UTTRE DE M. DE VEYSSONNEL; Ancien Conful-Général a Smyrne a~devant Conful de Sa Majejié ««pes du Khan des Tartares ' * M. Ie Marquis de A7 \ Contenant quelques Obfervations relatives aux Mémoires oui ont parufous le nom de M. Ie Baron i>e tott. A AMSTERDAM. M. DCC. LXXXV.   ZtTTRE fuf les Mémoires du Baron de Tott. LETTRE de M. de Peyssonnel ; ancien Conful-Général a Smyrne , cidevant Conful de Sa Majefté auprès du Kan des Tartans ; d M. Ic Marquis de N.. . eontenant quelques Obfervaüons relatives aux Mémoires qui ont paru fout le nom, de M, U Baron de Tott» JVIoNSIEUR LE MARQUIS,' Daignez agréer mes remercimens des quatre volumes que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Je les ai dévorés dès 1'inf+ Aa  '4 L E T T R E tant oü ils me font parvenus. Je les ai relus avec la plus grande attention. Dans la première lé&ure empreflee & rapide , j'ai reconnu 1'efprit 3 les graces, la gaieté , la multiplicité des talens de M. le Baron de Tott; j'ai fuivi d'un pied léger i'Ecrivain agréable , qui m'a promené fur un tapis de fleurs-. Dans la feconde lefture plus lente & plus réfléchie, j'ai prïs fur moi defuivre 1'Auteur pas $ pas ; j'ai appercu des erreurs; j'ai trouvé qu'il n'avok pas aiTez développé les . connoiffances profondes qu'un long lejour en Turquie, une étude fuivie de la langue , les affaires importantes qu'il y a traitées, lui ont données du gouvernement , des lois, des moeurs, des coutumes, & du caraftere desTurcs; & qu'il paroiffoit n'avoir voulu qu'éfleurer une matiere vafte , furlaquelle ondevoit attendrede lui, des détails plus étendus. J'ai imaginé aufli qu'on pouvoit voir les Ottomans d'un cóté plus avantageux pour eux , que celui par lequel M. le Baron de Tott nous les a montrés. Vous me demandez M. le Marquis , , 1'analyfe de eet Ouvrage; mais vous Tavez déja dans le Mercure du 2 5 Décembre de Faiihée demkre, N°. 52 ; & je ne me fens  fur les Mimcifès de M. h Èaron de Tott ^ 'pas de force a en faire une rjü'ön puifPe mettre a cóté de celle de M. Malle't du Pan. Je ne crois pas qü'il foit pöffible, fans le fecours des connotfFandes"' löcales , de (e former des ide'es générales plus' juftés , & plus faines de l'Èmpirè öttöman. Ceux qui cherchent a connoitre le véritaDle état des Turcs, le troitveront dans ce rriorceau. M. du Pan, fans avoir vraifcmblablement jamais été en Tui-quie , a' v'u les Turcs de fon cabinet, auiïi bien qi:e Montefquieu ; ils font tels qu'il les fupp'ofe; & je ne.coiïnois pas de travail mieux fait que le fien ; cependant, pour rèmplir en partie ce que Vous exigëz dè moi , j'aura'i 1'honneur de vous préfenter quelques obfervations fur les • principales erreurs dont j'ai été frappé. Je vous ferai remarquer , pulchro in opere neevos , quelques imperfeöions dans un bel oiivragè. Je ne puis croire qu'il foit tóut entier ., & tel qu'il a été publié de M. lè Baron de Tott, paree que 'ff touve des fautes que n'a pu commettre un homme auffi inftruit & auffi éclairé que lui; qui a fi long-tems & fi bien Vu les Turcs, & qui poffede fi parfaiterrient leur langue. Je penfe qu'il aura éprouvé le malheur trop * A3  IS 1 E T T tt Ë fréquent des éditions furtives & prématu» rées. Je vous obéirai, Monfieur le Marquis, & je ferai 1'examen littéraire de ces Mémoires , pour ne vous rien laiffer a defirer dans un auffi bon ouvrage : pourvü que vous veuilliez bien me regarder, non comme un critique, car je n'ai pas la penfée de 1'être, mais comme un commentateur mettant des notes a la marge d'un livre qu'il aime a relire, & qu'il defireroit trouver encore plus parfair. Dik. prél. f, «vij. EN parlant des Lettres de Milady Montaigu il dit: » Elles ont plu, c'étoit ce que 1'Au» teur defiroit; Sc ce dont le Le&eur fe contente » trop fouvent. L'Auteur des Mémoires pourroit bien êtr» beaucoup plus Montaigu qu'il ne penfe; fon livre plein d'agrément & de chofes intéreffantes pour les gens qui ne connoifient pas les Turcs, doit leur plalre infiniment } & c'eft fans contredit, une leöure faite pour les attacher. Mais ceuic qui ont réfidé long-temps chez les Turcs, qui connoiffent les mceurs, les ufages , les mosurs,  fur les Memoires de M. le Baron de Tott. 7 les ufages les loix, le gouvernement, le génie de la langue de cette Nation t & qui ont fuivi le cours des affaires de divers genres qu'on traite avec elle, ne fauroient trouver ce Livre exact dans tous fes paffages. Dans une note relative au facrifice indifpenfable que Sultan Mahmoud fit de fes trois favoris ; le Kiflar Aga , Soliman Aga , & le Banquier Arménien Jacoup ; on lit ce qui fuit : » Et » comme il étoit accoutumé par eux a varier » fes plaifirs, il aflïfta a 1'exécution de Soliman » & de Jacoup, &c. Voila un trait injurieux a la mémoire du plus grand Empereur que les Turcs aient eu peutêtre depuis le grand Soliman. Sultan Mahmoud , monté fur le Tröne en 1730 , & mort, regretté , en 1754 3 a effeöivement verfé beaucoup de fang , mais n'a jamais exercéque contre des rebelles une rigueur que fa fureté rendoit nécet faire. II affifta , il eft vrai, au jufte fupplice de ces deux favoris , mais fans doute dans la vue de rendre 1'exemple plus éclatant, & de donner une fatisfaöion plus étendue & plus complette ï fes peuples, que ces trois monftres avoient cruellement tyrannifés, Ce Prince étoit doux s affable, ami des étrangers , plus dépouill é qnq * A4 Jbidim 1  8 Z E T T R jr ne 1'ajMaïs ^aiicun pfince ^ juges du Mahométifme ; plein de talens 8c de ^onnodTances, aimjnt & cultivant mèmc avec fluelque fuccès-, les arts libéraux & méchaniques. Qu'il me foit permis de mettre en oppofitwn au trait d'inhumanité qui lui eft reproché dans les Mémoires , lln trait fublime , b:en plus capable de caraflérifer en lui lhomme & Ie fouverain, II traverfoit un jour le canal , incognito , accomprgnö du feul Boftjandji Bachi, II rencontra le J«jf Zonana, BaVrghiam Backi de COJjA t c'eft-a-dire Entrepreneur des fournitures du Corps des Jamffaires. Le Boftandji Bachi } ennemi irréconciliable de Zonana , ne manqua pas de faire obferver au Souverain le fafte ir.folent de eet ïfraélite , érendu voluptueufement a la pouppe de fon bateau a quatre rameurs, fur un fiikté de coton couvert de fatin , &c appuyé fur deux couffins de même étofFe brodés en or , fumant Ia pipe, dans laquelle deux demeftiques agerpouillés devant lui , avoient foin de renouveller I'aloës. „ Tu es un fot , répondit le Sultan a fon officier, ne vois-tu pas que 1 etat brilj, lant de ce Juif fait ma gloire ? & que Té* loge le plus pompeux que 1'hifloire pourrg fee de moj, fera de rapporter 3 que foy$  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. 