DELONDRES E T DE S E S ENVIRONS. AMSTERDAM. m. dcc. Lxxxrx.   AVERTISSEMENT. ®favoue que je riai pajfê que vingt»Uit jours a Londres, & que, parti de Paris te 17 du mois d'Aout, fêtois de retour en cette ville te i? du mois de Septembre. £je jerois inexcufable ,fi je me permeU tois de juger, dans une brochure fa: te en courant, les hommes, le gouvernement de VAngleterre: je n'ai vu que des fuperficiest & je n'aipeint que des furfaces. Si mes expreffions paroijfent ou recker* chées, ou maniêrêes ; Ji mes defcriptions fingent le langage de lapoéfie, Ji fenvie d'être précis me rend quelquefois obfcur; je> répondrai qu'écrivant mes notes, en voiture, dans une amber ge, au pied d'un arbre, fans avoir le deffein de faire im livre, j'ê* J A *  IV -AvERTISSEMBNT. tois plus oecupê de rendre timprcfjhn que féprdkvots, que de foigner won Jïyle , 6? que faurois craint, en- le retouchant, de fubflituer tidée, la tnmiere qua la rêfle. xïon m'e'é donnêe , a ceh que la vue des objets m'avoit fi natmelkment fait nattre. La pcrfuafion qnHl fant un an pour tien voir ÏAngleterre, empêche une foule de Francoïs d'y voyager. Sans doute ft vous vöulez faire un ouvrage, étudier en détail le génie du peuple Angloïs ,fes mdnufallures, fon cdraHere ft var ié, conmttre l'Ecof fe, l'Ir lande', les isles fi curieufes qui bordent les trois royaumes, un an ne vons fiiffra pas: maïs pour juger de la phyfionomie du peuple, desjardins, de la forme des villes, de la beauté dufang, Sc. &c. Une fant que pajfer la mer, ouvrir les yeux, & re~ venir en Trance. Ceji ce que j'aifait,,.:  A V E R. T I S S B M 15 N T. V iSÏ cesfeuilles démontrent qu'on peutti* ter quelqu'avantage d'nn voyage de vïngt jours a Londres, je m'applaudirai de les avoir fait imprimer. Un jeune homme de dix-fept ans m'accompagnoU : la ré voluiion qui s'efl faiU fur fon ejprit, h l'afpett de tAngleterre efl telle, qu'il m'a proteflê qu'il ne commencoit h dater fon exiftence morale, que de cette époque: fes progrés paffent toute efpérance. Faites voyager vos enfans, bons per es de familie; maïs gardez-vous de les confier h des précepteitrs, a des gouverneurs ignorans, qui les dégouteroient de t étude de l'homme, & de celle des beaux arts, commeils les ont dégoétê d'Bomer e, d'Hor ace & de Virgile. C'ejl en riant qu'il faut injiruire l'enfance, & ces meffieurs ne rient jamais. gfe pourrois ici déclamer contre les ri- A 3  VJ AvERTIssEMENT. gueurs de lacenfure, qui privent te public dn tiers de cette brochure, & retor dimt depuis fi long-tems fon impreffwn, ge pourrois peindre lesregrets de mon Libraire, qui voit, avecchagrin, lepetit nombre defeuilles auquelelle eft réduite Confolons-nous M.... ffauroispeut-être dn la diminuer encore & peut-Ure la fup~ primer»  PROMENADES V A U T O M N E EN ANGLETERRE. Si, fatigué des travaux de Tannée , vous reroncez, pour un moment, a vos occupations habituelles, n'allez pas dans les beaux jours de 1'automne , a la fleur de votre age, languir dans le fond d'un chateau: un opéra comique mal chanté , un fanglier forcé, un brelan répété tous les foirs, peuvent-ils fuffire a votre aftivité. Partez , fi vous m'en croyez , & voyagez au hafard,.fans plan, fans but déterminé... Malheur è 1'homme qui voyage un itinéraire a la main! Je compte fur mes le&eurs, qu'ils n'exigent pas plus d'ordre dans mon récit, que je n'en ai mis dans ma route. J'ai voyagé pour me diftraire ; qu'ils me lifent avec le même projet. Je leur fais grace des aventures de pofte & d'auberge; qu'ils me paüfent le manque de tranfitions & d'unité dans mon ftyle. Je n'écris point un voyage, mais des notes fakes dans une promenade d'automne, A 4  C 8 ) La route de Paris a Rouen ofFre un payfage riche& bien cultivé; la féchereffè du lol labouré, contraire avec Phurnidité des cöteaux lointarns que la Seine baigne de fes eaux. Un refpeft religieux, matheureufement détxuit dans prefque toute la France , conferve au milieu des champs de la Normandie des bouquets d'arbres qui 1'embellilient. On y remarque encore pluiieurs de ces monticules de terre & de pierre que les peöptes anciens du nord élevoient fur la tombe de leurs chefs. Le fommet des montagnes , couvert de ruines & de tours démolies , retrace a I'imagination du voyageur les tems de guerres, de fuperfiidon , de générofité, de vengeance, de toutes les pafiïons qui tourmentoient nos peres; les plaines laiffent appercevoir cesafylcs modernes de llnfoueiance; Ia de petits Amours & des Vénus de platre, des jets d'eau s'élevant a 1'aide du puits voi! fin, des vers de réminifcence, gravés fur des piaques de bois, & quelques fentences fchoJaftiques fuffifent a l'ame entiere de leurs habjtans. 5-' La Normandie, comprife autrefois dans Ia Gaule Celtique , fut anciennement, nommée Wefïrie, & Neuftrie par corruptbn. Elle fit parne des terres du royaume de Clovis; conquife p^ir [esNornjands dans Ie dixierne fiecle, Philippe-Augufte la réunit a la couronne de  (93 France en noi : les div-ifions funeftes des maifons d'Orléans & de Bourgogne la livrerent aux Anglois, jufqu'au regne de Charles Vlï, a qui fes Généraux la rendirent. On connolt la richelfe de ce pays & le courage de fes habitani, ; ils conquirent autrefois la France , 1 Angleterre, la hicile , la Thrace & la Syrië. A leur ardeur guerriere fuccéda cette infatigable induftrie , qui ne lailfe pas un feul arpent de terre inculte dans les leize cent trente-cinq lieues quarrées qu'ils habitent ; qui fabrique les draps d'Elbeul, de Louviers & des Andelys, les toiles de Rouen; expluire les mines de fer de Saint-Evroul, de Carauge & de Baüeroy , & fouille les carrières degranits, de marbres de Chanfey & du village de Vieux. Beaux ports, villes opulentes, gras pftturages, mer poilfonneufe, eaux ferrugineuies, tout enrichit, féconde , embellit cette opulente province, qui, moins étendue,. moinspeuplée que la Bretagne, paie prefque le doublé d'impofuion a la maife commune. Rouen conüent prés de quatre vingt mille habitans. Son nom vient, dit-on , de Roto ouRoth, idole détruite par S. Mellon, un de fes premiers évêques. Ici recommencent les chimères des anciens hiftoriens. OdéricusVitalis (L 5.) en donne la fondation a Céfar ; le faux Bérofe aMagus, fils de Samothès. Un eert-  ( to) vain plus fage aflure qu'elle exiftoit long-tems avantla conquête desGaules par les Romains, fans marquer d'époque plus précife. Ses anciens monumens font détruits; 1'auteur d'une vieille chronique prétend avoir vu dans cette ville les caves d'un amphitbéatre. Gregoire de Tours rapporte que fur fes murs étoit, en 57, une chapeüe de S.Martin, faire en planches, dans laquelle l'inceftueufe Brunichilde & fon époux Mérovée, fe réfugierent, évitant les pourfuites de Chilpérie. Cette capitale eft entourée de montagnes al'eft, au nord, a 1'occident. Au fud s'étefid une plaine immenfe , coupée par Ia Seine, embelüe par des ifles, peuplée de jolis villages , de chateaux & de clochers qui fe perdent dans les nuages a I'horifon. Un fuperbe couverit de Chartreux eft 1'objet qui marqué le plus dans ce beau payfa.^e. Le chateau , Ie vieux palais, Ia vieille tour du grand marché , le célebre pont de bateaux , Ie port & les nombreux navires qu'il renferme, les cafernes & les nouveaux boulevards embelliffent cette ville, qui, d'ailleurs, mal batie, mal percée, n'offre rien d'agréable a 1'ceil du voy^geur. Saint NicaiTe porta Ia foi dans la Neuftrie; S. Mellon, qui tint le fiege épifcopal de Rouen depuis 1'an 160 jufqu'en 311 , ou environ, en fonda , dit on, la cathédrale fur les débris  (II) du temple deRc h. Eile fut dédiée ala fainte Trinité, ainli que ueux autres églifes. 11 ne paroit pas naturel, même au pjeux auteur de 1'hiftoire de cette cathédrale, que dans le tems oü les Romains perfécutoient les chrétiens en France avec le plus d'acharnement, on ait pu paifiblement élever trois temples au milieu d'une vitte oü commandoit une de leurs colonies: il fut confumé en 852 , quand les Normands incendierent Rouen presqu'en entier ; Richard 1. le fit rétablir; 1'archevêque Robert, fils de ce prince, 1'embellit & l'augmenta ; 1'archevêque Maurille y mit la derniere main , & le confacra en préfence de Guillaume-le Conquérant, 1'an 1063. En 1562, tems oü les réformés fe permirent le plus de défordres, de crimes & de vexations dans nos provinces, & fur-tout dans la Normandie, ils briferent une incroyable multitude de ftatues , qui décoroient 1'immenfe portail & les tours de Notre - Dame de Rouen. Leur rage impie pénétra dans le fanc tuaire , & ne refpe&a ni les monumens, ni les cendres que 1'amour du peuple y révéroit. Elle murtlala ftatue du bon Charles V, Roi de France; ruina le tombeau de Jean, duc de Bedford, qui prenoit, dans fes qualités, les titres de fils, de frere & d'oncle des rois, de duc d'Anjou, de comte du Maine , de Richemont, de Kendale , d'Harcourt, &de  ( 12) régent de France. Elle détruifit le tombeau de marbre fur lequel la figure du cardinal Guillaume d'Eftouteville étoit exécutée en relief, pour enlever deux petits baffins d'argent, dans lefquels étoit enfermé le coeur de ce grand homme. Les vafes facrés, les reliquaires arrachés des tabernacles, Tervirent a des ufages profanes ,• on en fit des pieces de monnoie ; & par une fale ironie, qu'on a peine a concevoir, a cöté du fanatifme, on nomma morveux celles oü la figure de Charles IX étoit gravée a gauclïe , pour infulter a fa jeuneffe. Toutes ces atrocités déterminerent 1'horrible journée de U Saint Barthelemi, qui, pour me fervir de Texprefiion d'un auteur , troubla la joie des huguenots. Ceux que renfermoit la ville de R ouen furent forcés le lendemain de fe réfugier en Angleterre. Quelque tems après, U ij de Septembre , on tua cent vïngt hérétiques dans cette ville , le lendemain quarante , le jour fuivant dix ou dou^e , & 1'on parvint ainfi peu-è-peu a rendre a la religion catholique & romaine Ie luftre & Ie refpecl: dont elle jouit. On voit encore dans la cathédrale de Rouen le coeur de Richard Coeur-de-Lion, roi d'Angleterre, fi connu des Parifiens depuis l'opéra de Sedaine. II fut dépofé dans un cercueil d'argent, entouré d'une grille de même métal. L'épitome hifiorial des grandes chroniques  ( 13) de France dit que eet argent fut fondu pour fervir au rachat de S. Louis, l'an 1250. On y remarque le tombeau de Louis de Brezé, confacré par la belle duchelfe de Poitiers a eet époux chéri, qui mourut au chateau d'Anet le 13 Juillet 15 31. Elle protefte dans 1'épitaphe qu'elle y fit graver, que, fidelle a fon lit, elle partagera fon tombeau; mais Francois I, Henri II, Briffac en difpoferent autrement... On fait comme elle vécut avec le pere, le fils, &c. & qu'elle eft en* terrée dans l'églife collégiale d'Anet , que Henri II avoit fait bfitir pour elle. Voici L'épij taphe de Louis de Brezé. Hoe Lodoïce tibi pofuit Brezcets fepulchrum PiStonis amijfo nitcfta Diana viro. Jndivulfa tibi quondam & fidijfima conjux Ut fuit in thalamo , fic erit in tumulo. A cöté du grand autel eft le tombeau du duc Rollo, ou RobertI , duc de Normandie; ti gauche, celui de Guillaume Longue Epée, qui fut tué a Piquigni. On a changé 1'ancienne épitaphe du dernier, dont le latin parut plat & mauvais. La nouvelle commence par ces vers élégans: RoUinis natus Guilelmüs longa vocatus Spatha, Deo gratus jacet hic tumulo tumulatus, &c. Je ne parlerai pas du maufolée des carditnmx d'Amboife ; il fut élevé par la recon-  < i4 ) Moiflance due a leurs vertus, ni de celui du cardïnal Gilles Defchamps , que ne refpe&a pas la fureur des hérétiques. Prés de 1'ancienne chapelle de la Vierge, on voit une bibliotheque affez confidérable : elle contient peu de manufcrits intéreflans, fi vous en exceptez les métamorphofes d'Ovide, traduites en vers francois, dans lefquels, par un rapprochement impie , l'annonciation, la falütation angélique font écrites & peintes a coté des araours de Léandre & de Héro: & deux ou trois mifléls, oü des rufes pieufes ont inféré des paffages contraire* aux opinions des réformés; mais fi groülerement, qu'il eft irnpoffible de s'y tromper. Je ne peux quitter Rouen , fans rappeller a la mémoire de mes lecleurs la ïualheureufe aventure de Jeanne d'Arc. On voit fa ftatue dans le marché aux veaux ; les Normands ïi'ont pas encore changé le nom de cette place. Les deux Corneille, Fontenelle & Bochard naquirent dans cette ville— Qu'on me permette de terminer ces notes par 1'anecdote fuivante. M. de Bourgeville Ia raconte dans fon hiftoire de Caen. Si les Neuftriens, dit-il, fe fachent du titre de Normands , pris dans une acception injurieufe , ils fs vengent en appellant Maillotins les habitans de Paris, depuis que ces derniers vou-  (15) ïant détourner Ia Seine, & la faire paflèr par la vallée d'Orival, lürent repoutfés a coups de m ullets par les Normands , qu'ils vouloient ruiner. On arrivé a Dieppe par une affez belle , route. Cette ville eft a douze lieues de Rouen; elle n'a commencé & fe former qu'en 1080, felon quelques auteurs. Son nom vient du mot anglois & flamand Diepp, qui fignifie bas & profond. Son commerce confifte en dentelles qui s'y fabriquent, en ouvrages d'ivoire & de corne , que les Dieppois travaillent avec délicatefle. Beaucoup de Parifiens s'y rendent pour fe faire guérir de la rage , ou pour de Saumur , & de Quimper-Corentin. Je ne fuivis pas la route commune pour me rendre a Londres; je traverfai Ia digue du Diable , haute barrière que la mer baigne, & me trouvai dans un pays de féerie. C'étpit dans les plus beaux jours de l'année. Les ar-  ( 21 ) bres portoient tout leur feuillage. A des terres cuhivées avec art, fuccédoient des terraras abandonnés è la nature; des inonticulescouverts d'arbrirTeauK , £i ces praines d'un verd que le pinceau de Rubens ou de Paul Poter effayeroit en vain d'imiter , & qui manqueau refte du monde. Les troupeaux raffaliés dormoient couchés fur une herbe de foie, La% le fier taureau des campagnes reffemble a ceusc qu'on entretenoit dans les parcs confacrés de la Sicite & de la Bétique, & que les foins respeöueux des prétres deftinoient a 1'autel de Jupiter ou de Cérès. Petits ruiffeaux, ponts a ia chinoife, haies vives auwur des héritages, maifonnettes champêtres, afyles du repos , de l'abondance & de la propreté ; pas un voyageur a pied , pas un pauvre, pas ua foldat; chemins variés fans routes royales, quelques temples ruinés, oü le pavillon de la süreté pubïique appelle les habitans des environs^ de bons vieillards a Pombre de vieux ehênes, des enfans jouant autour d'eux, blancs & colorés co mme les rofes , beaux comme ceux du Guide ou de 1'Albane ; tels font les objets qui vous font craindre d être trop tot frappé de l'impofant afpe£t du dóme de S. Paul: je Pappercus au milieu d'un nuage, qui ne nuifoit point a fa majefté ; mais qui me permit de me livrer, fans diftraftion, au fentiment déücieux que j'éprouvois. Dans La 1> 3  ( 22 ) campagne , oü Pair eft pur , oü fa circulation n'efi pas gênée, oü le terrain eft fi précieux, vous voyagez fur des chemins étroits. Dès qu'on arrivé dans les longs faubourgs de Londres, la diftance des maifons permet a chaque particulier, fans exception, d'avoir fur les bords de la route qui s'élargit, un joli tapis de verdere, coupé d'étroits rubans de fable , orné de bofquets , d'arbriflèaux, coloré des fleurs les plus belles. Le cyprès ifolé y rappelie les paffans a des idéés rnélancoliques, au foüvenir de 1'ami qui n'eft plus, au tems de fuperftition ou d'amour, oü fa vue préfageoit un malhe..r a nos peres; le chêne a Ia tranquillité que le chef de familie offre a fa femme , a fes enfans; la lavande au travail; 1'aube épineau baifer, & le romarin a 1'amour éternel; car le peuple Breton a confervé dans fes romances & fes vieux contes lé fens de mille emblêmes, qu'il ne doit qu'it fes peres, & qu'il ne peut avoir recu des Romains, des Saxons, des Danois, de cette multitude de barbares qui ravagerent fon isle. C'eft au fond de ces petits eden, dans une maifonnete de brique, ornée de tapis, de tables d'acajou, de teyeres argentées, de vafes, de chaifes folides & commodes , de gazettes & de la bible, que le fimple artifan travaille a cóté de fa femme, qui file & voit du coin de 1'ceil fes beaux enfans jouer, fauter cu fe battre fur le gafon.  ( 23 _) Des Anglois mftme m'ont affuré qu'il exiftoit chez eux autant de malheureux qu'en France ; mais ce qu'ils appellent malheur, feroic lafortunede nos payfans, fivous en exceptez cesfemmes, efpece de bohémiennes & de forcierea ambulantes, qui, par principe, portent deshaillons; jamais 1'afpeft de la mifere n'a bleffé mes yeux en Angleterre; des habits larges & de bons draps, fans taches & fans pieces de rapport, couvrent fes habitans de la claflè la moins opulente; des fouliers iföpénétrables a l'humidité les préfervent dei maux de tête & d'eftomac : envieux, ils peuvent fouffrir de 1'opulence de leur voifin; quakres , du peu de conféquence qu'on attaché ü leurs déclamations infpirées parle SaintEfprit; presbytériens , de 1'exiftence des chapelles romaines ;ils font fujets a tous les autres maux de l'humanité, mais jamais ce qu'onappelle proprement mifere, ne les affiege; je parle de celle qui privé d'alimens , d'habits & d'un afyle contre les injures du tems. On m'a dit, & j'enfuis convaincu , q»e dans le tems des frimats, le pays délicieux que je viens de parcaurir eft inacceffible aux rayons du foleil; que des brouillards épais, une humidité continuelle , l'air corrofif de la mer , la fumée du charbon de terre le rendent inhabitable aux étrangers; mais parcourez le dans 1'automne, a la fin du rnois d'Aoüt, dans B 4  ( 24 ) les premiers jours de Septembre, arrivez-ypar la route que j'ai fuivie, au coucher dn foleil, 1'efprit tranquille, fans préventh-n: voyt-z, fur le pas de leur porte, les hommes, les femmes & les enfans 'e repofant des travaux du jour, offr nt a leurs amis, a leurs connoiffances, aux paffans , de la bierre, des g&teaux, & du punch, tandis qn'uncercle bruyant de matelots rit avec les habitans d'une demi douzaine de diligences. Joignez a ce tableau ruftique un riche fond de peupliers , d'arbres , de maifonnettes, dominés par Iesnombreuxclochers de la grande cité; ajoutez-y ces carioles légeres, ces chevaux ajambes de cerf, ces jeunes gens filefiement vêt.us, ces amazones dont le cafque de gaze ne laiffe voir que la blancheur & Ia referve ; & vous jugerez li le refte du monde peut offrir une route plus variee, plus belle, plus pittorefque que celle qui conduitde Bngtemftone a'Londres. Je me difpenferai de faire une longue defcription decette ville. On fait que, fuivanties infaillibles découvertes des fa.vans, elle fut batie par Brutus le Troyen, ou long tems aprés les Romains , quoique Tacite en parle: elle exiftoit bien des fiecles avant ï'arrivée de Céfar,fi nous en croyons les hiftoires du Danemarck, Le nombre prodigieux des habitans de Londres.la longueur de cette ville, la rauititude de  c 25) cloehers Sr de vieux éditices qu'on y diftingue du dömedeS. Paul , les finuofnés de la Tarnife , fes ports & 11 richeffe du payfage qu'elle arrofe, lont dts objets trop fouvent décrits , pour que je rèpete ce qu'ont dit tous les voyageurs qui nVont précédé. Je ne m'étendrai pas davantagefur ce qui frappe tous-les yeux dans l'intérieur de cette capitate, la largeur des rues, la beauté destrotoirs, les grandes places d corees de bofquets & de ftatues dorées depuis les fouliers jufqu au chapeau, de la tête du héros au fer de fon cheval : je me tairai fur tantderuesfi mal pavées, fur l'effet mefquiu des petites lampes qui jettentune fi foible lueur a la porte de cluque particulier; fur la couleur d'ofTemens brülés que le charbon de terre communiqué auxmaifonsde luxe, déxoréespar deux , quatre ou fix colonnes de portland, & fur-tout fur la teinte funebre que, dans les jours fombres, les brouillards, la fumée , les briques repandent fur tous les quartiers de la ville. Si je me permets quelques réflexions c'eft queje fuis certain de mon impartialiié; c'eft qu'étudiant dans une immenfe forêt , on peut appereevoir une fleur , une plante que Pobfervateurleplus inftruit , qu'un célebre botanifte n'a pas rencontrée fur fon paffage ; c'eft qu'il faut, quand on eft au port, purler un peu de fon voyage,  ( 26) Quelques mörceaux d'areliitecture m'ont paru beaux. S. Paul, malgré les deux tourelles gothiques qui nuifent ü fafacade; malgré cette colonade tournante, maigre , peu noble, fi bifarrement placée au milieu du döme; & le choeur rétréci, & les pilaftres peints en marbre dans l'intérieur d'un tempte fi riche , eft une fuperbe imitation de S. Pierre de Rome, avec quelques changemens dus au mauvais génie des beaux arts en Angleterre. Sur l'emplacement de cette églife , fut, diton, dans les tems reculés, un temple de Diane. L'an 596 , Ethelbert, roi de Kent, le confacra a la religion catholique : après fix oufept incendies, détruit &rebati,C. Wren le conftruific tel qu'il eft ü préfent, en 1666. La grille qui 1'entoure eft du plus mauvais goüt : elle renferme un petit cimetiere & la ftatue mutilée de la reine Anne. Saint Paul, prefque auflï caché que Saint Sulpice , n'offre pas un feul point dont on puifTe en étudier les maffes : la pierre de Portland , dont il eft bati, fi belle dans l'intérieur des maifons, eft , je le répete, d'une couleur défagréable , quand la fumée, i'air corrofif & Ie peu de foin qu'on en prend la noirciflent & la décompofent. L'intérieur du dóme eft de la plus grande hardiefle & de Ia plus belle proportion: je n'admirai point les tableaux de Tornhill, qu'on y vanteavec einphafe. J'examinai quelques manufcrits peu cu-  ( 27 J) rieux de la bibliotheque, la belle charpente de la voüte, un efcalier en fpirale. En général, je fus bleffé de la nudité del'églife : je n'y v.sque des drapeaux francois, qu'on eut fom de me faire remarquer. ( C. Wren eft auffi l'auteur de la belle eglile de S. Etienne de Walbropk; c' eft, dit on , le premier modele de S. Paul; la dépenfe exceflive que fon exécution eut néceffitée , le fit abandonner L'excérieur dece temple ne peut être vante ; mais f» diftnbution interne eft fi grande, fi noble, fon döme vitré, d'une forme fi légere, fes ailes, toutes fes parties fi bien combinées, que je n'héfnerois pas a le préférer a S, Paul, n 1'architefture ne commandoit a notre foibleffe plus d'admiration pour la grandeur d'un édifice, que pour la fageffe Scl'élégance même de fes proportions. Somraerfet-Houfe me parut pécher contre la perfpefttve. Le batiment du fond fuit comme Pextrémité d'une longue allee; les acceffoires y paroiffent plus maffifs que le principal corps de l°ê'is- „ , . La facadede laBanque eft légere & de bon goüt; les falies en font bien éclairées & d'une belle proportion. La Bourfeeft unamas depierresfansordre. Sa cour, affez grande , offre, dans des niches, lesftatues desrois d'Angleterre; on y voit en-  ( 28 ) core celle de Charles I, que la pafïïon en avoit fait tomber, & que l'inconféquence y replaca. La raaifon du lord maire eftun peu lourde, mais fon afpeft efi impofant. Ces colonnes de pierre, fur un fonddebriques, ornemeris du palais de la reine, de la maifon des lords & des plus riches particuliers, offreut un contrafte qui bleflè lavue, & que la difficulté d'avoir des pierresa Londres , peut feuie faire excufer. L'ailede With hall, reconftruite parInigojo* nes ;eft du goüt le pluspur. C'étoit jadis une falie de banquets. On en mura lesfènêtres, pour dérober a la pofléritécelle par oü fortit le roi Charles , prêt a fubir 1'arrêt illégal qui fit tomber fa tête ; & par cette bifarrerie fi naturelle a 1'homme, on décora des ornemens de 1'architcfture & d'un beau plafond de Rubens cette, maifon de fang , oü des miniiires de paix Jifent a préfent Pévangile. Ce fut avec un faint refpeft, faifi d'une émotion religieufe, que je fis le tour de la majeftueufe églife de Weftminfter. Si les monumens des G rees honorerent le génie de leurs artiftes ; fi la pureté de leurdeffein, 1'accord de leurs proportions prouvent le fentiment religieux & purqui guidoit leurs travaux , convenons que ies énormes conftruétions de nos peres, les immenfes édifkes qu' ils confacrerent  ( 29 ) alaPivinité, font 1'effort de t'homme , obligé , malgré lui , de fe prêter a l'infirmité liumaine, & convaincu que le vrai temple de 1'Eternel eft 1'univers ; ainfi nos vieux Gaulois, forcés par les Céfars d'adopter leurs ufages & dedonner des fonnes a leurs dieux, firentfondre, par Zenodorus en Auvergne, la prodigieuse ftatue de Mercure , qui furpaffoit de beaucoup en grandeur, & le fameux coloffe de llhodes, & la ftatue de cent vingt pieds, que par les ordres de Neron, exécuta depuis le mêrae artifte a Rome. Serbert, roi des Saxons , 1'an 6©5,fonda ï'abbaye de Weftminfter fur les débris du temple d'Apollon ; détruite par les Danois , rétablie par Edgard, Edouard le Confeffeur acheva de 1'embellir , & Guillaume le Conquérant s'y lit le premier facrer en 1066. Les ftatues des Saints, qui décoroient le portail de ce giand édifice , ont été brifées par les rtformés. Le temsa détruil une partie des rofes, des auragales, des frifes,, des ouvragesajour qui paroientfon extérieur. Cette nudité, fi j'ofe me fervir de cette expreff/on , prépare au faififfement qu'on éprouve en pénétrant dans eet afy le de la mort & de Ia renommée. La, repofent les cendres dece héros qu'on vous a vanté dés I'enfance, que vous avez fuivi dans les combats, qui défenditfon Dieu , fa patrie, fes enfans, fans jamais prétendre a la gloire.  ( 3o) La, dort cephüofophe, ennemi des ténebres, qui pourtant refpe&a d'antiques préjugés , & ne répandit la lumiere qu'en menageant les yeux qu'elle pouvoit blefter. La, font réunis, pour jamais, le fage qui donna des loix , i'orateurqui les defendtt, le poëte qui chanta lesmoeur.s & la nature : dans cette enceinte au moins celle toute rivalité nationale, & la même voute a raffemble les raaufolées de Prior, de Dryden, de Chardin de Cafaubon, de Saint Evremond, & d'Oldueld. Telle eft la fenfatioo & les réflexions que cevafte& fombre amas de tombeaux caufe a 1'étranger qui pénetre pour la première fois dans Weftminfter; mais dès qu'il voit de prés ces monumens fans goüt placés fans ordre, ces marbres dégroÜïs , offrant des tombes maflives a deux doigts d'un léger obélifque qui femble les porter, une lourde ftatue couchée fur la tête d'un enfant, un fquelette, fortant du tombeau , prés d'un ange du ciel, qui femble fortic d'une fenêtre; par-tout des attitudes forcées, grotefques, des bas-reliefs mutilés , même fur le monument de Newton ; les tombes les plus antiques négligées , ainfi que les précieux portraitsdes rois Saxons qui fe décompofent;tome Ulufion ceffe, ficla critique reprend fes droits & fa févériié. Je vis pourtant un bon Anglois conduire fon fils aux pieds de ces ftatues, dont un Italien eut arraché le  ( 3ï ) fien; je 1'entendis vanter les héros de fa patrie ; je vis fceil du jeune homme s'animer, faligure fe décompofer, fa paleur indiquer ce fang généreuxqui, dansles émotions nobles, fe coagule prés du coeur, Se je rougis de ma molle délicateffe. Le choeur de Weftminfter eft majeftueux ; c'eft le plus grand monument de 1'antique chevalerie que je connoilfe ; une raultitude de pavillons , de cafques, de cuiraiTes , les armoiries & les devifes de mille güerriers chargent fes ftales & fes corniches : j'étudiai 1'efprit de ces devifes toutes francoifes, 1'ingénieufe union des couleurs & des mafques qui compofoient les Ecuffons.... Quel efïet ne doit pas produire, dans un tournois, cette foule de chevaliers brillans , parés de fleurs & de rubans non jettés au hafard ,mais rapprochés , placés fuivant des regies invariables, que dans le filence de leurs vieux chateaux , les meres,les nourrices & leslivres communiquoient a leurs délicates & fenfibles pupilles! Tout le monde favoit que le guerrier qui s'élancoit dans la ïice , a fes^couleurs rouges &vioIettes, annoncoit un amant défefpéré; une feule perfonne étoit inftruite des caufes de ce défefpoir & réfolvoit d'en diminuer laforce, quanddes cris redoublés, le fon de la trompette & du clairon, annoncoient laviftoire acet infortuné. Le lendemain le verd de l'épine blanche , lié  ( 32 ) - de rubans incarnats, inaiquoient 1'efpérance en amuur & parou le front de belle. Celui que la gluire des armes écanoit de plus doux combats, teignoit facotte d'armes d'un gris roufcatre , & paroiflok au milieu de la lice comme un lion, ce roi des quadrupedes, dont tl avoit adopté la couleur. Le jaune , le verd & le violet n'étoient jamais unis chez un chevalier mo:iefte; ils indiquoient un genre de faveur que la difcrétion Sc la décence ditfimulent. Le diamant, la top-ze , le rubis, 1'émeraude n'étoient pas muets dans ces fiecles ingénieux& fimples; plus rapprochés de la nature, toutes fes produébons parloient a fes arhans. Des fages qui s'inftruifent dans le filence rétabliront un jour, peut être, cette fcience ingénieufe qui n'efl qu'un jeu pour des hommes légers , & qui «ent, pour les adeptes , au plus grand fyftême religieux que 1 homme ait inventé. Je vis dans une efpece de tribune de Weftminfter , le tombeau d'Edouard le Confeffeur; il fut riche autrefois; le tems l'a dégradé ; le parquet de marquetterie qui le décoroit, fait de vers colorés, de petits cubes de j ifpe Sm de porphire polis , ne conferve que quelques neurons du deffein qu'il eut jadis & des différentes matières qui le compofoient. On voit auprés dece tombeau une pierre miraculeufement apportée  ( 33 ) apportée d'Ecoffe, que la fbperftition révéra long tems comme Ie Caaba de la Mecque, comme le Bethel de Ja bob , & qui ne fut partout que l'emblême de la flabilité du monde, ou de l'éternite de pniffancê que chaque peuple prête ou fouhaite a fon empire. Je viütai plulieurs fois cette églife, toujoürs avec la même émotion , quand je confidérois fon enfemble, & la même humeur, quand pen exa.ninois la fcuïpture : j'aimerois mieux au milieu de fon enceinte un obélifque, un bloc de marbre en mémoire de tant de graiids hommes, qui n'ont befoin ni de ftatues, ni d'épitaphe, fur la table defquels on graveroit Newton, Sakefpeare, Milton, corame un homme de goüt s'eft contenté d'écrire fur le tombeau de fon ami : C l - 9 1*1' D li Y D E N. Je ne voudrois pas qu'un Anglois s'iraagtnat qu'un préjuge naüonal dicie ces réflexions; une partie des monumens de Weftminfter font faits par un de mes compatriotes ; &jen'aime pas plus la fcuïpture moderne en France qu'en Aüg'eterre. Confervez, braves infulaires, multipliez a 1'imini 1'image de vos grands hommes, que vos enfans les réverent & fur-tout les ïmitent. Vous favez que la févérité qui n'admet que les chefs-d'oeuvres des Phidias & des Prvixitele , eft auffi difficile en pratique, que 1'execution des loix de Lycurgue dans un grand C  C 34) gouvernement, ou les maximes du ftoïrifme? dans la bonne ville de Paris, & qu'il fautdes images aux yeux du peuple, cornme desrêves a fon imagination. Avant de pareourir les cabinetsqu'on m'avoit indiqués, je vifitai les attelliers de quelques peintres. Le chevalier Reynold jöuit avec raifon de la plus grande eftime ; fes portraits s'achetent au poids de i'or ; ijs om Ie mérite dc la reffemblancela plus exacte. Dans fes tableaux, prefque toujours des fentimens cé lelies animent fes figures; ceux' même qui moins obfervés par les peintres , plus rares dans les modeles , font le réfultat d'une contemplation mentale, ou des émotions de 1'amour divin ; mais fes couleurs font fauffes, fes draperies foufflées fans que le nud les pÜffe ou les difpofe ; fon deffin toujours incorreót. J'admirai chez lui le bel angede fa nativité; quelques parties du tableau deDidon , qu'il a manqué cornme tant d'autres j les vernis, deüinées a des vitraux d'Oxfort; Vénus & Cupidon, & m'enfuis a 1'afpecT: d'un HercuSe enfant, que je lui conleille de lacérer. M. Cppeley , Américain de Bofton, noiis laiffa voir fon grand tableau du lord Chatham , évanoui dans la falie du Parlement; (je dis nous laiffa voir, car un ufage délicat & modefte obüge les peintres Anglois a ne  ( 35 ) pas contraindre par leur préfence le jugemenf' & les réflexions que leurs ouvrages déterminent. ) Cette immenfe compoiition réunit les portraits de foixante-dix membres du Parlement. Le parti de l'oppofition , troublé, déconcertê, foütient, tache de ranimer le vieux Pitt: les partifans du roi réunis fur la gauche du tableau, témoignent (avec réferve eependant) le fentiment peu noble qui les anime. Que de foins il a fallu prendre pour réunit tant de portraits préeieux pour les families Angloifes, mais dont les caracteres n'ont pas la nobleffe, l'efprit ou 1'expreffion que l'artifte eut raffemblés, fans doute, fi fon génie 1'eut feul guidé. On pourroit reprocher a ce morceau fi foigné , fifini, de la fécherefle, de la confufion dans fes pkns & peu d'harmonie dans les couleurs. Cet artifte conferve la belle copie d'un tableau qui retrace un événement funeftè; il penfa ravir au peuple anglois M. W— J'en vis Poriginal, quelques jours après , chez ce digne membre du parlement. Toute 1'Europe en connoit la gra/ure. Un jeune homme y paroit fe débattre fur la mer ; il a perdu la jambe, qu'un requin vient de dévorer ,• cet animal retourne fur fa proie ; des matelots la défendent avec des rames & des harpons: tout étranger frémit en voyant cette fcene; quel effet ne doii-elle pas produire fur le peuple C %  ( «ngïois, qui chérit M. W cornme un ami qui le refpeéle cornme un pere ! Je vis dans le bel attelier de 1YT. Velt, fa mort 'de Wolf fa bataille de la Hogue , dont les gravures font fi connues,- Moyfe recevant les tables de la loi; l'Amour piqué par une abeille, careffé par Vénus , dont la tête eft charmante. Je remarquai fur-tout une chaffe écoffoife , un prince eft prés d'être bleffé par un cerf; un chevalier faifit 1'animalpar la corne, & lui donne la mort... La fidélité du coftume, la beauté du coloris, une chaleur trés-rare dans les ouvrages de ce maitre , font pardonner au défaut' de perfpeéuve, a la confufion , au fracas éblouiffant qui regnent dans ce grand tableau. Je ne dirai rien des Louterbourg, des Ci» priani, des Hurter & de tant d'autres étran. gers. Tout le monde peut juger du mérite des Strange , des Reyland & des Green , &c» leurs gravures parent tous" lescabinets. Tout ce quej'ai vu chez les paniculiers & chez les artiftes de 1'Angleterre; tout ce que m'ont appris les livres & les converfations, m'a convaincu que 1'Anglois, en général, aime |plus les beaux arts par réflexion que par fentiment. Qu'il eft trop vain des dépouilles étrangeres que fon argent lui raffembla;  ( 37) Qu'il a des arts, cornme un compilateur a des perrfées; Qu'a force d'imiter l'antique , il en a faifx Ia caricature, fans jamais s'en approprier les formes & la liberté 5 Qu'enfin l'on ne fauroit tropadmirer Ie génie commercant de ce peuple , qui plie les beaux arts même a fes fpéculations, & tire, par fes gravures & fes porcelaines , un intérêt immenfe des capitaux que la vanité de fes voyageurs laiffa dans la Grece & dans 1'Italie: Ainfi l'Anglois, dans les beaux arts, n'atteindra probablement jamais a ce dégré de perfe&ion , réfervé a des climats plus heureux que le fien; peut-être auffi n'a-t-il jamais a craindre ce délire de l'imagination, cette aclive jaloufie, cette corruption demoeurs & de principes qui regnent dans les pays chauds; & doit il s'applaudir d'un genre de raédiocrité racheté par tant d'avantages. Londres n'offre aucun monument d'aichitefture de la plus haute antiquité. On prétend y trouver les ruines d'un chateau bati par Céfar ; mais on fait que toute fondation dont on ignore 1'origine , & dans les Gaules, & dans TAngleterre, eft attribuée a ce grand, conquérant, qui sürement ne refta pas affe2 de tems dans 1'ile de Bretagne pour s'occuper a fonder des villes ou des fortereffes. Une partie de celles que j'ai vues dans ce pays me C 3  ( 33 ) paroiffent fuivre le mènie genre d'architefture, être de la même antiquitê, ou conftruites furie même modele; Douvres^ Vindfor, la tour de Londres, &c. on en attribue Ia conftruction a Guülaume le Conquérant; certains débris , a Douvres furtout, indiquent des édifices antéiieurs de bien des fiecles a la conquête de ce prince. On vante Ia menagerie, le tréfor,la fainte ampoule, le piftolet