VUES D' U N SOLITAIRE PATRIOT E.     VUES D3 U N SOLITAIRE PATRIOTE, TOME PREMIER. A LA HAYEj Et fe trouve a Paris^ Chez CLOUSIER, Impr.-Libraire, rue de Sorbonne. M. DCC. LXXXIV.   AFERTISSEMENT. JLe s doutes quï s'élèvent depuis long-tems parmi les Nations Cathol iques , fur 1'ufage des Biens de 1'Eglife, partagent aujourd'hui plus que jamais les opinions; elles agitent les efprits; elles méritent donc 1a plus grande attention de la part de ceux qui gouvernent ces Nations, ïl s'agit de favoir s'il ne feroit pas plus utile, politiquement, de détruire les Ordres Religieux, que de les conferverj & même , s'il ne feroit pas plus avantageux k la multitude A 3  vj AVERTISSEMENT. des Citoyens, de faire rentrer dans le Commerce de la Société civile, la Dotation de 1'Eglife. Pour traiter a fond ces queftions importantes, il faudroit fans doute entrer dans tous les détails que préfentent a 1'efprit les difFérens rapports politiques, fous lefquels on peut confidérer leur objet. Ces détails feroient infinis. Mais c'ell aux hommes fenfés que j'adrefTe mes obfervations : Sc faut-il tout dire a 1'homme de bon fens, pour lui faire tout entendre ? Je me renfermerai donc dans Pefquilfe de mon tableauj cette efquilTe portera dans fes traits ce caraélère de vérité, que 1'on  AVERTISSEMENT. vij doit attendre d'une main patriotique Sc dirigée par 1'impartialité. En un mot, je ferai vrai Sc précis, Sc ne me difllmulerai pas les objecfcions. Je parlerai d'abord de 1'utilité politique des Dotations Eccléfialliques, Sc 1'on verra fi elles font plus ou moins avantageufes aux Citoyens de toutes les Claiïes, que les Propriétés Laïques. Ce que je dirai enfuite des Monaftères diftribués de proche en proche fur la furface du •Royaume, fera connoitre fi, de tous les Propriétaires ruraux, ils font les plus utiles au fol A 4  viij A VER TISSEMENT. national &c les plus favorables aux Habitans des campagnes, dont la population n'eft pas a comparer a celle des Citoyens renfermés dans les Villes. Je comparerai les petites Communautés aux grandes, 8c ferai fentir les conféquences politiques de la deftrucfcion des petits Monaftères : 1'on verra d'un coup-d'ceil comment, par un moyen très-fimple, on peut les rappeller a la décence Religieufe. Ces petites Communautés, qui divifent utilement la maffe des Biens de 1'Eglife, me conduiront a donner 1'idéede la divilion des grandes Propriétés Laïques.  AVERT1SSEMENT. ix Je parlerai du Luxe , 6c Ie repréTenterai fous 1'afpecl: ie plus favorable a la divifion des Richeffes, fous fes rapports avec les Arts «Sc la civilifatiön; 6c enfuite je rendrai fenfible fes inconvéniens, 6c ferai voir que, bien loin d'opérer la divifion des Richeffes 6c des grandes Propriétés, il donne lieu, au contraire, a ces fortunes exceffives, qui concentrent en pen de mains les Richeffes nationales, 6c préparent la mine de 1'Empire, Le moyen politique que j'indiquerai pour opérer la divifion ■ des grandes Propriétés Laiques, fera auiU fimple que facile a A j  x AVERTISSEMENT. pratiquer, fans toucher aux Propriétés des Citoyens. J'en ferai fentir la vérité par un exemple, oü 1'on voit une grande Propriété divifée , qui forme une Peuplade, compofée de Propriétaires aifés, &c a 1'abri de toutes fervitudes. Cet exemple préfente 1'idée d'un impöt unique , de la juftice gratuite, de la converfion des dixmes des Curés en Propriétés foncières & rurales : il fait entrevoir avec quelle faciliré 1'on peut entretenir dans le Royaume un Corps de Soldats Vétérans, fans d'autres follicitudes pour le Gouvernement, que de les raffembler au befoin,  JVERTISSEMENT. xj Sc d'en former, au premier fignal, différens Corps deTroupes confidérables Sc exercés a la fatigue. C'ert d'après les principes de la divifion des grandes Propriétés , que le Gouvernement a donné aux Monaftères des Abbés Commendataires. II en efl réfulté fans doute un bien politique. Mais les avantages de la Commende ne feroientils pas mieux fentis, fi les partages n'étoient elfentieilement vicieux ; s'ils n'entretenoient une guerre perpétuelle entre les Abbés Commendataires Sc les Religieux; fi les Families desTitulaires n'éprou voient des A 6  xij JVERTISSEMENT. difficultés ruineufes, pour recueillir leurs fucceffions; fi les Laboureurs n'étoient pas dérangés dans le cours de leurs baux , & 11 la Jurifdiction intérieure des Monaftères n'étoit pas renverfée par les Supérieurs amovibles, que les Commendes ont fait fubftituer aux Supérieurs perpétuels, aux Abbés Réguliers ? Pour remédier a ces inconvéniens, je donne le plan raifonné d'un partage invariable & perpétuel, qui, malgré la variété des Biens ruraux & la révolution du prix des denrées, diftribuera dans tous les tems aux Abbés Commenda-  AVERTISSEMENT. xiij taires &c aux Religieux, leur part canonique; & cette diftribution fe fera avec tant d'équité, que 1'un ne pourra jamais reprocher a 1'autre la plus légere inégalité dans les parts. Ce Traité dégagera les Abbés Sc leurs Héritiers de toutes follicitudes j il affurera aux Laboureurs la j ouiiïance entière de leurs baux, Sc les bénéfices feront réparés avec la plus grande exaclitude. Ce Traité fera fuivi de quelques obfervations utiles fur 1'aménagement des bois de réferves, Sc fur les moyens de concilier les Capitaineries avec 1'intérêt des Propriétaires des bois. Par une conféquence de ce  xiv AVERTISSEMENT. partage perpétuel, je traicerai la queftion de favoir, fi, pour opérerplusconftammentlebien dans les Monaftères, Sc procurer par-la plus d'avantages économiques aux Abbés Commendataires, il ne feroit pas a propos de rendre inamovibles les Supérieurs clauftraux , Sc même de leur reftituer leur ancien titre d'Abbé, dont la Commende les a dépouillés. II ne fufBt pas de rendre aux Monaftères la paix avec leurs Abbés Commendataires, il eft encore effentiel qu'ils aient le moinspoflibledes conteftations avec leurs voifins. Je donnerai donc une nouvelle méthode  AVERTISSEMENT. xv pour 1'arrangement des Archives: elle préviendra ces Procés qui ne viennent que de la confufion des titres, de la difficulté de les confulter: cette méthode rend les Archives imperturbables, les met a la portée des gens les plus bornés &c les plus diftraits; elle donne la facilité de lire les titres & de les copier, fans les déranger de leur place j &c les Archives auront la forme d'une belle Bibliothèque. AfTurés d'être en paix avec leurs Abbés Commendataires, avec les Propriétaires riverains de leurs Territoires, les Monaf tères auroient encore a défirer de ne jamais contracler aucunes  xvj AVERTISSEMENT. dertes qui puffent exciter contr'eux les clameurs desLaïques. C'eft pourquoi, après avoir difcuté les différens moyens employés j ufqu'ici p ou r la liquidation de leurs dettes, je ferai voir comment, a eet égard, les Ordres Religieux peuvent fe fuffire a eux-mêmes; comment ils peuvent fe prêter mutuellementj comment le Monaftère qui prêtera pourra s'enrichir enprêtantj comment celui qui empruntera trouvera dans fon emprunt même une fource d'aifances. Ce Traité de liquidation fera fuivi d'un Traité des épargnes que peuvent, 6c que doivenc  AVERTISSEMENT. xvij faire les Maifons Religieufes. J'obferverai que ces épargnes, circulant continuellement dans les Monaftères, ils auront des fonds toujours renaiflans, pour acquitter leurs dettes, pour fe reconftruire ,, pour améliorer leurs biens, pour défricher les terre incultes, pour former de nouvelles cabanes de Payfans, & pour fe prêter enfin aux defirs publics. Je donnerai en conféquence 1'idée d'une nouvelle forme de Collége, d'après laquelle les Monaftères pourront fe prêter a 1'inftitution de la jeuneife, fans s'éloigner de 1'efprit de leur Inftitut, dont Fobjet eft la Prière publique.  xviij AVERTISSEMENT. Je finirai par quelques réflexions fur 1'utilité morale &c politique des Religieux non rentés, par rapport a la Religion dominante.  VUES D' U N S OLITAIRE PATRIOTE. CHAPITRE PREMIER. Les Dotations Ecckfiaftiqucs fontelles utiles politiquement ? C^u'il exifte dans le Royaume unc Propriétc nationale, qui foit inaliénable 5 que fous les ftoms des Béniflciers, les revenus de cette Propriété circulent avec harmonie  io Des Dotations dans tous les Ordres des Citoyens; que felon les vues fages du Gouvernement , ces revenus paflent, tantöt dans les mains de 1'Eccléfiaftique vertueux , qui les difïribue genéreufement aux pauvres, tantot dans celles d'un Grand, qui, par fa naiffance & fon rang, doit tenir un état diftingué ; que ces revenus enfin, foient employés a récompenfer le zèle des Citoyens utiles a la Patric, & qu'ils fervent même quelquefois a éteindre dans la main du factieux le flambeau de la difcorde : N'eft-ce pas pour le Souverain, le moyen infaillible de remplir les vues les plus fages, les vues dc la plus profondc politique ï Parmi les Nobles, & parmi ceux qui les fuivent imédiatement dans 1'ordre focial, il n'eft pas une Familie qui ne renferme dans fon  ECCLÉSIASTIQUES. II fcin au moins un Eccléfiaftique. II n'en eft donc pas une qui n'ait fon prête-nom, pour obtenir du Souverain la faculté de puifer dans le Tréfor de 1'Eglife ;il n'eneft donc pas une que le Prince ne puilTe rendre fon obligée; qui accipit fervus eji dantis. Ainfi, les changemens continuels que la mort opère parmi les Bénéficiers, remettent a tout inftant entre les mains du Monarque dc nouveaux moyens de faire du bien a ceux qui font robjet de fa bienfaifance; & pour fe procurer des relfources 3 il n'imite pas le defpote, qui, pour s'emparer de la fortune des Riches, leur prête des crimes imagi naires, confifque leurs Hens, &c fouvent leur öte la vie.  2i Des Dotations CHAPITRE II. Grandes Propriétés divifées par les Dotations Eccléfiafiiques. De vingt millions d'Habitans, il y en a peut-être deux millions qui partagent leTerritoireimmenfe de la France. Le Clergé, la Nobleflè, la Robe 6c la Finance forment cette Claffe fortunée, dont les individus ne fe livrent jamais perfonnellement, ni a 1'Agriculture, ni aux Arts, ni au Commerce: ils jouiflent agréablement des meilleurcs Sc des plus belles productions du fol national; & 1'argent du Royaume paffe & repalfe fans ceife dans leurs mains. II y a donc dix-huit millions dc  ECCLÉ SIASTIQUE S. 23 Francois, qui portent le poids du jour, fans être sürs de leur fubfiftancc, quin'ont qu'une fubfiftance précaire 8c dépendante de tous les évènemens politiques qui peuvent troubler le cours du numéraire. Lorfque vers le XIIe fiècle, les Grands Valfaux de la Couronnc firent le facrifice de leurs Patrimoines pour former le vafte champ de 1'Eglife, ils foulagèrent par-la cette Claffe nombreufe & fouffrantc des Citoyens: car leurs grandes Propriétés qu'ils divifoient en mille Dotations, devenoient, paria piété desTitulaires, les revenus des malheureux. Ces Dotations, indépendamment du moral qui les rendoit intctcffantcs, opéroient la révolution politique la plus avantagcufc a 1'Etat: ellcs faifoient difparoitre les Grands Vafiaux qui mettoient  24 Des Dotations' continuellcment la France cn combuftion; clles divifoient les grandes Terres, & donnoient au Royaumc cent Propriétaires pour un feul. La Religion fit donc pour la Nation ce que la Politique n'eüt ofé entreprendre. CHAPITRE  ECCLÉSIASTIQUES. if CHAPITRE III. La Noblejfe sJeJl-elle approprié les Revenus de 1'Eglife ? Origine des Commendes. Tandis que les Dotations Eccléuaftiques rendoient la vie 8c la liberté au Pcuple, 8c changeoien'c fes javelots en inftrumens d'Agriculture, elles privoient les Gentilshommes desTerres que leur diftribuoient les Grands Vaffaux, pour leurs Services Militaircs. Mais fi ces Guerriers furent obligés de renoncer pour toujou rs a 1'ef pérance de participer a ces grandes Propriétés, ils ne renoncèrcnt pas a 1'avantage d'en partagcr les revenus. Les mêmes ferviccs quils Tome I. £  i6 Des Dotations rcndoient aux Grands Vaffaux , pour la défenfc de leurs Donjons, ils les rendoient auxReligieux pour conferver leurs Monaftères, pour les mettre a 1'abri des flammes & de la dcvaftation, aüxquelles les Guerres civiles les expofoient continuellement. Les Religieux ne pouvoient accorder a ces Guerriers une partie du Territoire inaliénable , qu'ils tenoient de la piété des Fondateurs; ils facrifioient donc a leur süreté une partie de leurs revenus. Voila 1'origine des Coramendes.  ecclésiastiques. IJ CHAPITRE IV. Pourquoi les Revenus de 1'Eglife fe concentrent - ils dans les mains des Riches? même fort des Propriétés Laïques. 1VIalgré les heureux réfultats de ces pieufesDotations, Thommc fenfible verra toujours avec peine, que ces Bicns accordés a 1'Eglife, en faveur des pauvrcs, foicnt redevenus le Patrimonie des Riches. On prête au Clergé de Franco au moins trois cents millions de revenus. Plus des deux tiers paflent dans les mains des Nobles; le refte cft pour la Claffe intermédiaire des Citoyens; & le pauvre, 1'humble pauvre, fe contente des miettes B 2,  t8 Des Dotations qui tombent de la table de ceux qui vivent abondammcnt de fon Patrimoine. Mais telle eft la condition de toutcs les grandes Nations de 1'Europe. Leur fyftême politique exigeant qu'elles aient en tout tems des Troupes prêtes a marcher, foit pour attaquer , foit pour fe défendrc, ellcs font obligécs de fe ménager une Claffe de Citoyens, uniquement deftinés a la Profeffion des Armes. Ces Gucrricrs de nairTancc apprennent dès le berceau , que 1'Epée eft leur unique reftource; que leur fortune dépend de la Gloirc, &: que pour parvenir a la Gloire, il faut être courageux Sc invincible. Ces préjugés , quils fucent avec le lait, les enflamment, les élèvent au-deflus d'eux-mêmes, Sc les rendent intrépides pour la «défenfe de leur Patric,  ECCLÉSIASTIQUES. 1$ En effet, lc Gucrrier ne fauroit cnvifagcr le but de fa Profeftion, fans refpirer la Guerre. 11 fent que c'eft le feul moment oü il puifle, par fa valcur, fixer fur lui les regards de la Nation & les bienfaits du Souvcrain. Plus la Guerre devicnté pineufe, difficile & dangereufe pour 1'Etat, plus le Militaire efpère , s'anime & redouble fon courage; paree qu'il eft bien perfuadé que les honneurs & les richeffes feront mefurécs fur fes triomphes, & que fes triomphes feront apprécics en raifon des difficultés. Heureux dans fes exploits, lc Noblc n'a plus ricn a défircr : il enchame la fortune ; il peut compter fur leTréfor public. Ce qui ajoute encore a fes richeffes, c'eft 1'or que lui prodiguc le Financier, qui, pour s'étayer de B 3  30 Des Dotations fon crédit &: de fon nom., facrific tout pour fon alliance. Ce ne font pas feulement les hauts faits d'armes & leurs allianccs avec les riches Capitaliftes qui conduifent les Nobles a la fortune; 1'ordre clcs Grades Militaires fuffit pour porter dans leurs mains les licheffcs de 1'Etat. Par leurs vertus, par leurs lumières & leurs talens, ils parviennent a mériter la confiance du Souverain, & a partagep avec lui le poids du Gouvernejrient. Ces fervices politiques, bien plus lucratifs que les fervices militaires, leur aÜurcnt les plus grandes faveurs, & les richeffes fe précipitent dans leurs mains. II eft donc de la nature des chofes, que les Propriétés Laïques fe réuniffcnt & deviennent 1'apanagc d'uti petit nombre de Citoyens. Cependant, malgré ces reffour-  ECCLÉSIASTÏQUES. 31 ces, la Nobleffc a fon Pcuple de Nobles; elle a fes indigens. Le fèrvice qui corable les uns, ruine les autres , Sc les force a céder leur Patrimoine héréditaire a ces Guerriers heureux, qui les achètcntpour arrondir leurs vaftes Domaines. L'homme ne dévore plus l'homme, il a cefle d'être antropophage; mais pour être civilifé, en eft-il moins barbare, lorfque dans le fein de 1'abondance, il s'empare avidement des petits héritages qui touchent a fa Propriété? Que font les Gentilshommes dépouillés par leurs égaux de leur Patrimoine héréditaire ï lis fe rejettent fur celui de TEglife. Les Eénéfices font une cfpècc de rente viagère, que le Monarque conftitue aux Families Nobles, fur la tête des Gentilshommes qui embraffent 1'Etat EccléfiaÜique. B 4  3i Des Dotations Par-la, les trois quarts des Biens de 1'Eglife fubiflent le fort des . Biens Laïqucs, & fe concentrent dans la mêmc Clafle de Citoyens.  ECCLÉSIASTIQTJES. 33 CHAPITRE V. Les Biens Eccléfiaftiques font-ils flus utiles aux Citoyens que les Biens Laïques ? Si la Conftitution du Royaunae étoit telle que fes richeffes fe diftribuaffent fucceffivcment de Familie en Familie, fi bien quil n y en eüt pas une, mime la plus pauvre, qui ne fut affuréc par 1'ordre des chofes, de devenir riche a fon tour, la France feroit moins un Peuple qu'unc Société de frères: une telle Conftitution feroit, fansdoute, un chef-d'ceuvre de la fagcffe humaine. Laquelle des deux eftelle la plus rapprochée de cette heureufe répartitiondelafortunepubliquc,ouB 5  34 Des Dotations la Propriété Eccléfiaftiquc, ou la Propriété Laïque > c'eft aujourd:hui une queftion, fur laquelle les opinions font très-partagées. A la première infpection de la Propriété Laïque, fefprit fe fait 1'idée la plus avantageufe de fa mobilité. Mais pour peu qu'il réfléchiffe, il a bientöt reconnu que cette mobilité n eft qu'apparentc &C illufoire; il a bientöt obfervé que la Propriété Laïque eft héréditaire , qu'elle paffe des pères aux enfans, de ceux-ci a leurs defcendans, &r qu'elle refte pendant des fiècles dans les mêmes Families; il a bientöt fenti que les mutations xéclles qu'elle fubit, font paffcr la fortune nationale des mains d'un Propriétaire, dans celles d'un plus grand Propriétaire ; & que ces changemens, au lieu de favorifer la multitude des Citoyens, ont un  E C CL ÉSIASTIQUES. 