9 » mon regne , les Juifs mêmes , le rebut des » Nations, jouiffoient avec Ia plus grande fu» reté de. cette opulence , & de cette li» berté. " Je ne crois pas qu'Alexandre , Jules Céfar , nl Louis XIV 3 euflent défavoué une pareille réponfe. L'Auteur attribue I'ignorance craffe qu'il re-y. proche aux Turcs , a la difficulté extréme qu ils ont de lire leur propre langue , paree que leur écriture n'eft compofée que de confonnesj auxquelles les fignes qui fuppléent aux voyelles 3 ne font prefque jamais ajoutés. Si les indigènes , qui favent la langue, avoient tant de peine a lire 1'écriture , a caufe de la multiplicité des caraöères , & du défaut de voyelles , quel devroit donc être le travail des étrangers, qui, n'ayant aucune notion primitive de la langue , voudroient apprendre a lire & a écrire , & fe mettre en état d'entendre les livres qui ont rapport aux fciences abftraites ? Cependant 1'Auteur fë contredit, a la page 12 , vol. 1 } & nous apprend , » qu'avec le fecours d'un Maitre de >■> Langue Perfan 3 toujours ivre d'opium & » d'eau-de-vie , il fut en peu de tems en état 5J de s'expliquer paffablement, & de fe paffer 3» d'interprête. « II faut donc conclure que, s'il a fait des progrès auffi rapides , fi nous avons vu tant de favans Interprêtes du Roi , &c des i.p. 10.  y.i.p. 10, lO L E T T R E autres Puiffances , tels que feux MM. de Fienne., Armin , Cardonne , Deval ; MM. le Grand , Sielve , Fonton , Ruffin > Venture , M. Mouradjera , premier Interprête du Roi de Suede y M. Tefta , Interprête de 1'Empereur , M. Rali , premier Interprête de la Republique de Vénife , encore vivans, & tant d'autres , qui auroient été en état de défier en Turc , en Perfan , & en Arabe , tant pour la pureté du ftyle , que pour la connoiffance de la littérature ^les gens de Lettres Mahométans les plus inftruits : on doit conclure , dis-je , que les indigènes , qui favent déja la langue , & n'ont pas par eonféquent les mêmes obflacles primitifs, doivent parvenir facilement a. lire & entendre les livres les plus abftraits. » Les Turcs , en fuppléant a la pauvreté de » leur langue originelle , par 1'adoption de 1'A» rabe 8c du Perfan , en fe cornpofant cinq al„ phabets , dont les difFérens caraöères font ce» pendant au choix des Ecrivains , ont encore » crcé de nouveaux obftacles a rinftruöion , » &c.« La langue Turque originelle , eft le Tartare r la langue du Zagathaï, dans laquelie il y a plufieurs livres, & dont on trouve des manufcrits. a la bibliotheque du Roi , & peut-être ailleurs. Elle eft devenue , par 1'adoption de 1'Arabe &  fur les Mémoires du Baron de Tott '. I ï du Perfan, une des plus belles langues qu'ayent parlé les hommes. Toutes les langues vaftes fe font formées de même. L'Arabe.qui eftua océan, eft dérivé de 1'Hébreu , langue très-pauvre , & ïrès-bornée. Les Anglois s'en font fait une trèsbelle , en prenant dans toutes les autres , les mots qui manquoient a la leur j ainfi les Turcs, en enrichiffant leur idiome primitif par 1'adoption de 1'Arabe & du Perfan, ne lui ont pas donné un degré de difficulté particulier & exclufif; & un étranger n'a pas plus de peine k apprendre le Turc, que ne lui en coüteroit 1'étude de 1'AUemand, de 1'Anglois , & de toutes les autres langues très-vaftes & très-étendues. Les différens caraflères ne font pas non plus tout-a-fait au choix de 1'Ecrivain , & font confacrés par 1'ufage è certains genres. LeNeMi, que 1'imprimerie avoit adopté , efi employé aux ouvrages de fciences; le Teallk , a ceux de poéfie -y le D'tvanï., aux fermans ou commandemens émanés du Gouvernement, & au ftyle épiftolaire ; le Sulus , aux infcriptions , devifes , & légendes publiques , &c. L'homme qui ne fait pas peindre ces divers caraöères , fait comme chez nous, il écrit comme il peut; mais s'il veut donner un livre au public , préfenter un mémoire au Miniftère , un placet a un Grand, des vers a un Protedteur , il les fera copier paf  y. -1. pri. 12 L E T T R E un Ecrivain , dans le caraftère que 1'ufage a attribué a chaque genre ; tout comme un Francois qui voudra mettre fous les yeux du Miniftre un plan , un état, un tableau , préfentables , & qui ne faura pas également peindre la lettre moulée , la batarde , la coulée , ou la ronde , tachera de faire exécuter ce travail par quelqu'un qui foit en état de mettre chacun de ces caracfères a la place que 1'ufage lui a affignée. » Un doublé fens , des tranfpofnions de Iet» tres , bornent 1'objet de leurs études & de » leur littérature ; & tout ce que le mauvais » gout peut inventer pour fatiguer 1'efprit., fait » leurs délices, & ra vit leur admiration. " Ce pafïage eft une' caricature outréé & injufte, qui ne peut pas appartenir a un homme auffi inftruit que M. le Baron de Tott. Pourroit-il nier que les Turcs ne foient une nation inflniment fpirituelle, quoiqu'on y trouve , comme dans toutes les autres, des individus de mauvais gout"} qui aiment les jeux de mots , les acroftiches & les calambours ? lui qui a fait , pendant vingt-trois ans , une étude fi affidue , & fi profonde des Turcs , ne feroit-il jamais entré dans un Medreffe , ou un College ? n'y auroit-il pas vu enfeigner le Sarf> ou la Grammaire Arabe , la Rhétorique , la quantité Poëtique , la Logique , la Métaphyfique, la Mo«-  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. t f rale , ia Phyfique , la Religion , le Droit, les Mathématiques , jufques aux Seöions Coniques &c au Calcul difFérentiel & intégral, exclufivement ? Ignoreroit-il que les Turcs ont les Elémens d'Euclide , toute la Philofophie d'Ariftote , toutes les (Euvres de Placon , auquel ils ont confervé le furnom de divin , & qu'ils appellent Filatoun el Lillahi ? qu'ils ont encore parmi eux une foule d'Auteurs de Livres Turcs, Perfans & Arabes , de grammaire , de logique, de métaphyfique , de morale , d'hiftoire , d'afftronomie , d'aftrologie & de cabale j de géographie , de phyfique , de chymie , d'alchymie Sc de médecine ; de droit, de théologie , de controverfe ; de poéfies , de fables , de contes moraux , de romans ? Pourroit-il difconvenir que , parmi leurs livres d'agrément , les fables de Lokman, ks contes de Nasraddin Kliodjea , les romans dc Leila ve Medjenoun de Joufouf & Zeuleïkha , leurs Medjemouas , colleclions de pieces fugitives ; Sc leurs Boftans , jardins , ou recueils de poéfies légères & Anacréontiques , ont quelque mérite ? Poffédant auffi parfaitement la Langue Turque , refuferoit-il aux Turcs 1'avantage de furpaffer toutes les autres nations par le charme des proverbes , qui font dans tous les pays du monde 1'enfeigne de 1'efprit national ? Et pourroit-il  t$ £ E T T R É nier que les leurs font