GABRIELLE D E V E R G Y, tragedie; Par M. DE B E L L O Y, CITOTEN DE CALAIS. Improbe Amor, qu\& non mortalia feiïora copjs? Virale. Répréfentée i. janvier 1784, Pendant le fejour de MUe Saint-Val ïainée, en Hollande. Le Prixjjlde 11 Joh, ou 6 fols pour 'les abonnës. è AMSTERDAM & & la hAe, Chez H. CONSTAPEL, Librairè, MDCCLXXXIV.  TERSONNAGES. RAOUL DE COUCY. LE COVSTE DE F A IEL. GABRIELLE DE VERGY. MONLAC, Ecuyer devCoucy. A LBE R IC, Ecuyer de Faïel. IS AU RE, h mie de Gabrielle* La Scènt ejl en Bourgogne dans le Chdte&u d'/h&ey. Les quatre -premiers Acles fe fajfent dans Me Galkrie qui communiqué aux apfartemens de Faïel fcf de Gabrielle. Le Libraire Conftapel a imprime' du même Autbeuf. T1TUS, Tragédie. ZELMIR.E. LE S1EGE DE CALAIS. GASTIN & BAYARD.  GABRIELLE DE V E R G Y, TRAGEDIE. ACTE PREMIER. SCÈNE PREMIÈRE. F A I KL, A L H E R I C, A lbertc, après avoir ebfervé de loin Faïel, qui faruil trêi-agité. Faïel tremble & gémit! le fiel rjui le dévore, ïout prêc a s'épancru r, femble s'aigrir encore. F a i e l, en i'ajjeïant. Je mandais A'béric, j'allais touc révéler; Le voilé devanc moi, — je frémis de parler. Alberic, s'approctant. Seigneur, vos yeux, chargés de finiftres nuages, D'un fornbre deftfpoir m'annoncenc les orages; Au fond de votre cceur vos foupirs retenus, S'échappant malgré vnus, ctaignenc d'êcre entendus: je vois du noir chagrin.dont l'excès vousconfume, Fermenter dès long tems la brülante amertume: Ce malheur, dans Auirey confternanc tous lescréurs, Chargt* ce lieu paiflble en un féjour de pleurs: Votre Epoufe mourante a vu, par la trifhfle. Se faner fur (on front les flaurs de la jeunefft'. Quels revers inconnus fèmenc ici l'effroi? «[Je (ecret renferraé doit ofFenfer ma foi; II eüt volé jadis au-devant de mon zèle. Albéric n'eft-il plus eet Ucuyer iidèle, A ?. Entje  4 Gabrielk de Vergy^ Entre tous vos Vaffaux choifi par l'Amitié, A vos dellins divers dès l'enfance lié, Qui dans les chïmps d'Honneur fuivant votre vaiüance. F a i f. l, lui prenant la main. Di'S bor'.s de la Syrië, aux rives de la France, Philippe > il arrivé Je vais approfondir Deshorrcuis.quejebrüle, — & crains de découvrir. A l b f e. i c. Comte, vo'is m'éionnez. Quelle crainte imporrur» Dsns le rr.'our éa Roi vout tnontre une infirtu;;;'? Konorarjt Coaronne & le fang des C3pets, Ce Roi, !'r>:TiOur du Mor.'ie, & le Uieu des Francais, A qui mille vernis donnent le nom d'Auguftf, Pour vous f. ui aujourd'hai deviendrait il injuüt ? Pour vo'.'s. qui (ecoodant fes- rapides expioits, A«i Bourgu'anon rebeüe impofitts fes loix? Déja le prrmier <.'mi de fa reconnaiflance. Des fruirs de la Vsfï ore accrut votre puifiance: Sa poiitif] 13 fsee en vous a raS'-rmi Le re.i.'p.r .' qu'ii o;.pofe a fon (L r Ennemi. Quand le D..C de Bourgogne , oppriusant fa familie, Anrnit comre Wray, qui lui donna fa fille; Quand c. Père ofTvnté.vous prenant pour vengeur, De la Du-Ik'Je tncor vint vous o-ïrir la fsur: L,- Rui, t.ivorifünt eet ülufire hyménée , Par un o.-. re fecret en prefia la journée. Comre 1; s r.'hi'.'uhnans prSt è porter fes pas, I voulut a vous feul cocfier ces climatf ; Aurrey :u:, par fes foins, la dot de vot:e Epoufc: P;r vous, bornant du Duc l'ambi'ion jaioufe, II vo>t, avec pl?\ n'eft pas i'objet du trouble qui ni'agite. le crair.s un Fnnemi qu"il ramène a fa fuice, U:i Rival détcfté, de qui l'art fuborncur M'a ravi, fans retour, ma gloire & mon bonheur. A I- i; k r i c. Comment! & quel Rival pour vous fi redoatable..... F a i e r.. Trifte & honteux fecret, riont ie fardeau m'accable Ton avei: plus honteux doit encor m'allarmer! —» ' Tvlsls tu brifts mon cceur qui vtut te renfermer. i h /? u-va.; li s'oiive er,fin, ce «Eur violent & fenfible; D un chngiin concentré 1'éclat fera terrible. A L b e k l c. PuleK. Vous trshiflez les droits de votre ami, oil re f'it a i'inftant quel eff. votre cnnemi. F a i e I.. I.ii bi'm! connais l'Objet de ma furcur ialoufe, e'nr.iviis le (édiicl-ur de ma perfide Jpoufe, Ce'..: qui eau ie feul mes totirmens & fes pleurs, (Vu!--dc qui le tang va psyer mes malheurs: A T. k f r I c. Qjoü Rioui? . F a i e T.. „ , , , CequetuviVnsdentendre, Ce fecret qu en ton fHn le mien ? pu répandre, O ♦'«> > rette caché: fi j-»niii> il en fort, S'i! t'échappe un Ut.\ mot. c'efl l'arrêt de ta mort. { Avec vinlence , voyant frémir Albèric.) Crams tu de me trahir? qutlle teneur te glacé ? A i. b f, r i c, tranqtiillement. Jï frémis du foupgon, & non de la menace. A 3 Je  € Gabrielh ie Vcrgy^ Je frémi» de vous voir out ager a la fois JV5oi,Coucy,votreEpou(e- & vous p;us que nous trois. Faïel. Je maudis.plus quetoi. mes foupr;ons déteüables; Prouve moi, s'ü fe peut. qu'ils font faux & coupables. ïrop ingrate Vergy, qui me fa's réunir, A la douceur d'aimer, le tourment de haïr; ïoi que ma bouohe accufe, & que rnon ameadore, Que j'admire & fiétris, que j'ofFenfe & j'implore; Picin des feux dévorans qui m'tnbrafent pour toi, Qje n'ai-je eu ton amour pour garant de ta foi! Mais tu hais ton Epoux: vènté trop funefte!— Y: ce jour accablant m'écfiire fur le refte. A l b e r i c. Eh! quoiS votre tendreffe.... Faïel. Eft mon crime a fes yeux: Mes foins font importuns, mes refpeéls odieux: IV1a jjréfence l'irrite ou la remplit d'aliarmes; Ses yeux, a mts tranfports, répondent pat des larmes: Au jour de notre hymen, fa haine commeiiQa , Sa main re^ut ma main, fon coear la repouflb Malheureux! je croyais, dans ce moment terrible, Que fon ame encor fimple, a l'amour infenfible, O,ipofait 3 l'Hymen cette douce terreur, Os módeftes refus, fi chers a leur vainqueurs Mais i'apptrc,us trop tard, dans fa triltelTe amère, Des regrets de l'Amour le brftlant caraftèr". S'enivrer de fes pleurs, était fon feul plaifir, Elle aimait fes tourmens, cherchait i les aigrir; Entralnée au tombeau par fi douleur profonde , Un tehdre fouvenir la retient feul au monde, liüe implorait la Mort qui m'ótait tous fes vcea; Elie craignait ia Mort qui rompait d'autres nceads. Aux portes du trépas je la voyais charmée , D'être libre a la fin d'aimer & d'être aimée; Se fiïttant que fa foi, dans ce dernier moraenr. • ■ " 'Ces-  Tragédie. 7 Ctffant d'être a 1'Epoux , fe rendait a 1'Amant. A l b e r i c. Eh! Svigneur, fe peut il qu'è vous-même barhare, Dans ces fong. s trompfurs votre raifon s'égare? Vous trurchez le malheur :& vous vous lourmentez Par des illufiocs que vous-même enfanuz Faïel. Je ne puis me tromper en jugeant 1'Iufi.lelie : J'aime, cher Albéric, & je fouffre comme elle; Va , les yeux que l'Arnour remplit de fesdouleurs, Sans peine en d'a ures yeux reconnaiffent fes pleurs, Apprends tout, Quand 1'ingrate allait perdre la vie; Emplcyant de Monlac 1'indigne perfidie. Raoul ofa , prés d'elle, ici potter fes pas: I' vit fes yeux éteints qui ne le voyaient pas; il fcella, dans ces lieux, d'une boucbe infolente, Ses coupables adieux fur fa main défaillante. A l e e r i c. D'«?.ü pouvez-vous fcavoir?... Faïel. D'Armance 1'a furpris! IVhis le Traitre était loin quand on ra'a tout appris. A t. b r r i c , après un peu de rc'flexiott, Des aricurs de Coucy ce crimir.el indice Ne rend, p:.s de fes feux votre Epoufe complice: F.'.le ignorn peut être, en revoyant le jour, Et 1'audcce , & 1'éclat d'un te\nér?.ire arnour. Mais depuis que Raoul s'éloigna de la France, Autaient ils de leur? ccsurs tr.-.hi 1'intelligeuce? F a i e LNon. C'tft 1'unique frein qui peut rne reteni.r : CVtÜ Ie doute fa-al que je veux édm'rcir. f)ue dis-je ? Au fond ducceur cent foi' je me condsmne iVsccufer des vertus que !e fourcpn profane. Depuis que , par r.os cris, le Ckl importuné La rendue aux befoins d'un Peuple infortuné; De fes foins matérnels la tendre inqu'étude I'ait 'du bonheur public fa gloire & fon étude: A 4;  8 , Gahriclle de Fergy, Son 3tne, adouciflaat & nos loix & nos mceiirs; Redouble fes bienfairs pour venger fes rruirkurs. Hélss! Ie» fons touchans de fa voix affjib'ie Pér.ètrent plus avant dans mon ame attendrie; La langueur de fes yeux déf.ume leur fierté , L'empreinte des douleurs ajoüce a fa beauté'. Gr-ices^ Talens , Vertus, dont l'éclat IVnvironnr; Touteut fait mon bonheur, que Raoul empoifonne, Mals du doute mortel dont je fuis déchiré, II faut qu'en peu de jours mon oceir foit délivré : D'Armance eft dans Dijon , & va bien-tót m'apprendre Si ce Rival funefte a la Cour fe doit reodre. La, mon trifte devoir m'appelie prés du Rni, Mun Epoufe; a fes pieds , doit paraltre avec mei; La, mes yeux perceront cette ombre criminelle Dont fc.aic s'envelopper une flame infidelle: Et Coucy .... A l b e r i c. Que je crains votre bras & lellen! Rivaux en g'oire.... F a i f l , avec furcur. Attends fon trépas ou le mien; Er peut-êrre, avant tout, la mort de la Perfide —j'éprouve, è chaque inftant, ce paffage rapide De la rag-; au refpeü, de l'amour a l'horreur: Won deliin dépendra d'un moment de fureur: je pourrais iinmoler , & venger mes viebmes; 0-v;iiir criminel, & punir tous mes crimes; ^ ainement la Vertu voudrait les ralentir, je ne la connaïtrais qu'au cri du repentir. A l b e r i c. Vous pourriez.... Faïel. Tout éft dit: & fi j'infrruis ton sèle, je ne veux pas l'armer pour:venger maquerelle: Ma gjoire n'a jamais d'aurre Vengeur que m ;i. Mais il fauc que mts yeux foient éclairés par toi. Voili  Tragédie 9 Voil3 1'unique foin que Faïel te demande: Un Ami t'en conjure, un Maltre le commande. A l b e r i c. Quand je vous biamerais, il faudiair obéir; IVlais a vous déttoinrtr mes foins vont vous fervir» F a i e l. Va voir fi la CormtiTV au Pala s révenue Albïric, regardant vers la porte. La voici. SCÈNE II. GABRIELLE, FAIEL, 1SAÜRE, ALBER1C. SG a b r i e l i. e , d Ifaure, üütiers - mol... je frémis a fa vue. Quelie contrainte! O Ciel! F A 1 E L, d Albéric. As-iu vu fa rougeur, Qu'cfface tout-a-coup la plus morne pi'eur? Ah! mts yeux, dans les flens, retrouvent-ils lajoie Qu'a (on premier abord tout mon cceur lui déploie? {A Gabrielle qui s ejl approcbée.) Goutez-vous en ce jour quelques fruits de vos foins? Mos Sujers comptent-ils des JMaliu ureux de moins i C'eft pour vous que, fur eux , une Loi plus bumaine De mon joug trop pélant a foultvé la chaine; J'épargne a votre cceur fon plus nuel ennui, Ce malheur de fouflrir par les malheurs d'autrui.. Puis-je efpérer enfin que le foin qui m'enflame,.., Gabrielle. Ffïel, la bienfaifance tft un bifoin de I'Ames Heureux, elle nous rend notre br-nheur plus dbus, f,'étend, le multip'ie, en prévient les dégouts: t/iaiheureux, eiie charme & fufperni nos mifères, Ün isffsnt aicins fes maux en cunfolant fes Frères. A S Faiee..  