THÉATRE DU MONDE, Ou, par des exemptes tirés des Auteurs anciens & madernes, les vertus & /es vices font mis en oppojliion. Par M. R IC HER, Auteur des Vies des plus célebres Marins, des Faftes de la Marine FranSoife, &c. OUVRAGE DÈDIÊ A LA REINE, TOME TROISIEME. A MAE S TRI C ff T, Chez J. P. RoUX & COM.PAGHIE, Imprimeurs-Libraires , aflbciés. 1 7 9 O. Avec Approhation & Privilege Ju RaL   THÉATRE DU MONDE, Ou , par des exemples tirês des Auteurs anciens & modernes, les vertus & Us vices font mis en. oppofition. ■ $. XL Tendrefe & générofué. M toire Grecque, par fes viftoires & fes malheurs. 490 avant Jefus-Chrift ü Jattit, a Marathon , cent dix mille Per-  2 Tht&trt plufieurs iiles. Les grands hommes font toujours un objet de jaloufie pour ceux qua n'ont pas 1'ame élevée. II s'en trouva, dans Athenes, qui ne pardonnerent point a. Miltiades d'être regardé comme ie plus grand Capitaine de fon temps : ils réfolurent fa perte; 1'accuferent, devant le peuple, d'afpirér a la fouveraineté ; d'entretenir des intelligences fecretes avec le Roi de Perfe; enfin, de vouloir tout facrifier a fon ambition. Sur cette fimple accufation, 1'ingrate Athenes condamna fon défenfeur, fon libérateur, h périr dans les fupplices. Tous les hommes fages furent mdignés d'un pareil jugement : ils repréfenterent que Miltiades étoit condamné fans preuves, Sc que , s'il étoit exécuté fur un pareil jugement, Athenes fe couvriroit d'un opprobre étemel. » Allez , ajouterent» ils, dans la plaine de Marathon, vous » la trouverez arrofée du fang de vos »- ennemis, couverte de leurs cadavres. » Ceft la valeur de Miltiades qui vous m offre ce fpeaacle, & vous le condam». nez a périr! Eh 1 malheureux Athé» niens, vos enfants rougiront un jour » de ce que vous voulez faire aujour». dlmi Ce langage auroit dü arrêter la haine  du Monde. ^ des Athéniens contre Miltiades, & exciter leur admiration pour lui; mais le peuple fe contenta de changer la peine de mort, prononcée contre ce grand homme, en une amende de quatre-vingtdix mille livres; le fit mettre en pïilon i & ordonna qu'il y reuit .jufqu'4 ce qu'il 1'eüt payée. Miltiades auroit pu s'enrichir des dépouilles des Perfes ; mais il les avoit abandonnees k fes foldats, & étoit pauvre. U fembloit être au comble du malheur; mais il trouva de la confolation dans un fils qui étoit k peine forti de 1 enfance. C'étoit Cimon., celui qui ren■dit, dans la fuite , fon nom fi céleöre , par fes exploits guerriers. II s'enterma dans la prifon avec fon pere, & nen fortoit que pour aller prier les tpnores & ceux qui avoient du crédit fiir le peuple, de demander la grace de ion pere. Ses ioins & fes peines furent mutiles. II eut la douleur de le voir mounr en prifon; & les Athéniens furent afiez barbares pour refufer k Cimon le corps de fon pere, qu'il demandoit pour lui rendre les honneurs de la lepultiire. Ce pieux -enfant propofa de refter hu-meme en prifon, f, 1'on vouloit lm permettre de ie faire enlever. A ij  4 Thédert On rejetta fa propofition avec dédain, & Miltiades refta dans les fers , même après fa mort. Cimon s'y rendoit tous les jours, fe profternoit devant le corps de fon pere; fes larmes &c fes foupirs exprimoient fa douleur. Le Ciel voulut enfin récompenfer la piété de eet enfant : un citoyen d'Athenes nommé Callicas , devint amoureux d'Elphinice, fa fceur ; la demanda en mariage; paya Tarnende a laquelle Miltiades avoit été condamné ; délivra fon corps, & le remit a fon fils, qui lui rendit les honneurs de la fépulture. Cimon fut un modele frappant de la tendreiTe filiale, &c une preuve éclatante dés récompenfes attachées a cette vertu. ïl gagna autant de viftoires qu'il livra de combats, & devint le plus riche particulier de fon temps. Plutarqiu, vie de Dion, Corn. Nepos, in vita Miltiadis & Cimon. Alexand. ü l' 3- c- 2'  du Monde, 5 $. XII. Perfidie & confufwn, *Jous les tyrans, les fcélérars ofent paroitre & les forfaits fe multiplier*. Pendant le regne du cmel Tibere, il sen commit un qui fait frémir la nature : en voici Thorrible hiftoire. Vibius Serenus, Sénateur Romain, eut le malheur de déplaire a I'Empereur, & fut exile a Amorgos, ifle de 1'ArchipeI. Son hls, loin de 1'accompagner & de chercher a calmer fes douleurs, refta a Rome; fe hvra a tous les excès de la débauche , & fe trouva bientöt dans la detrefTe ou elle conduit ordinairement ie voyant tourmenté par les befoins , perfecute par fes créanciers, étant incapa ble de s'elever k la vertu , le crime feul fut fa reiTource. II fe familiarüa avec hu & arnva enfin k commettre Ie plus abominable. II concut le projet de faire perir fon pere, pour jouir promptement de fa fucceffion, 1'accufa d'avoir torme une conjuration contre I'Empereur; d'avoir voulu exciter les Gaules a la revolte , & ajouta que CeciliusA iij  6 Thédtrt Cornutus, Prétorien, lui avoit fournl i'argent qui lui étoit néceflaire pour fon projet; que ce Prêteur , qui , depuis peu, étoit mort de maladie, s'étoit détruit lui - même , paree qu'il craignoit qu'on ne le foupconnat d'être complice du crime de Vibius* Tibere avoit toujours 1'oreille ouverte a la calomnie ; fes crimes le" tenoient dans une défiancecontinuelle r il envoya chercher Vibius dans le lieu de fon exil; ordonna qu'on 1'amenat k Rome chargé de chaïnes. Lorfqu'il y fut arrivé, on leconduifit devant le Prêteur, oii on lui fit connoitre 1'accufation qui avoit été portee contre lui. II demanda qu'on fit venir fon délateur : ce fut fon fils qui parut. On vit alors k Rome un fpeftacle qui excita 1'indignation de tous ceux qui étoient préfents. Le pere, le vifage pale & tout défiguré, les cheveux épars,, en habit de deuil, & chargé de diaïnes, leve les yeux au Ciel, femble implorer fon fecours & fa vengeance. Son fils, richement vêtu, la fatisfaftion peinte fur le vifage , annonce le plaifir qu'ii goüte dans fon abominable crime. II a Paudace de répéter fon accufation en préfence de fon pere. On dit au pere de répondre. Vibius regarde fon fils, &c  du Monde. y fecoue fes chaïnes : on lui ordonne une feconde fois de répondre; il fecoue une feconde fois fes chaines, 8c dit: Mes fers répondent a mon fils. Voyant qu'on le preffoit de répondre, ïl dit : » Premiérement, Cecilius-Cor» nutus eft mort de maladie ; fecondeft ment, il n'eft pas vraifemblable que » deux hommes feuls puiffent fermer » une pareille conjuration. Que le déla» teur nomme mes autres complices", Le fils de Vibius nomina Cneius-Lentulus & Sejus-Tuberon; mais Ia fituation dans laquelle étoient ces deux accufes frt leur juftification : 1'un étoit arrivé a 1'extrême vieilleffe; 1'autre étoit accablé de maladie, &, pour ainfi dire, hors d'état d'agir. On donna Ia queftion aux efclaves de Vibius ; mais ils n'avouerent riem Alors la fureur du pen» ple éclata : les uns difoient qu'il falloit précipiter eet infame délateur du haut de la roche Tarpeyenne; les autres , qu'il falloit Ie lapider ou 1'aiTommer S coups de baton ; enfin , lui faire fubir la peine prononcée contre les parricides. La frayeur le faifit; il s'enfuit a Ra~ vanne : mais Tibere ordonna qu'on Ie ramenat, & le forga de pourfulvre fön accufationr II ne put fournir les preuves A iy  8 Tkédtre de ce qu'il avancoit; cependant on n'ofa abfoudre 1'accule , paree qu'on favoit que TEmpereur le haïflbit, mais on ne' prononca pas la peine de mort contre lui. On le renvoya k Amorgos, 6c fon fils, devenu 1'objet de 1'exécration publique, mourut de défefpoir peu de temps après. Corn. Taci. Ann. I. 4. §. XIII. ■La tendrejfe filiale fait taire Cambition. -L E s Grecs, impatients des cruautés d'Andronic, le firent périr, & proclamerent Ifaac 1'Ange , Empereur , 1'an' 1185. Ce fut fous fon regne que Fréderic Barbe-Rouffe fe croifa contre Saladin. Ifaac 1'Ange eut 1'imprudence de lui refufer le titre d'Empereur, & d'ertvoyer des troupes contre lui : mais Fréderic les battit, 8c forga les Grecs k fournir des vivres k fon armée. Peu de temps après, Philippe-Augufte, Roi de France 8c Richard Cceur-de-Lion, fe croiferent auffi; pafferent en Oriënt ; battirent plufieurs fois le Grand Saladin,  du Monde, ^ fans cependant faire fur lui des conquêtes importantes. Pendant que les Croifés déployoient leur courage en Oriënt, Ifaac 1'Ange s'endormoit dans le fein de la volupté, & s'attiroit le mépris de fes fujets, qui n'attendoient qu'ttn chef potuIe chaiTer du Tröne. Ce chef fe préfenta; ce fut fon frere, Alexis 1'Ange. II fe mit a la tête des mécontents, gagna les Officiers & les foldats, & fe fit proclamer Empereur. Ifaac, qui connoiffoit le caraftere féroce & barbare cPAlexis, fe hata de prendre la fuite; mais Alexis le pourfuivit, le joignit, lui fit crever les yeux, & ordonna qu'on 1'enfermat dans une étroite prifon. Cette cruauté , exercée contre un frere, indigna tout le monde : perfonne ne fe trouya k fon couronnement, & on n'entendit aucune acclamatiort. La foibleffe du nouvel Empereur enhardit les barbares : les Valaches & les Turcs paffent fur les terres de I'Empiré ; y mettent tout a feu & k fang. Ce n'efi point par le fer qu'il cherche k les chaffer; c'efi avec de 1'or & de 1'argent. II paie même tribüt a.- tous les Prinees qui 1'environnent, & accable fes fujets d'impóts : bientöt il leur devient odieux. Alexis 1'Ange , fils du ipalheureux Ifaac, voit A v  ÏO' Thédtrt que les circonftances font favorables pour tirer fon pere de prifon Sc le rétablir fur le Tröne. II implore le fecours des Croifés contre fon oncle, leur fait une peinture pathétique des tnaux que fon pere endure; leur affure que les Grecs font prêts a s'armer pour les feconder; leur promet des vivres & une' fomme coniidérable d'argent T Sc leur affure qu'il reconnoitra le Pape pour fouverain Pontife. Baudouin , Comte de Flandre, fe met a la tête d'une armée compofée de Frangois & de Vénitiens ; va droit a. Conftantinople; s'en rend maitre; force le tyran de prendre la fuite; veut faire proclamer le fils d'Ifaac; mais ce généreux Prince lui dit : » Seigneur, je n'ai » imploré votre fecours que pour ven» ger mon pere Sc le rétablir fur le » Tröne II court aufli - tot a la prifon , brife Ie£ chaïnes de fon pere, le conduit fur le Tröne, Sc fe profterne devant lui. Baudouin eft frappé de la beauté de cette aftion , Sc promet k Alexis tous les fecours dont il aura befoin, Fuïgofe, l. 5, c, 4 ; Egnatius,  da Monde, ft § XIV.. L'amoiïr filial ejï facrifié a Cambitioiï. L'AN 579, Hormifdas, fils de Cofroès Ier., monta fur le Tróne des Perfes. C'étoit un Prince cruel & avare. II envoya, en 590, une armee formidable ravager les terres de 1'Empire Romain. Maurice , alors Empereur, fit marcher eontre les Perfes une armee commandée par fon fils Heraclius qui les tailla' en pieces & prit tous leurs bagages; Hormifdas attribua cette défaite a Varame, Général de fes troupes,. & lui envoya un habit de femme. Varame ,■ pour fe venger , cherche a foulever les foldats, leur dit que Hormifdas efi li irrité contre eux , qu'il a formé le projet d'en faire périr une partie, & ordonné de retrancher aux autres la moitié des vivres qu'on a coutume de leur donner.- Lorf» qu'il les a amenés au point qu'il defire, il envoie au Roi une lettre congue en ces termes : » Les Perfes ont honte d'être » foumis aux ordres d'un hlche comme « Hormifdas ,■ qui", incapable de" connoi» tre la véritable valeur , attribue a la A vj:  1 1 Thédtre » Iacheté ce qui n'eft que 1'efiet du ca» price de la fortune". II met pour adreffe , d Hormifdas , fille de Cofroès. Le peuple, inftruit de la révolte de Varame , fait éclater fa haine contre Hormifdas ; on le met en prifon , Sc on proclame Roi Cofroès, fon fils aïné. Ce fils dénaturé fait périr fon pere, Sc envoie propofer une amniflie k Varame, s'il veut mettre les armes bas : mais le rebelle ne lui répond qu'avec fierté , fe met k la tête des troupes, Sc marche droit a la capitale de la Perfe. Cofroès leve une armée, va a fa rencontre, lui livre bataille ; mais il eft battu & prend la fuite. Dans fon malheur il s'adreffe a 1'Etre Suprème, lache la bride de fon cheval, marche k 1'aventure. Après bien des fatigues, il arrivé k Arcefion avec trente gardes qui~ne l'ont point abandonné. Cette ville étoit fous la domination des Romains; le Gouverneur le regut avec les honneurs qui étoient dus a fon rang. Cofroès écrivit k Maurice, lui demanda du fecours. Cependant Varame fe fit proclamer Roi de Perfe, Sc propofa k TEmpereur de faire alliance avec lui, de céder aux Romains Nifibe, Sc tout le pays des environs. Maurice fentit qu'il feroit honteux pour lui de faire alliance avec  du Monde. j. sil retabliffoit Cofroès fur le Tröne II envoya une armée formidable en Perfe fous la conduite de Narsès; confeilla a' Cofroès de traiter avec douceur toj qm fe rangeroient de fon parti Tn f6S forC* & clim'inïe celles de fon ennemi. Cofroès fuivit ce %e confezl, & ce que 1'EmpereurIvoit STtTJt plfICT Villes fe firent • ; ^ Lf R°mains Ie ^nduigent jufqu'a Ctefiphon, capitale de Ia Perfe. Varame marcha a leur rencontrefon armëe fut défaite; il prit la ' &-teute Ia Perfe rentra dans le devoir' Cofroès donna aux Romains des récc^ Penfes proportionnées au fervice au'1 venoient de lui rendre; les renvoja^ „ eur pays; en retint cependant mill p0mlui fervir de gardes : il craignoit que lï Perles ne fe révoltaffent £e titrehdT ^ PérirMa«rice,&prit Ie tme d Empereur, comme on 1'a vu dans le voW précédent, p. 2g2 & S ^oiroes, voulant venger fon ami & fon' entra fur les terres de 1'Empire s'em Para de phuWvUles; X ^  Thédtre nie, en Cappadoce, en Paphlagonie J défit les Romains , & ravagea 1'Empire pendant plidieurs années. Heraclms fut proclamé Empereur" en 610 ; fit périr le tyran Phocas , & envoya des Ambaffadeurs a Cofroès, pour lui annoncer que Maurice étoit vengé, que Phocas avoit payé fon crime de' fa vie y enfin pour lui demander la paix.- Cofroès les recut avec hauteur &c les renvoya, fans^ même leur donner de rëponfe.- L'année fuivante, une armée formidabie de Perfes entra darts la Syrië; paffa dans la Paleftine ; prit Jérufalem , & y mit tout a feu & a fang. Heraclius, voyant que Cofroès ne veut feprêter a aucun accommodement, leve des troupes ; les conduit dans la Perfe ; rafe les villes; détruit les villages , & ravage les campagnes qui fe trouvent fur fon paffage. Cofroès marche a fa rencontre ; lui livre bataille ; mais il eft vaincu. Heracüus parcourt prefque toute la Perfe , le fer & le feu a la main. Cofroès leve une nouvelle armée, prend la réfolution d'attaquer une feconde fois les Romains; de vaincre ou de périr. Craignant que fes fils , dont le nombre eft. coniidérable, ne fe difputent la couronne Si n'al'.ument la guerre civile dans fes  da Monde* Etats, s'il a le malheur d'être encore battu & de périr ; il défigne fon fucceiTeur.Son choix tombe fur Mardafane , fon fecond fils, auquel il a donné toute fa tendreiTe. Siroès, qui eft 1'aïné, réclame fes droits;. mais fon pere n'écoute pas fes^ juftes repréfentations; il fait reconnoïtre Mardafane. La colere &c 1'ambition s^allument dans le eoeur de Siroès, au point qu'il jure Ia perte de fon pere & de fon frere. II va trouver Heraclius, lui demande fa proteaion ,. en obtient des troupes, affemble autour de lui tous les Perfes mécontents. Bientöt il fe trouve k la tête d'une armée formidable; marche contre fon pere. Cofroès range fon armée en bataille; auffi-töt les Officiers & les foldats paiTent du cöté de fon fils. II veut s'enfuir; mais on 1'arrête, on le charge de chaïnes, & on le conduit k fon fils. Siroès, le barbare Siroès, laiffa fon pere chargé de chaïnes; le conduifit a Ctefiphon; lui fit mettre un bloc de fer au cou; 1'enferma dans une tour que Cofroès même avoit fait batir pour y renfermer fes tréfors; lui dit: » Tyran, » tu peux te repaïtre de eet or, qui t'a » fait répandre tant de fang & commet» tre tant d'injuftices ". La chaïne qui le tenoit attaché au bloc de fer, étoit  ld Thcdtn courte, & le forcoit de refter penché: une autre chaïne qui le prenoit par le travers du corps , & qui étoit fcellée dans le mur, 1'empêchoit de fe coucher. Cofroès refta plufieurs jours & plufieurs nuits dans cette terrible fituation,& enduroit les tournïents de k faim au milieu de fes tréfors. Siroès le fit fortir de fa prifon, ordonna qu'on égorgeat, en fa préfence , tous fes autres enfants , & que 1'on commengat par Mardafane, fon fils chéri. II Paccabla enfuite d'injures, & lui fit trancher la tête. La vengeance de Siroès ne fut pas encore fatisfaite; il foula aux pieds le corps de fon pere, le livra aux foldats de fa garde, auxquels il fervit de but pendant plufieurs jours. Cette horrible fcene arriva 1'an traire , ils veulent refter en paix , je » ne leur ferai d'aucune utilité; ils peu» vent faire périr un homme qui leur a » caufé tant de pertes; il eft en leur » puiffance". Tullus lui répond : » Caïus, » en ofFrant ton bras aux Volfques , tu » leur rends bien plus que tu ne leur as » öté ". II lui préfenta enfuite la main, le conduiüt dans le lieu oii il mangeoit,  du Mondt. li le fit mettre a cöté de lui, & , par fes attentions, marqua, a eet illuftre exilé, que fa haine contre lui étoit changée en amitié. Bientöt le peuple fut informé de 1'arrivée de Caïus-Marcius chez Tullus. Chacun s'empreffoit de le voir, & les Volfques annoncerent leur fatisfaction par des réjouifTances publiques. Cependant Rome étoit dans le trouble & la confufion : les nobles reprochoient, fans eeffe, au peuple I'injuftice qu'il avoit commife k 1'égard de Coriolan. Tidlus fit alTembler le Sénat des Volfques, lui propofa de profïter de la divifion qui I régnoit parmi les Romains, & de leur ï déclarer la guerre. II trouva d'abord de i la réfiftance; mais, par la force de fes i raifonnements, il amena les Sénateurs k (fon avis. On envoya des Ambaffadeurs a Rome pour fommer les Romains de irendre aux Volfques toutes les terres ]& toutes les villes qu'ils leur avoient prifes, & leur déclarer la guerre en cas iide refus. Les Romains étoient trop fiers f& trop courageux pour céder k ces memaces; ils répondirent : » Si les Volfques » prennent les armes les premiers, les » Romains les quitteront les derniers ". Les Volfques leur déclarerent la guerre. Tullus dit qu'il falloit mettre Coriolan  ai Thédtre 3. la tête de 1'armée, Sc ajouta que le defir qu'il avoit de fe venger , devoit ■ctre', pour les Volfques , un gage de fa fidélité. Ils nomraerent Tullus Sc Coriolan Généraux de leurs troupes; déciderent que 1'un d'eux refleroit dans le pays, pour défendre les villes, Sc que 1'autre iroit attaquer les Romains chez eux. Coriolan propofa a Tullus de prendre le commandement de 1'armée qui étoit deftinée pour marcher contre Rome; mais le Volfque lui répondit: » Mar» cius, 1'expérience m'a prpuvé que tu » avois plus de valeur Sc de prudence » que moi, Sc que la fortune fe faifoit » un devoir de feconder tes entreprifes. » En commandant les Romains , tu as » vaincu les Volfques; en commandant » les Volfques , tu vaincras , fans doun te, les Romains ". Coriolan fe mit a la tête de 1'armée qui devoit marcher contre les Romains. II prit, pilla Sc ravagea plufieurs villes; mit le fiege devant Lavinium, oü étoient les temples Sc les Dieux tutélaires des Romains, Sc qu'ils prétendoient être leur berceau : felon eux, c'étoit la première ville qu'iEnée avoit batie en arrivant en Italië Les Romains confternés ne favoient quel partï prendre; le peuple voulut faire caffer  du Monde. 23 le plébifcite qui avoit condamné Coriolan a 1'exil; le Sénat s'y oppofa : il ne vouloit pas laiffer au peuple le pouvoir de décider a. fon gré du fort des citoyens, de quelqu'état qu'ils fuiTent. Coriolan, informé que le Sénat s'oppofe a fon rappel , leve le liege de Lavinium, marche vers Rome, & établit fon camp k deux lieues de cette ville. La conflernation s'y répand; les vieillards gémilTent de vivre encore , & de voir arriver le moment oix Rome va être en proie k fes ennemis, les femmes éplorées courent dans les rues , vont fe profterner au pied des autels. Le danger réunit le Sénat & le peuple : on envoie des dépütés k Coriolan ; il les recoit avec fierté, & leur dit : » La crainte feule arrache aux Ro» mains 1'aveu de leur injuftice ; mais » ils connoiffent mal Coriolan. Croient» ils qu'il trahira les Volfques qui 1'ont » établi leur Général, pour les Romains »• qm n'ont même pas voulu qu'il fut »> au nombre de leurs citoyens ? Avant »> d'obtenir la paix , il faut qu'ils ren» dent aux Volfques les villes qu'ils leur » ont prifes , Sc qu'ils leur accordent le » droit de bourgeoifie : je leur donne » trente jours pour délibérer fur le parti »• qu'ils voudront prendre "1 Lorfqu'il  !4 Thédtre eut congédïé les AmbaiTadeurs, 11 rit fortir fon armée du territoire de Rome, & attendit que le temps qu'il avoit accordé fut expiré. Les Officiers des Volfques , jaloux de 1'eftime & de la puiiTance qu'il s'étoit acquifes dans leur nation, Paccuferent de trahifon. Ce même Tullus, qui avoit été fon protecteur, devint fon plus cruel ennemi : il ne lui pardonnoit point d'obfcurcir fa gloire. Coriolan fe juftifioit par fes actions; il avoit conduit les Volfques fur les terres des alliés de Rome; y foumettoit des villes, &C enrichiffoit fes foldats de leurs dépouilles. Les trente jours qu'il avoit accordés aux Romains expirerent, & il rentra fur leur territoire. On voulut encore tenter un accommodement avec lui; mais il dit que 1'épée étoit tirée, qu'il falloit combattre. La crainte s'étoit tellement emparée des Romains, qu'ils n'ofoient fortir pour aller attaquer les Volfques: ils réfolurent de fe tenir renfermés dans leur ville, & de la défendre autant qu'ils le pourroient. Cependant Coriolan approche, & fait les préparatifs du fiege.. La terreur augmente dans Rome; on ne fait quel parti prendre; on croit que c'eft le dernier jour de la République. Valeria,  du Monde. ij Valeria , foeur du célebre Publicola , propofe ^ aux Dames Romaines d'aller chez Véturie, mere de Coriolan , de 1'engager a fe rendre au camp de fon fils, de s'y faire accompagner par Vergélie , femme de Coriolan , & d'employer la tendreffe maternelle & 1'amour conjugal , pour calmer le courroux de ce Général, & délivrer Rome du danger qui la menace. Véturie leur tint ce langage : » Vergélie & Véturie font au» jourd'hui- les plus malheureufes fem» mes de Rome, Tune a perdu fon mari, » 1'autre a perdu fon fils, &' nous voyons » toutes deux notre patrie réduite k un » état fi déplorable qu'elle n'a plus de » reffource qiifen nous; mais que pou» vons-nous efpérer de Coriolan ? qui a » déclaré la guerre k fa patrie, & pour » laquelle il auroit facrifié femme, mere » & enfants. Nous confentons cependant » a aller le trouver, & , fi nous ne pou» vons rien obtenir pour Rome, nous » faurons au moins mourir pour elle ". Auffi-tót elle dit k Vergélie de la fuivre & de fe faire accompagner par fes enfants : elle fort de Rome, & va au camp des Volfques : toutes les Dames Romaines marchent a fa fuite. Leur air majeftueux, mais trifte, leur contenance abatTome III, B  iS Thêdtre tue, infpirerent du refpett aux foldats: ils s'écarterent pour leur livrer paffage. Coriolan étoit alors affis fur fon Tribunal, environné de fes gardes, 8c avoit toutes les marqués de Général. II fut d%abord étonné de voir entrer des femmes dans fon camp ; mais il reconnut fa mere 8c fa femme qui étoient k leur tête. Se doutant du motif qui les amenoit, il prit la réfolution de les recevoir avec un air d'indifférence , & de perfifter dans le deffein qu'il avoit pris de forcer les Romains k accepter fes propo£tions; mais il jette les yeux fur Véturie 8c fur Vergélie; la nature lui fait entendre fa voix ; il defcend de fon tribunal, court au-devant d'elles, ferre fa mere entre fes bras, lui donne des marqués de fa tendreffe ; va enfuite a fa femme & a fes enfants; les comble de careffes. 11 s'arrête quelque temps k les contempler; fa tendrefle augmente ; il répand des larmes ; appelle les principaux Officiers des Volfques , Sc leur dit de faire attention aux propofitions de fa mere, &C aux réponfes qu'il va lui faire. Véturie lui dit : » Les habks de votre » mere & de votre femme, la paleur » qui eft répandue fur leur vifage , la n maigreur de leur corps, vous annon-  du Monde. %-j » cent, mieux que les paroles, la dou» leur oü elles ont été plongées depuis » le moment fatal qui vous a féparé » d'elles ; mais k préfent notre malheur » eft au comble; 1'une trouve fon fils, » 1'autre fon mari armé contre fa patrie ; » nous ne pouvons même avoir recoursi » aux reiTources des malheureux, qui » eft d'implorer 1'affiftance de la Divi» nité : ta mere, ta femme & tes en» fants ne peuvent lui adreffer que des » vceux criminels; ils ne peuvent lui de» mander que ta perte, ou celle de la » patrie. Coriolan, fi tu perfiftes dans ta » réfolution , je n'attendrai pas le ha» fard de la victoire : mon parti eft pris. » Pour arriver k Rome, Coriolan, tu » pafferas fur le corps de ta mere ". Coriolan garde le filence; fa tendreffe pour fa mere défarme fon courroux : elle s'en appercoit, fe jette k fes pieds, fa femme & fes enfants Pimitent. Véturie lui tient encore ce langage : » Votre mere » & vos enfants k vos pieds, ne touche» ront- ils point votre coeur ? plus la » priere qu'ils vous font eft importante, » plus vous vous montrerez digne d'être » fils, mari & pere". II fe hata de les relever, ferra la main de fa mere dans les fiennes, lui dit: » Ma mere! 6 ma Bij  Théatre » mere, vous fauvez Rome , Sc vous A perdez votre fils ". Dès le lendemain il affembla les Volfques, 8c les conduifit dans leur pays. Les uns murmuroient, les autres approuvoient fa conduite , Sc le louoient publiquement? Les réjouiffances que les Romains firent, lorfque les Volfques fe furent retirés, annoncerent la crainte oü Ils étoient lorfqu'ils les voyoient devant leur ville. On fit toutes fortes d'honneurs aux femmes , 8c on alla jufqu'a leur ériger un temple. La jaloufie que Tullus avoit concue contre Coriolan augmentoit tous les jours; elle alla jufqu'au point qu'il réfolut de profiter de cette occafion pour le perdre. II infpira fes fentiments Sc fon odieux projet & plufieurs. Officiers. Ils demanderent, d'une voix unanime, que Coriolan fe démit de la qualité de Général des Volfques, pour lui faire rendre compte de fon adminiftration. Coriolan fentit le piege qu'on lui tendoit, 8c rcpondit qu'ayant recu le titre de Général dans une alfemblée de tous les Volfques, ïl rffe devoit s'en démettre que dans une affemblée de la même Nation. Le peuple fut bientöt affemblé; des Orateurs mercenaires blamerent la conduite de Co-  du Monde. 29 riolan, & 1'accuferent d'avoir trahi les Volfques. Coriolan fe leva pour fe juftifier; fon air majeftueux, fa contenance noble & fiere , le fouvenir de fes exploits guerriers, retinrent tous les Volfques dans le filence. Tullus s'appercevant de 1'effet qu'il faifoit fur les efprits, craignant encore que fon éloquence naturelle n'achevat de les difpofer en fa faveur, confeilla aux complices de fa conjuration de le tuer a 1'inftant. Ils s'élancerent fur lui, le maffacrerent aux yeux de tout le peuple , qui refta dans une tranquille pitié. Le bruit de eet horrible crime fe répandit dans tout le pays qui appartenoit aux Volfques, & chaque ville envoya des députés, en habits de demi, pour aiTifter aux funérailles de ce grand homme, & les honorer du témoignage de la douleur publique. Les Dames Romaines ne purent retenir leurs larmes en apprenant fa mort: elles fe rappelloient les dernieres paroles qu'il avoit dites k fa mere , en la quittant, & leurs larmes redoubloient. Pour rendre hommage k fa mémoire , elles demanderent la permiflion de porter Je deuil pendant dix mois. Les Volfques ne tarderent pas k fentir la faute qu'ils avoient faite en fe privant B iij  3 o Thédtre eux-mêmes de Coriolan : les fages ne ceffoient de répéter qu'ils avoient coupé leur main droite avec leur main gauche. Ils firent la guerre aux Eques, leurs voifins, & furent vaincus : les Romains les battirent dans une affaire générale , oü. Tullus périt, 8c les forcerent de fe foumettre a leur obéiffance. Tu. liv. Plut. §. XVI. Un fils facrifie fa mere a, Vambition. JL e Portugal occupe la partie la plus occidentale de 1'Europe : il peut avoir 125 lieues communes de France du midi au nord, 8c 45 du levant au couchant. Cette partie de 1'ancienne' Efpagne fut conquife par les Romains, enfuite par les Sueves, 8c par les Vifigoths vers le cinquieme üecle ; enfin elle tomba au pouvoir des Sarrazins au commencement du huitieme. Alfonfe III, Roi de Caftille 8c de Léon, en conquit une partie dans le dixieme. Ferdinand I"., un de fes Swcceffeurs, en étendit les bornes vers le milieu du onzieme. II pouffa fes conquê-  du Monde. 31 tes jufqu'a la gauche du Douro. Alfonfe VI, fon fils & fon SuccefTeur, conquit , en 1095 » ^es Royaumes de Léon & de Caftille, & donna Thérefe , fa fille naturelle, en mariage k Henri de Bourgogne, arriere-petit-fils de HuguesCapet, avec le Comté de Portugal. Ce Prince eut, de fon mariage avec Thérefe, un fils, connu fous le nom d'Alfonfe, furnommé Henriquès , &c mourut vers 1'an 1119. Henriquès, étant encore trop jeune pour gouverner le Portugal , Thérefe, fa mere, fe chargea du foin de 1'adminiffration : elle étoit galante , légere, mais ambitieufe, hardie, entreprenante &c courageufe. L'ambition faifoit taire en elle toutes les autres paffions , & guidoit fon courage : elle fe L mettoit k la tête des troupes , & fon t exemple arrêta plufieurs fois fes foldats ] prêts a prendre la fuite. Elle profita des ! troubles qui s'étoient élevés dans la CafI tille, oü les différents Seigneurs fe faifoient des guerres continuelles; y conduifit une armée , &c foumit plufieurs villes k fon obéiffance. Urraque , fille d'Alfonfe VI, & de Conftance de Bourgogne , fceur du cöté paternel de Thérefe , régnoit alors en Caftille. Cette Princeffe s'étoit endormie dans le fein de la B iv  3 1 Thêdtrt volupté, pendant que les guerres civiles déchiroient fes Etats. Au bruit des conquêtes de fa fceur, elle fe réveilla, obtint de Gelmirez, Arehevêque de Compoftelle , de 1'argent Sc des troupes ; marcha contre Thérefe, la joignit fur les bords du Minho, lui livra bataille, Sc remporta la vi&oire. Thér-efe a 1'adreffe de gagner 1'Archevêque; il congédie fes troupes , fournit a cette Princeffe une retraite alTurée. Urraque, pour fe venger, fait arrêter 1'Archevêque. Le Clergé de Compoftelle fait tendre en deuil 1'Eglife de Saint-Jacques j excite une fédition générale. Urraque accourt, veut 1'appaifer; mais elle eft abandonnée par Alfonfe VII , fon fils , qui s'ennuie de vivre fous fa tutelle. Thérefe veut profiter de la méfintelligence qui regne entre la mere Sc le fils, rentre en Caftille a la tête d'une nouvelle armée; elle eft encore battue Sc forcée de prendre la fuite. Urraque laiffe, par fa mort, arrivée en 1125 , les Royaumes de Caftille Sc de Léon a fon fils, qui accorde une treve k fa tante; mais cette femme ambitieufe Sc inquiete, voyant qu'Alfonfe eft forcé de tourner fes armes contre le Roi d'Arragon, rompt la treve, entre encore en Caftille ; Alfonfe fait la  du Monde. 3J paix avec le Roi d'Arragon, marche contre Thérefe, défait fon armée, la force a demander la paix : il la lui accorde; mais a des conditions fort onéreufes. Cette Princeffe altiere craignoit que fon fils, arrivé a 1'age de maturité, ne voulüt prendre Ie fceptre: elle le tenoit dans une gêne qui approchoit de 1'efclavage , & cédoit, pour ainfi dire, la puiiTance fouveraine a un Caftillan avec lequel elle déshonoroit le diadême. Henriquès, impatient du joug que fa mere lui faifoit porter, & que le Caftillan avoit 1'imprudence d'appefantir, réfolut de le fècouer. II gagna les Grands & leva des troupes : a la nouvelle des préparatifs qu'il fait, Thérefe appelle autour d'elle fes partifans, marche contre Henriquès , lui livre bataille; mais elle efi vaincue: on 1'arrête, & on la conduit dans la tente de fon fils. Elle prend d'abord un air de fierté, qu'autorife fa qualité de Reine & de mere, lui dit : » Vous avez » pris les armes pour öter la couronne » de-defliis ma tête ; je les ai prifes « pour 1'y conferver: ces membres épars, » ces corps palpitants, ces armes brifées, » ces torrents de fang, font 1'ouvrage » de notre ambition; ils nous reprochent » le crime que nous avons commis en B v  54 Thédtrc w nous armant 1'un contre 1'autre. La » nature crioit, c'eft ta mere, c'eft ton » fils; mais notre fureur nous empêchoit » de 1'entendre. La fortune , peut-être » injufte, vous a donné la viftoire, vous » pouvez vous venger : mais fur quel » endroit de mon corps porteras-tu tes » coups ! Sera-ce fur ce fein qui t'a nour» ri ! Sera-ce fur ce flanc qui t'a en» gendré. Frappe barbare , répands le » fang de ta mere, tes yeux en furie fe * préparent a. le voir couler ". Henriquès lui répondit: » Vous m'avertiffez » que la nature nous parle; vous m'ex» citez k 1'écouter ; mais vous n'avez jam mais eu d'oreilles pour 1'entendre; je » pourrois vous en donner des preuves; » mais ma bouche ne doit pas s'ouvrir » pour faire des reproches a ma mere: »> je n'aurois jamais fongé k vous öter » le Gouvernement du Royaume, fi 1'in» térêt de 1'Etat Sc mon honneur, n'euf» fent pas demandé que je le priffe moi» même, & que je m'affuraffe de votre » perfonne ". II ordonna qu'on la chargeat de chaines, qu'on la conduifit dans une étroite prifon, Sc qu'on ne lui donnat que les chofes néceffaires k la vie. Elle y languit pendant quelque temps , Sc tnourut.  du Monde. 35 Henriquès tourna les armes contre les Maures , les chaffa du Porturgal, & fe fit proclamer Roi , fous le nom d'Alfonfe I". Ravifïus, Mariana, Ferreras. §. XVII. Un fils conferve tant de véniration pour la mémoire de fon pere , qu'il fait graver fon portrait fur une médaille , & la porte toujours pendue a fon cou, L E Tröne de Pologne étoit occupé , en 1082 , par Uladiflas Ier. C'eüt été un particulier aimable; ce fut un mauvais Prince. Iln'étoit pas affez pénétrantpour connoitre les abus & les réformer; il n'étoit pas affez ferme pour arrêter les crimes & les punir. Sous fon regne, la Pologne fut expofée aux ravages de fes voifins ; elle auroit même été entiérement dévaftée , fi fon fils, qui lui fuccéda, fous le nom de Boleflas III, n'eüt montré, dès fa jeuneffe, les plus grands talents pour la guerre. Uladiflas mit le comble a fes imprudences, en partageant la Pologne entre Boleflas & fon B vj  3 6 Thedtre fils naturel Sibignée, & défigna les terres qu'ils pofféderoient après fa mort. Sibignée avoit autant de vices que Boleflas polTédoit de vertus, & 1'ambition les mettoit tous en mouvement. II ne vit, qu'avec impatience, fon pere abandonner toute fon autorité a Sieciech, Grand-Maréchal de la Couronne, &i jura fa perte. II trouva des fcélérats qui s'armerent en fa faveur contre le Roi fon pere, & allerent Pafliéger dans une fortereffe oü il s'étoit retiré avec fon Général. Uladiflas, pour obtenir la paix de ce fils ingrat, confentit k 1'exil de Sieciech , qui fe retira en Rulïie. Pendant que Sibignée forcoit fon foible pere a contenter fes caprices , Boleflas faifoit admirer fon courage & fes talents pour la guerre contre les Poméraniens. Prédiflas, Duc de Bohème, oncle de Boleflas y apprit avec étonnement les exploits guerriers de fon neveu : il voulut goüter la fatisfaétion de le voir, & le fit prier de fe rendre a fa Cour. Boleflas lui prouva qu'il étoit encore audeffus des éloges que la renommee lui donnoit. Prédiflas fut fi charmé de fon mérite , qu'il le fit fon Porte-Glaive. Pendant que Boleflas étoit a. la Cour du Duc de Bohème , les Poméraniens firent  du Monde. jy une invallon en Pologne: le jeune Prince raiTembla ce qu'il put trouver de volontaires , paffa en Pologne , marcha contre les Poméraniens, & les tailla en pieces. Les Ruffes efluyerent le même fort 1'année fuivante. Uladiflas fit affembler les Grands de 1'Etat , donna a fon fils Boleflas, en leur préfence, le Baudrier, qui étoit alors la marqué de Général. Uladiflas ne vécut pas long-temps après cette cérémonie; il mourut d'une maladie de langueur, 1'an 1102. Boleflas fut pénétré de douleur, lorfqu'il apprit la mort de fon pere. II fit graver fon portrait fur une plaque d'argent, & la portoit toujours a fon cou. II difoit qu'il vouloit avoir fon pere fans cefle devant les yeux , pour qu'il fut témoin de fes aótions. Les Hiftoriens remarquent que Boleflas fut fi réfervé pendant toute fa vie, qu'il fembloit efFectïvement que fon pere Ie voyoit & 1'entendoit. II regut Ia récompenfe que la Divinité promet k ceux qui rendent a leurs pere & mere les honneurs qu'ils leur doivent. II défit, dans plufieurs batailles, fon frere Sibignée , qui vouloit pofféder feul la Pologne, & , voyant qu'il ne pouvoit gagner fon amitié, il le fit renfermer,  38 Tkèdtrt Boleflas eut enfin toutes fortes de profpérités pendant un regne affez long : fon tröne étoit 1'afyle des malheureux. Le plus cher objet de fes defirs étoit le bonheur de fes peuples. Cromer. de rebus Polon. I. 6. §. XVIII. Une fille out rage le corps de fon pere queüt rencontre fur fon pajfage. L'HISTOIRE Romaine eft trop connue, pour que nous foyons dans le cas de donner quelques détails fur la fondation de Rome : nous nous bornerons a rapporter un trait qui fait frémir d'horreur : il arriva deux cents dix-huit ans après la fondation de cette ville. Servius-Tullius, fixieme Roi de Rome , donna fa fille Tullia en mariage k Tarquin, furnomméle Superbe, qu'il défigna pour fon fucceffeur. Tarquin, impatient de régner, chercha des hommes d'un caractere auffi abominable que le fien. Servius-Tullius fut aiTafliné dans une campagne ou il étoit allé fe délaffer des fatiques du Gouvernement. Cette nou-  du Monde. 39 veile arriva bientöt a Rome, &, pendant que les Romains étoient occupés a pleurer la mort d'un Roi, qui ne leur failbit connoitre fa puiffance que par les bienfaits, & qui croyoit que leur bonheur devoit faire 1'unique objet de fes defirs , Tarquin mit le diadême fur fa tête. Tullia étoit alors dans une maifon de campagne de fon pere, éloignée de Rome ; la renommee y annonga la mort de Tullius & la douleur des Romains. Toute autre que Tullia n'auroit été occupée qu'a pleurer fon pere, & auroit abhorre le parricide qui 1'en avoit privée; mais c'étoit un monftre que la nature fe reprochoit d'avoir produit. Elle fe hata de monter dans fa voiture, pour aller k Rome jouir du plaifir de voir fon odieux mari fur le Tröne. Son chemin la conduifit k 1'endroit oü fon pere avoit été affafïiné. Le corps de ce Prince étoit étendu fur la poufïiere : le poftillon, a ce fpecf acle, fut faifi d'horreur, les chevaux reculerent, en frémilTant; tout avertiffoit Tullia de fon devoir ; mais cette femme abominable, & véritablement digne d'être 1'époufe d'un fcélérat tel que Tarquin, dit au poftillon : ►> Je vois bien que c'eft le corps de Tid-  40 Thédtre » lius; mais il faut qae j'avance : paffe » deffus plutöt que d'arrêter ". Le cocher preffa les chevaux en foupirant, & les roues écraferent la tête de Tullius, Cette horrible acKon fut bientót connue de toute 1'Italie , & infpira pour Tarquin & pour Tullia 1'horreur qu'ils méritoient : on appella le lieu ou elle s'étoit commife le village de Vhorrtur , & il le conferva pendant plufieurs fiecles. Ovide , qui parut cinq cents ans après Tarquin le Superbe , dit, en rapportant le fait, que le nom du village oü il s'eft commis en attefte la vérité, & qu'on le nomme le village de Vhorrtur. Rome a vu faire les plus grandes aftions , & commettre"les plus grands crimes. Ovid. Fajt. I. 6. Flor. rerum Roman. 1,1, c. y. Valer. Max. I. I, c. li, T. Liv. I. J. Dionif. L 4.  du Monde. 41 §. XIX. Un fils a tant d'ejlime & d'amitié pour fa mere. , qua fa priere , il ceffe de pourfuivre un ennemi déclarê. ornelie, fille de Scipion, vainqueur d'Annibal, époufa Tiberius-Graccus, aufli célebre par 1'éclat de fes vertus que par celui de fa naiffance. De eet heureux mariage naquirent douze enfants : Graecus & Cornelie ne s'occupoient que du foin de les élever &c de former des citoyens dignes de Rome. Une mort prématurée enleva Graecus: Cornelie refta veuve dans un age peu avancé. La renommée ventoit fes vertus jufque dans les pays les plus éloignés; Ptolomée, Roi d'Egypte, congut le defir de la pofféder & d'en faire une Reine; mais elle aima mieux paffer le refte de fes jours a pleurer Graecus , &c a élever fes enfants , que d'être Reine d'Egypte. Elle eut encore le malheur de perdre neuf de fes enfants : il ne lui refta qu'une fille & deux gargons. Elle donna k chacun. d'eux une éducation convenable k leur fexe. La fille époufa »  4i Thédtre par la iuite, Scipion, furnommé 1'Afriquain. Les deux gargons parvinrent fucceffivement aux premières places de la République : Tiberius, c'étoit le nom de 1'ainé, avoit neuf ans plus que le fecond , qui s'appelloit Caïus. A peine Tiberius étoit-il arrivé a la maturité, qu'il fit admirer fa prudence Sc fa fageffe : on le trouva digne d'entrer dans. le College des Prêtres , ou Augures. Appius-Claudius, qui avoit occupé les premières dignités de la République , Sc qui étoit alors Prince du Sénat, concut tant d'affecfion pour lui, qu'il defira d'en faire fon gendre, Sc lui offrit fa fille en mariage. Tiberius fit fes premières campagnes en Afrique, fous Scipion , fon beau-frere , fe fit aimer par fa douceur , Sc admirer par fa valeur. De retour a Rome, il fut élu (*) Tribun du peuple. Toujours occupé du foin de remplir fon devoir, il prouva au peuple qu'il étoit véritablement digne de fa confiance , propofa une loi qui défendoit aux riches de louer aucune des terres qui appartenoient a la République, Sc ne permettoit qu'aux (*) Les Tribuns du peuple étoient des Magiftrats qui le mettoiem a 1'abri de 1'oppreffion des Grands.  du Monde. 