de la reine Anne, lacanne armée d'Henri VIII, & les autres joujoux de la tour de Londres; on parle peu du redoutable arfenal qu'elle renferme. Sohante mille armures complettes tapiffent les murs de fes vafres falies; un delfin militaire les difpofe en foleils en ferpens, en têtes de Médufe, en ibudre: eiles forment des colonnes avec leurs chapiteaux. Cet ordre, qui paroït un jeu, iaifferoit appercevoir a Toeil de 1'infpecteur la négligenee des armuriers, s'il étoit poftible que pour I'ebjet de la süreté publiquê, 1'Anglois n'eüt pas ce foin, cette recherche quilediftingue en tout des autres peuples. Ces armuriers font en trcs-petit nombre : l'ordre s'entretient aifément; mais comment réparer quand c'eft 1'infouciance qui détruit, & quand c'eft la légereté qui furveille. Je continuois a parcourir la tour de Londres , occupé des fcenes de fang qui s'étoient fuccédées dans fa vafte enceinte; je metranf-  ( 39 ) portois dans les tems oü , fous les voütes qui me couvroient, fe mêioient au fon deselairons les gémifiemens de l'infortune ou de l'ambition, quand le fpeftacie le plus augufte frappa ma vue : je crus être tranfnorté dans le pays des ombres, & qu'une autre fibyllefalfoït paifer fous mes yeux tous les héros del'Angleterre. Je vis , tel qu'il parut fur le rivage , après avoir incendié fes navires , Guillaumele-Conquérant; la même armure le couvroit. quand il combattit prés d'Haftings, quand il vainquit Harold, Ou qu'il forca Malcolme a. recevoir un maitre. Je vis a fes cötés le vaillant Henri V. 11 porte cette épée qu'il eut prés d'Azincourt, & les lis qu'il ravit k la France. Edouard, fier des rois ench ünés qui mar- chent a fa fuite Le Prince-Noir, honneur de la chevalerie, vihgt rois, couverts de leurs armures, parurent prêts a combattre, & n'attendre que le fignal de la victoire. J'avois quitté la tour de Londres, Sc ce tableau magique m'accompagnoit encore. Ces princes font rangés dans 1'ordre de bataille qu'obfervoient nos vieux Chevaliers; chaque chef a cheval marchoit entre deux piétons , prêts a le fecourir, s'ii n'étoit que bleffé; prêts a le remplacer, s'il recevoit la mort, amis voués a leur ami, ne furvivant point a fa perte. Pour augmenter l'illufion frappante de ce fpeclacle«na donné a chac'un de ces C 4  ( 40 ) rois Ia reffembiance la plus exa£te avec les cires & les portraits qu'on a confervés d'après • lui, fok dans les chapelles de We ft min fier, dansles chateaux particuliers, ou fur les marbres de leurs tombes. On me fit foriir de ma rêverie, en me morttrant la belle colonne qui retrace & la mémoire le funefte incendie de Londres; monument de douleur & de haine, oü le papifme eft accufé d'un crime qu'il ne commit pas, & dont la tolérance effacerok 1'infcription , fi la politique ne la laiffoit fubfifter. Le même jour je fus conduit au palais de la reine. A fon afpecl: extérieur, on ne foup. ^onnerok pas les richeSfes qu'il renferme. On pourrok, y vanter un nombre prodigieux d« tableaux de Camès , de chef d'oeuvres de Rubens , de Vandick , du Tuien & des Caraches; .J'injrrjitable bouclier cifelé par Benvenouti, donné par un duc de Manteue ,• ïa bibliotheque & les plans en reliëf de Gibraltar & des ports d'Angleterre; mais le* cartons de Raphaë'l effacent de la raémoire tout ce qu'on vient d'examiner, & ne permettent pas de confidérer ce qui peut refter a voir dans cette riche colleftion. Après avoir parcouru les principanx morumens publics, je me préfentaj chez les particuliers de Londres. Je vilitai l'intérieur de leurs magafius„ j'étudiai ïes deffins de leurs  (4i ) étoffes, I'état de la cifelure, de la menuiferie, la fbrme & les ornemens des meubles , tous les produits de Tart méchanique enfin, & je fus convaincu que tout eft plus commode plus fimple, & mieux fini chez les Angloïs que pavons avoir dansles deflins en général, eft tellement approché par la patience, par d'ingénieufes machines, qu'il n'eft perceptible qu'a des yeux exercés, que la prévention nationale n'a pas fafcinés , & qui diftingue le génie qui crée, de la méthode qui copie. Pour détruire une opinion faufie, tout Francois doit un hommage a la franchife, a la politeflé , a la prévenance des Anglois, même dans les clafles fubalternes de la fociété. Je n'ai point été frappé chez le bas peuple de la groffiereté qu'on lui reproche, & de ces batailles fanglantes qu'on fuppofe avoir lieu dans tous les carrefours de Londres; s'il s'excite une querelle entre deux hommes , ils croient pouvoir la vuider, fans avoir recours a la plainte; la probité, la nobleffe & fhonneur préfident a ces combats, que nous nom~' mons groffiers, & jamais en champ dos, enpréfence de leurs juges, fous les yeux deleurs rois & de leurs dames, nos preux ancêtres ne combattirent avec plus de loyautéque deux portefaix fans témoins fur Haimarquet, ou dans  C 42) Piccadily. L'Anglois n'a de jufticeréglée que contre le crime qui dégrade; il ne réprime pas même les élans , les muuvemens & les cris Jmpolis d'un homme qui s'oublie , ou dans Tivrefle , ou dans la gaieté , il marche, il penfe, agit en homme, & ne voit pas toujours a fes cötés, ou la verge qui prefcrit Pordre , ou le janhTajre aviii qui le conduit a la lifiere. Je n'oubliai pas d'aller voir le riche cabinet de M. Boydel. C'eft lui qui, par fon immenfe commerce, par les avances qu'il fait aux artiftes, par Ie prix qu'il leur donne de leurs deffins, par les voyages qu'il leur fait faire, a répandu par-tout le goüt de la gravure angloife, & peut, pour ainfi dire, en être regardé cornme le pere. Pour mettre a I'abri d'accidens fa colleétion, qu'on eftime plus de cent mille guinées,fes appartemens,fes planchers, fes plafonds font couverts de plaques de töle, garnis d'enduit & recouverts de grands carreaux. Outre les oeuvresdes plus grands maitres étrangers, on y trouve, avec plaifir , les deffins originaux des gravures qu'il a publiées; ja mort de Volf; Pen s'établiffant dans la Penfilvanie, traitant avec les fauvages ; les vitraux d'Oxfort, qu'on acheve de graver, &c. &c. J'y remarquai deux beaux tableaux de Carle Maratte ; un précieux deflln de Rubens, repréfentant une bacchanale ; une femme prefque  ( 43 ) nue, livrée a la méditation, charmant deflin d'après le Correge ; deux t&bleaux repréfentant paffaffinat des fils d'Edouard II par Richard III, leur oncle, prote&eur du royaume, exécuté dans la chambre de fang,(B!oodyRoom) dont on voit encore la fenêtre a la tour de Londres, & rriille autres morceaux précieux , qu il feroit trop long de décrire, & qu il eft inutile de nommer. Les bordures de tous ces ouvrages font du goüt le plus recherché. J'engage tous les voyageurs a vifiter cette fiche coUe&ion de 1'honnête M. Boydel. La manufa&ure de terres cuites de Wedgevood, oü l'on a copié tant de camés antiques , tant de buftes de grands hommes, tant de vafes étrufques, eft, cornme celle deSeve, bien loin de contenter Phomme d'un goüt févere, nourri de 1'étude des anciens; mais une difference effentielle diftingue ces manufaclures ; celle de 1'Angleterre enrichit fes propriétaires, celle de France ne peut couvrir fes frais. Voulez-vous apprendre ce que I'efprit de commerce , paffant de pere en fils , peut affembler de richeffes chez un marchand de fer, voyez le magafin de M. Oldham , en Holborn. Vous trouverez chez lui des cheminées en fer, en acier, belles comme des chaines de montre , polies comme des glacés, en fi  (44) grand nombre, fi variees, d'un prix fi modi" que ou fi confidérable, que fon magafin peuc fournir, en ce genre, & Ie palais du prince de Galles, & la maifon du plus fimple par. ticulier. Ce magafin , dont on craint d'affurer la totalité , ne 1'eft que pour une valeur de 50,000 guinées. Chez M. Hatchell Longacre vous jugerez de ce que peut la liberté d'agir fans craindre les raaitrifes ; vous trouverez chezun fimple fellier tous les artiftes & tous les métiers réunis, logés, établis, & le peintre de fes voitures, & le fculpteur qui les décore, & le deffinateur qui dirige les ouvriers. Forgerons , menuifiers , doreurs , charrons , ferruirers, deux cents ouvriers, tous les jours ,travaillent dans fes attelliers. Par-tout chez lui vous admirez les moyens fimples, ingénieux, planchers mobiles, modeles pour les harnois, roues, grues, &c. pour fuppléer a la main, d'oeuvre, & faciliter la multitude d'opérations qui 1'enrichifTent. Les rois ne rafTemblerent jamais une coliection de curiofités naturelles auflï completes que celle du chevalier Afthon-Levers. La prodigieufe quantité d'oifeaux, de quadrupedes, d'animaux de toute efpece que fa fortune & fes foins lui procurerent eft d'une telle confervation, qu'au milieu des airs ou dans ies forêts, ils n'étalerent pas de plus vives couleurs, ou de robes mieux confervées.  (AS ) Dams tous les autres cabinets, les animauy,"1 platés fans ordre , entaffés dans des armoires étroites , couverts de pouifiere , décolorés, privés d'un bec, d'une aile , de leur couron. ne , de griffes ou de dents , languiffent déshonorés , & n'offrent qu'un fquelette a l ceil du naturalifte indigné. Ici tout eft proportionné, claffé, foigné, les ailes fe dépofent avec gface fur les cötés qui fes fupportent, 1'aigrette femble céder a la moindre agkation de 1'athmofphere. Le lion conferve encore l'air calme que donne la force; le renard , l'air rufé qu'il doit a fa foibleffe. Chaque anima! y garde fon attitude familiere & fon occupation favorite ; ainfi, dans un moment vous connoiffez la forme , les qualités, 1'hiftoire de celui que vous examina, & favez è jamais ce que tant de gros livres effayerent en vain de vous apprendre. Ajoutez a tant de richelfes, les tréfors que Cock apporta. Ces étoffes groffieres, ces armures induftrieufes , qui nous montrent que 1'homme fauvage eut plus a craindre fes fernblables que 1'inclémence des faifons Cc ftatues, ces dieux informes, monumens de 1'imagination dans toutefa force, de la raifon dans toute fa foibleffe, une mjltitude de morceaux uniques,jeux de nature, efpeces rares, têce de Narvafavec fes deux cornes aux deux machoires; tête de cerf dlrlande , a cornes plates,  (45) ïarges de plus de dix- huk pouces , féparéès de plus de fix pieds, hautes a propoction; coquille agatifée au milieu de cryftaux & de minesais ; le paonfaifan de la Chine , dont le plumage eft femé de turquoifes; vafes,idoles, fétiches, &c. &c. & vous aurez une foible idéé du cabinet du chevaüer Afthon-Levers. On vante avec excès le mufeum de Londres ; mais qu'il eft loin d'atteindre au mérite de la colle&ion dont je viens de parler ! C'eft un amas confidérable de débris entaffés fans ordre , gardés fans foin; il peut contenir d'excellens livres, plufieurs manufcrits , quelques médailles ,• il polfede la belle colleftion de vafes étrufques d'Hamilton ; mais j'ofe affurer que l'anglomanie la plus outrée, la moins éclairée peut feule comparer le mufeum britannique aux cabinets des rois de France Ma mémoire, aflez fidelle , me rappelle prefque tous les objets du cabinet d'Afthon Levers, & ne conferve du mufeum anglois, que le fouvenir d'un portrait deChaucer fait en 140© , d'un manufcrit de Pope, d'un fuperbe manufcrit de Pindare écrit fur de mauvais papier , d'une épitaphé antique, gravée fur un marbre blanc, qu'on me permettra de donner ici: Gallla me genuit, nomen mihi divitis undè Concha deditforma nomïnis aptus honos. Dochipcrincertas audax difcur'r&re filvas  (473 Collibus hirfutas, atque agitare fer as. Non gravibus vinclis unquam confueta teheri : irbera nee niveo corporé fceva pad. Molli namque (ïnu domini, dominccquz jacebam Et noram in ftrato lajja cubare toro. Etplujquam licuit muto canis ore loquebar Nulli latratus pertimuere meos. Séd jam fata fubi , partu jacet acfa fmiftro. Quam nuncjub parvo marmore terra tenet. Mar.gak.ita. Un aut-re cabinet précieux eft celui de M. Tonnley; il femble, en le parcourant, que tous les tombeaux de ITtalie, les vafes, les urnes funéraires de 1'Etrurie ont été tranfportés chez cet amateur éclairé; fon goüt fe fait connoïtre par l'agréable difpofition des divers genres de curiofités qu'il poffede ; fon efprit & fon érudition , par une foule de diftiques ou de quatrains en toute langue , placés au pied de fes ftatues... Comment un homme a -1 - il pu réunir & payer ce que la fortune & les ordres d'un fouverain auroit peine è lui procurer!.. Eft - il au monde une plus belle tête que celle de fon Homere 1 quelle expreffion , quelle fineffe; comment le marbre peut-il rendre 1'ingénieufe majefté, Ia fublime contemplation , le recueillement facré de ce dieu de Ia poéfie; Ie pinceau de Michel Ange, ou du Dominicain, tous les peintres modernes, Raphaèl même'3  C 4» ) n'ont rien produit de comparable ï ce chefd'oeuvre, d'autant plus precieux , qu'il me paroit être le dernier effort de génie , & nous marquer Ie point de perfedtion oü la fcuïpture s'eft arrètée chez les anciens. Je préférerois cette tête d'Homere, 1'Ifis, le Faune a la flüce de Pan, le beau bufte de Periclès, le jolt torfe de Vénus, malgré fes bras, & le fatyre lafcif de la bibliothéque, & ce que j'ai vu de meilleur en France, même en Angpterre, & fais des vceux avec tant d'amateurs pour que M. Tonnley enrichifle Ia littérature & les arts , de fes obfervations & de fes notes fur le tréfor ineftimabie que fon goüt, fes foins & fa fortune ont fu lui former. Que de richeffes j'aurois a faire connoitre fi j'entreprenois de décrire les colleclions des pairs & des lords de l'Angleterre ; je m'en abfiiens, paree qu'elles font vantées dans tous les livres, ou publiées par la gravure, tandis que celle de l'homme, qui jouit fans étalage, échappe a 1'a-il du voyageur. Peu de galeries font préférables a celle de M. Antrobus ; j'y vis un tableau du Pouffin, c'eft l'éducation de Bacchus ; deux Faunes, une jolie B tccharite lui montrent ie grand art de boire , I'avidité du jeune éleve annonce déja les progrès; la force de fa couftituüon,  ( 49 ) & Ie coloris de fes joues, démontf ent qu'utt latt féminin ne coula jamais dans fes veines. Je comtemplai long-tems une tête du Gui* de ; la charmante Léda, du Mola ; un coucher du foleif, de Glaude Lorrain; & fur-tout un diamant de Vanderverf, c'eft une Charité Romaine ; un pere eft étendu fur un lit de paille , fa fille s'avance & lui donne fon fein; Ie befoin plus encore que la reconnoiffance, eft gravé dans les traits du vieiilard ; la crainte, l'amour , la plus vive inquiétude fe montrent dansles yeux, dans 1'attitude &lemouvement de la jeune femme, tandis que fon enfant , dépofé fur la terre, femble pouffer des cris , fuce le bout de fon doigt, participe a l'aclion générale en indiquant fes privations, & la grandeur du facrilice que fait fa me-re, qui l'entend. Un des beaux tableaux de Lebrun fe voit chez M. Antrobus, le martyre de Saint-Etienne; il m'offrit une particularité, c'eft la reffemblance parfaite de la tête du Saint & de celle de la Magdeleine des Carmelites de Paris. Je n'ai point vu de payfage plus auftere, plus grand & mieux colorié qu'un SalvatorRofe de cette colleétion. Une Sufanne , du Dominicain ; une Sainte Familie., d'Annibal Carrache; le Saint-Francois portant 1'enfant Jéfus fur un livre, de Morillo; Ie Saint-Paul, de Téniers, plein de D  C5o) «obleflè; Ia Vierge, 1'enfant Jéfus & les quatre Anges , chef-d'oeuvre d'Auguftin Carrachej ving! autres tableaux aufïï précieux ne dépareroient pas les falies du Vatican , ou Ia galerie du grand duc de Tofcane. L'Anglois a déja transporté dans fon ifleune partiedes chefs -d'eeuvres qu'avoit raffemblés 1'Itaüe; fi fon aftivité continue , li not.re in* différence ne ceffe , fi nos grandes collcöions fe décompofent & fe vendent, comme on nous lefait craindre, bientöt on cherchera des modeles en France fans en trouver, & nos artiftes, abandonnés au caprice de la mode, aux arabefques des boudoirs , aux formes dégradées de leurs modeies, perdront toute idee du beau , du noble, du grand dans les beaux arts ; ils s'excuferont de leur foibleffe fur 1'inclémence du climat, regretteront Ie ciel de Ia Grece & del'Ita!ie,& fe fouviendront a peine que ïa France a produit Ie Pouffin, le Sueur, Lebrun & Jouvenet, &c. &c. &c. Après m'ê'tre occupé des arts, a Londres, je parcourus tous les afyles ,que la raifon, chez les Anglois , confacre a 1'humanité fouffrante ; je remarquai par-tout, un ordre, une regie, une propreté que la vivacitéFrancoife ne peut admettre ; mais je ne vis jamais 'dans les höpitaux de Londres, chez l'homme qui les dirigeoüchez Iefubalternequi donnefes foins, cette fenfibiiité délicate , qui fe,marqué par  ( 5i ) ie fon de la voix , par Ie gefte , par toute I'habitude du corps, cetintérêt enfin, qu'un malheureux demande au fein de la douleur & de 1'abandon , qu'il auroit obtenu de fa femme & de fes enfans , fi la mifere ne Peut arraché de leurs bras , & qu'il éprouve par toute la France de ces refpeftables dames de la charité. J'ai fouvent obfervé leurs traits, leurs mouvemens ; malgré Thabitude qui conduit a l'indifférence , avec quelle délicatefie leurs bras levent , foutiennent & fervent un malheureux affaitfé par la fievre ! Comme leurs voix font douces & confolantes! Leurs yeux femblent verfer des larmes, & tous leurs mouvemens offrir au moribond une partie de leur exiftence. A Londres , de fages principes, moins fujets a des écarts, conformes au tempérament , a la froideur de fes .habitans, dirigent les höpitaux; rien ne paroit les préfider en France ; mais 1'humanké , faétivité individuelle fuppléent au défaut d'ordre ; c'eft de l'homme qu'unFrancois recoit des fecours, 1'Anglois les doit a la fageffe de fon- gouvernement , dont toute adminiftration, tout établiffement. femble avoir adopté les fta*tuts & les regies. Je conclus qu'il faudroit fonder les Hópitaux fur le modele de ceux de Londres, & les faire deffervir par des Francois; fuppofé que les adminiftrateurs , chez ce peuple léger & fenfible, euffent affez de tenue pour s'affervir a quelques régiemens. D a  ( 50 Je nVarrêtai long-iems a Bedlam; les infortunés qu'on y foulage ne font point enchainés dans des cachots obfcurs, étendus fur la terre humide, ni couchés fur de froids pavés; quand aux fureurs de leur