LHISTOIRE DU REGNE DE L'EftfPEREUR CH ARLES-QUINT.   L'HISTOIRE B U IEGNE ZEMPEREUR CHARLES-QUINT, ciete en Europe, depuis la defiructïon de l Empire Romain jufqu'au commencemtnt du Jeiyeme Siècle. ParM. Robertson, Doóïeur en Théologie , Principal de 1'Univerfité d'Edimbourg, & Hiftoriographe de Sa Maieflé üritannique pour 1'Ecofle. OüVRAGE TRADUIT DE L'ANGLOIS. TOME CINQUIEME. A MAESTRICHT, Chez Jean-Edme Dufour & Phil. Roux, Imprimeurs-Libraires, afföciés. M. DCC, LXXXIII.   L'HISTOIRE DU R EG N E DE L'EMPEREUR CHARLES -QUINT. L I V RE VIL JL'Em pereur effuya dans fa mal- —1 heureufe entreprife contre les Alge- 154'riens de grandes pertes , que le bruit Fran^oisv public ne manquoit pas de groffir è fe"0}^^ ■ mefure qu'il s'éloignoit du théatre de tés-fesróaT cette cataftrophe. Francois en profita tifs» pour commencer les hoftilités qu'il méditoit depuis quelque temps; mais Tornt V. A  »54». 1 V H I S T O I R E " il ne crut pas qu'il fut prudent de donner pour motif de cette réfolution , ni fes anciennes prétentions au Duchéde Milan , ni la promeffe tant de fois violée par 1'Empereur, de reftimer ce pays. Le premier de ces mo tifs, qui auroit été fuffifant pour 1'empêcher de conclure la treve de Nice , ne 1'étoit pas pour la rompre ; & il ne pouvoit alléguer le dernier fans expofer la foibleffe de fa crédulité , en démafquant la mauvaife foi de fon ennemi. Un des Généraux de 1'Empire lui fournit un meilleur prétexte de prendre les armes, par un attentat qui ne pouvoit manquer d'exciter fon renentiment, eüt-il autant aimé la paix qu'il avoit d'ardeur pour la guerre. Francois I avoit bien prévu qu'en fignant la treve de Nice fans confulter Soliman , il offenferoit ce Monarque altier, qui regardoit une alliance avec la Porte , comme un honneur dont les Princes Chrétiens devoient s'enorgueillir. L'entrevue du Roi de France avec 1'Empereur en Provence , & Paccueil qu'on fit è Charles , furent accompagnés de tant de démonftrations afFeclueufes de con-  de Charles-Quint; 3 faance, que le Sultan foupconna les deux rivaux d'avoir enfin oublié leur ancienne inimitié , pour former contre la Puiffance Ottomane , cette confédération générale, defirée depuis li long-temps dans la Chrétienté , & toujours vainement tentée. Charles avec fes artifices ordinaires , s'effor$oit de confirmer & de fortifier ces foupcons , en commandant aux émiffaires qu'il avoit a Conftantinople & dans toutes les Cours oii Soliman entretenoit des liaifons , de publier que Francois & lui étoient fi bien d'accord , qu'ils n'auroient plus a. 1'avenir que des fentiments, des vues & des projets communs (a). Ce ne fut pas fans difficulté que le Roi parvint k détruire ces impreffions ; mais 1'adrefTede Rincon,fon Ambafiadeur a la Porte, & Favantage manifefte qui réftdtoit pour cette Cour de commencer, de concert avec la France , des hoftilités contre la Maifon d'Autriche , déterminerent enfin Soliman a s'unir plus étroitement que jamais (a) Memoires de Ribïer, torn. i , p, 502,' A ij 1541.  1 541- Le nieurtre des Ambafladeursde France eft le ptétextc de Ia guerre. 4 L'HlSTOIRE avec Francois. Rincon retourna vers fon maitre, chargé de lui communiquer un projet du Sultan pour engager les Vénitiens dans leur parti contre 1'Empereur. Soliman, qui venoit de conclure avec cette République une paix, a laquelle la médiation de Francois & les bons offices de Rincon avoient beaucoup contribué, penfa qu'il n'étoit pas impoflible de gagner le Sénat par des * offres avantageufes, qui, jointes è 1'exemple du Roi de France, 1'emporteroient dans 1'efprit des Vénitiens fur quelques motifs de retenue & de bienféance. Francois faifit avidement cette ouverture; il dépêche de nouveau Rincon a Conftantinople , lui enjoint de paffer par Venife , avec Frégofe, Génois, exilé de fa patrie; & donne a ces deux miniftres plein pouvoir de pourfuivre auprès du Sénat , la négociation qu'un envoyé de Soliman avoit déja entamée (a). Cependant le Marquis du Guafl:, Gouverneur du Milanès, habile Officier, («) Hijl. di Venct, da Purata , 4 , I2J,  de Charles-QuiKt. «f mais capable d'entreprendre & d'exécuter les violences les plus atroces, eut avis de ce deffein & de la defHnation des Ambafladeurs. II favoit combien fon maïtre defiroit de pénétrer les intentions du Roi de France , & de quelle conféquence il étoit d'en retarder 1'exécution. II apofla donc quelques foldats de la garnifon de Pavie, qui furprirent Rincon & Frégofe, lorfqu'il s'embarquoient f\ir le Pó, les maffacrerent, eux & une grande partie de leur fuite, & fe faifirent de leurs papiers. Lorfque Francois recut la nouvelle d'un fi horrible attentat, commis durant la treve & fur des perfonnes dont le caractere étoit facré, même chez les nations barbares, la douleur qu'il reqvit de la perte funefte de deux ferviteurs fideles, 1'inquiétude de voir fes projets fufpendus, enfin tous les autres mouvements de fon ame fe confondirent dans le refTentiment de 1'afFront fait a fa Couronne. II accufa hautement du Guaft, qui , malgré fon audace a fe difculper de ce crime, en eut toute la honte fans en retirer aucun fruit; car les AmbaffaA ii; 1541.  6 L'Histoire deurs avoient laiffé derrière eux Ietirs inftructions & tous les autres papiers d'importance. Le Roi de France envoya vers 1'Empereur pour lui demander réparation d'une infulte, que le dernier & le plus lache des Souverains n'auroit pu fe réfoudre a fouffrir patiemment. Charles, alors preffé de partir pour fon expédition d'Afrique , eflaya d eluder les inftances de Francois par des réponfes ambiguè's ; mais celui-ci en appella a toutes les Cours de PEurope , & mit en évidence 1'atrocité de 1'injure, la modération de fa conduite, & 1'injuftice de 1'Empereur qui fembloit méprifer fes plaintes. Malgré 1'affurance avec laquelle du Gtiaft protefta de fon innocence, 1'accufation du Roi eut plus de poids que tous fes ferments. Du Bellay, qui commandoit pour la France en Piémont, vint a bout par fes foins & fon adreffe, de fe proctirer un détail circonftancié du complot; ce qui, joint au témoignage d'un grand nombre de parties intéreflees, équivaloit prefque è une preuve légale contre le coupable. D'après 1'opinion du  de Charles-Quint. 7 public , fortiflée par cette nouvelle découverte, les plairites de Francois parurent évidemment fondées fur la juftice; & fes préparatifs de guerre ne furent point attribués a 1'ambition ou au reffentiment, mais a la nécéffité indifpenfable de venger 1'honneur de fa Couronne ( prunta une groffe fomme a Jean , Roi de Portugal; & pour fiïreté de cette dette , il le mit en pofTeffion des ifles Moluques, lui abandonnant le commerce précieux des épiceries que fournit cette partie du globe. Non content de ces mefures, il traita du mariage de Philippe, fon fïls unique, alors dans fa feizieme année, avec Marie, rille de ce Monarque, qui lui donna une dot telle qu'on pouvoit 1'attendre du Prince le plus ri-  de Charles-Quint. 15 m che de 1'Europe. Enfuite il engagea les Cortès d'Arragon & de Valence k reconnoitre Philippe pour 1'héritier de ces deux Couronnes , & il en obtint le don accoutumé dans ces fortes d'occafions. Ces fubfides extraordinaires le mirent en état de grofïïr fes armées d'Efpagne, au point d'en pouvoir détacher un grand corps vers les Pays Bas, & d'en laiffer cependant afïez pour la- défenfe du Royaume. Après avoir ainfi pourvu a la fureté de 1'Efpagne , dont il confia le gouvernement a fon fxls, il s'embarqua pour aller en Allemagne par 1Ttalie. Mais malgré fon attention a fe procurer des fonds pour foutenir la guerre, il fut pourtant réfifter aux ofFres artificieufes de Paul III, qui n'ignoroit pas combien ce Prince avoit befoin d'argent. Ce Pontife ambitieux^ qui épioit & faififloit toutes les occafions d'élever fa familie, follicita 1'inveftiture du Duché de Milan pour fon petit-fils Oftave, déja gendre de 1'Empereur ; & il tenta ce Prince par l'appas d'une fomme qui pouvoit fuffire aux fraix de fon armement. Mais celui-ci déterminé a ne point aliénei1 Maïi  »S43- (tf)Adriani, ljlorla , i, 195. Steid. 312. Jovii, hift. lib. 43, p. 310. fiw Co/. Medici, di Bddini, p. 34. l6 L'HlSTOIRE une fi belle Province , & d'ailleurs mécontent du Pape qui avoit toujours refufé de fe joindre a lui contre Francois, rejetta nettement fes propofitions. II porta même le reffentiment jufqu'a s'oppofer au deffein de Paul, qui vouloit détacher Parme & Plaifance du patrimoine de St. Pierre, pour les donner a fon fïls & a fon petit-rils, è titre de fief relevant du faint Siege. Comme il ne lui refïoit plus aucun moyen detirer de Pargent des Etats d'Italie, il rappella les garnirons qu'il avoit tenues jufqu'alors dans les citadelles de Florence & de Livourne ; ce qui lui valut un préfent confidérable de Cöme de Médicis, qui vit par-la fon indépendance affurée, & fe trouva maïtre des deux forts, nommés avec raifon les entraves de la Tofcane (a)» Mais les vues de Charles s'étendoient plus loin, 8c la ligue offenfive qu'il avoit conclue avec Henri  de Charles-Quint. ij VIII, pouvoit lui procurer de plus grands avantages que tous fes préparatifs. Quelques petits démêlés dont j'ai déja parlé, avoient commencé a dégoüter ce Roi, de Palliance de Frangois; & de nouveaux incidents concoururent a 1'en détacher tout-afait. Henri, aufli ardent pour établir runiformité de religion en Angleterre, que jaloux de faire des profélites de fes opinions, avoit formé le defl'ein de perfuader è fon neveu le Roi d'EcofTe,de rejetter la fuprématie du Pape, & d'adopter la réformation qu'il venoit de faire recevoir dans fon Royaume. II fuivit ce projet avec fon impétuofité naturelle; & comme il ne croyoit pas Jacques fort fcrupuleux fur 1'article de la religion, il lui fit des propofitions fï avantageufes, qu'il ne douta prefque point du fuccès. Elles furent en effet recues de maniere a flatter fes efpérances. Mais le Clergé d'Ecofle prévoyant que la ruine de 1'Eglife fuivroit bientöt 1'union de leur Roi avec 1'Angleterre; les partifans de la France craignant de leur cöté que cette Couronne ne perdit toute fon influence M45Négociations de 1'Empereuf avec Hemi VIII. Rupture de Henri avec la France & 1'Ecoffe.  '543- 18 L'HlSTOIRE fur les affaires de 1'Ecoffe , ces deux faftions fe lierent; & par leurs infinuations & leurs brigues, détruifirent entiérement le plan de Henri , au moment même ou il en attendoit 1'effet. Ce Monarque, trop altier pour foufFrir eet affront, qu'il attribuoit aux artifices des Francois autant qu'a la légéreté de Jacques, prit auffi-töt les armes, & menaca de dépouiller de fon Royaume un Prince dont il ne pouvoit s'affurer 1'amitié. En même-temps, par animofité contre Francois , il fe hata de négocier avec 1'Empereur une alliance qui fut auffitöt acceptée qu'offerte. Mais avant que ce traité fut entiérement conclu, pendant que Ie Roi d'Angleterre faifoit la guerre en Ecoffe , Jacques V mourut, & laifla la Couronne k Marie, fa fille unique, encore en bas age. Cet événement changea tous les projets de Henri fur ce Royaume. Renoncant k celui de le conquérir, il jugea plus avantageux & plus facile de 1'unir au fien par le mariage de fon fils unique , Edouard , avec Ia jeune Re'ne. Mais il avoit a craindre une oppofition vigoureufe de la fac-  de Charles-Quint. 19 tion Frangoife en Ecoffe, qui commencoit déja a intriguer pour déconcerter toutes fes mefures. La néceffité de prévenir cette faftion , & d'empêcher Frangois de lui prêter du fecours, confirma de plus en plus Henri dans la réfolution de rompre avec ce Prince , & 1'obligea de mettre la derniere main a fon traité d'alliance avec 1'Empereur. Les premiers articles de cette ligue, tendoient a affurer d'abord Pamitié entre les deux Souverains, & leur défenfe mutuelle. On ftipuloit enfuite les demandes qu'ils devoient faire au Roi de France, chacun de fon cDté, & Pon régloit le plan de leurs démarches, en cas qu'il refufat de leur donner fatisfaction. Ils corvinrent donc d'exiger de Frangois, que non-feulement il renonceroit k 1'alliance des Turcs qui avoit été la fource de tant de maux pour la Chrétienté, mais encore qu'il 'accorderoit des réparations pour les dommages que cette union illégitime avoit occafionnés; que de plus, il rendroit la Bourgogne a 1'Empereur, & cefferoit immcdiatement toute hoflili» 1543- Le 22 Février. Alliance entre Charles & Henri.  Négociations de Frangois avee Soliman. (a) Rym. XIV, 768. Herb. 238. 10 L'HlSTOlïlE té, afin de lahTer Charles en liberté de s'oppofer a 1'ennemi commun de la foi; qu'enfln il payeroit fans délai les fommes dues è Henri, ou qu'il lui livreroit quelques villes pour nantiffement de Ia dette. S'il n'acquieffoit pas a tous ces articles dans 1'efpace de quarante jours, les deux Monarques s'engageoient a entrer en France, chacun a la tête de vingt mille hommes d'infanterie & de cinq mille chevaux, avec Ia promefTe de ne point quitter les armes qu'ils n'eulfent recouvré, 1'un la Bourgogne & les villes de la Somme ; 1'autre la Normandie & la Guyenne , ou même toute Ia France (a). Des hérauts furent chargés de ces impérieufes propofitions; &c quoiqu'ils ne puffent entrer dans ce Royaume, les deux Souverains fe crurent en droit d'exécuter leurs conventions. Frangois, de fon cöté, ne mettoit pas moins de diligence dans fes préparatifs pour la campagne prochaine. 11 s'appercevoit depuis long-temps du  de Charles-Quint. zï aiécontentement de Henri; tous fes efForts pour le ramener ayant été inutiles , il s'attendit d'après la connoiffance qu'il avoit de ion caraftere, que des hoftilités déclarées fuivroient bientöt fon refroidiffement. Sa reffource fut donc de redoubler d'inftances auprès de Soliman, afin d'en obtenir un fecours fuffifant pour balancer 1'union des forces de 1'Empereur & de 1'Angleterre. Comme il s'agiflbit de remplacer les deux Ambauadeurs affaflinés par du Guaft , il envoya d'abord a Venife, & de cette ville a Conftantinople, Paulin, capitaine d'infanterie. Frangois le jugea propre a cette commiffion importante , fur la recommandation de du Bellay, qui avoit fait Pépreuve de fes talents & de fon adreffe dans plufieurs négociations. Paulin ne trompa point 1'opinion qu'on avoit de fon courage & de fon habileté. Les dangers de la route ne 1'arrêterent pas. Dès qu'il fut arrivé a Conftantinople , il inlifta fi vivement fur les demandes de fon maïtre, & fut fi bien fe prévaloir des circonftances, qu'il leva toutes les difficultés qu'oppofoit le  «543- (a) Sandov. hifi. tam. 1 , 346. Joviüs , hifi. lib. 41 , 285 , &c. 300, &c. Brantome. (£) Seck. lib. 3 , 403. 1% L'HlSTOIRE Sultan. Les Pachas même qui s'étoient déclarés au Divan contre Palliance avec les Francois , foit que ce fut leur opinion , foit qu'ils ftuTent gagnés par les émiffaires de 1'Empereur , fe virent contraints au filence ('ege dé Landrecy.  J543- l6 V HlSTOIRE de Charles une grande Province, contiguë a fes Etats des Pays-Bas, ce Prince s'avanca dans le Hainaut, 8c mit le fiege devant Landrecy. II y fut joint par un corps de fix mille Anglois , ïbus le commandement du Chevalier Jean "Walpol; c'étoit-la le premier fruit de fon alliance avec Henri. La garnifoncompofée de vieux 4bldats commandés par de la Lande & DefTé , Officiers de réputation , fit itne vigoureufe réfiftance. Francois «narcha avec toutes fes forces au fecours de la place; Charles couvroit le fiege. Tous deux étoient déterminés a hafarder une aöion décifive, & 1'Europe entiere s'attendoit a voir finir de fi longs démêlés par une bataille entre deux grandes armées, que ces Souverains commandoient en perfonne. Mais Pefpace qui féparoit les deux camps étoit difpofé de maniere que le défavantage devoit être pour celui qui tenteroit 1'attaque, & ni 1'un ni 1'autre n'en voulut courir le rifque; Au milieu des mouvements que faifoit chacun d'eux pour attirer fon ennemi dans le piege, ou pour 1'évitcr, Frangois fe conduifit avec  be Charles-Quint. 27 tant de bonheur & d'habileté, qu'il parvint a fjtire entrer des troupes fraïches dans la ville avec un convoi de provilions. L'Empereur, défefpérant alors du fuccès , prit fes quartiers d'hyver (a) pour fe garantir des rigueurs de la faifon qui auroit caufé la ruine de fon armée. Cependant Soliman , fidele k tous fes engagements avec la France, entra dans la Hongrie k la tête d'une nombreufe armée. Les Princes de 1'Empire voyant Charles employer toutes fes forcescontre Frangois, ne firent pas de grands efforts pour fauver un pays qu'il fembloit vouloir facrifier ; de forte qu'il ne fe trouva aucun corps de troupes pour arrêter les progrès du Sultan. II affiégea 1'une après 1'autre, Cinq-églifes, Albe & Gran; ces trois villes, les plus confidérables de la Hongrie, appartenoient è Ferdinand. La première fut prife d'affaut, les deux autres fe rendirent, & prefque tout le Royaume fe foumit 00 D« Bellay, 49 c , &c. B ij Solïman ene tre dans la Hongrie,  1543- Defcente de Baiberoufle en Italië. (a) Iftuanhdff. hifi. Hung. 1.1$ , >7- (b) Jovii, hifi. I. 43 , 304, &c Palhvic, 160. 28 L'HlSTOIRE au jong des Turcs (a). Vers Ie même temps, Barberoufle s'étant embarqué avec une flotte de cent dix galeres , cötoya la Calabre , fit une defcente a Reggio , qu'il faccagea & brüla ; de-la s'avancant a 1'embouchure du Tibre , il s'y arrêta pour faire eau. Les habitants de Rome ignorant la deftination de ret armement , furent faifis d'une fi grande terreur, qu'ils s'enfuirent avec précipitation. La ville alloit refter déferte , fi Paulin , 1'Envoyé de France , ne leur eut rendu le courage par des lettres, oü il proteftoit qu'aucun Etat allié du Roi fon maitre , n'avoit a craindre ni violence ni infulte de la part des Ottomans (£). D'Oftie , BarberoufTe fit voile pour Marfeille. II y fut joint par la flotte Francoife qui portoit un corps de troupes , commandé par le Comte d'Enguien , jeune & vaillant Prince de la Maifon de Bourbon. Ces flottes dirigerent enfemble  DE CHARLES-QU INT. 29 leur route vers Nice, dernier afyle de Pinfortuné Duc de Savoie. Ce futia qu'au grand fcandale de toute la Chrétienté, on vit les lis de la France &c le croiffant de Mahomet, s'unir contre une forterefle oü la Croix de Savoie étoit arborée. Cependant la ville fut vigoureufement défendue contre les deux armées, par Montfort, Gentilhomme Savoyard , qui foutint un affaut général, & fitperdre beaucoup de monde aux ennemis avant de fe retirer dans le chateau. Ce fort fitué fur un rocher, ne pouvoit être entamé ni par Fartillerie ni par les mines. II tint li long-temps, que Doria eut le loifir de s'en approcher avec fa flotte, & le Marqnis du Guaft avec un corps de troupes de Milan. Dès que les Frangois & les Turcs eurent avis de ces renforts, ils leverent le fiege (a) ; & le Roi, pour fe dédommager de 1'opprobre dont il s'étoit couvert par une telle alliance, n'eut pas même la confolation du fuccès. (<») Guichenon , Hiftoire de Savoie , torn. 1, p. 651. Du Bellay, 425, &c. B iij 10 Aoüt, 8 Sept.  M43Préparatifspour une «ouvelle eampagne. JO L' HlSTOIHE En confidérant le peu de progrès qu'on avoit fait de part & d'autre durant cette campagne , on devoit s'attendre a voir trainer la guerre en longueur entre deux Monarques dont les forces étoient dans une forte d'équilibre , & qui trouvoient dans leurs talents & leur aftivité des reffources inépuifables. Chacun d'eux pouvoit ruiner fes propres Etats, avant de conquérir ceux de fon adverfaire. Ainli Charles & Francois eulfent defiré la paix s'ils n'avoient eonfulté que leur intérêt ou la prudence; mais Tanimofité perfonnelle qui fe mêloit dans tous leurs difFérends, étoit devenue fi violente & fi implacable, que le plaifir de la fatisfaire 1'emportoit fur toute autre confidération, & que chacun s'occupoit plus a nuire a fon ennemi qu'a chercher fon propre avantage. La faifon ne les eut pas plutöt forcés a fufpendre les hoftilités,que, fans aucun égard ni aux follicitations réitérées du Pape, ni a fes paternelles exhortations pour le rétablifTement de la paix, ils commencerent a préparer les opérations de la campagne fuivante  de Charles-Quint. 31 avec une ardeur qui croiffoit en proportion de leur haine. Charles s'attacha d'abord a gagner les Princes de PEmpire, & s'efforga de foulever contre Frangois la maffe pefante du corps Germanique. Mais pour bien entendre les démarches qu'il fit a ce fujet, il eff néceffaire de reprendre 1'hiftoire de 1'Allemagne depuis la diete de Ratisbonne, tenue en mil cinq cent quarante & un. Vers le temps oü cette affemblée fe rompit, Maurice fuccéda a fon pere Henri dans la partie de la Saxe qui appartenoit a la branche Albertine de la Maifon fouveraine de eet Eleftorat. Ce jeune Prince qui n'avoit encore que vingt ans, montroit déja les grands talents qui devoient lui donner tant de part aux affaires d'Allemagne. Dès qu'il prit le timondu gouvernement, il dédaigna les routes ordinaires, & fes premiers pasannoncerent de grands deffeins. Quoique fcrupuleufement attaché par fon éducation & fes principes au proteftantifme , il refufa d'entrer dans la ligue de Smalkalde. II vouloit, diB iv M43- Affaires d'Allemagne. Maurice de Saxe iuccede a fon pere, P.-ojets & conduite de ce jeune Princet  32 L'Histoire foit-il, maintenir la pureté de la Religion ; mais non s'embarraffer dans les démêlés politiques & dans les cabales qu'elle enfantoit. II prévoyoit dès - lors la rupture qui alloit éclaler entre Charles & les confédérés; & préiumant lequel 1'emporteroit des deux partis, au-lieu de témoigner a 1'Empereur de 1'inquiétude & des foupcons comme les autres Proteftants, il affecta de lui montrer une confiance fans bornes , & lui fit fa cour avec Ia plus grande affiduité. En 1542, lorfque les réformés refuferent, ou du moins n'accorderent qu'avec peine de foibles fecours k Ferdinand pour défendre la Hongrie , Maurice alla fe joindre a lui, & fe fignala par fon zele & fon courage. Dès la première campagne de Charles , il lui amena un corps de fes propres troupes. Les agréments de fa perfbnne, fa dextérité dans tous les exer«ices militaires, & cette intrépidité naturelle qui le rendoit avide de dangers , le diftinguoient encore moins que 1'habileté & 1'adreffe avec la-r quelle il fut s'infmuer dans la faveur  de Charles-Quint. 33 de 1'Empereur (a). Tandis que par une conduite qui paroiffoit étrange a tous ceux de fa religion, Maurice captivoit ainfi les bonnes graces de ce Monarque , il commencoit a montrer de la jaloufie contre fon coufin 1'Elefteur de Saxe. Cette paffion fecrete qui devint dans la 1'uite li fatale au dernier, avoit dé ja prefque occafionné une rupture entre ces deux Princes. Dès que Maurice fut parvenu au gouvernement, ils prirent les armes l'ün contre 1'autre avec une égale fureur, pour un vain droit de jurifdiction dans une petite ville des bords de la Moldave. Mais au moment d'en venir aux mains, ils furent arrêtés par la médiation du Landgrave de Heffe, & par la puiffante autorité des remontrances de Luther (b). Cependant le Pape , quoique trèsirrité des conceffions que 1'Empereur avoit faites aux réformés a la diete (a) Sleid. 317. Scck. 1. 3 , 371, 486; 418. (*) Sleid. 292. Seck. lib. 3 , 4°3« B v 1545' Le Pape propofe d'aitembler un concile général a Trente.  '543- Le 3 Mars. i i ] 1 1 .34 L' Histoire ■ de Ratisbónne, étoit fi vivement folIiate d'afTembler un concile , foit par les partifans zélés du faint Siege , foit par des perfonnes mêmes dont les opimons & les deffeins pouvoient lui etre fufpeös, qu'il „e crut pas pouvoir difFerer davantage a le convoquer. Plus on avoit eu de peine a I obtenir, plus on attendoit avec impatience 1'efFet de ces décifions. Mais roulant du moins y donner la loi & dinger toutes les opérations de I aflemblee, le Pontife ne perdit pas de vuefa première réfolution de choilir pour eet objet, une ville d'ltalie ou les Eccléfiaitiques a fes gages & dependants de fa faveur , pulfent fe rendre fans peine & è moins de fraix. II donna au Nonce qu'il avoit a la diete de Spire, en i j4», I'ordre de renouveller cette propofition fi fouvent rejettée des Allemands, & 1'autonfa, s'il trouvoit toujours la même répugnance dans les efprits, è iropofer pour le lieu du concile la nik de Trente dans Ie Tirol, foumfe au Roi des Romains, & fituée "r les confïns de 1'AlIemagne & de Itahe. Les Princes Catholiques, après  de Charles-Quint. avoir repréfenté dans la diete que le choix de Ratisbónne , Cologne , ou quelques autres grandes villes de TEmpire , eut été plus avantageux pour le bien général, finirent par s'en tenir a la première ofFre de Paul. Mais les Proteftants témoignerent un mécontentement univerfel, & déclarerent qu'ils ne reconnoltroient point un concile convoqué hors des limites de 1'Empire par 1'autorité du Pape , & dans lequel il fe réfervoit le droit de prélïder (a). Paul, fans s'inquiéter de cette oppofition , publia la bulle du concile,. nomma trois Cardinaux pour y affifter comme fes Légats, & leur prefcrivit de fe rendre è Trente avant le premier de Novembre , jour qu'il avoit fixé pour 1'ouverture de cette affemblée. Mais s'il eut defiré le concile aufli fincérement qu'il le prétendoit, il n'auroit pas choifi pour le tenir, un temps fi peu convenable. On ne pouvoit guere s'attendre en ce moment a voir régner dans le$ («) Sleid. 291. Setk. lib. 3 , 183. B vj Le 23 Mai. 1542. II convoqué le concile parune bulk.  '543- II eft. fetcé de Ie difféxer. L'Empereur cherche a gagner les Proteftants. (a) Fra-Paolo, 97. Sleid. 296. 36 L' HlSTOIRE efprits ce concert 8c ce calme, qui feuls peuvent afTurer la liberté 6c 1'autorité des délibérations: d'ailleurs, la guerre cruelle qui étoit alors allumée entre 1'Empereur & Francois, ne permettoit pas aux Eccléfiaftiques de la plus grande partie de 1'Europe, d'arriver tranquillement k Trente. Les Légats y demeurerent plulieurs mois fans qu'il y parut perfonne , li ce n'eft quelques Prélats des Etats du Pape ; & ce Pontife fe vit contraint, pour éviter le ridicule & le mépris aux yeux des ennemis de 1'Eglife , de rappeller fes Cardinaux, 6c de difFérer le concile (a). Malheureufement pour Ia Cour de Rome, pendant que les Proteftants d'AHemagne faififfoient toutes les occafions de décrier fon autorité, 1'Empereur 8c le Roi des Romains jugerent qu'il étoit de leur intérêt de ne les pas réprimer, 8c même de fe les attacher par de nouveaux a£les d'indulgence. Dans Ia même diete de Spire, oü ils avoient protefté de Ia  de Charles-Quint. 37 maniere la plus infultante contre la tenue du concile a Trente, Ferdinand, qui avoit befoin de leur fecours dans la Hongrie, permit que leursproteftations fuffent inférées dans les regiftres de cette affemblée; & renouvellant en leur faveur les privileges qu'ils avoient obtenus a Ratisbónne , il y ajouta toutes les füretés qu'ils pouvoient demander. Entr'autres chofes, il leur accorda la fufpenfion d'un décret de la chambre impériale contre la ville de Goflar, qui étoit entrée dans la ligue de Smalkalde , &C avoit faifi les revenus du clergé dans fes domaines. II fut enjoint a Henri, Duc de BrunfVick , de fe défifler de 1'exécution de ce décret. Mais ce Prince , qui pouffoit le zele jufqu'au fanatifme, auffi téméraire qu'obftiné dans fes entreprifes, ne cefTa point fes incurfions dans le territoire de Goflar. L'Elefteurde Saxe& le Landgrave de Heffe, ne pouvant fouffrir qu'on opprimat les membres de la ligue, affemblerent leurs forces,déclarerent la guerre a Henri; & dans 1'efpace de quelques femaines, 1'ayant dépouilléde fes Etats, 1'obligerenta Adle de vi» gueur de cette ligue,  »H3« (<:) Sleid. commemoratie fuccinfla caufanim Belli, &c. & Smalcadicis contra Henri Brunfw. ab iifdem aditct. Ap. Scardium, torn. 2, p. 307. ^38 L'HlSTOlRE " chercher un refuge a la Cour de Bavie' re. Cet acte d'une vengeance prompte &févere , fit trembler toute 1'Allemagne; & les confédérés de Smalkalde montrerent, des ce premier eflai de leurs arm es, qu'ils avoient & le courage & le pouvoir de protéger leurs aflbciés («). Enhardis par tant de concefiions & par les progrès que faifoient de jour en jour leurs opinions, les Princes de la liguede Smalkalde firent une protefiadon folemnelle contre la chambre impériale, & ne voulurent plus reconnoitre fa jurifdiction , fous prétexte que cette Cour n'avoit point été vifitée ou réformée felon le décret de Ratisbónne, & qu'elle continuoit a montrer la partialité la plus indécente dans tous fes procédés. Peu de temps après , ils firent encore un pas plus hardi; & proteftant contre le recès d'une diete tenue è Nuremberg,  de Charies-Quint. 39 qui avoit pourvu k la défenfe de la Hongrie , ils refuferent de fournir leur contingent pour eet objet , k moins que la Chambre Impériale ne füt réformée, & qu'on ne leur accordat une füreté entiere fur tous les points qui concernoient la religion (a). Telles étoient les mefures des Proteftants , & la confiance qu'ils avoient dans leur pouvoir , lorfque Charles revintdes Pays-Bas pour tenir la diete qu'il avoit convoquée k Spire. Le refpect pour la majefté impériale, & 1'importance des affaires qu'on avoit a traiter , rendirent cette afTemblée très-nombreufe. Tous les Eleöeurs , beaucoupde Princes Eccléfiaftiques & féculiers, &lesdéputés des villes y ftirent préfents. Charles fentit bien que ce n'étoit pas-li le moment de foulever 1'efprit inquiet des réformés , en foutenant avec hauteur la doctrine de 1'Eglife, ou en portant Ia moindre atteinte aux privileges {a) Sleid. 304, 307. Seck. Ub. 3 , 404s 405. '543- Lea3Avril. '543- Diete de Spire. 1544.  1544- L'Empereur réclame du fecours contre la France. 40 L HlSTOIRE dont ils jouiffoient; mais qu'au contraire, pour obtenir d'eux quelques fecours, il falloit les tranquillifer par de nouvelles faveurs, & donner plus d'extenfion que jamais a la liberté de confcience. Aulïi s'appliqua-t-il a rechercher 1'amitié de i'Ele&eur de Saxe & duLandgrave de Heffe, chefs du parti proteftant; & leur cédant fur quelques points , promettant tout fur les autres articles, il fe mit k 1'abri des obltacles qu'ils auroient pu lui fufciter. Cette précaution prife, il crut pouvoir s'expliquer dans la diete fans aucun ménagement. II commenca par vanter fon zele & fes travaux infatigables a 1'égard des deux objets les plus importants pour la Chrétienté ; 1'un , avoit été de pro-, curer un concile général pour appaifer les difputes de religion qui défoloient 1'Allemagne ; & 1'autre, de prendre de jultes mefures pour arrêter les progrès formidables des armées Ottomanes. Mais tous fes pieux deffeins, difoit-il, avoient été renverfés par rinjufte ambition du Roi de France , qui ayant gratuitement rallumé en Europe une guerre qu'on  de Charles-Quint. 41 croyoit éteinte par la treve de Nice ■> avoit empêché les Peres de PEglife d'arriver au concile, ou d'y délibérer en füreté ; & 1'avoit obligé luimême a employer toutes fes troupes a fa défenfe, quoiqu'il eut mieux aimé, pour 1'honneur de la Chrétienté & pour fa propre fatisfadtion, les tourner contre les infideles. II ajouta que Francois , non content d'avoir fait avorter fon pro] et, venoit par une impiété fans exemple d'attirer les Turcs au cceur des Etats Catholiques; & que joignant fes armes aux leurs, il avoit attaqué ouvertement le Duc de Savoie , membre de PEmpire ; que la flotte de BarberoufTe étoit adtuellement dans un des ports de la France , n'attendant que Ie retour du printemps pour porter la terreur & la défolation chez les Chrétiens; que, dans de femblables circonftances, ce feroit une folie que de penfer a faire des expéditions au loin contre lesOttomans, ou è les chaffer de la Hongrie, tandis qu'un auffi puiffant allié que Frangois leur donnoit un afyle au centre de 1'Europe; qu'il étoit de la pru- 1544.  42 L'HlSTOIRE dence de s'oppofer d'abord au danger le plus voifin & le plus preffant, & par conféquent d'humilier la France , afin de priver Soliman des avantages qu'il tiroit de cette union peu naturelle avec un Monarque, qui s'arrogeoit encore le titre de tres-Chrétien ; qu'au refte, la guerre contre le Roi de France étoit la même que contre le Sultan, puifqu'on ne pouvoit affoiblir le premier, fans porter un coup fenfible au dernier. II finifibit par demander a 1'aflemblée des fecours contre Francois , qui non-feulement attaquoit le corps Germanique & fon chef, mais encore fe déclaroit Pallié des infldeles & 1'ennemi public de la Chrétienté. Pour donner plus de poids a ces violentes inveélives de 1'Empereur, le Roi des Romains fe leva, & fit un récit des conquêtes rapides de Soliman dans la Hongrie ; on en voyoit la caufe, difoit-il, dans la fatale néceffité on s'étoit trouvé fon frere, de tourner toutes fes forces contre la France. D'un autre cöté, les envoyés du Duc de Savoie par-  de Ch'arles-Quint. 43 lerent fort au long des opérations de BarberoufTe a Nice , & des ravages qu'il avoit faits fur cette cöte. Ces plaintes jointes a Pindignation générale qu'excitoit en Europe cette alliance fans exemple du Roi de France avec les Turcs, firent fur la diete toute rimpreflion que 1'Empereur defiroit, & difpoferent la plupart dé fes membres, a lui accorder de puiffants fecours. On ne permit pas aux AmbafTadeurs que Frangois envoyoit pour expliquer les motifs de fa conduite , d'entrer dans les terres de 1'Ernpire. En vain ils publierent 1'apologiede leurmaïtre, & tenterent de jirftifier fon alliance avec Soliman par des exemples tirés de 1'écriture & de la conduite des Princes Chrétiens ; ils ne gagnerent rien fur des efprits déja irrités & trop prévenus contre ce Monarque, pour être en état d'écouter aucune raifon en fa faveur. Charles, confidérant cette difpofition de 1'Allemagne, fentit qu'il ne pouvoit plus trouver d'obftacle k fes projets, que dans les craintes & les défiances des Réformés; il fe détermina donc a calmer leurs inquiéfu- .544. II accorde de grands privileges aux Proteftants pour fe les concilier.  1544- Secours accordés a 1'Empereur par la diste. 44 LHistoire des , en leur accordant tout ce qu'ils pouvoient defirer pour leur füreté. Dans ce delTein, il confentit a un arrêté qui fufpendoit tous les décrets portés jufqu'alors contre eux; on convint qu'il fe tiendroit un concile général ou national pour le rétablifiement de la paix dans 1'Eglife; que 1'Empereur tacheroit de le faire convoquer le plutöt qu'il feroit poffible; qu'en attendant, les Proteflants jouiroient du libre exercice de leur religion ; que la Chambre Impériale ne pourroit plus les inquiéter, & que les juges de cette Cour, a 1'expiration du terme de leur office, feroient remplacés par d'autres perfonnes compétentes, fans aucune diflinction de religion. Les Réformés, touchés de ces aftes de condefcendance, s'engagerent a s'unir aux autres membres de la diete , pour déclarer la guerre a Frangois au nom de 1'Empereur. Ils accorderent a Charles un corps de vingt-quatre mille hommes de pied & de quatre mille chevaux, qui devoient être entretenus pendant fix mois aux dépens de la confédération. En même-temps, la diete im-  DE CH ARLES-QUINT. 