43 pauvres citoyens d'en être les fermiers. Les riches , qui fe voyoient par-la, privés d'un produit confidérable, engagerent Marcus-Odtavius k s'opporer k la promul gation de cette loi. Tiberius fut tellement indigné contre lui, qu'il le fit dépofer, 8c fa loi paffe. Les Sénateurs, voyant que Tiberius cherchoit k étendre 1'autorité du peuple en refferrant la leur , réfolurent fa perte ; on 1'aflbmma dans la place pu> plique au milieu du peuple , 8c on jetta fon corps dans le Tibre. Caïus , fon frere , qui n'étoit alors agé que de vingt ans , fe comporta , dans cette conjonöure , avec toute la prudence qu'on auroit pu attendre d'un homme arrivé a un age mür. II fentit que fon devoir demandoit de lui qu'il vengeat fon frere; mais en même-temps qu'il s'en öteroit les moyens , s'il laiffoit ap-« percevoir fon intention. Il afietta de refter dans la folitude , 8c de ne prendre aucune part au gouvernement de la République. Perfuadé que Téloquence pourroit lui frayer le chemin aux dignités , il s'y appliqua entiérement, & devint en peu de temps, le plus célebre Orateur qui -fut alors k Rome. II excita la jaloufie 8c la méfiance des  44 Thédtrt Sénateurs ^ s'en appercut, & demanda de 1'emploi dans une guerre que Rome fut obligée de foutenir contre les habitants de 1'ifle de Sardaigne : il y acquit tant de gloire, que 1'inquiétude des Sénateurs augmenta. De retour de Rome, il brigua la dignité de Tribun du peuple : en vain les Sénateurs fe réunirent contre lui; tous les fufFrages du peuple furent en fa faveur : il- fut proclamé Tribun , monta fur la tribune, fit un tableau touchant de la mort de fon frere , repréfenta au peuple que Tiberius n'avoit péri que paree qu'il étoit touché de la mifere oii 1'oppreffion des riches tenoit les pauvres. Voyant que fon difcours faifoit fur le peuple 1'effet qu'il defiroit, il crut que le moment de venger fon frere étoit arrivé; propofa une loi , qui déclaroit incapable de pofféder aucune charge, dans la République, quiconque avoit été dépofé d'une magiftrature par le peuple. II vouloit, paria , noter Marcus-Octavius, qui étoit la caufe de la mort de Tiberius, & qui mettoit encore tout en ufage pour animer les Grands contre lui. Cornelie, inftruite du projet de fon fils , va le trouver; lui dit: » Tu te trompes Caïus, » fi tu crois qu'il eft permis de fe ven-  du Monde. 4j » ger de fes ennemis : ton honneur, les » Dieux même te le 'défendent. Mon » fils, cede a ton devoir, cede aux lar» mes d'une mere qui te chérit. Mal» heureufe Cornelie, tu n'étois donc née » que pour les malheurs ! de plufieurs » fils que tu avois mis au monde, il » ne t'en refte qu'un, & tu es a la » veille de le perdre. Caïus conferve» toi pour ta mere ; elle eft a la fin » de fa carrière, & tu ne feras pas » long-temps dans la contrainte ". CaïusGraccus 1'aimoit trop tendrement pour ne pas fe rendre a fa priere; il demanda lui-même la révocation de fa Loi, difant, qu'en cela , il fe foumettoit aux volontés de fa mere. Ce généreux citoyen fuivit le fyftême de fon frere, fit tous fes efforts pour mettre le peuple a 1'abri des vexations des Grands, qui 1'immolerent encore a leur reffentiment. Ainfi la mere des Graques eut la douleur de perdre fes fils, & la fatisfaöion de voir qu'ils s'étoient facrifiés aubonheur du peuple Romain. Plutarque, vies de Tiberius & de Cdius-Graccus.  46 Thédtre §. XX. Un fils pouffe Vingratitude , d l'égard dc fa mere , jufqud lui enlever fon bien & la renfermer dans une étroite prifon. ers le milieu du quinzieme fiecle, Jean d'Anjou difputoit la Couronne de Naples a Ferdinand d'Aragon : les uns prenoient parti pour Jean , les autres pour Ferdinand,les habitants du Royaume de Naples furent alors expofés a toutes les calamités que caufent les guerres civiles : les loix n'avoient plus de force ; on n'écoutoit plus la voix de la nature. Le frere s'armoit contre le frere, le fils contre le pere. Jeanne , Comteffe de Celano, ville de PAbrufe ultérieure , étoit alors veuve & mere de deux enfants males : comme elle étoit jeune , belle & ricbe, plufieurs Seigneurs lui demanderent fa main ; mais , perfuadée qu'une mere dok s'oublier elle-même , pour ne veiller qu'a. 1'éducation de fes enfants, elle ne voulut contrafter aucune alliance, & répondoit a toutes les propofitions qu'on lui faifoit a eet égard : » J'époufai Léo-  du Monde. 47 i » nel paree que je 1'aimois : je ne don» nerai jamais de- beau-pere a. fes en» fants ". Elle avoit recu pour dot le Comté de Celano : elle s'y retira avec fes deux enfants. Ceux qui 1'habitoient refpecfoient la Ducheffe a caufe de fa vertu ; ils 1'aimoient a caufe de fa dou; ceur &c de fa beauté. Ses enfants fai! foient fon unique compagnie ; elle veil', loit, fans ceffe, autour d'eux , pour en écarter les dangers & fatisfaire a leurs : befoins. Elle les voyoit, avec fatisfac! tion, grandir , & toucher au moment oü elle alloit recueillir le fruit de fes peines & de fes travaux : elle avoit lieu d'attendre de fes enfants toute la reconnoiffance qu'ils devoient a une mere tendre : mais elle étoit deftinée a verfer des pleurs le refte de fes jours; Roger, fon fils ainé, pouffa, a fon égard, 1'ingratitude jufqu'oü elle peut aller. Impatient de ne pas jouir du Comté de Celano, il alla trouver Nicolas Picinino, qui commandoit les troupes du Duc d'Anjou, 1'avertit que fa mere poffédoit des richeiTes fi confidérables qu'elles fuffiroient pour fournir la fubfiftance a fes troupes pendant une année entiere. Effectivement les Comtes de Celano vivoient tous avec beaucoup d'éco-  Theutrc. nomie, augmentoient fucceffivement les tréfors de leurs peres, les laiflerent k Jeanne * qui fut leur unique héntiere. Roger ne fe contenta pas de cönfeiller a Picinino d'en dépouiller fa mere , il pouffa la barbarie jufqu'a le conduire lui-même a Celano. La Comteffe étoit tellement aimée de fes vaffaux qu'ils fe haterent de fermer les portes de la ville , & prirent tous les armes, avec la réfolution de périr pour fa défenfe. Picinino, impatient de pofféder les richeffes qui étoient renfermées dans Celano , en forma fur le champ le fiege: les habitants fe défendirent avec tant de courage , que Ferdinand auroit eu le temps de les fecourir , s'il avoit eu autant d'aftivité que la conjonöure le demandoit ; mais il avoit difperfe fes troupes dans différents quartiers d'hyver. Pendant qu'il s'occupoit a les affembler, Picinino faifoit les plus grands efforts contre Celano : il en abattrt enfin les murailles, & entra dans la ville. L'odieux Roger le conduifit lui-même k fappartement de fa mere. Quel horrible fpectacle pour elle ! Un implacable ennemi fe préfente a fes yeux le fer a la main, & c'eft fon fils qui le conduit. La douleur lui öta d'abord le fentiment; elle tomba  du Monde. 49 tomba évanouie entre les bras d'une de fes femmes. Son fils, au-lieu de la fecourir, courut avec Picinino a 1'endroit ou il favoit qu'elle avoit dépofé fes richeffes : ils ne fe donnerent pas le temps d'en faire ouvrir la porte ; ils Penfoncerent, &c fe faifirent de 1'or, de 1'argent & des pierreries qu'ils y trouverent. L'infortunée Comteffe recouvre . fes fens ; ouvre les yeux; voit fon fils qui marqué plus d'empreffement a la dépouiller que 1'ennemi même. Elle leve les mains au ciel, Sc s'écrie : » Quel malheur pour moi de vivre en» core; de voir mon fils lui-même » armé contre moi, Sc partager mes » dépouilles avec 1'ennemi de fa natioa » Sc de fa familie. Malheureux, ajouta» t-elle, tu te dépouilles toi-même; ces » richeffes t'étoient deftinées ; c'étoit » pour toi que je les confervois. Déja » le ciel te punlt ; la fucceflion, qui fath tendoit, paffe dans des mains étran» geres, tu n'étois pas fait pour. être » 1'héritier de la Maifon de Celano "„ Picinino étoit trop barbare pour être> fenfible k la douleur d'une femme belle & vertueufe; Roger avoit le coeur trop dur pour être attendri par les foupirs de fa mere. Ces deux tnonfires firent Tome III. C  j0 Thédtre eharger de chaïnes Jeannê de Celano , Sc conduire a leur camp comme captïve. L'étonnement des foldats fut épuifé en voyant une mere captivé orner le 'triomphe de fon fils. Cette mere infortunée mourut bientöt de défefpoir. Fontanus, belli Napolitani l. 4. §. XXI. Une fille brave tout pour venger la mort de fon pere. O n a vu, dars le fecond volume, p. 136 Sc fuiv. comment Théodoric t'Amale fit la conquête de 1'Italie. Ce grand Prince portoit la main par-tout Sc xégloit tout. Au commencement de fon regne, il s'éleva un fchifme dans 1'églife : Théodoric n'agit point én Arien; il ne prit point pour guide la haine que ceux de fa fecf e avoient vouée aux Catholiques; il fuivit tout ce que la prudence lui difta, fe rendit a Rome, fe fit expliquer 1'affaire qui mettoit le trouble par mi le Clergé : c'étoit un^ fchifme. -II décida que celui qui avoit été élu le premier, Sc par le plus grand nombre, étoit  du Monde. j i yéritablement Pape. Cette décifion étoit jufte; elle fut fuivie , & Symmaque , connu fous le nom de Saint Symmaque , occupa la chaire de Saint Pierre. Le Sénat, qui confervoit encore une ombre de fon ancienne fplendeur, chargea le célebre Boëce, un de fes Membres, de haranguer Théodoric. Ce Sénateur fit admirer fon éloquence par les Oftrogoths mêmes ; gagna 1'eftime & i'amitié du Monarque. II profita de 1'occafion qui fe préfentoit pour flatter 1'amour-propre de Théodoric. Les anciens triomphateurs avoient coutume de donner un repas public au peuple Romain; 1'entrée que Théodoric venoit de faire dans Rome avoit eu l'air d'un triomphe; mais, ignorant la coutume des anciens Romains; il ne fongeoit point a les imiter. Boëce fit dreffer des tables dans toutes les places publiques, &c ordonna qu'elles fulTent fervies avec profufion. Comme il étoit exceffivement riche, il en fit lui-même la dépenfe. Théodoric favoit apprécier les aftions; il fut gré a Boëce de fon zele & de fa générofité ; mais, étant perfuadé qu'un Monarque ne doit point recevoir les générofités d'un fujet, il lui donna des récompenfes capables de le dédommager C ij  5 z Thédtre de fes dépenfes; il lui accorda une place dans fon Confeil , & le fit Maitre des Offices. Plus Boëce approchoit du Roi, plus il lui montroit de vertus. Théodoric lui confia le foin de réformer les monnoies de fon Royaume, Sc de leur faire donner la valeur qu'elles doivent avoir. Boëce s'en acquitta fi bien , que Théodoric Sc le peuple furent contents. Les Bourguignons ayant vu a la Cour de Théodoric des cadrans folaires Sc hydrauliques, furent frappés d'étonnement, Sc le prierent d'en envoyer a Gondebaud , leur Roi. Théodoric , flatté de donner aux nations étrangeres des preuves de fa grandeur, chercha, parmi fes fujets, ceux qui feroient les plus capables de réuffir dans eet ouvrage. On lui indiqua Boëce comme le plus habile Mathématicien de fon temps : il écrivit a Boëce, qui étoit alors a Rome; fa lettre étoit congue en ces termes : » Votre » nom deviendra célebre dans toute la » Bourgogne ; vous aurez 1'honneur d'a« voir introduit, che^z cette fameufe na»> tion , les beaux-arts ; la gloire en re» jaillira jufques fur Rome, Sc ce n'en » fera pas une petite pour elle, d'avoir, » par votre moyen, cojitribué a poli-  du Monde. 53 » eer des peuples fi renomffiés. N'épar» gnez ni foins, ni dépenfes, mes tré» fors vous font ouverts ". Boëce réuffit fi bien , que les Bourguignons prirent fes cadrans pour un ouvrage de quelque divinité. Clovis I".-, Roi des Francois, fit demander a Théodoric un Muficien qui fut parfaitement chanter 6c jouer des inftruments. Théodoric s'adreiTa encore a Boëce, 6c le pria de chercher 1'homme que Clovis demandöit. » Vous aurez , » lui dit - il , Pavanrage d'adoucir les » coeurs féroces des Francs, 6c de les » dompter comme un fecond Orphée , » qui, par la douceur de fa voix 6c Phar» monie de fes inftruments, adoucit les » animaux féroces, même les monftres ". Boëce chercha 6c trouva un Muficien tel qu'on le defiroit. Théodoric fe félicitoit lui-même d'avoir parmi fes fujets un homme d'un mérite auffi rare que ce Sénateur : il alloit fouvent le voir travailler aux mathématiques. Si Théodoric protégeoit les fciences 6c les arts, il n'étoit pas moins occupe a faire rendre la jiutice k tous fes fujets indiftin&ement. Sous fon regne, jamais la faveur n'impofoit filence aux loiw II germettoit aux Prêtres Ariens d'engaC iij  j4 T/udtre ger , par la perfuafion , les Catholiques a embraffer leur doctrine; mais il leur défendoit d'employer la periécution, & le calme qui régnoit dans fes Etats fembloit prouver qu'il n'y avoit qu'une même croyance. Les peuples d'Italie & des autres contrées, qui étoient foumifes a Théodoric , auroient été heureux , fi Juftin Ier., qui occupoit alors le Tröne Impérial d'Orient , eüt imité fa modération; mais il porta un édit par lequel il confifquoit les biens & les églifes des Ariens qui étoient dans fon Empire, &c les abandonnoit aux Catholiques. Théodoric n'apprit cette nouvelle qu'avec indignation; il fit venir tous les Catholiques qui étoient a fa Cour, &c leur tint ce langage : » Eft-ce ainfi que vous re» connoiflez les fervices que je vous ai » rendus ? Y a-.t-il, dans votre commu» nion, un Prince qui vous traite avec » autant de douceur que moi r i>e vous » ai-je pas laiiTé une entiere liberté dans » 1'exercice de votre religion ? N'ai - je » pas rétabli la paix dans votre Eglife, » qui étoit troublée par un fchifme fcan» daleux? Eft-ce pour reconnoïtre ma » bonté que vous m'outragez par 1'en» droit le plus fenfible? Si 1'Empereur » ne fupprime fon injufte édit, je fera>  du Monde, 55 » fortir de mes Etats tous ceux de votre » communion ". Ce Prince fit venir le Pape ; c'étoir. alors Jean Ier., lui ordonna d'aller k Conftantinople avec les principaux du Sénat, pour engager Juftin k révoquer fon édit, Sc 1'avertir que les Catholiques alloient être traités en Italië de la même maniere qu'on traitoit les Ariens en Oriënt. Le Pape fentit toute la douleur que devoit lui caufer une pareille commiflion: il falloit qu'il allat protéger 1'héréfie; il partit. Lorfqïie Juftin fut que le Pape approchoit de Conftantinople, il alla airdevant de lui, fe profterna a fes pieds „ le conduifit avec refpeft dans fon palais, Sc le pria de lui mettre la couronne fur la tête. L'efFet fuivit de prés les menaces de Théodoric; il fit mettre en prifon plufieurs Catholiques ; il vouloit, par ce commencement de févérité, prouver k Juftin jufqu'oii il avoit réfolu de la pouffer. Alors on vit paroitre plufieurs délateurs en Italië : ces gens, qui ne vivent que du malheur d'autrui, crurent que Théodoric s'étoit dépouillé de toute juftice , Sc qu'ils pouvoient impunémenl: exercer la calomnie contre 1'innocenceC iv  5 Thédtre La première vicume qu'ils voulurent immoler fut Albin , vieillard refpettable, qui, par degrés, étoit monté au Confulat. Sa conduite avoit toujours été irréprochable; mais il étoit riche, 8c par conféquent coupable aux yeux de la cupidité. Un certain Cyprien, 1'un des plus hardis 8c cles plus méchants hommes de ion temps, 1'accufa devant Théodoric d'avoir des intelligences fecretes avec JuïHn , pour le rendre maïtre de Rome , 8c chaffer les Oftrogoths de 1'Italie. Théodoric écouta 1'accufation ; mais , avant de condamner 1'accufé , il crut devoir examiner 1'affaire. Boëce cöurut au fecours de 1'innocence , fe rendit a Vérone, oü la Cour étoit, 8c tint ce langage en préfence de tous les courtifans : » Si Albin eft coupable , je le » fuis auflï; tout le Sénat même 1'eft, » puifque tous les Sénateurs n'ont jar> mais rien fait que de concert. Eft-ce » ainfi, Prince , que vous traitez vos » plus fideles fujets ? Ceux qui vous » ont volontairement facrifié leur liber»> té, feront donc regardés comme des » rebelles 8c des perfides ? N'avons-nous » pas tout fait pour vous maintenir fur » le Tröne ? N'avons-nous pas facrifié » nos intéréts aux vötres ? Sont-ce les  'du Mond». 57 » Romains qui fe font enrichis aux dé» pens des Goths ? Ne font - ce pas les » Goths qui ont enlevé les richeffes des » Romains ? Qui vous a foumis Rome ? » C'eft Albin : il étoit alors Conful. Oui, » Cyprien eft un calomniateur; Albin » eft innocent; jamais on ne 1'auroit » accufé s'il n'eüt été riche. Prenez-y » garde, Prince, ce beau regne , qui » vous attire tant d'éloges, va fe changer » en tyrannie, Sc vous rendre odieux au » monde entier ". Théodoric écouta Boëce avec attention, lui dit que fon projet étoit de rendre juftice a tous fes fujets, Sc qu'il la rendroit a Albin. Les Monarques Sc les fujets feroient heureux , fi le Tröne n'étoit environné que par des hommes véridiques, comme Pétoit Boëce ; mais ils feroient bien a plaindre s'il fe trouvoit parmi les courtifans des fcélérats tels que Cyprien. Cet homme abominable réfolut la perte de Boëce pour affurer celle d'Albin. II chercha Sc trouva deux autres fcélérats , leur communiqua, Sc leur fit adopter fon projet. Pour réuflir, ils firent de faux mémoires, Sc envelopperent Boëce dans 1'accufation d'Albin , afin de les mettre dans 1'impoflibilité de fe fecourir mutuellement. CyC v  j' 8 Thidtn prien , armé de cette impofture , alla trouver le Roi, lui dit qu'il n'étoit pas étonné fi Boëce foutenoit, avec tant de chaleur , les intéréts d'Albin , puifqu'il étoit lui-même 1'auteur de la conjuration , ce qui étoit prouvé par des lettres écrites a 1'Erapereur Juftin, &c dans lefquelles toutes les circonftances du complot étoient détaillées. II en préfenta deux qu'il avoit fabriquées avec les complices de fa fcélérateffe. Par la première, il paroiffoit que Boëce fe plaignoit l 1'Empereur du gouvernement de Théodoric, & de 1'oppreffion dans laquelle ie Sénat &c le peuple Romain gémifIbient. Par la feconde,. les Romains conjuroient 1'Empereur de venir les délivrer, & lui indiquoient les moyens qu'il pou' voit prendre. Tout étoit fi bien détaillé, & paroiffoit fi probable, que Théodoric y ajouta foi : il jura la perte de Boëce & d'Albin. Le zele que Boëce avoit toujjours fait paroitre pour les Catholiques; ia hberté avec laquelle il parloit contre les Goths, confirmerent ce Prince dans 1'idée que ce Sénateur étoit a la tête d'une conjuration formée contre lui. Les délateurs s'applaudilfoient en voyant que K ^ prenoit leur calomnie pour une vérité, èc qu'il s'irritoit de plus en plus  da Monde, 59 contre les accufés; mais ils craignoient que la réflexion ne calmat la colere de Théodoric,.& qu'il ne prit tous les moyens néceffaires pour decouvnr la vérité. Pour óter cette reffource aux viftimes qu'ils vouloient immoler, ils gagnerent, par argent &t pat promeffes, ttois Catholiques , qui dirent au Ro! mi'ü étoit vrai qu'on formoit une conWation contre lui ; qu'ils en etoient même complices, Sc que, pour reparer leur faute, ils en faifoient 1'ayeu. Theo- . doric crut que la vérité de 1'accufation étoit affez prouvée i il fit arreter, fut le champ, Boëce & Albin, & ordonna au Sénat de faire leur proces & de hater le jugement. Les accufateurs & les accufés parurent devant les Juges i les premiers foutinrent leur calomnie avec cette hardieffe qui eft ordinaire aux icelérats ;les autres fe défendifent avec cette noble fermeté qui accompagne toujours 1'innocence. Les Juges découyrirent la vérité ; mais ils craignoient d'irnter le Roi, & de hater la perte de Boece bc d'Albin, slis les renvoyoient abious ; ils conclurent au banniffement , elperant que la colere de Théodoric pourroit'fe calmer, & que le tetóps lui feroit découvrir 1'iniiocence des accules. C vj  6o Thédtre Ils furent trompés dans leur attente; Théodoric trouva le chatiment trop doux pour des hommes qu'il croyoit coupables de_ trahifon , & fit conduire les deux exilés a Pavie, pour être renfermés dans une tour. Elle fubfifte encore aujourd'hui, & on la nomme la prifon de Boece. Ces deux infortunés furent étroitement gardés. La philofophie fut leur confolation. Comme on connoiffoit 1'équité du Roi, qui ne condamnoit jamais un accufé fans 1'entendre, on crut qu'il avoit des raifons particulieres pour faire périr Boëce, & que voulant les derober a la connoilfance du public, il fe fervoit du prétexte de 1'accufation tormee contre lui. Ce qui autorifoit ce foupcon, c'eft qu'on entendoit fouvent dire a Théodoric que Boëce étoit le plus grand ennemi des Ariens, & qu'il blamoit fans ceffe le gouvernement. Ce trait hiftorique prouve qu'il eft fouvent dangereux d'être fincere a la Cour. Boëce, fe voyant dans les fers, &c n'ignorant pas qu'on ne les romproit que pour le conduire au fupplice, montra toute la fermeté dont les ames véritablement grandes font capables; il compofa des ouvrages oii la piété & 1'érudition fe trouvent réunies.  du Möfide. 61 Théodoric, impatient de fayoir quel fuccès auroit 1'ambaffade qu'il avoit envoyée a Conftantinople, s'informoit fouvent fi le Pape s'acquittoit de Ia commiftion qu'il lui avoit donnée. Les Ariens, qui fe retiroient dans fes Etats, 1'informoient exacf ement de tout ce qui fe paffoit k Conftantinople. Ils 1'inftruifirent d'abord des honneurs extraordinaires qu'on avoit rendus au Pape & aux Sénateurs qui 1'accompagnoient. Cette nouvelle caufa beaucoup de joie au Roi, paree qu'il crut que le Pape étoit capable de trahir fa confeience, & de demander qu'on rétablit les Ariens dans leurs Eglifes; mais lorfqu'on lui dit que le faint Pere, loin d'engager 1'Empereur a révoquer fon édit, lui avoit confeillé de le faire exécuter a la rigueur, fa colere fe ralluma. II ordonna qu'on tint des troupes prêtes pour aller faire main-baffe fur tous les Catholiques qui étoient dans fes Etats: mais la réflexion 1'arrêta ; il révoqua 1'ordre prefqu'auffi-töt qu'il l'eut donné. La colere, qui 1'animoit contre Boëce, ne fe calma cependant pas : le regardant comme 1'auteur des perfécutions qu'on faifoit effuyer aux Ariens de Conftantipople, & comme 1'ame de la conduite  6z Thiatre que fes Ambaffadeurs y avoient tenue, il prononca fon arrêt de mort; envoya ordre a Eufebe, Gouverneur de Pavie, de le dégrader de toutes fes dignités ; de confifquer fes biens; de lui lire fon arrêt; mais d'attendre , pour le faire exécuter, qu'il en eüt regu 1'ordre exprès. Eufebe obéit, & Boëee entendit lire fon arrêt de mort avec une fermeté véritablement héroïque. On le chargea de chaines fi pefantes, qu'il ne pouvoit fe tenir debout fans être tout courbé. Dans eet état, qui fait frémir la nature, il compofa ces livres que nous avons de lui, fous le titre de la Confolation de la Philofophie. En les lifant, on a peine a concevoir que celui qui les a compofés fut réduit a un état fi déplorable, qu'il étoit obligé de refter toujours couché par terre. On le transféra de la tour dc Pavie dans un chateau , iïtué au territoire de Calvence , a cinq cents milles de Pavie, au milieu d'un défert affreux. Quoique Théodoric fut perfuadé que fa colere contre Boëce étoit fondée fur des motifs plaufibles : il fe reprocha, cependant, d'abandonner a tant de maux un homme qu'il avoit autrefois honoré de fon eftime & de fon amitié; il lui  du Monde. 65 rit ofFrir la liberté, la reftitution de fes biens &c de fes dignités , s'il vouloit déclarer publiquement que le Roi des Oftrogofhs avoit toujours gouverné l'Italie avec équité , & que , fous fon regne , le Sénat & le peuple Romain avoient joui de la même liberté que fous les Empereurs. Boëce répondit que les Romains n'étoient pas libres , puifqu'on vouloit opprimer les Catholiques. Cette réponfe ralluma la colere de Théodoric ; il ordonna qu'on mit Boëce a la torture. Cet homme vertueux fut attaché fur ime poutre, & deux bourreaux le frapperent fur toutes les parties de fon corps ; enfin , voyant que la douleur ne le forgoit pas a dire ce qu'on demandoit de lui, on lui trancha la tête le 23 Ocfobre 525. Boëce ne fut pas la feule vi£Hme qu'on immola alors a Farianifme. Si-töt que le Pape fut de retour, Théodoric le fit arrêter, avec tous ceux qui 1'avoient accompagné a Conftantinople; les fit conduite a Ravenne, & enfermer dans une étroite prifon : il défendit qu'on leur portat a manger, & les laiffa mourir de faim. Aufii-tot qu'il eut appris la mort du. Pape Jean I"., il en fit élire un autre ; ce fut Felix IV.  64 Tlildtrt La vehgeance de Théodoric ne fut pas encore fatisfaite. Ayant appris que le Sénateur Symmaque étoit un ennemi déclaré de 1'arianifme , & qu'il louoit hautement la conduite de Juftin ; il le fit venir k Ravenne , 1'interrogea , le condamna a perdre la tête , & confifqua fes biens. Symmaque étoit pere de la plus belle & la plus vertueufe femme de fon temps; il 1'avoit donnée en mariage a Boëce. II eft difficile de peindre la douleur que Rufticïenne (c'étoit fon nom) fentit, en voyant que fon pere & fon mari étoient immolés a 1'héréfie. Elle avoit plufieurs enfants, qui, par la connfcation des biens de Boëce & de Symmaque , étoient réduits a 1'état le plus déplorable. Le malheur de cette Dame Romaine étoit au comble; mais elle ne gémiffoit que fur le trifte fort de fes enfants , & fur la perte de fon pere & de fon mari; elle étoit infenfible a ce qui la regardoit elle-. même. Pendant que Rufticienne étoit occupée a foupirer & a gémir, les remords venoient en foule tourmenter Théodoric. II fe repentit de fa trop grande précipitation , fe reprocha fa cruauté : le chagrin Paccabla; il eut un débordement  du Monde. 65 de bille fi terrible, qu'il perdit les forces. Rien ne pouvoit le confoler; tout fembloit, au contraire , 1'avertir de fon injuftice ; fon efprit même s'afFoiblit. Etant un jour a table, on lui fervit la tête d'un grand poiffon ; il s'imagina que cette tête étoit celle de Symmaque, qui le menacoit des dents Sc des yeux. La frayeur le faifit Sc lui caufa un tremblement dans toutes les parties de fon corps. II fe fit porter au lit, Sc demanda qu'on mit toutes fes robes fur lui pour le réchauffer. Elpide, fon médecin, employa tout ce que 1'art pouvoit lui indiquer pour le guérir ; mais fes foins étoient inutiles; ce Prince jettoit de profonds foupirs , Sc pleuroit amérement la faute qu'il avoit commife, en faifant périr Symmaque Sc Boëce. II fit 1'éloge de ces deux grands hommes , fe blama lui-même d'avoir cru trop légérement ce qu'on lui avoit dit a leur fujet, Sc mourut peu de temps après. Ce fut 1'an 5 2.6, après avoir régné 3 3 ans en Italië. II fut porté avec une pompe, véritablement royale , dans un maufolée qu'il avoit fait élever lui-même. Amalafonte, fa fille, fit batir NotreDame de la Rotonde a la place de ce maufolée ? en fit faire un autre de por-  66 Thédtre phire, qu'on placa fous le döme. Tl étoit fi artiftement conftruit, qu'il paroiffoit fufpendu en l'air. On y dépofa 1'urne qui contenoit les cendres de Théodoric. Cette Princeffe fit en outre placer, au milieu du döme, une flatue de grandeur naturelle, qui repréfentoit Théodoric prêt a monter au ciel. La ftatue & 1'urne refterent fous ce döme jufqu'au temps de Coefius, Archevêque de Ravenne. Ce Pré' lat ne voulut pas foufFrir que les cendres d'un Arien reflaffent dans un lieö faint: il fit abattre le maufolée, & tranfporter 1'urne a la porte de 1'Eglife de Saint-Appollinaire : on 1'y voit encore. Théodoric avoit époufé Audeflede , fceur de Clovis ïer., Roi de France : Amalafonte, dont nous venons de parler, étoit née de ce mariage; elle avoit été mariée a Eutaric , qui étoit du fang des Ama doric, fes larmes Sc fes foupirs _ (je m le vois &c 1'entends encore) m'aver» tiffent que la févérité efl fouvent in»> jufte, que la douceur &C I'indulgence » conduifent rarement au repentir. Vous » me demandez la mort, Rufticienne , » je vous accorde la vie, &c vous rends ».les biens qu'on vous avoit ötés. Les » graces que vous. accorde la fille de » Théodoric, doivent vous faire oubher » la févérité de Théodoric. Grande Rei» ne, reprit Rufticienne, vous me faites » éprouver qu'il n'eft point de douleur  du Monde. 71 » que la ver tu ne puiffe calmer, Sc de » caractere qu'elle ne puiffe dompter ". Heureux font les fujets , gouvernés par les Princes , dont I'efprit eft jufie &c le coeur compatiffant. Jornandes de reb. Get. Pocop. de bello Goth. Vie de Boëce, par M. Gervaife. §. XXII. Un fils exerce, contre fa mere, la yengeance la plus cruelle. La mort d'Alexandre, qui arriva 313 ans avant Jefus-Chrift, jetta la confter- 1 nation parmi les Macédoniens. Les chefs de 1'armée s'affemblerent pour élire fon I fucceffeur ; mais ils refterent quelque temps dans 1'indécifion. Aridée, hls naturel de Philippe , & frere d'Alexandre, pouvoit prétendre au Tröne de Macédoine; plufieurs Officiers fe déclarerent en fa faveur; il auroit été proclamé, fi . i'on ne fe fut appercu qu'il étoit d'un tempérament trop délicat, & d'un efprit trop foible pour fuccéder a un Héros. Quelques-uns propoferent de donner le fcéptre a Hercule, qu'Alexandre avok  yz Thédtre eu de Brafine, veuve de Memnon; mais les Macédoniens ne voulurent pas reconnoitre pour Roi un jeune homme, qui n'étoit agé que de neuf ans, & qui joignoit, a ce défavantage, celui d'être fils d'une concubine & d'un lang étranger. Alexandre avoit époufé, cinq ans avant fa mort, Roxane, fille d'Axyarthe, un des plus puiffants Seigneurs de la Bactriane, aujourd'hui la Bucharie, & lui avoit donné le titre de Reine. Elle étoit alors enceinte de fept mois. On décida qu'Aridée feroit proclamé Roi des Macédoniens , que fi Roxane accouchoit d'un Prince, il partageroit la Couronne j avec lui, & que Perdiccas feroit Régent du Rovaume. Roxane accoucha d'un fils, qui fut nommé AUxandre Aigus, &z pro- j clamé Roi, comme On 1'avoit décidé dans le confeil des Officiers. Perdiccas, par fon orgueil&fes cruautés, déplut aux foldats ; ils le maffacrerent & nommerent Antipater a fa place.1 Le nouveau Régent partagea 1'Empire en différents gouvernements, & fe retira dans la Macédoine avec les deux Rois Alexandre & Aridée. II mournt peu de temps après, nomma Polyfperchon k fa place, & donna a. fon fils Caffandre le commandement de la cavalerie. La ja- loufie  du Monde. 73 lovuie & 1'ambition armerent les Gouverneurs des difFérentes Provinces, comme nous 1'avons déja dit , Sc le fang coula de toutes parts. La défunion s'établit entre Euridice , femme d'Aridée , & Roxane, mere d'Alexandre Aigus. Ces deux femmes étoient trop ambitieufes pour partager la fouveraine puiffance. Chacune d'elles fe fit un parti. Caflandre fe mit a la tête de celui d'Euridice, & marcha en • Macédoine : Polyfperchon prit la défenfe de Roxane Sc d'Olympias , mere d'Alexandre , qui étoit dévouée aux intéréts de fa bru & de fon petit-fils : il aflèmbla promptement des troupes , alla a la rencontre de Caffandre. Lorfque les deux armées furent en préfence , les foldats Sc les Officiers de Caffandre fe rangerent du cöté de Polyfperchon , ne voulant pas combattre contre le défenfeur du jeune Alexandre, qu'ils regardoient comme leur légitime Souverain. Caffandre fut obligé de prendre la fuite : Olympias fit percer Aridée de fleches, Sc étrangler Euridice. Caflandre leva une nouvelle armée, rentra en Macédoine, battit Polyfperchon, afliégea Olympias dans Pydna> prit la ville, fit périr Olympias, enfermer le jeune Alexandre Sc Roxane dans Torne III. D  74 Tkédtre la citadelie d'Amphipolis, les dépouilla de leur dignité, & époufa Theffalonice, fceur d'Alexandre-le-Grand. Cinq ans après, il fit mourir Roxane &c fon fils, partagea le Royaume de Macédoine avec Polyfperchon, qui avoit eu la baffeffe de le rendre complice de fon crime. Caffandre régna dix ans & demi dans la Macédoine, & mourut 298 ans avant Jefus-Chrift. Le tang de ce barbare étoit trop corrompu pour produire des enfants vertueux. Theffalonice , fa veuve , voulut faire proclamer Roi de Macédoine Alexandre , au préjudice d'Antipater , qui étoit 1'ainé de fes fils. C'étoit une injuftice , il eft vrai; mais Antipater, pour défendre fes droits , commit un crime qu'on ne lit qu'en frémiffant. Par préfents & par promefles, il mit les gens de guerre dans fon parti; chaffa fon frere de la Macédoine ; fit arrêter fa mere, & ordonna qu'on 1'étranglat en fa préfence. L'infortunée Theffalonice fut faifie de la frayeur que caufe ordinairement les approches du fupplice : fon vifage fe couvrit de larmes ; elle fe profterna aux pieds d'Antipater, implora fa pitié; découvrit le fein qui 1'avoit nourri ; lui dit de fe fouvenir qu'elle 1'avoit engendré & porté dans fon flanc; que la na-  du Monde. 7 j tuft & 1'humanité demandoient grace pour elle; qu'il n'y avoit point de nation qui ne connüt 1'amour &c le refpedf. qui font dus k une mere. Son langage, fes larmes & fes foupirs , exciterent la compaflion de tous ceux qui étoient préfents, excepté d'Antipater : il ordonna qu'on fe hatat de 1'étrangler. Cet horrible crime infpira de 1'indignation k tous les Macédoniens contre Antipater : ils le chafferent. Cet homme abominable traïna quelque temps une vie miférable, & mourut dans les tourments de la faim. La mort des fcélérats eft prefque toujours funefte. Jufiin. I. i6~. $. XXIII. Un fils annonce d fes Officiers & a fes foldats combien il a de tendreffe pour fa mere. Tout le monde fait qu'Alexandre étoit fils de Philippe, Roi de Macédoine , & d'Olympias, fille de Néoptoleme, Roi des Moloffes, peuple de 1'Epire. Cette Princeffe étoit ambitieufe, jaloufe, emortée & vindicatiye, Elle femoit fouD ij  y6 Thédtre vent la difcorde entre fon mari & fon fils : Philippe fut obligé de la renvoye'r dans. fon pays. Plutarque dit qu'on la foupconna d'avoir elle - même engagé Paufanias a affaffiner Philippe. Si-tot que fon fils fut monté fur le Tröne, elle revint en Macédoine : ce ne fut que par la méchanceté qu'elle fit connoitre la puiffance que lui donnoit fa qualité de mere du Monarque* Sa première victime fut Cléopatre, que Philippe avoit époufée peu de temps avant fa morr. Elle 1'outragea un jour fi cruellement , qu'Alexandre lui en marqua du mécontentement : ce Prince, qui avoit toutes les vertus des Héros , diftribuoit a fes foldats les dépouilles de 1'Afie. Olympias lui écrivoit fans ceffe pour Tui reprocher fes prodigalités, & fe plaindre de ce qu'on lui donnoit peu de part au gouvernement de la Macédoine. Alexandre lifoit ces lettres en fecret : il ne vouloit pas faire connoitre le caraólere de fa mere. Ce Prince en re^ut un jour une qui contenoit les mêmes plaintes ; il 1'ouvrit en préfence d'Ephefticn; fouffrit que cet Officier s'approchat, & la lüt avec lui; mais il prit fon anneau, pofa le cachet fur la bouchedu favori, voulant, par - la , lui recommander le filence.  du Monde. 77 Olympias excitoit des troubles contïnuels dans la Macédoine & voidoit y commander en Souveraine. Antipater , qui, pendant 1'abfence d'Alexandre, étoit chargé du foin de gouverner ce Royaume , écrivit a ce Prince pour 1'informer de la conduite imprudentc qtuï tenoit Olympias, & du danger qu'il y ,->voit a fouffrir qu'elle fe mêlat plus lortg-temps du Gouvernement. Alexandre c! it aii milieu de fes foldats lorfqu'tl re<;ut cette lettre; il lut tout haut contenoit , & dit : » Antipater r.e fi » qu'une feule larme de ma mere peilt » effacer dix mille lettres jfemblabl Olympias ne manquoit cependant pas d'efprit. On ert trouve une preuve dans Aulugelle, chap. 8. Alexandre mit au commencement d'une lettre qu'il lui écrivoit : Le Roi Alexandre , fils de Jupi ter Ammon, d Olympias, fa mere. Salut. Elle lui mit dans fa réponfe : Change^ donc de Jlyle , mon fils , 011 vous livrere^ votre mere au reffentiment de Junon, époufe de Jupiter, & lui attirere? toute la colere de cette Dkffe. Lecon fort ingénieufe, pour faire fentir a Alexandre fon orgueilleufe vanité. Quint. Curt. Plutarque, vie d' Alexandre-le-Grand. D iij  7§ Thédtre §. XXIV. Un fils a Ji peu de tendreffe pour fa mere , que la plus légere accufation contrelle, lui fujfit peur la faire périr. I_/es Sarrazins envahirent 1'Efpagne vers le commencement du huitieme fiecle, comme on la vu dans le volume précédent , p. 251 & fuiv. Les Vifigoths fe retirerent dans les montagnes des Afturies, oii ils défendirent longtemps leur liberté contre la puiffance Mahométane. Les Sarrazins s'affoiblirent par des guerres inteftines; les Vifigoths s'enhardirent, les attaquerent, firent des conquêtes fur eux , & la Caftille fut un des premiers pays qui rentra fous la domination de fes anciens maitres. Les Rois des Afturies y établirent des Gouverneurs , qui , fous le titre de Comtes, ufurperent la fouveraine puiffance, & la rendirent héréditaire dans leur familie. Un des Comtes de Caftille, nommé Dom Sanche, avoit une mere, qui, dans un age déja avancé, confervoit toutes les graces & les fleurs de la jeuneffe ; mais un caractere dur & emporté la rendoit  du Mondt. 79 infupportable a ceux qui 1'environnoient. Elle maltraita un jour, fans aucun fujet plaufible, nne de fes femmes. Celle-ci, indignée d'avoir recu un outrage qu'er.e ne méritoit pas , réfolut de fe yenger, a quelque prix que ce fut : la haine s'al- i lumoit de plus en plus dans fon cceur; \ enfin, elle jura la perte de la Comteffe. : Pour réuffir, elle employa le moyen , dont fe fervent ordinairement les ames viles, contre ceux qui ont le malheur d'être en butte a leur haine ; ce fut la : calomnie. Un jeune Maure , qui avoit lié amitié avec Dom Sanche, fils de la Com- ■:. teffe , & qui alloit fouvent au palais , lui fournit Poccafion de 1'exercer. Elle accufa la Comteffe d'entretenir un com« merce criminel avec lui, &C d'avoir formé le projet d'empoifonner fon fils, afin de pouvoir fe livrer toute entiere a fon 3 amant. Dom Sanche haïflbit fa mere; I il la crut coupable , &c, fans écouter la . nature qui lui parloit en fa faveur, fans écouter la Juftice, qui défend de condamner qui que ce foit fans 1'entendre, il prépara lui-même un poifon violent, la forga de le prendre , & la regarda , ; avec tranquillité , tomber & mourir. Le jeune Maure n'apprit 1'aótion de Dom Sanche qu'avec horreur. II crut que D iv  8 O Thédtrt fon devoir demandoit qu'il rendit juftice a la mémoire de la Comteffe; courut au Palais, trouva le barbare Dom Sanche, qui regardoit encore le corps de fa mere avec des yeux tout étincelants de colere. II s'écria : » Ciel, quel fpeftacle ! Un fils » regarde, fans frémir, le cadavre de fa » mere, & c'eft lui qui Pa fait périr. »> Malheureux , qu'a-t-elle fait ? — J'ai »> vengé mon honneur qu'elle offenfoit >» avec toi : j'ai évité ma perte que tu » préparois avec elle. — Tu veux auto» rifer ton crime par un autre. Tu as » öté la vie a ta mere, & tu veux lui »> ravir 1'honneur. Je ne me fuis jamais » trouvé feul avec elle ; je ne lui ai » jamais marqué que du refpecf, & elle » n'a jamais oublié, avec moi, ce qu'elle n fe devoit k elle-même. Fais paroitre » fon accufateur; je vais te prouver ton »> crime Sc le fien ". Se tournant enfuite vers le^ corps de Pinfortunée Comteffe; il s'écria : » Femme refpedtable, que ne » m'eft-il aufTi facile de vous rendre la » vie, qu'il me 1'eft de vous rendre 1'hon» neur ! Vous ne feriez pas long-temps » couchée par terre , votre fang ceffe» roit d'être glacé dans vos veines; il » reprendroit fon cours, Sc cette paleur, » que la mort a répandue fur votre vi-  du Monde. 8l >> fage, feroit bientöt diffipée". Cellequi avoit accufé la Comteffe parut; le Maure la forca d'avouer fon crime. Sanche fentit toute la douleur que fa conduite, a 1'égard de fa mere, devoit lui caufer. II paffa le refte de fes jours a pleurer 6c a foupirer. Ce trait hiftorique prouve combien il eft dangereux d'écouter les délateurs. Fulg. & Egnat. I. _q. c. io exemplorum. §. XXV. Honneurs & rêcompenfes juflement accordJs a la tendrejfe filiale. u N Sénateur Romain, nommé Opius, fe trouva enveloppé dans les profcriptions des Triumvirs. II étoit fi caffé de vieilleffe , qu'il ne pouvoit s'enfuir & fe dérober aux coups qu'on lui préparoit. II avoit un fils qui étoit dans la vigueur de 1'age, 6c dont le nom n'étoit point fur la lifte des profcrits. Ce jeune homme fentit tout ce que fon devoir exigeoit de lui. Les Tyrans avoient prononcé la peine de mort contre ceux qui cacheroient un profcrit; mais il réfolut de s'expofer k D v  F 2 Thédtre toutes fortes de dangers pour fauver fon pere; le couvrit de haillons , s'en couvrit auflï , le chargea., fur fes épaules, traverfa Rome en demandant Paumöne; le porta en Sicile, oü Sextus Pompée, fils du Grand Pompée, s'étoit retiré, Sc oii il donnoit afyle aux profcrits. La renommée publia bientöt, dans Rome, cet exemple frappant de tendreffe filiale. II reftoit encore aux Romains affez de grandeur d'ame pour admirer la vertu; ils dirent tous, d'une voix unanime, qu'on devoit pardonner au pere en faveur du fils. Les Tyrans fentirent combien il feroit dangereux pour eux d'opprimer la vertu que le peuple protégeoit; ils leverentl'arrêt de profcription qu'ils avoient prononcé contre Opius , Sc lui permirent de revenir a Rome avec fon fils. Celui-ci fentit toute la joie que pouvoit lui caufer le bonheur d'avoir fauvé la vie a fon pere. II fe hata de faire fes préparatifs pour le reconduire a Rome. II fe repaiffoit déja du plaifir qu'il goüteroit en y entrant. Son imagination lui repréfentoit fes parents Sc fes amis attroupés aux portes de la ville, verfant des larmes de joie en embraffant Opius, dont ils avoient pleuré la mort, qu'ils regardoient comme certaine. Fils d'Opius,  du Monde. 83 vos efpérances Sc votre joie font fondées : mais , arrêtez, les décrets impénétrables du ciel vont vous prouver qu'il n'eft point de véritable fatisfacfion fur la terre. Votre pere palit, il chancelle; il meurt. R.^ndez-lui les honneurs de la fépulture, arrofez fes cendres de vos larmes , votre douleur efi jufte : mais fouvenez-vous que votre pere vient de fubir la fentence que 1'Eternel a prononcée contre tout le genre humain. Allez a Rome, vos parents, vos amis, le peuple entier vous y attendent pour pleurer avec vous fa mort, vous féliciter en mêmetemps de 1'avoir dérobé a. la fureur des Tyrans, Sc mis dans le cas de finir paifiblement fa carrière. Montrez-y, cependant, votre douleur, elle fera un fecond fujet de gloire pour vous, Sc d'admiration pour les Romains. Le jeune Opius, après avoir rendu les devoirs de la fépulture a fon pere , continua fa route vers Rome. II y fit une entrée moins brillante , mais auffi glorieufe que celle des triomphateurs. Le peuple Pattendoit en foule ; il annonc,a, par des cris d'allégreffe , la fatisfaöion qire lui caufoit fa préfence. Pour réparer 1'outrage qu'on lui avoit fait, en mettant fon pere au nombre des profcrits, on 1'éleva a une des premières dignités D vj  84 Thédtrt de la République; on le nomma (*) Edile. II fe trouvoit, par-la, chargé de la dépenfe des jeux folemnels; mais fes biens avoient été confifqués, Sc il ne lui étoit pas poflible de remplir les devoirs de fa dignité. Tout le monde lui donna alors des preuves éclatantes de 1'eftime Sc de 1'amitié qu'on avoit pour lui : les artif- (*) Les Ediles, chez les Romains, étoient a-peuprès ce que Tont en France les Prévöts des Marchands & Echevins. lis avoient 1'Intendance des édifices publics , des bains des aqueducs. II veilloient a 1'entretien des chemins , des ponts & chauflees. Les poids Sc les mefures étoient du reffort de leur Tribunal. Ils mettoient le prix aux vivres, garantiffoient le peuple des exa£iions, & veilloient a ce que la décence fut obfervée dans les maifons publiques. Ils étoient chargés du foin de tous les fpeftacles. Les jeux qu'on célébroit, pour les fêtes folemnelles , leur coutoient des fommes imnienfes , paree que c'étoient a leurs fraix. On ne les pTenoit d'abord que parmi les Plébéïens; mais, comme ils n'en pouvoient foutenir la dépenfe, les Patriciens demanderent qu'on prit parmi eux des Ediles, & promirent que ceux qui feroient élus, la feroient toute entiere. Oa créa deux nouveaux Ediles, qui devoient être pris dans le corps des Patriciens, & on les nomma Ediles Curules, paree qu'ils avoient droit de s'affeoir fur une chaife ontée d'ivoire , lorfqu'iïs donnoient audience , & les autres n'étoient affis que fur des bancs, Vigencte fur Tite-Liye, t,,,p, C03 6- fuiy.  du Monde. $5 tes, qui fourniffoient les décorations des théatres, allerent le prier d'accepter, fans aucun falaire, leurs foins &C leurs travaux ; les riches lui fournirent ce qui étoit nécefl'aire pour les autres dépenfes, &cc. Ils lui ertvoyerent une 1'omme conlidérable, m»is avec des précautions fi fagement prifes, que le public n'en eut aucune connoilfance. Les fpe&acles furent donnés avec 1'éclat ordinaire; le peuple ne ceflbit d'applaudir a la magnificence d'Opius : mais il étoit étonné qu'il eut trouvé les moyens d'en faire éclater une pareille, puifque fes biens étoient confilqués. II n'appartient pas au vulgaire de connoitre ce qu'on dok a la vertu ( pour lui rendre véritablement hommage , il faut la pratiquer. La forame qu'Opius recut le mit dans le cas de fatisfaire aux fraix des fpedtacles; il lui en refta même affez, après cette dépenfe, pour le dédommager amplement des bier s qu'il avoit perdus. Fulg. I. S, c. 4.  