CONSIDERATÏONS S U R l E GOUVERNEMENT D E LA POLOGNE ET SUR SA RÉFORMATION PROJETÊE'.EtLettres furla légijlation dela CoRSe;: dans lefquelles tous les Souverains trouveront des hofes utiles. Par J. J. ROUSSEAU, ClTOYEN DE GejVETE ; Suivies de fon Jugementfur la Paixperpétuellede 1'Abbé deSt.PiERREjde la Polyfynodie du même auteur; du Jugement de eet ouvrage ; & d'une reponfe d unc Icttreanonyme, dont. Ie contenu fe trouve en caraderes italiaues; dans cette réponfe. m A LA H A T E, Chez P. F. Gosse; ET A L A U S A N N E,. Chez Fran<;ois Grasset & Compi. M. DCC. LX XXIIL   CONSIDERATIONS S U R L E GOUVERNEMENT DE LA POLOGNE ET SUR SA RÉFORMATION P R 0 JETÊE. CHAPITRE I. de la quejlion. Le tableau du gouvernement de Polo, gne fait par M. le comte Wielhorski, & les réflexions qu'il v a jointes, font des A  X Gouvernement pieccs intéreflantes pour quiconque voudra former un plan régulier pour la forme de ce gouvernement. Je ne connois perfonne plus en état de tracer ce plan que lui-mème , qui joint aux connoiflances générales que ce travail exige , toutes celles du local & des détails particuliers, impoffibles a donner par écrit, & néanmoins néceflaires a favoir pour approprier une inftitution au peuple auquel on la dcftine. Si 1'on ne connoit a fond la nation pour laquelle on travaille, 1'ouvrage quVa fera pour elle, quelque excellent qu'il puiffe être en lui-mème, péchera toujóurs par 1'application, & bien plus encore lorfqu'il s'agira d'une nation déja toute inftituée , dont les goüts , les moeurs, les préjugés & les vices font trop enracinés pour pouvoir être aifément etouffes par des femenccs nouvelles. Une bonne inftitution pour la Pologne ne peut ètre 1'ouvrage qae des Polonois , ou de quelqu'un qui ait bien étudié fur les lieux la nation Polonoife & celles qui l'avoifinent. Un étranger ne peut gueres donner que des vues générales , pour éclairer, non pour guider 1'inftituteur. Dans toute la vigueur de ma tête , je n'aurois pu faifir 1'enfemble de ces grands rapports. Aujourd'hui qu'il me refte a  delaPologkte. 3 peine la faculté de lier des idéés, je dois me borner pour obéir a M. le comte Wielhorski, & faire acle de mon zele pour fa patrie, a lui rendre compte des impreffions que m'a Fait la ledure de foii travail, & des réflexions qu'il m'a fuggerées. En lifant 1'hiftoire du gouvernement de Pologne, on a peine a comprendre comment un Etat fi bizarrement conftitué a pu fubfifter li long-tems. Un grand corps formé d'un grand nombre de membres morts& d'un petit nombre de membres défunis, dont tous les mouvemens, prefque indépendans les uns des autres , loin d'avoir une fin commune, s'entre - détruifent mutuellement , qui s'agite beaucoup pour ne rien faire, qui ne peut faire aucune réfiftance a quiconque veut Pentamer, qui tombe en diifolutiou cinq ou fix foischaque fiecle, qui tombe en paralyfie a chaque eftort qu'il veut faire, a chaque befoin auquel il veut pourvoir, & qui, malgré tout eek vit & fe conferve en vigueur; voila , ce mefemble, un des plus finguliers fpeélacles qui pui/Tent frapper un être pedant. Je vois tous les Etats de 1'Europe courir a leur ruine. Monarchies, Républiques, toutes ces nations li magnifiquement inftiA %  4 Gouvernement tuées, tous ces beaux gouvernemens 13 fagement ponderés, tombés en décrépitude, menacent d'une mort prochaine j & la Pologne, cette région dépeuplée , dévaftée, opprimée, ouverte a fes agreffeurs, au fort de fes malheurs & de fon anarchie , montre encore tout le feu de ïa jeunelTe; elle ofe demander un gouvernement & des loix, commc fi elle ne faifoit que de naitre. Elle eft dans les fers & difcuteles moyens de fe conferver libre ! elle fent en elle cette force que pelle de la tyrannie ne peut fubjuguer. Je crois voir Rome affiégée régir tranquillement les terres fur lefquelles fon ennemi venoit d'alTeoir fon camp. Braves Polonois , prenez garde ; prenez garde que pour vouloir trop bien ètre , vous n'empiriez votre fituation. En fongeant a ce que vous voulez acquerir, n'oubliez pas ce que vous pouvez perdre. Corrigez, s'il fe peut, les abus de votre conftitution ; mais ne méprifez pas celle qui vous a fait ce que vous étes. Vous aimez la liberté, vous en êtes dignes; vous 1'avez défendue contre un agrelTeur puiflant & rufé, qui, feignant .de vous préfenter les Hens de 1'amitié, vous chargeoit des fers de la fervitude. Maintenant las des troubles de votre pa-  DE LA POLOGKÊ.' f trie j vous foupirez après la tranquillitê*. Je crois fort aifé de Pobtenir ; mais fa conferver avec la liberté , voila ce qüi me paroit difficile. C'eft au fein de cette anarchie qui vous eft odieufe, que fefont formées ces ames patriotiques qui vous ontgarantis dii joug. Elles s'endormoient dans un repos léthargique ; 1'orage les a reveillées. Après avoir brifé les fers qu'on leur deftinoit, elles fentent h poids de Ia fatigue. Elles voudroient allier la pafs du defpotifme aux douceurs de la liberté. J'ai peur qu'elles ne veuillent des chofes contradidoires. Le repos & la liberté me paroiifentincompatibles; ilfaut opter. Je ne dis pas qu'il faille lailTer les chofes dans Pétatou elles font 5 mais je dis qu'il n'y faut toucher qu'avec une circonfpedlion extréme. En ce moment 011 eft plus frappé des abus que des avantages. Le tems viendra, ie le crains, qu'011 fentira mieux ces avantages, & malheureufement ce fera quand onkies aura perdus. Qu'il foitaifé, fi Pon veut, de faire'de meilleures loix. II eft impoffible d"en faire dont les paffions des hommes n'abufent pas , comme ils ont abufé des premières. Prévoir & pefer tous ces abus a venir eft peut-ètre une chofe impolfible a Phomm^ A5  é Gouvernement d'Etat le plus confommé. Mettre la loi au-deflus de 1'homme eft un problème en politique, que je compare a celui de la quadrature du cercle en géométrie. Réfolvez bien ce problème , & le gouvernement fondé fur cette folution fera bon & fans abus. Mais jufques-la, foyez furs qu'oü vous croirez faire regner les loix, ce feront les hommes qui regneront. II n'y aura jamais de bonne & folide conftitution que celle oü la loi régnera fur les coeurs des citoyens : tant que la force légiflative n'ira pas jufques la-, les loix feront toujours éludées. Mais comment arriver aux coeurs 'i C'eft a quoi nos inftituteurs qui ne voient jamais que la force & les chatimens , ne fongent gueres, & c'eft a quoi les récompenfes matériellcs ne méneroient peut-ètre pas mieux; 3a juftice mème la plus intégre n'y mene pas, paree que la juftice eft ainfi que la lanté un bien donton jouit fans le fentir, qui n'iiifpire point d'enthoufiafme , & dont on ne fent le prix qu'après 1'avoir perdu. Par oü donc émouvoir les cceurs , & faire aimer la patrie & fes loix ? L'oferaije dire? par des jeux d'enfans, par des inftitutions oifeufes aux yeux des hommes fuperficiels, mais qui forment des  D E £ A POLOGNE. f habitudes chéries & des attachemens invincibles. Si j'extravague ici , c'eft du moins bien complettement; car j'avoue que je vois ma folie fous tous les traits de la raifon. CHAPITRE II. Efprit des anciennes injlitutions. and on lit 1'hiftoire ancienne , oit fe croit tranfporté dans un autre univers & parmi d'autres êtres. Qu'ont de commun les Franqois; les Anglois , les Rulles avec les Romains & les Grecs ? Rien prefque que la figure. Les fortes ames de ceux-ci paroilfent aux autres des exagérations de l'hiftoire. Comment eux qui fe fentent fi petits penferoient-ils qu'il y ait eu de fi grands hommes ? Ils exifterent pourtant, & c'étoient des humains comme nous : qu'eft-ce qui nous empèche d'ètre des hommes comme eux ? Nos préjugés , notre balfe philofophie , & les paflions du petit intérêt, concentrées avec 1'égoïfme dans tous les coeurs, A 4  8 Gouvernement par des inftitutions ineptes que le génie ne dicta jamais. Je regarde les nations modernes. J'y vois force faifeurs de loix & pas un légiflateur. Chez les anciens, j'en vois trois principaux qui méritent une attention particuliere j Moïfe, Lycurgue & Numa. Tous trois ont mis leurs principaux foins a des objets qui paroitroient a nos docteurs dignes de rifée. Tous trois ont eu des fuccès qu'on jugeroit impoflibles, s'ils ctoient moins atteftes. Le premier forma & exécuta 1'étonnante entreprife d'inftituer en corps de aiation un elfaim de malheureux fugitifs fans arts, fans armes, fans talens, fans vertus, fans courage, & qui n'ayant pas en propre un feul pouce de terrein , faifoient une troupe étrangere fur la face de la terre. Moïfe ofa faire de cette troupe errantc & fervile un corps politique,un peuple libre, & tandis qu'elle erroit dans les déferts fans avoir une pierre pour y orepofer fa tète , il lui donnoit cette inftitution durable, a 1'épreuve du tems , de la fortune & des conquérans, que cinq mille ans n'ont pu détruke ni mème altérer, & qui fubfifte encore aujourd'hui dans toute fa force, lors même que le corps de la nation ne fubfifte plus.  15 E LA POLOGNE. £ Pour empècher que fon peuple ne fe fbndit parmi les peuples étrangers, il lui donna des moeurs & des ufages inalliabie* avec ceux des autres nations; il le furchargeade rites, de cérémonies particulieres; il le gèna de mille faqons pour le tenir fans celfe en haleine & le rendretoujours étranger parmi les autres hommes , & tous les Hens de fraternité qu'il' mit entre les membres de fa république , étoient autant de barrières qui le tenoienfc. féparé de fes voifins & 1'empêchoient de* fe mêler avec eux. C'eft par la que cette* finguliere nation, fi fouvent fubjuguée^ fi fouvent difperfée & détruite en apparence , mais toujours idolatre de fa regie* s'eft pourtant confervée jufqu'a nos jourséparfe parmi les autres, fans s'y confondre, & que fes moeurs, fes loix,.fes rites fubfiftent & dureront autant que le monade , malgré la haine & la perfécution durefte du genre humain. Lycurgue entreprit d'inftituerun peuple déja dégradé par la fervitude & patles yices qui en font 1'effet. II lui impofcv un joug de fer, tel qu'aucun- autre peuple n'en porta jamais un femblable; maisil 1'attacha, 1'identifia, pour ainfidire,a ce joug en Poccupant toujours. II lui montra fans celfe la patrie dans fes loix, A f  io Gouvernement dans fes jeux, dans fa maifon, dans fes amours, dans fes feftins. II ne lui lailfa pas un inftant de relache pour ètre a lui feul, & de cette continuelle contrainte, ennoblie par fon objet, naquit en lui eet ardent amour de la patrie, qui fut toujours la plus forte, ou plutót 1'unique paifion des Spartiates, & qui en fit des êtres au - delfus de 1'humanité. Sparte n'étoit qu'une ville, il eft vrai; mais par la feule force de fon inftitution, cette ville donna des loix a toute la Grece, en devint lacapitale, & fittrembler 1'empire Perfan. Sparte étoit le foyer d'oü fa légiflation étendoit fes effets tout autour d'elle. Ceux qui n'ont vu dans Numa qu'un inftituteur de rites & de cérémonies religieufes , ont bien mal jugé ce grand homme. Numa fut le vrai fondateur de Rome. Si Romulus n'eüt fait qu'alTemfcler des brigands qu'un revers pouvoit difperfer, fon ouvrage imparfait n'eüt pü réfifter au tems. Ce fut Numa qui le rendit folide & durable en unilfant ces brigands en un corps indilfoluble, en le transformant en citoyens, moins par des loix, dont leur ruftique pauvreté n'avoit gueres encore befoin, que par des inftiiutions douces qui les attachoient les uns  DE LA POLOGNE. n aux autres, & tous a leur fol, en rendanc enfin leur ville facréeparces rites frivoles & fuperftitieux en apparence, dont 11 peu de gens fentent la force & 1'effet, & dont cependant Romulus , le farouche Romulus lui-mème avoit jetté les premiers fondemens. ^ Le mème efprit guida tous les anciens legiflateurs dans leurs infritutions. Tous chercherent des liens qui attachaffentles citoyens a la patrie & lesuns aux autres, & lis les trouverent dans des ufages particuhers, dans des cérémonies religieufes qui, par leur nature, étoient toujours exclufives & nationales (*), dans des jeux qui tenoient beaucoup les citoyens ralfemblés, dans des exercices qui augmentoient avec leur vigueur & leurs forces leur fierté & l'eftime d'eux-mèmes, dans des fpedacles qui leur rappellant fhiftoire de leurs ancêtres , leurs malheurs , leurs vertus, leurs vicloires, intérelfoient leurs coeurs , les enflammoient d une vive éinulation & les attachoient fortementa cette patrie dont on ne celToït de les occuper. Ce font les poëfies d'Homere recitées aux Grees folemneüement alfemblés, non dans des coffres, fur des X">Voyez la fin du Contrat ficia!. A £  12 Gouvernement planches & 1'argent a la main, mais en plein air & en corps de nation ; ce font les tragédies d'Efchyle, de Sophocle & d'Euripide , repréfentées fouvent devant eux; ce font les prix, dont, aux acclamations de toute la Grece on couronnoit les vainqueurs dans leurs jeux, qui les embrafant continuellement d'émulation & de gloire, porterent leur courage & leurs vertus a ce degré d'énergie dont rien aujourd'hui ne nous donne 1'idée, & qu'il n'appartient pas même aux modernes de croire. S'ils ont des loix, c'eft uniquement pour leur apprendre a bien obéir a leurs maitres, a ne pas voler dans les poches, & a donner beaucoup d'argent aux fripons publics. S'ils ont des ufages, c'eft pour fa voiramufer 1'oifiveté des femmes galantes & promener la leur avec grace. S'ils s'aifemblent, c'eft dans des temples pour un eulte qui n'a rien de national, qui ne rappelle en rien la patrie; c'eft dans des falies bien fermées & a prix d'argent , pour voir fur des théatres efféminés, diflblus, oü 1'on ne feit que parler d'amour, déclamer des hiftrions , minauder des proftituées , & poury prendre des leqons de corruption, les feules qui profitent de toutes celles qu'on fait femblant d'y donner j c'eft dajis  DE LA PfJLOGNE. IJ des fêtes oü le peuple toujours méprifé eft toujours fans influence, oü le blame & 1'approbation publique ne produifent rien; c'eft dans des cohues licentieufes pour s'y faire des liaifons fecretes , pour y chercher les plaifirs qui féparent, ifolent le plus les hommes, & qui relachent le plus les coeurs. Sont-ce la des ftimulans pour le patriotifme ? Faut-il s'etonner que des manieres de vivre fi dilfemblables produifent des effets fi difleïens, & que les modernes ne retrouvent plus rien en eux de cette vigueur d'ame que tout infpiroit aux anciens ? Pardonnez ces digreflions a un refte de chaleur que vous avez ranimee. Je reviens avec plaifir a celui de tous les peuples d'aujourd'hui qui m'éloigne le moins de ceux dont je viens de parler.  ï4 Gouvernement ©=========—— CHAPITRE UI. Applieation. La Pologne eft un grand Etat environne d'Etats encore plus confidérables, qui, par leur defpotifme & par leur difciphne mihtaire,ont une grande force offenüye. Foible au contraire par fon anarchie, elle eft, malgré la valeur Polonoife, en buttea tous leurs outrages. Ellen'apoint de places fortes pour arrèter leurs incurhorts. Sa dépopulation la met prefque ablolument hors d'étatde défenfe. Aucun ordre economique, peu oupoint detroupes , nulledifcipline militaire, nul ordre, mille lubordination; toujours divifée au dedans , toujours menacée au dehors , elle n'a par elle-mème aucune confiftance & depend du caprice de fes voifins. Jene vois dans l'état préfent des chöfes qu'un leul moyen de lui donner cette confiftance qui lui manque. C'eft d'infufer , pour ainfi dire dans toute la nation 1'ame des conféderés; c'eft d'établir tellement la repubhque dans les coeurs des Polo-  de la Pologne. nois qu'elle y fubfifte malgré tous les efforts de fes oppreifeurs. C'eft la, ce me femble , 1'unique afile oü la force ne peut ni 1'atteindre ni la détruire. On vient d'en voirune preuve a jamais mémorable. La Pologne étoit dans les fers du Rulfe, mais les Polonoisfontreftéslibres. Grand exemple qui vous montre comment Vöus pouvez braver la puilfance & 1'ambition de vos voifins ! Vous ne fauriez empëcher qu'ils ne vous engloutilfent, faites au moins qu'ils ne puiffent vous digérer. De quelque facon qu'on s'y prenne, avant qu'on ait donnéa la Pologne tout ce qui lui manque pour être en état de réfifter a fes ennemis, elle en fera cent fois accablée.La vertu de fes citoyens, leur zele patriotique, la forme particuliere que des inftitutions nationales peuvent donner a leurs ames; voila le feui rempart toujours prèt a la défendre , & qu'aucune armee ne fauroit forcer. Si vous faites enforte qu'un Polonois ne puilfe jamais devcnir un Rulfe, jc vous réponds que la Ruflie ne fubjuguera pas la Pologne. Ce font les inftitutions nationales qui forment le génie, le cara&ere, les goüts & les moeurs d'un peuple, qui le font être lui & non pas un autre , qui luiinf-  i6* Gouvernement pirent eet ardent amour de la patrie fondé fur des habitudes impoffibles a déraciner, qui le font mourir d'ennui chez les autres peuples au fein des délices dont il eft privé dans fon pays. Souvenez-vous de ce Spartiate gorgé des voluptés de la cour du grand Roi, a qui llon reprochoit de regretter la fauce noire. Ah ! dit-il, au Satrape en foupirant; je connois tes plaifirs, mais tu ne connois pas les nötres. II n'y a plus aujourd'hui de Francois, d'Allemands,d'Efpagnols, d'Anglois même , quoiqu'on en dife ; il n'y a que des Européens. Tous ont les mèmes goiïts , les mêmes paflions , les mèmes moeurs , paree qu'aucun n'a recu de forme nationale par une inftitution particuliere. Tous dans les mêmes circonftances feront les mêmes chofes ; tous fe diront défintéreffés & feront fripons; tous parleront du bien public & ne penferont qu'a eux-mêmes; tous vanteront la médiocrité , & voudront être des Créfus; ils n'ont d'ambition que pour le luxe , ils n'ont de paflion quecelle de 1'or. Surs d'avoiravee lui tout ce qui les tente, tous fe vendront au premier qui voudra les payer. Que leur importe a quel maitre ils obéhfent, de quel Etat ils fuivent les loix? Pourvu qu'ils trouvent de 1'argent.'a voler & dei  de la Pologne. 17 femmes a corrompre, ils font par-tout dans leur pays. Donnez une autre pente aux palfions des Polonois, vous donnerez a leurs ames une phyfionomie nationale qui les diftinguera des autres peuples , qui les empèchera de fe fondre, de fe plaire, de s'allier avec eux,jjne vigueur qui remplacera le jeu abulïf des vains préceptes, qui leur fera faire par goüt & par paflibn, ce qu'on ne fait jamais aflez bien, quand 011 ne le fait que par devoir ou par intérèt. C'eft fur ces ames la qu'une légiilation bien appropriée aura prife. Ils obéiront aux loix, & ne les éluderont pas, paree qu'elles leur conviendront & qu'elles auront l'alfentiment interne de leur volonté. Aimant la patrie, ils la ferviront'par zele & de tout leur coeur. Avec ce feul fentiment, la légillation fut-elle mauvaife , feroit de bons citoyens; & il n'y a jamais que les bons citoyens qui faifent la force & la profpérité de 1'Etat. J'expliquerai ci-après le régime d'adminiftration qui, fans prefque toucher au fond de vos loix, me paroit propre a potter le patriotifme & les vertus 'qui en font inféparables, au plus haut degré d'intenfité qu'ils puufent avoir. Mais feit que vous adoptiez ou non ce régime,  18 Gouvernement commencez toujours par donner aux Polonois une grande opinion d'eux-même£ & de leur patrie : après la faqon dont ils viennent de fe montrer, cette opinion ne fera pas faufle. II faut faifir la circonftance de 1'événement préfent pour monter les ames au ton des ames antiques. 11 eft certain que la confédération de Bar a fauvé la patrie expirante. II faut graver cette grande époque en caracteres facrés dans tous les coeurs des Polonois. Je voudrois qu'on érigeat un monument en fa mémoire, qu'on y mit les noms de tous les Confédérés, mème de ceux qui dans la fuite auroient pu trahir la caufe commune ; une fi grande aiftion doit effacer les fautes de toute la vie; qu'on inftituat une folemnité périodique pour la célébrer tous les dix ans avec une pompe non brillante & frivole, mais fimple, fiere & républicaine; qu'on y fit dignement , mais fans emphafe , 1'éloge de ces vertueux citoyens qui ont eu 1'honneur de fouffrir pour la patrie dans les fers de Pennemi; qu'on accordat mème a leurs families quelque privilege honorifique , qui rappellat toujours ce beau fouvenir aux yeux du public. Je ne voudrois pourtant pas qu'on fe permit dans ces folemnités aucune inveclive contre les Ruffes,  de la Pologne. 19 ni mème qu'on en parlar. Ce feroit trop les honorer. Ce filence, le fouvenir dc leur barbarie, & 1'éloge de ceux qui leur ont réfifté diront d'eux tout ce qu'il en faut dire; vous devez trop les méprifer pour les haïr. Je voudrois que par des honneurs , par des récompenfes publiques, on donnat de 1'éclat a toutes les vertus patriotiques, qu'on occupat fans celfe les citoyens de la patrie, qu'on en fit leur plus grande affaire, qu'on la tint incelfamment fous leurs yeux. De cette maniere, ils • auroient moins, je Pavoue, les moyens & le tems de s'enrichir, mais ils en auroient moins auffi le defir & le befoin : leurs coeurs apprendroient a connoitre un autre bonheur que celui de la fortune; & voila Part d'ennoblir les ames & d'en faire un inftrument plus puilfant que Por. L'expofé fuccind des mceurs des Polonois qu'a bien voulu me communiquer M. Wielhorski, ne fuffit pas pour me mettre au fait de leurs ufages civils & domeltiques. Mais une grande nation qui ne s'eft jamais trop mëlée avee fes voifins doit en avoir beaucoup qui lui foyeiit propres , & qui peut-ètre s'abatardiffent journellement par la pente générale en  20 Gouvernement Europe de prendre les goüts & les moeurs des Franqois. II faut maintenir, rétablir ces anciens ufages & en introduire de convenables , qui foyent propres aux Polonois. Ces ufages, fuflënt-ils indirFérens, fuffent-ils mauvais mème a certains egards , pourvu qu'ils ne le foyent pas elfentiellement, auront toujours l'avarftage d'affeclionner les Polonois a leur pays & de leur donner une répugnance naturelle a fe mèler avec Pétranger. Je regarde comme un bonheur qu'ils ayent un habillement particulier. Confervez avec foin eet avantagej faites exaclement le contraire de ce que fit ce Czar fi vante. Qiie le rot ni les fénateurs, ni aucuh homme public ne portent jamais d'autre vêtement que celui de la nation , & que nul Polonois n'ofe paroitre a la cour vêtu a la Francoife. Beaucoup de jeux publics oü la bonne mere patrie fe plaife a voir jouer fes enfans. Qu'elle s'occupe d'eux fouvent, afin qu'ils s'occupent toujours d'elle. II faut abolir, mème a la cour, a caufe de 1'exem, ple, les amufemens ordinaires des cours, le jeu , les théatres , comédie,,opéra, tout ce qui effémine les hommes, toutce qui les dilfrait, lesifole, leur fait oublier leur patrie & leur devoir, tout cc qui les fait  de la Pologne. 21 trouver bien par-tout pourvu qu'ils s'amufent; il faut inventer des jeux, des fêtes, des folemnités qui foyent fi propres a cette cour la qu'on ne les retrouve dans aucune autre. II faut qu'on s'amufe en Pologne plus que dans les autres paysr mais non pas de la mème maniere. li faut en un mot renverfer un exécrable proverbe , & faire dire a tout Polonois au fond de fon cceur : nbi $ atria, ibi bene. Rien, s'il fe peut, d'exclufif pour les grands & les riches. Beaucoup de fpe&acles en plein air, ou les rangs foyent diftingués avec foin , mais ou tout le peuple prenne part également, comme chez les anciens, & oü. dans certaines occafions la jeune noblelfe falfe preuve de force & d'adrelfe. Les combats des taureaux n'ont pas peu contribué a maintenir une certaine vigueur chez la nation Efpagnole, Ces cirques oü s'exerqoit jadis la jeunelfe en Pologne devroient ètre foigneufement rétablis : on en devroit faire pour elle des théatres d'honneur & d'émulation. Rien ne feroit plus aifé que d'y fubftituer aux anciens combats , des exercices moins cruels, oü cependant la force & radrelfeauroient part& oü les vidorieux auroiem de mème des honneurs & des  ü2 Gouvernement récompenfes. Le maniement des chevaux eft par exemple un exercice très-convenable aux Polonois & trés - fufceptible de 1'éclat du fpedacle. Les héros d'Homere fe diftinguoient tous par leur force & leur adrelfe, & par la montroient aux yeux du peuple qu'ils étoient faits pour lui commander. Les tournois des paladins formoient des hommes non feulement vaillans & courageux, mais avides d'honneur & de gloire , & propres a toutes les vertus. L'ufage des armes a feu rendant ces facultés du corps moins utiles a la guerre les a fait tomber en difcrédit. II arrivé de la que, hors les qualités de Pefprit qui font fouvent équivoques , déplacées, fur lefquelles on a mille moyens de tromper , & dont le peuple eft mauvais juge, un hömme avec 1'avantage de la nailfance n'a rien en lui qui le diftingue d'un autre , qui juftifie la fortune, qui montre dans fa perfonne un droit naturel a la fupériorité, & plus on négligé ces fignes extérieurs , plus ceux qui gouvernent s'efféminent & fe corrompent impunément. H importe pourtant & plus qu'on ne penfe , que ceux qui doivent un jour commander aux autres fe montrent dès leur jeunelfe fupérieurs a eux de tout point, ou du moins  de la Pologne. qu'ils y tachent. II eft bon de plus que le peuple fe trouve fouvent avec fes chefs dans des occafions agréables, qu'il les connoilfe, qu'il s'accoutume a les voir , ■qu'il partage avec eux fes plaifirs. Pourvu que la fubordination foit gardée & qu'il ne fe confonde point avec eux , c'eft le moven qu'il s'y affeclionne & qu'il joigne pour eux 1'attachement au refpect Enfin le goüt des exercicès corporels détourne d'une oifiveté dangereufe , des plaifirs efféminés & du luxe de 1'efprit. C'eft fur-tout a caufe de 1'ame qu'il faut exercer le corps , & voila ce que nos petits fages font loin de voir. Ne négligez point une certaine décoration publique; qu'elle foit noble, impofante , & que la magnificence foit dans les hommes plus que dans les chofes. On ne fauroit croire a quel point le cceur du peuple fuit fes yeux, & combien la majefté du cérémonial lui en impofe. Cela donne a 1'autorité un air d'ordre & de regie qui infpire la confiance & qui écarté les idees de caprice & de fantaifie attachées a celles du pouvoir arbitraire. II faut feulement éviter dans 1'appareil des folemnités, le clinquant, le papillotage & les décorations du luxe qui font d'ufage dans les cours. Les fêtes d'un peuple libre dou  34 Gouvernement vent toujours refpirer la décence & la gravité, & Pon n'y doit préfenter a fon admiration que des objets dignes de fon eftime. Les Romains dans leurs triomphes étaloient un luxe énorme, mais c'étoit le luxe des vaincus, plus il brilloit, moins il féduifoit. Son éclat mème étoit une grande leqon pour les Romains. Les rois captifs étoient enchainés avec des chaines d'or & de pierreries. Voila du luxe bien entendu. Souvent on vient au mème but par deux routes oppofées. Les deux balles de laine mifes dans la chambre des pairs d'Angleterre devant la place du chancelier , forment a mes yeux une décoration touchante & fublime. Deux gerbes de bied placées de mème dans le fénat de Pologne , n'y feroient pas un moins bel effet a mon gré. L'immenfe diftance des fortunes qui fépare les feigneurs de la petite noblefle, eft un grand obltacle aux réformes néceffaires pour faire de Pamour de la patrie la paflion dominante. Tant que le luxe régnera chez les grands ,j la cupidité régnera dans tous les coeurs. Toujours Pobjet de 1'admiration publique fera celui des vceux des particuliers, & s'il faut ètre riche pour briller, la pafllon dominante fera toujours d'ètre riche. Grand moyen  de la Pologne. 27 moyen de corruption qu'il faut afFóiblir autant qu'il eft poflible. Si d'autres objets attrayans, fi des marqués de rang diftinguoient les hommes en place, ceux qui ne feroient que riches en feroient privés, les vceux fecrets prendroient naturellement la route de ces diftinctions honorables, c'ell-a-dire celles du merite & de Ia vertu, quand 011 ne parviendroit que par la. Souvent les confuls de Rome étoient très-pauvrcs, mais ils avoient des lieïeurs, 1'appareil de ces licteurs fut convoité par le peuple, & les Plébeïens par* •vinrent au confulat. Oter tout-a-fait le luxe oüjegne 1'inégalité me paroit, je 1'avoue, une entreprife bien difficile. Mais n'y auroit-il pas moyen de changer les objets de ce luxe & d'eu rendre 1'exemple moins pernicieux ? Par exemple, autrcfois la pativre noblelfe en Pologne s'attachoit aux grands qui lui donnoient 1'éducation & la fubfiftauce a leur füite. Voila un luxe vrairrient grand & noble, dont je feijs parfaïtemerit Tinconvénient, mais qui du moins loin d'avilir les ames, les éleve , leur dofme des fentimens, du relTort, & fut fans abus chez les Romains tant que dura la république. J'ai lu que le duc d'Epernon rencontraut un jour le duc B  26 Gouvernement deSully, vouloit lui chercher querelle, mais que n'ayant que fix cents gentilshommes a fa fuite , il n'ofa attaquer Sully qui en avoit huit cents. Je doute qu'un luxe de cette efpece laiife une grande place a celui des colifichets , & 1'exemple du moins n'en féduira pas les pauvres. Ramenez les Grands en Pologne a n'en avoir que de ce genre, il en réfultera pcut-étre des divifions, des partis, des querelles, mais il ne corrompra pas la nation. Après celui-la, tolérons le luxe militaire, celui des armes, des chevaux, mais que toute parure efieminée foit en mépris, & li Ton n'y peut faire renoncer les femmes , qu'on leur apprenne au moins a l'improuver & dédaigner dans les hommes. Au relte, ce n'eft pas*par des loix fomptuaires qu'on vient a bout d'extirper le luxe. G'eft du fond des coeurs qu'il faut "i'arracher , en y imprimant des goüts plus fains & plus nobles. Défendre les chofes qu'on ne doit pas faire eft un expediënt inepte & vain, li 1'on ne com.mence par les faire baïr & rnéprifer, & jamais Pimprobation de la loi n'eft cflScace que quand elle vient a l'appui de celle du jugement. Qu icon que fe mële d'inftituer un peuple doit favoir dominer les opi-  de la Pologne. 27 nions & par elles gouverner les pafiions des hommes. Cela eft vrai fur-tout dans ' Pobjet dont je parle. Les loix fomptuaires irritent le defir par la contrainte , plutót qu'elles ne 1'éteignent par le chatiment. La fimplicité dans les moeurs & dans la parure eft moins le fruit de la loi que celui de 1'éducation. CHAPITRE IV. Education. C'Eft ici Partiele important. C'eft 1'éducation qui doit donner aux ames la forme nationale & diriger tellement leurs opinions & leurs goüts qu'elles foyent patriotcs par inclination , par paflion , par néceffité. Un enfant en ouvrant les yeux doit voir la patrie & jufqu'a la mort ne doit plus voir qu'elle. Tout vrai républicain fuga avec le lait de fa mere Pamour de fa patrie, c'eft-a-dire des loix & de la liberté. Cet amour fait toute fon exiftence; il ne voit que la patrie, il ne vit que pour elle; iïtöt qu'il eft feul, il eft nul ; jitót qu'il n'a plus de patrie , il B 3,  aS Gouvernement n'eft plus, & s'il n'eft pas mort, il eft .pk ^ Leducation nationale n'appartient .qu'aux hommes fibrés; il n'y a qu'eux qui aient une exiftence commune & qui ïbient vraiment Hés par la loi. Un Francois, un Anglois , un Efpagnol, un Italien , un Rulle , font tous a peu pres le mème homme , il fort du college déja tout faqonné pour la licence , c'eft-a-dire pour la fervitude. A vingt ans un Polonois ne doit pas être un autre homme; il doit être un Polonois. Je veux qu'en apprenant a lire, il Hfe des chofes de fon pays, qu'a dix ans il en connoilfe toutes les proiuctions; a douze toutes les provinres, teus les chemins, toutes les villes ; qü'a quinze il en fache toute l'hiftoire, a feize toutes les loix, qu'il n'y aitpas eu dans toute la Pologne une belle a&ion, ni un homme illuftre dont il n'ait la mémoire & le coeur pleins, & dont il ne puilfe rendre compte a 1'inf tant. On peut juger par-la que ce ne font pas les études ordinaires dirigées par des étrangcrs & des prètres, que je voudrois faire fuivre aux enfans. La loi doit régler •la matiere, Fordre & la forme de leurs études, lis ne doivent avoir pour inftitufeeurs que des Polonois, tous mariés s'il  t>e la Pologne. 1$ eft poffible , tous diftingués par leurs moeurs, par leur probité, par leur bon lens, par leurs lumieres, & tous deftinés a des emplois, non plus importans, ni plus honorables, car cela n'eft pas poffible , mais moins pénibles & plus éclatans, lorfqu'au bout d'un certain nombre d'années, ils auront bien rempli celui-la. Garuez-vous fur-tout de faire uil métier de 1'état de pédagogue. Tout homme pi1blic en Pologne ne doit avoir d'autreétat permanent que celui de citoycn.' Tous les poftes qu'il remplit, & fur-tout' ceux qui font importans comriic'celui-ciV ne doivent être confidérés que comme des places d'épreuve & des degrés pour monter plus haut après Pavöir mérité. J'exhorte les Polonois a faire attention a- cette maxime , fur laquelle' j'infifterai' fouvent : je la crois la clef d'uft grand relfort dans' j.'Etat. On verra ci-après comment on peut a mon avis, la rendre praticable lans exception. Je n'aime point ces diftincKöns de colleges & d'académies qui font que la noblelfe riche & la noblefle pauvre font élevées différemment & féparément. Tous étant égaux par la conftitution de FEtat doivent être élevés enfemble & de la mè-i me maniere, & fi Fon ne peut établir B 3  ?o Gouvernement tine éducation publique tout-a-fait gratuite, il fout du moins la mettre a un pnx que les pauvres puiflent payer. Ne pourroit-on pas fonder dans chaque college un certain nombre de places purement gratuites, c'eft-a-dire aux frais de 1 Etat, _ & qu'on appelle en France des bourfes 'i Ces places données aux enfans des pauvres gentilshommes qui auroient bien mérité de la patrie, non comme une aumone, mais comme une recompenfe des bons fervices des peres, deviendroienta ce titrehonorables & pourroient produire un doublé avantage qui ne feroit pas a négliger. II faudroit pour cela que la nomination n'en fut pas arbitraire, mais fe fit par une efpece de jugement dont je parlerai ci-après. Ceux qui remphroient ces places feroient appellés enfans de 1'Etat, & diftingués par quclque marqué honorable qui donneroit la préieance fur les autres enfans de leur age, fans excepter ceux des grands. Dans tous les colleges, il faut établir ungymmafe ou lieu d'exercices corporels pour les enfans. Cet article fi négligé eft felon moi la partie la plus importante de reducation, non feulement pour fermer des tempéramens robuftes & fains , mais encore plus pour 1'objet moral qu'on né-  de la Pologne. gï glige, ou qu'on ne remplit que par un tas de préceptes pédanteiques & vains , qui font autant de paroles perdues. Je ne redirai jamais alfez que la bonne éducation doit être négative. Empèchez les vices de naitre, vous aurez alfez fait pour la vertu. Le moyen en eft de la derniere facilité dans la bonne éducation publique} c'eft de tenir toujours les enfans en haleine, non par d'eunuyeufes études, oü ils n'entendent rien & qu'ils prennent' cn haine par cela feul qu'ils font forcés de refter en place; mais par des exerciccs qui leur plaifent en fatisfaifant au befoin qu'en croilfant a leur corps de s'agiter, & dont 1'agrément pour eux ne fe bornera pas la. On ne doit point permettre qu'ils jouent féparément a leur fantaifie, mais tous enfemble & en public, de maniere" qu'il y ait toujours un but commun auquel tous afpirent & qui excite la concurrence & 1'émulation. Les parens qui préféreront 1'éducation domeftique , & feront éle ver leurs enfans fous leurs yeux, doivent cependant les envoyer a ces exercices. Leur inftruclion peut être domeftique & particuliere , mais leurs jeux doivent toujours être publics & communs k tous; car il ne s'agit pas feulement ici B 4  32 Gouvernement de les occuper, de leur former une coftt tution robufte , de les rendre agiles & découplés , mais de les accoutumer de bonne heure a Ja regie , a 1'égalité , a la iraternite , aux concurrences, a vivre fous les yeux de leurs concitoyens & a défirer 1'approbation publique. Pour ccla il ne faut pas que les prix & récompenfes des vainqueurs foyent diftribués arbitrairement par les maitres des exercices r ni par les chefs des colleges , mais par acciamation & au jugement des fpetfateuts; & 1'on peut compter que ces jug&mens feront toujours juftes, fur-tout Q Ton a fbin de rendre ces jeux attirans pour le public, en les ordonnant avec un pen d'appareil & de faqon qu'ils faflènt ipedacle. Alors il eft a préfumer que tous les honnêtes gens & tous les bons patriotes fe feront un devoir & un plaifir d'y affifter. A Berne il y a un exercice bien fin gulier pour les jeunes Patriciens qui .fortent du college. C'eft ce qu'on appelle [yEtat extérieur. C'eft unecopie en petit de tout caqui compofe le gouvernement de la République. Un fénat, des avoyers, des officiers, des huifliers , des orateurs , des caufes, des jugemens, des folemnités, L'Etat extérieur a mème un petit  de la Pologne. 