PORTRAIT D E PHILIPPE II, R O I D'ESPAGNE.   VA/J 193 L-5 PORTRAIT D E PHILIPPE II, ROI D'E S PAGNE. A AMSTERDAM. i 7 8 J\   PRÉCIS HISTORIQUE. : — g*" Philippe T[ n'eft plus que cendres; deux cents ans le féparent de 1'inftant oü j'écris; fa renommee aujouid'hui appartient alajuftice des fiecles. J'ai voulu peindre fon defpotifme terrible & fuperftitieux, raffembler les traits de cette phyfionomie cruelle qui fait horreur dans 1'hiftoire; j'ai voulu infpirer aux autres Pindignation dont j'ai été pénétré moi - même. La confcience difte a 1'écrivain ce qu'il doit faire; & le vulgaire, in'enfible aux grandes calamités qui ont pefé fur 1'elpece humaine, ou n'en gardant qu'un trop foibie fouvenir, ne concoit pas ce qui nous porte a frapper dans la tombe ces redoutables ennemi< du genre humaiu. Combien cette téte devenoit tffravanre a mefure que ie la confidérois ! Si l'oxi vit jadis un flatuajre tomber aux pieds du Ju-  PRECIS piter que fon cifeau vtnoit de finir, je puis auflï dire avoir reculé d'effroi devant Pimage que j'avois tracée. La pluine vengereffe de 1'écrivain doit flétrir les méchans rois ; car c'efi la honorer les bons. Tous pafferont a leur tour fous le burin véridique qui dénoncera a la poftérité leurs attentats ou leurs heureufes qualités. Les moindres traits de leur caraftere feront amenés au grand jour; ils feront livrés, de quelque voile qu'ils s'enveloppent , au jugement des hommes nés & a naïtre. Depuis Tibere jamais tyran plus fombre & plus cruel ne s'eft affis fur un tröne ; c'eft fur un lac de fang ( & 1'image ici n'eft pas outrée ) qu'il a fait voguer le vaifleau de 1'églife romaine. D'accord avec PInquifition, il protégea fes fureurs en Flandre , en Efpagne, & voulut la porter jufqu'en Amérique. Cruel par caraftere & par principes, jamais la clémence & la pitié ne trouverent d'accès dans fon coeur ; il s'aflbcia deux ames dignes de la fienne: c'étoient le cardinal Granyelle & le duc d'Albe ; il leur confia toute  HISTORIQUE. iij fon autorité , paree que ces miniftres étoient durs & impitoyables comme lui. II vou'.ut joindre a fon pouvoir, déji fi terrible , un gouvernement religieux , paree que celui-ci domine 1'homme- tout entier. De même que 1'univers eft foumis a 1'autoriié de Dieu , ainfi le defpótifme religieux prétend affervir le monde politique ; alors tout rebelle eft hérétique, & les hérétiques font toujours traités fur le pied de rebelles. On eft coupable envers le tróne dès que 1'on n'eft plus croyant. La monarchie religieufe eft donc la plus dangereufe de toutes ; c'étoit celle que vouloit établir Philippe II. II tenta de marier 1'autorité fpirituelle a 1'auforité temporelle. (i) Point de (i ) Un jugement de 1'Inquilition d'Efpagne décida que tous les peuples des Pays-Bas étoient apoftats, & confequemment criminels de lefemajefté. Les comtes d'Egmont & de Hom furent exécutés. On étoit fur-toufc redevable au premier des viétoires de Saint-Quentin & de Gravelines. Philippe II afpirant a la couronne de Portugal, empêcha le cardinal Henri, grand-oncle du roi a ij  PRECIS defpótifme fur la terre plus fier . plus arterrant; ajoutez que cette monftrueufe forme de gouvernement s'artribue encore une fageffe & une vettu particu'ieres. Depuis quelques fiecles !e gouvernement eccléfiaftique avoit pris pour modele 1'ancienne forme de 1'Empire Romain. Cesidéer, foutenues rle tout l'-appareil de Ia religiën , avoient les dehors les p!us impo'ans; elles enchaïnoient de toiUes parts les vplontés , 8c les foumettoient s un feul culre ; de la a une feule loi il n'y avoit qu'un pa-. Plufieurs prit^ces voulurent donc réun.ir Fempire & Ie facerdoce , paree qu'ils devoient hériter par ce moven de la puiffance la plus étend.ie. Philippt II , furpaffant en orQueil fes prédéceffeurs & fes contemporains , n'accordoit défiint, de fc m^rier; agiffant fi bien ct cour de Rome que les difpenfes ne vinrent point. Après la.mort du cardinal, Phijippe II sV-mpara de cette couronne fans coup firir. Ce perfécuteur obftiné des confeiences renouyella les profcription.s romarnes, & dei têtes illuitres Eurent mifesaprix.  HÏSTORIQUE. v FihfaiHtbilité au pape que pour s'arroger k fon tour 'les mêmes prérogatives, que pour cummancler avec la croix coinme avec I'épée; lorfqu'11 s'agiffoit de les intéréts, il ne vöuföit c;re contredit ni contrarié de perfonne ; il failo'u trerribler déi qu'ü prenoit fon crucifix en main. Le pontife le plus intolérant parloit par la bouche du monarque le moins fenfible. 11 èri rëfuira un efprit de perfécution qui fe char.gea en fana-ifme politique ; il embrafa a la rois & corrompit toutes les parties du gouvernement, qui tut alors dans la crueïle né'éeflité de tout uibordonner, de tout rmmol.*r aux idéés religieufés. Son principal but fut d'éloigner tout homme qui penfoir, de flétnr & de rendré fuipcéf. tout ce qui reipiroit 1'efprit de recherche. Comment tant de maux font ■ ils émanés d'une reügion ayant un piincipe de bonté univerfelle ? Ce defpótifme honteux gata la iégislation dans toutes fes branches, la rendit a la fois atroce & ininutieufe. Le formel de la religion , femblable a une étiquette fatigante, a lij  vj PRECIS engendra , par fes gênes perpétuelles, 1'hypocrifie , fource de tant de vices; les préjugés les plus cruels & les plus déraifonnables s'acciürent en raifon inverfe des lumieres & de la Uberté. Tel fut le déplorable fort de 1'Efpagne ; Ie fanatifme y fut batir a fon aife dans les vaftes plaines de 1'ignorance ; les peuples furent abrutis: mais 1'autorlté n'y gagna point tout ce qu'elle comptoit y gagner ; les hommes , fous ce doublé joug , paffent ordinairement d'une obéiffance aveugle a une défobéiffance toute femblable. Philippe III fut obligé de reconnoltre les Provinces-Unies pour état libre & indépendant. II s'obligea de ne point gêner leur commerce dans les Indes ni dans 1'Amérique. Le monarque que je peins e'toit roi d'Efpagne , des Deux - Siciles , des Pays - Bas, maitre de Tunis, d'Oran , des Canaries, & de quelques isles du cap Verd ; des Philippmes, des isles de la Sonde tk d'une partie des Moluques; des empires du Mexique & du Pérou , de Ia Nouvelle - Efpagne , du  HISTORIQUE. vjj Chili , & de prelque toutes les isles qui font entre les deux continens de 1'Amérique &C de 1'Europe. Dieu de 1'univers, quelle immenfité de pouvoir réunie dans la maind'un feul homme qui n'en méritoit plus le nom ! Tout auroit pu placer ce monarque audefTusdetous ceux que leCiela chargés du gouvernement de la terre; il auroit pu tournet cette force du cöté de la véritable gloire: mais il n'en avoit pas la moindre idee. Pendant quarante - deux ans qu'il trama dans fon cabinet 1'aflerviflement de 1'Europe , il ne donna point un feul jour au bonheur du monde ; toujours fourbe , toujours cruel, toujours fuperftiiieux , il ne manqua jamais 1'occafion d'une petite févérité ,ni celle d'une punition barbare. II médita la conquête de 1'ingleterre , comme s'il eüt eu horreur de tout ce qui tenoit a la liberté. Sans Drake qui brüla cent de fes vaifleaux dans le port de Cadix, fans la tempête qui difperfa eet armement formidable , connu fous le nom de Xinvindbh armaio. , cette piécieufe \ république étoit » iv  P F E r T s e.ffacéc clc deflns Ie .T,>be. ( , ) Oei eöt é-é fon nouvoir f, ; rJija maïtre d'i.rc oartie r'e Pgliröpe par Phéritace de ( i ) Veie: -Je ouelle manVe un poéte a peint eet événement « Une flocte formidable fait rttügit les flots. C'eft plutót une arniée de chaieaux flottansjon 1'appelle l'inyincible, & la terreur qü'elle infpire , cohfacre ce nom • PÖcéan qui tremble fous fon poids , paroit obéir a ïa mr.rche lente & majeftueufe ; eile avance, cette flotte terrible, comme un orage quigroffit; elle eft prète a fondre fur J'isle généreufe que le Ciel regarde d'un oeil d'amour, fur 1'isle fbrtunée dont les nobles lnbitans ont le droit detre libres , & 1'emportent en dignité fur tous les habitans de la terre, paree qu'ils ont fu faire des loix qui enchainent dépuïs Ie roi jnfqu'au dernier ciioyen ; ils ont voulu étre libres, ils le font devenus ; le g';nie & le courage maintiennent leurs aujjultes privileges. Jamais cette isle li chei e aux grande Cppurs , aux tnnemis de la tyrannie , ne parut fi p ès de fa ruine. Les hninir.es généreux qui d'un pole a Pat ere s'intérejTent a cette majefr tucufe républioue, croyoient fa délivrance impoffMe; mais lé Tour - Puiffant vóulut conferver Ie xiüuic rempart de la libcr.ee, eet afyle invio-  HTSTORIQUE. « fes peres, il eüt joint 1'Angleterre , dont il avoit ére roi, h fes ro) aumes: Elilabcih auroic lable de la dignitë humaïne-, il fbuffla, & cette flotte invincible fut brifée & difpeil'e ; fes débris epars furent fufpendus'aux pointes desrechers, ou couvrirent les Bancs de fable , ccu Jls vengeurs oü s'ancantirent 1'arrogance & ia üöm erf té. „ Ces mots du poëte, k Tout- Puijfantfouffia, font ailüfiön a la médaille que la reine blifabetk fit frapper en mémoire de ce grand événement, On voyoït au revers une flotte fracaffée par 3a tenipêre , avec cette Ugende : Afilavit Deus , §? dfjjtpati jfünt. Cette flotte étoit co'npofée de cent trénü» vaiffeaux tant galions que galéaffes ou galcies, de deus mille deux cents quatre-vingt- quatOtzfe pieces de canon , de neuf mille cinq cents ciuquante matelots, de trence - trois mille huit cents fóldats; deux ou trois armées étoient prétes k s'embarquer au premier fignal. L'anéantiltenént de cette flotte fut 1'époque de la dccader.ee ilè Thilippe. 11 n'exifh plus avec cette majefté terrible qui comm^ndoit la terreur & 1'arlmivatiwn; tous fes projets devinrent barnes ; on cut ih .qu'il n'avoic plus cnVun ubjet en tête,latiefer3^-  X PRECIS échoué contre la formidable puilïance Elpagnole fl) i mais ce qui fit heureufement tion du parti calvinifte en France. II épuifa les mines du Nouveau-Monde; mais fes richeifes furent infuffifantes. ( i ) Philippe II, qui avoit deja partagé Ie trène de Marie, étoit détefté de tous les Anglois. Ils avoient démêlé fon efprit fuperbe , faux & cruel; ils redoutoient 1'excès de fon amour pour le faint - fiege. Elifabeth ayant a fe délivrer des pourfuites de Philippe II, fe décïda a la réforxnation. La liberté que donnoit le calvinifme , convenoit mieux a une femme du caractere d'Elifabeth qui avoit du gout pour les fciences. Les moyens dont fe fervit Elifabeth pour établir la réformation en Angleterre , furent adroits; & bientöt on lailTa paiTer un adte folemnel qui déclaroit la reine fouveraine gouvernante de fon églife dans fon royaume,tant au fpirituel qu'au temporel; ainfi 1'on vit des hommes d'état, des têtes politiques, s'affembler gravement pour donner a une femme le droit de créer les évêques, & d'extirper les héréfies. Les prélats qui réfifterent,c'eft-a - dire , qui aimerent mieux renoncer a leurs bénéfices qu'a leur relig:on, compoferent lc plus petit nombre. C'eft bien le cas de  HISTORIQUE. xj la foibleffe de cette monarchie malgré fes grandes polTeffions , c'eft qu'il n'y eut jamais d'enfemble parmi les mêmes fujets ; on në fut point compofer un peuple de tant de peuples différens. La conquête avoit féparé les Catalans, les Aragonois, les Portugais, les Napolitains, les Flamands; les faveurs de la cour n'étoient que pour les habitans de Madrid ; & le miniftre Oiivarès difoit fort bien que le vafte amas des provinces Efpagnoles n'étoit qu'un corps fantaflique , fou.tenu de 1'opinion & non de la réalité : ainfi dire avec le préfident de Thou , que Jï les grands évenemens pouvoient fe pre'voir , ils n'arrivé- ^ roient jamais. Les ordres d'Elifabeth contre les catholiques furent rigoureux. Ce fut la bulle de Pie V qui occafionna quelques violences qui furent pafiageres. Elifabeth fut intolérante, paree que les catholiques de fes états furent tres-imprudens. Paul IV répondit aux réfidens d'Angleterre , lorfqu'ils lui notifierent ravénement d'ElTabeth a la couronne , qu'elle n'y avoit aucun droit, paree qu'elle étoit batardc, & que 1'Angleterre étoit un fief du faint-Jiegc.  Ski} PRECIS la grandeur de cette natio.-j s'oppofoit a ce fouffie vivifiant qui dans Tordre de la poltÜqfie fait l'oTganifation des états. Et qu'tfrce au fond que cetfèmnltitijde de fujets qu'il fauf protéger '6l défendre, ck qui deviennent inucües a l'enfemble , dés qu'ils ne peuvent plus faire partic per leur force ni leur induftrie a 1'intérét genérat ? On pourr-oit propofer ici pour emblême ce?. vaiffeaux qui, par leur prodigieufe pefanteur , font incapables de naviger fur 1'Océari , &£ qui reftent immObiles dans le port, comme un objet d'oltentation ou c!e cuuo'uc. Les mines de i'Amérique fembloient lui affurer de grandts richefles, & néanmoins fes finances furent fouvent épuifées. II empruntoit de la république de Gênes, il deman loit a la cour de Rome des oclrois fur les biens eccléfiaHiquès, Si 1'on vit fes uoupes ( qui le croiroit ! ) faute de paiemtnt, fe mutiner au fiege d'Amiens. Que n'a pas fait PJjilippe II confre Henri IV ! Que d'artificiettx efforts pour empécher fa réconciliaüon avec le S. Siege ! Comme  HTSTORÏQUE. xiij beau-frere cies trois derniers monarques, fon bpf étoit de faire tomber la couronne de France a fa 611e Ifabelle qui en étoit la niece. On ne le ménageoit point en France.' Jugé de fon vivant il étoit comparé a Pharaon , & 1'on écrivoit de lui en propres termes : Ce vieux fatrape, couvert du fang de fon fits , de celui de fa femme, veut, comme un autre Xerxls, couvrir la mer de fes vaiffeaux ; mais ils ont hl prècipités par le del fur les rochirs d'Ecojfe & £ Mande. Ce vieux roi , dé/a radotant & dé/a un pied dan' le tombeau , duquel tous Les états branlem & nefont qu attendre que fa dermere heure fnne pour Jecouerle/oug. ..Son empire eft c< mme un buffet marqueté , compojé de pieces rapportées qui fe dcfuniront. Mais ces mveön es que la haine prodiguoit nempêchoient pas que ce ne fut conftamment un terrible cabine] que celui de Philippe, II, M;mre des tréfors de I'Amérique iSr de I'Aüe , il rémuoit 1'Europe a fon gré , ck dans toutes les arianes ü ob-  xlv PRECIS tenoit la prépondérance ; ii fe croyoit fi fur de fes projets, qu'il difoit ouvertement: ma bonne ville de Paris , ma bonne ville d'Orléans. S'il avoit fu profuer de la victoire après la bataiüe de S. Quentin, il eüt pu renverfer Ia monarchie; mais dans 1'hifloire des batailles on voit prefque toujours le vainqueur , las ou étonné de fon fuccès , n'avoir pas 1'habüeté de pourfuivre fa fortune. La maifon d'Autriche déceloit une ambition foutenue & un efprit de domination orgueilleute; mais elle perdit en intrigues & en négociations le tems qu'il falioit employer a combattre & a vaincre. Philippe II auroit pu ruiner la France ; mais fa politique ne ruina que la ligue : il n'eut point le courage d'un Edouard ou dun Charles V. La conquête du Portugal, fi on peut Pappeller airfi , fut le feul avantage que la monarchie Efpagnole eut fous le regne de Philippe II. II feroit devenu redoutable, fans cette multiplication d'aflaires qui lui fit mêler inceffamment le fanatifme religievu aux  HISTORIQUE. xv- devoirs de 1'empire. Enfin , ce monarque fornbre & atrabilaire fit tant de mal a la France , que le mécontentement national fe manifefta contre 1'Efpagne & contre tout ce qui portoit le nom Efpagnol. Ce relïentiment exifta long tems dans nos provinces méridionales, oü j'en ai vu encore des traces , oü la fimple tradition y avoit perpétué le fouvenir des calamités publiques. Les prétentions de 1'Efpagne, prefque toutes fondées fur une infupportable & arrogante vanité , ofFenfoient a jufle titre 1'orgueil national ; puis la préféance qu'affe£toit par - tout 1'Efpagnol, devenoit fatigante & ridicule. Charles - Quint avoit donné a 1'univers un fpeöade extraordinaire , en abandonnant tout - a - coup le projet d'une monaichie univerfelle , en fe démettant de fes valles états & en abdiquant la couronne en faveur de fon fils qu'il n'aimoit point. C'étoit un événement bien remarquable de voir ce puiffant empereur faire fuccéder les offices, le chant des pfeaumes & les autres exercices clauflraux aux fonaions royales, mili-  xvï PU CtS taires ck pol.tiques. ( i ) Comment eft - orf cUVawré de ces grandes occupafions qut élevent 1'ame , la remphfïent , & portent avec elles un (i nuiffant intérêt, que doit fuivre une fatisfaftion inconmie a nous au* tres foibles particuüers ? Cet ambitieux s'étoit démis du pouvoir fapréme avec tous les dehors de rindifférence \ il avoit ft li fon role par fe coucher publiquement dans un cercuei! , 6k par faire chanter autour de Kü 1'office des morts, comme s'il nétoit plus : mais il manqroit k fes obfeques une voix male 6c intrépide qui fit tonner Ia vérité; non ceüe qui efè fcan.'aleir'e ou qui tient a de futiles objets, mais cette veine qui inftruit le préfent 8c I'avenir , en- réyélaöt a la rerre les erreurs ou les crimes polinques des fouverains , ( O II avoit a la bouche des maximes qu'il auroit du riiieux fentir. Les gen? de qualite', dïfoit-il, me depnuiïlent', tand is que les gels de lettres minjhihjent, & que les marehands m'enridvjjent. en  H I S T O R I Q U E. xvij ën dénoncant leurs fatales méprifes; cette vérité enfin , qui repréfenteroit fous des couleurs frappaates les mauvais riches portant fceptre & couronne , les princes qui n'ont point d'argent pour bonifier leurs vaftes domaines, & qui le prodiguent pour dévafter ceux d'autrui. Charles Quint faifoit toujours le contraire de ce qu'il juroit ou promettoit; car 1'ambiguïté formoit la bafe de fon caraclere. Cette étonnante abdication 1'on en ignore encore le vrai motif; mais après avoir joué b comédie du cercueil , il ne tarda point a s'en repentir. A peine Philippe II fut - il reconnu dans le royaume , que Charles-Quint fut dedaigné. Ignoré de fes fujets, il étoit au milieu d'eux comme dans un pays étranger. Les courtifans voyant qu'il n'y avoit rien a gagner , ne lui faifoient plus de vifites. II s'étoit réfervé une fomme pour récompenfer fes ferviteurs : 1'ingrat Philippe II en différa le paiement. L'ancien maitre de tant de royaumes n'avoit plus d'argent, & fe promenoit da^s un cloitre folitaire utï b  xwj PRECTS bréviaire a la main ; tous les vendredis de carême il fe donnoir la difcipline avec la communauté. Etrange fpeétacle que eet empereur donnoit au monde! Cependant 1'acte de fon abrlication avoit été folemnel ck même touck'nt; il prefla fon fils entre fes bras, en lui difant : Vous ne pouve^ me payer de ma lendrefje qiien travaillani au bonheur de vos fujets ; puiffle^vous avoir des enfans qui vous engagent a faire un jour pour Vun d'eux ce que je fais aujourd''hui pour vous / L'ame de Charles étoit-efle réellement au-cleffus d'un tröne , ou n'étoit-ce que 1'effet d'un dégout paflager ? Les hifloriens fe lont permis bien des conjeétures, 6k peu font fatisfaifontes. Perfonne avant lui n'avoit imaginé d'affifier a fes propres obteques ; il s'enrhuma dans fon cercueil de plomb tandis qu'on chantoit autour de lui des pfeaumes fanebres, & mouruc dans l'année des fuiies de ce rhum^. Cbarits-Quint avoit été intolérant; eet efpjit de perféciuion qui repouffe les lu-  ti I S T O R I Q U E. xlx mieres naturelles, avoit rendu Ion génie fünefte a 1'univers. Voülarit dans fa retraite mettre deux horloges parfaiteitient d'accord , il ne put en venir a bout, & ce mot lui échappa : Commtht deux hommes aüroient-ils donc la mime cróyance?\\ eft trois points d'autórité que Dieu n'a jamais partagés avec les hommes , dit un auteur 'moderne, le droit de difpofér des coniciences , le droit de prévoir 1'avenir, & le droit de faire fortir quelque chofe de rieni Philippe II, dans fon orgueil deApOtique; héritant de ces fauftes idees, vouloit affujettir les hommes a 1'uniformité de fa cfoyance. Tel étoit le fonds de fon caraétere & la bafe immuable de fes a&ions. A peine fut - il fur je tröne , qu'il fit brü!er en effigie le prédicateur & le confeffeur de CharlesQuint fon pere; Si peu s'en faliut qu'il ne flétrit la mémoire de eet empereur , en Ie déclarant hérétique. Cette étrange fuperfti,,' tirin étoit - elle dans fon caeur , ou dans Ie génie Efpagnol ? Le puiflant Charles - Quint avoit voulu  PRECIS corifommer les deffeins de Maxnnilien & de Ferdinand , e Rome ck la maifon d'Autriche s'efTorcoient d'anéantir. On dit qu'Elifabeth, viola le droit des ger>i en donnant du fecours aux Hollandois ; qu'elle ne devoit pas fe mêler de cette querelie;, qu'il ne lui étoit pas licite de s'étar c ij  xxxv] PRECIS blir juge des toits que Philippe II pouvoit avoir envers les Flamands. Ceci eft un fophifme; les états ne font pa1? plus ifolés que lesindividus. La faine politique , les loix facrées de 1'humanité exigent que les injures faites a une nafion foient appercues & fenties par tou;es les autres. L'intérêt de la grande fociété veut évidemment que les loix conftitutives d'uri état ne foient pas irnpunément violées; la grande fociété doit prendre part aux outrages réfléchis & atroces d'un tyran aveugle ou furieus •, c'eft 1'irrtérêt généra! qui doit préfider a tous les mouvemens des corps politiques : tel eft le but effentiel de la fociété Européenne. Quoi , une nation entiere verroit d'un eeil tranquiile une ration voifine , dont le. fang coulerok fous des caprices extravagans & barbares Köuand les loix humaines font violées , tout rentre alors dans le droit prirnitif; aflifter un peuple opprimé & le foutenir clans fes généreux efforts , voila le crt de la nature : cri puiffant , conforme aux principes de Ia libené naturelle; réclamation  HISTORIQUE. xxxvïj[ tour-a-tour atile a toutes les naüons, car il s'agit ïc'i de l'intérêt des peuples contre ceiw de quelques Cpuverahis, L'état qui sHfoleroit dans !es grandes calamités de les voifins, qui fermeroit 1'oreille è leurs gémiffemens, ou qui ne verrolt que ce qui blefieroit fes intéréts pariiculiers , s'expoieroit donc ï ne pouvoir jamais réclarner la médiation ni Ie fecours d'une puiffance limitrophe , ce droit antique 5c facré des peuples malheureux; les oppreffeurs feroient donc éternels fur !a terre ik violeroient a loifir les privileges du contrat focial , en franchiffant les barrières des loix vivantes. Je fais qu«le defpoie , toujours ombrageux , criera a la rebelüon , dès que le moindre foupir fe fera eniendre : mais tout prince , tout peuple généreux , volera au fecours de Ia nation écrafée fous un jotfg de fer, ou livrée a l'anarclüe ; il ofera revendiquer les droits de la nature ;ü ne fouffrira pas qu'uii fouverain violent ou qu'an peuple révolté mette en danger les loix de la füreté publique & particuliere. Les principes politiques, vus c iij  XXX Vlij PRECIS en grand , ne ié bornenc pas a des points circorifcrits ; la policiqu* étroite ck fourde trompe , ck prend fous les caracreres de 1'infenfibilité; le grand intéret de I'humanité, vu dans les fiecles futurs ck dans une immenfe circonférence , éclaire le génie & ne le trompe pas. Ces principes font heureufement confacre's dans 1'hifloire de 1'Eürope par 1'exemple de Ia Suiffe ck de la Hollande. Henri IV fit pour les cantons Helvétiques ce qu'Elifabeth avoit fait pour les Provinces - Unies, ck ce grand exemple rend les principes que je configne ici plus fenfibles ck plus évidens. Eh! plut a Dieu que le farouche Philippe II ëtlt été enchainé par fes voifins ! S'il fe permettoit d'avoir un parti puilTant dans Paris pour mieux déchirer la France , m'auroit- il pas été licite de dérober fes malbeureux fujets aux bóchers ardens de 1'Inquifition ck de réprimer cette férocité religieufe qui atmoit ces innombrables bourreaux , lefquel frappoientimmédiatementaprès fes foldats } car les bourKaux alloient de ville en  HISTOR1QÜ E. xxTax ville a la voix du duc d'A'be , fifttt tuiffeler le fang & ajouunt toutrage a la rtuauté» Philippe ïl s'ctant fait gènèraÜjfimc du pape, ce tut par ce moyen qifïl parvint k détruire fucceffvemem tous les pnv.leges qu'il rencontra & qui pouvoient gêner le defpótifme fi cher a fon ame » il s'tnft.tua le monarque de 1'égV.le , & hérita dans le fait du redoutable pouvoir des papes. Pie V , «Tune naifTance obicure , correfpondit avec Philippe U , adopta fes projets, les favonfa, & fe fflontra le perfécuteur le plus acharne a la deftruaion des proteftans. Le monarque Efpagnol avoit jugé que le calvinifme étant Ie culte le plus conforme a la conftuuuon des états libres , il devoit détruire jufqu'en fes fondemens une réformation qm ne pouvoir s'amalgamer avec la monarchie , oü la limite du pouvoir eft équivoque ou du Hioins indéterminée. Le calvinifme ( il faut 1'avouer ) avott été introduit par des hommes d'une condition obfcure, toujours jaloux d'un luxe qu'ils c iv  xI PRECIS ne partagent point , toujours ennemis de 1'auiorité qui pefe p!us fur eux oue fur les riches. En détruifant le defpótifme de Rome, ils crurent obtenir un entiere indépendarrce. La cathoficité leur parut Pame aaive de la tyrannie : leur fortune ne leur permetrant pas les plaifirs o„ les diflracnons de 1'opulence, ils furent aigris contre tout ce qui portoit Fempreinte du fafte. Voda pourquoi on les vit dépouiller les temples de leurs ornemens tk öter a la religion tout fon éclaf. ( \ ) re-formateurs avoient pour objet de fan e difparoïtre tous les rangs dans Ja fociété. Leur extérieur auftere , leur jargon myftique dép'urent aux grande Rigoriftes outrés , ih rcga.doient les pius légers divertiffemeru " . ( i ) TSe dévotion lugubre , un coftume fans .dignité, J>bfence de tout objet fenfible, font éneort aujourd'luu de ces aflemblées de religion. Iiaires une alTernblée trjlle. Leurs esercices dë J?