36 Thtdtrt $. XXVI. Jujie punition d'un fils, qui exerce contre fon pere la plus horrible barbarie. V-/ N vient de voir une aftion véritablement héroïque; en voici une qu'on ne peut lire qu'en frémiffant d'horreur. Caïus-Turonius ne fe contenta pas d'être un vil adulateur des tyrans de fa patrie; il joignit les forfaits a la baffeffe; fe mettoit a la tête des foldats, & les conduifoit dans les endroits oii s'étoient cachés ceux que 1'attachement au bien public avoit fait condamner k mort. II les voyoit frapper &expirer avec cette tranquillité que confervent les fcélérats k ces horribles fpetfacles. De crimes en crimes , il alla enfin jufqu'au parricide; indiqua aux Centurions & aux foldats le lieu oii s'étoit retiré fon pere, qu'on avoit mis au nombre des profcrits. II fit plus, il leur donna fon fignalement ; le icélérat craignoit qu'ils ne fe méprifient. Ils fe rendirent auflï-tót k 1'endroit oïi le vieillard étoit, & hu dirent de fe préparer k la mort. Ce généreux & tendre pere, oublia fes propres maux, pour  du Monde. 87 ne s'occuper que de fon fils; il dit aux foldats : » Oii eft mon fils ? Les Trium» virs Pont-ils épargné ? Eft-il en füre» té.' Un des foldats lui répondit : c'eft » ce fils, pour lequel tu as tant de ten» dreffe, qui nous a indiqué le lieu de » ta retraite, c'eft lui qui eft caufe de » ta mort"! II lui paffa, dans le même inftant , fon épée au travers du corps. Malheureux pere, Phorrible crime de votre fils fut, fans doute, plus affligeant pour vous que la mort même. La renommée publia dans Rome cet abominable crime : il infpira de 1'horreur a tous les Romains, qui évitoient la rencontre du fcélérat qui 1'avoit commis. Sa préfence choquoit les yeux; on reprochoit k la nature d'avoir produit un monftre tel que lui. Les remords le tourmenterent; le défefpoir Paccabla : il s'enfonga un poignard dans le fein. Pour détruire un pareil monftre, il falloit la main d'un fcélérat; il falloit la fienne même. Valere-Maxime ,/,<), c.;;.  o o Thé at re §. XXVII. Une jeune fille force un peuple a admirer fa tendreffe filiale , & d accorder la gra.ce d fa mere , qui efl condamnée d périr. Fi -L/ans les commencements de la République Romaine, les loix étoient exécutées; on puniffoit toujours le crime. Une Dame en commit un. Les auteurs ne le défignent point. Ils ne font pas même connoitre le nom de cette Romaine. Elle fut accufée, convaincue & condamnée. Le Préteur la fit conduire en prifon , & ordonna qu'on 1'étranglat. Celui qui étoit chargé de garder la prifon eut de la répugnance a étrangler une femme qui étoit encore jeune & belle. II réfolut de la tenir cachée , & de la laiffer mourir de faim. Cette femme avoit une fille qui étoit a peine arrivée a 1'age de maturité. Celle-ci, croyant que la fentence prononcée contre fa mere avoit été exécutée, fe rendit a la prifon; pria le Conciërge de lui remettre le_ corps de fa mere, afin qu'elle put lui rendre les honneurs de la fépulture.  du Monde. 89 Scs Tannes, fa douleur } fa jeuneffe 6c fa beauté, exciterent la commifération du Conciërge : il lui dit que fa mere vivoit encore; qu'il avoit eu horreur d'être fon bourreau ; qu'il 1'avoit conduite dans 1'endroit le plus écarté de la prifon , pour 1'y laifler mourir de faim. La jeune fille obtint, par fes prieres , la permifiion de voir fa mere. Elle y retourna, & eut encore la même fatisfacfion. Enfin , le Conciërge lui promit de fouffrir qu'elle vit fa mere, tant que celle-ci pouvroit réfifter a la faim; mais il lui dit, que fi elle lui apportoit aucune efpece d'aliment , il ne la laifferoit plus entrer. Craignant qu'elle ne lui manquat de parole , il avoit foin de la fouiller avant qu'elle arrivat auprès de fa mere. II s'attendoit a voir périr la prifonniere dans trés-peu de jours ; mais elle confervoit, au bout d'un temps affez confidérable, une fraicheur qui n'annongoit point le dépériffement; d'ailleurs , elle ne fe plaignoit d'endurer , ni les tourments de la foif, ni ceux de la faim. L'étonnement du Conciërge lui fit prendre la réfolution de fe mettre dans un endroit oü, fans être vu, il pourroit regarder 6c connoitre ce que la mere 6c la fille fai-  90 Thédtn foient lorfqu'elles étoient enfemble. II vit que la fille préfentoit fon fein a fa mere , & que , par fon lait, elle appaifoit fa faim & fa foif. Ce fpeftacle lui parut fi touchant, qu'il verfa des larmes de compaflion ; s'expofa k périr luimême pour rendre une mere k une fille fi vertueufe. II alla fe jetter aux pieds duPréteur, lui avoua que la pitié 1'avoit empêché d'exécuter fes ordres a 1'égard de cette femme qu'il avoit condamnée k mort. II lui fit enfuite le tableau de ce qu'il avoit vu. Le Préteur lui dit :» On » doit te pardonner ta faute , puifqu'elle » eft caufe que les annales Romaines fe» ront ornées d'un fi beau trait d'amour » filial ". Levant les yeux au ciel , il s'écria : » A Rome on commet bien des » crimes ; mais k Rome on trouve bien » de la vertu. Généreufe fille , il eft » jufte de vous rendre une mere k la» quelle vous avez confervé les jours » avec votre propre fubftance ". Se tournant vers le Conciërge, il lui dit: » Va » promptement rendre la liberté a cette » femme Le Préteur ne fe contenta pas d'accorder la mere k la tendreffe de fa fille ; il affembla lè peuple, lui fit une peinture fi touchante de ce qu'avoit vu le Conciërge, qu'on affigna a la mere  du Monde. 91 & a la fille une penfion pour les faire fubfifter honorablement; & on changea la prifon, oii la mere avoit été détenue, en un temple confacré k Pamour filial. Val. Max. I. 5. c. 4. Plin. I. 8. c. 3G. Valere - Maxime rapporte un autre fait a-peu-près femblable ; mais il ne cite, ni le lieu , ni le temps ou il s'eft pafle. II paroït certain qu'il ne fe paffa pas k Rome , puifqu'il le met au nombre des exemples étrangers. Cet Auteur dit : qu'un vieillard nommé Gimon, fut mis en prifon, & condamné k mourir de faim ; que fa fille, k laquelle il donne le nom de Peto, obtint la permiflion d'aller le voir , toutes les fois qu'elle le jugeroit a propos , mais k condition qu'elle ne lui porteroit aucun aliment. Sa tendreffe filiale lui fit faire , pour fon pere, ce que la jeune Romaine avoit fait pour fa mere; elle lui préfenta tant de fois fon fein , qu'il y ' fit venir affez de lait pour lui fervir de fubfiftance. Le Conciërge de fa prifon eut le même étonnement que celui de Rome, prit les mêmes précautions, & fit la même découverte. II en avertit  91 Thêdtre les Juges , qui, pénétrés d'admiration, rendirent la liberté au vieillard. C'eft ce dernier trait qui eft repréfenté dans plufieurs tableaux, oü 1'on voit une jeune fille alaitant un vieillard dans une prifon, & qu'on appelle la Charitè Romaine. II paroit que Valer eMaxime ne le rapporte que d'après les tableaux qui exiftoient de fon temps , & qui repréfentoient ce fujet : il ne 1'avoit trouvé dans aucun Hiltorien. Val. Max. Ibid. §. XXVIII. Une fille laiffe endurer les tourments de la faim d fon pere, quelle a dépouillé de fon bien. TT • N citoyen de Padoue avoit amaffé des biens affez confidérables dans le commerce. N'ayant que des parents fort éloignés, il réfolut de fe marier, pour lahTer des enfants qui profitaffent de fes peines & de fes veilles. II ne fuivit point 1'exemple de ces hommes avides, qui ne jugent du prix d'une femme que par celui de la dot qu'elle leur apporte. II  du Monde. 93 en chercha & en trouva une qui appartenoit a des gens honnêtes , Sc joignoit, aux agréments de la figure, ceux du caracfere &c de I'efprit. II goütoit toute la fatisfattion qu'une femme aimable peut procurer a un horome raifonnable : mais fon bonheur ne dura pas ; fa femme perdit la vie en la donnant au fruit de leur amour mutuel. C'étoit une fille pour laquelle il concut une véritable tendrefle paternelle. Ses traits fe développant avec 1'age, elle devint une des plus belles perfonnes de fon temps. Bientöt on la demanda en mariage : fon pere 1'accorda a un jeune homme qui lui parut digne de la pofféder. Croyant que fa fille méritoit les fentiments qu'il avoit pour elle, il fe dépouilla d'une partie de fes biens, pour lui faire une dot confidérable, & la rendre plus précieufe au mari qu'il lui donnoit. II ne connoifibit pas le caractere de fa fille; c'étoit un monftre , qui, pour avoir ce qu'il s'étoit réfervé de fa fortune, defiroit de le voir périr. Pour mieux le tromper , elle lui faifoit les careffes les plus tendr'es ; elle 1'amena au point que ce malheureux pere n'avoit d'autres volontés que celles de fa fille. Elle Pengagea a partager fa maifon avec  94 Thédtre elle ck fon mari, & redoubla fes attentions pour lui : enfin elle lui propofa de fe débarrafier de tous foins , de toutes inquiétudes, & de lui céder ce qu'il avoit confervé de fes biens , lui affurant qu'il feroit toujours le maïtre de difpofer de tout ce qu'ils poffédoient fon mari & elle ; qu'ils ne cefferoient jamais de le regarder comme le chef de la familie, & que tous ceux qui la compofoient lui feroient entiérement foumis. On ne fe défie point de ceux qu'on aime : le pere crut que fa fille étoit fincere : Pafte par lequel il lui abandonnoit tous fes biens fut bientöt dreffé &c figné. II croyoit que cette générofité réuniroit dans fa fille la reconnoiffance k la tendrelfe filiale : mais il fut trompé dans fon efpérance. A peine deux jours s'étoient écoulés, depuis la ceffion qu'il avoit faite, qu'il vit que fa fille & fon gendre ne le regardoit plus qu'avec indifférence : ils pafferent bientöt aux marqués de dégout ; les duretés &c les mauvais traitements fuccéderent; on le relégua dans 1'appartement le plus élevé de la maifon qu'on habitoit. Ön trouva fa préfence ennuyeufe & choquante; on lui dit de ne plus paroïtre, & qu'on lui feroit porter la nourriture dont il  Ru Monde. 95 avoit befoin. On 1'oublia bientöt, & ce malheureux vieillard paflbit des jours entiers fans pouvoir même obtenir les chofes les plus néceffaires a la vie. II gémiflbit fur fon fort, fe reprochoit fa crédulité & fa foiblefle. La mifere rend fouvent les hommes ingénieux k trouver les moyens de changer leur fort. ' Cet homme, que la faim dévoroit, que 3 le chagrin d'avoir été fi cruellement trompé par fa fille accabloit, imagina , : pour adoucir fes maux & fe venger, un ftratagême qui lui réufiit. II ramaffa tous . les morceaux de fer, & tous les teffons qu'il put trouver dans les rues, . les porta fecrétement dans 1'appartement qu'il occupoit, & les enferma dans un coffre qui lui avoit autrefois fervi k ferrer fon argent. Lorfqu'il en eut une quantité affez confidérable, il fe mit k -. les remuer &c k les faire fonner de maniere qu'on put croire qu'il comptoit une fomme confidérable d'argent. II recommencoit fréquemment cette opération, & avoit foin de tenir fa porte fermée ,afin d'y mettre un air de myfiere, • & d'exciter la curiofité de fa fille & de fon gendre. Ce qu'il attendoit & defiroit arriva. Leurs oreilles frappées par un fon qui reflèmbloit k celui que rend  c)6 Thédtre 1'argent que 1'on remue & que 1'on compte, attira leur attention. Ils monterent k la chambre du vieillard ; frapperent a la porte ; le prierent d'ouvrir ; il remit dans fon coffre fa ferraille &C fes teflbns , avec la précaution de les faire fonner , & leur ouvrit la porte de fa chambre. Ils lui demanderent ce qu'il faifoit. — » Je voulois voir r leur dit-il, » fi le million , que j'ai toujours eu » foin de réferver pour fournir aux be» foins de ma vieilleffe, étoit complet, » afin de le faire porter chez un de » mes amis, auquel j'en ferai don, mais » avec la précaution de lui .faire figner » un afte, par lequel il s'engagera k » me fournir ce qui fera néceffaire k ma » fubfiftance & a mes amufements ". Sa fille &'fon gendre fe jetterent k fes genoux , lui protefterent qu'ils lui marqueroient toutes les attentions qu'ils lui devoient ; qu'ils répareroient le paffe par leur tendreffe & leur foumiffion. II feignit de fe laiffer attendrir; & leur dit : » Le bien que je poffede furpaffe » celui que je vous ai donré : pour me » marquer que vous méritez que je » vous le laiffe , venez a 1'inftant an» nulier mon afte de donation. Je veux » vous éprouver pendant quelques jours, » &C  du Monde. 07 » &c ma tendreffe vous rendra ce que < » vous avez déja, & y joindra ce que i » je poffede ". L'avidité les aveugla; ils allerent avec lui chez le Magiftrat; renoncerent a fon acte de donation & ; 1'annullerent. II leur dit alors : » Mes » defirs font remplis ; je peux me ven ! » ger de votre horrible ingratitude : qu'il f » eft affligeant pour moi d'avoir donné • » le jour a la plus abominable de tou1 » tes les femmes! Elle voulut faire pé- < » rir un pere qui avoit tout facrifié » pour elle ". II fit fur le champ fon teftament; déshérita fa fille, laiffa fon bien aux höpitaux après fa mort , & dit k fon gendre & k fa fille : » J'ai trop » enduré de maux chez vous pour y » retourner ; & ajouta, en leur don» nant un clef : vous pouvez ouvrir ■ w mon coffre fort, & vous emparer de » ce qui eft dedans ; c'eft tout ce que » vous aurez de ma fucceffion ". II fe > retira dans une communauté, oii il pafla le refte de fes jours. Sa fille & fon gendre fe préfenterent plufieurs fois pour I k voir ; mais il ne voulut jamais fouffrir qu'ils paruffent devant lui. II eft jufte de punir, quand on le peut , ceux qui manquent a la reconnoiffance & aux deyoirs de la nature. Tornt III. E  9 8 Thédtre C'eft donner des exemples utiles ; mais il eft imprudent de ne pas mettre des bornes a fa confiance. Fulg. I. 6, c. 4. §. XXIX. Vamour de la patrie ejl facrifié a Camour paternel. Les vicfoires qu'Annibal remportafur les Romains font trop connues pour que nous en parlions ici. Nous nous contenterons de rapporter un trait qui eft annoncé par le titre de ce paragraphe. Lorfque ce Héros tourna fa marche du cóté de Capoue, il s'éleva une conteftation parmi les citoyens de cette ville. Les uns vouloient qu'on lui ouvrit les. portes & qu'on implorat fa clémence;, les autres vouloient qu'on lui réfiftat: & qu'on fe laiffat plutöt enfevelir, fous; les ruines de la ville, que de commet- ■ tre une lacheté & d'abandonner les Ro- ■ mains, auxquels on avoit juré une fidé- ■ lité éternelle. Pacuvius-Calanus étoit le; chef du parti qui vouloit qu'on fe fou- ■ mit aux Carthaginois, fon fils, nommé!  du Monde. 99 I Perolla , étoit d'un fentiment oppofé ; mais fa jeuneffe 1'empêchoit d'avoir, pari mi fes compatriotes, tout le crédit que fes vertus lui auroient donné dans un | age plus mür. Son pere fut écouté, Sc t on ouvrit les portes de la ville k Ani nibal. Ce Général, inftruit de ce quï i s'étoit paffé dans Capoue , avant fon arI rivée, envoya inviter Calanus Sc fon fils k fouper avec lui. Le jeune homme, prétextant une incommodité , refufa de i fe trouver au repas d'Annibal ; mais ( lorfque le jour commenga k baiffer, il fe rendit au palais qu'occupoit ce Général , fe mit k la porte de 1'appartement ou 1'on devoit fouper , attendit \ que fon pere parut; fi-tót qu'il le vit, il alla k fa rencontre, lui dit qu'il vou1 loit 1'entretenir en particulier avant qu'ils I allaflent fouper. Ils pafferent dans le \ jardin qui étoit derrière le Palais. Lorf\ qu'ils furent feuls , Perolla dit k fon I pere : » J'avois d'abord refufé de venir w fouper avec Annibal; mais j'ai changé I » d'idée, paree que j'ai formé un nou1» veau pro jet que je veux exécuter ". II leva enfuite fa robe, lui fit tater un (ipoignard qui étoit deffous, &C ajouta: ,]» Je vais délivrer Rome d'Annibal. Par n cette aftion , j'efFacerai la faute que E ij  ïOO Thédtrt » les habitants de Capoue ont commife •» contre les Romains, en abandonnant » leur parti, &c forcerai alors ces der» niers de les regarder comme les plus n fideles alliés de Rome. Les Cartha» ginois, fans doute, me mettront en h pieces; mais il fera glorieux pour moi »> de laver dans mon fang la honte de } » Capoue, ma patrie ". Calanus frémit de crainte & d'horreur; fon vifage fe i couvrit de larmes; il conjura fon fils , , par la tendrefie que les enfants doivent: avoir pour leur pere, de ne pas com- • mettre, en fa préfence un crime auffi abominable ; lui repréfenta qu'il n'étoit: pas permis de violer le ferment de fidé- ■ lité que les habitants de Capoue avoient prêté au Général des Carthaginois; enfin i qu'il devoit avoir horreur lui-même de; louiller une table oü il étoit admis, par fc fang d'un hóte auffi illuftre. Voyant 1 que fon fils s'attendriffoit, il le prit entre: fes bras . & ne le lacha que lorfqu'il lui eut promis d'abandonner fon projet. Perolla lui dit : » Je facrifié ce que je » dois a la patrie ; mais je fuis pénétre » de douleur, lorfque je vois que mon »> pere eft deux fois criminel envers cette » même patrie: il a abandonné les Ro» mains, a pris le parti de leurs enne-  du Mondt. roi » mis , & arrache de mes mains des ar» mes que j'avois prifes pour 1'intérêt pu» blic ". II prit fon poignard, ajouta : » Chere patrie, puifque la tendrefle pa» ternelle me défend de faire ufage de » ce fer, que je n'avois pris que pour » te venger ; je te 1'envoie ". II le jetta par-delTus les murailles , & paffa avec fon pere dans la falie oii 1'on devoit fouper. Ce jeune homme avoit une véritable tendrefle paternelle, puifqu'elle fut capable d'arrêter un caraftere auffi bouillant que le fien. Sdbtl. /. 3 , En. 5. %. XXX. La prodigaliti ejl la caufe qu'un, pere eft outragc par fon fils. s le temps que Philippe faifoit trembler les Grecs, il exiftoit a Athenes une familie qui, de génération en génération, s'attiroit le mépris de fes voifins. Les enfants, dans leur jeunefle, étoient d'une prodigalité extréme; mais a mefure qu'ils avangoient en age, ils changeoient de caraélere, devenoient écoE iij  102 Tliédtrt nomes, & finiflbient par être avares. De-la il arrivoit toujours que les peres étoient infupportables a leurs fils , &C cette familie étoit dans des difputes continuelles. Le fils vouloit exiger de 1'argent du pere; la colere s'allumoit de part & d'autre : on en venoit aux invectives; , on alloit jufqu'a fe battre : le pere, plus agé & moins vigoureux, étoit toujours maltraité. Un jour un voifin, impatienté d'entendre leurs difputes & leurs cris, , I entra chez eux, pour les avertir du i fcandale qu'ils caufoient dans le voifinage, & rétablir parmi eux 1'union qui, doit régnerentre le pere ck; le fils. Quelle I fut fa lurprife! II vit le pere couché par ! terre, & le fils qui le fouloit aux pieds. || Son indignation le conduifit fur le chatnp i chez les Magiftrats , auxquels il raconta i ce qu'il venoit de voir. Ils ordonnerent;! au fils de paroitre a leur tribunal. II s'y 1 fit accompagner par fon aïeul , & ré- j pondit a 1'accufation qu'on porta contre j lui : » Les coups que je donne k mon i » pere, vengent le fien qu'il a fouvent t » maltraité ". Son aïeul prit la parole: & dit : » II eft vrai qu'il m'a battu dès i » qu'il a eu atteint 1'age de puberté. . » C'eft un ufage dans notre familie de i » battre fon pere ; il fe perpétue de.i  du Monde. I03 » génération en génération, j'ai tenu la » même conduite a 1'égard du mien ". On eft bien a plaindre quand on fe livre k fes paflions, au point de n'écouter , ni le refpecf humain, ni le devoir, ni la nature même ! Arifl. Ethlcorum, l. 6. %. XXXI. Deux jeunes gens , pour conftrver la vie a leur pere & mere , s'ex pof ent d perdre la leur. Catane, ville de Sicile , eft fituée fi prés du terrible mont iEtna, qu'elle eft fouvent endommagée par les feux qu'il vomit. Quelques années avant Jefus-Chrift 1'explofion fut fi violente, que Catane fe trouva, dans un inftant, couverte de feu, de cendres & de fumée. Deux jeunes gargons, 1'un nommé Amathias , 1'autre Criton, ne s'occuperent point a ramaffer 1'argent &c les papiers qui pouvoient être dans leur maifon; ils ne fongerent qu a conferver la vie a leur pere & k leur mere qui étoient arrivés k la vieillefie : 1'un prit fon pere fur fes E iv  104 Thêdtre épaules; 1'autre fe chargea de fa mere. La lave les pourfuivoit 8c fembloit vouloir les forcer d'abandonner leur précieux fardeau; mais ils vouloient fauver leur' pere 8c leur mere, ou périr avec eux. Les flammes étoient prêtes a les dévorer; cependant, comme fi elles euflent refpetté la tendrefle filiale, elles fe diviferent, leur livrerent un paflage. Ces jeunes gens regurent la récompenfe due a .leur vertu; les habitants de Catane les déclarerent chefs de la nation. Panfanias in Phocicis, Strabon, Val. M. Seneca, /. 2, de Benef. §. XXXII. Un fils, par fon ingratitude, caufe la mort d fon pere. Pierre Candien II, gouvernoit la République de Venife en 959. II avoit un fils nommé comme lui, Pierre Candien , & qui , fous les apparences des plus rares vertus, cachoit les plus horribles vices. Le pere ne jugeoit fon fils que par 1'extérieur, 8c le croyoit digne  du Monde. 105 de toute fa tendreffe. Se trouvant affoibli par 1'age , il crut pouvoir partager avec lui les foins fatigants du gouvernement , & le fit fon collegue. Alors tous les vices du jeune Candien éclaterent : fa douceur difparut, & fut remplacée par une hauteur & une dureté infupportables. Sa modeftie fe changea en vanité, en ambition. II n'écouta ni ce que la nature, ni ce que la reconnoiffance lui difoient pour fon pere. Impatient de 1'avoir pour émule, il voulut le faire defcendre dans 1'état de particulier. II employa d'abord la rufe, pour 1'engager a abdiquer, &, voyant qu'elle ne lui réuffiffoit pas, il eut recours a la violence; affembla ceux que fes débauches rendoient fes partifans; affiégea fon pere dans fon chateau-: les Vénitiens , indignés de fon odieufe conduite , s'armerent tous contre lui, & le chafferenr. Le pere fut fi pénétré de douleur, que fa fanté s'affoiblit de jour en jour; il mourut. Son abominable fils trouva des protecteurs auprès de 1'Empereur Othon II, qui le fit rétablir dans fa dignité de Duc ; mais il n'ufa de fa puiffance que pour commettre de nouveaux crimes. Le peuple fe fouleva, & mit le feu a fon paE v  I oó Thêdtre lais. Le Duc prit entre fes bras un petit enfant qu'il avoit eu de Valrade , fa femme, & voulut s'enfuir. A fa vue, la fureur du peuple augmenta. II fut maffacré avec fon enfant. La haine qu'on avoit concue pour le pere empêcha qu'on ccoutat la pitié que 1'enfant devoit infpirer. Fulgos. I. jp, c. tu %. XXXIII. Refpecl & amitiè. Ferdinand Ilrégnoit k Naples vers la fin du quinzieme fiecle. Son pere, Alfonfe III, voyant fes Etats ravages par les Francois, commandés par Charles VIII, abdiqua la Couronne en faveur de fon fils, Sc embraffa la vie religieufe. Ferdinand , fecouru par les Efpagnols, chafla les Francois du Royaume de Naples , Sc affermit la Couronne qui chanceloit fur fa tête. II aimoit Sc refpecf oit fon pere, au point qu'il n'entreprenoit aucune affaire importante, avant d'avoir été le trouver dans fa retraite , pour le confulter fur ce qu'il devoit faire, Sc fuivoit fes confeils, comme des loix qua  du Monde, 107 lui étoient dictées par fon Souverain & fon pere. Lorfqu'il apprit fa mort, il dit, en foupirant : » II n'y a plus de fa» tisfacfion pour moi dans ce monde. » Je ne goüterai plus celle de voir que » mes heureux fuccès font le fruit des » fages confeils de mon pere; je n'aurai » plus le plaifir d'aller recevoir & lui » rendre fes careffes &c fes embraffe» ments. Que j'étois impatient lorfque » les guerres m'empêchoient de jouir de » fa préfence & de profiter de fes con» verfations ". La fortune fecondoit toutes. les entreprifes de Ferdinand; elle fembloit fe faire un devoir de récompenfer fa tendreffe filiale. Pont. I. 2, c. 3, de obedientia. §. XXXIV. Haine & outrage. JPériclès parut 450 ans avant Jefus-Chrifi. Politique adroit , grand Capitaine ,.& plus grand Orateur , il fut profiter du pouvoir que donne 1'éloquence, pour s'élever au-delfus de tous fes E vj  io8 Thêdtre concitoyens, & irriter le peuple contre fes rivaux. Les divertiffements qu'il procura aux Athéniens, acheverent de le mettre en faveur. On lui confia le Gouvernement de la République. Athenes étoit alors dans toute fa fplendeur, & la place, qu'occupoit Périclès , le rendoit un des hommes les plus importants du monde entier. On peut juger de fon pouvoir, par la hardieffe qu'il eut d'enlever le tréfor public de la Grece, qui étoit en dépot a Delos, de le faire tranfporter a Athenes 9 & d'en difpofer comme des deniers de la République. Ceux qui n'établifToient leurs jugements que fur les apparences , croyoient que Périclès étoit 1'homme le plus heureux de fon temps ; mais la félicité, qu'il goütoit au milieu du peuple, s'évanouiffoit lorfqu'il rentroit dans fa familie. II y trouvoit Xantippus , fon fils aïné , qui n'avoit pas 1'ame affez élevée pour connoitre le prix de la gloire & des honneurs; il ne defiroit & ne recherchoit que ces plaifirs qui aviliffent 1'homme; &c, ce.qui eft ordinaire a ceux qui s'y livrent, il étoit, fans celfe, tourmenté par les befoins les plus preffants, N'étant pas imprudent a demi, il époufa une fille fans dot; mais elle étoit jeune  tiu Monde. 109 & belle; &, ce qui la rendoit plus aimable a fes yeux , c'étoit le goüt qu'elle avoit pour les plaifirs &c la débauche. Sa dépenfe augmenta, &c fes befoins fe multiplierent. II crut trouver dans fon pere un hom me affez foible pour lui fournir les fommes néceffaires a fes énormes dépenfes. II fe trompa : Périclès étoit généreux, mais prudent; il fi«êpit que, favorifer les vices de fon fils, ce feroit s'en rendre coupable, & ne lui fourniffoit que ce qu'il falloit pour fes befoins &c fes amufements. Xantippus eut recours aux moyens qu'employent ordinairement les hommes fans honneur, a la fourberie & k l'impofture. II envoya un efclave emprunter une fomme confidérable k un des amis de fon pere, & lui dire que c'étoit Périclès même qui Ia demandoit. L'argent fut envoyé; mais au bout d'un temps affez confidérable on le redemanda. Périclès, loin de le rendre , cita en juftice celui qui 1'avoit prêté, & 1'accufa de fournir a fon fils les moyens de fe livrer k la débauche. Xantippus congut contre fon pere une haine fi violente, qu'il faififfoit toutes les occafions qu'il rencontroit de Poutrager; tournoit fes attions en ridicule; n'ouvroit la bouche que pour médire de lui; rap-  110 Thidtre portoit, dans le public, tout ce qu'il lui voyoit faire & lui entendoit dire dans le particulier. Enfin, il lui ötoit cette liberté que les hommes publics goütent, avec tant de plaifir , au milieu de leur familie. Périclès fut enfin délivré de ce fils odieux; il mourut de la pefte, dans un age peu avancé , & fubit la punition prononcée contre ceux qui ne rendent pas a leur pere & a leur mere le refpeóf qu'il leur doivent. Plutarque, vie de Périclès. §. XXXV. Un fils , pour conferver la vie i fon pere , offre la Jienne, Les difputes qui s'éleverent entre Octaye & Antoine, firent, comme on 1'a déja vu, commettre des horreurs. Le frere s'arma contre le frere, le fils contre le pere. La nature entiere fembloit être en fureur. Ces deux Tyrans fe battirent a. Acfium. Ocfave, conduit par les confeils du brave & prudent Agrippa, fe trouva, pour ainfi dire , maïtre du monde entier. Sa viefoire fit regarder ~fa caufe  du Mondt. 111 eommé jufte, & ceux qui avoient pris les armes contre lui, comme criminels. On raffembla tous les prifonniers, pour leur faire fubir la mort : le malheur , d'avoir été vaincus, les y condamnoit, felon Fufage alors établi. Parmi eux fe trouvoit Métellus, qui s'étoit fait remarquer par fon courage a combattre, &c fa prudence a commander. Sa paleur , fon air abattu, annoncoient fon défefpoir ; il étoit prés de périr, fans pouvoir fe défendre. Son fils, qui avoit combattu a cöté d'Ocfave, & 1'avoit plufieurs fois garanti des coups qu'on vouloit lui porter, le regarda , le reconnut. II courut a lui , le ferra entre fes bras, couvrit fon vifage de larmes; retourna vers Odf ave, & lui dit : » Mon pere a » combattu contre vous, il mérite la i mort; j'ai combattu pour vous, je » mérite des récompenfes : la feule que » je vous demande, c'eft de me mettre » a la place de mon pere ". Ocfave lui répondit:» Métellus, faire périr un hom» me qui m'a auffi bien fervi que vous, » ce feroit le comble de Piniquité. Vous » m'avez, pendant la bataille , confervé » la vie; je dois vous accorder celle de » votre pere. Allez , vous - même, lui » öter fes chaines ".  11Z Thédtre Quelle fatisfa&ion ne doit pas goüter " un pere d'avoir produit un pareil fils! Fulgos, l. 5, c. 4. §. XXXVI. Un Prince, impatient des remontrdnces de fon dieul, le fait périr dans les plus cruels tourments. M ANASsis régnoit, a Jérufalem , 71 o ans avant Jefus-Chrift. II n'imita pas la conduite de fon pere Ezechias, qui avoit fu, par fa piété, "mériter les faveurs du Ciel, &, par fa douceur, acquérir Famour de fes fujets. II ne profita , au contraire, de fa puiffance, que pour fe livrer a des excès qui déshonorent 1'hu- mamte. La namance la plus diftinguee ne mettoit point les femmes k 1'abri de fes outrages : le mérite le plus éclatant étoit pour lui un objet de haine & un motir pour exercer ia cruaute. En vam les Prophétes alloient le menacer de la vengeance célefte, ck le conjurer de changer de vie; il prenoit leurs avertiffements & leurs confeils pour des infultes qui méritoient la mort, & les condamnoit  du Monde. 113 au fupplice. Ifaïe, fon aïeul maternel, crut que fon devoir exigeoit qu'il parlat a Manaffès avec toute la fermeté qu'un aïeul peut employer contre fon petitfïls, fans être dans le cas de craindre aucun mauvais traitement; il lui fit les reproches les plus fanglants; finit par 1'avertir de craindre que la main de Dieu ne s'appefantït fur lui, 8c ne lui fit effuyer, pendant fa vie , les plus cruels chatiments, en attendant le fupplice éternel que fes forfaits lui avoient mérité. Tout autre que Manaffès eut écouté ces remontrances , 8c en eut profité; mais elles ne fervirent qu'a Tirriter , 8c lui faire exercer contre lui, ce que la cruauté a de plus horrible. II ordonna qu'on le coupat en deux avec un fil de fer. On frémit en écrivant une pareille horreur. La juftice divine ne tarda pas k punir ce monftre ; les Rois des Babiloniens & des Chaldéens s'armerent contre lui, le battirent, 1'emmenerent en efclavage ; il y mourut miférablement. Hieronim. Thomas ; Nicol. de Syra ; Fulg. I. $, c. 2.  ii4 Tliidtre CHAPITRE IV. Amour frater nel. i-j'amour fraternel eft un attachement produit par les liens du fang, augmenté par 1'habitude de fe voir, de fe foulager , de s'amufer réciproquement. La raifon , en fe développant, fait connoitre que c'eft un devoir. La haine, entre les freres, vient de la jaloufie, de Kntérêt, & fouvent de la ditférence des caracteres. Etant prefque toujours les uns avec les autres, ils fe montrent leurs vices, ou leurs défauts dans tout leur jour; la haine s'accroït, & arrivé fouvent au comble. §• I. La tendreffe conjugale & maternelle efi facrlfice d la tendreffe fratemelle. C e fut vers 1'an 5 3 6 avant Jefus-Chrift que Cyrus fe trouva maïtre de ce vafte Empire, qui étoit compofé de celui des Perfes, des Egyptiens, des Affyriens , des Medes & des Babiloniens. Nous avons  du Monde. 11 5 parlé de ce grand Prince dans le premier r volume de cet ouvrage. II mourut 530 ans I avant Jelus-Chrift, 8c laifia la couronne a Cambyfe, fon hls ainé , qui, par fes > cruautés, devint un objet d'horreur : fon frere Smerdis , Sc fa foeur Meroé , ne \ furent pas a Fabri de fes fureurs. Ce t monftre mourut après un regne de dix ; ans. Un Mage, qui reflembloit parfaitement a Smerdis, aflura qu'il étoit véri■ tablement Smerdis, Sc monta fur le Tröne. Le nouveau Roi fe montroit rarement en public, paree qu'il craignoit qu'on ne découvrït , dans fa perfonne, quelque chofe qui annoncat fon impofture; mais I fa précaution eut un effet contraire a celui qu'il attendoit. Les Grands foupj gonnerent qu'il avoit des raifons importantes pour ne pas fe faire voir. Ils alij lerent jufqu'a douter qu'il fut véritable! ment Smerdis. Un d'eux découvrit la véI rité par fa fille, qui avoit époufé 1'ufurpateur : elle déclara k fon pere que fon mari n'avoit point d'oreilles. On fe fouvint que Cyrus les avoit fait couper a un Mage, qui avoit commis un crime capital. On publia bientöt que celui qui occupoit le Tröne étoit un ufurpateur. II fe forma une confpiration contre lui: on afliégea le palais, 8c on fit périr Pufurpateur.  116 Thidtrc Les Grands s'affemblerent pour élire un Roi ; mais le choix les embarraffoit. Ils convinrent de fe trouver tous le lendemain au matin a cheval , dans un lieu indiqué ; qu'on proclameroit Roi celui dont le cheval henniroit le premier. L'Ecuyer de Darius ufa d'un artifice qui aflura la Couronne a fon maïtre. II attacha la nuit une cavale dans Pendroit oh tous les Grands devoient fe trouver, & y mena le cheval de Darius. Le lendemain le cheval ne fut pas plutöt dans Pendroit oü il avoit fenti la cavale , qu'il hennit, & Darius fut proclamé Roi. II étoit d'une naiffance illuftre. Ce nouveau Monarque accorda toute fa confiance a Intapherne, qui avoit été un des premiers k découvrir la fourberie du faux Smerdis. Un matin , ce courtifan voulut entrer dans la chambre du Roi; mais le garde Parrêta , paree que Sa Majefté étoit encore au lit. Intapherne regarda le refus du garde comme un outrage; lui coupa les oreilles & le nez. Darius , fentant qu'il devoit toute fa protecfion k fes gardes, réfolut de punir Intapherne de maniere k intimider tous les Grands de 1'Etat. II le condamna a mort & tous les males de fa familie, même ceux qui étoient du cóté de fa femme.  du Monde. 11 y Auffi-töt qu'elle en fut inftruite , elle cour ut au palais, fe jetta aux pieds de Darius; mais le crime de fon mari étoit encore trop récent, pour que la colere du Prince fut calmée; il lui ordonna de fortir. Elle fe profterna a la porte de la chambre, y refta plufieurs jours &c plu- i lieurs nuits, pendant lefquels elle ne cef- 1 foit de pleurer &c de foupirer. Darius fut enfin touché de fa douleur; il lui envoya dire qu'il accordroit la grace a ; celui de fes parents qu'elle choifiroit, afin qu'il lui reftat quelqu'un qui put ef- t fuyer fes larmes. On crut que fon choix tomberoit fur fon mari ou fur un de fes enfants ; mais elle demanda, fans héfiter, fon frere. Le Roi lui dit: » Pour» quoi lui donnez-vous la préférence fur » votre mari & fur vos enfants. Grand » Roi, répondit-elle, je fuis encore jeune, » je peux retrouver un mari & faire » d'autres enfants; mon pere & ma mere » font fort agés; fi mon frere périt, je » ne pourrai jamais en ravoir un ". Darius fentit que Pamour qu'elle avoit pour fon frere lui diefoit ce raifonnement; &c lui accorda fon fils aïné & fon frere. Son mari & fes autres enfants fubirent la fentence qui avoit été prononcée contre eux. On eft étonné de voir que Da-  118 Thédtre rins ne donna pas plus d'étendue k fa clémence. Sabel/. I. t, ) c- 7 > ex Herod. I. j. §. II. La jaloujie ejlpoujpe au comble de l'horreur. ent foixante-neuf ans avant JefusChrift, 1'Egypte étoit gouvernée par Ptolomée Philometor, & Ptolomée Evergetès II, tous deux freres. Le premier avoit fu , par fa douceur, gagner le coeur de fes fujets ; le fecond s'étoit attiré leur indignation par fes vices. Les Egyptiens eurent le malheur de perdre Philometor, & de refter en proie aux cruautés d'Evergetès ; mais la mort les en délivra. II laiffa plufieurs enfants, entre autres Ptolomée Soter II, qui lui fuccéda; Cléopatre, qui époufa Antiochus Cyzicenien, Roi de Syrië, &c Sélene, qu'on donna en mariage a Antiochus Grypus, fon frere, qui régnoit auffi fur une portion de la Syrië. L'ambition alluma la guerre entre les deux freres : ils fe battirent; Cyzicenien fut vaincu, & obligé de prendre la fuite. Sa femme Cléopatre fe ré-  du Monde. j j y fugia dans le temple de Minerve. Sa foeur Sélene avoit, dès fa plus tendre jeunefle, > coneu contre elle une haine implacable^ , & 1'avoit toujours confervée, paree qu'elle t la furpalfoit en beauté. Elle faifit 1'oc- cafion que lui préfentoit la vicfoire de fon mari pour fatisfaire fa haine, &c faire ) éclater fa cruauté. Elle donna ordre a fes gardes de chercher CléopStre , de la < poignarder, & de lui apporter fa tête. i Ils partent pour exécuter fes ordres;mais i ds trouvent la PrinceiTe qui tient les : pieds de la ftatue de Minerve entre fes I bras, & les ferre fi étroitement, qu'ils > ne peuvent 1'en arracher: ils craignent I de renverfer la ftatue. Lorfqu'ils annon) cerent k Sélene ce qui fe paffoit, elle leur ordonna de lui couper les bras. GryI pus eut horreur lui-même de la barbarie de fa femme ; il défendit aux foldats d'obéir : mais il fut obligé de fe metI tre k la tête de fes troupes, Sc de pourfuivre fon frere, qui avoit levé une nouvelle armée. L'abominable Sélene profite de fon abfence pour achever fon crime : elle fe tranfporte dans le temple de Minerve; fe fait accompagner par des foldats armés de haches, leur ordonne de couper les bras de fa foeur, fait tranfporter fon corps mutilé hors du temple,  i io Thédtre & dit aux foldats de lui trancher la tête. Ce crime étoit trop atroce pour refter impuni. Les Syriens congurent tant d'horreur ppur cette femme qui avoit ofé violer un afyle facré , & les loix encore plus facrées de la nature, qu'ils abandonnerent tous le parti de fon mari, fe déclarerent en faveur de Cyzicenien. Pour venger la mort de fa femme , il fit couper par morceaux 1'infame Sélene. C'eft toujours avec fatisfacfion que 1'on voit la punition fuivre le crime. Sabell. I. 2, c. io. §. LU L'amour fraternel fait taire Vambition. D eux cents quarante-fix ans avant Jeius-Chrift, Laodice fit empoifonner fon mari Antiochus II, Roi de Syrië, pour placer fur le Tróne Séleucus II, fon fils. t-> • ■ ' r r. ' a „ veraineté de plufieurs Provinces ; mais feulement avec le titre de Gouverneur. Antiochus ne paya les bienfaits de fon frere que par la plus horrible ingrati- tude :  du Monde. I2£ tude : il leva des troupes fous prétexte de faire la guerre au Roi d'Egypte : mais il avoit formé le projet d'atraquer Séleucus, Sc de le forcer a partager la Couronne avec lui. Séleucus en fut informé , fe^met k la tête de fes troupes , Sc fe hate de marcher contre lui. Les deux armées fe rencontrent, fe battent avec acharnement. Séleucus eft vaincu , Sc obligé de prendre la fuite. Ön publie qu'il a été tué. Antiochus fent alors toute 1'horreur de fon ingratitude , fe retire dans la ville qu'il a coutume d'habiter, fe dépouille de la robe de pourpre, prend un habit de deuil, Sc ne ceffe de pleurer que quand on lui a affuré que Séleucus exifte encore. Lorfqu'il eut des preuves de la vérité qu'annonooit cette feconde nouvelle , fa trifteffe fe changea en joie; il fortit de fon palais , alla rendre grace aux Dieux , Sc faire des facrifices ; ordonna que toutes les villes foumifes k fon obéilfance en fiffent autant , Sc célébraffent fa joie par des fètes publiques. La fatisfacf ion qu'Antiochus goüta , lorfqu'il apprit que fon frere vivoit . prouve que fon chagrin étoit véritable, lorfqu'il 1'avoit cru mort. Flut. de amieiüa frater. Tome III, F  12z Thédtre §. iv. Uambitïon fait taire Vamour fraternel. Lj'homme dont nous allons parler eft fi extraordinaire, que nous croyons devoir donner 1'abrégé de fa vie. C'eft le célebre Attila, Roi des Huns, connu fous le titre de fiéau de Dieu. Les Huns étoient originaires de la Tartarie, une partie fe répandit du cöté de 1'Orient , ïk attaqua le.s Chinois ; 1'atttre tourna du cöté de POccident, & s'établit dans ks plaines de la Sarmatie Afiatique, le long du Volga, proche les Palus Méetides. Ils traverfèrent ces Palus vers Pan 376 de Jefus-Chrift, jetterent 1'épouvante parmi les nations qui, de ce cöté, étoient fur les frontieres de 1'Empire Romain. Les Goths voulurent leur réfifter; mais ils furent battus. Les uns fe fournir ent ; les.. autres aller ent prier 1'Empereur Valere de leur permettre de ié rètirer dans la Thrace. Les Huns, jufqu'alors inconnus a PE11rope, rirent trembler tous fes habitants. Ils avoient le vifage arfreux : fi-töt que leurs eftfants avoient vu le jour, ils leur  du Monde. 123 I fendoient les joues, pour leur faire con. noitre le fer avant le lait; leur corps : étoit ramaffé & leur taille mal prife. Les racines & la chair mortifiée entre la felle & le dos de leurs chevaux faifoient leur 1 nourriture. Ils fe trouvoient trop reffer: rés dans des maifons, erroient dans des I plaines & des forêts ; mettoient leurs j'femmes & leurs enfants fur des chariots; \ ils n'étoient habillés que de toile ou de i peaux ; enduroient, avec une extreme ; patience; la faim, la foif & les rigueurs 3 tles faifons. Ils paffoient les nuits fur le dos de leurs chevaux, qui étoient fi lé^gers , qu'on les voyoit fondre fur 1'eni nemi , & difparoitre en même - temps. J Ils n'avoient ni loix ni religion; étoient Rïurbes & cruels. Ces mreurs barbares >j étoient foutenues par un courage féroce. sLes enfants entroient en fureur au récit ides exploits guerriers de leurs peres, & lies vieillards gémiffoient de voir que les iforces leur manquoient pour combattre, lipiller & ra vager, lis entrerent fur les iterres des Romains ; renverferent tout jee qui fe rencontra fur leur route , & is'avancerent jufqu'a Antioche. Quelques années après, ils firent une (feconde invaüon fur les terres de 1'Em- pire ; allerent jufqu'a Conftantinople , F ij  124 Thédtre portant par-tout le feu tk le carnage. En 433 , Attila & fon frere Bleda furent reconnus chefs des Huns : ils étoient de la Familie Royale. Théodofe II, qui régnoit alors a Conftantinople , leur envoya des Ambaffadeurs pour conclure une paix folide entre les Romains & les Huns, & eut la baffeffe d'accepter les conditions les plus honteuies.