53 gouvernement & quelques rentes , & cette inftitution autorifée & protégée par le Souverain , eft la pépiniere des hommes d'Etat qui dirigeront un jour lés affaires publiques dans les mèmes emploiS qu'ils n'exercent d'abord que par jeu. Quelque forme qu'on donite a 1'éducation publique , dont je n'entreprends pas ici le détail, il convient d'établir un college de magiftrats du premier rang qni en ait la fuprème adminiftratión , & qui nomme , révoque & change a fa velonté tant les principaux & chefs des colleges, lefquels feront eux-mèmes , comme je i ai deja dit, des candidats pour les hautes magiftratures , que les maitres des exercices dont on 'aura foin d'exciter aufïï le zele & la vigilance par des places plus élevées qui leur'feront ouvertes ou fermées, felon la 'maniere dont ils auront rempli celles-la. Comme c'eft de ces établilTemens que dépend felpoir de la Républiqne, la gloirè& lefort de la nation, je les trouve , je 1'avoue .. d?une importancë que je fuis bien furpris qu'on n'ait fongé a leur donner nullc part. Je fuis affligé pour fhumanité que tant d'idées qui me paroiffent bonnes & lltilps \p frnmwilt tnliiniiro niVMnm „J ,  34 Gouvernement très-praticables, fi loin de tout ce qui fe fait. Au refte, je ne fais ici qu'indiquer , mais c'eft affez pour ceux a qui je m'adreife. Ces idees mal développées montrent de loin les routes inconnues aux modernes par lefquelles les anciens menoient les hommes a cette vigueur d'ame , a ce zele patriotique, a cette eftime pour les qualités vraiment perfonnelles fans égard a ce qui n'eft qu'étranger a Fhomme , qui font parmi nous fans exemple , mais dont les levains dans les coeurs de tous les hommes n'attendent pour fermenter que d'ètre mis en adion par des inftitutions convenables. Dirigez dans eet efprit 1'éducation , les ufages, les coutumes,les moeurs des Polonois, vous développerez en eux ce levain qui n'eft pas encore éventé par des maximes corrompues, par des inftitutions ufées, paf une philofophie égoïfte qui prêche & qui tue. La nation datera fa feconde naiffanee de la crife terrible dont elle fort, & voyant ce qu'ont fait fes membres encore indif ciplinés, elleattendra beaucoup & obtiendra davantage d'une inftitution bien ponderée; elle chéfcira, elle refpedera des loix qui flatteront fon noble orgueil , •qui la rendront, qui la maintiendront  de la Pologne. ?f heureufe & libre; arrachant de fon fein les paflions qui les éludent, elle y nourrira celles qui les font aimer. Enfin fe renouvellant pour ainfi dire elle-mème , elle reprendra dans ce nouvel age toute la vigueur d'une nation naiilante. Mais. fans ces précautions n'atcendez rien de vos loix; quelque fages, quelque prévoyantes qu'elles puiffent ëtre , elles feront éludées & vaines, & vous aurez corrigé quelques abus qui vous blelfent „ pour en introduire d'autres que vous; n'aurez pas prévus. Voila des préliminaires que j'ai cru indifpenfables. Jettonsi maintenant les yeux fur la conftitution.. B' ê  3.6 Gouvernement Evitons , s'il fe peut, de nous jetter- dès les premiers pas dans des projets chimériques. Qtielle entreprife , Meffieurs, vous occupe en ce moment ? Celle de réformer le gouvernement de Pologne , c'eft-a-dire, de donner a la conftitution d'un grand royaume la confiftance &.la vigucur de. celle d'une petite répiw blique. Avant de travailler a 1'exécution de ce projet, il faudroit voir d'abord s'il eft polfible d'y réuffir. Grandeur des nations ! Etendue des Etats ! première & principale fource des malheurs du genre lïumain , & fnr-tout,des calamités fans nombre qui minent & détruifent les peu- . pies policés. Prefque tous les petits Etats, Républiques & Monarchies indifféremment, profperent par cela feul qu'ils font petits, que tous les citoyens s'y connoiffent mutuellement & s'entregardent, que les chefs peuvent voir par eux-mèmes le mal qui fe fait, le bien qu'ils ont a faire , tk que leurs ordres s'exécutent fous leurs CH.APIT.RE V. Vice radical.  b e l a Pologne. 37 yelrx. Tous les grands peuples écrafés par leurs propres maffes gémuTent, ou comme vous dans Panarchie, ou fousles opprelTeurs fubalternes qu'une gradation nécelTaire force les rois de leur donner. II n'y a que Dieu qui puifle gouverner le monde, & il faudroit des facultés plus qu'humaines pour gouverner de grandes nations.il eft étonnant, il eft prodigieux que la vafte étendue de la Pologne n'ait pas déja cent fois opéré la converfion du gouvernement en defpotifme, abatardi les ames des Polonois & corrompu la maffe de la nation. C'eft un exemple unique dans 1'hiftoire qu'après des fiecles un pareil Etat n'en foit encore 'qu'a Panarchie. La lenteur de ce progrès eft due a des avantages inféparables dés inconvéniens dont vous voulez vous délivrer. Ah ! je ne faurois trop le redire ; penfez-y bien avant de toucher a vos loix & fur-tout a celles qui vous fifent ce que vous êtes; La première réforme dont vous auriez befoin feroit celle de votre étendue. Vos . vaftes provinces ne comporteront jamais lafévere adminiftration des petites républiques. . Commencez par refferrer vos limites, fi vous voulez réformer votre gouvernement. Peut-ètre vos voifinsfongent-ils a vous rendre ce fervice. Ce fe-  58 Gouvernement roit fans doute un grand mal pour les parties démembrées; mais ce feroit un grand bien pour le corps de la nation. Que fi ces retranchemens n'ont pas lieti, je ne vois qu'un moyen qui püt y fuppléer peut-ètre , & ce qui eft heureux, ce moyen eft déja dans Pefprit de votre inftitution. Que la féparation des deux Polognes foit aufii marquée que celle de la Lithuanie : ayez trois Etats réunis en un. Je voudrois, s'il étoit poflible , que vous en eufliez autant que de Palatinatsj formez dans chacun autant d'adminiftrations particulieres. Perfectionnez la forme des diétines, étendez leur autorité dans leurs Palatinats refpectifs; mais marqucz-en foigneufement les bornes , & faites que rien ne puilfe rompre entr'elles le hen de la commune législation & de la fubordination au corps de la république. En un mot, appHquezvous a étendre & perfeclionner le fyftême des gouvernemens fédératifs, le feul qui réunilfe les avantages des grands & des petits Etats, & par la Je feul qui puilfe vous convenir. Si vous négligez ce confeil , je doute que jamais vous puiffiez faire un bon ouvrage..  de la Pologne. 39 C H A P I T R E VI. Queflion des trois ordres. Je n'entends guere parler de gouvernement fans trouver qu'on remonte a des principes qui me paroiffent faux ou louches. La répubJique de Pologne , a-t-on fouvent dit & répété, eft compofée de trois ordres : 1'ordre équeftre, le fénat & le roi. J'aimerois mieux dire que la nation Polonoife eft compofée de trois ordresj les nobles qui font tout, les bourgeois qui ne font rien, & les payfans qui font moins que rien. Si Pon compte le fénat pour un ordre dansPEtat, pourquoi ne compte-t-on pas auffi pour tel la chambre des nonces qui n'eft pas moins diftinde & qui n'a pas moins d'autorité ? Bien plus; cette divifion dans le fens même qu'on la donne eft évidemment incomplette; car il y falloit ajouter les miniftres, qui ne font ni rois , ni fénateurs, ni nonces, & qui dans la plus grande indépendance, n'en font pas moins. dépofitaires de tout le pouvoir exécutif. Comment me fera-t-on jamais comprea».  40 Gouvernement dre que la partie qui n'exifte que par le tout, forme pourtant par rapport au tout uu ordre indépendant de lui ? La pairie en Angleterre-, attendu qu'elle eft héréditaire , forme , je 1'avoue, un ordre exiftant par lui-mème. Mais en Pologne ötez 1'ordre équeftre , il n'y a plus de fénat, puifque nul ne peut ètre fénateur, s'il n'eft premierement noble Polonois. De mème il n'y a plus de roi, puifque c'eft 1'ordre équeftre qui le nomme, & que le roi ne peut rien fans lui : mais ótez le fénat & le roi, 1'ordre équeftre & par lui 1'Etat & le fouverain demeurent en leur entier; & dès demain, s'il lui plait, il aura un fénat & un roi comme auparavant. Mais pour n'être pas un ordre dans 1'Etat, il ne s'enfuit pas que le fénat n'y foit rien, & quand il n'auroit pas en corps le dépöt des loix, fes membres indépen^ damment de 1'autorité du corps, ne le feroient pas moins de la puilfance législative, & ce feroit leur óter le droit qu'ils tiennent de leur nailfance que de les empêcher d'y voter en pleine diete, toutes les fois qu'il s'agit de faire ou de révoquer des loix : mais ce n'eft plus alors comme fénateurs qu'ils votent, c'eft iimplement comme citoyens. Si-tót que  DE IA PotOG NE. 4I Ta puifïance législative parlc, tout rentre dans 1'égalité ; toute autre autorité fe tait devant ello; fa voix eft la voix de Dieu fur la terre. Le roi mème qui pré~ fide a la diete, n'a pas alors, je le foutiens, le droit d'y voter,s'il n'eft noble Polonois. On me dira fans doute ici que je prouve trop, & que fi les fénateurs n'ont pas voix comme tels a la diete, ils ne dotvent pas non plus 1'avoir comme citoyens , puifque les membres de 1'ordre équeftre n'y votent pas par eux-mêmes, mais feulement par leurs repréfentans, au nombre defquds les fénateurs ne font pas. Et pourquoi voteroient-ils comme particuliers dans la diete-, puis qu'aucun autre noble, s'il n'eft nonce , n'y peut voter ? Cette objection me paroit folide dans 1'état préfent des chofes; mais quand les changemens projetés feront faits, elle nele fera plus, paree qu'alors les fénateurs eux-mêmes feront des repréfentans perpetuels de la nation, mais qui ne pourront agir en matiere de législation qu'avec le concours de leurs collegues. Qu'on ne dife donc pas que le concours du roi, du fénat & de Fordre équeftre eft néceffaire pour former une loi. Ce droit n'appartient qu'au feul ordre équef-  43 Gouvernement tre, dont les fénateurs font membres comme les nonces, mais oü. le fénat en corps n'entre pour rien. Telle eft ou doit être en Pologne la loi de 1'Etat : mais la loi de la nature , cette loi fainte , imprefcriptible , qui parle au cceur de 1'homme & a fa raifon , ne permet pas qu'on relfe rre ainfi 1'autorité législative, & que les loix obligent quiconque n'y a pas voté perfonnellement comme les nonces, ou du moins par fes repréfentans comme le corps de la nobleffe. On ne viole point impunément cette loi facrée, & 1'état de foibleife oü une fi grande nation fe trouve réduite eft 1'ouvrage de cette barbarie féodale qui fait retrancher du corps de 1'Etat fa partie la plus nombreufe & quelquefois la plus faine. A Dieu ne plaife que je croie avoir befoin de prouver ici ce qu'un peu de bon fens & d'entrailles fuffifent pour faire fentir a tout le monde! Et d'oü la Pologne prétend-elle tirer la puilfance & les forces qu'elle étouffe a plaifir dans fon fein'{ Nobles Polonois, foyez plus, foyez hommes. Alors feulement vous ferez heureux & libres; mais ne vous flattez jamais de 1'être tant que vous tiendrez vos freres dans les fers. Je fens la difficulté du projet d'affran-  de la Pologne. 4? chir vos peuples. Ce que je crains n'eft pas feulement 1'intérèt mal entendu, 1'amour propre & les préjugés des maitres. Cet obftacle vaincu , je craindrois les vices & la lacheté des ferfs. La liberté eft va aliment de bon fuc, mais de forte digeftion; il faut des eftomacs bien fains pour Je fupporter. Je ris de ces peuples avilis qui fe laiflant ameuter par des ligueurs ófent parler de liberté fans mème en avoir 1'idée, & le cceur plein de tous les vices des efclaves, s'imaginent que pour ètre libres il fuffic d'être des mutins. Fiere & fainte liberté! Si ces pauvres gens pouvoient te connoitre, s'ils favoient a quel prix on t'acquiert & te conferve , s'ils fentoient combien tes loix font plus aufteres que n'eft dur le joug des tyrans; leurs foibles ames, efclaves de palfions qu'il faudroit étouffer, te craindroient plus cent fois que la fei%itude ; ils te fuiroient avec effroi, comme un fardeau prèt a les écrafer. AfFranchir les peuples de Pologne eft une grande & belle opération, mais hardie , périileufe, & qu'il ne faut pas tenter inconfiderément. Parmi les orécautions a prendre , il en eft une indifpenlable & qui demande du tems. C'eft avant toutes chofes de rendre dignes de la  44 Go uver-nement liberté & capables de la fupporter les ferfs qu'on veut affranchir. J'expoferai ci-après un des moyens qu'on peut employer pour cela. II feroit téméraire a moi d'en garantir le fuccès, quoique je n'en doute pas. S'il eft quelque meilleur moyen, qu'on le premie. Mais quel qu'il foit, fongez que vos ferfs font des hommes comme vous, qu'ils ont en eux 1'ctofFe pour deyenir tout ce que vous êtes : travaillev; d'abord a la mettre en oeuvre, & n'affranchiifez le urs corps qu'après avoir affranchi leurs ames. Sans ce préliminaire comptez que votre opération réuflira mal.  De la Pologne. 4$ CHAPITRE VII. Moyens de maïntenir la conjlitutiou. La légiflation de Pologne a été faite fucceflivement de pieces & de morceaux, comme toutes celles de PEurope. A meiure qu'on voyoit un abus , on faifoit une loi pour y remédier. De cette loi nailfoient d'autres abus qu'il falloit corriger encore. Cette maniere d'opérer n'a point de fin , & mene au plus terrible de tous les abus, qui eft d'énerver toutes les loix a force de les multiplier. L'afFoiblifTement de la légiflation s'eft feit en Pologne d'une maniere bien particuliere , & peut-être unique. C'eft qu'elle a perdu fa force fans avoir été fubjuguée par la puiffance exécutive. En ce moment encore la puilfance légifiative conferve toute fon autorité; elle eft dans 1'inaction, mais fans rien voir au-delfus d'elle. La diete eft auffi fouveraine qu'elle Pétoit lors de fon établilfement. Cependant elle eft fans force; rien ne la domine, mais rien ne lui obéit. Cet Etat eft remarquable & mérite réflexion.  4-6 Gouvernement Qu'eft-ce qui a confervé jufqu'ici 1'autorité légiflative ? C'eft la préfence contiuuelle du légiflateur. C'eft la fréquence des dietes, c'eft le fréquent renouvellement des nonces qui ont maintenu la république. L'Angleterre qui jouit du premier de ces avantages a perdu fa liberté pour avoir négligé 1'autre. Le mème parlement dure li long-tems , que la cour qui s'épuiferoit a Pacheter tous les ans trouve fon compte a Pacheter pour fept, & n'y manque pas. Première leqon pour vous. Un fecond moyen par lequel la puiffance légiflative s'eft confervée en Pologne , eft premierement le partage de la puilfance exécutive, qui a empêché fes dépofitaires d'agir de concert pour Popprimer, & en fecond lieu le palfage fréquent de cette mème puilfance exécutive par différentes mains, ce qui a empêché tout fyftème fuivi d'ufurpation. Chaque roi faifoit dans le cours de fon regne quelques pas vers la puilfance arbitraire. Mais Pélechon de fon fucceffeur forcoit celui- ei de rétrograder au lieu de pourfuivre, & les rois au commencement de chaque re°-nc étoient contraints par les pa&a conventa de partir tous du mème point. De forto que malgré la pente habituelle vers le  de la Pologne. 47 defpotifme, il n'y avoit aucun progrès réel. II en étoit de mème des miniftres & grands officiers. Tous indépendans, & du fénat & les uns des autres , avoient dans leurs départemens refpectifs une autorité fans bornes : mais outre que ces places fe balanqoient mutuellement, en ne fe perpétuant pas dans les mèmes families , elles n'y portoient aucune force abfolue, & tont lepouvoir, mème ufurpé, retournoit toujours a fa fource. II n'en eut pas été de mème fi toute la puiffance exécutive eüt été, foit dans un feul corps comme le fénat, foit dans une familie par 1'hérédité de la couronne. Cette familie ou ce corps auroient probablement opprimé tót ou tard la puiffance légiflative, & par la mis les Polonois fous le joug que portent toutes les nations, & dont eux feuls font encore exempts; car je ne compte déja plus la Suede. Deuxieme leqon. Voila 1'avantage. II eft grand fans doute ; mais voici 1'inconvénient qui n'eftgueres moindre. La puilfance exécutive partagée entre" plufieurs individus manque d'harmonie entre fes parties, & caufe un tiraillement continuel incompatible avec le bon ordre. Chaque dépofitaire-  48 Gouvernement d'une partie de cette puiflance fe met en vertu de cette partie a tous égards audeflus des magiftrats & des loix. II reconuoit a la vérité 1'autorité de la diete ; mais nereconnoiflhnt que celle-la, quand la diete eft diifoute , il n'en reconnoit plus du tout; il raéprife les tribunaux & brave leurs jugemens. Ce font autant de petits delpotes qui, fans ufurper précifément 1'autorité fouveraine , ne lailfent pas d opprimer en détail les citoyens-, & donnent 1'exemple funefte & trop fuivi de violer fans fcrupule & fans crainte les droits & la liberté des particuliers. Je crois que voila la première & principale caufe de Panarchie qui regne dans 1 Ütat. Pour öter cette caufe , je ne vois qu un moyen : ce n'eft pas d'armer les tribunaux particuliers de la force pubUque contre ces petits tyrans; car cette force, tantót mal adminiftrée & tantót lurmontee par une force fupéneure , pourroit exciter des troubles & des défordres capables d'aller par degrés jufqu'aux guerres civiles; mais c'eft d'armer de toute ia force exécutive un corps refpecteb e & permanent tel que le fénat, capable par fa confiftance & par fon autorité de contenir dans leur devoir les magnats tentes de s'en écarter. Ce moyen me pa- roit  de la Pologne. 49 rolt efficace, & le feroit certainement ; mais le danger en feroit terrible & trèsdifficile a-éviter. Car commeon peut voir dans le Contrat focial, tout corps dépofitaire de la puilfance exécutive, tend fortement & continuellcment a fubjuguer la puilfance légiflative, & y parvient tót ou tard. Pour parer eet inconvénient, on vous propofe de partager le fénat en plufieurs confeils ou dcpartemens préfidés chacun par le miniftre chargé de ce département , lequel miniftre, ainli que les membres de chaque confeil, changeroit au bout d'un tems fixé & rouleroit avec ceux des autres départemens. Cette idéé peut être bonne, c'étoit celle de 1'abbé de St. Pierre , & il Pa bien développée dans fa Polyfynodie. La puilfance exécutive, ainli divifée & palfagere, fera plus fubordonnée a la légiflative, & les diverfes parties de Padminiftration feront plus approfondies & mieux traitées féparément. Ne comptez pourtant pas trop fur ce moyen ; fi elles font toujours féparées , elles manqueront de concert, & bientöt fe contrecarrant mutuellement , elles uferont prefque toutes leurs forces les unes contre les autres, jufqu'a ce qu'une d'entr'elles ait prit Pafcendant, & les domine C  fo Gouvernement toutes : ou bien fi elles s'accordent & fe concertent , elles ne feront réellement qu'un mème corps & n'auront qu'un mème efprit, comme les chambres d'un parlement; & de toutes manieresje tiens pour impoflïble, que 1'indépendance & 1'equihbre fe maintiennent 'fi bien entr'elles, qu'il n'en réfulte pas toujours un centre ou foyer d'adminiltration, oü toutes les forces particulieres fe réuniront toujours pour opprimer le fouverain. Dans prefque toutes nos républiques, les confeils font ainfi diftribués en dcpartemens qui , dans leur origine , etoient indépendans les uns des autres , & qui bientöt ont ceffé de 1'ètre. L'invention de cette divifion par chambres ou dcpartemens eft moderne. Les anciens qui fayoient mieux que nous comment fe maintient la liberté ne connurent point eet expediënt. Le fénat de Rome "gouvernoit la moitié du monde connu , & n'avóit pas mème l'idée de ces partages. Ce fénat, cependant, ne parvint jamais a opprimer la puilfance légiflative , quoique les fénateurs fulfent a vie. Mais les loix avoient des cenfeurs, le peul ple avoit des tribuns, & le fénat n'élifoit pas les confuls. Pour que 1'admimltration foit forte,  DE LA FOLOGNE. ?I bonne & marche bien a fon but, toute la puiffance exécutive doit ètre dans les mêmes mains; mais il ne fufïït pas que ces mains changent; il faut qu'elles n'agilfent, s'il eft poffible, que fous lesyeux du légillateur , & que ce foit lui qui les guide. Voila le vrai fecret pour qu'elles n'ufurpent pas fon autorité. Tant que les Etats s'alfemblerout & que les nonces changerontfréquemment, il fera difficile que le fénat ou le roi oppriment ou ufurpent 1'autorité légiflative. II eft remarquable que jufqu'ici les rois n'ayent pas tenté de rendre les dietes plus rares , quoiqu'ils ne fuflent pas forcés comme ceux d'Angleterre , a les aflembier fréquemment fous peine de manquer d'argent. II faut, ou que les chofes fe foient toujours trouvées dans un état de crife qui ait rendu 1'autorité royale inuiffifante pour y pourvoir, ou que les rois fe foient allures par leurs brigues dans les diétines d'avoir toujours la pluralité des nonces a leur difpofition, ou qu'a la faveur du libcrum veto , ils aient été fürs d'arrèter toujours les délibérations qui pouvoient leur déplaire , & de dilfoudre les dietes a leur volonté. Qiiand tous ces motifs ne fubfifteront plus, on doit s'attendre que le roi ou le fénat, ou C * ~'  fa Gouvernement tous les deux enfemble feront de grands erforts pour fe délivrer des dietes, & les rendre aulli rares qu'il fe pourra. Voila ce qu'il faut fur-tout prévenir & empêcher. Le moyen propofé eft le feul, il eft fimple & ne peut manquer d'ètre efficace : il eft bien fingulier qu'avant le Contrat Social oü je ledonne, perfonne ne s'en fut avifé! Un des plus grands inconvéniens des grands Etats, celui de tous qui y rend la liberté le plus difficile a conferver, eft que la puilfance légiflative ne peut s'y montrer elle-mème , & ne peut agir que par députation. Cela a fon mal & fon bien , mais le mal 1'emporte. Le légiflateur en corps eftimpoilible a corrompre, mais facile a tromper. Ses repréfentans font difficilement trompés , mais aifément corrompus, & il arrivé rarement qu'ils ne le foyent pas. Vous avez fous les yeux 1'exemple du parlement d'Angleterre , & par le liberum veto celui de votre propre nation. Or, on peut éclairer celui qui s'abufe, mais comment retenir celui qui fe vend ? Sans ëtre inftruit des affaires de Pologne, je parierois tout au monde qu'il y a plus de lumieres dans la diete & plus de vertu dans les diétines. Je vois deux moyens de prévenir ce  de la Pologne. mal terrible de la corruption , qui de Porgane de la liberté fait Pinftrument de la fervitude. Le premier eft, comme j'ai déja dit, la fréquence des dietes , qui changeant fouvent les repréfentans , rend leur féduction plus couteufe & plus difficile. Sur ce point, votre conftitution vaut mieux que celle de la Grande-Bretagne, & quand on aura óté ou modifié le liberum veto, je n'y vois aucun autre changement a faire , li ce n'eft d'ajouterquetques difficultés a 1'envoi des mèmes nonces a deux dietes confécutives, & d'empëcher qu'ils ne foient élus un grand nombre de fois. Je reviendrai ci-après futeet article. Le fecond moyen eft d'aiTuiettir lesrepréfentans a fuivre exactement leurs inftructions, & a rendre un compte féverc a leurs conftituans de leur conduite a la diete. La-deifus je ne puis qu'admirer la négligence , 1'incurie , & j'ofe dire , la ftupidité de la nation Angloife, qui après avoir armé fes députés de la fuprème puilfance, n'y ajoute aucun frein pour regler 1'ufage qu'ils en pourront fairs pendant fept ans entiers que dure leur commifTion. Je vois que les Polonois ne fentent C 3  f4 Gouvernement pas aflez 1'importance de leurs diétines, ni tout ce qu'ils leur doivent, ni tout ce qu'ils peuvent en obtenir en étendant leur autorité & leur donnant une forme plus réguliere. Pour moi, je fuis convaincu que fi les confédérations ont fauvé la patrie, ce font les diétines qui l'ont confervée, & que c'eft la qu'eft le vrai Palladium de la liberté. Les inftructions des Nonces doivent être drelfées avec grand foin , tant fur les articles annoncés dans les univerfaux que fur les autres befoins préfens de 1'Etat ou de la province, & cela par une commilïïon , prélidée fi 1'on veut, par le maréchal de la diétine , mais compofée au refte de membres choifis a la pluralité des voix, & la nobleffe ne doit point fe féparer que ces inftrudions n'aient été lues, difcutées & confenties en pleine affemblée. Outre Poriginalde ces inftructions remis aux nonces avec leurs pouvoirs, il en doit refter un doublé figné d'eux dans les régiftres de la diétine. C'eft fur ces inftructions qu'ils doivent a leur retour rendre compte de leur conduite aux diétines de rélation qu'il faut abfolument rétablir, & c'eft fur ce compte rendu qu'ils doivent être ou exclus de toute autre nonciature fubféquente, ou  de la Pologne. 5 f déclarés derechef admiffibles, quand ils auront fuivi leurs inftru&ions a la fatisfa&ion de leurs conftituans. Cet examen eft de la derniere importance. On n'y fauroit donner trop d'attention ni en marquer 1'efFet avec trop de foin. II faut qu'a chaque mot que le nonce dit a la diete, a chaque démarche qu'il fait, il fe voye d'avance fous les yeux de fes conftituans, & qu'il fente Pinfluence qu'aura leur jugement, tant fur fes projets d'avancement que fur 1'eftime de fes compatriotes, indifpenfable pour leur exécution : car enfin, ce n'eft pas pour y dire leur fentiment particulier, mais pour y déclarer les volontés de la nation qu'elle envoye des nonces a la diete. Ce frein eft abiolument nécelfaire pour les contenir dans leur devoir & prévenir toute corruption, de quelque part qu'elle vienne. Quoiqu'on en puilfe dire, je ne vois aucun inconvénient a cette gêne, puifquela chambre des nonces n'ayant ou ne devant avoir aucune part au détail de 1'adminiftration, ne peut jamais avoir k traiter aucune matiere imprévue : d'ailleurs, pourvu qu'un nonce ne faife rien de contraire a 1'expreffe volonté de fes conftituans, ils ne lui feroient pas uit crime d'avoir opiné en bon citoyen fur C 4  >6 Gouvernement une matiere qu'ils n'auroient pas prévue, & fur laquelle ils n'auroient rien déterminé. j'ajoute enfin que quand il y auroit en effet quelque inconvénienta tenir ainfi les nonces alfervis a leurs inftructions , il n'y auroit point encore a balanceer vis a-vis 1'avantage immenfe que la loi ne foit jamais que 1'expreffion réelle des volontés de la nation. Mais auffi, ces précautions prifes , il ne doit jamais y avoir conflit de jurifdiclion entre la diete & les diétines, & quand une loi a été portée en plekte diete, je n'accorde pas mème a celles-ci droit de proteftation. Qu'elles punilfent leurs nonces, que s'il le faut, elles leur faffent mème couper la tête, quand ils ont prévariqué; mais qu'elles obéiifent pleinement, toujours, fans exception , fans proteftation, qu'elles portent comme il eft jufte la peine de leur mauvais choix; fauf a faire a la prochaine diete, li elles le jugent apropos, des repréfentations aufli vives qu'il leur plaira. Les dietes étant fréquentes ont moins befoin d'ètre longues, & fix femaines de durée me paroiffent bien fuffifantes pour les befoins ordinaires de 1'Etat. Mais il eft contradictoire que 1'autorité fouveraine fe donne des entraves a elle-mème,  de la Pologne. J7 fur - tout quand elle eft immédiatement entre les mains de la nation. Que cette: durée des dietes ordinaires continue d'ètre fixée a fix femaines, a la bonne heüre-J Mais il dépendra toujours de 1'aflemblée de prolonger ce terme par une délibéra*tion exprelfe , lorfque les affaires le demanderont. Car enfin, fi la diete qui par fa nature eft au deffus de la loi, dit v. je veux refter, qui eft-ce qui lui dira i. je ne veux pas que tu reftes. 11 n'y a que: le feul cas qu'une diete voulut durer plus de deux ans qu'elle ne le pourroit pas j fes pouvoirs alors finiroient, & ceux d'une autre diete commenceroient avec la troifieme année. La diete qui peut tout r peut fans contredic prelcrire un plus long intervalle entre les dieces : mais cettenouvelle loi ne pourroit regarder que les dietes fubféquentes, & celle qui la port;; n'en peut profiter. Les principes dont ces regies fe déduifent font établis dans le Contrat Social. A 1'égard des dietes extraordinaires, 15' bon ordre exige en elfet qu'elles foient; rares & convoquées uniquement pou? d'urgentes nécelïités. Qtiand le roi !ss juge telles, il doit, je 1'avoue, en être: cru; mais ces nécelïités pourroient exif-ter, & qu'il n'en com int pas : faut-il.  ƒ8 Gouvernement alors que le fénat en juge? Dans uil Etat libre on doit prévoir tout ce qui peut attaquer la liberté. Si les confédérations reftent, elles peuvent en certains cas fuppléer les dietes extraordinaires : mais fi vous abolilfezles confédérations, il faut un réglement pour ces dietes nécelfairement. 11 me paroft impoffible que la loi puilfe fixer raifonnablement la durée des dietes extraordinaires, puifqu'elle dépend abfolument de la nature des affaires qui la font convoquer. Pour Pordinaire la célérité y eft néceffaire; mais cette célérité étant relative aux matieres a traiter qui ne font pas dans 1'ordre des affaires courantes, on ne peut rien ftatuer la-deffus d'avance, & Pon pourroit fe trouver en tel état qu'il importeroit que la diete reftat alfemblée jufqu'a ce que eet état eüt changé , ou que le tems des dietes ordinaires fit tomber les pouvoirs de celle-la.. Pour ménager le tems fi précieux dans les dietes, il faudroit tacher d'óter de ces affemblées les vaines difcuflions qui ne fervent qu'a le faire perdre. Sans doute il y faut non feulement de la regie & de 1'ordre, mais du cérémonial & de la majefté. Je voudrois mème qu'on donnat un foin particulier a eet article, & qu'on  de la Pologne." js> fentit, par exemple, la barbarie &l'horrible indécence de voir 1'appareil des armesprofaner le fandluaire des loix. Polonois r êtes-vous plus guerriers que n'étoient les Romains, & jamais dans les plus grands; troubles de leur république 1'afpect d'un glaive ne fouilla les comices. ni le fénat. Mais je voudrois auffi qu'en srattachant aux^ chofes importantes & nécelfaires y on évitat tout ce qui peut fe faire ailleurs également bien. Le Rugi, par exemple, c'eft-a-dire 1'examen de la légitimité des nonces eftun tems perdu dans la diete ï non que eet examen ne foit en lui-mème une chofe importante , mais paree qu'il peut fe faire auffi bien & mieux dans le lieu mème oü ils ont été élus, oü ils font le plus connus & oü ils ont tous leurs. concurrens. C'eft dans leur Palatinat mème, c'eft dans la diétine quilesdépute que la validité de leur éledion peut être mieux conftatée & en moins de tems „ comme cela fe pratique pour les commiffaires de Radom & les députés au tri— bunal. Cela fait, la diete doit les admettre fans difcuffion fur le Laudum dont ils font porteurs, & cela non feulement; pour prévenir les obftacles qui peuvenfe retarder l'éledion du maréchal, mais fur» tout les intrigues par lefquelles le fénafc C d  €o Gouvernement ou le roi pourroient gèner les élections & chicaner les fujets qui leur feroient défagréables. Ce qui vient de fe paffer a Londres eft une leqon pour les Polonois. Je fais bien que ce Wilkes n'eft qu'un brouillon , mais par 1'exemple de fa réjection la planche eft feite , & déformais on n'admettra plus dans la chambre des communes que des fujets qui conviennent a la cour.. II faudroit commencer par donner plus d'attention au choix des membres qui ont voix dans les diétines. On difcerneroit par la plus aifément ceux qui font éligibles pour la nonciature. Le livre d'or de Venife eft un modele a fuivre a caufe des facilités qu'il donne. II feroit commode & très-aifé de tenir dans chaque Grod un regiftre exact de tous les nobles qui auroient, aux conditions requifes , entree & voix aux diétines. On les infcriroit dans le regiftre de leur diftricl; a mefure qu'ils atteindroient L'age requis par les loix, & Fon rayeroit ceux qui devroient en être exclus dès qu'ils tomberoient dans ce cas , en marquant la raifon de leur exclufion. Par ces regiftres auxquels il faudroit donner une forme bien authentiqne, on diftingueroit aifément , tant les membres légitimes des  »e la Pologne. 6i diétines que les fujets éligibles pour la nonciature ; & la longueur des difcuflions feroit fort abrégée fur eet article. Une meilleure police dans les dietes & diétines feroit alfurément une chofe fort utile ; mais je ne ie redirai jamais trop, il ne faut pas vouloir a la fois deux chofes contradidtoires. La police eft bonne, mais la liberté vaut mieux; & plus vous gènerez la liberté par des formes , plus ces formes fourniront de moyens al'ufurpation. Tous ceux dont vous uferez pour empêcher la licence dans 1'ordre légillatif, quoique bons en eux-mêmes, feront tót ou tard employés pour Popprimer. C'eft un grand mal que les longues & vaines harangues qui font perdre un tems C précieux, mais c'en eft un bien plus grand qu'un bon citoyen n'ofe parler quand il a des chofes utiles a dire. Dès qu'il n'y aura dans les dietes que certaines bouches qui s'ouvrent, & qu'il leur fera défendu de tout dire, elles ne diront bientót plus que ce qui peut plaire aux puilfans. Après les changemens indifpenfables dans la nomination des emplois & dans la diftribution des graces, il y aura vraifemblablement & moins de vaines harangues & moins de flagorneries adreflees  €2 Gouvernement au roi fous cette forme. On pourroit cependant, pour éloigner un peu les tortillages & les amphigouris , obliger tout harangueura énoncer au commencement de Ion difcours la propofition qu'il veut faire, & après avoir déduit fes raifons, de donner fes conclufions fommaires , comme font les gens du roi dans les tribunaux. Si cela n'abrégeoit pas les difcours , cela contiendroit du moins ceux qui ne veulent parler que pour ne rien dire , & faire confumer le tems a ne rien faire. / Je ne fais pas bien qu'elle eft la forme etablie dans les dietes pour donner la ianction aux loix; mais je fais que pour des raifons dites ci-devant, cette forme ne doit pas être la mème que dans le parlement de la grande Bretagne, que le fénat de Pologne doit avoir 1'autorité d'admmiftration , non de légiftation, que dans toute caufe légiflative, les fénateurs doivent voter feulement comme membres de la diete, non comme membres du ienat, & que ks voix doivent ètre comptees par tête également dans les deux chambres. Peut-être 1'ufage du liberum veto a-t-il empêché de faire cette diftinction , mais elle fera très-nécelfaire quand le liberum veto fera óté, & cela d'autant  de la Pologne. 63 plus que ce fera un avantage immenfe de moins dans la chambre des nonces, car je ne fuppofe pas que les fénateurs , bien moins les miniftres, aient jamais eu part a ce droit. Le veto des nonces Polonois* repréfente celui des tribuns du peuple a Rome 5 or, ils 11'exerc.oient pas ce droit comme citoyens , mais comme repréfentans du peuple romain. La perte du liberum veto n'eft donc que pour la chambre des nonces, & le corps du fénat n'y perdant rien, y gagne par conféquent. Ceci pofé, je vois un défaut a corriger dans la diete. C'eft que le nombre des fénateurs égalant prefque celui des nonces , le fénat a une trop grande influence dansles délibérations &peutaifément par fon crédit dans 1'ordre équeftre, gagner le petit nombre de voix dont il a befoin pour être toujours préponderant. Je dis que c'eft un défaut; paree que le fénat étant un corps particulier dans 1'Etat, a néceflairement des intéréts de corps différens de ceux de la nation , & qui mème a certains égards peuvent y être contraires. Or la loi, qui n'eft que Pexpreflion de la volonté générale eft bien le réfultat de tous les intéréts particuliers combinés, & balancés par leur  6\ Gouvernement multitude : mais les intéréts de corps faifant un poids trop confidérable romproient 1'équilibre, & ne doivent pas y entrer colledivement. Chaque individu doit avoir fa voix , nul corps quel qu'il lbit, n'en doit avoir une. Or, fi le fénat avoit trop de poids dans la diete, non feulement il y porteroit fon intérët, mais il le rendroit prépondérant. Un remede naturel a ce défaut fe préfente de lui-mème, c'eft d'augmente» ie nombre des nonces; mais je craindrois que cela ne fit trop de mouvement dans 1'Etat, & n'approchat trop du tumulte démocratique.S'il falloit abfolument changer la proportion, au lieu d'augmenter le nombre des nonces, j'aimerois mieux diminuer le nombre des fénateurs. Et dans le fond, je ne vois pas trop pourquoi, y ayant déja un Palatin a la tète de chaque province, il y faut encore de grands Caftellans. Mais ne perdons jamais de vue l'importante maxime de ne rien chauger fans néceifité, ni pour retrancher, ni pour ajouter. 11 vaut mieux a mon avis , avoir un confeil moins nombreux & lailTer plus de liberté a ceux qui le compofent, que d'en augmenter le nombre & de gèner la liberté dans les délibérations, comme  be la Pologne. «Tf on eft toujours forcé de faire quand ce nombre devient trop grand : a quoi j'ajouterai, s'il eft permis de prévoirle bien ainfi que le mal, qu'il faut éviter de rendre la diete auffi nombreufe qu'elle peut 1'ètre, pour ne pas s'öter le moyen d'y admettre un jour fans confufion de nouveaux deputés , fi jamais on en vient a 1'anobliifemcntdes villes & a Faffranchiffement des ferfs, comme il eft a defirer pour la force & le bonheur de la nation. Cherchons donc un moyen de remédier a ce défaut d'une autre maniere & avec le moins de changement qu'il fe pourra. Tous les fénateurs font nommés par le roi, & conféquemment font fes créatures. De plus ils font a vie, & a ce titre ils forment un corps indépendant & du roi & de 1'ordre équeftre qui, comme je 1'ai dit, a fon intérêt a part & doit tendre a 1'ufurpation. Et Pon ne doit pas ici m'accufer de contradiction, paree que j'admets le fénat comme un corps diftindt dans la république, quoique je ne Padmette pas comme un ordre compofant de la république: car cela eft fort différent. Premierement, il faut öter au roi la nomination du fénat, non pas tant a caufe du pouvoir qu'il conferve par la fur les  €6 Gouvernement fénateurs & qui peut n'ètre pas grand, que par celui qu'il a fur tous ceux qui alpirent a 1'ètre , & par eux fur le corps entier de la nation. Outre 1'effet de ce changement dans la conftitution , il en réfulteral'avantage ineftimable d'amortir parmi la noblelfe 1'efprit courtifan & d'y fubftituer 1'efprit patriotique. Je ne vois aucun inconvénient que les fénateurs loient nommés par la diete , & j'y vois de grands biens trop clairs pour avoir befoin d'ètre détaillés. Cette nomination peut fe faire tout d'un coup dans la diete, ou premierement dansles diétines, par la préfentation d'un certain nombre de fujets pour chaque place vacante dans leurs palatinats refpeclifs. Entre ces élus la diete feroit fon choix, ou bien elle en éliroitun moindre nombre parmi lefquels on pourroit lailfer encore au roi le droit de choifir: mais pour aller tout d'un coup au plus fimple , pourquoi chaque palatin ne feroit-il pas élu définitivement dans la diétine de fa province '< Quel inconvénient a-t-on vü naitre de cette éledion pour les palatins de Polock, de Witebsk, & pourle Starofte de Samogitie, &quei mal y auroit-il que le privilege de ces trois provinces devint un droit commun pour toutes 'i Ne perdons pas de vue 1'im-  be la Pologne. 