pleins de fens, de rno^ rale & d'agrément ? N'auroit-il enfin jamais paffe la foirée dans un cercle turc de bonne compagnie , & entendu parler les Mufahihs t ou parleurs de profeffion, qui , pour faire leur cour aux Grands , fe chargent des fraix de la converfation , & du foin d'amufer leur fociété ? Connoiffant auffi bien toutes les délicateffes de la langue , ne feroit-il pas forcé d'avouer , qu'on ne trouve nulle part , des hommes qui content avec plus de grace Sc d'élégance ? Tout cela n'eft pas affez , j'en con» viens , pour juftifier les Ottomans , de n'avoir pas fait plus de progrès dans les fciences Sc dans les arts , d'avoir trop négligé la taöique de terre & de mer , la navigation, la difcipline militaire ; de n'avoir pas corrigé les vices qui régnent dans plufieurs parties de leur ad* miniftration ; ( plus je leur connois d'efprit, 8c d'aptitude a toutes les fciences, plus je me vois forcé de les blamer de ne s'être pas mis au pair des Européens , Sc d'être demeurés reculés de deux fiècles a leur égard ) nnlgré les moyens que leurs amis leur ont fouvent offert de s'ir/» truire ou de fe perfecfionner. Mais il feroit douloureux que 1'idée que les Mémoires s'efforcent de donner d'eux , fixant le jugement de 1'Europe , leur confervat la place que 1'Au-  fur les Mémoires 'de M. le Baron de TotU ieur leur affigne dans le monde focial , & qui ne pourroit être dignemènt occupée que par les Sauvages des contrées les plus reculées du nouveau monde. » Le Koran refiraint les Turcs k quatre » femmes Nikinahlus , mariées ; mais le ma* riage chez les Mahométans , n'eft qu'un acte » civil, un contrat paffe devant le tribunal du 5> Juge , qui, dans ce cas, ne fait que 1'office » du Notaire. La dot , ainfi que le trouffeau 3 #» 1'objet le plus important , font inventoriés *> dans eet a£te , &c. 'f L'Auteur des Mémoires , en parlant du manage des Mahométans, a omis la particularité la plus remarquable , c'eft que la femme n'apporte point de dot au mari ; mais que le mari au contraire dotte la femme. Cette dot ne peut pas être inventoriée dans le Nikiah , ou contrat de manage ; elle n'y eft que ftipulée , paree qu'elle n'eft comptable , que dans - le cas de la mort du mari , ou de la' répudiation. C'eft en quoi elle différe du Kapin , qui eft exigible au terme préfix par le contrat. Cela eft fi vrai-, que lorfque c'eft la femme qui demande la féparation , pour raifon d'infupport, ou de mauvais traitemens , elle fe préfente au Juge , fait abandon de fa dot, & prononce la formule fuivante , confacrée a la demande eri féparation; Nikia- Dlfc.Prèl p. XXX VI '1 s & XXXIX,  Difc. prél. p. xxxx. f6 L E T T R E hum khalal, bachum a^ad; c'eft-a-dire , ma dot cédée, ma tête affranchie. II paroiffoit naturel que l'Auteur,en parlant des mariages , dït quelque chofe de la répudiation & du divorce , dont il ne fait pas mention. La répudiation , pour avoir fon effet , & opérer la féparation abfolue , doit être prononcée trois fois féparement, ou trois fois en une. Dès que le mari a dit a la femme , Benden utcha talak boche ol ; c'eft-a-dire , fois libre de moi par trois re'pudiations, le divorce eft cenfé confommé. La femme demande fes reprifes, exige la dot, & reftitue le contrat. Alors le mari ne peut plus la reprendre , fans fe foumettre a rhumiliante formalité du Hullé. II faut qu'un autre homme , dont la loi lui laiffe le choix, ait un tête-a-tête avec 1'époufe répudiée , & que le mari foit a portée de voir , ou d'entendre que le précepte eft accompli. L'on appelle Hullé, 1'homme chargé de cette bizarre médiation. » Une autre loi , qu'on nomme , Namahrem , » défend aux filles nubiles s 8c aux femmes , de » laiffer voir leur vifage a découvert k aucun » autre homme qu'a leur mari. Cette loi n'eft pas » fans doute favorable aux mariages d'inclination. » Un Turc époufe donc la fille de fon voifin, ou » fa veuve , fans la connoïtre , &c.tc C'eft la loi du Makrem , & non du Namahrem y  fur les Mémoires de M. le Baron de Tolt. ff rem , qui rend les filles & les femmes invifibles a tout autre homme qu'a leur mari,ou a fespareits* au degré requis. Le mor , harem 3 eft un terme arabe , qui fignifie , lieu defendu , & qui dérive de la raeine , haram , défendre ; prohiber. Le na' maharem , au contraire , eft un mot compofé du mot , makrem , defendu > & de la prépofition négative na > tirée de la langue perfanne, qui don-» ne a ce mot compofé la fignification de non dé* fendu , & défigne la faculté donnée par la loi, è certains degrés de parenté} d'entrer dans le Harem , & de voir la femme ; cette permiffion eft très-refferrée , & fe borne, autant que je puis m'en fouvenir,au pere , aux oncles,& aux freresi du marié ; le mari eft cependant le maitre de lui donner plus d'extenfion , de forte que les namahrems , font les perfonnes qui jouiffent de cette liberté. On raconte plaifamment qu'un homme , marié fuivant 1'ufage , fans avoir vu fa prétendue j, la trouva fort laide , & étoit défolé de 1'avoir époufée. Quelques jours après le manage» la femme le pria de lui indiquer quelles étoient les perfonnes namahrems chez lui, pour qu'elle en fut prévenue , & ne ie cachat pas quand elles fe préfenteroient. „ Je te permets, ma chere , lui » dit le mari, de te montrer a tous les hommes" !> du monde , & de n'excepter que moi. «' Qa fe feit quelquefois du terme namahrem, pour dé«*" B  Difc. prél, P>L1Y. L E T T R E figner les gens qui ont leurs entrees quelque part; fi, par exemple , un homme veut exprimer qu'il peut entrer a toute heure chez un Grand, il dira dans le difcours familier, qu'il eft namahrem chez lui. „ A quelque gêne que foient afiujetties les » femmes Turques , par les ufages , on ne doit » pas croire cependant qu'elles ne puiflent en» voyer leurs efclaves en commiffion, & fortir » elles-mêmes pour acheter ce qu'elles defirenr. » Je ne connois point de Turc qui les privé de » cette liberté, &c. " Cet article des Mémoires auroit été plus intéreffant} s'il y avoit été dit un mot des Entremeteufes de galanterie , des hommes a bonne fortune, & des maanés , ou déclarations énigmatiques. Ce ne font point communément les efclaves qui fervent les intrigues des femmes ; elles ne peuvent gueres contribuer qu'a les cacher. Les affaires de ce genre font prefque toujours conduites par les Tellal Kari, ou revendeufes a la toilette , Turques , Chrétiennes , ou Juives , qui ont également 1'entrée dans les harems, & prêtent fouvent leurs maifons pour les rendezvous. Le caraflère d'homme a bonne fortune eft conn« en Turquie. J'y ai vu des jeunes gens , des  fur les Mémoires de M. h Baron de Tott. ic? petïls-maüres , des efpèces, qu'on