■   fflUVRES PRI MITIVES D E FRÉDERIC II. ~====^=a^—. a T O M E I.  f  192 B-:j m ü V R E s PRIMITIVES D E FRÉDERIC II, ROI DE PM.USSE* O u Collectïon des Ouvrages qu'ïl publia pendant son règne. Imitateur heureux d'Alexandre et d'Alcide , 11 aimait mieux pourtam les vernis d'Aristide ! VOLTAIRE. T O M E I. Amsterdam, 1790.   AVANT-PROPOS- Prince de Machiavel est cn fait de rnorale cc qu'est l'ouvrage de Spinosa cji matière de foi ; Spinosa sapoit les fondemens de la foi, et ne tendoit pas a moins qu'ü renverser l'édifice de la, religion ; Machiavel corrompit la politique , et entreprit de détruire les préceptes de la saine rnorale : les erreurs de Vun nétoient qne des erreurs de spéculation, celles de l'autre regardoient la pratique. Cependant ü s'est trouvé que les théologiens ont sonnê le tocsin et crié aux armes contre Spinosa ; qu'on a rèfiité sou oi/vrage en forme, et qu'on a défendu la Divinité contre ses attaques , tandis que Machiavel n'a été que harcelé par quelques mora.li*tcs , et qu'ü s'est soutcnu, malgrè eux et malgré sa pernicieuse rtiorale, sur la chaire de la politique jusqu'a nas fours. J'ose prendrc la defense de l'humanitè contre ce monstre qui veut la détruire ; J'ose opposer la raison et lajustice au sophisme et au crime ; et j'ai hasardé mes réjiexions sur le Prince da Machiavel chapitrc par chapitre , afin que l'antidote setrouve immédiatemerU auprès du poison. J'ai touj'ours regardé le Prince de Machiavel comme un des ouvrages les plus dangereux qui se soient rèpandus dans le monde ; c'est un hvre qui doit tomber naturellement entre les mains des princes, et de ceux qui se sentent du gout puur la politique ; il n'est que trop facile qu'uij,. A 5  vj AVANT-PROPOS. jeune-homme ambitieux , dontlc cceur etlejugement ne sont pas assez formés pour distinguer surement le bon du mauvais , soit corrompu par des maximes qui flattent ses passions. Mais s'il est mauvais de séduire l'innocence d'un particulier, qui n'influe que légérement sur les affaires du monde, il Vest beaucoup plus de pervertir des princes qui doivent gouverner des peuples , administrer la justiee , et en donner l'exemple a leurs sujeis; être par leur bonté., par leur magnanimité et leur miséricorde les images vivantes de la Divinité. Les inondadons qui ravagent des contrées , lefeu du tonnerre qui réduit des villes en cendr#s, le poison de la peste qui désole des provinces , ne sónt pas aussifunestes du monde que la dangereuse morale et les passions effrénées des rois : lesfléaux célcstcs nc dunmt qu'un temps, ils ne ravagent que quelques contrées, et ces pertes , quoique doulourcuses , se réparent ; mais les crimes des rois font soujfrir bie/i long-temps des peuples entiers. Ainsi que les rois ont le pouvoir de faire du bien lorsqu'ils en ont la volonté, de méme dépend-il d'eux de faire du mal lorsqu'ils Vont résulu ; et combien nest point déplorablela situation des peuples, lorsqu'ils ont tout a craindre de l'abus du pouvoir souverain, lorsque leurs biens sont enproie a Vavarice du prince, leur hberté a ses caprices, leur repos a son ambition , leur suretè d sa perfidie, et leur vie d ses cruautés ! C'estld le tableau tragique d'un lüat ou régneroit un prince conn/ie Machiavel prctend le jonnet;  A VANT-PROPOS. vij Je ne dofs pas finir eet avant-propos sans dire un mot a des personnes qui cróient que Machiavel écrivoit plutót ce que les princes font. que ce qu'ils doivent faire ; cette pensée a plu d beaucoup de monde, paree qu'eüe est satyrique. Ceux qui ontprononcé eet arrét décisif contre les souverains, ont été séduits sans doute par les exemples de quelques mauvais princes, contemporains de Machiavel, cités par l'auteur, et par la vie de quelques tyr.ans qui ont été l'opprobre de l'lmmanité. Je prie ces censeurs de penser, e bos jours , les troupes nombreuses et les  13 L'Asti-Mackiavel. armées puissantes que les princes tiennent sur pied en paix comme en guerre , contribuent «mcore k la sureté des Etats ; elles contiennent 1'ambition des princes voisins; ce sont des épées mies qui tiennent celles des autres dans le fourreau. Mais ce n'est pas assez que le prince soit, comme dit Machiavel, di ordinaria industria , je voudrois encore qu'il songeat a rendre son peuple heureux. Un peuple content ne sóngefa pas k se révolter ; un peuple heureux craint plus de perdre son prince , qui est en même temps son bienfaiteur , que ce souverain même ne peut appréhender pour la diminution de sa puissance. Les Hollandois ne se seroient jamais révoltés contre les Espagnols , si la tyrannie efes Espagnols n'étoit parvenue a un excès si énorme , que les HullancloU ne pouvoient plus devenir plus malheureux qu'ils ne Fétoient. Le royaume de Naples, et celui de Sicile , sont passés plus d'une fois des mains des Espagnols a celles de 1'empereur, et de Fempereur aux Espagnols ; la conquête en a toujours été très-facile, paree que Fune et Fautre dominations étoient très-rigoureuses, et que ces peupli^ cspéroient toujours de trouver des libérateurs dans leurs nouveaux maitres. Quelle différence de ces Napolitains aux Lorrains ! Lorsqu'ils ont été obligés dë changer de domination , toute la Lorraine étoit en pleurs; ils regrettoient de perdre les rejetons de ces ducs , qui depuis tant de siècles furent en possession de ce florissant pays , et parmi lesqueis.  Chap. II. ï3 et en compte de si estimables par leur bonté , qu'ils mériteroient d'être 1'exem.ple des rois. La mémoire du duc Léopold étoit encore si chère aux Lorrains , que quand sa veuve fut obligée de quitter Luneville , tout le peuple se jeta a genoux au devant du carrosse , et on arrêta les chevaux k plusieurs reprises ; on n'entendoit que des gémissemens , et on ne voyoit que des larmes. chapitke iii. Des PrincipauCés mixtes. Le quinzième siècle oü vivoit Machiavel, tenoit encore k la barbarie : alors on préféroit la funeste gloire des conquérans . et oee actions frappantes qui par leur grandeur imposent un certain respect, h la douceur, a 1'équité , a la clénience et k toutes les vertus ; k présent je vois qu'on préfère 1'humanité a toutes les qualités dun conquérant, et 1'on n'a plus guère la démence d'encourager par des louanges , des passionscruelles, qui causentle bouleversement du monde. Je demande ce qui peut portèr tïn hómme k s'agrandir ? et en vertu de quoi il peut former le dessein d'élever sa puissance sur la misère et sur la destruction d'autres hommes ? et Continent il peut croire qu'il se rendra illustre en ne faisant que des malheureux ? Les nouvelles conquêtes d'un souverain ne rendent pas les États qu'il possédoit déja , plus opulens m plus  *4 L'A nti-Machiavel tiches ; ses peuples n'en profitent point, et il s'abuse s'il s'imagine qu'il en deviendra plus heureux. Combien de princes ont fait par leurs généraux conquérir des provinces qu'ils ne voient jamais ? Ge sont alors des conquêtes en quelque facon imaginaires, et qui n'ont que pen de réalité pour les princes qui les ont fait faire; c'est rendre bien des gens malheureux , pour contenter la fantaisie d'un seul homrne , qui souvent ne mériteroit pas seulement d'être connu. Mais supposons que ce conquérant soumette tout le monde a sa domination, ce monde bien soumis, pourra-t-il le gouverner? Quelque grand prince qu'il soit, il nest qu'un être très-borné; è peine pourra-t-iï retenif le nom de ses pro vinces , et sa grandeur ne servira qu'a mettre en évidence sa véritable pctitoese. Ce n'est point la grandeur du pays que le prince gouverne , qui lui donne de la gloire : ce ne seront pas quelques lieues de plus de terrein qui le rendront illustre : sans quoi ceux qui possèdent le plus d'arpens de terre , devroient étrc les plus estimés. L'erreur de Machiavel sur la gloire des conquérans pouvöit étre générale de son temps ; mais sa méchanceté ne 1 'étoit pas assurément. II n'y a rien de plus affreux que certains moyens qu'il propose pour conserver des conquêtes ; h les bien examiner, il n'y en aura pas un qui soit raisonnable ou juste. Ou doit, dit ce méchant homme , ëtcindre la race des princes qui régnoicnc avant votre conquête. Peuu-on lire de  C It A P. III. iS ï>areils préceptes sans frémir d'horreur et d'indignation ? C'est fouler aux pieds tout ce qu'il y a de saint et de sacré dans le monde ; c'est ouyrir a 1'intérêt le chemin de tous les crimes. Quoi ! si un ambitieux s'est emparé viólemment des États d'un prince , il aura le droit de le Faire assassiner, empoisonner ? Mais ce même conquérant , en agissant ainsi , introduit une pratique dans le monde qui ne peut tourner qu'a sa ruine : un autre plus ambitieux et plus habile que lui, le punira du talion , envahira .ses États, et le fera périr avec la même cruauté avec laquelle il fit périr son prédécesseur. Le siècle de Machiavel n'en fournit que trop d'exemples. Ne voit-on pas le pape Alexandre VI prés d'étre déposé pour ses crimes; son abominable batard César Borgia dépouillé de tout ce qu'il avoit cnvalii, et mourant misérablement; Galéas Sforce assassiné au milieu de 1 e•dise de Milan ; Louis Sforce 1'usurpateur more én France dans une cage de fer ; les princes d'York. et de Lancastre se détruisant tour-atour; les empereurs Grecs assassinés les uns par les autres , jusqu'a ce qu'eniln les Turcs proH^ tèrent de leurs crimes , et exterminèrent leur foible puissance ? Si aujourd'hui parmi les chrétiens il y a moins de révolutions, c'est que les principes de lasaine morale commencent è êtré plus répandus : les hommes ont plus cultiyé leur esprit; ils en sont moins féroces, et peutêtre est-ce une obligation qu'on a aux gens-delettres qui ont poli 1'Europe. La seconde maxime de Machiavel est. que  lti I/Anti-Machiavel le conquérant doit établir sa résidence dans ses nouveaux États ; ceci nest point cruel, et paroit même assez bon a quelques égards. Mais 1'on doit considérer que la plupart des États des grands princes sont situés de manière, qu'ils ne peuvent pas trop bien en abandonner le centrë sans que tout FJitat s'en ressente : ils sont le premier principe d'activité dans ce corps ; ainsi ils n'en peuvent quitter le centre , sans que les extrêmités languissent. La troisième maxime de politique est, » qu'il 5> faut établir dans les nouvelles conquêtes des » colonies, qui serviront a en assurer la fidé» lité ». L'auteur s'appuie sur la pratique des Romains ; mais il ne songe pas que si les Romains, en établissant des colonies , n'avoient pas aussi envoyé des légions , ils amolont bientót perdvi leurs conquêtes ; il ne songe pas qu'outre ces colonies et ces légions , les- Romains savoient encore se faire des alliés. Les Romains dans 1'heureux temps de la république , étoient les plus sages brigands qui aient jamais désolé la terre ; ils conservoient avec prudence ce qu'ils acquéroient avec inj'ustice : mais enlin il arriva è ce peuple ce qui arrivé a tout usurpateur, il fut opprimé a son tour. Examinons a présent si ces colonies , pour 1'établissement desquelles Machiavel fait coinmettre tant d'inj'ustices a son Prince , si ces colonies sont aussi utiles que l'auteur le dit. Ou vous envoyez dans le pays nouvellement conquis de puissantes colonies , ou vous y en envoyez  C H A P. 1 I I. 1'H Voyez de foibles. Si ces colonies sont förtes , vous dépeuplez votre Etat Coh&dêrableméiM' . ei vous chassez un grand nombre de vos nouveaux sujets , ce qui diminue vos forCes. Si vous ènvoyez des colonies foibles dans ces pays conquis, elles vous en garanliront mal la possession; ainsi vous aurez rendu malheureux ceux que vous chassez, sans y profiter beaitcoup. On fait donc bien mieux d'envoyer des troupes dans le pays que 1'on vient de sè soumettre, lesquelles moyennant la discipline et le bon ordre ne pöürrönt point fouler les peuples, ni être k charge aux villes ou on les met en garnison. Cette politique est meilleure , mais elle ne pouvóit être connue du temps de Machiavel ; les souverains n'entretenoient point de grandes armées ; o©o tiuupes n'étoient pour la plupart qu'un amas de bandits , qui pour 1'ordinaire ne viv oient que de violenceset de rapines : on ne connoissoit point alors ce que c'étoit que des troupes continuellement sous le drapeau en temps de paix, des étapes , des casernes , et mille autres arrangömens , qui assurent un État pendant la paix , et contre ses voisins , et même Contre les soldats payés pour le défendre. Un prince doit attirer d lui, et protêger les petits princes ses voisins, semant la dissention parmi eux , afin d'éleverou d'abaisscr ceux qu'il veut. C'est la quatrième maxime de Machiavel; et c'est ainsi qu'en usa Clovis , le premier roi, barbare qui se fit chrétien. II a été imité par quelques princes non moins cruels ; inais quelk Torna I. 0  ïS L/A n t i- M a c h i a v rrt; différence entre ces tyrans et un honnéte homme qui seroit le médiateur de ces petits princes > qui termineroit leurs différens a 1'amiable , qui gagneroit leur confiance pav sa probitó , et par les marqués d'une impartialité entière dans leurs démèlés , et d'un désintéressement parfait pour sa personne ! Sa prudence le rendroit le père de ses voisins , et non leur oppresseur ; sa grandeur les protégeroit, au-lieu de les ablmer. II est vrai d'ailleurs que des princes qui ont voulu élever d'autres princes avec violence, se sont ablmés eux-mêmes : notre siècle en .a fourni deux exemples. L'un est celui de Charles XII, qui éleva Stanislas sur le tróne de Pologne, et 1'autre est plus récent. Je conclus donc que 1'usurpateur ne méritera jamais de gloire, que les assassinats seront toujours abhorrés du genro humain, que les princes qui commettent des injustices et des violences enrers leurs nouveaux sujets, s'aliéneront tous les esprits au-lieu de les gagner; qu'il nest pas possible de justifier le crime, et que tous ceux " qui en voudront faire 1'apologie , raisonneront aussi mal que Machiavel. Tourner 1'art du raisonnement contre le bien de l'lmmanité , c'esc se blesser d'une épée qui ne nous est donnéo que pour nous défendre.  C II A P, I V. C H A P I T R E IV. Pourquoi le Royaume dc Darius ne se souleva point après la mort d'Alexaiulre , qui l'avoit conquis. Pour bien fuger du génie des nations, il fau£ les comparer les unes avec les autres. Machiavel fait dans ce chapitre un parallèle des Tftfcs et des Franco-is , très-différens de coutumes , de niceurs et d'opinions; il examine les raisons qui rendent la conquête de ce premier empir.} difficile a faire , mais aisée a conserver; d a méme qu'il remarque ce qui peut contribuer .i laire subjuguer la France sans peine , et ce qui la remplissant de troubles continuels , menace sans cesse le repos Ju possesseur. L'auteur n'envisage les choses que d'un point de vue ; il ne s Wête qu'a la constitution des gouvernemens; il paroit croire que la puissance de 1'empire des Perses et des Turcs n etoit fondée que sur 1'esclavage général de ces nations, et sur 1'élévation unique d'un seul homme qui en est le chef; il est dans 1'idée qu'un despotisme, sans restriction, bien établi, estle moyenle plus sür qu'ait un prince pour régner sans trouble , et pour résister vigoureusement k ses ennemi.. Du temps de Machiavel on regardoit encoi o en France les grands et les nobles comme des petits souverains, qui partageoient en quelqua manière la puissance du prince ; ce qui donnoit lieu aux divisious, foi tifioitles partis , etfomen- B a  30 1,'ANTI-MA.CHlATrr, tolt defréquentes révoltes. Je ne sais cependar^ si le grand seigneur ïiest pas plutót exposé a êtredétróné quuri roi de France. La différence qu'il y a entr'eux , c'est qu'un empereur Turc est ordinairement étranglé par les janissaires, et que les rois de France qui ont péri, ont été assassinés par des moines , ou par des monstres que des moines avoient formés. Mais Machiavel parle plutót, dans ce chapitre , de révolutions générales que de cas particuliers ; il a deyiné a la vérité quelques ressorts d'une machine très-composée , mais il me semble qu'il n'a pas examiné les principaux. La différence des climats , des alimens , et do 1'éducation des hommes , établissent une différence totale entre leur faeon de vivre et de penser ; dela vient la différence d'un moine Italien, et d'un Chinois lettré. I.c tempérament d'un Anglois profond , mais hypocondre , est tout-afait différent du courage orgueilleux d'un Espagnol; et un Francois se trouve avoir aussi peu de ressemblance avec un Hollandois, que la vivacité d'un singe en a avec le flegme d'une tortue. On a remarqué de tout temps que le génie des peuples orientaux étoit un esprit de constance pour leurs pratiques et leurs anciennes coutumes , dont ils ne se départent presque jamais. Leur religion , différente de celle des Européens, les oblige encore en quelque faoon k ne point favoriser au préjudice de leurs maitres 1'entreprisede ceux qu'ils appellent les infidèles: ft\ i éyifcer avec soin tout ce qui pourroit porter  C H A F. IV. 31 at teinte a leur reïigion, et bouleverser leurs gouvernemens. Voila ce qui chez eux fait la sureté du tróne, plutót que celle dumonarque» car ce monarque est souvent détroné , mais FEmpire n'est jamais détruit. Legénie de la natïon Francoise , ton rdi Ff ('rent de celui des musulmans , fut tout-a-fait, ou du moins en partie, cause des fréquentes révolutions de ce royaume: la légéreté et 1'inconstance font le caractère de cette aimable nation ; les Francais sont inquiets, libertins, et. très-enclins a s'ennuyer de tout; leur amour pour lfe changement s'est manifesté j'usque dans les choses les plus graves. II paroit que ces cardihanx haïs et estimés des Francois , quisuccessivement ont gouverné eet empire , ont profité des maximes de Machiavel pour rabaisser les grands, et de la connoissance du gétii* a« la nation pour détourner ces orages fréquens , dont la légéreté des sujets menacoit sans cesse les souverains. La politique du cardinal de Richelieu n'avoit pour but que d'abaisser les grands, pour élever la puissance du roi, et pour la faire servir de base a toutes les parties de FEtat; il y réussit si bien, qu'aujourd'hui il ne reste plus d© vestiges en France de la puissance des seigneurs et des nobles, et de ce pouvoir dont les rois prétendoient que les grands abusoient. Le cardinal Mazarin marcha sur les traces de Richelieu ;il essuyaheaueoup d'oppositions, mais il réussit; il dépouilla de plus le parlement da ses prérogatives , de sorte que cette compagnie n'est aujourd'hui gu'un fantóme , a qui il arrivé R 3  L'A kti-Maciiiavel. encore quelquefois de s'imaginer qu il pourroii: bien être un corps, mais qu'on fait ordinairement repentir de cette erreur. La même politique qui porta les ministres k l'établissement d'un despotisme absolu en France , leur enseigna 1'adresse d'amuser la légéreté et 1'inconstance de la nation, pour la rendre moins dangereuse : mille occupations frivoles, la bagatelle et le plaisir , donnèrent le change au génie des Francois ; de sorte que ces mémes hommes qui avoient si long-temps combattu le grand César, qui secouèrent si souvent le joug sous les empereurs , qui appellèrent les étrangers a leur secours du temps des Valois, qui seliguèrent contre Henri IV , qui cabalèrent sous les minorités ; ces Francois , dis-je, ne sont.occupés de nos^jours quk suivre le torrent de la mode , a ( hanger très-sui,gueix0ornent de gouts, a méprjiser aujourd'hui ce qu'ils ont admiré hier , k mettre 1'inconstance et la légéreté dans tout ce qui dépend d'eux, a changer de maitresse , de beux, d'amusemens et de folie. Ce n'est pas tout; car de puissantes armées, et un très-grand nombre de forteresses, assurent k jamais la possession de ce royaume a ses souverains , et ils n'ont a présent rien a redouter des guerres intestmes , non plus que des entreprises de leurs voisins.  Chat. V. sa CHAPITRE V. Comment ilfautgouvernerles Villes ou les Principautés, qui segouvernoientpar leurs propres loix avant que d'étre conquises. » Il nest point, selon Machiavel, de moyen « bien assuré pour conserver un Étatlibre qu'on » aura conquis , que celui de le détruire ». C'est le moyen le plus sur pour ne point craindre de révolte. Un Anglois eut la démence de se tuer il y a quelques années a Londres; on trouva sur sa table un billet oü il justifioit son action, et ou il marquoit qu'il s'étoit öté la vie pour ne jamais devenir malade. Voila le cas d'un prince qui ruine un État pour ne point le perdre. Je ne parle pas d'humanité avec Machiavel, ce seroit profaner la vertu ; on peut confondre Machiavel par lui-méme , par eet intérêt, 1'ame de ion livre , ce dieu de la politique et du crime. Vous dites, Machiavel, qu'un prince doit détruire un pays libre nouvellement conquis , pour le posséder plus sürement; mais répondezmoi, a quelle fin a-t-il entrepris cette conquête ? Vous me direz que c'est pour augmenter sa puissance , et pour se rendre plus formidable. C'est ce que je voulois entendre, pour vous prouver qu'en suivant vos maximes il fait tout le contraire ; car il lui en coüte beaucoup pour cette conquête , et il ruine ensuite 1'unique pays qui pouvoit le dédommager de ses pertes. Vous m'ayouerez qu'un pays saccagé , dépourvu d'ha- B 4  S4 L'A ITTI-MiCHlAVSL bitans, ne sauroit par sa possession rendre un prince puissant. Je crois qu'un monarque, qui posséderoit les vastes déserts de la Lybie et du Barca , ne seroit guère redoutable , et qu'un inillion de pantères, de bons et de crocodilesne vaut pas un milliön de sujets , des villes riches , des ports navigables remplis de vaisseaux , des citoyens industrieux , des troupes , et tout ce que produit un pays bienpeuplé. Toutïe monde convient quo la force d'un État ne consiste point dans letendue de ses bornes , mais dans le nombre de ses habitans. Comparez la Hollande avec la Russie ; vous ne voyez qu'isles marécageuscs et stériles , qui s elèvent du sein dcl'océan ; une petite république qui n'a que 48 lieues de long sur 40 de large : mais ce petit corps est tout nerf; un peuple immense 1'habite, et ce peuple industries cttric pm'ssant ettrès-riche; il a secoué le joug de la domination espagnole , qui étoit alors la monarchie la plus formidable de 1'Europe. Le commerce de cette république s'étend j'usqu'aux extrêmités du monde; elle flgüre immédiatement après les rois ; elle peut entretenir en temps de guerre une armée de cinquante mille combattans , sans compter une flotte nombreuse et bien entretenue. Jetez d'un autre cóté les yeux sur la Russie ; c'est un pays immense qui se présente a votre vue , c'est un monde semblable a 1'univers , lorsqu'il futtirédu chaos. Ce pays e^t limitrophe d'un cöté de la grande Tartarie et des Indes d'un autre de la Mer-Noire et de la Hongrie ; ics frontières s'étendcnt j'usqu'a la Pologne, a  C H A V. V. s5 la Lithuanié, ot a la Courlande ; la Suède la borne du cóté du nord-ouest. La Russie peut avoir trois cents milles d'Allemagne de large , surplus de cinq cents milles de longueur; le pays est fertile en bleds , et fournit toutes les denrées nécessaires k la vie , principalement aux environs de Moscou , et vers la petite Tarlarie; cependant avec tous ces ayantages il ne contient tout au plus que quinze millions d habi lans. Cette nation, qui commence k présent a lieurer en Europe , nest guère plus puissante que la Hollande en troupes de mer et de terre , et lui est beaucoup inférieure en richesses et en ressources. La force d'un État ne consiste point dans 1'étendue d'un pays , ni dans la possession d'une vaste solitude , on J'« immense xlésert, mais dans la richesse des habitans , et dans leur nombre. L'intérêt d'un prince est donc de peupler un pays, de le rendre florissant , et non de le dévaster et de le détruire. Si la méchanceté de Machiavel fait horreur , son raisonnement fait pitié , et il auroit mieux fait d'apprendre k bien raisonner, que d'enseigner sa politique monstrueuse. Un prince doit établir sa rësidence dans une républicpie nouvellement conquise : c'est la troisième maxime de l'auteur. Elle est plus modéréé que les autres; mais j'ai fait voir dans le troisième chapitre les difficultés qui peuvent s y opposer. II me senible qu'un prince qui auroit conquis  3$ L'A KTi-lhrnuTit, une république ,, après avoir eu des raisons pistes de lui faire la guerre, pourroit se contenter de 1'avoir punie, et lui rendre ensuite sa liberté; peu de personnes penseroient ainsi. Pour ceux qui auroient d'autres sentimens , ils pourroient s'en conserver la possession, en établissant de fortes garnisons dans les principale* places de leur nouvelle conquête. et en laissant d ailleurs j'ouir le peuple de toute sa liberté. Insensés que nous sommes , nous voulons Tout conquérir, comme si nous avions le temps de tout posséder, et comme si le terme de notre durée n'avoit aucune fin ; notre temps passé trop vite , et souvent lorsqu'on ne croit travadler que pour soi-méme , on ne travaille que pour des successeurs indignes ou ingrats. CHAPITRE VI. Des nouveaux Ecats que le Prince acquiert par sa valeur et par ses propres armes. "Si les hommes êtoient sans passions, il seroit pardonnable a Machiavel de vouloir leur en donner; ce seroit un nouveau Prométhée qui raviroit le feu céleste pour animer des automates. Les choses n'en sont point la effectivement, car aucun homme nest sans passions. Lorsqu'elles sont modérées, elles sont 1'ame de la société; mais lorsqu'on leur lache le frein, elles en font la destruction. De tous les sentimens qui tyrannisent notre sme _. il nVn est aurun de plus funeste pour  c h a r. vr. *7 ceux qui en sentent 1'impulsion, de plus contraire a ihumanité , et de plus fatal au repos du monde, qu'une ambition déréglée , qu'un désir excessif de fausse gloire. Un particulier qui a le malheur d'étre né avec des dispositions semblables , est plus mirérable encore que fou. II est insensible pour le présent, et il n'existe que dans les temps futurs; rien dans le monde ne peut lé satisfaire . et 1'absynthe deTambition méle toujours son amertume a Ia douceur de ses plaisirs. Un prince ambitieux est plus malheuren-*: rm'un particulier ; car sa folie étant propor1 'onnée a sa grandeur, n'en est que plus vague, plus indocile, et plus insatiable. Si les honneurs , si la grandeur servent d'aliment a la passion des particuliers , des provinces et des royaumes nourriasenf 1'ambition des monarques ; et comme il est plus facile d'obtenir des charges et des emplois que de conquérir des royaumes, les particuliers peuvent encore plutót se satisfaire que les princes. Machiavel leur propose les exemples de Moyse, de Cyrus , de Romulus, de Thésée, et d'Hiéron; on pourroit grossir facilement re catalogue par ceux de quelques auteurs de i.ectes, comme de Mahomet en Asie, de Mango. Kapac en Amérique , d'Odin dans le nord, de tant de sectaires dans tout 1'univers : et que les jésuites du Paraguai me permettent de leur offrir ici une petite place , qui ne peut que jeur étre glorieuse, les mettant au nombre des Jégislateurs.  L'A N T I - M A C H I A V E t. La mauvaise foi avec laquelle l'auteur use de ces exemples, mérite d'ètre relevée ; il est bon de découvrir toutes les finesses et toutes les ruses de ce séducteur. Machiavel ne fait voir 1'ambition quo dans son beau jour (si elle en a un) ; il ne paria que des ambitieux qui ont été secondés de Ia fortune; mais il garde un profond silence sur ceux qui ont été les victimes de leurs passions. Cela s'appelle en imposer au monde , et 1'on ne sauroit disconvenir que Machiavel joue dans ce chapitre le role de charlatan du crime., Pourquoi en parlant du législateur des juifs , du premier monarque d'Athènes, du conquérant des Mèdes, du fondateur de Roirfe, de qui les succes répondirent ó. leurs desseins , Machiavel n'ajoute-t-il point 1'exemple de quelques chefs du parti malheureux , pour montrcr que si 1'ambition fait parvenir quelques hommes , elle en perd le plus grand nombre ? N'y a-t-il pas eu un Jean de Leyde , chef des anabaptistes, tenaillé, brülé et pendu dans une cage de fer k Munster? Si Cromwel a été heureux, son hls n'a-t-il pas été détröné? n'a-t-il pas vu porter au gibet le corps exhumé de son père ? Trois ouquatre juifs qui se sont dits Messies, n'ont-ils pas péri dans les supplices ? et le dernier n'a-t-il pas iini par ètre valet de cuisine chez le grand seigneur, après s'ètre fait musuiman ? Si Pepin détróna son roi avec 1'approbation du pape, Guise le balafré, qui vouloit détróner le sien avec la même approbation , n'a-t-il pas été assassinéPNe compte-t-on pas plus de trcnte chefs de secte . et plus de mille autre»  C h \ p. VI. 29 ambitieux , qui ont fini par des morts violentes ? 11 me semble d'ailleurs que Machiavel place assez inconsidérément Moyse avec Romulus , Cyrus et Thésée. Ou Moyse étoit inspiré, 011 ii ne 1 'étoit poiut. S'il ne 1'étoit point ( ce qu'on n'a garde de supposer) on ne pourroitle regarder alors que comme un imposteur, qui se servoit de Dieu a peu-près comme les poëtes emploient leurs dieu* pour machine quand il leur manque un dénouement. Moyse étoit d'ailleurs sipeuhabile (a raisonner humainement) qu'il conduisit le peuple juif pendant 40 années par un chemin qu'ils auroient très-commodément fait en six semaines; il avoit très-peu profité des lumières des Egyptiens, et il étoit en ce sens-la beaucoup inférieur a Romulus , & Thésée, et h ces héros. Si Moyse étoit inspiré de Dieu, comme il se vóit da** to«t,ou ne peut leregarder que comme 1'organe aveugle de la toutepuissance divine ; et le conducteur des juifs étoit en ce sens bien inférieur, comme homme , au fondateur de 1'empire Romain, au monarque des Perses et aux héros qui faisoient par leur propre valeur et par leurs propres forces de plus grandes actions , que 1'autre n'en faisoit avec 1'assistance immédiate de Dieu. J'avoue en général et sans prévention qu'i! faut beaucoup'de génie, de courage, d'adresse er de conduite pour égaler les hommes dont nous venons de parler; mais je ne sais point sil'épithète de vertneuxleur convient. La valeur etl'adresse montres ; et l'auteur se fit si promptement des disciples , qu'ils pratiquoient ses lecons dans le parterre même. Ceei prouve assez , ce me semble , combien il est pernicieux de citer de mauvais exemples. La première réilexion de Machiavel sur Agajhocle et sur Fermo, roule sur les raisons qui les soutinrent dans leurs petits États malgré leurs cruautés. L'auteur 1'attribue a ce qu'ils avoient commis ces cruautés a propos : or être prudemment barbare , et exercer la tyrannie conséquemment, signifie, selon ce politique', exécuter tout d'un coup et k la fois toutes les violences et tous les crimes que 1'on juge utiles k ses intéréts. Faites assassiner ceux qui vous sont suspects et dont vous vous méfiez , et ceux qui se déclarent vos ennemis ; mal* ne faites point trainer votre vengeance. Machiavel approuve des actions semblables aux Vêpres Siciliennes , a 1'affreux massacre de la S. Barthélemi, oii il se commit des cruautés qui font frémir 1'humanité. Ce monstre ne compte pour rien 1'horreur de ces crimes , pourvu qu'on les commette d'une manière qui en impose aux peuples, qui effraie au moment oü ils sont récens ; et il en donne pour raison , que les idéés s'en évanouissent plus facilement dans le public que celles des cruautés successives et continues des princes i comme s'il n'étoit pas également mauvais de faire périr mille personnes en un jour , ou de les faire assassiner par intervalles. Ce n'est pas tout que de confondre 1'affreuse e 4  4o L'Asti M a c h i a v e r. morale de Machiavel , il faut encore le con • vaincre de fausseté et de mauvaise foi. II est premiérement faux, comme le rapporte Machiavel, qu'Agathocle ait joui en paix du fruit de ses crimes ; il a été presque toujours en guerre contre les Carthaginois ; il fut mém© obligé d'abandouner en Afrique son armée , qui massacra ses enfans après son départ; et il mourut lui-même d'un breuvage empoisonné que son petit-Els lui fit prendre. Oliveto di Fermo périt par la perfidie de Borgia, digne saiaire de ses crimes ; et comme ce fut une année après son usurpation, sa chüte paroit si accélérée , qu'elle semble avoir prévenu par sa puni.ion ce que lui préparoit la haine publique. L'exemple d'Oliveto di Fermo ne devoit donc point être cité par l'auteur, puisqu'il ne prouve rien. Machiavel voiidfoit que le crime fut heureux , et il se flatte par-la d'avoir quelque bonne raison de 1'accréditei , ou du moins un argument passable a produire. Mais supposons que le crime puisse se commettre avec sécurité , et qu'un tyran puisse exercer impunément la scélératesse ; quand même il ne craindroit point une mort tragique^ il sera également malheureux de se voir Fopprobre du genre-humain; il ne pourra pointétouffer ce témoignage intérieur de sa conscience qui dépose contre lui; il ne pourra point imposer silence a cette voix puissante qui se fait entendre sur les trónes des rois; il ne pourra point éviter cette funeste mélancolie qui frappera son imagination, qui sera son bourreau en ce monde.  C H A P. VIII. fa Qu'on lise la vie d'un Denys , d'un Tibère , d'un Néron , d'un Louis XI, d'un tyran Basilowitz, etc. ; 1'on verra que ces monstres , également insensés et furieux , finirent de la manière du monde la plus malheureuse. L homme cruel est d'un tempérament misanthrope et atrabilaire ; si dés son jeune age il ne combat cette malheureuse disposition de son coips , il ne sauroit manquer de devenir aussi furieux qu'insen.'-é. Quand ,même donc il n'y auroit point de justice sur la terre , et point de Divinité au ciel, il faudioit d'autant plus que les hommes fussent vertueux , puisque la vertu les unit et leur est absolument nécessaire pour leur conservation, et que le crime ne peut que les rendre infortunés et les détruire. CHAPITRE IX. De la Principauté civile. Il n'y a point de sentiment plus'thséparable de notre être que celui de la liberté ; depuis 1'homme le plus policé jusqu'au plus barbare , tous en sont pénétrés également ; car comme nous naissons sans chaines , nous prétendons vivre sans contrainte. C'est cet esprit d'indépendance et de fierté qui a produit tant de grands hommes dans le monde , et qui a donné lieu aux gouvernemens républicains , lesquels établissent une espèce d'égalité entre les hommes , et les rapprochent d'un état naturel.  42 L' A N T I - M A r H T A V E t, Machiavel clonne en ce chapitre de bonnes maximes de politique a ceux qui s'élèvent k la puissance suprème par le consentement des chefs d'une république : voiïA presque le seul cas ou il permette d'être honnête homme ; mais malheureusement ce cas n'arrive presque jamais. L'esprit républicain, j'aloux a 1'excès de sa liberté, prend ombrage de tout ce qui peut lui donner des entraves, et se révolte contre la seule idee d'un maitre. On connoit dans 1'Europe des peuples qui ont secoué le joug de leurs ryrans, pour j'ouir de 1'indépendance ; mais on n'en connoit point, qui de libres qu'ils étoient, se soient assuj'ettis k un esclavage volontaire. Plusieurs républiques sont retombées par la suite des temps sous le despotisme ; il paroit même que c'est un malheur inévitable , qui les attend toutes. Car comment une république résisteroit-elle éternellement a toutes les causes qui minent sa liberté ? Comment pourroit-elle contenir toujours 1'ambition des grands qu'elle nourrit dans son sein? Comment pourroit-elle a la longue veiller sur les séductions et les sourdes pratiques de ses voisins, et sur lacorruption de ses membres , tant que 1'intérêt sera tout puissant chez les hommes ? Comment peut-elle espérer de sortir toujours heureusement des guerres qu'elle aura a soutenir ? Comment pourra-t-elle prévenir ces conjonctures facheuses pour sa liberté, ces momens critiques et décisifs, et ces jiasards qui favorisent les corrompus et les audacieux ? Si les troupes sont commandées par  C h a r, j X. des chefs Inches et timides, elle deviendra la proie de. ses ennemis ; et si elles ont a leur té tedes hommes vaillans et hardis, ils serorit dangereux dans la paix , après avoir servi dans la guerre. Les républiques se sont presque toutes élevées de 1'abime de la tyrannie au comble de la liberté ,, et elles sont presque toutes retombées de cette liberté dans 1'esclavage. Ces mêmes Athéniens qui du temps de Démosthène outrageoient Philippe de Macédoine , rampèrent der vant Alexandre. Ces mêmes Piomains qui abhorroient la royauté après 1'expulsion des rois , souffrirent patiemment au bout de quelques siècles toutes les cruautés de leurs empereurs ; et ces mêmes Anglois qui mirent k mort Charles I , paree qu'il empiétoit sur leurs droits , plièrent la roideur dc leur courage sous la puissance altière de leur protecteur. Ce ne sont donc point ces républiques qui se sont donné des maltrespar leur choix-mais des hommes entreprenans , aidés de quelques conjonctures favorables , les ont soumises contre leur volonlé. De même que les hommes naissent, vivent un temps , et meurent par maladies ou par 1'ége , de même les républiques se forment, fleurissent quelques siècles , et périssent enlin par 1'audace d'un citoyen, ou par les armes de leurs ennemis. Tout a son période ; tous les empires, et les plus grandes monarchies même n'ont qu'un temps : les républiques sentenl. toutes que ce temps arrivera, et elles regardent toute familie trop puissante comme ie genus  4 'f L'Asti-Machiavei. de Ia maladie qui doit leur donner le coup de ïa mort. On ne persuadera jamais a des républicains vraiment libres , de se donner un maitre, je dis le meilleur maitre ; car ils vous diront toujours qu'il vaut mieux dépendre des loix que du caprice d'un teul homme. CHAPITRE X. Comment il faut mesurer les forces de toutes les Principautés. Dep uis le temps ou Machiavel écrivoit son Prince politique, le monde est si fort changé, qu'il n'est presque plus reconnoissable. Si quelqu'habile capitaine, de Louis XII reparoissoit de nos jours , il seroit entiérement désorienté ; il verroit qu'on fait la guerre avec des armées innombrables , que 1'on peut a peine faire subsisteren campagne, entre tenues pendant la paix comme dans la guerre; au-lieu que de son temps, pour frapper les grands coups, et pour exécuter les grandes entreprises, une poignée de monde sufnsoit, etles troupes étoient congédiées après la guerre finie: au-lieu de ces vétemens de fer, de ces lances, de ces arquebuses a rouet, il trouveroit des habits d'ordonnance , des fusils et des baïonnettes , des méthodes nouvelles pour camper, pour assiéger, pour donner bataille , et 1'art de faire subsister des troupes, tout aussi nécessaire a présent que le pouvoit étre autrefois celui de battre 1'ennemi.  C H A P. X. 45 Mais que ne diroit pas Machiavel lui-même , s'il pouvoit voir la nouvelle forme du corps politique de 1'Europe , et tant de grands princes qui fïgurent a présent dans le monde , qui n'y étoient pour rien alors ? la puissance des rois solidement établie, la manière de négocier des souverains , et cette balance qu'établit en Europe ralliauce de quelques princes considérables , pour s'opposer aux ambitieux, et qui n'a pour but que le repos du monde ? Toutes ces choses ont produit un changement si général et si universel, qu'elles rendent la plupart des maximes de Machiavel inapplicables a notre politique moderne. C'est ce que fait voir principalement ce chapitre. Je dois en rapporter quelques exemples. Machiavel suppose » qu'un prince dont le 5> pays est étendu, «jw avec cela a beaucoup » dargent et de troupes , peut se soutenir par r* ses propres forces, sans 1'assistance d'aucun » allié, contre les attaques de ses ennemis ». C'est ce que j'ose contredire ; je dis même plus , et j'avance qu'un prince, quelque redoute qu'il soit, ne sauroit lui seul résister a des ennemis puissans, et qu'il lui faut nécessairement le secours de quelques alliés. Si le plus formidable, le plus puissant prince de 1'Europe , si Louis XIV fut sur le point de succomber dans la guerre de la succession d'Espagne , et si faute d'alliances il ne put presque plus résister ala ligue de tant de rois et de princes qui pensa 1'accabler, a plus forte raisort tout souverain qui lui est inférieur , ne peut-U , sans hasarder  4^ L' A N T I - M A C. It I A V E L. beaucoup , demeurer isolé , et privé de fortes alliances. On dit, et cela se répète sans beaucoup de ï-éflexion, que les traités sont inutiles , puisqu'on n'en remplit presque jamais tous les points , et qu'on n'est pas plus scrupuleux ladessus dans notre siècle qu'en tout autre. Je réponds a ceux qui pensent ainsi, que je ne doute nullement qu'ils ne trouvent des exemples anciens , et même de très-récens, de prince?. ar une lache désertion. Ce qui fait la süreté des grands princes de 1'Europe , c'est que leurs troupes sont a peuprès semblables , et qu'ils n'ont de ce cóté-la aucun avantage les uns sur les autres. II n'y a que les troupes Suédoises qui soient bourgeois, paysans , et soldats en même temps ; mais aussi lorsqu'ils sont en campagne, presque personne ne reste dans Fintérieur du pays pour labourer la terre. Ainsi leur puissance n'est aucunement formidable , puisqu'ils ne peuvent rien a la longue sans se ruiner eux-mêmes plus que leurs ennemis. Voila pour les mercenaires. Quant a la manière dont un grand prince doit faire la guerre , je me range entiórement du sentiment de Machiavel. Effectivement, un grand prince doit prendre sur lui la conduite de ses troupes , rester dans son armee comme dans sa résidence j son intérêt, son devoir, sa gloire, tout 1'y engage ; comme il est le chef de la justice distributive , il est également le protecteur et le défenseur de ses peuples; il doit regarderladéfense de ses sujets comme un des objets les plus importans de son ministère , qu'il doit par cette raison ne confier qu'a lui-même. Son intérêt semble requérir nécessairement qu'il se trouve en personne k son armée, puisque toiis les ordres émanent de sa personne, et qu'alors le conseil et 1'exécution se suivent avec une rapidité extréme. Sa présence met fin d'ailleurs a la mésintelligence des généraux^ si fu  Chap. XII. 57 neste aux armées , et si préjudiciable aux interes du maitre ; elle met plus d'ordre dans ce qui regarde les magasins, les munitions et les provisions de guerre , sans lesquelles un César a la tére de cent mille combattans ne fera jamais rien. Comme c'est le prince qui fait ïivrer les batailles , il semble que ce seroit aussi a lui d'en diriger 1'exécution , et de communiquer par sa présence 1'esprit de valeur et d'assurance a ses troupes ; il nest a leur téte que pour donner 1'exemple. Mais, dira-t-on, tout Ie monde n'est pas né soldat, et beaucoup de princes n'ont ni Ie talent, ni 1'expérience, ni le courage nécessaires pour commander une armee. Cela est vrai, je 1'avoue ; cependant cette objection ne doit pas m'embarrasser beaucoup ; car il se trouve toujours des généraux assez entendus dans une armee, et le prince n'a qu'a suivre leurs conseils; la guerre s'en fera toujours mieux que lorsque le général est sous la tutelle du ministère, qui n'étant point a 1'armée , ne peut juger deschoses , et met souvent le plus habile général hors d'état de donner des marqués de sa capacité. Je finirai ce cbapitre, après avoir relevé une phrase de Machiavel qui.m a paru très-singulière :» Les Vénitiens, dit-il, se défiant du due m de Carmagnole , qui commandoit leurs trou» pes , furent obligés de le faire sortir de ce m monde cc. Je n'entends point, je 1'ayoue , ce que c'est  !~>8 L'A K T I - M A C H I A V tï„ que d'étre obligé de faire sortir quelqu'un de ce monde, a moins que ce ne soit le trahir, 1'empoisonner, 1'assassiner. C'est ainsi que le docteur du crime croit rendre innocentes les actions les plus noires et les plus coupables, en adoucissant les termes. Les Grecs avoient coutume de se servir de périphrases lorsqu'ils parloient de la mort, paree qu'ils ne pouvoientpas soutenir sans une secrète horreur tout ce que le trépas a d'épouvantable. Machiavel périphrase les crimes , paree que son cceur révolté contre son esprit ne sauroit digérer toute crue 1'exécrable morale qu'il enseigne. Quelle triste situation lorsqu'on rougit de se montrer k d'autres tel que 1'on est, et lorsqu'on fuitle moment de s'examiner soi-même ! CHAPITRE XIII. JDe.f Troupes auxiliaires, mixtes et propres. MAch iavel pousse 1'hyperbole a un point extréme , en soutenant qu'un prince prudent aimeroit mieux périr avec ses propres troupes , que de vaincre avec des secours étrangers. Je pense qu'un homme en danger de se noyer ne prêteroit pas 1'oreille aux discours de ceux qui lui diroient qu'il seroit indigne de lui de devoir la vie k d'autres qu'a lui-méme , et tju'ainsi il deyroit plutót périr que d'embrasser  C h a r. XIII. 59 k corde ou le baton que d'autres lui tendant pour le sauver. L'expérience nous fait voir que le premier soin des hommes est celui de leur conservation, et le second celui de leur bienêtre; ce qui détruit entiérement le paralogisme emphatique de l'auteur. En approfondissant cette maxime de Machiavel , on trouverapeut-étre que ce nest qu'une jalousie extréme qu'il suffira d'inspirer aux princes: c'est cependantla jalousie de ces mêmes princes envers leurs généraux, ou envers des auxiliaires , qu'ils ne vouloient pas attendre , crainte de partager leur gloire , qui de tout temps fut très-préjudiciable k leurs intéréts. Une infmité de batailles ont été perdues par cette raison, et de petites jalousies ont souvent fait plus de tort aux princes, que le nombre superieur et les avantages de leurs ennemis. Un prince ne doit pas, sans doute, faire la guerre uniquement avec des troupes auxiliaires; mais ildoit être auxiliaire lui-même, et se mettre en état de donner autant de secours qu'il en recoit. Voilé ce que dicte la prudence : Mets-toi en état de ne crafadre ni tes ennemis ni tes amis , mais quand tu as fait un traité, il faut y être fidéle. Tant quel'Empire, 1'Angleterre et la Hollande ont été de concert contre Louis XIV, tant que le prince Eugène et Marlborough ont été bien unis , ils ont été vainqueurs ; mais dès 1'instant que 1'Angleterre a abandonné ses allies, Louis XIV s'est reievé. Les puissances qui peuvent se passer de troupes mixtes ou auxiliaires , font bien de les exclure  6o L'A kt i-Mach ia y e t. de leurs armées ; ruais comme peu de princes de 1'Europe sont dans une pareüle situation, je crois qu'ils ne risquant rien avec les auxiliaires tant que le nombre des nationaux leur est supérieur. Machiavel n'écrivoit que pour de petits princes, et j'avoue que je ne vois guère en lui que de peti tes idéés ,- il na rien de grand ni de vrai, paree qu'il n'est pas honnête homme. Qui ne fait la guerre que pour au trui n'est que foible; qui la fait conjointoment avec autrui est très-fort. Sans parler de la guerre de 1701, des alliés contre la France , 1'entreprise par laquelle trois. rois du Nord dépouillèrent Charles XII d'une partie de ses États d'AIIemagne, fut exécutée pareillement avec des troupes de diffé rens maitres , réunis par des alliances ; et la guerre de 1'année 1734, que la France commenea sous prétexte de soutenirles droits de ce roi de Pologne toujours élu et toujours détróné , fut faite par les Francois et les Espagnols joints aux Sayoyards. Que reste-t-il k Machiavel après tant d'exemples, et k quoi se réduit 1'allégorie des armes de Saül, que David refusa k cause (de leur pesanteur, lorsqu'il devoit combattre Goliath ? Ce n'est que de la crème fouettée. J'avoue que les auxiliaires incommodentquelquefois les princes ; mais je demande si 1'on ne s'incommode pas volontiers, lorsqu'on y gagne des villes et des provinces ? Au sujet de ces auxiliaires , il cherche k jeter  C H A P. XIII. 6l son venin sur les Suisses qui sont an service de France. Je dois dire un petit mot sur le sujet de ces braves troupes; car il est indubitable que les Francois ont gagné plus d'une bataille par leur secours, qu'ils ont rendu des services signalés a cet empire , et que si la France con' gédicit les Suisses et les Allemands qui servent dans son infanterie, ses armées seroient beaucoup moins redoutables qu'elles ne le sont tt présent. Voila pour les erreurs de j'ugernent: voyons aprésent celles de morale. Les mauvais exemples que Machiavel propose aux princes, sont de ces méchancetés qu'on ne sauroit lui passer. II allègue dans ce chapitre Hiéron de Syracuse, qui considérant que ses troupes auxiliaires étoient également dangereuses a garder, oua congédier, les fit toutes tailler en pièces. Des faits pareils révoltent, lorsqu'on les trouve dans 1'histoire ■ mais on se sent indigné de les voir rapportés dans un livre qui doit étre fait pour 1'instruction des princes. La cruauté et la barbarie sont souvent fatales aux particuliers ; ainsi ils en ont horreur pour la plupart; mais les princes,.que la Providence a placés si loin des destinées vulgaires, en ont d'autant moins d'aversion, qu'ils neles ont pas a craindre : ce seroit donc k tous ceux qui doivent gouverner les hommes que 1'on devroit inculquer le plus d'éloignement pour tous les abus qu'ils peuvent faire d'une puissance illimitée-.  