67 portance dont il eft pour la Pologne de tourner fa conftitution vers la forme fédérative, pour écarter, autant qu'il eft poffible, les maux attachés a la grandeur, ou plutöt a 1'étendue de 1'Etat. En fecond lieu, fi vous faites, que les fénateurs ne foient plus a vie, vous affoiblirez confidérablement 1'intérèt de corps qui tend a 1'ufurpation ; mais cette opération a fes difficultés; premierement, paree qu'il eft dur a des hommes accoutumés a manier les affaires publiques, de fe voir réduits tout d'un coup a 1'état privé fans avoir démérité : fecondement paree que les places de fénateurs font unies a des titres de palatins & de caftellans & a 1'autorité locale qui y eft attachée, & qu'il réfulteroit du défoxdre & des mécontentemens du palfage perpétuel de ces titres & de cette autorité d'un individu a un autre. Enfin , cette amovibilité ne peut pas s'étendre aux évêques , & ne doit peut-ètre pas s'étendre aux miniftres, dont les places exigeant des talens particuliers ne font pas toujours faciles a bien remplir. Si les évëquesfeuls étoient a vie , 1'autorité du clergé , déja trop grande , augmenteroient confidérablement , & il eft important que cette autorité foit balancée par des fénateurs  68 Gouvernement qui foient a vie ainfi que les évèques, & qui ne craiguent pas plus qu'eux d'ètre déplacés. Voici ce que j'imaginerois pour remédier a ces divers inconvéniens. Je voudrois que les places de fénateurs du premier rang continuaffent d'ètre a vie. Cela feroit, en y comprenant, outre les évèques & les palatins, tous les Caftellans du premier rang, quatre-vingt neuf fénateurs inamovibles. Quant aux Caftellans du fecond rang, je les voudrois tous a tems, foit pour deux ans ^ en faifarit a chaque diete une nouvelle éledion , foit pour plus longtems s'il étoit jugé a propos; mais toujours fortarit de place a chaque terme, fauf a élire de nouveau ceux que la diete voudroit continuer, ce que je permettrois un certain nombre de fots feulement , felóil le projet qu'on trouvera ci-après. L'obllacle des titres feroit foible, paree que ces titres ne donnant prefque d'autre fondion que de fiéger au fénat, pourroient ètre fupprimés fans inconvénient, & qu'au lieu du titre de Caftellans a barics, ils pourroient porter fimplement celui de fénateurs députés. Comme par la réforme, le fénat revètu de ia puilfance exécutive,  de la Polo g n e. 6$ feroit perpétucllement aifemblé dans tin certain nombre de fes membres, un nombre proportionné de fénateurs cléputés feroient de même tenus d'y atfifter toujours a tour de röle, mais il ne s'agit pas ici de ces fortes de détails. Par ce changement a peine fenfible, ces Caftellans ou fénateurs députés deviendroient réellement autant de repréfentans de la diete qui feroient contrepoids au corps du fénat, & renforceroient fordre équeftre dans les alfemblées de la nation; enforte que les fénateurs a vie, quoique devenus plus puilfans, tant par 1'abolition du veto que par la diminution de la puilfance royale , & de celle des miniftres fondue en partie dans leur corps, n'y pourroient pourtant faire dotniner 1'efprit de ce corps, & le fénat, ainli, mi-parti de membres a tems & de merflr bres a vie, feroit auffi bien conftitué qu'il eft poffible pour faire un pouvoir intermédiaire entre la chambre des nonces & le roi, ayant a la fois alfez de conliftance pour régler 1'adminiftration , & alfez de dépendance pour être foumis aux loix. Cette opération me paroit bonne, paree qu'elle eft fimple, & cependant d'un grand effet. On propofe pour modérer les abus do  70 Gouvernement veto, de ne plus compter les voix par tète de nonce , mais de les compter par Palatinats. On ne fauroit trop réfléchir fur cc changement avant que de 1'adopter, quoiqu'il ait fes avantages & qu'il foit favorable a la forme fédérative. Les voix prifes par malfes Sc collectivement vont toujours moins directement a Pintérèt commun que prifes fégrégativement par individu. II arrivera très-fouvent que parmi les nonces d'un Palatinat, un d'entr'eux dans leurs délibérations particulieres prendra 1'afcendant fur les autres, & déterminera pour fon avis la pluralité, qu'il n'auroit pas fi chaque voix demeuroit indépendante. Ainli les corrupteurs auront moins a faire & fauront mieux a qui s'adreffer. De plus, il vaut mieux que chaque nonce ait a répondre pour ltïj feul a fa diétine, afin que nul ne s'excufe fur les autres, que 1'innocent & le coupable ne foient pas confondus, & que la juftice diftributive foit mieux obfervée. 11 fe préfente bien des raifons contre cette forme qui relacheroit beaucoup le Hen commun, & pourroit a chaque diete expofer 1'Etat a fe divifcr. En rendant les nonces plus dépendans de leurs inftrucf ions & de leurs conftituans Y ou gagne a peu prés le mème avantage  de la Pologne. 71 fans aucun inconvénient. Ceci fuppofe, il eft vrai, que les fuffrages ne fe donnent point paf fcrutin , mais a haute voix, afin que la conduite & 1'opiniou de chaque nonce a la diete, foient connues , & qu'il en réponde en fon propre & privé nom. Mais cette matiere des fuffrages étant une de celles que j'ai difcutées avec le plus de foin dans le Contrat Social, il eft fuperflu de me répéter ici. Quant aux élections , on trouvera peut - être d'abord quelque embarras a nommer a la fois dans chaque diete tant de fénateurs députés, & en général aux élections d'un grand nombre fur un plus grand nombre qui reviendront quelquefois dans le projet que j'ai a propofer; mais en recourant pour eet articfe au fcrutin , 1'on öteroit aifément eet embarras au moyen de cartons imprimés & numérotés qu'on diltribueroit aux élecleurs la veille de réiection , & qui contiendroient les noms de tous les candidats entre lefi. quels cette éledion doit être faite. Le lendemain les éleéteurs viendroient a la file rapporter dans une corbeille tous leurs cartons, après avoir marqué chacun dans le fien ceux qu'il élit ou ceux qu'il exclut felon 1'avis qui feroit en tète  7^ Gouvernement des cartons. Le déchiffrement de ces mêmes cartons fe feroit tout de fufce en préfence de 1'aiïèmblée par le fecretaire de la diete, affifté de deux autres fecretaires ada3um nommés fur le champ par le Maréchal dans le nombre des nonces préfens. Par cette méthode , 1'opération deviendroit fi courte & fi fimple, que fans difpute & fans bruit, tout le fénat fe rempliroit aifément dans une féance. II eft vrai qu'il faudroit encore une regie pour déterminer la lifte des candidats; mais eet article aura fa place & ne fera pas oublié. Refte a parler du roi qui prélide a la diete, & qui doit être par fa place le fuprème adminiftrateur des loix. ■ 6=======- C H A P I T R E VIII. Du Roi. Oest un grand mal que le chef d'une nation foit Pennemi né de la liberté dont il devroit être le défenfeur. Ce mal, a mon avis, n'eft pas tellement inhérent a cette place qu'on ne put Pen détacher, ou du moins 1'amoiudrir confidérable- ment,  de la Pologne. 73 ment. II n'y a point de tentation fans efpoir. Rendez 1'ufurpation impofiible k vos rois, vous leur en óterez la fantaifie, & ils mettront a vous bien gouverner & a vous défendre tous les elforts qu'ils font maintenant pour vous affervir. Les inftkuteurs de la Pologne, comme Fa remarqué M. le comte Wielhorski, ont bien longé a öter aux rois les moyens de nuire, mais non pas celui de corrompre , & les grafees dont ils font les diftributeurs leur donnent abondamment ce moyen. La difficulté eft qu'en leur ótant cette diitribution, Fon paroit leur tout óter : c'eft pourtant ce qu'U ne faut pas faire, car autant vaudroit n'avoir poin*de roi, & je crois impofiible a un auffi grand Etat que la Pologne de s'en pafl'er, c'eft-a-dire d'un chef fuprème qui foit a vie. Or a moins que le chef d'une nation ne foit tout-a-fait nul, & par conféquent iuutile, il faut bien qu'il puilfe faire quelque chofe, & li peu qu'il falfe, il faut néeelfairement que ce foit du bien ou du mal. Maintenant tout le fénat eft a la 110mination du roi : c'eft trop. S'il n'a aucune part a cette nomination, ce n'eft pas afléz. Qnoique la pairie en Angleterre foit auffi a la nomination du roi, elle en D  74 Gouvernement eft bien moins dépendante, paree que cette pairie une fois donnée eft héréditaire , au lieu que les évèchés, palatinats & caffellanies n'étant qu'a vie, retouriient, a la mort de chaque titulaire, a la nomination du roi. J'ai ditcomment il me paroit que cette nomination devroit fe faire, favoir les Palatins & grands Caftellans a vie, & par leurs diétines refpe&ives. Les Caftellans du fecond rang a tems & paria diete. A 1'égard des évêques, il me paroit difficile, a moins qu'on ne les falfe élire par leurs chapkres, d'en pter la nomination au roi, & je crois qu'on peut la lui laiffer, excepté toutefois celle de 1'archevèque de Gnefne qui appartient naturellement a la diete, a moins' qu'on n'en fépare la primatie, dont elle feule doit difpofer. Quant aux miniftres , fur-tout les grands généraux & grands tréforiers, quoique leur puilfance qui fait contrepoids a celle du roi, doive être diminuée en proportion de la fienne, il ne me paroit pas prudent de lailfer au roi le droit de remplir ces places par fes créatures, & je voudrois au moins qu'il n'eut que le choix fur un petit nombre de fujets préfentés par la diete. Je conviens que ne pouvant plus öter ces places après les avoir don-  de la Pologne. 75: nées, il ne peut plus compter abfohiment fur ceux qui les remplilfent: mais c'eft affez du pouvoir qu'elles lui donnent fur les afpirans, finon pour le mèttre en état de changer la face du gouvernement, du moins pour lui en lailfer l'efperance, & c'eft fur-tout cette efpérance qu'il importe de lui óter a tout prix. Pour le grand chancelier, il doit, ce me femble, être de nomination royale. Les rois font les juges nés de leurs "peuples,; c'eft pour cette fonétion, quoiqu'ils ï'ayent tous abandonnée, qu'ils ont été établis; elle ne peut leur être ótée; & quand ils ne veulent pas la remplir euxmêmes , la nomination de leurs fubftituts en cette partie eft de leur droit, paree que c'eft toujours a ertx de répondre des jugemens qui fe rendent en leur nom. La nation peut, il eft vrai, leur donner des aflelfeurs ; & le doit lorfqu'ils ne jugent pas eux-mêmes : ainfi le tribunal de la eouronne, oü préfide, non le roi , mais le grand chancelier , eft fous 1'infpection de la nation, & c'eft avec raifon que les diétines en nomment les autres membres. Si le roi jugeoit en perfonne, j'cfpere qu'il auroit le droit de juger feul. En tout état de caufe, fon intérét feroit toujours d'ètre jufte, & jamais des jugeD %  Gouvernement gemefis iniques ne furent une bonne voic pour parvenir a 1'ufurpation. A régard des autres dignités, tant de la couronne que des Palatinats, qui ne font que. des titres honorifiques, & donnent plus d'éclat que de crédit, on ne peut mieux faire que de lui en laifler la pleine difpofition ; qu'il puilfe honorer le mérite & natter la vanité , mais qu'il ne puilfe confêref la puilfance. La majefté du tróne doit ètre entretenue avec fplendeur; mais il importe que de toute la dépenfe nécelfaire a eet efFet, on en laiffe faire au roi le moins qu'il eft poffible. II feroit a defirer que tous les officiers du roi fuffent aux gages de la république & non pas aux flens , & qu'on réduifit en mème rapport tous les revenus royaux, afin de diminuer autant qu'il fe peut le maniement des deniers par les mains du roi. On a propofé de rendre fa couronne héréditaire. Aflurez-Vous qu'au moment que cette loi fera portee, la Pologne peut dire adieu pour ia mais a fa liberté. On penfe y pourvoir fuffifamment en bornant la puilfaiice royale. On ne voit pas que cesbornes poféesparles loix feront franchies a trait de tems par des ufurpations graduelles, & qu'un lyftème adopté &  de la Pologne. 77 fuivi fans interruption par une familie royale, doit Pemporter a la longue fur une législation qui, par fa nature, tend fans celfe au relachement. Si le roi ne peut corrompre les grands par des graces, il peut toujours les corrompre par des promelfes dont fes fuccelfeurs font garantss & comme les plans formés par la familie royale fe perpétuent avec elle, on prendra bien plus de confiance en fes engagemens, & Ton comptera bien plus fur leur accompliifement, que quand la couronne éledive montrc la fin des projets du monarque avec celle de fa vie. La Pologne eft libre, paree que chaque regne eft précédé d'un intervalle ou la nation rentree dans tous fes droits & reprenant une vigueur nouvelle, coupe le progrès des abus & des ufurpations, oü la législation fe remonte & reprend fon premier refïbrt. Que deviendront les pacla conventa, l'égide de la Pologne, quand une familie établie fur le tróne è perpétuité le remplira fans intervalle, & ne laillera a la nation , entre la mort du pere & le couronnement du fils qu'une vaine ombre de liberté fans effet, qti'anéantira bientót la fimagrée du ferment fait par tous les rois a leur facre, & par tous oublié pour jamais. 1'inftant d'après ï' D 3  78 Gouvernement Vous avez vü le Danemarck , vous voyez 1'Angleterre , & vous allez voir la Suede : profitez de ces exernples pour apprendre une fois pour toutes que, queiques précautions qu'on puilfe cntaffcr, hérédité dans le tróne & liberté dans la nation , feront a jamais des chofes incompatibles. Les Polonois ont toujours eu du pencbant a tranfmettre la couronne du pere au fils , ou aux plus proches par voie d'héritage , quoique toujours par droit d'élection. Cette inclination , s'ils continuent a la fuivre, les ménera tót ou tard au malheur de rendre la couronne héréditaire, & il ne faut pas qu'ils efperent tutter auffi long-tems de cette maniere contre la puilfance royale, que les membres de 1'empire germanique ont lutté contre celle de 1'empereur ; paree que la Pologne n'a point en clle-même de contrepoids fuffifant pour maintenir un roi héréditaire dans la fubordination légale. Malgré la puilfance de plufieiirs membres de 1'empire , fans Pélection accidentelle de Charles VII, les capitulations impériales ne feroient déja plus qu'un vain formulaire, comme elles 1 étoient au commencement de ce fiecle; & les pa&a conventa deviendront bien plus vains enco>-  , be la Pologne. 79 re , quand la familie royale aura eu le tems de s'affermir & de metare toutes les autres au-deffous d'elle. Pour dire en un mot mon fentiment fur eet article, je penfe qu'une couronne élective avec le plus abfolu pouvoir , vaudroit encore mieux pour la Pologne qu'une couronne héréditaire avec un pouvoir prefque nul. Au lieu de cette fatale loi qui rendroit la couronne héréditaire, j'en propoferois une bien contraire , qui , fi elle étoit admife, maintiendroitla liberté de la Pologne. Ce feroit d'ordonner par une loi fondamentale que jamais la couronne ne palferoit du pere au fils , & que tout fils d'un roi de Pologne feroit pour toujours exclu du tröne. Je dis que je propoferois cette loi,fi elle étoit néceifaire : mais occupé d'un projet qui feroit le mème efïofc fans elle, je renvoie a fa place l'explication de ce projet, & fuppofant que par' fon effet les fils feront exclus du tróne de leur pere, au moins immédiatement, je crois voir que la liberté bien alfurée ne fera pas le feul avantage qui réfultera de cette exclufion. II en naitra un autre encore tres -confidérable ; c'eft en ótant tout efpoir aux rois d'ufurper & tranfmettre a leurs enfans un pouvoir arbitraire, de D 4  80 Gouvernement porter toute leur aclivité vers la gloire & la profpénté de 1'Etat, la feule voie qui refte ouverte a leur ambition. C'eft ainli que le chef de la nation en deviendra, jioii plua Pennemi né, mais le premier citoyen. C'eft ainli qu'il fera fa grande affaire d'illuftrer fon regne par des établiffemens utiles qui le rendent cher a fon peuple, refpedable a fes voifins, qui falfent bénir après lui fa mémoire; & c'eft ainli que, hors les moyens de nuire & de féduire qu'il ne faut'jamais lui laiifer, il conviendra d'augmenter fa puilfance en tout ce qui peut concourir au bien public. II aura peu de force immédiate & directe pour agir par lui-mème , mais il aura beaucoup d'autorité, de furveillance & d'infpection pour contcnir chacun dans fon devoir , & pour diriger le gouvernement a fon véritable but. La préfidence de la diete, du fénat & de tous les corps, un févere examen de la conduite de tous les geus en place, un grand foin de raaintenir la juftice & 1'intégrité dans tous les tribunaux, de conferver 1'ordre & la tranquillité dans 1'Etat; de lui donner une bonne afliette au-dehors , le commandement des armées en tems de guerre, les établilfernens utiles en tems de paix, font des devoirs qui tiennent particulierement  de la Pologne. gi a fon oifice de roi, & qui 1'occuperonr alfez, s'il veut les remplir par lui-mème; car les détails de 1'adminiitration éfant eonfiés a des miniftres établis pour cela, ce doit être un crime a un roi de Pologne: de confier aucune partie de la fienne a des favoris. Qu'il faüe foti métier en perfonne, ou qu'il y renonce. Article important' fur lequel la nation ne doit jamais fe; relacher. C'eft fur de femblablés principes qu'il' faut établir 1'équilibre & la pondératiom des pouvoirs qui compofent la légiflationi & radminiftration. Ces pouvoirs , dans; les mains de leurs dépofitaires & dans la;, meilleure proportion poflible, devroienf être en raifon directe de leur nombre &inverfe du tems qu'ils reftent en place Les parties compofantes de la diete fuivront d'affez prés ce meilleur rappor:.. La chambre des nonces, la plus nombreufe fera auffi la plus puilfante , mais: tous fes membres changeront fréqueir.ment. Le fénat moins nombreux aura une moindre part a la légülation, mais uïfe' plus grande a la puilfance exécutrice, & fes membres participant a la conftitutiou des deux extrëmes, feront partie a tems & partie a vie , comme il convienr a in: corps intermédiaire. Le roi qui préfide su  %% Gouvernement tout continuera d'ètre a vie, & fon pouvoir toujours très-grand pour l'infpe&ion, fera borné par la chambre des nonces quant a la légiflation , & par le fénat quant a Fadminiftration. Mais, pour maintenir Fégalité, principe de la conftitution, rien n'y doit être héréditaire que la noblelfe. Si la couronne étoit héréditaire, il faudroit pour conferver Féquilibre , que la pairie ou 1'ordre fénatorial le fut aufii comme en Angleterre. Alors 1'ordre équeftre abailfé perdrok fon pouvoir, la cbambre des nonces n'ayant pas, comme celle des communes , celui d'ouvrir & fermer tous les ans le tréfor public, & la conftitution Polonoife feroit renverfée da. fond-en-comble. C H A P I T R E IX. Caufes particuliere* de Vanarchie. La diette bien proportionnée & bien ponderée ainli dans toutes fes parties , fera la fource d'une bonne légiflation & d'un bon gouvernement. Mais il faut pour cela que fes ordres foient refpeclés  DE la Pologne. g£ & fuivis. Le mépris des loix & Panarchie ou la Pologne a vècu jufqu'ici, ont des caufes feciles a voir. J'en ai déja ci-devant marqué la principale , & j'en ai indiqué le remede. Les autres caufes concourantes font, i°. le liberum veto; i°. les confédérations, j°. & Pabus qu'ont feit les particuliers du droit qu'on leur a laiilé: d'avoir des gens de guerre a leur fervice. Ce dernier abus eft tel que fi Pon ne commence pas par 1'óter , toutes. les autres réformes font inutiles. Tant que les; particuliers auront le pouvoir de réfifter a la force exécutive, ils croiront en avoir le droit , & tant qu'ils auront entr'eux de petites guerres, comment veut-on que: 1'Etat foit en paix ? Javoue que les places. fortes ont befoin de gardes ;. mais pourquoi faut-il des places qui font fortes feulement eontre les citoyens & foibles contre 1'ennemi. J'ai peur que cette réforme ne foufFre des difficukés; cependant je>t«s crois pas impofiible de les vaincre ,. Sc pour peu qu'un citoyen puilfant foit raifonnable, il confentira fans peine a n'a>voir plus a lui des gens de guerre y quand aucun autre n'en aura. J'ai deffein de parler ci-après des éta-'bliflemens mihkaires; ainfi je renvoyeè D e  §4 Gouvernement eet article ce que j'aurois a dire dans celui-ei. Le liberum veto n'eft pas un droit vicieux en lui-mème, mais litót qu'il paffe fa borne , il devient le plus dangereux des abus : il étoit le garant de la liberté pubhque; il n'eft plus que 1'inftrument de 1'oppreffion. II ne refte, pour óter eet abus lunefte, que d'en détruire la caufe tout-a-fait. Mais il eft dans le cceur de rhomme de tenir aux privileges individuels plus qu'a des avantages plus grancs & plus généraux. II n'y a qu'un patriorifme éclairé par 1'expérience qui puilfe apprendre a lacrifier a de plus grands biensun droit brillant devenu pernicieux par fon abus, & dont eet abus eft déformais infcparable. Tous les Polonois doivent fentir vivement les maux que leur a fait fouffrir ce malheureux droit. S'ils piment 1'ordre & la paix, ils n'ont aucun moyen d'établir chez eux 1'un & 1'autre tant qu'ils y lailferont fubfifter ce droit bon dans la formation du corps politique , ou quand il a toute fa perfecfion y mais abfurde & funefte tant qu'il refte des changemens a faire, & il eft impoffible qu'il n'en refte pas toujours, furtout dans un grand Etat entouré de voifins puijfans & ambitieux..  de la Pologne. 8f Le liberum veto feroit moins déraifonnable, s'il tomboit uniquement fur les points fondamentaux de la conftitution, mais qu'il ait lieu généralement dans toutes les délibérations des dietes, c'eft ce qui ne peut s'admettre en aucune faqon. C'eft un vice dans la conftitution Polonoife que la légiflation & 1'adminiftration n'y foient pas affez diftinguées , & que la diete exerqant le pouvoir légiflatif y mêle des parties d'adminiftration , faffe indifféremment des aétes de fouveraineté & de gouvernement, fouvent.mème des a&es mixtes par lefquels fes membres font magiftrats & légiflateurs tout a la fois. Les changemens propofés tendent a mieux diftinguer ces deux pouvoirs , & par-la mème a mieux marquer les bornes du liberum veto. Car je ne crois pas qu'il foit jamais tombé dans Pefprit de peribnne de Péfendre aux matieres de pure adminiftration , ce qui feroit anéantir Pautorité civile & tout le gouvernement. Par le droit naturel des focietés, 1'unaJiimité a été requife pour la formation du corps politique, & pour les loix fondamentales qui tiennent a fon exiftence , telles , par exemple , que la première corrigée, la cinquieme, la neuvieme & Fonzieme marquées dans la Pfeudo-diete  86" Gouvernement de 1768. Or, 1'unanimité requife pour l etabüflement de ces loix doit 1'être de mème pour leur abrogation. Ainfi, voila des points fur lefquels le liberum -veto peut continuer de fubfifter , & puifqu'il ne s'agit pas de le détruire totalement, les Polonois qui, fans beaueoup de murmure, ont vu reflerrer ce droit par la diete de 1768 , devront fans peine le voir réduire & limiter dans une diete plus, libre & plus légitime.. II faut bien pefer & bien méditer les points capitaux qu'on établira comme loix fondamentales, & Pon fera porter fur ces points feulement la force du liberum veto. De cette maniere, on rendra h conftitution folide & ces loix irrévoca^bles autant qu'elles peuvent 1'être : car il eft contre la nature du corps politique de s'impofer des loix qu'il ne puilfe révoquer; mais il n'eft ni contre la nature , ni contre la raifon, qu'il ne puilfe révoquer ces loix qu'avec la mème folemnité qu'il nut a les établir. Voila toute la chaine qu'il peut fe donner pour Pavenir. C'en eft alfez, & pour afFermir la conftitution & pour contenter 1'amour des Polonois pour le liberum veto , fans s'expoler dans la fuite aux abus qu'il a fait uaitrek  de la Pologne. 87 Quant a ces multitudes d'articles qu'on a mis ridiculement au nombre des loix fondamentales & qui font feulement le corps de la légiflation, de mème que tous ceux qu'on range fous le titre de matieres d'Etat , ils font fujets par la viciffitude des chofes a des variations indifpenfables qui ne permettent pas d'y fequérir 1'unanimité. II eft encore abfurde que, dans quelque cas que ce puilfe ètre, un membre de la dieteen puilfearrèterl'aétivité, & que la retraite ou la proteftation d'un nonce ou de plufieurs puilfe dilfoudre 1'alfemblée & calfer ainli 1'autorité fouvelaine. II faut abolir ce droit barbare & décerner peine capitale contre quiconque feroit tenté de s'en prévaloir. S'il y avoit des cas de proteftation contre Ja diete ; ce qui ne peut ètre tant qu'elle fera libre & complette , ce feroit aux palatinats & diétines que ce droit pourroit ètre conféré, mais jamais a des nonces qui, comme membres de la diete ,. ne doivent avoir fur elle aucun degré d'autonté ni recufer fes décifions. Entre le veto qui eft la plus grande force individuelle que puilfent avoir les membres de la fouveraine puilfance , & qui ne doit avoir lieu que pour les loix véritablement fondamentales, &laplura-  88 Gouvernement lité qui eft la moindre & qui fe rapporte aux matieres de firnple adminiftration , il y a différentes proportions fur lefquelles on peut déterminer la prépondérance des avis en raifon de 1'importance des matieres. Par exemple , quand il s'agira de légiflation, 1'on peut exiger les trois quarts au moins des fuffrages, les deux tiers dans les matieres d'Etat; la pluraiité feulement pour les élections & autres affaires courantcs & momentanées. Ceci n'eft qu'un exemple pour expliquer mon idéé , & non une proportion que je détermine. Dans un Etat tel que la Pologne oü les ames ont encore un grand relfort, peutètre eüt-on pu conferver dans fon entier ce beau droit du liberum veto fans beaucoup de rifque , & peut-être mème avec avantage , pourvu qu'on eüt rendu ce droit dangereux a exercer, & qu'on y eut attaché de grandes conféquences pour celui qui s'en feroit prévalu. Car il eft, j'ofe le dire, extravagant que celui qui rompt ainfi 1'activité de la diete & laiffe FEtat'fans reffource, s'en ailk; jouir chez lui tranquillement & impunément de la défolation publique qu'il a caufée. Si donc, dans une réfolution prefque unanime, un feul oppofant confervoit le  de la Pologne. 89 droit de 1'annuller , je voudrois qu'il répondit de fon oppofition fur fa tète, non feulemeut a fes conftituans dans la diétine poft-comiciale , mais enfuite a toute la nation dont il a fait le malheur. Je voudrois qu'il fut ordonné par la loi que lix mois après fon oppofition , il feroit jugé folemnellement par un tribunal extraordinaire établi pour cela feul, compofé de tout ce que la nation a de plus faoe , de plus illuftre & de plus refpecfé, & qui ne pourroit le renvoyer fimplement abfous, mais feroit obligé de le condamner a mort fans aucune grace, ou deluidécerner une récompenfe & des honneurs publics pour toute fa vie, fans pouvoir jamais prendre aucun milieu entre ces deux alternatives. Des établüfemens de cette efpece , fi favorables a 1'énergie du courage & a 1'amour de la liberté, font trop éloignés de 1'efprit moderne pour qu'on puilfe efpérer'qu'ils foient adoptés ni goutés; mais ils n'étoient pas inconnus aux anciens, & c'eft par la que leurs inftituteurs favoient élever les ames & les enflammer au befoin d'un zele vraiment héroïque. On a vü dans des républiques oü régnoient des loix plus dures encore, de généreux citoyens fe dévouer a la mort  5>o Gouvernement dans lc péril de la patrie pour ouvrir uft avis qui put la fauver. Un veto fuivi du mème danger, peut fauver 1'Etat dans i'occafion , & n'y fera jamais fort a craindre. Oferois-jeparler icides confédérations & n'ètre pas de 1'avis des favans ? Ils ne voient que le mal qu'elles font; il faudroit voir auffi celui qu'elles empèchent. Sans contredit la confédération eft un état violent dans la république ; mais il eft des maux extrêmes qui rendent les remedes violens néceffaires , & dont il faut tacher de guérir a tout prix. La confédération eft en Pologne ce qu'étoit la diétature chez les Romains. L'une & 1'autre font taire les loix dans un péril preffant, mais avec cette grande différence que la dictature , directement contraire a la légiflation romaine , & a 1'efprit du gouvernement, a fini par le détruire, & que les confédérations , au contraire , n'étant qu'un moyen deraffermir &rétablir la conftitution ébranlée par de grands efforts, peuvent tendre & renforcer le reffort relaehé de 1'Etat fans pouvoir jamais le brifer. Cette forme fédérative qui, peut-être dans fon origine eut une caufe fortuite, me paroit être un chefd'oeuvre depolitique. Par-tout oüla liber-  t> e la Pologne. 91 té régne, elle eft inceifamment attaquée & trés-fouvent en péril. Tout Etat libre, oü les grandes crifes n'ont pas été prévues , eft a chaque orage en danger de périr. II n'y a que les Polonois qui, de ces crifes mèmes , aient fu tirer un nouveau moyen de maintenir la conftitution. Saus les confédérations , il y a long-tems que la république de Pologne ne feroit plus, & j'ai grand peur qu'elle ne dure pas long-tems après elles, fi 1'on prend le parti de les abolir. Jettez les yeux fur ce qui vient de fe palfer. Sans les confédérations 1'Etat étoit fubjugué; la liberté 'étoit pour jamais anéantie. Voulez-vous öter a la république Ia reflburce qui vient de la fauver ? Et qu'on ne penfe pas que quand le liberum uertfera aboli & la pluralité rétablie, les confédérations deviendront inutiles, comme fi tout leur avantage confiftoit dans cette pluralité. Ce n'eft pas la mème chofe. La puilfance exécutive attachée aux confédérations , leur donnera toujours dans les befoins extrèmes une vigueur, une adtivité, une célérité que ne peut avoir la diete, forcée a marcher a pas plus lents, avec plus de formalités, & qui ne peut faire un feul mouvement irrégulier fans renverfer la conftitution.  $2 Gouvernement Non, les confédérations font le bottelier, 1'afile , le fanduaire de cette conftitution. Tant qu'elles fubfifteront, ü me paroit impoffible qu'elle fe détruife. II faut les lailicr, mais il faut les regler. Si tous les abus étoient ótés , les confédérations deviendroient prefqu'inutiles. La réforme de votre gouvernement doit opérer eet efFet. II n'y aura plus que les entreprifes violentes qui mettent dans la néceffité d'y recourir; mais ces entreprifes font dans lordre des chofes qu'il faut prévoir. Au lieu donc d'abolir les confédérations , déterminez les cas ou elles pcuvent légitiinement avoir lieu, & puis reglez-en bien la forme & Peffet, pour leur donner une fanction. légale autant qu'il eft poifible, fius géuer leur forraation ni leur adivité.' II y a mème de ces cas ou par le feul fait toute la Pologne doit ètre a 1'inftant confédérée ; comme, par exemple, au moment ou, fous quelque prétexte que ce foit & hors le cas d'une guerre ou verte, des troupes étrangeres mettent le pied dans 1'Etat, paree qu'enfin quel que foit le fujet de cette entree, & le gouvernement mêmey eutil confenti, confédération chez foi n'eft pas hoftilité chez les autres, lorfque par quelque obftacle que ce puilfe ètre, la  de la Pologne. 95 diete eft empêchée de s'aiiembier au tems marqué par la loi; lorfqu'a rinttigation de qui que ce foit, 011 fait trouver des gens de guerre au tems & au lieu de fon aifemblée, ou que fa forme eft altérée, ou que fon aclivité eft fufpendue , ou que fa liberté eft gênée en quelque faqon que ce foit. Dans tous ces cas , la confédération générale doit exifter par le feul fait; les affemblées & fignatures particulieres n'en font que des branches, & tous les maréchaux en doivent être fubordonnés a celui qui aura été nommé le premier. g - ~ l CHAPITRE X. Adminijhation. Sans entrer dans des détails d'adminiftration pour lefqiiels les connoilfances & les vues me manquent également, je rifquerai feulementfur les deux partiesdes finances & de la guerre quelques idéés que je dois dire , puifque je les crois bonnes, quoique prefque affuré qu'elles 11e feront pas goutées : mais avanttout,  94 G O L' V E R K E .M K K T je ferai fwr Fadminilrracioii de la juftice une renwquc quis'cloigneun peil moins de 1'efprit du gouvernement Polonois. Les deux «fiats iP homme d'épée & d'homme de robe étok mms des anciens. Les citoyens n'étoient par métier ni foldats, ni juges, ni prètresj ils étoient tout par devoir. Voila le vrai fecret de faire que tout marche au but commun , d'empëcher que 1'efpnt d'état ne s'enracine dans les corps aux dépens du patriotifme , & que Fhydre de la chicane ne dévore une nation. La fonétion de juge , tant dans les tribunaux fuprèmes que dans les jultices terreftres doit être un état palfager d'épreuve , fur lequel la nation puilfe apprécier le mérite & la probité d'un citoyen, pour 1'élever enfuite aux poltes plus érafnens dont il eft trouvé capable. Cette maniere de s'envifager eux-mêmes ne peut que rendre les juges très-attentifs a fe mettreal'abri de tout reproche, & leur donner généralement toute Pattention & toute 1'intégrité que leur place exige. C'eft ainfi que dans les beaux tems de Rome, on palfoit par la prèture pour arriver au confulat. Voila le moyren qu'avec peu de loix claires & fimples, mème avec peu de juges la juftice foit bien adminiftrée , en  BE LA Po L C> G N E. 9f lailfant aux juges le pouvoir d.e les interprèter & d'y fuppléer au befoin par les lumieres naturelles de la droiture & du bon fens. Rien de plus puérile que les précautions prifes fur ce point par les Anglois. Pour óter les jugemens arbitraires, ils fe font fourais a mille jugemens iniques & mème extravagans : des nuées de gens de loi les dévorent, d'éternels procés les confument; & avec la folie idee de vouloir tout prévoir, ils ont fait de leurs loix un dédale immenfe ou la mémoire & la raifon fe perdent également. II faut faire trois codes. L'un politique, 1'autre civil, & 1'autre criminel. Tous trois clairs , courts & précis autant qu'il fera poffible. Ces codes feront enfei gnés non feulement dans les univerfités, mais dans tous les colleges, & 1'on n'a pas befoin d'autre corps de droit. Toutes les regies du droit naturel font mieux gravées dans les coeurs des hommes que dans tout le fatras de Juftinien. Rendezles feulement honnëtes & vertueux, & je vous réponds qu'ils fauront alfez de droit; mais il faut que tous les citoyens & fur-tout les hommes publics, foient inftruits des loix pofitives de leur pays, & des regies particulieres fur lefquelles  9 % C  io8 Gouvernement que les marqués de fon rang ou de ia dignité le fuiviffent par-tout, afin que le peuple le refpectat toujours, & qu'il fe refpectat toujours lui-même ; qu'il put ainli toujours dominer ropulence; qu'un riche qui n'eft que riche, fans celfe offufqué par des citoyens titrés Sc pauvres, ne trouvat ni conlidération, ni agrément dans fa patrie; qu'il fut forcé de la fervir pour y briller , d'ètre integre par ambition , & d'afpirer , malgré fa richeffe, a des rangs ou la feule approbation publique mene , & d'oü le blame peut toujours faire décheoir. Voila comment on énerve la force des richelfes, Sc comment ön fait des hommes qui ne font point a vendre. J'infifte beaucoup fur ce point, bien perfuadé que vos voifins, & fur-tout les Rulfes, n'épargneront rien pour corrompre vos gens en place, Sc que Ja grande affaire de votre gouvernement eft de travailler a les rendre incorruptibles. Si 1'on me dit que je veux faire de la Pologne un peuple de capucins, je réponds d'abord que ce n'cft-la qu'un argument ala f-anqoife, & qiu plaifanter n'eft pas raifonner. Je réponds encore qu'il ne faut pas outrer mes maximes au de-la de mes jntentijons Sc de la raifon, que mon def-  de la Pologne. 