■  CONSIDÉRATIONS sur l'ordre de CINCINNATUS> O u imitation D'un Pamphlet Anglo-Americain,. Par le Comte DE MIRABEAU. S UI VI E S De plufieurs Pièces relatives a cette Inftitution ; D'une Lettre fignée du Général Washington accompagnée de Remarques par PAuteur Franqois ; D'une Lettre de feu MonfieurTuRGOT, Miniftre d'Etat en France, au DofteurPRicE, fur les Légiflations Améritaines; & de la Tradudtion d'un Pamphlet du Dodleur Price, intitulé : Objèr-vations on the importance of the American Re-volution, and the means of making it a benefit to the •world; accompagnée de Réflexions & de Notes, du Tradudleur. The glory of Soldiers cannot be completed •without atling 'est a la fin du dix-huitième fiècle, au moment oü 1'Amérique fembloit ouvrir un afyle a 1'efpèce humainej au moment oü la révolution la plus étonnante, la feule peut-être qu'avoue la philofophie, appelle tous les regards fur 1'autre Hémifphere, que la Société des Cincinnati s'établit dans le Continent entier de 1'Amérique régénérée; fans que le Congres qui repréfente & régit la Confédération Américarhe, fans qu'aucun des Etats-unis, fans qu'aucun Corps dans ces Etats(i), y forme la (I) Le Confeil des Cenfeurs par exemple, crée par le quarante-feptième Article de la Conftitution de Penfylvanie pour examiner li la Conftitution a été confervée dans toutes fes parties fans la moindre atteinte, devroit fans doute s'occup'er d'un établüTement aulïï important que celui des Cin-  [/* 3 plus légere oppofition; fans qu'aucun particulier ofe adreffer a fes Concitoyens la moindre obfervation(i) fur eet ordre, d'un genre abfolument nouveau, qui doit infailliblement & bientöt changer la face du pays qui 1'a vu naïtre. Plus je réfléchis fur cette Inftitution, & fur les fuites polinques qu'elle aura inévitablement; plus je m'étonne que créée d'elle-même, profondément concue, fecrètement & rapidement éxécutée, fe préfentant fous une apparence a la fois hardie & douteufe, ëlle n'excite pas 1'attention générale. S'il étoit en moi d'envifager un feul inftant eet ordre avec indifiérence; fi mon efprit & la philofophie du moment commandoient a ce point a mon cceur; je ne pourrois pas m'empêcher de fourire en voyant ces Américains, qui dans leurs A-flemblées géné- cinnati; mais un Confeil, qui nc s'aflemble que tous les fept ans, eü peu propre a. s:opppfer fubitement aux" abujs qui s'élèvent dans l'Etat3 ou a réparer les torts faits a la conftitution, & devient très-probablement un confeil inutile.—Au refte, voyez Ie Poftfcriptum. (i) L'Auteur Américain afture que cette Inftitution n'eft pas même 1'objet des converfations particulières. Tet that it jhmdd have been fo ïiitle attended to, that it is net e-~jen the fubjecl of a private conmerfation : feroit-ce imprévoyance ou terreur ?—Au refte, voyez le Poftfcriptum.  [ 3 1 raies 8c particulières, déclament avec aigreur contre de petits maux, s'acharnent fur les foibles reftes d'un parti qui n'a plus d'importancej chaffent avec fureur lesTories, laiffer introduire chez eux, fans même y regarder, un établiffement qui doit avant peu miner la chofe publique, la Liberté, la Patrie j ravir aux claffes moyennes & inférieures toute influence, toute confidér|tion; les vouer au mépris le moins déguifé; les réduire a la nullité la plus compléte, & tout au plus au trifte privilege de murmurer quand il ne fera plus tems de remédier au mal bifarre imprévoyance d'une multitude inconfidérée ! Qu'eft-ce en effet que 1'ordre des Cincinnati ? A enjuger par fon apparence extérieure, & pour parler ainfi, par le Profpedus qui en a circulé dans les Etats-unis; 1'ordre des Cincinnati l( eft une Ajfociatton, une Conftitution, une Com** binaifen des-Généraux & des au tres officiers " de 1'Armée qui ont fervi pendant trois an{c nées, ou qui ont été réformés par le Contc gres, & qui fe raffemblent dans une Société " d'Amis, pour perpétuer la mémoire de la Ré■■] qui, fans le favoir, renverfent la conftitution de leur pays, & fe rendent coupables d'un crime qu'ils ne foupconnent pas. S'ils font enco-e dignes de la liberté qu'ils ont défendue, ils me remercieront de les détromper d'une erreur involontaire. Je le dirai donc. l.'Inftitution de 1'ordre des Cincinnati, telle que je viens de Fexpofer d'après leurs propres paroles, eft la création d'un véritable Patriciab & d'une nobleffe militaire, qui ne tardera point a devenirune nobleffe civile, & une Ariftocratie d'autant plus dangereufe, qu'étant héréditaire, elle s'accroitra fans ceffe par le tems, & fe fortifiera même par les préjugés qu'elle fera naitre; qu'étant née hors de la Conftitution & des Loix, les loix n'ont pas pourvu aux moyens de la réprimer, & qu'elle pefera fans ceffe fur la Conftitution dont elle ne fait point partie ; jufqu'a ce que par des attaques tantöt fourdes & tantot ouvertes, elle s'y foit mêlee en s'y incorporant, ou qu'après Favoir long-tems minée, elle Fébranle a la fin, & la détruife. Si Fon en doute, qu'on ouvre Fhiftoire ; & qu'on y cherche Forigine & le progrès de pareils établiffemens. Voyez FAriftocratie Romaine, qui caufa tant de ravages. A-peine  [ II ] trouverez-vous fa fource. Une fociété d'hommes, vivans dans la plus grande fimplicité, dont les fortunes étoient égales & prefque nulles, dont les propriétés foncières n'excédoient pas deux arpens, choifit quelques vieillards pour magiftrats. Ces vieillards n'eurent d'autre diftinction que leur age, leur expérience, & 1'affeólion qu'on leur fuppofoit pour le peuple. Dela le nom de Pères (Patres) leur fut donné. Bientöt les defcendans de ces hommes fimples & ruftiques fe regardèrent comme diftingués de leurs Concitoyens, élevèrentdes prétentions, s'arrogèrent des prérogatives, formèrent desunions de families a families, les cimentèrent par des alliances exclufives :(i) & cette politique feule, fans titre & fans marqué d'honneur, établit dans Rome un corps de (i) Hoe iffum, ne connubium Patribus cum plebe e£et, non Decenpviri tulerunt paucis bis annis, pejjimo exemplo publico, cum fumma injuria plebis ? An ej/e ulla major aut injignior contumelia poteji, quam part cm civitatis, velut contaminatam, indigham connubio haberi ? quid eji aliud, quam exjilium intra eadem matnia, quam relegaiionem pati ? ne affinitatibus, nc propinquifatibus tmmifceamur, caveat j id vos Jub legis fuperbijjima vinctda conjicitis, qua dirimatis Societatem civilem, duns que ex una civitate faciatis. Cur non fancitis ne vicinus patricio Jit plebeius ? ne eodem itinere eat ? ne idem convi-vium ineat P ne in foro eodem conjijiat ? Tit. Liv. lib. IV.  C 12 ] nobleffe fi altéré de 1'orgueil de dominer;(i) qu'après 1'expulfion des Rois, le peuple ne gagna prefque rien a la Révolution, qui, pour la plus grande partie, étoit fon ouvrage ; car les families Patriciennes ayant réuni dans leurs mains la puiflance du monarque & 1'influence de la noblefTe, chaque Patricien devint un Tarquin, & Rome n'eut pas plus qu'auparavant fa liberté politique(2); avec cette différence, que la tyrannie réfida déformais dans (1) Plebs vero dicitur in qud gentes civium patrici* non infunt. Telle eft la définition du mot plebs qu'Aulugelle rapporte d'après Capiton. (2) Le pouvoir des Confuls étoit fans borncs: mais les Patriciens n'avoient ricn \ craindre d'une autorité dont' ils étoient arbitres ; les Plébéiens furent donc réduits a tout en.:i rer, Valerius Publicola tenia en vain d'y remédier par la voie de 1'appel au peuple, & celle de 1'élecHon des Confuls par centurïes. Les Patriciens reftèrent en pofleffion des honneurs, continuu-ent' a difpofer des terres, & réduifirent les Plébéiens a n'ètre que les efclavcs de leur ambition & de leur avarice. Le peuple brifa fon frein par la fuite ; mais comme il arrivé toujours, il fe jetta vers Pautre extrémité ; & le? comices des Tribus, que les démagogues inftitués fous le nom de Tribuns établirent, partageant 1'adminiftration avec les comices des Centuries, la volonté du peuple prévalut dans les unes ; celle des grands dans les autres. Ce fut une fource de troubles & de divifions qui durèrent autant que la République, & qui ne cefsèrent qu'alors que les Em-  [ 13 1 un corps: & mille Tyrans font un fléau mille fois plus horrible & plus redoutable qu'un feul Tyran : car un Tyran peut être arrêté par fon propre intérêt; il a le frein du remords, ou celui de l'opinion publique ; mais un corps ne calcule rien, n'a jamais de remords, & fe décerne a lui-même la gloire, lorfqu'il mérite le plus de honte. C'eft ainfi que s'éleva dans Rome le Patriciat; & cette origine eft auffi inférieure a. 1'inftitut'on des Cincinnati, que des chefs de bandits vivans de contribution & de pillage, qui batirent des cabanes fur le fol que Rome couvre aujourd'hui, étoient au-deffous d'un corps de chefs illuftres, tels que Wafhington, Green, Gates, Moultrie, Waynes & tant d'autres; aqui furent conftés la défenfe & les intéréts politiques d'une grande nation, avancée dans tous les arts de la guerre &de la paix, & tenant, dès le jour de fa naiffance politique, un rang diftingué parmi les puiffances de la terre. Si les Patriciens de Rome, aux premiers tems de la République, pereurs eurent tout envahi en réuniffant en eux Pautorité du Sénat & celle du peuple. C'eft ainfi que le- defpotifme impofe filence aux partis en les dépouillant tous. Les beauxefprits feuls fe font entendre alors & vantent la paix de la fervitude.  C H ] peuvent être comparés a une foible fource qui fut la mère d'un fleuve dévaftateur; les Cincinnati font le fleuve même déja fbrmé, large, profond, & ménaeant. La nobleffe moderne de 1'Europe, qu'étoitelle dans fon origine ? Des chefs de guerriers féroces qui joignoient la barbarie de ia viftoire a celle des mceurs, dont les premiers titres furent l'ufurpation(6) & le brigandage, & qui ne fondèrent leur prééminence au-deffus de leur nation que fur le droit de commander qu'ils exercoient dans les combats. Ainfi les champs de bataille furent le berceau de cette nobleffe; rapport fingulier, frappant, redoutable, avec 1'ordre des Cincinnati ! C'eft dela qu'eft fortie cette foule de Comtes, de Ducs, de Marquis qui ont inondé & ravage 1'Europe. Tous ces titres de la vanité humaine n'étoient dans les premiers tems que des (6) Si noas en croyons Robertfon, plufieurs de leurs titres femblables a ceux des Cincinnati furent de leur propre création. One fep more completed their ufurpations, and rendered thcm unalienable. With an ambition no lefi enterprifing, and moreprepojierous, they appropriatcd to them/el-ves titles of honor, as iveU as offices of ponver and truft. Hift. Cha. V. vol. i. p. 16.  [ 15 1 titres militaires, qui marquoient les différens dégrés de commandement; mais ces meines titres font devenus bientöt des diftincYions & des privileges éclatans dans 1'ordre civil. Bientót ils ont fondé cette féodalité barbare, qui, pendant des fiècles, a avili le genre humain, a fait des nations entières des races d'efclaves, & d'un petit nombre d'hommes des races de Tyrans. POSTERI ! POSTERI ! VESTRA RES AGITUR. Ce fut 1'infcription que 1'on grava a. Naples fur une colonne après une érnption du Vefuve qui fit périr des milliers d'habitans. Et moi, je voudrois la graver fur les fymboles de 1'ordre funefte que 1'on ofe inftituer parmi nous. Oaij c'eft cette nobleffe de Barbares, prix du fang, ouvrage de 1'épée, fruit de la conquête, que les Cincinnati veulent établir dans leur pays, qu'ils n'ont cependant pas conquis, & qui leur avoit confié fa défenfe! Les diftinctions Celtiques & Germaines, voila 1'héritage auquel ils prétendent ! Les honneurs que créèrent des Chefs de Sauvages, voila ce qu'ambitionnent les Héros d'un peuple libre, & d'un fiècle de luir.ières ! Ils ufurpent le Patriciat de la victoire ! ils 1'ufurpent; & dès le berceau de leur ordre, ils y mêlent le raffinement corrupteur que  [ 16 ] le développement des idéés féodales a introduit en Europe, les décorations, les fymboles ! fignes éternels de ralliement pour les faétieux ! germe de vanité infecïe pour une claffe de Citoyens, & de fubordination fervile pour toutes les autres! fource intariffable de corruption pour la nature humaine ! Si vous jettez les yeux fur tous ces ordres de chevalerie que les Cincinnati prétendent imiter dans le nouveau monde, & dans le fein d'une République, vous verrez que prefque par-tout des caures ou ridicules ou viles, ou fuperftitieufes, les ont fait naitre. J'en laiffe les détails arhiftoire;(i) il mefuffit d'en relever les effets. (i) L'ordre de Ia Jarretière dut fa création a I'amour refpedtueux d'Edouard III. pour la ComteiTe de Salifburi. Celui de la Toifon d'Or eut une fource moins pure. Celui du Bain n'apas une origine moins pitoyable. Le rève d'un Prince d'Ecoffe fuperftitieux donna lieu a l'ordre de St. André. On fait la re'putalion de la fociété ou confrairie pour laquelle fut inftitué celui du St. Elprit. Celui de St. Patrick ijouvellement établi chez les Irlandois, qui femblent n'y pas voir un anneau de la chaine qui les lie, a fa fource dans un conté de la légende fait par un prédicant fanatique. Perfonne ne foutiendra que la fantaifie ou la fuperftition de." hommes riches ou puiflkns qui donr.èrent 1'exiftence a ces ordres, aient été une caufe aum aólive que 1'occafion favorable qu'ont faifie les auteurs de la Révolutioa Américaine,  [ *7 ] Le mépris même qui devoit s'attacher a leur origine n'a pu empêcher 1'orgueil & la miférable vanité de 1'homme de les embraffer avidement. Ils font devenus un nouveau figne d'inégalité ; une nouvelle marqué, qui, au gré du caprice, établit encore des rangs,& des barrières dans les Etats, oü la claffe ordinaire desCitoyens efl: déja. furchargée & flétrie de tant de diftinélions civiles. Ils ont créé des rangs jufque dans la nobleffe, fondé un nouveau Patriciat dans le Patriciat, un nouvel orgueil dans 1'orgueil, & de nouveaux moyens d'oppreffion dans 1'oppreffion. Une partie de ces Patriciens fi fiers, de ces defcendans de guerriers, & d'anciens Tyrans du peuple, eft devenue elle-même une efpèce de peuple, par rapport a ceux de leur ordre que la faveur du Prince, le hafard, le bonheur de plaire, ou une obéiffance fervile aux caprices des Cours, ont décorés de ces fignes impofans. & 1'intention fi vifible qu'ils manifeftent. On ne pourroit leur comparer, & ce feroit encore avec infériorité que l'ordre militaire de S. Etienne de Tofcane,* qui fut le dernier eftbrt contre la République de Florence, & le monument de fa deftrudtion. * Inftitué en 1561, par Come de Medicis, premier Grand Duc de Tofcane, en mémoire de la bataüle de Marciano, oü Aiccomba le parti républicain.  [ i8 ] Ces fignes enfin ont rallié dans toute TEurdpe autour des trönes de nouveau?; inftrumens de defpotifme, toujours prêts a aliéner les droits des nations pour 1'efpoir de leur vanité, & a vendre un peuple pour un ruban.(i) Tel eft le fatal pouvoir de Popinion, & des petites paffions humaines, que les marqués les plus frivoles ont contribué k refferrer les chaines des peuples, ont ennobli & payé la fervitude des puiffans, pour appefaatir encore la fervitude du pauvre; que la couleur même d'un ruban, la forme d'un cordon influent fur le caraótère & les difpofitions des efpiits, infpirent aux uns plus de refpect ou de baffeffe, aux au tres plus d'orgueil, reculentles hommes a plus ou moins de diftance, & femblent rendre vifible a 1'ceil cette inégalité faftice que 1'ufurpation ik 1'infolence ont commencé d'abord par graver clans Fimagination du foible & de Fefclave. Dela d'un bout de 1'Europe a 1'autre ce ipeóbicle fi répété, fi indecent, fi fcandaleux, qui force Fhonnête homme a baiifer les yeux devant les fignes d'honneur proftitués a des hommes defhonorés, tandis que celui qui les porte s'indigne (i) Semblables a cette jeune Romaine qui fouslerègne de Romulus trahit fa patrie pour des bracelets & des anneaux.  [ 19 3 quelquefois contre Ja pudeur qui lui refte, & frémit de rougir encore. Voila, n'en doutons point, les maux dont notre poftérité eft menacée, & dont le premier germe eft dans 1'imitation de cette dangereufe inftitution de 1'Europe oü la nobleffe, compofée dans 1'origine d'une troupe d'oppreffeurs ou d'affaffins, s'eft recrutée de concuffionnaires, ou de voleurs publics.(i) (1) C'eft une fingularité digne d'entrer dans Phiftoire du cceur humain, ou ft Pon veut de la dégradation humaine, que parmi ceux qui feront le plus choqués de ces vérités, il y aura un grand nombre d'hommes dont les families font plongées dans une obfcurité profonde. Mais ce qui eft infiniment affligeant, c'eft la baffefle ou 1'inconféquence de quelques-uns de ceux qui cultivent les lettres, & qui, loin de regarder 1'exercice de la raifon & de la vertu comme la vraie & feule noblefte, fortifient autant qu'ils peuvent les préjugés abfurdes & barbares qui ont écrafé leurs pères, & qui les mutilent. Je ne parle pas feulement du ridicule,férieux des éloges que prodiguent a de certains hommes les Poètes, les Orateurs, les Beaux-efprits de tout genre, le tout pour être nés dans une palais plutót que dans une maifon, dans une maifon plutöt que dans une cabane ; je parle des déclamations que prodiguent les Hiftoriens, les Moraliftes, même fur les mésalliances; & de la diftance incommenfurable que de prétendus efprits philofophiques mettent non-feulement entre les diverfes claffes des individus, mais entre les individus  [ 20 ] En effet, fi le Patriciat, ou une noblèffe qu h'eftfondée pour ainfi dire que fur une diftinc- d'une même claffe, entre les nobles & les ennoblis par exemple. Je lifois tout-a-Pheure dans un jolj recueil de littérature légere, comme on dit " D'un nom, rendu fameux en défendant 1'Etat, ** La majefté des ans relève encor I'éclat. II n'en elt pas ainfi d'un nom que la richeffe " Ennoblit lachement au fein de la molleffe. " Le tems ne confond point des noms fi différens ; " La gloire les fépare, & les place a leurs rangs: " Vart transforme en cryftal le fobie & la pouftiere ; " Mais lefeul diamant eft fils de la lumiere." Pour moi, je ne vois dans ces deux ordres d'hommes ni cryftal v\ diamant; ou plutót je trouve, qu'en bonne morale, comme en faine phyfique, diamant & cryftal font également fils dn fobie & de la pouftiri. Je ne fais"pas plus de cas, je 1'avoue, des trente mille opprefieurs bardés de fer qui, li lance a la main, ont foulé fous les pieds de leurs chevaux' de bataille dix ou douze millions de Gaulois, que je n'elHme IesmHlièrsdé vampires calculateurs qui ont fuccé par le tuyau d'une plume le fang appauvri de vingt millions de Franeois. Je vois feulement que les premiers, pour fe perpétuer & fe maintenir dans la poffeffion de leurs avantages, fe font recrutés chez les feconds. JWerve que la férocité & 1'orgueil fe font emparés des rapines de 1'avarice, & que Punion du pouvoir & de 1'argent a réuni contre le peuple la durete du conquérant barbare, &l'avideinduibieduconcuffionnaire. II m'eft impoffible de révérer le réfultat & le produit de ce noble melange. Je doute de tems en tems que ce foit-la ce 1 qu'il  [ « ] tinéfion abilraite, a tant de pouvoir pour corrompre, pour infpirer le defir & faciliter les moyens de dominer, pour préparer de loin des efclaves & des maitres ; quelles feront donc les fuites de ce même Patriciat, s'il joint a fa prééminence une décoration extérieure & un figne public ? L'homme met naturellement a tout de 1'étiquette: il affocie ou fubftitue le figne a la chofe. qu'il y a de plus refpeftable fur la terre ; & en voyant que c'eft au moins ce qu'il y a de plus refpeélé, je prends quelquefois pitié du genre humain ; & quelquefois auffi je trouve qu'il mérite une partie de fes malheurs par fa baflefle & fa ftupidité.—Ces idéés ont quelque chofe de dur & de trifte, diront les Ecrivains a la mode avec la grace aimable & facile de leur efprit—il ne s'agit pas de favoir fi elles font dures; mais fi elles font juftes, raifonnables & honnêtes. Pour moi je trouve que, fi on les rejette, la morale porte fur des bafes un peu trop conventionnelles ; & fur-tout je ne fais plus ce que devient la morale politique. II me femble que ces idéés une fois repoufl'ées, la morale eft beaucoup moins applicable a la politique que les mathématiques ne le font a la médecine; & le vceu des honnêtes gens, des vrais amis du genre humain, feroit que la morale fut appliquée a la fcience du Gouvernement avec le même fuccès que 1'algèbre Pa été a la Géométrie. C'eft un rêve, dira-t-on. D'abord je fuis loin de le croire ; mais fi c'eft un rêve, qu'on ne me parle donc plus de morale, qu'on pofe hardiment le fait pour le droit. En un mot qu'on m'enchaine fans m'ennuyer, & fans infulter ma raifon. c  [ 22 ] Le figne le fubjugue tellement qw'il met plus d'importance a fa conformité avec le formulaire établi, qu'aux fentimens vrais, aux motifs honnêtes, aux actions utiles qui ne fe montreroient que dans leur forme' naturelle, qui dédaigneroient a la fois le menfonge d'un maintien commandé, & 1'autre menfonge d'une hypocrite exagération. Dela les préjugés, la dépendance, 1'imitation fervile, 1'uniformiré de mceurs, d'opinions &d'habitudes, d'oü fuit tojujours 1'efclavage. Une fierté invincible; un courage indomptable; une liberté de principes & de penfées qui ne fe foumette qua la raifon feule, bc qui repouffe tout autre empire; une indépendance qui ne cède ni aux peines de 1'opinion ; plaifirs très-décevans, peines très-poignantes dans 1'age des paffions, paree que les paiïions s'en trouvent aidées ou contrariées: telle eft 1'ame d'unRépublicain. Mourir plutöt que changer, •telle eft fa devife. II doit jurer a la nature, a la patrie, a luimême, de refter fans avenir dans un préfent facheux, plutöt que de ramperun moment; defouler aux pieds tout ce qui contrarieroit fes principes & fes devoirs; de tout facrifier pour eux, fortune, goüts, paffions, & même la gloire ; de repouffer toute proteétion déguifée en amitié, de  [ *3 ] h'appartenir qu'a celui qui lui appartiendra; fecourspour fecours; zèle pour zèle ; amitié pour amitié ; liberté, vertu, & patrie par-deffus tout; de montrer toujours fon fentimentpar les motsou par les faits ; de regarder comme illufion quant a lui tout ce qui eft hors de lui, tout ce qui eft Opinion étrangère, tout ce qui n'eft pas une penfée de fon efprit, ou un fentiment de fon cceur; de ne s'eftimer que par la fermeté a inaintenir fes droits, & le refpect pour ceux d'autrui; en un mot d'être lui, de n'être que lui, de ne s'eftimer que par lui .... Que peut avoir de commun un tel homme avec des fignes, des formules, des diftinftions, des fupériorités de convention, des prérogatives de rang, des bienféances ? II ne peut qu'en être indigné & bleffé, affoibli & corrompu. Tout figne eft redoutable, & produit un grand effet fur 1'imagination foible des hommes. C'eft en frappant leurs yeux qu'on leur donne a fon choix des paffions. C'eft par des fignes que la religion, le fanatifme, la fouveraineté,. la révolte, les faftions commandent aux efprits, entrainent des multitudes aveugles dont les fens fubjuguent la pénfée. C'eft par des fignes qu'ont été preparées & produites plufieurs révolutions dans les Etats, foit pour la liberté, foit C 2  [ H J pour la tyrannie. Les fignes raffemblent en un inftant fous un même étendart des milliers d'hommes difperfés, a qui tout a coup ils ordonnent de n'avoir qu'une volonté, qu'une ame & de fe précipiter tous enfemble vers un même but. Mais les fignes font d'autant plus puiffans qu'ils réveillent des idees plus ou moins nobles, plus ou moins capables de parler a 1'imagination, & de remuer les ames. Ici, quelles font les idéés jointes a 1'inftitution du figne? Celles de combats & de viétoires, de fang verfé pour la patrie, de tyrans vaincus, de liberté publique protégée par des guerriers ! Combien de pareilles idéés manifeffées par un figne préfent a tous les yeux, peuvent-elles influer fur ceux qui feront fans ceffe rappellés par lui a leur propre gloire, ou a celle de leurs ancêtres, & fur la claffe commune des hommes que toute gloire éblouit & porte a une efpèce de culte, quand même cette gloire ne feroit pas fbndée fur des bienfaits! Je le demande : dans toutes les annales du monde, quelle nobleffe a fon origine eüt jamais des titres auffi éclatans? Mais plus ces'titres ont d'éclat, & plus j'ai droit de les redouter pour ma patrie; plus ces fignes font liés a de grandes idéés, plus je dois craindre qu'ils ne fondent parmi nous un nouvel  [ 25 ] ordre de Citoyens contraire a nos conftitutions & a nos Loix. Tout ce qui eft figne, & qui peut tout a coup fervir de ralliement a un grand nombre d'hommes, qui peut former un efprit particulier dans 1'efprit général, qui peut féparer un certain nombre de Citoyens du corps des Citoyens, eft bien plus redoutable par fes effets dans une république que dans une monarchie, dont après tout 1'efclavage, plus ou moins malheureux, plus ou moins déguifé, eft le chef-d'ceuvre & le but eternel (i). Dans la Monarchie tout tend a 1'élévation : dans la République, tout doit tendre a 1'égalité. Dans la première il faut des rangs: dans la feconde, des vertus. Dans 1'une, il eft bon que les Citoyens foient divifés en corps j leur efprit particulier fupplée a l'efprit général; leur émulation, même en les divifant, peut les rendre utiles, & ne peut être dangereufe, paree qu'elle eft comprimée de toutes parts du poids de 1'autorité fouveraine: dans 1'autre, tout ce qui divife, ébranle ; tout ce quï fort du niveau, pèfe fur le refte; il i>e faut qu'un corps, qu'un (I) Reges fer-va omnia, 13 fubjetla imperia fuo ejfe utlint, Tit. Liv. xxii. 54. * 3  [ ] efprit; il faut que rien ne domirie, & que tout foit égaiement dominé ; que chaque citoyen ne voie au-deffous de lui que ie vice ; au-deffus, que la loi. Enfin les fignes extérieurs de diftinctions font naturalifés dans la monarchie, & par cela même leur influence eft moins dangen .La. tout eft pompe & décoration depuis ie n one du Monarque & tous les rangs intermédiaires qui rempliffent 1'intervalle entre lui & le peuple, jufqu'au fimple guerrier qui défend ou qui écrafe 1'Etat. Mais tous ces fignes qui diftinguent font étrangers au Gouvernement & a l'efprit républicain. La liberté a un coupd'ceil fier & fuperbe que toute diftinftion bleffe; elle veut que rien n'appelle fes regards, & que tout fe confbnde devant eux ; elle ne yoit même ces fortes de fignes qu'avec terreur. S'il n'y a qu'un ordre de Citoyens qui les porte, fa terreur redouble. Pour ceffer de les craindre, elle n'auroit qu'un moven j ce feroit de les avilir en les proftituant. Mais fi le corps folitaire qui ofe ainfi fe diftinguer eft un corps de guerriers; alors tout eft perdu; la liberté ne reftera pas longtems dans des climats que de pareilles diftinétions outragent. Quoi! dans les anciennes républiques, le guerrier qui avoit vaincu fe hatoit de fe con-  [ 27 ] fondre & de fe mêler dan/ la foule des Citoyens! II fe hatoit de faire difparoïtre fa gloire, & quittoit pour 1'habit de la paix eet habit guerrier jteint de fon propre fang, ou décoré du fang des ennemis! Quoi! 1'eiripire de la force même eft allarmé des diftinclions militaires ! Sous le defpotifme légionnaire des Empereurs, les Héros des derniers fiècles de Rome craignoient d'effaroucher par leurs vicloires une tyrannie qui n'étoit fondée que fur les armes; & en s'effacant dans le nombre des efclaves, ils tachoient par leur modeftiede fe faire pardonnerd'avoir vaincu! Quoi ! au fein de 1'Angleterre dont nous venons a peine de fecouer le joug, & qui devroit au moins nous inftruire par fes exemples, la liberté ombrageufe croit devoir fe défier'des corps militaires ! Elle les repouffe du fein de fon ile! elle affoiblit autant qu'elle le peut par fes loix, & l'efprit de fa conftitution, cette confidération générale attachée dans le refte de 1'Europe a la profeffion de guerrier ! .... Et parmi nous; & dans un Etat qui ne vient que de naitre -} dans une république qui rappelle 1'homme autant qu'elle le peut aux droits primitifs de- la nature & de la liberté, dix mille guerriers, a. 1'inftant oü leur pays n'a plus befoin de leur fecours, comme s'ils n'avoient vaincu que pour eux &: pour leur propre gloire, cherchent a devenir un corps fubfiftant, & pour ainfi dire im-  [ 2S ] mortel dans 1'Etat! ié créent fans 1'autorité des Loix une diftinélion héréditaire ! veulent être encore préfens jufques dans la dernière poftérité! commandenr, pour ainfi dire, le refpecl & des hommages aux générations qui ne font pas encore nées ! ofent établir un figne commun a eux & a tous leurs defcendans, pour fe reconnoitre & fe rallier au premier fignal d'un bout de 1'Amérique a 1'autre! Certes, fi nous n'avions pas le droit d'eftimer autant que nous le faifons nos braves défenfeurs ; fi nous ne penfions pas que dans une telle entreprife, ils n'ont été égarés que par 1'erreur des grandes ames, 1'enthoufiafme, & 1'illufion de la gloire; nous n'héfitenons pas a les dénoncer au nouveau monde & a fa liberté naiiTante, comme fes plus redoutables ennemis. . . Graces au ciel, ils aiment encore la liberté & la patrie, cette liberté qu'ils ont vengée, cette patrie qu'ils ont arrachée auxTyrans. Mais nous ne pouvons être rafiurés par leurs fentimens même & leurs vertus. Ces vertus feront-elles héréditaires dans leurs defcendans, comme leurs décorations & leurs titres? Ces vertus, que foutiennent en ce moment les regards des deux mondes attachés fur elles, le fanatifme heureux d'une grande révolution, le fpectacle récent de la gloire, la  [ 29 ] reconnoiffance de tout un peuple, le fouvenir profondement gravé des oppreffions &des maux; des plaies encore fanglantes & qui de longtems ne feront pas fermées; 1'orgueil même d'une confcience généreufe qui auroit trop a rougir de fe démentir ■, ces vertus ne s'affoibliront-elles pas néceffairement, par la diftance des tems, par la corruption lente & inévitable des fiècles, par la corruption bien plus rapide des richeffes & du luxe, par le fommeil d'une paix qui détend tous les refforts ? Car on le fair. trop, le danger le plus grand pour les Républiques eft peut-être de n'avoir plus de dangers a craindre. Réfifteront-elles a la féduótion du pouvoir, cette maladie éternelle de 1'homme qui eft bientöt fatigué d'obéir dès qu'il entrevoit des moyens de commander ? De 1'homme qui veutl egalité, que toute égalité tourmente, & qui tend fans ceffe a s'en échapper? Ces vertus enfin réfifteront-elles al'afcendant de 1'inftitution que nous ofons combattre ? car chaque inftitution a dans fon efprit même une force infurmontable, tant pour le bien que pour le mal, felon qu'elle a été dirigée en naiffant; une force que fouvent on n'a pu prévoir dans fon origine, qui fe développe par dégrés, qui agit dans tous les inftans, modifie les caractères, ronduit ou prépare les évènemens; d'autant plus irréfiftible que toute entière dans les cho-  [ 30 ] fes, elle eft prefque toujours indépendante des perfonnes, & leur commande ou les ehtraine j fans qu'elles fe doutent quelquefois de fon infiuence, Ainfi dans Rome la prééminence accordée a quelques vieillards prépara les fureurs de 1'Ariftocratie, 1'établiffement du Tribunar, le choc éternel de la nobleffe & du peuple, le droit de légiflation donné a dix Magiftrats, la tyrannie des Decemvirs, le droit de commander plufieurs années de fuite dans les provinces, la vénalité des armées qui n'eurent alors que des généraux, & n'eurent plus de patrie, & qui furent toujours prêtes a feconder les faélions fanguinaires. Enfin 1'inftitution d'un chef civil & militaire foüs le nom d'Empereur, qui ne fut après tout que le chef trop puiffant d'une Aristocratie trop puiffante( i), en paroiffant rétablir l'ordre, renverfa laRépublique la plus fortement conftituée qui fut jamais, & prépara les tems les plus horribles dans 1'hiftoire des nations ; (i) Les Empereurs Romains n'étoient point des Monarques; ils étoient des Chefs revetus des magïftratures de 1'ancienne République, &jdu Généralat des Armées; c'eft-adire qu'un Empereur étoit le premier des magiftrats, aflez puilfant par la réunion de fes emplois, & fur-tout par la force militaire, pour opprimer & les particuliers & la na-  [ 3i ] ceux oü la nature humaine épuifa tout ce que la tyrannie peut ofer, tout ce que la fervitude peut fouffrir. Telle eft la force fecrète des inftitutions que rien ne peut arrêter, qui marche dans la nuit, mais d'un pas sur, vers un but inévitable, Sc fouvent ignoré de leurs fondateurs même. C'eft cette force toute puiffante qui dans 1'inftitution aétuelle des Cincinnati nous prépare a leur infu, j8c malgré leur volonté même; (oui; quand ils le voudroient; ils ne pourroient pas s'y oppo Ier a. moins de fe détruire); c'eft elle qui nous prépare un Patriciat, une nobleffe héréditaire ou perpétuelle ; c'eft-a-dire le renverfement entier de notre conftitution, & de nos loix; car après avoir vu ce que cette inftitution a de menacant, ce qu'elle eft dans fon origine, ce qu'elle peut, ce qu'elle doit néceffairement devenir, il eft tems de la confronter avec notre conftitution même, avec les principes qui ont préfidé a notre légiflation. Les Dé'égués, les Repréfentans, les Légiflateurs des peuples d'Amérique ont pris pour bafe de leur infurreclion, de leurs travaux, de leurs prétentions, de leurs droits, de leur code, 1'égalité. C'eft a ce titre qu'ils ont réclamé  £ 32 ] " portui les Puijfances de la terre le rang 6? la place " féparée auxquels ils ont droit, en vertu des Loix de " la Nature, & de celles du Dieu de la nature{ i). " Tous les Etats de la confédération ont déclaré " dans leur pacte conftitutif, que les hommes " font nés libres, ÉGAtjx(2) ; qu'ils ont des droits " naturels, ejfentiels, inaliénalles, dont ils ne peu" vent par aucun contrat priver ni dépouiller " leur poftérité; que tout gouvernement tire " fon droit du peupleQ); qu'aucune autorité " ne peut être exercée fur le peuple, que celle " qui fera émanée du peuple, ou accorclée par ,c le peuple(4) ; que les différens officiers du " Gouvernement, revêtus d'une autorité quel" conque légiflatrice, exécutrice ou judiciaire, " fes magiftrats, fes chefs, font les mandataires, les " fubftituts, les agens, les ferviteurs du peuple(5), (1) tc Lorfquele cours des évènemens humains met un " peuple dans la néceffité de rompre les Hens politiques " qui 1'uniffoient l un autre peuple, & de prendre parmi " les Puiffances de Ia terre la placé féparée, & le rang d'e'calite' auxquels il a droit en vertu des Loix de la " Nature, &c. &c. (2) Conftitution de Maflachufetts, Art. I. Penfylvanie, ibid. Virginie, ibid. &c. (3) Conftitution de Delaware, Art. I. Maryland, ibid. & toutes les cpnftitutions des Etats-Unis. (4) New-york, Art. I. & les autres Conftitutions, paffim. (5) Maflachufetts, Art. V.  [ 33 3 " et LUI SONT comptables DANS TOUS LES " tems(i) ; que le but de 1'inftitutiorj du main" tien & de 1'adminiftration de tout gouverne" ment, (qui n'eft, & ne peut être établi que " pour 1'avantage commun, pour la proteétion '* & la furetédu peuple, de la nation, ou de la " communauté, & non pour le profit ou 1'in" térêt particulier d'un feul homm°, d'une familie, " ou d'un assemblage d'hommes qui ne font " qu'une partie de cette communauté) (2) eft " d'affurer 1'exiftence du corps politique, de le " protéger, & de procurer aux individus qui " le composent la faculté de jouir en fureté, " & avec tranquillité, de leurs droits natu" rels ; que tout corps politique eft formé par u une affociation volontaire d'individus obligés " les uns envers les autres ; enfuite d'un " contrat focial, par lequel le peuple entier " convient avec chaque citoyen, & chaque '« citoyen avec le peuple entier, que tous " feront gouvernés par certaines loix, d'une ma- " nière uniforme (3), & pOUr l'avantage " commun (4); queLA jouissance parle peu- (1) Virginie, Art. II. Penfylvanie, Art. IV. (2) Conftitution de Penfylvanie, Art. V. (3) Virginie, Art. XVI. (4) Maflachufetts, préambule de Penfylvanie, iiid.  C 34 ] *• ple du droit de participer a la LtGISLA" tion est le fondement de la liberté et DF " tout gouvernement libre, (i); que tout " peuple a droit de changek gouverne" MENT, quAND CES objets ne sont PAS rem- " plis; la doctrine de non-réfiftance contre le " pouvoir arbitraire & 1'oppreffion, étant ab" furde, fervile, & deftructive du bien & du " bonheur du genre humain(2> Tels font les principes généraux de la Confédération Américaine, littéralement traduits, & fidèlement extraits de leur légiflationfj). J'ouvre le code des différens Etats, & je lis : " LesPrivilèges exclusifs SONT odieux et contrair es a L'"eSPRIT d'un gouvernement libre ils NE doivent point être soufferts(4). AuCUN homme, ni aucune (1) Maryland, Art. V. (2) Maryland, Art. IV. De Delavvare, Art. V. (3) Voyez Cor.Jtitutions des treize Etats-Unis de l'Jmérique, ouvrage imprimé & diftribué a Paris avec permiffion, Sc traduit par un Duc & Pair, qui, a la verité, eüt été digne par fa vertu d'être a Rome Tribun du peuple. (4) Conftitution de Maryland, Art. XXXIX.  [ '35 ] COLLECTION d'hommes ne peuvent avoir DROIT A DES ÉMOLUMENS, ou A des priviLEGES DISTINCTS OU EXCLUSIFS (i). POUR CONSERVER SON INDÉPENDANCE, tout homme (s'lL n'a PAS UN BIEN SUFFISANt) doit avoir QUELQUE PROFESSION OU quelque MÉTIER, FAIRE QUELQUE COMMERCE, OU TENIR quelque FERME QUI PUISSENT LE FAIRE SUBSISTFR honNÊTEMENT. Il NE PEUT DONC Y AVOIR NÉCESSITÉ NI UTILITÉ d'ÉTABLIR DES EMPLOIS LUCRATIFS, DONT LES EFFETS ORDINAIRES SONT DANS CEUX QUI LES POSSÈDENT OU QUI Y ASPIRENT, UNE DÉPENDANCE et UNE SERVITUDE INDIGNES D'HOMMES LIBRES, ET DANS" LE PEUPLE DES QUERELLES, DES FACTIONS, LA CORRUPTION et le désordreC2). Le Corps LÉGISLATIF AURA SOIN DE DIMINUER LES proFITS DE TOUT EMPLOI QUI DEVIENDRA ASSEZ LUCRATIF POUR ÉMOUVOIR LE DESIR, ET ATTIRER LA DEMANDE DE PLUSIEURS PERSONNEs(3). —1 LES TITRES NE SONT PAR LEUR NATURE NI HÉRÉDITAIRES, NI TRANSMISSIBLES a DES ENFANS, A DES DESCENDANS, a DES PARENS ; l'lDÉE D'UN HOMME NÉ MAGISTRAT, LÉGISLA- (1) Conftitution de la Caroline Septentrionale, Art. III. (2) Conflitution de Penfylvanie, Art. XXXVI. (3) Conftitution de Penfylvanie, Art. XXXVI.  [ 36 ] TEUR OU JUGE ÉTANT ABSUJSDE ET CONTRE NATURE(l) -L'ARISTOCRATIE NE SAUROIT ÊTRE QUE NUISIBLE(2). II NE DOIT ÊTRE ACCORDÉ NI TITRES DE NOBLESSE, NI HONNEURS HÉRÉDITAIRES. (3) Egalité naturelle : Egalité politique : Egalité civile. Telle eft donc la doctrine des Légiflateurs Américains (4 ). S'ils n'ont pas prévu la forte de confpiration qui a produit l'ordre des Cincinnati, ils ont bien connu du moins la vanité ambitieufe qui lui a donné naiffance, & fous tous les rapports ils ont voulu la profcrire. (1) Conftitution de Maflachufetts, 1" partie, Art. V. (2) Conftitution de Penfylvanie, Art. XIX. (3) Conftitution de Maryland, Art. XL, & toutes le* autres, pajfm. (4) Leurs loix en préfentent une application continuelle, non-feulement en faveur des peuples qui fe font donnés ces loix; mais en faveur de tous les hommes indiftinélement, & de ceüx-la même que Ie defpotifme univerfel des nations, compofées cependant de leurs frères, a jufqu'ici le plus impitoyablement dégradés & affervis. Aucune per- fonne itnportée t ABSU'lOE et cont1e nature.—Celle d'un homme hé protecteur de la patrie reft davantage. Point d'emplois lucratifs, point d'émolumens distincts.—Les diftinctions, qui donnent les honneurs & le pouvoir; avec lequel on a bientöt 1'argent, tandis qu'avec 1'argent foire adopté par le Congres pour les dix nouveaux Etats appelles Territoire Occidental, & formés dans les contrées entre le Lac des Bois & le confluent de 1'Ohio & du Miffiffipi, on trouve 1'article fuivant : Aprh Vannée 1800 de Vere chrétienne, il n'y aura ni efclavage, ni fervitude inuolontaire dans aucun des dits Etats, Jinon pour punition du crime que l'accufê aura été düment convaincu a''avoir commis en per/onne. D  [ 38 ] dans les pays qui ne font point encore au dernier degré de corruption, on n'a pas toujours le pouvoir; rompront plus furement 1'égalité ; ils exciteront davantage la cupidité des guerriers que les emplois lucratifs. Point de titres de noblesse : point d'honneurs héréditaires . . l'aristocratie ne sauroit être que nuislble.—Nous avons démontré que 1'inftitution des Cincinnati; c'eft-a-dire 1'affociation des Commandans militaires de 1'Amérique, diftingués par des fervices éclatans, inveftis du privilege exclufif de porter & de tranfmettre a leurs enfans le fymbole & les prérogatives de l'ordre qu'ils fe confèrent, & dans lequel ils admettent des frères d'armes étrangers, foumis a d'autres loix, a d'autres principes, a d'autres mceurs; nous avons démontré qu'une telle union de Citoyens républicains égaux entr'eux, & qui fe créent une fupériorité réelle au-deffus de leurs concitoyens, avec un figne de ralliement, quelques motifs qu'on lui fuppofe, de quelques beaux noms qu'on la décore, n'eft en réalité, & ne peut être dans fes conféquences, que 1'inftitution d'un Patriciat héréditaire, une création de nobleffe pour les Cincinnati, pour leur poftérité male, & a fon défaut pour leurs branches collatérales.  [ 39 ] Les Cincinnati font donc des Nobles, des Aristocrates, de vrais Patriciens, des Pairs du Royaume : Pares Regni. Et ce ne font pas feulement les loix particulières de chaque Etat qui profcrivent un ordre d'hommes & de chofes fi contraire a 1'égalité. Le fixième article de la confédération générale, loi fondamentale de 1'exiftence politique des Etats Américains, porte en termes expres: Les Etats-unis assemblés en Co\grfs, ni aucun d'eux en particulier, n'accorderont aucun titre de noblesse(lj. L'ordre des Cincinnati ufurpe donc & confêre une nobleffe qui n'eft ni donnée ni accordée par la légiflation ; il la confere en violant, & pour ainfi dire en défiant les loix du Congres & des Etats, qui fe font interdits cette liberté: il commence la guerre a fon pays. Et bien que cette inftitution n'ait pas recu, & ne puiffe pas même recevoir quant a préfent (I) Nor Jhall the Uiiited States, in Congrefs affimbled, nor any of them, grant any title ofnobility. D 2  [ 4° ] la fanction de 1'autorité légiflative, elle n'en eft que plus redoutable dans fes conféquences} car fi l'ordre de Cincinnatus eut été créé par le Congres (i) ou par les Légiflatures particulières des Etats-unis, il auroit renverfé la conftitution i mais il 1'auroit fait d'une manière (i) Le même Littérateur, dont nous avons pris la liberté de critiquer (notede la page 20) les vers avec d'autant plus de févérité que le trait fur lequel tombe notre obfervation, eft plus féduifant par fa forme ingénieufe, a commis dans le même recueil une infdélité très-blamable. II fait dire aa charlatanifme ; " A PAménque Angloife encore un peu fauvage, " Je n'ai pu jufqu'ici faire accepter mes dons : "Mais j'en espere davantage " Depuis que le Congre's invente des cordons. Non-feulement le Congres n'a pas inventé des cordons ; mais tout annonce qu'il les réprouve très-févèrement. (Voyez au Poftfcriptum, Obferv. fur la Lettre circ. Ia Note retative i l'ordre de la dir ine Providence). A fuppofer qu'un Poète puilfe pour fa commodité altérer a ce point les faits; les notes qui fuivent le portrait hiftorique du charlatanifme, ne devoient-elles pas redrefier cette erreur? Celles des Poètes font rarement indifférentes. Ils vivent de vols; mais ils vivent éternellement: 1'avantage d'employer des formes qui n'appartiennent qu'a eux, & dès formules harmonieufes qui féduifent tous les hommes & qui repouffent les détails toujours fautifs pour ne préfenter que des réfultats, leur affure 1'immortalité. II eft permis de douter que VEfprit des Loix  C 41 3 légale, & nous faurions tous du moins ce que feroient des Comtes, des Ducs, des Pairs Cincinnati qui auroient rec,u la fanction du Congres ; nous fixerions leur exiftence ; nous déterminerions 1'étendue de leur privilege exclufif & de leur influence. Mais Jes Cincinnati fe font créés eux-mêmes: femblables a, ces defpotes qui ne relèvent que de leur volonté & de leur épée, ils étoient guerriers, & ils n'ont admis aucunes bornes a leurs prétentions; ils n'ont rien voulu devoir qu'aux conditions ambitieufes qu'eux-mêmes fe font impofées, & a 1'exiftence qu'ils fe font formée pour eux Sc pour leur poftérité. Créés par une infraétion formelle a une loi générale de Punion, pourvu qu'ils exiftent ils n'ont pas befoin de la fanction des loix pour augmenter leur confiftance. Le courage & la férmeté ne peuvent leur manquer ; s'ils réfiftenc avec perfévérance a la molle oppofition qu'ils pourront rencontrer; s'ils perfuad nt que leur inftitution n'eft tout au plus qu'une décoration flatteufe & de nulle importance (c'eft ainfi que furvive aux belles Epitres d'Horace, ou même a fes jolies Odes. II faut donc relever toute erreur morale & tout menfonge hiftorique accrédité par les poètes. D 3  [ 42 .] juge le vulgaire); s'ils ont la patience, 1'adreffe, la fubtilité, la foupleffe néceffaires pour cacher leurs profonds deffeins fous le titre pieux & 1'intéreffant prétexte de la levée d'un fond de charjté, de manière a. fe laiffer tolérer feulement pendant quelques années; fi même par une déférence purement politique, ils confentent ou font conftraints a modifier 1'inftitution dont ils ont fondé la perpétuité avec une adreffe prodigieufe ; ils pourront bientöt braver impunément les contradiéteurs ; car la moindre partie n'en peut être foufferte fans rendre une forte de vie a'fa totalité. Si 1'on accorde aux Cincinnati qu'ils ont pu fe diftinguer de leurs Concitoyens ; fi 1'on confent qu'ils en foient diftingués même a terme, & qu'ils forment un corps pour quelques inftans, même dans de fimples yues de bipnfaifance j ce fera récornpenfer la violation des loix de la République & fanctionner unemauvaife aftion qui mériteroit bien plutöt d'être punie: on ne pourra empêcher qu'il n'en réfülte pour la poftérité des Cincinnati un titre d'honneur héréditaire. La médaille que leurs defcendans n'oferont pas porter, mais qu'ils confervercnt dans le tréfor particulier de leur familie, leur tranfmettra a perpétuité tn fentiment d'orgueil qui s'oppofcra aux  [ 43 ] alliances de ces families avec celles de leurs concitoyens, égales & peut-être fupérieures en mérite; mais qui du tems de la Révolution n'auront pas eu le bonheur d'avoir des membres dans le corps des officiers. Ces fortes d'inégalités fondées fur une vanité puérile, qui mettent obftacle au cours naturel de 1'amour honnête; qui font féparer des individus que le ciel fembloit avoir formés 1'un pour 1'autre, & qui ne peuvent trouver dans une autre alliance un bonheur égal a celui qu'ils fe feroient procuré, font un des maux les plus cruels dont 1'Europe eft affligée, & qui par des mariages mal affortis au phyfique & au moral y détériore les races, fur-tout les races les plus illuftres, punies & non pas corrigées par-la de leur propre orgueil. Les mêmes caufes auront les mêmes effets. La génération fuivante des Cincinnati fera auffi enivrée de la prééminence de fon fang; le Patriciat fera auffi profondément enraciné dans chaque familie puiffante, & imprimé dans notre gouvernement, qu'aucun autre ordre de nobleffe peut 1'être dans les monarchies de 1'Europe. Une ambition vive & enflammée, 1'avidité du pouvoir, 1'orgueil exalté ont femé ce grand arbre dont les branche osmbrageront la tyrannie. II eft de l'efprit de la Nobleffe, de  [ 44 3 fe regarder comme compofant feule la Société. En moins d'un fiècle 1'inftitution qui tracé une ligne de féparation entre les defcendans des Cincinnati & leurs concitoyens, occa'fionnera une telle inégalité que le pays, qui ne contient aujourd'hui que des Citoyens égaux aux yeux de la conftitution & des loix, fera compofé de deux fortes d'hommes 3 des Patriciens : des Plébéiens. Tel eft leréfultat naturel, imminent, infaillible d'un établiffement dont 1'origine foudaine eft fi oppoiée aux principes républicains qu'il nous offre les plus triftes préfages. Créer une nobleffe, violer & par conféquent dét:uire notre conftitution, au moment même oü nous nous élancons dans le monde fur les aïies de Ja liberté; c'eft faire de cette liberté, a laquelle le ciel nous a permis d'atteindre, une profanation criminelle & qui tient du facrilège; c'eft toumer a notre ruine les bénédiótions de la providence. Non ; je ne me fais point iliufion. Tout concourt a établir, a fonder la force de cette Affociation. Le nombre des Associés—II eft d'a peu prés  C 4j 3 dix mille en ce moment (i), & l'ordre annonce hautement le projet d'adopter tous ceux qui feront diftingués pc;r leurs talens & leur réputation-, c'eft-a-dire tous ceux aqui leurs places, leur confidération, ou tout autre motifdonneront un crédit utile a l'ordre. Si chacun d'eux par fon influence perfonnelle fe fait feulement trois partifans qui adherent a fes intéréts, a fes fentimens, a fes opinions (il eft peu de calcul moins éxagéré) un corps de quarante mille hommes d'élite que chaque génération augmentera s'élève foudainement. Eh ! qui dans 1'Etat n'en recevra pas la loi ? La force militaire—Qui de toutes eft la plus redoutable pour 1'égalité. Nombreux, aguerris, connoiffans par état toutes les facilités que préfente leur pays pour 1'attaque ou la défenfe, & jufqu'aux quaiités perfonnelles des compagnons d'armes qu'ils ont commandés; fupérieurs au refte de leurs concitoyens j fupérieurs aux loix même que leur exiftence infulte, & dont elle attefte 1'impuiffance, qu'auront-ils a ména- (i) Comme on pourroit croire en Europe ce calcul éxagéré, je cite 1'autorité Anglo-Américaine. " For tbenumber of the Peers of the order, rcckoning honorary members, (.......) cannot be far Jhort of ten thoufand."  [ 46 ] ger ces guerriers, èc que ménageront-ils ? Le pouvoir & 1'influence des differens corps de la République, des différentes portions de la Légiflature, augmenteront & diminueront a leur gré. Si quelque chef ambitieux, fi quelque faction puiffante menace la liberté des communes ; fi le Congres lui-même dans quelque circonftance politique qu'il efl non-feulement poffible, mais facile de prévoir, fe trouve avoir a fa difpofition un revenu, une flotte, une armée & veut attenter a nos libertés; les Cincinnati prendront-ils un autre parti que celui qui conviendra le mieux a leur ordre armé ? Et leur poids n'emportera-t-il pas la balance ? La considération NécefTairement at- tachée a de grands fervices rendus a 1'état; a de grands fouvenirs, a des actions éclatantes, éxagérées par 1'orgueil national & le penchant des hommes pour le merveilleux; force qu'il efl: impoffible de calculer, & qui de la reconnoiffance & de la gloire peut faire des inftrumens de fervitude & de tyrannie. L'hérédité Qui éternife ce danger, qui l'augmente même de génération en génération, & de fiècle en fiècle, par le poids toujours nouvea'u que le tems ajoute a un préjugé qui vieillit;  C 47 1 par Pefpèce de fanction que 1'antiquité imprime a tout établiffement; par l'intérêt d'ambition qu'il infpire non-feulement aux perfonnes décorées; mais aux families entières, oü les fils, les petits-fils, les neveux, les collatéraux éloignés pouvant prétendre un jour au même honneur ou aux mêmes efpérances, forment dansl'Etat une efpèce de ligue étemelle, une conjuration non interrompue des races & des families pour foutenir, perpétuer, aggrandir même des privileges & des droits une fois établis; en un mot une Arisocratie perpétuelle. Or foit que la légiflaturc, qui en réformant la- loi générale de 1'union, auroit feule le pouvoir légal de Pinftituer, lui donne naiffance j ou qu'elle foit ufurpée par des Citoyens, des Guerriers d'élite, uhis par des relations intimes aux officiers notables de 1'Europe ; les conféquences font a peu prés les mêmes; c'eft-a-dire infiniment funeftes. Le refpect qu'on porte naturellement aux races illuftres, anciennes & opulentes ; la confidération & le crédit qui réfulteront d'une affociation fi puiffante, fe perpétueront avec le Patriciat 5 & tant d'avantages une fois obtenus, quelle familie aura le courage ou feulement la penfée d'y renoncer ? Lorfque la génération préfente aura difparu de la fcène humaine,  E 48 ] lorfque les defcendans de ces Patriciens qui fe font créés eux-mêmes n'éprouveront plus les malheurs qu'ont effuyés leurs pères, & qui devroient leur avoir appris qu'on ne peut rien pour la liberté que par 1'union politique dont 1'égaïité feule eft la bafe ; ces enfans des Demi-dieux fi élevés au-defius de leurs voifins confentirontils a defcendre ? Se remettront-ils au niveau de ceux dont ils pourront être les maitres ? Préféreront-ils 1'égalité de la Démocratie aux avantages exclufifs d'un Gouvernement Ariftocratique qui ne pourra plus réfider que fur leuj» tête ? Non fans doute; un ordre qui par fa compofition, fon étendue & fes rappbrts ne peut qu'avoir la première influence dans 1'Etat; un tel ordre cabalera, confpirera, détruira le Gouvernement pour conferver fes avantages; ou plutöt il fera le Gouvernement, Le droit de tenir a volonté ou a des époques réolées des assemblees tant particulières que générales. Droit qui conftitue un corps; qui fuffiroit pour le créer quand il ne feroit pas déja établi; qui rapproche toutes les ambitions, tous les intéréts, & les met pour ainfi dire en préfence les uns des autres ; qui les enflamme & les foutient par le fpedtacle impofant de leurs forces ré-  C 49 ] unies; qui entretient & alimente eet efprit de corps fi redoutable, le fait fermenter, & de toutes les paffions ifolées n'en forme qu'une feule plus active &c plus ardente, d'autant plus dangereufe que tous ces hommes raffemblés croiront repréfenter la partie la plus confidérable, & repréfenteront en effet la plus puiffante de 1'Etat. Enfin le droit d'avoir des fonds et de les employer Qui ajoute a tant de puiffance la puiffance de 1'argent; cette puiffance toujours corruptrice dans une république bien plus redoutable encore quand elle s'exerce fous le nom de bienfaits; paree que dans des tems de troubles & de diffentions, elle peut foudoyer contre 1'Etat les befoins, les malheurs, les haines, & les vices. Telle eft la force de cette AlTociation, & 1'on pourroit douter fi elle bleffe l'efprit de nos loix! Si elle renverfe les principes de cette égalité dont nous fommes fi jaloux ! fi elle établit & fixe a jamais dans 1'Etat un ordre de Citoyens féparés des autres Citoyens! Non, il eft impoffible d'en douter ; & fi cette inftitution fubfifte, la plus grande partie de. cette nation  t 50 ] libre & fiere, qui, dans les aótes de fa conftitution s'appelle Souveraine, Sc qui 1'efl par les droits de la nature Sc de la viétoire, eft deftinée déformais a fe voir flétrie du nom de Peuple, dont les efclaves titrés de 1'Europe font parvenus a faire une injure; Sc a Iaiffer dominer fur fa tête Sc fur ceile de fa poftérité une race éternelle d'Ariftocrates, qui bientöc peut-être ufurperont tous ces titres infultans dont la Nobleffe Eüropéertné écrafe le fimple citoyen, fon égal & fon frére. II n'eft que trop vrai que toute conftitution porte en foi un germe d'affoibliffement Sc de deflruction. C'eft le malheur inévitablement attaché aux chofes humaines ■, mais du moins ce poifon né avec les Etats ne fe développe que lentement Sc dans le cours des fiècles. Voici un fpeótacle nouveau, Sc dont la politique n'a point fourni d'exemple. Pour la première fois, on voit paroitre chez un peuple inftruit Sc guidé par des hommes habiles Sc prévoyans, une conftitution mürement réfléchie, unanimement adoptée, folemnellement proclamée; Sc prés d'elle au moment même de fa naiffance, une inftitution parfaitement contradictoire a fon plan, Sc a l'efprit général de fes loix. Ainfi les Américains elèvent d'une main leur conftitution, de 1'autre le principe même de fon anéantiffementi  C 5* 3 Eh! n'en fermente-t-il donc pas déja trop dans notre fein ! Le luxe de la nature trop prodigue envers nous eft le premier & 1'éternel écueil dont nous avons a nous défendre j 1'inégalité des fortunes qu'elle a préparée combat 1'égalité de droits que nous avons établie; les mceurs, les préjugés contractis fous la domination Angloife, n'appellent que trop 1'Ariftocratie par la défecluofité des loix même (i), fans que (i) Au moment de publier eet ouvrage, compofé longtems avant 1'imprefïion, nous lifons dans un livre attribué a M. PAbbé de Mably*, & qui porte fon nom : " La loi veut que les enfans des Franc-tenanciers agés de " vingt-un ans aient voix dans 1'éleéKon des Repréfentans, " quoiqu'ils n'aient point payé de taxes. J'y confens: " mais je demande comment cette diftinclion Ariftocratique " peut, fi je puis parler ainfi, s'amalgamer avec les prin" cipes tout démocratiques des Penfylvaniens. La vanité " qui eft dans le cceur de tous les hommes, eft de toutes les paffions la plus agiflante & la plus fubtile. Je gagerois " que ces Franc-tenanciers regarderont leurs privileges " comme une forte de dignité qui les fépare & doit les fé" parer des Citoyens qui ne pofsèdent pas des terres. Après " les avoir dédaignés, ils ne voudront point fe confondre " avec eux. Voila deux ordres de familie. De ce que les " unes jouiront d'une prérogative particuliere, elles con** cluront qu'elles doivent former un ordre a part. Je vois * Obfervations fur le Gouvernement & les Etats-unis d'Amérique, p.47, 48,49. Edition d'Amfterdam, chezJ.F. Rofart.  [ 52 ] nous nous hations de 1'inftituer, de Farmer, dc la doter. Des femences infernales de divifions ** fe farmer une nobleffe héréditaire que les loix Américaines *' profcrivent. Je vois des combats continuels entre 1'Arif" tocratie que les paffions établifönt, & la Démocratie que " les loix protégeront; & pour que la République en fortk " avec avantage, ou du moins fans fe perdre, il faudroit " que les Citoyens euffent les vertus des beaux tems de " Rome, c'eft-a-dire cruffent qu'il y a quelque chofe de " plus précieux que 1'argent." Ce feul exemple développe notre idéé ; & I'ori voudroit rencontrer plus fouvent de pareilles obfervations dans 1'ouvrage d'un homme de mérite qu'on ne croyoit pas devoir donner pour premiers confeils aux Etats d'Amérique de reftreindre & de ne pas e'tablir trop entie're la Démocratie,* la Tolérance religieufe^ & la Liberté de la PreJ/e\\i * " Permettez moi, Monfieur, de vous demander fi dans vos nouvelles " loix, on s'eft bien proportionné aux lumières, & aux paffions de la mul" titude qui n'eft jamais affez éclairéc pourne pasconfondre la liberté & " la licence ; ne lui a-t -on pas plus promis qu'on ne voulait & qu'on ne " pouvoit tenir ? S'il eft vrai que par une fuite de vos liaifuns avec " 1'Angleterre il y ait parmi vous un germe d'Ariftocratie qui cherchera *' continueilement a s'étendre ; n'y auroit-il point quelque imprudence " a vouloir établir une Démocratie trop entière ? C'eft mettreen con" tradiflion les loix & les mceurs. II me femble qu'au lieu de réveiller " magnifiquement Pambition & les efpérances du peuple, il auroit " été plus fage de lui propofer fimplement de s'aftranchir du joug de la « Cour de Londres, pour n'obéir qu'a des magiftrats que la médiocrité " de leur fortune rendroit modeftes & amis du bien public ; en réglant fes droits de facon qu'il ne püt craindre aucune injuftice; il auroit " fallu principalement s'occuper ï mettre des entraves a 1'Ariftocratie, ' . te  C 53 1 de jaloufies, d'envie, de cupidité, de parrialités publiques &c parriculières, de mécon- *( Sc faire des loix pour empêcher les riches d'abufer de leurs richeffes, & *e d'acheter une autorité qui ne doit pas leur appartenir. § " Vous n'obéilïéz plus aux Anglois qui pourvoyoient a votre fureté ; *' vous étes obligés de vous gouverner aujourd'hui par vous-mêmes 5 '* Sc peut-être qu'en accordant les merries droits a toutes les fectes " différentes, Sc qui fe font accoutumées & familiarifées les unes avec " les autres, il auroit été néceffaire de reftreindre un peu votre extréme " tolérance pour prévenir les abus qui en peuvent réfulter. II " J'ajouterai Qu'il eft très-dan« •* gercux d'établirpar urte loi la liberté la plus abfolue de la prcffe, dans ** un Etat nouveauj qui a acquis fa liberté & fon indépendance avant " que d'avoir 1'art ou la fcience de s'en fervir. II eft vrai que fans la " liberté de la prefle il ne peut y avoir de liberté de penfer, Sc aue nos . V. de n'avoir pas, avec " beaucoup d'efprit & d'expérience, prévenu les obftacles " qu'il a rencontrés, de n'avoïr peut-être pas choifi les f meilleurs moyens d'aller a fon but. Sept ou huit jeunes " gens a la fuite de chaque Régiment auquel on auroit at" taché un maitre de mathématiques, & qui leur auroit donné " prefque tous les autres, auroient peut-être rempli fon " objet plus complètement Sc d'une manière plus éconof' mique. " Quoi qu'il en foit, fon idéé étoit belle, digne de louange, " Sc d'un excellent Citoyen ; & je ne doute point que toute " ame honnête ne trouve très-repréhenfible qu'on lui fuppofe '• fans preuve, dans la feule vue de faire une note piquante " Sc bien encadrée, les coupables motifs d'une infupportabk " vanité. "Je vous prie d'être perfuadé, Monfieur, que le defir " de vous préferver d'une aftion que je crois injufte, entre " prefqu'autant dans les motifs qui m'ont fait écrire ces " détails dont je vous garantis la vérité. que celui d'éviter " un chagrin très-vif k 'mes amis.  C 62 ] mix, eft une affociation plus que fufpede a la liberté republicaine. Ce droit de foulager 1'indigence, de payer les fervices, eft un droit qui dans une République appartient a 1'Etat. S'il fouffre qu'un corps envahiffe le domaine de la bienfaifance, il aliène un des plus beaux domaines de la fouveraineté, le fentiment général de reconnoiffance que les Citoyens doivent a la Patrie; il détache d'elle les cceurs de fes enfans pour les attacher a des particuliers puiffans; il commet un crime aux yeux de la liberté. Dans les Républiques anciennes la plupart des Tyrans ont commencé la fervitude par des bienfaits ; ils ont foudoyé le pauvre pour affervir le riche, & préparé le malheur général en foulageant des maux particuliers. Ce Manlius, qui avoit chaiTé les Gaulois du Capitole & fauvé les Romains, enorgueilli peut-être de fa victoire, fut accufé de vouloir régner dans le pays pour lequel il avoit vaincu; & ce furent les tréfors qu'il verfoit qui le dénoncèrent comme un Tyran. Je crains bien que plus accoutumés a voir des Monarchies que des Républiques, nousne voulions imprudemment mêler enfemble des inftitutions qui fe combattent & fe repouffent. Sans doute on eft trop heureux fous des Monarqucs, que des fociétés particulières s'uniffent pour adoucir les maux que le gouvernement fait  [ 63 ] naitre, & que fa coupable indifférence négligé de fecourir. La que les vertus des hommes fervent de contrepoids a la puiffance; que les particuliers acquittent la dette de 1'Etat; j'y confens. Mais nous égaux, & libres j nous dont le premier devoir eft une vertu publique; nous qui ne devons, qui ne pouvons fubfifter que par elle; gardons-nous bien de donner un femblable exemple, & de laiffer dépofféder 1'Etat de fa plus noble fonction ; celle de prévenir les maux, ou de les adoucir quand la néceffité les fait naitre. S'il la négligeoit, avertiffons-le de la remplir, mais ne 1'en dépouillons pas. Sans doute il feroit dangereux pour 1'infortune même qu'un corps s'arrogeat un tel privilege. L'Etat s'accoutumeroit a croire qu'il feroit difpenfé du plus beau de fes devoirs. En abandonner 1'éxercice a un corps, ce feroit a la fois nous préparer des fers & des vices, rifquer notre conftitution & nos mceurs. Ils fe vouent a conferver intatls les droils les flus êminens de la nature humaine.