«*i lont frolds & monotonesjjecrainsquece eufté trop r» n'étcigne reu è peq lefaintdefit d'udüier & de prier en corumun.  H I S T O R I Q U E. 'xl'f comme des crimes , & la moindre tolérance des rites de l'églife romaine comme une abomination puniffable. Les monarques riches êi abfolus, environnés de toutes les forces de la puiffance , devoient donc s'oppofer a ces opinions qui retranchoient a leur autorité ainfi qu'a leurs jouiffances : auffi Philippe II confentoit-il a toutaccorder aceux qu'il appelloit rebelles , excepté la liberté de confcience. Jamais je ne La leur donnet rai, difoit-il, quand je devrois expofer ma couromie. C'eft qu'il regardoit cette liberté de confcience comme la diiloiution des principes politiques qu'il avoit adoptés. Ainfi , quand 1'Inquifition extenninoit tout ce qui avoit le malheur de croire que Dieu n'étoit pas du pain , que Dieu n'étoit pas du vin, ce n'étoit pas qu'elle voulüt pofitivement affujettir les hommes a cette croyance, mais c'eft qu'elle vouloit que les biens des eccléfiaftiques & leurs poffeffions fuffent rigoureufement refpeftés; c'eft que les myfteres étoient la fa'.ive garde réelle de leurs sbufives propriétés ; 1'auibuion des prêaes  xfij PRECIS avoit le plus grand intérêt a ce que les mots cl'héréfle ck de rebellion fuffent confondus. Elifabeth de fon cöté ne voyoit dans les Francois que des ennemis déclarés. La cour de France avoit eu en vue de faire monter Marie Stuart fur le none d'Angleterre, ck de déclarer Eiifabefh batarde ck ufarpatrice. Mezerai dit ouveriement .qu'il n étoit point de Vintcrêt de la France de laijjer prendre a Elifabeth une couronne qui appartenoit a Marie Stuart. Les princes Lorrains ayant marié leur niece au Dauphin, depuis roi de France fous Ie nom de Francais II , firent jouer a Paris une farce indecente , dont le fujet étoit Ie Couronnement d'Elifabeth. On y traitoit fa mere ck elle de comédiennes. Elifabeth , qui regardoit comme perdue une autorité partagée, étoit fort éloignée de donner fa main a Philippe II. Entiere dans fes feminiens , peut - on croire qu'elle eut fait monter fur le tröne un prince fils dtl puiffant Charles- Quint ? D ailleurs, Elifabeth  HISTORIQUÉ. xiiij n'auroit pu donner la main a ce monarque' fans une difoenfe de Rome : or c'eut été reconnnïtre 1'autorité du pape. Tout favoriioit donc le calvinifme. Mais les calviniftes, en pillant les biens des eccléfiautques , follicitoient trop vivement les anathêmes des prêtres. Ceux - ci, voyant qu'on franchifloit la barrière des dogmes jufqu'alors refpeétés , jugerent que leurs richefTes repofant fur ce fondement immuable , aüoient s'écrouler devant les principes rigides des réformateurs; & la France elle - même feroit devenue entiérement proteflante , fans les exces imprudens auxquels fe livrerent les réformateurs, fi intraitables lors du célebre colloque de Pojffy. Leur inflexibilité anti-politique , &t dont les proteflans doivent fort fe repentir aujourd'hui , enleva a leur doctrine la gloire d'envahir tout un royaume. Et quels fuccès n'auroient pas fuivi un fuccès auffi confidérable! Pendant ces débats, la morale étoit en oü la morale & la fame politique n'avoient ni regie ni mefure. Ce fut lui qui fit imprimer a Anvers la belle Bibk polyglote qui porte fon nom. II donna un décret par lequel i! flxoit a qua*-, torze ans la maiorité des rois d'Efpagne. Philippe II étoit petit. (i) On a eu occa- (i) II étoit encore petit au moral comme att phyüuue daas «ne mulcitude de chofes; tantêü e  f*vj PRECIS iïon de remarquer que les paflïons concentrées, perfonnelles & violentes logent de préférence chez les hommes de petite flature : en général ils font plus méchans; les petits êtres ont plus de paffions vieieufes que les autres. Cependant les nouvelles opinions agitoient il abaiflbit fon orgueil jufqu'a manger au réfectoire avec des moines; tantót il faifoit fortir ^e fa préfence une femme qui avoit ri en fe mouchant. II n'entroit pas dans un monaftere fans baifer toutes les reliques ; il faifoit pêtrir fon pain avec 1'eau d'une fontaine en crédit pour les miracles ; il fe vantoitde n'avoir jamais danfé , de n'avoir point monté fur une mule, de n'avoir jamais porté de hauts-de-chauffes a lagreo que; il interrompoit par modefh'e les harangues qu'on lui faifoit; il étoit fort grave dans toutes fes actions ; rnaiVil fe livra a des tranfports extravagans lorfqu'il apprit le maffacre de la S. Barthelemi. II avoit peu de confidération pour les poëtes; & lorfqu'on lui en demanda Ia raifon, il fit cette réponfe fenfée : Cefi qu'ils ne Javent fasfe contenir dans les homes de la nwdcjlic. ia fortune le fervit ëncore mieux que festatens.  HISTÖRlCjUE. lxvij tous les efprits ; la réformation s'étendoit malgré les büchers; la France étoit en fufpens; on demandoit de töus cötés un concile national; & Catheriné de Médicis elle-même avoit propofé au pape d oter les images des églifes, d'accorder la communion fous les deux efpeces, d'abolir la Féte - Dieu , ck de célébrer la mefle en langüe vulgaire. Les plaintes des Francois éclatoient contré le concile de Trente; les rieurs difoient, pour peindre 1'influence de la cour de Rome * qu'elle envoyoit le S. Efprit dans la valift du courier. Les ambaffadeurs de France vouloient rompre 1'afcendant des légats & des Italiens: mais ceux-ci, avec leur adreffe accoutumée , tournerent les événemens au gré du pape. Lainez, général des Jéfüites, foutint que du pape feul émanoit toute autorité fpirituelle; qu'en lui feul étoit renfermée toute la hié e l)  ixviij PRECIS Ce fameux concile, qui auroit dü avoir f our but de couper la racine de tant d'abus «xceffifs que lui reprochoient les novateurs, jie s'occupoit qu'a faire valoir les immunités «ccléfi-aitiques, telles que les années d'ignorance les.avoient produites. II entaffoit une foule de bulles évidemment ccntraires aux loix civiles Sc au bien général de la fociété. L'ancien efprit de domination reparut dans toute fa hauteur Sc fouleva une partie de la nation Francoife, qui depuis a coniramment reieté une pareille difcipline. Le concile de Trente taxoit d'héréfie tout difcours qui tendoit a infirmer Ia jurifdicfion des eccléfiaftiques; apeine les droits de la fouveraineté furent-ils misa couvert. Ce concile fameux ne finit qu'en ir/63. II fut recu dirTéremment dans plufieurs états. Le roi d'Efpagne montra en public la plus grande foumiffion ; maïs, ce qu'il faut faifir aujourd'hui comme un trait précieux , il donna des ordres fecrets pour le maintien ■de I'autorité royale. Le chancelier de 1'HcV. pitai ck le parlement s'oppoferent vivement k la publication du concile»  HISTORIQUE. kk II ne fit que choquer, aigrir les protefW: 1'efpérance de les ramener s'évanouit; \'indexdes livres défendus ne fit qu'augmenter la rupture ; les auteurs 6c les ouvrages flétris dans eet index obtinrent de nombreux partifans , paree que ce defpótifme violent ik facerdotal révolta tous les efprits éclairés ; & il y en a dans tous les fiecles. Pie V avoit fait brüler comme hérétiques des hommes diftingués par leurs lumieres, entr'autres le favant Paléarius , dont le crime fut d'avoir appellé la fainte Inquifition un poignard levé fur les gens de lettres. ( i ) Les deftinées des favans n'étoient pas tranquilles. Ramus avoit été affaffiné par fes écoliers ; les autres étoient fugitifs ( 2 ) ou (I ) Les fucceffeurs de Paléarius Pont bien vengé; car les gens de lettres ne pardonnent pas a la perfécution qui attente a leur liberté. De fiecle en fiecle ils font entendre leur cri, qui fe propage jufqu'a ce que Poppreffcur foit «ntiéreraent diftamé dans les races futures. (2 1 Parmi eux on diftingueFaufte Socin. Egalement éloigné des cathoiiques & des protefbanse üj  PRECIS pourfuivis par les perfécuteurs obuinés des confciences, 8i chacun difoit venger la caufe de Dieu. Lorfqu'on fonge que des événemens auflï extraordinaires font pour ainfi dire récerrs , on a droit de s'étonner de ce qui s'eft pafie. qui ne s'entendoient pas, il voidut réconcilier les partis oppofés. II s'attacha a la morale divine de 1'Evangile , qui recommande la paix , la charité. II honora Jéfus - Chrift comme un fage doué d'une vertu furnaturelle , que Dieu avoit rendu 1'organe immédiat des préceptes les plus faits pour conduire les hommes dans le chemin de leurs devoirs , & dans la pratique des vertus. Cette doctrine qui ne bleiToit point la raifon hu, maine , qui tranchoit les difputes théologiques , révolta les catholiques & les proteftans, jaloux de dogmatifer , & qui fubftituoient 1'orgueil des argumens a Ia charité évangélique. Faufte Socin, qui avec fes idéés philofophi.iues n'eikpas échappé aux büchers de 1'Inquifition , ne craignant pas moins les apótres de Geneve , alla fonder fa feéte en Pologne & en Tranfylvanie ; profcrite depuis, elle a jeté fes racines en Hollande & en Angieterre. Ce pail-iblc réformateur, dont le not^ #f périra point., mourut en  HISTOR I Q U E. 1«) Que ne doit - on pas aujourcl'hui a eet efprit philofophique qui a démontté le néartt ck la honte de ces débats violens ck infenfés qu'occafionnoit alors le culte ? Que l'étude de l'hiftoire nous ferve donc a apprécier les avantages du tems préfent j qu'elle nous guériffe fur-tout d'une erreur dangereufe , de celle qui voudroit nous perfuader que 1'époque oü nous vivons eft un fiecle dégradé ou dégénéré. Rien de plus faux. Qui de nous regretteroit de n'avoir pas vécu dans le feizieme fiecle, au milieu de 'tant d'orages fanglans , fous la domination de ces monarques foiblas, féroces, ou fUperftiüeux?Le jong eccléfiaftique pefoit alors de toutes parts, ck forcoit les caracteres a l'hypocrifie. Les rois qui occupent aujourd'hui les trènes de 1'Europe, ont une fageffe, une modération , une humanité , qui éclairent leur ambition êk temperent leur pouvoir. Les crimes & les petiteffes des ames lach.es ck fuperftitieufes leur font étrangers ; leur jrgueil frappant ue but plus noble, ne tient e iv  Ixxij PRECIS plus au defpótifme ; ils aiment la gloire Sc font devenus fenfibles au jugement des efprits éciairés qui fe correfpondent d'un bout de 1'Europe a 1'autre. Les adminiftrateurs des états enfin font a la hauteur des idees régnantes : ces idéés faines afTurent tout - a - la fois leur repos Sc celui des peuples ; on les paie en amour, en refpe& , en hommage. L'eiprit de philofophie , univerfellement répandu , les engage a être plus philofophes que ne le furent leurs prédécefW. Quelques-ups ont connu la généreufe Sc fubiime pafiion d'appüquer leur puifTanee a la réforme des plus anciens ahus. La partie qui gouvernq enfin , communiqué aujourd'hui , par ia voix toujours puifTante de la raifon, avec la partie qui obéit. Les édits nouveaux parient a des hommes ; tout s'améliore d'une maniere fenfible, puifque 1'homme dans toutes les conditions eft refpe&é plus que jamais. Des principes de bienveillance diftinguent toutes les loix nouvelles; les jouifTances du luxe ne dérobent rien a une raifon généreufe. Tout eft juftement apprécié dans Ie feiri des plaifirs i  HISTORlQUE. lxxiij & la foule des arts enchanteurs a óté a 1'orgueil des grands ce qu'il avoit de dur & de rarouche. Les fouveraihs en font plus heureux , & nous auffi ; béniflons donc le tems oü nous vivons , en comparatfon de plufieurs fiecles , & fur - tout en voyant dans 1'hiitoire a quels hommes jadis les hommes furent foumis. On a choifi les formes dramatiques, dont on a fait une étude particuliere pour mieux peindre la phyfionomie d'un méchant prince; on y a fait entrer 1'hiltoire d'Elifabeth & de Don Catlos, fi connue & fi touchante: on a cru que ces formes qui admettent le dialogue , donneroient plus de vie a des perfonnages dont on vouloit repréfenter le caraftere en peu de mots. Ce feroit introduire une forte de defpotifme dans la république des lettres, que de vouloir interdire a un auteur la liberté de fe fervir de la forme dramatique , fans deftiner fon ouvrage au théa.tre,  fcxiv PRECIS Avant moi, le préfident Hénault avoit fu employer ce nouveau genre de drame qui n'eft inventé que pour étre lu. Ce genre convient aux tragédies nationales ou a celles qui font faites pour embraffer un fujet vafte politique ou intéreffant; elles occupent dans Ia retraite & le filence du cabinet des lecteurs intelligens & judicieux, & ne font point detlinées a un parterre trop mobile, trop frivole pour le férieux des affaires publiques. Dans un drame ordinaire, dont Pactiort ne fe rapporte qu'a un perfonnage particulier, on n'a qu a faire jouer des refforts uniformes. On n'a befoin que de s'affujettir au govit & aux caprices du parterre. Des événemens communs ou grotefques font fuffifans pour intéreffer les fpectatetirs. .Dans le drame politique , 1'aélion s'appuie fur la vérité hiftorique, fans être amenée par une fidion forcée. L'action porte fur des caracteres qui ont joué un grand r6!e: le ton politique qui domine dans ces drames, n'exclut pourtant pas le ton péthétique ; Ie héros de la piece peut excitet I emotion la  H I S'T O R I Q U E. lxxv: plus vive , car il eft poflible qu'il fe trouve.dans la lituafion la plus touchante. ( I ) Seulement les grands intéréts de ces pieces qui regardent ordinairement la confervation. ou la ruine d'un état, le maintien des loix & des mosurs , abforbent les contraftes qui regnent dans les autres pieces. Les carafteres font du moins inftruftifs, s'ils n'ont pas le droit de faire verfer des larmes. 11 n'y auroit donc rien de plus in'jufte que de juger de ces drames politiques d'après. les regies faites pour plaire au parterre de: Paris; regies qui ne font fondées que fur 1'humeur & le caprice. Dès qu'on perd de vue le but que 1'auteur s'eft propofé , l'on ne fait que s'égarer avec 1'obfcur Ariftote & fes inutiles commentateurs. L'auteur d'un drame politique écrit pour des lecteurs du goüt le plus naturel 8c des « Q%) Ainfi j'ai placé le perfonnage de Don Carlos d'après tout ce qu'on a écrit fur ce fujet, ainfi que la mort précipitée d'Elifabeth , que fes piftoriens repréfentent fous des coüleurs décf: fH|S.  Ixxv) PRECIS " tmceurs les plus fimples : il ne tracé point fes tableaux majeitueux pour 1'étroite enceinte du théatre Francois ou Italien ; il élargit la fcene, & fe compofe un parterre formó d'hommes nés pour apprécier les poëres qui peignent les affaires publiques & les intéréts nationaux. Ce théatre dédaigné de la multitude , audeffus des comédiens modernes , dont les reffources font trop foibles pour ces fortes de repréfentations , s'unira , j'ofe Ie croire , au théatre des Grecs, a celui de Shakefpeare , le grand inaïtre, le grand peintre en ce genre, II aura eu le même but , il bravera les difcours oifeux de ces prérendus hommes de goüt qui, differtant toujours & ne produifant rien , combattent inceffamment ce qu'ils font incapables de faire. II pourra du moins fervir de lecons aux jeunes princes, pare© qu'ils verront fans un pénible effort & dans 1'efpace de quelques heures ce qu'ils n'apperr;oivent qu'imparfaitement dans les grandes hifloires , a caufe de 1'étendue & de la difproportion des objets, Rapprochés fous. v,n  HISTORIQU E. lxxvi) même point de vue , ilsüront mieuxlefprit d'un regne que dans la prolixitéde ces froids hiftonens qui, en délayantleur matiere , lui ótent tout l'intérltdont elle eft fufceptibk.  PERS ONNA GES. Philippe ii, roi d'EfPagncifiis & Charles - Quint, elisabeth de France ,fdle de Henri II, Roi de France , fieur de Charles IX, & feconde femme de Philippe ƒ/. don carlos, de PhUippe II, & de fa première femme , Marie de Portu°al. GRANVELLE , cardinal, miniftre. Don RUY - GOMEZ DE SYLVA , prince d'Eboly , miniftre & capitaine des Gardes de Philippe. 11. SPINOLA , cardinal , grand - inquifueur d Efpagne. Le Marquis DE LA POSA , ami de Don Carlos, » OSORIO , confidem de Don Carlos. Le Comte DE LERIA. Le-Duc de FERIA. Don DIEGUE DE CORDOUE. Le Comte DE LERME.  La Ducheffe D'ALBE, £ dames d*honnfu% La Princeffe D'EBOLY ,S de la Reine, HONORINE , attachée a la Reine. La Comteffe D'EGMONT , & fes ony enfans. Le Baron DE MONTIGNY , envoyt dis Etuis de Flandres. LE NONCE. LE LÉGAT. Le Pere MONTALTE, depuis Sixte V. Le Pere GORY. 30 CoRDELIERS. 6 bénédictins. 3 augustins. 3 Carmes. f ecclésiastiques seculiers. juges de l'lnquisition. Gardes de l'Inquisition. Le Pere HYACINTHE , religieux du «Nt~ vent de S. Juf en Jndaloufic.  Meotns de Don Carlós. BEAL , 7 BURTON, $ Angtoü.- TIMERMAN, Jacobin. SAUREGUY, fanatique envoyépour ajfafJiner h prince d'O range. Le Confesseur du Roi. Des Casuistes. Des Médecins. Procession de l'Inquisition." Les Condamnés de l'Inquisition; t.ARALLA , évêque , Fun des condamnés. Un Vieillard condamné. Un jeune HoMME condamné. Une jeune Fille condamnée. Des Confesseurs exhortant les condamnés. Officiers et Gar des de lafiïite du Roi. PHILIPPE  PHILIPPE Iï> ROI D'ESPAGNE. SCÈNE PREMIÈRE. La fccnc eft au mönaftere Saint - Juft dans ï'Andaloufie. Le théatre repréfente une partie de laforêt dépendante du couvent. Dans l'enfoncement , a un point de vue trèséloignê, ton difiingue d travers des arbres féglife & la maifon des religieux , ainfi que de riches cóteaux qui bordent les rives du Guadalquivir. HYACINTHE , DON CARLOS, HïACINTHE, affis fur un tronc darbre renyerfé, tenant tin llvre ouvert. Paisible folitude , oü Charles - Quint * fatigué de f empire , refugia fon ame trou-, A  2 PHILIPPE II, blée ; profonde retraite , ton filence eft in~ terrompu de nouveau par fon fils. . . Je viens de voir Philippe vifiter avec pompe le tombeau de fon pere... . Jufte ciel, comme fon hypocrifïe perce lorfqu'il leve les yeux vers toi! . . Voila donc ce nouveau maitre de tant de provinces. . . Pauvres royaumes! peuples infortunés & gémiflans , puiftiezvous éviter les guerres ck les perfécutions que vont élever les fourds projets de eet autre fouverain ! . . . J'ai vu les miniftres avides qui 1'environnent. . . Le cardinal au teint jaune. . . Le chancelier complaifanr. . . Cette légion de prêtres. . . . Cette foule rampante de vils courtifans. . . Quelle cour ! . . . Quoi , ne pourra-t-il donc fe placer fur le tröne un roi véritablement homme , un monarque inftruit, qui chérifTe la paix ck Ia concorde , qui fafle aimer la fimplicité des mceurs , qui foit 1'ami de la vérité, qui apprenne k refpe&er le fang & la liberté des hommes !. . Oh ! s'il s'en trouvoit un , il n'enverroit furement pas , comme Philippe , des foldati  ROI D' ESP AG NE. j dans la Flandre pour forcer les confciences. C'eft en faifant le contraire, qu'un tel roi pOurroit s'immortalifer. Que j'aimerois a voir un fouverain , armé du glaive de Ia juftice, réunir les efprits par le lien de la vé-' rité ck de la paix ! Avec quelle joie je rentrerois dans la fociété , dont un moment d'erreur m'a éloigné pour toujours! .. Mais, je le prévois, Philippe ! ton regne va reculer d'un fiecle cette époque defirable. . . . Souverain Maitre des rois ! tes voies font incompréhenfiblés ; nè murmurons point des événemens , ck ne portons pas nos craintes dans 1'avenir qUe tu diriges. ( Hyacint hè , apperccvant Don Carlos , ferme fon livre , fe leve , & veut fe retirer. Celui' ci va au - devant de lui & Carrête.) Don Carlos. C'eft vous que je cherche , pere Hyacinthe. . Ce lieu folitaire eft favorable pour fe parler fans témoins.. . Demeurez... Don Carlos veut s'entretenir avec vous. Hyacinthe. Avec moi, prince ! . . Et que pouvej» A ij  4 PHILIPPE //, vous demander d'un pauvre folitairc ? Don Carlos. Je vous connois. Nous fommes feuls ; qu'aucune contrainte ne vous retienne. . . Vous êtes inltruit de chofes qui m'intéreffent; il faut me les révéler. Htacinthe. Prince , je ne fais rien ... je ne me mêle de rien. .. Entiérement livré au fiience ck a la retraite , j'oublie la cour & le mondei' £k n'ai plus affaire qu'avec Dieu. Don Carlos. Comme la terreur a glacé fes efprits !.. Que fuis-je donc a tous les yeux ? Une idole qu'on encenfe ck qui fait peur. ... Les uns me flattent, les autres me fuienr... Ne puis - je trouver un feul homme qui me parle le langage de la vérité ? Hyacinthe. Le langage de la vérité ! . . . Prince, n'exigez rien de moi, ck ne troublez pas la vie paifible du dernier de vos fujets. . . Je ne puis rien pour le bonheur des grands: W repos innocent ne nuk a perfonne.. .  ROI D'ESP A G NE. 5 V«tre augufte rang met entre nous deux trop de diftance, & je dois m'éloigner. Don Carlos U munt. Non. . . reftez. . . \t le veux. Hyacinthe. Mon prince ! Don Carlos. Que mon titre ne t'effraie pas. • • fite , refpeaable religieux, de ce moment pour m'éclairer & m'inftruire. . . L'héntier du tröne peut devenir ton ami. Hyacinthe. Don Carlos, gardez cette faveur pour d'autres. . . H n'en eft malheureufement que trop qui l'ambitionnent. Don Carlos. Eh bien donc , va. . . fauve loin de moi ton exiftence inutile. Laiffe échapper 1'ocCafion d'inftruire le fils des rois qui veut t'entendre. . . Le fort de tes concitoyens ne peut t'attendrir. . . Ton repos te parolt préférable a celui de teut un peuple... j'ai fu que Charles - Quint , mon aïeul , rctiré dans ce monafierc , t'avoithonoré de A Hj  K PHILIPPE ft, fa COafence. . . J'ai cru que tü étois digne öe Ja mienoe. . . Je me fob donc tromp*. Hyacinthe. Pardonnez, prince. . . L'empereur n'étoit plus alors qu'un homme penitent, hu™d,é devant 1'Eternel , dans 1'attente de la mort... Je n'ai point cherché fa préfence; au contraire, je 1'éviiois: car ceux qui fur Ja terre fe font iaiffé éblouir par 1'éclat menfonger du tróne & des grandeurs , font peu faits pour la retraite. . . fl nous tourmen. to« tous, & penfoit encore être le plu* tranquille ci'entre nou?. Don Carlos. _ On me I'a dit. Cornment vous diftinguapil au point de s'ouvrir a vous } Hyacinthe. Voici comme nous nous fommes connus, . . Une nuk que j'étois endormi , rêvant a Ia vie tumultueufe de ce héros,dont les débats agitoient encore la terre..... Je m'entends appeiler. . . Hyacinthe ! frere Hyacinthe, levez-vous! le coup des matinès f/tronné,..J'ouvre les ycux. . . j'appercoU  ROI D'ESFJGNE. 7 votre illuftre aieul. . . Eh Mui dis - je clans le premier mouvement d'humeur, nefi-ce pas a{jel £ avoir fi long-tems troubÜ le monde , fans venir encore interrompre k repos de ceux qui en font fèparis s'arrête , me regarde en filence , lount & me tend la main. . . Vous n'etes pas flaneur , me öit-ü i h *** êtr6 VOlr\ ami. . . Et c'eft ainfi qu'il le devint malgre moi. . • Vous favez , prince , le traitement que viennent d'éprouver les prélats qui ménterentfa confiance , qui 1'affifterent en fes derniers momens. L'archevéque de Tolede eft emprifonné fous prétexte d'héréfie. . . Je n'échappe qua la faveur de mon obfeurité. Que n'ai - je pas a craindre , fi je donne beu au moindre foupcon! . . Et ne peuten pas déja me faire uil crime de me trouver ici feul avec vous ? Don Carlos. Vertueux folitaire, votre prince n'eft pas ki pour vous perdre m vous abandonner... Ramrrez - vous \ je ne vous | expoferai pas long -tems. . . Tandis que mon pere viens A iv  B PHILIPPE 11, en ces lieux honorer la froide poufliere de Charles - Quint, moi , je ne m'intéreffe qu'a connoltre quelle fut fon ame. Je brüle du defir de recueillir fes dernieres penfée?. II en dépofa fans doute une partie dans votre fein. Peut - être vous aura-1 - il quelquefois parlc «Ie moi. . . t Hyacinthe. Vous me rappellez qu'un jour , en cette place même , fes yeux fe mouiHerent en prononcant votre nom. II a fouvent gémi de ne pouvoir veiller a votre éducation. . . . Sou unique defir étoit qu'elle lui fut confiée. Don Carlos. Et comment Je roi ne s'eft - il pas em, prefie de le fatisfaire ? Hyacinthe. Du moment que Charles-Quint abdiqua la couronne en faveur de Philippe , tk qu'il fe fut lui - même confiné dans cette fohtude , il perdit fon autorité pateraelle avec le fceptre qu'il avoit abandonné. Son fik ne 1'écouta plus , rejeta fes demandes  ROI D'E SFAGNE. 9 comme fes confeils ; & tout fut négligé, même jufqu'a fa penfion. . . Vous voyez fi après fa mort fes volontés dernieres font refpeftées. . . L'appareil de la pompe la plus faftueufe brille de tout part en fon honneur. . . Mais ici 1'Inquifition attaque foo teftament, en dérobe a tous les yeux les articlesimportans ; tk les écritsque fon cceur lui dicta pour votre inftruttion , demeurent enfevelis dans 1'oubli. Don Carlos. Ne croyez pas que j'endure long-tems 1'afTront que des prêtres audacieux ofent faire aux manes de Fempereur. , . Je ne veux pas non plus laiffer fous leur oppreffion ceux qu'il a chéris. . . J'entrevois les complots ténébreux des nouveaux miniftres , ennemis du bien public. N'en doutez point , je m'oppoferai fortement a leur tyrannie... Je vous en fais Paveu , refpectable religieux ; parlez-moi fans crainte. .. Faites - moi con* noitre les fentimens de món aïeul. . . Ses remords furent - ils finceres ? Eft - il bien vrai qu'il s'eft repenti d'avoir été perfécuteur ?  "jo PHILIPPE II, Hyacinthe. II eft vrai que 1'image de ceux qu'il avoit tourmentés fous prétexte de religion, étoif fans ceffe préfente a fes yeux. . . II conjura plus d'une fois fon fils d'abolir fes édits barbares. . . II gémiffoit fouvent d'avoir prêté fon pouvoir a 1 eglife. . . Rome m'a trompé , difoit- il ; je me fuis laiffé féduire & pan elle tk par ma jeuneffe. . . L'ambition de la cour impériale m'a rendu le complice de cette cour infidieiife. Ces vanités, ces triomphes fe font évanouis. . . I! neme refte que des regrets, ck la mort s'approche. . . O mon fits ! comment réparer tout le mal que j'ai fait ?. . . J'ai cru maitrifer les papes, tk ce font eux qui m'ont joué... Tandis que je finis ma trifte carrière dans la retraite & la pénitence, un prëtre , couronné de la tiare , brouille les puiffances ck fait la guerre a mon fils. . . Tels étoient, Don Carlos, les difcours tk les plaintes de votre aïeul. . . C'étoit contre le pontife de Rome , c'étoit contre Paul IV , qu'il s'exprimoit ainfi. . . .  ROI & ESP AG NE. U Don Carlos. Pourquoi Charles - Quint, reconnoilïant les erreurs de fon regne , s'eft - il défait d'un pouvoir qui le mettoit en état de réparer tous fes torts ? Devoit - il abandonner a des mains incertaines la tranquillité future de tant de peuples, au moment qu'il alloit devenir le plus en état de les gouvemer & de les tendre heureux ? . .. Hyacinthe. II fut, pour ainfi dire , forcé d'abdiquer la courorine & 1'empire. . . Accablé par les douleurs de la goutte, troublé par fa confcience , dé;ouragé par le revers de fes armes. . . le caraftere de fon fils acheva de le décideri . . H découvrit dans Philippe une fecrete impatience de régner , qui pouvoi- produire de funeftes effets; il céda par p udence. . . Tout le parti de 1'églife s'étoit dé'ia adroitement emparé du nouveau roi... Ah ! Ti votre infortuné aïeul n'eüt pas dcchu de fa première vigueur ; fi dans les dernieres années de fon regne il n'eüt pas été {l fortement humilié par fes ennemis, il eut  ü PHlLIPfE /ƒ, certainemem opéré ces réparations qu'il n'a pu recommander que d'une voix impuiffante. . . Don Carlos. Acheve; ne me déguife rien... Mon aïeul, je le fais, penchoit lecrétement pour Ja réforme... II a éiudié dans fa retraite les moyens de padfier les chrétiens divifés.. .. Confiemoi Ie fruit de fes recherches, afin que je puiffe un jour les mettre a profit tk les faire exe'cuter... Qu'aucune crainte ne te retienne, cher Hyacinthe. J'ai a cceur Ia deftrudion de tant d'abus, ck rien ne m'afftige davantage que de voir la race humaine ainfi trom? pee... Hyacinthe. SM en eft ainfi, prince, je vais vous parler fans détour. . . Le ciel avoit doué votre aïeul d'aftez de génie pour être utile au monde ck a fes fujets, s'il eut profité de 1'inftant paffager de fa grandeur... Mais lorfque lage ck la douleur eurent affoibli fes efprits déja ufés par les travaux d'une vie guerriere & ambitieufe . lorfqu'U voulut ap*  ftOlD'ESPJGNE. i? prendre dans cette retraite a fe dcgager des dogmes dont il s'étoit montré le plus zélé défenfeur, U frémit, & craignit plus d'une fois d'aggraver fes crimes... Son ame, trop fobie ck trop coupable , incapable de prendre un ferme parti, ne put s'élever au but qu'elle fembloit vouloir atteirtdre.. . Don Carlos, il fout avoir 1'ame forte pour triompher des préiugés dunt 1'enfcnce eft imbue, ck ne pas vttendre, pour les fecouer, la froidé vieilleffe qui eft une feconde enfance... Charles , tourmenté par le remords, effrayé k Papproche de la mort , balanca dans fes dernier» momens entre Rome ck Luther, penchant vers 1'un fans abjurer 1'autre... Tel eft 1'affeuTement de 1'ame au moment oü notre corps, opprefle par le mal qui le détruit , fuccombe.. . Vingt fois 1'empereur, converfant avec moi, m'a montré des doutes fur les dogmes qui caufent ces malheureufes querelles de religion. II paroifToit même franchit d'autres bornes plus éloignées : mais les douleurs aigués qu'il fouffroit varioient fes penfées ck le replongeaient djjis ces merries  H P ff I L I p p E j /; foibleffes qu'il rejetoit Jorfqu'il ne fouffoit POint. . . QUe puis. je donc vouj dire ^ .%é? Quels fruits pourrez-vous tirer d'un exemPleincertain?..Mais qu'en avez-vouS iefoma votre age, & dans la place cü il a plualadmne Providence de vous placer ? Tachez de tout voir par vous-méme : fondez votre raifon; fi elle eft ferme, elle pourra tout approfondir.. . C'eft 1'uni vers entier, & nonun feul homme , un feul pays, qu'il feut confulter. . . Que rexemp|e d; tous ^ grands hommes vous ferve de lecon. .. Recherchez celui que l'on perfécute ailleurs 5 interrogez-le, & ne le condamnez pas fans ï'avoir auparavant bien écouté. .. . Que Ie nom d'hérétique ne vous effraie point. Prenez connoiffance de tous les écrits qu'unï fauffe politique & une religion fainte dans fon ongine prohibent aveuglément... Lifezles; & quoiqu'on les repréfente comme dangereux aux peuples, prince , vous pouvez y trouver d'utiles le9ons.. .. Ceux mem; q«ï vous déchireront ne doivent pas tout-a fait vous déplaire; ils peuvent quelquefois vous  ROI D'ESP AG tJ E. i| fervir de contrepoifon contre la flattene.. . U v a toujours quelques bonnes lecons a en tirer , & la vie d'un bon prince doit être fon unique vengeance contre ceux quil'ontcalomnié. Les viles produdions de ces infemes libelliftes feront en horreur; & les bénédiaionsd'un peuple que vous aurez rendu heureux , les replongeront dans la pouffiere d'oü elles étoient forties. . . Mais.. . quelqu'un s'approche. . . Permettez que je me retire. Don Carlos. Allez. ... Je fongerai a vous j foyea tranquille. . •  1&- PHILIPPE 11 * 9 SCÈNE II. DON CARLOS , ELISABETH. Don Carlos, après un moment dé füence\& tandis qü'Elifabeth, couverts dun voile, s1 avance a pas lents fur le cóte' oppofé du théatre. (^.uelle eft cette femme qui feule s'avance ici ? Elle marche la téte penchée, & parott plongée clans 1'oubli de tout ce qui I'environne... elisabeth, fans appercevoir Don Carlos. Don Carlos, infortuné Don Carlos!.. Don Carlos , reconnoiffant Elifabeth. Elifabeth!. . Elisabeth, relevant fon voile. Ciel!.. oü föis - je ! Vous, prince, en ces lieux !.. ( dpart. ) Comme je me fuis écartée de ma fuite ! . . Retournons. Don Carlos. Non. .. Reftez un moment.... Quoi, je ne  ROI D' E S P J G N E. 17 ne puis vous parler ? .. Qui vous prefle de fentrer fi vite dans la foule importune ? .. . Craignez - vous de me rendre trop heureux en prolongeant le doux inftant, 1'inftant fi rare , d'être feul avec vous ? elisabeth. II eft trop dangereux de nous trouver enfemble... Vous le favez, prince... On peut nous voir. Don Carlos. Faut - il ainfi paffer la vie ! .. Quel affreux tourment ! . . Mais, madame , qu'avez-vous; donc tant a redouter ? elisabeth. Nous-mêmes... C'eft vous en dire affezJ Je le vois avec douleur , vous oubliez qui je fuis devenue.. . Vous nourriflez, contre tout efpoir, une paflïon qui vous rend criminel, Sc me force a rougir. > Don Carlos. Ah ! du moins ne m'outragez pas... Une paflïon criminelle ! .. Eft-ce donc ainfi qu'il faut appeller le plus p«r, le plus légiüW  18 PHILIPPE 11 ? amour qui brüla jamais dans un cceur innocent ? .. Ne nous avoit - on pas deflïnés l'uri a 1'autre ? .. Les deux rois nos peres ne nous ont-ils pas eux-memes encouragés a nous aimer ? .. Elifabeth étoit 1'ange de paix erj.voyé du fein de la France pour apporter la joie en Efpagne Sc faire le bonheur de ma vie. Etoit - ce pour mieux déchirer mon ame que mon pere me fit entrevoir une pareille félicité ? Et c'eft moi qui ferois criminel, lorfque fans pudeur il prend pour lui 1'époufe qui m'étoit deftinée , lorfque je me vois ravir Ie feul bien oü j'afpirois fur la terre ! . . . Oü eft le crime, de ne pouvoir effacer de mon cceur Pempreinte d'un trait fi profond !.. Le volcan a beau fe concentrer dans les entrailles de la terre , fes feux n'en ravagent pas moins la furface.. . Mon cceur eft confumé par la flamme qui le dévore. Je meurs dans le filence, & je ferois criminel! .. Soyez jufte , Elifabeth ; n'exigez pas des efforts impoffibles. C'eft affez de 1'infupportable contrainte que je garde en public. Que je puifle au moins une fois en adoucir  RÖl D'ESPJGNE. 19 Ie fardeau , avant que d etre délivré d'une vie malheureufe ! elisabeth. Cher Don Carlos, modérez des tranfports auflï dangereux : ils ne peuvent qu'ajouter 3 nos maux. La plus belle vertu d'un héros eft de fe vaincre foi - même. Soyez maitre de votre cceur , & domtez ce fatal amour. Don Carlos. Qui pourra jamais égaler ma retenue?.: En faire plus eft au - deffus d'un mortel. . . Deux ans font écoulés ; que dis - je ! deux fiecles de tourmens... N'ai-je pas toujours refpe&é votre repos aux dépens du mien ? Lorfque j'allois au - devant de vous , en ce moment terrible oü je vous vis pour la première fois, n'ai - je pas toujours gardé une apparence tranquille ? N'ai-je pas dévoré mes foupirs fans laifier échapper un feul mot indifcret ? ... Je m'écriois, dans 1'agitation de mon ame éperdue : Voila celle que le ciel a créée pour être mon époufe, pour partager mon exiftence; courons, volons au- devant d'elle Grand Dieu , tu permis B ij  *o PHILIPPE II; qu'elle me fut enlevée, ck que , deftmée par j'amour ck les traités a être ma moitié,ell8 paflat en d'autres bras que les miens. . . Oh i fi mon rival n'eut été que mon roi ï.. Mais c'étoit mon pere ! . . . Témoin refpeétueux de fon bonheur, lorfque fon hymen fut annoncé a la nation , je fus Ie premier a 1'en féliciter. Ai - je montré quelque foibleffe au milieu de PalégrefTe publique ? J'étouffois ma douleur, ck ces larmes d'une joie apparente n'étoient que celles du déiei'poir. elisabeth. Prince , il faut nous féparer : 1'éloignement eft le feul remede a d'auffi grands maux. . „ Votre état eft affreux, je le fens; mais.. . „ n'attendez pas que je vous parle jamais du mien. Ce n'eft que par une longue abfence que vous pouvez éteindre cette paflïon malheureufe. Le tems ck 1'abfence vous rendront la tranqitillité : tachez d'obtenir du roi ia per» miflïon de vous éloigner de la cour. Don Carlos. Ce remede extréme n'a pas dépendu de  ROI D'ESPJGNÊ. éi moi : j'ai tout fait pour 1'obtenir. . . J'ai fupplié long - tems; j'ai demandé dans cette vue a mon pere le gouvernement de la Flandre. . . Je me flattois d'être envoyé pour appaifer les troubles qui agitent les Pays - Bas: mais le féroce duc d'Albe m'a été préféré; & eet affront , joint aux malheurs qui pourront en être la fuite ; eft toujours vivant dans mon cceur ulcéré. elisabeth. Seigneur, ne vous découragez pa?, . . Les refus d'qn pere ne font point un outrage . , ]1 peut d'un jour a 1'autre céder a vos inftances. . . récidivez - les. Et de mon cöté je mettrai tout en ufage pour le faire confentir a feconder vos vceux. j'ofe me flatter d'y réuflir : gardez - vous hutopt d'un abattement funefte, Don Carlos. Ainfi donc mon unique bonheur dépen de mon éloignement. . . . Je le fens. . . c'eft le feul parti qui me refte a prerjd*-dans une fituation aufli terrible que déie: B üj  ia PHILIPPE ft/, pérée. Cependant , ö ma princeffe ! vous avoue ni - je 1'horreur fecrete qui me faifit lorfque j'envifage mon fort a venir ? Ce que je fouffre chaque jour en vous voyant Ie partage d'un autre, mon cceur Ie fait; mais ce que je fouffrirai lorfque je ne vous ver. ™ plus, je J'ignore ck le redoute en mérne tems. ELISABETH. Lom de moi votre vertu vous foutiendra ; un feu plus noble ck plus pur brülera au fond de votre ame. Songez , prince , aux devoirs facrés qu'exige votre rang , aux grandes adions qui doivent ^tablir votre renommee. Ce n'efr pa* a foupirer qu'un prince deftiné a porter la couronne doit pafTer I'inftant Ie plus précieux de fa vie; héntier d'un pouvoir dont quelques parties ptuvent déja vous êlre confiées, appliquez- vous a en connoltre 1'ufage. Voyez les yeux de plufieurs millions d'hommes fixés fur vous , dans 1'attente d'un protedeur ou d'un tyran : laifTez leur entrevoir 1'aurore des beaux jours que vous ferez naitre; que vos  ' ROi D'ESPJGNE. 2? peines, vo< èhagrins vou< apprennent a compatir k ceux d'autrui; i'infortune devien. ainfi un remede contre le défefpoir. Les peuples malheureux gémiflent fous le poids de 1'oppreffion ; agiffons de concert pour adouar la rigueur de les coups ; c'eft en remphffant cette noble tache qu'en dépit du fort ros ames peuvent encore être unies & fe confoler mutuellement. Que la renommee de nos vertus adouciffe la rigueur de notre féparation; faifons-nous chirir & refpefter, vous enFlandres,& moi auprèsdu trörie:Quand j'entendrai les bénédidións que le Peu?le donnera k vos bienfaits, je verferai des larmes de joie; & chaque fois qu'une bonne adion fera la récompenfe de mes efforts, votre cceur attendri dira : c'eft Elifabeth qui Fa faite. . . Cher Don Carlos ! le mien ne demande qu'a s'occuper de vos vertus. :. Plus votre courage furmontera votre malheur , plus vous obtiendrez 1'amour de ceuxque vous devez gouverner ,& plus je ferai heureufe. . . Que vous reftera-t-il donc a defirer C  H PHILIPPE II, Don Carlos. Ame célefte ! vous me pénétrez de vos fentimens foblimes. . . Comment ne pas Céder a cette noble émulation que votre cceur infpire ? tk comment 1'admiration n'augmenteroit.elle pasmes regrets?Pardonnez. . . Je faurai au moins les taire pour toujours. Oui , je veux vous imiter en tout ck fuivre votre exemple. ... Je Veux qu'on di(e un jour en nous plaiguant • Elifabeth ck Don Carlos étoient bien faits pour être unis. ELISABETH. II me femble entendre march,er quelqu'un de ce cöté. Don Carlos w voir & rtvient. Je ne fais.. .mais je crois avoir entrevu Ruy - Gomez qui fe déroboit a mes yeux. Le lache ! ... Si je fuivois le mouvemeqt de mon indignation i .. ( J/met /a mainfur fon èpii. ) Elisabeth. Gardez - vous de me compromettre & de ffoas «pofer. . . Prince .' forigez qUe h  ROI £>' ES PAGNE. i% prudence eft un égide dont les autres verr tus ne peuvent fe pafler. . . Je fuis reftée avec vous trop long-tems. . . Si je vous fuis chere, éloignez - vous. Adieu. . . Que le ciel rende a votre cceur ce calme heureux qu'éprouve une ame pure , Sc que j'implore pour moi - même ! SCÈNE III. DON CARLOS, feul. Et LISABETH, ft vous m'êtes chere ! Hélas ! ma vie en fera le plus beau témcagnage. Oui. . . tout s'éloigne avec elle. . . La lufniere du jour, ma vie , tout femble la fuivre lorfqu'elle difparoit. . . Je rentre dans un cercle ténébreux de douleur & d'ennui, . . ( Don Carlos appercevaat Ruy - Gomt{ cachè derrière un arbre , dit en quittant la fcene : ) De yils efpions s'attachent fur mes pas..}  itS PHILIPPE II, Ruy-Gomez ne rougit pas de remplir un fi vil emploi. . . Quel excès de bafiene !.. Ciel ! faut - il que les places de premier miniftre & de chanceiier foient occupées par des ames auflï balles tk auflï rampante*! SCÈNE IV. PHILIPPE II , RUY - GOMEZ , UN CAPITAINE DES GARDES. Philippe II. EiH bien , Ruy - Gomez , avez - vous entendu quelque chore de leur difcours ? RUY-GOMEZ. Pas bien clairement , Sire. Seulement quelques murmures contre votre majefté. PHILIPPE II, au capitaine des gardes. Allez. . . fuivez fes pas ; tk s'il rejoint Ia reine, venez auffi-töt m'avertir. . . Approchez le plus prés de lui que vous pourrez , afin d'entendre fes paroles ; ck s'il vous appercevoit, feignez , ou plutöt dites-Iui  R O I D' E S P A G N E. Vj que je vous ai envoyé vers lui, afin qu'il vienne me parler. ( Le capitaine fe retire.) ruy-gomez. Nous fomrnes arrivés trop rard. . . J ai fait cependant avertir votre majefté au moment qu'on m'a prévenu qu'il étoit avec la reine. Philivpe II. II eft de la plus grande conféquence de veiller a leurs démarches. . . Des complots entre ma femme & mon fils ! ... Le cara£lere de Don Carlos m'inquiete. ruy-gomez. J'ai eu lieu de le connoitre lorfque vous daignates me confier fon éducation. . . Je n'ai jamais pu rompre fon indocilité. II n'a jamais voulu fuivre les principes qiue votre majefté m'avoit recommandé de lui e-nfeigner. . . Ma'gré mes foins , il eft devenu indifcipliné & raifonne*ir, Mais ce qui m'afflige le plus, c'eft de voir que 3a re!igio:n perd de jour en jour fon pouvoir fur fqn efprit,  iS PHILIPPE II, Philippe II. Tout eft perdu , s'il parvient a rompre cette chaine facrée ; car c'eft fur elle que je me repofe pour l'alTujettir. . . Le degré de fes connoiflances s'étend malgré moi... II m'importe cependant de le retenir dans un état borné; ck le meilleur moyen d'abrutir 1'efprit d'un jeune homme eft de le plonger dans une dévotion outrée. . . Bien n'alTure mieux la foumiflïon d'un fujet, qu'un attachement aveugle aux dogmes catholiques. Quand on eft une fois maitre de Ia confcience , on ne craint plus ces faillies fougueuies du jeune age. . . Brutus , enchamé par la confeflion , n'eut jamais frappé Céfar. Avec la religion ck fes prêtres , je veux acquérir un empire plus illimité ck plus puifïant que n'auroient pu faire les nombreufes armées de mon pere. . . Des fanatiques choilis dans mes états iront fous te mafque facré effrayer les nations qui m'environnent. Jugez combien je dois être alarmé d'avoir pour héritier un rils qui cherche a fecouer ce joug. Je ne cefle, pour 1'y contrgindrq ,  ROI D'ESPAGNE. 2$ de momrer un refped ck une foumiffion aveugle pour les cérémonies de la religion : mais tous ces exercices d'une dévotion portee a 1'excès ne le léduifent point: au contraire, il femble qu'il ne m'accompagne que malgré moi ; & fi je ne me trompe , la dérifion eft dans fes regards... Que je voudrois pouvoir lire dans fa penfée,pénétrerfesdeffems!... Je me fouviens encore des idéés qui me rouloient dans la.êtea fon age. . . L'impatience de régner me dominoit ; ck je ne fais a quelle „trêmité je me ferois porté , fi quelques autorités préliminaires ne m'avoient pas donné 1'efpoir d'une prochaine indépendance.. . Don Carlos eft peut - être dévoré des mêmes defirs; mais ma jeuneffe doit lui öter 1'efpoir de me fuccéder de long-tems. Voila L doute ce qui l'aigrit ck m'eh feroit un ennemi d'autant plus a craindre , qu'il prend foin de le déguifer. . . . Que je voudrois favoir le fujet de fon entretien avec la reine . RUY-GOMEZ. Sire ,1'intérêt de votre nwjefté m'ordon.ne  J6 PHILIPPE II; de tout dire. .. Pardonnez mes foupcons... Don Carlos tk la reine confervent toujours Fun pour 1'autre des fentimens qui depuis long-tems devroient être éteints... Ils ne vous pardonnent point de les avoir défunis. Ils cherchent a fe confier leurs fecrets , tk malgré notre vigilance , trouvent moyen d'avoir des entretiens particulier». J'ai lieu de préfumer que la haine de Don Carlos pour la reügion vient de la reine. . . Elifabeth eft d'une cour fort peu attache'e 3 celle de Rome , tk même infeérée depuis quelque tems de novateurs. . . La découverte que je viens de faire d'une trahifon m'enhardit a le croire : elle doit faire ouvrir les yeux a votre majefté. Philippe II. Qu'ai - je entendu ! Ruy - Gomez , ex-, pliquez - vous. RUY-GOMEZ. Votre majefté fe rappelle l'expédition fecrete qu'elle ordonna dans Ie Béarn. Un parti de cavalerie étoit commandé pour aller fe faifir de la reine de Navarre 6c de fort  ROI D'E SP AG N E. *f fils : ils auroient été enlevés inopinément Sc tranfportés en Efpagne avant qu'on püt les fecourir. ... Ce coup n'a pas réuffi , paree que Jeanne d'Albret prévenue fut mife en füreté. Votre majefté n'auroit jamais pu croire que ce fut la reine même qui lui en donna 1'avis. Philippe II. Ciel, eft - il poffible ! Quelle noirceur l RUY-GOMEZ. Jeanne d'Albret gagna 1'amitié d'Elifabeth, lorfque cette princeiTe , venant en Efpagne, féjourna dans fes petits états.. . Cette reine, vous le favez , eft i/ne Protedrice des calviniftes; ainfi votre majefté peut deviner le refte. Philippe II. Quoi, c'eft Elifabeth qui m'a fait man.' quer eet heureux coup! . • . Quel trait de perfidie ! . . • L'héritier des Bourbons avec fa mere , une fois détenus dans les prifons fecretes de 1'Inquifition , auroient été contraints de figner Vatte de renoncia* tion 6c la reftitution de la Navarre; & j'au*  ff P H I L I P p E ƒ ƒ - rois enfuite facilement purgé mes frontieres d'un voifinage qui les infecte , de ces feétafeurs de Calvin. . . J'aurois tranche par ce coup hardi le fil & Penchaïnement de toutes ces difcuffions a venir. Vous favez que mon amour pour la reine ne va pas a 1'exIces. J'ai fait ce nouveau matiage uniquement par politique. C'étoit le feul moyen d'öter Elifabeth a mon fils. Je m'étois trop imprudemment engagé a les unir : je fis réflexion fur ce qüe j'avois a rifquer des fuites d'un pareil hymen. . . II donnoit une confiflance dangereufe a mon héritier. Don Carlos , Elifabeth & leurs enfans , appuyés d'une cour étrangere , auroient pu contrebalancer ,mon pouvoir fouverain. . . Mon fils feroit devenu pour la nation un objet intéreffant, qui m'auroit en quelque forte effacé. RUY-GOMEZ. Comme votre politique habile fait tout prévoir! II femble que vous foyez devenu ■veuf a point nommé pour conclure a votre propre avantage cette alliance déja contrac-; tée pour votre fils. Philippe  ROI D' É S RA G N È. Philippe II. Parions bas. Vous êtës le feul miniftre' qui ayez ma confiance ; je ne vous cache iien. Qui mieux que vous fait l'hiftoire de toutes les fémmes que j'ai eues ? A parler vrai , aucune n'a mérité mon attachement comme la vótre. RUY-GOMEZ. Sire , je fens ainfi qu'elle tout le prix d'un pareil honneur. C'eft k votre majefté que je dois mon élévation , & ma reconnoiffance n'aii'a point de bornes. Nous fommes dévoués pour la vie au bon plaifir de votre majefté. Philippe II. Je le fais. Prenez feulement les plus grandes précautions pour voiler ma conduite particuliere. Veillez que rien ne tranfpire. Je tremble toujours que , malgré les clehors que j'affeóte en public, ün ceil curieux & pénétrant ne vienne k connoitre le fond de mon ame. II eft de la derniere conféquence que je ue fois pas trouvé en contradiction j i  34 PHILIPPE 11, & cette crainte me trouble au milieu même de mes jouiffances. RUY-GOMEZ. Votre majefté doit être au - deffus de pa* reilles inquiétudes. N'êtes - vous pas le maitre ? D'ailleurs , quiconque oferoit dire un feul mot , ne feroit - il pas fur de fa perte ? Manquons - nous d'efpions ? Et les louanges d'un million de prêtres ne fuffi» fent - elles pas pour anéantir quelques propos timidement hafardés ? Et rinquifition ? „ . Philippe II. Don Carlos vient : éloignez - vous a quelques pas. ( Don Carlos s'approche, prêcêdé du capl* taine des gardes qui fe retire. )  ROI D' E $ PA G NE. SCÈNE V. PHILIPPE II, DON CARLOS. Philippe II, d Don Carlos. C3tuE faites - vous en ces lieux ? Eft - ce ainfi qu'un prince de votre rang do'ufe comporter ? Serai - je donc obligé de vous faire tous les jours de nouveaux reproches ? Don Carlos. Sire, j'ignore quel fujet me les attire. Philippe II. Votre conduite fcandaleufe. On ne vous voit plus a 1'églife qu'aux heures oü vous ne pouvez vous difpenfer d'y paroitre. Vous éludez de m'y fuivre , lorfque poufïé par un faint mouvement, je vais vifiter les reliques des bienheureux., expofées a la vénération publique. Don Carlos. Si ie ne donne pas en fpeétacle des démonftrations publiques de ma piété , ne puis-. C ij  36 PHILIPPE II, je 1'exercer dans la retraite ? Sire , je tronvï que le recueillement m'eft plus (alutaire. Philippe II. Votre irréligion cherche a le voiler par de fauffes excufes; mais votre froideur Sc votre relachement pour les facremens en font une preuve évidente. Vous avez ofé défobéir a mes ordres, en refufant d'approcher aujourd'hui de la communion. Don Carlos. Un acte auffi facré , qui ne s'accomplit que par le mouvement du cceur, ne peut avoir de jours prefcrits Sc fixés. Notre rang , je le fais , exige que nous donnions 1'exemple ; mais il faut qu'il foit fincere. Celui de 1'hypocrifie feroit hotrible a donner a des fujets. Philippe II. Dites plutöt que votre confcience eft chaFgée d'un poids dont elle n'ofe fe délivrer. Le tribunal de ia pénitence vous fait peur. Don Carlos. Et qui peut fe flatter d'être pur ? Oü eft rhomme qui ne fe trouve pas éloigné malgr*  ROI D' E S P A G N E. %J lui de eet état d'innocence , hélas! fi difficile a conferver ? Philippe II. Les paffions qui dominent votre ame , l'entrainent a fa perdition , & peut - être celle de la haine 1'emporte - t-elle fur toutes les autres. Vous m'entendez ? . . . . Répondez : puis - je fourTür que mon fils refie plus long - tems dans un état fi dangereux ? Don Carlos. Daignez regarder votre fils d'un ceil paternel , & fon état ehangera. Ne rejeiez point, feigneur , la priere que je vais vous faire , & vous me rendrez la paix & la tranquillité. Philippe II. Le ciel m'efi témoin que je ne veux que Votre falut. Don Carlos. Souffrez que je m'éloigne pour quelque 'tems de votre cour. Peut - être qu'abfentje paroïirai moins coupable. Cónfiez-moi le foin d'aller en votre nom appaifer les troubles C iij  ?S PHILIPPE II, de Ia Flandre : je promets de vous y faire aimer. J'y ferai , par mon exemple, refpecter tk obferver avec emprefftment vos velomes tk vos loix. Philippe II. Vous croyez qu'il faffit de votre air de jeuneffe pour en impofer a des rebeües. Quels font Ie-, cxploits qui déja vous diftinguent , pour mériter la confiance publique 6c la mienne ? Don Carlos. Sire , fi je n'ai pas encore paru a 'la tête de vos armées, ce n'eft pas que je ne vous 1'aie demandé avec ardeur. Ah ! fi le defir de la gloire pouvoit fuppléer au défaut d'occafion; d'en acquérir, non, je ne ferois pas ïndigne du fang illuftre dont je fuis né. Daignez enfin me laifler entrer dans celte glorieufe carrière, dans laquelle 1'empereur mon aïeul n'avoit pas craint a mon age de vous faire avancer. Philippe II. Ce n'eft pas dans une pareille circonftance s ni même dans ce pays, que je veux que  ROI D'ESP A G NE. 39 vous faflïez votre premier effai. Pour appaifer ou pour punir ce peuple rebelle, il faut montrer le front d'un guerrier confommé & intrépide. Don Carlos. Eft-il donc fi néceffaire de montrer un front menacant ? L'appareil terrible des armes, une multit-ude formidable de foldats font - ils les plus fürs moyens de ramener des fujets qui commencent a s'aigrir ? & la fageiïe jointe a la clémence ne peut-elle pas gagner ce qu'une rigueur précipitée rifque de perdre pour jamais ? Philippe * Je concois aifément , prince , que vous aimeriez a tolérer dans ces provinces les nouveaux feminiens qu'elles s'obftihent d'adopter. Don Carlos. Pourvu que le fujet foit fidele a fon rol & le chériiïe, voila , je penfe, tout ce qu'un fouverain peut & doit lui demander. Qu'importent après tout fes opinions, fon culte &j fa maniere d'honorer 1'Etre fuprême ? C iv  *M> P H 1 L 1 P p £ II, Philippe II. / Vous avez la des principes erronés.... ' Qu'importe au roi, dites-vous, la religion de les peuples ! . . . Oubliez - vous qu'étant I leur maitre abfolu , je réponds, devant 1'Etre fuprême, de leur foi comme de la votre ? Eft - ce donc a des fujets a raifonner quand J'églife décide & que moi-même je fuis 1'oumis a fes faints décrets ? II lied bien a un foible mortel de prétendre lui donner, ainfi qu'a moi, un démenti formel fur les principes religieux dont elle eft 1'ame & la bafe ! Sachez que le plus grand, le plus dangereux, de tous les crimes, c'eft 1'incrédulité ; elle conduit a 1'irrévérence envers ma perfonne facrée : ne croyez pas , mon fils , que je Jm laifle jamais prendre d'empire fur votre cceur. Ma confcience me reprocheroit fans CtlTe votre éloignement de ces lieux. Le bonheur de mon peuple , Ie votre & le mien même en dépendent. Retoumez 3vec fincémé vers cette religion divine, qui ne ceffe de vous tendre les bras , tk qui veut f tre votre foutien. Je veus ordonne d'aller  ROI D' E S P A G N E. 41 vous jeter aux pieds du fage directeur que je vous ai choifi ; Sc que nul prétexte ne vous éloigne davantage des offices que l'églife obferve chaque jour pour honorer la Toute - puiffance fuprême. Don Carlos. Permettez que je vous repréfente du moins.., Philippe II. Ne me repliquez pas davantage. .. La cloehe appelle le peuple au fervice divin :.allez m'y devancer. Vous m'y verrez bientöt, profterné aux pieds des autels, omïr mes prieres a 1'Eternel pour qu'il daigne faire rentrer en lui - même un fils dont la vie me caufe fant d'amertume ck de chagrin. Pon carlos, bas & fe retirant. O contrainte ! ..  