10 GabrieV.e de lrergy, Faïel. Eh! quels maux fi preflans cherchei-vous a calmer? Quelle plainte, ou quds vceux pouvez-vous donc former ? La faveur des Déftins rafkmble fur nos têtes Tour ce qui donne un prix è ce rang oii vous ctes» Puiffance, Dignités, Gione, Tréfors, I'laifirs, Tout prévient votre t-fpoir, rier. n'attendvos defirs. Cependant les ennuis, les rtgrets vous dévorenr. II eü des biens cachés que vos foupirs implorenti Et ce briliant éciat des jours les pius fereins S'eft perdu dars la nuit de vos fombre? chagrin?. Ah! fi vous chériff' z un Kpoux qui vous aime, Sinosnreuds font pour vous ce qu'ils font poui luimême.; L'Univers n'ofFre rien, apiès des nceuds fi doux, Non, ritn è defirer ni pour mei ni pour vous. -:■ Mais par des p'eurs escort a;->s-«ous me tépondre? Vos yeux en font couverts, & fetnblent fe confondre. G a b F ï ï- l e. N'avez voes point m->f-i! Qu<-' vaindtfir, hélas!... Faïel. Eh! qu'importe la toi qu. ie cceur ne fuit pas? C'eft un préfent honteux. Il faut que je rougifle Dubonheur de mes jours, s'ii fait votre fupplice, L'amour, premier devoir qu'ex:ge votre foi, lei, comme une grace, elf réclamé par moi; JMais vos trifles ftoidturs.... G a b R I E l t. E. Efi ce a vous de vous platodre. Seigneur? & quels devous me voy> z-vous enfrtindre ? Depuis deux ans qu'ici mon fort m'unit a vous, }'ai chéri, rèrété, confo'é mon Epoux. Vous avez vu la Mort, è mts cótés errante, Vingt fois m'environner de f* hu^x men^ante, L'abime du tombeau fe fermer, fe r'ouvrir; 11 prend, liche fa proie, 5c ia vunt relLsifir. Dan;  Tragédie. H Dans ce corps déf'aülant fi i'ame eft afTaifKe , Le fentiment flétri, la raifo.i écliplée; Ah \ Seigneur , eit - ce a mot qu'il lè faut reprochei? )e lens plus que jamais mon heure s'approctaer. L'excès de votre amour, dons je luis attendrie, A fait de vos douieurs Ie poifon de ma vie; Khlquel touvraem sffrtux pour le plus tendre cqjar, D affliger un Ami dont il veut le bonheur! Faut-il qu'a mon dettin vou» attachiez le vótre, Qjand le Ciel va bien-tót, féparer 1'un & 1'autre? Lien-tót, Faïel, ces traits, ce tceur que vout airotz, A la Terre rendus, y feront confumès; Souffrez avec courage un malheur néceffaire, Qui détruit tóe ou tard l'unior. la plus chère. f.uiiTe tout ce que j'aime être bt-urtux apré* rnoil ••Kt je meurs fans regret ainfi que fans effVoI.' Faïel. Sansregret!-- Votre cceur m'en auroitdü.fansdoiite. ( Avec amenume. ) Peü'-être oubliez-vous ceux qu'un autre vous coütt? ( Gabrietle étonnee teregarde:il je rrprendvivimenï.) Un Père è votre amour n'en peut-il arracher?— Ivlais il forma nos nceuds, il ne vous eft plus cher. A vos yeux cepen^aiu il va bientö.t paraltre: Vergy, dans nos climats, revient avec fon Maltre: Sortis, depuis deux jo.urs, des rtmparts de Lyon, , L'aurore a dü les voir s'éloigntr de Dijon, Par leur ordre , è l'inflant, on vemt de meprefcrirc, De lesfuivre è Paris,— & de vous y conduire. Gaerielle. Mei, Seigneur ? Faïel. Oui, Madame: il faut quece grand jour Vous rende aux foins britlans, aux pompes de la Cour: j.e vais tout p-éparer. Ma franchife rigide, Demande, pies des Rois, votre douceur pour guide. i.'éxlat peut dilïïper vos ennuis odieux, Xcujours nourris d'eux-ir.cme en ces paifibles lieux, S il  12 Gabridk de Vcrgy, S'il vous manque un printenis pour compter quatre luftces . Vos vertus, alaCour.n'en font pasmoins iiluftres: S< s fuperbes B-autés, q'je vqus feule i.fivcez. Vousaiment. tn pïeurant ietns atiraiis éclipfés. Et dans ie fein des Arts , que vous fivez connaicre, Votre efprit occupé va reprendre fon être. Gabrielle. Ah ! Seigneur, je fiémis: iü me conduif'z-vous ?--Si vous m'aimtz encor.... je tombe a vos genous; Laiffez-moi, par pitié, dans ce üeu folit3ire. F a i e l. Suivez 1'ordre abfoiu d'un Monarque & d'un Tére. Moi.plus Amant qu'Epoux, vous favez fi ma vois U a du droir cruei de vou.. rfifïer des loix. Fiïel, s'il tüc jamais vouiu parler en Maitre, Éütcommsndéramoar: = mais 1'amoar ne peut l'être. (11 fort). SCÈNE III. GABRIELLE, ISAURE. IGabriflle, tombant dans un fauteuil. _Saure, je fuccombe : héias! c'en eit donc fait! lis avaient, 3 mon cceur, gardé ce dernier trait. „ Suivez 1'ordre abfoiu d'un Monarque & d'un Père ! Leurs ordres, en tout tems, ont caulé ma mifère. Quoi! mon Père &mon Roi font mes premiers bourreaux! Mon ame les adore, & leur doit tous fes m3ux! Ah! Cruels, pourfuivez: trainez votre vicLme , De 1'Autel a la Tombe, & du Malheur au Crime. Vois-tu de mes deftins quel eft 1'horrible cours, Et 1'abime cü je fuis &. i'abime oü je cours? C03.  Tragédie. j 3 Corgois-tu de Vergy l'irpprudence barbare, Et cuêis nnuveaux' (oermens fa rigueur me prépare ? Combien il abc fa de droits patemtU! II m'enchair* aux ma:bf ors par des nauds éternels; tl fépp.re di v-x cceess unis cès leur er.fsnce, Dcr.t ma Mèie app'otvait ivfpoir & la conftance; Sa main, P<'Ur uisfiervir a Os injuftes loix, Surprend l'MOton'é ou p'i s jufte des Ror's; Et déplcy^nt foudain ï'r.ntt de ma ruine. I'rc-cip'te, si) fecret, !e i ce-id qui ni'affffine. i.oin de toi; de l'Hymtn j'aüumai Ie fLmbeau; le re vis point ei'Autel, je ne vis qu'un Tombeaü. Irrerdite; & voulant douter de ma mifère, Mfs timides regaids fe levaient fur mon Père; L'Irhumain! A F.ïcl il préfente ma foi, Corame un don de ce cceur qu'il difait ëtre a mot. Sa hauteur s'allurait. que ma fisriple jeuntffe, Aux yeux d'un ir.connu renfermant ma faibleffe, Dev.n.t vir.gr'Chtvaliers, n'oferut démentir Un Père, a qui fon farg ne favaic qu'i'béir. Hélas! j écoutai trop la voix de la Nature; Et mon F ere était fourd & ce tendre aiurmure. I s a v r E. II tft trop vrai. Toujours '"a ftoïque froideur, Des Paflions, en lyi, fut éMufler 1'ardeur. Sur elies confervam un irpne fuprëme, II les juge en autrui, cor iv.f il les fent lui même;: II n'a pu voiv en vous e s ftux tumultueux, Qui, des fens enivrés 'ïy.ans impétueux, Donnant un nouvei ëtre a notre srae aflervfe, Font du premier forpir le deftin de !a vie. II crue que refptétant & hén:fl*ant fon choix, L'Amoiir rievoit s'éteindre 6c renaitre a fa voiS. De fog \&e g'ncé, froide & cruelle idole, La Poli'.ique, héizsl par fss mains vous immoie. G £.  54 Gabrielk de Vergy t Gabrielle. l Bien plus.— Mon cher Coucy.fon horrible pouvoir Me défend de t'aimer,- & me force è te voir! Ah '.pour vaincreun amour dont ma vertus'indipie,--Pour rendre a mon Epoux cecceur, dont il tft digne, Le Ciel m'en efl iémein: i'ai tcwt fait, tout tenté; Mes force» ont touiouts trahi ma voio -.té. Et j'i'ai de Raoül braver encor la vuë, Ses regards tout remplis du poifon qui me teë; Son affrtux défefpoir, dont la tendre ian;'ueur Viendriit me rappeller tous (es droits fur mon cceur; Son génie éclatant, fon courage fublime; Et fon friéle amour, dont 1'i'ée tft un crime! — Raoul, fi jv te vois, pourrai-je un feul momenr Oüblier, prés de toi, les traits de mon Amant? publier ce Héros dont l'aimab'e fsgelTe De fon fiècle groflKr fut polir la rucuffe; Dont l'efprit, déja mür dés fa jeune faifon, Mêle aux fleurs des Talens les fruits de la Raifbn? (A Ifaurt.) L'irttma de la Vertu , fa pente fiature.le, Rapprocha, fans defiein, nos deux cceurs dignes d'ellej Quand ce rapport charmant eut fu les ralTembler, lis s'excitaient encorc è !e mieux relTembler. Sa grande ame éclairait, afFcrmiffait la mienne j Et pour les Maiheureux j'attendriffais la fiennë. Ah! tout va m'arracher de coupables regtets — Non . je te jure. 6 Ciel! de ne le voir jamais: Roi, Père, Epoux; Tyrans que je ne veux plus craindre, Vos menaces , vos cris , rien ne m'jr peut contraindre. SCÈNE IV. FAIEL, GABIUELLE, ISAURE, GARDES. QF a i e i-, dfes Gardes. rj'oN 1'arrête ft l'irfrant & qu'on le traïne ici. (Les Gardes ft rciirem; il rien refte que deux dani l'enfor.cimsnt.) G &'  Tragédie, t$ gabrielle; Èh! qui donc arrêter ? Faïel L'Ecuyer de Coury, 'Monlac. En ce Palais il cherche a s'introduire. Qael defiVin 1'y condui: ? quel prétexte l'attire? Son pirindt- eiubarras , fes foins myflérieux... Vous frémiffVz! -c'efl vous qu'ii chercbair en ces lieux t.'e n'elt pas. d'aujourd'hui que ta flanie infldelle Amena dans Autrey l'Amjut qu'elle y rappeile. Gabrielle. Que dites-vous? Faïel» Mes yeux a la fin font ouverts, Tes crimes dévoilés, tes complots découverts. SCÈNE V. Les Afteurs précédens. ALBERIC. BA l 3 e r 1 Ci annissez vos ioupcons, Seigneur, dans cette Ville, ftioniac, pour peu d'inftans, demandait un afyle. Aux champs du Vermandois il adreffe fes pas, On connait fes cielTeins, il ne les cèle pas: Au père de Raoul . dans fa douleur mortelle, Du trépas de f--n fi'1; n norr, lp nouvelle. Gabrielle. Qu'enttnds.je ? Faïel, avec joie. Quoi! Raoui? li n'efl plus? Gabrielle. Je me meurs. ( Me tombe dans les bras d'Jfaute. ) Faïel. Albéric; vois ma houte écrite eiï fes douleuis: Elle  ïê Gabrielle de Vergy, Èlle l'aitm:! — Parjure' — Ah! la Mort Ta faifie. Si aies jourc v^u- fonrchers, qu'on la rende a h viea (IJaure f*f les deuxGarass emportencüsOrieilc evannuie.) SCÈNE VI. F A I E L, A L B E P, I C. Faïel. Qll veut fuivte fa femtre ; mais tout-h caup il s'aritis, £f tevient vers Aiberic avec un eciat de jute. ) J\^:on Rival a donc vu tetminer fon deftin!--Bruis il était aimé! ---ie pourrai 1 ê.re enfin; O mon «me. ree :is ce rayon d'ef, érance.--f // vtut encore Jortir, FJ1 revient avec r.éflexion. ) Quel nu tge impouun me rend ma défünce! . . i a Alhéric.) O (oupgons! O terreur!—Les lettres de Vergy, Parmi nos Guerriers morts ne nomment pas Coucy : Viviait il? & ivloniac par fa fourbe infoiente Oui, mon prefT^ntiment m'éclaire & m'épouvante. lis m'onr trompé jadis : & ce bruit répandu Weft qu'un piége nouveau qui mVft ici tendu. Malheureufe, fremis; --.fi ces perfides charmes..., Nous périroos tous deux, je le fens a mes larmes; Je fens que mon amour, qui fe change en fureur, Peut faire de ces lieux un Théatre d'horreur: ( A Albéric, ) Viers, pergons cemyftère. - - Ah ! voyons 1'Infidelle: Je jure fon trépas, & je tremble pour e!le. Fin du premier AHe. A C-  Tragédie. 17 ACTE II. SCÈNE PREMIÈRE. GABRIELLE, ISAURE. GabriSellê. n fecours inhumnin me rappelle n la vië, Et tu penfès remplit les devoirs d'une Amiel Mon cceur, d'éja glacé, gofttait quelque Tepbs: Avec le fentiment, tu réveilles més inaux. O doux fommeil de 1'ame! O langufeur infênfiblè! Si Ia mort te refïbmble, eftellé fi terrible? Jfaure, il ne vit plus ce Héros adoïê; Gloire, Vertu, la Tombe a donc tout dévoré! O perte dès long-tems par 1'amour preflentie! Lc Ciel même én feciet m'en avait ivertié: Ecoute ce prodige. 