* II confentit de renvoyer tous les Huns transfuges; de donner pour chaque prifonnier Romain huk pieces d'or; de ne faire aucune alliance avec les nations ennemies des Huns , & de leur payer tous les ans fept cents livres d'or. Attila &Z Bleda , tranquilles du cóté des Romains, attaquerent & foumirent tous les autres peuples qui les environnoient. Après ces conquêtes, Attila refta quelque temps en paix ; mais , trop bouillant &c trop ambitieux pour ne pas chercher k étendre fa puiffance , il fit des préparatifs contre Théodofe. Son frere Bleda étoit d'un caraftere plus doux; il lui repréfenta que c'étoit une injuftice de rompre, fans fujet, un traité de paix , &C d'attaquer un homme qui fe crovoit en fureté par la foi donnée & la foi recue. Ces juftes remontrances, loin d'arrêter Attila, ne feryirent qu'ct  du Monde, :i feritéf fa fureur; il s'élanga fur fon frere, i & le poignarda. ïl n'eft pas étoniiant II qu'un homme auffi barbare & auffi cruel ait commis un fratricide : la nature en avoit fait un monftre. Continuons fon hiftoire. En peu de temps, il étendit les bornes de fa puiffance au point qu'il fe trouva maïtre dë prefque tout le nord de 1'Europe. II poffédoit la Scythie, la Germanie, & avoit foumis toutes les nations qui étoient audela du Danubê. Ne trouvant perfonne qui s'oppofat a fes deffeins, il fit de nöuveaux préparatifs de guerre, entra dans la Thrace , pouffa fes ravages jufqu'au Pont-Euxin & au détroit de Gallipoli : plus de. foixante-dix villes furent faccagées par ce barbare. Théodofe voulut lui oppofèr de la réfiftance ; mais fes troupes furent battues, & il fut obligé de lui donner des fommes confidérables pour 1'empêcher de ruiner tout-a-fait t|'Empire. Attila étoit fi convaincu que ton nom feul infpiroit de la terreur a f^héodofe, qu'il lui envoyoit, en qua^ité d'Ambaffadeurs, ceux qu'il vouloit énrichïr, paree que 1'Empereur ne manquoit jamais de leur faire des préfents .-confidérables, pour les engager a obtem d'Attila qu'il le Iaiffat tranquille. F iij  1x6 Thédtre Théodofe , voulant fe délivrer des ; craintes continuelles que lui infpiroit ce i; redoutable ennemi, congut le lache projet de le faire affaffiner; il gagna, a force : de promeffes, un Ambaffadeur d'Attila; \ mais le Hun , au-lieu de commettre le crime, avertit fon maitre de ce qu'on i tramoit contre lui. Attila fit faire a 1'Em- ■ pereur les reproches les plus fanglants i & les menaces les plus terribles. Theo-dofe ajouta une feconde baffeffe k la pre- • miere : il appaifa Attila avec des fom- ; mes confidérables. Aux dépouilles de 1'Orient, Attila i vouloit joindre celles de 1'Occidcnt : let deffein étoit formé ; les foldats étoient armés ; il ne lui manquoit qu'un prétexte pour attaquer Valentinien III, Empereur d'Occident. L'injufie &C infatiable: Attila favoit toujours en trouver. Quelques années auparavant, Honoria, fceur de Valentinien, &c qui étoit alors agée de 16 a 17 ans, voulut fe marier; maisi 1'Empereur s'y oppofa. Elle eut recours a Attila, qu'elle crut avoir affez de har-' dieffe pour entreprendre de la tirer d'efl clavage, &c affez de force pour y réufïïrj Elle le fit folliciter de rompre un traité qu'il avoit fait avec PEmpire d'Occident; d'entrer en Italië, a la tête d'une armée  du Monde'. 127 formidable; lui envoya un anneau pour gage de fon amour pour lui &c de la foi qu'elle lui juroit d'avance. Attila ne fit pas alors beaucoup d'attention a 1'orTre que lui faifoit cette Princeffe; fon projet étoit de tourner fes armes du cöté de 1'Orient; mais il garda 1'anneau. En 450, il envoya demander a Valentinien la Princeffe Honoria comme fa femme, & la moitié de 1'Empire pour fa dot. Valentinien répondit que fa foeur étoit mariée, d'ailleurs qu'elle n'avoit aucun droit a 1'Empire. Attila parut fe contenter de cette réponfe; mais il ne changea pas de réfolution, & différa feulement de marcher contre lui. Théodofe II, Empereur d'Orient, étoit mort, & Marcien avoit été élu pour remplir fa place. Attila lui envoya demander le tribut que Théodofe s'étoit engagé a lui payer; mais Marcien lui répondit : » Je » n'ai de 1'or que pour mes amis , & » j'ai du fer pour mes ennemis ". Attila fentit par-la que Marcien étoit difpofé a lui réfifter. Comme le foible Théodofe II lui avoit délivré prefque tout ' 1'or qui étoit dans 1'Empire d'Orient, il • réfolut d'attaquer Valentinien II. Pour cet effet, il fit des préparatifs formidaI bles, 6c envoya dire a cet Empereur F iv  i z8 Thédtre qu'il n'avoit point intention de rompre la paix qu'il avoit faite avec lui , qu'il fe propofoit feulement de marcher contre les Goths établis dans la Guyenne & le LanguedoCj defquels il avoit regu quelques fujets de mécontentement. II envoya en même-temps a Théodoric , leur Roi, une lettre concue en ces termes. » Si j'entre dans les Gaules les ar» mes a la main, ce n'eft point pour » vous attaquer, car je n'ai aucun iiijet » de vous faire la guerre. Je veux ex» terminer les Romains. Souvenez-vous » des guerres cruelles que vous avez eues » a foutenir contre eux. LailTez-moi » faire , je vous vengerai ". Par cette rufe il empêcha ces deux nations de fe liguer , même de fe tenir fur fes gardes. Valentinien laifTa fes troupes difperfées, les villes furent mal gardées, & les Gaules refterent en proie a Attila. II y entra k la tête de cinq cents mille hommes,; y mit tout k feu &c k fang. Quelques villes fermerent leurs portes; mais il n'y avoit point de troupes pour les défendre; elles tomberent fous les coups d'Attila. II ravagea Treves , Wormes , Mayence , Strasbourg , mit Metz a fac, & 1'enfevelit fous fes ruities. Saint - Agnan , Evêque d'Orléans ,  du Monde. 129 voyant Attila aux portes de la ville 3 alla trouver iEtius, Général des troupes Romaines, 1'exhorta. a fecourir Orléans , & a ne pas abandonner les fujets de 1'Empire a. la fureur d'un barbare altéré du fang des humains. iEtius écouta fes remontrances , les trouva juftes; fit fortifiér Orléans, raffembla toutes les troupes de 1'Empire ; en leva de nouvelles ; exhorta Valentinien a envoyer des Ambaffadeurs chez les nations étrangeres, pour les engager a joindre leurs forces a celles des Romains. II écrivit a Théodoric en ces termes : » Invincible guerrier, joignez vos » forces aux nótres pour combattre cet » ennemi du genre humain , qui veut » anéantir les Romains, pour extermi» ner enfuite les Goths ". Théodoric fentit la jufteffe de ce raifonnement; fe mit & la tête de fes troupes, & alla joindre jEtius. Attila continuoit fes ravages; il venoit de prendre Orléans : les Huns commengoient le mafiacre lorfqu'J homme courageux eft content lorf» qu'il court k la vengeance! qu'il goüte » de plaifir au moment qu'il fe venge ! » Elangons-nous fur 1'ennemi ; ce font » toujours les plus courageux qui atta» quent. Méprifez cet amas de nations : F vj  131 Théatre » votre ennemi a cherché du fecours; » c'eft qu'il a peur. La frayeur le faifit, » même avant de combattre. Vous con» noiffez la foibleffe des Romains, que » la moindre bleffure, la pouffiere mê» me accable. Attaquez - les avec votre » courage ordinaire, avant qu'ils foient » rangés en ordre de bataille , avant » qu'ils ayent formé leurs tortues. Ne » craignez point le nombre : enfoncez » les Alains , renverfez les Vifigoths. » Pour vaincre, il faut frapper oii 1'on » trouve de la réfiftance. Coupez les » nerfs, arrachez les os, les membres » s'affaiffent, le corps tombe. Huns , » prenez courage, combattez, mais que » la prudence vous guide. Le fort ga» rantira ceux qui doivent vaincre. La » fortune nous a conduits ici; c'eft pour » y combattre & pour y vaincre : c'a » été fon but, lorfqu'elle nous a fait » découvrir le paffage des Palus-Meoti» des , fi long - temps inconnu a nos » ancêtres, & qui nous a ouvert 1'en» trée de 1'Europe. Attila lancera le » premier trait fur 1'ennemi, le fecond » fera pour le lache qui n'ofera 1'i» miter ". Auiïi-töt les Huns s'élancent fur les ennemis. La fiueur s'empare des deux  du Monde. 133 parfis;la réfiftance eft égale a 1'attaque; chaque foldat, altéré du fang de fon ; adverfaire, frappe & tombe lui-même fur le corps qu'il vient d'abattre : les Huns , les Romains , les Goths, les Francois frappent & meurent enfemble. La nuit couvre de fes voiles cet horri' ble carnage; les foldats ceflent de com1 battre, ne voyant plus 011 frapper. Les ' Goths avoient pénétré jufqu'au centre ) de 1'armée des Huns. Attila , faifi. de t frayeur a leur approche , s'étoit retiré ! dans fon camp, & n'avoit laiffé k fes I foldats que la fureur pour guide. Elle 3 étoit fi grande qu'ils ne s'étoient pas I appercus de la retraite de leur Géné1 ral, &: avoient toujours fait face k 1'enI nemi. jEtius avoit pénétré, de fon cöté, I dans les bataillons des Huns ; mais les I ténebres le forcerent de fe retirer. Les deux armées rentrent dans leur I camp, & y paffent le refte de la nuit. . Le lendemain, le jour offre k leiu's re; gards des corps déchirés, des membres épars, des armes brifées; enfin, un carnage fi affreux qu'un ruiffeau qui coule '.. dans la plaine s'eft changé en un torrent ! de fang; &C les foldats qu'une foif infupportable y attire , font obligés de ; boire le fang que leur fureur vient de  13.4 Thédtre répandre. Les Goths chercherent leur Roi Théodoric, & le trouverent parmi les morts. Ils le pleurerent , 1'enterrerent, & proclamerent Roi fon fils Thorifmund. Attila, renfermé dans fon camp, frémiffoit de rage; il faifoit retentir le bruit de fes armes & de fes inftruments de guerre , comme s'il fe fut préparé k un nouveau combat. Mais il ne fortoit point, ce qui fit juger que fa perte étoit fi confidérable qu'il n'ofoit fe préfenter une feconde fois dans la plaine. On délibéra fi on Pattaqueroit, mais' fon camp étoit tout bordé de gens de trait; on lentit qu'on perdroit beaucoup de monde; on réfolut de le tenir afTiégé, &C de 1'affamer. Jormandès dit qu'il fe préparoit a fe brüler en cas que les ennemis vinffent 1'attaquer. L'impétuofité de Thorifmund ne lui permettoit pas d'attendre autant de temps qu'il en falloit pour venir a bout du deffein qu'on s'étoit propofé. Le deur de venger la mort de fon pere, la vue des Huns irritoient fa fureur; il vouloit, k chaque inftant, s'élancer fur le camp d'Attila; mais jEtius Parrêtoit ; il fentoit qu'il étoit de 1'intérêt des Romains de ne pas laifTer exterminer les Huns, paree qu'on feroit toujours dans le cas de les oppofer  du Monde. 13 5 aux Vifigoths, qui devenoient de jour en jour plus formidables. Enfin, il confeilla k Thorifmund de s'en retourner dans fon pays pour prendre poffefiion de la Couronne. Thorifmund approuva fon confeil & le fuivit. Attila, voyant que fes ennemis étoient difperfés, fortit de fon camp, & prit le chemin de fes Etats. jEtius le fuivit toujours en queue, pour 1'empêcher de ravager les pays par oii il paffoit. Cette vief oire fut fatale aux Romains: iEtius, croyant Attila abattu , licencia «ne partie de fes troupes : mais Attila ne refpiroit que fang & carnage. Sa défaite avoit augmenté fa fureur : il ne s'occupa qu'a préparer une cruelle vengeance , ramaffa des troupes & rentra en Italië 1'an 452, renverfa toutes les villes qui fe trouverent fur fon paffage, maffacra tous les hommes qui y étoient, & fe confola de fa défaite par le barbare plaifir d'affliger le genre humain. A la Cour, au Sénat, on délibéroit, on prenoit des réfolutions; mais la crainte les rendoit toutes chancelantes. Cependant Attila pilloit Aquilée, faccageoit Milan, renverfoit Pavie, ruinoit enfin toute PItalie. II vit a Milan des tableaux qui repréfentoient des Empereurs Romains,  136 Thédtre affis fur des trónes d'or, & des Scyfhes a leurs pieds. II fe fit peindre affis fur un tröne, fit mettre devant lui des Empereurs Romains portant des facs fur leurs épaules, 6c répandant 1'or 6c 1'argent k fes pieds. Les coups que portoit Attila, les cris des mourants , le bruit des muraillês qu'il renverfoit, épouvanterent toute 1'Italie : on cherchoit par-tout des afyles pour fe dérober k fa fureur. C'eft une opinion générale que les peuples de la Vénétie, pour éviter la cruauté des Huns, fe retirerent dans les iiles qui étoient fur leurs cötes; qu'ils y batirent des maifons, 6c que ce fut Porigine de la ville de Venife. Attila , comme un torrent qui renverfe tout ce qu'il rencontre, avangoit vers Rome: il vouloit terminer fes cruautés 6c fes ravages par renverfer la capitale du Monde : mais fes Officiers Parrêterent; ils lui repréfenterent qu'Alaric, Roi des Vifigoths , étoit mort peu de jours après avoir faccagé cette ville ; que fon armée diminuoit tous les jours par la difette des vivres; enfin, qu'jEtius avoit recu des fecours d'Orient, 6c qu'il fe préparoit a venir fondre fur les Huns. Ce difcours le frappa : il fe préparoit  du Monde. 137 a évacuer 1'Italie , lorfque 1'Empereur Valentinien III,. au-lieu de faire marcher des foldats pour le forcer a partir, lui envoya des Ambaffadeurs lui demander la paix. Le pere du célebre Caffio- i dore fut chargé de cette négociation : Attila le regut avec fierté , jetta fur lui des regards terribles. L'Ambaffadeur lui paria avec fermeté, mais avec refpedt ; 1'amena au point qu'il accepta un tribut annuel, 6c fit ceffer tout acle d'hoftilité; mais il déclara qu'il reviendroit mettre 1'Italie a feu 6c k fang , fi on ne lui envoyoit pas la Princeffe Honoria , avec la dot que devoit avoir la fille 6c la fceur d'un Empereur. II repaffa le Danube, s rentra dans fes Etats : bientöt il en fortit k la tête de fes troupes, pour aller attaquer les Alains, enfuite les Vifigoths , 6c les punir d'avoir fecouru les Romains j contre lui. Thorifmund , Roi des Vifigoths, en fut informé, marcha a fa rencontre , 1'attaqua, le battit, 6c le forga de rentrer dans fes Etats, oü il mourut ' vers 1'an 453. Jormandès dit qu'Attila voulut ajouter au grand nombre de femmes qu'il avoit, une jeune & belle fille nommée Ildico. Le jour de fon mariage , il but immodérément, 6c fe renferma dans fa  138 Thédtre tente avec fa nouvelle époufe. II fe coucha fur le dos, fut furpris d'une hémorrhagie. Dans la pofition oü il étoit, le fang lui tomba dans la gorge &c 1'étouffa. Le lendemain, fes Officiers ne le voyant point paroitre, eurent peur qu'il né lui fut arrivé quelqu'accident : ils 1'appellerent k grands cris : ce fut en vain : Attila n'étoit plus. Leur crainte augmenta, leurs cris redoublerent ; ne le voyant point paroure, ne 1'entendant point répondre, ils enfoncerent la porte, trouverent Attila mort, & couvert de fang; fa jeune époufe étoit k cöté du corps , la tête couverte de fon voile , Sc verfant un torrent de larmes. Les Officiers exprimerent leur douleur par les pleurs & les foupirs; ils s'arracherent les cheveux, fe déchirerent le vifage. Ils porterent le corps dans la campagne, le mirent dans une tente de foie. Pour honorer fes funérailles, on donna un fpectacle folemnel. L'élite de la cavalerie des Huns couroit autour de la tente, & chantoit, d'un ton lugubre, les exploits guerriers d'Attila. Après cette cérémonie, on fit un grand repas, & lorfque la nuit fut arrivée, on enterra le corps. On le mit dans trois cercueils. Le premier étoit d'or, le fecond d'argent, le troifieme de fer.  du Monde. 139 On orna fon tombeau de plufieurs armes qu'il avoit prifes fur les ennemis, & de carquois enrichis de pierreries. Pour que perfonne ne fut ou étoient ces richeffes , on fit mourir tous les ouvriers qui avoient travaillé k cette fépulture. Prifque, qui avoit été en ambafiade auprès d'Attila, dit que ce Prince étoit petit de taille, mais fort & ramaffé; fes épaules étoient larges. II avoit la tête groffe , le hez eourt & retrouffé , les cheveux blancs, la barbe rare, la peau brune, les yeux petits & étincelants, le regard terrible, & la contenance fiere. Prifque ajoute que deux Ambaffadeurs de Théodofe II , Empereur d'Orient, allerent a la Cour d'Attila ; qu'il leur donna un magnifique repas. Son palais étoit une tente environnée de paliffades. On les fit affeoir fur des fieges qui étoient rangés autour de la tente. Les Courtifans étoient k différentes tables; chacun avoit trois ou quatre convives qui mangeoient avec lui. On fervit différents mets dans des plats d'or & d'argent. Attila étoit au milieu avec fes enfants. Ses habits étoient fort fimples; ils n'étoient diftingués des autres que par leur propreté & leur fineffe. Le fiege  ! 4° Thédtre fur lequel il étoit affis étoit de bols : il ne but &c ne mangea que dans des vafes de bois ; il méprifoit tout ce qui hu paroiffoit fuperflu. Jormandès, qui étoit, pour ainfi dire, le contemporain d'Attila , dit que ce Prince favoit eftimer la vertu; qu'il n'étoit barbare qu'envers fes ennemis; qu'il etoit fier & fuperbe lorfqu'il traitoit avec eux; qu'il méprifoit le falie & les ncheffes, les lailfoit k fes femmes & k ies Officiers; qu'il chériffoit fes {mets ecoutoit leurs plaintes, leur rendoit juftice; ne fouffroit pas qu'on les inouiétat dans la poffeffion de leurs biens, ni'qu'on opprimat les pauvres. II pardonnoit aiiement, n'accabloit point fes fujets d'impots , & fe plaifoit k infpirer de la crainte & de la terreur aux étrangers, II aimoit la guerre avec paffion; étoit brave, fans être téméraire : il formoit de grands projets, & trouvoit toujours 3es moyens de les faire réuffir. Si Attila tut ne parmi des peuples policés, c'eüt ete un héros; mais il naquit parmi des barbares & fut un barbare. Jormandès, de rebus Get.; Prïfque , Ambajfades de Menandre; Hifi, dès Huns, por M, de Guignes.  du Monde. 141 ,' Un frere, pour obtenir la grace de fon frere, fait parler les bleffures quil a recues luimême en defendant la patrie. : Eschile étoitoriginairedePAtfique, I & d'une familie affez difïinguée. II prit : d'abord le parti des armes; mais, cédant I au goüt qu'il avoit poür la poéfie , il I les abandonna , &c devint un des plus I célebres Poëtes tragiques de fon temps. II fut accufé d'avoir laché des impiétés I dans un de fes Poëmes, cité devant les I Juges & ccndamné a être lapidé. Le i jour' marqué pour cette cruelle expëdi', tion , les bourreaux amenent Efchile ' dans la place publique. Le peuple qui (i y avoit tant de fois admiré fes talents, I s'y raiTembla pour voir fon fupplice, ; &c fe repaitre de fes douleurs. Efchile I eft déja dépouillé, & attaché au poteau; • les pierres qui doivent fervir a 1'affommer font amaffées. Les gens de marqué gémiffent; le bas peuple s'impatiente de ne pas voir commencer le fupplice. Le bras qui doit lancer la première pierre eft déja levé, Amyntas, frere d'EIchile,  ivf 2 Thidtre accourt, fe place a cöté de fon frere » & crie : » Bourreau, arrête; Athéniens, » écoutez. — Xercès vint attaquer la » Grece avec huit cents mille hommes. » La confternation étoit répandue par» tout ; tout le monde trembloit. Dix » mille Grecs fe préfenterent pour aller » vaincre Xercès, ou mourir. Qui les » affembla , Athéniens ? Ce fut moi ! » Qui porta les premiers coups fur les w Perfes a. Salamines ? Ce fut encore » moi ! Parmi ceux qui m'entendent, » plufieurs s'armerent de mon courage; » Xercès fut vaincu , & la Grece fut » fauvée. Je rentrai dans Athenes; mais » je n'y rapportai pas la main qui avoit » immolé les Perfes ; elle étoit reftée » dans le champ de bataille ". II avanga fon bras, &c ajouta : » Regardez, Athé» niens, je 1'ai perdue pour conferver » votre liberté. Je n'ai jamais demandé » & jamais regu de récompenfes. J'é» tois content d'avoir fervi ma patrie, » & de la voir libre : mais je ne m'at» 'tendois pas au malheur qu'elle me » prépare; de voir périr mon frere par » le plus horrible & le plus humiliant » des fupplices II fe pla9a devant Efchile, & lui dit : » Cher frere, j'ai » facrifié une partie de mon corps pour  du Monde. 143 H la Grece ; je facrifié aujourd'hui le » refte pour toi ". Tout le monde fut frappé d'admiration, &c toutes les bouches s'ouvrirent pour crier : Grace. Amyntas détacha fon frere du poteau, : le reconduifit chez lui, & regut, dans toutes les nies par oii il paffa, le tribut d'éloges qui étoit dü a fa vertu. Allian. de var. hifi. §• VI. Un frere profite du malheur oii un tyran a réduit fa patrie, pour couvrir un fra* iricide. T JLi e feul nom de Catilina préfente k i 1'idée un fcélérat. Vouloir aflervir fa patrie , maffacrer fes concitoyens , ne fut pas le premier de fes crimes. II avoit un frere qui s'offenfoit de fes débauches, i & les lui reprochoit. De fages confeils ne pouvoient qu'impatienter un homme : tel que Catilina. II congut d'abord une ; haine implacable contre fon frere : bienI tot il réfolut de le faire périr. Deux I motifs 1'excitoient a commettre ce crime: . il fe débarraffoit d'un cenfeur févere; fe  1^4 Thtdtrt procuroit un héritage que fes exces lui rendoient néceffaire. II 1'aifaffina, 6c, craignant la jufte punition due a cette horrible aclion , il alla trouver Sylla, le pria de mettre fon frere dans la Me des profcrits , afin qu'on ne fut plus dans le cas de faire des recherches fur fa mort. Sylla rempliffbit alors Rome de fang; un crime de plus ne 1'arrêta pas: il fit ce que le fcélérat lui demandoit, 6c fe rendit complice de fon fratricide. Catilina lui marqua fa reconnoiffance par une autre abominatïon. II alla chercher Marcus Marius , qui étoit du parti oppofé k Sylla, le tua, lui coupa la tête; la lui apporta au milieu de la place publique; 6c alla fe laver les mains dans les eaux luftrales qui étoient dans le temple d'Apollon fitué prés de la place publique. Les Romains étoient bien a plaindre d'avoir pour compatriotes des fcélérats , qui ofoient les rendre témoins de pareik les horreurs. Plut. Fit dt Sylla. §, VII.  du Mondt. 145 §. VII. Un Monarque rtgrttlt fon frere jufqu'a deJirer de pouvoir lui rendre la vie au prix d'un Royaume qu'il vient de conquérir. A l f o n s e V, Roi d'Arragon, eft un des plus grands Monarques qui aient paru. A la tête de fes armées, il faifoit trembler les ennemis, &c les battoit toujours. Au milieu de fon peuple, il étoit doux, généreux; n'annoncoit fa puiffance que [par des bienfaits, & tous fes fujets lui donnerent le titre glorieux de magnani1 me. Les Savants qu'il aimoit & protégeoit ont rendu un jufte tribut d'éloges a fes ; vertus. Jeanne II, Reine de Naples, n'ayant ; point d'enfants , adopta tour-a-tour le Duc d'Anjou 8c le Roi d'Arragon , ce qui caufa des guerres & des ravages continuels dans le Royaume de Naples. Elle mourut en 1435 ' iMitua, par fon teftament, René d'Anjou, Comte de Loriraine & de Provence, fon héritier au jRoyaume de Naples. Alfonfe réfolut de faire valoir les droits que 1'adoption de la Reine lui donnoit fur ce Royaume; Tornt III, G  146 Tkéatre mit dans fes intéréts plufieurs Seigneurs s Napolitains; aflembla fes troupes; entra 1 dans le Royaume, avec le projet d'en 1 faire la conquête , & de fe faire pro- clamer Roi. René d'Anjou leva une armée, pour défendre ce qu'il croyoit lui i appartenir. Les deux concurrents fe bat- lirent plufieurs fois avec des fuccès va- ■ riés. Alfonfe, plus habile Général, rem- porta plus fouvent la vicfoire, affoiblitt infenfiblement fon ennemi, s'empara dee prefque toutes les villes du Royaume;, attaqua la capitale; s'en rendit maitre; mais fa joie fut troublée par la mort de e fon frere Pierre, qui, pendant le fiege, fut tué d'un coup de canon. Alfonfe étoit entré dans la ville j & recevoit les acclamations que les vaincus ne manquentlj jamais de donner au vainqueur, lorf-^j qu'on lui apprit que fon frere avoit périi pendant le fiege. II 1'aimoit fi tendre-j ment , qu'il oublia tout pour courir auij lieu oii il étoit, &C lui faire donner du: fecours s'il en étoit encore temps; mais I fes foins furent inutiles ; fon frere étoit \ mort. Alfonfe, la tête baiffée, le vifage(! couvert de larmes, s'écria : » Cher frere, I » je n'aurois pas entrepris la conquête (' » de Naples , fi j'avois fu qu'elle te fe-1 » roit fi funefte, & j'en céderois avec 1  du Monde, Ï47 » plaifir la Couronne pour te rappeller » a la vie". Louis Vives dit, dans fon ouvrage de la Concorde &c de la Difcorde, que plufieurs vieillards lui ont affuré avoir fouvent entendu dire a Alfonfe :» La Couronne de Naples me coüte » bien cher: pour 1'avoir, j'ai perdu un » frere que j'aimois , pour le moins, » autant que moi-même ". Ces fentiments généreux fuffiroient feuls pour faire Péloge d'Alfonfe. Panormita, de reb. gefl, Alphonji, lib. 30. L. Vives , de Concordid & Difcordid , l. 3. $. VIII. Un Monarque craignant que fon frere ne fok dans le cas de lui dijputer 1'Empire , le fait périr dès le berceau. M a h o m e t II, Empereur des Turcs, avoit des vertus, comme nous 1'avons marqué dans le fecond volume de cet ouvrage , page 52 , mais elles étoient obfcurcies par des vices. Le principal étoit la cruauté. II en donna une preuve bien frappante en montant fur le Tröne. G ij  148 Thédtre Amurat II, fon pere, voyant fa fin approcher, le fit venir, & lui demanda en grace de veiller k la confervation d'un jeune enfant qu'il avoit eu d'une efclave Turque, &c qui n'étoit agé que de dixhuit mois. » Mon fils, lui dit-il , la » mort s'approche de moi, elle va bien»> tot me précipiter dans la tombe qui » eft déja ouverte pour me recevoir. Je » me flatte que le Prophete eft aux pieds » du Tröne de la Divinité, & qu'il im» plore fa clémence pour un fidele Mu» fulman qui a été fans ceffe occupé a » étendre fa loi & a combattre les in» fideles. Je meurs fans inquiétudes pour » 1'autre vie; mais j'en ai beaucoup fur » ce qui arrivera ici bas après ma mort: » vous pouvez feul les calmer, mon fils. » Vous allez monter fur le Tröne Otto» man, & commander en maitre abfolü » dans le vafte Empire Turc : changez » cette loi barbare, qui veut qu'après » la mort d'un Empereur Turc on ne » laiffe fubfifter qu'un feul de fes enfants » males : laiffez vivre le jeune Turfin, » cet enfant qui eft encore au berceau: » fouvenez-vous que le fang qui coule » dans fes veines eft le même que celui » qui coule dans les vötres : fouvenez» vous qu'un pere qui vous a chéri juf-  du Monde. 149 » qu'au dernier moment de fa vie vous » demande grace pour lui. Adieu, mon » fils, je meurs ". Amurat expira en achevant ces mots.1 Mahomet, le barbare Mahomet, vit de fang-froid fon pere rendre les derniers foupirs. Oubliant, ou plutöt méprifant la priere qu'il venoit de lui faire , il courut au lieu ou 1'on allaitoit fon jeune frere. Cet enfant étoit dans ion berceau ; lorfque Mahomet parut, il lui tendit fes foibles mains, ck prit un air riant : il fembloit vouloir le carefler. Tout autre que Mahomet eut été attendri , ck lui eut prodigué fes carelfes : la nature ck la pitié le dcmandoient; mais ce mo.iftre le prit par un de fes membres, 1'arracha du berceau, fit un mouvement qui annoncoit qu'il vouloit Pécrafer contre la muraille. Mofès, un de fes gardes, s'appergut de fon deifein, ck le pria de ne pas fouiller fes mains du fang de fon frere. On croira peut-être que ce Mofès vouloit dérober 1'enfant k la mort. On fe trompe, c'étoit un lache courtifan, mais auffi barbare que fon maïtre : il vouloit fe charger d'un homicide pour épargner k Mahomet un fratricide. II lui dit : » Ce n'eft pas que je veuille lui » conferver la vie : livrez-le-moi; je me G iij  150 Thédtre » charge de le faire périr ". II fit auffitöt emplir une cuvette d"eau , y précipita 1'enfant, qui fut bientöt fuffoqué. La mere du jeune Turfin, iriformée de ce qui vient de fe pafTer , accourt, óte fon enfant de la cuvette, prend fes membres les uns après les autres, &c voyant : qu'il eft fans vie, elle pouffe des foupirs & des gémilTtments. La douleur lui ótant toute crainte, elle lache toutes for- ■ tes d'imprécations contre Mahomet, qui a eu la barbarie de refter préfent a cette horrible fcene. II s'approche d'elle , & voulant calmer fes douleurs , lui dit : » Soyez perfuadée que j'aurois confervé » la vie k votre fils, qui eft mon frere, » fi une loi étalie dans 1'Empire Otto» man, mêmé dès fa fondation, n'or- • » donnoit de ne laifler fubfifter qu'un . » Prince pour occuper le Tröne après la » mort de 1'Empereur, & de faire mou- • » rir tous les autres. II n'y a pas plu- ■ » fieurs Dieux; il ne doit pas y avoir » plufieurs Princes. Soumettez-vous k la 1 » loi, & foyez perfuadée que je vous 1 » fervirai de fils , & vous honorerai 1 » comme ma mere. Mahomet, lui ré» pondit-clle, je veux venger mon fils; ; livrez-moi le malheureux qui 1'a fait j „ périr ". Aufli-töt il ordonna qu'on at-  du Monde. M1 1 tachat les mains de Mofès derrière le 2 dos, qu'on lui liat les pieds; que dans a cet état on 1'apportat a. fa belle-mere. I Cette femme, excitée par la fureur de i| la vengeance, prit un couteau qui penI doit k fa ceinture , 1'enfonca dans 1'ef- 3 tomac de Mofès. Cet infortuné implo[ roit en vain la pitié de Mahomet, qui I étoit encore préfent, &c qui voyoit avec ■ des yeux tranquilles cet horrible fpectacle. Sa belle-mere, comme un tigre 3 que le fang irrite, ouvrit le cöté de MoI fès, en arracha le cceur, & le fit dévoI rer par des chiens. La mort de Turfin ne fuffit pas k la : cruauté de Mahomet II. II apprit qu'une I des Sultanes d'Amurat étoit accouchée I depuis quelques mois d'un fils auquel on i avoit donné le nom de Calopin, & qu'A- murat avoit promis a fa nourrice de la ■ récompenfer avec générofité des foins i qu'elle prendroit de ce jeune Prince. Maï hornet fit tant de perquifitions, qu'il déj| couvrit la nourrice de Calopin, & exi) gea qu'elle lui livrat 1'enfant. Les Hifi toriens affurent que cette femme avoit i concu pour le jeune Prince une tendreffe maternelle, & qu'elle livra k Mahomet • un autre enfant que celui qu'elle allaitoit. Mahomet le fit étrangler , & crut  1 J * Thédtre qu'il étoit lui-même le feul rejetton cle la race Ottomane. La nourrice de Calopin porta le jeune Prince k Conftantinople, qui n'étoit pas encore fous la domination des Turcs, & 1'y nourrit en fecret. Lorfque cette ville fut prife par Mahomet II, elle le tranfporta a Venife. Si-töt qu'il fut arrivé a rage de maturité, le Pape Califte III le fit venir a Rome, le baptifa , ck lui donna le nom de Califte, & on 1'appelloit dans Rome Califte 1'Ottoman. II paffa en Allemagne, gagna 1'amitié de 1'Empereur Fréderic III, qui lui donna des revenus confidérables. Cufpianus, de qui nous empruntons cesfaits, affure qu'il 1'a connu , même qu'il étoit intimement lié avec lui. Califte 1'Ottoman époufa une fille de très-grande qualité en Allemagne; mais il mourut fans poftérité. Cufpianus,  du Monde. M3 §. IX. L'amour fraternel récompenfé. Antiochus III, dit le Grand, régnoit en Syrië environ deux cents ans avant Jefus - Chrift. Après avoir étendu fa domination fur une partie de 1'Afie, il voulut foumettre la Grece. En vain les Romains lui envoyerent des Ambaffadeurs pour 1'engager a. laiffer les Grecs tranquilles dans leurs poffeffions. Le célebre Annibal, qui étoit allé chercher un afyle k fa Cour, 1'engageoit k perfifter dans fon projet, & lui faifoit efpérer qu'il pourroit même triompher des Romains. Antiochus prit les armes, &C entra dans la Theffalie. Les Romains envoyerent d'abord contre lui le Conful Acilius, qui le battit aux Termopiles. Ils nommerent Caius Livius Salinator pour fuccéder k Acilius. Lucius Scipion, frere du célebre Scipion 1'Afriquain, fut élu Conful avec Lselius. L'année de leur Confulat étant expirée, ils tirerent au fort, fuivant 1'ufage , pour favoir de quelle Province chacun d'eux feroit Proconful. L'Afie échut k Lucius Scipion, G v  1^4 Thidtrt qui avoit peu d'expérience dans Part militaire, & Pon fentoit qu'il falloit un | homme qui y füt plus confommé que ; lui, pour faire tête a Antiochus & a . Annibal. Le Sénat vouloit envoyer Lx- • lius en Afie : il avoit donné plufieurs fois des preuves de fa capacité. Scipion PAfriquain étoit Pintime ami de Laelius j mais il fentit qu'il ne devoit pas facrifier un frere a un ami, & demanda aux Sénateurs fi c'étoit pour le récompenfer des fervices qu'il avoit rendus k la République , en délivrant 1'Italie du redoutable Annibal, & en mettant les Carthaginois hors d'état de reprendre les armes contre Rome, qu'on vouloit défhonorer fon frere, en lui ötant un Proconfulat que le fort lui avoit donné, » Peres Confcripts, ajouta-t-il, je vous » offre d'accompagner mon frere en Afiey » &C de lui fervir de Lieutenant : li vous » me refufez , vous déshonorerez Scit* pion 1'Afriquain perfonnellement". Lucius partit, & fon frere le fuivit en qualité de Lieutenant. Quelle fatisfadion pour Rome d'avoir donné la naiifance k un homme qui réuniifoit tant de vertus .' Scipion PAfriquain avoit commandé les armées Romaines, avoit délivré Rome de fes ennemis : il fembloit  du Monde. 155 ne pouvoir plus fervir Rome qu'en qualité de Général. Son frere étort jeune 8c fans expérience : le droit d'aïneffe , des talents prouvés demandoient que Scipion 1'Afriquain commandat en chef; mais il ne vouloit pas déshonorer fon frere, 8c defiroit de fervir fa patrie : il part en qualité de fubalterne. Son frere fentit tout le prix de fa conduite; il ne commandoit en Afie que pour faire fuivre les confeils de Scipion 1'Afriquain. Antiochus 8c Annibal furent battus plufieurs fois. Antiochus demanda la paix, 8c ne 1'obtint qu'a des conditions onereufes. Les deux Scipions retournerent a Rome. Le jeune y recut les honneurs du triomphe, 8c le furnom d'Afiatique : 1'ainé, qui 1'accompagnoit dans la pompe triomphale, goüta ce jour-la toute la fatisfaftion qu'un homme qui a 1'ame véritablement grande peut defirer : fon frere étoit comblé d'honneurs, 8c c'étoit lui-même qui les lui procuroit. II n'eft point étonnant que Rome foii montée au plus haut degré de gloire 8c de puiffance; elle étoit peuplee de Héros. , , Val. Max, l. ó , c. X O vj  Mó Thédtrt S> x. Un ufurpattur eft juftement puni de ftj jujhce qu'il exerce contre fon frere c A?J,!,UU"E le Conquérant eut, de Matflde, fille de Baudólin, Comte Rollf ^'^garcons & "ne fille; R?h J GlUllaUme' He™ & Richard diehard mourut avant fon pere; la fille nommée Adela, fut mariée a ktienne ie hata de palier en Angleterre, lorfqu'il Zr Sr/ Prèsd^mo»r-;fe fitproclah A- rc'*? qu i1 a'PPrit fa mort. Sa hardieflfe fut fecondée de la nonchalance fefff" R°bert; 11 ^Paifible pof! felfeur du Royaume d'Angleterre, & Lbm fe contenta du Duché de Normand e II ceda meme le Cotentin a Henri, qm, fans cette générofité, n'auroit point r\ 6 P/rM-13 fucceffion de fon per" Robert ck Guxllaumefebrouillerent fien-' tot, & pnrent les armes pun comre tre. Giullaume voulut envahir la Normanche ; mais les Barons.parvinrent a mettre la paix entre eux. Ces Princes  du Monde. 157 firent un traité d'alliance offenfive 6c défenfive. Henri, mécontent de ce qu'on n'avoit rien ftipulé pour fes intéréts dans ce traité, fe retira au Mont Saint-Mi, chel, place forte, fituée fur les cötes de ; Normandie, d'oü il faifoit des excurfions \ fur tous les pays voifins. Robert 6c Guil;i laume 1'y affiégerent : ils étoient prêts a 1 le réduire par la difette d'eau , lorfque I Robert, inflnut de fa fituation, lui fit dire qu'il pouvoit en faire provifion, & :j poulfa même la générofité jufqu'a lui envoyer quelques pieces de vin. Guillaume défapprouva cette générofité, 6c : blama Robert. » Quoi! lui répondit ce < » Prince , fouffrirai - je que mon frere i » meure de foif? Oü en trouverions• » nous un autre s'il mouroit"? Tendreffe véritablement fraternelle, qui fut par la fuite bien mal récompenfée. Le Prince Henri fut obligé de capituler quelques jours après, 6c fe trouvant dépouillé de tout, il erra quelque temps en différentes contrées, fuivi d'un 'fort petit nombre de perfonnes 6c fouI vent expofé aux tourments de 1'indigence. On prêcha les Croifades vers 1'an 1096; Robert, Duc de Normandie, excité par fon courage naturel 6c par  I <; 8 Thédtre 1'héroïfme de ces temps d'ignorance, fe croifa un des premiers : &, afin d'avoir 1'argent qui lui étoit néceffaire pour cette expédition, il vendit fes Etats a fon frere Guillaume, même pour unefomme affez modique. Pendant qu'il étoit occupé a combattre les Infideles, fon frere Guillaume mourut : Henri profita de fon abfence, & s'empara de la Couronne d'Angleterre. Robert arriva en Europe un mois après la mort de Guillaume, fon frere. II fe hata d'aller en Normandie, y fut reconnu Souverain , fans aucun obftacle. II fit les préparatifs qu'il crut néceffaires pour recouvrer le Royaume d'Angleterre, dont on 1'avoit fi injuftement dépouillé pendant fon abfence. La Nobleffe, les foldats , &c le peuple étoient tout prêts a fe déclarer en fa faveur. Par des actions éclatantes, pendant les Croifades, il avoit acquis la réputation d'un habile guerrier ; il étoit doux &c magnanjme. Henri, inftruit des bonnes intentions que 1'on avoit pour fon frere, fentit le danger qui le menacoit; il trembla même pour fa vie ; mit tout en ufage pour fe dérober a une perte qui fembloit certaine. II fit venir Anfelme, alors Primat d'Angleterre ; affe&a de révérer la fainteté & Ia fagefle  du Monde. 159 de ce Prélat; lui annonca qu'il étoit difpofé a fuivre fes confeils dans toutes \ les circonftances difficiles; lui promit de refpecter les privileges de 1'Eglife ; rit paroitre un grand attachement au Souj verain Pontife , & une entiere foumif! fion aux décrets des Conciles. Anfelme , ébloui par fes careffes, ne fe fit aucun ï fcrupule d'affurer que Henri méritoit la 3 Couronne préférablement a Robert; qu'il 1 établiroit dans le Royaume un gouver\ nement tout oppofé a celui de fon pere \ & de fon frere Guillaume. Robert, qui 1 ^ avoit fait les préparatifs néceffaires, paffa 3 en Angleterre,. & defcendit k Portfmouth ; Henri alla k fa rencontre. Les deux ari méés refterent en préfence pendant pluIj fieurs jours. Les deux Princes avoient de I I'inquiétude fur un événement qui alloit s être décifif : ils accepterent la médiation i d'Anfelme &c des Grands du Royaume. j On convint que Robert fe défifteroit de ! fes prétentions fur le Royaume d'AngleI terre , & recevroit en dédommagement 1 une penfion de trois mille marcs d'ar- gent, & qu'il refteroit paifible poffeffeur de la Normandie. Robert avoit beaucoup de talents pour la guerre;. mais il n'en avoit aucun pour Ie Gouvernement. Les Barons- exercoient  16o Tliédin toutes fortes de vexations fur le peuple, & le Duc n'avoit pas affez de fermeté pour arrêter ces défordres. Les Normands eurent recours a Henri , & le prierent de les prendre fous fa protection. L'ambition de ce Prince s'éveüla : il réfolut de profiter de cette occafion pour faire une feconde ufurpation, & enlever le Duché de Normandie a fon frere. II y fit un voyage, ne s'occupa qu'a fe faire des partifans : il gagnoit les uns par préfents, les autres par promeffes. Tout étant difpofé, & croyant la réufïite certaine , il repaffa en Angleterre ; leva des troupes; les conduifit en Normandie ; afïiégea & prit plufieurs villes. Robert fortit enfin de fon indolence; fe mit a la tête d'une armée formidable; chercha fon ennemi; le rencontra proche de Tenchebray; lui livra bataille. Son courage ordinaire excitant fes foldats, il ht plier Parmee Angloife : ü touchoit au moment de la vicfoire; mais une partie de les troupes 1 abandonna tout-a-coup. Le défordre fe mit dans le refte de fon armée; il fut vaincu, &c fait prifonnier. On croit que Henri va fe fouvenir de la conduite de Robert a fon égard pendant le fiege du Mont Saint-Michel, & le traiter avec douceur. On fe trompe :  du Monde*. 161 il fe fit prêter ferment de fidélité par les Etats de Normandie ; emmena Robert en Angleterre; 1'enferma au chateau de Cardiff, dans la Province de Glamort-Ganshire, oü il vécut vingthuit ans. Le Ciel eft trop jufte pour laifTer de pareils crimes impunis. Henri avoit un fils unique nommé Guillaume, qui, par les qualités du coeur & de I'efprit, méritoit toute fa tendreffe. Lorfque Henri le vit arriver a 1'age de dix-huit ans , il réfolut de lui affurer fa fuccefïion , le fit reconnoitre pour fon unique héritier par les Etats d'Angleterre ; le mena en Normandie, &c exigea que les Etats de cette Province fiffent, a fon égard, ce que ceux d'Angleterre venoient de faire. Henri repaffa en Angleterre , & fon fils refta quelques moments après lui. Les matelots & le Capitaine, qui étoient chargés de le trantporter s'amuferent a boire, s'échaufferent la tête. Voulant rejoindre le Roi, ils avancerent a toutes voiles ; porterent leur vaiffeau fur une pointe de rocher ou il fe brifa. Le Prince fauta dans une chaloupe , & gagnoit déja le large , lorfqu'il entendit les cris de la Comteffe du Perche , fa foeur naturelle.' II ordonna aux matelots  l6l Thédtrc de retourner vers Je navire, pour tacher de la fauver. La quantité de perfonnes qui fe jetterent dans la chaloupe la firent couler a fond, ck Guillaume périt. Plus de cent quarante jeunes Gentilshommes de Normandie & d'Angleterre furent engloutis dans la mer avec lui. A cette nouvelle,Henri s'évanouit. Les Hiftoriens du temps remarquent qu'on ne le vit jamais rire depuis ce moment fatal. Le Ciel ne borna pas la fa vengeance. Henri efpéroit que Matilde , fa fille, qu'il aimoit tendrement, lui fuccéderoir. Dans ce deflein, il lui fit prêter ferment de fidélité par les Etats d'Angleterre ck de Normandie : mais Etienne, fils d'Adela , fille de Guillaume-le-Conquérant, lui difputa la Couronne, ck la lui enleva. V ▼ enceslas gouvernoit la Bohème en qualité de Duc , vers le milieu du Chroniqiu Irlandoife, Chronique Normande. §• XI. Générofité déplacée.  du Monde. 163 \ neuvieme fiecle. II fe livroit aux exer| cices de piété , avec un zele qu'on adij mireroit dans un particulier; mais qu'on < ne peut s'empêcher de blamer dans un Dieux , répondit-il, que je puiffe ré» compenf"er ma mere desfervices qu'elle n m'a rendus ". Ses voeuX' furent accomplis : il battit les foldats qui fervoient de fardé aux tyrans , chaffa ceux-ci d'Athenes , & rendit la liberté a fa patrie. On établit un confeil compofé de dix Magiftrats tirés de chaque tribu. Ces dix imitent la conduite des Archontes , & Athenes eft ericore opprimée. L'infatieable Trafïbule arme une feconde fois  du Monde. .173 fes concitoyens pour leur liberté; chaile les dix Magitlrats , & rérablit 1'ancien gouvernement. C'eft une fatisfactiort bien grande pour un citoyen d'avoir rendu a fa patrie des lervices de cette importance. Corn. Nep. Val. Max. Platina, de optimo clve, l. 1. ■ §. 