délire fuccede un moment de raifon, ïls croient fortir d'un long rêve, &revoient la clarté du jour; ils font encore chez eux , ou bien a Chelféa , ou dans Greenwich , dans le navire oü leur raifon s'égara, rien ne les rappelle a leur état funefte, Ou ne les fait paffer a I'idée plus funefte enco re d'une prifon , d'un efclavage éternel; point de grilles , point de verroux ; leurs portes font ou vertes, leurs chambres font boifées, de longs corridors aè'rés leur permettent 1'exercice, des bains fréquens les foulagent; une propreté, qu'en la voyant on a peine a concevoir, regne dans cet afyle , oü cependant quelques infortunés languiflènt fans autre mouvement que celui de leur imagination déréglée : cinq ou fix hommes entretiennent cette propreté , aidés par les malades même, quand ils ccmmencent a fe rétablir; on fait a ces derniers un mérite de leur zele, il eft payé par de légers préfens ; rapprochés ainfi de l'homme raifonnable-, ils reviennent plutöt a la raifon, l'aftion de leurs membres, interrompue long-tems, porte par toutle principe de vie qui fe fixoit a leur cerveau , chargeoit & dérangeoit fon organifation, & les frais  ( 53 ) epargnés par leurs foins tournent a leur foulagement. Je vis , au nombre de ces maiheureux, des hommes ambitieux, des favans, cFanciens fages , & frémis en penfant que Ja chüte d'une ardoife , un faux pas, une bailc lancée par un enfant pouvoit conduire ï Bedlam un lord Chatam , un Loke & Newton même. — On me permit auflï de pénétrec dans le dortoir desfemmes, une d'elles cliantoit, & c'étoit fa folie ; d'autres marchoienC au rendezvous oü leur amour avoit été trerapé, oü vainement elies avoient attendu;toutes avoient des mouvemens fi précipités ou. fi ients, des geftes fi bifarres , des voix fi difcordantes , des yeux fi vifs ou fi voluptueux, un tel défordre enfin, dans tout genre d'action , que mes organes & mon efprit fe lafTerent en les étudiant, qüe je les quittai fans idéés fixes , fsns autre fentiment qu'une émotion mélancolique , & ne me fouvins de ces infortunés que comme on fe rappelle ces ombres , ces Fantomes dont on eft fatigué dans le fommeil forcé , qui fuccede au premier fommeil ; ou ces images imparfaites qu'en voyageant la nuit on appercoit au milieu des forêts. Le feul être qui m'ait permis de l'obferver, dans cette falie , fut Madame Nicolfon-, elle étoit affife , vétue fort proprement, couverte d'un chapeau noir qui me ïaiffa rarement obferver fa phyfionnomie; fes mouve» D 3  C54 _) mens étoient fimples, le fon de fa vo/x affe£ doux, elie lifoit Shakefpeare, les femmes de Windfor, & trouvoit cette piece du plus mauvais ton; je me gardai de lui parler des caufes qui la tenoient renfermée; elle me parut pieine de réferve , de bon fens & de modefiie. Kous regardons comme un chef-d'oeuvre de figefiè 1'emprifonnement de cette femme coupable ; il délivre la focteté, d'un ötre dangereux , fans révolter 1'humanité par fon fupplice: 1'Anglois n'y voit qu'un attentat a fa libcrté; coupable, elle devoit périr, en tout état de caufe on devoit la juger; il demande un procés public, pour ne pas laiflèr pénétrer chez lui cette juftice arbitraire qui frappe 1'innocent comme le coupable , qui foumet le fort de l'homme aux fureurs de Ia tyrannie, auxcabales de Tenvieux ; que dis-je , a 1'hu-. meur d'un commis, au caprice de fa raaitreffe, refte de barbarie qui difparoit de 1'Europe entiere. Ce fut un des plus beaux jours de l'automne , quand les premiers rayons du foleil doroient le fommet du döme de S. Paul, & qu'une lumiere pure diffipoit les brouillards du matin , que je m'embarqnai dans un joli canöt pour defcendre la Tamife jufqu'a 1'arfenal d'Oulich. J'ai vu les ports deïaHoIlande, de 1'Araérique & de la Erance; j'ai retconté la Loire & laGaronne; rien ne m'a-  ( 55 ) voit donné 1'idéedu fpeétacle majeftueux qne j'obfervai pendant ma route. Imnginez 1'effet que doivent produïre des milliers de vaiiTeaux tous différens de tormes'» de paviüons, rangés dans le plus bel ordre fur les deux rives du fleuve , croifés par dix mille bateaux en acliivité pour leur fervice ; ïmaginez les cris, le mouvement, l'a&ioa d'une innombrable quantité de matelots tous différens de.langue & de coftume : le Bafque léger, 1'infatigable & dur Bas Breton, leltfurl Hollandois, le Suédois actif..,. La, pours'oppoferj a la fraude , erre autour des batimens; de Pinde ou de 1'Amérique 1'avide fuppöt des droits de la couronne, tandis qu'impatient de revoir fa familie^, le paffager enrichi prodigue 1'or , & trouve encore trop lentle batiment qui vole & le eonduit au port. Ici, dénué de farces, épuifé par les chaleurs de la Jarcraïque, le matelot laiffe tomber les balles de coton, les boucauds de fucre & les caifTes d'lndigo dans le ckaland qui doit les tranfporter. IA9 nud, noirci comme un Cyciope, fort comme un géant, llrlandois enleve & dépofe avec aisance fa charge de terre. L'Anglois , fi froid , fi repofé dans les boutiques de Londres, eft um autre homme fut la Tamife ; fon aclion femble décuplée , c'eftIa qu'on appercoit 1'eSfet des appbudifieraens 9 des éloges, du refpect que ce peuple édairé P 3  ( 56 ) prodigue a fes matelots, & de ces fcenes dé* placées, de ces chanfons groffieres, toutes deftinées fur les théatres a foutenir 1'orgueit & le courage de ces vaillans hommes de mer:a quii'Angleterre dok fon exiftence & faforce.1 Mais quand vos yeux, laffés par cefpec-" tacle, perraettent leur aftion a la mémoire, a 1'imagination, a la réflexion ; quand vous fbngez a t'effet que produit dans 1'univers cette multkude de machines flottantes ; aux malheureux Indiens dépouillés, fuhjugués, ëgorgés ;. aux guerres de 1'Amérique & de 1'Europe, a I'Afrique dépeuplée, a la Chine, heureux empire qui bientó-t dok tomber fous rabominable poïkique des Anglois Vous defirez— Mais j'allois prononcerle vceud'uis énergumène, & je me tais. Après avoir traverfé , pendant un long eC pace de tems , une forêt de mats & de navires; après avoir obfervé tant de chantiers de conftruclion, de nianufaétures , d'entrepöts, de fabriques placées fur le rivage , vous n'appercevez plus pendant quelque tems que des terres plates &vafeufes, que des joncs, quelques rnentagnes dans le lointain, toujours le doenerde Paul, & les batimens qui fe croifent fur la riviere^ enfin, après avoir paffé GreenWich de quelques milles, vous defcendez a Farfenal d'OuIich i c'eft; le^ plus vafte amas de canons, de mortiers, debombes, de bou-  C 57 ) Iets de l'Angleterre, & peut-être du monde; Chaque vaifleau de guerre y dépofe fon artillerie; elle eft rangée dans le meilleur ordre, marquée du nom, des armes du capitaine quï la commande ; tout eft liffe , propre , & couvert d'un vernis qui le préferve des injures du tems: une jettée permet aux navires de s'armer fans peine & fans frais fous les murs de cet arfenal. Les routes pour le fervice font larges , fablées & fans ornieres ; les batimens font ftröptes- & commodes; point de luxe de fortification ; quelques compagnies d'artillerie fuffifent a fa garde , quelques officiers a l'éducation des éleves. Je trouvai prefque tous les canons angloïs plus larges que longs , dans une proportion plus forte qu'élégante: je pus les comparer a la fuperbe artillerie du comte de Touloufe, rangée fur deux allées, ïü'entrée del'arfenal, ouvrage du travail le plus fini, chef-d'ceuvre de fonte &de gravure , dont la forme ( qu'on me pardonne cette comparaifon ) eft & celle des canons anglois, ce que le Corint'hien Ie plus fvelte & le plus délicat, eft au Tofcan le plus fimple & le plus folide Je ne pus jetterqu'un coup-d'ceil fur tous ces objets ; la marée me forca de les quitter, & je me rendis a Greenwich. Charles II fit batir ce grand palais, con-  ( 58 ) facré depuis aux Invalides de la Marine: c'eft la que ces hommes refpeÖables jouiffent d'une •heiireufe vieüleffe , fur les bords de la Tamife, au milieu d'un beau pare, dans l'air le plus pur de l'Angleterre. C'eft Ia que fepromenant fans foins & fans inquiétudes fur une longue terrafle, ils voient encore d'un ceii d'envie les matelots aftik & jeunes donner a lenrpatne leur fangx& leurs travaux: c'eft la'qu'ils fe racontent les faits du tems paffé, les naufrages qu'ils ont éprouvés, quels pays ils ont découverts , & cette multitude d'aventures merveilleufes , que leurs camarades, des femmes ;& des enfans, les mains furies genoux, ïe^cou tendu, la bouche béante, écoutent avec un faint refpeft. Le matelot qui part pour un voyage de long cours ou pour la guerre, voit Greenwich en defcendant la Tamife & dit : c'eft la que le repos m'attend,& que je palferai les jours de ma vieüleffe. Le matelot bleffé , malade, accablé d'infirmités, voit Greenwich au retour de fon voyage, & ditf: la vontfinir mes maux ; & déja cet- te idéé le foulage Ce ne font pas de vai- nes efpérances: fecours éclairés de la médecine, nourrïture folide & faine, appartemens bien aérés , montagnes oü 1'on .refpire un air plus fain encore; grands tapis de verdure, fur lef. qusls une multitude decerfs, de biches &de  ( Ï9) chervreuils s'ébattem a toute heure du jour! chênes énormes, entourés de bancs a marchepieds , pour que 1'humidité de la terre ne détruife pas 1'etlet d'une ombre falutaire: tout le raffemble -pour erobellif les dernieres années de 1 homme qui fe dévoua pour le fervice de fa partie. , Je parcourus toutes les falies, Infirmerie, les cours & la chapelle. L'ordre, la propreté , une certaine recherche préiident a tout ; & je fui plus frappé de voir , a la porte de chaque celluie & fous les bancs de la chapelle , des tapis & des couffinets de jonc, que je ne le fus des peintures de Thurnhill, de la hardieffe des efealiers , de la maffe des batimens. Le palate de Greenwich eft immenfe: fes ailes font unamas de pierres énormes, furmontées de dömes affez légers: on fouffre entre ces ailes la maifon de M. le gouverneur , qui faite de brique , fans ornement & fms architefture , mafque la vue du pare , femble par fa pofition , appartenir au plan général, & préfente a roeit mécontent le contrafie le plus barbare dece quele belbin peut enfanter deplus mefquin & de ce que l'art peut produire de plus gigantefque. II ne me refloit plus a voir a Greenwich que 1'obfervatoire de Newton: ma mobile imagination, changeant d'objets , m'offrit denouvelles idéés; je m'occupai de la révolution  (Go) Öccafionnée par ce grand homme , de Ia gloire écüpfée d'Ariftote & de Defcartes même , de eet agent nniverfel qu'il calcula dans tous les corps, caufe des deux forcescombinéesqui meuvent & regiem I'univers. Je Ie voyois, dans Ie filence des nuits, livré a de profondes obfervations , ou fuivant la marche des aftres : je Ie voyois, dès la pointe du jour, le prifme en main , décompofer les rayons du foleil, ou foumettre 1'intini a fes calculs, quand arrivé au fommet de ia montagne de l'oblérvatohe, je fus frappé du plus grand fpeftacle qui jamais fe foit déployéfous mes yeux: j'appercus une plaine immenfe, environnée d'un cercle de montagnes que 1'ceü découvre a peine a l'horifon. Au milieu de cette plaine cnule lentement la Tamife opulente, couverte de mille vaiffeaux a la voile; leur mouvement majeftueux anime cette vafte (bene.... La teinte bleuatre des objets éloignés , le verd animé des prairies, ie jaune éclatant des moiffons . quelques forêts d'un afpeét fombre & fauvage, je ne fais quelle vapeur légere, pénétrée, des rayons d'un beau foleil d'automne , fembioient fe réunir pour éclairer, embellir & parer la reine des cués, la fuperbe Lond-es, qui, majefiueufement affife, couronnée de fes obélifques, de fes dömesf & de fes creneaux, briüoit comme Cybeïe au milieu de Policnpe, ou Diane au milieu des feux du firmament. Jamais ce grand  C 61 ) tableau ne fortira de ma mémoire; c'eft. de ïu! que je veux rapprocher tous les chef-d'ceuvres des peintres & des poétes , pour fentir leur iufuffifance, & m'excufer d'avoir ofé décrire la fenfition qu'il m'a fait éprouver. Je me retirai lentement: il étoit tard;oa m'attendoit au Chip: c'eft un joli pavillon pofé fur despilotis, avancé dans la riviere, oü, pendant le diner, je vis pafier, a la portée du piftolet, plus de foixante navires, de tout pays, de toute grandeur : je les fuivis, & me rendis a Londres , oü j'arrivai comme on levoit la toile a Haymarket. Je ne parlerai pas des théatres de Londres 5 ma mauvaife étoile ne m'a pas permis d'applaudir a miftrifs Sidons , & les grands fpeclacles étoient fermés pendant mon fyour en Anglaterre. Les acteurs que j'ai vus,leur coftume, Ie genre de leurs plaifanteries, leurs geftes, leurs déclamations, m'ont paru ceux du dixfeptieme hecle en France, tels que Phiftoire du théatre & la gravure nous en ont confervé 1'idée. L'Anglois fent plus que le Parifien blafé ; mais il faut frapper fortement pour l'ébranler: il ne fourit guere; il éclate. Moins fait aux calculs de 1'imagination & de Pefptit, plus prés de la nature , il eft encore pour lui des idéés neuves & des paffions : l'ambition, la vengeance, 1'amour, ont un langage qu'il entend j  (52) le jaloux ne lui paroit pas ridicule, 1'amant un fot, 1'ambitieux un fou, le vindicatif un monftre : il fent comme eux , il agrrohcomme ils agiflent: il profcrit les regies d'un goüt étranger a la nature dans fon energie; ilyeut chez rhomme paffionné un fdence morne , ou des aclions, jamais de phrafes, de train & de déclamations; il veut qu'Hercule fe montre armé d'une maflue, couvert d une peau de lion ,1a barbe rude & les chevenx crêpus, & jamais couronné de rofes, danfant au fon d'une mnfétte , ou balaneant la quenouille dOm- phale Lapaix, la mufique de 1'Italie , Ia gaieté, 1'ironie francoife, nos vïns,nos danïeufes , nos opéra-comiques changeront bien- tót ces principes ; alors alors Je m'im- pofe filence une feconde fois: quel le&eur a befoin que j'acheve maphrafe'ï La mufique en Angleterre eft toute italienne. J'ai remarqué que la langue du pays, pour s'accoinmoder au chant ultramontain, s'eft efforcée de perdre fa rudeffe; on la prendroit de loin pour celle de Rome ou de Florence , fans les définences & les monofyllabes barbares qui détruifent cette illufion, Szfont al'oreille, ce que feroit aux yeux dans le concert du pere Caftel, une bande de panne d'un gros rouge, entre un beau velours cramoili & du fatin couleur de rofe. L'Anglois de bonne foi conviendra que la mufique italienne gliffe trop  C 63) légerementfur fon oreille; qu'il ne Pappïaudrr. que par convention, & qu'il préfere infinimeat lesorguesde fon Vauxhaal, de fes Eglifes, de fes maifons a thé, aux flajolets des Joul me!li &c. Quant a la licence des fpeftacles, il eft vrai que quelques noifettes , des cceurs de pommes, &c tombent fouvent a vos cötés. J'ai vu 1'un des valets du théatre de Richemont recevoir une poire fur !a joue , & la renvoyer au peur ple , en difant, Attrappt qui peur. On tolere la gaieté peu poüe des portefaix & des matelots; elle excite un éclat derire, des applaudiffemens, de I'humeur : ce défor. dre dure trois minutes.... Mais combien de foisj'ai vu Tordre & la police interrompre une heure Ie fpe&acle, trainer dans les prifons, maltraiter, meurtrir, écrafer, faire couler Ie fang, égorger des citoyens & des femmes.... Eh ! rneffieurs, facriliez vos habits & votre coëffure , &confervez vos jours & votre liberté. Je donnai Ia matinée du dimanche aux différentes égüfesqueje voulois vifiter. Je trouvai dans les chapelles romaines uné afïluence è laquelle je ne m'attendois pas. L'exercice de toutes les religions eft admis en Angleterre; mais, par une loi fage , pour prévenir le fanatifme, les complots, les déclamations, il eft permis a tout individu d'affifter a leurs cérémonies.  ( H3 Toutes les fynagogues le reffemblent: les hommesy font féparés des femmes, qui feplacent toujours dans des tribunes clevées : quelques luftres,un chandelier a fept branches, le lïvre de la loi en font les feuls ornemens. C'eft fur leurs modeles qu'une partie des religions modernes ont élevé leurs temples ou leurs chapelles, quand elles n'ont pas profité des batimens fondés avant la réforme. Je vifitai les Quakres , & ne leur trouvai plus les mouvemens convulfifs , les tremblemens & la fimplicité de coftume du dernier fiecle: ils portent de la poudre & des boutons. Les femmes font féparées des hommes; le maintien des deux fexes eft modefte & recueilli; mais, avec franchife , fans me permettrede ridiculifer ces bonnes gens, on appercoit plutöt chez eux , dans leurs yeux, dans leurs attitudes, la contrainte & l'ufage, que ce caraéïere facré imprimé dans toute 1'habitude du corps,par la méditation, laperfuafion & 1'amour divin. J'en vis même plufieurs s'endormir d'un profond fommeil aux fons lamentables , débiles & caffés d'unpetit vieiltard qui, fur les bords de fon tombeau, n'ayant plus qu'ün fouffle de vie, bleffé par tout ce qui 1'entouroit, déclamoit avec aigreur contre les crimes du monde & le defordre des élémens Pres de cet homme bilieux &mai- gre , les yeux baiifés, 1'oreille rouge & le teint  («5 ) teint repofé , couvert d'un caftor fouple Sc d'un drapbien moélleux, les mufclës du vifagedétendus, un deini-fourire fur les levres, méditoit un jeune homme dans la E roe de Page. Après un long fiience de IWerhblée, il leva les yeux auciel, fléchit humblement le genouil, & d'une voix douce & rnoèlleüfe ., chanta des paroles de paix. On répondit afës verfets, & La pieufe voix des vieiges domina dans ce chpeur d'alégrelfe & d'amour. J'étois immobile , attentif $ 4 peine ofois-je refpircr. Deux amis qui m'accompagnoient, étoient auffi réfervés , ne fe permirent pasl'indifcrétion la plus légere j cependant un homme a cheveuxplats & noirs, au vifage plombe, a l'oeil terne, age de 26 a ajrans, s'éieva; S$t prononcant motvl mot l'anathême qu'il nous deItinoit, s'écria d'une voix funebre, interrompue par des paufes d'une minute. Quelle fombre vapeur !,.. un nuage de fang.... des dragons furieux... Vérité.... Vérité... tu fuis....O profanes !....Ö vérité! ..'