{\) & détruifent le premier, qui eft celui de 1'égalité. ( i ) Attend inceffantly to prefer-ve inviolate the exalted rights of human nature.  f 64 3 ïlluftres Cincinnati ! eft-il donc deux fortes de droits appartenans a la nature humaine ? Eft-il dans la nature une efpèce qui foit forcée par état de trahir ou d'abandonner fes droits ? Eft-il dans la nature une efpèce réduite a 1'humble condftion des Plébéiens? & une autre plus éminente, dont les individus foient incapables de conferver leurs droits fans 1'attention continuelle d'un ordre doté de la dignité de Patriciens ? Voila cependant ce qu'ils etitendent, ou ils ne s'entendent pas ! Les peuples de 1'Amérique ne leur paroiffent donc pas dignes qu'on leur laiffe le foin de leur honneur national, ou celui de leurs propres affaires, a moins qu'un ordre diftinct n'en prenne la furintendance ! Ah ! tant de foins font trop officieux!....Eft-il une contradiélion plus frappante? En un inftant ils inftituent un ordre, ils élèvent une diftinétion du haut de laquelle ils abaiffent des yeux prorecteurs fur tout ce qui n'eft pas eux; ils ont battu en ruine cette belle & firnple & naturelle égalité que 1'Auteur des Etres avoit créée pour notre utilité & notre bonheur, que le philofophe contemploit avec un plaifir confolateur, que nos loix & notre gouvernement nous promettoient & devoient nous garantir. Ils ont tout violé! & c'eft dans le traité méme de leur ligue ufurpatrice  E 65 ] qu'ils parient bes droits éminens de la nature humaine ! ils vantent ce qu'ils omragen t! ils jurent de défendre le domaine de la liberté publique qu'eux féuls attaquent au- jourd'hui ! Ah ! le voile n'eft pas affez' épais ! Certes il n'eft plus d'homme jouiffant de fa raifon qui puiffe croire que les droits d'un peuple, qui les a payés de fon fang, ne feront pas bientöt envahis par des guerriers qui, méprifans la condition de citoyens privés, fabandonnent pour s'élever a un titre préfomptueux qu'ils fe font forgé ! Le premier des droits fublimes de 1'humanité eft la liberté; le fecond eft Yégalité, fans laquelle la liberté ne peut être refpectée; le troifième eft la propriété, fruit légitime d'un ufage égal de la liberté. Les Cincinnati en détruifant le fecond de ces droits, abufent du premier, portent atteinte au dernier, èc anéantiftent leur lien commun. Ils exciteront, ils entretiendront dans les Etats refpeclifs 1'union & 1'honneur national Z(i) ... . Union ! Honneur ! Défunion plutot & aviliifement! Quoi ! 1'union par un éta- (i) Promot e and cberijh, btfwttn the refpetli'vi States-,, unien *nd national honmr .  t 66 ] bliiTement d'Ariftocrates, dont 1'efTet néceffaird efl: de divifer les Citoyens, & d'en armer une partie contre 1'autre! Quoi! 1'Honneur nationai, par une inftitution qui doit dégrader la nation même, en lui raviflant ce droit d'égali té, première fource de la grandeur, premier gage de la liberté ! Laiffons au Baron de Steuben vanter le bien qu'un ordre produit dans les petites principautés d'Allemagne, ou chaque génération voit inventer dans chaque village un nouveau fymbole de noble fervitude j oü le tarif de 1'honneur eftl'anciennetédes titres &deslivrées. Pour nous, qui ne connoiffons d'honneur que la liberté, & de maitre que les loix; loin de voir un lien d'union politique dans un ordre nationai, hatons-nous d'y découvrir une fource intariffable de diffentions, puifqu'une telle inftitution établit parmi nous deux corps diftincts ; 1'un compoféde Farmée, & 1'autre du peuple. N'ouvrons pas un vafte & humiliant théatre aux diftinctions oppreffives, aux jaloufies incendiaires, & bientot aux haines civiles qui finiffent toujours par le filence honteux de l'efclavage.(i) (i) Car le parti long-tems opprimé devient a fon tour ©ppreffeur. Adcb moderatio tuendre libertatis, dunt tequare veile limulando ita fe quifque extollit, ut deprimat alium in dif ficili ef. Cavendo que ne metuant homines, metuendos fe ultro efficiunt, et injuriam a nobis repulfam, tanquam aut facere aut pati neceffefit, injungimus aliis. Tit. Liv. L. iii. C. 65.  [ 67 ] Quant acet honneur nationai dont les Cincinnati réclament le dépot; malheur a nous s'il ne peut réfider que dans un corps, s'il ne peut être entretenu que par lui! Quoi ! toujours des idees monarchiques dans des têtes républicaines ! J'avoue que ce mélange & cette confuilon d'idées m'épouvante. Encore n'eft-il pas vrai que 1'honneur national, même dans les monarchies, réfide dans un corps de nobleffe. L'Allemagne a plus & de meilleurs nobles que la France & 1'Angleterre; & fi 1'Angleterre & la France ont plus de gloire, c'eft qu'elles ont produit plus de talens; or les talens font 1'appanage & la nobleffe de la roture. Mais enfin 1'honneur, cette production Européenne qui fupplée aux vertus, peut fi 1'on veut être confié fous des Rois a un corps, paree qu'il peut difficilement exifter dans le corps entier des Citoyens; il a befoin de préjugés; il vit de diilinctions ; c'eil une vanité déguifée en orgueil qui peut donner quelque reiTort a. des ames affaiffées fous la fervitude générale. Mais parmi nous, oü chaque Citoyen eft 1'égal d'un Citoyen, 1'honneur ne doit être que la vertu, que 1'amour de nos droits* que 1'horreur & le mépris de 1'inégalité, que la difpofition éternelle a verfer tout notre fang pour 1'Etat & la liberté & fous peine d'être  [ 68 ] öcja vils & corrompus, nous devons tous dori-s ner 1'exemple d'un pareil fentiment. Quiconque prétcnd en étre feul ou premier dépofitaire., nous ou trage. C'eft a nos loix, c'eft a notre conftitution, c'eft aux magiftrats que nous choififfons, & qui nous gouvernent, que nous devons confier ce feu facré. Placé ailleurs, il ne feroit plus que comme ces lampes funéraires qui répandent quelque foible lueur fur un maufolée, mais qui ne peuvent communiquer la vie aux eendres inanimées qui 1'habitent. Mais un ordre de nobleffe donnera de la force, ie la durée, de la confid'eration d notre gouvernement, (i) Eh! quoi! la guerre d'Amérique n'a-t-elle donc pas affez convaincu 1'univers qu'un ordre de nobleffe n'eft pas nécéffaire dans notre confédération ? Ne pourroit-elle pas faire douter qu'elle foit utile dans les autres ? Faut-il Une autre épreuve ? Quand nous osames lever la têtedevant nos oppreffeurs, nous n'avions aucune diftinétion parmi nous. Notre peuple étoit principalement compofé de ces hommes, que, dans les contrées efclaves, on appelle Paysans (l) An order of Nobility qu'Ariftotc, qui, felon Charron, déiinit la noblefle: antiquité de race & de ricbejjes. On diroit qu'Ariftote écrivoit dans le Pays oü le P. Meneftrier a fait imprimer un traité de la nobkffey  [ $2 ] Les Cincinnati, n'en doutons point, traiteront de déclamations 1'expreffion de nos rangés ainfi dans la claffe des fimples Gentlemen*, forment pour ainfi dire Ie Hen d'union entre la Pairie & les fimples Citoyens. II eft aifé de fentir, que fi le membre de la Chambre des Communes qui peut devenir Pair par le choix du Souverain, ménage la Pairie qu'il a 1'efpoir d'atteindre (ce qui ne Pempêche pas de fe rappeller qu'il peut n'être jamais Pair, & qu'il y auroit par conféquent de 1'imprudence a blefier les propriétés du fimple Citoyen, dont il eft 1'égal fans que la plus légere nuance de droits les fépare) le Pair penfe auffi qu'un feul de fes enfans participera aux prérogatives de la Pairie, ik que tous les autres feront de fimples Gentlemen. * II eft bon de remarquer pour les Francois (qui 1'ignorent généralement, ou qui du moins 1'oublient fans celle par un effet naturel de la routine des mots qui jette une grande confufion dans les chofes) il eft bon de remarquer, que ce qu'on appelle Gentlitnen ou Gcntry, par oppoiition a Noblemen & a Nob'ility, ne veut pas le moins du monde dire vcblejje: c'eft un mot générique, dont les fous-diviiions défigneht un certain nombre de claffes d'hommcs, qiii n'ont aucune infiuence duns la conftitution & pas la moindre prérogative. 1Q. Les enfans des Pairs. 2°. Les Chevaliers Baronets; efpèce de titre de nobleffe intermédiaire, qui paffe feulement aux ainés, & qui donne aux femmes de ceux qui le portent le titre de Lady. 3°. Les Jingles Cheualiers; titre perfonnel, qui donne aux femmes lé titre de Lady, mais qui ne fe tranfmet point. 4°. Les DoBturï en Droit, Théologie, Médecine. 5°. Les Squires; nom qui fe donne a toute perfonne qui pofsède uric certaine étendue de terre, ou qui vit de fa fortune ; a tous les avocats ; a la plupart des emplo)és dans les bureaux d'état de finance, ou dans  [ 83 ] trop juftes c'raihtes. Quelques-uns d'eux prenhent déja le manteau d'une politique modefte, & feignent de s'étonner qu'on les trouve plus dangereux que toute autre réunion d'hommes, qu'une ajjemblêe de Francs-maf ons, que certains clubs qui portent des Jymboles £5? des médailles, ou mime quune corporation de marcbands ou d'ou- vriers méchaniques(i) Etrange paffion que 1'orgueil, qui fe mafquant & fe reproduifant fous toutes les formes, confent même a s'huïnilier pour arriver a fon but! Serpent qui fe replie pour s'élancer !.... Ainfi donc tantöt les Cincinnati s'arrogent la fur intendance des bienfaits, la furveillance de la chofe publique, de l'honneur, de tünion, du bonheur des nations, la confervation des droits les plus éminens de la nature, humaine; & le moment d'après ils fe ravalent au niveau d'hommes auxquels, dans toute autre occafion, ils ne croiroient pas pouvoir être comparés fans outrage!...-. Vains détours de 1'ambi- les cours de judicature, aux officiers municipaux des villes, aux négotians en gros, &c. •6». Les Gentlemen proprement dits, par Iefouels on entend toutes les ferfonnes qui ontquelque édusation, qui ne font employees ni au travail de la terre, ni aux ouvrages de méchanique groffière. (1) No more ciatigeroits than a city corporation of Jhop-keepers, tsykrs or other mechanici ; or like the Frce-mafons, and ether clubs, who war badges or medah.  [ 84 ] tion ! qui ne fauroient pallier aux yeux de la liberté vigilante une ligue d'autant plus odieufé que les Citoyens, dont la vanité confpire contre leur patrie, fe vantent de projets plus honorables* feignent de s'impofer de plus grands devoirs, & déguifent mieux leur redoutable exiftence II n'efb pas jufqu'au nom qu'ils fe font donné, dont ils doivent un compte rigoureux. Leur vénérationpourLucius QuintiusCincinnatus; appellé comme eux a la dêfenfe de fa patrie ; leur ferme refolution de fuivre fon exemple en retournant a leur ét at de Citoyens, leur a, difent-ils, fait naitrè l'idée de donnerfon nom a leur fcciêtê{ i). Ainfi le Républicain, qui, dans fon héroïque fimplicité, rapportoit auprès de la charme, dont 1'avoit arraché la confiance publique, fon épée victorieufe &< fes palmes triomphales, eR invoqué par des ambitieux turbulens, appelles comme lui, de leur aveu, a la miffion facrée de défenfeurs de la patrie, & qui n'ont pas fu attendre (i) The officers of the American army hoving gencrally heeiï taken from the citizens of America, pofefs high veneration for the characJer of that illuftriotts Roman, Lucius Quintius Cincinnatus ; and being refolved to follovo his example, by returning to their citizenjhip, they think they may vjith prt- priety deneminate themfelves thefockty of the Cincinnati.  C 85 ] attendre de fa main les diftinétions qu'ils convoitoient! les a-t-elle appelles auffi a une récompenfe héréditaire? Ils vantent leur retraite, comme s'il eüt été a leur choix de pofer les armes ! En retournant a leur état de Citoyens ont-ils cru faire grace aleurpays ?S'étoit-il donné a eux ? On immole très-bien dix mille Céfars 1 ils s'arrogent une dignité inconftitutionnelle! & ils ufurpentle nom; & ils prétendent a 1'imitation du Ramain qui futle plus foumis & le plus modefte des enfans de fa république ! C'eft uniquement fous eet afpect qu'on le connoït, & qu'on le loue. Oü donc ont-ils lu que Cincinnatus fe foit donné un ordre, & 1'ait conféré a ceux qui avoient combattu avec lui ? qu'il ait gardé fes faifceaux en labourant fon champ ? Une telle entreprife étoit trop au-deffous de fon ame; mais c'étoit plus qu'il n'eüt ofé tenter. Pour de moindres crimes, la République Romaine, aux jours de fa liberté & de fa vraie gloire, chaffa, bannit, mit a mort quelques ambitieux, auffi recommandables par leurs talens, & par leurs fervices, que les plus illuftres de nos Concitoyens. Les Romains tenoient d'une facheufe expérience une importante lecon. Ils favoient que les Commandans militaires accoutumés a 1'obéifG  [ §6 ] fance paffive des armées, enivrés de leur réputation, font en général Ariftocrates dans It- cceur & implacables ennemis de 1'égalité. A mefure qu'ils deviennent illuftres, ils font tentés d'ufurper, fous 1'apparence plaufible de mérite & de juftice, des prérogatives d'une .pernicieufe confequence. Le vulgaire les adore avec une vénération flupide,(i) qu'ont dédaigné les grands (i) M. ^Emilius Scaurus,. vivement foupconné d'avoir fufcité en Italië ia guerre des Alliés par reconnoiffance pour 1'or de Mithridate, comme il avoit autrefois au même prix fauvé Jugurtha, eft accufé devant le peuple auffi bien que Cotta & Mummius. Cotta s'exile lui-même. On relègue Mummius a Delos. Scaurus agé de 72 ans fe rend a Ja place publique, appuyé fur de jeunes Patriciens, & s'adreffant au peuple aflemblé: " Romains ! leur dit-il, eft-ce a " vous de juger de mes aéïions ? Ce font vos pères' qui les " out vues. Je m'en rapporte cependant a vous-mêmes. " ba certain Varius de Sucrone accufe Mare Emile d'avoir " trahi la République en faveur d'un Roi de Pent, Marc- " Emile Prince du Sénat le nie : que faut-il croire t" A 1'inftant le peuple oblige par fes cris Paccufateur a fe deftfter de fa pourfuite. Sans doute auprès du Peuple lafermeté tient louventlieu de raifon ; mais Porigine de la maifon patricienne jEmilia, dont fortoit Scaurus, fe perdoit dans la nuk des tems ; mais il avoit eu les honneurs Confulaires, & ceux du triomphe ; & le peuple, ce peuple que Pon dégrade & que Pon calomnie avec tant de perfévérance & de concert-, «ft toujours la dupe de fa générofité. Toute apparence de  C 87 1 hommes(i) & qui fait redouter aux véritables amis de la liberté la reconnoiffance du peuple comme un gage de fa fervitude: cette vénération fomentée exalte leur orgueil j & le defpotifme s'élève derrière la fumée de 1'cncens qu'on brüle a leurs pieds. Auffi certaines républiques prennent-elles toujours un étranger(2) pour commander leurs armées, & les peuples éclairés magnanimité le furprend & 1'entraine : il faut le garder de lui-même. Je me repréfente des Cincinnati moins vertueux que les officiers Américains; je les vois traitant de vains fophifmes toutes nos objeftions & ie plaignant pathétiquement de 1'envie qui veut leur ravir une récompenfe a laquelle ils fe font hatés d'enlever eux-mêmes tout ce qu'elle avoit d'alarmant. Ils iroient jufqu'a convenir des conféquences; mais ils diroient qu'il eft affreux de craindre d'eux rien de pareil; qu'en leur arrachant leur ruban on va flétrir a jamais des hommes qui ont bien mérité de la patrie ; & cela pour une erréur du patriotifme même qu'ils avoient déja réparée il ne faudroit qu'un moment peut-être pour que ces vains prétextes devinffent la robe de Céfar. (1) Scipion 1'Africam refufa que fa ftatue prit place fur les lits facrés parmi celles des Dieux. Voluerunt ..... imaginem ejus triumphali ernatu indiSam capitolinis pulvincrilus applicare. Val. Max. 1. iv. (2) Les Vénitiens. Leur Général eft aujourd'hui M, Paterfon, Ecoffois. G z  C 83 ] par Ia prévoyance des fages fe font vus forcésd'éloigner les Citoyens illuftres par leurs fervices militaires ; ils ont été exclus des dignités; on a fans ceffe lutté contre leur infiuence. Leur célébrité, leur réputation, leur gloire étoient regardées comme une récompenfe affez grande pour les confoler de cette furveillance févère peut-être; & probablement même ce fut par crainte, autant que par vertu, que quelques grands hommes de 1'antiquité s'abftinrent de ce qui pouvoit alarmer leurs concitoyens ; car je ne fuppofe pas qu'ils fuffent plus défintéreffés que nos chefs; & 1'on peut, indépendemment des documens hiftoriques, conclure de leur modération que leurs Républiques avoient des mceurs que nous n'avons plus, ou des loix réprimantes que nous n'avons point encore. II n'eft pas une de ces vérités qui ne foit connue des hommes de fens qui compofent 1'armée Américaine; mais leur ambition ne fauroit fe contenter de la réputation que leurs fervices leur ont donnée, fi elle ne leur affure point un Patriciat. II ne leur fuffit donc pas que 1'admiration des ages élève un trophée fur leur tombe que ni la révolution des fiècles ni la puiffance du fort ne puiffent démolir ! . . . S'ils n'ont pas un titre enté dans  [ 89 ] leur familie, & fur leur poitrine un fymbole, que dans d'autres tems ils auroient regardé comme une parure puérile, ils ne font pas récompenfés. Ah ! fi les magnanimes défenfeurs de 1'Amérique veulent réfléchir dans le fecret de leur confcience & de leur génie; ils fe convaincront qu'un mouvement de vanité plus que d'orgueil leur a fuggéré un projet qui ne peut qu'empoifonner leur bonheur & ternir leur gloire. D'eux-mêmes, ils diffoudront cette inftitution funefte, & fe contenteront du tribut de la vénération & de lareconnoiffance de leurs concitoyens. Quoi qu'il en foit, 1'alarme eft fonnée; que les braves fe réveillent. La liberté peut être renverfée par des caufes imperceptibles aux yeux de la multitude ; fur-tout lorfque les affemblées populaires, emportées par la paffion, frappent fur les perfonnes au lieu de frapper fur les chofes. Alors on travaille très-rapidement a ragrandiffement des ambitieux; & tandis qu'on fe venge de petits ennemis & d'injures légères, on tend un piège a la liberté, ce premier objet des travaux des hommes, ce tréfor de leur poftérité. Mais il ne s'agit plus de légères atteintes de menées fecrètes, de caufes imperceptibles. G 3  C 90 3 Les Cincinnati, nous 1'avons démontré, créent dans leur patrie deux ordres diftincts : Une race de Patriciens, de nobles héréditaires, élite de l'armée, des families puiffantes, des Citoyens du premier rang, des Chefs de 1'Etat, recommandables par leur mérite, la nature & la gloire de leurs fervices, 1'éclat de leur réputation ; redoutables par leurs alliances; & qui auront pour but éternel de com? mander. Le Peuple, ou les Plébéiens, appelles par la médiocrité même de leurs fortunes a la modération, dont ils ne s'écartent jamais auffi longterm qu'on ne les irrite, ni par des mépris, ni par des injuftices j & qui n'ont d'autre but que de netre pas opprimésj mais qui font trop inévitablement deftinés a 1'êrre, par cette inftitution ufurpatrice, qui ne peut que perpétuer la grandeur des families dans une nobleffe Ariftocratique, & fe terminer a une tyrannie monarchique(i). (1) Le peuple Romain étoit en poüeffion de choifir ir. comitiis calatis tous ceux qui devoieat avoir fur lui quelque autorité dans les armes, dans le gouvernement, ou dans la léligion. {Sihocfieri non polej}, ui in hjc civttate quifquam  [ 9' 1 L'Amérique peut, & va même déterminer avec certitude fi 1'efpèce humaine eft deftinée par la nature a la liberté ou a 1'efclavage. Car un gouvernement Républicain n'a jamais rencontré dans aucune partie du globe des circonftances auffi favorables a fonétabliffement. Terre nouvelle, inépuifable, dotée de toutes les richeffes de la nature; enceinte de mers immenfes; facile adéfendre ; éloignée des fouillures & des attentats du defpotifme. Siècle de lumières & de tolérance. Epuifement ou impuiffance; enfance ou délire du refte du globe. Exemples récens de révolutions femblables; des fuccès & des fautes qui les ont fignalées. Corps de nation déja redoutable. Principes & même préjugés favorables ; germes de bonnes loix j ébauche d'une conftitution réfiéchie & non for- mdlis comitiis imperium aut potejiatem affeqtti poffit. Cic. dc Leg. Agr. ii.) Servius Tullius, qui s'empara le premier du tróne fans fon confentement, changea laformedu gouvernement, pour faire paffer toute Pautorité aux riches & aux Patriciens', auxquels il étoit redevable de fon élévation.* {Turn demum palam faclo, 13 complorationc in regia orta, Servius prtefidio jSrmo munitus, primus injujfu populi, •voluntate Patrum regnavit. Tit. Liv. i. C. 41.) * Denis d'Halicarnaffe, 1. iv. femble contredire cette opinion ; mais on concilie ces deux auteurs en diftinguant les tems. Voyez M. Boindin fur les tribus Romaines-  [ 92 ] tuite; hommes de génie; chefs vaillans .... tous ces avantages, l'ordre des Cincinnati les étouffera dans peu d'années. Eh ! quelle bleffure mortelle pour la liberté humaine !. Faudra-t-il donc croire avec fes ennemis, que les belles idéés des Sidney, des Locke, des Rouffeau,s & de tant d'autres qui ont rêvé le bonheur politique peuvent être 1'objet d'une fuperbe théorie; mais que 1'exécution en eft impraticable ? Notre exemple fervira-t-il a fortifier le Defpotifme qui pèfe fur 1'Europe, en démontrant qu'un peuple qui fut foumis a un monarque eft trop dégradé pour fe gouverner déformais par lui-même, pour fupporter la liberté, ou tout au moins pour fe palfer des diftinétions, des ordres, des titres, de tous les hochets avec lefquels le gouvernement monarchique amorce la vanité humaine,(i) & qui nous ont tellement fafciné (i) Un nommé Jenkins a la fin de 1762, ou au commencement de 1763, préfenta a Milord Bute le projet fuivant, pour préyenir non-feulement Pindépendance, mais méme 1'émancipation des Colonies Anglo-Américaincs, & les retenir a jamais dans Pobéifiance. i°.U propofoit avant tout de conferver fur pied la plupart des troupes qui fe trouvoient alors en Amérique, & qui furent licentiées ou rappellées a la paix—II entretenoit les forts difperfés fur la frontière des fauvages, qu'on a démolis ou abandonnés; & il en conftruifoit de nouveaux fur  [ 93 3 rdprit & les yeux, que les talens, les vertus, la fortune même ne font pas pour nous la cóte, pour s'oppofer aux invajïons des Francais. Les conceffions de terre accordées aux vétérans devoient toujours fe trouver dans les arrondiffemens d'un fort, ce qui dans peu de tem* devoit former, fur-tout vers la frontière, des banlieues militaires fort refpeétables. 2°. La création d'un certain nombre d'Evèques Anglicans formoit le fecond article de fon projet: il les établüToit d'abord a Philadelphie, dans le Maryland, la Nouvelle-york, Sc les Carolines—Jenkins craignoit peu d'oppofition de la part de ces Colonies ; & quant aux réclamations des quatre Provinces anti-épifcopales qui conftituent la Nouvelle Angleterre, elles euffent été trop foibles, vu 1'engoument général Sc la prépondérance Britannique au moment de la paix, pour empêcher eet établiffement dans les autres provinces.— Jenkins les laiffoit fe plaindre : il fuivoit fon projet, Sc fe flattoit même d'être en état avant peu d'années d'établir quelques Evêques in partibus dans la Nouvelle Angleterre. Le Gouvernement commencoit par foudoyer magnifiquement chacun de ces Evêques, auxquels on auroit fait fur les lieux, des conceffions de terre proportionnées a leur état.—Si 1'on en croit 1'auteur du projet, chaque Evêque auroit eu avant dix ans révolus une Cathédrale avec fon Chapitre, compofé de Doyens & de Chanoines comme en Angleterre, auxquels il auroit été également facile d'accorder des concelfions. II ne faut pas oublier qu'il ajoutoit a, eet établiffement une Univerfité Royale. ' 3°. II créoit une quantité indéfinie de Baronets & de Lords héréditaires (tous conférant le titre de Lady a leurs femmes) & les choififfoit parmi les citoyens les plus riches  E 94 ] des objets auffi refpectables qu'une médaille & un ruban ? Ah ! ne trompons pas ainfi 1'attente des Natipns; n'imprimons pas ce déshonneur au nom Américain, cette tache a la nature hurnaine; ne donnons pas ce fujet de douleur aux Si les plus accrédités. Le Confeil des Gouverneurs refpeftifs, qui formoit une efpèce de Chambre haute, n'auroit été compofé que des Lords héréditaires, mais avec des modifkations différentes dans chaque Colonie, & toujours avec des exceptions que le Gouvernement dans Ja fagejjc devoit fe referver, Obfervez que Jenkins vouloit établir tout cela a la fois; Evêques, Nobleffe héréditaire, Armee protedtrice, Univerlité; tout devoit paroitre au même moment. L'enthoufiafme étoit au comble ; on voyoit dans les Anglois les libérateurs. des Américains, que la France devoit dévorer. Ils s'étoient couverts de gloire dans les quatre parties du monde. Qui auroit pu, qui auroit ofé leur fuppofer d'autres motifs queceux d'une mère tendre Sc éclairée, qui veut affurer 1'état de fes enfans après les avoir fauvés du naufrage ? Thomas Jenkins, mort en 1772, avoit été Commis de PAc'cife, enfuite facteur dans les Carolines & la Penfylvanie, puis employé ala fuite de 1'armée Anglo-Américainequiconquit le Canada. II crpyojt de bonne foi que fon projet devoit affurer le bonheur Sc le repos des Américains. Au moins n'étoit-il ni fanguinaire, ni abfurde.  [ 95 1 fages I " II eft impoffible qu'ils ne faffent pas " des vceux pour que la République Américaine " parvienne a toute la profpérité dont elle eft " fufceptible. Elle eft 1'efpérance du genre " humain; elle doit en devènir le modèle; f< elle doit prouver au monde par le fait que les hommes peuvent être libres & tranquilles, fC & fe palTer des chaïnes de toute efpèce que " les tyrans & les charlatans de toute robe ont " prétendu leur impofer fous le prétexte du cc bien public. Elle doit donneM'exemple de " la liberté politique, de la liberté civile, de la ct liberté religieufe, de la liberté du commerce " Sc de 1'induftrie. Elle doit donner 1'exemple " de toutes les libertés. L'afyle qu'elle ouvre fc a tous les opprjrnés de toutes les nations doit " confoler la terre. La facilité d'en profiter, f' pour fe dérober aux fuites d'un mauvais *c gouvernement, forcera les Gouvernemens " d'être juftes Sc de s'éclairer. Le refte du " monde opvrira peu a peu les yeux fur le f' néant des illufions dont les politiques fe font " bercés; mais il faut pour cela que 1'Améff rique s'en garantiffe, & qu'elle ne redevienne " pas une image de notre monde vieux & corf{ rompu, un amas de puiffances divifées, fe f( difputant des territoires, ou des profits de ff commerce, & cimentant continuellementfef-  [ -9* ] clavage du peuple par toutes les manoeuvres " de la politique Européene"(i). Que la Légiflation foudroie cette inftitution meurtrière d'une nobleffe factice & décorée qui en eft le chef-d'ceuvre ; mais avant de frapper, avant de de'truire jufqu'au nom des Cincinnati, qu'elle inftruife fes enfansj qu'elle leur dife ; (ils ont mérité d'elle cette tendre déférence :) " Les vues patriotiques, les pieux projets " qui vous ont féduits, feront tot ou tard le " voüe d'une combinaifon politique des Com" mandans militaires, combinaifon périlleufe (0 Ce fragment appartient l une lettre de M. Turgot a Monfieur le Doéteur Price, qui fe trouve a la fuite de eet ouvrage,* & dans laquelle les Américains trouveront ce qui a été écrit de plus profond & de plus fage fur les vices de leurs conftitutions, & fur les moyens de les améliorer. La philofephie de 1'homme d'état, du fmcère ami des hommes & de la liberté, n'a jamais mieux guidé un plus beau génie. C'eft Pame de Fenelon, avec bien plus d'étendue dans l'efprit. * Cette lettre vient d'être imprimée pour la première fois dans un ouvrage de M. le Doöeur Price, intitulé, Obfervation, on the mfvtémt, .ƒ the American Révolution, and the means of naking it a Benefit to the World. On nefauroit trop recommander aux Américains la lefturede eet écrit rempli d'obfervations judicieufes, de vues-fages, de confeils utiles ; fc refpirant l'amaurde la libertó, & de 1'humanité.  E 97 1 " pour la chofe publique, & par conféquent " criminelle. Des hommes libres ne peuvent " que cenfurer, réprouver, extirper une telle " innovation. Que votre lot foit notre recon" noiffance, & la gloire que vous avez méritée j " il efl affez digne d'envie. II vous donne unc " affez grande influence dans votre patrie." tc Rappellez-vous ces jours d'alarmes, oü/ ,£ les troupes méridionales, campées pres de 'f Jackfon-borough, couvroient 1'Affemblée de " la Caroline occupée de 1'affaire trifte & cruelle " des confifcations(i). L'armée entière, de" puis le Général jufqu'au foldat le moins intc téreffé au refpect des propriétés,. avoit cette " profcription en horreur. Ils s'étonnoient " que les habitans de la Caroline Méridionale " puffent être dévorés d'une foif fi ardente de •* vengeance. Demi-nuds & prefque affamés, " ces guerriers magnanimes avoient bravé tra» " vaux, befoins, périls. Sans paie, & prefque " fans efpoir, ils avoient affronté les rigueurs de " tous les climats depuis les'mursde Quebec " jufqu'aux lignes de Savanah. La plupart & " plus d'une fois prifonniers fur terre & fur mer " avoient effuyé tous les outrages des plus info- (i) En 1783.  C 9* ] " lens vainqueurs qui, dans les vaincus, nc " voyoient que des révoltés. Eh bien ! ils ne *c comprenoient pas que le malheur put rendre li cruels. La rage immodérée de nos compa" triotes, qui précipitoit la ruine de leurs frères, o> wï# Vuji.aix.rii rtfJt'ït ftv;1^fK,j.  [ '39 3 Observations. Lettre Circulaire. rufalem, ceux de l'ordre Teuconique, ceux de S. Lazare n'étoient-ils pas auffi des Confrairies? & de telles Confrairies font-elles une acquifition très-républicaine? le Congres général ne le penfe point, puifqu'il n'a pas voulu permettre que quelques officiers Américains fuffent admis dans l'ordre de la Divine Providence (*)• II ne " we are thus confcious for ourfelves of the reétitude of our " intentions in inftituting or becoming members of this * Réfolution du Congrès du 5 Janvier 1784—Sur le rapport d'un Comité auquel avoit été renvoyée une lettre du Commandanten Chef, en date du 28 Aoüt, contenant une propofition de la part du Secrétaire de rOrdre Polonuisdt la Divine Providence, que le Congrès nommeroit un nombre de perfonnes propres pour être créées Chevaliers du dit ordre, hisolu; " Que 1'ancien Commandant eh Chef fera prié d'informer " le Chevalier Jean de Hintx, Secrétaire de l'ordre de la Divine Provi" dence, que le Congrès eft fenfible a 1'attention de cet ordre, en lui pro" pofant de nommer un nombre de perfonnes propres pour être créées " Chevaliers de la Divine Providence; mais que Ie Congrès ne fauroit, " eonformément aux principes de la Conftdération, accepter fen " oblijeante propofition."  [ H° ] Observations. Lettre Circulaire. le penfe pas, puifque dans le plan du Gouvernement provildire, propofé pour les dix nouveaux Etats, adopté & paffe en loi, on trouve cet article : leurs gouver nemens respectifs auront une forme républicaine; et aucune personne jouissant d'un titre héréditaire, ne pourra être au nombre des citoyens de ces états. & malgréla conviclion intime ou nous fommes qu'on trouvera dans votre conduite, tant ■paffee que future, la preuve évidente que vous n'avez été dé ter minés " fratcrnity; and .jiotwïthftanding we are confident the " higheft evidcnce can be produced frc-m your paft, and will " be given by your future behaviour, that you could not  [ Hl ] Observations. Lettre Circulaire. par aucuns autres motifs que ceux de l'Amitiê, du Patriotifme & de la Bienveillance (ƒ), (d) Etrange Patriotisme que celui qui s'ifole de la Patrie! Bienveillance veut dire proteclion: & conr vient-il a des fujets de protéger leur Souverain ? Néanmoins comme nos vues, d certains égards, ont été mal fenties; comme 1'aSle de notre AJfociation a été nécefjairement rédigê a la hdte (c), (?) L'acte d'association d'hornmes fi diftingués tendant a " have been influenced by any other motives than thofe of f' friendfhip, patriotifm, and benevolence: vet, as the in« ftrument of our affociation was of neceffity drawn up in a  [ i42 ] Observations. Lettre Circulaire. élever un nouveau corps dans leur République a été rédigé a la hate ! Pourquoi cette précipitation ? les peuples de Maflachufetts & de Penfylvanie, dans les préambules mémorables de leurs conftitutions, rendent hommage " a la bonté fi" gnalée du Légifla" teur fuprême de 1'u" nivers, qui, par une " fuite des décrets de P^fce que nous u voyons notre patrie en " poffejfton de l'indépen" dance fi? de la paix— tc d'affliffion, paree que " nous allions nous Je" parer, fi? peut-être " pour ne nous revoir " jamais. Dans un " moment ou tous les " cceurs étoi ent péne trés " d'affeelions plus aifêes " nize the manner of returning to our citizenfhip; not as " oftentations marks of difcrimination, but as pledges of our " friendfhip, and embleriis whofe appearance will never per« niit us to deviate from the paths of virtue: and we preM 2  [ i68 ] Observations. Lettre Circulaire. ralliement: des rubans ont été plus fouvent le figne de la complicité, que Pemblême d'une union vertueufe: des rubans enchainent mal a la vertu, & n'attachent guères a la patrie. " 1/ eft même a" propos de rappeller " ici que ces décora" rationsfont eftimées " comme des gages " précieux d'amitié, " & qu 'ils font révé" rés par ceux de nos ** al Hés qui les ont " mérités de notre " part, encontribuant " fume, in this place, it may not be inexpedient to inform " you, that thefe are confidered as the molt endearing tokens " offriendfhip, and held in the higheft eitimation'by fuch " of our allies as have become entitled to them, by having " contributed their perfonal fervices to the eitablifhment of  [ i69 ] Observations Lettre Circulaire. '* par des fervices ** perfonnels a l'éta" blifement de notre «* indépendance; que " ces perfonnes dijiin" gue'es, (ff du pre** mier rang, foit par *' leur naifance ou *e leur réputation, ont, " eu l'agrément de " leur Souverainpour " s'en décor er ; & ** qu enfin ce Mo" nar que illufire re" garde cette union '* fraternelle, comme " un nouveau Hen " propre a rejjèrrer " our independence ; that thefe gentlemen, who are among " the firft in rank and réputation, have been permitted by " their Sovereign to hold this grateful memorial of our reci" procal affeftions; and that this fraternal intercourfe is " viewed by that illuftrious Monarch, and other diftinguilhed " charafters, as no fmall additional cement to that har- M 3  [ 170 ] Observations. Lettre Circulaire, '* de plus en plus (' l'harmonie, &' la r la Liberté civile, & fur la Guerre d'Amérique de M. le Dofteur Price (p. 150, &c.)- Dans la première Edition de ce traité» Monfieur Price avoit compté le défaut d'adrejfe au nombre des caufes du renvoi de M. Turgot. Celui-ci, dans une lettre bien précieufe, informa le vertueux Anglois des véritablesraifons qui lui avoient fait perdrefaplace. Telle fut 1'origine d'une N 3  [ i86 j difiez d'ailleurs de moi dans vos obfervations additionnelles. J'aurois pu la mériter, fi vous n'aviez eu en vued'autremal-adrefle que celle de n'avoir pas fu démêler les refforts d'intrigues que faifoient jouer contre fnöi dés gens beaucoup plus adroits en ce genre que je ne le fuis, que je ne le iérai jamais, & que je ne vtux Pêtre. Mais il m'a paru que vous m'imputiez la mal-adreffe d'avoir choqué groffièrement 1'opinion générale de ma nation ; & a.cet égard je crois que vous n'aviez rendu juftice ni a moi ni a ma nation, oü il y a beaucoup plus de lumières qu'on ne le croit généralement chez vous, & oü peut-être il eft plus aiféque chez vous même de ramener correfpondance qui a duré jufqu'a la mort de M. Turgot, & dont la lettre que le Leéteur a fous les yeux fait partie. Que les honnêtes gens,. que les hommes éclairés de tous les pays du monde, pleurent 1'ami de 1'humanité, le philofophe, 1'homme grand par fes vaftes connoiflances, trèsgrand par fon génie, plus grand par fes vertus, qui avoit approché les Rois, habité les cours, traité avec les hommes, & 'confervé de tels principes, detelsfentimens, de telles opinions; & auquel on n'a pas permis de reftaurer un Royaume dont les fautes ou la fageffe importent également a l'humanité !—Je ne connois parmi ceux qui ont gouverné les hommes que Marc-Aurèle digne d'avoir laiffé un tel écrit—Marc-Aurèle fit le bonheur du monde, dont il fut, dont il efl adoré ; & Turgot n'a pas pu refter deux ans Miniftre en France ! & la génération préfente, la génération honorée de fes travaux, de fes bienfaits, compte encore un très-grand nombre de fes détra&eurs & de fes ennemis!  r i87 i le puHic ades idéés raifonnables. J'enjuge par 1'infatuation de votre nation fur ce projet abfurde de fubjuguer 1'Amérique, qui a duré jufqu'a ce que 1'aventure de Burgoyne ait commencé a lui deffiller les yeux. J'enjuge par le fyftême de monopole & d'exclufion qui règne chez tous vos Ecrivains politiques fur le commerce (j'excepte Mr. Adam Smith & le Doyen Tucker); fyftême qui eft levéritable principe de votre féparation avec vos colonies. J'en juge par toüs vos écrits polémiques fur les queftions qui vous agitent depuis une vingtaine d'années, & dans lefquelles, avant que le votre eut paru, je ne me rappelle prefque pas d'en avoir lu un oü le vrai point de la queftion ait été faifi. Je n'ai pas concu comment une nation, qui a cultivé avec tant defuccès toutes les branches des fciences naturelles, a pu refter fi fort au-deffous d'elle même, dans lafcience la plus intéreffante dc toutes, celle du bonheur public; dans une fcienceoü la Liberté delaPreffe, dont elle feule jouit, auroit dü lui donnerfur toutes les autres nations de 1'Europe un avantage prodigieuxEft-ce 1'orgueil nationai qui vous a empêché de mettre a profit cet avantage ? Eft-ce paree que vous étiez un peu moins mal que les autres, que vous avez tourné toutes vos fpéculations a vous perfuader que vous étiez bien ? Eft-ce l'efprit de parti, & 1'envie de fe faire un appui des opinions populaires qui a retardé vos progrès  L 188 J cn portant vos politiques a traiter de vainemétaphyfique* toutes les fpéculations qui tendent a établir des principes fixes fur les droits & les vrais intéréts des individus & des nations ? Comment fe fait-il que vous foyez prefque le premier parmi vos Ecrivains qui ayez donné des notions juftes de la liberté, & qui ayez fait fentir la fauffeté de cette notion rebattue par prefque tous les Ecrivains les plus républicains, que la liberté confifte a n'être foumis qu'aux loix, comme fi un. homme opprimé par une loi injufte étoit libre. Cela ne feroit pas même vrai, quand on fuppoferoit que toutes les loix font 1'ouvrage de la nation affemblée; car enfin 1'individu a auffi des droits que la nation ne pe,ut lui öter que par la violence, & par un ufage illégitime de la force générale. Quoique vous ayez eu égard a cette vérité, & que vous vous en foyez expliqué, peut-être méritoit-elle que vous la développaffiez avec plus d'étendue, vu le peu d'attention qu'y ont donné même les plus zélés partifans de la liberté. C'eft encore une chofe étrange, que ce ne fut pas en Angleterre une vérité triviale de dire qu'une nation ne peut jamais avoir droit de gouverner une autre nation, & qu'un pareil gou- * Voye* la lettre de Mr. Burke au Shérifde BriltoL  [ i89 ] vernement ne peut avoir d'autre fondement que la force, qui eft auffi le fondement du brigandage & de la tyrannie; que la tyrannie d'un peuple eft de toutes les tyrannies connues la plus cruelle & la plus intolérable, celle qui laiffe le moins de reffource a 1'opprimé : car enfin un defpote eft arrêté par fon propre intérêt; il a le frein du remord, ou celui de 1'opinion publique : mais une multitude ne calcule rien, n'a jamais de remords, & fe décerne a ellemême la gloire lorfqu'elle mérite le plus de honte. Les évènemens font pour la nation Angloife un terrible comm'entaire de votre livre. Depuis quelques mois ils fe précipitent avec une rapidité très-accélérée. Le dénouement eft arrivé par rapport al'Amérique. La voilaindépendantefans retour: fera-t-elle libre & heureufe ? Ce peuple nouveau, fitué fi avantageufement pour donner au monde 1'exemple d'une conftitution oü 1'homme jouiffe de tous fes droits, exerce librement toutes fes facultés, & ne foit gouverné que par la nature, laraifon & la juftice, faurat-il former une pareille conftitution ? faura-t-il PafFermir fur des fbndemens éternels, prévenir toutes les caufes de divifion & de corruption qui peuvent laminer peu a peu, & la détruire ?  t i96 1 Je ne fuis point content, je 1'avoue, des conftitütions qui ont été rédigées jufqu'a préfene par les différens Etats Américains. Vous reprochez, avec raifon, a celle de la Penfylvanie le ferment religieux exigé pour avoir ëntrée dans le corps de Repréfentans. C'eft bien pis dans les autres; il y en a üne, je crois que c'eft celle des Jerfeys, qui exige qu'on croie a la diVinité de Jefus Chrift*. Je vois dans le plus grand nombre 1'imitation fans objet des ufages de 1'Angleterre. Au lieu de ramener toutes les autorités a une feule, (celle de la nation,) 1'on établit des corps différens ; un corps de Repré. fentans, un Confeil, un Gouverneur; paree que 1'Angleterre aune Chambredes Communes, une Chambre Haute & un Roi. On s'occupe a balancer ces différens pouvoirsj comme fi cet équilibre de forces qu'on a pu croire néceffaire pour balancer 1'énorme prépondérance de la Royauté, pouvoit être de quelque ufage dans des Républiques fondées fur 1'égalité de tous les Citoyens; & comme fi tout ce qui établit différens corps n'étoit pas une fource de divifions. * C'eft la conftitution de Dclaware qui impofe la néceffité de ce ferment. Celle de Jerfey, plus impartiale, interdit toute préférence de fefte a fecle, & accorde des droits & des privileges égaux a tous les Proteftans—Foyez a cet égard ci-aprés l'owvrage de M. Ie Doclcur Price, Cif les notes queje me fuis permis d'y joindre.  En voulant prévenir des dangers chirhériques, on en fait naitre de réels. On veut n'avoir rien a craindre du Clergé : on le réunit fous la barrière d'une profcription commune. En 1'excluant du droit d'éligibilité, on en fait un corps, & un corps étranger a 1'Etat. Pourquoi un Citoyen, qui a le même intérêt que les autres a la défenfe commune de fa liberté & de fes propriétés, eft-il exclu d'y contribuer de fes lumières, & de fes vertus, paree qu'il eft d'une profeffion qui exige des lumières & des vertus ? Le Clergé n'eft dangereux que quand il exifte en corps dans 1'Etat, que quand il croit avoir en corps des droits & des intéréts, que quand on a imaginé d'avoir une religion établie par la Loi, comme fi les hommes pouvoient avoir quelque droit, ou quelque intérêt a régler la confeience les uns des autres comme fi 1'individu pouvoit facrifier aux avantages de la Société civile les opinions auxquelles il croit fon falut éternel attaché ; comme fi 1'on fe fauvoit ou fe damnoit en commun. La oü la vraie tolérance, c'eft-a-dire 1'incompétence abfolue du Gouvernement fur la confeience des individus eft établie, 1'eccléfiaftique au milieu de 1'Affemblée nationale n'eft qu'un Citoyen, lorfqu'il y eft admis; il redevient eccléfiaftique lorfqu'on 1'en exclur.  [ '92 ] Je ne vois pas qu'on fe foit affez occupé de réduire au plus petit nombre poffible les genres d'affaires dont le gouvernementele chaque Etat fera chargé ; ni a féparer les objets de légiflation de ceux d'adminiftration générale, & de ceux d'adminiflration particuliere & locale ; a conftituer des affemblées locales fubfiftantes, qui rempliffant prefque toutes les fondions de détail du Gouvernement, difpenfent les affemblées générales de s'en occuper, & ötent aux membres de celles-ci tout moyen, & peut-être tout defir d'abufer d'une autorité qui ne peut s'appliquer qua des objets généraux, & par-lamême étrangers aux petites paffions qui agitent les hommes. Je ne vois pas qu'on ait fait attention a la grande diftinclion, fa feule fondée fur la nature, entre deux claffes d'hommes, celle des propriétaires des terres, & celle des non-propriétaires, a leurs intéréts, & par conféquent a leurs droits différens, relativement a la légiflation, a 1'adminiftration de la juftice & de la police, a la contribution aux dépenfes publiques, &a leur emploi. Nul principe fixe établi fur l'impöt. On fuppofe que chaque- province peut fe taxer a fa  [ 193 3 fantaiiïe, établir des taxes perfonnelles, des taxes fur les conibmmations, fur les importations, c'eft-a-dire fe donner un intérêt contraire a 1'intérêt des autres provinces. On fuppofe par-tout le droit de régler le commerce ; on autorite même les corps exécutifs, ou les Gouverneurs a prohiber 1'exportation de certaines denrées dans de certaines occurrences; tant on eft loin d'avoir fenti que la loi de la liberté entière de tout commerce eft un corollaire du droit de propriété; tant on eft encore plongé dans le brouillard des illufions Européennes. Dans 1'union générale des provinces entre elles, je ne vois point une coalition, une fufion de toutes les parties qui n'en faffe qu'un corps UN, & homogene. Ce n'eft qu'une aggrégation de parties, toujours trop féparées, & qui confervent toujours une tendance a fe divifer, par la diverfité de leurs loix, de leurs mceurs, de leurs opinions; par 1'inégalité de leurs forces aéluelles ; plus encore par 1'inégalité de leurs progrès ultérieurs. Ce n'eft qu'une copie de la République Hollandoife ; & celleci même n'avoit pas a craindre, comme la Ré-  [ *94 ] publique Américaine,les accroiffemens poffibles de quelques-unes de fes Provinces. Tout cet édifice efl appuyé jufqu'a prefent fur la bafe fauffe de la très-ancienne & trés-vulgaire politique ; fur le préjugé que les nations, les provinces, peuvent avoir des intéréts, en corps de province & de nation, autres que celui qu'ontles individus, d'être libres, &dedéfendre leurs propriétés contre les brigands & les conquérans ; intérêt prétendu de faire plus de commerce que les autres ; de ne point acheter des marchandifes de 1'étranger, de forcer 1'étranger a confommer leurs produclions & les ouvrages de leurs manufaétures ; intérêt prétendu d'avoir un territoire plus vafte, d'acquérir telle ou telle province, telle ou telle ile, tel ou tel villagej intérêt d'infpirer la crainte aux autres nations; intérêt de 1'emporter fur elles par la gloire des armes, par celle des arts & des fciences. Quelques-uns de ces préjugés font fomentés en Europe, paree que la rivalité ancienne des nations, & 1'ambition des Princes oblige tous les Etats a fe tenir armés pour fe défendre contre leurs voifins armés, & a regarder la force militaire comme 1'objet principal du Gouvernement.  t 195 3 L'Amérique a lc bonheur de ne point avoir d'ici a bien long-tems d'ennemi extérieur | craindre, fi elle ne fe divife elle-même; ainfi elle peut & doit apprécier a leur jufte valeur ces prétendus intéréts, ces fujets de difcorde qui feulsfont a redouter pour fa liberté. Avec leprincipe facré de la liberté du commerce, regardé comme une fuite du droit de la propriété, tous les prétendus intéréts de commerce difparoiffent. Les prétendus intéréts de pofféder plus ou moins de territoire s'évanouiffent par le principe que le territoire n'appartient point aux nations, mais aux individus propriétaires des terres ; que la queftion de favoir fi tel canton, tel village, doit appartenir a telle Province, a tel Etat, ne doit point être décidée par le prétendu intérêt de cette Province ou de cet Etat; mais par celui qu'ont les habitans de tel canton, ou de tel village, de fe raffembler pour leurs affaires dans le lieu oü il leur eft plus commode d'aller ; que cet intérêt étant mefuré par le plus ou le moins de chemin qu'un homme peut faire loin de fon domicile, pour traiter quelques affaires plus importantes, fans trop nuire a fes affaires journalières, devient une mefure naturelle & phyfique de 1'étendue des Jurifdictions & des Etats, & établit entre tous un équilibre d'éten-  [ i96 ] due & de forces*, qui écarté tout danger d'inégalité 6r toute prétention a la fupériorité. L'intérêt d'être craint eft nul quand on ne demande rien a perfonne, & quand on eft dans une pofition oü 1'on ne peut être attaqué par des forces confidérables avec quelque efpérance de fuccès. La gloire des armes ne vaut pas le bonheur de vivre en paix. La gloire des arts, des fciences, appartient a quiconque veut s'en faifirj il y a dans ce genre a moiffonner pour tout le monde; le champ des découvertes eft inépuifable, & tous profitent des découvertes de tous. J'imagine que les Américains n'en font pas encore a fentir toutes ces vérités, comme il faut qu'ils les fentent pour affurer le bonheur de leur poftérité. Je ne blame pas leurs chefs. II a fallu pourvoir aux befoins du moment, par une union telle qu'elle, contre un ennemi préfent 6c redeutable. Qn n'avoit pas le tems de fonger a corriger les vices des conftitutions, &c de * L'inégalité d'étendue & de force entre les différens Etats me paroit la circonftance la plus défavorable qu'offre la fituation des Américains. Foyez ci-après les notes et la Juite de l''ouvrage de M. Price. I  [ i97 3 de la compofition des différens Etats; mais ils doivent craindre de les éternifer, & s'occuper des moyens de réunir les opinions & les intéréts, & de les ramener a des principes uniformes dans toutes leurs provinces. Ils ont a cet égard de grands obftacles a vaincre. En Canada*, la conftitution du Clergé Romain, & 1'exiftence d'un corps de Nobleffe. Dans la Nouvelle Angleterre, l'efprit encore fubfiftant du Puritanifme rigide, & toujours, dit-on, un peu intolérant. Dans la Penfylvanie, un très-grand nombre de Citoyens établiffant en principe religieux que la profeffion des armes eft illicite, Sr fe refufant par conféquent aux arrangemens néceffaires pour que le fondement de la force militaire de 1'Etat foit la réunion de la qualité de citoyen avec celle d'homme de guerre & de * II paroit que M. Turgot regardoit la réunion du Canada a la République Américaine comme un événement inévitable. Le Canada eft encore a 1'Angleterre ; mais ce n'eft pas le philofophe qui s'eft trompé. S'il étoit 'donné a la politique de faire d' avance ce qu' elle fera infaïllïblement forcée de faire plus tard, 1'Angleterre ne tenteroit pas fur Ie Canada les fpéculations ruineufes dont elle s'occupe; & les vrais amis de la profpérité Eritannique s'en réjouiroient. O  [ *9« 3 milicien; ce qui oblige a faire dü méder de la guerre un métier de mercenaires. Dans les colonies méridionales, une trop grande inégalité des fortunes, & fur-tout le grand nombre d'efclaves noirs, dont 1'efclavage eft incompatible avec une bonne conftitution politique, & qui même en leur rendant la liberté embarrafferont encore en formant deux nations dans le même Etat. Dans toutes, les préjugés, 1'attachement aux formes établies, 1'habitude de certaines taxes, la crainte de celles qu'il faudroit y fubftituer, la vanité des Colonies qui fe font crues les plus puiffantes, & un n»alheureux commencement d'orgueil nationai. Je crois les Américains forcés a s'aggrandir, non par la guerre, mais par la culture. S'ils laiffoient derrière eux les déferts immenfes qui s'étendent jufqu'a la mer de 1'Oueft,* il s'y établiroit du mélange de leurs banni?, & des mauvais fujets échappés a la févérité des loix, avec les fauvages, des peuplades de brigands qui ravageroient 1'Amérique, comme les barbares du nord ont ravagé 1'Em- * Par la mer de 1'Oueft il faut entendre la partie du nord de 1'Océan Pacifique, & non pas une vafte mer intérieure, comme Mr. Turgot femblele croire d'après MM. de l'Ifle,Buache, & d'autres Géographes Fran9ois, qui fur les rapports mal compris des fauvages, avoient imaginé cette mer de 1'Oueft. Ce font les Anglois qui nous ont appris qu'elle n'exifloit pas.  [ 199 3 pire Romain. Delaun autre danger, lanéceffité de fe tenir en armes fur la frontière, & d'être dans un état de guerre continuelle. Les colonies voifines de la frontière feroient en conféquence plus aguerries que les autres, & cette inégalité dans la force militaire feroit un aiguillon terrible pour 1'ambition. Le remède a. cette inégalité feroit d'entretenir une force militaire fubfiftante, a laquelle toutes les provinces contribueroient en raifon dé leur population ; & les Américains, qui ont encore toutes les craintes que doivent avoir les Anglois, redoutent plus que toute chofe une armée permanente. Ils ont tort. Rien n'eft plus aifé que de lier Ia conftitution d'une armée permanente avec la milice, de facon que la milice en devienne meilleure, & que la liberté n'en foit que plus affermie. Mais il eft mal aifé de calmer fur cela leurs alarmes. Voüa bien des difficultés ; & peut-être les intéréts fecrets des particuliers puiffans fe joindront-ils aux préjugés de la multitude pour arrêter les efforts des vrais fages & des vrais citoyens. II eft impoffible de ne pas faire des vceux pour que ce peuple parvienne a toute la profpérité dont il eft fufceptible. II eft 1'efpérance O 2  [ 2CO ] du genre humain ; il peut en devenir le modèlc. II doit prouver au monde, par le fait, que les hommes peuvent être übres & tranquilles, & peuvent fe paffer des chaines de toiite efpèce que les tyrans & les charlatans de toute robe ont prétendu leur impofer fous le prétexte du bien public. II doit donner 1'exemple de la liberté politique, de la liberté religieufe, de la liberté du commerce & de 1'induttrie. L'afyle qu'il ouvre a tous les opprimés de toutes les nations doit confoler la terre. La facilité d'en profiter, pour fe dérober aux fuites d'un mauvais gouvernement, forcera les gouvernemens d'être jufr.es & de s'éclairer ; le refte du monde ouvrira peu-a-peu les yeux fur le néant des illufions dont les politiques fe font bercés. Mais il faut pour cela que 1'Amérique s'en garantiffe, èc qu'elle ne redevienne pas, comme 1'ont tant répété vos Ecrivains miniftériels, une image de notre Europe, un amas de puiffances divifées, fe difputant des terriroires ou des profits de commerce, & cimentant continuellement 1'efclavage des peuplespar leur propre fang. Tous les hommes éclairés, tous les amis de 1'humanité, devroienten ce moment réunir leurs lumières, &joindre leurs réfiexions, a celles des fages Américains, pour concourir au grand ou-  [ 201 ] vrage de leur légiflation. Cela feroit digne de vous, Monfieur. Je voudrois pouvoir échauffer votre zèle; & fi dans cette lettre je me fuis livré plus que je ne 1'aurois du peut-être a 1'effufion de mes propres idees, ce defir a été mon unique motif, & m'excufera a ce que j'efpère de i'ennui que je vous aurai caufé. Je voudrois que le fang qui a coulé, & qui coulera encore dans cette querelle, ne fut pas inutile au bonheur du genre humain. Nos deux nations vont fe faire réciproquement bien du mal, probablement fans qu'aucune d'elles en retire aucun profit réel. L'accroiffementdes dettes & des charges, peut-être la banqueroute de 1'Etat & la ruine d'un grand nombre de Citoyens, en feront probablement 1'unique réfultat. L'Angleterre m'en paroït plus prés encore que la France. Si au lieu de cette guerre vous aviez pu vous exécuter de bonne grace dès le premier moment; s'il étoit donné a la politique de faire d'avance ce qu'elle fera infailliblement forcce de faire plus tard ; fi 1'opinion nationale avoit pu permettre a votre gouvernement de prévenir les évènemens, en fuppofant qu'il les eüt prévus; s'il eüt pu conlentir d'abord a" O 3  [ 202 'J 1'indépendance de 1'Amérique fans faire la guerre a. perfonne ; je crois fermement que votre nation n'auroit rien perdu a ce changement. Elle y perdra aujourd'hui ce qu'elle a dépenfé, ce qu'elle dépenfera encore : elle éprouvera une grande diminution pour quelque tems dans fon commerce, de grands bouleverfemens intérieurs, fi elle eft forcée a la banqueroute; & quoi qu'il arrivé, une grande diminution dans 1'infiuence politique au dehors. Mais ce dernier article eft d'une bien petite importance pour le bonheur réel d'un peuple ; & je ne fuis point du tout de 1'avis de 1'Abbé Raynal dans votre épigraphe*. Je ne crois point que ceci vous mène a devenir une nation méprifable, & vous jette dans 1'efclavage. Vos malheurs feront peut-être au contraire 1'effet d'une amputation néceffaire; ils font peut-être le feul moyen de vous fauver de la " Cependant fi les jouiflajices du luxe venoient a per" vertir enüèrement les moeurs nationales—fi 1'Angleterre *' perdoit fes colonies a force de les étendre, ou de les " gêner, elle feroit tot ou tard afiervie elle-même—Ce " peuple relfembieroit a tant d'autres qu'il méprife, & " 1'Europe ne pourroit montrer a 1'univers une nation dont " elle osat s'honorer."—Hiftoire Pbilojophique \5 Politique da Commerce des deux Ihdes, liv. xix. torn. vi. p. 89. Genève J7?o.  [ *o3 3 gangrène du luxe & de la corruption. Si dans vos agitations vous pouviez corriger votre conftitution en rendant les éleétions annuelles, en répartiffant le droit de repréfentation d'une manière plus égale & plus proportionnée aux intéréts des repréfentés; vous gagneriez peutêtre autant que 1'Amérique a cette révolution ; car votre liberté vous refteroit, & vos autres pertes fe répareroient bien vite avec elle & par elle. Vous devez juger, Monfieurj par la franchife avec laquelle je m'ouvre a vous fur ces points délicats, de 1'eftime que vous m'avez infpirée, & de lafatisfaétionquej'éprouve a penfer qu'il y a quelque reffemblance entre nos manières de voir. Je compte bien que cette confidence n'eft que pour vous. Je vous prie même de ne point me répondre en détail par la pofte ; car votre réponfe feroit infailliblcment ouverte dans nos bureaux de pofte ; & 1'on me trouveroit beaucoup trop ami.de la liberté pour un Miniftre, & même pour un Miniftre difgracié. J'ai l'honneur, &c. (Signê) TURGOT.   O B SE RVATIONS SUR L'IMPORTANCE De la Révolution de L'AMERIQUE, E T Sur les Moyens de la rendre utile au Monde. Par RICHARD PRICE, D. D. LL. D. Membre de la Socie'te' Royale de Londres, & de 1'Académie des Sciences & des Arts de la Nouvelle Angleterre.   AVIS DU TRA DU C TE U R, L'OUVRAGE fuivant a paru lorfqu'on finiffoit d'imprimer celui qui précède. La réputation de Monfieur le DocCleur Price, fi eftimé, & fi digne de 1'être, pour fes excellens écrits fur la Liberté, & fur rArithmétique politique; la confiance que lui ont témoignée les Américains, & 1'utilité des obfervations qu'il leur confacre comme un dernier témoignage de fon dévouement, m'ont infpiré de les traduire.  [ 208 ] Mais il s'eft rencontré entre fes idéés & les miennes plufieurs dirrerences, dont quelques-unes font peut-être fort effentielles; & quelque défiance que j'aie de mes lumières, fur-tout lorfque je les compare aux ftennes, j'oferai dire, mon avis; la folemnité del'occafion, 1'intérêtde ces peuples dont le bonheur eft fi intérefTant pour 1'humanité; la vérité qui doit paflèr avant tout, & qui ne naitra jamais que du concours des efForts & du choc des opinions, me paroiffent des objets trop grands pour céder ades coniidérations d'un autre genre. Je dois a Monfieur Price cette juftice honorable, qu'il m'a prié avec ardeur d'expofer mes objedtions & mes doutes a la fuite de fon ouvrage;  [ 209 ] tant la vérité & 1'utilité font le premier but de fes recherches & de fes travaux. Je difcuterai donc les opinions du refpeclable Citoyen dont je m'honore d'être le Traduóreur, avec une liberté égale a mon refpect pour fon caraclère, fes intentions & fes lumières ; & j'ai cette doublé fatisfa&ion, que j'écris mes notes de fon aveu, & avec le fecours d'un homme très-difcingué. Nous voudrions tous trois; plufieurs Anglois, qui favent, en eftimant & fervant leur nation, s'élever audeffus de fes préjugés, voudroient aufli vivement que nous, que les penfeurs & les fages de tous les pays fe réuniffent pour donner des confeils au nouveau - monde dont Tanden attend fa régénération ;  [ ] mais qui fe trouve dans une crife plus périlleufe peut-être que la guerre qui 1'a précédée. La Sagefle elle-même feroit a-peine un pilote digne d'un tel danger. O B S E R-  OBSERVATIONS SUR L'IMPORTANCE Be la Révolution de L'JMERIQUE, E T Sur les Movsns de la rendre utile au Monde. Be rimportance de la Révolution qui a établi l'Indépendance des Etats-unis. G'EST enfuite d'une conviétion fincère que j'ai pris un intérêt très-vif aux fuccès des colonies Angloifes, devenues les Etats-unis de 1'Amérique. Ce fentiment de bienveillance m'ayant expofé a des critiques amères, & même a quelque danger, on fuppofera facilement que fattendois 1'évènement avec inquiétude. Je me trouve heureux d'en voir la fin, & d'avoir affez vécu pour être témoin de la paix qui n'a pas ceffé d'être 1'objet de mes defirs. Je vois fur-tout avec une fatisfaétion profonde la Révolution en faveur de la liberté univerfelle, dont 1'Amérique a été le théatre; cette Révolution qui ouvré un nouveau période dans 1'hiftoire du monde ; qui préfente aux hommes une grande perfpective, & dont les Anglois eux-mêmes retireront d'importans avantages, s'ils favent mettre a profit le coup porté au defpotifme de  [ 212 ] leurs Miniftres, & s'ils s'enflamment du faind amour de la liberté qui a fauvé leurs frères d'Amérique. La dernière guerre a fait un grand bien dan^ fon principe & dans fes progrès, en femant parmi les nations des opinions faines fur les droits du genre humain, & fur la nature d'un gouvernement légitime ; en excitant univerfellement cet efprit de réfiftance a la tyrannie qui a déja émancipéune des contrées de 1'Europe, * & qui probablement en émancipera d'autres ; en donnant a 1'Amérique un gouvernement plus équitable & plus ami de la libérté, qu'aucun autre du monde connu. Mais fi cette guerre fut utile, la paix qui la termine eft plus falutaire encore. Elle conferve ces Gouvernemens favorables qui auroient péri dès leur naiflance fi 1'Angleterre eüt triomphé ; elle allure dans une vafte continent, favorifé de la nature, un afyle aux opprimés de toutes les nations; elle pofe les fondemens d'un Empire qui peutdevenir le fiègede la liberté, lefanótuairede la fcience & des vertus; elle nous donne droit d'efpérer que 1'Amérique confervera ce t ré for facré * Je fuppofe que 1'Autcur parle de 1'Irlande.  [ **3 ] fkcré jufqu'a ce que tous les peuples en jouiffent, & que le tems arrivé ou il ne fera plus au pouvoir des Rois & des Prêtres d'opprimer,oü 1'infame fervitude qui dégrade la terre fera pour jamais exterminée .... Oui, je crois voir la main de la Providence travaillant pour le bien général dans la dernière guerre; & je puis a. peine m'empêcher de m'écrier: c'est l'oeuvre du seigneur. La raifon, auffi bien que la tradition Sc la révélation, nous portent a croire que le fort des hommes s'améüorera avant la confommation des chofes. Le monde s'eft perfeclionné par degrés : la lumière & la fcience fe font étendues, & la vie humaine des fiècles qui nous ont précédés eft a celle de nos jours ce que 1'enfance eft a la jeuneffe voinne de la virilité. La nature des chofes eft telle que cette progreffiondoit continuer. Elle peut être interrompue,elle ne peut pas être détruite. Chaque progrès fraie un chemin a de nouveaux progrès; une fimple expérience, une feule découverte eft quelquefois la fource de piufieurs connoilfances d'un genre plus élevé, & produit foudainement 1'efFet d'un nouveau fens, ou celui de 1'étincelle qui tombe fur une trainée de poudre & fait jouer une mine. L'homme peut donc arriver a un P  C 214 3 degré de perfecr.ion dont notre imagination ne devine pas même la poffiblité. Un fiècle de ténèbres peut fuivre un fiècle de lumières; mais alors la lumière, pour avoir été cachée quelque tems, brille d'un nouveau luftre. Les beaux fiècles de la Grèce & de Rome ont été fuivis d'un période de barbarie auquel fuccède notre age perfeétionné. Certains progrès une foisobtenus ne peuvent jamais fe perdre entièrement. Ceux de 1'antiquité s'étoient confervés dans 1'obfcurité des fiècles barbares, puifqu'a la renaiffance des lettres, les fciences & les arts ont recouvré une vigueur dont Paccroiffement rapidc diftingue nos tems modernes. Cette réfiexion doit plaire a l'efprit humaini elle doit 1'encourager. Un homme de génie obferve dans un jardin les effets de la gravité. Ce hafardheureux lui offre la découverte des loix qui gouvernent les mondes*, & nous permet de regarder avec une forte de pitié 1'ignorance des tems les plus éclairés de 1'antiquité. Quelle nouvelle dignité n'a pas donné a 1'homme, que n'a pas ajouté a fa puiffance 1'invention des verres optiques, de 1'imprimerie, de la poudre, le perfeclionnement de la navigation, des mathématiques, de la philofophie naturelle ! * Ceci fe rapporte aux détails que 1'on trouve fur Ifaae Newton dans la préface du Dofteur Pemberton.—Fievj of hit Philojbphj,  [ 2I5 J Qui auroit ofé imaginer dans les premiers ages du monde que les hommes parviendroient a déterminer la diftance & la grandeur du foleil & des planètes ? Qui même au commencement de ce fiècle auroit pu penfer que dans peu d'années 1'homme acquerroit le pouvoir de foumettre la foudre a fa volonté, ou de plailer dans les airs a 1'aide d'une machine aè'roftatique ? Le dernier de ces pouvoirs, quoique fi long-tems ignoré, eft-il autre chofe que 1'application fimple d'un principe familier ? Beaucoup d'autres découvertes paroitront encore, qui procureront a 1'homme de nouveaux moyens d'étendre fa puiffance ; & ce n'eft peutêtre pas trop préfumer que de dire : " fi les " gouvernemens civils n'y apportent point " d'obftacles, les progrès humains ne s'arrête{t ront pas que 1'ignorance, & les vices, &: la ic guerre, ne foient bannis de notre globe*." * Voici la phrafe de Monfieur le Dofteur Price : " and tier a peupler avant de fe fentir preffés les uns par les autres; voila le préfervatif que la Providence leur a donné ; voila ce qu'elle n'avoit donné avant eux a aucune nation connue ; voila chez ces peuples appellés au bonheur le garant de la paix, fans même avoir befoin de compter fur leur modération ou leur vertu. Mais les précautions qu'indique Ie refpeétable Auteur dont on vient de lire 1'ouvrage n'en font pas moins diétées par la fageffe. L'augufte affembleé du Congrès Continental ne peut jamais être a craindre. Les choix feront faits avec prudence, paree qu'un peuple libre ne s'eft jamais trompé fur le choix de fes repréfentans. La courte, & peut-être trop courte durée de leur adminiftration, ne permet pas 1'inquiétude. La nature de leurs fonérions, étrangèresau gouvernement intérieur de chaque Etat particulier, eft une barrière fufüfante a 1'ambition. Ils ne peuvent ni fonger a tout fouraettre, niemployer contre la liberté d'un feul Etat les forces fédérales. Donnezdonc de Ja confiance au Congrès; donnezlui du pouvoir. Soyez jugés par les Députés dt toutes vos contrees- c'eft-a-dire, foyez jugés par vous-mêmes. Rien ne réuftera aux décifions d'une juftice impartiale. Mais armez vos Juges d'une puiffimce qui ne peut être dangereufe : armez-les de  [ 3^5 ] toute votre force pour appuyer leurs arrêts; & c'eft ainfi cjue vos propres décrets prononcés par la boüche «ie vos fages feront encore exécutés par vos mains. Sans doute il n'entrera dans l'efprit d'aucun homme. libre que la défenfe d'une terre arrofée de votre fang puiffe être confiée a des mercenaires. Je le fais, & j'en bénis le Ciel: le fiècle, le moment eft arrivé oü l'amour de la Patrie ne fera plus la haine du genre humain ; ou la profpérité d'un Etat libre ne fera plus fondée comme a Rome fur la foif de la domination, comme a Sparte fur l'amour de la guerre. Mais la nature des hommes n'eft pas changée. Rien de grand ne s'eft jamais fait, & ne fe fera jamais, fans de grands motifs, fans de fortes émotions ; & la raifon feule, les notions de l'ordre, les idéés de juftice, ne foutiendront pas l'aéHvité néceffaire a la liberté, fi 1'on ignore 1'art dé les convertir en paflions. La liberté feroit perdue peu de momens après celui ou elle cefferoit d'être la plus douce & la plus fentie des jouiffances. Pour la conferver il faut en être toujours épris : il faut que la poffeffion d'un fi grand bien n'en éteigne jamais les charmes : il faut que chaque jour rapporte a 1'ame le fentiment d'ivreflè dont elle a joui au premier cri de la vidtoire. Voulez-vous obtenir ce grand effet ? Parlez aux fens: parlez-leur fans ceffe: placez a chaque inftant fous les yeux 1'image affligeante des jours de votre efclavage; 1'image raviffante du jour de votre indépendance. Prenez 1'enfant au berceau. Que pour premiers mots il bégaye le nom de Washington. Que Educauoi?.  C 306 j fes premières lecons d'hiftoire foient les injuftices que vous éprouvates & le courage qui vous en affranchit. Que fes prières de chaque jour foient un hommage de reconnoifl'ance au Dieu qui vous donna des chefs habiles, qui guida vos armées, qui fortifia vos laboureurs contre la tyrannie & la difcipline Européennes. Qu'il grandifTe ce jeune enfant, efpoir de la patrie, qu'il grandiffe au milieu des cérémonies annuelles, des fétes confacrées aux évènemens de la guerre & a la mémoire de vos Héros. Qu'il apprenne de fon père a pleurer fur leur tombe, & a bénir leurs vertus. Que fon premier livre foit le décret de votre indépendance, & le code de vos conftitutions ébauchées au bruit des armes. Qu'au bout du champ qu'il labourera dans fa jeunefle, il s'arrête, & les yeux humides life ces mots fur la pierre brute— Ici des barbares soudoye's par le despotisme ont e'touffe' dans les flammes, ont brise' contre les arbres un vieillard infirme, ET des enfans ARRACHe's du sein de leur meVRE expirante—La' les satellites de l'oppresïion ont plove' les genöux, recu des fers et demande' la vie.—Que le calendrier de 1'année contienne ces faits immortels rapportés a chaque jour. Que Pépée dont fon père defendit autrefois fort époufe; que 1'épée dont il fera ceint lui-même au jour dé la raifon & de la force, que ces épées foient attachées au foc de fa charrue. Que 1'arme de la guerre, ainfi unie a 1'inftrument de la paix, renouvelle pour lui cette langue des fignes fi puilTamment employee dans 1'antiquité pour des ufages moins facrés. Qu'elle lui dife, ce qu'il n'oubllera jamais après 1'avoir appris ainft, que la fierté de 1'homme libre brav-e tous les  C 307 } dangersj mais ne trouble jamais l'ordre; que le feng humain doit être prodigué pour la liberté, & ne doit couler pour aucune autre caufe ; que la guerre efl: affreufe fi elle n'eft pas néceffaire; qu'elle eft un opprobre pour le foldat mercenaire qui vend fa viea 1'argent, ou a l'honneur odieux d'un froid état d« barbariej mais qu'elle confacre a 1'immortalité Le héros citoyen qui donne fa vie pour fes frères, Enivré d'amour pour la liberté comme ces anciens Germains dont parle Tacite, qui libertatem de- per1bant, ut pote sanguine p'artam, que CS jeune courage, un ou deux jours par mois, abandonne les travauX de la culture pour aller nourrir fa fiertér 4ans les exercices militaires; qu'il manie les armes & s'exerce a la difcipline fous les yeux des hommet, les plus révérés ; qu'il promette dans leurs mains a fa patrie de périr pour fa défenfe & pour celle des loix. . » . . Voila, voila les troupes qu'il vous convient d'avoir. Que dans nos monarchies on divife, on claffe les Etats; qu'on les foudoie avec de 1'or, & un honneur de «onvention ...... Parmi vous, réuniffez toute» les fonétions. Que le même homme foit a la fois laboureur, foldat, repréfentant de la cité} qu'il contribue de fes travaux, de fon courage, de fes lumières a la profpérité publique, & ne fe croie quitte envers la patrie qu'en lui donnant tout fon être & tous les momerts de fa vie. Ne craignez rien d'une milice ainfi conftituée, Voila la force dont il faut armer le Congrès poi*i  t'308 ] 1'exécution de fes jugemens. Voila celle qu'il faut op« pofer aux courfes des fauvages, fi 1'humanité & la bienfaifance de vos invincibles Citoyens ne vous acquiert pas leur amitié. Voila celle qu'il faut tenir préparée contre 1'agreflion des peuples Européens, qui ne voudront, qui n'oferont jamais troubler la paix de vos demeures. Mais que de chofes vous reftent a faire ! „ Après avoir donné le grand exemple d'une légiflation philofophique éclofe au milieu du carnage, donnez 1'exemple plus admirable encore d'une noble & fage modeftie. Revoyez vos loix. Perifez aux mceurs. Penfez aux inftitutions qui les entretienrient. Acheve» votre ouvrage. Ne vous repofez qu'après avoir atteint la perfeélion que comporte notre nature ; & ne fouffrez pas que par votre négligence le plus bel inftant de 1'efpèce humaine paffe fans fruit pour 1'univers. On le voit: mes idees ne lont que celles de 1'Hom me vénérable dont j'ai traduit 1'ouvrage. Mais j'oferai fejetter fon opinion fur la nature des différens poüVoirs dont il croit que le Congrès Continental doit être invefti: " II faut 1'autorifer, dit-il, a fe procurer tc les moyens de fub venir aux frais de la confédéraf ion. *' On doit même lui conférer le droit d'emprunéer " & de pourvoir a 1'amortiffement de la dette." Je fuis loin de penfer ainfi, & c'eft a Monfieur Price lui- rhêmet X  [ 3°9 ] fnêrhe que j'offre mes objeéfr'ons, comme un hommage du a fon amour pour la vérité & pour le genre humain. La plus funefte illufion de ce qu'on appelle politique en Europe a éiéde regarder le credit comme utile, & de rejetter fur les races futures une partie des devoirs de la génération préfente. Ce fyftêrne horribl* eft né de l'indifférence pour la patrie, Si prépare le moment, p!u<- ou moins éloigrié,maJs infalUible, d'une révolution qui efFrayera le monde. Le fardeau agrave le fardeau ; les charges de chaque année font preffées de tout le poids de» précé1 rites. L emprunÊ nécefïite 1'emprunt ; en forte r-'e cette politique fi vantée ne conduit qu'a iacertitude de rendre le fervice public impoflible, c'eft-a'-dire, a la dilToIution de la fociété, qui ne peut trouver de remèdc que dans la violation de la foi & dans le renverferhent général des fortunes .... Hommes libies, gardez-vous de la contagion de 1'cfclavage, & fongez que vous ne pouvez devenir ce qu'il faut que vous foye*, qu'en oubliant tout ce que vous avez été. Un vrai Citoyen apparrient tout entier a la qité, C'eft avec joie qu'il paie fa dette annuelle : jamais il ne la laiffearrerager; jamais il ne remet au lendemain le fervice du jour. C'eft de fa perfonne meme qu'il exécute tout ce qui eft néceffaire. Les méchans qui troublent la fociété, il les faifit & les livre a la loi, Les Communications néceffaires au commerce intérieur; X Le Con- grevs ne doit poi nt avoir le d roit d'empruK' ter.  [ 310 3 a la chofe publique, il les ouvre, il les erttretient ; les différends qui divifent fes frères, il les arbitre, \\ les juge; les hordes ennemif; il les combat de la même main dont il dirige la charrue fur le champ qui nourrit fa femme, fes enfans, fa familie. Dans tout cela il n'eft pas queftion d'emprunts ; il n'eft même prefque pas queftion d'argent, mais de services; & voila comment agit, comment s'entretient & fe tranfmet le généreux fentiment du patriotifme. Payez donc la dette que vous avez contraétée pour la plus noble des caufes dans une crife extraordinaire, qui ne fouffroit ni règle, ni délai; mais n'empruntez jamais. Quittes a la fin de chaque année de tout ce que vous devez a la patrie; recommencez 1'année fuivante les mêmes travaux avec un zèle égal, qui fera récompenfé des mêmes jouiffances. Regardez de loin votre ancienne métropole preffée du fardeau de fes papiers circulans, de fon crédit, de fa banque, s'enorgueillir de la faftueufe illufion de fon opulence, & hater par fon avide crédulité, ou fa préfomptueufe confiance, 1'épouvantable réveil d'un fi long .rêve Mais vous, paifibles, heu- reux, modeftement fiers d'avoir vengé les droits de 1'homme; foyez toujours au niveau de chaque journée, & montrez au monde ce que peuvent pour le vrai bonheur la modération, l'ordre, 1'économie, a la fuite dc la liberté. N'empruntez jamais—La première délibération d.'emprunt feroit un figne infaillible de la décadence de l'efprit qui doit vous animer» Ce feroit déléguer  C 3" 3 a d'autres le foin qui vous eft impofé par la nature & votre ferment, & acquitter le cinq pour cent de vos devoirs. Ce feroit une injuftice horrible qui forceroit vos defcendans a porter en même tems le poids de leurs journées & des votres*. Ce feroit * Et voila. ce qu'on n'a prefque point ofé dire. Je ne connois qu'un Ecrivain Anglois, qui, dans un ouvrage récent, imprirné en petit nombre, & diftribué feulement a quelques amis, ait foutenu 1'injuftice & Pillégalité des emprunts. Ce morceau me paroït fi bien fait, & tellement fans réplique, que je ne puis me refufer au plailir de le traduire. " Un Anglois a par fa naiffance le droit de n'être taxé " que par des Repréfentans de fon choix propre & immé" diat.* Si 1'on eüt refpeélé ce droit, les fubfides demandés " par le gouvernement auroient été levés dans 1'année *' même ; car la méthode conftitutionnelle de voter les fub" fides efl que le Roi ayant déclaré quelle efl la fomme ** néceffaire pour le fervice, la Chambre des Communes " décide s'il est plus prudent et plus de l'in" te'rét du public et de ses constituans Dl " SUPPORTER la De'fENSE, ou d'aRRETER tout " service. " u Li süreté qu'avoit autrefois un Anglois contre 1'abus du poiiToïr " de taxation étoit que le Membre du Parlement lui-même payoit fa " quote-part de chaque taxe qu'il confentoit d'impofer, en forte qu'il " ne pouvoit pas blefier la propriété de fes Eleéteurs fans faire tort a " la fienne: mais il y a long-tems que cette fecurité s'eft évanouie parles " effets de 1'influence ; & depuis que le Parlement eft devenu une !i " grande partie du négoce des courtiers des fonds, on voit comment le» " fjrtunes des foufcripteurs aux emprunts publics s'augmejitent par (t Tacle même qui raine leurs conftituanr. X 2  [ 3** ] fur-tout une contagion funefte, qui, détruifant rapidément vos mceurs, éveilleroit la cupidité, multiplieroit ** II eft inxonteftable que ce principe a été viojé, lorfque " les fubfides ont celle d'être levés dans 1'année, &c qu'on " les a rejettés fur la poftérité ; car lorfque le fubfide étoit " de cinq millions par exemple, & qu'il étoit levé dans 1'an" née, ceux qui 1'impofoient en fupportoient le fardeau. " Le mal poüvoitêtre fuffifant pour le jour; mais il expiroit " avec lui; au lieu que ceux qui accordent cinq millions levés " par hypotlièque ne fe chargent que de fimple intérêt, tan•* dis qu'ils grèvent du principal & de 1'intérêt de cinq " millions leurs enfans & les enfans de leurs enfans. Nous " donnons et accordons .' telle eft la formule des bills " d'argent. Elle ne fut imaginée que pour exprimer le dor» " & la conceflion de la propriété des donateurs ; Sc non pas " de la propriété de leur poftérité. " La violation de ces principes parokra fous un plus " grand jour, fi 1'on confidère que 1'accumulation de la " dette nationale eft telle que 1'intérêt feul monte a dix " millions fterlings, qui doivent ê."re levés chaque an** ne'e dans l'anne'e meme fur les habitans de la " Grande Bretagne. Eh ! quelle part avons-nous donc eu " dans ie choix des homtaes qui' ont impofé fur nos biens une " taxe fi exorbitante ? Ils étoient les repréfentans les uns *' du dernier fiècle ; quelques-uns du fiècle aétuel; mais '* aucun d'eux n'a été éiu par ceax fur lefquels tombe le " paiement de ces taxes. " Lever des taxes fur la poftérité, fans doute c'eft s'écarter ** de la Conftitution: c'eft encore violer les devoirs de Par" ticulier, de Citoyen, d'homme d'Etat; car le devoir " d'un Particulier, père de familie, eft de protéger 1'héritage  [ 3^3 ] Jes intrigues, & tourneroit vers la baflefle de 1'agiotage 1'élévation de vos ames. II n'y auroit bientót plus de patrie & les champs de l'honneur ; 1'afyle de la liberté fe changeroient en une bourfe de négocians. " de fes enfans & non pas de lui faire tort. Le devoir " d'un Citoyen eft de facrifier ion intérêt perfonnel & paf" fager a 1'avantage permanent & au bien-être a venir de " fon pays. Enfin la différence entre un bon Sc un mau" vais adrniniftrateur eft que celui-ci fe contente de pour" voir aux beibins du moment, tandis que i'autre ié pré" cautionne contre les évènemens qui doivent mettre en " danger la chofe publique dans les tems a venir. *• C'eft d'ailleurs un devoir dont les bons Citoyens font " tenus envers le Souverain, de ne point mettre d'obftacle a fes deiTeins pour le bien public, & fur-tout de ne point Ie gêner dans 1'exécution de fon premier & de fon plus grand office; celui de défendre & de protéger fon peu" ple. Le pitoyable fyftême d'anticiper & d'accaparer les " reflburces nationales eft donc plus nuifible, s'il eft pofli" ble au Roi, qu'aux fujets ; car fi le Roi eftle plus inté" reffé a la conlervation & a la profpérité de 1'Etat, on lui " fait plus de tort qu'a tout autre en ötant de fes mams ' " les moyens de défenfe & d'amélioration. Et comment " avec Ie fardeau de notre dette actuellc, la couronne pourra" t-elle embrafiér aucune mefure même de défenfe natio" nale, fans entaffer des oppreffions fur des opprimés, & ' fans frapper toujours plus profondément le crédit public " déja blefle peut-être au-dell de tout remède ?" Le mal paroit fi grand a 1'Auteur, qu'il ne craint pas de dire que, pour exprimerla fituation de 1'Angleterre, il faudroit emprunter 1'expreffion d'un ancien &dire: etiam si deu voluit, servare rempuelicam non potest.—Politica! Letters, p. 54 fcf 5;, Letter X. Written in March and April 1784.— Printed ly W. Richardfon.  Nul be- soin de s'assurer u n credit. [ 314 ] Mais fi les Américains n'empruntent pas, combien de fiècles pefera fur eux le fardeau de la dette aétuelle qu'a la fin il faudra payer ? Et quel crédit auront-ils auffi long tems que cette detté ne fera point acquittée ? Les Etats-unis doivent. On fuppofe que leur dette s'élève a neuf millions fterling. Sans doute il faut qu'ils lapaient, non pour acquérir un crédit futur, qui feroit le plus funefte des avantages, fi la réfolution de ne pas emprunter n'étoit pas burinée dans le livre des loix fondameritales; mais paree que cela eftjufte, & que la juftice eft la première vertu des hommes; & que la République nouvelle eft perdue, fi elle ceffe d'adorer la vertu. J'oferai le dire: je n'aime point l'efprit arithmétique qui règne dans tout le chapitre qui traite de la dette publique. On n'y parle que de millions, de moyens de les augmenter, d'accroiffement d'intérêts, de produits qui en peu d'années doublent, triplent & multiplient les capitaux a un degré que j'admettrai fans examen, plutót que de me deffécher en en faifant lc calcul.. . . Pourquoi faire fonner For aux oreilles des enfans de la liberté & des cultivateurs d'une terre bénie par la Providence ? Qu'importent les moyer.s imaginaires ou réels de devenir riches & corrompus, quand il ne s'agit que d'affurer le règne de la vertu & du bonheur? .... O mes amis! vous devez neuf millions fterlings. Payez-les doucement, ler.tement, fans efforts, par de fages contributions établies fur les propriétaires. Privez-vous quelque tems d'une partje  [ 3*5 ] votre alfance. Ce facrificeeft le prlx de votre liberté ? Pourra-t-il être onéreux a vos ames nobles & courao-eufes ? Que les fervices publiés foient tous exécutés par vous-mêmes ; que la contribution diminue a proportion de l'extinétion de la dette ; & que les fonds dont la confédération n'aura plus befoin retournent en améliorations au fein d'une terre féconde,quiverfera dans vos mains des tréfors purs, dont vous n'aurez a remercier que la Providence. Hél as ! il eft comme impoffible que les ames les plusdroites& les plus éclairées ne recoivent pas quelque altération des préjugés qui les environnent. C'eft d'Angletérre qu'on vous écrit; c'eft d'Angleterre qu'on vous donne le confeil d'établir un crédit permanent, & de former aux Etats-unis un patrimoine Continental. Le Credit ! . . . . Le crédit eft un ver qui ronge la racine de 1'Etat. Croyez-moi la fageffe humaine confifte a fe défier d'elle-même. Si un tems arrivoit oü vous euffiez moins de zèle; oü 1'intérêt privé pesat fur la chofe publique ; oü vous aimaffiez mieux votre fortune que celle de 1'Etat; 1'habitude d'emprunter feroit formée ; vous emprunteriez au lieu d'agir : vous convertiriez les fervices d'hommes libres en fervices de mercenaires ; & cette extrémité du monde, oü repofe 1'efpérance du refte, ne feroit plus qu'une contrée avilie; dont 1'exemple fourniroit un principe de plus aux tyrans pour 1'oppreHion de 1'efpèce humaine. Vous êtes au commencement de tout: n'adoptez rien des Etats vieillis, que les préjugés, les révolutions,  [ 3* } les habitudes ont altérés fans remède. Leur plu? trifre ignorance eft celle des maux dont ils font affiégés. Leur plus mortelle maladie eft cet aveuglement des paffions invétérées, qui perdént jüfqu'au defir de la guérifon. Le germe des maux qui menace 1'enfant au jour de fa naifTance échappe z 1'ceil le plus éclairé; mais il contient la contagion & la mort. II en eft de même des Etats. C'eft dans la première idéé faufie, dans le premier principe injufte mêlé a leur conftitution naiflante, qu'eft la fource de tous leurs malheurs & de leur ruine; d'autant plus dangereux que la fermentation fera plus lente & plus difficile a prévoir. Le moindre feVain de vice, ou d'erreur, fuffit pour mettre fourdement en difcorde les mceurs & les loix, & pour opérer la diffolution des républiques les mieux établies en apparence. Tous les Etats confondentaujourd'hui 1'argent avec la richefi'e, la richeflé avec le bonheur, 1'éclat avec Ja puiffance, la renommee avec la vraie gloire. Fuvez ces illujions ; & n'en jettez pas Ij femence dans le berceau de vos fociéiés. Sacheë, & n'oublicz jamais qu'on n'eft heureux que par la moderatiqn, puiffant 4}ue par le nombre & le courage, illuftre d'un éclat durable que par la vertu. Voici dohc une rè.gle süre de conduite: tou.t ce qui peut altérer vos mceurs, üfFoiblir votre zèle, vous détacher de vos devoirs d'homme & dc citoyen, eft un mal, un grand mal, qui, dangereux dès aujourd'hui, deviendroit infailliblement un principe de ruine pour vos nations. L'emprunt réanit fous ces défordres a la fois. Que ce foit donc une loi invariable dc n'empruhtee jamais.  [ 3i7 3 Je trouve%ans 1'Auteur une autre idee qui n'a pu] naitre qu'au milieu des préjugés qui afliègent la vieillefie des empires. II vous confeille de compofer entre les mains du Congres un domaine Continental, & de préparer par cette précaution 1'inftant oü vous n'aurez plus rien a faire pour la patrie. Si les calculs de cette arithmétique politique étoient vrais, ce feroit une raifon de plus d'en rejetter les réfultats. Difpofez au contraire vos conftitutions de manière que la patrie ait toujours befoin de fes enfans, que les citoyens aient toujours befoin de leur mère. C'eft au fentiment de ces befoins réciproques que la Providence a attaché les plus douces émotions de la nature, & 1'homme ne peut faire rien de bon qu'en imitant cc grand ordre. Ne voyez-vous pas que la recherche des moyens de foutenir la chofe publique fans le concours des citoyens a fa racine dans un fentiment vague, qui attaché 1 'idéé de bonheur a 1'oifiveté, a 1'inertie, a 1'intérêt perfonnel ? Comment une telle Inftitution n'améneroit-elle pas a fa fuite les difpofitions d'ame qui en ont infpiré le deiir? Et fi ces difpofitions font le poifon le plus funefte pour un Etat libre, jugez vous-n'ême ce que vous devez penfer des établrflètnens qui y conduifent. Les Domaines Publics font les inftrumens qu'ont préparé de loin les chefs des peuples po'ur les conduire a 1'efclavage. Et ce feroit par-ia que débuteroient des nations libres! Desdomaines publics a jamais livrés a Padminiftration des Repréfentans de vos contrées ! c'eft-a-dire un pouvoir indépendant de vos volontés, confié a ceux qui n'ont que votre volonté a exprimer dans les décrets publics! Et pourquoi ? je Con- j R^ES ne aoiT 'oint woir de domaine.  [ 3*8 ,'J Pour vous décharger de vos devoirs !j* . . . . Vous fapperiez du même coup les fondemens des moeurs & ceux de la liberté ; vous feriez corrompus, & détachés de 1'intérêt général, par la même inftitution qui livreroit vos enfans au defpotifme. Cette feule loi briferoit tout ce que vous avez a défendre. Voulez-vous favoir ce qui pourroit vous arriver alors de moins malheureux? C'eft que 1'indifférence des Députés de vos Provinces fut plus grande que leur ambition. Si, confidérant les poflèffions qui leur feront confiés comme un domaine public, ils en négligent la culture, vous condamnez a la ftérilité la terre que la Providence vous a chargé d'améliorer. Si les confidérant comme leur bien, ils les fertilifent; vous condamnez votre poftérité a la fervitude ; & quoi qu'il arrivé, vous ruinez dès le principe l'amour de la patrie & de la liberté. N'enrichiffez jamais les hommes que vous voudrez conferver purs. La contagion de 1'or eft funtfte aux ames les plus faines, & la grandeur li vantée des peüples modernes n'eft que la puiffance de la corruption fur la baffeffe Hommes libres ! fi vous nourriffez au fond de vos cceurs d'autres defirs que ceux d'une grande culture, d'une grande population, du bonheur que goütent dans le fein de la nature, de 1'amitic, de la patrie, les pères, les mères, les enfans, les frères, les citoyens ; c'eft a tort que 1'on vous aime, c'eft a tort que 1'on vous admire : vous tromperez les efpérances du genre humain, & vous ferez comme nous; c'eft-a-dire rien, pis que rien j era- te néant eft préférable au vice &au malheur.  [ 319 3 Quel rayon de lumière divine a percé les ténèbres ; qui nous environnent, & pénétré la fageffe de 1'homme de bien qui vous parle dans 1'écrit précédent ! Qu'il eft grand d'avoir vu, qu'il eft beau d'avoir fenti au milieu de toutes les illufions de la richeffe, au milieu de tous les calculs de la cupidité, que le commerce étranger perdroit vos fociétés ! Quel profond amour pour Ia liberté, pour les mceurs, a combattu dans fon ame les préjugés, qui, dans fon pays, attachent aux fpéculations mercantiles 1'idée de grandeur & de force ! Ah ! lifez ; relifez ce chapitre ! Qu'il foit gravé dans toutes vos falies d'affemblées fur le marbre, fur 1'airain. Je le graverois moi fur des tables d'or, tant j'ai de confiance dans la vive impreffion des images. Je voudrois que ce métal corrupteur qui aperdu la terre, fervit une fois la fageffe & la vérité, en portant luimême le décret de profcription contre la cupidité qu'il allume. Le Commerce, confidéré comme union &. rapport entre les hommes, eft commandé par la nature. II augmente ce fentiment fraternel dont tout ceil fain lira l'ordre empreint fur le vifage de fon femblable. Que des hommes liés entr'eux par Ia fociété des loix, du gouvernement, de la patrie, faffent un échange de fervices & d'induftrie ; que dans une confédération plus étendue ils établiffent un figne repréfentatif de cet échange mutuel: rien de plus naturel, rien de plus utile ; mais aufli-tót que le commerce paffe ces hornes, il eft dangereux, & funefte a tout peuple qui n'en a pas befoin. [je Com» merck*  f 320 ] Le Commerce, envifagé comme moyen de vivre aux dépens des nations étrangères, eft néceffaire aux peuplesqui habitent un fol dont ils ne peuvent tirer leur iübiiftance. Les prodiges d'mduftrie, que cette fituation a fait naitre, ont quelque chofe de féduifant & d'admirable, qui a trompé 1'Europe entière, au point de lui faire regarder cette aftivité calculante comme la fource de toute profpérité pour les nations. Grande & funefte erreur, qui a confondu 1'étonnant avec 1'utile! & caché a tous les yeux, que les reffources néceffaires aux peuplades difgraciés par la nature, deviennent le fléau des fociétés favorifées! Voulez-vous mettre au commerce étranger fon véritable prix ? Cherchez d'abord ce qui eft effentiellement bon aux fociétés humaines. II n'y a de bon que la liberté, la süreté perfonnelle, la popuiation, les moeurs & le courage. Tout ce qui n'eft pas cela eft indifférent; tout ce qui y nuit 'eft mauvais. L'aétivité du commerce étranger a pour principe l'amour dc Ia richeffe. II nuit donc aux mceurs. Cet amour n'a jamais fubfifté long-tems dans 1'ame avec 1'enthoufiafme. II affoiblit donc, & bientót il éteint Ie fentiment de la liberté & du courage. Le commercant rétréci par fes calculs & confumé par fes defirs, regarde plutöt 1'honnêteté comme néceffaire, qu'il ne fent combien elle eft aimable. La vertu devient, comme tout le refte, une affaire de fpéculation. Dèslors plus de véritable morale, plus de patriotifme,  [ 321 ] plus de citoyens. Eh ! quel attachement peut lier invinciblement a la patrie un homme qui, fuivi de fon art, ou de fon porte-feuille, eft auffi bien par-tout ailleurs ? La chofe publique ne le touche qu'autant qu'elle fert a fa fortune. Ses vceux, au lieu de fe confondre dans la maffe des intéréts communs, le féparent, 1'ifolent, Sc n'aboutiffent plus qu'a fon bienêtre perfonnel. Voila 1'effet moral de la foif du commerce. Voict fon influence phyfique. Si vous payez a 1'étranger autant d'induftrla que vous lui vendez de la vótre ; a quoi bon s'agiter pour multiplier fans fruit des jouiffances qui n'ajoutent rien au bonheur, Sc qui accélèrent la corruption ? Si vous vendez plus que vous n'achetez ; c'eft alors que vous croirez être fur le chemin de la profpérité, & vous marcherez rapidement vers la deftruétion. Les rui.ffeaux d'or couleront pour vous. Le plus habile, Sc furtout le plus avide, s'en empareront. L'hoinmehonnête Sc modefte fera pauvre dans fa première fortune, qui n'aura plus de proportion avec le prix des denrées. La funefte inégalité, fource de toutes les misères Sc de tous les crimes, poifon de la liberté Sc de la vertu, exercera parmi vous fes ravages. L'opulence fera le pouvoir. La pauvreté fera vouée a 1'oppreffion & au mépris. Les fervices deviendront mercénaires; Sc dans votre pays, gangréné par la cupidité, il n'y aura plus de loix qui ne foient a vendre, plus de magiftratures qui n'aient leur prix, plus d'honneur qu'on ne mette a 1'enchère. Enfin, pour punition d'un faux  [ 322 ] calcul en té fur des paffions viles, le Commerce finifa par Te détruire & fe ronger lui-même. Les tréfors qu'il aura amaffés feront monter 1'induftrie a un taux qui écartera toute concurrence. Perfonne ne voudra plus rien de vous; & ne fachant plus ni comment employer votre or, ni comment vous en délivrer ; vos nations, ruinées par 1'excès même de leurs richefTes imaginaires, perdrorit leur commerce fans retrouver le bonheur & 1'innocence qu'elles lui avoient facrifiés. Alors vos mains demanderont des fers au premier ambitieux, ou vos tréfors deviendront laproie du premier brigand qui voudra s'en emparer. C'eft l'hiftoire du monde entier que je viens de vous faire. Appréciez maintenant la politique moderne. Jugez le fot orgueil de nos philofophes calculatéurs, qui ofent méprifer les antiques légiflations, & préférer 1'aridité de leurs chiffres au langage de la plus touchante fageffe. Voyez oü ils nous conduifent. Voyez