la plupart des monaftères font pauvres. L'Evéque lui-mêmé n'a qu'un petit revenu, & n'eft guères enétat de faire figure: il fort très-fouvent a pied,, vêtu comrae un fimple Moine, de 1'habit de fon Ordre: quelquefois il fe promène dans un mauvais carroffe, fuivi de deux Iaquais tout auffi maléquippés. Dans la belle faifon les rues regorgent faprès-dinée d'Ecclcfiaftiques: on les rencontre par troupes. Si les bonnes gens d'ici étoient moins emprefies de fertir un jour promptement du Purgatoire, la moitié des Eccléfiaftiques feroit obligée de quitter le pays, ou risqueroit d'y mourir de faim, mais tous les autels font fi'  bien fournis de mcffès de requiem, que chaque Prêtre peut compter fur un fervice par jour: il en tire une rémunération de dixfous, & ce pe« tit revenant bon lui fufiit a la rigueur pour vivrc. Un Religieux philofophe & d'un vrai mérite, qui m'honora de Ton amitié pendant men féjour a m'a alïuré que parmi ie grand nombre des Ecclélïafiiques d'ici, il y en avoit tóut au plus trois qui fufient verfés dans la Littérature & les Sciences. Les Négocians forment la troifième Claflb des habitahs. J'ai déja obfervé qu'un petit nombre des premiers Comptoirs embrafföit tout le commerce en gros. Les autres font ou Commiffionnaires ou Marchands en détail, mais parmi ces derniers il y en a qui paroiflènt être h leur aife & dont les boutiques fönt bien fournies. II ne demeure pas un feul Eabriquant dans toute la ville. Le bas peuple eft en général fort pauvre. II ne faut pas chercher a Nice des Artifans d'une habileté diftinguée: leurs ouvrages font de chétive qualité, & pour être bien fervis, les gens sdfés font venir de Gènes, & même de France & d'Angleterre, les chofes dont ils ont befoin, celles même dont 1'ufage eft très-commun, tels que  ( '77 ) que chapeaux, bas, fouliers Sec. Les atteliers des Artifans font d'ordinaire au rez de chaufice & ils reftent ouverrs ; de forte qu'il eft facile de s'en faire une idée. Je fuppofe qu'il y a peu de Manoeuvres qui travaillent ici a la journée, car a 1'exception des porte-faix du port, j'ai vu qu'on employoit des iemmes, de jeunes fiJles & fouvent des enfans pour travailler aux bÉtimens, dans les carrières & a d'autres ouvrages publics: un feul homtne auroit fuffi pour remplir la tache de dix de ces ouvriers. D'un autre cóté les rues font remplies de mendians, presque tous couverts de miférables haillons & dans un état qui,fait horreur. II eft jufte que je faffe une mentïon particuliere des Pêcheurs, puisqu'ils compofent une tribti féparée, dans laquelle leurs enfans ne manquent jamais de fe marier. Cette claffè de gens fe difiingue dit-on, par fa bonne conduite & des irioeurs honnêtes. J'ai voulu favoir fi ces élöges étoient fondés , & des perfonnes dignes de foi m'ont affuré que les Pêcheurs méritoient cette réputation a bien jufte titre, & que de mémoire d'homme on ne fe fouvenoit pas que quelqu'un de leur profeffion ou de leurs families aic été attaqué au criminel. M  (m > Je ne dis ricn de IT.tat Militaire, les SoïdaéJ ne pouvant être cantptés proprement au nombre' dies Naturels du pays. On peut conclure de ce qui précède que Jesf hnbiums de cette ville ne fontni riches, ni me-! me a leur aife. ün m'a dit que dans 1'intérieur:: de leurs families ils viventmiférablement, & quet la dépenfe de leur table eft furtout exceffive-.* ment rcftivime. Il ne leur fout donc pas de: grands revenus pour fe tirer d'nïr'airc dans urt'I pays ou tout eft a bon marchc. La plQfHtJ des terres fituées fous la jarisdiélion de la ville, appartiemienc a fes habitans: ils en tirent m moitié du produk. annuel, ëc ce revenu joint a ; ce qu'ils gagnenc en ville ou a ce qu'ils ont f d'appointemens, leur fbffic pour vivre. Je n'ai point été en grandes relations avec los habitans de la ville même, & je ne les ai pas vu j fouvent, puisque j'ai paffe la plus grande partie'! de mon temps a la campagne. Je n'hafarderaï.J donc pas de prononcer en dernier reffort fur leurs s mreurs & leur carauère; cependant je n'ai pas : laiffé de faire quelques obfervations. Jc ne risque rien par exemple d'avancer qu'en I matières de religion ijs vivent dans une errfie : ignorance & dans la fuperftkion la plus aveuglei  C ï?9 ) j'ofe même dire que la vraie dévotion leur efl presque inconnue. Je pourrois en citer de fortesi preuves, & il me feroit aifé de les choifir parmi des perfonnes de condition, qui a leur manière avoient recu une éducation diftinguée. La pratique des cérémonies extérieures tienc ici lieu d'inftruétion & de piété. II funk d'aflifler a leur cuke pour fe perfuader que le coeur n'y a aucune part. J'ai été choqué de la légéreté avec -laquelle ils célèbrent leurs proceffions; celles des Confréries appelées les Pénitem (Penitenti), m'on: fur • tout fcandalifé: peu s'en fallut que je ne les euflè pris pour des divertiffemens de Carnaval, & cependant jon attaché a ces exercices prétendus pieux la plus grande importance. |t On n'y connoit pas plus tout ce qui a rapport aux fciences, a la littérature & a la philofophiei pas la moindre notion Jiifforique des événemens les plus célèbres: nulle application a 1'étude, mille émulation pour fe former le goüt. On a la-plus grande peine h fe procurer des livres. J'ai iparcouru deux des premières Librairies, & je n'y ai trouvé que des livres de prières & de litanies ; Sc quelques Diclionnaires. Je, ne connois qu'une lièule bibliothéque a Nice: elle appartient h un iCjentilhomme & m'a parue fournie des meilleurs •Auteurs. J'ai vu auffi dans la maifon d'un habild M s  ( i8o; Avocat. une petite colltéUon de livres farte avec choix. Je connois encore deux Dames , 1'une du premier & 1'autre du fecond rang , auxquelles: j'ai reconnu du goüc pour 1 etude & un esprit vraiment éclairé; mais ces exemples font fi rares qu'ils font a peine excéption a la règle. L'activité & l'ntterinon des habitans femble fe borner uniquement au cercle étroit des objets qui les frappent de plus prés. Une affaire de familie oü de fociété , Paècident le plus ordinaire fait grand bfuit dans la ville. La moindre petite hifioriette galante, ou telle autre aventure indifférente qui s'eft paffee a 1'affèmblée ou au bal, devient pendant plufieurs jours de fuite 1'unique fujet de la cenverfation. On manque d'occupations férieufcs,& il ne faut qu'une bagatelle pour mettre toute la ville en mouvement. J'en citerai pour exemple les foi-difant Feftins du peuple , dont je parlerai enfuite plus en détail: c'eft la chofe du monde la plus infipide , & ccpendant les gens de qualité ne négligent jamais d'y affifter. Pendant mon féjour a Nice on releva le bataillon qui y eft en garnifon; l'entrée des nouvelles troupes fut une folennité peur la ville: les chemins écoient remplis de monde k une demic-lieue a la ronde, & des perfonnes de tout état venoient prendre part a un événement auffi remarquable. Les mascarades & Ies! divertifitmens du peuple dans les derniers jours du  C 181 ) I Carnaval attirent égalément une foule de SpecTa" teurs. Tout annonce un extréme penchaht pour les plaifirs, & prouve en même temps qüe les habitans ne fa vent ni s'occuper, ni s'amufer chez eux. En hiver la promenade eft un de leurs paftetemps favoris : les Dames s'y montrent ordinaire•ment en grande parure. Je doute que dans ce pays-ci on puiffe fe vanter de quelque nouvelle découverte: on ne s'appÜque pas même a reftifier les anciennes inventions, & les arts les plus communs y font encore au berceau. Heft probable par excmple, que les moulins a blé font reftés dans le même dégré d'imperfeétion oü ils étoient immédiatement óprès que 1'ufage en fut introduit dans les pays cccidentaux. On écrafe les grains au moyen d'une mcule dont le mouvement eft fort lent: après cette opération , la farine, le gruau & le fon retombent pêle-mêle dans une même huche , & le blé étanr moulü de la forte, on le rend au propriétaire qui Je fait cribler enfuite, s'il le juge a propos. Nice offre déja quelques traces du Cicisbëat fi fort a la mode a Gènes & dans les autres villes d'Italie. Beaucoup de femmes mariées fè dfont accompagner en public par 1'Amant qu'elles afe font choifi, & on ne les voit jamais paroitre «avec leurs maris, ce qui n'empêohe pas que le$ M 3  deux éponx ne yiyenc d'ailleurs en bonne inteliigence. J'ai déja obfervé que les habitans faifoient pen de cas de la propreté dans l'intéricur de leurs maifons. Ce n'eft pas qu'a cet egard auffi on ne puifle admettre quelques exceptions, mais ma remarque n'en eft pas moins fondée quant au général. Le. gros de la nation eft abfolumcnc infeniïble aux agrémens d'une habitation commode ; ies idéés d'ordre & de propreté lui font étrangères, & I plus forte raifon tout ce qui tient a 1'élégance eft banni de leurs ménages. L'ulage de la porcelaine n'eft pas même connu dans les meilleures mailbus: j'ai vu fervir a ma grande furprife le caffé & le chocolat dans des tafTcs de fayance. Le bourgeois eft logé miférablement : il croupit a ia lettre aansla pouffière & dans Ia faleté. Le coftume eft le même qu'en France & en Allemagne. Je n'ai remarqué qu'une feule part* cularité, & elle m'a paru affez bien imaginée. LesI hommes portent des manchons de drap pour (Ë garantir de la fraicheur des mattnées : ces manchons n'occupant qu'un très-petic volume, on les ferre dans les momens oü il fait plus chaud; le temps fe remet-il au froid , on les déploye/ & ils deviennent des manteaux commodes.  C 183 ) Les habitans de Nice reficmblertt peu aux ItaJiens du cóté des manières, & a cet égard ils tiennent plus des Francois. La langue francoife eft commune ici : le dialefte national a ccpendant beaucoup de rapport avec le Provencal. Dans les affaires publiques , dans les tribunaux & en chaire on fe fert de 1'italien; je donnerai a la fin de cette description un effui de 1'idiome de Nice. II me refte a parler des gens de la campagne, & je dois avertir que fous cette dénomination je ne comprends point les villageois de tout le Comté, mais uniquement les jardiniers & payfans qui demeurent dans 1'enceinte du terrkoire de la ville. Ceux-ci font rarement les proprkkaires des biensfonds qu'ils cultivent: ils n'en font pour la plupart . que les fermiers, auxquels on accorde pour prix de leurs travaux, foit une rente annueile, ou bien la moidé du revenu. D'après le tableau que j'ai fait de la ville, on ne s'atteudra pas a beaucoup d'opulence dans les Villages , & en effet les habitations du payfan font dans un état pitoyable. Les maifons ne laiflènc pas d'être grandes , fpacieufes & conftruites en pierre, mais eiles n'ont rien confervé des commodités que peut-être on y trouvoit autrefois. Souvent elles reitent fans fenêtres & lans portes. M 4  ( »84 ) A les vöïr fans habitans, on diroit qu'elles ont été abandonnées depuis plufieurs années : le dedans reffemblc a une étable , plutot qu'a une habitation humaine. Ces batimens font affez vaftes pour que le propriétaire y puiffe loger le fermier, & fe referver quelques chambres pour fon utage particulier , mais ce cas exifte rarement. Le mdtre préfère de demeurer en ville, & fi par hafard il va voir fa terre, ce n'efj: pas pour s'y arrêter; de la le défaut total des réparations nccefïaires. Ces mêmes gens qui dans 1'intérieur de leurs maifons ne fe diftinguent guères de la brute, ne manquent point d'intelligence lorsqu'il eft: queftion de leur travail. Ils s'entendent parfaitement bien a la culture de leurs jardins, & ils favent les entretenir avec tant de foin qu'ils en tirent quelques p'.oductiops tout le long de 1'année. On transporte journellement en ville une quantité de légumes prodigieufe: les couches deftinées a cette partie de leur jardiriage recoivenc avec une vigilance redoublée 1'eau & 1'éngrais dont elles ont befoin. Pour arrofer les jardins , on ménage avec la plus grande attention les petites provifions d'eau que fdumiflènt les montagnes. On ne foufire point que les ruiffèaux coulent dans les canaux qu'ils fe font creufcs eux.mêmts: leur cours elt d'abord détourné dans des aqueducs, & de cette mauière on.  C xs5 ) empêche 1'eau de s'imbiber de nouveau dans la terre. Les veines d'eau qui ne font pas affez confidérables pour former un ruifleau, ne font pasnégligées: on Jes recueiile dans des refervoirs ou citernes, d'oü on les conduit fur le terrain qui abefoin d'être arrofé. D'autres citernes fonc deftinées a recevoir 1'eau de pluie qu'on employé au même ufage. Toute eette économie fait honneur au payfan. On trouve dans les environs de Nice une efpèce de pierre, dont on tire la chaux qui fert a la conftruótion des refervoirs & des citernes. Cette chaux eft d'une utilité merveilleufe: elle acquiert peu a peu une dureté qui approche' de celle du ciment, de forte que 1'eau n'y penetrant jamais, ne détruit potnt la msgonnerie & fe conferve d'ailleurs dans les citernes auffi fraiche que dans un vafe de mécal. II faut que je dife un mot auffi de la méthode qu'on fuit ici pour engraiffer les terres. Cet article mérite que j'en faflè une mention particuliere, car je doute qu'il exifte un pays oü 1'on économife avec tant de fointouc ce qui y eft propre. On concoit que le payfan manquant de vaches, &n'ayant d'autre bétail qu'un ou deux anes & tout au plus une couplede chèvres, le fumier doit être M 5  ( i85 ) rare. L'induftrie fupplée h cette difette. On ramaflè tlans des pots toute efpcced'immondices fusceptibles dc putrélaclion, on les enfouit fous terre, on y mêle de 1'eau, & lorsqu'elles font pnrvenues a un certain degré dc fermentation, on les retire & on cn arrofe les racines des plantes. Presque fous les jardins ont des cabinets d'aifance qui aboutiftènt ai grand - chemin, & qui font ouverts k la dispofition des pallans. Kccmpfer dit qu'on trouve au Japon dans tous les grands chemins des maifonnettes deftiaées au meme ufa 'e. Cependant ces reflources n'étant pas foffifantes ici, le payfan va chercher en ville la plus gfaatte partie du fumier dont il a befoin. On y conferve les immondices avec aurant de précaution qu'on en metautrepart a garder des vivres : elles font même un objet de négoce & il y a des maisons qui en vendent annuellement pour cent livres & davantage. Le propriétaire du jardin que j'occupois, avoit pris a ferme la moitié des excrémens des prifoprriers condamnés aux G;;!ères, & il en payoir une redevance annuelle de trois - cents livres. Les gens de la campagne , & furtout les jardiniers vont recueillir ce fumier dans de petits tonneaux, qu'ils chargent enfuite fur leurs ancs. II leur fert nonleulement pour le terroir qui n'eft pas encore enfemencé, mais auffi pour tremper la rac>  ( ïS? ) •ise des légumes. On en nrrofe • nuflf ks feur.es prangers & les arbres nouvellement transplantés. Les ordures qu'on jète journellemetic a Berlin dans la Sprée, feroient vendues a Nice pour le moins 30,000 écus par an. Les jardins font d'un très-grand rapport. Celui que j'habitpis étoit affermé pour la moitié du revenu, & le propriétaire m'a affuré que fa quote-part montoitk mille livres année commune. Ce jardin avoit 150 pas géométriques en longueur fur autanr de largeur: il étoit presque tout potager, a l'èxr ception d'un très-petit nombre de citroniers & d'orangers. Un Jardinier dont j'avois fait la connoisfance, payoit 700. livres de eens mm:;! pour un jardin de la même grandeur qu'il fönoSt en ferme. Les terres plus éloignées de la ville ne font pns cultivées avec le même foin ; auffi fom-eUes d'un bien moindre rapport que les jardins. La plupart font trop peu confidérables pour être afferméesi car la familie qui s'y établireit, en tireroit difficiicment fa fubfiftance. En effet j'ai eu de la peine a concevoir comment ces petites terres peuvenc fuffire al'entretien du fermier & de fa familie, &rendre outre cela un revenu a peu prés équivalent au Propriétaire. II eft vrai que les métayers vivent joiférablement & que Ia culture des champs foufira  ( 188 ) de leur indigence; car leur travail ne rapportant pas affez pour vivre, ils tachent d'y fuppléer par d'autres petits gains, & par la ils négligent 1'objet principal. Quelques - uns des payfans s'occupent & ramaflèr des broffailles,des branchages, les tendrons des vignes taillées, des pommes de pin, qu'ils vont vendre en ville. Le peu d'argent qu'ils gagnent de cette manière ne dédommage afTurément pas du temps perdu. D'autres villageois portent au marché des oeufs, du frommage mou de chèvre «Sc da lait aigre. On trouve dans toutes les faifons de l'année fur le chemin, beaucoup plus de payfans avec leurs anes qu'il n'en refte aux champs. Les^bfervations fuivantes fur la dispofition générale des terres pourront donner une idéé de 1'agriculture de ce pays-ci. A cóté de la maifon qui fait partie de la métairie on laifïe une petite place unie, pour battre ou plutöt pour fouler le blé. On raffèmble la paille en monceaux, ou bien on 1'élève en pyramide autour d'une perche. Un autre petit terrain tient lieu de jardin, mais il ne renferme guères qu'une treille de vigne, quelques orangers ou figuiers, & quelque peu de légumes. Tout le refte eft partagé en couches de dix a quatorze pieds de largeur. Par tout oü le terrain eftuni, on plante des espaliers de vigne le long des féparations des couches.  ( i«9 > de facon qu'elles font enclavées entre deux rangles de vignes. Dans les endroits trop escarpés on fait des terraflès, qui font foutenues par un mur également bordé de vignobles. Les couches font destinées a la culture du blé & des groiïès fèves. Quelquefois, maisrarement, ony plantedeschoux, des artichauts, des pois & quelques autres légumes. Le payfan d'ici ne connoit proprement d'autres fruits de la terre que le blé & les groffesfèves. II y a des terres qui ne manquentpas abfolument d'arbres fruitiers. Les efpaliers renferment quelquefois des cérifiers , pruniers, pêchers, amandiers, figuiers, pommiers &c, mais ces arbres font abandonnés a eux-mêmes & on n'en prend aucun foin, ni pour les enter, ni pour les tailler; auffi ne donnent-ils que du mauvais fruit. On voit dans quelques terres des müriers pour la cuL ture des vers a foie. Les bornes de chaque terre, & en général les endroits les plus raboteux font ordinairement refervés pour des plantations d'oliviers. II y en a des vergers confidérables dans les terres qui font fituées fur des hauteurs, mais dans ce cas même on em. ploye utilement la place qui refte entre les arbres, en y femant du blé.  ( §ü ) Voila a quoi fe réduit toute la richeffe d'une terre des enyirons de Nice. Prairies, paturagtsj ïbrêts, tout ce!a eft inconnu ici. C'eft par uneefpèce d'hafard qu'on trouve de loin en loin quelque collinc dont le fol n'a voulu admettre aucune culture, & ces endroits font les feuls qui produifent des arbres fauvages, chónes Ou ormes, & quelques arbrifleaux. L'herbe qui eroie au pied de ces collines ticnt lieu de pstürage pour les chèvres & les ünes. Le payfan n'a pour bois de cbauftage que les tailles des vignes & de méchantes branches d'arbres: le trbrtic des arbres morts eft rcfervépour la provifion des habitans de la ville. Les fagots que le payfan recienc pour fon propre ufage fuffifent cependant h fes befoins: il ne chauffe point fes chambres en hiver, il fiiit cuire fon pain en ville, & même fouvent il fait la cuifine fans feu; de forte qu'il peut ie paffer presque entièreinect de bois. Ainfi le pröduk des terres confifte cn blé, fèves , raifins, fruits, légumes & une petite quantité de foie, mais 1c revenu principal provient cc riiuile. II eft rare de trouver un arpentquiports du chanvre ou du lin. Les terres les plus confidérables font firuées vers 1'intérieur des montagnes ; elles font riches en vignobles & en plantattons d'oliviers.  { i9i ) Le payfan fe fert d'une lnrge pioche pour becher les champs qu'il doit labourer , & avec cet öutil il remue la terre a un pied & demi de profondeur. De deux couches il en y a une par an qui recoit du fumier, après quoion y fème du blé: fur 1'autre on plante des fèves, & on varie ainfi akemativemenc tous 'es ans. Le blé m'a paru en général fort beau, fur-tout dans les plaines, oü j'ai vu du froment qui s'élevait a la haüteur de ltalgue: les meilleures pièces de terre rendent quinze fois la femence. Je trouve plufieurs défauts a cette économie rurale. D'abord il me fembïe qu'on a tort de rcferver la moitié. du terrain poür. la culture de* grosfes fèves. Ce légume el! d'un affez bon goüc tant qu'il eft verc, mais-quand il efl defféché, il devient d'une acreté infupportable. J'eus an jour Ia curioilré de faire accommoder un plat de ce met, mais il n'étoit pas mangeable. Néanmoins les payfans font fortement attachés a cette miférable nourriture: bien des gens portent des fèves fcuites dans leurs poches & en mangent par friandife. On les donne auffi en aumone aux mendians. II vaudroic mieux felon moi fubflituer a ce légume des pois ou des pommes de terre. En fecond lieu on a tort de négliger les arbres fruitiers dont on pourroit fe promettre un bon rapport r  ( 192 ) s'ïls étoient entés & taillés convenahlement. Enfirï 1'arcicle cffentiel , c'eft a dire la culture de 1'huile eft une nouvelle preuve de 1'inattention du payfan: les oliviers font abfolument abandonncs k euxmêmes, & on ne fonge presque jamais a les tailler & ales nettoyer (*); auffi les olives d'ici font elles beaucoup plus petites que celles de Provence, & dans les terrains raboteux elles ne font guères que de' la grandeur d'une cerife fauvage ou même d'un pois. 11 eft étonnant que Ie payfan laifie périr une quantité prodigieufe d'olives uniquement par pareflè. Celles qui tcmbent de 1'arbre reftent par terre jusqu'a la grande récolte , & alors elles font déja a moitié écrafées ou pourries. J'ai vu plufieurs plantations oü le fol étoit tout a fait couvert d'olives defféchées qu'on avoit négligé de ramaffèn Ainfi le payfan quoiqu'attaché & affidu a fon travail , ne réflechi; pas affez fur les avantages qu'il en pourroit retirer. Avec plus de foin & d'atten- tion (*~) Ces bonnes gens font presque dans le cas des habitans de l'ile de Minor que , qui ne fe font pas avifés encore de tailler leurs arbres fruitiers. Quand on leur en parle, ils répondenc que Ie bon Dies s'emend mieux que perfonne & fa:re croltre les arbres. Voyez la Description de l'ile de Mitwque pat Armfii'ong.  c m) tion il doublèroit aifé.ment fes revenus , mais il eft content pourvu qu'il gagne de quoi fe nourrir miférablement,& il ne s'embarraffs point de fe mettre au deilus de 1'étac d'indigence atiquel il eft accoutumé. J'ai des éloges Jt donner au caradtère moral de ce peuple: il eft bon , doux , laborieux , mais en même temps très-ignorant & incapable de réflexion. Je n'ai jamais entendu ni querelle ni dispute parmi les gens qui pafloient tous les jours en foule fous mes fenétres , pas même entre les ivrognes qui s'y mêloient quelquefois. Les femmes & les jeunes payfannes font des voyages fréquens en ville: elles font montées ordinairement fur des anes, & chemin faifant elles pafient leur temps a filer: le même ouvrage les occupe auffi Iorsqa'elles font des courfes a pied, car elles ont I'adreffè de porter fur la tête en équiiibre les fardeaux dont elles font chargées. La bonne humeur & la gaieté eft encore un caraftère diftinclif de la jeuneflè villageoife. Les jours de fête elle s'affemble vers le foir e» plein air pour danfer: la joie préfide a ces parties de plaifir, mais les excès en font bannis. On a introduit d'ailleurs une espèce de divertiflèment particulier qui n'eft en ufage qu'en temps de carnaval, & qu'on appelle Fefiim. En voici la descoption, N  ( 194 ) Aux dfmanches & autres fêtes d'églife qui font marquées pour ces divertifiemens , les payfans & le petic peuple de la ville s'affemblent d'abord après le diné devant certaines églifes ou chapclles dans le voifinage de Nice. On choifit une plaine peu éloignée de 1'Eglife, oü 1'on dreffe comme en remps de foire plufieurs tables chargées de provifions de bouche, telles que gateaux, raifins, amandes, chÉteignes cuites &e. D'autres tables font deftinées pour le buffet & richement garnies de vin. La s'afiemblenc des perfonnes de tout age , toutes parées de leur mieux , ornées de bouquets , rubans, clinquant & autres collitichets: tout le monde fe prépare a être gai, & achette de quoi boire & matiger : on fe prcffe dans la foule , chacun veut voir & être vu. Lorsque la place le permet, on fe divife en troupes , & on s'affied fous un arbre ou fur 1'herbe ; après quoi on officie le verre a la main. En même temps on dit Vêpres dans 1'églife; le peuple entre & fort perpétuellement pour affister au fervice , & ceux qui ont eu leur tour con, tinuent en attendant le Fe ft in. Le Bourgeois & la Nobleffe même de Nies, viennent y affifler. Ordinairement 1'affluence eft prodigieufe, & les Speéfateurs fe font tous un devoir de partager la joie du peuple. La gaieté règne par tout, fans qu'on fiche trop pourquoi & fans aucun fujet, fi ce n'eft qu'on fe trouve au  ( '95 ) fflilieu d*one cohue de gens désctiuvrés qüi öü£ fy& mé le proj'ec de s'amufer & de faire bonne chère* Le foir chacun retourne chez foi. Ceux des habitans qui font relïés en rille ne négligent point de fe rendre fur le grand chemin pour voir arrivef la caravanne, dans laquelle il y a fouvent des gens affez mal accom modes. J'ai dit que dans ces occafions les vffiag^ois fe piquoient de paroltre dans leur plus grande parure 5 j'ajouterai un mot la-delfts , car j'ai été afiez con* tent de leur habillement* Les hommes furtout ont fort bonne facon dans leurs habits de fête. Ils portent des camifoles de drap qui font bien la taille & qui ne descendent que jusqu'a la ceinture : ils mettent par deffus des espèces de foubeeveftes ou de fracs extrêmemenc juftes ; les manches en font étroites, les paremens bas, les pans d'une coudée de hauteur, & les pochettes a proportion. Ils ajoutent a ce coilume) une écharpe rouge ou bleue qui feit ]e tour du bas-ventre. Les culottes font du même drap & fort étroites , les bas de laine brune ou bleüe. Tout cet habillement eft très-avantageux pour les tailles bien prifes & ne fait pas un feul pli. Hg nouent les cheveux par derrière fans les trefier en queue. Les élégans attachent encore aux boutonRières de la foubrevefle un ruban de foie , un boa* N 3  ( i9<5 J quet de fleurs ou ouelque ornement de clinquant? leurs chapeaux font comme les nótres. Le coftume des femmes m'a paru également de bon goüt. Les jeunes femmes mariées ont feüles le droit de porter des étoffes de foie, parure dont chaque villageois doit faire le cadeau a fa fiancée: cette dépenfe devient ici une obligation comme celle du Ut en Allemagne. L'habillement du fexe confifle en un corfetgarni fur le devant de rubans ou de fleurs , une longue juppe & un tablier, 1'un & 1'autre fans garniture ou falbalas : ces vêtemens font de taffetas rayé pour les femmes mariées, & de cotton peint ou de toiie rayée pour les jeunes filles. L'ornement de la tête eft très-bien imaginé : elles nouent leur ;i chevelure noire en plufieurs treffes, & celles-ci font entortillées de rubans de différente couleur; il réfulte de cet arrangement une bigarrure dont 1'efFet eft très-agréable. Les treffes liées autour des tempes & du front, forment une espèce de couronne qui entoure la tête fans en couvrir le fommet. Une telle parure n'eft refervée que pour les jours de fête: hors de-la les deux fexes portent leurs cheveux dans un filet vert qui tient lieu de bonnet. Cette espèce de filet eft un coftume très-ancien , & fi je ne me trompe il vient des Grecs. Aujourd'hui il eft én ufage tout le long  ( m) de la cóte citérieure de la Méditerranée. Tivif en parle dans fes Voyages de Portugal & d'Espagne, les Portugais 1'appellent redecilU. Au refte les femmes font belles & bien faites: petite tête d'un oval parfaitement bien arondi & d'un profil diftingué: nez bien deffiné avec une legére élévation qui descend du front vers la pointe & qui tient un jufte milieu entre ce qu'on appelle nez pointu & nez camus: yeux noüs d'un regard vif, fpirituel & même un peu malin. II eft fur que le peuple a une forme nationale qui approche beaucoup de celle des Provencaux. Cette diftinétion eft moins fenfible parmi les habitans de la ville. Les gens de la campagne font polis, ferviables & trcs-refpeétueux envers leurs Supérieurs ; il eft hors de doute que leur figure & leur caraétère