. ó vérité ! ,.. A ces mots il fe tut, & cacha fes yeux dans les larges plis d'un vieil habit couleur de fuift, On ne parut pas fatisfait de ce difcours d'énergumene , qui produifit pourtant L'effet qu'il en attendoit, car nous fordmes. En quittantles Quakres.je me rendis dans une des paroiffes de Londres, a S. James Si ie ne fus pas édifié de 1'attention du peu: E  ( 66 > ple, fe ïe fus de l'air vénérable & noble des miniftres, & du ton fimple & quelquefois fu~ blime qu'ils ont en répétantla parolede Dieu. Malgré leur févérité, IesRéformés ont été forcés d'admettre quelques ornemens, des furpüs, des orgues dans leurs églifes. En efFet, je conc,ois qu'un génie exercé, pénétré desmerveiües du monde & de la eréation, élevant fon imagination jufqu'au faint des faints , éprouve une extafe angélique , & dédaigne les moyens enfantins employés par les fages pour apptller le peuple, & le conduire au bien : mais que peut faire dans un temple une multitude d'êtres fans penfée, fans imagination, fi la pompe des ornemens , Ia majefté des cérémonies, les vapeurs de Pencens, les chants & les concerts ne le portent au recueiüement de Pamour divin, ou ne l'arrachent a 1'enmu. L'Anglois fur-tout, froid par nature, avoit befoin de tout cet appareil: qu'on en juge par la multitude incroyable des ruines d'églifes décorées qui couvrent fon pays, & paree qu'on rapporte du luxe des cérémonies qui fe pratiquoient autrefois dans les cathédrales de Londres Se de Cantorbéry. S'il étoit permis d'innover en 'religion dans notre fiecle, jene doute pas que les tableaux emblématiques, puit les ftatues, puis les reliques ne reparulfent dans les églifes proteflantes. Le nomde Dieu, brodé fur 1'autel de S. James, les enfans des  (67) deux fexes, placés comme des choeurs d'an"3 ges aux deux cótés de 1'orgue, les peintures de Windfor & deWithall mele font préfumer. Les miniftres fentent qu'ils ont été trop loin que fi l'Anglois eft un homme, c'eft un homme fombre , taciturne , humide , qui tombe dans Ie fpleen , fi Ton n'a foin de le diftraire & de 1'amufer. Les Chinois, fuperftitieux jadis,'ont pafte jufquva l'athéifme; dégagés de toute idee d'infiuence divine, les mandarins n'admettent qua la matiere. Les loix pour eux font des convent ons auxquelles la force feule donne quelquefanaion-, ils s'y fou nettent par crainte, joütent contre leur prévoyance, & dès qu'ils ont pu la trompet, ils fe livrent fins remords a toutes les paffions. Tels font les principes des lettrés en Chine ; mais ils ont eu l'adreffe de ne pas arracher au peuple, & fes bonzes & fes pagodes : ils favent qu'il faut un aliment a l'imagination, & tellement hors du monde fenlible, que quand on a voulu le remplacer par des danses,par des cérémonies analogues aux fatfons, a 1'agricuiture ,ala chalTe,- cesobjets même ont pris un carattere divin ,& fe font mé.' tamorphofés en divinités , en aftrcs , en fignes céleftes chez tous les peuples& dans tous les elimats. Je fortis du temple, & je me hatai, quand les cérémonies furent terminées, de me ren- E *  (68 > êr& fur le paiTage de ces anges que j'avois vu placés fur des gradins aux deux cötés des orgues: rien n'approche de la beauté des enfans d'Angleterre , ceux - ci que les paroiffes font élever, femblent être plus beaux encorej rien n'eft comparable a lablancheur, au coloris de leur teint , a la délicateffe de leurs chairs , a Ia proportion de leurs corps. Les filles portent des robes noires & des tabliers blancs, les garcons de longues tnniques de couleur bleue , le tout d'une propreté qu'on ne connoït qu'en Angleterre. Je ne me permettrai de donneraucuns détails fur les principes de leur éducation, & fur 1'adrefle avec laquelle on fait naiire aux hommes dés le plus bas age Ie goüt de la mer & des voyages ; je ne ferois que répéter ce que des ouvrages récens ont répété ; la même raifon m'empêchera de parler de Ia maifon des filles pénitentes, oü fans exiger d'argent, fans enchaïner leur liberté, 1'on accueille , on foigne tant de malheureufes viélimes de la féduétion ou de Pinfame cupidité de leurs parens. Je paffai Ie relle de la journée comme tous les habitans de Londres , dans Ie beau jardin de Kingenton, dans le joh village d'Highgate, dans les riantes prairies qui bordent cette capitale ; je me promenois par-tout entre des haies de jeunes filles & de jeunes garcons; tous, deux a deux, marchoient avec une mo-  deftïe, une réferve dans le maintien qui me rappello't cette fimplicité de mceurs qu'on trouve encore dans quelques proviaces , & qui régnóit partout en France il y a 150 arts. Je reconnus a la fraïcheüt de ma tête, 4 ia libené de mes poulmons, a la foupleffe de tous mes mouvemens, pourquoi radminiftradon continue a profcrire les jeux & toute forte de fpeétacles une fois par femaine , a Londres^ combien il eft néceffaife de fe révivïfer dans les bois & dans les campagne*, quand on s'eft engourdi lix jours de fuite dans les vapeurs humides & les épaiffes fumées de cette ville. On a dü. s'appercevoir de la févérité avec iaquelle j'ai banni de mon récit toute differtation qui pouvoit en faire un ouvrage. Je me fuis interdit l'emploi des recherches antérieures que j'ai pu faire fur l'Angleterre. Je ne me permettrai même pas de citer ou Black- ftone, ou M. de L , ou d'autres légiftes, pour faire connoïtre la procédure criminelle a, Londres; je décrirai ce que j'ai vu dans ia féance du.... aOid Baily. C'étoit le jour du grand jugement. Tout crirninel doit êtreabfous, condamné, ou renvoyé taute de preuves ou de témoins. M. W... me fit placer fur la tribune des juges, & voici ce que j'obfervai: La falie d'Old-Baily eft quarrée; elle eft E 3  ( 7° ) garnie de gradins & de tribunes deftinés au public. Le m aire de Londres fe place dans une efpece de tröne; a fes cótés font les bancs des juges & des échevins; a leur extrémité, vêtus de longs habits noirs & rouges , une chaine d'or au col, dans des ftales féparées fiegent les deux fchérifs. Sept confeillers & deux greffiers étoientplacés au bas du tröne. Dans une tribune féparée fur la gauche, les douze jurés, dans une attitude froide & refpeémeufe , attendoient les criminels ; on les introdnifit tour-a-tour dans une efpece d'enceinte quarrée élevée de trois pieds de terre. Les Watchman, quelques parens des coupables rempliflbient le milieu de la falie. Chaque témoin, après avoir prèté ferment, fe place, pour fubir fon interrogatoire, fur un marchepied, aflèz prés des juges pour qu'aucune de fes expreffiüns & defesgeftes, qu'aucun des mouvemens de fes yeux n'échappent a leur fagacité. J'oubltois de parler d'une trentaine de livres ranges fur une table devant le, confeillers; ce font les différens textes ou commentaires de la loi. Au-deffus du tribunal , on voit un glaive de juftice; fous ce glaive eft une coupe , ancien embléme de 1'oubli ; a fes cörés font deux verges d'un bois blanc léger & fragile;  c 70 fymbole de la douceur qui doit préfHer a is punition .... On diftribue des tleurs, des bouquets des herbes odoriférantes aux fpeftateurs, onïi'oublie pas fur-tout d'en répandre fur le banc des accufés , les lumières du cid font invoquées, & le juge commence fon uiterro- gatoire. .. , L'homme du monde ie plus indrutt , te plus ingénieux n'imagine pas ce que 1'ufage-, ta tradkion , 1'humanité indiquent de fubtiUtés, daireffe aux juges Anglois quiquefliownent les témoins; la crainte , les menaces ,1* douceur, la plaifanterie, 1'ironie même, des ■quefiions fi captieufes , un examen fi rigou■reux, font des moyens chez eux auxquels ia mauvaife foi ne peut échapper, quelque rnéditation qu'elle ak faite, quelque cufe qu^Ite ait intaginée, de quelque voile qu'elle eiiaie de s'enveloppen autant aüleurs on cherchea trouver un coupable , autant ici 1'on cherdie a trouver un innocent,- étonné lui même des moyens de juftification qu'on lui fournit, l'accufé re'fte immobile de reconnoiffance & pretque iamais u'ajoute un mot a ce que les juges & les confeillers ont imaginé pour fa defenfe. Le juge , après avoir écrit les depoüuons des témoins , fe fait apporter les différens obJets qui peuvent donner des éclairciiTemens toe te crime; les effets voiés, les ïmlrumeas  ( 72 ) faifis; il les examine avec un foin qui parottroit minutieux a tout homme léger, & qui pourtant fuffit quelquefois a la jufiification de Paccufé , par les cómradrftions qu'il fait appercevoir. A cet examen fcrupuleux, fuccede le témöignage des parens, des amis , des voifïns dont on caleule la validité; car ces juges philofophes , pour qui mille probabilités ne forment pas une preuve contre 1'accufe , font plus faciies quand elles fe raflèmbient pour fa juftification. Le juge, enfin, fait un court réfumé de ce qui vient de fe palfer , !e lit aux douze jurés , leur explique l'énoncé de la tót, leur apprend quel fera fon jugement dès qu'ils auront prononcé leur arrêT; ils vont aux voix, examinent, diféutent. Un d'eux , quand ils font tous d'aceord, prononce ces feuls mots, coupable ou non coupable. L'accufé fe retire; un autre lui fuccede. Cette féanee dura jufqu'a prés de quatre heures du foir mon oeil ne fe laffoit point d'obferver , routes les pafnons fe fuccédoient dans mon aree: earPavarkre, Ialacheté, de faux témoins, des meres accufées paria haine, des enfans reconnus coupables, & rendus è leurs parens ; 1'intrépide voleur de grand chemin, fur du fort qui 1'attend , & décidé fans crainte a le fubir ; le jeune homme crhninel pour la première fois, fondant  (73) en larmes, implorant la pitié, parurent toura-tour fur cette fcene de douleur. On congédia l'affemblée , dont le retour fut indiqué pour fix heures ; & je montai, dans Ia grand'falle, oü le lord maire & les shérifs nous donnoient a diner. La gravité qui régnoit dansce repas de cérémonie, convenoita la difpoütion de mon ame : je mangeai peu; je queftiónnai beaucoup; on me répondit avec intérêt; le fon de ma voix devoit marquer Ie refpeft que m'infpiroient tant de magiftrats réunis. Deux cérémonies me frapperent; ce fut une efpece de bénédiftion donnée aux mets par un miniftre, avant qu'on prït place k la table; & le même acle répeté par le même miniftre fur un grand baffin de vermeil rempli d'eau de rofe, qui, circulant après le repas, fervit aux convives a tremper délicatement la ferviette, dont ils s'effuyerent, & les yeux, & les levres. Six heures fonnerent; je me hatai d'aller reprendre ma place a la falie. 'On fit prêter ferment aux jurés une feconde fois, les accufés reparurent; enfin , les arrêts portés fe prononcerent ; vingt cinq hommes furent coadamnés a mort; le plus grand nombre aux ifles; le refte fut élargi. Ainfi fe termina cette féance augufte ; pas un criminel ne déclama contre la punition qui !  C 74) lm fut infligée; pas une injure , pas une exclamarion , pas un murmure ne fe firent entendre: l'arrêt du tribunal leur fembloit être ia voix du ciel; ils s'y foumirent avec réfignation ; s'ils répandirent quelques larrnjs, cc ne fut pas en apprenant qu'il falloit ceffer d'être , mais quand la voix touchante & grave de leur juge leur prononea des paroles de paix ; quand il ncleur parut qu'un pere obligé depunir&de confoler; quand il leur déroontra qu'ils tomboient fous les coups de la ïoi, qui les avoit protégés dès 1'enfance; qu'uÉsfes a leur patrie par 1'exemple fatal qu'ils aïloient donner , quittes envers elle par leur .punition: il leur reftoit des parens pour leur fermer 1'ceil, & des freres pour les pleurer. II étoit prés de minuit; je me retirai dans un é*tat d'attendrilTement, que certains juges criminels pourroient feuls ne pas éprouver, & je fis des voeux pour que le relle de la terre adoptat le code des Anglois; en fupprimant pourtant le peine de mort, qui ne feroitqu'inutile & barbare, fi le peu de prix que la loi femble elle-même attacher a la vie de l'homme en la prononcant, n'étoit du plus dangsreux exemple. 11 familiarife avec le fang, accoutume a le voir répandre, détruit cette fleur de fenfibilité, proteilrice du foible, lien de la fociété, que l'éducation cultive chez tous les peuples policés j le fcélérat emporté par  ( 75) fes fens, aveuglé par fes patïions, fait ïe crime .fans prévoyanee ; les traces qu'il laifte après hii le démonirent. Foible, U voit l'édraffmd dans un lointaia obf ur, & n'eft cominunément qu'un filou. Forc , il le brave comme la pierre ou le trépan. ; ' Banniffez de votre fociété celui qui , leul, s'oppofe aux loix de tous. Pouffez la prévoyanee jufqu'a 1'écarter des terres de vos voiiins. N'allez pas 1 emermer dans des cachots obfeurs, le furcer au travail pour ceux qui le rejettent. Hommes! avez-vous le droit d'arracher a l'homme les dons du ciel & de la terre, lavie, le foleil & la liberté *? Donnez aux criminels 1'afyle que le cielaccorde, même aux ferpens. Fortifiez une ifle déferte (comme les Anglois); que des g-deres en défendent la fortie; dépofez-y l'homme nuifible ; la chanté lui'donnera les grains & les infirumens néceffaires & fa fubliftance. On commettra le crime, dites-vous, pouraller vivre dans cette ifle? Orfrez a la mifere une retraite pareille, mais fans galeres & fans reraparts, ü vous ne favez pas l'éloigner de vos peuples. Ne craignez pas que vos foldats & les la-  ( 7* ) coureurs vous quittent; vous ne perdrez que des vagabonds fans aveux, ou des malheureux fans reffources. Mais des fonds pour les établir, demandez-les a la pitié publique. Si 1'age d'or exifta fur la terre, il ne fut pas produit par le hafard; des fages prévoyans i'étabiirent par une longue fuite de travaux: on commit le mal par inftinc"t- ,• Ie befoin créa Ia juftice & les loix; la raifon feule établit la vertu. M. W... . par une fuite de complaifance, dont ie lui faurai gré toute la vie , me propofa de l'accompagner dans la vifite de "Nevvgate, que les'shérifs font obiigés de faire tous les dimanches. J'acceptai fa propofition ; je le fuivis d'abord dans une tribune de la chapelle, oü fept cents cinquante perfonnes écouto:ent Ia parole de Dieu. Ceux qui, dans la derniere féance , avoient été condamnés a la mort, étoient placés dans un grand quarré, fait en bois, autour d'une table, fur laquelle s'élevoit un cercueil de cuir noir. Je demandai Ia caufe de cet ufage; M W. . . me répondit: c'eft une innovation ; j'ai voulu ramener a des idéés graves les prifonniers qui, moins coupables aujourd'hui, peuvent un jour mériter le dernier fupplice, & réprimer le défordre qui regnoit communément dans le temple. La vue du cercueil en impofe a tout le monde, & ne  C 71) MefTe pas les malheureux deftinés a la mor!, i!i favent quel eft leur fort, cet acceffoire n'ajoute rien a leurs réflexions. Je ne perdis pas un des mouvemens de ces infortunés : ils étoient bien vêtus , en linge blanc; tous avoient des boucles d'argent a leurs pieds & des bouquets a leurs cötés. Ces. bouquets me r appellerent 1'antique ufage, qui confacroit aux dieux les criminels , les paroit de fleurs, comme des viétimes, öc les envoyoit purifiés , fervir aux difFérentes divinités qui préfidoient a la marche des mondes, ou dont 1'empire étoit placé dans les difFérentes ifles du firmament. Ces malheureux n'avoient fur la figure au* cuu caraétere de fouffrance ou de foibleffe. Souvent leurs yeux s'élevoient vers Ie eiel avec un mouvement de confiance & d'onction, que 1'hypocrifie foudoyée effaie en vain de contre faire. Leur chant fe mèloit a celui de l'affemblée ; car tous avoient en main le livre des cantiques ; ils ne perdoient pas un feul mot de 1'exhortation pleine de force 6c de fentiment que le miniftre prononca. Les refpeftables fchérifs , au milieu defquels j'étois placé, paroiffoient émus jufqu'aux larmes; & le public immobile écoutoit dans Ie filence: mais ce qui me frappa fur tout, pas un Anglois, par des regards trop curieux, par une impatience indilcrete fit groffiere , n'infultoit  & ces infortunés; & quand les derrières psu roles du prêtre indiquerent qu'on pouvoit fe retirer, je vis les amis, les parens des con. damnés, fans craindre le foupcon, fans rougir de leurs freres,leur tendre une maih confolante , ferrer la leur avec attendrifilment, & les quitter fans proferer une paroie, Je pénétrai dans toutes les falies de Newgate: elles font propres, & les hommes y font libres; pas un prifonnier n'eft privé de 1'exercice de fes membres dans 1'efpace qui lui eft afhgné; mais des verroux & des barre s de fer s'oppofent aux efforts qu'il pourroit faire pour en fortir; pas uncarcan, pas un de ces poteaux a crampons, pas une barre ne bleffa mes yeux : les fers que portent les plus coupables, leurpermettentla promenade, & ne ponent'jaroais fur leurs bras; ils font faits pour les empêcfter de fuir, non pour les écrafer fous le poids de l'efclavage. Newgate contenoit alors 750 prifonniers pour dette, pour vol, &c. aucun n'avoitverfé le fang humain. Je devois naturellement trouver 37 malades dans cette prifon; j'en vis cinq ü 1'infirmerie, trois marchoient , deux étoient couchés, nul n'étoit en danger de mort; mon odorat ae fut pas une fois défagréablement affefté dans Newgate; pas une toile d'araignée, pas un homme nud, pas une barbe longue , ne s'offrit a mon exa; men minutieux.  ( 79 ) M. W.... me précédoit par «tout , ïnter» rogeok , écoutok , confoloit , rien n'échappok a fes foins paternels. Une grille s'ouvrit enfin , elle fermoit 1'entrée d'une cour alfes grande, parée de grandes dalles de pierres, entourée de mars élevés de 50 pieds, garnis, dans la partre la plus élevée, de crampons Se de dards- en fer,- la, ceux qui Ie jeudi fuivant devoient expirer fous les coups de la loi, ïè promenoient en refpiraot l'air du midi. lis fe rangerent en haie , faluerent M. W... qui, marchant pas a-pas, l'oeil baiffé, la tête nue, fembloit s'excufer d'être Pinvolontake exécuteur des arrêts de la juftice; tandis qu'un miniftre refpectable , s'abandonnant a fon zèle, a l'humanité , errant de place en place , excb toit dans Paine de ces infortunés 1'efpoir d'une vie plus heureufe, fe chargeoit de leurs volonlés dernieres, & laiffoit entrevoir aux moins forts que la grace du roi pouvoit les fauver du fupplice ... Enfin, nous partimes pour la campagne de M. W... oü nous devions paffer le refte de la journée. Elle eft fituée prés de Richemont, a dix milles de Londres ; la je trouvai, parmi des femmes d'un certain age, pleines d'afFabilité , de franchife & defimplieké, quelques modeles d' A ngélica Koffman,de ces anges, fur Ie front defquels paroiffent tour-n-tour la timidké, la douceur & 1'amour, & qui fem-»  ( Zo) Sent réunir , par un heureux accord aux traits de nos vénus Ia modeftie des vierges du Corrège. Nous nouspromen&mes jufqu'au coucher duioleil , dansun joli jardin quitienta la maifon, ou dans les campagnes voifines; tantöt fixés parle plus joli payfage, tantöt diftraits par le rire de la jeunefle, tantöt inftruits par les propos d'un fage. 11 étoit prés de minuit quand nous entrames dans Londres. Jevouai au hafard lajournéedu lendemain , & lans plan, fans deffein, je me laiffai guider par les objets qui s'offrirent fur mon paffage. Je vis la falie de 1'opéra; elle eft vafte, mais fans machines , tout s'y fait a force de bras; les autres falies de comédies le cedent entiérement a celles de Paris, foit pour les formes, foit pour les embelliffemens de Tarchiteclure. Je vifitai les lieux oü fe traitent les affaires du gouvernement. La chambre des communes eft garnie de gradins , & peut contenir fix cents perfonnes; aucun ornement ne la décore. La chambre des pairs eft auffi fiinple; on y voit cependant une vieille tapiffefie , oü 1'armée navale des Efpagnols, projettant unedefcente en Angleterre, fous le regne d'Elifabeth, eft affez bien. exécutée pour cette époque. Dans une falie voifine , oü le corps des rois eftexpofé après leur mort, une tapifferie re- préfente  O O préfente 1'accouchement d'Anne de Boulenj; une autre, ce céiébre moment de fhiitoire d'Angleterre, que Shakefpearea fi bien employé dans fa tragédie de Richard III. L'artifté a faifi l'inftaut oü le prince meurt fous les pieds du duc de Richemont. je vis aufli la galerie dans laquelle Charles I fubit fon jugement. Trois jours après mon arrivée & Londres favois vu le Wauxhall, fpe£tacle charmant, agréablement difpolé , compofé d'ailées fombres, d'allées bien éclairées , de batimens a la chinoife, d'une falie immenfe. Les pluscélèbres victoires des Anglois fur mer y font repréfentées fur de grands tableaux. Tous les batimens auxquek on a donné le nom de Waux* ha i dans Paris , ne font qu'une efqüiffe médiocre de ce beau lieu ; mais la gaieté,la folie les embéliffent, & celui de Londres eft morne, filencieux ; des orgues, une mufique fans enfemble , des chanteufes grimacieres , quelques orgies dans de nombreux cabinets, fi joli ment ornés , fi proprement fervis; une toilette trop fimpte au milieu des glacés & des arabefques nuifent a l'enfemble de ces fètes; Ie Francois orne fon fpe&acle, l'Anglois dépare le fien ; qu'on ne prerme pas ces derniers mots pour une mjure : le bon JeanBart figuroit mal a la cour de Louis XIV. je voulus voir le panthéon , dans ma pro- F  ( §2 ) inenade: la facade de ce batiment n'annonce pas le luxe, la richeffe & la beauté de fon intérieur , il eft décoré de colonnes de compofition imitant le jaune antique a s'y méprendre ; des galeries tournantes , de grandes falies de jeux, de fefiins , un döme de toute éléganee, éclairéMe cent luftres de fines glacés compofent ce noble & brillant édince, auquel rien, dans ce genreen France, ne pourroit être comparé fans injuftice. Je m'arrètai quelque temps dans les boutiques de M. Pen Sc de M. Edouard, que j'avois déjavues; ces libraires poffedent de fuperbes éditions. M. Edouard renchérit fur les autres par le luxe de fes reliures ; il poffede un grand nombre de vieux livres francois , quelques manufcrits enluminés, qu'on a peine a préfent a rencontrer en Erance, & que fesfoins ,. fes iumières Sc fon a&ivité ont raffemblé dans fes fréquens voyages. Les libraires de Londres font en petit nombre : mais leurs magaiins font mieux fournis que ceux de Paris. Nos bibliothèquesfont infiniment plusriches Se plus nombreufes ; je ne fais fi le feul cabinet de M. le Marquis de P.... ne contient pas une aufii grande quantité de livres que Ie mufoeum de Londres, Si les livres du mufoeum font les feuls qu'on communiqué au public 7 encore avec difficulté.  C§3 ) Le peuple Anglois ne lit que la bible & fes gazettes: Les membres du parlement recoivent .une éducation foignée, connoiffent leur hiftoire, leurs loix &les grands poctes: Le favant s'inftruit a fond dans la partie qu'il veut connoitre, fans prétendre a 1'univerfalité de connoiffances que l'homme de lettres en France , effaie d'acquérir & ne fait qu'effleurer: Dela'le peuple agit,le grand conduit,le favant éclaire ; de la l'enfemble dans Li maffe, & la perfeclion dans les détails; les membres n'envient point le repos dePefïomac; tandis qu'ailleurs( fans me permettre d'autres rapprochemens ) toutfeconfond, fe mêle& fe décompofe .... Je continuai mes courfes du matin, enchanté des égards qu'on marquoit fur les trottoirs aux gens chargés qui les traverfoient. L'AnaJois, lourd dans fes mouvemens & dans fa marche , ne fait fe déranger que pour ne pas nuire au commerce, de quelque nature qu'il foit 5 il cede également le pas a l'homme qui porte un vafe de porcelaine ; a la femme qui fur une brouette , couverte d'une ferviette blanche, roule les fruits verds , qu'on achete cher & qu'on dévore; a l'enfant qui vend pour les animaux domeftiques, la partie des viandes que l'homme a dédaignées, F 2  ( 84) Rien n'eft appétiflant & propre comme !a boutique des patifiiers, oü de fort honnêtes gens s'arrêtent, fervis par de jolies marchandes ; je fus tenté de les imker; mais 1'heure du diné s'approchok , & j'étois attendu a la fameufe taverne de Londres. C'eft un fort vafte hotel; fes grandes filles font décorées de luftres, de glacés & d'arabefques en platre: plufieurs confrairies s'y réunhTent a des jours fixes. Le commerce y convie les gouverneurs descolonies: ils connoiffent la fes principaux membres, & ies traitent avec plus d'égards. On vousfert a Iafrancoife, a 1'angloife, a 1'kaliènnë; les viandes font mieux coupées, mieux faignées, plusproprement étalées en Angleterre, mais moins fublïantielles qu'en France , de 1'aveu même des cuifiniers Anglois. Les légumes ont peu de faveur; les fruitsy font tres rares& n'y müriffent jamais bien , j'en excepte ceux des jardins cultivés avec des dépenfes énormes , & ceux des ferres chaudes , dont'les ananas ( par parenthèfes) m'ont paru préférables a ceux des environs de Psris, il manque a l'Angleterre nn dégré de chaleur ; la béauté des gafons & de la végétation , dans ce pays, eft due a fon humidité; les épis font plus beaux , la paille & les foins plus dorés; mais le pain fabriqué , même par nos boulangers, a moins dégout; la paille n"y  ( 85 ) nourntpointleschevaux, &lesfm'nsnnt moins de parfums que ceux de France. En général tout eftlilTe , onctueux, gonflé dans cette i!!es tout offre a 1'oeil l'emblème de .l'abondance , mais tout eft fans nerf & fan* vigueur. Les énormes chevauxqui, fi bien foigués & fi^ leftement équippés , traïnetit lenternsnt de légers fardeaux,ne réfifteroient pasa la chaleur, a ,nos montagncs, & font ordinairement a trois fur un terraia plat & roulant, ce que nousavons la barbarie de faire exécuter , a un feul cbeval fur le mauvais pavé, ou dansles omières de nos grands cherains. On nous étonneen paflant des milles que les voitures angloifes parcourent en fi peu de tems. Mais fhabitude de confondre fans réflexion cette mefure avec mos lieues, fait tout le merveilleux des récits du bas peuple. On diroit que 1'Anglois par vamté a diminué les mefures dans fon pays, pour I'augmenter en apparence; &racourci fon pied, pour aggrandirfes hommes ; comme certaios peres de familie donnent quatre écus, plutot qu'un louis ïi leurs enfans, fürs qu'ils donneront la préférence a la maffe fur la valeur qu'fls ne fe donnent pas la peine de (caiculer. J'excepte de cette remarque les chevaux de courfe , qui, de race arabe , foignés, élevés pour courir, 1'emportent, en ce point, fur les noes . La inêms foibleffe de conttitutïon fe remic- F3  C 85 ) que chez les hommes de ce pays; ils ne refïftent que rarement a la fatigue, & ne peuvent fupporter la faim. Mais, dira t-on, d'oü viennent ces traits de force & de vigueur, ces aéles de paflion , &c. chez un peuple que vous fuppofez mou par tempérament"} de ce qu' ils coricentrent leurs forces, de ce qu'ils ne parient pas, de ce qu'ils marchent peu, qu'ils dorment beaucoup, de ce qu'ils ne fe cjépenfent pas , comme nous, par une chaleur interne , par une aclivité qui nous tourmente. S'ils font confervés pour un moment d'énergie, ils font incapables d'une fuite d'actions fortes & pénibles , comme l'opinion des anciens & 1'expérience Ie démontrent. N'appliquons pas au génie de leurs poëtes & de leurs grands écrivains ce que nous attribuons au commun des hommes ; cette huinidité qui donne au cerveau une certaine parelfe , diminue chez eux par un travail forcé, fans fe détruire , comme chez les peuples du midi. II doit en réfulter qu'en général les écrivains anglois font laches & diffus ; qu'il eft rare qu'un d'eux puiffe vaincre fa Ienteur naturelle; mais que fi des circonftances extraordinaires, nn travail contraint dans Ie principe dégagent leurs cerver/ux des humeurs qui les obftruent, ils doivent être desSht kefpeare, des Newton, des Loke & des Mdton.  C 87 ) Pourquoi ce defféchement nepourroit-ilpas fe produire fur toute l'habitude du corps8? paree que la chaleur naturelle en Angleterre étantbornée, une partie n'y gagnequ'au dépens des autres. On fait, au refte, que les regies générales ne font pas invariables , & que la nature,dans tous les clunats, femble faire des exceptions en faveur des hommes de génie. Je ne fortis que tard de London-Tavern. L'ancienne loi du couvre feu établie par GuilLaume le Conquérant, qui forcoit les Anglois d'éteindre toute lumiere aneuf heures , n'exis&e plus ,• mais les boutiques font fermées de bonne lieure. Les Anglois veillent peu , & cependant fe levent tard; il efi affez ordinaire de ne voir ouvrir chez les marchands qu'a. huit heures & demie, même dans les beaux jours ; mais dès le crépufcule, les rues font traverféesjpar des braffeurs , des marchands de charbons de terre, par les chariots de la campagne, qui ne peuvent étaler leur paille & leur foïn que pendant les premiers tems de la matinée. Les voitures de louage arriventaux places affes tard,paree que legrand cours des affaires ne commenceguerequ'entre neuf &dixheurespour durer jufqu'è quatre, oü l'on fe metü table. La matinée de Londres femble deflinée & la propreté: vous remarquez par-tout des hommes , des femmes & des enfans effuyant, la- F4  { 88 ) va rit, frottant les boutiques & les fenêtres? tandis que des voitures enievent les immondices raffemblées la veilie , & qu'une esufalutaire acheve de nettoyer les nies ; elle fort de poinpes rafées a la furface de la terre, & recouvertes de plaques de fer, dont 1'extréjTiité plonge dans les canaux de beis qui circuleut fous toute la ville. Dèsqu'un cocher, quel qu'il foit, n'efr. pas en eourfe, ou s'arrcte un moment, il s'occupe a donner a fes cbevaux des poignées de fbin qui leur rafraichiffent la boucbe , a les flatter de la main, a luflrer leur poil, a vifiter leurs pieds , a voir li les barnois, trop fo'rtement bouclés , ne gênent pas leur marche, fi les mords ne les bleffènt pas: de fes chevaux il paffë a fa voiture; l'intérieur, 1'impéxial, le marche-pied , les roues, tout eft vifité, neitoyé , paré; il attend celui qui 1'emploie, lui parle avec un interêt, un zele entierement oppofé a la grofiiéreté de nos cochers, paflée en proverbe: la même honnêteté regne chez lui pour fes confrères; deux cochers aux carrefours fe croifent, s'arrêtent, fe parient avec douceur, raifonnent fur les moven s d eviter les embarras, & prennent, en fe remerciant, la route qu'ils fe font indiqaëe ; au détour des rues, quand les trottoirs fe coupent, 1'impatience de 1'homme en voiture rsfpe&e les pas du public; auiii les ac-  ( 89} ctdens font-iïs infiniment rares & coütënt cher a celui qui les occafionne. Les fcenes de nuit font en petit nombre ; quelques blies , des matelots ivres, quelques filoux en troubknt de tems en tems le blende. Les Watchman nuifent au fommeil de ceux qui ne font pas accoutumés a leurs cris mottip! iés. Ces hommes armés de petits batons : munis d'une lanterne , fe promenent, établiffent la police, préviennent les incendies, indiquent les heures , fe rafTemblent, quand ils ont besoin d'être en forces, a l'aide de fignaux convenus. Je vis un foir des bouchers, des enfans, des vieilles attroupés frapper fur des poèUons avec des couteaux , des couperets , des pincettes ,fous les fenêtres d'un Juif qui feremarioit; cet ufage exiftoit jadis en France; il fe pratique encore dans quelques provihces, en Bretagne entr'auires fous le nom de charivari. Je me fuis fouvent arrêté avec un concours nombreux d'hommes & de femmes devant les boutiques de marchands d eftampes , qui parent leurs grandes croifées de toutes les caricatures angloifes. Ces caricatures font rarement ingénieufes; mais 1'habitude d'avoirfous les yeux les modeles finguliers de gentilshommes campagnards arrivant a Londres; de jeunes folies de province fautant fans grace  (90) autour de leurs meres empefées; de membres du parlemeut difputant avec des grimaces & des contorfions, profcrites affurément par Ciceron & par Quintilien ,■ les oppofmons decoftumes d'attitudes qui regnent néceffairement chez un peuple Iibre prés de la nature, fur lequel la délicateffe des femmes, le goüt mmutieux, & les maitres de danfe n'ont pas encore établi leur empire tyrannique , donnent a leurs auteurs une originalité que les Francois eiïayeroient en vain d'imiter. Calot & le Clerc , il eft vrai, ont produit des caricatures avec plus d'efprit que le céïebre Hogard ; mais , pour me fervir de la comparaifon de Sterne, 1'exergue de la médaille francoife marquoit encore dans le fiecle dernier ; & 1'uniformité moutoniere de nospenfees, de nos mouvemens, de nos ufages , notre politelfe fans gaieté , notre fobriété fans écart, nos foupers a I'ennui, nos converfations fans difcuffion,.notre philofophie de mémoire, qui dedaigne fans examiner, nos pirouettes toutes du même pied, nos habits faits pour une feule taille , nos flageolets fur le même ton n'étoient pas connus de nos peres. Ces eftampes angloifes peuvent être comparées a la comédie chez les anciens Grecs, quand ceffant de nomraer fes perfonnages, elle fe contenta d'imiter leurs manieres affez parfaitement, pour que 1'original fut reconnu  ( 9* > de tous les fpeöateurs Elles n'épargnent ni legrand , nile peuple, ni le roi même , & pourroient être «tilés, ü les deffinateurs qui les compofent avoient quelque réferve , chargeoient moins , ( qu'on me pardonne cette expreffion) Ss furtout fe perfuadoient qu'une réunion de perfonnages bifarrement grouppés ne fuffit pas a la critique, qu'il faut qu'une aftion les raflembie , que des oppofmons les faffent relforlir, 8e qu'un trait d'efprit, de mo« rale, ou de gaieté , naiffe naturellement du fujet qu'ils ont traité. Rien n'eft plus propre a contenir les hommes que la crainte du ridicule ; eft - elle trop foible pour s'oppofer aux grands crimes, elle corrige au moins une multitude de prétentions, d'ufurpations , dont l'aöion journaliere pefe plus fur la fociété, que les excès affez rares des grandes paffions. J'aimerois mieux , difoit M. de la Cafe, en Europe, une recette contrelesraoucb.es, que contre leslions&les tigres. Que réfulte-t-il de cette hardielfe dans les gravures, & fur-tout de la liberté de la preffe chez les Anglois5} \ Que le petit peuple s'éclaire fur fes intéréts , 8e connoit fes rapports avec Pinterêt général ; . Qu'une queftion offerte a tous les efpnts s'examine dans tous fes points, & qu'il eft un-  ( 9* ) poflible que huït rnillions de têtes ne trouvent pas Ia vérité que les gens de bonne foi adoptent, & fuivent dés qu'elle fe montre; Que !e peuple occupé des plus grands intéréts , prendun caradere de gravitéqui 1'éleve; Qu'il défend jufqu'a la mort la loi qu'il croit avoir portee ; Que les crimes obfcurs , les ménées fourdes , les compiots de la tyrannie n'oppriment pas ïmpunément, tx partant que la liberté, la proprieté , la paix individuelle ne font troublées que rarement: Enfin, que la méchanique, la marine , le commerce , tous les arts utiies profitent de cette raifon, de ce bon fens général, produit par I'expérience & les livres , mis en acïion au parlement, & refluant chez le plus mince artifan par les papiers publics, qu'il étudie dans fes heures de repos. Qu'enfante Ia contrainte & Pinquifition'? Ie malheur du foible que le crédit opprime, fans qu'il puiffe en appelier , infouciance abfolue, ignorance de l'efprit des arrêts , négligence dans leur exécution, enfantillage dans les idéés, mépris pour tout ce qui s'éleve, plaifanteries triviales fur les matieres de l'intérêt public, feules dignes de l'efprit & du coeur de l'homme; pointes, épigrammes contre les chefs, des calambours , des chanfons : enfin, 1'inquifition a beau redoubler d'aftivité, quand les  c ff ï lumicres générales ont une fois acquis un eertain dégré defoice, elle veut en vain s'oppofer a leur progrès. Qu'ont produit fes efforts confians pour abrutir le genre humain J5 L'Efpagne même a fecoué fes fers; les livres profcrits pénetrent dans les empires , malgré les barrières; débités en cachette, lus avec plus d'attention , ils produifent plus d'effets. Leurs auteurs, obligés de fe cacher, ne gardexit plus aucun ménagement ; ce n'eft pas affez de médire , ils calomnient; fi les honnêtes gens rejettent les livres condamnables, le peuple les Ut avec tranfport; il y trouve de grands exemp!es pour autorifer fes vices, & le mépris quils aime a fentir pour ceux qui le commandent. La liberté de la preiTe préviendroit ces tems de troubles, de crimes, de fanatifme, de guerres civiles; ces conquêtes étrangeres, fuites inévitables de 1'ignorance & de la dégradation de tout empire, oü le peuple a perdu fon aétivité, oü la finance ii tout envahi,, oü les grands , confondus avec toutes les claffes de 1'état par leur foibleffe & par leurs dettes , ne font ni nobles , ni bourgeois, & font forcés , pour être quelque chofe, ou de rarnper, ou de fe vendre.... Les partis lents & modérés ne font plus admiflibles ; on peut mareher avec noblelfe dans les cérémonies de 1'églife ou de la cour 5 mais il faut courir aux incendies.  