11. Un citoyen , pour s'enrlcklr, met, fa patrie dans Vefclavage. Autrefois les villes de 1'Afie Mitteure compofoient prefque toutes des Républiques, & les plus légers motifs les armoient les unes contre les autres. II s'éleva une violente difpute entre les habitants de Milet & ceux de Priene au fujet des limites des deux Etats. Les fages voulurent appaifer la querelle par la voie de la médiation ; mais les plus bouillants voulurent qu'on fit la guerre: ils parierent plus haut que les autres , &, ce qui eft ordinaire, ils furent écoutés. On prit les armes de part & d'autre, vers 1'ah 494 avant Jefus-Chrift. Ceux H iij  174 Thédire . de Milet battirent crabord ceux de Priene; mais leur puiffance caufoit de la jaloufie aux différents peuples qui les environnoient; on fecourut les Prienniens, & les Milétiens furent vaincus. lis fe retirerent dans leur ville oii on les pourfuivit, & on les affiégea. Leur courage & la bonté, de leurs fortifications rendoient inutiles tous les effórts de leurs ennemis : mais...Milet..avoit donné naiffance a un traitre, a un ingrat qui facrifia la liberté de fa patrie k fes intéréts particuliers. Ce'ui qui commandoit les Prienniens avoit autrefois vécu avec Chillicon, citoyen de Milet. II avoit remarqué que ce Milétien aimcit les richeffes, au point qu'il étoit tout difpofé a leur facrifier fes amis, fes parents, enfin fon honneur. II trouva moyen de lui faire offrir une fomme confidérable, s'il vouloit lui faciliter les moyens de prendre Milet. Les traitres font méfiants : Chillicon accepta 1'ofFre; mais il voulut toucher une partie de la fomme, &c avoir une fïïreté pour 1'autre. Lorfqu'il eut ce qu'il demandoit, il réfolut, afin de mieux alfurer le fuccès de fa trahifon , d'affecter tout le zele poffible pour la défenfe de la liberté ; propofa de garder , pendant la nuit, une des portes de la ville.  du Monde. 175 On accepti fon offre , & 1'on crut être en füreté de ce cöté. Vers Ie milieu de la 1 nuit, il ouvrit la porte; les ennemis en; trerent, & mirent tout a feu & a fang '1 dans Milet. On affure qu'un foldat de j la ville, voyant 1'infame Chillicon ou» vrir la porte, lui demanda ce qu'il voui loit faire j qu'il répondit : Je vais faire \ beaucoup de bien ; que depuis ce temps , I pour fignifier qu'une chofe étoit mal, 3 on difoit : Cejl le bien de Chillicon. Ce 1 fcélérat recut le refte de la fomme qu'on I lui avoit promife, & fe retira a Samos, I oü il étoit fi méprifé, qu'il ne trouvoit | perfonne qui voulut le fervir. II alla un ij jour acheter de la viande chez un bouI cher nommé Theagenes. II en prit un 1 morceau, dit au boucher qu'il étoit plus l gros qu'il ne vouloit, & de couper ce I qu'il y avoit de trop. Le boucher prit \ fur le champ fon couteau, en porta un I coup fur le poignet de Chillicon, lui I abattit la main, & dit: » C'eft cette main I » la qui étoit de trop : elle ne te fervira I » plus pour recevoir de 1'argent , fi tu > » vends une feconde ville ". Chillicon , outre le malheur d'être efi tropié, eut encore celui de voir que tout ! le monde en rioit. II porta fa plainte aux Magiftrats; mais ils refuferent de H iv  176' Taédtre punir Ie boucher. II devint Pobjet de Ia rifée de tous les habitants de Samos, & fut obligé d'en fortir : il alla porter dans une autre ville Ia preuve de fon crime. Suidas , Zenodotus, Erafm. in adagiis. §• III. Les querelles particulieres font oubliêes pour Vintérêt public. Arïstides & Thémiftocles paruren: a-peu-prés 480 ans avant JefusChrift. Ces deux célebres citoyens d'Athenes avoient congu une haine implacable 1'un contre 1'autre. Ils étoient toujours d'un avis différent dans les affemblées du peuple, & ces conteftations allumoient de plus en plus leur haine. Thémiftocles préfenta un projet qui étoit très-avantageux a la République ; Ariftides le blama, & réuffit k le faire rejetter. II fentoit cependant lui - même le itort qu'il avoit de faciïfier 1'intérêt de fa patrie k fa haine, & dit : » Le bon» heur d'Athenes demande qu'on nous »» jette Thémiftocles & moi dans le Ba-  du Monde. 177 U rathre ". C'étoit un gouffre oii Ton jettöit les criminels qui étoient condamnés a mort. Ariftides n'étoit pas un de ces hommes dangereux qui s'endurciffent dans le crime ; il réfléchiiToit fur fes fautes; elles 1'inftruifoient Sc lui apprenoient a n'en plus commettre. II cita devant les Juges un particulier dont il croyoit avoir lieu de fe plaindre. Après qu'il eut formé fon accufation , il s'appergut qu'on alloit condamner fon aclverfaire, même fans 1'entendre. A I'inftant il fe leva , & dit aux Juges que les loix exigeoient qu'ils écoutaffent la juftification de 1'acculé , & qu'ils ne devöient pas condamner un homme qu'ils n'avoient pas entendu. Un autre jour qu'il fut nommé pour juger un différend qui s'étoit élevé entre deux particuliers, un des plaidants lui dit : » Ma » partie adverfe vous a tv.it du tort Ariftides lui répondit : » Je ne fuis pas S ici pour juger mes affaires : dis-moi » s'il t'en a fait k toi-même Ariftides devint par la fuite fi équitable, qirtl acquit le furnom de Jufte : prefque tous les Athéniens le prenoient pour arbitre dans leurs conteftations. Thémiftocles en concut une telle jaloufie , qu'il réfolut de perdre Ariftides : pour cet effet, il H v  178 Thédtn , répandit parmi le peuple le bruit qu'il uiiirpoit la qualilé de Juge ibuverain , & qu'il vouloit parvenir a la puiffance fuprême. Ariftides fut banni pour dix ans. En fortant d'Athenes, il leva les mains au Ciel, &c pria les Dieux de ne jamais m'ettre les Athéniens dans le cas de fe repentir de leur injufüce a fon égard. II palfa trois ans dans fon exil, fans qu'on s'informat de ce qu'il étoit devenu : mais Xercès, Roi de Perfe , vint attaquer la Grece avec toutes fes forces. On rappella alors tous les exilés, principalement Ariftides , paree qu'on eut peur qu'il ne fe tournat du cóté des Perfes, & que fon exemple ne fut firivi par beaucoup d'autres. On connoilfoit mal Ariftides. Loin de fonger a fe venger, il parcouroit toutes les villes de la Grece; les exhortoit a défendre leur liberté. Lorfqu'il fut arrivé a Athenes, il alla trouver Thémiftocles, qu'on avoit élu Général des troupes de la République ; lui dit : » Thémiftocles, la pru» dence demande que nous mettions bas » notre haine mutuelle, &c que nous » nous réunifïions pour fauver la Grece. » Vous êtes le feul en état de comman» der dans une circonftance aufli fa» cheufe : vous me verrez toujours em-  du Monde, 179 » prefle a exécuter vos ordres ". Thémiftocles tui répondit : » Aujourd'hui, » je fuis feulement faché, Ariftides, de » voir que vous montrez plus de vertu » que moi. II me refte cependant une » confolation, c'eft 1'efpoir d'achever ce »-que vous avez commencé, & de ci» menter de plus en plus notre union ". Ils fe tinrent parole, & leur bonne intelligence fut une des principales caufes de la défaite des Perfes öc du falut de la Grece. Plutarque, vie d'Ariftides. $■ IV. L'intérêt public eft facrifié a une jaloufte & une haine particulieres. L E s talents de Sylla pour la guerre exciterent la jaloufie de Marius, &, ce qui en eft la fuite, une haine implacable contre lui. Cette jaloufie éclata 1'an 665 de Rome, quatre - virigt-neuf ans avant Jefus-Chrift , qu'on envoya Sylla contre Mithridate, le plus puiffant Roi Sc le plus grand Capitaine de 1'Orient: il avoit envahi les Etats de plufieurs Souvefains H vj •  18 O Théiiire qui s'étoient mis fous la' protection des Romains. Marius, qui croyoit avoir feul le droit de commander les armées Romaines , réfolut de fe faire nommer a la place de Sylla. II affembla fes partifans, & parvint au but qu'il fe propofoit. Sylla étoit déja a la tête de fes troupes ; il fut bientöt inftruit de ce qui fe paffoit a Rome , & mit les foldats dans fon parti, par les promeffes qu'il leur fit de les enrichir des dépouilles de 1'Afie. Ils le conjurerent même de les conduire contre les ennemis qu'il avoit dans Rome. Ses partifans craignant la cruauté de Marius, aller ent en foule fe réfugier dans ion camp, & joignirent leurs prieres a celles des foldats. II partit, & lorfqu'il fut arrivé a Rome , il y fit entrer fes foldats tenant leur épée a la main, comme fi c'eut été une ville prife d'affaut. Marius, qui avoit rafiemblé a la hate fes amis, voulut s'oppofer a fon entrée; mais Sylla le pouffa de rue en rue, & le forca enfin de fortir de Rome. Sylla fe voyant maitre de la ville, mit des gardes dans toutes les places publiques, pour arrêter le défordre. II s'occupa toute la nuit a empêcher que les maifons ne fufient pillées, & que les citoyens ne fuffent infultés.  du Monde. l8i Le lendemain, il convoqua une affemblée du peuple. Etant naturellement éloquent, il déplora , dans les termes les plus touchants, les malheurs de la République , & repréfenta a 1'affemblée qu'ils n'étoient occafionnés que par les Tribuns, qui mettoient tout en ufage pour exciter la haine du peuple contre le Sénat; que ces Magiftrats populaires s'étoient infenfiblement emparés du Gouvernement de la République; que, par des loix, jufqu'alors inconnues, ils avoient trouvé le fecret d'anéantir 1'autorité des Confuls & la dignité du Sénat. II fit le tableau de plufieurs autres abus qui s'étoient établis , & propofa les moyens (Py remédier. Des propofitions faites par un homme qui eft a la tête d'une armée font toujours acceptées. Voyant que fon autorité étoit folidement établie, il fongea a venger fes injures particulieres; fit caffer le Plebifcite, qui donnoit a Marius le commandement de 1'armée deftinée k marcher contre Mithridate; fit enfuite déclarer C. Marius & fon fils ennemis du peuple Romain, & leurs têtes furent miies a prix. II envoya en même-temps des foldats de tous cötés, pour les chercher & les mettre k mort. Le peuple & le Sénat furent  18 % Thédtre affligés de fe voir forcés de tenir une pareille conduite contre un homme qui avoit fauvé toute 1'Italie des ravages des Cimbres &c des Teutons, peuples barbares qui étoient fortis du fond du nord pour la ravager, &c qui avoient déja battu plufieurs armées Romaines. Sylla , perfuadé que fon parti étoit affez fort pour appuyer les nouvelles loix qu'il avoit établies, & pour réfifter a fes ennemis, conduifit fon armée contre Mithridate. II fe trompoit: Cinna &c Oef avius furent proclamés Confuls. Cinna, quoique de la même familie que Sylla , étoit d'un parti oppofé au fien : il affembla tous les partifans de Marius; Oef ave étoit attaché k celui de Sylla ; il appella ceux qui étoient oppofés k Marius. Les efprits s'échaufferent; on courut aux armes; le fang coula. Cinna, preiTé de toutes parts, fut obligé de fortir de Rome. II parcourut les différentes villes de 1'Italie; fit des levées de troupes, &c ramaffa de 1'argent. Le Sénat, indigné de fa conduite, le déclara déchu du Confulat, même du titre de citoyen. Cinna joignit un corps de troupes qui campoit alors prés de Capoue ; gagna les Officiers &c les foldats; fe trouva en état de jetter la terreur dans Rome, comme avoit fait  du Monde. 183 Sylla, & de faire exécuter fes volontés ; comme des loix abfolues. Caïus Marius , principal auteur de ces : troubles & de ces horreurs, étoit alors , avec fon fils, dans 1'ifle de Cercinne fur les cötes d'Afrique , oii il s'étoit réfu\ gié. Lorfque Sylla eut fait mettre fa tête I a prix, ce grand homme , agé de plus I de foixante-dix ans, après fix Confulats ) qu'il avoit exercés avec gloire , fe vit i réduit a fe fauver a pied, fans avoir un I ami, même un domeftique , qui 1'accomI pagnat dans fa fuite. II effuya toutes } ibrtes de fatigues; fut expofé a la plus I affreufe mifere, & endura la faim, au \ point qu'il demanda du pain a des patres ) qu'il rencontra dans les campagnes de ) Circé. Pour éviter les foldats de Sylla I qui le cherchoient , il fut obligé de fe j jetter dans des marais, ou il paffa toute la nuit enfoncé dans la bourbe jufqu'au cou. II en fortit au point du jour, pour : tacher de gagner les bords de la mer, dans 1'efpérance de trouver quelque vaif] feau qui lui faciliteroit fa fortie de 1'Ita1 lie; mais il fut rencontré par des gens de Minturnes qui le reconnurent; lui mirent la corde aü cou , & le conduifirent dans la ville tout nud & couvert de boue. Le Magiftrat le fait mettre dans une  ï §4 Thiatre étroite prifon, & pour obéir aux ordres du Sénat , charge un efclave public, Cimbre de nation , d'aller lui trancher la tête. Marius le voyant entrer le fabre a la main, lui dit, d'un ton même menacant : Barbare, oferois-tu bien /rapper Caïus Marius. Ce nom épouvante 1'efclave , qui fe rappellant fon air noble & terrible en même-temps, lorfqu'il défit les Cimbres & les Teutons , jette fon fabre, & crje qu'il ne peut affaffiner le grand Marius. Les Magiftrats de Minturnes font étonnés de ce qui vient de fe paffer : ils croient que le Ciel exige d'eux qu'ils rendent la liberté a un homme qui a fauvé toute 1'Italie ; lui donnent un vaiffeau qui le porte d'abord dans 1'iile donaria , enfuite en Afrique. II mit pied a terre proche de Carfhage., &alla s'alTeoir fur les débris de cette ville. Servibus, qui commandoit dans cette Province en qualité de Quefteur, lui envoya dire, par un Liéteur, de fortir de fon Gouvernement ; & que s'il ne le faifoit pas , il feroit obligé de le pourfuivre comme un ennemi du peuple Romain. Marius jette fur ce Licteur un regard qui annonce fa douleur & fon indignation en même-temps , & lm dit i » Va dire a ton maitre que tu  du Monde. 18 5 » as vu Caïus Marius affis fur les débris »♦ de Carthage, & que fon fort eft auffi I déplorable que celui de cette ville rui-» née ". Le rapport qui fe trouvoit alors entre Marius &c Carthage étoit frappant: il s'étoit vu, pour ainfi dire, maïtre de 1'Univers, & ne trouvoit pas alors un coin de terre oii il put être en fureté: Carthage avoit été fi puiffante qu'elle s'étoit "vue au moment de foumettre Rome a fon obéiffance, & de Carthage il n'en reftoit que des débris. Ce trait hiftorique eft une preuve bien convainquante de 1'inftabilité des chofes humaines. Marius fe rembarqua & fit voile vers 1'ifle Cerninne, ou fon fils alla le joindre. II y étoit lorfqu'il apprit la révolution qui venoit d'arriver a Rome. Sur le champ il s'embarqua; aborda fur les cótes de 1'Étrurie, d'oii il, envoya offrir fes fervices a Cinna , comme un fimple citoyen a un Conful. Cinna lui écrivit pour 1'inviter k venir le joindre. A la nouvelle de fon arrivée, toutes les villes de 1'Italie envoyerent des troupes & de Pargent au camp de Cinna. Marius, pour groffir le nombre de ces troupes, fit publier, k fon de trompe, qu'il accorderoit la liberté a tous ceux qui viendroient  iB6 Thidtfi ie trouver. II y accourut un grand nombre d'efclaves k qui ü fit donner des armes , & prit les plus jeunes 8c les mieux faits pour lui fervir dé gardes. Ciona 6c Marius s'appnxherent de lv rent le blocus, 6c garderent iï bien lts paffages que la faminc s'y fit bientöt fentir. On fut obligé de capituler avec eux. Ils entrerent dans la ville. Marius défigna a. fes fatellites ceux qu'il vouloit immoler k fa vengeance. Bientöt les rues de Rome furent couvertes de cadavres 8c teintes de fang; les plus illufires citoyens furent maffacrés. Marius fit rafer la maifon de Sylla; fa femme 8c fes enfants n'échapperent k la cruauté du tyran , que par une prompte fuite : on les conduifit dans fon camp, oü ils lui apprirent ce qui fe paffoit k Rome. La colere 6c la vengeance 1'excitoient a s'y rendre avec fon armée; mais la gloire 1'arrêtoit : il vouloit abattre le fier Mithridate, 8c rentrer triomphant clans Rome. Marius, accablé.de fatigues 6c d'années , mourut. Le fang qu'il venoit de répandre dans Rome, fit oublier celui qu'il avoit verfé pour elle. La mort de Marius ne mit point fin aux malheurs de Rome. Sylla , après avoir forcé Mithridate d'accepter la paix  du Monde. 187 a des conditions honteufes, retourna en j Italië. Le fils de Marius foutenoit le parti de fon pere : il fut gagner plufieurs Sé[nateurs , qui lui aiderent a lever des trou] pes pour s'oppofer a Sylla, 6i, 1'empê- Icher d'entrer dans Rome. Sylla les battit ; &c Rome lui ouvrit fes portes. Cette ville infortunée fe vit une feconde fois teinte du fang de fes habiiants. Sylla profcrivit un nombre incroyable de Sénateurs , de Chevaliers &C de citoyens; mit leur tête k prix, & confifqua leurs biens. II déclara, par un >,Edit public , que ceux qui cacheroient lun profcrit, foit femmes ou enfants, c feroient eux-mêmes profcrits. Ce barbare pouffa la cruauté jufqu'a permetvtre a fes amis & a fes Officiers de fe jvenger impunément de leurs ennemis Eparticuliers. Combien ne vit-on pas alors sde vicfimes de la haine &z de la cupitidité ? L'hiftoire de cette République eft run mélange de vertu & d'horreur. Sylla étendit les profcriptions fur des villes entieres ; s'empara des maifons & des territoires de toutes celles qui , pendant la guerre civile, s'étoient déclarées pour Marius : il en fit la récompenfe de fes foldats; & par-la les attacha de nouveau a fes intéréts. Ceux qui profitoient de  i88 Thedtre ces biens ufurpés eurent peur de n?en pasl jouir ïong-temps; ils infinuerent a Syllali de fe faire proclamer Dicfateur perpé*-;! fuel, afin de donner une forme de loB a toutes les injuftices qu'il cómmettröif 1 Lorfqu'il eut aflbuvi fa vengeance, ilil abdiqua la Di&ature, renvoya fes Lic-:| teurs, licencia fes gardes. II femble quel tous les Romains alloient s'armer éét poignards, & lever tous a la fois le brasi pour le frapper; mais Sylla particulier, leur fit oublier Sylla tyran. II mourut paifiblement dans fon lit. App. de bel, civ. I. 6. & feqj Plutarque, in Sylla. $. v. Amour de la patrie poujje jufqu'au fana.— tifme. N ous nous propofons de rapportere un trait hiftorique, qui nous met dans; le cas de parler du célebre Genghiskhan. Comme c'eft le plus grand Conquéranti quiaitparu, fans en excepter Alexandre, nous efpérons qu'on lira avec plaifir le, précis de fon hiftoire,  du Monde. 189 | II étoit né parmi les Tartares. Ces peuples n'ont point la figure femblable a-celle des autres hommes; leurs joues i font fort groffes; ils ont la taille mince, 6c même grêle ; ont la ceinture très■ menue ; leur taille eft médiocre ; ils n'ont prefque point de barbe. Leurs moeurs ( font groffieres; ils habitent fous des tenjtes , au haut defquelles ils laiffent un trou qui fert de fenêtre 6c de cheminée. > Ces tentes font garnies de feutre; elles I fe démontent par pieces, 8c on les tranf| porte facilement. Quelques-unes font poffées fur des roues ck trainées par des 1 bceufs. Celles des riches font ornées en | dedans de peintures 6c de broderies. Le ; feutre qu'on met au-dehors eft enduit | d'huile, pour empêcher la pluie de pé3 nétrer. Le chef de la familie eft ordinaiI rement au milieu. La nourriture de ces I Tartares eft de la chair de chien , de renard, de loup, de cheval, de brebis, I dè bosuf, öcc, Le lait de brebis, de va| ches, de iuments, de chevres ou de chaI meaux, fait leur boiffon. Ils laiffent fouvent fermenter le lait de cavale, ce qui, I felon Rubriquis , fait une boiffon affez ji agréable. Ils font fort fales dans leurs I repas, 6c n'ont point de linge pour s'ef1 fuyer ; quelques uns fe fervent de petits  190 Théatre morceaux d'étorTe. Leurs richeffes coniiftent en troupeaux de boeufs , de cha-; meaux , de brebis , de chevfes & enr chevaux. Ils reconnoiffent un Dieu , créateun de toutes chofes ; mais ils ne lui rendent aucun culte : ils adreffent leurs prieres'! & leurs facrifices a des idoles particulieres, qui font couvertes de feutre ou'. de quelque étoffe de foie. Ils les placent! dans leurs tentes, & mettent leurs trou« peaux fous leur proteftion. Voler une< de ces divinités eft, parmi eux, un crime: digne de mort: il y a toujours une des ces Idoles devant la tente du grand Khan. On lui fait des préfents; on lui ofFre des< chevaux , qui font alors regardés comme; facrés, & qui ne fervent plus k aucun: ufage. Ils ont une vénération finguliere: pour le cöté du midi , paree que Fo,', qu'ils regardent comme une divinité, ai pris naitTance dans les pays Méridionaux.' Ils adorent le foleil, le feu, 1'eau & lai terre. Ils ne cherchent point a faire em«' braffer leur Religion aux étrangers. Ils ont des Sorciers ou Devins , &! ajoutent beaucoup de foi k leurs prédic-> tions. Ils appellent la lune la Grande: Reine, & ne forment aucune entreprife: qu'a fon commencement, ou k fon plein., I  du Monde. 191 Lorfque quelqu'un tombe malade, on I plante devant fa tente une lance envet loppée d'un feutre noir: alors peribnne ' n'ofe plus y entrer; & lorfque le maI lade eft a 1'agonie , tous ceux qui lont j autour de lui fe retirent ; paree que 1' s'ils étoient prélents lorfqu'il meurt, ils I ne pourroient plus fe préfenter devant \ le grand Khan, avant la nouvelle lune. Les Tartares enterrent les morts dans f la campagne, mais en fecret. Les Khans i & Princes du Sang ont une fépulture i particuliere. Ces peuples ne commettent point de è mal entr'eux ; au contraire, ils fe fourI niffent réciproquement les chofes dont '1 ils ont befoin ; mais ils fe font une loi i de tromper les autres peuples. La guerre ii & les conquêtes font le premier de leurs I defirs. Le Khan eft abfolu fur toute la ii nation. Les foldats n'ont point de paie ; i ils vivent de la chaffe ou du butin qu'ils I font fur les ennemis , ce qui eft caufe I qu'ils ravagent tous les pays par oü ils I palTent. Voila les hommes qui, fous la > conduite de Gengis-Khan &c fes defcenI dants, foumirent toute 1'Afie. lis font divifés en Hordes ou Tribus: I célle des Mogols avoit pour chef, en ! 113 5, JeiTugi, pere de Gengis-Khan. II  ]£i Thêdtré étoit brave, & foumit plufieurs autres Hordes , qui furent incorporées dans celle des Mogols. Temoudgin , Khan d'une autre Horde tres-puiliante , 1 attaqua en 1163. Jeffugi arma fes braves Mogols; le battit, 8c retourna dans fon pays, chargé de dépouilles. II apprit en chemin que fa femme venoit d'accoucher d'un hls. Pour conferver la mémoire de fon triomphe, il donna k ce fils le nom du Khan qu'il venoit de vaincre , & ordonna qu'on 1'appellat Temoudgin : c'eft ce Temoudgin qui fut connu , par la fuite, fous le nom de Gengis-Khan. Jeffugi confia 1'éducation de ce fils k un Officier dont il connoiffoit la fageffe; Sc le pria de 1'inflruire comme fi c'étoit fon propre fils. Ce pere tendre n'eut pas la fatisfaction d'élever ce fils fur lequel il fondoit de grandes efpérances : il mourut k la fleur de fon age. Temoudgin a'avoit alors que 13 ans; fa mere, qu'on nommoit Oulun-Ika, fut chargée du gouvernement de 1'Etat, 8c du foin d'élever fes enfants. Temoudgin avoit plufieurs freres qui étoient plus jeunes que lui; mais en qualité d'ainé, il étoit préfomptif héritier de Jeffugi. La plupart des Tribus qui étoient foumifes a Jeffugi crurent pouvoir profiter de  du Monde. 103 de la foiblelTe du jeune Temoudgin , pour fecouer le joug qu'on leur avoit impofé; mais ce Prince avoit de la vigueur & du courage dans un age ou, les autres hommes ne montrent que de la foiblelTe & de la timidité. II appella les hordes qui lui étoient reftées fideles ; les arma de fa colere, les excita par fon exemple; 8c s'il ne foumit pas les rebelles, il les forca de le craindre. Quelques années après , il les attaqua encore , les battit, 8c les foumit. Alors le nom de Temoudgin devint célebre dans la Tartarie; les Princes, même les plus ' éloignés, rechercherent fon amitié. Le Khan des Niu-Tché étoit Souverain de toute la Tartarie : tous les Chefs de horde étoient fes vaffaux ; lui payoient un tribut, & lui fourniflbient des troupes lorfqu'il faifoit la guerre. Une horde nombreufe 8c puiffante fe révolta. Tous fes vaffaux recurent ordre de marcher contre les rebelles. Temoudgin 8c Thogul fe hrent remarquer par leur valeur: ils obtinrent des récompenfes proportionnées a leur fervice. Thogul étoit Chrétien Neftorien : on 1'appelloit le Roi Jean. C'eft ce fameux Prêtre Jean, dont il eft fi fouvent parlé dans 1'Hiftoire : il faifoit fa réfidence a Caracorum. Te- Tome III. I  194 Thédtre moudgin & lui lierent une étroite ami- \ tié, & hrent une ligue offenfive & dé- • fenfive ; ils battirent & foumirent plu- fieurs hordes. Les Princes voifins furent tl allarmés de 1'union qui régnoit entre Te- • moudgin & Thogul ; ils craignirent ,, avec raifon, que deux hommes auffi bra- • ves-& auffi puiffants ne parvinffent a fou- • mettre toute la Tartarie; ils mirent tout t en ufage pour les défunir, & y parvin- ■ rent. L'amitié de Thogul pour Temoud- • gin fe changea en haine : il réfolut de: le faire périr; & pour y réuffir, il eut t recours a la plus horrible des trahifons.. II envoya un AmbafTadeur a Temoudgin i pour lui demander de nouveau fon ami-j tié, & 1'engager a fe rendre auprès de: lui, afin qu'ils cimentaffent leur alliance par un nouveau traité. Son projet étoit t de le faire affaffiner. Temoudgin avoit t 1'ame trop élevée pour defcendre aux i foibleffes de la défiance : il fit fes pré-^ paratifs pour aller joindre Thogul. En 1 chemin il rencontra fon beau-pere, qui i 1'avertit du danger qui le menagoit, & le |l fit retourner fur fes pas. Thogul, voyant t| que fa fourberie étoit découverte , ré- I folut d'afTembler toutes fes forces , & | d'aller furprendre Temoudgin. Celui-ci ip fut encore averti du projet de fon en-1  du Monde. iqj nemi, & raffembla fes plus braves fol; dats : il en mit une partie en embufs cade, & alla avec 1'autre au-devant de ' Thogul. II le battit, & le forca de pren! dre la fuite. II aimoit fincérement Thoi gul, & ne voulut pas profiter de fa vietoire pouc 1'abattre entiérement; il lui | fit même propofer de renouveller leur ancienne alliance. Thogul ne voulut fe j prêter a aucun accommodement, & fit tous les préparatifs qu'il crut néceffaires pour attaquer & vaincre Temoudgin. I Alors celui-ci raffembla toutes fes forces : les deux ennemis marcherent 1'un jcontre 1'autre, fe rencontrerent, fe batItirent avec un courage égal : enfin la oviöoire, après avoir été long-temps difrputée, fe tourna du cöté de Temoudgin; Thogul prit encore la fuite; & tous fes ;fujets fe foumirent au vainqueur. Thogul tomba entre les mains des Naimans, Hu le maffacrerent. Tel fut le fort du fameux Prêtre Jean, fur lequel on a débité tant de fables. II avoit embraffé le Neftorianifme; s'étoit fait baptifer , 8c •ivoit pris le nom de Jean. II fut facré iPrêtre par les Neftoriens, qui donnoient :ette dignité a tous ceux qui la demanloient. Le Khan des Naimans, étonné de voir I ij  i o 6 Thédtre Temoudgin faire des conquêtes fi rapi- des, réfolut d'employer tous les moyens s pofïibles pour en arrêter le cours : il en- -J voya des Ambaffadeurs a différents Sou- verains, & leur propofa de faire une li- gue contre le Khan des Mogols, qui pa- i roiffoit difpofé a foumettre toute la Tar- * tarie. Plufieurs goüterent fes raifons ; joignirent leurs forces aux fiennes; mar-cherent contre Temoudgin. La fortunei fembloit s'être fait une loi d'élever lei Prince Mogol a. un degré de puiffancei auquel aucun mortel n'étoit encore arrivé. II fut averti des préparatifs qu'oru faifoit contre lui; affembla fes troupes; marcha a 1'ennemi; le défit entiérement l & foumit fes Etats. Plufieurs Khans , craignant d'effuyer le même fort que eer lui des Naimans , fe foumirent a Te-* moudgin ; lui promirent de lui payer ufl tribut annuel, & de lui fournir des trom pes & des vivres lorfqu'il feroit obligé, de faire la guerre. L'ambition eft infa-| tiable : Temoudgin afpiroit k la Monar-ï chie univerfelle; il affembla toutes lea hordes qui lui étoient foumifes; & lorfj qu'on étoit occupé k délibérer fur M forme de Gouvernement qu'on devoi» établir , on vit paroitre au milieu tu 1'affemblée un vieillard tout nud, qui  du Monde. 197 : dit, que Dieu lui avoit apparu & qu'il ' venoit annoncer , de fa part, que la ^ Majefté Divine donnoit la terre a Te• moudgin; qu'elle vouloit qu'on le nom■ mat , par la fuite , Gengis - Khan. Le mot Gen , en langue Mogole , fignifïe c grand, Sc la terminaifon gis, fait le fuI perlatif; ainfi gengis veut dire le plus I grand. II avoit alors quarante ans. Les i Tartares étoient groffiers Sc fuperftitieux. I Ce ftratagême réuffit : toutes. les hordes ti affemblées, Sc divifées fous différents paI villons, donnerent a Temoudgin le titre i de Gengis-Khan. Nous ne le défignerons I plus que fous ce nom. II choifit trois I de fes plus braves Officiers; les nomma | fes Généraux Sc fes Miniftres. Ses pro\ jets n'étoient que des combats Sc des if vicfoires : il ne lui falloit pour Minifj tres que des Soldats. Gengis - Khan fe 6 mit a la tête de fes troupes ; foumit \ plufieurs Souverains par la force de fes 1 armes, quelques-uns par la crainte, Sc a devint enfin le plus puiffant Monarque ï de la Tartarie. Le Khan des Igours, 3 nation fort nombreufe, lui envoya des j Ambaffadeurs, pour lui offrir de fe metj tre , lui Sc fes fujets, fous fon obéififance. Gengis-Khan accepta fon offre , J Sc lui donna une de fes filles en mariage.  198 Thcdtre Les Igours ont été, de tout temps , , célebres dans la Tartarie. Ce font les i premiers peuples de cette contrée qui ont cultivé les fciences & les arts : c'eft : d'eux que les autres Tartares ont pris leur alphabet. Ils écrivent a la maniere des Chinois : c'eft une fecte différente de celle des Tartares. Leurs Prêtres, ou Lamas, ont la tête & le menton rafés; font vêtus de jaune; leur robe , quoique étroite, eft ferrée avec une ceinture; ils mettent un manteau par-deffus; portent des mitres de carton fur la tête. Ils font vceu de chafteté ; ont des efpeces de couvents, dans lefquels ils font raffemblés au nombre de plus de cent. Leurs temples s'étendent en long , de f Oriënt a 1'Occident; vers le Nord eft une chapelle, oü il y a une efpece d'autel, derrière lequel eft une Idole affez grande : elle eft environnée de plufieurs petites. On place fur Pantel des cierges & des offrandes : toutes lés portes de ces temples font tournées vers le Midi. Lorfque les Lamas fe rendent au temple, ils fe placent fur des bancs qui font * vis-a-vis la chapelle, ont la tête découverte, tiennent un livre & lifent tout bas : ils ont des cloches qui font affez groffes. Autour de leurs temples, il y a  du Monde. 199 un grand parvis, environné d'une forte muraille. La principale porte eft trèsgrande : ils s'y aflemblent pour converfer. Au-deffus de cette porte ils placent une perche qui peut être vue de toute la ville, &c qui annonce que c'eft la un temple. Outre ces Prêtres, il y avoit parmi les Igours beaucoup de Mahométans & de Chrétiens Neftoriens. Ces Neftoriens étoient fi ignorants, qu'ils n'entendoient pas la langue Syriaque , dans laquelle leurs Livres étoient écrits. Leurs mceurs étoient très-corrompues. L'ambition de Gengis-Khan croiflbit avec les richeffes & la puiffance. II réfólut d'attaquer les nations les plus formidables ; conduifit fes troupes dans le Royaume de Tangout, fitué entre lïnde & la Chine; le foumit, & s'approcha de la grande muraille que les Chinois avoient conftruite pour les mettre a couvert des incurfions des Tartares. Alors il réfolut d'attaquer 1'Empereur de Ia Chine; lui envoya un Ambafladeur pour lui dire de fe foumettre a fon obéiffance, ou de fe préparer a la guerre. L'Empereur, fe fiant fur fes forces, lui fit une réponfe fi fiere , que Gengis - Khan fe hata de faire des préparatifs pour aller I iv  2.00 Thèdtre contre lui. Si-töt qu'ils furent faits, il fe mit en marche ; avanca a grandes journées; arriva au pied de la muraille; battit ceux qui la défendoient ; entra dans 1'Empire, & foumit toutes les places qui fe trouverent fur fon paffage. L'Empereur fut d'abord effrayé de la rapidité des conquêtes de fon ennemi; mais il revint de fa terreur; affembla ime armée de trois cents mille hommes : il chercha Gengis-Khan; le rencontra ; & lui livra bataille. Les Chinois fe battirent avec un courage qui fembloit devoir leur affurer la vicloire ; mais ils avoient affaire a un ennemi accoutumé a combattre & a vaincre : la fatigue les arrêta; ils furent vaincus. Les débris de leur armée fe retirerent dans une ville voifine : Gengis-Khan les y pourfuivit, & affiégea la ville. Ils fe défendirent avec un courage qui tenoit du défefpoir ; &ent une fortie, & tuerent une prodigieufe quantité d'ennemis. Gengis-Khan fut bleffé dans cette aaion, &, obligé d'abandonner le fiege , il repaffa dans la Tartarie. Si - tot qu'il fut guéri de fa bleffure , il fe remit a la tête de fes troupes; rentra dans la Chine; y continua fes conquêtes & fes ravages. On 1'avertit que les Officiers-Généraux s'é-  du Monde. 201 ! toient révoltés contre 1'Empereur. II fenl tit que le moment étoit favorable pour > conquérir toute la Chine , & réfolut > d'en profiter. La fortune continuoit a. I feconder fes projets. Plufieurs Officiers i & plufieurs foldats Chinois allerent le i trouver, & prirent parti dans fes trou| pes. II divifa fon armée en quatre corps; | mit des Officiers a la tête des trois pre| miers ; les envoya ravager différentes I Provinces de la Chine; prit le commani dement du quatrieme, & alla défoler | d'autres cantons. Plus de quatre - vingtj dix villes furent pillées & détruites : la j flamme confuma les bourgs &c les villages; les vieiüards & les.infirmes fu- j rent égorgés; les enfants de 1'un & de \ 1'autre fexe furent conduits en efclava1 ge; une prodigieufe quantité d'or, d'ar] gent, &c de foie fut enlevée; enfin la 1 barbarie , excitée par la cupidité , rava\ geoit alors 1'Empire de la Chine. Gengis-Khan raffembla toutes fes trouq pes; alla inveftir Yen-King, ville très3 confidérable. Tcus fes Officiers lui pro: poferent de monter a 1'afiaut ; mais il £ avoit deffein de retourner en Tartarie, ; au-lieu de fuivre leur avis. II fit dire a I 1'Empereur qu'il lui accordcroit la paix s'il vouloit lui envoyer de 1'or, de la I v  201 Thedtre foie, des chevaux & mille jeunes efclaves de 1'un & de 1'autre fexe. L'Empereur lui envoya ce qu'il demandoit : Gengis-Khan leva le fiege, &c repafla en Tartarie. II ne laiffa les Chinois tranquilles que pendant un an : 1'ambition le rappella dans leur pays ; il fe fit précéder par une partie de fon armée , & donna ordre a POfficier qui la commandoit, d'affiéger Pékin; de s'en rendre maitre, & d'en accorder le pillage aux foldats. A 1'approche des Tartares, 1'Empereur s'enfuit dans les Provinces Méridionales ; laiffa le foin de défendre la ville a. un brave Officier, nommé Van-Ien. Sa confiance étoit placée; mais il ne lui envoya ni fecours , ni vivres. La garnifon & les habitants fe livrerent k la crainte & au défefpoir : ils propoferent au Gouverneur de capituler. II leur repréfenta que la conduite des Tartares les avertiflbit qu'il falloit périr, foit qu'on fe défendit, foit qu'on fe livrat a leur bonne foi; & qu'il valoit mieux mourir avec honneur, que préfenter lachement le cou au fer de ces barbares. Voyant qu'on ne vouloit pas fuivre fon avis , il demanda vingt-quatre heures pour prendre une derniere réfolution.  du Monde. 2.03 II fe rendit dans le lieu ou repofoient les cendres de fes Ancêtres ; y fit les cérémonies en ufage dans fa nation ; alla enfuite trouver un Officier, & lui dit qu'il avoit pris Ia réfolution de mourir; s'enferma dans fon appartement, & compofa un Mémoire adreffé a 1'Empereur. II expofa a ce Prince les fautes que fon Miniftre lui avoit fait commettre; lui aflura qu'il étoit feul caufe des malheurs oii la nation étoit plongée. II finiflbit par lui marquer : » J'aime » ma patrie au point que je ne puis » furvivre a fa hberté; je fuis d'ailleurs » coupable envers elle de ne pas con» ferver fa capitale : lorfque tu rece» vras ma lettre , je n'exifterai plus ". H diftribua tout ce qu'il avoit aux gens de fa maifon, qui fondoient en larmes; fit enfuite remplir un vafe de poifon ; Pavala. Ainfi finit un brave Officier , qui, par fa prudence & fa valeur, eut été capable de fauver 1'Empire , fi on avoit fuivi fes confeils. Continuons 1'hiftoire de Gengis-Khan. La ville ne fit plus de réfiftance; les Tartares y entrerent , Sc la mirent k fac ; ils brülerent le Palais ImpériaL Gengis - Khan, qui n'étoit pas encore arrivé k la Chine, reeut cette nouvelle I vj  2.04 Tkeatre avec la plus grande fatisfaction. II ordonna k fon Général de contlnuer fes conquêtes, & retourna en Tartarie, oü il fit conftruire un palais, d'oü il fe propofoit de donner des ordres a toute 1'Afie. Son age avancoit : il vouloit fe repofer; mais- il apprit qu'il s'élevoit contre lui un orage terrible du cöté de 1'Occident. Plufieurs hordes s'étoient révoltées. Mohammed, Sultan du Charafm & de la Perfe, avoit fait mourir les Ambaffadeurs que Gengis - Khan lui avoit envoyés, pour établir le commerce entre les deux nations. Gengis - Kan fit affembler tous les Grands de fa Cour,, afin de délibérer fur le parti qu'on devoit prendre dans cette conjonclure. On décida qu'il falloit commencer par foumettre les hordes rebelles, & prendre des mefures pour conferver les conquêtes qu'on avoit faites dans la Chine. On envoya d'habiles Généraux contre les hordes révoltées. Mogli avoit foumis une partie de Ia Chine : Gengis-Khan le déclara Généraliffime des troupes qui étoient dans ce pays; lui donna un cachet pour fceller fes ordres; &c lui permit de prendre le titre de Roi. Mogli fe rendit a la Chine , & continua fes conquêtes. Les au-  du Monde. 205 tres Généraux firent rentrer les rebelles dans le devoir. Gengis-Khan marcha en perfonne contre les Kitans: ils formoient un peuple li confidérable, qu'ils lui oppoferent une armée de trois cents mille hommes. Les troupes de Gengis-Khan étoient invincibles lorfqu'il les commandoit : les Kitans furent taillés en piece, 8c forcés de le reconnoitre pour leur Souverain. Gengis-Khan , ayant réuffi du cóté de la Chine 8c de la Tartarie, réfolut de fe venger de 1'infulte que Mohammed lui avoit faite a 1'égard de fes Ambaffadeurs. D'ailleurs, le Kalif Nafar le follicitoit d'entreprendre la guerre contre ce Sultan, qui avoit nommé un.autre Kalif, 6c fe propofoit de le conduire k Bagdad, qui étoit la réfidence ordinaire des fucceffeurs de Mahomet. GengisKhan favoit que 1'Empire de celui qu'il vouloit attaquer étoit auffi étendu que le fien, 8c beaucoup plus peuplé; maisles difficultés irritoient fon ambition : plus cette expédition lui paroiffoit difficile, plus il s'obftinoit a 1'entreprendre. Afin d'exciter le courage de fes foldats & de leur donner de la confiance , il eut recours k un ftratagême dont leur aédulité affiua la réufiite, II publia qu'il  106 Thédtrc avoit vu en fonge un Evêque, qui étoit venu, de la part de Dieu, lui annoncer qu'il réufliroit dans toutes fes entrepri-' fes. II donna le fignalement de cet Evêque, qui fe trouva être celui des Neftoriens, établis dans le Royaume d'Igour: il paroit qu'il 1'avoit vu, ou qu'on le lui avoit dépeint. Pour donner -de la vraifemblance a fon impofture , il affefta, depuis ce temps, de favorifer les Chrétiens. LesKhans, foumis a la domination de Gengis-Khan, le joignirent avec toutes leurs forces. II envoya deux de fes fils a la tête d'un corps de troupes confidérable, afliéger la ville d'Otrar, fituée au 41'. degré, 50 minutes de latitude, vers les frontieres de Kalmouks. Gagirkhan, qui en étoit Gouverneur, s'y renferma avec une armée de foixante mille hommes. II fe défendit fi vigoureufement , que le fiege dura cinq mois : la ville ne fut même prife que par la trahifon d'un Officier qui ouvrit une des portes. Les deux Princes y entrerent; commencerent par faire mettre a mort le traitre, difant que s'il avoit trahi fon Prince, il pourroit les trahir auffi. Gagirkhan fë retira dans la citadelle avec vingt mille hommes : le refte de la garnifon  du Monde. 10J i avoit été paffé au fil de Pépée. II s'y défendit quelque temps; mais fes foldats, f ayant été prefque tous tués dans les différentes forties qu'il avoit faites, il fentit que fa perte étoit aflurée; fe retira : dans fon appartement; réfolut d'y venS dre fa vie très-cher : il s'y défendit longJ temps , & lancoit fur ceux qui voul loient monter a l'endroit oh il étoit, i de groffes pierres que fa femme lui apj portoit : enfin , il fut pris. On mit ce I brave Officier en prifon, pour attendre que Gengis-Khan eut décidé de fon ï fort. Pendant que les deux Princes étoient i occupés au fiege d'Otrar, leur pere faifoit celui de Buchara. Cette ville étoit fituée entre la grande Tartarie, la Perfe & les Indes. Elle faifoit un commerce très-avantageux; étoit très-riche & trèspeuplée. II y avoit une Univerfité oü toutes les nations fe rendoient pour apprendre les fciences. Le Sultan Mohammed y avoit laiffé une forte garnifon; d'ailleurs , le nombre de fes habitants montoit a plus de cent mille hommes, tous en état de porter les armes. On efpéroit que Gengis-Khan échoueroit devant cette place ; mais il s'en rendit maitre prefque auffi-tot qu'il 1'attaqua.  10ö Thédtrt Le Gouverneur voulut profiter des ténebres de la nuit pour faire une fortie, & fut repouffé; il rentra dans la ville, & en fortit par une autre porte avec toute la garnifon. Gengis-Khan envoya après lui un detachement, qui tailla fon armée en pieces. Les habitants de la ville, fe voyant fans défenfe, députerent au vainqueur les gens de Loi &c les Savants, qui lui porterent les clefs de Buchara. Gengis-Khan , en y entrant, vit un grand édifice, qu'on lui dit être une mofquée. II s'y fit conduire ; defcendit de cheval lorfqu'il fut au milieu; monta fur la tribune, ou les Moulhas ou Prêtres, avoient coutume de fe placer pour faire la priere : il y trouva 1'Alcoran, & le jetta fous les pieds de fes eheyaux. Un des principaux de la ville dit a ceux qui Penvironnoient : Qjielle profanation! Un autre lui répondit : C'eft un chdtiment que Dieu nous envoie dans 1 fa colere. En fortant de la mofquée , Gengis-Khan alla a Pendroit oii les habitants avoient coutume de fe rendre les jours de grandes fêtes; y fit affembler ceux qui étoient de la religion Mahométane ; leur fit connoitre la cruauté que le Sultan Mohammed avoit exercée  du Mondt. 