4* PHILIPPE II, SCÈNE IV. PHILIPPE II, RUY-GOMEZ, GRANVELLE. ( Granvelle étoit arrivé pendant la fcent prtcédente, & parloit dans téloigntment avec Ruy-Gome^. ) Philippe II. ./\.pprochez. Ruy-Gomez. Sire, le cardinal Granvelle a recu des nouvelles de la Flandre , ck vient en faire part a votre majefté. Philippe II, d Ruy-Gome^. AUez : continuez vos foins fur Don Carlos ; veiüez fur lui comme fur Ia reine. Je tiendrai après la meffe un confeil de confcience, ck je partirai enfuite pour Madrid. ( d Granvelle. ) Eh bien, cardinal, a quoi en efl le duc d'Albe > Granvelle. Sire, il eft parvenu a faire arrêter les conv  RO I D' E S P A G N E. 43 tes d'Egmont Sc de Horn ;tous deux font en prifon , & vos troupes fe répandent dans tout le pays. Philipppe II. Et le filencieux eft - il pris ? Granvelle. Le prince d'Orange ? ... II s'eft malheureufement échappé. Philippe II, frappant du pied. De par tous les faints ! tant pis. Celui - !a en valoit bien un autre.. . Oü s'eft - il fauvé ? Granvelle. II eft allé fe mettre a la tête d'une chétive armée, compofée de rebelles ck d'hérétiques Aüemands qui font venus a fon fecours; mais Je duc d'Albe aura bientot détruit cette engeance ck pris leur chef. Guillaume paiera cher fon audace. Nous attendons a chaque inftant des nouvelles plus amples Sc plus favorables , ainfi que des dépêches pour votre majefté. Philippe II. Enfin ces provinces vont éprouver tout le poids du chatiment qu'elles méritent.  44 PHILIPPE 11; Granvelle. Si ce cbatiment égale leur offenfe, il fera fans doute rigoureux. Votre majefté n'ignore pas que Pintention du duc d'Albe eft de ruiner entiérement ces rebelles. Philippe II. Ils ont mérité ma haine depuis Ie fé;our que j'ai fait parmi eux. Lorfque les Flamands me recurent pour la première fois , je ne m'appercus que trop de Ia dénnon que couvroient leurs hommages. Enhardis par la préfence ck la famiüarité de 1'empereur, ils ont ofé railler la fierté de ma contenance ck ridiculifer ma dévotion. Je n'ai cefle d'éprouvér des marqués de leur dédain, de leur défiance ck de leur opiniatreté. Enorgueillis par de vains privileges que mon pere eut la foiblefïe de leur confinner, ces petits états ont prétendu mettre des bornes a mes volontés. . . Cardinal, vous connoiffez mieux que perfonne la haine invétérée qu'ils confervent pour ceux qui commandent en mon nom. Granvelle. Sire, mon zele pour le fervice de votre  ROI D" E S P A G NE. 4? majefté m'a mis en but a leurs traits. Néanmoins je ferois parvenu a remplir entiérement vos ordres, faas la npbleffe du pays; car avec des troupes Sc de la fermeté 1'on fait aifément obéir le peuple. Mais cette nobleffe eft iadifciplinable Sc d'une iufolence outrée. Elle a pris le parti du peuple, s'eft liguée contre moi. Je courois rifque de la vie, lorfque votre majefté daigna me rappeller. Philippe 11. Je fais que votre zele pour la religion Sc votre attachement a mes intéréts vous oni caufé bien des défagrémens. Granvelle. J'avois fait faire quelques exemples de févérité fur les plus mutins; cela déplut généralement. D'ailleurs, les provinces voifines de 1'Allemagne, de la France Si de PAngleterre font imbues de principes attentatoires au pouvoir de la ioyauté. Ils ne peuventfe pe-rfuader qu'un roi eft maitre de faire abfolument ce qu'il lui plait; que tout lui appartient de dreit divin. Et par un certain  46" P H 1 L 7 P P E I 1, efpnt d'indépendance ils oppofent a ces droits facrés des droits chimériqües qui deviendroient redoutabies , fi ces peuples avoient une fois affez de förce pour les faire valoir. Philippe II. Tous les fouverains devroient fe liguer enfemble & faire caufe commune contre des ma.vimes auffi licenciewes : je ne penfe point qu'aucun prenne le parti de ces rebelles. Granvelle. II faut fe méfier du jeune roi de France. Sa cour eft empoifonnée d'hérétiques , ck Ton parle d'un fecours qu'il doit faire paffer fecrétement dans les Pays - Bas , pour feconder les Flamands. Philippe II, fouriant. Ecoutez , cardinal. . . Vous metes trop fincérement dévoué, pour que je tarde davantage a vous mettre dans le fecret. Ce fecours , ces fix mille hommes que Charles IX leur fait paffer fecrétement, font tous de zélés calvinifies , ck 1'élite de leurs guerriers. Genlis doit être a leur tête. Vous voyez, cardinal, que je fuis infiruit.  ROl D'ESPAGNE. 47 Mais perfonne ne fait que le roi de France eft d'accord avec moi , pour faire pafler cette petite armee par un défilé , ck que mes troupes en embufcade les tailleront facilement en pieces. Le duc d'Albe fera prévenu a tems , ck je vous réponds qu'il n'en échappera pas un feul. C'eft le prélude de la deftru&ion générale des hérétiques en France ck dans les Pays-Bas. Charles IX eft convenu d'agir fecrétement avec moi, ck c'eft tout dire. Granvelle. Quelle heureufe nouvelle ! Eft-ilpoffible, Sire ! Le cabinet de France adopte donc enfin le plan que vous m'envoyates rédiger avec le cardinal de Lorraine ? Philippe II. Le duc d'Albe , dans 1'entrevue de Bayonne , a gagné Catherine de Médicis, ck c'eft elle qui nous ré pond du roi fon fils. Mais il faut la plus grande difcrétion. Catherine veut faire tomber dans le piege tous les chefs des religionnaires. C'eft une Italienne rufée qui me redoute ck ménage ma  4» PHILIPPE II proteétion contre fes enfans méme & les grands du royaume. Èlle a conclu un traité de paix fiinulé avec les révoltés. Ils s'en défient cependant, tk fe tiennent fur leurs gardes. Mais le mariage du jeune Bourbon avec fa fille fera le piege ou ils tomberont tous; tk Ia reine de Navarre elle - même n echappera certainement pas cette fois. Granvelle. Voila , Sire, le coup Ie plus important pour faire réuffir vos projets dans les PaysBas. Eh bien , je m'efforcois de le faire entendre au cardinal de Lorraine. Pour Dieu , lui difois - je , au lieu de faire battre no Phiiippe, & me feumettre a mon fort. Dieu feu! connoir mes eïïbrts pour toucher ce coeur endurci & le rendre plus humain. Ceil le bonheur des peuples, c'efl ma place , qui m'impofo:ant cette tache. Maïs hélas ! malgré mes prieres, mes remontrances, je ne vois en Thilippe qu'un pere dar , vin mari déiïant, un maitre impitoyable. Son front fourcilleux m'ote la confiance, 8c depuis quelque tems je ne puis 1'approcher fans crainte. Ce que j'entrevois m'nfRice & me trouble : d'un eèté les diffenfions de la Fiandre ,de Pautre celles de ma patiïe. La tranquillité publique fembloit devoir être le prix de mon dévouement. Une main cachée arme les Francois les uns contre les autres pour lïntérêt de la religion. Je prévois que les fuites de cette difcorde amont une longue durée... ;  ROI D'ESPAGNE. Heureufe Angleterre ! une femme habile & courageufe fait ta paix & ta tranquillité. Elifabeth fe rit des foudres de Rome & des menaces de Madrid. Elle fait que le peuple le plus libre eft toujours le plus fort. C'eft en faifant aimer fon regne qu'elle en allure la durée. Ici , quelle diffèrencë ! le defpótifme perpétue 1'ignorance de ce peuple fuperftttieux; l'Inquifition, par fes afïreux décrets, par fes fpeftacles atroces , enflamme le fanatifme , & d'un bout du monde a 1'autre couvre le nom Efpagnol d'un opprobre éternel. La défiance & la jaloufie cherchent par-tout des viftimes. .. Garde-toi bien, chere Hocorine, de laiffer échapper un mot qui puifTe dévoilertesfentimens. Tu ferois livrée au pouvoir de l'Inquifition, & toute reine que je fuis, je ne pourrois t'en délivrer. Crois - moi, ne refte point en cette cour. 3'aurai foin de favorifer ton départ. Tu retüurnëfas comblée de mes bienfaits & feul témoin de mes douleurs. Honorine. Hélas ! les jours qui doivent prolonger mon exiftence fsnt bien pen de chofe. Mes  é+ PHILIPPE II, ■enfans !. .. Ils n'ont plus befoin de moi. Ó digne Elifabeth ! je ne delïrois que de vous voir. Que le Ciel difpofe maintenant de mes jours: je les lui abandonne fans regret. Fafie PEtre fuprême que je puiffe adoucir 1'amertume de votre vie aux dépens de Ia miennel Elisabetk. Non, non. . . Je ne veux point ajouter a mes maux celui d'avoir a craindre pour toi. Toi feule en ce moment peux me rendre un fervice important. Je vais t'en confier le feci et, chere Honorine. Ecoute... L'amitié me lie étroitemcnt avec la reine de Navarre : je 1'ai déja fauvée d'un grand péril.. . Philippe, loin d'oDéir au teflament de fon pet e, au lieu de reflituer la Navarre ufurpée, avoit coücu le barbare defïein de "faire enlever Punique héritier de ce royaume; des gens de guerre , furtivement arrivés, devoient arrêter du même coup le jeune Henri & fa pere , les conduire en Efpagne , les livrer a 1'Inquifuion qui, les condamnant comme hérétiques, auroit, par une fuite ordinaire de fes jugemens, prononcé la confifcation de leurs  ROI D' E S PA G N E. 6"? leurs états. Le Ciel me fit connoitre cette trame odiëufë aflez tót pour la prévenir. Aujourcrhui, un nouveau danger menace cette généreufe proteétrice des religionnaires opprimés. La reine ma mere 1'appelle a fa cour; elle veut unir fa fille a fon fils. Ah ! fans doute qu'il me feroit cher de. voir ma fceur Pépoufe du feul rejeton de la familie royale; mais que la reine de Navarre fe préferve d'une alliance auflï trompeufe. Va fecrétement lui dire de vive voix ce que je ne puis. lui écrire fans danger. Dis - lui de ma part, que les avantages accordés par Charles IX aux Francois proteftans font fimulés; que cette derniere paix n'eft qu'une feinte inv . ntée par la pïus'noire perfidie, pour attirer tous les chefs des proteftans a Paris, & les frapper du même coup au milieu des fêtes qu'on leur prépare. Honorine. Grand Dieu , eft - il poflïble ! Quoi, la trahifon monteroit a un tel point! Le tróne feroit fouillé de forfaits auflï exécrabks! E  m_ mes qui fe détermmcm a la féveritc , quand elle eft néceffaire au bien de la religion. Montalte. Nous terjons pour principe, qu'il vaut mieux faire périr des catholiques d'une foi douteufe, que de laiffer échapper un feul hérétique. Voici la raifon qu'e„ donne le diredoire des iiiquiiiteurs : c'eft qM'e!1 donnant la mort a un catholique innocent, on ne fait que lui affurer Ie paradis; au jjeu  ROI D'ESPAGjnL 79 qu'en laiflant échappëTTn hérétique , U pourroit fe perdre , & infefter un grftnd nombre d'efprits; nous brülons fon corps, mais nous fauvons fon ame. Nous n abandonnons pas les réfracWs , & jufqu at, dernier irritant nous leur offrons les moyens d'échapper a la damnation éternelle. Philippe II. Vous êtes éloquent & trés-mftrmt, pere Montalte. Je vous nomme mon prédtcateur ordinaire, & vous gratifie de mille prftoles. Montalte. Sire , vos bontés me pénetrent jufqu'aiï fond de 1'ame. J'ai vu dans votre majefté 1'homme fupérieur que la divine Prov:dence avoit choifi pour exterminer 1'hérefie ehea tous les peuples de la terre & rend e Ion regne mémorable; dès eet inftant ,e bus devenu fon plus afT.aronné fu,et. Oui.Stre, c'eft a vous qull faut appliquer ces paroles de 1'Ecriture : Je i« donnè en lumiert aux natiens , afin que tufois monfalutjujqu aux extrêmids de la terre.  So PHILIPPE II, L e L É G a t. Admirable & jufte citation ! L e N o n c e. Rien de plus conféquent. Auflï, Sire , vous honorez - vous du beau titre de trés - catho~ lique. Philip pe II, au légat. Je penfe qu'il feroit en état de drefler Ja forme d'une bulle d'excormnunicatioh , dont j'ai befoin d'envoyer le modele aü S. Pere. L e LÉGAT. Sire, je réponds de fa capacité. phillippe II, d Montalte. II eft queflion de noireir Elifabeth d'Angleterre de tous les crimes dont 1'héréfie eft capable. Je voudrois vous voir ébaucher cela dès aujourd'hui. Montalte. Vofre majefté fera promptement fervie, Son excellence peut rendre témoignage de la facilité avec laquelle je m'acquitte d'une pareille compolïtion, Le  KOI D'ES PA G N È. Si 1— " L e L é g a t. Oiii, toujours avec plein fuccès* Philippe II, d Montalte. Vous vous rendrez ce foir a mon audience particuliere. (Montalte fe courbe jufqu'a terre.) ( au Légat.) Je vais écrire au S. Pere, &c vous lui ferez paiTer avec ma réponfe les téinoignages de ma gratitude. Venez, Granvelle , j'ai encore a travailler avec vous.' (d Spihola. ) Grand inquifiteur , allez donner vos foins a la folemnité qui fe prépare. J'y paroltrai moi - même : que le S. Pere en foit informé. S p i n o l a. Je mettrai mes foins & ma vigilance a mériter la bienveillance de votre majefté , Sc fuivrai ponctuellement 1'avis ingénieux que fon amour du bien public lui infpires 6c dont le cardinal Granvelle m'a fait part. F  8z PHILIPPE II; SCÈNE IX. SPINOLA , LE LEGAT, LE NONCE , MONTALTE un peu éloigné. S p i n o l a. "V o u s voyez clans quelles heureufes difpofitions j'entretiens le roi. J'efpere que Sa Sainteté fera fatisfaite d'apprendre l'ardeur que je mets a la fervir. Je rifque beaucoup j mais 1'efpoir d'être foutenu en cas de revers , éleve mon courage. L e L é g a t. Auffi la cour de Rome vous eft - elle entié"rement attachée , & ne vous lailïera jamais dans aucun embarras. L e N o n c e. Certainement vous pouvez compter fur la protecYion du facré college. L'intérêt général eft d'être unis enfemble. Vous pouvez tout entreprendie a 1'ombre du S. Siege. S p i n o l a. Je laifle vos éminences, en me recom-  ROI D'ES P A G N E. 8 j mandant a leur faveur. Ce jour eft pour moi un grand jour de travail; car nous avons plus de trois cents prifonniers a faire palïer par la queftion. L e L é g a t. AHez, monfeigneur le cardinal; que rien ne vous détourne de ces foncYions auflï graves que méritoires. SCÈNE X. LE LEGAT, LE NONCE, MONTALTE. L e L é g a t. Ei h bien , le pere Montalte fe repent - il préfentement de m'avoir fuivi ? Le voila en faveur. Oh! il va faire beaucoup d'envieux. Montalte. Monfeigneur, le bien que je trouve le plus digne d'envie eft celui de votre honorable amitié. llluftres prélars., que vous êtes a mes yeux bien au - deflus des rois! ^ F ij  84 PHILIPPE II, Ils tiennent du fort ce que vous tenez de votre propre mérite. Je m'inftruis tous les jours avec vous, tk vos éminentes qualités me découvrent de plus en plus en vous une grandeur vraiment iumaturelle... Pour vous Pavouer , je crois voir deux papes, en vous confidérant I'un tk Pautre.... L e N o n c e. Vous avez raifon a Pégard de monfeigneur le légat; on ne fera que lui rendre juftice, quand on Pélevera a cette fuprême dignité. Quant a moi, pere Montalte , je n'y ai pas plus de droits que vous. L e légat. Quoique j'aie été fait cardinal avant vous i vous pouvez devenir pape avant moi. Souvenez - vous de ce pnflage de 1'Evangile : Ultimi prlmi. Vous auflï, pere Montalte, avez également droit a la chaire de S. Pierre. Montalte. Ah , monfeigneur, monfeigneur !.. Moi ? que dites vous ? Le fouffle de vie qui m'anime eft toujours fur le point de m'abandonner.  ROI D' E S PA G N E. 8? L e N o n c e. Telles font les prérogatives de l'églife. Chacun , en foutenant la caufe du chef , doit toujours penfer qu'il travaille pour lui-meme. Quand on eft une fois dans les ordies, ort ne fait jufqu'oè 1'on montera. L e L é g a t. Je ferois curieus, pere Montalte, de voir comment vous iroit un chapeau de cardinal. Montalte. Monfeigneur , vous en ferez. 1'expérience quand vous ferez pape. L e L é g a t. Je fouhaiterois le devenir , uniquement pour récompenfer votre mérite d'une pareille diftincYion. Montalte, au Noncc. Monfeigneur le nonce, je vous prie de vous reiïouvenir que monfeigneur le légat m'a promis de me coëffer d'un chapeau rouge fi-töt qu'il le feroit de la tiare. L e Nonce. Vous ferez fatisfaits 1'un & 1'autre , s'il n'eft befoin la - delTas que de mon fuffrage. F iij  %6 PHILIPPE II, L e L é g a t. Pere Montalte, nous vous laiffons fonger a ce qu - le roi vous a detnandé. Vous devez avoir un entretien particulier avec lui. N'oubliez pas nos inltructions. Montalte. Monfeigneur , vous connoiffez mon dé^ vouement pour le S. Siege. Je mets le bonheur de ma vie a le fervir avec zele, & k me rendre de plus en plus digne de votre confiance. L e Nonce. Nqus nous repofons fur vous.  ROI & ESP AG NE. 8f SCÈNE XL MONTALTE feul. Courage, Montalte ! Te voila enfin fur le chemin des grandeurs. Soutenu par Rome, accueilli a la cour d'Efpagne , je crois déja commencer a devenir un homme important. Perfonne ne peut être plus Initié que moi dans les fecrets du cabinet; j'en fuis le premier confeiller. Tous ces gens-la ne valent rien , & je ne dois pas me rendre meilleur, fi je veux m'avancer. AUons, Montalte , fuivez votre deftinée. N'avez - vous pas fait voeu d'être pape ? II feroit plaifant de voir le pauvre Félix , ( 1 ) gardant (i) Ainfi il s'appelloit lorfqu'il étoit patre. S'étant attaché a un cordelier conventuel qui fe trouvoit en peine du chemin qu'il devoit prendre ,il nele quitta point, &follicita fi vivement pour qu'on le fit étudier , qu'il fellut ft rendre a fes inftances. On le revêtit de 1'hab^fc ét cordelier. II devint doéteur & profeffeur de F iv  88 PHILIPPE ƒƒ, jariis les pourceanx , paroitre au Vatican fous le trïple diadême. Eh ! pourquoi non ? Je théologie,puis commiffaire. général a Eologne, & inquifiteur a Venife. Ayant déplu au fénat, il faillit a fe faire pendre , & il fut contraint de s'enfuir de cette ville. Arrivé a Kome , il changea de caractere ; de brouillon & de gé. tulant qu'il étoit, il fe fit admirer par la complaifanee & la douceur de fon efprit. II fut nom, mé confulteur du S. Office : point de doute qu'il ne convoitat le tröne pontifical, feul tróns" ouvert en Europe aux efpérances ambitieufes d'un particulier. Son difciple & fon protecleur ayant obcenu la tiare fous le nom de Pie V, il fut élevé a lapourpre romaine. Ce fut alors qu'il commenca ce cours de diffimulation profonde qui voilolt fesdeffeins: il afFeda tous les dehors d'un vieillard qui fuccombe fous le poids des années ;il ne paroifToit occupé que de 1'afFaire de fon falut, & neparloit que de fa fin prochaine, Ainfi parmi nous le malin Voltaire, pour trom. per la perfécution & les perfécuteurs, fe difoit toujours mourant, & tint ge langage pendant trente-oing années. Ses ennemis le crurent,& cefut la fa fauve-garde. Sixte-Quint murcfioit h têce penchée fur 1'épaule, appuyé fyr un ba*  ROI D'ESPJGNE. me fens piein de force'Sr. de reffources, & le gouvernement du monde entier ne meferoit point trembler, fur - tout quand je confidere de prés ces cardinaux , ces papes, ces rois... Quels pauvres & ineptes humains! Quoi, leur nom en impofe a toute la terre ! Oh ! je faurois comman der auffi bien qu'eux. Lés hommes en général font bien foibles , ton; & dès qu'on luiparloit, il répondoitd'une voix foible, interrompue par une touxqui ferafcloit devoir 1'emporter dans peu de jours. Gré« geire XIII étant mort, les cardinaux fe divii'erent en cinq factions, & bientöt ils fe determineren! pour celui d'entr'eux dont la vie paroiffoit devoir moins durer que le tems d'un conclave. Mais a peine Sixte-Quint eut-illa tiare fur la tête , qu'il jeta fon baton & qu'il entonna le Te Deum d'une voix fi forte , que la voute de la chapelle en retentit. II diftribua les bénédiótions aveo une légéretë égale a la foupleffe de fes jambes. 11 fic même le goguenard a ce fujet, & dit: Naguere je cherchois les defs du paradis , pour les mieux trouvcr je me courbois; mais depuis qu dies font cntre mes mains,je ne regarde que U cid,  $0 PHILIPPE II, il ne faut que prendre un certain afcendant fur eux, & cela devient aifé quand on a pour foi Popinion & la force. Fort bien, Montalte , baifle - toi fans ceffe pour mieux t'élever.... Rêvons un peu a Pexcommunication de cette reine d'Angleterre : elle eft fpirïtuelle , & fe rit de nos anathêmes; mais qu'importe ? nous viendrons a bout d'humilier tous ces monarques qui doivent hommage a la tiare.  ROI Z>' E S P AG N E. 9l SCÈNE XII. le théatre repréfente une place de Madrid, oh le roi doit voir poffer la proceffton de Cacle de foi. Les balcons des maifons , ainfi que les fenétres , font garnis de fpeïiateurs. Divers échafauds décorés defuperbes tapisfont occupés par des gens de diftinilion. Lafoule du peuple efl répandue dans la place , & contenue par des gardes. Sur le devant du théatre eft la baluftrade réfervée pour le roi. On entend les cris de la populace. BE AL, BURTON, Capitaine. ( lis pafent fur le devant du théatre & fe placent derrière une colonne. ) * B e a l, Venez par ici, milofd; écartons-nous de Ia foule. Gardez-vous fur-toirt de laifler appercevoir la moindre impreflion de pitié, JSfous pourrons dans eet endroit parler plus  5)i PHILIPPE II, librement; mais fi quelqu'un nous approche, n'oubliez pas de refter aufli - tot dans Je plus profond filence. B U R T O N. Quel pays!.. Qu'ai - je vu !.. Mon fang bouillonne a 1'afpecr. de tant de fcenes révoltantes. Ces büchers dreftes par des prêtres , ces inquifiteurs le crucifix a la main, lamarche lente & fombre de cette proceflion funebre, ce chant lugubre mêlé de gémiiTemens, ces vidtimes hutnaines entourées de flambeaux & rendues méconnoiftables fous les vêtemens hideux dont on les a défigurées! . . . Un de ces malheureux a jeté fur nous un regard qui m'a brifé le cceur : j'ai cru dans fes traits reconnoltre un de mes compatriotes. O tnon ami ! fi j'en croyois ma fureur , je fond* ois moi - même fur ces Cxécrables bourreaux. Que n'ai - je la feulement trois cents de nos braves Anglois! Une riviere de fang éteindroit bientót ces feux facrileges, oü Pinnocence va périr. B E A L. Retene^ un tranfport qui dans ce moment  ROI D'ESPJGNE. 9? devient aulTi dangereux qu'inutile. Réfervezvous pour des occafions illuftres & plus favorables. Cette nation jaloufe fufcitera affez contre la nötre des guerres oü vous pourrez fatjsfeice votre ardeur & votre courage. Béniffons le Ciel, qui n'a pas permis que Philippe devint notre fouverain , & qui, a la place de fa méchante époufe , nous a donné une reine éclairée qui nous lailTe le iibre exercice de notre raifon. B U R T O N. Ce beau pays que le fanstimie dépeuple & tourmente , eft néanmoins intéreflant par ce quil fut & par ce qu'il pourroit être : climat heureux , lituation avantageufe , productions excellentes, & je n'y vois de toutes parts que des êtres fombres & atrabilaires, que des humains ignoblement défigurés par ' le froc monacal. L'Efpagne tient tous fes biens de la nature , & ne doit fes maux qu'a fa profonde fuperftition. Que ne dénature pas une volontaire ignorance ! B E A L. 11 y a dans ce royaume quatre cents mille  24 PHILIPPE II, moines; on y compte onze mille couvens, non compris les paroilTes. B u R T O N. Pauvre peuple ! que Dieu te guérifle de Cette vermine qui te ronge & t'abruttt! . .. Mais quelle eft cette troupe de gens armés de piqués & de moufquets, &C accompagnés de fanfares ? B E A L. Ge font les charbonniers qui fourniflent le bois pour les büchers du S. Office. Ils ont droit d'ouvrir la marche de 1'acïe de foi. B U R T O N. La maudite canaille .'Ils paroiflent tout enorgueillis d'un pareil privilege. On ne trouveroit pas chez nous un feul homme, même parmi la lie du peuple, qui voulüt préter fon miniftere a d'aufli honteufes cérémonies. Comment s'appellent ces moines qui marchent après eux ? B E A L. C'eft 1'ordre dévoué a l'Inquifition , comme ayant été inventée par fon fondateur; & pour tout dire en un mot, ce font les difciples de S. Dominique.  