é>2 L'A N T I - M A C H I A V É té CHAPITRE XIV. Instruction pour2e Prince concernant la Milicd Il y aüne espècedë pedanterie commune k tous les métiers, qui ne vient que de 1'avarice er de 1'intempérance de ceux qui les pratiquenr. Un soldat est pédant lorsqu'il s'attache trop a la minutie, ou lorsqu'il estfanfaron et qu'il donne dans le domquichottisme; L'enthousiasme de Machiavel exposéici son Prince a être ridicule ; il exagère si fort la matière , qu'il veut que son prince ne soit uniquement que soldat; il en fait un Dom Quichotte complet, qui n'a I'imagination remplie que de champs de bataille, de retranchemens, de la manière d'investir des places,de faire des lignes et des attaquesj Mais un prince né templit que Ia möitié de sa vocation, s'il ne s'applique qu'au métier de la guerre : il ést évidemment faux qu'il ne doit être que soldat; et 1'on peut se souvenir de ce que j'ai dit sur l'origine des princes au premier Chapitre de cet ouvrage. Ils sont juges d'institution , et s'ils sontgénéraux , c'est im accessoire. Le Prince de Machiavel est comme les dieux d'Homère, que 1'on dépeignoit très-robustes et puissans , mais jamais équitables. Cet auteur jgnore jusqu'au catéchisme de la justice, il iw connoit que 1'intérét et la violence. L'auteur ne représente jamais que de petites idéés ; songénie redressé n'embrasse que des su-  Chat. XIV. 63 tets propres pour la politique des petits princes. Rien de plus foible que les raisons dont il se sert pour recommander la chasse aux princes; il est dans 1'opinion que les princes apprendront par ce moyen a connoltre les situations et les passages de leur pays. Si un roi de France , si un empereur prétendoitacquérir de cette manière la connoissance desesEtats, il leur faudroit autant de temps dans le cours de leur chasse, qu'en emploie tout l'univers dans la grande révolution des astres. Qu'on mé permetfe d'entrer , a 1'occasion de la chasse, dans un plus grand détail sur une matière qui sera comme une espèce de digression. Puisque ce plaisir est la passion presque générale des nobles, des grands seigneurs et des rois, sur-tout en Allemagne, il me semble qu'elle mérite quelque discussion. La chasse est un de ces pïaisirs sensuels qui agitent beaucoup Ie corps et qui ne disent rien a 1'esprit; c'est un désir ardent de poursuivre quelque béte, et une satisfaction cruelle de la tuer; c'est un amusement qui rend Ie corps robuste et dispos, et qui laisse 1'esprit en friche et sans culture. Les chasseurs me reprocheront sans doutc que je prends les choses sur un ton trop sérieux, que je fais le critique sévère, et que je suis dans le cas des prêtres, qui ayant le privilège de parIer seuls dans les chaires, ont la facilité de prononcer tout ce que bon leur semble, sans appréhender d'opposition. Je ne me préyaudrai point de cet avantage ;  64 L'A jst t r*M ichuvei, j'alléguerai de bonne foi les raisons spécieuses qu'allèguent les amateurs de Ia chasse. Ils me dii ont d'abord que Ia chasse est le plaisir le plus noble et le plus ancien des hommes; que des patriarches, et même beaucoup de grands hommes , ont été chasseurs ; et qu'en chassant, les hommes continuent a exercer sur les bêtes ce même droit que Dieu dajgna lui-même donner a Adam. Mais ce qui est vieux n'en est pas meilleur , sur-tout quand il est outré. De grands hommes ont été passionnés pour la chasse , je 1'avoue; ils ont eu leurs défauts comme leurs foiblesses: imitons ce qu'ils ont eu de grand, et ne copions point leurs petitesses. Les patriarches ont chassé, c'est une vérité ; j'avoue encore qu'ils ont épousé leurs soeurs, qne la polygamie étoit en usage de leur temps : mais ces bons patriarches en chassant ainsi, .se ressenlïrent des siècles barbares dans lesquelsils vivoient; ils étoient très-grossiers et très-ignorans; c'étoient des gens oisifs , qui ne sachant point s'occuper , et pour tuer le temps qui leur paroissoit toujours trop long, promenoient leurs ennuis a Ia chasse ; ils perdoient dans les bois , a la poursuite des bêtes, les momens qu'ils 'n'avoient ni la capacité ni 1'esprit de passer en compagnie de personnes raisonnables. Je demande si ce sont des exemples a imiter ? si la grossiéreté doit instruire la politesse ? ou si ce n'est pas plu tót aux siècles éclairés a servir demodèle aux autres? Qu'AtUm ait recu 1'empire sur les bêtes , ou UULl .  C H A P. XIV. 6j , non, c'est ce que je ne recherche pas ; mais je sais bien que nous sommes plus cruels et plus rapaces que les bêtes mêmes, et que nous usons très-tyranniquement de ce prétendu empire. Si quelque chose devoit nous donner de 1'ayantage sur les animaux , c'est assurément notre raison; et ceux pour 1'ordinaire qui font profession de la chasse, n'ont leur cervelle meublêe que de chevaux,de chiens et de toutes sortes d'animaux. Ils sont quelquefois très-grossiers, et il est a craindre qu'ils ne deviennent aussi inhumains envers les hommes, qu'ils le sont a 1'égard des bêtes ; ou que du moins la cruelle coutume de faire souffrir avec indifférence ne les rende moins compatissans a 1'égard de leurs semblables. Fst-ce la ceplaisir donton nous vante tant la noblesse ? E^t-ce IA cette occupation sidigne d'un être pensant ? On m'objectera que la chasse est salutaire a la santé , que 1'expérience a fait voir que ceux qui chassent deviennent vieux, que c'est un plaisir innocent et qui convient aux grands seigneurs , puisqu'il étale leur magnificence, puisqu'il dissipe leurs chagrins , et qu'en temps de paix il leur présente les images de la guerre. Je suis bien éloignéde condamner un exercice modéré ; mais qu'on y prenne garde , 1'exercice n'est nécessaire qu'aux intempérans. II n'y a point de prince qui ait vécu plus long-temps que le cardinal de Fleury, ou le cardinal de Ximénès elle pape ClémentXIII; cependantces trois hommes n'étoient point chasseurs. Faut-il d'ailleurs cboisir la profession qui n'a de mérite que celui de promettre une longue vie? Les moines vivent Tume I. L  .66 L'A nti-M ac hï .tvit. d'ordinaire plus long - temps que les autre* hommes, faut-il pour cela se faire moine? II n'importe pas qu'un homme traine jusqu'a I'ège de Méthusalem le lil indolent et inutile de ses jours ; mais plus il aura réfléchi, plus il aura fait d'actions belles et utiles, et plus il aura vécu. D'ailleurs, la chasse est de tous les amusemens celui qui convient le moins aux princes; ils peuvent manifester leur magnificence de cent manières beaucoup plus utiles pour leurs sujets, et s'il se trouvoit que 1'abondance du gibier ruinat les gens de la campagne , le soin de détruire ces animaux pourroit très-bien secommettre aux chasseurs payés pour cela. Les princes ne devroient proprement être occupés que du.soin de s'instruire et de gouverner, afin d'acquérir d'autant plus de connoissances, et de pouvoir d'autantplus se.formerune idéé de leur profession -. pour agir bien en conséquence. Je dois ajouter , sur-tout pour répondre a Machiavel, qu'il n'est point nécessaire d'étre chasseur pour être grand capitaine. Gustave Adolphe , Turenne , Marlborough , le prince Eugène, a qui on ne disputera pas la qualité d'hommes illustres et d'habiles généraux, n'ont point été chasseurs ; nous ne lisons point qu& César, Alexandre, ou Scipion 1'aient été. On peut en se promenant faire des réflexions plus judicieuses et plus solides sur les différente» situations d'un pays, relativement k 1'art de la guerre, que lorsque des perdrix, des chiens-couchans, des cerfs, une meute de toutes sortes  Chap. XV, 'JÉk d'animaux, et 1 'ardeur de la chasse vous distraient. Un grand prince, qui a fait la seconde campagne en Hongrie , a risqué d'étre fait pri~ sonnier par les Turcs pour s'étre égaré a la chasse : on devroit même défendre la chasse dans les armées; car elle cause beaucoup de dé sordre dans les marches. Je conclus donc qu'il est pardonnable aux princes d'aller a la chasse , pourvu que ce ne soit que rarement, et pour les distraire de leurs occupationssérieuses, et quelquefois forttristes. Je. ne veux interdire, encore une fois, aucun plaisir honnête; mais le soin de bien gouverner, de rendre son État florissant, de protéger, de' voir les succès de tous les arts, est sans doute lo plus grand plaisir; et malheureux celui a qui il en faut d'autres. CHAPITRE XV. Ce qui fait louer ou bldmer les Hommes $ et surtout les Princes> JLiEs peintres et les bistoriens Ont cela de commun entr'eux, qu'ils doivent copier la nature. Les premiers peignent les traits et les coloris des hommes; les seconds leürs caractères etleurs actions : il se trouye des peintres singuliers qui n'ont peint que des monstres et des diables. Machiavel représente 1'univers comme un enfer, et tous les hommes comme des damné^; on diroit que ce politique a voulu calomnier tout ie genre humain par une haineparticulière, *  68 LA M 1 I-M.UI1IAVL L et qu'il aitpris a tache d'anéantir la vertu, peutètre pour readre tous les habitans de ce couti neut ses seinblables. Machiavel avance qu'il n'est pas possible d'étre Kmt-a-fait bon dans ce monde sans périr , tant le genré hu'nain est scélérat et corrompu; et moi je dis que pour ne point périr il faut ètre bo i et prudent. Les hommes ne sont d'ordinaire nitout-a-fait bons, ni tout-a-fait méchans; mais et méchans, et bons, et médiocres s'accorderont tous a ménager un prince puissant, ju te et habile. J'aimerai mieux faire la guerre a un tyran qu'a un bon roi, a un Louis XI, a un Domitien qu'a un Trajan; car le bon roi sera bien servi , et les sujets du tyran se joindront k mos troupes. Que j'aille en Italië avec dix mille hommes contre un Alexandre VI, la moitié de 1'ltalie sera pour moi; que j'y entre avec quarante mille hommes contre un Innocent XI, toute 1'Italie se soulevera pour me faire périr. Jamais roi bon et sage n'a été détróné en Angleterre par de grandes armées, et tous leurs mauvais rois ont succombé sous des compétiteurs qui n'ont pas commencé la guerre avec quatre mille hommes de troupes réglées. Ne sois donc point méchant avec les méchans, mais sois vertueux et intrépide avec eux ; tu rendras ton peuple vertueux comme.'oi, tes voisins voudiontt'imiter, et les méchans tremblei ent.  Chat. XVI. Go C fï A P I T II E X V I. De la libèralitê et da l'économie. Deux sculpteursfameux, Phidias et Aleamène, fircntchacun une statue de Minerve , etle;. Athéniens vouhnent choi ir Ia plus belle , pour Ia placer surle hautd une colonne ; on le^ pré.senta toutes les deux au public, ("elle d'Alcamène remporta les suffrages ; 1'autre, disoit-on, étoit trop grossiérement travaillée. Phidias ne se déconcerta point par le jugement du vulgaire , et demanda, que comme les statues avoient été faites pour être placées sur une colonne, on les élevat toutes les deux; alors celle de Phidias remporta le prix. Phidias devoit son succés k 1'étude de 1'optique et des proportions. Cette règle de proportion doit être observée dans la politique : les différences des lieux metteut des différences dans les maximes; vouloir en appliquer une généralement, ce saroit la rendre vicieuse : ce qui seroit admirable pour un grand ïoyaume, ne conviendroit point a un petit Etat. Le luxe qui nait de 1'aboudance et qui fait circuler les richesses par toutes les veines d'un Etat, iait ileurirun grand royaume; c'e-.t lui qui entretient 1'industrie, c'est lui quimultiplie les besoins des riches , pour les lier par ces mêmes besoins avec les pauvres. $i quelque politique habile s'avisoit de bannir le luxe d'i'.ri grand empire , cet empire tombe-  7° L'Anti-Machiavel roit en langueur : le luxe tout au contraiie feroit périr un petit État; 1'argent sortant du pays en plus grande abondance qu'il n'y rentreroit k proportion , feroit tomber ce corps délicat en consomption, et il ne manqueroit pas de mourir étique. C'est donc une régie indispensable pour tout politique que de ne jamais confondre les petits États avec les grands, et c'est en quoi Machiavel pêche griévement en ce chapitre. La première faute que je dois lui reprocher , est qu'il prend le mot de libéralité dans un sens trop vague; il ne distingue pas assez la libéralité de la prodigalité. » TJn prince, dit-ü, pour faire » de grandes choses, doit passer pour libéral, 53 et d doit 1'être «. Je ne connois aucun héros quine 1'ait été. Afficher 1'avarice , c'est dire aux hommes, n'attendez rien de moi , je payerai toujours mal vos services ; c'est éteindre 1'ardeur avec laquelle naturellement tout sujet sert son prince. Sans doute il n'y a que 1'homme économe qui puisse étre libéral, il n'y a que celui, qui gouverne prudemment ses biens qui puisse faire du bien aux autres. On connoit 1'exemple de Francois I, roi de France , dont les dépenses excessives furent en partie la cause de ses malheurs. Les plaisirs de Francois I absorboient les ressources de sa gloire; ce roi n'étoit pas libéral, mais prodigue , et sur la fin de sa vie il deyint Un peu avare : aulieu d'être bon ménager, il mit des trésors dans ses coffres ; mais ce n'est pas des trésors sans circulation qu'il faut ayoir, c'est un ample re-  € h a p. XVI. 7» vérM. Tout particulier et tout roi qui ne sait qu'entasser , enterrer de 1'argent, n'y entend rien : il faut faire cireuler 1'argent pour être vraiment riche. Les Médicis n'obtinrent la souveraineté de Florence que paree que le grand Cosme , père de la patrie , simple marchand, fut habile et libéral. Tout avare est un petit génie f et je crois que le cardinal de Retz a raison quand il dit que dans les grandes affaires il ne faut j'amais regarder k 1'argent. Que le souverain se mette donc en état d'en acquérir beaucoup , en favorisant le commerce et les manufactures de ses sujets, afin qu'il puisse en dépenser beaucoup k propos. II sera aimé et estimé. Machiavel dit que la libéralité le rendra méprisable : voila ce que pourroit dire un usurier ; mais est-ce ainsi que doit parler un homme qui se mêle de donner des lecons aux princes? CHAPITRE XVII. JJe la cruautè et de la elémence : et s'ü vaut mieux être aimé que craint. Le dépót le plus précieux qui soit confié entre les mains des princes, c'est la vie de leurs sujets. Leur charge leur donne le pouvoir de condamner a mort les coupables ou de leur pardonner ; ils sont les arbitres suprêmes de la justice. Les bons princes regardent ce pouvoir tant vanté sur la vie de leurs sujets , comme le poids le olus pesant de leur couronne. Ils savent e 4  73 L'Anti-Machiavel qu'ils sont hommes , comme ceux sur lesquels ils doiyent juger; ils savent que des torts , des iajustices, des injures peuvent se réparer claus ce monde , mais qu'un arrêt de mort précipité est un mal irréparable ; ils ne se portent a la sévérité que pour éviter une rigueur plus £&cheuse qu'ils prévoient, s'ils se conduisent autrement; ils ne prennent de ces tristes résolutions que dans des cas désespérés , et pareils a ceux oü un hotnme se sentant un membre gangrené , malgré la tendresse qu'il a pour Iüiméme, se résoudroit a le laisser retrancher, pour garantir et pour sauver du moins par cette opération doulohreuse le reste du corps. Machiavel traite de bagatelles des choses aussi graves, aussi sérieuses , aussi importantes. Chez lui la vie des hommes n'est compiée pour rien; 1'intérét, ce seul dieu qu'il adore, est compté pour tout; il préfère la cruauté k la clémence, et il conseille k oeux qui sont nouvellement élevés a la souveraineté, de mépriser plus que les autres la réputation d'être cruels. Ce sont des bourreaux qui placent les héros de Machiavel sur le tró-ne, et qui des y maintiennent. César Borgia est le refuge de ce politique ^ lorsqu'il cherche des exemples de cruauté. Machiavel cite encore quelques vers, que Virgile met dans la bouche de Didon : mais cette citation est entiérement déplacée ; car Virgile fait parler Didon , comme quelqu'un fait parler Jocaste dans la tragédie d'Oedipe. Le poé'te fait tenir a ces personnnges un lan-  G h a p. XVII. 73 gage qui cónvient k leur caractère. Ce nest dope point 1'autorité de Didon, ce nest point 1'autorité de Jocaste , qu'on doit emprunter dans un traité de politique ; il faut l'exempl© des grands hommes , et d'hommes vertueux. Le politique recommande sur-tout la rigueur envers les troupes ; il oppose 1'indulgence de Scipion a la sévérité d'Annibal; il préfère le Carthaginois au Romain , et conclut tout de suite que la rigueur est le mobile de 1'ordre et de la discipline, et par conséquent du triomphe d'une armée. Machiavel n'agit pas de bonne foi en cette occasion ; car il choisit Scipion, le plus mou de tous les généraux quant a la discipline , pour 1'opposer a Annibal, et pour favoriser la sévérité. J'avoue que 1'ordre d'une armée ne peut subsister sans sévérité ; car comment contenir dans leur devoir des Lbertins , des débauchés , des scélérats, des poltrons, des téméraires, des animaux grossiers et méchaniques , si la peur des chatimens ne les arréte en partie ? Tout ce que je demande sur ce sujet a Machiavel , c'est de la modération. Qu'il sache donc que si la clémence d'un honnête homm©le porte k la bonté , la sagesse aussi ne le porte pas moins k la rigueur. Mais il en est de sa rigueur comme de celle d'un habile pilote : on ne lui voit couper les mats ni les cordages de son vaisseau que lorsqu'il y est forcé par le danger imminent oü 1'exposent 1'orage et la tempète. II y a des occasions 011 il faut étre sévère,  L' A N 11- M'A Ó H' I A V E L. muis jamais on ne doit ètre cruel. J'aimeroi» mieux, dans un jour de bataille, être aimé que craint de mes soldats. Jen viens k présent k son argument le plus captieux. II dit qu'un prince trouve mieux son compte en se faisant craindre qu'en se faisant aimer, paree que la plupart des hommes sont portés a 1'ingratitude , au changement , a la dissimulation, k la lécheté et a 1'avarice; que 1'amour est un Hen d'obligation que la malice et la bassesse du genre humain ont rendu trésfragde : au-lieu que la crainte du chètiment assure bien plus de 1'observation des devoirs; que les hommes sont maitres de leur bienveillance , mais qu'ils ne le sont pas de leur crainte ; ainsi, qu'un prince prudent dépendra plutAt de lui que des autres. Je ne nie point qu'iln'y ait des hommes ingrats et dissimulés dans le monde; j'e ne nie point que Ia sévérité ne soit dans quelques momens trèsutile; mais j'avance que tout roi dont la politique n'aurapour but que de se faire craindre,régnera sur des laches et sur des esclaves; qu'il nepourra point s'attendre a de grandes actions de la part de ses suj'ets; car tout ce qui s'est fait par crainte et par timidité, en a toujours porté le caractère. Je dis qu'un prince qui aura le don de se faire aimer, régnera sur les coeurs, puisque ses sujets trouvent leur propre intérêt k 1'avoir pour maitre , et qu'il y a dans 1'histoire un grand nombre d'exemples de grandes et de belles actions qui se sont faites par amour et par attachement. Je dis encore que la mode des séditions  C M A P. XVII. ^ et des révolutions parc-it être entiérement finie ' de nos jours; on ne voit aucun royaume, excepté 1'Angleterre , oü le roi ait le.moindre sujet dc rien appréhender de ses peuples : encore le ro: en Angleterre n'a rien a craindre, si ce n'est pas lui qui soulève la tempéte. Je conclus donc qu'un prince cruel s'expose plutót k être trahi, qu'un prince débonnairé : puisque la cruauté est insupportable , et qu'on est bientót las de craindre; et après tout, paree que la bonté est toujours aimable , et qu'on ne se lasse point de 1'aimer. II seroit donc k souhaiter pour le bonheur dn monde que les princes fussent bons , sans être trop indulgens; afin que la bonté fut toujours en eux une vertu, et jamais une foiblesse. CHAPITRE XVIII, Siles Princes doivent terrirleurparole? Le précepteur des tyrans ose assurer que les princes peuvent abuser le monde par leur dissimulation: c'est par oü je dois commencer a ie confondre. On sait jusqu a quel point le public est curieux; c'est unanimal qui voit tout, qui entend tout, et qui divulgue tout ce qu'il a vu et ce qu'il a entendu. Si la curiosité de ce public examine ia conduite des particuliers, c'est pour divertir son oisiveté; mais lorsqu'il juge du caractère de?, princes, c'est pour son propre intérêt. Aussi les  7G L'Asti-Machiav:i. princes sont-ils exposés, plus que tous les autres hommes, aux raison temens et aux jugemens du monde ; ils sont. comme les astres , contre lesquels un peuple d'astronom.es a braqué ses sëc teurs a lunettes, et ses astrolabes; les courtisans qui les observent, font chaque jour leurs remarques; un geste, un coup-d'ced, un regardles trahit, et les peup'es se rapprochent d'eux patdes conjectures; en un mot, aussi peu que le solei 1 peut couvrir ses taches , aussi peu les- grands princes peuvent-ils cacher leurs vices et le fond de leur caractère aux yeux de tant d'observateurs. Quand même le masqué da la dissimulation couvriroit pour un temps la difformité naturelle d un prince, il ne se pourroitpourtant point qu'il gardatce masqué continuellement, et qu'il ne le levat quelquefois , ne fut-ce que pour respirer; et une seule occasion peut suffire pour contenter les curieux. L'artifice donc et Ia dissimulation h;ibiteront en vain sur les lèvres de ce prince ; la ruse dans ses discours et dans ses. actions lui sera inutile ; on ne j'uge pas les hommes sur leur parole, ce seroit le moyen de se tromper toujours; mais on compare leurs actions et leurs discours : c'est contre cet examen réitéré que la fausseté et Ia dissimulation ne pourront j'amais rien. On ne j'oue bien que son propre personnage • il faut avoir effectivement le caractère que 1'on veut que le monde vous suppose: sans quoi celui qui pense abuser le public, est dupe lui-même. Sixte-Quint, Phib'ppo II, Cronrvel, passèrent  C h a p. XVIII. 77 dans le monde pour des hommes hypocrites et entreprenans , mais jamais pour vertueux. Un prince , quelque habile qu'il oit, ne peut, quand mémeilsuivroit toutes les maximes de Machiavel, donner le caractère de la vertu qu'il n'a pas, aux crimes qui lui sont propres. Machiavel ne raisonne pas mieux sur les raisons qui doivent porter les princes a la fourbe et a 1'hypocri' ie : 1'application ingénieuse et fausse de la fable du centaure ne conclut rien ; car, que ce centaure ait eu moitié la figure humaine et inoitié celle d'un cheval, s'ensuit-il que les princes doivent être rusés et féroces ? II faut avo;r bien envie de dograatiser le crime , pour employer des argumens aussi foibles, et pour les chercher d'aussi loin. Mais voioi unraisonnement plus faux que tout ce que nous avons vu. Le politique dit qu'un prince doit avoir les qualités du bon et du rei ïard; du lion pour se défaire des loups, du renard pour être rusé , et il conclut : i> Ce qui fait voir » qu'un prince n'est pas obligé de garder sa pa» role ». Voila une conclusion sans prémisses : le docteur du crime n'a-t-il pas honte de bégayer ainsi les lecons d'impïété ? Si 1'on vouloit prêter la probité et Ie bon sens aux pensëes embrouillées de Machiavel, voicia ï>2u-près comme on pourroit les tourner. Le monde est comme une partie de jeu , on il se trouve des joueurs honnêtes , mais aussi des fourbës qui trichent : pour qu'un prince donc , qnidoit jouer k cette partie , n'y soit pas trornpé , il faut qu'il sache de quellemanière on triche  78 L'AnTI-M-1 C H I A TE ï.. jeu , non pas pour pratiquer jamais de pareilles Jecons , mais pour n'être pas la dupe des autres. Ketournons aux chutes de notre politique. » Paree que tous les hommes , dit-il, sont des » scélérats, et qti'ils manquent a tous momens > a leur parole, vous n'étes point obligé non plus » de leur garder lavótre ». Voici premiérement une contradiction; car l'auteur dit un moment après, que les hommes dissimulés trouveront toujours des hommes assez simples pour les abuser; comment cela s'accorde-t-il ? tous les hommes sont des scélérats, et vous trouverez des hommes assez simples pour les abuser, II est encore très-faux que le monde ne soit composé qüe de scélérats. II faut être bien mi santhrope pour ne point voir que dans toute société il y a beaucoup d'honnêtes gens, et qu<=le grand nombre n'est ni bon ni mauvais. Mais si. Machiavel n'avoit pas supposé le monde scélérat, sur quoi auroit-il fondé son abominable maxime ? Quand même nous supposerions les homme; aussi méchans que le veut Machiavel, il ne s'en suivroit pourtant point que nous devons les imiter. Que Cartouche vole , pille j assassine; j'en eonclus que Cartouche est un malheureux qu'on doit punir, et non pas que je dois régler ma conduite sur la sienne. S'il n'y avoit plus d'honneur et de vertu dans le monde , disoit Charles le Sage , ce seroit chez les princes qu'on devroit en retrouver les traces. Après que l'auteur a prouvé la nécessité du Crime, il veut encourager ses disciples par Ia facilité de Ie commettre.» Ceux qui entendent  C h a p. XVIII. 79 \ bien 1'art de dissimuler , dit-il , trouveront » toujours des hommes assez simples pour étre » dupes »; ce qui se réduit a ceci: Votre voisin est un sot, et vous avez de 1'esprit ; donc il faut que vous le dupiez , paree qu'il est un sot. Ce sont des syllogismes pour lesquels des écoIiers de Machiavel ont été pendus et roués en grève. Le politique , non content d'avoir démontré selon sa facon de raisonner , la facilité du crime, relève ensuite le bonheur de la perfidie ; mais ce qu'il y a de facheux, c'est que ce César Borgia, le plus grand scélérat, le plus perfide des hommes, que ce César Borgia, le héros de Machiavel, a été effectivement trèsmalheureux. Machiavel se garde bien de parler de lui a cette occasion , il lui falloit des exemples ; mais d'ou les auroit-il pris que du registre des procés criminels , ou de 1'histoire des mauvais papes et des Néron ? II assure qu'Alexandre VI , 1'homme le plus faux , le plus impie de son temps, réussit toujours dans ses fourberies , paree qu'il connoissoit parfaitement la foiblesse des hommes sur la crédulité J'ose assurer que ce n'étoit pas tant la crédulité des hommes, que de certains événemens et de certaines circonstances, qui firent réussir quelquefois les desseins de ce pape : le contraste de l'ambition francoise et espagnole, la désunion et la haine des families d'Italie , les passions et la foiblesse de Louis XII, y contribuèrent sur-tout. La fourberie est même un défaut de style  8g L'Anti-Mac ii ia vel. de politique, lorsqu'on la pousse trop loin. Je eite 1'autorité d'un grand politique , c'est dom Louis de Haro, qui disoit du cardinal Mazarin, qu'il avoit un grand défaut en politique, c'est qu'il veut toujours tromper. Ce même Mazarin voulant employer M. de Fabert k une négociation scabreuse , le maréchal de Fabert lui dit: » Souffrez , monseigneur, que je refuse de » tromper le duc de Savoie , d'autant plus qu'il 3) n'y va que d'une bagatelle ; on sait dans le 3) monde que je suis honnéte homme, réserJ3 vez donc ma probité pour une occasion oü 33 il s'agira du salut de la France. » Je ne parle point dans ce moment de 1'honnêteté ni de la vertu , mais ne considérant simplement que 1'intérêt des princes , je dis que c'est une très-mauvaise politique de leur part d'être fourbes , et de duper le monde ; ils ne dupent qu'une fois, ce qui leur fait perdre la confiance de tous les princes. Une certaine puissance, en dernier lieu , declara dans un manifeste les raisons de sa conduite, ét agit ensuite d'une manière directement opposée. J'avoue que des traits aussi frappans que ceux-la aliènent entiérement la conliance; car plus la contradiction se suit de prés, et plus elle est grossière. L'Eglise Piomaine , pour éviter une contradiction pareille , a Jrès-sagement iixé a ceux qu'elle place au nombre des saints , le noviciat de cent annéës après leur mort; moyennant quoi la méntoiré de leurs deTauts et de leurs extravagances périt avec eux ; les témoins de leur yie7 et ceux qui pourroient dé- poser  C h a p. XVIII. sv poser contre eux , ne subsistent plus ; rien nS s'oppose a 1'idée de sainteté qu'on veut donner au public. Mais qu'on me pardonne cette digression. J'avoue d'ailleurs qu'il y a des nécessités fdcbeuses , oü un prince ne sauroit s'empêcher de rompre ses traités et ses alliances; mais il doit se séparer en honnéte homme de ses alliés, en les avertissant k temps , et sur-tout n'en venir jamais a ces extrêmités que le salut de ses peuples et une trés-grande nécessité ne 1'y obligent. Je finirai ce chapitre par une seule rétlexion. Qu'on remarque la fécondité dont les vices so propagent entre les mains de Machiavel. II veut qu'un roi incrédule couronne son incrédulitó par 1'hypocrisie; il pense que les peuples seront plus touchés de la dévotion d'un prince , que révoltés des mauvais traitemens qu'ils souffriront de lui. Il y a des personnes qui sont de c© sentiment; pour moi, il me semble qu'on a touj'ours de 1'indulgence pour des erreurs de spéculation, lorsqu'elles n'entralnent point la corruption du coeur k leur suite ; et que le peuple aimera plus un prince incrédule , mais honnéte homme , et qui fait leur bonheur , qu'un orthodoxe soélérat et malfaisant. Ce ne sont pas les pensées des princes, ce sont leurs actions qui rendent les hommes heureux. Tomé I,  8* ' L' a N T T -M A C H I A V TL tv chapitre xix. Qu'il faut éviter d'étre mêprisè et hal. La rage des systêmes n'a pas été Ia folie privilégiée des philosophes, elle est aussi devenue celle des politiques. Machiavel en est infecté plus que personne ; il veut prouver qu'un prince doit être méchant et fourhe ; ce sont-li les paroles sacramentales de sa religion. Machiavel a toute la méchanceté des monstres que terrassa Hercule , mais il n'en a pas la force ; aussi ne faut-il pas avoir la massue d'Hercule pour 1'abattre ; car qu'y a-t-il de plus simple , de plus naturel et de plus convenable aux princes que la justice et la bönté ? Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de s'épuiser en argumens pour le prouver. La politique doit donc perdre nécessairement en soutenant le contraire. Car s'il soutient qu'un prince affermi sur le tróne doit ètre cruel, fourbe, traitre , etc. il le fera méchant a pure perte; et s'il veut revêtir de tous ces vices un prince qui s'élève sur le tróne, pour affermir son usurpation, l'auteur lui donne des conseils qui souleveront tous les souverains , et toutes les républiques contre lui. Car comment un particulier peut-il s elever k la souyeraineté , si ce n'est en dépossédant de ses États un prince souverain, ou en usurpant 1'autorité d'une république ? Ce n'est pas assurément ainsi que  CHif. XIX.. 83 1'entendent les princes de 1'Europe. Si Machiavel avoit composé un recueil de fourberies a 1'usage des voleurs, il n'auroit pas fait un ouvrage plus blémable que celui-ci. Je dois cependant rendre compte de quelques faux raisonnemens qui se trouvent dans •> Ce chapitre. Machiavel prétend que ce qui rend tm prince odieux , c'est lorsqu'il s'empare injustement du bien de ses sujets, et qu'il attente a la pudicité de leurs femmes. Il est sür qu'un prince intéressé, injuste , violent et cruel, ne pourra point manquer d'étre haï et de se rendre odieux a ses peuples ; mais il n'en est pas toutefois de méme de la galanterie. Jules-Césarf que 1'on appelloit a Rome le mari de toutes les femmes et la femme de tous les maris „ Louis XIV, qui aimoitbeaucoup les femmes, Auguste I, roi de Pologne, qui les avoit en commun avec ses sujets, ces princes ne furent point haïs a cause de leurs amours ; et si César fut assassiné, si la liberté romaine enfonca tant de poignards dans son flanc, ce fut paree que César étoit un usurpateur, et non a cause que César étoit galant. On m'objectera peut-être , pour soutenir le* sentiment de Machiavel, Pexpulsiön des rois da Rome au sujet de 1'attentat commis contre Ja pudicité de Lucrèce; mais je réponds que ce 'ne fut pas 1'amour du jeune Tarquin pour Lucrèce» mais la manière violente de faire cet araout, qui donna lieu au soulèvement de Rome ; et que comme cette violence réveilloit dans la mémoire du peuple 1'idée d'autres violences commises par F a  S4- L'A nti-Mac h ia ve i les Tarquins, ils songèrent alors sérieusement a s'en venger ; si pourtant 1'aventure de Lucrèce n'est pas un roman. Je ne dis point ceci pour excuser la galan; terie des princes , elle peut être moralement mauvaise ; je ne me suis ici attaché a autre chose qu'a inontrer qu'elle ne rendoit point odieux les souverains. On regarde 1'amour dans les bons princes comme une foiblesse pardonnable , pourvu qu'elle ne soit point accompagnée d'injustices. On peut faire 1'amour comme Louis XIV , comme Charles II , roi d'Angleterre , comme le roi Auguste ; mais il ne faut imiter ni Néron ni David. Voici, ce me semble, une contradiction en forme. >; La politique veut qu'un prince se fasse » aimer de ses sujets , pour éviter les conspira» tions » ; et dans le chapitre dix-sept il dit, » qu'un prince doit songer principalement a se j) faire craindre, puisqu'il peut compter sur une 3) chose qui dépend de lui, et qu'il n'en est pas 3» de même de 1'amour des peuples 33. Lequel des deux est le véritable sentiment de l'auteur ? Il parle le langage des oracles ; on peut 1'interpré* ter comme on veut; mais ce langage des oracles, $oit dit en passant, est celui des fourbes. Je dois dire en général a cette occasion, que les conjurations et les assassinats ne se commettent plus guère dans le monde; les princes sont en süreté de ce eAtéda ; ces crimes sont usés , ils sont sortis de mode , et les raisons qu'en allègue Machiavel sont très-bonnes : il n'y a tout au plus que le fanatisme de quelques ecclésiastiques qui  C h a p. XIX. 85 puisse faire commettre un crime aussi épouvantable par pur fanatisme. Parmi les bonnes choses que Machiavel dit a Foccasion des conspirations, il y en a une très-bonne, mais qui devient mauvaise dans sa boucbe : l?i voici. » Un conju» rateur , dit-il, est troublé par 1'appréhension 53 des chatimens qui le menaceat, et les rois sont j) soutenus par la majesté de 1'empire et par 53 1'autorité des loix 33. II me semble que l'auteur politique n'a pas bonne gréce a parler des loix , lui qui n'insinueque Fintérêt, la cruauté , ledes« potisme et 1'usurpation. Machiavel fait comme les protestans 5 ils se servent des argumens des incrédules pour combattre la transsubstantiation des catholiques , et ils se servent des mêmes argumens dont les catholiques soutiennent la transsubstantiation , pour comhattre les incrédules. Machiavel conseille donc aux princes de se faire aimer, de se ménager pour cette raison , et de ^a«ner également la bienveillance des grands et des peuples ; il a raison de leur conseiller de se décharger sur d'autres de ce qui pourroit leur attirer la haine d'un de ces deux états , et d'établir pour cet effet des magistrats juges entre le peuple et les grands. II allègue le gouvernement de France pour modèle. Cet ami outré du despotisme et de 1'usurpation d'autorité, approuve la puissance que les pariemens de France avoient autrefois : il me semble è moi que s'il y a un gouvernement dont on pourroit de nos jours proposer pour modèle la sagesse , c'est celui d'Angleterre ; la le parlement est 1'arbitre du peuple et du roi, et le roi a tout le pouvoir de F 3  L' Anti - Machiavel. faire du bien, mais il n'en a point pour faire lo mal. Machiavel entre ensuite dans une grande discussion sur la vie des empereurs Romains, depuis Marc-Aurèle j'usqu'aux deux Gordiens. II attribue la cause de ces changemens fréquens ala vénalité de Fempire, mais ce n'en est pas la seule cause. Caligula, Claude, Néron, Galba, Othon, Vitellius firent une fin funeste, sans avoir acheté Rome comme Didius Julianus. La vénalité fut enfin une raison de plus pour assassiner les empereurs ; mais le fond véritable de ces révolutions étoit la forme du gouvernement. Les gardes prétoriennes deyinrent ce qu'ont été depuis les mammelus en Egypte , les /anissaires en Tur-_ quie , les strélitz en Moscovie, Constantin cassa les gardes prétoriennes habilement; mais enfin les malheurs de l'empire exposèrent encore ses maitres a i'assassinat et a 1'empoisonnement. Je «marquerai seulement que les mauvais empereurs périi ent de morts violentes; mais un Théodose mourut dans son lit , et Justinien vécut heureux quatre-vingt-quatre ans. Voila sur quoi j'insite : iln'y a presque point de méchans princes heureux, et Auguste ne fut paisible que quand il devint vertueux. Le tyran Commode, successeur du divin Marc-Aurèle, fut mis a mort malgréle respect qu'on avoitpour sonpère. Caracalla ne put se soutenir a cause de sa cruauté. Alexandre Sévère fut tué par la trahison de ce Maximin de Thrace qui passé pour un géant, et Maximin ayant soulevé tout le monde par ses barbaries f fut assassiné k son tour. Machiavel prétend que  C h a p. XIX. 8; celui-la périt par le mépris qu'on faisoit de sa basse naissance; II a grand tort: un homme élevé è 1'empire par son courage n'a plus de parens ; on songe a son pouvoir, et non a son extraction. Pupien étoit fils d'un maréchal de village , Probus d'un jardinier, Dioclétien d'un esclave, Valentinien d'un cordier ; ils furent tous respectés. Le Sforce qui conquit Milan étoit un paysan ; Cromwel, qui assujettit 1'Angleterre et Ht trem. bier 1'Europe, étoit fils d'unmarchand. Le grand Mahomet, fondateur de la religion la plus florissante de 1'univers , étoit un garcon marchand. Samon, premier roi d'Esclavonie, étoit un marchand Francois. Le fameux Piast, dont le nom est encore révéré en Pologne , fut élu roi ayant encore aux pieds ses sabots; et il vécutrespecté pendant un grand nombre d'années. Que de généraux d'armée, que de ministres etdechanceliers roturiers ! 1'Europe en est pleine, etn'en est que plus heureuse ; car ces places sont données au mérite. Je r.e dis pas cela pour mépriser le sang des Wittikind , des Charlemagne et des Ottoman ; je dois au contraire , par plus d'une raison, aimer le sang des héros; mais j'aime encore plus le mérite. On ne doit pas oublier ici que Machiavel se trompe beaucoup , lorsqu'il croit que du temps de Sévère il suffisoit de ménager les soldats pour se soutenir; 1'histoire des empereurs le contre. dit. Plus on ménageoit les prétoriens indisciplinables , plus ils sentoient leur force ; et il étoit également dangereux de les flatter, et de les Vouloir réprimer. Les troupes aujourd'hui ne F 4  88 L'Anti-Machiatei,.' sont pas h craindre , paree qu'elles sont toutes divisées en petits corps , qui veillent les uns sur les autres , paree que les rois nomment k tous les emplois , et que la force des loix est plus établie. Les empereurs Turcs ne sont si exposés au cordeau, que paree qu'ils n'ont pas su encore se servir de cette politique. Les Turcs sont esclaves du sultan, et le sultan est esclave des janissaires. Dans 1'Europe chrétienne il faut qu'un prince traite également bien tous les ordres de ceux a qui il commande , sans faire des différences qui causent des jalousies funestes a ses intéréts. Le modèle de Sévère proposé par Machiavel k ceux qui s'élèveront k 1'empire , est donc tout aussi mauvais que celui de Marc-Aurèle leur peut être avantageux. Mais comment peut-on proposer ensemble pour modèles Sévère, CésarBorgia, et Marc-Aurèle ? C'est vouloir réunir la sagesse et la vertu la plus pure avec la plus affreuse scélératesse. Je ne puis finir sans insister encore sur ce que César-Borgia, avec sa cruauté si habile, fit une fin très-malheureuse ; pendant que MarcnAurèle , ce philosophe couronné, toujours vertueux, n'éprouva jusqu'a sa mortaucun revers de fortune.  C ii a p, XX. 89 CHAPITRE XX. Silesforteresses, etplusieurs aütres choses que les Princes font souvent, sont utiles, ou nuisibles ? JLiE paganisme représentoit Janus avec deux visages , ce qui signifioit la connoissar.ee parfaite qu'il avoit du passé et de 1'avenir. L'image de ce dieu , prise en un sens allégorique , peut très-bien s'appliquer aux princes. lis doivent comme Janus voir derrière eux dans 1'histoire de tous ces siècles qui se sont écoulés , et qui leur fournissent des lecons salutaires de conduite et de devoir; ils doivent comme Janus voir en avant par leur pénétration, et par cet esprit de force et de jugement qui combine tous les rapports et qui lit dansles conjonctures présentes celles qui doivent les suivre. Machiavel propose cinq questions aux princes , tant h ceux qui auront fait de nouvelles conquêtes , qu'a ceux dont la politique ne demande qu'a s'affermir dans leurs possessions : voyons ce que la prudence pourra conseiller de meilïeur } en combinant le passé avec le futur , et en se déterminant toujours par la raison et la justice. Voici la première question : Si un prince doit désarmer des peuples conquis, ou non? II faut toujours songer combien la manière de faire la guerre a changé depuis Machiavel. Ce sont toujours des armées disciplinées, plus ou moins fortes, qui défendent le pays ; on mêpriseroit beaucoup une trotipe de paysans ar-  f/B L' A N T ! ■ \I A C II I A V E l. més. Si quelquefois dans des sieges la bourgeoisie prend les armes, les assiégeans ne le souffrentpas.etpourleseneinpécher, onles menace du bombardement et des boulets rouges ; il paroit d'ailleurs qu'il est de la prudence de désarmer les bourgeois d'une ville prise, principalement si 1'on a quelque chose a craindre de leur part. Les Romains qui avoient conquis la grande Bretagne, et qui ne, pouvoient la maintenir en paix, a cause de ï'humeur turbulente et belliqueuse de ces peuple;, prirent le parti de les efféminer, afin de modérer en eux cet instinct belliqueux et farouche; ce qui réussit comme on le désiroit a Rome. Les Corses sont une poignée d'hoinmes aussi braves et aussi délibérés que ces Anglois ; on ne les domptera, je crois, que par la prudence et la bon ré. Pour maintenir la souveraineté de cette isle, ilmeparoit d'une nécessité indispensable de désarmer les habitans, et d'adoucir leurs moeurs. Je dis en passant, et a 1'occasion des Corses, que l'o 1 peut voir par leur exemple, quel courage, quelle vertu donn# aux hommes 1'amour de la liberté, qu'il est dangereux et inj'uste d'opprimer. La seconde question roule sur la confiance qu'un prince doit avoir, après s'être rendu maitre d'un nouvel Etat, ou en ceux de ses nouveaux suj'ets qui lui ont aidé a s'en rendre le maitre , ou en ceux qui ont été fidèles a leur prince légitime. Lorsqu'on prend une ville par intelligence, et par la trahison de quelques citoyens, il y auroit beaucoup d'imprndence a se fier aux tral<  C ii a p. XX. 9* tres, qui probahlement vous trahiront; et on doit présumer que ceux qui ont été fidèles k ieurs anciens maitres, le seront a leurs nouveaux souverains : car ce sont d'ordinaire des esprits sages, des hommes domiciliés qui ont du bien dans le pays, qui aiment 1'ordre, a qui tout changement est nuisible ; cependant il ne iaut se coniier légérement a personne. Mais supposons un moment que des peuples opprimés, et forcés a secouer le joug de leurs tyrans, appellassent un autre prince pour les gouverner ; je crois que le prince doit répondre en tout a la confiance qu'on lui témoigne, et que s'il en manquoit en cette occasion envers ceux qui lui ont confié ce qu'ils avoient de plus précieux, ce seroit le trait le plus indigne d une ingratitude qui ne manqueroitpas de flétrir sa mémoire. Guillaume, prince d'Orange, conserva jusqu'a la fin de sa vie son amitié et sa comlance h ceux qui lui avoient mis entre les mains les rênes du gouvernement d'Angleterre, et ceux qui lui étoient opposés abandonnant leur patrie , surwrent le roi Jacques. Dans les royaumes électifs , oü la plupart des élections se font par brigues, et oü le tróne est vénal, je crois , quoi qu'on en dise, que le nouveau souverain trouvera la facilité, après son élévation , d'acheter ceux qui lui ont été opposés , comme il s'est rendu favorables ceux qui 1'ont élu. La Pologne nous en fournit des exemples 5 on y trafique si grossiérement du tróne, qu il semble que cet achat se fasse aux marchés publiés, La libéralité d'un roi de Pologne écarté  3* L'A N T I-M A C Hl AVE £.. de son chemin toute opposition; il est le maitre de gagner les grandes families par des palatinats, des starosties ,et d'autres charges qu'il confère; mais comme les Polonois ont sur le sujet des bienfaits la mémoire très-courte, il faut revenir souvent a la charge : en un mot, la république de Pologne est comme le tonneau des Danaïdes ; le roi le plus généreux répandra vainement ses bienfaits sur eux , il ne les satisfera jamais. Gependant, comme ui roi de Pologne a beaucoup de grdces a faire, il peut se ménager des ressources fréquentes, enne faisant ses libéralités que dans les occasions oü il a besoin des families qu'il enrichit. La troisième question de Machiavel regarde proprementla süreté d'un prince dans un royaume héréditaire, s'il vaut mieux qu'il entretienne 1'union ou la mésintelligence parmi ses sujets ? Cette question pouvoit peut-être avoir lieu du temps des ancétres de Machiavel a Florence ; mais a présent je ne pense pas qu'aucun politique 1'adoptèt toute crue et sans la mitiger. Je n'aurois qu'i citer la belle apologie si connue , de Ménénius Agrippa, par laquelle il réunit le peuple Romain. Les républiques cependant doivent en quelque fagon entretenir de la jalousie entre leurs membres; car si aucunparti ne veille sur 1'autre, la forme du gouvernement se change en monarchie. 11 y a des princes qui croient la désunion de leurs ministres nécessaire pour leurs intéréts; ils pensent étre moins trompés par des hommes  C h a p. XX. §3 qu'une haine mutuelle tient réciproquement en garde : mais si ces haines produisent eer. effet , elles en pro'luisent aussi un fort dangereux; car au-'ieu que ces mi nis tres devroient conconrir ar. service du prince , il arrivé que par des vues de se nuire , ils se coutrecarrent continuellement, et qu'ils cenfondent dans leurs querelles particulières 1'avantage du prince et le salut des peuples. Rien ne contribue donc plus k la force d'une monarchie que 1'union intime et inséparable de tous ses membres , et ce doit être le but d'un prince sage de Fétablir. Ce que je viens de répondre a la troisième question de Machiavel, peut en quelque sorte servir de solution k son quatrième probléme ; examinons cependant et jugeons en deux mots, si un prince doit fomenter des factions contre luimème , ou s'il doit gagner 1'amitié de ses sujets. C'est forger des monstres pour les combattre, que de se faire des ennemis pour les vaincre ; il est plus naturel, plus raisonnable, plus humain de se faire des amis : heureux sont les princes qui connoissent les douceurs de 1'amitié ! plus heureux sont ceux qui méritent 1'amour et 1'af fection des peuples! Nous voici k la dernière question de Machia rel, savoir, si un prince doit avoir des forteresses et des citadelles , ou s'il doit les raser ? Je crois avoir dit mon sentiment dans le cha pitre dixième , pour ce qui regarde les petits prinees j venons a préseat k ce qui' intéresse la eondiule des rois.  94 L' A N T I - M A C H I A V £ E. Dans Ie temps de Machiavel le monde étoit dans une fermentation générale ; 1'esprit de sédition et de révolte régnoit par-tout; 1'on ne yoyoitque des factions et des tyrans : les révoiutions fréquentes et continuelles obligèrent les princes de bétir des citadelles sur les hauteurs des villes , pour contenir par ce moyen 1'esprit inquiet des habitans. Depuis ce siècle barbare, soit que les hommes se soient lassés de s'entre-détruire , soit plutót paree que les souverains ont dans leurs États un pouvoir plus despotique , on n'entend plus tant parler de séditions et de révoltes , et 1'on diroit que cet esprit d'inquiétude , après avoir assez travaillé , s'est mis a présent dans une assiette tranquille : de sorte que 1'on n'a plus besoin de citadelles pour répondre de la fidélité des villes et du pays. II n'en est pas de même des fortifications, pour se garantir des ennemis, et pour assurer davantage le repos de 1'État. Les armées et les forteresses sont d'une utilitp égale pour les princes; car s'ils peuvent opposer feurs armées a leurs ennemis, ils peuvent sauver cette armée sous le canon de leurs forteresses en cas de bataille perdue ; et le siège que Fennemi entreprend de cette forteresse , leur donne le temps de se refaire et de ramasser de nouvelles forces, qu'ils peuvent encore, s'ils les amassent a temps , emplóyer pour faire lever le siège h l'ennemi. Les dernières guerres en Flandre, entre 1'empereur et la France, n'avancoient presque pcint 4 cause de la nvultitude des places fortes, et der-  Chap, XX. g5 bataüles de cent mille hommes , remportées sur cent mille hommes , n'étoient suivies que de la prise d'une ou de deux villes : la campagne d'après, 1'adversaire ayant eu le temps de réparer *es pertes, il reparoissoit de nouveau, et 1'on remettoit en question ce que 1'on avoit décidé 1'année auparavant. Dans des pays oü il y a beaucoup de places fortes, des armées qui couvrent deux milles de terre , feront la guerre trente années, et gagneront, si elles sont heureuses , pour prix de vingt batailles, dix milles de terrain. Dans des pays ouverts , le sort d'un combat ou de deux campagnes décide de la fortune du vainqueur, et lui soumet des royaumes entiers, Alexandre , César , Gengiskan , Charles XII durent leur gloire k ce qu'ils trouvèrent peu de places fortifiées dans les pays qu'ils conquirent ; le vainqueur de 1'Inde ne fit que deux siéges en ses glorieuses campagnes ; 1'arbitre de la Pologne n'en fit jamais davantage. Eugène , Villars , Marlborough , Luxembourg , étoient de grands capitaines ; mais les forteresses émoussèront en quelque facon Ie brillant de leurs succès. Les Francois connoissent bien 1'utilité des forte. resses, car depuis le Brabant jusqu'au Dauphiné c'est comme une doublé chaine de places fortes; la frontière de la France du cóté de 1'Allemagne est comme une gueule de lion ouverte , qui présente deux rangées de dents menacantes , et a I'air de vouloir tout engloutir. Cela suffit poüf faire voirle grand usage des villes fortifiées.  