3J cftet tout oppofé , celui de fufciter a 1'avare les occafions d'envahir toutes les Propriétés particulières. Tel eft le fort de la Propriété Laïque, d'être poffédée exclufivement par les Riches, & de s'éloignertoujours des Famillcspauvres, qui femblent vouées a une éternelle indigence. II n'en eft pas ainii de la Propriété Eccléfiauique. La fubftitution perpétuelle dont elle eftgrèvée cn faveur des pauvres, empêche les hommes cupides de 1'envahir, &: d'en former pour leurs defcendans des Propriétés hérédiraires: de forte que la jouiflance ces Biens de 1'Eglife n'étant que palTagèrc, leur répartition, qui fe répète a tous momens, eft infiniment plus mobile que celle de la Propriété Laïque. Elle fait, par conféquent, le B 6  $6 Des Dotations bonheur d'un plus grand nombre de Families. Dailleurs, les Biens de 1'Eglife ne paient-ils pas la taille par les mains de ceux qui les cultiventï ne paient ils pas les décimesparles xnains des Bénéficiers qui en partagent les revenus ? & a ces impofitions n'ajoutent-ils pas les dons gratuits pour les befoins preifans de 1'Etat ? enfin, les aumönes des Gens d'Eglife font-elles a comparer a celles des Laïques ? Croit-on de bonne-foi qu'un Laïque, qui polféderoit les Biens de 1'Archcvêché de Paris, voulüt imiter le Prélat vertueux qui les pofsède? croit-on qua fon exemple, ce Laïqueapppellat a fon audience une multitude d'infortunés, pour partager avec eux fes revenus ? Les Célcftins de cctte Ville diitribuoient tous les ans douze mille  ECCLÉSIASTIQUES. 37 livres aux pauvres de leur quartier j croit-on qu'un Laïque qui acheteroit les Biens de cette Maifon fut auffi généreux que ces Religieux ^ Qucl eft le Laïque, Propriétaire des Biens de la Maifon des Lazariftes, qui voulüt nourrir trois cents pauvres par femaine ? Le Supérieur de cette Maifonn'eft jamaisa table, qu'il n'ait deux pauvres a fes cótés. Par eet hommage qu'il rend a 1'humarrité, il montre h fes Difciples que tous les hommes font frères. Je demande quel eft le Laïque, en pofTeffion de leurs Biens, qui voulut en ufer ainfi avec fes Convives i Enfin, un revenu de cent cinquante mille livres, adminiftré par des Laïqucs, leur fufKroit-il, ainfi qu'il fuftit annuellemcnt aux Religieux de la Charité de Paris, pour quatre-vingt-dix perfonnes, taat  38 Des Dotations Maitres queDomeftiqucs, &pour 1'entretien de deux cents quinzc malades , qui, dans 1'Hopital de ces Religieux, font chacun dans un lit particulier. Nous afpirons a la Philofophie; mais nous ne ferons vraiment Philofophes, que lorfque, dégagés de nos préjugés puériles, nous croirons que fous toute efpèce de eoftume & d'habillcment, Thomme peut être bienfaifant & citoyen. En effet, qu'importelaforrne ou la couleur de fon manteau, pourvu que de fon ombre il protégé le pauvre.  ECCLÉS IASTIQUES. 3? CHAPITRE VI. Zes Propriétés Eccléfiafiiques mettent-elles les petites Propriétés Laïques a Vabri de Vinyafion des Riches? Les petites Propriétés font des démembremens des grandes. Les Seigneurs qui ont plus de terres qu'ils n'en peuvent cultiver, ont foin d'en aliéner les plus ftériles; & ces terres, avec lc tems, font mifes en bonne culture. Alors, par une pente naturelle qui ramène les petites Propriétés aux grandes, elles font tot ou tard réunies aux Domaines des Seigneurs qui s'en emparent, foit par la faifte féodale, foit par le rachat,  40 Des Dotations Nulle Propriété ne peut tenir contre le fyftêmc de réuniöh, contre le defir infatiable d'étendre fes polfeflions. Les Seigneuries, qui fe font fi bien arrondies aux dépens d'une infinité de petites Propriétés, fe voient a la fin elles-mêmes réunies a laTerre immenfe d un plus riche Propriétaire. C'eft ainfi que les ruifleaux fe jettent dans les neuves, & que les fleuves a leur tour fe perdent dans la mer. Lorfque les bois & les bruyères couvroicnt encore la France, bien loin d'empêcher les Monaftères d'étendre leurs pofleffions, les Grands du Royaume s'cmpreflbient a leur offrir gratuitemcnt plus de terres qu'ils n'en pouvoient défrichcr. Mais lorfqu'après plufieurs fiècles de travail ces terres furent enfin  ECCLÉSIASTIQUES. 41 mifes en bonne culture ; lorfque les Rcligieux eurent divifé la plus grande partie deleursTerritoires en petites Propriétés féodales, dont il réfulta une infinité de Villages, il étoit a craindre qu'a Texemple des autres grands.Propriétaircs, ils ne fuffent tentés de rentrer dans ces petits objets, pour en former des Corps de Fermes , au grand préjudice de la population. II étoit raifonnable de craindre eet événement; car il étoit de la nature des chofes que des Propriétaires, qui ne pouvoient jamais aliéner & qui pouvoient toujours acquérir, fe rendirfent Maïtres fucceflivement de tout ce qui étoit a leur convenance; & cette convenance pouvoit s'étendrc bien loin. Mais une Loi fort fage (1'Edit de 1749) a borné leur Propriété; elle les a empêchés d'acquérir.  4i Des Dotations De ceci, il réfulte que, li d'un cöté les R.eligieux ne peuvent augmenter leur fortune, de 1'autrc ils ne peuvent pas la perdre. Voila donc dans le Royaume des Propriétaires ftablcs, & dans kürs poffeffions, & dans leurs rélidences. Si, pour le bien de 1'humanité, les Monaftères font litués dans les campagnes, ils font, fans contredit, de tous les Propriétaires, les plus utilcs aux malheureux Colons; paree que les Religieux ne pouvant jamais les perdre de vue, ils font dans 1 hcureufenéceflité d'être fenliblcs a leur misère, &z de venir a leur fecours. Aufli eft-il avantageux pour les petits Propriétaires , que leurs poffeffions foient fituées dans les dépendances des Monaftères. Ils peuvent y pofféder fans troublc le  ECCLÉSIASTIQUES. 43 petit héritage qu'ils tiennent dc leurs pères. Quelque borné que foit 1'héritagc du Payfan, il 1'attache a fon pays, a fon Princc, &c le rend citoyen. Rien n'égale le chou qu'il tire de fon jardin, ou le lin qu'il y recueille pour 1'utilité de fa Familie; & avec quelle fatisfaction lc bon vieillard ne voit-il pas les arbres fruitiers qu'il a plantésdans fa jeune (fe, courber leurs branches pour faire les délices de fes petitsenfans.  44 Des Monastères. CHAPITRE VII. Obfervations fur la divifion des grandes Propriétés. Les Monaftères font-ils ut Hes fous ce rapport ? C^uoique les Dotations Eccléfiattiques aient rendu a la Nation le fervice important de divifer les Propriétés des Grands Vaffaux, il n'en faur pas conclure que toutes les grandes Propriétés font a charge a 1'Etat; car fouvent elles forment & foutiennent les Sociétés politiques. II a fallu dans lc monde de grands Empircs pour policer les petits Peuples, pour les contenir & les empêcher de s'entre-détruire.  Des Monastères. 45 II feut dans les grands Empires de très-grandes Villes, pour faire fleurir les Arts, les Sciences &c le Commerce. II faut dans les grandes Villes de riches Capitaliftes, pour faire exécuter ces chef-d'ceuvres en tous genres qu'cnfantent les hommes de génie. Rome, a eet égard, a plus fait que les autres Villes du monde; paree qu'elle a été la plus riche de toutes celles qui ont encore paru fur la terre. II faut enfin dans les campagnes de grands Propriétaires, pour ces opérations rurales, dont les frais excédent les facultés despetits Particuliers. Si la divifion des grandes Pror priétés étoit regardée comme nécelfaire, il feroit encore fagement vu de ménager, dans les campar gnes, un certain nombre de grands  46 Des Monastères. Propriétaires, Sc de les diftribuer, s'il étoit pofïible, d'unc manière combinée, fur toute la furface du Royaume. L'on verroit bientöt le champ de la France fe vivifier partout, &c ne former qu'un fuperbe jardin, dans lequel il ne reftcroit pas un pouce de terrc a défricher. Cette belle diftribution paroit fans doute chimérique. Mais n'at-elle pas commencé a s'effectuer par l'établiffement des Monaftères? Ces Propriétaires induftricux, diftribués dans les déferts, yfirent naïtre 1'aifance , Sc 1'aifance y fit peupler les campagnes. Mais ces mêmes richeffes, qui rendirent les Monaftères fi utiles au Royaume, ont malheureufcment introduit chcz eux le relachement Sc 1'indifcipline. L'abus eft une fuite fi ordinaire de 1'opulence!  Des Monaster.es. 47 En ötant aux Monaftères une partie de leurs richefles, les Commendes auroient du naturellement les rappeller a la vieparcimonieufe, a la modeftie de leur Etat. Mais bien loin de leur procurer ces avantages, elles les jettèrent dans le trouble Sc dans la confufion; elles touchèrent a leur Jurifdiction intéricurc; elles les privèrent de leurs Supérieurs naturels, les Abbés Réguliers , Sc leur causèrent par-la un mal moral, que jufqu'ici les plus beaux plans de réforme n'ont pu déraciner. Les C ommendes firent égalcment un mal politique, paree qu'cn agitant continuellement les co-partageans, elles nuifïrent a la culture, Sc par conféquent a la population. Ces Monaftères, Ci utiles autrefois, lorfqu'ils fe regardoient  4$ Des Monastères. comme les feuls Propriétaires dc leur chofe, fe font découragés, ont perdu eet efprit daélivité , qui les rendoit fiprécieux a 1'Etat. A 1'exemple dc leurs Abbés Commendataires, ils fe contentent d'affermer leurs biens, d'en jouir pailiblemcnt; & au lieu d'être des Chefs de Colonies, ils femblent n'être plus aujourd'hui, pour la plupart, que des confommatcurs. Mais ne les apprécicz pas trop légèrement; envifagez-ies fous leurs différens rapports pölitiques, vous verrez s'ils furchargent la terre; vous déciderez s'il eft plus utile politiquement dc les conferver que de les détruire. Interrogez le Payfan, il vous dira que les Monaftères le font vivre. Interrogez 1'homme de qualité, qui mange fon bien au Service, il vous  Des Monastères. 49 vous dira que ceux de fes enfans, qui s'cngageront dans 1'Etat Eccléfiaftique, partageront avec les Religieux le Territoire des Abbayes. Interrogez fur tout le Citoyen de la Clafle intermédiaire ; il vous dira que les Cloitres font la reffource & la confolation des Families nombreufes. Interrogez enfin rhomme qui réfléchit fur les fcèncs d'horreur qui ont défolé la France, qui de nos jours ont perdu la Pologne, & qui viennent d'expofer lAngleterre aux plus funeftcs révolutions. Cet homme fenfé vous dira que les Maifons Religicufes , en rappellant le Peuple a 1'unité du Cultc, rendent a 1'Etat lc fervice le plus important; celui d'unir les Peuples par le Hen commun d'une même Religion. Tome I, C  5 Ces Citoyens vertueux n'ont point été détruits; cependant, ils ont difparu: pourquoi J  Des Monastères. 53 Le malheur des tems, les befoim de 1'Etat, ont donné lieu a des hommes intclligens de faire de grandes fortunes. L'argcnt deviertt quclquefois incommode 5 il a fallu réalifer; ils ont acqnis de grandes Terres; &: pour s'arrondir ils n'ont pas négligé les petites Seigneuries qui fe trouvoient a leur convenancc. Voila ce qui a renvoyé dans les Villes, dans des Maifons bourgeoifes, une infinité de bons Gentilshommes , qui habitoient les campagnes, qui les fertilifoient, &c faifoient vivre les malheureux Payfans. De dix Seigneuries, ces nouveaux Seigneurs n'en ont fait qu'une; 8c pour leurs Chatcaux, ils ont conftruit, non dans les Villages, mais dans les fites les plus agréables dc leurs Terres, de fuperbes Maifons C 3  J4 Des Monastères. de plaifance, oü trop fouvent ils fe déplaifent, & ne réfident que rarement. Ils fedonneroientmêmc du ridicule, s'ils y féjournoient plus long tems. Les petites Seigneuries avoient beaucoup de petits objets cultivés de mains d hommes. La réunion de ces objets a donné lieu a de grands Corps de Ferme , &c les terres ont etc mi fes en grande culture. Mors il a fallu moins dc bras; mais il a fallu plus de chevaux; & ces animaux ont remplacé les cultivateurs. Que m'importe, a dit le grand Pro• pnetaire, qu'il y ait moins d'hommes occupés dans mes champs? lorfque mes Terres font bien tenues , lorfque je fuis payé exactement, lorfqu'enfin la Régie de mes Domaines fera plus fïmple & plus facile. La Nation peut y  Des Monastères. ƒ$ perdre, j'en conviens; mais moi, j'y gagne. Dans un grand Corps de Ferme, le Laboureur peut s'enrichir; &C s'il eft riche, il donne a fes enfans Téducation qu'on recoit dans les Villes; cette éducation, qui fait aujourd'hui tant d'agréables, tant de célibataires, &c qui fait prendre au fils du Laboureur du dégout pour 1'état de fon père. Voila des Bourgeois de plus; voila des bras de moins pour la terrc. Malhcureux Habitans des campagnes , tous les Propriétaires vous abandonnent; vous êtes au défcfpoir : vous ne favez plus qui vous ocenpera , qui vous fera vivre ! Suivez, fuivcz le Riche; attachezvous a fon char; entrez avec lui dans la Capitale. Au lieu d'arrofer de vos fueurs le champ que vous jendiez fertile, vous foulagerez C 4  j6 Des Monastères. vos bras, en les craployant pour fes plaifirs. Heureufe la Nation! fi chaque Village étoit ertcore habité par fon Seigneur! Nous ne verrions pas les pauvres Colons, ciéfertant les campagnes, vcnir prêter la main & leur induftrie au Luxe extravaguant des grandes Villes. Pour la confolation du Payfan, il refte encore dans les campagnes quelques grands Propriétaires; ce font les Monaftères. Les Religieux confomment leurs revenus fur les lieux; & par-la, ils rendent au fol ce qu'ils retirent du fol. Souvent pour un produit modique, ils font une dépenfe ccnfidérable; mais cc produit, quclque petit qu'il paroiffe, il fera grand en lui-même, s'il peut fuffire a la fubfiftance d'un Citoyen. Nourrir un homme de plus, c'eft donner a la Nation un Citoyen de plus.  Des Monastères. 57 Lorfque les Seigneurs vivoient dans leurs Domaines, ils avoient les mêmes avantages dont jouilfent les Monaftères. Par leurs dépenfcs rurales , ils augmenroicnt leur fortune ; ils faifoient vivre leurs Vaffaux & enrichiubicnt le fol national. Mais depuis que la révolution philofophique des mceurs a fait prendre aux Riches le chemin de la Ville, ils font venus dépenfer a Paris les revenus de leurs Terres. La , bien loin que les dépenfes tournent au profit des grands confommateurs, elles ne font qu'augmenter leur befötn ; &c le Luxe étend fi loin ces befoins, qu'a la fin il réduit a rien les plus brillanrcs fortunes. De la, la ruine de tant de Families diftinguées, de tant de riches Propriétaires, qui, après avoir C 5  j8 Des Monastères. contrifté leurs malheilreux Vaf^ faux, fe trouvent eux-mêmes réduits a Tétat d'infortune; &:pour comble de chagrin, ils voient palTer leurs belles Propriétés dans les mains des Gens-d Affaires, dans les mains des Créanciers avides qui fe difputent leurs dépouiilcs,  Des Monastères. 5-9 CHAPITRE IX. Senfibilité naturelle d Vhomme. Les Religieux ont-ils de la compaffionpour les malheureux que les calamités publiques font réfugier dans leurs Territoires ? 13 ans lc tourbillon du monde, dans le tumulte des affaires, les grands Propriétaires paroiffent peu occupés de la misère des Peuples. Sont-ils infeniibles ? Non. Leur éducation , la douceur de leurs mceurs, les portent nécefïairement a la pitié. Pour peu quils réfident dans leurs Terres, vous les voyez s'informer du pauvre j ils yifitent C 6  6o Des Monastères. fa cabane, &: chaque jour eft mar^ qué par quelques traits de bienfaifance. La compaflion eft un fentiment fi naturel, fi flatteur, Sc en mêmetems 11 impérieux, qu'il force rhomme, même le plus barbare, a vcnir au fecours de fon femblable, dès que par fes cris il eft averti de fa détreffe. Auffi voit-on, après Ie combat lc plus opiniatre , le Guerrier prêter la main a fon ennemi qui fait naufrage. Le crocodilemême, pour tromper le Voyageur, imite la voix d'un enfant; pourquoi ? C'eft que la Nature lui a appris que rhomme étoit compatiffant. Puifque dans 1'homme la pitié eft un fentiment irréfiftible, c'étort donc infailliblement amener les Religieux a la bienfaifance, que de les placer a cöté des indigens»  Des Monastères. Si Jamais peut-être cette vérité ne fut mieux fentie que dans ces fiècles, que nous appellons aujourd'hui les fièclcs d'ignorance; ces fiècles oü 1'on fonda tant de Monaftères. La France alors n'étoit qu'une forêt. Le Gouvernement féodal donnoit lieu a des Guerrcs continuellcs, ou générales, ou particulières; &c les malheureux Payfans, toujours victimes de 1'ambition des Grands, voyoient a tout moment leurs ViTIages expofés a devenir la proie des flammes. Les Religieux, que nous devons regarder ici comme des Chefs de Colonies, avoient défriché beaucoup de terres; mais ils n'étoicnt pas fuffifans pour mettre en va> leur les déferts immenfes dont on les avoit dotés : ils appellèrent a leur fecours les Payfans, dont ks  Des Monastères. Villagcs avoient été dévaftés par les Guerres. Ces malheurcux accoururenr en foule, Sc offrirent aux Religieux leurs bras, moyennant 1'afyle &c du pain. A 1'aide de ces Colons, les Religieux flrent des prodiges de culture. Des déferts, des marécages, des roches arides devinrent des terres a blé, des prairies, des vignobles; &c les repaires d'animaux malfaifans furent changés en habitations humaines; car il falloit a ces pauvres Colons des cabanes ; Sc a mefure que la terre rendoit, ces cabanes fe multiplioient. Bientöt on vit par-tout s'ékver, & pour ainfi dire fortir de deflbus terre, des toits ruftiques, & un Hameau fuccéder a, des bruyères ou a des landes ; Sc fi le climat 8c k fol fe prêtoicnt d'une ma-  Des Monastères. 6$ nière favorable aux travaux des nouveau* Colons, le Hameau groffifloit, il devenoit un Village, un Bourg, & mêmc quelquefois une Ville. De tels changemens, auffi rapides que prodigieux, étonneront toujours tout ceil obfervateur. II en réfulte une vérité fingulière & bien frappante : c'eft que les Religieux , quoique Célibataires, & Célibataires vertueux, furent infiniment plus utiles a la population que s'ils étoient reftés dans/la Société &: qu'il s'y fuflent ségénérés.  64 Des .Monastères. CHAPITRE X. Défefpoir des Payfans qui nont pas de travail. Trouvent-ils des fecours dans les Monaftères? ■i armi nous, rhomme qui n'a de Propriété que pour fe nourrir iix mois, a befoin de travailler fix autres mois s'il veut vivre toutc 1'année. Celui qui n'a aucune Propriété doit travailler davantage, il doit travailler tous les jours de fa vie. Car fi eet homme qui ne fubfifte que par fon travail, man que un jour d'être occupé, il eft un jour fans pain; & s'il fe repofe plufieurs jours, il eft plufieurs jours fans nour-  Des Monastères. 