oü font arrivés les peuples qui ont fuivi ces guides menteurs. Sans fa profonde conftitution, votre ancienne métropole n'exifteroit plus. Cette conftitution combat pour les Anglois plus que les Anglois eux-rnêmes : mais fi la mer ne défendoit pas les approches de 1'Angleterre ; fi la liberté individuelle y pouvoit être une feule fois impunément attaquée; fi l'efprit d'ordre & les mceurs domeftiques n'y étoient pas encore protégées par la féparation du Continent; fi vous ne lui aviez pas rendu le fervice de rsprimer fon orgueil ; jugez vous-mêmes ce que deviendroient les reftes de fa liberté & de fa puiffance parmi le tumulte des faétions, 1'exceffive inégalité des  [ 3^3 J fortunes, la vénalité des partis, le défordre des banqueroutes, les variations du crédit, les alarmes de Pavarice, la furcharge des taxes de tout nom, de tout genre, 1'énormité de la dette nationale, Si 1'oppreffion que 1'induftrie même éprouve fous le poids de 1'or amoncelé depuis tant d'années! . . .Vous tiendrez tout de 1'Angleterre; c'eft a fon injuftice que vous devez votre liberté; c'eft a fes erreurs que vous devrez les lec;ons de fageffe qui vous les feront éviter. Eh ! quoi ! vous confeillai-je de porter des loix contre le commerce; d'établirdesprohibitions, de profcrire un ordre quelconque d'occupations & de tra-] vaux ? Que le Ciel me défende de cette injuftice ! La propriété Sz la liberté, ces dons inaliénables Sc facrés, la propriété & la liberté font la bafe de vos conftitutions : gardez-vous d'y porter atteinte. Laiffez faire tout ce qui n'eft pas criminel; mais n'encouragez que cé qui eft bon : la feréduifent mes principes. Que toutes vos loix tendent a 1'égalité des fortunes ; que la richeffe des pères partagée entre tous les enfans multiplie les citoyens, & ramène au niveau les families. Que le territoire immenfe dont vous avez la difpofition foit délivré a quiconque fe préfentera avec des moyens de le défricher. Donnez-Ie gratuitement. Ne vendez jamais ; ne croyez point avoir le droit de vendre ces campagnes couvertes des forêts primitives qui n'appartiennent qu'a Ia nature, Sc qui ne peuvent lui être arrachées que par le travail. Appuyez, confolez, aidez, protégez de toutes les forces du gouvernement ces cultivateurs qui vous paient de leurs fueurs fécondes. le bonheur de vivrc au Point de i,oi x proiibitives  t 3H 3 milieu de vous. Le commerce vraiment utile, c'eft celui de 1'importation des hommes laborieux Sc pauvres que vous enverra 1'univers. Ne donnez le droit de repréfentation nationale qu'aux propriétaires laboureurs d'une quantité de terre déterrhinée par la loi. Songez qu'un homme n'eft qu'un homme, n'a qu'un cceur & une ame ; qu'il n'eft utile que par fon fentiment Si fa penfée. Que le riche ne foit donc jamais pour vous plus que le pauvre. Si cent acres donnent une voix, que cent mille acres n'en donnent qu'une. Vous imprimerez, par cette inégalité apparente qui n'eft qu'une juftice plus profonde & mieux fentie— vous imprimerez fur le berceau même de vos fociétés la marqué toujours vifible de l'efprit qui préfida a leur naiffance. Vous óterez a la cupidité 1'un de fes refforts les plus puiffans, celui de 1'ambition Sc du pouvoir. Vous tranfmettrez aux générations fuivantes votre première opinion fur la richeffe Et voila comment on forme les mceurs des peuples, en donnant aux idees un cours néceffaire dont elles ne pourront plus s'écarteF. Alors que le commercant qui bitit des magafins, qui conftruit des navires, qui fpécule des entreprifes, préfère, s'il le veut, la trifte arithmétique de fon comptoir au fpectacle fi doux de la nature, a la richeffe, fi touchante des campagnes Laiffez-le faire. Que fa propriété foit facrée comme tout autre ; que fa liberté foit inviolable fous 1'empire de la loi. Mais il eft habitant, Sc non pss citoyen de vos contrées. II a choifi d'appartenir au monde. Quand il le voudra, il aura une patrie. II convertira fes fondsen propriétés i terri-  [ 325 ] territoriales; & cette métamorphofe favorable a votre efprit & a vos moeurs, fera Ia dernière ambition de tous vos habitans. Ainfi, fans rien forcer, fans rien gêner, fans loix, fans prohibitions, fans injufiice, vous affurerez le premier rang a cet art innocent & fraternel de 1'agriculture, qui doublé la population, qui nourrit la fierté des ames libres, qui fournit des défenfeurs a" la patrie, des confeils a fes affemblées, des arbitres a. fes différends, des amis a la vertu, &, puifqu'il faut fonger a la richeffe, des richeffes réelles, qui peuvent croitre fans danger, & dont la contagion n'eft point a craindre. Quant aux moyens iniques k petits que les Etats marchands ont imaginés pour repouffer l'importation des denrées étrangères j ne les employez jamais. J'ofe encore en ceci contrarier 1'opinion de votre vénérable Ami. Ne fongez point au commerce, ni pour le protéger, ni pour l'arrêter* ni pour le diriger. Ne vous en mêlez point. Oubliez le commerce. S'il eft bon a quelque chofe^ il faut le laiffer libre ; car il ne peut agir que fous le régime de la liberté. S'il eft nuifible, il faut encore Ie laiffer libre, paree qu'il eft plus dangereux d'enchainer les hommes que de laiffer la carrière ouverte a quelques abus; paree qu'il eft abfurde de défendre a une nation étrangère d'apporter fes denrées, en ne lui permettant que d'acheter les nótres, car elle n'achetera pas s'il lui eft défendu de vendre j paree qu'enfin, dans tous ces débats interminables de 1'intérêt qui s'embarraffedans fes propres régies, il n'y a qu'un point fixe, celui de la morale : or la morale veut que chacun ufe de fa propriété commè Y  C 3*6 ] CöNSTITUTIOKS. il lui plait. Le feul principe raifonnable & jufte, eft donc de tirer de fon pays tout ce qu'on en peut recueillir ; & de borner les befoins de la nature par 1'abondance, & ceux du luxe par la modération. Le digne Ecrivain dont 1'ouvrage a infpiré ces réflexions, vous a peu parlé de vos conftitutions ; mais il vous a fait un grand préfent en vous envoyant fur ce fujet quelques lignes d'un fage. Unmotfuffit; & 1'immortel Turgot 1'a dit dansfalettre. Trop fouvent entracant vos légiilations, les formes du gouvernement Anglois fe font préfentées a. votre efprit. Ce qui convient a 1'Angleterre n'eft plus fait pour vous. Point de balance des pouvoirs. Point de conftitutions compliquées. Vos Gouverneurs, ellentiellement amovibles, font-ils des Rois ? Vos confeils exécutifs font-ils des Pairs ? Avez-vous, pouvez-vous avoir une autre repréfentation que vos/affemblées de Citoyens égaux par la nature & par la loi ? Ce ne font point des Communes (mot infolent qu'ont impofé des Patriciens); c'eft la nation. Malheur aux peuples déja corrompus oü le chef-d'ceuvre de 1'intelligence humaine fut de créerun fimulacre de paix par la difcorde, & de faire contraüer les paffions pourobtenir 1'équilibre ! Préfumez mieux de vous-mêmes ; allez droit au but de la fageflé. Des moeurs ! des moeurs ! & point d'efprit de corps oppofé a un autre efprit. Vous commenceriez comme lei autres ont fini, & la naïve fimplicité des enfans périroit parmi les fineffes des hommes dépravés. Dira-t-on que vous êtes forti % des vieilles nations, li que vous n'êt«s pas ft jeuaes que je le fuppofe ?  E 327 J Mes Amis, chaque invidu eft vieux; mais votre nation eft neuve. II n'eft pas un feul d'entre vous qui n'ait dü être régénéré par les révolutions. N'avez-vous pas traverfé 1'Océan ? N'êtes-vous pas dans un autre climat ? D'autres habitudes n'ont-elles pas fuccédé aux anciennes ? n'avez-vous pas eu la guerre, k prefque la guerre civile ? n'êtes-vous pas éprouvés par le feu du malheur k des dangers ? Votre fang n'a-t-il pas coulé pour la noble caufe de la liberté ? N'avez-vous pas eu dans ce grand proces a pleurer la mort d'un père, ou d'une époufe, ou d'un enfant, ou d'un ami ? Croyez-moi; vous n'ètes ni des hommes ancienSj ni des hommes ordinaires, Vous n'avez du vieux monde que les lumières ; vous aurez toutes les vertus du nouveau. J'ofe donc m'en flatter; il n'y a rien a changer dan* vos mceurs; mais vous avez tout a faire pour les conferver. N'oubliez pjs la puiffance de l'éducation. Votre illuftre Ami Fa fentie. II a écrit un chapitre entier fur ce fujet. Tout ce qu'il a dit eft bon ; mais il n'a pas tout dit. Songez que l'éducation de 1'enfance eft moins dans les lecons qu'on lui donne, que dans les circonftances & les tableaux dont on 1'entoure. Songez que le mal de nos vieux empires eft le con . tralie des inftruétions recues dans le premier age, k des exemples offerts a la jeuneffe. Chez vous1'enfant & fon père, le jeune homme & le viejliard doivent être d'accord 'fur tous les points. Ce n'eft point une figure oratoire, ce n'eft point une déclamation vaine que j'ai prétendu placer au commencement de •es réfkxions. Ce que j'ai peint dans toute la «.haleur Y2  L 328 ] de mon ame enflammée par le deflr de votre bonheur^ c'eft a vous a 1'exécuter par la force de vos inftitutions. Multipliez les monumens, les rites, les cérémonies mémoratives. Déja vous avez donné a la raifon toute la puiffance de l'autorité, en érigeant en loix pofitives les droits du genre humain. Ces vérités éternelies, ces nobles principes ne font plus pour vous des objets de difpute ; ils font des décrets du pouvoir légiflatif. C'eft un pas de géant que vous avez fait dés 1'entrée de la carrière pour 1'amélioration de 1'efpèce humaine & pour la folidité du monument érigé par vos mains. Achevez votre ouvrage. Formez par l'inftruétion ; créez fur-tout par 1'exemple & par 1'impreffton des fignes, la feule efficace & durable, une génération digne du tems de la Révolution, une race d'hommes, qui,. croiffant chaque jour dans les principes de la fageffe, aime la juftice & la modération, détefte les fléaux de 1'ambition & de la guerre, & montre enfin au monde le fpeéhcle jufqu'a préfent fi rare de la réunion des lumières & des moeurs, de la paix & de la liberté. Que les tyrans frémiffentau feul nom de vos heureufes contrées ! que les opprimés y trouvent un afyle toujours ouvert! & puiffent du fein de cette terre nouvelle rejaillir fur nos nations 1'efpèce de bonheur qui peut au moins adoucir ks infortunés dis vieux monde !  NOTES DÉTACHÉES SUR L'OUVRAGE De M. Ie Dodteur PRICE. i, 1 même au commencement de ce fiècle au'c roit pu penfer que dans peu d'années, 1'homme ïc acquéreroit le pouvoir de foumettre la foudre d fa " volonté, ou de planer dans les airs d l'aide " d'une machine aèroftatique ?—p. 245. Monfieur le Dódteur Price s'eft élevé ici comme dans plufieurs autres endroits de fon ouvrage au-deffus des préjugés de fon pays. Perfuadé comme lui que 1'invention des machines aèroftatiques ajoutera infiniment a la puiffance de 1'homme & changera peutêtre un jour la face des chofes humaines * ; ce n'eft * II ne feroit pas difficile de démontrer par exemple que les machines aëroftatiques, même dans leur enfance, doivent influer conlidérablement fur la guerre foit de terre, foit de mer; & peut-être ne verra-t-on la fin de cette horrible démence, appellée guerre, que quand on aura atteint ]st pcrftélion de 1'art dt détruire.  C 33° ] pas fans unc furprife mêlee de regrets que j'ai vu la nation Angloife, fi diftinguée par tous les genres de mérite & de connoiflances, palier relativement a cette découverte fublime de 1'incréduüté la plus abfurde, de 1'indifférence la plus inexplicable, a un enthoufiafme 'fans exemple pour des charlatans tout-a-fait ignorans; fans que la curiofité publique ait paru d'ailleursfe porter fur les progrès d'un art que la cupidité deshonore a Londres, tandis que des favans refpeétables en France, &même en Angleterre, en font 1'objet de leurs méditations les plus profondes *. C'eft le coftume, c'eft 1'appareil ridicule, c'eft la forfanterie des voyageurs aëriens, qui, les premiers, ont donné a 1'Angleterre le fpeétacle du départ d'un ballon chargé d'hommes, qu'on a couru admirer en foule f ; tandis qu'il n'y * Voyez ci-après dans la Note de M. le Duc de Chaulnes une notice de la belle expérience de M. Prieftley. f Diroit-on que le chat & le chien, qui ont accompagné le Sieur Lunardi dans fon voyage aërien, ont été 1'objet de la curiofité de la ville de Londres, qui leur a porté un tribut de plus de quatre mille guinées? Diroit-on que des perfonnes connuesfe font applaudies d'être parvenues a toucher au Panthéon 1'habit du Sieur Lunardi ? Diroit-on que ce bon Italien, pour être parti dans un ballon mal fait & mal chargé, (qui n'a pu enlever que lui, quoiqu'il fut annoncé pour enlever deux hommes ; & qui n'auroit pas emporté le S. Lunardi luimêrne s'il eut pefé dix livres de plus, puifqu'il fut obligé pour partir de changer fa galerie & de jetter tout fon lelt;) diroit-on que ce bon Italien a re<;u des honneurs que n'a jamais connu Cook ? Diroit-on que le Sieur Elanchard, qui, felon fa judicieufe coutume, n'a pas manqué d'annoncer des évolutions & des manoeuvres, & de demander le concours des vaif-  E 33i J a probablement pas dans les trois Royaumes vingtcinq exemplaires des comptes rendus de 1'Académie des Sciences (je Paris, & des autres mémoires qui conftatent la découverte & fes progrès infiniment rapides; progrès dont les Anglois, fi 1'on excepte un très-petlt iiombre de phyficiens, ou d'hommes fupérieurs aux préventions nationales, he defireht pas même d'être i'nltruits *. On ne doit peut-être attribuer les préjugés des An-glois contré 1'art aëroftatique qü'au mépris des fages de cette nation pour la mam'e, qui, depuis un an, tranfforme eh ün fpeétacle bruyant & puérile une découverte qüi Joit être murie dans le filence, & qui rie peut plus fc perfeclioniier que par des expériences impoflïbles a tenter devant une multitude lm patiënte. Mais ii telle eft la caufe de ces préjugés, j'ofe dire qu'ils n'en font pas moins déraifonnables; car cette manie très- feaux de toutes les nations pour alfurer fa traverfée dans le continent (laquelle traverfée n'eft qu'une entreprife trèsfacile qui devroit être exécutée depuis long-tems par ceux qui ne voient dans les ballons qu'un moven de gagner de 1'argent ;) diroit-on que le Sieur Blanchard, qui n'a rien fait de tout ce qu'il a promis, parvient a balancer 1'idolatrie vouée au bonLunardi, dont le english balloon avoit pourtant les avantages de la primauté & d'un nom favorable & populaire ? Diroit-on. . . . Mais en vérité je n'ai pas le plu5 petit projet de troubler la gloire de ces illuftres aëronautes: je voudrois feulement qu'on s'occupat un peu moins d'eux Si un peu plus de la perfeeïion de 1'art. ■ * Le nom de M. Meunier eft a-peine connu en An-. gleterre. Voyez fur fes travaux la Nate de M. le DuC de Chaulnes.  C 332 3 méprifable en effet n'eft qu'une métamorphofe de Ia cupidité; & c'eft une raifon de plus de lui arracher un li beau domaine, pour le rendre a la fcience & au vé-> ritable amour de 1'humanité : & tous les hommes inftruits doivent concourir dans ce louable deffein. Je me propofois d'écrire quelques obfervations fur ce fujet lorfque Monfieur le Duc de Chaulnes m'a remis la note qu'on va lire. Conforme a mes vues, cette note a d'ailleürs le mérite qui fe retrouve dans tous les mémoires qu'il a donnés fur les différentes parties des fciences naturelles ; celui de la précifion, & de la clarté. II m'a paru que les hommes de fens, qui n'ont point de grandes connoiffances en phyfique, pourront puifer dans cette note une idéé claire & fuffifante de la théorie des machines aëroftatiques, & fur-tout de quoi foupconner fon importance. On ne fauroit trop inviter les Anglois, au nom de leur gloire, & de 1'humanité, dont quelque jour fans doute ils feront paffer les intéréts avant ceux de leurs prétentions nationales j on ne fauroit trop les inviter a s'occuperde la perfeétion d'un art admirable, dont la théorie eft en quelque forte leur domaine; puifque c'eft princïpalement aux chymiftes Anglois que 1'on doit les expériences les plus curieufes fur les différentes fortes d'air. Eh ! qu'importe après tout l Toute découverte utile n'eft-elle pas la plus nobledes conquêtes pour 1'homme, dans quelque pays du monde qu'elle ait été faite ? Un Anglois a dit: Je donnerois la moitié de ma fortune pour que ce ne fut pas un Francais qui eüt trouve les ballons; je la facrifierois toute entiere pour que ce I  [ 333 1 ftit un rfnghis.—Ce mot n'eft ni noble, ni fage; & s'il étoit vrai que cette expreffion de Ia partialité d'un individu haineux caraétérisat a peu pres le fentiment nationai, ce ne feroit pas aux Francois a en être humiliés. J'en connois plufieurs qui voudroient au contraire que 1'inventeur füt un Anglois, afin que 1'enthouiiafme d'un peuple paffionné, perfévérant, & pourvu de grands moyens, Initat la perfeclion d'une découverte fi belle, fi féconde, fi peu prévue, quoi qu'en ait pu dire 1'envie, Voici les propres mots qu'écrivoit, il y a fept ans, un homme trés-connu dans 1'Europe. " L'art de traverfer Pair en volant, malgré les ".chimères qu'on a débitées en dernier lieu* fur " les moyens de le réalifer, riaura jamais lieu. Ni " individus, ni char, ne parcoureront tatmofphere: " l'impossibilite'physiqjje est de'cide'f. *.* Mais fi elle ne 1'étoit pas, il feroit très-pernicieux <( qu'un tel defiein füt conduit a 1'exécution : les " hommes ne fe font que trop de maux en avancant " fur ce globe, foit par leur marche, foit a Paide de *« leurs montures. Que feroit-ce fi Pon voyoit fair " s'obfcurcir, & des bataillons former un gros nuage " qui viendroit fondre avec Pimpétuofité des tem» " pêtes fur des contrees qu'aucune précaution ne " pourroit mettre a 1'abri d'une femblable invafion ? * II eft queftion fans doute ici des annonces du Sieur Blanchard & conforts, prétendus méchaniciens, qui étoient sürs, il y bien des années, d'évoluer dans les airs, pourvu qu'on leur donnat un moyen de s'enlever, & qui ont oublié cette invention depuis fju'on leur a donrté ce moven.  r 334 ] " La fociété feroit pareillement bculeverfée ft les " hommes pouvoient fe rendre inviiibles, traverfer " rapidement les plus grands efpaces, & pénétrer " dansles lieux les mieux fermés ; mais il faut ef~ pérer que cela ne fe trouvera jamais que dans les contes " des fécs *." Je crois qu'il eft inutile de relever 1'abfurdité de ce galrmathias emphatiaiie. On diroit qu'il a fervi de téxtej foit en Angleterre, foit en France, foit dans beaucoup d'autres contrées de 1'Europe, aux efprits fuperfciels & tranchans qui depuis quelques mois afteétent de parler avec mépris ou terreur d'une des plu$ grandes découvertes qu'ait fait l'efprit humain. Tout homme de fens comprendra facilenient qu'il eft impcflible ce faire contre les machines acroftatiques uné obje&ion qui n'eüt pas dü profcrire le foc de la charrue, Ie feu, 1'échelle, 1'allutnette, en un mot toute invention utile, ou même de nécefïité première. Mais répétons fouvent pour l'étcrnule lecon des hommes prefomptueux & des détraótcurs de tout ce qui eft *• Tiré d'un mémoire de M. Fqrrney fur la queftion: Toutes les vcrités jbnt-elles bonnes d dire ?—Mém. de 1'Acad. de Berlinpour 1777, p. 338.—Voyez quelque chofe de plus ridicule; s'il eft polüble, dans les Annales Civiles, Politiques & Litcéraires de Gencve, année 1782, N°. 22, article Pcmpcs hydrauliques en fervice acluel. II eft affez remarquable que cet article, oü 1'on perfifHoit fi lourdement 1'efpérance d'un art aëroftatique dont le f.cret étoit perdu depuis feu Icare dc décourageante mémoire, s'imprimoit peu de femaines avant celles oü M. de Montgolfier conftatoit fa fublime découverte ; & cela eft d'autant plüs remarquable, qu'on ne peut affurément refufer de 1'eftime» du moins auj^ talens & aux connoiffances de 1'Auteur dc ce Journal.  [ 33S ü grand, qu'en 1777 on imprimoit dans les mémoires de i'Académie de Berlin, que 1'hnpoJfibUité phyfique pour tout homme, pour tout char, de paruurir Patmofphicre, étoit décidée ; & qu'un pareil vo'jage ne fe trouveroit jamais que dans les contes des fées. Ainfi donc, cinq ans avant 1'invention des machines aëroftatiques, un philofophe a dit : qu'elks étoient impofftbles & qu elles feroient funejles ! Quand les Philofophes auront-ils le courage d'attendre & de douter ? Quand les hommes fauront-ils que fi le Ciel leur avoit refufé le petit nombre de penfeurs qui les ont inftruits, il feroit fort douteux que 1'efpèce humaine méritat quelque prééminence fur les orang-outang, & cju'ainfi c'eft une démence facrilège que de rabaiffer les efforts du génie ? Quand les peuples feront-ils convaincus que tout fuccès de l'efprit humain eft digne de la faveur, du refpeét, de la reconnoiffance, de 1'encouragement de toutes les nations ?—* Mais laiflbns parler M. le Duc de Chaulnes. SUR LES BALLONS AËROSTATIQUES. POUR fe faire entendre fur un objet nouveau, i| faut d'abord expofer les prineipaux faits qui ont accompagné fa découvcrte. Celle de 1'art aëroftatique appartient inconteftablement a M. de Montgolfier. II eft le premier qui ait enlevé de grandes enveloppes par la raréfaélion de Pair contenu : ce procédé produit a-peu-près de Pair plus léger que 1'atmofphérique dans la proportion de 1 a 2. M. Charles avoit déja élevé & fait crever des bulles de favon remplies d'air inflammable, fuivant le pro-  f 336 3 eédé de M. Cavallo. Cetair, fait par 1'acrde yitriolique & Ie fer, & produit en petit dans les laboratoires, eft a I'air extérieur comme 1 a 10. Fait en grand, jl eft a peu prés comme 1 a 6; & par des procédés particuliers, on peut 1'obtenir comme 1 a 17. II y avoit donc bien de 1'ayantage a employer l'air inflamrnable pour enlever des ballons. D'après la découverte de M. de Montgolfier, M. Charles eut 1'idée d'employer cet air. MM. Robert, deux frères qui logent avec lui & qui entendent par» faitement la partie méchanique, exécutèrent le premier ballon parti des Thuileries avec lequel opt voyagé MM. Charles & Robert. MM- Robert, feuls, ont exécuté depuis a St. Cloud le ballon de 52 pieds de long fur 30, qui appartient a M. le Duc de Chartres ; & celui de 44 pieds fur 26, cylindrique comme le précédent, dans lequel ils ont fait leur voyage dans le mois de Septerabre dernier. Remplir les ballons d'air infbmmable par Ie moyen de 1'acide vitriolique étant fortcher, M. Priefrley vient d'imaginer un procédé très-peu coüteux, & qui rcffemble fort a celui que M. Lavoifier emploie pour créer cet'air. Le chymiite Francois fait pafter Ja vapeur deJ'eau bouillante au travers d'un canon de fufil entretenu rouge par des charbons ardens. M. Prieftley a fubftitué au canon de fufil un tube de cuivre rouge embrafé, fur lequel la vapeurde 1'eau n'a aucune aflion, & qu'il remplit avec les copeaux de fer que produit Ie foret en des forant canons. U fe procure par ce moyen un air inflammable qui eft a l'air commun comme 13 a 1. M. Prieftley a eu la bonne foi auffi refpeéhble que rare de parler ie ce qui avoit élé fait en France avant lui fur ce fuier.  C 337 J Enfin M. Meunier, jeune officier trés inftruit, qut a fuccédé a M. d'Alembert a 1'Académie des Sciences, vient de publier le mémoire le plus favant, le plus ingénieux, le plus clair, en un motie plus diftingué fur la manière d'élever les ballons fans perdre de leftni d'air inflammable, deux pertes, 1'une impoffible, 1'autre trèsdifficile a réparer dans les airs. II renferme dans fon ballon un petit ballon rempli d'air commun, qui eft tout naturellement comprimé par la dilatation de l'air inflammable, a mefure qu'il s'élève dans des couches d'air qui deviennent progreffivement plus rares encore que lui. Cette compreffion fait perdre de l'air atmofphérique, & par conféquent du poids, au petit ballon quand il s'élève. Un fouffiet placé dans la galerie répare facilement cette perte lorfque cela eft néceffaire. Ala fuite de cet ingénieux moyen M.Meunier donr.e une table trés favamment calculée des différens degrés de pefanteur fpécifique de l'air aux hauteurs progreffives oü la rupture d'équilibre fait monter le ballon. En lifant cet excellent mémoire, il eft difficile d'apprendre fans plaifir que M. Meunier eft un des commiffaires nommés par 1'Académie des Sciences de Paris pour perfeétionner Part aëroftatique, & de voir fans chagrin que le nom de M. Meum^r eft a-peine? connu en Angleterre. v II y a donc jufqu'a cejour deux moyens pour élever> •es ballons. L'un par la raréfaétion de Pair. Ce moyen ne produit qu'un exces de légèreté comme i eft a 2, & demande par conféquent une enveloppe d'un volume beaucoup plus confidérable; mais on peut entretenir  f 338 ï k ratéfaÖi on avec des matériaux peu difpendieux H faciles ? trouver. II eft d'aillcurs aifé d'éviter la combuftion des ballons ainfi remplis; accident trop ordinaire jufqu'a cejour. L'autre, par l'air inflammable,- qui préfentede grands avantages. II a été fort difpendieux jufqu'a ce moment j mais il le fera beaucoup moins par le procédé des copeaux de fer & de la vapeur de 1'eau qiie par celui de 1'acide vitriolique; les matérir-ux font peu coüteux & fourniflent beaucoup d'air relativement a leur poids & aleur volume. Gelui des ballons, & conféquemment des enveloppes difpendieufes qu'on y emploie, eft confidérablement réduite; puifquel'excèsde légèreté, qu'on n'obtient en raréfiant l'air que comme 1 efta 2j & par le gaz ordinaire que comme 1 eft a 6, eft annoncé par M. Prieftley comme 13 eft a 1. D'ailleurs en employant, comme MM. Robert, la formecylindriquepar laquelle on doublé la capacité fans augmenter la réfiftance, on gagne beaucoup, fur-tout pour la poflibilité Je la direétion ; de foi te qu'il eft probable qu'avec des ballons de 30 pieds de long fur 15 a 19 de diamètre, on pourra enlever le même poids qu'ont porté MM. Robert dans leur dernier voyage. Ce poids eft d'envirori 800 a \%oo livres au-defius de la pefanteur du globe aëroftatique. On ne peut pas annoncer des faits auffi fatisfaifans fur les moyens de diriger les ballons. II eft a craindre qu'on ne foit long-tems arrêté par le principal obftacle, la réfiftance que les ballons préfentent par leur grande furface. On n'a point dans les airs, comme dans 1'eau, la rölburce d'uri point d'appui fur un fluide qui d'ail-»  [ 339 ] leurs réfiftebeacoup plus que l'air. Ainfi il eft difficifc de compter pour une longue route fur les effbrts foutenus du petit nombre de perfonnes que le ballon peut porter, & dont on ne peut augmenter le nombre qu'en augmentant la capacité de 1'enveloppe. 11 eft vrai que la réfiftance de fa furface, qui eft celle du grand Cercle de la fphère, n'augmente pas autant que fa folidité, & coniéquemmenc pas autant que la force requife par fon étendue pour la rupture d'équilibre. Mais on n'a encore rien d'alTez précis fur ce point pour fe décider a augmenter beaucoup cette capacité, en raifon de laquelle feule on pourroit porter plus d'hommes, ou plus de moyens méchaniques capables de vaincre la réfiftance d'un courant d'air déterminé. II eft cependant certain, & c'eft le feul efpoir fondé de direclion que 1'on ait jufqu'a préfent; il eft certain, graces aux obfervations déja faites, qu'il exifte, a différentes hauteurs, différens courans d'air quelquefois oppofés. Or, comme dès a préfent on eft le maitre de monter Sz de defcendre a volonté, peut-être fera-t-il poffible d'allerchercherces courans ! Peut-être aufli 1'étude des moyens par lefquels les oifeaux tiennent contre le vent, & des obfervations d'anatomie comparée lui les poiffons & fur les oifeaux*, qui furmontent les courans •des deux fluides qui nous font communs avec eux, donneront-ils des idees nouvelles fur la direétion des machines aëroftatiques. C'eft au tems feul& aux expériences qu'il appartient de mürir ces réflexions & de réalifer ces efpérances. * M. Tenon a déja donné fur ce fujet un favant mémoire a 1'Académie des Sciences de Paris.  [ 340 ] On ne fauroit donc trop encourager & multiplier les expériences. Mais fans parler de la direétion, le plus grand, & prefque le feul progrès qui refte a faire depuis environ un an que Part aëroftatique eft découvert, quels avantages ne préfente-t-il pas dans fon état préfent ? On peut fe procurer les obfervatoires & les laboratoires les plus élevés.pour toutes les circonftances. II en eft peu quiexigent une élévation qu'il fut pénible d'atteindre. On pourra répéter dans toutes les régions & a toutes les hauteurs les obfervations de phyfique Sc de chymie déja fakes; en effayer beaucoup de nouvelles, particulièrement fur Félectricité, & fur les caufes de la direélion & de la déclinaifon de 1'aiguille aimantée ; enfin parcourir dans 1'atmofphère tous les degrés de raréfaétion & de température indiqués par le baromètre & par le thermomètre. Toutes les fciences naturelles ont donc acquis un grand moyen de plus. L'art de la guerre eft déja changé. Par le moyen des ballons on pourra favoir a point nommé toutes les manoeuvres de 1'ennemi. Une tempête ne pourra plus féparer les flottes, fi chaque vaiffeau élève du pied de fon mat un ballon qui porte un obfervateur & un télefcope. On fera le maitre de jetter des avis dans une place affiégée. La Géographie & 1'Aftronomie devront peut-être encore davantage aux machines aëroftatiques. On pourra déformais monter facilement fur les fommets qui ont été inacceflibles jufqu'ici par tous les moyens connus. On ne fera, pour ainfi dire, que copier avec une certitude abfolue des plans & des cartes géographiques, qui n'ont été jufqu'ici que des guides infidèles. Ce fera maintenant avec la plus grande facilité & x la  [ 341 ] la plus grande fécurité que 1'on verra derrière les objets inacceflibles dont on ne pouvoit avoir que des rapports infidèles ou tout au moins douteux. Enfin on fe procurera tous les avantages qui réfultent de la poflïbilité de voir fur un plan & d'une hauteur a volonté tous les objets. Jufqu'ici les ballons n'ont été que le domaine prefque cxclufif des charlatans, qui ont déguifé, le plus qu'ils ont pu, tout ce qui pouvoit rendre cette découverte ailee a répéter & conféquemment a perfeétionner. La plupart guidés feulement par 1'apre appas du gain, & par une ignorance prefque abfolue, fe font livrés a une fpéculation purement lucrative, & n'ont defiré autre chofe que de faire voir dans de grandes falies, a un fhelling par tête, leurs ballons & jufqu'aux animaux qui les ont accompagnés, comme II 1'on ne favoit pas qu'un chien ou un chat refpirent oü un homme refpire. D'autre part, pendant que 1'on a répété dans prefque toutes les parties du globe les expériences aëroftatiques, cette découverte n'a fait en Angleterre que réveiller la haine & la jaloufie nationales. On a, pour ainfi dire, daté la découverte du premier ballon qui a été élcvé en Angleterre par un étranger, a conditiën qu'il ne füt pas Francais. J'ai fouvent entendu dire a Londres, avec autant d'efprit que de philofophie : Nous nous soucions bien de vos ballons. II fcmble qu'il y ait eu une efpèce d'accord, même entre les Savans, pour fuir Z  C 342 ] i'expérience la plus curieufe qui füt jamais, dont lé hazard avoit placé La découverte fur le foi de la' France. II. J_jA majorité de la Chambre des Communes Bri_ mille sept cens vingt-trois voix. Or 1'alTemblée la plus nombreufe des Communes fut au fujet du Miniftre Walpole en 1741 *• U s'y trouva cinq * Au fujet de 1'éleftion de Chippenham, qui fut conteftée en Parlement dans un tems oü ces queftions étoient jugées par la Chambre des Communes & non par des Comités. Cette infurreétion, au fond de peu d'importance, avoit pour objet véritable d'effayer le pouvoir de Walpole, qui, n'ayant eu qu'une majorité de quarante voix, quitta le Ivliniftère, difant qu'un Miniftre qui ne 1'emportoit fur 1'oppofition que d'une telle majorité n'étoit plus Miniftre.