9G L'Asti-Machiavel. CHAPITRE XXI. Comment le Prince doit se gouverner pour sc mettre en estime. CjE chapitre de Machiavel contient du bon el dn mauvais. Je relèverai premiérement les fautes de Machiavel, je confirmerai ce qu'il die de bon et de louable , et j"e hasarderai ensuite mon sentiment sur quelques suj'ets qui appartiennent naturellement a cette matière. L'auteur propose la conduite de Ferdinand d'Arragon et de Bernard de Milan, pour modèle a ceux qui veulent se distinguer par de grandes entreprises , et par des actions rares et extraordinaires. Machiavel cherche ce merveilIeux dans la hardiesse des entreprises , et dans la rapidité de 1'exécution. Cela est grand , j'en «onviens , mais cela n'est louable qu'a proportion que Fentreprise du conquérant est j'uste. 33 Toi qui te vantes d'exterminer les voleurs , disoientles ambassadeurs Scythes a Alexandre, 3) tu es toi - même le plus grand voleur de » la terre ; car tu as pillé et saccagé toutes 33 les nations que tu as vaincues ; si tu es un „ dieu , tu dois faire le bien des mortels , et 33 non pas leur ravir ce qu'ils ont ; si tu es „ un homme , songe touj'ours a ce que tu es Ferdinand d'Arragon ne se contentoit pas touj'ours de faire simplement la guerre ; mais il se servoit de la religion , comme d'un voile , pour couvrir ses desseins; il abusoit de la foi des sermeiis;  Chat. XXI. 97 sermens ; il ne parloitque de j'ustice, et ne commettoit que des inj'ustices, Machiavel loue en lui tout ce qu'on y blame. Machiavel auègite en second lieu 1'exemple de Bernard de Milan, pour insinuer aux princes qu'ils doivent récompenser et punir d'une manière éclatante , afin que toutes leurs actions aient un Caractère de grandeur. Les princes généreux ne manqueront point de réputation, principalement lorsque leur libéralité est une suite de leur grandeur d'ame, et non de leur amour-propre. La bonté de leurs coeurs peut les rendre plus grands que toutes les autres vertus. Cicéron disoit a César : » Vous n'avez rien de plus grand » dans votre fortune que le pouvoir de sauver " tant de citoyens, ni de plus digne de votre bonté que la volonté de le faire ». II faudroit donc que les peines qu'un prince inflige { fhssent toujours au-dessous de 1'offense , et que les récompenses qu'il donne ; fussent rbuj'ours au dessus du service. Mais voici une contradiction: le docteur de la politique veut en ce chapitre que ses princes tiennent leurs alliances , et dans le dixdmitième chapitre , il les dégage formellement de leur parole. II fait comme ces diseurs de bonne aventure , qui disent blanc aux uns , et noir aux autres. Si Machiavel raisonne mal sur tout ce que nous venons de dire, il parle bien sur la prudence que les princes doivent avoir de ne point sengager légérement avec d'autres princes plus Tvme T. (\  gS LVA N T ï - M A C II I A V E t. puissans qu'eux , qui, au-lieu de les secourir > pourroient les abimer. C'est ce que savoit un grand prince d'Alle» magne , également estimé de ses amis et de ses ennemis. Les Suédois entrèrent dans ses Etats, lorsqu'il en étoit éloigné avec toutes ses troupes, pour secourir 1'empereur au bas du Rhin dans la guerre qu'il soutenoit contre la France. Les ministres de ce prince lui conseilloient, a la nouvelle de cette irruption soudaine , d'appeller le Czar de Russie a son secours : mais c« prince, plus pénétrant qu'eux, leur répondit que les Moscovites étoient comme des ours qu d ne falloit point déchainer, de crainte de ne pouvoir remettre leurs chaines ; il prit généreusement sur lui les soins de la vengeance, et il n'eut pas lieu de s'en repentir. Si je vivois dans le siècle futur, j'allongerois sürement cet article par quelques réflexions qui pourroient y convenir; mais ce n'est pas a moi k juger de la conduite des princes modernes; et dans le monde il faut savoir parler et se taire k propos. La matière de Ia neutralité est aussi bien traitée par Machiavel que celle des engagemens des princes. L'expérience a démontré depuis long-temps , qu'un prince neutre exposé sou pays auxinjures des deux parties belligérantes, que ses Etats deviennent le théatre de la guerre, et qu'il perd toujours par la neutralité , sans que jamais il ait rien de solide a y gagner. II y a deux manières par lesquelles un prince peut s'agrandir : 1'une est celle de la conquête ,  Ö HAP. XXL gg iörsqu un prince guerrier recule par la force de ses armes les limitesde sa domination : 1'autre r-st celle d'un bon gouvernement , lorsqu'im prince laborieux fait fleurir dans ses États tous les arts et toutes les sciences qui les rendent plus puissans et plus policés. Tout ce livre n'est rempli que de raisonnemens sur cette première manière de s'agrandir: disons quelque chose de la seconde, plus innocente , plus juste, et toute aussi utile que la première» Les arts les plus nécessaires k la vie sont 1'agriculture, le commerce et les manufactures j ceux qui font le plus d'honneur k 1'esprit-huntain, sont la géométrie, la philosophie, 1'asrronomie, 1'éloquence, lapoésie, la peinture> la musique > la seülpture , l'architecture, la gravure, et ce qu'on entend sous le nom de beauxarts. Comme les pays varient infiniment, il y en a dont le fort consiste dans 1'agriculture, d'autres dans les vendanges , d'autres dansles manufactures, et d'autres dans le commerce : ces arts se trouvent même prospérer ensemble dans quelques pays. Les souverains qui choisiront cette manière douce et aimable de se rendre plus puissans, seront obligés d'étudier principalement Ia consritution de leur pays, afin de savoir lesquels de ces arts seront les plus propres a y réussir, et par conséquent lesquels ils doivent le plus e»~ courager. Les Francois et les Espagnols se sont appercus que le commerce leur manquoit, éi G 9  ioo I.'Anti -Machiavel. ils ont médité par cette raison sur le moyen de ruiner celui des Anglois. S'ils réussissent, la France augmentera sa puissance plus considérablement qu'elle n'auroit pu faire par la conquête de vingt villes , et d'un millier de villages-; et 1'Angleterre et la Hollande, ces deux pays les plus beaux et les plus riches du monde, dépériroient insensiblement , comme un malade qui meurt de consomption. Les pays dont les bleds et les vignes font les richesses, ont deux choses a observer ; 1'une est de défricher soigneusement toutes les terres , afin de mettre jusqu'au moindre terrein a profit; 1'autre est de raffiner sur un plus grand , un plus vaste débit, sur les moyens de transporter les marchandises a moins de frais, et de les yendre k. meilleur marché. Quant aux manufactures de toutes espèces , c'est peut-être ce qu'il y a de plus utile et de plus profitable a un Etat, puisque par elles on suffit aux besoins et au luxe des habitans , et que les voisins sont même obligés de payer tribut a votre industrie : elles empêcbent d'un cóté que 1'argent ne sorte du pays , et elles en font rentrèr de 1'autre. Je me suis toujours persuadé que le défaut de manufactures avoit causé en partie ces prodigieuses émigrations des pays du nord , de ces Goths , de ces Vandales qui inondèrent si souvent les pays méridionaux. Dans ces temps reculés on ne connoissoit d'arts en Suède, en Dannemark, et dans la plus grande partie de 1'Allemagne , que 1'agriculture ou la chasse; les  C H 4 P. XXI. TOS terres labourables étoient partagées entre un certain nombre de propriétaires, qui les cultivoient, et qu'elles pouvoient nourrir. Mais comme la race humaine a de tout temps eté très-féconde dans ces climats froids, il arrivoit qu'il y avoit deux fois plus d'habitans dans un pays qu'il n'en pouvoit subsister par le labourage : et ces cadets de bonne maison s'attroupoient alors; ils étoient illustres brigands par nécessité ; ils ravageoient d'autres pays , et en dépossédoient les maitres. Aussi voit-on dans i'empire d'orient et d'occident que ces barbares ne demandoient pour 1'ordinaire que des champs k cuttiver, afin de fournir aleur subsistance. Les pays du nord ne sont pas moins peuplés qu'ils ne Féfoient alors ; mais comme le luxe a trèssagement multiplié nos besoins, il a dbnné beu a des manufactures, et a tous ces arts qui font subsister des peuples entiers , qui autrement seroient obligés de chercher leur subsistance ailleurs. , Ces manières donc de faire prospérer un Etat, sont comme des talèns confiés a la sagesse du souverain, qu'il doit mettre a usure et faire valoir. La marqué la plus süre qu'un pays est sous un gouvernement sage et heureux, c'est lorsque les beaux arts naissent dans son sein : ce sont des fleurs qui viennent dans un terrein gras , et sous un ciel heureux, mais que la sécheresse , oule soufflé des aquiions, faitmourir. Rien n'illustre plus un règne que les arts qui fleurissent sous son abri. Le siècle de Périclès est aussi fameux par les grands génies qui vi- G 3  102 LA nt i-Ma c uia vel. voient a Atliènes , que par les batailles que les Athéniens donnèrent alors. Celui d'Auguste esi mieux connu par Cicéron, Ovide , Horace, Virgile, etc. que par les proscriptions de ce cruel cmpereur , qui doit après tout une grande partie de sa réputation a la lyre d'Horaee. Celui de Louis XIV est plus célèbre par les Corneille, les Racine, les Molière, les Boileau, les Descartes, les Le Brun , les Girardon, que par ce ■passage du Rhin tant exagéré , par les sieges oü Louis se trouva en personne, et par la bataille de Turin que monsieur de Marsin lit perdre au duc d'Oléans par ordre du cabinet. Les rois honorent 1'humanité , lorsqu'ils distinguent et récompensent ceux qui lui font le plus d'honneur, etqu'üs encouragent ces esprits supérieurs qui s'emploient a perfectionner nos oonnoissances, et qui se dévouent au culte de Ia vérité. Heureux sont les souverains qui cultivent eiix-mémes ces sciences ! qui pensent avec Cicéron , ce consul Romain , libérateur de sa patrio et père de léloquence : » Les lettres for» ment la jeunesse , et sont le charme de lage » avancé ; la prospérité en est plus brillante , .) 1'adversité en recoit des consolations ; et dans' 33 nos maisons et dans celles des autres, dans les 33 voyages et dans la solitude , en tous temps et >3 en tous lieux, elles sont la douceur de notre » vie «. Laurent de Médicis, le plus grand homme de sa nation, étoit le pacificateur de 1'Italie, et le restaurateur des sciences ; sa probité lui con-  C H A P. XXII. Jo3 CÜia Ia confiance générale de tous les princes; et Marc-Aurèle , un des plus grands empereurs de Rome, étoit non moins heureux guerrier que sage philo ophe, et joignoit la pratique la plus sévère de la morale a la profession qu il en faisoit. Finissons par ces paroles : « Un roi que k t, pistice conduit, a Funivers pour son tempie, » et les gens de bien en sont les prêtres et les » saci'ificateurs «. CHAPITRE XXII. Des Secrétaires desPrinces, Il y a deux espèces de princes clans le monde : ceux qui voient tout par leurs propres yeux, et gouvernent leurs États par eux-mêmes ; et ceux qui se reposent sur la bonne foi de leurs ministres , et qui se laissent gouverner par ceux qui ont pris de Fascendant sur leur esprit. Les souverains de la première espèce sont comme Fame de leurs États ; le poids de leur gouvernement repose sur eux seuls , comme le monde sur le dos d'Atlas : ils règlent les affaires intérieures comme les étrangères ; ils remplissentala fois les postesde premiers magistrats de la justice, de généraux des armées , de grands trésoriers. Ils ont, a Fexemple de Dieu (qui se sert d'intelligences supérieures a 1'homme pour opérer ses volontés ) des esprits pénétrans et laborieux, pour exécuter leurs desseins et pour ï-emplir en détail ce qu'ils ontprcjeté en grand ; G 4  to// L'Anti-Machiavel leurs ministres sont proprement des instrumens dans les mains d'un sage et habile maitre. Les souverains du second ordre sont comme piongés, par un défaut de génie , ou par une indolence naturelle, dans une indifférence léthargique. Si 1'État, prés de tomber en défaillance paste foiblesse du souverain, doit être soutenu par la sagesse et la vivacité d'un ministre , la prince alors n'est qu'un fantóme, mais un fantóme nécessaire; car il représente 1'État : tout ce qui est a soubaiter, c'est qu'il fasse un choix heureux. II n'est pas aussi faciïe qu'on Ie pense, k un souverain, de bien approfondir le caractère de ceux qu'il veut employer dans les affaires ; car les particuliers ont autant de facilité a se déguiser devant leurs maitres , que les princes trouvent d'obstacles pour dissimuler leur intérieur aux yeux du public. Après tout, si Sixte - Quint a pu tromper soixante-dixcardinaux qui devoientle connoitre, combicn a plus forte raison n'est-il pas plus facile k un particulier de surprendre le souverain qui a manqué d'occasions pour le pénétrer? Un prince d'esprit peut j'uger sans peine du génie et de la capacité de ceux qui le servent; mais il lui est presqu'impossible de bien j'uger de leur désintéressement et de leur fidélité. On a vu souvent que des hommes paroissent vertueux, faute d'occasions pour se démentir, mais qu'ils ont renoncé k 1'honnêteté, dès qué leur vertu a été mise a 1'épreuve. On ne paria point mal a Rome des Tibère , des JNTéron ,  C n a p. XXII. to5 des Caligula , avant qu'ils parvinssent au tróne : peut-être que leur scélératesse seroit restée sans effet, si elle n'avoit été mise en oeuvre par 1'occasion; qui développa le germe de leur méchanceté. II se trouve des hommes qui joignent a beaucoup d'esprit, de souplesse et de talens, 1'amela plus noire et la plus ingrate ; il s'en trouve d'autres qui possèdent toutes les qualités du cceur. Les princes prudens ont ordinairement donné Ia préférence a ceux chez qui les qualités du cceur prévaloient, pour les employer dans 1'intérieur de leur pays. Ils leur ont préféré aü contraire ceux qui avoient plus de souplesse , pour s'en servir dans des négociations. Car puisqu'il ne s'agit que de maintenir 1'ordre et la justice dans leurs États , il suffit de 1'honnêteté; et s'il faut persuader les voisins et nouer des mtrigues , on sent bien que la probité n'y est pas tant requise que 1'adresse et 1'esprit. II me semble qu'un prince ne sauroit assez récompenser la fidélité de ceux qui le servent avec zèle ; il y a un certain sentiment de justice en nous , qui nous pousse a la reconnoissance , et qu'il faut suivre. Mais d'ailleurs les intéréts des grands demandent absolument qu'ils récompensent avec autant de générosité qu'ils punisseni avec clémence ; car les ministres qui s'appereoivent que Ia vertu sera 1'instrument de leur fortune , n'auront point assurément recours au crime, et ils préféreront naturellement les bienfaits de leur maitre aux corruptions étrangères. La voie de la justice et la sagesse du monde-  toS L' A 's T I - M A C H I A V E 1. s'accordent donc parfaitement sur ce sujet, et il estaussi imprudent que dur, de mettre, faut© de récompense et de générosité , 1'attachement des ministres a une dangereuse épreuve. II se trouve des princes qui donnent dans un autre défaut aussi dangereux : ils changent les ministres avec une légéreté infinie, et ils punissent avec trop de rigueur lamoindre irrégularilé de leur conduite. Les ministres qui travaillent immédiatement sous les yeux du prince, lorsqu'ils ont été quelque temps en place, ne sauroient tout-a-fait lui déguiser leurs défauts : plus le prince est pénétrant, et plus il les saisit facilement. Les souverains qui ne sont pas philosophes , s'impatientent bientót, ils se révoltent contre les foiblesses de ceux qui los servent, ils les disgracient et les perdent. Les princes qui raisonnent plus profondément, connoissent mieux les hommes ; ils savént qu'ils sont tous marqués au coin de 1'humanité, qu'il n'y a rien de parfait en ce monde, que les grandes qualités sont, pour ainsi dire , mises en équilibre par de grands défauts , et que l'homme de génie doit tirer parti de tout. C'est pourquoi ( a moins de prévarication) ils conservent leurs ministres avec leurs bonnes et leurs mauvaises qualités, et ils préfèrent ceux qu'ils ont approfondis , aux nouveaux qu'ils pourroient avoir, k peu-près comme d'habiles musiciens , qui aiment mieux j'ouer avec des instrumens dont ils connoissent le fort et le foible , qu'avec *Ie nouveaux dont la bonté leur est iuconnue,  C h a p. XXIII. 107 CHAPITRE XXIII Comment il faut fuir les flatteurs. Il n'y a pas un livre de morale, il n'y a pas un livre d'histoire , oü la foiblesse des princes sur la ilatterie ne soit rudement censurée; on veut que les rois aiment la vérité , on veut que leurs oreilles s'accoutument a l'entendre, et on a raison; mais on veut encore, selon la coutume des hommes , des choses un peu contradictoires: on veut que les princes aient assez d'amour-propre pour aimer la gloire, pour faire de grandes actions , et qu'en même temps ils soient assez indifférens pour renoncer de leur gré au salaire de leurs travaux ; le même principe doit les pousser è mériter la louange , et a la mépriser. C'est prétendre beaucoup de l'humanité ; on leur fait bien de 1'honneur de supposer qu'ils doivent avoir sur etix-mémes plus de pouvoir encore que sur les autres. Conttmptus virtuüs ex contemptu fama. Les princes insensibles a leur réputation n'ont été que des indolens , ou des volttptuetnc abandonnés a la molleste; c'ctoient dc* nias»es d'une matière vile quVuieune vei !u n'animoit. Des tyrans trés - cruels ont aimé , il est vrai , la louange ; mais c'étoit cn eux une vanité odieuse, un vice de plus ; ils vouJoient lVslime, cn méritant 1'opprobre. Chez les princes vfcietl* la Ilatterie est un poison mortel qui nuilriplio les %<'Tiieric-"!s da  io8 L'Asti-Machiavei- leur corruption : chez les princes de mérite, ia flatterie est comme une rouille qui s'attache a leur gloire , et qui en diminue 1'éclat. Un homme d'esprit se révolte contre la flatterie grossière , il repousse 1'adulateur mal-adroit. Il est une autre sorte de flatterie , elle est la sophisto des défauts , sa rhétorique les diminue ; c'est celle qui fournit des argumens aux passions , qui donne a 1'austérité le caractère de la Justice, qui fait ressembler si parfaitement la libéralité a la profusion , qu'on s'y méprend ; qui couvre les débauches du voile de 1'amusement et du plaisir ; elle amplifie sur-tout les vices des autres, pour en ériger un trophée a ceux de son héros. La plupart des hommes donnent dans cette flatterie qui justitie leurs goüts , et qui n'est pas tout-a-fait mensonge ; ils ne sauroient avoir de la rigueur pour ceux qui leur disent d'eux-mêmes un bien dont ils sont convaincus. La flatterie qui se fonde sur une base solide, est Ia plus subtile de toutes; il faut avoir le discernement trés - fin pour appercevoir la nuance qu'elle ajoute a la vérité. Elle ne fera point accompagner un roi a la tranchée par des poëtes qui doivent être des historiens ; elle ne coraposera point des prologues d'opéra remplis d'hyperboles ; des préfaces fades et des épitres rampantes ; elle n'étourdira point un héros du récit ampoulé de sesvictoires; mais elle prendra 1'air du sentiment, elle se ménagera délicatement des entrées, elle paroitra franche et naïve. Comment un grand homme , comment un héros , comment un prince spirituel peut-il se facher  C ii a p. X XH l de s'entendre dire une vérité que la vivacité d'un ami semble laisser échapper ? Comment Louis XIV, qui sentoit que son air seul en imposoit aux hommes , et qui se complaisoit dans cette superiorité, pouvoit-il se lacher contre un vieii officier qui en lui parlant trembloit et bégayoit, et qui en s'arrêtant au milieu de son discours, lui dit : Au moins , Sire , je ne tremble pas ainsi devant vos ennemis? Les princes qui ont été hommes avant de devenir rois, peuvent se ressouvenir de ce qu'ils ont été , et ne s'accoutument pas si facilement aux alimens de la flatterie. Ceux qui ont régné toute leur vie , ont toujours été nourris^ d'encens comme les dieux, et ils mourroient d'inanition s'ils manquoient de louanges. 11 seroit donc plus juste , ce me semble , de plaindre les rois que de les condamner; ce sont les flatteurs , et plus qu'eux encore , les calomniateurs , qui méritent la condamnation et la haine du public , de même que tous ceux qui sont assez ennemis des princes pour leur déguiser la vérité. Mais que 1'on distingue la flatterie de la louange. Trajan étoit encouragé è la vertu par le panégyrique de Pline : Tibère étoit confirmé clans le vice par les flatteries des sénateurs.  1 ïo L'A sti-MachiAveu CHAPITRE XXIV. Pourquoi les Princes cl'Italië ont perdu leurs Etats. T -L/A fable de Cadmus, qui sema en terre les dents du serpent qu'il venoit de vaincre , et dont naquit un peuple de guerriers qui se détruisirent, est 1'emblême de ce qu'étoient les princes Italiens du temps de Machiavel. Les perfidies et les trahisons qu'ils commettoient les üns envers les autres , rüinèrent leurs aFPaires. Qu'on lise 1'Histoirl d'Italie de la fin du quatörzième siècle jusqu'au commencement du quinzième, ce ne sont que cruautés, séditions . Violences , ligues pour s'entre-détfuire , usur pations , assassinats , en un mot un assemblage énorme de crimes , dont 1'idée seule inspiré de 1'horreur. Si a 1'exemple de Machiavel on s'avisoit de> renverser la justice et 1'humanité, on bouleverseroit tout 1'univers, 1'inonclation des crimes réduiroit dans peu ce continent en une vaste solitude. Ce furent 1'iniquité et la barbarie des princes d'Italie qui leur firent perdre leurs Etats, ainsi que les faux principes de Machiavel perdront a-coup-sür ceux qui auront la folie de les suivre. Je ne déguise rien; la lacheté de quelques-uns de ces princes d'Italie peut avoir également avec leur méchanceté concouru a leur perte; la foiblesse des rois de Naples, il est sur, ruina leurs affaires; mais qu'on ma  C h a p. XXIV. dise d'ailleurs en politique tout ce que 1'on voudra, augmentez, faites des systêmes , alléguez des exemples , employez toutes les subtilités possibles, vous serez obligé d'en revenïr h la justice malgré vous. Je demande a Machiavel ce qu'il veut dire par ces paroles : » Si 1'on remarque dans un. » souverain nouvellement élevé sur le tróne » ( ce qui veut dire dans un usurpateur) de la » prudence et du mérite, on s'attachera bien » plus a lui qu'a ceux qui ne sont redevables j> de leur grandeur qu'è. leur naissance. La rai _ n son de cela, c'est qu'on est bien plus touché » du présent que du passé, et quand on y trouve ». de quoi se satisfaire , on ne va pas plus loin ». Machiavel suppose-t-il que, de deux hommes également valeureux et sages , toute une nation préférera 1'usurpateur au prince légitime ? ou 1'entend-il d'un souverain sans vertus , et d'un ravisseur vaillant, et plein de capacité ? 11 ne se peut point que la première supposition soit celle de l'auteur; elle estopposée aux notions les plus ordinaires du bon sens ; ce seróit un effet sans cause que la prédilection d'un peuple en faveur d'un homme qui commet une action violente pour se rendre leur maitre, et qui d'ailleurs n'auroit aucun mérite préférable a celui du souverain légitime. Ce ne sauroit être non plus la seconde supposition; car quelque qualité qu'on donne a un usurpateur, on m'avouera que 1'action violente par laquelle il élève sa puissance est une injustice. . ...tvr ... . ,v»foi*-6ïAt«t?o'i «>iiè"f>-E FnÉDERicII. Part. I. i^S II faut avoir grand soin de choisir de bons commis et commissaires des vivres. Car si ces gens-lè sont ou fourbes ou voleurs, 1'Etat y perd considérablement. Dans cette vue , il faut leur donner pour chefs des hommes de probité, rjui les examinent de prés, et les contrólent souvent. On établit les magasins de deux manières. On ordonne a la noblesse et auxpaysans de faire charier aux magasins , des grains qu'on leur paie selon Ia taxe de la chambre des finances; ou qu'on leur diminue sur les contributions imposées. Si le pays n'est pas abondant en fourrage, on fait des marchés avec des entrepreneurs , pour une certaine quantité. C'est au eommissariat a faire ces marchés eta les signer. On a encore des bAtimens construits expres, pour transporter les farines et les fourrages par les canaux et les rivières. II ne faut Jamais se servird'entrepreneurs que dans les plus grands besoins , paree qu'ils sont plus usuriers que les Juifs mémes : ils font augmenter le prix des vivres, et les vendent extrêmement cher. On doit toujours établir de bonne heure ses magasins , pour être pourvü de toutes les provisions nécessaires, lorsque 1'armée sort de ses quartiers pour entrer en campagne. Si vous attendez trop long-temps , la gelée vous empêche de les faire transporter par eau, ou les chemins deviennent si mauvais et si impraticables , que vous ne sauriez former des magasins qu'avecla dernière difficullé.  l44 I NS TRUC TI ON S MtLITAIR.ES Outre les caissons des régimens , qui portent du pain pour huit jours , le cominissariat a des caissons destinés a transpor ter des vivres pour un mois. Mais s'il y a des rivièrés navigables , il faut en profiter, car ce sont elles seules qui peuvent procurer 1'abondance dans une armée. Les caissons doivent être attelés de chevaux. Nous y avons aussi employé des boeufs, mais k notre désavantage. Il faut que lesVague-mestres des caissons fassent bien soigner leurs chevaux. C'est au général d'armée a y tenir la main; car par la pertedeces chevaux on diminue le nombre des caissons , et par conséquent la quantité des vivres. Il y a encore une autre raison , c'est que ces chevaux n'étant pas bien nourris , n'ont pas assez de force pour soutenir les fatigues. Et quand vous marcherez , vous perdrez non-seulement vos chevaux, mais vos caissons, et les farines qu'ils porteront. De pareilles pertes, souvent répétées , peuvent dérangerles projets les mieux concertés. II faut qu'un général ne négligé aucun de ces détails , qui sont fort importans pour lui. Dans une guerre contre la Saxe , il faut se servir de 1'Elbe pour faciliter le transport des vivres , et en Silésie de 1'Oder. En Prusse vous aurez la mer : mais en Bohème et en Moravie on ne peuty employer que le charroi. On établit quelque rois trois et quatre dépots de viyres sur une même iigne , comme nous avons  de F r i d e r i c II. Pare. I. xAtt avons fait 1'an 1742 en Bohème. II y avoit un magasin a Pardubitz , un a Nienbourg, un a Podiebrad et un autre ö. Brandeis , pour être en état de marcher a hauteur de 1'ennemi, et de le suivre a Prague , en cas qu'il se fut ayisé d'y aller. Dans la dernière campagne que nous avons faite en Bohème, Breslau fournissoit a Schweidnitz, celui-ci a Jaromirtz, et dela on transportoit les vivres a 1'armée. Outre les caissons de vivres , 1'armée mène encore avec elle des fours de fer, dont le nombre n'étant pas suffisant, a été augmenté. A chaque séjour il faut faire cuire du pain. Dans tóutes les expéditions qu'on veüt entreprendre, il faut être pourvu de pain ou de biscuit pour dix Jours. Le biscuit est très-bon; mais nos soldats ne 1'aiment que dans la soupe, et ne savent pas bien s'en servir. Quand on marche dans un pays ennemi, on fait le dépót de ses farines dans une ville voisine de 1'armée , ou l'on met garnison. Pendant la campagne de 1745 notre dépót de farines étoit au commencement kNeustadt, puis k Jaromirtz, et a la fin a. Trautenau. Si nous nous étions plus avancés , nous n'aurions trouvé un dépót assuré qu'è Pardubitz. J'ai fait faire des moulins & bras pour chaque compagnie , qui leur seront fort utiles ; on emploiera a ces moulins des soldats , qui porteront la farine au dépót, et y recevront le pain. Avec cette farine , vous ménagerez non-seulement vos Tome I. K  t46 Issïrüctioss Mtlitaires magasins , mais elle vous fera subsiter plus longtemps dans un camp , que sans cette ressource vous seriez obligé dequitter. De plus, on n'aura pas besoin de faire tant de convois, et on four-. nira moins d'escortes. En parlant des convois, j'ajouterai ici ce qui concerne cette matière. A proportion de ce qu'on a a craindre de 1'ennemi, on augmente ou diminue les escortes. On fait entrer des détachemens d'infanterie dans les villes par oü passent les convois , pour leur donner un point d'appui. Souvent on fait de gros détachemens pour les couvrir , comme cela est arrivé en Bohème. Dans tous les pays de chicanes , il faut employer 1'infanterie pour 1'escorte des convois. On la fait j'oindre par quelques housards, pour éclairer la marche , et pour avertir des endroits oü 1'ennemi pourroit être en embuscade. J'ai employé aussi 1'infanterie préférablement a la cavalerie , pour en former des escortes dans un pays de plaine , et je m'en suis bien trouvé. Je vous renvoie a mon Réglement militaire . pour ce qui concerne le détail des escortes. Un général d'armée ne sauroit jamais prendre assez de précaution pour assurer ses convois. Une bonne règle , pour couvrir les convois, est celle d'envoyer des troupes en avant, pour faire occuper les défilés par oü le convoi passera, et de pousser 1'escorte a une lieue en avant du cóté de 1'ennemi. Cette manoeuvre assurera le convot et le masquera.  » e F n e o e ni c II. Part. I. "•47 ARTICLE III. Des Vivandiers, de laBiere, et de VEau-de-Vie, Si vous voulez faire quelqu'entreprise sur 1'ennemi, il faut que le commissariat fasse ramasser toute la bière etl'eau-de-vie qu'on trouvera sur la route , afin que 1'armée n'en manque point; au moins dans les premiers jours. Aussitót que 1'armée entrera dans un pays ennemi il faut se saisir de tous les brasseurs de bière et d'eau-de-vie qui se trouveront dans le voisinage ; et sur-tout faire faire de 1'eau-de-vie afin que le soldat ne manque pas d'une boisson dont il ne peut pas se passer. Pour les vivandiers , il faut les protéger , particuliérement dans un pays oü les habitans se sont sauvés, et ont abandonné leurs maisons de sorte qu'on ne peut pas avoir de denrées même en payant. Alors on est en droit de ne plus ménager les paysans. On envoie des vivandiers et des femmes de soldats, pour chercher toutes sortes delégumes et du bétail. Mais en même temps il faut faire attention que les denrées soient vendues a un prix raisonnable , pour que le soldat soit en état de les payer, et que le vivandier trouve un profit honnéte. J'ajouterai encore ici que le soldat a deux livres de pain par jour, et deux livres de viande par seraaine , qu'il regent gratis en campagne K a  l48 1NSTRUC TION S Ml LI T AIRES C'est une douceur que le pauvre soldat mérite bien, sur-tout en Bohème, oü l'on fait la guerre comme dans un désert. Quand on fait venir des convois pour 1'armée , on les fait suivre par quelques troupeaux de bceufs, destinés pour la nourriture des soldats. ARTICLE IV. Des Fourrages au sec et au vert. Le fourrage sec est de 1'avoine, de 1'orge , du foin , de la paille hachée , etc. On le fait transporter au magasin. L'avoine ne doit être ni moisie ni puante, ce qui donne le farcin et la gale aux chevaux , et les affoiblit tellement, qu'a 1'entrée même de la campagne , la cavalerie n'est pas en état de faire le service. La paille hachée ne fait que remplir le ventre aux chevaux ; on leur en donne, paree que c'est 1'usage. La première raison qui détermine k faire rassembler le fourrage et le transporter au magasin, est pour prévenir 1'ennemi a 1'entrée de la campagne , ou quand on veut faire quelque entreprise loin deló. Mais rarement une armée osera-t-elle s'éloigner de ses magasins , tant qu'elle est obligée de donner du fourrage sec a ses chevaux, paree que le transport est trop embarrassant , par le nombre nécessaire des voitures qu'une province entière ne peut souvent pas fournir. Et généxalement ce ne sont  de FrédericII. Part. I. pas les moyens dont on se sert dans une guerre offensive , sïl n'y a pas de rivières par lesquelles on puisse transporter les fourrages. Pendant la campagne de Silésie j'ai nourri toute ma cavalerie de fourrage sec ; mais nous ne marchames que de Strehla a Schweidnitz, oü il y avoit un magasin , et dela k Cracau , oü nous étions dans le voisinage de Brieg et de 1'Oder. Quand on a formé le dessein de faire une entreprise pendant 1'hiver, on fait ficeler du foin pour cinq jours , que la cavalerie porte sur ses chevaux. Si on veut faire la guerre en Bohème , ou en Moravie, il faut attendre le temps du vert; sinon vous ruinerez toute votre cavalerie. On fourrage les herbes et les bleds dans les champs , et quand la moisson est faite , on fourrage dans les villages. Quand on entre dans un camp oü l'on a dessein de séjourner quelque temps , on fait reconnoitre les fourrages ; et après en avoir évalué la quantité, on en fait la distribution pour le nombre des jours qu'on veut y rester. Les grands fourrages se font toujours sous 1'escorte d'un corps de cavalerie , qui doit être proportionnée au voisinage de 1'ennemi, et k ce qu'on a a craindre de lui. Les fourrages se font par toute 1'armée, ou par ailes. Les fourrageurs s'assemblent toujours sur le ehemin qu'on veut prendre ; quelquefois sur les ailes, et quelquefois a la té te ou a la queue de rarmée. Les housards ont 1'avant-garde. S i c'est dans un pavs de plaine, la cavalerie les suit; ^ J K 3  l5o IjTS TR TJ c T ions MlLITAIRES si c'est dans un pays coupé, 1'infanterie marchn la première. L'avant-garde précédera la marche de la quatrième partie des fourrageurs , suivis d'un detachement de 1'escorte , toujours mêlee de cavalerie etd'infanterie; puis une autre partie des fourrageurs , suivis d'un détachement de troupes ; et puis les autres dans le même ordre. Une troupe de housards fermera la marche de 1'arrière-garde, et aura la queue de toute la colonne. Nota. Dans toutes les escortes, 1'infanterie menera son canon avec elle , et les fourrageurs seront toujours armés de leurs carabines et de leurs épées. - Lorsqu'on sera arrivé k 1'endroit oü l'on veut fourrager, on formera une chaine, et on placera 1'infanterie prés des villages , derrière les haies, et les chemins creux. Ou mêlera des troupes de cavalerie avec 1'infanterie , et on se ménagera une réserve , qu'on mettra au centre, pour être k portée de donner du secours partout oü 1'ennemi pourroit tenter de percer. Les housards escarmoucheront avec 1'ennemi, pour 1'amuser, et pour 1'éloigner du fourrage. Quand 1'enceinte des troupes seraplacée , alors on distribuera par régiment les champs aux fourrageurs. Les officiers qui les commanderont, auront grande attention que les trousses soient grandes et bien liées. Quand on aura chargé les chevaux, les fourrageurs s'en retourneront au camp par troupes sous de petites escortes , et lorsqu'ils seront tous partis , les troupes de la chaiae s'assemble-  de FnsiiEHrc ït Part. I. ront, et feront 1'arrière-garde, suivies des housards. Les régies pour les fourrages dans les villages sont k peu-près les mêmes; la seule différence qu'il y ait, est que 1'infanterie se placera autour du village, et la cavalerie en arrière dans un terrein propre k la faire agir. On ne fait fourrager qu'un seul village k la fois , et puis un autre , afin que les troupes de la chalne ne soient pas trop dispersées. Les fourrages dans un pays de montagnes sont les plus diffïciles. II faut que la plus grande partie de leurs escortes ne soit composée que d'infanterie et de housards. Quand on occupera un camp prés de 1'ennemi, oü l'on veut rester quelque temps , on tachera de s'emparer des fourrages qui sont entre les deux camps. Puis on fourragera a deux lieues k la ronde, en commencant par les champs les plus éloignés, et gardant les plus k portée pour les derniers. Mais si c'est un camp de passage , on fourragera dans le camp , et dans le voisinage. Quand on fait de grands fourrages au vert, je ne voudrois pas qu'on embrassat un terrein trop étendu, mais qu'on fourrageèt plutót deux fois consécutives. De cette manière votre chaine sera plus resserrée, et vos fourrageurs seront plus a couvert. Audieu que si vous occupez un terrein trop spacieux , vous affoiblirez votre chaine , de sorte qu'elle courra risque d'être forcée. K 4  i5% Instrtjctions Militaires ARTICLE V. De la connoissance du Pays. Il y a deux facons de prendre connoissance d'un pays. La première , et par oü il faut commeneer , est celle d'étudier exaccement la carte de la prövince oü l'on veut faire la guerre , et de s'imprimer bien les noms des grandes villes , des rivières et des montagnes. Quand on s'est formé une idéé générale du pays ,. alors il faut aller a une connoissance plus détaillée , pour savoir par oü passent les grands chemins , comment sont situées les villes , et si on peut les défendre, en les accommodant un peu, de quel cóté on peut les attaquer , au cas que 1'ennemi s'en soit rendu maitre, et combien il faut y mettre de garnison pour les défendre. II faut avoir les plans des villes fortifiées, pour en connoitre laforce et les endroits foibles. II faut avoir le cours des grandes rivières, et leur profondeur, jusqu'oü elles sont navigables, et oü l'on peut les passer a gué. II faut savoir encore quelles rivières sont impraticables au printemps et sèches en été. Cette connoissance doit s'étendre méme jusqu'aux principaux marais du pays. Dans un pays plat et uni, il faut distinguer les contrées fertiles , de celles qui sont stériles , et savoir quelles marches 1'ennemi peut faire , et celles que nous ferions , pour aller d'un<:  un F r. é b e b i c II. Part. I. i55 grande ville ou d'une rivière k 1'autre. II faut aussi faire lever les camps que l'on peut prendre sur cette route. On a bientöt reconnu un pays plat et ouvert , mais il est bien plus difficile de reconnoitre un pays couvert et montagneux , la vue étant bornée. Pour se concilier cette connoissance importante , on se transporte , la carte a la main, sur les hatiteurs , amenant avec soi des gens ages des villages les plus voisins , des chasseurs et des bergers. S'il y a une montagne plus élevée que celle oü l'on est, on ira , pour prendre une idee du pays qu'on y peut découvrir. II faut s'informer de tous les chemins, pour savoir non-seulement en combien de colonnes on pourra marcher , mais encore pour former des projets , et voir par quel chemin on pourroit arriver ; et forcer le camp de 1'ennemi, s'il en vient prendre un dans les environs, ou de quelle manière on pourroit se mettre sur son flanc, s'il venoit a changer deposition. Un des principaux objets est de reconnoitre les situations oü l'on peut prendre des camps défensifs , pour s'en servir en cas de besoin, de méme que les champs de bataille , et les postes que 1'ennemi pourroit occuper. II faut se former une juste idee de toutes ces connoissances , comme aussi des postes les plus considérables , des gorges , des principaux défilés , et des positions avantageuses de tout le pays ; et bien réfléchir sur toutes les opérations qu'on pourroit faire , afin de n'être pas embar-  ij4 Insta uctions Militaiiies rassé, quand onsera obligé d'y porter la guerre, ayant d'avance un plan de tous les arrangemens qu'il faudroit faire alors. Ces réflexions doivent être bien combinées, et mürement digérées. II faut y employer tout le temps qu'une matière aussi importante exige, et si l'on n'y réussit pas a la première fois , il faut y retourner une seconde et examiner tout exactement. C'est encore une règle générale , que tous les camps qu'on ya choisir , soit pour 1'offensive , soit pour la défensive , doivent ètre a portée dé 1'eau et du bois , et que , le front fermé et bien couvert, les derrières en soient encore libres. S'il est nécessaire de prendre connoissance d'un pays voisin , et que les circonstances ne permettent pas de le faire de la manière ci-dessus, il faut y envoyer des officiers habiles, sous toutes sortes de préfextes; etmême les faire travestir, si on ne peut s'en dispenser. On les instruira de tout ce qu'ils doivent observer, et a leur retour on notera sur une carte tous les en, dröits et les camps qu'ils ont reconnus : mais lorsqu'on peut voir soi-même , il n'en faut jamais donner la commission a d'autres.  r>e FrédericII. Part. T. i55 ARTICLE VI. Da Coup-d'Oeil. Le coup-d'oeil, proprement dit, se redui t k deux points. Le premier est, d'avoir le talent de j'ugar combien un terrein peut contenir de troupes. C'est une habitude qu'on n'acquiert que par la pratique. Après avoir marqué plusieurs camps , 1'ceil s'accoutumera a la lm a une dimension si précise , que vous ne manquerez que de peu de chose dans vos estimations. L'autre talent, beaucoup supérieur a celuici, est de savoir distinguer au premier moment tous les avantages qu'on peut tirer d'un terrein. On peut acquérir ce talent, et le perfectionner, pour peu qu'on soit né avec un génie heureux pour la guerre. La base de ce coup-d'ceil est sans contredit la fortification , qui a des régies dont il faut faire 1'application aux positions d'une armée. Un général habile saura profiter de la moindre hauteur, d'un défilé , d'un chemin creux, d'un marais, etc. Dans 1'espace d'un quarré de deux lieues , on peut quelquefois prendre deux eens positions. Un général, a la première vue , saura ehoisir la plus avantageuse. II se sera précédemment transporté sur les moindres éminences, pour découvrir le terrein , et pour le reconnolvre. Les mèmes régies de la fortification lui  «56* Ins tnucti on s Militaikes feront voir le foible de 1'ordre de bataille de son ennemi. II est encore d'une très-grande importance a un général, si le temps le lui permet , de compter les pas de son terrein, lorsqu'il a pris la position générale. On peut tirer beaucoup d'autres avantages des régies de la fortification ; comme , par exemple , d'occuper les hauteurs , et de les savoir choisir de facon qu'elles ne soient pas commandées par d'autres ; d'appuyer toujours ses ailes, pour couvrir les flancs ; de prendre des positions qui soient susceptibles de défense; et d'éviter celles ou un homme de réputation ne pourroit se maintenir sans risquer de la perdre. Selon les mêmes régies, on jugera des endroits foibles de la position de 1'ennemi, soit par la situation désavantageuse qu'il aura prise., soit par la mauvaise distribution de ses troupes , ou par le peu de défense qu'elle lui procure. Ces réflexions me portent a faire voir de quelle manière il faut distribuer les troupes, pour tirer avantage du terrein. article vii. De la distribution des Troupes. La connoissance et le choix du terrein sont deux choses très-essentielles; mais il faut savoir en profiter, pour distribuer les troupes dans les endroits qui leur conviennent. Notre cavalerie, qui est dressée pour agir avec célérité, ne peut  de FrédericII. Part. I. 157 combattre que dans la plaine , audieu qu'on pourra se servir de 1'infanterie dans tous les différens terreins, Son feu est pour la défensive , et sa baïonnette pour 1'offensive. On commence toujours par la défensive, puisqu'il faut toujours prendre ses précautions pour Ia süreté de son camp , oü le voisinage de 1'ennemi peut a tout moment engager uné affaire. La plupart des ordres de bataille d'aujourd'hui sont vieux. On suit toujours 1'ancienne méthode , sans se régler sur le terrein. Ce qui est cause qu'on en fait une mauvaise et fausse application. Toute armée doit étre mise en bataille selon le terrein qui lui est convenable. On choisit la plaine pour la cavalerie : mais cela ne suffit pas. Car si cette plaine n'aque mille pas de front, et qu'elle soit bornée par un bois , oü l'on suppose que 1'ennemi ait jeté de 1'infanterie, afin que, protégé dé son feu, il puisse rallier sa cavalerie, alors il faudra changer sa disposition , et mettre a i'extrêmité de ses ailes de 1'infanterie, pour qu'elle soutienne a son tour la cavalerie. Quelquefois on porte toute sa cavalerie sur une de ses ailes ; quelquefois on la place en seconde ligne; dans un autre temps on ferme les ailes de la cavalerie par une ou deux brigades d'infanterie. Les postes les plus avantageux pour une armée sont les hauteurs , les cimetières , les chemins creux , et les fossés. Si on en sait tirer avantage pour la disposition de ses troupes , on ne doit jamais craindre d'ètre attaqué.  t5S IKSTRUCT töNS MtT.IT AIR ES Si vous placez votre cavalerie derrière uit marais , elle ne vous sera d'aucun usage ; et si vous la mettez trop prés d'un bois , 1'ennemi y peut avoir des troupes , qui fusilleront votre cavalerie , et la mettront en désordre , sans qu'elle puisse se défendre. Le même inconvénient vous arrivera avec votre infanterie , si vous 1'aventurez dans une plaine sans assurer les fiancs ; car 1'ennemi ne manquera pas de profiter de votre faute ,pour attaquer cette infanterie du cóté oü elle ne pourra pas se défendre. II faut se régler toujours sur le terrein oü l'on est. Dans un pays montagneux je placerai ma cavalerie en seconde ligne , et je ne m'en servirai dans la première que dans les endroits propres pour la faire agir , hormis quelques escadrons, pour prendre en flanc 1'infanterie ennemie qui viendroit m'attaquer. C'est une règle générale, que dans toutes les armées bien menées on forme une réserve de cavalerie , si c'est dans un pays de plaine ; et une réserve d'infanterie mêlée de quelques escadrons de dragons , et de housards , si c'est dans un pays coupé et de chicane. L'art de distribuer les troupes sur leur terrein , est de savoir les placer de facon qu'elles puissent agir librement, et être utiles par-tout. Villeroi , qui ignoroit peut-étre cette règle se priva lui-mème dans la plaine de Ramillies de toute son aile gauche , 1'ayant placée derrière un marais , oü elle ne pouvoit ni maneeuvrer, ni porter du secours a son aile droitc.  be FrédericII. Part. I. 15y ARTICLE VUL Des Camps. jPour savoir si vous avez bien cboisi votre camp , il faut voir si par un petit mouvement que vous ferez , vous forcerez 1'ennemi d'en faire un grand , ou si après une marche il sera contraint d'en faire encore d'autres. Ceux qui en feront le moins , seront les mieux campés. Un général d'armée doit choisir lui-même son camp , puisque le succès de ses entreprises en dépend et qu'il devient souvent son champ de bataille. Comme il y a beaucoup d'observations k faire sur cette partie de la guerre, j'entrerai dans le détail k ce sujet, sans dire comment les troupes doivent être placées dans leur camp ; je' m'en tiendrai a ce que j'ai dit dans mon Reglement militaire. Je ne parlerai que des grandes parties et de ce qui regarde le général même. Tous les camps ont deux objets ; 1'un est la défensive, et 1'autre 1'offensive. Les camps oit une armée s'assemble , sont de la première classe ; on n'y fait attention qu'a la commodité des troupes. Elles doivent être campées par petits corps , k portée du magasin, mais de manière qu'elles puissent en peu de temps se former en bataille. Et comme ces sortes de camps sont ordinairement loin de 1'ennemi f on n'en a rien a craindre. Le roi d'Angleterre . qui , sans prendre cette précaution , étoit venu  i6ö lltSTRBCTIOSS Militaire» se camper imprudemment sur le bord du Mein , vis-a-vis de 1'armée Francoise , couroit risque d'être battu a Dettingen. La première règle qu'on doit observer dans tous les camps qu'on va marquer, est de choisir un terrein oü les troupes soient a portée du bois et de 1'eau. Nous autres , nous retranchons nos camps, comme autrefois ont fait les Romains, pour éviter non-seulement les entreprises que les troupes légères ennemies, qui sont fort nombreuses , pourroient tenter la nuit, mais pour empêcher la désertion. Car j'ai observé toujours , que quand nos redans étoient joints par des lignes tout autour du camp , la désertion étoit moindre que quand cette précaution avoit été négligée. C'est une chose , qui toute ridicule qu'elle paroisse , n'en est pas moins vraie. Les camps de repos sont ceux oü l'on attend les hei-bes ; quelquefois c'est pour y guetter 1'ennemi, qui n'a pas encore fait des mouvemens , et pour se régler sur ses manoeuvresComme on ne cherche que le repos dans ces sortes de camps , on les assied de manière que la tête en soit couverte par une rivière ou un marais. Bref, que le front du camp soit toujours inabordable. Le camp de Strehla étoit de cette espèce. Si les rivières et les ruisseaux qui se trouvent au front du camp , n'ont pas assez d'eau , on fait des batardeaux pour les grossir. II faut qu'un général d'armée ne reste jamais oisif dans ces sortes de camps , oü il a peu a craindre de 1'ennemi. H peut, et il doit donnet toute  o e Fiiéderic II. Pare. L ïfu toute sou attention aux troupes , et profiter de Ge repos, pour que Ia discipline reprenne rigueur. II examinera si le service se fait a la rü gueur, et selon les ordounances , si les officiers de garde sont vigilans , s'ils sont assez instruits de ce qu'ils ont a faire a leur poste, si les gardes de cavalerie et d'infanterie sont placées selon les régies que j'en ai données. L'infanterie y fera les exercices trois fois par semaine , et les recrues tous les jours , quelquefois des corps entiers feront leurs manoeuvres. 