4? pofa dans toute 1'Allemagne une taxe par tête, fans aucune exception, pour fubvenir aux fraix de la guerre contre les Turcs. Tandis que Charles fuivoitavec une extreme attention le fil des affaires les plus compliquées, au milieu d'une diete nombreufe, oii il s'agiffoit de faire concourir tant d'intérêts divers au but de la politique ambitieufe, il négocioit d'une autre cöté fa paix particuliere avec le Roi de Danemarck, qui, fans avoir encore tien tenté de confidérable pour Francois fon allié, pouvoit cependant faire iine diverfion formidable en fa faveur (a). En même-temps il agiffoit auprès du Roi d'Angleterre, pour 1'engager k faire de plus vigoureux efforts contre leur ennemi commun, Le temps étoit bien propre a tout ©btenir; ce qui venoit d'arriver en Ecoffe, animoit Henri du plus violenl reffentiment contre Francois. Aprè; avoir conclu avec le Parlement dt (a) Dumont , corps diplomat. torn. 4 , p. 11, p. 174. 1544. Négociations de Charles avec le Danemarck & l'Angle,terre.  1544. 46 L'HlSTOIRE ce Royaume un traité de mariage entre fon rils & la jeune Reine Marie, il croyoit voir bientöt tous fes delïrs remplis par Punion des deux monarchies, projet chéri de fes prédéceffeurs & toujours fuivi fans fuccès. Mais la Reine mere, Marie de Guife, le Cardinal Béatoun & les autres partifans de la France, vinrent a bout t non-feu!ement de rompre cette alliance, mais encore d'aliéner entiérement la nation EcofToife des Angïois, & de redoubler fon ancien attachement pour la France. Henri ne renonca pas cependant h un objet de cette importance. Outre le plaifir de fe venger d'un ennemi qui avoit fait échouer le defTein qui lui tenoit le plus au cceur, il lui fembla qu'humilier Frangois , étoit le meilleur moyen de ramener les EcofTois au traité qu'ils avoient rejetté. II étoit fi entêté de ce projet, que Charles Ie trouva prêt a le feconder dans tout ce qu'il voüdroit entreprendre contre le Roi de France. Tel étoit le plan qu'ils concerterent enfemble, que fon exécution, entrainant infailliblement la perte de Ia France, auroit agrandi  de Charle s-Q u i n t. 47 les Etats de 1'Empereur , & même élevé fa puiffance au point de devenir fatale a la liberté de 1'Eurcpe. Les deux Monarques convinrent d'entrer en France , chacun avec une armée de vingt-qnatre mille hommes ; & fans perdre du temps a affiéger les villes frontieres, de pénétrer au cceur du Royaume pour unir leurs forces prés de Paris. (a). Cependant Francois reftoit feul eontre tant d'ennemis que Charles lui fufcitoit; Soliman étoit 1'unique allié qui ne 1'eüt point abandonné. Mais cette alliance avoit rendu le Roi li odieux k toute la Chrétienté , qu'il aima mieux en perdre les avantages que d'être plus long-temps 1'objet de la haine & de 1'exécration pu» blique. En conféquence , dès 1'entrée de Phyver, il renvoya BarberoufTe qui, dans fon retour è Conftantinople , ravagea les cötes de la Tofcane & de Naples. Comme Francois ne fe flattoit pas d'égaler les forces; de fon rival, il voulut y fuppléer par la cé- («) Herbert, 145, Du Bellay, 448, 1544. Les Fran~ cois ouvrent la campagne dans fe Piémont.  1544- Ils inveftiffent Carigaan. Les Impériaux marchent au fecours de cette place. 4S L'HlSTOIRE lérité, en prenant les devants pour Fouverture de la campagne. Dès le commencement du printemps , le Comte d'Enguien inveftit Carignan , ville du Piémont , que le Marquis du Guaft, après s'en être emparé la première année de la guerre, avoit jugée alFez importante pour la fortifïer a grands fraix. Le Comte poulFa ce fiege avec tant de vigueur, que du Guaft , jaloux de fa conquête , ne vit pas d'autre moyen de la fauver des mains des Francois, que de ■ hafarder une bataille. II accourut de Milan ; & comme il ne cherchoit pas a cacher fon defFein , on le fut bientöt dans le camp ennemi. Enguien, jeune , entreprenant, plein de valeur, defiroit paffionnément d'éprouver la fortune clans un combat; fes troupes ne la fouhaitoient pas avec moins d'ardeur : mais le Roi, retenu par la lituation critique de fes afFaires, & 1'efprit encore retnpli de fes premiers défafires, avoit lié les mains au Prince , en lui défendant exprefFément de rifquer une aftion générale. Celui-ci ne voulut cependant pas abandonner Carignan au moment oü cette place étoit  dé Charles-Quint. 49 étoit prés de fe rendre ; mais brülant " de fe diftinguer par quelque action d'éclat, il dépêcha Monluc a la Cour pour repréfenter au Roi les avantage$ d'un combat & 1'efpoir qu'il avoit de la viétoire. Frangois remit cette affaire a la difcuffion de fon confeil. Tous les Minifbres, 1'un après 1'autre, opinerent contre la bataille, appuyant leur avis de raifons très-plaufibles. Monluc qui étoit préfent a leurs délibérations, parut fi mécontent de tout ce qu'il entendoit, & montra tant d'impatience de parler a fon tour, que le Roi, frappé de fes geftes, Pappella & lui demanda ce qu'il pouvoit oppofer a un avis fi général&fijufte. Monluc, fimple foldat, mais vif &c d'un courage reconnu, repréfenta le bon état des troupes, 1'ardeur qu'elles montroient d'aller a 1'ennemi, la confiance qu'elles avoient en leurs officiers; enfin, 1'infamie éternelle dont le refus d'une bataille couvriroit les armes Frangoifes. Ces raifons furent foutenues d'une chaleur fi _ naturelle , d'une éloquence militaire fi rapide, qu'il entraïna nonfeulement le Roi, toujours paffionné Tornt K C 1544.  1544- Bataille de Cérifoles. Le li Avril. (< 44 > P' 327» 52 L'HlSTOIRE fans vaincre, de tomber fur les Efpagnols. Ce mouvement fut décifif: on ne vit plus que confufion & que carnage. Le Marquis du Guaft, bleffé a la cuiffe, ne dut fon falut qu'a la vitefle de fon cheval. La vi&oire des Frangois fut complette : dix mille Impériaux furent tués , & il y en eut un grand nombre de pris, avec les tentes, le bagage & 1'artillerie. Du cöté des vainqueurs, la joie fut fans mélange; &C dans le peu de monde qu'ils perdirent, il ne fe trouva pas un feul Officier de diftinóïion (a). Cette brillante journée, en couvrant de gloire les Frangois , les délivra du plus grand danger. Du Guaft ne fe propofoit pas moins que d'envahir avec fon armée, tout le pays qui eft entre le Rhöne & la Saöne, oü il ne fe trouvoit ni villes fortes , ni troupes réglées a lui oppofer. Mais il n'étoit pas au pouvoir de Frangois de pouffer fes avantages avec affez de vigueur pour recueillir tous les  re Charles-Quïnt. 53 fruits de cette vi&oire. Quoique le Milanès reftat fans défenfe, & que fes habitants qui, depuis long-temps, murmuroient fous la dureté du gouvernement des Impériaux, fuffent tout prêts a fecouer le joug; quoique le Comte d'Enguien , animé par fon fuccès, preffat vivement le Roi de faifir 1'heureufe occafion de recouvrer un pays dont il avoit toujours ambitionné la poffeflïon , cependant il fallut facrifier toute idee de conquête a la fureté de 1'Etat. Frangois fut obligé de rappeller douze mille hommes des meilleures troupes qui fervoient fous Enguien pour venir au fecours du Royaume, oii 1'Empereur Sc le Roi d'Angleterre étoient prés d'entrer, chacun par une frontiere oppofée Sc avec des forces fupérieures. Ainli les opérations de ce Prince ne firent plus que languïr. La rédudtion de Carignan & de quelques autres villes du Piémont, fut tout ce que lui val ut fa grande viöoire de Cérifoles (a). ( a abolir l'ancien culte dans fon diocefe, pour y introduire celui des Proteftants. Les Chanoines de fa Cathédrale, prévenus contre eet efprit d'innovation, & fentant combien 1'égalité évangélique de la nouvelle fecte feroit préjudiciable k leurs dignités Sc k leurs richeffes, s'oppoferent aux entreprifes inouies de leur Archevêque , avec toute la chaleur que l'intérêt pouvoit ajouter a leur zele pour les anciennes inftitutions. Ce D vj M4SLes Proteftantscommencent a fufpefterl'Empeteur.  *54S- (a) Sleid. 310, 340, 351. Secksnd. 3 > 443> 553- 84 L'HlSTOlRE Prélat ne voyant dans les omlacles qu'il rencontroit , qu'une nouvelle preuve de la nécefïité d'établir la réformation , ne fe relacha ni dans fa réfolution, ni dans fa fermeté. Enfin , les Chanoinès ayant éprouvé 1'inutiIité de leur réfiftance, protefterent folemnellement contre les entreprifes de leur Archevêque, & en appellerent au Pape & a 1'Empereur; 1'un fon Juge eccléfiaftique , & 1'autre fon Seigneur temporel. Cet appel fut porté devant 1'Empereur pendant qu'il étoit a Worms ; il prit auffi-töt les Chanoinès de Cologne fous fa protection , leur enjoignant de procéder en toute rigueur contre ceux qui oferoient fecouer le joug de 1'Eglife Romaine, défendit a 1'Archevêque de faire aucune innovation dans fon diocefe , & Ie fomma de comparoïtre a Bruxelles dans 1'efpace de trente jours pour y répondre aux accufations intentées contre lui (a). Charles ne fe contenta pas de ma-  DE CHARLES-Q U IN T. 85 nifefter aux Proteftants fes fentiment' de haine par ce coup d'autorité; il perfécuta fans relache dans fes Etatj héréditaires des Pays-Bas , tout ce qui étoit fufpedt de luthéranifme. Dés fon arrivée k "Wbrms, il impofa filence aux Prédicateurs Proteftants de cette viiJe. II foufFrit même que dans la chai re de fapropre chapelle, un moine Ita^ lien déclamat contre les Luthériens, & le défignat comme élu de Dien pour exterminer leur dangereufe héréfie. En même-temps il dépêcha a Conftantinople 1'ambaffade dont on a déja parlé avec des ouvertures de paix, afin de fe délivrer de toute appréhenfion du cöté des Turcs. Ni ces démarches ni leurs dangereufes conféquences ne purent échapper a 1'inquiete curiofité des Proteftants; leurs allarmes fe réveillerent, & leur vigilance s'accrut k proportion du péril. Cependant la fortune de Charles, qui dominoit en toute occafion celle de fon rival, le tira d'un mauvais pas dont toute fa fagacité & fon adreffe n'auroient pu le dégager. Le Duc d'Orléans, dans Ie temps même oü il devoit époufer la fille de Fer- Mort du Duc d'Orléans. Le 8 Sep-; tembre.  86 L' H i s t o i r e " dinand & prendre poffeflion du Milanès, mourut d'une fïevre maligne. Cet événement délivra 1'Empereur de 1'obligation d'abandonner une Province fi importante a fon ennemi, ou de la honte de manquer a un engagement récent & folemnel, dont la violation auroit bientöt occaftonné une rupture avec la France. II affecia pourtant de témoigner beaucoup de chagrin de la mort prématurée d'un jeune Prince qui devoit lui être allié de fi prés; mais il évita foigneufement d'entrer dans de nouvelles difcufilons fur le Milanès, &c ne voulut jamais qu'on changeat rien au traité de Crefpy, malgré les inftances de Francois, qui demandoit quelques dédommagements des avantages qu'il avoit perdus par la mort de fon fils. Dans les temps glorieux & floriflants du regne de ce Monarque, une déclaration de guerre auroit fans doute bientót fuivi cet injufie refus; mais 1'afFoiblifTement de fafanté , 1'épuifement de fon Royaume , & la néceffité de repouffer les forces de 1'Angleterre, 1'obligerent de diffimuler fon reflentiment, & de re-  de Ch arles-Quint. c?7 mettre fes projets de vengeance a un moment plus favorable. Cependant comme le Duc de Savoie ne devoit recouvrer fes Etats que par les conditions du mariage ftipulé dans le traité de Crefpy , les droits ou les prétentions de la France anéantirent les efpérances de ce malheureux Prince , &C refterent a cette Couronne pour fervir de prétextes a de nouvelles guerres (a). En eftet, les confédérés de Smalkalde fe flatterent que les altercations qui alloient fuivre la mort du Duc d'Orléans produiroient une rupture entre les deux Monarques, & leur laifferoient le temps de refpirer ; mais ils fe tromperent dans cette conjecture, comme dans celle qu'ils formerent fur un événement qui fembloit être le prélude d'une querelle entre 1'Empereur & le Pape. La paffion de Paul pour 1'agrandifTement de fa familie, croiflbit avec 1'age , d'autant plus qu'il voyoit la dignité & (eck. lib. 3 , p. 65 1. Mï L'HlSTOIRE Quelque temps avant fa mort, ii fentit diminuer fes forces; fa conftitution étoit déja fort épuifée par une multiplicité prodigieufe d'arfaires, jointesaux travaux fansrelache qu'exigeoient^ les fondions de fon miniftere, & a la fatigae de fes études continuelles, d'oü fortirent des ouvrages aufïi volumineux, qu'il en eut pu compofer dans le calme de la retraite. Aux approches de fon dernier moment, fa fermeté naturelle ne 1'abandonna point. II entretint fes amis du bonheur réfervé aux juftes dans une vie a venir, & ce fut avec  de Charles-Quint. 113 toute la ferveur & le raviffement d'une ame qui foupire après 1'inftant d'en jouir (a). La nouvelle de fa mort fut recue des Catholiques avec une joie exceffive & même indecente , mais elle découragea tous fes feftateurs; aucun des deux partis ne croyant fa doctrine afTez fortement enracinée, pour fe foutenir fans 1'appui de la main qui en avoit jetté les premières femences. L'Electewr de Saxe fit célébrer fes funérailles avec une pompe extraordinaire. Luther laiffa plufieurs enfants de fa femme Catherine Bore, qui lui furvécut; & vers la fin du dernier fiecle, il y avoit encore en Saxe quelques-uns de fes defcendants, qui occupoient des places diftinguées (£). _ Cependant 1'Empereur, fuivant toujours fon fyftême de difümulation, fe fervoit de toute fon adreffe pour amufer les Proteftants & pour calmer leurs craintes & leurs méfiances. II imagina même, pour les mieux (a) Sleid. 362. Seck. lib. 3, 632, &c. \b) Seck. /. 3, 651. 1546. L'Empereur cherche a amufer & a tromper les Proteftants. Le 28 Mars.s  M4. 114 L'Histoire tromper, d'avoir une entrevue avec le Landgrave, le plus actif des confédérés & le plus en garde contre fes deffeins. II lui paria fi vivement de 1'intérêt qu'il prenoit a Ia profpérité de 1'Allemagne, & de 1'averfion qu'il avoit pour les moyens violents; il fe défendit fi parfaitement d'être entré dans aucune ligue, ou d'avoir fait aucun préparatif qui put donner des allarmes aux Réformés, que le Landgrave n'eut plus d'inquiétude, & fe retira bien convaincu des intentions pacifïques de ce Monarque. Cet artifice de Charles eut les heureufes fuites qu'il en avoit efpérées. Le Land* grave, au fortir de cette entrevue, qui s'étoit faitea Spire, alla a Worms oii la^ ligue de Smalkalde étoit affemblée, & fit beaucoup valoir les fayorables difpofitions de 1'Empereur, Ainfi par un effet du fang froid naturel de la nation Allemande, ou par cet efprit de lenteur & d'indécifion qui domine les grands corps dans les délibérations , les confédérés crurent qu'il étoit inutile de prendre des mefures fubites contre un danger qui  DE CHARLES-QUINT. I I 5 paroiffoit éloigné ou même imaginaire ( tre affuré d'avance d'une protectior aflez puiffante pour donner a fes een fures tout le poids &: 1'effet qu'i! vouloit y attacher. lis furent vivement allarniés de cette fentence , oi 1546. Le \6 Aviil. 1  IJ46. Charles fe prépare 4 commencer fes hoftilités contre les Proteftants, (a) Sleid. 354. Fra-Paolo, 15c. PallaViC. 314, Uo* L' HlSTOIRE ils voyoient des preuves certaines de« mauvaifes intentions non-feulement du Pape , mais encore de 1'Empereur contre tout leur parti (a). Ce fut avec cette fureur qui accompagne toujours la honte de s'être laiffé tromper , que les Réformés fe réveillerent de leur faiuTe fécurité. Charles fentit alors qu'il lui falloit lever le mafque , & déclarer ouvertement quel parti il vouloit fuivre. Quoique Pexécution de fes deffeins ne fut pas encore entiérement prête , cependant a force d'artifices & de détours , il avoit gagné du temps pour 1'avancer. Le Pape, par fes procédés contre l'Eleöeur de Cologne, ainfi que par les décrets du concile, avoit amené les affaires au point que Ia rupture entre 1'Empereur & les Proteftants devenoit prefque inévitable. Ainfi Charles n'avoit plus que Ie choix , ou de prendre parti pour Ia réformation en s'oppofant aux décifïons de 1'Eglife Romaine , ou bien  de Charles-Quint. 119 de foutenir k main armée la Religion Catholique. Mais ce n'étoit pas affez pour le Pape que d'avoir mis 1'Empereur dans la néceflité de fe déclarer; il preffa ce Prince de commencer fes opérations, & lui promit de le feconder avec une vigueur qui lui répondroit du fuccès. Tranfporté d'un zele aveugle contre Phérélïe , il ne fe fouvint plus qu'une des maximes politiques du faint Siege, étoit d'empêcher 1'autorité impériale d'empiéter au-dela de fes bornes; & dans le deffein d'accabler les Luthériens, il contribua k fe donner un maitre qui pouvoit lui devenir redoutable ainfi qu'au refle de 1'ltalie. Charles ne craignoit plus alors de voir traverfer fes deffeins par les Turcs. Ses négociations a la Porte, qui n'avoient point ceffé depuis la paix de Crefpy , étoient fur le point d'être heureufement terminées. Le Roi de France, qui vouloit fe délivrer de la honteufe obligation de fe joindre a 1'Empereur contre le Sultan , fon ancien allié , travailla de tout fon pouvoir a un accommodement entre ces deux Monarques, & So^ 1546. Ses négociations aveclePape. II conclu.t une treve avec Soliman.  ij46. H gagne Maurice & d'autres Princes d'Allemajjne. (a) Iftuanhaffi , hifi. Hung. 1S0. Mém. de Rikicr, torn. 2 , 582. Ï20 L'HlSTOlRE liman, autant par complaifance pour Francois, que paree qu'il fe trouvoit dans la néceffité de tourner fes armes contre les Perfans, qui menagoient d'envahir fes Etats, confentit fans peine a une treve de cinq ans. Le principal article de ce traité fut que des deux cötés on garderoit tout ce qu'on poffédoit dans la Hongrie ; & Ferdinand, pour accorder quelque chofe k Porgueil du Sultan , le foumit a lui payer un tribut annuel de cinquante mille écus (ei). Mais 1'Empereur mettoit fur-tout fa plus grande confiance dans le fecours qu'il efpéroit de l'Aliemagne. 11 favoit que le vaffe corps Germanique , invincible lorfqu'il étoit uni, ne pouvoit être dompté qu'en tournant fes propres forces contre lui-même. Heureufement pour Charles, la llructurede ce corps étoitfifoible, 1'union de fes membres fi 13che, & toutes fes parties tendoient fi fortement k fe  BE CH ARLES-QUINT. III fe feparer 1'une de 1'autre , qu'il étoit prefque impoflible de les voir fe réunir pour un effort de vigueur. Les femences de difcorde étoient alors plus multipliées que jamais. Les Catholiques Romains voyant leur Religiori détruite dans plufieurs Provinces , &£ fur le point de 1'être dans d'autres, animés , pour fa défenfe , d'un zele proportionné a la fureur de leurs adverfaires, fe montrerent prêts a feconder toute entreprife contre ces novateurs. Jean 8c Albert de Brandebourg, ainfi que d'autres Princes, irrités des hauteurs & de Ia dureté quë les confédérés de Smalkalde avoient fait efTuyer au Duc de BrunfVick , étoient impatients de le tirer de pri"fon , & de le venger de fes ennemis, Charles obfervoit avec fatisfaftion le progrès de leur reffentiment; & les regardant déja comme dévoués a fes volontés , il crut devoir modérer leur animolité , plutöt que de 1'enflammer. Telle étoit la fituation des affaires, *5c la prévoyance de 1'Empereur con- \ tre tous les événements , lorfque la ; diete de 1'Empire s'cuvrit a Ratif- Tome V. F 154*. Affemblé» 1'une diete l Ratisbonie.  «54<3. 122 L'HïSTQIRE bonne. La plupart des membres Catholiques y parurent en perfonne ; mais plufieurs des confédérés de Smalkalde n'y envoyerent que des députés, fous prétexte de ne pouvoir fupporter la dépenfe qu'occafionnoient ces affemblées auffi fréquentes qu'inutiles. La véritable raifon qui les empêcha de s'y rendre, fut leur défiance de 1'Empereur, & la crainte qu'on n'employat la violence pour les obliger d'approuver les propofitions qui fe feroient a la diete. Cependant Charles Pouvrit par un difcours extrêmement artificieux. Après avoir témoigné en termes généraux, 1'intérêt qu'il prenoit a la profpérité du corps Germanique; après avoir déclaré que , dans 1'intention d'y rétablir 1'ordre & la tranquillité, il abandonnoit des foins qui le touchoient de plus prés, & fe refufoit aux follicitations de fes autres fujets, qui le preffoient de réfider parmi eux, il ajouta avec une forte d'indignation, que, malgré cet exemple de défintérefTement digne d'être imité , plufieurs des membres s'étoient exemptés de fe trouver a une affemblée oü lui-même s'étoit rendu  DE Ch arlês-Quint. ïij au préjudice de fes propres affaires ; ' (enfuite il paria des malheureufes diffentions de religion, fe plaignit du peu de fuccès de fes efforts pour les appaifer, & de la brufque diffolution de la derniere conférence. II finit par demander 1'avis de la diete fur le moyen le plus efficace de rétablir Punion dans les Eglifes d'Allemagne, & cet heureux accord en matiere de foi, fi cher a leurs ancêtres, quï ne le croyoient pas moins utile a leurs intéréts temporels, que néceffaire au chriftianifme qu'ils profeffoient. Cette maniere agréable & populaire de confulter les membres de la diete, au-lieu de leur impofer fa propre opinion, donnoit a 1'Empereur Pair d'une grande modération. II évitoit par-la de découvrir fes fentiments, & fembloit ne fe réferver que le droit de mettre en exécution ce qu'ils auroient arrêté. Mais s'il témoignoit ainfi de 1'ellime & de la déférence pour leurs avis, c'eft qu'il étoit bien fur de les trouver conformes a fes vues. Les Catholiques, excités par leur propre zele, ou pré?. F ij 1546.  1546. 124 L'HlSTOIRE venus par fes intrigues , fe joignirent tous enfemble pour lui repréfenter que 1'autorité du concile affemblé k Trente , devoit décider en dernier reffort fur tous les points de controverfe ; que tout Chrétien étoit obligé de fe foumettre a fes décrets , comme k une regie infaillible de foi. Ils fupplioient donc 1'Empereur d'employer le pouvoir qu'il tenoit de la Providence , a protéger cette affemblée, tk. k forcer les Proteftants de s'en tenir a fes décifions. Ceux-ci, d'un autre cöté, préfenterent un mémoire , oü après avoir répété leurs objections contre le concile de Trente, ils propofoient comme 1'unique voie de terminer toutes les difputes, d'affembler en Allemagne un concile, foit général, foit national, dans lequel un certain nombre d'Eccléfiaftiques nommés par cbaque parti, examineroient & décideroient les articles de foi. Us rappelloient enfuite les récès de plufieurs dietes , favorables k leurs propofitions, & d'oü ils avoient concu 1'efpérance de voir terminer a 1'amiable tous les différends; enfin , ils conjurerent 1'Empereur de ne point vio*  dé Charles-Quint. 125 Ier fes promeffes, paree qu'en for- * gant les confeiences, il ne feroit qu'ouyrir en Allemagne une fource de calamités, dont la feule idéé rempliffoit d'horreur tous ceux qui aimoient fincérement la patrie. Charles regut ce mémoire avec un fourire dédaigneux, & n'y eut aucun égard. Sa derniere réfolution étoit déja prife ; convaincu que la force feule pouvoit Pemporter fur les Proteftants, il dépêcha le Cardinal de Trente a Rome, pour y conclure avec le Pape, une alliance dorit les conditions étoient d'avance arrêtées. II fit lever i dans les Pays-Bas un corps de troupes pour marcher en Allemagne, & chargea plufieurs Officiers de recrüter des foldats en différentes parties de PEmpire; enfuite il avertit Jean & Albert de Brandebourg , que le moment favorable étoit venu de travailler a la délivrance de leur allié, Henri de BrunfVick (a). Tous ces mouvements ne pouvoient fe faire a 1'infu des Réformés, le fe- (a) Sleid. 374. Seck. 3, 658. F iij 1546. ,e 9 Juin, Allarmes :les Proteftants.  ïié L'Histoire cret étoit en trop de mains; & quoique 1'Empereur cachat toujours artificieufement fes deffeins, fes Officiers n'ayant pas la même réferve, on en parloit ouvertement parmi fes alliés & fes fujets. Les députés des confédérés, allarmés de tous ces bruits & des préparatifs de guerre qu'ils avoient fous les yeux ,. folliciterent une audience de Charles, &c lui demanderent au nom de leurs maitres, ft c'étoit par fon ordre qu'on levoit des troupes, a quel deiTein & contre quel ennemi. Une queffion fi directe , dans un temps oü il n'étoit plus poffible de nier les faits , exigeoit une réponfe précife. Auffi 1'Empereur avoua-t-il que ces ordres venoient de lui; mais il protefta qu'il n'inquiéteroit fur 1'article de Ia religion , aucun de ceux qui fe conduiroient en fu}ets foumis; il déclara qu'il vouloit feulement maintenir les droits & les prérogatives de la dignité impériale, en puniffant quelques membres factieux, dont la conduite irréguliere & licencieufe tendoit è corrompre ou a renverfer 1'ancienne conftitution de 1'Empire. Quoi-  DË CHARLES-QuIN T. 127 que Charles ne nommat pas les perfonnes fur qui tomboient fes accufations &C fes menaces y il étoit facile de voir qu'il en vouloit a PElecteur de Saxe, & au Landgrave de Heffe, Leurs députés, regardant tout ce qu'il venoit de dire, comme une déclaraiion de guerre , fe retirerent auffi-töt de Ratisbónne (a). Le Cardinal de Trente ne trouva nulle difficulté a traiter avec le Pape , qui, content d'avoir enfin réuffi a faire adopter fon plan a 1'Empereur , confentit de grand cceur a tout ce qu'on lui propofa de fa part. La ligue fut fignée, peu de jours après 1'arrivée du Cardinal a Rome. Les dangereufes héréfies qui inondoient I'Allemagne , l'öbflination des Protefteftants a ne point reconnoïtre le faint concile de Trente, la néceffité de maintenir dans leur pureté, la doctrine & la difcipline de 1'Eglife 5 furent les motifs publics de cette union ; on y difoit, qu'afin d'arrêter les progrès du mal & punir 1'im- Sleid. 376. F iv Traité de1'Empjreuravec le Pape. Le aéJuillet.  iz8 L'Histoire piété de ceux qui avoient contribué a le répandre, PEmpereur après avoir depuis long-temps effayé fans fuccès des remedes plus doux, fe mettroit inceffamment en campagne avec une armée capabfe de forcer ceux qui rejettoient le concile, ou qui avoient abandonné la religion de leurs peres, k rentrer dans ie fein de 1'Eglife , & fous 1'obéilTance due au faint Siege. II s'obligeoit auffi k ne point conclure de fix mois la paix avec les hérétiques, fans le confentement du Pape, & fans lui afïïgner une part dans les conquêtes qu'il feroit fur eux; même après ce terme, il ne pouvoit entrer dans aucun accommodement préjudiciable aux intéréts de 1'Eglife ou de la Religion. De fon cöté, Ie Pape promettoit de dépofer une groffe fomme a Ia banque de Venife pour les fraix de la guerre ; d'entretenir a fes depens , duraht 1'efpace de fix mois, douze mille hommes d'infanterie & cinq cents de cavalerie ; d'accorder k 1'Empereur pour une année , la moitié des revenus eccléfialiiques de 1'Efpagne ; de 1'autorifer par une bulle a aliéner dans  de Charles-Quint. 129 ce Royaume pour cinq cents mille écus de terres appartenantes aux maifons religieufes ; enfin, d'employer non-feulement les cenfures fpirituelles, mais encore la force des armes contre tout Prince qui tenteroit de s'oppofer a Fexécution de ce traité («). Quoiqu'on y donnat pour motif de la guerre , Fextirpation de 1'héréfie, Charles voulut toujours perfuader aux Allemands qu'il n'attenteroit point a leur liberté de confcience, & qu'il ne penfoit uniquement qu'a venger fon autorité de 1'infolence de certains réfractaires. II écrivit a la plupart des Princes & des villes libres , qui avoient embrafFé le proteftantifme, des lettres circulaires conformes a fa réponfe aux députés de Ratisbónne; déclarant encore qu'il prenoit les armes, non pour une querelle de religion , mais pour des diffentions civiles, & qu'il ne confondroit point des fujets paifibles & fou- (a) Sleid. 381. Pallav. 255. Duraont, torps diplom, 2, F y 1546. Nouveaux artifices de 1'Empereur pour cacher fes deffeins aux Proteftants.  »54ó. ïyo V Histoire ~ mis avec ces efprits féditieux qui ou»» blioient la fubordination qu'ils lui devoient comme au Chef du corps. Germanique. Quelque groffier que fut cet artifice, & tout facile qu'il etoit de le pénétrer k quiconque examinoit la conduite de 1'Empereur , il je crut cependant nécelTaire, & le mit en oeuvre avec affez de confiance & de dextérité pour en retirer les plus grands avantages. S'il eut avoué tout d'un coup le deffein qu'il avoit formé de renverfer 1'Eglife Proteftante , & de faire rentrer toute 1'Allemagne fous Tanden joug du faint Siege, ni les villes, ni les Princes qui fuivoient les nouvelles opinions, ne feroient demeurés neutres ; encore moins auroient-ils ofé feconder lEmpereur dans une pareille entreprife. Mais le déguifement ou le défaveu de fes intentions, d'une part, empêchoit une ligue de tous les Etats Proteftants, dont les forces reünies auroient pu Paccabler ; de 1'autre, il fourniftbit aux plus timides de leur parti un prétexte pour refter dans 1'inaction, & aux ambitieux un motif pour fe joindre k lui, fans encourir la honte ou  DE CH ARLES-QUI NT. 13 T d'avoir abandonné leurs principes, ou de prêter une main facrilege a leur deftruöion. L'Empereur avoit bien prévu que fi, par le fecours des Réformés, il pouvoit abattre l'Ele£teur de Saxe &c le Landgrave , il feroit enfuite le maitre de prefcrire telles eonditions qu'il lui plairoit aux foibles refïes d'un parti fans union^ fans chefs, & qui déploreroit alors , mais trop tard , la faute d'avoir abandonné fes aflbciés pour fe fier a lui. Mais il s'en fallut peu que'le Pape, par une oifentation précipitée de fon zele, ne déconcertat toutes les mefures que Charles avoit prifes avec tant d'art & de foins. Paul, auffi vain que fatisfait de fe voir Pauteur d'une confédération fi formidable contre Phéréfie de Luther, & d'imaginer que la gloire de 1'extirper étoit réfervée a fon pontificat, divulgua les articles de fa ligue avec 1'Empereur, comme une preuve de leurs pieufes iutentions & des efforts extraordinaires qu'il alloit faire lui-meme pour maintenir la foi dans toute fa pureté. Bientöt après il publia une bulle élndulgences pour tous ceux qui s'enE vy 1546. Ils font de voilés par le Pape.  (<0 Dumont, corps diplom. 131 L* H I S T O I R E gageroient dans cette fainte entreprife , exhortant en même-temps les fïdeles qui ne pouvoient y concourir, è redoubler la ferveur de leurs prieres & 1'auftérité de leurs mortifications pour attirer la bénédiction du Ciel fur les armes des Catholiques (a). Mais en faifant des déclarations fi contraires aux raifons que TEmpereur donnoit de fon armement, Paul n'avoit pasuniquement pour guide Ie zele de Ia religion. II étoit fcandalifé de Ia diffimulation de Charles , qui paroiffant rougir de fon dévouement pour 1'Eglife, s'efforcoit de perfuader qu'il faifoit une guerre de politique, quand il auroit dü fe glorifier de ne eonfacrer fes armes qu'a la défenfe de la foi. Mais plus l'Empereur travailloit a déguifer 1'objet réel de la confédération , plus le Pape s'emprefToit è le mettre dans tout fon jour, voulant amener ce Prince a une rupture éclatante &c fans retour avec les Proteftants, afin qu'il ne put être tenté de trahir les  be Ch'arles-Quint. 133 intéréts de 1'Eglife par quelqu'accommodement dont les avantages ne fufTent que pour lui feul (a). L'Empereur , quoique fort offenfé de 1'indifcrétion ou de la malice du Pontife qui divulguoit fesfecrets, n'en fuivit pas fon projet avec moins de hardieffe , & affirma toujours que fes intentions n'étoient point changées. Plufieurs des Etats Réformés, qu'il avoit déja féduits, fe crurent en droit, d'après ces proteftations, de lui donner du fecours. Mais cet artifice n'en impofa point a la plus grande & a la plus faine partie des confédérés Proteftants. Ils demeurerent convaincus que 1'Empereur ne prenoit les armes que contre la réformation ; & que s'il pouvoit être affez fort pour exécuter fes deffeins dans toute leur étendue , il détruiroit non - feulement leur religion, mais avec elle les libertés de 1'Allemagne. Auffi fe préparerent - ils k fe défendre, ne voulant renoncer ni aux vérités céleftes que Dieu leur («) Fra-Paolo , 188. Thuan, hifi. i,6u 1546. Préparatifs des Proteftants pour fe mettre ea défanfe.  Ils de mandent des fecours aux Vénitiens. ÏJ4 L'HlSTOIRE • avoit fait connoitre par des voies fï merveilleufes, ni aux droits tempo^ reis qui leur avoient été tranfmis par leurs ancêtres. Cependant pour prendre de juftes mefures, leurs députés , après être partis brufquement de Ratisbónne , fe rendirent a Ulm, ou les. délibérations fe firent avec autant de vigueur & d'unanimité que 1'exigeoit un danger fi preffant. Le contingent des troupes que chacun devoit fournir, ayant été fixé dans, 1'origine par le traité d'union, on donna des ordres pour le mettre auffi» tót en campagne. Les confédérés s'appercurent que les vains fcrupules de quelques-uns d'entr'eux, & 1'imprudente fécurité des autres, leur avoient fait négliger trop long temps de chercher de 1'appui dans des alliances étrangeres, & ils s'emprefTerent de demander du fecours aux Vénitiens & aux Suiffes. Ils repréfenterent aux premiers que le deffein de 1'Empereur étant de renverfer le fyftême actuel de 1'Allemagne, & de s'y frayer un chemin au pouvoir abfolu par les fecours étrangers que lui fourniffoit le Pape,  DE CH ARLES-QU INT. IJf le fuccès de cet attentat ne pouvoit manquer d'être funeffe a la liberté de 1'Italie; & que Charles parvenant une fois a une autorité illimitée dans un pays, ne tarderoit pas k faire fentir fon defpotifme dans 1'autre. Enfin , ils fupplioient les Vénitiens de refufer du moins le paffage k des troupes qu'on devoit regarder comme ennemies, puifqu'en fubjuguant 1'Allemagne, elles préparoient des fers au refte de PEurope. Ces réflexions n'avoient point échappé k la fagacité de ces prudents républicains. Ils avoient déja fait leurs efforts poür diffuader le Pape d'une alliance qui tendoit k augmenter la puiffance d'uri Monarque dont il connoiffoit trop bien 1'ambition démefurée. Mais Paul étoit fi entêté de la pourfuite de fes projets, qu'il méprifa toutes leurs remontrances (a).Cependant la connoiffance du danger ne put engager les Vénitiens k tenter de s'en garantir. Ils répondirent aux confédérés de Smal- (a) Adriani, lfi»ria ii fooi tcmpi, lib. i, p. 332, -546'  1546. lis s'adreffent enfuite aux Suiffes. ( P- 547' 136 L'HlSTOIRE kalde, qu'ils ne pouvoient empêcher les troupes du Pape de pafTer par un pays ouvert, a moins de lever une armée affez forte pour les arrêter; mais qu'une telle démarche les expoferoit a tout le poids de 1'indignation du Pontife & de 1'Empereur. Par la même raifon, ils refuferent de prêter une fomme d'argent a 1'Electeur de Saxe & au Landgrave pour le foutien de la guerre' (a). A 1'égard des Suiffes, les Proteftants ne fe bornerent pas a les prier de fermer Pentrée de 1'Allemagne k des troupes étrangeres; ils efpéroient d'un peuple qui étoit leur plus proche voifin & 1'allié naturel de 1'Empire , qu'il prendroit en main avec fa vigueur ordinaire, la caufe de la liberté, & ne demeureroit pas fpectateur oifif de roppreflion & des chaïnes qu'on préparoit a fes freres. Mais quelque difpofés que fuffent les can-  de Charles-Quint. 