ROI D'ES'PJ'G NE. 9? B U R T O N. Que la malédiétion du Ciel tombe fur eux ck frappe tout ce qui tient a ce barbare inftituteur ! Si jamais je rencontrois un vaiffeau ennemi flétri d'un pareil nom, je le ferois fauter fi haut qu'il n'en reparoitroit jamais une feule parcelle. B E A L. Voyez ce grand - d'Efpagne , qui porte au milieu de ces moines 1'étendard de leur frér néfie. B U R T O N. Ce grand-d'Efpagne a 1'air bien miférable ! Quoi, faire parade d'un dévouement abfolu aux ordres fanguinaires de cette déteflable moinerie !.. .Mais que fignifient toutes ces iïgures peintes ? B E A L. : Ce font les effigies de ceux qui font morts dans les priforïs; ck les caiffes que 1'on porte après, contiennent leurs offemens qui vont être brülés. B U R T O N. Quelle rage infergale ! Quel déiire !. . Et  9$ P H 1 L 1 P P E 11, « . _ . comment peut - on faire ie proces a ries reftes inammés ? A quoi fert cette abfurde vengeance ? B E A L, A confifquer les biens des déïunts & k priver leurs enfans de leur héritage. On a vu déterrer des gens morts depuis dix ans, pour les juger fur des accufations imprévues. B U R T O N. C'eft un abyme d'iniquité... Les voila ces malheureufes vidtimes... O ciel! mon cceur fe gonfle; je ne pourrai refter k cette place. B E A L. Ceux que vous voyez marcher les premiers , ,vêtus d'une robe qu'on appelle fanbenito, n'ont commis que des fautes légeres, comme d'avoir blamé quelques cérémonies. Ceux - Ja feront feulement fouettés , enfuite jetés fur les galeres. B U R T O N. Autant vaut mourir, je penfe. I» E A L. Les autres qui fuivent font condamnés au feu comme hérétiques. On les diftingue par ce.  nO I Z?' E S P A G N É. 97 te grand bonnet,fur lequel lont peinis des diables & des fiammes.Voyez tous ces moines a la phyfionomie dure & lïniftre, qui les obfedent de leurs paroles, pour leur faire abjurer leurs préfendues erreurs. B L> R T O N. Le tumulte pa'oïi augmenter. M. B e a l. C'eft peut - être le roi qui arrivé. Non ; c'eft l'inquifiteür géné>al , accompagné de tous fes dignes (upoöts. Ecartons - nous, car voici furement des efpions qui viennent a nous pnur nous obferver. { Plufieurs efpions arrivent prècipitamment s & les fuivent au moment ou ils je retirent.)  §8 PHILIPPE 11, SCÈNE XIII SPINOLA , GRANVELLE, LE LEGAT , LE NONCE, MONTALTE , Troupe. dEviques & d'lnquijiteurs. Spinola fous un dals, portam le lipre des loix de rinquifition. (A un Inquijiteur. ) Le roi va paroitre. Veillez a 1'ordre da ïa marche. gran velle,d part a Spinola. Don Carlos nous fuit toujours.... Son air agité rn'alarme & m'inquiete. II eft entouré de tous fes jeunes menins , & j'appréhende qu'il ne cherche a nous manquer de refpecl:. Spinola. Endurons tout avec patience, & ne rifquons point de caufer une émeute , en provoquant fon animofité. Qui fait iï le peuple ne fe fouleveroit point en fa faveur ? II  ROI Z>' E S PA G N E, 99 vaut mieux fouffrir en attendant le roi, dont la préfence fera taire le murmure. SCÈNE XIV. DON CARLOS , fuivi de fes menins J LES ACTEURS PRÉCÉDENS. DöN Carlos, d Spinola & aux autresi "\f o U S paroilTez inquiets de me voir fi prés de vous en ce lieu. Vous favez combiert vos actes barbares me font horreur. C'eft en les "contemplant, que je viens nourrir 1'indignatien dont je veuxun jour vous éoafer. Prêtres impitoyables, mille fois plus odieux & plus Cruels que les païens , que les fauvages même accoutumés a fe repaitre du lang humain ! oui , j'efpere un jour vous anéantir; fans cette efpérance , je me ferois tuer a 1'innant plutot que de vous laiffer achever vos abominables facrifices. Spin 0 l a , au Légc.u Je pi'ie vosje éminence de ne point fe C ij  ioo PHILIPPE 11, fcandaliièr de ces difcours. G r a k v e l e , a Don Carlos. Ah , mon prince I a quel excès ofez - vous vous porter ! Au moins , craignez Ie roi. Le voila qui s'avance. Don Carlos. Craignez vous - mcmes que ce nom facré ■ a 1'abri duquel vous vous rangez aujourd'hui , ne puniiTe dans Ia fuite les forfaits commis a 1'ombre de fon pouvoir. Non , rien ne pourra vous fouftraire a ma jufte vengeance. Je lejure, ck vous vous fouviendrez de nes fermens. (Don Carlos fz retire. ) Granvelle. Je frémis quand je penfe qu'un malheureux initant pourroit le rendre maitre de nous. L e L é g a t. La religion nous foutiendra toujours; èk fi vous favez la faire parler, ce fera plutöt a lui a trembler. Montalte. Nous avons une bulk contre ceux qui «feront feulement de menaces envers un offi-  ROI D" ESP AG NE. iot cier de rinquifition. Elle ordonne que 1'infra&eur foit non - feulement excommunié , mais encore puni de mort, comme coupable de lefe- majeftè[divine & humaint au premier chef. Sur ce point facré , aucune faute n'eft, légere , tout eft crime capital, & il n'y a ni rangs ni dignités qui puiflent mettre a couvert le coupable. Spinola. II faudra repréfenter cela au roi en particulier s &jedépoferai fur tout ce qu'il a ofé direi G lij  ioi PHILIPPE II SCÈNE XV. PHILIPPE II , RUY - GOMEZ , LE COMTE DE LERME, LE DUC DE FERIA , DON DIEGUE DE CORDOUE, ET PLUSIEURS GRANDSD'ESPAGNE. ( Le roi arrivé fous un dais moins éhvl que celui du grand - inquifiteur. 11 s'avance , óte fon chapeau, qu'un grand ■ d''Efpagne rcqoit avec refpect. Il tin fon épée, la tient élevée dune main , & pofe l'autre fur le livre des loix de Vtnquifition , que tient Spinola. ) Philippe II. A la face de I'univers , je renouvelle ici la promelle inyiolable de défendre jufqu'a mon dernier foupir Ia fainte Inquifition. Je m'engage a détruire quiconque ofera défobéir a fes commandemens fuprémes. Je jure da porter foumiffion k fon divin tribunal,  ROI D' ES PAG NE. ioj & de forcer non - feulement mes fujets a fuivre fes décrets , mais encore de me fervir de i épée que Dieu m'a donnée , pour étendre fon pouvoir par toute la terre. Spinola. Que le Ciel accorde a vos voeux les fuccès qu'ils méritent , pour le falut du monde ! [La marche commence& fait le tour du thmire cnpaffant devant le roi.] (aux condamnés.) S'il eft parmi vous quelque hérétique qui veüille faire ici abjuration publique de fes erreurs, 5c témoigner hautement fon repentor , fa .majefté , par fa clémence infinie, veut bien lui accorder la grace qu'on 1'étrangle avant de le bruler. ( Les moines difent aux condamnés : ) u n m o i n e. Profitez de cette bonté ; vous n'avez qu m inftant. autr.e m o i n e. Dites feulement, je crois. autr.e moine. Rien n'eft plus facile que dè dire, je crois. G iv  Ï04 PHILIPPE IJ. Un VlEILLARD condamné. On a fait mounr mon fils dans les tortures pour le forcer \ m'acculer. Otez-moi Vite de ce monde , oii vom refpirez pour le malheur des humaim. Que m'impoite le fuppüce par lequel vous m'affez faire périr ? Tnus les tourmens feront fupportables, pourvu qu'ils m'arrachent de vos mams. ( Ce condamné paft, ainfi que les autres, devant le toi. ) Un Moine,« un autre condamné. Et vous, ayez pitié de votre ame. Un jeune Homme. Je veux mourir dans la religion de mes peres. (11 paffe.) Une Femme. Non , jamais je n'offenferai Dieu en reaoncant a la loi que ma raifon a adoptée. ( Elle paffe. ) U n Autre. Mon ame m'efï plus chere que mon corps ; «ji'e celui - ci péiifie. U n Autre. Dieu nous jugera tous.  ROI D' E S P J G N E. ïq$ Un MoiNE, a l cvéque Caralla. Mon cher évêque , cédez dans ce moment extreme tk terrible ; acquiefcez de vive voix au concde de Trente. Caralla. Air.fi Ton ofe traiter un ancien prélat, 1'ami de la vertu tk de la vétiié! Qrelle affreufe révolution s'eft faite dans 1'égüfe! Je vois fe« dignités en proie a des ufurpateurs Ügués entr'eux pour perpétuer Terreur & Ia tyrannie. Allez , faux miniftres ; ce n'eft pas moi que vous pourrez corrompie ; je vous connois trop bien, tk je fais encore mieux quels font mes devoirs. Et toi auffi, ö roi ! tu peux être le témoin tranquille des tourmens que tes fujets enduren' ! Sauvp - les de cette cruelle mort. Tu n'ignotes pas qu'ils font innocens. Philippe II. Non , non ... Je dreflérois moi - même !e bücher de mon fils , s'il étoit auffi criminel que vous tous. Un des Condamnés. Dieu nous attend devant fon tnbunal. Tyran 3 crains fa juftice,  loö PHILIPPE 11, Une jeune Fille. Moi, je ne flus condamnée que pour n'avoir pas voulu condefcendre aux defirs infames d'un inquifiteur. Mais j'aime mieux a préfent périr avec vous dans les dammes , que de m'avouer lacheinent de la même croyance que ces monnres - la. Un AUTRE, en pajjant , dit au Roi : Tu nous pèrfécutes, toi qui devrois nous protéger ; toi que nous n'avons jamais offenfé ! Roi fanguinaire & fuperflitieux , il ell au ciel un autre tribunal, devant lequel tu paroitras bientöt ; crains la vengeance du Dieu que tu feins d'adorer. U n Autre, au Roi. Infame hypocrite ! Dieu te puriira. U n Autre. Grand Dieu qui connois les coeurs, reCois mon ame , & juge - nous ! U n Autre. Roi cruel , tu rendras coinpte a Dieu de nos tourmens. Ruy-Go m. ez. Ils blafphement contre fa majeflé } ainfi  ROI D'ES PAG NE. 107 qu'ils ont fdk contre la Divinité. Philippe II. Je fouffre toutes leurs injures avec la patience d'un bon catholique. Je leur pardonne , & les délivrerois même, fi je ne devois le facrifice de ma pitié a 1'intérêt facré de la religion. Mais je me dépouille, pour 1'amour de Dieu , de tout ce qui peut m'atfacber a Phnmanité. ( Spinola. & tous les inquifiteurs ferment la marche de la procejpon. )  io8 PHILIPPE 11, SCÈNE XVI. PHILIPPE II cv fa fuite , ELISABETH, LA COMTESSE D'EGMONT avec fes on{e enfans ; LE BARON DE MONTIGNY • DON CARLOS & fa fuite. ( La comteffe d'Egmont., en arrivant,fejette aux pieds du roi, ainfi que fes on^e enfans. ) Elisabeth. J'amene a vos pieds la comteffe d'Egmont. Elle arrivé de la Flandre avec fes enfans , pour implorer Ia proteftion de votre majefté contre les violences du duc d'Albe. La Comtesse. Sire , vous voyez une femme défolée .. ,~ Mes enfans vous redemandent leur pere injuftement emprifonné. Nous réclamons votre juflice. Mon époux fut toujours fidele a votre inajefté.  ROI P'ESPJGNÉ. 109 Philippe II. Vous auriez du attendre mes ordres, madame , & fur - tout ne pas venir auffi publiquement. Mais calmez - vous, & parlez; avec aiïurance. La Comtesse. Daignez, Sire, avoir égard a Ia frayeutoü je fuis; le trouble qui m'agite m'empêche de m'exprimer. Ah ! jugez de mes terreurs. Cazambrot, feigneur de BerkefTel &C fecretaire du comte mon époux, a été appliqué a la torture la plus cruelle , pour le forcer de charger fon maitre & fon ami. Quand fon corps épuifé parut pret a fuccomber dans les tourmens, le duc d'Albe , furieux de n'avoir pu arracher de lui aucun aveu pour pouvoir condamner mon époux , le fit écarteler. Don Carlos, a pan. Une atrocité pareille n'a point d'exemple ! ( Philippe II le regarde , & ilfe tait.) La Comtesse. Sire , mon époux eft pret d'être condamné par un confeil de fang, compofé d'hommes  iio PHILIPPE II; obfcuTs , tous vendus au duc d'Albe, ce nval implacable , envieux des lauriers dont le comte d'Egmont s'eft couvert en combattant pour vous, Don Carlos. Mais, comme chevalier de la Toifon d'or ; ilidoit être jugé par fes pairs , & ne peut être emprifonné que par leur autorité tk de leur confentement. C'eft le privilege authentique tk facré que la loi fondamen tale de fon pays? afture aux citoyens même du dernier ordre. PhilippeII, a Don Carlos. Retiréz - vous. (Don Carlos fe retire avec un mouvement de contrainte. ) Elisabeth. Prince.... Philippe II, £ ia Comteffe. Vous n'ignorez pas, madame , les quatre chefs d'accüfation portés contre le comte d'Egmont tk le comte de Horn. La Comtesse. Croyez, Sire, qu'ils n'ont jamais concii  ROI D'ESPJGNE. in une penfée pré-udiciable a votre autorité. Ils ont cherché k punir les féditieux. S'ils ont accordé en quelques endroits aux proteftans la liberté de s'affembler , c'étoit pour les appaifer & les empêcher de fe porter aux derniers exéès , c'étoit pour rétablir la paix dans les Pays- Bas. S'ils font coupables, ce n'eft que de s'être trompés fur les moyens. Philippe II. J'examinerai cela, madame , Sc je vous ferai donner réponfe. La Comtesse. Ah, Sire ! pardonnez ; mais je frémis.. ï Les momens font précieux; car que ne fe permettront - ils pas pour perdre mon époux & le faire périr ? .. O reine ! daignez intercéder pour nous. Elisabeth. Sire, trop de larmes & trop de fang ont coulé & coulent encore dans ces malheureufes prbvinces. Au milieu de tant d'exécutions féveras, donnez au moins une feule marqué  ÏI2 PHILIPPE li, de clémence en faveur d'un mjet qui expoïa plus d'une fois fa vie pour votre tervice. Philippe II. Madame, fa? dit que je ferai donner réponfe après avoir coniuité mon confeil. Montigny. Sire , c'eft au nom des ètats que je viens réclamer leurs droits ouvertement violés. Les loix qui ont rendu le duché de Brabant héréditaire a Ia couronne, ont exigé de vous le ferment facré de les mainfemr dans leurs privileges. Les Flamands ont toujours prouvé Combien ils étoient jaloux des prérogatives de leur pays; & Charles - Quint lui - même, quoique maitre abfolu, les a refpeflées. Que' deviendroient efftdtivernent ces peuples fous une autorité oppreffive ou tyrannique ? Votre majefté, avec tout le génie poftible & les meiileures intentions, ne peut répondre que dans fes fuccefleurs il ne s'en trou.ve quelqu'un qui abufe du pouvoir illimité. Les Flamands ne s'y expoferont jamais : la révolte & la dépopulation dévafteront plutot ces provinces. Philippe  R O I D' E S P A G N E. i 'j Philippe II. II faut me laifïer le foin de remédier a ces inconvéniens, s'ils arrivent. J'aboluai tou'ce que je trouverai nuifible ; maïs ie veux q-ie 1'on comraence par m'obéir. La première chofe qu'on devoit faire étoit de me montrer de la foumiffion, & pour erTacer cette -tache d'hèréfie dont ils font fouillés, payer fans réfiftance & fans murmure les nouvelles taves. Ils doivent fe trouver heureux de ce que je ne leur demande que ce tribut tnodéié. Montigny. J'ofe repréienter a votre majefté qu'il eft néceffaire pour fes intéréts de recourir a des moyens pacifiques. La réduct;o^i de ce pays n'eft pas fi ail'ée qu'on veut vous !e faire croire : on ne doit efpérer de foumettre les Flamands, ni par la force , ni par la féduction. Ils font fermement réfolus a foutenir leurs droits & fur-tout la liberté de confcience.Le nombre des proteftans eft plus formidable qu'on ne penfe. Je vous en conju'e, Sire, ne rifquez point de ternir la gloire de vos armes dans la Fiandre , ou d'en faire un dé-. H  ii4 PHILIPPE tl; fert. Le peuple de la Zélande refufe déja de travailler aux digues, ck pre'fere de laifler fon pays s'engloutir fous les eaux de Ia mer, plutöt que d'y fouffrir des troupes Efpagnoles. Philippe II. Baron, vous foutenez un parti bien imprudent. Vous en aviez un ineilleur a prendre , c'étoit de vous attacher au cardinal Granvelle , & de feconder avec zele 1 etablifïement de i'Inquifition dans la Flandre; mais il en eft tems encore. Montigny. Qu'il me foit permis d'avouer a votre majefté coinbien j'ai en horreur tout ce qui peut m'écarter des fentimens glorieux que m'ont tranfmis mes ancêtres. Ma vie eft en vos mains : j'ai refufé de prendre les armes contre vous; mais je ne commettrai jamais le crime infame de trahir la caufe de ma patrie ck de vendre mon bras contre mes concitoyens. Philippe II. Je vois que toute la noblefle des PaysEas s'eft liguée avec le prince d'Orange.  ROI D'ESPJGNE. 115 Montigny. Sire , le prince d'Orange, comme un des principaux membres des états du pays, prétend que fon ferment lui impofe 1'obligation indifpenfable de maintenir les droits du peuple. C'eft ainfi que penfe toute la noblefle. J'ai prévenu votre majefté de tout ce qui arrivé : je me dévoue encore pour la ramener , s'il eft poflible , a des voies de conciliation. Philippe II. Nous verrons. La Comtesse. Hélas , Sire, puis - je refpirer! .. Un feul mot de votre majefté me confirmeroit.. . Elisabeth. Faites pour moi eet effort; je ne 1'oublierai de la vie. Voyez les tranfes mortelles de cette familie tremblante , que vous pouvez foulager d'une feule parole. Philippe II. II fufftt, madame; votre commifération excite la miemie. .. q<;and i'intérêt du Ciel m'empêche de 1'écouttr, j'en fais avec peine H ij  3T6 philippe ii, le facrifice; mais foyez tranquilles... Suivezmoi, baron de Montigny. La Comtesse et ses Enfans mfimbk. Nous vous bénirons jufqu'a notre dernier foupir. SCÈNE XVII. ELISABETH, LA COMTESSE ET SES ENFANS. La Comtesse. e\h , madame ! votre cceur s'eft montré fenfible, & c'eft vous qui fauverez mon époux. Nous vous garderons une reconnoiffance é ei netle : daignez joindre a vos bontés celie de proréger un pays qui va être entiérement dévafté. Les cruautés du duc d'Albe font inouies : il n'y a perfonne dlnaocent a fes yeux; 1'aïtachement même a la foi catholique n'eft plus une fauve-garde contre fon reflentiment. J'ai vu périr en un feu! jout; dix-neuf gentilshommes par la main du bour»  ROT D'ESPAGNE. nj reau, & prés de deux rrrïlle habitans livrés au dernier fupplice, fans diftinftion d'age ni de fexe. De vénérables vieillards trainés par leurs cheveux blancs fur 1'échafaud, des femines enceintes appliquées a la torture , Sc jufqu'aux enfans maffacrés fans pitié pour caufe d'héréfie. Plufieurs qui proteftoient être attachés a Téglife romaine Sc n'avojr aflifté qu'une feule fois aux affemblées, ont été néanmoins fuppliciés. Et quant a ceux qui perfiftoient dans leur croyance, il n'eft point -de douleurs que 1'ingénieufe barbarie des Efpagnols ne leur ait fait endurer. Ils ordonnoient au bourreau d'appüquer un fer chaud fur leur langue, pour les empêcher de rendre témoignage a leur religion au milieu des flammes. Ils les faifoient enfermer dans une machine inventée pour aggraver leurs tourmens &C pour étouffer leurs cris, Elisabeth. Arrêtez, madame ; je ne puis fupporter ce récit. Je ne le croirois jamais, s'il ne tortoit de votre bouche. J'en ai le cceur navré. Voila donc les maux que j'appréhendois! Ils H üj  «ïi8 PHILIPPE II, font parvenus k leur comble avant que j'aia pu tenter d'en arrêter les progtès. Mais je fauverai votre époux. Oui, je fais qu'il fut auffi brave que fidele... SCÈNE XVIIL ELISABETH, LA COMTESSE ET SES ENFANS, DON CARLOS. {Sa fuite refte un peu iloignée , faifant un eerde dans le fond, de maniere que perfonne ne puiffe approcher. ) Don carlos, avec tranfport. T • J e reviens vers vous , pénétré d'horreur, & la défolaiion dans Fame ... Familie déplorable \k votre afpeft, je fens encoreaugmenter ma fureur. Elisabeth. A quelles extrêmités vous abandonnezvous, prince! Pourquoi vouloir ajouter k, tant de maux la terreur oü me jettent Vos tranfports}  ROI D'ES PAGNE. iï?> Don Carlos. II n'eft plus tems, madame •, j'ai trop balancé. Je me dégage de ce que je vous ai promis... Que ne fuis - je a cette heure au milieu des Flamands! Une démarche hardie auroit fauvé la gloire de mon pere & prévenu une foule de crimes. Je les vengerai au moins , fi je n'ai pu les prévenir. L'exécuteur de tant de cruautés ne demeurera pas long - tems impuni, & l'exemple que j'en veux faire effraiera quiconque feroit tenté de 1'imiter. Elisabeth. Et c'eft devant moi que vous ofez publiquement vous laifïer emporter a des projets aufli téméraires! Ah, prince 1 voyez tous ceux qui vous entendent. Don Carlos. C'eft leur caufe que j'embrafle. C'eft leur patrie que je veux fauver ... Ils me devront leur pere. Comteffe. infortunée ! je vous rendrai votre époux. Elisabeth. Prince, vous allez le perdre! Vous pré? H iv.  i'20 PHILIPPE II, cipiteiez ces innocens dans un nou vel abyme de malheurs. Vous ne pouvez faire un pas , dire i n feul mot, fans les expofer a perdre le fruit de mes tentatives & de mes prieres auprès du roi. Lailïez - moi feulement e%er de le faire revenir paria voix de Ia perfuafion ; mes inftances, mes larmes toucheront plutót fon cceur que vos tranfports imprudens. Don Carlos. Non , non . . . Je vais en ce moment toutdifpofer pour mon départ... Ah , princeffe ! vous ignorez ce que j'éprouve. Mon cceur déchiré ne fe pofTede plus. L'indignation éiouffe ma voix. Une trop jufte colere... Elisabeth, k la Comteffe. Madame , joignez - vous a moi. C'eft 1'afpeét de votre fituation qui porte fon ame généreufe & feh'fibje a de pareilles extrêmités.: Conjurez- le de revenir a lui. Uniflez-vous a moi pour le prier de ne point anéantir ie dernier efpoir qui vous refte. ( m» comteffe d'Egmont environne avec fit  ROI D' E S P A G N E. in tnfxas Don Carlos qui veut fi retirer, & lui ferme le paffage. ) Don Carlos. Que elites - vous ? i. Que faites • vous ? .. La Comtesse. O prince dont 1'ame genereuze compatit a nos maux, vous notre contolation , notre efpoir , ne vous expofez point pour nous, & fermez les yeux pour ce moment! Nous voulons tout attendre de la volonté du roi, de fa clémence. Don Carlos. De fa clémence !.. • La Comtesse. Oui, les prieres de la reine pourront le fléchïr; i'ofe 1'efpérer. Don Carlos. Infortunée , quelle eft votre erreur ! Mais les momens font précieux. Laiffez - moi; ne jne retenez plus. Elisabeth. Comment , prince, vous ne reconnoiffez plus ma voix ? Rien ne peut vous retenir } Vous aimez ces pauvres enfans, vous  i22 philippe ii, chériffez leur pere. Eh! c'eft fa tête que vous allez rifquer. Don Carlos. Je vole au contraire pour détourner Ie coup ; craignez de me retenir. La Comtesse, Vous me faites frémir. Don Carlos. Apprenez que dans Finftant que Montigny vous aquittée , au moment même oü le roi 1'appelloit a lui , on I'a arrêté. II eft a cette heure dans les cachots de l'Inquifition. La Comtesse, fi jetam dans les bras de fes enfans. Eft il poffible ! Grand Dieu ! nous fommes perdus. Don carlos, dia Reine qui Varrête, M'arrêterez-vous encore ici ? Je vous dis que le roi a figné la mort de fon époux, que je viens d'être inftruit qu'il a fait partir fon arrê,t au moment même oü il vous quittoit. La Comtesse. Mon époux !... Je me meurs!..,  ROI D' E S PA G N E. 123 Elisabeth. Ciel, qu'entends-je !.. . Tous les Enfans. Mon pere ! 6 mon pere! Don Carlos. Mes amis! c'eft le mien qui devient fon bourreau. Mais j'efpere avoir le tems de prévenir cette exécution barbare •, comptez qu'elle ne fe fera pas; non. Jufte Ciel, je te prends a témoin... elle ne fe fera pas. .. Adieu. Je vole a fon fecours. ( UJort.) SCÈNE XIX. ELISABETH, LA COMTESSE ET SES ENFANS. Elisabeth. Il ne m'écoute plus. . . Je vais trouver le roi ; j'éprouverai s'il n'eft pas entiérement ïnflexible. Et vous, madame, fongez combien il importe de vous contenir , & de ne nen laiiTer échapper. ( La Reine fort.)  rz4 PHILIPPE li, La Comtesse fi retirant, appuyèe fiur fits enfans. O mes enfans! fuyons, courons a votre infortuné pere !.. Hélas! pourrons-nous arriveraffez tót pour recevoir (on dernier foupir! SCÈNE XX. PHILIPPE II, ELISABETH. Elisabeth. Vo t r e majefté femble étudier tous les moyens d'éviter ma préfence. En vain je vous fais fupplier de m'accorder un moment d'entretien ; vous me réduilez. a vous fuivre pour pouvoir Pobtenir. Philippe II. Madame, occupé d'affaires multiplie'es & preflantes, 1'intérêt de 1'état exige que j'y apporte mes foins fans réferve. Elisabeth. Ah! c'eft plutót votre inflexibilité, qui vous fait redouter jufqu'a mes larmes. Vous  ROI D' E S P A G N E. iaf avez prévude qui j'allois implorer la grace. C'en eft fait; l'infortuné comte d'Egmont, le vainqueur de S. Quentin , va fubir fon arrêt; & vos ordres fanguinaires font toujours ft promptement fuivis, que rien dans ce moment terrible ne peutle fauver. Hélas! fon époufe défolée , fes malheureux enfans n'arnveront que pour expirer de douleur fur fon corps muülé. Et Montigny ».. f> Roiparoit êmu.) Mais ce ne font point des reproches fuperflus que je viens vous faire. Ceft votre repos, votre füreté , qui m'amenent auprès de vous. Votre deftinée dépend peut - être de ce que j'ai k vous dire^ck votre intérêt perfonnel me donne un droit puiffant pour vous forcer k m'écouter. t Philippe 11, vivtment & dun air inquiit. Auriez-vous découvert quelque coffl- ft ?* Parlez, madame ;ne me cachez rien. Mon exiftence eft liée k la vötre même. Comptez fur une reconnghTance éterndle. Elisabeth. Oui, vous devez redouter qu'on n'attente  126- PHILIPPE ƒ ƒ,- a v0i 'pufs. Tous ceux dont Ie lang a cou!é* par vos o;dres ne font pas fans vengéurs. Ils ont des freres, des amls, des enfans. Lë défeipoir peut les aveugler tk les rendre furieux. Je- n'ofe plus regarder dans la foule; je crains d'y rencontrer un orphelin qui me redemande fon pere. La trifteffe tk 1'inquiétude nous Advent ; vous ne fauriez en cacherles marqués extérieures. Non, vous n'êtes pas en paix avec vous-même. En vain vous affeèez de voiler fous un air majeftueux les remords qui déchirent votre cceur. Vous avez beau vouloir les e'carter , ils s'y amaffent de plus en plus. Vous n'êtes pas heureux, il s'en faut. Philippe II. C'eft Ia malignité des hommes qui m'a toujours empêché de 1'être. ün efprit de contrsdiction s'oppofe fans ceffe a mes volontés &c traverfe mes projets. Je ne vois que des fujets rebelles qui altentent a borner ma puiffance, quimurmurent tkfe révoltentaulieud'obéir. Elisabeth. Sire, chaque fujet auroit-il perdu le droit d'examiner le chef qui lui commande?En  ROI D'ESPAGNE. 