11 faut que la cavalerie fasse aussi ses exercices , si elle ne va pas au fourrage. Le général aura attention que les jeunes chevaux et les jeunes cavaliers soient bien dressés. II faut qu'il sache letat complet de chaque corps. II faut aussi qu'il visite les chevaux ; qu'il donne des louanges aux officiers qui en ont soin , et qu'il fasse des reproches sanglans a ceux qui les négligent. Car il ne faut pas croire qu'une grande armée soit animée par elle-méme. II y a grand nombre de gens indolens, paresseux etfainéans. C'est 1'affaire du général de les mettre en mouvement , et de les obliger k faire leur devoir. Si ces sortes de camps de repos sont employés de la manière que j'ai dit, ils seront d'une trèsgrande utilité. L'ordre et 1'égalité dans le service étant rétablis par-la , se conserveront pendant toute la campagne. On prend les camps oü l'on fourrage, tantót prés de 1'ennemi, tantót loin de lui: je ne parlerai que des premiers. On choisit pour cela Tomé I. L  ïGa Instrüctions Militair es les contrées les plus fertiles , et on -assied la camp dans un terrein fort par la nature , ou par 1'art. II faut que les camps de fourrage soient d'un difficil'' abord , quand on les prend dans le Voisinage de 1'ennemi, paree que les fourrageurs ne sontregardés que comme des détachemens qu'on envoie contre 1'enne'mi. Quelquefois 1 ;* sixième partie va au fourrage , et quelquefois méine la moitié de 1'armée; ce qui donne beau j. u a 1'ennemi de vous attaquer a votre désavantage , si la situation avantageuse de votre camp ne Ten empêche point. Mais supposé même que votre poste soit excellent , et que visiblement vous n'ayez rien I craindre de 1'ennemi , il y a d'autres précairfions , qu'on ne doit jamais négliger. I] faut soig .neusement cacher le jour et Ie lieu oü l'on veut fourrager , et n'en donner la disposition au général qui commandera , que la veille , et fort tard. Tl faut envoyer en détachement antant de partis qu'il est possible , pour être averti des mouvemens que 1'ennemi pourroit faire ; et si des raisons très-importantes ne vous en empê chent pas, il faut fourrager le même jour qu'i! fourragera, paree qu'on risque moins alors. Mai" il ne faut pas se lier trop k cela. Car 1'ennemi s'appercevant que vous faites vos fourrages en même temps que lui , pourroit bien ordonner Un fourrage , et faire rentrer les fourrageurs pour vous tomber sur le corps. Le camp du prince Charles de Lorraine sous  de RifiDEKic II. Part. I. rvrenigingTsetz ia) étoit inattaquable par Ia nature , et très-propre pour aller aux fourrages. Celui que nous avions oecupé h Chlom , étoit fort par 1'art, c'cst-u-dire , par des abatis que j'avois fait faire sur notre aile droite , et par les redoutes construites sur Ie front du camp de 1'infanterie; On fait retrancher son ramp , quand on veuG assiéger une place , défendre un passage difficile , et suppleer aux défauts du terrein par des fortilications , pour le mettre a couvert de toute insulte de la part de 1'enne.mi. Les régies qu'uu général doit observer dans la conslruction de tous retranchemens , sont de bien choisir les situations, et de proflter de tous les marais et de routes les rivières , inondarions et abatis, par oü Ton peut rendre diflicile 1'éten- (a) Le camp de Kceniginctrtetz parolt bien inattaquable selon la carte, & il paroitra tel a ceux qui vicndront du cüté de Prague & de Jaromirtz ; mais eu exanünant bien le terrein , il ne 1'est en. cffet que tant que l'on est maitre de Kcenigingroetz. Cette villa étant située sur une pctite éminence, précisément vis-a-vis de i'endroit oü 1'Adler vient joindre 1'Elbe , & oü ces deux rivières bnnent un coude, commandé absolument ce camp. Elle n'est ."ermée que d'une simple muraille. Au-dcla de 1'Adler, aune portée de fusil, il y a une petite collinc qui domine la ville & le camp. Si 1'armée Prussienne, le jour de Ton camp de Slatina, ou le lendemain, eüt attaqué la place , ou seulemem emporté lariite colline , il efi évident que les AdoHcWeM n'auroicnt jamais pu se soutenir dans leur camp. Ils connoissoient trop bien le fort & le foible de ce poste. Aussi avoit-on fait tous les préparatifs pour 1'abaudonner, & la garnison des pandours qui étoit dans la ville, avoit ordre de se retirer, si l'on eüt fait mine de 1'attaqner. Ce camp ne devint inattaquable qu'après qu'on eüt laissé au prince Charles le temps de fortifier la place , & de retrancher la col'.ine. I, a  l64 I N 5 TRUCTIOiïS M IL I T A IR ES due des retranchemens. II vaut mieux les fairé trop petils que trop grands , car ce ne sont pas eux qui arrêtent 1'ennemi, mais les troupes qui les défendent. Je n'aurois garde de faire des retranchemens que j'e ne pourrois pas border d'une chaine de bataillons , et d'une réserve d'infanterie , pour la porter par-tout oü il sera besoin. Les abatis ne sont bons que tant qu'ils sont défendus par 1'infanterie. II faut avoir principalement attention que les lignes de contrevallation soient bien appuyées. Ordinairement elles vont joindre une rivière; et dans ce cas il faut conduire le fossé bien avant dans la rivière , et Ie faire si profond , qu'on ne Je puisse passer a gué. Car si vous négligez cette précaution, vous risquez d'étre tourné. II faut ètre abondamment pourvu de vivres , si vous assiégez une place , et que vous vous mettiez derrière des lignes. Les retranchemens doivent étre bien flanqués. II faut qu'il n'y ait aucun point que 1'ennemi puisse attaquer, oü il ne soit exposé a quatre et cinq feux croisés. Les retranchemens qui défendent des passages , et des gorges de montagnes , demandent infiniment de soin et de précaution. C'est une chose très-essenticlle d'appuyer bien ses flancs. Pour y parvenir, on établit des redoutes sur les deux ailes; quelquefois le retranchement même est formé de redoutes, afin que Ie corps qui le défend, n'aitpas a craindre d'étre tourné. Des généraux habiles savent mettre Fe-nnenu'  r>r. FrÉdehic II. Part. I. iGj dans la nécessité d'attaquer les points dont ils ont redoublé la fortification ; en donnant plus die largeur et de profondeur au fossé qu'ils palissadent; en placant des chevaux de frise aux barrières; en renforcant le parapet, pour qu'il puisse résister au canon; et en creusant des puits dans les endroits les plus exposés. Mais je préférerai toujours une armée d'observation k un camp retranché , pour couvrir le siège : la raison en est que 1'expérience nous a montré què la vieille méthode des retranchemens est sujette a caution. Le prince de Condé vit forcer son retranchement devant Airas par Turenne ; et Condé forca celui que Turenne , si je ne me trompe , avoit fait devant Valenciennes. Depuis ce temps-la ces deux grands mattres dans 1'art militaire n'en ont plus fait d'autres ; ils avoient des armées d'observation pour couvrir le siège. Présentement je traiterai les camps défensifs, qui ne sont forts que par la situatiou du terrein, et qui n'ont d'autre but que d'empècher que 1'ennemi ne puisse 1'attaquer. Pour que ces situations puissent répondre k 1'usage qu'on en veut faire , il faut que le front et les deux ilancs soient d'une force égale , et que tout soit libre sur les derrières. Telles sont les haxiteurs qui ont un front d'une grande étendue , et dont les flancs sont couverts par des marais : comme le camp de Marsclrwitz , oü. étoit le prince Charles de Lorraine, qui avoit le front couvert par une rivière marécageuse , et les flancs par des étangs ; ou comme celui de L 5  166 Instructions Militaire s Konopist, que nous occupames 1'année 1744' On se met encore sous la protection d'une place forte , comme fitlemaréchal de Neuperg, qui étant battu a Molwitz , prit uu camp excellent sous la ville de Neisse. Il est vrai qu'un général qui occupe des camps pareils . est iuatta quable , tant qu'il peut s'y madntooix : mais iJ sera obligé de le quitter, lorsque 1'enneisp se mei cn mouvement pour le tourner. 11 faut donc qu'il fasse ses dispositions d'avance , de sorty que si 1'ennemi peut le tourner , il n'ait autre chose a faire que de prendre un autre camp fort t,ur les derrières. La Bohème est un pays oü l'on irouve quanlité de ces camps. On est souvent forcé d'en occuper contre son gré, paree que ce royaume est par sa nature un pays de chicanes. Je i'épéterai encore qu'un général doit bien se gardcr de faire des fautes irréparables par le mauvais choix de ses postes ; ou de se fourrer clans un Gul de sac ou terrein d'oü il ne puisse sortir que par un défilé. Car si son ennemi est habile , il 1'y enfermera , et comme il n'y sera pas en état de.combattre , faute de terrein , H recevra Ie plus grand affront qui puisse arrivei ü un soldat, qui est de tnettre bas les armes sans pouvoir se défendre. Dans les camps destinés a couvrir un pays On ne fait pas attention h la force du lieu mé me , mais aux endroits qu'on peut attaquer , et par oü 1'ennemi pourroit percer. Ce sont ceux qui doivent être embrassés par un camp. 11 na faut pas occuper tous les débouch'S par oü 1'ennemi  DE I' K É O E R 1 c li. Part. I. l6~ peut venir a vous , mais seulement celui qui le mène a son but, et 1'endroit oü l'on peut s.e tenir , sans avoir a le craindre, et d'oü peut étre vous lui donnerez des appréhensions. En uu mot, il faut occuper le poste qui oblige 1'enneini k faire de grands détours , et qui vous met en état de rompre tous ses projets par de petits mouyemens, Le camp de Neustadt défend toute la basse Silésie contre les entreprises d'une armée qui est en Moravie. La position qu'il faut prendre , est de mettre la ville de Neustadt et la rivière en avant d.u front du camp. Si 1'ennemi veut percer entre Ottmachau et Glatz , on n'a qua passer entre Neisse et Ziegenbals, et y prendre un camp avantageux, qui le coupera de la Moravie. Par la même raison 1'ennemi n'osera aller du cóté de Cosel; car si je vais me placer entre Troppau et Jajgerndo'rff, oü il y a des postes très-avantageux, je le cpuperai encore de convois. II y a aussi un autre camp de la même importance entre Liebau et Scbcemberg , qui garani.it toute la basse Silésie contre la Bohème. Dans ces sortes de positions on observera , tant que faire se pourra , les régies que je viens de donner. J'en ajouterar eneore une auiiv . qui est, quand vous aurez une rivière de va. I vous , de ne point laisser tendre de tentes, daiis le terrein que vous avez choisi pour votre champ de bataille , qu'ala deini-porlée de fusil du front du cami>. 1 L 4  168 IsSTRTJCTIONS MllIT.UIIS La Marche electorale de Brandebourg est ven pays qui ne peut étre couvert par aucun camp , puisqu'ilya plus de six lieues de plaine , et qu'il est ou ver t par-tout. Pour le défendre contre la Saxe , il faudroit occuper Wittenber^ , et s'y camper, ou bien suivre le plan de 1'expédition faite dans 1'hiver de 1'année 1745. Du cóté du pays de Hanovre est le camp de Werben , qui défend et couvre toute cette partie. La tête et les flancs d'un camp offensif doivent être fermés ; car on ne peut rien se promettre de la part des troupes, si on ne prend pas la précaution de couvrir les flancs * qui sont les parties les plus foibles d'une armée. Notre camp de Czaslau avant la bataille de 1742 avoit ce défaut. Nous faisons toujours occuper les villages qui sont sur nos ailes , ou a la tête de notre camp , par des troupes , que nous en retirons dans un jour d'affaire ; les maisons des villages , chez nous et nos voisins , étant de bois et mal baties, les troupes seroient perdues, si 1'ennemi y mettoit le feu. Une exception de cette règle est quand il y a dans ces villages des maisons de pierre , ou des cimetières , qui ne touchent pas a des maisons de bois. Mais notre principe étant d'attaquer touj'ours, et non de nous tenir sur la défensive , il ne faut jamais occuper ces sortes de postes que lorsqu'ils sont a la tête ou en avant des ailes de votre armée j alors ils protégeront 1'attaque de vos troupes, et incommoderont beaucoup 1'ennemi pendant 1'affaire,  de Fekdehic II. Part. F. t6g C'est encore une chose très-essentielle de faire sonder les petites rivières et les marais cpiï se trouveront k la tête ou sur les flancs de votre camp , aiin qu'il ne vous arrivé pas de prendre un faux point d'appui , en cas que les rivières soient guéables , et les marais praticables. Villars fut battu a Malplaquet, paree qu'il croyoitque le marais de sa droite étoit hnpraticable : mais ce n'étoit qu'un pré sec, que no'. troupes passèrent pour le prendre en ilanc. II faut voir tout par ses yeux , et ne pas imaginer que de pareilles attentions soient de peu de conséquence. ARTICLE IX. Comme il faut assurer sou Camp. XjEs régimens d'infanterie garderont le front de la première ligne ; s'il y a une rivière , il faudra placer les piquets sur le bord. Les piquets de la seconde ligne garderont les derrières du camp. Les piquets seront couverts par des redans , que l'on joinclra par des retranchemens légers; moyennant quoi votre camp sera retranché a la facon des Romains. On occupera les villages qui sont aux ailes , ou qui défendent d'autres passages k une demi-lieue dela. Les gardes de la cavalerie seront placées selon les ordonnances de mort Réglement. De quatre-vingts escadrons nous n'avons eu ordinairement que trois cents maltres de garde , excepté quand nous avons été bien prés de 1'ennemi „  l^O hSTJlICTlONS MiLIÏAIlitS domme avant la bataille de Hohen-Friedberg , lorsque nous marchames a Schweidnitz, et encore lorsque nous en i ruines dans la Lusace , pour aller a Aaumbourg. Ces avant-gardes doivent être mèlées do toutes sortes de troupes : par exemple, de 2,000 housards , i5oo dragons et 2,000 grenadiers, Toutes les fois que vous pousserez des corps en avant, il faut que le général qui les commandé , soit un homme de tête ; et comme il n'est pas detaché pour combattre , mais pour avertir , il laut qu'il sache bien choisir ses camps , et les asseoir toujours derrière des défilés et des bots dont il soit assuré. II faut qu'il envoie des patrouilles fréquentes , pour prendre langue, afin qu il soit informé a tout moment de ce qui se passé dans le camp ennemi. En attendant, les housards que vous avez gardés avec vous, ferontdes patrouilles derrière le camp et sur les ailes ; enfin vous prendrez toutes les précautions qui peuvent vous garanth des entreprises de 1'ennemi. Si un corps considérable de troupes vient se glisser entre vous et votre arrière-garde , il faut aller k son secours ; car 1'ennemi a formé un dessein contra elle. Pour dire tout ce qu'il y a k dire sur cette matière , j'ajouterai encore que les généraux qui cantonnent, n'occuperont d'autres villages que ceux qui sont entre les deux lignes : alors ils 11 "ont rien a craindre.  r) B f ré n r. rk H. Tart. T. 171 ARTICLE X. Commentctpar quelle raison ilfaut envojer des Détachemens. Uxe ancienne règle de Ia guerre , que je ne fais que répéter ici, est que celui qui partagera ses forces , sera battu en détail. Si vous.vbujez donner bataille, tachez de rassembler toutes vos troupes ; on ne sauroit jamais les employer plus utUèment. Cette règle estsi bien constatée, que tous les généraux qui y ont manqué, s'en sont presque toujours mal trouves. Le détachement d'Albemarle, qui fut battu h Denain , fut cause que le grand Eugène perdit toute sa campagne. Le général Stahrembcrg s'étant séparé des troupes angloises, perdit la bataille de Villa-Viciosa en Espagne. Dans les dernières campagnes que les Autricbiens ont faites en Hongrie , les détachemens leur furent très-funestes. Le prince de Hildbourghausen fut battu a Banialuka, et le général Wallis recut un échec sur le bord de la Timolc. Les Saxons furent battus a Kesseisdorff (0) , paree qu'ils ne s'ëtoïent pas fait joindre par Ie (a) Les malheureux ont toujours ton. R ne dépeadoit pas des Saxons de se faire joüsdre par les Autmhlcns- Le général qui les commandoit, avoit envoyé trois officiers au prince Charles, pour lui demander du secours. Ce prince , par des raisons de po-, f.tique, ne le jugeant pas a propos , le profnït toujours sans se fcettre' en monvemeni (7.e Traducteu- )  *73 I * s t n v c 11 o .v s M r i. r t a m i: s prince Charles, comme ils auroient pu faire. J'aurois mérité d'étre battu a Sorr , si l'habileté de mes généraux et la valeur de mes troupes ne m'eussent préservé de ce malheur. On me demandera s'il ne faut jamais faire de détachemens. Je répondrai qu'il le faut quelquefois , mais c'est toujours une manoeuvre fort délicate, qu'il ne faut jamais hasarder que pour des raisons trés-importantes, etil faut la faire a propos. Ne faites jamais de détachemens, lorsque vous agissez offensivement. Si vous étes dans unpays ouvert, et maitre de quelques places, vous ne détacberez d'autres troupes que celles qu'd faut pour assurer vos convois. Toutes les fois que vous ferez la guerre en Bohème ou en Moravie , vous serez absolument contraint de détacher des corps , pour faire amver surement les vivres. La chaine des montagnes que les convois sont obligés de passer , exige d'y envoyer des troupes , qui y restent campées jusqu'a ce que vous ayiez assez de vivres pour subsister quelques mois , et que vous snyiez maitre d'une place dans le pays ennemi, oü vous puissiez établir votre dépót. Pendant que ces corps seront détachés, vous occuperez des camps avantageux, oü vous attendrez que les détachemens soient rentrés. Je ne comprends pas 1'avant-garde dans le nombre des détachemens, puisqu'elle doit étre a portée de 1'armée, etn'étre jamais aventurée trop prés de 1'ennemi. Lorsqu'on est obligé de se tenir sur la dé. fensive , on se voit souvent réduit a faire des  de F r é d e n i c II. Part. I. 175 détachemens. Ceux que j'avois dans la haute Silésie , y étoient en süreté. lis se tenoieut dans le voisinage des places fortes , comme je 1'ai remarqué ci-dessus. Les officiers qui commandent des détachemens , doivent étre fermes , hardis et prudens. Le (dief leur donnera une instruction générale : c'est a eux a se consulter , pour avancer sur 1'ennemi, ou se retirer devant lui, selon que les circonstances le requerront. II faut qu'ils se replient toujours contre des forces supérieures , mais il faut qu'ils sachent uussi profiter des leurs , quand ils lui sont supérieurs ën nombre. Quelquefois ils se retireront dans la nuit a 1'approche de 1'ennemi, et lorsqu'il croira qu'ils ont pris la fuite, ils reviendront brusquement le charger et le repousser. ■II faut qu'ils méprisent absolumentles troupes légères. Un officier qui commandé un detachement. doit premiérement penser a sa süreté, et s'il y a pourvu , faire des proj'ets sur 1'ennemi. S'il veut dormir tranquillement, il faut qu'il ne le laisse point dormir, mais qu'il forme toujours des entreprises sur lui. S'il réussit en deux ou trois , ii obligera 1'ennemi k se tenir sur la défensive. Si ces détachemens sont k portée de 1'armée, ils communiqueront avec elle au moyen d'une ville ou d'un bois, par lesquels on établira leui communication. La guerre défensive nous rnène naturellement aux (h-iaeheniens. J s Ft.ïdehic IT. Paft. T. \Hï9 ah. nttendant que sa seconde se porlat par des éiéfilés sur les flancs de ce prince , qui y fut attaqué, et repoüssé ; ou comme fit le inaréehal de Luxembourga la bataille de Fleurns, 1'ani (irjo; il plaea a la faveur des bleds, qui étoient fort: grands, un corps d'infanterie sür le ilanc du prince de Waldeek; par cétfé manoeuvre il gagna la bataille. fl ne faut détaoher des troupes qu'aptês la bataille gagnée , pour assurer ses convois : ou il faudroit que les détachemens ne s'éloignasseat qu'a une denii-Urne del'arinéë. Je finirai cet article eii disant que les détachemens qui affoiblissent 1'armée du tiers, ou de la moitié, sont très-dangereux et condamnables. article xi. ~È)ëi Siraragémes et fles Purse* de guerre. On se sert alrornativement dans la guerre d« la peau du lion et de celle du renard. La rtt§3 réussit oü la force échoue. 11 est donc absolument nécessaire de se servir de 1'une et de t autre , puisqüe souvent Ia force est repoussée par la force ; au-lieu que plusieurs fois la force est obligée de céder k la ruse. Le nombre des stratagêmes est infini. Je nVi pas envie de les citer ioi. Ils ont tous le même but, qui estd'eiïgagerl'ennemr a faire les fausscs démarches qu'on feodrliöfe' qu'il fasse. On iïm ^mploie pour cacher le vrai dessein . et pour fxa  i-fi InsTRü'cTioNs Militair es fair.e illusion, en affectant des vues qu'on n'a pas. Quand les troupes sont a la veille de s'assembler, on leur fait faire plusieurs contremarches'-, pour donner 1'alarme a 1'ennemi, et pour lui cacher le point oü l'on veut assembier 1'armée, et pénétrer. Si c'est dans un pays oü il y a des forteresses , on va se camper dans un endroit qui menace deux ou trois places a la fois. Si 1'ennemi jette des troupes dans toutes ces places, il s'affoiblit, et vous profitez de ce temps pour lui tomber sur le corps; mais s'il n'a eu cette précaution que pour une seule , on se tourne du cóté oü il n'a pas envoyé de secours, et on en fait le siège. Si vous avez le dessein de vous rendre maitre d'un poste considérable , ou de passer une rivière , il faut que vous vous éloigniez du poste et de 1'eiidroit oü vous voulez passer, pour attirer 1'ennemi oü vous étes. Et quand vous aurez tout disposé, et dérobé une marche , vous tournerez tout-d'un-coup sur 1'endroitprojeté, pour vous en emparer. Si c'est pour combattre 1'ennemi , et qu'il paroisse en éviter 1'occasion , vous faites divul- guer que votre armée est diminuée t ou vous faites semblant de craindre 1'ennemi. Nous avons joué ce róle avant la bataille de Hohen-Fried- berg. Je fis réparer les che.nins , comme si f'avois dessein de marcher sur quatre colonnes a Breslau , a 1'approche du prince Charles : son amour propre me seconda , pour 1'altirer dans la plaine ; il i Tut battu. 1 On  i) e Fré dïric II. Part. I. 177 On rétrécit quelquefois le camp, pour le faire paroitre plus foible ; 011 fait de petits détachemens, qu'on annonce être considérables, afin que 1'ennemi méprise votre foiblesse , et quitte son avantage. Si j'avois eu 1'intention de prendre Koenigingra;tz et Pardubitz dans la campagne de 1745, je n'aurois eu que deux marches a faire par le comté de Glatz, en tirant sur la Moravie ; le prince Charles n'auroit pas manqué d'y aller, paree que cette démonstration le faisoit craindre pour la Moravie , d'oü il tiroit ses vivres, de sorte qu'il auroit abandonné la Bohème ; car 1'ennemi prend toujours jalousie quand on menace d'assiéger les endroits qui communiquent avec la capitale , et ceux oü il a établi ses dépots de vivres. Si on n'a pas envie de combattre, on se dit plus fort qu'on n'est, et on fait bonne contenance. Les Autrichiens sont de grands maitres dans cet art ; c'est chez eux qu'il faut 1'apprendre. En vertu de votre contenance, vous paroissez vouloir vous engager avec 1'ennemi, vous faites répandre le bruit que vous avez les desseins les plus téméraires ; et souvent 1'ennemi croit qu'il n'auroit pas trop beau jeu si vous veniez, et se lient aussi sur la défensive. Une partie essentielle de la guerre défensive, est de savoir choisir de bons postes, et de ne les abandonner que dans la dernière nécessité: alors la seconde ligne cömmence a se retirer , suivie insensiblement de la première ; et comme vous avez des défilés devant yous, 1'ennemi ne pourra Jbme I, M  {■jS ÏNST RCCTIONS Ml LIT AIRES trouver d'occasion de proflter de votre retraite. Pendant la retraite même , on prend des positions si obliques, qu'elles donnent toutes sortes de jalousies a 1'ennemi. Les recherches qu'il en fera , I'intimideront, pendant qu'elles vous m#neront indirectement a votre but. Une autre ruse de guerre est celle de présenter un grand front a 1'ennemi ; s'il prend la fausse attaque pour la véritable , il est perdu. Par des ruses on oblige encore 1'ennemi h faire des détachemens, et quand ils sont partis on marche a lui. Le meilleur stratagême est que dans le temps ou les troupes sont prés de se séparer , pour entrer en quartiers d'hiver , on sache endormir son ennemi, et qu'on se retire pour mieux avancer. Dans cette vue on distribue ses troupes de manière qu'on puisse les assembler promptement, pour forcer les quartiers ennemis. Si vous réussissez a cela , vous réparez en quinze jours tous les malheurs de la campagne. Lisez les deux dernières campagnes de Turenne , et étudiez-les souvent. Ce sont des chefd'ceuvres de stratagêmes de notre temps. Les ruses dont se servoient les anciens dans la guerre , sont aujourd'hui le partage des troupes légères ; elles dressent des embuscades, et tachent d'attirer 1'ennemi dans un défilé par une fuite dissimulée, pour le sabrer après. Présentement il y a fort peu de généraux assez mal-adroits pour donner dans ces sortes d'embuscades. Charles XII fut pourtant séduit k Pultava par la trahison d'un des Cosaques. La  de Frédèric II. Part. T. T79 tnême chose arriva a Pierre I sur le Pruth , par la faute cl'un prince de ce pays. Chacun des deux avoit pronns des vivres , qu'ils ne pouVoient pas fournir. Comme j'ai assez détaillé dans mon Régiement militaire comment il faut faire la guerre par des partis et des détachemens , j'y renvoie tous ceux qui veulent s'en rafraichir la mémoiré , paree que je ne saurois y rien ajouter. Pour ce qui regarde 1'art de savoir obliger 1'ennemi k faire des détachemens, on n'a qu'a lire la belle campagne de 1690 epie le maréchal de Luxembourg fit contre le roi d'Angleterre en Flandre , qui se termina par la bataille de Neerwinde. A R T I C L E XII. Des Espions, comment il faut s'en servir en toute occasion, et de cjuelle manière 011 peut avoir des nouvelles de Vennemi. Si on savoit toujours d'avance les desseins de 1'ennemi, on ne manqueroit jamais de lui être supérieur avec une armée inférieure. Tous les généraux qui commandent des armées , tachent de se procurer cet avantage : mais il n'y en a guère qui y réussissent. II y a plusieurs sortes d'espions : i°. des gens ordinaires, qui se mêlent de ce métier , a°. des doublés espions , 3°. des espions de conséquence , et t\°. ceux qu'on force k ce malheuicux métier. U a  iSo iNSTHUCTIOi'i Al I LITAI HES Les gens ordinaires, comme les paysans, les bourgeois , les prêtres, etc. qu'on envoie dans le camp ennemi, ne peuvent être employés que pour savoir d'eux oü est 1'ennemi. La plupart de leurs rapports sont si brouillés, et si obscurs , qu'ils ajoutent aux incertitudes oü l'on étoit. L'énoncé des déserteurs ne vaut ordinairement pas mieux. Le soldat sait bien ce qui se passé dans le régiment oü il est ; mais rien de plus. Les housards étant la plus grande partie du temps absens de 1'armée , et détachés en avant, ne savent souvent de quel cóté elle est campée. Malgré tout cela , on fait coucher leur rapport par écrit; c'est le seul moyen d'en tirer quelqu'avantage. On se sert des doublés espions pour donner de fausses nouvelles a 1'ennemi. II y avoit un Italien a Schmiedeberg qui faisoit 1'espion chez les Autrichiens , a qui on fit accroire que nous nous retirerions a Breslau lorsque 1'ennemi s'approcheroit ; il en donna avis au prince Charles de Lorraine , qui fut trompé parda. Le prince Eugène paya pendant long-temp* une pension au maitre de poste de Versailles. Ce malheureux ouvroit les lettres et les ordres que la cour dépêchoit aux généraux , et en envoyoit une copie au prince Eugène , qui la recevoit ordinairement plutót que ceux qui commandoient 1'armée Francoise. Ltixembourg avoit gagné un secrétaire du roi d'Angleterre, qui lui donnoit avis de tout ce qui se passoit. Le roi le découyrit, et tira  de FhédericII. Tart. I. 1S1 tous les avantages possibles d'une affaire si délicate. II forca ce traitre d'écrire a Luxembourg, et de lui mander que 1'armée des alliés feroit le lendemain un grand fourrage. Il s'en fallut peu que les Francois ne fussent surpris a Steinquerque. Ils auroient été entiérement défaits, s'ils n'ayoient pas combattu avec une valeur extraordinaire. II nous seroit fort difficile de trouver des espions pareils dans une guerre contre les Autrichiens , non pas qu'il n'y eüt chez eux , comme chez d'autres nations, des gens qui se laissassent corrompre, mais paree que leurs troupeslégères, quienvironnent 1'armée comme un nuage, ne laissent passer personne sans le fouiller. C'est ce qui m'a donné 1'idée qu'il faudroit gagner quelques officiers de leurs housards , par lesquels on pourroit entretenir la correspondance , a peu-près de la manière suivante. L'usage est que les housards , quand ds ont escarmouché ensemble , font une espèce de suspension d'armes entr'eux: on peut se servir de ce temps pour se donner des lettres. Quand on veut donner de fausses nouvelles & 1'ennemi, ou avoir des siennes , on se sert d'un soldat affidé , qu'on fait passer du camp a celui de 1'ennemi, et qui lui rapporte tout ce qu'on veut lui faire croire ; l'on fait aussi courir par lui des billets , pour exciter les troupes a la désertion. L'émissaire rentre alors par un détour dans votre camp. Si on ne peut trouver aucun moyen dans le pays de 1'ennemi, pour avoir de ses nouvelles, M 3  iSa Instruction s JÏilitj» ires il y a un autre expediënt, quoique dur et cruel. On choisit un riche bourgeois , qui a des fonds de tèrre, et une femme et des enfans ; on lui donne un seul homme travesti en domestique, qui possède la langue du pays. On force alors ce bourgeois d'emmener ledit homme avec lui comme son valet ou son cocher , et d'aller au camp ennemi , sous prétexte d'avoir a se plaindre des violences qui lui ont été faites , et on le menace en même temps très-sévérement, que s'il ne ramène pas avec lui son homme , après qu'il se sera assez Jong-temps arrêté au camp , sa femme et ses enfans seront hachés en pièces , et ses maisons brülées. .Te fus contraint d'avoir recours k ce moyen , quand nous étions campés a et il réussit. J'ajouterai k tout ceci, qu'en payant les espions il faut être généreux , et même prodigue. Un homme qui pour votre service risque la corde, mérite bien d'en être récompensé. ARTICLE XIII. De certaines marqués par lesquelles on peul découvrir l'intcnlioii de 1'ennemi. T jF. plus sür moyen de découvrir les desseins de 1'ennemi, avant 1'entrée de la campagne , est 1'endroit qu'il choisit pour le dépót de ses vivres. Si les Autrichiens , par exemple , font leurs magasins a Olmutz , 'on peut être persuadé que leui projet est d'attaquer la haute Silésie : et s'ils en font a Koenigingraitz , la partie de Schweidnilz  de F n & p e R i c II. Part. I. i85 sera menacée. Quand las Saxons voulurent envahir la Marche electorale, leurs magasins montroient le chemin qu'ils prendroient; car leurs dépots étoient a Zittau, Gosrlitz et a Guben, qui est le chemin pour aller a Crossen. La première chose dont il faudra s'informer, est de quel cóté et dans quel endroit 1'ennemi établira ses magasins. Les Francois ont fait de doublés magasins, partie sur la Meuse, partie sur 1'Escaut, pour empêcher 1'ennemi de découvrir leurs desseins. Lorsque les Autrichiens sont campés , on devinera les jours qu'ils marcheront, paree que c'est un usage chez eux de faire cuire aux soldats les jours de marche. Si vous appercevez donc a cinq ou huit heures du matin beaucoup de fumée, vous pouvez hardiment croire qu'ils feront un mouvement ce jourda. Toutes les fois que les Autrichiens ont intention de combattre . ils font rentrer^au camp tous leurs gros détachemens de troupes légères. Quand vous remarquez cela , vous n'avez qu'a vous tenir sur vos gardes. Si vous attaquez un poste de leurs troupes Hongroises , et qu'elles tiennent ferme , vous devez être persuadé que leur armée est a portee pour les soutenir. Si leurs troupes légères viennent se placer entre votre armée et le corps que vous avez détaché, vous pourrez en conclure que 1'ennemi a formé un dessein sur ce dé.tachement. C'est a vous alors a prendre vos mesures. 11 faut dire encore, que si 1'ennemi vous op- M 4  t84 InstRuctions Militaires pose toujours le même général, vous póurree apprendre ses manières et découvrir ses desseins par sa faoon d'agir. Après avoir bien réfléchi sur le pays oü est le théatre de la guerre , sur 1'armée que vous commandez , sur la süreté de vos dépóts de vivres , sur la force des places de guerre, et sur les moyens que 1'ennemi peut avoir pour s en emparer , sur le dommage que ses troupes légères vous causeroient, si elles venoientse poster sur vos flancs, sur vos derrières et autre part, ou si 1'ennemi s'en servoit pour faire une diversion ; après avoir bien réfléchi, dis-j'e, sur tous ces points , vous pourrez compter qu un ennemi savant fera précisément ce qui vous nuira le plus ; que c'est au moins son intention, et qu'il faut par conséquent s'y opposer autanï qu'il sera possible. A R T I C L E XIV. De nos Pays , des Pays neutres, des Pays ennemis, de la différence des Religions, cc quelle conduite ces différens objets requièrent. On fait la guerre en trois sortes de pays ; dans le sien , dans celui des puissances neutres, et dans le pays de 1'ennemi. Si j'e n'avois pour obj'et que ma gloire , j'e ne ferois j'amais la guerre que dans mon pays , a cause de tous les avantages que j'y trouverois; car chacun y sert d'espion, et 1'ennemi ne sau-  be F n ï d i r i c II. Part. I. 185 rolt faire un pas sans étre trahi. On peut hardiment faire sortir de gros détachemens, et leur faire jouer tous les tours dont la guerre est susceptible. Si 1'ennemi vient d'étre battu, chaque paysan fait le soldat, et va le harceler. L'électeur Fréderic-Guillaume en fit 1'expérience après la bataille de Fehrbellin. Les paysans tuèrentplus de Suédois qu'il n'y en eut de tués dans le combat. Pour moi je 1'ai vu après la bataille de HohenFriedberg , oü les habitans des montagnes en Silésie nous amenèrent beaucoup de fuyards de 1'armée Autrichienne. Quand on fait la guerre dans un pays neutre, 1'avantage paroit être égal entre les deux partis; il s'agit alors de voir qui des deux saura se concilier 1'amitié el la confiance des habitans. Pour y parvenir, on observera la plus exacte discipline. On défendra la maraude et tous les pillages, et on punira ce crime a la rigueur. On accuse 1'ennemi d'avoir contre le pays les desseins les plus pernicieux. Si c'est dans un pays protestant, comme Ia Saxe, on joue le róle de protecteur de la religion luthérienne , et on cherche a inspirer le fanatisme au petit peuple , dont la simplicité peut être facilement trompée. Si le pays est catholique, on ne parle que de tolérance , on prêche la modération , on rejette sur les prêtres toute la faute de 1'animosité entre les sectes chrétiennes, qui malgré leurs disputes s'accordent ensemble sur les principaux arücles de la foi. c  1 S6 I # S T B U C T T ON | M IIIT AIRES Pour ce qui regarde les parüs qu'on veui: détacher, il faut se régler sur la protection des habitans du pays. Chez vous , vous pourrez tout basarder; mais dans un pays neutreal faut être plus circonspect, a moins qu'on ne soit assuré de 1'inclination de tous les paysans , ou de la plus grande partie. Dans un pays ennemi , comme la Bohème et la Moravie, il ne faut jouer qu'au sur, et par les raisons ci-mentionnées, n'aventurer jamais ses partis. Il faut faire la guerre a 1'ceil. La plupart des troupes légères seront employées alors pour escorter les convois. Car il ne faut pas s'imaginer de gagner jamais 1'affection de ces gens-la. II n'y a que les Hussites dans le cercle de Kcenigingroetz , dont on pourroit profiter. Les seigneurs y sont des traitres , quoiqu'ils fassent semblant d'étre bien intentionnés pour nous. II en est de même des prêtres et des baillis. Leur intérêt est attaché a celui de la maison d'Autriche ; et comme cet intérêt n'est pas conforme au nótre , on ne peut et on ne doit jamais se her keux. Tout ce qui vous reste encore , c'est le fanatisme , lorsqu'on peut animer une nation par la liberté de la religion, et lui insinuer adroitement qu'elle est opprimée par les prêtres et les seigneurs. Voila ce qu'on appelle remuer le ciel et 1'enfer pour son intérêt. Depuis le temps que ces mémoires ont été composés, 1'impératrice-reine a considérablement augmenté les impöts en Bohème et en Moravie ; on pourroit profiter de cette parti-  de FhÉdericïI. Pare. I. 187 cularité, pour se coneilier 1'affection de ses sujets , sur-tout si on les flattoit de les traiter avec plus de douceur, au cas qu'on fit la conquête du pays. ARTICLE XV. Dc toutes les Marches qu'une Armée peut faire. tJlVe armée se met en mouvement, ou pour faire des progrès dans le pays ennemi, ou pour occuper un camp avantageux, ou pour aller joindre un secours, oupour donner bataille, ou pour se retirer de devant 1'ennemi. La première règle est, qu'après avoir assuré le camp, on fasse reconnoitre tous les chemins qui en sortent, et tous les environs , pour être en état de faire les dispositions nécessaires,selon les différens événemens qui peuvent arriver. Dans ce dessein on enverra sous plusieurs prétextes de gros détachemens , accompagnés de quelques ingénieurs , et quartiers-maitres , qui se porteront dans tous les endroits praticables pour des troupes. Ils leveront la situation du pays , et reconnoitront les chemins par oü on peut marcher. Ils se feront suivre par des chasseurs, qui se noteront les chemins, pour pouvoir mener les colonnes, en cas que le général y marche. A leur retour, lesdits officiers feront leur rapport de la situation du camp, des chemins qui y mènent, de la qualité du terrein , des bois , «les montagnes ou des rivières qui s'y trouvent.  iSS Instructions Militaires Le général s'étant informé de toutes ces particularités , fera en suite sa disposition. Lorsqu on n'est pas campé trop prés de 1'ennemi, elle se fait comme il snit. 11. I. Je suppose qu'il y ait quatre chemins qui conduisent au camp. L'avant-garde partira ce soir a huit heures aux ordres de Mr.N. N. Elle sera composée de six bataillons de grenadiers, d'un régiment d'infanterie, de deux régimens de dragons , chacun de cinq escadrons, et de> deux régimens de housards. Tous les campemens de 1'armée suivront cette avant-garde, qui ne prendra avec elle que les tentes , laissant ses gros équipages a 1'armée. Ces troupes marcheront quatre lieues en avant, et occuperont le défilé, la rivière, la hauteur, la ville , le village, etc. dont il est question, et y attendront 1'arrivée de 1'armée ; alors elles entreront dans le nouveau camp qui aura été marqué. PI. II. L'armée suivra demain matin l'avant-garde , marchant sur quatre colonnes; les gardes qui ont été postées dans les villages , rentreront dans leurs régimens. La cavalerie des deux lignes de 1'aile droite , marchant par sa droite, formera la première colonne : 1'infanterie des deux lignes de 1'aile droite , marchant par sa droite , formera la seconde colonne : 1'infanterie des deux lignes de 1'aile gauche , filera par sa droite, et fera la troisième colonne : et la cavalerie de 1'aile gauche, filant par sa droite, formera la quatrième colonne. P!. n. Les régimens d'infanterie N. N. de la seconde    de Frederic II. Part. I. i8*) ligne, et les trois régimens de housards , aux ordres du général N. N., escorteront les équipages , qui marcheront a la queue des deux colonnes d'infanterie. 11 sera commandé quatre aide-majors , qui auront soin que les chariots se suivent en ordre , et aussi serrés qu'il sera possible. Le général qui commandera 1'arrière-garde avertira de bonne heure le chef, en cas qu'il ait besoin de secours. Les quatre colonnes seront conduites par les chasseurs qui auront reconnu les chemins. A la téte de chaque colonne marchera un détachement de charpentiers , et de chariots chargés de poutres , de solives et de planches , pour faire des ponts sur les petites rivières. Les colonnes s'observeront dans leur marche , afin que les têtes ne se devancent pas. Les généraux auront attention que les batailWs marchent serrés , et se suivent sans laisser d'intervalles. Les officiers commandant les divisions garderont bien leurs distances. Quand on passera un défilé , les tétes marcheront doucement , ou s'arrêteront, pour donner le temps a la queue de reprendre les dis tances. Voici comment on fait les ordres de marche. Lorsque vous passerez des défilés , des bois , ou des montagnes , vous partagerez vos colonnes ; toute la tête sera composée de 1'infanterie, suivie de la cavalerie , qui en fermera la mare hei S'il y a une plaine au centre , on 1'assignera  1 go Instrvctioss Militaires a la cavalerie; et 1'infanterie, formant les colonnes sur les deux extrêmités , traversera le bois. Mais cela ne s'entend que d'une marche qui ne se fait pas trop prés de 1'ennemi; car alors on se contentera de mettre quelques bataillons de grenadiers a chaque tête de colonne de cavalerie , pour ne pas rompre tout 1'ordre de bataille. Si vous voulez faire arriver heureusement un secours , le moyen le plus sur est de marcher a sa rencontre par un terrein difficile , et de vous retirer de devant 1'ennemi, pour éviter le combat. Par lasupériorité que l'on gagne parl'arrivée du secours , on recouvrera bientót le terrein qu'on n'a fait que lui pré ter. Ouand on est obligé de faire des marches parallèles k celles de 1'ennemi, il faut que cela se fasse , ou par la droite , ou par la gauche , en deux lignes , dont chacune formera une colonne , précédées d'une avant-garde. Du reste, on observera les mêmes régies que je viens de donner. Toutes les marches que nous fimes de Frankenberg a Hohen-Priedberg , étoient dirigées comme cela. On y marcha par la droite. Je préfère ces dispositions a toutes les autres ; car 1'armée est formée en bataille par un k droite ou un a gauche , qui est la méthode la plus prompte pour se remettre. Je m'en scrvirois toujours, si j'avois le choix d'attaquer 1'ennemi ; j'en ai perdu 1'avantage k Hohen-Friedberg et k Sorr. Dans ces sortes de marches , il faut bien segarder de préter Je flanc al'ennemi.    de Frj'dertc [T. Pan. T. iqt Lorsque 1'ennemi se met eu marche pour engager une affaire , vous vous débarrasserez de vos équipages , et les enverrez sous une escorte dans une des villes les plus k portee. Vous formerez alors une avant-garde, que vous pousserez k une petite demidieue en avant. L'armée marchant de front k 1'ennemi, il faut non-seulement que les colonnes ne se devancent pas , mais qu'en approchant du champ de bataille elles s'étendent de facon que les troupes n'aient ni plus ni moins de terrein , qu'elles n'occupent quand elles sont formées. C'est une chose très-difficile ; ordinairement quelques hataillons n'ont pas assez de terrein , d'autres fois les généraux en donnent trop. La marche qui se fait par lignes , n'a aucun inconvénient; c'est pour cela que je 1'ai choisie comme la meilleure. •Les marches qu'on fait pour combattre , demandent beaucoup de précautions, etun général a raison d'étre sur ses gardes. II faut qu'il reconnoisse le terrein de distance en distance, mais sans s'exposer, afin qu'il ait plusieurs posiiions en tête , dont il pourra se servir en cas que 1'ennemi vienne 1'attaquer. Pour reconnoitre un terrein , on se sert des clochers, ou des hauteurs. On ouvre le chemin, pour y aller , par des troupes légères , qu'on détache de l'avant-garde. Les retraites ordinaires se font de la manière suivante. Un ou deux jours avant que de partir, on se débarrassera de ses équipages, et on les renverra sous une bonne escorte.  x g2 Instrtictions M i l i t a i r e s On réglera alors les colonnes sur le nombre des chemins qu'on peut prendre , et la marche des troupes selon 1'espèce du terrein. Si c'est une plaine , la cavalerie fera l'avant-garde; si c'est un pays coupé, on en chargera 1'infanterie. PI. IJL Si c'est un pays de plaine , 1'armée marchera sur quatre colonnes. L'infanterie de la seconde ligne del'aile droite, fdantpar sa droite , et suivie de la seconde ligne de la cavalerie de cette aile , formera la quatrième colonne. L'infanterie de la première ligne de 1'aile droite , Riant par sa droite , sera suivie de la première ligne de cavalerie de cette aile , et formera la troisième colonne. L'infanterie de la seconde ligne de 1'aile gauche , suivie de la cavalerie de la même ligne , formera la seconde colonne. L'infanterie de la première ligne de 1'aile gauche sera suivie de la cavalerie de la même ligne , et formera avec elle la première colonne. De cette manière toute la cavalerie fera 1'arrière-garde , que vous ferez par précaution soutenir par des housards de 1'armée. Si vous avez a passer des défilés dans votre retraite , il faudra les faire occuper la veille de votre départ par de l'infanterie , et la placer de facon qu'elle déborde les troupes qui dans leur retraite passeront le défilé , de sorte que le chemin du défilé reste libre. Supposons que Farmée marche sur deux colonnes ; la cavalerie de la droite filera par sa gauche ; la seconde ligne partira la première , et aura la tête de la seconde colonne ; 1'infan- lerie      de Fkéderic II. Part. I. ïrp terie de la seconde ligne , suivie de Ia première, se mettra a la queue de cette cavalerie , et la suivra. La cavalerie de 1'aile gauche filera par sa gauche : la seconde ligne partant la première, aura la tête de la première colonne. Elle sera jointe' par l'infanterie de 1'aile gauche , dont la seconde ligne précédera la marche de la première. C'est ce qui formera la première colonne. Six bataillons de la queue de la première ligne, soutenus de dix 'escadrons de housards ,• seront 1'arrière-garde. Ces six bataillons se met- pi. rv\ tront en bataille en avant du défdé sur deux lignes , en échiquier , comme la PI. IV le fait voir. Pendant que 1'armée passera le défilé , il faut que les troupes postées en avant débordent celles qui sont encore en deca du défilé , pour les protéger par le feu. Quand toute 1'armée sera passée, la première ligne de l'avant-garde passera par les intervalles de la seconde , et se jetera dans le défilé; celle-ci étant partie , la seconde fera la même manoeuvre , a la faveur du feu de ceux qui seront postés de 1'autre cóté, et qui suivront les derniers. pour faire 1'arrière-garde. De toutes les manoeuvres, la plus difficile est de passer dans sa retraite une rivière en présence de 1'ennemi. Je ne saurois citer a ce sujet un meilleur exemple que la retraite que nous fimes l.'an 1744 en repassant 1'Elbe a Kolin. Mais ne trouvant pas toujours des villes dans ces sortes d'endroits . je suppose qu'on n'ait que Tume I. l\r  lg4 Instructions MiutaieeS deux ponts. En ce cas il faudra faire travailler k un bon retranchement, qui enveloppera les deux ponts, et faire une petite coupure a la tête de chaque pont. V- Cela étant fait , on envoie des troupes et beaucoup de canons de 1'autre cóté de la rivière, et on les place sur le bord. 11 en faut choisuf un qui soit un peu élevé , mais pas trop roide , pour commander le bord opposé. Alors on gar. nira d'infanterie le grand retranchement. Après cette disposition , on fera passer l'infanterie la première ; la cavalerie , formant 1'arrièregarde , se retirera en échiquier par le retranchement. , , Quand tout sera passé , on bordera les deux petites têtes de pont avec de l'infanterie , et celle qui est dans le retranchement, le quittera pour se retirer. Si 1'envie prend k 1'ennemi de la poursuivre . il sera exposé au feu des deux têtes de pont . et des troupes placées de 1'autre cóté de la rivière. L'infanterie qui étoit postée dans le retran chement ayant passé la rivière , on fera romprc le pont; et les troupes placées dans les têtes de pont la traverseront sur des bateaux, sous la protection des troupes qui ont été placées a 1'autre bord , et qui s'en approcheront pouj mieux les soutenir. Lorsque les pontons auront été chargés sur les chariots, les dernières troupes se mettront en marche. On peut aussi faire des fougasses aux angle*  ri.tr W eiraife de 1'Armee £ttt deux Colonnes pasianf une rivière  n  o e f it é d<é r i c II. jPart. ï. ig j des retranchemens. Les derniers grenadiers , dans Ie moment qu'ils passeront la rivière, y mettront le feu. ARTICLE XVI. Quellesprécautions onprendra dans une retraite, contre les Housards et les Pandours. Les housards et les pandours ne sont redouta. bles qu'a ceux qui ne les connoissent pas. Ils ne sont braves que quand 1'espoir du butin les anime , ou lorsqu'ils peuvent nture sans s'exposer. Ils exercent la première espèce de bravoure contre les convois , et les équipages; et 1'autre, contre les corps qui sont forcés de se retirer, qu'ils viennent alors harceler dans leur retraite. Nos troupes n'ont aucim affront a craindre d'eux ; mais comme leur manière d'escarmou» cher retarde une marche , et qu'ils ne laissent pas de tuer quelques hommes , qu'on perd fort mal k propos, j'indiquerai Ia manière que je crois la meilleure pour se tirer d'affaire avec eux. Quand on fait sa retraite par des plaines , on chasse les housards par quelques volées de canon ; et les pandours par des housards et des dragons , qu'ils craignent beaucoup. Les retraites les plus difficiles , oü les pandours peuvent faire le plus grand dommage , sont celles oü il faut passer des bois , des défilés et des montagnes. On ne peutpresqu'éviter alors de perdre du monde. Dans ce cas il faut que votre avant-garda N 3  ïgS Instrüctions Militaires occupe les hauteurs , faisant face a 1'ennemi. Vous détacherez en même temps des troupes sur les flancs de la marche , qui en cótoyant 1'armée , se tiendront toujours sur les hauteurs , ou dans le bois. Vous aurez quelques escadrons a portee , pour vous en servir quand le terrein le permettra. Il ne faut jamais faire de haltes dans ces sortes d'occasions , mais poursuivre toujours sa marche ; car de s'arrêter , est ce qui s'appelle sacrifier du monde mal-a propos. Les pandours se jettent a terre et tirent; on ne voit pas d'oü partent les coups ; et quand la marche de 1'armée oblige 1'arrière-garde et les pelotons détachés , de la suivre et de quitter les hauteurs , alors ils s'en emparent, et étant a couvert , ils fusillent ceux qui se retirent. Ni le feu de mousqueterie , ni le canon chargé k cartouches , ne peut leur faire grand mal, étant éparpillés , et cachés derrière les hauteurs ou les arbres. J'ai fait deux retraites semblables 1'année 17A5 ; 1'une par la vallée de Liebenthal, en mar ■ chant a Staudenitz 3 et 1'autre , de Trautenau a Schazlar. Malgré toutes les précautions imaginables , nous perdimes k la première, soixante hommes tués ou blessés, et plus de deux cents a la seconde. Quand on se retire par des chemins difhciles, il faut faire de petites marches , pour pouvoir prendre des précautions plus promptes et plus sages. La plus grande marche ne doit être que de deux lieues, ou d'un mille d'Allemagne ; et  de Frédeïuc II. Part. I. 197 comme alors 011 n'est pas pressé , on peut quelquefois forcer les pandours , particuliérement quand ils ont eu 1'imprudence de se fourrer dans de petits bois qu'on peut tourner. ARTICLE XVII. De quelle manière les Troupes légères Prussiennes combattront contre les Housards et les Pandours. Notre manière de forcer un poste que les. troupes légères des ennemis occupent, est dele brusquer , paree que leur facon de combattre étant de se débander , elles ne peuvent tenir contre des troupes régulières. II ne faut pas les marehander. On ne fait que détacher quelques troupes pour couvrir les flancs du corps qui marche a elles, et pourvu qu'on les attaque brusquement, on les en chasse. Nos dragons et housards les attaquent serrés ' et le sabre a la main. Ils ne peuvent soutenir ces sortes d'attaques j aussi les a-t-on toujours battus, sans se sóucier du nombre, quelque supérieur qu'il füt. N 3  jg8 Instructions Militaires ARTICLE XVIII. Par quels mouvemens on peut forcer 1'ennemi d'en faire aussi, Si l'on croit qu'il suffise de faire des mouvemens avec une armée pour obliger 1'ennemli d'en faire aussi, on se trompe beaucoup. Ce n'est pas le mouvement seul qui 1'y forcera , mais la manière dont il sera fait. Des mouve. mens spécieux ne feront pas prendre le change è un ennemi savant; ü faut prendre des positions solides , qui 1'engagent a faire des réflexions, et le réduisent a la nécessité de décamper. C'est pourqüoi il faut connoitre le pays, le général avec lequel on a a faire, les places oü il a ses magasins, les villes qui lui sont les plus commodes , et celles d'oü il fait venir ses fourrages. II faut bien combiner toutes ces ohoses, former un projet, et Ie bien digérer après. Gelui des deux généraux qui aura le plus de ressources dans 1'imagination, et qui tentera le plus souvent sur son ennemi, remportera è la longue des avantages sur le rival de sa gloire. Celui qui, h 1'entrée d'une campagne, assemblera le premier ses troupes, et marchera en avant pour attaquer une ville , ou pour occuper un poste , obligera toujours 1'autre de se régler sur ses mouvemens, et de se tenir sur la défensive. Si vous voulez pendant la campagne forcer  •de F r é d e r i c IL Part. I. 199 votre ennemi de décamper , il en faut avoir des raisons suffisantes , soit que vous vous proposiez de prendre une ville a portée de laquelle il est campé , soit que vous vouliezle rejeter dans un pays stérile oü il ne pourra vivre qu'avec peine , soit enfin que vous vous flattiez d'engager une affaire qui pourra vous donner des avantages considérables. Si vous avez de semblables raisons , vous travaillereza en former le projet; mais en le faisant, vous examinerez avec attention si les marches que vous ferez , et les camps que vous occuperez, ne vous mettront pas dans un plus grand embarras que celui oü il sera lmmême; comme , par exemple, en vous éloignant d'une place mal fortifiée oü vous avez votre dépót, et que les troupes légères peuvent emporter d'emblée en votre absence; ou en prenantune position dans laquelle vous pourriei étre coupé de votre pays, et de vos places ; ou bien en venant occuper un pays que vous serez obligé d'abandonner bientót après , faute de subsistances. Après avoir réfléchi mürement sur tous ces objets, et calculé la possibilité des entreprises que 1'ennemi pourroit faire , vous formerez le projet, soit de venir vous camper sur un de ses flancs, soit de vous approcher de la province d'oü il tire ses subsistances, soit de le couper de sa capitale, soit de menacer ses dépóts , soit enfin de prendre des positions par lesquelles yous lui retrancherez les vivres. Pour en donner un exemple qui est connu de la plus grande partie de mes officiers, je for- N 4  200 InsTRUCTTOXS MlIITAlRES merai le plan sur lequel nous aurions dü espérer d'obliger le prince Charles de Lorraine" a abandonner Koenigingratz et Pardubitz en 1745. Enpartant du camp de Dubletz, nous aurions dü prendre a gauche , co-foyer le comté de Glatz et marcher sur Hohenmauth. Par cette manoeuvre nous aurions forcé les Autrichiens, qui avoient leur magasin a Teutschbrod , et qui tiroient la plus grande partie de leurs vivres do la Moravie, de marcher a Landscron, et de nous abandonner Kosnigingraetz et Pardubitz. Les Saxons , coupés alors de leur pays, auroient été contraints de se séparer des Autrichiens, pour couvrir leur pays. Mais ce qui m'empécha alors de faire ce mouvement, fut qu'en gagnant même Kcenigingrastz je n'aurois rien gagné, puisque j'aurois été obligé de faire des détachemens , pour renforcer le prince d'Anhalt, si les Saxons étoient retournés chez eux. Outre cela les magasins de Glatzn'étoient pas suffisans pour me faire subsister toute la campagne. Les diversions que l'on fait en détachant des troupes , obligent encore 1'ennemi dedécamper. Généralement toutes les entreprises auxquelles 1'ennemi n'a pas été préparé , le dérangent, et le forcent a quitter sa position. De cette espèce sont les passages des montagnes que 1'ennemi croit impraticables, et que l'on peut presque toutes passer : et aussi les passages des rivières qui se font sans que 1'ennemi s'en soitappercu. On n'a qua lire la campagne du prince Eu-  deFréderic II. Part. I. 201 géne de 1'année 1701. On sait assez dans quel désordre se frouva 1'armée Francoise , quand le prince Charles de Lorraine la surprit 1'an 1744 en passant le Rhin. Je fmirai en disant que 1'exécution de ces sortes d'entreprises doit toujours répondre au projet, et que tant qu'un général fera des dispositions sages et fondées sur des maximes solides, il forcera toujours son ennemi de se tenir sur la défensive , et de se régler sur lui. a R T I C L E XIX. Des passages des Rivières. La force est inutile lorsque 1'ennemi sera de 1'autre cóté d'une riv ière que vous aurez intention de passer ; il faut avoir recours a la ruse. On n'a qu'a imiter le passage du Rhin de César ; celui du Pö du prince Eugène ; ou celui du Pihin du prince Charles de Lorraine , s'il s'agit de passer une grosse rivière. Ces généraux firent des détachemens , pour en imposer a 1'ennemi, et pour lui cacher 1'endroit qu'ils avoient choisi pour leur passage. Ils firent des préparatifs pour la construction des ponts dans des lieux oü ils n'avoient pas intention de passer; en attendant que le gros de leur armée fit une marche de nuit, pour s'éloigner de 1'ennemi, et gagner le temps de passer la rivière, avant que les troupes destinées a défendre le passage eussent pu se niettre en deyoir de les en empêcher.  