LHISTOIRE DU R E G N E DE L'EMPEREUR CHARLESQUINT.   L'HISTOIRE DU REGIE DE L E MP E REU R CHARLESQUINT, Précédée efun Tableau des progres de la Sociêtê en Europe, depuis la dejlruclion de f Empire Romain jufqu'au. commencement, du Jei^ieme Siècle. Par M. R ober tson , Doöeur en Theo-» logie, Principal de PUniverfité d'Edimbourg, & Hiftoriographe de Sa Majefté Eritannique pour 1'Ecoffe. QUVRAGE TRADUIT DE L'ANGLOIS. TOME. QUATRIEME. A MAESTRICHT, Chez Jean-Ediwe Dufour & Puil, Roux, Imprimeurs-Libraires, affbciés. M. DCC, LXXXIII   L'HISTOIRE D V R E G N E DE L'EMPEREUH CHARLES - QUINT. ! ij=3S£ t": L I V R E IV. T i es Italiens ne doutoient pas que ■< la défaite des Francois, chaffés a la »5a4« fois du Milanès & des Etats de la Ré- Vues de# publique de Gênes, ne termini la ™f*^ guerre entf e 1'Empereur & le Roi affaires de de France; & eomme ils ne voyoient Charles & plus de Puiffance capable de réfiftef de Fran* a 1'Empereur en Italië , ils commen- S0^ «erent k craindre 1'accroiffement de Terne IV. A  Charles fe détermine a attaquer la france. 1 L' H I S T O I R I fes forces, &a former des vceuxardents pour le rétablilTement de la paix. Contents d'avoir procuré a Sforce la reftitution de fes Etats héréditaires, objet qui avoit été le prineipal motif de leur alliance avec Charles , ils ne diffimulerent plus 1'intention oü ils étoient de ne pas contribuer plus long-temps a augmenter la fupériorité qu'il avoit fur fon rival, & qui commencoit a exciter leur jaJouiie. Le Pape fur-tout, qui, par la timidité naturelle de fon caracïere, fe méfioit le plus de 1'ambition de Charles , chercha par le miniftere de fes Ambaffadeurs & par fes remontrances, k lui infpirer des fentiments de modération, 6c a le difpofer k la paix. Mais 1'Empereur enivré de fes fuccès, excité par Bourbon qui ne cherchoit que 1'occafion de fe venger , &c violemmententrainéparfa propreambition , méprifa les avis de Clément, & déclara que fa réfolution étoit prife, qu'il alloit faire paffer les Alpes a fon armee & attaquer la Provence , celle des Provinces de France oè fon rival craignoit le moins une at-?  ©e Charles-Quint. 3 Êaque, & oü il étoit le moins préparé a la foutenir, Ceux de fes Miniftres qui avoient le plus d'expérience, chercherent a le dilTuader de cette entreprife, en lui repréfentant la foibleffe de fon armée & 1'épuifement de fon tréfor mais il comptoit fur Ie fecours du Roi d'Angleterre ; & d'ailleurs, Bourbon, plein de cette confiance & de cette préfomption naturelle aux exilés , lui promettoit qu'un corps nombreux de fes partifans fe joindroit aux troupes impériales , dès 1'inftant qu'elles entreroient en France. Charles, féduit par ces efpérances , perfifta obftinément dans fon deffeia. Henri fe chargea de fournir dix mille ducats poar fubvenir aux fraix de 1'expédition pendant le premier mois, après lequeï il fe réfervoit le choix ou de continuer de payer la même fomme tous les mois, ou d'entrer en Picardie avant la fin de Juillet avec une puiffante armée. L'Empereur s'engagea de fon cöté a attaquer la Guyenne era même-temps avec un corps de troupes confidérable; & fi ces entreprifes réuffiflbient, Bourbon devoit reaA ij  4 L' H i s T o i R ï ■ trer dans les terres qu'il avoit per» dues, 6c de plus, être mis en poffeflion de la Provence avec le titre e Charles-Quint. 5 fèille. Bourbon vouloit qu'on marehat droit a Lyon, paree que fes testes étoient dans le voifinage de cette vflle , & que, par cette raifon , fon erédit y feroit plus efficace & plus étendu; mais FEmpereur étoit fi ja~ loux de la pofleffion d'un port qui lui afïureroit dans tous les temps une entree facile dans la France, que fon autorité prévalut pour cette fois fur 1'avis de Bourbon ; & détermina#efcaire a regarder Ia rédu&ion de Marfeille comnre fon objet principal_ (a). Francois qui- prévit bien le deffein de f Empereur, mais- qui n'étoit pas en état de le prévenir,.s*attacha a prendre les mefures les plus propres a le faire échouer. ïl ravagea le pays adjacent, afin d'öter aux ennemis les moyens d'y fubfifter; il rafa les fauxbourgs de la ville , ajouta .de nouvelles fortifications aux anciennes, &C jetta dans la place üne forte garnifon commandée par des officiers braves & expérimentés. Neuf mille habitants, a qui (a) Guich. /. 273 , &c. Mém. di du Bd'.iy , p- 80. A iij i5MLes Tmpé-; riaux entrent en Provence L.e ij Aoöt» Sagcs mestres deFraa. cois»  J7 Septembre. Les Impériaux forcés Je lever le Heg?, 6 L'Histoire la crainte de tomber fous le jong Efpagnol fïtméprifer le danger , fejoignirent a la garnifon , & s'armerent pour défendre la place. Leur bravoure & leur habileté reünies triompherent de toute la icience militaire de Pefcaire & de 1'aétivité du reffentiment de Bourbon. Pendant ce temps~la , Francois eut tout le loifird'affembler une armée nombreufe fous. les mursd'Avignon; & lorfqu'il avanca versMarfeüle, les Impériaux déja épuifés par les fatigues d'un fiege de quaranle jours, affoiblis par les maladies r &c prés de manquer de provifions , fe retirerent avec précipitalion vers 1'Italie (a). Si pendant ces opérations de 1'armée de Provence , Charles &c Henri eiuTent attaqué la France de la maniere qu'ils 1'avoient projetté , ce Royaume eüt couru le plus grand danger. Mais dans cette occafion y comme dansbeaucoup d'autres, 1'Empereur trouva que fes revenus n'é- (a) Gulch. /. 15 , 277. Ulloa, vita deiCarlo V, c>}.  be Charle s-Q u i n t.' 7 toient pas proportionnés h la grandeur de fa puiffance & a l'a&ivité de fon ambition; & le défaut d'argent le forca , quoiqu'a regret, de retrécir fon plan , & d'en laiffer toujours la moitié fans exécution. Henri, bleffé du refus qu'avoit fait Bourbon de reconnoïtre fes droits a la Couronne de France , allarmé par les mouvements des Ecoffois, qui, a la folliciation du Roi de France , s'étoient déterminés a marcher vers les frontieres de 1'Angleterre, & nétant plus excité par fon Mininre Wolfey , qui s'étoit extrêmement refroidi fur les intéréts de rEmpereur , ne prit aucunes mefures pour feconder cette même entreprife, qu'il avoit d'abord adoptée avec toute 1'ardeur que lui infpiroit toujours un projet nouveau (a). Si le Roi de France fe fut contenté d'avoir préfervé fes fujets des fuites de cette invafion formidable , & d'avoir montré a 1'Europe combien Ia force intérieure de fes Etats lui (a) Fiddes , Ufc of Wolfey , apptnd. n*. 70,71,7a/ A iy 1524. Francos ébloui par ce fuccès.  3 5.24- il prend la réfolution «d'envahir le Milanès». * L'Histoire fourniflbit de reffources pour repouf' fer les attaques d'un ennemi étranger , fecondé mêrae des talents & des efforts d'un fujet pmflant & rebelle , il eüt encore, malgré la perte du Milanès, fïni la campagne avec fconneur. Mais ce Prince, qui avoit plutot le courage d'un foldat que celui d'un général, qui étoit entrainé par fon ambition , & que fon caractere portoit plus a la témérité qu'a la prudence , fe laiffoit trop aifément eblomr par Ie fuccès, & féduire par toute entreprife qui demandoit de 1'audace & qui préfentoit de grands dangers. Lëtat oü étoient alors fes affaires , lui offroit naturellement une entreprife de ce genre. II fe trouvoit a la tête d'une des armées les plus puiifantes & les rnieux entretenues que jamais la France eüt mifes fur pied; il ne put fe réfoudre a la congédier fans avoir tiré quelque avantage de fes forces. L'armée impériale avoit été obligée de fe retirer; les. fatigues 1'avoient prefque ruinée ; le mauvais fuccès 1'avoit decouragée; le Milanès étoit fans dëfenfe ; il n'éto.itpas impoiïïble de s'y rendre ava»t  de Charles-Quint. 9 que Pefcaire put y arriver avec les débris de fon armée ; ou fi la crainte avoit rendu fa retraite plus prompte , il n'étoit pas en état de tenir contre des troupes fraiches & nombreufes; & dès-lors Milan étoit obligé de fe foumettre fans réfiftance, comme elle avoit fait phifieurs fois, k quiconque auroit la hardieffe de Pat* taquer. Ces . conjeöures- éfo:ejit parelles-mêmes affez plaufibles: elles pamrent décilives au bouillant Francois. En vain les plus fages de fes miniftres & de. fes généraux lui repréfenterent le danger de fe mettre en campagne dans une faifon fi avancée ,. avec une armée compofée en grande partie de Suiffés & d'Allemands , aux caprices d'efquels il feroit obligé de fe prêter dans toutes fes opérations fans avoir d'autre füreté que leur fïdélité. En vain Louife de Savoie fe hatoit a grandes journées d'arriver en Provence pour employer tout fon crédit a le détourner d'une entreprife fi téméraire. Franeois méprifa les repréfentations- de fes fujets-; & afin de s'épargner le d.éfagrément d'une entrevue avec fa mere, dont il étoit A v 1524.  ït nomme f& mere régente pendant fon abfeace» Opérations de la guerre dans le Milanès. Qij (Euv. de Brant. torn, 6, ajj. ro L'Histoire bien réfolu de rejetter les confeifs ^ il fe mit en marche avant qu'elle arrivat : mais pour réparer en; quel» que forte ce manque d'égard , il la hómma régente du Royaume pendant fon abfénce. Bonnivet ne contribua pas peu , par fes confeils , a afferrnir Francois dans la réfolutioa qu'il avoit prife. Ce favori, qui avoit tous les défauts de fon maïtre, étoit porté par I'impétuofité naturelle de ion caradere a appuyer fortement cette entreprife ; il étoit impatient d'ailleurs de revoir une Dame de Milan , clont il avoit été violemment épris dans fa derniere campagne; Sc 1'on prétend que , par les récits féduifants qu'il faifoit a Francois de la beauté & des agréments de fa maitreffe y il avoit enflammé Fame de ce Prince, toujours ouvert aux impreffions de 1'amour , & lui avoit infpiré le même defir de la voir (a).. Les Francois pafferent les Alpes au Mont-Cénis.;. & comme Ie fuccès dépendoit de leur diligence , ils mar-  BE CH ARLES-QurNT. IE cherent a grandes journées. Pefcai- " re, qui avoit été obligé de prendre un chemin plus long & plus diffTcile par Monaco & par Final, fut bientöt informé de leur deffein; convaincu qu'il n'y avoit que la préfence de fes troupes qui put fauver le Milanès, il marcha avec tant de célérité, qu'il atteignit d'Albe le mëme jour que 1'armée Francoife arrivoit a Verceil. Francois, inftruit par la faute qu'avoit faite Bonnivet dans Ia première campagne, marcha droit k Milan. L'approche inattendue d'un ennemi fi puiffant jetta la ville dans un fi grand trouble & dans une fi grande confternation , que Pefcaire, qui étoit entré dans la ville avec les meilleures troupes , fentit Pknpoffibilité de la défendre avec fuccès; & après avoir jetté une garnifori dans la citadelle, il fortit par une pórte, tandis que les Frangois entrerent par Fautre (a)* (a) Mém. de du Bellay , p. 8ï. Guich, i 15»178. 1524.  1524. Embarra' des Impé- 11 t'HlSTOIRE La célérité de la marche du Rot de France déconcerta tous les plans, de défenfe que les Impériaux avoient formés. Jamais généraux n'avoient eu a réiifter a une invafion fi formidable & dans des circonfiances fi défa-» vantageufes, Charles poffédoit des, Etats beaucoup plus étendus qu'aucun autre Prince de 1'Europe, & il n:avoit: alors d'autre armée 3 foudoyer que celle de Lombardie, qui ne montoit pas a feize mille hommes ;. mais fort autorité étoit fi limitée dans. fes différents Royaumes, & fes fujets, qu'il Jle pouvoit impofer a aucunes taxes fans leur confentement, montroient tant de répugnance a fe charger d'impofitions nouvelles ou extraordinair res, que fa petite armée fe trouva tout a la. fois fans paye* fans munitions, fans vivres Sc fans habits. Dans ces circonfiances, il; falloit toute la fegeffe de Lannoy , toute 1'intrépidité de Pefcaire , & la haine implacable de Bourbon, pour empêcher les Éroupes impériales de fe livrer au défefpoir, & pour leur infpirerla votonté & le courage de tenter les refênirces qui leur reftoient encore pou^  de Charles-Quint.' 13 fe tirer d'un fi grand danger. Ce fut aux efforts de leur génie & a 1'ao tivité de leur zele, plutöt qu'a fes propres forces, que 1'Empereur dut la confervation de fes Etats d'Italie (a). Lannoy , eri engageant les revenus de Naples, fe procura quefqu'argent, qui fut auffi-töt employé a pouryoir aux plus preffants befoinst des troupes. Pefeaire, qui étoit chéri & prefqu'adoré des troupes Efpagnoles, les exhorta a monteer-a l'Eu«rope, en s'engageant a fei vir 1 Em» pereur dans cette fituation périlleufe' fans. demander leur folde , qu'ils étoient animés par des fentiments d'honneur, bien fupérieurs a ceux d'une troupe mercenaire; & ces braves foldats accepterent la propofition avec une générofité fans exemple (£). Bourbon , de fon cöté, mit fes bijoux en gage pour une fomme con- (!«) Guich. /. x<;, 280. (£) Jovii., v'ita Davali, t. f, p. ^26i Sandov. vol. 1 , 67 t. U!'oa , v'ita del Carl. V, t. 5,/». 94, &c. Vïc de l'Emp. Ch> V} par Vera y Zuniga, p. 36".  Francois affiege Pa vie» bre. {a) Mém. de du Bellay, p. 8j, m ?4 L' H i s t out e ' fidérable, & partit auffi-töt pour 1'Ah lemague oü il avoit beaucoup de crédit , afin d'accélérer, par fa préfence, la levée d'un corps de troupea pour le fervice de 1'Empereur («). Francois commit une faute irrépa- " rable, en donnant aux Généraux de 1'Empereur Ie temps de profiter de toutes ces opérations. Au - lieu de pourfuivre 1'ennemi qui fe retiroit vers Lodi fur 1'Adda, poüe qui ne pouvoit tenir, & que Pefcaire étoit réfolu d'abandonner a fon approche, il donna la préférence a 1'avis de Bonnivet, quoique contraire a celui des autres Généraux , & alla met* tre le fiege devant Pavie, ville fituée fur le Tefin ; c'étoit a la vérité une place importante , & dont la poffeffion lui auroit ouvert toute la fertile contrée qui borde la riviere: mais elle étoit bien fortifiée; il étoit dangereux d'entreprendre un fiege difficile dans une faifon fi avancée ; & les Généraux de 1'Empire , qui fen-  de Charles-Quint. ij toient 1'importance de conferver cette place, y avoient jetté une gsrnifon de fix mille vieux foldats fous les ordres d'Antoine de Leve , officier d'un rang diftingué, d'une grande expérience , d'un courage auffi patiënt qu'aöif, fertile en reffources, jaloux. defefignaler, accoutumé depuis longtemps a obéir comme a commander , & par conféquent eapable de tout fouffrir & tout tenter pour réuffir. Francois preffoit le fiege avec une vigueur égale a la témérité qui 1'avoit porté a 1'entreprendre» Pendant trois mois , toute la fcience que pouvoient avoir les ingénieurs de ce fiecle , tout ce que peut faire la valeur des foldats, fut mis en ufage pour réduirela place. Lannoy &Pefcaire, hors d'état de traverier fes opérations , étoient obligés de refter dan?, une fi honteufe inaction, qu'on répandit a Rome une pafquinade , dans Iaquelle on offroit une récompenfe a quiconque pourroit découvrir Farmee des lmpériaux , qui s'étoit perdue au mois d'Oöobre dans les montagnes qui féparent !a Fr2nce de ls 152,4, II poufle c* fiege avec vigueur.  Belle oefenfe des affié- {a) Sandov. i. 608» i<5 U H r s t o r r e Lombardie, fans qu'on en eüt eu depuis aucunes nou veil es (a). Leve, qui eonnoiffoit tout 1'embarrasoiife trouvoient fes compatriotes , & PimpuilTance oü ils étoient de tenir tête en rafe campagne a une armée aiifu puiffante que celle des affiégeants, fentit que fa füreté dépendoit uniquement de fa vigilance & de fa valèur. II donna de Pfane & de Fautre , des preuves extraordinaires & proportionnées a 1'importance de la place dont la défenfe lui étoit con« Éée. II retardoit les approches des. Frangois par dés forties fréquentes &c vigoureufes. Derrière les brêches que faifoit leur artillerie , il élevoit de nouveaux ouvrages dont la force pa* roifloit égale a celle des premières, fortifïcations. II repouffoit les affiégeanrs dans tous leurs affauts ; & Fexernple qu'il donnoit encouragea non-feulement la garnifon , mais les habitants même a foutenir, fans murmurer, les fatigues les plus exceffives, & a affronter les plus granda  DE ChARLES-QUI NT. VJ périls. La rigueur de la faifon vint feconder fes efForts, pour retarder les progrès des affiégeants. Francois effaya de fe rendre maitre de la ville % en détournant le cours du Tefin, qui la défendoit d'un cöté; mais une inondation fubite de la riviere détruifit en un jour , 1'ouvrage de plufieurs femaines, & entraina toutes les levées que fon armée avoit faites après des travaux immenfes &c des dépenfes «normes (d). Malgré la lenteur des progrès du fiege, & la gloire dont fe couvroit Leve par fa belle défenfe, on ne doutoit pas que la ville ne fut a la fira obligée de fe rendre. Le Pape, qui regardoit déja 1'armée Franeoife com» me dominante en Italië , fe hata de rompre les engagements qu'il avoit contradtés avec 1'Empereur, dont les projets excitoient fa ialoufie , & de fe lier d'amitié avec Francois. Comme la timide circonfpeftion de fon ca= radlere le rendoit incapable de fut- ( M24* La Pape. conclut uö traité de neutrali'.é»  1524- 0 iS L'HlSTOIRE vre Ie plan hardi qu'avoit forrné Léon X, de délivrer PItalie du joug des Princes rivaux, il revint au projet plus fimple & plus facile d'employer la puiffance de 1'un a balancer &c k renverfer celle de 1'autre. Dans ces difpofitions, il ne diffimula point la joie qu'il avoit de voir le Roi de France recouvrer Milan , dans 1'efpérance que la crainte d'un ii puiffant voifin mettroit un frein a 1'ambition de 1'Empereur, qu'aucune Puiffance d'Itaüe n'étoit alors en état de confenir. II s'occupa avec beaucoup d'ardeur k procurer une paix qui affürat a Francois la poffeffion de fes nouyelles conquêtes : mais. Charles , toujours inébranlable dans la pourfuite de fes projets, re/etta avec dédain fa propofition, & fe plaignit amérement du Pape , qui 1'avoit lui-même engagé a envahir le Milanès, lorfqu'ü n'étoit encore que le Cardinal de Médicis. Sur fon refus, Clément conclut auffi-töt avec Ie Roi de France un traité de neutmlité, oh la République de Florence fut comprife (a)»  be Charles-Quint. 19 Par ce traité , Frangois enleva a FEirtpereur deux de fes plus puiflants alliés, en même-temps qu'il s'afluroit un paffage pour fes troupes par leurs Etats; ces avantages lui kifpirerent 1'idée d'attaquer le Royaume de Naples , & lui firent efpérer qu'il s'empareroit aifément d'un pays abandonné & entiérement fans défenfe; ou qu'au moins cette invafïon imprévue obligeroit le vice-Roi a- rappeller du Milanès une partie dej'armée impériale. Dans cette vue, il y envoya fix mille hommes fous le commandement de Jean de Stuard , Duc d'Albanië ; mais Pefcaire prévoyant bien que le fuccès de cette diverfion dépendroit entiérement du fuccès des armées qui étoient dans le Milanès, engagea Lannoy a ne faire aucune attention k ces mouvements , ék a tourner (a) tous fes efForts contre le Roi de France , qui, en détachant de fon armée un corps fi confidérable s'étoit affoibli mal-a-propos , & juftifioit encore le reproche qü'on hii a (a) /rps du Duc d'Albanië , & affoiblie encore par lesfatigues d'un long fiege-, & par la rigueur de la faifon. Mais plus le nombre des Impériaux au» gmentoit, plus ils fentoient la difette d'argent; loin d'avoir affez de fonds pour fournir a une armée fi nombreufe, ils avoiertt a peine de quoi payer les fraix du tranfport de Par* tillerie, des munitions & des vivres. L'habileté des Généraux fuppléa a tout. Par leur propre exemple , & par les magnifique promeffes qu'ils firent au nom de 1'Empereur, ils vinrent a bout de déterminer les troupes des difFérentes nations qui compofoient leur armée , a fe mettre en marche fans recevoir de folde: ils s'engagerent a les mener droit k 1'ennemi, & les flatterent de 1'efpoir d'une viftoire certaine qui leur offroit, dans les riches dépouilles de 1'armée Fran cöife , une ample récompenfe de tou« leur fervices. Les foldats fentiren qu'en quittant 1'armée , ils perdoien les arrérages confidérables qui leui ■étoient dus; & empreffés de s'em^ parer des tréfors qu'on leur promet  lis vont attaquer les Francois. Le 3 Fev, (a) Eryci Peuteani, hifi. Cifalpini, ap. €arvii thef. antiquih hal. 3 , p. i170 , E179. '2.2. L'HlSTÖlRE toit, ils dem anderent Ia bataille avee toute 1'impatience d'aventuriers qui ne combattent que pour le butin (a). Les Généraux de 1'Empereur ne s'expoferentpas alaiffer refroidir 1'ardeur de leurs troupes, & marcherent auffi-töt vers le camp des Francois. A la première nouvelle de leur approche, Francois affembla un confeil de guerre pour délibérer fur ce qu'il y avoit a faire. Ses officiers les plus expérimentés étoient d'avis qu'il fe retirat, & qu'il évitat une bataille contre un ennemi qui ne la cherchoit que pardéfefpoir. Ilsobfervoient que les Généraux de 1'armée impériale feroient dans quelques femaines obligés de licencier des troupes qu'ils ne pouvoient payer, & qu'ils ne contenoient que par 1'efpérance prochaine du pillage; ou bien que les foldats irrités de ne pas voir 1'effet des promeffes auxquelles ils s'étoient fiés, exciteroient quelque foulevement qui  be Charles-Quinr. 23 ne laifferoit a leurs chefs que le loi- ' iir de fonger a leur propre füreté. Enfin , ils confeilloient a leur Souverain de fe retrancher dans quelque pofte bien fortifié, & d'y attendre tranquillement 1'arrivée des troupes fraiches qui devoient venir de France & de Suifie, paree qu'alors il pourroit fans danger & fans eftufion de fang, s'emparer de tout le Milanès avant la fin du printemps; mais Bonnivet fe trouva d'un avis contraire: ce fut fa deftinée de donner pendant toute la campagne des confeils funeftes a la France. II repréfenta la honte dont fe couvriroit le Roi, s'il abandonnoit un fiege qu'il avoit continué fi long-temps, ou s'il fuyoit devant un ennemi dont les troupes étoient moins nombreufes que les fiennes; il infifta fur la néceffité d'accepter la bataille, plutöt que d'abandonner une entreprife dont le fuccès décideroit de la renommée ck de la gloire de fon maïtre. Malheureufement, Frangois pouffoit les idéés de 1'honneur k un excès de délicateffe un pe« romanefque. Comme il avoit fouvent üépété qu'il prendroit Pavie, ou qu'ü  1525. Bataille de Pavie. 34 Fév. («) Guich. /. 15, 291» 24 L'HlSTOIRE périroit au pied de fes murs, il fe crut engagé a foutenir cette réfolution; &c plutót que de manquer k ce vain point d'honneur, il facrifia tous les avantages que lui aifuroit une retraite prudente, & prit le parti d'attendre les Impériaux fous les murs de Pavie Les Généraux ennemis trouverent les Francois fi bien fortifies dans leur camp, que, malgré toutes les raifons qu'ils avoient pour attaquer fans délai, ils balancerent long-temps : mais 1'extrêmité ou les affiégés étoient réduits, & les murmures de leurs foldats les obligerent a courir le hafard d'une bataille. Jamais deux arrnées n'engagerent une acfion avec plus de fureur; jamais on ne fentit plus vivement des deux cötés les conféquences de la vicToire ou de la défaite; jamais les combattants ne furent plus animés par 1'émulation, par 1'antipathie nationale, par le reffentiment mutuel, & par toutes les paffions  de Charles-Quint. iy 'p^ffions qui peuvent porter la bravoure jufqu'a fon plus haut degré. D'un cöté , un jeune Monarque plein de valeur, fecondé d'une Nobleffe généreufe , Sc fuivi de fujets dont 1'impétuofité naturelle s'accroiffoif encore par 1'indignation que leur infpiroit la réfiftance, combattoient pour la viftoire Sc pour 1'honneur. De 1'autre, des troupes mieux difciplinées, conduite par des Généraux plus habiles, combattoient par néceffité, avec un courage exalté par le défefpoir. Les Impériaux ne purent cependant réfifter au premier effort de la valeur francoife , Sc leurs plus fermes bataillons commencerent a plier ; mais la fortune changea bientöt de face. Les Suiffes qui fervoient dans 1'armée de France, oubliant la réputation que leur nation s'étoit acquife par fa fidélité Sc par fa bravoure , abandonnerent lachement leur pofte. De Leve fit une fortie avec fa garnifon ; Sc dans le fort du combat, attaqua 1'arriere-garde des Francois avec tant de furie, qu'il la mit en défordre ; Pefcaire tombant en même-temps fur la cavalerie FranTome IV. B  Déroute de 1'armée Francoife. 2.6 L' H I 'S T O I R 'E coife avec fa cavalerie Allemande., qu'il avoit habilement entremélée d'un grand nombre de fantaflins Efpagnols , armés de pefants moufquets dont on fe fervoit alors, rompit ce Corps formidable par une nouvelle méthode d'attaque a laqueile les Francois ne s'attendoient point. La déroute devint générale ; il n'y avoit prefque plus de réfiftancequ'a 1'endroit oü étoit le Roi; & il ne combattoit plus pour 1'honneur ou pour la viöoire, mais pour fa propre fureté. AfFoibli par plufieurs bleflures qu'il avoit déja recues, •& jetté a bas de fon cheval qui avoit été tué fous lui, il fe défendoit encore a pied avec un courage héroïque. Plufieurs de fes plus braves officiers s'étoient raflemblés autour de lui; & faifant des efforts incroyables pour fauver la vie de leur Roi aux dépens de la leur, ils tomboient fuccelfivement a fes pieds. De ce nombre fut Bonnivet, 1'auteur de cette grande calamité, & le feul dont la mort ne fut point regrettée. Le Roi, épuifé de fatigue, ne pouvant plus fe défendre, fe trouva prefque feul, ex-  DE C HARTLES-QU ÏNT. 27 fvfé k toute la fureur de quelques foldats Efpagnols, qu'irritoit la réfiftance obftinée de ce guerrier , dont Je rang leur étoit inconnu. Dans ce moment arriva Pompérant, Gentilhomme Francois, qui étoit entré avec Bourbon au fervice de 1'Empereur, & qui fe placant a cöté du Monarque contre lequel il s'étoit révolté, le protégea contre la violence des foldats, en le conjurant en mêmetemps de fe rendre au Duc de Bourbon qui n'étoit pas éloigné. Malgré le danger preffant qui environnoit Francois de toutes parts , il rejetta avec indignation 1'idée d'une action qui auroit été un objet de triomphe pour un fujet rebelle ; mais ayartt appercu Lannoy qui, par hafard , fe trouva prés de lui, il 1'appella , & lui rendit fon épée. Lannoy fe profiernant pour baifer la main du Roi , recut fon épée , avec un profond refpeft; & tirant la fienne , il la lui préfenta , en lui difant qu'il ne convenoit pas k un fi grand Monarque de refter défarmé en préfence d'un fujet de 1'Empereur (a). ( prifonniers & les arrérages de leur foldê , & les mit en état de rentrer en campagne. Elle leva de nouvelles troupes , pourvut a la füreté des frontieres, & fut fe procurer des fommes fuffifantes pour ces dépenfes extraordinaires. Elles srappliqua fiir-tout a calmer le reffentiment & a gagner 1'amitié du Roi d'Angleterre ; Sc ce fut de ce cöté que le premier rayon* d'efpérance vint ranimer le courage des Francois.. Henri, en formant fucceffivement des alliances avec. Charles ou avec Francois r avoit rarement fuivi un plan de politique régulier & concerté : il fe laifibit ordinairement entrainer du cöté oii le poufloit 1'impulfion des paflions du moment: cependant il arriva des événements qui réveillerent fon attention fur eet équi» libre de pouvoir qu'il étoit néceffaire de maintenir entre les deux Puiffances belligérantes ; & il avoit toujours B v ■HMMM 15.ÏS.  Ï.12J. 34 L'HlSTOIRE eu la prérention de regarder commn fon objet particulier le foin de maintenir eet équilibre. Son union avec 1'Empereur lui avoit fait efpérer de trouver bientöt une occafion favorable de rentrer dans quelques portions des terres de France qui avoient appartenu k fes prédéceifeurs, & Pappas de cette conquête 1'avoit aifément déterminé a aider Charles k prendre la fupériorité fur Francois. Cependant il n'avoit jamais prévu un événement auffi décifif & auffi fatal a la France que la vicloire de Pavie , qui lui parut non-feulement avoir défarmé , mais avoir même entiérement anéanti la puirTance d'un des deux rivaux. L'idée de la révolution complette tk fubite que eet événement alloit occafionner dans le fyftême politique, lui donna de vives inquiétudes. 11 vit 1'Europe en danger de devenir la proie d'un Prince ambitieux , dont rien n'étoit plus capable de balancer la puijTance. En qualité d'allié, il pouvoit bien efpérer d'être admis a partager une partie des dépouilles du Roi captif; mais il étoit aifé de fentir que , dans  de Charles-Quint. 35 la maniere de faire ce partage, comme dans 1'affurance de conferver fon lot, il dépendroit abfolument de la. volonté d'un allié, dont les forces fe trouvoient alors bien fupérieures aux fiennes. II prévitque s'il laifloit Charles ajouter encore une portion confidérable du Royaume de France aux vaftes Etats dont il étoit déja maitre , ce feroit un voifin beaucoup plus redoutable pour 1'Angleterre, que les anciens Rois de France ne Pavoient été; & qu'en même-temps la balance du continent, dont 1'équilibre faifoi't la füreté & le crédit de 1'Angleterre, feroit tout-a-fait renverfée. L'intérêt qu'il prenoit a la fituation de finfortuné Frangois, vint fortifier encore toutes ces confidérations politiques ; la bravoure avec laquelle ce Roi s'étoit comporté a la bataille de Pavie, infpiroit k Henri des fentiments d'admiration, qui ne pouvoient manquer d'augmenter fa pitié; & Henri, naturellement fufceptible de fentiments généreux, étoit jaloux de la gloire de fe montrer aux yeux de 1'Europe comme le libérateur d'un ennemi vaincu. Les paffions du miniflre AnB vj 1525.  (a) Mém. de du Bellay, 94. Guich, /. 16, 318. Herben, 36 L'HlSTOIRE glois feconderent les inclinations drt Monarque. Wolfey, qui avoit vu fes prétentions a Ia thiare fruftrées dans deux éleöions confécutives, & qui en rejettoit particuliérement la faute fur 1'Empereur, faifit avec empreffement une occafion de s'en venger. Louife, de fon cöté , recherchoit 1'ajnitié du Roi d'Angleterre avec une foumiffion qui flattoit également ce Prince & fon miniftre; Henri lui donna en fecret fa parole, qu'il ne prêteroit point fon fecours pour opprimer la France, dans 1'état malheureux oii elle étoit réduite; mais il exigea en même-temps de la Régente, qu'elle ne eonfentiroit jamais a démembrer fon Royaume , même pour procurer la liberté a fon rils (<*). - Cependant comme les liaifons de Henri avec Charles 1'obligeoient a fe conduire de maniere a fauver les apparences, il fit faire dans fes Etats des réjouiffances publiques pour le fuccès des armes de 1'Empereur; &c com-  de Charles-Quint. 37 me s'il eüt été impatient de faifir 1'occafion prélente de compléter la deftruöion de la" monarchie Frangoife, il envoya des Ambaffadeurs a Madrid pour complimenter Charles fur fa viétoire, & lui rappeller qu'en qualité de fon allié, & comme intérene dans cette caufe commune, il avoit drdit d'en partager les fruits; il demandoit en conléquence qu'en vertu des conventions de leur traité , Charles envahit la Guyenne avec une forte armée, &c le mit en pofleffion de cette Province. En même-temps, il offröit d'envoyer la PrincelTe Marie en Efpagne ou dans les Pays-Bas, pour être élevée fous la direflion de 1'Empereur , jufqu'a la conclufion du mariage qui avoit été arrêté; & en retour de cette marqué de conhance, il demandoit qu'on lui remit Francois, en vertu du traité de Bruges, par lequel chacune des pïirties contraflantes sëtoit engagée a remettre tout ufurpateur dans les mains de celui dont il auroit bleflé les droits. Henri ne pouvoit pas férieufement efpérer que 1'Empereur écouteroitdes propofitions fi extravagantes, qu'il 15 25-.  Sur les Etats d'Italie. () Guich./. 16 , 316. Mautoceni, hifi. 5 AvtiL  »5a> Révolte de 1'armée Impériale. Venei. ap. ljlorichi delle cofe Vene^. 5 , 13 1 } 136. 40 L' H I S T O I R E Quelque honteux que fut Fartifïce dont on s'étoit fervi pour tirer cette fomme des mains du Pape r elle fe trouva fort a propos dans celles du vice Roi pour le tirer d'un danger très-preffant. Auffi-tot après la dcfaite de 1'armée Francoife , les mêmes Allemands qui avoient défendu Pavie avec tant de courage & de conftance, crurent que la gloire qu'ils avoient acquife Sc les fervices qu'ils venoient de rendre, leur donnoient Ie droit d'être infolents : las d'attendre inutilement le fruit des promeffes dont on les avoit amufés fi longtemps, ils fe rendirent maïtres de la ville, réfolus d'en refler en poffeffion comme d'un gage pour le payement des fommes qui leur étoient dues; Sc le refte de 1'armée montra beaucoup plus de difpofition a foutenir les mutins qu'a les réprimer. Lannoy appaifa ces féditieux Allemands en leur diflribuant 1'argent du Pape: mais quoiqu'il les eüt fatisfaits pour  DE CHARLES-Q V INT. 41 ï'inltant, il avoit peu d'efpérance d'être en état de les payer réguliérement a 1'avenir ; & craignant que y dans leur mécontentement, ils ne fe faififfent de la perfonne du Roi prifonnier, il prit le parti de licencier fur le champ toutes les troupes , tant Allemandes qu'Italiennes , qui étoient au fervice de 1'Empereur (a). Ainfi , par un contraire qui doit paroitre fort étrange, mais qui dérivoit naturellement de la conftitution de la plupart des gouvernements Européens dans le feizieme fiecle , tandis que Charles étoit foupconné par tous fes voifins de prétendre a la monarchie univerfelle , & qu'en efFet il formoit les pro jets les plus vaftes , fe* revenus étoient en même-temps fi bornés , qu'il ne pouvoit pas entretenir une armée viftorieufe qui ne montoit pas a plus de vingt-quatre mille hommes. Cependant Charles, renoncant bientöt a 1'air de modération & de défintéreffement qu'il avoit afFeclé d'a- (ij) Guich. /. 26, p. 302. toire. 