137 tons Réformés a fecourir les confédérés, le corps Helvétique lui-même étoit fi divifé fur les matieres de religion, que les Proteftants n'ofoient faire un pas fans confulter les cantons Catholiques. Telle étoit d'ailleurs 1'influence des émiffaires du Pape & de 1'Empereur auprès des Suiffes , que tout ce qu'on put promettre fut de garder dans cette guerre une exact e neutralité (a). Leurs efpérances fe trouvant ainfi trompées de ces deux cötés , les Proteftants ne tarderent pas a recourir aux Rois de France & d'Angleterre. L'approche du danger avoit vaincu les fcrupules de 1'Eleóteur de Saxe , & le forca de céder aux importunités des confédérés. La fituation des deux Monarques donnoit quelqu'ef poir a la ligue. Après la paix de Crefpy , les hoftilités avoient continue quelque temps entre les Anglois & les Francois ; mais enfin, las d'une guerre dont ils ne tiroient ni profil ni gloire, ils venoient de terminei Sleid, 392, 1546. Ils s'adreffent aFran5015 I & a HenriVM.  («) Rymer, XV, 93. Herbsrt 258, 13S L'HlSTOIRE ' tous leurs difFérends par une paix conclue a Campe, auprès d'Ardres. Frangois avoit eu beaucoup de peine k faire comprendre dans Ie traité , les Ecoffois fes alliés; & pour prix de cette condefcendance, il s'étoit engagé k payer une groffe fomme que Henri prétendoit lui être due a plufieurs titres. Le Roi de France laiffa même Boulogne entre les mains des Anglois comme une caution de cette dette. Mais quoique le rétabüffement de la paix donnat le loifir a ces deux Souverains de s'occuper des affaires d'Allemagne, les Proteftants ne purent tirer aucun avantage de cette favorable circonftance. Henri mettoit fon alliance a des conditions qui Fauroient rendu non - feulement le chef, mais le maïtre abfolu de la ligue. On n'étoit point tenté de lui accorder cette prééminence : fes opinions en matiere de foi, difFéroient trop de celles des Réformés d'Allemagne, pour qu'il put fe former une union bien cimentée entr'eux & ce Monarque (a). Frangois, par des  de Ch ar les-quint. 139 vues politiques, étoit plus difpofé a fecourir les Proteftants; mais comme il voyoit fon Royaume déja épuifé par une longue guerre, & que d'ailleurs il craignoit d'irriter le Pape en s'alliant a des hérétiques excommuniés, il n'ofa rifquer de protéger la ligue. Ainfi une prudence hors de faifon , ou des fcrupules de Religion qui autrefois ne 1'euffent pas arrêté, firent perdre a ce Prince la plus heureufe occafion qui fe fut préiéntée durant fon regne, d'embarraffer & d'humilier fon rival. Mais fi les confédérés négocierent fans fuccès dans les Cours étrangeres, au moins réuffirent-ils facilement chez eux è lever une armée fuffifante pour tenir la campagne. L'Allemagne étoit alors très-peuplée; les loix féodales y fubfiftant dans toute leur force, mettoient les Nobles en état de raffembler leurs nombreux vaffaux, &c de les faire marcher au premier fignal; 1'efprit guerrier des Allemands n'étoit point encore énervépar Tintroduction du commerce & des arts; il avoi£ même acquis une nouvelle vigueur dans les guerres continuelles oü ils 1546. Les Protestants mettent une grande armée en campagne>  (j) Seck. /. 3, 161. (ij Thuan. /ü. i, 68, 140 L'HlSTOIRE avoient fervi Pefpace d'un demi-necle, a la folde des Empereurs ou des Rois de France. Dès qu'il étoit queftion de prendre les armes, on les y voyoit courir avec tranfport, &c la vue feule d'un drapeau attiroit une foule de volontaires (a). La Religion fecondoit encore, en cette occafion, leur ardeur naturelle. Les principes de la réformation avoient fait fur eux cette vive impreffion que fait la vérité, dès qu'elle fe montre , & ils fe préparerent k la foutenir avec une vigueur proportionnée a leur zele. C'eut été d'ailleurs une infamie chez un peupie guerrier, que de refter oifif quand la défenfe de la foi faifoit prendre les armes. Un événement concourut alors a faciliter la levée des foldats pour les confédérés. Le Roi de France, pret k conclure la paix avec FAngleterre, avoit renvoyé un nombre confidérable d'Allemands a fa folde; ils vinrent fe réunir en un feul corps fous Pétendard des Proteftants (£). Ce concours favorable de  de Charles-Qu int. 141 circonftances put donc cette ligue en état d'affembler , dans Pefpace de quelques femaines, une armée de foixante-dix mille hommes d'infanterie & de quinze mille de cavalerie, pourvue d'une artillerie de cent vingt canons , de huit cents charriots de munitions , de huit mille bêtes de fomme, &£ de fix mille pionniers ( G iv ■ i  Les troupes du Pape joignent 3'Empei«ur. 1J2 L'HlSTOIRE binées, & qui manque d'un reffbrt pour animer & régler fes mouvements, n'eut plus qu'une action dénuée de vigueur &c d'effet. L'Empereur, qui craignoit que fon féjour a Ratisbónne ne mït les troupes du Pape dans rimpoffibilité de le joindre , s'étant avancé hardiment jufqu'è Landskit, fur 1'Ifer, les confédérés perdirent quelques jours k délibérer s'ils le fuivroient dans le territoire du Duc de Baviere , qui gardoit la neutralité. Enfin, ils furmonterent ce fcrupule , & commencerent k marcher vers fon camp ; mais tout-è-coup ils abandonnerent ce projet pour alter attaquer Ratifbonne, oü Charles n'avoitlaiffé qu'une petite garnifon. Cependant les troupes du Pape , bien complettes, gagnerent Landshut, & furent bientöt fuivies de fix mille hommes des vieilles bandes Efpagnoles, tirées de Naples. Depuis la courageufe mais inutile expédition de Schertel , on eut dit que les confédérés vouloient laiffer tous ces renforts arriver tranquillement k leur rendez-vous, au-lieu d'attaquer féparément, ou ces corps  DE CHARLES-QUIN T. If3 de troupes, ou 1'Empereur lui-même avant la réunion (a). L'armée impériale qui montoit alors a 36000 hommes, étoit encore plus formidable par la difcipline & la valeur des troupes que par leur nombre. Avila, Commandeur d'Alcantara , recommandable pour s'être trouvé a toutes les guerres de Charles, & pour avoir fervi dans les armées qui gagnerent la mémorable victoire de Pavie, qui conquirent Tunis, & qui envahirent la France, prétend qu'il n'en avoit jamais vu d'auffi redoutable que celle qu'oppofoit 1'Empereirr aux Proteftants d'Allemagne (3). Öcïave Farnefe , petit-filsdu Pape, fecondé d'habiles officiers, qui s'étoient formés dans les Iongues guerres de Charles avec Francois , commandoit les troupes d'Italie. Son frere , le Cardinal Farnefe, 1'accompagnoit en qualité de Légat du Pape. Ce Prélat voulant faire de cette guerre une affaire de ( 340. (i) Avila, 18. G v 1546.  -546. (a) Fra-Paolo, 19T. 154 L' H I S I O I R H religion, propofa de marcher a fa tête de 1'armée, précédé d'une croix, & de publier des indulgences pour tous ceux qui lui fourniroient dis fecours, comme on avoit fait au temps des croifades. Mais Charles s'oppofa fortement a cet excès de zeIe , incompatible avec les promeffes qu'il avoit faites aux Proteftants de fon parti; & le Légat, furpris de voir pratiquer librement, au milieu du camp impérial , une religion dont FanéantifTement paroiffoit etre 1'obiet de la guerre, reprit avec dépit la route de 1'ltalie (a). L'arrivée de ces troupes mit 1'Empereur en état de renforcer la garniibn de Ratisbónne , de maniere que les confédérés perdant toute efpérance de prendre cette ville , marcherent vers Ingolftadt fur le Danube, oit Charles étoit alors campé. On ne ceffoit cependant de fe récrier contre ce Prince, qui violoit hautement les loix & les conflitutions de I'Empire, «n appellant des étrangers pour le  de Charles-Quïnt. r55r dévafter, & pour opprimer fes libertés. Comme dans ce fiecle Ia domination du faint Siege étoit li odieufe aux Proteftants, que le nom feul du Pape mêlé dans une entreprife , fuffifoit pour en donner de 1'horreur, ils en vinrent a croire que Paul, non content de les attaquer a force ouverte , avoit difperfé fes émiffaires par toute 1'Allemagne pour mettre le feu dans leurs villes & leurs magafins, & pour empoifonner les puit'j & les fontaines. Ce bruit, dont 1'extravagance ne fembloit propre qu'a amufer la crédulité du vulgaire , trouva pourtant du crédit jufques dans Fefprit des chefs du parti. Aveugles par leurs préventions , ils publierent unmanifefte danslequel ils accufilfient le Pape d'avoir employé contre eux ces reffources infernales Si quelque chofe eut pu juftifier de pareils foupcons, c'étoit la conduite des troupes de Paid, qui, perfuadées qu'il n'y avoit point d'atrocité qui ne fut (*) Sleid. 309, G vj 1546.  Les confédérés s'avancentvers 1'armée impériale. le 19 Aoüt, (a) Avila, 78. A. lyö L'HiSTöiRE permife contre dei hérétiques excommuniés, commettoient les plus grands excès dans les Etats Luthériens, aggravant les calamités de Ia guerre par toutes les fureurs du fanatifme. Mais les opérations des deux armées ne répondirent point a Ia haine violente dont les efprits étoient animés de part & d'autre. L'Empereur avoit pris la fage réfblution d'éviter le combat avec des ennemis qui avoient fur lui 1'avantage du nombre (a) , prévoyant d'ailleurs qu'un corps compofé de membres fi mal affortis, ne pouvoit manquer de fe diffoudre , a moins que par une attaque brufque & inconfidérée , on n'en forcat les parties a s'unir plus fortement. Cependant quoique les confédérés fentiffent bien ce qu'ils perdoient par chaque inflant de délai, la foiblefTe ou la divifion de leurs chefs les empêcha d'agir avec Ia vigueur que demandoient leur fituation & 1'ardeur des foldats. Arrivés a Ingolfladt, ils trouverent Charles  DE CH ARLES-QUINT. 157 dans un camp, qui, fans être fort avantageux par lui-même , n'étoit environné que d'un léger retranchement. Devant le camp, étoit une plaine d'une fi grande étendue, qu'elle pouvoit contenir leur armée toute entiere , & laiffer encore de 1'efpace a fes mouvements. Tout engageoit les confédérés a faifir cette occafion d'attaquer 1'Empereur; la fupériorité du nombre , le courage impatient des troupes & la fermeté de 1'infanterie Allemande en bataille, leur étoient autant de garants de la viéfoire. Le Landgrave vouloit abfolument le combat, déclarant que s'il en étoit le maitre , le fort des deux partis feroit bientöt décidé. Mais 1'Elecleur réfléchiffant fur la bravoure & la difciplime des ennemis, qui étoient animés par Ia préfence de 1'Empereur, & conduits par les meilleurs officiers qu'il y eut alors, n'ofoit rifquer une aft ion générale contre de vieilles troupes , retranchées dans un camp qu'elles avoient choifi , & dont les fortifications quoiqu'imparfaites leur donnoient de 1'avantage. Malgré fon irréfolution &c fes remontrances, on 1546,  1546. L'Empereur refufe fa bataille. Ij8 L' HlSTOIRE convint de s'avancer en ordre de bataille vers les Impériaux, & d'effayer fi cette infulte & le feu violent de 1'artillerie , pourroient les faire fortir de leurs retranchements. Mais 1'Empereur , trop habile pour dortner dans ce piege , fuivoit toujours fon fyftême; & placant fes foldats derrière les tranchées, tous prêts è recevoir les confédérés , s'ils ofoient tenter 1'affaut, il attendittranquillementleur approche, & défendit è fon armée de faire aucun mouvement qui put engager le combat. Cependant il parcouroit les lignes, & s'adreffant k fes troupes compofées de difierentes nations , il parloit a chacune fa langue; il les encourageoit foit par fa gayeté, foit pas fa contenance afiiirée au milieu des périls, & s'expofoit au plus grand feu de 1'artillerie , la plus nombreufe qu'on eut encore mife en campagne. A la vue de cet exemple , perfonne n'ofa quitter fon rang ; c'eüt été une infamie que de montrer de la crainte devant un Monarque intrépidfe, qui prouvoit affez hautement que le refus de Ia bataille n'étoit point xm effet de fa timidité, mais de fa  de Charles-Quint. 159 prudence. Les confédérés, après avoir fait feu durant plufieurs heures fur les Impériaux, avec plus de bruit que de fuccès, n'ayant plus d'efpérance de les engager au combat, fe retirerent dans leur camp. L'Empereur employa la nuit a fortifier le fien avec une fi grande diligence, que les ennemis difpofés le lendemain a faire quelque tentative plus hardie, s'appercurent qu'ils en avoient perdu le moment (a). Après ce vain elfai, qui ne montra que leur indécifion & la fermeté de 1'Empereur, ils s'occuperent uniquement des moyens de prévenir 1'arrivée d'un puiffant renfort. de dix mille hommes de pied & de quatre mille chevaux, que le Comte de Buren amenoit des Pays-Bas. Mais quoique ce Général eut a faire une longue route a travers des Etats, dont quelques-uns étoient difpofés a. favorifer fes ennemis; quoique ceux-ci même, avertis de fonapproche, euffent pu fans rifque détacher de leur (a) Sleid. 395, 397. Avila, 27. A. Lamk* Hortens, ap, Leard. 11. 1546. Les tronpes Flamandes joignent 1'Empereur.  I54Ó. Le 10 Septembre. Etat des deux armées. (a) Sleid. 403. IÖO L'HlSTOIRE grande armée des forces fuffifantes pour Paccabler, cependant il marcha avec tant de rapidité , & concerta fi bien fes mouvements, auxquels on n'oppofoit que des lenteurs & de la mal-adreffe, qu'il parvint k conduire fes troupes au camp des Impériaux fans avoir effuyé la moindre perte (a). L'arrivée des Flamands , en qui 1'Empereur mettoit la plus grande confiance, changea en grande partie le plan de fes opérations. II voulut jouer le röle d agreffeur a fon tour , mais en évitant toujours le fort d'une bataille. II fe rendit maitre de Neubourg, Dillingen & Donavert fur le Danube, de Nordlingue, & de plufieurs autres villes fituées fur les plus grandes rivieres qui tombent dans ce vaite fleuve. Mais s'il s'empara d'une fi grande étendue de pays , ce ne fut pas fans effuyer des combats trèsvifs , oü la fortune ne lui fut pas toujours favorable. L'automne fe paffa ainfi tout entier fans qu'aucun des deux partis put prendre de fupério-  de Charees-Quint. 161 rité fur 1'autre ; & rien n'annoncoit encore quelle feroit 1'iiTue de cette guerre. L'Empereur avoit fouvent. prédit que la difcorde & le befoin d'argent forceroient les confédérés a difperfer les membres de ce corps pefant , qu'ils n'avoient ni 1'habileté de conduite, ni les moyens de foutenir (a). Mais quoiqu'il attendit avec impatience cet événement, il n'y avoit guere d'apparence qu'il put être fi prochain. Les fourrages & les provifions commencoient a lui manquer. Les Provinces Catholiques même étoient fi indignées de voir des troupes étrangeres au coeur de I'Empire , qu'elles ne leur fourniffoient des vivres qu'avec répugnance , tandis que 1'abondance régnoit dans le camp des confédérés par 1'emprefTement & la libéralité des amis que le zele leur faifoit trouver dans les pays voifins. Les maladies, caufées fans doute par le changement de cli- Belli Smalhaldici commentarius grato fcrmone fcriptus a Joach. Camerario ap. Frcherum, vol, 3 , p. 479» 1546.  >54Ó. (a) Camsrar. ap. Fnher. 483. i6z V H I S T O I R E mat ou de nourriture (547- Confpiration a Gênes, pour y changer le gouvernement. encore affoiblie par la retraite des Italiens , jugea néceffaire de fe renforcer par de nouvelles levées , avant de fe hafarder a marcher en perfonne vers. la Saxe. Le bruit & 1'éclat des fuccès de 1'Empereur , lui auroient fans doute attiré de tous les pays qui venoient de reconnoitre fon autorité, affez de foldats pour le mettre en état de marcher contre 1'Electeur ; mais il fut arrêté par une confpiration qui éclata tout-a-coup k Gênes. Les grandes révolutions que fembloit préfager cet événement enveloppé de myftere t 1'obligerent d'en découvrir Ia fource, & d'en pénétrer le but avant d'entamer de nouvelles opérations en Allemagne. Quoique Ia forme de gouvernement établie k Gênes dans le temps on André Doria rendit la liberté a fa patrie, fut propre k y faire oublier les premières diffentions, & que d'abord elle y eut été recue avec une approbation univerfelle, cependant après une épreuve de plus de vingt années , elle ne put fatiffaire 1'inquiétude de ces Républicains turbulents &C faftieux. L'adminiflra-  de Charles-Quint. 187 tion des affaires fe trouvant alors reftreinte k un certain nombre de families nobles, les autres leur envierent cette prééminence, &C delirerent le rétabliffement du gouvernement populaire auquel ils avoient été accoutumés. Le refpecl même qu'imprimoit la vertu défintéreffée de Doria, & Padmiration qu'on avoit pour fes talents, n'empêchoient pas qu'on ne füt jaloux de 1'afcenclant qu'il avoit pris dans tous les confeils de la République. Cependant fon age, fa modération & fon amour.de la liberté , devoient convaincre fes compatriotes qu'il n'abuferoit* .jamais de ion pouvoif, & ne rifqueroit point de fouiller la fin de fes jours, en renverfant cet édifice qui avoit été le travail & la gloire de toute fa vie: mais les Génois prévoyoient que cette autorité & cette influence , toujours pures dans fes mains, deviendroient aifément funeftes k la nation, li quelque citoyen s'en emparoit avec plus d'ambition & moins de vertu ; & un homme en effet avoit déja formé cette prétention, avec quelque efpoir de fuccès. Giannetino Doria , a qui fon Objet des mécontents.  -547- Fiefque , Comte de Lavagne , eft le chef 188 L'Histoire grand oncle André avoit deffiné fes biens, efpéroit en même-temps de lui fuccéder dans fa place. Son caraclere hautain, infolent Sc tyrannique ,qu'a peine on eut pu tolérer dans 1'héritier d'un tröne, étoit encore plus infupportable dans le citoyen d'une république ; Sc les plus clairvoyants des Génois le craignoient Sc le haïffoient. comme 1'ennemi de cette ltberté dont ils étoient redevable a fon oncle. Cependant André lui - même , aveuglé par cette affection forte Sc involontaire , «qui attaché fouvent les vieillards aux plus jeunes rejettons de leur race, ne mettoit point de bornes a fon indulgence pour lui , & il fembloit moins occupé d'afTurer & de perpétuer le bonheur de 1'Etat, que de favorifer 1'élévation de cet indigne neveu. Mais quoiqu'on fufpecfat les deffeins de Doria, & qu'on blamat le fyftême aftuel de l'adminiftration, tous ces motifs n'auroient fans doute produit que des plaintes & des murmures, fi Jean Louis de Fiefque, Comte de Lavagne , qui obfervoit les progrès du mécontentement pour  DE CHARLES-QU IN T. 189 en profïter, n'eüt tenté une entreprife des plus hardies dont Fhiftoire falie mention. Ce jeune Gentilhomme, le plus riche Sc le plus diftingué des fujets de la république , poffédoit au plus haut degré toutes les qualités qui gagnent les cceurs, impriment le reipeci, Sc fe concilient 1'attachement. La grace Sc la nobleffe brilloient dans fa perfonne ; magnifique jufqu'a la profufion , fa générofité prévenoit les defirs de fesamis, Sc furpaffoit Fattente des étrangers; a une adreffe infinuante, il joignoit des manieres aimables Sc une afFabilité fans afFectation. Mais fous 1'apparence de ces qualités intéreffantes, faites pour être 1'ornement Sc les délices de la fociété, il cachoit toutes les difpolitions qui peuvent mettre un homme a la tête des confpirations les p'us dangereufes ; c'étoit une ambition inquiete Sc infatiable , un courage au-deffus de toute crainte , un efprit ennemi de la fubordination. Un pareil caradfere n'étoit pas fait pour Fétat de dépendance , oü le fort Favoit placé. Fiefque, enviant Fautorité que le vieux Doria s'étoit ac-. .-547de la conjuration.  Intrigues & préparatifs des conjurés. 190 L'HlSTOlRE quife , ne pouvoit penfer fans indi« gnatiön, qu'elle defcendroit un jour k Giannetino , comme un bien héréditaire. Ces fentiments divers agiffoient li vivement fur cet homme turbulent &c audacieux , qu'il prit la réfolution de renverfer cette domination, k laquelle fon orgueil ne pouvoit fe foumettre. Pour y mieux réuflir, il crut d'abord devoir s'allier avec Francois I ; il en fit même Ia propofition a 1'Ambaffadeur que ce Prince avoit k Rome. Son deffein étoit, après avoir chaffé Doria & la faftion impériale par un li puiffant appui, de mettre la république encore une fois fous Ia proteftion de la France, fe flattant qu'en récompenfe de ce fervice , il obtiendroit la première place dans 1'adminiftration du gouvernement; mais ayant communiqué fon projet aquelques-uns de fes confidents intimes , Verrina, le principal d'entr'eux, homme qu'une fortune ruinée rendoit capable de projetter & d'exécuter les actions les plus hardies, lui remontra avec chaleur la folie de s'expofer a un grand danger M ■  DE CHARLES-QUIN T. 191 dont un autre recueilleroit tous les fruits. II 1'exhorta a prétendre luimême au gouvernement de la patrie, auquel fon illuftre naiffance , la voix de fes concitoyens & le zele de fes amis pouvoient aifément 1'élever. Ce langage offrit au génie ardent de Fiefque , une fi brillante perfpeótive qu'abandonnant auffi-töt fon plan, il adopta celui de Verrina. Tous ceux qui étoient préfents , quoique perfuadés du danger de 1'entreprife, n'oferent condamner ce que leur proteéleur avoit fi vivemcnt approuvé. A 1'inftant il fut réfolu dans cette noire cabale , d'affaiïiner les deux Doria & les principaux de leurs partifans, de changer de fyftême d'adminiftration dans Gênes, &c de placer Fiefque fur le Tröne Ducal. Cependant il falloit un certain temps pour mettre ce projet en exécution; & tandis qu'on faifoit tous les préparatifs néceflaires, Fiefque prenoit toutes les mefures poffibles pour cacher fon fecret, & ne point donner de foupcons. Le röle qu'il joua étoit en effet impénétrable. II afFecta de s'abandonner entiérement aux plaifirs & a la diflipa-  '547' IOÏ L'HlSTOIRE tion. La joie & les amufements de fon age & de fon rang, occupoient en apparence tout fon temps & toutes fes penfées. Mais au milieu de ce tourbillon , il fuivoit fon projet avec 1'attention la plus réfléchie, fans y mettre ni la lenteur de la timidité, ni la précipitation de l'impatience. II continua fa correfpondance avec . 1'AmbafTadeur de France auprès du faint Siege, dans le delTein de s'affurer de la protection de fon maïtre, fi par la fuite il avoit befoin de fecours; mais il eut 1'adrefTe de lui dérober fes véritables intentions. Il fit une ligue fecrette avec Farnefe, Duc de Parme, qui, toujours irrité contre 1'Empereur pour le refus de 1'inveftiture de ce Duché, étoit difpofé a s'en venger fur la familie de Doria qui étoit dévouée k ce Monarque, dont il cherchoit a diminuer 1'influence en Italië. Fiefque, n'ignorant pas que , dans un Etat maritime, il falloit fur-tout s'affurer des forces navales , demanda quatre galeres au Pape, qui probablement étoit inflruit de fon complot, & ne le défapprouvoit pas. Sous prétexte d'armer une de ces  de Charles-Quint. 193 ces galeres pour croifer contre les ' Turcs , il afiembla un grand nombre de fes propres vaffaux & même une grande quantité d'aventuriers hardis que la treve conclue entre 1'Empereur Sc Soliman avoit laiffés fans occupation Sc fans fubfiftance. Tandis que Fiefque s'occupoit de ces mefures importantes, il paroiffoit toujours n'avoir d autre foin que celui du plaifir. Afficlu a faire fa cour aux deux Doria, il fut en impofer non-feulement a la candeur de Tonele , mais encore a la finefTe du neveu , que fes propres intrigues rendoient plus difpofé a fe défier de celles d'autrui. Tout étoit prêt; il ne reftoit qu'a frapper le coup. Fiefque délibéra plufieurs fois avec fes confidents fur les moyens d'affurer le fuc* cès de leur complot. D'abord on propofa de maffacrer les Doria Sc leurs principaux partifans pendant la célébration de la grand'meffe a la cathédrale ; mais comme André n'y affiftoit guere a caufe de fon age avancé , ce projet fut abandonné. Enmite on convint que Fiefque inviteroit chez lui Tonele Sc le neveu avec tous leurs Tome V, \ »S47.«.  M47. lis s'aflemblent pour cxécuter leur projet. 194 L'HlSTOIRE amis déja profcrits par les conjurés t & qu'il feroit aifé de s'en défaire fans rifque, ni réfiftance; mais Giannetino ayant été obligé d'aller hors de la ville , le jour même qu'ils avoient choifi , il fallut encore changer de mefures. Enfin, ils réfolurent de tenter a force ouverte ce que la rufe ne pouvoit efTectuer, & fixerent la nuit du deux au trois de Janvier pour 1'exécution de leur entreprife. Le moment étoit favorable ; le Doge de 1'année précédente devoit, felon la coutume, quitter fa charge le premier de ce mois, & fon fucceffeur ne pouvoit pas être élu avant Ie quatre. La République, pendant cet intervalle, étant dans une forte d'anarchie , Fiefque pouvoit, avec plus de facilité, s'emparer de cette dignité vacante. Le jour fixé pour la conjuration '9 Fiefque employa la matinée k vifiter fes amis , 8c il montra par-tout le même enjouement & la même liberté d'efprit qu'a 1'ordinaire. Le foir il fit fa cour aux Doria, toujours avec le même air d'empreffement & de refpect, mais épiant leur contenance  de Charlës-Quint. 195 avec Pattention qu'exigeoit un mo- ' ment fi critique ; il fut affez heureux pour les trouver dans une profonde iécurité , & fans le moindre foupcon de 1'orage qui fe formoit depuis longtemps & qu'il alloit faire éclater fur leur tête. De leur palais, il courut au fiert qui étoit ifolé au milieu d'une grande cour, fermée de hautes murailles, Les portes en avoient été ouvertes dès le matin, & 1'on avoit permis k tout le monde fans diftinclion d'y entrer; mais on avoit pofté des gardes pour empêcher d'en fortir. Cependant Verrina & le petit nombre des confidents de la confpiration, qui avoient conduit par pelotons au palais les vaffaux de Fiefque & les troupes de fes galeres, les difperferent fans bruit dans touteja ville. Enfuite au nom de leur patron, ils inviterent a un feflin les principaux citoyens qui étoient mécontents de 1'adminiftration des Doria , & qui montroient, avec du penchant pour une révolution, le courage de la tenter. La plupart de ceux qui rempliffoient Ie palais, ignoroient pourquoi on les y avoit raffemblés; I Ü >S47«  *H7' Fiefque les prépare par les dif.Cpurs. 196 L'Histoirë le refte étonné de voir , au-lieu des préparatifs d'un feftin , une cour p!eine d'hommes armés , & des appartements munis d'inltruments de guerre, fe regardoient les uns les autres, avec une curiofité mêlee d'impatience &C de terreur. Au milieu de cette incertitude ou flottoient les efprits, Fiefque parut avec un air de gayeté & de confïance; il adreffa la parole aux perfonnes les plus diftinguées, & leur dit qu'il ne les avoit point fait appelier aux plaifirs d'une fête, mais a partager la gloire d'une grande action , dont le fruit feroit la liberté, fuivie d'un renom immortel. En mêmetemps , il leur mit devant les yeux 1'autorité aulïï excefTive qu'intolérable du vieux Doria , laquelle tendoit tous les jours a s'accroitre 84 a fe perpétuer par 1'ambition de Giannetino & par la faveur déclarée de 1'Empereur pour une familie bien plus dévouée a ce Prince étranger qu'a la patrie. Mais il eft en votre pouvoir , continua-t-il, de renverfer cette injufte domination. Maffacrons les tyrans; mes mefures font prifes; mes  de Charles-Quint. 197 aflbciés lont en grand nombre; je puis au befoin compter fur des alliés & des protecteurs. J'ai tout prévu, & nos tyrans dorment dans la fécurité. Un infolent mépris pour leurs concitoyens a banni de leur efprit la défiance & cette timidité qui d'ordinaire rend les coupablesclairvoyants, & les met en garde contre la vengeance qu'ils méritent. Ils fentiront le coup avant qu'ils voyent le bras levé fur eux. Allons, par un effort généreux que n'accompagne prefque aucun danger, allons délivrer notre patrie. Ce difcours prononcé avec cet enthoufiafme irréfiftible qui anime 1'ame lorfqu'elle eft échauffée par de grands objets, fit fur 1'afTemblée 1'impreffion la plus vive. Les vaffaux de Fiefque, toujours prêts a marcher k fes ortires, lui répondirent par un murmure d'applaudifTement. Beaucoup de gens dont la fortune étoit ruinée, entrevirent 1'efpoir de la rétablir dans la licence & Ie tumuite d'un foulevement. Mais ceux que leur rang ou leur vertu élevoit au-deflus des autres, n'oferent montrer toute la furprife &c 1'horreur que leur infIiij »547-  '547- Son ertrevue avec fi femme. I$l8 L'HïSTOlRE piroit un attentat fi atroce; chacun craignant que fon voifin ne fut dans le fecretde la confpiration, ne voyoit autour de foi que des hommes prêts, au moindre fignal de leur chef, a fe porter aux plus grands exces. Tous applaudirent donc, ou feignirent d'applaudir. Dès qu'il eut ainfi difpofé & encouragé fes complices, avant de leur donner fes derniers ordres, il courut a Fappartement de fa femme. Cette Dame, de 1'illuftre Maifon de Cibo, avoit infpiré a fon mari la plus vive pafïion , & fa vertu 1'en rendoit auffi digne que fa beauté. Le bruit des gens armés qui rempliffoient la cour & le palais, étant déja parvenu a fes oreilles, elle vit qu'il fe tramoit quelque complot périlleux, & elle trembla pour les jours de fon époux. II la trouve plongée dans les allarmes & la confternation; il fe hate de lui avouer un deffein qu'il ne pouvoit plus lui tenir caché. L'approche de tant d'horreurs & de dangers acheve de la troubler; elle prévoit la fatale iffue de ce deffein, & s'efforce par fes larmes, fes prieres  de C harles-QuiNT. ïoq & fon défefpoir, d'en détourner fon mari. Fiefque, après avoir tenté vainement de la calmer & de lui infpirer toute fa confiance, rompit promptement une entrevue oü 1'avoit imprudemment entrainé un excès de tendreffe , mais qui ne put ébranler fa réfolution. » Adieu , lui cria-t-il » en la quittant; ou vous ne me re» verrez jamais , ou demain tout m dans Gênes fera foumis a votre » pouvoir ". Dès qu'il eut rejoint fes compagnons , il donna fes ordres a chacun d^eux. Les ims devoient s'emparer a force ouverte de toutes les portes de Ia ville ; d'autres des princi pales rues ou des fortereffes. Fiefque fe réferva Fattaque du port , oü étoient les galeres de Doria, comme le pofte le plus important & le plus périlleux. II étoit alors minuit, cklescitoyens dormoient dans une tranquille fécurité, lorfque cette nombreufe troupe de conjurés bien armés, fe mit en mouvement pour exécuter fon plan. lis s'emparerent fans réfiftance de quelques portes, & forcerent les autres après un combat furieux avec t iv M 47' Lss conjurés attaquent la ville.  1S47- aioo L'Histoirk les gardes. Verrina employa une des galeres qui étoient deftinées contre les Turcs, k bloquer 1'entrée de la Darfene, ou du petit port qui contenoit la flotte de Doria. Cette précaution ötant aux habitants tout moyen de s'échapper, Fiefque tentade monter dans les galeres de la république par la rive oh elles étoient amarrées; fans armes, fans agrets, Sc n'a^a"t v^ ^ord *ïl!e des forgats enchainés k la rame, elles n'étoient pas en état de réfifler. Bientöt le trouble & le tumulte fe répandirent dans la ville ; on entendoit crier dans toutes les rues : Fiefque Sc libenè. A ce mot li chéri, la populace prit les armes Sc fe joignit aux conjurés. Les Nobles & les partifans de 1'ariflocratie, faifis d'étonnement Sc de frayeur, fermerent les portes de leurs maifons, Sc ne fongerent qu'a fe garantir du pillage. A la fin, le bruit de ce défordre parvient au palais de Doria. Giannetino faute a 1'inftant de fon lit, & s'imaginant qu'il n'étoit queftion que de quelque mutinerie de la part des matelots,.il fort avec quelques perfonnes , Sc marche vers le  de Charles-Quïnt. 101 port. Comme il devoit pafler par la porte Saint - Thomas, les conjurés qui s'en étoient emparés, fe jetterent fur lui avec fureur, & le maffacrerent fur la place, au moment qu'il y parut. Le vieux Doria eut fans doute éprouvé le même fort , fi Jéröme de Fiefque avoit attaqué fubitement fon palais , fuivant le plan du Comte de Lavagne fon frere; mais dans la crainte que le pillage ne frullrat fon avarice d'un riche butin , il défendit a fes gens de s'avancer. André, inftruit de la mort de fon neveu, &c du danger quil couroit lui-même , monta promptement a cheval, & fe déroba par la fuite a fes ennemis. Cependant quelques Sénateurs eurent le courage de s'affembler dans le palais de la république (a). D'abord quelques-uns oferent tenter de rallier les foldats difperfés , & d'attaquer un corps de conjurés ; mais fe voy3nt repouffés avec perte , ils prirent le parti de négocier avec un parti auquel i!s ne pou {a) 11 Palla^o della Sïgnoria. I v M47-  "547* Caufe du jnauvais fuccès de leur entreprife. 1 1 i 1 ^ t l < I aoi L' Histoïre voient réfifter. En conféquence, on envoya des députés a Fiefque pour favoir de lui quelles étoient fes prétentions, ou plutöt pour fe foumettre è toutes les conditions qu'il lui plairoit de prefcrire. Mais déja ce chef des conjurés n'étoit plus. A 1'inftant même oü après s'être emparé de la flotte, il étoit prêt a revenir joindre fes compagnons vi&orieux , un bruit extraordinaire fe fit entendre a bord de Ia galere amirale. Dans cette allarme , craignant que les forcats ne rompiffent leurs chaines pour accabler fes gens, il y courut; mais Ia planche fur laquelle il paffoit avec précipitation du rivage au vaiffeau, s'étant 'enverfée, il tomba dans la mer. Le joids de fon armure Ie fit couler è ond. II périt au moment même oii 1 alloit jouir du fuccès de fon am)ition. Verrina fut Ie premier qui 'appercut de ce funefte accident. II :n prévit a 1'inftant toutes les conférences , & n'en avoit avertit qu'un »etit nombre de conjurés. Au milieu les ténebres & de la confufion da » nuit, il ne leur étoit pas difficile  de Charles-Qüint. 103 de tenir ce fecret caché, jufqu'a ce qu'un traité avec les Sénateurs eut mis la ville en leur pouvoir. Mais tout leur efpoir fut bientöt détruit par 1'imprudence de Jéröme de Fiefque. Les députés chargés des propolitions du Sénat, lui ayant demandé oü étoit le Comte de Lavagne , il leur répondit avec une vanité puérile : » C'eft moi qui le fuis main» tenant, & c'eft avec moi que vous »> devez traiter ". Ce peu de mots éclairant tous k la fois & fes amis & fes ennemis, fit fur les uns & fur les autres Fimpreftion qu'on en devoit attendre. Les députés, encouragés par cet événement , Ie feul qui put tourner la révolution k leur avan-, tage, changerent de ton avec une préfence d'efprit admirable, & réglerent leurs demandes fur la faveur des circonftances. Mais tandis qu'ils cherchoient k prolonger la négociation , les autres magiftrats s'occupoient k raflembler leurs partifans pour en former un corps qui put défendre le palais du Sénat. D'un autre cöté, les conjurés, confternés de Ia. mort d'un homme qui étoit leur I vi M47«  *s47° 104 V H i s t o r r e ' efpoir & leur idole, n'ayant auctme confiance pour Jéröme qui n'avoit que 1'étourderie & la préfomption de la jeuneffe , perdirent courage , & les armes leur tomberent des mains. Ainfi Ie fecret fi profond & fi furprenant qui jufqu'alors avoit contribué au iuccès de la confpiration , fut la principale caufe qui la fit échouer. Le chef étoit mort. La plupart de ceux qu'il faifoitagir neconnoiffoient ni les confidents de fon deffein , .ni Ie but ou il afpiroit. Aucun d'entr'eux n'avoit affez d'autorité ou de talents poiu- prendre la place de Fiefque , & pour achever fon ouvrage. Privé de Tefprit qui Tauimoit, le corps entier refta fans force , fans mouvement. Plufieurs des conjurés fe rétirerent dans leurs maifons , efpérant que les ténebres de la nuit qui couvroient leur crime, auroient caché leur perfonne; d'autres chercherent leur fiïreté dans une prompte retraite ; enfin , avant qu'il fut jour, tous s'enfuirent avec précipitation d'une ville , qui peu d'heures auparavant , étoit préte a les recevoir pour maitres. Dès le matin fuivant, tout fut tran-  DE C HA RLES-QüINT. 