11 te fouvient du terils Oii, pour ravir Solime au joug dés Mufuimans, L'Europe frémiffante artna fes plus grarids Prihcès: Philippe & Richard même avaient, dans hos Provinces, De Londre & de Paris raffemblé les Hërös, Surpris que 1'amitié confondlt letirs drapeaux. Jls partaient pour voguer aux cbarhps de ridutnéej Quand ma vie en ces lleux paraiffait confumée: La Mort eoüvrait més yeux de fon voile pèfant. Aux yeux de 1'Atne encor Raoul êtoit prêfènt; Je crus le voir ici: non, tel que la Vi&oire Me 1'a vingt fois offert, embelli par la Gloire j Mais tremblant, abbattti, pftle, déflgüré, Levant de loin fur moi fon cèuil défëfpêre; S'élancant toilt a coup fur cecte rriain glacêe, Que fes lèvres de feu femblaiént tèriir préfféé; Et parmi des foupirs, des larm.es, desfthglbtt, B Son  3 8 Gabrielle de Firgy, Son cceur au fond du mien fit retentir ces mots: C'eft le dernier adieu. Cent fois, ma chere Ifaure, lei, depuis deux ans, j'ai cru 1'entendre encore; Je vois pilir fon front & palpiter fon fein; Je fens jufqu'a fes pleurs qui coulent fur ma main : Sur tout, depuis trois mois, cette image effrayante, Raoul; revient fans ceffe aflliger ton Amante: Mon cceur m'a dit 1'inftant qui terminait ton fort. II a fenti ton cceur fous le fer de la Mort. I s a u r e. Amie infortunée, ah ! ce n'efl point un fonge, Ou Terreur de vos fens aujourd'hui vous replonge; Vous avez vu 1'Amant fi digne de vos pleurs; Prêt a quitter la France, il apprit vos douleurs: Tour ce dernier adieu, fon défefpoir horrible Vint hazarder fes jours dans ce Palais terrible. Gabrielle. 31 vint! I s a u r e. Si mon effort ne 1'en eüt arraché, A votre main, Madame, il mourait attaché: Votre Epoux, furprenant fa funefte imprudence. Eüt peut-être en fon fang aflbuvi fa vengeance. Faïel fait tout, fans doute, &fes fougueux éclats. Sesreproches amers que vous n'entendiez pas..... Gabrielle, trés-tendrement. Dernier prodige, hélas.' d'une ardeur fi chérie! C'eft fa préfence encor qui m'a rendu la vie —Tu perds, en me pleurant, ce jour que je te doi j Tu me vis expirante, & tu meurs avant moi! I s a u r e. 3Mais Faïel. . . . Gabrtelle. As-tu vu fa joie impitoyable? Au bruit de cette mort, fon triomphe effroyable? Comme il va s'applaudir, a travers fes fureurs, D'avoir p« iéwmix la foutce de mes pleurs.'  Tragédie. { Très-vivement.) lnfortuné Raoul! Ah ! douleur qui me tue! Sans ceffe de ta mort jouïffant a ma vue, Je verrai mon Tyran, mon cruel ravifleur, Me reprocher mes maux, dont lui feul eft 1'Auteur. —- Quoi! j'outrage Faïel! Mais m'a-t il opprimée? Quel eft fon crime, enfin, que dem'avoir aimée? Eft-ce a moi, qui le hais, d'accufer mon Epoux? Quand le Ciel me punit, quand fon jufte courroux Vient m'enlever 1'Objet de ma flame infidelle. Ah! fachons nous dompter, mourons moins criminelle. Mais on entre. Monlac s'avance ici vers moi! Imprudent, ofestu?... SCÈNE II. GABRIELLE. ISAURE, MONLAC. Monlac. Dissipez votre effroi» Madame. En liberté je puis enfin paraïtre: ïYiel s'eft affuré du trépas de mon Maitre. J'ignore quels foupgons, agitant fes efprits, Ont démenti Ia foi de mes premiers récits: Mais par de longs détours, fa tranquile colère; Vient de m'interroger avec un front fevère: La fïmple-vérité, par ma voix, par mes pleurs, A bientót devant lui confiimé mes malheurs. Tandis que fon départ promptement fe difpofe, 11 permet qua vos yeux, ici je les expofe. Madame, il ne fait point que c'eft le trifte emploi Dont Raoul expirant s'eft remis a ma foi. Gabrielle. Eh bien! pleurons tous deux; — maislepuis-je fans crime? Oui, pleurons un Héros que mon malheur opprime. B % Ou.  a© Galrielle de Fergy, Ornément de fon fiècle, hélas! il a vécu, Trop peu pour Je bonheur, aiïcz pour Ja verin. Ofeme 1'avouer, fa mort eft mon ouvrage, Son défefpoir fans doute égara fon courage; II aura prodigué des jours fi precieux, 3Wais que 1'amour trompé lui rendit odieux. M 0 W l a c. Je ne vous nierai point qu'aux cbamps de Ia Syric, Sa valeur n'étaic plus qu'une ayeugle furie, Qui cberchait les dangerf, plutót'que les combats, Dédaignait Ia Vi&oire & courait au trépas. Mais Ia Gloire, en tout tems par lui fi bien fery.ie, Préparant fon triompbe au terme de fa vie, Lui gardait une mort que les cceurs des Francais Vont tous ü fa mémoiie envier a jamais. Dans ces affauts fameux, comptés pour des bataülcs, Par qui Ptolémaïs nous vendit fes murailles, Philippe, le premier fur la bièche élancé, De nombreux Ennemis par tout fe vit preffé : Raoul accompagnait fa fuperbe imprudence: Dans les rangs enfoncés, tous deux brifent leur lancet Soudain un Mufulman, plus terrible & plus fort, Porte au Roi défarmé 1'inévitable mort: Raoul, a qui Philippe 3 tout ravi peut-être. Se jette fur le coup, Ie recoit pour fon Maitre; S'applaudit, en monrant, que fa conftante foi _ Rende a la France encor la Viétoire & fon Roi. Gabrielle, avec force. Ah! Raoul, que ta mort eft digne de ta vie.' Oui, j'adore ta cendre; & tout me juftifie. {Avec tendreffe.^) N'a-t il pu me nommer avant que de mourir? M'a-t-on privée encor de fon dernier foupir? M o n l a c. Pendant la nuit cruelle oü, forcant la Nature, Son courage 1'a fait furvivre a fa bleffure, Batgné des pleurs du Roi qui recueillait ies fiens, Jen-  Tragédie. Ml J'entendais fes regards qui vous nommaiefit aüX mittiS. QueRaoaï était grand, pleuré par un tel Maitrel Le Roi, qui ie pleurait, était plus grand peut- être. A travers mes douleurs, quel fpeftacle pour moi! L'Amitié fur le ïrór.e & dans le cceur d'un Roi!—— Enfin nous reftonï feuls: plein du foin qui vous touche, Son ame en liberté vient alors fur fa bouche. Quels regretsl quels transports! quels étranges adiéux! Je crois le voir, Madame, il eft devant mes yeux. „ Donnoffslui, difait-il, au dela de ma vie, „ D'un amour fans exemple une marqué inouïe. 11 fe foulève a peine, il tracé lentement De ce fidéle amour ledernter monument: Et Iorfque des férmens le lien redoütablë Enchainë encor ma foi, qu'il fait inviolable: „ Dans mon corps expiré ta main prendramori cceur:»—* „ Tufiémis! s'il t'eft cher, eft-ce un objet d'horreur? „ Quitte un vain préjugé'; que Ie coeur de ton Maitre, „ A la tombe ravi, te doive un r.ouvel être. Une' Amante', un Ami 1'occupaient tour-a tour: „ Je charge 1'Amirié de le rendre a 1'Amour: „ Ton cceur, oü je vivrai, doit au mien ce fervicé. „ Si tu crains de Faïel la jaloufe injuftice, „, Au généreux Rhetel tu peuxte confier: „ Sur-tour, qncce billet foit offert le premier. ( // tire le billet. ) Gabrielle. Qu'il me fait bien fentir 1'hörreur de lui furvivre! Monlac, lid préfentant le billet. C'eft 1'écrit. . . . Gabsielle le prend en détourmnt les yeux. j Je crois voir 1'objëtqui va Ie fuivre. ( Elle lit: ) Je nteitrs- Men ame vit h jamais pour t'aimêt:. '} arrache au Jein des morts fa dêfouille mvrtefit', Ce cceur que, pour tai feule, elle dut aninièr'. La maiilt de'teil o:iit , ma chere Gabrietle, B g d<'  $1 Gabrielle de Fergy, Au tombeau, lom de toi, ne veut pas s'enferker: Elle va te rejoindre.. . helas! quel trifie hommage! Qu'il vat'epouvanter\ . . . Non; c'eft Raoul, c'eft moi, C'eft ce fidéle Amant qui campta fur ta foi. Adieu. Mon amefuit, emportant ton image; Man coeur eft plus heureux , il refte auprès de toi. Ah! ton ame long-tems n'attendra point la mienne! Ton cceur vient dans ma tombe, échappé de la tienne; La Mort, brifant mon joug , va reformer nos nceuds.—* Monlac, je n'ofe plus vers toi tourner les yeux. M o n l a c. Madame. . . . Gabsielle. Non ,• arrête. Attends que mon courage Prépare ma tendreffe a cette affreufe image. C'en eft fait. II le faut: expirons de terreur. ( Elle fe tourne vers Monlac. ) Monlac. Ah! ne redoutez point ce fpeftacle d'horreuN Le Ciel, (dirai-je, hélas! ou propice ou fevère?} ïnterdit a mes mains ce fatal minifière. Gabrielle. Dieu! quel efpoir me luit? Monlac. Apprenez des malheurs Qui doivent a vos yeux coüter encor des pleurs. C'était peu que Raoul mourütpour laPatrie, Le Sort voulut'deux fois faerifier fa vie. Gabrielle. Que dis tu? Monlac. Ce billet m'eft a peineremis, Soudain nous nous voyons entourés d'ennemis: Je vois Pborreur, le fang, les flambeaux & les armes, Remplir le Camp Francais de debris & d'allarmes. Saladin, trop indruk du grand Art des Guerriers, Venait | fes vainqueurs derober leurs lauiieis: ' De  Tragédie. 23 De nos Chrétïens captifs, fon adroite impofture Avait, aux Mufulmans, faic revêtir 1'armure : La Mort volait, fansbruit, fur notre Camp trompé. Dans ce carnage afFreux Raoul enveloppé, Fut, fous mon corps fanglant, maffacré fans défenfe: Et lorfque de Rhétel 1'intrépide conftance, Expiant notre erreur, chaffant les Sarrafins, M'eüt arraché niourant, de leurs bras inbumains, Ni fes yeux, ni les miens, ne purent reconnaitre Les refr.es décbirés de mon malheureux Maïtre. Dans des monceaux de morts mutilés & meurtris, Chacun chercbait en vain fes frères ou fes rils : Les Monftres, au Sultan fier de telles conquêtes, De nos Chefs égorgés allaient vendre les têtes. Voila par quel revers Ie deftin, malgrémoi, De mon ferment facré m'a fait trahir Ia Ioi. Pour comble de difgrace, en quittant la Syrië, La tempête me jette aux rochers de Candie: Retenu plus d'un mois dans ce trifle féjour A peine ai-je du Roi devancé le retour: Et j'arrivais de Gêne aux rives de la Saonè, Quand fa Flotte rentrait dans lesbouches du Rhóne. Gabrielle, dans le plus grand accablement. Eft ce éprouver afïez les cruautés du Sort? II veut multiplier ton trépas & ma mort Monlac, daigne épargner ma mifère profonde : Que veux-tu qu'a tes pleurs mon céfefpoir réponde? Le fentiment s'épuife en des malheurs fi grands: Une douleur ftupide abforbe tous mes fens. Va, mon dernier moment, que cette lettre avance, Sera marqué pour toi par ma reconnaiffance. Monlac. Eh! qu'ai-je a défirer ? j'ai perdu mon Ami. Quand j'ofai lui furvivre, il fut trop obeï; je vous donne la mort, je la porte a fon Père; Et la trouver moi-même, eft le bien que j'efpèïe. Adieu, Madame. B 4 L*  a t Gabrielie. d& fèrgy, 5 C E N E I II. GABRIELLE, I S A. U R E. Gabrielle , fe jettant dans, les bras d'Ifaure-. Isaurz... Amie ... Q la repoujfant. > Eloigne-toi. Is.au r e. Permettez q»e mes foins.. . . Gabrielle. Non, dis-je. Laifle-moi. L'Atnitié même-, h&asl me devient importune-; Mon cceur veut être feul avec fon infortune. SCÈNE IV. GAB RI ELL E, feule. -Dans fes chagrins-profonds qu'il s'abime a loiilr. Jouïr de ma douleur eft mon dernier plaifir. Elle a quelque doucqur, puifqu'elle eft légitime; Uien n-!y. mêlera plus 1'amertume du crime ; Uien ne poarra troubler, par de laches defirs, Mes regrets innocens & mes- juftes foupirs. Dieu, permets-tu fa mort pour épurer ma Mme? Et n'a-t-il qu'a ce prix, pu vivre dans mon ame? Cher Raoul, en motirant, tu m'envoyais ton cceur! 