1525, L'Empe-" reur délibere fur les moyens de tirer parti de fa vic-  ■«5*5- 42 L' H I 5 T O I R I bord , s'occupoit fans relache de& moyens de tirer les plus grands avantages poifibles du malheur de fon adverfaire. Quelques-uns de fes confeilIers 1'exhortoient a traiter Francois avec la générofité qui convient a un Monarque vainqueur > &c vouloient qu'au-lieu d'abufer de fon infortune pour lui impofer des, conditions rigoureufes, Charles lui rendit la libertc, de maniere a fe fattacher pour toujours par les Hens de la reconnoiflance &c de Famitié , liens bien plus forts & bien plus durables que ceux qu'il pourroit former par des ferments extorqués & des ftipulations involontaires.. Peut^être que tant de générofité s'aecorde mal avec la politique ; c'étoit d'ailleurs un fentiment trop délicat pour le Prince k qui on vouloit 1'infpirer. Le parti moins noble & moins grand , mais plus facile & plus commun, de faire tous fes efforts pour tirer parti de la captivité de Francois , eut la pluralité des voix au confeil, &c il convenoit bien mieux au caraftere de PEmperéur. Charles, en adoptant ce plan, ne 1'exécutapas avec adrelfe. Au-lieu de faire  de Charles-Qu in t. 43 un grand effort pour pénétrer dans la France avec toutes les forces de 1'Efpagne & des Pays-Bas; au-lieu d'écrafer les Etats d'Italie avant qu'ils euffent le temps de fe remettre de la confteraation oü les avoit jettés le fuccès de fes armes, il eut recours aux fineffes de 1'intrigue & de la négociation : mais il s'y détermina en partie par néceflïté ,. en partie par caraöere. Le mauvais état de fes rinances le mettoit prefque dans 1'impof» fibilité de faire aucun armement confidérable ; & comme il n'avoit jamais paru a la tête de fes armées , dont il avoit toujours donné le commandement a fes Généraux, il goütoit peu lésconfeils qui demandoient 1'audace & les talents d\in guerrier, & il avoit plus de confiance dans 1'arl de la négociation qu'il connoiffoil mieux. D'ailleurs, il fe lailfa trof éblouir par la viftoire de Pavie; i parut croire qu'elle avoit anéanti tou tes les forces de la France, &c épui fé toutes fes reffources, & que c< Royaume alloit tomber entre fe mains comme la perfonne du Sou verain. I  Conditions rigoureufes qu'il propofe a Francois. i t i 1 I i I > 44 L'Histoire Plein de ces idees, il réfolut de mettre au plus haut prix la liberté de Francois, & chargea le Comte de Rceux de vifiter de fa part ce Roi dans fa prifon, & de lui propofer les conditions fuivantes, comme les feules auxquelles il pouvoit être relaché. Ces conditions étoient de rendre la Bourgogne k 1'Empereur , dont les ancêtres en avoient été injufkment dépouillés; de céder la Provence & Ie Dauphiné pour être érigés en un Royaume indépendant qui feroit donné au Connétable de Bourbon ; de fatisfaire le Roi d'Angleterre (iir toutes fes prétentions, & enfin de renoncer k toutes celles des Rois de France fur Naples, Milan & tout au're Etat d'Italie. Francois , qui s'étoit latté que 1'Empereur le traiteroit avec a générofité qu'un grand Prince avoit Iroit d'attendre d'un autre , ne put mtendre ces propofitions fans être ranfporté d'une fi violente indignaion, que tirant tout-a-coup fon épée, 1 s'écria ; » II vaudroit mieux pour ► un Roi de mourir ainfi I » Alarcon, illarmé de cette violence , faifit la nain du Roi qui fe calma bientót,  de Charles-Quint. 4 pour le refte de fes jours (a). Cette réfolution extraordinaire du Roi de France fit une forte inipreffion fur Fefprit de Charles : il commenga a craindre qu'un excès de rigueur ne lui fit manquer fon but, ck qu'au-lieu des grands avantages qu'il comptoit retirer de la rancon d'un fi puiffant Monarque , il ne trouvat a la fin n'avoir entre fes mains qu'un Prince fans Etats & fans revenus. II arriva dans le même temps r qu'un des domeftiques du Roi de Navarre , par des efforts extraordinaire* de fidélité , de courage & d'adreffe ,. procura a fon maitre 1'occafTon de s'évader de la prifon ou il étoit renfermé depuis la bataille de Pavie» Cette évafion convainquit 1'Empereur, que la vigilance de fes officiers,, quelqu'attentive qu'elle fut, pourroit bien auffi être mife en défaut par 1'adreffe ou le courage de Francois (a) Cet a£le eft rapporté dans les mémoires hifloriques & paliüques ,de M. 1'Abbé Raynalj tom. 2 , p. 151. 1525. Inquiétude de Chailes*  Traité de Madrid. 68 L'Histoire ou de fes gens , & qu'une hetire malheureufe pouvoit lui faire perdre tous les avantages qu'il avoit cherché è s'affurer par tant de foins. Ces confidérations le déterminerent a fe relacher un peu de fes premières demandes : d'un autre cöté , 1'impatience de Francois & Ie dégout de fa prifon augmentoient tous les jours: certains avis qu'il recut d'une ligue puiffante qui fe formoit en Italië contre l'Empereur, le rendirent plus difpofé a céder davantage , dans la confiance que s'il pouvoit une fois obtenir fa liberté , il feroit bientöt en état de reprendre tout ce qu'il auroit accordé. Ainfi les vues & les fentiments des deux Monarques fe rapprocherent, & le traité qui procura a Francois fa liberté, fut figné a Madrid le 14 Janvier 1516. L'article qui regardoit Ia Bourgogne, & qui jufqu'alors avoit occafionne la plus grande difficulté, fut arrêté ; Francois s'engagea a reftituer ce Duché avec toutes fes dépendances , pour être poffédé par l'Empereur en toute fouveraineté : mais comme Charles confentoit k ren-  DE CHARLES-QU IN T. 69 dre a Francois la liberté avant que cette reflitution fut confommée ; afin d'affurer 1'exécution de eet article , ainfi que de tous les autres , il fut fïi* pulé que Francois, dès 1'inftant qu'il feroit relaché , livreroit a l'Empereur pour ótages , fon fils ainé le Dauphin , le Duc d'Orléans fon fecond fils, ou , k la place du dernier, douze des principaux Seigneurs du Royaume que Charles nommeroit a fon choix. Ce traité contenoit encore un grand nombre d'articles extrêmement rigoureux , quoique moins importants que les précedents. Les plus remarquables, étoient que Francois renonceroit k toutes fes prétentions en Italië ; qu'il céderoit tous les droits qu'il avoit k la fouveraineté de la Flandre &c de 1'Artois; que dans le dé* lai de fix femaines après fa délivrance, il rendroit k Bourbon & k fespartifans tous leurs biens meubles & immeu* bles , avec un dédommagement complet des pertes qu'ils avoient effuyées par la confifcation ; qu'il employeroit tout fon crédit fur Henri d'Albret, pour le forcer d'abandonner fes prétentions a la Couronne de Na- 15 26,  1526, 70 L' HlSTOIRE varre , & qu'il ne lui donneroit a 1'avenir aucune efpece de fecours pour la recouvrer ; qu'il y auroit entre l'Empereur & Francois une alliance d'amitié & d'union perpétuelle , avec promeffe de fe fecourir mutuellement dans tous les cas de nécelïité ; que pour fortifier cette union, Francois épouferoit la fceur de l'Empereur , Reine douairere de Portugal ; que Francois feroit ratifier tous les articles du traité par les Etats de fon Royaume , & les feroit enregiftrer dans fes Parlements ; qu'auffi-töt que l'Empereur recevroit Pafte de cette ratification , il mettroit les ötages en liberté ; mais qu'a leur place , on lui remettroit Charles, Duc d'Angoulême , troifieme fils du Roi de France , pour être élevé a la Cour impériale , afin de manifefter par-la & de cimenter davantage 1'amitié qui devoit régner entre les deux Monarques ; & que fi Francois n'accompliffoit pas , dans les délais marqués, tous les articles de ce traité , il s'engageroit , fous fa parole d'honneur & par ferment , a retourner en Efpagne pour  de Charles-Quint. 71 y refter prifonnier de l'Empereur ( pereur, dont la défiance augmentoit k meiure qu'il voyoit approcher le moment de t'exécution du traité. Pour s'affurer de plus en plus de la fidéHté de fan prifonnier , Charles exi«  be Charles-Quint. 75 gea de nouvelles promeffes, que Ie Roi de France ajouta fans peine k toutes celles qu'il avoit déja faites. Francois quitta Madrid avec des fentiments de joie qu'on imagine aifément; cette ville lui rappelloit trop d'idées affligeantes pour ne lui être pas odieufe. II commenca ce voyage fi long-temps defiré qui le ramenoit dans fes Etats, efcorté par un corps de cavalerie fous le commandement d'Alaroon, dont 1'attention & la vigilance augmentoient k mefure qu'on approchoit des frontïeres de France. Lorfque Ie convoi fut arrivé a la riviere de Bidaffoa , qui fépare les deux Royaumes, Lautrec parut fur Ia rive oppofée avec une efcorte de cavalerie , égale en nombre a celle d'Alarcon. Au milieu de Ia riviere étoit amarrée une barque vuide : les deux troupes fe rangerent 1'une visa-vis de 1'autre fur les deux rives : au même inftant Lannoy s'avanca de la rive Efpagnole avec huit Gentilshommes, & Lautrec de la rive Francoife avec huit autres. Le premier avoit le Roi dans fa barque : le fecond avoit dans la fienne le DauD ij  15 20. Manage c 1'Emperei avec Kabelle de Portugal. (a) Sandov. kifi* i, 735. Guich. /, 16, 35 5- 76 L'Histoïre phin &c le Duc d'Orléans : ils fe réunirent dans la barque qui étoit vuide , & 1'échange fut fait en un moment : Francois, après avoir embraffé rapidement fes deux enfants. fauta dans la barque de Lautrec, & aborda au rivage de France. Auffitöt il monte un cheval Turc, & part au grand galop > en agitant fa main au-deffus de fa tête, & s'écriant plufieurs fois avec des tranfports de joie, je fuis encore Roi; il arriva bientöt a Saint-Jean-de-Luz , & de-la , fans s'arrêter, a Bayonne. Cet_ événement , que la nation Francoife defiroit avec autant d'impatience que le Roi lui-même, fe paffa le 18 Mars, un an & vingt-deux jours après la bataille de Pavie (a). e Dès que l'Empereur eut pris congé r de Francois, ck lui eut permis de fe mettre en route pour retourner dans fes Etats, il partit pour aller a Sé* ville célébrer fon mariage avec Ifabelle, fille du feu Roi de Portugal  de Chables-Q u int. 77 t Emmanuel, Sc fceur de Jean III fon ' fucceffeur au Tröne. Cette Princeffe joignoit'a une beauté extraordinaire les plus grandes qualités. Les Etats de Caftille Sc d'Arragon preffoient vivement Sc depuis long-temps leur Souverain de fe marier ; le choix qu'il fit d'une époufe , alliée de fi prés au fang royal des deux Royaumes, fut extrêmement agréable a fes fujets. Les Portugais, flattés de cette nouvelle alliance avec le premier Souverain de la Chrétienté, accorderent k Ifabelle une dot extraordinaire qui montoit jufqu'a 500 mille couronnes : dans les circonfiances ok fe trouvoit 1'Empereur, cette fomme lui fut d'un grand fecours. Le mariage fut célébré avec toute la magnificence Sc la gaieté qui convenoit a im jeune Sc puiffant Monarque. Charles vécut dans la plus parfaite union avec Ifabelle , Sc la traita e.n toute occafion avec beaucoup d'égards Sc de difliptlions (a). (a) Ulloa, vita. del Carlos V, p. 106. Belcarius , Com. rer. Gallic. p. 56-;. Spalatinus, ap. Struv. corp. hift. German. 11, ie&i. D iij  Affaires d'Aliemagne. Conditions malheureufe des payfans, 78 L'HlSTOIRE Charles avoit été trop occupé en Efpagne par tous ces mouvements, pour être eh état de donner tous fes foins aux affaires d'Allemagne; cette partie de fes Etats étoit cependant troublée & déchirée par des faftions, qui donnoient lieu de craindre les plus funeftes conféquences. Les inftitutions féodales fubfifioient encore prefque fans altération dans 1'Empire. La propriété des terres étoit entre les mains des Barons, de qui leurs vaffaux les tenoient aux conditions les plus onéreufes; le refte de la nation étoit dans un état d'opprefïion qui ne valoit guere mieux qu'une fervitude abfolue. Dans quelques contrées de 1'Allemagne , le bas peuple étoit iffujetti a 1'efclarage perfonnel &domeftique, c'ehVa-dire au dernier degré de fervitude. En d'autres Provinces , particuliérement dans la Bohème & dans la Luface , les payfans étoient attachés a Ia terre du Seigneur auquel ils appartenoient, & faifoient partie du fonds, avec lequel ils paffoient, comme tout autre immeuble, d'un propriétaire a un autre. Dans la Soüabe même & dans  de Charles-Quin-t. 79 les pays des bords du Rhin, on leur état étoit plus fupportabie, les payfans ou colons n'étoient pas feulement obligés de rendre au Seigneur tout le revenu de leurs fermes ; lorfqu'ils vouloient changer de demeure ou prendre une autre profeflion, il falloit qu'ils payaflent une certaine fomme pour en obtenir la liberté, Les payfans , k qui on accordoit des terres , n'en pouvoient jouir que pendant leur vie ; ces terres ne paffoient jamais k leur poftérité ; a leur mort , le Seigneur avoit droit de choifir &c de prendre dans leurs troupeaux &l dans leurs meubles , ce qui lui convenoit; & les héritiers , pour obte« nir le renouvellement du baii, étoient obligés de payer de grandes fommes par forme d'amende. L'habitude &Z 1'ufage faifoient fupporter fans murmure , a cette malheureufe claflf d'hommes , ces énormes exacfions; mais quand le progrès de la politeffe &z du luxe, & les changements récemment introduits dans la maniere de faire la guerre , vinrent augmenter les dépenfes du gouvernement-, les Princes furent obligés de lever fur D iv  iJ2<5. Leur révolte en Souabe. (a) Guich. /. 11 , p. 2 , 6. f5o L'HlSTOIRE leurs fujets des impöts, foit fixes, foit accidentels : alors ces charges, par leur nouveauté même, parurent intolérables ; & comme , en Allemagne, les impöts fe mettoient principalement fur la bierre, le vin & les autres denrées de première nécefiité, ils fe fïrent fentir plus vivement au peuple, & le porterent enfin au dernier degré du défefpoir. Les Suiffes , excités par le reffentiment que leur infpirerent de femblables impofitions , fe procurerent par leur courage , au qtiatorzieme fiecle , la liberté dont ils jouiffent. La même caufe avoit foulevé les payfans de plufieurs autres Provinces d'Allemagne contre leurs Seigneurs, vers la fir» du quinzieme fiecle & le commeneement du feizieme; & quoique cee révoltes n'euffent pas eu pour eux un égal fuccès , il en coüta beaucoup de fang & de peines pour les appaifer Les mauvais fuccès de ces payfans les avoient contenus quelque temps  de Charles-Quint. 8ï fans les abattre ; voyant 1'oppreffion s'accroitre tous les jours , ils coururent aux armes avec toute la fureur du défefpoir. Ce fut prés d'Ulm, dans la Souabe, que parut, en 15 z6 , le premier étendard de la révolte. Les payfans des contrées voilines y accoururent en foule avec toute 1'ardenr & toute 1'impatience , naturelles a des hommes qui, gémifiant depuis long-temps fous le joug le plus dur, croyent enfin entrevoir le moment fayorable qui va les en détivrer. Le'même efprit de fédition fe répand de Province en Province, & parcourt prefque toute PAllemagne. Rien n'efl épargné ; par-tout ou pénetrent ces furieux ? ils pillent les mo^ nafteres, ravagent les terres de leurs Seigneurs , & démoliflent leurs chateaux, maffacrent fans pitié tous les Nobles qui ont le malheur de tomber entre leurs mains («). (a) Petr. Crinitus , de bello ruflicano, ap. Freehcr,. Script. Rer. Germ. Argent. 1717, vol. 3 , p. 3.43. D v 15 i6.  1526. 8i L'HlSTOIRE Lorfqu'ils crurent avoir intimiic leurs oppreffeurs par ces violences, ils chercherent plus tranquillernent les moyens d'en affurer 1'effet, & des'affranchir pour 1'avenir de Ia tyrannie des mêmes exadrions. Dans cette vue , ils drefferent & publierent un mémoire qui contenoit toutes leurs demandes , 6c déclarerent qu'ils ne mettroient bas les armes , que lorfqu'ils auroient obligé tous les Nobles de les fatisfaire de gré ou de force , fur chacun des articles, dont voici les principaux : Ils demandoient qu'on leur laiffat la liberté de choifir leurs curés; qu'on ne leur fit plus payer d'autresdixmesquecelledubled; qu'ils ne fuifent plus regardés comme les efclaves ou ferfs de leurs Seigneurs; qu'on leur laiffat, comme aux Nobles , Ie droit de chaffe 6c de pê,che ; que les grandes forêts ne fuffent plus des propriétés particuliere» 6c exclufives, mais ouvertes & communes a tous; qu'on les déchargeSt des taxes nouvelles dont on les avoit accablés ; que la juftice fe rendit avec moins de rigueur & plus d'impartialité ; enfin , qu'on mit un frein aux  be Charles-Qutnt. 85 uiurpations des Nobles fur les prairies 6c fur les communes (a). Plufieurs.de ces demandes étoient très-raifonnables, & une multitude formidable de payfans armés pour les appuyer, fembloit devoir en affurer le fuccès; mais ces maffes indifciplinées & difperfées en plufieurs endroits , ne pouvoient mettre dans leurs opérations, ni regie, ni union, ni fuite , ni vigueur. Ils n'avoient pour chefs que des hommes de la lie du peuple, qui ignoroient Part de Ia guerre & les moyens qui pouvoient les conduire k leur but; tous leurs exploits ne furent que des afles d'une fureur brutale & fans objet. Les Princes & les Nobles de la Souabe & du Bas-Rhin affemblerent leurs vaffaux , & marcherent. contre ces révoltés qui infeftoient les Provinces; ils attaquerent les uns en plaine, furprirent les autres dans des embufca' des , & les taillerent en pieces ou les difperferent tous. Les payfans après avoir inutilement ravagé taai {*) SlejJ. hifi. p. 90, D vj 1526. Cette ri- volte eft appaifée.  152.6. Soulevement dans la Truttinne, 84 L'HlSTOIRE le plat pays, & perclu en différentes aclions, plus de vingt mille des leurs, furent forcés de retourner dans leurs habitations, avec moins d'efpérance que jamais d'être foulagés de leurs miferes (a). Ces foulevements avoient commencé par les Provinces d'Allemagne oü les opinions de Luther avoient fait le moins de progrès; & comme ils n'avoient pour principe que des objets politiques , ils n'intéreifoient en aucune maniere les points de religion qui étoient alors conteflés. Mais quand une fois cette fureur épidémique eut gagné les contrées oü les doébrines de la réformation s'étoient établies, elle tira une nouvelle force des circonfiances & de la difpofition générale des efprits, & fe porta aux plus grands excès. La réformation encourageoit, dans tous les pays oh elle étoit regue, 1'efprit d'audace & d'innovation, qui lui (a) Seckend. /. 2, p. 10. Petr. Gnodalius , de rufticanorum tumultu in Germania *p. Sfard. Script, vol. i, p> 131» &c*  joè Charles-quint» 85 avoit donné naiffance. Des hommes qui avoient olé renverfer un fyfïême appuyé fur tout ce qui peut commander le refpeéï, ne s'en laiffoient plus impofer par aucune autorité, quelque vénérable, quelque facrée qu'elle put être. Accoutumés a fe regarder comme les juges légitimes des dogmes les plus importants de la religion, a les examiner librement, & a rejetter fans fcrupule tout ce qui leur paroilfoit erronné, ils durent naturellement tourner ce principe d'audace &c de recherche vers les objets de gouvernement, & fe croire en droit de recfifier les défordres & les imperfeöions qu*ils y découvroient: ils avoient déja en plufieurs endroits réformé les abus de la religion fans y appelier l'autorité du magiftrat; ce premier pas les conduifoit a en~ treprendre avec Ia même liberté la réforme des abus politiques. Aulïï, dés que Ia révolte eut éclaté dans la Thuringe, Province foumife a 1'Elecleur de Saxe, & dont les habitants avoient prefque tous embraffé le Luthéranifme, elle y prit une forme nouvelle & bien plus terrible, Ce foulev©" nent deriejat plus :errib!e.  Fanatifme des révoltés. 36 L* HlSTOIRE rhomas Muncer, un des difciples de Luther, s'étoit établi dans le pays, &c y avoit acquis fur 1'efprit du peuple un crédit étonnant. II avoit répandu dans les efprits les opinions les plus bifarres & les plus fanatiques, mais dont 1'effet naturel étoit d'encourager les peuples a la fédition. » Luther ,. leur difoit-il, a fait plus » de mal que de bien a la Rehgion: » il eff. vrai qu'il a délivré 1'Eglife du »joug des Papes ; mais fa docfrine » favorife la corruption des mceurs; » & fa vie licencieufe endonne 1'exem» ple. Pour éviter le vice, a'joutoit» » il, les hommes doivent pratiquer »des mortifications continuelles. II » faut avoir un maintien grave, pary> Ier peu , porter les habits les plus » fimples, être férieux & auflere dans y, tout fon extérieur. Ceux qui pre» parent ainfi leurs cceurs, ont droit » d'efpérer que 1'Etre fuprême con»duira tous leurs pas , & leur ma» nifeftera favolonté par quelque ügne vfenfible. Et file Tout-Puiffantleur » retiroit enfuite cette illumination , »ils pourroient fe plaindre a lui »de ce qu'il les traite fi durement,  de Charles-Quint. 87 « & lui rappeller fes promeffes. Ces » plaintes &c cette fainte colere ne » peuvent manquer d'être fouverai» nement agréables k Dieu , & de le » déterminer k la fin a nous guider , » de cette iBain toujours füre qui con» duifit les Patriarches des premiers » ages. Prenons garde cependant de » Poffenfer par notre arrogance : tous » les hommes font égaux a fes yeux ; » qu'ils reviennent k cette égalité dans » laquelle il les a fait naïtre ; qu'ils » mettent tous les biens en commun, » & qu'ils vivent enfemble comme >> des freres, fans aucunes marqués » de fubordination ni de prééminen» ce (a) ". Ces idees, tout extravagantes qu'elIes étoient, flattoient trop les paffions * du cceur humain, pour ne pas faire des impreffions profondes. Cétoitpeu pour ces imaginations échauffées que de chercher a réprimer le pouvoir des Nobles : ce n'étoit k leurs yeux qu'une réforme partielle 8c de peu de (a) Seckend, /. 11, p. 23 , Sleid. kijf, p. 83. 1526.  1516. 88 L'Histoire : coriféquence , qui ne méritoit pas même qu'on s'en occupat. Ils ne fe propofoient rien moins que d'abolir toute diflinöioa parmi le genrehumain , d eteindre toute propriété, de ramener les hommes a eet état d'égalité originelle , ou la fubfiftance de chacun fe tireroit d'un fonds commun. Muncer les affuroit que ce deffein étoit approuvé du Ciel, & que , dans un fonge, le Tout-puiffant lui en avoit garanti le fuccès. Les payfans ne fongerent plus qu'a le mettre a exécution; & non-feulement ils y porterent la fureur qui animoit ceux de leur claffe révoltés dans les autres. parties de 1'Allemagne ; mais excités par le zele qu'infpire le faaatifme , ils dépoferent les Magiftrats dans toutes ^ les villes dont ils purent s'emparer; * ils faifirent les terres des Nobles ; ils obligerent tous ceux qui tomberent entre leurs mains k prendre 1'habit de payfan, k renoncer a tous leurs titres , & k fe contenter des noms fimples qu'on donnoit aux hommes du peuple. Des troupes nombreufes de payfans accouroient de tous cotes pour s'engager dans cette bilarre en-  DE CH ARLES-QUINT. 89 treprife; mais Muncer, leur Chef &c leur Prophete, n'avoit pas les qualités neceffaires pour les commander. II avoit toute Pextravagance des faHatiqugs ; mais n'en avoit pas le courage. On eut beaucoup de peine a lui perfuader de fe mettre en campagne; & quoiqu'il eüt k fes ordres jufqu'a, huit mille hommes, il fe laiffa enrelopper par un corps de cavalerie que commandoient 1'EIeéteur de Saxe, le Landgrave de Heffe , &c le Duc de BrunfVick. Ces Princes , qui ne pouvoient fe réfoudre a verfer le fang de leurs fujets abufés par un infenfé, envoyerent au camp des révoltés un jeune Gentilhomme pour leur offrir un pardon général, s'ils vouloient fur le champ mettre bas les armes, & leur livrer les auteurs de la fédition. Muncer , allarmé de cette propofition , fe mit- k les haranguer avec fa véhémence ordinaire, les exhortant 3 fe défier des promeffes perfides de leurs. opprefléurs, & k ne pas trahir la caufe de Dieu & de la liberté chrétienne. Mais le fentiment du danger pré- J fent fit fur 1'efprit de ces payfans 1 une impreffion plus vive que 1'élo- 1 •152,6, jes payfans lis en dé» oute^  15-6. jy Mai. JJO L' H I S T O I R E quence de 1'Orateur. La terreur & Pincertitude fe peignoient déja fur tous les vifages , lorfqu'un arc-en-ciel , fymbole que les rebelles avoient peint fur leurs drapeaux , vint k bril^r dans les nues; Muncer, par une préfence d'efpritadmirable, fut tirer parti de eet incident; & levant auffi-töt les yeua &c les mains vers le Ciel r » Voyez , » s'écria-t-il en élevant la voix, voyez » le figne que Dieu nous envoye ; » voila le gage de votre füreté, &c » celui de la deftru&ion des mé» chants ". Auffi-töt cette multitude fanatique pouffe de grands cris de joie, comme fi Ia viöoire eüt été certaine; & paffant en un moment d'une entrêmité a 1'autre , elles maffacre le malheureux Gentilhomme qui étoit venu leur offrir leur pardon , & demande qu'on les mene k 1'ennemi Les Princes , indignés de eet attentat contre les loix de la guerre , prévinrent les rebelles, & commencerent 1'attaque. Les payfans ne montrerent pas dans ce combat, la vigueur^qu'on auroit pu attendre de leur férocité & de leur préfomption. Cette popuUcq indifciplinée n'étoit pas en état  de Charles-Quint. 91 de tenir contre des troupes aguerries: plus de cinq mille d'entr'eux refterent fur le champ de bataille , fans avoir prefque fait de réfiftance ; le refte prit la fuite, &c Muncer leur Général fuyoit a leur tête. II fut pris le lendemain; & ayant été condamné aux fupplices que méritoient fes crimes , il fubit fon fort avec une honteufe lacheté. Sa mort mit un terma a ces révoltes de payfans, qui avoient jetté la terreur dans toute FAUemagne (a); mais les idéés fanatiques qu'il avoit répandues, n'étoient pas éteintes; elles produifirent quelque temps après des effets plus extravagants encore & plus mémorables. Pendant toutes ces féditions, Luther fe-conduifit avec une prudence & une modération exemplaire ; comme un pere commun, jaloux du bonheur de fa familie divifée, il s'occupa a faire le bien des deux partis, fans épargner les fautes & les erreurs de 1'un &c de 1'autre. Tandis qu'il (ar tant de paflions diverfes, il dé>loya une aclivité Sc une vigueur exraordinaire, afin de faire pafler en talie de nouvelles troupes, & furout de prompts fecours d'argent qui r étoient encore plus néeeffaires. Les :fforts des confédérés ne répondirent k)int a 1'animofité qu'ils avoient fait  de Charles-Quint. re.7 éclater contre l'Empereur en entrant dans la fainte ligue. On imaginoit que Frangois alloit agir avec la plus grande vigueur & communiquer le même efprit & la même atlivité a tous fes alliés. II avoit fon honneur fietri a réparer, & plus d'un affront a venger. II lui falloit reprendre parmi les Princes de 1'Europe, le rang qu'il avoit perdu. Tant de fujets de reffentiment , fortifies par fon impétuofïté naturelle , fembloient menacer fon rival d'une guerre plus cruelle & plus fanglantes que toutes les précédentes; on fe trompa. Les épreuves cruelles par lefquelles Frangois avoit paffé , avoient laiffé dans fon ame des imprelïions fi profondes Sc fi vives, qu'il fe défioit de lui-même & de la fortune, & qu'il n'afpiroit qu'au repos. Obtenir 1'élargifTement de fes enfants, & conferver la Bourgogne en payant un équivalent raifonnable, étoit le principal objet de fes vceux; & a ce prix,. il eüt volontiers facrifié a l'Empereur & Sforce & la liberté de 1'Italie. II fe flattoit que la feule crainte d'une ligue puiffante porteroit Charles a écouter des E vj 1526.  ij-6. 10? L'HlSTOIRE propofitions équitables; ij craignoit encore qu'en envoyant une armée affez forte pour fauver le Milanès, fes alliés, qu'il avoit vus tant de fois beaucoup plus attentifs a leurs intéréts , qu'exadts a remplir leurs engagements, ne 1'abandonnaffent auffitöt que les troupes de l'Empereur feroient chaffées de ce pays; défedïion qui priveroit fes négociations avec l'Empereur , de 1'importance & du poids que leur donnoit fon influence, comme chef d'une ligue puiffante. Cependant le fiege du chateau de Milan fe preffoit plus vivement que jamais, & Sforce fe trouvoit réduit a Ia derniere extrêmité. Le Pape & les Vénitiens comptant que Francois les feconderoit, firent marcher leurs troupes au fecours de Sforce, & raffemblerent bientöt une armée plus que fuffifante pour remplir cetobjet. LesMilanois, paffionnément attachés a leur Prinee infortuné, ót indignés' contre les Impériaux qui les avoient fi cruellement opprimés , étoient prêts a feconder les confédérés dans toutes leurs entre prifes. Mais le Duc d'Urbin leur Général,  be Charles-Quint. 109 animé par une ancienne inimitié contre la familie des Médicis , auroit craint de faire aucune démarche qui put contribuer a 1'agrandiffement ou a la gloire du Pape (a); 6c il laiffa échapper ou a deflein , ou par fa lenteur 6c 1'irréfolution naturelle de fon caradfere , les occafions d'attaquer avec avantage les Impériaux, & de les forcer a lever le fiege. Ces délais donnerent a Bourbon le temps de faire venir un renfort de troupes fraiches, ck de fe procurer de Pargent. II prit auffi-töt le commarj» dement de 1'armée, 6c poiiffa le fiege avec tant de vigueur, que Sforce fut bientöt forcé de fe rendre.. Ce Prinee, en fe retirant k Lodi que les confédérés avoient furpris, laiffa Bourbon paifible poffeffeur de ce Duché, dont Pinveftiture hii avoit été promife par l'Empereur (b~). Les Italiens commencerent a s'appercevoir que Francois les avoit amu- (4) Guich. I. 17, 382. (b) Guich. /. 17, 376, &c. 159, 160; 166, 1526. 24 Juillet,' [nquiétudes ies Puiffar»:es d'Italie,  IJ2Ó. Mefures des Ira^ériaux. (a) Rufce'Ji, lettert de princip. 2, &c. (no L'Histoire " fes, Sc que malgré la fineffé Sc 1'habileté dans Part des négociations, dont ils fe vantoient comme d'un talent qui leur étoit propre , ils sétoient pour cette fois laiffés duper par un Prince Ultramontain. Francois avoit jufques-la rejetté fur eux tout le poids de Ia guerre, & il tiroit avantage de leurs efforts , pour donner plus de poids aux propofitions qu'il faifoit réitérer fouvent a la Cour de Madrid , afin d'obtenir la liberté de fes enfants (a).. Le Pape Sc les Vénitiens s'en plaignirent, Sc lui en firent des reproches; mais voyant qu'ils ne pouvoient le tirer de fon inaclion, leur zele Sc leur ardeur fe ralentirent par degrés; Sc Clément, qui avoit déja paffé les bornes de fa circonfpecfion ordinaire, ne tarda pas a s'accufer d'imprudence, Sc a retomber dans Pirréfolution qui lui étoit fi naturelle. Tous les mouvements de 1'Empereur ne dépendant que de lui feul,  DE C HA RLES-QUINT. III flirent par-la même beaucoup plus prompts & mieux concertés. La modicité de fes revenus ne lui premettoit pas de mettre dans fes opérations de guerre beaucoup de vigueur & de célérité; mais il y fuppléa par fes intrigues & fes négociations. La familie des Colonnes , Ia plus puiffante de toutes les maifonsRomaines, avoit conftamment fuivi Ie parti de la fac» tion Gibeline ou Impériale , pendant toutes ces querelles fanglantes des Pa» pes avec les Empereurs , qui, durant pluiieurs fiecles, remplirent 1'Allemagne & 1'Italie de trouble & de carnage. Les caufes qui avoient donné naiffance a ces faflions meurtrieres , n'exiftoient plus alors, & la rage qui les avoit animées étoit prefqu'épuifée; mais les Colonnes n'en eonfervoient pas moins le même attachement pour les intéréts de l'Empereur t d'ailleurs, en fe mettant fous fa proteöion, ils s'affuroient Ia polfeffion tranquille de leurs terres &c de leurs privileges. Le Cardinal Pompée Colonne , homme remuant &c ambitieux, alors le chef de fa familie y étoit depuis long-temps 1'ennemi de 1.5*6,,  15 2.6. 112 L'HlSTOIRE Clément. II afpiroit a la thiare, & s'étoit flatté au dernier conclave que fon étroite liaifon avec TEmpereur lui affureroit la préférence fur Clément; & lorfqu'il fe vit trompé dans fes efpérances, il n'attribua ce mauvais fuccès qu'aux intrigues de fon rival. C'étoit une efpece d'injure que ne pouvoit jamais pardonner un ambitieux ; il avoit pourtant diffimulé fon reffentiment jufqu'a donner fa voix pour 1'éleöion de Clément, & accepter de grands emplois dans la Cour ; mais il n'en étoit pas moins impatient de trouver 1'occafion de fe venger. Dom Hugues de Moncade , Ambaffadeurde l'Empereur a Rome , qui connoiffoit les fentiments des Colonnes , n'eut pas de peine a lui perfuader de prohter de 1'abfence des troupes du Pape , alors employées en Lombardie, pour tenter une entreprife qui, en rempliffant fa vengeance perfonnelle , ferviroit effentiellement les intéréts de l'Empereur. Cependant le Pape , que fa timidité perfonnelle rendoit clairvoyant, veilloit de prés fur toutes les démarches de fes ennemis; il avoit démêlé leurs deffeics  de Charles-Quint. 113 d'affez bonne heure, pour avoir le temps de rappeller un corps de troupes fuffifant, Sc fe mettre en état de rompre toutes les mefures de Colonne : mais Moncade fut fi bien 1'amufer par fes négociations , fes promeffes Sc fes fauffesconfïdences , qu'il endormit tous fes foupcons , & lui öta 1'idée de prendre les précautions néceffaires a fa füreté. A la honte éternelle d'un Pape puiffant Sc renommé par fa politique , Colonne , a la tête de trois mille hommes , fe faifit d'une des portes de Rome , au moment même oii Clément étoit dans la plus parfaite fécurité , Sc fe croyoit hors d'état de réfifter è un fi foible ennemi. Les Romains qui n'avoient auc'une infulte a craindre des troupes des Colonnes, les laifferent entrer fans obfiacle : les gardes du Pape furent difperfés en un moment; & Clément, épouvanté du danger qui le menacoit, confus de fa crédulité , Sc prefqu'abandonné de tout le monde , s'enfuit avec précipitation au chateau Saint-Ange , qui fut auffi-töt invefli. Le palais du Vatican, 1'Eglife de SaintPierre, les maifons des Miniftres Sc 152». 19 Septem^ bre. Les Colonnes fe rendent maitre de Rome,  1526, ■Accommodement entre le Pape & 1'Empereur. (tf) Jovii , vita Pomp. Colonn. Guich. /. x7 j 407. Rufcelli, lettere de princip. 1, p. 104. m 114 L' HlSTOIRE des gens du Pape furent livrés fans ménagemenr au pilJage ; le refte de la ville ne fouffrit aucun dommage. Clément, privé de tout ce qui lui etoit néceffaire, foit pour fe défendre , foit pour fubfïfter, fut bientót forcé de demander a capituler; & Moncade introduit dans le chateau , lui impofa , avec toute la hauteur d'un conquérant, des conditions qu'il n'étoit pas en fon pouvoir de refufer. Le principal article fut que Clément ne fe borneroit pas a pardonner aux Colonnes, mais qu'il les admettroit même k fa faveur, & qu'il retireroit fur le champ de 1'armée des confédérés toutes les troupes qui étoient k fa folde (<*). . Les Colonnes , qui ne parloient de rien moins que de dépofer Clément, & d'élever a fa place fur la chaire de Saint Pierre Pompée leur parent, fe récrierent contre un traité qui les laiffoit k la merci d'un Pontife jufte-  de Charles-Quint. 115 ment irrité contre eux; maisMoncade ?[iii ne s'occupoit que des intéréts de ón maitre , eut peu d'égards a leurs plaintes, &, par cette heureufe opération, défunit entiérement les forces des confédérés. Dans le temps même que 1'armée des confédérés s'affoibliffoit par une diminution fi confidérable, les Impériaux regurent deux renforts; 1'un, compofé de lix mille hommes,, venoit d'Efpagne fous la conduite de Lannoy & d'Alarcon; 1'autre avoit été levé dans 1'Empire par George Frondfperg, Gentilhomme Allemancf, qui, après avoir fervi avec beaucoup de réputation dans les guerres d'Italie , avoit acquis tant de faveur & de crédit parmi fes compatriotes , qu'ils venoient en foule fe ranger fous fes étendards, ne cherchant que 1'occafion de s'engager dans quelqu'entreprife militaire, & impatients alors de fe délivrer du joug du defpotifme civil & religieux : il Ven enröla jufqu'a quatorze mille au fervice de Frondfperg, fans autre gratification qu'un écu pour chaque foldat. L'Archiduc Ferdinand y ajouta encore 1526. Renfort cfe 1'armée Impériale.  