6$ titurc : alors la faim le pourfuit. Dans cette dttrefle, il n'a pour fubfifte r de moyen licite que celui de mendier. Des hommes d'une f rempe douce & foiblc prennent volonticrs ce parti: leur pente naturelle les por te a la fainéantife. Mais 1'homme fenfible & ner|eux, dont le moral répond ordinairement au phyfique; eet homme qui, fous PéeaÊce d'un pauvre Payfan, cache 1'ame la plus fièrc, la plus noble & la plus génèreüfe; eet hömme qui, pour la d^fenfe de fa Patrie , feroit admirer fon courage invinciblc 5 eet homtnc qui n'a point dc vice , qui n'a que des vertus malheurcufés; eet homme, dis-je, ira-t-il mendier? Non. Son ame fe repliera fur ellemême ; fes chagrins ne feront  é6 Des Monastères. connus que de lui feul. Si le CicI lui fait efpérer le bonheur d'une autre vie, le malheureux fe confole de fes privations aduelles, il languit fans murmurer, & tetmine airiu* fa trifte carrière. Mais fi la conftitution nerveufe de eet homme eft telle que le fentiment du befoin fe change en défefpoir, alors 1'idée de fubfifter 1'emporte chez lui fur toutes fes autres idéés; & pour vivre, il fc décidc a tout facrifier, même fa propre vie. Sur les frontières du Royaume il fait la contrebande; dans les Capitaincries il va , au péril de fa vie, chercher fa fubilftance dans les plaifirs du Prince 'y & malheureufement pour la fociété , les premiers effais de fon défefpoir finiffent trop fouvent par lui mettre a la main le poignard avec lequel il va fur le grand  Des Monastères. 67 chcmin immoler impitoyablement fon femblable. Mais pour ces malheureux qui manquent de travail, n'y a-t-il point de milieu entre mendier, mourir, ou fe livrer au défefpoir > II en eft un: celui de venir a leur fecours. Le Laboureur, dans le cours de fon bail, allure la fubllftance a ceux qui fe vouent a fon fervice.. Les Monaftères fontiennent, de gênérations en générations , les Families des domiciliés qu'ils employent a leurs travaux. Enfin tout Propriétaire quelconque qui rélide dans fon bien, protégé infailliblement rhomme qu'il emploie a labourer fon champ, a cultiver fon jardin. Mais le nombre des riches qui rcfïdent a la campagne, diminuc  68 Des Monaster.es. chaque jour; il s'en faut bien qu'il foit proportionné a la multitude de ces hommes qui ne gagnent leur vie qu'a la fueur de leur front. Pauvres Colons! vous appellez inutilement a votre fecours le Chef de votre Peuplade, le Seigneur du Village que vous habitez. II eft loin de vous; il ne vous entend plus. C'eft en vain que vous élevez la voix , &: lui dites : Avez-vous oublié le contrat que vous avez fait avec moi > Je me fuis domicilié dans votreTerritoire, je vous ai confacré mes bras; & vous m'avez promis en échange les moyens dc fubfifter. Mais vous ne me donnez ni travail ni pain: je péris; & la mort ne m'arftigeroit pas fi , par leurs plcurs & leurs gémilfemens, mes tendres & malheureux enfans ne rempliifoient mon ame d'amcrtume.  Des Monastères. 69 Je ferois moins malheureux fans doute, fi j'ctois efclave; la fubfiftance ne me feroit pas refufée. Je ferois encore moins a plaindre fi je vivois parmi les Sauvages : je partagerois du moins avec eux les fruits que la nature ofFre aux hommes qui habitent les Forêts. Combien n'aurois - je pas été plus heureux parmi ces Peuples nomades, parmi ces hommes er-, rans, qui pairent leur vie fous des tentes, &c ne connoilTent dans le monde entier de Territoire que celui qui leur procure les moyens de fubfifter. Non , il n'elt point dans le monde entier de fort plus défefpérant que celui de nos Journaliers, quand le travail leur manque. Ames honnêtes &c fenfibles qui  70 Des Monastères. ne connoiflez que la Ville, quittez, quittez pour un moment ces lambris dorés, ces jardins enchantes qui vous captivent. Venez dans les déferts, traverfez les marais, parcourcz les finuofitis des montagnes; vous y verrez, fous de triftes cabanes, un Peuple immenfe de malheureux; vous y verrez, dans la rigoureufe faifon de Thiver, des hommes fans feu, fans vêtemens, qui n'ont, pour cacher leur nudité, que quelques lambeaux de toile ; vous verrez ces indigens manger chaque jour le pain de chaque jour, & toujours incertains de la fubfiftance du lendemain. Ce tableau vous affligera 5 vous reviendrez de vos préjugés contre les Monaftères, lorfque vou's ferez attention que vos voeux, pour la deftrudion de ces pieux établifle-  Des Monastères. 71 mens, font une vraie déclaration, de guerre que vous faites a tous ces miférables que les Religieux font vivre ; lorfque vous verrez que vous attaquez une multitude de pauvres dans leurs rctranchemens. Pour vous convaincre de cette vérité, jettez les yeux fur ce Journalier qui périroit plutöt que de mendier. II va prier ce Monaftere de lui faire quelques avances; vous le verrez revenir iatisfait. Voyez encore, a Ia porte de ce Monaftère, cette femme environInée de fes petits enfans qui fe trouvent a la diftribution du pain; e'eft une veuve laborieufe , qui rougiroit de tendre la main, 11 la grêle n'avoit détruit la récolte qui 1'auroit fait fubfifter. Voyez enfin ce Perfonnage refpedable qui marqué aux Religieux  7i Des Monaster.es. tant de fentimens honnêtes; c'eft un Militaire de leur voilinage qui les rcmcrcie des fecours pécuniaires qu'ils lui ont prêtés gratuitement pendant la guerre, pour 1'aU der a faire fes campagnes. CHAPITRE  Des Monastères. 7$ CHAPITRE XI. Les Monaftèresfont-ils plus ut Hes au fol national que les autres Propriétaires ? Le fol national eft la réunion des Propriétés rurales. Tout Particulier qui s'cnrichit en améliorant Xa terre, enrichit néceffairement le fol dont fa Propriété fait partie. : Ainli , lorfque les Monaftères améliorent leurs Domaines, lorfque fur-tout ils s'attachent a défricher, a créer k grands frais des furfaces nouvelleSj ils enrichiffent d'autant le fol national. Les denrées quils multiplient & qu'ils yendent, font yerfer, a la vérité, lome ƒ. D  74 Des Monastères. 1'argent dans leurs mains; mais qu'en font-ils ï Ils le diftribuent chaque jour aux Oüvricrs quils cmploient a leurs travaux; ils le rendent a leurs Fermiers & a leurs Cenfitaires en échange des comeftibles qu'ils en tirent pour leur confommation; ils le font pafler enfin aux Manufadures quifabriquent 1'EtorTe, dont ils font 1'efpèce de fac ou de foutane qui les couvre. Que leur refte-t-il donc de eet argent, de ce figne dc leurs denrées ï II leur refte 1'amélioration de leur fol. II leur refte des batimens néeetTaires a 1'exploitation de leurs terres. 11 leur refte des édifkes qu'ils habitent, & qui embelliflent très-utikment le vafte champ du Royau-  Des Monastères. 77 me; puifqu'ils fixent dans de triftes folitudcs, dans des déferts affreux, des hommes intelligens qui favent donner a des objets ruraux une valeur que la nature fembloit leur avoir refufé depuis la création. 11 leur refte enfin des monumens, des temples fuperbes dont la vue feule pénètre de refpccl le Voyageur qui reconnoit un Dieu. Suite du Chapitre précédent. Pourquoi les Bénéficiers qui i partagent le Territoire des Abbaycs ifont-ils moins utiles au fol national ique les Religieux? C'eft qu'il eft :dans 1'homme de ne travailler ;qu'autant qu'il eft sur de tourner ia fon profit, ou au profit des fiens, lies fruits de fes travaux. - Le Bénéficier fent qu'il eft mortel, Sc que fa jouilfance eft aufli D2  jé Des Monastères. inccrtaine que fa vie. Faire des améliorations difpcndieufcs feroit pour lui faire le facrifice du préfent a un avenir incertain. Ses fpéculations fe bornent naturellement a faire augmenter fes baux;& fon Intendant, a eet égard, ne négligé rien pour pouffer les chofes audela de fes efpérances. • Combien d'honnêtes Eccléfiaftiques! combien de Prélats ver-* tueux feroicnt juftcmcnt pcnétrés de la douleur de leurs Fermicrs, s'ils voyoient co uier les larmes dont ces Laboureurs arrofent les champs qu'ils cultivent! Ne feroient-i'ls pas au défefpoir s'ils favoicnt que leurs Régilfeurs réduifent a la mcndicité des Pères de Families, de vieux Colons qui ont blanchi, en faifant valoir les biens de 1'Eglife , le patrimoine des pauvres J  Des' Monastères. 77 - Ce qui détourne encore les Bénéficiers de 1'amélioration du fol, eeft qu'ils ne rélldent pas fur les lieux. Leursemplois, leursdignités .les appellent dans les Villes , & les éloignent nécefiairement des •forêts & des bruyères. Que ce .Statut ■ de 1'Ordre de Malte eft fage, qui ordonne que fur cinq annécs les Commandeurs en pafferont deux dans leurs Cominanderies! Les avantages qui en réfultent pour eet Ordre , pour les Colons & pour le fol national, n'ont pas befoin d'ctre développés. I Une perte bien réelle pour le fol national, eft que dans 1'hiver il y ait fi peu dc Seigneurs dans leurs terres. Ceux qui, dans cette ;faifon, ne craignent pas de rélider .a la campagne, fe livrent naturellement aux travaux champêtres; .&: leurs premiers fuccès dans les D 3  78 Des Monaeteres. défrichemens les attachent de plus en plus h leurs Propriétés. Ils redoutent la Ville; ils fuient fes plaifirs difpendieux. Leur plus grande fatisfaclion eft d'occuper des malheureux; Sc fouvent pour les exeiter au travail on les voit, fous 1'habit le plus fimple j braver, au milieu d'eux, 1'intempérie de 1'air & la rigueur des frimats. Une vie conftamment occupée, des mceurs toujours pures, de 1'ordre dans les affaires; tout, dans un Seigneur qui régit lui - même fa terre 3 fait naitre le defir patriotique d'une génération norabreufe. Mais fi fes voeux font remplis, il renonce a fes récréations rurales ; il n'écoute plus que fa tendreffe paternelle 5 vous le voyez abandonner fes landes Sc fes marais pour s'occuper uniquement de fes enfans; il fait ceffer des tra-  Des Monastères. 79 vaux trop difpcndieux pour un Père qui a une Familie nombreufe a établir, & qui, par conféquent, doit calculer toutes fes dépenfes. Ces obftacks font inconnus aux Monaftères. Auffi les voit-on conduire tót ou tard a leur perfe&iön ks entreprifes rurales qu'ils ont commencées. II n'eft donc pas étonnant que les Religieux foient plus utiles au fol national que ks autres Propriétaires. D4  8o Des Monastères. CHAPITRE XII. Les dépenfes dans les campagnes font-elles auffi utiles a la Nation que celles qui fe font dans Us Villes? D ans les Villes de luxe, mille dépenfes en tous genres nous paroiifent inutilcs, extravagantes &: marquées au coin dc la folie: routes cependant ont leur utilité. Mais fi les dépenfes font utiles a proportion du nombre de Citoyens qu'elles font vivre, celles qui fe font dans les Villes ne font nullemcnt a comparer a celles qui fe font dans les campagnes. II faut peu pour faire vivre un Payfanj il faut plus pour un Laquais ou  Des Monastères. 8i pour ï'Artifan qui prête la main au luxe. i Les Riches qui mènent la vie champêtre ne connoiiTcntpas 1'étalage faftueux des richeffes: les femmes fur-tout > refferrées dans un petit tourbillon de gens honnêtes qui les avoiïinent, prennent plaifir a donner 1'exemple des mceurs les plus douces & les plus naturelles \ & par cette agréable ïimplicité, elles apprennent aux hommes qu'elles peuvent leur plaire fans être richement parées. Le Riche vertueux n'a point d'efforts a faire pour être bienfaifant ■■, 1'aifance qu'il acquiert par une vie fobre &c frugale ajoute néceffairement a fa genérofité; il devient même paffionné pour le lbulagement des pauvres; il les fait travailler avec d'autant plus d'intérêt, que leurs travaux le  $1 Des Monastères. dédommagent amplcment de fes avances, par les productions qu'il cn retire & par 1'amélioration de fa Propriété. Mais dans les Villes, que produifent dc réd les parures les plus difpendieufes & les plus élégantcs? Que refte-t-il dc ces petits riens, de ces frivolités ruineufes ? Les modes fuivent les caprices qui les enfantent, & leurs objets s'envoIcnt avec la même rapidité. Oui, le petit coin de terre que 1'on cultive eft plus intéreffant pour les Citoyens que les lambris les mieux dorés. Enfin, les travaux champêtres préfentent des avantages réclsj ils font vivre une multitudc de mal" hcureux qui prêtent leurs bras au* Riches, & augmentent fans ceffe les vraies richeffes de 1'Etat, Ia culture & la population.  Des Monastères. 83 II eft vrai que les Villes paroiffent offrir d'autres avantages non moins confidérables : elles font vivre les Artifans dont 1'induftrie attire dans le Royaume 1'argent des Etrangers. Mais 1'argent n'eft que le fïgne des vraies richeffes, n'eft qu'une richeffe fictive, qui aveugle, qui énorgueillit les Peuples & leur fait faire de folies entreprifes. Enfin, 1'argent s'échappe , èc ne laiffe après lui que des regrets, que des vices qui préparent de loin la ruine des Empires. Les Anglois, plus attachés k 1'argent qua la culture de leurs champs, ont trouvé que les grains qu'ils tiroient d'Afrique leur coütoient moitié moins que celui qu'ils cultivoient par leurs mains. Ils ont changé en pat-urages beaucoup de terres labourables. Par D 6  84 Des Monastères. cette fpéculation, ils ont peut-être augmenté leur numéraire; mais ils ont diminué leur population; leurs cultivateurs fe font transformés en chevaux, en chèvres & en moutons; & les Anglois ont éprouvé dans la dernièreGuerre, que, pour combattre, il leur falloit des Guerriers & non pas des moutons. L'Efpagne nous prouve bien que 1'or n'eft qu'une richeffe fiétive, puifqu'avec un Territoire immeni Des Monasterés; Qui croiroit que le Seigneur célibataire fut plus utile a la population que s'il étoit marié ? Cela paroit un paradoxe; c'eft cependant une vérité bien facile h démontrer. Moins un Seigneur, dans fa Terre, a de befoins perfonnels, moins en même-tems il craint de dépenfer pour améliorer fa Terre. Alors fes dépenfes tournent au profit des journaliers qu'il emploie a des objets ruraux. Si ce Seigneur avoit une femme, -s'il avoit des enfans, ce qu'il feroit obligé d'employer a 1'entretien de fa Familie, feroit néceffairement perdu pour les améliorations, fe.xoit nul pour les Colons. Suppofons a ce Seigneur quinze mille livres de revenus; fuppofons encore que fa femme & fes enfans lui coütent cinq mille livres par  Des Monastères. 93 &n, il eft certain qu'avcc cette fomrne, il feroit aifément vivre quinze journaliers, quinze Chefs de Familie ; ainfi , au lieu d'une Familie que la population perfonnelle donneroit a 1'Etat, il lui procureroit quinze Families, en gardant le célibat. Les Religieux, moins faftueux, & plus ftables fur les lieux que les Célibataircs Laïques, doivent néceffaircment 1'emportcr fur eux pour les travaux champêtres, & parconféqucnt pour la population des campagnes Par-tout oü le Propriétaire s'occupe des foins ruraux, il augmente les reflources locales , & les hommes naiiTent fur fes pas. C'eft pourquoi, fi 1'on vouloit peupler les Landes de Bourdeaux3 il faudroit y placer des Monaftères. Les Religieux feroient dans ces dé-  54 Des Monastères. ferts des entreprifes rurales, pour lefquelles les Célibataires Laïques, & bien moins encore les Pères de Families, n'ofcroient hafarder leurs fonds. Mais, dira-t-on, la Hollande reiferrée dans un fi petit efpace, feroit-elle auffi peuplée, fi elle n'avoit eu foin de rejetter de fon fein tout Célibataire de proferlïon J Cette Nation adive ne fouffre aucune efpèce de Religieux; Sc fes Prêtres fe marient. Le Hollandois, toujours fidéle au vceu de la Nature , ne renonce jamais a la liberté dc payer a la Société le tribut de fa régénération perfonnellc : dela, cette nombreufc population. C'eft d'après ces principes, qu'en Allemagne 1'on voit les Cantons Proteftans tres - floriffans Sc trèspeuplés , tandis que les Cantons Catholiques qui les avoifinent, ne  Des Monastères. 95 préfentent que des Peuplades languifiantes & peu nombreufes. II n'eft pas étonnant que la Hollande , & quelques Cantons d'Allemagne , foient fi peuplés. Deux millions de Francois, réfugiés dans ces contrécs, y. apportèrent les richelfes & 1'induftrie, & leur lailfèrent de nombreufes générations. Ce n'eft pas la profcription du célibat qui fait qu'un pays fe peuplc plus qu'un autre; car parmi les Nations Catholiques, les unes regorgent d'habitans, tandis que les autres font défertes. Póurquoi, fous les neigcs de la Savoie &c du Piémont, la population eft-elle plus nombreufc que dans les belles campagnes de Rome? Ces Peuples n'ont-ils pas la même Religion ? . En Europe & dans le nouveau  5><5 Des Monastères. monde, les Francois peuplent plus que les Efpagnols; cela ne vient pas dc la différence de Religion. Comment fe fait-il que certaines Provinces de France, chargées d'Abbayes Régulières, foient fi peuplées, & que d'autres, oü la Commende a diminué de deux tiers le nombre des Religieux, s'appauvriflènt, & fe dépeuplcnt yifiblemcnt ? L'Alcoran a beau inviter le Mufulman a la poligamie, il n'empêche pas que 1 Empire Ottoman ne formc un vafte défert, en comparaifon des Etats Catholiques. Si nos campagnes fe dépeuplent, il ne faut donc pas s'en prendre aux Confeils Evangél'iques : cc n'eft donc pas le célibat des Eccléfiaftiques qui caufe la dépopulation. Auffi, pour faire oublier la révocation de PEdit dc Nantes, la France  Bes Monastères. pj France n'a pas befoin du mariage de fes Prêtres; & fans ces maximes, anti-facerdotales, elle peut former le Peuple le plus nombreux du monde. Sa poiition, fon climat, le génie de fes Habitans, la fageiTe & la modération de fes Loix, enfin, 1'uniré de fa Religion, tout y tranquülife & confole le Citoyen fur fa régénétation. Mais quelles que foient les relfources de la France, par rapport a la population, qui pourroit apprécier les pertes que lui fontéprouver continucllement a eet égard les Pro« priétaires qui s'éloignent de leurs Domaines J Que ces Propriétaires foient Laïques, qu'ils foient Bénéficiers, ils font également le malheur de la Société, lorfqu'ils viennent concentrer dans les Villes les. revenus de leurs Terres. Toms I. E  98 Des Monastères. : Les Eccléfiaftiques qui réfident dans Rome, rcndent a la vérité cette Ville intéreflante pour la Religion; mais par leur éloigncmcnt de leurs Bénéfices, ils appauvriflent & dépeuplent le champ fertile de St. Pierre. Lorfque les anciens Romains n'eurent plus d'autres foins que de fe partager les dépouilles du monde, les richeffes des Provinces vinrent s'engouffrer dans les mains d'une poignée de Sénateurs, & de quelques ambitieux qui fe difputoient lesrênes du Gouvernement. L'Empire s'appauvrit, il fe dépeupla; &z a la faveur de fa dépopulation, les barbares fe firent jour de tous cötés, & vinrent remplir ces Vuides que leur offroient naturellement des Peuples pauvres Sc mécontcns.Ne foyons donc pas furpris que '4 \ .. .  