2,09 a 1'égard de fes Ambaffadeurs ; dit que Dieu 1'avoit envoyé pour les punir des crimes que leur Souverain avoit commis ; ajouta qu'il abandonnoit leurs biens k fes foldats; que s'ils cachoient [ quelque chofe, il les forceroit,'par les ■ tourments , k indiquer le lieu oii ils 1 1'avoient mis. II établit plufieurs bureaux dans la ville; défendit a fes folI dats de maltraiter aucun citoyen. Les 0 malheureux habitants de Buchera fe ha- 1 toient de fe dépouiller de leurs effets & 3 de les porter a 1'ennemi, puifque c'é) toit le feul moyen de conferver leur | vie ; ils efpéroient qu'il leur laifferoit 1 au moins leur ville. C'étoit fon projet; I mais il apprit que plufieurs foldats de I la garnifon étoient cachés dans différents I endroits, & fit mettre le feu aux quatre 1 coins : comme les maifons n'étoient que ; de bois, Buchara fut bientót réduite en : cendres : les habitants fe trouverent dans I 1'affligeante nécefiïté d'aller chercher ail: leurs des afyles. Pendant que ces horreurs fe paffoient k Buchara, les différents corps d'armée que Gengis - Khan avoit envoyés dans les Etats de Mo- : hammed , faccageoient , brüloient les villes qu'ils rencontroient dans leur marche : ils revinrent joindre leur Souve-  aio Thidtre rain, qui prit la route de Samarkande. Cette ville eft fituée au quarante-unieme degré , vingt minutes de latitude , & au quatre-vingt-quinzieme de longitude. Le Sultan Mohammed y avoit mis une garnifon de cent dix mille hommes, commandés par fes plus habiles Généraux, & des provifions de toutes efpeces. Gengis-Khan fut informé de tous ces préparatifs, fans en être effrayé : il continua fa marche. En arrivant, il difpofa tout pour un fiege. La garnifon fit une fortie; attaqua les afïiégeants , & l'action dura depuis le matin jufqu'au foir : les afliégés eurent a la fin du défavantage, & furent obligés de rentrer. L'épouvante fe mit dans la ville. Les Gens de Loi allerent trouver Gengis-Khan ; lui offrirent d'ouvrir les portes k fon armée s'il vouloit faire grace aux habitants & a la garnifon; mais il ne voulut 1'accorder qu'a ceux qui étoient de leur parti. On lui ouvrit une des portes; bientöt il fe rendit maïtre des autres; ordonna qu'on maflacrat tous ceux qui ne feroient pas réclamés par les Gens de Loi. Le nombre de ces malheureufes vi&imes de la barbarie monta k prés de quatre - vingts mille : les autres habitants eurent la permhTion  du Monde. li i de refter dans Samarkande; mais on exigea d'eux une rancon de deux cents mille pieces d'or. Gengis-Khan s'arrêta quelque temps dans Samarkande , & envoya trois de fes Généraux avec des détachements confidérables pour étendre fes conquêtes. II leur ordonna de traiter avec douceur les habitants des villes qui fe foumettroient; d'exercer la derniere rigueur a 1'égard de ceux qui voudroient réfifter. Plufieurs villes fe défendirent; plufieurs autres fe foumirent & furent épargnées. Mohammed, loin de raffembler fes forces pour réfifter aux Tartares , fuyoit de ville en ville : le feul nom de Gengis-Khan 1'épouvantoit. II s'embarqua fur la mer Cafpienne ; fe retira dans 1'ifle d'Abefcoun, oii il s'occupa a pleurer fes malheurs. Les Généraux de Gengis-Khan continuoient d'affiéger & de prendre des villes. Carendar fut enlevée en peu de temps. La Reine de Perfe y étoit avec un de fes fils & plufieurs de fes filles : on les chargea de chaines. Ilan , autre ville de la Perfe, fubit le même fort. La mere du Sultan s'y trouva avec la plupart de fes enfants : elle y gardoit des tréfors immenfes. On prit les tréfors , & on fit les enfants  2.11 Thêdtre prifonniers. On les envoya a GengisKhan avec la mere & la femme du Sultan Mohammed. Cet événement fe paffa 1'an 1220 de Jefus-Chrift. Le barbare Gengis-Khan fit mourir les Princes , & donna les PrincefTes aux Seigneurs de fa Cour. II faifoit quelquefois paroïtre en fa préfence la Reine de Perfe , chargée de chaines; &, pour 1'humilier davantage, il lui jettoit quelques morceaux de pain &c de viande comme a un chien. Ce traitement affïigeoit d'autant plus cette Princeffe , que les Hiftoriens la repréfentent comme la femme la plus fiere de fon temps. Mohammed fut inftruit de la mort de fes enfants & des humiliations qu'effuyoit la Reine : il en mourut de défefpoir. On a peine a croire qu'il ait exifté un homme affez barbare pour traiter ainfi une Reine ; mais les Hifloriens contemporains affurent que c'eft une vérité. Douze cents cinquante ans auparavant , la Perfe avoit été conquife par un guerrier, pour le moins auffi habile & auffi courageux que Gengis-Khan; mais il étoit né parmi des peuples policés; avoit 1'ame élevée, le coeur noble &c étoit compatiffant : je veux parler d'Alexandre, qui battit Darius; fit fa  du Monde, 213 mere, fa femme & fes fllles prifonnieres : il fut lui-même fenfible au malheur que le fort des armes leur faifoit effuyer; ordonna qu'on traitat ces illuftres captives avec tous les égards qui étoient dus a leur fexe &c a leur rang : il ne paroiffoit devant elles que pour leur marquer du refpecf. Gengis-Khan étoit né parmi les barbares; avoit un caracfere dur & féroce: la décence & 1'honnêteté lui étoient inconnues. Humilier, même outrager ceux que le fort des armes mettoit en fa puiffance , étoit, pour Lui, un amufement. Après avoir féjourné quelque temps auprès de Samarkande, il affembla fes troupes; entra dans la Perfe; prit un cöté oppofé a celui ou fes Généraux avoient conduit les détachements qu'il leur avoit confiés, &c ravagea toutes les villes qui fe trouverent fur fon paffage. Celle de Termed voulut lui réfifter ; tous les habitants furent égorgés. Une vieille femme, qui étoit échappée au maffacre, offrit, pour conferver fa vie, une perle très-groffe. On lui demanda ou elle 1'avoit mife : elle répondit qu'elle 1'avoit avalée, & qu'elle la donneroit lorfqu'elle i'auroit rendue. Auffi-  21 4 Thédtre tot on lui ouvrit le ventre , & on en arracha la perle : les foldats poufferent la barbarie jufqu'a Pouvrir a tous les morts, pour chercher des perles dans leurs entrailles. Gengis-Khan prit d'affaut Balkh, ville célebre par fa grandeur 6c fes richeffes : elle fut rafée, & on paffa au fil de 1'épée tous les habitants. Enfin, Gengis-Khan 6c fes Généraux ne marquerent leur marche dans la Perfe que par le feu 6c le fang. Dgelaledin, fils ainé de Mohammed, Roi de Perfe, fe fit proclamer Roi; raffembla les débris des troupes qui avoient été battues par Gengis-Khan; en forma une armée affez confidérable pour réfifter a 1'ennemi. II avoit autant de courage que fon pere avoit de timidité. II marcha contre un des Généraux de Gengis - Khan, qui ravageoit la Perfe ; le battit, 6c le forga d'aller joindre 1'armée de Gengis-Khan. Celui-ci, furieux de ce que fes troupes avoient recu un échec , fe hata d'aller contre lui ; le joignit fur les bords du fleuve Indus. II arriva pendant la nuit, 6c fe mit entre le fleuve 6c les Perfes. Le matin, Dgelaledin vit le danger qui le menacoit; il s'élanga fur les Tartares; fe fit jour au travers de leur armée, 6c fe jetta  du Monde. 215 ! dans le fleuve. II étoit monté fur un ; cheval vigoureux, qui le porta a 1'autre bord. Gengis-Khan, qui le regar[ doit, ne put s'empêcher d'admirer fon : courage 6c fa vigueur : 6c dit qu'un . pere qui avoit un pareil fils, étoit heu1 reux. II envoya un détachement a fa j pourfuite; mais Dgelaledin pénétra dans I linde , Sc les Tartares ne purent le j joindre. Pendant ce temps les Généraux de Gengis - Khan , qui étoient en Perfe , continuoient de foumettre cet Empire : ils pénétrerent jufqu'aux Provinces du Nord ; arriverent fur les frontieres de la Ruffie. Mffilas , alors grand Duc de j Kiovie , leur oppofa une armée formi] dable : ils la taillerent en pieces; em1 menerent prifonniers les Duc de Kiovie \ Sc de Czernikou. Après cette expédition 1 ils rejoignirent Gengis-Khan , qui étoit 1 dans la grande Bucharie. Ce Prince tint 1 une Diete générale, compofée de tous I les Princes de fa familie 6c de tous fes ) Généraux , pour décider fur la forme de Gouvernement que 1'on devoit éta1 blir dans les pays dont on venoit de faire la conquête. On envoya dans chaque Province des Généraux pour commander les troupes , Sc des Officiers  n6 Thédtre pour rendre la juftice aux particuliers.. lis étoient mums du lceau du Mo- ■ narque. Gengis-Khan manquoit de provilïonsi pour fes troupes. Plufieurs Officiers pro- ■ poferent de faire malfacrer tous les ha^bitants des Provinces conquifes dans la t Chine : difant que ces gens étoient inu- ■ tiles, & qu'on pourroit convertir leurs'i campagnes en paturages, ou en terres ; propres a la culture : telle étoit la bar- ■ barie de ces Conquérants. Cette horri- ■ ble propofition alloit palfer a la pluralité : des voix; mais un des Généraux , nom- ■ mé Illitchontfai, la rejetta. » Seigneur,, » dit-il, en s'adreiTant a Gengis-Khan ,, » la gloire & la puiffance d'un Monar- • » que ne confifte pas a faire malfacrer j » les peuples vaincus. S'il faut de grands ü Capitairies pour commander les ar» méés , il faut auffi de fages Magif- ■ >♦ trats pour gouverner , & des pay- • » fans pour labourer. Le fel, le fer',, » les foies, la pêche , la culture des, » terres, peuvent produire a. Votre Ma» jefté des fommes immenfes ". Son difcours fut écouté ; fes raifons parurent juftes; on défendit le maffacre des Chinois. Gengis-Khan n'étoit pas fatisfait des conquêtes  du Monde. 217 conquêtes qu'il avoit faites , il vouloit tenter celle des Indes; mais fes troupes étoient fatiguées de marcher, de combattre & de malfacrer. Plufieurs Officiers publierent qu'ils avoient vu un monftre qui avoit le corps d'un cerf, la queue d'un chevalune corne fur la tête - Sc le poil verd ; qu'il leur avoit parlé, Sc dit entr'autres chofes, d'avertir Gengis-Khan de s'en retourner dans fon pays. Gengis-Khan fentit ce que cela vouloit dire. II réfolut de s'en retourner a Samarkande, qu'il avoit choille pour en faire la capitale de fes Etats. Lorfqu'il y fut arrivé, il voulut prendre le divertilfement de la chaffe. Ces lbrtes; d'amufements , chez les Tartares, reffembloient a la marche d'une armée. Toutes les troupes formoient un cercle d'une étendue confidérable ; elles avangoient en fe ferrant de plus en plus. Les animaux qui étoient difperfés dans les forêts, fur les montagnes,, 8c qui fe trouvoient renfermés dans le cercle, fuyoient toujours vers le centre, 8c s'y trouvoient raffemblés. Alors le Monarque &c les Princes; en tuoient autant qu'ils le jugeoient k propos, 8c abandonnoient le refte aux foldats. Ces chaffes duroient plufieurs i«ois, 8c fervoiént a nourrir les armées. Tom III. K  218 Thédtre. Gengis-Khan ,' inftruit que les Chinois s'étoient révoltés» & que les Généraux qu'il avoit envoyés contre eux avoient beaucoup, de peine a les faire rentrer dans le devoir, fe mit a la tête d'une nombreufe armée , & pafia dans la Chine. Tout plia devant lui; il.mit a feu & a fang les villes & les villages qui fe trouverent fur fa route. Les campagnes étoient couvertes de cadavres; les bois & les montagnes étoient peuplés de malheureux qui tachoient de fe dérober a la cruauté de ce tigre altéré de leur fang, 11 fe propofoit de ravager entiérement ce beau pays-, & d'en exterrniner les habitants. Mais ,1'Éternèl fe fatigua de le voir commettre-tant d-horreurs, il ne voulut pas lailfer plus longtemps fur la terre un monftre qui détruifoit les hommes. II fut attaqué d'une maladie mortelle, lorfqu'il étoit campé fur une montagne, nommée Léon-Pan, a quelques lieues de Pékin. Voyant que fa fin approchoit, il fit venir fes fils, & les enfants de fon fils ainé , qui étoit mort, &c les exhorta tous a vivre dans une parfaite union. Voulant leur faire connoitre combien il étoit néceffaire , pour eux , de ne pas fe défiinir, il fe fit apporter un faifceau de flêches; leur  du Monde. 219 dit de le prendre, & de tiener de le rompre : comme ils ne pouvoient en venir k bont, il fe le fit rendre; le délia, &C leur préfenta les flêches 1'une après 1'autre pour les rompre; comme ils en venoient facilement k bout, il leur dit: » J'ai voulu vous prouver que vous fe» rez invincibles tant que vous refterez » unis; mais que vous ferez bien foibles » fi vous vous défuniffez ". II défigna fon fucceffeur; les embralTa tous les uns après les autres; les congédia enfuite , & expira peu de temps après : Ce fut 1'an 1217. Ses fils le firent enterrer fur la montagne oü il étoit mort, au pied d'un grand arbre qui s'y trouvoit, ainfi que leur pere 1'avoit ordonné. II étoit alors agé de 66 ans; en avoit régné 22; fur toute la Tartarie. Telle fut la fin de ce barbare, qui, pour fatisfaire fon ambition, n'avoit jamais joui du repos & de la tranquillité, qui font i'unique objet des defirs d'un Monarque véritablement fage. Pendant qu'il dévaftoit les parties orientales de 1'Afie , les Princes de 1'Europe , fous le titre de Croifés , en défoloient les parties occidentales, L'ambition n'étoit pas I'unique paflion de Gengis-Khan; il avoit plus de cinq cents femmes ou concubines; plufieurs K ij  22.0 Tkédtre portoien t le titre d'Impératrices, paree qu'elles étoient filles de Princes. Les quatre principales avoient chacune leur palais. II eut quatre enfants de Barta-Kurchin, qui étoit fa femme favorite. L'ainé étant mort avant lui, il partagea 1'Empire entre les trois autres ; mais il déclara Empereur, ou grand Khan, le plus agé d'entr'eux , & ordonna aux autres de lui obéir comme a leur Souverain. Les enfants qu'il avoit eus des autres Impératrices eurent des appanages : il fe contenta de donner des terres a ceux qui étoient fortis de fes concubines; s'occupa peu du fort de ceux qu'il avoit eus des Chinoifes. Ce qu'on vient de lire préfente Gengis-Khan comme un monftre, qui défhonora la nature. Si 1'on en croit les Hiftoriens de fon temps, il avoit cependant des vertus : il ne manquoit jamais de récompenfer une belle aefion ; puniffoit févérement le crime , & favoit employer les hommes felon leurs talents. Les foldats qui avoient du courage parvenoient toujours au grade d'Officier. On a de lui quelques Loix : en voici le précis. II établit dans fe9 Etats la croyance d'un feul Dieu , Créateur du ciel &c  du Monde, in de la terre ; Maitre de toutes chofes. Les Chefs des Se&es, les Prêtres & les Médecins furent exempts des charges publiques. Un Prince ne pouvoit prendre le titre de Khan ,• s'il n'avoit été élu, dans une Diete, par les Grands de la nation, II défendit de faire la paix avec- aucun Souverain , avant qu'il fut foumis, II établit une difcipiine exa&e dans fes troupes, II défendit aux foldats de piller 1'ennemi , fans en avoir recu une permiffion expreffe du Général. II permit de manger le fang & les entrailles des animaux, ce qui étoit défendu auparavant. Les privileges des Grands de la nation furent réglés. Tous les fujets étoient obligés de porter les armes, ou de s'occuper aux travaux publics. Le vol d'un cheval ou d'un boeuf étoit puni de mort, Pour les vols de moindre conféquence , il condamna a des coups de baton, ou a payer neuf fois au-dela de la valeur de ce qu'on avoit pris. II défendit d'autorifer la pareffe des efclaves, & de favorifer leur évafion. K iij  222 Thédtre II falloit acheter fa femme. On ne pouvoit époufer fa parente au premier ou au fecond degré : il étoit cependant permis d'époufer deux fceurs; d'avoir plufieurs femmes , • & des concubines. II condamnoit a mort les adulteres, & permettoit au mari de tuer fa femme & le coupable , lorfqu'il les furprenoit dans le crime. Les efpions, les faux témoins, les hommes qui fe livroient au crime contre nature étoient auffi condamnés a mort. Les Hiftoriens ne nous ont point fait connoitre quels étoient les véritables principes de Religion que pouvoit avoir Gengis-Khan. II paroit, par fes loix, qu'il croyoit feulement en un Dieu Créateur, & qu'il ne fongeoit ni a. 1'adorer, ni a Pinvoquer. Abulgafi-Baïadour-Khan, un de fes defcendants, rapporte que ce Prince étant dans la grande Bucharie, demanda qu'on lui fit venir quelques Savants parmi les Mahométants, paree qu'il vouloit connoitre cette Religion. II leur. demanda ce que fignifioit le nom de Mahométans , & en quoi coniiftoit leur culte. Ils lui répondirent : » Les » Mahométans font ferviteurs d'un Dieu •» Tout-Puiffant, a qui rien n'eft com-  du Monde. 413 » parable : nous honorons les Prophê» tes qu'il nous a envoyés, pour nous » apprendre a faire le bien & a évi>y ter le mal. II leur répondit : Je con» viens que rien n'eft comparable a n Dieu. Ils ajouterent : Nous fommes » obligés de donner tous les ans aux » pauvres le quarantieme denier de no» tre revenu, & de ce que nous pou»■ -vens-gagner- par- «©tre travail, ou par » le trafic. II approuya cette conduite >> a 1'égard des pauvres. — Dieu nous » ordonne de faire la priere cinq fois » par jour. Le Prince approuva en» core cet ufage. — II nous eft per» mis de manger tout ce que nous » voulons pendant onze lunes de 1'an» née; mais pendant la douzieme , nous » ne mangeons cu'après le coucher du » foleil. Ceux qui jouiffent d'une bonne » fanté, font obligés de faire, une fois » dans leur vie, le voyage de la Mec» que ,• pour y prier Dieu. Gengis^ » Khan leur dit : Puifquè Dieu rem» plif tout par fo'n immenfité, tout en» droit eft bon pour lui adreffer des » prieres ", Après cet entretien , il les congédia; & avant de fortir de la grande Bucharie, il défendit qu'on levat aucun K iv  124 Thidtre impöt fur cette Province, fans un ordre exprès de fa part. Hiftoin de Gengis-Khan , par Petis dt la Croix. Hifi. des Tartares , par le P. Gaubil. ■ 'Hifi. général. des Tartares, par AhulgaJi-Baiadour-Khan. 'Hifi. des Huns, par M. de Guignes. §. VI. 'Jufie punition d'un ttaitre d fa patrie. Le grand Duché de Lithuanie eft borné au Levant, par la Rufiie, au Nord, par la Livonie & la mer Baltique, au Midi & au Couchant, par la Samogitie & la Pologne. Ce pays étoit peu connu en 1200. On trouve dans quelques Ecrivains qu'il étoit tributaire des Ruffes , quoiqu'il eut fes Ducs particuliers. Mendolphe poffédoit ce Duché vers ïan 1220. C'étoit un Prince fier Sc courageux : il fentit qu'il étoit humiliant pour un iouverain, d'ëtre tributaire; & refufa de payer aux Ruffes celui qu'ils vouloient exiger de fa nation; il fit alliance avec les Chevaliers de Pruffe &  du Monde. a,a ^ de Livonie ; battit les armées Ruffes; entra dans leur pays & foumit plufieurs Provinces. Woiflak, fon fils, lui fuccéda,& fut, comme lui, réfifter aux Ruffes. Après fa mort , les Lithuaniens proclameren? Duc, Vienus, qui marcha fur les traces de fes deux prédéceffeurs. La Lithuanie fut enfin gouvernée pendant plus d'un fiecle par des Ducs qui firent trembler leurs voifins. Vers 1'an 1389, Jagellon hérita de ce Duché : il fut proclamé Roi de Pologne , &c le réunit enfin a ce Royaume. En 1352, Lubartus, frere d'Olgerde, Duc de Lithuanie, fit une invafion dans la Pologne. L'amour de la patrie excita tous les Polonois k prendre les armes &i k marcher contre les Lithuaniens. Cafimir III fe mit k leur tête. Les Lithuaniens alloient être exterminés, & les Polonois vengés; mais il fe trouva parmi les derniers un traïtre, qui, pendant la nuit, avertiffoit les Lithuaniens de tous les projets que 1'on concertoit contre eux : c'étoit Pierre Pfeuca, d'une des plus illuftres families de Pologne. Ce traïtre ne fe contentoit pas de faire connoitre aux ennemis les coups qu'on leur préparoit , il les exhortoit K v  22Ó Thédtre encore k pénétrer dans Pintérieur de fa patrie , pour y porter le carnage; il leur indiquoit les routes qu'ils devoient fuivre pour éviter Cafimir; il alla jufqu'a leur chercher un endroit de la Viftule qui fut guéable : pour Pindiquer, il y enfonga, pendant la nuit, de longs pieux , qui paroilToient au - deffus de Peau; alla avertir les Lithuaniens de ce qu'il venoit de faire. Mais des pêcheurs étant venus dans le même endroit, peu de temps après lui , appercurent ces pieux , & fe douterent de 1'intention qu'on avoit eue en les y mettant , ils les arracherent & les placerent a quelque diftance, dans un endroit très-profond &c trés - rapide. La nuit luivante les Lithuaniens fe mirent en marche , pour paffer la Viftule k Pendroit qui devoit être marqué : Pfeuca fe mit a leur tête pour les y conduire plus fürement. Lorfqu'ils furent arrivés prés des pieux, Pfeuca ne s'appercut pas qu'ils avoient été tranfportés dans un autre endroit; les premiers rangs de 1'armée entrerent dans la riviere, furent auffi-tót engloutis avec leurs chevaux. Lubartus crut que Pfeuca avoit eu deifein de faire périr toute fon armée, ordonna qu'on lm tranchat la tête fur le champ ; &  du Monde. 2.17 craignant qu'on ne lui tendït d'autres embuches , il évacua la Pologne. Le hafa rd fit fubir & Pfeuca la punition qui étoit due a fon crime. Cromerus, de rebus Polonerum, l. 12. %. VII. Deux freres s'immolent d la gloire & a la puiffance de leur patrie. E n'eft pas dans 1'Hiftoire de la Grece \ & de Rome feulement qu'on trouve 1'en| thoufiaime patriotique : il eft encore dans i celle de Carthage. Cette ville eft fondée vers 1'an 82.6 avant Jefus - Chrift. On 3 attribue fon établiflement a Elifla, Prini ceffe Tyrienne, plus connue fous le nom J de Didon. Elle avoit époufé Sichée, Prince fort riche & frere de Pygmalion, i Roi de Tyr. Celui-ci, plus avare qu'hu! main , fit périr Siehée pour s'emparer de fes biens. Didon fut tromper la cupidité de fon beau-frere : elle s'embarqua fecrétement avec les tréfors de fon mari. Après avoir erré pendant quelque temps, elle aborda fur les cötes de la mer Méditerranée, dans un golphe de 1'Afrique, K vj  2l8 Tkiutre a fix lieues de 1'endroit ou Turin eil a préfent fituée. Elle acheta un terrein des habitants du pays; y fit batir une ville, & s'y établit avec ceux qui 1'avoient accompagnée. Quelques Ecrivains ont affuré qu'elle ne demanda aux propriétaires de ce pays qu'autant de terrein qu'on pourroit couvrir une peau de bceuf; qu'elle la divifa en lanieres fort étroites, pour qu'elle embraffat un plus grand efpace; mais les Savants regardent ce fait comme fabuleux. Le nom de Carthage vient du mot Phénicien, qui fignifie la ville neuve. Les habitants de Carthage , pour être tranquilles dans leur ville , confentirent de payer un tribut a leurs voifins. Ibas , Roi de Gétulie, devint amoureux de Didon; lui propofa de 1'époufer; fur fon refus, il fit des préparatifs de guerre contre elle. Cette Princeffe aima mieux fe donner la mort , que de trahir la foi qu'elle avoit jurée a Sichée. Les Carthaginois , après la mort de leur Reine, établirent dans Carthage un Gouvernement Républicain. Plufieurs étrangers s'établirent parmi eux ; leurs forces augmenterent; leur timidité fe. changea en hardieffe ; ils refuferent de payer le tribut auquel ils s-étoient fou-  du Monde. 129 mis; prirent les armes pour s'en affranchir ; mais ils furent battus Sc continuerent de payer. Au bout de quelque temps ils crurent être en état de faire la même tentative, Sc réuffirent: ils foumirent même une partie des Maures Sc des Numides, Leurs fuccès excitent leur hardieffe; ils veulent étendre leur domination ; attaquent différents peuples. Les Cyréniens leur rélïftent , les arrêtent : on combat long-temps, Sc la vicfoire refte toujours incertaine. Les deux nations, fatiguées de répandre inutilement leur fang, convinrent, de part Sc d'autre , que deux jeunes gens partiroient en même-temps de chacune des deux capitales; que le lieu ou ils fe rencontreroient ferviroit de limites aux deux Etats. Ceux que les Carthaginois choilirent étoient deux freres, qui fe nommoient Philenes. L'hiftoire ne cite point le nom des deux jeunes Cyréniens. Les Philenes facrifierent la bonne foi au defir de donner plus d'étendue aux poffeflions de leur République; ils partirent avant Pheure marquée, & rencontrerent les deux Cyréniens fort éloignés de Carthage , Sc fi prés de Cyrene, que ceuxci fe douterent de la tromperie. Ils s'en plaignirent : on difputa long-temps; on  230 Thédin en vint même k des propos durs Sc piquants. Enfin, les Cyréniens dirent aux Carthaginois , qu'ils confentiroient que les pofleffions de Carthage s'étendiffent jufqu'a 1'endroit oü ils s'étoient rencontrés , fi les Philenes vouloient fouffrir qu'on les y enterrat tout vifs. Les deux freres accepterent la propofition , Sc périrent pour Fihtérêt, de leur patrie. Les Carthaginois éleverent deux autels dans cet endroit, qui furent depuis appellés les autels des Philenes. Salufle, Pomp. Mela. Valere-Maxime. §. VIII, Un fcélérat livre fa patrie a t'ennemi , & ejl puni de fon crime. A ure li en monta fur le Tröne des Céfars vers Pan 170 de Jefus - Chrifi , Elevé dès fon enfance dans le, camps , H étoit accoutumé k combattre, Sc devint le plus grand Capitaine de fon temps: toutes les batailles qu'il lfvroit le conduifoient k la viftoire. II battit la célebre Zénobie , Reine de Palmyre ; prit cette ville; fit périr Longin, dont nous  du Monde. 23 1 avons le traité du fublime, & qui étoit favori de la Reine. II fit charger de chaines cette Princeffe; la mena a Rome, & la forga de marcher k pied derrière fon char de triomphe. En allant contre Zénobie, il affiégea : 6c prit plufieurs villes , qui avoient emt braffé le parti de cette Princeffe : de ce t nombre fut Tyanes en Capadoce. lm: patiënt de la réfiftance qu'elle oppofoit f a fes efforts, il jura qu'il n'y laifferoit I pas un chien en vie. Cette menace chanS gea le courage des habitants en fureur : I ils réfolurent de s'enfevelir fous les ruiri nes de leur ville, pour n'être pas imc molés a la barbarie de cet Empereur. Q Ils 1'auroient peut - être forcé de lever 1 le fiege , ou de leur accorder une capi leur devoir en défendant leur patrie, » & tu t'es rendu coupable du plus » abominable des crimes en me la li» yrant; je m'en rendrois complice, fi ♦> je ne te punilTois pas ". II ordonna qu'on lui tranchat la tête. Aurélien fut alors un Juge févere , mais jufte ; & un vainqueur doux & humain. Vopifcus in Aurdiano. $. IX. Un heros ft donnt la mort, pour ne pas fervir contrt fa pat rit , quoiquellt lui , ait marqué la plus grande ingratitudt. T X HemistoCles naquit dans un des bourgs de 1'Attique nommé Phréar. Son pere s'appelloit Nicocles : il tenoit un rang diftingué dans la bourgeoifie. Sa femme , nommée Euterpe, étoit de la  dn Monde. 233 ville d'Halicarnaffe, Capitale de la Carie; il en eut Thémiftocles, qu'on ap-. pelloit Métif: c'étoit un ufage a Athenes de donner ce nom k ceux qui n'étoient pas nés- citoyens de pere 6c de mere. Thémiftocles étoit, dès fa jeunef} fe , vif 6c impétueux ; il avoit enfin ces l défauts qui, fi on peut le dire, annori3 cent dans un enfant I'efprit , même le 5 génie. Humilié de voir qu'il n'étoit pas 3 permis aux enfants Métifs d'entrer dans ; la ville pour jouer avec les autres enj fants, 6c qu'on aVoit deftiné, pour les a exercices de ceux qui étoient d'une naiffance pareille a la fienne, un lieu fitué i hors des murailles; il engagea plufieurs 3 enfants, de la première diftincfion, parmi 1 les citoyens, a venir jouer dans ce lieu, 3 & k fe mêler parmi eux. Ainfi, il par1 vint k abolir cet ufage humiliant pour 1 les Métifs. II s'occupoit d'objets importants k un 5 Sge ou les autres hommes ne fongent 1 qu'a des bagatelles. 11 employoit tout le ] temps qui lui étoit accordé pour fe dé! laffer de fes études a compofer des hat rangues, foit pour défendre un accufé, foit pour demander la punition d'un coupable. Son Profeffeur en fut inftruit; 6c I lui dit : » Thcniirtoclc5 jtu ne feras pas  23 4 Thédtre » un homme ordinaire; tu feras, quel» que jour, le bonheur ou le malheur » de ta patrie ". II ne pouvoit defcendre a des amufements vulgaires: pour fixer fon attention, il falloit des chofes importantes. Un de fes camarades , a qui la nature avoit donné le mince talent de briller dans les cercles, par ce futile langage qui n'exprime rien, & n'attire 1'admiration que des gens fans difcernement, lui reprocha un jour d'être trop férieux, & de ne pas fe prêter a 1'amufement de la fociété. Thémiftocles lui répondit: » Je ne fais » accorder ni une lyre , ni une viole ; » je ne fais point jouer du pfaltérion \ » mais fi j'avois fous ma domination une >t ville , quelque foible qu'elle fftt, je » faurois la rendre très-forte. Apprenez » a connoitre Thémiftocles: pour fixer » fon attention , il faut des chofes im» portantes ". Cornélius Nepos dit que fon pere fut fi mécontent de lui, qu'il le déshérita; mais Plutarque affure le contraire , & dit que fon pere lui donnoit fouvent de fages confeils. Etant un jour avec lui fur le bord du rivage, il lui fit remarquer les débris de plufieurs vieilles galeres , êc lui dit: » Thémiftocles, regarde ces  du Monde. 235 » galeres: on les abandonne paree qu'elles » ne peuvent plus fervir. Tu vewx en» trer dans le Gouvernement, & le peu- » ple, toujours ingrat, t'oubliera fi-tót » que tu ne lui feras plus utile ". Thémiftocles fentit Ia folidité de cet avis; mais il avoit 1'ame trop élevée pour le fuivre: il dédaignoit tout ce qui n'étoit pas capable de le conduire a la véritable gloire. Celle que Miltiades acquit a la bataille de Marathon, lui caufa tant de jaloufie, qu'il ne dormoit ni nuit, ni jour. Le peuple étoit perfuadé que cette vicfoire alloit mettre fin a la guerre, & que la Grece jouiroit de tous les avantages de la paix. Le jeune Thémiftocles fe douta que les Perfes chercheroient a fe venger, & dit que les Grecs devoient fe tenir toujours en état de défenfe. II ofa élever la voix dans une aifemblée publique, 6c confeiller au peuple de ne plus diftribuer le revenu des mines d'argent qui étoient dans le territoire d'Athenes; de 1'employer a' conftruire des galeres pour faire la guerre aux jEginetes , & leur difputer 1'empire de la mer qu'ils avoient ufurpé. Son avis fut combattu par plufieurs citoyens, entr'autres par Miltiades : mais la force de fes rai-  23 6 Thêdtrc fonnements le fit triompher, On conf* truifit des vaifleaux; on battit les >Egi-. netes ; on détruifit une flotte formidable que le Roi de Perfe avoit envoyée; pour fobjuguer la Grece. Ce grand Homme étoit tellement attaché a fa patrie,, qu'il lui facrifioit fes propres intéréts. , Voyant que le peuple vouloit donner lee commandement d'une armée, qu'on def-tinoit a combattre les Perfes, a un Ora- teur nommé Epicydes, qui n'avoit au- • cun talent pour Part militaire , .il envoya i une fomme confidérable a cet Orateur, , pour 1'engager a refufer le commande- ' ment de 1'armée. Les Ambaffadeurs dif; Roi de Perfe étant venus a Athenes demander la terre .& Peau , ce qui fignifioit alors obéiflance & foumiffion, il les fit mettre en prifon; même punir de mort, pour avoir ofé faire aux Grecs une ^ pareille demande, &c parler aux Athéniens en langue Perfanne; il parcourut toutes les villes de la Grece, leur repréfenta qu'elles s'afFoibliffoient par les guerres continuelles qu'elles fe faifoient, & que leurs intéréts demandoient qu'elles réuniffent leurs forces, pour réfifter au Roi de Perfe, qui étoit toujours prêt a les attaquer. Lorfqu'il apprit que ce Roi marchoit  du Mondt. 237' en forces contre les Crecs, 11 leur confeilla de fe mettre fur leurs vaiffeaux , & d'aller a fa rencontre. Son confeil fut d'abord rejetté; mais lorfqu'on apprit que les Theffaliens s'étoient tournés du cöté des Perfes, on en fentit la folidité; on le fuivit, 6c on Penvoya lui-même, avec une flotte nombreufe, pour garder le détroit d'Artémiie. Les Lacédémoniens 6c plufieurs autres nations de la Grece 1'y joignirent. On décida dans un Confeil de guerre , qu'il falloit donner le commandement de toute 1'armée a Euribiades, Amiral des Lacédémoniens. Les Athéniens voulurent s'y oppofer; mais Thémiftocles leur repréfenta que 1'intérêt commun des Grecs demandoit qu'ils agiffent tous d'intelligence, 8c qu'il falloit lui facrifier un honneur paffager; il proclama lui-même Euribiades Amiral-Général de la flotte, 6c promit de fe foumettre k fes ordres. Cependant 1'armée de Xerxès arrivé aux Termopiles; les franchit malgré la réfiftance opiniatre des Lacédémoniens. Les Perfes fe répandent dans 1'Attique; y mettent tout a feu 6c a fang. Cette nouvelle eft annoncée aux Grecs, qui font paffés avec leur flotte au détroit de Salamine." Euribiades veut fe retirer dans  2 3 8 Thédtre 1'Ifthme; mais Thémiftocles s'y oppofe avec vigueur; dit que le détroit eft le feul pofte ou le petit nombre des vaiffeaux Grecs peut braver la fupériorité du nombre. Ce confeil , quelque fage qu'il foit , déplait k Euribiades, qui le rejette & pouffe la vivaclté jufqu'a lever fur Thémiftocles un baton qu'il tient k la main. Thémiftocles, 1'homme le plus vif & le plus bouillant de fon temps, eft aflez prudent pour arrêter fa colere, & facrifier fon reffentiment a 1'intérêt public. II regarde Euribiades avec cet air de nobleffe & de fierté qui eft ordinaire aux grands Hommes, &c lui dit: Frappe; mais écoute. Les Grecs étoient difpofés a fuivre 1'avis de Thémiftocles ; mais lorfqu'ils virent arriver la flotte des Perfes, qui couvroit la mer par la multitude de fes vaiffeaux, & que 1'armée deterre, com» mandée par le Roi même, occupoit tout le rivage, ils furent effrayés, & vou» lurent prendre la fuite. Thémiftocles , efpérant tirer avantage de la pofition oü les Grecs étoient, voulut engager le combat, & s'y prit de cette maniere. II chargea un certain Sicinus , originaire de Perfe , & en qui il avoit beaucoup de conhance, d'aller trouver le Roi Xerxès;  du Monde. 239 . de lui dire que Thémiftocles, Capitaine- ■ Général des Athéniens, defirant de gagner ; fon amitié par quelque fervice, fe hji! toit de le faire avertir que les Grecs étoient prés de s'enfuir; & que s'il vou: loit profiter du défordre oü la crainte I les avoit mis, il ne manqueroit pas de j les battre & de détruire toute leur flotte. !' Xerxès recut cet avis avec joie, & ré'< folut de le fuivre fur le champ. Pour cet I effet, il ordonna aux Capitaines de fes I vaiffeaux de conduire fa flotte devant le !: détroit de Salamine, ou celle des Grecs : étoit, &c de lui boucher le paffage. Ariftides s'appergut du mouvement des Per- fes &c fe douta de leur projet. II alla t trouver Thémiftocles , le prit en partiI culier, lui annonca ce qu'il avoit vu, i. $c lui fit connoitre ce qu'il craignoit. 1 Thémiftocles connoiffoit Ariftides : il lui raconta ce qu'il avoit fait, le pria de fe ■ joindre a. lui pour engager les Grecs a « combattre dans le détroit de Salamine. |j Ariftides, frappé de la juiteffe de fes rai- fonnements , alla trouver les Officiers I Grecs ; & leur confeilla d'attendre 1'en\ nemi dans le détroit, ou il ne pouvoit « ni les envelopper, ni leur préfenter une fl furface plus étendue que la leur; enfin, ; oh ils combattroient a forces égales.  Z4-0 Thidtrt Le lendemain, k la pointe du jour j, Xerxès fit dreffer un tröne d*ór danss Pendroit le plus élevé du rivage, pourr être a portee de voir le combat. La flotte i des Perfes étoit compofée de mille vaif-feaux, Sc celle des Grecs de cent qua-tre-vingts. Le grand nombre des vaiffeaux Perfes effrayoit tous les Grecs,, excepté Thémiftocles. II s'étoit appergui qu'il s'élevoit tous les matins, du cöté: de la mer, un vent impétueux, qui pouf- • foit de très-groiTes vagues dans le canal,, Sc crut que ce vent ne pouvoit nuire: aux vaiffeaux des Grecs , paree qu'ils; étoient prefque plats. Si-töt que Thémif- ■ tocles vit que le vent étoit levé, il donna i le fignal aux Grecs. La réfiftance eft égale : a Pattaque : on combat long-temps; enfin i la flotte des Grecs écarté les premières; lignes de celle des Perfes, 8c les difper- • ie; coule a fond un nombre incroyable : de vaiffeaux, & en prend une quantité : très-confidérable. Cette bataille mémo- • rable couta quarante vaiffeaux aux Grecs, , Sc les Perfes en perdirent deux cents :: elle fe donna Pan 480 avant Jefus-Chrift,, Thémiftocles, voyant qu'il refioit a Xerxès afiez de forces pour conquérir la Grece entiere, ufa d'un nouveau ftratagême pour 1'engager a 1'évacuer : il hu* envoya  du Monde. 241 envoya dire , par un Eunuque de fon palais , qui fe trouvoit parmi les priionniers , que les Grecs avoient réiblu t de détruire le pont de bateaux qu'il avoit fait conftruire fur le Bofphore. Ce Roi, : qui étoit naturellement timide , fut fi I effrayé , qu'il prit la fuite pendant la I nuit, lailTant fon Lieutenant Mardonius I a la tête de trois cents mille hommes, 5 moins pour continuer la guerre , que I pour empêcher les Grecs de le pourfuii vre. Ce fut a la valeur & k la prudence : de Thémiftocles que les Grecs durent cette étonnante vi&oire : il en fut récom5 penfé par les acclamations qu'il regut aux j jeux Olympiques. Mardonius , que Xerxès avoit laiffé fc dans la Grece, avec une armée formi'■ dable, comme nous venons de le dire, I ravagea une partie de ce pays; mais il "! fut battu k Platée; périt dans 1'acfion , I & les Perfes repafferent en Afie. Thémiftocles confeilla aux Athéniens I de rebatir les murailles de leur ville , | même de les faire plus fortes qu'elles t, n'étoient. Les Lacédémoniens, craignant f que les Athéniens, en fe fortifiant ainfi, r ne devinffent trop puiffants, envoyerent l des députés a Athenes, pour repréfeni ter au Sénat qu'il étoit de 1'intérêt de Tome III, L  142 Tkédtre toute la Grece qu'il n'y eut pas de ville fortifiée dans le Péloponefe; paree qu'en cas d'une nouvelle irruption, de la part des Perfes, elle pourroit leur fervir de retraite. Thémiftocles fe douta du véritable motif qui engageoit les Lacédémoniens a fe plaindre : il confeilla au Sénat de répondre qu'on enverroit des députés aux Lacédémoniens pour les fatiffaire, & qu'ils pouvoient calmer leur inquiétude. II fe rendit lui-même a Lacédémone ; propofa au Sénat d'envoyer des Commiffaires a Athenes, pour voir ce qui s'y paffoit, & de lui en rendre compte. II vouloit gagner du temps, pour que les Athéniens puffent conftruire leurs murailles tranquillement : il fit dire, en même-temps a ceux-ci, de garder en ötage les Commiffaires de Lacédémone, jufqu'a ce 'qu'il fut de retour , ce qui le meftroit a couvert de toute infulte. Les murailles furent baties, & Thémiftocles retourna tranquillement a Athenes. Ce grand Homme, fentant de quelle utilité il étoit pour les Athéniens d'avoir de bons matelots , fit réparer 8c fortifier le port de Pirée, & le joignit a la ville. Son zele , pour fes compatriotes, alloit fi loiri, qu'il ne s'occupoit qu'a chercher les moyens d'étendre  du Monde. 243 leur puiffance. II dit, un jour, dans une affemblée du peuple, qu'il avoit imaginé un projet, qui étoit de la plus grande importance pour les Athéniens. On lui ordonna de le communiquer a Ariftides, & de 1'exécuter fur le champ, s'il 1'approuvoit. Thémiftocles lui dit, que tous les vaiffeaux des Grecs , excepté ceux d'Athenes, étoient dans le port de Pégafe; que fi on les brüloit, les Athéniens fe trouveroient avoir feuls une marine ; qu'ils feroient les maïtres de la mer, par conféquent, plus puiffants que tous les autres peuples de la Grece. Ariftides le regarda ; retourna a Paffemblée du peuple ; dit qu'il n'y avoit rien de plus utile, mais en même-temps de plus injufte que le projet de Thémiftocles. Les Athéniens étoient trop généreux pour commettre une injuftice d'un commun accord : ils ordonnerent k Thémiftocles d'abandonner fon projet. Les Lacédémoniens avoient cette dureté de caracfere qui accompagne prefque toujours 1'auftérité des mceurs. Ils propoferent au Confeil des Amphictions, qui étoit l'affemblée générale de tous les Etats de la Grece, d'öter le droit d'envoyer des députés k cette affemblée , a tous les peuples qui n'avoient L ij  244 Thédtre pas pris les armes contre les Perfes : de ce nombre étoient les Argiens, les Theffaliens & les Thébains. Thémiftocles, qui avoit toujours les yeux ouverts fur les intéréts de fa patrie, fentit que les Lacédémoniens auroient trop d'avantage dans le Confeil des Amphictions , fi on fuivoit leur avis ; paree que, étant plus nombreux que les autres peuples , ils y auroient plus de voix, &, par conféquent, un pouvoir plus étendu. II paria avec force , bc dit qu'on alloit donner toute 1'autorité, dans ce Confeil, a deux ou trois des principales villes , ce qui feroit un plus grand mal pour la Grece , que n'avoit été le défaut de fecours des villes qu'on vouloit exclure; qu'il valoit mieux pardonner que punir, quand la punition devenoit dangereufe a ceux qui 1'ordonnoient. On goüta fon avis, & on le fuivit. Thémiftocles, par fes talents, furpaffoit tous les Athéniens de fon temps ; il les furpaffoit encore en crédit même, & en autorité : il eft rare que 1'envie ne s éleve pas contre le mérite que la fortune feconde. Thémiftocles parut trop puifTant k ceux auxquels le défaut de talents ötoit 1'efpoir de devenir fes ému-  du Monde. 145 les. Ils murmurerent, & dirent qu'il étoit dangereux de laiffer tant de puiffance a un feul homme, dans un Gouvernement Démocratique , ou tous devoient être égaux. Le peuple, facile a perfuader, crut qu'il étoit de fon intérêt d'abattre la puiffance de Thémiftocles : il s'affembla; délibéra, &£ le bannit. Les termes du banniffement annoncoient qu'il étoit injufte. II y étoit dit formellement que le banniffement de Thémiftocles étoit 1'oftracifme, ce qui fignifioit que ce n'étoit pas pour le punir de quelque faute, mais pour abaiffer fa puiffance : le décret portoit qu'il feroit, pendant cinq fans, abfent d'Athenes. Thémiftocles fe rendit a Argos. Per» dant qu'il y étoit, les Grecs fe réunirent pour délivrer leurs alliés de 1'Afie, du joug des Perfes. Les Lacédémoniens mirent Paufanias a la tête des troupes qu'ils foumirent : il fe laiffa gagner par les Lieutenants de Xerxès, & ménagea les Perfes dans toutes les occafions qui fe rencontrerent : on découvrit fa trahifon, & on le punit de mort, comme on le verra dans la fuite. Ce Général Lacédémonien, inftruit de 1'exil de Thémiftocles, lui avoit fait propofer de paffer en Perfe avec lui , & d'accepter les offres  2-4 6 Thidtre que le Roi leur faifoit faire a tous deux. Thémiftocles rejetta cette propofition , même avec indignation; mais il eut 1'imprudence de ne pas faire avertir les Lacédémoniens de ce que Paufanias avoit le projet de faire; il n'en paria même a perfonne. Lorfque Paufanias fut mort, on trouva dans fes papiers les lettres des Perfes, ou on le chargeoit de faire des propofïtions a Thémiftocles. Les Lacédémoniens , qui haïffoient ce dernier, 1'accuferent auprès des Athéniens d'avoir été complice de la trahifon de Paufanias. Ceux dont il avoit excité la jaloufie , aigrirent encore le peuple contre lui. II en fut informé; écrivit aux Athéniens .pour fe juftifier : ce fut en vain. On envoya plufieurs perfonnes a Argos pour k prendre, le conduire a 1'affemblée générale des Etats de la Grece, & le faire condamner. La conduite qu'on tenoit a 1'égard de ce grand Homme , n'étoit pas approuvée de tout le monde. Plufieurs citoyens I'avertirent de ce qu'on avoit fait contre lui, afin qu'il fe dérobat au danger qui le menacoit. II fe retira a Corfou, perfuadé qu'il y feroit bien recu, paree qu'il avoit rendu des fervices importants aux habitants de cette ifle, contre ceux de Corinthe : de-la il paffa  du Mondt. 