15-6. Epuijement des finances de l'Empereur. (i) Sandov. i, 814. m U6 L'HlSTOIRE " deux mille hommes de cavalerie levees en Autriche. L'Empereur nemanquoit donc pas de troupes ; mais il ne pouvoit trouver les fonds néceffaires a leur entretien. Ses revenus ordinaires étoient épuifés : dans 1'enfance du commerce , le crédit des Princes n'étoit pas fort étendu, & les Cortès de Caffille, malgré tous les artifices auxquels on eut recours pour fes gagner , malgré quelques changements qu'on fit dans leur conftitution pour s'afiurer de leurs fufFrages, refuferent confiamment d'accorder a Charles aucun fubfide extraordinaire (a); en forte que plus 1'armée devenoit nombreufe, plus les Généraux voyoient augmenter leur embarras. Bourbon , en particulier, fe trouva dans une fituation fi critique , qu'il eut befoin de tout fort courage pour s'en tirer. On devoit des fommes immenfes aux troupes Efpagnoles qui étoient déja dans Ie Milanès, lorfque Frondfperg arriva encore avec fix mille Allemands af-  de Charles-Quïnt. 117 famés & dépourvus de tout. Les premiers demandoient ce qu'on leur devoit, les autres la paye qu'on leur avoit promife a leur entree dans le Milanès, & les uns & les autres parloient avec beaucoup de hauteur. Bourbon étoit- hors d'état de les fatisfaire; dans cette extrêmité, il fe vit forcé de commettre des aftesde violence qui répugnoient a fon caraclere, naturellement doux & humain. 11 fit prendre les principaux citoyens de Milan; & k force de menaces & même de tourments, il en tira une fomme confidérable; il dépouilla les Eglifes de toute leur argenterie & de tous leurs ornements. Le produit de ces violences n'étoit pas encore fuffifant pour compléter la fomme dont il avoit befoin ; mais en diflribuant ce qu'il avoit aux foldats , il fut fi bien les adoucir par fes careiTes & fes témoignages d'amitié, qu'il appaifa pour le moment tous les murmures, quoiqu'il fut bien loin d'avoir acquitté tout ce qui leur étoit dü (a). (d) Ripamont. hifi. Medici. I. 9 , p. Jt&> 1516.  1526. Bourbon met Moron en liberté. Il8 L'HlSTOIRE Bourbon, obligé de chercher d'autres expédients pour fe procurer de Pargent, accorda , pour vingt mille ducats, la vie & la liberté a Moron qui avoit été détenu en prifon depuis la découverte de fa confpiration, & qui avoit été condamné a mort par les juges Efpagnols nommés pour lui faire fon procés. Tel étoit 1'efprit & 1'adrelTe de eet homme , & 1'afcendant extraordinaire qu'il avoit fur 1'efprit de tous ceux qu'il approchoit, qu'en peu de jours, de prifonnier qu'il étoit, il devint le plus intime confident de Bourbon, qui le confulta fur toutes les affaires importantes. Ce furent certainement fes infinuations qui firent naitre , dans 1'efprit du Connétable , fe foupcon que l'Empereur n'avoit jamais eu deffein de lui donner 1'inveftiture du Duché de Milan, & que Leve & les autres Généraux Efpagnols étoient moins des adjoints dellinés a le feconder de bonne foi dans 1'exécution de fes projets, que des efpions apofèés pour veiller fur fa conduite. Comme il confervoit a 1'age de quatre-vingts ans toute 1'audace de la  de Charles-Quint. 119 jenneffe, on peut encore lui attribuer 1'idée du projet hardi& inattenduque Bourbon ofa tenter quelque temps après (a). Les demandes & les befoins des troupes du Milanès devinrent fi preffants, qu'il fallut néceffairement fonger a trouver quelqu'expédient pour les fatisfaire. Les arrérages de leur folde s'accumuloient tous les jours; l'Empereur ne faifoit paffer aucunes remifes a fes Généraux , & toute la rigueur des exa&ions militaires ne pouvoit plus rien tirer d'un pays entiérement ruiné & épuiie. Dans cette fituation, il ne reftoit plus que deux partis k prendre, ou de licencier 1'armée , ou de la conduire dans le pays ennemi pour y fubfifkr. Le territoire des Vénitiens étoit le plus voifin; mais ils avoient fu, par leur prévoyance ordinaire , mettre leur pay; k 1'abri de toute infulte. II falloit donc envabir les.Etats de 1'Eglife ou cew de Florence ; & Clément avoit mé rité, par fes dernieres démarches (<) Guich. 1. 17, 419. 1516. II délibere fur la mar* che qu'il coit tenir. »  1-17II marchs pour envahir le territoirt du Pape. (£) Jovii, vita Pomp. Colonn, Gelch. I, 18, 454. 120 L'Histoiri que l'Empereur en tirat Ia vengeance la plus févere. Ses troupes n'étoient pas plutöt rentrees dans Rome après le foulevement des Colonnes, que, fans aucun égard pour le traité conclu avec Moncade , il dégrada le Cardinal , excommunia le refle de cette familie, s'empara de toutes les places fortes qu'elle polTédoit, & rit ravager fes terres avec toute la fureur que peutinlpirer le relTentimentd'une injure récente : il tourna enfuite fes armes contre Naples; & comme il étoit fecondé par la flotte Francoife, il fit quelques progrès dans la conquête de ce Royaume, avec d'autant plus de facilité, que le vice-Roi, ainfi que les autres Généraux de l'Empereur, manquoit de 1'argent dont il auroit eu befoin pour faire une vigoureufe réfiflance (a), Cette conduite du Pape jufKfia en apparence les mefures que la néceffité fit prendre a Bourbon; le défavantage  se Charles-Quint. 121 vantage des circonfiances dans lef- ' quelles il entreprit d'exécuter fon projet, eft une preuve inconteftable & du défefpoir oüil étoit réduit, & de la fupériorité des talents qui lui firent furmonter tant d'obftacles. Après avoir confié le gouvernement de Milan a Leve , qu'ii n'étoit pas faché de laiffer derrière lui, il fe mit en marche au fort de 1'hy ver a la tête d'une armée de vingt-cinq mille hommes, de nations , de moeurs & de langues différentes; fans argent, fans magafins, fans artillerie, fans bagages; enfin, fans aucune des chofes néceflaires au plus petit détachement, & par conféquent elfentielles pour faire mouvoir & même exifter une grande armée. II avoit a traverfer un pays coupé de rivieres & de montagnes, dont les chemins étoient impraticables; & pour mettre le comble a toutes ces difïicultés, il voyoit 1'armée ennemie, fupérieure en nombre, a portee d'épier tous fes mouvements, & de profiter de tous les avantages qui fe préfenteroient. Heureufement fes troupes, lalTées de leurs fouffrances préfentes , n'en cherchoient que la fin : animées Tornt IV. F 1517.  1527. Révolte de fes troupes 122 L'HlSTOIRE ci'ailleurs par 1'efpérance d'un butin immenfe, elles ne hrentpas feulement attention au mauvais état dans lequel elles entreprenoient une marche fi pénible , & fuivirent leur chef avec allégreflé. Son premier but étoit de fe rendre maitre de Plaifance, 6c d'accorder a fes foldats le pillage de cette ville; mais la vigilance des Généraux des alliés fit échouer ce projet. Bourbon ne réuffit pas mieux dans le deffein de s'emparer de Bologne; cette ville fe trouva pourvue a temps d'une garnifon affez forte pour la mettre. a couvert des infultes d'une armée qui n'avoit ni munitions ni artillerie. Le mauvais fuccès de ces deux tentatives ne lui permettant plus d'efpérer de conquérir aucune ville confidérable, il fut forcé de marcher en-avant; mais il y avoit déja deux mois qu'il étoit en route; fes troupes avoient fouffert tous les maux qu'une longue marche& la rigueur extraordinaire de la faifon multiplioient fous les pas d'une armée qui fe trouvoient dépourvue de tout dans un pays ennemi.Lesmagnifiquespronieffesqui les avoient éblouies d'abord n'avoient  de Charles-Quin T. lij en aucun efFet : elles ne voyoient aucune efpérance d'un foulagement prochain : pouiTées k bout, elles commencerent a murmurer, & en vinrent bientöt k une révolte déclarée. Quelques Officiers qui eurent la témérité de vouloir les réprimer, furent la viftime de leur furie : Bourbon lui - même n'ofa s'expofer aux premiers tranfports de leur rage, &c il fut obligé de s'enfuir fecretement de fes quartiers (a). Mais leur fureur, après les premiers tranfports, commenca a fe calmer peu-a-peu: Bourbon, qui polfédoit au fuprême degré 1'art de manier les efprits des foldats, en profita pour leur renouveller fes promelfes avec un ton de confiance plus ferme encore qu'auparavant, &c leur affura qu'ils en verroient bientöt 1'accomplilTement. II tachoit de les engager k fupporter leurs peines avec plus de patience, en les partageant lui-même : il ne fe ménageoit pas plus que le dernier fantaffin : il (a) Guich. /. 18 , 434. Jovü, vita Colon. 163. F ij -Ï-7*  J-)27- ïrréfolutïoi & imprudence du Pape. (a) (Euvres de Bromt, vol. 4, 246 » &c* I 24 L'HlSTOIRE marchoit avec eux a pied ; il joignoit fa voix aux chanfons qu'ils compoloient, & dans lefquelles , au milieu des éloges qu'ils donnoient k fa valeur, ils mêloient quelques railleries militaires fur fa pauvreté. Partout oü ils paffoient, il leur permettoit de piller a difcrétion les villages voifins , comme pour commencer a s'acquitter avec eux des promefTes qu'il leur avoit faites : encouragés par ces adroites complaifances, ils oublierent entiérement leurs fouffrances & leurs plaintes, & continuerent de le fuivre avec une confiance auffi aveugle qu'ils lui en euffent jamais montré (a). 1 Cependant Bourbon cachoit avec foin fes intentions. Rome & Florence ne fachant de quel cöté alloit fondre Forage , étoient dans 1'incertitude la plus inquiétante. Clément, qui s'ititéreffoit k la füreté des deux villes, étoit plus irréfolu que jamais; & lorfque les approches rapides du danger exigeoient les mefures les pluspromp-  de Ch arles-Quint. 125 tes & les plus décifives, il perdoit le temps a delibérer fans rien conclure, ou k prendre un jour des réfolutions que fon efprit inquiet & plus adroit a découvrir les difficultés qu'a en trouver le remede , abandonnoit le lendemain, fans pouvoir fe fixer a aucun autre parti. Tantöf il étoit réfolu de s'unir plus éfroitement que jamais k fes alliés , & de poulTer la guerre avec vigueur; tantöt il étoit d'avis de terminer a 1'amiable tous les différends, en faifant un traité avec Lannoy, qui, connoilTant la paffion du Pape pour les négociations, lui faifoit chaque jour , dans cette vue, de nouvelles propofitions. A la fin fa timidité 1'emporta & le détermina k conclure avec Lannoy un accommodement , dont les principaux articles étoient qu'il y au- , roit une fufpenfion d'armes de huit mois entre les troupes du Pape & celles de l'Empereur; que Clément avanceroit une fomme de foixante mille écus pour payer les troupes Impériales ; que les Colonnes feroient relevés des cenfures eccléfiaftiques y &c remis en poffeffion de leurs terF iij -$-7' 5 Mars. II conclut m traité ivec le Vi:e- Roi de Slapies.  (a) Guich./. 18, 436. Il6 L'HlSTOIRE res & de leurs dignités; que le viceRoi iroit a Rome, Sc empêcheroit Bourbon de s'approcher plus prés dë cette ville, ainfi que de Florence (7f Préparatifs du Pape pour fe défendre. (a) Brant. 4, 171, 6, 189. Belcari, iomment, 594. 130 L' HlSTOIRE ville de la chrétienté , le mettroient en état de jetter les fondements d'un pouvoir indépendant ; 8c" qu'après avoir rompu toute liaifon avec l'Empereur , il pourroit pofféder en fon nom feul Naples ou quelques autres Etats d'Italie (a). Quels que fuffent fes motifs , il exécuta fon projet avec une célérité égale a 1'audace qui 1'avoit concu. Ses foldats qui avoient leur proie fous leurs yeux , ne fe plaignoient plus ni de leurs fatigues , ni de la famine , ni du défaut de paye. Quand le Pape les vit s'avancer de la Tofcane vers Rome, il fentit la frivoKté des efpérances dont il s'étoit bercé , & fe réveilla tout-a-coup de fon affoupiffement ; mais il étoit trop tard. Un Pontife même hardi & prompt k fe décider, n'auroit plus eu affez de temps pour prendre les mefures efHcaces, & former avec fuccès un plan de défenfe. Sous la foible adminiftration de Clément, tout  DE ChAHLES-QuiNT. T^t ne fut que conflernation, défordre & irréfolution. IL' raffembla cependant ceux de fes foldats licenciés qui étoient reités dans Rome;, il arma fes artifans & les domeftiques des Cardinaux; il fit réparer les breches des murailles, commenga de nouvelles fortifïcations , & excommunia Bourbon & fes foldats , flétriffant les Allemands dü nom de Luthériens, & les Efpagnols de celui de Maures, (a). Se repofant ainfi fur ces prépa» ratifs imparfaits, & fur la terreur de fes armesfpirituelles.que méprifoient encore plus des foldats affamés de butin, il parut quitter fa timidité naturelle ; & contre 1'avis de fon con— feil, il réfolut d'attendre 1'approche d'un ennemi qu'il auroit pu aifément éviter, s'il eüt veulu fe retirer a. temps.. Bourbon, qui vit la néceffité de ne perdre aucun inftant, puifque fes intentions étoient connues , marcha avec tant de viteffe, qu'il dévanca de plufieurs journées 1'armée duDuc [a) Seclcend. k i, 68. 1527. Aflaat donné a Rome.  »5*7t 132 L h I S T O I R E d'Urbin , & vint camper dans les plaines de Rome , vers le fóir du 5 de Mai. De-la il montra a fes foldats les palais &c les églifes de cette capitafe de la République chrétienne, ou les richeffes de toute 1'Europe étoient allées s'engloutir pendant tant de fiecles, fans avoir jamais été entamées par aucune main ennemie ; il les exhorta a prendre quelque repos pendant la nuit, pour fe préparer a donner aiTaut le lendemain, & leur promit pour prix de leur valeur & de leurs travaux, la poiTeffion de tous les tréfors qui étoient raffemblés dans Rome. Bourbon , réfolu de rendre cette journée mémorable ou par le fuccès de fon entreprife, ou par fa mort, parut dès le matin a la tête de fes troupes, armé de toutes pieces, & portant par-deffus fon armure un habit blanc, pour être mieux vu de fes amis & de fes ennemis; .& comme tout dépendoit de la vigueur de 1'attaque, il mena fur le champ fes foldats a 1'efcalade des min ai'les II tira des trois nations qui compofoient fon armée, trois corps féparés, 1'un d'Al-  DE C H A R L E S-Q U I N T. IJ} Iemands , 1'autre d Efpagnols , & le troiiieme d'Italiens; chaatfl d'eux fut chargé d'une attaque differente , &C le gros de 1'armée s'av<.nca pour lesfoutenir fuivant les circonfiances. Un épais brouillard déroba leur approche jufqu'a ce qu'ils euffent prefqu'atteint le bord du folie qui environnoit les fauxbourgs.. Les échelles furent plantées en un moment, & chaque detachement monta a 1'afTaut avec une impétuofité qu'animoit encore I'émulation nationale, lis furent d'abord recus avec un courage égal au leur; les Gardes Suiffes du Pape & les vieux foldats qu'il avoit raffemblés, combattirent avec une bravoure digne de guerriers a qui la défenfe de la plus fameufe ville du monde étoit confiée. Les troupes de Bourbon , malgré toute leur valeur, ne faifoient aucun progrès, & commengoient même a püer : Bourbon, qui fentit que ce moment critique aüoit décider du fuccès de la journée , fe précipite de fon cheval, court a la tête des affaillants, & arrachant une échelle des mains d'un fol lat, il la plante contre le mur, &c commence  Ml7» Bourbon sft tué. Prife de Rome. (ü) Mém. de da Bellay, ioi. Guich. /. 18, p. 445, &c. toit k un million de ducats; & ce qu'ils tirerent des rangons & de leurs exa&ions , fut encore beaucoup plus confidérable. Rome avoit été prife plufieurs fois par les peuples du Nord qui renverferent 1'Empire dans le cinquieme & le fixieme fiecle ; mais les. peuples payens & barbares, les Huns y les Vandales , les Goths ne Pavoient jamais traitée avec autant de cruauté que le firent alors les fujets dévots d'un Monarque Catbollque (a). Après la mort de Bourbon , le commandementde 1'armée Impériale paffa k Philibert de Chalons , Prince d'Orange, qui eut bien de la peine k (a) Jov. vit. Colan. 166. Guich. /. 18 , 440 , &c. Comment. de captd urbe Rom.i ap. Scardium , 2 , 130. Ulloa, vita dell Carl. V, p. 110. Giannone , hifi, de Nap. B. 31 , c. 3 , p. 507. 1527. Le Papeaffiégé dan* le chateau Saint-An-  I38 L'HïSTOIRE • " arracher du pillage affez de foldats pour inveftir le chateau Saint-Ange. Clément fentit auffi-töt la faute qu'il avoit faite, en fe retirant dans un fort fi mal ponrvu & fi peu en état de défenfe; mais voyant que les Impériaux , méprifant toute difcipline y & ne s'occupant qu'a piller, pouffoient le fiege avee lenteur, il ne défefpéra pas de tenir affez long-temps pour que le Duc d'Urbin put venir k fon fecours. Ce Général s'avancoit k la tête d'une armée eompofée de Vénitiens, de Florentins & de Suiffes foudoyés par la France , & cette armée étoit affez forte pour délivrer Clément du péril oü il fe trouvoit ; mais le Duc d'Urbin préféra le plaifir de fatisfaire fa haine contre la familie des Médicis, è la gloire de fauver la capitale de la Chrétienté &C le Chef de 1'Eglife : il prétendit que Fentreprife étoit trop hafardeufe ; & par un raffinement de vengeance, après s'être avancé affez prés pour être vu des remparts du chateau & pour donner au Pape Pefpoir d'un fecours prochain r il fe retira avec précipitation.  de Charles-Quint. 139 (a). Clément, privé de toute reffource & réduit par la famine a fe nourrir'de chair d'ane (£>) , fut obligé de capituler, &C de foufcrire aux conditions qu'il plut aux vainqueurs de lui impofer. II fe foumit a payer quatre cents mille ducats a 1'armée, a rendre a l'Empereur toutes les places fortes que poifédoit 1'Eglife; & quoiqu'il donnat des ötages , a refter luimême prifonnier, jufqu'a ce qu'il eüt exécuté les principaux articles du traité. Le Pape fut mis fous la garde d'Alarcon, qui, par fa vigilance févere k garder Frangois I, s'étoit bien fait connoitre pour un homme propre a eet emploi. Ainfi, par un hafard fingulier, eet officier eut la garde des deux perfonnages les plus illuflres qui euflent été faits prifonniers dans 1'Europe depuis plufieurs fiecles, La nouvelle de eet événement li extraordinaire &C fi inattendu caufa è l'Empereur autant de furprife que de joie; mais il diffimula fes fentiments i (a) Guich. /. 18, 4-0. \b) Jov. vit. Colon. 167, 1527. 6 Juin. II fe renc prifonnier. t  i5V Conduite de l'Empereur en cette occaiion Soliman entre dans la Hongrie. (.1) Rufcelli, Lettere de Princ. 2 , 13.J. (b) Sleid. 109. Sandov. 1 , 82.2. Mauroc. Hifi. Feneta, l. 3, 120. T40 L'HlSTOIRE fes fujets, que les fuccès & les crimes de leurs compatriotes pénétroient d'horreur; & pour adoucir 1'indignation qu'en reffentoit toute 1'Europe, il déclara qu'il n'avoit aucune part au faccagement de Rome, & qu'on 1'avoit attaquée fans fes ordres. II écrivit a tous les Princes fes alliés , pour leur notiher qu'il n'avoit eu auenne connoilTance des intentions de Bourbon (a); il prit Ie deuil & le h't prendre k toute fa Cour; il fufpendit les réjouiffances qu'il avoit ordonnées pour la naiiTan.ce de fon fils Philippe; &c par une hypocrifie qui ne trompa perfonne , il ordonna des prieres & des proceflions dans toute ï'Efpagne pour obtenir la liberté du Pape , liberté qu'il pouvoit lui faire rendre fur le champ par un ordre expédié k fes Généraux (b). La fortune n'étoit pas moins favorable a la Maifon d'Autriche dans une autre contrée de 1'Europe. Soliman  de Charles-Quint. 141 étoit entré en Hongrie avec une armée de trois cents mille hommes. Louis II, Roi de Hongrie & de Bohème, Prince foible & fans expérience, eut la témérité d'aller au-devant de lui avec un corps de troupes qui ne montoit pas a plus de trente mille hommes. Par une faute encore plus impardonnable, il en donna le commandementaPaulTomorri, moine Francifcain, Archevêquede Golocza. Ce bifarre Général, vêtu de fon froc, & ceint du cordon de fon ordre> , marchoit a la tête de 1'armée ; entrainé par fa propre préfomption autant que par 1'impétuofité d'une NoblefTe qui craignoit moins le danger qu'un fervice long & pénible , il donna lafunefle bataille de Mohacz, ou Ie Roi, la fleurde la NoblefTe, & plus devingt mille hommes périrent, viftimes de la fottife & de 1'imprudence d'un moine. Soliman, après fa vicfoire , fe rendit maitre, & refla en poffeflion des plus fortes places des Provinces méridionales de la Hongrie ; & ravageant tout le refte du pays, il emmena plus de vingt mille prifonniers en efclavage. Comme Louis étoit le -S*7« 29 Aoüt. Défaite des HongroisSt de leur Roi,  *ï*7. Ferdinand é!y Roi. Ï4I L'HlSTOIRE dernier male dc la familie royale des Jagellons , FArchidm.- Ferdinand prétendit avuir droit aux deux Couronnes. 11 failoit valoir deux titres : Fun appuyé Tur les anciennes prétentions de la Maifon d'Autriche a ces deux Royaumes; 1'autre étoit fondé furies droits de fa femme , fceur unique du Roi qui venoit de mourir. Cependant les loix féodales régnoient avec tant de vigueur dans la Hongrie & dans la Bohème, Öc la NoblefTe y jouilToit d'un pouvoir fi étendu,que les deux Couronnes étoient encore éleftives , & qu'on n'auroit eu aucun égard aux prétentions de Ferdinand , tl elles n'avoient pas été foutenues de forces puiflantes. Mais fon mérite perfonnel, le refpecf dü au frere du plus grand Monarque de la Chrétienté, la néceffité de choifir un Prince qui put par lui - même ajouter de nouvelles forces k celles de fes fujets , pour les protéger contre les armes Ottomanes, que leurs derniers fuccès avoient rendues redoutables k la Hongrie; enfin , les intrigues de fa foeur, veuve du feu Roi, 1'emporterent fur la prévention que les Hon-  DE CH ARLES-QüI NT. 143 grois avoient concue contre 1'Archiduc , comme étranger; ck malgré un parti confidérable qui avoit donné ia voix au Vaivode de Tranfilvanie , Ferdinand demeura paifiblepolTeiTeur de cette couronne. Les Etats de Bohème fuivirent Fexemple de la Hongrie : mais pour maintenir ck affurer leurs privileges, ils obligerent Ferdinand de iigner avant fon couronnement, un aft e, qu'ils appellerent reverfe, ck par lequel il déclaroit qu'il tenoit cette Couronne, non par aucun droit antérieur, mais par 1'éleftion gratuite ck volontaire de la nation. La réunion de tous ces Etats divers, dont les Princes de la Maifon d'Autriche s'aiTurerent dans la fuite la poiTeffion héréditaire, fut 1'origine ck le principe de cette fupériorité de pouvoir qui les rendit depuis li formidables au refte de i'Allemagne (a). (a) Steph. Bronderick, Procancellarii Hungar. cladcs in campo Mohaci^ ap. Scardhjn, 2 , 218. P. Barre , Hifi. d'Allemagnt, torn. 8, part. 1 , p. 198. 1527.  Progrès de la rétormation, 25 Juin. 1516. I44 L'HlSTOIRE Les diflentions qui divifoient Je Pape & l'Empereur, furent extrêmement favorables aux progrès du Luthéranifme. Charles, irrité des procédés de Clément, & uniquement occupé a fe défendre contre la ligue que ce Pape avoit formée, n'avoit ni la volonté ni le loifir de prendre des mefures pour étouffer les nouvelles opinions qui s'accréditoient en Allemagne, Dans une diete de 1'Empire tenu a Spire, on examina 1'état a&uel de la religion; tout ce que l'Empereur y exigea des Princes, fut d'attendre avec patience & fans encourager les novateurs, la convocation du concile général qu'il avoit demandé au Pape. Les membres de la diete convinrent que la convocation d'un concile étoit le parti le plus convenable & le plus régulier qu'on put prendre pour parvenir k la réforme des abus de 1'Eglife : mais ils foutenoient qu'un concile national tenu en Allemagne, feroit plus d'effet que le concile général propofé par l'Empereur. Quant k 1'avis qu'il leur donnoit de ne point favorifer les novateurs, ils en firent fi peu de  de Charles-Quint. 145 de cas , que même pendant ladurée de la diete de Spire , les théologiens qui avoient fuivi 1'Eledïeur de Saxe & le Landgrave de Heffe - Caffel, prêchoient publiquement & adminiftroient les facrements fuivant les rits de la religion réformée. L'exemple même de l'Empereur enhardit les Allemands k traiter avec peu de refpecf 1'autorité des Papes. Dans la chaleur de lbn reffentiment contre Clément, il publia une longue réponfe au bref plein de fiel que le Pape avoit compofé pour faire 1'apologie de fa conduite. L'Empereur commencoit fon manifefle par une énumération détaillée de différents traits d'ingratitude, d'ambition & de mauvaife foi de ce Pontife; il les peignoit des couleurs les plus fortes & les plus chargées, & il fmiffoit par app dler de fon autorité k un concile général. 11 écrivit en même-temps au college des Cardinaux, pour fe plaindre de 1'injuftice &c de la partialité de Clément, & pour les ex- fa) Sleid. 103. Tornt IV. G 1527.  Fin du Livrc IV^ 146 L'HlSTOIRE, &C. horter , au cas que le Pape refuiat ou différat la convocation d'un concile , a montrerl'intérêt qu'ils prenoient a la paix de 1'Eglife Cbrétienne, fi honteufement abandonnée de fon premier Pafieur, en convoquant euxmêmes le concile en leur nom (a). On répandit avec foin dans toute PA1lemagne le manifefte de l'Empereur qui, pour la violence &c 1'amertume du fiyle , ne le cédoit pas aux écrits de Luther même ; il fut avidement lu par les perfonnes de tout rang; & 1'impreflion qu'il fit, détruifit aifément Peffet desproteftations que Charles avoit faites auparavant contre la nouvelle doctrine. (a) Goldaft. Poliu imper. p. 984.  L'HlSTOIRE DU R E G N E DE L'EMPEREUR CHARLES - QUINT. L I V R E V. L E s détails de la maniere inhumaine dont le Pape avoit été traité , remplirent toute 1'Europe d'étonnement & d'horreur. L'audace inouie d'un Empereur chrétien, a qui fa dignité même impofoit le devoir de protéger & de défendre le faint Siege, & qui, portant des mains violentes fur celui qui repréfentoit J. C. fur G ij 1517. Indignatiort générale de 1'Europe contre 1'Empereur. il Juillet.  148 L'HlSTOIRE la tcrre , retenoit fa perfonnè facre'e dans une captivité rigoureufe , parut généralement un afte d'impiété qui méritoit la vengeance la plus éclatante, & qui follicitoit la prompte réunion de tous les fideles enfants de 1'Eglife contre le coupable. Frangois & Henri, allarmés des progrès que l'Empereur faifoit en Italië , s'étoient déja étroitement liés avant la prife de Rome; & pour mettre un frein a 1'ambition de l'Empereur, ils étoient convenus de faire une puiffante diverfion dans les Pays-Bas. Les différents motifs qui les avoient détermijiés d'abord, n'avoient fait que fe fortifier depuis; il s'y joignit encore Ie deffein de délivrer le Pape des mains de l'Empereur, a£le de politique qui favorifoit leurs intéréts en faifant honneur a leur piété. Mais pour parvenir a leur but, il falloit abandonner les projets formés fur les PaysBas, & aller porter le théatre de la guerre dans le fein de 1'Italie; car ce n'étoit que par les opérations les plus vigoureufes qu'ils pouvoient fe promettre avec certitucle de délivrer Rome , & de mettre Clément en liber*  DE CHARLES-QU INT. I49 té. Francois commencoit a comprendre que 1'efprit de raffinement qu'il avoit porté clans fes vues politiques fur 1'Italie , 1'avoit entrainé trop loin ; & que pour s'être trop relaché, il avoit laiffé prendre k Charles des avantages qu'il lui eüt été facile de prévenir : il voulut fe hater de réparer par une aftivité plus conforme a fon caraöere, une faute qu'il n'avoit pas eu fouvent k fe reprocher. Henri' penfoit qu'il étoit temps de fe joindre au Roi de France , pour empêcher l'Empereur de devenir le maïtre abfolu de 1'Italie, & d'acquérir paria une fupériorité de puiffance qui Feut mis en état de donner enfuite des loix k tous les autres Princes de 1'Europe. "SVoIfey , dont Francois avoit eu foin d'entretenir 1'amitié par des carefles & des préfents, moyens infaillible de fe 1'attacher, ne négfigea rien de ce qui pouvoit animer fon maïtre contre l'Empereur. Outre ces confidérations publiques, Henri étoit encore excité par un motif particulier ; c'étoit a-peu-près vers ce temps qu'il formoit le grand projet de fon divorce avec Catherine d'ArG iij 1527.  *527- Ligue forjnée contre lui, i8 Aoüt. IJO L'HlSTOIRE ragon; il favoit qu'il auroit befoin de Pautorité du Pape; & il étoit jaloux d'acquérir des droits a fa reconnoiffance, en paroiffant Ie principal inftrument de fa liberté. Avec ces difpofitions de Ia part des deux Rois, la négociation ne fut pas longue. Volfey avoit recu de fon maïtre des pouvoirs fans bornes. Francois traita en perfonne avec lui a Amiens, ou Ie Cardinal fe rendit, 8c ou il fut recu avec une magnifïcence royale. Le mariage du Duc d'Orléans avec la Princeffe Marie, fut Partiele fondamental de cette ligue; il fut arrêté que 1'Italie feroit le théatre de la guerre : on régla les forces de 1'armée qu'on mettroit en campagne , &c la quantité de troupes & d'argent que fourniroit chaque Prince; & li l'Empereur n'acceptoit pas les propoiitions qu'on devoit lui faire au nom des deux Rois, ils s'engageoient a lui déclarer fur le champ la guerre , & a commencer auffi-töt les hofiilités. Henri, toujours impétueux dans fes réfolutions, s'engagea avec tant de zele &c d'ardeur dans cette nouvel'e alliance, que pour donner a Francois  DE CHARLES-QUINT. 15 I la plus grande preuve de fon amitié ik de fon eftime , il renonca formellement k toutes les prétentions anciennes, des Rois d'Angleterre fur la Couronne de France ; prétentions qui avoient fait fi long -temps 1'orguei! ck la ruine de fa nation ; ik il accepta par forme d'indemnité une penfioa de cinquante mille écus qui lui feroit payée annuellement a lui ik a fes fucceffeurs (a). Cependant le Pape ,. fe trouvant hors, d'état de fatisfaire aux conditions de la capitulation , reftoit toujours prifonnier fous la garde févere d'Alarcon. Les Florentins n'eurent pas plutöt appris le défaftre de Rome, qu'ils coururent aux armes en tumulte , chafferent le Cardinal de Cortone qui gouvernoit leur ville au nom da Pape , mutilerent les armoiries des Médicis, mirent en pieces les ftatues de Léon ck de Clément,. fe déclarerent un Etat libre , ck rérablirent leur. ancienne forme de gou- (a) Herbert, 85 , &c. Rym. fiedtr. 14 ,", 103. G iv pi I III I l~t Les Floren-tins recouvrent leur liberté,-  Inaélion des troupes Impériales. Guich. /. 18 , 453. Ifl L'HlSTOIRE vernement populaire. Les Vénitiens ; voulant auffi profiter des malheurs du Pape, leur allié, fe faifirent de Ravenne & d'autres places qui appartenoient a 1'Etat éccléfiaftique, fous prétexte de les garder en dépot. Les Dtics d'Urbin & de Ferrare prirent auffi leur part des dépouilles de eet infortuné Pontife , qu'ils croyoient perdu fans reffource (a). Lannoy, d'un autre cöté, cherchoit a retirer quelques avantages folides de eet événement imprévu, dont Ie fuccès & 1'éclat avoient donné tant de fupériorité aux armes de fon maitre. Dans ce deffein , il marche a Rome avec Moncade & Ie Marquis du Guaft, a la tête de toutes les troupes qu'ils peuvent ralTembler dans Ie Royaume de Naples. L'arrivée de ce renfort fut un iurcroit de calamité pour les malheureux habitants de Rome : les nouveaux venus, jaloux du riche butin qu'avoient fait leurs compagnons, imiterent leur licence, & dévorerent avec avidité les miféra-  DE C H AR L ES-Q U I NT. 153 pies reftes qui avoient échappé a la rapacité des Elpagnols &c des Allemands. 11 n'y avoit point alors en Italië d'armée capable de tenir tête aux Impériaux ; & pour réduire Boulogne & les autres villes de PEtat eo cléfiaftique , il ne falloit que fe préfenter devant leurs murailles. Mais les foldats accoutumés depuis fi longtemps fous Bourbon a lécouer toute difcipline , & ayant goüté la douceur de vivre a difcrétion dans une grande ville, fans reconnoïtre prefque 1'autorité d'un maïtre, étoient devenus fi ennemis de la fubordination militaire & du fervice , qu'ils refuferent de fortir de Rome , avant qu'on leur eüt payé les arrérages de leur folde j condition qu'ils favoient bien qu'on ne pouvoit pas leur accorder. Ils déclarerent de plus qu'ils n'obéiroient qu'au Prince d'Orange , que 1'armée avoit choifi pour Général. Lannoy, voyant qu'il n'y avoit pas de süreté pour lui a refter plus long-temps au milieu d'une armée fans fubordination , qui méprifoit fa dignité & haïffoit fa perfonne , retourna a Naples 7 G v 15:7.  ij V Uarmée 'ran^oife ntre en talie. (<») Guich. I. 18 , 4J4. Ï54 L'HlSTOIRE oii le fuivirent bientöt par les mêmes raifons de prudence , le Marquis du Guaft & Moncade. Le Prince d'Orange qui n'avoit que le titre de Général , Sc qui ne tenoit fon autorité que de la bonne volonté d'une foldatefque que le fuccès &c la licence avoient rendue infolente, étoit obligé de refpeöer leurs fantaifies , beaucoup plus qu'ils ne refpeftoient fes ordres. Ainfi l'Empereur, loin de recueillir aucun des avantages qu'il pouvoit fe promettre de la réduöion de Rome, eut la mortification de voir 1'armée la plus formidable qu'il eüt jamais mife fur pied, refter dans un état d'inacfion dont il fut impoftible de la tirer (a). Le Roi de France & les Vénitiens eurent tout Ie Ioifir de former de nouveaux projets, & de prendre de nouveaux engagements pour délivrer Ie Pape Sc défendre les droits de 1'ltalie. La nouvelle République de Florence eut Pimprudence de fe joindre a eux; Sc Lautrec, aux talents  DE C H ARLES-QUÏNT. 1-5 duquel les Italiens rendoient plus de ■ jufïice que Francois, fut nommé Généraliffime de la ligue. II n'accepta eet office qu'avec la plus grande répugnance ,, craignant de s'expofer une feconde fois aux embarras & auxdifgraces que pourroit lui. attirer la négligence du Roi, ou la malice de fes favoris. Les meilleur.es troupes de France. marcherent fous fes ordres; &C le Roi: d'Angleterre , avant^d'avoir encore déclaré la guerre a 1'Empereur , avanca une fomme confidérable pour fubvenir aux fraix de 1'expédition. Les premières opérations de Lautrec furent conduites avec pru_dence , avec. vigueur & avec fuccès. Secondé d'André Doria, le plus grand homme de mer de ce fiecle , ^ il fe rendit maitre de Gênes, & rétablit dans cette République la faftion des Frégofes & la domination Francoife. II obligea Alexandrie de fe rendre après quelques jours de fiege ,.