Des Monastères. 99 1'Empire Ottoman foit fi défert. Le Bacha, pour les délices & les voluptés de fon Sérail, ruine fa Province; & le Chef de 1'Empirc ruine les Bachas. Veut-on qu'un Etat foit riche, qu'il foit peuplé ? il faut répandrc fes richeffes fur les lieux qui les produifent. Aufli, de tous les Propriétaires , le plus utile a une Nation , c'eft celui qui réilde dans fes Domaines, füt-il un Monaftère. E ï.  iooDes Monastères. CHAPITRE XIV. Suite du précédent. Les Monaftères retiennent-ils le numéraire dans les Provinces ? le vivifientils? font-ils favorables d la population ? Parcourez la Flandre Francoife : a chaque pas vous reconnoitrez le Territoire Eccléiiaftique ; a chaque pas vous verrez fortir d'une^Abbaye un Père de Familie, qui vous dira : Je viens de voir mon nis. A chaque pas , cependant vous verrez avec admiration, un Peuple qui fourmille, tant la population eft heureufe partout ou le Propriétaire rend a la terre ce qu'il tirc de la terre.  Des Monastères. ioi Dans cette Contrée Monaftique, les Abbés Réguliers ne s'éloignent pas de leurs foyers, & ne viennent jamais dans la Capitale du Royaume , diffiper dans le luxe & les plaillrs le Patrimoine de leurs journaliers. Cependant, ces Bénéficiers font très-faftueux. Les Batimens qu'ils conftruifent plus que jamais font un objet du Luxe, & leurs Monaftères reffemblent moins a des Maifons Religieufes, qu'a des Palais de petits Souverains. Aufli, le premier coup-d'ceil révolte le Voyageur, & lui fait dire: Cela eft bien beau, pour des Cénobites. Mais le calculateur impartial, le vrai Citoyen, s'arrête, admire & s'attendrit, lorfqu'il fait cette réflexion, que, pour former ces Monumens qui embelliffent le E 3  iel Des Monastères. Royaume, lespierres fe font changées en nourriture. En effet, 1'ouvrier qui tire la pierre , celui qui la taille, 1'autre enfin qui la pofe, trouvent dans cette main-d'ceuvre le pain qui les nourrit, & qui fait croitre jufqu'a radolcfcence, les enfans, les Citoyens qu'ils proeurent a la Patrie. L'ouvrier qui gagne vingt fols par jour, gagne par an a-peu-près trois cents livres. II eft bien rare qu'il n'ait pas une femme, & au moins deux enfans. Ainfi, cent piftoles font vivre trois hommes, trois femmes, &c fix enfans : Dix mille livres, trente hommes, trente femmes, & foixante enfans: Cent mille livres, trois cents hommes, trois cents femmes, & fix cents enfans.  Des Monastères. 103 L'Abbaye de perd, au contraire, annucllcment trois cents mille livres, qu'elle paie par arrangement a fon Abbé Commcndataire. Cct Abbé privé donc la Prcvincc dc la fubliftance de neuf cents hommes, de neuf cents femmes , Sc de dix-huit cents enfans. Le numéraire que ce Bénéficier répand dans la Capitalc, au lieu d'alimcntcr des hommes fobres, laboricux Sc peuplans, contribue a 1'entretien d'un Peuple voluptucux, d'un Peuple de Célibataires. Car dans une Ville oü tout refpire le plaifir, tout y décide les deux fexes k demeurer libres. Deux Epoux s'unilfent-ils pour s'entr'aider mutuellcmcnt; le Luxe a bientöt augmenté leur détreffe. Deux autres fe lient-ils pour fuivre licitement 1'impulfion dc la Nature; la crainte d'une Familie nombrcufe E 4  Ï04 Des Monastères. vient troublcr parmi eux 1'amour conjugal. Dans cette pofition, les gens mariés femblent renoncer au manage pour fe vouer au célibat. En en-et, ne font-ils pas célibataires, lorfque la crainte de 1'indigence leur a perfuadé qu'ils peuvent étouffer le vceu de la Nature, & prefcrire des bornes a leur régénération. Mais, dira-t-on, ü dans la Capitale le numéraire fait peu pour la population, il y procure bien d'autres avantages par le mouvement qu'il y prend pour décrire fon eerde. LeLuxe, fon véhicule leplus actif, le répand dans les Provinces , & le rapporte dans fon tourbillon, a fon centre naturel, pour y ranimer 1'activité de fa circulation.... Défiez-vous du Luxe. Quelqu'adive que foit dans la Capitale la circulation du numé-  Des Monastères. ioj raire, elle y devient tot ou tard fatale a la Nation. Dans la rapidits de fon cours, elle décrit un cercle trop étendu, & fait pafier notre or dans 1'Inde ou dans d'autres régions, qui n'ont pas befoin de nos produdtions, & qui ne nous donnent en échange de notre numéraire, que des fuperfluités, que des objets de luxe & d'agrémens. Oui, 1'ufage ie moins fenfé qu'un Etat puhTe faire ou permettre aux Citoyens de leurs revenus, eft celui de faire pafier, pour des befoins de caprices, fon numéraire dans les Pays étrangers. La Guerre, ce fléau du genre humain, fait fans doute beaucoup de mal a une Nation, par la perte des hommes qui fuccombent dans les Armées. Mais ce mal eft-il a, comparerk celui qu'elle lui caufe, par 1'exportation de fon numéraire, E 5  ioóDes Monastères. dont fouvent elk enrichit les Pays ennemis ? De combien de Citoyens 1'Etat n'eft-il pas privé, par la rareté des efpèces? L'argent vient-il a manquer? le Commerce languit, ks travaux ceflént, les mariages font rares, une multitude de Citoyens ne fe régénèrent pas, la Nation paroït dans la misère. Ne foyons pas étonnés , qu'au milieu de 1'abondance un Peuple foit pauvre & malheureux. II ne fuffit pas qu'il poffède les vraies richeffes , les denrées de toutes efpèces; il lui faut encore le figne de ces richeifes. Ce figne eft l'argent. Sans argent, un Marchand ira-t-il au marché avec fon étoffe, pour avoir en échange le comeftible dont il a befoin ? Voyez ce Vigneron , il eft au  Des Monastères. 107 défefpoir; paree qu'on ne lui ofFre dc fon vin que la moitié dc fa valeur. Cependant, pour fe nourrir, pour s'habiller, & pour payer les fubfides, il lui faudroit la valeur entière de fa récolte. II ne 1'aura pas : 1'argent eft trop rare. Ce malheurcux, qui n'aura que la moitié de fa fubfiftance, vous le verrez languir; il mourra de misère auprès de fes denrées, qui font les feuls fruits de fes travaux de toute 1'année. Sans argent j plus d'échanges,' plus de Commerce; tout languit, tout périt; la Société s'agite, elle s'ébranle , &c ne demande que 1'occafion de fe diftoudre. Chez un Peuple cultivateur, 1'argent une fois devenu rare, fa rareté donne lieu de lc rendre plus rare encore. Le befoin rendant plus difïkile au Peuple le paiement des E 6  ioSDes Monastères. impöts, lc Gouvernement eftforcé de faire des facrifices en faveur des Compagnies qui lui proeurent des fonds d'avanccs fur la perception des fubfides* II eft obligé , pour foulagcr diftributivement les contnbuables, de multiplier les formes de la perception. Plus ces formes font multipliées, plus ceux qui exercent les droits du Roi ont de moyens imperceptibles de tirer de gros intéréts de leurs avances. Que devient le numéraire dans le tourbillon de cette multitude innombrable d'intéreflès, qui fe partagent entr'eux les tributs des Peuples , avant qu'ils ne foient verfés dans le Tréfor public ? II circule d'abord dans leurs mains, &£ paffe enfuite dans 1'intérieur du Royaume, pour les objets de première nécerlité.  Des Monastères. 109 Mais cette circulation renferme deux vices bien effcntiels, qui défefpèrent les neuf dixièmes des Citoyens. Le premier vice de cette circulation eft de réunir tout 1'argent du Royaume dans le point central , dont il ne s'éloigne pas affez pour fe porter également fur tous les points de la circonférence. De forte qu'il tourne toujours fur lui-même. Ce centre eft Ia Capitale. La circonférence font les Provinces. Le fecond vice de cette circulation , bien plus fatal que le premier, eft d'altérer continuellement la maffe du numéraire, qu'elle fait paffer chez Fétranger. Cet or qui brille fur les habits, le Riche le paie a 1'Artifte, & 1'Artifte en paie &nourrit le Mercénaire qui creufe les mines du Pérou. Ces  iioDes Monastères. porcelaines magnifiques , 1'orncment de nos buffcts, enrichiflent au Japon 1'Ouvrier qui les fabrique. Enfin, ces vins exquis, les déliccs denos meilleures tables, font vivre au Cap le Vigneron qui les recueille. Le Luxe, dans fon berceau, ne por te les Citoyens qu'a des objets utiles & agréables, qu'a des objets que la raifon approuve, & qui font le bonheur d'un Peuple policé. Mais lorfqu'il a pris affez de force pour exercer fon Empire fur les têtes, il les rend fi frivoles, fi légères, que 1'homme ne paroit plus être qu'un enfant qui s'amufe avec des hochets. Si de la Capitale, fon centre naturel , le Luxe paffe dans la Province , alors Pefprit de frivolité faifit toute la Nation , & fait la lóiaux hommes même les plus  Des Monastères. in fenfés. De forte que dans les contrées les plus éloignécs, les pères, pour peu qu'ils foient aifés , fe croient obligés par décence d'envoyer leurs fils les ruiner dans la Capitale. C'eft fans doute un grand mal politique que le Luxe rend le numéraire 11 rare, fur-tout dans les Provinccs. II eft évident que ce mal augmenteroit, fi les biens des Monaftères paffbient dansles mains des Séculiers. L'on verroit bientöt , pour le malheur des Peuples, les revenus dc ces grandes Propriétés fe précipiter dans le goufre commun. Ce feroit autant de reffources perdues pour la population. II eft donc conftant, quoiqu'on en dife, qu'il y auroit plus de Célibataires, s'il n'y avoit pas de Monaftères.  iiiDes Monastères. CHAPITRE XV. Sans les Cloitres} une quantité de Families honnêtes feroient furchargées. IL eft rare que les Families nombreufes foient aifées \ Sc fans aifance il n'eft plus permis dans nos mceurs de penfer a s'établir. Aufli ne fe marie-t-on pas que 1'on ne foit sur d'un état égal au moins a l*état de fon père. A peine le fils de 1'Avocat fe contente-t-il d'être Avocat luimême. Le fils du Laboureur jette bien des fois les yeux fur fa charme , avant de fe décider pour elle: Sc avec quel dédain le fils de 1'Artifan ne regarde-t-il pas le métier de l'Artifan, auquel il doit le jour ?  Des Monastères. itj Enfin, prendre un état inférieur a celui de fes pères, c'eft fe dégrader; c'eft s'avilir aux yeux de fa Familie, aux yeux de fes Concitoycns. Telles font nos délicateffes, teis font nos préjugés. Que font alors les enfans de Familie, pour n'être pas humiliés? Ils difparoifient. Les uns s'cxpatrient, & vont peupler une région qui viendra déchirer un jour les entraillcs de' leur mère Patrie. Les autres, plus timides, dirigent leurs pas vers la Capitale, & vont fe perdre & fe confondre dans le tourbillon de cette grande Ville. La, fans parens, fans confeils & fans appuis, ces jeunes infortunés s'expofent a tous les hafards, a tous les dangers, pour courir après la fortune, qui, le plus fouventles fuit.  114 Des Monastères. Les jeuncs pcrfonnes, pour fortir de la détrefle, font tout ce qu'elles peuvent pöur fe rendre intéreffantes; & plus elles intérelfcnt, plus elles multiplient autour d'clles les concurrens, dont la plupart ne les rechcrchent que pour en abufer. Les uns leur corrompent le cceur, les autres leur gatent 1'efprit, & changeant ainu* leur foibleflcs cn crimes, ils en font des jouets de proftitution. Vénérable Vieillard, père d'une Familie nombreufe, que vous êtes attendrilfant! lorfque parcourant nuit &; jour toute la Ville, vous vous arrêtez aux carrcfours, & vous dites : N'auriez-vous pas vu mes enfans ï Père infortuné ! ceux que vou< cherchez ne font pas loin. Mal gardez-vous bien de lever le voik qui les couvre, qui les cache a voi  Des Monastères. 115? yeux. Vos chagrins feroient bientöt changés en défefpoir. Ainfi s'aviliffent bien des Families honnêtes que Fon éloigne des Cloitres. En fe dégradanr, ces Families fc détruifent, & fe réduifcnt a rien.  n6 Des Monastères. CHAPITRÈ XVI. Les Sujets quife retirent dans l Clottre favorifent-ils la popu lation de leurs Families ? Les Religieux, ordinairement appartiennent a des Families nora breufes. Les Citoyens honnêtes qui leu ont donné le j our n'ont pas conni les maximes d'une fauffe Philo fophie. Bien loin d'envifager les Cloïtre: comme des goufres pour leur po pulation, ils les regardent, au con traire, comme une relTource, ave< laquclle ils ne doivent pas craindn de fc regénérer. Le Sujet qui fe fait Religieux.  Des Monastères. 117 ■foandonne a fon frère tout ce qu'il ïoffède, tout ce qu'il peut pofte Jer. Par-la, ce frère fe décide a ip marier. C'eft ainii que les ReIgieux font utiles a la population le leurs Families. J Père d'une Familie nombreufe, fcitoyen refpecïable, que 1'on a de ilaifir a vous entendre dire &£ réroéter fans ceffe : Je fuis le plus Jieureux des mortels! I J'ai exercé une profeftion honinête &c utile; j'ai élevé fix enfans. aDeux ont embrafte la vie monafIdque; les quatre autres ont réuni fitoute ma fortune : j'ai pu les maIrier felon leur cceur &: le mien. dj'ai donc procuré a 1'Etat quatre ,i Chefs de Families. Je vois mes petits-enfans former jautour de moi le grouppe le plus lattendriflant-, je le répète, je fuis k plus heureux des mortels.  n8 Des Monastères. CHAPITRE XVII. Les Clottres font-ils la confolation des Pères de Families? 13ans une grande Nation, tous les Citoyens font expofés a des revers. II eft de la fageffe du Gouvernement , que , dans chaque Claife, les individus puiflent efpérer des fecours dans leur détrefle. Le Royaume, a eet égard, eft fagement adminiftré. Les Gens de qualité ont des reflources dans le Tréfor du Prince, & ils n'en ont pas moins dans le vafte Territoire de 1'Eglife. Le petit Peuple également a fes confolations. Comme on peut, fans le faire rougir, lui orfrir des  Des Monastères. ii9 jfcrits fecours, il fe trouve envionné d'ames charitables, qui s'emsreftent a lui marquer leur bien:aifance; tandis que la main patrio:ique de 1'Etat lui menage dc toute jartdes afyles pour le foulager dans Ces infirmités. La Claife intermédiaire des Ci:oyens a des relfources bien moins précaires, bien plus naturelles. Elle l pour elle 1'Agriculture, les Arts & les Sciences, Elle vivifïe tout, tout la vivifie; aulïi voit-on :ommunément dans cette Claife, ics Particuliers qui font fortune. Cela fe voit rarement chez les Jtsfobles, a moins qu'ils ne fe mélallicnt. Pour le petit Peuple, il irefte ordinairement ce qu'il eft: il refte pauvre. Mais ce qui fait le jplus profpérer 1'ordre intermédiaire des Citoyens, c'eft cette imaxime,  hoDes Monastères. Qu'un fils ne doit pas prendre un état inférieur a celui de fon pere. Ce préjugé, qui domine 1'efprit de ces Citoyens honnêtes, produit deux effets également utiles; il excite en cux i'émulation, Sc leur fait pratiquer les vertus fociales. Ils favent que pour réuflir il faut de 1'adivité & de 1'intelligence ;l mais ils ne font pas moins perfuadés qu'aucune profeffion n'eft folide , fi elle n'eft appuyéc fur Thonneur Sc la probité. Or , pour retenir dans ces préjugés utiles cette Claffe de Citoyens , qui donne le mouvement Sc la vie a la Nation, n'eft-il pas important de lui ménager ces reffources, qui la rafiurent contre la Crainte de fe voir dégénérer par une population nombreufei Ne voyons-nous pas 1'arbre le plus vif &  Des Monastères. m ) & le plus fécond, devenir ftérile ] & languiffant, lorfque le Jardinier négligé de retrancher une partie de fes branches. Jettcz les yeux fur ce Père, qui ' n'a pas le moyen de donner a tous : fes enfans une éducation longue i & difpendieufe ; mais cependant ) néceffaire pour leur établiflement.' Voyez encore cct autre qui en: riche, & qui a plufieurs enfans .< peu fairs pour le monde. Avec des ■ qualités eftimables, ils ne peuvent ; cependant être heureux qu'autant qu'ils feront gouvernés toute leur vie. Combien ces Pèrcs dc Families ne feroient-ils pas embarraffés, fi 1'Etat ne leur avoit ménagé la reffource des Cloïtres > C'eft ainfi que par leur retraite; dix mille Sujets donnent la tranquillité a dix mille Pères de Families. Tomi I. F  izz Des Monastères. C'eft ainfi qu'un Monarque qui voit tout en grand, qui voit tout dans fon enfemble, diftribue fagement des fecours dans toutes les Clafles des Citoyens, & regarde fa Nation comme une Familie dont il eft le Père. Tous les Sujets qui la compofent, font également 1'objet de fes foins paternels; paree que tous font également fes enfans.  Des Monastères. izj CHAPITRE XVIII. Ejïrce une erreur de croire qu'il y auroit moins de Célibataires, . s'il ny avoit pas de Monaftères ? I J. el eft le Célibataire qui gémit en fccret de n'être pas marié. Mais jpour fe marier fes talcns ne fufSfentpas. II lui faudroit une charge jlont 1'exereice put lui affurer 1'enletien de fa Familie. Cette charge luicoüteroit quinze mille livres; il n'en a que dix : il enonce a 1'acquérir. II fe voit para forcé de garder le célibat. Ses leux frères, avec la méme fortuie, éprouvent le même embarras. : ïoila trois Célibataires\ voila donc F z  ii4 Des Monastères. trois furnuméraires, relativcment a la population. Mais que 1'un des trois frères fe détache, qu'il embrafléla vie monaftique, auffi-tót les deux autres partagent également fa fortune ; ils traitent des charges qui leur conviennent, & tous deux fe marient. Ceci nous fait voir qu'il y auroit dans le Royaume un plus grand nombre de Célibataires, s'il n'y avoit pas de Monaftères. Pour fentir cette vérité, il faut apprécier les Propriétés & les Succeflions auxquelles les Religieux renoncent par leur état, & qu ils laiffent a leur Familie. La maffe de ces biens eft très-confidérable; car parmi les Religieux de tout genre, il y en a un certain nombre qui appartiennent a des Families très-opulentes.  Dès Monastères. 