109 fein n'eft pas de fupprimer la circulation des efpeces , mais feulement de la ralentir, & de prouver fur-tout combien il importe qu'un bon fyftème économique ne foit pas un fyftème de finance & d'argent. Lycurgue pour déraciner la eupidité dans Sparte n'anéantit pas la monnoie , mais il en fit une de fer. Pour moi je n'entends profcrire ni l'argent, ni Por, mais les rendre moins néceifaires, & faire que celui qui n'en a pas foit pauvre fans être gueux. Au fond l'argent n'eft pas la richeffe , il n'en eft que le figne; ce n'eft pas le figne qu'il faut multiplier, mais la chofe repréfentée. J'ai vü , malgré les fables des voyageurs, que les Anglois , au milieu de tout leur or, n'étoient pas en détail moins néceffiteux que les autres peuples. Et que m'importe après tout d'avoir cent guinées au lieu de dix, fi ces cent guinées ne me rapportent pas une fubfiftance plus aiféé ? La richeffe pécuniaire n'eft que relative , & felon des rapports qui peuvent changer par mille caufes, on peut fe trouver fuccelfivement riche & pauvre avec la mème fomme, mais non pas avec des biens en nature ; car comme immédiatement utiles a Phomme, ils ont toujours leur valeur abfolue qui ne dépend point d'une opération ds  iio Gouvernement commercc. J'accorderai que le peuple Anglois eft plus riche que les autres peuples , mais il ne s'enfuit pas qu'un bourgeois de Londres vive plus a fon aife qu'un bourgeois de Paris. De peuple a peuple celui qui a plus d'argent a de 1'avantage; mais cela ne fait rien au fort des particuliers , & ce n'eft pas la que git la profpérité d'une nation. Favorifez 1'agriculture & les arts utiles, non pas en enrichilfant les cultivateurs, ce qui ne feroit que les exciter a quitter leur état, mais en le leur rendant honorable & agréable. Etabliffez les manufaclures de première nécefiité ; multipliez fans celfe vos bleds & vos hommes fans vous mettre en fouci du refte. Le fuperflu du produit de vos terres, qui par les monopoles multipliés, va manquer au refte de 1'Europe, vous apportera néceffairement plus d'argent que vous n'en aurez befoin. Au de-la de ce produit nécelfaire & fur, vous ferez pauvres tant que vous voudrez en avoir; li-tót que vous faurez vous en paffer , vous ferez riches. Voila 1'efprit que je voudrois faire régner dans votre fyftème économique. Peu fonger a 1'étranger, peu vous foucier du commerce ; mais multiplier chez vous autant qu'il eft poliible & la denrée & les con-  de la Pologne. iiï fommateurs. L'effet infaillibte & naturel d'un gouvernement libre & jufte eft la population. Plus donc vous perfe&ionnerez votre gouvernement, plus vous multiplierez votre peuple fans mè,me y fonger. Vous n'aurez ainfi ni mendians ni millionnaires. Le luxe & 1'indigence difparoitront enfemble infenfiblement, & les citoyens, guéris des goüts frivoles que donne 1'opulence, & des vices attachés a la mifere, mettront leurs foins & leur gloire a bien fervir la patrie, & trouveront leur bonheur dans leurs devoirs. Je voudrois qu'on impofat toujours les 'bras des hommes plus que leurs bourfes; que les chemins, les ponts, les édifices publiés , le fervice du Prince & de 1'Erat fe filfent par des corvées, & non point a prix d'argent. Cette forte d'impót eft au fond la moins onéreufe , & fur-tout celle dont on peut le moins abufer : car l'argent difparoit en fortant des mains qui le payent, mais chacun voit a quoi les hommes font employés, & Pon ne peut les furchnrger a pure perte. Je fais que cette méthode eft impraticable oü regnent le luxe , le commcrce Sc les arts; mais rien n'eft fi facile chez un peuple fimple & de bonnes moeurs, & rien n'eft plus  H2 Gouvernement utile pour les conferver telles : c'eft une raifon de plus pour la préférer. Je reviens donc aux ftarofties, & je conviens derechef que le projet de les vendre pour en faire valoir le produit au profit du tréfor public, eft bon & bien entendu quant a fon objet économique; mais quant a Pobjet politique & moral, ce projet eft fi peu de mon goüt que fi les ftarofties étoient vendues , je voudrois qu'on les rachetat pour en faire le fonds des falaires & récompenfes de ceux qui ferviroient la patrie ou qui auroient bien mérité d'elle. En un mot, je voudrois , s'il étoit poffible , qu'il n'y eut point de tréfor public, & que le fifc ne connüt pas mème les payemens en argent. Je fens que la chofe a la rigueur n'eft pas poffible , mais 1'efprit du gouvernement doit toujours tendre a la rendre telle , & rien n'eft plus contraire a eet efprit que la vente dont il s'agit. La république en feroit plus riche , il eft vrai, mais le reffort du gouvernement en feroit plus foible a proportion. J'avoue que la régie des biens publics en deviendroit plus difficile & fur-tout moins agréable aux régiffeurs , quand tous ces biens feront en nature & point en argent : mais il faut faire alors de  de la Pologne. 113 cette régie & de fon infpedbon autant d'épreuves de bon fens , devigilance, & fur-tout d'intégrité pour parvenir a des places plus éminentes. On ne fera qu'imiter a eet égard 1'adminiftration municipale établie a Lyon, oü il faut commencer par être adminiftrateur de Fhótel-Dieu pour parvenir aux charges de la ville, & c'eft fur la maniere dont on s'acquitte de celle-la qu'on fait juger fi J'on . tt digne des autres. II nV avoit rien de plus integre que les quefteurs des armées romaines, paree que la quefture étoit le premier pas pour arriver aux charges curules. Dans les places qui peuvent tenter la cupidité, il faut faire enforte que 1'ambition la réprime. Le plus grand bien qui réfulte de-la n'eft pas 1'épargne des friponneries; mais c'eft de mettre en honneur le défintéreflément, & de rendre la pauvreté refpectable, quand elle eft le' fruit de 1'intégrité. Les revenus de la république n'égalent pas fa dépenfe; je le crois bien; les citoyens ne veulent rien payer du tout. Mais des hommes qui veulent être libres ne doivent pas être efclaves de leur bourfe, & oü eft 1'Etat oü la liberté ne s'achette pas & mème très-cher. On me citera la SuifTe; mais, comme je Fai déja  ii4 Gouvernement dit, dans la Suiffe les citoyens rempliffent eux-mêmes les fonctions que par-tout ailleurs ils aimênt mieux payer pour les faire remplir par d'autres. Ils font foldats, officiers , magiftrats, ouvriers : ils font tout pour le fervice de 1'Etat, & toujours prèts a payer de leur perfonne, ils n'ont pas befoin de payer encore de leur bourfe. Quand les Polonois voudront en faire autant, ils n'auront pas plus befoin d'argent que les Suiffes : mais fi un grand Etat refufe de fe conduire fur les maximes des petites républiques, il ne faut pas qu'il en recherche les avantages , ni qu'il veuille 1'effet en rejettant les moyens de 1'obtenir. Si la Pologne étoit felon mon dellr, une confédération de trente-trois petits Etats, elle réuniroit la force des grandes monarchies & la liberté des petites républiques; mais il faudroit pour cela renoncer a l'ottentation, Sc j'ai peur que eet article ne foit le plus difficile. De toutes les manieres d'afTeoir un impót, la plus commode & celle qui coute le moins de frais eft fans contredit la capitation ; mais c'eft auffi la plus forcée, la plus arbitraire , & c'eft fans doute pour cela que Montefquieu la trouve fervile, quoiqu'elle ait été la feule pratiquée  de la Pologne. itj- par les Romains, & qu'elle exifte encore en ce moment en plufieurs Républiques, lbus d'autres noms a la vérité, comme a Geneve, oü 1'on appelle cela payer les gardes, & oü les feuls citoyens & bourgeois payent cette taxe , tandis que les habitans & natifs en payent d'autres; ce qui eft exaclement le contraire de 1'idée de Montefquieu. Mais comme il eft injufte & déraifonnable d'impofer les gens qui n'ont rien >. les impofitions réelles valent toujours mieux que les perfonnelles : feulement il faut éviter celles dont la perception eft difficile & couteufe, & celles fur-tout qu'on élude par la contrebande qui fait des non-valeurs, remplit 1'Etat de fraudeurs & de brigands, & corromptlafidélité des citoyens. II faut que 1'impolition foit fi bien proportionnée que 1'embarras de la fraude en furpalfe le profit. Ainli jamais d'impót fur ce qui fe cache aifément, comme la dentelle & les bijoux, il vaut mieux défendre de les porter que de les entrer. En France on excite a plaifir la tentation de la contrebande, & cela me fait croire que la ferme trouve fon compte a ce qu'il y ait des contreban_ diers. Ce fyftème eft abominable & contraire a tout bon fens. L'expérience ap«  116 Gouvernement prend que le papier timbre eft un impót fingulierement onéreux aux pauvres , gênant pour le commerce, qui multiplie extrèmement les chicanes & fait beaucoup crier le peuple par-tout ou il eit établi; je ne confeillerois pas d'y penfer. Celui fur les beltiaux me paroit beaucoup meilleur pourvu qu'on évite la fraude , car toute fraude polfible eft toujours une fource de maux. Mais il peut étre onéreux aux contribuables en ce qu'il faut le payer en argent, & le produit des contributions de cette efpece eft trop fujet a ètre dévoyé de fa deftination. L'impót le meilleur a mon avis, le plus naturel & qui n'eft point fujet a la fraude, eft unè taxe proportionnelle fur les terres, & fur toutes les terres fans exception, comme l'ont propofée le ma. réchal de Vauban & 1'abbé de St. Pierre; car enfin c'eft ce qui produit qui doit payer. Tous les biens royaux, terreltres, eccléfiafliques & en roture doivent payer également , c'eft-a-dire proportionnellement a leur étendue & a leur produit, quel qu'en foit le propriétaire. Cette impofitien paroitroit demander une opération préliminaire qui feroit longue & couteufe , favoir un cadaflre général. Mais cette dépenfe peut très-bien s'évi-  de la Pologne. 117 ter, & mème avec avantage, en atfeyant Pimpöt non fur la terre directement , mais fur fon produit, ce qui feroit encore plus jufte , c'eft-a-dire , en établiffant dans la proportion qui feroit jugée convenable une dime , qui fe leveroit en nature fur la récolte comme la dime eccléfiaftique, & pour éviter Pembarras des détails & des magafins, pn arfermeroit ces dimes a Penchere comme font les curés. En forte que les particuliers ne feroient tenus de payer la dime que fur leur récolte , & ne payeroient de leur bourfe que lorfqu'ils Paimeroient mieux ainli, fur un tarif reglé par le gouvernement. Ces fermes reünies pourroient être un objet de cosnmerce par le débit des denrées qu'elles produiroient, & qui pourroient palier a 1'étranger par la voie de Dantzick ou de Riga. On éviteroit encore par la tous les frais de perception & de régie , toutes ces nuées de commis & d'employés fi odieux au peuple , fi incommode au public, & ce qui eft le plus grand point, la république auroit de l'argent fans que les citoyens fullënt obligés d'en donner; car je ne répéterai jamais alfez que ce qui rend la taille & tous les impóts onéreux au cultivateur eft qu'ils font pécuniaires, & qu'il eft pre-  ii8 Gouvernement mierement obligé de vendre pour parvenir a payer. < * CHAPITRE XII. Syflêms militaire. De toutes les dépenfes de la république , 1'entretien de 1'armée de la couronne eft la plus conlidérable, & certainement les fervices que rend cette armée ne font pas proportionnés a ce qu'elle coute. II faut pourtant, va-t-on dire auflitót, des troupes pour garder 1'Etat. J'en conviendrois, fi ces troupis le gardoient en efFet.j mais je ne vois pas que cette armée fait jamais garanti d'aucune invafion , & j'ai grand peur qu'elle ne 1'en garantilfe pas plus dans lafuite. La Pologne eft environnée de puiffances belliqueufes qui ont continuellement fur pied de nombreufes troupes parfaitement difciplinées, auxquelles , avec les plus grands efïbrts, elle n'en pourra jamais oppofer de pareüles fans s'épuifer en très-peu de tems , fur-tout dans 1'état déplorable oü celles qui la  de la Pologne. 119 défolent vont lalaiffer. D'ailleurs on ne la lailTeroit pas faire, & fi avec les reffources de la plus rigoureufe adminiftration, elle vouloit mettre fon armée fur unpied refpectable, fes voifins attentifs a la prévenir,récraferoient bien vite avant qu'elle put exécuter fon projet. Non , fi elle ne veut que les imiter, elle ne leur réfiftenl jamais. La nation Polonoife eft différente de naturel, de gouvernement, de moeurs, de langage, non feulement de celles qui 1'avoifinent , mais de tout le refte de 1'Europe. Je voudrois qu'elle en différat encore dans fa conftitution militaire , dans fatadtique, dans fa difcipline, qu'elle fut toujours elle & non pas une autre. C'eft alors feulement qu'elle fera tout ce qu'elle peut ètre, & qu'elle tirera de fon fein toutes les reffources qu'elle peut avoir. La plus inviolable loi de la nature eft la loi du plus fort. II n'y a point de légiflation , point de conftitution , qui puüfe exempter de cette loi. Chercher les moyens de vous garantir des invafions d'un voifin plus fort que vous, c'eft chercherune chimère, C'cn feroit une encore plus grande de vouloir faire des conquètes & vous donner une force offenGve *  iso Gouvernement elle eft incompatible avec la forme de votre gouvernement. Quiconque veut être libre ne doit pas vouloir ètre conquérant. Les Romains le furent par néceflité, & pour ainfi dire, malgré euxmèmes. La guerre étoit un remede néceffaire au vice de leur conftitution. Toufburs attaqués & toujours vainqueurs, ils étoient le feul peuple difcipliné parmi desbarbares, & devinrentles maitresdu. monde en fe défendant toujours. Votre pofition eft fi différente que vous ne fauriez même vous défendre contre qui vous attaquera. Vous n'aurez jamais la force effenave; de long-tems vous n'aurez la défenfive; mais vous aurez bientöt, ou pour mieux dire vous avez déja, la force conlervatrice qui, mèmefubjugués, vous garantira de la deftruclion & confervera votre gouvernement & votre liberté dans fon feul & vrai fanctuaire , qui eft le cceur des Polonois. Les troupes reglées , pefte & dépopulation de PËurope, ne font bonnes qu'a deux fins : ou pour attaquer &conquérir les voifins, ou pour enchainer & alfervir les citoyens. Ces deux fins vous fontégalement étrangeres ; renoncez donc au moyen par lequel on y parvient. L'Etat ne doit pas refter fans défenfeurs , je le fais,  de la Pologne. tzi fais, mais fes vrais défenfeurs font fes membres. Tout citoyen doit ètre foldat par devoir , nul ne doit 1'être par métier. Tel fut le fyftème militaire des Romains; tel eft aujourd'hui celui des~Suiifes ; tel doit être celui de tout Etat libre, & furtout de la Pologne. Hors d'état de folder une armée fuffifante pour la défendre , il faut qu'elle trouve au befoin cette armée dans fes habitans. Une bonne rriilice , une véritable milice bien exercée, eft feule capable de remplir eet objet. Cette milice coutera peu de chofe a la république, fera toujours prète a lafervir & la fervira bien, paree qu'enfin l'on défend toujours mieux fon propre bien que celui d'autrui. Monfieur le comte de "Wielhorski propofe de lever un régiment par Palatinat, & de 1'entretenir toujours fur pied. Ceci fuppofe qu'on licencieroit 1'armée de la couronne ou du moins 1'infanterie ; car je crois que 1'entretien de ces trente trois régimens furchargeroit trop la république , fi elle avoit outre cela 1'armée de la couronne a payer. Ce changement auroit fon utilité & me paroit facile a faire; mais il peut devenir onéreux encore & l'on préviendra difficilement les abus. Je ne ferois pas d'avis d'éparpiller les foldats F  HZ Gouvernement pour maintenir 1'ordre dans les bourgs & villages ; cela feroit pour eux une mauvaife difcipline. Les foldats , 'fur - tout ceux qui font tels par métier, ne doivent jamais ètre livrés feuls a leur propre conduite, & bien moins chargés de quelque infpe&ion fur les citoyens. Ils doivent toujours marcher & féjourner en corps: toujours fubordonnés & furveillés , ils ne doivent ètre que desinftrumens aveugles dans les mains de leurs officiers. De quelque petite infpection qu'on les chargeat, il en réfulteroit des violences , des vexations , des abus fans nombre ; les foldats & les habitans deviendroient ennemis les uns des autres : c'eft un malheur attaché par-tout aux troupes réglées: ces régimens toujours fubfiftans en prendroient 1'efprit, & jamais eet efprit n'eft favorable a la liberté. La république Romaine fut détruite par fes légions, quand 1'éloignement de fes conquêtes la forqa d'en avoir toujours fur pted. Encore une fois les Polonois ne doivent point jetter les yeux autour d'eux pour imiter ce qui s'y fait mème de bien. Ce bien relatif a des conftitutions toutes différentes feroit un mal dans la leur. lis doivent rechercher uniquement ce qui leur eft convenable, & non pas ce que d'autres font.  de la Pologne. 125 Pourquoi donc, au lieu des troupes reglées cent fois plus onéreufes qu'utiles a tout peuple qui n'a pas 1'efprit de conquêtes, n'établiroit-on pas en Pologne une véritable milice exa&ement comme elle eft établie en Suiffe, ou tout habitant eft foldat, mais feulement quand il faut Pètre ? La fervitude établie en Pologne ne permet pas, je 1'avoue , qu'on arme fitót les payfans ; les armes dans des mains ferviles feront toujours plus dangereufes qu'utiles a 1'Etat; mais en attendant que 1'heureux moment de les aftranchir foit venu, la Pologne fourmille de villes , & leurs habitans enrégimentés pourroient fournir au befoin des troupes nombreufes dont , hors le tems de ce mème befoin , Fentretien ne couteroit rien a 1'Etat. La plupart de ces habitans n'ayant point de terres payeroient ainfi leur contingent en fervice , & ce fervice pourroit aifément ètre diftribué de maniere a ne leur être point onéreux, quoiqu'ils fuffent fuffifamment exercés. En Suiffe, tout particulier qui fe marie eft obligé d'ètre fourni d'un uniforme qui devient fon habit de fête, d'un fufil de calibre & de tout 1'équipage d'unfantaffin , & il eft infcrit dans la compagnië .de fon quartier. Durant 1'été, les dimanF %  £34 Gouvernement ches & les jours de fètes, on exerce ce^ milices felon 1'ordre de leurs roles,d'abord par petites efcouades , enfuite par compagnies, puis par régimens •, jufqu'a ce que leur tour étant venu , ils fe raffemblent en campagne & forment fucceffivemcnt de petits camps, dans lefquels on les exerce a toutes les manoeuvres qui conviennent al'infanterie. Tant qu'ils ne fortent pas du lieu de leurs demeures , peu ou point détournés de leurs travaux , ils n'ont aucune paye, mais fitöc qu'ils marchent en campagne, ils ont le pain de munition & font a la folde de 1'Etat, & il n'eft permis a perfonne d'envoyer un autre homme a fa place , afin que chacun foit exercé lui-mème & que tous faffentle fervice. Dans un Etat tel que la Pologne , on peut tirer de fes vaftes pro\Tinces de quoi remplacer aifément 1'armée de la couronne par un nombre fuffifant de milice toujours fur pied, mais qui changeant au moins tous les ans , & prife par petits détachemens fur tous les corps, feroit peu onéreufe aux particuliers dont le tour viendroita peine de douze a quinze ans une fois. De cette maniere , toute la nation feroit exercée, on auroit une belle & nombreufe armée toujours prète au befoin , & qui couteroit beaucoup moins ,  de la Pologne. i2f fur-tout en tems de paix, que ne couts aujourd'hui 1'armée de la couronne. Mais pour bien réuffir dans cette opé* ration, il faudroit commencer par chan* ger fur ce point Popinion publique fur un Etat qui change en effet du tout au tout, & faire qu'on ne regardat plus en Pologne un foldat comme un bandit qui, pour vivre, fe vend a cinq fols par jour mais comme un citoyen qui fert la patrie & qui eft a fon devoir. 11 faut rcmettre eet Etat dansle mème honneur ouil étoit jadis, & oü il eft encore en Suiffe & a Geneve, ou les meilleurs bourgeois fonc auffi fiers a leur corps & fous les armes*qu'a Phótel de ville & au confeil fouverain. Pour cela, il importe que dans le choix des officiers on n'ait aucun égard, au rang, au crédit & a la fortune , mais uniquement a 1'expérience & aux talensRien n'eft plus aifé que de jetter fur le bon maniement des armes un point d'honneur qui fait que chacun s'exerce aveczele pour le fervice de la patrie aux yeux de fa familie & des fiens ; zele qui ne peut s'allumer de mème chez de la canaille enrolée au hafard, & qui ne fent que la peine de s'exercer. J'ai vu le tems qu'a Geneve les bourgeois manceuvroient beaucoup mieux que des troupes regléesj F 3  ji6 Gouvernement mais les magiftrats trouvant que cela jettoit dans la bourgeoifie un efprit militaire qui n'alloit pas a leurs vues , ont pris peine a étouffer cette émulation , &. n'ont que trop bien réuflï. Dans 1'exécution de ce projet, on pourroit fans aucun danger, rendre au roi fautorité militaire naturellement attachée a fa place ; car il n'eft pas concevable que la nation puilfe ètre employee a s'opprirner elle-mème, du moins quand tous ceux qui la compofent auront part a Ia liberté. Ce n'eft jamais qu'avec des troupes reglées & toujours fubfiftantes queja puilfance exécutive peut aifervir 1'Etat. Les grandes armées Romaines furent fans abus tant qu'elles changerent a chaque conful, & jufqu'a Marius il ne vint pas mème a 1'efprit d'aucun d'eux qu'ils en puffent tirer aucun moyen d'aflervir la république. Ce ne fut que quand legrand éloignement des conquètes forqa les Romains de tenir long-tems fur pied les mèmes armées, de les recruter de gens fans aveu , & d'en perpétuer le commandement a des proconfuls , que ceux - ci commencerent a fentir leur indépendance & a vouloir s'en fervir pour établir leur pouvoir. Les armées de Sylla , de Pompée Sz de Céfar devinrent de vérita-,  de La Pologne. 127 bles troupes reglées qui fubftituerent 1'eCprit du gouvernement militaire a celui du républicain; & cela eft fi vrai que les foldats d.e Céfar fe tinrent très-offenlés , quand dans un mécontentement réciproque il les traita de citoyens , Qitirites. Dans le plan que j'imagine & que j'acheverai bientöt de tracer, toute la Pologne deviendra guerriere autant pour la défenfe de fa liberté contre les entreprifes da prince que contre celles de fes voifins-., & j'oferai dire que ce projet une fois bien exécuté, Pon pourroit fupprimer la, charge de grand général & la réunir la couronne , fans qu'il en réfultat le moindre danger pour la liberté, a moins que. la nation ne fe laiifat leurrer par des projets de conquêtes, auquel cas je ne répondrois plus de rien. Quiconque veut öter aux autres leur liberté , finit pref que toujours par perdre la fienne : cela eft vrai mème pour les rois, & bien phm vrai fur-tout pour les peuples. Pourquoi 1'ordre équeftre en qui réfide véritablement la république ne fuivroitil pas un plan pareil a celui que je propofe pour 1'infanterie ? Etablilfez dans. tous les Palatinats des corps de cavalerie oü toute la nobleffe foit inferite , & qui ait fes officiers, fon Etat-major, fes étenF 4  J"*8 GO UVER.NEMF.NT dards, fes quartiers affignés en cas d'allarmes, fes tems marqués pour s'y ralfembier tous les ans : que cette brave noblelfe s'exerce a efcadronner, a faire toutes fortes de mouvemens , d'évoïutions , » mettre de 1'ordre & de la précifion dans fes manoeuvres , a connoitre la fubordination militaire. Je ne voudrois point qu'elle imitat fervilement la taétique des autres nations. Je voudrois qu'elle s'en fit une qui lui fut propre, qui développat & perfeétionnat fes difpofitions naturelles & nationales, qu'elle s'exercat fur-tout a la viteffe & a la légereté; a fè rompre , s'éparpiller & fe raffembler fans peine & fans confufion, qu'elle excellat dans ce qu'on appelle la petite guerre , dans toutes les manoeuvres qui conviennent a des troupes légeres, dans Part d'inonder un pays comme un torrent, d'atteindre par-tout & de n'ètre jamais atteinte, d'agir toujours de concert quoique féparée , de couper les Communications , d'intercepter des convois, de charger des arriere-gardes , d'enlever des gardes avancées , de furprendre desdétachemens, de harceler de grands corps qui marchent & campent réunis; qu'elle prit la maniere des anciens Parthes comme elle en a la valeur, & qu'elle apprit com-  BE IA PoLOGNi 12$ me eux a vaincre & détruire les armées ks mieux difciplinées, Huis jamais livreide bataille & fans leur lailfer le moment derefpirer; en un mot, ayez de l'infanterie, puifqu'il en faut, mais ne comptez: que fur votre cavalerie , & n'oubliez rien pour inventer un fyftème qui mette tout le fort de la guerre entre fes mains. C'eft un mauvais confeil pour un peuple libre que celui d'avoir des places fortes ; elles ne coriviennent point au génie; Polonois , & par - tout elles deviennent; tót ou tard des nids a tyrans. Les placesque vous croirez fortifier contre les Ruffes , vous les fortifierez infailliblement pour eux, & elles deviendront pour vous des entraves dont vous ne vous délivrerez plus. Négligez mème les avantages. de poftes, & ne- vous ruinez pas en artillerie : ce n'eft pas tout cela qu'il vous; faut. Une invafion brufque eft un grand malheur fans doute, mais des chaines permanentes en font un beaucoup plus; grand. Vous ne ferez jamais enfortc qu'il foit difficile a vos voifins d'entrer chez vous; mais vous pouvez fiire en fortequ'il leur foit difficile d'enfortir impuné-. ment, & c'eft a quoi vous devez mettra; tous vos foins. Antoine & Cralfus entree rent aifement, mais pour leur malheur E i  130 Gouvernement chez les Parthes. Un pays auffi. vafte quele vótre ofïre toujours a fes habitans des refuges & de grandes refTources pour échapper a fes aggrelfeurs. Tout 1'arfc humain ne fauroit empècher l'adiou brufque du fort contre le foible ; mais il peut fe ménager des refforts pour la réa&ion, & quand 1'expérience apprendra que la fortie de chez vous eft fi difficile, on deviendra moins prelfé d'y entrer. Laiffez donc votre pays tout ouvert comme Sparte> mais batilfez-vous comme elle de bonnes citadelles dans les coeurs des citoyens, & comme Themiftocle emrnenoit Athenes fur fa flotte , emportez au befoin vos villes fur vos chevaux. L'efprit d'imitation woduit peu de bonnes chofes , & ne produit jamais rien dc grand. Chaque pays a des avantages qui lui font propres, & que 1'inftitution dok étendre & favorifer. Ménagez , cultivez ceux de la Pologne, elle aura peu d'autres nations a envier. t Une feule chofe fuffit pour la rendre impoffible a fubjuguer ; 1'amour de la patrie & de la liberté animé par les vertus qui en font inléparables. Vous venez d'en donner un exemple mémorable a jamais. Tant que eet a'» our brülera dans les coeurs, il ne vous garantira pas peut-  be la Pologne. 13r être d'un joug paifager; mais tótou taul il fera fon explofion, fécouera le joug & vous rendra libres. Travaillez donc fans. relache, fans ceffe a porter le patriotifmeau plus haut degré dans tous les coeurs, Polonois. J'aici-devantindiqué quelquesuns des moyens propres a eet efFet: il me refte a développer ici celui que je erois être le plus fort,. le plus puilfant. & mème infaillible dans fon fuccès, s'il1 eft bien exécuté. C'eft de £ure enforte: que tous les citoyens fe fentent inceifamment fous les yeux du public; que nul n'avance & ne parvienne que par la faveurpublique ; qu'aucun pofte, aucun emploi. ne foit rempli que par le voeu de la nation ; & qu'enfin depuis le dernier noble ? depuis mème le dernier manant jufqu'au roi, s'il eft poffible , tous dépendent tel» lemcnt de 1'eftime publique qu'on ne puilfe rien faire, rien acquerir, gatrvenhr a rien fans elle. De 1'effervefcence excitécpar cette commune émulation naitra cette: ivreffe patriojtique qui feule fait élever les hommes au-delfus d'eux- mèmes , 8e fans laquelle la liberté n'eft qu'un vainnom & la légiflation qu'une chimère.. Dans 1'ordre équeftre, ce fyftème eft facile a établir, fi l'on a foin d'y fuivrc: par-tout une marche graduelle, & de  Gouvernement n'admettre perfonne aux honneurs 8c dignités de 1'Etat qu'il n'ait préalableraent par les grades inférieurs , lefquels fervirontd'entrée& d'épreuve pour arriver a une plus grande élévation. Puifque 1'égalité parmi la noblefle eft une loi fondamentale de la Pologne, la carrière des affaires publiques y doit toujours commeneer par les emplois fubalternes; c'eft Pefprit de la conftitution. Ils doivent ètre ouverts a tout citoyen que fon zelc porto a s'y préfenter, & qui croit fe fentir en état de les rcmplir avec fuccès : mais ils doivent être le premier pas indifpenfable a quiconque, grand ou petit, veut avaneer dans cette carrière. Chacun eft libre de ne s'y pas préfenter; mais fitót que quelqu'un y entre, il faut, a moins d'une retraite volontaire , qu'il avance ou qu'il foit rebuté avec improbation. II faut que dans toute fa conduite, vu & jugé par fes concitoyens, il fache que tous fes pas font fuivis , que toutes fes actions font pefées, & qu'on tient du bien & du mal. un compte fidelle dont 1'influence s'étendra fur tout le refte de fa. vie.  de la Pologne. 123 CHAPITRE XIII. Frojet pour ajfujettir d une marche graduelle tous les membres du Gouvernement. Voici pour gracïuer cette marche , un projet que j'ai taché d'adapter auffi bien qu'il étoit poffible a la forme du gouvernement établi, réformé feulement quant a la nomination des fénateurs , de la maniere & par les raifons ci - devant déduites. Tous les membres actifs de Ia république, j'entends ceux qui auront part a i'adminiftration, feront partagés en trois clafTes marquées par autant de fignes diftinctifs que ceux qui compoferont ces claifes porteront fur leurs perfonnes. Les ordres de chevalerie, qui jadis étoient des preuves de vertu ne font maintenant que des fignes de la faveur des rois. Les rubans & bijoux qui en font la marqué ont un air de colifichet & de parure fiminine qu'il faut éviter dans notre inftitution. Je voudrois que les marqués des trois. ©rdres que je propofe Ment des.  ï?4 GOUVERN' BK.ttT plaques de divers métaux, dont le prix matérie! feroit en raifon inverfe du grade de ceux qui les porteroient. Le premier pas dans les affaires publiques fera précédé d'une cpreuve pour la jeuneffe dans les places d'avocats, d'affeffeurs, de juges mème dans les tribunaux fubalternes, de régiffeurs de quelque portiou des deniers publics , & en général dans tous les poftes inférieurs qui donnent a ceux qui les rempliffent occafion de montrer leur mérite, leur capaeité , leur exactitude & fur-tout leur intégrité. Cet état d'épreuve doit durer au moins trois ans , au bout defquels, munis des certificats de leurs fupérieurs & du témoignage de la voix publique, ils fe prélenteront a la diétine de leur provinee, oü j après un examen févere de leur conduite, on honoreraceux qui en feront jugés dignes d'une plaque d'or portant leur nom, celui de leur province , la date de leur réception , & au-delfous cette infcription en plus gros caiaétere : fpes patrio. Ceux qui auront requ cette plaque la porteront toujours attachée a leur bras droit ou fur leur cceur • ils prendront 1c titre de fervans d'Etat, & jamais dans 1'ordre équeftre il n'y aura que des fervans d'Etat qui ptnllent ètre élus nonces  be la Pologne. ijf a fa diete, députés au tribunal, commiC faires a la charabre des comptes, ni chargés d'aucune fondion publique quiappartienne a la fouveraineté. Pour arriver au fecond grade , il fera .nécelfaire d'avoir été trois fois nonce a la diete, & d'avoir obtenu chaque fois aux diétines de rélation 1'approbation de fes conftituans, & nul ne pourra ètre élu nonce une feconde ou troifieme fois , s'il n'eft muni de eet ade pour fa précédente nonciature. Le fervice au tribunal ou a Radom, en qualité de commiffaire oude député , équivaudraa une nonciature, & il fufHra d'avoir Gégé trois fois dans ces affemblées indifféremment, mais toujours avec approbation , pour arriver de droit an fecond grade. Enforte que fur les trois certificats préfentés a la diete , le fervant d'Etat qui les aura obtenus fera hojioré de la feconde plaque & du titre dont elle eft la marqué. Cette plaque fera d'argent,, de mème forme & grandeur que la précédente , elle portera les mèmes inferiptions, excepté qu'au lieu des deux mots fpes Patria, on y gravera ces deux-ci, civis ele&us. Ceux qui porteront ces plaques feront appelles citoyens de choix ou fimplement Elus, & nc pourront plus ètre fimples  136 Gouvernement nonces, députés au tribunal, ni commiffaires a la chambre : mais ils feront autant de candidats pour les places de fénateurs. Nul ne pourraentrerau fénat qu'il n'ait paffé par ce fecond grade, qu'il n'en ait porté la marqué, & tous les fénateurs* députés qui, felon le projet, en feront immédiarement tirés, continueront de la porter jufqu'a ce qu'ils parviennent au troilieme grade. C'eft parmi ceux qui auront atteint le fecond , que je voudrois choifir les principaux des colleges & infpecteurs de 1'éducation des enfans. Ils pourroient ètre obligés de remplir un certain tems eet emploi avant que d'ètre admis au fénat, & feroient tenus de préfenter a la diete 1'approbation du college des adminiflrateurs de 1'éducation : lans oublier que cette approbation , comme toutes les autres , doit toujours ètre vifée par la voix publique qu'on a mille moyens de confulter. L'élection des fénateurs députés fe fera dans la chambre des nonces a chaque diete ordinaire, enforte qu'ils ne refteront que deux ans en place; mais ils pourront être continués ou élus derechef deux autres fois, pourvu qUe chaque fois en fortant de place, ils aient préalablement  be la Pologne. 137 obtenu de la mème chambre un ade d'approbation femblable a celui qu'il eft nécelfaire d'obtenirdes diétines pour être élu nonce une feconde & troifieme fois » car fans un ade pareil obtenu a chaque geftion l'on ne parviendra plus a rien , & l'on n'aura pour n'ètre pas exclus du gouvernement que la reifource de recommencer par les grades inférieurs, ce qui doit être permis pour ne pas óter a un citoyen zélé, quelque faute qu'il puilfe avoir commife, tout efpoir de 1'effacer & de parvenir. Au refte, on ne doit jamais charger aucun comité particulier d'expédier ou refufer ces cer.tificats ou approbations , il faut toujours que ces jugemens foyent portés^par toute la chambre, ce qui fe fera fans embarras ni perte de tems, fi l'on fuit pour le jugement des fénateurs députés fortant de place, la mème méthode des cartons que j'ai propofée pour leur éledion. On dira peut-ètre ici que tous ces actes d'approbation donnés d'abord par des corps particuliers , enfuite par les'diétines, & enfin par la diete, feront moins accordés au mérite, a la juftice & a la vérité, qu'extorqués par la bride & le crédit. A cela je n'ai qu'une chofe a rcpondre. J'ai cru parler a un peuple qui fc  ï?8 Gouvernement fans être exempt de vices, avoit encore du reifort & des vertus ; & cela fuppofé, mon projet eft bon. Mais fi déja la Pologne en eft a ce point que tout y foit vénal & corrompu jufqu'a la racine ; c'eft en vain qu'elle cherche a réformer fes loix & a conferver fa liberté, il faut qu'elle y renonce & qu'elle plie fa tète au joug. Mais revenons. Tout fénateur député qui 1'aura été trois fois avec approbation, paffera de droit au troifieme grade le plus élevé dans 1'Etat, & la marqué lui en fera conférée par le Roi fur la nomination de la diete; & comme ces Palatins occupent les poftes les plus éminens de la République, & qu'ils les occupent a vie, afin que leur émulation ne s'endorme pas dans les places oü ils ne voyent plus que le tröne au deifus d'eux, 1'accès leur en fera ouvert, mais de maniere a n'y pouvoir arriver encore que par la voix publique & a force de vertu. Remarquons avant que d'aller plus loin que la carrière que je donne a parcourir aux citoyens, pour arriver graduellement a la tète de la République, paroit alfez bien proportionnée aux mefures de la vie humaine , pour que ceux qui tienneut les rènes du gouvernement,  »e la Pologne. 139 ayant paffé la fougue de la jeunelTe, puiffent néanmoins être encore dans la vigueur de 1'age, & qu'après quinze oiv vingt ans d'épreuve continuellement fous les yeux du public, il leur refte encore un alfez grand nombre d'années a faire iouir la patrie de leurs talens, de leur expérience & de leurs vertus, & a jouir eux-mêmes dans les premières places de 1'Etat du refpect & des honneurs qu'ils auront fi bien mérités. En fuppofant qu'un homme commence a vingt ans d'entrer dans les affaires, il eft poffible qu'a trente einq il ibit déja palatin ; mais comme il eft bien difficile & qu'il n'eft pas mème a propos que cette marche graduelle fe faife fi rapidement, on n'arrivera guere a ce pofte éminent, avant la quarantaine, & c'eft 1'age a, mon avis le plus convenable pour réunir, toutes les qualités qu'on doit rechercher dans un homme d'Etat. Ajoutons ici que cette marche paroit appropriée autant qu'il eft poffible , au befoin du gouvernement. Dans le calcul des probabilités, j'eftime qu'on aura tous les deux ans au moins cinquante nouveaux citoyens élus & vingt gardiens des loix : nombres plus que fuffifans pour recruter les deux parties du fénat auxquelles me-  140 Gouvernement nent refpeótivement ces deux grades. Car 011 voit aifément que quoique le premier rang du fénat foit le plus nombreux, étant a vie il aura moins fouvent des places a remplir que le fecond qui, dans mon projet, fe renouvelle a chaque diete ordinaire. On a déja vu & l'on verra bientót encore que je ne lailfe pas oififs les élus furnumeraires en attendant qu'ils entrent au fénat comme députés; pour ne pas lailfer oififs non plus les gardiens des loix, en attendant qu'ils y rentrent comme Palatins ou Caftellans , c'eft de leur corps que je formerois le college des adminiftrateurs de 1'éducation dont j'ai parlé ci-devant. On pourroit donner pour préfident a ce college lè primat ou un autre évèque , en ftatuant au furplus qu'aucun autre eccléfiaftique , füt-il évèque & fénateur , ne pourroit y ètre admis. Voila, ce me femble une marche alfez bien graduée pour la partie effentielle & intermédiaire du tout, favoir la noblelfe & les magiftrats ; 'mais il nous manque encore les deux extrêmes, favoir le peuple & le roi. Commenqons par le premier jufqu'ici compté pour rien, mais qu'il importe enfin de compter pour quelque  be la Pologne. 