& foumit tout le pays qui eft en-deca du Téfin. Il pritd'alfaut Pavie qui avoit fi long-temps tenu contre les armes de fon maitre, & la laiffa piller avec toute la cruauté qüinfpiroit natuG v j 15,57-  i6 L'HlSTOIRE rellement aux troupes Franeoifes, Ie fouvenir du fatal déYaftre qu'elles avoient effuyé devant les murs de cette ville. S'il eut continué de tourner fes efforts contre Ie Milanès, Antoine de Leve qui Ie défendoit avec un petit corps de troupes qu'il ne confervoit & n'entretenoit qu'a force d'adr^fle & d'induftrie, eüt bientöt été forcé de céder ; mais Lautrec n'ofa pas achever une conquête qui lui eüt fait tant 1'honneur, & dont Ia ligue eüt retiré de fi grands ayantages. Francois favoit que fes alliés étoient bien moins jaloux de Ie voir étendre fes pofleffions dans 1'Italie, que d'affoiblir le pouvoir de l'Empereur ; & il craignit que fi une fois Sforce venoit a être rétabli dans Milan , ils ne fecondalfent que très-foiblement 1'invafion qu'il méditoit de faire dans Ie Royaume de Naples: en conféquence, Lautrec eut ordre de ne pas pouiTer trop Ioin fes conquêtes dans la Lombardie. Heureufement les jmportunités du Pape qui le follicitoit d'aller a fon fecours, & celles des Florentins qui le prioient de les protéger, furent fi preffantes, qu'el-  de Charles-Quint. 157 les lui fournirent un prétexte honnête de marcher en-avant, fans avoir égard aux inftances des Vénitiens & de Sforce , qui infiftoient pour aller mettre le fiege devant Milan («). Tandis que Lautrec avancoit lentement vers Rome, l'Empereur eut le temps de délibérer fur ce qu'il devoit faire de la perfonne du Pape, toujours prifonnier au chateau St. Ange. Malgré le voile fpécieux de la religion dont Charles s'efforca toujours de couvrir fes démarches , il prouva en plufieurs occafions qu'il étoit peu touché des confidérations religieufes j dans celle-ci, en particulier, il avoit fouvent marqué le defir de faire tranf» porter le Pape en Efpagne, afin de fatisfaire Porgueil de fon ambition par le fpeclacle des deux plus illufires perfonnages de 1'Europe , fucceffivement prifonniers a fa cour. Mais la crainte d'offenfer encore davantage toutes les PuifTances de la Chrétienté , & de fe rendre odieux a fes fujets mêmes , le (a) Guich. I. 18 , 461. Du Bellay , 107 , &c. Mauroc, hifi. Venet. I. 3 , 2.38. 1527. L'Empereur met le Pape en liberté.  i Février, {a) Guich. 1. 18 , 457. 158 L' H I S T O I R E forca de facrifier Ia vanité k Ia pmdence (a).. Les progrès des confédérés le mettoient dans la néceflité de rendre promptement la liberté au Pape , ou de le faire conduire dans quelque retraite plus iure que Ie chateau St. Ange. Parmi les difFérentes raifons qui lui firent préférer le premier parti,. la plus forte étoit Ie défaut d'argent , & il en avoit un befoin preffant pour recrüter fon armée , & pour payer les arrérages immenfes qu'il lui devoit. II avoit affemblé les Etats de Caftille k Valladolid, vers Ie commencement de 1'année , pour leur expofer 1'état de fes affaires; il leur repréfenta la néceffité de faire de grands préparatifs pour réfifter k tous fes ennemis que la jaloufie de fes fuccès alloit réunir contre lui, & il demanda dans les termes les plus preffants des fubfides confidérab!es4 Mais les Etats refuferent de charger d'un nouveau fardeau la nation déja épuifée par des dons extraordinaires,  »e Charles-Quint. 159 Sc perfifterent dans leur refus (a), malgré tous les efforts qu'il fit pour fédüire ou pour intimider les membres de 1'affemblée. II ne lui reftoit done plus d'autre reflburce que d'extorquer de Clément, par forme de ran5on, une fomme fuffifante pour acquitter ce qu'il devoit a fes troupes, a qui il eüt été fort inutile de propofer de fortir de Rome, avant de les avoir payées. Le Pape, de fon cöté, ne reftoit pas dans 1'inaöion , &c il infriguoit avec affez de bonheur pour hater fa délivrance. Il vint a bout par fes flatteries & les démonftrations d'une confiance fans réferve, de défarmer le reffentiment de Colonne; & il fut intéreffer la vanité de ce Cardinal, jaloux de montrer a 1'Europe qu'après avoir eu le pouvoir d'humilier le Pape, il avoit encore celui de le rétabür dans fa dignité. II gagna auffi Moron par des diftincfions & des promeffes; eet homme, par une de ces révolutions bifarres affez ordinaires (a) San^p 1, p. 8 14»  l60 L'HlSTOIRE ! dans Ia vie, & qui fait bien connoitre fon caracf ere , avoit repris toute 1'autorité & tout le crédit qu'il avoit eu fur les Impériaux. L'adreffe & 1'afcendant de Colonne & de Moron , applanirent aifé'ment toutes les difficultés que purent élever les Ambaffadeurs de l'Empereur, & terminerent bientöt le traité de la délivrance de Clément, k des conditions dures a Ia vérité, mais auffi raifonnables qu'il pouvoit 1'attendre dans la lituation oii il fe trouvoit. II fut obligé d'avancer argent comptant une fomme de cent mille écus, pour payer 1'armée; de s'engager a en payer autant dans quinze jours, & cent cinquante mille autres au bout de trois mois. On lui fit promettre de ne prendre aucune part a la guerre qui fe faifóit contre l'Empereur, foit en Lombardie, foit dans le Royaume de Naples ; il accorda a Charles une croifade, & Ie dixieme des revenus eccléfiaftiques de 1'Efpagne; 8c non-feulement il donna des ötages pour répondre de 1'exécution de ces articles, il fut encore obligé , pour plus grande füreté, de mettre 1'Em-  de Charles-Quint. 161 pereur en poffeffion de plufieurs villes («). Lorfque le Pape eut levé la première fomme en vendant les dignités 8c les bénéfices ecdéfiafiiques, 8c en employant d'autres expédients auffi peu canoniques, on fixa un jour pour le mettre en liberté. Mais Clément, impatient de fe voir libre après les ennuis d'une prifon de fix mois, 8c agité par les foupcons 8c ladéfiance naturelle aux malheureux, craignoit tant que les Impériaux ne miflént de nouveaux obftacles è fa délivrance, qu'il fe déguifa la nuit précédente en habit dé marchand, profïta du relachement qu'Alargon avoit mis dans fa vigilance depuis la conclufion du traité, & s'évada fans être reconnu. II arriva devant le point du jour, fans fuite 8c avec un feul de fes officiers a Orvieto, d'oii il écrivit auffitöt une lettre de remerciment a Lautrec , comme au principal inflrument de fa liberté (A Guich. /. 18, 467. \b) Guich. /. 18, 467, &c. Jov. vit* Colon. 169. Mauroc. hifi, Feaet. l.y, 252. 1527.  1527Propofitionde l'Empereur a Francois ck a Henri. t6i L'Histoire Pendant ces négociations, les Ambaffadeurs de France & d'Angleterre s'étoient rendus en Efpagne, en conféquence du traité que Wolfey avoit conclu avec Francois. L'Empereur, qui ne vouloit pas attirer fur lui les forces réunies de ces deux Monarques, ne parut pas éloigné de fe relacher en quelque chofe de la rigueur du traité de Madrid, fur lequel il s'étoit jufques-la montré inflexible. II offnt d'accepter les deux millionsd'écus que Francois avoit propofés en équivalent du Duchéde Bourgogne , & de mettre fes enfants en liberté , a condition qu'il rappelleroit fon armée d'ltalie, & lui rendroit Gênes avec les autres conquêtes qu'il avoit faites dans ce pays. A 1'égard de Sforce , il perfiftoit toujours a demander qu'on décidat de fon fort, en nommant des juges pour lui faire fon procés. Ces propofitions furent faites a Henri, qui les fit paffer au Roi de France fon allié, qu'elles intéreffoient de plus prés, pour avoir fa réponfe. Si Francois efit été difDolé de bonne foi a conclu re la paix , ic k mettre de 1'uniformité dans fa  DE C HARLES-Qu IN T. 163 conduite , il n'auroit pas héfité a accepter fur le champ ces propofitions, 'qui différoient très-peudes offres qu'il avoit faites lui-même auparavant Mais fes vues étoient bien changées. L'alliance de Henri, les progrès de Lautrec en Italië, & la fupériorité de fon armée fur celle de l'Empereur , ne lui permettoient pas de douter des fuccès de fon entreprife fur Naples. Plein de ces hautes efpérances, il ne fut pas embarrafTé de trouver des prétextes pour refufer, ou pour éluder les propofitions de l'Empereur , fous une apparence de pitié en faveur de Sforce , dont les intéréts n'avoient pas paru 1'occuper jufqu'alors. II demanda de nouveau que ce Prince infortuné fut entiérement & fans aucune condition, rétabli dans la pleine poffeffion de fes Etats; & fous prétexte qu'il y auroit de Pimprudence a fe repofer abfolument fur Ia bonne foi de l'Empereur, Francois exigeoit qu'on lui rendit fes enfants avant que fes troupes quittaf- (<*) Recueil des Trahés, 1, 249. 1527.  '527- 12 Janvier. Ils déclarent la guerre a 1'Empereur. (a) Rym. 14, 200.Herbert, 85. Guich. /. 18, 471. 164 L'HlSTOIRE fent 1'Italie, & rendiiïent Gênes. Des demandes fi peu raifonnables Sc 1'air de reproche qui les accompagnoit, irriterent Charles a un tel point, qu'il eut de la peine a retenir fon emportement; il fe répentit d'avoir montré une modération qui faifoit fi peu d'effet fur 1'efprit de fes ennemis, Sc déclara qu'il ne fe départiroit pas du plus petit article des conditions qu'il venoit d'offrir. II eff. inconcevable que Henri ait voulu prêter fon nom a des propofitions fi étranges; on étoit pourtant venu a bout de 1'y déterminer; & fur la déclaration de l'Empereur , les AmbafTadeurs de France Sc d'Angleterre demanderent Sc obtinrent leur audience de congé (a). Le lendemain, deux hérauts qui avoient accompagné a defiein les Ambaffadeurs, & qui jufques-Ia avoient caché leur caraftere, parurent a la Cour de l'Empereur avec les attributs de leur office; Sc dés qu'ils furent introduits, ils lui déclarerent la  de Charles-Quint. 165 guerre au nom de leurs maitres dans toutes les tormes accoutumées. Charles les recut Pun & 1'autre avec la dignité qui convenoit a fon rang; mais il répondit a chacun en particulier avec un ton qui exprimoit la différence des fentiments qu'il avoit pour les deux Souverains. II accepta le dén" du Monarque Anglois avec une fermeté tempérée de quelques marqués d'égard & de refpeét. Sa réponfe au Roi de France étoit pleine de cette amertume d'expreffion que devoit lui infpirer une rivalité perfonnelle , irritée encore par le fouvenir de plufieurs outrages réciproques. II chargea le héraut Francois d'avertir fon maitre qu'il ne le regarderoit plus déformais que comme un vil infracfeur de la foi publique, étranger aux fentiments d'honneur & de probité qui diffinguent un Gentilhomme. Frangois, trop fier pour fouffrir patiemment une imputation fi infultante, s'avifa d'un expédient fingulier pour foutenir fon caracTere & venger fon honneur. II renvoya fur le champ fon héraut avec un cartel en regie, par lequel il donnoit a 1518. Franjois défie Charles en combat fineulier. ë  1528. Cet exemple accrédite 1'ufage du duel. (a) Recueil des trahes , a. Mém. de du Bellay, 103, &c. Sandov. hifi. 1, 837. 166 L'HlSTOIRE 1'Empereur un démenti formel, le défioit en combat fingulier, Ie fbmmoit de fixerie temps & le lieu du rendez-vous, & lui donnoit le choix des armes. Charles, auffi vif & auffi brave que fon rival, accepta le dén* fans balancer; mais après divers meffages de part & d'autre pour régler toutes les circonfiances du combat, meffages toujours accompagnés de reproches mutuels, qui dégénérerent prefque en injures, le projet de ce duel, qui convenoit en effet beaucoup mieux a des héros de roman qu'aux deux plus grands Monarques du fiecle, fut entiérement oublié ( ces du Prince d'Orange, détermina a la fin, mais après beaucoup de réfiftance, les troupes impériales a fortir de Rome, qu'elles opprimoient deptiisdix mois entiers. Mais de cette armée florilTarite qui étoit entrée dans cette ville, a peine en réftoit-il la moitié; 1'autre détruke par la pefte „ ou par les maladies qui étoient le fruit d'une longue inaöion, de Fintem pérance 8c de la débauche, fu£ la vidlime de fes propres crimes (<*)„ Lautrec fit les plus grands efforts pour («) Guich. I, 18, 478. Tornt IVV . H 1528. Les ■Impé'riaux tortent de Rome,  1528, Féynef. Les Francois bloquent Naples. I7O L'HlSTOIRE attaquer les Impériaux dans leur retraite , vers le territoire de Naples; dans ce moment, un feul fuccès auroit terminé la guerre; mais la prudence de leurs chefs déconcerfa toutes fes mefures, & ils arriverent eniin a Naples fans beaucoup de perte. Le peuple de ce Royaume , qui avoit toujours été la proie du plus aöif & du plus fort, impatient de fecouer le joug Efpagnol, recut les Francois h bras ouverts, par-tout ou ils voulurent fe montrer & s'établir; a la réferve de Gaëte & de Naples, a peine refta-t-il aux Impériaux quelque place importantes. Ils dürent la confervation de Gaëte a la force naturelle de fes fortifications , & celle de Naples k la préfence de 1'armée impériale. Lautrec cependant fe préfenta fous les murs de Naples; mais voyant qu'il ne pouvoit efpérer de réduire par la force une ville défendue par tant de troupes, il fut obligé de la bloquer, méthode plus lente, mais moins dangereufe; &c après avoir pris les mefures qui lui parurent les plus certaines, il afTura avec confiance k fon maitre que la famise obligeroit  de Charles-Quint. 17* bientöt les affiégés de capituler. Cette elpérance fe fortifia encore par le mauvais fuccès d'une tentative vigoureufe que les ennemis venoient de faire pour fe rendre maitres de la mer. Les galeres d'André Doria, commandées par fon neveu Philippin, gardoient Pen tree du port. Moncade qui avoit fuccédé a Lannoy en qualité de vice-Roi, arma un nombre de galeres fupérieur a celles de Doria; & s'embarquant lui-même avec le Marquis du Guaft & 1'élite des officiers & des foldats Efpagnols, il attaqua Doria avant la jonftion des flottes Francoife & Vénitienne. Mais Doria, par fa fupériorité dans Part des manoeuvres, triompha ailément & de la valeur & du nombre des Efpagnols. Le vice-Roi fut tué, & la plus grande partie de fa flotte détruite: plufieurs officiers de diffinclion ayant été faits prifonniers , Philippin les fit embarquer fur les galeres qu'il avoit prifes, & les envoya è fon oncle, comme des trophées de fa vicfoire (a). Malgré eet avantage, qui flattoit (a) Guich. /. 19 , 487. P. Heuter, /. i#, r. 2, p. 231. H ij IJ 2$)  1548. Circonrtances qui retardent les progrès du fiege. ■IJl L'HlSTOI R Ë Lautrec d'un fuccès prochain, plu-^ fieurs circonfiances fe réunirent pour traverfer fes vues, ck tromper fes ef= pérances. Quoique Clément eüt re~ connu mille fois qu'il devoit a Francois fa liberté, & qu'il fe fut plaint fouvent de la maniere cruelle dont l'Empereur 1'avoit traité, il ne régloit plus fa conduite fur fa reconnoiffance; & cequi eft plus extraordinaire, il.ne fongeoit plus a fe venger de l'Empereur. Ses malheurs paffes 1'avoient rendu plus circonfpeci que jamais ; il repaffa dans fa mémoire toutes les fautes qu'il avoit faites, & fes réflexions ne firent qu'augmenter Firréfolution naturelle de fon caractere. Tandis qu'il amufoit Francois .par des promeffes, il négocioit en j'ecret avec Charles; jaloux de rendre a fa familie l'autorité qu'elle exer.coit auparavant a Florence, il fentoit qu'il ne pouvoit attèndre ce ferrice de Francois, qui avoit formé une alliance des plus étroites, avec Ja nouvelle république; il penchoit done beaucoup plus du cöté de fon ennemi, que du cöté de fon bienfaicteur , &c il ne feconda en rien les  Bt Ghakl'E?-Qüint. J7'3" opérations de Lautrec» Les Vénitiens de leur cöté voyoient avec jalouiie les progrès de 1'armée Francoife:< occupés uniquement a reprendre pour eux-mêmes quelques villes maritimes du Royaume de Naples, ils ne prenoient aucun intérêt a la réduction de Naples, d'oii dépendoit le fuccès de la caufe commune (a). Le Roi d'Angleterre ne put exécuter le projet qu'il avoit formé d'embarraffer l'Empereur en 1'attaquant dans les Pays - Bas. II avoit trouvé dans fes fujets la plus grande averfion pour une guerre inutile,qui në tendoit qu'a ruiner ie commerce de la nation; afin d'appaifer leurs clameurs, & de prévenir une révolte prête a éclater , il fut même forcé de conclure une treve de huit mois avec la Gouvernante des Pays-Bas (£). Francois lui-même, par une fuite de cette inattention inexcufable, qui lui avoit déja été fi fouvent fatale, néglige.a de faire paffer k Lautrec les (a) Guich. /. 19 , 491. (é) Herben, óo.-R/mer, 14, 258/ H iij 1528.  1528. Révolte d'André Doria qui prend le parti de l'Empereui conrre ia france, (<0 Guich. /. 18, 478. 174 L'HlSTOIRE fonds néceffaires (a) pour 1'entretien de fon armée. Ces événements imprévus retardoient les progrès des Francois &c décourageoient a la fois les foldats & le Général, lorfque la révolte inattendue d'André Doria vint achever de renvsrfer toutes leurs efpérances. Ce brave Officier, citoyen d'une république, & élevé dès fon enfance dans le fervice maritime, avoit confervé 1'efprit d'indépendance naturel è un républicain , avec toute la franehife &c la fimplicité de mceurs qui difiinguent les gens de mer. Incapable de fe plier a 1'efprit d'intrigue &z de flatterie , néceffaire pour réuffir dans les Cours, & ayant d'ailleurs le fentiment de fon mérite & de foa prix, il difoit en toute occafion fon avis avec liberté, & faifoit fans ménagement fes plaintes & fes remontrances fur ce qui le bleffoit. Les Mifiiftres Francois, peu accoutumés a ces Iibertés, réfolurent de perdre un homme qui les traitoit avec fi peu  DE CH ARLES-QUIN T. 175 d'égards; & quoique Francois fentit toute la valeur des fervices de Doria , & qu'il eüt une haute idee de fon caraétere, les courtifans, en le repréfentant fans celfe comme un homme hautain, intraitable , & plus occupé de fon propre agrandiffement que des intéréts de la France, vinrent a bout de détruire infenfiblement fon c.Jdit, & de jetter dans 1'efprit du Roi des foupcons & de la dcfiance. Bientöt Doria eut k fouffrir beaucoup d'affrpnts &c d'injuftices; fes appointements n'étoient pas réguliérement payés; fes avis même fur les affaires maritimes, furent fouvent dédaignés; on fit une tentative pour enlever k fon neveu les prifon«iers qu'il avoit faits dans le combat naval de Naples : tous ces procédés l'avoient déja rempli de reffentiment, lorfqu'une nouvelle injure faite a fa patrie acheva de laffer fa patience. Les Francois commencoient a fortifier Savone , & k nettoyer fon port; & en y tranfportant quelques branches de commerce dont Gênes étoit en poffeffion, ils montrerent affez que leur intention étoit de faire de cette H iv 1518.  i|a8. 176 L' H I S T © I R E ' ville, qui depuis long-temps étoit 1'objet de la jaloufie & de la haine des Génois, la rivale de leur commerce & de leur opulence. Doria ,. animé d'un zele patriotique pour rhonneur & pour 1'intérêt de fonpays, s'én plaignit avec beaucoup de hauteur, & alla même jufqu'a menacer, fi 1'on n'abandonnoit aufiï-tót ce projet. Cette démarche hardie,, *xagérée par la haine des courtifans, & préfentée dans le jour le plus odieux, irrita fi fort Fran9ois, qu'il donna ordre a Barbéfieux, Amiral du Levant de faire voiles vers Gênes avec Ia, flotte Franfoife, pour arrêter Doria & s'emparer de fes galeres. II eüt fallu. le plus profond fecret pour afliirer Fexécution dè eet ordre imprudent; mais on prit fi peu de foin de le cacher , que Doria en fut infiruit de Bonne heure, &c eut tout le temps de fe retirer avec fes galeres dans un lieu für. Du Guaft , fon prifonnier qui, depuis long-temps, obfervoit les progrès de fon mécontentement & eherchoit a 1'accroitre qui 1'avoit fouvent follicité d'entrer au fervice de 1'Empereur en lui promettant les,  D E G H A R X E S-Q.U ï NT. iff plus grands avantages, n'eut garde ' de laiffer échapper une fi belle occailon. Lorfqu'il vit que le reffentiment & Pindignation de Doria • étoient- a leur comble, il profita de ce moment j &c le détermina a envöyer un de fes officiers a la-Cour de l'Empereur pour faire de fa part des ouvertures & des propofitions. La négociation ne fut pas longue : Gharles fentit toute 1'importance d'une telle acquifition , & confentit a toutes fesdemandes. Doria renvoya auffi-töt a Francois fa commiffion & le collier de Saint Michel; & arborant le pavillon de l'Empereur, il fit voiles avec toutes fes galeres vers Naples , non pour bloquer le port de cette malheureufe ville , comme il s'y étoit engagé, mais pour la -fecourir & la délivrer.- Son arrivée r'ouvrit la" communieation de la mer, & ramena 1'abondance dans Naples, qui fe trouvoit alors réduite- a la plus grande difette. Lés Francois - qui • n'étoient plus les maitres de la mer', ne tarderent pas a manquer de vivres, & fe trouverent yéduits aux plus facheufes extrêmitéa Hv 1528. Situatiën déplorable de 1'armée Frangoife devant Naples.  (a) Jov. hifi. I. 36, p. 31 , &C. Slgonii, viw , p. 1139. Du Bellay, 124, I78 L'HlSTOIRE ~ Le Prince d'Orange qui avoit fiiccé-» dé au vice-Roi, dans le commandement de 1'armée Impériale, fe montra, par fa bonne conduite, digne de eet honneur, que fa bonne fortune & la mort de fes Généraux lui avoient procuré deux fois. Chéri des troupes, qui fe fouvenoient des fuccès qu'ils avoient eus fous fon commandement &qui lui obéiffoient avec le plus grand zele, il ne laiffoit échapper aucune occafion de haraffer Pennemi, & ne ceffoit de le harceler & de Paffoiblir par des allarmes & des forties continuelles (a). Pour eombte d'infortunes, les maladies fi communes dans ce pays pendant les chaleurs de Pété, commencerent a fe répandre parmi les Fran9ois. Les prifonniers avoient apporté la pefie de Rome a Naples; elle fit tant de ravages dans leur camp, qu'il n'y eut bientöt qu'un très-petit nombre de foldats & d'officiers qui échapperent  pe Charles-Qu i n t. 179 u la contagion, De toute 1'armée , il ne reftoit pas quatre mille hommes, en étatde faire le fervice (a) , nombre qui fuffifoit a peine pour défendre le camp, oh bientöt affiégés h leur tour, les Francois éprouverent tous les maux dont les Impériaux vetoient d'être délivrés, Lautrec , après avoir lutté long-temps contre tant d'obftacles & de calamités, qui abattoient fon ame en même-temps que la pefte dévoroit fes entrailles, mou-. rut en déplorant la négligence de fon Souverain & 1'infidélité de fes alliés, dont tant de braves gens étoient les viÖimes Sa mort & la maladie des autres Officiers généraux firent tomber le commandement au Mar-» quis de Saluces, Cet officier qui n'avoit pas des talents propres a foute* nir un fi grand fardeau , fe retira en défordre 3 Averfa , trainant après lui des troupes découragées réduites è un très-petit nombre, La ville fut (a) Du Bellay , 117 , &c. (b) P, Hcuter, rerumJuflr. L ie, & 2. H vj Leve le fa  1528, <8ênes re. cTeuvre fa jsbetté... (<4 Du Bêllay, 117 , &c. Jovii, hjfi^l. 180 L'HiSTOist bientót inveftie par le Prince d'Orarf»ge, Sc Saluces fe vit dans-la nécefirté de confentir a.' refter prifonnier de guerre, a perdre to^t Ion bagage , & a laiffer conduire , föus la garde d'iut détachement-, fes troupesdéfarmées & fans drapeaux, jufqu'aux. frontieres de France. Cette honteufe eapitulation fauva les malheureux débris de 1'armée Francoife, & 1'Empereur; par fa fermeté Sc par la bonne conduite de fes Généraux, reprit fa. fupériorité en Italië (<*).. La perte de Gênes fuivif dé prés la ruine de 1'armée Francoife devant Naples. La première ambition de Doria avoit toujours été de délivrer fa patrie de toute domination étrangere ; c'étoit-la lë principal motif qui i Pavoit engagé k quitter Ie fervice de France pour paffer k celui de l'Empereur. Jamais il n'avoit eu une occafiön plus favorable d'exécuter cette jioblé entreprife. La ville de Gênes ?. afSigée de-la pefte, étoit prefque aban-.  D ET Ch AKI E S-QVI n Ti l8ï donnée de, fes habitants : la garnifon Francoife étoit malpayée & réduite a une poignée de foldats ,-fans qu'on fongeat a y. faire paffer des recrues: lés émiffaires- de Doria virent que ceux des citoyens qui y refloient f également fatigués Je. la domination Francoife Sc de la domination Efpagnole, dont ils avoient alternativementéprouvéla rigueur,. étoient prêts a. le recevoir comme leurlibérateur, &a feconder toutes fes mefures. Doria, afïïiré que tout favorifoit fon deffein,. fit voiles Ie long. de. la riviere de Gênes; a fon approchè lés galeres Francoifes fe retirerent; & un petit détachement qu'il mit a terre, furprit pendant la nuit une dés portes de la ville..Trivulce ,. Gouverneur Francois , s'ënferma dans la citadelle avec fa foible garnifon,, & Doria prit poffeffion de la ville fans livrer dé combat & fans verfer de fang. Trivulce , è qui les vivres manquerent, fut bientöt obligé de capituler; & les Génoisyvoulant abolirTodieuxmonument dé leur fervitude, coururent en tumultë a la citadelle, 6c ~Us raférent jufqu'aux fondem«ntSj. ii Septeng br*..  Conduite défintéreffee de Doria, l8l L' HlSTOIRE Doria, qui venoit de délivrer ft heureufement fon pays de 1'oppreffion, pouvoit fans obftacle s'emparer du pouvoir abfolu. La réputation qu'il s'étoit acquife par fes exploits, le fuccès de cette derniere entreprife, 1'attachement qu'avoient pour lui fes amis, la reconnoiffance dont fes compatriotes étoient pénétrés, 1'appui de l'Empereur , tout confpiroit a lui ap* planir le chemin de la fouveraineté ; tout 1'invitoit a s'en emparer, Mais par une grandeur d'ame dont il eft peu d'exemples, il facrifia toute idéé de s'agrandir a la vertueufe fatisfaction d'établir la liberté dans fa patrie, objet le plus noble que 1'ambition puifle fe propofer. Ayant affemblé le peuple dans la cour qui étoit devant fon palais, il déclara que le plaifir qu'il reffentoit de voir fes compatriotes libres encore une fois , étoit pour lui la récompenfe la plus douce de tous fes fervices; que le nom de citoyen avoit pour lui plus de charmes que celui de Souverain ; qu'il ne vouloit ni autorité ni prééminence fur fes égaux, & qu'il les laiffoit entiérement les raaitres d'éta-  de Charles-Quint. i8j blir la forme de gouvernement qu'ils jugeroient k propos de choifir. Le peuple 1'écoutoit en verfant des larmes d'admiration & de joie. On choifit douze perfonnes pour former le plan de la nouvelle République. L'exemple de Doria infpira k fes concitoyens le même enthoufiafme de générofité & de vertu; les malheureufes factions qui avoient fi long-temps déchiré & ruiné eet Etat, parurent entiérement oubliées, & 1'on prit toutes les précautions que dief a la prudence, pour les empêcher de renaïtre; on établit enfin, avec un applaudiffement univerfel , la même forme de gouvernement qui a fubfifté a Gênes depuis ce temps-la jufqu'a nos jours , prefque fans aucune altération. Doria vécut jufqu'a un age fort avancé, chéri, refpeclé &c honoré de fes compatriotes; jamais fa modération ne fe démentit; & fans s'arroger aucun droit au-deffus des autres citoyens, il conferva Ie plus grand afcendant dans tous les confeils d'une République qui devoit fon exiftence k fa générofité. L'autorité dont il jouiffoit, étoit fans  E J 28. Öpération« dans le Mi ïanès. (i) Guich. /. 19, 498. Si^on. v'ita Ds~: Üirï ■ p, ■ 114$. Jov. hijly U aó , p. 36 5 ï§4 L' H l s t O I r e doute plus flatfeufe & plus fatisfai-fante que celle qu'il auroit emprun-tée du titre de Souverain : fon Empire fondé fur la reconnoiffance, étoit foutenu par 1'amour & le refpeft qu'infpire la vertu , & non par lacrainte qu'excite le pouvoir. Sa mémoire efi encore révérée des Génois ; dans tous leurs monuments publies ,, comme dans tous les ouvrages de leurs hiftoriens , fon nom paroit toujours décoré des plus hönorables des titres , de ceux de Pere de sa patrie , & de restaurateur de sa • liberté (d). Francois, jaloux de rétablir la répjutation de fes armes, flétrie par tant' de revers •, fit de nouveaux efforts dans le Milanès. Mais le Comte de Saint-Pol, officier téméraire & fans expérience, a qui il donna le commandement de fön armée , n'étoit pas1 un émule a oppofer a Antoine deLeve , le plus habile des Généraux^le;  de Charees-Quïnt. iSj FEmpereur. Celui-ci profondément inftruit dans Part de la guerre, fut repouffer avec une poignée de foldats, & rendre inutiles les attaques affez vives,. mais mal concertées des Francois; & malgré fes infirmités qui 1'obligeoient. a fe faire eonftamment porter dans une litiere, il les furpaffa toujours dans 1'oecafion en aöivité &. en prudence. Partine marche imprévue, il furprit, battit, prit le Comte de SaintrPol, &. détruiiit 1'armée Francoife dans le Milanès, auffi complétementque lê Prince d'Orange avoit détruit. celle qui affiégeoit Naples (4 L'HlSTOIRE -'*"p'""^- périorité que les Impériaux avoient 1529« acquife , furent perclus pour la France par la régligence du Roi , ou par la méchanceté& 1'injuftice de fes courtifans; & 1'on a dü remarquer que les plus grands coups qui furent portés a la France pendant toute la durée de la guerre, furent dirigés par le reffentiment & le défefpoir de ces trois hommes , qui s'étoient vus forcés d'abandonner fon fervice , D&hono- Les. "goure"fes conditions que Cfoncnic tilt 1-lhllOfp Hp flimf. DP T11- anie pour ii«<«-vy.w ^~"f->~ — j — Fransois, rent pas ce qu'il y eut de plus mortifant pour lui dans le traité de Cambray. II perdit encore fa réputation & la confiance de toute 1'Europe, en facrifiant fes alliés a fon rival. Comme il ne vouloit pas entrer dans tous les détails néceffaires pour concilier leurs intéréts, & qu'il craignoit peutêtre d'être obligé d'acheter, par de plus grands facrifices de fa part, ce qu'il auroit réclamé pour eux , il les abandonna tous également, & laiffa , fans aucune flipulation , a la merci de l'Empereur, les Vénitiens, les Florentins , le Duc de Ferrare, & quelques Barons Napolitains qui s'étoient  DE CH ARLES-QUINT. 195 joints a fon armée. Auffi fe récrie- rent-ils contre la lacheté & la perfidie de ce procédé; & Francois en fut fi confus lui-même , que ne pouvant fe réfoudre a entendre de la bouche de leurs Ambaffadeurs, les jufles reproches qu'il méritoit, il laiffa paffer quelque temps fans vonloir leurdonner audience. Charles au contraire avoit eu la plus grande attentiona ménager les intéréts de tous ceux qui s'étoient attachés a fon parti: il avoit affuré jufqu'aux droits de quelques-uns de fes fujets Flamands, qui avoient des biens ou des prétentions en France; il avoit fait inférer un article qui obligeoit Francais a réhabiliter la familie &l la mémoire du Connétable de Bourbon , & a rendre a fes héritiers les terres qui avoient été confifquées; par un autre article, il avoit fiipulé une indemnité pour les Gentilshommes Francois qui avoient fuivi Bourbon dans fon exil (<*). Cette conduite , louable par ellemême , & que le contrarie de celle de (a) Guich. 1. 19, p. 515. p. Heuter. ur. Auflr. 1. 10, C. 4, p. 235. lij 1529.  Henri afffuiefce au traité. 196 L' HlSTOIRE Francois relevoit d'une maniere encore plus frappante , procura a Charles autant d'eftime que le fuccès de fes armes lui avoit acquis de gloire. Francois ne traita pas le Roi d'Angleterre avec la même indifférence que fes autres alliés. II ne faifoit pas un pas dans la négociation de Cambray fans en faire part a fon allié; ck heureufement pour lui, Henri fe trouvoit alors dans une fituation qui ne lui laiffoit d'autre parti a prendre que d'approuver fans réferve toutes les démarches du Roi de France , ck d'y concourir avec lui. Le Roi d'Angleterre follicitoit depuis quelque temps le Pape pour obtenir la permiffion de répudier fa femme, Catherine d'Arragon. Plufieurs motifs lui faifoient defirer ce divorce : d'abord Catherine étoit la veuve de fon frere , ck comme il y avoit certains temps de 1'année oü les idéés religieufes faifoient une plus vive impreffion fur fon efprit, il avoit des fcrupules fur la légitimité de fon mariage ; il y avoit déja long-temps qu'il n'aimoit plus Ia Reine, qui étoit beaucoup plus agée que lui, ck qui avoit  de Charle s-Quint. 197 perdu tous les agréments de fa jeu- " neffe; il avoit d'ailleurs un defir extréme d'avoir des enfants males. "Wolfey, qui ne cherchoit qu'a fortifier la méfintelligence de fon maitre avec l'Empereur, neveu de Catherine, employoit tout fon art pour nourrir les fcrupules de Henri, & 1'encourager dans le projet de fon divorce. Enfin , un dernier motif, peut'-être plus puiffant que tous les autres enfemble, étoit la paffion violente que Henri avoit concue pour la célebre Anne de Eoulen, jeune Dame d'une grande beauté &c d'un mérite plus éclatant encore : ce Prince voyant qu'il ne pouvoit obtenir fes faveurs qu'en lui donnant fa main, fe détermina a 1'élever au tröne. Les Papes avoiënt fouvent ufé de leur autorité pour permettre des divorces fur des raifons moins fpécieufes que celles que Henri alléguoit en faveur du fien. Lorfque Ia première propofition en fut faite k Clément, il étoit dans la prifon du chateau Saint-Ange; & comme il n'efpéroit alors fa liberté que du Roi d'Angleterre & du Roi de France, fes I iij 1529.  198 L'HlSTOIRE alliés , il témoigna la plus grande inclination a favorifer le divorce du premier; mais dès qu'il fe vit libre , il laiffa voir des fentiments tout oppofés. Charles, qui époufoit le parti de fa tante avec un zele animé par le reffentiment, intimida le Pontife par des menaces qui allarmerent vivement fon am'e cfaintive, & le flatta d'un autre cöté par les promeffes qu'il lui fit a 1'avantage de fa familie ; promeffes qu'il réalifa en effet quelque temps après. Ces confidérations firent oublier a Clément toutes les obligations qu'il avoit a Henri, & fon zele pour les intéréts de l'Empereur alla jufqu'a expofer I'inrérêt de Ia Religion Romaine en rifquant de détacher pour jamais 1'Angleterre de la dépendancedufaintSiege. Après avoir amufé Henri pendant deux années entieres par toutes les fubtilités & toutes les chicanes que la Cour de Rome fait employer avec tant d'adreffe, pour prolonger ou faire échouer une affaire ; après avoir déployé toutes les reffources de fa politique équivoque & artificieufe , dont les hifio-  de Charles-Quint. 199 riens Anglois qui ont traité ce fujet, ont eu bien de la peine a fuivre & a démêler les détours , il finit par retirer les pouvoirs donnés aux juges qu'il avoit commis pour juger cette queftion; il évoqua la caufe a Rome, & ne laiffa plus au Roi d'autre efpérance d'obtenir un divorce que de la décifion du Pape lui-même. Comme Clément étoit alors étroitement lié avec l'Empereur , qui avoit acheté fon amitié par des facrifices fans bornes, Heuri défefpéra d'obtenir d'autre jugement que celui que l'Empereur prononceroit par la bouche du Pape. Cependant 1'intérêt de fon honneur & celui de fes paffions, ne lui permettoient pas de renoncer & fon projet ; il réfolut d'employer d'autres voies, &c de réuffir a quelque prix que ce fut. II avoit donc befoin, pour balancer le pouvoir de l'Empereur, de s'affurer 1'amitié de Francois : dans cette vue, loin de lui faire aucuns reproches fur ce qu'il avoit abandonné fes alliés dans le traité de Cambray, il lui fit préfent d'une fomme confidérable, qu'il lui offrit comme une conI iv 1519.  IJ20. 12 Aoüt. L'Empereur vifite 1'Italie. 