3'en ai frémi. Je fens qu'il manque a ma douleur. Croyant te voir en lui, te parler &t'entendre, Ïépancherais mon aroe avec ce cceur fi tendre ; ientót elle.pourrait, libre-de-tour. lien, En (ortant de mon cceur, s'anêter fur Je tien. Le  TragêMt. 6j Le Ciel me privé encor de ce plaifïr funefte, Et de toi dëformïis c'eft-ia tout ce^qui refte. ' ( En regardant le bületi) Relifons ce billet, ce garant de ta foi: Que ce gage facré me tiennelieu de tot; J'y recueille ton ame: a ton beure dernière;, L'Amour, fur eet écrit, la.porta,toute-eT>tière. C Elle fe temet è lire.) SCÈNE V. FAIEL, GABRIELLE. Faïel, repottffiuit I/aura T . « ■*■ u m arretes en vaio, fors; qae puikje psnfet?! Gabriellb, s'interrempant de* lm* Ah! retenons mes pleurs. ils vont tout effacejv Faïel, s'approchant. Que lit-elle? G abriel l e , i'appercevani:. Grand Dieul Faïel, Je jettrnfur la-leUre £? la lui- armelisnfn Donnez-, donnet, Parjtiïe; II eft tems d'éclairer ta home & mon injure. (II y donne un coup.drmiL ) C'eft Ie feing de Coucy! c'eft ton arrêt fatal. ïu me fais annoncer la mort de mon Rival;. II refpire, il t'écrit! 1'ardeur qui vous animtn Par des détours fi bas , concerte encor le crimei Tremble, tu vaspérir. Gabrielle-, avee la:plus grandetranqnilitê; Lifez, —— & rougiffiz. B 5 Fazsi  a6 Gabrielle de Pergy, Faïel, déconcerté. Comment! quel calme !...Eh quoi! mes cranfports infenfés...' PuüTé-je avoir bientöt a mc punir moi-même! (ƒ/ lit ce billet rapidement.} C'eft i'adieu de Raoul a fon heure fuprême. Ce etage de fa mort.... . _ Gabrielle, voyant Ja joie.. Eft bien doux a vos yeux. ^ Faïel. Un Amant adoré.... fait feul de tels adieux. Gabrielle. Oui, je 1'aimais, Seigneur: & j'ai du vous le taire, Quand j'ai craint pour vous deux eet aveu trop fincere. AUié de mon Roi, fils des braves Coucys, Digne en tout de ma main & du fang des Vergys, Ce Héros me fut cher dès ,1'age le plus tendre, Mon cceur a tous fes droits fut contramt de fe rendre : Si ma Mère eüt vécu, Vergy, dans fon courroux, Ne m'aurait fait jamais aecepter d'autre Epoux. Mais, parun ordre affreux, a 1'Autel appelée, A de vains intéréts en efclave itnmolée, Du pouvoir paternel je fubis la rigueur ; II fallut, par ferment, renoncer au bonbeur: Trainant loin dc Raoul ma chaine infortunée, A nc le voir jamais je m'étais condamnée: II paya de fes jours fes vceux facrifiés; (Montrant la lettre qu'il tient.) _ Voila ce qui m'en refte, ■ & vous me 1 enviez! J'ai combattu, dcuxans, cette invincible flame, Ce fentiment, la vie & 1'ame de mon ame: Sans vous, la Vertu même approuvait fes tranfports, j'ai connu, par vou» feul, la honte des remords, Ofez me reprocher un pencbant légitime, Qui devint mon fuplicc, & ne fut point mon crime : fe devais voos garder, & vous gardais ma foi: _ Mais 1'inftinft de mon cceur dépendait-il de moi? Tc dis olus. Au milieu des tourmens que j'endure, Me  Tragédie. 27 Me fuis-je, devant vous, permis cm feulmurmure? Ah! c'eft mon Père encor qu'ici j'ofe accufer : De ma main, fans mon cceur, il voulut difpofer; C'eft lui qui perd enfin, par fa rigueur extréme, Raoul, fafille, vous & peut-être lui-même. Son refus, pour vous feul, eüt été douleureux, Mais, m'uniffant a vous, il fit trois malheureux. Dieu! par fes feuls regrets daigne punir mon Père; DcsEnfans immolés, que je fois Ia dernière! Faïel. Qu'ai-je fait? je m'abhorre, & tombe a vos genoux. ( Elle le retient.) Ah! 1'amour qu'on dédaigne a droit d'être jaloux. Mais quel fupplice affreux moi-même je m'impofe! Je fens deux fois tes maux, quand c'eft moi qui les caufe. .Né fougueux, violent, extreme en tous mes vceux, Je ne puis gouverner mes fens impétueux; Et depuis que 1'Amour, fans rapprocher nos ames, Dans mon cceur tout de feu, répand encor fes Barnes, • F'aïeleft, vers vous feule, emporté loin de foi: Ma funefte exiftence eft plus en vous qu'en moi; Mes jours, fi vous m'aimiez, feraient purs &tranquilles; Hélas! qu'aux cceurs heureux les vertus font faciles! (_Avec un peu de joie.) Je crois qu'enfin le Ciel, qui nous unit tous deux, T'enlève mon Rival pour mieux ferrer nos nocuds; II détruit I'alimenc de ta flame funefte; II veut que, fans combats, la victoire te refte, Ton joug eft déformais plus léger & plus doux. Remplis ton feul devoir, régne fur ton Epoux; Infpire-moi ton ame &fi pure & fi tendrc; Sur tout ce qui t'approche elle fait fc répandre: A tes rares vertus Raoul dut fa grandeur : Rends moi ... tel qu'il était pour méritcr ton cceur. ( Trés vivement.) Arbitre dc mon fort, maitreffc dc ma vie, Tu  a8 Gabrielle ne- më ncmrinez-ixJmtle Héros quefamiais.— aue ce n'efl plus vous rendre un digne hommage, C - nV-ft p'üs fignaier ma foi, ni mon courage-, O'j'srüss iaj-aon, hcias! onblier mon Amant. ^  Tragédie. s? ( Ayec daukur. ) Que n'ai-jc le bonheur de 1'oublier vivant! Mes jours fout votre bien, & majafte tendfefle.,, F a i e l. Mon ame s'abandonne a la plus douce ivreflè. Quoi! du bonheur enfin Pauroreluit pour moi, Ec le don de ton cceur fuit le don de ta foi! SCÈNE VI. FAIEL, GABRIELLE, ALBE&IC, Alberic, a Faïel. O vient de m'annoncer une étrange noaveüe, Qua vous feul, en fecret, il faut que je révèle.' Faïel, vivement, en lui montrant G&brielk. Ah! parle fans contrainte & ne lui cache rien; Ami, mon cceur n'a plus de fecrets pour lc ficn. A l b e r i c. Seigneur fivous faviez. . . F a i e l. Quel eft donc cc myftére? A l b e r i c. A tout autre que vous mes foins le doivent tajre, Faïel. Je trcmble. Gabrielle, Apart D'oü me vient cette fombre terreur? Faïel. i Madame, permettez: .excufez fon erreur; . ■ Quels que foient les fecrets qu'il veut ici m'apprendre., ( Croycz qu'en votre fcin je courrai les répaodre. f( Elle fort, en les regardant avec la plus vive inqu-tude.^ -SCE»  so Gabrielle de Vergy, SCÈNE VIL FAIEL, ALBERIC. Alberic. Dës remparts de Dijon d'Armancc eft revenu, Sei-neur; — Raoul refpire, & d'Armance 1 a vu. ö Faïel, avec le plus grand éclat. O Ciell...Quoi! ce billet!... Ah! vois leur impofture, (II donne la lettre a Alberic qui la lit. ) _ Vt je viens dc tomber aux pieds de la Parjuie! > Tavais bien wreflcnti leurs noires trahifons, Mon cceur m'avait tout dit par fes premiers foupcons; Mahré 1'appas flatteur d'une odieufe hiftoire, Mes doutes obftinés refufaient de la croire. ■ ■ ( Reprenant la lettre avec fureur.~) Eh bien! vantc-moi donc leur candeur & leur tot. Alberic. Ie refte confondu. Raoul eft prés du Roi, lis fortaient dc Dijon. Philippe, a fon paffage, Veut, auxmursdeVergy, recevoir votre hommabe. D'Armance en vains difcours ne s'eft pas etenciu; Ignorant le faux bruit par Monlac répandu, fee 1'objet dje votre ordrc infhuit par fes yeux meme, Pour hater fon retour, fon zèle était extreme. Mais Raoul, un Heros!... il faudrait eclairar.... ,, Faïel. Lui-même, cette fois, m'apprend ü la punir. ,( Oui, fon billet infame & m'infpire & me guide. j; AHons plonger ce fer au fein de la Perfide; Et courons auffitót ofFrir fon cceur fumant, :'; Aux yeux épouvantés de fon indigne Amant. j; AL-tÜ  Tragédie. Alberic. Seigneur F A i e l , s'arrétant. Pourquoi frémir! Elle eft Ia plus coupable ' C'eft elle qui verra ce fpeclacle effroyabie: ' QAvec une joie amere.') Que Ie cceur de Raoul foit percé le premier. J'apporterai ce don qu'il feignait d'cnvoyer. Au milieu de la Cour, fous les yeux de fon Maitre. En montrant eet écrit, je vais frapper le Traitre. ' Alberic. Ah! daignez Faïel. Jc voudrais, de leur fang odicux Les abreuver 1'un 1'autre, & moi-mêmc apiès cux. Fin du fecond Afte. AC  3a Gabrielle de Vergy, ACTE III. SCÈNE PREMIÈRE. RAOUL DE COUCY, aunOffickr de Faïel. VA, fers uninconnu que fon bonheur t'adreffc: _ C'eft Rhétel qui m'envoye aupres de la Corateüe, Du fang qui les unit je dois chérir les ncouds jÏvS Chargé de foins importans pour^-^ Refpire enfin, Raoul, dans des lieux qu'elle habitc — Tous mes fens font cmus d'une ivreife fubae. Voila de notre amour les premiers monumens; murs? témoins chéris des plus purs fentimens. Oue de doux fouvenirs, dont le charme fupreme, g qufn'eft plus beureux, tient lieu du bonheur meme! Te-cmtsi Gabrielle, en d'autres tems, hclas! Tes Pleurs, dans ce Palais, 0nt lavé mes blciTures. Ton ame fugitive & prête è s'exhaler Par mes derniers adieux s'y fentit rappeitr Enfin malgré la mort, mon cceur venatt s'y rendrc, Ft pour être avec toi, furvivait a ma cenüre. Tr'op ingrate Faïel, quels droits j'ofe attefter'. ■—- S Zl Eft cc le nom que tu devra.s porter? Sous un joug odieux , fèchant dans 1'amertume, T a langueur du trépas lentement te confume. F mes jours, prefqu'éteints, ont pu fe tallumer! — Ki» point po'ur 1'amour, vis plutót fans m auner^  Tragédie. 32 Sans marnier! quel efpoir!—Ah! je fuirai ta vue; Que pour un feul moment elle me foit rendue: Je ne puis accorder mon bonheur & le tien: Juge combien je t'aime; oui, je renonce au mien. SCÈNE II. COUCY, MONLAC. Monlac,« part. P x Oqrquoi me retenir, —& m'obferver fans ceffe?—Quel ami de Rhétel cherche a voir Ia Comteffe? {S'approchant de Raoul qui eft détourné.) Eft ce vouc?.... C o u c y, l'appercevant. Toi, Monlac? Encor dans ce féjour? Aurais tu donc appns que je revois le jour? Monlac, immobile d'étonnement. Ses traits.... fa voix... Monmaitre! O célefte clémence, 11 vit! —- tu veux encor Ie bonheur de la France. (II fe jette dans les bras de Rnoul qui les lui tendait.') Par quel miracle, enfin, nous êtes-vous rendu? Le Ciel, le jufte Ciel en doit a la Vertu. C o u c y. O mon Ami, connais quel defiin nous ralTemble: Mais dis moi, Ie premier, les raifons.... Monlac. Ah! je tremblc: Songez que, pour vos jours, tout eft a craindre ici: Le foupconneux Faïel.... C o u c y. Eft aux murs de Vergy; Je ne crain« rien pour moi. C'eft pour fa digne Epoiife> Que j'ai dü redouter fa cruauté jaloufe. Si, dépouillant Ia pourpre & 1'or des Chevaliers, C J'em-  34 Gabrielle de Fergy, Temorunte les couleurs des fimples Ecuyers; Ceft pour elle, un moment, qu'a la home de feindr* Mon auftère candeur a daigné ^comramdre: Et, j'ai choifl I'inftant qu'appelé pres du Rot, Faïel porte è fes pieds les gages de fa &», Pour venir m'acquitter d'un foin cruel & tendre. ie Lu'qu'a mon amour l'Honneur ne I«w Jfcndrc. Mais toi, qui te retient dans ces tnftes cl.mats? Chez mon Pere d'abord as-tu potte tes pas Que fon ame fenüble allarme ici la mienne. Le récit de ma mort aura caufé la Uenne. Monlac. Seigneur, il n'a point fu fa perte & mon erreur, ë C o u c y, avec tranfport. Nature, il eft encore un plaifir pour mon cceur'. Monlac L'inconftance des Mets a retardé mon zele: Depuis une heure a peine, aux mains de Gabrielle Tai remis ce billet, oü vos tnftes adieux J C o u c y. Des pleurs, en le lifant, ont ils rempli fes yeux? Monlac. Ah' j'ai cru eet inftant, le dernier de fa vie. J C o u c y, vivement. Taurais dü le pré voir. Quelle et ait ma ^ie ! Ouels coups ce vain hommage eüt portés a 1 Amour! — Va la tirer d'erreur, apprends lui mon retour.