2.47 en Epire; mais il n'y fut pas tranquille: les Athéniens le faifoient pourfuivre partout. II réfolut de fortir de la Grece, oh il voyoit qvi'il n'y avoit point de füreté pour lui : le défefpoir 1'engagea a aller fe mettre entre les mains d'Admete, Roi des Moloffes. Iï n'ignoroit pas que ce Prince étoit très-irrité contre lui, paree qu'il avoit autrefois empêché les Athéniens de lui rendre un fervice très-important; mais , efpérant que le temps avoit calmé fa colere, il crut qu'il étoit moins dangereux pour lui d'aller le trouver , que de s'expofer aux effets de la haine des Athéniens, qui venoit de s'allumer : d'ailleurs, il aimoit mieux périr par les mains d'un ennemi étranger, que de laiffer a fes concitoyens la honte de tremper les leurs dans le fang d'un homme auquel ils devoient leur gloire Sc leur liberté : il partit; arriva bientöt chez les Moloffes; fe rendit au palais d'Admete. Ce Prince étoit alors abfent: on avertit la Reine Phthia, que Thémiftocles venoit d'arriver : elle ordonna qu'on le fit entrer chez elle. Thémiftccles raconta fes malheurs a cette Princeffe : elle avoit 1'ame élevée Sc le cceur fenfible. Phthia fut touchée de voir un auffi grand Homme dans un état auffi L iv  148 Thédere miférable, & forcé d'avoir recours a la commifération de fon ennemi. Elle lui préfenta un de fes enfants ; lui confeilla de le prendre entre fes bras, & de fe temr auprès de 1'auteldes Dieux Domeftiques, lui affurant que la Religion du pays défendoit de refufer les graces qu'on demandoit dans cette pofture : Admete, comme la Reine, fa femme, 1'avoit prévu, pardonnaa Thémiftocles, & le garda quelque temps a la Cour. Les Athéniens & les Lacédémoniens , etant inftruits du lieu de fa retraite, enyoyerent des, députés k Admete pour i'engager a leur livrer cet illuftre fugitif. Admete fentit combien il feroit honteux pour lui de leur livrer un homme qui s'étoit confié k fa générofité ; mais ü eut peur, en même-temps, de devenir 1'objet du reiTentiment des Athéniens &C des Lacédémoniens : il pria Thémiftocles de chercher un afyle plus éloigné Thémiftocles paffa d'abord a Cumes ; mais il connut bientöt qu'il n'y étoit pas en füreté, & que plufieurs perfonnes cherchoient k 1'arrêter, paree que le Roi de Perfe avoit prorais une fomme confidérable a celui qui lui livreroit Thémiftocles. II fe retira k JEges, petite ville del'^olie, oii Nicogenes , homme d'une  du Monde. 249 grande confidération parmi les jEoliens, le recut 8c le tint caché pendant quelque temps. Thémiftocles , ennuyé de vivre au milieu des inquiétudes , réfolut d'aller lui-même fe préfenter au Roi de Perfe, & d'éprouver fa générofité : il fentit qu'il feroit expofé a de- grands dangers dans la route qu'il lui faudroit fuivre pour arriver a la Cour de ce Monarque : pour les éviter, il profita de 1'ufage que la jaloufie des Perfes avoit établie a 1'égard des femmes : ils ne les faifoient jamais voyager que dans des chariots couverts. 11 en fit faire un; fe mit dedans, 8c ordonna a fes gens de dire k ceux qu'ils rencontreroient , qu'il y avoit clans le chariot une jeune Grecque qu'ils conduifoient a un Seigneur trés - puiffant : ce ftratagême lui réuffit. II arriva k la Cour de Perfe, Sc s'adreffa d'abord a Artaban, Capitaine de mille hommes de pied, & lui tint ce langage : » Je fuis Grec de » nation; le defir d'apprendre au Roi » des chofes de la plus grande impor» tance m'a amené ici; mais je ne puis » les communiquer qu'a. lui-meme ". Artaban lui répondit : » Chaque pays a » fes loix , fes ufages , Sc tous ceux qui » s'y trouvent font obligés de les fuivre L v  Thédtre » En Grece tous les hommes font égaux : » les Perfes regardent leur Roi comme* » un Dieu fur la terre. En te préfen» tant devant lui, il faut mettre bas ta » fierté Républicaine, & 1'adorer; ce » n'eft qu'a cette condition que tu pour» ras lui parler ". Thémiftocles lui répondit: » Artaban, tu ne connois pas » celui qui demande a voir ton Roi : » fi ce Monarque eft adoré de tous fes » fujets, je defire d'en augmenter le » nombre , &, par conféquent , celui » de fes adorateurs; & je me foumet» trai aux loix de. ton pays, puifque » je ne puis qu'a cette condition par» Ier au Roi ". Artaban reprit : » il me » paroït que tu n'es pas un homme or» dinaire ; mais il faut que je dife au » Roi qui tu es ". Thémiftocles répliqua : » Perfonne ne faura qui je fuis » avant le Roi ". Artaban informa Xerxès de ce qui venoit de fe paiTer, & recut 1'ordre de préfenter 1'etranger. Thémiftocles rendit fes hommages au Roi; fe tint debout, &c garda un morne filence. Le Roi dit k fon Interprete de demander a 1'étranger qui il étoit. Thémiftocles répondit : » Je fuis Thémiftocles » 1'Athénien. Etant chalfé de mon pays » par les Grecs, j'ai recours k toi: il  du Monde. 251 » eft vrai que j'ai fait beaucoup de mal » aux Perfes; mais* je leur ai fait auffi » beaucoup de bien. Ce fut moi qui em» pêchai les Grecs de les pourfuivre après » la bataille de Salamine. Ma fituation » eft fi trifte , qu'elle me force de venir » implorer ta générofité. Fais attention » que les Grecs neme haïffent, qu'en » conféquence des fervices que j'ai ren» dus aux Perfes. Je fuis a préfent en » ta puiffance : fi tu veux fuivre les » mouvements de ta colere, tu peux me » faire mourir; mais tu délivreras les » Grecs de leur plus cruel ennemi; en » me confervant la vie tu feras éclater » ta vertu. J'ai recu plufieurs fois en » fonge, 1'ordre précis des Dieux deve» nir a ta Cour, & de te confier ma » perfonne ". Le Roi fut fi étonné du courage & de la hardieffe de Thémiftocles , qu'il garda un profond filence, & fe retira; mais il dit a fes courtifans , qu'il ne pouvoit s'empêcher d'admirer 1'éloquence & la fermeté de Thémiftocles ; & qu'il fe regardoit comme trèsheureux de 1'avoir au nombre de fes fujets. II fit des facrifices aux Dieux, & les pria d'infpirer a fes ennemis le deffein de chaffer les plus grands hommes qu'ils euflent parmi eux. On affure que 4 L vj  *** nUdtte fa joie &t fi grande , qu'au milieu de fon fommed, il s'écria, par trois fois : J ai Ifiemijlodes CAtkènhn. Le lendemam, & fon réveil, il fit appeller les Seigneurs de fa Cour; leur ordonna d'aller chercher Thémiftocles. Ce grand Homme crut que le moment de fa perte étoit arnve : tous les gardes le regardoient de mauvais eed, & lachoient contre lui des Propos injurieux. Un de leurs Officiers lm dit & voix balie : » O méchant Grec « te voila en la puiffance de notre Roi " Thémiftocles avoit 1'ame trop grande pour s'abandonner aux foibleffes de la' crainte; il garda toujours cet air majeftueux, cette contenance noble& fiere qm annoncent les Héros; avanea jufqu'au pied du tröne , & falua le Roi lans s'humiher. Le Monarque avoit aflez de jugement pour fentir qu'un homme , qui favoit commander & vaincre ne favoit pas defcendre jufqu'a la baffefie; ilpntun air riant, & lui dit:»Thé» miflocles, je te dois trois cents foixante » mille hvres; je les ai promifes k ce» lui qm me livreroit ta perfonne; je » veux te les payer, puifque c'eft toi» meme qui me la lïvres ". II hfi ordonna' enfuite de dire, avecfranchife, ce qu'il penfoit fur les affaires des Grecs. Thé-  du Monde. 153 miftocles kü répondit : » Grand Prince » » on peut comparer le difcours a une » tapifferie; on ne connoit les figures » qu'elle préfente, que quandelle eft » déployée, & elle ne préfente rien lorf» qu'on la laiffe pliée. Pour préfenter » le tableau que tu me demandes , j'ai » befoin de temps ; & je te prie de me » Paccorder '". Le Roi trouva fa comparaifon jufte, & lui accorda le temps de réfléchir fur fa réponfe. Thémiftocles apprit, en peu de temps , la langue Perfanne, & n'étant plus dans le cas d'emprunter le fecours d'un Interprete, lorfqu'il parloit au Roi, il devint le confident de tous les fecrets du Monarque. Les Ecrivains contemporains affurent même que, quand les fucceffeurs de Xerxès vouloient attirer a leur Cour quelque Capitaine Grec , il lui promettoient de lui accorder plus de pouvoir en Perfe , que Thémiftocles n'en avoit eu fous Xerxès : on affure encore que ce Prince lui avoit abandonné le revenu de trois villes. Les Grands de la Cour congurent tant de jaloufie contre Thémiftocles, qu'ils réfolurent fa perte. II en fut informé, & fe retira k Magnér fie, ou il paffa plufieurs années a jouir paifiblement des bienfaits du Roi de Perfe.  2J4 Thidtre Xerxès, ayant recu quelque nouveau fujet de mécontentement de la part des Grecs , leur déclara la guerre , Sc üt dire a Thémiftocles de fe tenir prêt a marcher contr'eux. Thémiftocles fentit qu'il alloit ternir fa gloire , &c faire a fon nom une tache éternelle , s'il prenoit les armes contre fa patrie, d'un autre cöté , il ne vouloit pas marquer de Pingratitude a un Roi qui le combloit de bienfaits. La mort lui parut le feul moyen qu'il put employer, pour fe tirer d'embarras : il avala du poifon , & mourut, environ 458 ans avant Jefus-Chrift: il étoit alors agé de 65 ans. La vie de ce grand Homme, prouve que le mérite ne met pas a 1'abri des malheurs. Plutarque , vie de Thémiftocles, Mmilius Probus,  du Monde. 15.5 §. X. Un homme veut facrifier fa patrie d fon ennemi, quolqu'll alt regu d'elle toutes fortes de blenfalts. Soliman II eft un des plus grands Princes qui ont occupé le tröne Ottoman : par fes viófoires, il fit trembler 1'Europe. II prit Belgrade , foumit Rhodes, fubjugua une partie de la Hongrie; attaqua oc ravagea , vers 1'an 1587, plufieurs villes foumifes a la domination des Vénitiens. Les Chefs de cette République craignoient qu'il ne portat fes armes vidtorieufes jufqu'a Venife : ils lui envoyerent un Sénateur, pour* négocier la paix, avec pouvoir de lui abandonner Paros & Naxos, en cas qu'il voulut abfolument les avoir en fa puiffance , avant de mettre les armes bas. Le Député du Sénat ne fit pas d'abord connoitre a Soliman jufqu'oii s'étendoient fes pouvoirs ; il lui fit des propofitions moins onéreufes pour la République; mais Soliman lui dit:» Tu cher» ches k me tromper ; tu ne me fais » pas connoitre les ordres que tu as re-  2.56 Thidm » eus. Avant de conclure la paix, je » veux avoir en ma puiffance les deux » ifles que le Sénat t'a chargé de me » livrer ". Le Député fut étonné de voir que Soliman étoit fi inftruit de ce qui fe paiToit dans le Sénat: il livra les deux ifles, & la paix futconclue. En arrivant a Venife, il fit affembler les Sénateurs; leur rendit compte de fa miffion , & leur dit qu'il y avoit parmi eux un traïtre , qui rendoit compte aux ennemis de ce qui fe paffoit dans 1'affemblée. A force de perquifïtions, on découvrit le traïtre. C'étoit un homme, qui, fous des dehors modeftes , le voile d'une douceur affeclée, & 1'apparence d'un défintéreffement a toute épreuve , cachoit une ambition fans hornes, une cruauté fans égale, & une infatiable avidité. Les Sénateurs , trompés par les apparences, Pavoient élevé aux plus hautes dignités de 1'Etat. Tous les jours ils le combloient d'honneurs, & croyoient encore n'en pas faire affez pour un homme qu'ils regardoient comme 1'ornement de leur pays, & il cherchoit k les perdre. II faifoit connoitre k Soliman tous les projets , toutes les réfolutions du Sénat, & le Sultan , pour prix de la trahifon, lui envoyoit des fommes immenfes, & trou-  du Monde. 157 volt le moven de les lui faire parvenir, fans qu'on s'en appergxit a Venife. La honte d'avoir été fi long-temps la dupe de ce fcélérat, augmenta Pindignation des Sénateurs contre lui: on le condamna k être pendu. II fe fauva chez 1'Evêque de Montpellier, qui étoit Ambaffadeur de France a Venife. On fomma PAmbaffadeur de le livrer ; mais il fit fermer les portes de fon hotel, 6c le tint caché. Le Sénat, qui vouloit lui faire fubir la punition juftement due a fes crimes, ordonna de dreffer une batterie de canon devant 1'hötel de PAmbaffadeur. La peur fit faire k ce Miniftre ce que le devoir demandoit : il n'y a point d'afyle facré pour les traïtres^a 1'Etat. II chaffa cette homme de fon hotel , 6c le Sénat le livra au bourreau. II fe trouva plufieurs citoyens, qui, ne pouvant fe perfuader qu'il eut été coupable de commettre des crimes auffi atroces, que ceux dont on 1'accufoit, le regarderent comme victime de la jaloufie du Sénat. Sleidanus, lib. i%. Sagredo,  258 Thédtre §• XI. Un Jïmple particulier délivre fa patrie de Copprefjion, par fa hardieffe & fa fermeté. O'est le fameux Guillaume Teil, dont la mémoire doit être éternellement révérée par les Suiifes. Pour fuivre le plan que nous nous fommes propofé dans cet Ouvrage, nous allons donner un précis de 1'hiftoire des Suiffes. Le pays qu'ils habitent eft fitué dans les Alpes, entre la France , 1'Allemagne & 1'Italie. Charlemagne le conquit, & 1'enveloppa dans fes vaftes Etats. Ses fucceffeurs n'eurent ni fes talents politiques, ni fes talents militaires, & 1'Empire qu'il avoit fondé , croula : on vit des Républiques & des Monarchies s'élever fur fes ruines. Les Ducs tournoient leurs armes contre le Souverain, & fe déroboient k fa puillance. Enhardis par le luccès, ils formoient chaque jour de nouvelles entreprifes , s'attaquoient, & fe ruinoient mutuellement : 1'Europe étoit arrofée de fang, & remplie de carnage. Les SuüTes ne connoilfoient pas alors  du Monde. 2.59 leurs forces; ils craignoient de devenir la proie du premier ambitieux qui les attaqueroit, & fe mirent fous la protection du Roi de Bourgogne, enfuite fous celle du Roi de France; mais ce Monarque occupé a fe défendre luimême contre les Normands, ne fut qu'un foible appui pour les Suiffes; plufieurs Ducs s'en rendirent maitres tour-a-tour. Albert, Empereur d'Allemagne, réfolut de les foumettre entiérement, & de faire de leur pays un Etat héréditaire pour la Maifon d'Autriche. Par des préfents confidérables, il engagea les Gentilshommes de ce pays a le reconnoitre pour Souverain , bc a lui prêter ferment de fidélité. Le peuple murmura, & refufa de fe foumettre a 1'Empereur. Albert avoit pris la ferme réfolution de s'emparer de la Suiffe ; il fit batir des fortereffes dans différents cantons ; y envoya des Gouverneurs; leur ordonna de traiter le peuple avec la derniere févérité , afin de 1'exciter k la révolte , & de le mettre dans le cas d'aller le foumettre les armes a la main. Si 1'on avoit ufé de douceur & de fermeté , en mêmetemps , k 1'égard des Suiffes, la fouveraineté de leur pays étoit affurée k la Maifon d'Autriche; mais Gifier, Gouver-  Tkédtrc neur du canton de Schiveitz (*) & d'Uri,, joignoit a une imprudence extreme, une fietté infupportable, & une cruauté fans homes. II vit les Suiffes faifis de crainte, , & crut qu'il pouvoit les traiter en efclaves : il joignit 1'outrage a la févérité; fit mettre fon bonnet au haut d'une piqué ; qu'on planta au milieu d'une place publique , & ordonna que tous ceux qui pafferoient , rendroient a ce bonnet les mêmes hommages qu'ils rendoient a fa perfonne : tout le monde eut peur, & tout le monde obéit. Mais Guillaume Teil, natif du canton d'Uri, homme fier , hardi, & prêt a facrifier fa vie a fon honneur , rougit de 1'aviliffement dans lequel il voyoit fa nation. II affembla plufieurs de fes compatriotes; leur infpira fon courage; les engagea a fe rendre avec lui fur la place, & a regarder le bonnet du Gouverneur avec mépris; il leur montra le premier 1'exemple ; paffa devant, avec un air de fierté qui lui étoit naturel, & fes compagnons 1'imiterent. Parmi les témoins de leur conduite , il s'en trouva plufieurs qui (*) Nous 1'appellons le Canton Suiffe , & nous donnons ce nom a tous les autres qui torment cette République.  du Monde. 161 radmirerent; d'autres la blamerent, & poufferent la baffelTe , jufqu'a vouloir facrifler la vie de Teil a leurs intéréts: ils allerent le dénoncer au Gouverneur, qui le fit arrêter fur le champ , & ordonna qu'on Pemmenat devant lui. Lorfque Guillaume Teil eft en fa préfence, il lui demande, avec dureté , les détails du complot qu'il a formé. Teil le regarde avec fierté, & refte dans le fdence. Gifier lui fait les menaces les plus terribles; Teil garde encore un morne fi-' lence. Le Gouverneur , impatient, réfolut d'employer la tendreffe paternelle pour vaincre fa fermeté. Guillaume Teil avoit trois fils; le plus jeune n'étoit agé que de quatre ans; Gifler >condamne Teil a lui placer une pomme fur la tête, &C k Tabattre avec une flêche, ajoutar.t qu'ils auroient tous deux la tête tranchée, fi Guillaume ne touchoit ni a la pomme , ni a la tête de fon fils. Ce pere infortuné va chercher fes armes & fon fils : la contenance abattue de Teil , la figure agréable, Pair de douceur de fon enfant , jettenf la coniiernation parmi tous les fpectateurs. Teil place lui-même la pomme fur la tête de fon fils ; s'écarte k une diftance marquée : il emploie toutes fortes de moyens  2.02 Tkédtre pour exciter la pitié du tyran ; mais , ils font inutiles. II leve les mains au i Ciel, implore fon affiftance ; bande fon' are ; dirige fon coup ; la flêche part. , Peres fenfibles, & vous meres tendres, quels mouvements ce fpeftacle n'excitet-il pas dans votre coeur! Ceffez de frémir : la pomme tombe, & 1'enfant n'eft pas bleflé. ^ Guillaume Teil entend les cris de joie s'élever de toutes parts; il n'a plus a craindre que pour lui-même : alors il tire une feconde flêche de delfous fon habit , & dit a haute voix : » Félicitez » le tyran Gifler de ce que je n'ai pas » tué mon fils : fi ce malheur m'étoit » arrivé, cette flêche lui pergoit a 1'inf» tant le coeur ". II vouloit exciter 1'indignation de fes compatriotes, & élever leur courage. Gifler entre en fureur; prend la réfolution de faire périr fur le champ Guillaume Teil; mais il fent que 1'Empereur pourra trouver mauvais qu'il ait, de fa propre autorité, difpofé de la vie d'un homme qui jouiflbit d'une trésgrande confidération dans fon pays, & qu'il n'appartient qu'au Confeil de fa Majeflé de juger les criminels d'Etat, & Guillaume Teil en eft un, puifqu'il a  du Monde. 263 voulu exciter ]es Suiffes a la révolte. II le fit charger de chaïnes , dans 1'intention de le conduire a 1'Empereur, & de le faire juger; il vouloit être témoin de fon fupplice: il le fit mettre fur un vaiffeau , & y monta avec lui. A peine ce vaiffeau fut-il en mer, qu'il s'éleva une fi violente tempête , que tous ceux qui étoient dedans regarderent leur perte comme certaine. Les gens de 1'équipage, qui connoiffoient la fcience de Guillaume Teil dans l'art de la navigation , dirent a Gifler qu'il étoit feul capable de les délivrer du preffant danger oü ils étoient tous expofés. La peur 1'avoit faifi : il ordonna qu'on lui ötat fes fers, &c qu'on lui confiat la conduite du vaiffeau. Teil profita de cette conjoncf ure pour fe dérober k la cruauté du tyran : il conduifit le vaiffeau proche d'un rocher , &, lorfqu'il en fut k une certaine diftance, il fe jetta k la mer; aborda au rocher, & trouva le moyen de repaffer en Suiffe. La mer fe calma. Gifler n'ayant plus fon prifonnier, fit diriger fa route vers fon gouvernement; ordonna qu'on cherchat Teil; & promit des récompenfes k ceux qui le livreroient. Teil le cherchoit auffi ; mais Gifler prenoit fi bien fes précautions , qu'il ne pouvoit  2^4 TiiJdtre le trouver. Enfin il le joignit, un jour qu'il fortoit de la fortereffe de Kufnacht, dans le canton de Suiffe ; lui tira une flêche , & le tua. Le Gouverneur du canton d'Undervral, exercoit aufïi les plus cruelles vexations contre les habitants : il enlevoit leurs biens , &c déshonoroit leurs femmes. II en forga , un jour , une de fe mettre au bain avec lui. Le mari de cette femme infortunée en fut averti ; courut a 1'endroit ou il étoit avec fa femme , & le tua fur le champ. Guillaume Teil, toujours occupé du foin de délivrer fa patrie de 1'efclavage, chercha des hommes affez hardis pour le feconder dans fes entreprifes , & facrïfier, comme lui , la vie k la liberté. II en trouva trois ; Werner, Stouffacher , tous deux du canton de Suiffe, & Arnold de Melchthal, du canton d'Onderval. Ils tinrent d'abord leurs conférences fecretes , fe firent des partifans dont le nombre augmenta, & devint confidérable. Ils s'affemblerent dans une petite pleine du canton de Suiffe, fitueé entre Brun & Milterftein , & jurerent tous de mettre leur patrie en liberté , ou de périr. M. Pfeffel, dans fon abrégé Chronologique du droit public d'Al- lemagne,  du Mondt. 2.65lemagne , dit que cet événement arriva le 17 Octobre 1307 , & Stumpfius in: chron. Htlvttia , le met a 1'an 1314* Le premier acte qu'ils firent, fut de) rafer les forts que 1'Empereur avoit fait conftruire dans leurs .cantons , 8c de chaffer les Gentilshommes qui s'étoient laiffer corrompre. L'Empereur Albert Ier., informé de cette révolte, fe met a la tête d'une nombreufe armée pour aller 1'appaifer, & punir ceux qui en font les auteurs; mais il eft affaffiné par fon neven même, a la tête de fon armée. Cet accident enhardit les SuiiTes; tous les habitants des trois cantons concluent une ligue de dix ans pour défendre leur patrie. En 13 15 , Léopold d'Autriche voulut continuer la guerre qu'Albert Icr« avoit commencée contre les trois cantons ; mais les SuiiTes le furprirent dans les gorges du mont Morgartin ; taillerent fon armée en pieces , & le forcerent de prendre la fuite. Après cette viftoire , les Suiffes- renouvellerent leur ligue. L'Empereur, Louis V , conhrma 6c autorifa leur confédération. Les auTres cantons fe joignirent, par la fuite, aux trois premiers, 6c la Suiffe, depuis ce temps, a confervé fa liberté. Tornt III. M  a66 Thédut Ce trait hiftorique prouve que les Tyrans font toujours expofés aux plus grands dangers. Stumpfins, in Helvetice ckronica. §. XII. Un homme ne fe contente pas d'avoir obtenu la première dignitè dans fa patrie, il veut porter la Couronne. Son ambition le conduit d fa p-erte. JVIarin Faler fut élu Doge de Venife vers'1'an 1.539. Tl trouva que les conftitutions de 1'Etat mettoient des hornes trop étroites a fa puiffance, &c réfolut de les changer , même de placer une couronne fur fa tête. Pour y réuilir, il gagna , par préfents & par promeffes , les hommages du bas peuple, que la pareffe & 1'oifiveté avoient piongés dans 1'i'ndigence, & les Nobles qui éprouvoient les funeftes fuites de la débauche. Lorfque le nombre des conjurés lui parut luffifant, il choifit les plus déterminés ; leur dit de fe mettre, un jour marqué , a la tête chacun de foixante hommes; d'entrer dans le Sénat lorfque  du Monde. z6j lts Sémtètta aflemblés, & de Hier ton excepter un feul. 11 ordonna- aux autres de répandre le bruit da i \ niiè qu'on voyoit aborder au port plufieurs vaiffeaux chargés de foldats ; de tonner les cloches ; de profiter du trouble qui ne manqueroit pas de fe répandre, pour parcourir la ville & maffacrer tous les gens ■ de marqué : il leur enjoignit de crier alors tous ert même-temps : Vive le Roi Faler. Le moment étoit défigné. Tous les conjurés étoient préparés a exécuter les ordres de leur Chef; mais un nommé Beltrand , 1'un des principaux conjurés , eut horreur de participer a ce crime abominable : les remords s'éleverent dans fon cceur; il crut qu'il ne devoit même pas le laiffer commettre. Pendant la nuit, qui précédoit ce jour horrible , il alla trouver un Sénateur , nommé Nicolas Léon , & lui déclara tout le complot. Léon ne perdit pas de temps : il avertit tous les Sénateurs, qui s'aflemblerent fur le champ ; firent prendre les armes a la garnifon; chargerent les foldats d'aller faifir le Doge , & ceux qui étoient a la tête des conjurés; leur ordonnerent de les péndre tous dans 1'inftant même, & d'attacher leurs corps aux colonnes M ij  -2Ö8 Théatre. de la falie dü Sénat. Ils reflerent aflemblés pendant toute la nuit; firent faire une recherche exacle de tous les coupables; &, dans 1'efpace de huit jours, ont mit a mort plus de cinq cents Vénitiens. Les uns furent pendus, les autres eurent la tête tranchée ; d'autres furent enveloppés dans des facs, & jettés a. la mer; les moins coupables furent dégradés du rang de citoyens, & notés d'infamie. , Qoyant que la juflice demandoit qu'on récompenfat celui qui avoit découvert la conjuration, on lui adjugea une peniion affez confidérable pendant fa vie, avec la maifon de Faler , & on lui donna la qualité de Sénateur. Ces récompenfes ne lui parurent pas fuffifantes : il difoit qu'un fervice, tel que celui qu'il avoit rendu aux Sénateurs, en demandoit de plus confidérables, & fe plaignoit par-tout de leur ingratitude. II épuha enfin leur patience : les uns demanderent qu'on fit fon procés & qu'on le condamnat k mort; les autres dirent que le fervice qu'il avoit rendu a 1'Etat, demandoit qu'on lui lailTat la vie. On lui öta tous les bienfaits qu'il avoit recus, èi on 1'exila a Ragufe, cii il mourut. Sab. I, 3, dcc. I.  •du Monde. 2.69 §. XIII. ' Un Prince Ja*erifie , d la tranquillité du peuple, les droits qtiil a au Tröne. Ladislas, huitieme Roi de Hongrie , mourut en 1095 , ^ans poftérité. Le droit de naiflance appelloit au Tröne Caloman , fils ainé de Bela , frere de Ladiilas , mais les Hongrois donnerent la préférence a Alme, qm étoit fon cadet. Les partifans de Caloman, fe voyant privés des bienfaits qu'ils efpéroient obtenir de lui, s'il montoit fur le Tröne, employerent tous les fecours de 1'éloquence , pour 1'engager a foutenir fes droits par la force des armes. II les écouta; réfolut de fuivre leurs confeils; paffa en Pologne; obtint la permifiion d'y lever des troupes ; retourna en Hongrie ; afliegea öc prit pluüeurs villes. Alme le hata de marcher contre lui. Les deux armées fe trouverent bientöt en préfence : on s'attendoit a voir les foldats , armés de la haine de leurs Chefs, combattre avec fureur les uns contre les autres ; arrofer la terre de fang, & la couvrir de cadavres. Alme fent combien les M iij  ZJO. Thédtre furies de la bataille feront funeftes a fa patrie. II fort de fon camp; entre, fans gardes, dans celui de fon frere; 1'embraffe avec tendreffe ; lui dit : » Pour » vous vaincre , je n'employerai point » les armes dont on fait ufage a la guer» re : 1'amitié, la tendreffe fraternelle, » font les feules avec lefquelles je veux » vous attaquer. Je vous abandonne la » Couronne : je fais plus; je me livre » entre vos mains , & n'exige, pour prix » du facrifice que je vous fais, que le » pardon de ceux qui ont pris mon » parti ". Caloman verfa des larmes de tendreffe , lui répondit : » Vous avez » bien fait de vous fervir de ces armes: » je fuis vaincu ". II le prit enfuite paria main, paffa avec lui entre les deux armées, & dit: » Le devoir change notre » haine en amitié : Soldats, mettez bas » les armes ". L'union, la concorde s'établit entrè ces deux Princes, & les Hongrois furent heureux. B&nfinius, L 5, dtc. z.  du Mondt. 271 §. XIV. Jujïe punition d'un ambitieux qui , pour étendiefa puiffance, veut diminuer celle de fa patrie, Francois Baudouin, noble Vénitien, poffédoit des richeffes immenfes. Son ambition étoit trop grande , pour qu'il fut content des dignités qu'il occupoit, 8c des richeffes qu'il pofiedoit. Vers 1'aru 1540, il propofa a Soliman de lui faciliter la conquête d'une partie de - 1'Etat de Venife, s'il vouloit la partager avec lui, 8c ériger en Principauté ce qu'il lui céderoit. II confia fon projet a un de fes domeffiques, qui étoit le coi.'fïdent de tous fes fecrets. Ce domeftique avoit 1'ame plus élevée que fon maitre : il eut horreur de ce projet; Sc, pour mettre fa patrie a 1'abri du danger qui la. menagoit, alla chez le Doge, lui révéla le crime que Baudouin avoit le projet de commettre. Le Doge fit fecrétement affembler le Sénat : on décida qu'il falloit fe hater de faire arrêter Baudouin. Si-töt que la nuit fut arrivée , on envoya des foldats fe faifir de fa perM iv  2.71 Thé dire fonne : on fit comparoïtre devant lui fon domeftique, qui ne fit pas difïïculté de le convaincre , & de lui reprocher de 1'avoir cru capable de fe rendre complice d'un pareil crime. Baudouin fut condamné a avoir la tête tranchée ; la fentence ne tarda pas a être exécutée. On faifit tous les biens du coupable; on déclara fa familie déchue de nobleffe, &C incapable de pofieder aucune dignité dans la République. Pour déshonorer encore fa mémoire , on ordonna que la ■porte de fa maifon demeureroit ouverte jour & nuit; & on fit placer au-defius la ftatue de Saint Mare, comme pour annoncer que c'étoit lui qui avoit fauvé la République du danger dont elle étoit menacée par celui qui habitoit cette maifon. Ce fcélérat, en voulant s'élever , caufa la perte de fa familie. Le domeftique regut des récompenfes proportionnées k fon zele, & k fon amour pour la patrie. Egnat. I. (?, c. ó.  du Monde. 2-73 §. XV. L'amour de la patrie keint l'amour mater nel. Les MelTeniens Sc les Lacédémoniens fe difputerent long-temps les bornes de leur puiffance : ils fe livroient fouvent entr'eux des batailles fanglantes. On connoit peu les Meffeniens, paree que les Auteurs n'en ont parlé qu'en paffant ; mais on peut juger de leur courage par la réfiftance opiniatre qu'ils firent aux Lacédémoniens, que les loix de Lycurgue avoient rendus le peuple le plus redoutable de toute la Grece. A Lacédémone, tout le monde étoit occupé de 1'honneur Sc de la gloire de la patrie ; les femmes même étoient difpofées a. tout leur facrifier. Un jour que les Mefleniens Sc les Lacédémoniens fe livroient bataille, plufieurs Dames Lacédémoniennes fe rendirent a la porte de la ville, qui étoit la plus proche des deux armées. Une d'entr'elles demanda a un foldat, qui. revenoit du combat, laquelle des deux nations étoit vicforieule, il lui répondit : » Tous vos fils ont été tués M v  274 Thicun Elle en avoit cinq. Cette Dame lui repliqua : » Je ne vous parle pas de ce » qui me concerne; je vous parle de ce » qui intéreffe la patrie ". Le foldat lui dit : » Les Lacédémoniens font victo» rieux ". Elle s'écria alors : » Je rends » graces aux Dieux de m'avoir donné » des enfants capables de mourir pour » la patrie ". Une autre de la même nation , a laquelle on vint dire que fon fils avoit été tué dans un combat, répondit : » II » falloit bien qu'un homme, a qui j'a» vois donné la vie , fut capable de la n facrifier a la patrie ". L'hiftoire fait mention d'une Lacédémonienne, qui donna a fon fils des armes pour aller au combat, & lui dit, en lui préfentant le bouclier : » II faut que » vous le rapportiez , ou qu'on vous >> rapporte deffus ". C'étoit un ufage établi parmi les Grecs, de rapporter fur leur bouclier, ceux qui avoient été tués a la bataille. Parmi plufieurs exemples de l'amour des femmes pour leur patrie, on peut encore citer celui-ci. Une, de la même nation, voyant fon hls arriver après un combat, lui demanda, de quel cöté la victoire s'étoit déclarée, il lui répondit;  du Monde. 275 4 Tous les Lacédémoniens ont péri ". Elle prit une pierre; la Hri jetta a la tête, en dif'ant : » II étoit réfervé a un » lache comme toi de venir annoncer » cette fatale nouvelle. Lacédémone ne » doit avoir que des citoyens capables » de mourir pour elle ". Cicero , Tufc. I. i. Plutarq. in Apoph. §. XVI. Traits hèroïques occajionnés par l'amour de la, patrie dans les temps modetnes. En i 522 , les Turcs attaquerent 1'ifle de Rhodes, alors la réfidence des Chevaliers de Malthe. Soliman II apprend que fes troupes font rebutées par les efForts continuels qu'il leur faut faire pour conquérir cette ifle. II paffe la mer avec quinze mille hommes ; ordonne qu'on faffe paroïtre devant lui toüs les foldats défarmés; les fait environner par les quinze mille qu'il a amenés ; jette fur eux des regards menacants; leur dit: » Si j'avois a parler a des foldats, je » vous aurois permis de paroitre devant M vj  %j6 Thédtrc » moi avec vos armes; mais puil'que je » fuis réduit a adreffer la parole k de » malheureux efclaves, plus foibles Sc » plus timides que des femmes, je ne » dois pas fouffrir qu'ils portent les mar» ques de la valeur. En vous envoya nt » contre ces fiers Chevaliers, je n'igno» rois pas que vous alliez combattre les » plus intrépides d'entre les Chrétiens, » & les plus altérés du fang Mufulman: » mais j'ai cru faire une entreprife, Sc » trouver des périls dignes de votre va*> leur : je me fuis trompé. Ce n'efi pas » de vous, laches, que je dois attendre » une pareille conquête , Sc je veux » vous faire fubïr le fupplice qu'exige » ma jufte colere ". Auffi-tot il ordonna k ceux qu'il a amenés de malfacrer tous ces laches : déja leurs fabr.es font hors du fourreau; ils levent tous le bras pour frapper. Ces malheureux fe profternent; implorent la clémence du Sultan. Péri, leur Général, joint fes prieres aux leurs, ainfi qu'il en étoit convenu avec le Prince. Soliman lui dit : » Je fufpends la pu» nition des coupables ; qu'ils aillent » chercher leur grace dans les baftions » Sc fur les boulevards de Rhodes ". Ce mélange de févérité Sc de clémence,  du Monde, 2.77 feleve tous les courages; aucun péril n'arrête la valeur des Turcs. Les affiégés, de leur cöté, montrent une rélïftance invincible. Les vieillards, les enfants , les Prêtres , les femmes, bravent la mort pour défendre la patrie. Parmi ces héroïnes, l'hiftoire a remarquc une jeune Grecque, d'une rare beauté. Elle étoit la maitreffe d'un Officier; lui préparoit des rafraichiffements pendant qu'il combattoit, & bravoit les dangers pour les lui porter. Un jour elle le trouvé mort fur la breche d'un baftion. Cette généreufe fille ne s'amufe point k verfer d'inutiles larmes : elle prend fes armes ; renverfe le premier Turc qui fe préfente ; en bleffe une multitude d'autres; tombe enfin percée de coups fur le corps de fon amant. Soliman, k qui chaque affaut coüte un nombre prodigieux d'hommes , craint de fe voir forcé de lever le fiege; il offre aux affiégés des conditions honcrables. Le Grand - Maitre Villiers , de 1'Ifle-Adam, voyant que fes moyens de défenfe font épuifés, accepte les offres du Sultan : la capitulation eft fignée. Soliman entre dans la place, fans gardes , difant : J'ai pour efcorte la parole du Grand-Makre, la foi des Chevaliers;  2.7^ Thédtre elle efi plus fiiri qi/'une armee entkre. II favoit que les ames élevées font incapables de defcendre aux baffeffes. Vertot, hifi. de Malthe. Réfiexions militaires de Santa-Cru^. Hifi. de Charles-Qjunt. Vers le milieu du feizieme fiecle , foixante mille Turcs afiiégerent Agria, ville de Hongrie. Elle n'étoit environnée que de vieilles murailles, flanquées de murs fans baftions. Deux mille Hongrois fe renfermerent dans 'la place avec leurs femmes, leurs enfants, leurs efFets, & formerent la réfolution hardie de fe défendre, & de périr tous, plutöt que de fe livrer a un honteux efclavage. On avoit mis toutes les munitions de bouche dans des magafins publics, afin que chacun, en particulier, y ayant droit, iè trouvat obligé de les défendre. Les hommes fe chargerent du foin de combattre, les femmes de celui de réparer les breches. Les Turcs font un feu continuel pendant quarante jours ; abattent prefque toutes les murailles & les tours : les Hon grois fe défendent. encore. On les  du Monde. 179 fomme de fe rendre; ils mettent un cercueil fur un des crenaux, pour annoncer qu'ils ont pris la réfolution de périr tous jufqu'au dernier. Les Turcs , tranfportés de fureur, donnent trois affauts en un jour; font repouffés, & lachent prife, après avoir perdu huit mille hommes. Ils reviennent a 1'attaque ; trouvent toujours une réfiftance opiniatre. Les femmes avoient pris les armes , s'étoient mêlées avec les hommes , & combattoient avec un courage égal au leur. Une d'entr'elles fut avertie par fa mere, d'emporter le corps de fon mari, qui venoit d'être tué, & de le faire en~ terrer. Cette femme répondit a fa mere : II ne s'agit pas d pref ent de faire des funérailles ; il faut combattre : je veux venr ger la mort de mon mari avant de fenterrer. Auffi-tot elle prend 1'épée, le bouclier de fon mari; s'élance dans la mêlée; tue trois Turcs de fa main. Elle enleve enfuite le corps de fon mari; le porte elle-même a 1'Eglife; lui donne la fépulture. Une autre femme, qui tenoit un rang diftingué dans la ville, eft tuée d'un coup de canon, lorfqu'elle portoit tine pierre d'une grolfeur énorme pour la jetter fur  2.8 O Théden les ennemis. Sa fille, qui étoit a cöté ePelle, ne s'amufe point a pleurer. Elle prend, fiir le champ , la même pierre; la lance fur une troupe d'ennemis qui efcaladent les murailles, &: en écrafe une grande partie. Les Turcs font découragés; ils levent le fiege : on les pourfuit ; on leur tue beaucoup de monde , & on enleve la meilleure partie de leurs bagages. De Thou. Pendant les troubles de la Ligue, Barri, Gouverneur de Leucate en Languedoc, fut fait prifonnier, par un accident que l'hifioire ne détaille point. Les Ligueurs le conduifirent a Narbonne , dont ils étoient les maitres; le preiferent vivement , mais inutilement , de leur livrer Leucate , & le menacerent de le mettre a mort , s'il n'engageoit pas fa femme, qui étoit dans la place, k la leur livrer. On avertit cette Dame du danger auquel fon époux elf expofé: on veut 1'engager a le fauver; mais elle répond : » Si les Ligueurs veulent com» mettre une injuftice, je ne dois pas les » en empêcher par une lacheté : je ne  du Monde. 1S1 » racheterai jamais la vie de mon mari » en livrant une fortereffe, pour la con» fervation de laquelle il fe fera gloire » de mourir ". Les Ligueurs , irrités d'une fermeté qu'ils auroient dü admirer , exéeuterent leur cruelle menace. Henri IV donna le gouvernement de cette place au fils de ces deux généreux époux. Ibid. En 1675, les Turcs afliégerent Trembawla, ville de Pologne. La garnifon , effrayée par les effbrts des ennemis, &c n'efpérant aucun fecours, prend la réfolution de livrer la place.'a 1'ennemi. La femme du Gouverneur entend , fans être appercue, la réfolution qu'on vient de prendre ; va trouver Chrafonowski, fon mari, qui eft fur la breche; Pavertit de ce qui fe paffe. Chrafonowski vole 'k 1'inftant a ce confeil de laches, &£ y tient ce langage : » II eft » douteux fi 1'ennemi prendra la place; m mais il eft certain que fi vous perfif» tez dans votre odieufe réfolution, je » vous brülerai tout vifs dans cette falie » même. Des foldats font déja aux por» tes, avec des meches allumées, pour  i8z Thédtre » exécuter mes ordres ". Cette fermeté en impofe aux plus laches : on continue a fe défendre. Les Turcs redoublent leurs efforts ; donnent quatre affauts ; font repoufies; ils en préparent un cinquieme: Chrafonovski parolt effrayé. Sa femme lui préfente deiw poignards, & lui dit : Si tu te rends , 1'un fera pour toi , 1'autre pour moi. La fortune fervit le courage de cette héroïne : 1'armée Polonoife arriVa , & fit lever le fiege. Vie de Jean Sobieski. En 1757, Une flotte Angloife paroït, dans le mois d'Aoüt, fur les cötes de France; femble menacer également Rochefort, la Rochelle, les ifles d'Oleron & de Ré. Cent vingt femmes de cette derniere ifle prennent des habits d'hommes ; fe muniflent des premières armes qu'elles trouvent; fe préfentent au Commandant & demandent k garder un pofte. On céde a leurs inftances. Les Anglois croient que le nombre des troupes eft plus confidérable qu'on ne leur a dit : ils fe retirent. Hifloire de la guerre, contre les 'Anglois.  du Monde, 2.0*3 §. XVII. Le %ele indifcret d'un particulier, pour Ja ■ patrie, y fait couler des torrents de fang , & la met d deux doigts de fa perte. «L'Empereur Sigifmond mourut en 1327. II avoit inftitué fon héritier aux Couronnes de Bohème Sc de Hongrie, fon gendre Albert d'Autriche, qui fut, peu de temps après , proclamé Empereur fous le nom d'Albert II. Le jour qu'il voulut fe faire couronner a Bude, capitale de la Hongrie,, il s'éleva dans cette ville , un tumulte qui penfa caufer fa ruine. Elle étoit peuplée de Hongrois Sc d'AUemands. Les loix , les mceurs Sc les ufages de ces deux nations étoient fi différentes, qu'il s'élevoit fans ceffe des conteftations entre les habitants, Sc les Magiftrats étoient embarraffés fur la manier e de les juger : tes loix des Allemands ordonnoient ce que celles des Hongrois défendoient. Pour établir la tranquillité a Bude , on compofa un corps de Magiftrature, dont les membres étoient pris dans les deux nations. Cette précaution étoit fage; mais elle eut un effet tout  284 Thédtre oppofé a celui qu'on attendoit. Les Allemands, plus induftrieux, &, par conféquent, plus riches que les Hongrois, trouverent moyen de faire donner les premières places a leurs compatriotes. Ils ne s'en tinrent pas-la: fi-tot qu'ils virent le Tröne occupé par un Prince Allemand, ds formerent le projet de faire abolir tous les privileges des Hongrois ; mais ds trouverent une réfilfance a laquelle ds ne s'attendoient pas. II y avoit parmi les Hongrois un homme d'une prudence confommée ; il ne voyoit qu'avec impatience les Allemands ufurper , tous les jours , de nouveaux privileges fur ceux de fa nation. Sa naiffance augmentoit la confidération que fon mérite lui avoit acquife. II étoit d'une des plus illuftres families de Hongrie. Son nom étoit Jean Eutheves. Dans toutes les affemblées il défendoit , avec force, les droits des Hongrois, & étoit toujours en .conteftation avec les Allemands. Lorfqu'il vit qu'Albert d'Autriche étoit proclamé Roi de Hongrie, il fentit qu'il accorderoit fa proteftion aux Allemands préférablement aux Hongrois. Son zele pour fes compatriotes s'anima de nouveau : il paria dans les affemblées publiques avec encore plus de force qu'au-  du Monde. 