200 L'HlSTOIRE tribution fraternelle pour payer Ia rancon de fes enfants (<*). Cependant 1'Empereur aborda en Italië fuivi d'un cortege nombreux de NoblefTe Efpagnole & d'un corps conlïdérablede troupes; il avoit laiflë le gouvernement de 1'Efpagne, pendant Ie temps de fon abfence, a 1'Impératrice Ifabelle. Le long féjour qu'il avoit fait dans le Royaume, 1'avoit mis a portee de connoitre a fond le caradere des Efpagnols, & il avoit appris a Iesgouverjier par des maximes afforties a leur génie. II fut même en quelques occafions prendre des manieres populaires , qui .flattoient finguliérement la nation. Quelques jours avant qu'il s'embarquat pour 1'Italie, il donna un exemple frappant des foins qu'il prenoit de lui plaire. II falloit faire fon entrée publique dans Ia ville de Barcelone, & les habitants étoient embarraffés de favoir s'ils le recevroient fous le titre d'Empereur ou de Comte de Barcelone. Charles donna fur le champ la préférence au dernier, déclarant qu'il fe tenoit plus (59- ll8 L'HlSTOIRE quoique Mélancthon adoucit quelque8 articles , fe relachat fur d'autres, &C prït foin de donner a tous, Ie fens le moins choquant pour fes adverfaires ; quoique l'Empereur lui-même fit tout fon poffible pour rapprocher les deux partis, il fe trouvoit déja tant de marqués de fépararion établies , tant de barrières inlurmontables élévées entre les deux Eglifes , qu'on délefpéra dès - lors de pouvoir jamais concilier &c réunir les efprits (a). Charles voyant qu'il ne pouvoit rien gagner fur les théologiens, s'adreffa aux Princes qui les protégeoient; mais quelque defir que ceux-ci euffent d'accommoder les chofes , & quelle que fut leur inclination a obliger l'Empereur , il ne les trouva pas plus difpofés que les théologiens a renoncer a leurs opinions. Dans ce temps-la, ie zele pour la religion agi-  OE C H AR LE S-Q-U INT. 2Ï|Ï toit les efprits a un degré que peuvent a peine concevoir ceux qui vivent dans notre fiecle : les paffions qifexcitoient la découverte de la vérité & le premier fentiment de la liberté, ont aujourd'hui prefqu'entiérement perdu leur énergie. Le zele étoit alors fi puiffant, qu'il 1'emporïoit même fur 1'attachement aux inïérêts politiques, qui eft ordinaire» ment Ie mobile prédominant des démarches des Princes. L'Eleóteur de Saxe, le Landgrave de Heffe, & les autres chefs des Protefiants , quoique follicités chacun en particulier par l'Empereur, & tentés par 1'efpérance & la promeffe des avantages politiques qu'ils étoient les plus jaloux d'obteaiir, refuferent tous avec un courage digne d'être imité , d'abandonner pour aucune acquifition terreflre, ce qu'ils croyoient être la caufe de Dieu (a). Les moyens qu'on employa pour gagner on pour défunir le parti protefiant, n'ayant eu aucun fuccès, il ( bre. XIO 'L' H I S T O I R E ne reftoit plus a l'Empereur d'autre parti a prendre, que d'exercer fon pouvoir , pour défendre par quelque .afte de vigueur ,, la doctrine &c 1'autorité de 1'Eglife établie. Campeggio, Nonce du Pape , .n'avoit ceffé de repréfenter a l'Empereur, que la févérité étoit la feule maniere de traiter avec des hérétiques ii obftinés. La diete cédant a fes inftances & k fon. avis, donna un décret qui eondamnoit la jdupart des opinions foutenues par les Proteftants; défendoit k toute perfonne de protéger ou de tolérer ceux qui les enfeigneroient^ enjoignoit Pexacf e obfervance du culte établi, & défendoit toute innovation pour Pavenir, fous des peines féveres. Tous les ordres étoient en même-temps requis de concourir de leurs biens &C de leurs perfon-nes k Pexécution de ce décret, & ceux qui refuferoient d'obéir., étoient -déclarés incapables d'exercer les fonctions de juges , ou de paroïtre comme parties a la chambre impériale , qui étoit la Cour ibuveraine de 1'Empire.II fut encore arrété par ce décret,, qu'on s'adrefferoit au Pape pour le  EVEï C H A R t ÉS-Q v INT. 2X1 requérir de convoquer dans le délai de fix mois , un concile général , dont les décifions fouveraines puffent terminer toutes les- difpures ( 1531. Avec 1'An* gleterre..  1531. Charlesflatte les Proteftants. ( qu'au concile général, dont l'Empereur tacheroit de procurer la conVocation dans Pefpace de lix mois; qu'on n'inquiéteroit perfonne pour caufe de religion; qu'on arrêteroit les procédures commencées par la chambre impériale contre les Proteftants , & que toutes les fentences qui fe trouveroient déja portées contr'eux, refteroient nulles & fans exécution. De leur part, les Proteftants s'engagerent a aider l'Empereur de toutes leurs forces, pour repouffer1'invafion des Turcs (a).. Ainfi, par leur fermeté dans leurs principes,, par leur unanimité a foutenir leurs prétentions, par leur habileté a fe  DE CHARLE S-Q'li INT. 233 prévaloir de 1'embarras de 1'Empereur, les Proteftants obtinrent des conditions qui équivaloient prefque a la tolérance de leur religion. L'Empereur fit tous les facrifïees, & ils n'en firent aucun; il n'öfa pas même leur propofer d'approuver l'éle&ion de fon frere, quelque importance qu'il mit k cette affaire; & les Proteftants , qui jufques-la n'avoient encore été regardés que comme une fecfe religieufe , acquirent dès-lorsle rang & le crédit d'un corps politique qu'il falloit ménager (0). Charles apprit peu de temps après que Soliman étoit entré en Hongrie a la tête de trois cents mille hommes. Cette nouvelle termina bientöt les délibé/ations de la diete de Ratisbonne , oii 1'ön avoit déja fixé le contingent de troupes & d'argent que chaque Prince devoit fournir pour la défenfe de 1'Empire. Les Proteftants, pour marquer leur reconnoiffance k l'Empereur, le fervirent avee un zele extraordinaire , & mirent en {a) Sleid.. 149-, &c. Seck. 3 , ig». 1532-, Campagneen Hongrie^  _ 134 L'Histoire • campagne beaucoup plus de troupes qu'ils n'étoient obligés d'en donner; & les Catholiques ayant imité leur exemple, Vienne vit raflèmbler prés de fes murs une des plus grandes & des plus belles armées qui euflént jamais été levées en Allemagne. Après la jonction d'un corps de vieilles troiipes Efpagnoles & Italiennes, conduites par le Marquis du Guaft, de quelques efcadrons de cavalerie pefante tirés des Pays-Bas, & des troupes que Ferdinand avoit levées dans la Bohème , dans 1'Autriche & dans fes autres Etats, cette armée montoit a quatre-vingt-dix mille hommes d'infanterie réglée, & è trente mille chevaux, fans compter un nombre prodigieux de troupes irrégulieres. Ce corps redoutable méritoit d'avoir a fa tête le premier Monarque de la Chrétienté; l'Empereur voulut le commander en perfonne , & 1'Europe en fufpens attendit 1'iffue d'une bataille décifive entre les deux plus grands Princes du monde : mais redoutant mutueüement les forces & la bonne fortune 1'un de 1'autre, ils fe conduifirent tous les deux avec tant de  be Charles-Quïnt. 135 circonfpettion, que cette campagne , après des préparatifs immenfes, fïnit fans aucun événement mémorable. Soliman, voyant 1'impoflibilité d'ob- ! tenir aucun avantage fur un ennemi S toujours attentif 6c fur fes gardes , ^ retourna a Confiantinople vers la fin de l'automne(a).Dansun fiecle fi belliqueux , oü tout Gentilhomme étoit foldat, 6c tout Prince général, il erf. a remarquer que ce fut la première fois que Charles parut a la tête de fes troupes, quoiqu'il eüt déja foutenu de fi longues guerres, 6c remporté tant de viéroires. Ce ne fut pas un honneur médiocre pour lui, que d'avoir ofé, pour le premier effai de fes armes , fe mefurer avec Soliman , & il fe couvroit de gloire par le fuccès de fes opérations. Vers le commencement de cette campagne, PEleéteur de Saxe raourut & fut remplacé par Jean-Fréderic, fon fils 6c fon héritier. La réforme gagna plus qu'eile ne perdit (a) Jov. kif!. I. 30 , p. too, &c. Barre , h'tft. de l'Empire ,1,8, 34^7. 1532. septembre LOao- re. 16 Aoüri  Entrevne de l'Empereur avec lè Pape dans fon retour en EfJfagne. 236 L'BisioiR e k cette mort. Le nouvel Eleéteur ■„ non moins attaché aux opinions de Luther que fes prédéeeffeurs , prit leur place a la tête du parti proteftant, & défendit avec toute Paudace & tout Ie zele de Ia jeuneffe, une caufe que fes ancêtres avoient-, pour ainfi dire , nourrie &c entretenue avec toute la prudence que peut donner Pexpérience de Page. Immédiatement après la retraite des Turcs , Charles , impatient de revoir PEfpagne , partit pour ce Royaume ,. & prit fa route par 1'Italie. II defiroit vivemenf d'avoir une fecondë entrevue avec le Pape; iis fe virent encore a Bologne , & fe traiterent avec les mêmes démonflrations extérieures de refpeéf & d'amitié ; mais ils n'avoient plus Y'un pour 1'autre cette confiance qui régnoit entr'eux, lors de leurs dernieres négociations dans cette ville. Clément étoit trèsmécontent de la conduite que l'Empereur avoit tenue a Ausbourg ; en :onfentant a la convocation prochaine 1'un concile ,. ce Prince avoit perdu :out le mérite qu'il s'étoit fait auarès du Pontife par le décret rigoti<-  dï Ckarles-Quint. 237 •■mix qui avoit été porté d'abord contre la doctrine des réformateurs. Le Pspe étoit encore pkis ofFenfé de la tolérance qu'accordoit aux Proteftants la diete de Ratisbonne , bc de la promeiTe pofitive que Charles avoit faite de demander un concile. Cependant l'Empereur, convaincu -que la tenue d'un concile général produiroit de bons effets, .& d'ailleurs defirant de plaire aux Allemands , renouvella de vive voix a Bologne les follicitations qu'il avoit déja fait faire au Pape par les Ambaffadeurs, & le preffa de convoquer ce concile fans délai; Clément fut très-embarraffé jfiir la réponfe qu'il devoit faire a une requête , qu'il ne pouvoit ni refufer décemment, ni accorder fans danger. II tacha d'abord de détourner Charles de cette idéé; mais le trouvant inflexible, il eut recours k des artifices qui, s'ils ne pouvoient pas faire échouer entiérement ce projet, devoient du moins lui faire-gagner du temps. Sous le prétexte plaufible qu'il falloit commeneer par régler avec toutes les parties intéreffées, le lieu de 1'affemblée , la forme 1534. Négoclation au fujet du concile général.  553*. 13§ L'HlSTOIRE de fes opérations, le droit des perfonnes qui y auroient voix , & le degré d'autorité de leurs décifions; il nomma un Nonce , qui, accompagné d'un Ambaffadeur de l'Empereur , fut dépêche a FElecteur de Saxe, comme au chef des Proteftants. Chacun de ces articles fit naitre des difficultés & des conteftations fans fin. Les Proteftants vouloient que le concile fe tint en Allemagne; le Pape vouloit que ce fut en Italië. Ils exigeoient que le texte de 1'écriture fainte fervit feul de regie de décifion pour tous les points conteftés : Clément accordoit une égale autorité aux décrets de 1'Eglife , & aux fentiments des Peres & des Dodteurs. Ils demandoient un concile libre , ou les théologiens députés par les différentes Eglifes , euffent droit de fuffrage ; Clément fe propofoit de donner au concile une forme qui le rendit entiérement dépendant de fon autorité. II y avoit un autre point fur lequel les Proteftants infiftoient encore davantage ; ils prétendoient qu'il étoit déraifonnable de vouloir les engager è fe foumettrc aux décrets d'un con-  »e Charles-Quint. 239 cile , avant qu'ils fuffent fur quels principes feroient fondés ces décrets , par quelles perfonnes ils feroient prononcés , '6t quelles feroient les formalités qu'on obferveroit. Le Pape répondoit qu'il feroit parfaitement inutile d'afTembler un concile, fi ceux qui le demandoient eux-mêmes , ne promettoient auparavant , par une déclaration expreffe , de s'en rapporter a fes décifions. On propofa plufieurs expédients pour concilier tous ces préliminaires , & les négociations trainerent tant en longueur , qu'elles remplirent en effet les vues de Clément , dont le but étoit d'éloigner la tenue du concile , fans s'attirer le reproche flétriffant de s'être oppofé feul a une mefure que toute 1'Europe croyoit fi effentiellement utileau bien de 1'Eglife ( qui avoient été confultés fur cette queftion , annulla le mariage du Roi avec Catherine , déclara illégitime la rille qui en étoit née, ck reconnut Anne de Boulen pour P»eine d'An^  de Charles-Quint. 249 gleterre. Dès ce moment, Henri ceffa de faire fa cour au Pape; il commenca a le négliger, a le menacer même , & a faire des innovations dans 1'Eglife qu'il avoit auparavant défendue avec tant de zele. Clément, qui avoit déja vu tant de Princes 6c de Royaumes fe féparer du faint Siege, craignit a la fin que 1'Angleterre n'imitat leur exemple. L'intérêt qu'il avoit a prévenir ce coup fatal , joint a fa déférence pour les follicitations du Roi de France, le détermina k donner k Henri toutes les fatisfadtions qu'il jugea propres k le retenir dans le feinde fon Egiife. Mais la violence de ceux des Cardinaux qui étoient dévoués k l'Empereur , ne donna pas au Pape le temps d'exécuter cette fage réfolution, 6c le précipita dans une démarche imprudente qui fut fatale au fiege de Rome : on Pobligea de publier une bulle qui caffoit la fentence de Cranmer, confirmoit le mariage de Henri avec Catherine , 8c déclaroit ce Prince excommunié , fi, dans un temps prefcrit, il ne quittoit pas fa nouvelle femme pour reprendre celle qu'il avok L v 23 Ma». ]  J534- L'autorité «lu Pape abolie en Angleterre. ] < ^ i i I I i t f a 4 150 L' Histoire abandonnée. Irrité de ce décret, auquel il étoit loin de s'attendre , Henri ne garda plus aucune mefure avec la Cour de Rome : fes fujets feconderent fon reffentiment, & partagerent fon indignation. Le Parlementpaffaunaöe qui abolit le pouvoir & la jurifditfion du Pape en Angleterre; & par un autre acte, le Roi fut déclaré chef fuprême de PEglife Anglicane, & fut revëtu de toute 1'autorité dont on d«épouilloit le Pape. Ce vafle édifice de la dominarion eecléfiaflique , élevé avec tant d'art, & dont les fondements paroiffoient fi profonds, s'écroula en un moment, dés qu'il ne fut plus appuyé "ur la vénération des peuples. Henri, )ar une bifarrerie qui étoit dans fon ■araclere , continua de défendre la loftrine de PEglife de Rome , avec la neme chaleur qu'il mettoit a attaquer a jurifdiction. II perfécuta tour a-tour es Protefiants & les Catholiques ; les iremiers, paree qu'ils rejettoient les pinions de PEglife Romaine; les feonds , paree qu'ils reconnoiffoient )n autorité civile : mais fes fujets pant eu Ia liberté d'entrer dans une onveile route, ne jugerent pasa pro-  de Charles-Quint. 151 pos de s'arrêter au terme précis qu'il leurmarquoit. Encouragés par 1'exemple de leur Roi a brifer une partie de leurs entraves, ils étoient fi impatients de s'en délivrer tout-a-fait (a), que , fous le regne fuivant, il fe fit, avec Papplaudiffement général de la nation, une féparation totale de 1'Angleterre & de 1'Eglife de Rome , dans les points de doctrine, comme dans les rnatieresdedifcipline&dejurifdiftion. Quelques délais de plus euffent^pu épargner au fiege de Rome les fuites facheufes qu'eut la démarche imprudente de Clément. Peu de temps après la fentence qu'il avoit rendue contre Henri, il tomba dans une maladie de langueur, qui, minant par degrés fa conff itution , mit enfin un terme k fon pontificat, le plus funefte par fa longue durée & par fes effets , que la Cour de Rome eüt vu depuis plufieurs fiecles. Le jour même que les Cardinaux entrerent au conclave, ils éleverent au Tröne pa- (a) Herbert. Burnet , Hifl. de la rarm. L vj Mort de Clément VIL 25 Septembre. Eteftion de Paul III.  »53+ aj O&o- (*) Guich. /. 20, 5j6. Fra-Paolo , 64. 252 L'HlSTOIRE pal Alexandre Farnefe, Doyen du fih cré College , & le plus ancien des Cardinaux , lequel prit le nom de Paul HL Le peuple de Rome fit éclater les plus grands tranfports de joie , en apprenant cette promotion. II étoit ravi de voir, après un intervalle de plus d'un fiecle , la couronne de faint Pierre, orner Ia tête d'un citoyen Romain. Les hommes les plus éclairés augurerent favorablement de fon adminiftration : ils fondoient leur jugement fur 1'expérience qu'il avoit acquife fous quatre pontificats, Sc fur le caracfere de prudence & de modération qu'il avoit conftamment foutenu dans un pofte éminent, Sc pendant un temps de trouble & de erife qui demandoit a la fois des talents Sc de 1'adreffe (a). II eft vraifemblable que 1'Europe dut Ia continuation de la paix a la mort de Clément. Quoiqu'il ne reffe dans l'hiftoire aucunes traces d'une ligue concilie entre Francois & lui, il ne faut pas douter qu'il n'eüt fe-  de Charles-Quint. 153 condé les opérations des armées Fran^oifes en Italië. Son ambition n'auroit pas réfifté au plaifir de voir fa familie donner un maitre a Florence & un autre a Milan; mais 1'élecf ion de Paul III, qui jufqu'alors étoit demeuré conftamment attaché aux intéréts de TEmpereur, mit Francois dans la néceflité de fufpendre pour quelques temps fes opérations , & de différer encore 1'exécution du deffein qu'il avoit formé de commencer les hoflilités contre 1'Empernur. Tandis que Francois épioit 1'occafion de recommencer une guerre qui jufqu'alors avoit été li fatale a fes fujets & a lui- même , il fi» paffoit en Allemagne un événement d'une nature très-finguliere. Parmi plufieurs efFets falutaires , dont la réformation fut la caufe immédiate , elle en produifit quelques autres tout oppofés ; 6c c'efl une fatalité inévitable dans toutes les affaires & dans tous les événements qui dépendent des hommes. Lorfque 1'efprit humain eft remué par de grands objets, & agité par des paffions violentes , il acquiert ordinairement dans fes opérations , 1534. SoulevEment des Anabaptiftes en Aïj leinagnej  '534- 254 L'HlSTOIRE ■ une fur-abondance de force qui Ie jette dans des écarts & des extra vagances. Dans toute révolution importante qui arrivé dans la religion , ces écarts font plus fréquents , furtout a ce période oü les hommes, en fecouant le joug de leurs anciens principes , ne concoivent pas encore clairement la nature du nouveau fyftême qu'ils embraffent, & n'ont pas un fentiment diftinet des obligations nouvelles qu'il leur impofe. Alors 1'efprit marche toujours enavant avec la même audace qui lui a fait rejetter les opinions établies; comme il n'eft point guidé par une connoiffance éclairée de la doctrine qu'il a mife a la place, il ne peut fouffrir aucun frein , & il fe livre a des idéés bifarres d'oii réfultent fouvent la corruption des principes & la licence des moeurs. Ainfi, dans les premiers fiecles de 1'Eglife, on vit une foule de nouveaux Chrétiens , après avoir renoncé a leur ancienne croyance , adopter les opinions les plus abfurdes , également deflruélives de toute piété & de toute vertu , faute de bien connoitre encore les dogmes &c les  de Charles-Quint. 2J5 préceptes du Chrifiianifme. On vi enfuite ces mêmes erreurs profcrites fe diffiper d'elles-mêmes, a mefun que les vrais principes de la religior furent mieux connus öc" plus gênéralement répandus. De même , quelque temps après que Luther eut paru , la témérité- ou 1'ignorance dt quelques-uns de fes difciples , les por ta- a publier des maximes abfurdes & pernicieufes qui furent trop facilement adoptées par des hommes ignorants , mais paffionnés pour toute; les nouveautés , & dans un temp: oh tous les efprits étoient tourné: vers les fpéculations religieufes. C'efi a ces caufes qu'il faut attribuer la naif fance des opinions extravagantes que répandit Muncer dans 1'année 1525"; èc les rapides progrès qu'elles nreni parmi les payfans. Le foulevemeni qu'avoit excité ce fanatiquea fut bientöt étouffé; mais plufieurs de fes feetateurs fe cacherent en différentes retraites , d'oii ils s'efförcerent de répandre leurs opinions. Dans ks Provinces de Ia haute Allemagne, ou la rage de ces fanatiques avoit déja fait tant de ravages, les ; «534. L L'origine ck les opinions de cette fec: te,  1$6 L'HlSTOIRE 1 magiftrats veillerent fur eux de fi '534» pres ^ jes traiterent avec tant de févérité, qu'après en avoir puni quelques-uns , banni d'autres , & forcé tin grand nombre a fe retirer en d'autres pays, on vint a bout d'extirper entiérement leurs erreurs. Mais dans les Pays-Bas &c dans la Welïphalie , oü 1'on étoit moins en garde contre leurs opinions , paree qu'on n'en fentoit pas les dangereufes conféquences , ils s'introduifirent dans plulieurs villes , & y répandirent la contagion de leurs principes. Le plus remarquable de leurs dogmes religieux regardoit le facrement du baptême ; ils foutenoient qu'on ne devoit 1'adminifirer qu'aux perfonnes qui avoient atteint 1'age de raifon, & qu'il ne falloit pas le donner par afperfion, mais par immerfion. En conféquence ils condamnoient le baptême des enfants , & rebaptifoient tous ceux qui entroient dans leur fociété; c'efl dela que leur fecf e a recu Ie nom d'Anabaptiftes. Cette idéé particuliere fur le baptême paroilfoit fondée fur Pufage de 1'Eglife du temps des Apötres, & n'avoit rien de contraire é.  de Charles-Quint. 157 la paix & au bon ordre de la lbciété; mais ils avoient d'autres principes d'un enthoufiafme plus exalté, & bien plus dangereux. Ils prétendoient que parmi les Chrétiens, qui avoient les préceptes de 1'Evangile pour regie de leur conduite, & 1'efprit de Dieu pour guide, 1'office du magiftrat n'étoit pas feulement inutile , mais que c'étoit un empfiétement illégitime fur leur liberté fpirituelle; qu'il falloit anéantir toute diftinftion de naiffance, de rang & de fortune, comme contraire a 1'efprit de 1'Evangile qui ne voit dans tous les hommes que des êtres égaux; que tous les Chrétiens devoient mettre en commun tous leurs biens, 8c vivre enfemble dans cette parfaite égalité qui convient aux membres d'une même familie; enfin, que la loi naturelle & le nouveau Teftamenl n'ayant établiaucune regie furie nombre desfemmes qu'un hommepouvoii époufer, on pouvoit ufer de la liberté que Dieu même avoit accordée aux anciens Patriarches. De pareils principes, répandus & foutenus avec tout le zele 8c toutf Ils s'établif, fent dans Munftsr.  jksso^^ 258 L'HlSTOIRE ~-— 1'audace du fanatifme, ne tarderent pas a produire les efFets violents qui en étoient la fuite naturelle. Deux Prophetes Anabaptifles , Jean Mathias, Boulanger de Harlem, & Jean Boccold ou Beükels, compagnon tailleur de Leyde, poffédés de la rage du profélytifme, établirent leur réfrdence a Munfter, ville impériale du premier ordre , en Weffphalie, foumife a la domination de fon Evêque, mais qui fe gouvernoit par fon propre fénat & fes confuls. Comme ces deux fanatiques ne manquoient ni 1'un ni 1'autre , des talents néceffaire pour réuffir dans leur entreprife , leur audace, une apparence de fainteté, Ia prétention ouverte d'être infpirés par le Saint Efprlt, de Ia faciüté & de la confiance pour parler en public , tous ces moyens réunis leur firent bientöt des feöateurs. De ce nombre furent Rothman, qui avoit d'abord prêché le proteflantifme a Munfter, & Cnipperdoling, citoyen qui avoit de la naiffance & de la confidération perfonnelle. Enhardis par le crédit de ces difciples, ils commencerent a enfeigner publique-  DE CH AR LE S-Qu INT. 259 ment leurs opinions ; & non con- ~ tents de cette liberté, ils firent plu- 15^4* fieurs tentatives pour fe rendre maitres de la ville, afin de donner a leur doctrine le fceau de 1'autorité publique. Ils échouerent dans leHrs premières entreprifes ; mais ayant ap- Ils fe teapellé fecretement un grand nombre dent majde leurs affociés répandus dans les a contrées voifines, ils fe faifirent pendant la nuit de 1'arfenal & de 1'hötei du fénat, & fe mirent a parcourir les rues, armés d'épées nues, pouffant des hurlements horribles , &C criant alternativement, tantöt : Ré- . pente^-vous , & foye^ baptifés ; tantot: Riüre{-vous , impies. Les Sénateurs , les Chanoines, la NoblefTe, la plus faine partie des citoyens & Catholiques & Protefiants, effrayés de leurs cris & de leurs menaces , s'enfuirent en défordre, & abandonnerent leur ville a la difcrétion de cette multitude frénétique, compofée pour la plus grande partie d'étrangers. Comme il ne refcoit perfonne en état de •les contenir ou de leur en impofer, ils tracerent le plan d'un nouveau gouvernement, conforme a leurs ex-  !534. Ils établiffent une nouvelle forme de gouvernement. 2ÖO L'HlST OI RE travagantes idéés. S'ils parurent d'abord refpecter affez Fancienne conftitution, pour élire des fénateurs de leur fecte, Sc pourétablir confulsCnipperdoling 8c un autre de leurs profélytes , ce ne fut que pour Ia forme. Toutes leurs démarches étoient dirigées par Mathias, qui, prenant le ton & 1'autorité d'un prophete, dictoit fes ordres, 8c puniffoit de mort dans 1'inftant ceux qui ofoient y défobéir. II commenca par exhorter la multitude a piller les Eglifes, 8c k en détruire les ornements; il leur enjoignit enfuite de brüler tous les livres, comme étant inutiles ou impies, & de ne conferver que la Bible; il confilqua les biens de ceux qui s'étoient enfuis de Ia ville , Sc les vendit aux habitants des canton* voifins; il ordonna k chaque habitant d'apporter a fes pieds, fon or, fon argent 8c tous fes effets précieux; il dépofa ces richeffes dans un tréfor public , 8c nomma des diacres chargés de les diftribuer pour 1'ufage commun de tous. Après avoir ainfi établi, parmi les membres de fa république, une parfaite égali-  DE CH ARLES-QUINT. l6l té, il leur ordonna de manger en- • femble a des tables dreffées en public, & alla même jufqu'a régler les méts qu on devoit fervir chaque jour. Dès qu'il eut achevé fa réforme fur ce plan, fon premier foin fut de pourvoir a la défenfe de la ville; & les mefures qu'il prit pour eet effet, móntroient une prudence qui ne tenoit point du fanatifme. II forma de vaftes magafins de toute efpece , répara les anciennes fortifications, & y en ajouta de nouvelles, obligeant chaque habitant fans diftinftion, d'y travailler a fon tour; il forma de fes difciples de bons foldats & des troupes réglées, & n'épargna rien pour ajouter la vigueur de la difcipline a la fougue de 1'enthouliafme. Il envoya des émiffaires aux Anabaptiftes des Pays-Bas pour les inviter a fe rendre a Munfter , qu'il qualihoit du nom de Montagne de Sion, afin d'en fortir enfuite, difoit-il , pour aller foumettre a leur puiffance toutes les nations de la terre. II ne fe permettoit prefque aucun repos, & ne négligeoit rien de tout ce qui pouvoit fervir k la füreté ou a la propaga- «534»  »534* L'Evèque de Munfter aimé contre eux. Mai. a<5i L' Histoire tion de la feöe ; il donnoit a fes difciples 1'exemple de ne refufer aucune efpece de travail, Sc de fupporter toute forte de peines. Ainfi 1'enthoufiafme de ces feöaires , exalté fans ceffe par une fuite non-interrompue d'exhortations , de révélations & de prophéties , les animoit a tout entreprendre Sc a tout fouffrir pour la défenfe de leurs opinions. Cependant 1'Evêque de Munfter avoit affemblé une armée confidérable , Sc s'avancoit pour affiéger Ia ville. A fon approche, Mathias en fortit, a la tête de quelques troupes choifies, attaqua un des quartiers de fon camp, le forca; & après 1'avoir rempli de carnage, il rentra dans la ville chargé de dépouilles Sc couvert de gloire. Enivré de ce fuccès , il parut Ie lendemain devant le peuple une lance a la main , Sc déclara qu'a 1'exemple de Gédéon , il iroit avec une poignée de foldats exterminer 1'armée des impies. Trente perfonnes qu'il nomma le fuivirent fans balancer dans cette entreprife extravagante , Sc allerent fe précipiter fur les ennemis avec une rage infenfée; ils  DE CHARLES-Qu INT. l6j furent tOHS mis en pieces fans qu'il en échappat un feul. La mort du Prophete jetta la confternation dans le cceur de fes difciples; mais Boccold , par les mêmes dons prophétiques & les mêmes artifkes qui avoient donné tant de crédit a Mathias , ranima bientöt leur courage Sc leurs efpérances, au point qu'ils le laifferent prendre le même rang Sc la même autorité abfolue. Mais comme il n'avoit pas le courage audacieux qui diitinguoit fon prédécelfeur, il fe contenta de faire une guerre défenfive; Sc fans hafarder aucune fortie fur 1'ennemi , il attendit tranquillement les fecours qu'il efpéroit des PaysBas , Sc dont 1'arrivée étoit fouvent prédite & promife par fes Prophetes. Mais 's'il n'étoit pas auffi entreprenant que Mathias, il étoit encore'plus fanatique que lui , Sc d'une ambition plus démefurée. Quelque temps après la mort de fon prédéceffeur, quand il eut, par des vifions myftérieufes Sc des prophéties équivoques, préparé la multitude k 1'attente d'un événement extraordinaire, il fe dépouilla, Sc courut tout nud dans les rues, "534- Jean de Leyde acquiert une grande autorité parmi les Anabaptifies..  2.64 L'HlSTOIRE criant a haute voix : Que le Royau* me de Sion étoit proche ; que tout ce qui étoit élevéfur la terre feroit abaijféy & que tout ce qui étoit abaiffé, feroit élevé. Pour commencer 1'accompliffernent de cette préditiion, il fit rafer jufqu'aux fondements les Eglifes, qui étoient les édifkes les plus hauts de la ville ; il dégrada les fénateurs que Mathias avoit choifis; & dépouillant Cnipperdoling du confulat, la première charge de la république , il le réduifit a la plus vile & a la plus infame des profeffions, celle de bourreau, que celui-ci accepta non-feulement fans murmurer, mais avec les marqués de la plus grande joie; & tel étoit 1'excès du defpotifme & la rigueur de 1'adminiflration de ce Boccold , que Cnipperdoling fut appellé prefque chaque jour pour exercer quelques-unes des fonftions de fonhorrible miniitere. A la place desSénateurs qu'il avoit dépofés, il nomma douze juges pour préfder k toutes les affaires , k 1'imitation des douze tribus d'Ifraèl, retenant pour lui la même autorité dont Moïfe jouiffoit anciennement comme légiflateur de fon peuple. Cependant  DE C H AR LES-QU I N T. ï.65 Cependant ce degré de puiffance ! & ces titres n'étoient pas affez pour V^V, 1'ambition de Boccold; il vouloit la RH e e" fouveraineté abfolue , & il y parvint, Un Prophete qu'il avoit gagné & inftruit, affembla un jour le peuple, &C déclara que la volonté de Dieu étoit que Jean Boccold fut Roi de Sion, &c s'alsit fur le tröne de David. Jean fe profternant a terre, fe réfi- 24 Juin, gna humblementa la volonté du Ciel, & protefia folemnellement qu'eile lui avoit déja été annoncée dans une révélation. II fut fur le champ reconnu Roi par cette multitude crédule; & dès ce moment, il déploya I'appareil & la pompe de Ia royauté. II avoit une couronne d'or , & les habits les plus fomptueux. A 1'un de fes cötés, on portoit une bible, & de 1'autre une épée nue. II ne paroiffoif. jamais en public, fans une garde nombreufe. II fit frapper de la monnoie avec fon portrait, & créa des grands officiersde fa maifon & de fon Royaume, parmi lefquels Cnipperdoling fut nommé Gouverneur de la ville, en récompenfe du dernier atle de fon obéiffance. Tornt /r, M  '534Licence de fes principes & de fa conduite. 266 L'HlSTOIRE Parvenu au faïte du pouvoir, Boccold commenca a donner carrière a des paflions, qu'il avoit jufqu'alors contenues , ou qu'il ne fatisfaifoit qu'en fecret. On a remarqué dans tous les temps que les exces de Penthoufiafme accompagnent d'ordinaire le penchant a 1'amour , & que le même tempérament porte également a ces deux paffions. Boccold chargea des prophetes & des dofteurs de haranguer le peuple plufieurs jours de fuite, fur la légitimité & la neceffité même d'époufer plus d'une femme ; ce qu'ils prétendirent être un des privileges que Dieu réferve a fes faints. Quand' il eut accoutume les oreilles de la multitude k cette doctrine licencieufe, & enflammélesimaeinations par 1'attrait d'un libertinage lans frein, il donna le premier 1'exemple de ce qu'il appelloit la hberte chrétienne , en époufant a la fois trois feromes , dont une étoit la veuve de Mathias, femme d'une beauté extraordinaire. Comme 1'amour de la beauté & le goüt de la variété 1'entrainoient fans ceffe , il augmenta par degrès le nombre de fes femmes jufqu'a qua-  de char les-q u ï nt. 167 torze ; mais il n'y avoit que la veuve de Mathias qui exit le titre de Reine, & qui partageat avec lui 1'éclat de la royauté, A 1'exemple de leur prophete , la multitude s'abandonna fans réferve a la débauche la plus effrénée. II ne refta pas un feul hommé qui fe contentat d'une feule femme. On regarda comme un crime de ne pas ufer de la liberté Chrétienne. li y avoit des gens employés è chercher dans les maifons les jeunes filles nubileSj Sc on les forcoit auffi-tot k fe marier. A la fuite de la polygamie , la liberté du divorce qui en efi inféparable, s'introduifit & devint une nouvelle fource de corruption. Ces infenfës fe porterent a tous les excès dont les paffions humaines font capables lorfqu'elles ne font point réprimées par 1'autorité des loix ou par le fentiment de la pudeur ( P' 140. M v  *53 S- Opératïon de la ligue deSmalkalde & fon autorité. (a) Bayle, diÜion. art. Anabaptiftes. 2.74 L'HlSTO I R E racines dans les Pays Bas, Sc cette fecle y fubfilïe encore fous le nom de Mennonites.. Par un changement bien étrange , cette fecte qui fut fi factieufe & li fanguinaire a fa nailfance , eit devenue finguliérement innocente Sc pacifique. Ces Mennonites regardent comme un crime de faire ia guerre Sc d'exercer les emplois civils; ils fe dévouent entiérement aux devoirs de iimples citoyens; Sc par leur induflrie Sc leur charité , ils (a) femblent vouloir faire a la fociété une forte de réparation des violences commifes par leurs fondateurs. Quelques-uns fe font établis en Angleterre, & y ont confervé les maximes anciennnes de la feöe fur le baptême ; mais fans aucun mélange dangereux de fanatifme. Quoique Ia révolte des Anabaptiftes eut attiré Pattention générale, elle n'occupa cependant pas alfez les Princes d'Allemagne , pour les empêcher de fonger a leurs intéréts politiques, i'alliance fecrete qui s'étoit formée  de Charles-Quint. 