115 Je connois un Particulier qui \ s'eft fait Religieux au moment oü ; il pouvoit fe flatter de partager avec fes deux frères cinq cents j mille livres de revenus. Le Roi 1'a nommé, quelques années après fa Profeflion, a une petite Abbaye de trois a quatre mille livres de rente. Ce Religieux a donc lailfé dans la Société civile un Patrimoine, avec lequel il foutiendroit aifément trente a quarante petites Communautés comme la fienne. J'ai vu un autre Religieux du méïne Ordre, réclamer contre fes vceux, dans 1'efpérance de jouir d'une Baronnie de trente mille livres de rente, qui 1'attendoit au fortir du Cloitre. Eh! combien ne feroit-on pas fubfifter de Rcligieufes avec 1'apanage , auquel vient de renoncer F 3  12.6 Des Monastères. par fes voeux 1'augufte Princefie qui édifie la France. Enfin, fi tous les Religieux réuniflbient leurs Patrimoines , s'ils cnfaifoient une bourfe commune, il efi évident que pour vivre, même avec aifance, ilc n'auroient befoin ni duTerritoire de 1'Eglife, ni des bienfaits des fidèles. La Nation qui les fait fubfifter leur rend donc a peine ce qu'elle en recoit, par 1'abandon qu'ils lui font de leurs Patrimoines. Ajoutez qu'ils lui laifient encore les emplois qu'ils auroient exercés au préj udice de ceux qui les occupent; & qui, peut-être pour la plupart, n'ayant pu s'établir , fe feroient expatriés. Les Citoyens qui fe font Reli. gieux, font heureux s'ils ont 1'efprit de leur état; & ils font des heureux de ceux a qui ils cedent  Des Monastères. 117 leurs places dans la Société civile. Par-la, le bonheur fe multiplie; & le bonheur porte les Citoyens a la population, & a 1'amour de leur Patrie. F4  n8 De la réunion CHAPITRE XIX. Petits Monaftères comparés aux grands. Sont-ils utiles? Répondre autant qu'il eft poflible a la piété des Fondateurs; lever chaque jour les mains au ] Ciel fur les lieux que ces Guerriers ont choifis pour le repos de leurs cendres; diminuer, par une vie fimple & réglée, les obftacles que j le monde apporte a la paix éternelle ; rappeller les Peuples a la Religion de nos ancêtres, par la célébration quotidiennc du plus faint des myftères ; voila le but; moral des établilfemens Monaftiques. Secourir les pauvres; les em-  des petits Monastères. 119 ployer toute 1'année a des objets ruraux, leur procurer affez d'aifance pour les faire peupler , & par-la augmenter les vraies richeffes du Royaume; c'eft le but politique dc ces meines Monaftères. Hommes d'Etat! vous protégez a jufte titre ceux qui rempliffent a eet égard vos vues politiques. Mais il s'élève une queftion parmi les Citoyens même les plus vertueux : 1'on doutc fi les petits Monaftères méritent encore la protettion du Gouvernement; s'il n'eft pas plus utile de les fupp'rimcr pu dc les réunir ? Pour décider cette queftion , il ne faut pas comparcr une grande Communauté a une petite ; mais il faut péfer les avantages réunis de plufieurs petites Communau| tés, & comparer ces avantages a. ceux que 1'on retire d'une grande F 5   des petits Monastères. 131 extérieur gagne bien plus encore lorfqu'il eft foutcnu par la vcrtu & la vie auftère de ces pieux Solitaires de la Trappe & de SeptFonds. Mais le zèle qui anime ces [faints Pcrfonnages , ne convient qu'a des ames céleftes & infpirécs ; qua ces hommes qui, calculant les avantages de 1'autre vie, facrifient tous les plaifirs pafTagers pour gagner le Ciel, & s'auiirer d'un bonheur que rien ne pourra jamais troubler. Sans préfenter aux yeux le fpectaclc édiflant de ces grands Monaftères, il n'eft pas une petite Communauté qui ne puiiTe, chaque jour, remplir ce devoir eflentiel de la Religion. Un Religieux, füt-il feul dans fon Monaftère , s'il' s'eftime luimêmc, s'il eft foutenu par la vigiilance de fon Ordre, il fe rapproche ide 1'efprit de fon état ■■, il fe rend a F 6  131 De la ré ü n i 1'Eglife, fon Oratoire naturel, 8c fe fait un devoir d'y réciter fon office a des heurcs marquées; 8c ü un confrère s'unit a lui, alors les deux Cénobites s'encouragent mutuellement, 8c donnent, par leur cxattitude publique , des témoignages non équivoques de leur probité Religieufe. En voila: affez pour fe concilier la confiance. Les Habitans des campagnes feront toujours édifiés, lorfqu'ils feront avertis par le fon des cloches, que deux Solitaires fe profternent au pied des Aurels pour rendre, par leurs prières, le Ciel favorable a leurs travaux. Le plus petit Monaftère, s'il eft régie, foulagera trois ou quatre pauvres par jour, emploiera trois ou quatre journaliers pour 1'amélioration de fon domaine , occupera un jardinier, aura trois do-  des petits Monastères. itf meftiques, détachcra 1'un des fes trois Religieux pour le fervice de 1'une des quatre Paroiifes voilines qui 1'appcllera a fon fecours. D'oü il réfulte que chaque jour 1 vingt-cinq petites Communautés, de quatre mille livres de revenus, entretiennent foixante-quinze Religieux , vingt-cinq jardiniers, i foixante-quinze domeftiques, cent > ouvriers, font 1'aumóne a cent : pauvres, & peuvent rendre fervice | a cent Paroiifes. Quelle eft la Maifon de cent : mille livres de revenus, qui puiife I être d'une utilité auffi étendue ? Mais, dira-t-on, 1'utilité tempo: relle des petites Communautés, é ne fufrit pas pour remplir les vues i de la Nation. II eft effcntiel que ceux que lc Prince a placés dans le : Sanduaire, pour édifier fes PeuS pies, ne s'éloignent pas de 1'augufte  I 34 £) E L A RÉUNION fondion du Saccrdoce, pour mencr une vie molle, oiüVe, & préjudiciable a la Religion. Les Religieux accoutumés, dans leurs grands Monaftères, a partager avec un grand nombre de Confrères les exercices publics de leur état, tróuvent extraordinaire que, relégués dans une petite Communautc, 1'on exige d'eux les devoirs d'une Convcntualité nombreufe; & ce que la défiance de leurs propres forccs leur a fait d'abord trouver difficilc , bientöt 1'oifiveté le leur fait paroitre impoftible. Alors la moindre fujétion dcvient pénible pour cux : ils oublient infenfiblement qu'ils font Religieux , qu'ils font lies au Sa-, cerdoce ; & parviennent enfin jufqu'a renoncer , par la légèreté de leur conduite , a. la qualité de. Citoyens honnêtes. II eft donc  des petits Monastères. 135 naturel de faire des vceux pour 1'extinction des petites Communautés, de cette clalfc de Religieux qui paroitTent ne conferver de leur état, que 1'habit, dont la forme s'altèrc de plus en plus chaque jour, & n'eft rien moins que Monaftique. II faut 1'avouer, la plupart des petites Communautés bleffent 1'ordrc public par rapport a la Religion. Mais ce mal eft-il irréparable > Avant de prononcer, remontons a fa fourec. Les mceurs particulières des petites Communautés tiennent aux mceurs de leur Ordre. Les mceurs de leur Ordre tiennent aux mceurs publiques de la Nation. Si les mceurs publiques fe relachent, alors le relachcmcnt devient général; il fe communiqué indiftindement a toutes ks claiTes de  136 Delaréunïöï* Citoyens. Les corps Eccléfiaftiques même n'en font pas exempts. Aujourd'hui que la Religion a moins d'empire fur les efprits, il femblc que les mceurs de la Nation foient réglées par 1'efprit philofophique. Lorfque la Philofophie nationale dit aux Peuplcs : votre bonheur eft borné a cette vie; la félicité &C les peines éternelles font de vraies chimères ; foyez tranquilles fur 1'avenir, il n'y a pour vous que le préfent: Que fait une Nation frappée de cette vapeur philofophique j Elle renonce a la pureté de fes mceurs; elle regarde comme des infenfés les Citoyens qui s'occupcnt de 1'objet d'une autre vie. Les Religieux , alors perfuadés que leurs prières font rifibles aux  des petits Monastères. 137 yeux de leurs Concitoyens , de ceux même qui en font 1'objet; que leur afiiduité aux pieds des Autcls , eft vue avec mépris, & qu'ils font traités d'êtres contemplatifs, & d'hommes nuls pour la Patrie. Ces Religieux prennent leur état en déplaifance, fuient le Sanctuaire, fe rapprochent du monde, en prennent 1'efprit; & dégoütés d'un habit qui révolte le monde, paree qu'il lui rappclle des principes avilis, ils font tout ce qu'ils peuvent pour en altérer la forme, & ne laiifent pas ignorer combien ils feroient difpofés a s'en débatraffcr. Les Chefs, forcés de fe prêter aux circonftances , deviennent plus indulgens , proeurent des adoucifiemens a la régie, qui en font defirer de plus grands; la liberté s etablit, & les inférieurs  138 De la réunioh deviennent, par principes, indépendans & indociles. Veut-on les rappeller a la difcipline? ils jettent les hauts cris; ils accufent leurs, Chefs de defpotifme, ils les menacent des Tribunaux , oü 1'art de 1'Orateur rend tout problématique. Alors il eft de la prudence de préférer la tolérancc de 1'abus a leclat d'une févérité légitime. Tcls font les effets d'une faufle Philofophie. Mais fi la Philofophie nationale dit aux Peuples : votre bonheur eft moins dans ce monde que dans la vie future : alors les efprits s'occupent d'une doublé félicité ; fi 1'une leur échappe, ils s'en confolent, ils efpèrcnt jouir de 1'autre. Mais, comme il faut prier , & fatigucr le Cicl pour 1'obtenir, s'ils n'ont pas le loifir de le faire par eux-mêmes, ils ont recours a  des petits Monastères. 139 des hommes voués par état a la prière. Ceux-ci, flattés de la confiance publique , chériflent ce genre de vie, qui les rend rccommandables aux yeux de leurs Concitoycns; &r leur zèle s'anime, fe** foutient &c fe nourrit de la piété des fidcles, dont-ils font, nuit &: jour, les organes pour les intéréts de 1'autre vie. Tous également empreffes d'arriver au méme bur, les Religieux vivent entr'eux en bonne intelligence. Point de diffenfions fur la dépendance & fur 1'autorité , point de difpute fur ces lignes de démarcation , qui font 1'ouvrage de 1'égoïfme, de la foiblcife & de la vanité. Comment diltingue-t-on celui qui commande d'avec celui qui obéit? Par fes vertus. Telle eft Theureufe difpofition des Ordres Monaftiques, lorfque la Philofophie  •140 De la réunion nationale ne traite pas de folie les follicitudes des Citoyens fur le bonheur d'une autre vie. En vain 1'on voudroit que les Religieux aimaffent leur état, ils s'en dégouteront de plus en plus, tant qu'ils feront en dérifion, tant qu'ils feront regardés par la Nation comme une furcharge qui grève la terre. En effet , leur profeffion eft nulle , fi, comme le prétendent les Sages de ce fiècle, leur objet n'eft qu'un vain phantöme dont on amufe la crédulité des Peuples. Leur habit cependant, quclque vil & ridicule qu'il paroiffe a 1'ceil philofophique , n'en couvre pas moins des êtres fenfibles, a qui 1'éducation Francoife fait aimer 1'honneur & fait abhorrer le mépris.  des petits Monastères. 141 L'homme lint rhomme parjtout, il le fuit jufqu'aux pieds des ijAutels. Plus il fait cas de la projfeflion qu'il exerce, plus il eft fen1 lible au mépris qu'elle lui attire ; & ne pouvant pas fe venger de 1 ceux qui 1'infultcnt, il regrette le : moment oü fa liberté lui permeti toit de choifir un autre état, dans ] lequel il eut pu mériter 1'eftime i de fes Concitoyens. Aufti n'eft-il 1 pas étonnant que le mécontentc1 ment des Religieux foit li général, I &c que tous , jufqu'aux gens les : plus diftingués parmi eux, paroif- fent faire des vceux pour leur li: berté civile. Si 1'on veut donc que les Reli, gieux reprennent du goüt pour I leur état, il faut attacher de la ; confidération aux établiflemens I Monaftiques, & faire, pour un ] temps, 'abftradion du rclachcment  141 De la réunion des individus qu'ils raflemblcnt. Ce relachement n'eft que momentané •■) il eft le même que celui qui a faiii tous les ordres de Citoyens. Le Gouvernement a la plus grande influence fur les mceurs nationales, paree qu'il peut, quand il veut, régner fur les opinions. S'il veut que les Ordres Monaftiques foient conlidérés, ils le feront, ils reprendront leur conliftance; & bientöt 1'on verra 1'efprit bienfaifant du Monarque, revivifier les folitudes par fes fages infpirations. Déja la voix paternelle de 1'Etat s'eft fait entendre, &c les Religieux attendent, avec impatience , les heureux réfultats des confeils du Prince.  i des petits Monastères. 14} CHAPITRE XX. lObftacles a la réformation des Monaftères. Eft-il utile de modérer leurs Loix ? JOn ne change pas en un moment des habitudes & des opinions bue le tems &c 1'ufage ont accréjpitées. Auffi la réformation des iprdres Religieux doit néceflaire• ment rencontrer des obftacles. Les Légiflateurs des Ordres Mojiaftiques ont bien fait ce qu'ils Ont pu pour enchaïncr rhomme dans lc Religieux ; mais quelle bhaine peut-on donner a la Nature, qu'elle ne biïfe avec le tems J 1 Lorfque de la fervitude 1'homme iJaffe a la liberté, & qu'il rentte  144 DE LA RÉUNION dans fes droits , rien n'eft plus difficile que de le rappeller a fon ancien efclavage. Auffi , pour 1'affervir de nouveau, il eft prudent. de capituler avec lui, & d'envelopper fes nouvelles chaines de; 1'ombre de la liberté. A quoi ferviroit aujourd'hui un Code Monaftique qui forceroit les Religieux a 1'auftérité primitive? II ferviroit a faire voir que les Loix font illufoires, lorfqu'elles ne font pasrelatives aux tems, aux licux &c aux perfonnes. C'eft pourquoi la réforme la] plus fage, eft cclle qui fait modérer Ia Loi par ces adouciflemens canoniques, qui, bien loin de toucher a reffence de la règle, ne] font que 1'afFermir &c en aflurer davantage la pratique. Alexandre VII donna, al'Ordre de Citeaux, un bref demitigation, paree  bes petits Monastères. 145 paree qu'il favoit que les Religieux étoient des hommes. L'expériencc a bien démontré que ce Pontife j étoit éclairé, qu'il étoit guidé par la fagefle. Car lc parti des zélés, ; qui crla fi fort au rclachement, qui rcjetta fon bref, s'cft infenfibiement rapproché, de lui-mêmc, du parti des mitigés; fi bien qu'il n'y a plus dans la pratique dc diftinttion entre la commune & la ftrifte obfervancc. Auifi, modércr les Loix, c'cfl: tendrc a leur but, c'eft rendre leur exécution plus certaine; c'eft enfin épargner aux hommes des prévarications & des reproches. Tomé I. G  146 De la RÉUNlON CHAPITRE XXI. Dangers de la difcujjion des Loix Monajliques. Sagejfe du Piince qui a terminé les difficultés entre les Religieux. li en dc plus pcrnicicux pour unc Société quelconque , que ks difcuffions qu'elle élève fur ks Loix. C'eft un édifice qui s'ébranle fur fes fondemens. L'on fait que ces doutcs politiques ont coüté,.a la vilk de Genève , une partie de fes Citoyens; a 1'Angleterre , fes plus belles poffeflions d'Amérique; & a la Pologne , la plus grande partie de fon territoire. CombienksCorpsMonaftiques, qui n'exiftent que fous k bon  des petits Monastères. 147 plaifir des Nations, n'ont-ils pas plus a redouter dc leurs diflentions Inteftines. Ils avoient befoin qu'on les dégageat de ces follicitudes qui les agitoient lans ccflc fur leur Légiflation, qui rendoient leurs pemblées difficiles & tumultueuss, qui entrctenoient la divifion parmi les Chefs, qui répandoient lans toutes les Communautés parpculières cct efprit de parti, dont 'cf/ct eft de rendre le Frère ennemi lu Frère, & de brifer tous les liens ic la charité; bafe origincllc des itablificmens Monaftiqucs. Aufii e Gouvernement, pour remédicr a ous ces maux, s'cft-il enfin décidé rcfondre leurs Loix & a leur doncr un nouveau Code légiflafif. Cette nouvelle policc rappellc E efprirs a leurs anciennes Loix, étruit Fanarchie 3 & fait ccfler G z •  148 De la réunion 1'arbitraire qui révoltoit ceux mê- | mes qui paroiflbient le plus en J abufer. Les Supérieurs , ainfi que les, plus fimples Particulicrs, n'ayant< plus qua confultcr leur Code ,pour connokre leurs devo.irs &Cleurs droits refpeclifs, toutes leursprétentions fc borncront a 1'cxécution des Loix. Les-ChapitresGénéraux, eux-mêmts, n'auronfl plus d'autrc objet que celui de confrater fi , dans le court intcrvalié d'un Chapitrc a un autre , ks Chefs & les Vicaires Généraux auront rempli fidelkmcnt leur Mifiion , & fi ks Maifons particulièrcs auront été fagement ad-j miniftrées. Les Ordres Religieux fe prêtcront d'autant plus volonticrs aux Aifemblées fréquentes ordonnée! par la Loi, que 1'objet des Cha» pitres Généraux fera plus firnplifié  des petits Monastères. 149 que les délibérations ne roulant déformais que fur des faits d'adminiftration, elles feront a la portee desgénies les plus ftmp!es,a qui lc zèle funira pour prononcer avec fagclfe, & pour rappeller a la difcipline réguliere ceux qui tenteroient de s'en écarter. La difcipline eccléfiaftique a bien perdu, en perdant fes Conciles. II en feroit de menie de la difcipline Monaftique. Lorfqu'un Ordre Religieux eft. une fois d'accord avec lui-mêmc fur fa Légiflatiön, ricn ne lui eft plus utile que fes AiTemblées. Elles lui rappellent fes Loix; elles impriment a tous les efprits cette crainte faiutaire qui conduit a la fageffe; elles excitent 1'émulation des Sujets qui fe diftinguent, paree qu'clles rendent jufticc aux talens ik aux vertus. G 3  ijo De la réunion II eft donc conftant que les Or-i dres Religieux devront leur nou-| veile fplendeur aux fages Regie-1 mens qu'ils recoivent aujourd'hui de la main bienfaifante du Mo-1 narque. Leur Etat étant ainfi réglé &rl leur régime certain, les grands Monaftères reprendront d'eux-mêmesl leur difcipline réguliere; & les petites Communautés ne fe ren-j dront pas moins recommandables par lc genre d'exaclitudc dont elles font fufceptibles. Survcillées continuellcment par les Vicaires- j Généraux, elles feront forcées de j fe foumettrc a la difcipline qui] vient de leur être prefcrite.  