C 94 ) Après ces réflextons trop graves, que je fis en voyant des caricatures bifarres dans Haimarket, je me retirai fort la's de ma promenade dans les rues de Londres, & fis préparer ce qui m'étoit néceflaire pour le joli voyage que je fis pendant quelques jours aux environs de eette ville. Je m'abandonnai, fans réferve , aux douces émotions que les campagnes de l'Angleterre m'avoient déja fait éprouver. Je me rappellai les defcriptions de Camden , de Pope & de Shakefpeare , les balades angloifes, qui m'avoient fait verfer des larmes dans mon enfance, quoiqu'affez mal traduites^par des auteurs du dernier fiecle; & je partis dans la difpofition de cceur & d efprit qui convenoient aux fites que j'allois parcourir, aux fcenes dont j'allois être le temoin. J'avois vifitéKingeaton; mais j'y defcendis pour jouir une troilieme fois d'un point de vue qui m'avoit frappé. Une jettée traverfe un petit étang, dont la furface eft couverte prefqu'eu entier d'un tapis de fleurs pourpres: un chemin fréquenté n'en eft féparé que par un foffé tapilféde verdure; l'abbaye deWeftminfter femble dans le lointain s'élever audefl'us d'une épaiffe forêt; vous jettez un coupd'oeil fur fes tours impofantes , & vous allez vous égarer dans les bocages épais, dans les  (95) finuofités d'un labyrinthe, oü l'art, entïérement caché, offre a. deux pas du tumulte, de 1'éclat deschars d'or , d'azur & de glacé, un filence profond , la fombre obfcurité des bois, & quelquefois ces jeux brillans d'onibre, d'eau, de lumiere, auxquels ragitation des feuillages femble donner la vie , trop mobiles tableaux, pour qu'on puiffe les faiiir, ou qu'on elfaie de les décrire. Sion-Houlfe , terre du duc de Northumberland eft traverfée par la Tamife, fon chateau, garni de creneaux , fut bati par Henri V, en 141 4 ; des religieufes de fainte Brigitte, de 1'ordre de S. Auguftin , le poflederent. Henri VIII le leur enleva , paree qu'elles favorifoient fes ennemis, & fur tout la pucelle de Kent , efpece de Prophéteffe qui déclamoit contre fes innovations. On fait que les catholiques romains, dont ce prince détruifit Tempire , ne Tépargnerent ni dans leurs fermons , ni dans leurs écrits. Le P. Peto , dit on , eut 1'audace de lui déclarer a Greenwich, qu'impie comme Achab, il éprouveroit le fort de ce Prince; que fon fang, après fa mort, feroit léché par des chiens impurs ; ce qui s'accomplit a Sion Houflè, oü le corps de ce Priace, qu'on tranfportoit a Windlor, fut dépofé pendant quelques momens. On admire dansee chateau une grande falie décorée de colonnes de verd antique , tranf-  (96*) portëes de Romen grands frais; une multitude de vieux vafes chinois ; le jardin botanique, qui n'eft pas conlidérable ; un ponail aflèz beau; un pare de 150 arpens , trop connu , trop fouvent décrit pour que j'en parle plus long-tems. Üfierly-Parc, bati fous la Reine Eiïfibeth, appanient a M. Child. Je n'en pus voir les appartemens, qu'on vante comme un modeie de goüt, comme un exemple des richeffes & des agrémens que l'Anglois fait réunir a la campagne. Ce pare contient quatre cents arpens ; fa maifon principale eft grande & décoree de fix colonnes; une longue & plate allée de gazon , placée fous la facade principale , ïaffa mon ocil par fa monotonie. Je parcourus avec plaifir les potagers de M. Child ; j'y vis tous les efforts quel'opulence emploie pour fe procurer les fruits de nos climats ; les grofeilliers y font en efpalier ; les vignes foignées dans les ferres: des paviilons d'une forme élégante , une joiie falie a thé , des orangers en pleine terre lous de grands appentis vnrés, mille accidens bien ménagés embellifTent OfterlyParc: mais rien ne m'enchanta, ne m'offrit une folitude plus riante & plus calme, un afyle plus favorable a la méditation,ft 1'amour, a la mélancoiie, que la maifonnette de la menagerie De vieux chênes, qui Torment fur la tête une voute impénétrable au foleil, un lac arüficielj  (97 > artificiel, une gondole, un fond boifécompo* fent le payfage de ce délicieux féjour, oü les volatiles les plus rares de l'Amérique & de 1'Afie renfermés fous de vaftes treillis promenent en filence l'éclat de leur plumage , tandis que libres & plus heureux, tous les oifeaux du voifinage fifflent, chantent fur les onneaux, ou fe balancent dansles airs . J'arrivai d'affez bonne heure & Salt-Hill, a vingt-deuxmilles de Londres. C'eft une des plus belles auberges de l'Angleterre; de grands vitreaux, des arabefques , des meubles d'acajou déeorent la falie oü je fus fervi; un joli jardin , la vue des creneaux & des tours de Windfor, le mouvement du grand chemin , me récréerent jufqu'au moment du départ. Je devois coucher a Windfor ; j'eus le tems d'aller vifiter Clifton, appartenant a l'Earle d'Inchiquin , feigneuf Irlandois de la maifon des Obrien. Le duc de Buckingham batit ce chateau fous le regne de Charles IL Fréderic, prince de Galles, pere de Georges III, y fit depuis fa réiidence. La facade principale eft décorée d'une galerie a colonnes de Port» land: elle a pour perfpedlive un bois épais, coupé d'une grande allée, dont 1'afpecc eft fauvage & fombre; les appartemens font grands, comme ceux de nos vieux palais % ils font garnis de tableaux, de meubles chinois & d'anciennes tapifferies ;une d'eflès repréfente la ba- G  ( 98 ) taille de Malplaquet, gagnéepar Marlboroug. Je remarquai parmi les tableaux : Un beau portrait de Vandyk ,• peint par luimême; fa tête eft fine, fpirituelle; fes cheveux font coupés a 1'angloife ,• fon manteau noir eft bien drapé: La tête d'Hanshaw, poé'te éeofibis, d'un caraclere animé, fougueux, pittorefque: Un beau portrait en pieds de la ducheffe d'Orléans: La jolie tête, la belle draperie pourpre du grand portrait de la reine Anne : Rubens, fa femme & deux enfans peints par iui-même: Un homme appuyé fur fon cheval, fort de couleur , d'un bel effet, par lechevalier Rainold, &c. &c. L'efcalier principal eft fait de Portland ; fa rampe en bois eft foutenue de colonnes de bois torfes, entre mêlées de colonnes cannelées, d'un très-beau travail Mais ce qu'on vante, avec raifon, c'eft la grande terrafle du midi; on voit de cette terrafle, fur iagauche, un bois épais, qui conduit 1'oeil jufqu'a Windfor, dont le fommet & le pavillon s'appercoivent diftinclrement; plus prés eft un chfiteau dépendant de Clifton; un grand plein de gazon defcend par une pente douce, jufqu'au manege de Fréderic, prince de Galles ,• il eft terminé par un demi- cercle de grands arbres: plus loin  coule la Tamife, dont 1'eau, vue'd'une trés. grande hauteur, paroit unenappe d'argent— Que votreimagination ajoute aces objets une plaine immenfe , des bois, des maifons, des villages , un vafie horifon, un coucher du foleil éclairant' encore une partie du tableau, quand 1'autre eft déja dans 1'obfcurité, & vingt mille corbeaux fe dépofant fur la cime des arbres, & vous aurez une idéé du riche & noble payfage, dont la nuit feule put m'éloigner. J'arrivai tarda Windfor; jefortis le lendemain dès la pointe du jour. Je me rendis a la chapelle, oü lafamille royale devoit affifter au fervice divin. Cette chapelle eft furchargée de peintures , dont les fujets font pris du nouveau, teftament. Je me placai dans une ftale : le roï ne tarda pas a paroitre; fes enfans lefuivoient; la reine étoit malade, & neputl'accompagner; un miniftre, d'une voix pleine d'onftion, Iut des pfeaumes ,8s chanta quelques hymnes. Ces: aftions de graces terminées, je fuivis le public dans une galerie, & vis pafter, au milieu de fa nombreufe familie, fuivi de deux officiers , vê < tus, comme lui, d'un bon drap bleu, fans pou i dre , fans ornemens , fans armes , le fouverain de l'Angleterre, ce roi dont les fujets comman-1 dent a l'Indoftan; & je me fouvins que les Romains, maitres du monde, dédaignerentlongtems le luxe des barbares, & ces habits a ramages dorés, & ces mitres éblouilfantes , & ces G at  C IOC ) chars cifelés, couverts de perles, dont feparoient les Siciliens, les Perfes , les Lydiens0 & ies viles peuplades de PËgypte. Les moines qui polfédoient Windfor le céderent a Guillaume-le-Conquérant jil leur donna deux fermes en échange: le bon air qu'on y refpire, la beauté du fite, la force de fapoiition déterminerent ce prince a yconftruire un chateau , qu'Edouard III fit démolir pour y fubftituer celui que nous voyons aujourd'hui. Lejourqu'Sdouardenprit poffeffion, en 1349, il établit 1'ordre de la Jarretiere, non pour honorer celle qu'avoit lailfé tomber, diton, la Comteffe de Salisbury, mais comme un emblême de l'union qui doit régner entre des freres. On allure que cet ordre exiftoit fous Richard I en Angleterre, & on fait que ce fymbole eft de la plus haute antiquité. Le Palais de Windfor eft formé par quatre 'grandsbatimens; ils renfermentune vaftecour, au milieu delaquelleeft placéela ftatue équeftre de Charles II. Elle lui fut dédiée par Tobias Ruftat, en 1680; fon coftume eft celui des Céfars. La tour ronde, a 1'occident de cette cour, contient les appartemens du gouverneur: elle eft batiefur la partie la plus élevée du terrein , garnie d'une falie d'armes, entourée de fortes murailles, de canons, & d'un joli jardin, dont les allées en fpirales defcendent jufqu'au bas  ( ÏOI ) du rempart, & préfentent le contraire frappant des inftrumens de laguerre, £ cöté des bofquets, afyle du repos. De la plate-forme, vous appercevez Londres, & douze des comtés de LAngleterre. Vainqueur de Jean V & de David d'Ecoffe, Edouard III fit enfermer ces deux rois dans cette tour , oü 1'on conferve encore leurs armes.. Par une délicate prévoyanee, les Anglois ont placé dans la chambre qu'occupa Jean V, une petite bibliotheque & des gravures analogues aux goüts futiles qu'ils nous fuppofent ; les mille & une heures, Gufman d'Alfarache, les. Lettres perfanes, lescontes de la Fontaine,des gravures d'aprèsBoucher, un portrait de NotreDame de Lorette, la téte de Saint Denis, &c. &c. &c. • La plus grande partie 4*s ornemens de Windfor font dus a Charles II, qui fe plut k 1'orner de tableaux des grands-maitres de toutes lesécoles. Ses appartemens fontvaftes; on y pénetre parun veftibule foutenu de colonnes ioniques ,• les murailles de 1'efcalier principal font ornées de peintures; elles repréfentent des aventures de Phaéton , de l'es (beurs & de. Cignus. Le magafin d'ar mes de la reine eft bien garni; on y voit des fufils de toutes les formes, depuis celles qu'ils eurent dans letems de leur invention , jufqu'k celle qu'on leurdonne & préfent, G 3  ( 102 ) La première falie dffre un portrait de Jacques I, par Vandyk , & ceux d'Edouard III , & du Prince noir , par Belcamp. Dans la feconde, Charles II, au plafond, eft repréfenté donnant la liberté al'Europe:la France eft a fes pieds: ce tableau n'eft pas plus modefte que ceux que Louis XIV fouffrit qu'on placat dans fes galeries. La troifieme falie contient une Judith du Guide , & le portrait de deux bouffons de Charles II, Killegrew & Carrew , dont les têtes, peintes par Vandyck,font pleines d'efprit & de gravité. La quatrieme eft Ia chambre a coucher de ia reine ; on y voit un fuperbe lit de parade fait par les filles pauvres des prêtres,-la reine régnante le leur fit exécuter pour placer avec délicateffe quatorze mille guinées qu'elle leur deftinoit. La maitreffe de ces demoifelles en avoit fait le deffin ; elle mourut quinze jours avant qu'il fut monté, & ne put jouir du fruit de quinze ans de travail. Le fond de ce lit eft de fatiu blanc; le deffin des broderies eft de bon goüt; fes rideaux font d'un verd pftle. La reine &z fes quatorze enfans font peints dans cette chambre par Weft: on y voit fix beaux payfages de Zacarelli. La cinquieme falie eft celle des beautés du regne de Charles II. La fixieme, rien de remarquable.  ( 103 ) La galerie, outre une foule de tableaus eftimables , offre 1'adoration des Mages de Paul Veronefe. Titien & 1'Aretin, par Titien lui-même , portraits ineftimables; les deux avaresdeQuintin Matfys ( ou lemaréchal d' Anvers) ; quelques morceaux de Murillo; TEnfant Jefus & S. Jean par Vandyck , charmant ouvrage; une douce infériorité, une admiration eareflante fe remarquent dans l'attitude &: dans les geftes de faint Jean. On y trouve des morceaux précieux du Feti, de Teniers, du Baffan; une copiede Raphaël; une autre de Michel Ange ; l'apparition des Anges aux Bergers, peints fur pierre patIe Pouffin, ainfi qu'un J. C. dans le Jardio des Olives , fur la même matiere, par le même maitre ; & piufieurs tableaux hiftoriques, comme l'entrevue de Francois I & d'Henrt VIII, & l'expédition d'Henri VIII a Boulogne, éV'la bataille des Eperons , par Holbein, &c "La huitieme, cabinet chinois, vafes, &c. La neuvieme, cabinet du roi. On y remarque une tête d'homme , par Raphaël; une fainte Catherine, du Guide deux payfages délicieux de Breughel; un payfage de Teniers; le portrait de Luther par Holbein : il a Ia figure pleine & les yeux vifs. Erasme pek* fur un fond verd, par George Pens1, fa figure eft maigre & pleine d'efprit. La création par Breughel; Adam & Eve y paroiffent des ac-  ( ïo4) ceffoires;uncheval en eft Ia figure principale; paffez-lui cette faute grofïiere , le refte du tableau offre de beaux aniraaux , un beau ciel, un grand payfage. Onvoit dans la dixieme falie, la Magdeleine mourante, beau tableau de Carolo Dolci; la tête d'une femme, par Léonard de Vinei ; un payfage de Wouwermans; Néron dépofant les cendres de Britannicus, par Lefueur; Ia comteffe Defmond, par Rembrant; Héro, dias , par Carolo Dolci. La onzieme & Ia douzieme Dans la treizieme, les tableaux de Gennari; un d'eux eft du plus grand effet; il repréfente Hercule auprès d'Omphale. La quatorzieme La quinzieme, Duns Scotus, parSpagnolet; dans un petit cabinet, on eft frappé d'ap. percevoir un étendard aux armes de France, dépofé fur un tabouret; Ie duc de Malboroug eft obligé d'en envoyer un tous les ans, Ie a du moi d'Aoüt, pour faire hommage au roi de Blenheim- Houlfe , dont la reine Anne lui fit préfent en faveur des vi&oires qu'il remporta fur les Francois. ïl faudroit un volume pour parler, avec quelque détail, des tableaux de Windfor; je me fuis contenté de citer ceux qui peuvent donner 1'idée de fes richeffes, & qui m'ont frappé dans Ie peu de tems que je mis a les examiner.  c 105) La terrafle de Windfor a 1870 pieds de longueur ; c'eft une des plus belles promenades de 1'Europe. Elle eft placée fur une colUne élevée la grande vallée, qui s'étendau pied de cette colline, eft ornée de prairies verdoyantes,de champs cultivés, degrandesallées de vieux arbres qui fe perdent dans la forèt. Les .jeux de la Tamife , l'églife gothique d'Eaton , oü 1'on a compté jufqu'a fept cents éleves; la ville, le petit pare y entouré d'un mur de brique de quatre milles de circonférence ; Ia promenade d'Elifabeth, oü la meilleure compagnie fe réunit dans les foirées d'été, forment Ie payfage le plus riche & le plusimpofant de l'Angleterre. C'eft au milieu delaforêt de Windfor que le célebre Herehei &fafilleont établi leurs télefcopes, dont le plus confidérable a quatre pieds de diametre & quarante pieds de foyer ; c'eft dela qu'avant d'avoir fait ufage de ce dernier inftrument, ils avoient déja porté a foixante-quinze millions le nombre des étoiles; c'eft de-Ia que, découvrant 1'immenfité des cieux , ils vont rendre vifible ce que le génie foupconnoit, & démontrant phyfiquement a l'homme rimpoffibilité de faifir 1'enfemble d'un fyftême fans bornes , le ramener aux foins de la fociété , a 1'amour de fes freres, a 1'étüde , ö la jouiffance des objets fimples & proportionnés a fa foibleffe , dont la nature a fu Penvironner.  ( 105 ) Avant de quiiter Windfor, je vifltai Ia chapelle de faint Georges , batie par Edouard III en 1337. Les cendres d'Henri VIII, de Jeanne Seymour, d'Henri VI & de Charles 1 y repofent. On dit pourtant que les amis de Cromwel, après fa mort, placerent fon corps dans Ie tombeau de Charles I, Cromwel avoitdondé cet ordre pour échapper a la rage du peuple , & la diriger contre les refr.es de fon ennemi. Une pluie douce embellït & para de perles 8c de diamans le joli chemin qui conduit de Windfor ü Weybrige, oü je devois aller coucher. Vous cötoyez prefque toujours les eaux limpides de la Tamife; car a cette hauteur, la mer ne leur donne pas la teinte fale Ik jaunatre. qu'elles acquierent fous les ponts de Londres. Un calme délicieux régnoit dans la campagne; toutes les idéés deguerre , de combats , d'infortüne,que les canons,les pavitlons 8z les armes de Windfor avoient répandues dans mon efprit , fe diffipoientinfenfiblement; je ne voyois fur mon paffage que des ifles cultivées, garnies de fleurs, d'arbriffeaux 8c de faules, des filets de pêcheurs 8c quelques maifonnectes; je vis un fage lifantfurle bord de la riviere, le dos appuyé fur un chêne , dont les branches énormesêe chargées de feuil^ages> gênoient le cours des eaux en excitant leur doux murmure; de jeunes gens une  ( io? ) ligne *la rnain; plus loin des pépinieres d'arbres de toute efpece, des coteaux , de vallons & quelques jolis villages remplis de bons vieillards , de vierges &j d'enfans , tout fem> bloit fait pour préparer aux idéés fimples& champêtres qu'infpire Woburn Farm. Cette terre, de cent cinquante arpens,appartient a mylord Loughborough; trente-cinq de ces arpens font abandonnés £t ces ornemens que les Anglois feuls favent placeravec intelligence; une églife gothique, couverte de lierre, dont les fondemens paroiffent ébranlés par de gros arbres placés dans 1'enceinte de fes muraüles; des temples a colonnes, &c. &c.; les points de vue qu'on a fu ménager avec un art infini qui fe cache, vous laiffent appercevoir le pont de Chelfy , fur la Tamife, qui, par fes longs détours, femble former plufieurs rivieres; Windfor qui fe perd dans les nuages ; un énorme amas de collines couronnées d'arbres , qui, vues h travers un brouillard, m'offroient un immenfe tapis d'un bleu noir, coupé de fommets de collines éclairées de couleur hyacinthe, & dominéés encore parle chêne de fainte Anne, arbre énorme, qui, dore par le foleil couchant, éblouiffant des feux que des globes de cryflal lancoient de fon feuillage, fembloit le dieu de ces belles contrées. Ces objets lointains, ce vafte ceintre de coteaux & de montagnes renfermoit des bof:  ( io8 ) quets, des prairies, des eaux & de nombreux troupeaux. Chaque champ cultivé dans Woburn-Farrn , eft entouré d'une ceinture de gazon & d'une enceinte de vieux arbres,qui, réunispar des arbuftes,en défendent. I'entrée aux animaux & Ie protegent contre 1'orage. Philippe SSouthcote, auteur de ce 'jardin, avoit voulu donner 1'idée de ce que pourroit être la ferme d'un grand feigneur , s'il préféroit les grands tableaux de la nature & fon utile fécondité , aux vains ornemens du caprice & aux folies ruineufes de la mode. J'allai coucher * Weybridge , joli village bati fous 1'ombre de grands ormes; une enceinte que je voyois de mes fenêtres, renferHioit une multitude d'épitaphes en vers , gravées fur Ia pierre ou fur le marbre. Je copiai celle d parmi vingt autres aufli ingénieufes , frappé du refpecl que Ie moindre payfan conferve en Angleterre pour la mémorie de fes parens, de fes amis; de la quantité de vers deShakefpeare , de Pope, de Jonhfon , & de penfées délicates ou morales que je trouvois dans le cimetiere d'un hameau: Weep notfor me ■Myfiïend moft dear J am non lofl Bui gon before. Ne pleurez pas, mon ami, je ne fuis pas Pefdu Je vous ai dévancé.  