275 entre Ie Roi de France & les confédérés de Smalkalde, commenca vers ce temps a produire de grands effets. Ulric, Duc de Wittemberg, ayant été chaffé de fes Etats, en 1519 , par fes propres fujets, révoltés des violences & de 1'oppreffion qu'il exercoit fur eux , Ia Maifon d'Autriche avoit pris polfeffion de ce Dnché. Ce Prince , après avoir expié par un long exil, des fautes qui étoient plutót 1'effet de fon inexpérience que d'un caraétere tyrannique , étoit devenu a la lin 1'objet de la compaffion générale. Le Landgrave de Heffe , en particulier, fon próche parent, embrafla avec la plus grande vivacité fes intéréts , & fit plufieurs efforts pour lui faire rendre I'héritage de fes peres; mais le Roi des Romains refufa conflamment de fe deffaifir d'une riche Province, dont l'acquilition avoit fi peu coüté a fa familie. Le Landgrave, trop foible pour reprendre le "SVittembergpar Ia force des. armes, s'adreffa au Roi de France fon nouvel allié. Francois, qui ne cherchoit que 1'occafion d'embarraffer la Maifon d'Autriche, & qui avoit un grand defir de lui öter un M vj  > S 3 5- (a) Sleid. ijl. Du Be/lay, 159, &c4 276 L'HlSTOIRE territoire qui, en lui donnant de 1'influence dans une partie de 1'AUemagne très-éloignée de fes autres Etats „ la mettoit a portee d'y dominer , encouragea le Landgrave a prendre les armes, & lui fournit en fecret une fomme confidérable. Le Landgrave ayant levé des troupes, marcha en diligence k Wittemberg, attaqua, défit & difperfa un corps confidérable d'Autrichiens qui gardoient ce pays. Tout les fujets du Duc recurent a 1'envi leur Prince naturel, & lui rendirent avec joie 1'autorité fouveraine, dont jouiffent encore aujourd'hui fes defcendants. L'exercice de la Religion Proteflante fut en même-temps établi dans fes Etats (a). Quelque fenfible que fut Ferdinand a ce coup imprévu , il n'ofa attaquer un Prince que tout le parti Protefteftant d'Allemagne fe difpofoit a foutenir ; & il jugea qu'il étoit plus prudent de conclure un traité par lequel il reconnüt, de Ia maniere Ia plus folemnelle, les droits d'Ulric au Du-  DE CHARLESQUINT. 177 ché de Wittemberg. Ferdinand convaincu , par le fuccès des opérations du Landgrave en faveur du Duc de "Wittemberg , qu'il falloit éviter avec le plus grand foin toute rupture avec une ligue auffi formidable que celle de Smalkalde , entra auffi en négociation avec 1'Eleóteur de Saxe qui en étoit le chef; & moyennant quelques conceffions en faveur de la Religion Proteilante , il vint a bout de fe faire reconnoitre Roi des Romains par 1'Elecieur &c les confédérés. Mais pourprévenir dans lafuite une éleélion auffi précipitée & auffi irréguliere que 1'avoit été celle de Ferdinand , il fut convenu que perfonne déformais ne feroit élevé a cette dignité que du confentement unanime des Elc-dteurs , article qui fut peu de temps après confirmé par l'Empereur (a). Cette indulgence pour les Proteftants , & 1'étroite liaifon que le Roi des Romains commencoit a former avec les Princes de ce parti, déplu- (d) Sleid. 1737. Corps diplom, torn. 4 , p, a, 119. Paui in ïxe Man:oue pour e lieu de 'affemblée i'un con:ile général»  '535- 27# L'HlSTOIRE rent beaucoup a la Cour de Romev Paul III n'avoit pas adopté la réfolution oü étoit fon prédéceffeur de ne jamais confentir a la convocation d'un concile général ; il avoit même promis , dans le premier confifloire qui fuivit fon élecf ion, de convoquer cette aflémblée que defiroit toute la Chrétienté ; mais il étoit auffi irrité que Clément des innovations qui fe faifoient dans 1'Allemagne ; & il n'étoit pas moins éloigné d'approuver aucun plan pour réformer la doétrine de 1'Eglife & les abus de la Cour de Rome. Seulement, comme il avoit été témoin du blame univerfel que Clément s'étoit attiré par fon obflination fur raffemblée d'un concile, il efpéroit échapper au même reproche , en affecf ant de la propofer luijnême avec empreffement, bien convaincu qu'il s'éleveroit toujours affez de difficultés fur le temps bc le lieu de cette affemblée , fur les perfonnes qui auroient droit d'y affifter, & fur la forme dans laquelle on devoit y procéder, pour fruftrer 1'intention de ceux qui demandoient ce concile , fans s'expofer kü-même aux repro-  DE CHARLES-QüIN T. 279 ches qu'ils ne manqueroient pas de lui faire, s'il refufoit d'y confentir. Plein de cette confiance, il députa des Nonces aux différentes Cours, pour leur faire part de fes intentions , ck leur annoncer qu'il avoit choiiï Mantoue, comme le lieu le plus propre a la tenue du concile. Les difficultés que le Pape avoit prévues, fe préfenterent en foule. Le Roi de France défapprouva le choix que le Pape avoit fait, fous prétexte que le Pape & l'Empereur auroient trop d'autorité dans une ville fituée dans cette partie de 1'Italie. Le Roi d'Angleterre fe réunit a Francois, & fit la même objection ; il déclara de plus qu'il ne reconnoitroit aucun concile , convoqüé au nom & par 1'autorité du Pape. Les Protefiants d'Allemagne , alTemblés a Smalkalde, infifterent fur leur première propofition, ck demanderent que le concile fe tint en Allemagne : ils s'autorifoient de la promeffe que leur avoit faite l'Empereur, èk de la réfolution qui en avoit été prife a la diete de Ratisbonne; ck ils déclarerent qu'ils ne regarderoient point 1'affemblée de Mantoue comme mi' ia Décêmbre.  i8o L'HlSTOIRE un concile légal tenu en pleine liberté, & repréfentant véritablement 1'Eg^fe; Cette diverfité de fentiments & d'intérêrs ouvrit un champ fi vafte aux intrigues & aux négociations, qu'il fut aifé au Pape de fe faire un mérite de fon feint empreiTementa affembler ce concile , dont il mettoit tous fes foins a éloigner la convocatiom Les Proteftants, d'un aurre cöté , foupconnant fes deffeins, & connoiffant la force que leur donnoit leur-union, renouvellerent pour dix ans la ligue de Smalkalde, que Pacceffion de plufieurs nouveaux membres rendit encore plus puiffante &c plus formidable (a). (a) Cette ligue fat conclue au mois de Décembre de 1'année 'mil cinq cent trentecinq; mais elle ne fut fignée en forme qu'au mois de Septembre de lannée fuivante. Les Princes qui y accéderent, étoient Jean, Eleéteur de Saxe; Erneft , Duc de Brunfwick ; Philippe, Landgrave de Heffe; Ulric , Duc de Wittemberg; Barnim & Philippe , Ducs de Poméranie ; Jean , George & Joachim, Princes d'Anhalt ; Gerhard & Albert, Comtes de Mansfeld: Guillaume , Comte de Naffau ; les villes étoient Strasbourg, Nuremberg, Conftance, Uun.  de Charles-Quint. 181 Ce fut a cette époque que 1'Em- '"" pereur entreprit fa fameufe expédi- ,. tion contre les pirates d'Afrique. La , ?,t * i • » « r • " . de 1 fcmpe- partie du continent d Atnque , qui reur en a- borde les cötes de la Méditerranée , fïique. Etat & qui formoit anciennement les de ce pays. Royaumes de Mauritanië & de Maffylie, & la République de Carthage, eft connue aujourd'hui fous le nom général de Barbarie. Ce pays * avoit fubi plufieurs révolutions: fubjugué par les Romains, il fut d'abord une Province de leur Empire; il fut enfuite conquis par les Vandales, qui y fonderent un Royaume. Bélifaire 1'ayant détruit, toute cette contrée demeura fous la domination des Empereurs Grecs jufqu'a la fin du feptieme fiecle; elle fut alors envahie par les Arabes , dont les armes ne trouvoient de réfiftance nulle part; & pendant quelque temps, elle fit par- i Magdebourg , Breme , Reutlingue , Hai5bron , Memmingen , Lindau , Campen , Ifne , Bibrac, Vindsheim, Ausbourg, Francfort, Efling, Brunfwick, Goflar , Hanovre , Gottingne . Eimbeck , Hambourg, Minden.  *535- Formation des Ecats barbarefques. ic?Z L'HlSTOIRE tie du vaffe Empire que gouvernerent les Califes. L'éloignement du centre de 1'Empire encouragea dans la fuite les defcendants des guerriers qui avoient anciennement fubjugué ce pays, ou des chefs des Maures fes anciens habitants, a fecouer le joug & a fe rendre indépendants. Les Califes , dont 1'autorité n'étoit fondée que fur un refpett de fanatifme, plus propre a favorifer les conquêtes qu'a les conferver, furent obligés de fermer les yeux fur ces révoltes, 'qu'ils n'étoient pas en état de réprimer; & la Barbarie fut divifée en plufieurs Royatimes, dont les plus confidérables furent Maroc, Alger & Tunis. Les habitants de ces Royaumes étoient un mélange de families Arabes, de races Negres des Provinces méridionales, & de Maures nés en Afrique ou chaffés de 1'Efpagne, tous feétateurs zélés de la religion Mahométane , &c animés contre les Chrétiens d'une haine fuperflitieufë digne de leur ignorance & de leurs mceurs barbares. Chez ce peuple, non moins hardi, inconflant & perfide que 1'étoient,  de Cfï arles-Quint. 283 ii 1'on en croit les hifroriens Romains , les anciens habitants du même pays , les féditions furent fréquentes; le gouvernement palfa par un grand nombre de révolutions fucceffives; mais comme elles étoient renfermées dans 1'intérieur d'un pays barbare , elles font peu connues , & méritent peu de 1'être. Cependant vers le commencement du feizieme fiecle , il s'y fit une révolution qui rendit les Etats barbarefques redoutables aux Européens, & leur hifloire plus digne d'attention. Les auteurs de cette révolution étoient des hommes , qui, par leur naiflance, ne paroiflbient pas deftinés a jouer un grand röle. Homej& Chairadin , tous deux fils d'un potier de 1'ifle de Lesbos, entrainés par 1'impulfion d'un caraclere inquiet & entreprenant , abandonnerent Ia profeflion de leur pere, coururent la mer, & fe joignirent a unetroupe de pirates. Ils fe diftinguerent bientót par leur valeur & leur acfivité; oc s'étant emparés d'un petit brigantin , ils continuerent ce vil métier avec tant d'habileté Sc de fuccès, qu'ils raffemblerent une flotte, compofée M35- EntreprTfe des Barbe;rouiles»  ' 53 5- ( 284 L'HlSTOIRE de douze galeres & de plufieurs autres vaiffaux moins confidérables. Horuc qui étoit 1'ainé, ck qu'on appella Barberoufle a caufe de la couleur de fa barbe, fut 1'amiral de cette flotte ; Chairadin étoit fon fecond , mais il avoit k peu-près la même autorité. Ils fe donnerent le titre d'amis de la mer, ck d'ennemis de tous ceux qui voguoient fur fes eaux. La terreur de leurs noms fe répandit bientöt depuis le détroit des Dardaneües jufqu'a celui de Gibraltar. Leurs projets d'ambition s'étendirent k mefure que leur puiffance & leur renommée s'accroiffoient; ck ils effacerent 1'infamie de leurs brigandages par des talents ck des vues dignes de conquérants. Ils conduifoient fouvent dans les ports de Barbarie les prifes qu'ils avoient faites fur les cötes d'ltalie ck d'Elpagne; ck comme ils enrichiffoient les habitants de ces ports par la vente de leur butin ck par les extravagantes profufions de leurs matelots, ils étoient bien recus dans tous les lieux ou ils abordoient. La fituation avantageufe de ces ports, voifins des grands Etats de la Chrétienté qui faifoient  de Charles-Quint. 185 alors le commerce , infpira aux deux ' freres 1'idée de faire un établiffement dans ce pays. L'occafion d'exécuter leur projet fe préfenta bientöt , & ils ne la laifferent pas échapper. Eutemi , Roi d'Alger, qui avoit plufieurs fois tenté fans fuccès de s'emparer d'un fort que les gouverneurs Efpagnols d'Oran avoient bati affez prés de cette capitale , fut affez imprudent pour implorcr le fecours de Barberouffe , dont les Africains regardoient la valeur comme invincible. Le corfaire aftif rtcut avec joie cette invitation ; & laiffant a fon frere Chairadin le commandement de la flotte , il marcha a la tête de cinq mille hommes a Alger, oh il fut recu comme un libérateur. Une troupe fi confidérable le rendoit le maitre de la ville ; ayant obfervé que les Maures ne le foupconnoient d'auciin mauvais deffein, & que d'ailleurs ils étoient hors d'état, avec leurs troupes armées a la légere , de réfiffer a de vieux foldats aguerris, il affafhna fecrétement le Prince qui 1'avoit appellé a fon fecours, & fe fit proclamer Roi d'Alger a fa place. Après «5 3 5- 1516,  *535Horuc 1'ainé des deux freres fe rend maitre d'Alger. l8ó V HlSTOIRË avoir ufurpé 1'autorité par ce meurtre audacieux, il chercha a la niaintenir par une conduite aflbrtie au génie du peuple qu'il avoit a gouverner. Libéral a 1'excès pour tous ceux qui fe déclaroient les partifans de fon ufurpation, il exercoit une cruauté fans bornes contre ceux dont il avoit lieu de craindre les difpofitions. Non content du tröne qu'il avoit conquis , Horuc attaqua le Roi de Tremifen fon voilin; & 1'ayant vaincu dans une bataille , il joignit fes Etats a ceux d'Alger. II continuoit en même-temps d'infefter les cótes d'Efpagne & d'Italie, avec des flottes qui reffembloient plus aux armements d'un grand Monarque, qu'aux petites efcadres d'un corfaire. Les déprédations de ces brigrands déterminerent Charles, dés le commencement de fon regne , a envoyer au Marquis de Comares , Gou-. verneur d'Oran , un nombre de troupes fuffifant pour attaquer Horuc. Cet officier, fecondé par le Roi détröné de Tremifen , exécuta fa commiffion avec tant de vigueur & d'habileté, que les troupes de B?rberouffe furent battues en plufieurs rencontres ,  be Charles-Quint. 287 & qu'il fe trouva lui-même enfermé dans Tremifen. Après s'y être défendu jufqu'a la derniere extrêmité , il fut furpris dans le moment qu'il cherchoit a s'échapper, & il périt en combattant avec une valeur opiniatre , digne de fes exploits & de fa renommee. Chairadin , connu de même fous le nom de Barberouffe , prit le fceptre d'Alger avec la même ambition & les mêmes talents , & fut plus heureux que fon frere ainé. Son regne n'étant point troublé par les armes des Efpagnols , a qui les guerres d'Europe donnoient affez d'occupation , il régla avec une prudence admirable la police intérieure de fon Royaume, continua fes expéditions maritimes avec la plus grande vigueur, & étendit fes conquêtes dans le continent de 1'Afrique. Mais voyant que les Maures & les Arabes ne fe foumettoient a fon gouvernement qu'avec la plus grande répugnance , & craignant que fes pirateries continuelles n'attiraffent un jour fur lui les armes des Chrétiens, il mit fes Etats fous la protecïion du Grand-Seigneur, '53ï« Progrès ds Chairadin,  1*3* II met fi Etats fous Ja protection duSu tan, Son projet de conquéïir Tunis. 2.88 L'HlSTOIRE - qui lui donna un corps de foldats s Turcs, affez confidérable pour Ie mettre en füreté contre les révoltes de fes ennemis domeiliques, & contre - les attaques des étrangers. A la fin, la renommée de fes exploits croiffnnt de jour en jour, Soliman lui offrit le commandement de la flotte Turque, comme au feul homme qui, par fa valeur & fon expérience maniime , méritat d'être oppofé a André Doria, le plus grand homme de mer de fon fiecle. Fier de cette diftin&ion , Barberouffe fe rend è Conftantinople; fon caraftere fouple fut fi bien mêler 1'adreffe du courtifan a 1 aüdace du corfaire , qu'il gagna 1'entiere confiance du Sultan & de fon Vifir. II leur fit part d'un plan qu'il avoit formé pour fe rendre maitre de Tunis, qui étoit alors Ie Royame le plus floriffant de la cóte d'Afrique ; le Sultan & fon Vifir approuverent fon projet, & ne lui refuferent rien de ce qu'il demanda pour 1'exécuter. II fondoit les efpérances des fuccès de cette entreprife , fur les divifions intefiines qui déchiroient le Royaume  DE C HARLES-Qü INT. lc?$ me de Tunis. Mahmed, le dernier Roi de eet Etat, avoit eu, de" plu- IS3S* fieurs femmes différentes , trente-quatre enfants, parmi lefquels il' avoit pour fon fuccelTeur Muley-AlTan , le plus jeune de tous. Ce Prince foible ne devoit point cette préférence a fon mérite , mais a Pafcendant que fa mere avoit pris fur 1'efprit affoibli cu vieux Monarque ; il commenca èt empoifonner Mahmed fon pere , afin de prévenir un changement de réfolution. Enfuite , fuivant cette politique barbare, en ufage dans tous les pays oü la polygamie efl permife fans que Pordre de la fucceffion foit bien marqué , il mit a mort tous ceux de fes freres qui tomberent entre fes mains. Alrafchild , un des ainés , eut le bonheur d'échapper k fa rage, & trouva une retraite chez les Arabes errants. Aidé de quelques-uns de leurs chefs, il fit plufieurs tentatives pour recouvrer le tróne , qui lui appartenoit de droit; mais aucune ne réuffit : les Arabes , par une fuite de leur inconfiance naturelle , étoient même prêts a le livrer k fon impitoyable frere, lorfqu'ils s'enfuit a A!Tome IK. N  »535- 29O L'HlSTOIRE ger ^le feul afyle qui lui reftat. La , il implora la proteftion de Barberouffe , qui voyant d'un coup d'ceil tous les avantages qu'il pourroit retirer pour lui-inême en foutenant les droits de ce malheureux Prince, le recut avec toutes fortes de démonftrations d'amitié & de refpeéf. Comme Barberoufle étoit alors fur le point de partir pour Confiantinople, il perfuada aifément a Alrafchild de 1'y accompagner , en lui promettant les plus grands fecours de la part de Soliman , qu'il lui peignit comme Ie plus généreux & le puüfant Monarque de Punivers. Alrafchild , féduit par Pefpoir d'une couronne , étoit difpofé k tout croire & a tout entreprendre pour 1'obtenir. Mais a peine furent-ils arrivés k Conffantinople, que le perfide corfaire donna au Sultan Pidée de conquérir Tunis, & d'annexer ce Royaume k fon Empire , en profitant du nom du Prince détröné, & des difpofitions du parti qui étoit prêt k fe déclarer en fa faveur, Soliman fe prêta trop facilement a cette perfidie , bien digne du caractere de fon auteur 3 mais indi-  de Chari.es-Quint. 191 gne de celui d'un grand Monarque. Le Sultan eut bientöt affemblé une armée nombreufe & équipé une flotte confidérable; le trop crédule Alrafchild , en voyant ces grands préparatifs, fe flattoit déja d'entrer bientöt triomphant dans fa capitale. Mais au moment oh ce Prince infortuné alloit s'embarquer, il fut arrêté par Pordre du Sultan, & enfermé dans le ferrail : on n'en a jamais entendu parler depuis. Barberouffe fit voile vers PAfrique avec une flotte de deux cents cinquante vaiffeaux : après avoir ravagé les cötes de 1'Italie , & répandu la terreur dans toutes les parties de cette contrée, il parut devant Tunis. En débarquant lés troupes , il annonca qu'il venoit foutenir les droits d'Alrafchild, qu'il difoit avoir IailTé malade a bord de la galere amirale. II fut bientöt maitre du fort de la Goulette , qui commande la baye, & dont il s'empara en partie par fon adreffe , en partie par la trahifon du commandant. Les habitans de Tunis , dégoütés de gouvernement de Muley-Aflan , prirent les armes , & fe déclarerent pour AIN ij Sou fuccè*;  Dans la ville. 292 L' Histoirï " rafchild avec un un zele fi vif & fiuniverfel , qu'ils obligerent fon frere de fuir avec précipitation, fans avoir même le temps d'emporter fes tréfors. Les portes furent auffi-töt ouvertes a Barberouffe , comme au reftaurateur de leur Souverain légitime ; mais quand onvit qu'Alrafchild neparoiffoitpoint, & qu'au-lieu de fon nom , celui de So'iman feul retentiffoit au milieu des acclamations des foldats Turcs , le peuple de Tunis commenca a foupconner la trahifon du corfaire. Leurs foupcons s'étant bientöt changés en certitude , ils coururent aux armes avec la plus grande furie , Sc environnerent la citadelle oii Barberouffe avoit conduit fes troupes; mais eet habile brigand avoit prévu cette révolution , Sc s'y étoit préparé : il fit auffi-töt pointer contre eux Fartillerie des remparts ; Sc par une vive canonnade, accompagnée des décharges de la moufqueterie , il difperfa les affaillants , qui étoient en grand nombre , mais fans chef Sc fans ordre , Sc le, forca a reconnoitre Soliman pour leur Souverain, Sc lui pour viceRoi.  de Ckarles-Quint. 293 Son premier foin fut de mettre le Royaume , dont il venoit de s'emparer, en état de défenfe. II fit faire a grands fraix des fortifications régulieres au fort de la Goulette , qui devint 1'abri principal de fa flotte x & fon grand arfenal de mer èc de guerre. Maitre d'une fi grande étendue de pays, il continua d'exercer fes brigandages contre les Etats Chrétiens, &C il fe trouva en état de porter encore plus loin & avee plus d'impunité fes déprédations &c fes violences. L'Empereur recevoit chaque jour de fes fujets d'Efpagne & d'Italie , des. plaintes fur les outrages continuels que commettoient les vaiffeaux de ce pirate. Toute la Chrétienté jettoit les yeux fur tui: c'étoit au Prince le plus puiflant & le plus heureux qui régnat alors, a mettre fin a ce genre d'oppreffion fi odieux & fi nouveau. De fon cóté, Muley-Aflan, chaffé de Tunis , &ne trouvant aucun des Princes Mahométans d'Afrique qui eüt Ia volonté ou le pouvoir de 1'aider a reeonquérir fon tröne , s'adreffa a Charles , comme a la feule Puiffance qui ; püt défendre fes droits contre un ufurN iij Puiffanca formidable" de Barlse^ Le Roïd'Jtroné de runis imslore le fe:ours de 'Empereur.  1 535ai Aviil. J53 5- Ses préparatifs pour cene expédition. 194 L'HlSTOIRE pateur fi formidable. L'Empereur également jaloux de délivrer fes Etats d'un voifin aufli dangereux que Barberouffe, & de paroitre le protetteur d'un Prince malheureux, vouloit aufil recueillir la gloire qu'on attachoit alors è toute expédition contre les Mahométans : il conclut auffi-töt un traité avec Muley-Affan , & fe «üfpofa a faire une defcente a Tunis. Depuis Peffai qu'il avoit fait de fes talents pour la guerre dans Ia derniere campagne de Hongrie, il étoit devenu fi avide de réputation militaire , qu'il réfolut de commander fes troupes en perfonne. II raffembla toutes les forces réunies de fes Etats pour une entreprife oü il alloit expofer fa gloire , & qui fixoit 1'attention de toute 1'Europe. Une flotte Flamande amena des Pays-Bas un corps d'infanterie Allemande (a) : les galeres de Naples & de Sicile prirent fur leur bord les bandes Efpagnoles & Italiennes, compofées de vieux foldats, qui s'étoient diflinguées par tant de viéloires rem- C<0 Hardi, Annales Brabant. 1, 599»  de Charles-Quint. 295 portées fur les Francois. L'Empereur s'embarqua a Barcelone avec Télite de la NoblelTe Efpagnole , ^ que joignit un detachement confidérable venu de Portugal fous la conduite de 1'Infant Dom Louis, frere de Charles. André Doria fit voile avec fes galeres , les mieux équipées de tous les vaiffeaux de 1'Europe , & commandées par les plus habiles officiers. Le Pape fowmit tous les fecours qui furent en fon pouvoir pour concourir au fuccès de cette pieufe entreprife ; & Pordre de Malte, éternel ennemi des infideles, équipa auffi une flotte , peu nombreufe, mais formidable par la valeur des Chevaliers qu'eile portoit. Le port de Cagliari en Sardai-. gne , fut le rendez-vous général. Doria fut nommé le grand Amiral de la flotte ; &C le commandement en chef des forces de terre fut donné au Marquis de Guafi. Cette flotte compofée de prés de cinq cents navires, a bord defquels étoient plus de trente mille hommes de troupes réglées , partit de Cagliari le 16 Juillet; & après une heureufe navigation, prit terre ala vue N iv I531Ï II defcênd en Afrique.  * 5 3 5 - i<)6 L'Histoire de Tunis. Barberouffe qui avoit été rnformé de bonne heure de 1'armement immenfe que faifoit 1'Empereur ^& qui en avoit aifément démêlé 1'objet, s'étoit préparé avec aufant de prudence que de vigueur k bien défendre fa nouvelle conquête. II rappella fes corfaires de tous les lieux ou ils croifoient; il fit venir d'Alger toutes les troupes qu'il put en retirer fans dégarnir cette ville ; il envoya des meffagers a tous les Princes d'Afrique, Maures & Arabes, a qui il peignit Muley-Afian comme un infame apoftat, qui, excité par 1'ambition & le defir de la vengeance, s'étoit rendu le vaffal d'un Prince chrétien, avec qui il fe joignoit pour détruire la Religion de Mahomet ; il fut avec tant d'art enflammer Ie zele de ces Princes ignorants & fuperftitieux, qu'ils prirent les armes comme pour défendre une caufe commune. Vingt mille chevaux , avec un corps nombreux d'infanterie , s'affemblerent a Tunis; & Barberouffe , En leur diftribuant k propos des préfents, entretenoitleurardeur, & 1'empêchoit de fe reffoidir. Mais il con-  de. Charles-Quint. 197 fioiffoit trop bien 1'ennemi a qui il avoit affaire, pour efpérer que des troupes légeres puffent tenir contre la cavalerie pefamment armée & la vieille infanterie de 1'armée Impériale ; fa principale confiance étoit dans le fort de la Goulette & dans fon corps de foldats Turcs, qui étoient arnaés & difciplinés a la maniere Européenne. II jetta dans le fort fix mille de ces Turcs fous le commandement de Sinan, rénegat Juif, le plus brave & le plus expérimenté de tous fes pirates. Le fort fut auffi-töt invefti par l'Empereur. Comme ce Prince étoit maitre de la mer,, fon camp étoit pourvu de toutes les denrées néceffaires, & même de toutes les commodités de la vie , en fi grande, abondance , que Muley-Affan qui n'étoit pas accoutumé k voir faire la guerre avec tant d'ordre & de luxe , ne pouvoit fe laffer d'admirer la puiffance de l'Empereur. Ses troupes animées par fa préfence , & fe faifant un mérite de verfer leur fang pour une caule fi fainte ,. fe difputoient k 1'envi tous les poftes oü il y avoit de 1'honneur & du péril. 11 ordoana trois attaques M35- Siege de la Goulette.  Le fort eft pris d'affaut le 2j Juillet, , ^98 t'Hisioni diftindf es, & en chargea féparément les Allemands, les Efpagnols & les Itahens, qui les poufferent avec toute I ardeur qu'infpire 1'émulation nationale. Sinan déploya de fon cöté une fermere & une habileté qui juftifierent Ia confiance dont fon maitre 1'avoit honoré : la garnifon fupporta , avec Ie plus grand courage , Ia fatigue d'un fervice pénible & continu ; maïs malgré les fréquentes forties qui interrompoient les travaux des affiégeants, malgré les allarmes que les Maures & les Arabes donnoient au camp de l'Empereur par leurs incurfions continuelles, les brêches rlevinrent fi confidérables du cöté de la ferre^, tandis que la üoite battoit avec Ia même vigueur & le même fuccès les fortifications conffruites du cöté de la mer, que la place fut emportée dans un affaut général. Sinan, après la réfiffance Ia plus opiniatre, fe retira avec les débris de fa garnifon vers la ville, en traverfant les basfonds de la baye. La prife du fort de la Goulette rendit FEmpereur maitre de la flotte de Barberouffe , compofée de dix-huit galeres & galiotes-,  de Charles-Quint. 299 ainfi que de fon arfenal, ck de trois cents canons , la plupart de fonte , qui 3>' étoient placés fur les remparts; un tel nombre de canons étoit étonnant pour ce temps-la , ck prouve également 1'importance de ce fort ck la puiffance de Barberouffe. L'Empereur entra dans la Goulette par la brêche ; ck fe tournant vers Muley-Affan : Volei , lui dit-il, une porie ouverte par laquelle vous rentrere^ dans vos Etats. Barberouffe fentit toute 1'étendue de la perte qu'il venoit de faire ; mais loin de fe décourager , il n'en fut pas moins déterminé k bien défendre Tunis. L'enceinte de cette ville étoit trop vafle ck les murs étoient en trop mauvais état pour qu'il put efpérer de la défendre avec avantage; comme d'ailleurs il ne pouvoit compter fur la fidélité des habitants, ni efpérer que les Maures ck les Arabes foutinffent les travaux ck les fatigues d'un fiege , il prit (a) la réfolution hardie de s'avancer vers le camp des (a) Rufcelli, lettere di principi, p. Iio, N vj  i ] i fl défait 1'armée de c. Barberouf- s, 300 L'HlSTOIRE ennemis a la tête de ion armée , qui montoit a cinquante mille hommes, & d'abandonner la deftinée de fon Royaume au fort d'une bataille. II rit part de fon deflein a fes principaux officiers : en leur repréfentant le danger de lailfer dans la citadelle dix mille efclaves Chrétiens qu'il y avoit _ enfermés, & qui pourroient fort bien fe révolter pendant Pabfence de fes troupes, il leur propofa, comme une précaution néceffaire a la füreté commune , de maflacrer fans miféricorde ces efclaves avant de fe mettre en marche. Les Officiers applaudirent avec joie au delTein qu'il avoit de hafarder une bataille ; mais quoique leur métier de pirates les eüt familiarifés avec toutes les fcenes de rarnage & de barbarie, 1'affreufe propofition d'égorger dix mille hommes ï la fois, leur fit horreur; & Barbe"oufle, plutöt par la crainte de les rriter, que par aucun fentiment d'hunanité , confentit a laifierla vie aux 'fclaves. Pendant ce remps-?a, l'Empereur ommencoit è s'avancer vers Tunis ; i quoique fes troupes fouffrifient des  DE CH ARLES-QUINT. 3OI fatigues incroyables, en marchant fur " les fables brülants qu'il leur falloit traverfer , fans trouver d'eau , & fous le poids d'un foleil ardent, elles fe trouverent bientöt a portee de 1'ennemi. Les Maures & les Arabes enhardis par la fupériorité de leur nombre , attaquerent les troupes impériales dés qu'elles parurent, & fe précipiterent fur elles avec de grands cris ; mais leur impétuofité fans difcipline ne put tenir un feul inflant contre le choc foutenu de ces troupes réglées ; & malgré la préfence d'efprit de Barberouffe & tous les efforts qu'il fit pour les rallier ; malgré 1'exemple qu'il leur donnoit en s'expofant aux plus grands périls , la déroute fut fi générale , qu'il fe trouva entrainé lui-même dans Ia fliite de fes foldats vers la ville. II la trouva dans la plus grande confufion : une partie des habitants en fortoient avec leurs families & leurs effets , d'autres étoient prêts a en ouvrir les portes au vainqueur ; les foldats Turcs fe difpofoient a la retraite , & les efclaves Chrétiens étoient déja maitres de la citadelle, qui, dans ce défaflre ,  M35- Tunis fe rend. 301 L'HlSTOIRE eüt pu lui fervir d'afyle. Ces malheureux captifs, animés par le défefpoir, avoient profïté de I'abfence de Barberouffe, comme il 1'avoit bien préVuv: dès qu'ils fentirent que fon armée étoit éloignée de la ville, ils corrompirent deux de leurs gardes , briferent leurs fers ; & forcant leurs prifons, ils repoufferent la garnifon Turque , & tournerent 1'artillerie du fort contre leurs tyrans. Barberouffe , furieux & défefpéré , s'enfuit avec précipitation a Bona , reprochant a fes officiers leur fauffe compaffion, & fe reprochant k lui-même la foibleffe qu'il avoit eue de céder a leur avis. _ Cependant Charles, fatisfait d'une vicloire aifée , qui ne lui avoit prefque pas coüré de fang , s'avancoit vers Tunis lentement & avec toutes les précautions néceffaires dans un pays ennemi. II ne connoiffoit pas encore toute fa bonne fortune. Un courier député par les efclaves révoltés , vint lui apprendre le fuccès de leurs nobles efforts & la nouvelle de leur liberté; en même-temps arriverent des députés de la ville qui  de Charles-Quint. 303 tui en préfenterent les clefs, & implorerent fa proteftion pour les préferver des infultes de fon armée. Tandis qu'il s'occupoit des moyens de prévenir le défordre &C le pillage, fes foldats qui craignoient d'être fruftrés du butin qu'ils s'étoient promis, fondirent foudain & fans aucun ordre dans la ville, & commencerent a tuer & k piller fans aucun ménagement. II étoit trop tard alors pour fonger k réprimer leur cruauté , leur avarice & leur licence. Tunis fut en proie k tous les outrages que le foldat efl capable de commettre dam une ville prife d'affaut, & k tous le< excès oh peuvent porter les paffions. quand elles font irritées par le mépris & la haine qu'infpire Ia différence de mceurs & de religion. Plu; de trente mille habitants innocents pé rirent dans ce jour funefte, & di: mille furent emmenés en efclavage Muley-Affan remonta fur fon trom au milieu du fang & du carnage, ei exécration a fes fujets fur lefquels i avoit fait tomber tant de calamités il fut un objet de pitié pour ceux mê me dont la fureur étoit la caufe d 153S*. c • : * 1 I 5  II rétablit Muley-Affan (ur fon ttöne. ] 1 1 i t . 3°4 L'HlSTOIRE - tous ces maux. L'Empereur gémit de dat defa viétoire;cependantau milieu mtereflant lui fit eprouver un ientiment confolant & agréable; dix mille efc aves Chrétiens , parmi lefquels Ie trouyoient plufieurs perfonnes de diitinöion, vinrent au-devant de lui lorfqu il entra dans la ville , & tornöant a fes pieds, le remercierent & ie ^emrent comme leur libérateur. ^.harles, en accompliffant Ia promelTe qu il avoit faite au Roi Maure de Ie rétablir dans fes Etats, ne néghgea pas de prendre les précautions neceffaires pour réprimer le pouvoir des corfaires Africains, & pour affufer la tranquiHité de fes fujets & les mterets de Ia Couronne d'Efpagne: d conclut un traité avec Muley-Afan aux conditions fuivantes; que e Roi Maure tiendroit Ie Royaume le Tunis en fief de la Couronne d'Ef>agne, & en feroit hommage a 1'Em>ereur comme k fon Seigneur fuzeam ; que tous les efclaves Chrétiens ui fe trouvoient alors dans fes Etats e quelque nation qu'ils fuflént. fe-  de Charles-Quint. 305 f oient remis en liberté fans rancon ; que les fujets de l'Empereur auroient dans fon Royaume la liberté de faire le commerce, & de profeffer publiquement la religion Chrétienne; qu'outre le fort de la Goulette, dont l'Empereur refteroit en polTeffion, tous les ports du Royaume qui étoient fortifiés , lui feroient encore remis; que Muley-AlTan payeroit tous les ans douze mille écus pour Pentretien de la garnifon Efpagnole qui refteroit dans le fort de la Goulette; qu'il ne feroit aucune alliance avec les ennemis de l'Empereur, & qu'il lui feroit préfent tous les ans , en reconnoiffance de fa vaffalité , de fix chevaux Maures, & d'autant de faucons fa). Après avoir ainfi réglé les affaires d'Afrique, chatié 1'infolence des corfaires , affuré a fes fujets une retraite, oc k fes flottes une rade favorable, fur les cötes même d'oü tant de pirates étoient venus ravager fes Etats, Charles fe rembarqua pour re- (.?) Dumont, Corps diplom. 2, 128. Sura^ monte, Hifi. di Napoli,4, 89. 17 Aou~.  Gloï.e qu'jcquit I Emperem (» Joh. Etropii diarum expeditïon. Tu~ nctanx, ap. Scard. V, z,p. (10 V &c. Vertot Hifi. des Cheval. de Malie. lit. Jicleforejl. p. 129, 120, &C. r Jt) Summome, hifi. di Nap. voi. 4, pt .306 L' H 1 s t o r R E ' tonner eiiEurope, la faifonon.gei.fe & les malad.es de fon armée ne lui Se"(T) ^ P°Urfuivre Ba**eCette expédition , dont il paroït . , co,ntemporains mefiurerent plutot le mérite fur la générofité apparente de Pentreprife, fur la magnificence avec laquelle elle futcondui- l'of v- eWs ^uiIa co»ronna, que fut-1 importance des fuites qu'eile eut eleva l'Empereur au comble de ia gloire, & fit de cette époque Ia plus eclatante de toutes celles de fon regne. Vingt mille efclaves qu'il arracha a Ia captivité , tant par fes ar- ?ïrS q?fNPa0r f°n traité avec Muley£fan (*),&èqui il fournit des habits & de largent pour les mettre en etat de retourner chacun dans leur  de Cha rles-Quint. 