feroient bien plus aimables encore, s'iis étoient moins accablés du poids de 1'indigence. Ileftfurprenant que dans une fituation auffi miférable, ils confervent leur beauté & leur aétivité, avant'ages dont ilsne font redevables je penfe, qu'au climat feul. Je me fuis procuré quelques lumières fur les producfjons de cette province; j'ai calculé de mê- N 3  ( 198 ) me fes befoins, & je livre ici le rcfultat de Mes recherches. L'huile eft de toutes les prochictions celle qui intéreffè le plus Ie Cultivateur. je puis aflurerhardiment que dans le pays fitué aux environs de Nke on n'a rien négligé pour planter autant d'oIiviers qu'il étoit ppffible : je doute que fur les montagnes même il refte encore place pour un.'Lul, taqdis qu'un grand nombre de ces arbres ne doivent qu'a un travail pénible remplacement & Ie terrain qu'ils occupent.Sur les collines escarpées& pierreufes on a mis a profit des endroits qui ne laisfbient pas méme aux racines de 1'arbre affez d'espace pour s'étendre, & alors on s'eft donné Ia peine de conftruire des espèces de cuves de pierre qu'on a remplies de terre, & de cette marjière on a gagné une place pour planter un nouvel arbre. On eft enchanté de voir avec quelle induftrie les habitans ont fü tirer parti de leur fol: en formant des terraflès lür les collines, ils ont réuffi a créer du terrain la oü la Nature n'en avoit pas laiffé. Ces éloges font düs au territoire de la ville de Nice & a tout le Comté, de même qu a la Principauté de Monaco, & a Ia cóte qui s'étend jusqu'a Qènes. L'huile eft une production d'autant plus précieuf§ pour ce pays-ci, Cju'on eii objjgé de s'en fer-  (m ) vir pour préparer les alimens, Ie beurre n'y érant guères connu que de nom. Le fuperflu de la récolte paflè dans 1'écranger. Lexportation qui fe fait du port de Nice monte annuellement a unmillion de livres; le Comté feul fuflk pour en f'ournir la valeur. Cette huile eft d'une qualité fupérieure, & elle 1'emporteroit fur celle qui eft la plus eftimée, fi on recueilloit les olives avec plus de foin & a temps, & fi on s'entendoit mieux k les prefier. La négligence des habitans fur un arti* cle auffi eflèntiel eft impardonnable. Cette branche de commerce eft caufe que les environs d» Nice font très-fréquentés en hiver. C'eft la faifon oü les cultivateurs débitent leurs provifions, qu'ils transportent en ville dans des outres de chamois. Les monopoleurs guètent fur les chemins 1'arrivée des payfans pour goüter leur denrée, & cónclure le marché avant qu'ils entrent en ville. La couleur naturelle de l'huile eft d'un jaune cUir." ön blanchit au foleil celle qui eft deftinée pour les pays du Nord & en particulier pour le Dannemarc ; par ce moyen l'huile s'éclaircit a la vérité, mais elle perd de fa qualité. Parmi les produétions du pays qui font partie de 1'exportation, la foie tient le fecond rang, mais il m'a paru également que cet objet n'étoit pas afiez fuivi. C'eft un contrafte ridicule que d'éconeN 4  ï *oo ) mifer avec 1'iniuftrie la plus recherchée le fol ingrat refervé pour la plantation des oliviers, & de négliger d'un autre cóté le terrain gras & fertile des plaines, fi propre pour la culture des müriers. Peut-être ce contre - fecs eft - il fbndé fur 1'indolence naturelle aux hommes, lorsqu'un nouveau genre de travail exige d'eux une nouvelle applicaüon. La culture des oliviers eft fans doute connue ici depuis bieo des fiècles, & vraifemblablement elle date déja des anciens Grecs , ou du moins du temps des Romains; au lieu que celle des vers a foie c'y a été introduit* que depuis peu. D'après des informaüons authcnriques le débit de la foie qui fe fait annuellement a Nice, eft eftimé 150,000. livres. La plus grande partie des limons & oranges que le pays produit en abondance, paffe auffi dans 1'étranger. Le calcul fuivant pourra donner une idéé de 1'importance de cet article. Un jardin d'environ 200 toifes en quarré, avoit rapporté dans une année 60,000. pièces de ce fruit. Le millier fe vend ordinairement ti ou *2 livres; or toute la plaine des environs de AT/V 04  ( 21(5 5 €e, quoiqu'il parut aux habitans extraordinnhtment rude. Le froid fur très-fupportabie depuis Ie commeneement de Décembre jusqu'a la ün de Mars. II ne tomba point de neige pendant tout 1'hiver, exccpté fur le fommet des montagnes, & trois fois feulement la gelee fut affez forte pourcouvrir les eaux dormnntes d'une légere glacé, qui disparoiffbit ccpendant d'abord r.près le lever du foleil. Les pluies & les vents des mois de Janvier & Févricr étoient les feüle's incommodités de ce rude hiver. G pendant nous eumes dans ces mêmes mois & furtout en Décembre, des journées délicieufes; aüflïtöc que la tre après avoir été expofé a 1'nir pendant toute Ia nuit > eft descendu le 30. ou 31 Janvier jusqu'a 16? au desfous de la glacé du thermomèrre de Rianmur, Mais ce* Ia ne convient point avec ce que j'ai enreudu dire a une autre perfonne, qui ne vit descendre fon tbermomètre qu'£ II. degrés & démi. Mais lc premier therniomètre a été expofé dans un air fort ouyert de 1'autre cóté, 1'autre dans un endroit bas & entouré de murailles. Ce qui eft fur c'eft que ie froid a été extrêmetnent fort^ ie forte que les payfans cui fe rendertt n !a vTTlê c'egrsfntj Hiatin- emendirent queiquefois Us arbres cclaier, commu' fi £e feu y avoit pni.  f 21? ) pluie ceffoit, la faifon recieveiroit beile & compara* ble aux plus doux printemps de 1'AUemagne. Lair d'ici m'a paru beaucoup plus pur & plus ferein que par tout ailleurs. On peat en juger par la vivacité du fcintillement des étoiles, & par la quantité de petites étoiles qu'on découvre toujours jci, & qui ne font vifibles en Ailcmagne qua dans les plus belles nuits d'hiver. II n'y a guères de ville en Europe qui foit auffi proprë que Nice pour un Obfèrvatoire, car en temps de pluie même on ne s'apercoit point que 1'air deyienne humide ou épais. Ainfi un valétudinaire qui a befoin de respirer un air pur & fee, & de fe tenir en exercice, trouvera a Nice pendant 1'hiver tout ce qui lui eft nécefiaire. II faut cependant qu'il ait affez de forces pour faire de longues courfes & pour gravir des montagnes. La promenade autour de la ville eft a la vérité très-'agréable & affez courte'» mais lorsqu'on aime la variété, on doit choifir ! fes promenades dans les vallées & fur les collii nes, oü la diverfité &. la beauté des chemins, i des vues & des objets eft inépuifable. Dans ces climats la Nature n'eft pas entièreI ment en repos pendant 1'hiver. Les :jardins fonz touiours vens, on y fème & plante fans reMche. 05  C 218 ) Les endroits incultes des montagnes font perpétueïlement couverts d'herbe; dans les plaines on voit des fleurs naifluntes, des arbres chargés de fruits ou en fleurs. Les oliviers & les lauriers portent des fruits pendant tout 1'hiver: les citroniers & les orangers paroiffent en même temps dans tout leur éclat & forment un coup d'oeil magnifique. Les promenades de ces contrées acquiérent un nouveau prix pour un Etrjnger accoutumé aux pays feptentrionaux, en ce qu'elles lui offrent dè toute part des objers inconnus. La vue même des montagnes & des rochers les plus ftérilesde\'ient encore intéreffante par le contralte. D'un cóté Ia Nature fe montre dans le dernier degré de fa pauvreré ; de l'-utre elle étale dans les plaines & dans les vallées tous fes charmes & toutes fes richeffcs. Les fimples, les fleurs & les arbres de ces environs font autanc de nouveautés: les déferts des montagnes offrent gratuitement une quantité de produclions, qui ne réuffiffént dans les cümats du Nord qua forcc de foins & de culture, & qui y font le plus bel ornement ces jardins. J'ai trouvé fur une des montagnes ies plus arides  ( 219 ) tout une forêt du grand aloès d'Amérique: dan*? plufieurs endroits le figuier d'Inde Copuntia') tient lieu de haye: le myrte, le fmilax, le jasmirt jaune, le lentisque, le grenadier, le fumac ,1e fraifier (eirbutus") & d'autres arbrifièaux exrrêmemeht rares chez nous, croïfTènt ici le long des grands chemins & dans les déferts. D'autres montagnes! incultes font couvertes de caroubiers {filiqua'): ce bel arbufie porte la ccfie connue fous le nom de carouge, qui fert ici de pature aux anes. Le revenu annuel d'un tel arbre eft: évalüé a trois livres piémontoifes: d'après ce calcul j'ai de la peine & ajouter foi au rapport de Mr Iwif: il prétend dans fon Voyage en Espagne, avoir vu pres $Alicante un caroubier qui rendoit cent-trente arrobes de fruit, dont on a tiré jusqu'a 70 écus, chaque arrobe contient 26 livres pefant: cet arbre eft appellé en Espagnol garojero. On voit auffi dans plufieurs jardins le dattier, Je gujubier, 1'acacia-mimofa d'Egypte, & 1'a^édarac qui produit une fève fort dure, dont on fait dc's chapelets. Les murailles & les rochers expofés au foleil pouftènt des branches de caprier. En un moe 1'oeil dccouvre partout tant de richeffes dans legeére végétal, que cette contrée confidérée fous ce féul point de vue , eft déja précieufe pour un Amateur.  C 520 ) Ces belles promenades ont cependant leurs incommodirés: les chemins par eux meines étroits & escarpés, font couverts de petks cailloux dé* tachés qu'il faut éviter: fans cette précution on risque de gliiïlr a chaque pas & de ïaire des c'nütes dangereufes. Je fuis iür qu'il en réfblte louvent des accidens faehcux : je le luppofe du moins, d'après le nombre prodjgieux de gens boiteux que j'ai rencontré icr, fur tout parmi le peuple. Un autre inconvénient provient de la nature même du fol : il eftargileux , & fujet par cpnféquent a devenir gliffant en temps de pluie, Le Minéral des montagnes eft de difïerentes espèces , mais ordinairemcnt il ne confifte qu'en Chaux ou en platre, 1'un & 1'aurre d'une qualité fupérieure. Tout le mon- Cimié n'eft qu'une maffe de gypfe. Far-'ci par la il y a queiques veilles de marbre & de cailloux blaucs. ; Autant 1'hiver eft benu a Nice , autant le printemps y eft-il défagréable, a Qaüfe de 1'extrême ïnconftance du temps. On n'en eft jamais für deux heures de fuite. Le vent & la pluie fuccèdent fubitement au plus beau folcil, & le mauvais temps disparo'u un moment après avec la même rapidité, A tout prendre je préférerois infiniment Ie printemps des provinces tempérées del'AIlemagne: auffi les Anglpis qui ont paffé 1'hiver  ( 22t ) dam cps cóntiées, ne manquent ils point dc rev toumer chez eux au mjis deM.rs. Li ville ou plurêt le beur.* de Ville Franche. eft fitué a peu le diftance de Nice au dela du MontAlban. Le fort bati fur cette montagne fert de défenl'e aux deux villes. On fait le chemin de 1'une h 1'autre p;r enu dans une heure de temps, Cur dès qu'on a pafie en fortant de Nice le pied du Montalban , on arrivé devant le port de Ville Franche, qui s'enfonce a une demMieue de la Mer dans le Continent , & s'étend entre le MontAlban & le Cap de Ste. Hospice en forme de qmrré oblong. L'entrée en eft fpacieufc, mais par la même trop expofée au vent du fud. Le port eft afiez vafte pour contenir une flotte confidérable. Le bourg de Ville Franche eft fitué dans le fond de 1'embouchure du port au pied d'un grand rocher escarpé : a fa gauche eft la citadelle fur une petite colline, & plus bas vers 1'Oueft les batimens néeéfiaires pour le fervice de la Mari ne. On a établi de ce cóté un petit port féparé* du grand par un mole : c'eft la que les frégates & galères de 1'Etat fe tiennent a 1'ancre ; l'entrée du petit port eft égalemenc ouverce aux vaifieaux marchands. La cóte occidentale du port , c'eft a dire celle qui eft a 1'Eft du Montalban, n'eft pas abordable paree qu'elle eft remplie de rochers. On navigue  ( 222 ) ceperidant Ie long du rivage dans de petites barqués pour pêcher le corail. La cöte oriëntale du porc eft plus unie, & s'élève fucceffivement en petites collines fertiles qui s'avancent dans Ia mer fur une langue de terre, & eouvrent le porc du cóté de Le bourg & les environs de Ville Franche vus du milieu du porc, olfrenc un coup d'oeil des plus finguliers. Les maiföns ont plutot 1'air d'être accrochées aü rocher, que baues fur un terrain folide; Plufieurs collines qui eouvrent les environs de la ville^ &qui de loin paroifient inacceffibles, font parfemées de maifons de campagne: ellesfemblentfuspendues en fair a peu prés comme ces édifices qu'on place fur des rochers détachés dans les payfages Chinois. Au deffus & a. gauche de la ville, tout eft rocher jusqu'a une certaine hauteur, mais a droite les montagnes font plus balles & couvertes de verdure. Un fuperbe quai, taillé en grande partie dans le focher, conduit de la ville au chantier & aux bidmens qui appartiennent 'a la Marine. Les forces de mer du. Roi de Sardaigne fe réduifent acmellementa deux galères &une feulefrégate de trente-fix canons. (On en cor.frruifoit alors une feconde). Cecte petite Marine eft fervie par deux Compagnies dé  C ) Solcïars, en garnifpn Wille Franche. La frêgate croifeen été dans les parages de l'ile de Sardaigne, pour défendre la navigation contre les Corfaires de laBarbarie* Le commandemenr de la Marine eft aujouri'hui entre les mains du Chevalierde Fonccnex, avamageufement connu dans laRépublique des Lettres par plufieurs excellens morceaUx qu'il a fait inférer dans les Mémoires de 1'Académie de Turin. J'ai recu de ce Savant 1'accueil le plus flatteur; la fociété eft auffi inftruétive qu'agréable, & je me rappèle avec reconnoiffance les momens agréables quelle m'a procurés. J'ai vu chez lui des vafes de terre d'ure espèce fingulière que je ne connoisfois pas encore. Ils font faits d'argile d'un brun obfeur, & fervent a rafraichir 1'eau dans les grandes chaleurs. Cette opération n'exige d'autres préparatifs que de remplir les vafes, & de les expofer a Fair, ou fi 1'on veut au foleil: de cette fa£on 1'eau devient auffi fraiché que fi elle fortoit d'une glacière. La vertu réfrigérante de cet argile provient fa; s doute, de ce que 1'eau qu'on y met fuinte imperceptiblement au travers des vafes, de manière qu'ils font toujours humides extérieurement. On fait au refte depuis longtemps qu'un vafe rempli de liquides fe rafraichit a 1'air. On peut auffi aller a pied ou a cheval de 2W» & a Ville- Franche dans moins A'une heure. On  ( 224 ) Vóit fur ce chemin k mi-cóte, une maifon de campagne appellée la Cafa forte , qui eft devenue céièbre dans la guerre de 1744. Les Francois & les Espagnols après avoir mis garnifon dans la ville de Wee, vinrent camper au pied du Montalban fous le canon de la forterclö. ür.e poignée d'Invaüdcs Piémontois qui s'étoient jètés dans la maifon, raolestoient tellement 1'Armée ennemie, qu'elle crue devoir efiayer de les céloger de cette place; mais la petite garnifon fe défendit avec tant de vigueur, & caufa tant de perte aux affiégeans, que ceux-ci fe virent obligés de lui accorder une retraite honorable. Après la capitulation un Sergent & quinze Soldats fortirent de la Cafa forte, & le Commandant Francois s'étant impatienté de ce que le refte de la Garnifon ne fuivoit pas, le brave Sergent lui répondit, que fes forces ne confiftoient qu'en quinze Invalides, & qu'il n'y avoit point eu d'autres troupes dans la maifon de campagne. L'Officier douta d'abord de la vérité de ce rapport, mais il ne tarda pas a s'tn convaincre a fa grande confufion. Mon intention étoit de quittcr Nice dans les premiers jours d'Avril pour me rendre a Turin , mais comme on m'avoit averti que le pafFage du Col du Tende étoit dangereux dans cette faison , a caufe des neiges & fur-tout des lavangës qui tombent des montagnes, je'fus obligé de différer mon départ  ( 2»5 ) part jusqu'au commencement de Mai. Je devoté faire une partie du chemin fur un mulec, ainfi pour m'accoutumer a cette montüre & pour esfayer mes forces, je voulus me préparer a ce voyage par une petice excurfion dans le voifinage, & je réfolus d'aller voir la Principauté de Monaco. On m'avoic beaucoup parlé de la difftculté des chemins entre Nice & Gènes ; celui que j'avois a palier étoit du nombre. Je profitai donc du premier beau jour pouf me mettre en route avec quelques perfonnes qui avoient bien voulu confentïr a m'accompagner. Nous étions tous montés fur des muiets, & comme nous nous. étions propofés de jpouffèr droit a Menton a 1'extrémité oriëntale de la Principauté, & de reiournerle lendemain a Nice par Monaco, nous primes des provifions pour diner en pleine campagne la oü il nous plairoit. II feroit difficile d'imaginer un chemin plus extraordinaire, plus terrible, & en même temps plus intéreflant. II mène au travers de hautes montagnes qui ne préfentent de toute part qua des rochers arides: fouvent il paife fur la cime même des montagnes par des détours fans fin. Les vues varient presque a chaque pas. Tantót on eft enfermé dans un défert de rochers, oü, P  ( asö ) on n'apercoit nulle ifTue, oü on fe croir. féparê de tout ce qui respire & végète, oü la Nature femble enfevelie dans un engourdiflèrnent mortel. Tout a coup on arrivé dans un lieu d'oü 1'on déeouvre au travers des rochers, la mer & une partie de la cdte, des baies & des langues de terre qui s'avancent dans la mer. La vue fur le Cap de St Hospice eft partieulièrement remarquable. On le revoit \ diverfes reprifes, & il reparoit encore une fois de bien prés, quand on penfe déja en être fort éloigné. Après deux heures de marche nous arrivames au village de Torbie, oü on voit une tour ronde a demi écroulée, qui date encore a ce qu'on prétend, du temps des Romains. Les montagnes voiiines renferment quelques vallées cultivées 05 afiez fertiles. Nous abandonnames ici le chemin qui conduit h Monaco, & nous primes a gauche le long des montagnes, pour tirer droic vers Menton. A une petite diftance de Torbie nous fumes un inftant a la vue de Monaco. La ville étoit fous nos pieds, & nous y diftinguions les rues. Dans plufieurs endroits le chemin commence 5». devenir fort pénible,- il eft couvert de pierres & Wrdé d§ préeipices des deux cotés. A mefure  C 22?) ïJu*ofi descend des montagnes', on recrouve que7* ques plantes féehes qui croifiènt entre les crévasfes des rochers; elles font presque toutes d'une espèce d'euphorbe ligneufe. Vers midi nous arrivames dans un lieu oü la chüte d'un petit ruilfeau avoit creufé entre deux montagnes un ravin, qui s'étend du cóté de la mer. Nous fitnes halte dans cette vallée romanesque pour -y prendre notre repas. Nous avions" eu beaucoup a fouffrir de la chaleur, & la rencontre d'une fource d'eau nous fit grand plaifir. Le ruiflèau forme tout prés du chemin une cascade agréable. Nous eumes d^'ci la vue d'une montagne fituée au Nord de Monaco, qui m'a paru remarquable h caufe d'une quantité prodigieufe de pierres taillées en rond & en quarré qui y étoient répan" dues. On diroit qu'elles ont été rafTemblées lat pour fervir a la confr.ruc~c.ion de quelque grand batiment; mais la colonne principale qui s'élève au milieu de ces pierres, femble indiquer qu'elles font les ruines d'anciens édificej. Peut-être y avoit-il autrefois dans cet endroit un temple d'Zffr-* cule Mmotcus, qui a donné fon nom & la ville de Monaco; je conviens cependant que cec débris occupent trop de place pour qu'on pniffe P 3  < 228 ) puifie foupconner qu'elles ayent appartenus a un leul temple. Je n'ai trouvé perfonne ni a Menton ni a Monaco qui fut en état d'éclaircir mes doutes fur cet objet. Nous continuames notre voyage 1'après-dinée. En fortant du chemin faciguant que nous avioni füivi jusqu'ici, nous entrames dans une belle chausfée appellée la Foye du Prime, qui conduit de Monaco a Menton. On voit a moitié chemin des deux villes, une table de marbre avec une infcription gr:vée, qui porte que ce chemin a "été conftruic en 1722 par le Prince Antoine. Le refte du chemin jusqu'a Menton eft trèsagréable. II paflè fur des collines le long de la cóte, mais il ceffe d'être dangereux. On a la vue fur la mer; le bas du rivage offre de loin \ loin quelques arpens de plat pays, avec des 'cabanes entourées d'arbres & de champs; ces payfages contraftent agréablement avec une cote inculte & hériffée de rochers. Nous jouimes fur cette route d'un fpeótacfe affez agréable, que nous eumes de la peine a comprendre d'abord. La mer étoit calme, & nous obfervions de temps en temps a quelque diftance du rivage une fcintillation qui reffembloic  C *2p ) *ux rayons renvoyés par une glacé expofée au foleil. Cette keur ne duroic qu'un moment, & reparoifioit toujours dans une place différente. Enfin je découvris par une lunette d'approche que ce phénomène n'étoit autre chofe que le jeu de quelques dauphins, qui venoient agiter la furface de 1'eau. La cote commence a s affaiïïer h une lieue en ieca de Menton. Les montagnes fe retirent plus dans 1'intérieur du Continent, & laifient un petit , terrain dont le fol eft rahoteux, mais trés fertile. On craverfe uneforêt d'oliviers d'une hauteur exceflive. II y en a dont le tronc a plus de fix pieds d'épaifièur, mais ils font creux en dedans pour la plupart. Ces arbres fubfiftent fans doutedéja depuis long-temps , car 1'olivier ne croit que lentement. Prés du chemin j'ai obfervé une muraille, qui avoit 1'air d'être les reftes d'un ancien édifice Romain. II y a auffi dans ces environs des terres labourables richement plantées de müriers. En approchant de la ville, on entre dans une plaine ouverte , & de la dans une belle & large chauffëe bordée de deux rangées de müriers. Enfin après javoir paffe une haye de jardin? dont chacun eft une forêt de citroniers , on arrivé \ Menton , ou nous mimes pied a terre vers fix heures du foir, P 3  ( 230 ) Cette jolie petite ville eft agréablement fituée fur les frontières de la Principauté, dans le voifinage de Ventimiglia, proche dela mer. Elle n'a point de port: les vaiffeaux doivent refter k 1'ancre fur la rade a quelque diftance de la ville. Elle eft cntourée au Nord-Oueft & au Nord par les montagnes incultes qui eouvrent cette cóte, & k 1'Occident elle eft bornée par une vallée étroite qui s'étend dans 1'intérieur des montagnes. II eft probable que tout le terrain fitué a 1'Occident de Menton a été autrefois une baye de la mer, & qu'elle a été comblée fucceffivement par les fables & les cailloux que le ruiffeau dont j'ai parlé tantóc, charie de ce cóté en temps de pluie. La ville m'a paru habitée par quelques families' aifées, plufieurs grandes maifons annoncanc 1'opulence. Elle eft bien peuplée k proportion de fa grandeur: les rues étoient pleines de monde, j & tous ces gens avoient 1'air de la gaieté & du i contentement. Le lendemain de notre arrivééj étoit un dimanche , ce qui n'empêchoit point que ij les boutiques ne fuffent ouvertes de bon matin:| les rues principales reffembloienc a une foire ; les É boutiques étoient fort frequenties, pendant que ;t d'un autre cóté on fe portoit en foule a l'Eglife. S Je fuppofe que les habitans tirent leur fubfiftan- I ge de l'huile ? des citrons & des oranges, pro- r  ( 23E ) ductions qui font extrêmement abondantes dans cette contrée. La cuiture des vers a lbie doit également être de quelque rapport. Le Commerce y eft eptre les mains d un pttit nombre deNégocians. Après que nous eumes employé une partie de la matinee a parcourir la vüle, nous remoruames fur nos mules, pour arriver a Monaco vers 1'heure du diné. Nous vimes en paflknt un chateau de plaifance fitué a une demi-lieue de Menton, oü Ie Prince demeure en été lorsqu'il vient vifiter fes petits Etats; le batimentn'a rien de remarquable que fa belle pofition fur le bord de la mer. J'ai obfervé dans la falie a manger une inventiort dont 1'idée m'a paru ingénieufe, quoique peutêtre elle foit fujecte auffi a des inconvéniens. On avoit attaché au plafond une espèce de ventilateur d'étoffe, qu'on met en mouvement a i'aide d'un cordon. Cette machine fuspendue au dcflus de la table, & agitée de part & d'autre comme une cloche, procure un doublé avantage aux convives: elle rafraichit 1'air de la chambre & chafiè en même temps les mouches , qui font une des plus grandes incommodités de ces climats chauds. Le chateau eft entouré d'un jardin de plaifance» mais qui étoit tellement en défordre & couvert de mauvaifes herbes, que j'avois de la peine a re- P 4.  ( 232 ) connoStre le buis qui borde le parterre , & cependant le Prince avoit demeuré ici 1'année précédente. Vraifemblablemenc il n'eft guères accoutumé a fe promener dans le jardin, peut-être même n'y jète-t-il pas les yeux, car ces fortes d'habitations d'été ne font pas d'un grand ufage,- on y paffè la journée dans une chambre dont les rideaux font foigneufement tirés, & la chaleur ne permet point de prendre 1'air avant le coucher du foleil. On feroit mieux de deftiner le chateau pour une réfidence d'hiver. Depuis cet endroit jusqu'a Monaco on ne quitte plus le grand chemin appellé la Voyedu Prince. II a été creufé dans les rochers qui s'étendent le long de la cóte , & qui font fouvent entrecoupés par des abymes. II a fallu élever des murs a cóté de ces précipices , & y conftruire des ponts voütés. Cette entreprife offroit les plus grandes difHcultés, & d'ailleurs il étoit nécefluire de faire fauter plufieurs rochers. Les rochers descendent presque partout jusqu'au bord de la mer. II eft rare de trouver une pièce de terre fur le rivage ; ces petites plages, & les extrémités des ravins qui aboutifllnt a la mer, font les feuls endroits qui fuffent fusceptibles d'une espèce de culture: on y a bati auffi quelques cabanes ifolées. Le refte de la Principauté, fi 1'on  ( 233 ) en excepte le peu de terrain en deca de Menton & au dela de Monaco, n'eft qu'une mafie de rochers qui ne praduifent rien , & qui ne pourront jamais rien produire. On retrouve encore dans les environs de Monaco quelques terres richement plantées d'oliviers; les unes font fituées a la droite du chemin fur le rivage, & les autres a gauche au pied de la montagne ; tout prés de la ville le chemin descend en pente fur le rivage , & cötoye une petite baye qui tient lieu de port. Les dauphins nous donnèrent ici pour la feconde fois un fpeétaelè amufant; nous en vimes une troupe riombreufe qui venoic fis plonger, & je dirois presque folacrer a nos yeux. Monaco eft fitué fur un roeher qui s'avance dans la mer, & qui forme una presqu'ile. On entre dans la ville par un chemin commode qui remonte depuis le port jusqu'au fommet du rocher, mais qui n'eft point praticable en voiture ni même a cheval j paree qu'il eft entrecoupé par plufieurs degres. Cette entrée eft bien fortifiée & gardée par des fentinelles. La cime du rocher eft applanie ou par la nature, ou par 1'art, & c'eft dans cette plaine qu'on a bati la ville. Le chaceau du Prince eft au Nord : fa facade eft entourée d'une grande & belle place , qui répond aux rues prinP5  ( *34 ) cipales. La ville eft petite , mais agréablemene fituée, bien barie & bien peupiée. Le rocher s'é ève presque partout perpendiculaifement fur la mer, de forte que la ville eft abfolument inaccvffible , fi ce n'eft du cóté du Nord Oueft, oü le rocher s'appuie derrière le chateau contre une haute montagne. On a établi dc bonnes fortifications dans tous les endroits qui en avoient befóin. Plufieurs batterie* font poincées fur la roer, tant pour écarter les vaifièaux ennemis , que puur obliger les batimens marchands de jècer 1'ancre, & d'acquitter le péage que le Prince de Monaco a le üroit de lever dans ces parages. Depuis que le Souverain s'eft mis fous la protcétion du Roi de France, ce Monarqueentretiene conftamment un bataillon de fes troupcs en garnifon a Monaco. Le féjour des ces Militaires étrangers apporte quelque argent, & tourne ainfi au profit de la ville. On a de la peine a concevoir la manière dont les habitans réuffiffent a pourvoir a leur fubfiftance. Le petit nombre des jardins fitués furies montagnes &dans la plaine n'y fuffifent aflurément pas malgré toute leur fertilité , & les plantations d'oliviers ne font pas non plus d'une grande reflöurce. Cependant il s'en faut de beau. coup que 1'extérieur de la ville annonce Vim digence : les habicuns ne nianquen: ni de gaieté ni  ( «35 ) de vivacité , & on m'a die qu'ils étoient de bonne fociété. On cite k Monaco un exemple bien rare de fécondité. Mr Roy, 1'un desprincipaux Citoycns, a été père de 34. enfans, dont 17. font encore en vie, tous bien faits & d'une figure agréable. Le chateau du Prince eft d'une étendue confidé. rable, mais il n'a rien de remarquable que fa fituation. On nous y montra comme une curiofité, la chambre & le lit oü le Duc de Tork mourut il y a quelques années. L'avant-cour eft entourée d'un portique qui contient des peintures a fresque: c'eft dommage qu'elles foyent endommagées: je les crois d'un grand Maitre, quoique perfonne n'ait pu m'indiquer de qui elles étoient. La place de parade eft garnie d'une rangée de canons de métal dc vingt- quatre livres de balie, tous montés fur des affuts de fer & pointés vers de la mer. On a d'ici une vue admirable fur le Golfe (T Antibes & fiar la cóte qui s'étend a 1'Orient de Ventimiglia. Nous découvrimes auffi Vlle de Corfe au Sud-Oueft. On m'a afiuré que les revenus de cette Principauté ne montoient guères qu'a la fomme de centmille livres , argenc de France ; ce calcul me paroit affez probable , carle pays ne renferme , outre les deux villes que j'ai décrkes, qu'un feul  C =36 ) peut village fitué fur le fommet d'une montagne inculte. Je ne 1'ai vu que de loin, fans pouvoir deviner d'oü les habitans tirent leur nourriture dans ce défert. Je fuis für que bien des villages en Allemagne polfèdcnt. plas de champs qu'il n'y en a dans toute la Principauté. L'Adminiftration de la Juffice eft confiée a un Tribunal dont le Préfident eft un Jurisconfulte étranger , ufage qui fubfifte dans plufieurs Provinces d'Italie. Ordinairement le Souverainprendcet Étranger a fon fervice pourle terme de trois ans, mais a 1'expiration de ce terme il eft continué encore pour quelques snnées dans 1'cxercice de fa charge. Le Préfident acluel eft Florepcin , fi je ne me trompe: il occüpe fon pofte déja depuis cinq ans. Vers Ie foir nous nous remimes cn rouEe pour retouraera Nice. Le chemin conduit a travers la montagne fituée au Nord-Oueft de la ville: il eft pénible au dela de toute expreflïon. On eft obligé de remonter la montagne a plus d'une demi lieue de hauteur, & ce pafiage eftauflï roide qu'un toit d'églife en Allemagne. Le fol n'eft autre chofe qu'un rocher perpétuel, couvert de cailloux détachés, parmi lesquels il faut choifir d'avance la place ou on veut pofer Ie pied. On comprend qu'un tel chemin n'eft praticable qu'h pied. J'ai admiré I'inftina des mules qui a chaque pas {on-  ( 237 ) doient le terrain <, évitoient prudetnment les cailloux , & ne marchoient jamais que fur un fond folide. Quand on a franchi cette hauteur incommode, on peut remonter fur les mules, & alors on continue a pouflèr vers le Nord. Ici on rencontre de nouveaux dangers. On arrivé a des précipices a cóté desquels la montagne s'élève perpendiculairement. Un chemin taillé dans les rochers conduic autour de ces abymes, mais le pafiage eft fi étroitNgu'unefeule rnule 1'occupeen entier: ainfi tandis que d'une jambe le Cavalier rafepour amfi dire le rocher, 1'autre refte füspendue par desfus le précipice. 