10J quille dans Gênes. On n'y vit pas un ennemi; a peine y parut-il quelque tracé du défordre de la nuit. Cette confpiration avoit caufé plus de tumulte que de carnage , &. la furprife avoit mieux fervi les conjurés que la force. Vers le foir , André Doria rentra dans la ville aux acclamations de joie des habitants, qui coururent au-devant de lui. Quoiqu'il eut encore 1'efprit rempli du trouble & du danger de la nuit précédenre ; quoiqu'il eut fous les yeux le corps fanglant de fon neveu , telle fut fa modération & fa magnanimité, que le décret porté par le Sénat contre les confpirateurs, n'excéda point les bornes de la févérité qu'exigeoit le foutien du gouvernement, & que rien n'y fut difté par le reffentiment ni par 1'animofité de la vengeance (*).* (a) Thuan. 93. Sigonius, vita Andreae Doria, 1196. La conjuration du Comte de Fir(ques par !e Cardinal de Retz. Adriani , lfloria , lib. 6 , 369. Folietce , conjuratiu Jo. JLud. Ficjci av. grcev. The/, hal. I , 883. * Une chofe digne de remarque , c'eft «547La tran- quillité eft rétablie dans Gênes.  *U7f Allarmes de 1'Empereur fur cette conjuration. que le Cardinal de Retz, qui avoit écrit a lage de dix-huit ans 1'hiftoire de cette conjuration , y montre tant d'admiration pour Fiefque , qu'il n'eft pas étonnant qu'un miniitre auffi pénétrant & aufli abfolu que Richelieu , ait prédit a la leóhre de cet ouvrage , que ce jeune Ecdéfiaftique feroit Rn efprit tuAulent & dangereux. 206 L'Histoire Dès qu'on eut prit de fages précautions pour empêcher qu'un feu ü heureufement éteint ne fe ralJumat de nouveau, le premier foin du Sénat fut d'envoyer è Charles un AmbafTadeur chargé de 1'informer des détails de cet événement, & de lui demander du fecours pour attaquer Montobbio, fortereffe confidérable dans les domaines héréditaires de la maifon de Fiefque, oü Jéröme s'étoit renfermé.^ L'Empereur ne fut pas moins allarmé qu'étonné d'une entreprife fi extraordinaire. II ne pouvoit croire que Ie Comte de Lavagne , tout ambitieux & téméraire qu'il étoit, eut ofé Ia rifquer fans les fuggeftions 011 1'encouragement de quelque Puiffance étrangere. Dès qu'il fut que le Duc de Parme étoit inftruit du plan  de Charles-Quïnt. 207 de la conjuration, il fuppofa dans 1'inftant que le Pape n'ignoroit pas un projet que favorifoit fon fïis. Cette conje&ure le conduifit a une autre plus éloignée, mais que la conduite politique de Paul rendoit affez probable : c'étoit que le Pontife étoit d'accord avec le Roi de France, pour profiter des fuites de cette révolution. Dès-lors Charles craignit que cette étincelle ne rallumat l'embrafement qui avoit caufé tant de ravages en Italië. Comme la guerre d'Allemagne lui avoit fait retirer fes troupes de fes Etats ultramontains, & qu'il ne pouvoit pas y prévenir une invafion , il falloit du moins qua la première apparence de danger, il fut en état d'y por ter la plus grande partie de fes forces. Dans cette fituation, c'eüt été fans doute une imprudence de fa part que de marcher en perfonne contre 1'Eleöeur, fans avoir quelque certitude qu'il ne fe préparoit pas en Italië une révolution qui 1'empêcheroit de tenir la campagne en Saxe avec des forces fuffifantes. Fin du Livrt VUL 1547* II fufpend fes opérations en A1-; lemagne,   L'HISTOIRE DU R E G N E DE L'EMPEREUR CHARLES - QUINT. L I V R E IX. I-i A crainte que 1'Empereur avoit IT— concue des difpofitions de guerre du M47Pape & du Roi de France , n'étoit Francois eft pas fondée fur des foupcons imagi- |aloux. 5?e naires & frivoles. Paul lui avoit déja '* , , ' ce & des donne des preuves non équivoques fuccès de de fa jaloulie & de fa haine; & Char- 1'Empe-. les ne pouvoit pas efpérer que fes reur-  II négocie avec les Proreftants. HO L' H I S T O I R E fuccès contre les Proteftants confédérés ne feroient pas renaïtre dans 1'ame de Francois 1'ancienne inimitié qui les avoit divifés fi long-temps. L'événement juftifïa cette conjecïure. Francois avoit vu avec douleur les progrès rapides des armes de 1'Empereur ; les circonftances dont on a parlé, Pavoient empêché jufqu'alors de s'y oppofer; mais il fentit enfin , que s'il ne faifoit pas quelque effort extraordinaire, fon rival alloit acquérir un degré de puiflance qui le mettroit en état de donner la loi au refte de PEurope. D'après cette idee, qui n'avoit pas fa fource dans la feule jaloufie de la rivalité , mais qui étoit celle des plus habiles politiques du fiecle, il chercha différents expédients pour fufpendre le cours des viöoires de 1'Empereur , & pour former par degrés une ligue capable de 1'arrêter dans fa carrière. Dans cette vue, Francois chargea fesémiffairesen Allemagne d'employer tous leurs foins a ranimer le courage des confédérés , & a les empêcher de fe foumettre è 1'Empereur. II offrit tous fes fecours; il lia une correfpon-  de Charles-Quint. lil tlance lliivie avecl'Electeur &le Landgrave , les deux Princes les plus zélés & les plus puiffants de tout le corps; il leur fit valoir toutes les raifons & tous les avantages qui pouvoient ou les conflrmèrdans la crainte qu'ils avoient des projets de 1'Empereur, ou les déterminer a ne pas imiter la crédulité de leurs affociés, en livrant k fa difcrétion. leur religion & leur liberté. Tandis qu'il employoit ce moyen pour faire durer la guerre civile qui divifoit PAllemagne , il s'occupoit d'un autre cöté a fufciter contre 1'Empereur des ennemis étrangers. II follicita Soliman de faifir cette occafion favorable d'entrer en Hongrie, d'oü 1'on avoit tiré toutes les troupes qui auroient pu la défendre, afin de raffembler une armée contre les confé* dérés de Smalkalde. II exhorta le Pape k profiter de ce moment pour réparer, par un efFort vigoureux, Ia faute qu'il avoit commife en contribuant k élever 1'Empereur a un degré fi formidable de puiffance; Paul, qui fentoit toute 1'étendue de cette faute, & qui en craignoit les confé- •547- Avec Solï man. Avec Is Pape & avec lesVénitiens.  •547- Avec les Rois de Danemarck $C d'Angleterre. (a) Mém. de Ribier, c. l, p. é~oo, 606. 2.H L'HlSTOlRE quences, recut avec plaifir ces ouvertures, Sc Frangois fit valoir les difpofitions favorables du Pape pour gagner les Vénitiens. II s'efforca de leur perfuader que le feul moyen de fauver 1'Italie, & même 1'Europe, de 1'oppreffion & de la fervitude, c'étoit de fe réunir avec le Pape Sc lui, pour former une confédération générale , dont le but feroit d'abaiffer Ia puiffance d'un Potentat ambitieux, qu'ils avoient tous une égale raifon de redouter. Lorfqu'il eut entamé ces négociations dans les Cours du midi de 1'Europe , il porta fon attention vers celles du Nord. Comme le Hoi de Danemarck avoit des raifons particulieres de fe plaindre de 1'Empereur, Francois ne douta pas que ce Prince n'approuvat la ligue projettée; Sc pour balancer toutes les confidérations de prudence qui auroient pu 1'empêcher de s'y joindre, la jeune Reine d'EcofTe fut offerte en mariage a fon fils (a). D'un autre cóté, les  DE CHAR LES-QUIN T. lij miniftres qui gouvernoient 1'Angleterre au nom d'Edouard VI , s'étoient ouvertement déclarés partifans des opinions des réformateurs, dès que la mort de Henri leur eut laiffé la liberté de quitter le mafque que fon impitoyable fanatifme les avoit forcés de prendre. Frangois fe flatta que leur zele ne leur premettroit pas de refter fpeöateurs oififs de la ruine & de la deftruction de ceux qui profeffoient la même religion qu'euxmêmes ; il efpéra que , malgré les troubles de faction qu'entraïne une minorité, & malgré 1'apparence d'une rupture prochaine avec l'Ecoffe , il pourroit déterminer les miniftres Anglois a prendre part a la caufe commune (a). Tandis que Francois avoit recours a tous ces expédients, & s'occupoit avec une activité fi extraordinaire a exciter la jaloufie des différents Etats de 1'Europe contre fon rival, il ne négligeoit aucun des moyens qui dépendoient de lui feul. 11 leva des (<*} Mém. de Ribier , tt l, p. 636. •547'  '547- Allarmes de 1'Empeïeur. {d) Mém. de Ribier , i. i, p, 50J, 214 L'HlSTOIRE troupes dans toutes les parties de fon Royaume ; il ramalfa des munitions de guerre; il fit marché avec les cantons Suiffes pour avoir un corps nombreux de troupes; il établit un ordre admirable dans fes finances; il fit paffer k 1'Elecïeur & au Landgrave des fommes confidérables ; il prit enfin toutes les mefures néceffaires pour être en état de commencer avec vigueur les hortilités, dès que les circonftances 1'exigeroient (a). II étoit impoflible de dérober a Ia connoiffance de 1'Empereur des opérations fi compliquées, & qui demandoient le concours de tant d'inftruments divers. II fut bientöt inftruit des intrigues de Frangois dans les différentes Cours, ainfi que de fes préparatifs intérieurs; convaincu qu'une guerre étrangere porteroit un coup fatal a 1'exécution de fes projets en Allemagne, 1'idée de cet événement le faifoit trembler. Le danger cependant lui paroiffoit aufli inévitable qu'il étoit terrible. II con-  de Charies-Qüint. 1IJ noiflbit 1'ambition infatiable mais pré- ' voyante de Soliman; il favoit que cet habile Sultan choififfoit le moment de commencer fes opérations militaires avec une prudence égale a la valeur qui les dirigeoit. II avoit de bonnes raifons pour croire que le Pape ne manqueroit pas de prétextes pour juftifïer une rupture, &" qu'il n'auroit aucune répugnance k commencer les hoftilités. En efret, Paul avoit lailfé entrevoir fes fentiments, en témoignant une joie peu convenable au Chef de 1'Eglife, lorfqu'il avoit appris la nouvelle de 1'avantage remporté par 1'Electeur de Saxe fur Albert de Brandebourg ; & comme il fe voyoit alors affuré de trouver dans le Roi de France un allié affez puiffant pour Ie foutenir, il ne cherchoit pas même k cacher la violence & 1'étendue de fa haine (<*). Charles favoit d'ailleurs que les Vénitiens voyoient depuis long-temps 1'accroifTement de fon pouvoir avec un fentiment de jaloufie, qui donnoit (a) Mém. de Ribier, torn. i, p. 6$y. 1547»  •547- Efpérances que donne a Charles 1'affoibliiTement de la fan té de Francois. 2.16 L'HlSTOIRE une nouvelle force aux follicitations & aux promeffes de la France , & il craignoit que, malgré la lenteur & la circonfpeöion ordinaire de leurs réfolutions , ces Républicains ne priffent a la fin un parti décifif. 11 étoit évident que les Danois & les Anglois avoient de leur cöté des railons particulieres de mécontentement, & des motifs très-puiffants pour fe Iiguer contre lui; mais il craignoit par-defliis tout la jaloulie aftive de Francois lui-même , qu'il regardoit comme 1'ame & le mobile de la confédération. Ce Monarque ayant accordé fa protection k Verrina , qui s'étoit embarqué pour Marfeille au moment même ou la confpiration de Fiefque avoit été découverte , Charles s'attendoit a chaque inilant a voir commencer en Italië les hoftilités , dont il croyoit que la révolte de Gênes n'étoit que le prélude. Dans cet état d'inquiétude & de perplexité, Charles appercevoit cependant une circonfiance qui lui laiffoit quelqu'efpoir d'échapper au danger qui le menacoit. La fanté du Roi de France commencoit k s'affoiblir; une  de Charles-Quint. 117 une maladie, qui étoit le fruit de 1'intempérance & de 1'excès des plaifirs, détruifoit fourdement & par degrés fa conftitution. Les préparatifs de guerre & les négociations entamées dans les différentes Cours tomboient dans la langueur, comme I'efprit du Monarque qui en étoit le mobile. Pendant cet intervalle , les Génois foumirent Montobbiofirent prifonnier Jéröme de Fiefque , &, par fa mort & celle de fes principaux complices, éteignirent les refles de la confpiration. Plufieurs villes Impériales, en Allemagne, défefpérant de recevoir k temps du fecours de France , fe foumirent k 1'Empereur. Le Landgrave lui-même parut difpofé k abandonner l'Elecfeur, & k entrer en accommodement , aux conditions qu'il pourroit obtenir. Charles, de fon cöté, attendoit avec impatience 1'ifTiie d'une maladie qui devoit décider s'il fe défifteroit de tous fes autres projets, pour fe préparer k combattre une confédération de la plus grande partie des Princes de PEurope contre lui, ou s'il devoit, fans fe laiffer arrêter par auTome F. K. »547Mars.  J547- Mort de Francois : réflexions fur fon caMÖere & fa rivalité avec Charles* 118 L'HlSTOIRE cune confidération ni intimider par auctin danger, fuivre le plan qu'il avoit forrné d'entrer en Saxe. Ce bonheur fingulier , qui a diftingué Charles & fa familie d'une maniere fi remarquable, que certains hiftoriens Tont appellé 1'étoile de la Maifon d'Autriche, ne fe démentit pas en cette occafion. Frangois I mourut a Rambouillet le dernier jour du mois de Mars, dans la cinquante-troifieme année de fon age, &c la vingthuitieme de fon regne. Pendant vingttrois ans de ce regne, une animofité déclarée divifa ce Prince & 1'Empereur, & enveloppa non-feulement leurs propres Etats, mais encore la plus grande partie de 1'Europe , dans des guerres foutenues avec un acharnement plus violent & plus durable qu'aucune de celles qui s'étoient faites dans les temps antérieurs. Plufieurs circonflances y contribuoient: Ia rivalité de ces Princes étoit fondée fur une oppofition d'intérêts, excitée par la jaloufie perfonnelle, & envenimée par des infultes réciproques. En même-temps, fi 1'un des deux paroiffojt avoir quelqu'avantage  de Charles-Quïnt. ito propre a lui donner la fupériorité, cet avantage fe trouvoit balancé par quelque circonftance favorable a 1'autre. Les domaines de 1'Empereur étoient plus étendus; ceux du Roi de France étoient plus réunis. Frangois gouvernoit fon Royaume avec une autorité abfolue ; Charles n'avoit qu'un pouvoir limité; mais il y fuppléoit par fon adrefTe. Les troupes du premier avoient plus d'audace & d'impétuofité; celles du fecond étoi.-nt plus patientes & mieux difciplinées. II y avoit dans les talents des deux Monarques autant de différence que dans les avantages refpectifs dont ils jouiffoient, & cette différence ne contribua pas peu a prolonger leurs querelles. Frangois prenoit une réfolution avec célérité, la foutenoit d'abord avec chaleur, en pourfuivoit 1'éxécution avec audace & aaivité; mais il manquoit de la perfévérance néceffaire pour furmonterles difficultés, & fouvent il abandonnoit fes projets ou fe relachoit dans 1'exécution, foit par impatience , foit par légéreté. Charles délibéroit froidement & fe décidoit len* Kij  110 L'HïSTOIRE tement; mais lorfqu'une fois il avoit arrêté fon plan, il le fuivoit avec une obrtination inflexible; & ni le danger ni les obftacles ne pouvoient le détourner dans 1'exécution. L'influence de leurs carafteres fur leurs entreprifes, dut mettre une égale différence dans les fuccès. Frangois, par fon impétueul'e activité , déconcerta fouvent les plans de 1'Empereur les mieux concertés. Charles en fuivant fes vues avec plus de fang froid, mais avec fermeté , arrêta fouvent fon rival dans fa carrière rapide, & repouffa fes plus vigoureux efforts. Le premier, a 1'ouverture d'une guerre ou d'une campagne, fondoit fur fon ennemi avec la violence d'un torrent , & entrainoit tout ce qui fe trouvoit devant lui; le fecond, attendant pour agir que les forces de fon rival commengaffant k diminuer, recouvroit è la fin tout ce qu'il avoit perdu, & faifoit fouvent de nouvelles acquifitions. Le Roi de France forma différents projets de conquêtes; mais quelque brillants que fuftent les commencements de fes entreprifes, la fin en fut rarement heureufe; plu-  de Charles-Quint. 111 fieurs des entreprifes de 1'Empereur, qu'on jugeoit impraticables & défefpérées , fe terminerent avec le plus grand fuccès. Frangois fe laiffoit éblouir de 1'éclat d'un projet; Charles n'étoit féduit que par la perfpective des avantages qu'il pouvoit en recueillir. Le degré de leur mérite & de leur réputation refpective n'a cependant été encore fixé ni par un examen fcrupuleux de leurs talents pour le gouvernement, ni par la coniidération impartiale de la grandeur & du fuccès de leurs entreprifes; Francois eft un de ces Princes dont la renommée eft au-deffus de leur génie & de leurs aétions; & cette préférence eft 1'effet de plufieurs circonftances réunies. La fupériorité que donna a Charles la viöoire de Pavie s & qu'il conferva dès-lors jufqu'a la fin de fon regne , étoit fi manifefte, que les efforts de Frangois pour affoiblir la puiffance énorme & toujours croiffante de fon rival, furent jugés par la plupart des autres Etats, non-feulement avec la partialité qu'infpirent naturellement ceux qui foutiennent avec courage un combat K iij »547-  222 L'HlSTOlRE inégal, maïs même avec la faveur que méritoit celui qui attaquoit un ennemi commun, & tachoit de réprimer le pouvoir d'un Souverain formidable k tous les autres. D'ailleurs, laréputation des Princes, furtout aux yeux de leurs contemporains, depend autant de leurs qualiIites perfonnelles que de leurs talents pour le gouvernement. Francois commit des fautes graves & multiphees, & dans fa conduite politique & dans fon adminiitration intérieu! re; mais il fut humain, bienfaïfant" genereux; il avoit de la dignité fans orgueil, de Farfabilité fans baffeife & de la politeffe fans fauffeté : il etoit aimé & refpeöé de tous ceux qui approchoient de fa perfonne, & tout homme de mérite avoit accès aupres de lui. Séduits par les qualités de 1'homme, fes fujets oublierent les defauts du Monarque ; ils 1'admiroient comme le Gentilhomme le plus accompli de fon Royaume; & ils fe foumirent fans murmure k des adlesd'adminiftration vigoureufe qu'ils n'auroient pas pardonnés k un ^nnce moins aimable. II femble ce-  DE CHA RLE S-Q UINT. IIJ pendant que cette admiration auroit ' dü n'être que momentanée, & mourir avec les courtifans de ce Monarque ; rillulion qui naiffoit de fes vertus privées a dü fe difliper, Sc la poltérité devroit juger fa conduite publique avec fon impartialité ordinaire ; mais cet effet naturel a été contrebalancé par une autre cireonftance, Sc le nom de Frangois k paffé a la poflérité avec une gloire dont le temps n'a fait qu'augmenter 1'éclar. Avant fon regne, les fciences Sc les arts avoient fait peu de progrès en France; a peine commeneoient-ils a franchir les limites de Fitalic , oü ils venoient de renaïtre , Sc qui avoit été jufqu'alors leur unique féjour. Frangois les prit fous fa protec~tion ; il voulut égaler Léon X y par Tardeur Sc la magnificence avec laquelle il encouragea les lettres. II appella les favants k faCour;il converfa familiérement avec eux ; il les employa dans les affaires ; il les éleva aux dignités, Sc il les honora de fa confiance. Les gens de lettres ne font pas moins flattés d'être traités avec la diftinftion qu'ils croyent mériter ^ *H7-  M47- F-ffetï de mort de Francois. m 124 L'HlSTOlRE que difpofés a fe plaindre lorfqu'on leur refufe les égards qui leur font dus; ils crurent qu'ils ne pouvoient porter trop loin leur reconnoiffance pour un protecleur fi généreux , & célébrerent, a 1'envi, fes vertus & fes talents. Les écrivains poitérieurs adopterent ces éloges, & y ajouterent encore. Le titre de pere des lettres qu'on avoit donné a Frangois, a rendu fa mémoire facrée chez les hiftoriens; ils femblent avoir regardé comme une forte d'impiété de releyer fes foibleffes, & de cenfurer fes défauts. Ainfi Francois, avec moins de talents & de fuccès que Charles , jouit peut-être d'une réputation plus bnllante; & les vertus perfonnelles dont il étoit doué, lui ont mérité plus d'admiration & d'éloges que n'en ont infpiré le vafte génie & les artifïces heureux d'un rival plus habile mais moins aimable. a La mort du Roi de France produifit un changement confidérable dans letat del'Europe. L'Empereur, vieilh dans 1'art du gouvernement, n avoit plus pour rivaux que de jeunes Monarques peu dignes d'entrer  DE CHARLES-Q U IN T. 11<} en lice avec celui qui avoit lutté fi longtemps & prefque toujours heureufement , avec des Princes tels qu'Henri VIII & Francois I. Cette mort délivra Charles de toute inquiétude, & il fe trouva heureux de pouvoir commencer avec fuccès, contre 1'Electeur de Saxe , les opérations qu'il avoit été obligé de fufpendre jufqu'alors. II favoit que les talents de Henri II, qui venoit de monter fur le tröne de France, étoient bien inférieurs a ceux de fon pere; il prévit que ce nouveau Monarque feroit pendant quelque temps trop occupé h renvoyer les anciens miniftres qu'il haïffoit, & a fatisfaire les defirs ambitieux de fes propres favoris, pour qu'on eut quelque chofe a craindre , foit de fes efforts perfonnels, foit de quelque confédération formée par ce Prince fans expérience. Comme il étoit difficile de prévoir combien dureroit cet intervalle de fécurité, Charles fe détermina a en profiter fur le champ ; dès qu'il eut appris la mort de Frangois , il fe mit en marche d'Egra fur les frontieres de Bohème j mais le départ K v M47- Charles marche contre 1'E'ec» teur de Saxe. 13 AvóL  -547- 2i6 L'Histoirs des troupes du Pape, joint a la retraite des Flamands, avoit tellement affoibii fon armée , qu'il ne put raffembler que feize mille hommes. Ce ti3VeC veS forces fl Peu confidérables, qu'il commenca une expédition dont Pévénement devoit rixer le degré d'autorité dont il jouiroit dorenavant en Allemagne. Cependant comme fa petite armée étoit particuherement compofée devieilles be ndes Efpagnoles & Italiennes, il pouvoit, fans lailfer beaucoup au hafard, fe repofer fur leur valeur & fe natter même de 1'efpérance'dn fuccès. L'Elecfeur, il eft vrai, avoit leve une armée fort fupérieure en nombre; mais elle ne pouvoit être comparée avec celle de 1'Empereur, ni pour Texpérience & la difcipline des troupes, ni pour les talents des Officiers. D'ailleurs, ce Prince avoit deja fait une faute, qui, en le privant de tout 1'avantage que lui donnoit Ja fupériorité du nombre , auroit pU feule entrainer fa mine. Au'ieu de tenir fes forces réunies, il en 3étacha un corps confidérable vers L«s frontieres de la Bohème, afin de  de Charies-Quint, 227 faciliter fa jonction avec les mécontents de ce Royaume, & il cantonna une grande partie de ce qui reftoit en différentes villes de la Saxe, contre lefquelles il ne doutoit pas que 1'Empereur ne portêt fes premiers effbrts. II eut la foiblefTe de croire que ces places ouvertes & munies de petites garnifons,. feroient en état de tenir contre un tel ennemi. L'Empereur entra en Saxe par la frontiere méridionale , & attaqua Altorf fur 1'Elfter. On vit bientöt combien la manoeuvre de l'Elecfeur étoit infenfée ; car les troupes qui fe trou» voient dans cette ville , fe rendirent fans réiiltance ; & celles qu'on avoit envoyées dans les autres places entre Altorf & 1'Elbe , fuivirent cet exem* ple, ou s'enfuirent a 1'approche des Impériaux. Charles ne laiffa pas aux Saxons le temps de fe remettredela terreur panique dont ils paroiffoient ctre frappés, & il marcha en-avant fans perdre un feul moment. L'Electeur, qui avoit établi fon quartier général a Meiffen, flottoit dans 1'état d'indécifion & d'incertitude qui lui étoit naturel; il fe montroit mênse. *547« Progrès dè fes armes.  *547- , H I S T O I R E plus indécis a proportion que le danger paroiffoit plus urgent, & exigeoit des réfolutions plus promptes. Quelquefois il fembloit déterminé a défendre les bords de 1'Elbe , & a tenter le fort d'une bataille , dès que les détachements qu'il avoit appelles a lui , feroient k portee de le joindre. D'autres fois regardant ce parti comme téméraire & trop périlleux, il paroiiibit adopter les avis plus prudents de ceux qui lui confeilloient de tacher de trainer la guerre en longueur, en fe retirant fous les fortificat^pns de Wittemberg, oü les Impériaux ne pourroient 1'attaquer fans un défavantage fenfible, tandis qu'il y attendoit en füreté les fecours qui "'devoient lui arriver du Meklembourg, de la Poméranie & des villes protefteftanres de la Baltique. Sans s'arrêter d'une maniere fixe a 1'un ou a 1'autre de ces deux plans, il rompit le pont de Meiffen , & marcha le long de la rive oriëntale de 1'Elbe jufqu'a Muhlberg, Lk il délibéra de nouveau; & après avoir héfité longtemps, il s'en tint a un de ces partjs mitoyens, qui font toujours agréa«  de Charles-Quint. 229 bles aux ames foibles &c incapables de réfblution & de fermeté. II laiffa un detachement a Muhlbergpour s'oppofer aux Impériaux , s'ils tentoient de paffer la riviere en cet endroit; & s'avangant a quelques milles de Ik avec lbn armée , il y campa, en attendant Pévénement, fur lequel il fe propofoit de régler fes démarches ultérieures. Cependant Charles qui marchoil toujours fanss'arrêter, arriva le vingttrois d'Avril au foir, fur les bords de 1'Elbe , vis-a-vis de Muhlberg. La ri viere avoit, en cet endroit, trente pas de Iargeur & plus de quatre pieds de profondeur ; fon courant étoit rapide, & le bord que les Saxons occupoient étoit plus élevé que celui ou il fe trouvoit. Ces obftacles cependant n'arrêterent point 1'Empereur ; il affembla fes Officiers généraux; & fans demander leur avis, il leur communiqua Ia réfolution oü il étoit de tenter , le lendemain au matin , le paffage de la riviere , & d'attaquer 1'ennemi par-tout oü il pourroit Ie rencontrer. Tous fes Généraiuc ne purent s'empêcher de tét •H7- II paffe 1'Elbe.  1547- >3° L' H I S T O f R E moigner 1'étonnement que leur infpiroit une réfolution fi hardie ; le Duc d'Albe, quoique naturellement audacieux & bouillant, & Maurice de Saxe , quoiqu'impatient d'accabler FElecfeur fon rival , firent eux-mêmes des repréfentations très-vives contre ce parti; mais Charles s'en fiant davantage a fon propre jugement ou a fa fortune, n'eut point égard a leurs raifons, & donna les ordres néceffaires pour 1'exécution de fon plan» Dès le point du jour, un corps d'infanterie Efpagnole &c Italienne marcha vers la riviere, & commenga a faire un feu continuel fur 1'ennemi. Les longs & pefants moufquets dont on fe fervoit alors, faifoient beaucoup de ravage fur la rive oppofée; plufieurs foldats Impériaux emportés par une ardeur guerriere, & voulant s'approcher plus prés de 1'ennemi, entrerent dans la riviere, & s'y avancant jufqu'a Ia hauteur de la poitrine, ils tiroient avec une diredtion plus füre & avec plus d'effet. Sous la proteéfion de cf.» feu de moufqueterie, on commerjea a établir un pons  DE ChARLES-QuiNT. 23 I de bateaux pour Finfanterie; un payfan ayant propofé de faire paffer la cavalerie par un gué qu'il connoiffoit, elle fe mit auffi en mouvement; les Saxons, qui étoient poilésa Muhlberg, tacherent de troubler ces opérations par le feu affez vif d'une batterie qu'ils avoient élevée; mais comme les terreins bas des bords de 1'Elbe étoient couverts d'un brouillardépais, ils ne pouvoient pas diriger leurs coups avec affez de jufteffe, &ilsne firent pas beaucoup de mal aux Impériaux. Les Saxons , au contraire , fort maltraités par Ie feu des Efpagnols & des Italiens, brülerent quelques bateaux qui avoient été raffemblés prés du village , & fe préparerent a faire retraite. Les Impériaux s'étant appercus de ce deffein, dix foldats Efpagnols fe dépouillerent fur le champ; & prenant leurs épées entre leurs dents, fejetterent a la nage, traverferent la riviere, mirent en fuite quelques Saxons qui voulurent les arrêter, & fauverent des flammes autant de bateaux qu'il leur en falloit pour achever Ie pont; cette aftion fi hardie &c fi heureufe ani- -547-  «547- M Avila, 115. A4 231 L* HlSTOIRE ma le courage de leurs compagnons , & jetta 1'épouvante parmi leurs ennemis. En même-temps, chaque cavalier prenant en croupe un fantaffin , tous commencerent a entrer dans la riviere ; Ia cavalerie légere marchoit a Ia tête , fuivie par les Gendarmes que 1'Empereur conduifoit en perfonne, monté fur un beau cheval , yêtu d'un habit fuperbe, & tenant une javeline a la main. Ce corps nombreux de cavaliers s'agitant a travers une grande riviere , oü , fuivant la direct ion de leur guide , ils étoient obligés de fuivre différents détours, marchant quelquefois fur un terrein folide , & quelquefois fe mettant a la nage, préfentoit a ceux de leurs compagnons qu'ils laiiToient fur le rivage, un fpeflacle également intcreffant (a) & magnifique. Le courage de cette troupe furmonta a la fin tous les obffacles ; perfonne n'ofoit montrer un fentimentde crainte, lorfque TEmpereur partageoit tous les dan»  DE CH ARLES-QU I NT. 133 gers avec le dernier de fes foldats. Dès que Charles eut atteint la rive oppofée, fans attendre le refte de fon infanterie, il marcha aux Saxons k la tête des troupes qui avoient paffe la riviere avec lui; celles ci, encouragées encore par le fuccès de leur entreprife, & méprifant un ennemi qui n'avoit ofé les attaquer lorfqu'il pouvoit le faire avec tant d'avantage , ne tinrent aucun compte de la fupériorité du nombre, & marcherent au combat comme a une victoire certaine. Pendant toutes ces opérations , qui néceffairemer.t durene conütmer beaucoup de temps, 1'EIecteur refta« dans fon camp, fans faire aucun mouvement ; il ne vouloit pas même croire que 1'Empereur eut pafte la riviere & put être fi prés de lui aveuglement fi extraordinaire , que les hiftoriens les mieux infiruits 1'imputent a la perfidie de fes Généraux qui 1'avoient trompé par de faux (a) Camerar. ap. Freher. r. 3 , p. 693, Sicuv. Corp. hifl. Germ. 1047, I049- 1547' Mauvaife conduite de 1'Elecleur,  '547- Bataille de .Alulhaufen. m^34 VHistoire ~ avis. Lorfque les témoignages réunis de plufieurs témoins oculaires 1'eurent enfin convaincu de fa fatale mépnfe, il donna fes ordres pour fe retirer vers Wittemberg; mais une armée Allemande, embarraffée comme de coutume par fes bagages & fon artillerie, ne pouvoit fe mettre en mouvement avec beaucoup de célenté. A peine avoit-elle commencé fa marche, que les troupes Iégeres de 1 ennemi fe firent appercevoir, & 1'EJedfeur vit qu'il ne pouvoit éviter une bataille. Comme il avoit autant 1® ïavoure dans l'action que d'inaeciuCn dn.TS !« «mfeil r il fit fes. idifpofitions pour le combat avec la plus grande préfence d'efprit & beaucoup de prudence ; il profita d'une grande forêt pour couvrir fes aïles, de maniere a ne pas craindre d'être enveloppé par la cavalerie ennemie, beaucoup plus nombreufe que la fienne. L'Empereur, de fon cóté, rangeoit fes troupes en bataille a mefure qu'elles avancoient; & parcourant les rangs è cheval, il exhortoit fes foldats, en peu de mots, mais en termes énergiques, a faire leur devoir.  DE CHARLES-QUINT. 13J Les deux armées étoient animées par des fentiments bien différents. Le Ciel qui jufqu'a ce moment avoit été fombre & couvert de nuages , s'étant éclairci tout-a-coup, cette circonftance fit fur les deux partis oppofés une impreffion analogue a la difpofition des efprits. Les Saxons, furpris &C découragés , fe virent avec peine expofés aux regards de leurs ennemis; les Impériaux , affurés que lestroupes Protefiantes ne pouvoient plus leur échapper, fe réjouirent du retour du foleïï, comme d\m prë* fage certain de la viöoire. Le combat n'auroit été ni long ni douteux, fi le courage des Saxons n'eüt été ranimé &c foutenu par la bravoure perfonnelle de rElefteur, & par 1'activité qu'il déploya, dès le moment que 1'approche de 1'ennemi lui eut fait regarder un engagement général comme inévitable. Ils repouflerent d'abord la cavalerie légere Hongroife qui commenca Fattaque , & recurent avec beaucoup de vigueur les gendarmes qui s'avancerent enfuite a la charge ; mais comme ceux ci étoient la fleur de 1'armée Impériale , &,  •547- L'Ele&eur eft battu &. fait prifonnier. 236 L'HlSTOIRE qu'ils combattoient fous les yeux de FEmpereur , les Saxons furent obligés de plier; les troupes légeres des Impériaux fe ralliant en même-temps, & tombant fur leurs flancs, la déroute devint bientöt générale. Un petit corps de foldats choifis que 1'Eledteur commandoit en perfonne, continuoit encore de fe défendre, & tachoit de fauver fon Souverain en fe retirant dans la föret. Mais cette troupe ayant été enveloppée de tous cötés, l'Eleöeur qui étoit bleffé aü yjfsge & épuifé de fatigue, &c qui voyoit Pinutilité d'une plus longue réfiflance , fe rendit prifonnier. II fut conduit fur le champ vers 1'Empereur , qui revenant alors de la pourfuite des fuyards, jouifToit, au milieu du champ de bataille, de la vue de tout fon fuccès, & recevoit les compliments de fes officiers , fur la victoire com plette qu'il venoit de remporter par fa valeur & fa prudence. L'Eleöeur , dans la fituation malheureufe & humiliante oü il étoit réduit, montra un maintien également noble & décent; il fe préfenta a fon vainqueur fans prendre un air d'or-  DE CHARLES-Qu INT. 137 gueil ou d'humeur qui n'auroit pas convenu a un captif; mais il ne s'abaifTa non plus a aucune marqué de foumiffion , indigne du rang élevé qu'il tenoit parmi les Princes d'Allemagne. » Le hafard de la guerre., » dit-il, m'a fait votre prifonnier, » très-gracieux Empereur, & j'efpere » d'être traité.... Ici, Charles 1'interrompit brufquement:» On me re» connoit donc enfin pour Empereur, » lui dit-il ? Charles de Gand étoit » le feul titre que vous m'aviez don» né jufqu'ici. Vous ferez traité com» me vous le méritez ". Après ces mots, il tourna le dos a l'EIe&eur , d'un air très-fier, & le quitta. A ce traitement cruel, le Roi des Romains ajouta en fon propre nom , des reproches accompagnés d'exprefïions moins généreufes encore & plus infultantes. L'Electeur ne fit point de réponfe ; & d'un air calme & tranquille, fans montrer ni abattement ni furprife , il fuivit les foldats Efpagnols défignés pour le garder (a). ( 437- 274 L'HlSTOIRE refte de fes foldats dans les villages voifins; de forte que les membres de la diete , en procédant a leurs délibérations, fe voyoient environnés de la même armée qui avoit vaincu leurs compatriotes. Immédiatement après fon entrée publique , il donna une preuve de la violenee qu'il étoit tout prêt a exercer. II s'empara , a main armée , de la Cathédrale &c d'une des principales Eglifes de la ville ; fes Prêtres les ayant purifiées avec différentes cérémonies , pour effacer les fouillures prétendues qu'y avoit laiffées, felon eux, le miniftere profane des Proteftants , ils y rétablirent, avec bc aucoup de pompe, les rits du culte Romain (a). Le concours des membres de cette diete fut prodigieux ; Pimportance des objets fur lefquels on devoit délibérer, & la crainte d'offenfer TEmpereur par une abfence qui auroit pu être mal interprétée , avoient réuni prefque tous les Princes, les Nobles te les repréfentants des villes qui  de Charles-Quint. 