127 recevant vos ordres , il juge en lui-mêrue s'ils font équitables; comment renonceroit-il a fa penfée? Le defir dubien-être eft em lui comme en vous. L'accord naturel eft que vous foyez heureux tous les deux. Si vous Têtes a fes dépens , votre autorité lui devient a charge. Alors il peut murmurer, fe plaindre, c'efta-dire , vous faire entendre qu'il fouffre. Que lui importent votre magnifkence & vos conquêtes,s'il foupire dans r0ppreflion?Eft-ilun fouverain qui ofat dire a fon peaple : je veux que tu ne travailles que pour moi, que tu ne penfes que comme moi? Non, le fpécieux prétexte de 1'utilité publique eft toujours 1'argument préliminaire. Si vous vous trouvez contredit, c'eft que les droits facrés de vos peuples fontléfés; car ce qui tend au bien public eft toujours recu favorablement du fujet. II ne murmure point alors, paree qu'il a le fentiment vif de tout ce qui contribue au bien général. Philippe II. Vous avez, madame , une maniere de penfer bien peü conforme a votre élévation. Vous ignorez , je Ie vois, quels font les droits de  ii8 PHïLTPpe I /, la fouveraineté , & fur quel fondement on doit la foutenir. C'eft a moi feul qu'il appartïent de ben connoïire les pémbles fonctions de la royauté. E lisabeth. ^ U me femble qu'il n'eft pas fi diffici'e de régner en Faix. Ne point envier le< pofi"t flions de fes ypifins, proté?er jjufquaux derniers de fes fujets , plutöt que d'en foreer d'autres a le devenir , c'eft , je crois ,affez d'occupations pour un roi qui veut fe faire chérir fur la terre. C'eft pour leur bien , dites - vous, que vous forcez les Flamands a fe foumettre. Quel bien, jufte ciel , que celui qui commence par ex.terminer cent mille hommes! Et peut - être un jour quelqu'une de ces malheureufes victimes eüt-elle rendu a votre majefté plus de fervices que les executeurs qui fe font gloire d'ajouter a vos févérités. Philippe II. On voit bien , madame , que vous avez été élevée dans une cour inconféquente & frivole , oü, a 1'ombre de 1'irréligion , fe font güffées des opinions populaues. De pareils feminiens  ROI D' ESP AG NE. 129 fentimens ne conviennent point a ceux qui font placés fur un tróne. On ne vient jamais a bout d'un peuple par la douceur : c'eft avec une verge de fer qu'il faut le conduire; Sc celui qui le ménage , devient tot ou tard victirne de fon indulgence. La race humaine tient toujours de fon origine corrompue. ... II faut févir fans cefle, pour 1'empêcher de retourner au penchant qui 1'entraine a fa perverfité naturelle. Plus le peuple fent le poids de 1'autorité , plus il eft foumis Sc tranquille. Elisabeth. Voila les idéés que vos inftituteurs vous ont inculquées dès 1'enfance. De fombres théologiens ont coloré votre efprit de la teinture du leur. Voila , Sire , la fource de vos peines & de vos chagrins; vous en partagez Pamertume avec ceux qui vous environnent: on ne vous enfeigna qu'a avoir peur de vos fujets, Sc non i< les connoitre. Vos yeux fafcinés n'ont vu les hommes que comme,des efclaves qui, devoient ramper fous votre joug. Ëft ce donc une gloire defirable que de comman'der i des êtres timides Sc tremblans ? Que I  j3o PHILIPPE LI* vous revient-il a cette heure de tant de fupplices ? Les imprécations de ceux qui furvivetit , une haine qui ne s'éteindra jamais. Ah ! Sire , rendez-vous. . . Songez que la clémence eft préférable a la rigueur. IL eft un m'¥ fur d'effacer ces taches fanglantes , de recouvrer 1'amour de^vos peuples & de vous aiTurer dans I'avenir une renommee glorieufe. PunifTez le duc d'Albe par une difgrace éclatante. II a outre-pafle vos ordres, & votte indignation doit être le prix de fes excès. Gardez-vous de les approuver. Faites appeller Don Carlos. D'un feul mot , vous vous rendrez votre fils. Chargez - le d'aller tout pacifier. Mais craignez de différer ; les momens' lont précieux. Philippe II. Je ne m'attenrtois pas, je 1'avoue , madame,,' s de pareils avis. Voüa donc ces confeiis qui vous fembloient fi preffans ? Elisabeth. Ils font beaucoup plus importans que vous ne 1'imaginez : c'eft le feul remede aux mairx, préfens. Don Carlos, je le fais, n'a point  ROI D' E S P AG N E. 13^ votre confiance , vous doutez de fon cceur.., Philippe II. J'invoque tous les jours le Seigneur, afin ■qu'il daigne faire rentrer en lui-même un fils dont 1'opiniatreté comble ma vie d'amertume. El isabeth. Ah ! Sire , vous avez le pouvoir de faire renaitre en lui la tendreffe filiale ; ayez-en le defir fincere , & vous le verrez bientót tel que vous voulez qu'il foit. Philippe II. Le Ciel m'eft témoin que je n'ai rien tant a cceur. Je fais tout pour le rendre auffi pieux, auffi dévot que je le fuis. Elisabeth. Abandonnez-lui, Sire , ce qui regarde ia confcience. Son caractere différent du votre en vaudra - t - il moins pour ne pas affecter publiquement 1'extérieur de la piété ? II faut a Don Carlos un aliment qui convienne au feu de fa jeuneffe , & qui nourriffe fon cceur paffionné. Je vous le répete encore , Sire , le duc d'Albe , Ruy-Gomez , Granvelle , Spiaola font des monftres que vous ne devries  232 P B 1 L 1 P P E II, pas préférer a votre fils. Ils font chargés de la malédiction des peuples. Feignèz feulementde les difgracier-j'jenedemandepour garant de ma fincérité que les tranfports de la joie publique. Faites appeller vos miniftres, Sc parlez devant eux a Don Carlos avec des fentimens paternels. A 1'inftant que vous lui. tendrez les bras, étudiez leurs regards : leur air chagrin , leur contenance craintive Sc tremblante vous dévoileront fubitement leur odieufe Sc perfide inimitié. C'eft alors que vous découvrirez la trame abomiaable des calomnies qu'ils ont forgées contre votre propre fang. Philippe II. Modérez-vous, madame; je vous demande un délai pour réfléchir attentivement fur tout ce que vous m'avez expofé. Elisabeth. Ah ! Sire, votre froideur, ce calme apparent m'accablent. Je préférerois 1'emportement & la colere. Philippe IL Moi, je pefe tout en filence Sc avec modération : 1'on doit toujours fe défier de foi-  ROI ESP AG NE. ijj même. Vous avez befoin, madame, d'inftructions plus amples ; faites appeller auprès de vous quelque favant théologien. Ecoutez plus fouvent les avis du cardinal Granvelle & de Spinola : vous entendrez.. . Elisabeth. Quelle confiance puis - je avoir dans ceux qui ont ofé juger d'anciens prélats , condamner leur doctrine plus humaine que la leur , les faire expirer au milieu des fupplices? Philippe II. Cette affaire, madame, n'eft point de ma compétence ; c'eft au S. Office feul qu'il appartient de juger Phéréfie. Quand leglife prononce en fait de dogmes , les rois doivent fe taire. Refuferiez-vous de foumettre les foibles lueu'rs d'une raifon trompeufe k fes décrets fuprêmes ? > Elisabeth. Je ne m'écarte'point, je crois, des principes de la religion dans laquelle on m'a élevée. Accoutumée dès 1'enfance k croire tout ce qu'elle enfeigne , je m'attache uniquement aux maximes morales qui me font propre?; I iij  ï?4 P H 1 L-I P P E 11; je me nourns de 1'efprit de fa loi : mais je la trouve bien éloignée d'ordonner la violence. Des lecons de patience, d'amour & de paix , voila les feules armes qui la font triompher. Toutes les puiflances du monde ne peuvent rien fur le cceur de Pincrédule qui fait feindre, ou fur celui qui brave les tourmens & la mort. Philippe II. Qu'entends - je ! Vous, reine d'Efpagne & mon époufe, vous ofez ainfi défendre la caufe de ceux que Ia religion regarde comme exclus de fon fein ! Ah , madame, faut-il, pour furcroït de chagrin , que j'aie la douleur de vous voir iivrée a des fentimens auffi peu orthodoxes! Elisa beth. Quand je parle , Sire , mon ame eft fur mes levres. Mais je m ecarté de ma demande. C'eft pour votre fils que je viens vous fupplier ; e'eft votre gloire & lafienne que j'ai a cceur : lui refuferez - vous toujours cette confiance, cette douce tendreffe, qui feroit fon bonheur & le votre }  ROI D* ESP AG NE. 13 y Philippe Ifc On ne gouverne point les royaumes par fes mouvemens de fon cceur, mais par les maximes d'état , & d'après la décifion de ceux crui font confommés dans les regies de la politique. r Elisabeth. Vous voulez donc defcendre au tombeau fin. avoir refTenti au fond de votre c«uc la fatisfeftion que produit la clémence. Ah . Sire,faites-en 1'épreuve une feule fois. Appellez Don Carlos, commandez-lui de porter vos bienfaits a des peuples accablés fous le poids de la plus cruelle tyrannie. Fartes changer leurs gémiffemens en des cns de joie & d'alégreffe. Apprenez a votre fils que c'eft par ces ades de bienfaifance que vous voulez qu'il commence fa carrière. Les larmes de la reconnoiflance dont il arrofera vos mains, vous feront connoïtre fi fon cceur eft fenfible & peut avoir droit k vos bontés. Vous partagerez la gloire & 1'amour qu'il ira s'acquérir en votre nom. P h i l i p p e TL Je vous le répete , madime , jamais je;  itf PHILIPPE II, ne me la.fie arracherpar les fupplications ou les larmes ce que je ne dois accorder qu'après avoir mörement réfléchi. Elisabeth. Vos miniftres ont 1'art de vous décider plus promptement. Ils attendent avec impatience Ie moment de détruire Ia foible impreftion qu'auroit pu faire fur vous ce que je viens de vous dire. Philippe II. On doit garder un fïlence refpeftueux envers ceux qui font attachés a ma perfonne , &qui s'empreflêntd'augmenter ma puitTance. Ils ne doivent rendre compte qu'a moi, comme je n'en dois qu'a Dieu feul... Mais , madame , en ce moment... Elisabeth. Je vous entends.. . II faut que je vous quitte fans avoir rien obtcnu. J'obéis , Sire , quoique remplie d'inquiétude. Philippe II. Vous devez prendre plus de confiance en ma iuftice , madame Soyez tranquille ; repo/ez-vous entiérement fur ma fagefle.  ROI Z?' E S PA G N E. i?7 Elisabeth. Après tout ce que je viens d'expofer a votre majefté , fi elle n'apporte un prompt remede a tant de maux , ce n'eft plus fes miniftres, mais elle feule, qu'il faudra accufer. philippe II, la reconduifant d'un air hypocrite. Qui prend les intéréts du Ciel eft toujours für de réuflir. Comme c'eft la religion qui me guide & que je défends, Dieu me protégera ; il eft au - deflus de tout. ( Elifabeth revient pour parler encore a PhUippe ; mais faifie d'efroi d fon regard, elle recule interdite & tremblante.j Que voulez- vous encore ? Elisabeth, avecdouleur. Ce que je veux !.. Vous me fakes frémir ! Philippe II. Mais d'oü vient eet effroi ? Qu'avcz - vous ? elisabeth , fortant avec la démonflration du plus grand dèfefpoir. Ce que j'ai!... La mort dans Ie cceur.  %3$ PHILIPPE II; SCÈNE XXL PHILIPPE 11, feul. Ï3es larmei ! & qu'elle s'efforcoit de ne pas répandre !... J'ai pénétré fon cceur. II eft toujours a Don Carlos, & fa haine eft pour moi. Parmi ce fexe , je n'ai pas encore trouvé un feul objet qui m'aimat pour moi-même. Les unes ont diflimulé par devoir, les autres par intérêt. Toutes m'ont paru faufles, & j'ai toujours fini par les détefter. ( Philippe va s'ajfeoir. Les portes s'omrent. )  ROI D' E S PA C N E. 139 SCÈNE XXII. PHILIPPE II, GRANVELLE. Philippe II. Cardinal, vous avez recu des nouvelles de France. Comment vont les troubles dans ma bonne ville de Paris ? Granvelle. Sire , tout fe prépare fourdement pour le malïacre général des hérétiques qui font dans ce royaume. Ils ont pofé les armes, & font entiérement féduits par les conditions avantageulés de la paix que Charles IX vient de leur jurer. Ce jeune roi de France fait déja diflïmuler a merveille. Son peuple s'imagine qu'il va vous faire Ia guerre & fecourir le prince d'Orange. Philippe II. II faut que le cabinet de Ftance ne perde pas de tems pour mettre k profit cette erreur, femée fort a propos Sï felon nos conveft-  140 PHILIPPE II tions. Charles IX peut envoyer quelques corps de fes meilleures troupes proteftantes , comme pour fe joindre k celles du prince d'Orange; & faifant prévenir le duc d'Albe du chemin par oü elles doivent paffer, on dreffera des embufcades de maniere qu'elles feront immanquablement taillées en pieces fans qu'il paroifïe y avoir de fa faute. Granvelle. Oh , miraculeufement trouvé ! Je vais faire parvenir fur-le-champ ces importantes initructions. A votre majefté en appartient tout 1'honneur ; c'eft vous, Sire , qui m'avez encore donné 1'idée du fameux plan d'exterminer d'un feul coup tous les hérétiques des deux royaumes. Je n'ai fait que 1'arranger avec le cardinal de Lorraine au traité de S. Quentin, & nous avons fuivi vos lumieres k Pentrevue de la reine - mere & du duc d'Albe k Bayonne. Nous rouchons au moment fortuné oü 1'églife romaine & votre majefté n'auront plus d'ennemis. Ce coup eft d'autant mieux imaginé, qu'il  ROI D'ESPJGNE. 141 affbiblit la France , en la plongeant dans 1'horreur d'une guerre civile, ck la rend a jamais 1'ennemie irréconciliable de 1'Angleterre ck des autres puiflances du Nord, qui pourroient lui devenir alliées. Voila ce qu'on peut appeller un chef - d'ceuvre de politique. Philippe II. Cardinal , ce malTacre de Paris fera tirer le canon a Rome, n'eft-ce pas ? Pour moi, je récompenferai magnifiquement le courier qui m'en apportera la première nouvelle. Mais, dites - moi, les agens contre Elifabeth d'Angleterre font-ils prêts ï . Granvelle. Oui, Sire ; ils fe difpofent pour agir promptement, ck font bien déterminés. Le prêtre Nelfon & un médecin nommé Lopès fe font joints a Story & a Ridolphy. IU efperent avant peu fomenter & fufciter une révolte dans Londres , fous prétexte de religion , ck fe défaire de 1 la reine , s'il eft poflible.  14» PHILIPPE li; Philippe II. Prévenez mon ambafiadeur, qu'auflï - tot que 1'un deux aura réufli, il vienne recevoir fa récompenfe. Mais quel eft celui qui fe préfente ? Granvelle. C'eft un jeune homme qu'on a difpofé contre le prince d'Orange. Philippe II. Dites - moi fon nom , fon état. Granvelle. II s'appelle Sauregui; il a été élevé dans On couvent. Philippe II. De quel pays ? Granvelle. Originaire de Bifcaïe. P h i l i p p IJ. Son caraétere ? Granvelle. Mélancolique. Philippe II, M, bon 1  ROID'ESPAGNE. 145. Granvelle. 11 eft zélé pour la religion jufqu'au fanatifme. Le jacobin qui le conduit en a fait la découverte dans la confeffion. II fera tout ; mais il a befoin d'être entiérement déterminé. Un feul mot de votre majefté le décidera. Philippe II. Qu'il avance. SCÈNE XXIII. PHILIPPE II, GRANVELLE , TIMER-; MAN, SAUREGUI. Philippe II. Ejtes - vous 1'homme infpiré par la grace ? Seriez- vous aiTez heureufement prédeftiné pour vous élever au rang des défenfeurs de la religion, & mériter d'être un jour parmi les faints martyrs dont elle célebre la fête? sauregui. Sire, je fais que je périrai. La feule chofe  144 PHILIPPE II, que je demande, c'eft que vous faffiez prief Dieu pour Ie repos de mon ame. Timerman. Vous êtes afTuré du bonheur éternel , fi vous parvenez a öter la vie au prince d'Orangel Saurequi. Eh bién, je vous fupplie de fecourir mon pauvre pere dans fa vieillefte. 'PmLlVVEll ,avanganc quelques pas & lui donnantJa mam d baifer. Je vous Ie promèts , foyez tranquille. Allöz enfe.mble. SCÈNE XXIV. PHILIPPE II feul, fcuilletant des papiers. J^rince audacieux ! tu penfes échapper a ma vengeance, 6c te foutenir par les armes. Tu as rejeté mes óffres 5c préféré de prendre les intéréts d'un peuple vil. Une mort prématurée fera 1'unique falaire de ton patriotifme jnfenfé. SCÈNE  ROI D' ES PAG ME. 145 SCÈNE XXV. PHILIPPE II, LE P. GORY. L e P. G o r y. SiRE, voici les mifiionnaires que vous avez demandés pour envoyer au Nouveau-Monde. Philippe II. Sont- lis bien choifis & fuffiiamment examinés ? L e P. G o r y. Vos ordres ont été ponétuellement fuivis; le P. Montalte , qui les accompagne avec moi devant votre majelié, les a exercés lui-même. C'eft 1'élite des différens couvens du royaume, tous grands théologiens.  ï'46 PHILIPPE II; SCÈNE XXVI. PHILIPPE II , GRANVELLE, LE P. GORY , MONTALTE , d la tête de foixante & dou^e Mifionnaires ; favoir : 30 Cordeliers. 6 Bénédiétins. 3 Auguftins, 3 Carmes. 5 Prêtres fécu'.iers. Autres Moines. L e P. G o r v. , voici les foixante & douze irtiffion-' raires. Les cordeliers en ont fourni trente... PalTez. ( Ils paf ent en s'inclinant. ) Les bénédiéYins, lix.. . Paffez. Les auguftins, trois.,. Paffez. Un vieux Augustin, pa[fantr s'incline & fe jette aux gencux du Roi. Sire , je fupplie votre majefté de me faire diipeniér de cette mlflïon, qui eft au deffus  ROI D'ESPAGNE. 147 des forces de mon age & de mes infirmités. J'efpere de votre bonié miféricordieufe cette grace que je n'ai pu obtenir de mes lupériéurs. Le P. G o r y. Sire , on ne peut fe paffer de fes fervicesi II a déja fait ce voyage, & connoit mieux que perfonne ces pays, oü il a refté longterm. Les Inrliens le connoiffent auflï, & il parle trés - bien leur langue. L'intérêt de la religion exige qu'il retoume vers eux ; &c fes infirmités ne font qu'un prétexte. Philippe II. Quoi, mon pere , vous vous refufez a promulguer 1'évangile ? Une miffion fi glorieufe ne vous infpireroit que de la tiédeur ? La conyerfi >n des Indiens vous feroit - elle donc indifL.iente ? L'augustin. He'.as ! Sire, j'ai vu maffacrer des peuplades entieres de ces hommes nouveaux pour nous, & bien peu fe font convertis. Nous leur infpirons de Phorreur, au lieu de les co vaincrej ik la barbarieavec laquelle les Etpagnols K ij  Ï4? PHILIPPE 'II; les ont traités me fait douter qu'on puiiTe jamais leur faire embralTer notre religion. Ils ne nous voient que comme des raviffeurs, altérés d'or & de fang, qui cherchent a les tromper & a les afïervir. L e P. G q r y. Pouvez - vous avoir la moindre pitié pouf des hommes de cette efpece, dont vous avez vu de fi prés les imperfeétions & la férocité ? La vengeance qu'ils ofent fe permettre envers les Efpagnols devroit étouffer toute efpece de pitié. L' A u G u s t i N. Comment ramener des peuples qui nous ont en exécration, chez qui 1'on a porté la deftruftion & le ravage ? Sire , j'ai examiné de prés ces infortunés qu'on vous peint comme cruels & barbares; j'ai obfervé avec impartialité leurs mceurs : j'ai été furpris de trouver dans les Pémviens une fage morale, h peu pres femblable a celle que je venois leur enfeigner. Ils croient a 1'immortalité de fame, aux récompenfes des ju fles, & a un féjour de peines Sc de tourmens pour les  ROI D' E S P A G N E. 149 «echans. II leur eft ordonné de sWaimer; la concorde , 1'amour de la patrie font chez eux les vertus les plus honorées. Les loix ^uxquelles ils font attachés leur ont été tranf.mifes par une race de légi.dateurs qui depuis plus de quatre mille ans veilloit a les rendre heureux. N'eft-ce pas aller contre 1'évaugde ■même, de les maffacrer paree qu'ils ne veulent pas embraffer notre culte ?. , C'eft en vain qu'on veut vous faire reconnoitre pour leur roi : ils font autant attachés a^ 1'Incas leur empereur, que vos fujets le font a votre majefté. .. Pardonnez , Sire : je parle d'après ma confcience; elle me fait fans ceffe le reproche amer d'avoir été le complice de tapt de fang innocent répandu par les Efpagnols , dans lelquels je n'ai vu qu'une baffe cupidité , au lieu de 1'amour du prochain. Saint Athanafe, dans fa lettre aux folitaires, fe plaignant des perfécutions des Ariens contre les catholiques, dit : « Le diable , paree qu'il n'a „ pas la vérité de fon cöté , ufe de violence 0 & fe fait recevoir par force. Jéfus-Chuft, » m contraire, n'ufe que de douceur; Sj  150 PHILIPPE II, » quelqu'un , dit-il, veut être mon difciple , » qu'il me fuive. II ne b'rïie point les portes » de ceux chtz qui il veut être rècü , mais' » il heurte doucement: Ouvrez - moi, dit— « il, ma fceur , mon époufe. Si on lui ou\ re, » il entre ; fi on ne lui ouvre pas, il fe re» tire. » Hélas ! Sire, j'ai été forcé d'agir contre ce principe. Le remords eft dans mon cceur. La lecture, les réflexions tk fur-tout les annees, en me donnant plus d'expérience , m'ont éclaité. Je n'ai plus que quelques jours a vivie; je demande a les paffer dans le recuei'lement tk la pénitence. Ce n'eft point du (a'ut de ceux qui font a trois mille lieues de moi que TEternel me demandera compte, mais de moi • même ; tk la caducité m'avertit que ma derniere heure eft proche. Phtlippe II. Votre efpru Lat la campagne : ne vous êtes - vous pi' engagé dans votre ordre comme foldat de la religion ? II faut donc marchtr lorfqu'élle vous appelle. Vous vous é^ar",7 ,fims vou--; en appercevoir, vies vrais principes de h faine tltéol.vgie. C'eft k vous  ROI D'E S PA GNE. ifi d'étudier de nouveau , Sc de ren:rer in via, Domini. Songez qu'on me reridra Gornpte de votre retour a la foumifikm que vous me devez , ainfi qu'a notre fainte mere églife. ( L'Juguflin fi retire d'un air de trijlejje. ) Le P. G o RY , faifiam 'papt le refie des Mifionnaires. Les carmes au nombre de trois... Paffez. Les prêtres féculiers au nombre de fau.> PaiTez. [ Autres prêtres. ] Sire , voila les foixante Sc douze. . . Paffez, Philippe II. J'ai voulu ce nombre en mémoire des foixante Sc douze difciples du Sauveurdu monde. ( aux Religieux.) Mais voyez 1'avantage que vous avez fut les premiers apotres. llsalloient prêcher feuls , manquant de tout, perfécutés, & finiffoient par être martyrs.Vous autres, ne marcbez qu'avec des années qui vous aident k triompher. N'oubliez point qu'en étendant 1'empire de la foi, Rome eft obligée en même tems d'augmenter le nombre des évêques; Sc chaque royaume que vous ai* dez "a me foumettre , demande une nouvelle K. iv.  m PHILIPPE II, promotion de cardinaux. Ainfi n'epargriez iien. J'ai envoyé des ordres précis pour accélérer mes conquétes & la réduétion de tous ces peuples. Ailez; vous recevrez, en débarquant dans ces isles , de nouveiles jnftruéfions. Je m'attends que vous feconderez de tout votre zele les efforts de mes troupes. ( Les MiJJionnaires, Granvelle & le p. Gory fe retirent.) SCÈNE XXVII. PHILIPPE II , MONTALTE refic avpils du Roi d'un air foumis. PHILIPPE ll,tirant un papier de fon portefeuille. Jf'A i examiné votre modele d'excommusicarion. Le flyle m'en plait afiéz; mais je 'voudrois que vou, mifiiez toute votre énergie arendie cette balie encore plus aggra. Jjjjpjg, Son^z qu'il eft uéctflaire qu'elle feil/a  ROI D' ES PAG NE. ï des peuples qui leur feront foumis, ont » de grandes obligations a remplir... La pa- » tience qui abandonne les jours de 1'liomma L ij  Xf$4- PHILIPPE 11, » de bien a la violence de fes ennemis , eft >» quelquefois une vertu, plus fouvent une » foibleffe impardonnable On ne doit » point conférver d'humanité envers ceux » qui 1'outragent. » Cet écrit anonyme,feté a mes pieds, eft fans doute la voix du peuple. Ses plaintes étouffées cherchent le moyen de, pénétrer jufqu'a moi. Ne ferois - je donc xié fi prés du tröne que pour être le témoin de.tant de mafiacres ? Les Flamands me pardonneroient - ils jamais d'être reflé fourd a leurs cris ? Quoi, tandis que le cruel duc d'Albe fe baigne dans leur fang, moi je ne pourrois aller les défendre ! Ne me feroit-il pas permis, grand Dieu ! d'oppofer mon bras a celui d'un forcené ? .. Qui , oui, je m'oppoferai a mon pere même , puifqu'il fe dégrade & me flétrit. Je ne veux point d'un héritage infame. PérifTe plutöt jufqu'au fouvenir de fon regne & de mon exiflence I On ne me reprocheta pas au moins ur>e coupable indiftérence ; on ne m'accufera point d'avoir vu tranquillement d'auffi grand» forfaits , pour en recueillir les déteftabies fiuits.  ROI D'ESP AG NE. 165 Allons , vo'tci bieniöt 1'inftant oü je vais quitterces triftes lieux, témoins de mes perplexités. Je vais refpirer un air libre &£ pur; je vais naïtre a la gloire & a la verru. A ia vertu ! .. Ciel! & c'eft contre mon propre pere que je vais porter les armes ! Philippe, Philippe, quel trifte bonheur eft ton partage ! Le feu de la révolte embrafe a la fois deux parties de tes états.. . Moi - même, moi, ton fils, dans une heure, fugitif, armé contre toi 1.. Ah, fi fon cceur !.. Oui, un feul mot fuffit encore pour me rendre a lui. SCÈNE XXXI. DON CARLOS , OSORIO, homme affidè d Don Catlos. OSORIO. Prince , le marquis de la Pofa demande è vous parler dans le moment même. II vou* conjure de ne point lui refufer cette graces L üj  ht6 PHILIPPE II, Don Carlos. Je ne puis me défendre de Ie revoir encore. Qu'il entre. (feul.) De tous les courtifans qui compoiént cette cour odieufe, il eft le feul dont je ne me fois jamais défié. Son cceur noble ck fenfible m'a toujours prouvé fon zele. II s'eft trop fouvent expofé pour moi. SCÈNE X'XXII. DÓN CARLOS, LE MARQUIS DE LA POSA. Don Carlos. l\ MI, que venez - vous me demander a cette heure ? De la Posa. Je cherche depuis long. tems a vous approcher fans être appercu, Prince, vous êtes gardé a vue. (plus bas.) La reine m'a con% feite lettre. La volei,  ROI D'ESPJGNE. i£r/ Don CARLOS , La prenant avec tranjport. La reine ! De la Posa. Chargé d'un dépot fi facré , j'ai tremblé d'être furpris avant de vous le remectre. Je me fuis vu obfervé de bien prés. Vous favez comme je penfe; ma vie eft a vous. Don Carlos. PuifTé - je un jour reconnoïtre vos ferv?ces comme je le defire ! Un homme comme vous m'eft trop précieux pour Pexpofer. Je veux vous retrouver dans un tems plus favorable. Pour ce moment, il faut m'oublier, Ecartez-vous promptement; gardez-vous de donner la moindre atteinte aux foupcons. Adieu , brave ck généreux marquis, adieu. De la Posa. Prince, je refpeéte vos fecrets. Mais quoi, vous héfitez d'employer le marquis de la Pofa dans des momens dangereux ! Ah! parlez : eft-il quelque péril capable de m'effrayer?Il eft encore de bons Csftillans quj frémifient en fecret E S P J G N E. igi S. Office , répondez : puis - je , en füreté de confcience , faire grace a un fils qui s'eft ligué avec mes ennemis , qui a confpiré contre moi-même ? Ne fuis je pas indifpenfablement obligé de remettre ce fils criminel entre les mains de votre juftice ? Les membres du tribnnal de l'Inquifition ne font - üs pas les executeurs des vengeances royales ? Le duc de F e r i a. Sire, je penfe que vous pouvez imiter tharlemagne , qui la première fois que Pepin confpira contre fa perfonne facrée, lui pardonna, aitribuant fa faute a fa jeuueiïe, &c prononcant cette belle parole, qu'il étoit le pere & non pas le juge de fon fils. Philippe II. Si quelqu'un eft encore de eet avis, qu'il fonge que je le rends perfonnellement refponfabie des fuites que pourroit avoir une grace imprudemment accordée. Mon fils couroit fe placer a la tête de mes fujets révoltés; il alloit lever un fer parricide ; n'eft-il pas doublement coupable ? Fait - on gt'ice au crime de lefe ■ majefté au premier M üj  iSz philippe 1 ƒ, chef? Que ceux qui opinent pour que je lui pardonne , fe déclarent fur.le-champ en ma préfence. ( Perfonne ne dit mot. Après un court jllence Philippe dit avec une efpece de douleur.