appelle , en Turc , Zenpara Tchelebis , avoir la lifte de toutes les jolies femmes de quelque célébrité , s'occuper fans relache des moyens de faire connoif" fance avec elles , épuifer leur amabilité , leur induftrie , & leur fortune } k fe procurer des têtea-tête , &c s'en vanter même fans les avoir obtenus. Les déclarations réciproques fe font , le plus communcment , par des maanés. Ce mot tiré de 1'Arabe, fignifie ,Jèns , allegorie ; & on le donne, en ftyle de galanterie , a toutes fortes de chofes dont le nom rappelle , par fa rime , une devife convenue parmi les Amateurs. Par exemple , on envoie une piftache , appellée en Turc fiftik, elle a pour devife rimée, ikimuié bir 'iafük ; que. nous ayons tous deux le même oreiller. U^um , un grain de raifin. Senum itchun ïandum , je fuis enflammé pour vous. Ipek , un brin de foie ; Jènifeuerum pek ; je vous aime avec paffion. Le répertoire de ces devifes eft très-étendu. J'en ai vu fouvent des manufcrits de plufieurs feuillets. „ C'eft ici le moment de fixer les idéés fur » les efclaves Georgiennes & Circaffiennes, dont » la beauté eft fi célèbre , &c. " L'Auteur n'auroit pas du laiffer ignorer au public que les Circaffiennes font les feules qui ont 1'honneur de partager la couche du Sultan. 11 B z Difc. prél.' p. XLVI.  Difc prél, P« XLVI I. #3 Lettres j a parmi les Turcs une anecdore accrédirée J mais que je me garderois bien de garantir , k laquelle on attribue 1'origine de cette prérogative. On affure que dans le dernier fiècle , un Empereur Ottoman ayant paffé une partie de la nuit avec une efclave Georgienne , lui demanda, vers le matin , fi le jeur approchoit j elle répondit avec Une groffière naïveté » qu'elle le » croyoit, paree qu'elle ïe fentoit preffée d'un » befoin qui lui venoit ordinairement vers le i> point du jour. « L'Empereur dégoüté d'elle , larenvoyajSc eut la córïofité de faire, queU ques jours après , la même queftion è une Circafiienne , qui avoit remplacé la Georgienne difgraciée. Cclle-ci repondit : „ qu'elle fentoit jj 1'approche de 1'aurore , paree que le zéphir „ du matin faifoit déja voltiger fes cheveux. " Le Prihce enchsnté de la déücateffe de cette réponfe,fi' ferment que jamais aucune Georgienne n'auroit plus accès auprès de lui, ni de fes fuc* ceficurs. „ La Gecrgie eft plutót une dépendance de „ Ia Perfe , que de la Turquie , mais le Prince „ Héraclius/a profïté des troubles qui ont dé„ vafté les Erats de fon Suzerain , pour jouir „ d'une forte d'indépendance. " La Georgië eft divifée en deux parties ; 1'une qui confine a la mer Noire , & comprend 1«  fur les Mémoires du Baron de Tott, % % Royaume d'Imirete , & les deux Principautés de Mingreiie , & de Guriel, étoit foumife aux Empereurs Turcs j 1'autre qui fe rapproche «ie la mer Cafpienne , &C embraffe les deux Koyaumes de Carduel & de Caket , étoit fous la domination de la Perfe. Le Prince Salomon , qui régne dans 1'une , &£ ie Prince Héraclius , qui gouverne 1'autre , ont également fecouc ; le premier , le joug des Turcs; le fecond ; celui des Perfans. Celui-ci vient de fe rendre vaffal de la Ruffie ; 1'autre conferve encore fon indépendance. Voila 1'état paffe & préfent de ces deux Principautés. On ne peut pas préfumer que M, le Baron de Tott ignore une chole ü connue. i „ Krim Gueraï, qui commandoit cette expédition , avoit précédemment , en fuivant le même droit, dévaflé la Moldavië , fans égard ,j pour la fouveraineté du Grand-Seigneur, ". C'eft ici t M. le Marquis , ou je' puls;vous/ dire, quatque ipfe mifèrrima yidi. Car j'ai été témoin de cette expedition , a laqtidle les vexations exercées par les Officiers de la Porte , au ui jet de Flehetirah-, ou de la traite des grains, donnerent lieu en 1758. Les deux hordes de Nogaïs, du Boudjeak , & du Jedfan , fe foüleyerent , & Krim.Gueraï proflta de leur mécontentement & de leur révolte pour fe mettre , a force ouverte , fur le tröne de Crimée. .AJu»: Difc. pré!,' SLV1I1.  ïï 2 E T T R E Gueraï, Kharn alors régnant , auprès duquel jé me trouvois , en qualité de Conful du Roi , marcha avec une armée de cent vingt mille hommes contre fon compétiteur ; Sc quoique je fuffe nommé au Confulat-général de Candie , je ne pus me difpenfer de faire Ia campagne avec lui, ainfi que M. Fornetti , qui avoit été envoyé pour me remplacer. Nous fuivimes le Khan jufques dans les plaines qui font entre Prekop , Sc Okzakow , oü le Prince recut Pavis de fa dépofition. Son armée fe difperfa en un clin d'ceil , Sc M. Fornetti & moi nous primes Ie parti d'aller joindre Krim Gueraï, qui avoit forcé la Porte de l'inftaller a fa place. Nous trouvames a Kichela ce nouveau Khan avec une partie de fes troupes chargées de la dépouille de la Moldavië , qu'elle' venoit de ravager. On n'a pas d'idée d'un pillage auffi prompt Sc auffi rapide ; Sc il eft difficile de 'concevoir qu'en fept jours, une armée de quatre-vingt mille hommes puiffe parcourir une grande Province , Sc enlever quarante mille efclaves , tous les befiiaux % tous les troupeaux, tous les haras, Sc une énorme quantité de' butin. Nous vïmes la plaine de Kichela couverte k perte de vue , d'efclaves males 8c fémelles de tout age , de bceufs , de chameaux , de chevaux , de brebis, Sc d'effets de toute efpèce , amoncelés a diverfes diftan-  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. 2$ fces. Krim Gueraï, après avoir montré fa puiffance au Gouvernement Ottoman , voulut auffi lui donner un exemple eclatant de fa juftice. Il renvoya les efclaves , qui n'étoient plus qu'au nombre de vingt mille, paree queplufieurs étoient morts , & d'autres avoient été dépaïfés. Il fit rendre tous les troupeaux, les beftiaux, les chameaux, & les chevaux , qu'il put arracher h la rapacité , Sc a l'appétit carnaffier des Tartares ; & reftituer aux propriétaires les effets qui furent retrouvés & reconnus. „ Ce Miniftre ( Racub Pacha ) avoit pré„ cédemment occupé le Pachalik du Caire , „ celui de tout 1'Empire qui lui convenoit le. ,; moins y 1'indifcipline des Beïs Mamelucs,étayée „ par la force , ne lui avoit laiffé que la ref„ fource de la corruption pour fe foutenir,fans être moins expofé aux voies de fait. II ve_ noit d'échapper a un coup de piftolet tiré fur „ lui dans fon propre Divan, lorfque le Grand„ Seigneur ( Sultan Ofman ) 1'appella au Vizi„ riat. " Voila un anacronifme qui m'a frappé. Sultan Mahmoud vivoit encore, lorfque Racub Pacha fut rappellé du Caire , après y avoir échappé a ce danger. Ce Prince 1'envoya encore a Aïdin , & dela a A!ep ; & Racub exer^a fuccefÊvement ces deux Gouvernemens , pendant plu- B 4 vol.i p.33;;  %~4 L E T T R E fieurs années , avant d etre