3 02 ISSTKÜCTIOHS MlLITAlRES On choisit ordinairement pour le passage des rivières les endroits ou il y a de petites isles , ce qui en facilite 1'opération. On aime aussi a rencontrer de 1'autre cóté de la rivière des bois , ou d'autres obstacles , qui empêchent 1'ennemi de vous attaquer avant que vous ayez débouché. 11 faut une attention trés -particulière et prendre les mesures les plus justes dans ces sortes d'entreprises. II est nécessaire que les bateaux ou les pontons, et tout autre appareil, soient au rendez-vous k 1'heure marquée , et que chaque pontonnier ou batelier soit instruit de sa besogne , pour éviter le désordre qui se met ordinairement dans les expéditions de nuit. Tout étant arrangé , on fait passer des troupes , pour s'établir de 1'autre cóté de la rivière. Dans tous les passages des rivières il faut loujours avoir attention a faire retrancher les deux têtes de pont , et a les bien garnir de troupes. On fortifie encore les isles qui sont dans le voisinage , pour soutenir ces retranchemens , afin que dans le temps que vous faites ces opérations , 1'ennemi ne vienne pas prendre ou détruire vos ponts. Si les rivières sont étroites, on choisit pour leur passage les endroits oü elles font des coudes, et oü le bord étant plus élevé domine sur celui qui lui est opposé. On y place autant de canons que le terrein le peut permettre , et on le garnit de troupes. Sous cette protection on eonstruit ses ponts, et comme le terrein se rétrécit par le coude que fait la rivière, il ne faudra avancer que fort peu , >et insensiblement  de Fréderic II. Part. I. 2o3 gagner chemin & mesure que les troupes passeront. S'il y a des gués , on y fait des rampes , pour que la cavalerie y puisse passer. ARTICLE XX. Comment il faut défendre le passage des Rivières. Rien n'est plus difficile, pour ne pas dire impossible , que de défendre le passage d'une rivière ; sur-tout lorsque le front d'attaque est d'une trop grande étendue. Je ne me charge» rois jamais d'une telle commission , si le terrein a défendre avoit plus de huit milles d'Alleinagne (a) de front, et s'il n'y avoit pas dans cette distance une ou deux redoutes établies sur le bord de la rivière. II faudroit encore qu'il n'y eüt aucun endroit oü Ton put passer a gué. Mais supposé que toutes les choses soient telles que je viens de dire, il faudra toujours du temps pour faire les préparatifs nécessaires contre les entreprises de 1'ennemi. La disposition qu'on auroit a faire alors, seroit a peuprès celle-ci. On fera ramasser tous les bateaux et toutes les barques qui se trouveront sur la rivière, et on les fera mener aux deux redoutes , pour empêcher que 1'ennemi ne puisse s'en servir. (a) L'original dit expres milles d'Allemagne ; on 1'a snivs dans la traduction, quoique le mot de lieues paroisse plus applicatie ici par des raisons ri.-des.sus jnarquées, (Le Traducteur.}  24 Instructions Militaire» Vous reconnoitrez les deux bords de la rivière, pour marrpier les endroits k la faveur desquels on pourroit la passer , et vous les ferez démolir. Vous noterez le terrein qui pourroit protégerle passage de 1'ennemi, et formerez des projets d'attaque sur la situation de chaque terrein. Vous ferez ouvrir des chemins larges, pour plusieurs colonnes , sur tout le front de votre défense le long de la rivière , pour pouvoir marcher k 1'ennemi commodément et sans embarras. Après avoir pris toutes ces précautions, vous ferez camper 1'armée au centre de votre ligne de défense, de sorte que vous n'ayez que quatre milles a marcher, pour aller a 1'une ou 1'autre extrémité. Vous ferez seize petits détachemens commandés par des officiers de housards ou de dragons les plus actifs et les plus habiles ; dont huit, aux ordres d'un général, auront le front d'attaque de la droite, et huit, aux ordres d'un autre général, auront celui de la gauche. Ces détachemens seront destinés pour donner avis des mouvemens de 1'ennemi, et de 1'endroit oü il tentera le passage. Pendant le j'our ils placeront des gardes pour découvrir tout ce qui se passera , et dans la nuit ils feront d'un quart-d'heure a 1'autre des patrouilles prés de la rivière, et ne se retireront que quand ils auront clairement vu (a) que 1'en- (a) Si l'on calcule le temps qu'il faut pour porter au général «n chef la nouvelle du passage , qu'on suppose qu'il se fait a une  d e F r. i Bitic II. Part. I. 205 nemi ait fait un pont, ct que la tête ait passé. Lesdits généraux et les commandans des redoutes enverront quatre fois par jour leur rapport au chef de 1'armée. II faut qu'il y ait des relais établis entr'eux et 1'armée , pour que les rapports arrivent promptement, et qu'on soit tout de suite a'verti lorsque 1'ennemi passera. Comme il est du devoir du général de, s'y porter a 1'instant même, il aura déja renvoyé ses équipages , pour être grêt a tout événement. Ces différentes dispositions étant faites d'avance sur chaque terrein, il .distribuera a ses généraux celles qui regarderont les points d'attaque.- II marchera avec toute la célérité possible ; 1'irtfanterie ayant la tête dés colonnes, paree qu'il faut supposer que 1'ennemi se soit retranché. A son arrivée , il 1'attaquera vivemènmns balancer. C'est de cette manière qu'il pourra se promettre le succès le plus brillant. Les passages des petites rivières sont plus difficiles a défendre ; il faut rendre les gués impraticables par des arbres qu'on y jette. Mais si des ektt'êmités de 1'étendue du front , et le temps qu'il faut pour y faire marcher 1'armée ; on verra par cette supputation que 1'ennemi aura assez de temps pour passer avec toutes ses troupes , avant que la moitié de 1'armée , qui a a faire une marche dc quatre milles, en partant de son centre , soit arrivée et puisse se mettre en devoir de lui disputer le passage. Car quatre milles sont huit lieues de chemin, et toutes les troupes du monde, quelqu'ingambes et lestes qu'elles soient, ne pourront les faire en moins de temps ; particuliérement dans la nuit, comme il est question ici.-Pour rendre cette manoeuvre possible , il faudroit qu'il n'y efit que huit lieues de front pour toute 1'arinÉe , au-V.eu tóshnit milles d'AUemagne (Lc Traducteur.)  v.oG Instructions MilitatRes la rive du cóté de 1'ennemi commandé celle oü vous êtes, il est inutile de faire résistance. A R T I C L E XXL Des surprises des Villes. Pour surprendre une ville , il faut qu'elle soit mal gardée et peu fortifiée ; encore ne pourroit-on la surprendre qu'en hiver et pendant la gelee, si elle a des fossés remplis d'eau. On surprend les villes avec toute une armée, comme il arriva a Prague 1'an 1741 ; ou on les surprend après en avoir endormi la garnison par un blocus qui tralne en longueur, comme le prince Léopold d'Anhalt fit a Glogau. On les surprend encore par des détachemens , comme le prince Eugène le tenta a Crémone; ou comme ont réussi les Autrichiens k Cosel. La règle principale , en faisant des disposilions pour des surprises , est de bien connoitre tes fortifications et les intérieurs de la place pour diriger son attaque sur la situation localeLa surprise de Glogau est un chef-d'osuvre , que tous ceux qui tenteront des surprises doivent imiter. Celle de Prague ne fut pas si extraordinaire , puisque la garnison ayant a défendre une ville d'une vaste étendue, il n'étoit pas étonnant qu'on Temportat par les différentes attaques qu'on y fit. Cosel et Crémone furent surpris par trahison. La première le fut par un officier de la garnison , qui ayant déserté , donna avis aux Autrichiens que 1'évacuation du fossé  de Fréderic II. Part. I. £07 n'étoit pas achevée. Ils le passèrent, et la place fut emportée. Si on veut prendre de petites places, on fait petarder les portes. On envoie en même temps des détachemens a toutes les autres , pour empêcher que la garnison ne se sauve. Si on veut y employer du canon , il faut le placer de sorte que les canonniers ne soient pas exposés i\ la mousqueterie; autrement on risque de perdre fe canon. ARTICLE XXII. Des Combats et des Bataüles, LL est trés-difficile de surprendre les Autri. ehiens dans leur camp , a cause du nombre de troupes légères dont ils sont entourés» Si deux armées se tiennent dans le voisinage 1'une de 1'autre , 1'affaire sera bientöt décidée «mtr'elles , ou il faudroit que 1'une des deux occupat un poste inattaquable, qui la garantit des surprises ; de facon que ces événemens n'arrivent que très^rarement entre des armées j entre des détachemens, c'est une chose trèsbrdinaire. Pour surprendre 1'ennemi dans son camp, il faut qu'il ne s'attende jamais k pouvoir être surpris, et qu'il ait une confiance entière , ou dans la supériorité de ses troupes , dans la situation avantageuse de son poste , ou dans les rapports de ses émissaires , ou enfin dans la vigilance de ses troupes légères.  2ü8 Instructions Militaires Avant que de former aucun projet , il faut commencer par bien connoitre le pays, et ia position de 1'ennemi. On examinera les chemins qui mènent au camp , et on formera la-dessus sa disposition générale , en se réglant dans tous les points sur Ia connoissance détaillée de toutes choses. Vous destinerez les chasseurs les plus intelligens , et les plus instruits des chemins, pour conduire les colonnes. Ayez grande attention k cacher votre dessein. Le secret est 1'ame de toutes ces entreprises. Les troupes légères précéderont la marche , sous plusieurs prétextes , mais en effet pour empêcher qu'un maudit déserteur n'aille vous trahir. Ces housards empêcheront aussi que les patrouilles ennemies ne s'approchent trop prés et ne découvrent les mouvemens que vous faites. II faut que vous donniez aux généraux qui sont sous vos ordres , une instruction sur tous les événemens qui pourront arriver , afin que chacun d'eux sache ce qu'il aura a faire alors.. Si le camp de 1'ennemi est assis dans une plaine , on pourra former une avant-garde de dragons, qui, joints par des housards, entreront a toute bride dans le camp ennemi, pour y mettre tout en désordre , et faire maiu basse sur tout ce qui se présentera k eux. Ces dragons doivent être soutenus de toute l'armée ; l'infanterie en ayant la tête , étant particuliérement destinée a attaquer les ailes de la cavalerie ennemie. L'attaque  i> e F h é d e n i c II. Part. ï. 20y L attaque de l'avant-garde commencera une demi - lieure avant Ia pointe du jour; mais il faut que 1'armée n'en soit éloignée que de huit cents pas. Pendant la marche on gardera un profond silence , et on défendra au soldat de fumer du tabac. Lorsque 1'attaque commencera et que le jour paroitra, l'infanterie, formée sur quatre ou six colonnes, marchera tout droit au camp, pour soutenir son avant-garde. On ne tirera pas avant la pointe du jour, car on risqueroit de tuer ses propres gens ; mais aussi-tót qu'il fera jour, il faudra tirer sur les endroits oü l'avant-garde n'a pas percé ; particuliérement sur les ailes de la cavalerie , pour obliger les cavaliers , n'ayant pas le temps de seller ni de brider leurs chevaux , de s'en aller, et de les abandonner. On poursuivra 1'ennemi jusqu'au dela du camp, et on lachera toute la cavalerie après lui, pour profiter du désordre et de la confusion ou il sera. Si 1'ennemi avoit abandonné ses armes , il faudroit laisser un gros detachement pour la garde du camp , et sans s'amuser k piller, poursuivre 1'ennemi avec toute la chaleur possible; d'autant plus qu'une si belle occasion de détruire entiérement une armée , ne se présentera pas de si-tót; et qu'on sera mattre pendant toute la campagne de faire tout ce qu'on voudra. La fortune m'en avoit destiné une pareille avant la bataille de Molyyite- Car nous nous Tomé L O  21» I N S T E. TT C T I© NS ,M t LI T A I RE3 approchémes de 1'armée du maréchal de Neuperg , sans rencontrer personne , ses troupes étant cantonnées dans trois villages. Mais je n'avois pas dans ce temps-la assez de connoissanccs pour savoir en profiter. Ce que j'aurois dü faire alors, étoit d'em brasserie village de Molwitz par deux colonnes , et de 1'attaquer après 1'avoir enveloppé. En même temps j'aurois dü détacher des dragons aux deux autres villages oü étoit la cavalerie Autrichienne , pour la mettre en désordre. L'infanterie qui les eüt suivis , auroit empêché cette cavalerie de monter a cheval. Je suis trèspersuadé que leur armée auroit »té entiérement défaite. J'ai montré ci-dessus toutes les précautions que nou* prenons a ce sujet dans notre camp . et de quelle manière nous le faisons garder : mais en supposant, que malgré toutes les précautions 1'ennemi puisse s'approcher de 1'armée, je donnerois le conseil de mettre en toute diligence les troupes en bataille sur le terrein qui leur sera marqué , d'ordonner k la cavalerie de tenir ferme a ses postes , et de faire son feu de peloton jusqu'a Farrivée du jour. Alors les généraux examineront s'il faut avancer, si la cavalerie a été victorieuse , si elle a été repous sée , et ce qu'il y aura a faire. En de pareilles occasions il faut que chaque général sache prendre son parti, et agir par luimême , sans attendre pour cela les ordres dn général en chef. Pour moi je n'attaquerai jamais dans la nuit,  d f. Fréderic II. Part. I. zli uarce que I'obscurité cause bien des désordres , et que la plupart des soldats ne font leur devoir que sous les yeux de leurs officiers , et quand ils ont a craindre la punition. Charles XII attaqua, en 1'année 1715,1e prince d'Anhalt dans la nuit, lorsqu'il ne venoit que de débarquer dans 1'isle de Rugen. Le roi de Süède avoit raison de le faire , paree qu'il vouloit cacher le petit nombre de ses troupes , dont on se seroit appercu s'il avoit fait jour, 11 n'avoit que quatre mille hommes , avec lesquels il en vint attaquer vingt mille. II fut battu. Un axiome de la guerre est d'assurer ses derrières et ses flancs , et de tourner ceux de 1'ennemi ; ce qui se fait de différentes manières , qui partent toutes d'un même principe. Quand vous serez obligé d'attaquer un ennemi retranché , il faut le faire tout de suite , sans lui donner le temps d'achever ses ou' vrages. Car ce qui est bon le premier jour ne Ie sera plus le lendemain. Mais avant que de vous mettre en devoir de 1'attaquer, vous re connoitrez par vous-méme la position de 1'ennemi. Les premières dispositions que vous aurez iaites de votre attaque, vous feront voir la facdité ou la difficulté du succès de votre projet. La plupart des retranchemens sont pris paree qu'ils ne sont pas bien appuyés. Le retranchement de Turenne fut emporté, de même que celui dé (a) 0ü le prince d'Anhalt  312 IrrSTRUCTIONS MlLITAIRES trouva assez de terrein pour le faire tourner. Le retranchement de Malplaquet fut tourné par le bois qui étoit k la gauche du maréchal de Villars. Si on avoit eu cette idéé au commencement de la bataille, les alliés auroient épargné quinze mille hommes a leur armée. Si le retranchement est appuyé k une rivière qui soit guéable , il faudra le faire attaquer de ce cóté-la. Celui de Stralsund , fait par les Suédois, fut emporté, paree qu'on 1'attaqua du cóté de la mer, ou il étoit guéable. Si les retranchemens de 1'ennemi sont d'une trop grande étendue , et que les troupes , pour les garnir , soient obligées d'embrasser trop de terrein , on fera plusieurs attaques , et on s'en rendra sürement maitre , pourvu qu'on ait soin de cacher ses dispositions a 1'ennemi, afin qu'il ne puisse s'en appercevoir, et vous opposer des forces suffisantes. ** VI La PI. VI vous expliquerales dispositions sui vantes de 1'attaque d'un retranchement. Je formerai une ligne de trente bataillons , dont j'appuierai 1'aile gauche a la rivière N. N. Douze bataillons formeront 1'attaque de la gauche oü je veux percer , et huit autres celle de la droite. Les troupes destinées pour 1'attaque seront placées en échiquier avec des intervalles. Le reste de l'infanterie se mettra en troisième ligne , et derrière elle sera la cavalerie , k la distance de quatre cents pas. Par cette disposition mon infanterie tiendra 1'ennemi en échec, et elle sera k portée de profiter du moindre faux mouvement qu'il pourroit faire.    de FhédericLT. Part. I. öi5 II faut avoir attention de faire suivre chacune de ces attaques par un nombre de travailleurs avec des pêles , des pioches et des fascines pour combler le fossé, et faire des passages pour la cavalerie, lorsqu'on aura forcé le retranchement. L'infanterie qui formera 1'attaque , ne commencera a tirer que quand elle aura emporté le retranchement, et qu'elle se sera mise en bataille sur le parapet. La cavalerie y entrera par les ouvertures faites par les travailleurs , et se rangera en bataille , pour attaquer 1'ennemi quand elle sera en force. Si elle est repoussée, elle ira se rallier a la faveur du feu de l'infanterie , nisqu'a ce que toute 1'armée ait pénétré , et que 1'ennemi soit entiérement mis en déroute. Je répéterai ici ce que j'ai dit dans un des articles précédens , que je ne ferois jamais retrancher mon armée, si ce n'est dans le temps que j'aurois intention d'entreprendre un siège. Et je ne sais si on ne feroit pas mieux d'aller au devant de 1'armée qui vient secourir la place, Mais supposons puur un moment qu'on veuillo se retrancher. Dans ce cas je proposerai la manière la plus avantageuse pour le faire. On se ménagera deux ou trois grosses réserves , pour les envoyer pendant 1'attaque aux endroits oü 1'ennemi fait les plus grands efforts. On bordera le parapet de bataillons, et on placera une réserve derrière eux , qui puisse P1 v: être a portée de donner du secours oü l'on en aura besoin. O 3  -".i4 Iws TRTjrTioNS Militair (q La cavalerie sera rangée sur une ligne eter. lière ces réserves. Le retranchement doit être bien appuyé. S'il vient joindre une 'rivière , il faut que Ie fossé avance assez loin dans la rivière pour ne pas être tourné. Si ce retranchement vient s'appuyer h un bois, il faut qu'il soit fermé a cette extrémité par une redoute , et qu'on fasse dans le bois un très-grand abatis d'arbres. Dn aura attention que les redans soient bien flanqués. Le fossé sera trèsdarge et profond , et on perfectionnera tous les jours de plus en plus les retranchemens , soit en renforoant le parapet , soit en placant des palissades a 1'entrée des barrières , soit en creusant des puits, soit encore en garnissant tout le camp de chevaux de frise. Le plus grand avantage que vous ayez , est dans le choix , et dans certaines régies de la fortification qu'il faut observer, pour obliger l'eiiiiemi a vous attaquer sur un petit front, et pour le mettre dansla nécessité tlene vous attaquer que dans les principaux points de votre retranchement. PI, VII. Pour vous en donner une idéé plusprécise, voyez la PI. VII. L'armée , qui se trouve a la tête de votre retranchement, est rétrécie d'un r.öté par la rivière , et vous présentez a celui (|iii vient vous attaquer un front qui le déhorde. II ne pourra pas attaquer votre droite , paree que les batteries placées a 1'extrémité d©    de Fkédehic II. Pare. I. 315 cette aile, ie prendroient en liane, pendant que la redoute du centre le prendroit en queue. U ne pourra donc former d'autre attaque que celle de ladite redoute du centre, qu'il sera obligé d'entamer du cóté de 1'abatis. Comme tous vous attendrez a cette attaque, vous renforcerez les fortilications de cette redoute , et n'ayant qu'un ouvrage a fortifier , vous y donnerez d'autant plus d'attention. La PI. VIII fait voir une autre espèce de re- PI. VIII. trancliemens , composée de redoutes saillantes et rentrantes , qui se croisent 1'une 1'autre, et se joignent par des retranchemens. Par cette manière de fortifier , les saillans forment les points d'attaque, et n'y en ayant que très-peu , on pourra les perfectionner plus vite que si le front étoit par-tout également forrifié. II faut que le feu de la mousqueterie se croisc dans les redoutes saillantes; par cette raison elles ne seront qu'a six cents pas 1'une de 1'autre. Notre infanterie défend un retranchement par des décharges de bataillons entiers. Chaque soldat doit êtrepourvu de cent cartouches. Mais cela n'empêchera pas de placer entre les bataillons , et dans les saillans des redoutes , autant de canon que l'on pourra. Tant que 1'ennemi sera éloigné, on tirera k boulets ; mais lorsqu'il se sera avancé a la distance de quatre cents pas , on commencera k tirer k cartouches. Si 1'ennemi, malgréla force de votre retranchement et nonobstant un feu opinidtre, pe- 0 4  a.6 Ikstrtjctioss Muitairh nètre en quelqu'endroit, la réserve d'infante ne marchera a lui pour le repousser; et en cas que cette réserve fut obligée de plier, c'est k votre cavalerie a faire alors les derniers efforts pour le rechasser. La plupart des retranchemens sont emportés, paree qu'ils n'ont pas été construits dans tes regies , ou que ceux qui les défendent sont tournés , ou que la peur prend aux troupes qui les défendent: cela vient de ce que celui bui attaque, peut faire ses mouvemens avec plus de hberté et plus de hardiesse. Au commencement, les exemples ont fait voir qu'un retranchement étant forcé, toute armée est découragée , et prend Ia fuite. Je cro1S que nos troupes auroientplus de fermeté et qu'elles repousseroient 1'ennemi: mais a quoi serviroienttous ces avantages, si les retranchemens vous empéchent d'en profiter? Puisqu'il y a tant d'inconvéniens aux retranchemens , il s'ensuit naturellcment que les hgnes sont encore moins utiles. De notre temps la mode nous en est venue du prince Louis de Bade, qui fit faire les premières du cóté de Briel. Les Francois en ont fait aussi en Flandres dans la guerre de succession. Je soutiens qu'elles ne valent rien, puisqu'elles embrassent plus de terrein qu'on n'a de iroupes pour les garder ; qu'on peut former phmeurs attaques , et qu'on est persuadé de les forcer. Par cette raison elles ne couvrent pas Je pays, et ne servent qu'a faire perdre la réputation des troupes qui les gardent.    pe FnÉDEiiïcIL Pan. I, s17 Si une armée Prussienne est inférieure a celle de 1'ennemi, il ne faut pas pour cela désespérer de le vaincre; la disposition du général suppléera au nombre. Une armée foible choisira toujours un pays coupé et montagneux, oii le terrein soit resserré, de sorte que le nombre supérieur de 1'ennemi, lorsqu'il ne pourra pas dépasser vos ailes , lui deviendra inutile , et quelquefois même a charge. .Aj'outons ici que dans un pays fourré et de montagnes , 011 pourra mieux appuyer ses ailes que dans une plaine. Nous n'aurions jamais gagné la bataille de Sorr , si le terrein ne nous eüt été favorable («) ; car quoique le nombre de nos troupes ne passat point la moitié de celui des Autrichiens , ils ne pouvoient pas déborder nos ailes , de sorte que le terrein mit une espèce d egalité entre les deux armées. Ma première règle regarde le choix du terrein , et la seconde , la disposition de la bataille même. C'est ici oü l'on peut faire une-application utile de mon ordre de bataille oblique. Car on refuse tine aile a 1'ennemi, et on renforce celle qui doit faire 1'attaque. Par-la vous portez toutes vos forces sur l'aile de 1'ennemi, que vous voulez prendre en flanc. fa) Si le prince Charles avoit suivi la règle que JVÏ. de Feuquières nous donne dans ses remarqnes sur la bataille de Steinquerque,& qu'il füt entré avec sa première ligne en colonne dans le camp Prussien , pour séparer les troupes , en attendant que sa seconde ligne se füt mise en bataille pour la soutenir , 1'avantage dn terrein n'auroit pas sauvé 1'armée Prussienne de cette surprise. Elle auroit été entiéreiuent défaite.(ie Traduct.)  ilö I W S T l\ u r. TT O N S Mll. rr AIRES il. IX. Une armée de 100,000 hommes, tourné;" par ses flancs, prendra bientót son parti. On n'a qu'a voir la Planche IX. Mon aile droite fait tout 1'effort. Un corps d'infanterie se jetera insensiblement dans le bois, pour attaquer la cavalerie ennemie sur ses flancs, et pour protéger 1'attaque de la nótre. Quelques régimens de housards auront ordre de prendre 1'ennemi en queue ; en attendant 1'armée s'avancera. Lorsque la cavalerie ennemie sera mise en déroute , l'infanterie qui est dans le bois , prendra celle de 1'ennemi en flanc , dans le temps- que 1'autre 1'attaquera de fr ont. Mon aile gauche ne s'avancera pas que 1'aile gauche de 1'ennemi ne soit entiérement défaite. Par cette disposition vous aurez 1'avantage , de faire tête avec un petit nombre de troupes a. un corps supérieur, 20. d'attaquer 1'ennemi d'un cóté oü 1'affaire sera décisive , et 3°. votre aile ayant été battue , il n'y aura qu'une partie de votre armée d'entamée , les autres trois quarts des troupes , qui sont encore fraiches, serviront pour faire votre retraite. Si on veut attaquer 1'ennemi dans un poste avantageux, il en faut examiner le foible et le fort, avant que de faire les dispositions de 1'attaque. On se déterminera toujours pour 1'endroit oü l'on croit trouver le moins de résistance. Les attaques des villages coütent tant de monde , que je me suis fait une loi de les feviter, tant que je n'y serai pas absolument    DI Fr h de n ic II. Pan. T. «19 forcé; car on y risque 1 elite de son infanterie. U y a des généraux qui disent qu'on ne saurozt mieux attaquer un poste que dans sou V centre. La Planche X représentera la situation d'un tel poste, oü je suppose que 1'enneiiii aii deux grandes villes , et deux villages sur ses ades. II est certain que les ailes seront perdues lorsque vous forcerez le centre, et que par de paredles attaques on pourra remporter les vi-toires les plus complètes. J'en donne ici le plan, et j'ajoute , que quand vous aurez percé, vous doublerez votre atlarpu . pour obliger 1'ennemi de se replier par sa droite el par sa gauche. Dans une attaque de poste il n'y a rien de si redoutable que les batteries chargées k cartouches , qui font un terrible carnage dans les ba. laillons. A Sorr et a Kesselsdorff j'ai vu attaquer des batteries , et j'ai fait des réflexions qui m'ont donné une idéé que je communiquerai ici, en supposant une batterie de quinze pièces de canon, qu'on voudroit emporter et qu'on ne pourroit pas tourner. J'ai remarqué que le feu du canon , et de l'infanterie qui soutient la batterie , la rend biabordable. Nous ne nous sommes emparés cfes batteries de 1'ennemi que par sa faute ; notre infanterie qui les attaquoit étant a moitié écrasée, commenooit a plier; l'infanterie ennemie la voulant poursuivre, quiita son poste. Par un effet de ce mouvement leur canon n'osa plus tirer, et nos troupes, qui talonnoient 1'ennemi , ariivèrent en même temps ayec  320 IXSTKVJCTIOSS MxLITAlRITS lui aux batteries, et s'en rendirent maitrea L'expérience de ces deux batailles m'a fourni 1 idéé, qu'd faudroit suivre enpareil cas 1'exemple de ce que nos troupes ont fait, en formant son attaque sur deux lignes en écbiquier, soutenue en troisième ligne par quelques escadrons de dragons. On donnera 1'ordre a la première ligne de n'attaquer que foiblement, et de se retirer par les intervalles de la seconde, afin que 1'ennemi, trompé par cette retraite simulée, se mette a les poursuivre , et abandonne son poste. Ce mouvement sera le signal de marcher en avant, et d'attaquer vigoureusement. XI. La Planche XI mnntrera la disposition de cette manoeuvre. Mon principe est de ne mettre jamais toute ma confiance dans un poste seul, s'il n'est pas physiquement prouvé qu'il soit inattaquable. Toute Ia force de nos troupes consiste dans Pattaque, et nous ne serions pas sages si nous y renoncions sans raison. Mais si on est obligé d'occuper des postes on observera de gagner les hauteurs, et de bien appuyerses ailes. Je ferois mettre lé feu k tous les villages qui se trouveroient k la téte de 1'armée et aux ailes, si le vent ne portoit pas la fumée dans. notre camp. S'il y avoit quelques bonnes maisons de maconnerie en avant du front, j'e les ferois garder par de l'infanterie, pour incommoder 1'ennemi pendant la bataille.    Pl.XI.   Ti e Frédehic II. 1'an. I, 22 1 II faut bien se garder de mettre les troupes dans un terrein oü elles ne puissent pas agir. Par cette raison notre position de Grotk.au en 1'année 1741 ne valoit rien, le centre et 1'aile gauche étant places derrière des marais impratioabJes. Il n'y avoit qu'une partie de 1'aile droite qui eüt un terrein libre pour manceuvrer. Villeroi fut battu a Ramillies , s'étant posté de la manière que je viens de dire. Son aile gauche lui fut absolument inutile, et 1'ennemi porta toutes ses forces contre 1'aile droite des Francois , qui n'y purent résister. Je permets que les troupes Prussiennes occupent, aussi bien que les autres , des postes avan. tageux , et s'en servent pour un mouvement, et pour tirer avantage de leur artillerie : mais il faut qu'elles quittent tout-d'un-coup ce poste, pour marcher fiérement a 1'ennemi , qui au-lieu d'attaquer, est attaqué lui-méme , et voit tout son proj'et renversé. Car tous les mouvemens que l'on fait en présence de son ennemi, sans qu'il s'y attende , font un très-bon effet. II faut compter ces sortes de batailles au nombre des meilleures. On y attaque touj'ours par 1'endroit le plus foible. Dans ces occasions j'e défendrois a mon in. fanterie de tirer; car cela ne fait que 1'arréter , et ce n'est pas le nombre des ennemis tués qui vous donne la victoire , mais le terrein que vous avez gagné. Le moyen Ie plus sur pour remporter la victoire , est de marcher fiérement et en ordre a 1'ennemi, et de gagnar touj'ours du terrein.  5;i2 Ikstiivctions Mtlitairïs Ln „sage recuest de donner quinze pas d'intervalle aux escadrons dans un terrein difficüe et coupé , au-lieu que dans un pays uni ils se Torment sur une ligne pleine. L'infanterie ne gardera pas d'autres intervalles que ceux qu'il faut pour le canon. II n'y a que dans les attaques des retranchemens , dans celles des batteries et des villages, et aussi dans les arrière-gardes de retraite , qu'on place Ia cavalerie et l'infanterie en échiquier, pour renforcer tout-d'un-coup la première bgne , en faisant entrer la seconde dans les intervalles dc la première , pour que les troupes puissent se replier sans désordre , et se soutenir les unes les autres. Ce qui est une règle qu'on doit touj'ours observer. L'occasion se présente ici de vous donner quelques régies principales sur ce que vous aurez a observer quand vous mettrez votre armée en bataille , dans quelque terrein que ce puisse étre. La première est de prendre des points de in, XI» vue pour les ailes ; que 1'aile droite , par exemple , s'alligne au clocher de N. N. II faut encore que le général ait grande attention a ce que ses troupes ne prenncnt pas une fausse position. II n'est pas toujours nécessaire d'aftendre qu<=toute 1'armée soit en bataille , pour commencei 1'allaque. L'occasion vous présente souvent des avanfages , que vous perdrez mal-a-propos en retardant d'en profiter. Cependant il faut qu'une bonne partie de 1'armée soit en bataille , et vous aurez particuliere-  de F r é d e j i c II. Part. T. 223 ment pour objetla première ligne , sur laquelle vous réglerez 1'ordre de bataille. Si les régimens de cette ligne ne sont pas tous présens , ils seront remplacés par d'autres de la seconde. Vous appuierez touj'ours vos ailes, ou au moins celles qui doivent faire les plus grands efforts. Les ordres de bataille en rase campagne doivent être par-tout également forts : car tous les mouvemens de 1'ennemi y étant libres , il pourroit bien se réserver un corps qu'il emploieroit;'» vous donner de la besogne. En cas que 1'une des deux ailes ne füt pas appuyée, Ie général qui commandé la seconde ligne , doit envoyer des dragons pour déborder la première ligne, sans en attendre 1'ordre; et les housards tirés de la troisième ligne vien dront déborder les dragons. La raison en est que si 1'cnnemi fait un mouvement pour prendre la cavalerie de la première ligne en liane , vos dragons et housards feront a leur tour la même chose a 1'ennemi. On verra dans la Planche XII que je fais pla- Pi. XI). «er trois bataillons dans 1'intervalle des deux de 1'aile gauche de mon infanterie; c'est pour mieux assurer cette aile. Car supposé que votre cavalerie füt battue , ces bataillons empêcheront toujours que l'infanterie ne soit entamée, comme nous en avons eu 1'exemple a Molwitz. Le général qui commandera la seconde ligne observera une distance de trois cents pas en tr'elle et la première , et s'il s'appercoit de quelques intervalles dans la première ligne , il y fera entrer des bataillons de la seconde.  h'STÜDCTIONS MlLlTAlRÊS Dans la plaine , il faut qu'il ait toujours derrière le centre des bataillons une réserve de cavalerie , qui doit être commandée par un officier de tête , puisqu'il faut qu'il agisse par luimême , soit en portant du secours a 1'aile qu'il verra en avoir besoin, soit en prenant en ilanc 1'ennemi qui poursuivra 1'aile mise en déroute , pour donnerpar-la le temps ala cavalerie de se rallier. La cavalerie attaquera au grand galop , et engagera 1'affaire. L'infanterie marchera a grands pas a 1'ennemi. Les commandans des bataillons auront attention de percer 1'ennemi, de 1'enfoncer , et de ne faire usage de leur feu que quand il aura tourné le dos. Si les soldats commencoient a tirer sans ordre , on leur feroit remettre leurs armes sur 1'épaule , et ils avanceroient sans s'arrêter. On fera des décharges par bataillon lorsque 1'ennemi commencera a plier. Une bataille en ■ gagée de cette facon serabientót décidée. Dans la PI. XIII est un nouvel ordre de bataille , différent des autres en ce qu'il y a des corps d'infanterie aux extrémités des ailes de la cavalerie. Les bataillons sont destinés a soutenir la cavalerie, et a fouetter au commencement de 1'affaire avec leurs canons , et celui des ailes de l'infanterie , la cavalerie ennemie , afin que Ia nótre ait plus beau jeu en allant 1'attaquer. Une autre raison est, que si votre aile a été battue , 1'ennemi n'oserala poursuivre, car il se mettrou; entre deux feux. Lorsque votre cavalerie , selon toute appa- rence , V      de Fréderic II. Part. t. 2^5» rence , sera victorieuse , cette infanterie s'approchera de celle de Pennend ; les bataillons qui sont dans les intervalles , feront un quart de conversion , et se mettront sur vos ailes , pour. dela prendre l'infanterie ennemie en queue et cn flanc : de sorte que vous en aurez meilleur marche. L'aile victorieuse de votre cavalerie ne laissera pas le temps a celle de lennemi de se ral1 ier , mais la poursuivra en ordre , et t&chera de la couper de son infanterie. Quand le désordre y sera général, le commandant de la cavalerie lachera après eux les housards , qu'il fera soutenir par la cavalerie, II détachera en méme temps des dragons du cóté du chemin que les fuyards de l'infanterie auront pris, pour les ra. masser , et pour faire un plus grand nombre de prisonniers , en leur coupant toute retraite. La différence de cet ordre de bataille aux autres est encore , que les escadrons de dragons, sont mêlés dans l'infanterie de la seconde ligne : ce que je fais, paree que dans toutes les affaires que nous avons eues avec les Autrichiens , j'ai remarqué que le feu de la mousqueterie ayant duré un quart-d'heure, leurs bataillons ont commencé a tourner autour de leurs drapeaux. Notre cavalerie enfonca a la bataille de HobenFriedberg plusieurs de ces tourbillons , et en fit beaucoup de prisonniers. Les dragons étant k portée , vous les détacherez tout de suite sur eux , et ils les écraseront sürement. On dira que je défends de tirer , et que dans toutes ces dispositions je n'ai pour objet que de Tomé I. P  325 ÏJM-STRUCTIOIÏS MlLITAIRES me servir de mon artillerie : je répondrai k cela que des deux choses que je suppose , il en arrivera une ; ou que mon infanterie tirera malgré la défense , ou qu'en obéissant a mes ordres, 1'ennemi commencera a plier. Dans 1'un et 1'autre cas, il faudra détacher la cavalerie contre lui, aussi-tót qu'on verra que la confusion se mettra dans ses troupes , qui étant attaquées d'un cóté par leurs flancs , pendant qu'on les charge de front , et voyant leur seconde ligne de cavalerie coupée par la queue , tomheront presque toutes en votre puissance. Ce ne sera pas alors une bataille , mais une destruction totale de vos ennemis , sur-tout s'il n'y a póint de défdé dans le voisinage, qui puisse protéger leur ftute. Je finirai cet article par une senle réflexion , c'est que si vous marchez en colonne a une bataille , soit par la droite , ou par la gauche , il faudra que les bataillons et les divisions se suivent de prés ; pour que vous puissiez promptement vous mettre en bataille , lorsque vous commencerez a vous déployer. Mais si vous marchez de front, les bataillons observeront bien leurs distances , afin qu'ils ne se serrent ni ne s'ouvrent trop. Je fais une distinction entre le gros canon et les pièces de campagne qui sont attachées aux bataillons. Le gros canon sera placé sur les hauteurs , et les petites pièces è cinquante pas en avant du front des bataillons. II faut que 1'un et 1'autre visent bien , et tirent de même. Quand on se sera approché a cinq cents pas  de Fréderic II. Part. I. dfai de lennemi , les petites pièces seront menées par des hommes, et resteront, pour continue' è tirer sans relaehe en avancant. Si lennemi commence a s'enfuir, le gros canon avancera , pour faire encore quelques décharges , et pour lui souhaiter bon voyage. 4 chaque pièce en première ligne, il faut nu'il y ait six canonniers et trois charpentiers des régimens. J'ai oublié de dire qu'a trois cent oinquante pas le canon commencera k tirer k cartouches. Mais k quoi servira 1'art de vaincre, si vous Ue savez pas profiter de votre avantage? Répandre le sang de ses soldats inutilement, c'est le mener inhumainement a la boucherie ; et ne pas poursuiyre 1'ennemi dans de certaines occasions , pour augmenter sa peur , ou faire plus de prisonniers , c'est remettre au hasard une affaire qui vient d'étre décidée. Cependant le défaut des subsistances et les grandes fatigues peuvent vous empêcher de poursuivre les vaincus. C'est la faute du général en chef quand il manque de vivres. Lorsqu'il donne une bataille , il a un dessein; et s'il a un dessein, il faut qu'il prépare tout ce qui est nécessaire pour 1'exécution ; par conséquent on aura soin d'avoir du pain ou du biscuit pour huit a dix jours. Pour les fatigues , si elles n'ont pas été trop excessives , il faudra dans des jours extraordinaires faire des choses extraordinaires. Après une victoire remportée , je veux qu'on fasse un détaehement des régimens qui ont lo P'a  2.2.8 Insthcctions Militaire* plus souffert; puis, qu'on ait soin des blesse's , et qu'on les fasse transporter aux hópitaux. qu'on aura déja établis. On commence par soigner ses blessés, sans oublier ce que l'on doit a 1'ennemi. En attendant, 1'armée poursuivra jusqu'au premier défilé 1'ennemi, qui dans la première consternation ne tiendra pas, pourvu qu'on ne lui donne pas le temps de respirer. Quand vous aurez pourvu a toutes choses, vous ferez marquer le camp ; mais il faut que cela se fasse dans les régies , sans se laisser endormir par la sécurité. Si la victoire a été compléte , on pourra faire des détachemens , soit pour couper la retraite k 1'ennemi, soit pour lui enlever ses magasins , ou pour assiéger trois ou quatre villes a la fois. Je ne puis donner que des régies générales sur cet article : il faudra se régler sur les événemens. Il ne faut jamais s'imaginer avoir tout fait, tant qu'il y a encore quelque chose a faire; et il ne faut pas croire non plus qu'un ennemi un peu habile manque de profiter de vos fautes» quoiqu'il ait été vaincu. Les régies qu'on a k observer dans un jour de bataille, sont les mêmes pour les petits combats entre les détachemens. Si les détachemens savent se ménager un petit secours , qui pendant le combat vienne les Joindre , 1'affaire se terminera ordinairement. en leur faveur ; car 1'ennemi voyant arriver du secours , le croira trois fois plus fort qu'il n'est, et perdra courage.  