141 chofe, 11 Ton veut donner une certaine force , une certaine confiftance a la Pologne. Rien de plus délicat que 1'opération dont il s'agit; car enfin, bien .que chacun fente quel grand mal , c'eft pour la République que la nation foit en quelque faqou renfermée dans 1'ordre équeftre , & que tout le refte, payfans & bourgeois , foit nul, tant dans le gouvernement que dans la légiflation; telle eft 1'antique conftitution. II ne feroit en ce moment ni prudent, ni pollible de la cbanger tout d'un coup ; mais il peut 1'ètre d'amener par degrés ce changement, de faire fans révolution fenfible, que la partie la plus nombreufe de la nation s'attache d'affection a la patrie & mème au gouvernement. Cela s'obtiendra par deux moyens; le premier, une èxacïe obfervation de la juftice, enforte que le ferf & le roturier n'ayant jamais a craindre d'ètre injuftement vexés par le noble, fe guériffent de 1'averfion qu'ils doivent naturellement avoir pour lui. Ceci demande une grande réforme dans les tribunaux & un foin particulier pour la formation du corps des avocats. Le fecond moyen, fans lequel le premier n'eft rien , eft d'ouvrir une porte aux ferfs pour acquérir la liberté & aux  142 Gouvernement bourgeois pour acquérir la nobleife< Quand la chofe dans le fait ne feroit pas praticable, il faudroit au moins qu'on la vit telle en poffibilité; mais on peut faire plus, ce me femble, & cela lans courir aucun rifque. Voici, par exemple, un moyen qui me paroit mener de cette maniere au but pröpofé. Tous les deux ans dans Fintervalle tTune diete a 1'autre, on choifiroit dans chaque province un tems & un lieu convenables ou les élus de la mème province qui ne feroient pas encore fénateurs députés s'alfembleroient, fous la ■préfidence d'un cujlos legum, qui ne feroit pas encore fénateur a vie, dans un comité cenforial ou de bienfaifance auquel on inviteroit, non tous les curés, mais feulement ceux qu'on jugeroit les plus dignes de eet honneur. Je crois même que cette préférence formant un jugement tacite aux yeux du peuple, pourroit jetter auffi quelque émulation parmi les curés de village, & en garantir un plus grand nombre des moeurs crapuleufcs auxquelles ils ne font que trop fujets. Dans cette aifemblée oü l'on pourroit encore appel.'er des vieillards & notables de tous les Etats, on s'occuperoit a 1'examen des projets d'établiifemens utiles  be la Pologne. 143 pour la province , on entendroit les rapports des curés fur 1'état de leurs paroiffes & des paroilfes voifines, celui des notables fur 1'état de la culture, fur celui des families de leur canton> on vérifieroit foigneufement ces rapports; chaque membre du comité y ajouteroit fes propres obfervations, & l'on tiendroit de tout cela un fidele régiftre dont on tireroit des mémoires fuccincts pour les diétines. On examineroit en détail les befoins des families furchargées, des infirmes, des veuves, des orphelins, & l'on y pourvoiroit proportionnellement fur un fonds formé par les contributions gratuites des aifés de la province. Ces contributions feroient d'autant moins oné-reufes qu'elles deviendroientlefeultribut de charité , attendu qu'on ne doit fouffrir dans toute la Pologne, ni mendians, ni hópitaux. Les prètres, fans doute, crieront beaucoup pour la confervation des hópitaux, & ces cris ne font qu'une raifon de plus pour les détruire. Dans ce mème comité, qui ne s'oc-cuperoit jamais de punitions ni de réprimandes , mais feulement de bienfaits, de louanges & d'encouragemens, on feroit fur de bonnes informations des liftes  144 Gouvernement exaétes des > particuliers de tous états , dont la conduite feroit digne d'honneur & de récompenfe. ('*) Ces liftes feroient envoyées au fénat & au roi pour y avoir égard dans 1'occafion & placer toujours bien leurs choix & leurs préférences, & c'eft fur les indications des mêmes aifemblées que feroient données dans les colleges par les adminiftrateurs de 1'éducation les places gratuites dont j'ai parlé ci-devant. Mais (*") 11 faut dans ces eftimations avoir beaucoup plus d'égards aux perfonnes qu'a quelques aclions ifolées. Le vrai bien fe fait avec peu d'éclat. C'eft par une conduite uniforme & Foutenue, par des vertus privées & domeftiques, par tous les devoirs de fon état bien remplis, par des adtions enfin qui découlent de fon caraétere & de fes principes qu'un homme peut mériter des honneurs, plutót que par quelques grands coups de théatre qui trouvent deja leur récompenfe dans 1'admiration publique. L'oftentation philofophique aime beaucoup les actions d'éclat ; mais tel, avec cinq ou fix aétions de cette efpece bien brillantes, bien bruy.intes & bien prónées , n'a pour but que de donner le change fur fon compte & d'ètre toute fa vie injufte & dur impunément. Donnez- nous la monnoye des grandes aclions. Ce mot de femme eft un mot très-judicieux.  de la Pologne. 14^ Mais la principale & plus importante occupation de ce comité feroit de drelfer fur de fideles mémoires & fur le rapport de la voix publique bien vérifié , un röle des payfans qui fe diftingueroient par une bonne conduite, une bonne culture, de bonnes moeurs, par le foinde leur familie, par tous les devoirs de leur état bien remplis. Ce röle feroit enfuite préfenté a la diétine qui y cboifiroit un nömbre fixé par la loi pour être affranchi, & qui pourvoiroit par des moyens convenus au dédommagement des patrons, en les foliant jouir d'exemptions, de prérogatives, d'avantages enfin proportionnés au nombre de leurs payfans qui auroient été trouvés dignes de la liberté. Car il faudroit abfolument faire enforte qu'au lieu d'ètre onéreux au maitre, 1'affranchiffement du ferflui devint honorable & avantageux. Bien entendu que pour éviter Pabus, ces affranchilfemens ne fe feroient point par les maitres, mais dans les diétines par jugement , & feulement jufqu'au nombre fixé par la loi. Quand on auroit affranchi fucceffive, ment un certain nombre de families dans un canton, Pon pourroit affranchir des villages entievs, y former peu a peu des G  Gouvernement communes, leur afllgner quelques biens fonds , quelques terres communales comme en Suiife, yétablirdes ofriciers communaux, & lorfqu'on auroit amené par degrés les chofes jufqu'a pouvoir, fans révolution fenfible, achever 1'opération en grand, leur rendre enfin le droit que leur donna la nature de participer a 1'adminiftration de leur pays, en envoyant des députés aux diétines. Tout cela fait, on armeroit tous ces payfans devenus hommes libres & citoyens , on les enrégimenteroit, on les exerceroit, & Pon finiroit par avoir une milice vraiment excellente, plus que fuf•fifante pour .la défenfe de 1'Etat. On pourroit fuivre une méthode femblable pour Pannobliflemcnt d'un certain nombre de bourgeois, & mème, fans les ennoblir, leur deftiner certains pofies brillans, qu'ils rempliroient feuls a 1'exclufion des nobles, & cela a Pimitation des Vénitiens fi jaloux de leur noblelle, qui néanmoins outre d'autres emplois fubaltemes, donnent toujours a un citadin la feconde place de 1'Etat, favoir celle de grand chancelier, fans qu'aucun Patricien puilfe jamais y prétendre. De cette maniere, ouvrant a la bourgeoifie la porte de la noblefle & des honneurs, on Pat-  öë la Pologne. 147 tacheroit d'affe&ion a la patrie & au maintien de la conftitution. On pourroit encore lans ennoblir les individus, annoblir colleéfivement certaines villes, en préférant celles oü fleuriroient davantage le commerce, 1'induftrie & les arts , & oü par conféquent 1'adminiftration municipale feroit la meilleure. Ces villes annoblies pourroient, a 1'inftar des villes impériales, envoyer des nonces a la diete, & leur exemple ne manqueroit pas d'exciter dans toutes les autres un vif defir d'obtenir le mème honneur. Les comités cenforiaux chargés de ce département de bienfaifance , qui jamais a la honte des rois & des peuples, n'a encore exifté nulle part, feroient quoique fans éleclion, compofés de la maniere la plus propre a remplir leurs fonctions avec zele & intégrité, attendu que leurs membres afpirans aux places fénatoriales oü menent leurs grades refpectifs, porteroient une grande attention a mériter par 1'approbation publique les furfrages de la diete, & ce feroit une occupation fuffifante pour tenir ces afpirans en haleine & fous les yeux du public dans les intervalles qui pourroient féparer leurs élecfions fuccefïïves. Rema quez que cela fe feroit cependant fans les G 3,  148 Gouvernement tirer pour ces intervallès de 1'Etat de fimplcs citoyens gradués, puifque cette efpece de tribunal, fi utile & li refpectable, n'ayant jamais que du bien a faire ne feroit revêtu d'aucune puilfance coactive, Ainii je ne multiplie point ici les raagiftratures, mais je me fers, chemin faifant, du palTage de 1'une a 1'autre pour tirer parti de ceux qui les doivent remplir. Sur ce plan, gradué dans fon exécution par une marche fuccellive qu'on pourroit précipiter , ralentir, ou mème arrêter felon fon bon ou mauvais fuccès, pn n'ayanceroit qu'a volonté, guidé par 1'expérience, on allumeroit dans tous les états inférieurs un zele ardent pour contribuer au bien public, on parviendroit enfin a vivifier toutes les parties de la Pologne, & a les lier de maniere a ne faire plus qu'un mème corps dont la vigueur & les forces feroient au moins décuplées de ce qu'elles peuvent ètre aujourd'hui, & cela avec Pavantage ineftimable d'avoir évité tout changement vif & brufque & le danger des révolutions. Vous avez une belle occafion de commencer cette opération d'une maniere éclatante & noble, qui doit faire le plus  de la Pologne, 149 grand efFet.Il n'eft pas poffible que dans les malheurs que vient d'effuyer la Pologne , les confédérés n'ayent requ des affiltances & des marqués d'attachement de quelques bourgeois & mème de quelques payfans. Imitez la magnanimité des Romains , fi foigneux, après les grande» calamités de leur République, de combler des témoignages de leur gratitude les étrangers, les fujets, les efclaves, & mème jufqu'aux animaux, qui durant leurs difgraces leur avoient rendu quelques fervices fignalés. O le beau début 3 mon gréquede donner folemnellement Ia noblefle aces bourgeois, & la franchife a ces payfans, & cela avec toute lapompe & tout 1'appareil qui peuvent rendre cette cérémonie augufte, touchante & mémorable! Et ne vous en tenez pas a ce début. Ces hommes ainli diftingués doivent demeurer toujours les enfans de choix de la patrie. II faut veiller fur eux, les foutenir „ fulfent-ils mème de mauvais fujets. II faut a tout prix les faire profpérer toute leur vie, afin que par eet exemple mis fous les yeux du public, la Pologne montre a I'Europe entiere ce que doit attendre d'elle dans fes fuccès quiconque ofa Pat lifter dans fa détrefTe. Voila quelque idéé grofliere & feuleG 3  ifo Gouvernement ment par forme d'exemple de la maniere dont on peut procéder, pour que chaeun voye devant lui la route libre pour arriver a tout, que tout tende graduellement en bien fervant la patrie aux rangs les plus honorables, & que la vertu puilfe ouvrir toutes les portes que la fortune fe plak a fermer. Mais tout n'eft pas fait encore , & la partie de ce projet qui me refte a expofer, eft fans contredit la plus embarraffante & la plus difficile; elle offre a furmonter des obftacles contre lefquels la prudence & 1'expérience des politiques les plus confommés ont toujours échoué. Cependant il me femble qu'en fuppofant mon projet adopté, avec le moyen trésiimple que j'ai a propofer, toutes les difEcultés font levées, tous les abus font pré ven us , & ce qui femblok faire un nouvel obftacle fe tourne en avantage dans 1'exécution.  de la Pologne. ijï. C H A P I T R E XIV. EleBion des Rois. TPoutes ces difficultés fe réduifent a celle de donner a 1'Etat un chef dont le choix ne caufe pas des troubles & qui n'attente pas a la liberté. Ce qui augmente la mème difficulté eft que ce chet doit ètre doué des grandes qualités néceffaires a quiconque ofe gouverner des hommes libres. L'hérédité de la couronne prévient les troubles , mais elle amene la fervitude; l'élection maintientla liberté, mais a chaque regne elle ébranle 1'Etat. Cette alternative eft facheufe, mais avant de parler des moyens flè 1'éviter, qu'on me permette un moment de réflexion fur la maniere dont les Polonois difpofent ordinairement de leur couronne. f D'abord je le demande; pourquoi fautils qu'ils fe donnent des rois étrangers ? Par quel fingulier aveuglement ont-ils pris ainli le moyen le plus für d'affervir leur nation , d'abolir leurs ufages, de fe rendre le jouet des autres cours, & d'augmenter a plaifir 1'orage des interregnes ?' G 4  i fa 'Gouvernement Qpelle injuftice envers eux-mêmes, quel affront fait a leur patrie , comme fi, déleiperant de trouver dans fon fein un homme digne de les commander , ils etoient forcés de 1'aller chercher au loin • comment n'ont-ils pas fenti, comment n ont-ils pas vu que c'étoit tout le contraire? Ouvrez les annales de votre nation , vous ne la verrez jamais illuftre & tnomphante que fous des rois Polonois; vous la verrez prefque toujours opprimée & avihe fous les étrangers. Que 1'expérience vienne enfin a 1'appui de la raifon j voyez quels maux vous vous faites & quels biens vous vous ótez. Car, je le demande encore , comment fa nation Polonoife ayant tant fait que de rendre fa couronne éledive, n'a-t-elle point fongé a tirer parti de cette loi pour jetter parmi les membres de l'adminiftration, une émulation de zele & de gloire, qui feule eüt plus fait pour le bien de la patrie que toutes les autres loix enfemble ? Quel relfort puilfant fur des ames grandes & ambitieufes que cette couronne deliinée au plus digne & mife en perfpective devant les yeux de tout citoyen qui laura mériter l'eftime publique ï Que de vertus , que de nobles efforts 1'efpoir d'en acquerir le plus hautprix ne doit-il  1? E LA POLOGNï! rf J pas exciter dans la nation ! Quel ferment de patriotifme dans tous les cceurs, quand on fauroit bien que ce n'eft que par la qu'on peut obtenir cette place de verniet 1'objet fecret des vceux de tous les particuliers , fitót qu'a force de mérite & de fervices, il dépendra d'eux de s'en approcher toujours davantage, & fi la fortune les feconde , d'y parvenir enfin tout-afait ! Cherchons le meilleur moyen de mettre en jeu ce grand reffort fi puiffant dans la république & fi négligé juf— qu'ici. L'on me dira qu'il ne fuffit pas de? ne donner la couronne qu'a des Polonois, pour lever les difficultés dont il s'agit s c'eft ce que nous verrons tout a 1'heureaprès que j'aurai propofé mon expédient t eet expédient eft fimple, mais il paroitra d'abord manquer le but que je viens de marquer moi-mème, quand j'aurai dit qu'il confifte a faire entrer le fort dans, l'éleclion des rois. Je demande en gracst qu'on me laiffe le tems de m'expliquer, ou feulement qu'on me relife avec attention». Car fi l'on dit; comment s'affurer qu'tui roi tiré au fort ait les qualités requiiés; pour rempUr dignement fa place,. on fait une objection que j'ai déja réfolue; puifqu'il fuffit pour eet effet que le roi na* puiile être tiré que des fénateurs a vie. % G- %  if4 Gouvernement! car, puifqu'ils feront tirés eux-mêmes de 1'ordre des gar diens des loix, Sc qu'ils auront palfé avec honneur par tous les grades de la république, 1'épreuve de toute leur vie & 1'approbation publique dans tous les poftes qu'ils auront remplis r feront des garans fuffifans du mérite Sc des vertus de chacun d'eux. Je n'entends pas néanmoins que mème entre les fénateurs a vie, le fort décide feul de la préférence. Ce feroit toujours manquer en partie le grand but qu'on, doit fe propofer. II faut que le fort faffe quelque chofe, & que le choix faife beaucoup, afin d'un cóté d'amortirlesbrigues Sc les menées des puiifances étrangeres; Sc d'engager de 1'autre tous les Palatins par un fi grand intérêt a ne point fe relacher dans leur conduite, mais a continuer de fervir la patrie avec zele pour mér.'ter la préférence fur leurs concurrens. J'avoue que la claffede ces concurrens me paroit bien nombreufe, fi l'on y fait entrer les grands Caftellans prefque égaux en rang aux Palatins par la conftitution préfènte, mais je ne vois pas quel inconvénient il y auroit a donner aux feuls Palatins 1'accès immédiat au tröne. Cela feroit dans le mème ordre un nouveau grade que les grands Caftellans auroient  de la Pologne. ïff encore a palfer pour dcvenir Palatins, &. par conféquent un moyen de plus pour tenir le fénat dépendant du légiflateur„ Ona deja vu que ces grands Caftellan* me paroiifent fuperflus dans la conftitution. Que néanmoins pour éviter toufe grand changement, on leur laiffe leur place & leur rang au fénat, je 1'approuve.. Mais dans la graduation que jepropofe,, rien n'oblige de les mettre au niveau des; Palatins, & comme rien n'en empêché non plus, on pourra fuis inconvénient fe décider pour le parti qu'on jugera le: meilleur. Je fuppofe ici que ce parti préféré fera d'ouvrir aux feuls Palatins 1'accès immédiat au tróne. Auffi-tót donc après la mort du roi , c'eft-a-dire, dans le moindre intervalle qu'il fera poffible & qui fera fixé par lat loi, la diete d'éleclion fera folemnellement convoquée ; les noms de tous les. Palatins feront mis en coneurrence, & il en fera tiré trois au lórt avec toutes les précautions poffbles, pour qu'aucune fraude n'altere cette opération. Ces trok noms feront a haute voix déclarés a 1'affemblée , qui, dans la mème féance & k la pluralité des voix, choifira celui qu'elle préfere ,' & il fera proclamé roi dès jfe mème jour. G 6  jfff Gouvernement On trouvera dans cette forme d'élection un grand inconvénient, je 1'avoue ; c'eft que la nation nepuiffe choifir librement dans le nombre de Palatins celui qu'elle honore & chérit davantage, & qu'elle juge le plus digne de la royauté. Mais eet inconvénient n'eft pas nouveau en Pologne oü l'on a yü dans plufieurs élections , que fans égard pour ceux que la nation favorifoit, on 1'a forcée de choifir celui qu'elle auroit rebuté; mais pour eet avantage qu'elle n'a plus & qu'ellefacrifie , combien d'autres plus importans elle gagne par cette forme d'éleétion'{ Premierement, 1'action du fort amortit tout d'un coup les factions & brigues des nations étrangeres qui ne peuvent influer fur cette éledion , trop incertaines du fuccès pour y mettre beaucoup d'efforts , vü que la fraude mème feroit infuffifante en faveur d'un fujet que la nation peut toujours rejetter. La grandeur feule de eet avantage eft telle qu'il allure le repos de la Pologne, étouffe la vénalité dans la république, & laifle a 1'éleétion prefque toute la tranquillité de fhérédité. Le mème avantage a lieu contre les brigues mème des candidats ; car qui d'emr'eux voudra fe mettre en frais pour  de la Pologne.' i?7 s'aflurer une préférence qui ne dépend point des hommes, & facrifier fa fortune a un événement qui tient a tant de chauces contraires pour une favorable ? Ajoutous que ceux que le fort a favorifés ne font plus a tems d'acheter des éleéteurs , puifque l'éleétion doit fe faire dans la mème féance. Le choix libre de la nation entre trois candidats la préferve des inconvéniens du fort qui, par fuppofition, tomberoit fur un fujet indigne ■> car, dans cette fuppofition, la nation fe gardera de le choifir , & il n'eft pas poffible qu'entre trois hommes illuftres , 1'élite de la nation , oü l'on ne comprend pas mème comment il peut fe trouver un feul fujet indigne, ceux que favorifera le fort le foient tous les trois. Ainfi , & cette obfervation eft d'un grand poids : nous réuniifons par cette forme tous les avantages de 1'élecfion a ceux de 1'hérédité. Car , premierement la couronne ne paifant point du pere au fils, il n'y aura jamais continuité de fyftème pour Tafferviifement de la république. En fecond lieu ,' le fort mème dans cette forme eft 1'inftrument d'une élecbion éclairée & volontaire. Dans le corps refpeclable des  158 Gouvernement gardiens des loix & des Palatins qui en font tirés, il ne peut faire un choix, quel qu'il puilfe ètre, qui n'ait été déja fait par la nation. Mais voyez quelle émulation cette perlpedive doit porter dans le corps des Palatins & grands Caftellans, qui dans des places a vie pourroient fe relacher par la certitude qu'on ne peut plus les leur óter. Ils ne peuvent plus ètre contenus par la crainte; mais i'efpoir de remplir un tróne que chacun d'eux voit fi prés de lui elf un nou vel aiguillon qui les tient fans celfe attentifs fur eux-mèmes. Ils favent que le fort les favoriferoit en vain s'ils font rejettés a 1'élection, & que le feul moyen d'ètre choifis eft de le merker. Cet avantage eft trop grand , trop évident, pour qu'il foit nécelfaire d'y infifter. Suppofons un moment pour aller au pis qu'on ne peut éviter la fraude dans ioperation du fort, & qu'un des concurrens vmt a tromper la vigilance de tous les autres fi ïntérelfés a cette opération. Cette fraude feroit un malheur pour les candidats exclus, mais 1'effet pour la république feroit le mème que fi la décifion du fort eut été fidelle; car on n'en auroit pas moms 1'avantage de 1'élection , on  be la Pologne." i f9 n'en préviendroit pas moins les troubles des interregnes & les dangers de 1'hérédité; le candidat que fon ambition féduiroit jufqu'a recourir a cette fraude, n'en feroit pas moins au furplus un homme de mérite, capable au jugement de la nation de porter la couronne avec honneur; & enfin, mème après cette fraude, il n'en dépendroit pas moins pour en profiter du choix fubféquent & formel de la république. Par ce projet adopté dans toute fon étendue, tout eft lié dans 1'Etat, & depuis le dernier particulier jufqu'au premier Palatin, nul ne voit aucun moyen d'avancer que par la route du devoir & de 1'approbation publique. Le roi feul une fois élu, ne voyant plus que les loix audeifus de lui, n'a nul autre frein qui le contienne , & n'ayant plus befoin de 1'approbation publique, il peut s'en paffer fans rifque fi ces projets le demart*Ient. Je ne vois gueres a cela qu'un remede auquel mème il ne faut pas fonger. Ce feroit que la couronne fut en quelque maniere amovible, & qu'au bout de certaines périodes les rois euflent befoin d'ètre confirmés. Mais encore une fois eet expédient n'eft pas propofable, tenant le tróne & 1'Etat dans une agitation continuelle, il ne lailferoit jamais 1'adminif-  160 Gouvernement tration dans une affiete alfez folide pour pouvoir s'appliquer uniquement & utilement au bien public. II fut un ufage antique qui n'a jamais été pratiqué que chez un feul peuple , mais dont il eft étonnant que le fuccès n'en ait ten té aucun autre de 1'imiter. II eft vrai qu'il n'eft gueres propre qu'a un royaume éleclif, quoiqu'inventé & pratiqué dans un royaume héréditaire. Je parle du jugement des rois d'Egypte après leur mort, & de Parrèt par lequel la fépulture & les honneurs royaux leur étoient aecordés ou refufés, felon qu'ils avoient bien ou mal gouverné 1'Etat durant leur vie. L'indifférence des modernes fur tous les objets moraux» & fur tout ce qui peut donner du reffort aux ames, leur fera fans doute regarder 1'idée de rétablir eet ufage pour les rois de Pologne comme une folie, & ce n'eft pas a des Franqois, fur-tout a des philofophes que je voudrois tenter aje la faire adopter, mais je crois qu'on peut la propofer a des Polonois. J'ofe mème avancer que eet établiifement auroit chez eux de grands avantages auxquels il eft impofiible de fuppléer d'aucune autre maniere , &pas un feul inconvénient. Dans 1'objet préfent on voit qu'a moins d'une ame  de la Pologne. 165 vile & infenfible a Phonneur de fa mémoire, il n'eft pas poffible que 1'intégrité d'un jugement inévitable n'en impofeau roi, & ne mette a fes paffions un frein plus ou moins fort, je 1'avoue, mais toujours capable de les contenir jufqu'a certain point, fur-tout quand on y joindra Pintérêt de fes enfans dont le fort fera décidé par 1'arrêt porté fur la mémoire du pere. Je voudrois donc qu'après la mort de chaque roi, fon corps fütdépofé dans un lieu fortable, jufqu'a ce qu'il eüt été prononcé fur fa mémoire; que le tribunal qui doit en décider & décerner fa fépulture , fut alfemblé le plutöt qu'il feroit poffible, que la fa vie & fon regne fuffent examinés févérement, & qu'après des informations dans lefquelles tout citoyen feroit admis a 1'accufer & a le défendre, le procés bien inftruit fut fuivi d'un arrët porté avec toute la folemnité poffible. En conféquence de eet arrêt, s'il étoit favorable , le feu roi feroit déclaré bon & jufte prince, fon nom infcrit avec honneur dans la lifte des rois de Pologne, fon corps mis avec pompe dans leur fépulture, Pépithete de glorieufe mémoire ajauté a fon nom dans tous les acfes &  ièz Gouvernement difcours publics, un douaire afligné a fa veuve , & fes enfans déclarés Princes royaux, feroient honorés leur viedurant de tous les avantages attachés a ce titre. Que fi, au contraire, il étoit trouvé coupable d'injuftice , de violence, de malverfation, & fur tout d'avoir attente a la liberté publique, fa mémoire feroit condamnée & flétrie, fon corps privé de la fépulture royale, feroit enterré fans nonneur comme celui d'un particulier, fon nom effacé du regiftre public des Rois, Sc fes enfans, privés du titre de princes royaux Sc des prérogatives qui y font attachées, rentreroient dans la clafle des fimples citoyens, fans aucune diftinction honorable ni flétriffante. Je voudrois que ce jugement fe fit avec le plus grand appareil, mais qu'il précédat, s'il étoit poffible, Féleétion de fon fucceffeur , afin que le crédit de celui-ci ne put influer fur la fentence dont il aur,?ft pour lui-mème intérèt d'adoucir la févérité. Je fais qu'il feroit a defirer qu'on eut plus de tems pour dévoiler bien des verités cachées & mieux inftruire le procés. Mais fi l'on tardoit après 1'éledion , j'aurois peur que eet acte important ne devint bientót qu'une vaine cérémonie, & comme il arriveroit infailliblement  »e la Pologne. 16? dans un royaumefiéréditaire, plutót une oraifbn funebre du roi défunt qu'un jugement jufte & févere fur fa conduite. 11 vaut mieux en cette occafion donner davantage a la voix publique & perdre quelques lumieres de détail, pour conferver 1'intégrité & 1'auftérité d'un jugement qui fans cela deviendroit inutile. A 1'égard du tribunal qui prononceroit cette fentence, je voudrois que ce ne fut ni le fénat, ni la diete, ni aucun corps revétu de quelque autorité dans le gouvernement , mais un ordre entier de citoyens qui ne peut ètre aifément ni trpmpé, ni corrompu. II me paroit que les cïves ele&i, plus inftruits , plus expérimentés que les fervans Etat, Sc moins intérelfés que les gardiens des loix déja trop voifins du tróne, feroient précifément le corps intermédiaire ou l'on trouveroit a la fois le plus de lumieres & d'intégrité, le plus propre a ne porter que des jugemens fürs, & par la préférables aux deux autres en cette occafion. Si mème il arrivoit que ce corps ne füt pas alfez nombreux pour un jugement de cette importance , j'aimerois mieux qu'on lui donnat des adjoints tirés des fervans d'Etat, que des gardiens des loix. Enfin, je voudrois que ce tribunal ne fut  ï a qu'a Jurplus ne doit être changé : mais il ne faut pas laiflèrfubfiftercettUrTiïo^  ce la Pologne. 165 tradiction; car fi c'en eft une déja dans la préfente conftitution , c'en feroit une bien plus grande encore après laréforme. d. = £ CHAPITRE XV. Condufion. Voila mon plan fuffifamment efquüfé, je m'arrète. Quel que foit celui qu'on adoptera, l'on ne doit pas oublier ce que j'ai dit dans le Contrat Social de 1'état de foiblefie & d'anarchie oü fe trouve une nation, tandis qu'elle établit oü réforme fa conftitution. Dans ce moment de défordre & d'effervefcence, elle eft hors d'état de faire aucune réfiftance, & le moindre choc eft capable de tout renverfer. 11 importe donc de fe ménager a tout prix un intervalle de tranquillité, durant lequel on puilfe fans rifque agir fur foi-même & rajeunir fa conftitution. Qpoique les changemens a faire dans la vötre ne foyent pas fondamentaux & ne paroilfent pas fort grands , ils font fufEfans pour exiger cette précaution , & il faut néceifairement un certain tems pour fentir 1'effet de la meilleur» réforme &  ï55 Gouvernement prendre la confiftance qui doit en être le Jruit. Ce n eft qu'en fuppofant que le lucces reponde au courage des confédéres & a la juftice de leur caufe, qu'on peut fonger a 1'entreprife dont il SW. Vous ne ferez jamais libres tant qu'il reftera un feul foldat Rulfe en Pologne, & vous ferez toujours menacés de ceffer de 1 etre tant que la Ruflïe fe mêlera de vos affaires. Mais fi vous parvenez a la forcer de traiter avec vous comme de puiHance a puilTance, & non plus commê de protedeur a protégé, profitez alors de 1 epuifement ou faura jetée la guerre de,^Urquie^P°ur faire votre oeuvre avant qu elle puilfe la troubler. Quoique je ne falfe aucun cas de la fureté qu'on fe procure au dehors par des traités, cette circonftance unique vous forcera peut-être de vous etayer, autant qu'il fe peut, de eet appm, ne fut-ce que pour connoltre Ia dilpofition prefente de ceux qui traiteront avec vous. Mais ce cas excepté, & peut-etre en d'autres tems quelques traites de commerce, ne vous fatigUez pas a de vaines négociations , ne vou* ruinez pas en ambalfadeurs & miniftres dans d'autres cours, & „e comptez pas les alliances & traités pour quelque choie- iout cela ne fert de rien avec les  be la Pologne. puilfances chrétiennes : elles ne connoif. fent d'autres Hens que ceux de leur intérêt; quand elles le trouveronta remplir leurs cngagemens, elles les rempliront, quand elle le trouveront a les rompre, elles les rompront> autant vaudroit n'en point prendre. Encore fi eet intérèt étöit toujours vrai, la connoiflance de ce qu'il leur convient de faire pourroit faire prévoir ce qu'elles feront. Mais ce n'eft prefque jamais la raifon d'Etar qui les guide, c'eft 1'intèrèt momentané d'un miniftre, d'une fillc, d'unfavori; c'eft le motif qu'aucune fageife humaine n'a pu prévoir, qui les détermine tantót pour, tantót contre leurs vrais intéréts. De quoi peut-on s'affurer avec des gens qui n'ont aucun fyftème fixe, & qui nefe conduifent que par des impulfions fortuites? Rien n'eft plus frivole que la fcience po* litique des cours : comme elle n'a nul principe alfuré , l'on n'en peut tirer aucune conféquence certaine, & toute cette belle dodxine des intéréts des Princes eft un jeu d'enfans qui fait rire les hommes fenfés. Ne vous appuyez donc avec confiance m fur vos alliés, ni fur vos voifinsj vous^ n'en avez qu'un fur lequel vous puiifiez un peu compter. C'eft le Grand-  ï 68 Gouvernement Seigneur, & vous ne devez rien épargner pour vous en faire un appui; non que fes maximes d'Etat foient beaucoup plus certaines que celles des autres puiffances : tout y dépend également d'un vifir, d'une favorite, d'une intrigue de ferrail; mais 1'intérêt de la Porte eft clair, fimple, il s'agit de tout pour elle, & généralementily regne, avec bien moins de lumieres & de fineffe, plus de droiture & de bon fens. On a du moins avec elle eet avantage de plusqu'avec les puiffances chrétiennes, qu'elle aime a remplir fes engagemens & refpede ordinairement les traités. II faut tacher d'en faire avec elle un pour vingt ans, auffi fort, auffi clair qu'il fera poffible. Ce traité, tant qu'une autre puilfance cachera fes projets , fera le meilleur peut-étre , le feul garant que vous puiffiez avoir , & dans 1'état oii la préfente guerre laiifbra vraifemblablement la Rulfie , j'eftime qu'il peut vous fuffire pour entreprendre avec füreté votre ouvrage ; d'autant plus que 1'intérêt commun des puilfances de 1'Europe, & fur-tout de vos autres voifins, eft de vous lailfer toujours pour barrière entr'eux & les Rulfes , & qu'a force de changer de folie, il faut bien qu'ils foient fages au moins quelquefois. Une  De la Pölogsï. 169 TJne chofe me fait croire que généralement on vous verra fans jaloufie travailler a la téforme de votre Gonftitution. C'eft que eet ouvrage ne tend qu'a 1'affermilfement de la légiflation, par conféquent de la liberté, & que Gette liberté paffe dans toutes les cours pour une manie de vifionnaires qui tend plus a affoiblir qu'a renforcer un Etat. C'eft pour cela que la France a toujours favorifé la liberté du corps Germanique & de la Hollande, & c'eft pour cela qu'aujourd'hui la Ruflie favorifé le gouvernement préfent de Suede, & contrecarre de toutes fes forces les projets du roi. Tous ces grands miniftres qui, jugeant les hommes en général fur eux - mêmes & ceux qui les entourent, croient les connoftre, font bien loin d'imaginer quel relfort 1'amour de la patrie & Pélan de la vertu peut donner a des ames libres. Ils ont beau être les dupes de la bafle opinion qu'ils ont des républiques & y trouver dans toutes leurs entreprifes une réfiftance qu'ils n'attendoient pas, ils ne reviendront jamais d'un préjugé fondé fur le mépris dont ils fe fentent dignes & fur lequel ils apprécient le genre humain. Malgré 1'expérience alfez frappante que les Rutfes viennent de faire en Pologne , H  170 Gouvernement rien ne les fera changer d'opinion. Ils ïegarderont toujours les hommes libres «omme il faut les regarder eux-mêmes. c'eft-a-dire comme des hommes nuls, fur lefquels deux feuls inftrumens ont prife, favoir l'argent & le knout. S'ils voient donc que la république de Pologne, au iieu de s'appliquer a remplir fes coffres, a groffir fes finances, a lever bien des troupes réglées , fonge au contraire a Jicencier fon armée & a fe paffer d'argent , ils croiront qu'elle travaille a s'affoiblir, & perfuadés qu'ils n'auront pour en faire la conquète, qu'a s'y préfenter, quand ils voudront , ils la lakferont fe régler tout a fon aife, en fe moquant en •eux-mêmes de fon travail. Et il faut con.venir que 1'état de liberté öte a un peuple la force offenfive , & qu'en fuivant le plan que je propofe , on dok renoncer a tout efpoir de conquète. Mais que, votre ■oeuvre' fake, dans vingt ans les Ruffes teutent de vous envahir, & ils connoitront quels foldats font pour la défenfe de leurs foyers, ces hommes de paix qui ne fdvent pas attaquer ceux des autres, & qui ont oublié le prix de l'argent. Quant a la maniere d'entamer 1'ceuvre 'dont il s'agit, ie ne puis gouter toutes les fubtilités qu'on vous propofe, pour  TJÈ LA POLOGNE. iy% furprendre & tromper en quelque forte la nation fur les changemens a faire a fes loix. Je ferois d'avis feulement, en montrant votre plan dans toute fon étendue, de n'en point commencer brufquement Pexécution par remplir la république de mecontens, de laiffer en place la plupart de ceux qui y font, de ne conférer les emplois, felon la nouvelle réforme, qu'a mefure qu'ils viendront a vaquer. N'ébranlez jamais trop brufquement la machine. Je ne doute point qu'un bon plan une fois adopté ne change mème 1'efprit de ceux qui auront eu part au gouvernement fous un autre. Ne pouvant créer totit d'un coup de nouVeaux citoyens, il- faut commencer par tirer parti de ceux qui exiftent, & offrir une route nouvelle a leur ambition, c'eft le moyen de les difpofer a la fuivre. Que fi , malgré le courage & la conftance des conféderés & malgré la juftice de leur caufe , la fortune & toutes les puilfances les abandonnent & livrent la patrie a fes opprelfeurs mais je n'ai pas Phonneur d'ètre Polonois ; & dans urie fituation pareille a celle oü vous êtes, il n'eft permis de donner fon avis que par fon exemple. Je viens de remplir, felon la mefure H 2,  ÏJZ GOUVERNEME NT de mes forces, & plut-a-Dien que ce fut avec autaut de fuccès que d'ardeur , la tache que M. le comte "Wielhorski m'a impofée. Peut-être tout ceci n'eft-il qu'ua tas de chimères , mais voila mes idéés : ce n'eft pas ma faute, fi elles relfemblent fi peu a celles des autres hommes, & il ai'a pas dépendu de moi d'organifer ma tète d'une autre facon. J'avoue mème que quelque fingularité qu'on leur trouve, je n'y vois rien quant a moi que de /bien adapté au cceur humain, de bon, de praticable, fur-tout en Pologne, m'étant appliqué dans mes vues a fuivre l'efprit de cette république, & a n'y propofer que le moins de changemens que 3'ai pu pour en corriger les défauts.' II me femble qu'un gouvernement monté fur de pareils refforts doit marcher a fon vrai but auffi direétement , auffi fürement, auffi long-tems qu'il eft poffible; 31'ignorant pas , au furplus, que tous les ouvrages des hommes font imparfaits, paffagers & périffables comme eux. J'ai omis a deffein beaucoup d'articles très-importans fur lefquels je ne me fentois pas les lumieres Tuffifantes pour en bic;» juger. Je laitfe ce foin a des hommes plus éclairés & plus fages que moi, & je mets fin a ce long fatras en failant  de la Pologne.' 