appeüé au Viziriafr par Sultan Ofman, fuceeffeur de fon frere Mahmoud. Je ne puis pas douter de ce fait ; & en voici la raifon. Lorfque feu mon pere , alors Secrétaire d'Ambaffade a Conftantinople , fut envoyé avec feu M. de Laria , premier Interprête, au Camp Ottoman , pour y travailler aux préliminaires de la paix de Belgrade , il avoit fa tente 'placée auprès de celle de Racub , qui étoit, 3 cette époque, Mektoubfihi Effendi , ou Chef de Bureaux des Affaires Etrangères, & avec qui mon pere avoit le plus fowvent a traiter. L'habitude de fe voir tous les jours pour affaires» amena 1'amitié , & les lia auffi étroitement qu'un. Turc peut 1'être avec un Chrétien; au point que lorfque Racub fut rappellé du Caire & envoyé a Aidin , il s'écarta de fa route, & vint camper dans Japlaine de Hadjilaar, uniquement pour voir mon pere , alors Conful-Général & Smyrne. II Ie convia en effet è fon camp, avec toute la Nat'ion , & donna une fête fnperbe , a laquelle je me trouvai. Le Pacha embraffa tendrement mon pere , en lui difant : Dof urn , coadjeaduk : mon ami , nous fommes vieillis ; & tout de fuite prenant fa barbe blanchie prématurément: voiia , ajouta-t-il, comme font les barbes des gen§ qui reviennent du Caire,  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. 2. J Me voici arrêté, M. le Marquis, par un dia-v iogue , ou 1'un des interlocuteurs eft un Turc qui ne m'eft point étranger. J'ai beaucoup connu Mourad Mollah ; c'étoit bien le plus agréable débauché que j'aie jamais vu chez les Turcs; mais je ne le retrouve point ici. Ce n'eft ni fon ftyle , ni fa maniere. Je fuis bien perfuadé qu'il a dit a 1'Auteur 1'équivalent de tout ce qui eft rendu dans le diatogue; il avoit affez d'efprit , pour que les mêmes idéés puffent naitre dans fa tête ; mais il les a certainement exprimées avec moins de recherche , & leur a donné [un autre coloris. On me dira peut-être , que c'eft ici un Turc qu'on fait parler Francois ; j'en conviens ; mais , pour peindre le caraclere d'un homme par une traducYion de fes difcours, il ne faut pas trop altérer la lettre. Si 1'on veut faire connoitre les Turcs, il ne faut pas commencer par les habiller a la Francoife , plutöt que de changer leur coftume , il vaut mieux les préfenter dans leur nudité quelque repouffante qu'elle put être. Le dialogue fuivant, entre M. le Baron de Tott , & le Boftandji , commandant le Chateau d'Afie, eft plus dans le genre & dans le ftyle de la Nation , & fur-tout beaucoup plus conforme a 1'intention de 1'Auteur. • i- P- siv. i.p. 63.  ».i.p. ft Ibid l6 L E T T lt E • „ Le mot Sultan n'eft qu'un titre de naiffancer „ réfervé aux Pnnces Ottomans nés fur le Trö,t ne, & a ceux de la familie Guinguifienne. Ce mot, qui fe prononce Soultan , eft fans doute auffi la véritable étymologie de Soudan; & ce titre pouvoit, être en Egypte , fubftitué #, a celui de Roi; mais en Turquie , ni en Tar„ tarie , il n'entraine aucune idéé d'autorité „ fouveraine. On ne me perftiadera jamais que ce pafTage puiffe appartenir a M. le Baron de Tott. Pour pouvoir en effet affurer auffi affirmatixemeut , que le mot Soultan, fous aucune acception , ne préfente 1'idée de fouveraineté, il faudroirj, ce qui eft dans 1'ordre des impoffibles, que M. le Baron de Tott n'eüt jamais lu la légende des monnoies des Empereurs Turcs, qui commence précifement par ces mots Soultan tl Bcreïn, le Souverain des terres, ve Hakkan el bahreïn , 8c !e Dominateur des mers, &c. Le paffage fuivant eft ü-peu-près de »nême force. „ Le titre de Kam, eft particuliérement affeöé au Souverain des Tartares; il équivaut „ a celui de Chah, qui fignirie 3 Roi chez les Perfes , &c. Le mot Karn , n'exifte pas; M. le Baron de Tott n'aaroit pas adopté , mais redreffé Terreur i& tous les Ecrivains Frangois, qui, je ne fais  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. 17 pourquói , 1'écrivent avec «n m. L'ortographe de ce mot , eft Khan. Ce n'eft point un titre particuliérement affedé au Souverain des Tartares, puifque 1'Empereur Turc le prend auffi; & pour en convaincre 1'Auteur , je le renvoie a la légende de toutes les monnoies ottomanes oü ce Prince fe qualifie , Soultan , ibn el Soultan Abdulhamid , Khan damé mulkhou. C'eft-a-dire , le Sultan , fils de Sultan, Abdulhamid Khan ; dont le régne puiffe fe perpétuer. Le titre de Klian équivaut véritablement, dans fa fignification , è celui de Chah, qui veut dire Roi ; il eft cependant bien étonnant que les Monarques de Perfe les plus abfolus , qui n'ont jamais pris que le titre de C^aient confiamment permis que les Gouverneurs des provinces de leur Empire , priffent celui de KJian , qui eft 1'équivalent, & qui , dans tous les tems , leur a été affeöé. Nous voyons encore de nos jours, les Gouverneurs des provinces de Guendji , de Guilan ,de Mazanderan , &c. qui n'ont pas plus d'autorité en Perfe , que les Pachas en Turquie, prendre le titre de Khan. C'eft de quoi j'avoue queje.ne faurois donner aucune raifon. „ Sultan Mahmoud , mort fans enfans, après „ un régne de vingt ans , laiffa 1'Empire è fon „ frere Ofman, 1'ainé des quatre fils. qui reftoient 'l de Sultan Achmed leur pere , détróné pai V. i.p. 74  " ""e reRV°Iutl0n- ******i q»i fuccéda a Oft >, "^Bajazet , mort dans le ferrail , & Ab- " am,df «ujourd'hui, étoient * » peu-pres du même age , &c « Voüè une généalogie bien ar'rangée. Seroit-il dPe° IWd tS Pr°dUÖi0n delordr deMtJe ^ ^ ^ ^ vat de. fcute, de cette nature a redreffer. Sul, *an O/man fon frere , n'étoient point fil, d. Sultan Achmed, mais de Sultan MuflaphaIII ^on frere aïné} & fon pridéceSemm ^ ^ sl, \' r f11"^3 * °fman ' étolt fils ^ Sultan Achmed , & coufin b «on frere de Mahmoud & d'Ofman. Les cinq «• de Sultan Achmed étoient Sultan Mehemmed , amé de tous , mort empoifonné par Ofman , Sultan Muflapha IV , fucceffeur d'Ofman , Sultan fcpfan j & sukan 0urkhan morts; dans le ferrad j & Sultan Abduiamid, au-! fourd hui régnant. ' „ Le Patriarche Kirlo occupoit alors la Chai, » re (Ecuménique de Conftantinople. Cet hom„ me,, né dans Ia lie du peuple , oü, par Ie * famtlfme , » avoit fu fe former un parti, s'é, „ toit fait craindre des premiers de fa Nation h dontl',rgeuille ,méprifoiti aidé de quelques  jiir les Mémoires de M. le Baron de Tott. 19 ^ membres du Synode , il avoit imaginé , &l t,, foutenu la néceffité du Baptême par immerj, fion. L'anathême qu'il prononca è ce fujet dans fa Métropole , contre le Pape, le Roi j, de France, & tous les Princes Catholiques ^ acheva de déterminer fon troupeau a fe faire „ rebaptifer. '* Ce paffage n'eft point exaft , & 1'Auteuf auroit du êrre mieux inftruit. Ce fut une Bulle promulguée par