11 eft vrai qu'on peut fe fier aux mules: elles ont le pas fur, & font moins fujettes k broncher que les chevaux; cependant il leur arrivé quelquefois de fuccombcr a la fatigue. Mon domeftique en fit 1'épreuve, fa mule s'étant abattue dans cette courfe a diverfes reprifes, mais heurëufement toujours dans des endroits oü nous n'avions rien a craindre. Après une heure de marche nous regagnames Ie village de Torbie, & a dix heures du foir nous rentrSmes fains & faufs dans les portes de Nies. La chanfon fuivante fera connoirre Ia langue du peuple de cette Province; ces couplets ont été compofés par Mr. 1'Avocat Cèriftiani, Juxisconfulte habile & grand Liuéraceur; il eft auffi  ( *38 ) 1'Auteur de la traduétion Italienne que j'ai mife I cöcé de rOriginal. Per /o mariage Dou Prinfe de Piémont embe Madamo Cioiilclo de Fravfo. Canjfon. Che giojo, che allegrefib La rorello al'anffo De Savojo e de Fianflo Produs en toi lü cuor! En degun ten non han Lus pobie d'efto regno Donat autan de feguo L)e regioifi'anfo e araor. O PrmfelTb Clotildo, Come un foleu fias bello, Splendes plus que festello, Che fuorte au fa dou giou. Non li ha rirtü che fio Degno de lai perfono Nadoi per la corono, Che non fi trove en vou. To lo monde au cal tocco La buonur de vo veire, Non lovo fauprias creire Reflo pkn de ftupor. Per tl Matrimonio Del Prencipe èi Piemonte con Madama Qotilda Ui Francia. Canzone. Che gioja, che allegrezza La novella unione Di Savoja edi Francia Produce In tutti i cuori! In wrim tetripo non hann» I popoli di quefto regno Dati tami fegni Di tripudio e d'amor* E Principeffa Clotilda, Come un foie fiete beüa, Splendete piü che la ftella, Che fponta al fer del giornff. Non vi ha viitd che fia Degna delle perfone Nate per la corona Che non fi trovi in vol. Tutto i! mondo al quai tocc* La lorte di vedervt, Non vel faprefle credere, ïlefta pien di ftupors»  Le 3 Mai, De Scarene d Giandoia. Cette journée exige douze heures d'une marche qui devient pénible, k caufe de deux montagnes escarpées qu'il faut gravir. L'une eft prés de Scarsne, & 1'on y monte en zig-zag; comme les différens fentiers s'élèvenc les uns au deflus des autres, & qu'ils font toujours. fréquentés, les obfets s'y préfentent dans une perspeclive agréable. A moitié chemin il y a un pafiage appellé le Col de Jiraus. Au pied de cette première montagne eft Sospello , petit village auffi chécif qu'on peut Pattendre dans un défert. On afait ici 1'impoffible pour fe procurer quelque culture. J'ai vu des lieux du plus difficile accès, oü 1'on avoit écabli des terrasfes qui comprenoienc tout au plus quatre ou cinq toifesquarrées; encore le terrain étoit-il pierreux & demandojt de 1'engrais. De pareils efforts prouvent bien que la nécesfité eft une excellente école pour rendre les hommes induftrieux& laborieux. Peut - être cependant cette même réflexion a-t-elle infpiré k quelques Politiques la mauvaife maxime, qu'il faut accabler le payfan d'impóts pour le forcer au travail. J'ap* pelle cette maxime mauvaife, car fexpérience c\ la cpnnoiffance du coeur humain nous enfeignepf Q  C 34$ ) qui Ia néceffité, quand elle eft une fuitc de I'oppres- I fion, no pfoduit guères d'efFets falutaircs. Jamais | Ia Politique li plus barbare ne réuffira a ctclndre f darts le payfan toute espèce de fenfibilité. L'op- 1 primé conferve toujours Ie fentiment du tort qu'on 1 lui fait: il devienc tétu & pareffèux: il prend en 1 avcrlion un travail dont tout le profic revient a fon I óppreflèur. II n'en eft pas de mème d'une né-j ccffité naturelle accompagnéö de U liberté: le3 I hommes cèJent alors aux circonftances, & de leur | propre gré ils employent les forces du corps & I de 1'esprit pour furmonter les obllacles qui s'oppo- [ fent a leur bien • être. Je répartis a une heufe de Sospello, pour franchir la feconde montagne, & j'allai a pied jusqu'a la vallée nornmée le Col de Erois. La descente óppofée eft dangereufe , & j'y ai remarqué un en. droit qui préiage un malheur prochain, fi on ne le j prévient pas a temps. Les montagnes que j'avois \ déja traverfées confiftent toures en rochers fermes I qui fe joignent enfemble, & ne font gamies de I terre que vers Ie bas; mais Ia place dont je parlól eft couverte d'une efpèce de gravier naturel, c'eftl a dïre d'un fól compofé en grande partie de caitfj loux arrondis, mêlés d'une terre argilleufc. Cel gravier qui repofeapparemment fur des rochers,! commence déja a s'afEiiffer, an point dc caufeï'1 plufieurs crevaffes confidérables. En temps de I  ( 243 ) pluye 1'éau qui découle des hauteurs péhètre dam ces crevafles & amollic la terre qui s'y trouve mê-i lée, d'oü il arrivera que le gravier fe détacherd des rochers & finira par s'écrouler. Le ntfme aö* cident feroit a craindre en cas de tremblement da rerre. Cette efpèce de terrain occupe une étenduc de plufieurs arpens, & domine le chemin qui y revienc en zig-zaga cinq ou fix reprifes; de forte que le danger dure affez longtemps, fans que le Voyageur puiffe 1'éviter par des détours. Ladescente de la partie feptentrionale de cette montagne eft d'ailleurs rendue pénible par quantité dé cailloux qui font femés fur la route, . Dès qu'on a regagné la plaine, on entre dans la petite ville de Breiglio, qui eft enfoncée comme dans un puits au milieu des montagnes. Prés de Ja coule la Roja, petite rivière affez rapide qui fe jètc dans la mer fion loin de Ventimiglia. Ici on fe croit dans un déferc éloigné de toute la Nature 4 mais dès qu'on eft arrivé fur la rivc droite de Ia Rn ja , on découvre une belle vallée qui aboutit h" 1'endroit appellé la Giandole: il a pour toute habitation deux auberges, oü on mange entrautres des truites excellentes. J'ai trouvé dans un ruiflèau voilin de la maifon oü j'étois descendu, def pierres noiratres, connues fous le nom de numX mulairis, qui n'étoient autre chofe que des'Hm*» 0 2  C 244 ) «flacons pétriflés, d'une forme platte & ronde. C'eft la feule pétrificacion de mer que j'ai vue dans Ie Comté de Nice & en général fur les Alpes Mé' ridionales ou Maritimes. Je communiquerai a cette occafion a mes Lecleurs les obfervations que j'ai faites dans ce voyage fur les couches des montagnes. Quelques Savans bornés aux études de leurcabinet, font fort embaraflës d'expliquer la pofition oblique des couche:;, qui nécefiairement doit avoir {ié horizontale autrefois. Ceux qui ont voyagé dans les montagnes & les ont obfervées d'un ceil attentif, concoivent cet effet fans difficulté. II eft hors de doute que les couches des montagnes ont eu primitivement une pofition horizontale , & qu'elles ont été formées par les inondations d'une eau chargée de terre. Cette origine móme peut s'expliquer naturellement, fans qu'il foit befoin d'en attribuer la caufe au déluge, ou de conduire la mer fur le fommet des montagnes. Mais la queftion eft étrangère a mon fujet; je me borne uniquement a rendre compte de la pofition oblique des couches. Quand on fait une fois que les vallées & les précipices ne font autre chofe que des excavations faites par les torrens , on comprend auffi que Iors* qu'une montagne eft creufée & minée de la forte»  ( 245 ) les flancs perdent leur fouticn & doivent s'e'crouj Ier, k moins que d'être des rochers d'une feule j pièce & excrêmemenc durs, tel que le granit. Les rochers de cette dernière espèce réfiftent longtemps a 1'excavation, mais ceux qui font dispofés j en forme de couches n'ayant pas la même durecé, j cèdent beaucoup plus vice. Si 1'éboulement ne fe fait que peu k peu , les I torrensentrainentles morceaux détachés hors de la vallée, & de-lk naic le gravois mêlé de pierres, de fable & de terre, qui compofe presque par tout le fol des pays plats. II fautfe repréfentcrquece même fol faifoit ci- devant partie des montagnes, & qu'étant tombé fuccefiivement dans les vallées, 1'eau 1'a charrié dans les plaines. Mais fi 1'éboulement a lieu tout d'un coup, les couches qui étoient placées auparavant dans un fens horizontal, doivent naturellement changer de pofition après 1'affaifrèment ou 1'éboulement total. Si h partie écroulée venoit k tomber de manière qu'elle fe foutint fur fa hauteur fans être entièrement renverfée, les coaches ci - devant horizontales deviendroient perpendiculaires, mais dans tout autre cas elles prendront une pofition oblique. Cette preuve me paroït fuffifante pour dérnon* trer que 1'éboulement eft la feule caufe du dépla* cement des couches. Q 3  ( 246 ) J'ai oblefvé, ( c'eft entre Scarene & Sospêth , ft fe ne me trompe) une montagne, qui s'étoft vifiblement affaiffëe du cóté du Sud, & du cö:ó du Nord. Au milieu, les couches avoient corifeirvé jeur arrangement horizontal prim'itif, & aux deux cétéé elles avoient prifé une dircérion obliqüe, oppofée 1'une a 1'autre, comme les deux fóëeS d'un' pit cpnflrujt en des c';vae. J'ai trouve fur le même chemin dans plufieurs endroits, des couches qui ne s'é'tendoient pas en droire ligne, mais dont la forme étoit ondoyante. Apparemmcnt que lors de 1'cboulement la m'atière étoit encore molle, & que par la preffion de lbn propre poids elle s'eft courbée dans la chüte. Mais j'ai été frappé ici d'un phénornène bien plus étrange. J'ai vu tóufe une montagne coropofée de couches perpendicubires de pierre a chaux. Élles étoient altcrnativemcnt d'une fnacière blanchc & bleuitré, de forte que toute Ia montagne fe partagecit en bandes parauèlés de ces deux couleurs. Les couches blanéhés étoient d'une pierre ferme & foüde, les autres d'une matiére plus molle, qui fe diffbüt a 1'air. Ainfi les cöuchës bjeuatres étoient cntièremer.t décruites & emportées par 1'eau de pluie jusqu'a . la profondeur i'une dixaine de pieds, La montagne préiéntoiï  ( 247 ) une firite de fillons profonds entrccoupés par autant de bords. Cette découverte curieqfe peut conduire a des . qonjeciures intéreftantes fur Panden état de notre globe, & je m'y arrêtcrai un iriftant. J'ai déja remarqué que 1'origine des différente? couches dans les montagnes doit être attribuée aux inondations. Chaque couche eft le dépöt d'une eau trouble, & le nombre des couches entafïèes luns fur 1'autre, indique celui des inondations. II s'enfuit dela !qu'a 1'endroit dont je parle ces inondations fe font fuccédées très ré/iuièrement puisque celle qui a laiffé un dépot de pierre blanche, a toujours étéfuiyie d'une autre qui a produic une pierre bleuatre. Cette grande régularité fait croire auffi que les inondations font venues de deux endroits différens, & que le limon charrié par 1'eau n'étoit pas de la même efpèce. II en réfulte la queftion conimcnt il a été phyfiquement poifible qu'a la même place deux inondations forties de deux contrécs differentes, ontpu fé fuccéder alternativement avec affez de régularité, pour que la première venüe d'un cóté, ait tou¬ jours été fuivie de la feconde qui partoit d'un au¬ tre cêté. 11 feroit ridicule de rapporter ce phéQ 4  ( 648 ) ttomène au feul hafard: il doit en exifter une caufe naturelle. S'il rn'eft permis d'en dire mon opinion, je penferois que J'une de ces inondations a eu lieü en été, & 1'autre en hiver. Cette conjeéture expliqueroit le changement alternatif des couches. De plus je regarderois 1'inondation d'été comme une luite des grandes chaleurs, qui aurontoccafionné une fonte iubite des neiges fur les montagnes voifines: 1'inondation d'hiver pourra provcnir des pluies chaudes tombées dans undiflricTt moins chargé de neiges. Cette hypothèfe ameneroit une nouvelle question, favoir: pourquoi 1'écé étoit autrefois toujours également chaud, & 1'hiver égalcment pluvieux. On en pourroit alléguer peut • être des raifons afiez palpables, mais une telle discuffion me conduiroit trop loin, & feroit déplacée dans un Journal. Pour revenir de cette longue digrefïïon, je rappellerai encore une particularité du village de Giandola. J'y vis plufieurs petits édifices de pierre qui reffembloient a des cheminées, quoiqu'elles euffcnc des espèces de fenêtres. La destination m'en étant abfolument inconnue , mon Aubergifle m'expliqua qu'on s'en fervoit u^jquc-  ( H9 ) ment pour prendre les pigeons fauvages. Les mèrcs font accoutumées a faire leur nid dans les ouvertures de ces colombiers, & on enlève les petits avant qu'ils ayent des ailes. Le 4 Mai. De Gjandola par le Col de Tend? Ö.LlMOM Le chemin entre Qiandola & Ia petite ville de Tende eil de cinq lieues & demi, & va infenfiblementen montant: il mène a travers d'une vallée étroite , qui fouvent n'eft qu'un précipice. C'eft la Roja qui 1'a creufé, & cette même rivière pourfuit fon cours au milieu de ces montagnes. Elles fe touchent de fi prés que les fommets oppofés font a la portée du piffolet 1'un de 1'autre. ' Ce précipice, ou plutöt ce gouffre eft un pafiage des pius pénibles. La vallée fe rétrécit de plus en plus, jusqu'a ce qu'elle fe perd dans les rochers, oü il a fallu tailler le chemin. Les montagnes féparées par la Roja s'élèvent perpendiculairement, & le gouffre qu'elles laiffent entre deux^ a tout au plus une trentaine de pieds en largeur. Le chemin eft dans plufieurs endroits a 10. 20. & même 50 pieds au dcffas de 1'eau. Q.5  C 250 ) Cette description n'annoncc pas un aspect bien riant. L'obfcurité, le bruit du fleuve, & les rochers fuspendus fur Ia tête du Voyageur, ajoutent encore a 1'horreur du local. Dans les endroits oü les montagnes ne font pas auffi escarpées la marche devient moins effrayante, mais d'autant; plus périlleufe, puisque les rochers y font moins folides, & fujets a s'écrouler. Un tel accident étoit arrivé depuis peu, &je visencore une maffe enorme qui couvroit le chemin par oü je devois paflèr: on fe dispofoit a la faire fauter. Quand on a achevé la moitié de cette trifle courfe, on arrivé au Fort de Saorge ou Saorgio, fitué fur la cime d'une montagne. Les ba,timens ont l'air d'être accrochés auxrochers,& on conyoit encore moins comment on eft parvenu a planter des oliviers dans des licux auffi ftciiles & aufli peu acceflibles. On fe croit a tout moment menacé de la chüte de ces arbres. Derrière Saorgio le gouffre fe rétrécit de nouveau. On y a érigé une table de marbre avec une infcription, qui indique que la conftruftion du chemin a été entamée par le Roi ViEtor Amédée. L'obfcurité m'empêcha d'examiner ce monument de prés, 6c d'ailleurs je ius entrainé par ma mu[e qui s'étoit laiffée devancer. L'opiniatreté indomp. sable de ces animaux devient quclquefuis inlini-  ( 25I ) ment fifcheiifé pour ie Voyageur. II n'eft pas de bras afiez vigoureux pour les arrêter lorsqu'ils font cn train de courir. Si on employoit la force oq risqucroit de les cffaroucher & d'être jèré a bas. Ils ont la fureur de marcher toujours fur le borc!1 des préripices, lors même qu'ils pourroiènt trouver un chemin plus commode. Le plus courc eft de les abandonner a leur caprice, fans quoi on s'expofcroic a de très-grands dangers. Enfin a une petite diftance du fort on regagne une vallée qui conduit au village de Vontania. iej finiffent les oliviers, & la culture des chataigniers leur fuccède. La ville de lende eft encore fituée dans une contrée déferte, qui n'a d'autrés richeffès qu'un peu de paturage. Les habitans tirent toute leur fubfiftance de la dépenfe des Ypyageurs, & du transport des marchatidifes. 11 y a dans cecie ville une petite garnifon, tant pour la füreté du chemin que pour empëcher la contrabande. \ La prpdigieufé quantité, de neige qui étoit tombée depuis quelques jours fur les Alpes, avoit en. tierement abymé les chemins,& le Col de Terne n étoit praticabie que depuis hier. .J'avois déja entendu parler a Nice des inconvéniens de cep:.sfage. Au printemps on tache de le faire pendant la nuit, ou du moins a la pointe du jour, avant que le fbleil ajt amolli la neige: on gagne a cela.  ( *52 ) tm terrain plus ferme, & on évite en même temps les lavanges. Outre ces dangers il en exifte un autre caufé par un vent impétueux qu'on appelIe ici la Tourmente (tormenta'). Heu.reufement les habitans de Tende ont afiez d'expérience pour le prévoir, & ils avertiffènt les Étrangers quand ils en font menacés. . J'étois arrivé a Tcnde vers midi par un trèsbeau temps, & je déübérois fi j'attcndrois felon Pufage l'entrée de la nuit, pour continuer ma route. La crainte du froid Femporta fur les autres difncultés, & je réfolus de pafièr outre. Je louai donc fix poneurs, chacun a raifon de trois livres, & je los fis parrir une heure d'avance, car jc ne voulois me mettre entre leurs mains que lorsque les neiges m'y obligeroient. Je pus faire encore une bonne lieue fur ma mule par une valiée trés-agréable, oü je vis plufieurs ruiflêaux tomber en belles cascades, telles qu'on en trouve fréquemment dans les Grandes Alpes, auxquelles cette partie des montagnes reffèmbie déja beaucoup. En approchantdu Cul de Tende, jedécouvris une immenfe furfacs de neige qu'il me reftoic a traver ièr.  C 2?3 > Arrivé prés de Ia maifon qu'on appelle Caet ou plutót la Cafa , il fkllut enfin mectre pied a rerre, & prendre pofieflion du fauteuil qui devoit me fervir de litière. On y avoit paffe deux batons, auxquels étoit attachée fur le devant une groffë corde pour fervir d'appui a mes jambes,' deux des porteurs fe chargèrent du fardeau, qui étoit foutenu en grande partie par une large courroie fuspendue fur leurs épaules. Le refte de 1'escorte entouroit ma chaife, foit pour affifter, ou pour relever les porteurs. Toute cette montagne eft d'une roideur extréme. Le fentier battu étoit fiétroit, que ma chaife 1'occupoit en plein, & ceux des porteurs qui n'étoient point a la tache, marchoient a cóté dans la neige oü ils enfoncoient a chaque pas jusqu'aux genoux ; mais leurs camarades n'en furent pas mieux partagés, la chaleur du jour ayant détruic déja le peu de feraieté qu'on avoit donné aa chemin. Je craignois que mes gens ne perdiffënt courage &ne fe dégoütaffent ala fin, mais a ma grande furprife ils tinrent bon, & continuèrent a être gais & alertes au milieu des plus grandesfatigues. Nous avions devancé de beaucoup nos mules, & je vis de loin que celle qui étoit chargée de mes bagages s'étoit abattue dans les neiges. Cet accident  ( 254 ) m'mquiéta un peu, mais il ne nous arrêta pas, n; porteurs m'ayant afluré que je pouvois comptcr fur le fecours des payfans qui travailioient aux chemins. Après que nous eumes gagné le fommct de la montagne, je fus efFrayé du dófert de neige qui nous atrendoit de 1'autre cóté;mes gens au contraire ne s'en mirent point en peine, & ils reprirent leur befognc de fort bonne humeur: au bout d'une heure & demie nous retrouvames un chemin fee, après avoir été engagés pendant trois heures ce ftfite dans les neiges. II nous fallut encore une heure pour achever Ia descente, & a fept j'entrai fain & fauf k Linio au pied de la montagne. Mes équipagës y arrivèrent une heure r.près nous. Je fns agréablement furpris de rencontrer dans 1'auberge un Officier de manation, natif de Rhrineck, oü j'avois connu fa familie, & j'eus le plaifir de m'entretenir dans cedéfert , de mes. anciens amis & de mon pays. Cet Officier commandoit ici ïe petit détachement qui y eft en garnifon , & qu'on relève après fix femaineS de fervice. Je fus exempté en faveur de notre connoifiancc, des embarras d'une vifite fur les frontières du Piémont, & il me fit expédier une bolleta ou billet de paslage, qui me procura la libre entree de toutes les villes de la frovince.  ( 255 ) Limon eft une petite ville k 1'extrêmité dela vallée qui s'étend jusqu'au pied du Col de Tende, Elle eft pour ainfi dire la barrière qui fépare le Piémont du Comté de Tende. te 5 Mat. Be Limon par Coni d Savïgliano. Mes mules étoient arrêtées jusqu'a Coni, mais j'avois fait venir h tout événement une chaife de pofte a Linion. Je 1'y trouvai en effet, & je ne balancai pas un moment de Péchanger coatre mon ancienne monture. II refte encore a parcourir une vallée de cinq milles Piémontois, mais les montagnes dont elle eft entourée diminuent fucceffivement, & në font plus a la fin que de fimples collines. Les cöteaux fonc plantés de chStaigniers, & la nature commence a prendre une toute autre forme. Une belle verdure annonce partout la fertilité. Enfin prés du bourg de Borgo a l'entrée de cette vallée, s'ouvrent les plaines délicieufes du Piémont. Ce fut la que je pus respirer k mon aife, & goüter toute Ia douceur du repos après un voyage fi long & fi pénible. Le contrafte étoit des plus frappans. Sorti d'un défert affreux & d'w*  ( »5<5 > chemin déteftable, je me voyois alors dans une contrée riante fans avoir plus ni danger ni fhtigue a craindre. Je me fentis foulagé, & mon ame fe livra involontairement a la joie. Auffi n'eus-je rien de plus preffé que de me jeter iranquillement Ëatis ma voiture, & de jouir en parx de 1'abondance, des richefiès & des agrémens que la terre étaloit a mes yeux. Je me rappellai dans ce raomens le pafiage d'Annibal ïur ces meines montagnes d'oü je dcscendois. Quelle fenfation ne durent point éprouver fes foldats lorsqu'il leur montra du fommet des Alpes le pays délicieux qui devoic être ia récompenfe de leurs travaux. Je fus rendu vers midi a Coni. Cette ville agréablement fituée entre les rivières Gejfo & Sture, eft une des plusimportantes fortereflès du Piémons. Elle a été afliégée plufieurs fois , mais toujours inutilement, & eile porte encore aujourd'hui le nom de Coni la ver&ine. C'eft par erreur qu'il èft dit dans la Géographie de Mr. Büsching, que les Francois s'en font. emparés en 1641. Au nord cfe la ville les deux rivières ont creufé un foffé ■ naturel qui a plufieurs miliiers de pieds en largeur & prés de foixante en profondeur. Le refte du j terrain eft une plaine continue très-bien cultivée ■ qui s'étend jusqu a Turin. Le grand chemin quoique large & bien entretenu, ne m'a point paru afiez foli- I  C 257 ) folide pour réfifter a la pluie, la chauiïee étans moins un pavé qu'une terre durcie. J'arrivai a 7 heures du foir a Savigliano, grande & belle ville dans une fituation agréable. Elle a Pair fort peuplée, a en juger du moins par la quantité de monde que je vis a la promenade. 3'y crus diftinguer beaucoup de gens de condition, & on m'a dit en effet qu'une grande partie de la Nobleffe fe retiroit ici, pour éviter la cherté de la Capitale. Le peuple paroiffoit gai & content. En descendant i la maifon de pofte , je fus recu par le Chevalier de Saorge, a qui j'avois été annoncé a mon infyu-par fonfrère le Père Rofredi de Nice. Je paffai ma foirée avec ce Gentilliomme, auffi aimable, que verfé dans la Liuérature & les Sciences. Lt 6 Mat. De Savigliano d Turin: 20 milles Piémontois. Le pays embellic toujours davantage h mefure qu'on avance vers Turxn. A quelques milles de Savigliano on paffe par Raconigo, oü le Prince de Carigrian a une vafte & belle campagne. Au dehors du jardin il y a une plantation de peupliers blancs d'une beauté peu commune. Les arbres R  ( 258 ) parfaicerhent bien alignés k des diftances égales & a la même hauteur , ont destroncs blnnchatres & des couronnes touffues, & forment des falies qui reflemblent a des poniques entourés de colonnes; les endroits oü ily a plufieurs rangées de fuite, rappellent le doublé periflile des anciens temples Grecs. Carignan qui eft k moitié chemin entre Savigliano & Turin ,n'eft qu'une petite ville, mais pourtant très-agréable. Les différens chemins quiaboutifiènt a la Capitale font tirés au cordeau, & garnis d'une doublé , fouvent même d'une triple rangée d'arbres. On trouve ca & lk de petits bois de peupliers dont la dispofition eft trés-élégante. Avant que de parler de mon féjour k Turin, j'ajouterai encore quelques obfervations que j'ai eu occafion de faire fur la route. Le pays eft cultivé avec le plus grand foin, & on n'a laiffé qu'un petit nombre de prairies pour les paturages. Dans les Iieus les moins fertiles on a établi de petites forêrs de peupliers , de trembles & de faules, mais qui ne font pas d'un grand rapport. On a de la peine k concevoir d'oü le payfan tire le bois qui lui eft nécefiaire pour 1'ufage journalier. Ii faut toute fon économie pour fuppléer k cette difette. On taille k temps les arbres qui bordent les champs, les prairies & même les ruifieaux : les  { 259 ) branches coupées & les farmens de vigne tienheht lieu de bois de chauffage. II n'eft peut-ëtre point de pays oü on faite autant d'attention qu'ici a la plantation & h 1'entretien des arbres. On garnic la tige de ceux qui font nouvellement plantés d'une couverture de paillë cordonnée, & on empéche ainfi le bétail de les endotnmager. Ces treffes font faites avec .autant d'élégance & de propreté que celles dont on couvre dans quelques pays les bouteilles de Verre. Rien de plus joli qu'une rangée de faules tondus,». telles qu'on en trouve plufieurs fur ce chemin. On les taille tous horizontalement a la même haü-, teur , & de loin ces allées reffemblent a des rangées de colonnes avec leurs chapiteaux. Ceux des arbres qui ont pouffé déja les premières branches 4 ont beaucoup de rapport aux palmiers. Cette belle fymmètrie ajoute a 1'agrément du local, &je ne risqüe rien d'avancer que les grands chemins prés de Turin font auffi ornés que les jardins de plaifance dans d'autres pays. On ne fauroït refüfer au payfan les éloges que méritent fon acTivité & fon adreffè. Qüelle différence entre ce peuple la«* borieux & ceux dont les champs & les habitations7 n'offrent que défordre & mal - propreté. J'ri obfervé auffi qu'on ne transplante point ici les arbres dans leur première jeuneffe: on les laiffè dafl-s R *  ( $6*0 ) les pépinières jusqu'a ce qu'ils ayent acquis au moins 1'épaiiTeur du poing. Les champs & les prairies font d'un rapport qui donne la plus haute idéé de la fertilité du fol. On retire plufieurs avantages des mêmes terres dans une feule année. Elles rendent a la fois du blé ou du chanvre, des raifins, des müriers pour les vers a foie, & du bois de chauffage. La culture de la vigne n'exclut point le labourage. On la plante en lignes droites féparées de 16. 