LHISTOIRE DU REGNE DE L'EMPEREU'R CHARLES-QUINT.   L'HISTOIRÊ DU R E G N E DE LEMPEREUR CHARLES-QUINT, Précèdêe ctun Tableau des progrh de la Société en Europe, depuis la defirucïlon de tEmpjre Romain jufqu'au commencement du feiqieme Siècle. Par M. RoBERTSON,Doöeur en Théologie , Principal de 1'Univerfité d'Edimbourg, & Hiftoriographe de Sa Majefté Britannique pour 1'Ecoffe. OUVRAGE TRADUIT DE L'ANGLOIS. TOME TROISIEME. A M A E S T R I C HT, Chez Jean-Edme Dufour & Phil. Roux, Imprimeurs-Libraires, aflbciés. M. DCC. LXXXIIl   L'HISTOIRE B U R E 6 N E DE L'EMPEREUR CHARLES QUINT. « ■ * H ffi? 1 ' "111» LI F RE PREMIER, HarlEs-Qui nt rïaquit k Gand le 24 Février 150a. Philippek-Bel, fonpere,Archiduc d'Autriche, étoit filsde 1'Empereur Maximilien, & de Marie , fïlle unique de Charles Ie Hardi, dernier Prince de la Maifon de Bourgogne. Jeanne , fa mere, étoit fïlle de Ferdinand, Roi d'Arragon, & d'ïfabelle , Reine de Caftille. Par une longue fuite d'événements Tornt 111, A A N N É E. i<;oo. LivrsI. Naiffance de Charles-, Quint.  tjoo. de fes do«naines. X L' HlSTQ. IRE heureux, ce jeune Prince fe trouva 1'héritier de domaines plus étendus, qu'aucun Monarque d'Europe n'en avoit encore pofledés depuis Charlemagne. Ses ancêtres avoient acquis des Royaumes & des Provinces auxquels ils n'avoient que des droits de fucceflion fort éloignés. Les riches poffeffions de Marie de Bourgogne ne paroiffoientpasdeftinées a entrer un jour dans la Maifon d'Autriche; car cette Princeffe avoit d'abord été promife par fon pere , au fils unique de Louis XI, Roi de France; mais ce Roi bifarre, n'écoutant que fa haine pour Ia Maifon de Bourgogne, aima mieux arracher a Marie , par laforce, une partiexle fes domaines, que de fe les affurer en entier par un mariage. Cette faute devint funefte a la poftérité de Louis, en faifant tomber dans les mains d'un rival, les Pays-Bas & Ia Franche-Comté. Ifabelle, fillede Jean II de Caftille , loin d'avoir la perfpeélive del'héritage confidérable qu'elle devoit laiffer a fon petit-fils, paffa les premières années de fa vie dans Pindigence 6c dans 1'obfcurité; mais les Catfil-  de Charles Quint. 5 ïar.s, irrités contre fon frere Henri IV, Prince foible & méchant, 1'ao cuferent publiquementd'impuiffance, & fa femme d'adultere; & a la mort de ce Prince, Jeanne, qu'il avoit perfifté jufqu'a fes derniers moments k reconnoitre pour fa fïlle légitime, Sc qu'une affemblée des Etats avoit déclarée 1'héritiere du Royaume, s'en vit exclue par les Caftillans , qui l'obligerent de fe retrrer en Portugal, & placerent Ifabelle fur le tröne. Ferdinand dut la Couronne d'Arragon ala mort imprévne de fon frere aïné, & fe rendit maitre des Royaumes de Naples & de Sicile, en violant la foi des traités & tousles droits du fang. Chriftophe Colomb, par FefFort de courage & de génie, le plus hardi èc le plus heureux dont les annales du genre humain ayent confervé la mémoïre , ajouta a tous ces Royaumes un nouveau monde, dont les richefles furent une des principales fources du pouvoir & de la grandeur des R.ois d'Efpagne. Ferdinand & Ifabelle ayantvuDom Juah , leur fïls unique , & la Reine de Portugal, leur fille aïnée , périr A ij 1500. PhiHppe Sé Feanne zij. 1504. II époufe une niece du Roi de France-  104. (a) P. Mart. ep, 290 , 292. Maft. Ut, 28, c. 16, 17. 18 V H I S T O ï R E litiques, ou de les faire fervir a fes vues ambitieufes , cependant telle etoit la violence de fon reffentiment contre fon gendre, que pour détaeher de fes intéréts Louis XII, & dans 1'efpérance de 1'exclure du tröne d'Arragon, il fut prêt a démembrer encore une fois 1'Efpagne, pour en faire des Royaumes féparés; cependant Ia réunion de ces différents Royaumes en un feul, avoit fait la gloire de fon regne & le principal objet de fon ambition. II confentit a rétablir les Nobles Napolitains de la facf ion Francoife, dans leurs pof. feffions & leurs honneurs, & s'expofa au ridicule d'époufer è un age trés-avancé, une fille de dix-huit ans (a). Philippe fut vivement allarmé de la conclufion de êe mariage, qui le privoit de fon feul allié, & le menacoit de la perte de tant de Royaumes. Manuel fentit alors Ia néceffité de prendre d'autres mefures, relati-  de Chables-Qüint. 19 vement aux affaires de Caftille («)• En conféquence, il envoya de nouvelles inftructions aux Ambaffadeurs Flamands qui étoient a la Cour d'Efpagne, & les chargea d'affurer Ferdinand que leur maïtre avoit le deÉr le plus vif de terminer a Pamiable les différends qui s'étoient élevés, & qu'il n'y avoit point de conditions auxquelles il ne confenttt pour rétablir 1'amitié qui devoit fubfifter entre un beau-pere & un gendre. Quoique jamais Prince n'eüt fait & rompu plus de traités que Ferdinand, il avoit tant de confiance dans la bonne foi des autres, qu'il étoit toujours difpofé a écouter des ouvertures de négociation. II recut avec empreffement les déclarations de Philippe , & conclut bientöt après è Salamanque un traité, par lequel il fut ftipulé que le gouvernement de Caftille continueroit d'être exercé au nom de Jeanne, de Ferdinand & de Philippe conjointement, &c que les revenus de la Couronne, ainfi que la (<*) P. Mart. ep. 203. 1504. Traité entte Ferdinand & Philippe* 24 Nor.  1506. Philippe &. Jeanne s'embarquent pour 1'Efpagne. 1 ] (a) Zurita, Annales de Arragon, VI, 19. P. Mart. ep, 293» 254. 10 L* H I S T O I R E difpofition des emplois, feroient partagés par égale portion entre Ferdinand Sc Philippe L'Archiduc étoit cependant bien éloigné de fonger férieufement a obferver ce traité ; fon intention en le propofant , n'avoit été que d'amufer fon beau-pere, & de 1'empêcher de prendre des mefures pour s'oppofer a fon voyage en Efpagne. Cet artifice produiïit fon effet. Ferdinand, tont clairvoyant qu'il étoit, fut pendant quelque temps fans foupeonner même le projet de fon gendre ; dès qu'il en fut inftruit, il engagea le Roi de France, non-feulement a faire des repréfentations a 1'Archiduc fur ce voyage, mais enzore a employer la menace pour 1'en iétourner. II follicita en même-temps Ie Duc de Gueldres d'attaquer les Etats. de 1'Archiduc dans les Pays3as ; mais ces précautions n'empê:herent pas Philippe Sc Jeanne, de i'embarquer avec une flotte trèsïombreufe Sc un corps confidérable  de Charles-QU ï N T. 21 de troupes de terre. Une violente tempête les forca d e retëcher en Angleterre, oü Henri VII, a la ibllicitation de Ferdinand , les retint pendant plus de treis mois (a). Enfin, ils eurent la liberté de remettre a la voile ; & après une .traverfée plus favorable que la première, ils arriverent heureufement k la Corogne en Galice, oü Ferdinand n'ofa pas s'oppofer k leur débarquement par la force des armes, comme il en avoit d'abord formé le projet. Les Nobles de Caftille, qui jufqu'a ce moment avoient été obligés de cacher ou de diffimuler leurs fenliments, fe déclarerent ouvertement pour Philippe. On vit arriver de toutes les parties du Royaume des Seigneurs, qui, fuivis de nombreux vaflaux, alloient offrir leur fervice k leur nouveau Roi. Le traité de Sa» lamanque fut univerfellement condamné , & 1'on convint d'un commun accord qu'il falloit exclure du gouvernement de Caftille un Prince, (<*) Ferrer. hifi. VIII, 285, 1506. 28 AvriU La NobleiTa de Caftille fe déclare pour Phi= lippe.  ijo6. ij Juin. Ferdinand abandonne la régence de Caftille, & fe retire en Arragon. 21 L' HïSTOIRE qui en confentant a féparer de ce Royaume celui d'Arragon & celui de Naples, avoit montré fi peu d'attachement a fes véritables intéréts. Ferdinand, abandonné de prefque tous les Caftillans, déconcerté par leur révolte, incertain s'il renonceroit paifiblement k fon autorité, ou s'il prendroit les armes pour la foutenir, follicita vivement une entrevue avec fon gendre, qui, toujours guidé par les avis de Manuel, s'y refufa conftamment. Le Monarque voyant en* fin que le nombre des partifans de Philippe grollïffoit de jour en jour, & que leur zele prenoit de nouvelles forces, fentit qu'il feroit inutile de vouloir réfifter k ce torrent; & il s'engagea par un traité k remettre la régence de Caftille entre les mains de 1'Archiduc, & a fe retirer dans fes Etats héréditaires d'Arragon, fe contentant du titre de Grand-Maïtre des ordres militaires, & de la portion de revemis que lui avoit léguée Ifabelle. Quoiqu'il parut que dès ce moment les deux Princes n'euffent plus aucune raifon de fe voir, il fwt cependant arrêté par des motits  de Ch>RLE5-QuiNTT. 13 de bienfcance, qu'ils auroient une entrevue. Philippe parut au rendeivous avec une fuite brillante de Nobles Caftillans, & un corps confidérable de gens armés. Ferdinand y vint fans pompe, accompagné feulement d'un petit nombre de fervireurs fans armes. Manuel eut en cette occafion le plaifir de faire parade aux yeux du Monarque qu'il avoit abandonné, de 1'afcendant qu'il avoit pris fur fon nouveau maïtre; tandis que 1'orgueil de Ferdinand effuyoit en préfence de fes anciens fujets les deux plus cruelles peines que puiffe reffentir un Prince ambitieux & rufé, la honte de fe yoir dans fa vieillefTe vaincu en poIitique par un jeune homme, &c le regret de perdre une partie de fon pouvoir. Ferdinand fe retira peu de temps après en Arragon ; & dans 1'efpérance que quelque événement favorable le rameneroit bientöt en Caftille, il eut foin de protefter, mais en fecret, contre Ie traité qu'il avoit fait avec fon gendre, & de déclarer qu'ayant été arraché par la for- Juilleft  1506. Philippe & Jeanne font recormus nar les Etats, Roi & Reine de Caftille. (a) Zurita , Anahi de Arragon , VI, p. é8. Ferrer. hifi. VIII, 290. 14 L'HlSTOIRK ce , ce traité devoit être nul & fans effet (*). Philippe entra en poffellion de fon autorité nouvelle avec la joie d'un jeune homme» L'infortunée Jeanne, a qui il en étoit redevable, refla pendant toutes ces conteftations li« vrée a la plus profonde mélancolie; on lui permettoit rarement de paroïtre en public; fon pere même follicita vainement la liberté de la voir. Le principal objet de Philippe étoit de la faire déclarer par les Etats incapable de gouverner, afin de jouir d'un pouvoir fans partage, jufqu'a ce que fon fils eut atteint 1'age de fa majorité. Mais Pattachement des Caftillans pour leur Souveraine naturelle, fit échouer ce projet; & quoique Manuel eut eu 1'adreffe de ga* gner q^uelques membres des Etats convoques a Valladolid, & que d'autres fuffent très-difpofés a acquïefcer a Ia première demande que leur feroit leur nouveau maïtre, les repréfen- tants  DE CH ARLES-QUI NT. 'lf fants affemblés ne voulurent jamais donner leur confentement a une déclaration qu'ils regardoient comme injurieufe au fang de leurs Rois ; ils reconnurent unanimement Jeanne & Philippe pour Reine & Roi de Caftille, & leur fils Charles pour Prince des Afturies. Ce fut-la prefque Ie feul événement mémorable de 1'adminiftration de Philippe; une fievre occafionnée par un excès de débauche , termina fa vie dans la vingt-huitieme année de fon age, fans qu'il eut joui feulement trois mois entiers des honneurs de la royauté, qu'il avoit fi ardemment recherchés Jeanne fe trouvoit par cette mort, feule maitreffe de la Caftille; mais la fecouffe que recut fon ame d'une perte fi inattendue, acheva d'égarer fa raifon, & la rendit entiérement incapable de gouverner. Attachée auprés de fon mari pendant tout le cours de fa maladie , ni les prieres, ni les ( «09. (6) Mariana, lib. 29. cap. 10, 31 L' HlSTOIRE res (a). Cette conduite eutle plus heureux fuccès ; & malgré les efrorts de plufieurs cabales & quelques foulevements excités a deffein , dès que Ferdinand pamt en Efpagne, après avoir arrangé les affaires de Naples, il obtint fans oppofition la régence de Caftille. La fageffe qu'il montra dans 1'exercice de fon avito rité, fut égale au bonheur avec lequel il 1'avoit recouvrée. Une adminiftration modérée , mais vigoureufe, lui rendit toute 1'affection des Caftillans, & les fit jouir jufqu'a fa mort de toute la tranquillité domeftique dont étoit fufceptible le génie du gouvernement féodal qui fubfiftoit encore parmi eux dans toute fa force (J>). Le maintien de ce calme intérieur dans I'Arragon & la Caftille , ne fut aas la feule obligation que 1'Archiiuc Charles eut a la régence de fon De-au-pere : il vit pendant ce période "es Etats héréditaires s'accroitre par 1'importantes acquifitions. Oran, &  de Charles-Quint. 33 quelques autres places affez confidérables fur la cóte de Barbarie, furent réunis a la Couronne de Caftille par le Cardinal Ximenès, qui, avec un courage très-extraordinaire dans un religieux , commanda enpe-rfonne une armee contre les Maures de cette partie de FAfrique, & qui, par une magnificence plus extraordinaire encore, fit a fes propres fraix toutes les dépenfes de cette expédition (a). D'unautre cöté , Ferdinand, fur des prétextes auffi frivoles qu'injuftes,&par de laches perfidies,chaffoit du tröne de Navarre Jean d'Albret qui en étoit légitime Souverain: en s'emparant de ce Royaume, il étendit les limitesde la monarchie Efpagnole, depuis les Pyrénées jufqu'aux frontieres du Portugal(£). Ledefir d'agran.lir les Etats de 1'Archiduc n'étoit cependant pas le motif qui animoit Ferdinand ni dans fes entreprifes, ni dans fes démarches; il étoit plus porté a voir dans ce jeune Prince un rival qui lui öteroit en- (e diminua point; il ne pouvoit s'empêcher de le voir avec cette averfion que les Princes ont fouvent pour leurs fucceffeurs. Ce fut ce fentiment dénaturé qui lui dida un teftament par lequel il donnoit au Prince Ferdinand , qui ayant été élevé en Efpagne , étoit plus agréable aux Efpagnols, la régence de tousfes Royaumes jufqu'a Parrivée de 1'Archiduc fon frere , & lui conféroit en mêmetemps la dignité de grand-Maitre de: trois ordres militaires. La premiers de ces. difpofitions mettoit le jeune Ferdinand en ét-at de difputer le trön( a fon frere, &c la feconde 1'auroï (4) Zurita, Anales de Arragon , VI, 347, P; M a; t. ep. 5 3 1. Argenfola , Anal. de Arrag. lib. 1, p. 4>- B vj 1513. II tacfie d'exckrre Charles da Royaume d'Efpagne » par un teftament en faveur de Ferdinand».  I 36 L'HlSTOIRE rendu, a tout événement, prefque indépendant. Le Roi d'Arragon conferva jufqu'au dernier moment cette jaloufie extréme de la domination, qui diftingua toujours fon caractere. Craignant de perdre fon pouvoir, lors même qu'il alloit perdre la vie, il fe tranfporloit fucceffivement d'un lieu a un aurre, comme pour fuir la maladie dont il étoit atteint, ou pour s'en diitraire. Quoiqu'on vit fes forces s'affoiblir de jour en jour, aucun de fes ferviteurs n'ofoit lui parler de fon état; fon confeffeur % qui regardoit ce ménagement comme criminel 8c contraire a la rerigion, n'avoit pas Ia permiflion de 1'approcher» Cependant le danger devint h la fin fi preffant, qu'il ne fut pas poffible de le lui cacher. On lui annonca qu'il étoit prés de fa fin : il entendit eet arrêt avec la fermeté qui convenoit è fon caraclere. Pénétré peut-être de remords fur 1'injuftice qu'il avoit faite a fon petit-fils, ou touché des jufles remontrances de Carvajal, de Zapata 6c de Vargas , les plus anciens 6c les plus fideles de fes confeillers, qui lui  de Charles-Quint. 37 repréfenterent qu'en donnant la régence au Prince Ferdinand, il alloit allumer infailliblement une guerre civile entre les deux freres , & qu'en le nommant grand-Maitre des ordres militaires, il dépouilloit la Couronne de fon plus bel ornement & de fa principale force, le Monarque mourant confentit a changer fon teftament fur ces deux articles: il en fit un nouveau, par lequel il déclara Charles feul héritier de tous fes Etats, & laiffa au jeune Prince Ferdinand, au-lieu du tröne dont il fe croyoit affuré, un modique appanage de cinquante mille ducats par an («). II mouru, quelques heures après avoir figné fes dernieres volontés, le 23 Janvier 1516. Charles , a qui cette mort laifioil un fi bel héritage, touchoit alors è fa feizieme année. II avoit réfidé juf qu'a eet age dans lés Pays-Bas-, doni fon pere lui avoit laiffé la fouverai- (a) Mariana , hifi. lih. 30, c. uit. Zu-* rita, Anal. de Arrag. VI > 401. Mart. ep, 565 , 566. Argenfola, Anal. de Arragon , lik, 1 , p. 11. 15 IJ. On lui perfuade de changer fon Teftamentu II meurfi  38 L'Histoire neté. Marguerite d'Autriche , fa ta»> te, & Marguerite dTorck, fceur d'Edouard IV, Roi d'Angleterre & veuve de Charles le Hardi, deux Princeffcs douées de grands talents & de beaucoup de vertu, sctoient chargées du foin de former fon enfance. A la mort de Philippe, les Fiamands avoient remis le gouvernement des Pays-Bas a. I'Empereur Maximilien , fon pere » avec le titre plutót que I'autorité de régent («). Maximilien fit choix de Guillaume de Croy, Seigneur deChievres, pour -préfider a Péducation du jeune Charles fon petit-fils (b). Ce Seigneur poffédoit éminemment tóus les talents néceffaires pour eet important emploi, Sc il en remplif. (a) Pcnttós Heut-erus , Rstum Auftriacarum, lib. XP, Lov. 16^9, lib. WUt-em. i>P*g; 155- (b) Les Hiftonens Francpis, fur I'autorité de du Bellay , {Mém. p. 11,) ont tous ccrit que Philippe , par fon teflament, ayant non> mé le Roi de France pour diriger 1'éducation de Charles fon fils, Louis XII , avec un défintéreffement digne de la confiancs que lui avoit montré 1'Archiduc, avoit chargé Chievres de eet emploi, Le Préfidènt liénault a lui-même adopté cstte opinioa {Abr,  üe Charles-Quint. 39 foit tous les devoirs avec beaucoup d'exa&itude. Adrien d'Utrecht fut chronol. A. D. 1507.) Varülas, felon loa üfls ordinaire, prétend avoir vu le teftament de Philippe. (Praüq. del'éduc. dés.Princes , p. 16.) Mais tous les hiltoriens Efpagnols , Allemands & Flamand* fe réuniffent_ pour contredire cette affertion des écrivains Fran^ois. Heuterus, Hiftorien Flamand contemporain & dignëde foi, dit que Louis XII, enconfentant au mariage de Gerrnaine de Foix avec Ferdinand , avoit beaucoup perdu de la confiance qu'avoit«n lui 1'Archiduc , & que ce refroidiffement avoit encore augmenta lorfque le Roi de France donna enmariage au Comte d' Angoulême fa fille ainée , qu'il avoit auparavant promife a Charles» (Heuler. Rtr. Auftr. Uk <;, p. 15 I.) Ce même écrivain ajoute' (ibid.) que les Francois , peu de temps avant la-mot t. de Philippe , avoient violé la paix qui fubfiftoit entr'eux & les Flamands -y que Philippe s'en étoit plaint, & étoitoifpofé a s'en venger. Toutes ces circonftances ne permetteat pas de croire que Philippe , qui St fon teftament peu de jours avant que d'expirer, (Heuter. p. 152) ait commrs 1'éducation de fon fils a Louis XII. Un témoignage pofitif vlent a 1'appui de ces probabilités. Heuterus dir (lib. 8, p. 153) que Philippe» enpartant pour 1'Efpagne , avoit laifle a Chievres 1'éducation de Ion HL 5c le gouvernement d« 1513.  fes Etats dans les Pays-Bas : qu'après la, mort de Philippe , oa entreprit de faire déclarer régent l'Emperetir Maximilien; mais. que ce projet ayam trouvé de l'oppoution , Chievres paroit avok continué d'exetcer les 'deux emplois que Philippe lui avoit confiés: qu'au commenceraent de 1'année 1508, les frlamands inviterent Maximilien a acceptet la régence , & que 1'Empereur y ayantconr, fenti, il avoit nommé fa fille Marguerite , avec un confeil de Flamands , pour exercer ia fuprême autorité dans les Pays-Bas lorfqu'il feroit abfent : qu'il avoit nommé aufli Chievres pour Gouverneur, & Adrien d'Utrecht pour précepteur de fon hls.. Tout ce que rapporte Heuterus a eet égard, eft confirmé par Moringus , in vit* Adriani, apud analeBa Gafp. Burmanni de Adriano , cap. 10; par Barlandus , Chromo. Brabant, ibid. p. 25 ; & par Harasus,^«ct 4° CHistoire choifï pour être précepteur du jeune Prince : cette place lui ouvrit la route des plus hautes dignités auxquelles un Eccléiiaftique puiffe prétendre, & il ne la dut ni k fa nailTance , qui étoit fort obfeure , ni a fon crédit,, caril nefe mêloit point de toutes les intrigues de Cour, mais feulement a 1'opinion qu'il avoit donnée de fon  DE GH AR LES-QUI NT. 41 iavoir a fes compatriotes. II s'étoit ■ en efFet affez diftingué dans ces études frivoles, cjui, pendant plufieurs lïecles, furent honorées du nom de philofophie; il s'étoit même fait un nom par le grand fuccès d'un commentaire qu'il avoit publié, fur le Maitre des Sentences, traité fameux de Pierre Lombard, & qui fut alors regardé comme la regie de la théologie fcholaftique; maisquelque réputation que fe fut acquife Adrien dans ce fiecle d'ignorance, on s'appergut bientöt qu'un homme accoutumé a la retraite d'un college , fans connoiffance du monde, fanspoliteffe & fans goüt, n'étoit guere propre a faire aimer 1'étude a un jeune Prince. Auffi Charles montra-t-il de bonne heure de 1'averlion pour les fciences, & un gout extréme pour ces exerciees violents & militaires, qui faifoient alors prefque 1'unique étude de la Nobleffe, & dans leiquels elle mettoit fa gloire a fe difringuer. Chievres flatta cette difpofition , foit qu'il voulüt gagner, par la complaifance , 1'affection de fon pupille, foit qu'il attach^t luimême peu de prix aux connoiffances 1513.  J5-3- (. 11. P. Heuter. üb. VIII, c. 1 , >. 184- 42 L' K I S T O ï R E littéraires («). II 1'inftruifit cependani avec beaucoup de foin dans la fcience du gouvernement; il lui fit étudier Fhiftoire, non-feulement des pays de fa domination , mais encore des Etats qui avoient quelque relation avec les fiens. Auffi-tót que Charles eut pris Ie gouvernement de Ia Flandre en 1515, Chievres 1'accdutuma dès-lors au travail; il 1'engagea a lire tous les papiers qui concernoient les affaires publiques, a alTifter aux délibérations de fes confeillers privés, Sc a leur pröpofer lui-même les objets fur lefquels il avoit befoin de leur opinion. (£), Ce genre d'éducation fit contrafter a ce jeune Prince une habitude de gravité & de recueillemént qui paroiffoit peu convenable è fa jeuneffe; mais les premières ouvertures de fon efprit n'indiquoient pas cette fupériorité qui fe manifefta dans  DE C H ARLES-CjU ï N T. 4$ un age plus avancé (<*). On ne remarqua point dans fes premières années cette impétuofité qui précede d'ordinaire la vigueur d'une maturité active & entreprenante; & fa déférence continuelle pour les avis de Chievres & de fes autres" favoris, n'annoncoit pas eet efprit vafte & ferme qui dirigea dans la fuite les affaires de la moitié de PEurope. Mais fes fujets féduits par les graces de fa figure & la male dextérité qu'il montroit dans tous les exercices du corps, jugeoientfon caraftere avec cette prévention favorable qu'on a trop fouvent pour les Princes dans leur jeuneffe ; & ils fe flattoient qu'il donneroit encore un nouvel éclat aux Couronnes dont il avoit hérité par la mort de Ferdinand. Les Royaumes d'Efpagne, comme on en peut juger par Pefquiffe que j'ai tracée de leur conftitution politique, étoient alors dans urte fituation qui exigeoit autant de vigueur que de prudence dans le gouvernement. Les couturhes féodales qui (.j) P. Mart. ep. 569,, 655. »Sl3« Premières ouvertures de fon caradere.  1 ] 1 1 44 L'Histoïre ayoient été introduites dans les différentes Provinces par les Goths, les Sueves & les Vandales , s'y ét toient confervées avec toute leur force; & les Nobles, qui étoient puiffanrs & guerriers, avoient longtemps jóui des privileges exorbitants que leur donnoient ces innitutions. Les villes d'Efpagne étoient plus nombreufes & plus peuplées que ne fembloit le comporter le génie du gouvernement féodal, naturellement ennemi du commerce & de toute police réguliere ; les droits perfonnels & 1 influence politique qu'avoient acquis les habitants de ces villes, étoient déja fort confidérables. L'autorité royale, circonfcrite par les prérogatives de Ia Nobleffe cV par les prétentions du peuple, étoit refferrée dans des bornes fort étroites. Sous une femblable forme de gouvernement, les prin:ipes de divifion étoient en grand iiombre; le lien qui uniffoit les dif'érentes parties étoit très-foible; &c 'Efpagne non - feulement éprouvoit ous les inconvénients qu'entraïnent es défauts du fyftême féodal, mais  de Charles-Quint. 45 elle étoit encore expofée aux maux qui pouvoient réfulter des circonftances particulieres a fa conftitution» II eft vrai que pendant la longue adminiftration de Ferdinand, il ne s'étoit élevé aucun trouble domeftique en Efpagne. II avoit fu, par la fupériorité de fon génie, réprimer 1'inquiétude turbulente des Nobles , & modérer la jaloufie des communes. La fageffe de fon gouvernement dans 1'intérieur, 1'habileté avec laquelle il dirigea toutes fes opérations au-dehors, &c la haute opinion que fes fujets avoient de fes talents, concoururent. k maintenir dans fes Etats un degré de tran* quillité qui ne paroiffoit pas compatible avec une conftitution politique oii les femences de trouble & de difcorde germoient & fermentoient de toutes parts : mais ces barrières fe briferent tout d'un coup k la mort de Ferdinand, & 1'efprit de faftion &C de mécontentement, après avoir été long-temps réprimé, n'en éclata qu'avec plus de violence & de férocité. Ferdinand, qui avoit prévu ce«  46 L* Histqire. défordres, & qui vouloit les prévé^" nir, avoit pris la fage précaiition de nommer, par fon teftament, Ximenès, Archevêque de Tolede, pour être feul régent de la Caftille, jufqu'a 1'arrivée de fon petit-fils en Efpagne. Le caraftere fingulier de eet homme & les qualités extraordinaires qui le rendoient propre a cette grande place, méritent qu'on s'y arrête un moment. II defcendoit d'une familie honnête , mais peu riche. Son inclination particuliere, forfifiée par le défaut de fortune, le détermina a entrer dans 1'état eccléfiaftique, oü il obtint de bonne heure des bénéfïces confidérables , qui lui ouvroient la route des premières digr.ités de l'Eglife, II renonca toiu> a-coup a ces avantages ; & après avoir fubi les épreuves d'un noviciat très-févere, il s'engagea dans un monaftere de freres Obfervantins de Saint Francois, 1'un des ordres les plus rigides de l'Eglife Romaine. II s'y diftingua bientöt par une aufterité de mceurs extraordinaire, Sc par ces raffinements de dévotion fuperftiüeufe qui cara#érifoient alors la  de Charles-Quïnt. 47 vie monafïique. Au milieu de ces < pieux excès , oü ne tombent ordinairement que les ames foibles & enthoufiaftes, fon efprit naturellement ferme & penetrant, avoit confervé toute fa vigueur; les religieux de fon ordre fentant fa fupériorité, 1'avoient fait provincial. Sa réputation de fainteté lui procura bientöt la place de confelTeur de la Reine Ifabelle , place qu'il n'accepta qu'aved la plus grande répugnance. II con» ferva i la Cour 1'aufrérité de mceurs par laquelle il s'étoit diftingué dans le cloïtre : il continuoit de faire tous fes voyages a pied; il ne vivoit que d'aumönes; il s'impofbit des mortifications pénibles & des pénitences auffi rigoureufes qu'auparavant. Ifabelle fut fi contente du choix qu'elle avoit fait, qu'elle ne tarda pas a conférer a Ximenès 1'Archevêché de Tolede, qui, après la Papauté, étoit la plus riche dignité qu'il y eut dans l'Eglife Romaine. II refufa d*ybt)rd eet honneur avec une fermeté modefte, & ne céda qu'a 1'ordre exprès qu'il re9ut du Pape de 1'accepter : mais fon éléva*  (a) Hiftoire de radminiftration du Cardinal Ximenès, par Michel Baudier., in-j*. 