173 a M. le comte Wielhorski mes excufes de 1'en avoir occupé fi long-tems. Quoique je penfe autrement que les autres hommes , je ne me flatte pas d'ètre plus fage qu'eux, ni qu'il trouve dans mes rèveries rien qui pukfe réellement ètre utile a fa patrie; mais mes vceux pour fa profpérité font trop vrais, trop purs, trop défintérefles pour que Porgueil d'y contribuer puilfe ajouter a mon zele. Puilfe-t-elle triompher de fes ennemis , devenir , demeurer paifible, heureufe & libre , donner un grand exemple a 1'univers, & profitant des travaux patriotiques de M. le comte Wielhorski, trouver & former dans fon fein beaucoup de citoyens qui lui relfemblent ! F I N, H 3  174 LETTRE A M. BUTTA-FOCO (*). S U R L E GOUVERNEMENT DE V L S L E DE CORSE. Motiers-Travers, 21 Sefteuibre 1764. Il eft fuperflu, Monfieur, de chercher a exciter mon zele pour 1'entreprife que vous me propofez. La feule idee m'éleve (*) Cette Lettre eji une rc'ponfe d celle de M. Butta-Foco du }i Aoüt 1764, dont voici ïextrait. Vous avez fait mention des Corfes dans votre Contrat Social d'une facjon bien avantageufe pour eux. Un pareil éloge, lorfqu'il partd'uffe plume auffi fincere que la vótre, eft très-propre a exciter 1'émulation & le défir de mieux faire. 11 a fait fouhaiter a la nation que vous vouluffiez êtro eet homme fage qui pourroit lui  DE C O R S E. I7£ 1'ame & me tranfporte. Jecroirois fe reite de mes jours bien noblement, bien vertueufement, bien heureufement employé;, je croirois mème avoir bien racheté 1'inuti- procurer les raoyens de conferver cette libertéqui lui a couté tant de fang. Qu'il feroit cruel de ne pas profiterde Pheureufe circonftance oü fe trouve la Corfe pour fe donner le gouvernement le plus conforme a 1'humanité & a la raifon ; le' gouvernement le plus propre a fixer dans cette' Isle la vraie liberté Une nation ne doit fe flatter de devenir heureufe & florilfante que par le moyen d'une bonne inftitution politique : notre Is!e comme vous le dites très-bien, Monfieur, eft capable de recevoir une bonne législation , mais il faut un législateur; & il faut que ce législateur ait vos principes, que fon bonheur foit indépendant du nótre, qu'il connoifiTe a fond la nature humaine , & que dans les progrès des tems fe ménageant une gloire éloignée, il veuille travailler dans un fiecle & jouïr dans un autre. Daignez , Monfieur , être eet homme la , & coopérer au bonheur de toute une nation en. tracant le plan du fyftème politique qu'elle doit adopter Je fais bien, Monfieur, que le travail que j'ofe vous prier d'entreprendre,exige des détails qui vous faffent connoitrea fond notre vraie fituation; mais fi vous daignez vous en charger,, je vous fournirai toutes les lumieres qui pourront vous être nécclfaires, & Monfieur Paoli „ général de la nation , fera tres-empreffé a vqus> H 4  J7^ Gouvernement Kté des autres, fi je pouvois rendre ce trifie xefte bon en quelque chofe a vos braves compatriotes, fi je pouvois concourir par quelque confeil utile, aux vues de leur digne chef & aux vótres; de ce cöté la donc foyez fur de moi; ma vie & mon cceur font a vous. Mais, Monfieur, le zele ne donne pas les moyens, & le défir n'eft pas le pouvoir. Je ne veux pas faire ici fottement le modefte; je fens bien ce que j'ai , mais je fens encore mieux ce qui me man que; Premierement, par rapport a la chofe, il me manque une multitude de connoiC fances relatives a la nation & au paysj connoiffances indifpenfables, & qui pour les acquérir, demanderont de votre part beaucoup d'inftructions , d'éclaircilfemens ,.de mémoires, &c : de la mienne > beaucoup d'étude & de réflexions. Par rapport a moi, il me manque plus de jeunelfe, un efprit plus tranquille , un procurer de Cörfe tous les éclaircinemens dont vous pourrez avoir befoin. Ce digne chef & ceux d'entre mes compatriotes qui font a portee de connoitre vosouvrages , partagent mon deur & tous les fentimens d'eftime que 1'Euxope entiere apotirvous, & qui vous font dus a tant de titres, &c, &q. &c.  b e C o r. s e: ' ' i"77 coeur moins épuifé d'ennuis, une certainevigueur de génie qui , mème quand on Pa, n'eft pas a 1'épreuve des années & des ehagrins; il me manque la fanté, le temsi il me manque , accablé d'une maladie incurable & cruelle y 1'efpoir de? voir la fin 'd'un long travail ,. que la fèule attente du fiiccès peut donner le courage de fuivre; il me manque enfin „ Pexpérience dans les affaires, qui, feule„ éclaire plus fur Part de conduire les honv mes que toutes les méditations.. Si je me portois palfablement, je me dirois: j'irai en Corfe. Six mois paifés futles lieux m'inftruiront plus que cent volumes. Mais comment entreprendre urn voyage auffi pénible, auffi long, dans; Pétat oü je fuis ? le foutiendrois-je ? mep laifferoit-on palfer ? Mille obftacles m'arrëteroient en allant , Pair de la mer acheyeroit de me détruire avant le retour 5 je vous avoue'que je défire mourir parmi les miens. Vous pouvez-, être preffé : un travail de cette importance ne peut ètre qu'une affaire de très-longue haleine, mêmepour un homme qui fe porteroit bien. Avant de foumettre mon ouvrage- a. Pexamerr. de la nation & de fes chefs, je veux; commencer par en être content nioi-mêH 5,  i73 Gouvernement me : je ne veux rien donner par morv ceaux : 1'ouvrage doit ètre un; l'on n'en fauroit juger féparément. Ce n'eft déja pas peu de chofe que de me mettre en état de commencer; pour achever, cela va loin. II fe préfente aufïï des réflexions fur 1'état précaire oü. fe trouve encore votre Isle. Je lafS que fous un chef tel qu'ils 1'ont aujourd'hui, les Corfes n'ont rien a craindre de Gen es : jecrois qu'ils n'ont rien a craindre non plus des troupes qu'on dit que la France y envoye; & ce qui me confirme dans ce fentiment, eft de voir un auflibon patriote que vous me paroilfez 1'ètre , refter, malgré 1'enyoi de ces troupes , au fervice de la puif fancc qui les donne. Mais, Monfieur, 1'indépendance de votre pays n'eft point alfurée, tant qu'aucune puilfance ne la reconnoit; & vous m'avouerez qu'il n'eft pas encourageant pour un aulfi grand travail, de 1'entreprendre fans favoir s'il peut avoir fon ufage, mème en le fup-». pofant bon. Ce n'eft point pour me refufer k vos invitations, Monfieur, que je vous fais ces objections, mais pour les foumettre a votre examen & a celui de M. Paoli. Je vous crois trop gens de bien 1'un & 1'au-  D E C O KT S E.' T75 tre, pour vouloir que mon affeclionpour votre patrie me faire confumer le peu de tems qui me refte, a des foins qui ne.feroient bons a rien. Exatrairiez donc, Meffieurs; jugez vous; mêmes & foyez furs que 1'entreprife dont vous m'avez trouvé digne, ne manquera. point par ma volonté. , Recevez, je vous priel, mes très-hunvbles falutations. R 0 USSEA U. ' P. S. En relifant votre Lettre, je veisMonfieur, qu'a la première lecture, j'ai. pris le change fur votre objet. J'ai cru. que vous demandiez un corps complet, de législation , & je vois que vous de-, mandez feulement une inftitution politi- ■ que, ce qui me fait juger que vous avez. déja un corps de loix civiles , autre que: le droit écrit, fur lequel il s'agit de calquer une forme de gouvernement quL s'y rapporte. La tache eft moins grande., fans être petite., & il n'eft pas fur qu'iïl en réfulte un tout auffi parfait; on n'em peut juger que.fur le recueil complet devos loix.  180 Gouvernement1 = ' ' » L E T T R E AU M Ê M E. Motiers, le i; OBobre 1764, Je ne fais, Monfieur, pourqnoi votre Lettre du troifieme ne m'eft parvenue que hier. Ce retard me force , pour p rotiter du courier de vous répondre a la hate , fans quoi ma Lettre n'arriveroit pas a Aix affez tót pour' vous y trouver. Je ne puis gueres efpérer d'ètre en état d'aller en Corfe. Quand je pourrois entreprendre ce voyage, ce ne feroit que dans la belle faifon"; d'ici la le tems eft précieux , il faut 1'épargner tant qu'il eft poffible, & il fera perdu jufqu'a ce que j'aye requ vos inftrudions. Je joins ici une note rapide des premières dont j'ai befoin; les vótres me feront toujours nécelfaires dans cette entreprife. II ne faut point la-deffus me parler, Monfieur, de votre infiiffifance. A juger de vous par vos Lettres, je dois plus me fier k vos yeux qu'aux miens; & a juger  DE C O R S E. ï8l par vous de votre peuple, il a tort de chercher fes guides hors de chez lui. II s'agit d'un fi grand objet que ma témérité me fait trembler; n'y joignons pas du moins 1'étourderie, j'ai 1'éfprit très-lent; 1'age & les maux le ralentiffent encore ; un gouvernement provifionnel afes inconvéniens. Quelque attention qu'on ait a ne faire que les changemens néceffaires , un établiifement tel que celui que nous cherehons, ne fe fait point fans un peu de commotion, & l'on doit tacher au moins de n'en avoir qu'une. On pourroit d'abord jetter les fondemens, puis élever plus a loifir 1'édifice; mais cela fuppofe un plan déja fait, & c'eft pour tracer ce plan mème qu'il faut le plus méditer. D'aiileurs, il elt a craindre qu'un établiifement imparfait ne faife plus fentir fes embarras que fes avantages, & que cela ne dégoüte le peuple de 1'achever. Voyons toutefois ce qui fe peut faire : les mémoires dont j'ai befoin, requs , il me faut bien fix mois pour m'inftruire , & autant au moins ipour digerer mes inftructions; de forte .que, du printems prochain en un an, je pourrois propofer mes premières idéés fur une forme provifionnelle, & au bout de trois autres. années mon plan complet  i§2 Gouvernement d'inftitution. Comme on ne doit pro^mettre que ce qui dépend de foi,. je ne' fuis pas fur de mettre en état mon travail en fi peu de tems; mais je fuis fi fiir de ne pouvoir 1'abréger, que s'il faut rapprocher un de ces deux termes, il vaut mieux que je n'entreprenne rien. ; Je luis charmé du voyage que vous faites en Corfe dans ces circonftances ; il ne peut que nous être très-utile. Si, comme ie n'en doute pas, vous vous y occupez de notre objet , vous verrez mieux ce qu'il faut me dire que je ne puis voir ce que je dois vous demander. Mais permettez-moi une curiofité que m'infpirent 1'eftime & 1'admiration. Je voudrois favoir tout ce qui regarde M. Paoli; quel age a-t-il ? eft-il marié ? a-t-il des enfans; ou a-t-il appris 1'art militaire ? comment le bonheur de fa nation 1'a-t-il mis a la tète de fes troupes ? quelles fonétions exerce-t-il dans 1'adminiftration politique & civile? Ce grand homme fe réfoudroit-il a n'ètre que citoyen dans fa patrie après en avoir été le fauveur ? Sur-tout parlez-moi fans déguifement a tous égards; la gloire, le repos, le bon-. heur de votre peuple dépendent iet plus de vous que de moi. Je vous falue, Mor*, fieur , de tout mon coeur.  DE C O R S E. l8g Mémoire joint k cette répotife. Une bonne carte de la Corfe oü les; divers diftriéts foient marqués & diftingués par leurs noms, mème s'il fe peut par des couleurs. Une exacte defcription de 1'ifle, fon hiftoire naturelle, fes productions, fa culture , fa divillon par diftrids; le nombre, la grandeur , la fituation des villes , bourgs , paroilfes , le dénombrement du peuple auffi exaét qu'il fera poffible; 1'état des forterelfes , des ports, Finduftrie , les arts, la marine; le commerce qu'on fait, celui qu'on pourroit faire, &c. Quel eft le nombre, le crédit du clergé; quelles font fes maximes, quelle eft fa conduite relativement a la patrie. Y a-t-il des maifonsanciennes, des corps privilégiés, de la nobleffe; les villes ont-elles des droits municipaux ? En font-elles fort jaloufes ? Quelles font les moeurs du peuple, fes goüts , fes occupations , fes amufemens, 1'ordre & les divifions militaires , la difcipline, la maniere de faire la guerre ? &c. L'hiftoire de la nation jufqu'a ce moment , les loix, les ftatuts; tout ce qui  Ïg4 Go üternement regarde 1'adminiftration actuelle, les inconvéniens qu'on y trouve, 1'exercice de la juftice, les revenus publics , 1'ordre économique, la maniere de pofer & de lever les taxes; ee que paye a peuprès le peuple , & ce qu'il peut payer annuellement & 1'un portant 1'autre. Ceci contient en général les inftructions nécelfaires; mais les unes veulent être détaillées; il fuffit de dire les autres fommairement. En général, tout ce qui fait le mieux connoitre le génie national ne fauroit ètre trop expliqué. Souvent un trait, un mot, une aclion dit plus que tout un livre; mais il vaut mieux trop que pas alfez. LETTRE AU M Ê M E\ Motiers-Travers, 24 Mars 176?. Je vois , Monfieur, que vous ignorea dans quel gouffre de nouveaux malheurs je me trouve englouti. Depuis votre péuultieme lettre on ne m'a pas laiffé reprendxe haleine un inftant. J'ai rec,u  DE C O R S E. Igy votre premier envoi fans pouvoir prefque y jetter les yeux. Quant a celui de Perpignan , je n'en ai pas ouï parler. Cent fois j'ai voulu vous écrire, mais 1'agitation continuelle., toutes les fouffrances du corps & de 1'efprit, 1'accablement de mes propres affaires, ne m'ont pas permis de fonger aux vötres. J'attendois un moment d'intervalle; il ne vient point, il ne yiendra point, & dans 1'inftant mème oü je vous réponds, je fuis ,. malgré mon état, dans le rifque de ne. pouvoir finir ma lettre ici. II eft inutile , Monfieur, que vous comptiez fur le travail que j'avois entrepris , il m'eüt été trop doux de m'occuper d'une fi glorieufe tache : cette confolation m'eft ótée : mon ame épuifée d'ennuis n'eft plus en état de penfer : mon cceur eft le mème encore, mais je n'ai plus de tète : ma facuité intelligente eft éteinte : je ne fuis plus capable de fuivre un objet avec quelque attention ; & d'ailleurs , que voudriez-vous que fit un malheureux fugitif qui, malgré la protection du roi de Prulfe, Souverain du pays , malgré celle de Mylord Maréchal qui en eft gouverneur, mais malheureufement trop éloignés 1'un & 1'autre, y boit les affrunts comme l'eau; &  ï86 GOUVERNEMENT ne pouvant plus vivre avec honneur dans eet afile, eft forcé d'aller errant en chercher un autre fans favoir plus oü le trouver ? Si fait pourtant, Monfieur , j'en fais un digne de moi, & dont je ne me crois pas indigne : c'eft parmi vous , braves Corfes , qui favez ètre libres, qui favez être juftes & qui fütes trop malheureux pour n'ètre pas compatilfans. Voyez , Monfieur, ce qui fe peut faire; pariezen a M. Paoli. Je demande a pouvoir louer dans quelque canton folitaire une petite maifon pour y finir mes jours en paix. J'ai ma gouvernante qui, depuis vingt ans,mefoigne dans mesinfirmités continuelles; c'eft une fille de quarantecinq ans, francoife, catholique, honnête & fage, & qui fe réfout de venir, s'il le faut, au bout de 1'univers, partager mes miferes & me fermer les yeux. Je tiendrai mon petit ménage avec elle, & je tacherai de ne point rendre les foins de 1'hofpitalité incommodes a mes voifins. Mais , Monfieur , je dois vous tout dire : il faut que cette hofpitalité foit gratuite, non quant a la fubfiftance, je ne ferai la-deffus a charge a perfonne, mais quant au droit d'afile qu'il faut qu'on m'accorde fans intérèt. Car fi-tót  BE C O R $ E. 187 que je ferai parmi vous, n'attendez rien de mói fur le projet qui vous occupe. Je le répete, je fuis déformais hors d'état d'y fonger; & quand je ne le ferois pas, je m'en abftiendrois par cela mème que je vivrois au milieu de vous; car j'eus s & j'aurai toujours pour maxime inviolable de porter le plus profond refpect au gouvernement fous lequel je vis , fans me mêler de vouloir jamais le cenfurer & critiquer, ou réformer en aucune maniere. J'ai mème ici une raifon de plus Sc pour moi d'une très-grande force. Sur le peu que j'ai parcouru de vos mémoires , je vois que mes idéés different prodigieufement de celles de votre nation» II ne feroit pas poilihle que le plan que je propoferois ne fit beaucoup de mécontens , & peut-être vous-mème tout le premier. Or, Monfieur, je fuis. ralfafié de difputes & de querelles. Je ne veux plus voir ni faire de mécontens autour de moi, a quelque prix que ce puilfe ètre. Je foupire après la tranquillité la plus profonde, & mes derniers vceux font d'ètre aimé de tout ce qui m'entoure, & de mourir en paix. Ma réfolution ladelfus eft inébranlable. D'ailleucs, mes maux continuels m'abforbent & augmenïent mon indolence. Mes propres affaires  i88 Gouvernement cxigent de mon tems plus que je n'y èn peux donner. Mon efprit ufé n'eft plus capable d'aucune autre application. Que fi peut-être la douceur d'une vie calme prolonge mes jours alfez pour me ménager des loifirs, & que vous me jugiez capable d'écrire votre hiftoire, j'entreprendrai volontiers ce travail honorable qui fatisfera mon cceur, fans trop fatiguer ma tète ^ & je ferois fort fiatté de buffer a la poftérité ce monument de mon féjour parmi vous; mais ne me demandez rien de plus. Comme je ne veux pas vous tromper , je me reprocherois d'acheter votre protection au prix d'une. vaine attente. Dans cette idee qui m'eft venue, j'ai plus confulté mon cceur que mes forces > car dans 1'état oü je fuis, il eft peu apparent que je foutieniie un fi long voyage, d'aille urs très-embarraffant, fur-tout avec ma gouvernante ,&< mon petit bagage. Cependant pour peu que vous m'encouragiez, je le tenterai,cela eft certain,dulfaije refter & périr en route; mais il me faut au moins une alfurance morale d'ètre en repos pour le refte de ma vie; car c'en eft fait, Monfieur, je ne peux plus courir. Malgré mon état critique & précaire, j'attendrai dans ce pays votre réponfe  DE C O R S E. I89 ■avant de prendre aucun parti, mais je vous prie de différer le moins que poffible ; car malgré toute ma patience, je puis n'ètre pas le maitre des événemens. Je vous embraife & vous falue, Monfieur , de tout mon cceur. P. iS. J'oubliois de vous dire, quant a vos prètres, qu'ils feront bien difficiles s'ils ne font contens de moi. Je ne difpute jamais fur rien. Je ne parle jamais de religion. J'aime naturellement mème autant votre clergé que je hais le notre. J'ai beaucoup d'amis parmi le clergé de France, & j'ai toujours très-bien vécu avec eux, mais quoi qu'il arrivé, je ne veux point changer de religion, & je fouhaite qu'on ne m'en parle jamais , d'autant plus que cela feroit inutile. Pour ne pas perdre. de tems, en cas d'affirmation , il faudroit m'indiquer quelqu'un a Livourne a qui je puife demander des inftructions poür;,lè palfage.  ï£>o Gouvernement LETTRE AU M Ê M E. Motiers, s6 Mai 176$. La crife orageufe que je viens d'efluyer^ Monfieur, & 1'incertitude du parti qu'elle me feroit prendre , m'ont fait différer de vous répondre & de vous remercier jufqu'a ce que je fulfe déterminé. Je le fuis maintenant par une fuite d'événemeus qu!'. ni'°ffrant en ce 'pays finon la tranquillité, du moins la füreté, me font prendre le parti d'y refter fous la protection déclarée & confirmée du roi & du gouvernement. Ge n'eft pas que j'aye perdu le plus vraindefir de vivre dans ïe vótre; mais 1'épuifement total de mes forces , les foins qu'il faudroit prendre, les fatigues qu'il faudroit effuyer, d'autres obftacles encore qui naiffent de ma fituation , me font du moins pour le moment abandon ner mon entreprife, a laquelle, malgré ces difficultés, moncceur nepeutfe réfoudre a renoncer tout-a-fait encore, Mais, mon cher Monfieur, je vieillis,  DE C O R S E. I9Ï je dépéris, les forces me quittent, le defir s'irrite & 1'elpoir s'éteint. Quoi qu'il en foit, recevez & faites agréer a M. Paoli mes plus vifs , mes plus tendres remerciemens de 1'atile qu'il abien.voulu m'accorder. Peuple brave & hofpitalier!.... Non, je n'oublierai jamais un moment de ma vie que vos coeurs, vos bras, vos foyers m'ont été ouverts a 1'inftant qu'il ne me reftoit prefqu'aucun autre afile en Europe. Si je n'ai point le bonheur de laiffer mes cendres dans votre ifle , je tacherai d'y lailfer du moins quelque monument de ma reconnoilfance, & je m'honorerai aux yeux de toute la terre de vous appeller mes hótes & mes protedeurs. Je requs bien par M. lechevalier R..; la lettre de M. Paoli; mais pour vous faire entendre pourquoi j'y répondis en fi peu de mots, & d'un ton fi vague, il faut vous dire , Monfieur , que le bruit de la propofition que vous m'aviez faite s'étant répandu fans que je fache comment, M. de Voltaire fit entendreatout le monde que cette propofition étoit une ïnvention de fa fagon; il prétendoit m'avoir écrit au nom des Corfes une lettre contrefaite dont j'avois été la dupe. Comme j'étois très-fur de vous, je le laiifaf  Ï92 Gouvernement dire, j'allai mon train & je ne vous en parlai pas mème. Mais il fit plus : il fe vanta 1'hiver dernier que malgré Mylord Maréchal & le Roi mème, il me feroit chatfer du pays. II avoit des émiiraires, les uns connus, les autres fecrets. Dans le fort de la fermentation a laquelle mon dernier écrit fervit de prétexte , arrivé ici M. de R ; il vient me voir de la part de M. Paoli, fans m'apporter aucune lettre ni de la fienne, ni de la vótre, ni de perfonne; il refufe de fe nommer , il venoit de Geneve, il avoit vu mes plus ardens ennemis, on me 1'écrivoit. Son long féjour en ce pays, fans y avoir aucune affaire, avoit fair du monde le plus myff jrieux. Ce féjour fut précifément le tems oü 1'orage fut excité contre moi. Ajoutez qu'il avoit fait tous fes efforts pour favoir quelles relations je pouvois avou- en Corfe. Comme il ne vous avoit point nommé , je ne voulus point vous ttommernon plus.Enfin, il m'apporte la lettre de M. Paoli dont je ne connoiifois point l'écriture ; jugez fi tout cela devoit ni'ètre .fufpecti' Qu'avois-je a faire en pareil cas '{ — lui remettre une réponfe dont, a tout événement, on nepüt tirer d'éciairciifement; c'eft ce que je fis. Je voudrois a préfent vous parler de nos  DE C O R S E. I95 nos affaires & de nos projets , mais ce n'en eft gueres le moment. Accablé de foins, d'embarras; forcé d'aller me chercher une autre habitation a cinq ou fix lieues -d'ici , les feuls foucis d'un déménagement trés - incommode m'abforberoient quand je n'en aurois point d'autres; & ce font les moindres des miens. A vue de pays, quand ma tète fe remettroit, ce que je regarde comme impoflible, de plus d'un an d'ici, il ne feroit pas en moi de ni'occuper d'autre chofe que de moi-même. Ce que je vous promets, & fur quoi vous pouvez compter dés a préfent, eft que pour le refte de ma vie, je ne ferai plus occupé que de moi ou de la Corfe : toute autre affaire eft entierement bannie de mon efprit. En attendant, ne négligez pas de ralfembler des matériaux, foit pour 1'hiftoire , foit pour 1'inftitution ; ils font les mêmes. Votre Gouvernement me paroit être fur un pied a pouvoir attendre. J'ai parmi vos papiers, un mémoire daté de Vefcovado 1764 , que je préfume ètre de votre faqon, & que je trouve excellent. L'ame & la tète du vertueux Paoli feront plus que tout le refte. Avec tout cela pouvez-vous manquer d'un bon gouvernement provifionnel ? I  194 Gouvernement Aufii bien, tant que des pimTances étrangeres , fe mëlcront de vous , ne pourrezvous gueres établir autre chofe. Je voudrois bien, Monfieur, que nous puffions nous voir : deux ou trois jours de conférence éclairciroient bien des chofes. Je ne puis gueres ètre affez tranquille cette année pour vous rien propofer; mais vous feroit-il poffible , 1'année prochaine, de vous ménagerun paffage par ce pays ? J'ai dans la tète que nous nous verrions avec plaifir, & que nous nous qmtterions contens 1'un de 1'autre. Voyez, puifque voila Phofpitalité établie entre nous, venez ufer de votre droit. Je vous embraffe. É  19 f JUGEMENT SUR LA P^JX PERP ÉTUELLE. Le projet de la paix perpétuelle étant par fon objet le plus digne d'occuper un homme de bien, fut auffi de tous ceux de 1'abbé de St. Pierre celui qu'il médita le plus long-tems & qu'il fuivit avec le plus d'opiniatreté; car on a peine a nommer autrement ce zele de milïionnaire qui ne 1'abandonna jamais fur ce point, malgré 1'évidente impoffibilité du fuccès, le ridicule qu'il fe donnoit de jour en jour, & les dégouts qu'il eut lans ceffe a effuyer: II femble que cette ame faine , uniquement attentive au bien public , mefuroit les foins qu'elle donnoit aux chofes, uniquement furie degré de leur utilité, fans jamais fe laiifer rebuter par les obftacles, ni fonger a 1'intérêt perfonnel. Si jamais véritc morale fut démontréc, ï %  196 Jugement sur il me femble que c'eft Putilité générale & particuliere de ce projet. Les avantages qui rélulteroient de fon exécution, & pour chaque prince & pour chaque peuple & pour toute PEurope, font iminenfes , clairs , inconteftables ; on ne peut rien de plus folide & de plus exadt que les raifonnemens par lefquels 1'auteur les établit : réalifez fa république Européenne durant un feul jour, c'en eft ailèz pour la faire durer éternellement, tant chacun trouveroit par Pexpérience fon profit particulier dans le bien commun. Cependant ces mèmes princes qui la défendroient de toutes leurs forces fi elle exiftoit, s'oppoferoient maintenant de mème a fon exécution, & 1'empêcheront infailliblement de s'établir, comme ils Pempêcheroient de s'éteindre. Ainfi 1'ouvrage de 1'abbé de St. Pierre fur la paix perpétuelle, paroit d'abord inutile pour la produire , & fuperflu pour la conferver; c'eft donc une vaine fpéculation , dira quelque ledeur impatient ; non , c'eft un livre folide & fenfé , & il eft trés-important qu'il exifte. Commenqons par examiner les difficultés de ceux qui ne jugent pas des raifons par la raifoii, mais feulement par 1'événement, & qui n'ont rien a obje&er  LA PAIX PERPÊTUELLE. Ï97 contre ce projet, finon qu'il n'a pas été cxécuté. En efFet, diront-ils lans doute, fi fes avantages Tont fi réels , pourquoi donc les fouverains de 1'Europe ne 1'ontils pas adopté ? Pourquoi négligent-ils leur propre intérêt, fi eet intérêt leur eft fi bien démontré ? Voit-on qu'ils rejettent d'ailleurs les moyens d'augmentet leurs revenus & leur puiflance ? Si celuici étoit auffi bon pour cela qu'on le prétend, eft-il croyable qu'ils en fuflent moins emprelfés que de tous ceux qui les égarent depuis fi long-tems, & qu'ils préféraflent mille refTources trompeufes k un profit évident 'i Sans doute, cela eft croyable; a moins qu'on ne fuppofe que leur fageffe eft égale a leur ambition, & qu'ils voyent d'autant mieux leurs avantages qu'ils les défirent plus fortement; au lieu que c'eft la grande punition des excès de 1'amourpropre de recourir toujours a des moyens qui 1'abufent, & que 1'ardeur mème des paffions eft prefque toujours ce qui les détourne de leur but. Diftinguons donc, en politique ainli qu'en morale, 1'intérêt réel de 1'intérêt apparent : le premier fe trouvéroit dans la paix perpétuelle, cela eft démontré dans le projet; le fecond fe trouve dans 1'état d'indépendance abfoI 3  198 Jugement sur lue qui fouftrait les fouverains a 1'empire de la loi pour les foumettre a celui de la fortune. Semblables a un pilote infenfé, qui, pour faire montre d'un vain favoir & commander a fes matelots, aimeroit mieux flotter entre des rochers durant la tempète que d'alfujettir fon vaiffeau par des ancres. Toute 1'occupation des rois , ou de ceux qu'ils chargent de leurs fonctions , fe rapporte a deux feuls objets, étendre leur domination au dehors & la rendre plus abfolue au dedans; toute autre vue, ou fe rapporte a 1'une de ces deux, ou ne leur fert que de prétexte; telles font celles du bien public , du bonheur des fujets , de la gloire de la nation, mots a jamais profcrits du cabinet & fi lourdement employés dans les édits publics, qu'ils n'annoncent jamais que des ordres funeftes, & que le peuple gémit d'avance, quand fes maitres lui parient de leurs foins paternels. Qu'on juge fur ces deux maximes fondamentales , comment les princes peu vent recevoir une propofition qui choque diredement 1'une, & qui n'eft gueres plus favorable a 1'autre ; car on fent bien que par la diete Européenne , le gouvernement de chaque Etat n'eft pas moins fixé  la Paix pErpétuelle. 199 que par fes limites , qu'on ne peut garautir les princes de la révolte des fujets , fans garantir en mème tems les fujets de la tyrannie des princes, & qu'autrement 1'inftitution ne fauroit fubfifter. Or, je demande s'il y a dans le monde un feut fouverain qui, borné ainfi pour jamais dans fes projets les plus chéris, fupportat fans indignation la feule idéé de fe voir forcé d'ètre jufte , non feulement ayec les étrangers, mais mème avec fes propres fujets. II eft facile encore de comprendre que d'un cöté la guerre & les conquêtes, & de 1'autre les progrès du defpotifme s'entr'aident mutuellement; qu'on prend a difcrétion dans un peuple d'efclaves, de l'argent & des hommes pour en fubjuguer d'autres ; que réciproquement la guerre fournit un prétexte aux exactions pécuniaires, & un autre non moins fpécieux d'avoir toujours de grandes armées pour tenir lé peuple en refpect. Enfin , chacun voit alfez que les princes conquérans font pour le moins autant la guerre a leurs fujets qu'a leurs ennemis, & que la condition des vainqueurs n'eft pas meilleure que celle des vaincus : J'ai battu les Romains, écrivoit Annibal aux Carthaginois; envoyez-moi des troupes p I 4  2oo Jugement sur fat mis VItalië d contribution , envoyez. moi de l'argent. Voila ce que fignifient les Te-Deum , les feux de joie, & PallégrefTe du peuple aux triomphes de fes makres. Quant aux différends entre prince & prince, peut-on efpérer de foumettre a un tribunal fupérieur des hommes qui s'ofent vanter de ne tenir leur pouvoir que de leur épée, & qui ne font men. tion de Dieu mème que paree qu'il eft au Ciel ? Les fouverains fe foumettront-ils dans leurs querelles a des voies juridiques que toute la rigueur des loix n'a jamais pu forcer les particuliers d'admettre dans les leurs ? Un limpie gentilhomme offenfé, dédaigne de porter fés plaintes au tribunal des Maréchaux de France, & vous voulez qu'un roi porte les Hennes a la diete Européenne ? Encore y a-t-il cette différence , que 1'un pêche contre les loix & expofe doublement fa vie, au lieu que Pautre n'expofe gueres que fes fujets ; qu'il ufe, en prenant les armes, d'un droit avoué de tout le genre humain, & dont il prétend n'ètre comptable qu'a Dieu feul. Un prince qui met fa caufe au hafard de la guerre, n'ignore pas qu'il court des rifques; mais il en eft moins frappé que des avantages qu'il fe promet, parca  LA ?AIX PERP^TUELLE.' 20? "qu'il craint bien moins la fortune qu'il n'efpere de fa propre fagelfe : s'il eft puiffant, il compte fur fes forces ; s'il eft fok ble, il compte fur fes alliances; quelquefois, il lui eft utile au dedans de purger de mauvaifes humeurs, d'affoiblir des fujets indociles , d'efPuyer mème des revers , & le politique habile fait tirer avantage de fes propres défaites. J'efpere qu'on fe fouviendra que ce n'eft pas moi qui raifonne ainli , mais le fophifte de cour qui préfere un grand territoire & peu de fujets pauvres & foumis, a 1'empire inébranlable que donnent au prince la juftice & les loix , fur un peuple heureux & floriifant. C'eft encore parle mème principe qu'il réfute en lui-mème 1'argument tiré de la fufpenfion du commerce, de la dépopuiation, du dérangement des finances, & des pertes réelles que caufe une vaine conquète. C'eft un calcul très-fautif que d'évaluer toujours en argent les gains ou les pertes des fouverains; le degté de puilfance qu'ils ont en vue ne fe compte point par les millions qu'on poffede. Le prince fait toujours circuler fes projets j il veut commander pour s'enrichir & s'enrichir pour commander; il facrifiera tour a tour 1'un & 1'autre pour acquerk ï 5  202 Jugement sur celui des deux qui lui manque, mais cë n'eft qu'afin de parvenir a les pofléder enfin tous les deux enfemble qu'il les pourfuit lëparément; car pour ètre le maitre des hommes & des chofes, il faut qu'il ait a la fois 1'empire & l'argent. Ajoutons , enfin , fur les grands avantages qui doivent réfulter pour le commerce, d'une paix générale & perpétuelle, qu'ils font bien en eux-mêmes certains & inconteftables, mais qu'étant communs a reus, ils ne feront réels pourperfonne , attendu que de tels avantages ne fe fentent que par leurs différences , & que pour augmenter fa puilfance relative , on ne doit chercher que des biens exclufifs. Sans celfe abufés par 1'apparence des chofes , les princes rejetteroient donc cette paix, quand ils péferoient leurs intéréts eux-mêmes; que fera-ce quand ils les feront pefer par leurs miniftres dont les intéréts font toujours oppofés a ceux du peuple & prefque toujours a ceux du prince ? Les miniftres ont befoin de la guerre pour fe rendre nécelfaires, pour jetter le prince dans des embarras dont il ne fe puilfe tirer fans eux & pour perdre 1'Etat, s'il le faut, plutót que leur place; ils en ont befoin pour vexer le peuple fous prétexte des néccffités publi-  la Paix peepéttjellë. 20$ qties; ils en ont befoin pour placer leurs: créatures ,. gagner fur les marchés , &, faire en fecret mille odieux monopoles ü ils en ont befoin pour fatisfaire leurs. paflïons, & s'expulfer mutuellement; ils; en ont befoin pour s'emparer du princeen le tiraut de la cour , quand il s'y forme contre eux des intrigues dangereufes; ils perdroient toutes ces reifources; par la paix perpétuelle , & le public ne laiffe pas de demander pourquoi, fi ce projet eft poffible, ils ne l'ont pas adopté ? 11 ne voit pas qu'il n'y a rien d'impoffible dans ce projet, finon qu'il foit adopté par eux. Que feront-ils donc pour s'y oppofer? Ce qu'ils ont toujours fait 1 ils le tourneront en ridicule. II ne faut pas non plus croire avec; 1'abbé de St. Pierre, que mème avec lat bonne volonté que les princes ni leurs; miniftres n'auront jamais, il fut aifé de; trouver un moment favorable a 1'exécution de ce fyftème. Car il faudroit pour cela que la fomme des intéréts particuliers ne Pemportat pas fur 1'intérêt commun , & que chacun crüt voir dans le bien de tous le plus grand bien qu'il peut efpérer pour lui-mème. Or; ceci demande un concours de fageife dans tant de? tëtes & un concours de rapports dans 1 6.  204 Jugement sur: tant d'intérèts, qu'on ne doit gueres efperer du hafard 1'accord fortuit de toutes les cireonftances néceffaires; cependanfc fi eet accord n'a pas lieu, il n'y a„que la force qui puilfe y fuppléer, & alors il n'eft plus queftion de perfuader , mais de contraindre , & il ne faut pas écrir© des livres, mais lever des troupes. Ainfi-j quoique le projet fut très-fage, les moyens de 1'exécuter fe fentoient de la fimplicité de 1'auteur. II s'imaginoit bonnement qu'il ne falloit qu'affembler un congres , y propofer fes articles , qu'on les alloit figner , & que tout feroit fait. Convenons que dans tous les projets de eet honnète homme, il voyoit alfez bien 1'effet des chofes quand elles feroient etablies, mais il jugeoit comme un enfant des moyens de les établir. Je ne voudrois, pour prouver que le projet de la république chrétienne n'eft pas chimérique, que nommer fon premier auteur : car affurément Henri IV n'étoitpasfou,niSullyvifionnaire. L'abbé de St. Pierre s'autorifoit de ces grands noms pour renouveller leur fyftème. Mais, quelle différence dansle tems, dans les cireonftances, dans la propofition , dans la maniere de la faire & dans fon auteur ! Pour en juger, jettons uncoup  la Paix perpétuelle. 20"? d'oeil fur la fituation générale des chofes au moment choifi par Henri IV, pour 1'exécution de fon projet. La grandeur de Charles - Quint, qui régnoit fur une partie du monde & faifoit trembler 1'autre, 1'avoit fait afpirer a la monarchie univerfelle avec de grands moyens de fuccès & de grands talens pour les employer ; fon fils plus riche & moins puiffant, fuivant fans relache un projet qu'il n'étoit pas capable d'exécuter , ne laiffa pas de donner a 1'Europe des inquiétudes continuelles, & la maifon d'Autriche avoit pris un tel afcendant fur les autres puilfances, que nul prince ne régnoit en füreté, s'il n'étoit bien avec elle. Philippe III. moins habile encore que fon pere, hérita de toutes fes prétentions. L'effroi de la puilfance Efpagnole tenoit encore 1'Europe en refpect, & PEfpagne continuoit a dominer plutöt par 1'habitude de commander que par le pouvoir de fe faire obéir. En effet, la révolte des Pays-Bas , les armemens contre 1'Ahgleterre, les guerres civiles de France avoient épuifé les forces d'Efpagne & les tréfors des Indes : la maifon d'Autriche partagée en deux branches, n'agillbit plus avec lemême concert; & quoique 1'empereur s'eiforqat de maintenir ou recou-  so6 Jugement sur vrer en Allemagne 1'autorité de CharlesQuint, il ne faifoit qu'aliéner les princes & fomenter des ligues qui ne tarderent pas d'éclorre & faillirent k le détróner. Ainli fe préparoit de loin la décadence de la maifon d'Autriche & le rétabliffement de la liberté commune. Cependant nul n'ofoit le premier halarder de fécouer le joug, & s'expofer feul a la guerre; 1'exemple d'Henri IV mème, qui s'en étoit tiré li mal, ötoit le courage a tous les autres. D'ailleurs, li l'on excepte le duc de Savoye , trop foible & trop fubjugué pour rien entreprendre, il n'y avoit pas parmi tant de fouverains un feul homme de tète en état de former & foutenir une entreprife ; chacun attendoit du tems & des cireonftances le moment de brifer fes fers. Voila quel étoit en gros 1'état des chofes , quand Henri forma le plan de la république chrétienne & fe prépara a 1'exécuter. Projet bien grand, bien admirable en lui-même, & dont je ne veux pas ternirl'honneur, mais qui ayant pour raifon fecrette 1'efpoir d'abaiffer un ennemi redoutable , recevoit de ce prclfant motif une activité qu'il eüt difficilement tirée de la feule utilité commune. Voyons maintenant quels moyens ce grand homme avoit employés a préparejr  la Paix perpetuelle. 