— Mais non c'eft luidonner une mort plus certaine; Et d'un fecours trop prompt 1'imprudence inhumaine, Srachant le poignard, va déchirer fon cceur — Ménage habilement ce dangereux bonheur. <;nr-tout fi fa vertu redoute ma preience. De mSfeuxtoujourspur, Peins-lui bien l'.nnocence, Dis que d'un Chevalier je remphs le devoir; Dis que j'aime fans crime , & mêmefans efpoir ; Q eTe fuis, enunmot, quelque «dar qmm'infpire, SCÈNE  Tragédie. 35 SCÈNE III. C o u c y, feul. M Oment rant fouhaité, que tu me fais frémir! {II voit de kin Gabrielle arriver par un c6té oppofi a celui par oit Monlac eft forti.') Dieu! Ia voici! Monlac n'a pn la prévenir. Elle marche a pas lents vers cette voüte obfcure: Je vois fes traits divins, l'bonneur de la Nature: Non, jamais fa beauté, dans fa brillante fleur, N'eut eet appas touchant de Ia tendre langueur Qu'un cbagrin, quejecaufe, imprime a tous fes charmes ■ Mon cceur eft plein de feux,mes yeux trempés delarmes; Elle parle, écoutons. (7/ fe retire Jous un portique fombre.) SCÈNE IV. GABRIELLE, COUCY. Gabrielle, fe promenant fans voir Coucy. Raoul! du fein des Morts, Ton Cceur ine fait partout & brave mes remords.-— Mais Faïel eft parti fans rien daigner me direl Cet ami de Rhétel va peut-être m'inftruire, Je 1'ai cru dans ces lieux. Un défordre enchanteur, Un doux faififfement vient charmer ma douleur. (Coucy parait un pen fans qu'elle le voye.) Toi qui ne m'entends plus, hélas! dés notre enfance C'eft ainfi que 1'Amour m'annoncait ta préfence. Coucy, [paraiffant tout-a-fait.') C'en eft trop ,- approchons; je le puis fans efFroi, Son ccenr 1'a prévenuë, il lui parle de moi. G2 Ga,  s6 Galrielle de Verg?* Gabrielle. O Ciel'. quel fon de voix forti de ce lieu fombre /.. . C-Eüe regarde.") Quel objet! x Coucy, approchant un peu. Elle tremble; & moi-même.... Gabrielle, fe détourmX avec frayeur J Chere Ombre, Que je crois voir fans ceffe errante a mes cötes, TNe perfécute plus mes fens trop agttes. r Coucy. Daignez voir.... 6 Gabrielle. Oü fuirai-je.? Coucy. Eh quoi.' votre épouvante.. „ GabrFelle, s'oppuyantfur une colonne r-pft une fonae; & ce Cceur dont lïmage prefente.... Couc-Jh ettant kfes pieds & lui penant la mam. Ce Cffiur rèfpire, il vit, ü brule encor pour toi. Ce Cceur reip r , ^ ^ wf£ m d m. Ah'... fe peotJu... Raoul! — tu visl—je te fevoi! SfmSine plus fi, formö pour te fuivre, , ïu brïït de ton trépas, mon cceur a pu furvivre. SCÈNE V. GABRIELLE. COUCY, ISAURE, MONLAC. Gabrielle, avec tranfport. CjHERElfaure... Ah! Monlac, faistunotrebonheur? Monlac. Ouj, Madame. &déja... G^  Tragédie, 37 Gabrielle, a Ifaure. Le voila mon Vainqueur, L'Honneur des Chevaliers, 1'Idole de Ia France. Coucy. j'ai tout fait pour I'Amour: eft il ma récompenfe? L'Amante qu'enchalnait le plus tendre lien... Gabrielle, três-vivement. N'a d'ame que ton ame & d'être que le tien. Je renais avec toi dans ce jour plein de charmes; Et mes yeux épuifés trouvent encor des larmes,- Mais des larmes de joie, & de ces pleurs heureux, Que depuis fi long-tems nous ignorions tous deux; Mon cceur, féché d'ennuis, flétri par la trifteffe, S'épanouït enfin dans fa pure allégreffe. Apprends que de ce coeur rien ne put t'arracher, Le tems ferra nos nceuds, loin de les relacher; Mes chagrins confervaient cette empreinte fi tendre, Que fur le défefpoir I'Amour feul fait répandre. Ta pene, ton retour, ce prodige nouveau D'un cceur qui fe donnait au-dela du tombeau, Tout a mes yeux charmés te rendplus cher encore; Plus que je ne t'aimais, je fens que je t'adore. (Se reprenant avec la plus grande indignation cor.tre elle-même') Que dis je! — Ah! malheureufe!—Et vous, Ciuel! & vous. Qui favez que je fuis fous les loix d'un Epoux, S'il ne vous relte plus, comme j'aime a le croire, De projets ni de voeux indignes de ma gloire; Pourquoi, devant mes yeux, vous venez-vous offrir ? Ingrat! de mes douleurs cherchcz-vous ajouïr? Trop sur qu'en vous voyant mille atteintes nruvelles R'ouvriraient de mon cceur les bleffures mortelles. C 0 u e y. Moi? jouïr de vos pleurs, ou trahir vos vertus? Gabrielle, grand Dieu.' ne me connoit dorjcplus! Eile apprend de Faïel ;\ devetiir injufte. Va, mon cceur eft encor le fanctuayre arjgufte, C 3 Ou  s8 Gabrielle de Vergy, Oü brula pour toi feule un feu toujours faciè , Auffi pur que 1'Objet qui 1'avait infpué: Née avec ma vertu, non moins-durablequ elle, Smme moname, enfin, ma flame eft '«^ rachez oue je viens pour vous facriticr Tous efv^ux.. votre afpeét me fait tout oubl.er ïfens Jlus que jamais, dans mes ve.nes biulantes, \Sr de l^mour les fureurs dévorantes. ]e fuis prés de 1'Objet dont je fus adré, O ragef & fans efpoir, je m'en vois fepare . A d'infidèles nceuds votre devo.r ™ Au jour de votre hymen j'ai du ceffer de vivre. (Avec la plus grande fureurO . Ouenem'écrafiez-vous, murs de Ptolemais , Avec tant de Chrétiens mourans fous vos debn ? S as! ces malheuren* chériffaiem: tous; U v,e Te le hals,— c'eft a moi qu'elle n eft point ravie, J Gabrielle. Modérezdonc, Cruel! ces «dentes fureurs; Vt par pitié pour moi, commandez a vos pleurs. MaS dites-moi du moins quel fujet vous amene,— £t qui vous a fauvé d'une mort ü prochaine ? V>u'a ces tendres vertus que m enfe.gnal Amour. ^ Lorfquef altierRichard, plein de ce Fanatifme Dont la férocité dégtade n^roïfme Egorgeait les Captifs au nom de notre Foi , lefuivis vos lccons, je fauvai ceux uu Roi; i redamai pour eux la loi conftante & pure, Oue la Religion recoit de la Nature. S c émence eut bientót fon pr.x mefpe é. Sans défenfe, a mon tour, aux Sarr aün> hvrc, Monafpeft attendrit leur cruaute >^ Mon nom fut mon rempart au ,U.eu du " Porté Diés du Sultan , qui prit foin dt mts jouu, Je Sfe vïs prodiguer 1'utile & prompt fccours ^  Tragédie. $ De eet Art qui commande a 1'ame fugitive; Art négligé par nous, que 1'Arabe cultive. CFivcment.') Ranimé par fes foins, je me dis en fecret, Que 1'adieu fi touchant de ce fatal billet, Le bruit de mon trépas honoré par vos larmes, Au bonheur de vous voir, prêterait mille charmes: Cet efpoir, ce defir, qui réchauffait mes fens, Rendit des végétaux les efforts plus puiiTans; Enfin ce fier Sultan, que 1'Ignorance abhorre, Me renveye a mon Roi qui me pleurait encore: Tant la Reconnaiffance a d'invicibles droits, Par qui FHumaniié nous rappcle a fes loix; Sans diftinguer le Culce & 1'Empire oii nous fommes. L'Homme chérit toujours le bienfaiteur des Hommes. Gabrielle, rcjléchijjant avec douleur. Quoi! 1'Afie en Raoul vante fon Bienfaiteur? En lui mon Souverain voit fon Libérateur? Partout oü le deftin nous donne la Viftoire, Son Nöm eft le premier qu'ait prononcc la Gloire! Et quand tout 1'Univers adore tes vertus, Seule on m'a condamnée a ne t'adorer plus; Moi que chêrit ton cceur, qui t'aima la première. C o u c y. Ton ame m'appartient malgré la terre entière; Eh! dépend-il de nous d'éteindre un fi beau feu? At-il, pour s'allumer, attendu notre aveuF Ame de notre vie, il nc peut ceffer d'être, Qu'avec les doux rapports qui dans nous 1'ont fait naltre, Gabrielle. Dieu! quel oubli honteux égare nos efMts' Tous les deux a 1'inftant nous en léren? naris. Je triompbe en fuyant, je fors de ta pré'csice. Ne me voyez jamais: refpeftez ma jeienfe. C o u c t, Arrêtez un moment promettez-moi d". inoics, Que vos jours confervés,.. C a{ Ga-  q9 Gabrielle de Fergy, Gabrielle, vivcment. Ah! quels funeftes foins, De prolonger mon crime & 1'horreur qui m'accable! Te fens que chaque inftant me rendra plus coupab'e. Coucy. Envers qui? Vous! Gabrielle, plus vivement. Envers un Epoux vertueux, Qui donnerait fon fang pour voir mes jours heureux; Que j'aimerais fans toi: mais dont mon injuftice Regarde les bontés comme un affreux fupplice. Sais-tu qu'a eet Epoux, ici même, en ce jour, Mon devoir a promis d'oublier ton amour? C o u c y. Quoi! Faïel a connu notre ardeur mutuelle? Gabrielle. Ta lettre eft dans fes mains. C o u c y. Vous avez pu, cruelle..» Gabrielle. Eh! n'en fois point jaloux. Va, eet écrit vainqueur, Sans ceffe, en traits de feu, fe retrace en mon cceur.— Mais oii m'emporte encore un fouvenir trop tendre ? Pars, fauve a ma vertu 1'affront de fe défendre. Tu mourais pour I'Amour, va vivre pour 1'Honneur. Coucy, avec attachement. Eh! qu'importe la Gloire a qui perd le Bonheur.? Gabrielle. Ton, Roi que tu chéris... Coucy. C'eft ltrt qui nous fépare. Gabrielle, avec vivacité. Sans favoir tos malheurs! Ingrat! il les répare: Tu règnes dans fa Cour; fes bienfaits... C o u c y. Ah! fans toi. La Coor, le Monde entier, n'eft qu'un défeit pour moi. • Ga  Tragédk, 4i Gabrielle. Tu devrais me donner 1'exemple dei courage. Coucy, toujours abattu. Je dois, perdant le plas, me plaindre davantagc. Gabrielle, toujours vivenient. Ton ame peut du moins exbaler fa douleur Mes chagrins renfermés vont dcvorer mon cceur • Va gémir loin de moi, rien ne peut te contraindre Laiffe-moi la douceur d'être la plus a plaindre. ' Allez enfin, fongez que des murs de Vergy,.' Faïel, en peu d'inftans, peur revoler ici. Du bruit de votre mort fa Laine détrbmpée, A découvrir vos pas, eft fans douté occupécPeut-étre il fait déja qu'arrivé dans ces Iieux.... Coucy. P'Armance était Ie feul dont je craignais les yeci<- • Mais il ne m'a point vu. "*' U Monlac & Ifaure0 ^ ^ * Voyez toux deux. , ,., . CI'S fortent.) Helas! s il venait vous furprendre' Lh! comment pourriez-vous cchspper a fes traits? „ . I s a :r r £, rentrant. ' . Seigneur, c'eft Faïel mëme. Gabrielle. Ah! fuyez pour jamais. „„ . C c u c y. Moi, fuir? G a b r r e l i, s. Veox-tu rifquer mon ho;)r.e:;r & ma vie? Coucy. Je fors; a votre honneur Ie mica fe faaifr ( II fait un pas £? revieut.) Mais Monlac... - ISAU-  Gabrielle de Vergy^ I s a u r e. II arrêtc & va tromper Faïel. (^^?^^^*^ Allons cacher ma bonte &mon mortel. ^ SCÈNE VI. FAÏEL, ALBERIC, GARDES. fcf regardant >r»r Gabrielle. Ei^fultl Elle eft feulc.--Ah!c'cft Monlac, ce SST.: ï£Kl-»**—' jcxpire. (J/ meurt."), L'lmpofteutfQuitte de ^^„,,5 qu-on ferme f «mque E-^- ^ kurfuivez, d*^^^. Ax que devant laParjurc ici nv-me il penffe. (\J Albino.) ïais-la venir. A 1. 11 e r r c. Seigneur, cc courroux violent..... f ^  Tragédie. 