—Ses fucceffeurs n'ont pas été fi difficiles. II n'eft pas aifé de déterminer fi c'eft-la le fymptóme ou 1'effet d'une plus au moins grande corruption. Z 3  [ 346 ] eens deux membres; ainfi le nombre deux cens cin«juante-quatre approche de tres pres Ia majorité de Ia repréfentation nationale. La plupart des cinq^mille sept cens vingtTROis perfonnes qui nomment les Légiflateurs du peuple Anglois, & qui leur donnent un controle illirnité fur les propriétés des Citoyens, n'ont pas un pouce de terre. Ajoutez que des deux cens cinquantequatre Membres Parlementaires qui reprcfentent la majorité de la nation, il n'y en a pas un feul qui foit élu par trois cens voix ; & il y en a une foule qui Ie font par moins de vingt, tous hommes fans propriétés & par conféquent très-propres a fe laiffer corrompre. La Repréfentation de 1'EcolTe eft bien plus étrange encore. On y compte soixante-six villes ou bourgs qui ont droit d'être repréfentés en Parlement. Avant l'acte d'Union, Edinburgh envoyoit au Parlement d'Ecofle deux Repréfentans; & chacun des bourgs en envoyoit un. Ainfi le tiers-Etat du Parlement d'Ecofle confiftoit en soixante-sept membres. Cependant par 1'aér.e d'Union les bourgs d'Ecofle n'ont droit d'envoyer que quinze Repréfentans au Parlement de la Grande-Bretagne. De ceux-ci 1'un eft élu par la ville d'Edinburgh ; les autres le font par les différens bourgs divifés en quatorze diftricts, compofés chacun de quatre ou cinq bourgs. Chaque district n'envoie qu'un representant. L'éleclion de ces quinze Repréfentans fe fait de Ja manière fuivante.  f 347 ] Le Repréfentant pour Edinburgh efl élu par Ie confeil de la ville qui n'eft compofé que de trentetrois membres. Les Repréfentans des différens diftriéfs font élus chacun par quatre ou ciNoJDommiffaires ou Délégués, un pour chaque bourg. Ces Délégués font élus par les confeils municipaux des bourgs dans chaque diftriél. Mais après 1'éledion, ils ne font fujets en aucune manière au controle des fujets qui les ont nommés. Ils ont pleine liberté de donner leurs fufFrages comme ils l'eniendent. Ainfi, il faut envifager ces Délégués une fois nommés comme les éleéteurs abfolus & incontrólables de la Repréfentation des différens diftricfs dans lefquels les bourgs font difiribués; & les confeils municipaux, ayant feulement le pouvoir de nommer les Délégués, ne font repréfentés en Parlement tout au plus qu'indireófement. Voici maintenant un Etat numérique de la repréfentation des bourgs d'Ecoffe *. Repréfentans. Eledleurt. Edinburgh envoie au Parlement - j Fain, Dingwall, &c. 1 ^ Invernefs, Nairn, &c. 1 4 Elgin, Banff", &c. r Aberdcen, Montrofe, &c. - 1 ^ Perth, Dundee, &c. t ^ Anftruther, Pittenweem, &c. - 1 j * Letters of Zeno.—Appendix.  i 34S ] Dyfart, Kirkcaldy, Sec. 1 4. Stirling, Inverkeithing, Sic, 1 5 Glafgow, Dunbarton, &c. - 1 4 Haddington, Jedburgh, Sec. 1 5 Linlithgow, Selkirk, &c. - 1 4 Dumfries, Kirkcudbright, &c. 1 5 Wigton, Withorn, &c. - 1 4 Air, Irvine, Sec. t ^ D'oü 1'on voit que les Repréfentans de tous les bourgs d'Ecoffe ne font élus que par quatre vingt dix-huit élecleurs. Or on fuppofe d'après un calcul modéré que ces bourgs contiennent trois cens mille habitans. II y a trente Repréfentans pour les comtés d'Ecofle qui contiennent environ douze cens mille habitans.—De pareils faits n'ont pas befoin de commentaires. Enfin des cinc^cens cinquante-huit Repréfentans pour 1'Angleterre Sc 1'Ecoffe * il y en a cent trente-un pour les comtés, dont quarantedeux pour 1'Angleterre & la Principauté de Galles, * II eft a remarquer que les fils ainés des Pairs Ecoffois font déclarés incapables de fiégerdans Ia Chambre des Communes ; tandis que les fils des Pairs Anglois ont ce privilege: ainfi dix perfonnes d'une même familie' peuvent être a la foi» Légiflatfurs.  [ 349 3 alnsi les repre'sentans des bourgs sont quatre fois plus nomb-reux que ceux des comte's. " De ce réfumé, dit M. Burgh, on peut tirer cette " conféquence générale, que ce n'eft qu'une très-petite *' partie du peuple Anglois qui nomme les Repréfen" tans de la nation, & que ce petit nombre n'a aucüne " volonté a foi.—Eft-ce donc la, continue 1'Auteur " Anglois, ce fublime gouvernement, cette magnifique " ftruéture, ouvrage de tant de fiècles ? Non. Eft- " ce une Ariftocratie, une Monarchie, ou une Ré*' publique? Non.— Qu'eft-ce donc ? " Une ptochocRacie : c'eft toujours 1'Auteur " Anglois qui parle; oui : une ptochocracie, un " gouvernement de gutux. C'eft a ces gueux que la " Chambre des Communes doit fon être. C'eft a ces " gueux qu'elle doit le pouvoir de difpofer de la " bourfe des Citoyens. DilToudre un Parlement n'eft " pas remédier au mal. Ces mêmes gueux furvivent " au Parlement de leur création & le reftufcitent. Je ne ferai pas fi févère que M. Burgh ; & l dire vrai, je n'en ai pas le droit. II faut être Anglois pour avoir celui de médire d'eux. II femble qu'on ait voulu jufqu'ici confolerles autres nations en leur parlant desdéfauts de laconftitution Angloife & de fes abus. On a fait comme ceux qui porteroient leurs gémiffemens fur de légers liens a des efclaves chargés de lourdes chaines. On ne penfepas que les liens laiffent toute la fenfibilité, tandis que les chaines ötent tout fen-  [ 35° 3 timent. Je ne fuis ni fi injufte, ni fi léger. Mais j'oferai dire que la repréfentation Angloife, telle qu'elle eft aujourd'hui, exclut la liberté politique. Il Taut une transfusion de nouveau sang dans notre constitution, difoit 1'illuftre Chatham. Peut-être feroit-il tems que les Anglois s'occupaffent, férieufement & avec leur perfévérance naturelle, de cette grande opération.-—J'ajouterai une obfervation paree que je le crois nouvelle. Le proces du Doyen de St. Afaph occupe 1'attention publique en cet inftant. Peut-être fixera-t-on enfin la jurifprudence des libelles dans un pays oü la Liberté de Ia Prefié eft a fi jufte titre reeardée comme le palladium de toutes les libertés ; & oü jufqu'ici 1'on n'a d'autre fauve-garde en ce genre que l'efprit public, qui dirige ordinairement les Jurés ; lefquels, cependant, comme on vient de le voir en cette occafion, nejugentpas toujours a-propos d'exercer leur droit, ou leur pouvoir de décider fur les libelles. Comme fi 1'on ne devoit pas pour la liberté, tout ce que 1'on peut pour elle ! comme 11 les accufés pour fait de libelle n'étoient pas continuellement menacés d'arbitraire, du moment oü les Jurés fe permettent de laiffer quelquefois les Juges maitres de la queftion ! Quoi qu'il en foit, le fujet de ce procés célèbre eft un dialogue fur la réfiftance politique ; un peu brufque peut-être; c'eft-a-dire oü lei tranfitions ne font pas affez ménagées ; mais qui, du moins a mon avis, ne porte pas la théorie de la réfiftance auffi loin qu'un bon efprit & une ame libre peuvent le defirer. Ce-  C 35- 3 pendant on met en queftion fi ce dialogue n'eft pas un libelle. Et en effet qu'on réfléchiffe a la difficulté prefque infurmontable que rencontreroit un homme, qui auroit une averfion prefque égale pour le menfonge Si les demi-vérités, & qui ne voudroit être ni pufillanime, ni féditieux, en tracant, même en Angleterre, la théorie de la réfiftance, aufli Iong-tems que la nation fera fi inégalement repréfentée ; Si 1'on ne fera plus étonné de 1'exceflive variété des opinions dans une affaire fi iïmple. Certes, nul autre corps que la majorité de la nation n'a, ni ne peut avoir le droit de réfifter au pouvoir exécutif: &, a dire vrai, le mot réfiftance eft impropre; car la nation ne doit pas réfifter; elle eft, & ne peut jamais ceffer d'être fouveraine: quand fon intervention eft devenue néceffaire, elle doit commander Si non réfifter. Mais oü eft la nation ?—oü eft la majorité de la nation ?—comment la connoitre ?—« comment la compter ? Combien ces queftions deviennent embarraffantes chez un peuple fi mal repréfenté ! Combien plus épineufes, lorfqu'on penfe que dans la Conftitution Angloife le pouvoir exécutif eft une partie intégrante du pouvoir légiflatif; de forte que, théoriquement parlant, le Parlement, c'eft-a-dire, deux parties du pouvoir légiflatif, n'ont pas le droit de juger la troifieme ! —Si la nation feule a le droit de réfifter, & que la nation ne foit pas repréfentée; & que la réfiftance  C 35- ] foit néceffaire pour obtenir une véritable repréfentation de la nation ; oü en font les Anglois ? Qui les tirera de ce cercle ? . . . . C'eft ce que je ne prétends point éxaminer; non que je penfe, avec Rouffeau, que Ie mal foit dans la nature même de la chofe ; non que je penfe avec un grand nombre d'Anglois qu'une repréfentation plus égale foit impoffible, ou même difficile a établir. Mais c'eft aux hommes éclairés de 1'Angleterre a réfoudre ce grand problême. Je ne comprends pas, je 1'avoue, les écrivains qui s'érigent fi facilement en inftrucieurs des nations étrangères, tant je rencontre de difficultés a éclaircir le moindre fait; tant je m'appercois mieux chaque jour qu'on ne fait que ce qu'on a vu. En vérité je trouve qu'il faut s'inftruire pendant des années entières du local, & des chofes, & des hommes, pour fe mettre en état de confeiller uïi quart d'heure. Je n'ai donc voulu que montrer dans cette note que Monfieur le Docieur Price n'a point exagéré, & qu'un des plus grands malheurs de 1'Angleterre eft en cffet que fa Repréfentation Parlementaire foit trés— inégale, & 1'on peut ajouter, fort intcrejjle a refter trh-inégale. Car lorfqu'on fait par exemple, que tel Membre de la chambre des Ccmmuries, Seigneur & Repréfentant du petit bourg de Banbury, (lequel eft compofé de quatre ou cinq cens feux, & dont les Eleéteurs fe réduifent a feize ou dix-huit perfonnes qui compofent le corps de ville ;) lorfqu'on fait que ce Repréfentant s'eft oppofé a ce qu'on améliorat la Re-  C 353 ] préfentation Angloife, fous prétexte du refpecl: inviolable du a la ve'ne'rable fabrique de la structure e'ternelle de l'auguste CONSTI- tution ; on fait ce que le Seigneur de Banbury a dit Sc voulu dire, Sc ce qu'il dira Sc voudra toujours dire a ce fujet. Mais fi un fincère ami de la liberté difoit a fon tour: Ane'antissez le droit d'e'lec- tion DE TOUS CES bburgs fe'oDAUX, qui NE SONT PAS des bourgs, qui n'oNT pas de vrais Cltoyens ; qui sont DES foyers de corruption, QUI ne contiennent que des SALARIe's, DES VALETS d'aristocrates ambitieux et CUPIDES, TANTÓT achete'S, tantót acheteurs; ANE'ANTISSEZ. LE droit d'e'lECTION des BOURGS, ET MULTIpl1ez les electeurs et les REPRE'sEKT ans dans les Comte's .... n'entendroit-on pas auffi ce que 1'Ami de la Liberté voudroit dire ? N. B. Depuis que cette Note eft écrite, il a été rendu dans la caufe du Doven de S. Afaph une décifion folemnelle. La majorité des Juges du Banc du Roi a déclaré : que, suivant la loi, le Jure' est oelige' par son serment, dans tout proce's pour fait de libelle, de de'cider seulement si l'accuse' a, ou n'a pas publie' l'e'crit qui lui est impute', et de laisser aux juges a* prononcer si cet e'cRIT est ou n'est pas un libelle *. * Bien entenda que 1'application des Iuucndos, c'efta-dire la détermination des perfonnes oü d;s faits fur lef»  f 354 1 En admettant que cette doctrine eft indubitablement la loi du pays (car un Étranger ne peut guères fe permettre un autre fuppofition); il nous paroït évident que Ia Liberté de la Preffe n'eft en Angleterre qu'un privilege fort illufoire, & que le jugement par Jurés n'eft dans les queftions de la plus haute importance qu'une formalité affez inutile. Et certes, ce n'eft pas-la ce que nousavions entend u dire, & ce que nous nous plailions a répéter fur la Liberté Britannique, & fur les avantages incomparables du jugement par Jurés. II faut plaindre amèrement la bonne foi des Anglois qui fe vantoient de ces deux privilèges qu'eux feuls poffedoient en Europe, & fur lefquels repofoit leur fécurité. Ils ont rêvé que c'étoient-la les plus éminens des droits que leur conféroit leur naiffance, & que ces droits affuroient & garantiffoient tous les autres. Jls 1'ont rêvé jufqu'a la décifion de cette caufe fatale; mais 1'illufion eft détruite ; & le réveil qui fuit cette longue erreur doit les éclairer bien profondément fur les dangers d'une fituation ii imprévue. Affurément on ne peut que féliciter les Citoyens de la Grande Bretagne de ce qu'on ne leur a pas appris plus tót que leur opinion fur les droits illimités des Jurés dans ces fortes de caufes, étoit une erreur abfolue; car, fous le règne de Jacques II, cette opinion quels tombent les paroles injurieufes de 1'écrit dénor.cé pour être un libelle, appartient aux Jurés de 1'aveu même des Juges.  [ 355 ] s'étoit fi univerfellement emparée des efprits, qü'on doit prir.eipalement attribuer a fon influence dans le procés des Sept Evêques Ia révolution glorieufe & fortunée dont les Anglois s'honorent, & a laquelle ils doivent d'être un peuple libre. Comment ne regretteroien'c-ils pas une théorie qui leur fut fi falutaire, & dont on a découvert fi tard la faufieté ? A la vérité les Juges du Banc du Roi, tout en niant que les Jurés aient le droit dedécider fi 1'écrit déféré a leur examen eft ou n'eft pas un libelle, reconnoifient qu'ils en ont le pouvoir ; fans que 1'exercice de ce pouvoir puilfe leur faire en- courir aucunes peines, et mime SANS Qü'lL SOIT possible d'lNFIRMER leur JUGEMENT. Auffi long - tems que cette diftincfion entre le droit et le pouvoir, (laquellen'eft apparemment intelligible que pour celui qui pofsède une connoiffance très-profonde de la Jurifprudence Angloife, car j'avoue naïvement que je ne la comprends point du tout) auffi long-tems que cette diftinétion trèsfubtile fera confervée, il reftera aux Anglois du riióins cette reffource. En offet, fi dans 1'avenir il fe préfente quelque grande occafion oü les Jurés, en décidant par ie fait que tel e'crit n'est pas un libelle, fauvent Ia conftitution, quoiqu'ils ofFenfent la lettre de la loi; fi en contrevenant a leur ferment, tel que 1'entendent les Juges, ils arrachent aux vengeances de l'autorité quelque généreux défenfeur des droits du Peuple,  [ 356 ] dont le zèle auroit encouru 1'indignation du Gouvernement ; (ce qui, même en Angleterre, il faut en convenir, n'eft pas précifément impoffible); on trouveroit a bon droit cruellement févère le moralifte qui blaineroit le Juré, & qui ne prononceroit pas que c'eft-la une des circonftances infiniment rares, oü 1'on peut, oü 1'on doit s'écrier : Magnanima menzogna! ö qjjando è il vero Si bello che si possa a te freforreI .Mais les Jurés conferveront-ils long-tems le pouvoir, après avoir perdu le droit ? SufKt-il a la Liberté que les Jurés retiennent le pouvoir après avoir perdu Ie droit ? Eft-elle bien entière Sc bien expugnable, cette Liberté fainte; fi 1'on ne lui connoït plus d'autre rempart que les effbrts extraordinaires des grandes ames, Sc le concours de 1'enthoufiafme particulier avec l'efprit public, lequel, fi 1'on en croit les bons Citoyens, s'aftoiblit tous les jours davantage en Angleterre?—Voila des queftions qui nous paroiffent dignes des plus férieufes réfiexions de tout Anglois qui aime fon pays, fes enfans, Sc même fon repos perfonnel. II. ^Uelques grands hommes, Platon, Thomas Mo" rus, M. Wallis, ont ■propofé pour s'oppofer d " cette pente rapide, &c." p. 2S2. M. Wallis, ou plutót M. Wallace; car c'eft ainfi que s'appelle 1'écrivain dont parle M. le Doéfeur Price; Monfieur Wallace, que 1'on fera peut-être étonné de trouver a cóté de Platon Sc de Thomas Morus, Sc 1 qu'on I  f 357 J qu'on rie peut fans exagération appelier un grand homme, eft peu connu même daris fa patrie, & mérite cependant de 1'être. L'eftime que lui ont témoigné deux de fes plus illuftres contemporains, David Hume que M. Wallace a critiqué, & M. le Doéteur Price qui en aparlé plufieurs fois avec éloge, devoit donner plus de célébrité a fes ouvrages. David Hume, dans fon EJfai fur la population dei nations anciennes, imprtmé en 1752 *, fe déclare en faveur de la population des modernes. M. Wallace dans une differtation fur la population humaine dans Us tems anciens & modernes f, imprimée en 1753, foul tient au contraire que la population des anciens étoit fupérieure. David Hume a placé dans une édition poftérieure de fes effais J une note oü il convient * Que la critique de M. Wallace eft pleine de polii teffe' f ër'fd^°n. & de fens-qu'il en a infiniment " profité—que cet ingénieux Ecrivain a découverr. * beau™up de méprifes tant dans fes autorités que " dans fes raifonnemens—& qu'enfin il ne lui refte * Effay on the populoufnefs of and ent nations. t Differtation on the numbers of mankind in ancient and modern times, vith an appendix containing remarks on Mr. Hume's effay. X Effays and ireatifes on feveral fubieas _ 1767^' Euay XL 11 A a  [ 35« 3 " de fauve-garde que le fcepticifme derrière lequel ** il s'eft retranché *. L'ouvrage de M. Wallace fur la population humaine n'eft pas fort en principes ; (en 1753 les principes de la population n'étoient pas même connus) ; mais il contient des recherches utiles & curieufes. M. Wallace donna enfuite un volume anonyme d'ejfais fur VEfpèce humaine, fur la Nature, & fur Ia Providence f; M. le Doóteur Price a parlé de cet ouvrage avec diftinóHon. * *« An ingenious writer has honoured this difcourfe with, " an anfwer full of politenefs, erudition, and good fenfe.— " Solearneda refutation would have made the author fufpeét " that his reafonings were entirely overthrown, had he not " ufed the precaution, from the beginning, to keep himfelf " on the fceptical fide ; and having taken this advantage of *' the ground, he was enabled, though with much inferior " forces, to preferve himfelf from a total defeat. That reve'* rend gentleman will always find, where his antagonift is " fo entrenched, that it will be difficuit to force him " The author, however, very willingly acknowledges that " his antagonift has detefted many miftakes both in his au" thorities and reafonings; and it was owing entirely to that '* gentleman's indulgence, that many more errors were not " remarked.—In this edition advantage has been taken of " his learned animadverfions, and the effay has been ren" dered more imperfe£l than formerly." •f Various profpeils of Mankind, Nature, and Providence, 1761.  [ 359 J Les quatre premiers eflais dé ce rëcueil ftaitent das jmperfeétions de la fociété & des remèdes a yafpporter. M. Wall ace propofé un modele de Gouvernement parfait^ non pas pour un feul peuple, mah pour toutes les nations de la terre *. Egalité parfaite entre les Citoyens. Propriétés communes. Travail modéré & reparti fur chaque membre de la Société; un certain tems accordé aux amufemens. Enfans appartenans au public ; élevés pour lui. Petits Etats. Correfpondancamutuelle. Langage uniforme. Telle eft en maffe le plan de M. Wallacef, qui; felon lui, peut être exécuté a 1'époque de quelque crife violente, ou a 1'inftant même par quelques Européens qui fonderoient une colonie, ou enfin par la * ProfpeB 2, the model of a perfeB government, not for a fingle nation only, but for the kvhole earth. f David Hume a intitulé un de fes écrits, ide'e d'une parfaite republiqjje (idea of a perfeB commonivealth) ; & cet ouvrage tout autrement important que celui de M. Wallace auroit eu plus de fuccês, fi 1'hiftoire d'Angleterre du même auteur, qu'on accufe d'être partiale, infidèle, & favorable aux fiftêmes de l'autorité, n'avoit pas infpiré des préventions fur les principes de ce grand Ecrivain. II me paroit cepcndant hors de doute que dans fa République, & dans quelques autres de fes effais, David Hume s'eft montré ami de la liberté. Au refte c'eft un fait remarquable, que dans fa République parfaite ce philofophe n'a pas prononcé une feule fois le mot d'éducation, fi ce n'eft lorfqu'il fait une foible aljufion a nos Univerfités, & a no# religions. A a 2  [ 3ê° J Providence, lentement, fucceffivement, fi ce n'eft par un miracle. M. Wallace croit qu'un tel Gouvernement remédieroit non-feulement a 1'inégalité qui tyrannife les hommes, au défaut d'éducation & de principes qui les dégradent: mais encore qu'il tempéreroit&réprimeroit toutes les paffions humaines. II ne voit a fon projet que 1'inconvénient de 1'exceffive population q"ue feroit cclore un Gouvernement fi profpére. " Quel effet " déplorable, s'écrie-t-il, du plus généreux de tous " les fyftêmes humains ! Que les magiftrats d'une " telle République fe trouveroient horriblement dé" concertés a ce fatal période, oü il n'y auroit plus de * place fur le globe pour fonder de nouvelles colonies! " oü la terre épuifée ne pourroit plus produire aucun " fecours pour une population furabondante ! . . . «e Dans une néceffité fi cruelle, faudra-t-il promulguer " une loi pour reftreindie les mariages ? Faudra-t-il, « &c. &c. *" L'imagination de 1'Auteur s'échaufFe tellement qu'il ne voit d'autre remède a lacalamité de 1'excès du bonheur que la guerre & la mort. Cette idéé 1'affiige & le décourage. II n'attend plus rien des Utopies ; des fyftêmes de Gouvernemens parfaits qu'ont produit les anciens & les modernes. II les abandonne tous; il défefpère de 1'humanité. Hélas ! qu'on nous donne des Gouvernemens paifibles & profpères; fuflent-ils imparfaits; car rien de » Page 117.  [ 3«i 3 parfait ne fortira de Ia main de 1'homme ; & jouiflonsavec fécurité d'un long période decalme&de bonheur, en attendant Pépoque fatale oü la terre fera furchargée de fes habitans. Peut-être le bon M. Wallace, car fes écrits refpirent en efFet la vraie bonté ; je veux dire l'amour des hommes, de la juftice & de la paix; peutêtre fe feroit-il raffuré, s'il eut réfléchi qu'a-peu-près les trois quarts du globe font en friche, & promettent pour plufieurs myriades de fiècles des fubfiftances au plus prodigieux accroifiement de population ; qu'il y a probablement plus loin de 1'Etat aéfuel de 1'agriculture jufqu'au degré de perfecfion que 1'imagination humaine peut concevoir, que des premiers efforts de 1'homme, au temsoü fesongles fillonnoient la terre, aux progrès aöuels de 1'agriculture; qu'enfin 1'homme parvenu a améliorer fon efprit & fes facultés jufqu'au point de trouver un Gouvernement parfait, auroit auflï trouvé fans doute des moyens innocens de prévenir les maux très-douteux d'une population furabondante. Quand a la paix de 1762 certains faifeurs de projets eonfeilloient au Miniftère Anglois de laiffer les Francois maitres du Canada, afin qu'ils arrêtafent 1'accroiffement trop rapide des Colonies Angloifes : 1'illuftre Franklin difoit: " ce mot arreter eft modefte lorf" qu'il s'agit d'exprimer les horreurs de la guerre, le ** maffacre des hommes, des femmes, des enfans. C'eft " pouffer loinla prévoyance que de fentir déjala nécef" fité d'arreter Pexcès de Ia population des Colo" nies Angloifes. Mais,continuoitlegrand hommedans «« la fimplicité Socratique qui eft le caraétère diftinéUf  [ 362 ] *« de fon efprit, fi vous croyez néceffaire d'arreteS. " 1'accroiffement de notre population, permettez-moi " de propofer une méthode moins cruelle, Sc dont " 1'écriture fainte nous qffre un exemple*. " Le meurtre des éppux, des. femmes, des frères, " des enfansj qui ont fai^ long-tems le charme Sc les " délices de leurs families, affefte profondément les " parens qui leur furvivent. Mais le chagrin que «* donne la mort d'un enfant né depuis peu n'eft pas *« comparable a cette douleur. Que ne prenez-vous " donc. la méthode des hommes d'état d'Egypte, lorf- Y qu'ils voulurent arreter la population des enfans V d'Ifraë! ? Pharaon dit aux Egyptiens : k peuple" y d'Ifrael efl plus nombreux i$ plus puiffant que nous. " AU.ns ; ufons en fagement avec lui de peur qu'il ne fe 66 multiplie, y que f nous nous trouvons engagés dans " qu.lque guerre dangereufe, il ne s'élève, combatte contre " nous & nous.cchappe En conféquence le " Roi paria aux accoucheufes d'Ifraël, Sec. Sec. " Imitez cette politique profonde. Qu'il paroiffe " un a£le de votre Parlement qui enjoigne aux fages" femmes des Colonies d'étouffer a leur naiffance»! «« chaque troihèrne ou quatrième enfant, Par cc " judicieux moyen, vous maintiendrez vos Colo" nies dans leur état aéluel; vous ARReterez leur " population ; Sc s'il faut ablblument qu'elles fe fouf' mettent a la.guerre ou au facrifice des derniers-nés et dans les families nombreufes; j'ofe répondre que * E*od.""chap".' I.  C 363 1 " les Américains 'préféreront 1'expédient Egyp" tien *." ... II nous paroit qu'ils en ont trouvé un encore meilleur. Mais pour revenir a M. Wallace, il attaque dans les 5% 6e, & (f feétions de fon recueil 1'effai de philofophie de Maupertuis, qui, comme on le fait, prétend que la fomme des maux 1'emporte dans ce monde fur celle des biens ; opinion qui m'a toujours paru injufte, cruelle & infoutenable, & que le métaphyficien Fran P- IQ8> 199- f Maupertuis n'eft pas un des philofophes qui emploient le moins d'emphafe pour débiter des vérités communes. Ce grand principe de la moindre quantite' d'action auquel il attaché un fi haut prix, cette rare découverte dont lï fe vante avec une modeftie fi plaifante, fe réduit a ceci s  0 364 3 tions phyfiques défagreables, balancer leur effët, & réprimer la mauvaife imprerfion qu'elles peuvent don- Nul mouvement af fe fait fans caufe ; nul mouvement n'a befoin pour fe faire d'une caufe plus fort e que celle qui luifuffit ; vul mouvement ne peut fe faire par la force d'une caufe qui n'y fuffiroitpas ; mais d}s que la force ou l'aclion fera fufifante, le mouvement aura lieu. 11 aura donc lieu par la plus peiite force, cu la moindre afiion pofible; puifque dis qu'elle arrivé au dcgré fuffifant pour ogir, elle agit; IS que tout effbrt plus grandferoit fuperflu. II n'a certainement pas fallu un grand effort de génie, pour trouver ces beaux axiomes. II efl étrange qu'au dixhuitième fiècle on les ait donnés pour des découvertes, & plus étrange qu'un homme qui avoit autant de fens & d'efprit que Maupertuis, ait cru y voir une preuve de l'exiflence de Dieu, plus forte que celle tirée de 1'intelligence qui fe fait remarquer dans 1'arrangement de 1'univers, & dans la production des êtres fenfibles & penfans. II tombe bien dans 1'mconvénient qu'il reproche aux philofophes, d'attacher aux preuves urie valeur plus grande qu'elles n'en ont. Sa découverte prétendue n'eft qu'une trivialité ou une pétition de principe qui ne prouve rien du tout, & ne peut rien prouver. C'eft 1'énoncé d'un fait commun, comme deux fef. deux font quatre ; ou, une balance trébucbe au moindre exces qu'on mettra dans un de fes bafftns. Les preuves qu'il» rejette, comme celle tirée des caufes finales, du defiéin, de la puiiTance, de 1'intelligence ojn fe manifeftent également dans la conftraéHon générale de 1'univers, & dans celle de fes moindres parties, & fur-tout dans celle des êtres intelligens, eft au contraire 'très-forte & très-concluante ; mais •lle eftdénuée de 1'appaml géométrique, & elle lui a pari}  t 3-s ]] ner aux idéés moralcs. L'Auteur du Syftême de la Nature diroit, " que m'importe que Maupertuis foit un bon Géomètre s'il eftun Préfident defpotique & ü impitoyable; & fi je fuis obligé de vivre dans fon " académie? Un être bienfaifant me vaut mieux pour *' chef qu'un être dur & favant." La philofophie do Maupertuis feroit pis que des athées; elle feroit des impies murmurans & révoltés. moins impofante. Les Géomètres font de grands feigneurs qui mettent heaucoup d'importance a leur livrée. Mais il faut regarder d'abord li 1'étoffe en eft bonne. Cette étoffe de tout bon raifonnement, en toute fcience, eft la métaphyfique. Les géomètres n'en ont pas tous une très-süre, & dans Pouvrage de Maupertuis qui eft 1'objet de cette note *, ce qui eft vraiment cofmologie eft eftimable, & commun; ce qu? eft dé métaphyfique, fait pitié. Si 1'on peut imaginer quelque chofe de plus ridicule que 1'importance mife par Maupertuis a faprétendue découverte, c'eft la querelle née a ce fujet, & la bon-hommie de Kcenig qui croit réellement qu'il y a une découverte, qui la réclams pour fon maitre Leibnitz, & qui devient martyr de fa réclamation. Ajoutez la fainte colère de Maupertuis, qui, pour conferver l'honneur de s'être appercu de la moindre quantiié poj/ible d'attion, emploie toute 1'aSlion de fa préfidence, qui eft en Pruffe un petit miniftère, pour chaffër Kcenig de 1'académie. Eft-ce donc le fort des hommes depui6 les favans Géomètres, & les profonds Métaphyficiens, jufqu'aux Grenadiers ignorans, de s'égorger pour des bagatelles dont ils n'ont pas d'idées nettes ? * Efiai de Cofijiolojic.  r 366 ] Oppofez aux douleurs phyfiques Ia confidération des biens & des plaifirs phyfiques, qui, s'ils ne font pas tous d'une auffi grande intenfité, font infiniment plus nombreux & remplifient un efpace infiniment plus grand dans la vie ; & non-feulement dans la nótre, mais dans celle de tous les êtres fenfibles; réglez la balance de ce compte ; & fi vous faites voir qu'a tout prendre le fort de tout ce qui a vie eft bon, que les fouffrances n'égalent pas les jouiffances, mêm« pour les plus malheureux des individus, que deviendront toutes les déclamations fur le mal qui pêfe fur ]a terre ? _ Combien 1'orgueil altère le jugement! N'admirons pas, difent les hommes, & les plus fages d'entre les hommes, n'admirons pas; car cela nous ejl nuifible. Ou dans une occafion différente: admirons; car cela nous eji utile Eh ! mes Amis ! défintéreffez- vous, je vous prie, & admirez tout fimplement paree que la chofe eft admirable. Vous avez une fingulière préfomption, atómes de deux jours ! Vous vous croyez réellement les Rois & le but de 1'univers. C'eft pour vous que la terre produit, que les animaux exiftent, que les aftres tourrent. Syrius fut fait, vous ofez le croire & Ie dire, pour ajouter la valeur d'une bougie a votre illumination nocturne, & les innombrables étoiles de la voie ïactée, pour vous recréer la vue. Votre orgueilleufe imaginatipn deftine tout pour vous jufqu'au Dieu fuprême de 1'univers, qu'elle fait naïtre & qu'elle iirttflole a fon gté.  [ 367 1 Ne Ie croyez point fi déraifonnable, vous qu'il arendus.capables de raiibnner, que d'aVoir ainfi prodiguéles ceuyres de fa toute-puiftance uniquement pour un' des plus foibles ouvrages fortis de fes mains. La pofition de votre globe, les bornes de vos facultés & de votre inteliigence, les maux qui fe mêlent aux: biens dont vous jöuifTez; tout vous dit que vous n'ètes pas les Rois du monde, ni même les premiers, favoris du grand être. Vous n'aviez nul droit de 1'exiger. Ne vous enorgueilliffez pas ; mais ne vous aviliflêz pas non plus. Vous êtes des Citoyens notables dans une des plus petites villes de cet immenfe empire qu'on appelle 1'univers. Celui qui fixa votre place la fit bonriè, tk meilleure pour des êtres de votre efpèce qu'aucune de celles que vous pouvez connoitre & concevoir. Vous lui devez beaucoup de reconnoifiance; car il vous a donné plus de bien que de* mal, infiniment plus de momens oü vous êtes bien aifes de vivre que de ceux oü vous voudriez mourir. Mais cette bienfaifance qu'il a exercée envers vous, & qui doit vous profterner aux pieds de fon tróne, il ne 1'a pas eue pour vous feuls. 