207 mie fi haute entreprife. Je compterois volontiers pour le premier i'en avoir bien vu toutes les difficultés; de telle forte qu'ayant formé ce projet dès fon enfance, il le médita toute fa vie, & réferva 1'exécution pour fa vieillelfe ; conduite qui prouve premierement ce defir ardent & foutenu qui, feul dans les chofes difficiles , peut vaincre les grands obftacles, & de plus , cette fageffe patiënte & refléchie qui s'applanit les routes de longue main a force de prévoyance & de préparation : car il y a bien de la différence entre les entreprifes nécelfaires dans lefquelles ;la prudence mème veut qu'on donne quelque chofe au hafard, & celles que le fuccès feul peut juffifier, paree qu'ayant pu fe paffer de les faire, on n'a dü les tenter qu'a coup für. Le profond fecret qu'il garda toute fa vie jufqu'au moment de Pexécution , étoit encore auffi elfentiel que difficile dans une fi grande affaire oü le concours de tant de gens étoit néceffaire, & que tant de gens avoient intérêt de traverfer. II paroit que quoiqu'il eut mis la plus grande partie de 1'Europe dans fon parti & qu'il fut ligué avec les plus puiflants potentats, il n'eut jamais qu'un feul confident qui connüt toute 1'étenduc de fon plan &  20g Jugement sur par un bonheur que le ciel n'accorda qu'au meilleur des Rois, ce confident fut un miniftre intégre. Mais fans que rien tranfpirat de ces grands delfeins , tour marchoit en filence vers leur exécution. Deux fois Sully étoit allé a Londres; la partie étoit liée avec le roi Jaques, & le roi de Suede étoit engagé de fon cóté : la ligue étoit conclue avec les protettans d'Allemagne, on étoit mème fur des princes d'Italie , & tous concouroient au grand but fans pouvoir dire quel il étoit, comme les ouvriers qui travaillent féparémentaux pieces d'une nouvelle machine dont ils ignorent la forme & 1'ufage. Qu'eft-ce donc qui favorifoit ce mouvement général ? étoit-ce la paix perpétuelle que nul ne prévoyoit & dont peu fe feroient fouciés ? étoit-ce 1'intérêt public qui n'eft jamais celui de perfonne ? L'abbé de St. Pierre eüt pu 1'efpérer. Mais réellement chacun ne travailloit que dans la vue de fon intérêt particulier, qu'Henri avoit eu le fecret de leur montrer a tous fous une face trèsattrayante. Le roi d'Angleterre avoit a fe délivrer des continuelles confpirations des catholiques de fon royaume, toutes fomentées par 1'Efpagne. II trouvoit de plus un grand avantage a 1'affranchiffe.  la Paix perpétuelle. 209 ment des Provinces-Unies qui lui coutoient beaucoup a foutenir & le mettoient chaque jour a la veille d'une guerre qu'il redoutoit, ou a laquelle il aimoit mieux contribuer une fois avec tous les autres, afin de s'en délivrer pour toujours. Le roi de Suede vouloit s'affurer de la Poméranie & mettre un pied dans 1'AUemagne. L'électeur Palatin, alors proteftant & chef de la confeffion d'Augsbourg, avoit des vues fur la Bohème & entroit dans toutes celles du roi d'Angleterre. Les princes d'Allemagne avoient a réprimer les ufurpations de la maifon d'Autriche. Le Duc de Savoye obtenoit Milan & la couronne de Lombardie qu'il défiroit avec ardeur. Le pape mème fatigué de la tyrarmie Efpagnole , étoit de la partie au moyen du royaume de Naples qu'on lui avoit promis. Les Hollandois mieux payés que tous les autres gagnoient 1'alfurance de leur liberté. Enfin , outre 1'intérêt commun d'abailfer une puilfance orgueilleufe qui vouloit dominer par-tout, chacun en avoit un particulier, très-vif, très-fenfible, & qui n'étoit point balancé par la crainte de fubftituer un tyran a 1'autre , puifqu'il étoit convenu que les conquêtes feroient partagées entre tous les alliés, exceptó  aio Jugement sur Ja France & PAngleterre qui ne pouvoient rien garder pour elles. C'en étoit affez pour calmer les plus inquiets fur 1'ambition d'Henri IV : mais ce fage prince n'ignoroit pas qu'en ne fe réfervant rien par ce traité, il y gagnoit pourtant plus qu'aucun autre; car fans rien ajouter a fon patrimoine, il lui fuffifoit de divifer celui du feul plus puiffant que lui, pour devenir le plus puiffant lui-mème- & l'on voit très-clairement qu'en prenant toutes les précautions qui pouvoient alfurer le fuccès de 1'entreprife, il ne négligeoit pas celles qui devoient lui donner la primauté dans le corps qu'il vouloit inftituer. De plus- fes apprèts ne fe bornoient point a former au dehors des ligues redoutables, ni a contracter alhance avec fes voifins & ceux de fon ennemi. En intéreffant tant de peuples a rabaiilément du premier Potentat de 1'Europe , il n'oublioit pas de fe mettre en état par luimème de le devenir a fon tour. II cmploya quinze ans de paix a faire despréparatifs dignes de 1'entreprife qu'il méditoit. 11 remplit d'argent fes coffres , fes arfenaux d'artillerie, d'armes, de munitions; il ménagea de loin des relfources pour les befoins imprévus; mais il fit  la Paix perpétuelle. sn plus que tout cela fans doute, en gouvernant fagement fes peuples, en déracinant infenfiblernent toutes les femences de divifions, & en mettant un fi bon ordre a fes finances qu'elles pulfent fournir a tout fans fouler fes fujets; de forte que tranquille au dedans & redoutable au dehors , il fe vit en état d'armer & d'entretenir foixante mille hommes & vingt vailfeaux de guerre, de quitter fon royaume fans y buffer la moindre fource de défordre, & de faire la guerre durant fix ans fans toucher a fes revenus ordinaires, ni mettre un fou de nouvelles impofitions. A tant de préparatifs, ajoutez pour la conduite de 1'entreprife, le mème zele & la mème prudence qui Pavoient formée tant de la part de fon miniftre que de la fienne. Enfin, a la tète des expéditions nr'litaires un capitaine tel que lui, tandis que fon adverfaire n'en avoit plus a lui oppofer, & vous jugerez fi rien de ce qui peut annoncer un heureux fuccès manquoit a Pefpoir du fien. Sans avoir pénétré fes vues, 1'Europe attentive a fes immenfes préparatifs en attendoit 1'effet avec une forte de frayeur. Un léger prétexte alloit commencer cette grande révolution, une guerre qui devoit  212 Jugement sur être la derniere, préparoit une paix in£ mortelle, quand un événement dont Phorrible myftere doit augmenter 1'efFroi vint bannir a jamais le dernier efpoir du monde. Le mème coup qui trancha les jours de ce bon roi replongea 1'Europe dans d'éternelles guerres qu'elle ne doit plus efpérer de voir finir. Quoiqu'il en foit, voila les moyens qu'Henri TV avoit raffemblés pour former le mème établiffement que 1'abbé de St. Pierre prétendoit faire avec un livre. Qu'on ne dife donc point que fi fon fyftème n'a pas été adopté, c'eft qu'il n'étoit pas bon ; qu'on dife au contraire qu'il étoit trop bon pour être adopté ; car le mal & les abus dont tant de gens profitent s'introduifent d'eux-mêmes; maisce qui eft utile au public ne s'inrroduit gueres^ que par la force, attendu que les intéréts particuliers y font prefque toujours oppofés. Sans doute la paix perpétuelle eft a préfent un projet bien abfurdej mais qu'on nous rende un Henri IV & un Sully , la paix perpétuelle redeviendra un projet raifonnable; ou plutöt admirons un fi beau plan , mais confolons-nous de ne pas le voir exécuter; car cela ne peut fe faire que par des moyens  la Paix perpétuelle. öij vïolens & redoutables a 1'humanité. On ne voit point de ligues fédératives s'établir autrement que par des révolutions; & fur ce principe, qui de nous oferoit dire fi cette ligue Européenne eft a défirer ou a craindre ? Elle feroit peut-être plus de mal tout d'un coup qu'elle n'en préviendroit pour des fiecles.  \ 3*4 POLI STNODIE DE L' A B B É DE SAINT-PIERRE. CHAPITRE PREMIER. Néceffïté dans la Monarchie d'une forme de Gouvernement fubordonuée au prince. Si les princes regardoicnt les fonccions du Gouvernement comme des devoirs indifpenfables , les plus capables s'en trouveroient les plus furchargés; leurs travaux comparés a leurs forces leur paroitroient toujours excefïïfs- & on les verr-oit auffi ardens a reflerrer leurs Etats ou leurs droits, qu'ils font avides d'étendre lesuns & les autres; & le poids de la couronne éc:aferoit bientöt la plus forte tète qui voudroit férieufement la porter. Mais loin d'envifager leur pouvoir par ce qu'il a de pénible & d'obligatoire, ils n'y  l'Abbé de St. Pierre. 21 <; Voyent que le plaifir de commander - & comme le peuple n'eft a leurs yeux que 1'inftrument de leurs fantaifies , plus ils ont de fantaifies a contenter, plus le befoin d'ufurper augmente; & plus ils font bornés & petits d'entendement, plus ils veulent être grands & puiffans en autorité. Cependant le plus abfolu defpotifme exige encore un travail pour fe foutenir: quelques maximes qu'il établiffe a fon avantage, il faut toujours qu'il les couvre d'un leurre d'utilité publique; qu'employant la force des peuples contr'euxmèmes, il les empêché de la réunir contre lui; qu'il étouffe continuellement la voix de la nature , & le cri de la liberté toujours prêt a fortir de Pextrème oppreffion. Enfin , quand le peuple ne feroit qu'un vil troupeau fans raifon, encore faudroit-il des foins pour le conduire, & le prince qui ne fonge point a rendre heureux fes fujets, n'oublie pas, au moins, s'il n'eft infenfé, de conferver fon patrimoine. Qu'a-t-il donc k faire pour concilier 1'indolence avec 1'ambition, la puilfance avec les plaifirs, & 1'empire des Dieux avec la vie animale? Choifir pour foi les yains honneurs, 1'oifiveté, & remettre a d'autres les fondions pénibles du  2I<5 POLYSVNODIË DE gouvernement, en fe refervant tout au plus de chaifer ou changer ceux qui s'en acquittent trop mal ou trop bien. Par cette méthode, le dernier des hommes tiendra pailiblement & commodément le fceptre de 1'univers ; plongé dans d'infipides voluptés , il promenera s'il veut-, de fète en fète, fon ignorance & fon cnnui. Cependant, on le traitera de conquérant, d'invincible, de roi des rois, d'empereur Augufte, de monarque du monde & de majefté facrée. Oublié fur le tröne , nul aux yeux de fes voifins , & mêmea ceux de fes fujets, encenféde tous fans être obéi de perfonne ; foible inftrument de la tyrannie des courtifans & de 1'efclavage du peuple, on lui dira qu'il regne & il croira régner. Voila le tableau général du gouvernement de toute monarchie trop étendue. Qui veut foutenir le monde & n'a pas les épaules d'Hercule, doit s'attendre d'ètre écrafé. Le fouverain d'un grand empire n'eft gueres au fond que le miniftre de fes miniftres, ou le repréfentant de ceux qui gouvernent fous lui. Ils font obéis en fon nom, & quand il croit leur faire exécuter fa volonté, c'eft lui qui, fans le favoir , exécute la 'leur. Cela ne fauroit être autrement, car comme il ne peut voir  t'ABBi de St. Pierre. 217 voir que par leurs yeux, il faut néceffairement qu'il les laifTe agir par fes mains. Forcé d'abandonner a d'autres ce qu'on appelle le détail ( * ), & que j'appellerois , moi „ 1'effentiel du gouvernement , il fe réferve les grandes affaires, le verbiage des ambaffadeurs, les tracaiferies de fes favoris, & tout au plus le choix de fes maïtres, car il en faut avoir malgré foi, fi-töt qu'on a tant d'efclavcs. Que lui importe, au refte, une bonne ou une mauvaife adminiftration ? Comment fon bonheur feroit-il troublé par la milëre du peuple, qu'il ne peut voir; par fes plaintes qu'il ne peut entendre, & par les défordres publics dont il ne faura ia- (*) Ce qui importe aux citoyens, c'eft d'ètre gouvernés jüftement & paifiblement. Au furplus, que 1'Etat foit grand , puilTant & floriffant, c'eft 1'affaire particuliere du prince , & les fujets n'y ont aucun intérêt. Le monarque'doit donc premierement s'occuper du detail en quoi confifte la liberté civile , la furete du peuple, & même la fienne a bien des egards._ Après cela, s'il lui refte du tems a perdre^, il peut le donner ï toutes ces grandes affaires qui n'intérelTent perfonne , qui ne naiflent: jamais que des vices du gouvernement , qui par conféquent ne font rien pour un peuple heureux , & font peu de chofe pour un roi fage, K  2l8 POLYSYNODIE DE mais rien ? II en eft de la gloire des princes comme des tréfors de eet infenfé, propriétaire en idee de tous les vaüfeaux qui arrivoient au port; 1'opinion de jouir de tout 1'empèchoit de rien défirer, & il n'étoit pas moins heureux des richeffes qu'il n'avoit point, que s'il les eüt poffédées. Que feroit de mieux le plus jufte prince avec les meilleures intentions, li-tót qu'il entreprend un travail que la nature a mis au deffus de fes forces 'i II eft homroe & fe charge des fondlions d'un Dieu, comment peut-il efpérer de les remplir? Le fage , s'il en peut être fur le tróne, renonce a 1'empire ou le partage ; il confulte fes forces; il mefure fur elles les ibnclions qu'il veut remplir , & pour être un roi vraiment grand, il ne fe charge point d'un grand royaume. Mais ce que feroit le fage a peu de rapport a ce que feront les Princes. Ce qu'ils feront toujours, cherchons au moins comment ils psuvent le faire le moins mal qu'il foit -. polfible. Avant que d'entrer en matiere , il eft bon d'obferver que fi par miracle quelque grande ame peut fuffire a la pénible charge de la foyauté, 1'ordre héréditaire établi dans les fucceffions, & 1'extrava-  ïAAbbe be St. Pierre. 219 gante éducation des héritiers du tröne fourniront toujours cent imbécilles pour un vrai roi; qu'il y aura des minorités, des maladies, des tems de délire & de pallion qui ne laifleront fouvent a la tète de 1'Etat qu'un fimulacre de prince. II faut cependant que les affaires fe farfent. Chez tous les peuples q ii ont un roi, il eft donc abfolument nécedaire d'établir une forme de gouvernement qui fe puilfe paffer du roi, & dès qu'il eft pofé qu'un fouverain peut rarement gouverner par lui-mème, il ne s'agit plus que de favoir comment il peut gouverner par autrui; c'eft a réfoudre cecte queftion qu'eft deftiné le difcours fur la Polyfynodie. CHAPITRE II. Trois formes fpécifiques de Gouvernmtent fubordonné. XJn monarque, dit Pabbéde St. Pierre, peut n'écouter qu'un feul homme dans toutes fes affaires, & lui confier toute fon autorité , comme autrefois les rois de Franee la donnoient aux maires du li 2,  2iO PöLYSYNODIE DE palais, & comme les princes orientaux la confient encore aujourd'hui a celui qu'on nomme grand vifir en Turquie. Pour abréger, j'appellerai vifir at cette forte-de miniftere. Ce monarque peut auffi partager fon autorité entre deux ou plufieurs hommes qu'il écoute chacun féparément fur la forte d'arfaire qui leur eft commife , a peu prés comme faifoit Louis XIV avec Colbert & Louvois. C'eft cette forme que je nommerai dans la fuite demi-vifirat. Enfin, ce monarque peut faire difcuter dans des affemblées les affaires du gouvernement, & former a eet effet autant de confeils qu'il y a de genres d'affaires a traiter. Cette forme de miniftere que 1'abbé de St. Pierre appelle pluralité des confeils ou Polyfynodie, eft a peu prés, felon lui, Geile que le régent, duc d'Orléans, avoit établie fous fon adminiftration, & ce qui lui donne un plus grand poids encore, c'étoit auffi celie qu'avoit adoptée 1'éleve du vertueux Fenelon. Pour choifir entre ces trois formes & juger de celle qui mérite la préférence, il ne fuffit pas de les confidérer en gros & par la première face qu'elles préfentent i il ne faut pas, non plus oppofer  • - l'Abbé de St. Piekke. zxt les abus de 1'une a la perfection de PaBv tre , ni s'arrêter feulement a eèrtains» momens paflagers de défordre ou d'éclat, mais les fuppofer toutes auffi parfaites qu'elles peuvent 1'être dans leur durée, & chercher en eet état leurs rapports & leurs différences. Voila de quelle maniere on peut en faire un parallele exaét. i ===g=g L— G H A P I T R E III. Rapport de ces formes a celles du Gouvernement fuprême.- Les maximes élémentaires de la politique peuvent déja trouver ici leur application. Car le vilirat, le demi-vifirat, & la polyfynodie fe rapportent manifeltrment dans 1'économie du gouvernement' fubalterne aux trois formes fpécifiques du gouvernement fuprême,- & pliffieurs des principes qui conviennent a 1'adminiftration fouveraine peuvent aifément s'appliquer au minitfere. Ainli le vilirat doit avoir généralement plus de vigueur ik decélérité , le demi vilirat plus d'exactitude & de foiri, & la polyfynodie plus de juftice & de conftance. II eft für enK 3  122 PfJLYSYNODIE DE core, que comme la démocratie tend na-. turellement a 1'ariftocratie, & 1'ariftocratie a la monarchie ; de mème la polyfynodie tend au demi-vifirat, & le demivifirat au vilirat. Ce progrés de la force publique vers le relachement qui oblige de reuforcer les refforts, fe retarde ou i'accélere a proportion que toutes les partjes de 1'Etat font bien ou mal conftituées; & comme on ne parvient au defpotifme & au vilirat que quand tous les autres refforts font ufés, c'eft a mon avis un projet mal concu de prétendre abandonner cette forme pour en prendre une des précédentes; car nulle autre ne peut plus fuffire a tout un peuple qui a pu fupporter celle-la. Mais, fans vouloir quitter 1'une pour 1'autre , il eft cependant utile de connoitre celles des trois qui vaut le mieux. Nous venons de voir que, par une analogie alfez naturelle, la polylynodie mérite déja la préférence , il refte a rechercher fi Pexamen deschofes mêmes pourra la lui confirmer; mais avant que d'entrer dans eet examen , commenqons par une idéé plus précife de la forme que, felon notre auteur, doit avoir la polyfynodie.  l'Abbé" de St. Pierre. 2,2$ CIIAPITRE 'i V. Partage £f? département des Confeils. Le gouvernement d'un grand Etat telque Ia France, renferme en foi huit objets principaux , qui doivent former autant de départemens, & par conféquent avoir chacun leur confeil particulier. Ces huit parties font : la juftice , la police, les finances , le commerce , la marine, la guerre, les affaires étrangeres, & celles de la religion. II doit y avoir encore un neuvieme confeil qui, formant la liaifonde tous les autres, uniffe toutes les parties du gouvernement, oü les grandes affaires traitées & difcutées en dernier: relfort n'attendent plus que de la volonte du prince leur entiere décifion, & qui v penfant & travaillant au befoin pour lui, lupplée a fon défaut, lorfque les maladies, la minorité, la vieilleffe ou l'averfion du travail empèchent le roi de faire fes fonclions : ainfi ce confeil général doit être toujours fur pied ou pour la néceflité préfente ou par précaution pour le befoin a venir. K4  224 POLYSYNODIE DE CPÏAPITRE V. Maniere de les compofer. f\ 1'égard de la maniere de compofer ces confeils, la plus avantageufe qu'on y puiiïe employer paroit être la méthode du fcrutin ; car par toute autre voieil eft évident que la fynodie ne fera qu'appa-. rente, que les confeils n'étant remplis que des créatures des favoris, il n'y aura point de liberté réelle dans les fuffrages, & qu'on n'aura fous d'autres noms qu'un véritablc vilirat ou demi-vifirat. Je ne m'étendrai point ici fur la méthode & les avantages du fcrutin; comme il fait un des points capitaux du fyftème de gouvernement de 1'abbé de St. Pierre , j'en traite ail'eurs plus au long. Je me contenterai de remarquer que quelque forme de minillere qu'on admette, il n'y a point d'autre méthode par laquelle on puilfe ètre alfuré de donner toujours la préférence au plus vrai mérite; raifon quj montre plutöt Pavantage que la faci, bté de faire adopter le fcrutin dans les cours des rois.  i/Abb^ de St. PieereT %if ^ Cette première précaution en fuppofe d'autres qui la rendent utile 5 car , il le feroit peu de choifir au fcrutin entre des fujets qu'on ne connoitroitpas, & l'on ne ^fauroit connoitre la capacité de ceux qu'on n'a point vu travailler dans le gen» re auquel on les deftine. Si donc il faut des grades dans le militaire, depuis Penfeigne jufqu'au maréchal de France ,' pour former les jeunes officiers & les; rendre capables des fonclions qu'ils doivent remplir un jour; n'eft-il pas plus,important encore d'établir des grades. femblables dans 1'adminiftration civile * depuis les'commis jufqu'aux préfidens. des confeils ï Faut-il moins de tems & d'expérience pour apprendre a conduire un peuple que pour commander une armée 'i Les conuoilfances de 1'homme: d'Etat font-elles plus faciles a acquerir que celles de 1'homme de guerre , ou le; bon ordre eft-il moins nécelfaire dans; Péconomie politique que dans la difcipline militaire ? Les grades fcrupuleufè-ment obfervés ont été. Pécole de tant de grands hommes qu'a produits la république de Venife, & pourquoi ne coinmenceroit-on pas d'auffi loin a Paris pour fervir le prince qu'a Venife pour fervk 1'Etat ? K f  11& PoLYSYNODIE DE Je n'ignore pas que Pintérêt des vifirs s'oppofe a cette nouvelle police : je fais bien qu'ils ne veulent point être aflujettisa des formes qui gênent leur defpotifme, qu'ils ne veulent employer que des créatures qui leur foient entierement dévouées, & qu'ils puilfent d'un mot replonger dans la poufliere d'oü ils les tirent. Un homme de naiüance, de fon cóté , qui n'a pour cette foule de valets que le mépris qu'ils méritent, dédaigne d'entrer en concurrence avec eux dans la mème carrière , & le gouvernement, de 1'Etat eft toujours prêt a devenir la. proie du rebut de fes citoyens. Auffi n'eft-, ce point fous ce vilirat, mais fous la feule polylynodie qu'on peut efpérer d'établir dans Fadminiftratjon civile des grades honnëtes qui ne fuppofent pas la baffeffe , mais le mérite , & qui puiffent rapprocher la nobleffe des affaires dont on. affecfe de 1'éloigner, & qu'elle affecle de méprifer a fon tour.  l'Abbé de St; Fïerke. sz-t CHAPITRE VL Circidation des Départemens» établiifement des grades srènfiiifc la néceffité de faire circuler les départcmens entre les membres de chaque confeil & mème d'un confeil a 1'autre , afins que chaque membre éclairé fucceffivemeut fur toutes les parties du gouvernement , devienne un jour capable d'opiner dans le confeil général & de partici.. per a la grande adminiftratiom. Cette vue de faire circuler les dêpartemens eft due au régent qui 1'établitn dans le confeil des finances, & fi 1'autorité d'un homme qui connoiflbit fi bien les refforts du gouvernement ne fuffit pas pour la faire adopter, on ne peute difconvenir au moins des avantages fenfibles qui naitroient de cette méthode. Sans doute , il peut y avoir des cas on-. cette circulation paroitroit peu utile ou difficile a établir dans la polyfynodie :• mais elle n'y eft jamais impofiible, & jamais praticable dans le vifirat, ni dans le demi-vifirat: or, il eft important-par  228 POLYSYNOBIE DE beaucoup de très-fortes raifons, d'établir une forme d'adminiftration oü cette circulation puilfe avoir lieu. i°. Premierement, pour prévenir les malverfations descommis qui, changeant de bureaux avec leurs maitres, n'auront pas le tems de s'arranger pour leurs friponneries auffi commodément qu'ils le font aujourd'hui: ajoutez qu'étant, pour ainli dire , a la difcrétion de leurs fuccelfeurs , ils feront plus réfervés, en changeant de département, a laiifer les affaires de celui qu'ils quittent dans un état qui pourroit les perdre , fi par hafard leur fuccelfeur fe trouvoit honnète homme ou leur ennemi. 2°. En fecond lieu ,, pour obliger les confeiilers mèmes a mieux veiller fur leur conduite ou fur celle de leurs commis , de peur d'ètre taxés de négligence & de pis encore , quand leur geftion changera d'objet fans celle, & chaque fois fera connue de leur fuccelfeur. 30. Pour exciter entre les membres d'un mème corps une émulation louable a qui paffera fon prédéceffeur dans le mème travail. 40. Pour corriger par ces fréquens changemens les abus que les erreurs, les préjugés & les paffions de chaque fujet auront introduits dans fon adminiftration -? car parnn  l'Abbé1 de St. Pierre." 229tant de caraéteres différens qui régiront fucceflivement la mème partie , leurs fautes fe corrigeront mutuellement , & tout ira plus conftamment a 1'objet commun. f°. Pour donner a chaque mem. bre d'un confeil des connoiffances plus nettes & plus étendues des affaires & de leurs divers rapports ; enforte qu'ayant manié les autres parties , il voie diftinctement ce que la fienne eft au tout, qu'il ne fe croye pas toujours le plus important perfonnage de 1'Etat, & ne nuife pas au bien général pour mieux faire celui de fon département. 6°. Pour que tous les avis foient mieux portés en connoilfance de caufe, que chacun entende toutes les matieres fur lefquelles il doit opiner, & qu'une plus grande uniformité de lumieres mette plus de concorde & de liaifon dansles délibérations communes. 70. Pour exercer 1'efprit & les talens des miniftres : car r portés a fe repofer & s'apoefantir fur un mème travail , ils ne s'en font enfin qu'une routine qui refferre & circonfcrit, pour ainfi, dire, le génie par Phabitude. Or, 1'attention eft a 1'efprit ce que 1'exercice eft au corps ; c'eft elle qui. lui donne de la vigueur, de 1'adrelfe, & qui le rend propre a fupporter le travail: ainli l'on peut  2}G> POLYSYNOBIE DE dire que chaque confeiller d'Etat, en revenant après quelques années de circulation a 1'exercice de fon premier département , s'en trouvera réellement plus capable que s'il n'en eüt point du tout ehangé. Je ne nie pas que s'il fut demeuré dans le- mème, il n'eüt acquis plus de facilité a expédier les affaires qui en dépendent; mais je dis qu'elles euffent été moins bien faites , paree qu'il eüt eu des. vues plus bornées , & qu'il n'eut pas acquis une connoiffance auffi exade des rapports qu'ont ces affaires avec celles des autres départemens : de forte qu'il ne perd d'un cóté dans la circulation que pour gagner d'un autre beaucoup davantage.^ 8°. Enfin , pour ménager plus d'égalité dans le pouvoir, plus d'indépendance entre les confeillers d'Etat; & pa* conféquent plus de liberté dans les fuffrages. Autrement dans un confeil nombreux en apparence, on n'auroit réellement que deux ou trois opinans auxquels tous les autres feroient affujettis, a peu prés comme ceux qu'on appelloit autrefois a Rome Senator-es pedarii , qui pour 1'ordinaire, regardoient moins a 1'avis qu'a 1'auteur : inconvénient d'autant plus dangereux, que ce n'eft jamais en  i'Abbe de St. Pierre. afi faveur du meilleur parti qu'on a befoin de gêner les voix. On pourroit pouffer encore plus loin cette circulation des départemens , en 1'étendant jufqu'a la préfidence mème ; car s'il étoit de 1'avantage de la république Romaine, que les confuls redevinffent au bout de 1'an fimples fénateurs en attendant un nouveau confulat, pourquoi ne feroit-il pas de 1'avantage du royaume , que les préfidens redevinffent après deux ou trois ans fimples confeillers, en attendant une nouvelle préfi, dence ? Ne feroit-ce pas, pour ainfi dire 3 propofer un prix tous les trois ans a ceux de la compagnie qui, durant eet intervalle fe diftingueroient dans leur corps ? Ne feroit-ce pas un nouveau reffort très-propre a entretenir dans une continuelle aclivité le mouvement de la machine publique ; & le vrai fecret d'animer le travail commun n'eft-il pas d'y proportionner toujours le falaire 't  2f% polysynodie db CHAPITRE VIL Autres avantages de cette circulation. Je n'entrerai point dans le détail des avantages de la circulation portée a ce dernier degré. Chacun doit voir que les déplacemens devenus néceflaires par la décrépitude ou 1'affoibliifement des préfidens, fe feront ainfi fans durétc & fans efforts; que les ex-préfidens des confeils particuliers auront encore un objet d'élévation , & les membres de ce confeil celui d'y pouvoir préfideca leur tour; que cette alternative de fuhordination & d'autorité rendra 1'une & 1'autre en même tems plus parfaite & plus douce; que cette circulation de la préfidence eft le plus für moyen d'empècher la polyfynodie de pouvoir dégénérer en vilirat; & qu'en général la circulation répartijfant avec plus d'égalité les lumieres & le pouvoir du miniftere entre plufieurs membres, 1'autorité royale dominc plus aifément fur chacun d'eux : tout cela doit fauter aux yeux d'un ledeur intelligent; & s'il  l'Abbè de St. Pierre. 2,33, falloit tout dire , il ne faudroit rien abrcger. g ======—=8 CHAPITRE VIII. .Qwe la Polyfynodie eft Vadminiftration en fous-ordre la plus naturelle. Je m'arrête ici par la mème raifon fur la forme de la polyfynodie , après avoir établi les principes généraux fur lefquels on la doit ordonner pour la rendre utile & durable. S'il s'y préfente d'abord quelque embarras , c'eft qu'il eft toujours difficile de maintenir long-tems enfemble deux gouvernemens auffi différens dans leurs maximes que le monarchique & le républicain , quoi qu'au fond cette union produiflt pcut-être un tout parfait, & le chef-d'oeuvre de la politique. II faut donc bien diffinguer la forme apparente qui regne par-tout, de la forme réelle dont il eft ici queüion : car on peut dire en un fens que la polyfynodie eft la première Sc la plus naturelle de toutes les adminiftrations en fous-ordre, mème dans la monarchie.  2J4 POLYSYNODIE BE En effet, comme les premières loix nationales fbrent faites paria nation aflcmblée en corps, de mème les premières délibérations du prince furent faites avec les principaux de la nation aflemblés en confeil. Le prince a des confeillers avant que d'avoir des vifirs; il trouve les uns & fait les autres. L'ordre leplus élevc de 1'Etat en forme naturellement le fynode ou confeil général. Quand le monarque eft élu, il n'a qu'a prélider & tout eft fait: mais quand il faut choifir un miniftre ou des favoris, on commence a introduire une forme arbitraire oii la brigue & 1'inclination naturelle ont bien plus de part que la raifoh ni la voix du peuple. 11 n'eft pas moins fimple que dans autant d'afFaires de difFérentes natures qu'en ofFre le gouvernement, le parlement national fè divife en divers comités toujours fous la préfidence du roi, qui leur afligne a chacun les matieres fur lefquelles ils doivent déliberer;& voila les confeils particuliers nés du confeil général, dont ils font les membres naturels, & la fynodie changée en polyfynodie; forme que je ne dis pas ètre , en eet état, la meilleure, raaiS bien Ja première & la plus naturelle.  i'Abbé be Sx. Pierre. 23 f CHAPITRE IX. Et la plus utile. ConsibÉrons maintenant la droite; fin du gouvernement & les obftacles qui: 3'en éloignent. Cette fin eft fans contredit le plus grand intérêt de 1'Etat & du roi >. ces obftacles font, outre le défaut de lumieres, 1'intérêt particulier des adminiftrateursj d'ou il fuit que, plus ces intéréts particuliers trouvent de gêne & d'oppofition, moins ilsbalancent 1'intérêt ptiblic ; de forte que s'ils pouvoient fe heurter & fe détruire mutuellement , quelque vifs qu'on les fuppofat, ils deviendroient nuls dans la délibération , & 1'intérèt public feroit feul écouté. Quel moyen plus fur peut-on donc avoir d'anéantir tous ces intéréts particuliers, que de les oppofer entr'eux par la multiplication des opinions. Ce qui fait les intéréts particuliers, c'eft qu'ils ne s'accordent point, car s'ils s'accordoient, ce ne feroit plus un intérêt particulier , mais commun. Or, en détruifant tous ces intéréts 1'un par 1'autre, refte 1'intérêt public  2-3.6 POLYSYNODIE DE qui doit gagner dans la délibération tout ce que perdent les intéréts particuliers. Quand un vifir opine fans témoins devant' fon maitre, qu'eft-ce qui géne alors fon intérêt perfonnel '< A-t-il befoin de beaucoup d'adrelfe pour en impofer a un homme auifi borné que doivent 1'ètre ordinairement les rois, circonfcrits par tout ce qui les environne dans un petit cercle de lumieres ? Sur des expofés falfifiés, fur des prétextes fpécieux, fur des raifonnemensfophiltiques, qui 1'empèche de déterminer le prince avec ces grands mots tVhonneur de la couronne & de bien de VEtat aux entreprilés les plus funeftes , quand elles lui font perfonnellement avantageufes ? Certes, c'eft grand hafard fi deux intéréts particuliers auifi adifs que celui du vifir & celui du prince ,- lailfe quelque influence a 1'intérêt public dans les déhbérations du cabinet. je fais bien que les confeillers de 1'Etat feront des hommes comme les vifirs , je ne doute pas qu'ils n'ayent fouvent, ainfi qu'eux, des intéréts particuliers oppofés a ceux de la nation & qu'ils ne préféraffent volontiers les premiers aux autres en opinant. Mais dans une affemblée dont tous les membres font clairvoyans & n'ont pas les mêmes intéréts, chacun entrepren-  l'Abbé de St. Pierre; 237 droit vainement d'amener les autres a ce •qui lui convient exclufivement: fans perfuader perfonne, il ne feroit que fe rendre fufpect de corruption & d'iufidélité. II aura beau vouloir manquer a fon devoir , il n'ofera le tenter ou le tentera vainement au milieu de tant d'obfervateurs. II fera donc de néceflité vertu , en facrifiant publiquement fon intérêt particulier au bien de la patrie; & foit réalité , foit hypocrifie, l'effet fera le mème en cette occafion pour le bien de la fociété. C'eft qu'alors un intérêt particulier très-fort, qui eft celui de fa réputation, concourt avec 1'intérêt public. Au lieu qu'un vifir qui fait, a la faveur des ténebres du cabinet, dérober a tous les yeux le fecret de 1'Etat, fe flatte toujours qu'on ne pourra diftinguer ce qu'il fait en apparence pour 1'intérèt public de ce qu'il fait réellement pour le fien , & comme , après tout, ce vifir ne dépend que de fon maitre qu'il trompe aifément, il s'embarralfe fort peu des murmures de tout le refte.  2jS polysynodie de CHAPITRE X. Autres avantages. De ce premier avantage on en voit de» couler une foule d'autres qui ne peuvent avoir lieu fans lui. Premierement , les réfolutions de 1'Etat feront moins fouvent fondées fur des erreurs de fait, paree qu'il ne fera pas auffi aifé a ceux qui feront le rapport des faits de les déguifer devant une allèmblée éclairée, oü fe trouveront prefque toujours d'autres témoins de 1'afFaire , que devant un prince qui n'a rien vü que par les veux de fon vifir. Or, il eft certain que la plupart des réfolutions d'Etat dépendent de la connoiffance des faits, & l'on peut dire mème en général qu'on ne prend gueres d'opinions faulfes qu'en fuppofant vrais des faits qui font faux ou faux des faits qui font vrais. En fecond lieu, Jcs impóts feront portés a un excès moins infupportable , lorfque le prince pourra être éclairé fur la véritable fituation de fes peuples & fur fes véritables befoins : mais ces lumieres, neles trouvera-t-il pas  l'Abbé de St. Pierre. 23$ plus aifément dans un confeil dont plufieurs membres n'auront aucun maniement de finances, ni aucun ménagement a garder, que dans un vifir qui veut fomenter les paflions de fon maitre, ménager les fripons en faveur , enrichir fes créatures & faire fa main pour lui-mème. On voit encore que les femmes auront moins de pouvoir, & que par conféquent 1'Etat en ira mieux. Car il eft plus aifé a une femme intrigante de placer un vifir que cinquante confeillers, & de féduire un homme que tout un college. On croit que les affaires ne feront plus fufpendues ou bouleverfées par le déplacement d'un vifir ; qu'elles feront plus exaétement expédiées quand, liées par une commune délibération , 1'exécution fera, cependant, partagée entre plufieurs confeillers , qui auront chacun leur département, que lorfqu'il faut que tout forte d'un mème bureau; que les fyftèmes politiques feront mieux fuivis, & les régiemens beaucoup mieux obfervés quand il n'y aura plus de révolution dans le miniftere , & que chaque vifir ne fe fera plus un point d'honneur de détruire tous les établiffetaiens utiles de celui qui 1'aura précédé; de forte qu'on fera fur qu'un projet une fois formé ne  24O PoLYSYNODIE DE fera plus abandonné , que lorfque 1'exccution en aura été reconnue impoflible ou mauvaife. A toutes ces conféquences, ajoutez-en deux non moins certaines , mais plus importantes encore, qui n'en font que le dernier réfultat & doivent leur donner un prix que rien ne balance aux yeux du vrai citoyen. La première, que dans un travail commun , le mérite , les talens, 1'intégrité fe feront plus aifément connoitre & récompenfer; foit dans les membres des confeils qui feront fans celfe fous les yeux les uns des autres & de tout 1'Etat, foit dans le royaume entier oü nulles actions remarquables , nuls hommes dignes d'ètre diffingués ne peuvent fe dérober long-tems auxregards d'une alfemblée qui veut & peut tout voir, & oüla jaloufie & 1'émulation des membres les porteront fouvent a fe faire des créatures qui erFacent en mérite celle de leurs rivaux • la feconde & derniere conféquence eft que les honneurs & les emplois diltribués avec plus d'équité & de raifon , 1'intérêt de 1'Etat & du prince mieux écouté dans les délibérations, les affaires mieux expédiées & le mérite plus honoré doivent nécellairement réveiller dans le cceur du peuple eet  l'Abbé de St. Pierre. 