307 patrie, publierent dans toute 1'Europe les é'oges de la générofité de leur bienfaifteur, öc exalterent fa puilfance öc fes talents avec 1'exagération naturelle aux fentiments de la reconnoilfance 6c de 1'admiration. La renommée de Charles éclipfa alors celle des autres Monarques de 1'Europe, Tandis que tous ces Princes ne s'occupoient que d'eux-mêmes 6c de leurs intéréts particuliers, il fe montra digne d'occuper le rang de premier Prince de la Chrétienté , en paroiffant ne fonger qu'a défendre 1'honneur du nom Chrétien , 6c k alfurer le bien-être 6c la tranquillité de 1'Europe. Fin du Livre V, 1535-   L'HlSTOIRE DU R E G N E BE L'EMPEREUR CHARLES - QUINT. L 1 V RE VL 3Vf ALHEUREUSEMENT pOUr la ré- IM—'» putation de Francois premier, la con- s5 3 5duite qu'il tint alors parut a fes con- Caufes temporains former un contrafte frap- d'une noupant avec celle de fon rival. Ils ne *e lui pardonnoient pas de profiter du j Emper£Ur moment oii l'Empereur avoit tourné & tran? toutes fes forces contre 1'ennemi com- cois, i mun, pour faire revivre fes préten-  i 310 L'HlSTOIRE ■ tentions fur 1'Italie, & replonger 1'Europe dans une nouvelle guerre. J'ai déja obfervé que le traité de Cambray n'avoit pas étouffé les germes de 1'inimitié qui animoit les deux Princes 1'un contre 1'autre, & qu'il avoit tout au plus couvert, mais non etemt les feux de la difcorde. Francois , fur-tout, qui n'aipiroit qu'au moment favorable de recouvrer la réputation & les territoires qu'il avoit perdus, continuoit de négocier avec les Cours étrangeres; il faiioit tous fes efforts pour irriter la jaloufie que la plupart des Princes avoient concue de la puiffance & des deffeins de 1 Empereur, & pour faire naitre dans le cceur des autres les foupcons & les allarmes dont Ie fien étoit dévoré. 11 sadreffa fur-tout a Francois Sforce, qui étoit, il efl vrai, redevable k Charles de Ia poffeffion du Duché de Milan , mais qui le tenoit a des conditions fi dures , qu'elles le rendoient non-feulement vaffal de 1'Empire , mais encore tributaire & dependant de 1'Emperem-. L'honneur d avoir époufé la niece du plus grand Souverain de 1'Europe, ne pouvoit  de Charlës-Quint. 311 lui faire oublier la hpnteufe fervitude k laquelle il fe trouvoit abailfé, & eet état hu parut fi infupportable, que tout foible & timide qu'il étoit, il prêta avidement 1'oreille aux premières propofitions que lui fit Francois , de raffranchir du joug. Les ouvertures lui furent portées par Merveille , Gentilhomme Milanois , réfident a Paris; & quelque temps après, afin d'avancer la ncgociation, Merveille fut envoyé a Milan fous prétexte de vifiter fes parents , mais avec des lettres de créance fecretes, qui lui donnoient le titre d'Ambaffadeur de Francois. Ce fut en cette qualité que Sforce le recut; mais malgré tous les foins qu'on prit pour empêcher ce fecret de tranfpirer, Charles ie pénétra, foit qu'il en eüt des avis pofitifs , foit qu'il n'efit que des foupcons. II fit au Duc des réprimandes & des menaces fi féveres, que fes miniftres & lui-même également intimidés, donnerent a 1'Europe la preuve la plus ignominieufe pour eux de la crainte fervile qu'ils avoient d'offenfer l'Empereur. Ils vinrent k bout d'engager Merveille dans  Ï53 5- Francois n< trouve point d'alliés. 311 L'HlSTOIRE - une querelle avec nn des domefti». ques du Duc; FAmbafTadeur qui n'avoit ni la prudence ni la modération qu'auroit exigé 1'emploi qui lui étoit conhe, tua fon adverfaire; on 1'arrêta fur le champ, on lui fit fon procés , il fut condamné a perdre la tête, & la fentence fut exécutée au mois de Décembre 1533. Francois, étonné qu'on eüt ainfi violé un caraétere qui étoit facré parmi les nations les plus barbares, & indigné de 1'affront fait a la majefté de fa Couronne, menaca Sforce des effets de fon reffentiment, & porta fes plaintes a l'Empereur, qu'il regardoit comme le véritable auteur de eet outrage inoui. Mais n'ayant pu obtenir aucune fatisfaction de 1'un ni de 1'autre, il en appella a tous les Princes de 1'Europe , & fe crut alors en droit de tirer vengc-ance d'une infulte , qu'il ne pouvoit laiffer impunie fans avilir fon caraftere, & fans déshonorer fon rang. Armé de ce prétexte pour commeneer une guerre, a laquelle il étoit réfolu, il redoubla d'efforts pour engager les autres Princes & prendre part dans  de Charles-Quïnt. 313 dans fa querelle; mais des événements imprévus rendirent totrtes fes mefures inutiles. Après avoir facrifié 1'honneur de fa maifon en mariant fon fils k Catherine de Médicis, dans la vue de s'attacher Clément, la mort de ce Pontife le priva de tous les avantages qu'il attendoit de cette alliance. Paul III, fucceffeur de Clément > quoique difpofé par inclinationa fervir les intéréts de l'Empereur, parut déterminé k garder la neutralité qui conve* noit k fon caraclere de pere commun des Princes divifés. Le Roid'Angleterre occupé de projets & de foins domefliques, évita, pour cette fois, de s'engager dans les affaires du continent, & refufa de fecourir Francois , k moins qu'il ne voulüt fuivre fon exemple, &c fecouer le joug de 1'autorité des Papes. Ces refus inattendus obligerent Francois a folliciter plus vivement le fecours des Princes Protefiants qui formoient la ligue de Smalkalde. Pour gagnerplusaifément leur confiance, il chercha a flatter le zele qu'ils avoient pour leurs nouvelles doctrines , & qui étoit leur paflion dominante. II affecta une modération particuliere fur Tomt IV. O Ses négociationsavec les Proteftants d'Allemagne.  3H L' H I S T O I R E • tous les points conteftés. II permit a du Bellay, fon envoyé en Allemagne , d'expofer fes fentiments fur les articles les plus importants , dans des termes qui ne différoient pas beaucoup de ceux qu'employoient les Proteftants (a) : il poufta même la condeicendance •jufqu'a inviter Melancthon, que la douceur de fes mceurs ékfoncaraftere pacifique diftinguoient parmi les réformateurs , a fe rendre a Paris,■fous prétexte devouloir pren-; dre avec lui les mefures les plus propres a réconcilier les feöes oppolées , qui divifoient fi malheureufèment 1'Eglife (£). Toutes ces complaifances étoient plutöt des artifices de la politique de ce Prince , que 1'effetde fa conviction : car quelque impreflion que les nouvelles opinions euffent faite fur 1'efprit de fesfceurs, la Reine de Navarre , & la Ducheffe de Ferrara, la gaieté & 1'amour du plaifir qui for moient le cara'cf ere de Francois' (a) Freheri , fiript. rtr. German. 3 , 255 , &c. Sleid. hift. 178, 183. Seckend. /. 3 , 105. (b) Camerarii , vita Ph. Mdantlhon , ne. Hag. 1655 . p. i2.  de Charles-Quint, 315 ne lui laiffoient guere le temps d'approfondir des difputes théologiques. II perdit bientöt tous les fruits de ces artifices peu honorables, par une démarche qui ne s'accordoit guere avec les déclarations qu'il avoit faites aux Princes Allemands. II ne faut cependant pas oublier qu'il fut forcé è cette démarche par les préjugés de fon fiecle, & par les idéés fuperflitieufes de fes propres fujets. Son étroite liaifon avec le Roi d'Angleterre, hérétique excommunié, fes fréquentes négociations avec les Proteftants d'Allemagne, & Paudience publique qu'il donna a un envoyé du Sultan Soliman, avoient fait naitre de violents foupcons fur la fincérité de fon attachement a la religion; & ces fwpcpns s'étoient encore finguliérement fortifiés par la réfolution qu'il avoit prife d'attaquer l'Empereur, qui, dans toutes les occafions, avoit montré le plus grand zele pour la défenfe de la religion , & dans le moment même oh il fe préparoit a une expédition contre le corfaire Barberouffe , expédition qu'on regardoit alors comme une fainte entreprife. Le Roi de France O ij M3511 les itritc*  3i<5 L'Histoirï avoit donc befoin de jultifïer fes fentiments par quelque preuve éclatante de fon refpecï pour la docirine recue dans 1'Eglife. Le zele indifcret de quelquesuns de fes fujets, qui avoient adopté les^ opinions du proteflantifme, lui préfenta 1'occafion qu'il cherchoit. Ils avoient affiche aux portes du Louvre , & dans toutes les places publiques, des placardsqui contenoientdes fatyres indécentes fur les dogmes & les cérémonies de 1'Eglife Romaine. Six des auteurs ou complices de ces placards téméraires,furentdécouverts & arrêtés. Le Roi, pour conjurer les malheurs qu'on fuppofoit que cesblafphêmes pourroient attirer fur la nation , ordonna une proceffion folemnelle : le ü >nt Sacrement fut porté en grande pompe dans les principales rues de la ville. Francois marchoit devant, la tête nue, une torche a la main : les Princes du fang portóierit le dais, & toute la Noblelfe marchoit en ordre k la fuite. En préfence de cette nómbreufe affemblée, Ie Roi, qui s'exprimoit ordinairement dans Un langage énergique '& animé, déclara que li une de fes mains étoit  DE C H ARLE S-QUINT. 317 infeöée d'héréfie, il la couperoit avec 1'autre, & qu'il n'épargneroit pas même fes propres enfiants s'il les trouvoit coupables de ce crime; & pour prouver que cette protefiation étoit fincere, il condamna les fix malheureux qu'on avoit pris, k être brülés publiquement avant la fin de la proceffion , &c leur exécution fut accom* pagnée des traitements les plus barbares & les plus révoltants Les Princes de la ligue de Smalkalde , pleins du reffentiment & de l'indignation que leur avoit infpiré la cruauté avec laquelle on avoit traité leurs freres , ne pouvoient plus ajouter de foi aux déclarations du Roi de France, lorfqu'il offroit de protéger en Allemagne les mêmes opinions qu'il perfécutoit avec tant de rigueur dans fes propres Etats ; en forte que tout Part & toute 1'éloquence qu'employa du Bellay pour jultifïer fon maitre , & faire 1'apologie de fa conduite , ne firent aucune impref- (nfe de Ia Savoie & du Piémont, :omme la feule reffource pour s'affuer une comrnunication avec fon  de Charles-Quint. 311 Royaume. Francois, qui avoit plufieurs raifons de haïr le Duc , ne pou- j voit lui pardonner fur-tout d'avoir j fourni a Bourbon 1'argent avec lequel <] ce rebelle avoit levé les troupes qui 5 défirent les Francois a la funefte bataille de Pavie; il faifit avec ardeur une occafion de faire connoïtre combien il avoit été fenfible k ces outrages, 8c comment il favoit les punir. II ne manqua pas de prétextes qui pouvoient donner quelque apparence de juflïce k la violence qu'il méditoit. Les Etats de France & de Savoie fe touchoient & fe trouvoient même en plufieurs endroits engagés Fun dans 1'autre, d'oii naiflbient des difputes inévitables 8c toujours fubfiftantes fur les limites des propriétés refpeftives des deux Princes. Francois avoit encore, par fa mere Louife de Savoie, de grandes prétentions fur le partage qu'eile devoit faire avec le Duc fon frere, de la fucceffion paternelle. II ne vouloit pas cepertdant commencer les hoftilités fans quelque raifon plus fpécieufe que ne pouvoient 1'être des prétentions équivoques 8c pour la plupart furannées j O y M35II s'empan des Etats du Duc de Savoie,  *Ï3Ï- («) Hift. généatog. de Savoie, par Gai* öienon, 3, 1Ó60, 1^639. I» H 1 $ T O r R E il demanda la permiifion de paffer per le Piémont pour entrer dans le Milanès , ne doutant pas que le Duc , p ir un excès.d'attachement pour l'Empereur „ ne le refufar, & ne donnat par-la une plus grande apparense de juüice h 1'invafion qu'il projettoit, Mais s'il faut en croire les hiftoriens de Savoie, qui doivent être mieux inftruits de ce fait que ceux de France , le Duc lui accorda fans héfiter & de la meilleure grace du monde » ce qu'il n'étoit pas en fon pouvoir de refufer fans danger , & promit de donner un libre paffage a 1'armée Fran90ife. II ne refta plus alors k Francois d'autre expediënt pour rompre entiérement & jultifïer fon projet ^ que de demander une entiere fatisfaction fur toutes les demandes que la Couronne de France pouvoit faire a Ia Maifon de Savoie, en vertu des droits de Louife (a). II ne recut fur eet article qu'une réponfe vague , & il s'y attendoit fans- doute ; aullï-tót  DE C HARLES-QüINT. 313 1'armée Francoife , fous Jes ordres de 1'Amiral de Brion , fondit par différents endroits. a la fois fur les Etats du Duc. Les pays de Breffe & du Bugey ,. qui dans ce temps-la étoient annexés a la Savoie ,. furent envahis en un moment. La plupart des villes du Duché ouvrirent leurs portes a Fapproche de 1'ennemi;. le petit nombre de celles qui reftoient &. qui vouUirent faire réffftance-,. fut bientöt emporté; & avant la fin de la campagne , le Duc fe vit dépouillé de tous fes Etats,. a la réferve du Piémont, ou il ne lui reftoit que quelques places fortes en état de fe dér fendre.. Pour comble d'införtune,. la villè de Geneve , dont le. Duc prétendoit avoir la. fouveraineté qu'il exercpit déja en partie , fecoua le joug., & fa réyolte entraina la perte de toutes les tefres adjacentes. Geneve étoit alors , une ville impériale > quoique foumife audomaine direct de fes propres Evêques, & ayant lesDucs de Savoie pour Souverains éloignés». La forme de fa conflitution intérieurt étoit purementrépublicaine; elleétoil 0 vj. M3V La ville da Geneve couvre f*j liberté..  «53S- 1532. m 324 t'HijTouï " gouvernée par des fyndics & un confeil, dont les membres étoient choifis par le peuple. De ces jurifdictions diverfes, fouvent oppofées Tune a 1'autre , naquirent deux partis qui fubMerent long-temps dans eet Etat; le premier étoit compofé de ceux qui fe donnoient pour défenfeurs des privileges de Ia République; ils prenoient Ie nom d'Eignoti ou de confédérés pour Ia défenfe de Ia liberté commune , & avoient fietri du nom de Mammdus ou efclaves, Ie parti de ceux qui foutenoient les prérogatives des Evêques & du Duc de Savoie. A la fin, quand le proteftantifme commenca a s'introduire dans cette ville, il infpira a ceux qui I'embrafferent, eet efprit d'audace & d'entreprife qui paffoit ordinairement avec fes opinions dans 1'ame des profélites , ou ne tardoit pas a y naitre. Comme le Duc & I'Evêque étoient par intérêt, par préjugé, & par des vues politiques, ennemis jurés de Ia réformation, tous les nouveaux Protefiants s'unirent avec ardeur au parti des Eignotz; & le zele de Ia Religion fe joignant a Pamour de la Iiber-  de Charles-Quint. 315 té, cette paffion généreufe prit de nouvelles forces. La fureur , I'animofiré de deux faftions renfermées dans la même enceinte , occafionna de fréquentes féditions , & elles fe terminerent prefque toujours a Pavantage des partifans de Ia liberté , lefquels gagnoient tous les jours du terrein. Le Duc & 1'Evêque, oubliant leurs anciennes conteflations fur les limites de leur pouvoir , fe réunirent contre leurs communs ennemis, Sc les attaquerent, chacun avec les armes qui lui étoient propres. L'Evêque excommunia le peuple de Geneve, comme coupable du doublé crime d'apoflafie , en abandonnant Ia religion établie , Sc de facrilege , en ufurpant les droits de fon fiege épifcopal. Le Duc les attaqua comme des rebelles: a leur Prince légitime, Sc tenta de fe rendre maitre de Ia ville , d'abord par furprife, enfuite a force ouverte» Les Genevois mépriferent les foudres eccléliaftiques de 1'Evêque, & défendirent hardiment leur indépendance contre le Duc; foutenus autant par leur propre valeiu* que par  M3.T- 32(5 L' H I S T O I R E les fecours puiffants. qu'ils recureni du canton de Berne leur allié , &c du Roi de France , qui leur fit 'paffer fecretement. quelques foldats &c quelque argent r ils firent échouer toutes les tentatives du Duc. Non contents de Favoir repouffé, & ne voulant plus euxr-mêmes fe borner a fe défendre, ils profiterent de 1'imr piuffance oh étoit alors le Duc deleur réfifier; & tandis qu'il étoit accablé par 1'armée Francoife , ils s'em^ parerent de plufieurs chateaux & ph> ces fortes qu'il poffédoit dans le voifinage de Geneve;, ils fe délivrerent ainfi de la vue de ces. odieux monuments.de leur ancienne dépendance , & affurerent pour 1'avenir un appui de plus a leur liberté. En même-temps, le canton de Berne envahit &c conqnit le pays de Vaux, fur lequel il avoit quelques prétentions. Le canton de Fribourg , quoique pafiionnement attaché a la religion Gathohque , & fans avoir aucun fujet particulier de querelle avec le Duc., voulut auffi partager les dépouilfes ae ce Prince infortuné. Une grandepartie de ces conquêtes ou ufurpa-  be Charles-Quint. 327 tions % confervées depuis par ces deux cantons, ont confidérablement augmenté leurs forces , & font devenus la plus belle portion de leur territoire. Malgré tous les projets &C toutes les entreprifes des Ducs de Savoie pour rétablir dans la fuite leur domination dans Geneve , cette ville a toujours confervé fon iadépendance ; & eet avantage lui a. procuré un degré de confidération , d'opnlence & de politeffe ,. qu'eile n'éut jamais atteint fans la liberté (a). Au milieu de eet enchaïnement de malheurs & de pertes, le Duc de Savoie ne voyant de reffource que dans la prote&ion de l'Empereur, le follicita avec la plus grande importunité , dés que ce Prince fiit revenu vainqueur de fon expédition cfee Tunis ; & il avoit bien le droit d'en attendre du fecours, puifque fon attachement pour les intéréts de Char¬ ta Con , il fut embarraffer 1'affaire de difficutés nouvelle*, & prolongeer a  de Charles-Quïnt. 3ji fon gré: les négociations. II propofa de donner Pinveftiture du Milanès, tantöt au Duc d'Orléans, fecond fils de Francois, tantöt au Duc d'Angoulême, fon troifieme fils; & comme les vues & les inclinations de la Cour de France fe balancoient entre ces deux Princes, il tranfporta alternativement fon choix de Fun a 1'autre avec tant d'adreffe & avec une diffimulation fi profonde, qu'il ne paroit pas que Francois ni fes miniftres ayent jamais pénétré fes véritables intentions, & que toutes les opérations de la guerre demeurerent entiérement fufpendues , comme s'il n'eüt refté au Roi de France, qu'a prendre paifiblement poffeffion du Duché qu'il réclamoit. Charles mit a profit tout Ie temps qu'il avoit fu gagher, &c vint k bout de déterminer les Etats de Sicile & de Naples, k lui accorder des fubfides plus confidérables qu'il n'étoit d'ufage d'en accorder alors. Mais fe trouvant très-honorés de la préfence de leur Souverain k fon retour de Tunis; charmés d'ailleurs du défintéreffement qu'il avoit montré dans 1536. Préparatifs de Charles pour la guerre»  '536. (o) Mém. de du Bellay, 191. 33* L'HlSTOIRE fon expédition d'Afrique, & éblouis du iucces qui avoit fuivi fes armes, ils voulurent fe montrer généreux Ce fecours le mit en état de recrüter les vieux corps, d'en lever un en Allemagne, & de prendre toutes les precautions convenables pour exécuter les projets qu'il avoit formés. Ua Bellay, envoyé de France en Allemagne, découvrit, malgré tous les pretextes qu'on employa pour lui donner Ie change, 1'intention oii Fon etoit de lever des troupes, & inftruifit fon maitre d'une difpofition qui prouyoit évidemment le peu de fincerité (a) de l'Empereur. Cet avis eüt dü réveiller Francois de 1'indolence oü il s'étoit plongé; mais il etoit alors fi paffionné pour les négociations , dont fon rival connoiffoit bien mieux que lui les fineffes & les artifices, qu'au-lieu de faire agir fes forces, & de pouffer avec vigueur fes opérations militaires, oude s emparer du Milanès avant que 1'armée impériale füt raffemblée, il fe  DE CH ARLES-QüI NT. 333 contenta de faire de nouvelles offres a 1'Einpereur, pour obtenir de fa libre volonté 1'inveftiture de ce Duché. Les offres étoient fi avantageufes, que Charles n'eut pu les refufer, s'il eiit eu 1'intention d'accordef ce qu'on lui demandoit; mais il le* éluda adroitement, en declarant qu'il ne pouvoit prendre de réfolution définitive fur un article qui intéreffoit de fi prés 1'Italie, avant d'en avoir eonféré avec le Pape. Par ce fubterfuge, il gagna encore du temps; ce qui lui fervit a laiffer murir les projets qu'il avoit en vue. A la fin, l'Empereur vint a Rome, & y fit fon entrée publique avec la plus grande magnifïcence. II eft une circonflance frivole dont les hifioriens font mention, & qu'ils ont la manie de regarder comme un préfa•ge de la guerre fanglante qui fuivit; c'efè que pour élargir les rues & donner un paffage plus libre au cortege de l'Empereur, on eut befoin d'enIever les ruines d'un temple ancien de la paix. Ce qu'il y a de certain, c'eft que Charles avoit alors banni de fen ame toute idee de paix; & 1536. 6 Avrïl; L'Empereur entre dans Rome,  1536. Sa déclametion publicjue contre Francois. 3H L' H i s t o u ! a la fin, il leva le mafque fous lequel il avoit fi long-temps clérobé fes deffeins a la vue de la Cour de France , en declarant fes fentiments d'une maniere auffi pofitive qu'extraordinaire. Les Ambaffadeurs de France avoient au nom de leur maitre demandé une. réponfe décifive fur les offres qu'il faifoit pour obtenir 1'inveftiture du Milanès : Charles promit de la donner le lendemain en préfence du Pape Sc des Cardinaux affemblés en plein confifioire. Le Pape & les Cardinaux s'y trouverent, & tous les Ambaffadeurs étrangers furent invités a y aflifter : l'Empereur fe leva , Sc s'adreffant au Pape, il s'étendit affez au long fur la fincérité de fes vceux pour la paix de la Chrétienté, Sc fur fon averfion pour la guerre & pour les malheurs qu'eile produit; & il en fit une longue énumération dans un difcours étudié Sc préparé d'avance : il déclara que tous fes efforts pour maintenir ia tranquillité de 1'Europe, avoient jufqu'alors été traverfés par Pinfatiable 6c injufte ambition du Roi de France ; que dès fa minorité même, ce  de Charles-Quint. 335 ■Prince lui avoit donné des preuves de fon inimitié & de fes pernicieux deffeins; que dans la fuite il n'avoit plus caché fes intentions; qu'il avoit effayé de lui ravir a force ouverte la couronne impériale qui lui appartenoit par des droits auffi juftes que naturels; qu'il venoit tout récemment d'envahir fon Royaume de Navarre; que non content de ces injuftices, il avoit attaqué fes domaines & ceux de fes. alliés dans 1'Italie & dans les Pays-Bas; qu'après que la valeur de fes troupes, rendues invincibles par la protection du Tout-Puiffant, eut arrêté les progrès, & ruiné les arméès de Francois, qu'il eut été fait prifonnier lui-même, il n'avoit pas encore renoncé 'a fon injufte entreprife , & qu'il avoit continué d'employer la fraude au défaut de la force; qu'il avoit violé tous les articles du traité de Madrid, auquel il devoit fa liberté; & qu'a peine étoit-il rentré dans fes Etats , qu'il avoit pris des mefures pour rallumer une guerre que ce traité devoit éteindre ; que forcé par de nouvelles difgraces d'im plorer encore la paix a Cambray, il 1536.  336 L'HlSTOIRE ne 1'avoit conclue & exécutée qu'avec beaucoup de mauvaife foi; qu'il avoit bientöt formé des liaifons dangereufes avec les Princes hérétiques d'Allemagne, & les avoit excités è troubler la tranquillité de 1'Empire ; qu'il venoit de chaffer tout nouvel' lement le Duc de Savoie, fon beaufrere & fon allié, de la plus grande partie de fes Etats; qu'après tant d'outrages multipliés, & au milieu de tant de fujets dedifcorde, il n'y avoit plus ni amitiéni réconciliation a efpérer. Charles ajouta que tout difpofé qu'il étoit k accorder 1'inveftititure de Milan a un des Princes de France, il n'étoit pas probable qu'il put le faire, paree que Francois, d'un cöté , n'accepteroit pas les conditions qu'il jugeoit indifpenfables d'y attacher pour maintenir la tranquillité de 1'Europe, & que de fon cöté il ne trouvoit ni raifonnable ni prudent de lui donner fans précaution ni conditions la poffeffion pure öc fimple du Duché. Cependant, ajouta-t-il, ne prodiguons pas le fang de nos fujets innocents; décidons notre querelle d'homme h homme, avec les armee  DE C HA RLE S-Q U I N T. 33*7 armes qu'il jugera a propos de choifir & k nos rifques &c périls, dans une ifle, fur un pont, ou k bord d'une galere amarrée fur une riviere ; que le Duché de Bourgogne foit mis en dépot de fa part, & celui de Milan de la mienne , & qu'ils foient Ie prix du vainqueur; uniffons enfuite les forces de 1'Allemagne, de 1'Efpagne & de la France pour abaiffer la puiffance Ottomane , & pour extirper Théréfie du fein de la Chrétienté. Mais fi Francois refufe'determiner par cette voie tous nos différends , s'il rend Ia guerre inévitable, rien alors ne pourra m'empêcher de la pouffer jufqua ce que 1'un de nous deux foit réduit k n'être que le plus pauvre Gentilhomme de fes propres Etats : & je ne crains pas que ce foit k moi que ce malheur arrivé; j 'entre en lice avec les plus belles efpérances de fuccès : la juftice de ma caufe, I'union de mes fujets, le nombre & la valeur des mes troupes , 1'expérience & la fidélité de mes Généraux, tout fe réunit pour m'affurer la vi&oire. Le Roi de France n'a aucun de ces avantages; & fi mes reffources n'étoient Tome IF. P 1536. II le défle en combat fingolier.  I53Ó. (<*) Du Bellay, iqq. Sandov. hijli dtU x-mper, a, 226. t 338 L'HlSTOIRE " pas plus folides, & mes efpérances de vaincre plus fondées que les hennes, j'irois dans 1'inftant, les bras lies, la corde au col, me jetter a fes pieds , & implorer fa pitié («). L'Empereur prononca cette longue harangue a haute voix , d'un ton fmpéneux , dans les termes les plus véhéments. Les Ambaffadeurs Francois, qui n'en concevoient pas bien le iéns' paree qu'il la fit en langue Efpagnole, furent totalement déconcertés, & ils ne favoient que répondre a cette iriveöive inattendue : 1'un d'eux ayant voulu parler pour juftifier la conduite de fon maitre , Charles 1'interrompitbrufquement, & nevoulutpas lui permettre de continuer. Le Pape , fans entrer dans aucun détail, fe contenta de recommander la paix en peu de mots, mais d'une maniere pathétique, & offroit en même-temps de faire férieufement tous fes efforts pour procurer ce bonheur a la Chrétienté. L'affemblée fe fépara, encore péné-  DE CHARLES-Qu INT. 339 tree de Ia furprife qu'avoit excitée cette fcene finguliere. II faut avouer crue dans toute fa conduite, Charles ne s'écarta jamais tant de fon caractere. Au-lieu de cette prudence réfléchie , de cette conduite modérée & toujours réguliere, de cette attention fcrupuleulè a obferver les bienféances qui cachoient avec tant d'art fes paffions fecretes , & qu'on admira dans tant d'autres occafions , on Ie voit ici fe vanter avec arrogance de fon pouvoir & de fes exploits, en face de la plus augufle aifemblée de 1'Europe , déclamer contre fon ennemi avec autant d'emportement que d'indécence , & le dérier en combat fingulier avec un air de bravade, qui convenoit mieux a un champion de la chevalerie romanefque qu'au premier Monarque delaChrétienté; mais il efl aifé d'expliquer cette inconféquence apparente dans fa conduite , par les effets puiffants & bien connus que font fur les ames les plus fortes la continuité des fuccès & les louanges exagérées des flatteurs. Après avoir forcé Soliman de fe retirer deyant lui, & avoir dépouillé BarbeP ij 1536. Caufes de eet éclat de fa vanité.  1536. 34° L'Histoire rouiTe d'un Royaume , il commenga è fe croire inyincible. Depuis fon retour d'Afriqiïë, lesfêtes multipliées & les réjouiffances publiques, oii 1'on ne ceffoitde célébrer fes triomphes, 1'entretenoientcontinuellementde fa puiffance. Les Orateurs & les Poëtes d'Italie, Ie pays de 1'Europeoü les beauxarts étoient alors le plus floriffants, avoient épuifé leur génie a faire fon panégyrique ; & les üffrologues ajoufoient a ces flatteries la promeffe d'une deftinée plus brillante encore qui 1'attendoit. Enivré de tout eet encens, il oublia fa réferve & fa modération ordinaire , & ne put retenir eet élan infenfé de fa vanité , qui fut d'autant plus remarqué, qu'il parut plus extraordinaire & qu'il fut plus folemnel. Charles parut avoir bientöt fentit lui-mêmel'excèsoh ils'étoitporté; & lorfqueles Ambaffadeurs Francois vinrent le Iendemain lui demander une explication plus claire de ce qu'il avoit dit au fujet du duel, il leur répondit qu'il ne falloit pas regarder cette propofition comme un défi en forme fait a leur maitre, mais feulement comme un moyen qu'il indi-  DE C HA RLES-QÜINT. 34I quoit pour épargner du fang. II tacha auffi d'adoucir les autres expreffions de fon dilcours, & leur paria de leur maitre en termes pleins de refpecT:; mais quoique cette apologie tardive fütloin d'être fuffifante pour effacer 1'infulte qu'il avoit faite a Frangois, ce Prince, par un efprit d'aveuglement inconcevable, continua encore de négocier, comme s'il eut été poffible alors determiner a 1'amiable de tels différends. Charles voyant qu'il vouloit abfolument fe précipiter dans le piege, entretint fon erreur; & en paroifTant écouter fes propofitions, il gagna encore du temps pour fe mieux préparer a 1'exécution de fes defleins (a). A la fin, 1'armée impériale compofée de quarante mille hommes d'infanterie, & de dix mille chevaux, s'alfembla fur les frontieres du Milanès ; celle de France , bien inférieure en nombre , étoit campée prés de Verceil, dans le Piémont; elle venoit d'être encore affoiblie par la retraite d'un corps de Suifies, que fur les adroites infinuations de Charles, ( conduite de Montmorency , & en auroit détruit les falutaires effets (V). Heureufement la retraite de 1'ennemi délivra le Royaume du danger oii pouvoit 1'expofer quelque réïo- ( forts. Toutes ces circonfiances feconderent les négociations des deux Reines; on conclut une treve qui devoit durer dix mois, mais qui n'avoit lieu que pour les Pays-Bas (a)'. La guerre fe faifoit toujours avec beaucoup de vivacité dans le Pié- (a) Mémoires de Rik Ier, 56. Q «i 1537- 30 Juillefc Et dans Ie Piémont.  i 366 L'HlSTOIRE mont. Charles & Francois n'étoient pas, il efl vrai, en état de faire des efforts proportionnés a leur animofité mutuelle ; mais ils continuoient les hoftilités comme deux combattants que la haine foutient encore, lorfque leurs forces font épuifées. Les mêmes villes étoient alternativement prifes & reprifes , il ne fe paffoit pas de jours qu'il n'y eut quelques petits combats ; on verfoit beaucoup de fang, fans qu'il y eüt aucune aélion qui donnat la fupériorité a 1'un ou a 1'autre parti. A la fin les deux Reines ne voulant pas laiffer imparfaite la négociation falutaire qu'elles avoient commencée, firent tant par leurs follicitations & leurs importunités, 1'une auprès de fon frere , 1'autre auprès de fon mari, qu'elles les déterminerent a confentir auffi a une treve de trois mois dans le Piémont. On convint que chacun des deux Rois garderoit tout le pays dont il fe trouvoit en poffeffion, & retireroit fon armée de la Province , en laiffant des garnifons dans les villes ; & qu'on nommeroit des plénipotentiajres pour terminer toutes les conr  de Charles-Quint. 367 teftations par un traité définitïf (a)Les motifs qui déterminerent les deux Rois a eet accommodement , font les mêmes que ceux dont j'ai déja fait mention plufieurs fois. Les dépenfes de la guerre avoient excédé de beaucoup les fonds que pouvoient fournir leurs revenus , 6c ils n'ofoient pas tenter d'ajouter de nouveaux impöts a ceux qui étoient déja établis. Dans ce temps-la, les peuples n'étoient pas encore accoutumés k porter fans murmure les fardeaux immenfes dont on les a chargés depuis. L'Empereur , fur-tout, quoiqu'il eüt contraéié des dettes qui paroilfent énormes pour fon fiecle (£) , ne pouvoit payer les fommes confidérables qui étoient dues depuis tant de temps k fon armée. II ne lui reffoit point d'efpoir de tirer du Pape ou des Vénitiens aucun fecours d'hommes ou d'argent , quoiqu'il n'eftt épargné pour y réuflir ni promeffes, ni menaces. Le Pape, toujours ferme dans (a) Mémoires de Ribier ,62. (£) Ribier , 1 , 194. Q iv 1537Motifs de cette treve.  . Le motif le plus fort fut 1'alliance que Francois avoit faire avec l'EmpereurXurc. ( 3^8 L'Histoire la réfolution qu'il avoit prife de ear* der une parfaite neutralité, déclara que c'étoit le feul parti qui convint * ion earaöere, & il ne s'occupa que des moyens de rétablir la paix. Les Vénitiens fuivoient toujours leur ancien fyftême, dont le but étoit de tenir la balance égale entre les deux nvaux, & d'éviter de mettre d'un cote un poids trop confidérable qui rompit Péquilibre. Mais ce qui fit fur Charles plus d impreffion encore que tous ces motifs , ce fut la crainte des Turcs , que Francois avoit encore fufcités contre, lui, en faifant un traité avec Soliman. Quoique Francois eüt une guerre a foutenir contre un ennemi beaucoup plus puiffant que lui, fans être fecondé d'aucun allié, il avoit longtemps balancé; les Chrétiens avoient alors tant d'horreur pour toute efpece d'union avec les infideles, union qu'ils regardoient comme déshonorante &c comme impie, qu'il héfita beaucoup è profiter des avantages évidents que lui offroit 1'alliance du Sul-' tan. A la fin cependant la néceflité fittaire fes fcrupules, & furmontafa  de Charles-Quint. 369 délicateffe. Vers la fin de Pannée précédente, La Forêt, qui étoit fon agent fecret a la Porte Ottomane , avoit conclu avec Soliman un traité par lequel le Sultan s'engageoit a envahir dans la campagne fuivante le Royaume de Naples, &a attaquer le Roi des Romains en Hongrie avec une armée nombreufe, tandis que Francois, de fon cöté, fe chargeroit d'entrer en même-temps dans le Milanès avec un corps de troupes fuffifant pour s'en emparer. Soliman avoit pondtuellement rempli fes engagements. Barberouffe parut avec une flotte confidérable devant les cóte's de Naples, jetta la confternation dans ce Royaume, d'oii toutes les troupes impériales étoient forties pour paffer dans le Piémont, débarqua fans obfiacle prés de Tarente, obligea Caftres , ville affez forte, a fe rendre , ravagea le pays adjacent, & fe préparoit déja a affurer & a éten» dre fes conquêtes, lorfque Parrivée foudaine de Doria, foutenu des galeres du Pape & d'un détachement de la flotte Vénitienne, forca le Corfaire a fe retirer. Les Turcs avoient Q v -537-  -537. (a) Iftnanhaffi , Hifi. Hung. I, 13 , p. .139. W Jov. Hi/7. /. 35, p. 183. 