11 Fa répandue avec profufion fur tous les êtres qu'il a rendus capables de fentir; & nous ne favons pas oü s'arrêtc dans la grande chaine des créatures cette heureufe propriété. Nous Ia voyons dans les animaux toute femblable a la notre, a quelques degrés de perfe&ion prés. Nous pouvons la deviner jufqu'a un certain point dans les plantes auxquelles l'amour même ne fut pas refufé. Nous ignorons fi elle s'étend plus loin ; ma:s du moins parmi les êtres dont la fenfibilité n'eft pas équivoque,  t 368 3 jjpus voyons que chacun fent pour lui-mêrne, & que chacun doit a cette fenfibilité mille plaifirs, que chacun eft doué d'organes propres a fa confervation, Si d'une intelligence, qui, ne pouvant bien juger que tie celle de fon efpèce, doit fe croire d'un degré trèsrelevé. Nous ne pouvons pas favoir a quel point les abeilles, les fourmis, les caftors, Sc peut-étre d'autres animaux moins ingénieux fe croient fondés a nous méprifer. C'eft une fable d'un grand fens que celle des compagnons d'TJlyffe, qui, devenus animaux, ne vouloient plus redevenir hommes. C'en eft une non moins admirable que celle de Voltaire dans un de fes difcours, oü les fouris, les canards, les dindons, 1'ane, 1'homme Si 1'ange, difent chacun en particulier que tout eft fait ptur eux; Sc Dieu leur répond ; J'ai tout fait pour moi seul, II falloit ajouter feulement qu'en faifant tout pour lui, il a tout fait auffi pour les autres ; Sc ce n'eft pas un des moindres dons de fa bonté, que cette étrange illufion qui fait que non-feulement chaque efpèce s'eftime préférable aux autres; mais que même dans chaque efpèce nul individu ne youdroit fe troquer crï totalité contre un autre individu. J'ai vu beaucoup de gens qui defiroient la fortune du Marquis de Brunoy; mais nul qui voulüt être a ce prix le pauvre Brunoy fi ennuyé & fi béte. Maupertuis n'auroit pas voulu être le Roi de Pruffe; Sc le Roi de Pruffe n'auroit pas voulu être Maupertuis. Celui qui prendra du plaifir a me-lire ne voudroit être non plus que moi^  E & 1 ni 1'un, ni 1'autre; & celui qui dédaigne notre philofophie feroit bien fiché de changer avec nous. Le crocheteur même qui porte nos effets, le manceuvrc qui laboure nos vignes, ne voudroient pas pour notre aifance facrifier leur vigueur & s'aiTujettir a nos travaux. Chacun efl; donc au fond content de foi & de fa pofition, quoique chacun cherche a améliorer celleci felon les moyens qui lui ont été donnés, & dont perfonne n'eft entièrement dépourvu. Si au lieu de regarder le monde comme notre empire, oü tout nous femble mal lorfqu'il n'eft pas} a notre gré ; nous voulions bien n'y voir que ce qui y eft; une grande auberge, oü chacun trouve le néceffaire & même le commode en payant fon écot; & oü il y a des logemens a tout prix, parceque tout y doit trouver place depuis 1'homme & au deffus, jufqu'a 1'huitre & au deffous ; nous ne blamerionspoint le maitre qui cherche a eontenter également tous les hótes, & qui ne peut empêcher que dans la> foule quelques-uns d'entr'eux n'incommodent un peu leurs voifins. C'eft moins a 1'homme a fe plaindre de cette incommodité refpeéfive qu'a quelque être que ce* foit, lui, qui, ayant plus de facultés, eft celui qui tourmente le plus fes confrères & les autres animaux. Les hommes ont tué bien plus de ferpens que les ferpens n'ont tué d'hommes; encore le reptile n'a gueres bleffé qu'a fon corps défendant : 1'homme comme le tigre tue pour fon plaifir. Les ferpens fiffleroient donc le philofophe qui foutient que les chofes que nous connoiflbns comme nuifibles font déplacées dans  [ 37° 1 le gi-and appareil de 1'univers ; ou tout aü plus diroient-ils, qu'il faut öter du nombre des créatures animées, fur-tout les hommes qui ne laiffent aucun autre animal en paix; . Mais le ferpent auroit tort comme Ie philofophe. té monde ne doit pas être jugé d'après 1'intérêt d'aucun individu, ni d'aucune efpèce ; mais toutes les efpéces & tous les individus trouvent dans fes loix & leurs facultés les moyens' de travailler eiïicacement a leur propre intérêt. Ce qui fait le bien de tous eft Ja plus grande fomme de bien poffible; c'eft une vérité qu'aucun homme de fens ne doit fe diffimuler. On exagère, on peint les dangers qui nous environnent; on tait nos plaifirs fi multipliés; on parle de nos malheurs; on oublie nos félicités. On voit, dit-on, plus de vices, de crimes Sc de fourFrances, que de biens Sc de vertus. Cela n'eft pas vrai; car le monde dure & les fociétés fubfiftent. Or fi nous aviöns plus de mal que de bien, nous feriöns biehtót anéantis. S'il n'y avoit pas plus d'hommes qui refpectent les droits d'autrui qu'il n'y en a qui les violent ; plus de pères qui élèvent leurs enfans que de ceux qui les expofent; plus d'époux qui fe chériffent que de ceux qui fe tourmentent; plus d'enfans qui foignent leurs pères Sz qui les refpectent que de ceux qui les abandonhent; plus d'hommes qui fecourent leurs femblables que de ceux qui les afTaflïnent ; nous nöus entre-gorgerions tous, & notre efpèce n'auroit pas duré deux générations. Elle a duré, elle a multiplié; elle a même étendu fon domaine aux dépens des autres efpèces ; elle multïplie encore; il y a donc plus de bien que de mal  £ 371 1 iur-tout pour les hommes; & ce feroit urie ingratitude bien honteufe aux mieux doués d'entr'eux, a ceux qui ont le plus de génie, s'ils afféaoient de méconnoitre ce bien dont ils jouiffent; & s'ils ne prenoient pas foin de le faire remarquer aux autres. Si ces réflexions font un hors-d'ceuvre inutile, j'ai tort de les publier; mais s'il feroit a defirer que cette philofophie réfignée & malheureufement trop fimple. pour plaire a Pamour-propre de ceux qui s'érigent en inftrucleurs des hommes, füt univerfellement admife; on peut tolérer ma note, füt-elle une digreffion. Dans les cinq dernières fedions de fon ouvrage m. Wallace défend la Providence contre les fyftêmes de la liberté Sc de la néceffité; il foutient le dogmc d'une autre vie. m. Wallace eft un philofophe eftimable. a la vérité fes vues ne font pas trés étendues, fon ftile eft dirfus, & fa manière commune ; mais on ne lira pas fans fruit fes ouvrages. III. Sur le Chapitre du Commerce, &c. p. z 16 & fuivantes. Le plus fage, le plus important confeil que m. le Dofteur Price ait donné aux Américains, c'eft de fe méfier du commerce extérieur, & de le décourager, loin de 1'appeller, ou- de h favorifer. Nous avons confirmé fes idéés avec une chaleur qui tient i une  £ 372 ] jnvincible conviétion. Nous avons feulement repouffé les prohibitions comme un attentat a la liberté,, qui doit couvrir de fon pavois facré tout commerce, comme tout individu ; mais nous n'avons pas pu développer dans un fi court efpace les réflexions fans nombre que le feul mot commerce réveille en nous. Qu'il nous foit permis d'ajouter du moins quelques obfervations fur 1'étrange renyerfement d'idées & d'expreffionsj fur la multitude d'erreurs abfurdes & d'illufions phantaftiques que la paffion du commerce a difféminés parmi4es nations.—Voyez 1'Angleterre; le pays de 1'univers oü 1'on entend le mieux le commerce & Ie trafic; & oü 1'on devroit en avoir le mieux étudié 1'influence & lesefFets ; voyez quel délire, j'ai prefque dit quel vertigé, agite les hommes d'Etat de cette nation calculatrice & réfléchie, auffi-tót qu'il eft queftion du commerce, de fes intéréts, & de la profpérité qu'on lui attribue, ou qu'il produit. Tout le monde connoit 1'ouvrage du Chevalier Whitworth intitulé: Commerce de la Grande Bretagne & Tableau de fes Importations £sP Exportations progrejjives, depuis 1697 jufqu'en 1775*.— On a fait imprimer en France dans un ouvrage périodique les obfervations fuivantes fur ces tables. * State of the trade of Great Britain in its imports attd exports progrej/i'vely from tbe year 1697 ; alfo of the trade to each particular country; during the abtrve period, diftinguijhing each year. — 1776.  [ 373 J " Ces tables font, dit 1'Auteur Anglois, relevées " des comptes annuels rendus par les bureaux de comptabilité a la Chambre des Communes." St tous les anciens regiftres des douanes étoient ainfi refumés dans tous les Etats civilifés, op. tireroit probablement quelques lumières des réfultats particuliers & de leur comparaifon. Ce feroit toujours autant de profit tiré d'une inftitution, a la vérité très-ancienne & très-univerfelle, mais dont 1'utilité paroit aujourd'hui, pour le moins très-problématique a beaucoup de fpéculateurs. Rien de plus impofant que 1'objet préfenté par le Chevalier Whitworth a fes compatriotes, pour fomme totale de fes tableaux. Prés de cinq cens foixante & quatorze millions d'importation, plus de huit cens quarante & un million d'exportations, deux cens foixante & huit millions gagnés par la balance du commerce, le tout en livres fterling; ce qui fait en monnoie de France a peu prés douze milliards d'importations, dix-neuf milliards d'exportations, & fept milliards de bénéfices. Voila des calculs qui méritent confidération. Mais il faut d'abord divifer cette grande maffe en foixante & feize parties, afin d'avoir le réfultat moyen d'une année; puifque 1'Auteur embraffe une époque de foixante & feize ans. Nous trouverons pour 1'année commune environ quatre-vingt dix millions monnoie Francoife de benefice du commerce. Voyez, dira-t-on fans doute, a cette première expofition, combiqn le commerce ehrichit les Etats j B b  t' 374 3 1'Angleterre feule gagne quatre-vingt dix millions de notre monnoie annuellement par la balance. Avant de fe livrer aux conféquences qui paroiffent dériver de cette première impreffion, examinons s'il ne s'eft pas glifle dans ces tableaux quelques doublés ou faux emplois qui faffent illufion. Par exemple, en Angleterre, quand on parle de 1'Etat, il femble qu'on doive entendre non-feulement le Royaume d'Angleterre proprement dit, mais encore 1'Ecofle, 1'Irlande, les Ifles qui font autour, comme Jerfey, Guernfey, Aurigny, 1'Ifle de Man, &c. les Colonies Angloifes en Afrique & en Amérique. Les profits que les marchands de Londres & des autres ports Anglois peuvent faire aujourd'hui fur les Ecoffois & les Irlandois, ceux qu'ils faifoient autrefois & qu'ils font encore fur les Provinces & les Ifles d'Améjïque, font-ils un benefice pour 1'Etat Britannique ï II eft permis d'en douter; car enfin la puiffance Angloife eft compofée des forces & des richefies des trois Royaumes, & toutes les régions foumifes a la Couronne d'Angleterre, font les membres du même corps. Si quelqu'un de nos ecrivains vouloit faire le tableau du commerce de la France comme le Chevalier Whitworth fait celui de fon pays, & qu'il prit pour point central Paris feul, avec 1'Ifle de France, comme 1'Anglois a pris Londres & 1'Angleterre ftriétement dite; s'il mettoit en ligne de compte le commerce actif & paflif avec la Normandie, la Picardie, la Brie, la Champagne, la Bourgogne, 1'Orléanois, la Beauce,  [ 375 J ' & avec toutes les autres provinces plus éloignées, le Poitou, la Bretagne, la Guienne, le Languedoc, la Provence, le Dauphiné, 1'Alface, la Flandre pêleméle avec les Royaumes étrangers & les Colonies Francoifes des trois parties du monde; je crois que le réfumé total furpafferoit de plufieurs milliards celui des Anglois : mais la Nation en général n'en feroit pas plus riche; ni le Roi plus puiffant. On eft donc étonné de voir entrer dans les deux cens foixante huit millions de livres fterling que 1'Etat doit avoir gagné depuis la fin du dernier fiècle, dixneuf millions fix cens mille livres fterling de bénéfice fur 1'Irlande, qui fait Partiele dixicme du grand tableau général; pres de fix cens mille livres fterling gagnées fur les petites ifles de Jerfey, Guernfey, & Aurigny, qui font les Numeros 21, 22, & 23; prés d'un million fterling fur les feules toües envoyées aux Colonies Angloifes, N° 46; & fur les autres articles de marchandifes, une fcmme très-confidérable, pour ces mêmes Colonies, qui occupent prefque feules la table générale depuis le N° 24 jufqu'au Np, 60. Cette fomme eft d'environ quarante cinq millions fterling. Cela eft, difons-nous, fort étonnant. Car enfin, de quelque manière qu'on put les envifager, les bénéfices faits par quelques provinces fur d'autres provinces du même Empire ne contribueront certainement ni a la richeffe ni a la puiffance de 1'Etat dont elles font membres : mais d'ailleurs, c'eft la main droite qui gagneroit fur la main gauche ; & c'eft une réflexion qui ne doit pas échapper. Eft-il bien certain, comme 1'Anglois voudroit nous le faire entendre, B V ai  [ 376 ] que ce foit toujours autant de gagné pour un pays que 1'excédent des valeurs exportées au-deffus des valeurs importées ? C'eft encore un point fort douteux *. Les Anglois difent eux-mêmes aujourd'hui, qu'ils ont fait de grandes avances pour fonder les Colonies Américaines. Ces avances ont dü confifter en beaucoup d'effets exportés d'Angleterre en Amérique, qui étoient dennes & non vendus; effets qui forment par conféquent, dans le tableau d'exportation, un total très-confidérable qui n'a point de balance dans celui de i'importation. Ces avances, qui peuvent bien en effet avoir pafte quarante cinq millions fterling depuis 1697, ont probablement enrichi les Anglois, comme un particulier s'enrichiroit en achetant bien cher une terre, qu'il perdroit enfuite fans reftitution du prix avec les dépens d'un gros procés. Le Chevalier Whitworth a donc vraifemblablement fur cet article transformé la dépenfe en recette, & les faux fraisen béncfites. L'erreureft doublé en pareil cas. En effet, entre dépenfer inutilement quarante cinq millions fterling, ou les gagner, il y a quatre-vingt dix millions de différence, ou plus de deux milliards monnoie de France. Un autre Article de fa table générale auroit dü lui rendre cette erreur bien fenfible; c'eft celui de Gi- * Voyez depuis la page 281 jufqu'a la fin de notre ouvrage ; car c'eft fur-tout cette erreur que j'ai prétendu combattre dans cette note.  f 377 J braltar, qui eft le dix-feptième. Dans la colonne qu'il intitule : Balance en faveur de L''Angleterre, il fe trouve 28 millions fix cens mille livres fterling a cet article, Gibraltar ; c'eft-a-dire qu'il eft forti d'Angleterre pour aller a Gibraltar, pour au-dela de vingt huit millions & demi en argent ou en marchandifes, plus qu'il n'en eftvenu de Gibraltar en Angleterre; & rien n'eft plus croyable. Mais comment peut-on imaginer que ce foit-la une balance en faveur de 1'Angleterre ? 11 auroit fallu tranfporter a Londres tous les rpchers de Gibraltar, & les y vendre bien cher le quintal, pour en tirer vingt huit millions fterlings. Par quelle illufion 1'Auteur Anglois s'eft-il perfuadé que fon pays avoit gagné ces vingt huit millions fur ce coin de montagne ? II eft évident que ce font des frats. Le Tableau prouve très-bien une vérité fort importante ; c'eft qu'il en coüte a 1'Angleterre environ fix cens foixante millions de notre monnoie pour avoir gardé Gibraltar. Cette dépenfe, faite uniquement pour foutenir la balance du commerce, doit être fouftraite des bénéfices, au lieu d'y être aioutée. La différence eft de cinquante fept millions fterling & au-dela ; c'eft-a-dire, d'environ un milliard trois cens millions de notre monnoie. Vous avez donc déja plus de trois milliards trois millions trois cens millions a déduire fur fept. Et voici encore deux articles du même genre. 1". Dans les deux cens foixante huit millions fterling de prétendue balance en faveur de 1'Angleterre, nous avons compris quatre-vingt feize millions fterling d'or & Bb3  [ 378 ] d'argent en efpèces, lingots, vaifTelle, ou bijeux, éxportés au-dehors, qui fe trouvent fur les regiflres de la Douane ; paree que les métaux précieux paient a la fortie. L'Angleterre ne recueille chez elle-même ni or ni argent; les quatre vingt feize millions fterling avoient donc'été importés d'ailleurs. On ne les trouve point fur les livres des douaniers, paree qu'ils ne paient point a Yentrée. Le Chevalier Whitworth en convient, & confent qu'on en falie la déduclion. Cet objet fe monte, en monnoie de France, a plus de deux milliards cent millions, Un dernier article ï confidérer, eft celui des prifes faites par les Anglois fur les autres nations en tems de guerre. Elles montent a fept millions trois cens foixante douze mille livres fterling environ, c'eft-adire a peu pres cent foixante dix millions monnoie de France, depuis la fin du dernier fiècle. L'Auteur, qui pafle en recette la valeur des prifes, auroit bien dü mettre en d'epenfe ce qu'elles ont coüié: on n'entend pas le total des frais énormes occafionnés par les guerres qui ont autorifé ces prifes ; mais au moins la conftrucrion, 1'entretien des corfaires qui les faifoient, & la valeur des vaifleaux Anglois enlevés par repréfailles. Réfumons donc : fur fept milliards de balance en faveur de 1'Angleterre, il pourroit bien fe trou ver, en vertu des faux Sc doublés emplois, cinq milliards & demi  [ 379 J environ a déduire par les raifons ci-deffus expofées, qui paroiiTent 1'établir avec évidence. Refteroient quinze cens millions gagnés par la balance du commerce; mais gagnés en foixante quinze ou foixante feize ans ; c'eft environ vingt millions par an, monnoie de France. Faifons maintenant deux réflexions. La première, que le revenu territorial des Provinces qui compofent 1'Empire Britannique, le produit net des terres, frais de culture précomptés, fe monte sürement a plus de fix cens millions par an, vu ce qu'en prélèvent les impóts, & ce qu'il en refte aux propriétaires. Vingt a six cent. Voila donc, même en Angleterre, la propo.rtion du produit entre le commerce & 1'agriculture; & cependant, quand il s'agit de balancer les intéréts refpeaifs, on facrine ceux de la terre & de fa culture aux intéréts mercantiles : & quand nos Ecrivains modernes parient des richeffes de 1'Angleterre, & de fa puiffance, il femble que le commerce feul y foit pour le tout, & 1'agriculture pour zéro. Mais d'ailleurs ces vingt millions a peu prés, de prétendue balance du commerce, quelles caufes les produifent ? Des prohibitions, des exclufions, un fyftême d'intolérance mercantile & d'ufurpations, foutenu par cinq ou fix grandes guerres maritimes, & par 1'entretien d'une Hotte formidable & ruineufe.  [ 38° ] L'Angleterre a contradé plus de trois milliards dc dettes. Les citoyens de tout Etat paient plus de cent vingt millions d'impót par an, uniquement pour acquitter les intéréts de ces emprunts. Quand même ils profiteroicnt tous des vingt millions que produiroit annuellement le commerce, ce qui eft au moins fort douteux pour les fimples cultivateurs Sc propriétaires des terres *; il s'enfuivroit toujours qu'ils ont acheté vingt millions de rente annuelle au prix de trois milliards de capital, Sc cent vingt millions d'intérêts annuels. C'eft la feconde réflexion. Ces réfultats, qui font dignes de toute 1'attentioii des hommes d'Etat Sc des bons Citoyens, rendent infiniment précieux le livre du Chevalier Whitworth Sc les tableaux qui le compofent. Depuis un fiècle la politique mercantile a inondé de fang Sc couvert de ruines les quatre parties du monde. La balance du commerce a paru le bien fuprême. II n'eft point d'horreurs qu'on n'ait prodiguées pour s'approprier une portion des tréfors qu'elle devoit procurer. * Saivant des calculs très-récens, la taxe des pauvres monte en Angleterre a trois millions de livres fterling (foixante dix millions de livres tournois) ; & cette fomme ne fuffit pas pour faire fubfifter & pour foulager la multitude de malheurcux qui fe trouvent chez la nation la plus opulente de 1'Europe ; tant il eft vrai que Ie commerce n'enrichit que peu de Citoyens. Voyez Sketches of the Hiftory of Man, Tome II. p. 45, & fuivantes.  [ 3§i ] Eh bien ! Voila ce qu'elle produifoit en réalité a celui de tous les peuples que vos charlatans politiques vous propofoient comme le plus grand objet d'émulation & d'envie. Dépouillez cette balance de tous les acceflbires chimériques. Effacez les doublés & faux emplois ; & voyez combien il faut de fcience & de fageffe pour facrifier peut-être un million d'hommes & trois milliards de richefles a 1'effet de procurer aux marchands qui demeurent chez vous, vingt millions environ tous les ans de bénéfices a partager entr'eux. Ceréfultatde vingt millions tournois pour balance annuelle EN faveur de l'ANGLE- terre * eft bifarre fans doute dans les idees de la politique agioteufe & mercantile, & fi bifarre que la plupart des Anglois calculateurs aimeront mieux hauffer les épaules que chercher une réponfe. La voici cette réponfe ; & peut-être la conféquence qu'il faut naturellement & necéffairement en tirer eft digne de quelque attention. Suppofons que 1'exportation annuelle de 1'Angleterre foit de 300,000,000 Que la matière première en perte pour la nation foit de - 100,000,000 L'induftrie en profit fera de - 200,000,000 * Je fais, & je ne dois pas déguifer, que 1'ouvrage de Sir Charles Whitworth n'a jamais été confidéré en Angleterre  t 3«2 ] Si 1'Angleterre employoit ces 200,000,000, en totalité, apayer les denrées importées pour la fubfiftance. des hommes ; c'eft alors que fon induftrie utilement que comme une copie imprimée des tables de la Douane ; & que l'autorité de celui qui a pris la peine de les publier eft très-médiocre parmi fes compatriotes. On pourroit relever dans ces tables une foule d'erreurs de détails tantöt pour tantöt contre Phypothèfe de 1'Auteur. Par exemple voici quelque chofe de vraiment bifarre. La contrebande, ce commerce né de la guerre des prohibitions, ce commerce falutaire, qui retarde la chüte des empires devorés par le fifc ; la contrebande comptée pour rien ! abfolument omife dans la balance du commerce de la GrandBretagne ! le thé feul eft un objet immenfe. Les eaux de vie, les autres liqueurs importées par la contrebande nonfeulement des ports étrangers, mars de l'Ecoftè, font prefque ïncalculables. 11 en eft de même du tabac. Le fucre, exporté pour recevoir le rabais d'encouragement, & réimporté par contrebande pour obtenir du confommateur le même prix des fucres chargés de droits, eft un autre objet très-confidérablc. Le Chevalier Whitworth négligé une autre confidération affez importante. La valeur des importations Angloifes eft comptée relativement i 1'Angleterre, & non pas relativement au pays oü les denrées qui en font 1'objet ont été achetées. Par conféquent les importations font évalu,ées après le fret, les commiffions, 1'affurance, &c. Mais les exportations font évaluées telles qu'elles fe trouvent dans les magafms des ports Anglois, libres de toutes charges ; & ces charges font peut-être un objet de 10 ou même de 20 pour cent fur la fomme totale des exportations, dont il faudroit «harger la balance. 11 y a d'autres déceptions non moins capitales dans les  [ 383 ] dirigée alimenteroit des fonds étrangers i,2QO,OQO Citoyens ; ce feroit-la le maximum de fa profpérité ; St tables fur lefquelles nous jettons un coup-d'ceil rapide. La balance du commerce avec les Antilles Angloifes par exemple ne mérite point 'de foi. Les exportations de la Jamaïque ne font fouvent qu'une moitié, un tiers, un quart même des importations. La raifon en eft claire. Les propriétaires réfident en Europe, oü ils dépenfent dans cette proporLion le produit de leurs habitations. La Jamaïque n'eft qu'une moitié des Ifles Angloifes; on peut faire la même remarque pour 1'autre moitié. L'Irlande eft 1'objet d'une erreur en fens contraire, qui n'eft pas moins palpable. Un grand nombre d'Irlandois réfident dans la Grande-Bretagne, oü 1'on a calculé qu'il» confommoient des revenus formant une fomme d'environ un million fterling. Une exagération très-abfurde dans les tables d'exportation ce font les armées, les hardes, les provifions, les munitions néceffaires aux flottes, aux forts, aux garnifons de la nation Angloife dans les différentes parties du monde. Le Chevalier Whitworth les porte en gain. Non-feulement ces avances immenfes ne font pas en pur pront; mais il eft au moins fort douteux qu'elles foient compenfées par le profit des places gardées ou ravitaillées, & même par les retours de commerce de ces places en tems de paix. Et les exportations qu'abforbe 1'Afrique pour 1'achat des Nègres, eft-ce un gain aux yeux de la politique ou de 1'humanité ? Que dire auffi des grandes Indes ? Si le commerce d'importation eft défavorable dans le fyftême Anglois, pourquoi la nation Britannique prodigue-t-elle tant d'eftbrts & de tréfors pour arrofer de fang un pays oü elle importe infiniment plus qu'elle n'en exporte ; &, ce qui eft plus rejnarquable, oü quelques-unes de ces principales importations  r 384 1 cependant elle n'auroit point en fa faveur de balance pécuniaire, & c'eft paree qu'elle n'en auroit point qu'elle feroit heureufe autant qu'il eft poftible. C'eft donc une fpéculation faulfe de commerr^ans a têtes étroites que de calculer le bénéfice du commerce par l'exce's de l'exportation, lequel eft un mal. Le vrai, le feul bénéfice eft, dans ce que voient les gens fenfés, qu'une grande nation, par fon induftrie, nourrit, fur un fol infuffifant, un fixième de fa population aux dépens des denrées étrangères. Telles font les extravagantes idéés fur la ealance du commerce que les Anglois, & en général les commercans agioteurs, voudroient beaucoup d'arCENt de reste ; tandis que le commerce n'eft bon aux peuples qui en ont befoin, qu'autant qu'avec une induftrie portée oü elle peut aller, ils n'ont pas un sol de balance de reste. Ainfi; non-feulement 1'Angleterre, en ayant annuellement vingt millions tournois de fön in- tourncut en nvalité contre 1'induftrie de la Grande-Bretagne r Je ne fais fi elle fe prépare a la perte des Indes qui paroit imminente & inévitable; mais je doute qu'elle ait vraiment a y regretter autre chofe que la conduite qu'elle y a tenue. On pourroit faire un volume d'obfervations de détails du même genre fur les tables du Chevalier Whitworth; mais ce n'eft pas 1'examen de fon ouvrage que j'ai entrepris. Je ne 1'ai rappellé dans cette note que pour attaquer par un exemple frappant le préjugé qui calcule le bénéfice du commerce par 1'excès d'exportation.  r 385 3 duftrie, n'eft ni moins heureufe, ni moins fage que dans le calcul des quatre-vingt dix millions de M. Whitworth; mais elle eft quatre fois plus l'une et l'autre. Et en effet, fi elle eüt accumulé par la balance da Commerce, chaque année pendant un fiècle, quatrevingt dix millions comme le prétend M. Whitworth ; elle auroit, outre fon argent.natif, fi je puis parler ainfi, neuf milliards. Eh 1 quelle induftrie pourroit lui refter ? Combien de guinées faudroit-U aujourd'hui pour polir a. Londres un bouton d'acier ? Comment 1'Angleterre vomiroit-elle ces torrens d'or ? C'eft alors que ce peuple fi impofant, fi eftimable, fi refpecfable fous tant de rapports, mais qui paroit avoir peu connu jufqu'ici les avantages de la paix, feroit obligé de chetcher, de fufciter, d'enfanter des guerres, pour fe débarraffer de 1'intolérable fardeau de fon or qui le priveroit de mouvement & de vie ; & c'eft alors qu'il faudroit bien que toutes les nations de la terre fe liguaffent peur effacer du livre de vie le peuple ennemi de tous les peuples qui ne pourroit plus vivre que de carnages. rara locorum felicit ate qua sentire .QVJE velis, et qu-ffi sentias d'icere li cet. Tacit. De 1'lmprimerie de T. S r 1 l s b u r y, Snow-hill.  ERRATA. PaGE 7, lïgnes 16 Sc iji füfa tranfpirter—lifez—qtftn tranfportanti P. 1 r, 1. 24. caveat—lifez— :avent* Ibid. 1. dernière, ajoutez, Cap. 4. P. 12, I. I3> ajoutez [Nocl. Att. l. 10, capm 20.) P. 18, I. 2. inftrumens de—lifez inftrument du. P. 19» 1. 25» /« moraUftess menu—lifez—■/« moralijies mime* P* 22, 1. 16. qui ne cede ni aux peines de l*opinion—lifez—ya* »£ f* vent avoir droit a des émolumens ou a des privileges difiir.cls ou exclufifs, A MOINS QJJ e ce ne SOIT EN CON 31 DE R A TlOti de services rendus au public* Je répor.ds a cela. i°, que cette modifkatjon eft eflentïellement mauvaife pour lei ra'iforis dédultès dans" mon ouvrage, & pour beaucoup d'aiL|rcs; or Terreur ne fait pas droit. 2°, que cette modincation eft évidemment en contradï&ion avec le fixiCme article dc r*c*re d'Union; puïfque la confédération s'y eft interdite a elle-même le. droit de eréer un ordre de nobleOe. 3°, qu'en aucun cas du moins les loix des États ni celles de 1'ünion n'autorifent des particuliers a créer fans l'autorité des Légiflatures, & a fe conférer des titres dc leur feule autorité, P. 43, 1. 26. les brancbeoftnbragefont—lifez— les branches ombragtronté P. 63, 1. 14. effacez fans dcute. P. 66, 1. 2. fe uhro—Wkz—ultrofe. P. 71. a la note j'ai cité de mémoire—'lifez—contemtor animus, & fi/per* lia, commune r.'jbiHtatis malum. Bell. Jug. 64* P. 77, 1. 13, Sc 24* fdci-um, & exi—\\ïzz—fiderum,ex. P. So» 1. 8. des colonnes pour foutcnir TEtat ou la Couronne. Le pamphlet Américain m'a induit en erreur 5 il a mal cité Bbckftëne j éc cela eft d'autant plus fmgnlïer que le véritable texte etoit plus favorable a 1'ami de la liberté. Elackftone dit: pïilars reared front among the people to fupport the throne—nzs colonnes elïve'es av milieu du peuple pour s0uten1r le trone. Ibid. 1. 14. piïïars for fupporüng the crotvn—effacez, Sc V\{cz~-piltars r/aredfrem among the people to f'pport the throne. Com. I. 15S-  ¥!'%£, I. 20. itobleffi—ajoutez—& gentilshomrrta. P; 87, 1. 25 inditJam capitdinis pulziineribus—\\Cez—-indulam capitoïkh pulvinaribus. P» 8ïj I. 7, & 8. fevèrepeut-être—lifez—fe'vèri. Peut-être. P. 9:,!. 3. effacez car. P. 100, 1. 11. pour le choix des oppreffeurs—>lifez—pour changer i1 oppreffeurs. ■ P. 118, 1. 23. la plus hauts rangs dans un être raifonnable—lifez—le haut raug d'être raifonnable. P. 133, 1. z, del'Anglois, defcriptitm 1'fez defcriptive. • P. 137, 1. dernière, a£oi> lifez—atQov. P. 138, 1. dernière, "Z^mv t»is Pa^dUm ap^m; ^rijfio»—lifez —Tr); Pw^aisi» ap^ïs aifivov jxval'n^tov.—Herodian. 1. 8. P. 139, 1. 2de de 1'Anglois, becominme mbers, 1. becomïng members. P. 165, observations, 1. 15. Ztf Cour de Penfylvanie—\\(ei—leComité de MaJ/dchufetts. P.212, 1. 25. ajoutez : Note du TraduBeur. P. 221, 1. 19. 1'intérêt de l'inte'rêt—lifez—1'intérêt compofé. P. 254, 1. 23. Anglian—lifez—Anglican. P. 255, 1. 12. effacez: une fois. - P. 257, 1. 7 & 8. Êf de lire comme une partie de la dévotion publique cette obligation—lifez : & dele lire comme une partie de la dévotionpublique ; cette obligation. P. 258, 1. 15 effacez point. P. 260, 1. 5. des ; loix— lifez—des loix. P. 265, 1. 12. depende—lifez de'pend. P. 270, meillure—Wkz—meilleure. P. 274., 1. %~ connoltre l'imperfeclion—lifez—fe convaincre de Vimpcrftction. P. 277, 1. 21. conftitution—lifez—repréfentation. P. 279, 1. 23 ilberté—lifez—liberté'. Ibid 1. 16. pcrte—lifez—pente. Ibid 1. 27. Wallis—lifez—Wallace, car M, Prici s'eft trompé fuK Portographe de Jon nom. P. 290, 1. 24. différentes—lifez—d'un autre genre. P. 299, 1. 16. a 1'efpèce humaine—lifez—a notre efpèce. P. 310, ennemis—lifez—ennemies. V. 313,1. 29 & 30. que pour exprimer la fituathn de 1'Angleterre U faudroit—lifez—qui s'il s'aggra-ve, il faudrtt pour exprimer la fitmim de l' Angleterret . Ibid. 1. 33. effacez p, 54 & <;<;. .  P' Vit 34' 1784-—ajoutez p. 54 & jj. Ibid. X.^.EtiamfiDeu voluit—lifez—Deus, tthmjtDms-volüfr, P. 315, 1. I. liberté ?—litez—liberté. P. 348, pourl'Angleterre—Wkz—pour fEcoffi,- P* 35^> r3- 'xpugnable—lifez—inexpugnable. Ibid. Afoe ƒƒ,—lifez—M/e ƒƒƒ.. P. 358, 1. dernière de la première Note, more lifez Ufi. P. 371, Note III—lifez—Note IK P' 377> 25 &z6, effacez rroij milliont. P. 378, 1.25, aux mots ƒ„■ r*^,V/„; on a ouU!|. ,a note fuivantes - c Ceci n'eft point exact. La confufion que le Chevalier Whitworth a mifc dans 1 evaluat.on des ??J«.a indult en erreur. II y . deux colonne! dans celle de fes tables qu, expnme 1'état des prifes ; 1'une d'importations 1 autre^ d exportations ; une partie des richeife enleve'es aux ennemii ayant ete confommée en Angleterre, & une partie au-dehors ■ ainfi ll «™rque_ n'eft pas tout Ir&t jufte. Mais le réfultat numérique de 1 obfervanan fauhve n'mflue que foiblement fur le calcul général allle"rs, il ne faut Pas Perdre d= vue, que le principal objet de ma note eft de prouver ojj'il est absurde de caculer ls tice du commerce par d'exces d'eXPOR t a TlON. P. 382, I. 1. 200,000,000—ajoutez—millions. P» 383, 1. 1. 1,200,000—lifez—600,00a.