175 avoient droit de fuffrage dans cette affemblée. L'Empereur ouvrit la féance par un difcours dans lequel il invita la diete a donner particuliérement fon attention a 1'objet qu'il alloit lui préfenter. Après avoir expofé les fuites funeftes des difputes de religion qui s'étoient élevées en Allemagne , & après avoir rappelié les efforts conftants qu'il avoit faits pour faire convoquer un concile général, feul moyen d'apporter du remede a tant de maux, il exhorta les membres de la diete a reconnoitre 1'autorité de cette affemblée, è laquelle ils en avoient d'abord appellé eüxmêmes j comme au feul juge qui eut le droit de décider fur ces matieres. Mais ce concile, auquel Charles defiroit qu'on renvoyat la décifion de toutes les controverfes, avoit déja fubi un changement très-confidérable» La crainte & la jaloulie qu'avoient infpirées au Pape les premiers fuccès de 1'Empereur contre les confé-* dérés de Smalkalde, prenoient cha-» que jour de nouvelles forces. Nors content de chercher a retarder le M vj Diffërentes révolutions arrivées dansle concile»  *547- 176 L'HlSTOIRE progrès des armes Impériales par Ie rappel fubitde fes troupes, Paul commencoit a regarder 1'Empereur comme un ennemi qui lui feroit bientöt fentir Ie poids de fa puiffance , & contre lequel il ne pouvoit pas prendre trop tot des précautions. II prévit que 1'effet immédiat de 1'autorité abfolue dont 1'Empereur jouiroit en Allemagne, feroit de le rendre entiérement maïtre de toutes les décilions du concile, s'il continuoit de s'affembler a Trente. II étoit dangereux de laiffer a un monarque fi ambitieux la difpofition d'un inftrument formidable, qu'il pourroit employer a fon gré pour limiter, ou renverfer peut-être la puiffance des Papes. Paul jugea que le feul moyen de prévenir cette révolution, étoit de tranfférer 1'affemblée du concile dans quelque ville plus immédiatement foumife a fa jurifdiction, & oü 1'Empereur eut moins d'influence, foit par la terreur de fes armes, foit par fes intrigues & fon crédit. II fe préfenta heureufement une circonftance qui parut rendre ce changement en quelque forte néceffaire. Ün ou deux des  DE C H AR LES-Q U I NT. 277 peres du concile & quelques-uns de leurs domeftiques ayant été frappés de mort fubite, fans que Pon connüt la caufe du mal, les médecins, trompés par les fymptömes, ou féduits par les Légats du Pape , affurerent que c'étoit Peffet d'une maladie contagieufe &peitilentielle. Plufieurs Prélats, effrayés de ce danger, fe retirerent avec précipitation. D'autres fe montrerentimpatients de quitter auffi ce féjour; enfin , après une courte confultation, le concile fut transféré a Bologne, ville foumife a la domination du Pape. Tous les Evêques du parti Impérial s'oppoferent vivement a cette réfolution, comme étant prife fans néceflïté, & fondée fur des prétextes faux ou frivoles. Tous les Prélats Efpagnols, & la plupart des Napolitains refterent a Trente par 1'ordre exprès de 1'Empereur; les autres, au nombre de trente-quatre , accompagnerent les Légats a Bologne. Ainfi Pon vit fe former un fchifme dans cette même affemblée convoquée pour guérir les divifions de 1'Eglife Chrétienne; les Peres de Bologne décla- *547- 11 Mars. Le concile eft transféré de Trente a Bologne»  '547- Signes de ir.écontentement réciproqueentre le Pape Sc 1'Empereur. 278 L' H I S T O I R E merent contre ceux qui relterent a Trente, qu'ils regarderent comme défobéiffants & réfraöaires a 1'autorité du Pape ; tandis que ceux-ci accufoient les autres de fe laiffer intimider par un danger imaginaire , au point de fe retirer dans un lieu oü leurs confultations ne pouvoient être d'aucuhe utilité pour le rétabliffement de la paix &c du bon ordre en Allemagne (a). L'Empereur employa en mêmetemps tout fon crédit pour faire retourner le concile è Trente ; mais Paul, qui s'applaudifToit hautement de fon habileté, en prenant une mefure qui ótoit a Charles les moyens de fe rendre maitre de cette affemblée , n'eut aucun égard a une demande dont 1'intention étoit trop manifefte. L'été fe confuma en négociations inutiles fur cet objet, 1'obftination de 1'un augmentant chaque jour en proportion de 1'importunité de 1'autre. II arriva, a la fin , un événement qui anima plus que jamais (a) Fra-Paolo, 148^^0.  de Charles-Quint. 279 ces deux Princes 1'un contre 1'autre, & qui détermina entiérement !e Pape a n'écouter plus aucune propofition qui vint de 1'Empereur. Charles , comme on 1'a déja dit, avoit tellement irrité Pierre Louis Farnefe , nis du Pape , en lui refufant Finveftiture de Parme & de PLifance, que Farnefe cherchoit fans ceffe , avec toute la vigilance d'un refFentiment aétif, 1'occalion de fe venger. Il s'étoit efforcé d'engager fon pere dans une guerre ouverte contre FEmpereur, &c il avoit vivement follicité le Roi de France de tenter une invafion en Italië. Sa haine & fon refFentiment s'étendoient fur tous ceux que FEmpereur favorifoit. II perfécuta Gonzague, Gouverneur de Milan, & il avoit encouragé Fiefque dans fa confpiration contre André Doria , parcé que Gonzague & Doria avoient 1'effime & la confiance de Cfnrles. Cette inimitié & ces intrigues fecretesn'étoient pas inconnues a FEmpereur; il n'attendoit que le moment de s'en venger , & Gonzague 6c Doria ne defiroient rien tant que d'être les inltruments de fa vengeance. Les mceurs 1547»  J547- AffafTmat du rils du Pape. '280 L'HlSTOIRE les plus licencieufes & des excès de toute efpece, égaux a tous les crimes qu'on reproche aux tyrans qui ont le plus outragé Ia nature humaine, avoient rendu Farnefe fi odieux , que toute violence paroiflbit légitime contre lui. On trouva bientöt parmi fes propres fujets, des hommes, qui s'emprefferent & regarderent même comme une aftion méritoire de prêter leurs mains a un affaffinat,, Animé de cette jaloufie qui dévore ordinairement les petits Souverains , Farnefe avoit eu recours a toutes les reffources de cruauté & de perfidie par lefquelles on cherche a fuppléer au défaut de pouvoir, pour abaiffer & exterminer la Nob! efie foumife a fa domination. Cinq, Nobles du premier rang, a Plaifance, fe lierent pour venger les affronts qu'eux-mêmes perfonnellement &c tout leur corps en général avoient effuyés de la part de ce Prince. Ils formerent leur plan de concert avec Gonzague; mais il eft encore incertain fi ce fut lui qui le premier leur fuggéra ce plan, ou s'il ne fit qu'approuver ce qu'ils avoient propofé. Ils concerterent tou-  DE CH AR LES-QU I N T. l8l tes leurs démarches avec tant de prévoyance , conduifirent leurs intrigues avec un ii profond fecret, montrerent tant de courage dans Texécution de leur complot, qu'on peut le regarder comme une des aétions de ce genre les plus audacieufes dont il foit fait mention dans 1'hilfoire. Une trou pe de conjurés furprirent en plein midi les portes de la citadelle de Plaifance oii Farnefe réfidoit,. difperferent fes gardes & le maflacrerent; tandis que les autres conjurés fe rendirent maïtres de Ia ville , & exciterent leurs concitoyens a prendre les armes pour recouvrer leur liberté. La multitude fe précipïta vers la citadelle , dbii 1'on avoit tiré trois coups de canon , qui étoient le fignal concerté avec Gonzague. Avant d'avoir pu connoitre la caufe ou les auteurs du tumulte , le peuple vit le corps fanglant du tyran fufpendu par les pieds a une des croifées de la citadelle; mais il étoit fi généralement détefté, qu'aucun de fes propres fujets ne parut ni touché d'un fi grand revers de fortune, ni indigné de la maniere ignominieufe dont or 1547- 10 Septembre.  J5*7- Les troupes Impériales prennent pofleffion de Plaifance. 282 L'HiSTOirtE traitoit leur Souverain. Le fuccès de cette confpiration excita une joie univerfelle , & 1'on applaudit a ceux qui en étoient les auteurs, comme aux libérateurs de la patrie. Le cadavre de Farnefe fut jetté dans les foffés qui environnoient la citadelle , & expofé aux infultes de la populace ; tous les citoyens reprirent leurs occupations accoutumées , comme s'il n'étoit rien arrivé d'extraordinaire. Dès le même jour, un corps de troupes arrivant des frontieres du Milanès , oü ils avoient été poftés en attendant Pévénement, prirent poffeffion de la ville au nom de 1'Empereur , & rétablirent les habitants dans la jouiffance de leurs anciens privileges. Les Impériaux voulurent auffi s'emparer de Parme par furprife ; mais cette ville fut fauvée par la vigilance & la fidélité des officiers a qui Farnefe avoit confié le commandement de la garnifon. Paul apprit avec la plus vive douleur la mort d'un fris qu'il idolatroit malgré fes vices infames ; & la perte d'une ville auffi importante que Plaifance, rendit fon affliclion plus amere encore. II  de Charles-Quint. zSj accufa en plein confiftoire Gonzague d'avoir commis un meurtre abominable pour fe frayer la voie a une ufurpation injufte, & il demanda fur Ie champ a 1'Empereur de venger ces deux attentats , en faifant punir Gonzague , & en reftituant Plaifance a fon petit-fils Oclave, qui en étoit 1'héritier légitime. Mais Charles, plutöt que de fe défifter d'une acquifition ii précieufe, fe feroit expofé luimême k 1'imputation d'être complice du crime qui la lui avoit procurée , & k 1'infamie de fruftrer fon propre gendre d'un héritage qui lui appartenoit; il éluda toutes les follicitations du Pape, & fe détermina k refter en poffeffion de Plaifance ck de fon territoire (a). Cette réfolution, 1'effet d'une ambition infatiable que ne pouvoit modérer aucune confidération ni de bienféance ni de juftice , fit paffer au Pape toutes les bornes de fa mo- (. 1^. 188 L' HlSTOIRE de tous les partis un libre accès k la diete avec une entiere liberté de difcuffion, & que tous les points de controverle ne fe décidaffent conformément aux texte de 1'écriture & aux ufages de la primitive Eglife. Lorfqu'on préfenta a 1'Empereur le mémoire qui contenoit cette déclararation, il eut recours a un artifice extraordinaire. Sans lire le papier, &c fans prendre aucune connoiffance des conditions fur lefquelles infiltoient les villes Impériales, il feignit de croire qu'elles avoient confenti k ce qu'il leur demandoit, & fit des remerciments aux députés fur leur pleine & entiere foumiffion aux décrets du concile. Les députés , quelqu'étonnés qu'il fuffent de ce qu'ils venoient d'entendre, ne chercherent point k défabufer 1'Empereur ; les deux partis aimerent mieux laifferl'afFaire dans cet état d'ambiguité, que d'en venir d une explication qui auroit occafionné une difpute, & peut-être une rupture (a). Charles  DE CHARLES-QüINT. 289 Charles, ayant obtenu cette foumiffion apparente de la diete a 1'autorité du concile, s'en fervit comme d'un nouveau motif pour appuyer la demande du rappel du concile a Trente ; mais le Pape, déterminé par le delïr de mortiner 1'Empereur , autant que par Ion propre éloignement pour ce qu'on lui demandoif, prit fans héllter la réfolution de n'y point .confentir ; cependant comme il ne vouloit pas qu'on put lui reprocher de fe laiffer dominer par fon reffentiment, il eut 1'adreiTe d'obtenir une oppofition formelle des dofteurs qui étoient a Bologne. II renvoya, a leur confidération , la demande de la diete; & ces dofteurs toujours prêts k confirmer par leur confentement torn ce qui leur étoit infpiré par le Légat, dédarerent que le concile ne pouvoit pas, fans manquer a fa di- 2 gnité, retourner è Trente, a moins b qiw les Prélats qui, en y reftant, avoient montré un efprit de fchifme , ne fe rendiffent auparavant a Bologne pour s'y réunir avec leurs freres; ils ajouterent que même aorès cette réunion , le concile ne póurTome V. N M47- Le Pape slude la demande. 0 Décemre.  1548. L'Ëmpereur protégé contre le concile cle Bologne. O) Fra-Pao!o, 25c. Patlavicini, /. 2, p. 49- 190 L'HlSTOIRE roit pas renouveller fes délibérations avec l'efpérance d'être utile a 1'Eglife , fi les Allemands ne prouvoient pas que leur intention étoit d'obéir aux dccrets futurs du concile , en fe foumettant dès 1'inflant même a ceux qu'il avoit déja prononcés («). Cette réponfe fut communiquée a 1'Empereur par le Pape , qui 1'exhorta en même-temps a déférer a des demandes qui paroifforent fi raifonnables; mais Charles connoiffoit trop bien le caractere artificieux de Paul, pour fe laiffer tromper par un fi groffier artifice ; il favoit que les Prélats de Bologne n'ofoient avoir d'autres avis que ceux qui leur étoient infpirés par ce Pontife ; il les regarda donc comme de purs inffruments dans les mains d'un autre , & ne vit dans leur réponfe que 1'expofé des intentions du Pape. Comme il ne pouvoit plus efpérer de prendre affez d'afcendant fur le concile pour le faire fervir afes projets, il fentit com-  de Charles-Quint. 291 bien il étoit nécelTaire d'empêcher Ie ' Pape de tourner contre lui i'autorité d'une aiTemblée fi refpeöable. Dans cette vue , il envoya a Bologne deux jurifconfultes, qui, en préf'ence des Légats, proteiïerent que la tranflation du concile dans cette ville , s'étoit faite fans néceffité & fur des prétextes faux ou frivoles; que tant qu'il eontinueroit d'y tenir des féances , il ne devoit être regardé que comme un conventicule illégal & fchifmatique ; que , par conféquent , toutes fes décifions devoient être regardées comme nulles & fans validité ; enfin , que le Pape & les Eccléfiaftiques corrompus qui dépendoient de lui , ayant abandonné le foin de l'Egiife , 1'Empereur qui en étoit Ie protecf èur, employeroit tout le pouvoir que Dieu lui avoit confïé , pour la préferver des calamités dont elle étoit menacée. Quelques jours après , 1'Ambaffadeur Impérial , rélidant a Rome , demanda une audience au Pape ;. & en préfence de tous les Cardinaux ainfi cue des minifires étrangers, il protefta contre les démarches des Prélats de Bologne, dans les termes N ij 1548. 23 Janr.  «548. L'Empercur prépare un fyftême pour . 508, N vj 1548. L'Interim eft également défapprouvépar les Papifles & par les Proteftants,  1543. 3©0 1'HlSTOlff E ouvrage dans lequel la do&rine de 1'Eglife étoit fcandaleufement abandonnée, ou baffement dilïïmulée, ou énoncée en termes coneertés pour égarer les efprits foibles, plutót que pour éclairer les ignorants ou pour convertir les ennemis de. la vérité. Tandis que d'un cöté les do&eurs Lutbériens déclamoient avec emporfement contre ce fyftême, le Génér ral des Dominicains, d'un autre cör té , 1'attaquoit avec non moins de véhémence ; mais lorfque le contenu de VInterim. fut connu a Rome , 1'indignation des courtifans ainfi que des Eccléfiaftiques éclata avec emportement : ils fe récrierent contre 1'audace impie de 1'Empereur qui ufurr poit les fonctions du facerdoce, ea prétendant, avec le feul concours des. laïques; définir les articles de foi, & régler des formes de culte; ils comparerent cet a£le téméraire è 1'attentat d'Ozias, qui d'une main profane avoit touché 1'arche du Seigneur, ou aux entreprifes hardies de ces Empereurs qui avoient rendu leur mémoire exécrable en prétendant réformer k leur gré 1'Eglife Chrétienne.  de Charles-Quint. joi Ils affefterent même de trouverde la " r~~" reffemblance entre la conduite de 154 * Charles & celle d'Henri VIII, & parurent craindre que 1'Empereur ne fiiivit 1'exemple de ce Monarque, en ulurpant le titre ainfi que la jurifdiction qui appartenoit au Chef de 1'Eglife. Tous foutinrent donc unanimement que les fondements de 1'au» torité eccléfiaftique étant ébranlés, & 1'édifice entier étant prés d'être renverfé par un nouvel ennemi, il falloit recourir a quelque moyen puiiTant de défenfe, & faire, dès les commencements, la plus vigoureufe réfiflance, avant que les progrès de 1'atfaque fuffent affez avancés pour rendre tous leurs efTorts inutiles. Le Pape , dont le jugement étoit Opiniondu éclairé par une plus longue expé- Pape k ce rience & par une obfervation plus fujet* générale des affaires humaines, vit cet objet avec plus de fagacité, & trouva un motif de tranquillité dans la circonffance même qui confternok fes courtifans dk fes confeillers. II fut étonné qu'un Prince auffi habile que 1'Empereur fe laiflat aveugler par une feule viftcire,. au point d'ima-  302 L'HlSTOIRE ■ —■ giner qu'il pourroit donner la lol 1'4 ' aux hommes, & leur faire recevoir fes difcours, même dans les matieres fur lefquelles ils fouffrent le plus impatiemment la domination. II concut qu'en fe joignant aTun des partis divifés en Allemagne, il avoit été aifé a Charles d'opprimer 1'autre , & que Fivreffe du fuccès lui avoit fans doute infpiré la vaine penfée qu'il étoit en état de les fubjuguer tous les deux; il prédit qu'un fyftême que tous les partis attaquoient & qu'aucun ne défendoit, ne pouvoit pas ;être de longue durée, & que, par conféquent , il n'auroit pas befoin d'interpofer fes propres forces pour en accélérer la chüte ; il vit enfin que 1'édifice s'écrouleroit de lui-même pour être a jamais oublié, dès que la main puiflante qui Favoit élevé celTeroit de le foutenir (a). L'Empe- L'Empereur,anaoureuxde fon plan, reur veut voulut maintenir la réfolution qu'il faire exe- avojt prife de ie faire rigoureufement cutar Un- r B terim, (a) Sleid. 468. Fra-Paolo, 271 , 277. pallavicini, l. 2, p. 64.  BE Ch'ARLES-QüI NT. 3O3 exécuter; mais quoique 1'Eledteur Palatin, 1'Eleöeur de Brandebourg & Maurice, toujours entrainés par les .mêmes confidérations, paruffent difpofés a obéir aveuglément a tout ce qu'il ordonneroit , il ne trouva pas par-tout la même foumiflion. Jean, Marquis de Brandebourg - Anfpach , quis'étoit engagé avec le plus grand zele dans la guerre contre les confédérés de Smalkalde , refufa cependant de renoncer k des principes qu'il regardoit comme facrés; & rappellant a 1'Empereur les promeffes réitérées qu'il avoit faites a fes alliés Proteftants, de leur accorder le libre exercice de leur religion, il prétendit en conféquence être difpenfé de recevoir Ylnttrim. Quelques autres Princes hafarderent aufli de montrer les mêmes fcrupules, & de demander la même indulgence. Mais en cette occafion, comme dans toutes celles qui demandoient du courage, la fermeté de 1'Elecfeur de Saxe fe montra d'une maniere diftinguée, & mérita les plus grands éloges. Charles, qui connoiffoit combien 1'exemple de ce Prince aiuroit d'influence fur tout le  1548. 304 L' H I S T O I R E parti Proteitant, n'épargna rien pour 1'engager a approuver 1''Interim ; il chercha tour-a-tour a le féduire par l'efpérance, & a 1'intimider par la crainte, tantöt en lui promettant de le mettre en liberté , tantöt en le menacant de le traiter avec plus de févérité; mais l'Ele&eur fut toujours inflexible. Après avoir déclaré fa ferme croyance dans Ia doctrine de la réformation : » Je n'irai pas, dit-il, » dans ma vieilielfe, abandonner des, m principes pour lefquels j'ai com» battu de fi bonne heure ; & dans » la vue de me procurer ma liberté » pendant le peu d'années que je puis » efpérer de vivre, je ne trahirai pas » une bonne caufe , pour laquelle j'ai » tant fouffert, &c je veux bien encore » fouffrir ; j'aime mieux jouir, dans » cette folitude, de 1'eftime des hom>> mes vertueux & de 1'approbation » de ma propre confcience, que de » rentrer dans le monde y chargé du v crime d'apoftafie , qui empoifonne» roit & flétriroit le refte de mes » jours ". Par cette noble réfolution x 1'Electeur préfenta a fes compatriotes uo modele de conduite bien diffé-  be Charles-Qtjint. 305 rent de celui auquel 1'Empereur s'étoit attendu. Indigné de la réfilfance de fon prifonnier , Charles le traita avec plus de^rigueur, le fit refferrerplus étroitement, diminua Ie nombre de fes domefiiques, Sc renvoya les Eccléfiafiiques Luthériens que ce Prince infortuné avoit eus jufqu'alors prés de lui; on lui öta même les livres de dévotion, qui, pendant une fi longue Sc fi ennuyeufe captivité, avoient fait fa plus grande confolation (a). Le Landgrave de Heffe, fon compagnon d'infortune , ne montra pas la même conftance. La durée de fon emprifonnement avoit épuifé fa patience Sc fon courage : déterminé a acheter fa liberté a quelque prix que ce füt, il écrivit a 1'Empereur, Sc lui offrit non-feulement d'approuver 1''Interim , mais encore de fe foumettre en tout Sc fans réferve a' fes volontés. Mais Charles favoit que, quelle que füt la conduite du Landgrave, ni fon exemple ni fon autorité ne pourroient obliger fes enfants (a) Shid. 462.  J548. Les villes libres refufent d'adinettre l'Iatttlm. (a) Sleid, 461. 306» L'Histoi're & fes fujets k recevoir f'Interim ; & loin d'accepter fes offres, il le tint renfermé auffi rigoureufement qu'auparavant. Ainfi le Landgrave fubit 1'humiliation cruelle de voir fa conduite mife en oppofition avec celle •deTEleöeur, fans tirer le moindre avantage de la démarche avilifiante par laquelle il s'étoit juftement attiré le mépris public (a). Ce fut fur-tout de Ia part des villes Impériales que Charles rencontra la plus violente oppofition a VInterim. Ces petites Républiques, dont les citoyens étoient accoutumés a la liberté & a 1'indépendance, avoient' embraffé avec un empreffement remarquable la doctrine de la réformation, dès qu'elle s'étoit répandue dans le public ; car 1'efprit d'innovation eft particuliérement propre au génie des gouvernements libres. C'étoit dans ces villes que les prêcbeurs Proteftants avoient fait le plus grand nom» bre de profélytes, & que les théologiens les plus diftingués du parti  be Charles-Quint. 307 s'y étoient établis en qualité de paf- ' teurs. Ayant ainfi la direction de toutes les écoles d'inftruction, ils avoient formé des difciples auffi verfés dans les principes de leur croyance que zélés k la défendre. Ces difciples ne devoient pas être feulement guidés par Pexemple ou fubjugués par 1'autorité; comme ils avoient appris k examiner & a difcuter les matieres de controverfe, ils croyoient avoir le droit & être en état de juger par eux-mêmes. Dès que le contenu de tInterim fut rendu public , ils fe réunirent & refuferent unanimement de 1'admettre. Strasbourg , Conflance , Breme , Magdebourg & plufieurs autres villes moins confidérables, préfenterent k 1'Empereur des remontrances, dans lefquelles après avoir expofé la maniere irréguliere & illégale dont t'Interim avoit paifé k la diete , elles le fupplioient de ne pas contraindre leur confcience a recevoir une forme de doctrine &c de culte, qui leur paroifibit oppofée aux préceptes pofitifs de la loi divine. Mais Charles qui avoit fait recevoir fon nouveau plan a tant de Princes 1548.  1548. Elles font forcées de fe foumettre. 508 L'HlSTOIRE de I'Empire , ne fut pas fort touché des repréfentations de ces villes ; elles auroient pu être très redoutables, fi elles n'avoient formé qu'une feule maffe; mais étant fort éloignces 1'une de 1'autre , elles pouvoient être accablées féparément & fans peine , avant qu'il leur füt pofhble de fe réunir. Pour remplir cet objet, 1'Empereur fentit combien il lui étoit néceffaire d'employer des mefures vigoureufes, &Z de leur faire exécuter avec affez de rapidité pour ne pas laiffer le temps de concerter un plan commuri d'oppofition. Ayant pris cette maxime pour regie de fa conduite , fa première opérarion fut dirigée fur la ville d'Ausbourg ; quoique la préfence des troupes Impériales dut en impofer aux habitants, Charles favoit qu'ils étoient auffi oppofés a Ylnterim qu'aucun autre peuple de I'Empire. I! commanda a un corps de fes troupes de s'emparer des portes; il pofla le refie dans les différents quartiers de la ville ; & ayant raffemblé tous les bourgeois, il publia , de fa pleine & entiere auto; ité, un décret par lequel il abo-  1)e Charles-Quint. 309 liiToit leur forme actuelle de gouvernement, diffolvoit toutes leurs cor- ' porations &l leurs confréries , & nom* moit un petit nombre de perfonnes a qui il confioit, pour 1'avenir, Ie foin de 1'adminiftration ; chacun de ces nouveaux administrateurs fit ferment en même-temps de fe conformer a VInterim. Un acte d'autorité fi arbitraire &c li inoui, qui privoit Ie corps des habitants de toute participation au gouvernement de leur communauté, & les fubordonnoit a des hommes qui n'avoient d'autre mérite qu'une lache & fervile foumiffion aux volontés de 1'Empereur, ne manqua pas de révolter tous les efprits; mais comme on ne pouvoit oppofer la force a la force, on fut obligé d'obéir & de fe foumettre en filenee (a). Charles-Quint, après avoir laiffé une garnifon dans Ausbourg , marcha k Hulm; il en changea le gouvernement avec la même violence, fit prendre & emprifonner ceux des pafteurs (a) Sleid. 459.  iS48. {a) Sleid. 472, 310 L' HlSTOIRË qui refufoient de foufcrire a 1'Interim J &. a fon départ, les emmena avec lui chargés de chaines (a). Cette févérité fit non-feulement recevoir VInterim dans deux des villes les plus puiffantes; ce fut auffi pour les autres un préfage de ce qui les me* nacoit, fi elles periifroient dans leur défobéiffance. L'efFet de 1'exemple fut auffi prompt & auffi efficace qu'il pouvoit Ie defirer, & plufieurs villes , pour fe fouffraire a la vengeance de ce Prince redoutable , fe prêterent a tout ce qu'il exigea. Cependant cette obéiffance arrachée par la rigueur de 1'autorité, ne produifit aucun changement dans les opinions des Allemands ; ils ne firent que fe conformer a la lettre de la loi, autant qu'ils le crurent néceffaire pour fe mettre è 1'abri de la punition. Les prédicateurs Proteftants , en expofant les cérémonies dont 1'obfervation étoit prefcrite par VInterim, en expliquoient en même-temps la tendance & les effets,  DE ClIAR LES-QuiN T. 311 de maniere a confirmer plutöt qu'a diffiper les fcrupules de leurs auditeurs. 11 s'étoit déja formé une génération d'hommes depuisTétabliffernent de la Religion réformée, fuivi d'un nombr#ux cortege de nobleffe Efpagnole (a). Lefcadre qui lui fervoit d'efcorte ciorr. commandee par André Doria , qui, malgré fon age avancé, follicita 1'honneur d'exercer pour Ie rils les mêmes fonöions qu'il avoit fou- Venf PYPrrpoc 1„ ïii ■«• j,/7"-"" P""1 1C pere. Jfnilippe debarqua heureufement è Gênes; dela il alla a Milan • Rr ^o/r^_* __/t_-^ i»»ti ' Fa«<"u cmuire 2-] par 1 Allemagne, il arriva è Ia Cour bre. Imperiale a Bruxelles. Les Etats de , w cimiuc ceux des autres Frovinces, fuivant leur rang, reconnurent fon droit de fucceffion dans les formes ordinaires, & il fit de fon cote Ie ferment accoutumé de maintenir leurs privileges dans toute leur mtegrite (b). Philippe fut recu avec i une révolution  de ChARLES-QüINT. 317 fi funefte a Ia Monarchie Efpaeno- le 0). 1 è -Ï49. Charles fut retenu long-temps clans les Pays-Bas par une violente attaque de goutte; les accès de cette maladie étoient devenus fi fréquents &c fi douloureux, qu'ils avoient fenfiblement affoibli la vigueur de fon tempérament. II ne fe relacha cependant pas dans fes efforts pour 1'exécution de YInttrim. Les habitants de Strafbourg , après une longue réfiftance % fentirent la néceflité d'obéir; ceux de Conftance, qui avoient pris les armes pour fe défendre, furent contraints par la force, non-feulement d'accepter YInterim, mais encore de renoncer è leurs privileges comme citoyens de ville libre, de faire hommage a Ferdinand en qualité d'Archiduc d'Autriche, & de recevoir, comme vaffaux de ce Prince, un Gouverneur & une garnifon Autrichienne (b). Magdebourg, Brême, (a) Mém. de Ribier, t. 2 , p. 29; 1'£.vefque , Mém. du Card. de Granvelle 't. 1 , 31. (£) Sleid. 476. 491. O iij  -S49- Fin du livrt IX* 318 L' H I S T O I R E, &C. ■ Hambourg & Lubeck furent les fetK les villes Impériales confidérables qui ne fe foumirent pas a la volonté de Charles.  L'HISTOIRE DU REGNE BE L'EMPEREUR CHARLES QUINT. L 1 V RE X. Charles s'occupoit, avec une conftance infatigable, a vaincre 1'obftination des Proteftants ; mais les effets de fa fermeté, dans 1'exécution de ce projet, étoient contrebalancés par ceux de Panimofité du Pape, qui devenoit de jour en jour plus violente. D'un cöté, la ferme réfoltiO iv 1549.  320 L'HISTOIRE ^mm~m. tion que FEmpereur fembloit avoir -S49* prife de ne point rèndre Plaifance, de 1'autre , fes entreprifes réitérées fur Ia jurifdiction eccléliaftique, foit par les réglements que contenoit Ylnterim , foit par le projet de raffembler un concile a Trente, excitoient au plus haut degré 1'indignation de Paul, qui, par une foibleffe commune aux vieillards, devenoit plus attaché a fa familie & plus jaloux de fon autorité, a mefure qu'il avasicoit en age. Animé par ces fentiments divers, il fit de nouveaux efForts pour engager le Roi de France dans une ligue contre FEmpereur (-). Mais Henri, malgré la haine dont il avoit hérité pour Charles, & la crainte que hu infpiroit 1'accroiffement continuel de fa puiffance, ne parut pas plus difpofé qu'auparavant è entamer fur le champ une guerre ; le Pape fut donc obligé de reftreindre fes vues; & n'étantpas en état de fe venger des ufurpations paffées de FEmpereur, il s'occupa du moins a en prévenir de nouvel- (ur duquel eft datee la lettre du Cardinal de Ferrare, le Pape etoit dans fon état ordinaire. Mem, M d Urfe , du 5 Novembre, il paroit que Ie Pape etoit en fi bonne fanté. aue le * tLZ TemI 'm0i.' 51 avoit célé&é -vec toutes les ceremon.es accoutumées , 1'anniverfaire de Ion couronnement. Md. 2-r Par une autre lettre du même Ambafladeur; nous apprenons que le 6 de Novembre, lê Pape fut attaqué d'une efpece de catharre qui lm tomba fur les pourr.onS) avec de» fymptomes fi dangereux, qu'on défefpéra *5 ™Jiid- Parunetroi-. fieme lettre du même, on apprend que Ie Pape monrut le ,o Novembre. Dans au! «une de ces lettres , on n'impute fa mort i aucune cauie extraordinaire. II paroit qu'i! s etou ecoulé plus de vingt jours entre Ia temative d'Oaave fur PaU & !a mo« de fon grand-pere & que ,a maladie don *l!?Pff mTM' étoit reffet n-"«-el de la H f / ', & non la fuite d'un violent acces de colere.  ^^^^ 316 L'HISTOIRE ^^^^ prolongerent de beaucoup Ia durée 15 5°' du conclave. La faöion Impériale &C celle de France s'efForcoient a 1'envi de faire tomber le choix fur une de leurs créatures, & paroiffoient avoir tour-a-tour 1'avantage. Mais comme Paul, pendant un long Pontificat, avoit créé un grand nombre de Cardinaux, diftingués, pour la plupart, par leurs grands talents & entiérement dévoués a fa familie, le Cardinal Farnefe fe trouva a la tête d'un parti puiffant ik uni, dont 1'adreffe & la fermeté parvinrent a élever au tröne Pontifical le Cardinal del Monte, que Paul avoit employé comme fon principal Légat au concile de Trente, & a qui il avoit confié fes plus fecretes intentions. II prit le nom Eleft'-n de de Jules III pour témoigner fa Jules III. reconnoiffance envers fon bienfak7 Février. teur, le premier acte de fon adminiftration fut de mettre Oöave Farnefe en poffeffion de Parme. Lorfqu'on lui paria du tort qu'il faifoit au faint Siege, en aliénant un territoire fi important, il répondit vivement, qu'il aimeroit mieux être un Pape pauvre, avec la réputation d'un  Be Charles-Quint. 317 Gentilhomme, qu'un Pape riche avec xanonte d avoir oublié les bienfaits qu d avoit recus, & les promeffes qu'il avoit faites (a). Mais 1'honneur que Iiu fit ce trait de candeur & de génerofité, fut bientöt effacé par une adhon d'une indécence révoltante. Suivant un ufage ancien & recu c chaque Pape, a fon éleclion , a?ié S droit daccorder è qui il lui plaït le conduite, chapeau de Cardinal qu'il laiffe vacant en recevant la thiare. Au grand etonnement du facré college, Jules confera cette marqué éclatante de diihnfoon, avec des revenus eccléfcafnques très-confidérables & le droit de porter fon nom &fes armes, a un jeune homme %é de feize ans, nomme Innocent, né de patents obfcurs, a qui on avoit donné le nom de *'»ge> paree qu'il avoit été chargé du fom1 d'un animal de cette efpece d ans la familie du Cardinal del Monte! Une femblable proftitution de Ia première dignité de 1'Eglife, auroit paru («) Mém, de Ribier,  1550. -}.8 L'HISTOIRE choquante dans ces temps même d'ignorance &C de ténebres, ou la crédule fuperftition du peuple enhardiflbit les Eccléfiaftiques a braver ouvertement toutes les loix de la bienféance. Mais dans un fiecle éclairé , oü les progrès de la raifon & de la philofophie faifoient mieux connoitre les droits, de la décence & de 1'honnêteté, oü 1'aveugle vénération qu'on avoit portee fi long - temps au caraftere pontifical s'afFoibliflbit par-tout, & oü la moitié de la Chrétienté étoit en rébellion ouverte contre le fiege de Rome , cette adion du nouveau Pape ne pouvoit manquer d'être regardee avec horreur. Rome fut inondée fur le champ de libelles & de pafquinades qui imputoient k h paflion la plus honteufe, la prédileöion extravagante de Jules pour un objet qui en étoit fi indigne. Les Proteftants fe récrierent contre 1'abfurdité de fuppofer que 1'efprit infaillible de la vérité divine put habiter dans un cceur fi impur, & ils demanderent avec plus d'éclat & plus d'apparence de juftice que jamais , la prompte 6c entiere réforma-  de Charles-Qtjint. 3*9 tion d'une Eglife dont Ie Chef défhonoroit le nom Chrétien (a). Toute la conduite du Pape fut d'accord avec ce premier trait de fon caractere; dès qu'il fe vit élevé au faïte de la grandeur eccléfiaftique, il s'empreffa de fe dédommager, en fatisfaifant tous fes goüts, de la diffimulation ou des privafions auxquelles il s'étoit condamné par prudence, tant qu'il avoit été dans un état fubordonné. II montra tant d'éloignement pour toutes les affaires férieufes, qu'il ne pouvoit prendre fur hu d'y donner la moindre attention excepté dans les cas d'extrême néceffité; Iivré a Ia difhpation &c aux amufements de toute efpece, il aima mieux imiter 1'élégance voluptueufe de Leon X, que la vertu févere d'Adnen; & cette févérité eut été néceffaire pour lutter avec une feéte qui °fv°lf une grande partie de fon crédit & de fa force aux mceurs rigides (4) Sleid. 492. Fra-Paolo , 281. Pallavic. /. 2, p. 76. Thuan. lib. 6, p. aij. 1550.  *55°- Ses vues & fes démarches relativement au concile géaéral, (d) Fra-Paolo, s8i, 33O L' H ISTOIRE & aufteres de ceux qui la profeffoient (a). Quelque difpofé que füt le Pape a remplir fes engagements avec la familie des Farnefe, il fe mit peu en peine de tenir le ferment que chaque Cardinal avoit fait en entrant au conclave, & par lequel celui fur qui le choix tomberoit s'étoit engagé k convoquer fur le champ le concile & a lui faire reprendre fes délibérations. 5ules favoit, par expérience," combien il étoit difHcile de retenir un corps d'hommes ainfi compofé, dans les bornes étroites que 1'Eglife Romaine avoit intérêt de prefcrire; il favoit avec quelle facilité le zele des uns, la témérité des autres, & les fuggeftions des Princes dont ils dépendoient pour la plupart , pouvoient porter une affemblée populaire, fans police & fans chefs, a des recherches & k des décifions dangereufes. II chercha donc a éluder 1'obrlgation de fon ferment, & fit une réponfe équivoque aux premie-  de Ch arles-Quïnt. 