t, r. F a é r e a r e. II. Part. I. o.i§ Lorsque notre infanterie, n'a k faire qu'a des housards , elle se met quelquefois sur deux rangs , pour présenter un plus grand front, et pour faire ses décharges plus aisément. En général on fait bien de 1'honneur aux housards, quand on leur présente un corps d'infanterie sur deux rangs. Dans une bataille perdue le plus grand mal n'est pas la perte des hommes , mais le découragement des troupes qui s'ensuit. Car quatre ou cinq mille hommes de plus dans une armée de cinquante mille, ne sont pas une assez grande différence pour pouvoir découragef- Un général qui a été battu , doit tacher do revenir des facheuses impressions qui suivent la perte d'une bataille , et ranimer par sa bonne contenance 1'officier et le soldat. Il ne doit pas non plus augmenter ni diminuer sa perte. Je prie le Ciel que les Prussiens ne soient jamais battus; et j'ose dire que tant qu'ils seront bien menés, et bien disciplinés , ils n'auront jamais a craindre un tel revers. Mais en cas qu'un pareil désastre leur arrivat, vous observerez les régies suivantes pour réparer 1'affaire. Quand vous verrez que la bataille sera perdue sans ressource , el que vous ne pourrez plus veus opposer aux mouvemens de 1'ennemi, ni lui résister plus long-temps, vous prendrez la seconde ligne de l'infanterie ; et s'ily a un défilé k portée , vous le lui ferez garnir , selon la disposition que j'en ai donnée dans 1'article des retraites, et en y envoyant aussi autant de canon que vous le pourrez. P 3  üjö Instr it, t io n s Militaire? S'il n'y a point de défilé dans Ie voisinage , votre première ligne se retirera par les intervalles de Ia seconde , et se remettra en bataille a trois cents pas derrière elle. Vous ramasserez tout ce rpii vous restera de votre cavalerie , et si vous voulez, vous formerez un quarré, pour protéger votre retraite. Nous trouvons deux quarrés célèbres dans 1'histoire ; 1'un fait par le général de Schulembourg, après la bataille de Frauenstadt, au moyen duquel il se retira au-dela de 1'Oder, sans que Charles XII pütle forcer ; et celui du prince d'Anhalt, lorsque le général de Stirum perdit la première bataille de Hcechstastt. Ce prince tra versa une plaine de deux lieues, sans que la cavalerie Frantjoise osat 1'entainer. Je finirai par dire, que si l'on a été battu , il ne faui pas pour cela se retirer a quarante fieu'es , mais s'arrèter au premier poste avantageux qu'on trouvera, et y faire bonne contenance, pour remettre 1'armée , et pour calmer les esprits de ceux qui sont encore découragés. ARTICLE XXIII. Par quelle raison et comment il faut donner bataille. TjEs batailles décident le sort d'un État. II faut al.solurnent dans la guerre en venir a des actions décisives , soit pour se tirer de 1'embarras de la guerre, soit pour y mettre son ennemi, soit  de FrÈdericII. Part. I. ma1 «ncorepour terminer une querelle qui peut-étre ne finiroit jamais. Un homme sage ne fera aucun mouvement sans en avoir de bonnes raisons , et un général d'armée ne donnera jamais bataille , s'il n'a pas quelque dessein important. Lorsqu'il y sera forcé par 1'ennemi, ce sera sürement paree qu'il aura fait des fautes qui 1'obligent de recevoir la loi de son ennemi. On verra que dans cette occasion je ne fais pas mon éloge. Car des cinq batailles que mes troupes ont livrées a 1'ennemi, il n'y en a que trois que j'eusse préméditées : j'abété forcé a donner les autres. A celle de Molvvitz, les Autrichiens s'étoient mis entre mon armée et Wohlau, oü j'avois mon artillerie et mes vivres. A celle de Sorr , les ennemis me coupoient le chemin de Trautenau, de sorte que sans qouru' risque de perdre entiérement mon armée , je ne pouyois éviter de combattre. Mais qu'on examine la différence qu'il y a entre les batailles forcées, et celles qu'on a préméditées. Quel succès n'ont pas eu celles de Hohen-Friedberg et de Kesselsdorff ; et celle de Czaslau , qui nous procura la paix ! En donnant les régies pour les batailles, je ne soutiendrai pas que je n'aie manqué souvent par inadvertance ; mais il faut que mes officiers profitent de mes fautes , et qu'ils sachent que je m'appliquerai k men corriger. Quelquefois les deux armées ont envie de se battre ; alors 1'affaire est bientöt vidée. Les meilleures batailles sont celles qu'on force 1'ennemi de recevoir. Car c'est une règle P 4  a3a Instrtjctiows Milita ires constatée, qu'il faut obliger 1'ennemi k faire ce qu'u>'avoit pas envie de faire ; et comme votre intérêt est diamétralement opposé au sien, iï vous faut vouloir ce que lennemi ne veut pas. H y a plusieurs raisons pour lesquelles on donne bataille : c est, ou pour forcer 1'ennemi lever Ie siè§e d'une place qui vous seroit conVenable ; ou dans la vue de le chasser d'une province dont il s'est emparé ; ou de pénétrer dans son pays , ou de faire un siège ; ou de répnmer son opiniatreté , lorsqu'il refuse de faire *a pa,x ; ou enfin pour le chétier d'une faute. Vous obligerez encore 1'ennemi de combattre , quand vous viendrez par une marche forcée vous mettre sur ses derrières , et lui couper ses Communications ; ou quand vous menacerez une ville dont la conservation 1'intéresse. Mais vous vous garderez bien, en faisant ces sortes de manoeuvres, de vous mettre dans Ie méme inconvénient, ni de prendre une position par laquelle lennemi puisse vous couper d'avec vos magasins. Les affaires oü l'on risque le moins, sont celles qu'on entreprend contre les arrièregardes. Si vous avez ce dessein , vous vous camperez fort prés de 1'ennemi ,• et lorsqu'il voudra se retirer et passer des défilés en votre présence , vous attaquerez la queue de son armée. Dans ces affaires on gagne beaucoup. C'est encore la coutume de se harceler, pour empêcher les corps ennemis de" se joindre. Cette raison est assez valable ; mais un ennemi  n e FrèdericII. Part. I. '233 habile aura 1'adresse de vous échapper par une marche forcée, ou de prendre un poste avantageux. Quelquefois on n'a point intention d'engager une affaire , mais on y est invité presque par les fautes de 1'ennemi, dontil faut profiter pour le punir. A toutes ces maximes je j'oindrai encore que nos guerres doivent être courtes et vives ; puisqu'il n'est pas de notre intérêt de trainer Taffaire ; qu'une longue guerre rallentit insensiblement notre admirable discipline , et ne laisse pas de dépeupler notre pays , et d'épuiser nos ressources. Par cette raison les généraux qui commanderont des armées Prussiennes , tacheroat, quoiqu'heureux, de terminer 1'affaire promptement et avec prudence. II ne faut pas qu'ils pensent comme le maréchal de Luxembourg , è qui son fils disoit dans une des guerres de Flandre : II me parolt, mon père , que nohs pourrions prendre encore une ville. A quoi le maréchal répondit: Tais-toi, petit fou ; veux-tu que nous nous en retournions chez nous pour y planter des choux ? En un mot, en matière do batailles il faut suivre la maxime du Sannérib des Hébreux, qu'il vaut mieux qu'un homme périsse que tout un peuple. Pour ce qui est de chatier 1'ennemi de ses fautes , on n'a qu'a lire la relation de la bataille de Senef, ou le prince de Condé entama une affaire d'arrière-garde contre le prince d'Orange , oü le prince de Waldeck , qui avoit né-  jTj\ Instrtjctions Militaires gligé d'occuper la tête d'un défilé , pour facilitcr la retraite de son arrière-garde. Les relations de la bataille de... . gagnée par le maréchal de Luxembourg, et de celle de Raucoux, fourniront d'autres exemples. ARTICLE XXIV. Des hasards et des accidcns imprévus qui arrivent d la guerre. JE ferois un article bien long, si je voulois traiter de tous les accidens qui peuvent arri ver aun général dans la guerre. Je me retrancherai a dire qu'il y faut de 1'adresse et du boaheur. Les généraux sont plus k plaindre qu'on ne pense. Tout le monde les condamné sans les entendre. La gazette les exposé au jugement du plus vil public. Entre plusieurs milliers de personnes , il n'y en a peut-être pas une qui sache conduire le moindre détachement. Je n'entreprendrai pas de parler en faveur des généraux qui ont fait des fautes. Je sacrifio même ma campagne de 1744 > mais j"aj'oute , qu'avec plusieurs fautes , j'ai fait quelques bonnes expéditions , comme , par exemple , 1© siège de Prague, la retraite et la défense de Kolin ; et encore la retraite en Silésie. Je ne les toucherai plus. Je dirai seulement qu'il y a des év énemens malheureux, contre lesquels ni la prévoyance humaine, ni des réfiexions solides ne font rien. Comme je n'écris que pour mes généraux,  DE F n i d e k i c II. Part. I. 235 Je n'alléguerai ici d'autres exemples que ceux qui me sont arrivés. Lorsque nous fuhvés a Reichenbach , j'avois formé le dessein de gagner la rivière de la Neisse par une marche forcée , et de me mettre entre la ville de ce nom, et 1'armée du général de Neuperg , pour lui couper sa coinmunication. Toutes les dispositions furent faites pour cela , mais il survint une grosse pluie , qui rendit les chemins si impraticables, que notre avant-garde , qui menoitles pontons avec elle , ne put pas avancer. Pendant la marche de 1'armée, il fit un brouillard si épais, que les troupes qui avoient été de garde aux villages, s'égarèrent, de sorte qu'elles. ne purent plus retrouver leurs régimens. Tout alla si mal, qu'au-lieu d'arriver le nratin a quatre heures, comme j'e 1'avois projeté , on n'arriva qua midi. Il ne fut plus alors question d'une marche forcée , lennemi nous prévint, et détruisit mon projet. Si les maladies se mettent dans vos troupes pendant vos opérations , elles vous meneront k la défensive; comme il nous arriva en Bohème 1'année 1741, k cause de lamauvaise nourriture qu'on avoit fournie aux troupes, A la bataille de Hohen-Friedberg j'ordonnai k un de mes aides-de-camp d'aller dire au margrave Charles de se mettre , comme le plus ancien général, a la tête de ma seconde ligne; paree que le général Kalckstein avoit été détachéa 1'aile droite contre les Saxons. Cet aidede-camp fit un quiproquo , et porta ordre au margrave de former la seconde ligne de la pre«  ü36 In S tr ttct I ON S M IX t T aires mière. Je m'appercus Iieureusemcut de cett» méprise , et j'eus encore le temps de la réparer. On doit par conséquent étre toujours sur ses gardes , et songer qu'une commission^ mal exécutée peut gater une affaire. Si un général vient k tomber malade , ou qu'il soit tué a la tête d'un détachement d'importance , plusieurs de vos mesures en seront dérangées. Car il faut debonnes têtes et de bons généraux , qui aient de la valeur, pour agir offensivement. Le nombre en est petit; je n'en ai tout au plus que trois ou quatre dans mon armée. Si malgré toutes vos précautions 1 ennemi réussit a vous enlever quelque convoi, toutes vos mesures seront encore dérangées , vos projets renversés et suspendus. Si des raisons de guerre vous obligent de faire avec 1'armée des mouvemens en arrière, vos troupes en seront découragées. J'ai éte assez heureux pour n'en pas faire 1'expérience avec toute mon armée; mais j'ai remarqué , a la bataille de Molwitz, combien il faut de temps pour rassurer un corps qui a été décourage. Ma cavalerie étoit alors tellement déchue , qu'elle se croyoit menée a la boucherie; j'en fis de petits détachemens pour 1'aguérir , et la faire agir. Ce n'est que depuis la bataille de HohenFriedberg que commence 1'époque oü elle est devenue ce qu'elle auroit dü étre , et ce qu'elle est k présent. L'ennemi ayant découvert un espion d'importance que vous aurez dans son camp , vous perdrez la boussole sur laquelle vous yous étiez  h e F R'é ó E R i c II. Pfée pas a ce défauts. (Le Traducttur.)  238 Instructions Militaire? reconnoitre , ne doivent être regardés quo comme une précaution superflue ; il ne faut jamais s'y fier, mais en prendre d'autres plus solides et plus süres. La trahison dans une armée est le plus grand malheur de tous. Le prince Eugène fut en 1'année 1733 trahi par le général St. . ., que les Francois avoient corrompu. Je perdis Cosel par la trahison d'un officier de la garnison , qui déserta chez 1'ennemi , et 1'y mena. II s'ensuit enfin de tout ceci qu'il ne faut jamais , méme au milieu du honheur , se fier a la fortune , ni devenir orgueilleux dans les succès; mais songer toujours que le peu que vous aurez d'esprit et de prévoyance, n'est qu'un jeu du hasard, et d accidens imprévUs; par oü il plalt , k je ne sais quel destin , d'abaisser 1'orgueil des hommes pleins de présomption. ARTICLE XXV. S'il est absolument nécessaire qu'un Général d'année denne conseil de guerre. JLiE prince Eugène avoit coutume de dire qu'urt général qui avoit envie de ne rien entreprendre, n'avoit qu'a tenir conseil de guerre. Cela est 1'autant plus vrai, que les voix sont ordinaire:nent pour la négative. Le secret même , qui psi si nécessaire dans la guerre , n'y est pas observé. Un général k qui le souverain a confié sès faoupes, doit agir par lui-méme, et la confiaiiu  ï»e Frédekic Iï. Part. I. ?7>9 que le souverain a mise dans le mérite de ce général, 1'autorise a faire tout d'après ses lumières. Cependant je suis persuadé qu'un général, k qui même un officier subalterne donne un conseil, en doit proliter, puisqu'un vrai citoyen doit s'oublier lui-même, et ne regarder qu'au bien de 1'affaire , sans s'embarrasser si ce qui 1'y mène provient de lui, ou d'un autre, pourvu qu'il parvienne a ses fins. ARTICLE XXVI. Des manoeuvres d'une Armée. On verra par les maximes que j ai établies dans cet ouvrage , sur quoi roule la théorie des évolutions que j'ai introduites parmi mes troupes. L'objet de ces manoeuvres est de gagner du temps dans toute occasion, et de décidcr une affaire plus promptement qu'il n'a été dusage jusqu'a présent; et enfin de renverser 1'ennemi par les furieux chocs de notre cavalerie. Par cette impétuosité, le poltron est entrainé de facon qu'il est obligé de faire son devoir , aussi-bien que le brave homme. II n'y a aucun cavalier qui soit inutile. Tout dépend de la vivacité de 1'attaque. Je me flatte donc que tous les généraux . convaincus de la nécessité et de 1'avantage de la discipline , tacheront d'entretenir toujours la nótre , et de la perfectionner , tant en temps de guerre qu'en temps de paix.  a4 Instauctiöns Militair.es Je n'oublierai jamais ce que Végèce dans un certain enthousiasme nous dit des Piomains: Et a la fin la discipline romaine triompha des corps allemands, de la force des Gaulois, de la rus-e des Allemands, du grand nombre des Barbares, et subjugua tout 1'univers connu. Tant la prospérité d'un État est fondée sur la discipline de son armée. ARTICLE XXVII. Des Quartiers d'hiver. ILiOrsque la campagne est Unie , on songe aux quartiers d'hiver. On en fait 1'arrangement selon les circonstances oii l'on se trouve. On commence par faire la chaine des troupes qui couvriront les quartiers. Les chaines se formeront de trois manières : ou derrière une rivière, ou k la faveur des postes défendus par des montagnes , ou sous la protection de quelques villes fortifiées. Dans 1'hiver de 1741 a 1742 le corps de mes troupes qui avoit des quartiers d'hiver en Bohème , prit les siens derrière 1'Elbe. La chaine qui les couvroit, commencoit k Brandeis, et allant par Nienbourg, Kolin, Bodiebrod et Pardubitz , se terminoit a Kcenigingrtetz. J'ajouterai ici qu'il ne faut jamais se fier aux rivières,puisqu'on peut les passer par-tout lors- qu'elles sont gelées. Vous aurez la précaution de mettre des housards dans tous les endroits de la chaine, pour être attentifs k tous les mouYemens  i> e F ti v. b e iv i c II. Part. I. &.\ i Vemens de rennemi. Ils feront des patrouilles fréquentes en avant, pour sav oir si 1'euuemi est tranquille, ou s'il fait assembier des troupes. II faut encore que de distance en distance , outre la chaine de l'infanterie , il y ait des brigades de cavalerie et d'infanterie , pour être prêtes a donner du secours par-tout oü l'on en aura besoin. Dans 1'hiver de 1744 >tL 174^ nous formames la chaine dé nos quartiers tout le long des montagnes qui séparent la Silésie de la Bohème, et nous gardames exactement les frontières de nos quartiers , pour étre en repos. Le lieutenant - général de Truchsès avoit ;t observer le front de la Lusace jusqu'au cointe de Glatz , la ville de Sagan, et les postes de Schmiedeberg a Friedland. Ce dernier endroit étoit fortifié par des redoutes. II y ent encore quelques autres petits postes retranchés sur les chemins de Scbazlar , Liebau et Silberberg. Le général de Truchsès s'étoit ménagé une réserve, pour soutenir le premier de ces postes qui viendroit a étre insulté par 1'ennemi. Tous les détachemens étoient couverts par les abatis faits dans les bois ; et tous les chemins menant en Bohème, avoient été rendus impraticables. Chaque poste avoit ses housards, pour reconnoitre. Le général Lehwald couvroit le comté de Glatz par un pareil détachement, et avec la même précaution. Ces deux généraux se prêtoient la main , de sorte que si les Autrichiens avoient marché contre le général de Truchsès Terne I, Q  2^2 INSTRüCTIÓNS MttlfATRES Ie général Lehwald entroit en Bohème, potif prendre 1'ennemi en queue , et récigroquement 1'autre. Les villes de Troppau et de Jaegerndorff. étoient nos têtes dans Ia haute Silésie, et la communication étoit par Ziegenhals et Patschkau & Glatz , et par Neustadt a Neisse. J'avertirai ici qu'il ne faut jamais se fier aux montagnes , mais se souvenir toujours du prover be qui dit: Quepar-tout oü passé une chevre, un soldat passera. Pour ce qui concerne les chalnes des quartiers qui sont soutenus 'par des forteresses , je vou* renverrai aux quartiers d'hiver du maréchal de Saxe. Ils sont les meilleurs , mais on n'a pas ] u n'v avoit que deux régimens Autrichiens en Silésie. Ayant résolu de faire valoir d«s droits de ma maison sur ce duché, je fus obligé de faire la guerre en hiver , pour profiter de tout ce qui me pouvoit étre avantageux, et por ter le théatre de la guerre sur la Neissc.  » e F k t d e ii ic II. Part. I. 247 Si j'avois pris le parti d'attendre le printemps, nous aurions établi la guerre entre Crosben et Glogau, et nous n'aurions emportéqu'après trois ou quatre campagnes difficiles, ce que nous gagnames par une simple marche. Cett* raison étoit k mon avis assez valable. Si je n'ai pas réussi dans la campagne d'hiver de 1742, que je fis pour dégager les pays de 1'électeur de Bavière, c'étoit que les Francois y agissoient en étourdis et les Saxons en traitres, L'hiver de 1745 a 1746 je fis ma troisième campagne d'hiver , paree que les Autrichiens ayant envahi la Silésie, je fus obligé de les en chasser. Dès le commencement de l'hiver 1745 a 1746, les Autrichiens et les Saxons voulurent faire une irruption dans mes pays héréditaires, pour mettre tout k feu et a sang ; j'agis alors selon mon principe, et je les prévins. Je fis aumilieu de l'hiver la guerre , dans le cceur de leur pays. Si de pareilles circonstances venoient se présenter encore , je n'hésiterois pas de prendre le même parti, et j'approuverois la conduite de mes généraux qui suivroient mon exemple. Mais sans cela je bldmerai toujours ceux qui inconsidérément entreprendront des guerres d'hiver. Pour ce qui regarde le détail de ces campagnes d'hiver, il faudra toujours faire marcher les troupes dans des cantonnemens bien serrés, et loger dans un village deux k trois régimens de cavalerie , mêlés même d'infanterie, s'il peut les recevoir. On fait quelquefois entrer toute l'infanterie dans une méme ville ; comme Ie Q 4  248 INSTRTTCTÏON S MlLITAlRES prince d'Anhalt fit a Torgau , Eulenbourg . Meissen , et deux ou trois autres petites villes en Saxe , dont je ne puis plus me rappeller les noms: après quoi il vint se camner. Lorsqu'on s'approchera de lennemi, on assignera des rendez-vous aux troupes, et on marchera sur plusieurs colonnes comme k 1'ordinaire ; et quand on en viendra au mouvement décisif pour 1'affaire, c'est-a-dire, a enfoncer les quartiers de lennemi, ou k marcher a lui, pour le combattre, on camperaen bataille, les troupes restant a la belle étoile. Chaque compagnie albimera alors un grand feu , pour y passer la nuit. Mais comme ces sortes de fatigues sont trop violentes, pour que l'homme puisse y résister a la longue , tous emploierez dans ces entreprises toute la célérité possible. II ne faut point cnvisager le danger, et ne pas balancer, mais prendre une vive résolution, et lasoutenir avec fermeté. On doit se garder d'entreprendre une campagne d'hiver dans un pays hérissé de places fortes. Car la saison ne vous permettra pas de faire le siège des grandes forteresses, que l'on ne peut emporter par surprise ; qu'on soit persuadé d'avance qu'un tel projet échouera, puisqu'il est impossible a exécuter. Si on a le choix , il faudra donner aux troupes pendant l'hiver au tant de repos que faire se pourra, et bien employer ce temps a rétablir 1'armée, afin qu'on puisse au printemps suivant prévenir 1'ennemi a 1'ouverture de la campagne. Ce sontda a-peu-près les principales régies  Ti U FREDERIC II. Part. L 249 des grandes manoeuvres de guerre , dont j'ai détaillé les maximes autant qu'il m'a été possible. Je me suis particuliérement appliqué a rendre les choses claires et intelligibles ; mais si par hasard vous doutiez de quelques articles , vous me feriez plaisir de me les communiquer, afin que je puisse plus amplement déduire mes raisons , ou me conforiner k votre sentiment, s il est meilleur. Le peu d'expérience que j'ai acquis dans la guerre, m'a appris qu'on ne peut pas appro'fondir entiérement cet art, et qu'en 1'étudiant avec application , on y découvrira toujours quelque chose de nouveau. 1 Je ne croirai pas avoir mal employé mon temps , si cet ouvrage peut exciter dans mes officiers le désir de méditer sur un métier qui leur ouvrira la plus brillante carrière , pour acquérir de la gloire, pour tirer leurs noms de 1'oubli, et pour se faire par leurs actions une réputation immortelle.   INSTRUCTIONS MILITAIRES D E FRÉDERIC II POUR SES GÉNÉRAUX, SECONDE PARTIE.   INSTRUCTIONS MILITAIRES D E FRÉDERIC IJ. DES MARCHES D'ARMÉES. De ce qu'il faut observer pour les Marches d'une Armée. Vo us voulez savoir quels principes il faut suivie pour bien régler les marches des armées. Cette matière est très-étendue, et demande par conséquent une infinité de détails , selon le but qu'on se propose en marchant, selon la nature du pays oü l'on fait la guerre , selon 1'éloignement ou la proximité de 1'ennemi, selon la saison oü l'on fait ces opérations : il y a marche en cantonnemens, il y a marche en colonnes , marches de nuit, marches de jour : mouvemens d'armée , ou mouvemens de corps détachés. Chacun de ces genres demande des attentions différentes. La chose essentielle pour bien régler ces marches, c'est d'avoir une connoissance aussi étendue et aussi exacte que possible du pays oü l'on veut agir, paree que 1'homme habiïe, le guerrier entendu , fait ses dispositions selon le terrein ; il faut qu'il les assujettisse au lucal ; car jamais le terrein ne se pliera a des  a54 Instructions Militais.es. dispositions qui ne lui sont pas convenables*. Cette connoissance est donc la base dé tout ce» que l'on peut entreprendre k la guerre ; sans elle le hasard décide de tout. Pour traiter cette matière avec qtielqu'ordre, je suivrai , dans cet Essai, le train ordinaire des marches qui se font en campagne. Après la déclaratiön de guerre entre les puissances belligérantes , chacun rassemble sé> troupes pour former des armées , et cette réu-' nion se fait par marches de cantonnemens. Des Marches en canbonneménti I«e Règle; On ruine les troupes qui sortent d'un long repos , si on leur fait faire d'abord des marches trop fortes. Elles ne doivent fairé tout au plus „ les premiers jours, que trois milles d'Allemagne. II. On forme des colonnes dés tröupes de différentés provinces , qui marchént en large autant que possible, pour que chaque bataillon , öu chaque régiment, puisse avoir son village, ou sa pétite ville, pour pernocter. II faut connoltre la force des villagés pour faire , seloti leurs habitations, la distribution des troupes. Si ces marches se font au printemps, oü avant la récolte, On se sert des grangés pour y mettre les soldats , et alors Un village médiocre peut sans difficulté contenir un bataillon. Après trois jours de marche , il faut un jour de repos. III. Dès que l'on entre en pays ennemi , il  »e Frïbkric II. Part. II. 253 jaut que le général forme une avant-garde qui campe, et qu'il pousse en avant, pour qu'elle précède d'une marche 1'armée , pour lui donner des nouvelles de tout, et pour qu'au cas que 1'ennemi soit rassemblé , on ait le temps d« réunir ses troupes et de les former en corps d'armée. IV. Si l'on est éloigné de 1'ennemi, l'on peut continuer de cantonner , mais en resserrant les troupes de plus prés, en les cantonnant par lignes et en ordre de bataille. A trois marches de 1'ennemi il faut camper dans les régies, et marcher dans 1'ordre accoutumé. V. On risqueroit trop en se séparant; 1'ennemi profiteroit de cette négligence, tomberoit sur vos troupes , vous enleveroit des quartiers , et peut-étre , s'il agissoit avec vivacité , il pourroit vous battre en détail, et dés le commencement de la campagne vous obliger a prendre honteusement la fuite , ce qui perdroit entiéreinent vos affaires. Be ce qu'on doit observer dans les Marches qii'on fait en avant. Ièrc Règle. Le général doit avoir un pröjet arréfté de ses opérations ; il aura donc désigné un endroit avantageux oü il veut s'avancer pour prendre son camp. II faut alors qu'on fasse reconnoitre tous les chemins pour régler les colonnes : mais  2^6 Instructions Militaires on ne fera pas plus de cöïonnes que de chemins qui aboutissent au nouv eau camp que l'on reut prendre : car ces chemins que l'on est obligé de quitter, pour que cette colonne aille serrer la queue d'une autre , ne font point gagner de temps et donnent lieu a la confusion. II. On observera sur-tout de se détourner des villages , pour qu'aucune colonne n'y passé , a moins que des marais n'empéchent absciument de prendre d'autres chemins, ou que dans ces villages il ne se trouve des ponts qu'il faille nécessairement passer. Si c'est un pays de plaine , 1'armée pourra marcher sur huit colonnes , deux de cavalerie aux ailes , et six d'infanterie au centre. III. L'armée doit touj'ours être précédée d'une bonne avant-garde ; plus forte en cavalerie , si c'est un terrein uni ; plus forte en infanterie , si c'est un terrein coupé. Cette avanh garde doit précéder l'armée d'un quart de mille , pour 1'avertir de tout, et pour fouiller et nettoyer le terrein par ou elle doit passer. IV. Le bagage doit être a la suite de l'armée , distribué en parties égales derrière les six colonnes d'infanterie; et 1'arrière-garde doit le couvrir en suivant les colonnes de cavalerie , et en laissant un corps qui suitles équipages. Ce sont-la les régies ordinaires que l'on pratique généralement. dam les grands mouvemens des armées.  r» e Frkdehic II. Part. II. 207 T>es Campemens vis-a-vis de Vennemi , oü l'on marche par sa droite ou par sa gauche. XjEs marches qui se font proche de 1'ennemi sont les plus difficiles, et demandent le plus de précaution ; car en supposant qu'un ennemi actif voulüt profiter du décampement, il faut tout prévoir , pour n'être pas battu en marche. Nous traiterons premiérement des marches qui. se font par la droite ou par la gauche. Ière. Règle. On doit, avant de les entreprendre , envoyer des officiers du quartier-général reconnoitre les lieux et les chemins avec de petites patrouilles , ainsi que le camp qu'on veut prendre, le nombre des colonnes dont on pourroit faire usage , et sur-tout les postes qu'on pourra occuper en marche, supposé que 1'ennemi vicnne attaquer l'armée. C'est sur ces notions bien exactement détaillées que la disposition doit se faire. II. On renverra d'avance en arrière le gros bagage, a deux milles derrière le camp qu'on voudra prendre. Ce bagage doit marcher sur au tant de colonnes que le terrein en pourra fournir. Supposons donc qu'on veuille prendre une position vers la gauche de 1'ennemi. III. Dèsdors on doit envoyer la veille de la marche, dès qu'il fait obscur, pour occuper les endroits les plus considérables , postes que l'on pourroit prendre en marche , en cas que l'on füt attaqué : ces corps doivent s'y former Tume I. Fl  a5S Instructions Militaire» selon les régies, et ne les abandonner que Iors *' que l'armée les a passés ; ils seront donc tous mis sur la droite , entre lennemi et les colonnes dont ils font 1'arrière-garde , si tout se passé tranquillement. IV. Quelque nombre de chemins qu'd y ait, l'armée ne marchera que sur deux lignes par sa <*auche ; et tout ce qu'on pourra trouver de chemins d'ailleurs sur la gauche , seront pour le menu bagage et les chevaux de bat. On met tous ces chevaux de cóté en pareine occasion , pour se dégager de cet embarras , qui pourroit don, ner Heu k la confusion , au cas que l'armée fut obligée de combattre. V Si 1'ennemi veut engager une affaire , la première ligne va d'abord occuper le poste oü se tiennent les détachemens qui la couvrent, la seconde ligne les suit: tout se forme. La cavalerie se trouve sur les ailes , oii l'on peut la laisser ou selon les occurrences en former une troisième ligne. Les corps détachés forment des réserves , ou sont placés sur les flancs de 1 armée ou derrière la seconde ligne , soit vers la droite , soit vers la gauche , a 1'endroit oh 1 on iuge qu'on en pourra avoir besoin. Dès-lors on se trouve dans une situation k ne rien craindre de 1'ennemi , et k pouvoir même remporter une Victoire sur lui. Si rien n'interrompt la marche, ces corps détachés forment ensuite 1'arrière«rarde, les troupes entrent dans leur camp , et Jon y fait venir le gros bagage avec süreté. La même chose doit s'observer si l'on marche pa» sa droite.  t)e FrédericII. Part. II. D'une Marche en arrière, en présence de l'en- nemi. Ière Règle. OI l'on veut se retirer de devant 1'ennemi s voici ce qu'il faut observer : se débarrasser d'avance de tout Ie gros bagage, que l'on envoie en arrière dans le camp que l'on veut prendre : il faut que tout celaparte de bonne heure, pour dégager le chemin des colonnes, afin que les troupes ne trouvent aucun empèchement dans leur marche. II. Si l'on craint que 1'ennemi ne veuille engager une affaire d'arrière-garde , il faut faire autant de colonnes que possible , pour que l'armée sorte en masse de son camp, et que par sa vitesse elle empêche lennemi de 1'atteindre. Quand méme alors , dans la suite de la marche \ deux colonnes seroient obligées de se rejoindre en certain lieu , il ne faudroit y faire aucune attention , paree que Ia chose principale est de s eloigner vite pour éviter tout engagement. III. L'armée formera une grosse arrière-garde qui sera placée de facon qu'elle puisse eouvrir !a marche des colonnes. On peut même décamper avant le jour, pour qu'a 1'aube 1'arrièregarde même soit déja éloignée du camp. II faut que quelques bataillons et quelques escadrons des queues des colonnes soient destinés k se former , soit derrière des défilés , soit sur des hauteurs , soit auprès des forêts , pour protéger . R ^  260 INS TRUCTIONS MlLITAIRES 1'arrière-garde et assurer sa retraite. Ces pré* cautions ralentissent bien la marche , mais elles en procurent la süreté, Si le prince d'Orange avoit suivi cette méthode lorsqu'il se retira de Senef, il n'auroit pas été battu par le prince de Condé. Cela nous apprend a ne nous jamais écarter des régies , et a les suivre a la rigueur dans toutes les occasions , pour étre sürs de n'être pas pris au dépourvu. IV. Si 1'ennemi attaque vivement 1'arrièregarde, l'armée doit faire halte , et s'il est nécessaire même , prendre une position pour soutenir et retirer k soi cette arrière-garde , S! elle se trouvoit avoir besoin d'une telle assistance. Si rien ne fincr^te , l'armée poursmt son chemin , et va se camper a 1'endroit qui lui a été marqué. Des Marches pour attaquer un ennemi. La première chose k laquelle il faut faire réflexion , c'est la position de 1'ennemi. La disposition de 1'attaque doit avoir été faite après avoir reconnu la situation de son camp et de sa défense. L'ordre de la marche doit étre régie sur le projet qu'on a de former ses attaques, et sur 1'aile avec laquelle on se propose d'agir, et sur celle qu'on veut refuser, Le gros bagage doit avoir été d'avance renvoyé en arrière pour se dêfaire de cet embarras, et le menu bagage doit suivre l'armée couvert d'une légère escorte , si l'on ne peutle laisser dans le camp , ce qui yau-  n e FrédericII. Part. II. 261 droit mieux. Si le camp de 1'ennemi est situé de facon que pour 1'attaquer il faille marcher par la droite ou par la gauche , votre armée ne doit former que trois colonnes, 1'une de la première ligne , 1'autre de la seconde ligne , et la troisième de la réserve ; les chevaux de bit feront la quatrième et la cinquième. S'il faut s'avancer directement contre 1'endroit que vous vouïez attaquer, vous aurez une forte avantgarde , qui ne précédera l'armée que d'un petit quart de mille. Vous vous formerez sur autant de colonnes que vous avez de routes qui arrivent sur les lieux ou vous voudrez vous former ; les aides-majors ayant marqué les distances , pourront se former selon la disposition que le général aura donnée pour 1'attaque. Si vous battez 1'ennemi, vous n'avez pas besoin de chemins préparés pour la poursuite , vous n'avez qu'a le suivre par les chemins que sa fuite vous indique. Si vous êtes repoussé , n'ayant attaqué qu'avec nne aile , 1'autre aile, qui est encore entière, doit couvrir la, retraite et servir d'arrière-garde, et vous pouvez retourner a votre ancien camp par les mêmes routes qui vous ont mené a 1'ennemi. Des Marches de nuit.. Si la situation et les conjonctures ou vous vous trouvez , exigent que vous fassiez une marche de nuit, voici les choses principales qu'il faut observer. R 3  3ö3 Instructions Militaires Ière. Règle. Faire bien reconnoitre les chemins d'avanee par ceux qui doivent mener les colonnes , pour les empècher de s'égarer dans 1'obscurité, et sur-tout pour qu'il n'arrive pas que les colonnes se croisent, ce qui pourroit donner lieu a la plus grande confusion. II. Envoyer de temps en temps des aides-decamp d'une colonne a 1'autre , pour s'avertir réciproquement. III. Ensuite se placer dans la nouvelle position le mieux que l'on peut, en observant, autant que la nuit le permet, le terrein, et les avantages qu'on en peut tirer. IV. Pour que 1'ennemi ne •s'appercoive pas du décampement, on laisse , dans le camp qu'on quitte , les feux allumés , et quelques housards , qui crient qui vive , et se retirent tous a un signal convenu qu'on leur donne, lorsque 1'armée est a 1'abri d'attaque, Des Marches de nuit pour des surprises, Il arrivé quelquefois que pour couvrir ses derrières , 1'ennemi hasarde des détachemens, soit sur sa droite ou sur sa gauche , qu'il peut étre important de détruire pour exécuter par ce dé' butde plus grands projets ; si on veut surprendre ces corps , il faut sans doute y marcher de nuit , et voici ce qu'il faut observer : De n'y pas marcher sur trop de colonnes , crainte de confusion. De n'av oir devant chaque i 1  is e F n £ d e n i c II. Part. II. a63 colonne qu'une vingtaine de housards , simplement pour avertir. D'observer le plus grand silence en chemin. Dès qu'on donne sur les troupes légères qui sont en avant, de tout brusquer, de hater même le pas pour arri ver promptementsur le corps principal qu'on s'est proposé de défaire. De ne connoitre en ce moment que 1'audace , paree que le succès dépend de la promptitude de l'exécution , et qu'il faut avoir achevé sa besogne , avant que l'armée de 1'ennemi puisse arriver pour secourir ce corps détaché. Si le coup manque , il faut vous retirer tout de suite , ou vers un bois , ou par quelque terrein difficile , a 1'abri duquel vous puissiez regagner le gros de votre armée. Dans une pareille échauffourée il faut totit détruire sur la place , mais se bien garder de la poursuite , paree que ce corps battu doit s'attendre a des secours de l'armée principale , et que l'on pourroit perdre, en poursuivant trop chaudement, ce qu'on a gagné par la surprise de ce corps. Des Marches dans les Pays montueux. On trouve peu de chemins dans les pays remplis de montagnes. On est heureux lorsque pour chaque marche on en trouve trois , dont deux sont pour les colonnes , le troisième pour le bagage. S'il n'y en a que deux, le bagage partagé suit ces deux colonnes , couvert d'une bonne arrière-garde. En supposant donc qu'il n'y a que daux chemins, chaque colonne doit être pré b 4  264 Instrtjctioïts Militaires' cédée de son avant-garde , qui doit être composée , en grande partie , d'infanterie , et de quelques centaines de housards pour battre 1'estrade. Si l'on n'est qu'a deux marches de 1'ennemi , il faut que la marche se fasse sans la moindre négligence, et toujours en règle , c'estA-dire , l'avant-garde , si elle trouve des défilés , doit garnir les hauteurs des deux cóté/ j'usqu a 1'arrivée de l'armée , et alors reprendre les devans , pour couvrir par sa position les nouveaux défilés qui se trouvent sur les chemins , ou garnir le= hauteurs d'ou lennemi, s'il s'en emparoit le premier , pourroit incommoder la marcheL'infanterie doit avoir des patrouilles d'infanterie qui 1'escortent et dont les petits détachemens tiennenttouionrslacrêtedeshauteurs. Ces précautions assurent la marche ; et si l'on ne se relache pas la-dessus , elles mettent 1'ennemi dans Fimpossibilité de rien entreprendre. Si 1'on peut, l'avant-garde et 1'arrière-garde doivent se changer tous les j'ours, pour ne pas trop fatiguer les troupes. Il faut de même , s'il y a des bois prés des chemins oii les colonnes passent, y poster d'avance de l'infanterie , pour prévenir 1'ennemi , et occuper avant lui tous les lieux avantageux d'ou il pourroit inquiéter la marche des troupes. Si 1'ennemi est plus éloigné , l'on marche, j'e veux dire avec les avant-gardes ec les arrière-gardes ; mais l'on ne fatigue pas les troupes a occuper des postes oü l'on est sur que personne ne peut venir.  de Fréderic II. Part. II. 265 Des Retraites dans les Montagncs. ILiEs montagnes fournissent de grands secours a ceux qui sont obligés de se re tirer, paree que par-tout on y trouve des postes : cela fait même que 1'arrière-garde peut toujours se replier sur des troupes bien postées pour la soutenir. Dans ces occasions , il faut profiter du moindre monticule, afin que 1'arrière-garde se retire toujours sur des corps qui la protègent, jusqu'a ce que l'on gagne un bon défilé , qu'on occupe selon Ia méthode que j en ai donnée, et qui barrant 1'ennemi, 1'empêche de poursuivre plus loin. C'est Ia cavalerie qui dans ces cas embarrasse le plus; on doit , dans de pareils terreins, faire en sorte qu'elle passé toujours les défilés avant l'infanterie , pour lui procurer de la süreté dans un pays oü elle ne peut agir. Je ne répète point ce que j'ai déja dit, que dans toutes les retraites le bagage doit avoir pris les devans. C'en est bien assez que l'armée se soutienne contre 1'ennemi dans ces sortes de manoeuvres , sans qu'elle ait encore 1'embarras des chariots , dans des chemins creux, et dans des défilés , oü elle doit pouvoir agir lestement et sans contrainte. Des Marches sur des Digues par des pays marêcageux. XjA Hollande, et la Flandre qui avoisine plus a I'océan, sont les pays qui fournissent le plus  a6'? Imstrü ctions Militair es de ces sortes de digues. Nous en avons quelques-unes le long de 1'Oder et de la Warthe : il y en a beaucoup en Lombardie , et qui sont bordées oucoupées par. des navilles. Dans ces paysIa une armée ne peut marcher que sur le nombre dc digues qui aboutissent al'endroit ou elle veut se rendre. Le maréchal de Saxe , lorsqu'il quitta les environs de Malines et d'Anvers ; pour diriger sa marche par Tongres sur Maéstricht, fut obligé de se servir de la grande chaussée ou toute son armée marcha sur une colonne pour aller se battre avec les alliés a Lawfelt; mais le corps de M. d'Etrées étoit a Tongres , qui couvroit sa marche , et tenoit le débouché de la chaussée. Dans des cas semblables, il faut se contenter des ehaussées que l'on trouve sous sa main. Le général doit avoir une petite avant-garde d'infanterie devant chaque colonne , pour étre averti des mouvemens de 1'ennemi et de son approche. II faut qu'a la tête de chaque colonne il ait quelques ponts de colonne , pour pouvoir, en cas que 1'ennemi approche, lesjeter sur les navilles qui bordent la digue , et lui présenter un front eapable de repousser son attaque. Dans ces sortes de terreins , oü la cavalerie est entiérement inutile , elle doit suivre les colonnes d'infanterie , paree qu'on ne peut 1'employer que lorsque sorti de ces ehaussées on arrivé dans un pays moins coupé. Si l'on peut prévoir que l'on aura de pareilles marches a faire , il faut de nécessité pousser un corps au-dela de ces ehaussées , pour couvrir l'armée , et 1'empêcher d'étre attaqué» duns un terrein oü difncilement elle pourroit  p v. F a é d e b. i c II. Part, IT. 267 eombattre. S'il est possible d'éviter de pareilles digues, füt-ce méme en faisant un détour de quelques milles , je conseillerois de prendre ce dernier parti; car si 1'ennemi est leste et entendu , et qu'il gagne la tête de ces ehaussées en y placant du canon, il peut enfiler vos colonnes, et vous causer des pertes considérables, sans que dans ce terrein coupé vous puissiez lui rendre le mal qu'il vous fait. Des Marches dans les saisons du Printemps et dé l'Automne, oü les chemins sont les plus gdtés. Deux raisons obligent d'abréger les marches dans ces saisons , les mauvais chemins rompus et remplis de boue, et la courte durée des jours. Une armée ne peut faire que trois milles par jour. La peine de faire passer 1'artillerie et le bagage par Ia fange , absorbe un temps considérable, et l'on fatigueroit trop d'hommes et de chevaux , si l'on faisoit de plus fortes traites. Si l'on trouve de meilleurs chemins , mais un peu plus détournés que ceux qui sont directs , il faut les choisir par préférence , et partager 1'artillerie derrière la colonne qui passé sur le terrein le jdus ferme. Si ce sont des détachemens que l'on envoie , pour quelque dessein , a quelque distance de l'armée , on aura la prévoyance de ne leur point donner des pièces de douze livres; celles de six leur seront suffisantes; encore auront-ils bien de la peine a les trainer avec leur munition , e" tont 1'attirail nécessaire.  sG8 InstructioxsMilitair.es Des Marches qui cachent un dessein qui ne se manifeste que par la jonction de l'armée } d ïouverture de la campagne. Jï/Tudiez la marche que le maréchal de Sax© fit faire k son armée pour former , 1'année 1746 > 1'investissement de Maëstricht; repassez les manoeuvres que le maréchal de Saxe fit faire k un corps de ses troupes pour assiéger Bruxelles ; relisez les dispositions du maréchal de Turenne pour rassembler en Lorraine son armée , avec laquelle il fondit ensuite par Thann et Béfort surPAlsace, et chassa les alliés de Colmar; suivez le prince Eugène dans sa marche vers Turin, ou il attaqua et forca les retranchemens des Francois. Quelque chose de moins parfait, mais dans ce genre, ce fut la marche de nos troupes , . 1'année 1757 , de la Saxe , de la Lusace , et de la Silésie, pour se joindre a Prague. Ces sortes de projets veulent être étudiés , et si bien combinés , que tout joue comme les ressorts d'une montre , et que parles différens mouvemens des troupes 1'ennemi ne puisse pas deviner quel est le véritable dessein du général qui agit. Pour former et pour exécuter de semblables desseins, il faut bien connoitre le pays ou l'on se propose d'opérer, combiner les marches des différens corps , pour qu'aucun d'eux n'arrive ni trop tót ni trop tard , afin que ces mouvemens si subits et si décisifs étonnent et embarrassent lennemi, et lui fassent commettre des fautes. Il faut  de FrÉdefiic II. Tart. II. 269 fl vouer qu'il peut arriver , avec quelque soin que l'on ait calculé ces marches , qu'une de ces colonnes rencontre un corps de 1'ennemi , et soit obligée de s'engager avec lui, ce qui doit naturellement la retarder ; mais ces sortes de cas forfaits sont impossibles a prévoir , et ne renVérseront pourtant jamais le projet que l'on avoit formé. II est superflu de dire que ces sortes de marches, si c'est en été , doivent se faire en campant, et non en cantonnant. Des Marches de corps qui vont d'une armee it Vautre pour y porter des secours. CjEs sortes de marches peuvent se faire en cantonnement, paree que l'armée que vous quittez , vous couvre ; paree que vous irez beaucoup plus vite en cantonnant qu'en marchanten colonne; paree que vous ménagerez vos subsistances. Des troupes qui marchent en colonnes , ne feront tout au plus que quatre milles par jour; celles qui vont par cantonnement, en pourront faire cinq, et être moins fatiguées que les autres. Quand vous approchez de l'armée que vous voulez joindre, marchez en colonne, et campez, pour plus de süreté ; les deux dernières marches ; et s'il se peut, dérobez votre jonction a lennemi, afin qu'il soit plus surpris en 1'apprenant, et que cela vous facilite le moyen de lui porter quelque coup décisif. Voila comme nous avons fait toutes ces marches de jonction durant la dernière guerre.  s^o Insthüotions Mtlitaires Des Marches pour eutrer dans les quartiers d'hiver. Lorsque la saison assez avancée ne permet plus de tenir Ia campagne, il faut penser a donner du repos aux troupes dans des quartiers d'hiver. On commence par régler Ie cordon qui doit couvrir ces quartiers , oü l'on place le nombre des troupes destinées a cet emploi. Le reste de l'armée entre en cantonnement resserré par lignes ; et a mesure que 1'ennemi se retire en arrière , on en fait autant de son cóté , en élargissant les troupes a mesure qu'elles se retirent, et leur faisant, pour leur commodité, occuper plusieurs villages, jusqu'a ce qu'elles arri vent dans les quartiers qui leur sont destinés , oü elles doivent être au large. II y a une autre facon de prendre des quartiers avec les troupes > qui est de leur donner pour lieu de ralliement le point central de leurs quartiers , oü ceux qui ont occupé les extrêmités , arrivent tous en même temps au lieu oü l'on s'est proposé de former l'armée. Dans de telles dispositions , il faut qti'en entrant dans les quartiers, chaque régiment ait la route qu'il doit tenir pour se joindre k sa brigade , et que chaque brigade, de méme , ait sa route prescrite pour joindre i'arniée par Ie plus court.  6! Frïberic TT. Part. II. Des Marches et des Campagnes d'hiver. Ce s sortes d'expéditions demandent d'ê'trö exécutées avec beaucoup de prudence, ou 1'oir risque de voir abimer son armée presque sans combattre. On fait ses campagnes d'hiver , soit pour prendre possession d'un pays oü 1'ennemi n'a pas beaucoup de troupes , soit pour tombei sur ses quartiers. De la première espèce furenf nos campagnes des années 1740 et 1741 , en Silésie et en Moravie. Nous marchames en Silésie en deux colonnes, 1'une qui cótoyoit les montagnes , 1'autre qui longeoit 1'Oder poui nettoyer le pays , pour prendre, ou, si on ne le pouvoit, bloquer les forteresses; ce qui fut exécuté après qu'on eut réglé la marche de ces deux colonnes, qui se trouvant toujours k même hauteur, pouvoientse donner des secours réciproquement. Les forteresses demeurèrent bloquées j'usques au printemps; Glogau fut surpris; bientót Breslau essuya le même sort; Brieg fut pris après la bataille de Molwitz, et Neisse tomba k la fin de Ia campagne. En 1741, nous entrames en Moravie sur une colonne, qui s'empara d'Olmutz; on se contenta de bloquer Brunn, que les Saxons devoient assiéger le printemps de 1742. Mais cette campagne fu? dérangée par la retraite des Saxons , et par Finaction des Francois. Nous quittames la Moravie , après avoir poussé en Autriche j'usqu'A Staquerau, et après avoir enlevé en Hongrie  2J2 IsSTAITG T IQSf S M II I T Al K ES un corps d'insurgens que la cour vouloit employer sur nos derrières. Ces sortes d'expéditions veulent qu'on einploie toute la- vigdance possible pour ne point étre surpris : par cette raison , nous eümes constamment un corps devant le front des troupes , ün autre sur la droite, un autre sur la gauche , dont les patrouilles nous avertissoient de tous les mouvemens de 1'ennemi. Avec cela les cantonnemens étoient resserrés : deux ou trois bataillons étoient dans la nécessité de se contenter d'un seul village , et leur bagage étoit parqué en dehors , défendu par une redoute ; aussi ne nous arriva-t-il aucun accident. Ala fin de 1'année ïj/fi, le prince de Lorraine entreprit une pareille expédition : ce füt au mois de décembre qu'il voulut pénétrer de la Bohème dans le Brandebourg , en traversant la Lusace. Vóici les fautes qu'il fit. 1?. H marcha sans avant-garde et sans cavalerie qui cótoyat la Silésie pour lui donner des nouvelles des Prussiens. 2°. II se chargea de trop de bagage. 3°. Ses cantonnemens occupoientun front de trois milles de largéur et de trois milles de profondeur , paree que les troupes n'étoient pas assez resserrées, comme elles devoient 1'étre ; il falloit plus penser a leur süreté qu'a leurcommodité.40. Étant prés de nos frontières, il ne formoit ni colonnes ni ordre de marche. Nous en profitames comme de raison, et en passant la Queiss , nous tombames sur ses quartiers a Catholisch-Hennersdorff, et lui enlevames 4,000.hommes. Notre armée campa sulles lieux, et le prince Charles, qui risquoit d'étre  e> e Fréderic II, Part. II. d'étre pris a dos, fut obligé de se retirer en Bohème d'un pas qui ressembloit plutót a une fuite qu'üi une retraite; il y perdit son bagage , et une vingtaine de canons. L'expédition du maréchal de Saxe surBruxelles se fit au mois de mars. II tomba sur les quartiers des alliés, les dispersa, et entrepritle siège de Bruxelles , qu'il prit. II fit camper la plupart de ses troupes , et ne négligea point d'avoir de gros détachemens entre lui et 1'ennemi , pour être averti a temps du moindre de ses mouvemens. Tant il est vrai que tout général qui ne s'écarte pas des maximes de la prudence et de la prévoyance , doit réussir presque toujours , et que des entreprises étourdies ne peuvent avoir de succès que par le plus grand des hasards , paree que d'ordinaire 1'imprudent périt oii le sage prospère. A la fin de 1'année 1744 > lorsque le prince d'Anhalt chassa les Autrichiens de la haute Silésie , le froid étoit excessif; mais cela ne 1'empécha pas de rassembler tous les matins l'armée en ordre de bataille , de marcher en colonne pour combattre ; par sa prudence et ses bonnes précautions non-seulement il obligea les ennemis de vider la province, mais encore il ruina une partie de leurs troupes, et établit ses quartiers d'hiver dans les lieux meines qu'ils avoient occupés. Torne I.  