20. ou 30 pieds. On laiffè poufier la tige jusqu'a la bauteur de 3. ou 4 pieds, & on noue les farmens en feflons. De cette manière on n'öte a la terre ni le foleil, ni la pluie, & la vigne n'exige pas non plus un entretien particulier, puisqu'elle partïcipe a 1'engrais & au labour qu'on donne aux champs. Tout le Piémont eft richemenc fourni de bêtes a cornes, & il eft rare que le payfan fe ferve de chevaux pour fes attelages. Les villages , autant que les métairies ifolées font batis en pierre; chaque maifon a une grande cour avec quelques batimens nécefiaires pour 1'économie rurale. Les granges ne font que des espèces de hangars , mais pourvues d'un toit qui repofe fur des piliers de brique. En temps de guerre une de ces métaifies pourroit fervir de redoute a une ou deux Com-  ( 26-r ) pagnies de Soidats, tant elles font fpacieufès & folides. Mon compas s'étoit dérangé a Coni, & je ne m'en fuis fervi que de Savigliano a Turin. La diftance entre ces deux villes elf de 159180. pieds de Rhin , ou de 61 milles d'Allemagne. Elle eft calculée a 20 milles du pays , ce qui feroit pour le mille de Piémont 7950 pieds.. II faut deux de ces milles pour une lieue de France, & 10 pour 15 milles communs d'Italie; de forto que ce dernier feroit de 5306 pieds. Du 6 au 21. Moi. Sé jour d Turin. Mr le Marquis de Bezé, Aide de Camp Général de la Cavalerie, que j'avois vu autrefois a Berlin, m'avoit déja invité a Nice a venir loger chez lui pendant mon féjour a Turin. Je profitai de cette offre obligeante,& je paffai chez iuiquinze jours des plus agréables. J'y trouvai une fociété choifie, & mon hote eut Ia complaifance de me montrer lui-même ce que la ville contient de remarquable. Parmi les perfonnes dont il me fit faire la connoiffance, je dois nommer furtout PAbbé Vasco, employé au Département des Finances, le Che valier Debutet% R3 de Rhin , ou de 61 milles d Allematrne. Elle Tu,rin.  C atfa ) Capital ne d'Artillerie , Mrs Cigna, Alïïone % & jPAbbé Denim , tous trois Profeffeurs de 1'IJniferiité. Ce feroit prendre une peine inutile que de faire ]a deseription de la ville de Turin, de fes édifices publiés , & des chdteaux de la familie Royale. D'autres en ont parléavantmoiavezaffez de détail» & on fait depuis longcemps que la Capitale du Piémont doit être mife au nombre des plus belles villes de 1'Europe, tant par la fituation, que par ïa régularité des rues & la beauté des batimens. Je me bornerai donc uniquement aux objets qui m'ont frappé le plus, & dont on n'a point par}é aüleurs. Peu de jours après mon arrivée le Roi & toute la Cour quittèrent la Capitale pour fe rendre a ia Vénerïe. Le cortège n'étoit point fans éclat f& annonccit une Cour accoutumée a une certaine magniflcence. Les rues étoient remplies de fpectateurs, & les carroffes qu'occupoit la Familie Royale étoient escortés par des gens a cheval, des I écuyers, des pages & des gardes, tous en habjts de cérémonie. Je crois avoir remarqué que la nadon aime k prendre part aux divertiffemens de la Maifon Royale, 'ÜSf ie Maitre fe plaic beaucoup a 1'y admettre. J'en fis ms preuve très-diftincte aux fêtes qui fe don-  ( 26*3 ) Herent a la Vénerie pour célébrer 1'arrivée de Ia Cour. On y tira entr'autres un feu d'artifice dans le jardin du cMteau. La cour le vit des fenêcres de la grande galerie, & la terraflè autant que le parterre du jardin reftoient a la dispofuion des fpectateurs de la ville , qui y étoient accourus en foule. Je fus touché de 1'air de fatisfaction qui brilloit furie vifage du Monarque, il étoit aifé de voir que c'étoit moins la fêce que la joie du peu; ple qui fixoit fon attention. A cette occafion j'eus aufli 1'honneur d'être pré- fenté au Roi, & je reeuwde fa part des marqués non équivoques de 1'excrême bonté qui eft la vertu dominante de fon caraétère. Sa Majelté poufla 1'affabilité jusqu'a me dire les chofes les plus obligeances. La phyfionomie de ce Prince annonce une pénétration, une douceur & une tranquillité d'ame , qui ne font que trop rares dans un rang aufli élevé. Indépendamment de ces belles qualités, bien plus eftimables dans un Souverain que dans un particulier, le Roi de Sardaigne fe diftingue encore par 1'amour du travail: illit beaucoup, protégé les fciences, & prend une connoiflance exacte & détaillée des affaires du Gouvernement. C'eft dommage qu'un peu plus de fermeté ne fe joigne pas k toutes ces vercus, R 4  ( *<*4 ) Le feu de joie donc j'ai parlé étoit d'une ordonnance ingénieufe, & au lieu de fe borner a des explofions confufes, il formoic un fpeétacle régulier , donc les fcènes éroienc bien liées , bien contraftées & diftinclemenc cara&érifées. La grande rue qui eft en face du chateau, & le marché auquel elle aboutic, écoienc auffi illuminés avec beaucoup de goüc. J'abrégerai aucant que je pourrai ce qui me refte a dire fur 1'intérieur de la ville. Quoiqu'elle foit crès-belle dans fon enfemble, & les rues principales crès fréquentées, celles qui font éloignées du centre ont pourtant 1'air déferr, & je crois que Turin n'eft pas peuplé % propor. tion de fa grandeur. Dans plufieurs grandes rues écartées , & furtout dans celles oü logenc les Miniftres Étrangers & une partie de la Noblefie, il règne une tranquillité qui prouve que le luxe n'a pas faic ici autanc de progrès que dans d'autres Capitales. Les gens de qualité y mènenc une vie fimple & retirée. Les hotels autant que les édifices publics font infiniment plus élégans dans 1'intérieur qu'ils ne le paroiflèat au dehors. Ce n'eft pas qu'il n'y en ait de très-bien batis & d'une tres-belle apparence, mais ceux même qui promettenc peu par 1'excéfieur , renfermenc Ja plupart du temps une cour  ( 26-5 ) entourée d'une colonnade v des escaliers fuperbes, & de beaux falons. On voit peu de petites maifons bourgeoifes, k Texception de celles qui fubfiftenc encore dans la vieille ville: les maifons les plus communes font vaftes, a plufieurs étages, & baties en pierre, avec des murailles de briqües cuites. Le Roi a fort a coeur 1'embelliflenienc de la ville & on y travaille fans ceffè. J'ai vu démolir a la fois des rues entières. Ceux qui y pofièdent des maifons, & qui manquent d'envie ou de moyens pour les rebaiir a neuf, font obligés de Jes vendre lorsqu'il fe préfente un acheteur dispofé a faire la dépenfè dc fentreprife. La propriété d'une maifon ei"; regardée ici comme le fonds le plus avantageux, a caufe du gros loyer qu'on en recire. Les Eglifes de Turin font plurót remarquables ipar la magnificence & la richeffè que par le goiit. II n'y en a pas une feule donc farchiteélure extérieure foie fans défauc, & oü le dedans ne foit furehargé d'ornemens. J'en excepce pourtant la Chapelle du Grand Hópital, a laquelle je reviendrai. Les édifices publics manquent ici généralement de la noble fimplicité qui caraétérife- l'Architeélure | ancienne dans les beaux fiècles de l'Art. II n'^- a guères d'Amateur d'Architeélure qui R 5 '  ( 266 ) n'ait entendu parler du Père Guarini, fi céièbre par la bizarrerie de fon goöt. II a donné a Turin le plan de différens édifices, qui cous fe diftinguent par quelque fingularké. Sa grande paflion étoit de briller dans la hardiefie de 1'exécution , & PEglife des Théacins en ell un exempie frappant. II aimoit de préférence les lignes courbes, & le palais du Prince de Carignan prouve qu'il les employoit fouvent en dépic des régies & du bon-fens. Le grand efcalier y embrafie les deux cötés du vestibule , & fe trouve ainfi divifé en deux parties dont chacune s elève en courbe. II en eft de même des marches qui font échancrées, les unes extérieurement ou en convexe, & les autres en concave.De pareilles extravagances étoient beaucoup du goüt de cet Eccléfiaftique Architect*, auquel d'ailleurs on ne fauroit refufer de 1'invendon & du génie. Turin a produit deux autres Architeétes, également habiles & fidelles aux régies de leur Art, VAbbé Pbilippe Juvara & le Chevalier Jlperi. On a du premier la fayade magnifique, mais pourtant trop ornée du palais du Prince de Piémont: les principaux ouvrages de 1'autre font la Salie d'Opéra & le Manége RoyaL Les édifices publics de cette Capitale fe refTentent plutót de laprodigalité que de 1'écouomie de leurs  ( 5.6? ) fondateurs. Tels font 1'Univerfité, les Hópitaux, FArfenal, la Fonderië, Ia Manufafture du tabac & du papier, & la Superga. Tous ces Mtimens font dignes de 1'attention du Voyageur, tant pour Farchiteéture que pour les établilfemens mêmes auxquels Ils font deftinés. L'höpical de St. Jean mérite fur tout une diftinction particuliere. Deux grandes falies en occupent le milieu & font difpofées en forme de croix 1'une au deffus de 1'autre. II y a dans chacune deux rangées de bons lits a rideaux le long des murailles» & au centre fe trouve un autel avec le crucifix, qui eft a la vue de chaque malade. A 1'extrêmité méridionale de la maifon eft Ia chapelle attenante aux falies. Elle eft batie en "eerde, & 1'autel avec la moitié de la nef eft enceint d'une colonnade. L'espace au dela de cette féparation eft refervé aux hommes qui habitent la falie d'en bas, & la galerie fiipérieure appartient aux femmes de la falie d'en haut. La chapelle eft dans le vrai goüt de la belle architeéture. Les colonnes font d'un marbre vert tacheté qu'on tire du Piémont (*) mëtne, & qui (*) On trouve auffi de ce marbre vert dans los montagnes voifines de Grenads. Foyex lei Fojages de TviiJJ tn Espagne.  C 268 ) approche beaucoup du vert antique. L'Architecte de cettte églife eft un jeune homme nommé Castelli, qui vit a Turin. Eile a été érigée aux frais du feu Marquis d: Brezé, frère ainé de celui oü je logeois, mais le fondateur étant venu a mourir avant que i'édifice fut achevé, on a fait faire en briques & en ftuc une partie de la coupole & desomemens intérieurs, qui fans cela auroient été également de marbre. On me montra dans cet höpital le lit de mort du malheureux £0, qui cornmandoit a Glaz en Siléjit pendant la dernière guerre. Cette fortereffè regardée comme iroprenable, tomba par fon imprudence entre les mains des Auirichièns, & Ie Commandant disgracié & congédié fe retira dans fa patrie, pour y mourir dans une maifon de pauvres. Dans le grand höpital appellé la Charité, on a placé fous les colonnes de 1'intérieur les buftes en marbre de tous les bienfaiteurs de cette fondation, & chacun y a fa niche. Cette manière d'honorer le fouvenir des Citoyens généreux s'eft confervéc encore dans plufieurs villes d'Iralie, oü elle étoic en ufage chez les Anciens: on la retrouve rarement dans le Nord & dans 1'Occident. On peut mettre auffi au nombre des fondations jsieufes, celle qui porte le nom d'Albergo delle  ( 26*9 ) Virtu. Le Roi accorde dans un grand édifice qui y eft confacré, le logement & d'autres avantages a plufieurs Artifans & Artiftes chargés d'enfeigner gratuitement leurs profefiions a de pauvres garcons. II y a auffi un érabliffement pour les filles. C'eft : une espèce de Communauté dont le plan a été formé fous le Règne précédent par laSignora Rófal le feu Roi 1'a appuyé par des avances & des largeffes confidérables, & la maifon eft aujourd'hui fur un très-bon pied. Elle eft 1'afile d'une quantité de jeunes perfonnes, qui y reftent a volonté, & y font nourries, vêtues & logées. On les occupe fous la direclion de leurs Gouvernantes a différens ouvrages de manufacture, parmi les» quels la fabrique des draps & étoffes de iaine deftinés a 1'ufage de 1'Armée dent le premier rang. La Communauté fuffic feule aux livraifons néceflaires, mais elle eft dispenfée de la teinture & du dernier apprêt. J'ai vu deux enfans de 12 a 14 ans, qui faifoient au métier une pièce de drap de plufieurs aunes de largeur. Les ouvrières font réparties dans différentes falies , oü quelques-unes font employées a filcr & a devider de la foie pour les fabricans, a faire de la dentelle, ou d'autres petits ouvrages de femme. ' Les ouvrières font fort bien traitées & on pourvoit richement a leur befoins. Seulement elles ibnt enfermées comme dans un couvent, & il n'eft  ( szo ) permis a "perfonne d'entrer ni de fortir fans Ie eonfencement de la Première Surveillante, qui dent les clés fous fa garde. J'ai été très-fatisfaic de la police intérieure de cette maifon. Les falies oü 1'on travdile, ainfi que les dortoirs, font fpacieux, propres & dans une expofition faine: on porte la plus grande attention a la nourriture & au refte de 1'emretien. Lorsque les filles font en age de fe marier, & qu'elles trouvent des partis convenables, on leur en laiffè la liberté, & avantque d'être congédiécs, elles font habillées a neuf aux frais de la Communauté. f A cóté des chambres dont je viens de parler il y en a d'autres oü on finit & enmagazine les étoffes fabriquées. On employé des hommes h cet ouyrage, mais toute communication entre les deux fexes eft abfolument ^"ntcrdite. L'Académie de Peiniure & de Sculpture appartient également aux inftitutions publiques, mais elle fe réduit k peu dechofe: la Fabrique Royale de tapiflèries qui y eft attenante, eft plus confidérabie^ & on y faic de très-beaux ouvrages en haute & baffèlice. II me reftea'parler de 1'Univerfité & des établisfemens qui en dépendent. Sans m'arrêter a Ia descripdon des édifices,jem'attacherai a faire con-  (m ) j noïtre fa conftitution intérieure, qui differe beaucoup de celle de nos Uniyerfkés Allemandes. L'Univerfité de Turin eft le centre qui réunit I les établiflêmens publiés de tout le pays , en tant I qu'ils font iéculiers, & qu\ls ont pour objet 1'édujcationdela jcuneffè: tous les colleges & écoles des Etats qae le Roi de Sardaigne poffèie fur le continent de 1'Italie, ont des relations étroites avec cette Unirerfké, a 1'exception feulement des écoles de couvents & des Séminaires épiscopaux. Toutes les écoles publiques font foumifes k \ 'infpeclion & a la direction du Magiftrat de la [Réforme, nommé par le Roi même. II eft compofé du Grand-Chancelier , de quatre Réforma* teurs, qu'on cboifit toujours parmi les ConfeilSlers du Roi, & d'un Cenfeur, auxqüels on affocie Éencore un Affeffeur Jurisconfuke & un Secrétaire.' ['Ce Collége gouverne non feulement 1'Univerfité, (mais auffi toutes les autres écoles fécuÜères du fcpays. II nomme les Réformateurs & Infpeéteurs edes écoles Provinciales; il confère les emplois qui feen dépendcnt, & il a le droit d'en deftituer. II r.n'ya que les ProfefTeurs de 1'Univerfité qui recoivent Beurs patentes du Roi, & ils ne peuvent être dé? Ifpofés que par fon ordre immédiat, mais c'ell le i Magiftrat de la Réforme qui les propofe. II i présent auffi toutes les ordonnances particulières  ( 272 >' qui fixent les travr.ux académiques d'après les conititiuions fondamentales. Au bout de trois ans ce Coüègê préfente au Roi un rapporc fur 1'érat général des écoles publiques* fur les défauts qu'ii y apercoit, & fur les changemens effenriels qu'il croit néceffaires. Au com-> mencement de chaque année académique, qui eft fixé au 3 de Novembre, les Profeffeurs de rUniverfité font tenus de renouveler leur ferment entre les malos dts Membres du Magiftrat de la Réforme: ils doivent s'eilgager en même temps d'obferver une parfaite impartialité dans 1'examen qu'ils font fubir aux Candidats, & de ne point inflruire d'avance les Récipiendaires des queflions & thèfes fur lesquelies on fe propofe de les enrendre. L'un des quatre Réformateurs doit fe trouver régulièrement tous les jours a rUnivcrfité, pour recevo.ir les plaintes des Profeflcurs ou des Etudians* .pour être a portée de vifiter les colléges, & pour. affifter auffi fouvent qu'il le juge a propos, aux exercices académiques tant publics. que paruV culiers. La fonction du Cenfeur eft des plus importantes'." II eft chargé en détail de 1'infpeétion de tous lesi Membres de 1'Univerfité , & ion autorité s'étend" particulièrement fur les Officiers Subalternes. 11 doit fe rendre tous les jours a 1'Univerfité pour yjf main- I  K «73 ? aw'ntenir Ie bon ordre: c'eft a loi qu'ori adrefïl Jes requêres. II examine les atteftations que les jeunes-gens préfentent pour entrer a 1'Univerfité au fortir d'une autre école: il reeoit auffi les té* moignages qu'on exige des Etudiani, lorsqu'ils fou* haitent d'être admis a 1'examen pour être avancés dans une claffè fupérieure, ou pour acquérir un grade académique. Les Profefieurs font tenus de lui préfenter annuellement une lifte de ceux de leurs disciples qui donnent Ie plus d'espérances, & il conferve cette défignation avec foin. II doit veiller au bon ordre du Greffe de 1'Univerfité, revoir & confronter une fois par an Plnventaire des effets & des inftrumens quï appartiennent a 1'Unïverfité, au Mufeum, a 1'Anatomie, & au grand Hópital (Spedak di S. Ginanni). II a de plug 1'infpeftion particuliere fur les Régens des petites écoles de la Capitale , & il doit faire la vifice des écoles de province, auffi fouvent que le Magiftrat de la Réforme la croit néceffaire. Enfin fon emploi lui impofe 1'obfigation d'affifter aux aflèmblées que les différentes Facultés de 1'Univerfité tiennenx entre elles. L'Affiffeur du Magiftrat de la Réforme, qu$ re refte en charge que pendant trois ans, eft en quelqué forte le Juge & le Fiscal de 1'Univerfité. II juge les procés civils , de même que les affaires S  (m > TCrioiincÜÊs de peu dé conféquehce. C'eft a lui qi:é' i'Univerfité & les petites écoles doivent porter' leurs pkinces contre les particuliers d'une certaine' ehflè, tels que les maicres de penfion, proprié-* taires de maifon , libraires & marchands. On n'ofe point appèler. de fes fentences, a moins que la fomme en litige • n'excède Ia valeur de 400 livres. Dans des cas graves il a le droit de faire' empriibnncr 1'accufé , mais c'eft le Fiscal du Roï qui pourfuit le procés devant la Cour fupréme dc Juftice. La nomination du Reéteur de 1'Univerficé dépend immédiatemenr du Roi; cet emploi, donc 1'cxcrcice eft borné au terme d'une année, écheoir toujours a 1'un des plus jeunes Docteurs des trois Paculcés ; les ProfefTeurs en font exclus. Douze Alfcffcurs des Falcultés (Configlieri), élus par' les Etudiaris en corps, propofenc quatre Sujet» pour le Kcétórat, parmi lesquels le Roi défigne' celUi'qui lui eft agréable. Le Reéteur tient les matricules, ajufte les petitsdifférens entre les Etudians, & dénonce les coupables a J'AfieiTeur. Sa charge 1'oblige a veiiler fur la. conduite des Etudians , & il doic fe crouver pour cec efièc tous les jours, le macin & 1'après- ' diné a 1'Univerfité, excepté pendant les vacances. On lui donne pour Affiftans dans cette partie do1  ( 275 ) fon ernploi les douze Conjiglieri des Facultés 5 js parlerai cantor, de ceux-ci avec plus de détail. Les Profeffeurs font partagés en quatre Faculcéa ; comme dans les Univerfités allemandcs. Ils peu1. vent demander la vétérance après quatorze années de fervice, & alors ils jouiffenc fans travail, de la moitié de leurs appointemens. II y a quatre Profeffeurs pour la Faculté de Théologie: un pour Fcxplicatiou de la Bible, deux pour la Théologie dogmntique, qu'on enfeigne d'après la doctrine de Saint-Tkomas , & un pour la Théologie morale, ou plutöc pour les cas de confeience. La Faculté de Médecine a .cinq Profeffeurs , outre deux ProfefTeurs de Chirurgie , & un Profeffeur extraordinaire de la même claflè, qui eft en même temps Chirurgien du grand höpital. I] y a de même cinq chaires de Profeflèurs dans la Faculté de Droit, une pour lc Droit Canon s deux pour le Droit Civil, une pour les Inftitutes du Droit Canon, & une autre pour celles du Droit Civil. La Faculté Philoföphique a fept Profeflèurs.* un pour la Logique & la Metaphyfique , un pour la Phyfique expérimencale, un pour la Morale, deux pour les Machémaciques, un pour 1'Eloquence lacine, & un pour FItalienne; ce dernier enïêigffe atrM la langue Grecque. S a  ( 276 ) Les kcons' Te" font en public aux heures marquées dans 1'slmanac académique , & c'eft le Secrétaire du Magiftrat de la Réforme qui en expédie le programme. La durée d'une lecon eft limitée a Fetpacc de cinq quarts d'heure , dont trois font deftinés a la diclée & les deux autres a 1'explication. Chaque Profefleur doit rédiger fon cours pan écrit, & lorsqu'il eft "empèché foit par des mala-i dies, ou tels autres obftacles , de donner lui même fes kcons, il envoie fes cahiers a celui desi Profeffeurs ordinaires ou excraordinaires qui remplit en attendant fes fonctions. Les cours font plusi ou moins étendus felon 1'abondance de la ma-| tière qui tn fait le fujet: celui de la Bible &j de la Théologie dogmatique eft de cinq annéesc d'autres ne font que de trois, de deux & même; d'une feule année. On n'admet point d'Etudians k moins qu'ilsi ne foyent pourvus d'un témoignage du Collége; qu'ils ont fréquenté auparavant, &il eft du devoirï des Réformateurs de veiller a ce qu'on n'en: recoive point d'entièrement pauvres, ou de trop bafte extraclion. Cette régie fouffre cependant des exceptions pour les fujets qui annoncent des j talens fupérieurs. Pour acquérir quelque grade I académique, tels que ceux de Do&eur, de.!  ( 277") Licencié , cu de Magifier, il fnut ^voir paffé *a 1'Univerfité le temps fixé par les lois : on faic grace d'une couple d'années aux Etudians qui ont déja achevé dans les Colléges de province une partie de leurs études académiques. Chaque Faculté forme entre elle un corps féparé, & chaque corps eft compofé des Profefleurs, de trcnte docleurs & des Etudians. Les Doéteurs ne peuvent fe mettre fur les rangs pour être 2grégésa la Faculté, que deux ans après qu'ils ont été gradués. Chacun des Colléges des quatre Facultés a fon Prieur & trois Confeillers. Le premier eft a la nomination du Roi, les autres au choix des Etudians. II eft permis a chaque Faculté d'érstblir des ftatuts particuliers: le Prieur doit veiller al'obfervation des lóis de fa Communauté : il préfide a 1'examen des Candidats, en fixe le jour, préscric la matière qui doit être discutée, & prend foin que 1'examen fe fafle rigoureufement. On tire de la Faculté de Médecine, les membres du frotomèdicat, Collége prépofé * 1 infpeélion de tous ceux qui exercent laMédecins & la Chirurgie: il eft chargé auffi de faire deux fois par an la vifite des apothicaireries. Pour exercer dans les Etats du Roi les profesfions d'Architecte ou de Géomètre, il faat svoiï § 3  ( *?8 ) ëtudié les Mathématiques a 1'Univerfité, fubir après cela 1'examen, & obtenir un brevet du Magiftrat de la Réforme. II n'eft permis a perfonne de fortir. des bornes de fon art, fous peine d'une grcffe amende. Un Arpenteur (Agrinicnfori} n'ofe point entreprendre un travail qui eft du reffort du Mefureur (Mifaratori), Sc il eft défendu a 1'un & a 1'autre de fe voucr a des occupations qui appartiennent a 1'Arcbitecïe (Architetti). ■Les perfonnes qui font partie de 1'Univerfité jouiflènt de plufieurs prérogatives confidérablesi elles ont entr'autres un droit fur Ie louage des maifons, les propriétaires étantob'igésdeleur donner la préférence, lorsqu'ils offrent le meme lover que le locataire précédent. Chaque Profeffeur eft autorifé a nommer une fois dans fa vie, a 1'un des empiois du Collége Provincial dont je parlerai d'abord. Un Profefteur qui a rempli fa chairc .pendant cinq ans, acquiert d'ailleurs le droit de faire un fldéicommis, prérogative qui n'appartient proprement qua la IVobles» fe. Ceux qui ont été dix ans membres de 1'une. des Facultés, jouiflènt du même privilège. Le Collége provincial eft combiné avec 1'UniTerfité: c'eft une fondation particuliere, qui a rif  ( *f9 > edifjce féparé, deftiné a 1'entretien gratuit des pauvres Etudians des provinces. Les Conftitutions de cette Univerfité m'ont paru afiez remarquables pour être rapportées en détail* Elles datent pour Ia plupart du Règne de Vicior Amédée. Le feu Roi y a fait quelques additions & quelques changemens, & c'eft par fon ordre qu'on a publié en 1772 par la voye de l'imprefiion, tant les conftitutions fondamentales que les ordonnances particulières du Magiftrat de la' Réforme. D'après ce que j'ai eu occafion de voir, je dois croire que les lois de 1'Univerffté foat obiervées avec la plus grande exactitudc. Par un arrangement des mieux entendus, on a déchargé les Profeffeurs de toute e'fpèce d'oc'cupations acccfïbires, de forte qu'ils font cntièremenc mairres de leur temps & de leurs lecons. Ils font d'ailleurs aflèz bien payés pour vivre convenable-' ment. On a déja tant parlé avant moi du Mufèum & dela Bibliothèque, qu'il ne m'en refte plus qu'un mot a dire. J'obferverai feulement que le peu de monumens anciens tirés des ruines de Ia Ville d''bidustriadécouverte depuis peu, doivent être comptés relativemcnt a la perfeétion de 1'Art, parmi les plus beaux reftes de 1'Antiquiré. C'eft dommagc qu'ils n'offrent que des fngmens. Il y era S 4  r »8o 7 a deux furtout qui annoncent 1'ouvragc d'un grand ma'cre. L'un e(l une tête de mécal fondu, dont il «e fubfifte plus que le nez, les fourcils & la lèvre fupérieure , je Fai prife pour une tête de Jupiter: elle eft d'un grand ftyle, & au deftus de grandeur naturelle. L'autre morceau eft un pied de cheval en métal, d'une beauté achevée, & de grandeur naturelle. Les Antiquités Egyptiennes font confervées dans un appartement féparé, dont la céièbre table d"Ifis (tabula ljïaca ) fait le principal ornement. On voit aufli dans la même chambre le bufte d'une femme en bafalte, avec une infcription gravée, par laquelle Mr de Qaignes a youlu prouver le rapport des caraélères Egyptiens avec les Chinois. L'ouvrage même de ce bufte, autant que la nature des caraélères m'ont paru fort fuspeéts, & je me défie un peu de 1'antiquité de ce morceau. On a affigné un fonds annuel de *7oo livres pour la Bibliothéque. On garde dans une chambreexpreffe, un bel herbier peint, deffiné & colorié avec beaucoup de fom, fous la direclion du céièbre JUiine. Cette colleétion, qui renferme toutes les plantes cultivées dans le jardin botanique, remplit déja plus de vingc volumes in folio. Elle s'fnrichic de plus #n plus, a mcfure que le jardin rtcoit dé nouvelles plantes. Les defièins fonf  ( 2fJï ) en grande partie d'un Peintre nommé Peyrderl^ mais il ne travaille plus guères, quoiqu'il tire encore une penfion du Roi. La continuation de 1'ouvrage a été commife a un jeune - homme, diseiple de 1'ancien Peintre. Le jardin horanique eft richement fourni de plantes, & parfaitement bien ordonné. II comprend une partie des jardins de Vulentino , ancien chateau de plaifance du Roi, fitué a une petite diftance de la ville. Parmi plufieurs bons règlemens auxqucls on a aflujetti les étudee, il y en a un furtout que je trouve des mieux imaginés. II eft défendu dan» tout le pays, d'admettre les jeunes-gens aux écoles latines, avant qu'ils ayent paffe un certain temps aux écoles appelées triviales, oü on leur enfeigne la leéiure, 1'écriture & les principes de la langue Italienne. La connoiffance des régies de la Grammaire eft fans doute utile aux enfans , mais c'eft un contre - fens ridicule que de commencer par une langue morce qui leur eft entièrement étrangère. Je ne fais pas trop fi je dois compter h.SociJté des Sciences parmi les établiffèmens publics: elle n'en & proprement que le nom , car jusqu'ici le Roi S 5  ne lui a accordé ni conftitutions, ni lois, ni rangy ni revenus. Voici 1'hiftoire de fon origine. En 775Ó & 1757 Mr la. Gratige, alors fort jeune & reconnu aujourd'hui pour 1'un des premiers Mathématiciens de ce fiècle, rempliffbit a Turin la chaire de Profefieur de 1'Ecole Royale d'Artillerie. Parmi fes Auditeurs fe trouvèrent le Comte de Saluzzo, & le Chevalier de Foncenex, deux génies faits pour cultiver les hautes fciences: a ceux-ci fe joignoit Mr Cigna, grand Naturalifte & Profefieur aétuel d'Anatomie: ils conyinrent de tenir entre eux des affèmblées, dans lesquelies ils fe propofoient de faire toutes fortes d'expériences phyfiques, & de s'entretenir fur des matières de Phyfique & deMathématiques. Le Roi Règnant, alors Prince de Piémont, fut informé des conférences & du travail de ces jeunes Savans, il s'intérefia a leurs fuccès & lés encouragea a continuer. Ils publièrent en effet dans le courant le 1'annce 1759 fous le titre de Mis* cellanca Societatis privata Taurinenfis, un volume de Mémoires très-curieux , & cette collecrion leur valut le brevet de Société Ro3'ale des Sciences, dont le feu Roi les gratifia. Mais depuis ce temps la Cour n'a plus rien fait pour eu;;. II eft probable que de certains Eccléfiaftiques 3 ennemis des progrès de lVsprft humain, ont réus-  £ ?s3 ) • il 11 faire naitre fous.main des obftacles qui ont arrêté 1'avancement de Ja Sociéce. C'eft fans contredic auffi h ces Eccléfiaftiques mal-intentionnés qu'il faut attribuer l'extiême rigueur de la cenfure des livres qui a lieu ósm les Ecats du Roi de Sardaigne. Peut-être auffi ce vice ne s'eft-il introduit que par policique : il importoit autrefois a la Cour de Turin de ménager Famitié du Pape, & cette maxime prévaut encore aujourd'hui, quoique Fir.fluence du Chef Suprème de 1'Eglife fur les affaires du Royaumc aic dimi|iué de beaucoup. Je finirai par quelques obfervations que j'ai cru devoir recueillir en paffan c. Le Gouvernement des Etats du Roi fur le Continent veille, comme de raifon, k i'exécution rigoureufe des lois, mais les Sujers ne font point opprimés. Les terres dépendantes des fiefs font .exemptes d'impöts, & en'temps de guerre feulement le poflèfleur paye la foi-difante Cavalcade. qui fait a peu prés le quart du revenu clair & net. La taille ordinaire fe borne a un pour cent du revenu. On peut comptar pour rien les corvées ■dont le payfan eft chargé. Lorsqu'il y a des réparations a faire aux grands chemins, chaque Paróiffe doit fournir a la vérité fes ouyriers, mais c?eft le Roi qui les paye.  