des petits Monastères. i CHAPITRE XXII. Teut-on difcipliner les petits Monaftères? JLe vrai moycn de rétablir la régularitc & la décence publique dans les petits Monaftères, c'eft de s'aflurer des bonnes qualités des Sujets qui doivcnt y réfider , les choifir une fois pour toujours, & les y fixer par un vceu de ftabilité; ainfi qu'il fe pratiquc dans 1'Ordré de Citeaux. Un mauvais choix cxpofe une petite Commiinauté & c-tre mal-famée, pendant la vie du Religieux dyfcole. Dans une grande Maifon, il y a moins de danger. Un mauvais Religieux y fait peu de fenfation. G 4  lyz Delaréunion II eft confondu parmi des hommes VCrtueüx qui le contiennent par leur exemple, & le ramènent par leurs confeils. Mais dans une petite Communauté., un Sujet vicieux eft un grand mal, & un mal prefque fans remède. II feroit donc a propos de tirer des grandes Communautés des Sujets formés a la difcipline régulière, & qui, par leur age , r leurs mceurs & leurs talens, fuifent^ propres a compofer avantageufement les petits Monaftères, &c a les rendre utiles a leur Ordre & a TEtat. Pour bien eftcducr ce plan, il faudroit que chaque petite Communauté füt arfiliée a une plus grande. Celle-ci deviendroit une mère Maifon, qui tireroit dc fon fein des Religieux Profès , pour compofer ou renouveller au be-  des petits Monastères. 15-3 loin la petite Communauté qu'elle auroit adoptée. L'Abbayede Jouy,par exemple, adopteroit celle de Seillières; 1'Abbaye de Bonport celle dc la Noe; 1'Abbayc du Val lace celledu Breuil; ainfi des autres. Le grand & le petit Monaftère feroient unis, non par la réunion de leurs biens & par la confufion de leurs manfes, mais par ces Hens fratefnels qui relTerrent entr'eux tous les Profes d'une même Maifon. Les deux Monaftères feroient indépendans, par rapport a leurs biens; mais ils ne feroient qu'un , par rapport a leurs Religieux , qui feroient tous Profès du grand Monaftère. Ce feroit pour ces Solitaires un avantage réel. Ils auroient deux réfidences, dont lc choix & 1'alternatiye feroient, dans certaines G 5  i^4 De la ré union circonftanccs, le bonheur de leur vic. Car un Cénobite qui mène une vie uniforme &: monotone, reffent plus que tout autre lc befoia de changer quelquefois dé pofition. Eft-il convalcfcent; un nouveau féjour va lui rendre la fanté. Eft il d'une foible conftitution; il rcprend fes forees, en s'éloignant dc fon habitation. Eftil afFecté de ces dégoüts, dc cette efpècedevapeurqui rendcnt 1'homme facheux, infupportable a luimêmc &: aux autres; déplacez-le : c'eft le moycn de rappeller la tranquillité &c lc cal me dans fon ame. Son grand age enfin le ramène-t-il a cette inconfiance, a cette légëreté d'efprit qui caractérife lenfance: permettez-lui, pour un moment, de s'Joigner dc fes anciens foyers; vous le verrez bientót y revcnir, pour ne plus penfer qua y terminer en paix fa carrière.  des petits Monastères. ij^ Telles font a-pcu-près les reflburces qu'un petit Monaftère peut oftrir a un autre plus coniidérabk. La proximké du lieu , la liaifon naturelle que des Confrères ont [ avec des Confrères Profès de la | mêmc Maifon ; tout infpirera, aüx Religieux d'un grand Monaftère \ le defir dc profiter des avantages d'une doublé rcfidencc. De fon cóté, le petit Monaftère fe trouvera dans une pofition trèsHieureufe'j lorfqu'il n'aura plus a craindre dc renfermer dans fon fein aucun Sujet quip'uiifc le déshonorer ; lorfqu'il fera 1'objet des foins d'une Maifon mèrc, d'autant plus intéreftee k lc protéger, qu'elle y trouvera dans tous les tems un Hofpice pour ceux de fes Religieux qui mériteront, par leur conduite, fes égards particuliers. Alors ks Profès des grandes G 6  j5^ Delaréunion Maifons, bien loin de voir de mauvais ceil, & de regarder comme une forte de punition, comme un exil prefqu'aviliiïant, leur tranflation dans les petits Monaftères, la regarderont comme un acte de bienfaifance, comme un titre d'honneur &: de confiance, comme un hommage enfin rendu a leurs vertus.  des petits Monastères. 15^7 CHAPITRE XXIII. L'affociation de deux Maifons iieft-elle pas contraire au vozw. de Jlabilité? Ent re Religieux, a qui 1'on fait promettre d'être ftables, alTocier deux Maifons féparées 1'une de l'autre, rendre ces Religieux mobiles, par des obcdiences qui les feroient palier, tantöt de la grande dans la petite , tantöt de la petite dans la grande ; n'eft-ce pas attaquer dans la pratique, cette unité de réfidence que paroït exigcr dans quelques Ordres Religieux le vceu de ftabilité ? Non y ces déplacemens des Religieux , bien loin de les éloigner  ï|i8 De la réüniön de leur règle, les portcront a la pratiquer'avec plus de zèle. Car , de bonne foi, peut - on croire que par cc voeu un Religieux fafle le ferment de ne jamais quitter le' Monaftère qu'il aura choifi de préférence? Si cela étoit, Saint Rernard lui-même eüt été prévaricateur. Car il a quitté Citeaux, fa maifon de profeftion, pour réfider & paffcr fa vie dans celle de Clairvaux. Cependant Saint Bernard avöit fait un voeu de ftabilité, & fon vceu. étoit fafts reftriélion. La ftabilité a laquelle il s'étoit engagé , n'étoit donc pas une ftabilité phyiique & locale, qui feroit qu'un Religieux ne pourroit jamais, fans être parjure, exifter que dans fa maifon de profeftion. La ftabilité que Saint Bernard avoit vouée, étoit donc cette fta-  des petits Monastères. 159 bilité morale qui attaché un Religieux , non-feulement a fa maifon de profeffion, mais encorc a toute autre ou fes Supérieurs jugent a propos de rappeller. Deforte qu'un Religieux accomplit réellcmcnt fon voeu de ftabilité, & en pratique les vertus,lorfque, transféré dans un autre Monaftère, il s'y attaché , & y remplit fes devoirs avec la mcrae conftance que s'il avoit fait vceu d'y refter toutc fa vie. En effet, 1'objet eiTentiel du vccu de ftabilité, eft d'écarter de 1'état Religieux eet efprit de légéreté li naturelle a 1'homme, cette inconftance, qui lui fait continuellement defirer d'étre oü il n'eft pas, & de ne pas être oü il eft. Bien loin que la tranflation d'un Religieux détruife en lui la ftabilité , elle 1'aftermit j paree que,  i6o De la réunion en le déplacant, elle dégage fori ame des dégoütsinféparables d'une vie trop monotone, &: le rend plus ftable Sc plus attaché a fon état. Enfin , s'il eft vrai que le voeu de ftabilité n'a pour but que la perfedion Religieufe , au lieu d'être une perfeclion, ce vceu feroit un vice s'il étoit contraire aux vues d'utiÜté publique; s'il étoit obligatoire au point d'empêcher qu'un Religieux ne s'éloignat de fon cloitre, Sc ne rendit fes talens Sc fes vertus utiles, ou a fon Ordre, ou a 1'Eglife, ou a 1'Etat. Ce vcèu cependant n'eft point illufoire. II oblige les Religieux, Sc plus encore les Supérieurs-Majeurs, qui ne doivent les déplacer de leurs Maifons de profeftion, que dans ces circonftances impéiïeufes dans lefquelles il n'eft pas permis  PB des petits Monastères. i6i a un inférieur de déibbéir fans fe refufcr au bien public, fans renoncer a la qualité de Citoyen. II faut donc chercher un milieu entre les deux extrêmes : entre les tranflations fréquentes &: la réfidence inviolable des Religieux.  ïiji De la réunion CAAPITRE XXIV. Les Tranfiations fréquentes fontelles utiles aux Religieux non rentés 3 & nuifibles aux Cénobites ? Xj e s tranfiations fréquentes font trés - utiles aux Religieux qui fe confacrent a rinftruction de la jeuncfle. Car, ceux qui cultivcnt les Lettres , doivent fe déplacer pour corifulter les Savans, pour profitcr des Bib'.iothèques, pour varier leurs exerciccs littéraires, & enfin pour perfectionner &; étendre leurs connoiffances. Ces fréquentes tranfiations font bien plus u;iles, font même néceffaires aux Religieux qui nc poiTé-  des petits Monastères. 163 dcnt ricn , qui ne trouvent leur fubfiftance que dans le champ épineux du Miniftère. Car c'eft par leurs déplacemens continuels, c'eft par leurs courfes apoftoliques qu'ils fe formcnt, qu'ils fe diftinguent, & attirent fur cux les regards & la bicnfaifance du Peuple. Mais, pour .les Religieux qui n'ont aucuns Colléges publics, qui n'exercent querarement, hors de leurs cloitres, les fondtions du Miniftère, ils ne fauroi ent être trop rcfervés fur leurs déplacemens. Deux objets les occupent cftentiellemcnt; la célébration des Offices , tk. 1'adminiftration de leurs biens. Pour aduvniftrer fagement le temporel des Monaftères, de ceux fur-tout qui font dans les campagnes , il faut bien connoitre les  IÓ4 De la reunion poffeftions rurales ; & pour les connoitre, il faut les étudier longterm , il faut multiplier les eflais; paree que la vérité ne ié découvre qu'a I'ceii obfervateur, qu'a 1'homme conftant dans fes recherches. C'eft ainfi que les Solitaires de 1'Ordre de Citcaux ont amélioré & amélioreront cncore les terres dont la Nation a doté leurs Maifons. C'eft pourquoi , reftraindre la mobilité des Religieux de cct Ordre, c'eft les rappeller a leurs foins primitifs, a ces travaux champêtres, qui donnent la vie aux pauvres , & qui font la vraic richeffe de 1'Etat; c'eft enfin réparer d'autant les torts que les Commandes font a 1'agriculture. Ces avantages feroient bien plus fenflbles, fi ks Supérieurs locaux  des petits Monastères. rtfj étoient pcrpétucls. Car leur mobilité fait qu'ils adminiftrent leurs pofïeiiïons en poiTeffeurs précaires, en fimples rentiers, & qu'ils fe contentent d'cn toucher cxa&emcnt les revenus, fans s'occupcr de ces moyens lents Sc pénibles qu'exige 1'amélioration de la chofc qui leur eft confiée. Si la mobilité des Religieux eft préjudiciable al'adminiftration du temporel, elle eft Bien plus nuiiible a la prière. Car la piété exige du recueillement; Sc 1'homme qui voyage en eft peu fufceptible. Toujours plcins des impreflions qu'ont faites fur leurs efprits les mceurs Sc les ufages variés des différentcs Maifons qu'ils ont habitécs, ces Religieux nomades prennent du dégout pour cette marche fimple Sc uniforme, qui caractérifc la vie cenobitique qu'ils ont  166 De la réunion embraflee. Leur cara&èrc n'eft plus qu'un caradtère mobile, un caractère artificiel; & 1'habitude de voyagcr les rcnd girovagues & ennemis de la réfidence. L'on fait que les Nations ellesméiiics, lorfqu'elles ont pris lc goüt des voyages, deviennent légères, fc corrompent, &réunilTcnt a leurs vices ceux desPeuplcs qu'elles fréquentent. Que deviendroient les mceurs édifiantes des Religieux d'Orval, de Scpt-Fonds & dc la Trappc, li Fon aiTujettidbit ces pieux Solitaires a des obédiences qui les cntremêlaflcnt les tuis avec les autres ? II eft donc prudent de reftraindre la tranflation des Cénobitcs. Mais il feroit déraifonnablc de ne pas les déplacer pour leur fanté, ou pour les bcfoins de leur Ordre,  'des petits Monastères. 167 Ainfi, pour gardcr un milieu dans la mobilité des Religieux, il conviendroit d'aflbcier un petit Monaftère a un plus grand. Alors les tranfiations fe borncroient d'clles-mêmes a ces deux Monaftères. Par-la , les petites Communautés deviendroient jnfiniment utiles : & bien loin de défirer leur deftruclion, les vrais Citoyens défircroient , au contraire , dc les voir fc multiplier. En effet, les petits Monaftères ne font-ils pas autant de Propriétaires diftribués dans le champ du Royaume , pour lc vivificr, pour occupcr les Colons? Au lieu de réunir plufieurs petites Communautés pour en former unc plus confidérablc, ne vaudroit-il pas mieux appeilcr les Maifons richement dotées au fccours de celles qui n'ont pas le  i68 Delaréunion raoycn d'entrctenir une conven-1 tualité légale? Ne fcroit-il pas plus j fenfé qu'une Maifon de vingt Rc-1 ligieux détachat fix des fiens, pour I complettcr celle qui n'en auroit que trois, & mït, en payant des | penfions j cctre petite Commu- ] nauté en état de fubfifter d'une | manière légale. Cette fage difpenfation des for-1 tunes particulières feroit honneur 1 aux Maifons qui feroient ce facri-1 ficc : &c ce facrifice feroit dc leur 1 part un aclc d'cquité. Car telle^ Maifon aujourd'hui eft en hon-1 ncur, qui demain fera avilic pari les évènemcns les plus fachcux , ] & nc devra fa confervation qu'au I crédit & aux fecours dc fon Ordre. 1 Eh! queft un Ordre Religieux , ' fi ce n'eft 1'enferable des Maifons'j qui le compofent ? S'il eft vrai qu'il n'eft pas une Maifon qui n'éprouvel continucUemcnt I  des petits Monastères. 169 continuclkmcnt les effets de fon crédit, il n en eft pas une qui ne doive tout faire pour conferver, au Corps qui la foutiént, 1'intégrité de tous fes Membres. Ces principes font fans doute inconciliables avec 1'efprit monacal, avec eet efprit qui fait que le Moine préfèrc fon intérêt perfonnel aux intéréts de fa Maifon, les intéréts dc fa Maifon aux intéréts de fon Ordre, & ks intéréts de fon Ordre aux intéréts dc. fa Nation. L'cfprit monaftique , au contraire, concilicles vertusreligicufes avec les vertus civües. Lc Religieux, bien différent du Moine, aimc plus fa Maifon que lui-même , aime plus fon Ordre que fa Maifon, & chérit fa Patrie & fon Prince bien plus que fon Ordre. Tomé I. H  170 De la léunion CHAPITRE XXV. Les Monaftères font-ils utiles par rapport d la Religion dominante ? JL'uniformité avec laquclle les Religieux pratiquent leurs exercices, la forme conftantc dc leur babiliement , 1'antiquité de leur établiiTemcnt, entretiennent néceffairement dans 1'efprit des Peuplcs 1'idée d'une Religion invariabic dans fes principes & dans fes ufages. A. ces traits antiques chaque individu croit reconnoitre la ReJion de fes Pèrcs. Les Abbayes font donc fur la furface du Royaume autant de  des petits Monastères. 171 petits poftcs, ctablis de prochc en proche, pour conferver lés Peuples dans lunité de Religion. Les Souvcrains qui ont voulu abolir la Religion Catholique, ont bien fenti cette vérité. Aufli ont-ils cu grand foin dc commenccr par dérruire les Monaftères. En fait d'innovation, les Religieux font peu fociles a féduire. Pourquoi > C'eft qu'ils vivent , qu'ils penfent, qu'ils agiffent cn commun. Si 1'un d'cntr'eux s'égare, les autres le ramèncnt. Un Ecclcfiaftiquc ifolé, un Eénéficier qui fe voit le rnaïtre de Idécider de fon fort, eft, dans le cas de fédudfcion, bien expofé a fe iailTer furprendrc. Si les Bénérices qui lui feront offerts ne le tentent pas affez, les honneurs, les dignités pourront achevcr fa dcfaite. H z  ijz De la réunion, &c. Les novateurs connoiücnt les hommes. Mais plus hommes euxmêmcs que les autres hommes, ils ne s'appercoivent pas qu'ils lont les jouets de leur fauflé politiquc, envoulant régler, foton leurs caprices , les devoirs facrés de la Religion. Religion fainte! Religion dc nos ancêtres! pourrions-nous renonccr avos célcftes maximes? Eh! quel homme eft affez infenfé, pour fermer les oreillcs a cette voix qui lui cric fans ceife : Adore ton Dieu; obéis a. ton Roi, aime ton fcmblable. S'il eit malheureux, foulagc-lc; &: jamais en lui nc méconnois ton frere.  Des Religieux. 173 CK AP f T R E XXVI. Queile eft Vutilité des Religieux non rentés? Sl 1'on confultoit les moeurs publiques, & fur-tout les opinions dont elles s'appuient, il feroit peu facile de prononcer en faveur des Religieux non rentés. Car, tandis que le Gouvernement fait mille erforts pour détruire la mendicité dans le Royaume , pourquoi , dira-t on , pourquoi fouifrir plus long-tems que des hommes honnêtes, que des Religieux tendent la main pour vivre, & tirent leur fubfiitancc de cette ClaiTe de Citoyens qui peuvent a peine fubfifter ï H 3  174 Des Religieux La Nation manque-t-elle de Pafteurs ? A quoi bon ces Prêtres auxiliaires, qui ne font qu'entretenir dans la pareiTe & dans I'oubli de leurs devoirs, ceux que 1'inftitution divine a confacrés au ferfervice des Autcls & a la diredion des ames? Que devient le troupeau conduit par le mercénaire, qui prend la place du véritable Pafteur i Ce troupeau s'tgare ; il ne fait plus que languit, & fa perte enfin devient inévitable. Bien loin d'envifagcr comme une furcharge , comme un mal politique les fecours que les fldèles proeurent aux Religieux non rentés, «'eft-il pas plus fenfé dc regarder ce tribut volontaire du Peuple, comme le prix des confolations qui jettent un voile fur fa misère, qui le rendent docile, &: 1'empê-  NON RÊNTÉS. I7J" chcnt de brifer les licns qui fattachent a la Société civile. Ce pauvre, que la Religion confole, vous paroit humble & foumis. Ne vous y trompez pas, il eft homrae ; il ne perd pas fa fierté naturelle, & cette fierté eft inféparable dc fon ame. Elle 1'accompagnc, & prend méme de nonvelles forces dans les pratiques les plus humiliantes de la Religion. La r3ifon en eft bien fimple. Plus 1'homme fe rspproche de 1'jEtrc fuprêmc, plus il s'clève au-deftus de lui-même, & fe rend recommandablc afes propres yeux. Alors regardant avec dédain ces infenfés, qui s'énorgucilliffcnt de leurs vains titres , qui abufent de 1'auguftc fonélion du Sacerdoce , & raépri* fent leurs fcmblabies, il cherche parmi les Miniftres des Autcls un homme aufii pauvre, aufti humble H 4  iy6 Des Religieux que lui, & qui fachc compatir k I fes infirmités. Auffi nhéfite-t-il pas de préférer celui qui cache le Pontife fous lc mantcau de 1'in- j digent. C'eft pourquoi les Miniftres de la Religion, qui dclircnt captiver la confiance du Peuple, doivent être iimples & modeftes 5 & plus_ leur habit fe rapproche de celui des pauvres, plus il leur eft faciïc de les confoicr de la privation des richefiés, & de leur perfuader que le vrai bonheur n'eft pas dans le monde. La Religion s'affoiblifïant de jour en jour, les Riches font obligés de fe cachcr pour en obferver j les pratiques. Ce n'eft pas au fond qu'ils foient irréligieux; mais pour ; éviter de paroïtre ridieules, ils affeéteut p0ur le Culte extérieur, | une indifférence qu'ils n'ont pas.  NON RENTÉS. 177 Auffi, pour ne pas rencontrer dans les Sociétés du grand monde, le Miniftrc, a qui la Religion veut qu'ils faffent 1'humble aveu de leurs foiblelTcs, ils preferent au Prêtrc mondain l'Eccléiiaftique en mantcau de bure, dont la vie obfcurc 1'auure du fecret inviolable des révélations qu'il va lui faire. La modcftic d'un Religieux femble s'accroitre avec la iimplicité de fon habit; & cette modeftie, qui le rend plus affable & plus populaire, le rend par conféquent plus utile a fes Concitoyens. Jamais les Religieux non rentés n'ont eté fi utiles qu'ils le font aujourd'hui. Car fans ces auxiliaires, combien le Miniftère de la Religion ne feroit-il pas négligé, furtout dans les campagnes, lorfque les Pafteurs, accablés de vieilleffe, oufatiguéspardclonguesmaladies, H 5  178 Des Religieux font obügés de ceiTer leurs fonctions ? En vain, s'adrelferoient-ils a leurs Confrères : ils ne pourroient en obtenir que des fervices rares &c tardifs; tandis que les Religieux font toujours prêts de voler a leur fecours, d'autant plus zélés a les fervir, qu'ils ont intérêt pour fublifter, de multiplier le plus pofilble leurs courfes Apoftoliques.  