331 fes propofitions que 1'Empereur lui fit faire fur cet objet. Mais Charles, foit par fon obftination naturelle a fuivre les mefures qu'il avoit une fois adoptées, foit par le pur orgueil d'exécuter ce qui paroiffoit prefqu'impoffible, perfifla dans la réfolution de forcer les Proteftants k rentrer dans le fein de 1'Eglife. Comme il s'étoit perfuadé que les décifions authentiques du concile pourroient être efficacement employées k combattre leurs préjugés, il follicita, avec Ia plus grande ardeur, une nouvelle bulle de convocation, & le Pape ne put décemment fe refufer a fes inftances. Jules, voyant qu'il ne pouvoit pas fe difpenfer de convoquer un concile , chercha du moins k fe faire un mérite de cette démarche , qui étoit 1'objet d'un vceu fi général. Une congrégation de Cardinaux, k laquelle il renyoya 1'examen des mefures qu'il y avoit a prendre pour rendre la paix a 1'Eghfe , recommanda , fuivant fes intentions, une prompte convocation du concile, comme 1'expédientle plus propre k remplir cet objet; confidérant d'ailleurs que c'étoit en Alle- 1550.  »S5°- Diete tenue a Ausbourg pour confirraer ['Interim. 4J Juin. (a) Fra-Paolo, a8i. Pallav. I. z, p. 77 331 L'HISTOIRE magne que les nouvelles héréfies ex* citoient le plus de troubles 5c faifoient les plus grands progrès, la congrégation propofa de choilir la ville de Trente pour y alTembler 'le concile, afin qu'étant plus a portee d'y obferver le mal, on put y appliquer le remede avec plus de prudence 6c de fuccès. Le Pape approuva hautement cet avis, qu'il avoit difté luimême, & envoya des fïonces a Ia Cour Impériale 6c a celle de France pour y déelarer fes intentions (a). Cependant 1'Empereur avoit convoqué une nouvelle diete a Ausbourg , dans la vue de donner plus d'a&ivité a 1'exécution de 1''Interim , 6c de faire figner a cette affemblée un afte plus authentique pour reconnoïtre la jurifdiction du concile , avec une promeffe pofitive de fe conformer k fes décrets. 11 y parut en perfonne, accompagné de fon fils le Prince d'Efpagne. Peu d'Elec~teurs s'y rendirent; mais tous y envoyerent des députés. Malgré le ton defpotique avec lequel  se Charles-Quint. 33 Charles, depuisdeuxans, avoit donn la loi dans I'Empire, il favoit qu 1'efprit d'indépendance n'étoit pas en tiérement éteint parmi les Allemands Sc il eut foin d'en impofer a la diet par 1'appareil d'un corps confidéra ble de troupes Efpagnoles, dont il f fit efcorter. Le premier point qu'ci foumit a la confidération de la die te, fut la néceflité de tenir un con cile. Tous les Catholiques Romain convinrent fans difficulté que cett< affemblée devoit être rétablie a Tren te, & promirent de fe foumettre aveu glément a fes décrets. Les Proteftants intimidés 6c défunis, auroientfuivi cei exemple , Sc la réfolution de la diete auroit été unanime , fi Maurice de Saxe n'avoit pas commencé a montrerde nouvelles intentions, & a prendre un rdle trés - différent de celui qu'il avoit joué jufqu'alots. C etoit par une diffimulation artificieufe de fes propres fentiments, par le zele apparent qu'il avoit montré a foutenir les projets ambitieux de Charles , Sc par fon affiduité a lui faire fa cour, que Maurice étoit parvenu a la dignité ékclorale, 6c qu'en > t i Deffe.'ns de Maurice contre l"£mpereurs  334 L'Histoire réuniffant a fes domaines ceux de la branche aïnée de la Maifon de Saxe , il étoit devenu le plus puiffant Prince de 1'Allemagne. Mais cette longue Sc étroite union avec 1'Empereur , lui avoit fourni fouvent 1'occafion de remarquer tout ce que les projets de ce Monarque pouvoient avoir de dangereux dans .leur but. II fentit qu'il concouroit lui - même a forger les fers qu'on deftinoit a fon pays ; & en confidérant les progrès rapides SC formidables de la puiffance Impériale , il vit clairement qu'il ne reftoit plus que quelques pas a faire pour rendre Charles auffi abfolu dans I'Empire qu'il Pétoit devenu en Efpagne. Plus le rang auquel il étoit parvenu fe trouvoit élevé, plus il devoit naturellement être jaloux de conferver fes droits Sc fes privileges, Sc plus il devoit craindre de defcendre de la condition d'un Prince prefqu'indépendant, a celle d'un vafTal foumis a la volonté d'un maitre. II voyoit en même-temps que Charles , aulieu d'accorder la liberté de confcience , qu'il avoit promife pour engager plufiears Princes Proteftants a fe  de Charles-Quint. 335 joindre a lui contre les confédérés de Smalkalde, paroiffoit vouloir exiger qu'on fe conformat exactement aux dogmes & aux rits de 1'Eglife Romaine. Malgré tous les facrifices qu'il avoit faits, foit par des motifs d'intérêt, foit par un excès de confiance dans 1'Empereur, Maurice étoit fincérement attaché k la doörine Luthérienne, & il ne put pas fe réfoudre k refter paifible fpeöateur de Ia deftruftion d'un fyftême qu'il croyoit tondé fur la vérité. Cette réfolution, que lui infpiroit lamour de la liberté ou le zele de la Religion, étoit bien fortifiée par des confidérations politiques & par fon intérêt perfonnel. Dans la fituation bnllante oii fè trouvoit alors ce Prince, une nouvelle perfpeftive de grandeur s'offroit k fon imagination Son rang & fa puiffance le mettoient en etat d'être le chef des Proteftants dans 1 Empire. Son prédéceffeur, 1'Elefleur détröné, avec moins d'e talents que lui & des Etats moins étendus, avoit eu la plus grande influence iur toutes les démarches de fon parti; & Maurice étoit affez éclairé pour 1550. Motifs 'ptfs litiques qui influent fur fa conduite.  1550. 336 L* H i s t o i r é voir tout 1'avantage de cette prééminence, & affez ambitieux pour de» firer de 1'obtenir; mais dans les circonftances oü il fe trouvoit, la difficulté de 1'entreprife étoit égale a 1'importance de 1'objet. D'un cöté, la liaifon qu'il avoit formée avec 1'Empereur étoit fi étroite, qu'il ne pouvoit prendre aucun parti qui tendit a la rompre , fans allarmer la jaloulie de ce Prince redoutable, & fans attirer fur lui tout le poids de cette même puiffance qui venoit d'écrafer la ligue la plus confidérable qui fe füt jamais formée en Allemagne. D'un autre cöté, les calamités oü il venoit de précipiter les Proteftants, étoient fi récentes & fi terribles, qu'il paroiffoit prefqu'impoffible de regagner leur confïance, & de rétablir parmi euxTunion &la vigueur, après avoir été le principal inftrument de leur divifion & de leur ruine. II falloit toute Taudace de Maurice, pour n'être pas découragé par ces confidérations; mais la grandeur & les périls de 1'entreprife étoient des appas deplus pour 1'y engager. II prit, fans balancer, un§ réfolution fi hardie  de 'Charles-Quint. 337 die que tout homme d'un génie inféneur n'en auroit pas même concu i'idée, on auroit frémi des dangers qui devoient en accompagner I'exécution. Les paflïons de Maurice concouroient avec fes intéréts a le confirmer dans fon deffein; le reflentiment d une mjure dont il étoit encore profondement bleffé, ajoutoit une nouvelle force aux motifs que lui fuggéroit une faine politique pour s'oppofer a 1'Empereur. Maurice avoit, par fon crédit, déterminé le Landgrave de Heffe è remettre fa perfonne entre les mains de Charles, & il avoit obtenu, en même-temps, des Miniftres Impériaux, la promefle que Ie Landgrave ne feroit pas retenu prilonmer. Cette promefle avoit été vioIee, comme on 1'a vu, de la maniere ia plus outrageante; & 1'infortuné Landgrave fe plaignoit auffi amérement de fon gendre que de Charles meme. Les Princes de Heffe prefioient vivement Maurice de remplir es engagements qu'il avoit pris avec leur pere, lequel n'avoit perdu fa iiberte que par une hute de fa conTome V. p 15 so.  1550. 338 L' H I S T O I R E = france en lui. Toute 1'Allemagne, d\iiï autre cöté, 1'accuioit d'avoir trahi un ami qu'il devoit protéger , & de IV voir livré a un ennemi implacable, Excité par ces follicitations, par ces reproches, par le fentiment de ce qu'il devoit a fon beau-pere, Maurice avoit employé non-feulement les prieres, mais encore les remontranccs pour obtenir la liberté du Landgrave , Sc tous fes efforts avoient été inutiles. La honte d'avoir été trompé & de fe voir dédaigné par un Prince , qu'il avoit fervi avec tant de zele &c de fuccès, avoit fait une impreffion profonde fur 1'ame de l'Electeur , qui dès-lors attendoit avec impatience 1'occafiOn de fe venger. Maurice ne pouvoit mettre trop d'adreffe &c de précaution dans les démarches qui tendoient a ce but; il avoit, d'un cöté , a craindre de donner des allarmes prématurées a 1'Empereur; d'un autre cöté , il étoit -obligé dè faire quelqu'aclion d'éclat pour regagner la confiance du parti Protefïant. 11 employa tout ce qu'il .avoit de fineffe & de diflimulatioa  SE C t£ A R L E S-Q UI N T. 339. pour concilier ces deux intéréts. Comme il favoit que Charles étoit inflexible fur la foumiffion qu'il exigeoit k YInterim, Maurice n'héfita pas un feul moment a établir dans fes Etats cette forme de doctrine & de culte; mais comme il fentoit en même - temps combien cette nouveauté étoit odieufe a fes fujets, au-lieu de les forcer è la recevoir par la violence de 1 autorité,-ainfi qu'on 1'avoitfait en d'autres parties de 1'Allemagne, il tacha de transformer leur obéiffance en un afte volontaire de leur part. Pour cet effet, il avoit affemblé a Leipfick le clergé de fes Etats, & lui avoit remis une copie de Ylmerim avec les raifons qui prouvoient la néceftité de s'y conformer. 11 avoit féduit les uns par des promefies , il en avoit impofé a d'autres par des menaces, & tous avoient été effrayés de Ia rigueur avec laquelle on exigeoit dans les Provinces voifines la foumiffion a cette nouvelle loi. Mélanöhon, qui, par fes ^ vertus & fes lumieres, méntoit d'avoir le premier rang parmi les théologicns Proteftants, fe trouvoit P ij 1550, Maurice étabüt l'Interim dans la Saxs.  34O L'HlSTOIRE ' alors privé des confeils males &C vigoureux de Luther , qui élevoicnt ordinairementfon courage, &le foutenoient au milieu des dangers & des tempêtes qui menacoient 1'Eglife; la timidité naturelle de fon caraftere, fon amour pour la paix, & fon exceflive complaifance pour des perfonnes de haut rang , lui arracherent des conceftions qu'on ne peut pas juftiiïer. Entraïnée par fes raifons & fon autorit* , & féduite par les artifkes de Maurice, l'affemblée déclara que dans les articles purement indifférents, 011 devoit obéir aux ordres d'un fupérieur légitime. En partant de ce principe, auffi inconteltable dans la théorie , qu'il eft dangeraix dans la pratique, fur-tout en matiere de religion, l'affemblée mit enfuite au nombre des chofes indifFérentes, plufieurs maximes, que Luther avoit attaquées comme des erreurs groflieres & pernicieufes de la doftrine Romaine, ainfi que la plupart des cérémonies qui diftinguoient le culte Romain de celui des Réformés : en conféquence, le clergé exhorta le peuple a fe fou* mettre, . fur. ces différents points ,  de Charles-Quint. 341 aux injonctions de 1'Empereur (a). Cette conduite adroite de Maurice réufiit a établir VInterim dans la Saxe , lans y exciter aucune des fecouffes violentes que cette nouveauté avoit occafionnées en d'autres Provinces; mais quoique les Saxons fe fuffent foumis, les Luthériens les plus zélés fe récrierent contre MélandTnon & fes affociés , 6c les régarderent comme des faux freres, qui étoient ou affez corrompus pourrenoncer entiérement a la vérité , ou affez artifïcieux pour la trahir par des fubtiles diftindtions , ou affez laches pour la facrifïer, par une complaifance criminelle, a un Prince, capable lui-même d'immoler è fon intérêt politique ce qu'il y avoit de plus facré. Maurice, qui fentoit combien fa conduite paffée donnoit de probabilité a ces accufations, & qui craignoit de perdre fans retour la confiance des Proteftants, publia une déclaration pleine de proteftations de zele 6c U) Sleid. 481 , 48f. Jo. Laur. Mosheim, infiitut. hifi. ecclefi l. 4. P iij 1550. II fait des proteftations de fon zele pour la religion Proteftante.  11 fait en rnêmetemps fa cour a lEmpereur. O») Sleid. 485. 342, L'Histoirk d'attachement pour la religion réfotmée , & dans laquelle il promettoit de la défendre contre toutes les erreurs & toutes les ufurpations de la Cour de Rome («)„ Après avoir réuffi a calmer les craintes & la jalouiie des Proteftants , il fentit la néceffité d'efFacer les impreffions que cette déclaration avoit pu faire fur 1'Empereur. Pour cet effet ^ non-feulement il lui renouvella les affurances d'un attachement inviolable a 1'alliance qui les uniffoit; mais comme la ville de Magdebourg perfiftoit encore a rej etter Y Interim, Maurice entreprit de la forcer a 1'obéiffance, & fit fur le champ lever des troupes qu'il deftina a cette expédition. Ce parti extraordinaire déconcerta toutes les efpérances que la derniere déclaration de Maurice avoit fait concevoir au Proteftants, & ils furent plus embarraffés que jamais a démêler quelles pouvoient être fes véritables intentions. La défiance & les foupgons que fa conduite paffée  DE ChARLES-QuiNT. 343 leur avoit infpirés, fe réveillerent avec plus de force ; & les thcologiens de Magdebourg inonderent toute FAU lemagne d'écritsdans lefquels ils le repréfenterent comme le plus redoutable ennemi de la religion Proteftante, & comme un traitre qui nc prenoit une apparence de zele pour fes intéréts, qu'afin d'exécuter plus fürement le pro jet qu'il avoit farmé de la détruire. Cette accufation, apmiyée fur des faits récents & publics h fur la conduite équivoque que tenoit Maurice , fut fi généralement adoptie, qu'il fe vit obligé de prendre pour fe juftifier une réfolution vigouréufe. torfqu'on propofa a la diete de raffembier le concile a Trente, fes Ambaffadeurs protefterent que leur maïtre ne reconnoitroit 1'autorité de ce concile qu'aux conditions fuivantes : i«>„ Que tous les points de controverfe qui avoient déja été décidés, feroient loumis k un nouvel examen, & que ïa première décifion feroit regardéé comme nulle ; 2°. que les théologiens Proteftants auroient dans Ie concile pleine liberté de parler & voix P iv 1550, II protefte contre la forme eb procéder dans le cortr ci'e.  1550. 344 L' H i s t 6 i r e décifive; 30. que le Pape renonceroit a la prétention de préfider au concile , s'engageroit a fe foumettre aux décrets de raffemblée , & releveroit les Evêques du ferment d'obéiffance, afin qu'ils pufTent expofer leurs fentiments avec plus de liberté. Ces demandes hardies, que les réformateurs n'auroient pas ofé faire dans le temps même oir le zele de leur parti étoit le plus ardent, & oh leurs affaires étoient dans la fituation la plus favorable , contrebalancerent, en partie , 1'efFet djes préparatifs de Maurice contre Magdebourg, & jetterent les Proteftants dans une nouvelle incertitude fur le but de fa conduite. II eut en même-temps 1'adrefle de faire envifager cette démarche a 1'Empereur fous un point de vue fi favorable , que celui - ci n'en parut point offenfé , & que 1'union intime qui fubfiftoit entr'eux n'en fut point troublée. Les hiftoriens contemporains ne nous ont laiffé aucunes lumieres fur les prétextes dont Maurice put fe fervir pour donner une apparence innocente a une déclaration auffi hardie que celle qu'il ve-  de Charles-Quint. 345 noit de faire ; mais il eft certain que fes raifons en impoferent a Charles; car ce Monarque continua de fuivre avec la même ardeur fon plan , tant pour 1'établifTemeHt de 1''Interim , que pour la convocation du concile, &c de montrer la même confiance en Maurice pour ce qui regardoit 1'exécution de ces deux points. Comme la réfolution du Pape fur le concile, n'étoit pas encore connue a Ausbourg, le principal objet dc la diete fut de maintenir 1'obfervation de 1'Interim. Le Sénat de Magdebourg, malgré tous les efforts qu'on avoit faits pour 1'intimider ou pour le féduire, non-feulement s'obftinoit a rejetter 1''Interim , mais il commencok même a augmenter les fortifications de la ville bc k lever des troupes pour la défendre. Charles requit la diete de 1'aider k réprimer cette audacieufe rébellion contre un décret de I'Empire. Si les membres de la diete avoient eu la liberté de fuivre les mouvements de leur incünation particuliere , ils auroient fans héfiter rejetté cette demande. Tous ceux des Allemands qui favorifoient plus ou P v MS* La diete prend la réfolution de faire Ja guerre a la vüle de Magdebourg.  346 L'HISTOIRE moins les nouvelles opinions , & plui lieurs autres qui ne pouvoient s'empêcher d'être jaloux de 1'accroiffement du pouvoir de 1'Empereur, regardoient la réfiftance des citoyens de Magdebourg comme un effort généreux en faveur de la liberté de leur patrie ; ceux mêmes qui n'avoient pas eu affez de courage pour montrer la même vigueur, admiroient 1'audace de 1'entreprife, & en defiroientle fuccès ; mais la préfence des troupes Efpagnoles & la crainte d'offenfer FEmpereur en impoferent tellement a tousceux qui affiftoient a la diete, que, fans ofer mettre au jour leurs opinions , ils ratifierent par leurs fuffrages tout ce qu'il plut a FEmpereur de prefcrire. Les décrets rigoureux que Charles avoit rendus, de fa propre autorité , contre les habitants de Magdebourg , furent confirmés; on arrêta de lever des troupes pour faire en regie le fiege de la place, & Fon nomma des commiffaires pour fixer le contingent d'hommes & d'argent qui feroit fourni par chaque Etat. La diete demanda en même-temps que Maurice füt chargé du comraande-  DE C HA RLES-QuiNT. Jtf ment de cette armée; Charles y donn; fon confentement avec beaucoup d( fatisfacfion, & en louant hautemen fa fageffe d'un tel choix («). Comme Maurice fe conduifoit dans toutes fe: démarches avec un fecret impénétrable, il y a lieu de croire qu'il n'avoit pris ouvertement aucune mefure pour obtenir Ia diftinction qu'on venoit de lui déférer. Le choix de fes compatriotes fut donc ou le pur effet du hafard, ou le fruit de 1'opinion générale qu'on avoit de fes grands talents. Les conféquences qui réfulterent de cette nomination, ne pouvoient ni être prévues par la diete, ni infpirer de la crainte a 1'Empereur. Maurice accepta, fans héfiter, 1'honneur qu'on lui faifoit, & il vit d'un coup d'qeü tous les avantages qu'il pourroit en retirer. Dans ces entrefaites, Jules, en préparant fa bulle pour la convocation du concile, n'oublioit aucune des minucieufes formalités que la Cour de Rome fait employer avec tant d'a- (<0; Sleid, 503, jut, P vj Le concile eft convoquéde nouveau k Trente,  *55°Déeembre. 13 Pévrier. 34$ L'HlSTOïRE dreffe pour retarder les opérations qui ne font pas conformes k fes vues. Enfin , cette bulle fut publiée, & Ie concile invité de s'affembler k Tren> te , le premier Mai de 1'année fuivante. Comme le Pape favoit qu'une partie des Allemands rejettoit ou conleftoit I'autorité & la jurifdiction que le faint Siege prétend avoir fur les conciles généraux, il eut foin d'établir en termes trés énergiques, dans le préambule de Pafte y le droit qu'il avoit non - feulernent de eonvoquer cette affemblée & d'y préfider, mais encore d'en diriger les opérations; & jamais il ne voulut confentir a changer ni même a adoucir fes expreffions, malgré les follkitations réitérées de 1'Empereur, qui prévoyoit combien on en feroit bleffé , & comipént on les interpréteroit. Cet arti.clè de la bulle fut en effet relevé avec beaucoup d'amertume par plufieurs membres de Ia diete; mais malgré le mécontentement & les foupcons que cet objet fit naïtre, 1'Empereur s'étoit rendu tellement maïtre des délibérations de la diete, qu'il fit faire un reeès par lequel I'autorité du con-  DE CHARLES-QUINT. 349 elle fut reconnue & déclarée le feul remede propre a guérir les maux qui affligeoient 1'Eglife. Tous les Princes & Etats de I'Empire, tant ceux qui avoient fait quelques innovations dans la religion, que ceux qui relloient fideles au fyftême de leurs ancêtres, furent requis d'envoyer leurs repréfentants au concile ; 1'Empereur promit d'aecorder un fauf-conduit k ceux qui Ie demanderoient, & de leur affurer la liberté de parler & de difcuter leurs avis dans cette affemblée; il s'engagea k fixer fa réfidence dans quelque ville de I'Empire, voifine de Trente , afin d'être a portée de protéger , par fa préfence , les membres du concile, & de veiller a ce que les délibérations fuffent toujours dirigées conformément k 1'écriture & a la doetrine des Peres, & puiffent avoir le fuccès qu'on en attendoit, Dans ce recès, 1'obfervation de l'I/iterim étoit plus rigoureufement ordonnée que jamais, & 1'Empereur menacoit tous ceux qui avoient jufques-Ia refufé ou négligé de s'y foumettre, de faire tomber fur eux les plus terribles effets de fon reffenti- 1551.  15-51. Nouvelle tentative inutilepour procurer la liberté au Landgrave. (a) Sleid. 51a. Thuan. I. 6, p. 23 3 ^ £oldaft. conftit, imptr, vol, 2, p. 340. 35O L' H I S T O I R E ment, s'ils perfiftoient dans leur défobéiflance ( veile raifon pour y infifter plus for-  be Charles-Quint. 35r iement. Charles avoit pris la ferme ; réfolution de ne point fe prêter a leurs demandes; cependant, comme il defiroit vivement de fe débarralfer de leurs importunités, il tacha d'engager le Landgrave a fe défüter de la promeife que lui avoient faite les deux Elefteurs. Mais ce Prince ayant refufé de renoncer a une garantie qu'il regardoit comme effentielle a fa fureté, 1'Empereur coupa le neeud qu'il ne pouvoit pas délier;. & par un aft e public, il annulla celui que Maurice & 1'Elefteur de Brandebourg avoient figné , & les difpenfa de tous les engagements qu'ils avoient pris avec le Landgrave. Un pouvoir auffi pernicieux a la fociété que celui d'abroger a fon gré les loix les plus facrées de 1'honneur & les obligations les plus pofitives de la foi publique „ n'avoit encore été réclamé & exercl que par les Pontifes de Rome , lef?"5.'s en vertu de leur prétention a l'infaillibilité, s'arrogeoient le privilege de difpenfer de toute efpece de devoirs & de préceptes. Toute I'Allemagne ne put voir, fans le plus grand étonnementj que Charles s'at» MS»»  I55I- Projet de Charles pour faire pafler la Couronne Impériale fur la tête de fon nis Philip pe. 3 L'Histoire tribuit la même prérogativè. On regarda 1'état d'afferviffement auquel I'Empire alloit être réduit, comme plus rigoureux & plus intolérable que celui des nations les plus efclaves, fi 1'Empereur, par un décret arbitraire, pouvoit diffoudre ces contrats folemnels fur lefquels eft fondée la confiance mutuelle qui entretient 1'union fociale parmi les hommes. Le Landgrave , ayant perdu a la fin toute efpérance de recouvrer la liberté par le confentement de 1'Empereur , tacha de fe la procurer par fon adrefTe; mais le plan qu'il avoit formé pour tromper fes gardes, fut découvert; on mit a mort tous ceux qui furent convaincus d'avoir vouhi favorifer fon évafion; & il fut luimême transféré dans la citadelle de Malines, oü il fut renfermé plus étroitement qu'auparavant («). La même diete fut occupée d'une affaire qui intéreflbit encore de plus prés 1'Empereur, & qui excita éga- («) Sleid. 540, Thuan. lib. 6, p. 2.34, >35-  DE C HARLES-QUÏNT. 3» Iement une allarme univerfelle parmi = les Princes de I'Empire. Charles, quoique doué de talents qui le rendoient propre a concevoir Sc a exécuter de grands projets, n'étoit pas en état, comme on 1'a déja obfervé, de foutenir des fuccès extraordinaires; il s'en laiffoit tellement enivrer, qu'il paffoit alors toutes les bornes de la modération, & qu'il tournoit toute 1'activité de fon efprit vers des objets valies , mais chimériques. Tel avoit été 1'effet de fa vi&oire fur les confédérés de Smalkalde ; il ne put pas long-temps fe contenter des grands Sc folides avantages qu'il recueillit de cet événement; Sc les regardant comme des fruits trop peu conlidérables d'un fi grand fuccès, il ne s'étoit propofé rien moins que d'établir, dans toute 1'Allemagne, 1'uniformité de religion , & de rendre defpotique I'autorité impériale. Ce projet étoit brillant fans doute, & bien propre a féduire une ame ambitieufe ;^ mais 1'exécution étoit accompagnée de dangers frappants, Sc le fuccès ne pouvoit qu'être incertain & précaire : cependant, comme les dé-  Obftacles qu'il ren«ontre. 554 V H i s t o i a e marches qu'il avoit déja faites pour arriver a ce but avoient toutes été heureufes, fon imagination échauffée par la grandeur de 1'entreprife, n'y voyoit plus de diffictiltés , ou les méprifoit.. Ce n'étoit pas afTez que de regarder comme infaillible le fuccès de fon plan; il étoit déja inquiet des moyens de perpétuer dans fa familie les acquifitions importantes qu'il alloit faire en trahfmettant a la fois a fon fils I'Empire d'Allemagne, les Royaumes d'Efpagne, & fes Etats d'Itelie & des Pays-Bas, Après avoir long-temps roulé dans fon efprit cette idéé féduifante, fans la communiquer même aux Miniftres en qui il avoit le plus de confïance, il avoit fait venir d'Efpagne Philippe , efpérant que la préfence de fon fils lui fufciteroit les moyens de mettre fon pro«. jet en exécution. II devoit cependant rencontrer de grands obftacles, & tels qu'ils euffent pu arrêter une ambition moins accoutumée que la fienne a vaincre les difHcultés. II avoit eu 1'imprudence, en 1530, de travailler lui-même è procurer a fon frere Ferdinand, la  BE CH ARLES-QüI NT. 35 J dignité de Roi des. Romains; il n'y avoit pas d'apparence que ce Prince, qui étoit encore dans la vigueur de 1'age , & qui avoit un fils adolefcent, renonceroit, en faveur d'un neveu, è l'efpérance d'occuper un jour le tröne impérial; événement que les infirmités toujours croiffantes de Charles pouvoient rendre trés-prochain. i'Empereur ne craignit cependant pas; d'en faire la propofition; Ferdinand, malgré fon profond refpeft pour fon frere, & la foumiffion è fes volontés. dans toute autre circonftance, 1'ayant rejettée d'un ton très-abfolu, Charles ne fe laiffa point décourager par ce refus.Il le fit folliciter par fa fceur, Marie, Reine de Hongrie, k qui Ferdinand devoit les Couronnes de Hongrie & de Bohème, & qui, par fes grands talents, joints k un caraftere mfinuant & aimable , avoit pris le plus grand afcendant fur fes deuxfreres. Elle adopta avec chaleur un projet qui tendoit fi vifiblement k agrandir la Maifon d'Autriche; & fe flattant que la poffeffion achieïle d'un nouvel établiffement pourroit engager Ferdinand k fe défifter de la fuccef- 1551.  ij 5i. Ses efforts pour iurmonter ces obftacles. 356 L'HISTOIRE llon au tröne impérial , elle lui affura que, pour le dédom mager dn facrifice qu'on lui demandoit, 1'Empereur étoit prêt a lui accorder des Etats confidérables, & en particulier, ceux du Duc de Virtemberg, qui pouvoient être confifqués fur différents prétextes. Mais Ferdinand étoit trop ambitieux pour fe laiffer féduire par 1'adreffe & les prieres de Marie , jufqu'a approuver un plan, qui, du premier rang entre les Monarques de 1'Europe, 1'auroit abaiffé è celui d'un Prince fubordonné &C dépendant. II étoit d'ailleurs trop attaché a fes enfants, pour les fruflrer, par une imprudente conceflion, des efpérances brillantes que leur naiffance & leur éducation leur faifoient cencevoir. Malgré la fermeté inébranlable que montra Ferdinand, 1'Empereur ne put fe réfoudre k abandonner fon pro jet; il efpéroit qu'on pourroit réuffir par un autre moyen, 61 qu'il ne feroit pas impoffible d'engager les Electeurs è révoquer le premier choix qu'ils avoient fait de Ferdinand, ou du  öe ChaPvLEs-Quint. 357 moins a élire Philippe fecond Roi des Romains, & a Je déligner pour fuccéder immédiatement a fon oncle. Ce fut dans cette vue qu'il fe fit accompagner par Philippe è la diete : il vouloit donner aux Allemands une occafion de connoïtre le Prince en faveur duquel il fe propofoit de folliciter leurs fuffrages, & il employa toutes les relTources d'adrelTe & d'infinuation dont il étoit capable, pour gagner les Elecieurs, & pour les préparer a recevoir favorablement la propofition qu'il avoit a leur faire. Mais lorfqu'il prit enfin le parti de leur en faire 1'ouverture , ils prévirent tous en frémiffant les troubles qui en feroient la fuite. Depuis longtemps, ils avoient reconnu 1'inconvéOient de placer a la tête de I'Empire un Prince fi puiffant & poffeffcur de fi grands Etats; ils prévoyoient qu'en répctant la faute qu'ils avoient faite, & en confervant la couronne Impériale, comme une dignité héréditaire , dans Ja même familie, ils donneroient au fils les moyens de continuer le fyftême d'opprefiion que le  Le caraftere de Philippe déplait avx Allemands, 3 5 8 Ls H r a t o 1 n ê pere avoit commencé, & de détruirè ce qui reftoit encore de fain dans fantique & refpectable édifice de la conftitution Germanique. Le caracfere du Prince en faveur de qui Ton faifoit cette propolition extraordinaire , la rendoit encore moins agréable aux Allemands. Philippe, quoique dévoré d'un defir infatiable de puiffance, étoit dépourvu de tout ce qui peut fe concilier la bienveillance des hommes. Hautain & févere, au-lieu de fe faire de nouveaux amis, il éloignoit de lui les parti-fans les plus anciens & les plus dévoués de la Maifön d'Autriche; il dédaignoit de fe donner la peins d'apprendre la langue d'un peuple fur lequel il afpiróit de régner; & pendant tout le temps qu'il réfida en Allemagne, il n'eut pas même la complaifance de fe plier aux moeurs &t aux ufages du pays. II fouffroit que les Eleöeurs & les Princes les plus confidérables reftaffent devant lui la tête découverte, affectant toujours Une contenance fiere &c réfervée que les plus grands Empereurs, & Charles lui-même dans fa puiffance &C  de Charles-Quint. 35c dans fa gloire, n'avoient jamais oü prendre ( 1706, /. 4, p% 21, 1' 15.51. Charles eft obligi de renoncer a fon projec.  1551. 360 L' HlSTOIRE ' liers, montrerent une oppofition fi forte &c fi unanime au projet de 1'Empereur, que ce Prince, malgré la répugnance qu'il avoit a fe défifter de ce qu'il avoit une fois entrepris, fut obligé de regarder fon plan comme impraticable. L'obfiination déplacée qu'il avoit mife a en pourfuivre 1'exécution, non-feulement réveilla la jaloufie des Allemands fur fes vues ambitieufes, mais ouvrit encore une fource de rivalité & de difcorde dans fa propre familie; Ferdinand, fon frere, fut obligé, pour le foin de fa propre défenfe, de chercher a fe conci'ier les Eledteurs, particuliérement Maurice de Saxe, &c de former avec eux des liaifons capables d'óter a Charles toute efpérance de reprendre un jour fon projet avec plus de fuccès. L'Empereur, en même-temps, renvoya Philippe en Efpagne, pour 1'en rappeller lorfqu'un nouveau plan d'ambition rendroit fa préfence nécefiaire Charles (a) Sleid. 505. Thuan. 180, 238. Mém. *lc Ribier , t. 1, p. 219, 281, 3 14. AdriahL Iflor. lib. 8, p. 507, 520,  BE CHARLES-QUI NT. 361 Charles, fe voyant déchu des efpérances qu'il avoit formées pour fagrandilfement de fa familie, & qui avoient fi long-temps occupé fon efprit, crut qu'il étoit temps de tourner toute fon attention a 1'exécution d'un autre projet qui 1'intéreltoit auffi beaucoup ; c'étoit d'établir 1'uniformité de religion dans I'Empire, en forcant les différents partis d'acquiefcer aux décifions du concile de Trente. Mais fes domaines étoient li étendus , & cette circonftance 1'engageoit dans des liaifons fi multipliées , & donnoit lieu a tant d'événements divers , qu'il ne lui étoit guere poffible d'appliquer toute fa force a un feul objet. La machine qu'il avoit a conduire étoit fi vafïe & fi compiiquée, qu'un embarras ou une irrégularité, imprévue dans quelque roue fubordonnée, dérangeoit fouvent lè mouvement général, & déconcertoit les réfuitats ks plus importants auxquels il s'étoit attendu. II furvint en effet des circonftances qui firent naïtre de nouveaux obflacles a 1'exécution de fon plan fur la religion. Jules III, clans les premiers épancheTome V, O Le Pape 6c 1'Empereur forment le projet de recouvrer Parme & Plaifance.  362 L'HISTOIRE ' ments de fa joie & de fa reconnoiffance, lors de fon élévation au tröne pontifical, avoit confirmé Octave Farnefe dans la poffeffion du Duché de Parme; mais il ne tarda pas a fe repentir de fa générofité, & a en appercevoir des conféquences qu'il n'avoit pas prévues, ou dont il n'avoit pas été touché lorfque le fentiment de fes obligations envers la familie de Farnefe étoit encore récent. L'Empereur avoit toujours confervé Plaifance, & n'avoit pas renonce a fes prétentions fur Parme, qu'il regardoit comme un hef de I'Empire. Gonzague , Gouverneur de Milan, qui avoit été 1'un des principaux auteurs du meurtre de Pierre-Louis Farnefe, dernier Duc de Plaifance , fentant bien qu'un tel outrage ne fe pardonneroit jamais, avoit juré la ruine d'une maifon qui devoit le détefter; il employa tout le crédit que fes grands talents & fes longs fervices lui donnoient fur 1'efprit de 1'Empereur, è lui perfuader de s'emparer de Parme par la force des armes. Charles, entrainé par fes follicitations & par Ie delir qu'il avoit lui-même de réunir  DE C HARLES-Qu INT. 363 Parme au Milanès, goüta cette propoiition ; Sc Gonzague, que la plus légere apparence d'approbation encourageoit, commenca a raffembler des troupes, Sc a faire d'autres préparatifs pour 1'exécution de fon projet. Oclave, averti du danger qui le menacoit, vit la nécefüté de veiller a fa propre füreté, en augmentant la garnifon de fa capitale, Sc en levant des foldats pour défendre le refte du pays. Mais comme la modicité de fes revenus ne lui permettoit pas de faire des efforts fi difpendieux, il expofa fa fituation au Pape, Sc implora Ia prote&ion & l'affiftance qu'il avoit droit d'attendre en qualité de vaffa! de 1'Eglife. Cependant le miniftre Impérial avoit déja prévenu le Pape; & en lui exagérant fans cefTe le danger d'offenfer 1'Empereur, Sc 1'imprudence de foutenir Odlave dans une ufurpation fi nuifible au faint Siege, il étoit venu a bout de détacher entiérement Jules de la familie des Farnefe. La requête d'Ociave fut en conféquence recue très-froidement; & ce Prince ayant perdu l'efpérance d'obtenir aucun fecours du Pape, fut obligé de ü 1 " 1551. Oftave Farnefe follicitele fecours de la France.  155». 364 L' HlSTOIRË chercher ailleurs la prote&ion dont il avoit befoin. Henri II étoit Ie feul Prince qui füt affez puifiant pour la lui donner, & il fe trouvoit heureufement dans des circonfiances qui ha permettoient de goüter une pareille propofition. II venoit de terminer, de la maniere qu'il le defiroit, les affaires qu'il ncgocioit depuis quelque temps avec les deux Royaumes de la Grande-Bretagne, affaires qui avoient jufqu'alors détourné fon attention de celles du continent; il devoit ce fuccès en partie a la vigueur de fes armes, en parrie a fon adreffe a tirer avantage des faclions politiques qui déchiroient les deux Royaumes , & qui mettoient autant de violence & de précipitation dans les démarches des Ecoffois, que de foibleffe Sc d'incertitude dans celles des Anglois. II avoit obtenu des Anglois des conditions de paix favorables aux Eccfibis , fes alliés ; il avoit déterminé les Nob'les d'Ecoffe non-feulement a flaneer leur jeune Reine au Dauphin, mais encore a la faire paffer en France pour y être élevée fous fes yeux; il avoit enfin recouvré Bou-  DE CH ARLES-QUINT. JfSf logne & fon territoire, qui avoient été conquis par Henri VIII. Après avoir fait ces arrangements li avantageux a fa Couronne, & s'ètre délivré ayec honneur du fardeau de la guerre qu'il faifoit a 1'Angleterre, & des fecours qu'il fourniffoit aux Ecoffois, Henri fe trouvoit enfin en pleine liberté de pourfuivre les mefures que lui fuggéroit naturellement fa jaloufie héréditaire contre la puiffance de 1'Empereur. II recut dont avec plaiiir les premières ouvertures que lui fit Oftave Farnefe ; & faififlant avec avidité 1'cccafiort qu'on lui préfentoit de rentrer en Italië , il conclut fur le champ un traité, dans lequel il promit de foutenir la caufe d'Oclave, & de lui fournir tous les fecours dont il auroit befoin. Cette négociation ne put pas être longtemps ignorée du Pape , qui prévoyant les calamités que produiroit Ia guerre fi elle fe rallumoit fi prés de 1'Etat eccléfiaflique , expedia auffitot des lettres monitoriales, par lefquelies il requéroit Octave de renoncer a fa nouvelle alüance. Octave, ayant refufé de fe confórmer a Q »j 155.. Sa 'igue avec Henri II.  1551. Les hoftilités fe renouvellententre Charles Sc Henri. 