C *$4 > ; La condition des payfans propriétaires eft par conféquent très-heureufe. Ceux qui n'ont point de biens-fonds, deviennent les icrmiers de la Nobleffe, ou de tel autre propriétaire. Les fcrmes font toutes fur le même pied, c'eft a dire que le produit fe partage en portions égalcs entre le propriétaire & le Fermier. La femence eft prelevée fur le tocal de la récoltc, & le maitre fe referve en outre 1'ufufruic des müriers. Le foiri lui appartient auffi exclufivcment, mais il le cède ordirairement a fon fermier pour un prix modique. Les champs Piémontois font difiribués comme ailleurs en arpens, ou proprement en jourr.ées (giornale). Chaque arpent eft d'er.viron 23500 pieds quarrcs , mefure de Rhin. Un arpent des meilleures prairies eft évalué entre 1000 & 1500 livres; les moindres a 6 ou 8co. Les terres labourables , felon la différence des fituations, a 1000. 500. 400. & même 300. livres. Le terrain planté uniquement de vignes vaut 1000 livres, & dans les endroits moins fertiles 5 a 600: on fuppofe avec cela que les feps font en bon état. Les meilleures terres de froment rendent huis ou neuf fois la femence; les moindres cinq ou fix fois. On laboure les champs a quatre ou cinq reprifes avant que de les femer, & après la récolte du blé on fèrae encore du millec ou du petit  ( 885 ) maïs. (*) Les terres maigres ne 'portent qu'une fois. On fcrne dans 1'arrière* faifon des navets fur celles qui ont produit du chanvre; d'autres font deftinées a la culture du riz. Les fruits font abondarts, & j'ai vu vendre aux marchés de Tu~ rin de belles pommes vers la fin de Mai. La Noblefiè du pays elt nombreufè , mais en général peu riche, & il n'y a qu'un petit nombre de families dont les revenus puiflênt être calculés entre 25 & 50000;livres. Tous lesbiens feigneuriaux fans exception font des fidéicommis, de forte que les cadets & les foeurs font très-mal partagés. Les fils doivent entrer nécefiairement dans le fervice militaire, ou fe vouer a i'Etat Eccléfiastique. On m'a parlé d'un Comte Piémontois encore vivant, qui a neuffils, dont 1'ainé vit fans emploi h caufe de la perspeétive de fon héritage, dont le fecond elt Officier, & les fcpc autres Moines. Les fciences font bien plus en honneur a Turin que les beaux-arrs, fi 1'on en excepte peut-être la Mufique. La ville feroit embarrafieé de citer a 1'heure qu'il eft un feul de fes Peincres qui fe fok ( * ) 11 y a deux fortes de blé de Turqule ou de natïs: le graad, qu'on fême au priatemps &qut croic lenteraeut, & le petit [qu'on fème en étd après Ia récolte, & qui afojj en automne.  r &§é )1 ja.it un nom, & le nombre ménie des bons tabléaüx y eft rare. II n'y a que deux Sculpteurs donc on püifIS concevoir quelques cspérancès : OJini, qu'on cfiime furtouc a caufè'de la délicaceflè dc fon tifeau, & Èertiês, donc on f.üc moins de cas,mais que je préfère de beaucoup au précédent: fes .figures font pkines d'exprefiion & de vie. Les fcères Galiani occupent le premier rang parmi les Peintres en décorations de 1'Itaiie. Les Amateurs .de Ia belle Antiquité trouvent chez le Commandeur Gclo'o une Coliection de pierres gravées, que le propriétaire ie fait un plaifir'de montrer aux EtMOgffSi Nous avons ure trés-belle carte topOgraphique des Êtatè que Ie Roi de Sardaigns poffède fur \è Continent : fans comptcr le titro, elle eft en cinq feuilles , chacune t!c fix pieds en longueur fur 13 poüces de Kautéur, Cette' carte gravée pour Ia première fois dans le fiècie pafié , vient d'étre réimprimée avec des addicions ék correeïions fous le titre fuivanc: Carta Cartigfdfica degli Stati di S. M. il Rè di Sardegna, data in luce ddr Ingegnere Borgonio nell 1683. corretta ed accresciuta nelï d, 1772. Je louai uné voiture qui dans deux jours & demi devoit me conduire a Milan: elle me revint a quatre fequins.  ( 587 > Le ai Mai je quitcai Turin, & voyageai efc core dans un beau pays de champs cultivés & de prairies. ChivaJJo fituée adix milles de la Capitale , eft une forterefiè médiocre. Ses environs venoient d'ètre dcfolés par la grèle, & le payfan étoit occupé a recueillir les débris de fon blé > dont il falloit faire du foin ou de la paille. Les arbres même avoient beaucoup fouffert. La grèle eft le grand fléau du Piémont. La plaine eft entourée au midi, au couchant & au nord d'une chaine de hautes montagnes , oü la neige ne fond qu'au coeur de f été ; les Alpes feptenrrionalcs en font même couvertes tout Ie long de 1'année. II arrivé dela que 1'air chaud de Ia plaine eft fujet a être fubitement refroidi par les vents qui viennent des montagnes. Selon une ancienne tradition qui s'eft confervée a Turin, les habitans ont été tentés quclquefois d'abandonner le pays a caufe des ravages de la grèle. On fait que ce fléau ne tombe fouvent que fur la plus petite partie d'un canton, tandis que tout le refte eft épargné. Cette circonftance pourroit fournir une objeétion fondée contre le projec de réunir les terres des payfans en com■munautés, projet dont il a été queftion'dans plitf fjeurs Etats.  ( aSS ) . Ls 2s. Mai. De Cigliano par Vercej> li a INovaure. De Chivaffb 1'on va a Cigliano, ck dela il y a qoinzc milles jusqu'a Vcrcelli. Dans toute cette contrée on s'appüque beaucoup a la culture coup de tort au terroir par des inondations fré~ quentes & par le dépot de gravier qu'elles lais* fent. Le pays gagneroit confidérablement en fertilité, fi on pouvöit reflèrrer les rives de ces torrens rapides, mais 1'entreprife feroit difficile & coüteufe. Novarre eft une bonne fortereffe, & la ville paroit afiez peuplée. J'obferverai en paftiint que dans tout le Piê. mont les bêtes a cornes font blanches; au contraire les cochons y font noirs, & fediftinguent de ceux de rAUemagne par des oreilles larges & pendantes, Le 23. Mai, de Novarre d Milan. Le Te/in fait aujourd'hui la frontière entre le Piémont & le Mildnez. En paflant par Bit fa. lora je fus obligé de décharger ma voitüre & de faire vificer mes coffres. Cette cérémonie eft d'autant plus défagréable , qu'elle eft répétéea l'entrée & a la fortie de chaque ville du Duché. ■ D'ici a Milan le pays eft d'une beauté & d'une ferdlité incotnparables: c'eft pour ainfi dire, un jardin cönrinuel; Les champs produifent a la fois «dij blé, des vignes, & des müriers: vers le grand  ( 200 ) chemin ils font fouvent bordés de haies vives, otf d'utie paiiffade de müriers. Les villages font grands, les maifons des payfans, commodes, bien batics & pourvues de tour ce qui eft néceffaire a 1'économie rurale. Tacite a eu raifon d'appeller la partie fupérieure de la Lombardie, florentijjimum Italitc latus inter Puil um Alpesque. A midi j'arrivai k Maggenta. De ce cöté-ci on cultive beaucoup la navette & 1'espèce de chou appellée colza. Après la récolte on fème encore du millet. Pres de Milan il y a de belles prairies parfaitement bien arrofées. Toute cette contrée eft entrecoupée de canaux, & il n'eft peut-être point de pays en Europe, oü 1'ufage en foit auffi commun & aufli favorifé par le Gouvernement. Voici la diftance des lieux; De Turin k Chivajfo . . 78318 pieds — Chivajfo a Cigliano . . 59663 . . . . Cigliano a Fercelli . . 109568 . . . . — Vercelli a Novarre . . . ?a$io . . . ,' — Novarre a Buffalora . . 55267 . . . .' »-- Buffalora a Maggenta . . 14029 . . . . 00 - . , . {uoi^i . . . . Ainii de Turin a -Milan . . . 438996 pieda ou i?'*f tailles.  II rne refte encore un mot a dire fur le rapport entre les milles de Piémont & d''Italië. On compte 43 des premiers de Turin a IVovarre, ce qui feroit felon ma mefure 7485 pieds pour le même mille que j'avois trouvé ci-devant de 7959 pieds; il eft vrai pourcant que je n'ai pas compris dans le fecond calcul la largeur des rivières que j'ai paffées en barque. La diftance de Turin k Cbi* vajfo ertévaluée a 10 milles, ce qui donne pour chacun 7831. pieds. De Cbivaffb a Cigliano il y a 8 milles, & alors chaque mille ne feroit que de 7458. pieds. Le réfulcat mitoyen de ces diftérentes variations pourroit être de 7600 pieds pour le mille Piémontois. Buffalora eft éloignée de Milan de 16 milles d'Italie: il feroit donc feulement de 5320 pieds. Du 23. au 31. Sé jour a Milan. Je ne m'arrêcerai point a la description de tour, €e que cette grande ville offre de remarquable: j'y ai fait trop peu de féjour pour la bien connoïtre» & d'ailleurs on trouve ces détails dans les Voyageurs qui m'ont précédé. Volkmann en derT 2  C 292 ) nier lieu a ralTemblé dans fes Lettres fur TItaVtê I tour. ce qui peut mériter 1'attention des Ca- I rieux» Je n'eus rien de. plus preffe après mon arrivée I que de me préfenter chez leMiniftre Impérial Com- I te de t'irmian, qui s'eft acquis une reputation ft | brillante par la fagefïè de fon Adminiftration , & | par tant d'établiUemens udles qu'il aformês. Jelui ki avois été recommandé par une lettre du Baron de ï Swietcn, Envoyé de la Cour de Vienne a celle £ de Berlin. 11 me regut non-feulemenr, avec bor> | té, mais j'ofè dire, avec des marqués de diftinétion I que la modeftie m'oblige a paffer fous filence* I Quelque idéé que j'eqffe des grandes qualités de I ce Seigneur, je conviens volontiers que mon at- I tente fut infiniment furpaïïee: fes lumières, 1'éten- I due de fes connoiffances, fon infatigable ac^ivité de 1 fon ame & 1'élévation, devoient néceflairement pro- I duire les fuccès qui ont illuftré fon Adminiftration. 11 me fic 1'honneur de m'introduire dans quelques-unes des premières maifons de Milan , & il auroit certainement contribué a rendre mon féjour encore plus agréable, s'il n'a voit été dans le cas de s'abfenter pour plufieurs jours. M.ilheureufement j'ctois trop preffé de mon cöié pour attendre fon retour.  C 293 ) Mon temps & les circonflances m'impoferem > auffi la néceffité de ne pas étendre les Iiaifons que j'aurois pu former avec les Satans de Milan; 'f je ne parlerai que de ceux que j'ai vus. J'ai trouvé quelques Antiquités remarquables chez VAbbé Triulzi, Gentilhomme déja fur lage, & pour ainfi dire enterré dans fon Cabinec J'y ai diftingué entr'autres: 1 ) Une petite plaque d'ivoire travaillée en haut-reliëf, que j'ai prife pour la couverture d'un ancien livre de cantiques. Elle repréfente 1'Empereur Otton L & fon Epoufe devant le fiège [ du Suprème Pontifc. L'ouvrage eft d'aflèz bon goüt, furtout les têtes & la draperie, ce qui prouve que 1'art du deffin n'étoit pas entièrement négligé dans ce temps, a) Plufieurs peintures faites fur de petites ! plaques de tole avec des inscriptions Coptes. Les figures m'ont paru repréfenter des Saints, & 1'exécution n'en eft pas mauvaife. - 3 ) Une grande plaque d'ivoire fur laquelle on ; voit en reliëf plufieurs événemens tirésde 1'Hiftoire Sacrée. L'Abbé fait grand cas de ce morceau qui I lui fournit ie fujet d'une differtarion. II cffaya de me démontrer , non fans quelque probabilité, que cette plaque faifoit partie du doffier de la chaire T 3  C 29* ) Episcopale de Ravenne, donc on conferve encore aujourd'hui la carcaflè. 4) Une collcction de diptyques, ou d'anciennes cablecces Romaines, parmi lesquelies Je PofTes feur apprécie furtouc celle qui porce Hmage du Conful Ore/les. II précend que les diptyques Confulaires font exceffivemcnt rares , & que la pluparc de ceux qu'on montre dans les cabinets \ datent des Empereurs ou de 1'Eglife Chrétieane. On lit cependanc dans quelques Auteurs Latins que la République donnoit en préfent aux Confuls des tabletces couvertes d'ivoire & travaillées en reliëf. Je fus voir auffi la Bibliothéque de Dcm Cafati, qui remplit ï Milan la fonction de Chef Impérial des Hérauts d'Armes. Sa colleétion unique dans fon e'spèce , n'eft compofée que de pièces dramatiques, & le propriétaire fe flatte qu'il eft parvenu a Ia completter entièrement. II eft certain qu'elle eft trés • nombreufe, & pourroit fournir d'excellens tnatériaux pour une hiftoire du Théatre traliën. Dom Cafati , qui fe diftingue par fa politefiè & fes attentions envers les Étrangers, me montra un petit volume fort rare qui contient quatre Comédies du céièbre Arétin. II me fit voir auffi le deffin original fait par Leonardo da Vinei lui-même, du grand tableau de la Cène (//  Cenacolo), qui fe trouve dans Ie réfeéloire des Dominicains de Ia Madonne delle Grazie. Le deffin eft fur du papier gris, long de lept pieds fur trois de hauceur, mais il n'eft pas aflèz bien confervé pour qu'on n'y apercoive quelques correébons d'une main étrangère. On grave actuellement ce beau morceau. Le tableau original eft une peinture a fresque qui fe trouve dans le monaftère indiqué, au deflus de 1 a porte du veftibule: il offre encore des reftes précieux de 1'arc du Maitre, mais il a été retouche en plufieurs endroits. Des Moines ignorans fe font avifés de faire rehauffer la porte de leur réfeéloire , & en abattant le mur on a fait tomber des morceaux du platre fur lequel la peinture eft appliquée, Cependant le tableau conferve encore de grandes beautés, tant pour 1'ordonnance , que pour 1'exprefïïon des têtes. La perfpeótive furtout en eft parfaitement bien obfervée & portée jusqu'a 1'illufion la plus frappante. Un Religieux Milanois nommé Galkrati, a fait de ce chef d'ceuvre une copie en miniature, a laquelle il alloit mettre la dernière main lors de mon départ. II s'eft donné la peiae de retablir les têtes d'après le grand deffin que j'ai vu chez Dom Cafati, & d'après quelques autres deffins originaux qui ont fervi d'études a da Vinei. Ce Religieux eft en géT 4  '( *9<5 J aéral trés habile en fait de miniatute, & il exceiie furtout dans 1'entente des couleurs. II a copié quelques tableaux a 1'liuile des plus grands Maitres & il a imité avec beaucoup d'art le coloris de les modèles, Parmi les différens objets de curiofité que préfente Milan, la Bibliothéque Ambrofienne mérite en particulier 1'attention des Savans & des Amateurs des Beaux- Arts. La Bibliothéque proprement dite eft placée dans une grande falie quarrée & voütée en trompe: elle n'a de chaque5 cötó qu'une feule fenêtre , qui occupe toute 1'espace entre la voute & la corniche. De cette manière la falie ne regoit le jour que d'en-haut, & les murailles pouvant fe pafTer ainfi de croifées, font entièrement couvertes de tablettes. On monte aux galeries par les escaliers dérobés qui font dans les quatre coins. A cóté de cette chambre'eftle Cabinetdes Manuscrits, & de la on pafie dans celui de Sculpture , oü font expofës outre lés ouvrages de plufieurs Sculpteurs modernes, les moules des plus belles ftatues de 1'Antiquité , telles que le Torfe de Rome , le Laocoon, ÏApollon, VHercule & d'autres. Enfin iTy a une falie féparée pour les tableaux & les deffins. Celle-ci eft remarquable par les canons de Raphatl, done les, figures font deffinées de grandeur naturelle. On  ( *97 J y conferve auffi fous clcf un gros volume fn folio, qui contient un recueil de deffins & de manufcrits de da Vinei. Ce portefeuille eft un monument précieux du génie , du favoir & de 1'aciivité de cet homme céièbre. II s'eft cxercé dans toutes les parties de la Geometrie qui peuvenr sappliquer aux Arts, mais fes études favorites fembloient être la Mécanique, 1'Architecture Militaire & 1'Artillerie , matières fur lesquelies il a laiffè le plus grand nombre de Mémoires & de deffins. Par une bizarrerie fingulière toutes les notes manuscrir.es font d'un caraóïère exceffivement petit, & ce qui eft plus ftchcux encore, écrites a rebours; peut-être da Vinei a t-il ufé de cette précaution pour cacher fes obfèrvations a fes éièves. II feroit a fóuhaiter qu'urwlfomme entendu fe donnac la patience de déchiflrer ces papiers, & fit connoitre encore davantage un Génie dont les produclions, les inventions, & même les fantaifies ne fauroienc qu'être infiniment intéreffantes. Les différens Cabinets de PÏnfiitut Ambrofien rempliffent deux édifices féparés , mais qui fe joignent enfemble par une galerie ouverte , oü 1'on garde une colleftion d'Antiquités Esyptiennes. L'espace qui eft entre les deux badmens elt occu-» pé par un jardin botanique de peu d'importance. Ts  ( 298 ) Le Cabinet des Manuscrits renferme dc grandes richeffès, mais ce qui eft a peine croyabie, on n'en a jamais faic un catalogus. Comme j'en témoignois ma furprife aux Bibliothécaires, ils me répondirent que cette condirion Jeur avoic été irnpofée pour de bonnes raifons par le Fondateur Alexandre Borromée, neveu de Saint Charles; que parmi les Manuscrits raffèmblés a grands frais de toute part, ils'en trouvoit peut être qui avoient été enlevés a d'autres Bibliothéqucs , & qu'il étroit a craindre qu'on ne les réclamat fi on venoie s découvrir oü ils font. II eft donc très-apparcnt qu'on renferme ici maint tréfor littéraire, ignoré & inconnu jusqu'a préfenr. On me mon tra quelques-unes des pièces les plus rares , entr'autres un Jofephe écrit fur du papier d'Eirypte , & Hn Nouveau Teftament, mais fans les Evangiles, en quatre & a certains endroits en cinq langues. Le texte Grcc eft écrit avec la plus grande propreté, mais les caractères font différens de ceux dont on fe fert comraunément. L'une des traduclions paffe pour être Armenienne. II fe trouve auffi dans cette falie plufieurs portefeuilles de deffins des plus célèbres Peintres; quelques-uns font de da Vinei. Les Chefs de 1'Inftitut fe propofent d'y établiï une imprimerie fur ]e modèle de celle de Farms,  C 299 ) Cette dernière a été fondée par ordre du Duc Règnant fous la direétioh d'un nommé Jean Bétpiijle Bodoni, & fes prefiks vienncntdelivrer a l'occafion du marisge du Prince de Piémont, un échantillon remarquable de 1'écat de perfection auqueJ elles font arrivées. L'ouvrage eft imprimé in folio, & a pour titre: Epitbalamia exoticis linguis reddita. Parma ex Regio Tjpographco. 11 contient des complimens de félicitation dans toutes les langues anciennes & modernes dont les alphabet foyentparvenus jusqu'a nous. Chaque couplet eft cntouré d'ornemens allégoriques très-joliment gravés, & on a mis a cóté du texte original une traduétion italienne. Les caractères font de la plus grande beauté; ceux que je connois du moins 1'emportent fur les imprefïions les plus renommées pour leur élégance. Enfin on a épuifé dans ce volume tout le luxe typographique, & quoique trés-indifférent quant au fond, 1'exécution en eft très-intérefiante & très-curieufe- Le projet qui occupeaftuellement les Directeurs du Collége Ambrofien me rappelle quelques autres établiflèmens entrepris a Milan par ordre du Gouvernement. On oblige tous les Ordres Monaftiques qui font riches, a concourir par une inftitution par-  ( 3oo ) tfculière a I'avancement des fciences St des lettres. Tel Monaftère eft chargé de raflèmbler un Cabinet d'Hiftoire Naturelle, un fecond doit former une colleétion d'inftrumens de Phyfique expérimentale , & ainfi des autres. Le grand Couvent de S. Ambroife de 1'Ordre de Citeaux, a dü faire graver les plus anciens & les plus rares de fes diplomes. Le Père Venino, qui préfide h ce travail, m'a montré les épreuves de plufieurs planches déjk achevées, qui rendent les originaux avec toute 1'exaélitude poffible. J'ai vu h cette occafion quelques fceaux fort bien gravcs du fiècle des Oitons. Le ci-devant Collége des Jéfuites di Brera, qui eft aujourd'hui une efpèce d'Univerfité, contribue aufii pour fa part a ces entreprifes louables. II a un Obfervatoire des mieux montés, & pourvu d'inftrumens aftronomiques bien choifis Sc d'un grand prix. Je dois dire pour 1'honneur de la partie fenfée des Religienx, que loin de murmurer des nouveaux établifiemens comme d'une ufurpation de leurs droits, ils s'y prêtent de bonne grace. Ils reconnoiffent qu'ils deviennent ainfi utiles k 1'Etat, ck que ceux d'entr'eux qui ont envie de s'appliqueraux études, en retireront également des avan-' tages.  ( 3°i ) Les chaires du Collége di Brera font remplies par des hommes de mérite. Je nommerai de préférence FAbbé Fromont, qui en elf. le ProfeiTeur d'Optique, & qui poflede une grande habileté a tailler le verre. J'ai vu desJunetr.es achromatiques de fa facon, qui ne le cèdent point a celles des DollonQft. des Ramsden, fi même elles ne leur font pas fupérieures. Je rencontrai chez lui par hafard le Doéïeur Foho de Come, Inventeur de ï'éleélrophore, dont il fit plufieurs expériences en ma préfence. Le Comte de Firmian me propofa d'aller paiTer quelques jours a la campagne du Marquis de Recalcati a Monza, & je fus bien aife de trouver Foccaiion de vifiter cette ancienne Réfidence des Rois Lombards: elle eiï a 10. milles de Milan. L'églife de Monza, fondée par la Reine Theedelinde, eft céièbre par fon tréfor, oü Fon con* ferve entr'autres la couronnede fer des anciens Rois de la Lombardie. Les archives & la petite bibliothéque font également remarquables par les ticres & documens qui y font dépofés; la garde en eft confiée au Chanoine Frifi, frère du Mathématiden de ce nom. Je ne parlerai point en détail des objets curieux que j'ai vus a Monza. Le Savant eftimable qui me les montra, fe propofe de h$  C 302 ) décrire dans une fuite de diflèrtations, dont deus ont déja paru. Cet ouvrage exigeoit des recherches pénibles, qui font hor-neur a 1 érudition de 1'Auteur; leritre eft.: Memorie dellaCkiefa Monzefe, raccolte e con varie differtationi illuflrate da Anton Franc: Frifi,MilaneJ'e. èkc. Le premier mémoire eft imprimé en 1774, 1'autre en i0<5. Ils font enrichis de quelques eftampes qui repréfentent les morceaux les plus curieux du trélbr. II refte encore des ruines du ch&eau Royal de Monza: d'ailleurs la ville eft afiez agréable, & fe foutient en partie par fes fabriques. L'Eglife de Monza fë conforme aux cérémonies de celle de Rome, tandis qu'a Milan on fuic le rite Ambrofien. Cette diverfité de culte me rappelle une anecdote qui fait juger quj; les Milanois ne s'accommodent pas trop des abftinences de la Religion Catholique. Les jeunes n'arrivant pas dans les deux villes au même' temps, on en pronte réciproquement; de facon que les Milanois vont pafier leurs jours maigres a Monza, & les habitans de Monza fe rendent a Milan quand a leur tour ils ont envie de fe fouftraire au jeune. Dans la Ca. pitale les préceptes de 1'Egüfe influent aufli fur le Spectacle: il ne commence aux jours maigres qu'a dix heures du foir, & on tache de ne pas finir avant minuit, pour qu'en fortant les Spectateurs  ( 33 ) puiffènt faire gras 3t leur fbuper. H arrivé de la que la repréfentation traine fouvent en longueur, * & les Comédiens fe permettent même d'ajoucer aux fcènes, des inepties de leur compofition. On a beaucoup parlé du Dooie de Milan, au. quel on travaille déja depuis plufieurs fiècles fans qu'il foit apparent qu'on parvienne jamais i 1'achever. On ne deftine annuellement qu'une certaine fomme pour la continuation de cet édifice. Si par hafard un Sculpteur préfente une ftatue dont on voudroit embellir fEglife, ou qu'un autre Ar* tilte fe charge de quelque onvrage coöteux, on fait un accord avec lui, & on le paye a divers termes a raifon de cent écus par an: fi 1'entrepreneur vient a mourir dans 1'intervalle, fes droits paflènt a fes héritiers jusqu'a 1'extinétion totale de la prétention. Par cet arrangement leDöme n'eft pas expofé a concraéïer des dettes qu'il ne ferok peut-êcre jamais en état de payer, ce qui eft le cas de bien des Eglifes. On en vok beaucoup dans la Lombardie qui ne font point achevées, d'autres même qui ont été abandonnées presqu'auifuöt que commencées. Les Couvents & les Confréries entreprennenc fouvent de grands batimens fur 1'efpérance incertaine de quelque lècours éloigné; & lorsque ces reflburces viennenc a manquer, ils font obligés de ranoncer a leurs projets.  