48 L'Histoire " tion ne changea rien a fes mceurs; obligé d'étaler en public la magnifïcence qui convenoit a fon rang, il ne fe relacha jamais de la févérfté monafïique. On le vit porter conftamment fous fes habits pontifïcaux le froc groffier de St. Francois , qu'il raccommodoit de fes propres mains lorfqu'il étoit déchiré. Jamais il ne porta de linge; il fe couchoit toujours avec fon habit, fouvent fur Ia terre ou fur des planches, rarement dans 1111 lit. II ne goütoit aucun des méts délicats qu'on fervoit fur fa table, & fe contentoit de la nourriture fimple &c frugale que prefcrivoit la regie de fon ordre (a). Malgré ces fingularités, il avoit une profonde connoiffance des affaires; & dès qu'il fut appellé a 1'adminiftration, par fa place & par 1'opinion que Ferdinand & Ifabelle avoient concue de lui, il déploya des talents qui rendirent la réputation de (on  de Charles-Quint. 49 fon génie égale a celle de fa piété. ' Toutes fes vues étoient neuves Sc Hardies : fa conduite politique participoit aux défauts de fon caraclere; fon génie étendu enfantoit des plans vaftes Sc magnifiques, Sc le fentiment de fes bonnes intentions lui faifoit pourfuivre 1'exécution de fes projets avec une conftance inflexible & infatigable. Accoutumé dès 1'enfance a dompter fes paffions, il avoit peu d'indulgence pour celles des autres; Sc comme il avoit appris de fa religion a réprimer les defirs même les plus innocents, il étoit en» nemi de tout ce qui avoit un air de recherche Sc de plaifir. Sans être accufé de cruauté , il porta conftamment dans le monde une rudeffe Sc une inflexibilité de caraftere qui appartenoient k 1'état monafïique , Sc qu'on a peine k concevoir dans les pays oü ce genre de vie eft inconnu. Tel étoit l'homme k qui Ferdinand confia la régence de Caftille. Quoique le Cardinal eut alors prés de quatre-vingts ans , & qu'il conniit parfaitement les difficultés Sc le travail inféparables de cette place , foa Tornt lil, C 1513.  Adrien eö nomrné régent par Charles. Ximenès a feul Ia dire£Hon des affaires. L' HlSTOIRE intrépidité naturelle & fon zele pour le bien public, la lui firent accepter fans héfiter. Cependant Adrien d'Utrecht, qui avoit été envoyé en Efpagne peu de mois avant la mort de Ferdinand, produilit des pleins pouvoirs de 1'Archiduc pour prendre le nom & I'autorité de régent après la mort du Roi ; mais les Efpagnols avoient une telle averfion pour le gouvernement d'un étranger, &c il y avoit tant d'inégalité entre les talents des deux compctiteurs, que les prétentions d'Adrien auroient été rejettées fur le champ, fi Ximenès, par déférence pour fon nouveau Souverain, n'avoit confenti a le reconnoitre pour régent, & a partager avec lui 1'adminiftration: mais Adrien n'eut qu'un vain titre, & Ximenès , en traitant fon collegue avec beaucoup d'égards, &C même de refpecï, fe réferva toute I'autorité (a). - Le premier foin du Cardinal, fut d'obferver les mouvements de 1'Inffmt Dom Ferdinand, qui ayant été («) Gometius , de reb. gefi. Ximenii , p, ÏJO, fol. compL 1565,  »e Charles Quint. yi fi prés de jouir de la fuprême puiffance, ne put fe voir fruftré d'un fi doux efpoir fans laiffer éclater une impatience plus vive qu'on n'avoit lieu de 1'attendre d'un Prince encore fi jeune. Sous prétexte de veiller plus efficacement a fa füreté, Ximenès le fit venirde Guadeloupe, oii il avoit été élevé, a Madrid , qui devint la réfidence de la Cour. L'lnfant refta dès-lors fous les yeux du Cardinal, qui fit épier avec la plus grande attention la conduite & celle de fes domeftiques ( nès ne tomberent que fur des individus, & que fes aétes de rigueur furent juftihes par une apparence de néceffité, revêtus des formes de la juftice , & tempérés par un mélange Je douceur, il excita peu de plaintes & d'inquiétude ; mais il frappa 3-entót un coup plus hardi, qui en  de, Charles-Qu int. 57 attaquant un privilege eflentiel aux Nobles., donna une ailarme générale, acet ordre puiffant. Suivant le fyf tême féodal, tout le pouvoir militaire étoit dans la main de la Nobleffe tout homme d'une condition inférieure ne prenoit les armes que comme vaffal d'un Baron &. pour fuivre fa banniere. Un Roi qui n'avoit que de très-modiques revenus &c une prérogative limitée, dépendoit abfolument des Nobles dans toutes fes opérations ; c'étoit avec leurs fecours qu'il attaquoit fes ennemis, & défenr doit fes propres Royaumes. Tant qu'il ne commandoit qu'a des troupes attachées uniquement a leurs chefs, &. accoutuméesa n'obéir qu'a^ leurs ordres, fon autorité étoit foible & fa puiffance précaire. Ximenès réfolut d'affranchir la Couronne de cette efpece de fervitude, Comme des armées fur pied, compofées de troupes mercenaires, étoient une chofe inconnue fous le gouvernement féodal, & qui auroit été odieufe a un peuple fier & guerrier, il fit pubüerune ordonnance par laquelle il fut enjoint a chaque ville de la Caftille C v 1513.  ( P- 3- 58 L'HlSTOIRE d'enrólef un certain nombre de bourgeois qui feroient exercés a Ia difciple militaire les jours de fête. II obtint que les officiers de cette nouvelle milice feroient payés fur les fonds publics; & pour encourager les fimples foldats, il leur promit 1'exemption de toute efpece d'impöts. La néceffité d'avoir des troupes toujours prêtes pour repouffer les fréquentes incurfions des Maures d'Afrique , lui fournit un prétexte plaufible pour juftifier cette innovation ; mais 1'objet qu'il avoit réellement en vue , étoit d'affurer au Roi un dorps de troupes indépendant des Barons, & qui put fervir k contrebalancer leur pouvoir (a). Les Nobles ne fe méprirent point fur fes véritables intentions, &c virent combien la route qu'il prenoit étoit füre pour arriver a fon but; mais ils fentirentenmêmetemps qu'une opération dont le motif apparent étoit d'arrêter' les progrès des infideles, ne pouvoit man-  DE CHARLES-QUINT. 59 quer d'être agréable a iin peuple fu- perftitieux y & qu'on attribueroit k des vues d'intérêt particulier une oppofition qui ne viendroit que d'eux feuls. Ils mirent tout en oeuvre pour engager les villes k refufer elles-mêmes d'obéir & a proteuer contre la nouvelle ordonnance, eomme contraire a leurs chartes & a leurs privileges. Cette manceure réuflit : Burgos r Valladolid 6c plufieurs autres villes fe fouleverent ouvertement, & quelques-uns des Grands s'en déclarerent les proteéteurs. On adreffa au Roi les remontrances les plus fortes : les Confeillers Flamands prirent Mlarme; Ximenès feul refta ferme 6r inébranlable ; &Z en employant a propos tantöt la menace, tantöt la priere, ici la force, la de la complaifance , il vint k bovit de vaincre la réfillance des villes rebelles (a). L'exécution de ce projet fut fuivie avec beaucoup de vigueur pendant 1'adminiilration du Cardinal, mais elle fut abandonnée a fa mort. (a) P. Mart. ep. 556, &c. Gometius, p. 160 , &c. C v 1513.  ■5*3- " II entreprend de rendre k la Couronne les conceffions des premiers Rois faites ala Nobleffe. 60 V HlSTOIRE Ximinès ayant réuffi a diminuer Ie pouvoir exorbitant des Nobles, entreprit de diminuer auffi leurs poffeffions, quis'étoient agrandies jufqu'a un exces non moins dangereitx. Pendant les troubles & les conteftations inféparables du gouvernement féodal, les Nobles , toujours attentifs a leur propre intérêt, avoient futirer avantage de Ia foibleffe &c des befoins de leurs Rois, pour s'emparer, par force ou par adreffe , des terres de Ia Couronne; de forte qu'ils avoient fucceffivement dépouillé le Prince de tous fes domaines, & les avoient réunis a leurs propres fïefs. Des ufurpations heureufes, auxquelles la Couronne n'avoit pas eu la force de s'oppofer, & des conceffions furprifes ou forcées, étoient donc les ieuls titres que la plupart des Grands avoient a la propriété des biens dont ils jouiffoient. II n'étoit pas poflible de remonter a 1'origine de ces ufurpations , qui avoient commencé avec Ie fyftême féodal même; &c comme cette recherche auroit dépouillé chacun des Nobles d'une partie de fes terres, elle auroit excité un fou-  de Charles-Quint. 61 levement général. Une femblable^démarche étoit trop hardie , même pour le génie audacieux de Ximenès : il borna fes recherches au regne de Ferdinand, & commenga par fupprimer les penfions que ce Prince avoit données , comme ayant dü être éteintes a fa mort. II attaqua enfuite ceux qui avoient acquis fous ce même regne des domaines de la Couronne, & retira par un feul afte, toutes les terres que Ferdinand avoit aliénées. Plufieurs perfonnes du 'premier rang furent dépouillées par cette opération; car quoique Ferdinand fut peu généreux , cependant comme ce Prince &c Ifabelle étoient montés au tröne de Caftille pai le fecours d'une fadtion puiffante , ils avoient été obligés de récompenfei avec libéralité les Nobles de leur par ti; & les domaines royaux étoien le feul fonds dont ils avoient pu difpo fer pour payer de pareils fervices L'augmentation des revenus de 1; Couronne , jointe a la grande écono mie de Ximenès, le mit en état non feulement d'acquitter toutes les det tes que Ferdinand avoit laiffées, 5 de faire paffer en Flandres des fom i i  Les Nobles s'oppofenta fes entreprifes. I ( i i i e 6i L' HlSTOlRE mes confidérables, mais encore de payer les officiers de fa nouvelle milice, & d'établir des magafins plus nombreux Sc mieux fournis dartillerie, d'armes & de munirions deguerre, que 1'Efpagne n*en avoit jamais eu. La prudence Sc le défïntéreffement du Cardinal dans Pemploi de ces nouveaux fonds, juftirïa fuffifamment aux yeux de Ia narion la rigueur avec laquelle il les avoit acquis. La Nobieffe allarmée de ces entreprifes répétées, fentit la néceffité de prendre des précautions pour fa propre fiïreté. On vit plufieurs :abales fe former ; des plaintes fe ïrent entendre de toutes parts; queljues Nobles prirent les réfolutions es plus yiolentes : mais avant que 1'en vcnir aux dernieres extrêmités Is nommerent quelques - uns d'enr'eux pour examiner les pouvoirs ■n vertu defquels Ximenès exercoit !e femblables a&es d'autorité. L'Aniral de Caftille , le Duc d'Infanado, Sc le Comte de Bénévent, urent chargés de cette commiftion; !s fe rendirent auprès du Cardinal, ui les recut avec une politeffe froi-  • de Charles-Quint. 6$ de , & ne répondit a leur demande , qu'en produifant le teftament de Ferdinand, qui le déclaroit régent , & la ratification de ce teftament par Charles lui - même. Ils attaquerent la validité de ces deux a&es, & le Cardinal la défendit. Comme la converfation s'échauffoit, il les conduifit inlenfiblement vers un balcon, d'oü 1'on découvrit un corps confidérable de troupes fous les armes, avec un train formidable d'artillerie : Ximenès les montrant aux députés, leur dit alors en élevant Ia voix : » Voilé les pouvoirs que j'ai » recus; avec ce fecours, je gouverne »la Caftille, & la gouvernerai juf» qu'a ce que Ie Roi votre maitre & »le mien vienne prendre poffeftioa »de fon Royaume (a) n. Une déclaration fi fiere & fi hardie impofa filence aux députés, &C étonna leur parti. Prendre les armes contre un homme qui avoit prévu le danger, & qui s'étoit préparé a la défenfe, étoit (a) Fléchier, II, 551. Ferreras, hifi. VIII, 433. 1513-  II eft traverfé par les Miniftres Flainands de Charles. ] 64 L' H 1 s t o r r e une réfolution défefpérée ; une confédération générale contre 1'adminiftration du Cardinal, n'étoit pas praticable : ainfi, a 1'exception de quelques légers mouvements, excités par le reffentiment particulier de certains Nobles, la tranquillité de la Caftille ne fouffrit aucune atteinte. Ce ne fut pas feulement dans 1'oppofition de la Nobleffe Efpagnole que Ximenès trouva des obftacles a 1'exécution de fes projets; il eut encore a lutter contre les confeillers Flamands de Charles, qui fe prévalant de 1'influence qu'ils avoient fur 1'efprit du jeune Roi, vouloient diriger les affaires d'Efpagne comme celles des Pays-Bas. Jaloux des grands talents du Cardinal, & bleffés par Findépendance de fon caradïere, ils le regarderent plutöt comme un rival qui pourroit gêner leur autorité, que comme un Miniftre occupé d'accroïtre la grandeur &c la puiffance de leur maitre. Toutes les plaintes qui s'éevoient contre fon adminiftration itoient recues avec complaifance a a Cour de Bruxelles, & c'étoit dea que naiffoient mille difficultés inu-  de Charles-Quint. 65 tiles dont on embarraffoit toutes fes démarches. LesMiniftresFlamands ne pouvant, ni avec füreté, ni avec décence , le dépouiller de la place de régent, chercherent du moins a affbiblir fon autorité en la divifant. lis virent bientöt qu'Adrien d'Utrecht n'avoit ni affez de génie , ni affez de courage pour contrebalancer le pouvoir de Ximenès avec qui il partageoit le titre de régent ï ils engagerent Charles a nommer encore pour adjoints a la régence, laChau, Gentilhomme Flamand, d'un efprit adroit 6c délié, 6c AmerftorfT, noble Hollandais , connu par fa fermeté. L'objet de eet arrangement nepouvoit pas échapper au Cardinal; cependant il recut fes nouveaux collegues avec tous les témoignages extérieurs de diftin&ion qui convenoient a I'autorité dont ils étoient revêtus : mais lorfqu'ils voulurent entrer dans le détail de 1'adminiftration, il prit avec eux Fair de fupériorité dont il avoit traité Adrien, & continua de diriger feul les affaires. Les Efpagnols, qui de tous les peuples du monde onl peut-être Ie plus d'averfion pour être 1513. Charles nomme deux nouveaux regents. Ximenès;  66 L'Histoire ' gouvernés par des étrangers, apprótt» verent les efforts qu'il faifoit pour eonferver ion autorité : les Nobles mêines dominés par eet orgueil national, oublierent leurs jaloufies Sc leur premier mécontentement, & aimerent mieux voir la puiffance fuprême dans les mains d'un compatriote qu'ils redoutoient, que dans celles de miniftres étrangers qu'ils haïffoient. Ximenès, engagé dans ces vaftes projets de politique intérieure , 6c troublé dans leur exécution par les artifices & les intrigues des Miniftres Flamands, eut encore k fotitenir ie fardeau de deux guerres étrangeres: Tune fe fit dans la Navarre, qui venoit d'être envahie par Jean d'AIbret. La mort de Ferdinand, 1'éloignement de Charles, la divifion 6c le mécontentement qui régnoient parmi les Nobles Efpagnols, tout paroiffoit oifrir a ce malheureux Prince une occafion favorable de recouvrer fes Etats; mais la vigilance du Cardinal fit avorter un projet bien concerté. 11 prévit le danger dont ce Royaume étoit menacé, & le premier acte de fon adminiiïration fut d'y faire  de C'harles-Quint. 67 paffer un corps confidérable de troupes. Tandis que Jean d'Albret étoit occupé avec une partie de fon armee au fiege de St. Jean -Pied- de -Port, Villalva , Officier d'un grand courage & d'une expérience confommée, attaqua Pautre partie de cette armée, la furprit & la tailla en pieces. Le Roi fe retira aulfi-tót avec la plus grande précipitation, 8c ce feul événement mit fin a la guerre (a). Mais comme la Navarre étoit alors pleine de villes 8c de chateaux, qui, mal fortifiés & défendus par de foiblesgarnifons, n'étoient pas en état de réfifter a une attaque en regie , & ne fervoient qu'a procurer a. un ennemi des places de retraite, Ximenès, toujours hardi & décidé dans toutes fes mefures, fit démanteler toutes ces places , excepté Pampelune, qu'il fe propofa de fortifier avec foin. C'eft k cette précaution extraordinaire que 1'Efpagnc doit la confervation de la Navarre Les Francois y font fouvent entré; depuis cette époque, 8c ont aifémen (a) P. Maft. ep. 570. «S..IJ*  68 V Histoire I parcouru ce pays tout ouvert; mais tandis qu'ils étoient expofés a tous les inconvénients qu'éprouve une armee dans une terre ennemie , les Efpagnols avoient le temps de tirer des troupes des Provinces voifines, & les Prancois ne trouvant aucune place forte oü ils pufTent fe retirer , étoient obligés d'abandonner leur conquête auffi promptement qu'ils 1'avoient faite. Ximenès ne fut pas fi heureux en Afrique, dans la guerre qu'il fit au fameux aventurier Home Barberouffe, qui de iimple corfaire, parvint, par fa valeur & fon habileté, a fe faire Roi d'Alger & de Tunis. La mauvaife conduite du Général Efpagnol & la bravoure téméraire des Officiers , procurerent a Barberouffe une vicfoire aifée. Un grand nombred'Efpagnols perdirent la vie dans le combat; un plus grand nombre encore périrent dans la retraite; le refie retourna en Efpagne couvert d'ignominie. Lahauteur, la tranquillitéavec laquelle le Cardinal foutint cette difgrace, la feule qu'il eut encore éprouvée dans le cours de fon adminifira-  de Charles-Quint. 6*9 ^ tion, ajouta un nouvel éclat a fon ' caraftere («). On ne s attendoit pas a troüver cette vertu dans un homme qui avoit toujours montré une impatience & une a&ivité fi finguliere dans 1'exéciition de tous fes projets. Ce défaftre fut promptement oublié ; mais la conduite de la Cour Flamande donna bientötdes inquiétudes plus vives, non-feulementau Cardinal , mais même è toute la nation Efpagnole. Les grandes qualités de Chievres, premier Miniftre & favon du jeune Roi, étoient flétriespar une balTe & fordide avarice. L'avénement de fon maïtre au tröne d'Efpagne offroit a fa paffion des moyens faciles de la famfaire» Pendant que Charles réfida en Flandres, tous ceux qiu pré* tendoient alix emplois ou a la faveur s'y rendirent en foute : ils s'appercurent que fans la proteaion de Chievres, on faifoit de vains efforts pour obtenirdes graces, & ils découvnrent bientöt le moyen le plus fur de Pintérefler a leurs prétentions. Les (a) Gometius, lib. VI, p. -7°-  00 Miniaria, contlttwt. Mar. lib. i, m?o L'HlSTOïRE ~ tréfors d'Efpagne palTerent dans les Pays-Bas : tout fut vénal a la Cour de Charles ; tout fut livré au plus offrant. A 1'eXemple du premier Miniftre , tous ceux qui avoient de I'influence dans 1'adminifrration , fïrent de leur crédit un trafic qui devint bientöt auffi public & auffi général qu'il étoit infame (a). Les Efpagnols ne purent voir fans indignation les places les plus importantes publiquement expofées en vente par des étrangers , qui n'étoient intéreffés ni au bonheur ni a la gloire de 1'Efpagne. Ximenès, qui, dans toute fon adminifiration avoit montré le défintéreffement le plus pur, & qui avoit 1'ame trop haute pour connoitre le vil fentiment de 1'avarice , s'éleva avec la plus grande liberté contre la corruption des Flamands. II repréfenta vivement au Roi les murmures & 1'indignation que leur conduite excitoit parmi un peuple libre & fier, & le fupplia en même temps  de Charles-Quint. 71 de partir fans délai pour PEfpagne, afin de difliper par fa préfence l'orage qui fe formoit fur le Royaume. Charles fentoit bien qu'il avoit différé trop long-temps d'aller prendre 1 poffeffion de fes Etats en Efpagne ; ' mais de puiffants oblïacles 1'arrêtoient & le retenoient encore dans les PaysBas. Laguerre, que la ligue de Cambray avoit allumée en Italië, n'étoit. pas terminée , quoique les armées de toutes les parties belligérantes euffent pris pendant le cours de cette guerre des direcKons différentes. La France étoit alors liée avec les Vénitiens, contre lefquels elle s'étoit liguée d'abord : Maximilien & Ferdinand avoient depuis quelques années commencé des hoftilités contre la France leur première alliée, quoique ce fut a la valeur des troupes Frangoifes que la confédération eut été redevable de tous fes fuccès. Ferdinand avoit laiffé a fon petit-fils, avec tous fes Royaumes, cette guerre afoutenir; & la pafïïon de Maximilien pour toute entreprife nouvelle, donnoit lieu de croire qu'il perfuaderoit au jeune Monarque de la pour 1513. Ximenès >erfuade a Zhatles de jaffer en Ëipagné.  7Ï L'HlSTOIRE ■ fuivre avec ardetir : mais les Flamands, dont le commerce toujours croiffant s'étoit élevé, pendant le cours de cette guerre, fur les débris de celui de Venife, craignoient une rupture avec les Francois; Sc Chievres , habile a démêler les véritables. intéréts de fon pays, & n'en étant pas détourné en cette occafion par fon avarice, fe déclara vivement pour la paix. Francois Ier, qui fe trouvoit fans alliés, & qui cherchoit k s'affurer par un traité fes dernieres conquêtes en Italië, recut avec joie les premières ouvertures d'un accommodement: Chievres entama lui-même la négociation au nom de Charles , avec Boify , plénipotentiaire de Francois ler. Chacun de ces Miniftres avoit préfidé a 1'éducation du Prince qu'il repréfentoit ; ils avoient tous deux les mêmes difpofitions k la paix, Sc étoient également perfuadés que 1'union de leurs maitres étoit 1'évcnement le plus heureux Sc pour les deux Monarques& pour leurs peuples. Une négociation conduite par deux hommes de ce caracïere, ne pouvoit pas trainer en longueur. Qu^ques jours après  de Charles-Quint. 73 après 1'ouverture des conférences , qui fe tinrent a Noyon, les Plénipotentiaires conclurent un traité d'alliance & de défenfe réciproque entre les deux Souverains. Un des principaux articles fut le mariage de Charles avec Madame Louife, fille unique de Frangois, & agée feulement d'un an; pour fon douaire, Francois abandonnoit a Charles toutes fes prétentions fur le Royaume de Naples; mais comme ce Royaume étoit déja entre les mains du Roi d'Efpagne , il fut convenu que ce Prince payeroit au Roi de France cent mille écus par an jufqu'a la conclufion de fon mariage , & cinquante mille écus après le mariage , tant que la Princeffe n'auroit point d'enfants, On convint auffi que lorfque Charles feroit arrivé en Efpagne, les héritiers de Jean d'Albret lui expoferoient leurs droits fur la Navarre; & que s'il ne leur donnoit pas fatiffaftion , Francois feroit autorifé k les fecourir de toutes fes forces (<*■). L'u- (a) Léonard, Recueil des Traités, torn, II, 69. To,m UI. D 1513. , Traité de paix conclti avec la France. 1 3 Aoüt.' 1156.  1513. Les Flatnands veulent s'oppoier au voyage du Roi en Efpagne. 74 V H T S T O I U E nion de Charles ck de Francois ne fut pas le feul fruit de cette alliance ; Maximilien , qui ne fe fentoit pas en état de réfifïer aux forces reünies de la France Sc de Venife, fut obligé par-la de conclure avec ces Puiffances un traité qui termina enfin cette longue Sc fanglante guerre que la ligue de Cambray avoit allumée. L'Europe jouit pendant quelques années d'une tranquillité générale , Sc dut ce bienfait a deux Princes dont la rivalité &c 1'ambition la troublerent enfuite Sc la diviferent pendant tout le refte de leur regne. Charles s'affuroit, par Ie traité de Noyon, un paffage libre pour aller en Efpagne; mais il n'étoit pas de 1'intérêt des Flamands , qu'il entreprit fi promptement ce voyage. Pendant qu'il réfidoit en Flandres , il y dépenfoit les revenus de la Couronne, Sc fes favoris attiroiént fur eux, fans avoir de concurrents, tous les effets de fa libéralité. Leur pays étoit le fiege du gouvernement, Sc toutes les graces étoient difpenfées par leurs mains ; mais ils fentoient que le moment 011 Charles mettroit le pied en  Dl Charles-Quint. 7? Efpagne, les dépouilleroit vraifemblablement de tous ces avantages. II étoit naturel que les Efpagnols priffent la direöion de leurs propres affaires ; les Flamands prévoyoient que les Pays-Bas ne feroient plus regardés que comme une Province de l'Efpagne, & que ceux qui difpofoient auparavant de toutes les faveurs, feroient obligés de les obtenir alors de la main des Efpagnols. Ce que Chievres craignoit encore davantage, c'étoit une entrevue entre le Roi & Ximenès : d'un cöté 1'intégrité Sc ïa grandeur d'ame de ce prélat lui donnoient un afcendant preiqu'irréfiftible fur les efprits : il étoit trèsprobable que fes grandes qualités, foutenues par la vénération que méritoient fon rang Sc fa vieilleffe , infpireroient une forte de refpeft a un Prince fufceptible de fentiment nobles Sc généreux ; & ladmiration de Charles pour les vertus du Cardinal, ne pouvoit manquer d'affoiblir en lui la confiance qu'il avoit eue jufqu'alors pour des hommes d'un caracïere bien différent. D'un autre cöté , fi Charles laiffoit a fes miniftres FlaD ij 1513. Ils redoutent Ximenès.  »S'3- Charles s'embarque pour 1'Efpa- 76 L3 H 1 s t o i r E mands 1'influence qu'ils avoient toujours eue dans fes confeils, il étoit aifé de prévoir que Ximenès ne fouffriroit pas tranquillement qu'on rit un li fanglant affront a la nation Efpagnole , & qu'il défendroit les droits de fon pays avec la même intrépidité qu'il avoit foutenu les prérogatives de la Couronne. Ces confidérations engagerent les minifïres Flamands a tinir leurs efforts pour retarder le départ de Charles ; & ce Prince facile , peu méfiant &c fans expérience , attaché aux lieux qui Favoient vu naïtre, fe laiffa infenfiblement retenir dans les Pays-Bas pendant une année entiere après la fignature du traité de Noyon. Cependant les inuances réitérées de Ximenès; le confeil de Maximilien fon grand-pere, & les murmures impatients des Efpagnols, Ie déterminerent enfin a s'embarquer. 11 étoit accompagné non-feulement de Chievres, fon premier miniftre, mais encore d'une fuite nombreufe & brillante de Gentilshommes Flamands , attirés par le defir de voir Ia granieur de leur maitre , & d'avoir part  DE CH ARLES-QUINT. 77 a fes bontés. Après une traverfée périlleufe , il débarqua a Villa-Viciofa j dans la Province des Afturies, oü il , fut recu avec ces acclamations & ces témoignages éclatants de joie populaire, que la préfence fi long-temps defirée d'un nouveau Monarque ne pouvoit manquer d'exciter. Les Nobles Efpagnols fe rendirent de toutes les parties du Royaume auprès de Charles, & déployerent une magnificence que les Flamands n'étoient pas en état d'imiter (a). Cependant Ximenès, qui regardoit la préfence du Roi comme le plus grand bonheur que 1'Efpagne put defirer, s'avancoit au-devant de lui auffi promptement que la foibleffe de fa fanté pouvoit le lui permettre. Cet homme extraordinaire n'avoit jamais ceffé, pendant fa régence, d'exercer fur lui-même des mortifications très-rudes & trés - fréquentes , qui , jointes a 1'afïiduité d'un travail pénible , auroient détruit la plus vigoureufe conltitution. Chaque jour (a) P. Mart. ep, 597, 601. D iij 1513. [3 Septem,re.  (aj iVianana , continuat. lib. J, cap. j. 78 L'HlSTOIRE ' il confacroit plufieurs heures a des exercices de piété, difoit exa&ement la meffe, & donnoit quelque temps k 1'étude : malgré ces occupations, il affifloit réguliérement au confeil, recevoit & liibit tous les papiers qui ïni étoient préfentés, il diftoit des lettres & des inrtruftions, & il préiidoit k Pexpédition de toutes les affaires , foit civiles, eccléfiaftiques ou anilitaires. Tous les infiants de fa journée étoient remplis par quelque occupation férieufe : Ie feul amufement qu'il fe permettoit pour fe délalfer du trarail, c'étoit de difputer avec des moines & des théologiens, fur quelque queftion épineufe de théologie fcholaftique. Son corps épuifé par ce genre de vie, affoibli par la vieilleffe , étoit affailli chaque jour de quelque nouvelle infirmité. C'étoit dans eet état qu'il voyageoit pour aller recevoir fon Souverain : il fut atteint k Bos Equillos d'un mal violent, accompagné de fymptömes extraordinaires. Ceux qui le fuivoient dans ce voyage , prétendirent y reconnoitre 1'effet du poifon ( il eft certain qu'il expira quelques heures après avoir lu la lettre du Roi (a). Quand on confidere la vivacité , la grandeur &C le fuccès des entreprifes de ce grand Miniftre, pendant une régence qui n'a duré que vingt mois, on doute s'il a mérité plus d'éloges par fa fagacité dans le confeil, par fa prudence dans la conduite , ou par fon audace dans Fexécution. Sa réputation, non-feulement de génie , mais encore de piété, eft révérée en Efpagne : c'eft le feul Miniftre que fes contemporains ayent honoré comme un Saint (f) , & a qui, pendant fon adminiftration, le peuple ait attribué. le don de faire des miracles,. (d) Marfollier , Vie de Ximenès , p.?447Gometius. lib. VIII. p. 106,, &c. Bau» dier, hifi de Xim. p. 208. (b! Fiéchier , Vie de Xim. II , 746. P. Mart. ep. 608. Sandovius, p. ia. D v 1517. Mort de Ximenès. 