366 V HlSTOlRE cette réquilition, Jules prononca, peu de temps après, qu'il avoit perdu tout droit a fon fief, & lui déclara la guerre comme a un valTal défobéiffant & rebelle. Mais comme il ne pouvoit pas efpérer de triompher, avec fes forces feules, d'un Prince foutenu par un allié aufli puifTant que le Roi de France, il eut recours a 1'Empereur, qui, de fon cöté, redou. tant 1'établiffement des Francois dans Parme , donna ordre a Gonzague de faire marcher toutes fes troupes pour feconder le Pape. Ainfi les Francois prirent les armes comme alliés d'Octave, &c les Impériaux comme protecteurs du faint Siege ; & tandis que les hoftilités commencoient entr'eux, Charles & Henri affeöoient de publier qu'ils refteroient inviolablement attachés a la paix de Crépy. La guerre de Parme ne fut diltinguée par aucun événement mémorable. II fe donna plufieurs petits combats avec des fuccès divers ; les Francois ravagerent une partie du territoire Eccléfiaftique; les Impériaux dévafterent le Parmefan ; & après avoir commencé de %,ire en regie le fiege de Parme, ils  DE CHARLES-QUIN T. 367 furent obligés d'abandonner honteufement cette entreprife (a). Les mouvements & les allarmes, que les préparatifs & les opérations de cette guerre occafionnoient en Italië empêcherent la plupart des Prélats Italiens de fe rendre k Trente au premier de Mai, jour fixé pour 1'alfemblée du concile ; quoique Ie Légat & les Nonces du Pape y fuffent arrivés, ils furent obligés de s'ajourner au premier de Septembre, dans l'efpérance qu'il s'y trouveroit alors un nombre fuffifant de Prélats & de Docieurs pour commencer avec décence les délibérations. II s'y rendit a cette époque environ foixante Prélats , pour la plupart de 1'Etat ecclélialrique ou d'Efpagne , & un petit nombre d'Ailemands (£). La feffion s'ouvrit avec les formalités accoutumées , & les Peres du concile étoient prés d'entamer les affaires , lorfque (a) Arlriani, lftor. lib. 8, p. 505 ,514, 524. Sleid. 513. Paruta , p. 220. Lettere del Carol. fcritte al nome del Card. Farnefe , t. a , p. n, &c. (b) Fra-Paolo, 268. Q ïv 1551. L'affemblée du concile eft retardée.  Henri protefte contre ie concile. (<*) Sleid. 518. Thuan. 162. Fra-Paolo, 301. 36S L'HISTOIRE 1'Abbé de Bellofane parut, & préfentant des lettres de créance, en qualité d'Ambaifadeur de Henri , demanda audience. L'ayant obtenue, il proteffe, au nom du Roi fon maitre, contre une affemblée convoquée dans des circonltances li peu convenables, & lorfqu'une guerre allumée fans motifs , par le Pape, mettoit les députés de 1'Eglife Gallicane dans 1'impoffibilité de fe rendre a Trente en füreté, ou d'y délibérer avec la tranquillité nécelTaire fur les articles de foi Sc de difcipline ; il déclara que fon maitre ne regarderoit pas cette affemblée comme un concile général & écuménique ; mais feulement comme un conventicule particulier & partial Le Légat affecta de méprifer cette proteftation , & les Prélats procéderent, malgré cet incident , a 1'examen Sc a la décifion des grands points qui étoient en controvcrfe , fur 1'Euchariff ie , la Pénitence Sc 1'Extrême-Onciion. Cepen-  de Charles-Quint. 369 dant la démarche du Roi de France devoit ébranler néceffairement I'autorité du concile; les Allemands ne pouvoient avoir beaucoup d'égards pour mie affemblée dont la légitïmité étoit attaquée, k 1'ouverture même de fes féances, par le fecond Monarque de la Chrétienté , & ils n'étoient pas difpofés a relpefter les décifions d'un petit nombre d'homrmes qui s'arrogeoient, fans y être autorifés, tous les droits appartenants aux repréfentants de 1'Eglife univerfelle. L'Empereur, cependant, s'occupa k mettre en oeuvre toutes les reffources de fon autorité, pour établir la réputation & la jurifdiftion du concile. II avoit eu affez de crédit fur les trois Elefteurs. Eceléfiaftiques, qui étoient, après le Pape, les Princes de 1'Eglife les plus éminents en puiffance &c en dignité, pour les déterminer a affifter en perfonne au concile; &c il avoit obligé plufieurs. Evêques Allemands , d'un rang inférieur , a fe rendre eux - mêmes k Trente, ou a y envoyer leurs repréfentants,. 11 accorda un fauf-con- Q v 1551, Procédé violent de 1'Empereurcontre les Proteftants.,  iSSi. 370 L' H I 5 T O I R E duit Impérial aux Ambaffadeurs nommés par 1'Electeur de Brandebourg , Ie Duc de Wittemberg & d'autres Princes. Proteftants pour affifter au concile; & il exhorta ces Princes a y envoyer auffi leurs théologiens, pour propofer, expliquer & défendre leur doftrine. Son zele, en même-temps, anticipa les décrets du concile ; &c comme il les opinions des Proteftants avoient déja été condamnées, il prit ouvertement des mefures pour achever de les anéantir. Dans cette vue, il fit affembler les Miniftresd'Aufbourg ; & après les avoir interrogés fur différents points de controverfe, il leur enjoignit de ne rien enfeigner fur ces articles, de contraire aux dogmes de 1'Egüfe Romaine. Ces Miniftres ayant refufé de fe conformer a une réquifition fi contraire aux mouvements de leur confcience, Charles leur ordonna de fortir de la ville en trois jours, fans révéler è perfonne la caufe de leur banniffement; il leur défendit de prêcher a 1'avenir dans aucun pays foumis k la jurifdiétion Impériale , & leur fit prêter ferment d'obéir fcrupuleufe-  DE CH AR LES-QUINT. IJl ment a ces ordres. Ils ne furent pas les feules vi&imes de fon zele : Ie clergé Proteftant, dans la plupart des villes du cercle de la Souabe , fut traité avec la même violence ; en plufieurs endroits, les Magiftrats qui s'étoient diftingués par leur attachement aux nouvelles opinions, furent deftitués brufquement & fans forme judiciaire ; & 1'Empereur difpofa arbitrairement de leurs places en faveur des plus fanatiques de leurs adverfaires. Le culte réformé fut prefqu'entiérement aboli dans toute 1'étendue de cette vafte Province. Les privileges anciens des villes libres furent violés. Le peuple fut forcé d'afiifter au miniftere de Prêtres, qu'il regardoit avec horreur comme des idolatres, & a fe foumettre a la jusifdiöion des Magiftrats qu'il déteftoit comme des ufurpateurs ( 1227, 381 L'HlST O IRE troupes mercenaires qui avoient fiiivi fes étendards, auffi-bien qu'aux foldats qui avoient fervi dans la garnifon ; & après les avoir relevés de leur ferment de fidélité, il les licencia. Mais au moment 011 il leur donna leur congé, Georges, Duc de Mecklembourg, qui venoit d'être mis en liberté, offrit de reprendre ces mêmes troupes a fon fervice, & de fe rendre caution pour le payement de ce qui leur étoit encore dü. Ces aventuriers, accoutumés a changer fouvent de maitre , accepterent fans peine la propofition; ainfi les mêmes troupes reflerent unies & prêtes a marcher par-tout oü Maurice les rappelleroit, tandis que 1'Empereur, trompé par cet artifice, & imaginant que le Duc de Mecklembourg ne les avoit engagées que pour foutenir, par la force des armes, fes prétentions fur une partie des Etats de fon frere , vit tout cet arrangement d'un ceil trés - indifférent («).  DE C H ARLES-Qu INT. 383 Après avoir hafardé des démarches fi effentielles pour Fexécution de fesprojets , Maurice, qui vouloit empêcher 1'Empereur d'en demêler 1'objet, & prévenir les foupcons qu'elles pouvoient lui infpirer, fentit la néceffité d'employer quelque nouvel artifice pour fixer ailleurs 1'attention de ce Prince, & pour le confirmer dans la fécurité. II favoit que le principal objet qui occupoit 1'Empereur, c'étoit d'engager les Etats Proteftants d'Allemagne a reconnoitre I'autorité du concile de Trente, & a y envoyer des Ambaffadeurs en leur propre nom, ainfi que des députés de leurs Eglifes refpectives. Maurice fut mettre a profrt ces difpofitions de Charles pour 1'amufer & le tromper. II affecta le plus grand zele pour fatisfaire les defirs de 1'Empereur a cet égard; il nomma des Ambaffadeurs qu'il autorifa a fe rendre au concile ; il chargea Mélanchton &c quelques-uns des théologiens les plus diftingués de fa communion, de préparer une confeffion de foi, & de la propofer a cette affemblée. A fon exemple, fk probablement en confé- 1551. Adreffe avec laquelle Maurice cache fes vuesal'Em; pereur,  1551. 384 L'HlSTOïRE quence de fes follicitations, le DuC de Wittemberg , la ville de Strafbourg & d'autres Etats Proteftants nommerent des AmbafTadeurs & des tbéologiens pour alfifter au concile. Ils s'adreflerent tous a FEmpereur pour avoir fon fauf-conduit, qu'ils obtinrent dans la forme la plus authentique; c'en étoit affez pour la füreté des AmbafTadeurs, qui fe mirent en route fur le champ ; mais les théologiens Proteftants demanderent pour eux un fauf-conduit particulier du concile même. Le deftin de Jean Hus & de Jeröme de Prague, que le concile de Conftance dans le liecle précédent, avoit condamnés aux Hammes, fans égards pour le fauf-conduit Impérial dont ils étoient munis , rendoit cette précaution prudente & même nécefFaire. Mais comme le Pape étoit auffi occupé k empêcher que les théologiens Proteftants eufFent la liberté de parler dans le concile, que Charles avoit été ardent a leur faire folliciter cette même liberté, le Légat vinta bout, par des promeffes & par des menaces, d'engager les Peres du concile k  oe Charles-Quint. 385 k refufer cFexpédier un fauf-conduit dans la même forme que celui qui avoit été accordé pair le concile de Bale aux partifans de Jean Hus. Les Proteftants, de leur cöté, infiftoient pour qu'on copiat exacf ement les tertoies de cet acfe; & les miniftres Impériaux interpoferent leur médiation pour qu'on les fatisfit k cet égard. On propofa des changements dans la forme; on fuggéra des expédienrs; on fit des proteftations & des con* tre-proteftations; le Légat & fes aflbcies tachoient d'arriver k leur but par 1'artifice & la chicane; les Proteftants foutenöient leurs avis avec fermeté & obftination. L'Empereur recevóit a Infpruck le détail de tout ce qui fe pafibit a Trente; ce Prince , entrainé par un excès de zele j ou de cohfiance dans fon habileté, renta de concilier les partis oppofés; mais il fe trouva engagé dans un labvnnthe de négociations interminables. Toutes ces intriguesfavorifoient cependant les vues de Maurice; tandis qu'elles abforboient tous les moments de 1'Empereur, & qu'elles détournoient fon attention de tout auTume V, p 1551.  i55t. Affaires de Hongrie. (a) Sleid. 516, 519. Fra-Paolo, 313, 338. Thiun, 286. lM V H 1 s r ö 1 ft s tre objet, 1'Elefteur eut le loiiif dê laifler mürir fon plan, de former fes brigues, & d'achever fes préparatifs avant de levër le mafque, Sc de frapper le grand coup qu'il méditoit depuis fi long-tèmps (0). Mais avant que d entrer dans ces détails, il eft néceffaire de parler d'une révolution nouvelle qui fe fit en Hongrie, & qui ne contribua paS peu aux effets extraordinaires que pröduifirent les opérations de Maurice. Lorfqu'en 1541 , Soliman, par un ftratagême plus convenable a la baffe & infidieufe politique d'un petit ufur* pateur, qu'a la magnanimité d'un puiffant conqitérant, priva le jeune Roi de Hongrie des domaines que fon pere lui avoit laiffés; il accorda a ce Prince infortuné , 3a Tranfylvanie, Province qui faifoit partie de fon héritage paternel; il lui permit de conferver le titre de Roi, quoique ce ne fut plus qu'un vain nom, Sc il confia Ie gouvernement de la  de Charles-Quint. 387 Tranfylvanie, avec le lbin d'élevei le jeune Prince, a la Reine, Sc a Martinuzzi, Evêque de Waradin : le feu Roi "avoit déligné ce Prélat pour être tuteur de fon fils & régent de fej Etats, dans un temps oü ces deus emplois étoient d'une bien plus grande importance, Ce partage d'autorité excita, dans une petite Principauté, lei mêmes diffentions qu'il auroit pu faire naitre dans un grand Royaume; une jeune Reine ambitieufe Si eapable de gouverner, Sc un Prélat fier Sc non moins ambitieux, fe difputerent a qui auroit la plus grande influence dans 1'adminiftration. Tous deux avoient leur parti dans la Nobleffe, & les grands talents de Martinuzzi commencoient a lui donner 1'afcendant, lorfqu'Ifabelle tourna contre lui-même les artifices dont il fe fervoit, Sc follicita la protecf ion des Turcs. Les Pachas voifins, jaloux du pottvoir Sc du crédit de 1'Evêque, promirent volontiers a la Reine, le fecours qu'elle demandoit; Sc ils auroient bientót obligé Martinuzzi d'abandonner la dire&ion des affaires, R ij 1551. Marfimizx! favorite les prétej'tions de Ferdinand!  388 L'HlStOÏRÈ fi Ion ambition j fertile en expédienfój ne lui avoit pas fuggéré un nouveau moyen qui tendoit non-feulement è conlerver, mais encore a étendre fon autorité. II fit un accommodement avec la Reine, par la médiation de quelques Nobles qui craignoient de voir leur patrie livrée aux calamités d'une guerre civile; en même*temps, il dépêcha fecretement un de fes confidents a Viennej & entama unenégociation avec Ferdinand. Comme il n étoit pas diflïcile de perfuader è ce Prince que le même homme dont 1'inimitié & les intrigues 1'avoient chaffé d'une partie de fes Etats de Hongrie -, pourroit également lui fervir a recouvrer ce qu'il avoit perdu, ce Prince recut avec joie les premières ouvertures d'un raccommodement. Martinuzzi lui préfenta des avantages fi confidérables , & s'engagea avec tant de confiance a faire prendre les armes, en fa faveur, aux Nobles les plus puiffants de la Hort* grie 4 que Ferdinand, malgré la treve qu'il avoit concilie avec Soliman, promit d'entrer a main armée dans Ia Tranfylvanie. Les troupes deftinéss  de Charles-Quint. è cette expédition étoient compofée: de vieux foldats Allemands & Ef pagnols; le commandement en fu donné a Caffaldo, Marquis de Pia> dena, Officier formé par le famein Marquis de Pefcaire, a qui il reffembloit linguliérernent, tant par for génie entreprenant dans les affaires, que par fes grands talents dans 1'ari de la guerre. Cette armée, moins redoutable par le nombre que par la difcipline des foldats Sc 1'habileté du Général, fut puiffamment fecondce par Martinuzzi & par les Hongrois de fon parti. Le Sultan étoit alors a la tête de fon armée fur les frontieres de la Perfe; les Pachas Turcs. n'étant pas en état de donner a la Reine des fecours auffi puiffants Sc auffi efficaces que 1'état de fes affaires 1'exigeoit, elle fentit bientöt qu'elle ne pourroit pas conferver long-tem ps I'autorité de Régente, Sc commenca même k défefpérer de la füreté de fon fils. Martinuzzi ne laiffa pas échapper une occafion fi favorable de parvenir k fon but; lorfqu'il vit Ifabelle dans cet état de découragement, il R iij ! Hst. Succès de fes mefures*  390 L'Histoire hafarda de lui faire une propofitioa qu'en tout autre ternps elle auroit rejettée avec mépris. II lui repréfenta 1'impoffibilité oü elle étoit de réfifter aux armes vicforieufes de Ferdinand; il lui fit voir que, quand les Turcs la mettroient en état de s'y oppofer avec fuccès, fa fituation n'en feroit pas meilleure, & qu'elle ne pourroit pas les regarder comme des libérateurs, mais comme des maitres aux ordres defquels elle feroit obligée de fe foumettre ; il la conjura , par ce qu'elle devoit a fa dignité, k la füreté de fon fils, & au repos de la Chrétienté, de céder laTranfylvanie a Ferdinand , & de lui facrifier les prétentions de fon fils fur la Couronne de Hongrie, plutöt que de voir 1'une & 1'autre la proie des ennemis invétérés de la religion Chrétienne. Ilpromit, en même-temps, au nom de Ferdinand , un dédommagement pour elle & pour fcn fils, proportionné k leur rang & a la valeur de ce qu'ils devoient facrifier. Ifabelle, fe voyant abandonnée par quelques-uns de fes partifans, fe défiant de quelques autres , privée d'amis & environnée des  de Charles-Quïnt. 391 troupes de Caftaldo &de Martinuzzi, foufcrivit, quoiqu'avec la plus grande répugnance , a des conditions li dures. En conféquence , elle livra les places fortes qui étoient encore en fa difpofition; elle remit toutes les marqués de la Royauté, & particuliérement une couronne d'or, qui, felon une tradition des Hongrois, étoit defcendue du Ciel, & conféroit k celui qui la portoit un droit inconteftable au tröne. Comme elk ne put pas fe réfoudre k refter au rang d'une perfonne privée , dans un pays oü elle avoit auparavant exercé la puiffance fouveraine , elle partit fur le champ, avec fon fils, pour aller en Siléfie prendre poffelÏÏon des Principautés d'Oppelen & de Ratibor; Ferdinand avoit promis d'accorder au jeune Prince 1'inveftiture de ces deux Principautés, & une de fe! filles en mariage. La réfignation du jeune Roi étanl publiée, Martinuzzi, & a fon exemple, le reftes des Nobles de Tranfylvanie, prêterent ferment de fidélite' a Ferdinand, qui, de fon cóté, pom reconnoitre le zele & le fuccès avec R iv 1551. Martinviïzi eft nomtnó Gouverneur de la. partie du Royaume de Hongrie qui étoit foumife a Ferd^aand.  ifJI. 392 LHlSTOlRE ' lequel ce Prélat 1'avoit fervi, affefla de le diftinguer par tous les témoignages poffibles de faveur & de corw fiance. II le nomma Gouverneur de Tranfylvanie avec une autorité prefque illimitée ;il ordonna a Caftaldo de déférer en tout a fes avis & a fes vo* lontés; il ajouta de nouveaux appointements aux revenus confidérables dont il jouiffoit déja; il lui donna 1'Archevêché de Gran, & obtint du Pape qu'il feroit fait Cardinal. Toute cette ofïentation de bienveiilance n'étoit cependant rien moins que fince-» re, & ne fervoit qu'è cacher des fentiments entiérement oppofés. Ferdinand craignoit les talents de Martinuzzi, & fe défioit de fa fidélité; il prévoyoit que ce Prélat, dont le crédit avoit été affez puiffant pour faire échouer toutes les tentatives qu'on avoit faites jufqu'alors pour limiter & pour abolir lés privileges exorbitants de la Nobleffe Hongroife, préféroit en toute occafion le röle de défenfeur des libertés de fon pays , a celui d'un vice-Roi dévoué aux volontés de fon Souverain. Ferdinand chargea en fecret, Caf-  DE C HA RLES-QUINT. 393* tatdo d'obferver tous les mouvements de Martinuzzi, de fe défier de fes deffeins , &c de traverfer toutes fes mefures ; mais foit que le Prélat ne s'appercüt point que Caftaldo étoit 1'efpion de fes démarches, foit qu'il méprifat les artifices infidieux de Ferdinand , il prit la direclion de la guerre contre les Turcs avec le ton d'autorité qui lui étoit propre, & la conduifit avec beaucoup de noblefTe Sc non moins de fuccès. II reprit quelques villes dont les infideles s'étoient emparés, Sc fit échouer les entreprifes qu'ils formerent fur d'autres places ; il établit I'autorité de Ferdinand non-feulement dans la Tranfylvanie s mais encore dans le Bannat de Témefwar, Sc dans plufieurs des pays voifins. Dans la conduite de ces opérations , il étoit fouvent d'une opinion contraire a celle de Caftaldo Sc de fes officiers ; il traitoit les prifonniers Turcs avec un degré d'humanité & même de générofité que Caftaldo condamnoit hautement. Cette conduite fut repréfentée a Vienne comme un artifice de Martinuzzi pour fe ménager 1'amitié des infideles, daas R v 1551. Ferdinand commencer a former des defleins. contre !ui».  394 L'Histoire la vue de s'aflurer de leur protedtion pour fe mettre en état dans la fuite de fe rendre tout-è-fait indépendant du Souverain qu'il reconnoifloit alors. Quoique Martinuzzi alléguat, pour juftifier fa conduite , qu'il feroit contraire a la bonne politique d'irriter , par des cruautés inu> tiles , un ennemi toujours ardent a fe venger, les accufations de Caftaldo n'en firent pas moins une forte impreffion fur 1'efprit de Ferdinand ^ déja prévenu contre k Prélat , bc d'autant plus jaloux de tout ce qui pouvoit ébranler fon autorité en Hongrie , qu'il_favoit combien elle étoit précaire &c mal affurée. Caftaldo confirmoit & fortifioit ces foupcons par les avis qu'il faifoit paffer continue!» lement aux confidents du Roi a Vienne ; il empoifonnoit les démarches innocentes de Martinuzzi, &c préfeatoit celles qui étoient équivoques fous le cöté le plus défavorable; if lui imputoit des deffeins qu'il n'avoit jamais formés, & 1'accufoit de crimes dont il n'étoit point coupabk; il parvint enfin par ces manoeuvres k convaincre Ferdinand qu'il ne pour»  de Charles-Quint. 395 roit conferver la Couronne de Hongrie-, qu'en fe débarraffant de cet ambitieux Prélat. Mais Ferdinand, convaincu qu'il feroit dangereux de procéder fuivant le cours ordinaire de la juftice, contre un fujet affez puiffant pour être en état de défier fon Souverain, prit Ie parti d'employer la violence pour obtenir la fatisfaction que la loi ne pouvoit lui procurer. II ordonna en conféquence, a Caftaldo, de le défaire de Martinuzzi, & Caftaldo fe chargea volontiers de cet abominable office; il communiqua fon deffein a quelques Officiers Italiens & Efpagnols dignes de fa confiance , & concerta avec eux les moyens de 1'exécuter : ils entrerent un jour de grand matin dans 1'appartement de Martinuzzi, fous prétexte de lui préfenter quelques dépêches qu'il étoit important d'expédier fur le champ k Vienne. Tandis qu'il lifoit avec attention un écrit, un des conjurés le frappa d'un coup de poignard a la gorge. Le coup n'étoit pas mortel; Martinuzzi fe retournant avec 1'intrépklité qui lui étoit naturelle , fe jetta R vj 1551. Martinu-m eft aflafiiné par ordre de Ferdinand. 18 Décerrtbre.  iSji. Effets de eet affaflinatt 396 L'HISTOIRE fur 1'alTaffin, & le renverfaa fespieds; mais les autres conjurés fe précipitant fur lui, ce vieillard feul & défarmé ne put réfifter long-temps a un combat fi inégal, & tomba bientöt percé de cent coups de poignards. Les peuples de la Tranfylvanie, conténus par la préfence des troupes étrangeres, n'oferent prendre les armes pour yenger la mort d'un Prélat qui avoit été fi long-temps 1'objet de leur vénération & de leur amour. Ils parierent , cependant, de ce meurtre avec exécration; ils fe récrierent hautement contre Ferdinand, qui, malgré Ia reconnoiffance qu'il devoit a des fervices récents & importants , & le refpeét que méritoit un caractere regardé par les Chrétiens comme inviolable & facré, n'avoit pas craint de verfer Ie fang d'un homme dont le feul crime étoit fon attachement a fa patrie. Les Nobles, déteftant Ia jaloufe & cruelle politique d'une Cour, qui, fur des foupcons fans preuves & fans vraifemblance , faifoit égorger par des afialfins un homme aulfi confidérable par fon mérite que par fon rang, le retireren?  de Ch arles-Quint. J97 dans leurs terres; ou s'ils refterent dans 1'armée Autrichienne , ils ne fervirent qu'avec répugnance & avec froideur. Les Turcs, encouragés au contraire par la mort d'un ennemi dont ils redoutoient les talents, fe préparerent è renouveller les hoftilités au commencement du printemps; ainfi au-lieu de la füreté que Ferdinand avoit efpéré de fe procurer par la mort de Martinuzzi, il vit fes Etats de Hongrie a Ia veille d'être attaqués avec plus de vigueur, & défendus avec moins de zele qu'auparavant («). Cependant, Maurice ayant concerté toutes fes intrigues, & prefque achevé tous fes préparatifs, étoit fur le point de mettre fes proj ets au grand jour, & de commencer les hofiilités contre FEmpereur. Son premier foin, après avoir pris cette réfolu- (a) Sleid. 545. Thuan. lib. 9, p. 309, &c. Iftuanhaffi, hifi. regn. Hung. lib. 16, p. 169. Mém. de Ribier , t. 2 , p, 871. Natalis comitis, hifi. lib. 4, p. 84, &c. Maurice follicite la protecrion du Roi d( France.  -551. 39^ L'Histoire tion , fut de rej etter cette étroite Se fuperftitieufe politique qui avoit fait éviter aux confédérés de Smalkalde toute efpece de liaifon avec les étrangers. II avoit vu combien cette maxime avoit été funefte a leur caufe; inftruit par leur faute , il eut autant d'emprefTement de folliciter la protection de Henri II, que les confédérés en avoient montré k repoulfer 1'interpofition de Francois I. Heureufement pour Maurice, il trouva Henri très-difpofé a fe prêter aux premières ouvertures qu'il lui fit, St en état de mettre en mouvement toutes les forces de la monarchie Francoife. Henri, depuis long-temps, obfervoit avec jaloufie le progrès des armes de 1'Empereur; il brüloit d'effayer fes forces contre cet ennemi de la France , & de fe fignaler par une rivalité qui avoit fait la gloire du regne de fon pere. II aVoit profité de la première occafion qu'il avoit eue de traverfer les pro jets de Charles, en prenant le Duc de Parme fous fa protedïion, & les hoftilités étoient déja commencées ,non-feulementdans le Duché de Parme, mais encore  de Charles-Quint. 399 dans le Piémont. Après avoir terminé la guerre avec 1'Angleterre, par une paix auffi avantageufe pour luimême , qu'honorable pour les Ecoffois fes alliés, il vit que la nobleffe Franeoifeétoitimpatientede déployer fon courage inquiet & entreprenant fur un théatre plus brillant, celui de Parme ou du Piémont. Jean de Fienne, Evêque de Bayonne, qu'Henri avoit envoyé en Allemagne , fous prétexte d'y lever des troupes deftinées a fervir en Italië, fut autorifé a conclure un traité en forme avec Maurice &c fes affociés. Comme un Roi de France n'auroit pu décemment s'engager a défendre 1'Eglife Proteffante, les objets de controverfe, quelque part qu'ils puffent avoir au traité, ne furent mentionnés dans aucun des articles. Suivant ce traité , les intéréts de la Religion étoient abandonnés entiérement a la difpofition de la divine Providence ; les feuls motifs allégués pour former cette confédération contre Charles , étoient de procurer la liberté au Landgrave , &c de prévenir le renverfemeut de Tancienne conltitution 6c 1551. Son traité avecKens?»  ■551- 400 L* H I S T O I R E des loix de I'Empire Germanique. Pour remplir ces deux objets, il fut convenu que toutes les parties contractantes déclareroient en même-temps la guerre a 1'Empereur; qu'on ne pourroit conclure ni paix ni treve fans le confentement commun de tous les confédérés, &c fans que chacun d'eux y fut compris; qu'afin de prévenir les. inconvénients de 1'anarchie & des prétentions au partage du commandement, Maurice feroit déclaré chef de la confédération, avec une autorité abfolue dans toutes les affaires militaires; que Maurice ck fes, affociés mettroient en campagne fept mille hommes de cavalerie avec un nombre proportionné d'infanterie ; que pour fournir è la fubfiftance de cette armée, pendant les trois premiers mois de la guerre, Henri donneroit deux cents quarante mille couronnes, & enfuite foixante mille couronnes par mois , tant que 1'armée feroit en campagne; qu'Henri attaqueroit 1'Empereur du cöté de la Lorraine , avec une armée puiffante; enfin , que fi 1'on jugeoit a pr»pos d'éUre un nouvel Empereur, le choix,  »e Charles-Quint. 401 me pourroit tornber que fur celui qu'agréeroit Ie Roi de France (a). Ce traité fut conclu Ie premier Oftobre , quelque temps avant Ia prife de Magdebourg; &c les négociations préliminaires furent conduites avec un li profond fecret, q\ie de tous les Princes qui y accéderent enfuite, il n'y en eut que deux k qui Maurice en fit confidence ; ce furent Jean Albert, Duc régnant de Mecklembourg, Sc Guillaume de HelTe, fils aïné du Landgrave. La ligue elle-mcme refta fi foigneufement Sc fi heureufement cachée, que FEmpereur Sc fes Miniftres ne paroifTent pas en avoir eu Ie moindre foupcon. Maurice , dont Pattivité s'exercoit è chercher de toutes parts de nou- 1 veaux fecours, s'adrefia k Edouard VI, \ Roi d'Anghterre, Sc lui demanda un d fubfide de quatre cents mille cou- r ronnes pour le foutien d'une confédération formée pour la défènfe de la Religion Proteftante; mais les fac- (É CH ARLES-QuiNT. 405 du temps. II affecla d'être plus oc- : cupé que jamais a chercher quelque expédient pour lever toutes les difficultés relativement au 'fauf-conduit que demandoient les théologiens Proteftants nommés pour aflïfïer au concile. Ses Ambaffadeurs, a Trente, avoient de fréquentes conférences fur cet objet avec les Ambaffadeurs Impériaux, a qui ils communiquoient leurs fentiments, du ton d'une confiance fans réferve. 11 vc-ulut a la £tt faire croire que tous les différends fur cet article préliminaire lui paroiffoient fur le point d'être terminés; & afin d'accréditer cette opinion, il donna ordre a Mélanchton & a fes confrères de fe mettre en route pour fe rendre k Trente. H entretenoit, en même - temps, une correfpondance très-fuivie avec la Cour Impériale k ïnfpruck, & renouvelloit en toute occafion les proteftations de fon at* tachement & de fa fidélité envers 1'Empereur. 11 parloit fans ceffe dê Pintention 011 il étoit d'aller lui-même a ïnfpruck; il y fit même louer une maifon pour lui, & donna des •ordres pour la faire mettre, le plus  L'Empeieur commence k foupconner les intentions de Maurice. (<) Arnold. vit* Maurit. ap. Mtnkcn. f. 406 L' HlSTOIRE promptement qu'il feroit poffible, ea état de le recevoir («). Quelqu'habile que füt Maurice dans tous les artifices de la diffiimilation , & quelqu'impénétrable que lui parüt le voile fous lequel il cachoit fes deffeins, il y avoit cependant dans fa conduite plufieurs chofes qui altéroient la fécurité de 1'Empereur, & qui le tenterent fouvent de foupconner quelque deffein extraordinaire. Mais comme fes foupcons n'étoient fondés que fur des circonltances, peu importantespar elles-mêmes, ou d'une nature incertaine & équivoque, 1'effet en étoit aifément détruit par 1'adreffe de Maurice; 1'Empereur craignoit d'ailleurs de retirer trop légérement fa confïance d'un homme & qui il Favoit donnée toute entiere, & qu'il avoit comblé de faveurs. Une feule circonitance lui parut être affez importante pour mériter une explication. Les troupes que Georges de Mecklembourg avoit prifes a fa fol-  DE CH ARLES-QUI NT. 407 de , après la capitulation de Magdebourg , ayant fixé leur quartier dans la Thuringe, vivoient a difcrétion fur les terres des riches Eccléiiaftiques de leur voilïnage. Ceux qui eprouvoient ou qui redoutoient leurs exaclions, fe plaignirent hautement a 1'Empereur, 6c lui parierent de ces troupes comme d'un corps d'hommes qu'on deftinoit a quelqu'entreprife défefpérée. Maurice,tantötatténuoit les excès qu'on reprochoit a ces troupes , tantöt repréfentoit 1'impoffibilité de les licencier ou de les afTujettir a une difcipline réguliere jufqu'a ce qu'on leur eut payé ce qui leur étoit dü de leur folde par 1'Empereur même; il fut, par-la , calmer les craintes que cet objet avoit fait naitre; ou peut-être Charles n'étant pas en état de fatisfaire aux demancles de ces foldats, fut obligé de garder le filence fur ce point (a). Cependant le temps d'agir appro-choit. Maurice avoit envoyé lecretement a Paris, Albert de Brande- (4) Sleid. 349. Thuan, 339, 1552. Maurice ie prépare » * agir.  IJ 52. 40S L'HlSÏOÏRË bourg pour y confirmer fa confèdé" ratión avec Henri, & pour hater la marche de 1'armée Fran^oifew II avoit pris des mefures pour être en état de ^affembler fes fujets au moment oh il en auroit befoin; il avoit pourvu a lafiireté de la Saxe, pendant qu'il s'en abfenteroit pour commander 1'armée , & il renoit les troupes qui «toient dans la Thuringe & fur lef* tquelles il comptoit particuliérement, toutes prêtes a marcher au premier fignal. Ces opérations compliquées fe firent fans être découvertes par la Cour Impériale; Charles reftoit tt ïnfpruck dans la plus parfaite tranquillité , uniquement occupé a contremi* ner les intrigues du Légat a Trente, & a régler les conditions auxquelles les théologiens Proteftants pourroient être admis au concile; il ne fe dou* toit guere qu'il y eut alors des objets beaucoup plus importants prés d'at« tirer fon attention. Cette imprudente fécuritéde la part d'un Prince dont 1'attention a obferver tout ce qui fe paffoit autour de lui, le conduifit fouvent a un excès de défiance, peut paroitre inexplicable3  o£ Charles-Quint. 409 cable, Sc elle a été attribuée k un aveuglement extraordinaire. Mais indépendamment de 1'adreffe linguliere avec laquelle Maurice fut déguifer fes intentions , deux circonftances concoururent a tromper 1'Empereur: peu de temps après fon arrivée a ïnfpruck , la goutte le prit avec un furcroït de violence; fon tempérament étoit affoibli par de li fréquentes attaques ; fon efprit avoit perdu fa vigueur naturelle, Sc il n'étoit plus en état de s'occuper des affaires avec fa vigilance Sc fa pénétration ordinaire. Granvelle , Evêque d'Arras, fon premier Miniftre, quoique 1'un des politiques les plus déliés de fon fiécle , Sc peut-être d'aucun fiecle, fut en cette occafion la dupe de fa propre fineffe. II avoit une haute opinion de fon habileté, & méprifoit fi fort les talents politiques des Allemands , qu'il ne fit aucune attention aux avis qu'on lui donna des intrigues fecretes Sc des progrès dangereux de Maurice. La fómbre défiance du Duc d'Albe lui ayant fait concevoir quelques foupcons fur la fincérité de 1'Eleéteur, il propofa dg le Tome V* . S 155Z. Circonftances qui contribuerentatromper 1'Empereur & fes Miniftres.  4t<3 L'ttlSTOiRË faire venir fur le champ a la Cotttj pour y rendre cömpte dè fa conduite ; mais Granvelle répondit avec dédain que ces foupcons étoient fans fondement» & que la tête d'un AlIemand ivre étoit trap grofliere pour förmer quelque projet qu'il he lui füt aifé de pénétrer & de faire échouer. Ce n'étoit pas feulement fa confïance dans fa propre fagacité , qui lui donnok un ton fi décifif; il avoit corrompu deux des miniltres de Maurice , qui lui envoyoient des avis fréquents & détaillés de tous les mouvements de leur maitre. Mais ce moyen même, par lequel il efpéroitde pénétrer tous les defTeins, & iufqu'aux penfées de Maurice, fervit a le mieux tromper. L'Elefteur avoit fecretement découvert la correfpondance de fes deux Miniftres avec Granvelle ; au-lieu de les punir de leur trahifon. il fut habilement en profiter, & tourna contre Granvelle les artifkes mêmes de ce Prélat. II affeéla de traiter les deux tfaitfes avec plus" de confianee que jamais; il les adm't a fes délibératiöns particulieres„ 6c parut leur dt'eouvrir fes plus fe*  DE € HARLËS-Qü INT. 4II tretes intentions; mais il avoit Ibin de ne leur laiffer appercevoir que ce qu'il étoit de fon intérêtde faire connoitre; de forte que les avis des deux efpions ne fervoient qu'a confirmer Granvelle dans la perfuafion oii il étoit de la fincérité Sc des bonnes intentions de Maurice (a); L'Empereuf lui même étoit dans une fi parfaire fécurité, qu'il ne tint aucun compte d'un mémoire qui lui fut préfenté au nom des Elecleurs EccléfiafHques, Sc par lequel on 1'avertiffoit d'être en garde contre Maurice; il n'y répondit que par des proteftations de fon entiere confïance dans la fidélité Sc dans 1'attachement de ce Prince (£). Enfin, les préparatifs de Maurice fe trouverent achevés, Sc il jouit du plaifir de voir que fes intrigues & fes projets étoient encore ignorés; mais quoiqu'il füt prés de commencer les hoffilités, il ne voulut pas encore jetter le mafque qu'il avoit gardé jufqu'alors; Sc par une nouvelle (a) Mei vil, Mémoires, foi. edit. p. ij; ) Sleid. 