le Pape , a-peu-près a cette époque 5 8c dans laquelle il défendöit è tous les fi» deles de communiquer in facris , avec les fchifmatiques , qui irrita prodigieufement le Clergé Grec ; 8c excita cette fermentation. Le Patriarche Cirile , 'en grec Kirilo , & non ,' Kirlo \ homme turbulent , 8c tel qu'il eft peint dans les Mémoires , fit imprimer a Vénife un petit traité contre le Baptême des Latins. Cet ouvrage , venu è la fuite de la Bulle du Pape i qui avoit déja caufé beaucoup d'humeur, Sc l'anathême prononcé contre le Chef de 1'Eglife Romaine & tous les Princes Cathoiiques, échaufferent les efprits, accrurent 1'animofité , & attirerent aux Grecs de la Communion Latine une violente perfécution , dans laquelle le Patriar» che Païfws , dont les Mémoires ne parient pas , joua le principal róle. Le Synode décida qu'un Catholique Romain ne pouvoit être admis a Ia  V.I.p.li4. ] 1 3° Let t r e Communïon Grecque , qu'après avoir recu te Baptême par immerfion. Mais le troupeau du Patriarche Grec ne fe fit point rebaptifer; paree qu'il n'y a jamais eu d'autre Eaptême , que celui d'immerfion , pratiqué dans l'Eglife Grecque. Les Grecs attachés au Rit Latin , effuyerent la perfécution ; garderent le baptême de l'Eglife Romaine; Sc ne fe firent pas plus rebaptifer que les autres. „ Ce ne fut pas non plus fans occafionner „ des murmures très-vifs , que Sultan Ofman „ fe difpenfa de paroitre en public un Vendre,} di ; 8c ce fut pour les calmer , qu'il fe dé- termina , le Vendredi fuivant, a fe rendre en „ cérémonie a Ste. Sophie , la mofquée la „ plus voifine du ferrail. Ce Prince , a fon re„ tour , déja chancelant fur fon cheval , Sc „ foutenu par les gens de pied qui 1'environiy noient , perdit connoiffance entre les deux ,. portes qui féparent les cours du ferrail ; on ,j lui jetta un chal fur la tête , 8c il mourut „ quelques inftans après avoir été tranfporté , dans fes appartemens. « L'Auteur fait mourir ici Sultan Ofman de la nort de Sultan Mahmoud , fon frere Sc fon jrédéceffeur. II eft connu de tout le monde , jue Sulran Mahmoud fut frappé de mort enJe les deux portes du ferrail 3 en revenant de  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. % i la mofquée , & que Sultan Ofman eft mort dans fon lit. » Mais une fpéculation toujours dangereufe » pour le Souverain , & qui fut préfentée & » Sa Hauteffe par un de fes favoris , fit altérer » les monnoies k un tel degré , que les faux» monnoyeurs travaillent aujourd'hui en Turquie » a 1'avantage du peuple ; quelqu'alliage qu'ils » employent , le coin du Grand-Seigneur eft » encore au-deffous du titre qu'ils donnent k » leurs efpeces. « Cette opération étoit déja connue en Turquie , & avoit été pratiquée long-tems auparavant par Sultan Mahmoud , qui s'y vit forcé par un motif différent. L'anecdote eft affez particuliere , & méritoit d'être rapportée. Un Négociant Francois , appellé M. Delabat , Lyonnois de naiffance , établi a Conftantinople . homme plein d'induftrie , d'aöivité , & même de génie pour fa profeffion , s'appercut que lei monnoies ottomanes d'argent étoient a un tire , qui donneroit en Europe plus de bénéfice qu'aucun article d'exportation du Levant. Af furé par 1'analyfe &C le calcul , de 1'infaillibilite de cette fpéculation , il convertit en piaftres & en izelottes le produit de toutes les marchandf fes qu'il avoit vendues , les fondit , & en fii des lingots , qu'il envoya en France pour fe: V.i.p. 147»  iV.i. p. tót. fcï X E T T R £ retours , Sc qui lui donnerent le pront qu*it s'étoit promis. Les premiers fuccès 1'encouragerent a continuer ce commerce , dans lequel il auroit fait une immenfe fortune , s'il avoit gardé fon fecret. Mais il ne réfifta pas a la gloriole de 1'invention ; un trait de lumiere qu'il laiffa échapper , fut recueilli par fes compatriotes , qui ne tarderent pas de 1'imitef ; leur exemple fut bientót fuivi i non-feulement a Conftantinople , mais dans les autres Echelles , par tous les Négocians Francois & Etrangers 5 & eet enlevement de mosnoies d'argent , pratiqué a 1'envi par tous les Européens , qui trafiquent en Turquie , occafionna dans 1'Empire une fi grande diminution du numéraire , que la Porte y fit attention } & en découvrit la caufe. Le Miniftere Ottoman prit alors la réfolution daltérer les monnoies, & les fit réduire a un titre fi bas , que perfonne ne fut plus tenté de les fondre, ni de les exporten » Les Derriches s'enivroient tous d'opium ; » avant de s'être avifés de lui préférer 1'excès » du vin. Ces fortes de Moines font en Tur» quie de deux efpeces très-différentes > mais » également remarquables. La différence vient » du genre de regie que leur fondateur leur a refpeflivement impofée. Celle des Derviches 1» Méwliah y eft de tourner comme des totons, ai)  fur les Mémoires du Baron de Tottl 3 $ # au bruit d'une mufique affez douce La »5 regie des autres Moines , nommée Taclatepen , w plus trifte, a auffi plus de barbarie. Elle con» fitte a fe promener gravement a la fuite les » uns des autres autour de leur chapelle 3 6c » k prononcer le nom de Dieu a haute voix , » & avec effort , a chaque coup de tambour » qu'on leur fait entendre. Bientot les coups de »> baguette preffés graduellement, deviennent fi » vifs , que ces malheureux font contraints a » de terribles efforts de poitrine. Les plus dé» vots ne finiffent la proceffion qu'en vomif» fant le fang. " » II y a encore en Turquie d'autres Moi» nes , ou Santons , qui courent la campagne : » leur rencontre dans un bois , n'eft pas fans »> inconvénient ; fous le manteau de la Religion, » ils s'introduifent chez quelques dévots j &c c'eft » partout la plus mauvaife compagnie qu'on » puiffe trouver. r' II y auroit, fuivant ce compte 3 trois efpe-« ces de Moines en Turquie , au lieu de deux, qui font annoncées dans le premier paragraphe. Mais il n'y en a réellement que deux ; & 1'Auteur des Mémoires n'en a pas bien connu la divifion. To.us les Moines Turcs font partagés en deux ordres , les Mevlevis , Sc les Bektachis. Les Mev-^ Ie vis font cloitrés, & réunis dans des Tekés , V. r.jJ.iSri  34 L E T T R X ou couvents , d'ou ils ont cependant la liberté de fortir aux heures de récréation. Les Tourneurs , Sc les Hurleurs , font de 1'Ordre des Mevlevis , quoiqu'avec des regies différentes; comme nos Capucins, nos Récollets Sc nos Cordeliers , font tous de 1'Ordre des Francifcains, &C différens cependant les uns des autres , par la regie Sc le coftume. Les Bektachis n'ont point de couvents , ni d'habitations fixes ; ils courent le monde , & font parfaitement bien dépeints dans les Mémoires. Ils s'attachent louvent aux Grands ; j'ai vu plufieurs Pachas en avoir a leur fuite en voyage , Sc a pofte fixe dans leurs maifons. Le fameux Sopa Salan Ahmed Pacha, avec lequel je me fuis trouvé en Candie , trainoit depuis long-tems avec lui un de ces Derviches , très-délié 3 très-adroit, très-retors, plein d'efprit 8c de connoiffances , auquel il avoit donné une confiance fort étendue , & une trés-grande influence dans les affaires ; j'ai été plufieurs fois dans la néceffité de 1'employer auprès de fon maitre , Sc il ne m'a jamais donné lieu de m'en repentir. Plufieurs de ces Derviches Bektachis fuivent fouvent 1'armée en campagne, & aucun Orta , ou Régiment de Janiffaires , ne fait Ie moindre mouvement pour changer de garnifon , aller a la guerre , ou a quelque cérémonie , que quelques-uns de ces Derviches  fur les Mémoires de M. le Baron de Tolt. J Jl n'ouvrent la marche. 