8 Novembre.  1518. Les Cortes s'affemfclent a Valladolid. Charles eft déclaréRoi. 82 L' HlSTOIRE Peu de temps après la mort de Xi« menès, Charles fit, en grande pompe , fon entree publique a Valladolid, oü il avoit convoqué les Etats de Caftille. Quoiqu'il eut pris en toute occafion le titre de Roi, ce titre n'avoit jamais été reconnu par les Etats. Les Efpagnols croyoient toujours que Ie droit a la Couronne appartenoit a Jeanne feute ; & comme il n'y avoit dans 1'hiftoire aucun exemple d'un fils qui eut pris Ie titre de Roi pendant Ia vie de fon pere ou de fa mere, les Etats montrerent en cette occafion ce refpeft fcrupuleux pour les anciennes formes, eet éloignement pour toute innovation, qui ani* me ordinairement les affemblées populaires. Cependant Ia préfence de leur Monarque , 1'adreffe , les artih"ces & les menaces de fes Miniftres , engagerent a la fin Paffemblée a le déclarer Roi , conjointement avec Jeanne, a condition que le nom de Charles feroit placé dans tous les actes publics, après celui de fa mere: il fut arrêté auffi que fi dans Ia fuite Jeanne recouvroit Pufage de fa raifon , elle reprendroit feule 1'exercice  de Charles-Quint. 83 de I'autorité royale. Les Etats voterent en même-temps pour _un don gratuit de 600 mille ducats qui devoient être payés en trois ans, fomme plus confidérable qu'on n'ën avoit jamais accordée a aucun Roi de Caftille (tf). Malgré Ia déférence des Etats pour la volonté de leur Souverain, ce premier ufage de fon pouvoir excita dans tout le Royaume un mécontentement très-fenfible. Chievres . avoit pris fur 1'efprit de Charles non-feulement 1'afcendant d'un gouverneur , mais encore I'autorité d'un pere. Ce jeune Prince fembloit ne penfer & ne parler que d'après fon Miniftre ; il étoit fans ceffe entouré de Flamands; perfonne ne pouvoit avoir accès auprès de lui fans leur permiffion, ni lui parler qu'en leur préfence. Comme il ne póffé' doit que très-imparfaitement la langue Efpagnole, fes réponfes étoienl tDujours trés - courtes , & fouvenl même il ne les prononcoit qu'en héfi (a) Miniaria., contin, lib. 1 , c. 31 D vj 1518. Mécontentement des Caftillaas.  iji8. (a) Sandoval, p. 31. P. Mart, ep. 65 154 L'HlSTOIRF tant. Ces circonftances faifoient croire a la plupart des Efpagnols que Charles n'avoit qu'un génie lent & borné. Quelques-uns prétendoient re» anarquer une grande reffemblance entte lui ck fa roere, & Pon commenf oit a fe dire tout bas qu'il ne feroit jamais beaucoup plus en état qu'elle de gouverner le Royaume. Ceux qui étoient plus è portée de connoitre fon caractere , afluroient a la vérité que, malgré ces apparences peu flatieufes, il avoit beaucoup de connoiffances & de fagacité () P. Mart. ep. 605, 1518. Les Arragonois font plus intraitables que les Caftil-, lans.  1518. (<7^. ïfS. Geor. Sabini, de eletï, Car. V, hifi. apud .feardü fcript, rer. germ, yol. 11, p. 4. E ij ' <| 1.9,  i5io. Vues & intéréts divers des autres Puiffances. ( chard de Grieffenklau , Archevêque de Treves; Louis , Roi de Bohème j, Louis, Comte Palatin duRhin; Fréderic , Duc de Saxe; & Joachim I, Marquis de Brandebourg* Les raifonnements fpécieux des Ambaffadeurs. des deux Rois, leurs follicitations 9i leurs intrigues & leurs préfents, ne purent faire oublier aux Elecf eivrs 1%  de Charies Qüint. 107 maxime fondamentale fur laquelle ils. * eroyoient que- la liberté de la conftitution de PEmpire étoit établie,. Parmi les membres du corps Germanique , qui forme une grande ré^ publique compofée d'Etats prefque indépendants, le premier principe de patriotifme eft. d'abaiffer & de limiter le pouyoir de 1'Empereur i&c cette idéé, fi conforme a. la nature du gouvernement , eft une regie dont: un politique Allemand ne s'écarte.prefque jamais. Pendant plufieurs fiecles,.. on n'avoit élevé a PEmpire aucun Prince qui jouit déja d?une grandepuiffance, ou qui poffédat des domaines étendus; & c'étoit a cette fage précaution que plufieurs des grandes families d'Allemagne devoient J'éclat' Sé Pindépendance qu'elles avoient ac= quis pendant ce période de temps; Les Electeurs ne pouvoient donc don-? ner leurs fuffrages a 1'un des deuxMonarques, fans violer évidemment cette. maxime falutaire,, fans vouloir donner a PEmpire un. maitre au-lieu, d'un. chef r &. fans: fe- rabaiffer euxa mêmes. du rang d'égaux- a la coodlv tipn de fujetss. Ê vj W9i  108 L'HlSTOIRE CeS COnfidératinns rlptprminpron* 1519. Ils offrent la Couronne Impériale a Frédelic, Dut de Saxe. L la refufe. les Eleöeurs a jetter les yeux fur Fréderic , Duc de Saxe, Prince a qui fes talents & fes vertus avoient merité Ie titre de Sage; & ils fe réunirent tous pour lui offrir la couronne Impériale. Fréderic ne fe laiffa point éblouir par Féclat de cette couronne, que deux Monarques, dont la puiffance étoit bien fupérieure a la lienne, recherchoient avec tant d'ardeur. Après avoir réfléchi quelque temps fur Foffre qu'on lui faifoit, il Ia rejetta avec une générofité & un défintérelfement auffi étonnant que digne d'admiration. II fentit que rien n'étoit plus contraire a la bonne politique qu'un attachement inflexible kun principe, qui, quoiqu'excellent & jufle en plufieurs occalions, n'étoit cependant pas applicable a tous les cas. » Dans les temps de tran* quillité, difoit-il, nous avons befoin » d'un Empereur qui n'ait pas affez » de pouvoir pour empiéter fur nos » privileges; mais les temps de dan»ger demandent un Prince qui ait » affez de forces pour veiller k notre » füreté. Les années Turques fe raf-  de Charles-Quint. 109 ' «femblent fous le commandement » d'un brave Sultan, enhardi par fes » vicloires. Elles font prêtes a fondre » fur 1'Allemagne avec une violence »dont les fiecles précédents n'ont w pas encore vu d'exemple. Des cir» conftancesnouvelles exigent de nouw velles mefures : il faut remettre le » fceptre de 1'Empire a des mains plus >} puiffantes que les miennes , & c'efi » un fardeau trop pefant aujourd'hui «pour tout autre Prince d'Allema»gne. Nous n'avons ni des domai»nes affez étendus, ni des revenus m affez confidérables , ni une auto- » rité affez grande pour être en état » de tenir tête k 1'ennemi formida»> ble dont nous fommes menacés. »Notre fituation nous force a re» courir a 1'un des deux Monarques » rivaux; chacun d'eux peut mettre » en campagne des forces fuffifantes » pour nous défendre : mais comme »le Roi d'Efpagne eft né en Alle» magne , qu'il eft membre & Prince » de 1'Empire, par les Etats dont il » a hérité de Ion grand-pere , & que vfes domaines bordent la frontiere »la plus expofée aux incurfions de* 1519.  W1* ïi refufe les préfents que lui o£frent les Ambaffadeurs d'Efpagne, 4 %tQ L' H I S T O I R E » Turcs, fes prétentions a la Cou*>. » ronne Impériale me paroiffent mieux »fondées que celles, d'un Prince ,. » étranger a notre langue, a notre » fang, a notre Pays. D'après cesrai» fons, je donne ma voix a Charles ". Une opinion infpirée par un fentiment de générofité fi peu commun, & foutenue par des raifons fi plaufibles, ne pouvoit manquer de faire, une forte impreffion fur les Electeurs. Les Ambaffadeurs du Roi d'Efpagne fen.tant toute 1'importance du fervice que Fréderic venoit de rendre a leur maïtre ,. lui envoyerent une fomme confidérable d'argent, cemme le premier gage de la reconnoiffance de ce Monarque; mais un Prince qui avoit eu affez de grandeur d'ame pottr refufer une couronne, ne pouvoit pas s'abaiffer a vendre fon fuffrage. Les. Ambafladeurs Efpagnols le prierent de- permettre au moins qu'ils diftribuaffent entre fes courtifans une partie de la fomme qui lui étoit defiinée ; Fréderic leur répondit qu'il ne pouvoit pas les empêcherde recevoir ce qu'on leur offriroit j. mais qu'il chafferoit fe  BE CttARLES-QuiN T. I I ï fendemain quiconque auroit accepté un feul florin (a). II n'y avoit aucun Prince d. Allemagne qui put alors afpirer a une dignité que Fréderic venoit de re- (a) Le P. Daniël , hiftorien de réputation , femble révoquer en doute la vérité de ce récit de la conduite de Fréderic, fondé fur ce que George Sabinus n'en fait pas mention dans fon Hiftoire de réleftion & du couronnement de Charles V , torn 111, p. 63- Mais on doit faire peu de fonc fur'une omiflipn dans un auteur fuperficiel, dont. 1'ouvrage , quoique décoré dt • titre d'hiftoire, ne contient qu'une relatior du cérémonial de 1'éleftion de Charles telle qu'on en publioit ordinairement ei Allemagne dans de femblables occafion! Scard. Rer. Germ. fiript. v. 11, p- *• L témoignage d'Erafme , lik. 13, ep. 4 > c celui de Sleidan,. pag. 18, font pofmf: Seckendqrf,. (Commentar. Mjlor. & apolo vn. de Luteranifmo, p. 121) a examine c fait avec fon exaéKtude ordinaire, & e a établi la. vérité avec 1'évidence la pli frappante. A ces témoignages , qu'il a ri cueillis „ j'ajouterai I'autorité décifive c Cardinal Cajetan , Légat du Pape a. pran fort, dans fa lettre du 5 Juillet 1519. Ep tres aux Princes , &c> reeueillies par Nu celli, traduites par Bellefareft. Paris, 1.57: 3». tjo... M19- Nouvelle*-, délibérat. des EUÉU it L c e "ét s u> !-■ f-  ^•1 L'Histoire - fufer pour des raifons également applicables a tous les autres. II ne reftoit donc qu'a faire un choix entre les deux illuftres compétiteurs. Indépendamment de Ia prévention que faifoient naïtre en faveur de Charles Sc fa naiffance Sc Ia fituation de fes Etats héréditaires, il ne dut pas peu aux talents Sc au zele de fes Ambaffadeurs , le Cardinal de Gurck Sc Erard de Ia Marck, Evêque de Liege, lefquels conduifirent leurs négociations avec plus d'adreffe Sc de prudence que les Ambaffadeurs du Roi de France n'en employerent a négocier pour leur maitre. Le Cardinal avoit été long-temps Minilfre Sc favori de Maximilien, Sc connoiffoit bien Fart de traiter avec les Allemands. L'Evêque de Liege ayant été écarté du Cardinalat par le crédit de Francois, mettoiten oeuvre, pour traverfer les vues de ce Monarque, toutes les reffources que peut puifer dans le reffentiment une ame ambitieufe. La faflion Efpagnole faifoit chaque jour des progrès dans le college Elecïoral : le Nonce même du Pape, convaincu qu'une plus Ion-  DE CHARLES-QU INT. 11 3 gue oppofition feroit inutile , voulut fe faire un mérite auprès du futur Empereur, en lui offrant volontairement, au nom de Léon, une difpenfe pour réunir la Couronne Impériale avec celle de Naples (a). Cet important débat qui tenoit 1'Europe en fufpens, fut enfin terminé le z8 juin, cinq mois & dix jours après la mort de Maximilien. Six des Elefteurs s'étoient déja déclarés en faveur du Roi d'Efpagne : 1'Archevêque de Treves, le feul qui fut reflé conftamment attaché au parti Francois , s'étant enfin réuni a fes confrères , Charles fe vit, par le fuffrage unanime du college Eleftoral, élevé au tröne de 1'Empire (£). Mais quoique les Elecïeurs euffent confenti, par différents motifs, a donner leur voix a ce Monarque, ils montrerent en même-temps toute 1'inquiétude que leur caufoit fon excef- . (a) Freeheri , Rer. Gcrm. fcrïptoris , vol. 111. 172. air. Struvii, Argsnt, 1717. Giannone , hifi. of Naples . 2 , 468. (li) Jac. Aug. Thuan. hifi. füi temporis, Hu. Bulklay-, lib. 1 , c. 9. I? 19. Charles eft élu Empereur.  114 L' H I S T O I R E ■ " five pmffance, & ils s'occuperent férieufement des moyens de prévenir Pabus qu'il pourroit en faire un jour pour empiéter fur les privileges du corps Germanique. Depuis longtemps, ils exigeoient de chaque Empereur nouvellement- élu , qu'il conrirmeroit fes privileges, & promet* troit de ne les violer en aucune circonft-ance. Tant qu'on ne déféra la Couronne impériale qu'a des Princes, qui n'étoient redoutablës ni par 1'étendue de leurs Etats, ni par la fupériorité de leur génie , on cruü qu'une promeffe verbale étoit un gage fuffifant de leur conduite; mais le choix d'un Empereur auffi puiffant que Charles demandoit d'autres précautions. On forma une capitulation dans Iaquelle on expofa les privileges & immunités des Eleöeurs , des. Princes de 1'Empire , des villes & de tous. les. autres membres du corps" Germanique. Les Ambaffadeurs de Charles fignerent en fon nom cette capitulation , qull confirma lui-même a fon couronnement de la raaniere la plus folemnelle. Depuis cette époque, les Elecleurs ont prefcrit. k.  DE C HARLES-^QU INT. tl? fes fucceffeurs les mêmes. con- ditions. En Allemagne ,. la capitulation , ou. ce contrat mutuel entre 1'Empereur & fes fujets, eft regardée comme une puilfante barrière contre le progrès de la puilfance impériale, & comme la. grande charte de leurs privileges L'importante nouvelle de Pélection arriva en. neuf jours de Francfort a Barcelone, oii Charles étoit retenu par 1'pbfïination des Etats de Catalognequi n'avoit encore terminé aucune des affaires foumifes a leurs délibérations. 11 apprit eet événement avec toute la joie que pou> voit. infpirer a un jeune homme ambitieux un accroiffement.de puilfance & de dignité qui 1'élevoit fi fort. audeffus de tous les autres Souveraihs de 1'Europe. Ce fut dès ce moment qu'il concut ces vaftes. projets de gloire qui féduifirent fonimagina-. tion pendant tout fon regne ; & c'eft: (-4) Pfeffel, abrégé de l'hifloire du droit» public d'Allemagne , 590. Linnei, capitulah. ijnper. Epitres des Princes , par Rufcelli, 1512- L'éleöio». ;ft notifiéc? ï. Chatles»  Les Efpa gnols font mécontent de eet évé nemtnt. i ie> L'Histoire " k cette époque qu'il faut remonter pour voir naitre & fe développer ce grand fyftême d'ambition qui rend fi intéreffante 1'hiftoire de fa vie. Une circonftance peu importants découvrit bientöt les effets que cette grande élévation avoit produits fur 1'ame de Charles. Dans tous les actes ou édits qu'il publia en qualité de Roi d'Efpagne, il prit le titre de Majejlé, & exigea que fes fujets le lui donnaffent comme une nouvelle marqué de refpect. Jufqu'alc^-s les Monarques d'Europe n'avoient pris que le titre d'Alteffe ou de Grace ; mais la vanité des autres Cours leur fit bientöt imiter 1'exemple de celle d'Efpagne. Le titre de Majeflé n'eft plus une marqué de prééminence : les plus petits Monarques en jouiffent aujourd'hui, & 1'orgueil des plus puiffants n'a pas encore pu inventer une diftinction plus relevée (.frit an nom des Electeurs, & déclara 1'intention ou il étoit de paffer en Allemagne pour y aller prendre poffemon de fa nouvelle dignité. C'étoit une démarche néceffaire > paree que, fuivant les formes des conftitutions Germaniques, il ne pouvoit , avant que d'avoir été couronné publiquement , exercer aucun ade de jurifdictioa & d'autofité (b). Cette réfolution étant devenlie pu* blique, acheva d'indifpofer les Efpagnols ; un fombre mécontentement fe répandit dans tous les ordres de 1'Etat: le Pape avoit accordé au Rol  de Ctjarlïs-Quint. 119 ïe dixieme du revenu de tous les bé> néfices eccléfiaftiques de la Caftille > afin de le mettre en état de foutenir avec plus de vigneur la guer-re contre les Turcs ; le clergé s'étant affemblé, réfufa unanimement de lever cette fomme, & prétendit qu'elle ne pouvoit être exigée que dans les temps oii la chrétienté feroit réellement attaquée par les infideles. Léon, déterminé a foutenir fon autorité, mit le Royaume en interdit; mais on eut fi peu d'égard a cette cenfure, univerfellement regardée comme irtjufte, que Charles lui-méme en follicita la révocation. Ainfi le clergé Efpagnol eut non-feulement la gloire de s'oppofer aux ufurpations du Pape, & de braver le pouvoir de la Couronne , mais encore 1'avantage de s'exempter du tribut qu'on vouloit lui impofer (a). II s'éleva dans Ie Royaume de Valence, dépendant de la Couronne d'Arragon, des troubles bien plus k (a). Mart. ep. 46a. Ferreras, VIII, 473- Soulevement a Valence.  IJ 10. iio L'HiSTorRE craindre, Sc dont les effets furent plus durables Sc plus dangereux. Un moine féditieux échaufFa , par fes fermons, les habitants de Valence, capitale du Royaume de ce nom, & excita la populace a prendre les artnes, pour punir, fans forme de procés , certains criminels. Cette populace , flattée de la découverte Sc de 1'exercice qu'elle venoit de faire de fon pouvoir, refufa enfuite de mettre bas les armes, Sc fe forma en compagnies militaires , qui s'affujettirent a la difcipline Sc aux manoeu» vres d'une froupe réglée. Le defir de fe fouftraire a 1'oppreffion des Grands, fut le premier motif Sc le Hen puiffant de cette affociation. Comme 1'indépendance Sc les privileges ariflocratiques étoient plus étendus a Valence que dans les autres Royaumes d'Efpagne, les Nobles ne reconnoiffant prefque aucun fupérieur qui put leur demander compte de leur conduite , traitoient le refte des habitants , non - feulement en vaffaux , mais en efclaves. Cependant aïlarmés de ce foulevement inattendu , ils craigcirent que le peuple ne s'enhard.it  BE CllARLES-QUINT, M.I hardït jufqu'a vouloir fecouer entiérement le joug; mais comme ils ne pouvoient arrêter ces mouvements fans prendre les armes, il fallut avoir recours k 1'Empereur, & lui demander la permiffion d'attaquer les rebelles. Le peuple de fon cöté nomina des députés chargés d'aller expofer fes griefs au Souverain, ók implorer fa protedtion. Ces députés arriverent a la Cour, heureufement pour eux, dans le moment oh Charles étoit le plus irrité contre la Nobleffe. L'empreffement qu'il avoit de paffer en Allemagne, ou fa préfence devenoit de jour en jour plus néceffaire , & 1'impatience plus grande encore de fes courtifans Flamands, a qui il tardoit d'aller porter dans leur patrie les dépouilles de la Caftille, ne permettoient pas au Prince d'aller tenir lui-même les Etats de Valence. II nomrna le Cardinal Adrien pour le repréfenter k cette affemblée, &c Fautorifa a recevoir en fon nom le ferment d'obéiffance des peuples, a confirmer leurs privileges avec les folemnités accoutumées, & a leur de« Tome UI. F 151* 5es progrèsó  1520. 111 L'HlSTOIRE ' mander un don gratuit. Les Nobles 'de Valence regarderent eet arrangement comme un affront fait a leur pays , qui n'avoit pas moins de droit que les autres Royaumes d'Efpagne a. 1'honneur de jouir de la préfence de fon Souverain: ils déclarerent en conféquence, que, fuivant les loix fondamentales de la conftitution, ils ne pouvoient ni reconnoïtre comme Roi un Prince abfent, ni lui accorder un fubfide , & ils foutinrent cette réfolution avec une hauteur &c une obftination que rienne put fléchir. Charles , offenfé de cette conduite , fe déclara en faveur du peuple, & 1'autorifa imprudemment a refter armé. Les députés retournerent triomphants furent re^us par leurs concitoyens comme les libérateurs de la patrie. L'infolence de la multitude s'accroiffant avec les fuccès, le peuple chaffa de la ville tous les Nobles, confia le gouvernement a des Magiftrats qu'elle choifit elle-même, & forma une affociation , diftinguée par le nom de Germanada ou Fratcrnité, laquelle devint la fource, non-feulement des plus affreux défordres, mais encore des  be Charles-Quint; 'lij plus grandes calamités pour le Royaume de Valence (a). Dans ce même temps, celui de Caftille n'étoit pas agité avec moins de violence. L'Empereur n'eut pas plutot fait connoïtre 1'intention oü il étoit de quitter 1'Efpagne, que plufieurs villes du premier ordre réfolurent de faire des remontrances contre ce départ, & de folliciter de nouveau la réforme des abus fur lefquels elles avoient déja porté leurs plaintes. Charles fe difpenfa adroitement de donner audience a leurs députés ; & comme il vit, par cette démarche , combien il feroit difficile de réprimer 1'efprit féditieux des villes les plus confidérables, il convoqua 1'affemblée des Etats de Caftille a Compoftelle en Galice. Son unique motif étoit 1'efpérance d'obtenir un nouveau don gratuit; car les richeffes de fes Miniftres s'étoient accrues aux dépens de fon tréfor, & il n'étoit pas en état, fans quelque nou- (a) P. Martyr, ep, 651. Ferrer, VIII, 476, 485. Fi;  IJ 20. Ï14 L'HlSTOIRE • veau fecours , de paroïtre en Alle» magne avec 1'éclat qui convenoit a la dignité impériale. Mais convoquer les Etats dans une Province fi éloignée, & demander un nouveau fubfide avant le terme fixé pour payer le précédent, c'étoient la des innovations de la plus dangereufe conféquence , & qui ne pouvoient manquer de jetter 1'allarme dans 1'efprit d'un peuple jaloux de fa liberté, & accoutumé a ne pourvoir qu'avec beaucoup d'économie aux befoins de fes Rois. Les Magiltrats firent des remontrances très-fories contre la convocation des Etats k Compollelle &c contre la demande d'un nouveau fubfide. LeshabitantsdeValladolid, qui avoient efpéré que les Etats fe tiendroient dans leur ville , irrités de voir leurs efpérances trompées, s'armerent tumultuairement; & leur fureur alla fi loin , que fi Charles ne s'étoit échappé heureufement avec fes courtifans étrangers, k la faveur d'une violente tempête, tous les Flamands auroient été mafiacrés, & le Roi auroit eu beaucoup de peine a continuer fa route vers Compoftelle.  DE CH AR LES-QUINT. IXj Toutes les villes par lefquelles Charles paffa , lui préfenterent des mémoires contre la convocation des Etats en Galice ; mais il fut inflexible dans fa réfolution. Quoique les Miniftres euffent employé toutes les reffources de Pintrigue Sc de I'autorité pour faire choifir des repréfentants favorables a leurs deffeins, cependant tel étoit 1'efprit général de la nation , que dès 1'ouverture de raffemblée, une grande partie des députés laifferent entrevoir des difpofitions fi marquées de mécontentement , qu'on eut lieu de craindre la plus forte oppolition a tous les prajets de la Cour. La ville de Tolede n'avoit point envoyé de repréfentants, paree que le fort, qui, fuivant un ancien ufage , y décidoit de 1'éleftion, étoit tombé fur deux perfonnes vendues aux Miniftres Flamands ; les bourgeois ne voulant pas confier leurs intéréts a des repréfentants corrompus, refuferent de leur donner une commiffion dans la forme ordinaire , Sc è leur place envoyerent a Compoftelle deux députés, autorifés a proteffer contre F üj Ouverture des Etats„ i Avril.  1520. Le méconïentementdes Caftil lacs augroente, ll6 L'HlSTOIRE la légalité de raffemblée des Etats. Les repréfentants de Salamanque refuferent de prêter le ferment ordinaire de fidélité, a moins que Charles ne confentït a choifir un autre lieu pour tenir les Etats. Les Députés de Toro , de Madrid, de Cor» doue & de plufieurs autres villes, déclarerent hautement que la demande d'un nouveau fubfide étoit fans exemple, fans néceffité, & contraire è la conftitution. Cependant tous les artifices qui peuvent influer fur des alfemblées populaires , 1'argent, les places, les promeffes, les menaees, la violence même, tout fut mis en oeuvre pour gagner des fuffrages. Les Nobles , féduits par la refpectueufe afliduité avec laquelle Chievres & les autres Flamands leur faifoient la cour, ou voyant peut-être avec un fentiment de balfe jaloufie Fefprit d'indépendance qui animoit les communes, favoriferent ouvertement les prétentions de la Cour, ou du moins ne s'y oppoferent pas. ■Enfin, malgré le vceu de la nation, & au mépris des anciennes formes du gouvernement, on accorda , a la plu-  DE CHA RLES-QUINT. liy ralité des voix , le don gratuit que 1 Empereur avoit demandé (<*). A la vérité les Etats préfenterent en mêmetemps a Charles des remontrances fur les griefs dont le peuple fe plaignoit, & fur lefquels il demandoit juftice; mais ce Prince ayant obtenu ce qu'il defiroit, n'eut aucun égard a cette requête tardive, & fentit qu'il pouvoit alors la rej etter fans danger (F). Comme rien ne retardoit plus le départ de 1'Empereur, il fit connoitre fes intentions, qu'il avoit tenues cachées jufqu'alors, fur le choix des perfonnes qui refteroient chargées de 1'adminiftration de fes Royaumes pendant fon abfence. II conféra la régence de Caftille au Cardinal Adrien, la vice-Royauté d'Arragon a Dom Juan de Lanuza , & celle de Valence a Dom DiegueMendoza, Comtede Mélito. Le choix des derniers fut très-agréable aux Caftillans.; mais la nomination d'Adrien, qui cependant étoit le feul Flamand pour qui ils euf- (a) P. Martyr , ep. 663. Sandoval, peg, 11 , &c. (b) Sandoval, p. 84. F iy 1520, Chailes nomme des régents pendantfon abfence.  1520. II s'embarque pour les PaysBas. (<*) P. Mart. ep, 678. Sandoval, 86. Fin du Livre premier. Il8 L'HlSTOIRE, &C. ' fent confervé quelqu'eftime , ne rk qu'accroïtre leur haine &c leur jaloufie contre les étrangers. Les Nobles eux-mêmes, qui avoient fouffert fi patiemment d'autres ufiirpations plus importantes, fentirent vivement 1'affront qu'on leur faifoit, & protefterent contre ee choix, qu'ils prétendirent illégal. Mais Charles avoit un fi grand defir d'arriver en Allemagne , & fes courtifans tant d'impatience de fbrtir d'Efpagne , que, fans avoir égard aux murmures des Caftillans , fans prendre même aueuae précaution contre un foulevement qui fe préparoit a Tolede, & qui eut dans la ïuite les plus funeftes conféquences, ce Prince s'embarqua a la Corogne, & mit a la voile le iz de Mai. En précipitant ainfi fon départ pour aller recevoir une couronne nouvelle , il s'expofaa en perdre une d'un bien plus haut prix, & dont il étoit déja poffefleur (a).  L'HlSTOIRE DU R E G N E DE UEMPEREUR CHARLES-QUINT. L I V R E II. Différentes circonltances reünies appelloient Charles en Allemagne , & y rendoiènt de jour en jour la préfence plus nécelfaire. Les Electeurs s'impatientoient d'un fi long interregne ; d'ailleurs , les Etats héréditaires de Charles commencoient a être agités par des divifions inteftines, & ïes progrès rapides que faifoient ks E Y. ' La préféncif de Charles devient né-ceffaire enAllemagne..  J) 20. Origine & progrès de la rivalité de CharlesQuint & de Francois L (<) Guich, lil, 13 , page 15.9. 13O L'HlSTOIRE nouvelles doörines fur la religion demandoient 1'attention la plusférieufe ; mais ce qui 1'intéreffoit plus vivement encore, c'étoient les mouvements du Roi de France, qui lui faifoient fentir la néceffité de prendre les mefures les plus promptes & les plus efficaces pour fe mettre en état de défenfe. Charles & Francois, en fe meftant fur les rangs pour fe difputer la Couronne impériale, fe promirent de fe conduire avec toutes fortes d'égards Fun pour 1'autre, & de ne pas fouffrir qu'aucunfigne d'inimitié vintdéfhonorer une fi belle rivalité.» Nous » faifons la cour a la même maitreffe , » dit Francois avec fa vivacité ordi»naire; employons 1'un & 1'autre »tous nos foins pour réuffir : mais » dès que le fort aura nommé le ri» val heureux, c'eft a 1'autre a fe fou» mettre & a refter en paix ( encourir; 2°. de tous vos péchées , tranCj> greffions & excès, quelque énormes qu'ils » puiffent être, & même de ceux qui pour» roient être réfervés a la connoiffance de » Sa Sainteté , & auffi loin que les clefs de ?) la fainte Eglife peuvent s'étendre; je vous G vj 1520.  