NON RENTÉS. I79 CHAPITRE XXVII. Les dépenfes modiques des Religieux non rentés font-elles onéreufes? Sont-ils récompenfés de leurs travaux? Sont-ils utiles politiquement ? X L faut avouer que fous l'affublement fauvage de certains Ordres, les Religieux non rentés feroient réellement a plaindre, s'ils n'étoient dédommagés par leurs vertus. Car le mépris & les farcafmes marchent toujours devant eux, &c mettent par-tout a 1'épreuve leur vocation & leur fenfibilité. Rien n'eft plus injufte que de leur reprocher leur fubfiftance. Tout modique que 1'on fuppofe H 6  180 Des Religieüx le Patrimoine colledtif qu'ils ont laiffe, ils n'en retirent pas i'cquivalent des bienfaits desfidèles. Leur habillement eft fi pauvre, leur table eft fi modique! Que coütent-ils a leurs Concitoyens? Trèspeu aux grands; un peu plus aux petits. II eft voluptueux pour un pauvre, dc vcnir au fecours d'un plus pauvre que lui C'eft le pélican qui a reifenti la faim, & qui déchire fes entraillcs pour nourrif fes petits. Le fentiment de fes proprcs befoins porte naturellcmcnt 1'indigcnt a venir au fecours de 1'homme qui s'cft voué a ia pauvreté j fur-tout lorfque fon vceu a pour objct de confolcr les infortunés, & de leur prouver par fon exemple , que c'eft une folie de rechercher d'autrcs richeffes, que celles: qui ne pcriront jamais.  NON RENTÉS. l8l Ce que le Peuple donne a ces Religieux , il le retrouve au eentuple dans la vie frugale &: a&ive, a laquelle les porte la Religion que ces hommes zélés lui infpirent. Ces Miffionnaircs, qui firent au Paraguai des ehofes fi étonnantes, ne travailloient pas a la terre \ ils vivoient aux dépens des Colons. Mais fans la Religion qu'ils donnoient a ces Peuplcs fauvages, que feroient devenues ces Colonies? Les Guaranis feroient encore dans leurs forêts, & leurs terres en friche. Que font-ils a préfent ? Ne nous y trompons pas, nos Européens, tout policés qu'ils paroiflent, ont befoin d'un lien commun, qui les retienne en fociété. La Religion feule eft ce point de rallicmcnt. Peut-on imaginer qu'un-Peuple nombreux & civilifé voit avec  iSiDes Religieux, Sec. iirdifférence la Propriété commune de la Nation devenir 1'apanage d'une poignée de Citoyens ï Ce Peuple , que vous voyez paifible , cache fous cette timidité apparente des fentimens trèsexaltés. II faudroit avoir éprouvé les befoins de première néceffité pour prononcer fur la fituation de 1'indigent, & pour jugera quél point la misère rend fa tête inflammable. Pour avoir une idéé de 1'inflammabilité des efprits, il fuffit de faiie cette réflexion: que comme pour brüler nn grouppe de maifons également combuftibles, il fuffit de mettre le feu a la première ; dc même auffi pour révolter un Peuple mecentent, il n'eft pas toujours néccüaire de cabaler; que fouvent il ne faut que la voix d un fa&ieux.  Du Luxe. .18$ CHAPITRE XXVIIL I Réflexions fur la dejlruclion des Maifons Religieufes. S'il eft vrai que la divifion des 1 grandes Propriétés eft un bien poj litique; s'il eft vrai que les Monaftères divifent utilemcnt la dotation de 1'Eglife ; s'il eft vrai que les petits Monaftères fubdivifent cette dotation; s'il eft vrai enfin | que les plus petites Communautés i font fufceptibles de décence & de I difcipline, & qu'elles multiplient | les fecours que les Fondateurs ont 1 voulu perpétuer en faveur des pau' vres j n'eft-il pas plus fenfé de s'oc: cuper de la confervation de ces ( pieux afylcs, que de leur anéantifi fementï  184 Du Lux e. Ici fe préfentent naturellement les réflexions du fage Pompignan, dans fon Difeours fur 1'Agriculture. » Depuis long-tcms, en France, » on ne voit de Domaines fupérieu« remént cultivés, fournis d'habi« tations convenables&d'habitans, » laborieux, que les Domaines des "Ordres Religieux, fur-tout des »? grands Propriétaires, tels que les » Bénéditïins, les Bernardins, les » Chartreux, &c. Cela feul, indé» pendamment de la reconnoif» fancc qu'on leur doit, & de 1'uti» lité de leur profeftion, devoit les » mettre a 1'abri de la deftrneïion. "épidemique qui les pourfuit, II » me femble qu'avant de procéder » a Fabolition d'un Ordre Monaf»•>tique, il faudroit examiner d'une, » manière impartiale, fi fon exif»tence eft nuifible ou avantageufe:  Du Luxe. 185 >5 a 1'Etat; li les biens 4ont on dé« pouillera ces Moines, tomberont » en dc meilleures mains j 11 leurs » Pofiefiions feront mieux culti" vées 511 dans les cantons qu'ils ha» bitent, les pauvres feront mieux « fecourus par de nouveaux Pro>3 priétaires, foit Laïques, foit Ec» cléfiaftiques. Je laiiïe a 1'écart, «comme on voit, 1'intérêr de «l'Eglifc & de la Religion. Ces |v> objets-la n'entrent guèrc aujour>3 d'hui dans les confidérations poli» tiques. N'envi fageqns dans toutes »les fuppreflïons faites ou a faire, «que lc bien phyfiqut & tempo« rel. Qucl fera-t-il ? Qu'y gagneront »j le Prince & 1'Etat) Quelle qu'en >j foit la deftination , elle n'enri>3chira ni n'embclbra les campa»3 gnes. Comment feront adminif»3trés tant de riches Etabliifemcns m Monaftiques ï Car il y en a, je  i86 Du Luxe. »' I'avoue, de nombrcux & de con» fidérabics. Comment feront cn*j »3 tretenus ces valles Batimens ,1 » conftruirs avec tant de foliditél » ces magnifiques Temples du Seil » gneur, ces belles Fermespeuplées » d'ouvricrs& de cultivateurs ? Que »tout cela foit livré a des Etablif» femens Militaires, a des Fermiers >3 du Domainc, a des Abbés Com» mendataires, a qui Fon voudra; «nous n'y retrouverons bien-tót »' que les champs oh fut Troye. Jet» tons les yeux fur les terres d'une » Abbaye quelconque, quclle dif» férencc énorme entre la Mcnfe » Abbatiale&laMenfcMonacale? ; »La première a fouvent Fair du » Patrimoine d'un diffipatcur; 1'au« tre eft comme un hcritagc oü »1'on n'épargne ricn pour Farné» lioration. Je ne plaide point ici l »la caufe des Moines; je plaide  Du Luxe. 187 I»celle de toutes les cultures, de f»tous les Propriétaires des pauI» vres, du travail & de la popula»tion. Reffufcitons un moment |« Virgile, Varron, Columellc. Em1» ployons-les comme Experts dans I» 1'examen de nos campagnes. Ils ■wrircnt, comme Païens, de nos I» inftitutions monaftiques. Mais 1» ils combleront d'éloges, comme |»économes & cultivateurs, les |»j enfans dc St. Bruno, de St. Ber|»nard & de St. Benoït «. Que réfulteroit-il de la deftruction des Monaftères, fi ce n'eft d enrichir ceux qui font déja riches, 1 ^'augmenter le fafte des Villes, & j d'affoiblir, par la corruption des Imceurs, la vraie fource de la poI pulation ? Mais le Luxe opère-t-il la divifion 1 des richefiès? Nousallons pafTer en I revue fes avantages & fes inconvéI niens.  ï88 Du Luxe. CHAPITRE XXIX. Le Luxe de la Capitale eft-il utile aux Habitans des Campagnes ? Da n s nos mceurs les grands fropriétaires ne fauroient fe fixer a la campagne. Ils s'y ennuient 1 & Ia plupart des Colons y périlfent dans la misère. Les Villes au contraire, oftrent aux Riches1 des jouiflances yariées a 1'infinj*] Elles proeurent aux gens fins fortune mille reftourecs de tous genres. Pourquoi les Citoyens de toutes Clafles ne préféreroient-ils pas le féjour des Villes, & fur. tout celui de la Capitale > La profpérité de la Nation eft dans le bonheur des Sujets qui la  Du L u x F. 189 ■tompofcnt. Que lui importc oü ls fa (Tent leur réfidence, pourvu hu'ils foient heureux, qu'ils fe réIjénèrent & proeurent des défenfcurs a la Patrie. La défertion des campagnes fait e bonheur de ceux qui s'en éloignent, & laiffe plus d'aifance a :beux qui preferent encore d'y refter. Ces avantages font fenfiblcs. Un fimple Payfan, füt-il lc plus ■tiduftrieux de tous les hommes, Jborne les fuccès dc fon induftric a lécarter 1'indigence. Mais vient-il |dans la Capitale, fes idees chanIgcnt. II eft tout étonné de fe voir fi pauvre. II voit autour de lui ll'or fe prodigucr fous mille fbrImes; il le voit fur les Maïtres, il 1 le voit fur les valets, fur les car- rolfcs& fur les chevaux; il le voit ; enfin jufquesfur lesjoujouxdesenj fansj & a chaque pas qu'il fait, il  Ï9& Du Luxe. & les Citoyens qui le fervent par-1 tagent fes dépouillcs. C'eft ainfi que la ruine d'un feul fait 1'aifance de plufieurs. S'il eft vrai que la profpérité de: la Nation foit dans 1'aifance de la; multitude, &c non dans les richeffes excefïives d'un petit nombre , il n'eft pas moins vrai qu'une grande Ville eft un bien politique, ■ puifqu'elle appauvrit les grands \ pour enrichir les petits, & qu'elle rapproche par-la d'autant les Ci-; toyens de 1'égalité. Quelqucs anciens Légiflateurs ont employé 1'autorité, pour partagcr les grandes Propriétés. lis ont fauvé par-la leur République; mais ce moven violent étoit odieutf aux Riches. Nos Villes de luxe, pour dépouiller les grands Propriétaires, s'y prennent tout au-* trement. Au lieu de la force , elles:  Du Luxe. 193 elles cmploient la main de la vor lupté. II eft indifférent a la Nation que tel ou tel foit riche; mais il lui importe beaucoup que les fortunes foient mobiles, &z fur-tout que 1'indigent puiffe afon tour efpérer d'être riche. Lesgens fans fortune n'auroient aucunc émulation, fi les Riches réfidoient conftamment dans leurs Terres. Car il eft dans 1'homme dc s'attacher a la Propriété qu'il a fous les yeux. II eft encore en lui de chercher a 1'augmenter ; paree que fon amour-proprc augmente avec 1'étcndue de fon Domaine. Le pauvre qui recherche 1'aifance , peut borner fes defirs a 1'aifance ; mais le Riche qui veut être plus riche, a bien de la peine Tome L I  iP4 Du Luxe. a borner fes defirs j paree qu'il ne defire le plus que par vanité, & que la vanité connoit fi peu de bornes , qu'elle mène prefque toujours rhomme a 1'infatiabi- lité.  Du Luxe. 19; CHAPITRE XXXI. J Le Luxe eft-il utile aux Arts & d la civilifation? I Pl u s ks Villes font riches, furj tout la Capitale, plus les hommes de génie s'y raflemblent de toutes aparts, & s'cfforcent a 1'cnvi d'y |aptiver par leurs talcns les fuf, frages publics. De la ces monumens éternels jdes efforts de Tefprit humain; de la ces inventions utiles & agréai bles qui ajoutent infiniment au j bonheur de la Société; de la ces ; maximes fublimcs d'humanité & ]ces mceurs fi douces, qui, fe comf muniquant de proche en prochc, nont civilifé les hommes les plus I i  I5«J Du lux E.' groffiers, & n'ont fait d'un Peuple immenfe 6c fauvage qu'une Familie bien unie, qui ne voit dans le Monarque bienfaifant qui la j gouverne, qu'un Père commun qu'elle adore. En effet, qu'étoit le Royaume avant que la Capitale fut le ren- ] dez-vous des Riches? Un com-. pofé d'üne infinité de Peuplades, qui formoient dans le vafte champ de la France autant de petites Souverainetés, dont les Chefs portant flèrement la cappe 8c 1'épée, gouvernoient leurs Vaffaux en vrais tyrans, & retenoient dans 1'ignorance , dans la barbarie & dans 1'indépendance de fon Souverain légitime, la plus belle Nation du monde. Voila les avantages du Luxe. Voyons fes inconvéniens.  Du Luxe. 197 *97 CHAPITRE XXXII. J Les Villes de luxe font-elles one'reufes d la Nation & ruineufes pour les Particuliers? . Les Peuples patiënt de la barbarie a la politcfle, de la politefle I a la corruption, & de la corruption ils retombent dans la barbarie. Les Villes font utiles & même néceffaires aux Peuples barbares , paree qu'elles les policent. Mais elles deviennent nuifibles aux Peuples policés, paree qu'elles les corrompent.Lorfque la corruption eft parj venue a un certain degré, il faut multiplier les Loix. Mais plus on I 3 ■  i$8 Du Lux E. les multiplie, plus elles fe croifent, fe confondent & deviennent impraticables. L'impoflibilité d'obferver des Loix trop multipliées fait élever la voix contre elles 5 fait douter de leur fagefle, &l'on en doutc menie jufques dans leur fanduaire. Ce ne font ni les Loix , ni le Gouvernement, ni les Magiftrats qu'il faut accufer; c'eft le mal luimême qu'il faut apprécier, & regarder cömme incurable. Le bonheur que promet une Ville de luxe, telle que la Capitale, n'eft qu'un bonheur imaginaire, un bonheur apparent. Car peut011 appeller jouiflances celles qui détruifent la faculté de jouir, & qui finiffent par priver des chofes les plus néceflaires a la vie. Si le Luxe ne dévoroit que les plus grandes fortunes,rappauvrif-  Du Luxe. 199 fement des Grands feroit peut-être la conlblation des petits. Mais il s'appéfantit fur tous les états; il s'étend fur les profeffions mêmes les plus viles; & il n'eft pas de Citoyens qu'il ne réduife aux expédiens. Nous ne parierons pas de cette multitude inombrable de Payfans, qui viennent fans cefte dans cette Capitale , s'entafler les uns fur les autres; & qui, après avoir éprouvé dans d'horriblés galetats la misère la plus affreufe, font regorger les Hopitaux, oü la plupart finiflènt leur malheureufe carrière. Mais ceux qui fubfiftent de leur travail, ainfi. que ceux qui vivent de leur bien, portent leurs dépenfes au-dela de leurs facultés; & chaque jour pour eux eft marqué par quelques nouveaux befoins qu'ils ne peuvent fatisfaire. I 4  2oo Du Luxe. Les Riches & les Pauvres éprouvent donc également le fentiment de la détreife. Leur gêne, quoique volontaire, n'en eft pas moins impérieufe, puifqu'elle les porte a tout facrifier, même la vertu, pour fuivre le torrent du luxe qui les entraïne. La Claffe induftrieufe, preifée par ces befoins imaginaires & d'opinion, met a fon travail & a fon induftrie les prix les plus injuftes &: les plus arbitraires. Le Riche que 1'on dépouille de fa fortune, emploie mille artifices pour fe foutenir; il tache de fe procurerdes reffources, enpuifant dans les revenus publics. Les Finances fouftraites par mille mains invifibles , occupent fans ceifc le Gouvernement, qui, forcé de remplir ces vuides, a recours aux emprunts, a de nouvelles taxes, a de nouveaux impöts.  Du Luxe. 201 Une grande partie de ces tributs fe verfent dans la Capitale, augmcntent encore 1'éclat de cette Ville fuperbe, & la rendent de plus en plus onéreufe a 1'Etat. Cependant, il faut convenir qu'une grande partie des Finances de cette Ville retournent dans les Provinces/en échange des denrées qu'elle en tire pour fa fubfiftance. C'eft une reftitution qu'elle leur fait de leurs richeflcs; mais il s'en faut bien que cette reftitution foit au pair. Car quelle fomme immenfe ne prodigue-t-elle pas en objets de luxe & de caprice, pour lefquels elle eft forcée de verfer les fonds de la Nation dans les quatre Partics du monde. Ces richeifes qu'elle fait fortir du Royaume y rendent le numéraire fi rare, qu'une infinité dc I 5  zei, Du Luxe. gens, même a leur aife, font forcés, par la rareté des efpèces, de manquer a leurs engagemens. De la ces banqueroutes fi fréquentes. Plus elles fe multiplient, moins elles deviennent déshonorantes. En effet, elles déshonorent fi peu aujourd'hui qu'elles font devenues un objet de fpéculations utiles, & que rhomme de mauvaife foi peut marcher tête levée, & exécuter impunément le projet odieux de s'enrichir aux dépens d'autrui.  De la Division, Sec. 2,03 CHAPITRE XXXIII. La Divifion des grandes Propriétés multiplieroit - elle les Citoyens vertueux & dévoués d la Patrie? JL'homme qui cultive par fes mains le terrein qu'il poffède, fait ordinairement ce qu'il peut pour en augmenter les productions. Toujours occupé de rendre de plus en plus fertile le champ qui le nourrit, il ne le perd pas un inftant de vue; il y travaille tous les jours de fa vie 5 Se quelqu'ingrat que foit le fol qu'il cultive, jamais il ne regrette fes peines, paree qu'ii efpère toujours qu'une récolte heureufecouronnera fes travaux. Cette I 6  204 De la Division vie adive le portc néceftairement a Ia vertu. II eft fimple, il eft fobre; il fint les plaifirs déréglés qui lui feroient diftiper en un moment les fruits de fon économie, &c d'un travail infatiguable. Plus le Colon s'attache abonifier fa propriété , plus elle 1'intéreffe, &lui fait chérir fes foyers. Le petit efpace qu'il occupe eft a fes yeux un Royaume , eft pour lui le monde enticr. L'Etat eft-il ménacé d'une invafion ? il eft allarmé pour fon champ , il court aux armes & n'attend que le fignal pour aller a 1'ennemi. C'eft ainfi que par lc motif dc fon intérêt perfonnel, le Propriétaire eft vraiement Citoyen , & devient 1'intrépidc défenfeur de fa Patrie. Dans les beaux jours dc la République, Rome comptoit autant  DES GRAND. PROPRIETEN. 10J de Héros qu'elle comptoit de Soldats : c'eft qu'ils étoient tous Propriétaires. Sans remonter a des temps fi reculés, les Américains viennent de nous convaincre de cette vérité, & nous prouver que les ennemis les plus aguerris &c les plus fiers, ne peuvent rien contre un Peuple de Propriétaires cultivateurs. Pourquoi les Polonois ont-ils cédé fi bénignement leur Paysï C'eft que les hommes étoient ferfs & fans propriétés. Nos Soldats défertcnt : mais leurs défertions feroient bien moins fréquentes s'ils tenoient a leur Patrie par les propriétés rurales. Les Artiftes, en temps dc guerre, ne font pas les derniers a fuir leur  10S De la Division pays , paree qu'ils n'ont de propriété que les uftenfiles de leurs Profeflion's. La France a bien éprouvé k quel point cette clafle de Citoyens eft mobile. La République de Genêve éprouve aujourd'hui de leur part Ia même inftabilité ; elle voit échapper de fon fein des hommes, dont I'induftrie contribuoit a la rendre floriffante. L'homme a talens eft accueilli de toutes les Nations; s'il eft; contrarié dans Fune , il fe réfugié dans Fautre : il eft Cofmopolite, le monde entier eft fa Patrie. Enfin , faute de propriété, le Gentilhomme devient aventuricr; il ne connoit de Patrie , que celle qui accepte fes fervices, & le fait fubfifter. II eft donc important pour la Nation de divifcr les grandes pro-  DES GRAND. PROPRIÉTÉS, loj priétés afin de multiplier les petits Propriétaires, ceux fur-tout dont les bras exercés aux travaux champêtres, font les vrais foutiens de 1'Empire.  