11$ ont ordinairement dans de pareilles occafions 3 les pieds , les jambes , & une partie du bufte nuds; ils jettent en écharpe fur leurs épaules , une peau de tigre, de lion , ou de quelqu'autre bete féroce j ils ont en maia une hallebarde , une piqué, ou une hache d'armes , tk. marchent en chantant des vers a la louange de 1'Orta , & des prieres pour Ia gloire de la Religion , & la profpérité de 1'Empire. Ces deux Ordres de Moines font encore fubdivifés en d'autres regies , dont les noms ne me reviennent pas a préfent , & dont le détail feroit long & faftidieux. L'ufage conffamment fuivi par les Empe« reurs Turcs , de faire batir une Mofquée » » & de la doter, pour en fonder 1'entretien , » a tellement multiplié ces Temples , que les » emplacemens étoient devenus très-rares è Conf» tantinople. Sultan Mahmoud avoit pris le w parti d'en faire batir une k Scutari : il mou» rut ; & Sultan Ofman la fit achever. Muf» tapha trouva cependant le moyen d'acheter » dans fa Capitale un terrein affez. vafte pouï; » la Mofquée qu'il vouloit y.batir, &c. 'f J'obferve dans ce paffage plufieurs erreurs accumulées. Faire batir une Mofquée n'eft point un ufage fuivi indifféremment par tous les Empereurs Turcs , puifqu'ils n'en ont pas tous égai* V. 1^.1694  & ï. E T T R E le'ment le droit , & ne peuvent I'acquénr qtié par une conquête. Pour qu'un Sultan puiffe élever un Temple dans 1'enceihte de Conftantinople , il faut qu'il ait remporté quelque victoire fur' les ennemis de 1'Empire , ou ajouté quelque chofe aux poffeffions Ottomanes , & merité le furnom de Ga{i , ou de Conquérant. Sultan Mahmoud , a qui ce droit étoit bien légitimement déyolii , par le gain de Ia bataille de Grofca , fur les Allemands , & la conquête de Belgrade , n'a jamais penfé de . faire batir une Mofquée a Scutari; mais en éleva une tresbelle, dans la Capitale, au-deffous de celle de la Validé } & affez prés du Khan des Drapiers. Quand il en eut pris la réfolution, il fit venir d'Italie , de France & d'Angleterre , les deffins & les reliëfs des plus beaux Edifices de ce genre, que 1'on trouve en Europe ; d'après ces modeles , ce Prince , plein de talent & de gout , forma lui-même le plan du fien , & le communiqua aux Vkmas. Ceux-ci trouverent que ce Temple , tel que 1'Empereur en avoit concu le projet, reffembloit plus- a une Eglife qua une Mofquée, U confeillerent a leur maitre de lui donner une forme plus Mchométane , pour ne pas effaroucher le penple , m lui caufer de 1'humeur. Sultan Mahmoud , forcé d'adhérer aux infinuations des Chefs de la Loi , fit un mê-t  fur les Memoires du Baron de Tott, 37 lange du gout Europeen & du gout Turc ; il e 1 réfuita un monftre, mais un 'monftre qui réunit la majefté & 1'agrément. II orna la cour de cette Mofquée d'une fuperbe colonnade , dont l'Eglife de St. Pierre de Rome lui fit naitre 1'idée , & qu'il exécuta en petit. II y employa les riches colonnes qui formoient le périftille du palais des Rois de Pergame. Le terris les avoit refpecïées;il les fit abattre & tranfporter a Conftantinople. La mort furprit Sultan Mahmoud avant que eet édifice fut achevé ; Sultan Ofman , fon frere Sc fon fucceffeur , confulta la Loi , pour favoir s'il pouvoit y mettre la derrière niain , & lui donner fon nom. Le Moufti lui délivra un fetfa , ou fentence , par laquelle il déclaroit , que eet édifice n'étant point terminé , 8c n'ayant pas encore [été confacré' par le culte de la Religion , ne pouvoit être regardè que comme un batiment nul , un immeuble , dont la propriété étoit inconteftablement tranfmife a Sultan Ofman , par droit d'héritage , comme un effet de la fucceffion de feu fon frere Sultan Mahmoud ; & que par conféquent ce Prince pouvoit, fans le moindre fcrupule , prendre poffeffion de eet édifice imparfait, le faira achever , le confacrer par les prieres des fideles , & lui donner fon nom. C'eft en vertu de cette fentence , que ce Temple , quoique bati  &• i.p.174 $8 L E T T R E par Sultan Mahmoud , fut appellé Nour Ofmani. La lumiere , ou la fplendeur d'Ofman ; nom par lequel on a coutume de défigner les Mofquées élevées par les Empereurs. Sultan Muflapha IV , parvenu au Tröne , en pleine paix ; preffé de faire une oeuvre pie , & n'ayant pas encore le droit d'ajouter une nouvelle Mofquée aux édifices publics de fa Capilale , en fit batir une a Scutari, vers le bord de la mer. Plufieurs années après , lorfque le Khan des Tartares , Krim Gueraï , dans la première campagne de la derniere guerre contre la Ruffie , eut dévafté la nouvelle Servië 3 & anéanti les établiffemens que cette Puiffance y y avoit formés } les Chefs de la Loi s'emprefferent de donner a Sultan Muflapha le furnom de Ga^i , ou de Conquérant , & le Mufti lui en délivra le fetfa. Cette fentence fut le titre en vertu duquel ce Prince fit batir , a Conftantinople, dans le Lak/u Mahallé, ou le quartier aux tulipes , la Mofquée de fon nom , qu'on appella , Nour Muflapha : mais que le peuple nomme plus communément , Lalelu Djami , la Mofquée aux tulipes, du nom du quartier de la ville oü elle eft placée. » Aux fondations des Mofquées , fe joint or» dinairement celles des Ecoles publiques , ou w les enfans du quartier vont apprendre a réci$ ter leurs prieres. **  'fur les Memoires de M. le Baron de Tott. y$ Ces prétendues Ecoles font des Colleges en regie, appelles Médréjfés. M. le Baron de Tott n'auroit certainement pas ignoré qu'on y trouve différentes ciafies de toutes les Sciences , dont j'ai fait plus haut 1'énumération ; qu'on y voit des Ecoliers de tout age , depuis les enfans déja un peu inftruits , jufques aux Sohtas 3 ou Etudians, dont plufieurs ont déja atteint lage viril ; il auroit fu que les premières écoles des enfars font les Mektebs , établiffemens tout-afait diftincls , oü 1'on enfeigne a lire , a