Ï520. »» remets toutes les peines que vous mérite» riez pour expier ces péchés dans le purga31 toire, & je vous rétablis dans la partici31 pation des SS. Sacrements de l'Eglife, dans » 1'union des fideles , & dans cette innow cence & cette pureté que vous aviez revues 3t du baptême ; en forte qu'a Partiele de vo3> tre mort les portes de 1'enfer feront fer*» méés , & celles du paradis ouvertes; & fi 3> vous ne mourez pas a préfent, ces graces 3t demeureront dans toute leur force jufqu'au 9i- jour de votre mort: au nom du Pere , du s> Fils & du Saint-Efprit. Seckend. eomment. 3> liv. i, p- 14 "• Les termes dans lefquels Tetzel & fes confrères parient des graces attachées aux indulgences , & de la néceflité de les obtejiir, font fi extravagantes , qu'ils paroiflent prefqu'incroyables.» Quiconque, difent-ils, » achete des lettres d'indulgence, peutavoir s> 1'ame en repos fur fon falut. Les ames ren» fermées dans le purgatoire , & pour la réï> demption defquelles on acquiert les indulii genees , aufli-tor que 1'argent fonne dans 5> le coffre , s'échappent de ce lieu de tour3j ment, & moment droit au ciel Ils difoient que 1'efficacité des indulgences étoit fi grande, que les plus énormes péchés, même le viol de la fainte Vierge , s'il étoit poffible, feroient remis & expiés par cemoyen, 156 L' HlSTOIRE " nant a bas prix, ces moines en firent d'abord un commerce très-étendu &C  de Charles-Quint. 157 très-lucratif parmi la multitude crédule ; mais Pextravagance de leurs & que le pécheur étoit affranchi a la fois de la peine & de la coulpe * ; que c'étoit un préfent ineffable de la bonté de Dieu, pour réconcilier les hommes aveelui ;que la croix érigée par les prêcheurs d'indulgences étoit auffi efficace que la croix de ï. C. même. 5> Voyez, s'écrioient-ils, voyezles cieux ou» n verts: fi vous n'y entrez pas , quand donc n y entrerez-vous ? Pour douze fols vous m pouvez racheter du purgatoire 1'ame de s> votre pere. Aurez-votrs 1'mgratttude de ne j) pas délivrer votre pere des tourments qu'il » endure \ Si vous n'aviei qu'un feul vêtes> ment, vous devriez vous en dépouiller, j> & le vendre a rinftant pour acheter de il » grandes graces, &e. " Ces expreffions & mille autres de fa même force, font tirées des ouvrages de Luther par Cherr nitius , dans fon Examen Concilii Tridentini , ap> Germ. Vander Hardt. hifi. litter. reform, pars iv , p. 6. Le même auteur a publié plufieurs difcours de Tetzel qui prouvent que ces expreffions n'étoient ni fingulreres ni exagérées. Ibid. p. 14. * Tout Lcclcar injiruit s'appercevra que eet expofé rfe la doctrine des indulgences ricjl pas exact ,6* que M. Rohertfon a pris les exagc'rations de quelques moines du feiijetnc fietle, pour la daéirine dt l'E' glife. Rem, du Trad. 15 zo.  IJ 2.0. Luther & fon caractere. 15S L'HlSTOIRE ; difcours Sc les irrégularités de leur conduite exciterent a la fin un fcandale univerfel. Les Princes Si les Nobles s'indignoient de voir leurs vaffaux s'épuifer pour remplir le tréfor d'un Pontife prodigue. Les perfonnes pieufes plaignoient 1'erreur du peuple , qui, inftruit a fe repofer du pardon de fes péchés fur les indulgences qu'il obtenoit, négligeoit la pureté de la croyance & la pratique des vertus chrétiennes. Les plus indifférents Sc même les plus ignorants étoient choqués de la conduite fcandaleufe de Tetzel & de fes affociés, qui alloient diffiper dans les excès de 1'ivrognerie, du jeu & des plus infames débauches, 1'argent que leur apportoit une piété crédule, dans 1'efpérance d'obtenir le bonheur éternel. Tous enfin commencerent a fouhaiter qu'on mit des bornes a un trafic auffi nuifihle a la fociété, que funefte a la Religion. Martin Luther ne pouvoit trouver des conjondtures plus favorables, Sc les efprits de fes compatriotes ne pouvoient être mieux difpofés a écouterfes difcours, lorfqu'il commenca  de Charles-Quint. 159 a mettre en queftion 1'efficacité des indulgences, & a déclamer contre la conduite déréglée & la fauffe doctrine de ceux qui les publioient. II étoit né a Eifleben en Saxe. La pauvreté de fes parents n'empêcha pas qu'il ne recut une éducation favante, pendant le cours de laquelle il donna plufieurs fois des preuvesd'une vigueur de génie Sc d'une pénétration peu commune. Comme fon ame étoit naturellement fufceptible d'impreffions férieufes, & portée a cette mélancolie religieufe qui fe plaït dans la folitude & la dévotion de la vie monafïique, il fe retira dans un couvent d'Auguftins, Tous les efforts de fes parents pour le détourner de ce deffein, ne purent le faire renoncer a ce qu'il croyoit fa vocation; & malgré leurs inöances, il prit 1'habit de eet ordre. Sa piété, fon amour pour 1'étude & fon application infatigable, lui firent bientöt une réputation diftinguée dans fon couvent. II avoit appris fous de bons maitres la philofophie Sc la théologie fcholafliques, qui étoient alors en vogue; Sc il avoit affez de pénétration pour faifir tou- 1510.  160 L'HlSTOIRE tes les fiibtilités Sc toutes les diftinctions dont elles font pleines : mais Ia fblidité naturelle de fon jugement lui en fit fentir Ia frivolité, Sc Ie dégoüta bientöt de ces études inutiles & vaines. II chercha dans I'écriture fainte des fondements plus folides de fcience & de piété. Ayant rencontré un exemplaire de la bible, qui reftoit négligé dans Ia bibliotheque de fon monafiere, il quitta les autres études pour fe livrer tout entier a cette le&ure, Sc il la fuivit avec tant d'ardeur & d affiduité, qu'il étonna bientöt fes confrères, peu accoutumés a puifer dans cette fource leurs notions théologiques. Les grands progrès qu'il fit dans un cours d'étude fi nouveau, augmenterent la réputation de fon favoir & de fa fainteté, au point que Fréderic , Eletteur de Saxe, qui venoit de fonder une univerfité dans "Wittemberg, ville de fa réfidence , choifit Luther pour y enfeigner d'abord la philofophie, Sc enfuite Ia théologie. Le nouveau Profeffeur s'acquitta fi bien de ces deux emplois , qu'il fut bientöt regardé comme le principal ornement de 1'univerfité. 1520.  de Charles-Quint. 16*1 Luther étoit au comble de fon crédit 8c de fa renommée, lorfque Tetzel commenca k publier les indulgences dans les environs de Wittemberg, & a leur prêter toutes les vertus imaginaires, qui en d'autres lieux en avoient déja impofé a la crédulité des peuples. Comme la Saxe n'étoit pas plus éclairée que les autres Provinces de 1'Allemagne, Tetzel y eut d'abord un prodigieux fuccès. Luther voyoit avec la plus grande douleur, & la fourberie des vendeurs d'indulgences , & la fimplicité des acheteurs. Les opinions de Thomas d'Aquin &c des autres fcholaftiques , fur lefquelles on fondoit la doftrine des indulgences, avoient déja perdu beaucoup de leur autorité dans fon efprit;8c 1'Ecriture-fainte, qu'il commencoit k regarder comme la grande regie des vérités théologiques, ne lui fourniffoit rien pour appuyer une pratique également deftruöive de la morale & de la foi. Son caracïere ardent &c impétueux ne lui permit pas de cacher long-temps cette importante découverte, & de refter fpe&ateur tranquille de Fillufion ij 10. II s'oppof a la vent des indult genees.  \&\ L'HlSTOIRE de fes compatriotes. Ir monta en chaire dans la grande Eglife de Wittemberg, & il déclama avec la plus grande amertume contre les déréglements 6c les vices de ceux qui publioient les indulgences : il ofa difcuter la doctrine qu'ils enfeignoient, 6c fit fentir au peuple Ie danger qu'il y avoit a fe repofer de fon falut fur d'autres moyens que ceux que Dieu lui-même avoit marqués dans 1'écriture. La hardieffe 6c la nouveauté de ces opinions attirerent finguliérement 1'attention publique; foutenues d'ailleurs par I'idée favorable que Luther avoit infpirée de fon caractere perfonnel, 6c débitées avec une éloquence populaire 6c perfuafive , elles firent fur fon auditoire 1'impreiTion la plus profonde. Encouragé par ce début favorable , il écriyit a 1'Elecleur de Mayence, qui , comme nous 1'avons dit, avoit cette partie de la Saxe fous fa jurifdidtion , &C lui peignit avec vivacité les déréglements & la fauffeté des opinions de ceux qu'il avoit chargés de prêcher les indulgences; mais le Prélat étoit trop intéreffé a leurs. fuccès pom- XJ20.  be Charles-Quint. 163 réformer leurs abus. La première tentative que fit Luther , fut de fe concilier les fuffrages des favants. Dans cette vue , il publia quatre - vingtquinze thefes qui contenoient fes fentiments fur les indulgences. II les propofa, non pas comme des points établis & inconteftables, mais comme des matieres a difcuter : il indiqua des jours ou tous les favants étoient invités k venir attaquer fes opinions, foit de vive voix, foit par écrit; il joignit k tout cela une proteftation folemnelle de fa foumiffion entiere & de fon refpeef pour I'autorité du faint Siege. Aucun oppofant ne parut au jour qu'il avoit marqué. Les thefes le répandirent dans toute 1'AUemagne avec une rapidité étonnante : on les lifoit avec une extréme avidité , &C chacun admiroit la hardieffe d'un homme qui ofoit révoquer en doute la plénitude de la puiffance des Papes, & attaquer lesDominicains, armés de toutes les terreurs de Pinquifition (a). (a) Lutheri opera , Jenae , löil , vol. i; praefat. 3 ,p. z , 66. Hifi. du Conc.deTren- 1510. II publie es thefes :omre les ndulgen:es.  1520. II eft foutenu par les Moines de fon ordre. te , par Fra-Paolo , p. 4. Seckend. Comm. e-poL p. 16, 164 L'HlSTOIRE Les Auguftins, dont Luther portoit 1'habit, quoique entiérement foumis au faint Siege , comme les autres ordres religieux, ne mirent aucun obltacle a la publication de fes nouvelles opinions, tant étoit grande I'autorité que Luther s'étoit acquife parmi fes confrères, par fon favoir 8c par fes mceurs. II faifoit toujours profefïion de refpeöer I'autorité du Pape, & il étoit lincere alors. Comme il fubfifte entre les différents ordres religieux de l'Eglife Romaine une inimitié fecrete, qui a fa fource dans 1'intérêt 8c la jaloufie, les Auguftins étoient fort contents des invecfives de Luther contre les Dominicains, 8c ils fe flattoient de voir bientöt leurs rivaux devenir 1'objet du mépris 6c de la haine du peuple. De fon cöté, l'Eleöeur de Saxe, le plus fage Prince qu'il y eut alors en Allemagne, 8c dont Luther étoit fujet, n'étoit pas faché que eet obftacle vint traverfer la publication des indulgences. II encourageoit fecrete-  de Charles Qi int. 165 ment le projet de Luther , 6c fe flattok que cette difpute, qui s'échauffoit entre des eccléïiaftiques , pourroit mettre quelques hornes aux exactions de la Cour de Rome, que depuis long-temps les Princes féculiers s'étoient vainement efforcés de réprimer. Luther vit bientöt s'élever contre lui plufieurs adverfaires zélés, qui chercherent a défendre des opinions fur lefquelles étoient fondées la puiffance & ïa richefle de la Cour de Rome. Tetzel publia des contrethefes a Francfort-fur-l'Oder: Eccius , ce célebre théologien d'Augsbourg, fit fes efforts pour réfuter les principes de Luther; 6c Prieras, moine Dominicain, maitre du facré Palais 6c Inquifiteur-général , écrivit contre lui avec tout le fiel d'un champion de 1'école. Mais la méthode ?[u'ils fuivirent dans cette controvere, fervit mal leur caufe. Luther attaquoit les indulgences par des arguments, ou fondés fur la raifon, ou tirés de 1'écriture; &c fes adverfaires ne lui oppofoient que les opinions des fcholaftiques, les préceptes du droit canonique 6c les décrets 1520. Plufieurs ihéologiens êcrivent contre lui,  ( mais comme ce projet étoit loin de fa penfée > & qu'il témoigna long-temps le plus grand refpecf pour le Pape , qu'il réitéra même plufieurs fois les offres de fe foumettre a fes décifións, il ne paroiffoit pas qu'on dut craindre de Ie voir un jour fe porter k une révolte ©uverte. On le laiffa donc avancer pas k pas, & miner lentement Ia «onflitution de l'Eglife : on fentit a I ij  I9Ó L'HlSTOIRE 1520. Recherche des caufes qui ont avancé les ■progrès de la réformation. la fin la nécefilté d'arrêter le mal; mais le remede vint trop tard pour produire aucun effet. Quelques avantages que la caufe de Luther ait retirés des fauffes démarches de fes adverfaires 8c de la prudence de fa conduite , il ne faut pourtant pas attribuer a ces deux feules caufes les rapides progrès 8c 1'établiffement de fa doclrine. La même corruption, qu'il condamnoit dans le clergé de Rome , avoit été attaquée long-temps avant fa naiffance , &c les mêmes opinions qu'il répandoit avoient été pubüées en divers lieux , 8c foutenues des mêmes argu. ments. Valdus , dans le douzieme fiecle , Viclef, dans le quatorzieme, 8c Jean Hus, dans le quinzieme, avoient fucceffivement attaqué les erreurs de FEglife Romaine avec beaucoup de hardieffe, 8c les avoient réfntées avec plus de fcience 8c d'adrefle qu'on n'avoit lieu d'en attendre des fiecles d'ignorance oii ils vivoient. Mais toutes ces tentatives de réforme échouerent, paree qu'elles étoient prématurées. Ce ne furent que des lueurs foibles, incapables de  de Charles-Quint. 197 diflïper les ténebres profondes dont l'Eglife étoit alors couverte, & qui s'éteignirent bientöt; fi la doctrine tle ces hommes pieux fit quelque impreflion &c laiffa quelques traces dans les pays oh elle fut enfeignée , elles ne furent ni profondes, ni étendues. De leur temps , plufieurs des caufes qui faciliterent les progrès de Luther, ou n'exiftoient point encore, ou n'agirent point dans toute leur force : au-lieu que Luther parut dans un moment de crife & de maturité, oh des circonfiances de toute efpece concoururent au fuccès de toutes fes entreprifes. La longue durée du fchifme fcandaleux qui divifa l'Eglife pendant le quatorzieme fiecle & le commencement du quinzieme, affoiblit beaucoup les idéés de vénération & de refpeét fous lefquelles le monde étoit accoutumé a confidérer la dignité papale. Deux ou trois Pontifes, errant a la fois dans 1'Europe , flattant les Princes qu'ils vouloient gagner, opprimant les pays qui reconnoiffoient leur autorité, excommuniant & chargeant de malédi&ion leurs riI iij ' Long fchifme dans le quatorzieme fiecle»  IJ 20. Pontificat c'Alexan<ïre VI & de Jules II. I9S L' H I S T O I R E vaux & tous ceux de leur parti, décréditerent finguliérement leur infaillibilité prétendue, & expoferent au mépris &c leur perfonne & leur dignité. Les laïques, au tribunal defquels toutes les parties en appelloient, apprirent par-la qu'il leur reftoit encore quelque droit de s'en rapporter a leur propre jugement, & exercerent cette liberté jufqu'a choifir parmi ces guides infaillibles, celui qui leur plaifoit le plus. Les adres des conciles de Conftance & de Bale , augmenterent de plus en plus ce mépris pour le fiege de Rome ; & par 1'ufage hardi qu'ils firent de leur autorité, en dépofant & en élifant les Papes, ils apprirent a 1'univers qu'il étoit dans l'Eglife une jurifdiérion fupérieure a I'autorité papale, qu'on avoit long-temps regardée comme fuprême. La bleffure que recut a cette occafion I'autorité des Papes, n'étoit pas encore fermée, lorfque les pontificats d'Alexandre VI & de Jules II, qui furent des Princes habiles , mais des Eccléfiaftiques déteftables, exciterent un nouveau fcandale dans toute  de Charles-Quint. 199 Ia chrétienté. Le libertinage du premier dans fa vie privée, les fraudes , les injuftices 6c les cruautés de fon adminifiration publique, Font fait mettre au rang des tyrans qui ont le plus déshonoré la nature humaine. Le fecond, quoique exempt des paffions odieufes qui avoient fait commettre a fon prédéceffeur tant de crimes revoltants, s'abandonnoit aux impuifions d'une ambition effrénée, qui méprifoit tous les droits de la reconnoiffance , de la décence &c de la juftice, dès qu'ils traverfoient 1'exécution de fes deffeins. II étoit difïïcile de refter convaincu que la connoiffance infaillible d'une religion dont les premiers préceptes font la charité 6c 1'humanité, fut dépofée dans le cceur de 1'impie Alexandre , 6c de 1'infolent Jules. L'opinion de ceux qui mettoient I'autorité d'un concile général au-defius du Pape, fit de grands progrès fous ces deux pontificats. L'Empereur 6c les Rois de France, qui fe trouverent alternativement aux prifes avec la Cour de Rome, permirent a leurs fujets, de s'élever contre les vices de ces I iv  Mceürs corTompues du etergé. t (a) La corruption du clergé avant la reformation , eft avouée par un auteur qui 200 L'HlSTOIRE Pontifes entreprenants avec toute la violence & toute 1'amertume de la fatyre; de forte que les oreilles des peuples accoutumées aux invectives contre les Papes, ne furent point choquées des déclamations hardies, W des railleries de Luther & de fes feclateurs contre l'Eglife de Rome. Ces excès n'étoient pas particuhers au Chef de l'Eglife. La plupart des chefs du clergé, tant régulier que féculier, étant des cadets de families nobles, qui n'avoient choifi 1'état eccléliaftique que dans I'efpérance d'arriver aux grandes dignités, & d'e» pofléder les revenus, étoient accoutumésa négligertotalement les devoirs Je leurs places, & fe livroient fans réferve a tous les vices qui font les fuites ïaturelles de 1'opulence & de 1'oifivelé. Alegarddu bas clergé, fapauvreté 'empêchoit d'imiter le luxe difpeniieux de fes prédéceffeurs; mais fon ignorance groffiere&fes débauchescraauleufes le rendoient auffi méprifable pie les premiers étoient odieux (a)  de Charle s-Q ijint. 101 La loi du célibat, cette loi rigoureufe & contre nature qui affujettiffoit tous les ordres , caufa tant d'excès , qu'en plufieurs endroits de 1'Empire , on fe vitobligé, non-feulement de permettre, mais même d'ordonner aux Prêtres le concubinage. L'emploi d'un remede li contraire a 1'efprit du chriftianifme , *efi la preuve la plus forte de la multitude & de 1'énormité des crimes qu'on vouloit arrêter par ce moyen. Long-temps avant Ie feizieme fiecle , plufieurs auteurs célebres &c refpecfables avoient fait des mceurs diffolues du clergé, des peintures qui étoit bien en état den juger, & dont 1'aveu n'eft certainement pas fiifpeét. n Quel» ques années avant les héréfies de Luther « SideCalvin, dit Beliarmin, il n'y avoit » plus , fuivant les témoignages de tous » les auteurs contemporains , ni févérité » dans les tribunaux eccléfialliques, ni dil11 cipline dans les mceurs du clergé , ni « connoiffance des fciences facrées , ni ref» peét pour les chofes divines; il ne reftoit v enfin prelque plus de religion ". Bellarmin, Concio XXVIll. oper. torn. 6, col, 2.96, èdit. Colon. 1617, apud Geidefii hifi. Evang. rmovati; vol. i, p. 25. I V 1510.  201 L' H ISTOIRE Daroiffent orefaue incrovables dans 1520. Centum gravamina. Nat. Germart.' in fafciculo rer. expet. & fugiend. per Or~ tuinum Gratium, vol. l, p. 361. Voy. un grand nombre d'autres paffages fur le même fujet, dans 1'Appendice/ou II'. vol. publié par Ed. Brown. Voyez auffi Herm. Vonder Hardt, hifi. litt. reform, pars 3 , & les volumineufes collecïions de Walchius, dans fes quatre volumes de Monimenta Medii AZvi. Gotting. 1767. Les Auteurs que j'ai cités, font 1'énumération des vices du clergé. Lorfque les Eccléfiaftiques ne craignoient pas de commettre des crimes, ils ne devoient pas être fort fcrupuleux fur la décence. Une conduite fi contraire au caraétere de leur profeffion , paroit avoir excité une indignation générale. Pour le prouver, je vais tranfcrire le paflage d'un auteur qui ne fe propofoit pas d'attaquer les déréglements des Prêtres , & qu'on ne peut pas foupyonner d'avoir exagéré les chofes par prévention ou par artifice , pour les rendre odieux. L'Empereur Charles IV, dans une lettre qu'il écrit a 1'Archevêque de Mayence, en 1359, & oü il 1'exhorte a réfortner les défordres du clergé , s'exprime en ces termes : De Chrifii patrimonio , ludos , hafiiludia & torneamenta exercent ; habitum miliiarem turn prxtextis uitreis & argenteis le notre () Rymer , Fader. vol. 13 , p, 532* (c) Centum gravarn, §. 31. 15 ZO,  1520. Ufurpations du cl rgé fur la jurifjiction civile. ( K iij 1520. Vénalité de la Cour de Rome,  ijao. Elle abforboit tout Fargent des autres nations. 112 L HlSTOIRE produite par ce commerce facrilege. En efFet, les fommes d'argent que la Cour de Rome tiroit des impolitions réglées & légales fur tous les pays qui reconnoiffoient fon autorité, étoient fi confidérables, qu'il n'eff pas étrange qu'on murmurat de 1'addition la plus légere qu'on entreprenoit d'y faire fans néceffité apparente ou par des moyens illicites. Chaque EccléfiafHque, qui entroit en poffeffion d'un bénéfice, payoit au Pape 1'annate, ou la première année du revenu ; & comme cette taxe étoit levée avec la plus grande rigueur, le produit en étoit prodigieux. II faut ajouter a cela les dons gratuits, que les Papes demandoient fréquemment au clergé , & les perceptions extraordinaires du dixieme fur les revenus eccléfiaftiques , fous prétexte de croifades contre les Turcs , qu'on mettoit rarement en exécution , & que fouvent on n'avoit pas même le deffein d'entreprendre : en raffemblant tous ces objets, on voit quelle étoit 1'immenfité des revenus qui alloient continuellement s'engloutir dans Rome.  de Charles-Quint. 113 On peut juger par-la de la dépravationdes mceurs du clergé, de 1'excès de fes richeffes, de fes privileges Sc de fon pouvoir avant la réformation ; du defpotifme de la domination que les Papes exercoient fur Ie monde chrétien, & de Fidie qu'on en avoit en Allemagne au commen» cement du feizieme fiecle. Je n'ai point copié ce tableau d'après les écrivains polémiques de ce fiecle ; on pourroit les foupconner d'avoir exagéré, dans la chaleur de la difpute, les erreurs de l'Eglife qu'ils vouloient renverfer , ou les vices de ceux qui la gouvernoient. Je 1'ai formé fur les pieces les plus authentiques, d'après les regifires Sc les remontrances des dietesde 1'Empire, oiil'on trouve une énumération froide Sc tranquille des abus dont 1'Empire fe plaignoit, Sc dont il demandoit la réforme. Quand on voit ces graves affemblées s'exprimer avec tant d'aigreur Sc de reffentiment, Sc demander avec tant de force l'abo.'ition de ces abus énormes, on peut bien croire que le peuple faifoit éclater fon reffentiment Sc fes plaintes avec encore plus d'audace & d'amertume. K iy 1520. * EfFets réunis de toutes ces caufes.  214 L'HlSTOIRE Fn s'arlrpfTant p rlpc UmmM C K;<<» * 1520. Les peuples étoient préparés a embraffer les opinions de Luther. Et a excu- fer fes défauts. difpofés a fecouer le joug de la Cour de Rome, Luther étoit prefque fur du fuccès. Après avoir fi long-temps fenti la rigueur intolérable de ce joug, ils recurent avidement la propofition qu'on leur fit de les en affranchir. Auffi les opinions nouvelles furentelles accueillies avec beaucoup d'ardeur & de joie, & fe répandirentelles avec une rapidité prodigieufe dans toutes les Provinces de 1'Allemagne. L'impétuofité & la violence du caraftere de Luther, la confiance avec laquelle il débitoit fa doörine, 1'arrogance &c Ie mépris avec lefquels il traitoit tous ceux qui ne penfoient pas comme lui, ont été regardés, dans des fiecles ou les mceurs ont plus de modération & de politeffe, comme des défauts qui flétriffent la mémoire de ce réformateur; mais ces défauts ne choquerent point fes contemporains, dont les efprits étoient violemment agités par ces controverfes intéreffantes ; d'ailleurs, ils avoient eux-mêmes éprouvé toute la rigueur de la tyrannie papale, que Lujher vouloit détmire, &c avoient  de Charles-Quint. 12.5 été témoins de toute la eorruption de l'Eglife , contre laquelle il fe déchainoit. Ils ne furent choqués ni des injures groffieres, dont fes écrits polémiques font remplis, rai de cette baffe bouffonnerie qu'il mêloit quelquefois aux difcours les plus graves. Dans ces fiecles encore barbares, on affaifonnoit d'inveclives toutes les difputes , Sc 1'on employoit la plaifanterie dans les fujets les plus facrés Sc dans les occafions les plus folemnelles. Ce mauvais goüt de fatyre Sc de raillerie, loin de nuire a la caufe de Luther, contribuoit autant que les meilleures raiibns a faire fentir aux peuples les erreurs du Papifme, Sc k les déterminer a y renoncer. A ces circonfTances favorables, qui naiffoient de la nature même de 1'entreprife Sc des conjonctures oii elle fut formée , il s'en joignit encore d'étrangeres Sc d'accidentelles, dont Luther fut tirer avantages, Sc qui ne s'étoient point offertes a ceux qui I'avoient précédé dans la même carrière, Une des plus heureufes fut 1'inK v 1520. Invention de 1'imprimerie. Son influence fur les progrès de la réformation.  21(5 L'HlSTOIRE 1520. Effets de la renaiffance des lettres. vention de rimprimerie , qui 1'avoit devancé d'un demi-fiecle. Cette importante découverte avoit merveilleufement facilité & 1'acquifition & la propagation des connoiffances; elle répandit rapidement dans toute 1'Europe les ouvrages de Luther, qui, fans ce fecours, n'auroient pénétré que lentement & fans aucun effet dans tous les pays éloignés. Au-lieu de n'être lus que des favants & des riches, les feuls qui avant cette époque puffent fe procurer des livres, fes ouvrages fe multiplierent alors dans les mains du peuple, qui, flatté de cette forte d'appel a fon jugement, fe permit d'examiner & de rejetter des dogmes, qu'on lui avoit auparavant ordonné de croire , fans lui permettre même de les entendre. La renaiffance des lettres , dans le même période, fut encore une circonffance extrêmement favorable aux progrès de la réformation. L'étude des anciens auteurs Grecs & Latins, la connoiffance des beautés folides & du bon goüt qui regnent dans leurs ouvrages, réveillerent 1'efprit humain de la lethargie profonde oü.  de Charles-Quint. 117 il étoit enfeveli depuis plufieurs fiecles. Les hommes parurent avoir retrouvé tout - a - coup la faculté de penfer &c de raifonner , dont ils avoient depuis fi long-temps perdu 1'ufage. Jaloux de mettre k profit ces nouveaux moyens, les efprits s'exercerent avec liberté fur toutes fortes d'objets. Ils ne craignirent plus de s'engager dans des routes inconnues, ni d'embraffer des opinions nouvelles. La nouveauté fut même alors un mérite de plus dans une doftrine; & loin de s'effrayer, lorfque Luther d'une main hardie écarta ou déchira le voile qui couvroit des erreurs accréditées, on applaudit a fon audace, & on la feconda. Quoique Luther ignorat abfolument Part d'écrire avec élégance & avec goüt, il ne laiffa pas d'encourager avec zele 1'étude de la littérature ancienne ; fentant lui-même combien cette étude étoit néceffaire pour bien entendre 1'Ecriture-fainte, il avoit porté affez loin la connoiffance du Grec & de 1'Hébreu. Melanchton, & quelques autres de fes difciples, firent de grands progrès dans les belles - lettres. Ces K vj 1520.  1520. il8 L'HlSTOIRE mêmes moines, ignorants & barbares, qui avoient toujours fait tous leurs efforts pour empêcher les fciences de pénétrer en Allemagne, étoient auffi ceux qui s'étoient déclarés avec le plus de force contre les opinions de Luther; & ils foutenoient que 1'accueil favorable que recevoit fa dodtrine , étoit un des funefies effets du progrès de la Iittérature. La caufe des lettres & celle de Ia réforme furent donc regardées comme étroitement liées enfemble , & trouverent dans tous les pays des amis &c des ennemis communs ; ce fut auffi ce qui donna aux réformateurs tant d'avantage dans Ia controverfe fur leurs adverfaires. L'éruditiori, I'exactitude, la jufteffe de la penfée, la pureté de fiyle, Ie bel efprit même & la plaifanterie, furent toujours du cöté des réformateurs, & les firent aifément triompher de moines ignorants, dont les raifonnements groffiers , exprimés dans un fiyle barbare & embarraffé , n'étoient gueres propres è défendre une caufe, dont tout I'art & toute 1'adreffe de fes plus modernes & plus favants dé-  de Charles-Quint. 