45 Faïel. Je vais me commander. Cachons ce fcr fanglant. » ( II remet fon épée.) Tes crimes, a mes yeux, ont fletri tous tes charmes; Mon cceur s'eft endurci par tes perfides larmes. Non, nipitié, ni gracc. Ah! mesjuftcs fureurs Scauront dc tes forfaits furpaffer les horreurs- (II fe promêne a pas précipités.) Je veux, accumulant mes affreux facrificcs, Voir lesmaux de Raoul accrüs par tes fupplices; Ralcntir fon trépas ■ pour prolonger le tien; —— L'arrachcr de ton cceur; t'immoler dans le fien; Et, fous des flots de fang répandus par ma rage, Eteindrc mon amcur, & iaver mon outrage! (II s'appuie fur une colonne.') Alberic. Mais dc tout ce complot êtes-vous éclairci V Pourquoi publiaient-ils le trépas de Coucy? Faïel, fe relevant avec fureur. Que fais-jc ? aux pieds du Roi dès que j'ai pu paraitre, Parmi les Courtifans, ne voyant point le Traitre, J'ai fu qu'avec myftère on 1'avait vu partir: J'ai jugé qu'en ces lieux il venait me trahir, Et fans plus m'informer, fans vouloir rien en tendre, J'ai revolé foudain pour 1c pouvoir furprendrc. Le Menfonge, fertile en détours fi divers, Les a tous épuifés dans ces deux cceurs pervers : Tantót, lorfque 1'Ingrate cmployait la prière, Pour refter, Ioin de moi, dans ce licu folitaire; Son refus obftiné de me fuivre a la Cour, Dc fon Amant ici mi'nageait le retour. Ce lache Confident, ce précurfewr du crime, (Qui dut être en effet ma première vietimc, ) De fon Maitre, avec art, vient d'avancer !es pas; II couvrc fon retour du bruit dc fon trépas: . Qn me laiffe ravir cette lettre odieufe, De rimpofture cnror icchcrche induftrieufe! Ec  .„ Gabrielle de Fergy, m, u Piriure afFeftc un aveu plein d'honneur, Et la Farjure du^ ^ rPcevoir fon Vainqueur! 10 concois nop, So^ne.,?, Vc ttmtc eücufc eft valnei 11 faut qu'avec tantd'art cette trame tiffuo Ait voilé des projets J7 A I E L. N'en vois-tu pasl'iffue? Mo„1ac, dans fon tranfport, nïallait pcrcer le fcin; — Son Ma tre, en fe cachant, a le rneme dellem, ° (Se promenant encor e.) vr VTn-rate . Ah! fouvent une Epoufe infidelle, Dan le Sg d'un Epoux plonge fa main cruclle: Se fe laffe enfin d'attendre fon bonheur D'une mort, qu en fecret peut hater fa fureur; Et Mvant des forfaits la pente trop rapide, OueLefois Fadultère entraïne au pamade. fi^Xa mortelt robjet de tes liches amours. ■ 2 ne ff f almer, que nïimportent mes jours t Allons" il faut du fang a ma vengcance avide. Alefyeux^dansrinftant, .mine la Perfide; Te le vcux. . (AlUnc fort.) Mais plutót, pourfe faire un effort, Te fens en ce moment mon courroux affez; fort. Kue ma rage tranquüe en foit plus tmplacable, Lu Obns la quelquc tems fa crédule allcgic-Lc, P ïahTons ignorcr leS pieges qu'on nous drcttc. £ Alberic, renirant. La voici. pA.  Tragédie. 4J Faïel, mettant la main afon poignard, & s'arrStant. Dieu! commande a mon bras ecaré C A Albéric. ) " " Cours, vois il fon Amant va m'être enfin lïvré; ( A tous les Gardes. ) Je t'attends. Vous, reftez fous ia voute prochaine. SCÈNE VII. GABRIELLE, EAIEL. Faïel. ^•Adame, anprès dc vous mon amour me ramènePrèts a nous féparcr. ... fans doute pour long-tcms Je vicns vous confier qticlqties foins importans. Vous voulcz fuir la Cour, & j'y foufcris fans pcineSeul, je fuivrai Philippe aux rives de la Seine; Puifqu'Autrey déformais a pour vous tant d'appas De ces lictix fi chéris.... vous ne foitircz pas. J'ai fu, prés du Monarque, excufer votre abfence. Dc vos jufces raiibns j'ai fenti la puiffancc; , Votre vertti craignait de revoir un Amant, ■ . Et doit plus que jamais Ie craindre en ce rnoracnf; Car, je n'en doute pas, vous êtes informéc, Que Raoul, dcmcLiant la vaine Rcnominée, Vit&rcvientvainq'tcur. Jugez fi, dans ce jorIr Oü j'ai connu par vous fa flame & votre amour; J'approuve & jc chéris la noble retenue, * (Avec ironie.) Quifuit, fiprudemment, les dangers de fa vue, Mon cceur, a des foupcons ne peut plus s"arró;er'; Je fais fur vos fermens combien je dois coirwer/ Vous n'abufercz point du tems de mon abferne Pour loufTrir dc Raoul la coupable préfence • Et li, dans ce Palais, il ofait pénéder,  6 - Gabrielle de Fergy, Ofait cheicha r£XÜant fans retour, ]e crou-ais que «flé hirait votre amour. Et vous levtlant tout^^ .^.^^ i» fanveiait de ma furcur extreme. Rien ne le iauveiau- p«t.) ]e m'emporte. LE> ipart . Gardons de me trahir moi-meme. Faïel, plus tranamle. ^-mdeV0HeGlrrielftle%r*. De Raoul!.. vous «omez?... ^ Que j'aimea voir ce trouble! ffifflr? —Ehqooil votre frayeur redoublel Rien ne doit m eflrayei, Monlac a fu , par lui, ie ^ , .„ * t poürpcud'Inftanspeut-être. Monlac 1'attend aillears. -pou p Maial-amideRhtoUevraa-ilfc ï! cft Pard- F A i e l. J'endoute, & je le fais chercher. !■ Amèrement.') ;~ ini vnudrais apprendre, Comment il connait Raoul, je lui vouara!s w S'U fonge a me tromper, le fort qu ü doit ^ndre.^ ^  Tragédie. 4? (Apart, avecjoie, en voyant entrtrfes Garda) li vient, j'entends du bruit... (J Alberic,) Eh bien ? SCÈNE VIII. GABRIELLE, FAIEL, ALBERIC, GARDES. Alberic, bas et Faiel. P „ , v-''Est vainemenc Quon Ie cherchc au Palais; on croit nu'en cc moment Dans Ia Ville >. * Faiel. (Bas.) ( Ham a fa femme.) J'y cours. Ilfautqu'en mon abfencc, D'Autrey, contrc le Duc, j'alTüre la defenfe; Aux foins de mon départ mes ordres vont pourvoir: Mais dans quelques inftans, je pourrai vous revoir. ( xl fait un pas & s'arréte.) Ma flame, afonafpeét, malgré moi feranimc: I'outpréta Ia frappcr, j'adore ma victime. (II fort avec les Gardes et Alberic.) Gabrielle, anêantie. De mon accablement j'ai peine a revenir. Quels font ces noirs tranfports qu'il femblait reten;:? Saurait-il que Raoul?....  g Gahrielie de Fergy, SCÈNE IX. GABRIELLE, ISAURE. Gabrielle. Am viens, ma chère Ifaure: a url eft 1'cffroi, Vhorreut qui me devore : •^fenr^^l?ale le courroux inquict, E 1 s a u r e , avec faifijjement. O malheureux Coucy^qualcz f de moudr. Fin du troifième Aïïe. AC-  Tragédie. 49 ACTE IV. SCÈNE PREMIÈRE. GABRIELLE, ISAURE. \ Gabrielle: I3 a u r e , vainement tu me veux raflïïrer, Dans mes fens éperdus 1'efpoir ne peut rentrer. Autour de nos remparts cette Garde affemblée, Que Faïel, en partant, a même redoublée, M'annonce que Raoul n'aura pu les franchir t Et tant qu'il eft ici, puis-je ne point frémir? I s a u r e. Dans les remparts d'Autrey quand il ferait encore, Que craignez-vous pour lui, puifque Faïel 1'ignorè? Penfez-vous, fi Faïel 1'eüt jamais foupconné, Que, fans rien éclaircir, il fe fut éloigné? Votre Epoux, vers Paris, vient de fuivre Philippe; Qu'au moins par fon départ votre effroi fe diflipe. Et n'avez-vous pas vu, dans fes tendres adieux, Que le foupcon jaloux ne troublait plus fes yeux? Gabrielle. Ce honteux fentiment, foigneux de fe contraindre» Donne aux cceurs qu'il remp'.it 1'habitude de feindre,' I s a u r e. Mais toujours de Faïel les tranfports enflammés Décèlent, malgrélui, fes chagrinsrenfermés. |e n'ai plus retrouvé fur fon vifage empreinte D'un Jalóux inquiet la pénible contrainte. Gabrielle. Hélas! en un rhoment peut-il ainfi changer? C'eft ce calme fufpeft, dans fon ame étranger,  50 Gtbrielle de Fergy, Qui redouble 1'effroi dont je me fens frappée. A m'obferver moi-même en fecret occupée, Peut être que mon trouble a mal jugé du fien. D'ailleurs avec Monlac fon paifible entretien, Le récit qu'en ont fait Albéric & d'Armance, Sont autant de raifons contre madéfiance; _ Mais je ne pourrai voir mon tourment adouct Qu'on ne m'ait répondu des deftins de Coucy. Vois du moins... I s a v r e. Je voudrais qu'il put encor paraitre; Qu'un dernier entretien lui fit enfin connaitre, Que vos jours expofés par un nouveau retour, Révolteraient enfemble & 1'Konneur & I'Amour: Qu'un Héros, un Amant généreux & fidéle , Doit a votre repos une ahfence éternelle. Vous feule, a ces raifons, donneriez tout leur poids; L'Amant défefpéré n'entend plus qu'une voix: L'Arrèt, qui le réfout as'immoler lui meme, Doit être prononcé par la bouche qu'il aime. Gabrielle. Non, ce n'eftpas de moi qu'il le doit recevoir. Epargne moi plutót le danger de le voir. Que, depuis ce matin , fou afped m'épouvante! O terrible réveil d'une ardeur fi puiffante! ïfaure, cen'efl plus cette douce langueur, Qui nourrifiait enfetnble & confumait mon cceur; C'eft un feu dévorant que rien ne peut contraindre, Irriré des efforts que j'ai faits pour 1'éteindre: C'eft lui qui me foutient, & fon fatal poifon A ranimé mes fens, en troublant ma raifon. gi je pouvais bannir Raoul de ma mémoire, _ je fens que j'en mourrais en pleurant ma vicloire: Je maudis les vertus qne je veux embraffer, Je détefte mön crime, & n'y puis renoncer. 1 s a ü r e. ah! revenez a vous 5 ces honteufes allarmes.. Ga  Tragédie. $i Gabhielle. Que ne puls-je effacer par de plus dignes larmes La home de ces pleurs que je verfe en ton fein! Ah! remplis, par pitié, ton «ievoir inhumain; Ofe avec dureté ine reprocher mon crime; Dis moi que ton Amie a perdu ton eftime : Redouble, aigris ma honte afin de me guérir, On revient d'une erreur a force d'en rougir. Va, s'il eft dans ces lieux, porte a ce cceur fidéle D'un éternel exil la fentence rnortelle: Mais adoueis les traits dont il faut 1'accabler; Hélas! en le frappant, cherche a le confoler; Dis-lui que fes malheurs font toute ma fouffrance, Di» lui que j'ordonnais... & pleurais fon abfence, Quel emploi jete donne! Ah! la feule Amitié Sait joindre le courage a la rendre pitié.! Va. Le voici! fuyons. SCÈNE II. COUCY, GABRIELLE, ISAURE. Coucy. (Entrani par ou il eft forti VAÜe précédent, £ƒ arrétar* Gabrielle.') ■Ah! foufFrez ma préfence, Cruelïe.' jerougis de mon obéiffance, D'avoir fui par votre ordre un horrible danger, Qu'avec Vous & Monlac je reviens partager- Gabrielle. Ce danger ceffe enfin. Mais THonneur vous exile sFaïel ignore tout, il eft parti tranquile; Moniac, 1'éblouiiTant de difcours captieux, Pour lemieux abuftr, eft forti de ces lieux: Au récit qu'on m'a fait j'ai dü même comprendre,..,; ' D ?.  ^5 Gabrielle de Vergy, (Si 1'on ne cherche pas du moins a me furprendre) Que Monlac vous attend aflez prés de nos murs: Allez, vous connaiflez tous les fentiers obfcurs.... Coucy. Mais, puifque nul péril ici ne vous menace, D'un dernier entretien je demande la grace. G a li r i e l l e. Non... Coucy. Le plus faint devoir veut que vous m'écoutiez. Gabrielle. 