1304) II s'en faut que 1'ignorance & 1'espric de fupei1ftition foyenc entièremenc éteints dans les cloitresRien de plus ridicule par exemple, que 1'importance attachée aux prétendues raretés des Eglifes* Une fonnerie, un ornement, ou telle autre babiole de moindre conféquence, eft fouvent pour les Moines de la baffe claffe un fujet de joie & de triomphe, & toute leur ambidon ne tend qu'a acquérir ces fortes de petits avantagcs. Au refte ce reproche ne tombe en aucune manière fur les Eccléfiaftiques inftruits, qui par leur favoir & par leur mérite font au deffus de pareilles puérilités/ j'ai rendu a ceux-ci, & je leur rends encore toute la juftice qui leur eft due. Les Milanois ont une manière de fe promener qui eft aifez lingulière & donc ils font leur paffetemps favori. Vers le foir les gens de condition & ceux des habitans qui ont équipage , fortenc en 1 voiture pour le rendre au Cours {il Corfo ). Dès qu'on y eft arrivé, les voitures fe rangenc en file, 'on fait la converfation d'une portière a 1'autre, on prend du chocolat , des glacés ou d'autres rafraichiffemens , on relte la des heures entières fans bouger & fans mettre pied a terre. Ceux qui veulcnt poufièr la fatigue un peu plus loin, paffent enfuite fur le rempart attenant du Cours, & detIa ils descendent dans la grande place devant * te I  c 305) le Dóme. Cette promenade dure ordinairemenc jusqu'a 1'heure du Speéhcle ou même jusqu'au fouper. En été on a foin d'arrofer le Cours & le rempart pour abattre la pouffière; on y employé lesCriminels condamnés aux travaux publiés. Pour cet effec on les atrèle a des chariots chargés d'un grand tonneau , dans lequel on faic porter 1'eau aux endroits qui en ont befoin. C'eft un contrafte fingulier de voir d'un cóté une file d'équipages brillaus, dont les maitres pafient leur temps dans la mollefl'e & dans 1'oifiveté , & de 1'autre un train de chariots attelés d'hommes qui font mis au rang des bêtes de fomme. pour la commodité des Riches. Les heures des repas font afiez rml-réglées dans la Capitale: on dine a quatre heures; ck on foupe a minuic. La Noblefie MUanoife vit magnifiquesnent; quelques-unes des premières maifons font de véritables Cours , auxquelles il ne manque que de Grands-Officiers. Leurs palais font de valles ck fuperbes édifices, fompcueufament meublés. Les families riches ont le plus grand foin deconferver l'èclat de leur maifon & de le transmettre a leurs descendans. Le patriotisme de familie, s'il eft permis d'employer cette expreflion , eft ce qui leur tjenc Je plus a coeur, ck on s'emprefie a accumuler les V  < $o6 ) honneurs & les richeflès fur la tête de 1'héritief principal. Ces avantages doivent être ménagés cependanc, le droit d'aïneiTe n'étant point introduit ici. Les ainés ne peuvent recevoir d'autre pré» legs que les biens fitués hors des frontières du Duché: tout le refte de la fucceffion eft parcagé entre les héritiers par porcions égales* On tache de balancer cette reftriction en obligeant les Cadets au célibat, & en les plagant foit dans le fervice militaire, foit dans 1'état eccléfiaftique oü fouvent ils trouvent 1'occafion d'acquérir des fortunes qui retombent après leur mort au Chef de la familie. Auffi les Grands ne négligentils rien pour s'afiurer les bonnes graces du Pape, quoiqu'on s'apercoive aifément qu'ils révèrent en lui moins le Chef de 1'Eglife, que lc Dispenfateur des bénéfites & des dignités. Milan jouit en temps de guerre du droit de fe mettre k couvert d'un fiège, & k 1'approche de l'ennemi elle peut préfenter la clé de fes portes \ mais la Citadelle n'eft point comprife dans ceprivilège, & fi elle étoit obligée k faire une défenfe opinidtre, la ville en fouffriroit égalemenr. Le Duché eft accablé d'impóts, & il fe com* met k ;cet égard de grands abus. L'Etat de guer-  ( 3°7 ) reeft porté a 16000. hommes, tandis qu*on eft* tretient a peine le quart de cette Armee. Ainft les trois-quarts de la fomme qui y eft deftinée, vonc droit a Vienne , fans qu'on faflè attention que par des contributions auffi onéreufes, on épuife peu a peu la Province. Le peuple eft cependant gai, Iaborieux, & autant qu'il m'a paru, a fon aife. II règne dans les principaux quartiers de la ville une aólivité perpétuelle.Les atteliers des Artifans, des Fabriquans & des Artiftes, autant que les boutiques & les m.agafins des Marchands font bien fournis, & les Acheteurs n'y manquent pas. Les boutiques 'des Ocfévres fe diftinguent furtout par une richeffe peu commune; elles doivent une partie de leur éclat a la dévotion, car il n'en eft guère oü on ne trouve des provifions de bras & de jambes d'argent, & quantité d'uftenfiles deftinés a acquitter des voeux, ou a orner les églifes. La Faïencerie de Milan eft encore un objer. digne d'attention. Elle vaut une fabrique de porcelaine, & on y exécute les mêmes ouvrages au même degré d'élégance, tant pour la forme, que pour la peinture & la dorure; la feu» le différence confifte dans la qualité des terres qu'on employé. On fe contente de cette faïence dans les premières maifons pour les ferviccs de »• V a  ( 368 5 ble; elle eft cependanc trop chère en comparaifori de la pörcelaine. Parmi les gens de Iettres dont j'ai fait la connoiffance h Milan, je dois citer avec une distinftion honorable le céièbre Marquis de Beccaria. Son excellent Traité des délits & des peines 1'a fait connoïtre avantageufement dans toute 1'Europe, & fon Traité fur le Style 1'a mis au rang des meilleurs Critiques de nos jours. II eft actuellement Intendant des vivres (Prefetto deW Annona), & ce pofte pénible ne lui laiffè guère de loifir pour fes occupations littérairei. L'exportation des grains eft défendue dans la Province, mais dans certains cas elle eft permife ades perfonnes privilégiées; ce qui donne lieu a des détails fans nombre. Le Marquis de Beccaria m'a dit qu'il avoit raffemblé depuis plufieurs années les matériaux d'un fecond ouvrage fur le Style, mais qu'il manquoit de temps pour les mettre en ordre. Son traité des délits lui auroit attiré felon toutes les apparences de grandes perfécutions, fans la proteftion éclairée du Miniftre qui eft a la tête du Duché. La reconnoiffance m'engage a nommer encore deuxSavans eftimables, qui m'ont comblé d'hon-  C 309 ) nêtetés. L'un eft le Pcre Soave, Pliilofophe profond, Auteur d'une diflêrtation fur 1'originc des langues, qui a obtenu a 1'Académie de Ber- • lin X Accejjit du prix remporté par Mr Herder. Le fecond eft 1'Abbé Amoretti, jeune homme aimable, & 1'un des Editeurs de 1'Ouvrage périodique intitulé; Scelta di opuscoli interejj'anti tradotti da varie lingue; journal qui eft écrit dans le goüt iu Magafin de Hambourg. Ce même Abbé a traduit aufti en vers italiens une colleétion choifie des Fables de Gellert. Enfin je n'ai pas moins d'obligation a Mr le Confeilfer Pecis, dont les bons fervices m'ont été infi. niment utiles. Je m'étois flitté de m'arrêter encore quelque temps a Milan, & d'aller dela a Pavie, mais je vis mes projets renverfés tout ï coup. Depuis mon départ de Nice j'avois joui d'une afiez bonne fanté; a peine arrivé a Milan je commencai a cracher le fang, mes jambes s'enflcrent & je me trouvai dans le plus grand embarras. II ne me reftoit d'autre parti a prendre que de m'expofer aux fatigues d'un voyage par les Alpes , ou d'attendre 1'iflue de ma maladie dans un pays étranger. Je réfolus a la fin de pourfuivre ma route, & je quittai Milan le 31. de Mai. V 3  Voftte C 310) Le 31 Mai: de Milan par Come k CoDELAGO. J'aurois pu diriger ma courfe du cóté du Lac Majeur, & voir en paffant les Iles Eorromées qui attirenc ordinairement 1'atrention .des Voyageurs, mais toute réflexion faite, je préférai la voye de Come, perfuadé qu'il ne valoit pas la peine de faire un détour pour un rocher entouré d'eau & taillé en terraflès, qui ne pouvoic guères offrir a ma curiofité que Tart & le travail qu'on y a employé affez mal a propos. Les vues font rares fur la route que j'avois choifie, le grand chemin étant prefque toujours dans 1'enfoncement d'une vallée, formée par les champs fitués des deux cötés. Dans d'autres endroits il eft bordé de petites forêts qui font généralement aflez rares dans ces quartiers. A mefure qu'on apprcche de Co* me, les vues s'éciairciflènt & le pays commence a devenir inégal. On cötoie des collines fertiles, planrées de fuperbes clmtaigniers d'une hauteur & d'une groffeur prodigieuiès. Le tronc de ces arbres, mefuré a une coudée au defius de terre, pouvoit avoirhuic pieds de diamètre, & il y en avoit même de plus épais. J'arrivai a Come vers midi, Elle eft fituée a 1'extrénu'té méridionale d'un lac qui a plufieurs lieues d'étendue, muis dont la largeur elt peu confiiérable: il s'allonge enferpen-  (s» ) tant entre deux chaines de montagnes. La ville eft afiez fréquentée : elle eft 1'entrcpót des marchandifes qui paftbnt de la Lombardie en Suifie, & en partie aufli de celles qu'on envoye d'Allemagne en Italië. Les environs en font très^agréables, furtout du coté du midi, oü les montagnes ne font encore que de petites collines & d'une extréme fertilité: elles s'élèvent fucceffivement le long du lac vers le Pays des Grifons: le rivage Nord-Oueft, voifin de la ville, eft parfaitement bien cultivé. En fortant de Come on entre dans le chemin qui mène en Suifie fur le fommet d'une haute montagne escarpée. On y trouve d'abord a droice un gros ruiffeau qui y a creufé fon lit, & y coule lentement fur des rochers. J'ai cru reconnoitre encore les traces de quelques ornenaens dont on a voulu enrichir les cascades: elles fervent du moins a égayer ce chemin raboteux. Je me plaifois a penfer que Pline le jeune , qui pofïedoit une maifon de campagne dans les environs de Come, avoit peut-être autrefois prêté 1'oreille aü murmure de ces chütes d'eau , avec la même fenfation agréable que j'éprouvois dans ce mot ment. Dès qu'on a paffe la montagne, Ie pays refte toujours également beau; des collines & des valV4  C 3i* ) léés fertiles s'y fuccèdent alternativem'ent. Des feps de vigne foutenus par des arbres, & entrelacés en feitons, ajoucent encore a la beauté naturelle de ces payfages; la force des farmens, jointe a la grofieur des feuilles font une nouvelle preuve de la fertilité du terrain. II feroit difficüe de trouver une contrée qui fut plus propre que celle-ci a une retraite paiüble & tranquille. A trois lieues de Come on quitte les frontières duMilanez, pour pafTer dans lesBailli'aaés Jtaliens des Cantons Helvétiques. Mendri/io eft le premier endroit fitué fur le territoire Suifie. Je ne fu's fi ce fut illufion ou réuliré, mais je crus m'jpercevoir que j etois ewtré dans un pays plus libre, oü le peuple n'étoit point opprimé, oü je découvrois des marqués dilïinctes du bien être des habitans. Et cependanc il s'en faut bien que le Gouvernement desBailliages foit des plus doux,maisdu moins le Sujet y ell lür de n'être point troublé dans la poflcfiion de ce qui lui appartienc, pourvu qu'il évite les procés , & qu'il obéiffo aux lóis. Oii fait que les quatre difiric"ta de Mendrifio, Lugano, Locarno & Val Maggia faifoient partie autrefois du Duché de Milan, & que le Duc Maximilien Sforzia les céda aux Cmtons de la Ligue Iklvétique en récompenfe des fervices qu'ils lui avoient rendus. Depuis cette époque on jp'a rien changé a leurs anciennes lois, libenés &  (3^3) ïlfages, & on les gouverne encore aujourd'hui par des Baillis choifis tour a tour dans chaque Canton. Les Suiffes ne font guères amis de la nouveauté, ils s'en tiennent volontiers ace qui eft une fois établi. Du temps qu'ils acquirent la poffesfion de ces diftricts, Part d'épuifer le peuple par des impóts multipliés étoit peu connu , auffi leurs Sujets haliens en font-ils reftés entièrement exempts, & leur joug eft très-aifé. Comparés a leurs Voifins Milanois ils font réellement libres, & jouisfeilt de plufieurs droits municipaux. Je rapporterai une de leurs coutumes qui s'eft confervée jusqu'a nos jours, & qui eft une preuve de la fimplicité de leurs moeurs. Dansle Bailliage de Locarno, la vallée de Vertasca forme une juridiction féparée. Les affaires civiles y font jugées par un 1 ribunal indépendanr du Bailli, & compofé d'un Podefta, d'un Gouverneur & d'un Chancelier. Les audiences ordinaires fe tiennent a la fin de chaque trimeflre dans un hangard qui eft deftiné a cet ufage. Quelquefois auffi il y a des féances extraordinaires , & le Tribunal s'anemble alors en plein air. Selon l'ufaga recu le Podefta fe place fur une pierre, le Gouverneur s'affied a cóté de lui par terre, le Chancelier fe tient de bout ou a genoux devant une autre pierre qui lui fert de pupitre, & les parties avec V 5  ( 3i4 ) Jetirs Procureurs fe rangent en cercle autour de® Juges. La nuit m'avoit furpris, & je fus obligé de faire le refte du chemin. entre Mendrifio & Cedelago dans 1'obfcurité. Cet accident même eut encore fes agrémens: 1'air étoit rempli d'une quantité de petits vers volans qui jétoient une lumière, dont la fcintillation fingulière m'amufa beaucoup. Le i Juin. De Codeijigo par Lüganq d Bellinzone. Code'agc, ou proprement Cota di Lago eft un lieu ouvert prés du Lac de Lugano. Comme j'étois obligé de pourfuivre mon voyage a cheval par les montagnes , il me fallut renvoyer le Voituriér Milanois qui m'avoit conduit jusqu'ici. Je louai un bateau pour me transporter a Lugano, fituée'a 1'extrémité oppofée du lac. Mon pafiage fut agréable, & ne dura que deux heures & demie. Je vis chemin faifant une colline plantée d'oliviers, les premiers que j'eufie trouvés depuis que j'avois quitté le Comté de Nice; mais les bateliers me dirent que ces arbres porcoient rarement & en petite quantité.  ( 315 ) Lugane eft une jolie petite ville bien peuplée, fituée au Nord du lac auquel elle donne fon nom. Elle eft un des principaux paüages de la Suifie en Italië, & par cette raifon i'entrepót d'une partie du commerce qui fe fait entre les deux pays: les collines des environs font d'une fertilitéadmirable, & 1'induftrie des habitans en a tiré tout 1'avantage poflible. La ville eft d'ailleurs le fiège du GrandBailli. Rien de plus riant que la file des cóteaux qui s'étend 1» long du rivage feptentrional du lac: je fus d'autant plus frappé de la beauté de ce payfage, que je le vis dans une faifon ou la végétation eft dans toute fa force. Quand on confidère le grand nombre d'hommes célèbres qu'un auffi petit pays a produit dans tous les genres , on feroit tenté de croire que la Nature y eft plus active qu'ailleurs. Cette contrée a fourni depuis deux-cents ans plufieurs Savans & Artiftes de la première claflè, qui fe font répandus dans le refte de ritalie, leur patrie n'ofitanc aucune espèce de reflources pour les grands talens. L'hötellerie oü je mis pied a terre, eft le rendez vous ordinaire des Députés que les Cantons envoyent annuellement a Lugano, pour terminer les affaires les plus importantes, & furtout pour juger les procés qui ont été portés par appel devant le Souverain. 'La plupart des Députés, dc furtout ceux des Cantons Catholiques, ont coutu-  ( 3*6) me de laiflèr dans cette maifon en mémoire du féjour qu'ils y ont fait, une grande table peinte qui porte leur nom & leurs armoiries. On donne a chaque Député un poftillon qui le précède fur ]a route dans la livrée du Canton, & qui faic les fonétions de Mefiager d'Etat. Ces fubaltcrnes, pour ne le point céder a leurs maïtres, font égaJement attentifs h perpétuer le fouvenir le leur commiffion, & dans cette vue ils font peindre fur les murailles d'une galerie ouverte, un homme a cheval en manteau de livrée, avec 1'infcription de leur nom & de 1'année de leur arrivée : finguhrité afiez remarquable , & qui prouve combien la vanité & 1'ambition ont d'attraits, même pour des gens de la ptus baflè condition. Cependant pour rendre jufHce a cette même vanité dont les hommes font rourmentés, j'avouerai que j'ai obfervé qu'elle eft presque toujours accompagnée d'une forte de modération. On fe borne ordinairement a fe diftinguer dans fon état, quelque chétif qu'il foit par lui ■ même. Un Valet eft fatisfait lorsqu'il peut paffer pourun Valet du premier rang: 1'Artifan ne porte envie qu'a 1'Artifan, leMarchand qu'au Marchand , & le vSavant qu'a 1'homme qui comme lui cultive les Sciences. Raremcnt l'ambition eft afiez déréglée pour qu'elle cherche a s'élever a une Iphère fupé-  ( 3i7 ) rieure, & i tout prendre, on peut dire qu'en général chacun eft content de fon fort, pourvu qu'il atteigne un degré de perfeétion qui le mette au delfts de ceux qui courent avec lui la même carrière. De cette manière les hommes de toutes les conditions jouiflènt de ce que les honneurs & le rang leur offrent de plus flaneur, & je fuis fur qu'un poftillon Suiflê qui voit fon nom fur la muraille de 1'hötellerie deLugano, eft tout auffi fier qu'un Général d'Armée qui lit le fien en tête du trophée qu'on lui a érigé fur le champ de bataille oü il vient de remporter la viétoire la plus brillante. Je pris a Lugan» des chevaux de felle & de bat, dont on me fit payer le louage a un prix exceflif. D'ici a Attorf', le chef-lieu du Canton óHUrt, il y a trente lieues ou environ quinze milles d'Allemagne. J'avois befoin dc cinq chevaux pour cette route; ils me couterent dixfept ducats & demi. Je partis d'abord apres midi, pour gagner a temps Beïïinzonc. Tout ce chemin eft d'une beauté romanesque, mais il devient quelquefois un peu incommode. II paflè d'abord fur les cöteaux derrière Lugane^ enfuice dans des plaines fertiles couvertes de beaux chacaigniers. Les réflexiens que j'eus le loi»  ( 3*8 ) fïr de faire dans ma foiirude, me conduifirent a une idéé aifez finguÜère. Je traverfois a plufieurs re> prifes des falies d'arbres, que j'aimois a comparer aux grandes Églifes Gorhiques. Deux rangée3 de ch&caigniers donc les branches fe touchoient a une hauteur confidérable, formoient une voütes terminée en pointe, précifément comme les voüte des égiife^ Gothiques: 1'incervalle ipacieux qui restoit au milieu repréfentoic ainfi la nef du temple. Deux nouvelles rangées d'arbres qui fe prolongeoicnc des deux cótcs, me rappeloienc les aiies du batimenc 5 & je retrouvois le choeur dans 1'enfoncement de ces allées fombres, qui fonc presque toujours appuyées concre une montagne. J'étois tellement frappé de la refiemblance de ces deux objets, que je ae pus m'empêcher de me perfuader que de pareils fallons ont fervi de modèles aux Archkectes Gochiques pour leurs églifes, ou bien que les bois oü je me trouvois placé avoienc été ordonnés fur le plan de ces anciens édifices. La première de ces conjeclures me paruc la plus vraifemblable; car elle explique non-feulement T origine des voütes pointues & de leurs ornemens, mais aufli celle des arcs qu'on voit au. defius des portiques des églifes Gothiques. Ces arcs repréfentenc communément des feiton»  ( 319 ) d'anneaux arondis en reliëf, qui ont beaucoup de rapport avec des branches d'arbres entrelacées. Au refte il me femble que les anciens peuples n'onc fait que fuivre un mouvement naturel, en choifisfant 1'obscurité des bois pour 1'exercice de leurs cultes : ces lieux s tels que je les ai vus ici, ont réellement un air impofant , propre a infpirer les fentimens d'une piété religieufe. Après avoir traverfé quelques petites vallées, il faut remonter de nouveau une montagne inculte. J'y ai trouvé plufieurs espèces d'arbres fauvages que je n'avois encore vu nullepart en Lombardie, entr'autres le genévrier & le houx (aquifoüum ). En descendant la montagne on arrivé a une demie lieue de Beüinzone dans une large vallée qui leperd dans les belles plaines du Milanez Septentrional, prés de I'endroic oü .commence le Lac Majeur. Cette vallée eft arrofée par le fleuve Tefin, qui forme proprement le Lac. La vue dont on jouic fur la hauteur eft des plus délicieufes; vers fept heures je fus,rendu a Bellinzone. Cet endroit peut être confidéré comme la clef du paffage du Saint-Gotbard, puisqu'il eft li toé dans la vallée que parcourt le Tefin avant que de paflêr dans les plaines de la Lombardie, & qu'iï défend en même temps 1'accès des hautes monsagnes qui entourent la vallée. 11 eft aifé d& fe  ( ) convaincre que Ia ville de Bellinzone a e'té deftinée> dès fon origine, & pcut-être mème déja du temps des Romains, a fervir de barrière, car on a choifi pour fon emplacement le défiié le plus étroit, dont l'entrée eft encore gênée par une colline escarpée qui couvre le Ta/in. Outre cette colline il y en a deux autres des deux cótés de la vilie, qui font pourvus de forts, de forte qu'avec une petite Garnifon & uae Artillerie peu nombreufe^ on parviendroit fans peine a fermer ce pafiage aux plus puiffantes Armées. Bellinzone appartienc en commun aux Cantons d'LTn', de SuiJJe & d'Unter•voalden, qui y entretiennent un Biilli. On trouve dans la Topographie de iLViöfluneeftampe exacte qui repréfente la ville, prife du cóté du nord ou dnStGothard. . Je quittai Bellinzone le 2 de Juin pour me rendre a Aïrol, qui en eft éloigné de douze lieues. La iourr.ée étoit forte, mais elle n'en fut pas moins aTéable, \ caufe de la variété , de la beauté & ö de la fingularité des objets qui m'actendoienr fur la route. Le chemin paflè au travers d'une vallée étroite, entourée de montagnes ; elle s'élève fucceflivement en pente, & le Tefin la parcourt dans toute fon étendue , tantóc avec lenteur , tantóc avec bruit & impétuofité. Toute cette vallée eft d'une extreme fercilité : elle renferme un grand nom-  < 3*i ) nombre de villages, dont les habitans paroiffent être des gens robuftes, gais & hardis. Plufieurs ruiflèaux plus ou moins confidérables, descendent du haut des montagnes, & y forment différentes cascades, parmi lesquelies il y en a d'une beauté merveilleufe. Au fortir de Bellinzone la valle'e conferve encore pendant une couple de lieues, la Jargeur d'environ mille pas , ck elle remonte imperceptiblement. Le Tefin y coule dans un lit fpacieux , & fes eaux font auffi claires que le crifhl. Le fond de la vallée même confifie en prairies & en terres labourables, & il abonde également en chataigniers, noyers & autres arbres - fruitiers. Quelques - unes des collines offrent de petits villages, des églifes ck des chapelles ifolées. Les montagnes qui dominent le chemin font fort escarpées, ck s'élè. vent de plus en plus, k mefure qu'elles avancent dans la vallée: on y retrouve encore des cMtaigniers, mais d'autres espèces d'arbres plus communs, qui demandent un climat froid , manquent entièrement. A une lieue de Bellinzone, j'arrivai au pied d'une montagne dont je ne pus me laffer d'admirer la beauté. La nature avoit pris foin de la partager en grandes terraflès. Chaque terraflè étoit un rocher féparé, taillé avec autant de précifion, que s'il avoic été mefuré au compas 3 X.  C 3*2 ) a n'y avoit que les parties latérales qui en fuflènt ftériles: le deffus, ou la plate-forme, étoit un beau gazon que des chataigniers ombrageoient. Chacune de ces romfreufes terraffes avoit fa beauté parciculière. Une matinée délicieufe contribuoït d'ailleurs a rendre ces impreftions plus piquantes, fans comptcr que fur les montagnes la pureté de 1'atmosphère ajoute une nouvelle vivacité a la lumièje du foleil, & fait refiortir davantage la couleur du firmament. II me fembloit dans ce moment qua j'avois recouvré toute ma faneé. Prés de Pulegio cette belle vallée fe partage en deux branches, dont 1'une s'étend au Nord-Eft vers le pays des Grifóns, 1'autre direötement au Nord. Je fis dans cet endroit une expérience curieufe de 1'effët de 1'écho. A ma droite étoit la vallée Nord-Eft, 1'autre étoit en face devaat moi, & j'avois a gauche les montagnes baignées par le Tefin. J'y entendis tout d'un coup un fon de cloches harmonieux, & jen'eus rien de plus preffe que de me tourner vers la montagne, car feloa ma fuppofition il partoit de ce cóté-la ; mais je ne découvris ni tour, ni Mtiment. Mon guide me tira d'erreur en m'apprenant qu'il y avoit dans la vallée h. droite un grand village avec une églife. Ainfi le fon n'arrivoit point a mes oreilles en fortant de la vallée, mais il étoit feulement renvoyé par la montagne contre laquelle il venoit frapper.  < m ) lei commence Ia vallée Lenine ou Lêpontirté {Valk Levontina) dont la Souveraineté apparcient auCanton cYUri. Elle a vraifemblablement confervé fon nom des anciens Lépontiens , qui, au rapport de Céfar & de Plint, ont habité ce pays-ci. Pulegio en eft le premier endrok. Le chemin qui paflè prés du village eft couvert d'un berceau de vignes. Les vignes de ces quarders font plantées , comme dans la Lombardie , en plein dianap , & afin de raénager Je refte du terrain pour 1'Agriculture, on relcve les farmens en fefbns. Comme les rangées de vignes qui bordent le chemin ne font féparées que par une petite diftance, on a foin d'étendre & d'entrelacer les farmens, de manière qu'elles forment un plafond auffi uni que cehii d'un appartement : je trouvai auffi de ce cóté des ruches d'abeilles, les premières que j'eufie vues de longtemps. La vallée fe rétrécit ici & s'élève de plus en plus» Sa plus grande largeur . n'eft guères que de cinqcents pas. J'y vis les premiers fapins au dela des Alpes, & je retrouvai auffi plufieurs arbriflèaux connus en Allemagne, tels que le coudrier, 1'aubeépine, la filaria , le fureau & autres. Tous ces ©bjets m'écoient devenus fi étrangers, que je croyois paffer pour la première fois les frontière-s dTtaliet, Vers midi j'arrivai a Gïornko, petit viHage fort peuplé, fitué prés d'un défilé trèi-étroit* J'y; X 2  ( SM ) £s un bon'diné, fervi avec .une propreté a laqueile je ne m'attendois point dans un petit endroic enfoncé dans les montagnes. J'y goütai un vin fin qui croit fur les bords du Lac Majeur. Cette contrée offre peu de terrais pour la culture: les habitans ont fu tirer parti cependant de celui qui refte au pied des montagnes: ils y ont des jardins, quelques vignobles & prairies. A une petite distance du village on voit une cafcade magnifique, qui s'eft creufé un large baffin dans un. rocher ; fa dernière chüte eft de &o a cent pieds. Au deflus de Gïornko les montagnes fe touchent de fi prés qu'elles ne Jaiflènt presque plus d'iflue dans la vallée, & elle feroit effcdtivement fermée tout a fait fans le lit que le Tefin s'eft creufé dans fon cours impétueux. L'J chemin pasfe Ie long des collines: il eft roide & pénible. Plus b?s la vallée s'élargit de nouveau, & on rencontre de ce cóté des maffes enormes de rochers qui font détachés de la montagne, & dont un feul fourniroit des pierres fuflifantes pour la conftructïon de plufieurs maifons. Je fuppofe que ces fortes d'écroulemensarrivent de même en Thesf die dans le voifinage des monts Offa & Pelion , & c'eft la peut-être 1'origine de la fable des Géans. Le peuple peu accoutumé a pénétrer dans les fecrets de la Nature, attaché ailément ades phénomcnes de cette espèce des idéés furnaturelles. J'ai  ( 3*5 ) eubecafion de m'en convaincre fur mon pafiage du Saint Gothard. L'on trouve pres du Pont du Diable une de ces maflès qui s"eft écroulée dans le grand chemin, & les habitans de ces contrées difent que c'eft le Diable qui la jéta la par depit, dans 1'intention d'abattre le pont, mais qu'un Saint en prévint 1'effet par fa conjuration. Ce conté ne fera pas autant fortune que cclai de la Gigantomachie , quoiqu'ils foient 1'un & 1'autre également ridicules & que leur origine foit la même. , En avancant plus loin dans cette vallée étroite, on trouve des prairies admirables, & les montagnes tiennent déja de la nature des Alpes, c'eft1 a dire, qu'elles n'offrent plus la même quantité d'arbres & d'arbriffèaux, mais de grandes plaines couvertes d'herbe , qui font deftinées pour des paturages, & que les gens du pays appellens Alpes. C'eft un coup d'oeil fingulier que de voir du fond de la vallée ces vaftes paturages fuspendus pour ainfi dire en 1'air: a la fimple vue on apercoit a peine les nombreux troupeaux de vaches qui y broutent, & on les confondroit avec les rochers, s'ils étoient immobiies. On diftingue encore dans le lointain fur ces prairies, de grandes cabanes, oü les payfans ferrent leur lait X 3  C 326 ) font le fromage. On retrouve auffi quelques villages fur cette route: les maifons qui les compofeiit font conftruites de deux manières entièrement oppofées: les unes font baciesen pierres habilement adaptées & maconnées a fee, fans chaux: les autres ne font que de bois, & élevées fur des poutres. Vers le foir j'arrivai auprès d'un batiment fpaciaux, élégant Sc agréablement fitué, que je pris d'abord pour la maifon de plaifance d'un riche particulier: ce n'étoic cependant qu'une douane. Les Etrang?rs y payent un péage afiez fort, mais les Naturels Suiffès en font quictts pour une bagatelle. De cecóté-ci le chemin redevient efcarpé & fauvage, & le Tefin fe précipite entre les rochers avec beaucoup de bruit & de force: il s'empare même dans quelques endroits d'une partie du chemin, & ne laiffè qu'un paffagetrès-étroit. Enfin la Vallée Levine reparoïc ici dans toute fa fertilité, & continue a remonter jufqu'a ce qu'elle fe termine prés du village ou bourg d'Airoly fitué immédiatement au pied du Saint Gothard, car c'eft la proprement que la montagne prend fon véritable nom. Airol. quoiqu'enföncé dans une vallée, eft encore élevé de 4 a 5000 pieds au deflus du niveau de la mer & des plaines de la Lombardie voiflnes de Ventje. J'y arrivai a l'entrée de la nuit.  ( 32? ) .$>' Airol par le S. Gothard jusqu-au Fiüags am St/eg. Chemin de dix lieues. Le trois de Juin j'entrepris une courfe qui de» yint la plus pénib'e & la plus dangereufe de coupes celles qae j'avois faites jusqu'alors. Le chemin depuis Airol jusques fur le fommet du Saint Gothard eft toujours également efearpé. Je me mis h. cheval a cinq heures & demie du matin , & dès cet inftant il fallut fe préparer a gravir des montagnes, dont la montée eft auffi rude que celle d'un escalier. Pendant la première heure pn voit encore partout des foréts de larix & de fapins, mais peu a peu ces arbres diminuent, ck finiflent par disparoitre entièrement. Le refte de la montagne n'eft plus qu'un rocher nud, couvea de icin a loin d'un tapis d'herbes ck de fimples. A fept heures j'arrivai dans la région des neiges. J'avois encore plus d'une lieue.a faire en montanr, & je ne voyois devant moi & autour de moi qu'un vafte déferc enterré fous une maffe de neiges, de 20 a 50 pieds de hauteur. Cette partie de la montagne eft encore une espèce de vallée, mais roide comme un toic, ck dominéé des deux cötés par d'immenfes rochers. Le Te/in fe précipite a grand bruit au travers de cette vallée, & t»mbe dans un baffin qu'il s'eft creufé dans lés roX4  ( 328 ) chers: il forme fur fon cours une quantité de replis, qu'il faut paflcr 1'un après 1'autre. Le fleuve & tous fes ponts de pierre étoient cachés aétuellement fous les neiges. On paflè 1'eau plufieurs fois fans le favoir , fur des monceaux de neige qui tiennent lieu de pont, de manière qu'on marche fouvent dans un chemin qui n'eft appuyé fur aucune efpèce de fondement. Si cette voute de neige venoit a s'écrouler ,on feroit engloutidans un abyme miné par un torrent rapide. Heureufèment que le Voysgeur ne s'apercoit pas toujours de fa fitüation périlleufe, cependant dans de certains endroits le danger ne devient que trop évident: on voit a plufieurs reprifes le fleuve fous fes pieds a cóté du chemin, & a une petite diftance une nouvelle voute de neige fuspendue fur 1'eau, enfin dans le fond le torrent même qui regorge avec impétuofité, L'idée de fe trouver fur une arcade auffi fragile, eft afiurément capable de faire tourner la tête la mieux organifée. A ce danger fe joint encore celui des lavines fréquentes qui tombent du haut des montagnes, & entrainent tout ce qu'elles rencontrent. J'en ai vu plufieurs qui s'étoient écroulées depuis peu, eomme je pouvois en juger d'après les débris qui en rcftoieht fur la route.  ( 3*9 > Ce chemin de neige n'acquiert une certaïne fo* lïdité qu'a force d'être foulé par ies payfans, mais dans cette faifon oü le foleil a déja toute fa force, il commericok a s'amollir au point que les chevaux y enfoncoient. On admire avec quelle fagacité ces animaux s'apcrcoivent du moindre . danger , & avec quelle prudence ils cherchent a fe dégager. Le cheval que je montois étoit un peu plus vif que ceux de mes Compagnons, & il faifoit trop d'efforts lorsqu'il s'abattoit, de forte qu'il enfoncoit fort avant. Ces chütes répétées me fatiguoient beaucoup, & je réfolus de mettre pied h terre tout foible que j'étois; mais ma tache n'en devint pas plus facile,j'enfoncois moi- même dans la neige cc je tombois a tout moment. Enfin après deux heures d'une marche pénible, nous arrivames vers neuf heures fur la hauteur la plus élevée du chemin , & nous nous repofames chez les Capucins qui y demeurent. On ne trouve que deux maifons fur ee fommet. L'une eft habitée par deux Capucins qui recoivent chez eux les Voyageurs de diftinétion; 1'autre eft une auberge deftinée pour les gens du peuple , & particulièrement pour les voituriers qui transportent par ici leurs marchandifes fur des chevaux de fomme. Je rencontrai plufieurs de ces hommes, & j'appris d'eux , mais trop tard, le ihoyen d'adoucir les incommodités du chemin. Chaque voiturier précède fon cheval une bêche a X5  C 330 ) la main, pour affermir les endroits oü Ia neige pa» roit trop molle, & pour remplir les creux qui f© font déja formés : avec cette précaution il eft rare que les chevaux de fomme enfoncent, quoiqu'ils foyent d'ailleurs lourdement chargés. La cime Ia plus élevée eft encore une large vallée/ puisqu'elle eft enfermée de deux cótés par de hautes; montagnes hériffées de rochers. Il y a plufieurs lacs dans'Ie voifinage de 1'habitation des Capucins. De 1'un de ces lacs s'écoule le ruiftèau qui devient plus bas le Tefin; un autre prend fon cours vers le Nord, & forme enfuite Ia RuJJ, qui entre dans le Canton de Berne & fe jète dans l'Jar, prés de 1'endroit oü ce fleuve fe mêle avec le Rhin. Les lacs étoient tous comblés de neige. Je remarquerai encore que la hauteur ihabitée par les Capucins eft précifément le point de réunion des langues Allemande & Italienne. Dans le village cC Airol que je venois de quitter, on parle encore 1'Italien, & le premier village auquel je devois arriver en descendant, eft déja Allemand. II eft vrai que les habitans de h Vallée Lépontine entendent & parient 1'AUemand , mais leur langue dominante eft 1'Italienne: de même aufli les premiers villages fitués en deca de la montagne entendent 1'Italien , quoique 1'AUemand fok leur langue raaiernelle.  C 331 ) Cette obfervation prouve , fi je ne me trompe, affez clairement, que dans les ^neiens temps les Germains fe font portés fucceffivement au Sud de ces montagnes, pendant que les Velches ont pénétré vers fe Nord , jufqu'h ce que les deux peuples fe font rencontrés fur le fommet du Saint Gothard. II eft tout auffi apparent que les Lépontiens ont formé leurs établiflèmens avant les Germains dans ces contrées , & qu'ayant trouve au Nord le chemin fermé par des rochers, ils ont choifi la montagne pour limites de leurs poffeffions. Dans le pays des Grifons , oü il étoit plus aifé d'avancer vers le Nord , la langue Italienne a cours jusques dans le voifinage de la Capitale Coire; d'oü on peut conclure que les conquêtes des Thusques ont précédé celles des Germains , car il eft naturel que le premier venu de ces deux peuples fe foit étendu davantage. Je reprends le fil de mon Journal. La descente du Saint Gothard ne fut pas moins difficile que ne 1'avoit été la momée. II me reftoit encore une lieue & demie de neiges a traverfer: j'entrepris cette courfe a pied, mais j'eus la précaution dé me faire conduire pour m plus m'expofer a tomber. Ce chemin ci eft moins efcarpé que celui du cóté oppofé de la montagne: il eft auffi moins dangereux, paree qu'on a moins dc voüses de neige a paffer fur la Rusf, qu'on laifle  ( 33* ) prefque toujours k fa droite. Néanmoins je me fencis fort foulagé quand j'arrivai au bout de cette courfe pénible. Trop heureux d'avoir regacné un terrain folide, j'oubliai que j'étois environné de rochers , & je remon.ai k cheval auffi content que fi j'avois une promenade a faire dans la plus bella campagne. J'arrivai enfin vers midi dans la Vallée Urfule,& je mis pied & terre dans le village d'Hêpital. Cette charmante vallée, fituée dans une plaine au milieu des Alpes, eft habitée par un peuple peu nombreux, qui reconnoit la Scuverainaé du Cantond't/rz", mais n'èn jouit pas moins d'une liberté prefqu'entièrement républicaine; il eft diiïribué en quatre villages. La vallée eft partout entourée de hautes montagnes dont il eft aifé de fermer tout accès. II n'y exifte que quatre iffues, qui répondent aux quatre points cardinaux: celle du Midi conduit par le Saint Gothard-, celle du Nord par Ié ravin qué Ia Rufs s'eft creufé dans fa chüte; celle de 1'Orient mène par la Fourche dans le Valais , & celle de 1'Occident par ÏA'p Supérieur (Oker-Alp) dans la Rbécie. Tous ces chemins font fi difficiles &fi ëtroirs, qu'ils peuvent être barricar és k peu de frais. Quatre grands fieuves prennent leurs fources fur les montagnes qui environnent la vallée, favoir: le Tefin & la Rufs fur ie  ( 333 > S[ Gothard; le Rhêne & XAar fur la Fourehe, & le Rhin Aiitérieur fur VAlp. Dans une vallée qui ne produit ni champs, ni arbres , ni rien de ce qu'il faut pour fubvenir aux befoins de la vie, on ne s'attendroit pas a trouver de beaux villages, dont les habitans font trés a leur aife, logés commodément & bien habillés. En effet ces Montagnards ne connoiffënt d'autre richeffè que leur bétail, & par conféquent le lait & la viande font les feuls alimens fur lesquels ils peuvent comprer : tout le refte , & même le bois de chauffage, doit être transporté de loin fur des chevaux. Néanmoins tout y eft en abondance, & on fait bonne chère dans les auberges. En général les habitans reffemblent par leur caraétère beaucoup plus aux Citoyens civilifes des villes, qu'au fimple Villageois; les Notables furtout ,6t les perfonnes chargées du Gouvernement, fediftinguent par des manières polies, qui ne font aucun tort k la fimplicité naturelle de leurs mceurs ; effet falusaire d'une liberté & d'une propriété bien aflurées. Les reffources des habitans font fondées d'un cóté fur les excellens paturages des montagnes, qut font diftribués en Communes & poffedés par le peuple en corps; de 1'autre cóté fur les prairies de la vallée, oüils trouvent le fourrage dont leur bétail a befoin en hiver. Chaque habitant a le, droit  ( 334 ) d'envoyer an été dans les Communes autant de beftiaux qu'il eft en éiat d'en nourrir pendant 1'hiver de fon propre foin. Ceux de la Nation qui n'ont aucune propriécé, n'en participent pas moins aux avantages des Communes. L'on fait ici une forte de fromage connu fous le nom de fromage d'Urfule, qui eft d'un grand débit en Italië & furtout a Naples, d'oü il en paflè de fortes provifions en Espagne. Cette denree, jointe au trafic des beftiaux, procure aux habitans 1'argent néceflaire pour fuppléer a leurs autres befoins. Je quittai Hópital vers deux heures après midi, & j'arrivai a trois \ 1'extrémité de la belle vallée Urfule. La fortie en paroit abfolument impoflible, étant barrée de tous cöcés par des montagnes qui s'élèvent perpendiculairement. II n'y a qu'un débouché vers le Nord oü la Rufs s'eft creufé un petit paflage, mais il eft impracicable, la rivière n'ayaat d'autres bords que les rochers qui lui fervent de canal. On a donc pris le parti de tailler un chemin dans 1'un des rochers arrofés par la Rufs: ce chemin n'a guères que 80 pas en longueur, & autant de largeur qu'il en faut indispenfabkmentpour le paflage de deux chevaux: fa hauteur eft toute aufli exaclement mefurée, & un homme ii cheval touche prasque de Ia tête au plancher  ( 335 5 £e la voüte. Ou a ménagé du cóté de la rivière une petite ouverture au moyen de laquelle le chemin recoit quelque lumière. Je ne puis m'empêcher d'inférer ici une obfervation cofmologique qui me paroit afiez intéresfante. Si le pafiage étroie par ©ü la Rufs fort de la Vallée Urfule venoit k être bouché par une digue de la hauteur des montagnes voifines, la vallée feroit changée en un lac de plufieurs centaines de pieds de profondeur; car j'ai déja remarqué qu'elle eft entourée de tous cótés de montagnes, qui ne laiflènt aucuneiflüe k la rivière, fi ce n'eft a une élévation confidérable. Les Alpes offrent encore plufieurs exemples de pareilles vallées inondées, mais la on voit évidemment que Fiffue actuelle a été autrefois fermée de forte qu'il femble décidé que la Vallée Urfule eftle fond d'un ancien lac, qui étoit élevé d'environ 5000 pieds au deffus de la furface de la Mer. Dans les endroits les plus foibles des montagnes qui formoient les bords de ce lae, 1'eau s'eft creufé fucceflivement, ou peut- être fubitement un canal, par oü elle s'eft écoulée, & c'eft ainfi que s'eft formé le gouffre qui condüit dans la plaine. Le$ cailloux & les terres que le fleuve a entrairiés, fe  C 38* > font amaffés dans la plaine, & compofent le foi qui fe trouve au pied des montagnes. II feroit difficile peut-être d'imaginer dans toute la Nature un contraire plus frappant que celui qui réfulte ici des grands tableaux placés des deux cötés d'un chemin de 80 pas de longueur. Avant que d'y arriver, on fe trouve dans une vallée délicieufe remplie de champs fertiles, dont 1'enfemble inspire le fentiment d'un repos voluptueux. A peine a-t-on franchi le paflage, que la fcène change,& n'offre plus qu'un coup d'ceil effroyable: le bfüit confus d'un fleuve impétueux qui précipice fes eaux par un nombre infini de cascades, un gouffre profond hériffë de rochers, cent rochers plans de crevaffes qui femblent menacer d'une prompte ruine, un chemin fuspendu pour ainfi dire en 1'air & taillé dans le rocher qui s'avance au deflus du précipice , enfin un pont étroit bati fur la hauteur la plus élevée de cet abyme. C'eft la Ie fameux Pont du Diable, qu'on eft obligé de pafïèr avanc que d'atteindre le chemin taillé dans les rochers. Le Voyageur étourdi par la chüce bruyante du fleuve,mouillé par une petite pluye chaflee en tourbillon, fe trouve placé a une élévation très-propre a donner des vertiges. L'horreur de cette fcène eft au deflus de coute description,|& on ne concoitjpoint comment les hom-  ( 23? ) mes ont ofé entreprendre de fe frayer un pafiage dans un endroit dont 1'accès fembloit abfolumenc interdit. II refte envirq» cinq lieues a faire en descendant, avant qu'cffarrive dans la plaine au pied de la montagne. Le chemin paflè au travers d'un ravin que la Ritjf s'eft creufé par la fuite des temps; la chaïne des montagnes n'eft féparée que par Ie litdufleuve, & leurs fommets font élevés aplufieurs centaines, & quelquefois même a un millier de pieds au deflus du niveau de 1'eau. Le chemin domine toujours la rivière, tantöt a droite, tantóc a gauche, & il a fallu abattre plufieurs rochers pour le rendre en quelque forte praticable. On a donc toujours la Rujf\ cóté du chemin," on entend fans cefiè le murmure bruyant de fes eaux, & on voit, les cataracles nombreufes qui fe précipitenc par deflus les rochers. Touces ces circonftances femblertt annoncer une route trifté & mélancolique ; cependant elle ne laiffè pas d'avoir fes beautés; une quantité de cafcades pittoresques i plufieurs villages, des cabanes ifolées répandent encore de 1'agrément dans ces lieux défercs. Les montagnes ne font pas égalemenc efcarpées: fouvenc elles offienc fur les cóteaüx des terraflès formées par la Nature, & dans ces endroits on a bati des maifons & quelquefois des vülages entiers j Y  ( 338 ) coürei ces variétés revtillent 1'attention du Voyageur. Prés de Geftinen a une lieue au deffous du Pont du Diable, je vis des cénfiers^en fleurs. Le village efl fitué fur la rive gauche de la Rujf, a l'entrée d'une vallée dont les montagnes voifines contiennent des criflaux effimés. Au dela de Geftinen on retrouve déja ts 'orêts,qui manquent entièrement dans les en roits plus éltvés. On trouve dans ce chemin des cavernes profondes enfoncées dans les montagnes, d'oü il fort 4,es ruifieaux. Un vent froid , caufé par la chute de 1'eau, fe fait toujours fentir de ces cötés: vraifemblablement ces fortes de vents ont donné lieu \ 1'invention des fouffLts artificiels qu'on met en mouvement par le fecours de 1'eau tombante. J'étois déja a plus de la moitié de mon chemin, lorsque 1'air commenca a devenir plus chaud. Le thermomètre de Fahrenheit marquoit 74 degrés, cependant je trouvai encore a une demi-lieue du village am Steeg, & par conféquent a une petite diftance de la plaine, un pont de neige qui couvroit un large ruiflèau. Le Cuide qui marchoit devant moi fe propofoit de le paffer, mais fon cheval lui réfifla avec opiniatreté. L'homme euc beau employer la force & lui tenir 1'éperon dans  ( 339 ) le flanc , il fe cabroic & ne bougeoit point de f* place. Enfin Ie Cavalier céda, & fe porta plus en avant en remontant le ruiflèau; nous y fimes la découverce d'un pont de pierre que nous pasfames commodément. Je vis d'ici que ce que nous avions d'abord pris pour une maffe de neige folide, n'étoit autre chofe qu'une légère voute d'environ une aune d'épaiffeur & minée par le ruiffèau. Je frémis du danger quë nous avions couru: la voüte fe feroit écroulée infailliblement & nous euffions péri, fi le cheval de mon Guide n'eut été plus fage que fon maitre. ■ C'étoit la le dernier pas dangereux que j'avois a( faire dans cettte cóurfe fingulière , car bientot après nous descendimes dans une plaine fertile en prairies & en arbres fruitiers. Après fept heures nous arrivames dans le village am Stag, fitué a l'entrée du gouffre par lequel nous venions de pafier. Avant que de quitter les Alpes, je ne pui» m'empêcher d'ajouter quelques remarques générales fur le pafiage des montagnes. Depuis un premier voyage que j'avois fait autrefois dans ces contrées, j'ai toujours penfé qu'on ne connoit que foiblement le grand & le merveiileux qui exifte dans la Nature inanimée, quand on n'a point vu ces objetsde prés; je fuis confirmé aujourd'hui plu*  ( 34» 5 que jamais dans mon opinion. Les idéés de grarL deur , de puiftance , de force irréfiflible , qu'on attaché fouvent aux entreprifes des hommes, disparoifiènt ici comme des bulles d'eau ; les fages dispofitions de la Nature pour 1'économie générale de la Terre, fe préfentent dans un jour nouveau & bien différent des rhéories & des hypothèfes brillantes que le Savant enfante dans le filence du Cabinet. Ces obfervacions valent peut-être la peine d'être développées plus en détail. Les efforts réunis d'une multitude nombreufe, dirigée vers un même but fous la conduite d'un Chef habile & courageux, voilh ce qui emporte chez nous la plus haute idéé de grandeur & de pouvoir: rien ne furpafïè a nos yeux 1'effet qu'on doit attendre d'une pareille force. A-t-elle en vue la dévaftation & les conquêtes ? tout cède a fa fupériorité: entreprend-elle de fonder des établiffèmens durables ? elle femble braver la Nature. Les déferts fe changent en contrées fertiles; de vaftes Cités, des édifices fuperbes , femblent fortir de la terre & rèmpliffènt d'admiration celui qui contemple de prés toutes ces merveilles. Le feu du canon , 1'effëc invincible en apparence des inftrumens de guerre, les Armées, les Flottes, font a peu prés le dernier degré de puifünce auquel les hommes puiffont atteindre.  ( S4- ) Je rae fuis plu fouvent a choifir dans ce vaffe Théatre de la Nature , quelques-unes de fes opérations les plus communes, celles même qu'on peut attendre d'elle fans beaucoup d'efforts; je les ai comparées aux forces raflèmblées d'une ou plufieurs Nations, & j'ai fenti que dans ce parallèle toute puiflance humaine disparoilToit, & fe réduifoit a rien. Je me fuis imaginé par exemple , une Armée nombreufe, campée. dans une des vallées de ces montagnes, avec tout fon attirail meurtrier: faudroit-il plus que la chüte de quelques rochers, pour 1'anéantir dans un infiant ? qudle force oppoferoit-elle a un accident, qui par luimême n'a rien d'extraordinaire ? il n'en coüteroit pas plus a la Nature d'écrafer une grande Armée qu'un infecle. Ces fortes d'éboulemens peuvent être occafionne's par de très-petites caufes, & ils ont eu lieu autrefois, comme le prouvent encore les débris qu'on rencontre par tout dans les montagnes. II feroit tout auffi facile qu'un nouveau déluge descendit des Alpes, pour inonder la plaine & emporter des peuples entiers avec tout 1'étalage deleurpuiffance. II ne faudroit pour cet effet qu'une fonte fubite des neiges au pria temps , & celle-cj pourroit être caufée foit par un vent chaud , foit par 1'éruption de quelque feu fouterrain. AinG y 3  ( 34» ) ces montagnes renferment des forces cachées, mais faciles a mouvoir , auxquelles les efforts combinés des hommes ne fauroient êcre comparés. Pour bien juger de ces fortes de révolucions violentes, il faudroit avoir examiné atcentivement la conftitucion des montagnes , mais ceux qui n'en ont point eu 1'occafion , peuvent s'inftruire fur cet objec dans 1'Hiftoire. Des inondations générales, telles que Jes délugas de Deucalion Sc tfOzyges ont eu lieu dans difprens endroits de la Terre, & on fait que des pays entiers e» ont été détruits. Bouguer dans fa Deseription du Pérou cite plufieurs inondations caufées par I'éruption des volcans couverts de neige. Par une fuite de ces phénomènes les terrains plats ont été comblés de fable , de limon & de pierres, car le fol que nous habitons,& les champs que nous cultivons, ne font autre chofe que les décombres de montagnes écroulées, & ces matériaux ont rehaufiè notre terrain de plufieurs centaines de pieds au deflus de fa fvperficie naturelle & originaire. Les réflexions qui réfültent de ma feconde remarque font infiniment plus confolantes pour 1'Humanité. Chaque montagne eft un magnfin d'oü Je Créateur, par une ordonnance dont la lïmplicité & ia fagefiè ne fauroient êcre aflèz admirées, dispecfe  ( 343 > aux pays voifins & éloignés, aux animaux & au$, plantes, 1'eléiiient le plus dlèntiel k leur fubfiftance. Rien de plus myftérieux pour les habitans des plaines que le cours noi -interrompu des fources d'eau & des rivières. Une légère attention devroit leur faire concevoir, qu'il exifte quelquepart unrefervoir inépu'fable, d'oü les fources, les ruiffèauX & les rivières regoivent leurs provifions. Quand on a voyagé dans les montagnes, & vu ces immcnfes magafins de prés, on comprend aiféiment i'origine de leurs richefles. L'air y pourvoit abondammenr tous les jours, & prépare d'avance le cours perpécuel des rivières. II pleut fort rarement fur les hautes montagnes. Les vapeurs condenfées par le. froid qui règne a cette élévation dans 1'Atmosphère, ne tombent que par flocons: de la cette prodigieufe quantité de neige, qui couvre les Alpes dans toutes les faifons de 1'année. En hirer les montagnes confervenc une certaine chaleur interne , dont je n'entrepren. drai point d'affigner les caufes, mais qui eft fuffifante pour fondre une partie des neiges; en été les rayons du foleil ont affez de force pour opérer le même effet. De cette manière mille petites veines d'eau fe ralfemblent fucceffivement en ruiffeaux, & eeux-ci fe réuniflènt de tous cöcéi pour formeï  ( 344 ) des rivières, dont plufieurs fe joignent enfin pouF donner l'éxiftence a un grand fleuve. On concoit fans peine que ce vafte rnagafin ne fauroic jamais êcre épuifé. II tombe tous les jours a peu prés autant de neige qu'il en fond, & ces proyifions ainfi renouvellées fuffiroienc déja pour entretenir les ruifièaux & les fources; mais une nour veile caufe contribue encore en été a leur abondance ; les rofées y font copieufes, & les nuages mêmes qui fe heurtentcontre les montagnes, ylaisfenc une partie de leurs eaux. J'ai fouvent admiré Ie matin avec quelle économie 1'eau dégoutte de chaque plance & concribue a arroferle cerrain. Une partie de cecce humidité fe raflèmble en petites veines d'eau,& découle incontinent pour enrichir les ruifièaux: une autre partie s'imbibe dans la terre & fe retrouve dans les cavités des rochers oü elle forme une fource. On diroit que lescrévaffès des rochers ont été faites dans la vue exprefie d'oirrir un paflage a l'eau qui cherche a y pénètrer. Ces obfervations éclairciffènt le fyftême admirabfe que la Nature a fuivi en formant ces montagnes. Et d'abord il étoit néceflaire que les Alpes s eiévasfent ala hauteur exceffive oü nous lesvoyons; destinées a êrre des refervoirs de heiges, elles avoient befoin a'-une atmosphère expofée au froid, qui m.  ( 345 ) pouvoit exifter que dans la région fu">'rleure de 1'Air. En fecond lieu, il falloitqueles montagnes fufTènt compofées de rochers: car fuppofé qu'elles euflènt été d'argile ou de telle autre matière peil foiide, elles auroient été emportées fucceffivement par le cours des ruifièaux, & auroient fini par s'écrouler ou par s'affiifTer; ce qui auroit oc. cafionné un défordre total dans la Nature, & détruic les magafins des eaux. Je pourrois encore alléguer plufieurs argumens de la même force pour prouver combien la con* ftitudon des montagnes influe fur 1'économie générale de la Nature, mais le peu que j'en ai dit fuffira , je penfe, pour détruire lesraifonnemens abfurdes de quelques Philofophes foi difants espritsforts, qui envifagent les montagnes comme les monumens d'une deftruétion que notre Globe a effuyé autrefois, ou, ce qui eft plus extravagant encore, les regardent comme des mafles informes qui défigurent la Création , raifonnement d'oü ils tirent enfuite la conféquence, que cet Univers n'eft gouverné que par un hafard aveugle. Ces mêmes réveries philofophiques, loin d'accréditer les objections par lesquelies on prétend renverfer la fageffe des vues de la Nature, deviennent pour moi la preuve la plus complette du contraire. Pour en juger mürement & avec connoifiance decaufe, Y 5  8 faudroït avoir étudié la Nature ck pénétré dans fè» flcrets. Mais il eft temps que je reprenne mon récit. J'avois befoin de repos pour me remettre des fatigues du jour: je me réjouiftöis déja d'ayoir achevé le paffage des Alp s, ck je me promettois dorénavani ies chemins moins pénibles; mais j'eus des accès Fedeublés de fièvre, ék je pafiai la nuit dans une agitatiorj ók un déiire perpétitels. Heureufement ma journée da lendemain n'uffroit point de diificultés a vaincre. Le 4 Juin. Depuis le Village am St^ü juujua Altorp, & de la au travers du Lac des quatre villes FtRFTIEREsiLüCERNE. Chemin de douze lieues. D< puisle village am Stag 'psqvfa Altorfle chemin conduit au travers d'une large vallée; hRuffh parcourt d'un bout a Pautrè, ck fe jète enfuite dans k Lac des Quatre Villes Foretières, Uri, Schwitz, Unterwald & Lucerne, qui rermine en même temps Ia vallée. Eile eft très-fertile & abonde furtout en prairies. Le chemin eft bordé d'arbres fruitiers & dc noyers. On prétend comniunément que le noyer  ( 347 ) ne fouffre point d'autres plantes dans fon voifinage , & que fon ombre eft même pernicieufe. L'expérience prouve ici le contraire. J'ai vu dans cetce contrée un cérifier d'une belle tige, qui s'élevoit contre le tronc d'un noyer & en approchoic de fi prés, que les racines des deux arbres devoient nécefiairement être entrelacées. Altorfdt le chef-lieu duCanton d'Uri, & lefiège de la Régence: cette place eft fans murailles, mais fe diftingue par fa belle fituation, par plufieurs édifices publics & en général par la beauté de fes Mtimens. On eft furprisde trouver dans une auffi petite vallée deux grands villages, & une Capitale qui annonce des richeffes. II eft clair que cet état d'opulen'ce n'eft point dü aux productïons du pays; elles fuffiroient a peine pour fournir a la fubfiftance des deux villages. Le commerce eft auffi de peu d'importance, & 1'on n'y trouve aucunefabrique. L'origine de ces ricbeffes ne fauroic donc être attribuée qu'au bien acquis dans le Service Militaire chez 1'Etranger. Plufieurs membres des premières families paffènt au Service de la France, de 1'Espagne & du Pape, & ceux qui participent k la Régence tirent des penfions de la Cour de VerfaiU les. Une telle politique procure a cette PuiiTance la facilité de recruter les Régimens qu'elle entre-  C 348 ) dent a fa folde, & lui aflure d'ailleurs une influence arbitraire dans toute la République Helvétique. La France fuit le même fyflème dans les autres Cantons Catholiques, & moyennant une rémunération d'environ 40,000 Louis d'or qu'elle y répand annuellement, elle dispofe a fon gré de ces Provinces penfionnées, & retire de fon alliance avec les Suiflès tous les avantages qui font de fa convenance. Mais cette même politique afait perdreauxConfédérés leur ancien pouvoir & leur crédit. Les Cantons Cacholiques, par une malheureufe défiance enversles Etats Reformésqui 1'emportent fur eux en forces & en richeflês, ont cru qu'il étoit de leur intérêt de s'unir étroitement avec la France; cette alliance reflèrrée de plus en plus eft devenue presque indiflbluble, depuis que la Cour de Ferfailks a trouvé le fecret de s'attacher les Régens par fes bienfaits. Les moyens de corruption devoient réuflir facilement dans uh pays oü cent Louis fuffifenc pour la fubfiftance annuelle de toute une familie. Aufli la République eft - elle réduite aujourd'hui au point de ne pouvoir prendre aucune réfolurion oppofée aux vues de la France. J'étois placé maintenant dans un pays écarté du refte de la Terre par des montagnes presque  ( 349 ) irtacceffibles, dans un petit coin de terre peil intéreflant par lui-même, mais dtrv •] céièbre pardes exploits vraiment dignes de 1'admiration & du respeéf. de tous ceux qui connoiflènt le prix de la Liberté. C'eft a Altorf que les Suiflès ont jèté les premiers fondemens de leur liberté & de leur indépendance : c'eft dans les plaines voifines du lac, qu'un peuple pauvre, peu nombreux, ignorant & groffier a fecoué le joug tyrannique d'un Empire puisfant. Je me trouvois actuellement dans la patrie d'un Teil , d'un Walther Fürst , d'un Arnold de Winktlried, de tant d'autres grands hommes, qui par leur courage intrépide & leurs exploits glorieux méritent d'être mis a cöcé des Agamemnon, des Ajax & de tous les héros célébrés par Homère. J'avoue que le fouvenir des chofes qui fè font pafTées ici autrefois m'infpiroit une certaine vénération pour ces contrées. Voila, me difois-je, un fol véritablement clajfique, dont la réputation n'eft point fondée fur des fables: voila le théatre de ces événemens fameux qui ont affuré aux habitans les privilèges magnifiques dont ils jouiffent encore après quatre fiècles révolus. Je renvoyai a Altorf les chevaux qui m'avoient fervi dans mon voyage depuis Lugane, & je fis le refte du chemin * pied jusqu'a Fluelett, village  ( 3S° > fitué fur le lac. je m etois fait précéder de mon bagage, & j'y avois fait arrêter une barque qui devoit me transporter a Lucerne, a 1'extrémité oppofée du lac. Le pafiage n'eft pas fans danger dans un temps orageux, furtout dans le voifina. ge de Fluelen, oü les rochers qui eouvrent la cóte ne permettent point d'aborder. Après une heure de navigation on a moins a craindre; ce n'eft p»s cependant qu'on pulffe descendre par tout oü on voudroit, mais on auroit du moins k 1'approche dupéril, le temps de gagner un lieu de iüreté. La cóte droite du lac eft bordée d'une chaine de montagnes , d'oü s'avance aune lieue au defibus de Fluelen, un rocher plat qui aboutit au rivage. C'eft Ik que le brave Teil fauta hors du vaiflèau qui devoiti'emmener prifonnier, & fe frayak la vue de fes ennemis une route nouvelle par une montagne impraticable: cette aétion hardie fut le fignal des exploits qui rendirent la liberté k tout le Pays. On a érigé dans cet endroit en 1'honneur du héros, un petit temple nommé la Chapelle de Teil. Je descendis k terre pour y fentir avec d'autant plus de vivacité le refpeét dont je fuis pénétré pour ce grand homme. La chapelle eft entourée du cóté du lac, d'une paliflade de bois que chaque paflant peut ouvrir. L'intérieur des  snuraifles repréfente les exploits de Teil, & quelques autres événemens qui en ont été la fuiie II n'y a plus que deux des anciens tableaux qui fe foient confervés, dont 1'un repréfente la bataille de Sempacb; les autres font plus récens, & ont été refaits vraifemblablement après que le premier platre en fut tombé. J'étois fin.