229 fenfeurs n'ont pu déguifer les erreurs ' Sc la foibleffe. Cet efprit d'examen Sc de recherche , que la renaiffance des lettres réveilla en Europe, fut fi favorable a la réforme, que les perfonnesmêmes , qui ne prenoient aucun intérêt aux fiiccès de Luther, 1'aiderent néceffairement dans fon entreprife, en difpofant les efprits a recevoir fa doctrine. La plupart des hommes d'efprit, qui s'appliquoient a 1'étude de la Iittérature ancienne „ vers la fin du quinzieme fiecle &c le commencement du feizieme, fans avoir le projet, ni même le defir de renverfer le fyfiême de religion établi, avoient vu 1'abfurdité de plufieurs opinions, Sc de pratiques autorifées par l'Eglife , Sc avoient fentï toute la foibleffe des arguments avec lefquels des moines fans lettres s'efforcoient de les défendre. Le profond mépris qu'ils fentoient pour ces ignorants défenfeurs des erreurs recues, les engagea plus d'une fois a tourner en ridicule ces mêmes erreurs, avec autant de liberté que de févérité. Lsurs premiers effaispré- 1520»  1-520. (*) Gerdefius , hifi. Evang. renov. volj i, p. 141, 157. Seckend. lib. i,p. 103. ,Vonder Hardt, hifi. litterar, reform, pars > 230 L'HlSTOIRE - parerent les hommes aux attaquesplus férieufes de Luther , & affoiblirent fenfiblement le refpecl qu'ils avoient pour la doctrine & la perfonne de fes adverfaires. C'eft ce qui arriva fur-tout en Allemagne. Lorfqu'on y fit les premières tentatives pour ranimer 1'étude de Pantiquité, les Eccléfiafiiques de cette contrée, plus ignorants encore que leurs confrères Ultramontains, s'y oppoferent avec tout le zele & toute 1'aclivité dont ils étoient capables; de leur cöté, les partifans des nouvelles études attaquerent leurs adverfaires avec la plus grande violence; Reuchlin, Hut- - ten, & les autres restaurateurs des lettres en Allemagne , fe font élevés contre les abus & la corruption de l'Eglife Romaine, avec une amertume de ftyle qui ne le' cede guere a celle qui diftingue les écrits de Luther même (). Différentes circonftances empêcherent cependant Erafme de fuivre Lu-  de Charles-Quint. 133 thér dans la même carrière; il étoit d'un caraétere naturellement timide, & il manquoit de cette force d'ame qui peut feule déterminer un homme a s'annoncer pour réformateur : plein de déférence pour les Grands & les hommes en place, il craignoit furtout de perdre les penfions & les autres avantages qu'il avoit recus de leur libéralité; il aimoit la paix, & attendoit du temps & de la douceur, la réforme fuccelïïve des abus. Tout en un mot 1'engageoit a réprimer, a modérer du moins le zele qui 1'avoit d'abord animé contre les erreurs de l'Eglife (> n'en eut pas détruit 1'effet par des fauj> tes impardonnables. Mais quand il n'y » auroit rieu a reprendre dans fes écrits, j) je ne me fuis jamais fenti difpofé a mou» rir pour la vérité. Tous les hommes » n'ont pas re5ti le courage néceffaire pour » être martyrs ; 6i fi j'euffe été mis a 1'é- 1520.  IJ 2.0. 234 L'HlSTOIRE le caraftere de médiareur entre Luther Sc fes adverfaires. Mais quoique Erafme n'eüt pas tardé a blamer le caradere trop audacieux & trop fougueux de Luther, & qu'a la fin ©n r'eütmêmedéterminé a écrire contre ce réformateur, il n'en doit pas moins être regardé comme fon précurfeur Sc fon allié dans cette guerre déclarée contre l'Eglife. Ce fut lui qui jetta les premières femences, que Luther fut féconder Sc miirir. S^s raifleries Sc les traits indiredls de fa fatyre, préparerent la voie aux attaques direcïes Sc aux invectives de Luther. C'efi 1'idée que fe font formé d'Erafme, les zélés pnrtifans de l'Eglife Romaine, qui vivoient de fon temps («); Sc c'eft celle que doit en prendre quiconque approfondira 1'hiftoire de cette époque. Dans la longue énumération que je viens de faire des circonftances qui » preuve, ie crains bien que je n'euffe fait 3> comme Saint Pierre ". Epift. Era/mi , In Jorün's life of Erafm. vol. 1 , p. 173. (a) Von der Hardt , Hifi. litterar. reform, pars 1, pt 2.  de Charles-Quint. 235 concoururent a favorifer le progrès des opinions de Luther, ou a affoiblir la réfiftance de fes adverfaires, j'ai évité d'entrer dans aucune des difcuffions des dogmes théologiques du papifme, & je n'ai point effaye de prouver qu'ils étoient contraires k 1'efprit du chriftianifme, & qu'ils n'avoient aucun fondement folide nï dans la raifon , ni dans 1'écriture , ni" même dans la difcipline de la primitive Eglife. Je laiffe aux hiftoriens. Eccléffaftiques k traiter ces fujets,, qui font proprement de leur reffortv Mais quand on ajoute 1'effet de ces, confidérations tirées de la religion k 1'influence des caufes politiques , on ne doit plus s'étonner de rimpreffiori foudaine 6i vidf orieufe que dut faire fur 1'efprit humain 1'action de ces deux forces reünies. Les contemporains de Luther étoient peut-être trop voifins de la fcene, ou y étoient trop intéreffé pour en voir diflindtement les caufes, & pour les examiner de fang froid. Quelques-uns ne pouvant expliquer les progrès rapides de cette révolution, 1'attribuoient k une forte 1520..  23 6 L'HlSTOIRE 1JÏO. Déiibérations de la diete de ^V*crins, (a) Jovius, hiftor. Lut. 1553, fol, p. »34. de fatalité extraordinaire (a) , qui répandoit dans Punivers un eiprit de vertige & d'innovation : mais il eft évident que le fuccès de la réformation fut 1'effet naturel de plufieurs caufes, qu'une providence particuliere avoit préparées, & qui, par un heureux concert, concoururent toutes au même but. J'efpere que les recherches ou je fuis entré pour jetter quelques lumieres fur un événement fi fingulier & fi important, & pour en découvrir les caufes, ne feront pas regardées comme une digreffion inutile : je vais reprendre le fil de mon hiffoire. La diete de Worms continua les délibérations avec toute la lenteur &c toutes les formalités ordinaires dans ces fortes d'affemblées. On employa beaucoup de temps a faire quelques réglements pour la police intérieure de l'Empire. La jurifdiöion de la chambre impériale fut confirmée , & 1'on mit plus de régularité & de  de Charles-Quint. 2.37 méthode dans les formes de fes procédures. Un confeil de régence fut nommé pour aider Ferdinand dans le gouvernement de 1'Empire pendant les abfences de 1'Empereur, que 1'étendue de fes donnaines 8c la multiplicité de fes affaires ne pouvoient manquer de rendre fréquentes (a). On procéda enfuite a examiner 1'état adf uel de la religion. Charles ne manquoit pas de motifs pour fe déclarer le proteöeur de la caufe de Luther, ou du moins pour en favorifer fecretement les progrès. S'il n'eüt pas poffédé d'autres domaines que ceux qu'il avoit en Allemagne , & d'autres Couronnes que celle de 1'Empire , il eut pu être difpofé a favorifer un homme qui défendoit avec tant de hardieffe des privileges 8c des immunités pour lefquels 1'Empire avoit lutté fi long-temps contre les Papes; mais les projets inquiétants 8c valles que Francois I formoit contre lui, le mirent dans la (a) Pont. Heuter. rer. avft. lib. 8 , e. a, /7/185. Pfeffel, air. chion. d'Aüem. 1520. Vues de 1'Empereur a 1'égard de Luther.  IJ 20. Luther eft fommé de comparoicre. O) P. Martyr, Ep. 722. 238 L'H-ISTOïRE néttffité de régler fa conduite fur des vues plus étendues que celles qui auroient pu diriger un Prince d'AHemagne; comme il étoit pour lui de la dernier importance de s'alfurer de 1'amitié du Pape , cette raifon le détermina a traiter Luther avec une grande févérité; & il crut que c'étoit le moyen le plus fur d'engager Ie Pape a fe joindre a lui. Dans cette vue, il eut été très-difpofé a fatiffaire les defirs des Légats d'Allemagne, qui demandoient, que, fans délai ni formalités préliminaires, la diete condamnat un homme que le Pape avoit déja excommunié comme hérétique. Cependant cette forme violente de procéder ayant paru aux membres de la diete, inouie & injufle, ils déciderent que Luther feroit ajourné a comparoitre , & viendroit déclarer s'il adhéroit ou non aux opinions qui avoient attiré fur lui les cenfures de l'Eglife L'Empereur &c tous les Princes, fur le territoire defquels il devoit paffer s  DE CH ARLES-CjUINT. 239 lui donnerent un fauf-conduit, & Charles lui écrivit en même-temps de fe rendre promptement a la diete , en hu renouvellant la promeffe de le garantir contre toute forte d'infulte & de violence (a). Luther n'hélita pas un inflant a obéir, &c partit pour Worms, fuivi du héraut qui lui avoit apporté la lettre & le faufconduit de TEmpereur. Tous les amis qu'il trouva fur fa route , allarmés par le fort de Jean Hus, qui s'étoit trouvé dans les mêmes circonftances, & que le fauf-conduit de 1'Empereur n'avoit pu défendre , n'épargnerent ni confeils, ni infrances pour 1'empêcher de fe précipiter gratuitement au milieu du péril. Mais Luther, fupérieur a toutes ces craintes, les réduifit au filence en leur difant: » Je » fuis légalement fommé de compa*> roïtre a Worms, & je m'y rendrai » au nom du Seigneur, duffé-je voir wconjurés contre moi autant de dé» mons qu'il y a de tuiles fur les » toits des maifons (£). (a) Luther. oper. lib. 2 , p. 411„ (b) Luth. oper. 2, p. 41a. 15 20» 6 Maffe  IJ 20. Sa récep tion a Worms. (a) Seckend. 156. Luth. oper. 2 , p. 4141 140 L'HlSTOIRE L'accueil qu'on lui fit a Worms auroit pu fuffire pour le récompenfer de tous fes travaux, fi la vanité 6c 1'amour des applaudiffements euffent été les motifs qui le faifoient agir. Une plus grande multitude de peuple fe raffembla pour le voir, qu'il n'y en avoit eu k 1'entrée publique de 1'Empereur. Son appartement étoit rempli tous les jours de Princes 6c de perfonnes (a) de la première diftinction, 8c il fut traité avec tout le refpecl qu'on rend a ceux qui ont le talent de fubjuguer la raifon 8c de maitrifer 1'efprit des hommes : hommage bien plus fincere 6c bien plus flatteur que celui qu'impofe la prééminence du rang ou de la naiffance. Lorfqu'il parut devant la diete, il fe conduifit avec autant de décence que de fermeté ; d'un cöté, il avoua fans détour , qu'il avoit mit trop de véhémence 8c d'aigreur dans fes écrits de controverfe ; de 1'autre , il refufa de fe rétracf er, a  de Charles-Quint. 141 k moins qu'on ne lui prouvat la fauf- ' feté de fes opinions ; & il ne voulut admettre d'autre regie pour en juger, que la parole de Dieu même. Les menaces ni les inftances n'ayant pu lui faire abandonner cette réfolution, quelques Eccléfiaftiques propoferent de fuivre 1'exemple du concile de Conftance, de délivrer tout d'un coup l'Eglife de cette hérélie funefle , en puniffant 1'auteur , qui fe trouvoit en leur pouvoir. Mais les membres de la diete ne voulurent pas expofer 1'honneur des Allemands a de nouveaux reproches , par une feconde violation de la foi publique; Charles lui-même n'étoit pas difpofé a déshonorer les commencement de fon adminifiration par un adfe de violence; on permit donc a Luther de fe retirer en toute füreté(a). Mais quelques jours après fon E départ de Worms, on publia au ll nom de 1'Empereur & de la diete un édit févere , qui, le déclarant crimi- (a) Fra-Paolo, JJlor. del conc. Trid. Se» ckend. 160. Tornt III. L 1520. 16 Avril. dit contre» i.  On fe faifit de Luther pour Je ca•cheraWartbourg. U) Goldaft. confth, imper. U 2, pag. 408. 242 L' H I 5 T O I R E nel endurci Sc excommunié , le dépouilloit de tous les privileges dont il jouiffoit comme fujet de 1'Empire, avec défenfe a tous les Princes de lui donner afyle ou proteétion , Sc injon&ion de fe réunir tous pour fe faifir de fa perfonne, auffi-töt que le délai du fauf-conduit feroit expiré (a). Cet édit rigoureux demeura fans effet. L'exécution en fut traverfëe en partie par la multiplicité des affaires que fufciterent a 1'Empereur les troubles d'Efpagne, les guerres dltalie & des Pays-Bas, en partie par les fages précautions que prit 1'ElefteurdeSaxe, le protecfeur fidele & conftant de Luther. Celui-ci, k fon retour de Worms, paffant prés d'Altenftein, dans la Thuringe , une troupe de cavaliers mafqués fortirent tout-a-coup d'une forêt 011 PElefteur les avois mis en embufcade , environnerent Luther & fa compagnie; Sc après avoir congédié ceux qui I'ac*  de Charles-Quint. 243 eompagnoient, le conduifirent a Wart bourg, chateau qui n'étoit pas forl éloigné. L'EIecïeur ordonna qu'on lui fournït tout ce qui lui feroit néceffaire & agréable ; mais on tint le Keu de fa retraite foigneufement caché, jufqu'a ce que quelque changement dans les affaires de 1'Europe eüt appaifé la fureur de 1'orage qui s'étoit élevé contre lui. Pendant les neuf mois qu'il demeura dans cette folitude, qu'il appelloit fouvent fon Patmos, faifant allufion a 1'ifle oü 1'Apötre Saint Jean avoit été exilé.'il continua de défendre fa dodrine , & de réfuter celle de fes adverfaires avec fa vigueur & fon habileté ordinaire ; il y publia différents traités qui ranimerent le courage de fes feftateurs, que la difparition fubite de leur chef avoit d'abord extrêmement étonnés & découragés. Pendant fa retraite, fes opinions continuoient de faire du progrès, & dominoient déja dans prefque toutes les villes de Ia Saxe. Dans le même temps, les Auguftins de Wittemberg, animés par 1'approbation de 1 umve-rfité &z par la faveur fecrete L ij 1520, Progrès de fes opinions.  J520. Dêeret de 1'univeiïité de Paris contre les opinions de Luther. Henri VIII les réfute par écrit. 144 L' H I S T O I R E de 1'Elecfeur , halarderent le premier pas vers une innovation dans les formes établies du culte public , en aboliffant la célébration des MelTes baffes, & en faifant communier les laïques fous les deux efpeces. Luther fe confoloit dans fa prifon en apprenant le courage & le fuccès de fes difciples, ainfi que le progrès que faifoit fa doctrine dans fa patrie; mais fa joie fut cruellement troublée par deux événements , qui paroiffoient mettre des obftacles infurmontables a la propagation de fes principes dans les deux plus puiffants Royaumes de 1'Europe. Le premier, fut la condamnation de fa doctrine par un décret folemnel de 1'univerfité de Paris , la plus ancienne & la plus refpectable des fociétés favantes qui floriffoient alors en Europe : le fecond , fut la réponfe que publia Henri VIII, a fon livre fur la captivité de Babylone. Ce jeune Monarque avoit été élevé fous les yeux d'un pere foupconneux, qui pour l'empêcher de s'appliquer aux affaires , 1'avoit tenu occupé a 1'étude des lettres. II en avoit toujours confervé  DE C HARLE S-Q U I N T. 145 beaucoup plus de goüt pour 1'étude & d'habitude du travail, qu'on n'auroit dü 1'attendre d'un Prince , né avec un caraét ere fi acf if & des paffions fi violentes. Jaloux d'acquérir toute forte de gloire, paffionnément attaché a l'Eglife Romaine, irrité d'ailleurs contre Luther, qui avoit parlé avec le plus grand mépris de Thomas d'Aquin, fon auteur favori, Henri crut qu'il ne lui fuffiroit pas de déployer fon autorité royale contre les opinions du réformateur, il voulut encore les combattre avec les armes fcholaftiques. Ce fut dans cette vue qu'il publia fon traité des fept Sacrements , ouvrage qui eit oublié aujourdTmi, comme le font- tous les livres de controverfe, dés que 1'occafion qui les a fait naïtre eft paffee , mais qui n'eft pourtant pas dépourvu d'adrelfe & de fubtilité polémique. La flatterie de fes courtifans Pexalta comme un ouvrage oü brilloit tant de fcience & d'érudition, qu'il élevoit Henri VIII autant audeffus des autres auteurs par fon mérite littéraire, qu'il leur étoit fupérieur par fon rang. Le Pape, a qui L iij 15*0.  1520. Réponfe de Luiker. 246 L'HlSTOIRE le livre fut préfenté en plein confiftoire avec le plus grand appareil, en paria avec le refpect qu'il auroit eu pour un éerit diité par une infpiration divine : & pour marquer a Henri la reconnoiffance de l'Eglife pour fon zele extraordinaire , il lui donna le titre de Déftnfeur de la Foi, titre que le Roi perdit bientöt dans 1'efprit de ceux de qui il le tenoit, & qui eft refté a fes fucceffeurs, quoiqu'ils foient les ennemis déclarés de ces mêmes opinions, dont Ia défenfe 1'avoit mérité a Henri. Luther , qui n'étoit arrêté ni par I'autorité de 1'Univerfité de Paris, ni la dignité du Monarque Anglois, publia bientöt fes remarques fur le décret de 1'une, & fur le traité de 1'autre; & il les écrivit dan' un ftyle auffi violent & aulfi amer, que s'il n'eüt réfuté que le plus méprifable de fe« antagoniftes. Ses contemporains, loin d'être choqués de cette hardieffe indécente, Ia regarderent comme une nouvelle preuve de 1'intrépidité de fon caractere. Une difpute agitée par des adverfaires li illuftres ne fit qu'attirer davantage 1'attention ; & telle  ij 20. de Charles-Quint. 247 ttoit alors la contagion de 1'efprit d'innovation répandu dans toute 1'Eu¬ rope , telle étoit Ia force de raifonnement avec laquelle s'annonca d'abord la do&rine des. réformateurs, que, malgré les puiffances eccléfiaftique & civile conjurées contre elle, elle faifoit tous les joursdes profélites en France, &. même en Angleterre. Quelque defir qu'eüt 1'Empereur de mettre un terme aux progrès de Luther, il fut fouvent obligé , pendant tout le temps que dura la diete de "Worms, de s'occuper de matieres plus intéreffantes v& qui demandoient une attention plus preffante & plus férieufe. La guerre étoit prés d'éclater entre Francois Sc lui dans la Navarre, dans les Pays-Bas &, en Ifa* lie; Sc il falloit ou beaucoup d'habileté pour détourner le danger,ou beaucoup. de précautions pour fe préparer a une bonne défenfe. Tout, dans les conjoncfures actuelles , portoit Charles a préférer le premier parti. L'Efpagne étoit en proie aux faftions domeftiques.. En Italië, il ne s'étoit encore affuré aucun allié fur lequel il put compter. Dans les PaysL iv Etat des affaires entre Charles & Francais.  1J20. 148 L'HlST O I R E Bas , fes fujets frémiffoient a la feule idéé d'une rupture avec la France, rupture dont ils avoient plus d'une fois reffenti les funeftes effets pour leur commerce. Retenu par ces confidérations, & par les efforts que fit toujours Chievres, tant que dura fon adminiftration, pour maintenir la paix entre les deux Rois, 1'Empereur différoit, tant qu'il pouvoit, de commencer les hoftilités. Mais Francois 6c fes Miniftres n'étoient pas dans des difpofitionS fi pacifiques. Francois voyoit bien qu'il ne falloit pas compter fur la durée d'une union, que 1'intérêt, la rivalité & 1'ambitioh tehdoient fans ceffe a troubler; & il jouiflbit de plufieurs avantages qui lui donnoienf 1'efpérance de furprendre fon rival, & de 1'accabler avant qu'il put fe mettre en état de lui réfifter. Un Royaume comme la France , dont les Etats étoient réunis 6c contigus, ou I'autorité royale étoit prefque abfolue, oii le peuple aimoit la guerre & étoit attaché k fes Rois par tous les liens du devoir & de 1'afFeétion, étoit bien plus propre k faire un grand 6c foudain ef-  de Charles-Quint. 149 fnrr. nuf 1f><: F.fats nlus vaftf"; _ maic défünis, de 1'Empereur, qui voyoit le peuple armé contre fes Miniftres dans une partie de fes domaines, & dans tous, fon autorité beaucoup plus limitée que celle de fon rival. Les feuls Princes qui euffent été affez puiffants pour calmer ou pour éteindre tout-a-fait 1'incendie dés fes commencements, ou négligerent de s'y employer, ou ne chercherent qu'a Pexciter & a 1'étendre. Henri VIII, en affecfant de prendre le titre de médiateur, & malgré les fréquents appels que les deux parties faifoient a fa décifion, avoit déja renoncé è 1'efprit d'impartialité qui convenoit au caraótere d'arbitre. "Wolfey, par fes artifices, 1'avoit entiérement aliéné du Roi de France; il fomentoit fecretement la divifion qu'il auroit dü appaifer, & n'attendoit plus qu'un prétexte décent pour joindre les armes de 1'Angleterre a celles de 1'Empereur (a).. (a) Herbert. Fiddes, 'lift of Wolfey; L v 1520. Henri VIII favorife 1'Empereur.  1520. Léon balance entre les deux rivaux. 25O L' H I S T O I R E Les efforts de Léon pour excite»la difcorde entre 1'Empereur & Francois I, furent moins cachés & plus efficaces. Son devoir, comme pere commun de la Chrétienté , & fon intérêt, comme Prince d'Italie, lui impofoient le röle de défenfeur de la tranquillité publique, & lui faifoient une obligation d'éviter toute démarche qui put détruire le fyftême politique, que tant de négociations & de fang répandu avoient enfin établi en Italië. Léon en effet avoit vu de bonne heure que c'étoit la conduite qu'il lui convenoit de fuivre; & dés 1'avénement de Charles a PEmpire, il avoit formé Ie projet de fe rendre arbitre entre les deux rivaux, en les üattant tour-a-tour, fans former avec aucun des deux une liaifon trop étroite. Un Pontife moins ambitieux & moins entreprenant que lui, eut pu, «n réglant conftamment fa conduite fur ce plan, fauver 1'Europe des malheurs qui la menacoient. Mais ce Pré* lat d'un efprit audacieux, encore dans la fougue de Page , brüloit du defir de fïgnaler fon pontifïcat par quelqu'entreprife éclatante. II étoit ini-  de Charles-Quint. 251 patiënt de fe laver de la bonte d'avoir perdu Parme Sc Plaifance. II voyoit avec un fentiment d'indignation, commun aux Italiens de ce fiecle, la domination étrangere établie au fein de 1'Italie, par des peuples Ultramontains, auxquels, a 1'imitation des fiers Républicains de 1'ancienne Rome, ils donnoient le non\ de peuples harbares. II fe flattoit, qu'en aidant un des deux Monarques a dépouiller. 1'autre des places qu'il polfédoit en Italië, il trouveroit enfuite les moyens d'en chafier le vainqueur a fon tour , & qu'il auroit, ainfi que Jules II, la gloire d'avoir rendu a 1'Italie la liberté & le bonheur dont elle jouiflbit avant 1'invafion de Charles VIII, lorfque chaque Etat étoit gouverné par fes Princes naturels & par fes propres loix, Sc n'avoit point encore fubi de joug étranger. Quelque chimérique que fut ce projet, ce fut 1'idée favorite de prefque tous les Italiens qui eurent du génie Sc de 1'ambition, Sc le but de toutes leurs entreprifes pendant une grande parti* du feizieme fiecle: ils fe repaiflbient du vain efpoir, que, L vj 1510.  If 10. (a) Guicciardini, /. 14, p. 173, 252 L' H I S T O I R E par leur fupériorité dans Part des négociations, & a force de rufes & de fineffes , ils viendroient a bout de triompher des efforts de peuples, plus grofliers qu'eux a la vérité, mais bien plus puilfants&plus belliqueux. Léon ie lailfa tellement féduire par cette efpérance, que, malgré la douceur de fes inclinations, & fon goüt pour les plaifirs de la molleffe & les recherches du luxe , il s'empreffa de troubler la paix de 1'Europe , & de s'engager dans une guerre dangereufe, avec une impétuofité prefqu'égale è celle du turbulent & guerrier Jules II (a). Léon avoit cependant la liberté de choifir entre les deux Monarques celui qu'il voudroit avoir pour ami ou pour ennemi. Tous deux recherchoient avec empreffement fon amitié: il balanca quelque temps entre les deux, & conclut k la fin une alliance avec Francois. L'objet de ce traité étoit la conquête de Naples, que les deux confédérés convinrent  de Charles-Quint. 253 de partager enfemble. Vraifembla- ' blement le Pape fe flattoit que la vivacité & 1'activité de Francois, fecondées par un peuple doué des mêmes qualités, auroient Favantage fur la Ienteur & la timide prudence des confeils de 1'Empereur, 6c qu'il feroit aifé de s'emparer de cette portion détachée de fes domaines, mal pourvue pour fa défenfe, & toujours la proie de celui qui 1'attaquoir. Mais foit que le Roi de France, en lailfant trop entrevoir fes foupcons fur la bonne foi de Léon X, eut affoibli dans 1'efprit de celui-ci 1'idée de$ avantages qu'il en efpéroit; foit que Ie traité que le Pape avoit fait avec lui ne fut qu'un artifice pour couvrir des négociations plus férieufes avec Charles; foit que Léon fütféduit par I'efpérance de retirer de plus grands avantages de 1'alliance de 1'Empereur; foit enfin qu'il füt prévenu en fa faveur par le zele qu'il avoit montré pour 1'honneur de l'Eglife, en condamnant Luther, il eft certain qu'il abandonna fon nouvel allié, «3c fit, quoique dans leplus grand fe- 1520.  ij 20. Léon fait un traité avec 1'Empereur, (a) Guiceiard. lib. 14, p. 175. Mém', ie du Bellay. (b) Jovius, vita Leonis, lib. 4, p. 89.' (c) Guiceiard. /. 14, p. 181. Mém. de du Bellay, p. 24. Dumont, corps diplom% torn. 4 , fuppl. p. 96, 254 L'HlSTOIRE cret,des ouverturesè 1'Empereur (a)> Dom Jean Manuel, le même qui avoit été le favori de Philippe, &l dont 1'adreffe avoit déconcerté tous les projets de Ferdinand, étantforti, a la mort de ce Monarque, de la prifon ou il 1'avoit fait enfermer , étoit alors Ambaffadeur de 1'Empire a la Cour de Rome. Perfonne n'étoit plus propre a profïter des difpofitions du Pape en faveur de fon maitre (P) ; la conduite de cette négociation n'avoit été confiée qu'a lui feul, Sc 1'on en déroba foigneufement la connoiffance a Chievres, qui, foigneux d'éviter tout fujet de guerre avec la France, n'auroit pas manqué de la rompre ou de la traverfer. Auffi 1'alliance entre le Pape & 1'Empereur fut-elle bientöt conclue (c). Les principaux articles de ce traité, qui devint la bafe de la grandeur de Char-  de Charles-Quint. suft les en Italië , fnrent que le Pape & 1'Empereur uniroient leurs forces pour chaffer les Francois du Milanès, dont on donneroit la jouiflance a Francois Sforce, fïls de Louis le More, qui avoit réfidé a Trente depuis que fon frere Maximilien avoit été dépoffédé de fes domaines par le Roi de France ; qu'on rendroit a l'Eglife les Duchés de Parme & de Plaifanee; que 1'Empereur aideroit le Pape a conquérir FeVrare ; qu'on augmenteroit le tribut annuel que le Royaume de Naples payoitaufaintSiege; que 1'Empereur prendroit fous fa protecf ion Ia familie de Médicis; qu'il feroit au Cardinal de ce nom une penfion de dix mille ducats fur 1'Evéché de Tolede, & qu'il affigneroit Ia même valeur en fonds de terre dans le Royaume de Naples, a Alexandre, fils naturel de Laurent de Médicis. Chievres, en apprenant qu'un traité d'une fi grande importance s'étoit conclu fans fa participation, ne douta pas qu'il n'eüt perdu fans retour 1'afcendant qu'il avoit confervé jufqu'alors fur 1'efprit de fon éleve. Le chagrin qu'il en relfentit. joint a la mé- Mort ès Chievres, favori & Miniflre de rEmpereur.  IJ 20. (a) Belcar. comment. de rel. gall. 483. (£) P. Heuter. rer. aujhiac. lit. 8, *» a - F« -7- 256 L'HlSTOIRE ' lancolie que lui donnoit 1'idée des calamités inévitables & multipliées qu'alloit entrainer une guerre contre la France, avanca , dit-on, le terme de fes jours (a). Cette conjecture n'eft peut-être qu'une imagination des hiftoriens, qui aiment a prêter des caufes extraordinaires a tout ce qui arrivé aux perfonnages illuftres, & qui vont jufqu'a attribuer leurs maladies & leur mort a Feffet des paffions politiques, qui troublent plus fouvent la paix de Ia vie qu'elles n'en abregent Ia durée. Ce qu'il y a da fur, c'eft que la mort du Gouverneur de Charles dans un moment fi critique, détruifit tout efpoir d'éviter une rupture (£) avec Ia France. Charles vit fans regret un événement qui le délivroit d'un Miniflre , dont I'autorité tenolt fon génie dans les fers : 1'habitude de lui obéir depuis fon enfance avec une déférence aveugte, le tenoit dans un état de mi-  de Charles-Quint. 