370 L'HlSTOIRE * fait dans la Hongrie des progrès plus redoutables. Mahmet leur Général, après plufieurs.légers avantages, défit les Allemands dans une grande bataille qui fe donna a Eflék fur la Drave (a). Heureufement pour la Chrétienté, il ne fut pas au pouvoir de Francois d'exécuter avec la même exactitu.de la claufe du traité, a laquelle il s'étoit engagé : il ne put affembler alors une armée affez forte pour pénétrer dans le Milanès, & il perdit par-la Foccalion de recouvrer la poffefïion de ce Duché; ainfi fon impuiffance fauva 1'Italie des calamités d'une nouvelle guerre & du malheur de fe voir enproie, après tous les maux qu'eile avoit déja foufferts , a la fureur deftruéfives des armées Turques (/^). L'Empereur fentit qu'il ne réfifieroit pas long-temps aux efforts réunis de deux alliés fi puiflants, &c qu'il ne devoit nas efüérer oue des hafards  DE C H ARLES-Qü I NT. 37I heureux vinffent une feconde fois délivrer Naples Sc fauver le Milanès; il prévit que les Etats d'ltalie 1'accuferoient hautement d'une ambition infatiable , Sc peut-être même tourneroient leurs armes contre lui, s'il prenoit affez peu d'intérêt au danger dont ils étoient menacés, pour s'obftiner a prolonger la guerre. Toutes ces raifons lui firent fentir la néceffité de confentir a une treve, pour 1'intérêt de fa gloire Sc de fa propre füreté. Francois ne voulut pas non plus fe charger de tout le blame auquel il s'expoferoit en s'oppofant feul au rétabliffement de la paix, ni courir le danger d'être abandonné des Suiffes Sc des autres troupes étrangeres, qui étoient a fon fervice, & que fon refus pourroit dégoüter. II commencoit même a craindre que fes fujets ne le ferviffent avec répugnance, fi, en contribuant a 1'agrandiffement de la puiffance des infïdeles, puiffance que fon propre devoir Sc 1'exemple de fes ancêtres fembloient lui ordonner d'abaiffer, il continuoit de fe conduire d'une maniere direc^ tement contraire a tous les principes  M37- Négociations de paix entre Charles & Frangois. 2538. 1 Conduïtes par le Pape 1 en perfonne. 37^ L'Histoue qui deyoient guider un Monarque dit tingué par Ie nom de Roi très-Chrétien. Ces confïdérations Ie de'terminerent: il aima donc mieux courir Ie rifque de défobliger fon nouvel allié , que de s'expofer a des dangers bien plus graves, par une fidélité deplacée a remplir les conditions du traité qu'il avoit conclu avec ce Sultan. Quoique les deux parties confentiffent a une treve, cependant lorfqu'il fut queflion de régler les articles d'un traité définitif, les plénipotentiaires trouverent des difficultés infurmontables. Chacun des deux Monarques vouloit prendre le ton da vainqueur, & dicter a 1'autre des loix: ni 1'un ni 1'autre ne vouloit avouer fon infériorité, en faifant le facrifice de quelque point d'honneur ou d'intérêt. En forte que les plénipotentiaires perdirent Ie temps en longues & Inutiles négociations, & finirent par fe féparer après avoir conclu feulenent une prolongation de treve pour juelques mois. Cependant le Pape fe flattant d'être )lus heureux que les plénipotentiai-  be Charles-Quint. 373 res , prit fur lui tout le fardeau des négociations de la paix : fes deux grands objets étoient de former une ligue capable de défendre la Chrétienté contre les invafions formidables des Turcs, & de concerter des mefures efficaces pour 1'extirpation de 1'héréfie de Luther; & il regardoit 1'union de l'Empereur avec le Roi de France , comme le premier pas néceffaire pour parvenir a ce but. D'ailleurs, en réconciliantpar fa médiation ces deux Monarques rivaux, que fes prédéceffeurs avoient fi fouvent brouillés par leurs intrigües indécentes & intéreffées, cette démarche ne pouvoit manquer de jetter un grand éclat fur fon caraöere, & de faire honneur a fon adminiflration. II pouvoit encore efpérer qu'en fuivant des vues ft louables, il en retireroit des avantages pour fa propre familie dont il ne négligeoitpas 1'agrandiffement, quoiqu'il mit. dans ce pfojet beaucoup moinsd'audace & d'ambition quen'en ont mis ordinairement les Papes de ce fiecle. Déterminé par tous ces motifs, il propofa une entrevue a Nice entre les deux Monarques, & offriï  i538. Treve de dix années conclue h Nice. 18 Juin, 374 L'HXS T O I R E de s'y rendre lui-même en perfonne , afin d'agir comme médiateur, & d'accommoder leurs difFérends.En voyant un Pontife, vénérable par fon caractere & par fon age , fe réfoudre par zele pour la paix, a elfuyer les fatigues d'un fi longvoyage, Charles, ni Francois, ne purent décemment refufer 1'entrevue. Ils fe trouverent tous deux au lieu du rendez-vous; mais il s'éleva tant de diffkultés fur le cérémonial, & il refloit encore au fond de leur cceurtantde dénance & d'animofité, qu'ils refuferent de fe voir , & que tout fe négocia par 1'entremife du Pape qui alloit les vifiter tour-a-tour. Malgré tout fon zele , malgré la droiture de fes intentions & de fa conduite , il ne put venir a bout de lever les obflacles qui s'oppofoient a un aceommodement définitif, fur-tout ceux qui regardoient la pofléffion du Milanès; & tout le poids de fon autorité ne put vaincre 1'obflination avec laquelle chacun des deux Rois infiftoit fur fes prétentions. Enfin, pour ne pas paroitre avoir travaillé fans fuccès, il les fit confentir a figner une treve de dix années, aux mêmes  DE CH ARLES-Qu INT. 375 conditions que la première, & par laquelle on convint, que chacun garderoit ce qu'il avoit en fa poffeflïon, & que dans eet intervalle les deux Rois enverroient k Rome des Ambaffadeurs pour y difcuter a loilïr leurs prétentions refpedfives (a). Ainli finit une guerre qui ne fut pas de longue durée , mais qui fut très-importante par la vafte étendue des opérations qu'eile embraffoit, par les efforts qu'y firent les deux rivaux. Quoique Francois eüt manqué l'objet qu'il avoit principalement en vue, & qui étoit de recouvrer le Milanès , il s'acquis néanmoins une grande réputation par le fuccès de fes armes & par la fageffe des mefures qu'il prit pour repouffer une invafion formidable ; & la moitié des Etats du Duc de Savoie, dont il s'affura la poffeffion, ne laiffa pas d'ajouter a fon Royaume un domaine affez confidérable. Charles , au contraire, repouffé, humilié, après s'ê- (. D. de Vic & Faijfette, torn. $ , premet» f. 63.  378 L'HlSTOIRE ' g Après vingt années de guerre déclaf*J ' rée ou d'inimitié fecrete , après tant d'injures réciproques , après s'être donnés tour-a-tour un démenti formel & s'être propofépubliquementun cartel; après que l'Empereur avoit déclamé k la face de 1'Europe contre Francois, & 1'avoit traité de Prince fans honneur & fans probiré, & que Francois 1'avoit accufé d'être complice de 1'empoifonnement de fon fils ainé , une telle entrevue dut paroïtre bien finguliere & même affez peu naturelle ; mais 1'hiftoire de ces deux Monarques elf pleine de contraffes auffi frappants & auffi brufques. En un moment ils paroifibient paffer d'une haine implacable , k la réconciliation la plus fincere ; de la défiance & des foupcons, k une confiance fans réferve ; & de toutes les manoeuvres ténébreufes d'une politique perfide, k la franchife généreufe de deux braves Gentilshommes. Le Pape joignit k la gloire d'avoir rendu la paix k 1'Europe , la fatisfaction de travailler avec fuccès k 1'agrandiffement de fa familie; il vint . a bout de déterminer l'Empereur a  de Charles-Quint. 379 flaneer Marguerited'Autriche, fa fïlle naturelle , veuve d'Alexandre de Médicis , a Oef ave Farnefe ; & Charles, en confidération de ce mariage , accorda en même-temps k fon gendre futur des honneurs & des territoires confidérables. Marguerite avoit perdu fon mari vers la fin de 1'année 1537, par un événement des plus tragiques. Ce jeune Prince , que la faveur de l'Empereur avoit élevé dans Florence au pouvoir fuprême fur les ruines de la liberté publique , négligea abfolument Ie foin du gouvernement, & s'abandonna k la débauche la plus effrénée. Laurent de Médicis, fon plus proche parent, ne fe contentoit pas d'être le compagnon de fes plaifirs, il en étoit ercore le miniftre ; & faifant fervir a eet infame emploi toutes les reffources d'un génie cultivé &C inventif, il favoit répandre fur ce libertinage tant de recherche & de variété , qu'il prit fur 1'efprit d'Alexandre 1'afcendant le plus abfolu. Mais tandis que Laurent paroiffoit s'abymer avec lui dans le vice , & affecfoit en apparence tant d'indolence & de molleffe, qu'il ne vou-. «538.. AflafTinat d'Alexandre de Mé-' dicis,  IJ3& m ?8o L'HlSTOIRE loit pas porter une épée , & qu'il fei gnoit de friffonner a Ja vue du fang, il cachoit fous ces dehors hypocrites une ame dévorée d'une ambibition audacieufe & profonde. Soit amour de la liberté, foit efpérance d'atteindre au rang fuprême , il réfolu d'affalTiner Alexandre , fon bienfaicfeur & fon ami. Quoiqu'il eut Jong-temps roulé dans fon fein eet horrible projet, fon caradere foup«onneux & circonfpeét 1'empêcha d'en faire part a perfonne ; il continua de vivre avec Alexandre dans la même familiarité ; enfin , une nuit, fous prétexte de lui avoir obtenu un rer dez-vous avec une Dame du pre» mier rang, dont Alexandre avoit fouvent follicité les faveurs, il attira ce Prince inconfidéré dans un appartement fecret de fa maifon , & 1'y poignarda , au moment oii couché nonchalamment fur un lit, il fe préparoit a recevoir la Dame donton h i avoit promis la jouiffance : mais Laurent n'eut pas plutöt commis ce forfait, que demeurant immobile &confondu , frémiffant d'horreur a la vue de fon atrocité , il oublia en un mo-  D Ê C HAïtLES-QUÏNT. 381 ment tous les motifs qui 1'y avoient porté. Au-lieu d'exciter le peuple a reprendre fa liberté, en lui annongant la mort du tyran; au-lieu de prendre quelque mefure pour fe frayer ia route a la dignité qu'il venoit de rendre vacante , il ferma la porte de 1'appartement; & comme un homme qui a perdu la tête, il s'enfuit avec la plus grande précipitation hors du territoire de Florence. Ce ne fut que fort tard dans la matinee du lendemain , que 1'on fut inflruit du fort du malheureux Alexandre; car fes gens accoutumés a 1'irrégularité de fa vie, n'entroient jamais de bonne heure dans fon appartement. Les premiers de 1'Etat s'aiTemblerent aurïïtöt. Le Cardinal Cibo, animé par fon zele pour la Maifon de Médicis, a laquelle il tenoit de fort prés , & fecondé par Francois Guichardin , qui retraca k la mémoire des Florentins, avec les couleurs les plus vives, les caprices & les troubles de leur ancien gouvernement populaire , les détermina k mettre k la tête du gouvernement , Cöme de Médicis , jeune homme de 18 ans, le feul héritier i 1538. Come de Wédicis >!acé a la  iï38. tête de 1'Etat de Florence. Les bannis de Horence s'oppofent a fon «lévation. (/) Lettere de principi, tom. 3 , p. 5 a. 382 L'HlSTOIRE male de cette familie célebre. En même-temps, 1'amour que ces peuples conlervoient pour la liberté, leur fit faire plufieurs réglements qui modéroient & limitoient fon pouvoir. Cependant Laurent ayant gagné un lieu de füreté , raconta ce qu'il avoit fait a Philippe Strozzi & aux autres Florentins qui avoient été exilés, ou qui s'étoient bannis volontairement , lorfqu'on avoit aboli Ia forme républicaine pour établir la domination des Médicis. Des républicains donnerent a fon forfait des éloges extravagants ; ils comparerent la vertu de Laurent a celle des deux Brutus, qui facrifierent a la liberté de leur patrie, 1'un , les droits de la nature & du fang, 1'autre, les devoirs de la reconnoiffance & de 1'amitié (a). Ils ne fe bornerent pas k ces vains panégyriques; ils fortirent de leurs différentes retraites , affemblerent des troupes , animerent leurs vaffaux & leurs partifans k prendre les armes , & k profiter d'une occa-  DE CHARLES-QUIN T. 383 fion fi favorable pour rétablir la liberté publique fur fes anciens fondements. Protégés ouvertement par PAmbaffadeur que la France avoit a la Cour de Rome , & fecretement encouragés par le Pape, qui n'aimoit pas la familie de Médicis, ils entrerent dans le territoire de Florence avec un corps de troupes affez confidérable. Mais ceux qui avoient élu Cöme, étoient pourvus de toutes les reffources néceffaires pour foutenir leur choix, & doués de tous les talents qu'il falloit pour employer a propos ces reffources. Ils leverent avec la plus grande diligence un affez grand nombre de troupes , & mirent toute leur adreffe a gagner les eitoyens les plus confidérables, & a faire gouter au peuple 1'adminiftration du jeune Prince. Sur-tout , ils firent leur cour a l'Empereur , & rechercherent fa proteéfion comme la feule bafe folide qui put foutenir 1'élévation & le pouvoir de Cöme. Charles favoit combien les Florentins avoient de goüt pour 1'alliance de la France, &c il n'ignoroit pas combien il étoit déteflé de tous 1538.  1538. 304 L H I S T O I R E les partifans du gouvernement ré» publicain , qui le regardoient comme Foppreffeur de leur liberté. II avoit donc le plus grand intérêt è empêcher le rétablilTement de 1'ancienne coniïitution. II le fentit, & ne fe contenta pas de reconnoitre Cöme pour Ie chef de 1'Etat Florentin, & de lui prodiguer tous les titres d'honneur dont Alexandre avoit été décoré; il s'engagea encore a le défendre avec zele; & pour gage de fa promeffe , il envoya aux commandants des troupes impériales qui fe trouvoient cantonnées fur les frontieres de Ia Tofcane, ordre de Ie foutenir contre fes ennemis. Cöme, aidé de ces fecours, triompha aifément des bannis; il furprit leurs troupes dans une nuit, & prit la plupart de leurs chefs. Cet événement rompit toutes les mefures du parti, & fon autorité demeura folidement établie. II auroit deiiré d'ajouter a tous les honneurs dont il étoit comblé, celui d'époufer la veuve de fon prédécelTeur Alexandre , fïlle de Charles : mais l'Empereur , fe croyant déja fur de 1'attachement de Cöme, aima mieux  t>e Ch'arles-Quint. 3?5 mieux fatisfaire le Pape en la donnant aIon neveu (a). Pendant que l'Empereur & Francois fe faifoient la guerre , il fe paffa un événement qui refroidit beaucoup 1'amitié & la confiance réciproque , établie depuis long-temps entre le Roi d'Angleterre & le Roi de France. Jacques V ,Roi d'Ecoffe, jeune Prince entreprenant, ayant appris que l'Empereur avoit formé le projet d'en-r vahir la Provence , voulut faire voir qu'il ne le cédoit point a fes ancêtres dans fon attachement pour la France : jaloux en même-temps de fe diftinguer par quelque exploit militaire, il leva un corps de troupes, avec le projet de le conduite lui-même au fecours de Francois. Plufieurs accidents malheureux ne lui ayant pas permis de mener fa petite armée en France, il ne renonca pas pour cela au deffein d'y paffer lui-même. Dés ( tages qui leur avoient été accordés par les articles de la pacification conclue k Nuremberg en 1532 (a); k 1'exception de quelques procédures de la Chambre impériale, ils ne furent aucunement troublés dans 1'exercice de leur religion , & rien ne tra- (V) Dumont, corps diplomat. torn, 4 i pars. 2 , p. 138. R iij  jp8. Négociations &intriguespourle con. cile géné- i 390 L' HlSTOlRE verfa leur zele & leurs fuccès dans la propagation de leur doéf rine. Cependant le Pape continuoit de négocier pour la convocation d'un concile général; Sc malgré le mécontentement qu'avoient marqué les Proteftants fur le choix de Mantoue , il perfifta dans fa réfolution, Sc donna le i Juin 1536, une bulle qui indiquoit le jour de PafTemblée dans cette ville, au 23 Mai de Pannée fuivante; il nommoit trois Cardinaux pour y prétïder en fon nom, enjoignoit a tous les Princes Chrétiens d'appuyer le concile de leur autorité, Sc mvitoit les Prélats de toutes les nations a s'y trouver. Cette convocation d'une allemblée qui, par fa nature , demande des temps paifibles Sc des eiprits difpofés a la concorde , parut très-déplacée dans une conjoncture oh l'Empereur marchoit contre la France , Sc étoit prés de replonger une grande partie de 1'Europe dans les troubles de la guerre. La bulle n'en fut pas moins fignifiée k toutes [es Cours par des Nonces extracrdiïaires. L'Empereur , pour gagner les Allemands, avoit pendant ion féjour  de Charlés-Quïnt. 39Ï a Rome vivement preffé le Pape d'affembler un concile ; mais en mêmetemps afin d'engager Paul a renoncer a la neutralité qu'il avoit toujours gardée entre Francois & lui, il envoya , avec le Nonce que le Pape députoit en Allemagne, fon vice-Chancelicr Heldo, chargé de feconder toutes les repréfentations du Nonce, & de les appuyer de tout le poids de 1'autorité Impériale. Les Protefiants leur donnerent audience a Smalkalde , oit ils s'étoient affemblés en corps pour les recevoir; mais après avoir bien pefé leurs raifons, ils refuferent, d'une voix unanime , de reconnoitre tm concile qui étoit convoqué au nom & de 1'autorité du Pape , & oh il s'arrogeoit le droit de préfider; qui devoit fe tenir dans une ville fi éloignée de 1'Allemagne, foumife a un Prince étranger pour eux & étroitement Hé avec la Cour de Rome ; ou leurs théologiens ne pourroient fe rendre en füreté , fur-tout après que leurs opinions avoient été flétries du nom d'héréfie dans la bulle même de convocation. Ces objeöions contre le concile ; jointes a beaucoup R iv 1538. 15 Févnjr, '537-  .1538. 8 Ofiob. j53?. 3 9z L'Histoire d'autres qui leur paroiffoient fans replique, furent détaillées dans un long manifefte , qu'ils publierent pour juftifïer leur conduite. La Cour de Rome s'emporta contre le refus des Proteftants , & le donna comme une preuve inconteftable de leur préfomption & de leiur entêtement; & le Pape perfifta toujours dans fa réfolution de tenir Ie concile dans le lieu & au temps qu'il avoit fixés. Mais il furvint quelques difficultés de la part du Duc de Mantoue , tant fur fon droit de jurifdiction a 1'égard de ceux qui fe rendroient au concile, que fur la füreté de fa capitale au milieu d'un fi nombreux concours d'étrangers : Ie Pape n'ayant pu les lever d'abord , il différa le concile de quelques mois : il tranfporta enfuite le lieu de 1'affemblée k Vicence dans les Etats de Venife, & 1'indiqua pour Ie premier Mai de 1'année fuivante. Comme ni l'Empereur, ni le Roi de France, qui n'avoient encore fait enfemble aucun accommodement, ne voulurent permettre a leurs fujets de s'y rendre, & qu'il ne s'y trouva pas un feiü Pré-  DE CHARLES-Qu INT. 393 lat au jour marqué, le Pape,, pour éviterde compromettre fon autorité par tant de convocatións inutiles , remit l'alTemblée a un temps indéfini. Cependant Paul qui ne vouloit pas paroitre avoir tourné toute fon attention fur une réforme qu'il ne dépendoit pas de lui d'accompHr , tandis qu'il négligeoit celle qui étoit en fon pouvoir , députa un certain nombre de Cardinaux & d'Evêques , avec plein pouvoir d'examiner les abus & les défordres de la Cour de Rome , Sc de propoler, pour les corriger, les moyens les plus efficaces. Cette commiffion fut acceptée avec répugnance, Sc exécutée avec lenteur Sc avec mollelTe. On ne porta fur tous les défordres qu'une main timide, qui trembloit de fonder trop avant la profondeur de Ia plaie, ou d'en dévoiler toute 1'étendue. Malgré toute la partialité de eet examen, on ne lailfa pas de découvrir plufieurs irrégidarités , & de mettre au jour des abus monftrueux; mais les remedes qu'on. indiquoit, ou étoient infuffifants, ou ne furent jamais ap* pliqués. On étoit bien réfolu de te* R y 1538. Le Pape réforme quelques afcus.  ijj8. Ligue formée en oppofition de Smaikalde. 394 V H i s t o i r e nir dans le fecret le rapport & 1'avis des CommiiTaires ; mais il arriva par quelque accident, qu'ils tranfpirerent en Allemagne, oü ils devinrent bientöt publics, & fournirent une ample matiere aux réfTexions 8c au triomphe des Protefiants (a). D'un cöté, ils démontroient la néceffité de faire une réforme dans le corps entier de 1'Eglife, & faifoient voir que plufieurs des abus dont on convenoit, étoient ceux mêmes contre lefquels Luther & fes fectateurs s'étoient élevés avec le plus de chaleur; de 1'autre cöté, ils prouvoient qu'il étoit inutile d'attendre des Eccléfiaftiques affez de courage pour faire eux-mêmes cette réforme, eux qui, fuivant Pexpreffion de Luther, s'amufoient d guérir des verrues, tandis qu'ils négligeoient des ulceres, ou les enyenimoient encore L'aöivité avec laquelle l'Empereur parut d'abord folliciter les Princes Protefiants d'acquiefcer a la con- (a) Sleidan, {*) Seck, /. 3, i64.  de Charles-Quint. 395 vocation d'un concile en Italië, les allarma fi fort, qu'ils crurent qu'il étoit prudent de donner encore k leur confédération une nouvelle force, en y recevant plufieurs membre nouveaux qui demandoient a y être admis, particuliérement Ie Roi de Danemarck. Heldo, qui, pendant fa réfidence en Allemagne, av.oit obfervé les grands avantages qu'ils retiroient de cette union , effaya d'en contrebalancer Ia force , en formant une femblable union entre les Puiffances catholiques de 1'Empire. Cette ligue, décorée du nom de fainte Ligue ,. étoit purement défenfive ; & quoique Heldo 1'eüt formée au nom de l'Empereur, Charles la défavoua enfuite, & il n'y entra qu'un trèspetit nombre de Princes (a). Les Proteftants' furent bientöt inftruits de cette affociation , malgré toutes les précautions qu'on avoit prifes pour la cacher. Leur zele, toujours porté k foupgonner & k craindre jiuqu'a 1'excès tout ce qui pouvoit (^) Seck. /• 3 j 17 T« Recuêl de traites. R vj -M33- Allafmes les Protefants.  19 Avrll, ^ 39539- Prétentions des Ganteis. 408 L'HïSTOiR E occafionna cette émeute téméraire qui fut fi fatale a cette ville floriffante. La Reine douairière de Hongrie , gouvernante des Pays-Bas, ayant recu de fon frere Pordre d'envahir la France avec les troupes qu'eile pourroit lever , alfembla les Etats des Provinces-Unies, 6c obtint d'eux un fubfide de douze mille florins pour les fraix de cette entreprife. Le Comté de Flandres devoit en payer un tiers pour fon contingent; mais les habitants de Gand, la ville la plus confidérable de ce Comté , étoient intéreflés a éviter toute guerre contre la France , avec laquelle ils faifoient un commerce très-etendu 6c très-lucratif; ils refuferent de payer leur part, 6c foutinrent que d'après les conventions faites entr'eux 6c les ancêtres de l'Empereur, leur Souverain actuel, on ne pouvoit impofer aucune taxe fur leur ville , qu'ils n'y euffent expreffément donné leur confentement. La Reine de Hongrie foutenoit de fon cöté que le fubfide de douze cents mille florins ayant été accordé par les Etats de Flandres , dont les repréfentants de Gand étoient membres,  de Charles-Quint. 439 membres, cette ville étoit liée par ■ les délibérationsde ces Etats,& qu'un Paris, 40. 1751. 456 L' HlSTOIRE Mais dans eet effort même que les Jéfuites ont fait pour le bien du genre humain, & qui mérite fa reconnoiffance, le génie de leur politique & 1'efprit de leur ordre s'y mêlerent encore & s'y reconnoiffent aifément. Ils tendoient ouvertement k établir dans le Paraguay un empire indépendant, foumis a la fociété feule, & qui, par 1'excellen'ce de fa conftitution & de fa police, n'eüt pas manqué d'étendre la domination de l'ordre fur toute la partie méridionale de PAmérique. Dans cette vue, & afin d'empêcher que les Efpagnols ou les Portugais , dont les établiffements étoient voifins, ne puffent prendre aucune forte d'autorité fur les peuple qu'ils gouvernoient, les Jéfuites tacherent d'infpirer aux Indiens de la haine & du mépris pour ces deux nations , & ils avoient intercepté toute communication entr'elles & le Paraguay. Ils avoient défendu k tout négociant  ®e Charles-Quint, 457 gociant particulier, Efpagnol ou Portugais, d'entrer dans leur territoire. S'ils étoient obligés de recevoir chez eux de la part des gouvernements voifins, quelque perfonne revêtue d'un caractere public, ils ne lui permettoient d'avoir aucun entretien avec les Indiens, & ils ne laiffoient entrer aucun de ceux-ci dans la maifon oit réfidoient les étrangers, qu'en préfence d'un Jéfuite. Pour rendre toute communication avec eux plus difficile encore, ils évitoient avec foin de donner aux Indiens aucune connoiffance de la langue Efpagnole 6c des autres langues européennes: mais a mefure qu'ils civilifoient quelque tribu nouvelle , ils tachoient d'y introduire un certain dialeéfe de la langue indienne , qu'ils cherchoient è rendre univerfel dans tous leurs domaines. Comme toutes ces précautions '9 fans forces militaires , n'auroient pas été fuffifantes pour rendre leur empire tranquille & durable , ils inftruifirent leurs fujets dans 1'art de faire Ia guerre a Ia maniere européenne. Ils formerent des corps de Tornt IV. V 1540.  Raifons qui ont engagé 1'auteur a s'étendre fur le gouvernement& les progrès de eet erdre. 458 L'HlSTOIRE cavalerie & d'infanterie , bien armés & bien difciplinés. Ils fe munirent d'une grande quantité d'artillerie, & établirent des arfenaux fournis d'armes & oe munitions de toute efpece. Ils vinrent & bout de former ainfi une armée affez nombreufe & affez bien entretenue pour être formidable dans un pays oü toutes les forces militaires des Efpagnols & des Portugais fe réduifoient a quelques bataillons délabrés & mal difciplinés (a). La puiffance des Jéfuites ne fit aucun progrès confidérable fous le regne de Charles V, qui, avec fa fagacité ordinaire, démêla l'objet & la tendance dangereufe de leur inftitution, & les empêcha de s'étendre (£). Mais comme fa fondation appartient au période dont j'écris 1'hiftoire, & que le fiecle pour lequel Voyage de Juan & d'Ulloa , tont. 1 ,' 5 49. Recueil de toutes les pieces qui ont pa' ru fur les afaires des Jéfuites en Portugal, torn. 1 , p. 7» É>c. (*) Compte rendu par M. de M»nclar ,  de Charles-C^üint. 4J9 j'écris a vu fa chüte, le tableau que je viens de donner des loix & du génie de ce corps formidable, ne peut déplaire a mes Ledteurs, d'autant plus qu'une circonfèance particuliere m'a mis a portee de traiter ces détails avec fuccès. L'Europe avoit bien obfervé pendant deux fiecles 1'ambition & le pouvoir de eet ordre; mais quoiqu'elle en eüt éprouvé plufieurs effets funefles, elle n'en pouvoit pas démêler clairement les véritables caufes. Elle n'avoit pas Ia connoiffance des réglements finguliers qui caraclérifoient la conftitution politicrue & le régime de cette fociété : c'etoient cependant ces réglements qui formoienr 1'efprit d'intrigue & d'ambition qui diflinguoit fes miniflres, & qui tendoit a accroitre fans ceffe la puiffance du corps. Dèsl'inflitutionmême, une des maximes favorites des Jéfuites fut de ne jamais rendre publiques les regies de leur ordre, & ils les tenoient cachées comme un myftere impénétrable. Jamais ils ne les communiquoient aux étrangers; la plupart de leurs membres mêmes n'étoient pas du fecret V ij 1540.  1540. (a) Hift. des Jéf. torn. 3 , 236 , &c. Compte rendu par M. de la Chalotais, p. 38. (b) J'ai tiré la plus grande partie de ces lumieres fur le régime & les loix de l'ordre des Jéfuites, des comptes rendus par 460 L H I S T O I R E (ofés a toute Ia fureur de 1'orage: Sn peu de temps la terre fut cou^erte d'eau au point qu'ils ne pouroient fe coucher; leur camp placé lans un terrein bas, étoit entiérenent inondé ; a chaque pas ils enroient jufqu'a la moitié de la jambe lans la boue; tk le vent foiifïloit avec  DE CHARLES-QUINT. 489 tant d'impétuofité, que, pour fe foutenir , ils étoient obligés d'enfoncer leurs lances dans la terre , ck de s'en faire un point d'appui. Haffen étoit trop acfif pour ne pas faifir une 00 cafion fi favorable d'attaquer fes ennemis. Dés le point du jour, il fit une fortie avec fes foldats , qui, ayant été fous leurs toïts, k 1'abri de la tempête, étoient frais tk vigoureux. Quelques foldats Italiensqui avoient été pofiés le plus prés de la ville, découragés& glacés de froid» s'enfuirent k 1'approche de I'ennemi; ceux qui occupoient les poftes moins avancés , monrrerent la plus grande valeur ; mais la pluie ayafnt éteint leurs mêches tk mouillé leur poudre, leurs moufquets étoient devenus inutiles; & pouvant k peine foutenir le poids de leurs armes, ils furent bientöt mis en défordre. Prefque toute 1'armée, ayant a fa tête l'Empereur , fut obligée de s'avancer pour repouffer I'ennemi, qui, après avoir tué un grand nombre d'Impériaux, tk jetté Pépouvante dans le refte, fe retira en bon ordre. Le fentiment de ce défaftre & de  -54i' ! Défaftres de la flotte. i 1 ] I ] . 1 i ] i I : . i . i i 1 i i < i i L'HlSTOIRE :e premier danger fut cependant bien:öt effacé par un fpecïacle plus afreux encore & plus déplorable; il 'aifoit grand jour, & 1'ouragan coninuoit dans toute fa force ; on voyoit a mer s'agiter avec toute la fureur lont eet élément terrible efl capable : es navires d'oü dépendoit la fubfif:ance & le falut de 1'armée , arrachés le leurs ancres , alloient ou fe brifer es uns contre les autres, ou fe fra:affer contre les rochers; plufieurs "urent pouffés a terre; d'autres furent ibymés dans les flots. En moins d'une leure , quinze vaiffeaux de guerre & :ent foixante batiments de tranfport iérirent ; huit cents hommes qui ïtoient a bord furent noycs; ou fi juelques - uns de ces malheureux fchappoient è la rage des flots, & :herchoient a gagner la terre a la na5e, ils étoient maffacrés fans pitié par es Arabes. L'Empereur, immobile 1'étonnement & de douleur, conemploit en filence eet affreux défafre ; il voyoit s'engloutir dans les lots & toutes fes munitions de guerre Sc les immenfes provifions deflinées t nourrir fes troupes; il voyoit s'é-  de Charles-Quint. 491 vanouir toutes fes efpérances. La ~ feule reffource qui fut en fon pouvoir, étoit d'envoyer quelques détachements pour chaffer les Arabes poftés fur le rivage , & pour recueillir le petit nombre de ceux qui avoient le bonheur de gagner la terre. A la fin cependant le vent commenca a tomber, Sc 1'on efpéra qu'on pourroit conferver encore affez de vaiffeaux pour fauver 1'armée des horreurs de la famine, Sc la ramener en Europe. Mais ce n'étoient encore que des efpérances. Vers le foir, la mer fe couvrit d'épaiffes ténebres; les officiers des vaiffeaux qui n'avoient pas péri, fe trouvant dans rimpoffibilité de faire parvenir aucun avis aux troupes qui étoient a terre , celles-ci pafferent toute Ia nuit dans les tourments de 1'inquiétude la plus affreufe. Lorfque le jour reparut, une barque envoyée par Doria, vint a bout d'aborder a terre, Sc apprit au camp que 1'Amiral avoit échappé a la tempête, la plus furieufe qu'il eüt vue depuis cinquante ans de navigation, & qu'il avoit été obligé de fe retirer fous le cap Metafuz avec fes vaiffeaux déla- 1541.  -541. Charles efl obligé de i» retirer. 491 L'Histoire brés. Comme le ciel étoit toujours orageux & manacant, Doria confeilloit a l'Empereur de marcher avec la plus grande diligence vers ce cap, I'endroit le plus commode pour rembarquer les troupes. C'étoit , dans ce malheur, une grande confolation pour Charles, que d'apprendre qu'une partie de fa flotte étoit fauvée ; mais ce fentiment de plaifir étoit bien altéré par les embarras & les inquiétudes oü le jettoit encore 1'état de fon armée. Metafuz étoit a quatre jours de marche du lieu oü il étoit alors campé. Les provifions qu'il avoit débarquées k terre, étoient toutes confommées; les foldats, fatigués & abattus, auroient k peine été en état de faire cette route dans leur propre pays; découragés par une fuite de fouffrances, que" la viéfoire même n'auroit peut-être pu leur rendre fupportables, ils n'avoient pas la force de réfifter a de nouvelIes fatigues. Cependant la fituation de 1'armée ne permettoit pas même de délibérer, & il n'y avoit pas deux partis a prendre. Charles ordonna donc a fes troupes de fe mettre en  de Charles-Quint. 493 marche ; les blcfles 6c les malades furent placés au centre , & ceux qui paroiffoient les plus vigoureux, a la tête 6c k 1'arriere-garde. Ce fut alors que 1'erfet cruel des maux qu'ils avoient effuyés , fe fit mieux fentir , 6c que de nouvelles calamités vinrent aggraver les premières. Les uns pouvoient k peine foutenir le poids de leurs armes ; les autres épuifés par une marche pénible dans des chemins profonds 6c prefque impraticables , tomboient 6c mouroient fur Ia place ; plufieurs périrent de famine, car 1'armée n'avoit guere d'autre fubfifrance que des racines, des graines fauvages , 6c la chair des chevaux que l'Empereur faifoit tuer & diftribuer k fes troupes; une partie fe noya dans les torrents, tellement gonflés par les pluies , qu'en les paffant k gué, on y entroit dans 1'eau jufqu'au menton; il y en eut un grand nombre de tués par I'ennemi, qui, pendant la plus grande partie de leur marche, ne ceffa de les inquiérer 6c de les harceler jour & nuit. Enfin, ils arriverent k Metafuz; 6c le temps devenant tout-a-coup affez calme X14U  »J4I. Son courage d'efprit. 494 L'Histoire pour favorifer la communication de la flotte avec 1'armée , ils retrouverent des vivres en abondance, & fe liyrerent a 1'efpérance de fe voir bientöt en fureté. Dans eet horrible enchainement de malheurs , Charles déploya de grandes qualités, que Ie cours fuivi de fes profpérités ne 1'avoit pas mis jufqu'alors a portée de faire connoitre. II fit admirer fa fermeté, fa confiance , fa grandeur d'ame, fon courage & fon humanité; il fupportoit les plus grandes fatigues comme Ie denier foldat de fon armée ; il expofoit fa perfonne par-tout oii le danger étoit plus menacant; il ranimoit le courage de ceux qui fe laifToient abattre, il vifitoit les malades bc les bleffés, & les encourageoit tous par fes difcours & par fon exemple. Quand 1'armée fe rembarqua, il reffa des derniers fur le rivage, quoiqu'un corps d'Arabes qui n'étoit pas éloigné , menag&t de fondre a chaque inflant fur 1'arriere-garde. Charles répara en quelque forte par tant de verrus , la préfomption & 1'entêtement ijui lui avoient fait entreprendre une  de Charles-Quint. 495 expédition li funefle a fes fujets. Ce ne fut point-lè le terme de leurs malheurs. A peine toutes les troupes furent rembarquées, qu'il s'éleva une nouvelle tempête, moins terrible a la vérité que la première , mais qui difperfa tous les vaiffeaux, & les obligea de chercher chacun de leur cöté ■des ports, foit en Efpagne, foit en Italië, oh ils puffent aborder. Ce fut par-la que fe répandit le bruit de ces défaflres, avec les exagérations que pouvoient y ajouter des imaginations encore frappées de terreur. L'Empereur lui-même, après mille périls, avoit été forcé de relacher dans le port de Bregia en Afrique, oh les vents contraires le retinrent pendant plufieurs femaines : enfin , il arriva en Efpagne , dans un état bien différent de celui ou il y étoit revenu , après fa première expédition contre les Barbarefques (a) Caroli V. expedhio ad Argyriam per JMicolaum Villagnonem Ecuitem Rhodium ap, Scardium , $ , 2, 365. Jovii, hift. 1. 14, p. 2696 , Vera y Zuniga, vida del Carl. V, p. 403. Sandov. hift. 2, 297, &c. Fin du Tome quatrieme. 1541. Son retour en Europe. 1541. 2 Üécembre.