285 paravant; appella les Hongrois k la liberté , & leur confeilla de la défendre, même au péril de leur vie. Les Allemands , qui connoiffoient 1'afcendant qu'il avoit fur fes compatriotes, crurent qu'il pourroit apporter beaucoup d'obftacles a. leurs projets : ils réfolurent de le faire périr. Plufieurs d'entr'eux trouverent le moyen d'entrer fecrétement dans fa maifon; le prirent; le conduifirent dans un endroit écarté ; 1'atfaffinerent; lui attacherent une pierre au cou; le mirent dans un fac , & le jetterent dans le Danube. Ne voyant plus Eutheves paroitre , on le cherchoit par-tout. Les Hongrois fentoient la perte qu'ils faifoient, & le. pleuroient. Enfin , au bout de neuf ou dix jours , les eaux jetterent fur le rivage le fac dans lequel il étoit enveloppé. Plufieurs Hongrois, que le hafard avoit conduits dans cet endroit, appergurent ce paquet; s'en-approcherent , & le défirent pour voir ce qu'il contenoit. On peut juger quelle fut leur furprife, lorfqu'ils Virent que c'étoit le corps d'Eutheves, qui étoit tout couvert de bleffures. Ils le tranfporterent dans la ville; le mirent dans la place publique, pour qu'il fut expofé aux regards du peuple. A^cét  2.S6 Thédtre afpect, les Hongrois entrerenf en fureur J 6c jurerent d'exterminer tous les Allemands. Ils connoifToient la haine que ceux de cette nation portoient a Eutheves , 6c ne doutoient pas qu'ils ne fuffent fes affaffins. Le couronnement d'Albert avoit attiré a Bude prefque toute la nobleffe de Hongrie : elle fe joint aux bourgeois; les Allemands fe retirent dans leurs maifons; on enfonce les portes , 6c on maffacre tous ceux qu'on rencontre , fans avoir égard ni au fexe, ni k 1'age. Al. bert voulut fe préfenter pour arrêter le trotsble; mais on Pen empêcha : on lui dit que les efprits étoient trop échauffés , & qu'il expoferoit fa perfonne. Ce Prince fit dire a un Frere Mineur, nommé Jacques Marchieu, de faire tout fon poflible pour rétablir le calme. Ce Religieux avoit , par fa piété, acquis beaucoup de confidération dans la ville. II prend un Crucifix; fe jette au milieu du peuple, & le conjure , au nom du Sauveur du Monde, de calmer fa fureur Sc de mettre les armes bas: le peuple ne paffe pas tout-a-coup de la colere k la tranquillité. Les Hongrois dirent que 1'image du Sauveur, qu'on leur préfèntoit , étoit pour eux un heureux préfage, Sc qu'ils  du Mondt. 187 alloient le prendre pour guide. Auflï-töt ils iaiiirent le Frere Mineur ; le porterent devant eux ayec le Crucifix qu'il tenoit, & continuerent a piller & a malfacrer. Le Religieux ne cefibit de leur faire des exhortations ; aux paroles , il joignoit les larmes & les foupirs : infenfiblement les efprits s'adoucirent , & la fédition celTa. Le couronnement du Roi fe fit le lendemain avec autant de tranquillité, que s'il n'y eut jamais eu de trouble dans la ville. Eutheves fe livra trop, a fon zele; avec une prudente fermeté, il feroit venu a bout d'établir la paix entre les deux nations; mais fes emportements les irritoient 1'une contre 1'autre. Le zele indifcret a prefque toujours des fuites funeftes. Aln. Syh>. c. 1. Bonfinius, liv. 4. dec. j. Fulgos, l. 9, c. 7.  tSS Thédtre $. XVIII. Un particulier, par -des difcours imprudents, ejl caufe que le bas peuple d'un Royaume fe fouleve ; maffacre une par- r tie des Grands , & va jufqu'a vouloir attenter d la perfonne du Roi. R, chaed II, Roi d'Angleterre, étoit fils dn célebre Prince de Galles, connu fous le nom de Prince Noir , qui lui avoit été donné a caufe de la couleur de fon armure. II fuccéda a fon aïeul Edouard III, dès 1'age d'onze ans, & hérita de l'amour que les Anglois avoient eu pour fon pere : on forma un Confeil de Régence. Edouard III laifle, en mourant, des guerres importantes a foutenir. Le FAic de Lancafter, fon troifieme fils , 'avoit des prétentions fur la Couronne de Caftille , ce qui entretenoit des guerres continuelles entre 1'Angleterre & ce Royaume. Robert SteVart, Roi d'Ecoffe, étoit li étroitement uni avec celui de France, qu'en faifant la guerre avec 1'un d'eux, il falloit la foutenir contre 1'autre. Le Tröne de France étoit occupé par Charles  du Monde. ign les V, qui s'étoit juftement acquis le furnom de Sage, Sa prudence avoit fait échouer tous les projets des Monarques d'Angleterre, & c'étoit un ennemi dangereux pour un Roi Mineur: mais Charles étoit peu entreprenant; il ne fongea pas a tirer parti des heureufes circonfèances oii il fe trouvoit a 1'égard de 1'Angleterre. II avoit, d'ailleurs, des embarras dans Pintérieur de fon Royaume , 8c ne pouvoit alors s'occuper des foins que demande une guerre extérieure. L'Angleterre polTédoit Calais , Bordeaux, Bayonne, Cherbourg & Breit. Charles defïroit, il eft vrai, de chaffer les Anglois de ces poftes importants ; mais il mourut a la fleur de fon age, 6c laifTa la Couronne de France a fon fils, Charles VI, qui étoit alors Mineur. Les Anglois voulurent profiter de la conjoncture facheufe oii fe trouvoit la France, pour étendre leurs conquêtes dans ce Royaume. Ils mirent plufieurs armées fur pied; y fïrent une invafion par différents endroits. Les dépenfes énormes qu'occafionnoient ces armements 6c le défaut d'économie , ordinaire dans les minorités, épuiferent les finances, 6c le Parlement, pour y remédier, établit un impöt de douze fois fur chaque perfonTorne JIJ. N  290 Thédtrc ne, tant male que femelle, qui feroit au-deffus de 1'age de quinze ans : mais il ordonna que la répartition fe fit de maniere, que les riches payeroient pour ceux qui, par pauvreté, fe trouveroient hors d'état de fatisfaire. Cette ordonnance étoit équitable; mais elle ne fut pas fuivie, ce qui occafionna les plus grands troubles dans ce Royaume. Un particulier, nommé John Ball, s'érigea en Prédicateur ; parcourut les campagnes , & annonca aux payfans que tous les hommes étoient fortis du même pere; qu'ils étoient nés libres, & qu'ils avoient un droit égal aux biens de la terre; que les rangs & les diftinctions étoient des abus; enfin que la fupériorité de ceux qu'on regardoit comme les Grands de 1'Etat, n'étoit qu'une tyrannie. Ces difcours flatterent le bas peuple , &c le difpoferent tellement a. la révolte , qu'il n'attendoit qu'une occafion pour la faire éclater : le nouvel impöt de douze fois par tête, la préfenta. On 1'avoit affermé, dans chaque Province, a des hommes avides , qui 1'exigerent, avec toute la rigueur poffible, principalement des laboureurs & des artifans. Les collecteurs que les Fermiersde cette taxe, pour la Province d'Effex, avoient  du Monde. loi chargés de la lever, allerent un jour la demander a un forgeron , qui étoit alors occupé a fon travail. Ils voulurent exiger celle de fa rille , qui étoit avec lui dans fa forge; mais il affirma qu'elle n'avoit pas encore 1'age requis par les loix. Un des colleóf eurs dit qu'il vouloit voir la» preuve de la vérité; prit, fur le champ , la jeune fille , & fe mit en devoir de 1'outrager. Le pere entra en fureur; faifit fon marteau; en porta un coup fi violent a la tête du colle&eur, qu'il 1'abattit mort a fes pieds. Les voifins du forgeron, qui étoient accounts au bruit , applaudirent a fon acfion , & dirent tous, d'une voix unanime, qu'il étoit temps que le peuple fe vengeat de fes tyrans, & cherchat a recouvrer fa liberté naturelle. On courut aux armes; les payfans des environs s'attrouperent ; le feu de la fédition fe répandit dans toutes les Proyinces du Royaume, & les défordres étoient parvenus aux plus grands excès, avant même que le Gouvernement en fut inftruit. Le peuple ne reconnoiffoit plus fes véritables Maitres : il prit pour Chefs ceux qui lui parurent les plus hardis , & les plus capables de commettre des crimes. Un des principaux étoit Wat, couvreur de profeflion; les autres en exerN ij  192. Tliidtrc coient d'auffi baffes. Ces fcélérats exhortoient leurs troupes a maffacrer tous les Nobles du Royaume, qui tomberoient entre leurs mains. Le nombre des rebelles monta bientót a cent mille. Ils ren■contrerent la Princeffe de Galles, mere du Roi : elle revenoit d'un pélerinage qu'elle avoit fait k Cantorberi; attaquerent fa fuite : quelques - uns d'entr'eux poufferent 1'infolence, jufqu'a forcer cette Princeffe de les embraifer : c'étoit une fuite du projet qu'ils avoient formé, de rendre tous les hommes égaux. Ils ne poufferent pas leur audace plus loin, & ,1a laifferent continuer fon voyage. Le bruit de cette révolte étant arrivé k Londres, le Roi fe retira dans la tour. Les rebelles eurent la hardieffe de lui envoyer demander une entrevue, Richard entra dans une barque pour paffer de 1'autre cöté de la riviere , oü ils s'é. toient rendus ; mais lorfqu'il fut prés du rivage,.il vit qu'il y avoit beaucoup de tumulte parmi eux, 8c retourna k la tour. Le bas peuple de Londres fe joignit aux payfans 6c anima leur audace. Ils entrerent tous dans la ville ; mirent le feu a plufieurs palais; maffacrerent tous les Gentüshommes qu'ils rencontrerent j  du Monde, 19 3 firent échter leur fureur contre les Avocats & les Procureurs, &c pillerent les magafins des plus riches Marchands. Un corps confidérables de ces rebelles prit ies quattiers a Mile-End. Le Roi ne fe trouvant pas en ftireté dans la tour, oii il n'y avoit qu'une foible garnifon & très-peu de munitions, fe vit forcé d'aller conférer avec ces fcélérats & de répondre a leurs demandes. Ils commencerent par exiger une amniftie générale ; 1'abolition de la fervitude; la liberté de faire le commerce dans toutes les villes marchandes, fans aucun impöt, & une rente afFeftée fur le produit des terres, pour payer les corvées qu'on avoit jufqu'alors exigées des payfans. Dans une conjonéture femblable, le Roi fe crut obligé d'accorder ces demandes , efpérant qu'il ne tarderoit pas k reprendre fon pouvoir, & k abolir les conceffions qu'il faifoit. On dreffa une charte, telle que les payfans la demanderent. Satiffaits de leur expédition, ils fe difperferent. Pendant que cet accommodement fe faifoit, une autre troupe de rebelles avoit forcé la tour; affaffiné le Primat, qui étoit en même-temps Chancelier du Royaume, &£ plufieurs autres perfonnes N iij  194 Tkédire de marqué. Le Roi revenant avec une efcorte peu nombreufe , rencontra ce couvreur, dont nous avons parié , &J qui, a la tête d'une troifieme troupe de rebelles, pilloit & ravageoit la cité. Le Monarque entra en conférence avec lui, mais ce fcélérat montra tant d'infolence, que le Maire de Londres en fut indigné; il tira fon épée; en porta un coup fi violent au couvreur qu'il le renverfa par terre; les autres Officiers, qui accompagnoient le Roi, ï'afibmmerent. Les rebelles fe préparoient a venger la mort de leur chef, & le Roi auroit péri avec toute fa fuite, s'il n'avoit montré, dans cette conjondfure, une préfence d'efprit &c un fang-froid admirables , pour un jeune homme de feize ans. II ordonna a .ceux qui 1'accompagnoient de s'arrêter, & s'avanga feul vers les rebelles ; les aborda avec une contenance fiere, fans avoir cependant l'air irrité, &c leur dit : » Pourquoi me caufez-vous tant de cha» grin ? Pourquoi excitez - vous ce tu» muite ? Eft-ce la perte de votre chef, » qui excite votre reflentiment ? Mais, »> vous ne devez en avoir d'autre que » moi; je fuis votre Roi " Ce langage; de la part d'un Monarque, qui, par fa préfence, infpire toujours du refpecf.,  du Monde. I95 changea la fureur de cette populace en confternation. Tous les rebelles fe rangerent autour de lui; affurerent qu'ils lui obéiroient comme a leur Souverain, & qu'ils iroient par-tout oh il voudroit les conduire. II les mena dans la campagne , pour prévenir les défordres qu'ils auroient pu occafionner dans une ville. Bientót il fut joint par un corps de vieilles troupes bien armées, 6c qu'on avoit raffemblé fecrétement. La prudence le guida encore dans cette occalïon; il défendit a fes foldats de faire main baffe fur les mutins , qu'il congédia , en leur accordant la même charte, qu'il avoit accordée a leurs compagnons. La haute nobleffe 6c les Barons avoient été inflruits du danger auquel le Roi s'étoit trouvé expofé. Ils étoient tous accourus a Londres pour lui offrir leurs bras, 6c avoient amené avec eux leurs amis 6c leurs vaffaux. Richard en compofa une armée de quarante mille hommes ; fe mit a leur tête, 6c parcourut les campagnes. Les rebelles fentirent alors qu'ils n'avoient d'autre parti a prendre que celui de la foumiffion. Le Parlement abolit les chartes d'affranchiffement 6c 1'amniftie, 6c le bas peuple rentra dans le même efclavage ou il étoit auparaH iv  196 Thcatre vant. On arrêta plufieurs chefs des rebelles ; on fit leur procés, & on les condamna au fupplice qui étoit juftement dü & leur crime. On affura que 1'intention de ces fcélérats étoit de mettre le Roi a leur tête, de le promener par toute 1'Angleterre ; de maffacrer les Grands, les Barons, les gens de Robe, les Evêques, les Prêtres, les Religieux , excepté les mendiants; d'affaffiner enfuite le Roi, & de réduire tous les ordres de 1'Etat au même nivau. Plufieurs d'entr'eux , enivrés de leurs premiers fuccès, pouvoient effecf ivement avoir congu cet abominable projet : mais les révoltes de la populace, lorfqu'elles ne font pas foutenues par des perfonnes d'un rang diftingué, ne font jamais k craindre que pour 1'inftant. Le projet de 1'égalité des conditions eft chimérique : une fociété ne peut fe foutenir lorfqu'elle n'eft pas foumife a des loix; qu'elle n'a pas des Magiftrats pour les faire exécuter, & des forces capables de les faire craindre & refpefter. Un Prince qui, dans un age fi tendre, venoit de montrer tant de fermeté, de courage &c de prudence en mêmetemps, donnoit de grandes efpérances aux Anglois : ils penfoient tous qu'il mar-  'du Monde. 297 cheroit fur les traces de fon pere & de fon aïeul; enfin, que fon regne feroit un des plus glorieux de leur Monarchie : mais ces efpérances s'évanouirent a mefure qu'il avanca en age : toutes fes actions annoncerent, par la fidte, fon incapacité. II fut enfin détröné , & périt miférablement, vers la fin de 1'année 1399, comme nous 1'avons dit dans le fecond volume de cet Ouvrage. T. II, p. 64. Fulgos, l. 5, c. y. Uifioire d'Angleterre , par David Hume, /. 6. .— 'Hti$ 1. ,,-;r et oovk aj'oib' niem ticr*^ §. XI X. Des citoyens ont la générofité de s'ofirir d une mort prefque certaine , pour fauver leur patrie. T X l eft rare de voir Punion régrter longtemps entre deux Princes affis fur le même tröne : la jaloufie & Pambition jettent prefque toujours la difcorde enti'eux; on en vit un exemple a Sparte, vers Pan 491 avant Jefus-Chrift. Cléömene Sc Demarate régnoient enfemblè dans cette ville célebre. Cléomene étoit N v  298 Thédtre vif, bouillant, ambitieux , & toujours «difpofé a tout facrifier pour contenter fes paffions. Demarate étoit doux, humain, compatiffant, attaché a fon devoir, & cherchoit , en tout, 1'intérêt de fa patrie. Cléomene veut engager les Lacédémoniens & les autres peuples de la Grece a déclarer la guerre aux Athéniens, pour réprimer, dit-il, Paudace de cette ville fuperbe, qui afpire a la domination de toute Ia Grece. Demarate repréfente que la Grece , en abattant la puiffance & les forces des Athéniens , fe feroit a ellemême un tort irréparable; qu'elle couperoit fa main droite avec fa main gauche; qu'on devoit, au contraire, laiffer cette République fe fortifier en paix , pour qu'elle fe mït en état de fecourtr les autres & de leur aider k repouffer les efforts de Xerxès , 1'ennemi des Grecs. Cet avis étoit fage : on le goüta, & on le fuivit. Cléomene ne vit qu'avec dépit fon cqllegue prendre, fur I'efprit des Grecs, un afcendant fupérieur au fien. Sa jaloufie alla jufqu'au point, qu'il réfolut de le perdre : la méchanceté eft ingénieufe a trouver les moyens de fe fatiffairei elle en imagina alors un, qu'on  du Monde. 2,99 eft étonné de voir réuflir. II fit répandre le bruit que Demarate n'étoit point le fils légitime d'Arifton, auquel il avoit fuccédé. Les Ephores ordonnerent que 1'on confiütat 1'Oracle : la Prêtreffe avoit vendu a Cléomene le pouvoir qu'elle avoit de tromper. Demarate fut dépofé. Ce Prince infortuné, fe voyant dépouillé de fa dignité, même de fes biens , va demander un afyle a Xerxès. Sa fituation touche ce Monarque ; il le regoit a fa Cour , & le comble de bienfaits. Demarate avoit 1'ame trop élevée pour chercher a. fe venger de fon injufte patrie ; il profita, au contraire, de la faveur dont il jouiflbit auprès de Xerxès, pour la fervir. La défaite des Perfes a Marathon , avoit tellement irrité Xerxès, qu'il fit des préparatifs formidables contre la Grece. Demarate chercha le moyen d'inftruire fes compatriotes de ce qui fe paflbit en Perfe. II grava ce qu'il vouloit faire favoir aux Lacédémoniens fur une planche de bois; la couvrit de cire, & la fit paffer a Lacédémone. On examine cette planche; on cherche a connoitre ce qu'elle fignifie; mais perlbnne ne réuflit. Léonidas avoit été, depuis peu , proclamé Roi de Lacédémone; ce fut, par conféquent, un des premiers N vj  joo Thcdcre qui examinerent Ia planche. On ne doutoit pas qu'elle n'annoncat quelque chofe d'important, & elle faifoit le fujet de toutes les converfations des Lacédémoniens. La femme de Léonidas en entendit parler, & demanda k la voir: 1'ayant examinée avec attention , elle devéloppa i'intention de Demarate; leva la cire qui couvroit la planche , & lut 1'avis que Demarate donnoit aux Grecs. Alors toutes les villes de la Grece réunirent leurs forces, pour réfifter a Xerxès. Ce Prince, avant de fe mettre en marche, envoie des Ambaffadeurs fommer les Grecs de fe foumettre a fa puiffance. Les Athéniens & les Lacédémoniens dirent qu'on devoit , au-lieu de répondre a Xerxès, faire périr fes Ambaffadeurs : ce confeil fut fuivi. Peu de temps après, Lacédémone fut affligée de la pefte. On ne manqua pas de dire & de croire que les Dieux envoyoient ce fléau pour venger les Ambaffadeurs de Perfe, a 1'égard defquels on avoit violé un droit facré. Les Magiftrats affemblés, déciderent qu'il falloit, pour appaifer la colere des Dieux, donner une entiere fatisfaaion a Xerxès, & lui envoyer deux des principaux citoyens de Lacédémone, auxquels il feroit fu-  du Monde. 301 bir tel chatiment qu'il voudroit, même la mort. On regardoit Xerxès comme un barbare, qui ne manqueroit pas de faire périr, dans les plus cruels tourments, les deux viftimes qu'on lui facrifieroit, & 1'on croyoit qu'il feroit difficile de trouver deux hommes affez généreux, pour aller chercher une mort prefque certaine : on fe trompoit ; les Spartiates étoient trop attachés a leur patrie, pour qu'on fut long-temps a les trouver. II s'en préfenta un li grand nombre , qu'on fut embarraffé fur le choix. Spertyus & Bulys, deux des plus notables bourgeois, fe leverent au milieu de PaiTemblée , & dirent que leurs ancêtres avoient affez rendu de fervices k la patrie, pour qifon ne les privat pas, dans cette conjondture , de la fatisfactiori de mourir pour elle. Leurs droits k cette mort glorieufe, parurent juftes. Ils firent leurs adieux k leurs parents, a leurs amis, & partirent. Lorfqu'ils parurent devant Xerxès, ils lui tinrent ce langage : » Grand Roi , » les Lacédémoniens t'ont offenfé dans » la perfonne de tes Ambaffadeurs. Tu » es juftement irrité contr'eux : tu vois » devant toi deux de leurs principaux » citoyens, qui font venus s'offrir pour  JOi Thèdtre » vi&imes de ta vengeance. Nous avons » fu défendre notre patrie , nous fau» rons mourir pour elle ". Xerxès n'étoit pas auffi barbare que les Lacédémoniens fe 1'étoient perfuadé. II admira la grandeur d'ame de ces deux hommes, & leur dit : » Ma colere fe » change en eftime & en admiration , » pour un peuple au milieu duquel on » trouve des citoyens tels que vous. » Loin de vous faire périr , je defire » d'être votre ami; & fi vous voulez » refter a ma Cour, je vous comble» rai de bienfaits. Ils lui répondirent : » Xerxès, crois-tu qu'il exifte quelque » chofe qui puiffe nous engager k aban» donner une patrie, pour laquelle nous » fommes venus mourir " ? Son étonnement fut épuifé : il leur fit des préfents confidérables & les renvoya ". Herod. I. 7. L' H1 s t o 1r e des Lacédémoniens n'eft pas la feule qui nous préfente des hommes affez généreux, pour fe facrifïer au bonheur & a la tranquillité de leur patrie. Si nous parcourions celles des autres nations, nous y trouverions des traits  da Monde. 303 cmi ne font pas moins dignes de notre admiration. Contentons-nous d'en donner pour preuve la générofité des fix habitants de Calais. On fait que c'eft le fujet de la Tragédie de M. du Beloy, intitulée, le fiege de Calais. Plufieurs Hiftoriens ont fait connoitre les motifs fur lefquels étoient fondées les ridicules prétentions d'Edouard III , Roi d'Angleterre , a la Couronne de France : il eft inutile que nous les préfentions ici. Nous ne parierons point encore des malheurs que 1'imprudence des Frangois, & la valeur des Anglois cauferent a la France, 1'an 13 46, prés du village de Crecy. Nous ne parierons que de la prifè de Calais , par Edouard, après cette bataille mémorable. Jean de Vienne, né en Bourgogne, étoit alors Gouverneur de cette ville. II l'avoit approvifionnée de tout ce qui étoit néceflaire pour faire une longue réfiftance. Edouard s'appergut, dès le commencement du fiege , qu'il lui ïeroit prefqu'impofiible de prendre cette place d'alTaut, paree que la garnifon étoit nombreufe, & compofée de braves foldats : il fe propofa de la prendre par famine, 8c fit les préparatifs néceffaires  3 04 Thèdtrt pour y réuflir. Le Gouverneur s'appercut de fon intention, il eut recours au moyen cruel, mais néceiTaire dans ces conjoncfures ; charta les femmes , les vieillards, les enfants, enfin toutes les bouches inutiles. Edouard eut pitié de ceux dont il caufoit lui-même les maux: il les laifia paffer au travers de fon camp, &poufla même la générofité jufqu'a leur donner de 1'argent pour fubfifter pendant quelque temps. Le fiege de Calais dura prés d'un an , pendant lequel la garnifon Sc les habitants firent des prodiges de valeur. Philippe de Valois, alors Roi de France , voulut fecourir cette ville; mais il trouva les Anglois fi avantageufement campés, qxi"il n'ofa courir les rifques d'effuyer le même malheur qui lui étoit arrivé a Crecy. Jean de Vienne, voyant les habitants de Calais tourmentés par la faim, accablés par les fatigues, réfolut de rendre la place. II fe préfenta fur les murailles, & annonca, par des fignes, qu'il vouloit capituler. Edouard envoya un Officier, qui s'approcha affez prés, pour entendre le Gouverneur, & pour en être entendu. » Brave Chevaliêr, lui cria Jean » de Vienne, le Roi, mon Maitre, m'a » confié le gouvernement de cette ville:  du Monde. 30$ tf pour la conferver, j'ai fait tout ce » que mon devoir exigeoit de moi. II » y a un an que je réfifte aux efforts » des Anglois; mais la faim fait périr » les citoyens. Puifqu'on ne fe difpofé » pas a nous fecourir , je füis pret k » livrer la ville, & ne demande pour » toute condition que la vie St la liberté » des braves Francois , qui ont fouffert » fi long-temps avec moi ". L'Officier Anglois lui répondit , qu'Edouard étoit trop irrité contre les habitants de Calais, qui, par leur réfiftance opiniatre , lui avoient fait perdre devant leur ville un temps précieux & une partie de fon armée ; qu'il avoit réfolu de ne leur accorder aucune condition qui put mettre des bornes au chatiment qu'il fe propofoit de leur faire fubir. » Les hommes » courageux, reprit de Vienne, ne doi» vent pas s'attendre k un pareil trai» tement. Si un Officier Anglois eut été » a ma place, votre Roi n'auroit-il pas » efpéré de le voir tenir une conduite » femblable k la mienne. Un Prince auffi » vaillant qu'Edouard doit applaudir a w ce qu'ont fait les habitants de Calais. » Dites-lui que nous fommes difpofés a » vendre chérement notre vie, & qu'il H eft toujours dangereux de réduire un  306 Thidtrt » ennemi au défepoir. J'efperë, brave » Chevalier, que vous interpoferez vos » bons offices en notre faveur auprès de » votre Maitre ". _ L'Officier Anglois, frappé de la vérité de ce difcours, intercéda auprès du Roi en faveur des habitants de Calais, & lui répréfenta qu'il étoit dangereux de mettre les Francois dans le cas d'ufer de repréfailles. Edouard fit attention aux remontrances de 1'Officier Anglois , & adoucit la rigueur des conditions qu'il ie propofoit d'exiger. II demanda qu'on lui envoyat fix des plus notables Bourgeois de la ville, pour être immolés a fa vengeance, & qu'ils vinffent dans fon camp lui apporter les clefs de la ville, tête &c pieds nuds , la corde au cou, & promit d'accorder la vie au refte des habitants , fi 1'on remplifToit ces conditions. Cette nouvelle jetta les Caléfiens dans la confternation. Envoyer a une mort certaine fix de leur compatriotes, qui avoient, comme les autres, fignalé leur courage a la défenfe de la ville, leur paroiffoit un malheur plus affreux que le chatiment général, dont on les avoit menacés. Sur qui le choix ou le fort pouvoient - ils tomber qui n'eüt rendu des fervices a fa patrie, & dont la perte  'du Monde. 307 ne fit verfer des larmes a tous les citoyens ? On ne pouvoit fe réfoudre k prendre une réfolution dans une conjonfture fi terrible. Un d'entr'eux éleva la voix, & dit qu'il prioit fes compatriotes de foufFrir qu'il facrifiat fa vie pour conferver la leur. Les Ecrivains ont eu foin de faire paflfer k la pofterité le nom de ce généreux Calélïen : il fe nommoit Euftache de Saint-Pierre , & étoit un des principaux habitants de Calais. Un fecond, animé par fon zele , fit la même propofition : un troifieme les imita, &c. Enfin le nombre des victimes fe trouva rempli. Ils fe mettent dans 1'état qu'exigeoit d'eux le vainqueur. On leur donne les clefs de la ville; on ouvre les portes, ils partent : tous les citoyens les regardent de deffus les murailles ; & tous verfent des larmes. Leur contenance abattue , leur état humiliant excitent même la commifération des foldats Anglois , au milieu defquels ils paffent. Ces fix généreux citoyens paroiffent devant Edouard, comme les fcélérats chargés de crimes, paroiffent devant les Juges. Ils dépofent k fes pieds les clefs de Calais. Edouard fut dans ce moment un barbare , qui oublia ce qu'il devoit a fon rang, a  3°8 Thédtre 1'humanité , a fa gloire. II prononca leur arret de mort. Pour fon bonheur, Philippe de Hainault, fa femme, étoit k cóté de lui : elle avoit 1'ame élevée & la commifération ordinaire a fon fexe : elle ne put voir un fpedtacle & touchant, fans répandre des pleurs. Cette Princeffe fe jetta aux genoux du Roi, les arrofa de fes larmes; parvint enfin a garantir fa mémoire d'une tache éternelle : il leur fit grace. Cette généreufe Princeffe les conduifit a fa tente; leur donna des habits ; ordonna qu'on leur fervit k manger; leur fit des préfents, & les renvoya fous une füre garde. Quelques Ecrivains révoquent en doute rruftoire des fix habitants de Calais; & dilent que les Anglois , qui ont parlé dc la pnie de cette ville , donnent de gjra_ li aöges k la générofité & k la :e d'Fdouard III, a 1'égard des habitants de cette ville : cette preuve n'cit pas fuffifante, pour détruire la vérité du tnüt hifforique. Les Anglois, qui ont parle de ce fiege , écrivoient fous les defcendants d'Edouard III, &c n'avoicnt garde de rapporter un fait fi contraire k fa gloire. Sa générofité, k 1'égard des habitants, fut fans doute 1'effet des remontrances de Philippe de Hai-  du Monde. 309 nault. D'ailleurs, FroifTard, Auteur contemporain, affure que cette hiffoire eft véritable. Froiffard, liv. 1. Hifi. £ Angleterre, par David Hume, l. 5. %. XX. Plufieurs fujets ont la baffeffe d'écouter les propofitions d'un ambitieux, & de prendre les armes contre leur Souyerain. H enri IV fut proclamé Empereur en 1056, quoiqu'il n'eüt que fix ans. Henri III, fon pere, 1'avoit fait élire Roi de Germanie en 1053. En mourant,il le recommanda aux Etats & au Pape. On confia 1'éducation du jeune Empereur a fa mere Agnès de Poitou, avec la régence de 1'Etat. La Régente fe laiffa gouverner par 1'Evêque d'Ausbourg, qui, par des hauteurs déplacées , excita le mécontentement des Princes: ils fe reprocherent k eux-mêmes d'avoir confié la fouveraine puiffance a une femme, & enleverent le jeune Henri. Agnès alla k Rome, & fe retira dans un Monaftere, oü elle  310 Thédtrt mourut quelques années après. On con> fia 1'éducation de 1'Empereur a Albert, Archevêque de Breme. Pour gagner la conflance du Prince , & acquérir une puiffance abfblue dans 1'Etat, il abandonna Henri a toute la violence de fes palfions. Bientöt ce jeune Prince fe livra aux derniers excès de la débauche; fe dégoüta de fa femme Berthe , fille d'Othon, Margrave d'Italie, &C réfolut de la répudier. II la haïffoit paree qu'elle étoit fage & vertueufe, & que la conduite de cette Princeffe fembloit lui reprocher la fienne. Pour avoir un prétexte plaufible, il forma un pröjet in« digne d'un Prince , même d'un homme de la plus vile naiffance : ce- fut de la rendre infidelle. Parmi fes courtifans , il s'en trouva un affez lache pour confentir d'employer tous les moyens de le fatiffaire. Perfuadé, comme le font tous les hommes débauchés, qu'il n'eft point de femme vertueufe, ce perfide eut pour 1'Impératrice des complaifances, des affiduités auprès d'elle, tkc. II crut enfin être arrivé a fon but; obtint d'elle un rendez-vous , pendant la nuit; mit le comble a fa perfidie; fe hata d'avertir 1'Empereur de fon prétendu triomphe. Henri fe déguifa; fe rendit, a la faveur de la  du Monde. 311 nuit, dans 1'endroit indiqué. Berthe avoit ordonné a fes femmes de s'armer de batons , & de frapper, de toutes leurs forces, celui qui viendroit dans Pendroit oü elle feroit. Henri, voyant que la réception étoit différente de celle qu'il attendoit, voulut fe faire connoitre; mais les femmes continuerent de le'frapper : il s'enfuit, & fut obligé de garder le lit pendant plufieurs jours. On fut inftruit a la Cour de la caufe de fa maladie : il effuya les railleries du peuple, & fon lache confident fut couvert du mépris qu'il méritoit. Cette lecon ne fut pas capable de faire rentrer Henri dans fon devoir a 1'égard de Berthe; il fit affembler les Etats de 1'Empire pour la répudier publiquement; mais la plupart des Prélats & des Seigneurs s'oppoferent k cette injuftice, & Henri fut obligé de fe défifter de fes pourfuites a cet égard. II fe dédommagea de cette contrainte dans de nouveaux excès de débauche. Pour y fubvenir, il accabla fes fujets d'impöts. Les Saxons fe révolterent ; donnerent 1'exemple a plufieurs autres peuples de PAllemagne; mais le grand nombre de troupes que leva Henri les engagerent a rentrer dans le devoir, A peine ces troubles étoient-ils  3 11 Thidtre diflipés, qu'il s'en éleva de nouveaux, qui devinrent beaucoup plus dangereux. Hildebrand öccupoit alors la Chaire de Saint Pierre, fous le nom de Grégoire VII. II cita 1'Empereur a fon Tribunal, pour fe juftifier des crimes dont on 1'accufoit. Le Clergé, indigné de ce qu'il conféroit les bénéfices a ceux qui lui donnoient de 1'argent, ou qui le fervoient dans fes débauches; le peuple, mécontent de fes vexations , fe joignirent au Pape: on tint plufieurs affemblées; on réfolut de le dépofer. Rodolphe de Suabe, qui, depuis long-temps, afpiroit a 1'Empire, enhardit les mécontents; les engagea k dépofer Henri; fe fit élire a fa place, & facrer a Mayence le 27 Mars 1077. Voila un ambitieux k la tête des rebelles; ils vont marcher fous fes ordres; le fang va couler de toute part en Allemagne. Rodolphe fe met en campagne ; affiege Wirtzbourg. A cette nouvelle, Henri leve une armée; marche contre lui ; lui livre bataille : mais la victoire refte incertaine , quoique la perte foit confidérable de part Sc d'autre. L'année fuivante, Henri lui livre un fecond combat , & n'a pas un fuccès plus avantageux. Grégoire VII, voyant que Rodolphe eft en état de réfifter a Henri, excommunie  du Monde. 3 13 communie ce dernier une feconde fois; le déclara déchu de 1'Empire, & envoie une couronne d'or k Rodolphe. Henri affemble plufieurs Evêques aBrixen, fait dépofer Grégoire VII, & nommer k fa place Guibert, Archevêque de Ravenne, qui prend le nom de Clément III; marche contre Rodolphe dans le deffein de lui livrer ba taille &c de vaincre ou de périr. Les deux armées fe joignirent prés de Gera, en Thuringe : Rodolphe y fut entiérement défait. Godefroi de Bouillon, alors Marquis d'Anvers, qui portoit le grand étendart de 1'Empire, lui en donna un coup violent dans le bas ventre; le renverfa &c lui coupa la main droite. Les foldats de Rodolphe 1'emporterent k Mersbourg, oii les Evêques & les Seigneurs qui avoient fuivi fon parti , s'affemblerent. II leur montra le bras d'ou la main avoit été coupée , dit : » Je mérite bien cette punition pour » avoir violé , par vos confeils, le fer» ment de fidélité que j'avois prêté k » mon Souverain. Mon corps eft cou■» vert de plaies, ma main droite eff » coupée : tous ces maux ne font pas » fi cuifants, que ceux qui me font cau» fés par le chagrin d'avoir été parjure ". II mourut peu de temps après. Henri lui Tome III, O  314 Thèdtre fit faire des funérailles auffi pompeufes que celles d'un Roi. Quelques - uns de fes courtifans lui dirent qu'il ne devoit pas faire tant d'honneur a un rebelle. II leur répondit : » Plüt a Dieu que je » fuffe dans le cas d'en faire autant a » tous mes ennemis ". Rodolphe de Suabe ne fut pas le feul fujet qui prit les armes contre 1'Empereur Henri IV; fon fils même fe fouleva contre lui & voulut le forcer a abdiquer. Ce Prince infortuné mourut en 1108, après un regne de cinquante-deux ans. Pufendorff. Hifi. du Droit Public d'Allemagne. Bonfinius, l. 3, dec, 1. §. XXI. Un citoyen fe livre d une mort certaine pour fauver fa patrie. Basile, furnommé le Macédonien, prouve qu'il nait autant de grands Hommes fous le chaume, que fous les lambris dorés. II fut long-temps domeftique de Michel III, Empereur de Conftantinople ; gagna fon amitié , même fa confunce, au point qu'il 1'afibcia k 1'Empirej  du Mondt. 3 i 5 fes vertus le firent aimer de fes fujets; fon courage Sc fes talents dans Part militaire le firent craindre de fes ennemis. Son zele pour la Religion le porta ;i déclarer une haine implacable aux Inficleles, Sc k avoir toujours les armes a la main contre eux. Inftruit que les Sarrafins, établis en Afrique, étoient pafles en Italië; y faifoient des ravages horribles, il envoya contre eux une armée formidable; mais fi-tót que fes troupes furent repaffées en Oriënt, les Infideles retournerent en Italië ; y mirent tout a feu Sc k fang, Sc affiégerent Capoue. Les habitants envoyerent demander du fecours a 1'Empereur Bafile. Ce Prince promit a leur Député de fe hater de lever des troupes, Sc de les faire pafier en Italië. Les Sarrafins arrêterent ce Député, a fon retour; lui firent les plus flatteufes promefles, s'il vouloit engager fes concitoyens a. fe rendre , leur afiurant qu'ils n'avoient aucun fecours a efpérer. II feignit d'accepter leur propofition; fe fit conduire fous les murs dela ville, Sc au-lieu d'engager les habitants a fe rendre, il leur dit de ne pas perdre courage : que Bafile fe préparoit k leur envoyer de puiflants fecours. Les Sarrafins, irrités de voir qu'il les avoit O ij  3 16 Thédtre rrompés, ne lui donnerent pas le temps d'achever ce qu'il vouloit dire ; ils le maffacrerent; remonterent fur leurs vaiffeaux , & retournerent en Afrique. Méprifer les récompenfes , facrifier fa vie au bonheur de fa patrie, c'eft le comble de la vertil. Cedrenus. §. XXII. Un particulier, guidèpar l'ambition, allume la guerre civile dans fa patrie. FrÉDeric & Guillaume, fils de Fréderic, Duc de Saxe & premier Electeur de ce pays, partagerent la fucceffion de leur pere ; vécurent pendant quelque temps dans: une parfaite intelligente ; mais leurs courtifans, principalement Appollonius , jetterent entre eux la difcorde. Appollonius avoit gagné la confiance de Guillaume, au point qu'il devint le guide & 1'arbitre de fes volontés. II lui perfuada qu'il étoit trèslézé dans le partage qu'il avoit fait avec fon frere; lui confeilla de demander un dédommagement, &c de 1'obtenir par la  du Monde. 3 17 force , fi on ne vouloit pas le lui ac~ corder par la douceur. Guillaume, accoutumé a fuivre, pour ainfi dire, comme des loix, les confeils de fon favori, fit demander une indemnité a fon, frere , & prit les armes fur le refus qu'il lui fit. Fréderic fe mit en état de défenfe. Les deux freres marcherent 1'un contre 1'autre, ra va gerent réciproquement leurs terres. Fréderic gémit fur les malheurs que les Saxons enduroient, & fur ceux qui les menacoient encore. II envoya prier fon frere Guillaume de venir le trouver, pour qu'ils fiffent un accommodeaient enfemble , & rendiffent la tranquillité a leurs fujets. Appollonius, voyant que Guillaume fe difpofé a partir, fait 1'impoflible pour 1'arrêter, & finit par lui dire qu'il alloit a une mort certaine; qu'on ne lui propofoit une entrevue que pour le faire périr. Le Député de Fréderic dit que ce Prince , loin d'avoir intention de faire périr fon frere, avoit plufieurs fois recommandc a fes foldats, dans tous les combats qu'ils s'étoient livrés, de prendre garde de le bleffer. Guillaume, touché de cette attention , dit : » II n'y a qu'un fcélérat » qui puiffe croire qu'un Prince cherche "> a faire périr fon frere ". II partit; alla O üj  3 18 Tliidtn du Monde: trouver Fréderic; fit la paix avec lui; ordonna k Appollonius de s"éloigner de* ia Cour. Les Princes feroient heureux s'ils pouvoient connoitre les fcélérats qm cherchent k les tromper , & s'ils avoient la force de les punir. Mneas Silvius, c. j2. Fin du Tornt troijïeme.  3'9 T A B L E DES CHAPITRES ET DES PARAGRAPHES Contenus daris ce troijïeme Volume. §. XI. TendressE & générofité. Page i §. XII. Perfidie & confufion. 5 §. XIII. La tendreffe filiale fait taire l'ambition. 8 §. XIV. Vamour filial efi facrifié a l'ambition. 11 §. XV. Un fils s'expofe a une mort certaine, pour ne pas defobliger fa mere. 17 §. XVI. Un fils facrifié fa mere d l'ambition. 3 o §. XVII. Un fils conferve tant de vénération pour la mémoire de fon pere, qu'il fait graver fon portrait fur une médaille, & la porte toujours pendue d fon cou. 3 5 §. XVIII. Une fille outrage le corps de fin pere qu'elle rencontre fur fon pafjage. 38 §. XIX. Un fils a tant d'efiime & d'amitié pour fa mere, qua fa priere, il ceffe de pourfuivre un ennemi déclaré. 41  >i0 T A B L F. §. XX. Un fils pouffe l'ingratïtude , d ïégard de fa mere, jufqu'a' lui enlever fon bien, & la renfermer dans une étroite Prifon- 46 §. XXI. Une fille brave tout pour venger la mort de Jbn pere. ^0 $. XXII. Un fils exerce, contre fa mere, la vengeance la plus cruelle. ~t $. XXIII. Un fils annonce d fes Officiers & d fes foldats combren il a de tendreffe pour fa mere. _^ §. XXIV. Un fils a fi peu de tendreffe pour • fa mere, que la plus légere accufation c(mtr'elle, lui fuffit pour la faire périr. 78 §. XXV. Honneurs & récompenfes juflement accordés d la tendreffe filiale. 'Sï §. XXVI. fufie punition d'un fils , qui exerce contre fon pere la plus horrible barbarie, §. XXVII. Une jeune fille force un peu- . ple d admirer fa tendreffe filiale , & a accarder la grace d fa mere , qui efi condamnée d périr. gfg $. XXVÜJ. Une fille laijfi endurer ks tourments de la faim d fon pere, qu'elle a dépvuillé de Jbn bien, $• XXIX. L'amour de la patrie efi facrifié u Famour paternel. 98 $. XXX. La prodigalité efi la caufe qu'un ptre efi outragé j?ar fon fils. 101  T a b l e. yxx §. XXXI. Deux jeunes gens , pour conferver la vie d leurs pere & mere , s'expof ent a perdre la leur. - 103 §. XXXII. Un fils, par fon ingratitude , caufe la mort d fon pere. 104 §. XXXIII. Refpect & amitié. 106 §. XXXIV. Haine & outrage. 107 §. XXXV. Un fUs, pour conferver la vie d fon pere, offre la Jienne. 110 §. XXXVI. Un Prince , impatient des remontrances de fon aïeul, le fait périr dans les plus cruels tourments. 11 z CHAPITREIV. Amourfraternel. 114 §. I. La tendreffe conjugale & maternelle ef farrifiée d la tendreffe fraternelle. ibid. • §. II. La jaloufie efl pouffée au comble de rhorreur. 118 §. III. üamour fraternel fait taire Üambition. 12-0 §. IV. L'ambition fait taire l'amour fraternel. 12.2 §. V. Un frere, pour obtenir la grace de fon frere, fait parler les bleffures quil a reques lui-même en dêfendant la patrie. 141 §. VI. Un frere profite du malheur ou un tyran a réduit fa patrie , pour couvrir un fratricide. 143 §. VII. Un Monarque regretle fon frere, jufqua de/irer de pouvoir lui rendre la vie au prix d'un Royaume quil vient de conquêrir. 145  3" T A B L E. §. VIII. Un Monarque craignant que fon frere ne foit dans le cas de lui difputer l Empire , le fait périr dès le berceau. J. IX. L'amour fraternel rècompenfé. Ï53 jp.. . ufurPateur 4 juftement puni de Imjuftice qu il exerce contre fon frere. §. XI. Générofité dèplacée. $. XII. Méfiance poufifée d l'exès. iö< CHAPITRE V. Amour de la patnï §. I. Un citoyen s'expofe d périr pourdl livrer fa patrie de Vefclavage. I?0 §. II. Un citoyen , pour s'enrickir, met fa patrie dans Vefclavage. I73 §. III. Les querelles particulieres font ou- blues pour Vintérêt public. 176 §. IV. Lintéret public efi facrifié d une jaloufie & une haine particulieres. 179 §. V. Amour de la patrie pouffé jufqu'au fanatifme. tgg §. VI. Jufie punhion d'un traïtre d fa patrie. J 2r §. VII. Deux freres simmolent d la gloire & a la Puiffance de leur patrie. 227 VIII. Un fcélérat livre fa patrie d Vennemi, & efi puni de fon crime. 230 IX. Un héros fe donne la mort, pour ne pas fervir contre fa patrie , quoi-  T A B L E. 323 qu'elle lui ait marqué la plus grande ingratitude. 2,32, §. X. Un homme veut facrifier fa patrie d fon ennemi, quoiquil ait regu d'elle toutes fortes de bienfaits. 255 §. XI. Un fimple particulier délivre fa patrie de Copprefjïon, par fa hardieffe & fa fermeté. 258 §. XII. Un homme ne fe contente pas d'avoir obtenu la première dignité dans fa .patrie, il veut porter la Couronne. Son ambition le conduit d fa perte. 266 §. XIII. Un Prince facrifié d la tranquillité du peuple, les droits qu'il a au Tróne. 269 §. XIV. Jufie punition^ d'un ambitieux, qui, pour étendre fa puiffance, veut diminuer celle de fa patrie. 271 §. XV. L'amour de la patrie éteint l'amour maternel. 273 §. XVI. Traits héroïques occafionnés par l'amour de la patrie dans les temps modernes. 27 c §. XVII. Le iele indifcret d'un particulier pour fa patrie, y fait couler des torrents de fang, & la met d deux doigts de Ja perte. 283 §. XVIII. Un particulier, par des difcours imprudems, efi caufe que le bas peuple d'un Royaume fe fouleve ; maffacre une  314 Table. partie des Grands, & va jufqu'a vouloir attenter d la perfonne du Roi. 288 §. XIX. Des citoyens ont la. générofité de s'offrir d une mort prefque certaine , pour fauver leur patrie. x<)j §. XX. Plufieurs fujets ont la baffeffe d'écouter les propojïtions d'un ambitieux, & de prendre les armes contre leur Souverain. 509 ^. XXI. Un citoyen fe live d une mort certaine, pour fauver fa patrie. 3 14 §. XXII. Un particulier, guidé par l'ambition , allume la guerre civile dans fa patrie. 3 16 Fin de la Table du troiiieme Volume.