257 flfinfe miï np rnnvennit nlns ni a fnn -j . .» — rang ni a fon age : délivré de cette contrainte, les facultés naturelles de fon ame prirent 1'effor, & il déploya dans le confeil & dans Pexécution, des talents qui furpafferent les efpérances de fes contemporains (a), & qui ont mérité 1'admiration de la poftérité. Tandis que le Pape & 1'Empereur, conformément a la fecrete alliance qu'ils venoient de former, fe difpofoient è attaquer Milan, les hoftilités commencerent dans une autre contrée. Les enfants de Jean d'Albret, Roi de Navarre, avoient fouvent demandé la reftitution de leur patrimoine, en vertu du traité de Noyon; Charles avoit toujours éludé leurs demandesfous divers prétextes : Francois fe crut alors autorifé par ce même traité a fecourir cette familie infortunée. Les circonftances paroiffoient des plus favorables pour cette entreprife. Charles étoit éloigné de cette partie de fes Etats; les trou- («) P. Martyr, tp. 73 j. 1510. Commencement des hoftilités dans la Navarre.  IJ-O- (a) P, Martyr, ep. yn. 2<,8 L'HlSTOIRE pes qu'il avoit coutume d'y entretenir, en avoient été retirées pour appaiferles foulevements de 1'Èfpagne; les mécontents de ce Royaume lollicitoient vivement Francois de s'emparer de la Navarre (a) , oü il trouveroit un parti confidérable qui n'attendoit que fon fecours pour fe déclarer en faveur des defcendants de fes anciens Rois. Francois, qui vouloit éviter , autant qu'il étoit poffible , d'offenfer 1'Empereur ou le Roi d'Angleterre , fit lever des troupes & commencer la guerr» , non pas en fon nom, mais au nom de Henri d'Albret. Le commandement des troupes fut donné a André de Foix de Lefparre, jeune homme fans talents Sc fans expérience, Sc qui n'avoit de titre pour obtenir cette diftinclion importante , que d'être allié de fort prés au Prince détröné pour lequel il alIoit combattre, Sc fur - tout d'être frere de la Comteffe de Chateaubriand , la maitreffe favorite de Francois. Comme il ne trouva point d'ar-  be Charles-Quint. 259 mée en campagne qui put Parrêter , il fe rendit maitre en peu de jours de tout le Royaume de Navarre,.. fans trouver dans fa marche d'autre obftacle que la citadelle de Pampelune. Les nouveaux ouvrages que Ximenès avoit fait commencer pour fortifier cette citadelle, n'avoient pas été achevés, & la foible réfiftance qu'elle fit ne mériteroit pas d'être remarquée dans 1'hiftoire , fi Ignace de Loyola, Gentilhomme Bifcayen, n'y avoit pas été dangereufement bleffé» Dans le cours d'un long traitement, Loyola ne trouva , pour charmer fon ennui y d'autre amufement que la lecture des vies des faints; 1'impreffion que cette leef ure fit fj*r fon efprit, naturellement porté a 1'enthoufiafme , & en même - temps ambitieux & entreprenant, lui infpira un violent defir d'égaler la gloire des héros fabuleux de l'Eglife Romaine : il fe jetta dans les aventures les plus extravagantes & les plus bifarres, qui aboutirent enfin a PinfHttition de la fociété des Jéfuites , celui de tous: les ordres monafiiques qui a été le plusjjolitique & le mieux gouverné , 1520. Progrès des Francois.  1520. ' I!s entrent dans Ia Caftille. 2ÓO L'HlSTOIRE & qui a fait le plus de bien & de mal au genre humain. Si après la rédudtion de Pampelune, Lefparre s'étoit contenté de prendre les précautions convenables pour affurer fa conquête , le Royaume de Navarre auroit pu refter en effet réuni a la Couronne de France; mais emporté par 1'ardeur de la jeuneffe , & encouragé par Francois que les fuccès éblouiflbient trop aifément , il fe hafarda k paffer les limites de la Navarre , & alla mettre le fiege devant Logrogno, petite ville de Caftille. Jufques-la les Caftillans avoient vu les progrès rapides de fes armes avec la plus grande indifférence; mais leur propre danger les fit fortir de eet état d'indolence, & les diffentions de 1'Efpagne étant prefqu'entiérement affoupies, les deux partis fe réunirent pour défendre a 1'envi leur patrie : les uns, afin d'effacer par des fervices adtuels la mémoire de leurs fautes paffées , les autres, pour ajouter a la gloire d'avoir réduit les fujets rebelles de 1'Empereur , celle de repouffer les ennemis étrangers. L'arrivée fubite des troupes Efpagnoles,  de Charles-Quint. 261 Jointe a la vigoureufe défenfe que firent les habitants de Logrogno , forcerent le général Francois d'abandonner fa téméraire entreprife. L'armée Efpagnole, qui groffiffoit tous les jours, le harcela dans fa retraite : & par une autre imprudence , au-lieu de fe retirer fous 1'abri du canon de Pampelune, ou d'attendre, pour livrer la bataille, la jon&ion des troupes qui marchoient a fon fecours, il attaqua les Efpagnols, malgré la fupériorité de leur nombre : il engagea Faction avec la plus grande impétuofité, mais avec fi peu de prudence & de conduite, que fon armée fut bientöt mife en déroute , & qu'il refèa lui-même prifonnier avec fes principaux officiers. L'Efpagne reprit la Navarre en moins de temps encore que les Francois n'en avoient mis a s'en emparer (a). Tandis que Francois s'efforcoit de juftifier 1'invafion de la Navarre , en la faifant paffer fous le nom d'Henri (a) Mém. dt du Bellay, p, ai. P. Mar» 1520, Ils font défaits&chafrfés de la Navarre. Les hoftill-. tés commencentdans les Pays-Bas,"  l61 L'HlSTOIRE ~ d'Albret, il avoit recours a un artifice du même genre, pour attaquer d'un autre cóté le territoire de 1'Empereur. Robert de la Marck, Seigneur de Bouillon, domaine peu comfidérable , mais indépendant, fitué fur les frontieres du Luxembourg & de la Champagne , avoit abandonné le fervice de Charles pour fe venger d'un attentat prétendu du confeil Aulique contre fa jurifdidion , & s'étoit jetté dans les bras de la France. Dans la chaleur de fon reffentiment, il fe laiffa aifément perfuader d'envoyer un Héraut a Worms pour y déclarer en forme la guerre ■k 1'Empereur. Une infolence fi extravagante de la part d'un fi petit Prince furprit Charles, & ne lui perin it pas de douter que le Roi de France n'eüt promis de puiffants fecours pour appuyer une telle entreprife. La vérité de cette conjecture fe vérifia bientöt. Robert, a la tête d'un corps de troupes, levé en France , de 1'aveu fecret du Roi, quoiqu'en apparence contre fes ordres, entra dans le Luxembourg ; & après avoir ravagé tous le plat Pays, alla  de Charles-Quint. 163 mettre le fiege devant Vireton.Char- ' ks fe plaignit hautement de cette invaiion, comme d'une violation ouverte de la paix qui fubfiftoit entre les deux Couronnes; & il fomma Henri VIÏI, en vertu du traité^conclu è Londres en 1518 , de prendre les armes contre le Roi de France, comme le premier aggreffeur. Francois prétendit qu'il n'étoit pas refponfable de la conduite de Robert, qui combattoit en fon propre nom &c pour fa propre querelle, & que c'étoit contre fes défenfes expreffes qu'on avoit enrölé quelques Francois ; mais Henri eut fi peu d'égard a ce fubterfuge , que le Roi de France , pour ne pas irriter un Prince qu'il efpéroit toujours de gagner, envoya ordre a Robert de la Marck de licencier fes troupes (a). Cependant 1'Empereur affembloit une armée pour chatier 1'infolence de Robert. Vingt mille hommes, commandés par le Comte de Naffau, (). Francois , a la tête d'une armée nombreufe , eut bientöt repris Mouzon ; il entra dans les Pays-Bas, & il y fit plufieurs conquêtes, mais de peu d'importance. Par un excès de précaution, faute qu'on n'eut pas fouvent a lui reprocher, il perdit prés f a) (Euvrcs de Branlome, ïome 6, p, ïl4. (•£) Mém. de du Bellay , f. 15 , &e. lome 11L M 1520. Levée da fiege.  i66 L'Histoire Ar> Valenciennes 1'occafion favorable Congrès a tjalais , fous la médiation de J'Angleterre. Aoüv. de couper la retraite a 1'armée impériale ; & ce qui fut d'une plus grande conféquence encore , il dégoüta de fon fervice le Connétable de Bourbon , en donnant au Duc d'Alencon le commandement de 1'avant-garde , quoique ce pofte d'honneur appartïnt a Bourbon, comme une prérogative de fa charge. Pendant les opérations de cette campagne , il fe tenoit un congrès a Galais, fous la médiation de Henri VIII, pour terminer a 1'amiable tous les différends. Si les intentions du médiateur euffent répondu a^ fes proteftations, les conférences n'auroient pu manquer de produire un bon effet; mais Henri avoit chargé Wolfey de toute la conduite de cette négociation ; & ce choix fuffifoit feul pour la faire échouer. Wolfey, toujours occupé du proj et d'obtemr la thiare, le grand objet de fon ambition , étoit pret a tout facrifier pour s'affurer la faveur de 1'Empereur ; & jl prenoit fi peu de foin pour cacher fa partialité , que Francois auroit refufé fa médiation, s'il n'avoit pas  de Charles-Quint. 167 eraint d'irriter le caraöere impérieux Sc vindicatif de ce miniftre. On employa beaucoup de temps a déterminer lequel des deux rivaux avoit commencé les hoflilités; "Wolfey affectoit de repréfenter eet article comme le point principal; Sc en faifaat regarder Francois comme 1'aggreffeur, il efpéroit de jufiifier, par Ie traité de Londres , toutes les alliances que pourroit faire fon maïtre avec Charles. On examina enfuite a quelles conditions on pourroit finir les hoflilités; mais les propofitions de 1'Empereur a eet égard fïrent bien voir ou qu'il avoit le plus grand éloignement pour la paix , ou qu'il favoit que Wolfey approuveroit tout ce qui feroit propofé en fon nom. II demandoit la reflitution du Duché de Bourgogne , Province dont la poffeffion lui auroit ouvert 1'entrée dans Ie centre de la France; Sc il vouloit être difpenfé de 1'hommage dü a Ia Couronne de France pour les Comtés deFlandres& d'Artois,hommage que n'avoit jamais refufé aucun de fes ancêtres , & qu'il s'étoit engagé lui-même a renouveller par le traité de Noyon. M ij 1520. [nutilité des conférences.  zóB L' H i s t o i r n Francois reietta avec dédain ces .1523. X/igue dc 1'Empereur & de Henri contre la France. .0) P. Martyr, Ep. 739. Herbert. propolïticns, que tout Prince fier &c généreux auroit eu de la peine a accepter, même après une guerre malheureufe. Charles, de fon cöté, ne montra pas plus de difpofition a fatisfaire le Roi de France fur la refiitution de la Navarre a fon Prinde légitime , &c fur le rappel des troupes impériales du fiege de Tournay; propoiitions cependant plus raifonnables & plus modérées que les premières. Ainfi le congres fe termina fans avoir produit d'autre effet, que celui qui luit ordinairement une négociation fans fuccès , d'aigrir les .partis qu'il devoit concilier (a). Pendant la durée des conférences, AVolfey., fous prétexte que 1'Empereur pourroit être plus difpofé que fes Miniftres .a confentir a des conditions ïaifoftnables, fe rendit a Bruges pour y voir ce Monarque. Charles qui connoiffoit fa vanité , le recut avec le même appareil & les mêmes égards que fi c'eüt été le Roi  de Charles-Quint. 269 d'Angleterre; mais au-lieu de faire fervir cette entrevue a 1'avancement du traité de. paix, Wolfey, au nom de fon maïfre, conclut une ligue contre Francois : les articles étoi°nt que Charles attaqueroit la France du cóté de 1'Efpagne , & Henri du cöté de la Picardie , chacun avec une armée de quarante mille hommes; & que pour cimenter leur union, Charles épouferoit la Princeffe Marie,. fille unique de Henri, & 1'héritiere préfomptive de fes Etats («). Henri ne put donner d'autres raifons de cette ligue, également injufte en ellemêtne , & contraire a fes intéréts poKtiques, qu'un article du traité de Londres , par lequel il fe prétendoit obligé a prendre les armes contre le Roi de France, comme le premier, aggreffeur; & Pinjure qu'il difoit que lui avoit fait le Roi de France, en fouffrant que le Duc d'Albanie , chef d unjjarti en Ecoffe, oppofé k fes intéréts , retournat dans ce Royaume. Mais il avoit été déterminé par (e Charles-Quint. 271 ces Provinces , & lui promettoit une retraite füre , en cas de revers. Tandis crue Charles attaqueroit une des frontieres de la France r Henri fe flattoit de trouver a 1'autre très-peu de réfifiance , &c croyoit que la gloi? re de réunir de nouveau a la Couronne d'Anglêterre Tanden patrimoine que poffédoient fes prédéceffeurs dans le continent, étoit réfervé a fon regne. Wolfey encourageoit encore fes efpérances chimériques, &Z employoit toute fon adreffe a faire adopter k fon maitre les vues qui feeondoient le mieux fes deffeins feciets; & les Anglois , dont 1'animofité héréditaire contre les Francois étoit toujours prête k fe réveiller a Ia première occafion, étoient bien éloignés de défapprouver les inclina-» tions guerrieres de leur Souverain. Cepeadant la ligue formée entre le Pape 5c 1'Empereur produifoit de ' grands événements en Italië , & avoit fait de la Lombardie le principal théatre de la guerre. II y avoit alors tant d'oppofition entre le caracfere des Francois & celui des Italiens , qu'il n'eft point de domination étrangere M iv 1520. Hofïififé* :n Italië.  171 L' HlSTOIRE " pour laquelle les Italiens ayent marqué tant de répugnance ik d'averlion, que pour la domination Francoife. Le phlegme Allemand &c la gravité Efpagnole s'allioient beaucoup mieux avec le caractere jaloux & les manieres cérémonieufes des Italiens, 011e la gaieté Francoife , trop portee è la galanterie, & trop peu atrentive aux bienféances. Louis XII cependant, par la douceur & 1'équité de fon gouvernement, & par les privileges qu'il avoit accordés au Milanès, privileges beaucoup plus étendus que ceux dont il jouiffoit fous fes Princes naturels , étoit venu è bout d'affoiblir fenfiblement leurs préventions , & de les récon:ilier avec le gouvernement Francois; mais Francois , en recouvrant ce Duché , ne fuivit point Fexemple de fon prédéceffeur : ce n'étoit pas qu'il ne fut Iui-même trop généreux pouropprimer fon peuple ; mais 1'exrrême confiance qu'il avoit dans lés favoris, & fon peu d'attention a la conduite de ceux a qui il remetfoit 1'exercice de fon autorité , les ennardirent a rif quer plufieurs acfes d'oppreffion.  de Charles-Quint. 273 II avoit donné le gouvernement de Milan a Oder-de Foix, Maréchal de Lautrec, frere de Madame de Chateaubriant, Officier d'une grande expérience &c d'une réputation diftin- fuée, mais hautain, impérieux, avie, incapable d'écouter un confeil 6c de fouffrir la contradiction. Son infolence &,fes exadtions aliénerent entiérement Ie cceur des Milanois : il avoit banni plufieurs des principaux citoyens, & forcé les autres a s'exiler eux-mêmes pour leur propre füreté. Du nombre de ces derniers étoit Jéröme Moron, vice-Chancelier de Milan , célebre par fon génie pour 1'intrigue & les projets, dans un fiecle 6c dans un pays ou les faéfions 6c les révolutions fréquentes faifoient naïtre ou fécondoient les talents de ce genre, par les occafions multipliées d'en faire ufage. Moron s'étoit retiré chez Francois Sforce, dont il avoit trahi le frere , Maximilien; 6i devinant que le Pape avoit intention d'attaquer le Milanès, quoique le traité fait a cette occafion avec 1'Empereur n'eüt pas encore été rendu public, il lui propofa, au nom de SforM v 1521. Les Milanois fe dégostent du gouvernement Francois.  .i;*ia 14 Juin. 174 L'HlSTOIRE ce , un plan pourYurprendre plufieurs places de ce Duché avec le fecours des bannis, qui, par leur haine contre les Francois & leur attachement k leurs premiers maitres, étoient prêts a fe porter aux entreprifes les plus défefpérées. Léon ne fe contenta pas d'encourager ce pro jet; il avan$a une fomme confidérable pour le mettre en exécution : mais des accidents imprévus 1'ayant fait échouer, il permit aux exilés, qui s'étoient raffemblés en corps, de fe retirer dans Reggio , ville qui appartenoit pour lors a l'Eglife. LeMaréchal deFoix, qui commandoit a Milan en 1'abfence de fon frere , féduit par 1'efpérance d'envelopper comme dans un filet tous les ennemis déclarés que fon maitre avoit dans ce Duché, fe hafarda a entrerfur le territoire de l'Eglife, & alla invefiir Reggio. Mais la vigilance & la bonne conduite de Guichardin, 1'hiftorien célebre, qui étoit gouverneur de cette place, obligerent le général Francois d'abandonner fon entreprife d'une maniere peu honorable. Léon fut charmé de cette nouvelle qui lui fourniffoit un pré-  de Chahles-Qui-ntv 275 texte décent de rompre avec la Fran¬ ce : il affembla fur le champ le confiftoire desCardinaux, fe plaignitamér.ement des hofiilités du. Roi de France , vanta beaucoup le zele que 1'Empereur montroit pour l'Eglife 6c dont il venoit de donner une preuve récente & fignalée dans Ia conduite qu'il avoit tenue contre Luther, déelara que la néceffité de fa propre défenfe Ie forcoit a joindre fes armes a celles de Charles, & que c'étoit. le feul moven de pourvoir a la füreté des Etats eccléfialHques. Dans cette vue ,_il feignit de conclure alors avec Dom Jean Manuel le même traité qui étoit figné depuis plufieurs mois, 6c il excommunia publiquement de Foix, comme un ufurpateur impie du patrimoine de Saint Pierre. Léon avoit déja commencé fes préparatifs de guerre, en prenant k fa folde un corps confidérable de Suiffes; mais les troupes impériales étoient fi lentes k venir de Naples 6c de 1'Allemagne, qu'on étoit déja a la moitié de 1'automne avant qu'elles fe fuffent mifes en campagne. Elles M vj 1521. Le Pape fe déclare contre Francois.. Guerre dans le iMilanès.  176 L'HlSTOIRE ' étoient commandées par Profper Colonne , Ie plus habile des généraux Italiens : fa longue expérience & fa prudence extréme le rendoient 1'homme le plus propre a oppofer a 1'im- f>étuofité Francoife. Dans 1'intervale, de Foix Jépêcha au Roi de France courier fur courier pour 1'informer du danger qui le menacoit. Francois, qui avoit une partie de fes troupes occupées dans les Pays-Bas, qui affembloit 1'autre fur les frontieres d'Efpagne , & qui ne s'attendoit pas a une attaque fi fubite en Italië, envoya des Ambaffadeurs aux Suiffes fes alliés pour leur demander un nouveau corps de troupes, &c donna ordre a Lautrec de fe rendre fur Ie champ è fon gouvernement. Ce général, qui connoiffoit la négligence & le defaut d'économie qu'il y avoit dans 1'adminifrration des fïnances du Roi, ayant vu d'ailleurs combien les troupes avoient déja fouffert dans le Milanès, faute de paye , refufa de partir fi on ne lui faifoit remettre fur le champ une fomme de 300000 écus. Le Roi, Louife de Savoie fa mere , & Semblancay, fur-infendant  de Charles-Quint. 277 des fïnances, lui promirent avec ferment , qu'il trcmveroit a fon arrivée a Milan des remifes pour la fomme qu'il demandoit : Lautrec partit fur cette promeffe.Malheureufement pour la France, Louife, qui, avec un caracfere perfide, vindicatif, avide & capable de tout facrifier a fes paffions, avoit pris fur fon fils un afcendant abfolu par fa tendreffe maternelle , par les foins qu'elle avoit eus de fon éducation, & par fes grands talents, étoit bien réfolue de ne pas tenir fa parole. Lautrec avoit encouru fa difgrace par fa hauteur, par le peu de foin qu'il avoit pris de lui faire fa cour, par la liberté avec laquelle il parloit de fes aventures galantes. Pour s'en venger &c Ie priver de 1'honneur qu'il auroit pu acquérir en défendant avec fuccès le Milanès, cette Princeffe s'empara des trois cents mille écus deftinés a eet objet, &c les retint pour fon propre ufage. Lautrec, quoique privé d'uneref- 1 fource fi néceffaire, trouva encore les 1 moyens d'affembler une armee affez confidérable, mais bien moins nom- 152.1. 'rogrès dés mpétiaux.  IJ I L 278 L' H I S T O I R E - breufe que celle des alliés. II adopfa le plan de défenfe qui convenoit le mieux a fa pofition, évitant avec le plus grand foin une bataille rangée, harcelant fans relache les ennemis avec fes troupes légeres, enlevant leurs quartiers , interceptant leurs convois, & couvrant ou fecourant toutes les places qu'ils effayoient d'attaquer. Par cette conduite prudente, non-feulement il retarda les progrès des Impériaux; il eut même bientót laffé le Pape, qui jufqu'alors avoit fait prefque tous les fraix de la guerre , &C 1'Empereur même, dont les , revenus d'Efpagne avoient été difiipés pendant les troubles de ce Royaume, & qui étoit obligé de fournir a 1'entretien d'une groffe armée dans les Pays-Bas; mais un accident imprévu vint déranger toutes fes mefures , & occalionna un changement fatal dans les affaires de la France. II y avoit dans 1'armée Francoife un corps de douze mille Suiffes qui fervoient fous les drapeaux de la République, alors alliée de la France. Suivant une loi établie par les cantons, & non moins conforme a la  DE CHARLES-(£UIN T. 279 faine politique qu'a 1'humanité, leurs foldats ne pouvoient pas s'engager, fans la fanction de I'autorité publique , au fervice de deux Puiffances aftuellement en guerre. L'amour du gain avoit quelquefois éludé cette loi, & 1'on avoit fouffert que des particuliers s'enrölaffent au fervice de celui des deux partis qu'ils aimoient le mieux; ce n'étoit pas cependant fous les drapeaux de la République , mais feulement fous ceux de quelques officiers. Le Cardinal de Sion , qui confervoit toujours fon, crédit parmi fes concitoyens, & fa haine contre Ia France, avoit obtenu la permiffion de lever douze mille Suilfes deftinés a joindre 1'armée des alliés. Les cantons, voyant un nombre fi confidérable de leurs foldats marcher fous les étendards de nations ennemies, & prêts a s'entre-détruire, fentirent la bonte dont ils alloient fe eouvrir, 8c la perte qu'ils s'expofoient a faire. Ils dépêcherent des couriers a leurs foldats, avec ordre de quitter les deux armées, & de revenir dans leur patrie. Le Cardinal de Sion eut 1'adrefTe de 15 21,  1 Les Impériaux lerendent maitres de Milan, 280 L'HlSTOIRE corrompre ies meffagers qui portoient Pordre aux Suiffes de 1'armée alliée , & empêcha par-la qu'il ne leur parvïnt; mais eet ordre fut fignifié dans les formes aux Suiffes de 1'armée Francoife, qui, fatigués d'une longue campagne , & murmurant depuis longtemps de ne point recevoir leur paye, obéirent fur le champ , malgré les remontrances & les prieres de Lautrec. Le général Francois, fe voyant abandonné d'un corps qui faifoit la principale force de fon armée , n'ofa plus tenir tête aux confédérés; il regagna Milan, fe campa fur les bords de 1'Adda, & ne vit plus de reffource que celle d'empêcher 1'ennemi de paffer la riviere; mais ce moyen de défenfe eft fi foible & fi incertain , qu'il y a peu d'exemples qu'on Fait employé avec fuccès contre un général habile &c expérimenté. Auffi Colonne paffa FAdda avec trés-peu de perte, malgré toute la vigilance & toute Fadfivité de Lautrec , qui fut obligé d'aller s'enfermer dans les murs de Milan. Les confédérés fe difpoferent a affiéger cette place. Un inconnu, qui n'a jamais reparu de-  de Charles-Quint. 181 puis, ni pour fe vanter de ce fervi- ! vice , ni pour en réclamer le prix , vint de la ville avertir Moron, que fi 1'armée s'approchoit des murs pendant la nuit, la fa&ion Gibeline ou des Impériaux lui ouvriroit une des portes. Colonne, quoiqu'ennemi des entreprifes téméraires, fit avancer le Marquis de Pefcaire avec 1'infanterie Efpagnole , & le fuivit lui-même avee le refie de 1'armée. A 1'entrée de la nuit, Pefcaire arriva prés de la porte Romaine , dans les faux» bourgs , & furprit les foldats qui s'y trouvoient. Ceux qui étoient pofiés dans les fortifications voifines, prirent auffi-töt Ia fuite. Le Marquis fe faifit des poftes, è mefure qu'on les abandonnoit; & marchant toujours en-avant avec autant de précaution que deyigueur, il fe trouva maitre de la ville, fans avoir verfé beaucoup de fang , & prefque fans avoir trouvé de réfiftance. Les vainqueurs, ne furent pas moins étonnés que les. vaincus, de la facilité & du fuccès de cette entreprife. Lautrec fe retira précipitamment fur les terres de Venife avec les, débris de fon armée ; 1521.  I 5 2. 1. Mort Je Léon X. (a) Guiceiard./. 14, p. 190 , &c. Mem. ie du Bellay , 42, &c. Galeacii Capella , de rebus gefl. pro reftitut. Franc. Sforcia , comment. ap, Scardium, vol, 2, p. 180 „ é'C. 182 L' H I S T O I R E les villes du Milanès iuivirent le fort de la capitale , & fe rendirent aux alliés. Parme Sc Plaifance fe trouverent réunis aux Etats de l'Eglife ; & de toutes les conquêtes des Francois dans la Lombardie , il ne leur refta que la ville de Crémone, le chateau de Milan , & un petit nombre de forts peu confidérables ( nement & k celui de toute 1'Europe, un étranger, incönnu a 1'Italië & k •ceux même qui lui avoient dormé leurs voix , ignöïant entiérement les mceurs du peuple & les intéréts de 1'Etat dont on lui cönféroit le gouvernement, monter, par une éiection unanime, fur le tröne papal, dans la conjoncfure la plus délicate & la plus crkique& qui auroit demandé toute la fagacité & toute 1'expérience du plus habile Prélat de tout le facré college. Les Cardinaux, incapables eux-mêmes d'expliquer les •motifs de eet étrange choix , qui, lorfqu'ils forti rent en proceffion du conclave, leur attira les infultes Sz les malédicrlons chi peuple, 1'attrifouoient k 1'infpiration immédiate du Saint-Efprit II éft plus fur de Pattribuer a Pinfluence de Dom Jean Manuel, qui, par fon adreffe & fes in» ïrigues , fut faciliter 1'élection d'un fujet, dévoué au fervice de fon 1522. Adrien efl élu Pape, 9 Janvier  1522. La guerre fe renouvelle dans ie Milanès. (a) Ger. Moringi, vita Hadriani ap. Carp. Burman. in analeSl. de Hadr. p. 52. Conclave Hadr. ibid. p. 144 > 186 L'HlSTOIRE maitre, par reconnoiffance, par intérêt & par inclination (a). La promotion d'Adrien, en augmentant le crédit de Charles , répandit un nouvel éclat fur fon adminiftration. C'étoit donner unepreuve extraordinaire de pouvoir & de magnifkence , que de procurer a fon précepteur une fi belle récompenfe, &c de placer fur le tröne de l'Eglife un homme qui lui devoit fon élévation. Francois vit avec toute la jaloufie d'un rival, la fupériorité que Charles gagnoit fur lui, & réfolut de faire de nouveaux efforts pour lui arrscher fes dernieres conquêtes en Italië. Les Suilfes, pour reparer en quelque forte 1'efpece d'afFront qu'ils avoient fait au Roi de France enretirant leurs troupes de fon armée, démarche qui avoit entraïné la perte du Milanès, lui permirent de lever dix mille hommes dans leurs pays t  de Charles-Quint. 287 ©utre ce renfort, Lautrec recut du Roi une petite fomme d'argent, qui Ie mit en état de tenir la campagne ; & après avoir furpris ou emporté de vive force plufieurs places du Milanès , il s'avanca a quelques milles de la capitale. L'armée des alliés n'étoit pas en état d'arrêter fes progrès; Moron, par fes artifices, & par les déclamations populaires d'un moine fanatique qu'il dirigeoit, réuffit a infpirer aux habitants de Milan le zele le plus violent contre le gouvernement Francois, au point de les déterminer a fournir des fubfides extraordinaires; mais malgré ce fecours, Colonne eut été bientöt forcé d'abandonner le pofte avantageux qu'il avoit choifi prés de Bicoque poury établir fon camp, & de congédier fes troupes faute d'argent, fi les Suiffes qui étoient au fervice de France, ne 1'euffent unefeconde fois tiréd'embarras. L'infolence & les caprices de cette nation furent fouvent auffi funeftes a fes amis, que fa valeur & fa difcipline étoient formidables a fes ennemis. II y avoit plufieurs mois que 1)22. Les Fran?ois font battiis au combat d« Bicoque.  -15 42 » l8S L'HlSTOIRE les Suiffes fervoient fans recevoir de paye, & ils commencoient a s'en plaindre hautemerit. On avoit envoyé de France, fous une efcorte de cavalerie , une fomme deftinée pourcet ufage; mais Moron, a la vigilance duquel rien n'échappoit, avoit pofte des troupes fur la route de ce convoi fi avantageufement, que les cavaliers qui Fefcertoient, n'oferent avancer. Les Suiffes, en apprenant cette nouvelle, perdirent patience; Officiers & foldats , tous s'attrouperent autour de Lautrec, & le menacerent d'une commune voix, de fe xetirer dans 1'inftant même , s'il ne vouloit ou avancer la folde qui leur étoit due , ou leur promettre de les tnener au combat le lendemain. En vain Lautrec leur repréfenta d'un cöté 1'impoffibilité oü il étoit de leur faire des avances; de 1'autre , le danger de donner une bataille qui feroit infailliblement fuivie d'une déroute totale , attendu la force du camp ennemi que la nature & 1'art avoient rendu prefqu'inacceffible. Les Suiffes, fourds a la voix de la raifon, &c perfuadés que leur valeur fuffifok  de Charles-Quint. 289 fuffifbit pour furmonter tous les obf- • tacles, renouvellerent leurs demandes d'un ton plus preffant, & s'offrirent de former eux-mêmes 1'avantgarde , & de commencer 1'attaque. Lautrec voyant qu'il ne pouvoit vaincre leur obftination, fe rendit k leurs mflances, efpérant que peut-être un de ces accidents imprévus qui décident fouvent du fort des combats, pourroit couronner cette entreprife téméraire par un fuccès qu'il n'avoit pas Iieu d'attendre; H fentoit d'ailleurs qu'une défaite ne pouvoit guere lui être plus fatale que la retraite d'un corps qui compoibit la moitié de fon armée. Le lendemain, les Suiffes au matin étoient les premiers fur le champ de bataille, & marcherent avec la plus grande intrépidite au camp d'un ennemi, qui étoit retranché d« toutes parts, environne d'artillerie, & bien difpofé ales recevoir. Dans leur marche.ils foutmrent avec la plus grande fermete , une canonnade furieufe ; & fans attendre 1'arrivée de leur propre artillene, ils fe précipiterent avec im» petuofite fur les retranchements: lome UI. 1514. Mai-  • 522» Les Francois font chaffés du Milanès. Ils perdem Gênes. 190 L'HlSTOIRE mais après avoir fait des efforrs incroyables de vaieur, vigoureufement fecondés par les Francois , ils perdirent leurs plus braves officiers &c leurs rneilleures troupes ; voyant qu'ils ne pouvoient entamer le camp des ennemis , ils battirent la retraite ; mais ils quitterent le champ de bataille, repouffiés & non pas vaincus, & fe retirerent dans le plus bel ordre , fans être inquiétés par 1'ennemi. Dès le jour fuivant , ceux des Suiffes qui avoient furvécu a cette journée , partirent pour leur pays; & Lautrec, hors d'état de tenir plus long-temps la campagne, revint en France, après avoir jetté des garnifons dans Crémone & dans quelques autres places, qui toutes furent bientöt obligées de fe rendre a Colonne , a 1'exception de la citadelle de Crémone. Cependant Gênes & fon territoire, qui refloient foumis a la France , donnoient encore a Francois un établiffement confidérable en Italië, &c le mettoient a portee d'exécuter facilement les plans qu'il pourroit  DE CïïARLES-QüINT. 291 former pour reconquérir le Milanès; mais Colonne, enhardi par cette fuite de fuccès, excité d'ailleurs par les follicitations de Ia faöion des Adorni, les ennemis héréditaires des Frégofes, qui, fous la proteöion de Ia France , avoient Ia principale autorité dans Gênes, fe détermina a tenter Ja réduction de eet Etat, & il en vint k bout avec une facilité furprenante. Un événement auffi inefpéré que celui qui Pavent mis en poffeffion de Milan , le rendit maitre de Gênes; & le pouvoir des Adorni, ainfi que I'autorité de 1'Empereur, s'établit dans Gênes , prefque fans oppofition, & fans effufion de fang Cet enchaïnement d'événements malheureux ne pouvoit manquer de porter dans 1'ame de Francois un fentimerrt douloureux, qu'aigrit encore Parrivée imprévue d'un héraut An- H< glois , qui vint au nom de fon Sou- dé verain déclarer en forme la guerre |u a la France. Cette déclaration de Fr t» Jovii , vita Ferdh Davali, p. 344, fcuicciard. lib. 14, p, 233. N i; 15 2i« *ri via :lare Ja ïrre a h ince.  IE Charles-Quint. 309 tres cités. Comme les magafins étoient : alors remplis de marchandifes deftinées pour la foire, dont le temps approchoit, la perte fut immenfe , &c fe fit généralement fentir dans le Royaume. Ce défaftre, joint a 1'impreffion qu'avoit fait un moyen fi violent fur 1'efprit d'un peuple qui depuis long-temps n'étoit plus accoutumé aux horreurs des guerres civiles, porta a 1'excès la fureur des Caftillans. Fonfeca devint 1'objet de 1'indignation univerfelle, & fut flétri du nom d'ennemi & d'incendiaire de fa patrie. Les habitants de Valladolid même que la préfence du Cardinal avoit contenus jufqu'alors, dé* clarerent qu'ils ne vouloient pas refter plus long-temps fpeclateurs tranquilles des maux de leurs compatriotes; & courant aux armes avec la même fureur que les autres, ils brü* lerent la maifon de Fonfeca jufqu'aux fondements, élurent de nouveaux ma» giftrats , leverent des foldats, nommerent des officiers pour les commander, & garderent leurs murs avec autant de foin que fi 1'ennemi eüt été" a leurs portes.  1522. _ Adrien licencie fes troupes. 31O L'HlSTOIRE Le Cardinal étoit vraiment ver» tueux & défintéreffé; il eüt pu dans des temps plus paifibles, gouverner le Royaume avec honneur; mais il n'avoit ni le courage, ni 1'habileté qu'exigeoient des circonftances fi délicates. Se fentant incapable de réprimer les excès qui fe commettoient fous fes yeux, il effaya d'appaifer le peuple , en proteflant que Fonfeca avoit été au-dela de fes ordres, &qu'il étoit lui-même très-offenfé des violences commifes par ce Général. Cette condefcendance, 1'effet de fon irréfolution & de fa timidité, ne fit qu'augmenter 1'audace & 1'infolence des mécontents. Le Cardinal auffitöt après rappella Fonfeca, & licencia fes troupes, qu'il ne pouvoit plus payer, paree qu'il avoit trouvé le tréfor épuifé par les rapines des minifires Flamands; & n'ayant aucun fecours d'argent a attendre des grandes villes qui s'étoient toutes révoltées , il laiffa le peuple s'abandonner a fon caprice, confervant a peine dans fes mains une ombre de pouvoir & d'autorité, Ces foulevements des communes  de Charles-Quint. 311 n'étoient pas le fimole effet d'une fu¬ reur populaire & féditieufe ; leur but étoit d'obtenir la réforme de plufieurs abus, Sc d'établir la liberté publique fur une bafe folide ; Sc ces objets étoient dignes de tout le zele que le peuple mit è leur pourfuite. Le gouvernement féodal en Efpagne étoit alors beaucoup plus favorable a la liberté, que dans aucun autre Etat de 1'Europe ; c'étoit principalement Teffet du grand nombre de cités qu'il y avoit dans ce Royaume, circonftance que j'ai déja remarquée, Sc qui contribua plus qu'aucune autre a adoucir la rigueur des loix féodales, Sc a introduire une forme de gouvernement plus jufte Sc plus raifonnable. Les habitants de chaque ville, formoient une grande Corporation , qui avoit des privileges & des immunités importantes; ils étoient affranchis de 1'état de fervitude St de vaffelage ; ils furent admis a une part confidérable dans la légiflation; ils cultiverent les arts de 1'indufrrie, fans lefquels les villes ne peuvent fubfifter; ils amafferent des richeffes par le commerce; indépendants Sc libres 1512. Vues & prétentions des communes de Caftille.  312 L' H I S T O ï R £ eux-mêmes, ils furent les proteéteurs 1522. tetür confédérationfous le nom de fainu ligue. de 1'indépendance ck de la liberté publique. L'efprit du gouvernement intérieur , établi dans les villes, efprit qui même dans les pays oü le defpotifme domine le plus, eft démocratique Sc républicain, leur rendoit I'idée de la liberté plus familiere Sc plus chere. Leurs repréfentants dans les Cortes étoient accoutumés a réfifter avec une égale fermeté & aux entreprifes du Roi, Sc k la tyrannie des Nobles ; ils tachoient d'étendre les privileges de leur ordre ; ils traVailloient a fecouer les dernieres entraves qui leur reftoient encore de l'ariftocfatïe féodale; Sc non-contents de former un des ordres les plus confidérables de 1'Etat, ils afpiroient k en être le plus puiffant. Les circonflances paroiiToient trèsfavorables pour faire valoir leurs nouvelles prétentions. Le Souverain étoit loin de fes Etats; la mauvaife conduite de fes miniftres lui avoit fait perdre feftime Sc l'affection de fes ïujets. Le peuple, aigri par plufieurs injuftices , avoit pris les armes, d'un confentement prefque général, quoi- que  de Charles-Quint. 313 trae fans s'être concerté, Sc la fu- = reur qui 1'animoit pouvoit le porter aux plus violentes extrêmités. Le tréfor royal étoit épuifé; il n'y avoit point de troupes dans le Royaume; Sc Ie gouvernement étoit confïé aux mains d'un étranger, qui avoit des vertus, mais qui n'avoit pas affez de talents pour foutenir un pareil fardeau. Le premier foin de Padilla Sc des autres chefs de la révolte , quï obfervoient attentivement toutes les circonftances dans le deiTein d'en tirer tout 1'avantage poffible j fut d'établir entre les mécontents une forme d'union Sc d'alTociation, afin qu'ils puffentagir avec ordre, & diriger toutes leurs démarches vers un même feut. Comme les mêmes motifs avoient excité les différentes villes a prendre les armes, & qu'elles étoient accoutumées a fe regarder comme un corps diftinguédu refie des fujets, Padilla vint aifément a bout de fon deffein» On indiquaune affemblée générale a Avila. Les députés y parurent au nom de prefque toutes les villes qui avoient droit d'envoyer des repréfentants aux Etats. Ils s'engagerent tous par ferTomc HL O  J522. Ils refufent de reconnoitre 1'autorité d'Adrien. Ils fe fiufiffent de la perfonne dt Ia Reine Jeanne. 29 Aoüt. P. Martyr, Ep. 691. 314 L' HlSTOIRÈ ment a vivre & a niourir pour Ie fervice du Roi, 6c pour la défenfe des privileges de leur ordre; 6c prenant le nom de fainte ligue, ils procéderent a déliberer fur 1'état de la nation 6c fur la conduite qu'il falloit tenir pour réformer les abus. Le premier qui fe prélentoit naturellement a eux, étoit le choix qu'on avoit fait d'un étranger pour exercer la régence ; ils déclarerent tout d'une voix que c'étoit une contravention aux loix fondamentales du Royaume, 6c arrêterent qu'on enverroit une députation de leurs membres a Adrien, pour le fommer de dépofer toutes les marqués de fon office, 6c de s'abftenir dans la fuite de tout exercice d'une jurifdidtion qu'ils avoient déclarée illegale (a). Tandis qu'ils fe difpofoient a exécuter cette réfolution hardie , Padilla mettoit la derniere main k une entreprife des plus avantageufes pour leur caufe. Après avoir délivré la ville de Ségovie, il marcha droit a  £>£ Charles-Quint. 315 Tordefillas, oü réfidoit la malheu- ' reufe Jeanne depuis la mort de fon époux; & fecondé par les habitants , il fut introduit dans la ville Sc fe rendit maïtre de la perfonne de la Reine, pour la füreté de laquelle Adrien avoit négligé de prendre les précautions convenables (a). Padilla alla fur le champ lui rendre vifite; & 1'abordant avec le profond refpeci qu'elle exigeoit du petit nombre de perfonnes qu'elle daignoit admettre en fa préfence, il lui fit un récit détaillé de 1'état miférable oü fes fujets Caftillans étoient réduits fous Ie gouvernement de fon fils, quf n'ayant encore aucune expérience, permettoit a des miniftres étrangers de les trailer avec tant de rigueur, qu'ils avoient eté enfin obligés de prendre les armes pour défendre les libertés de leur pays. La Reine, paroiffant feréveiller d'une longue léthargie, marqua Ie plus grand étonnement a ce récit, 0) Vila dcll' Imper. Carl. V. dall. alf. Ulloa. Ven. 1509, p. 67. Miniana, contiJiuat. p. 17, O ij  152a. Jïó L'HlSTOIRE : & dit a Padilla, que n'ayant encore rien appris ni de la mort de fon pere, ni de ce que fouffroit fon peuple , on ne pouvoit lui faire aucun reproche; mais qu'elle alloit déformais s'occuper du foin de remédier a tous les maux; & vous, ajoutat-elle , fongez a faire tout ce qui eft néceffaire pour le bien général. Padilla , trop prompt a croire ce qui favorifoit fes delirs, prit ce foible intervalle de bon fens pour le retour parfait de fa raifon; 5c inftruifant la ligue de ce qui venoit d'arriver, leur confeilla de venir s'établir a Tordefillas,*6c de tenir leurs affemblées dans cette ville. Les députés s'y rendirent auffi-töt : Jeanne recut favorablement une requête que lui adreffa la ligue, pour la conjurer de prendre les rênes du gouvernement; & pour marqué de fon acquiefcement, elle admit les députés a lui baifer la main ; elle affifta même au tournoi qui fe fit a cette occafion, & parut prendre beaucoup de plaifir a ces cérémonies , ou, pour lui plaire , 1'on eut foin de déployer la plus grande magnificence : mais eile retomba bien* •  de Charles-Quint. 317 tot dans fon premier état de fombre mélancolie ; & quelques raifons , quelques prieres qu'on employat enfuite, onne put jamais obtenir d'elle, aucune fignature pour 1'expédition des affaires (a), La ligue prit foin de cacher cette circonfïance avec la plus grande précaution , & continua fes délibérations au nom de Ia Reine : les Caftillans qui idolatroient encore Ia mémoire d'Ifabelle, avoient confervé le plus grand attachement pour fa fille ; dès que le peuple apprit qu'elle venoit de confentir a prendre les rênes du gouvernement, il fit éclater la joie la plus univerfelle & la plus immodérée ; & croyant que fa fanté étoit parfaitement rétablie , il atrribua eet événement a Tintervention miraculeufe du ciel, qui vouloit affranchir leur pays de 1'oppreffion des étrangers. La ligue, frappée ellememe du degré de réputation & de pinffance qu'elle avoit acquis en pa- (?) Saadov. 164. P, Mart. Ep. 68} , O iij Le gouvernements'adminiftre en fon nom.  152.2. La ligue deftitue Adrien de fon office. Allarmesde 1'Empereur. (a) Sandov. 174. P. Mart. Ep. 79 318 L'HlSTOIRE roiffant agir au nom de I'autorité royale, ne fe contenta plus de requérir Adrien de réligner fon office de régent, elle envoya Padilla k Valladolid, avec un détachement affez nombreux, pour fe faifir de tous les membres du confeil qui fe trouveroient encore dans la ville, de les amener a Tordefillas, & d'apporter avec lui les fceaux du Royaume, les archives publiques & les regiftres du tréfor. Padilla fut recu par les habitants comme le libérateur de fa patrie, & exécuta ponéfuellcment fa commiffion; il permit cependant k Adrien de demeurer k Valladolid, mais feulement comme tout autre particulier, & fans aucun pouvoir L'Empereur recevoit en Flandres oü il étoit alors, defréquentes nouvelles de tout ce qui fe paffoit en Efpagne ; il fentit toute 1'imprudence que fes miniftres avoient commife , en méprifant trop long-temps les murmures & les plaintes des Caftillans; il voyoit avec la plus grande in-  de Charles-Quint. 319 quiétude , un Royaume, le plus précieux de tous ceux qu'il poffédoit, celui dans lequel réfidoient la force & le principe de fa puiffance, pret a méconnoïtre fon autorité, & fur le point de fe plonger dans toutes les horreurs d'une guerre civile. Sa préfence eüt pu prévenir cette calamité; mais il ne pouvoit alors retourner en Efpagne, fans s'expofer a perdre la Couronne impériale, & fans laiffer au Roi de France le loifir d'exécuter fes proj ets ambitieux. II ne lui reftoit qu'a choifir entre deux partis , ou de ramener les mécontents par les vues de douceur & par des conceffions, ou de fe préparer fur le champ a les réduire par la force. Après y avoir réfléchi, il réfolut de tenter d'abord le premier moyen, & de fe difpofer en même-temps, s'il étoit fans effet, a recourir a 1'autre. En conféquence, il adreffa des lettres circulaires h toutes les villes de la Caftille , les exhortant dans les termes les plus doux, & 'avec 1'affurance d'un pardon général, a mettre bas les armes, promettant de ne point exiger des villes qui lui étoient refO iv 15-2. Ses mefuras contre les mécoiïtents.  Longue remontrancede la ligue contenant leurs griefs. 320 L'HlSTOIRE tées fidelles, le fubfide arrêté dans la derniere affemblée des Etats, & offrant Ia même exemption a celle qui rentreroient dans le devoir; il s'engageoit encore k ne conférer déformais aucun office qu'aux Caftillans. En même-temps, il écrivit aux Nobles , pour les exciter a défendre avec vigueur leurs droits & ceux de la Couronne, contre les prétentions exorbitantes des communes. II nomina régents du Royaume , conjointement avec Adrien, le grand Amiral, Dom Fadrique Henriquez, & Ie grand Connétable de Caftille, Dom Inigo de Velafco, deux Gentilshommes qui joignoient a beaucoup de mérite un trés-grand crédit; il leur donna des inftructions & un plein pouvoir, pour les autorifer , au cas que 1'obftination des rebelles les y forq&t, k prendre les armes, pour foutenir I'autorité royale ( ron ; & celui- ci défefpérant de la réduire , s'avanca avec précipitation vers Villa-panda, place qui appartenoit au Connétable , & qui étoit le principal magafin des provifions de 1'ennemi. Cette marche mal com- 1522» Impru deuce & mauvais fuccès du général de la ligue.  1522. 5 Décemhre. 334 L'HlSTOIRE binée , ouvrit la route de Tordefillas aux Royaliftes, &c le Comte cle Haro les y conduifit pendant la nuit, avec le plus grand ïecret & la plus grande diligence; il attaque la ville , ou Giron n'avoit laifle pour toute garniibn qu'un régiment de prêtres levés par 1'Evêque de Zamora; il y entra de vive force au point du jour, après une réfiftance très-opiniatre; il s'afliira de la perfonne de la Reine, fit prifonniers plufieurs des membres de la ligue, & reprit le grand fceau & les autres marqués de I'autorité royale. Ce coup fut fatal a la ligue, & lui fit perdre la réputation &C I'autorité dont elle jouiflbit, en paroiffant n'agir que fous les ordres de la Reine ; tous les Nobles qui étoient reftés jufqu'alors irréfolus & incertains dans leur choix, fe joignirent aux régents , & leur amenerent toutes leurs forces; une confternation univerfelle faifit les partifans des communes; elle fut encore augmentée par les foupcons qu'ils commencerent a former contre Giron, qu'on accufa hautement d'avoir livré Tor-  de Charles-Quint. 33^ defillas k 1'ennemi. Cette imputation étoit deftituée de fondement; car les Royaliftes devoient leurs fuccès a la mauvaife conduite de Giron, plutöt qu'a fa perfïdie ; mais il n'en perdit pas moins tout le crédit qu'il avoit dans fon parti, & il fe vit obligé de fe démettre du commandement, & de fe retirer dans un de fes chateaux (a). Ceux des membres de Ia ligue qui avoient écbappé k 1'ennemi, a Tordefillas, fe refugierent a Valladolid; comme il eüt fallu perdre beaucoup de temps pour remplacer par une nouvelle élecïion ceux qui étoient reftés prifonniers, ils firent choix de quelques-uns d'entr'eux, qu'ils chargerent de Padminiftration fuprême. Leur armée groffiffantde jour en jour par 1'arrivée des troupes qui venoient des différentes parties du Royaume, marcha vers Valladolid; & Padilla ayant été nommé commandant en chef, le courage des foldats fe ra- (a) Mifccllaneeus trafts by dr. Micft. Gcd* des, vol. 1 , 1578. 1)22. La ligue perfifte ians fon ryftême. 1  IJ22. Ses expédients pour avoir de 1'argent. 336 L'HlSTOIRE nima, &c tout le parti oubliant fes derniers revers, continua de montrer la même ardeur pour défendre les libertés de la patrie, & la même animofité contre fes oppreffeurs, Le plus grand embarras de la ligue étoit de troliver 1'argent néceffaire pour payer fes troupes. Une grande partie de la monnoie courante avoit été emportée hors du Royaume par les Flamands ; les taxes réglées qui fe levoient en temps de paix, étoient très-modiques; & comme la guerre avoit interrompu toute efpece de commerce, leur produit diminuoit tous les jours; la ligue craignoit auffi de dégoüter le peuple , en le chargeant de nouveaux impöts, auxquels, dans ce temps- la, il n'étoit guere accoutumé. Le parti fut heufeufemcnt délivré de eet embarras par Döna-Maria Pacheco, époufe de Padilla , femme d'extraction noble, qui avoit de grands talents, une ambition démefurée, & le plus grand zele pour la caufe de la ligue. Cette femme , animée d'une audace fupérieure aux craintas fuperftitieufes, ordinaires  »£ Charles-Quint. 337 dinaires k fon fexe, propofa de s'em- 5 parer des riches & magnifiqnes ornements de la Cathédrale de Tolede; mais pour ötera cette action 1'apparence d'impiété qui auroit pu offenfer le peuple , Dona Maria & les perfonnes de fa maifon fe réndirent a PEglife en proceffion folemnelle, vetues d'habits de deuil, les yeux en larmes, fe frappant Ie fein; & Ik fe proflernant k genoux , elles implorerent le pardon des Saints dont elles alloient dépouiller les autels. Ce£ artifice prévint 1'imputation de facrikge, & fit juger au peuple que la necefïïté feule & Ie zele de la bonne caufe avoient pu déterminer cette femme, malgré fa répugance, a fe porter k une fi étrange extrémité; la ligue fe procura par-la un fecours confidérable f>). Les régents n'étoient pas moins embarraffés pour trouver les moyens d'entretenir leurs? troupes , paree que les revenus de la Couronne avoient été ou diffipés Sandov. 308. Di& de Sayté; aHl Terne JU, p I|22  33* L' Histoire nar les Flamands . ou faifis nar les 152*. La ligue perd du temps a négocier avec la Nobleffe, P, Mart. Ep. 718. communes; ils furent obligés de prendre les joyaux de la Reine & 1'argenterie de la Nobleffe , pour en faire frapper de la monnoie; & quand cette reffource fut épuifée, ils obtinrent encore dii Roi de Portugal une fomme modique a titre d'emprunt (a). La Nobleffe montroit la plus grande répugnance a en venir aux mains avec la ligue. La haine des Nobles contre les Flamands étoit égale a celle des communes; ils approuvoient plufieurs articles de leur requête; ils penfoientque les circonftances étoient très-favorables, non-feulement pour obtenir la réforme des anciens abus, mais auffi pour faire de nouveaux réglements qui rendiffent Ia conftitution de 1'Etat plus parfaite & plus ftable ; ils craignoient que tandis que les deux ordres qui formoientle corps légiflatif, confumoient leurs forces en hoftilités réciproques, I'autorité royale profitant de 1'affoibliffement des deux partis , ne s'élevat fur leurs  be Charles-Quint. 339 ruines, & n'empiétat autant fur 1'ifir ; dépendance des Nobles que fur les privileges des communes. Ces difpofitions de Ia Nobleffe donnerent lieu aux fréquentes ouvertures de paix que les régents firent k la ligue , & aux négociations continuelles qui fe traiterent dans tout le cours des opérations militaires. Les conditions qu'ils offroient, n'étoient pas déraifonnables : en effet, fi Ia ligue eüt vouht le defifter de quelques articles deftruftifs de I'autorité royale, ou incompatibles avec les droirs de la Nobleffe, les régents promettoient de faire accepter par 1'Empereur les autres propofitions; & fi par 1'influence pernicieufe de quelques Miniftres, il sobfhnoit k y refufer fon confentement, plufieurs des Nobles s'engageoient k fe joindre aux confédérés pour 1'y forcer (a). Mais les divifions qui agitoient les membres de la ligue entr'eux. ne leur permirent ni de délibérer pai- Pij 1521.  34° L' H I S T O I R E fiblement, ni de décider avec priiden* ce. La plupart des cités qui étoient entrées dans la confédération, étoient dévorées de cette baffe jaloufie & de cette défiance mutuelle, qu'infpirent trop fouvent les rivalités de commerce 6c d'ambition. Le Connétable avoit fu par fon crédit 6c fes promeffes, détacher de la ligue les habitants de Burgos.; 6c d'autres Gentilshommes avoient ébranlé la fïdélité de quelques-unes des petites villes; il ne fe trouva dans les communes, perfonne qui eüt-1'ame affez •éievée 6c des talents affez diftingués pour être en état de gouverner les affaires du parti. Padilla , leur Général , avoit bien toutes les qualités propres k fe concilier la faveur du peuple ; mais cette raifon même lui ótoit la confiance des perfonnes du premier rang qui s'étoient jointes k la ligue. D'un autre cöté, le peuple , depuis la mauvaife conduite de Giron , fe défïoit de tous les Nobles qui s'étoient réunis k lui: on ne vit donc dans toutes les démarches de la ligue , qu'irréfoltition , défiance réciproque, & difaut de génie. Après  DE C HARLE S-Q U I NT. J4; bien des conférences tenues fur le; conditions que propofoient les régents, les communes fe laifferent tellement aveugler par leur reffentimen contre la Nobleffe, que rejettant tou te idéé d'accommodemenf, ils la menacerent encore de Ia dépouiller de tous les biens de la Couronne que Ie< Nobles ou leurs ancêtres avoient ufurpés , & de les réunir au domaine du Roi. La ligue s'attacha avec Ia plus grande obftination a ce plan infenfé, dont 1'erfet eüt été danéantir ces mêmes libertés qu'elle vouloit défendre , en rendant les Rois de Caftille abfo'us & indépendants de leurs fujets; de forte qu'elle fe récrioit avec moins de véhémence contre les exactions des Miniftres. étrangers, que contre les richeffes & le pouvoir immenfe des Nobles , & qu'elle fembloit former l'efpérance de faire fa paix avec Charles, en lui offrantlesdépouilles de eet ordre.. Quelques fuccès que Padilla avoit eus dans de légeres rencontres, & la prife de quelques villes de peu d'importance , précipiterent la ligue dans eette fauffe démarche, en lui infpi- 1 P iij prife de quelques villes de peu d'importance , précipiterent la ligue dans cette fauffe démarche, en lui infpi-, Enflée dè fes fuccès Jans quelpes légees rencon-  3 Mare IJ**, 342 L'HlSTOIRE rant une fi grande confiance dans la bravoure de fes troupes, qu'elle ne douta pas qu'il ne lui fut aifé de remporter la victoire fur les Royaliftes. Padilla, pour ne pas laiffer fon armée dans 1'inaction, tandis qu'elle étoit animée par la profpérité, mit le fiege devant Torrelobaton, place plus importante Sc plus forte qu'aucune de celles qu'il avoit attaquées jufqu'alors , & qui étoit défendue par une garnifon fuffifante. Malgré la réfiftance extraordinaire des afiiégés, Sc les efforts que fit 1'Amiral pour la fecourir, Padilla prit la ville d'affaut, Sc la livra au pillage; s'il eüt marché fur le champ avec fon armée victorieufe a- Tordefillas , oü étoit le quartier principat des Royaliftes , il ne pouvoit manquer d'avoir un grand avantage fur leurs troupes, que la promptitude de fes opérations auroit déconcertées, Sc qui n'avoient pas k beaucoup prés des forces fuffifantes pour donner bataille. Maïs 1'irréfolution Sc 1'imprudence de la ligue empêcherent encore cette opération décifive. Egalement incapable Sc de con-  de Charles-Quint. 3.43 tinuer la guerre, & de conclure la paix, elle écoura de nouvelles propofition d'accommodement, & confentit même k une courte fufpenfion d'armes. Tandis qu'elle perdoit le temps k cette négociation qui ne termina rien , un grand nombre des foldats de Padilla, peu accoutumés aux loix de la difcipline militaire , quitterent 1'armée, & fe retirerent avec le bufin qu'ils avoient fait k Torrelobaton; d'autres, fatigués de la longueur extraordinaire de la campagne , déferterent. Le Connétable avoit eu le temps d'affembler fes troupes (a) k Burgos, & de tout préparer pour fe mettre en marche; dés que la treve fut expirée, il fe joignit au corps du Comte de Haro , malgré tous les efforts de Padilla pour empêcher cette réunion: ces deux Généraux s'avancerent auffi-tot vers Torrelobaton;. Padilla, affoibli par la défertion d'une partie de fes troupes , n'ofa rifquer une bataille, &c effaya de fe retirer a Toro : s'il eüt pu y réuffir, 1'in- (a) Sandov.' 