-j Hélas! je le vois, mon fils eft condamné. Dites - moi encore fi ce fils, pour qui j'ai tout fait, confervoit dans fon cceur des maximes perverfes ; s'il projetoit de réformer un jour la religion , d'adopter les fentimens des hérétiques... Un Casuiste. Un tel deffein feroit un attentat irrémiflible. Philippe II. Si 1'on avoit des preuves qu'il favorife fecrétement les opinions abominables de Calvin , qu'il cherche a les répandre , a les faire triompher , qu'il les adopte enfin de cceur & d'efprit.. . Un autre Casuiste. Ceci eft un crime capital, que rien ne pourroit remettre. Philippe II. Qu'il eut prêté fon nom pour faire entrer dans mes états des livres condamnés par le.  ROI D'ESPJ C NE. fconcile de Trente. Geftuulativn mutttt & rumeur de U part des Ca/u fes & des Inqui» Jiteurs. ) Un Casuiste. Sire, voytz notre confternatlon. Philippe II. Je vous entends. Ah, malheureux pere ! Mdgré la douleur que me caulént vos décifions, je narrêterai pas votre faint zele ; il eft le rempart & la fauve - garde de noire augufte religion , qui doit triömpher des impies. ( L*s Cafuifies s'èloignent.) Ciel , quel effort n'ai-je pas a fake fur moi-même ! Mais je domterai la foibleffe de la nature , puifqu'il s'agit des intéréts de la Divinité. ( aux Inquifiteurs. 1 Juges fuprêmes , faites - vous livrer Don Carlos; jugez le. Songez que vos décifions émanent de Dieu même , de ce Dieu qui, pour le falut des hommes , n'a pas épargné fon propre füs , de ce Maitre du monde , qui a précipité dans fabyme les anges rebelles que 1'orgueil avoit portés è fe fouftraire k fon obéiffance. ( U s'approcke & fit profitrm devant la tablt fUP M. 'tv  *H PHILIPPE II, taqueUt eft ie crucifix. ) Je procefte, devant le Sauveur du monde, de figner aveuglément votre jugement. Ma confcience" fe decharge fur vous tk vous rend garans de tous les maux qui pourroient atriver a la rehgion par 1'impunité du ctimede mon fils. Allez vousfaifir de fa perfonne, & jugez-Ie. ( Ils sen vont dans un morne fiknee vers Iappartement qu Pon a conduit Don Carlos. ) SCÈNE XXXIX. PHILIPPE II,GRANVELLE, Granvelle. pIRE, le marquis de la Pofa n'eft plus; mais on n'a rien trouvé fur lui. Philippe II. Quoi ! aucun papier? Pas le plus léger ïndire ? II aura donc eu Ie tems de tout fcióler; on s'y fera ma! pris;car fortantde chez Don Ca;los, i! devoit être chargé de «juelque imftion dont on auroit pu trpuver  ROI ZT E S P A G N E iSf .un temoignage certam fur - le - champ. Je porterai mes regards fur cette négügence. Granvelle. Les gens apoftés 1'ont fuivi en fortant d'ici, & ne 1'ont quitté qu'après 1'avoir va expirer (bus leurs coup«. Votre majefté peut être affurée qu'il n'y a eu aucun témoin. Philippe II. II faut faire pafler ce meurt re pour une aventure noéturne. C'étoit un fujet dangereux ; fon attachement pour le prince , Ia cour aflidue qu'd faifoit a Ia reine , me 1'ont toujours fait regarder comme l'ennenw de mon pouvoir. Je ne fuis cependant pas fans crainte. Veille-t-on bien par - tout ? Si quelque confpiration cachée alloit écla?er en fa faveur ! II ne faut fouvent qu'un mécontent... L'efpoir d'un nouveau regne... Cjueüe terrible fituation pour moi! Parmi tant de féditieux & de rebelles, faut-il que je trouve mon propre fils! Granvelle. Votre fermeté confondra tout. L'exemple de Don Carlos va vous ïendre encore pius  t%6 P H I I I P P E TT, redout^ble. En remettant,comme vous faites, fon jugement au tribunal du S. Office, vous n'êtes refponfable de l'événement devant qui que ce foit. L'on dira par tout : c'étoit une affaire de religion , un myftere. Malheur a qui voudra le pénétrer ou 1'interpréter ! Philippe II. J'efpere que ma réputation n'en fera point tachée. C'eft un fage parti que j'ai pris, cardinal. Granvelle. Bien fouvent, par la mort d'une feule perfonne , on épargne beaucoup de fang. Philippe II. Les rois ne doivent point avoir de parens. Si je me fervois uniquement des giiefs contre ma perfonne , toutes les cours , & principalement celle de 1'empereur , me reprocheroient un jour de ne lui avoir point fait grace ; mais j'en ai d'autres. D'ailleurs, il «ft des cïrconftances qui ne pourront jamais parvenir a la connoiffance des hommes.  ROI D' E S P AG N E. i% SCÈNE XL, PHILIPPE II, GRANVELLE,RUY-GOMEZ. Rtjy-Gomez ,fortant de (appartement ou eft déttnu Don Carlos. Vo ila , Sire , deux papiers que Don Carlos vouloit fóuftraire. Ce lont les feuls qu'on lui ait trouvés. Philippe II. Donnez... Que fait - il ? RUY-GOMEZ. Lorfqu'on 1'a déshabibé pour le revêtir, fuivant 1'ufage , des vêtemens de ceux qvi vont être jugés par 1'Inquifition , fon défefpoir a été extréme. J'ai cru que , dans 1'excès de fa fureur , il alloit expirer. Jamais il ne m'a été poflible de lui óter un portrait de la reine, qu'il porte attaché fur ton coeur. Enfin \\ eft tombé dan* un calme farouche ; il ne parle plus. . . Mais le voici; on le conduit devant fes juges.  188 PHILIPPE II, Philippe II. Venez avec moi dans leloignemenf. Je veux tout entendre. Nous feindrons d etre en prieres; vous vous tiendrez auprès de moi; fur-tout ne me quittez pas. SCÈNE XLI. LES ACTEURS RR*ÉCÉDENS, 5 P IN O L A , d la tête des Inquifiteurs qui conduifent Don Carlos vétu dun fan - benito de toile noire , rayée de blanc. Sp'mola prend fa place fur un fiege élevé. Les greffers fe placenta cóté, 6 fe mettent en devoir d'écrire. Les autres juges fe placent fuccejfivement. Von veut faire afjeoir Don Carlos fur une petite fel. lette ; mais il Je tient debout avec opinidtre(é. Tout efl tendu en noir. Don Carlos. jVTiNlSTRES de tourmens , oümemenezyous ? Que me voulez-vous encore ? Croyez.  ROI TfES PAG NE. 189 vous pouvoir avilir Don Carlos fous ces vêtemens finiflres ? Non : tout eet appareil de mort ne m'en impofe pas. Je fais trop par qui vous agiffez. Non content de m'avoir arraché au bonheur , il fait jouer contre moi les infirumens fecrets de fa tyrannie , & me précipite lui - même dans les horreurs du tombeau. Roi cruel ! allons , confommez ce facrifke barbare. Que 1'unique re'ieton de tant d'iüuftres aïeux , le feul défenfeur des peuples opprimés , tombe avec des milliers de vidimes fous lés coups del'impofture. Faites de ce monde un enfer femblable a celui que vous annoncez. Je renonce a régner fur la terre ; je la quitte fans regret. Je fuis réfolu a périr plutót que d'y régner par vous. Je me fens même aitez de calme pour 'vous entendre & vcus répondre avec tranquilüté. Prêtres, qui vous dites chrétiens, héritiers -des faints martyrs difciples des ap6tres,parlez, jugez-moi. Inr terrogez celui qui devoit êrre un jour votre fouverain, & qui auroit vengé fur voiïs Thumanité outragée.  *oo PHILIPPE til Spinola. Prince! autant Dieu eft élevé & maitre de toutes chofes , autant le pouvoir de ce faint tribunal qui défend fa caufe eft audeffus des hommes, quels que foient leurs rangs fur Ia terre ; les rois lui doivent compte de leur foi, comme le dernier de leurs fujets. Pour connoitre a fond les fentimens, nos loix ordonnènt de commencer par faire fubir a Paccufé la queftion la plus rigoureufe. Jamais nous n'inftruifons fur les griefs dont il eft chargé ; il faut qu'il en fafte I'aveu lui - même. Nous voulons bien , par égard pour votre rang , vous difpenfer de eet ufage; mais nous attendons de vous une confeffion entiere de votre croyance fur Ia religion. Don Carlos. C Lei greffiers écrivent tout ce quil dit. ) Vous pouvez vous y attendre ; rien ne m'empêchera de dire hautement Ia vérité. J'appercois le roi dans un fombre filence.... Témoin muet, mais avide.. . Eh bien, qu'il m'entende. Dés 1'enfance je fus inftruit de  ROI D'ESPJGNE. 19* tous les myfteres de notre religion ; j'adoptai ce que ma raifon put comprendre, j'en refpectail'enfemble; & fi ma jeuneffe eut été occupée par des travaux dignes de moi , ma foi feroit demeurée entiere & foumife. Mais on m'a laiffé fpeftateur défceuvré de vos guerres eccléfiaftiques ; j'ai connu vos divifions, j'en ai cherché la fource, & j'ai vu fous le mafque religieux l'intérêt fordide , 1'ambition démefurée , 1'eniêtement, la foif de la vengeance, tous les vices enfin fervir de bafe a votre élévation. Toujours en difcorde , vos difTennons inteftines ont commencé par me faire douter de votre bonnefoi. Mais, lorfque je vous ai vus , abufant du pouvoir, brüler ceux que vous n'avez pu convaincre,calomnier la vertu , anéantir des families entieres , tant d'atrocités m'ont révolté. Que vous m'avez paru éloignés des maximes de 1'évangile , ces maximes . fublimes & pures , que vous ne ceffiez de prêcber aux autres ! Combien de refpeclables prélats ont été les victimes de votre jaloulie, tous 1'horrible prétexte que leur  19* PHILIPPE II,' croyance n'étoit point celle rk l'évéque de' Rome ! /e les ai vu périr; mon mdignatioB.. < Spinola. ^ L'évéque de Rome ! Vous entendez. Contjnuez , prince, & eonfefiez votre foi en termes pofmfs. Don Carlos. Elle efl toute emiere au Créateur de eet admirable.de eet impofant univers; mon efpérance eft unjquemeat en ce grand Maitre invffible & tout pudFant; je 1'adore & me profterne devant fa g andeur. Spinola. Ce n'eft pas li .. . ce n'eft pas la le point, Rcjpondez ciairement & fans fubterfuges : croyez-vous en Jéfus - Chrift ? Don Carlos. Sa morale divine,émanée du Pere commundes hommes , prouve qu'il ne fait qu'un avec lui. li piécha contre les prêtres, dont il condamnoir les vexarions. II étoit ie Verbe; il fut tacrifié par le fanatifme Ót 1'impoff ure... Oui,je crois en lui; je révere la doctrine qu'il a daigné apporter fur la terre. Spinola.  ROT D'ESPAGNE. 19$ Spinola. Croyez - vous en fon églife catholique , apoftolique & romaine ? Don Carlos. Je erois aux préceptes qui font puife's dans 1'évangile, je refpeéte toute bouc'ie qu les prononce i mais je ne puis croire a la pré t" ndue infaillibilité de ces pontifes mendiant des royaumes , tantot complailans & adulaieuts des rois, tantót leurs tyrans \ tour-a-tour efclaves 8c ufurpateurs. 11 ne faut qu'qp* pofer 1'évangile a leur vie , pour en voir la contrad'étion. Je protefte contre leurs loix barbares : rétablifTement de votie tri— bunal odieux efl leur ouvrage; en faut-il davantage pour les faire abhorrer ? Spinola. Ainfi vous ne croyez point aux apötres f" Don Carlos. Je ne confonds point les apótres avec cette ég'ife dont vous vous faites membres. I!s étoient des hommes vertueux , charitables, pleins de Dieu , infpirés pour annoncer aux hommes une morale pure. Ils ont voulu N  *194 PHILIPPE / f, les éc^airer fur leur idolatrie , fur la four"berie de leurs prêires ; ck les prêtres en ont fait des martyrs par la main des fyrans. Toujours humbles , toujours pauvres, toujours 'dédaignant la puiffance temporelle & les biens de ce monde... peut - on vous recons "noitre a ces traits f Spinola. Nous ne vous demandons point des ré ponfes fi étendues. Dites - nous en peu de mots, fi ' vous admettez ou reietez abfolument toutes les décifions du concile de Trente. Don Carlos. Ce concile, au Reu de réunir les chrétiens, ' fes a défunis pour des fiecles. Une infidieufe politique s'eft obftinée a maimenir d'antiques abus, appuyés par des décifions obfcures. Vous y étiez tous a ce concile de Trente , fel je ne fuis plus furpris des principes qui y ont été recus. D'ailleurs, le pape vous faifoit mouvoir a ton gré; & je prenirois fes arrêts pour regie de ma foi! U n Inquisiteur. Comment ! incrédule au faint concile de Twente }  RÖ1 D" É S P A G N Ê. lof Autre Inquisiteur, Blafphémateur du faint-fiege! Autre Inquisiteur; Quelle perverfité! Autre Inquisiteur. O Dieu, préfervez - nous a jamais du regne d'un prince auffi impie I Don Carlos. L'impiété eft d'allier 1'impoflure avec Ia vérité éternelle. Oui, fans doute , vous auriez tout k craindre de moi ; mais ne croyez pas toujours avoir des princes aflez foibles pour vous protéger. Voyez comme le Nord fe dégage de votre jöug honteux. Sur Ie tróne d'Angleterre, une femme vous brave; la Hollande voit répandr'e fon fang plutöt que de vous fouffrir •, 8c déja dans la France , malgré votte afcendant fur le roi, les plus braves des Francois ont obtenu cette liberté de confcience , 1'honrieür Sc la paix de 1'humanité. Perfécuteurs impitoyables de quicon» que ofe penfer, répondez- moi: vous-mêmes f quelsfruits efpérez-vous retirer detantd'abo* minations?Croyez.vous pouvoir vousaccorN ij  ï9S PHILIPPE 11; der avec Dieu comme avec les rois , fi toutefcis vous n'ê:es pas affez pervers pour le renier intérieurement ? QaeJle foi peut avoir en !a Divinité celui qui ofe faire un tralie de fes graces, ck pour un vil intérêt compromettre a clunue infrant Ion faint nom ï Tremblez... votre derniere heure doit venir auffi. Je le vois , ce dogmaiique ïmpofteur, qui croit pouvoir tromper les hommes jufques dans fon lit de mort. Ses complices l'alTiflent j ils tremblent qu'il ne fe dévoile ; ils arment Forg'ieil pour repouffer les cris de fa confcience. La vérité effrayée ne trouve plus d'organe dans un corps afToibli , que la douleur occupe & que les remedes abuient. II expire , fe compofant toujours , & fe trompant lui même. I! croit tout gagner , s'il cérobeau-ï yeux du monde l'infe&ion de fon ame. Voda vos derniers momens : foyez fpeèlateurs des miens; voyez Don Carlos quitter la vie fans crainte & mourir avec 3a fermeté d'un homme innocent , qui mei en Dien fon efpotr & fa confiance. Le irtanre momentané , dont yous fuivu Jgt  RÖI D'ESP AG NE. 197 loix terrible-, , paflira comme vous. II ie reprcchera la mort de (on fils. C'eft alors que les intrigues iecrettes, Ier, manceuvres fourdes qui vous Iiént énfemblé feront expofées au grand jour. Sa mémoire fera en horreur k la poftéritéck malheur aux reis dontle regne ne fera pour la race future qu'uti fujet d'horreür & de fcandale ! Malheur aux miniftres qui les aurons léduits ou fecondés! ( Philippe 11 envoie Granvelle d Spinola , pour lui ordonner di ttrminer avec Don Carlos, ) Spinola. Prince , vous préfentez un fcandale inoui aux membres du S. Office \ ils font profondément affligés des erreurs funeftes oü votre ame eft tombée , & vous conjurent avec larmes de faire tous vos efforts pour fortir de i'abyme : n'avez - vous plus rien k dire ? DON CARLOS , avec mépris ,&fe laifant emmener. Non. N rij  *ö8 PHILIPPE tïl Spinola. Nous gémiflons de votre réponfe. SCÈNE XL II. PHILIPPE II, SPINOLA , LES INQUISITEURS. spinol a, aux Inquifiteurs, V X ous 1'avez entendu. Lts Inquisiteurs, II mérite la mort... Ia mort. . . la mort.. i la moi t... ( On écrit, & ils Jïgnent la fentence. ) S p i n o l a , a Philippe. Grand roi trés - catholique , de quel terrible emploi nous avez - vous chargés !.., Voici le jugement qu'un inviolable devoir nous a forcés de porter. Notre bouche fe refufe a vous en faire la lecïure} fignez, fi vous le pouvez. Philippe II. Plus il m'en coute3 ck moins je dois  ROI D'ESPAGNE. |9g difterer...( 11 fenc ,& dn cnprenant U plumt-.l C'eft ainfi qu'Abraham facnfia {ou fils au Seigneur. ( Aux In*uifwurs> aprls avoir fignê. ) ie coupable vous eft abandonné,aLez...Rien ne peut matntenant le fouftraire k votre juftice. ( Tous retournent dans l'apparttniïntoïi efi Don Carlos. ) SCÈNE XLIIX PHILIPPE II, RU Y GOMEZj GRANVELLE. Philip p e II , * Granvelle. CaRLTNAL , veillez exaftement fur tout Ce dont je vous ai chargé. Chacun répondra fur fa têtcdes foins qui lui font confiés. Ecartez fur-tout jufqu'au möindre foupco de mort fur Don Carlos. Dites feulement qu'il eft enfermé. ( Granvelle fort.) ( dRuy* philippe ii; refufer le louiageincns qu'on s'emptefle rV. vous offrir ? La princesse d'Eboly. Nous vous deinandons en grace de vous laiffer conduire dans votre appartement, Vous vous fentirez mieux auffi - tot que vous ferez couchée. E lisabeth. Je vous ai déj? dit que je voulois attendre le roi en ce lieu. Re ton* nez vers lui; diteslui que j'expirerai a cette place, plutót que de ia quitter avani qu'il s'y rende. La primceüSE d'Eboiy. Mais , rtadame.. . Elisabeth. Allez , ne perdez point de tems. La duchesse d'A lbe,a part d la. princijfe d'Eboly. II faut que le roi fe décide promptement a la fatiifaire ; vous m'entendez. ..(La princejje dEboly fort. ) Honorine, d la Reine. Ah 1 par pitié , ne me cnaffez point d'aupiès de vous. Effayez quelques fecouts*  ROI D'ESPAGNE. io} Hé'as! plus votre état empire , plus vous favez vous contraindre. Qu'avez-vous , ma chere Elifabeth? Au nom de lamitié,daignez répondre , qu'avez-vous ? Elisabeth. Bonne Honorine , ne te livre point a des inquiétudes fuperflue* Je fupporte mes fouffrances,dans i'efpoir qu'elles pafferont bientöt. Non, ce que j'endure ne fera pas au-deffus de mon courage. Souleve ma fille ; que je 1'embraffe encore... Innocente ! tu me founs dans mes douleurs. Ton age heureus te, fauve bien des larmes. Tu ne peux rien connoure , tu ne peux m'entendre. ...O divine Providence , protégez - la ! Je remets entre vos mains fon fort & le mien. Chere Honorine,je t'avois ordonné de me quitter. Ton attachement 1'a emporté fut 1'obéiffance ; & puifque tu me preffes de te garder prés de moi , je te charge déformais de donner tous tes foins a mon enfant. Je prierai le roi qu'il te confie fa jeuneffe. Ce fera une grande confolatlon pour moi , de /avoir ma chere peuie Jiabeüe fous la garde  Ï04 PHILIPPE 11, de celle qui m'a élevée. Souviens - toi de lui rappeller tous les jours de fa vie, que mon dernier vceu eft qu'elle s'atrache k mériter l'ami;ié de fon pere ; qu'elle foit fidellc aux dgvoirs que la nature lui impofe, & qu'elle ne croie jamais rien de ce qui pourroit 1'en écarter. Honorine. Vous me parlez comme fi vous aviez perdu Peipérance de 1'élever vous-même. De qusl finiftre préfage aimez vous k vous entretenir ! Elisabeth. Je ne m'abule point. Tu voulois vivre en cette cour pour moi feule; fais plus , reftes - y pour mon enfant. Honorine. Ciel, que me dites-vous, princeffe ! La dtjchesse d'Albe, d Honorine, Voi^s fatiguez la reine , en lui parlant toujours. Sa majefté a beloin de repos. Elisabeth. Eloignez- vous, chere Honorine ; je vous 1'ordonne. Emmene* ma fille. Si vous refte?  roi &espagne. aoy prés d'elle, ne i'entretenez jamais des momens orageux de ma vie, encore moins de celui de ma mort. ( Honorine fe ruin avec la petite Ifabelle.) SCÈNE XLV. PHILIPPE II , ELISABETH; LA DUCHESSE D'ALBE,LA PRINCESSE D'EBOLY. ( Philippe II sentreüent a voix bajfé ave* la princefje d'Eboly. ) ' Elisabeth, d la iucheffe, d Albe. Vous rendrez compte de tout ce ooe 'j'ai dit a ma chere Honorine. Vous é>es témoin que }e n'ai rien halardé qui puifle la compromettre. La düchesse d'Albe. le ne fais ce que votre majefté veut me ipire entendre.  iof> PHILIPPE II; Elisabeth. Vos ordres font cie ne me point quitter s c'eft vous en diie aiïez. Au moins vous me ïaifferez feule avec !e roi. Eloignez - vous* ( La duchtjje & la princejje fe ntirent. ) Philippe II, s'avangant d'un airhypöïrïu. II fe tient cependant d quelque difance d& la Reine. Que me voulez- vous , madame ? Eft - ce ïci que je devrois. vous trouver , dans 1 'état oü vous êtes ? El isabeth. C'eft le feul moyen que j'ai trouvé pour» vous forcer de pat oïtre encore une fois devant moi. Votre deffein étoit d'éviter ma préfence. Je préiume qu'il doit vous en ccuter beaucoup en de pareils momens. Philippe II. II eft vrai, madame, que j'ai para vouJoir éviter eet eniretien que vous demandez avec tant d'inftances. J'ai craint vos plaintes ck vos clameurs. Croyez-moi , je n'ai pu m'empccher d'agir avec févérité envers Don Carlos; ck cette prifon oü je le retiens, lui  ROI & ESP AG NE, 107 fera plus ialutaire que nuifible. Je ne demande que fa converfion... Elisabeth. Que fa converfion ! ... Philippe II. Dieu qui connoit mes plus fecrettes penfees , me juft'.fiera de eer emprifonnerftent. C'eft non - (èulement pour fon bien particulier ,mais pour 1'imérêt de mes royaumes. Ma réfolution me caufe a moi-même la plus profonde douleur; mais ma feule confolation eft dans 1'efpoir que la grace entrera dans fon cceur. Elisabeth. Vous efpérez , vous » lorfque fon arrêt de mort, figné de votre main , par vos ordres même , vient d'être exécuté !. .. Ah , Don Carlos ! plus heureux que moi , tu as déja fini ta funefte carrière. Philippe II. Que dites-vous , madame ? Qui peut avoir ofé?... Elisabeth. tfe pourfuivez pas,.. 1.1 n'eft plus tems  2©§ philippe ïr, . • .... de f'eindre. Mes reproches Tont - ils donc fi redoutables?.. Je ne vous en feiai point $ puifqu'ils font inutiles. Philippe II. Mais ne croyez point, madame.. * Elisabeth. Cefiez , ceffez de voutoir m'en impofer.. j Je connois trop 1'irrémiffible tribunal auquel vous avez iivré votre fiis , pour ne pas fa* voir qu'on y condamné tous ceux qu'on y dénonce. Je fais qu'd n'eft pius , & quelle main lui óte la vie. Ne jouez point a mes yeux un róte qui vous avilit encore davantage. Soyez vrai malgré vous, puifque tout votre pouvoir n'a pu me cncher cette affrtufe vérité ; ce ne font point vos patoles qui pourroient me diCuader. Philippe II. Je crains, madame , que , malade comme vous I'êtes , vous ne vous abandonniez a de trop facheux preflentimem. Elisabeth. Dites plutót que vous redoutez qu'avant ma mort, qui tft prochaine, je ne révele un  ROI B'ESP A G NE. iócj un fecret que vous vous efforcez de reteiiir enfeveli dans Pombre ; mais n'appréhendez pas, ma bouche fe fermera fans avoir prononcé un feul mot fur ce fait abomiüable. Philippe II. Que ne puis-je moi. même eh perdre la mémoire ! Je voulois, madame , épargner votre fenfibilité. . . Oui, j'ai été forcé d'offrir a la Majefté divine le facrifice de ce fils unique , en reconnoiftance des bienfaits que j'ai recus de fa main libérale. J'ai préféré le mainden de la religion , la tranquillité de mes peuples, aux feutimens de la nature; Elisabeth. Eft - ce devant moi que vous voulez vous excufer ? Oubliez- vous a qui vous parltz? Voyez 1'état oü je fuis. . , Supprïmez ces srtificieux détours; Philippe II. Je voudrois 3 au prix de ma vie , vous Voir parfaitement guérie. LaiiTtzlaiffez au moins dcmner quelques foulagemens a vos fouffrancesi O  aio PHILIPPE 7 F , Elisabeth. Ainfi , vous vous flaitez d'immoler la viéVme en cachant la main qui lui déchire le flanc. L'habifurle de certalrs forfaits en diminue a vos yeux 'a noirceur. Philippe II. Ah , madame ! . . . Que voulez- vous dire ? Elisabeth. Croyez - vous m'avoir punie en faifant couler la mort dans mes veints'{ .. . Non, non ; c'eft un bienfait dont je vous rends graces. Vous me délivrez de vous - même. Vous me rendez a Dieu. Recevez mes remerciemens. Soyez tranquille fur votre crime; il demeurera enfeveü dans ma tombe , fi perfonne que moi ne le révele. Depuis Ie moment oü j'ai pris le fatal breuvage, vos complices ne m'ont point quittée. Toujours obfervée , perfonne , excepré Honorine , ne m'a approché. Je ne lui ai rien dit. Cette femme m'aime , fx n'e-tt point coupable. Elle peut vous feryir auprès de lenfant que je vous laiffe. Je lui ai recommandé d'inf-  ROI £>' E S RA G N E. ui pirer a ma fille un artachement fincere a votre perfonne. Elle obéira avec zele en mémoire de mol. Difpenfez - vous de la ra.re périr: c'eft la feule ck derniere grace que j'ai voulu vous demartder. J'ai droit de vous parler aufïi ouvertement. Je fais trop biert a préfent comme vous immolez ceux qui vous portent ombrage. Je ne vous fupplie point pour Ia vie de 1'infante votre fille , elle fera moins nuifible qu'utile a vos projets ; ck eet unique rejeton peut fuffire , puifque vous n'avez eu nulle pitié du nouveau fruit que je porte dans mes flancs. Vous h'ignorez point 1'état oü je fuis , ck le doi;ble afiaffinat que vous commettez. .. Quoi, Sire, vous reftez fans me répondre ! Vous femblez interdit. . . Allez, je fens que bientöt nous ferons délivrés l un tk 1'autre du poids qui nous oppreffe. O Dieu , que je fouffie ! Quoi! vous détournez la vue ? Cruel, venez contempler votre ouvrage. La douleur change mes traits , m'arrache des cris;mais n altere point la paix inférieure de mon ame : elle afpire au moment de rompre fes O ij  2ii PHILIPPE 11; liens. . . Plus les tourmens s'accroiiTent 5 plus mon efpoir augmente. Philippe II. Accablé par vos reproches & vos foupccns, je ne fais que répendre. Je n'écoute plus que mon devoir. I! m'oblige, madame, en ces moraens férieux , de vous rappellers la religion. J'ai lujet de craindre que vous ne vous en foyez intérieurement e'cartée.. . Voulez-vous fiiiir comme Don Carlos, en refufant les fecours des miniftres du Seigneur ? Aurois - je pour furcroit de cbagrin celui de vous voir dans un état dangereux j rifquer de mourir fans confefïion ? Elisabeth. Je ne refufe point de m'humiHer en mes derniers momens ; au contraire , je me foumets , pour 1'amour de Dieu , a tout ce qu'on exigera de moi. Mais quel intérêt pouvcz- vous avoir pour une ame que vous avez fi long - tems déi'olée ? Pourquoi le? fecours de la religion vous parciflent - ils ft nécelTaires ? Philippe ! Philippe ! vous vous abufez. Perfonne ne fera la dupe de cettq  ROI D'ESPJGNE. 