11 veut que je vous fuie. C o u c y, Varrctant. Ah'. je meurs a vos pieds. Gabrielle. Vous m'ofez retenir! Coucy. Oui, je 1'ofe, inhumaine; Gabrielle, avec impétuofut. Téméraire! c'eft-la le vrai foin qui t'amène; De mon fatal amour tu veux m'entretenir, De mes regrets honteux m'accabler a loifir, M'enivrer de mon crime! —Ah! ce tranfport coupaWe Enfin a ma vertu te rend moins redoutable; Raoul veut devenir indigne de mon cceuf, 11 faudra le haïr, — c'eft mon plus grand malheur. Coucy, la retenant encor e. Ingrate' rougiffez d'un foupcon qui m'outrage: A vous parler encor c'eft 1'Honneur qui m'engage. (Elle commence a récenter.) Tantót du faible amour les plaintives douleUrs, En nous attendriiTant, ontreiaché nos cceurs; La mort fut votre efpoir & votre unique envie: —» Te veux qu'un beau triomphe allure votre vie. C'eft moi qui la troublai, feul j'en fais le tourment; Renoncez pour jamais — a ce funefte Amant. Cift' ■■ Et Raoul prononce un arrêt fi terrible l _  TragSdie. ■02 Oui; j'exige de vous ce qui m'eft impofllble. Mais nos cceurs ont befoin, dans ce moment cruel, De fe prêter encore un fecours mutuel: Pour regler mon deftin, c'eft vous que je contemple; Et ma vie ou ma mort — dépend de votre exemple: Fixez, encouragez mes efprits éperdus; L'un a 1'autre, en touttems, nous dümes nos vertus. Gabrielle, avec douceur. Eh bien! mon cher Raoul, que des chaines fi belles, Que formaient ces vertus, foient toujours dignes d'elles. {.Avec une véliémence qui s'êchauffe par degrés.) Les grandes Paflions naiffent dans un grand Cceur, Qui les fent fortement, fait en être vainqueur; Le courage n'eft point dans la froideur Stoïque, C'eft une ame de feu qui feule eft Héroïque. Je fens que notre amour ne fe peut étouffer, Mais c'eft en 1'épurant qu'il en faut triompher. SoDge, en nos premiers ans, quelles rapides flames, Au feul nom de Vertu, venaient faifir nos ames; Comme, leur union redoublant leur vigueur, Toutes deux s'excitaient, fe portaient vers 1'Honneur: Comme I'Amour lui même, a la Gloire fidele, Fut un rlambeau de plus qui nous guida vers elle : Tu viens derallumer le même zèle en moi; Je vois qu'a mes difcours il fe réveille en toi. Prévenons a 1'inftant, dans 1'ardeurqui nouspreffe, Quelquelache retour, quelque indignefaibleflé; Profitons du tranfportqui vient nous émouvoir, Promettont-nous de vivre, & de ne plus nous voir, Tandi3 que, loin des Rois, je vais dans ces sfyles Confacrer tous mes jours a des vertus tranquiles; Sur un plus grand Théatre en triomphe porté, Oracle de la France & de 1'Humanité, Préfentez aux Mortels le flambeau du Geniep En éclairant le Monde honorez la Patrje. Ami de votre Msl'.re, allez devapt fes pas Ene encor fon Egide au milieu des combats; D 3 Et>  54 Gabrielle de Vergy ? Et de vos grands fuccis m'offrant toujours 1'hommage,' ' Qu'and I'Amour vous viendra retracer mon image ; Alors de vos vertus me croyant le témoin, Pour les accroitre encor prenez un nouvean foin; C'eft ainfi qu'éloïgnant l'ombre même du crime, Notre amour deviendrait un fentiment fublime, Et que malgré 1'Hymen, le Devoir & le Sort. Nous pourrions a jamais nous aimer fans remord. Coucy. Oh fuis.je? Quelle ivreffe en mes fens excitée Par un torrent de feu mon ame eft emportée. Oue ie fens de plaifirs & de tourmens divers.' Quel cceur m'avait cboifi! Quelle Amante je perdst Son excès de vertu me défole & m'encbante. Vergy, par votre voix que la Gloire eft puiffante! Quel eft de la Beauté le charme fédufteur, Qui peut, contre elle même, armer un faible cceur! Cen eft fait. Je dois compte au Monde, a ma Patne, Des tréfors dont par vous mon ame eft ennchie, Combien je ferais vil de les enfevehr ! C'eft votre ouvrage en moi qu'il me faut embe Hr. Sur d'être encore aimé, je renais pour vous plair^, Te vivrai pour Ia France a nos deux eceurs ii cnere, Pour tant d'Infortuné,, — qui le font moins que nous! Je veux entendre dire a cent Héros jaloux: „ Raoul, fans nul efpoir, privé de Gabrielle,_ „ Eut la force de vivre & d'être auffi grand qu elle. Gabrielle. Te reconnais Raoul; ce glorieus Vainqueur, S'il 1'cüt moins mérité, n'aurait pas eu mon cceur. 11 eft tems d'exercer ma conftance & fon zele; (D'un ion ému.) Aijons. Séparons nous. Coucy, en frimiJTant, fi? «prés un peu dc f:lencc Mon courage cnanceu. Gabrielle, le regnrdant avec fcri&té. Non, Seigneur. Covc\,  Tragédie. , e>s, Coucy. Pardonnez.— Prêts a fe féparer, Nos cceurs, par plus de noeuds, femblent fe refferrer. Triomphe douloureux plein d'borreurs & de charmes J Gabrielle. Eh! me coütet-il moins?—Dérobons-Iui mes larmes. (Elk s'éloigne.) C o u c y, la fuivant. Ah! je le fens tomber jufqu'au fond de mon cceur. Gabrielle, qui s'eft arrêtée. Cher Raoul pour jamais— Hélas!... {Avec effert vivement, en s'éloignant davantage.) Adieu, Seigneur. Coucy, s'éloignant de fon cêté. Adieu. ^ . - Gabrielle, a Jfaure. Toi, va 1'aider a cacber fa retraite. (II fort par la Coulijfe par laquelle il eft entré; Ifaure lefuit.) SCÈNE IV. GABRIELLE, feule. 1 A loi févère, ó Ciel! doit être fati&faite. Nous venons d'épuifer, dans ces combats cruels, La conftance permife a de faibles Mortels. A tes puiffans fecours mon ame s'abandonne: - - ' Ta bonté met un prix aux vertus qu'elle donne. Prends foin de ce Héros, de fes jours précietix: L'aurais-tu ramené pour le perdre a mes yeux ? Mais.... j'entends retentir le fignal des allarmes., Le bruit crcit, il approche; &le fracas des armes.... (A Ifaure qui rentte.) Ah! que devient Raoul? D 4 Isaüre.  QabrieUe de Fèrgy, I s a u r e. Madame, il eft perda, Gabrielle. Que vois-je! SCÈNE V. FAIEL, COUCY, GABRIELLE,ISAURE.» ALBERIC, GARDES. Faiel, pourfuivant Concy qui Je débat contre lui Jes Gardes. R-Ehds ce fer. C b u c y. x Tu rie m'as point vaincuf Te brave encor le nombre. CS_on épée tombe, Alberic s'enjaijit.) Faiel. Albéric, qu'on l'enchaine. (_A Coucy.) Va, tout était prévu: la réfiftance eft vaine. (A des Gardes.) (A Coucy &'a Gabrielle.) Vous, ouvrez ce Portique. Et vous, vils Scélérats, Voyez votre Complice immolé par mon bras. { O/i leur montre dans la CouliJJe Monlac mort.) Gabrielle. Ciel! Coucy. Monlac égorgé! Gabrielle, a. IJaure. Que n'as-tupü me cróire! Coucy, allant vers le corps de Monlac. (A Faïel.) O Mon ami! —— jouïs de ta lache yidtoire, Moijftte. ' - Faiel,  ra91***- * « , l^Atf^'4"' ^■yranquilement. ^Wft11-1' chatimens affreux, Que j|>,injUL' s^l'u i\ vous referve a tous deux. ( V Ti t»m M yti~.ï 1- - Wer ta perfidie, CuHttJrti Cs.,**»» -i: t^-ie ou , partant pour 1'Afie, 'l v> aim mr iüi^O'* ^ vu m'outrager: -•W^ai!> tui-aifaaE.'S^MiiiSE-'S'-wftant de me venger, ^^Slntut, a 3Sü©r*ssiü<Éltye:Kï2 recherche inutile M'a fait voir qu'en fecret retiré dans Ia Ville, Tu paraitrais bien-tót au bruit de mon départ: Et moi, qui dédaignais les foupleffes de 1'art, Jufqu'a feindre a mon tour il m'a fallu defcendre. Te voila dans le piége oü tu m'as cru furprendre'; Et que vos noirs complots, vos infames détours Tendaient a mon honneur, & peut-être a mes jours. (II le prend, £f le traine vers fa femme.) Viens, que ton fang fur elle a 1'inftant réjalliiTe : Malheureufe, fa mort commence ton fupplice. (Il veut le percer ) Gabrielle, fe jettant fur lui. Arrêtez. Alberic, Varretant. Ah! Seigneur! C o a c y. Ah! Tigre furieux,' Frappe, je meurs content, fi je meurs a fes yeux. Mais ne fais point outrage a fes vertus fuhlimcs. Faut-il, pour m'immoler, lui fuppofer des crimes? Qui nous? contre tes jours trainer quelque deflein! • . Sans doute, quand tes feux m'allaient ravir fa main Si, de ce coupfatal, j'avais eu connoiffance, ' Tu m'aurais vu bien tót, armé par Ia vengeance, Même aux yeux de fon Père ofant te défier, L'obtenir ou Iaperdre en digne Chevalicr. Mais toi, pour m'égorger fans armes, fans défenfe Ds forfaits invcntég tu noircis ma vaillance! ' D 5 En  5B Gabrielle de Firgy, vh bien' vil impofteur, j'ofe te déincntir: S 5 la France entière, avant que de mounr, d 'c are innocens Monlac, moi, Gabrielle: , tu rfes Plus fon Epoux, tu fes armé contre elle. T o des Che valiers, que trahit ta fureur, i fa gloire, a ma mort, prometplus d'un vengeur. La Loi des Chevaüers! c%ft moi'qui la reclame: jf^tontitre - méprifant-ame Stnne une armure- Allon. au Cbamp dUo* neur: , , „ Mn juftice y remet fon glaive a m™11', ppourraisL punir, j'cn ai le drott^»te,' Tucroirais, enmourant, que Faiel te recioute . Non Francais comme toi, 1'honneur de me venger M'orTre un plaifir de plus a 1'afpeft du danger. Coucy. Ah! ton cceur une fois s'eft moniré digne d elle! Marchons. ■ fe metmt entr'eux, Qu'Stez vous faire'? Et quelle horreur nouvelle!. S'^rrê'ez Qui? vous! Barbare! vous! vos b togtos au fein de mon Epoux! Vo s cha gcr ma vertu d'un affreux parnc.de! 7e na'u'i & 1'amour & 1'efpoir qui vous guide 'n • " j ,„ lieux m'apportait le trepas, IZTc prS; — &3'e ne m'en plains pas, Vou ha rdiez vos jours en expofant ma vie. Mai ou- votre imprudence & la m enne s expie; ft fi noul nc pouvons détromper fon courroux ?êiU voos dc mounr, puifque je meurs pour vou,. (A Fat?/.) Vou: Scifnfir. écoutez.... Oue Dourrais-tu me dire- _ v 1 Q/J> =  Tragédie. §9) Qui, de ton iache amour, ne fervit a m'inftruire? A mes yeux, malgré toi, percant de toutcs parts, Tu men rends le témoin , i! parle en tes rcgards: Dans tes moindres difcours mon deshoncur s'imprime:II t'aime, il eft aimé, voila ton doublé crime. Ah! tu portes Ia Mort & I'Enl'er dans mon cceur: ( Montrant Coucy ) Tu mourras avec moi,-quand il ferait vainqueur. Soldats, loin de mes yeux, entrainez ITnfidcllc: Sur 1'ordre d'AIbéric vous difpoferez d'elle. ( Ou l'entraine.) Coucy, aux Soldats, Barbares, de lés jours vous répondrez au Roi. Faiel. Seul, je réponds pour vous; n'obéiffez qu'a moi. ( A Coucy en le penant par ia main.) Viens affouvir la foif qui tous deux nous dévorc, L'ardentc foif du fang d'un Rival qu'on abhorre. Ingrate! puiffions-nous 1'un par 1'autre périr! Que tout ce qui t'aima fe puifie anéantir! Fin du quatrième Atle. ACTE V. Le Thédtre repréfente un Cachot 011 Vou vnit un$ ; Talie de piet re & deux Siéges La Table ejl en partie cachéepur un pi.ier. s c E n E~P~r7Ë m i E r E. GABRIELLE, feule, affif prés de la Table, fur laquelle il y a une lompe. AH ! que ma dernière heurc eft douloureufe & Ientei Voici donc mon Sépuichre; on m'yplonge vivante! O fuprêmc luftice! aprés tant de rigueur,  €s Gabrielle de Pergy, Daignczjuger vous-même entre vous & mon cccui. Hélas' un cceur fenfible eft un préfent célefte, Pourquoi de tous vos dons eft-U le plus funefte ? Tant de traits, dont le mien s'eft fenti dcchirer, Quel crime volontaire a pu les attirer? Èft-il dans 1'univers, une ame infortunée Qui, voyant mes malheurs, plaiguit fa deftméc. Mais on ne m'apprend rien de ce combat crüel. Ou vainqueur, ou vaincu, je crains tout de Faiel; Sans doute il me réferve a quelque horreur fecrette. —. ( Avec vivacité.) Raoul eft en danger, & mon fort m inquiette! Raoul, les Sarrafins ont épuifé ton flanc; Comment défendrais-tu les reftes de ton fang? De tes bras affaiblis a peine as-tu 1'ufage, Tes languiffantes mains vont trahir ton courage. —- _ Oue fais-je? O mon Epoux! pleine d unlachc effroi, Mon ameformerait quelques vceux contre toi! C Elle