535. S ij »Ï5* Maurice entre en campagne contre TEmpe* reur.  ■ 1552. 4ÏÏ L'Hïstoirê rufe , il fut encore tromper fes ennemis quelques jours de plus. II annon^a qu'il alloit faire le voyage d'Infpruck dont il avoit fi fouvent parlé , & il prit, pour 1'y accompagner, un des deux miniftres que Granvelle avoit corrompus. Après avoir fait quelques poftes, il feignit d'être fatigué du voyage , & dépêcha a Inf* pruckfon perfide miniftre, en lechargeant de faire a 1'Empereur des excufes fur ce délai, & de Paffurer qu'il arriveroit a la Cour dans peu de jours. Cet efpion ne fut pas plutöt parti, que Maurice monta a cheval, vola vers la Thuringe, y joignit fon armée compofée de vingt mille hommes d'infanterie & de cinq mille de cavalerie, & la mit fur le champ en mouvement («). («*) Melvil, Mémoires, p. 13. Les circonftances qu'on a rapportées concernant les miniftres Saxons gagnés & corrompus par Granvelle , ne font pas mentionnés par les Hiftoriens Allemands ; mais comme le Chëvalier James Melvil tenoit ces détails de l'Eleöeur Palatin, & qu'ils font parfaitement conformes k toute la conduite de Maurice, on peut les regarder comme au«; thentiques.  de Charles-Quint. 413 II publia en même-temps un manifefte contenantles raifons qu'il avoit pour prendre les armes. II allégua trois motifs : 1°. de défendre la religion Proteftante menacée d'une deftru&ion prochaine; xQ. de maintenir la conftitution & les loix de I'Empire , & de préferver 1'AIlemagne de la domination d'un Monarque abfolu; 30. de délivrer le Landgrave de Heffe des horreurs d'une longue & injufte captivité. Par le premier motif , Maurice foulevoit en fa faveur les partifans trés - nombreux de la réformation, que 1'enthoufiafme rendoit formidables, & que 1'oppreflïon excitoit a prendre un parti défefpéré. Par le fecond motif, il s'attachoit tous les amis de la liberté, tant Catholiques que Proteftants, également intéreffés a fe joindre avec lui pour défendre des droits & des privileges communs aux uns & aux autres. Enfin , outre la gloire qu'il s'acquéroit par fon zele è remplir fes engagements envers le Landgrave, le troifieme motif étoit devenu un objet d'intérêt général, non-feulement par la pitié qu'infpiroient les fouffrances S iij 15 5 a' II publieun manifefte pour juftifier fa coa* duite.  II eft puiffammentfoutenu pa le Roi de France. 414 L'HISTOIRE de ce Prince infortuné , mais encore par 1'indignation qu'avoient excitées la rigueur & 1'injuftice avec laquelle il avoit été traité par FEmpereur. Avec le manifefte de Maurice , il en parut un autre au nom d'Albert, Marquis de Brandebourg-Culmbach , qui s'étoit joint a lui avec un corps d'aventuriers qu'il avoit raffemblés; il y expofoit les mêmes griefs, mais avèc un excès d'amertume & de vio lence, analogue au caraftere da Prince fous le nom duquel cet écrit étoit publié. Le Roi de France puhlia auffi. un manifefte en fon propre nom : après " y avoir rappellé 1'ancienne alliance qui fubfiftoit entre les nations Francoife & Germanique , defcendues 1'une & 1'autre des mêmes ancêtres; & après avoir parlé des ouvertures qu'en conféquence de cette ancienne union, quelques-uns des plus illuftres Princes d'Allemagne lui avoient faites pour lui demander fa protection, Henri déclaroit qu'il alloit prendre les armes pour rétablir Fancienne conftitution de I'Empire, pour déUvrer quelques-uns de fes Princes de  DE CHAREES-Q U I NT. 415 la fervitude , & pour aflurer les privileges Sc 1'indépendance de tous les membres du corps Germanique; il prenoit, dans ce manifefte, le titre 3e protecteur des libertès de lf Allemagne & de fes Princes capiifs, Sc il avoit fait graver a Ia tête un bonnet, l'ancien fymbole de la liberté, placé entre deux poignards, pour faire entendre fans doute aux Allemands que la liberté ne pouvoit s'acquérir Sc fe conferver que par la force des armes ( pofïible d-'atteindre des fuyards a qui la crainte donnoit des alles, il revint dans la ville, & livra au pillage tous les bagages de 1'Empereur &de fes minifbes; il défendit en mêmetemps de toucher a tout ce qui appartenoit au Roi des Romains; foit qu'il eut formé quelques liaifons d'amitié avec ce Prince, foit qu'il vouJut le faire croire. Maurice avoit calculé le temps de fes opérations avec tant de juitefTe, qu'il ne refloit plus alors que trois jours jufqu'au commencement de la treve conventie; il partit fur le champ pour aller trou-  DE CHAR LES-Qu INT. 427 ver Ferdinand a Paflau, au jour qui avoit été fixé. Avant de fortir d'Infpruck, Charles mit en liberté PEledteur de Saxe qu'il avoit dépouillé de Ion Eleclorat, & qu'il traïnoit depuis cinq ans a fa fuite; il efpéroit peut-être d'embarraffer Maurice en retèchant un rival qui pourroit lui difputer fon titre Sc fes Etats ; ou peut-être fentoit-il 1'indécence de retenir ce Prince prifonnier , tandis qu'il couroit lui-même Ie rifque d*être privé de fa liberté. Mais PElecfeur ne voyant d'autre moyen de s'échapper que celui que prenoit 1'Empereur, Sc frémiffant a la feule idéé de tomber entre les mains d'un parent qu'il regardoit avec raifon comme 1'auteur de toutes fes infortur.es, il pritie part! _d'accompagner Charles dans fa fuite, & d'attendre la décifion de fon fort de la négociation qui devoit s'entamer, Ce ne fut pas le feul effet que produilirent les opérations de Maurice. On ne fut pas plutöt informé a Trente qu'il avoit pris les armes, qu'une confternation générale s'empara des Peres du concile. Les Prélats Alle- 1552. L'Empereur met en liberté 1'Electeur de Saxe. Le concile de Trente fe fépareen défordre.  Effets de fes décrets. (<«) Fra-Paolo, 353. "428 L'HISTOIRE mands retournerent chez eux fur Ie champ , dans la vue de pourvoir k la füreté de leurs propres domaines. Les autres avoient une extreme impatience de fe retirer auffi, & le Légat, qui jufqu'alors avoit réfifté k tous les efforts des Ambaffadeurs Impériaux, qui vouloient faire admettre au concile les théologiens Proteftants, faifit avec joie cette occafion de diffoudre une affemblée qui lui avoit paru fi difficile a gouverner. Une congrégation, qui fe tint le vingt-huit Avril, rendit un décret pour proroger le concile pendant deux ans, & pour le convoquer de nouveau a 1'expiration de ce terme, fi la paix étoit alors rétablie en Europe (a). Cette prorogation s'étendit jufqu'a dix ans; mais les opérations du concile, lorfqu'il fe raffembla en 1562 , n'appartiennent pas au période qu'embraffe cette hiftoire. La convocation d'un concile avoit été paffionnément defirée par tous les Etats de la Chrétienté ; on ef-  D Ê CH ARLËS-QuiNT. 419 péroit de la fageffe & de la piété des Prélats qui repréfentoient le corps entier des fideles , qu'il en réfulteroit des efForts charitables Sc efficaces pour terminer les difputes qui s'étoient malheureufement élevées dans 1'Eglife. Mais les différents Papes qui avoient convoqué cette affemblée, avoient d'autres objets en vue ; ils mirent en oeuvre tout ce qu'ils avoient de politique & d'autorité pour arriver a „leur but. Les talents Sc 1'adreffe de leurs Légats, 1'ignorance d'un grand nombre de Prélats , & la bafle foumiffion des Evêques indigents d'Italie , donnerent a ces Papes une fi grande influence dans le concile, qu'ils en diöoient tous les décrets; Sc qu'enles rédigeant, ils penfoient moins a rétablir 1'unité Sc la concorde dans 1'Eglife, qu'a affermir leur propre domination , ou k confolider les principes fur lefquels ils imaginoient que cette domination étoit fondée. Des dogmes qui, jufqu'alors , n'avoient été recus que fur la foi de la tradition, Sc dans 1'interprétation defquels on admettoit quelque latitude , furent définis ave«  Cani£tere des Hiftoriens du concile. 430 L'HlSTOIRÊ une fcrupuleufe exaöitude, & cori* firmés pat la fanftion de I'autorité Papalet Des cérémonies qui n'ayoient été obfervées que paf déférence k des üfages qu'on regardoit comme anciens , furent établies par les décrets de 1'Eglife, Sc déclarées parties ef> fentieües de fon culte. Au-lieu de fer*> mer la brechej on 1'élargit, Sc le mal devint irrépaïable ; au-lieu d'ef> fayer de concilier les partis divifés, on affeöa de tiref* une ligne pfécife qui fixoit Sc établiffoit la féparation des deux partis» Ces opérations fervent encore aujourd'hui a les tenir: divifés; St fi la Providence divïne n'y intervient, doivent rendre la féparation éternelle. Nous devons k trois auteurs différents la connoiffance que nous avons des opérations de cette affemblée* Le pere Paul de Venife écrivit fon hiltoire du concile de Trente, tandis que la mémöire de ce qui s'y étoit paiie étoit encore récente, St que plufieurs de ceux qui y avoient affiflé vivoient encore. II a développé les intrigues & les artifïces qui y préfiderent, avec une liberté Sc une fé*  OE C H A R L È S-Q ü i N t. 43 i Verité qui ont donné une atteinte pro- " fonde a I'autorité 6c k la réputation de ce concile. II en a décrit les dé-libérations, 6c expliqué les décrets avec tant de clarté 6c de profondeur , avec urie érudition fi variée êc une raifon li folide, què fon li* vre eft juftement regardé comme un des meilleurs ouvrages d'hiftoire qui exiftent. Environ cinquante ans après, le Jéfuite Pallavicini publia fon hif* toire du concile en oppofition a celle du Pere Paul; il employa toutes leS reffources d'un efprit fubtil 6c délié pour inlirmer I'autorité, 6c pour ré* futer les raifonnements de fon antogonifte ; il s'efforee de pfonver, en juftifiant adroitement les opérations du concile , 6c en interprétant fes décrets avec fubtilité, que l'impartia* lité en dirigea les délibérations , & que Ie jugement ainfi que la candeuf en diöa les décillons. Vargas , jurifconfulte Efpagnol, qui fut nommé pour accompagner k Trente les Ambaffadeurs Impériaux, envovoit a 1'Evêqiie d'Arras un compte exact de tout ce qui s'y paffoit, 6c lui expliquoit tous les artifiees que le Eégat  155*- 431 L'HlSTOiRË employoit pour faire agir & fon gré le concile. On a publié une lettre dans laquelle Vargas déclame contre la Cour du Pape avec la févérité naturelle a un homme qui, par fa fituation, étoit en état de bien obferver les manoeuvres de cette Cour, & qui étoit obligé d'employer tous fes foins &c fes talents a les faire échouer. Quel que foit celui de ces trois auteurs qu'on prenne pour guide dans le jugement qu'on fe formera de 1'efprit qui animoit le concile, on découvrira parmi quelques-uns de ceux qui le compofoient , tant d'ambition & d'artifke , & parmi la plupart des autres tant d'ignorance & de corruption; on y obfervera une fi forte teinte des pafTions humaines & fi peu de cette fimplicité de coeur, de cette pureté de mceurs & de cet amour de la vérité , qui feuls peuvent donner aux hommes le droit de décider quelle doftrine eft digne de Dieu, & quel culte lui eft agréable , qu'il fera bien difficile de croire qu'une influence extraordinaire du Saint-Efprit ait animé cette affemblée , & infpiré fes de- cifions. j ,. Tandis  DE CHARLE 5-Q UI N T. 433 Tandis que Maurice étoit occnpé a négocier a Lentz, avec le Roi des Romains, ou a faire la guerre a 1'Empereur dans le Tirol, le Roi de France s'étoit avancé en Alface jufqu'a Strafbourg. II demanda au Sénat Ia permiffion de traverfer la ville, efpérant qu'a ï'aide du même lfratagême qui lui avoit réufu* a Metz, il pourroit fe rendre maitre de la place, & fe frayer, par le Rhin, un pafTage dans le ceeur de 1'Allemagne; mais les Strasbourgeois, inltruits par la crédulité &c le malheur de leurs voifins, fermerent leurs portes; &c ayant raffemblé une garnifon de cinq mille hommes, ils réparerent leurs fortifica' tion, raferent les maifons qui étoient dans leurs fauxbourgs, & parurent déterminés a fe défendre jufqu'a la derniere extrémité. Ils envoyerent en même-temps au Roi, une dépuration des bourgeois les plus refpeöables, pour Ie prier de n'exercer aucune hoftilité contr'eux. Les Eleöeurs de Treves tSc de Cologne, le Duc de Cleves & d'autres Princes du voilinage , fe joignirent a eux pour conjurer Henri de ne pas oublier le titre qu'il Tornt V, T 155a. Les Francois veulent fur^rendrebtrasbonrg,-  155». 434 L' HiSTOiRf ! avoit pris fi généreufement, Sc de ne pas fe rendre 1'oppreffeur de 1'Allemagne dont il s'étoit annoncé comme le libérateur. Les cantons Suiffes les feconderent aufli avee zele, & folliciterent Henri d'épargner une ville , qui depuis long-temps étoit liée avec leur République par 1'amitié Sc par des traités, Quelque puiffante que fut cette interceffion réunie , elle n'auroit pu déterminer Henri a renoncer a une conquête fi importante, s'il avoit été en état de fe 1'affurer; mais on connoiffoit peu dans ce fiecle le moyen de faire fubfifter de nombreufes armées loin des frontieres de leur pays, Sc les revenus des Princes, ainfi que leur habileté dans Part de la guerre, étoient fort au-deflbus des efferts vigoureux Sc compliqués qu'exigeoit une telle entreprife. Quoique les Frangois ne fuflent pas encore bien éloignés de leurs frontieres , ils commengoient déja a fentir la difette des vivres, Si ils n'avoient pas des magafins fuffifants pour leur fournir des provifions pendant un fiege qui néceflairement  BE CïïARLES-QüI NT. 43" auroit été fort long (a). En mêmetemps, la Reine d'Hongrie , gouver nante des Pays-Bas, avoit affembl» un corps de troupes confidérable, qui fous le commandement de Martin d< Rolfem , ravageoit la Champagne, & menacoit les Provinces adjacentes Ces différentes circonftances obligerent le Roi, malgré fa répugnance d'abandonner 1'entreprife. Mais il vou lut du moins fe faire, auprès de fe; alliés , un mérite de cette retraite qu'il ne pouvoit éviter, & il témoigna aux Suiffes qu'il ne prenoit cette réfolution que par déférence poui leurs follicitations (£). II ordonna enfuite de mener boire dans le Rhin tous les chevaux de fon armée, pour prouver qu'il avoit pouffé jufques-la fes conquêtes, & il reprit la route de la Champagne. Pendant que le Roi de France & ïa grande armée des confédérés faifoient ces mouvements , on avoit confié a Albert de Brandebourg Ie (a) Thuan. 351 , ^2. {!>) Sleidan, 557. Brantome, t 7, p. 39; T i; 1 Opérations militaires d'AIbert de Brandebourg,  ♦ tfé L' HlSTOIRE commandement d'un corps féparé de huit mille hommes, compofés principalement de mercenaires qui s'étoient rangés fous fes drapeaux, attirés par le defir du pillage plutöt que par l'efpérance de recevoir une folde fixe & réglée. Ce Prince» fe voyant a la tête de ce corps d'aventuriers, déterminés a le fuivre partout, commenca bientöt k dédaigner 1'état de fubordination dans lequel il avoit été jufques-lè , & a former ces projets valles d'agrandifiément, qui fe préfentent rarement aux efprits les plus ambitieux, fi ce n'eft lorfque les guerres civiles & les factions les excitent a des entreprifes hardies, en les flattant de l'efpérance d'un fuceès prochain. Plein de ces grandes prétentions , Albert fit la guerre d'une maniere trés-différente de celle des confédérés; il s'efforca de répandre au loin la terreur de fes armes par la rapidité de fes mouvements , aufïibien que par 1'étendue & la violence de fes dévaftations. II exigea des contributions de tous les endroits ou il pafla , dans le deffein d'amaffer affez d'argent pour être en état de payer  de Charles-Quint. 437 8c de conferver fon armée. II cher- " cha a s'emparerdeNuremberg, d'Ulm ou de quelque autre ville libre de la haute Allemagne qui lui fervit de capitale, oh il put fïxer le fiege de fon gouvernement. Mais trouvant ces villes fur leurs gardes 8c en état de lui réfilter, il tourna toute fa fureur contre les Eccléfiaftiques papiftes, dont il ravagea les terres avec une barbarie impitoyable, qui leur donna des impreffions très-défavorables contre Tefprit de cette religion réformée, dont il prétendoit être un zélé défenfeur. Les Evêques de Bamberg 8c de "Wurtzbourg fe trouverent, par leur fituation, plus expofés que les autres a fes violences. II obligea le premier de lui abandonner la propriété d'environ la moitié de fon vafte diocefe; il forga le fecond dé lui payer une fomme immenfe pour racheter fon pays de la ruine 8c de la dévaftation. Au milieu de ces excès d'une fureur bifarre , Albert n'eut aucun égard ni aux ordres de Maurice, malgré Pengagement qu'il avoit contraöé de lui obéir comme au Général en chef de la ligue, ni aux repréT iij 1552.  1552- Négociations pour Ia paix a PalTau. 438 L'HlSTOIRK fentations des autres confédérés; il. fit voir clairement qu'il n'étoit occupé que de fon propre intérêt, fans s'embarrafler de la caufe commune, ni du motif général qui avoit fait prendre les armes aux confédérés. Cependant Maurice ayant fait revenir fon armée en Baviere , & ayant publié un manifefte, oü il enjoignoit au clergé Luthérien & aux inftituteurs de la jeuneffe, de reprendre leurs fonöions dans toutes les villes , les écoles & les univerfités, d'oü ils avoient été chaffés , il rejoignit Ferdinand a Paftau, le vingt-fix Mai. Ce congrès, oü 1'on alloit traiter des affaires de la plus grande importance pour le maintien de la paix & de 1'indépendance de 1 Empire , attiroit les regards de toute 1'Allemagne. Outre Ferdinand ck les Ambaffadeurs de FEmpereur, le Duc de Baviere , les Evêques de Saltzbourg & d'Aichftat, les Miniftres de tous les Electeurs &c les députés des Princes, des villes libres les plus confidérables s'étoient rendus a PafTau. Maurice , au nom des confédérés, bc le Roi des Romains, comme repréfentant FEmpe-  BE C HA RLES-QüINT. 439 reur, ouvrirent la négociation. LeS Princes qui étoient préfents Sc les députés de ceux qui étoient abfents, agirent comme intercefleurs Sc médiateurs. Maurice, dans un long difcours, expofa les motifs de fa conduite, après avoir fait 1'énumération de tous les aftes de defpotifme, contraires k la conftitution de I'Empire, auxquels 1'Empereur s'étoit porté dans fon adminiftration; il fe borna a trois objets, déja énoncés dans le manifefte qu'il avoit publié en prenant les armes : il demanda que le Landgrave de Heffe füt mis en liberté fur le champ ; qu'on fit droit fur les griefs des confédérés relativement a 1'adminiftration civile de I'Empire, Sc que les Proteftants euffent Pexercice public Sc tranquille de leur religion. Ferdinand Sc les Ambaffadeurs de i'Empereu» montrant de la répugnance a accorder toutes ces conditions, les médiateurs écrivirent en commun une lettre a 1'Empereur, pour le conjurer de délivrer 1'Allemagne des calamités d'une guerre civile , en donnant a Maurice Sc a fon parti toutes les T iv 155a. Conditions propofées par Ma.U.~ rice.  -55a- Elles font fortement appuyées par les Princes de i'Ernpire» 44O L'HISTOIRE fatisfaétions qui pouvoient les engager k mettre bas les armes. Ils obtinrent en même-temps de Maurice que la treve feroit prolongée pour un court intervalle, pendant lequel ils s'efforceroient d'obtenir une réponfe décifive aux demandes des confédérés.. Cette requête fut préfentée a 1'Empereur, au nom de tous les Princes de I'Empire tant Papiftes que Proteftants, & de ceux qui avoient fecondé fes defTeins ambitieux, auffi-bien que de ceux qui avoient vu avec «rainte & avec jaloufie l'accroiffemenj; de fon pouvoir. Cette unanimité fis peu commune & fi fincere 3 appuyer les demandes de Maurice & a recommander la paix, prenoit fa fource dans différents motifs. Ceux qui «toient le plus attachés a 1'Eglife Romaine , ne pouvoient fe diffimuler que le parti Proteftant étoit foutenu par une armée nombreufe, pendant que 1'Empereur commengoit a peine k faire les premiers préparatifs pour fe défendre. Ils prévoyoient les grands efForts qu'il leur faudroit faire pour hitter avec un ennemi auquel on avoit  de Charles-Quint. 441 IaifTé prendre des forces fi redoutables. L'expérience leur avoit montré que 1'Empereur recueilleroit feul le fruit de leurs efforts, &C que la vietoire la plus complete ne feroit qu'appefantir leurs chaines & les rendre infupportables. Ces confidérations leur faifoient craindre de contribuer une feconde fois, par un zele indifcret k mettre FEmpereur en poffeffion d'une puiffance qui deviendroit fatale a la liberté de 1'Allemagne; ainfi malgré la violence indomptable de 1'efprit fuperftitieux de ce fiecle , ils aimerent mieux que les Proteftants obtinffent la liberté de confcience qu'ils demandoient, que d'aider Charles k les opprimer, Sc de le mettre en état de bouleverfer la conftitution de I'Empire, en donnant encore plus d'étendue a la prérogative Impériale. La crainte de voir 1'Allemagne en proie de nouveau a toutes les horreurs de la guerre civile, ajoutoit un grand poids a toutes ces confidérations. Plufieurs Etats de I'Empire avoient déja éprouvé la fureur deftrucfive des armes d'Albert ; d'autres. la craignoient, 6. tous defiroient un accom-  1552- Motifs qui portoient alors 1'Empereur a la paix. 441 L' H 1 s r oïre modement entre 1'Empereur & Mau^ rice, qui les délivreroit de ce terrible fléau. Tels étoient les motifs qui portoient tant de Princes, malgré la différence de leurs intéréts politiques &C de leur religion , a s'unir pour preffer 1'Empereur de faire avec Maurice un accommodement, qui leur paroiffoit non - feulement falutaire, mais d'une abfolue néceffité. Des raifons prefque auffi nombreufes & auffi fortes portoient Charles lui-même a le defirer. II connoiffoit tous les avantages que les confédérés avoient acquis par fa négligence, &c il fentoit alors 1'infuffifance des reffources qu'il avoit pour s'y oppofer. Les Efpagnols fes fujets, mécontents de fa longue abfence, & fatigués de ces guerres éternelles qui ne pouvoient être d'aucun avantage a leur pays, ne vouIoient plus lui fournir aucun fubfide confidérable ni d'hommes ni d'argent; & quoiqu'il put fe flatter de tirer d'eux de nouveaux fecours par adreffe ou par importunité, il voyoit bien qu'il ne les obtiendroit pas affez promptement pour pouvoir en pro-  DE CH AR L E S-QUINT. 443 fiter dans des circonftances qui demandoient la plus grande célérité. Son tréfor étoit épuifé, fes vieilles troupes étoient difperfées ou licenciées s &c il ne pouvoit pas compter beaucoup fur le courage &c la fidélité des nouvelles levées qu'il étoit obligé de faire. II ne pouvoit raifonnablement efpérer d'ufer encore avec quelques fuccès des mêmes artifices qu'il avoit employés pour affoiblir &c ruiner la ligue de Smalkalde. Le but auquel il tendoit étoit trop bien connu, & 1'on n'auroit plus été Ia dupe des prétextes fpécieux fous lefquels il avoit d'abord caché fes ambitieux deffeins. Tous les Princes d'Allemagne étoient en défiance & fur leurs gardes; il eut tenté inutilement de les aveugler une feconde fois fur leurs intéréts, & de fe fervir tour-a-tour d'une partie d'entr'eux pour affervir les autres. L'expérience lui avoit appris d'ailleurs, qu'une confédération, dont Maurice étoit le chef, feroit autrement dirigée que 1'avoit été la ligue de Smalkalde, & qu'elle ne montreroit ni la même irréfolution dans fes projets, ni la même foibleffe dans  444 L'Histoirr fes efforts. S'il fe déterminoit k continuer la guerre, il devoit compter que les Etats les plus confiérables de? rAllemagne prendroient parti contre lui, & il ne pouvoit attendre du reite qu'une neutralité équivoque; il pouvoit craindre encore que,. pendant que toutes fes forces feroient occupées d'un cöté, le Roi de France ne faifït le moment favorable pour porter la guerre fur une autre partie, avec un fuccès prefque certain. Ce Monarque avoit déja fait des conquêtes dans I'Empire , & Charles étoit auffi empreffé de les recouvrer, qu'impatient de tirer vengeance des fecours qu'on avoit donnés k fes fujets mécontents* Quoique Henri füt alors retiré en-deca du Rhin, il n'avoit fait que changer le théatre de la guerre, & il avoit porté toutes fes forces dans les PaysBas. Les. Turcs, excités par les follicitations du Roi de France, & par leur reffentiment contre Ferdinand qui avoit violé la treve en Hongrie, préparoient une flotte puiffante pour rayager les cötes de Naples 6c de Sicile , qu'il avoit laiflées prefque fins défenfe, en tirant de ces Etats la plus  de Charles-Quint. 445 grande partie des troupes réglées, pour renforcer Parmée qu'il s'occupoit alors d'affembler. ^Ferdinand, qui s'étoit tranfporté liü-même a Villach, dans le deffein de mettre fous les yeux de 1'Empereur le réfultat de la conférence de Paifau, avoit auffi des motifs particuliers de defirer la paix, & fe trouvoit excité par la è feconder avec la plus grande chaleur les raifons que les Princes affemblés au congres avoient alléguées pour la paix. II avoit vu avec quelque fatisfaöion le coup fatal porté au pouvoir defpotique que fon frere avoit ufurpé dans I'Empire. II étoit fort occupé a empêcher que Charles ne recouvrat ce qu'il avoit perdu, paree qu'il prévoyoit que, li ce Prince en venoit a bout, il reprendroit avec une nouvelle ardeui & une plus grande apparence de fuccès, fon projet favori de tranfmetr tre le pouvoir a fon fils , en excluant fon frere de la fucceffion & I'Empire. II fe propofoit donc de concourir de tout fon pouvoir a limiter I'autorité Impériale , afin de s'en affurer par-la même la poffeffion. D'ailleurs, Soli- Zele de Ferdinand pour 1'accommodement.  -55*- 446 V H I S T O I R E man, aigri par la perte de la Tranfyïvanie , & encore plus par les artifices frauduleux qui la lui avoient fait perdre, avoit mis en campagne une armée de cent mille hommes, qui, après avoir défait un corps des troupes de Ferdinand & pris plufieurs places importantes, menagoit non-feulement d'achever la conquête de cette Province, mais même de chaffer Ferdinand de cette partie de la Hongrié qui lui étoit encpre foumife.^ Ce Prince étoit dans 1'impoflibilité de réfifter k un fi puiflant ennemi; fon frere ne pouvoit lui être d'aucun fecours tant qu'il feroit engagé dans une guerre civile, & il ne devoit pas fe promettre de tirer des Princes d'Allemagne le contingent de troupes & d'argent qu'ils avoient coutume de fournir pour repouflër les invafions des Infideles. Maurice, ayant bien remarqué 1'embarras de Ferdinand fur ce dernier article, lui avoit offert, fi la paix étoit folidement rétablie, de marcher lui-même en Hongrie k fon fecours k la tête de fes troupes; une propofition fi avantageufe pour Ferdinand dans les circonftances oh  de Charles-Quint. 447 li fe trouvoit, fit une fi grande impreffion fur fon efprit, que fe voyant privé d'ailleurs de tout autre fecours, il devint le défenfeur le plus ardent de la caufe des confédérés, & qu'il leur auroit accordé les demandes les plus fortes plutöt que de retarder une paix qu'il regardoit comme le feul moyen de raffermir fur fa tête la Couronne de Hongrie. Tant de circonfiances confpirant k déterminer un accommodement, cm devoit naturellement s'attendre a le voir bientöt conclu. Mais le caraöere inflexiblede 1'Empereur, & la répugnance qu'il avoit a renoneer tout d'un coup è un plan qu'il avoit fuivi avec tant de chaleur & de confïance , contrebalancoient la force de tous les motifs qui le portoient a la paix, & non-feulement retardoient cet événement, mais fembloient le rendre incerrain. Quand les demandes de Maurice & la lettre des médiateurs de Pa flati lui furent préfentées, il refufa nettement de faire droit fur les griefs qui y étoient énoncés, & d'accorder aucune ftipuiation pour Ia füreté ac- CirconflaJV ces qui rëtardent Ia paix.  — 1 »55a- Les opérations vigoureufes de Maurice facilitent 1'accommo4ement. K8 L'HISTOIRE uelle de la Religion Proteftante. II :>ropofa de renvoyer la difcuflïon de :es deux points a la diete prochaiïe. De fon cöté, il demanda qu'on [e dédommageat (at le champ de toutes les pertes qu'il avoit effuyées dans cette guerre, & par la licence des troupes des confédérés & par les exactions de leurs chefs. Maurice, qui connoiffoit tous les artifices de FEmpereur, futperfuadé que les propofitions de ce Prince n'avoient d'autre objet que de lui faire perdre du temps, & de le tromper. Sans écouter les prieres de Ferdinand, il quitte PafFau brufquement; & rejoignant fes troupes qui étoient campées a Merghentheim , ville de Franconie , appartenante aux Chevaliers de 1'ordre Teutonique, il fe met en mouvement, & recommence les hoftilités. Comme trois mille hommes a la folde de FEmpereur s'étoient jettés dans Francfort-fur-leMein, & pouvoient de Ik infefter la Heffe qui en étoit voifine, il marcha vers cette ville, & en forma le fiege. La célérité de cette entreprife & la rigueur avec laquelle Maurice fit les  de Charles-Qu IN t. 44< approches contre la place, allarme rent tellement 1'Empereur, qu'ilécou ta plus favorablement les raifons d« Ferdinand en faveur de la paix. Maf gré fa hauteur & fon opiniatreté na turelle, il fentit la nécelfité de plier, & montra des difpofitions k fain quelques facrifïces de fon cöté , £ Maurice vouloit diminuer quelque chofe de fes demandes. Dès que Ferdi nand s'appergut que FEmpereur com> mengoit a céder, il ne ceffa pas ur moment de le preffer jufqu'a ce qu'ii 1'eüt déterminé k déclarer qu'il accorderoit tout ce qu'on voudroit poui la füreté des confédérés. Ayant gagné ce point difficile, il dépêcha un courier a Maurice; & en lui faifant part de la derniere réfolution de FEmpereur, il le conjura de ne pas rendre inutiles tous les efForts qu'il avoit faits pour le rétabliffement de la paix , & de ne pas fruftrer, par une obfHnation déplacée , les vceux que toute 1'Allemagne faifoit pour cet heureux événement. Maurice, nonobftant 1'heureufe fituation de fes affaires, fe trouvoit fortement porté a déférer k cet avis. l . M52' i Maurice defire luimême la paix.  1552. 450 L' HiSTöiRE " L'Empereur , quoique pris au dépour* vu, avoit déja commencé a affembler des troupes; 8c quelque foibles que puflent être fes efforts, tant que les imprefïïons de Ia première confternation dureroient, il voyoit bien que Charles agiroit k la fin avec une vigueur proportionnée a 1'étendue de fon pouvoir 8c de fes Etats, & conduiroit en Allemagne une armée, formidable par Ie nombre 8c plus encore par la terreur de fon nom 8c la renommée de fes vicloires paffées. II ne pouvoit guere efpérer qu'une confédération compofée d'un fi grand nombre d'affociés , continuat longtemps d'agir avec affez d'union & de perfévérance pour réfiffer aux efforts foutenus 8c bien dirigés d'une armée conduite par un chef abfolu, accoutumé k commander 8c k vaincre. II fentoit déja, quoiqu'il n'en eut été inltruit par aucun facheux événement, qu'il n'étoit après tout que le chef d'un corps formé de membres mal unis. II voyoit, par 1'exemple d'AIbert de Brandebourg , que , malgré toute fon adreffe 8c tout fon crédit, quelqu'un des chefs confédérés pour-  di Charles-Quint. 451 rolt fe détacher de 1'affoeiation, fans " qu'il füt poflible de le ramener a la fubordination. Ces confidérations lui faifoient craindre pour la caufe commune; une autre non moins puiffante 1'allarmoit fur fes propres intéréts. En rendant la liberté & l'ancien ElecTeur, Sc en révoquant 1'afte qui le privoit de fon rang Sc de fes Etats, 1'Empereur pouvoit bleffer Maurice par 1'endroit le plus fenfible. Ce Prince malheureux , aimé de fes anciens fujets, Sc refpeété de tout le parti Proteftant, en cherchant h recouvrer les domaines dont il avoit été injuftement dépouillé, ne pouvoit manquer d'exciter en Saxe quelques mouvements qui mettroient Maurice en danger de perdre tout ce qu'il avoit acquis au prix de tant de diffimulation & d'artifice. D'un autre cóté, il ne dépendoit que de FEmpereur de rendre inutiles toutes les follicitations des confédérés en' faveur du Landgrave : il ne falloit qu'ajouter une violence de plus a 1'injuftice St a la cruauté avec laquelle il avoit traité fon prifonnier; & il avoit déja prévenu les fils de ce Prince infor- 1552.  *552- La paix de religior conclue a Paffau. 3. Aoüt. (a) Sleid. hifi. 571. (b) Sleid. 561, &c. Thnan. /. 10. p. 359. 451 L'HISTOIRE tuné, que, s'ils perfiftoient dans leurs entreprifes, au-lieu de voir leur pere en liberté, ils apprendroient bientöt qu'il avoit recu la punition que fa révolte avoit méritée (a). Maurice délibéra fur tous ces points avec fes affociés : quoique les conditions offertes par 1'Empereur fuffent moins avantageufes que celles qui avoient été propofées par la confédération , il jugea qu'il étoit plus fage de les accepter, que de s'expofer de nouveau aux événements douteux de la guerre II retourna a Paffau, & figna le traité, dont'les principaux articles étoient, qu'avant le 12 d'Aoüt, les confédérés quitteroient les armes & licencieroient leurs troupes; qu'A cette époque , ou même auparavant, le Landgrave feroit mis en liberté , & reconduit en füreté a fon chateau de Rheinfels; qu'on tiendroit dans fix mois une diete pour délibérer fur les meilleurs moyens de prévenir pour la  de Ch aules-Quint. 453 fuite les difputes Sc les querelles de ~~ religion; qu'en attendant, ni 1'Empereur ni aucun autre Prince ne feroient , fous quelque prétexte que ce füt, aucune violence a ceux qui fuivoient la confefïïon d'Ausbourg, Sc qu'on leur accorderoit au contraire le libre Sc tranquille exercice de leur religion ; que les Proteftants, de leur cöté, ne troubleroient les Catholiques ni dans 1'exercice de leur jurifdiction eccléfiaftique , ni dans 1'obfervation de leurs cérémonies reIigieufes; que la chambre Impériale adminiftreroit la juftice , avec impartialité , aux fujets de PEmpire, de 1'une Sc de 1'autre religion, Sc qu'on prendroit indifféremment les membres de ce tribunal dans les deux partis ; que li la diete prochaine ne venoit pas a bout de terminer les différends de religion , les claufes du traité adtuel, favorables aux Proteftants, conferveroient pour toujours toute leur force; qu'aucun des confédérés ne pourroit être recherché pour ce qui étoit arrivé dans cours de la guerre; que Ia difcuflion des atteintes que Maurice prétendoit 1552.  Réflexïons fur ce traité i & fur la conduite de Maurice. i i ] l ] t < (*) Recucil des traités , t. 2. p. 261, 454 L'HISTOIRE avoir été portées a la conftitution &c k la liberté de I'Empire, feroit renvoyée k la diete fuivante ; enfin, qu'Albert de Brandebourg feroit compris dans le traité , pourvu qu'il voulüt y accéder, bc qu'il licenciat fes troupes avant le douze du mois j'A'oüt (