336. P iv 1512. Imprudence de leur conduite.  1,22. 33 Avril. Les Nobles attaquent 1'armée de h ligue» 344 L'Histoire vafion que les Francois faifoient alors dans la Navarre, & la néceflïté oü le feroient alors trouvés les régents d'envoyer un détachement dans ce Royaume , auroient pu le fauver du danger qui le menacoit; mais Haro qui fentoit combi en il étoit dangereux de le lailTer échapper, marcha avec tant de célérité a la tête de fa cavalerie, qu'il Patteignit prés de Villaret, & commenca 1'attaque, fans même attendre 1'arrivée de fon infanterie. L'armée de Padilla , fatiguée & découragée par fa retraite précipitée , qui reffembloit a une fuite, traverfoit alors urf champ labouré ; la terre avoit été tellement détrempée par une pluie abondante qui étoit tombée, que les foldats enfoncoient a" chaque pas jufqu'aux genoux; & dans eet état, ils demeurerent expofés au feu de quelques pieces de campagne que les Royaliftes avoient amenés avec eux. Toutes ces circonftances réunies déconcerterent & intimiderent tellement ces foldats maLaguerris, que, fans faire face a 1'ennemi, & fans faire aucune réfiftance, ik prirent la fuite dans le plus grand  de Charles-Quint. 34^ cléfordre. En vain Padilla. avec un courage & une activité extraordinaire , s'efforcoit de les rallier; Ia frayeur ne leur permit d'écouter ni fes inftances, ni fesmenaces : enfin,ne voyant plus aucune reffource , il réfolut de ne, pas furvivre au malheur de cette journée & a la ruine de fon parti; il fe précipita au milieu des. ennemis; mais étant a la fois bleffé & démonté , il fut fait prifonnier. Ses principaux Officiers eurent le même fort; & les Nobles, trop gênéreux pour égorger des hommes qui mettoientbas les armes, renvoyerent les fimples foldats, fans leur f aire du mal (a). Le reffentiment des ennemis de Padilla ne le laiffa pas languir longtemps dans Pincertitude de fon fort. Dès le lendemain., ils le condamnerent a perdre la tête fans aucune procédure réglée, fuppofant la notoriété (a) Sandov. 34- , &c. P: Mart..£p. 710. Miniaria , contin. p. 26. Epitome de la vïda y hechos del Emper. Carlos V, por D. Juan ent. de vera y Zuniga , ia- 4?.. Madrid, 1627 , ^ 19. P v 1522. Et Ia mettent en déroute.  Padilla eft Slis a mort. Ces deux lettres font d'un ftyle lï éloquent Sc fi noble, que jat cru faire 346 L'HlSTOIRE de fon crime fuffifante pour difpenfer de toute forme de procés. II fut auffi-tót conduit au fupplice, avec Dom Jean Bravo , & Dom Francois Maldonada, qui commandoient, 1'un les troupes de Ségovie , 1'autre cellesde Salamanque. Padilla vit les approches de la mort avec la plus grande tranquillité & le plus grand courage ; &c lorfque Bravo, le compagnon de fes malheurs, laiffa éclater fon indignation en s'entendant donner pualiqüement le nom de traïtre, Palilla Ie reprit r en lui difant : » C'é9 toit hier le moment de montrer le * courage d'un Gentilhomme ; au»jourd'hui il faut monrir avec Ia * douceur d'un Chrétien ". On lui permit d'écrire a fa femme & a la communauté de Tolede, lieu de fa naiffance :1a première lettre eft plein* 1'une tendrefte male & vertueufe j ia feconde refpire la joie & les tranfjorts que reffent un homme qui fe regarde comme martyr de la liberté le fon pays (a), Après avoir écrit  DE" GHA RLPS-Q'U I N T. 347 ces deux lettres , il fe foumit tranquillement a fa deffinée. La plupart plaifir aux Le&eurs en leut en donnant ici la traduftion. Letire de Dom J'uan de Padilla a fa femme.. M A D AM E,: SI vos peines ne in'afflïgeoient pas plus que ma mort, je me trouverois parfaitement heureux. II faut ceffer de vivre ; c'eft une néceflué commune a tous les hommes ; mais je regarde comme une faveur diftinguée du Tout-Puiffant, une mort comme la mienne, qui ne peut manquer de lui plaire, quoiqu'elle paroiffe déplorable aux hommes. 11 me faudroit plus de temps que je n'en ai, pour vous écrire des chofes qui puiffent vous confoler : mes ennemis ne me 1'accorderoient pas , & je ne veux pas dif» férer de mériter la couronne que j'efpere. Pleurez la perte que vous faites ; mais ne pleurez pas ma mort : elle eft trop honorable pour exciter des regrets. Je vous legue mon ame ; c'eft Ie feul bien qui me refte , & vous le recevrez comme lachofe que vous eftimiez le plus dans ce monde. Je n'écris point a mon pere Pero Lopez ; je n'ofe le faire; car , quoique je me fufle Hsontré digne d'être fon fils, en facrifiant P vj 151a.  ma vie , je n'ai pas hérité de fa bonne fortune. Je n'ajouterai rien de plus ; je ne veux pas fatiguer la patience du bourreau qui m'attend , nl me faire foupconner d'allonger ma lettre pour prolonger ma vie. Mon domeftique SoiTa , témoin oculaire de tout s & a qui j'ai confié mes plus fecretes penfées, vous dira ce que je ne peus vous écrire. C'eft dans ces fentiments que j'attends le coup qui va. vous affliger , &. me déJiyrer». Lettre de Padilla a la ville de Tolede.. A toi , Ia Couronne d'Efpagne , & la lumiere du monde entier; a toi qui fus. libre dës le temps des puifTants Goths, 8c «jui , en. verfant le fang des étrangers 6t celui des tiens, a recouvré ta liberté pour. roi & pour les cités voifines.: ton enfant légitime, Juande Padilla, t'informe comment, par le fang de fes veines tu dois renouvelIer tes anciennes viftoires. Si Je fort n'a pas voulu que mes a&ions foient placées au nombre des exploits fortunés & fameux de. tes autres enfanrs , il faut 1'imputer a ma mauvaife fortune , & non pas a ma volónté. Je te prie, comme ma mere, d'ac-cepter la vie que je vais perdre, puifque; .Oieu ne m'a rien donné de plus préciejx J48 L'HlSTOIRE deshiftoriens Efpagnols, accoutuméa è des idees fur le gouvernement &c  DE CHARLES-QUINT. 34e} ia puiffance royale bien différentes de celles qu'on avoit du temps de Padilla, ont montré tant de zele pour blamer la caufe qu'il avoit embraffée , qu'ils ont négligé ou craint de rendre jufHce k fes vertus; & en flétriffant fa mémoire, ils ont cherché a lui dérober ce fentiment mê- que je puiffè perdre pour toi. Je fuis biert plus jaloux de ton eftime que je ne le fuis de la vie. Les révolutions de la fortune , toujours inconftante & mobile, font infi.nies. Mais ce qui me dónne la confolatiorala plus fenfible , c eft de voir que moi , le dernier de tes- enfants, je vais fourTrir la mort pour toi, èk que tu en as nourri d'autres dans ton fein, qui feront en état de me venger. Plufieurs langues feront le récit du genre de mort qu'on me deftine & que fignore encore ; ce que je fais , c'eft que ma fin eft prochaine : elle mcntrera- quel étoit mon defir. Je te recommande mon ame comme a la patronne de la Chrétienté. Jé ne parle point de mon corps; il n'effc pas a moi. Je ne peux en écrire davantage r cat dans ce moment même je fens, le coüteau pres de mon fein, plus touché du déplaifir que tu vas reflentir, quede mes propres maux, Sandov. hifi. vol. 1. 15.22»  I'S 22. Ruine du parti de la ligue. 350 L' H I S T O I R £ me de pitié qu'on refufe rarement aux illuftres malheureux. La victoire de Villalar fut auffi décifive aue complete. Valladolid , la plus zelée de toutes les villes liguées, ouvrit auffi-töt fes portes aux vainqueurs, & la douceur avec laquelle les régents la traiterent, engagerent Medina-del-Campo , Ségovie & plufieurs autres villes k fuivre fon exemple. Cette diffolution foudaine d'une ligue qui ne s'étoit pas formée pour de légers mécontentements, ni pour des motifs frivoles, dans laquelle étoit entré tout le corps du peuple, &c qui avoit eu le temps de prendre un certain degré de conliftance &C de folidité en établiffant un plan régulier de gouvernement , eft une preuve frappante de 1'incapacité de fes chefs ou 1'effet de quelques divifions fecretes qui défunirent fes membres. Quoiqu'une partie de 1'armée qui venoit de triompher des confédérés, fütforcée, quelques jours après fa victoire, de marcher vers la Navarre, pour arrêter les progrès que faifoient les Francois dans ce Royaume, rien ne put  BE CH ARLES-QuiNT. 351 ranimer le courage des communes de Caftille, ni les déterminer a reprendre les armes pour profïter d'une fi belle occafion d'obtenir enfin ces privileges & ces droits dont eiies s'étoient montrées fi jaloufes. II faut en excepter la feule ville de Tolede , qu'animoit Dona Maria Pacheco, veuve de Padilla; cette femme, au-lieu dë s'abandonner a une douleur pufillanime, & a verfer des larmes ftériles fur Ia mort de fon époux, fe préparoit a le venger & a foutenir Ia caufe dont il avoit été Ia victime. Les égards qu'on avois pour fon fexe,ou plutöt 1'admiration qu'infpiroient fon courage & fesgran» des qualités, Ia compaflion qu'excitoientfes malheurs, Sc la vénération que 1'on confervoit pour la mé moiré de Padilla, firent pafier a Ia veuve tout 1'afcendant que fon mari avoit eu pendant fa vie fur le peuple. La prudence & la vigueur de fa conduite juftifierent la confiance qu'on hu avoit donnée. Elle s'adreffa au Général Francois , dans Ia Navarre, pour 1'engager a envahir la Caftille, en lui promettant des fecours puif- IJ22. La vetrva de Padilla défend Tolede avecIe plus grand :ourage.  15.21. (ii) P. Martyr, Ep. 3.72;. (h\ Sandov. 375. 35/1. U K 1 s t o i r e ' fants. Elle écrivit des lettres , elle fit partir des: émiffaires pour ranimer le courage Sc les elpérances des autres cités(a). Elle leva des foldats, & exigea du clergé de la Cathédrale une grande fomme d'argent, pour fournir a leur entretien. Elle ne négligea rien de tout ce qui pouvoit exciter Sc échaufFer le peuple. Elle ordonna que fes troupes porteroient des crucifix au lieu de drapeaux, comme fi elles euflënt eu k combattre les infideles & les ennemis de la Religion. Elle marchoit dans les rues de Tolede, montrant fon fils, encore enfant , vetu d'habits de deuil, monté. fur une mule, précédé d'une enfeigne ou étoit peint le tableau du fupplice de fon pere (è). C'eft par de femblables artifices qu'elle fut tenir 1'efprit deshabitants dans un état d'agitation continuelle, qui empêchoit les paffions de fe refroidir, &quilesaveugloit fur le danger ou ils s'expofoient. en tentant de réfifter feuls a tout le  de Charles-Quint. j-j poids de I'autorité royale. Tant que Farmée fut occupée dans la Navarre, les régents ne furent pas en état de réduire Tolede par la force; &c ils bornerent leurs efforts, foit a taV cher de diminuer Ie crédit de Dons Maria fujr Ie peuple , foit a Ia gagner par de grandes prorneffes & par les, follicitations de fon frere le Marquis. de Mondejar; mais rien ne put la fléchir. Après que les Francois eurent été chaffés de la Navarre, une partie de 1'armée revkt dans la- Caftille , & inveflit Tolede; le courage indomptable de 1'intrépide Maria n'ert fut pas allarmé. Elle défendit la ville avec la plus grande vigueur; lés trou^ pes battirent les Royaliftes dans plufieurs forties; le fiege n'avancoit point, lorfque Ie clergé fe déclara contre elle,a la nouvelle de la mort de Guillaume de Croy, Archevêque de Tolede. Les Eccléfiaftiques ne pouvoient pardonner a Dona Maria de s'être emparée de leurs biens; & comme la feule plainte qu'ils formoient contre 1'Emrjereur étoit fondée fur ce que eet Archevêché avoit été donné a un étranger , Charles s 1522»  aSO&obre. 10 Févrjer. 1522. (4) P. Martyr, Ep. 7%-j. (£) Sandbv. 375. P. Martyr, Ep. 754. Ferrer.8, 563. 554 LHlSTOIRE en y nommant un Caftillan , détruifit le principe de leur mécontentement. Ils perfiraderent au peuple que Maria n'avoit acquis fur lui tant d'afcendant que par fes fortileges, qu'elle avoit un démon familier qui Ia fuivoit fans cefle fous la forme d'une négreffe, & que les infpirations de ce démon régloient toutes fes démarches ia). Ce peuple crédule , fatigué de la longueur du fiege, défefpérant d'obtenir aucun fecours des autres villes qui s'étoient d'abord liguées avec elle, & commencant a fentir le befoin de la paix, fe fouleva contre Dona Maria , la charta de la ville, & fe foumit aux Royaliftes. Dona Maria fe retira dans la citadelle , qu'elle défendit quatre mois entiers avec un courage étonnant : réduite enfin a la derniere extrêmité, elle eut encore Padreffe de s'échapper a la faveur d'un déguifement, &C fe réfugia en Portugal oü elle avoit plufieurs parents (£).  de Charles-Quint. 355 Auffi-töt après fa fuite, la citadelle fe rendit, & la tranquillité fut rétablie dans la Caftille. Cette tentative hardie des communes eut le fort de toutes les entreprifes de ce genre qui ne réuffiffent pas ; elle ne fervit qu'a étendre & a confirmer de plus en plus I'autorité royale , qu'elle avoit pour but de limiter Sc d'affoiblir. Les Cortès continuerent k faire partie de la conftitution dê Caftille , Sc ils furent convoqués toutes les fois que le Roi eut befoin d'argent; mais au-lieu de fuivre 1'aneienne & prudente coutume, d'examiner les plaintes du peuple, &de les appuyer, avant d'accorder aucune leyée d'argent, ils prirent Ie parti de faire leur cour au Roi , en commencant par accorder le fubfide; & lorfque Ie Souverain avoit obtenu tout ce qu'il defiroit, il ne leur permettoit plus de faire aucune recherche fur les abus du gouvernement, ni de tenter aucune réforme qui put préjudicier k fon autorité. Les privileges dont les villes jouiffoient auparavant furent infenfiblement reftreints ou tout-a-fait abolis : dès-lors leur Effets funeftes de cette guerre civile.  1522. 35^ I/HlSTOIRE commerce commenca a décliner; Sr devenant moins riches & moins peu- Progrès des foulevements dans le Royaume de Valence. plées, elles perdirent le pouvoir & ï'influence qu'ellesavoientacquis dans l'affemhlée des Etats. Tandis que la guerre civile défoloitla Caftille, des facrions plus violentes encore déchiroient le Royaume de Valence. La ligue qui s'étoit fbrmée dans la ville de Valence, en ij2o, & qui avoit pris le nom de confrérie (Germanada) , continua de fubfifter après que 1'Empereur eut quitté 1'Efpagne. Ce parti, fous prétexte de défendre les cêtes contre les defcentes des corfaires de Barbarie, & a la faveur de. la permiffion que Charles avoit eu 1'imprudence de leur accorder, refufa de mettre bas !es armes. Mais comme les plaintes les habitants de Valence avoient moins pour objet des entreprifes injuftes de I'autorité royale fur leurs privileges , que les exactions & 1'infolence des Nobles, ce fut fur-tout contre ceux-ci que fe tourna leur reffentirnent. Dés qu'ils eurent la permiffion de refter armés, & qu'ils eucent appris a fentir leurs forces^ ils  de Charles-Quint. 357 ne fongerent plus qu'a fe venger de leurs oppreffeurs. Ils chafferent les Nobles de la plupart des villes, pillerent leurs maifons, ravagerent leurs terres, & attaquerent leurs chateaux. Ils élurent enfuite treize perfonness une de chaque compagnie de commercants , établie dans Valence , & leur donnerent radminiffration du gouvernement, pour réformer , difoient-ils, les loix, pour établir une maniere uniforme de difpenfer la juftïce fans partialité & fans égard a Ia diflinöion des rangs, & pour rapprocher ainfi les hommes de 1'égalité primitive. Les Nobles furent obligés de prendre les armes pour fe défendre. Les • hoftilités commencerent de part ck d'autre, &c furent pouffées avec toute 1'animofité qu'infpiroit au peuple le reffentiment de 1'oppreffion , & a Ia Nobleffe 1'idée de 1'outrage qu'on faifoit a fa dignité. Comme il ne fe trouvoit pas un feul homme de naiffance , 011 d'une éducation diftinguée qui entrat dans la Germanada, elle n'avoit a la tête de fes* confeils & de fes troupes , que de vils artifans; i5 22.  1512. 35* L'Históire & de pareils chefs ne pouvoient gagner la confïance d'une populace furieufe , que par la férocité de leur zele & par 1'extravagance de leurs procédés. Dans une telle fociété, les loix introduites par les nations civilifées pour borner & modérer les fureurs de la guerre, devoient être inconnues ou méprifées ; auffi n'eftil point de cruauté 6c d'excès qu'ils ne commiffent, ni d'outrages qu'ils ne fiffent a 1'humanité. L'Empereur , occupé a appaifer Ia révolte de Ia Caftille , qui mena^oit de plus prés fa puiffance 6c fes prérogatives, n'étoit pas en état de donner beaucoup d'attention aux foulevements de Valence ; il laiffa a Ia Nobleffe de ce Royaume le foin de défendre comme elle pourroit fa caufe particuliere. Le Comte de Melito , vice-Roi, avoit le commandement en chef des troupes que les Nobles raffemblerent parmi leurs vaffaux. La Germanada foutint la guerre pendant les années 15 20 & 15 21 , avec plus de courage & de perfévérance, qu'on ne devoit 1'attendre d'une populace fans difcipline, conduite par des chefs  de Charles-Quint. 359 fi méprifables. "Elle défit les Nobles " dans primeurs acfions , qui, fans être importantes , furent très-vives; elle les forca d'abandonner toutes les entreprifes qu'ils firent fur différentes villes. Mais les Nobles, qui étoient plus inftruits dans 1'art militaire, & dont les troupes étoient bien mieux aguerries, eurent 1'avantage dans la plupart des combats. A la fin , aidés d'un corps de cavalerie Caftillane que les régents envoyerent a Valence , auffi-töt après la victoire qu'ils remporterent fur Padilla a Villalar , ce fecours leur donna une fi grande fupériorité, qu'ils vinrent bientöt a bout de diffiper & de ruiner entiérement la Germanada. Les chefs du parti furent mis a mort, & condamnës a tous les tourments que Ie refientiment des injures récentes put faire imaginer è des ennemis irrités. Le gouvernement de Valence fut rétabli dans fon ancienne forme (a). (a) Argenfola , annales d''Arragon , ch. 75, 90, 99, 118. Sayas, annales d'Arragon, ch. 5, 12, &c P. Mart. Ep. lib. 33 & 34. Ferrer. hifi. d'Efpagne, 8, 542, 594, &c. 1522,  y6o L' H i s t o i r e On vit auffi paroitre en ArragOR ijaa. Signes de mécontentement dans 1'Arragon. ïümeute terrible dans 1'ifle deMajorque. quelques fymptömes de eet ëfprit de mécontentement & de fédition qui régnoit dans les autres Royaumes d'Efpagne ; mais le vice-Roi, Dom Juan de Lanuza , fe conduifit avec tant de prudence, qu'il vint a bout d'étouffer ces germes de difcorde avant qu'il y eüt une révolte déclarée. II n'en fut pas de même dans 1'ifle de Majorque: les mêmes caufes qui avoient excité les foulevements de Valence , y produifirent des effets non moins violents. Le peuple, las de fupporter 1'oppreffion oü le tenoit la jurifdiöion rigoureufe de la Nobleffe , prit les armes , dépofa le vice-Roi, le charta de 1'ifle, & maf facra tous les Nobles qui eurent le malheur de tomber entre fes mains ; & il perfifta dans fa révolte avec une obftination égale a la fureur qui 1'y avoit porté. II fallut des efforts confidérables pour faire rentrer les habitants de Majorque dans ï'obéiflance; & ce ne fut qu'après que le calme eut été retabli dans «oute 1'Efpagne, qu'on put venir k bout  de Charles-Quint. 361 bout de réduire ces infulaires (a). Quand on obferve combien eet efprit de mécontentement étoit général parmi les Efpagnols, & combien de caufes concouroient a les porter k ces moyens violents, dans la vue d'obtenir le redreffement de leurs griefs, on peut s'étonner que les mécontents des différents Royaumes d'Efpagne ayent fi mal conduit leurs opérations, fans aucun concert, & même fans aucune communication entr'eux. S'ils avoient uni leurs armes & leurs confeils , ils euffent agi avec beaucoup plus de vigueur & de fuccès. L'apparence d'une confédération nationale auroit rendu cette ligue refpeéfable aux yeux du peuple , & formidable au Souverain.' L'Empereur n'auroit pas été en état de réfÜler k leurs forces combinées , & fe feroit vu forcé d'accepter les conditions qu'il auroit plu aux chef de lui prefcrire. Mais plufieurs mo- (a) Argenfole, Annales a* Arragon, ei 115. Ferreras , kift. 8 , 542. Sayas , annal. JArragon , c. 7 , 11 , 14 , 76 , 81. Feitetas , hifi. 8 , 579 , &c. 609. Tome III. q 1522. Caufes qui empêcherent 1'union des mécontents.  362 L'HlSTOIRE 1 tifs empêcherent les Efpagnols de former un feul corps , & de fe conduire fur un feul &c même plan. Les peuples des différents .Royaumes, quoique fiijets du même Souverain , confervoient une antipathie nationale 1'un pour 1'autre. Le fouvenir de leurs rivalités & de leurs hoftilités anciennes étoit encore récent, & le reffentiment de leurs mutuelles injures étoit fi entier, qu'il leur étoit impoffible de fe fier 1'un a 1'autre. Chaque nation aima mieux ne fe repofer que fur elle-même, & foutenir feule tout le choc , que d'implorer le fecours des nations voifines. D'ailleurs, les formes de gouvernement dans les divers Royaumes de 1'Efpagne, étoient fi différentes, & les changements que chaque peuple defiroit, étoient fi oppofés, qu'il n'eüt pas été facile de les faire concourir a 1'exécution d'un plan commun. Ce fut a cette défunion que Charles fut redevable de la confervation de fes Couronnes d'Efpagne; chacun de ces Royaumes agiffant ainfi féparément, ils finirent par être tous obligés de fe foumettre aux volontés de leur Souverain,  de Charles-Quint. 36*$ L'arrivée de 1'Empereur en Efpa¬ gne jetta les plus vives allarmes dans le cceur de ceux de fes fujets qui avoient pris les armes contre lui : mais il calma bientót ces cruelles inquiétudes par un acte de clémence qui fut autant 1'effet de fa prudence que de fa générofité. Dans une révolte fi générale , qui avoit fait tant de coupables, a peine y en eut-il viagt en Caftille qu'il fit punir du dernier fupplice. Son confeil le folIjcita vivement de montrer plus de févérité; mais il refufa conftamment de faire verfer plus de fang par les mains des bourreaux, & publia une amniftie générale qui s'étendoit a tous 1 les crimes commis depuis le commencement de la rébellion. II n'en excepta que quatre-vingts perfonnes: encore ne parut-il les nommer que* pour intimider les autres, & fans avoir aucun deffein de les pourfuivre. En effet, un officieux courtifan lui ayant offert de lui découvrir ou étoit caché un des plus confidérables des profcrits, il rejetta fon offre par une plaifanterie pleine de générofité : » Allez, lui dit-il, je n'ai rien è 1522. Conduite prudente Sc généreufe de 1'Empereur envers les mécon» tents. 28 Odo>re.  1)21. Adrien s'embarque pour Rome , oü il eft mal recu. (a) Sandov. 377 , &c. Vida del Carlos por D. J. ont de Vera y Zuniga, p. 30. (i) Ulloa. vita del Carlos F, p. 85. 564 LHlSTOIRÊ » craindre de eet homme; mais il » adesraifons pour s'éloigner de moi, » & vous ferez bien mieux de lui » dire que je fuis ici, que de m'inf» truire du lieu oü il eft (a) ". Cette apparence de magnanimité; le foin qu'il prit d'éviter tout ce qui avoit offenfé les Caftillans pendant le premier féjour qu'il avoit fait au milieux d'eux; fon aptitude a adopter leurs moeurs , a parler leur langue, a fe plier a leurs opinions & a leurs ufages, tout cela lui donna bientöt fur eux un afcendant que n'avoient jamais eu leurs Souverains Efpagnols, & les engagea k le feconder dans toutes fes entreprifes avec un zele 6c une valeur qui contribuerent particuliérement a fes fuccès & a fa grandeur (a). Dans le temps que Charles abordoit en Efpagne, Adrien quittoit ce Royaume pour aller en Italië prendre poffeffion de fa nouvelle dignité.  de Charles-Quint. 365 Depuis long-temps, le peuple Romain attendoit impatiemment fon arrivée; mais lorfqu'il vit ce nouveau Souverain , il ne put cacher fa fürprife & fon mécontentement. Les Romains accoutumés au fafte royal de Jules II & a 1'élégance brillante de Léon X, vit avec mépris un vieillard humble & fimple dans fon maintien , de mceurs aufieres, ennemi du faire, fans goüt pour les arts, & qui n'avoit aucune de ces qualités extérieures & impofantes que le vulgaire s'attend toujours a trouver dans les hommes élevés au premier rang (V). Ses vues & fes maximes politiques ne parurent pas moins étranges a fes miniftres. II reconnoiffoit & déploroit les vices qui s'étoient introduits dans l'Eglife & dans la Cour de Rome , & il fe prépara a réformer 1'u'ne & 1'autre. II ne laiffoit voir aucun defir d'élever fa familie; il fe fit même un fcrupule de retenir les terri-. O) Guich. hv. 15 , 1^8. Jovii , vita Adnani, 117. Bellefor. Epüres des Princ. 84. Q 1512.  (a) Guich. /, 15, 240, 366 L'HlSTOIRE ' toire que quelques-uns de fes prédéceffeurs avoient acquis par fraude ou par violence , plutöt que par aucun titre légitime; en conféquence, il rétablit Francois-Marie de la Rovere dans la poffefïion du Duché d'Urbin, dont Léon X 1'avoit dépouillé, & rendit au Duc de Ferrare plufieurs places que 1'Etat de l'Eglife lui avoil arrachées ( 37O L'HlSTOIRE Etats d'Italie fuivirent leur exemple ; & Francois fe trouva abandonné a fes propres forces, n'ayant plus un feul allié pour tenir tête a tant d'ennemis, dont les armes menagoient fes Etats de tous cötés (c. Paiquier, recherches, p. $26. 396 L'HlSTOIRE & fes regrets fur fa perte, avec toute la fenfibilité d'un ennemi généreux ; mais voyant qu'on ne pouvoit fans danger le tranfporter du lieu oü il étoit, il y fit dreffer une tente, 8c y laiffa des perfonnes chargées de prendre foin de ce grand homme. Leurs foins ne purent le fauver : il mourut, comme étoient morts fes ancêtres depuis plufieurs gcnérations , fur le champ de bataille. Pefcaire fit embaumer fon corps , & 1'envoya èt fes parents. Tel étoit le refped qu'on avoit dans ce fiecle pour le mérite militaire, que le Duc de Savoie ordonna qu'on rendit au corps de Bayard les honneurs qu'on rend aux Rois , dans toutes les villes de fes Etats on il paffa; & dans le Dauphiné , la patrie de ce héros r le peuple de tout état & de tout rang alla en grande proceffion au-devant de fon corps ( fugiend. $4%, 1524.  1524. (\ dnen , & qu'ainfi elle n'avoit point ete préfentée dans les formes au Pape aöuel, Campege fe prévalut de cette circonftance pour éviter de faire au nom de fon maitre une réponfe poütive fur eet objet : il obferva pourtant que cette lifte contenoit plufieurs articles auffi peu foumis que peu decents; & que la diete, en pubhant cette lifte, de fa propre autorite , avoit manqué ouvertement au refpecl du au faint Siege. II finit par demander encore qu'on procédat avec rigueur contre Luther & les adherents; mais quoiqu'il fut vivement fecondé par 1'Ambaffadeur del Empereur, qui, dansce temps-la, s empreffoit de flatter le Pape, & qui rit beaucoup de proteftations fur Ie zele de fon maitre pour 1'honneur & la dignité du faint Siege, le recès de Ia diete fut concu prefque dans les memes termes que celui de la 1 precedente , & !'on n'y ajouta aucune decJaration plus févere contre Luther oc ion parti (a). M Seckend. 286. Sleid. hifi. 66. l Ayril.  (a) Seckend. 292. Fin du Tornt troipmt* 414 L'HlSTOIRE, &C. 1 Avant de quitter 1'Allemagne, Campege, dans la vue d'éblouir &i de gagner le peuple , publia certains réglements pour réformer quelques défordres & quelques abus qui dominoient parmi le bas clergé; mais cette légere réforme qui étoit bien éloignée de répondre au defir des Lu* thériens, & aux demandes de la diete , ne fatisfit perfonne, & prodiiifit trés - peu d'effet. Le Nonce , d'une main timide , élagua quelques branches : les Allemands vouloient qu'on frappat un coup plus ferme , & qu'on attaquat le mal jufques dans les racines de 1'arbre (a).