241 eet amour de la patrie qui] eft le plus puiffant reffort d'un fage gouvernement & qui ne s'éteint iamais chez les citoyens que par la faute des chefs. (*) Tels font les effets néceffaires d'une forme de gouvernement qui force 1'intérêt particulier a céder a 1'intérêt général. La Polyfynodie offre encore d'autres avantages qui donnent un nouveau prix a ceux-la. Des affemblées nombreufes & eclairées fourniront plus de lumieres fur les expédiens, & 1'expérience confirme que les délibérations d'un fénat font en général plus fages Sc mieux digérées quecelles d'un vifir. Les rois feront plus inftruits de leurs affaires; ils ne fauroient aflifter aux confeils fans s'en inftruire, car c'eft la qu'on ofe dire la vérité, & les membres de chaque confeil auront le plus grand intérêt que le Prince y affifte aifidument, pour en foutenir le pouvoir ou pour en autorifer les réfolutions. II yaura moins de vexations & d'injuftices de la part des plus forts, car un confeil fera plus acceflible que le tröne aux op- _ ( *) II y a plus de rufe & de fecret dans le vilirat, mais il y a plus de lumieres & de droitare dans la fynodie. L  242 POLYSYNODIE DE primes; ils courront moins de rifque ay* pbrter leurs plaintes , & ils y trouveront toujours dans quelques membres plus de protecteurs contre les violences des autres , que fous le vifirat contre un feul homme qui peut tout, ou contre un demi-vifir d'accord avec fes collegues pour faire renvoyer a chacun d'eux le jugement des plaintes qu'on fait contre lui. L'Etat fouffrira moins de la minorité, de Ia foibleffe ou de la caducité du Prince. II n'y aura jamais de miniftre alfez puiffant pour fe rendre , s'il eft de grande nailfance, redoutable a fon maitre mème , ou pour écarter & mécontenter les grands s'il eft né de bas lieu; par conféquent, il y aura d'un cöté moins de levainsde guerresciviles, & de 1'autre plus de fureté pour la confervation des droits de la maifon royale. II y aura moins auffi de guerres étrangeres, paree qu'il y aura moins de gens intérelfes a les fufciter & qu'ils auront moins de pouvoir pour en venir a bout. Enfin, le tröne en fera mieux affermi de toutes manieres; la volonté du Prince qui n'eft ou ne doit être que la volonté publique, mieux exécutée, & par conféquent la nation plus heureufe. Au refte, moa Auteur convient lui-  l'Abbé de St. Pierre. 243 mème que l'exécution de fon plan ne feroit pas également avantageufè en tous tems, & qu'il y a des momens de crife & de trouble oü il faut fubltituer aux confeils permanens des commilfions extraordinaires, & que quand les fiuances, par exemple, font dans un certain dc!or~ dre, il faut nécelfairement les donner ;'i débrouiller a un feul homme, cómme flenri IV fit a Rofni, & Louis XIV a Colbert. Ce qui lignifieroit que les confeils ne font bóns pour faire aller les affaires , que quand elles vont toutes feules; en effet, pour ne rien dire de la Polyfynodie mème du régent, l'on fait les rifées qu'excita dans des circonflances épineufes ce ridicule confeil de raifon étourdirnent demandé par les notables de 1'aflemblée de Rouen, & adroitement accordé par Henri IV. Mais comme les finances des républiques fout en général mieux adminiffrées que celles des monarchies ; il eft a croire qu'elles le feront mieux, ou du moins plus fidelement par un confeil que par un miniftre ■ & que fi, peutècre un confeil eft d'abord moins capable de Padivité néceffaire pour les tirer d'un état de défordre, il eft auffi moins fujet a la négligence ou a 1'infidélité qui les y font tomber ; ce qui ne doit pas s'enL 2  *2,\\ POLYSYNODIE DE tendre d'une alfemblée paffagere & fubordonnée, mais d'une véritable Polyfynodie ou les confeils aient réellement le pouvoir qu'ils paroilfent avoir, oü Padminiftration des affaires ne leur foit pas ciilevée par des demi-vifirs, & oü fous ics noms fpécieux de confeil ff Etat ou de confeil des Finances, ces corps ne foient pas feulement des tribunaux de juftice ou des chambres des comptes. C H A P I T R E XI. Couchifion. C^UOIQUE les avantages de la Polyfynodie ne foient pas fans inconvéniens , & que les inconvéniens des autres formes d'adminiltration ne foyent pas fans avantages, du moins apparens, quiconque fera fans partialité le parallele des nns & des autres, trouvera que la Polyfynodie n'a point d'inconvéniens efléntiels qu'un bon gouvernement ne puilfe aifément fupporter • au lieu que tous ceux du vilirat & du demi-vifirat attaquent les fondemens mème de la conftitution ; qu'une adminiftration non interrompue  1'Abbé" de St. Pierré. z\<; peut fe perfeétionner fans celfe; progrès impoffibles dans les imervalles & révolutions du vilirat; que ia marche égale & unie d'une Polyfynodie comparée avec quelques momen.s brillans du vifirat, eft un fophifme groüier qui n'en fauroit irfl» poler au vrai politique, paree que ce font deux chofes fort dilférentes que 1'adminiftration rare & paifagere d'un bon vifir, & la forme générale du vifirat oü l'on a toujours des fiecles de défordre fur quelques années de bonne conduite; que la diligence & le fecret, les feuls vrais avantages du vifirat, beaucoup plus nécelfaires dans les mauvais gouvernement que dans les bons, font de foibles fupplémens au bon ordre, a la juftice & a la prévoyance , qui préviennent les maux au lieu de lesréparer ; qu'on peut encore fe procurer ces fupplémens au befoin dans la Polyfynodie par des commiffions ex traordinaires, fans que le vifirat ait jamais pareille reifource pour les avantages dont il eft privé; que mème 1'exemplc de Panden fénat de Rome & de celui de Venife, prouve que des commiffions ne font pas toujours néceffaires dans un confeil pour expédier les plus importantes affaires promptement & fecrettement; que le vilirat & le demi-vifirat avïUflant, L 3  £4^ F'GLYSYNÖDIE DE.&C. corrompant, degradant les ordres inférieurs , cxigeroient pourtaut des hommes parfaits dans ce premier rang; qu'on n'y peut gueres monter ou s'y maintenir qu'a force de crimes, ni s'y bien coraporter qu'a force de vertüs; qu'ainfi toujours en obftacle a lui-mème, le gouvernement engcndre continuellement les vices qui le dépravent, & confumant 1'Etat pour fe renforcer , périt enfin comme un édifice qu'on voudroit élever fans celfe avec des matériaux tirés de fes fondemens. C'eft ici la conlidération la plus importante aux yeux de 1'homme d'Etat, & celle a laquelle je vais m'arrètcr. La meilleure forme de gouvernement, ou du moins la plus durable , eft celle qui fait les hommes tels qu'elle a befoin qu'ils foyent. Lailfons les leéteurs réfléchir fur eet axiome, ils en feront aifément 1'application.  247 W Vf W" W' Vt^'W 'W'W JUGEMENT SUR LA POLYSFNODIE. 13e tous les ouvrages de 1'abbé de St. Pierre , le difcours fur la Polyfynodie ,. eft a mon avis le plus approfondi, le mieux raifonné, celui oü 1'ou trouve le moins de répétitions, & mème le mieux écrit; éloge dont le fage Auteur fe feroit fort peu foucié , mais qui n'eft pas indifférent aux lecfteurs fuperficiels. Auffi eet écrit n'étoit-il qu'une ébauche qu'il prétendoit n'avoir pas eu le tems d'abréger „ mais qu'en effet il n'avoit pas eu le tems; de gater pour voulpir tout dire; & Diets garde un lecteur impatient des abrégés; de fa faqon! 11 a fu mème éviter dans ce difcours; le reproche fi commode aux iguorans; qui ne favent mefurer lè poffible que fur 1'exiftant , ou aux méchans qui ne trouvent bon que ce qui fert a leur rnéchanceté, lorfqu'on montre aux uns &. L 4  04§ Jugement sur r aux autres que ce qui eft pourroit ètre mieux. 11 a , dis-je , évité cette grande prife que la fottife routinée a prefque toujours fur les nouvelles vues de laraif>n , avec ces mots tranchans de projets eu Pair & de rêveries : car quand il écrivoit en faveur de la Polyfynodie , il la trouvoit établie dans fon pays. Toujours paifi'ole & fenfé, il fe plaifoit a montrer a fes compatriotes les avantages du gouvernement auquel ils étoient foumis; il en faifoit une comparaifon raifbnnable & difcrete avec celui dont ils venoient .d'éprouver la rigueur. 11 louoit le fyftème du prince régnant; il en déduifoic les avantages; il montroit ceux qu'on y pouvoit ajouter, & les additions mème qu'il demandoit, confiftoient moins , felon lui, dans des changemens a faire , que dans 1'art de perfectionner ce qui étoit fait. Une partie de ces vues lui étoient venues fous le regnc de Louis XIV; mais il avoit eu la fagelfe de les tairc, jufqu'a ce que l'intérët de 1'Etat, celui du Gouvernement & le fien lui permiflént de,les publier. II fautconvenir cependant que fous un mème nom , il y avoit une extréme différence entre la Polyfynodie qui exiftoit, & celle que propofoit 1'abbé de St. Pier-  LA POLYSYNODIE. 249 re; & pour peu qu'on y réfléchilTe, on trouvera que Padminiftration qu'il citoit en exemple, lui fervoit bien plus do prétexte que de modele pour celle qu'il avoit imaginée. II tournoit mème avec alfez d'adreffe en objections contre fon propre fyftème les défhuts a relever dans celui du régent, & fous le nom de répoufes a fes objections , il montroit fans danger & ces défauts & leurs remedes. IL n'eft pas impofiible que le régent, qnoique fouvent loné dans eet écrit par des. tours qui ne manquent pas d'adrelfe, ait:. pénétré la finelfe de cette critique, & qu'il ait abandonné 1'abbé de St. Pierre par piqué autant que par foiblelfe, plus offenfé peut-être des défauts qu'on trouvoit. dans fon ouvrage, que flatté des avantages qu'on y faifoit remarquer. Peut-ètreauffi lui fut-il mauvais gré d'avoir en quelque maniere dévoilé fes vues fecrettes, en montrant que fon établiifement n'étoit rien moins que ce qu'il devoit etter. pour devenir avantageux a 1'Etat, & prendre une afliette fixe & durabfe. En effet, on voit clairement que c'étoit la. forme de Polyfynodie établie fous la régence que PAbbé de St. Pierre. accufoit de pouvoir trop aifément dégénérer ert demi-vifirat & mème en vifirat ■ d'ètre; L )"  afo Jugement sur Jufceptible auffi bien que Vun & 1'autre," de corruption dans fes membres & de concert entr'eux contre Pintérèt public; de n'avoir jamais d'autre fureté pour fa durée que la volonté du monarque régn.anrj enfin dé n'ètre propre que pour les princes laborieux, & d'ètre , par conséquent, plus fouvent contraire que favorable au bon ordre & a 1'expédition des >ifaires. C'étoit 1'efpoir de remédier a ces divers inconvéniens qui Pengageoit a propofer une autre Polyfynodie entie-. rement différente de celle qu'il feignoii de ne vouloir que perfectionncr. ^ 11 ne faut donc pas que la conformité; ues noms laife confondre fon projet avec cette ridicule Polyfynodie dont il vouloit autorifer Ja fienne ; mais qu'on : ppelioit dès-lors par déïifion les foixante & dix miniftres, & qui fut réformée au bout de quelques mois fans avoir rien iiiit qu'achever de tout gater : car la maniere dont cette adminiftration avoit été établie fait affez voir qu'on ne s'étoit pas beaucoup foucié qu'elle aliat mieux, & qu'on avoit bien plus fongé a rendre le parlement mépnfable au peuple, qu'a donner réellement a fes membres 1'autorité qu'on feignoit de leur confier. C'étoit ön piege aux pouvoirs intermédiaire^  E A PöETSYNO' D TE. Sf B femblable a celui que leur avoit déja'. tendu HénrilV, a Paflemblée de Rouen;. piege dans lequel la vanité les fera toujours donner & qui les humiliera toujours. L'ordre politique & 1'ordre civii ont dans les monarchies des principes fl: difFérens & des regies fi contraires qu'il; eft prefque impofiible d'allier les deux: adminiftrations, & qu'en- général lesmembres des tribunaux font peu propres; pour ks confeils; foit que 1'habitude deaa formahtés nuife a 1'expédition des affai-res qui n'en veulent point, foit qu'il jr ait une incompatibilité naturelle- entre; ce qu'on appelle maximes d'Etat & fa» juftice & les loix. Au refte, laufant les faits a part, jer: croirois, quant a moi, que le prince &: le philofophe pouvoient avoir tous deux; raifon fans s'accorder dans leur fyftème car, autre chofe eft 1'adminiftration paffagere & fouvent orageufe d?unerégence & autre chofe une forme de-gouvernement durable & conftante qui doit faire partie de la conftitution de 1'Etat. C'eft: ici, ce me femble , qu'on retrouve ledéfaut ordinaire a 1'abbé de St. Pierre qui eft de n'appliquer jamais alfez biem fes vues, aux hommes, aux tems, auxv circonftances, & d'oJfrir toujours comr L 6.  *fi Jugement sur' me des facilités pour Pexécution d'un projet, des avantages qui lui fervent fouvent d'obftacles. Dans le plan dont il s'agit, il vouloit modifier un gouvernement que fa longue durée a rendu déclinant, par des moyens tout-a-fait étrangers a fa conftitution préfente : il vouloit lui rendre cette vigueur univerfelle qui met, pour ainfi dire , toute laperfonne en action. C'étoit, eomme s'il eüt dit a un vieillard décrepit & goutteux; marchez , travaillez; fervez-vous de vos bras & de vos jambes; car 1'exercice eft bon a la fanté. En effet, ce n'eft rien moins qu'une révolution dont il eft queftion dans la Polyfynodie , & il ne faut pas croire paree qu'on voit acf uellement des confeils dans les cours des princes, & que ce font des confeils qu'on propofe , qu'il y ait peu de différence d'un fyftème a Pautre. La différence eft telle qu'il faudroit commencer par détruire tout ce qui exifte pour donner au gouvernement la forme imaginée par 1'Abbé de St. Pierre; & mjl n'ignoi e combien eft dangereux dans un grand Etat, le moment d'anarchie & de crife qui précéde néceifairement un établiifement nouveau. La feule introduction du fcrutin devoit faire un renver-  LA POLYSYNODIE. Zf f fement épouvantable, & donner plutót un mouvement convullif' & continuel a chaque partie qu'une nouvelle vigueur au corps. Qu'on juge du danger d'émouvoir une fois les malies énormes qui compofent la monarchie franqoife ! qui pourra retenir 1'ébranlement donné, ou prévoir tous les efforts qu'il peut produire ? Quand tous les avantages du nouveau plan feroient inconteftables, quel homme de fens oferoit entreprendre d'abolir les vieilles coutumes , de changerles vieilles maximes & de donner une autre forme a 1'Etat que celle oü Pa fucceffivementamené une durée de treize cents ans ? Que le gouvernement actuel foit encore celui d'autrefois, ou que durant tant de fiecles il ait changé de nature infenüblement , il eft également imprudent d'y toucher. Si c'eft le même, il faut le refpeder; s'il a dégénéré, c'eft par la force du tems & des chofes, &c la fagelfe humaine n'y peut rien. II ne fuffic pas de confidérer les moyens qu'on veut employer, fi Pon ne regarde encore les hommes dont on fe veut fervir : or, quand toute une nation ne fait plus s'occuper que de niaiferies , quelle attention peut-elle donner aux grandes chofes, &c dans un pays oü la muüque eft devenue  2'5"4 Jugement sur une affaire d'Etat, que feront les affairesd'Etat, finon des chanfons ? Quand on voit tout Paris en fermentation pour une place de baladin ou de bel efprit, & les affaires de 1'académie ou de 1'opéra faire oublier 1'intérêt du prince & la gloire de Ja nation; que doit-on efpérer des affaires publiques rapprocliées d'un tel peuple & tranfportées de la cour a la ville ! Quelle confiance peut-on avoir au fcrutin des confeils, quand on voit celui d'une academie au pouvoir des femmes! Serontelles moins emprelfées a placer des miniftres que desfavans, ou fe connoitrontelles mieux en politique qu'en éloquence? II eft bien a craindre que de tels établif femens dans un pays oü les moeurs font en dérifiöfl ,. ne fe filfent pas tranquillenient , ne fe maintinffent gueres fans troubles, & ne donnaffent pas les meilleurs fujets. D'ailleurs, fans entrer dans cette vieille queftion de la vénalité des charges qu'on ne peut agiter que chez des gens mieux pourvus d'argent que' de mérite , imagine-t-on quelque moyen praticable d'aboJir en France cette vénalité '< ou penferoit-on qu'elle put fublifter dans une partie du gouvernement & le fcrutin dans fautre; 1'une dans les tribunaux, 1'autre  EA POLYSYNODIE. 2ff dans les confeils, & que les feules places qui reftent a la faveur feroient abandonnées aux éledions ? II faudroit avoir des vues bien courtes & bien faulfes pour vouloir allier des chofes fi dilfemblables, & fonder un mème fyftème fur des principes fi. différens. Mais laiffons ces applications, & confidérons la. chofe en ellemème. Quelles font les cireonftances dans lefquelles^ une monarchie héréditaire peut fans révolutions ètre tempérée par des tormes qui la rapprochent de 1'ariftocratie ? Les corps intermédiaires entre le prince & le peuple, peuvent-ils, doiventils avoir une jurifdidion indépendante L'un de 1'autre; ou s'ils font précaires & dépendans du prince, peuvent-ils jamais entrer comme parties intégrantes dans, la conftitution de 1'Etat, & mème avoir une influence réelle dans les affaires '< Qiieftions préliminaires qu'd falloit difcuter & qui ne femblent pas faciles a réfoudre: car , s'il eft vrai que la pente naturelle eft toujours vers la corruption & par conféquent vers le defpotifme, il eft difficile de voir par quelles relfources de politique, le prince, mème quand il le voudroit, pourroit donner a cette pente une diredion contraire qui ne put être chan-  2>é Jugement sur gée par fes fuccelfeurs, ni par leurs miniftres. L'abbé de St. Pierre ne prétendoit pas , a la vérité , que la nouvelle forme ótat rien a 1'autorité royale : car il donne aux confeils la délibération des matieres & laiflè au roi feul la décifion: ces différens confeils, dit-il, fans empêcher le roi de faire tout ce qu'il voudra, le prélerveront fouvent de vouleir des chofes nuifibles a fi gloire & a fon bonheur ■ ils porteront devant lui le flambeau de la vérité pour lui montrer le meilleur chemin & le garantir des pieges. Mais eet homme éclairé pouvoit-ilfe payer luimème de fi mauvaifes raifons ? Efpéroitil que les yeux des rois puffent voir les objets a travers les luuettes des fages ? Ne fentoit-il pas qu'il falloit néceffairement que la délibération des confeils devint bientót un vain formulaire ou que 1'autorité royale en fut altérée , & n'avouoit-il pas lui-mème que c'étoit introduire un gouvernement mixte , ou la forme républicaine s'allioit a la monarchique? En efFct, des corps nombreux dont le choix ne dépendroit pas entierement du prince, & qui n'auroient par eux-mèmes aucun pouvoir, deviendroient bientót un fardeau inutile a 1'Etat; fans mieux faire aller les affaires, ils ne ft>  LA POLYSYNODIE 2 57 roient qu'en retarder 1'expédition par de longues formalités, & , pour me fervir de fes propres termes , ne feroient que des confeils de parade. Les favoris du prince, qui le font rarement du public, & qui, par conféquent , auroient peu d'influence dans des confeils formes au fcrutin , décideroient feuls toutes les affaires - le prince n'affifteroit jamais aux confeils, fans avoir déja pris fon parti fur tout ce qu'on y devroit agiter, ou n'en fortiroit jamais fans confiilter de nouveau dans fon cabinet, avec fes favoris , fur les réfolutions qu'on y auroit prifes; enfin , il faudroit nécetfairement que les confeils devinflent meprifables , ridicules & tout-a-fait inutiles , ou que les rois perdiffent de leur pouvoir: alternative a laquelle ceux-ci ne s'expoferont certainement pas , quand mème il en devroit réfulter le plus grand bien de 1'Etat Sc le leur. Voila , ce me femble , a-peu-près les cótés par lefquels 1'abbé de St. Pierre eüt dü confidérer le fond de fon fyftème pour en bien établir les principes ; mais il s'amufe, au lieu de cela, a réfoudre cinquante mauvaifes objections qui ne valoient pas la peine d'ètre examinées, ou, qui pis eft, a faire lui-mème de mauvai-  2 f8 Jugement sur fes réponfes quand les bonnes fe prefentent naturellcment, comme s'il cherchoit a prendre plutöt le tour d'efprit de fes oppofans pour les ramener a la raifon , que le langage de la raifon pour convain« ere les fages. Par exemple, après s'ètre objecté que dans la Polyfynodie chacun des confeillers a fon plan général; que cette diverfité produit néceffairement des décifions qui fe contredifent, & des embarras dans Je mouvement total; il répond a cela qu'il ne peut y avoir d'autre plan général que de chercher a perfectionner les réglcmcns qui roulent fur toutes les parties du gouvernement. Le meilleur plan général n'eft-ce pas, dit-il, celui qui va le plusdroitau plus grand bien de 1'Etat dans chaque affaire particuliere? D'oü il tire cette conclufion très-faulfe que les divers plans généraux, ni par conféquent les régiemens & les affaires qui s'y rapportent, ne peuvent jamais fe croifer ou fe ïiuire mutuellement. En elfet, le plus grand bien de 1'Etat n'eft pas toujours une chofe fi claire, ni qui dépende autant qu'on le croiroit du plus grand bien de chaque partie; comme fi les mèmes affaires ne pouvoient pas avoir entr'elles une infinité d'ordres di-  LA POLYSYNODIE 2$J| vers & de liaifons plus ou moins fortes qui forment autant de difFérences dans les, plans généraux. Ces plans bien digerés font touionrs doublés, & renferment ^ans un fyftème comparé la formeaduelle de 1'Etat & fa forme perfeclionnée felon les vues de 1'auteur. Or, cette perfection dans un tout auffi compofé que le corps politique , ne dépend pas feulement de celle de chaque partie , comme pour ordonner un palais, il ne fuffit pas d'en bien difpofer chaque piece , mais il faut de plus confidérer les rapports du tout, les liaifons les plus convenables , 1'ord rete plus commode, la plus facile comm-unication, le plus parfait enfemble , & la fymétrie la plus réguliere. Ces objets généraux font fi importans, que 1'habile Architecle facrifie au mieux du tout mille avantages particuliers qu'il auroit pu conferver dans une ordonnance moins parfaite & moins fimple. De mème, ie politique ne regarde en particulier ni les finances , ni la guerre, ni le commerce; mais il rapporte toutes ces parties a un objet commun ; & des proportions qui leur conviennent le mieux , réfultent les plans généraux dont les dimenfions peuvent varier de mille manieres , felon les idéés & les vues de ceux qui les ont for-  26® Jugement sur més , foit en cherchant la plus grande perfection du tout, foit en cherchant la plus facile exécution, fans qu'il foit aifé quelquefois de démèler celui de ces plans qui mérite la préférence. Or, c'eft de ce$ plans qu'on peut dire que li chaque confeil & chaque confeiller a le fien , il n'y aura que contradidions dans les affaires & qu'emburras dans lc mouvement commun : mais le plan général au lieu d'ètre celui d'un homme ou d'un autre , ne doit être & n'eft en effet dans la polyfynodie que celui du gouvernement , & c'eft a ce grand modele que lè rapportent néceffairemcnt les délibérations communes de chaque confeil, & le travail particulier de chaque membre. 11 eft certain mème qu'un pareil pian fe médite 8c lè conferve mieux dans le dépót d'un confeil que dans la tète d'un mimftre 8c mème d'un prince; car chaque vifir a fon pian qui n'eft jamais celui de fon devancier , & chaque demi-vifir auffi le fien qui n'eft ni celui de fon devancier , ni celui de fon collegue : auffi voit-on généralement les républiques changer moins de fyftèmes que les monarchies. D'oü je conclus avec 1'abbé de St. Pierre , mais par d'autres raifons, que la polyfynodie eft plus favorable que le vilirat & le de-  LA PoLYSYNODIE 2Sl mi-vifirat a 1'unité du plan général. A Pégard de la forme particuliere de fa polyfynodie & des détails dans lefquels il entre pour ladéterminer, tout cela eft très-bien vü & fort bon féparément pour prévenir les inconvéniens auxquels chaque chofe doit remédier : mais quand on en viendroit a 1'exécution , je ne fais s'il régneroit alfez d'harmonie dans le tout enfemble; car il paroit que l'établilfement des grades s'accorde mal avec celui de la circulation , & le fcrutin plus 'mal encore avec 1'un & 1'autre; d'ailleurs, fi 1'établiifement eft dangereux a faire, fl efta craindre que, mème après 1'établiffement fait, ces différens refforts ne caufent mille embarras & mille dérangemens dans le jeu de la machine, quand ils'agira de la faire marcher. La circulation de la préfidence en particulier , feroit un excellent moyen pour empècher la polyfynodie de dégénérer bientót en vifirat , fi cette circulation pouvoit durer, & qu'elle ne fut pas arrètée par la volonté du prince, en faveur du^ premier des prélidens qui aura 1'art toujours recherché de lui plaire. C'eft-adire que la polyfynodie durera jufqu'a ce que le roi trouve un vifir a fon gré; mais fous le vifirat mème on n'a pas u*  i8z Jugement sur vifir plutót que cela. Foible rernede, que celui dont la vertu s'éteint a Fapproche du mal qu'il devroit guérir ! N'elt-ce pas encore un mauvais expediënt de nous donner la nécelfité d'obtenir les fuffrages une feconde fois comme un frein pour empêcher les préfidens d'abufer de leur crédit la première ? Ne fera-t-il pas plus court & plus fur d'en abufer au point de it'avoir plus que faire de fuffrages, & notre auteur lui-mème , n'accorde-t-il pas au prince le droit de prolonger au befoin les préfidens a fa' Volonté , c'eft-a-dire d'en fiiire de véritables vifirs? Comment n'a-t-il pas apperCU mille fois dans le cours de fa vie & de fes écrits, combien c'elt une vaind occupation de rechercher des formes durables pour un état de chofes qui dépend toujours de la volonté d'un feul homme? Ces difficultés n'ont pas cchappé a 1'abbé de St. Pierre , mais peut-ëtre lui convenoit-fi mieux de les diilimuler que de les réfoudrc. Quand il parle de ces contradiélions & qu'il feint de les concilies , c'eft par des moyens fi abfurdes & des raifons fi peu raifonnables qu'on voit bien qu'il eft embarralfé, ou qu'il ne procédé pas de bonne foi. Seroit-il croyable qu'il eüt mis en avant fi hors de pro-  LA POLYSYNODIE é£j pos, & compte parmi ces moyens l'amouf de la patrie, le bien public , le defir de la vraie gloire , & d'autres chimères évanouies depuis long-tems, ou dont il ne refte plus de traces que dans quelques petites républiques? Penferoit-il férieufement que rien de tout cela put réellement influer dans la forme d'un gouvernement monarchique; & après avoir cité les Grecs , les Romains , & mème quelques modernes qui avoient des ames anciennes , n'avoue-t-il pas lui-mème qu'il feroit ridicule de fonder la conftitution de 1'Etat fur des maximes éteintes ? Que fait-il donc pour fuppléer a ces moyens écrangersdont il reconnoitl'infuffifance? II leve une difficulté par une autre, établit un fyftème fur un fyftème, & fonde fa polyfynodie fur fa république Européenne. Cette république, dit-il, étant garante de 1'exécution des capitulations impériales pour 1'Allemagne; des capitulations parlementaires pour 1'Angleterre; des pa&a conventa pour la Pologne; ne pourroit-elle pas Vètre auffi des capitulations royales fignées au (acre des rois pour la forme du gouvernement, lorfque cette forme feroit paffee en loi fondamentale? & après tout, garantir les rois de tomber dans la tyrannie des Nérons ,  So4 Jugement sux n'eft-ce pas les garantir eux & leur poftcrité de leur ruine totale'{ On peut, dit il encore, faire palfer le reglement de la polyfynodie en forme de loi fondamentale dans les Etats généraux du royaume, la faire jurer au lacre des rois, & lui donner ainli la mème autorité qu'a la loi falique. La plume tombe des mains , quand on voit un homme fenfé propofer lédeufetuent de femblables expédiens. Ne quittons point cette matiere fans jetter un coup-d'ceil général fur les trois formes>de miniftere comparées dans eet ouvrage. Le vifirat eft la derniere reifource d'un Etat défaillant; c'eft un palliatif quelquefois néceffaire qui peut lui rendre pour un tems une certaine vigueur apparente : mais il y a dans cette forme d'adminiftration une multiplication de forces tout-a-fait fuperflue dans un Gouvernement fain. Le monarque &levilir font deux machines exactement femblables dont 1'une devient inutile li-tót que 1'autre eft en mouvement : car en eflet, felon le mot de Grotius , qui regit, rex eft. Ainli 1'Etat fupporte un doublé poids qui ne produit qu'un effet fimple. Ajoutez a cela qu'une grande partie de la force  LA POLYSYNODÏE. 26) force du vilirat étant employee a rendre le vifir nécelfaire, & a le maintenir en place , eft inutile ou nuifible a 1'Etat. Auifi 1'Abbé de St. Pierre appelle-t-il avec raifon le vifirat une forme de gouvernement groffiere, barbare, pernicieufe aux peuples, dangereufe pour les rois, funefte aux maifons royales, & l'on peut dire qu'il n'y a point de gouvernement plus déplorable au monde , que celui oü le peuple eft réduit a défirer un vifir. Quant au demi vifirat, il eft avantageux fous un roi qui fait gouverner & réunir dans fes mains toutes les rênes de 1'Etat; mais fous un prince foible & peu laborieux, cette adminiftration eft mauvaife, embarraffée, fans fyftème & fans vues , faute de liaifon entre les parties & d'accord entre les miniftres, fur-tout fi quelqu'un d'entr'eux plus adroit ou plus méchant que les autres tend en fecret au vifirat. Alors tout fe palfe en intrigues de cour, 1'Etat demeure en langueur, & pour trouver la raifon de tout ce qui fe fait fous un femblable gouvernement, il ne faut pas demander a quoi cela fert, mais a quoi cela nuit. Pour la Polyfynodie de 1'Abbé de St. Pierre , je ne faurois voir qu'elle puilfe. être utile ni praticable dans aucune verf, M  i66 Jugement sur iabie monarchie ; mais feulement dans une forte de gouvernement mixte, oü ie chef ne foit que le préfident des confeils , n'ait que la puilfance exécutive & ne puilfe rien par lui-mème : encore ne faurois-je croire qu'une pareille adminiftration püt durer long-tems fans abus; car les intéréts des fociétés partielles ne font pas moins féparés de ceux de 1'Etat, ni moins pernicieux a la république que ceux des particuliers, & ils ont mème eet inconvénient de plus, qu'on fe fait gloire de foutenir , a quelque prix que ce foit, les droits ou les prétentions du corps dont on eft membre, & que ce qu'il y a de mal-honnête a fe préferer aux autres, s'évanouilfant a la faveur d'une fociété nombreufe dont on fait partie, a force d'ètre bon fénateur on devient enfin mauvais citoyen. C'eft ce qui rend 1'arif tocratie la pire des fouverainetés; (*) c'eft ce qui rendroit peut-ètre la polyfynodie le pire de tous les minilteres. (*) Je parierois que mille gens trouveront encore ici une contradiction avec le Contrat Social. Cela prouve qu'il ya encore plus de lefteurs «qui devroient apprendre a lire, que d'auteurs qui devroient apprendre a être conféquCns. Celle de la république de Berne, douce, fage & modérée prouye tout le contraire.  REPONSE A UNE. LETTRE ANONYME; Dont le contenu fe trouve en caraElere italique dans cette Réponfe. Je fuis fenfible a 1'attention dont m'honorent ces Meilieurs que je ne connois point; mais il faut que je réponde a ma maniere, car je n'en ai qu'une. Des gens de loi qui ejliment, £j?c. Mr. Roujfeau, ont étéfurpris & affligés, de fon opinion dans fa lettre a M. d'Alembert fur le tribunal des Maréchaux de Trance. J'ai cru dire des vérités utiles. II eft trifte que de telles vérités furprennent, plus trifte qu'elles affligent, & bien plus trifte encore qu'elles affligent des geur de loi. Un citoyen auffi éclairê que Mr. Roujfeau. Je ne fuis point un citoyen éclairé 5, mais feulement un citoyen zele. M 2  26% RÉPONSE A UNE N'ignore pas qu'on ne peut juflement dévoiler aux yeux de la nation les faut es de la législation. Je 1'ignorois: je 1'apprends, mais qu'on me permette a mon tour une petite queftion. Bodin, Loife], Fenelon, Boulainvilliers, 1'abbé de St. Pierre, le prélident de Montefquieu , le marquis de Mirabeau, 1'abbé de Mably, tous bons Francois & gens éclairés, ont-ils ignoré qu'on ne peut juftement dévoiler aux yeux de la nation les fautes de la légiflation ? On a tort d'exiger qu'un étranger foit plus favant qu'eux fur ce qui eft jufte ou injufte dans leur pays. On ne peut juftement dévoiler aux yeux de la. nation les fautes de la législation. Cette maxime peut avoir une application particuliere & circonfcrite, felon les lieux & les perfonnes. Voici, la première fois peut-être, que la juftice eft oppofée a la vérité. On ne peut juftement dévoiler aux yeux de la nation les fautes de la législation. Si quelqu'un de nos citoyens m'ófoit tenir un- pareil difcours a Geneve, je fe pourfuivrois criminellement , comme traitre a la patrie. On ne peut juftement dévoiler aux yeux de la nation les fautes de la législation.  Lettre Anonymi. aéj II y a dans 1'application de cette maxime quelque chofe que je n'entends point. J. J; Rbuffeau, citoyen de Geneve, imprime un livre en Hollande & voila qu'on lui dit eg France qu'on ne peut juftement dévoiler aux yeux de la nation les défauts delalégislationICeci me paroit bizarre. Meflieurs , je n'ai point l'hónneur d'ètre votre compatriote , ce n'eft point pour vous que j'écris; je n'imprime point dans votre pays; je ne me foucie point que mon livre y vienne ; fi vous me lifez, ce n'eft. pas ma faute. On ne peut juflement dévoiler aux yeux de la nation les fautes de la législation. Quoi donc ! ïi-tót qu'on aura fait une mauvaife inftitution dans quelque coin du monde, a Pinftant il faudra que tout 1'univers la refpecte en filence 'i II ne fera plus permis a perfonne de dire aux autres peuples qu'ils feroient mal de l'imiter ? Voila des prétentions affez nouvelles & un fort fingulier droit des gens. Les Philofophes font faits pour éclairer le miniftere , le détromper de fes erreurs , & refpe&er fes fautes. Je ne fais point pourquoi font faits les Philofophes , ni ne me foucie de le favoir. Pour éclairer le miniftere.  Zyo RÉPONSE A UNE J'ignore li l'on peut éclairer le miniftere. Le détromper de fes erreurs. J'ignore fi l'on peut détromper le miniftere de fes errears. Et refpe&er fes fautes. J'ignore fi l'on peut refpecler les fautes du miniftere. Je ne fais rien de ce qui regarde le miniftere , paree que ce mot n'eft pas connu dans mon pays, & qu'il peut avoir des fens que je n'entends pas. Deplus, Mr. Roufjeau ne nous paroit fas raifonner en politique. Ce mot fonne trop haut pour moi. Je tache de raifonner en bon citoyen de Geneve. Voila tout. Lorfqu'il admet dans un Etat une autorité fupérieure d 1'autorité fouveraine. J'en admets trois feulement. Premièrement 1'autorité de Dieu, & puis celle de la loi naturelle qui dérive de la conftitution de 1'homme, & puis celle de l'hónneur plus forte fur un cceur honnête que tous les rois de la terre. Ou du moins indépendante d'elle. Non pas feulement indépendantes , mais fupérieures. Si jamais 1'autorité fou-  Lettre Anonyme. 271 veraine (*) pouvoit ètre en conflit avec «hé des trois précédentes, il faudroit que la première cédat en cela. Le blafphémateur Hobbes eft en horreur pour avoir foutenu le contraire. Une fe rappelloit pas dans ce moment le fentiment de Grotius. Je ne faurois me rappeller ce que je n'ai jamais fqu, & probablement je ne faurai jamais ce que je ne me foucie pas d'apprendre. Adopté par les Encyclopèdijles. Le fentiment d'aucun des Encyclopédiftes n'eft une regie pour fes collegues. L'autorité commune eft celle de la raifon. Je n'en reconnois point d'autre. Les Encyclopèdijles fes confrères. Les amis de la vérité font tous mes confrères. Le tems nous empêché d''expofer plufieurs autres objeiéions. Le devoir m'empècheroit peut-être de les réfoudre. Je fais l'obéilfance & le refpeét que je dois dans mes actions &dans ( * ) Nous pourrions bien ne pas nous entendre les uns les autres fur le fens que nous donnons a ce mot, & comme il n'eft pas bon que nous nous entendions mieux, nous ferons bien de n'en pas difputer.  ZJ2 RÉPONSE A UNE-, -&C.' mes difcüurs aux loix & aux maximes du pays dans lequel j'ai le bonheur de vivre. Mais il ne s'enfuit pas de la que je ne doive écrire aux Genevois que ce qui convient aux Parifiens. Qiii exigeroient une converfation. Je n'en dirai pas plus en converfation que par écrit, il n'y a que Dieu & le confeil de Geneve a qui je doive compte de mes maximes. Qiii priveroit Mr. Roujfeau d'un tems précieux pour lui & pour le public. Mon tems eft inutile au public, & n'eft plus d'un grand prix pour moi-mème. Mais j'en ai befoin pour gagner mon painj c'eft pour cela que je cherche la folitude. A Montmorexcy, le ij OBobre 1758. FIN.  ( ooo ) T A RLE DES MATIERES. Confidérations furie gouvernement de la. i Pologne & fur fa réformation projettée. GHAPITRE L Etat de la quejlion. Page i GHAP. II. Efprit dés anciennes injlitu- tions. -7 CHAP. III. Application,. 14 CHAP. IV. Éducation. 27 CHAP. V. Vice radical. 36 CHAP. VI. Qiiejlion des trois ordres. 2 9 CHAP. VII. Moyens de maintenir la conftitution. AC CHAP. VIII. Du Roi. 7l GHAP. IX. Caufesparticulieres de Panar¬ chie. gz CHAP. X. Adminijlration. 93. CHAP. XI. Syflême économique. 99 CHAP. XII. Syflême militaire. 1 [ 8 CHAP: XIII. Pr0jet pour affujettir a unè marche graduelle tous les membres du Gouvernement. x -J 3 CHAP. XIV. Ele&ion des Rois. l f 1 CHAP. XV. Conclufton, i6f  ( ooo ) LETTRE d Mr. Butta-Foco fur le gou± vernement de Visie de Corfe. Page 174 " II. au méme. !g0 . 1 JiL au mème. jg^ IV au mème. 193 JUGEMENT fur la paix perpétuelle iqc POLYSYNODIE de 1'abbé de St. Pierre CHAPITRE I. 2ll CHAP. II. Trois formes fpécifiques dn gouvernement fubordonné. 219 CHAP. III. Rapport de ces formes d celles du gouvernement fuprême. 221 CHAP. IV. Fartage & departement des Confeils. 22^ CHAP. V. Maniere de les compofer. 224 CHAP. VI. Circidation des dêpartemens. 22"] CHAP. VIL Autres avantages de cette circulation, 232 CHAP. VIII. Que la Polyfynodie eft l'adminiflration en fous ordre la plus natu. rêlle. 32? CHAP. IX. Et la plus utile. 33 J CHAP. X. Autres avantages. 2,38 REPONSE d une lettre anonyme, dont le contenu fe trouve en cara&ere italique dans cette Réponfe. 2,6-r