^ulièrement afL'été de me trouver fur les lieux mêmes oü s'étoient paifées les actions mémorables tracées dans ces ta- v bleaux, & je goütois un plaifir extréme en les confrontant avec le lieu de la fcène. Un Naturalifte qui aime a fuivre les révolution* que la furface de not're Globe a fubie avant que d'acquérir fa forme actuelle, trouveroit ici de quoi exercer fa curiofité. La cóte droite préfente une chaine de montagnes en partie arides & escarpées, fouvent même élevées perpendiculairement, qui pourroicnt donner lieu a des ©bfervations intérefiantes fur la Minéralogie. J'en viens a une fcène admirable d'un genre tout a fait different. Vers les cinq heures mes bateliers aborderent fur la gauche prés d'une auberge ifolée qui appaitienc au Canton d'Unterwald. Je montai fur une hauteur d'oü je pus jouiren plein ie la vue du lac & de fes environs. La fe déploya  ( 35* ) Ie coup d'teil le plus magnifique qu'il foit poflible d'imaginer. Vis a vis du lieu même oü je me trouvois placé, fe préfentoit une ouverture fpacieufe entre les montagnes , qui me procura la vue de la jnajeure partie du Canton de Scbwitz; cette province étoit expolée a mes regards comme un théatre. Les deux montagnes qui appuyenr le paflage ouvroient la fcène. Je voyois enfuite le bourg de Brunnen avec fon port rempli d'une nombreufe quantité de barques; derrière le bourg paroiflbient des champs fertiles , une rivière qui ferpente dans la plaine, nombre de maifons de campagne disperfées & entourées des plus beaux arbres: plus bas, le bourg de Scbwitz, & les maifons de campagne , les églifes & couvents des environs ; enfin dans le lointain les deux puifians fommets de la montagne a laquelle on a donné a caufe de fa forme Ie nom de la Fourcbs; celle-ci & plufieurs mon« tagnes voifines de moindre grandeur, compofoient Je fond du tableau. Je ne fais quindiquer rapidement les objets principaux: il feroit impoflible de rendre Ia variété infinie des détails, la beauté & la richeffè du terrain, & le coup d'ceil enchanteut' de 1'enfemble. Le foleil couchant & un ciel férein contribuoient encore a répandre fur cet admirablepayfage le coloris le plus avantageux. On trouve une eltampe du même tableau dans la Topograpbie de la Suijje par Merian a la page 38, mais  ( 353 3 mals Ie deffin en a été pris d'un poirtt de" vüö plus élevé, & pn- conféquent les objets y font plus disperfés qu'ils ne me paruren: 1'être k i'ondroifoü j'écois placé. D'ailleurs il ya 120. ans que le deffin de Merian a été faltj 6c depuis ce temps on a b&cï encore une quantité de maifons de campagne qui augmentenc aujourd'hui la ricbeffè du tableau. Je conviens que dc toutes les viies que j'ai trouvées dans mes voyages, il n'en eft poinc que je me rappelle auffi fouvenc & avec autant de plaifir. 11 m'en coüta d'abahdonner ce beau tableau a 1'approche de la nuit. Le refte de ma courfe me fournit encore plufieurs vues intércfïintes, mais dont \i n'entreprendrai poinc de faire la description. J'arrivai a Lucerne vers les neuf heures avee la nuic, fatisfak d'avoir paffe une journée fi peu fat;guante & cependanc fi rjghe en beaucés. ^| Le 5. juin. De Lucerne a Zuftic, dix lieues de chemin. • La ville de Lucerne m'étanc déjS cónnue , & n'y ayant d'ailleurs aucune affaire, je ne voulus pas m'y arrêcer. Elle eft fituée immédiatement au pied des Alpes, & appuyée au Nord contre des cöteaux fertiies. La RuJTh traverfe au fortir du Z  ( 354 )' lac, & parcourc enfuke une belje plaine voifïne de h ville, après quoi elle fe jèce dans VAar. Je pnfai cette plaine dans touce fon étendue, & en dirigeant ma route par une partie du Canton de Zug , j'avancai vers la chaïne de montagnes qui borde Ie lac de Zuric, & qui eft appellée ÏAlbis> Tout ce diftnét eft parfemé d'une nómbreufe quantité de villages qui annoncent la liberté & 1'opulence. Les vues dont on jouit fur Ie fommet de YAlbis vaudroient feules la peine d'un voyage de plufi<_urs jours. Au Nord-Eft , Nord-Oueft, & au Nord, on découvre presque tout le Canton de Zuric , les collines de ceux. de Bdle & de Schafboufc, une partie de la Souabe , les montagnes du Comté de Toggenbourg & du Canton d'Appenzell. Le lac de Zuric , qu'on enfile dans toute fa longueur, ajoute encore k la beauté de cette vue fi étendue & fi variée. A l'extrémitPNorê^Oueft du lac paroit la ville de Zuric k la diftance d'un mille & demi d'Allemagne. Le rivage eft garni des deux córés d'une quantité innombrable de maifons de campagne, & de plufieurs gros villages. Ces cötes font bordées de collines qui s'élèvent les unes fur les autres, & qui offrent fucceffivement des vignes, des champs, des pacurages , & des forêcs. Enfin ces collines mêmes font en»  ( 355 ) toürées d'une chaine de haures montagnes donï les fommets fe perdent dans les nues. De 1'autre cóté de l'Albis fe préfentent le refte du Canton de Zuric, ceux de Zug & de Lverns en entier, les Baillages- L'bres, une partie du Can- " ton de Berne , & dans le lointain une longue chaine des Alpes couvertes de neige. II eft impüftible de fe faire une idéé complette de la beauté raviffante, de 1'étendue immenle, & de la diverfité de ces grands tableaux, a moins que de les avoir vus de prés. Depuis ÏAlbis jusqu'a Zuric le chemin conduit au travers d'une jallée écroite fituée entre la montagne & les collines qui eouvrent le rivage du. lac. On voit fur cette route quelques viilages, un grand nombre de maifons de campagne qui appartiennent a des Zuricois, & des cabanes de payfans; mais on y recrouve auffi plufieurs de ces contrées fauvages & pittoresques , oü notre aimable GeJJner a puifé quelqueï-uns de fes tableaux pcè'dques, & la plupart des deffins dont il a enrichi 1'édition de fes Ouvrages. v A mefure qu'on approche de Zuric, le pays redevient plus peuplé. Les avenues de la ville fontbordées de maifons, dont la fituation , la b&cisfe, la propreté & 1'ordonnance , font presque 7 2  C ) aa deffus de la fimplicité villageoife ; eIW ont routes un air d'a-fince & de richeff . fels font auffi les villages fhués fur les bords e fois pour toutes que dans ce Canton ci, comme dans les autres Cantons Aristocratiques de la Suiflè, les habitans des villages eompofent 1'OrJre des payran.. Quoiqu'ils jouisfent de toutesforcesde privilèges,ilsnefontpourtanr  ( 357 ) que les Sujets du Souverain , & il ne leur eft point permis de lbrtir de leur état, quelques riches qu'ils foyent. On parvient fouvenc dans cette claffë k une fortune confi 'érable ; la liberté , la fertilité du fol, ure induftrie & une économiê bien entendues» tout concourt au bien-ctredes gens de Ia campagne; mais n'ayant pas le droit de fe fixer dans la ville» & n'ofant pas non plusexercer indifféremment des profeffions de leur choix, la plupart d'entr'eux continuent a fuivre la charrue. On en voit cependant qui font un trafic de vin & de blé, autant que les lois le permettent: d'autres vivent fimplement de leurs rentes: quelquesuns étudient la Médecine, & s'établiffent daus les villages comme Médecins ou comme Chirurgiens: enfin il y en a qui parviennenc a des charges honorables , car la Régence choific ordinairement parmi eux les Officiers de la Milice , les Sous-Baillis , &les Juges Provinciaux. II n'eft pas rare de trouver dans cette claffe des manières honnêtes & des connoisfances. J'ai connu un de ces Villageois qui poffédoit une belle Bibliothéque,& une riche colleétion d'eftampes , & qui du cóté de leducation 1'emportoit de beaucoup fur bien des Gentilshommes du Nord de 1'Allemagne. Au refte les gens de la campagne du Canton de Zuric pris en général, m'ont paru moins opulens que ceux de Ia partie Allemande du Canton de Berne : iln'ya guères que Y 3  £urfc. i t i t ï c < ( t j ( 358 ) Ses bords du lac qui foyent babités par des faffljj. les riches; les autres Villageois ne fonc pas auffi a leur aife. Vers le foir .j'arrivai a Zuric , trop heureux d'avoir confervé affez de forces pour atteindre unc ville ou j'espérois me repofer a mon aife, & faire une nouvelle provifion de fanté, Du 5. au 13. de Juin. Séjour d Z uric. Je descendis chez mon ancien ami le Direéteur ScbultbeJJ, qui me recut avec la tendre affeétion d'un frère,. j'étois hors d'état de fortir beaucoup, mais je voyois tous les jours Bodmer , Breiiin*er , le Profefieur, & le Poëte Gcffner, Lavater, le Docleur Hirzel, & plufu-urs autres gens le lettres. Quelques douceurs & quelque fatisaclion que je goütaflè dans une auffi bonne fociété, nes manx reprirent cependant le deflus ; il me 'allut quitter la ville, & chercher un afile a la cam>agne. Je me rendis en conféqueuce le 13 Juin 1 Wulpingen , village charmant a une demie lieue le Zuric,oü un de mes parens Mr. Jean Sulzer, j d v Snt Bourguemnitre de Wintertbur, jouit 1'une retraite bien méritée , après avoir fervi hoiorablement fa patrie jusques dans un age avancé, 'eus ia joie d'y revoir des lieux qui me rappel-  ( 359 ) loient les plaifirs de mon enfance, & de me re-' trouver au fein d'u.ie familie & de quelques amis chéris, 'dont j'avois été féparé depuis 40 ans. Sans entrer fur cette contrée dans des détails qui font déja connus en partie, ou qui ne m'intén.ffrnt que perfonnellement, je p.irlerai feulement d'un four k fécher le blé que j'ai vu k Zuric , & qui m'a paru très-bien imaginé. On fait que le blé féché artificiellement efï préfervé de la carie, & fe conferve long-temps fans exiger d'autres précautions, mais les machines qu'on employé k cette opération font d'une con» itruclion très-diffjcile. Les p^anches fur lesquelies on étend les grains fe courbent ou fe rétréciifent par la chaleur, & le olé retombe par terre avant qu'il foit bien fee, ce qui fait manquer le buc éco~ nomique qu'on s'étoit propofé ; . d'ailleurs le bois échauffé fait contraéter aux gnins un gom défagréable. Pour remédier a ces inconvéniens les Zuricois fe font avifés de fubftituer aux planches , d« grandes feuilles d'ardoife noire , qui réfillent au feu, & qui ne font fujettes k aucune espèce d'alté* ration. Ce changement ingénieux ajoute letlermer degré de perfèétion k 1'inventioa utile des fours k fécher. Z 4  ( 36° ) £,t 10. Jufflét. ZteWuLFLiNGEN par Schafhouse a Geisslingen en Souabe. II m'eut été iiifiniment douloureux d'abandonner pour toujours ma patrie & mes arnis, fi je n'uvois été für de retrouver ailleu:s une nouvelle patrie , une familie , ck des arfti'3 , qui me tenoien: éj.alement a cceur, ék quj je défirois beaucoup de revoir. Cette idee adouciifoit mes regrets, & en quittant la Suijfe, je bénnTois la Providence du fort heureux ck des confolations qu'elle m'avoic rcfervés fous un autre ciel. Le pnys entre Wulfltngen & la rivière Tbur, quoiqu'inégal & raboteux, plak encore par fa diverfi'é. II offre tour a tour des collines & des valiées, des prés ck des champs, des vignobles ck des forêts. En général aucun Voyageur n'accufera la SuiJJe de fatiguer par fon uniformité: il n'y a pa< de plaine qui ne fok entrecoupée par quelaue colline , ck la moindre petite haureur fourn t quelque vue intéreffante. La fiène change pour ainfi dire a chaque pas, & préfente de npuveaux objets également ogréables. Dès qu'on a paffe la Tbur, le terrain redevient plus fertile. On traverfeplufieurs gros villages bien bat is, ck dont je préférerois les maifons aux foidifant chiteaux de makte Gentilhomme de cam»  ( 3cr«bfhc!es. Si 1'Allemagne étoit partarrée entre trois ou quatre Souverains, tous auffi attentifs au bien-être de leurs Sujets que le Roi de Pruffè, elle prendroit dans peu une forme tout a fait différente. Ce n'eft pas que je puiffè faire 1'éloge des chemins dans les EtatsdeceMonarque: loin de la ils font extrêmement négligés, mais les canaux de la Marche de Brandebourg font d'une reflburce admirable, puifqu'ils facilitenc le transport d'une ville a 1'autre, & même dansles provinces les plus éloignées, jufques dans la mer Baltique. Slngen eft fituée a cóté d'une haute montagne ifolée, au fommet de laquelle fe trouve la fortereffe de Hobentwiel, qui parólt en tout fens imprenable'. Le ir. Juittet. De Geisslingen a. Neuforn. Dans le voifinagede la petite ville de Mofskirch on cultive avec autaftt de foin que de fuccès des arbres fruitiers de toute espèce. On c )mmence aufli a s'y apaliquer a la culture des pommes ;*de terre, mais 1'utilité de ce légume n'eft pas encore fuffifamment reconnue, nr dans la Souabe, ni en Suifie.  ( 364 > Le iï. Juillet. De Nkuforn d Ulm. Les environs de Riedllingen font riches en prairies & paturages ils rapportenc auffi du bied & du lin. Lc chemin entre Ebinqen & Ulm eft infim'ment agréable. On y paffe lur des collines dbü 1'on découvre les belles piames qui bordent le Danube. Les rivages de ce fleuve font couverts de gras paturages & de champs en recoupés de villages. Cttte vue intéreflante s'étend a plufieurs milles d'Allemagne. On le réjouit du bien-être des gens de la campagne, en admirant la beauté & la fertiiité du p ys. II regorge pour ainfi dire de ricneffès, &, je doute qu'il y sic en Europe une contrée dor t ['abondance i'emporte lur ces plaines voifines du Danube. Je fis k Ulm la co'inoiflance de Mr. Scbubart l'Aut-.:ur de la Chronique Allemande, jeune Savant plein d'esprit & de vivacité: j'ai beaucoup a me Iouer de fes attentions & des fervices qu'il m'a renüus. La Cathédrale de cette ville eft un des plus beaux batimens Gothiques que j'aye jamais vus; je le préfère tant pour le plan que pour 1'exécution a la fameufe Cathédrale de Strasbourg. Le portique a de la grandeur & de la magnificence: onn'y retrouve pas a la vérité la noble fimplicité  ( 3<55 ) & la belle pfoportion de l'Architeéture Grecque; mais du moins il n'elï pas forchargé de ces ornemens mesquins qui défigurent la plupart des EgHfes Gothiques. Le 13. Juiïlet. d'Ulm par Günzbèrg a DlLLINCEN. II y a deux routes qui conduifènt iïUlm k Nuremberg, favoir par Nördlingen , & par Bena•voerth. Je choifis la dernière, 1'autre étant d'un paflage difficile en temps de pluie, a caufe des plaines marécageufes qui font prés de Nördlingen, On a conflruit des chaufiees depuis Ulm jufqua Günzbèrg. mais malheureufement elles ne font pas bordées d'arbres. Je ne comprends pas qutdans un fiècle oü on s'occupe tant de l'amélioration & de 1'embelliflèment des terres, on continue a négliger de garnir les grands chemins. On pourroit cepandant en retirer des avantages réels, & le pays y gagneroit en agrément. En employant parexemple, des faules, ou d'autres arbres dont la coupe peut être fouvent répétée, on ne .feroit plus dans le cas d'établir des forêts. Dans les provinces oü 1'abondance du bois rendroit cette refiburce (üperflue, on pourroit planter des chênes dont les glands ferviroient a engraiflèr les pource-  aux: rien 11empêcheroit d'ailleurs de choiilr des cr.d-igniers , des noyers , ou tels autres arbres fruitiers d'un rapport avantageux. II ne refteroit plus qu'a irnagïner énfüite un moyen pour aflurer les tjhemins garnis de la force contre les ravages de 1'ennemi en temps de guerre. La chofeeuc été aifée darts lanrienne G.-èce: il tut fcfiï de mettre le chemin, ou feulement les cfbres fous la protecdon particuliere de quelqueDivinité, & oneut été förde les conferver fains & faufs. Des avances accefToires de cette espèce font peut-être 1'unique bien qui puiffe rélulter de la fuperftmon. La rrande forét derrière Günzbèrg renferme plufieurs espaces vuides dont on a fait des prairies admirables, qui ren dent une prodigieufe quantité de foin. En forrant de la force on arrivé dans une plaine immenfe parfaitement nivellée, mais aui eft en friche d'un bout a 1'autre, a caufe des inondations fréquentes du Danube auxquelles elle eft ex. poÉëe. Comme la plus grande partie du- fo] eft un limon extrêmement g-s, il feroit aifé de prévenir ces dégats en conftruifant des digues. On gagneroic par ïh un terrain confidérable, dont on ne retire aujourd'hui qu'un avantage très-médiocre. Je ne fuis pas de 1'avis de ces Economiftes rigides qui voudroient que chaque Province fut pcuplée au point que les habitans n'y pufTent fub-  ( 3^7 ) Sfrer qu'au prix d'un travail pénible. II me femWe que pour ménerune vie heureufe, teile qu'on devroio la fouhaiter a tous les hommes, il eft nécesfaire qu'on jouiffe d'une certaine abondance. Je voudrois que chaque honnête homme put fe donner de temps en temps une journée de récréation, qu'il pü\r dépenfer quelquefois dans un jour ce qui eftdeflinéale nourrir pendant deux, fans qu'il courrut le risqu^ de fouffrir de la faim le knlemain. Je n'approuve point par la même raifon 1'economie ftoïque du Philofophe Kklnjogg , qui refufoit a fa familie un petit régal les jours de fète. Mais malgré toute mon indulgence je ne faurois voir de bon oeil qu'on négligé un terrain déja fertile par lui-même , ou qui du moins pourroit le devenir a peu de frais. Je gémis alors fur le fort de tant de jeunes-gens qui ne demanderoient pas mieux que de fe marier, s'ils avoient de quoi fournir a leur fubfiftance & a celle de leur familie future. Rien ne feroit plus aifé néanmoins que de leur procurer rétabliffemenc après lequel ils foupirent, fi on fe donnoit la peine de faire des arrangemens mieux entendus.  ( 3^8 ) Ls 14 jfuillet. De Dillingkn par Do- nawkrth a R oth. Le terrain entre 'DHUngen .& Don,aivérth eft une belle plaine arroféepar le D fnube, auquJ elie doit un dépöc confidérable qui arehauffe fuccesiivement les bords des deux ccués. Les gens de la campagne femblent êrre a l :ur aife : ils font gais & bien vêtus. Les,chemirJs lont bons, mais presque dégarnis. Prés de' Bochftttèfp je me fentis faifi d'horreur, en me rappéllant nu milieu de la beauté & de Ia ferdlité de ces plaines la fcène fanglante qui les a rendus fi célèbres au commencemenr, de ce liècle par la défaite d'une nombreufe Armée Frarcoife. Les contraftes font fouvent agréables, mais dans ce moment ci je ne pus fupporter le tableau d'une heureulè opulence joint a l'idée des fureurs & descalamités de laguerre ; je me hatai de chafier une comparaifon auffi arfligeante par des idéés plus agréables. Prés d'un village voifin de Dmawerth j'ofefervai a cóté du grand chemin l'élévatïon d'un terrain mêlé. de fable & de cailloux, qui fur une étendue de 150. ou zoo pas, offroit plus de trentefources d'eau. II efl facile de fe faire une idéé de 1'origine de la plupart des fources. A mefure que 1'eau de pluie ou de neige tombe fur les terres, elle pé-  C %n9 ) pénètre Ia fuperficie du fol, qui étant moii & léger ne s'oppofe poh.t k fon paflage; mais lorsqu'elle rencontre k une certaine proforideur des couches d'un limon p'us gras & plus ferme, elle s'y rafiemble, jusqu' a ce que fa pefanteur naturelle 1'oblige k chercher une iffue. Ce mécanifme s'explique de lui-même. Entre Donawerth & Manhsim commence la chaine de montagnes qui féparé la Souabe de la Franconie. On n'a négligé ni frais ni travail pour y ouvrir de bons chemins, & on y a réufii en partie , quoiqu'a préfent ils foyent enco. re raboteux, a caufe des cailloux poincus dont on s'eft fervi pour le pavé de* chaufiees. On auroit dü au moins prendre la précaurion de les couvrir de fable. Le 15 juillet. De Roth par Nürembergc^ Erlangen alte ndorf. Entre Rotb & Nuremberg le terroir eft fort lablonneux, auffi les pins y croiflent - ils en abonh dance. On trouve d'ailleurs fur cette route les premières plantations de tabac du cóté de la Suifie. J'ai remarqué en général que le peuple én Franconie aimc affez k faire de nouveaux efiais & & Aa  C 37® ) dorder dans ies entreprifes: il diffère en ceci des Souabes fes voifins, qui reftent fiJellemenc attachés a leurs anciens uAges & habitedtó. Le commerce autrefois fort étendu de la ville de Nuremberg a contribué vraifemblableme»t a répandre dans le voifinage cet efpric d'aclivité & d'mduftrie qui s'y conferve encore. Mais il n'en eM pas moins vrai que les habitans de la Souabe font bien plus a leur aife aujourd'hui que ceux de Ia Franconie. Sur cette même route je vis des gens occupés a couper du bied qui n'étoit par encore mur a beaucoup prés. Je leur demandai pourquoi ils n'attendoïent point le temps de la recolte , & ils me répondirent d'un air contrit, qu'ils étoient obligés de ferrer leurs grains de bonne heure pour ne pas les voir broutés & détruits par Ie gibier. Tout prés de lï je trouvai des champs femés de pommes de terre qui probablement n'étoient pas mieux traités, car j'obfervai que de diftance en diftance on avoit planté des pieux & riré des cordes, auxquelles on attachoit de petites planches , des morceaux de verre , du papier, des haillons , &c. pour donner 1'épouvante au gibïer: trifte & cruelle preuve du peu d'égard qu'on a pour ie payfan, qui achète peutêtre par dix écus de dommage ou de temps perdu, chaque éc«  c 371 > que fon Seigneur gagne fur le gibier. Ne devroicon pas fe borner a prendre le plaifir de la chaffë dans des parcs fermés de hayes ? Je ne m'arrêtai pas longremps a Nuremberg ni a Erlangen, oü j'avois déja fait précédemment quelque féjour. Je pafiai enfuite par Forchheim , qui devroit fervir de| modèle a toutes les fortereffes, en ce qu'elle eft moins une ville qu'un fimple village, qui n'a pas de grands ïdégats k craindre en cas de fiège. Plus loin les chemins deviennent impraticables, quoique ce foit ici le paflage ordinaire des rouliers. On m'a afluré qu'il fallok fouvent atteler a un chariot feize chevaux <& même davantage, & quenéanmoins on devoit ener* re employer quelquefois des tourniquets de fer pour dégager Ier roues des ornières. II feroit aifé cependant de remédier a ce terrible inconvénient par des chauflées , toute cette contrée offrant des pierres en quantité. II fe fait ici un grand commerce de jeunes arr bres fruitiers, & les Provinces Septentrionales de 1'AHemagne en tirent feules plufieurs milliers. Aa 2  ( 372 ) Le 16 Jüilles. o'Altehdorf par Bamberg d Cronach. Le pays a 1'entour de Hamberg eft un des plus beaux & des plus fertiles de l'Al!crnagne, & cependant 'il m'a paru que les gens de ia campagne n'en font pas plus heureux : ils ont tous un air affez pauvre. Outre les grands impóts dont le payfan eft accablé, il eft encore obligé de nourrir une foule ö'Eccléfijftiques oififs, & malgré le rapport confidérable de fes terres, il eft réduit a vivre miférablement pour pouvoir acquitter les tailles exorbitantes qu'exigent fes maitres. Malheureufement la condition du payfm eft a peu prés partout la même. Dans les grandes Monarchies 1'entretien des Armées retombe feul a fa charge: dans lespetïts Etats il doit fournir a la fubfiftance 'd'une troupe de Courtifans désoeuvrés, ou d'Eccléfiaftiques plus fainéans encore, & ce n'eft qu'après avoir fatisfait a des obligations auffi dures, qu'il peut espérer de s'approprier les reftes de fun travail. Un homme établi dans ces quartiers, avec qui j'eus une converfation fur cette marière, attribuoit Ia pauvreté du Vüiagf ois au luxe des liches Eccléfiaftiques. II m'afiura que ces Meffieurs dédaignoient abfolument toutes les productions du pays, & qu'ils faifoient venir du dehors tout ce qui fert au luxe de la table, des meubles & des vêcemens. Je n'eus ,pas beaucoup de peine a prouver a mon homme  ( 373 ) que le mal ne provenoit poinc de 1'exoortation de 1'argent comptanc, mais uniquemenc du trop grand nombre de gens oiflfs qu'on fouffre dans le pays. Le payfan, lui difbis-je, fcroic égalemenc miférable quand même il ne paflèroic pas le fou dans 1'étranger; car fuppofé que touc 1'argenc rellat dans le pays, eft- il apparenc que les charges en feroient diminuées? Les perfonnes riches qui feules font en étar de faire de la dépenfe, ' n'auroient pas moins befoin de domeftiques pour fe faire fervir, il ne leur faudroit pas moins une quantité dbuvriers inutiles pour contenterleur luxe, & ce feroic coujours au payfan a nourrir routes ces bouches inutiles. La feule dvfférence qu'il y auroic, c'eft qu'au lieu de débicer la plus grande p-ircie du produic de fes terres dens 1'étranger, il le vt-ndroic a fes compatriotes, mais dans 1'un & 1'autre cas 1'argenc qui lui rencre eft deftiné a acquitter les impö.s, & par conféquenc il demeure égalemenc pauvre, canc qu'il eft obligé de facnfier ce qu'il gagne , pour 1'entretien d'autrui. Je iuppofe encore, ajoutai-je, qu'on expulfe du pays tous les Chanoines' & autres Eccléfiafliques qui dépenfent une parcie de leur revïnu en vins étrangers ou tels autres objets de luxe, mais qu'a la place de chaque Exilé on recoive douZQ ouquinzeMoines Mendiansquifecontenteroienr de ce que leur fournit le pays, Ie forc du payfan n'en feroic pas plus doux, car peu lui impor-, Aas  C S.r+ ) te que les charges qu'on lui extorque, tombent entre des mains d'un Mendianc ou d'un Bijoutier. Bamberg a des fauxbourgs fp.vLux, en parcie habités par des J.irdiniers. Ourre les légumes ordinaires dont ils fourniffënt la ville & fes environs, ils cultivent encore la réghfpj, 1'anis, le fcnou j, & d'autres plantes dons ils font un commerce lucratif. La route ordinaire de Bamberg en Saxe paflè ipzrCübourg & Saalfddt; il y en a une autre que les poftes fuivent ordinaircmenr, & qui mène par Cronacb dans le Voigtland. Je choifis celle-ci, & je la trouvai beaucoup plus commode que Ia première, fans que le détour foit confidérable. Seulement on y eft afiez mal fervi en relais, les maitres de pofte étant obligés fouvent d'employer leurs qhevaux au labourage. Cn arrivé de Bamberg a Staffelfttin par une. belle chauffée: enfuite on cótoye le Main, qui caufoit autrefois ici de grands ravages par fes inondations : aujourd'hui on y a remédié en élevant fur les deux bords du fleuve de fortes murailles. Au dela de Zedlitz on approche de cette longue chaine de montagnes qui féparé la Saxe de la Franconie, & qui fait en général la frontière entre la  C 175 ) Haute & la 'Baffè- Allemagne. Toutes ces moa* tagnes font couvertes de forêts dont on tire la plus grande ütilité. Les h?bitans de la vallée qui conduit a Cronacb ne connoisfent d'autre occupation ni d'autre gagne-pain, que la coupe & le transport du bois. On le fait flotter par radeauxle long du Main, foit ea troncs entiers, en planches, ou en espaliers. Les moulins a fcier qu'on a conftruits fur la rivière qui parcourt la vallée, contribuent a faciliter & a étendre cette branche de commerce. Cronacb & Hanau en font les entrepots. Le 17. Juillet; de Cronach d Schlaiz. On s'avance de plus en plus dans les montagnes & on retrouve partout des forêts en abondance. Le grand village de Steinwiefen fubfifte uniqaement du commerce de bois: il eft fitué dans une vallée arrofée par un petit ruifïèau, qui au moyen de quelques éclufes dorme affez d'eau pour faire aller des moulins a fcier & pour mettre a flot des radenux. La fin de cette route eft monotone, & n'offre fouvent que des lanc'es & des bruyères. Le tertain gagne cependant a mefure qu'on avance vers le Voigtland- Dans tous les villages de cette con£rée les maifons font couvertes de bardeau, &on Femploye également pour la conftruélion des muAa 4  C 37Ö ) rai'lcs extérieures: cette facon de batir eft en ufage- auffi dans les montagnes du Harz,oii peuc-êcre elle ; ura été imagmée par les mêmes raifbns qu'ici. Lobflein. eft la première pofte du Voigtlavd: de la on vient a Schlaiz, & enfuite a Gera, qui en eft la Capitale & une ville afiez floriffante par fon commerce & fes fabriques. Les environs en font agréables,& ony voit fur une colline un trés-beau chateau qui eft. laRéfidence duSouverajn, le Comte de Reuf. Toute cette partie de la Saxe eft de 'la plus grande fertilité. Après avoir pafte la nuit du 18 a Zeitz, je partis le lendemain pour Leipzig, oüje terminerai le Journal de mes Voyages. FIN