io8 De la Division CHAPITRE XXXIV. Le Luxe de la Capitale divifet-il les grandes Propriétés ? Dans 1'état actucl des chofes, rien ne feroit plus utile a la Nation que le luxe, s'il divifoit ks propriétés , il a un grand Propriétaire il en fubftituoit eent autres qui fe partageaifent entre eux tous ks objets qui compofent fa Terre. Ces Particuliers, dont les fortunes feroient modiques, fe fixeroient fur les lieux ; ils y feroient heureux, & 1'Etat retrouveroit a la campagne cent Propriétaires , cent Chefs de families pour un feul. Mais le Seigneur d'une Terre qui fe rctire dans la Capitale, qui  DES GRAND. PROPRIÉTÉS. lO? y confomme fon revenu, & qui finit par en abforber le fonds, ne divife pas pour cela fa propriété. Elle eft vendue telle qu'elle eft: elle paffe dans la main d'un feul qui en fait le même ufage que celui qui 1'a précédé , jufqu'a ce qu'il foit remplacé lui-même par un autre, également déftiné a fubir le même fort. Bien loin que le luxe divife les propriétés , il rcfferrc de plus en plus chaque jour le nombre des Propriétaires. Car en raflemblant les Capitaliftes dans le même lieu , il prête au génie calculateur toutes les combinaifons poflibles pour former ces fortunes extraordinaires, qui de dix grandes Propriétés n'en font qu'une. Les révolutions de la Finance font un jeu dont la chance dépend  aio De la Division des joueurs. Tous y jouent heureufement; & pour être en état d'acquérir les plus belles Terres, ils n'ont pas befoin d'être avares, il leur fuffit de n'être pas prodigues.  DES GRAND. PROPRIÉTÉS. UI CHAPITRE XXXV. Eft-il un moyen facile de divifer les fortunes j fans toucher aux Propriétés des Citoyens ? Plus ks richefles nationales s'accumulent & fe concentrent en peu de mains, plus elles corrompent ceux qui ks pofledent, & la corruption eft telle que les plus belles fortunes paftent rarement a la troifième génération. Puifque les propriétés font li mobiles &: quelks paffent fi rapidcment de main en main , il ne s'agiroit pour les divifer que de les faifir a leur paflage. Le moyen en eft facile. Car s'il eft aifé a un riche Particulier d'acheter une  x AVERTISSEMENT. pratiquer, fans toucher aux Propriétés des Citoyens. J'en ferai fentir la vérité par un exemple, oü 1'on voit une grande Propriété divifée , qui forme une Peuplade, compofée de Propriétaires aifés, &c a 1'abri de toutes fervitudes. Cet exemple préfente 1'idée d'un impöt unique , de la juftice gratuite, de la converllon des dixmes des Curés en Propriétés foncières & rurales : il fait entrevoir avec quelle faciliré 1'on peut entretenir dans le Royaume un Corps de Soldats Vétérans, fans d'autres follicitudes pour le Gouvernement, que de les raifembler au befoin,  DES GRAND. PROPRIÉTÉS. 213 cmploicroit fes épargnes a quelques arpents de Vignes; celui-la. fe procureroit des Terres ou des Prés : enfin les plus petits objets, même les fricties , trouvefoient des acquéreurs qui les mettroient en bonne culture : & par cette facilité d'acquéiïr, une multitude de citoyens , qui dans les Villes ne font que confommateurs, deviendroient a la campagne autant de Propriétaires cultivateurs, qui enrichiroicnt le fol national.   De la Di vis ion, &c. zic APOLOGUE, O u LE VILLAGE DE TROIS AMIS. CHAPITRE XXXVI. Grandes Propriétés divifées. Impot unique. Abolition des fervitudes. Converfiondesdixmes des Curés en propriétés foncières & rurales. Juftice gratuite. U N Souverain ouvrant les yeux fur les émigrations continuelles qui tendent aujourd'hui, plus que ;amais, a dépeupler 1'Europe en  2ir5 De la Division faveur du nouveau monde, a obfervé que la plupart des Européens qui habitent 1'intérieur de ce vafte continent font pauvres & malheureux, paree qu'ils n'y poffèdent aucune Propriétés foncières, &; que les Richeffes territoriales forment 1'apanage perpétuel d'un trés-petit nombre de riches Propriétaires. II a vu que 1'unique moyen de prévenir dans fon Royaume les fuites inquiétantcs de cette inégalité extréme, feroit que le Gouvernement fut continuellcment cn aftivité pour divifer 6V: fubdivifer les Biens que la cupidité & 1'induftrie ne ccffent de réunir, & que ce combat politique de 1'avarice & de la fageffe fut tcllement combiné qu'il entretint perpétuellement dans fon équilibre la Balancc des fortunes territoriales, afin dc ranimer 1'économie  DES GRAND. PROPRIÉTÉS. 2.17 Péconomie rurale , & de rapprocher par-la , le plus poflible, les Citoyens de 1'égaliré. C'eft pour remplir ces vues que ceMonarque confulte aujourd'hui (* ) les fages des Nations, & leur donne deux problcmes a réfoudre. Le premier: comment, dans ün Royaume deftiné a 1'AgricuIture, on pourroit divifer les grandes Propriétés öc fubftituer aux Journaliers des Propriétaires Cultivateurs , fans nuire aux propriétés des Citoyens ? Le fecond : comment on pourroit réduire rapidement a la plus fimple perception , les' Impöts fur les denrécs, fans caufcr cependant aucune fenfation fubite ni inquiétante 5 (*) Gazctte de France, z Dé"cembre 178}. — De Madrid, 7 Noverabre 1783. Tome I, K  2.1 S De la Division Jjlurius, fils de ce Monarque, a réfolu ces deux problêmes par l'opération du monde la plus fimple, la plus facile & la plus naturelle. Ce Prince a fait acquifition d'une Terre qu'il a revendue, après 1'avoir diviféc & fubdiviféc en mille parties : de forte que ce lieu, ci-devant pauvre & malheureux, que fon Seigneur ne venoit habitcr que pour augmenter fes Domaines au dépens des petites Propriétés de fes Vaffaux ; ce lieu ne connoit plus aujourd'hui d'hommes ferfs , ni dc fimples journalicrs. 11 comptc parmi fes Habitans autant de Propriétaires aifés, que de Chefs de Families. Labolition enticre de toutes efpëces de fervitudes , même des droits féodeaux , a fait de ce lieu 1^ féjour de la paix & dc la tranquillité. Les honneurs auTemple,  DES GRAND. PROPRIÉTÉS. Zl$ & la chaflc fur toutc 1'étendue du Tcrritoirc, font les fcules prérogatives qui diftinguent le Seigneur d'avec 1'Habitant: & encore cette chaffe n'cft-clle pas exclufive ; caril eft permis a chacun dans fa propriété , de détruire le gibier qui lui caufc du dommagc , pourvu que cette deftrueïion fe falie fans aucuncs armes a feu. Eft-il rien de plus fenfé que la manière ofticieufe dont on y termine les Procés ? Le Seigneur , lc Curé, &c~ un Notable choifl par la Communauté , compofc le Comité, ou le Triumvirat champêtre , qui décidc gratuitement les conteftations civiles ; & en cas d'appel, ce Comité envoic au Juge Souvcrain un précis de 1'affaire, qui le juge fans frais &; fans déplacemens des Parties. Mais ft la Partie K 2.  22.0 DelaDivision qui a interjetté appel , perd fa caufe, elle eft condamnée a une afnende , au profit des deux Soldats vétérans employés a la police du lieu. Cette Poiice eft fi exacte , que rien n'eft plus rare que d'y voir des affaires criminelles ; car cés deux Soldats furveillés par le Comité , gardent les moiffons, arrêtent les vagabonds & font employés a la perception du fubfide. Ce fubfide eft un impöt unique, eft une part de toutes les productions rurales que chaque Habitant, fans en excepter même le Seigneur, eft obligé, avant de rien enlever de fon ehamp, de porter dans la grangc Royale en préfence de deux Soldats vétérans a qui la garde de ce dépot rural eft confié. Tous les ans, avant la récolte, cette dixme Royale eft adjugée  des grand. Propriétés. zn publiquemcnt , &c il n'eft pas d'Habitant qui ne concoure a s'en rendre Adjudicataire , tant la grange publique en facilite 1'exploitation. Avant rétabliflement de eet iirv pot unique , le Curé percevoit pour fa dixme le vingtième de toutes les productions. Ce n'eft plus aujourd'hui dans le charap que le Pafteur va exercer fesdróits; ce n'eft plus a fon Paroiftien luimême qu'il difpute les fruits de fes travaux , c'eft fur le prix de 1'adjudication du fubfide qu'il va réclamer fon vingtième. Mais fur le vingtième , le Roi retient par les mains les décimes auxquels le Curé eft taxé par le Clergé j & le produit net de 1'adjudication dc 1'impöt va fe verfer dircétement dans le Tréfor Pu-, blic. K 3  2.12, De la Division Cet impöt va dcvenir plus fimple encore , plus utile au Roi, &: moins onéreux pour les Colons. Car lc Monarque, pour fecondcr les vues &Afturius, fe propofe de convertir la dixme du Curé en une propriété foncière de cent arpents de Terres, qui feront acquis au profit de la Cure, & payés des deniets provcnants dc la Manfe Abbatiale de 1'Abbaye la plus voifine en Commende. Par la divifion de cette grande Propriété, JJlurius montre aux Chefs des Nations policées, ce qu'elles peuvent faire contre cette inégalité extréme, qui fait le malheur de la multitude. Mais ce qui doit déterminer le plus en faveur de ce plan de bienfaifance &: d'humanité , c'eft qu'il quadre parfaitement avec les différents ordres de Citoyens qui  DES GRAND. PROPRIÉTÉS. 223 peuplent ks campagnes. Car Afturius, pour s'accorder avec cette inégalité combinée des conditions , fans laquelk une Société d'hommes feroit fans a&ivité , & fans harmonie, a rendu parfaitement graduclk la répartition des Terres : de forte qu'il en a moins accordé aux limples journaliers qu'aux Artifans; a ceux-ci moins qu'aux Laboufeurs ; & moins aux Laboureurs qu'au Chef du lieu qu'il s'eft fait une loi de choifir parmi les Militaires. Auffi admire-t-on la prudence & la fage prévoyance de ce Prince, d'avoir donné fur ce Territoire trois cents arpens de terre, avec le titre de Seigneur, a un Militaire difdngué, qui aime ks foins .ruraux, & qui, pendant la paix, fait fes déliccs dc la vie champêtre. Qui ÏIC COlinoit Cincinnatus , ce K 4  224 De la.Division Guerrier fi rcnommé par fes exploitsï Voila le Chef de ce lieu fortuné. A la tête des Armécs, Ce Héros fut le premier Soldat. Chef dc cette Peuplade, il en eft le premier Colon : par fes vernis guerrières, il a rendu fa Nation rcdoutable aux Peuples voifins ; & par fes expérienccs rurales, il apprend a fes Concitoyens, comment ils peuvent former un Peuplecultivateur, un Peuple indépendant. Ce qui fait le bonheur de Cincinnatus j c'eft de fe voir au milieu d'un grouppe de Citoyens, que la Propriété attaché a leur Patrie. II fait par expérience, qu'il faut être Propriétaire pour être Patriote, & pour fe livrcr avec plaifir aux travaux pénibles des champs. L'homme fans Propriété regrette  DES GRAND. PROPRIÉTÉS. 2,jJ nécefiairemcnt 1'état dc nature ; eet état dans lcquel la terre , peu habitée, lui ofFre la chalfe, la pêche, les fruits &c les animaux domeftiques. Auffi, lorfqu'il fe voit relferré par une population nombreufe, & qu'il s'appercoit fur-tout qu'unTerritoire immenfe eft poffédé par un petit nombre de Citoyens , que dans cette vafte Terre il ne fait ou repofer fa tête ; alors le delir de 1'état de nature fait naïtre en lui le defir de la conquête. II prend les armes, il s'expatrie & va au loin extermincr fes femblables, pour s'emparcr de leur Pays ; & c'eft ainfi qu'il fe vengc contre 1'efpèce humaine d'une trop nombreufc population. Si 1'Efpagne , au lieu de faire fes conquêtes clans le nouveau monde, avoit divife fes grandes Propriétés rurales, cette Nation K S  zzs DelaDivisïon feroit aujourd'hui trembler 1'Europe.... Mais les Efpagnols ont quitté le plus beau Pays du monde, pour mener la vie paftorale dans des climats moins heureux. Suffit-il, pour faire fleurir PAgriculture, de divifer les grandes Tropriétés? Non. II faut encore au milieu des Colons des Cincinnatus; il faut des Propriétaires aifés, qui, pour leurs expériences agronomiques, emploient a leurs travaux les enfans furnuméraires des Chefs de Families, qui n'ont pas affez de Propriétés pour les occuper toute Fannée. Guerriers philofophes, vous admirez Cindnnatus : fon fort a VOS yeux eft digne d'envic. Vous plaignez avec lui 1'homme fans Propriété j mais ne plaignezpas moins celui que fes richeffes exceftives entrainent dansje tourbillon des  DES GRAND. PROPRIÉTÉS. Z2.'/ Propriétaires faftueux. Car jamais Phomme n'a moins de dignité , ne reflemble moins a lui-même, que lorfque le Luxe le dcgrade & le dépouillc de cette fimplicité, qui fcule peut conferver a 1'ame fon énergie & fa fierté naturelle. L'horame de luxe, cct homme artificiel, devient fi enfant., fi minutieux , qu'il prend pour importances & pour grandcurs ce. qui n'eft que ridiculcs & petitefles ■■, trop foible pour s'appuyer fur lui-méme, il tache de fe relcver a la faveur des titres & des dignités j & comme il n'eft grand qu'autantque les autres font petits, il fait tout ce qu'il peut pour les abaificr, & pour exercer fur eux un empire tyrannique. Mais Cindnnatus , ce brave Cindnnatusj pour être grand, n'a K 6  2.2.8 De la Di vision, &c. befoin que de fes vertus. Aufli, dans fa Peuplade, le Seigneur , le Curé &- 1'Habitant, ne font qu'une Familie. C'eft pourquoi ce Village fe nomme, a jufte titre, le Triphile, ou Village des Trois Amis (*). (*) Qu'il feroit aifé cl'en faire autant en Trance. Le Cahier des faifies réelles en préfente tous les jours cent occafions. Daigne le Ciel infpirer cette penfée a notre Monarque! Fin du Tome premier.  T A B L E DES CHAPITRES, contenus en ce volume. j\. VERTIS SEMEiïTj page V Des Dotations Ecclêsias- tiqüe s. chap1tre premier.. LesDotations Eccléfiajliques font-dies utiles poli-. tiqusment? lp chapitre II. Grandes Propriétés s divijées par ks Dotations Ecdéfaf- tiques, 22  23o T A B L E chapitre III. La Noblejfe s'eftelle approprlè les nyenus de VEglift ? Origine des Commendes. page 15 chapitre IV. Pourquoi les revenus de 1'Eglife fe concentrent dans les mains des Riches j même fort des Propriétés Laïques. 17 chapitre V. Les Biens Eccléfiajliques font-ils plus utiles aux Citoyens que les Biens Laïques ? 33 chapitre VI. Les Propriétés Eccléfiajliques mettent les petites Propriétés Laïques a l'abri de l'invafion des Riches, 3 9 Des Monastères. ChapitreVH. Obfervations fur la Divifon des grandes Propriétés. Lts Monaftères font-ils utiles fous ce rapport ? 44  DES CHAPITRES. 2.31 CHAPITRE VIII. La défertion des grands Propriétaires efl-elle nuifible aux campagnes? Page 51 CHAPITRE IX. Senjibilité naturelle a l'homme. Les Religieux ont-ils de la. compajjion pour les malheureux, que les calamités publiques font réfugier dans leurs Territoires r 59 CHAPITRE X. Défefpoir des Payfans qui nont pas de travail. Trouvent-ils des fecours dans les Monaftères? 64 CHAPITRE XI. Les Monaftères fontils plus utiles au fol national que les autres Propriétaires? 7? Suite du Chapitre précédent. 7 5 CHAPITRE XII. Les dépenfes dans les campagnes font-elles auffi utiles a la Nation que celles qui fe font dans les Villes? 80  ijl T A B L E CHAPITRE XIII. Les Monaftères comparês aux autres Propriétaires , par rapport a la population. page 89 CHAPITRE XIV. Suite du précédent. Les Monaftères retiennent - ils le numéraire dans les Prov'mces ? les vivifient-ils ? font-ils favorables a. la population ? 100 CHAPITRE XV. Sans les Cloüres } une quantité de Families honnctes feroient-elles furchargées ? 112 CHAPITRE XVI. Les Sujets qui fe retirent dans le Clottre favorifentils la population de leurs Families ? 116 CHAPITRE XVII. Les Cloures fontils la confolation des Pères de Families ? 118  DES CHAPITRES. ij'j chapitre XVIII. Efi-ce une erreur de croire qu'il y auroit moins de Célibataifes , s'il n'y avoit pas de Monaftères? page 123 De la réunion des petits Monastères, chapitre XIX. Petits Monaftères compare's aux grands. Sont-ils utiles ? 128 chapitre XX. Obflacles a. la rèfcr.nation des Monaftères. EJl-il utile de modêrer leurs Loix? 14$ chapitre XXI. Dangers de la difcuffion des Loix Monafliques. Vues fages du Prince qui termine les difficulte's entre les Religieux. 146 chapitre XXII. Peut-on difcipliner les petits Monaftères ? 1 51  AH TABL E chapitre XXIII. L'afociation de deux Maifons n'eft-elle pas contraire au vceu de ftabilité? page 157 CHAPITRE XXIV. Les tranfiations fréquentes font elles utiles aux Religieux non rentés, & nuifibles aux Cénobites? 161 chapitre XXV. Les Monaftères font-ils utiles s par rapport a la Religion dominante ? 170 Des Religieux non rentés. chapitre XXVI. Quelle eft l'uti- \ lité des Religieux non rentés ? 173 chapitre XXVII. Les dépenfes \ modiques des Religieux non rentés 3 font-elles onérmfes ? Sont-ils récom- * penfés de leurs travaux ? Sont - ils utiles politiquement? 179  1 DES CHAPITR.ES. 13? Du Luxe. chapitre XXVIII. Riftexions fur la deftruclion des Maifons Religieufes. page 183 chapitre XXIX. Le Luxe de la Capitale eft-il utile aux Habitans des Campagnes? chapitre XXX. Plaifirs des Riches dans la Capitale. Leurs richeffes paffcnt-eltes dans les mains des pauvres? 191 chapitre XXXI. Le Luxe eft-il utile aux Arts & a la civilifation ? 19$ chapitre XXXII. Les Villes de luxe font-elles onéreufes a la Nation, & ruineufes pour les Particuliers ? i?7 DES CHAPITRES. 13? Du Luxe. chapitre XXVIII. Riftexions fur la deftruclion des Maifons Religieufes. page 183 chapitre XXIX. Le Luxe de la Capitale efl-il utile aux Habitans des Campagnes? chapitre XXX. Plaifirs des Riches dans la Capitale. Leurs richeffes paffcnt-eltes dans les mains des pauvres? 191 chapitre XXXI. Le Luxe eft-il utile aux Arts & a la civilifation? 19$ chapitre XXXII. Les Villes de luxe font-elles onéreufes a la Nation, & ruineufes pour les Particuliers ? i?7  i.36 T A B L E De la Division des grandes Propriétés. chapitre XXXIII. La Divifion des grandes Propriétés multipLeroitelle ks Citoyens venueux & dévoués a la Patik ? page 203. chapitre XXXIV. Le Luxe de la Capitale divife-t-il les grandes Propriétés ? 20 8 chapitre XXXV. Efi.il un moyen facile de divifer les fortunes > fans toucher aux Propriétés des Citoyens ? Hl Apologue, ou le Village des Trois Amis. chapitre XXXIV. Grandes Propriétés divifées. Impót unique. Abolition des fervitudes. Converfion  DES CHAPITRES. 237 des dixmes des Cure's en propriétés foncières & rurales. Jufnee gratuite, mi Fin de la Table du premier Volume.