InstkuctiowsMilitaik:es Comment ces différentes Marches dov.vent se régler. Le plan de ce que le général veut entre prendre, est la base sur laquelle les dis;position* doivent étre réglées. Quand on est dans sou propre pays , on a tous les secours possibles, tant par les cartes détaillées que par les babitan> qui peuvent vous donner toutes les norions necessaires ; alors 1'ouvrage devient facile. Vous avez votre ordre de bataille. Si Uon marche en cantonnemens , vous suivez cet ordre , et vous placez chaque brigade le plus prés qu'il se peut ensemble , chaque ligne dans les régies. Si l'on est loin de 1'ennemi, chaque régiment doit avoir la route qu'il doit faire , et le général de brigade avoir non -seulement la route de ses régimens, mais encore la liste des villages oü ils doivent cantonner. Dans le pays ennemi , cela devient plus difficile. On n'a pas toujours des cartes assez détaillées du pays ; on ne connoit qu'imparfaitement la force des villages. Ainsi, pour rectifier ce qu'il y a de défectueux, il faut que l'avant-garde. rassemble des gens des i illes des bourgs et des hameaux , pour les envoyer au quartier-maitre général, afin qu'il rectifie par leur moyen le brouillon de disposition de marche qu'il a dressé sur la simple inspection de la carte. Si l'armée campe , il faut, aussi tót qu'on est entré dans le camp, faire reconnoitre tous les chemins qui y aboutissent. £i l'on séjourne , il faut, k 1'aide des patrouilles,  de FaKBKRic II. Part. II. envoyer des quartiers-maitres et des dessinateurs pour croquer les chemins et les situations, afin qu'on n'agisse pas en aveugle, et qu'on se procure d'avance toutes les notions dont on a besoin. C'est ainsi qu'on peut de méme faire reconnoitre d'avance les camps ou l'on pourroit avoir occasion de placer l'armée. On peut méme , k 1'aide de ces croquis , dessiner d'avance la position que l'on veut prendre ; quitte» k la rectifier par 1'inspection oculaire , comme je 1'ai enseigné dans mon Traité de la Guerre et de la Tactique. II est vrai que lorsque le; armées sont placées proche les unes des autres, ces reconnoissances deviennent plus difficiles , paree que lennemi a également des détachemens et des troupes légères en campagne , qui empéchent de se porter sur les lieux qu'on veut reconnoitre. Souvent l'on veut oacher son dessein , ce qui rend ces petites expéditions encore plus difficiles. Alors il ne reste de parti a prendre que de pousser 1'ennemi k différens endroits k Ia fois , et de faire même dessiner des lieux ou l'on n'a aucune envie d'aller , pour lui cacher son dessein : et comme on le chasse de différens postes, les meilleurs quartiers-maitres doivent être employés vers le lieu oü l'on a sérieusement intention d'agir. Car 1'homme sage ne donnera jamais au hasard ce qu'il peut lui ravir par la prudence. Sur-tout un général ne doit jamais mouvoir son armée , sans être bien instruit du lieu ou il la conduit, et comment il la fera arriver en siireté sur le terrein oü il yeut exécuter son projet. S 2  376 Instructions Militaires Des précautions qu'il faut prendre en pays ennemi, pour se procurer et s'assurer des guides. L'Année 1760, en traversant la Lusace, pour marcher en Silésie , nous eumes besoin de guides. On en chercha dans des villages Vandales, et lorsqu'on les amena , ils faisoient semblant de ne pas savoir 1'allemand , ce qui nous embarrassoit fort: on s'avisa de les frapper, et ils parlèrent allemand comme des perroquets. Il faut donc toujours étre sur ses gardes a 1'égard de ces guides qu'on prend en pays ennemi : bien loin de se fier a eux, il faut lier ceux qui conduisent les troupes , leur promettre une récompense s'ils vous mènent par le meilleur chemin , et le plus court, a 1'endroit ou l'on veut se rendre ; mais aussi leur assurer qu'on les pendra sans rémission s'il leur arrivé de vous égarer. Ce n'est qu'avec sévérité , et par la force , qu'on peut obliger les Moraves et les Bohémiens a s'acquitter de ces sortes d'offices. On trouve dans ces provinces des habitans dans les villes ; mais les villages sont déserts, pare® que les paysans se sauvent, avec leur bétail et leurs meilleurs effets , dans les forêts ou dans le fond des montagnes , et laissent leurs habitations vides. Leur désertion cause un très-grand embarras. D'ou prendre les guides , si ce n'est d'un village & un autre ? II faut alors recourir aux villes, tacher de trouver quelques postillons , ou , a leur dêfaut , de» bouchers qui  de Frederic II. Part. II. 277 rodent les campagnes et auxqnels les chemins sont connus : il faut de plus obliger les bourgmestres de vous fournir des guides , sous peine de brüler les villes , s'ils ne s'en acquittent pas bien. On peut encore recourir aux chasseurs qui sont au service de la noblesse , et auxquels les environs sont connus. Mais de quelqu'espèce que soit le genre des guides, ilfaut les contenir par la peur, et leur annoncer les traitemens les plus rigoureux s'ils s'acquittent mal de leur commission. II est encore un moyen plus sur de se procurer la connoissance du pays; c'est d'engager , en temps de paix , quelquesuns de ses habitans qui en aient une intelligence entière : ceux-li sont sürs, et par leur moyen l'on peut gagner, en entrant dans cette province, d'autres gens qui facilitent et allègent la besogne par le détail du local dont ils vous procurent les connoissances. Les cartes pour 1'ordinaire sont assez exactes pour les terreins de plaines , quoiqu'on y remarque souvent 1'omission de quelque village ou de quelque ha-, meau; mais la connoissance qui importe le plus, est celle des bois , des défilés , des montagnes , des ruisseaux guéables ou marécageux, des rivières guéables; et c'est cependant ce dont il faut nécessairement étre le mieux au fait, ainsi que des terreins qui ne sont que prairies, et de ceux qui sont marécageux. Il faut encore distinguer en cela les saisons de 1'année, qui changent, par leur sécheresse, ou par leur humidité , la nature de ces terreins : car il est souvent eapital de ne pas se tromper sur ces connoissances. Les § 3  2~8 Instructions MlLITAlRES quartiers-maitres doivent encore se prémunir contre la disposition des gens du coinmun : quelquefois même étant de bonne foi , ils vous trompent par ignorance, paree qu'ils ne jugent des chemins et des lieux que par 1'usage qu'ils en font, et que manquant entiérement de connoissances militaires, ils ignorent l'emploi qu'un guerrier peut faire du terrein. En 1745, lorsqu'après la bataille de Sorr l'armée Prussienne voulut se retirer en Silésie, je fis venir des gens de Trautenau et de Schazlar, pour les interroger sur les chemins ou je voulois faire passer les .colonnes : ils me dirent bonnement que ces chemins étoient admirables , et qu'ils y passoient k merveille avec leur voiture , et que beaucoup de rcmliers les passoient de même. Peu de jours après , l'armée fit cette marche. Je fus obligé de faire mes dispositions pour la retraite sur ces lieux. Notre arrière-garde fut vivement attaquée ; mais par les précautions que je pris, nous ne perdlmes rien. Ces chemins, militairement parlant, étoient très-mauvais ; mais ceux auxquels je m'en informai, n'y entendoient rien , et ce qu'ils me dirent étoit de bonne foi, et sans intention de me tromper. II ne faut donc pas se fier au rapport des ignorans , mais, Ia carte a la main, les consulter sur chaque forme de terrein, s'en faire des notes, et voir sur cela s'il y a moyen de croquer quelque chose sur le papier qui donne une idéé plus exacte du chemin que celle que présente la carte.  de F n jé d e n i c II. Part. II. 270, Des talens cjue doit avoir un Quartier-Maitre. Le défaut par lequel les hommes pèchent le plus, c'est de se contenter d'idées vagues, et de ne point s'applicpier assez a se former des idees nettes des. choses auxquelles ils sont employés. Par exemple, plus on a une connoissance spéciale du terrein ou l'on doit agir, mieux on choisit les lieux propres au campement, et l'on arrange la marche des colonnes avec exactitude; c'est le contraire si l'on n'a que des idéés confuses de ce terrein. Pour obvier k cet inconvéïiient, il faut se procurer les meilleures cartes que l'on puisse avoir des pays ou l'on croit que se fera la guerre. Si l'on peut faire des voyages sous d'autres prétextes, pour examiner les monTagnes, les bois , les défilés et les passages difficiles , pour les bien observer et s'en imprimer la situation, il faut les entreprendre. II est nécessaire qu'un gentilhomme qui se dévoue k ce métier , ait beaucoup d'activité naturelle , pour que le travail ne lui coüte pas : dans chaque camp il doit s'offrir lui-méme k reconnoitre les environs par le moyen de petites patrouilles , aussi loin que 1'ennemi voudra le permettre ; afin que si le général qui commandé l'armée, a résolu de faire un mouvement, les contrées et les chemins lui soient connus au tant que possiblej qu'il ait observé les endroits propres k Afamilie, 1'une des plus anciennes de la Nor* mandie, est célebre dans l'Histoire de France ; fes curieux de généalogie peuvent s'en convaincre par ce qu'en dit Clairambault, et la Table gcnéalogique, faite par ordres de Louis XIV en 1666, pour examiner les titres de noblesse du Limousin et de la Bretagne. Ce fut la révocation de l'Edit de Nantes en 1684, quifit retirer d la Haye Charles dela MotteFouqué ; il s'y maria d Susanne de Robillard, dont naquit Henri-Auguste en 1698. La nature le doua d'une taille avantageuse et de toutes les qualités d'une ome guerrière. A huit ans , il étoit d la cour de Dessau, en qualité de page du dus Léopold d'Anhalt. Lorsque ce prince, en 1715 , marcha d la, tête de l'armée Prussienne a Stralsund, contre Charles XÏI; Fouqué destiné d rester auprès de la princesse, ne put résister au désir de manifester son penchantpour les armes, ct alors dgé de 17 ans , il quitta secrétemcnt la (a) Et non pns Foiifitet, comme on le trouve souvent scrit •lans pliïsltwrs auteurs.  S8S NOTICE SUR LA V I K cour pour s'enróler dans le régiment du duc* Cette démarche ne pouvoit déplaire au duc, puisqu'elle annoncoit la valeur. Cependant Fouqué fut obligé de faire la première marche en simple soldal; son intelligence lefit nommer enseigae la méme année, après Vexpédition de Rugen. 11 fit lieutenant en 1719, capitaine en 1723, et óbtint une compagnie dans le régiment d'Anhalt. Son goüt pour les belles-lettres lui fit acquénr des connoissances, sans négliger ses devoirs ; d trouva des modèles dans la lecture de l'histoire des grands-hommes ; et recevant des lecons sur l'art de la guerre du viou.-r duc Dessau d'Anlzalt méme, ils'en montra bientótl'heureux imitateur. Son mérite ne restapasignoré;le roiFréderic-Gudlaume I le décora en 1725 de 1'ordre de la Générosité ; et l'héritier de la couronne , adroit dans le choix de ses amis, mit Fouqué au rang des siens. Le roi son père favorisa méme leur liaison, etpermit d Fouqué de l'aller voir fréquemment dans la prison de Custrin (a). Fouqué avoit coulé d'heureux momcns cv Rheinsberg, dans le temps que le prince-royal y (a) On snit que la sévérité Je Fréderic-Guillnume alla jusqu'a défendre qu'on éclairat la prison de son fils. Mais lorsque 1'offider de garde éteignoit la tMandeile de son augufte prisonnicr, Fouqué allumoit la sienne , en disant 'i l'officier, que le roi nt pailoit dans son ordre que de la chandelie du prince , et non <$e celle de Fouqué. Voyez aussi la Nouvelle Vu du Hoi, pat M. Dcnina, chnp, II, pag. 15 et snivantes.  DE LA MOTTE-FOUQÜE. 287 fciisoit ses études ; Fréderic en sociétê avec les princes ses frères, Kayserling, Chazot, y culdvoit les arts au sein de 1'amitié, et ce ne futpas sans regret qu'il se dètermina d se sêparer de. son ami, que des désagrémens forcèrent d quitter le service de Prusse en 1738. II entra en qualité de lieutenant-colonel au service du Danemarck; mais Fréderic-Guillaume étantmorten 1^4°' Fréderic II rappella son ami, le décora de 1'ordre du Mérite, le combla de fortune en le créant colonel et commandeur du régiment de Camas, ensuite général d'infanterie. On sait avec quel éclat il servit son prince et son ami dans toutes ses guerres. II étoit exact observateur de la discipline, mais plein de douceur et d'humanité envérs le soldat, joignant d ses vertus l'amóur de la religion , et la bienfaisance envers les malheureux. En 1760 , d la bataille de Landshut, daji.sl'ardeur du combat son chevalfut tué sous lui; cou~ vert de blessures, ce général faillit d'y perdre la, vie , étant assailli par la supériorité du nombre des ennemis, qui y perdirent cependant neuf mille hommes. La cour de Vienne, connoissant toute Vin* fluence de la valeur de Fouqué, ne voulut le relacher qu 'après la paix, et le conseil de guerre pour s'en assurer, le fit transférer en Croatie. Le roi sou ff rit beaucoup de cette rigueur envers son ami, et ce nefut effectivement qu'a la paü&  288 NOTICE SUR LA V I E d'avril 1765, que Fouqué sortit de cette captivitè, oh sa santé, avoit souffert.infiniment. Alors Ü retourna d Glatz. L'impératrice envoya a sa rencontre le major Blankenfeld, pour l'inviter d se rendre d Vienne, en lui faisant comprendre qu'il y joidroit de toutes les distinctions possibles , et qu'il ne dépendroit que de lui de rcprendre ses meubles et ses bijoux (a). Le général Fouqué refusa poliment cette offre. II prononca le nom de l'impératrice avec le plus profond respect ; » mais, ajouta-t-il, il m'est im35 possible de baiser la main qui m'a si durement 3-> frappé. Mes bicns étant entre ses mains , n'ont » plus de charmes pour moi ; mon roi spul, qui 3> me les donna, peut m'en donner encore cc Arrivé d Glatz, dont Fréderic l'avoitfait commandant, tant de la ville que du comté,joignant au mérite d'un guerrier les connoissances de la politique ; il y trouva toutes les prcuves les plus (a) A la prise de Glatz , arrivée le 26 juil'.et 1760 , ce général perdit tout son bien , dont le prix s'éralnoit & cent vingt mille écVis. Outre un capital très-considérable en argent comptant, il tenoit des bienfaits du roi six tabatières d'or, la plupart garnies de brillans 5 des services de table de porcellaine et en argent ; une bibliothèque très-choisie, et une collection des plus belles gravures , rasseinblées par le feu roi Fréderic-Guillaume I,entrentetrois volumes in-folio , que l'on regardoit comme unique en son genre, et que 1'inspecteur de la galerie royale ,Oesterreich , estiinoit valoir cent mille écus. Tous ces effets furent portés en dé~ j>6t aBrünn, et 0» allo jusqu'a exiger de ce général les fraix da transport.  oe la Mo tte-FoiJ O u É. 289 sensibles de ïamitiè du roi. Une provisión d'argent, de vieux vins deHongrie, propres au re'tabUsscrnent de sa santé, lui fut remise avec une assignation de pension nouvelle, et la prière de se rendre aussi-tót a Potsdam, ok le monarque l'attendoit pour Vembrasser. Ilsjouirent ensemble pendant quatre semaines des épanchemens divins de 1'amitié d Sans-Souci. En 1760 , Fréderic lui avoit conféré la prévóté de Branchbourg, vacante d la mort du prince Maurice d'Anhalt, en témoignage , lui êcrivit-il, de votre zèle , de votre attachement inaltérable pour mon service. Fouqué répondit au roi : » Sire » II semble que vous ayez pris h tdche de me » combler d'opulence, malgréle peu de penchant « qui m'y porte ; et pour comble d'embarras, » vous me faites ecclésiastique ! » Je m'acquitterai aussi mal des fonctions de » cette charge, que du róle d'Arbate , si je dois " 0fficier («)• Cependant je m'en console ; « pourvu que j'aie la satisfaction de remplir vos » idéés pendant la guerre, et que vous y soyez (a) Arbate estim des personnages de la tragédie de Mïthridate du célèbre Racine. Ceci fait allusion aus représentations théatralcs, qui faisoient partie des plaisirs de la jemiesse je ■Fréderic pendant soa séjour \ Rlieinsbcrg. 2'vmj. ƒ, 'p  390 jNotice surt la Vie n hem eux , Sire) j'y sacrifierai très-volontiers le * prèvót, le chapitre et ma vie «. Vage et les fatigues de la guerre ayant ruiné ses forces, il demanda au roi de se retirer dans sa prévóté : Fréderic sensible d 1'amitié qui les unissoit, meubla royalement la maison que Fouqué devoit occuper, le combla des présens les plus riches , fit orner ses jardins d'orangers et des plus belles fleurs de ses chdteaux de SansSouci et de Charlottenbourg ; sa cavc, de vins délicieux ; enfin il partageoit avec son vieil ami tout ce qu'il avoit de bon. II alloit le visiter ; une joie inexprimable éclattoit duns ses yeux quand il voyoit ce vieux héros courbé sous le poids des lauriers, l'attendant d la porte de sa maison, quelquefois soutenu par d'autres généraux, que ces entrevues pènétroient d'admiration. Le mo narque voloit aussi-tót dans les bras de son ami, le conduisoit lui-même dans son fauteuil comme unfils d Végard de son père ; l'amusoit par le rapport des événemens du temps, soitpoMques, philosophiques, ou littéraires. Rapportons un traitplus caractérisüque encorc. ie l'ame aimante de Fréderic. Ingènieux d tdchcr de procurer d son ami tous les agrèmens qui pon ■ voient alléger ses infirmités, il le venoit prendra dans celui de ses meilleurs carrosses, et le conduisoit dans l'agréable séjour de Sans-Souci; la,  DE LA MoTTE-FoüQtft". 2.j l il tdchoik de le charmer par des lectures variées, et les sons harmonieux de la musique, au sein d'une société d'amis. II aimoit d se promener journellement avec son ami Fouqué, que la foiblesse de ses pieds réduisoit d ne pouvoir descendrc des terrasses qu'a l'aide d'un brancard a,u sortir duquel on le placoit dans un petit chanotfait expres pour le promener dans les allêes ombragées de tilleuls , tandis que le monarque marchoit a ses cótés. On ne peutpeindre la douleuret les regrets du roi, quand il vit la nature contrarier tous les soms qu'il se plaisoic h prodiguer pour conserver la vie d son ami. La foiblesse de ses organes devint si sensible, qu'il ne pouvoitplus prononcer distinctement ; ne pouvant plus s'exprimcr que par de foibles gestes , il désignoit patiemment ses besoins. II atteint dans cet état de langueur , Vage de 77 ans. Un dimanche, d Vissue de VOffice Divin, il choisit lui-méme la place oü il vouloit étre inhumé. Quelques jours après, il se fit conduire dans une des chambres de sa maison, ad il avoit fait appréter son cercueil; ü le co/z, sidéra d'un oeil ca/me en découvrant ses cheveux blancs, s'assit dessus, et se fit réciter un cantique allemand , qui commence par ces mots; Voila le sépulcre, voi«i le Ut oü je dgis embrasser la mort» T 3  2g2 NoTICE SUR LA VlE DE LA MóTTE-FoUQUÉ. S'y prèparant ainsi paisiblemeiit, il exhortoit sa familie a supporter sa perte. C'est de cette fac.011 qu'il attendit la mort > qu'il avoit tant da fois bravée dans les combats ; il mourut le 2 mai 1774, après avoir rendu tous ses devoirs d la Religion , et méme tandis que son fils lui faisoit une lecture chrétienne... Telle est la fin heurcuse de Phommejuste et bienfaisant'. La Correspondance suivante achevera de donner l'idée d'inlimité qui règnoit entre Fréderic II et ce général. Quant a celle qu'ils eurent pendant la guerre de septans , nous nous abstenons de la reproduire, paree qu'elle est dénuée d'intérét. N'étant relativequ'd des détails arides et momentanés, elle n'est propre qua surcharger les Mémoires de Fouqué oü elle estincorporée; et les nolions pardculières sur l'art militaire qui peuvent s'y trouver, le roi les a réduites en principes généraux dans les Instructions Militaires , qui précédent cette Notice.  CORRESPONDANCE DE FRÉDERIC II AVEC LE GÉNÉRAL FOUQUÉ. LETTRE PREMIÈRE. Du Roi. Ce 21 juillet 1753. Je vous envoie , mon clier ami, ce service si long-temps attendu, et qui est enfin fini. Je souhaite que vous vous en serviez un grand nombre d'années a votre grand contentement. Mandez-moi, je vous prie, comment va votre santé ; j'ai grande envie de vous envoyer Cothenius (a), pour que vous vous serviez de vrais remèdes , et non de drogues qui ne vous font rien. J'attends sur cela votre réponse , en vous assuraut de ma sincère et parfaite amitié j adieu. (a) Le médecip du Rou T S  294 Cörhespondance L E T T R E II. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce ï5 juillet 17G3. Sire! JE n'ai rien perdu pour avoir attendu. Bien loin dela, vos bontés , vos bienfaits joints a la beauté etala magnificence du service d'argent, que V. M. vient de m'envoyer, surpassent de beaucoup mon attente. Cent fois je fais réflexion et me dis : Pourquoi et par quel motif ce grand homme roi, ce cher et digne prince , mc comble-t-il de tant degraces, et plus que tout cela , m'honore-t-il depuis plus de trente ans d'une constante amitié ? Pardonnez 1'expression , Sire ; mais je n'en connois point 'de plus précieuse ni de plus glorieuse pour moi. Mon amour-propre s'en trouve trop flatté ; enfin je m'y perds et n'y trouve aucune raison a m'en attribuer les acquis ; car , Sire , avec toute la science que possède V. M. du caractère des hommes , vous ne sauriez pénétrer les replis de mon coeur , ce qui seul néanmoins pourroit me consoler et tenir lieu de quelque chose , ne pouvant d'ailleurs vous prouver la réalité de mes sentimens. Ma santé est bonne , Sire , puisque je ne sens aucun mal; je dors passablement bien , 1'appétit est de même, graces au chocolat et au quinquina dc V. M., auxquels je 1'uttribue. C'eslda  avec M. de Fouqué. 2Q5 le bon cóté. Celui qui lui est opposé, ce sont les jambes , les hanches , la poitrine et la voix , que la moindre agitation met hors d'ceuvre. Je ne suis plus bon a rien, et rien ne m'es?: plus convenable que la vie de chanoine et ie repos; ajoutez pour combler vos grèces , Sire, celle de men faire jouir pour le reste de mes jours. Je chanterai des horas a votre gloire , et pour la prospérité de votre incomparable personne , jusqu'au dernier instant de ma vie. Je suis, etc. LETTRE III. Du Hui. Ce 30 juillet Sl ce que jé vous ai envoyé , vous a été agréable, c'étoit ce que j'avois le plus souhaité c'étoit le but, mon cher, que je m'étois proposé. Vous vous étonnez que je vous aime ? Vous devriez plutót vous étonner si je n'aimois pas un officier de réputation, honnéte homme, et de plus mon ancien ami. Jevoudrois que votre santé se remit tout-afait, et je vous avoue , que je n'en perds point encore 1'espérance. II faut que vous vous soigniez, que vous preniez vos aises , et que la rranquillité , le quinquina et les herbes vous rendent vos forces. Vous resterez a Brandebourg tant que vous voudrez; cependant vous me rendrez vrsits T4  29G Cokhespox-dakce qiulquefois ; il n'y a pas loin ; et quand je saurai que vous voudrez venir , je vous enverrai mes chevaux a moitié chemin. Adieu, mon cher ami, je suis a vous de co3ur et d'ame. P. S. J'ai ici ma soeur de Suède et toute sa familie. LETTRE IV, Du Roi. Ce 4 d'oftobre 1763. JE vous envoie , mon cher ami , un grand verre que j'ai encore trouvé k Berlin de la succession de mon père. Jc souhaite qu'il vous amuse un moment. Je n'entends plus rien de vous que par des étrangers qui passent par Brandebourg. M'avezvous oublié ? ou me ferez-vous le plaisir de venir me voir, quand cela ne vous incommodera pas? Adieu, mon cher ami, je vous embrasse. LETTRE V. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 6 d'o&obre 176?.. Sire! 7 ' J'Ai des défauts que je connois sans pouvoir m'en corriger, mais le vice de 1'ingratitude m'est inconnu. Jugez donc , Sire , si je puis oublier mon  avec M. de Fouqué. 257 auguste bienfaiteur ? Non ! je ne crois pas qu'il se passé une heure du jour oü je ne pense avec toute la sensibilité possible a la reconnoissance que je dois a Votre Majesté. Je vous rends graces , Sire , du beau verre que vous m'avez envoyé; il ornera mon buffet avec ceux que j'ai encore trouvés k Glatz. Le froid que je préférois autrefois k la ohaleur , ne me convient plus. Je suis travaillé depuis trois jours d'une colique pour m'ètre promené au vent et avoir pris quelques fruit». Je bouche et calfeutre tous les trous de ma maison pour men garantir; je condamne des portes et des cheminées, afin que V. M. ne soit plus exposée aux vents coulis dans Ia chambre oü elle a logé , si jamais elle vient a passer par Brandebourg. Je vous demande grace et dispense , Sire , pendant le froid. Je suis, etc. LETTRE VI. Du Roi. Cc 1 déccmbre 1763. JE vous envoie , mon cher ami, du caffé turc qu'un Mamamoucbi m'a donné. A'ous m'oublieriez tout-a-fait, si je ne vous faisois ressouvenir de moi. J'en aurai bientót une nouvelle occasion que je saisirai avec empressement. Adieu , mon cher ami, conservez-moi une petile place dans votre cceur.  CoRRESPONDANCE LETTRE VII. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 6 décembre 1763. GRand Dieu ! quel homme nous as-tu donné ? Le gouvernement de ses États , celui de ses armées , son commerce turc , ses palais et mille autres soins ; la conduite de 1'Europe , 1'Asie a sa disposition : tout cela n'est rien et ne sauroit suffire a ses occupations , il faut qu'il m'envoie du caffé. Que ne pouvez-vous régir le monde tout eutier, et ne prendre jamais fin. Je suis, etc. LETTRE VUL Du Roi. Ce 16 décembre 17Ö3. Il y a , mon cher ami , une assignation de cinq mille écus pour vous chez Buchholtz, trésorier de la Hof Staats-Casse (d), que vous pouvez tirer quand vous le jugerez a propos ; cela servira pour payer une partie de ce que vous devez aux héritiers du prince Maurice pour la ïiiaison de Brandebourg \b). Bonne santé , mon cher ami , soignez-vous bien , pour que j'aie le plaisir de vous revoir a Sans-Souci. Adieu, je vous embrasse. (d) La caisse de la Cour. (b) Le roi se souvenoit ici du cajiltaï nppnrtcnant a la prévóré de Brandebourg , que le général Fouqüé étoit obligé de rcmbourser aux héritiers de son prédécesseur.  avec M. de Fouqué. 299 LETTRE IX. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 12 décembre 1763. Sire! I_jE prince Maurice et ses héritiers sont acquités il y a long-temps. C'est prodiguer vos trésors, que de vouloir m'en faire part. Vos graces in'ont mis en possession d'un bien plus que suffisaht pour vivre honorablement. Permettez , Sire , que je vous en fasse le détail. J'ai dixneuf mille écus placés a la Landschafjï a Berlin , etc etc. et pour surcroit d'embarras, cinq mille écus comptant , dont j'e ne puis faire usage , si V. M. n'a la grace de le faire placer a ladite Landschafft, et d alléger mon fardeau au-lieu de le surcharger. De plus , Sire , vous m'avez meublé en prince. Tout cela , et bien audelk , en comptant ce que le diable tient dans ses griffes , j''entends les Autrichiens , sont les effets de vos bontés nón méritées. Ne vous fdchez pas , Sire, si j'e vous prie de mettre des bornes a vos présens pécuniers , et d'étre persuadé que les assurances que V. M. me donne de sa précieuse amitié, et même son sac de caffé m'est infiniment préférable a tous les milliers d'or et d'argent qu'elle pourrcit m'offrir. Je suis inviolablement, etc.  Cok r r5 r oit n a kc e ' L E T T R E X. Du RoL Ce 10 d'nvril 1764. JE reviens , mon cher ami, de la Silésie et de Glatz, ou j'ai tout trouve mieux que je ne m'y étois attendu. J'ai trouvé ici de la porcelaine que je vous envoie pour vous faire souvenir de moi, en attendant que je puisse vous envoyer de la porcelaine de ma manufacture de Berlin. Ceux qui vous ont vu , m'ont dit que vous aviez bon visage , mais que vous étiez foible. J'ai encore quelque vin du Rhin de 1'année 1684; si vous en voulez, mandez-le moi, il sera a votre service. II y a encore aussi du vieux vin de Hongrie. Vous n'avez qu'a dire un mot , et vous 1'aurez. Mandez-moi quand vous voudrez venir me voir, car je n'y renonce pas. Nous exercons a présent de corps et d'ame pour remetire nos affaires en bon train. Cela commence k reprendre , et je vous avoue que j'ai du plaisir a voir reformer de nouveau cette armée que j'ai connue si bonne autrefois, que j'ai vu ruiner par des guerres sanglantes, et qui comme un phénix renait de ses cendres. Adieu, mon bon et cher ami. Je vous aime de tout mon cceur. Soyez-en persuadé ainsi que da l'estiine que j'ai pour vous.  avec M. de Fouqué. " OO1 lettre xi. DeM. de Fouqué. 'i Bnm.lebourg, ce 12 d'aviil i?i'4. Sire! Je prends toute la part hnagïnable aü contentement que le voyage de Silésie vient de donner k V. M., ce qui n'est uniquement dü qu'a la conduite que vous y avez tenu pendant la guerre , et aux bons arrangemens pris depuis la paix. Une ou deux récoltes comme la précédente racommoderontlepays , etle monde yrepeuplera comme le grain. Mon opinion sur le sujet de votre armée , Sire , est, qu'une couple d'années la remettra non-seulement sur un bon pied , mais qu'elle surpassera même par sa valeur intrinsèque , celle des premières campagnes , puisque nous étions tous apprentjfs et dans le noviciat, aulieu que les trois quarts de l'armée da présent ont fait la guerre , et que vous y avez formé autant d'officiers. Je suis pénétré , Sire , de votre gracieux souvenir et du présent de porcelaine , que je trouve infiniment belle. Je souhaite que la fabrique de Berlin y réponde , ne pouvant m'imaginer qu'elle puisse la surpasser. Ceux qui vous ont accusé 1'état de ma santé en ont fort bien jugé. J'ai bonne apparence a table et assis ; mais il me semble que le corps . les jambes et la voix s'affoiblissent de plus en plus. J'ai dessein de prendre Ie pet.it kit et les  a«2 CoRRESPOJTDANCE herbes vertes Ie 10 ou i5 de mai, pendant trois semaines. Disposez de moi, Sire ; décidez si je dois jouir du bonheur de me mettre k vos pieds «vant ou après ma cure, ou aux dépens du petit lait même. Puisqu'il faut opter pour les vieilles drogues , je crois devoir donner a 1'oxicrat ancien dit Rhin Ia préférence a 1'hippocras daHongrie. Je suis, etc. LETTRE XII. Du Moi. Ce i'J d'avi'il i?G±. $ E vous envoie , mon cher ami, du vin vinaigredu Rhin, comme vous me 1'avez demandé, Je souhaite qu'il vous donne des forces et rérablisse votre santé. Je ne troublerai point 1'usage de votre petit lait ; car je suppose que notre exercice et tout cet attirail militaire ne vous touche plus. Je compte vous venir voir en allant a la revue de Magdebourg; k mon retour je m'en retournerai tranquillement habiter Sans-Souci. Si alors vous voulez venir chez moi, vous me ferez plaisir ; nous serons seids , sans monde , et vous ne serez gêné par rien. Ne me parlez pas avec mépris de ma fabrique de porcelaine; elle estplus belle que celle de Meissen ; mais la maison ne sera tout-a-fait achevée qu'au mois de septembre , avec les douze fours que je fais batir ; ce qui empêche encore qu'on ne travaille dans le grand. Cependant ou fait  avec M. r>e Fouqué. oo5 déj'a des choses plus belles que jamais on n'en a im aginé k Meisseiu. Je vous en donnerai des essais en passant par chez vous , et dès 1'automnenous aurons des services et tout ce qu'on vc-udra. Adieu, mon cher ami, n'oubliez pas les abSens , et sur-tout moi qui vous aime tendre ment. LETTRE XIII. Du Roi. Ce 21 d'avril 1-54- .A Prés que vous avez insulté a ma manufacturc de porcelaine , il faut, mon cher , que j'e la j'ustifie. Je vous envoie un déjeüné aussi beau que ce que j'amais on a travaillé a Meissein , et vous recevrez en même temps une tasse peinte en figures , qui vous convaincra que notre ouvrage vaut au moins celui de Saxe. Nous nous occupons ici k tirer notre poudre aux moineaux ; le temps est froid , mais cela n'empéche pas que nous n'aillons notre chemin- Adieu , mon cher , j'e vous souhaite bonu<» santé, contentement et vie.  3o4 GoUKESPONDAïcb LETTRE XIV. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 2; d'avril 17Ö4. Sire! Rle nn'estplus humiliant que d'étre réduit a la nécessité de se rétracter. Cependant, quoiqu'il en coüte , je me sens assez au-dessus de cette mauvaise honte , d'autant plus , qu'étant naturellement porté pour la sincérité et le vrai, ce caractère m'oblige donc a reconnoitre mon erreur , en me declarant en faveur de la fabriquo de porcelaine de V. M. , tant pour le reliëf de 1'ouvrage , que la vivacité des couleurs du service a thé , qui 1'emporte sur ce que j''ai vu de celle de Saxe. Pour ce qui est de la tasse mosaïque , j'e m'imagine y trouver le pinceau de Vatteau , tant elle est ravissante. Vous avez , Sire , un talent bien particulier , puisqu'au - lieu de punir la témérité de mes doutes, j'e m'en trouve récompensé par ce beau présent. Sice n'étoit la crainte d'étre puni une seconde fois, j'e m'aviserois encore d'une autre réllexion, savoir : si les experts de votre fabrique n'auront pas le sort de ces machinistes, dont les modèles ne réussissent qu'en petit. Vous ajoutez , sans doute , Sire , une demie année au cours de ma vie par 1'envoi de 1'oxi crat, dont je me servirai comme de remède. Je suis péuitré de tant de bienfaits, et cc qui  avec M. de Fouqué. 3o5 me mortifïe le plus ■ c'est le défaut de vous en pouvoir prouver ma reconnoissance , et de témoigner a V. M. la réalité du zèle , de 1'attachement et de la fidélité que j'ai pour sa personne. Vivez, Sire, pour le bien de 1'État et votre gloire. Exercez, manceuvrez, et vous fachez un peu quelquefois j tout cela contribue a votre santé selon le systéme de feu le vieux Routier (a). Je suis , etc. . P. S. Vous serez très-bien venu chez vous k Brandebourg , Sire , et vous y trouverez a midi le pot au feu d'un réfugié. L E T T R E XV. Du Moi. Ce 27 avril 17G4. T O E suis charmé de 1'aveu que vous me faites , mon cher ami, de la bonté de ma porcelaine. Kous attendons que le grand blrïmént soit achevé pour travailler en grand. Cela ne peut avoir lieu qu'a la Pentecóte J alors il faut établir les dix grands fours pour la cuisson de la porcelaine, de sorte que 1'ouvragè ne pourra étre véritablement en train que vers le milieu de septembre. On a déj'a fait de grandes pièces dans les deux fourneaux que nous avons , qui ont fort bien réussi; mais nous avons des commissions pour la Russie et la Hollande, aux- O) Le prince LéopoM d'Ai]lia!t. 'Puilia I. V  5o6 Corr.esfos DASCË quelles on travaille incessammant pour les ex- pédier. J'entretiens actuellement cinq cent et sept personnes a cet ouvrage ; il n'y a que les fours, qui nous arrêtent ; mais au mois de septembre cet obstacle sera levé. Vous vous imaginez, mon cher, que je suis encore aussi vif qu'autrefois ; mais vous vous. trompez. J'ai mis de 1'eau dans mon vin, et ja| corrige a la vérité ce qu'il y a de défectueux dans la partie de 1'exercice , mais sans sortir de mon assiette ordinaire. Ce qui regarde le commun soldat sera 1'année prochaine en ordre aussi-bien qu'avant la guerre ; pour ce qui regarde 1'officier , c'est ou porte ma plus grande attention. Pour qu'ils deviennent ensuite vigilans dans le service , et qu'ils se forment le jugement, je leur fais enseigner la fortification . et avec cela on tache de les obliger a raisonner sur tout ce qu'ils ont a faire. Vous comprenez bien que cette méthode ne sauroit réussir en général, mais dans le grand nombre nous formerons des sujets et des officiers qui ne seront pas généraux par brevet, et: qui en auront vraiment les qualités. Adieu , mon cher ami ! je vous mander ai quand je pourrai venir a Brandebourg. Je vous embrasse de tout mon cceur.  AVEC M. DÈ F OU Qvi. 3fy LETTRE XVI. Du Roi. Ce premier juin i?6+, Si je ne vous écris pas moi-même , mon cher ami , c'est que j'ai la goutte & la main gauche. Vous direz peut-être que je pourrois bien conduire la plume de la main droite, mais le papier1 m'échapperoit, et je ne veux pas faügucr voa yeux d'un griffonnage de chat. Cet accident, qui m'est venu fort mal-a-propos , m'a empéché de voir les régimens de la Po méranie et de la Nouvelle-Marche, et m'a obligé de différer de deux jours la revue des régimens de Magdebourg. J'irai sans fafon chez vous comme un ancien ami en passant par Brandebourg. J'y serai le 4 a midi. Je n'amène avec moi qu'un seul ami bien digne de votre amitié et de votre estime ; ainsi nous ne serons que nous trois si vous la trouvez bon. II ne faut que peu de chose pour me nourrir; je ne vous demande qu'une bonus soupe et un plat d'épinards , bon visage d'hóte , et de vous 'trouver en bonne santé. Ce dernier article est de tous celui que je vous recommande le plus. Adieu , mon cher ami, j.'espère vous assurer alors d© toute mon estime. V 3  3o8 CoRRESPONBANCE lettre XVII. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce ï6 septembre 1764. Sire! Un proverbe dit, que les chosès qui coütent de la peine, produisent des effets d'autant plus agréables. Cela étant, j'ai lieu de crc-ire que V. M., après avoir parcouru en chevauchant les Alpes de la Silésie , doit étre très-satisfaite de son voyage. Je le souhaite , Sire, et juge avec fondement, que vous ne ferez jamais le tour de vos contrées sans vous rappeller la peine que vous a couté la gloire de leur conquête. Jouissez du repos, Sire , (s'il en est pour vous) que Sans-Souci vous présente avec ses fruits excellens , et agréez mes actions de grdces pour la part dont vos Krutisch (a) m'ont pourvu pendant votre absence. Portez-vous bien, Sire, etprospérez en toutes vos entreprises. Je suis , etc. 1 lettre xviii. Du Roi. Ce 26 septembre 1764. Je suis très-sensible aux sentimens d'attachement que vous avez bien voulu me renouveller par votre lettre d'aujourd'hui , a l'occasion du voyage que j'ai heureusement fait en Silésie. («) C'eft M nom du premier iardinier dn roi.  avec M. de Fouqué. 3og J'y ai trouve les ehoses en assez bon état, et ne suis fax hé que d"y avoir vu votre beaufils (a) dans un état des plus malingres, qui donne tout lieu d'appréhender qu'il cessera bientót de vivre. Sur ce , je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde. P. S. Me voici de retour , mon cher. Je puis dire de mon voyage économique et militaire , que si j'e n'ai pas trouvé tout également bien, du moins tout est passable. LETTRE XIX. Du Roi. Ce 19 oftobre 1764. J'Ai reou , mon cher ami , le paté du Périgord de Brandebourg (b). Je 1'ai gardé pour apprendre si vous en voulez prendre votre part. Je suis tout seul; si le voyage ne vous incommode pas , ou si d'autres raisons ne vous retiennent, il dépendra de yous de rendre une petite visite a votre ami. Le pauvre Nimscheffski, qui étoit un bon et digne officier, vient de décéder. J'en suis fa- (a) Le coloncl de Nimsclieffski. (b) Le roi aimoit les truffes, et faisoit venir tous les ans un paté du Périgord. Fouqué avoit amené de la Croatie quelques thiens dressés a déterrer les truffes. On trouva dans les environs de Magdebourg et de Halbersiadt, des truffes qui ne le cédoient point a celles d'Italie , et Fouqué en ayant fait faire un paté a la facon de ceux dn Périgord , 1'e.nvoya au roi, qui le trouva trtsbon. V 3  3io Corhespondance ché , mais bientót nous irons le rejoindre dans ce pays d'ou personne ne revient. Nous avons fait des manoeuvres qui ont réussi tant bien que mal. Les officiers de 1'état-major ne sont pas encore réformés ; il faut encore quelques années pour remonter cette machine sur le pied précédent. Cependant, je me fais vieux , et j'e devroi s plu tót penser k graisser ma voiture pour le grand voyage , qu'a manceuvrer avec des troupes que, selon toutes les apparences, j'e ne menerai plus a 1'ennemi. Adieu, mon cher ; bonne santé , contentement et bonne humeur ; voila ce que j'e vous souhaite bien cordialement. LETTRE XX. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 22 octobre 1754. Sire! T_jE retour de mon domestique m'auroit averti trop tard de 1'honneur que V. M. me destinoit A midi, si d'ailleurs j'e n'eusse été empêché de m'y rendre par des incommodités hémorroïdales , dont je ne fais que de me remettre. Les ordres gracieux de V. M. me permettent de lui alléguer ces raisons. Je la supplie d'accorder pendant cette saison le repos et la chaleur convenables k mon état valéi udinaire, pour mettre, s'il se peut, quelqu'intervalle a la suite du colonel Nimscheffski, en qui vous avez perdu un «ès-digne et bon officier. Non que je craigne  avec M. de Fouqué. 3l1 la mort, mais je serois assèz d'accord de jouir quelque temps de la tranquillité et de la douceur que vos bontés proeurent a ma vie. Ce qm en redouble 1'agréinent, est de vous savoir bien portant , Sire. Je 1'attribue aux promenades journalières de V. M. Puissiez-vous enfder vos allées , Mtir cinquante années de suite des colonnades et des palais , puis voitürer avec le char d'Elie droit au paradis '\ Je suis , etc. LETTRE XXI. Du Roi, Ce 26 octobre 1764. Dfimeurez , mon cher ami, au coin de votre foyer , paree que la cbaleur vous est salutaire. Conservez-vous, c'est votre premier devoir , et puis, si vbus n'avez rien de mieux a faire, pensez quelquefois k votre ami absent. Je concois que la perte que vous venez de faire vous doit être sensible; votre gendre étoit jeune , il avöit échappé k tous les dangers d'une guerre meurtrièié , et puis il s'en va mourir dans le moment qu'il devoit recüeillir les ré. compenses de ses services. Cela est cruel! mais il faut dire comme cette femme Lacédémonienne , qui apprenant que son rils avoit été tué a la bataille de Maraton, dit: Je savois cn /e mettant au monde, r/u'd n'étoit pas immortcL Un peu plus tót, un peu plus tard, il faut ên venir la; tel a été le sort des races précédenten, V ■ƒ[  3' 2 Coy.HESPONB.iXCE et tel sera le nötre. Cependant, tandis qu'on est dans le monde, il est juste d'en proiiter quand on le peut, et d'en prendre les douceurs , qui servent d'antidote aux amertumes dont la vie de tous les hommes ést empoisonnée. Je vous remercie de vos truffes de Magdebourg. Noël (a) en fait un paté ; et comme vous n avez nas pu goüter'le vótre, ,'e vous enverrai le mien. Adieu , mon cher ami, portez-vous bien , bannissez latrrstesse de votre esprit, et conservez-moi^ un ami pour qui mon estime ne cessera qu'avec ma vie. lettre xxii. Du Roi. Ce 19 décembre 1764. Je vous envoie , mon cher ami , une petite marqué de souvenir. Je vous destinois un service de table et des vases , mais nous ne pouvons avoir ces choses qu'ati mois de Mars , oü toute la fabrique sera montée et en état de fournir ce qu'on voudra. Portez-vous bien , mon cher, et n'oubliez pas vos vieux amis. Adieu. (a) Maltre-d'hötel Francois du Roi. Voyez tome VII, page .28, des föuvres primitives du Roi, la jolie Éphre que Fréderic lui adresse sur ses talens pour la cuisine.  avec M. de Fouqué. 5i.S lettre xxiii. De M, de Fouqué. Brandebourg , ce 24 décembre 17^4. Sire! C^Uoique la réception de votre belle porcelaine me cause beaucoup de j'oie , cette joie ne sauroit néanmoins surpasser celle que je ressens de la satisfaction que vous doit donner la réussite de cette fabrique , puisque c'est votre production et votre ouvrage , qui répond a tout le reste de vos entreprises. Je vous en félicite, Sire, et ne doute pas que ce grand et bel établissement ne parvienne bientöt a sa dernière perfection. Agréez , Sire , les vceux sincères de mon cceur , pout le renouvellement d'année et la conservation de votre santé. Je suis , etc. lettre xxiv. Du Hoi. Ce 10 février 1705. Je vous envoie , mon cbe$ ami , un fragment de paté de Périgord véritable , avec des truffes qui viennent de ce pays-la. Je souhaite qu'il vous ragoüte , et que cette occasion me procure des nouvelles de votre santé. 'Car quoique voisin , je n'apprends pas le mot de ce qui vous regarde , bien que personne ne s'y intéresse plus que votre ancien et fidéle ami.  C)l 4 CoiHlESFOSDANft LETTRE XXV, De M. de Fouqué. Brandebourg , ce 11 février 1765, Sire! Je suis très-sensible k la bonté de votre gracieux souvenir , et me réjouis fort de vous savoir dans votre repos. ii parolt très-convenable, Sire, d'en prendre de temps en temps k votre age , pour faire vie qui dure. La différence de 1'original du paté de Périgord k la copie de Brandebourg me paroit très-remarquable. Je dois la même justice k celui de Sans-Souci, et trouve selon mon goüt, que 1'assaisonnement de Sir Noè'11'emporte sur 1'original même. Ma santé est fort journalière ; je ne sors de mon enclos que pour me rendre au temple , y porter mes vceux pour la prospérité de V. M., et puis de temps en temps pour déterrer un blaireau. D'ailleurs je vis dans la retraite, et ne vois chez moi que quelques officiers de la garnison , mes collègues et ma fille , qui depuis peu de temps est revenue s'établir a Brandebourg avec ses deux enfans, Henriette et Wil helmine de Nimscheffski, dont le défunt m'a nommé tuteur. C'est dans cette qualité , Sire , que j'ose supplier V. M. de vouloir leur accor. der la grace de trouver un jour place au cha» pitre de Halle. Je suis , etc.  avec M. de Fouqué. Si5 LETTRE XXVI. Du Roi. Ce 11 mars 176*5. Je rcviens de Berlin , mon cher ami; j'ai éte k ma fabrique de porcelaine ; j'y ai trouve deux vases et une jatte a bouillon; j'ai cru que cela pourroit vous faire plaisir, et je vous les envoie. Les grandes garnitures des cheminées ne sont point achevées ; on travaille aux formes , et dans six semaines au plus tard on pourra avoir de tout ce qu'on voudra. Je ne vous oublierai pas , mon cher , dés que je trouverai quelque chose digne d'orner votre retraite. Adieu, mon cher ami, mandez-moi comment vous vous portez. LETTRE XXVII. Dc M. de Fouqué. Brandebourg, ce 15 mars 17Ö5. Sire! Je ne crois pas qu'un enfant puisse ressentir plus de joie aux étrennes , que j'en ai eu a 1» réception de vos vases et de la jatte. Je les trouve d'une beauté achevée, tant pour la blan* cheur de la porcelaine , que pour le goüt et les couleurs. Je suis convaincu que ni le Japon ni VEurope n'ont rien produit de sembiable, ni en si peu de temps. Il ne me reste plus, Sire, que le désir de  ^ 1 ^ CoRRESFONDiNCE pouvoir reconnoitre dignement toutes les grices dont V. M. daigne me combler. Ma santé est passable. La voix s'affoiblit de plus en plus ; il y a des jours oü j'ai peine a me faire entendre. Je suis , etc. LETTRE XXVI IL Du Moi. Ce 55 avril 1^65. IVlOn cher ami, j'ai eu depuis cinq semaines Ia goutte et les hémorroïdes , d'une facon plus violente que je ne les ai eues jamais ; et comme Je mal est passé, et que je commence a me remettre a présent, je n'ai rien de plus pressé que de vous donner de mes nouvelles. Je souhaite d'en apprendre de bonnes de votre part, et que votre santé aille en augmentant. J'espère, mon cher, que ce que je vous en écris ne vous sera pas désagréable, et que votre réponse me tranquillisera sur 1'état de votre santé. Adieu, mon cher, je vous embrasse de tout mon cceur, et j'espère que vous ne serez pas faché si je viens chez vous en allant a Magdebourg.  avec M. de Fouqué. 017 lettre XXIX. De M. de Fouqué. h -, Brandebourg, ce 28 «Hf! 1765. öIHI . Je suis au comble de ma joie , de vous savoir mieux portant, et je rends mes très-humbles actions de graces k V. M. de Ia consolante nouvelle qu'elle vient de men donner. H m'a paru ètre présent aux violentes douleurs de votre goutte , Sire , jusqu'a men faire grmcer des dents , ce qui apparemment a augmenté en même temps les souffrances d'une enflure a mes deux jambes, dont je suis incommodé depuis quelques semaines. Je commence a me remettre par le moyen du petit lait. Mais votre santé , Sire , me tient plus k cceur que la mienne, et j'ose supplier V. M. de faire tout son possible , pour vous donner durant la belle saison, le temps tic reprendre vos forces. Vous serez le bien venu chez vous k Brandebourg ; je me trouverai trop heureux et honoré dans mon refuge de pouvoir vous présenter le pot au feu. Je suis, etc.  3i8 CoKSESfOND-ïnce lettre xxx, Du Roi. Ce 6 juin 1765. JE serai le g a midi chez vous , mon cher ami j Je viens tout seul; cela n'exige ni festin ni dépense. Le potaufeu, pris k la lettre, est suffisant. Je souhaite de vous y voir en bonne santé, gai, et de bonne humeur. Ici a la revue il y a eu du haut et du bas; Ce n'est ni comme a fierlin ni comme a Stettin ; mais il faut que cela vienne. Adieu, mon cher ami, j'e vous embrasse tendrement. lettre xxxi. Du Roi. Ce 26 juin 1763. Je vous envoie, mon cher ami, quelques fruits de Sans-Souci ; j'ai encore quelque chose pour vous , que j'e voudrois vous donner k vous même. La courde Brunswick vient ou arriveici le 10 du mois prochain. Voila le temps , mon cher, dont je puis disposer; c'est a vous de choisir le vótre. Adieu , mon cher ami, j'e vous embrasse  avec M. t> e Fouqué. 819 LETTRE XXXII. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 27 juin 17C5. Sire? OEpuis 1'existence dé Brandebourg on n'y a point vu paroitre, selon toute apparence, dans la saison présente , les différentes sortes de fruits que V. M. vient de m'envoyer. Vous y ajoutez, Sire , 1'ordre de venir en cueillir moi-même , et je n'y manquerai sürement pas. Le sieur Cothénius m'ayant mis aux bains depuis quinze jours , ce qui ne laisse pas de me soulager, j'e supplie V. M. d'en permettre la continuation jusqu'a samedi procbain, afin que j'aie le dimanche suivant le bonheur de me mettre a ses pieds, et de lui témoigner que je suis, etc. L E T T R E XXXIII. Du Roi. Ce 16 septenibre 17Ö5. Je reviens de Silésie, mon cher ami. Les eaux de Landeck m'ont rendu 1'usage des jambes , et k présent il ne me paroit presque pas que j'aie eu la goutte. J'ai vu votre régiment mieux en ordre que jamais. Luck (d) est un trés-bon officier, et qui sert par bonneur et par ambition. (a) Le lieuter-ant-colonsl Luds tomruandoit alors le régisneaï  CorresPondance Je souhaite que mon j'ardinier vous ait bien servi durant mon absence ; c'est a moi maintenant a ètre votre pourvoyeur, et a fournir votre ménage de fruit et de ce qui peut vous être agréable ; mais j'exige que vous me donniez des nouvelles de votre santé , pour que je sois tranquille sur le sujet de mon bon vieil ami, que j'aimerai jusqu'au tombeau. Adieu. LETTRE XXXIV. De M. de Fouqué. Brandebourg , ce iö septembre 1760. Sire! La confirmation que j'e viens de recevoir de V. M. du bon effet que les eaux de Landeck lui ont procuré , me donne une j'oie extréme. Votre contentement, Sire , fait le mien et mon unique consolation. Je ne cesserai j'amais de faire les vceux les plus sincères pour la santé de V. M. Je ressens toute lasatisfaction possible,'Sire, de ce que vous avez trouvé mon régiment en bon ordre. Le lieutenant - colonel Luck m'a marqué avec bien de la j'oie les marqués réelles que V. M. lui a données de sa gracieuse approbation, ce qui doit 1'engager a faire de plus en plus paroitre son zèle pour votre service. Vous m'ordonnez, Sire, de vous donner de de Fouqué. II obtint en 1773 un régiment nouvelïement foriné Mais en 1780, ".'état infirme de sa santé lefore.a de prendre sou (.ougé. Le Rri lui accorda alors une pension.  AVEC M. DE FOUQUÉ. 5zt mes nouvelles. J'ai eu depuis prés de quatre semaines des douleurs de sciatique ; je me suis avisé de me servir dü baume de la Mecque, dont j'avois environ quinze ou dix-huit gouttes, que j'aiprisesen autant de jours. Jemen trouve plus dispos et beaucoup soulagé. Je vous rends graces, Sire, de vos excellens fruits , et suis , etc. LETTRE XXXV. Du Roi. Ce i3 septembre 176?. Eureusement, mon cher ami, il m'est encore resté un flacon de baume de la Mecque, que 1'Effendi m'a donné. Je vous 1'envoie avec le plus grand plaisir du monde , et j'y ajoute mille yceux, pour cjue ce baume vous fasse tout le bien imaginable. Portez-vous bien, et n'oubliez pas Ie plus fidéle et le plus ancien de vos amis. LETTRE XXXVI. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 19 septembre Sui! On vient de me rendre le flacon de baume «le la Mecque, que V. M. me fait la grace de m'envoyer. Jamais prince au monde n'a pris plus de soins pour son serviteur que V. M. pour ma santé, Tome I. X  322 Corkespokdakce Ce qui vous distingue, Sire, des autres princes, c'est que vous faites tant de bien a un homme qui ne peut, par le moindre service, vous entémoigner sa reconnoissance.Quelsort, Sire ! de ne pouvoir répondre a tant de bontés que par les sentimens de 1'attachement inviolable et de la fidélité, avec lesquels je serai jusqu'au dernier moment de ma vie , etc. LETTRE XXXVII. Du Roi. Ce 31 décembre 176»- E)On jour et bon an , mon cher ami ; je vous envoie un présent de vieillard k vieillard : une chaise commode, que vous pouvez hausser et baisser selon votre fantaisie; du vrai baume de la Mecque, pour restaurer vos forces ; et des breloques de ma manufacture de porcelaine, pour vous amuser. Quand je vous verrai 1'été a Potsdam , je vous ferai quelque galanterie plus solide. En attendant je fais, mon cher ami, des vceux pour votré santé , vous assurant que personne n'y prend plus de part que votre ancien et fidéle ami.  avec M. de Fouqué, Zq.