fe léve.) , . Non fais moi périr feule, & par mes juftes peines, Taris, avec mong fang, la fource de vos haines : _ Gardez tous deux vos coups aux rivaux.des Francais; Laiffez ce faux Honneur, le Pere des forfaits. Eh' pour qui bravez-votis 1'Humamté trahie' Eft-ce a moi dc coüter un Fi's a la Patnc ? —On m'apporte la mort, mes dcftins font trop doux. SCÈNE II. GABRIELLE, ALBERIC, Juivi de deux Gardes. Gabrielle. Eh bien! Faïel, Raoul?.... Alberic. Vous n'avez plus d Epoux. Ga-  Tragédie. fa Gabrielle, Grand Dieu! Alberic. Prés dc la Tour que fa crainte craelle Pour mieux veiller fur vous, confiaita mon zcle J'ai vu ce long coinbac, oü la feule fureur, Madame, a rernplacé 1'adreffe & la valeur. Deux Guerriers n'ont jamais, dansunChampdecarnage., Laiffé tant de débris témoins de leur courage. Leurs Lances dans les airs ont volé par éclats; Les Glaives fracaffés fontfemés fóus leurs pas; De cent coups redoublés les Cafques retentiffc'nt; Des Bouclicrs rompus mille éclairs ïejailliffent: Mais par un coup plus sür mortellemcnt percéj J'ai vu de fon Courfier votre Epoux renverfé, Et Raoul, triomphant fur la fanglante arènc, S'élancer vers ces lieux pour brifer votre chaine. Gabrielle, avec véhémence. Courez, contre Raoul, défendre ce Palais; Je m'imfnole a fes yeux, s'il y rentre jamais. SCÈNE III. GABRIELLE, DEUX GARDES, Gabrielle. c ^Ruel! dans ces climats conduit par Ia vengeance, Voila de ton retour 1'objet & 1'efpérance! Et pendant ce combat, peut-être la terreur A parlé pour toi feul dans Ie fond de mon cceur; Peut-être, d'un Epoux trahiffant la mémoirc. C Avec un fombre accablement. ) O malheureux Faïel! ö crime! affreux remord! Pour prix de ton amour, j'ai pu caufer ta mortl Je fuis donc parricide. -~ Ah! fon Ombre plaintiv» i Poiir-  g| Gabrielle de Fergy? Potirfaivra, 1'asnil en feu, fon Epoufe craintive; jufques dans lts Enfer» il fera mon bourreau. (Avec èclat ) . , , Aréimn grand Dieu, dans la nuit du tombeau Ce't'e Co'upable, bélas.' que ta haine a formée _ Pour nero-r er rout tems les cceurs qui 1'ont aimee,—Ma'b quel fpeftace horrible effraye encor mes yeux? tAloD Epoux expirant qu'on apporte en ces lieux! SCÈNE IV. faiel, gabrielle, alberic, gardes, avec des flambeaux. Gabrielle. PüNissF.z-moi, Seigneur, votre mort eft mon crime. Faiel, blejjé, Joutenu par des Soldats, £7 le corps entourè d'une écharpe. Tu feras fatisfaite. Eloignez ma viftime; _ _ Oue mes ordres vengeurs foient promptement luivis; Vous la ramenerez quand ils feront remplis. Gabrielle, qiCon emmène. Ahi je vois vos malheurs, voila mes vrais fupplices. S C E N E V. faiel, alberic, gardes. Faiel, s'ajjéyant prés de la Table. Ie t'en réferve encor, dont, je fais mes délices: C'eft le foin qui m'amène en ces murs ténebreux. Alberic Eh quoi! bleffé d'un coup peut-être dangereut..  Tragédie. ' -"£3 Faiel. Raoul ne m'a porté qu'une atteintepeu fftre; 11 fe croyait vainqueur en voyant ma bleffure. Relevé par d'Armance & prompt a me venger. ' Au fe-in de mon Rival mon bras s'eft pu plonger; Nous mourons fatisfaits, teints du fang 1'un del'autre. < Perfide, ton trépas fuivra de prés le nótre. Alberic. Calmez ce noir courroux: je vous ai dït, Seigneur O^u'au bruit de votre mort Gabrielle en fureur, Et maudiffant Raoul.... Faiel. Eft-elle moins coupable ? Leurs fecrets entretiens & leur fourbe exécrable.... Par le fang de Raoul leurs forfait eft écrit; Le Ciel fut notre juge & le Ciel le punit. Soldats, cachez fa mort: je veux que la Cruelle, En croyant qu'il triomphe, air fon Cceur devant elle. (Un Soldat fort pour porter eet ordre.) Alberic. Mais votre fang verfé.... Faiel. Les reftes de ce fang, Par la rage allumés, bouillonnent dans mon flanc: II femble que foudain, de mon cceur élancées, Des'fiames ont rempli mes veines épuifées: Va, je ne mourrai pas de cecoup incertain, Quand je ferai vengé, je mourrai de ma main. Alberic. Quel projet 1 Ah! vivez.... Faiel. Je detefte la vie. II n'eft plus au pouvoir de ce cceur en furie, Qui cherche le trépas, mais qui veut Ie donner? De furvivre a 1'Ingrare, ou dc lui pardonner. f;i le Tróne du Monde eüt étè mon partage. Je ne Fsurois aimé que pour t'en faire hommage; Je  ^ Gabrielle de Pergy, Tc re donne, en pleurant, la mort que je te do;; _ n .' ouis-ie pour I'Amour? M'immoler apres toi. ^ Alta ic quand I'Amour s'empara de mon ame, le tnévis cette fin de ma funefte flame; ll n" fcais quel effroi, quelle fombre douleur &t Sbler les tranfports de ma naiflante ardeur: Unnoir preffentiment, une horreur inome, . M'annonca dans I'Amour le malheur de ma vie MOn aSorte un Vaje couvert fi? wie Lettre; on lespofe v fur la Table:) Xnut eft prêt !_Repaiffons mes yeux de fes tourmens.— Ten coïemple a loifir les premiers mftrumens. ( 11 wend la Lettre et la montre a Alberic.) Veconnaisle Billet, oü leur lache impofture M'enïbigna 1'art cruel de venger mon injure. ( Mettant la main fur le V%fe.) Tu recevras ce don par Raoul inventé: Ce don devient affreux par mes mams préfentë. ^"Sr to^anglant qu'ici ton cceur gémiflc; ( Le recouvrant ) T 'obiet de ton amour en fera le fapplice. ' Alberic. °-uol1 faiel, fe levant. Odelplaifir pour moi, quand fonicsuil egare, S'arrêtant fur le Cceur qui me fut préféré , Verra, pour chatiment, ce gage de fes crimes Je mourrai triomphant prés de mes deux viftimes. Elle vient. (II frêmit.) S C E-  Tragédie. SCÈNE VL FAIEL, GABRIELLE, ALBERIC, GARDES. Gabrielle, & Faiel. Termihez 1'h.orreur oii je me vois, L'attente de la mort fait mourif mijle fois. Faiel. T'a-ton dit que Raoul, pour fruit de fayi&oire, De t'enlever ici recherche encor "ia gloire: Qu'après m'avoir pour toipercé du coup mortel a Pour forcer taprifon, il n'attend è vois ton fang fü'me'f... (Elle retombei) I s k V r è. Non, vous ne voyez plus ce trifte objet d'allarrries. GaSrielLé. Je veux 1'enffeveiïf dans uil tóffènt de iarmês. -— lélas mes yêüx glacés chérch'ent efi valn des pleurt. Mes cris foh't étö'ü'ffës föüs ie poids dés döuleurs. 1 S A O É ï. Madame, votre Père entré dahs cetté Villé... GaêRIèllë , tttorltrSht toujours ld place oü était le Vafe. De toils les Opprimés ce Cceur était 1'afyle. ï s a u r é. Eeprenez Vós efpritê. Votre Père & Rhétel Arrivaiênt a j'inftant, & delfiandaieht Faïel: lis vont, troptard,. hélas! détromper fa furie: Maïs pour 1'amoür d'un Père il faut fouffrir la vie. Gabrielle , dans fon égareméht et cïoyatit voir fiSH Père. C'eft vous, mon Père! ■— Eh bien! contemplez mes malheurs, Ce fang, ce Cceur , ces morts, eet appafeil d'hörreurs. Qui plongea Votre Füle' é'n cêt abime immenfe ? Qui? 1'abus de vos droits & mon obéiffance. Oltft retotnbe appuyéefur la table et affaijfée parladeuleur.) ISAU-  Tragédie. £9 I s A u r £. Quel bruit ai-je ehtendü ? Cel! fon barbare Ëpoux: Eploré. chancelant, ï't fe tralne vers nous. Tigre, viens voir encor, dans ton infame joie, Sous tes coups fe débattre & palpiter ta proie. SCÈNE IX EX DERNIERE. FAIEL, GABRIELLE, ISAURE, GARDES, avec des fldmbeaux. FAiÉL, les cheveux épars, et duns le plus grand difordre. Qu'ai-je appfis?;—Ah! crucls, laiffez-moi mon erreur: Rhétel, en m'éclairant, tu combles mon malheur. Elle était innocente! — 6 Crime irréparable! (A fes Soldats.) V cngez-vous, vengez-la d'un Monftre impitoyable; Je viens d'offrir au Monde, au Ciel épouvanté, Un prodige d'hörreurs par moi féul inventé. —. (A Alberic, en tombant dans fes bras.) MaiS parle. Je ne puis lever les yeux fur elle; Refpire-t-elle encoré? Alberic. ( Oui, Seigneur. Faiel, d'une voix fdible, & s'apprcchant d'elle. Gabrielle! Gabrielle , toujours égarêe et lui jettant un coup-d'osil fans voir. Mon Père!. — approchez-vous —— ouvrez moi donc vos bras. (Faiel lui iëtid les fietis, elle s'y jetie.~) J'y meurs digne de vous, & vous n'en doutez pas; E 3 J'inv  ?Q Gabrielle de Férgy, rimmolais mon Amant a ÏEpoux qui me tue.—- -Mais empêchez Faïel de venir a ma vue Compter tous les degrés de mes affreux tourmens, Infulter & fourire a mes derniers momens. in Faiel, défefpere. Non- ie viens implorer le plus cruel fupphce. r «r'ielle le reconnaijjant a la voix et fe rejettant fur la Ah'.. ie meurs. . Faiel, lui préfentant fon epee Prends ce fcr. Que ta main me puniffe. Qu'il ddchire mon cceur par la douleur brifé, Dévoré de remords , par la honte ecrafe: Mes veux, avec terreur, ont vu ton innoccnce. . Ceft a mon defefpoir a remplir ta vcngeance. tu r (II veut fe tuer.) , A l e e r i c, le défarmant. Seigneur! que faites-vous? b 1 Faiel. Rendez-moi parpitiu Ce fcr, le feul fecours que me doit 1'Amitié: hnll,,e ou frappe toi-mêmc. Ah! ma femme outragee Mourra' moins malheureufe en fe voyant vangee Oue les derniers regards, tournés vers fon Epoux, Sur un Monftre puni s'arrêtent fans courroux. Gabrielle, revenant de fon evanouiffement, et regardant le Vafe. Raoul! ■ • • • Faiel. (Oiant le Vafe et le donnant d un Garde qui ïemportej Délivrez-la dc ce fpeftacle horrible. Gabrielle, tendant les mams machnalement. H farrache a mes mains. Objet cher & terrible! Eh' quel nouveau forfait a-t-il donc apprete^  Tragédie. ?i S'acharne a dëchirer les reftes du carnage. Vois ce Cceur palpitant que frappe encor fa rage; Sous les coüteaux tranchants j'entends ce Cceur gémir; (Faiel défolé tombe fur un fége.~) Vois fes lambeaux épars que Faïel vint m'offrir. Arrêtc, Monftre, arrête: —• Eh quoi! tes mains fi> mantes Ofent porter ce Cceur fur mes lèvrcs fanglantes? E a i e l. Dieu! fuis-je affez puni? Gabrielle, refpirant d peine, et d'une voix éteinte. Ce coup finit mon fort, Tout mon fein fe remplit des glacés de la Mort. (Elle prend la Lettre.) O moitié de mon caur, a qui 1'autre ravie. Dans un trépas fi long vécut anéantie, Avec toi je la fens enfin fe réunir; Je renais un moment a mon dernier foupir. {Elle expire.) Faiel, fe levant avec tranfport. Elle meurt! Je la fuis. J'en vois la route füre. (A part.) O parricides mains, déchirez ma bleffure; Que mon ame & mon fang, qui brülent de fortir, Par ce triftc chemin fe puiffent affranchir. (Il veut arracher l'appareil.) Alberic. Secondez-moi, d'Armance, arrêtons fa furie. Faiel, repouffe Alberic, fe jettefur d'Armance, lui prend fon poignard et fe frappe. Mon bras feul m'eft fidéle, il termine ma vie. (// tombe aux pieds de fa femme.) Ah! j'expire a tes pieds. Amis, qu'un feul tombcarj Avec elle.... &ce Cceur.... enferme leur bourreau. (II prend la main de Gabrielle.) Ton ame fuit en vain mon ame qui 1'adore; Qu'a  ?4 Gabrieile de Fergy, Qu'a ta main, malgre toi, ma main s'uniflè encore.-?-»? Impitoyable Amour, oü nous as-tu conduits? ( En le montrant.) (Montrant Gabrielle.) Les crimes.... les malheurs. Voila tes djgnes, ftuits. FIN.