C 109 ) Öatlande, terre du Duc de Neweafïél,1 que je vis dans la matinée), peu éloignée de Woburn-Farm, offre a peu prés les mêmes points de vue dans le lointain, mais varië dans fes ornemens de détails,- la Tamife, qui féconde, enrichit & pare toute l'Angleterre des arbres de toute nature, un temple entouré de colonnes, des afyles propres au repos, al'étude, ornent ce beau féjour. On y remarque furtout une vafte grotte, devant laquelleeft un baflin garni de coraux, de mouflè & de rocailles. Cette grotte, qui coüta, diton, 15,000 guinées , eft ornée de ftalacliques, de cailloux du Derbyshire, de cóquillages , de cryftal, de miroirs placés avec art, de mille productiojis du regne minéral, dont Paffemblage feroit profcrrt peut- être par un goüt févere, mais qui plaitparfa variété,par fes couleurs Stfabizarrerie. Elle rappelle a la mémoire la brillante defcription de 1'afyle du bon hermite , oüfurent recus, pendant une nuit, Ubalde & Ie chevalier Danois, quand ils alloient arracher Renaud aux charmes du palais d'Armide. Jufqu'a préfent j'ai parlé des objets qui fe font trouvés fur ma route; je me fuis permis quelques defcriptions champêtres; mais je n'ai pas fait connoitre 1'enfemble d'un jardin anglois : je vais elfayer de décrire Painshill & de fuivre pas a pas les routes que j'ai parcourues, avec une variété de plaifirs , d'idées &  (xio) de fenfationsque je ne me flatte pas de Commu° niquer a mes le&eurs. Painshill eft un des premiers jardins k la chinoife qu'on ait exécutés en Angleterre ; il fut commeneé il y a prés de foixante ans par Charles Hamilton. Benjamin Bond Hopkins, efq. le poffede a préfent ,• mais il ne 1'habite plus depuis la mort d'une fille unique qu'il adoroit L'étendue de Painshill eft d'environ trois cents cinquante arpens. Le terrein fur lequel il eft aflis eft couvert de bruyere & de fable; les foins d'Hamilton ont fu féconder ce fol ingrat, le revêtir de tous les ornemens de Part & de Ia nature, lecouvrir de gazon, d'arbres, de fleurs & arbrifleaux , y faire nattre des forêts épaiffes, & toutes les productions étrangeres que 1'induftrieufe Angleterre a naturalifées dans fon fein. Quand la barrière de Painshill vous eftouverte, vous errez fur un tapis verd femé de fleurs, répandues en bouquets, au milieu d'ormes , de frênes & de tulipiers jufqu'a la maifon principale batie par M. Hopkins. Elle eft grande & décorée de fix colonnes; fa vue principale donne fur les plaines & fur les montagnes du comté de Surray , dans lequel elle eft fituée. Le lointain eft riche & bien couTonné. La Mola ou la Taupe, riviere ainfi nommée paree qu'elle fe perd pour reparoitre après avoir erré fur terre l'efpace de trois mil-  (III) ks, coule lentement au bas du cöteau. Vous êtes environné par-tout de liéges, de Iauriers de Portugal, de fapins américains, dont les branches tombent jufqu'è terre , pour y prendre racinecomme le manglierde Saint-Domingue & 1'arbre des faquirs aux Indes ; le gazon que vous foulez eft souple & bien foigné. Notre conducteur s'excufa d'avoir négligé de faire enlever des feuilles mortes & quelques branches de bois fee qui le déparoient a fes yeux. Nous vimes au milieu de ces bofquets une vigne qui couvroit la pente d'un joli cöteau; leraifin n'en mürit pas , & le vin qu'on en recueille eft déteftable. Un affez riche payfage de-l& fe déploie vos yeux; mais le bois mêmede|Painshill, qui paroit ü une grande diftance, quoiqu'il foit renfermé dans le pare , fixe principalement vos regards. Vous ferpentez encore au milieu de jolis bofquets qui bornent votre vue & vous conduifent a un b&timent gothique, placé fur le fommet d'une monticule ; il domine un lac artificiel, dont vous ne pouvez, d'un coup d'osil embraffer toute l'étendue; de jolis ponts le traverfent en tous fens; les faules pleureurs piongent leurs rameaux délicats dans 1'onde tranfparente qui réfléchit leur image; un gazon , prolongé jufqu'a fes eaux, cache par-tout 1'aridité du fable. Le fond de la vallée vous préfente fextérieur d'une grotte garnie de pierres trouées en forme  ( m ) de ctochers , apportées a grands frais de Glochefter en face eft un pavillon turc , placé fur une monticule; fur la gauche le templede Bacchus, un hermitage, & dansle lointain, une tour élevée. Rempliflez 1'intervalle qui fépare ces objets , d'un gazon qui leur fert de bafe , d'arbres ifolés , de bois & de forêts, oü dominent les cedres du Liban ; les myrthes de Cantorbery, le chêne rouge a longues feuilles , des fapins énormes & des lauriers de Portugal , difpofés avec 1'art de Paul Poter & des Caraches,& vous aurezl'idée d'un des plus beaux points de vue de Painshill. Vous arrivez parunepente douce 'a la belle grotte que vous apperceviez; elle eft moins riche, mais plus agréablement difpofée que celle d'Oatland ; fon intérieur , fes voütes, la partie même qui fe prolonge fur le lac ,' font chargés de ftalaftite du Derbyshire , depierres de Briftol, de cryftaux de mine de cuivre ; on y voit une hache de fer pétrifiée, des matrices de minéraux, & des foffiles de toute efpece, fes finuofités font fi bien pratiquées, fes routes diftribuées avec tant d'art, que, conduit par un guide habile, vous paffez le pont, vous vous trouvez au-dela du lac fans vous en être appercu , fans pouvoir deviner comment s'eft faitce voyage magique. Je ne vous peindrai pas les divers points de vue qu'on a difpofés pour les diverfes forties de la grotte;  < m) ils offrent, fous tous les afpe&s, une ifle, des ponts & les principaux points dontnousavons déja parlé. Les iflets de Painshill & les bords de fon lac nourriffent les plus beaux arbres que j'aie vus , mais que peut-être aufïï 1'enchantement de ce lieu augmentoit a mes yeux. Je fus furpris fur- tout de la groffeur d'un cyprès de la Virginie & d'un Magnolia-glauca que je remarquai dans un de ces iflets. Après mille détours , vous arrivez au maufolée, dont il n'exifle qu'une arcade ; le refte eft détruitpar le tems. Ce maufolée renferme de petits tombeaux vraiment antiques ; det,' urnes, plufieurs épitaphes , il eft d'une architeclure hardie „ l'intérieur eft tapiffé de lierre qui mêle fa verdure a eelle du porphyre , au marbre, aujafpe qui le décore. Les épitaphes, que Vous venez de lire , les idéés du tombeau , qui ramenent fi naturellement 1'homme a la mélancolie, vous difpofent aux impreffions fombres qu'augmente bientöc un affreux bois de fapin s il couronne une montagne. Vous y pénétrez par des routes de fable & de bruyere ; la l'oifeau ceffe de chanter ; la verdure difparoit; le fifflement aigre du feuillage fe mêle au croaffement des corbeaux ; le friflbn vous faifit, le foleil & la voute du ciel fe cachent; le bruit de la Mola qui tombe encafcade dans le voifinage,& desroua» ges qui qui fourniffent i'eau du lac, augmen* H  ( 114 ) tent encore cette lugubre mufique; Ia triftefie bientót pénetre chez Vous par tous les fens, & fansle guide qui vous accompagne, vous vous croiriez perdu dans des déferis, fans efpoir de revoir lalumiere, la verdure & des hommes. Cependant le voyage eft pénible; rien n'annonce Ia fin de la forêt; la foute difparoit; les arbres fe rapprochent; les ronces commencent a gêner votre marche; il faut fe frayer un feutier; 1'obfcurité redouble; enfin un petit hermitage vous offre un afyle & Ie repos: il eft de bois couvert de chaume; fes meubles font un chandeher cafle, une gourde, un banc& quelques chaifes; on pénetre dans une piece plus vafte ; elle eft oftogone; une table, un lit, un oreiller de jonc, des fenêtres gothiques, en font les feuls ornemens. Les fenêtres s'ouvrent: quel fpectacle! le plus riant, le plus beau payfage, Ie plus agréable lointain , la lumiere & la vie fe faififfent de vous , bleffent un moment vos organes, & vous permettent, après les plus vives fenfations , de jouir des douces iuipreffions de détail qui font le charme de la vie. On eut peine a m'arracher a cet hermitage ; j'en deffinai toutes les coupes pour en mieux conferver le fouvenir,&je n'oubliai pas la porte fecrete qui permet & 1'hermite de fe dérober a la vifite des curieux , pour aller méditer dans un joli bocage, fur les fcenes de fa  (n5) vie, fur la vanité des honneurs, furlecommerce des efprits , fur le rêve eniin qui 1'oCcupe; car , loin de 1'amour & de l'amitié, l'homme n'a plus qu'a rêver fur la terre. En quittant l'hermitage , la ftérilité du fite continue ; mais les arbres commencent a fe féparer quelquesbuiffons reparoiffent de tems en tems'; la tour quarrée qu'on appercoit de prefque tous les points de Painshill fe trouve fur votre paffage. Elle a foixante pieds d'élévation ; fes différens appartemens renferment de beaux buftes demarbre. La vue de la plateforme eft d'une grande étendue ; c'eft de-Ia qu'on peut juger des eftorts qu'Hamilton a dü faire pour établir en grand , fur du fable & de la bruyere, un des plus beaux jardins de l'Angleterre. Le pare de Richemont, Hamptoncourt, la colline de Saint-George, oü Céfar, dit mon guide , avoit établi fon camp , &fait quelques retranchemens dont on voit encore des veftiges; le palais du lord Gallway, Hamftead , 8e les contours de la Tamife , font les points de vue du nord eft. On m'indiqua, au fud- eft , a vingt- deux milles de Painshill, labole du Diable (*). Dece (*) C'eft un lar^e enfoncement; il coupe le grand chemin ; les poftillons, obligés d'en faire le tour ,1e donnent au diable; de la fa dénorainaüon. H 2  ( ii5J cöté Je terrein n'offre que de vaftes bruyeres, des fables, quelques lacs, le chemin de Portfmouth, une tour Manche confacrée a la mémoired'un mendiant, qui, quêtant dans cinq villages, leur légualafortune confidérable qu'il avoit amaffée,- mais cette furfacearide contraire en grand dans la vafte étendue que I'oeil peut embrafler, & que Ia plusriche nature embellit de tous fes préfens. Je vis dans le lointain le fommet de SaintPaul, les drapeaux de Windfor & le chêne refpeftable de Sainte-Anne, auquel , comme a Pancienne divinité de ces lieux, je rendis encore mes hommages; & j'obéis a mon guide, qui me fitdefcendre, en proteftant qu'iln'avoit jamais vu de voyageur plus quefiionneur que moi. Je ïe fuivis au joli hameau du Berger, au temple de Bacchus, dont les alentours, chargés de fleurs , d'arbriffeaux & de vignes, annoncent le féjour heureux de cette aimable déité. J'admirai Ia noblearchitefturede ce temple, copié de Pantique, & la ftatue coloffale de Bacchus, que je fouffris de voir défigurée par la barbarie d'un Anglois , qui n'a pas rougi d'unir fon marhre, maldégroffi, au marbre animé par un Gree; qui force votre ceil a parcourir les %nes qu'il a tracées & vous empêche de fuivre celles que, fans fa maladreffe, 1'antiqueindiqueroit k des yeux exercés. Je quittai ce temple avec humeur. Je me  (II?) confotai fur les couffins du pavillon turc ; je revis, en fuivant une autre route, fous de nouveaux afpeds & dans le lointain, tous les objets que j'avois vus de prés, & le lac & le temple gotbique, la tour, 1'hermitage, de jolis ponts, des gazons , la grotte , des rochers, des prairies, quelques terres labourées; je quittai Painshill, béniffant la mémoire du bon M. Hamilton, & le remerciant de m'avoir fait paflèr une des plus agréables matinées de ma vie. Je dinai a Hamptoncourt,bati fur les bords de la Tamife , par le cardinal Wolfey. Les cartons de Raphaël en faifoient autrefois le plus bel ornement. Ce chateau royal eft d'une archite&ure noble, févere, plus majeftueufe, que foumife aux regies du bon goüt; il contient, dit^on , fept cents chambres, que je ne vous ferai point parcourir : fes jardins font dans le goüt francois. Je fuivis la route de Richemont, oü je devois coucher ; je ne pus voir que 1'extérieur gothique de la bizarre maifon de M. Walpole; mare je m'arrêtai long tems dans la maifon de Pope a Twitnam. Elle eft fimple ; fon jardin, dont le propriétaire aftuel conferve la forme & les deffins peu recherchés, eft tel qu'il fut quand Pope s'y promenoit. Sa grotte, fake des mains de ce grand poëte , offre encore le petk amour couché fur des joncs, de petis  ("«O tombeaux antiques, des urnes qu'il avoit fous les yeux quand il compofoit fes écrits immortels. Son bufte, en platre, eft placé dans une niche dont on refpefte jufqu'a la poufliere, par un fentiment pieux qui va jufqu'a l'idolatrie. -— Le grand-chemin paffe au deffus de cette grotte ; fa principale entree offre un long foupirail, qui permet a l'oeil d'appercevoir les eaux de la Tamife, un gazon & deux énormes faulespleureurs dont lesbranchages fontétayés, Sans doute fi j'avois féjourné quelques heures dans cette grotte , le génie de Pope m'eüt infpiré des vers a fa louange. Je me ferois rappellé les defcriptions ingénieufes de fa bouclé de cheveuxenlevée, j'aurois vu paffer les originaux qu'il a fi plaifament décrits dans fa Dunciade. Mais malgré Pintiuence de fon génie & les fophifmes de fa mufe captieufe , il n'eüt jamais affez étourdi ma raifon, pour me faire croire que tout eft au mieux fur la terre. Alphonse & Garro font mes maitres , & je penfe comme eux fur le grand oeuvre des fept jours. Ce qu'on appelle proprement le jardin de Pope , n'offre rien de très-curieux. C'eft la fimplicité de la nature abandonnée a elle même fur une terre humide , oü les joncs, les gazons, les glaieuls fe mêlent aux buis , aux ronces, aux ormeaux. Pope a fait de fa propre main , felon mon guide, un fentier en talus, qui s'éleve jufqu'au fommet d'une monticule ; la, fur un  ( "9 ) banc de bois, au milieu des myrthes & des lauriers , au cliant du roffignol, dans le calme desnuits, il adreffa fans doute des hommages a la lune , des vers a 1'Eternel, ou des madrigaux a famaïtrefle. Je cueillis quelques branches de myrthe , quelques feuilles de laurier confacrés par fes chants: je les conferve ; elles me rendent a la poéfie, comme une lettre d'Abailard rendoit Héloïfe a toutesles extafes, a toutes les fougues de fon amour: elles me ramenent a la modeftie comme la boëte du pere Laurent ramenoit Sterne a la charité. La nuit qui s'approchoit précipitoit mes pas; je voulois errer, au hafard , & mon guide m'obligeoit a fuivre le chemin, que comme une machine, il eft dans 1'ufage de tracer aux voyageurs ; il avoit tant d'envie de me montrer la ferre & les potagers de M. E...., qui joignent celui que je parcourois, que fans le hafard qui me fervit, je paffois devant le champêtre maufolée de la mere de Pope , fans l'appercevoir; il eft entouré de cyprès & d'urnes difpofées avec fymétrie: c'eft un obélifque confacré par la piété filiale. On y lit cette infcription fimple & touchante ; jih editha I matrum optlma, muïierum uimantijjima : vak Je laiffai tpmber quelques feuilles de laurier  ( 120 ) fur cette terre facrée, ce fut le feul hommage que mon guide me permit de lui rendre. IL fal* loit voir les bult.es de Chefter field ,de Stanape & les ananas de M. Ellis. Je fortis mécontent du guide Ie plus ftupide de l'Angleterre, & j'arrivai fort tard a Richemont. On achevoit la comédie que je trouvai parée de fort jolies femmes. La falie eft propre, affez jolie ; faforme eft celle d'un quarré long; affurément l'archite&ure théatrale en Angleterre eft plus négligée que celle de fes höpitaux, de fa marine & de fes arfenaux. Je n'effaierai pas de décrire la vue donton jouit de la terrafle de Richemont; qu'on rapproche les différens tableaux que j'ai tracés dans cet ouvrage; qu'on y mette 1'ame & la vie que je n'ai pu leur donner, on n'aura qu'une foible idéé de ce riche & grand payfage. Telle fut la délicieufe promenade que je fis en trois jours dansles environs de Londres. Je rentrai dans cette ville, impatient de remercier mes amis, & fur tout 1'aimable M. H..is qui, :par fes délicates prévenances , m'empêcha d'avoir recours a vingt perfonnes , auxquellesj'étois recommandé; chez lequel je trouvai la finefle , les graces qu'on accorde aux Francois , & les qualités républicaines de fon pays: impatient de me rendre en France ,& de remettre a la mere la plus tendre, a l'amie la plus délicate, a la femme la plus refpeaable,  ( 121 ) {e jeune ami qu'elle m'avoit confié. L'ceil Je fon fils s'eft ouvert ,• fes idéés fe font aggrandies; fon amour pour le beau, pour 1'étude, pour les arts s'eft développé dans ce premier voyage. Courage , moncber K , je terends a ta mere, a tes maitres, a tes études; excufemoi de n'avoir pas décritta vivacité, ta gaieté , tes tranfports, de ne t'avoir pasalfocié ames récits , comme tu 1'étois a mes obfervations; j'aurois peut-être trop alongé mes defcriptions par le plaifir de m'entretenir avec toi. Courage, encore unefois , mon jeune ami, forme ton coeur, ome ton efprit, & préparetoi a d'autres voyages. . Italiam , Italiam ^ F I N.