% LETTRE XXXVIII. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 3janvier i76r,, Sire! Votre Majesté ne m'auroit jamais prévenu sur le compliment de la nouvelle année , si ce n êtöit qu'un effet d'attention et de discrétion ne m'en eüt empêché; d'ailleurs, je suis persuadé , Sire, que de tous les complimens que vous recevez a cette occasion, il n'y en a certainement pas qui puissent surpasser la sincénté des sentimens de mon cceur pour votre gloire et bien-être. ^ Je vous remercie, Sire , des belles et bonnes étrennes que vous avez la gréce de m'envoyer, et félicite V. M. de Ia satisfaction que lui doic donner la réussite de sa porcelaine, d'autant plus , qu'étant la dernière en date, elle 1'emporte en beauté sur toutes les autres. > Je ferai bon usage du fauteuil, et m'y dorlotterai de mon mieux. Le premier envoi de baume de la Mecque de V. M. m'ayant donné quelque force, guéri des crampes et de Ia sciatique, j'ai lieu d'espérer que Ie second volume achevera le reste, excepté Ia respiration et la voix, qui semble diminuer de plus en plus, Je suis. »»tc.  5^4 Cohrespondan ce lettre xxxix. Du Roi. Ce 9 janvier I7rt6". Je suis charmé, mon cher ami, que les bagatelles que je vous ai envoyées vous aient été agréables. C'est le dernier flacon de baume de la Mecque qui me restoit. J'ai fait écrire a Constantinople, pour en tenir en réserve, si vous en souhaitez. Notre carnaval ressemble aux jours ouvriers è Brandebourg ; il n'y a ni spectacle ni rien, a cause d'un deuil de familie qui m'afflige sensiblement. Je me suis relaché pour les derniers quinze jours en faveur de notre jeunesse , qui n'est guère sensible a la tristesse des autres. Votre ferme de tabac (a) avance bien, et je me flatte que vous aurez lieu d'en être content. Adieu, mon cher ami, soignez bien votre santé, et comptez toujours sur mon cceur , qui sera a vous a 1'avenir, comme durant le passé. fa) Lorsque le roi établit la ferme générale du tabac , il vint xine fois a parler i Fouqué pendant qu'il étoit chez lui i Brandebourg , dc Pavantage des intéressés, et lui conseilla d'y prendre part. Fouqué fit des difficultés, préférant les intéréts plus modiquet, mais plus sflrs , qu'il tiroit de la Landschaft a Berlin. Le roi entra la-dessus dans sa chambre , et revint bientót après avec une somme considérable qu'il remit a Fouqué : n Voici, lui dit -il, » de 1'argent que je vous apporte, pour que vous en achetiez n des actions de tabac m  avec M. de Fouqué. 3a5 LETTRE XL. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 9 janvier i?66. Sire! JE suis pénétré de toutes les bontés que vous me témoignez , au point que je ne puis en rendre les remerciemens convenables, tant par rapport aux soins que V. M. prend de ma santé, que pour celui qu'elle prend de mes intéréts. Ce dernier point m'engage a lui demander une nouvelle grace. Sire, la voici. J'ai perdu & la prise de Glatz toutes mes obligations , il y en avoit pour i8,5oo écus de votre Landschaft de Rerlin, dont je joins ici la note. Je supplie V. M., pour la süreté de ma familie, de vouloir m'en accorder de conformes aux premières qui étoient soussignées de sa main. Nous sommes autorisés tant par la raison que par 1'usage , de modérer le chagrin aussi-bien que la joie. Conséquemment, Sire , V. M. peut sans scrupule jouir du carnaval et du masqué. Comme V. M. se porte bien a 1'entrée de son année climatérique, je me ilatte que sa santé sera de longue durée. Je suis, etc. X 3  CoRn.e«-"ondanck LETTRE XLI. Du Roi. Ce 12 janvier 1766. f J^iA Iettre du 9 que vous m'avez fait parvenir, m'ayant été remise , j'ai saisi avec plaisir l'occasion de vous marquer ma bonne volonté pour vous obliger, et j'ai donné des ordres précis a la Landschaft, afin de faire expédier de nouveau et envoyer a ma confirmation les contracts , selon le dénombrement que vous en avez joint sur les fonds que vous y avez placés. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde. P. S. Vous recevrez, mon cher ami, vos quittances dès qu'on me les aura envoyées. LETTRE XLII, Du Roi. Ce 9 février 1766. JE vqus envoie , mon cher ami , une petite provision de truffes d'Italie qu'on m'a fait tenir par Vienne. Je souhaite qu'elles vous soient agréables, et qu'elles vous ragoutent et réveillent votre appétit. J'attends ici tranquillement dans mon trou le retour du printemps; cette saison-ci n'est pas faite pour notre ége. Nous autres vieillards ne ressuscitons qu'au printemps et végétons en  avec M. de Fouqué. ^27 été ; mais l'hiver n'est bon que pour cette jeunesse bouillante et impétueuse , qui se rafralchit a des courses de tralneaux et a se peloter de neige. Adieu, mon cher ami; j'e fais des vceux pour votre conservation et pour tout ce qui peut répandre des agrémens sur votre vie. LETTRE XLIIL De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 11 février 17CC. Sire ! JE rends graces k V. M. des truffes d'Italie qu'elle vient de m'envoyer. Ceux qui auront gouté de 1'une et de 1'autre espèce , trouveront que celles de votre bon pays de Magdebourg et de Halberstadt les surpassent infinb ment. Le long voyage des Ultramontaines peut en étre la cause. Puissiez-vous , Sire, j'ouir long-temps de tous les mets et de tout ce qu'il y a de bon dans ce monde , puisque personne n'en est plus digne que vous! Je me flatte , Sire, que vous passerez bien au dela de mon kge de soixante-neuf ans, sur-tout depuis les effets des bains de Landeck, qui vous ont raffermi au point de supporter égalementle froid et le chaud dela saisonau ternps de vos manoeuvres. Je deviens sourd , Sire , et j'ai toute la peins du monde a me faire entendre. X 4  32S CoRRESTONDANCE Votre serviteur s'achemine tout doucement vers le grand voyage. Tót ou tard , et qu'elle qu'en soit Tissue, soyez persuadé que je vous aimerai, Sire, avec un dévouement inviolable et le plus profond respect, jusqu'au dernier moment de ma vie. Je suis , etc. LETTRE XLIV. Du Roi. Ce 16 février 17<56. \^Otre lettre ,' mon cher ami, m'a attristé. Vous parlez de votre départ; et si cela dépend de moi, j'ai envie de vous conserver le plus long-temps possible. On trouve par - tout des hommes, maisrarementd'aussi honnêtes gens et d'aussi fidèles amis que vous. Soignez-vous le plus qu'il est possible pour que je ne vous perde pas si-tót, et songez au chagrin que j'aurai si je me vois séparé de vous pour jamais. La surdité ne fait rien k 1'affaire ; on a des cornets qui facilitent 1'ouïe ; feu madame de Rocoulle en avoit, et je vous en ferai faire ; de sorte que j'espère qu'è. 1'aide du beau temps vous reprendrez des forces, et que je pourrai avoir encore le plaisir de jouir de vous a Sans-Souci. Plein de cette persuasion, je vous prie de faire tout ce qu'il faut pour vous conserver, afin que j'aie alors le plaisir de vous embrasser, et de vous donner des marqués de ma sincère tendresse. Adieu.  avec M. de Fouqué.- £29 LETTRE XLV. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 19 février i?6«. Sire! Je ne puis répondre a vos bontés , un torrent de larmes me serre le coeur , et 1'expressron me manque. Toute ma consolation et ce qui me fiatte le plus , c'est que vous m'estimez au nombre de vos amis. Mais qui suis-je moi, pour recevoir tant de graces ? un chien mort comme votre Mephibosetb. L'ordinaire des princes n'est pas d'avoir 1 ama si tendre ; et vous qui les surpassez tous , Sire , comment s'est-il pu faire que vous 1'ayez si flexible pour vos amis ? aussi j'en reconnois tout le mérite , la grandeur et le prix. Je ne crois pas , Sire, et le Ciel m'en est témoin , qu'on puisse surpasser les sentimens d'attachement que j'ai pour votre auguste personne. Je baisse beaucoup et de tous cótes ; Je parle fort peu , paree qu'on a peine a m'entendre ; et méme j'e ne puis articuler ce que je veux dire , comme feu le général de Rochow. Peut-être que la belle saison y portera quelque changement, et me procurera encore le seul bien oü j'aspire en ce mende, qui est de vous voir. Je suis, etc.  LETTRE XLVL Du Roi. Cc 24 février 17^6. JE vois bien qu'il faut vous fortifier, mon cher ami. On a voulu gouter il y a deux jours du vin de Hongrie de mon grand-père , on Fa trouvé bon. J'ai gardé la bouteille , je vous 1'envoie; c'est Ia dernière. Puisse-t-elle vous faire du bien ! Si vous voulez d'autres vins vieux , j'en ai de toutes les espèces, et je me ferai un vrai plaisir de vous les fournir ; vous n'avez qu'a le dire. Je fais mille vceux pour votre conservation , en vous embrassant de tout mon cceur. Adieu, mon cher ami. LETTRE XLVII. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce s mars 17Ö6, Sim! C^Uel dommage , et quelle perte pour V. M. de vouspriver de tout ce qu'il y a de plus délectable en fait de vin, et d'étre d'un goutsiopposé a celui de S. Luc. Ge saint homme , avancé en ége sans doute et avec un estomac débile, jugea en bon connoisseur que le vin vieux étoit préférable au nouveau. Nonobstant les sentimens si contraires de V. M., je ne cesserai de  avec M. de FouQui 3j1 faire les vceux les plus ardens pour la conservation de ses précieux jours. Je suis, etc. lettre xlviii. Du Roi. Ce 16 avril 1766. Je vous envoie , mon cher ami, quelques légumes et ce qu'il y a de plus nouveau dans le jardinage. Je souhaite que cela vous fasse plaisir, que vous en mangiez en bonne santé , et que cela vous fasse ressouvenir de votre vieil ami. LETTRE XLIX. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 17 avril I766. Sire! Je vous rends graces des légumes que V. M. vient de m'envoyer. Ce n'est qu'a Sans-Souciou l'on puisse trouver des choses si précoces. Egalement pénétré de joie de vous savoir en bonne santé , Sire , que de reconnoissance pour votre gracieux souvenir. Je suis, etc. LETTRE L. Du Roi. Ce 31 mai 1760. IVlon cher ami, je m'invite tout rondement a diner chez vous sans facon, comme 1'amitié 1'au-  'ÓZz CoRRESPOifDA SCÏ lorise , pour le 2 juin, ce qui est après-demain. Je ine réjouis d'avance , mon cher Fouqué, d'avoir le plaisir de vous embrasser. Je serai k onze heures chez vous. Adieu, mon cher ami. LETTRE LI. Du Roi. Ce 5 juillet 17G6. «FE vous envoie , mon cher ami , quelques fruits de mon j'ardin. J'ai eu a faire jusqu'ici; k présent je suis seul; cependant je ne vous invite a venir que quand la pluie sera passée , paree que le froid qu'il fait a présent ne seroit pas convenable h. votre santé. Vous aurez la bonté de me dire naturellementsi ce petit voyage vous convient, et quand vous voulez le faire , pour que je vous envoie de mes chevaux d'avance. Adieu, mon cher ami, je reconnoitrai ce plaisir que vous voulez me faire, et je vous embrasse. LETTRE LIL De M. de Fouqué. ISrandebourg , ce 5 juillet i?C6. Sire! JE vous rends graces des bons fruits que V. M. vient de m'envoyer. Plus mon cceur est pénétré de reconnoissance pour le gracieux souvenir de V. M., et plus je suis mortihé, Sire, de me voir dans la situation  avec M. de Fouqué. 55j qui m'ote le pouvoir de me rendre k vos ordres. Mes maux de reins sont encore les mêmes, et neme permetten t pas de grutter mon fauteuilJ'espère que le beau temps en dissipera les douleurs , et me mettra en état de satisfaire Fera. pressement respectueux que je ressens de me jeter aux pieds de V. M. Je suis , etc. lettre lui. Du Roi. Ce ic juillet 1766. Je vous aienvoyé un médecin (a), mais comme je sais que vous ne vous en servez que fort superficiellement, je vous envoie, mon cher ami, des meions , qui peut-être seront plus de votre eoüt. Le médecin prétend que vous avez passé ïe temps de la saignée , mais qu'en vous faisant tirer un peu de sang, vous yous trouveriez beaucoup soulagé. Personne ne prend plus de part que moi a votre conservation ; ainsi ne trouvez pas ótrange que j'entre dans le détail de votre santé et de ce qui peut prolonger les jours de mon ancien et fidéle ami. Adieu, mon cher, je vous embrasse. (a) M. Cothenius, que le roi envoya au général Fouqué , fut très-bien recu ; mais on lui laissa i peine le temps de s'informer de la santé du général. Dela vient qu'il fut peu satisfait de sa docilité ct de sa diète.  534 CorrêspondAïïcé LETTRE LIV. De M. de Fnuquè. Brandebourg, ce 16 juillet i?6tf. Sire! djE sont vos bontés seules qui me soulagent. Je vais me servir des bains que votre médecin m'a ordonnés. Je me saigne réguliérement deux fois par an , le i5 d'avril et le i5 d'octobre. Au reste , je me rapporte au gout du public, en donnant aux cerises et aux meions la préférence sur la casse, le sené et la rhubarbe. Je suis, etc. LETTRE LV. Du Roi. Ce 26 septembre 176C. «TE vous envoie, mon cher ami, du vin de Hongrie , ayant appris en Silésie que vous en désiriez; et je vous envoie en même temps de mes raisins, que vous goüterez en cas qu'ils ne vous soient point nuisibles. J'ai aussi écrit a Constantinople pour du baume de la Mecque, paree que je soupeonne que le vótre sera consumé. Enfin je voudrois contribuer a votre conserva. tion autant qu'il dépend de moi. Secondez.moi, mon cher , dans cette entreprise , par les soins de votre santé , pour que je conserve le plus long-temps que possible mon bon ancien et fidéle ami. Adieu.  AVEC Mi DE F O TT Q U É. 535 L E T T R E LVL De M. de Fouqué. Brandebourg , ce 37 septembre 1766. Sire.' (^)uels soins prenez-vous d'un homme qui ne vous est plus utile k rien ! II ne suffit pas que V. M. m envoie du vin de Hongrie et des raisins qui entr'eux se disputent k qui 1'emportera pour Se goüt, il faut encore que FAsie y fournisse de son baume. Comment puis-je , Sire, répondre aux bontés infinies dont V. M. me comble ? Mon cceur 4prouve tous les effets de Ia reconnoissance , mais 1'expression me manque. Rien ne contribue plus k ma conservation, Sire , que les soins gracieux de V. M., sans lesquels je ne serois peut-ëtre plus. Le baume de la Mecque , Sire , ne laisse pas que de me donner des forces, et je me servirai de votre vin de Hongrie pour fortifier mon estomac , en chantant la louange et la gloire de mon incomparable bienfaiteur. Quel chagrin pour moi, ^Sire , de n'être plus en état de prouver par mes services le zèle et Ie dévouement inviolable avec lesquels je suis , etc.  5ZG CorRespondance lettre lvii. Du Roi. Ce ii octobre 1766. T'Ai enfin recu , mon cher ami, du baume de laMecque, que mon ministre m'a rapporté de Constantinople. Je vous 1'envoie en faisant mille vceux pour qu'il vous fasse tout le bien possible , et en vous assurant que personne ne s'intéresse plus a vous que votre vieil ami. lettre lviii. JDu Zlui. Brandebourg, ce 17 octobre 17^6* Sire! Ce n'est pas assez que v. M. ait rendu mes jours heureux , elle cherche encore a les pro. longer par les soins gracieux qu'elle prend de ma santé. Je vous rends grèces , Sire, pour la provision de baume de la Mecque que vous venezde m'envoyer. Je meserviraide cet excellent remède comme d'un confortatif et CQmms d'un témoignage de Y0S bontés. Je suis, etc. lettre  A V E C Rf, DE FOUQÜ É. j~J LETTRE LIX. Du Foi. Ce 19 décembre ij66. Tr O Ü vous envoie , mon cher ami, un service de ma porcelaine, que je vous ai destiné depuis long-temps , et que les fours ont empêché d'étre achevé plutot. Je vous prie de vous en servir ; s'il se casse , je le completterai facilemenr. Portez-vous bien. Vivez pour ma consolation et j'ouissez de toutes les prospérités que comporte 1'hümaine nature. Ce sont les vceux que fait pour vous le plus ancien etle plus fidéle de vos amis. LETTRE LX. Dc M. de, Fouqué. Brandebourg, ce 23 décembre 1.-66. olilE.' e O'II y a un moyen de prolonger mes jours , je crois que V. M. en possède le secret, témoin la joie que je ressèns du beau présent de porcelaine que je viens de recevoir. II est certain , Sire , qu'en se servant le matjn du baume de la Mecque, a midi d'une soupe bien mitonnée dans vos belles terrines , et au dessert, de votre vieux vin de Hongrie il y a toute apparence que la continuation peut mener fort loin. Jugez, Sire , de la vive reeonnoissance et d# 2'ome 2. y  533 CoRRESPONDANCÏ 1 'obligation que je dc-is a V. M. pour toutes ses graces et ses bontés. Comme je ne vous suis plus utile a rien , Sire , mon temps sera toujours em» ployé a chanter votre los-honneur et gloire (a), et a faire des vceux pour la prospérité de votre auguste personne. Je suis , etc. lettre lxi. I Du Roi. Ce 18 févtier 1767. ƒ S vous envoie, mon cher ami, un petit p&té de Périgord. Je souhaite qu'il vous soit agréable, et que votre santé soit assez b'onne pour le maneer sans incommodité. Ceux qui viennent de Brandebourg disent que vous vous portez bien ; ce ne sera jamais autant que je le souhaite , car personne ne s'in^ téresse tant k votre conservation que votre ancien et fidéle ami. lettre lxii. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 18 février 1767. Je vous rends graces du paté de Périgord. dont il vous a plu me faire part. Je le trouve fort bon, et le haut goüt n'y manque certaine- (a) Cette exuression fait allusion a la charge de chanoine ds Dftme dont Fouqué éloit rsrêtu.  avec M. de Fouqué. 3'3g ment pas. Mais le moyen de faire tout tourner en bien a qui que ce soit, c'est d'en user sobrement. Je compte sürement que V- M. fera de méme. Quant k ma santé, Sire , elle est passable. Grdces au temps présent qui me permet de temps a autre de déterrer un blaireau ou nn renard; d'ailleurs je parle a ne plus me faire entendre , et j'e marche en chancellant. Je ïie suis plus assuré que sur un seul point, qui est 1'attachement inviolable avec lequel mon coeur vous sera voué j'usqu'au dernier moment de ma vie. Je suis, etc. LETTRE LXIII. De M. de Fouqué. Brandebourg , ce 4 septembre 176?. Sire! J'Ose me flatter que votre voyage se sera terminé heureusement a votré satisfaction; j'en juge par 1'avancement que vous avez trouvé « propos de faire. La part que j"y prends pour le colonel Luck me fait augurer que V. M. a été contente du régiment. Pour comble de mes vceux, continuez, Sire, k vous bien porter; et après avoir satisfait k vos voyages et a vos revues, j'espère que vous allez vous délasser en préparant une bonne réception au prince d'O range, et terminer le tout par de belles et glorieuses noces. Permettez-moi, Sire, de vous en faire mes compljmens de félicitation. Je Y a  34e FotjquÉ. s41 LETTRE LXVI. De M. de Fouqué. Brandebourg^ ce 13 novembre 1767. Sire! Jè suis sensiblement touché des. nouvelles marqués de vos bontés et des graces que V. M. vient de me témoigner par les soins qu'elle prend de la conservation de mes jours. J'ai lieu de m'estimer le plus heureux des mortels ; sur-tout, Sire , si le Ciel un jour vient è ratiher les graces que vous m'avez témoignées, pendant ma vie. J'ose 1'espérer, et me fonde sur 1'amitié que je porie k son oint, pour la prospé^ rité et la conservation duquel je ne cesserai de lui adresser mes voeux. Je suis et serai, Sire , jusqu'au dernier moment de ma vie , etc. LETTRE LX VIL Du Hoi. Ce 23 décembre I7<Ï7. M0n cher ami, je croirois avoir mal passé le JNoël, si je ne vous envoyois pas une petite marqué de mon souvenir. Voici de ma porcelaine , pour que vous jugiez des progrès de ma fabrique , et voici des truffes que j'ai reoues de Turin. Je souhaite que 1'un et 1'autre vous soient agréables ; que vous vous portiez bien, et que vous n'oubliez pas YOtre ancien et fidéle ami. 1 Y 3  54a C o r r f. S p o n u a n c e LETTRE L X V I 11. Z)c M. rfè Fouqué. m Biandebourg, ce 30 décembre 1767. des bienfaits du roi son maitre, est une satisfaction qui ne se fait pleinement ressentir qu'a inon age. Vous jugerezr, Sire , de la joie que produit en mon cceur votre gracieux souvenir et les belles étrennes qu'il vous a plu d'y ajouter. La procluction de votre fabrique de porcelaine estun ouvrage achevé, dontla beauté et le goüt surpassent tout ce qu'on peut voir en ce genre. Quant aux truffes de Turin , qui k mon goüt ne valent rien , peut-être que celles de votre pays auroient le même sort en faisant un voyage semblable. Je vous souhaite, Sire, une bonne et heureuse année. Portez-vous bien, soyez content, etprospérez toujours. Je suis, etc. LETTRE LXIX. Du Hoi. Ce 7 janvier 1768. Je vous envoie , mon cher ami, le dernier office que je rends a un neveu que j'ai beaucoup aimé. Je puis vous assurer qu'il n'y a rien d'ajoutéj ct que son caractère et ses connois-  avec M. de Fouqué. 3/j3 sances étoient telles que je les ai dépeintes (a). Je ne vous enverrai plus de truffes d'Italie ; il faut que votre cuisinier ne sache pas les accommoder, car tout le monde les a trouvées ici excellentes. Adieu, mon cher ami, je vous embrasse en faisant mille vceux pour votre conservation. lettre LXX. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 8 janvier 176;;. Sire! Je suis sensiblement touché de Ia mort du prince Henri, duquel a la vérité je n ai eu de connoissance que de sa figure aimable. Les soins que vous avez pris, Sire, de son éducation , les espérances que vous fondiez sur le mérite de ce cher prince, et 1'éloge que vous lui donnez, sont a la fois un témoignage de 1'amitié que vous lui portiez et des bonnes qualités qu'il possédoit. C'étoit enunmot votre ouvrage. J'assistois ii son oraison funèbre a 1'église du Döme, oü l'on chantoit un hymne qui me fit pleurer a chaudes larmes , c'étoit : Das Grab ist da, die bestin Ja/ire Sindauch des blassen Todes Raub ; Er legt den schönsten au/die Bahre , Undwirft den starksten inden Staub; (a) C'est 1'Éloge du prince Hcnri de Prusse , \\\ dans l'assemWée extraordinaire de 1'académie royale des sciences , le 30 dïcsmbre 1767 ; il se trouve ci-après , dans le tome IV.  5i!4 CoiUESI'Oi'BASeE Die Grabschrift die die Tugendgrabt , Macht das man auch im Tode lebt , u. s. w. (a) La perte de cet aimable prince est pour ainsi dire irréparabie , si ce n'est ( avec permission de V. M.) qu'elle veuille redoubler ses soins pour le prince de Prusse , auquel généralement Pon attnbue le caractère d'honnéte homme avec ïous les sentimens qui y répondent (b). Vous le devez, Sire, k votre propre gloire , au sang et a 1'Etat; de plus, a Ia reconnoissance et a 1'obligation que ce prince vous en aura. Je vous rends graces , Sire , de 1'exemplaire dont il vous a plu de m'honorer, et que j'estime un ouvrage parfait. Je suis , etc. LETTRE LXXI. Du Hoi, Ce 26 avril 1760'. 3VÏ0n cher ami, j'apprends du général Kleist que vous étes indisposé , et je vous envoie mon médecin pour s'informer de votre santé. Je fais mille vceux pour vous , c'est a quoi je borne mes facultés. Si j'étois médecin , je voudrois (a) C'est-a-dire : La tombe est prête , et le plus doux printemps Va s'y confondre avec 1'liiver des ans : Force , beauté, rien ne peut en défendre ; La , tout n'est plus qu'une stérile cendre, Le seul burin, hélas! pour un instant Défend encor la vertu du néant. (b) ivr.'de Fouqué parloit de Fréderic-Gnillaume II, Uoi acruel. ( VEditeur.)  a v 2 g M. d e F o u Q V É. Vous guérir ; et si j'étois Dieu, je vous rendrois immortel ; car les honnêtes gens devroient 1'être. Mais ma puissance ne va qu'a faire des voeux pour vous. S il y a ici quelque chose a votre service , vous n'avez qu'a dire un mot; tout ce qui dépend de moi, se fera. Je souhaite d'apprendre de vous de bonnes et d'agréables nouvelles. En attendant je vous embrasse tendrement. Adieu. LETTRE LXXII. De M. de Fouqué. Brandebourg , ce 27 avril 176,'j, Sire! •SAns étre ni Dieu ni médecin, vos bontés et vos graces ne laissent pas que d'opérer de bons effets ; sur-tout la joie qüe je ressens de vous savoir en parfaite santé, dont je vous souhaite la continuation pendant une longue suite d'armées. Quant a moi, je vais mon chemin, et je m'appréte peu-a-peu pour le grand voyage. Le quinquina vient de me guérir de la fièvre ; il ne me reste plus pour achever la cure , que de pouvoir entendre , parler et marcher. Je me rappelle qu'ayant engagé défunt le duc de Barby, il y a trente ans passés , a se servir des bains de Lauchstasdt, prés de Halle , il y alla avec deux béquilles , et en revint sain etsaufau bout de quatre seinaines , marchant comme a l'ordinaire.  546 CoRRF. SPüïDjlirCE Je serois fort tenté d'en faire lexpérience, si V. M. m'en accorde la permission. Ce qui ton te fois ne se fera qu'après le passage de V. M. par Brandebourg. Je suis, etc. L E T T R E L X X 111. Du Roi. Ce »8 avril 1763. J'Ai été bien-aise de voir par votre lettre que votre santé se rétablit, et que vous étes intentionné de vous servir des eaux de Lauchsta-dt. il dépendra absolument de vous d'y aller quand Vous voudrez , pourvu que cela ne soit pas justement dans le temps des revues prochaines , quand j'irai a Magdebourg ; paree que , en passant par Brandebourg, je voudrois bien avoir le plaisir de vous voir. Sur ce , je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde. LETTRE LXXIV. Du Roi. Ce 13 octobre 176S. Mo n cher ami , voici le petit tribut que je vous offre; ne regardez pas a la somme, mais ne considérez que le cceur tendre du plus fidéle de vos amis qui voudroit vous faire plaisir. Ménagez-vous bien ; vivez comme Méthusalem , et soyez persuadé que je vous aimerai de corps et d'aine jusqu'a mon dernier soupir.  avec M. b e fouqtjé. 347 lettre LXXV. De M. de Fouqué. Brandebourg , ce 14 octobre irCS. Sire! Je ne sais que répondre aux graces et aux bienfaits dont je me vois comblé. Les expressions, par lesquelles je voudroismarquer a V. M. ma reconnoissance, me manquent. Cependant, Sire, j ose assurer V. M. que je suis moins sensible a tous les trésors que vous pourriez m'offrir , qu ans termes gracieux qu'il vous plait d'y ajouter. Mon cceur vous est garant, Sire, de 1'attachement inviolablo cpic j'aurai jusqu'au dermer moment de ma vie pour votre auguste personne. Je suis, etc. lettre lxxvi. Du Roi. Ce 22 décembre 1768. ïVton cher ami, voici une petite marqué de souvenir que je vous envoie. L'usage est que les families se fassent des présens a la Noël; et je vous traite comme de la familie , tant en qualité <1'honnéte et preux chevalier sans peur et sans ? eproche , qu'en qualité de mon ancien ami. Ayez bien soin de votre santé, pour que je c onserve mon bon et vieil ami le plus long-temps possible , et que j'aie encore souvent le plaisir de vous assurer de vive voix de toute 1'étendue de matendresse et de mon estime.  S^S C o n n E S l> o N d a N r. E LETTRE L XX VII. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 24 décembre i?öS Sire! T , J L s'en faut de beaucoup que mes enfans aient ressenti a leurs étrennes la joie que j'ai eue a la reception des vötres , et du gracieux souvenir dont il vous a plu de m'bonorer. Que ne puis-je reconnoitre dignement tant de bontés ! Je ne le puis qu'en idee et par des vceux qui sont d'autant plus sincères, qu'ils partent de cceur et d'affection. Je ne parle plus a me faire entendre, et p3 perds 1'ouïe. Je cherchc a Berlinun petit cornet, pour suppleer, s'il est possible, a ce défaut, tel que madame Rocculle en a eu , sans le pouvoir trouver. Je suis , etc. LETTRE LXXVIII. Du Foi. Ce 9 janvier 1769. JE vous envoie , mon ober ami, tous les iostrumens acoustiques que j'ai pu recueillir ici, avec une note sur leur usage. Je souhaite' qu'ils vous ï endent 1'ouïe et soulagent votre vieillesse. Si je pouvois vous rajeunir, je le ferois; mais cela^ passé mes forces. Je vous embrasse de tout mon cceur.  avec M. de Fouqué. 349 LETTRE LXXIX. De M. de Fouqué. Brandebourg , ce 12 janvier 1769. Sire ! S'il y a moyen de me rétablir, j'e dois certainement 1'attendre des bontés de V. M. Je vous rends très-humblenient graces , Sire , des instrumens que vous venez de m'envoyer , et dont! les deux plus grands 'font leur effet. J'en ferai demain 1'épreuve au temple , oü je prierai pour la prospérité de mon auguste bienfaiteur. Jo suis , etc. LETTRE LXXX. De M. de Fouqué. Brandebourg, ce 5 septembre 17Ö9. SiRe! PErmettez que j'e vous témoigne la part que je prends a votre heureux retour de la Silésie , et de la visite remarquable qu'elle vient de recevoir de S. M. Impériale a Neisse. Trait qui sera k jamais mémorable dans votre histoire. Je souhaite , Sire , que le tout se soit terminé a la satisfaction de V. M.; et que ce prince, désireux de s'instruire , en rendant justice k vos talens militaires , ne veuille pas un jour mettre k pro fit contre son maitre ( al'exempledes Russes ) les instructions qu'il vient d'en recevoir. Je suis , etc.  Corivespondance LETTRE L X X X I. Du Moi. Ce 7 septembre 1769. Mo n dier ami, je vous suis bien obligé de la part que vous prenez a la visite que j'ai recue. Ce jeune empereur est un prince plein de mérite et d'ambition. II m'a témoigné toute 1'amitié qu'un de mes plus proches parens pourroit avoir pour moi. II m'a même dit , qu'il ne comptoit jamais faire usage envers moi ou ma familie de ce qu'il pourroit apprendre chez nous. II est parti très-satisfait, et m'a invité 1'année prochaine k venir chez lui; ce que je lui ai promis, comme cela n'étoit que juste. On a trouvé votre régiment très-beau, et en bon ordre. Toutes ces troupes sont dans un tel état, qu'il ne reste presque rien a désirer pour elles que leur conservation; en un mot, j'ai eu tout lieu d'étre content de mon voyage. Je vous envoie des fruits de mon verger ; car , mon cher ami, a notre ége il ne nous reste que de cultiver nos jardins. Je vous embrasse du fond dé mon coeur. en vous assurant que je suis tout a vous.  avec M. de Fouqué. 55i LETTRE L XXXII. De M. de Fouqué. Brandeb ourg , cc 8 fcptembre 1769. Sire! Je suis charmé d'apprendre par votre gracieuse lettre , que vous étes satisfait et de la visite de Sa Majesté Impériale et de tout votre voyage. Je ne souhaite plus que de vous savoir toujours en bonne santé ; rien ne sauroit égaler la consolation que j'en ressens. Je vous rends graces , Sire , du fruit excellent que vous avez eu la bonté de menvoyer. Je suis, etc. LETTRE LXXXIII. Du Roi. Ce 29 décembre 1769. JE vous envoie, mon cher ami, des étrennes de ma fabrique de porcelaine. Les progrès en sont sensibles ; et je souhaite que cela puisse vous faire quelque plaisir; c'est ce que je désire , vous aimant et vous considérang comme un preux chevalier, et comme le plus ancien de mes amis. Je suis. k vous de corps et d'ame.  LETTRE LX XX IV. De M. de Fouqué. Bfandebonrg , cc 29 décembre 1709. Sire ! JE vous rends grdces des étrennes qne V, AL a eu la bonté de m'envoyer. La beauté de la porcelaine s'augmente de jour en jour , et je crois qu'elle est parvenue' k son plus haut période , tant en beauté de dessin qu'en blancheur. . Ce qui mest le plus sensible , est le gracieux souvenir de V. M. ; et ce que je souhaite ardemment ; est la parfaite santé et la Conservation de son auguste personne. Je suis, etc. LETTRE LXXXV. Du Foi. Ce 6 mai 1770 , jour de la bataille de Pragrje. JFE vous envoie , mon cher ami, des vieux vins de Hongrie, pour vous en délecter le même jour oü vous fütes, il y a treize ans, si cruellement blessé par nos ennemis. J'ai eu la goutte qui m'a fort maltraité cette fois par trois accès consécutifs aux deux jambes comme aux genoux, mais je n'y pense plus. Nous exercons que c'est une merveille, et je vais mon train tant qu'un soufflé de vie m'anime. Puissiez  avec M. de F o u q tj é. 555 Puissiez-vous aussi-bien vous porter que je Je désire, et être persuadé de la tendresse et de Festhne infinie qui m'attache a votre personne. LETTRE LXXXVI. De M. de Fouqué. Sire! Brandebourg , ce 7 mai 1770. Je vous rends grAces des vieux vins de Hongrie que vous avez eu la bonté de m'envoyer pour célébrer le jour de la bataille de Prague. II me servira de confortatif > vu que je baisse par tous les organes. Le rétablissement de V. M. contribue au mien. La triste expérience que vous en avez , fait que vous savez y porter remède par le régime. Je souhaite qu'elle soit durable, et que vous puissiez faire les exercices jusqu'a la fin du siècle. Je suis , etc. LETTRE LXXXVII. Du Roi. Ce 24 décembre 1778. Je vous envoie , mon cher ami, une peüte marqué d'amitié et de souvenir, que j'espère que vous prendrez comme venant de la part de votre plus ancien et fidéle ami. Je souhaite qu'a la nouvelle année vous recouTome I Z 1  554 CORRESPONÖANCE vriez la voix, la vue et 1'ouïe ; que vous m'aimiez toujours un peu , et que vous soyez persuade de mon amitié et de mon estime. Adieu. LETTRE LXXXVIII. De M. de Fouqué. Sire! Brandebourg, ce 22 décembre 177c. JE suis sensiblement touché du souvenir que V. M. vient de me réitérer , et c'est avec bien du regret que je ne puis reconnoitre dignement tant de bontés. Je ne le puis que par les vceux les plus sincères et par tes assxirances que votre contentement fait mon unique consolation et mon seul soulagemént dans mes infirmités , qui s'augmentent toujours et doni: je n'ai aucun lieu d'espérer quelque changement. Je rends graces a V. M. de la belle porcelaine qu'elle a eu la bonté de m'envoyer , et qui surpasse tout ce que j'ai vu jamais en ce genre. Je suis , etc. L E T T R EV LXXXIX. De M. de Fouqué. Brandebourg , ce 23 septembre 1771. Sire! pErrnettez-moi de vous témoigner Ia part que je prends a votre heureux retour de la Silésie ; soiihaitant de tout mon cceur qu'il se soit ter-  avec M. de Fouqué. 555 miné en parfaite santé et a la satisfaction de V. M. Je vous rends gréces,, Sire, du fruit excellent qui m'est parvenu par 1'ordre de V. Mpendant son absence. Je suis , etc. LETTRE XC. Du Roi. oaobre i7?r. «Te suis bien aise , mon cher ami , que les fruits vous aient été agréables. C'étoit a cette intention qu'ils vous ont été envoyés , et encore paree que j'ai supposé que le Brandebourg n'en fourniroit pas beaucoup cette année. Jë reviens de Ia Silésie, oü j*ai trouvé beaucoup d'ouvrage achevé , mais oü il reste cependant encore bien des choses k faire. Votre régiment commence k devenir beau, mais je ne vous en parle point, paree que dans 1'état d'infirmité oü vous vous trouvez, cela vous causeroit des regrets qu'il faut vous épargner. Adieu , mon cher ami ; ménagez bien votre santé. Aimez-moi toujours , et soyez persuadé, que comme de tous vos amis je suis le plus ancien, j'ën suis aussi le plus'fidéle.  356 T A B L E. t-Propos. Page 5 L'Anti-Machiavel , ou Examen de 1'Ouvrage de Machiavel, intitulé : DU PRINCE. CHAPITRE I. Combien il y a de sortes de Principautés , et comment on peut y parvenir. g CHAP. II. Des Principautés hérèditaires. n C H A P. III. Des Principautés mix tes. i3 CHAP. IV. Pourquoi le Royaume de Darius ne se soulevupui/tc après la more d'Alexandre, qui l'avoit conquis. 19 CHAP. V. Comment il faut gouverner les Villes ou les Principautés , qui se gouvernoient par leurs propres loix avant que d'étre conquises. a3 CHAP. VI. Des nouveaux Etats que le Prince acquiert par sa valeur et par ses propres armes. 26 CHAP. VII. Des Principautés nouvelles, que l'on acquiert par les forces d'autrui, ou par bonheur. Z2. CHAP. VIII. De ceux qui sont devenus Princes par des crimes. Zj . CHAP. IX. De la Principautè civile. 41 CHAP. X. Comment ilfaut mesurer lesforces de toutes les Principautés. 44 CHAP. XI. Des Principautés ecclésiastiques, 49  T A B L E. 3rJ7 CHAP. XII. Combien il y a de sortes de Milices , et ce que vaut la soldatesque mercenaire. 53 CHAP. XIII. Des Troupes auxiliaires, mixtes et propres. 58 CHAP. XIV. Instruction pour le Prince concernant let Milice. 62 CHAP. XV. Ce qui fait louer ou bldmer les. Hommes , et sur-tout les Princes. 67 C PI A P. XVI. De la libéralité et de Véconomie. 69 CPIAP. XVII. De la cruauté et de la dé-, mence : et s'il vaut mieux étre aimé que craint. CHAP. XVI11. Si les Princes doivent tenir leur parole? ^5 CHAP. XIX. Qu'il faut évitqr d'étre méprisé et hoi. 82; CHAP- XX., Si les forteresses , et plusieurs autres choses que les Princes font souvent, sont utiles, ou nuisibles ? 8g CHAP. XXI. Comment le Prince doit se gou-. vertier pour se mettre en estime. 96 CHAP. XXII.. Des Secrétaires des Princes, io3 CHAP. XXIII. Comment ilfautfuir les flatteurs. 107 CHAP. XXIV. Pour quoi les Princes d'Italie ont perdu leurs Etats. 110, CHAP. XXV. Combien la fortune a de pouvoir dans les affaires du monde, et comment on peut lui résister. 11A CHAP. XXVI. Des différentes sortes de nè- Z 5  353 T. A B L E. gociations, et des raisons qu'on peut appeiivr Justes de faire la guerre. x&\ Instructions militaires de Fréderig II pour ses Généraux. Première Partie. Articie I. Des Troupes Prussiennes, de leurs défauts et de leurs avantages. x"5j Art. II. De la subsistance des Troupes et des Vivres. (Feld-Commissariat.) i4a Art. III. Des Vivandiers, de la Bière, et de l'Eau-de-Vie. xfy] Art. IV. Des Fourrages au sec et au vert. 148 A r t. V. De la connoissance du Pays. 152 Art. VI. Du Coup-d'Oeil. x55 Art. VII. Dela distribution des Troupes. i56 Art. VIII. Des Camps. i5g Art. IX. Comme il faut assurer son Camp. 169 Art. X. Comment et par quelle raison il faut envoyer des Détachemens. 171 Art. XI. Des Stratagérnes el des Euses de guerre. i75 Art. XII. Des Espions ; comment ilfaut s'en servir en toute occasion , et de quelle manière on peut avoir des nouvelles de 1'ennemi. 179 Art. XIII. 'De certaines marqués par lesquelles on peut découvrir l'intention de 1'ennemi. x 82 Art. XIV. De nos Pays, des Pays neutres, des Pays ennemis , de la différence des Bcligions, et quelle conduite ces différens objets requièrent, 184  T A B L E. 359 Aut. XV. De toutes les Marches qu'une Armée peut faire. 187 A r t. XVI. Quelles précautions on prendra dans une retraite contre les Housards et les Pan* dours. ig5 Art. XVII. De quelle manière les Troupes, légères Prussiennes combattront contre les Housards et les Pandours. 197 Art. XVIII. Par quels mouvemens' on peut forcer tennemi d'en faire aussi. 198 Art. XIX. Des passages des Rivières. 201 Art. XX. Comment il faut défendre le passage des Rivières. ao3 Art. XXI. Des surprises des Villes. 206 Art. XXII. Des Combats.et des Batailles. 207 Art. XXIII. Par quelle raison et comment il faut donner bataille. 23o> Art. XXIV. Des hasards et des accidens imprévus qui arrivent d la guerre. 234 Art. XXV. S'il est absolument nécessaire qu'un Général d'armée tienne conseil de guerre. 238 Art. XXVI. Des manoeuvres d'une Armée. Art. XXVII. Des Quartiers d'hiver. 240 Art. XXVIII, Des Campagnes d'hiver en particulier. 246 Instructions militaires de Fréderic IL Seconde Partie. Des Marches d1 Armé es. De ce qu'il faut observer pour les Marches d'une Armée. 253  56o T A B L E. Des Marches en cantonnement. 264 De ce qu'on doit observer dans les Marches qu'on fait en avant. 2.55 Des Cumpemens vis-d-vis de Vennemi, oü 1'on marche par sa droite ou par sa gauche. z5j D'une Marche en arrière, en présence de 1'ennemi. « 25g Des Marches pour attaquer un ennemi. 260 Des Marches de tuut. 261 Des Marches de nuit pour des surprises. 262 Des Marches dans les Pays montueux. 263 Des Retraites dans les Montagnes. 26S. Des Marches sur des Digues par des pays marécageux. ibid. Des Marches dans les saisons du Printemps et de VAulomne, oü les chemins sont les plus gdtés. 267 Des Marches qui cachent un dessein qui ne se manifeste que par la jonction de l'armée, d ïouverture de la campagne, 268 Des Marches de corps qui vont d'une armée d l'autre pour y porter des secours. 269 Des Marches pour entrer dans les quartiers d'hiver. 270 Des Marches et des Campagnes d'hiver. 271 Comment ces dijférentes Marches doivent se régler. 274 Des précautions qu'il faut prendre en pays ennemi , pour se procurcr et s 'assurer des guides. 276 Des talens que doit avoir un Qiiartier-Maitre. 279  T A B L E. 36i CoRRESPONDANCE amicalï! de FREDERTC II avec le Baron de la Motte - Fouqué , précédée d'une Notice sur la Vie de ce Général. 2q5   AVIS DE L'ÉDI TEÜR, o u RÉPONSE A LA LETTRE SUIVANTE, Viériné en Autriche, ce 7 Sbre. 1790. MoNsieur, A Yant vu, mais trop tard, danslesfeuill es pu-\ bliques vos averiissemens sur les diffêrcnces estimables de l'èditioii iu-8vo sous le titre d?Amsterdam, 1789 ,des Oeuvres posthumes de Fréderic II, en 20 volumes, précédée de la Vie du Roi par M. Denina, dont vous avez enriclu la Librairie; je me suis hdté de me défairc des exemplaires d& toutes les autres éditions que j'avois acquises, pour m-'assurer; parl'examen, a laquelle je devois rn'attacher. 'Toutes réunissant, plus ou moins , les défauts de celle de Berlin , et voulant absolutnent avoir ce qu'ily a de mieux, je vous prie de m'envoyer la votre. Aurai-je été aussi mal avisé dans mon avidilë de posséder tous les écrits de ce génie, de ce Roi vraiment grand et unique dans l histoire , en acquérant tédition in-12 de ses premières produolions, qui porte le titre cTOeuvres du Philosophe de Sans-Souci, a Amsterdam, chez Schnéider? J'en ferois le méme sacrifice sans le moindre regret, si la collection que j'apprends que vous eri préparez , doit jouir des avantages que je désirp. Ne tardez pas d me répondre , et croyez-moi, Monsieur, votre , etc. Le Comte D***. Tome I. ' . a  ij Avis de l' E d i t e tr n. Monsieur le Comte, VOus riétes malheureusement pas le soul a qui l ' empressement ait fait regretter d'avoir acquis d'autre édition que la miemie des Oeuvres de Fréderic II. Vous recevrez l'exemplaire que vous désirez par la première diligence; mais il faudra vous défaire encore de la rapsodie que vous avez in-12 d'Amsterdam, chez Schnéider : eest bien la plus pitoyable qui puisse exister; pour celle-ld, ses difformités sont si grandes, quelle ne mérite aucune considération. C'est un ramassis informc dc pièces, imprirnées sur des copies la plupart infidelles, et déshonorées encore par Tinti usion de morceaux détestables, que l'innocence, oul'ignorance, ont voulu faire passer pour étre du Roi : purgez-en donc vite votre bibliothèque! Quant a celle de Berlin en 4 vol. in-8vo , elle est incomplette et très-mal ordonnée, ainsi que ses contrefacons in-12,. Vous trouverez , Monsieur, dans le paquet des Oeuvres posthumes , un exemplaire des Oeuvres primitives, qui vous satisfera. En aitendant ,je vous enïjoins ici un Prospectus , oü la preuve de ce que j'ai l'honneur de vous dire, est bien constatée. Dans le Prospectus de notre édition, sous }p. titre d'Amsterdam , 1789, des Oeuvres posthumes de Fréderic II, nous fimes des promesses, dont le public éxlairé nous témoigne d'étre  Avis de t'E diteok, iij satisfait de les voir réalisées. Cependant la riva» lité, les diverses éditions alors sous presse , nous obligèrentde n'exprimer qua demi-mot 1'étendue de notre plan , pour nous assurer les droits de la préférence , et l'on voulut bien nous en , croire sur parole (o). Auj'ourd'hui, pour cette nouvelle entreprise, nous parierons clairement, encouragé par 1'assurance d'étre les possesseurs des bonnes copies de tous les ouvrages que le Roi publia pendant son règne. Notre plan étoit de donner enfin une édition exacte et complette des écrits de cet homme extraordinaire, dont les bibliothèques pussent se parer, et de satisfaire nos Souscripteurs , qui nous montrent tous encore le désir de 1'avoir. Cette seconde Collection n'est pas moins intéressante que 1'autre, et il sufliroit d'énoncer le titre des divers ouvrages qui la forment, pour présenter a 1'imagination 1'intérêt de leur lecture ; TOME PREMIER. L'Anti-Machiavel, ou Examen du Traité de Machiavel, intitulé : D U PRINCE. Si jamais il fut des circonstances oü cet ouvrage düt être reproduit, c'est bien dans celles de ce siècle, oü tous les hommes font bien de s'appliquer a la politique, pour connoitre leurs (n) Ce plan se trouve entiérement distribué dans VAvis de l'Editeur des Oeuvres posthumes, qui a paru avec le dixneuvième volume, et qu'on devra faire placer a la tête du tome premier, quand on fera reiicr la collection. Cl 2  iv Avis b e i'Edjieur, droits; oü par-tout en s'éclairant, ils les conserveront ou los recouvreront. C'est de cet ouvrage que les bons écrivains du temps oü il parut pour la première fois . disoient que , si le bonheur du genrediumaiu pouvoit naüre d'un livre , il naitroit de /Anti - Macuiavel ; qu'il devroit étre le catéchisme des Rois et de leurs Ministres. Instructions militaires de Fiïéderic II pour ses Généraux, avec des planches gravées. CoilRESPONDANCE amicale AVEC le BaüON de ï-A Motte-Fouqué , précédée d'une Notice sur la Vie de ce Cénéhal. ne peut se trouver de lecteur assez apailn que, assez froid, pour étre insensible apx sentimens d'arnitié, dont le cosur du Roi étoit susceptible, et a quel degré il le prouve dans ce recucil de lettres'. TOME SECOND. Mémoires pour servir a l'Histoiiie de la Maison de Brandebourg. TOME TROISIÈME. Poésies nu Phti.osofhe de Sans-Souci. C'es t a propos de ces deux volumes , que l'auteur du Siècle de Louis XIV, dit: e r ' E n i t e tj n. V cMh» excellent musicien ; et il na jamais parlê dans la conversation ni de ses talens ni de ses iictoires. TOME QUATRIÈME. Variétés pkilosofhiqtjes , morales , historietjes, critiques et littéraires. Elles offrent une diversité tres - piquante , agréable et instruclive, dont onpeutjuger par les türes qui suivent de toutes les pièces qui les composent, — Lettres au Public avide de nouvelles. — Réflexions sur les talens militaires et sur le caractère de Charles XII, Roi de Suède. — Discours sur la Guerre.— Eloge de Goltzo.— oge du Général de Still. — Eloge de la Me m ie. — Eloge du Baron de Knobelsdorf. — Eloge du Prince Ffenri de Prusse, neveu du Roi. — Eloge de Voltaire. ,— Instruction a 1'Académie des Nobles pour leur éducation. — Diaiogue de morale a 1'usage de la jeune Noblesse. — Lettre sur 1'Education, adressée a M. Burlamaqui. — Essai sur 1'amour-propre, envisagé comme principe de morale. — Lettres sur 1'amour de la Patrie. — Discours sur les Satyiïques. — Discours sur les Libelles. — Examen de 1'Essai sur les Préjugés. — Dissertation sur les raisons delablir ou d'abroger les Loix. — De 1'utilité des Sciences et des Arts dans un Etat. — De la Litlérature allemande. —. Lettre sur la Littérature allemande, par M. Jerusalem. — Discours sur l'Histoire Ecclésiastique. — Commentaire théologique de Dom Cal met sur Barbe-Bleue,  v; A VIS Ut J.' E D 1 T E V R. P. S. II faut, Monsieur le Comte, que je vous fasse part dun procédé siiiguliérement tyrannique dont je vicns d'avoir la certitude. C'est a Strasbourg qu'il s'cxercepar le Libraire Treuttel: un voyageur coulant se donner mon édition des Oeuvres de Fréderic II, tous les Libraires de cette ville lui out répondu qu'ils ne l'avoient pas ; piqué dc cette singularité, H a appris que ledit. 'Treuttel leur avoit fait signer un coutrat par lequel ils s'engagent d ne vendre que les siennes, qui sont. les mêmes que celles de Berlin , do/U 1'Europe connoit les nombreuses imperfections. Ainsi. dans ce siècle oü la liberté a tant reconquis de droits naturels, le despotisme d'un seul et snnple particulier, suffit encore pour asservir tous les lecteurs d'une grande ville d de mauvaises éditions... Cest ce Libraire qui est le rédacteur de la fripperie qu'il a intitulée : Vie de Fréderic II cn 4 vol. , ravaudage si grossiérement cousu , qu'il a dü y joindre trois autres volumes d'errata pour en. relever une partie des bévues. Cette Jionte ne lui a cependant inspiré aucune pudeur , puisqu'il a osé impudemment y attaquer , sans la moindre preuve , l'édition in-8yo d'Amsterdam, 1789, des Oeuvres posthumes du Roi , par cela seul qu'il redoute et tremble du succes général dont elle 'joint d juste titre. Voici, Monsieur, dans quel ordre elle est disposée ; je l'extrais du Prospectus raisonné qui en a paru. Je crois qu'il vous sera agréahle de pouvoir juger par ce rassemblement , de la formc , et vousprésumerez l'importance qui doit résulter du fond des deux collections.  Avis de l' E d i t e ü r. vij t°. Histoiue de mon temps. Elle renfernie ï'histoire , tant politique que militaire , de ce qui s'est passé depuis 1740 , jusqu'a la paix de Dresde en 1745. 3". Histoire de la Guerre de sept ans : remontant aux sources qui 1'occasionnèrent> le royal auteur traite des événemens fameux, k dater de 1746, jusqu'a la paix , en 1762. 3°. Mémoires depuis la paix de Hubertsbourg en 1763, jusqu'a la fin du partage de la Pologne en 1770 , et jusqu'a la paix de Teschen en 1778, avec la Correspondance de 1'Empereur et de rimpératrice-Ileine avec le Roi, au sujet de la succession de la Ravière. 4?. Un volume de Mélanges, contenant: Considérations sur 1'état du Corps politique de 1'Europe. — Essai sur les formes du Gouvernement, et sur les devoirs des Souverains. -— Trois Dialogues des Morts; le premier, entre le Prince Eugène, Milord Marlborough et le Prince de Lichtenstein. Le second, entre le Duc de Choiseul, le Comte de Struensée et Socrate. Le troisième, entre Marc-Aurèle et un Récoliet. — Examen critique du livre intitulé : Systéme de la Nature. — Avant-Propos sur la Henriade de Voltaire, — Dissertation sur 1'innocence des erreuis de 1'esprit. 5°. Deux volumes dePoÉsiES, très-variées , philosophiques, agréables etpiquantes. 6°. Ses Correspondances avec des écrivains célèbres, tels que Rollin, Fontenelle, le Marquis d'Argens , le Conseiller Suhm etJordan ses intiraes amis, la Marquise du Chatelet, Voltaire,  viij Avis DE 1.' £ h I T E U K. Darjet, d'Alembert, Condorcet, etc. Chacune de ces Correspondances est complettée par les Réponses aux Lettres du Roi, ce qui en doublé 1'intérét; et les unes et les autres sont classees selon 1'ordre successif, agrément que n'offrent point les autres éditions. Agrêez , Monsieur le Comte) les salutations 'respectueuses de T,ïè?e, ce 30 Sire. 1799. Votre très-humble et obéissant serviteur LEMAR1L'.