115 aëvönon spparente dont vous penfez couvrir vos a&ions détefiables. On ne reconnoitra dans ce zele affecté pour la religion qu'un lach'e moyen de politique pour fatisfaire vos idéés ambmeufes & vos paffions défordonnées. Non , vous ne réuffirez jamais qu a faire des malheureux & a 1'ètre vousmême. Avec les tréfors du Nouveau-Monde vous ruinerez votre royaume. Les noms de ceux que vous avez fait përir cruellement , feront 1'opprobre du vötre. L epouvantable técit de vos atrocités , gravé dans 1'hifloire , effraiera la race future , qui ne pourra le lire fans horreur. Vos prêtres tk vos loix feront un jour déteftés par toute la terre. On placera votre image auprès de celle des Tibere tk des Néron; ck lorfque les peu< pies voudront infpirer a leurs enfans 1'horreur d'un defpote , ils prononceront feulement le nom de Philippe II. Philippe II. Je ne vous réponds que par des pleurs & me contente de gémir de vos difcours. Je vous les pardonne. . . je veux même O lij  4i4 PHILIPPE II, les oublier. . . Je vous conjure , par tout ce qu'il y a de plus facré , de ne laifTer cch.3ppe' publiquement aucun de vos injurieux foupcoc. Elisabeth. Vous cra:^r:ez plus le monde q:;e Dieu êr votre confcience. Dans ce moment je ne vous appréhende plus ; & fi je me tais, c'eft pour épargner des (ujets de vengeance & des guerres, dont le pauvre peuple eft toujours viétime. Vos remords feront mes plus terribles vengeurs. Si vous me furvivez longterm , la préfence de ma fille fera pour vous un reproche. Vous direz malgré vous , en la regardant : j'ai öté la vie a ta mere.. .. Je fens que je ne peux plus réfifter a mes fouffrances. Un furcroit de douleur encore plus aigü'é. ... Ce que jefouftre eft inexprimable. Appellez. . . Que 1'on m'emporte. Quel tremblement ! . . . Dieu des miféri» cordes , faites que ce nouvel aflaut foit le dernier! £ Philippe 11 va vers la porie , fait un Jigne. Aujji - tót la ducheje d'Albe, la princejfc  ROT V ES PAG NE. 115 d'Eboly , des James at U Raat Cr des officiers Temportent. ) Philip p e I l» t approchant £ un air compoft vers Elifabeth. Hélas, mada ne i Elisabeth, dêtoumant ta iete. Reiirez-vous , laiffez - moi. . . laiffezmoi mouiir en paix. SCÈNE XLVL PHILIPPE II , 'feut Elle me g'ace dVffoi. . . Je crains de me trahir. . . Ses fourT.ances me déchirent & me font fouffrir plus qu'elle.. . L'enfer> eft dans mon cceur. . . Je luis dévoré d'iru quiétudes. .. Peut - être ferai - je tranquille quand elle ne fera plus. . . CW> ! fens ému. . . Banniffons cette foiblefle. . . Ah ! fi j'éprouvois toujours ce que je fens h certe heure , feroit-il dans 1'univers w dortel plus tourmenté que moi? (//*'<*ƒ•O iv  %ê PHILIPPE II, proche de la table & veut écrire. j A peine puis - je tenir ia plume. . . Ma main tfern-. blante. ...(ƒ/ écrit & répete tout haut:) <« Trés - faint Pere. » Par Ie devoir qu'impofe I'obéiffance » fiiiale que tous les princes doivent k » votre fainteté, & dont en mon particu» lier je me fais gloire de vous donner des »> marqués authentiques , je dois rendre »> compte a votre béatitude , comme k mon »> pere fpirituel, de toutes mes aétions, fur»> tout dans les affaires imporfantes....» ( d part.) Ces fortes de fcumiffions ne me content rien. C'efl dans un moment femblable que je .dois amadouer le fouverain pontife. ( 11 continue d'éerire. ) « En confé» quence j'ai cru indifpenfable de donner » avis k votre fainteté des raifons qui m'ont » fait prendre un parti extréme envers mon » fils , pour remplir d'un même coup ce i> que je dois k la religion & au falut de t* tous mes peuples. »  ROI D" E S P\A G N E. 217, SCÈNE XLVIL PHILIPPE II, GRANVELLE, Philippe IL Eh bien, mon cher cardinal ? (II écrit.) Granvelle. Que voire majefté ibit tranquille : la reine a recu avec (oumiffion le confefteur que vous lui avez choifi. II étoit déja dans fon appartement lorfqu'on Fa emmenée. II ne la quittera plus, & viendra eniuite faire fon rapport de ee qu'elle lui aura découvert. Philippe II. Comment a - t - elle pu favoir fi promptement le fort de Don Carlos ? Cela me trouhle & m'inquiete. J'avois tant recommandé qu'on lui cachat jufqu'aux moindres apparences. ( IL continue £ écrire. ) Granvelle. Sire , malgré tous nos foins , la mort de Don Carlos eft un bruit public ; on ne pent  2i8 PHILIPPE ït; la taire plus long. tems. 11 feroit néceflaire d'en inflruire vous - même les puilïances étrangeres, afin qu'elles ne prennent pas des idees trop défavantageufes. Philippe II. C'eft a quoi je m'occupe : j'écris au pape. II faut empêcher tous les difcours que 1'on pourroit tenir a Rome. Cefe cour eft fujette a vouloir pénétrer les adtions les plus fecretes des rois ; mais il me fera facile de lui donner le cliange ,5c de répandre des ténehte1-'. . . Cardinal, vous avez eu des dépêches de Ftandre ? (philippe plie fa lettre cv y appofe fon cachet.) Granvelle. Sire, ce pays (e livre a des excès fans extmple. I es E ats ont drtfle un acte par lequel ils fe d ; m Grenade , dans le Mexique 8c au Pé« » rou , pourront facilement attiibuer au ca» raftere de ce prince les calamités dont les » peuples des Pays-Bas font 8c ont été » accablés. II me reproche d'avoir favorifé » les proteftans. Je réponds qu'avant d'avoir » embrafté Ia religion réformée, je n'avois » aucun fenfiment de haine contre ceux qui » Ia profeffoient , 8c ceia ne doit point fur» prendre, fi 1'on confidere que j'avois été » rempli de bonne heure de principes reli» gieux. Men pere avoit établi la réforme » dans fes domaines ;il 1'avoit toujours pro» feffée, Sc il eft mort dans cette croyance.  ROI &'E S P A G N E. ui » J'avouerai même que , lorfque j'étois a la » cour de 1'empereur , oü j'avois été élevé » dans la religion romaine, j'avois en hor» reur les cruautés qu'exer^oient les Inqui» fiteurs. J'avoue auffi que le roi d'Elpa» gne, partant pour la Zélande , me com» manda de faire périr plufieurs perfonnes, » paree qu'elles fuivoient la religion réfor» mée. J'ai refufé formellement d'obéir. Je » fis même avertir les profcrits du danger » auquel ils étoient expofés. Apiès les preu» ves que j'ai données du peu de crainte » que m'infpire le pouvoir de Philippe , » c'eft un moyen bien puéiile qu'il emploie » que cette profcription. Quelle eft la naMon » en Europe , quel eft le prince , excepté » le roi d'Efpagne, qui ne regarde comme » barbare Sc déshonorant d'autorilér Sc d'en» courager publiquement le meurtre Si 1'af» fafllnat ? Mais tous les feminiens d'hon» neur Sc d'huminité font étrangers a Phi» lippe II ; ce roi, ayant recours a un af» (affin pour fe défaire d'un ennerni qui ne » lui cache ni fa haine ni fön méptis, avo-^e  214 PHILIPPE It; » a la face de 1'univers , que s'il en agif. » ainfi , c'eft qu'il n'a pas 1'efpérance de me » réduire par la force des armes.. . » Philippe II. Comment.. . comment. .. en propres termes ! Et tout cela eft répandu publiquement ! C'eft im prime l Granvelle. Imprimé , répandu, Sire. Philippe II. N'y auroit-il pas des movens pour anéan-: tir a jamais cette dangereufe, cette fatale ïmprimerie ? . .. Déteftable invention! Granvelle. Cela eft impoffible aujourd'hui , Sire, abfolument impoffible. Philippe II. Ah , que me faut il endurer ! Eft-il poffible!Quoi,il ne fe trouvera pas un feul homme qui me venge ! Granvelle. Beaucoup ont promis & font difpofés. .; Peut-être en ce moment même Guillaume &nt-il le poignard s'enfoncer dans fon cceur. Philippe  ROI D' ESP AG NE. Philippe II. Si ce coup tardif eut été fait plus tot, Ia religion Sc moi y aurions beaucoup gagné. Granvelle. Les médecins fortent de 1'appartement de la reine, Sc viennent vous rendre compte. SCÈNE XLVIII. PHILIPPEII, GRANVELLE, DES M E D E C I N S. PhiLippe II, allant au - devant a"euxl Comment va la reine ? Un Médecin. Mal, trés-mal, Sire. Autre Médecin. Nous fommes dans la trifte nécefiité de prévenir votre majefté que , vu les progrès fubits de la maladie , nous ne pouvons ré-5 pondre de rien. Philippe II. Vous me défolez... Quoi, déja fans efpé* rance ? P  i$4 PHILIPPE 11; Un autre Médecin. i Sire, ce font la duchefie d Albe tk Is princefie d'Eboly qui adminiftrent a Ia reine tout ce que nous ordonnom. Elles peuvent rendre témo:gnage que nous n'avons rien prefcrit que d'une efficacité reconnue, Cependant le danger augmente, 6f nous tremblons que d'un moment a 1'autrc.. .. Philippe II. Rétournez vite prés d'elle , employez toutes les reffources de votre art. Dieu , fauvez-la ! . .. Quel coup pour moi, fi je la pevds! (Les médecins forum.} (d Granvelle.) L'outrage de eet audacieux prince d'Orange me trouble 1'efprit , au point que je ne fais plus ou j'en fuis. Je ne me poflede plus, Granvelle. Sire , de vils ennemis vous chagrinent "9 mais 1'églife vous défendra contre eux. Une nouvelle bulle, publiée par le pape , va vous ene préfentée avec le plus grand appareil , öc vous dédommagera de tous les farcafmes des hérétiques. La légafion attend le 0193 ment d'audience.  ROID'ESFJGNE. a»£ Philippe II. Voici notre confefTeur... Laiffez - moi feul avec lui , 6r ne faites introduire le nonce qu'après qu'il fe fera retiré. Je fuis bien impatient d'apprendre ce qu'il a a me dire. ( Granvelle fort. ) SCÈNE XLXIX. PHILIPPE 11 , L E PERE ***",' Philippe II. Eh bien, mon pere, avez - vous recu la oonfeflion de la reine ? L e Pere ***. Hélas ! oui, Sire, Philippe II. Vous avez fait ferment de ne me rien cacher , de me révéler tout ce qu'elle a pu vous dire. La religion permet ce'te efpece d'infraction dans certaines circonftances.C eft rintérêt de 1'état , celui de l'églife mime,, ï> ij  128 PHILIPPE II; L e Pere ***. Sire, vous répéter fa confeffion c'eft faire fon éloge. Depuis trente années que je tiens le tribunal de la pénitence , je n'ai pas encore trouvé une confcience fi pure, une ame auffi noble, auffi remplie de candeur & de piété. Déchirée par la violence de fon mal , elle avoit la force de fe contraindre; elle poufToit des cris, mais ne fe plaignoït pas. Entiérement difpofée a la mort, la defirant même , ayant une confiance parfaite en Dieu, je ne favois que lui dire, car elle étoit réfignée d'avance. Elle m'a fait 1'aveu général de fes fautes, avec une franchife mêlée d'un repentir fi fincere , que j'étois étonné de la voir touchée a ce point pour de légeres fautes, trop communes & trop petites pour être rapportées. Philippe II. ÏJtes-vous certain qu'elle vous ait tout dit ? ... L'avez-vous bien éprouvée, comme je vous en avois prévenu ? L e Pere ***. Ce n'eft pas a fon dernier moment que  RO I D'ES PA G N E. *20 le pécheur nous abufe ; fon intérêt eft audeflus de toutes les opinions mondalnes. II ne perd plus rien a tout dire ; & pour taire un feul mot, il rifque 1'éternité. Philippe II. Je penfe qu'on peut encore fort bien diffimuler jufques la. Mais, vous ne lui avez donc point fait avouer la haine /ecrette qu'elle me portoit, & dont je fuis afluré ? Voila cependant un crime capital. L e Pere ***. La reine m'a protefté n'avoir jamais confervé d'inimitié réelle envers votre majefté. Elle m'a avoué feulement qu'elle n'avoit jamais pu vous aimer, quelque effort qu'elle alt voulu fe faire •, & ne pouvoir pas aimer fon mari, fuivant les cafuiftes , n'eft point un pêché volontaire. Philippe II. Non , mais nourrir une paflïon inceftueufe. Eft-ce qu'elle auroit nré tout ce que je vous ai révélé au fujet de Don Cai los ? L e Pere ***. Son amour pour le prince votre fils a P iij  i'jd PHILIPPE il; pris naiflance dans un tems oü il étoit légitime, puïfqu'il devoit être fon époux, ck contre fon gré elle a été forcée de vous donner fa maim Elle a fait tout ce qui eft au pouvoir d'une foible mortelle , fe comfoattre foi-même. Et fa vie , depuis 1'inftani qu'elle eft devenue votre époufe, eft un ftijet de louange, ck non de reproche. Philippe II, viytmcnt. Mais elle s'entendoit avec Don Carlos. L e Pere Uniquement, Sire , pour vos intéréts corw«luns , pour le porter a fe vaincre. Philippe I ï. Elle étoit inftruite de fon départ. Ils conf, ptroient enfemble contre moi. L e Pere ***. Au contraire... Elle faifoit tous fes efforte pour vous réunir enfemble, ck rendre un *ils a fon pere. .. P h i l i p p \ I L Au moins defiroit - elle intérieurement ma mort, puifqu'elle étoit forcément unie a moi & qu'elle ne m'aimoit point. Lui avez-  ROI iy R SV A G N E. ftjf ■vous fait celle demande mot pour mot « comme je vous 1'avois expreffément re commandé ? L e Per* ***• Je lui ai tout repréfenté ; j'ai même infifté avec force , & j'ai reconnu par fes réponfes combien fa vertu étoit reftée intacte. Elle étoit encore plus attachée aux principes de la fa'me morale qu'elle n'étoit éloignée de vous. Et c'eft paree qu'elle ne pouvoit pas vous aimer , qu'elle fe trouvbit indifpenfablement obligce de réparer cette faute involontaire, en employant fa vie * remplir rigidement fes devoirs. Philippe II. Vous a-t-elle entrctenu de la nature de San mal ? L e Pere ***. Aucunement; mais il m'a paru d'une vio- lence extreme , cx ton accrouiemem picnpité m'a bouleverfé moi - même. A chaque inftant je voyois la mort qui s'avancoit , Et je ne l'ai quittée que lorfque dans le dernier accès elle a perdu totalement la parole. P iv  «33 PHILIPPE II, Philippe II, d demi - voix. Elle ne vous auroit point fait entendre qu'elle ne croyoit pas fa mort naturelle ? L e Pere *** , troublê. Elle ne m'a rien dit de femblable. Eh ! qui oferoit imaginer un tel attentat ? Qui pourroit être auffi barbare ? Quel qu'il fut, Ia vengeance célefte 1'atteindroit, & ne permettroit pas qu'un pareil forfait demeurat impuni. Philippe II. C'en eft aflez , retirez - vous.. .. Non , revenez, écoutez. Je vous ai promis une ré-, compenfe , vous pouvez la demander. Que defirez-voHs ? L e Pere ***. De retourner dans mon couvent , d'y vivre déformais en vrai folitaire , & de ne plus être de ma vie mandé a la eour. Philippe II. Maïs vous avez cependant jufqu'ici témoigné une ardeur aflez vive de parvenir. Pe froc ne vous plaifoit pas , je penfe ?  ROI D'E S PA G N E. 233 L e Pere ***. Toutes mes idees ambitieufes viennent de s'effacer devant les traits défigurés de cette jeune reine. .. Oui, c'étoit un modele de vertu , un ange digne du bonheur éternel. L'afpect d'une mort auffi terrible m'a ter- raffé. Je la vois , je 1'entends encore Ses yeux renverfés, fa bouche fouffrante, fon dernier cri.... Ah , Sire ! Philippe II, fi promznant <£un air agité & faifant fignt dc la main. Allez , allez; c'eft affez. Laiffez-moi. SCÈNE L. PHILIPPE 11, feul. Tout m'accable & femble confpirer a troubler mon repos. Plus j'avance, plus je fuis enproie aux tourmens. Cette femme étoit la plus douce que j'euffe encore connue. Elle fait que je la fais périr, & garde le jilence fans chercher a fe venger! Elle m'é-  a'34 PHILIPPE 11; pargne aux yeux d'autrui, moi qui ai caufé le défefpoir de fa vie ! Elle meurt , en efpérant une autre vie plus heureufe. C'eft ainfi que mon rils a terminé fes jours. Tous ceux dont je me défais t paifibles a leur dernier moment, femblent m'ajourner devant ï'Eternel. Que deviendrai-je ! Affreufe incerïitude ,qui vient trop fouvent m'affailiir! Je me fuis dit quelquefois: Rapportons tout a Tiotre exiftence ; car la lumiere une fois éreinfe, le refte eft fort douteux. Mais je fens au-dedans de moi - même que je ne faurois m'endormir avec fécurité. La voix de ma femme, ceile de mon fils me parient toujours malgré moi. Ils expirem.... Et qu'ai-je gagné a leur mort ? Ah ! pourquoï ces idéés défolantes font-elles préfentes a mon efprit ! J'ai toujours remarqué que la fatisfaétion de la vengeance étoit rapide comme le coup de hache... Dois-je céder au fantóme épouvantable qui me pourfuit? Mon ïmagination en eft troublée. Incertain , défefpéré... Mon fils! mon époufe IDieu vengeur ! ( // appercoit Ruy-Gomt{. ) Ruy-Go-  RÖÏ D'ÈSPAGNE, 4 af mcz, Ruy-Gomez, pourquoi me laiffez-vous £eul ? Toutes fortes de penfées finiftres... des frayeurs incormues.... Imaginez - vous quel eft mon état. Je crois avoir des remords, SCÈNE LI PHILIPPE II, RUY-GOMEZ RUY-GüMEZ. SlRlEZ - vous indifpofé , Sire ? Philippe II» Je ne fais. .. Mais vous , tant de morts précipitées ne vous frappent - elles pas ? R ü y - G o m e TL. O mon roi 1 6 mon maitre ! fouffrez que je vous rende a vous-même< Revenez a vos principes fondamentaux & qui doivent être: mébranlables. Attendez feulement a demain , & ces momens de foibleffe feront évanouis, INon, il ne faut point démentir ce cara&ere élevé , ferme, inflexible , & que vous avez' mervellleufement fouten» jüfqa'ici. H "''efl  &36 PHILIPPE 11; plus tems de reculer ; Ia moindre marqué de foibleffe ou de repentir vous dévoileroit & vous aviliroit aux yeux de tout 1'univers. Ne fongez qu'a vous diftraire. Si quelque rebelle exifle encore, il difparoitra demain. N'avez - vous pas autour de vous les mêmes refpects ,les mêmes hommages ? Avez vous perdu un de vos ferviteurs fideles ? L'Efpagne, 1'Italie, ont les yeux attachés fur le deftruéteur des hérétiques. Le fouverein pontife vous envoie en ce moment des marqués authentiques de la prédileétion la plus diftinguée. Le nonce & les cardinaux n'attendent que le moment de vous remettre cette marqué de gratitude du S. Pere. Je vais les introduire. Jouiffez de vos viétoires; tout ce qui efl: ombre au tableau, s'effacera. Je vais tout difpofer afin que vous foyez bientot rendu a vos plaifirs fecrets. Le paffé va s'anéantir dans un profond oubli , & vous avancerez dans un avenir toujours plus varié , toujours plus heureux. Philipppe II, toujours fombre & ag'uL Faites les entrer. Oui, dans ce moment;  'ROI Dy ESP AG NE. 2:7 cï cela fera un bon effet, & pourra me diftraire. Mais revenez auffi-tot ; j'ai befoin de vous. [ Ruy - Gomei fort. ] ( d part. ) Cet homme m'eft néceffaire. . . II n'y a qu'avec lui que je me trouve moins mal. Quand je refte feul, je me fuis a charge a moi - même. Sans cefle il faut me contraindre. Si je ne jouis pas de cette paix, de ce bonheur pour lequel je facrifie tout , qu'il n'y ait au moins que moi feul qui le fache. Ne mettons pas fur - tout nos ennemis dans Ie cas de fe réjouir de nos pein es. Bravons les remords en apparence jufqu'au dernier foupir.  SCÈNE DERNIERE, La grande pont du fond s'ouvrt entiérement] On voit entrer le légat conduit 'par Granvdle , Spinola, Ruy - Gomei , quanlitc le cardinaux , évêquts , prêtres , moine-ï , &c. & plufieurs ftignturs avec la fuite dit Roi. PHILIPPE II , LE LÉGAT. L E L £ <£ A T , portam la bulle e& cérémonie. G&AND St illullre roï trés - catholique j vous le plus puiflant prince de la terre, Ie plus pieux , le plus religieux de tous les mortels , recevez du trés - faint Pere les. marqués diftinguées d'affe&ion dont il récompenfe votre zele pour la foi. Cette nouvelle bulle vous déclare aux yeux de toute la chrétienté le vicahe du faint - fiege , le protecteur né de 1'églife catholique, apoftolique  ROI Z>' E S P A G N E. 139 ck romaine. Réjouiffez - vous au milieu des trlbulations qui vous environnent; car elles ne font rien auprès de Ia gloire dont vous vous couvrez aux yeux des fideles. Pourfuivez avec Ia même ardeur ; ck bientót , avec le fecours de nos prieres ck de nos interceflïons, on veria la Hollande rentrer dans le bercail dont elle s'eft échappée. Non , 1'héréfie ne peut durer long - tems fous vos coups. Tout vous prédit ia gloire d'en avoir arraché jufqu'a la moindre racine ; ck quand vos yeux fe fermeront pour s'ouvrir a la béatitude éternelle, ils auront eu la confolation de voir la terre entiere foumife par 1'effort de vos armes a la foi catholique , dont vous vous êtes montré le plus intrépide défenfeur. Je vois d'avance toute 1'Aüemagne tk FAngleterre redevenues catholiques. II ne reftera plus a votre majefté un feul homme qui ne foit fous Ie joug de fégüfe romaine. Et cette prédiction eft auffi füre d'être accomplie , qu'il eft vrai que le pape eft infaillible. Sa fainteté enyoie au duc d'Albe une épée tk un  Ï40 PHILIPPE til chapeau. Un pareil honneurn'a été accordé jufqu'ici qu'a des princes iffus du fang des rois ; mais le S. Pere veut bien, par grace extraordinaire, récompenfer ainfi les merveilleufes actions d'un général fi précieux a la catholicité. Philippe II. Je recois avec la plus profonde recon* noifiance les titres glorieux dont le pere commun des fideles daigne m'honorer. Ils deviennent un foulagement aux chagrins dont je fuis pénétré. Rendez - lui mes folemnelles aftions de graces pour d'auffi grands bienfaits. ( // donne La Lettre. ) Tenez , voici une lettre pour le S. Pere ; elle regarde Ia trifte caufe de mon fils. L e Nonce. Sire, je n'ai ofé m'informer de fon fort. Jufqu'ici j'ai tout écouté dans un refpedueux filence , incertain s'il eft vrai qu'il ne foit plus. Philippe II. Hélas ! il nous a été ravi, de peur que la malice du fiecle ne changeat fon cceur, tk  ROI D'ES PJ G N E. 2,41 5c que Fadulation des cours ne féduifit fon efprit. (IIfi fait beaucoup de bruit du colt de la porte- de tappartement de la Rein:. Les medecins en fortent , accablés de trifttffe. La ducheffe dAlbe, la prihceffe d'Eboly & toute la fuite de la Reine fondent en larmes.) Mais ce n'eft pas encore la derniere épreuve que la volonté du Ciel me réfervoit. Voyez la confternation , les fanglots.. . Ah , Dieu ! Elifabeth n'eft plus!.. C'en eft donc fait. Dans un moment fi cruel commandons a la douleur , & ne fongeons qu'a prier pour elle. Venez tous ; c'eft le falut de fon ame qui doit nous occuper; les prieres de 1'églife obtiennent miféricorde. J'ordonne qu'on commence dès ce jour a dire des mefles pendant trois mois par tous mes royaumes , Sc je répandrai des aumönes abondantes fur chaque églife. ( II s'appuie fur le légat & fur le nonce, & dit en s'en allant:) Approchez, dignes prélats, foutenez - moi; venez, Granvelle, Spinola , RuyGomez, vous les appuis de mon tröne. Vous me voyez accablé de triftefTe ; mais fi avec Q  i4i PHILIPPE II. le fecours du Ciel je parviens a détruire jufqu'au dernier des hérétiques , ma confolation fera entiere , & je propagerai pendant tout mon regne la.foi catholique jufqu'aux extrêmités de la terre. FIN.     if4 PHILIPPE II, fervir, il fera (on chemin. C'eft lui en dire affez , je penfe. M ontalte, vivement. Votre majefté peut compter fur moi; je me livre entiérement & exclufivement a vous feul jufqu'a mon dernier foupir. J'en attefte, . . . Philippe II. Doucement ; relevez - vou*. Mon am«baffadeur a Rome faura vous faire connoïtre en tout tems mes intentions. Mais furr tout obfervez-vous, fi vous voulez m'étre utile & parvenir. Vous avez 1'air un peu trop vif, trop ouvert. II faut vous compofer un extérieur auftere, humilié , entiérement détaché des affaires de ce monde. Alors je pourrai faire quelque chofe de vous. Allez , nous verrons votre conduite. montalte, d'un air hypocrite. Sire , puiffé • je un jour me trouvcr dans un état qui me donne le pouvoir de fatisfaire avec paflïon Pardent defir que j'ai de fervir votre majefté ! ( fort. )  ROI D'ESPA G N E. 155 SCÈNE 'XXVJIL PHILIPPE II, feul. {II vifiu des papiers, & fe mei a. écrire. ) E N voila un dont 1'ambition eft bien conditionnée. II me faut des perfonnages de ce caractere-la ;üs font propres a tout. ( U écrit.) Avec quatre doigts de papier je me Sais obéir d'un bout du monde a I'autre : c'eft; aflez commode. SCÈNE XXIX. PHILIPPE II, RUY-GOMEZ. RUY-GOMEZ. S I H. E , j'ai tout découvert. Don Carlos a projeté de partir fecrétement pour les RaysBas. II a fait venir une fomme d'argent dg Séville , & peut - êrre dès cette nuit même voudra-t-il tenter de s'échapper.  If« PHILIPPE II, Philippe II. Etes-vous bien afturé de votre monde ? RUY-gomez. Comme de moi-même. II ne peut abfolumenf rien faire qu'on ne le prévienne, & je répönds fur ma tête de fes moindres démarches. Tous ceux a qui il s'eft confié me font vendus. Philippe II. Et 1'on prend garde fur-tout qu'il ne s'appercoive qu'on veille fur lui ? R u Y - g o M e z. C'eft la oü j'ai mis ma plus grande atrention. Mais il me paroit réfolu a fe défendre fi 1'on vouloit 1'arrêter. Philippe II. L'infenfé ! il ne voit pas les forces qui 1'environnent; mais i! nc faudra qu'un mot pour le défarmer. Je ne veux cependant pas attendre plus long- tem-. C'eft une inquiétude dont je dois me déüvrer. Faites tout dilpofer afin que je puifte moi-même cette nuit m'aiïurer i'ans danger de fa perfonne. Vous pofterez aiitant de monde qu'il en faudra.