écrire , & le Birghilu rifalé , efpece de catéchifme , ou de traité fort abrégé des préceptes de la Religion 8c des prieres , & que c'eft au fortir de ces écoles , que les enfans qui veulent fuivre le cours des études, & devenir Sohtas , entrent aux Médréjfés. M. Le Baron de Tott n'auroit pas non plus paffé fous filence 1'état des Sohtas , ni la marche ordinaire de 1'avancement des gens de Loi, objets intéreffans , faits pour piquer la curiofité du Public , qu'il vouloit inftruire. Les Sohtas, font des efpeces de Séminariftes qui fuivent dans les Médréjfés , le cours des études de la Grammaire & de la Langue Arabe , de la Rhétorique , de la Philofophie , de la Théologie , du Culte Religieux , & de la Jurifprudence. Les uns parviennent aux premières charges , les autres reftent dans les places  4Ö I E T T R E liibalternes , d'Imams ou Curés , de Mutevellis ou d'Adminiftrateurs du revenu des Mofquées , de Naïbs ou premiers Cler.cs des Mollahs ou Juges , de Mehkemé Kiatibis ou Greffiers des Tribunaux ; d'autres fe placent dans la plume, & obtiennent des emplois dans les Bureaux d'autres enfin , moins favorifés de la fortune , ne peuvent jamais percer , ni parvenir même ■aux emplois les plus médiocres, & fe réduifent a gagner leur vie , en faifam le métier de Khodjas , enfeignant la leöure , 1'écriture , & les fciences , ou en copiant des livres , quand ils ont une affez belle plume pour fe faire de cette occupation un capital d'exiftence. Suivant la tfricte regie , les Gens de loi ne pourroient arriver aux hautes places , qu'après avoir été Sohtas, & avoir fait leurs études, & leur féminaire dans les MédreJJ'és ; y avoir profeffé , & occupé la place de Muderris , ou de Principal du College , avec Berpt, ou Diplome Impérial; après avoir paffé dela par la place de ffaïb , ou premier Clerc de Juge , de Kadi , ou de Juge ; de Mollak , ou Juge fupérieur , % diverfes pay.es , jufques a celle de 500 afpres, qui efMa plus forte attribution d'honoraires ; après avoir occupé les grands Kadlliks , ou gfandes Judicatures dévolues aux Mollahs dé 500 afpres, & qui menent aux plus hauts de-  'fur les Mèmonei de M. le Baron de Tott. 4* grés d'élévation, comme celles de Damas,de Jérufalem , d'Andrinople , & autres; étifüite celle de Kiabé Mollahfi , ou Juge de la Mecque , puis celle Slftambol Effendijfi , ou Lieutenant de Police de Conftantinople, enfin celle de Kadiasker , ou grand Juge d'Armée , d'Europe , ou d'Afie. Ce font-la tous les différens grades qü'ü'n homme doit avoir fucceffivement parcourus,pour arrlver légalementau Pontlficat, qui eft la place de Grand Mufti, ou Cheikh el I/lam. Ces grades font appelles Rutbés ; 8c fouvent , pour faire 1'éloge d'un homme de Loi qui eft parvenu aux éminentes dignités par fon mérite & fes fervices, on dit, Sohtadan ghelme , ve rutbefini doldourmiche adem j c'eft un homme venu de Sohta , 8c qui a rempli tous fes grades. Les rejettonS des families illuftres , parmi lés gens de Loi , comme celles de DuniZade , de Pin (adt, dë Darnad \adé, & plufieurs autres , chez lefqnel* les le Pontificat 8c les hautes places font unë maniere d'héritage & de patrimoine ; les rejettons , dis-je, de ces families diftinguées , font quelquefois difpenfés , par la faveur du Souverain , de paffer par tous ces rutbés , ou ces grades de judicature ; le Prince y fupplée , en leur en donnant le titre par des brévets , ou des provifions honoraires : mais il faut toujours que la formalité foit remplie , & que 1'afpirant  4* 'L E T T R M aux dignités foit muni de tous les diplomes des grades auxquels il a été fucceffivement élevé. Ces paffedroits,, & ces diftinclions occafionnent fouvent de grands murmures parmi les Vlemas -f paree qu'elles font languir dans les places fubalternes des hommes de mérite , qui auroient pu prétendre a un plus rapide avanqement. On raconte qu'un homme de loi , que plufieurs paffedroits de ce genre avoient arrêté Iong-tems dans les grades inférieurs , arriva enfin au Pontificat, agé de plus de quatre-vingt ans. Quelque tems après fon infiallation , il dit a fon Tréforier de venir lui ouvrir la chambre du Iréfor ; il y entra avec lui , fe déculotta , & pouffa fa felle fur un tas de facs remplis de fequins. Que faites-vous-la , Seigneur ? lui demanda le Tréforier ; le vieux Mufti répondit. Dqftum , fekfendzn fonra ghdrniche dwletun uftuné fitcharum. Mon ami, je traite comme elle mérite la fortune , qui m'eft venue après quatrevingt ans. On jugera aifément, par 1'obfervation précédente , que les Médréjfés, ou Colleges , dont la fondation eft ordinairement jointe a celle des Mofquées , font toute autre chofe que des Ecoles , oü 1'on enfeigne uniquement aux petits enfans a réciter leurs prieres , comme Ie prétend 1'Auteur des Mémoires , puifque c'eft ■dans leur fein que doivent fe former les gens  fur les Mémoires du Baron 'de Tott. 4$ de Loi , Sc que ce font les Séminaires , d'oü doivent fortir , fuivant la Loi , tous les Sujets qui prétendent aux Charges de Judicature 3 & ceux-mêmes qui afpirent au Pontificat, Sc aux autres éminentes Dignités. •» Plufieurs gens riches font auffi conftruire ». des fontaines, Sc des nama\ giack , afin d'in» diquer aux dévots Mufulmans la direaion de » la Mecque. C'eft fur-tout dans la campagne » oii ce genre de luxe fe développe avec pro- fufion , Sec. " C'eft la piété , & non la fuperftition , qui a"1 multiplié les namas giacks ; Sc un efprit de charité Sc d'humanité qui a fait conftruire tant de fontaines. Les fondateurs de ces dernieres , ont regardé avec raifon , comme une oeuvre trèsméritoire , d'étancher la foif des paffans dans les rues , Sc des voyageurs dans les chemins ; & de leur fournir les moyens de faire les ablutions qui doivent , de toute néceffité , précéder la priere. II y en a même eu plufieurs, qui ont pouffé la bienfaifance jafques a afligner des fonds pour la fourniture de la neige pendant tout 1'Eté , afin que les paffans qui viennent s'abreuver a leurs fontaines , boivent plus frais , Sc fe défalterent plus facilement. L'Auteur, en parlant de la mort de Racub Pacha, Grand-Vizir, & des tourmens que 1'on r.i.p.174. V.r.p.üj,  44 Le t tr e fit fubif a fon Tréforier & k fon Banquief ; pour découvrir les richeffes cachées de leur Maitre , & arracher d'eux 1'aveu d'un fideicommis, qui n'exiftoit pas; dit, „ que le Bof« flangi Bachi fut chargé de cette horrible ve>> xation. « Le Bofiandgi Bachi eft toujours chargé d'officë d'appliquer aux tortures de la queftion les rnalheureux que 1'on veut forcer d'avouer quelque chofe , qu'ils peuvent avoir intéret de cach^r ; c'eft une des fonflions de la charge de eet Officier; & Ie lieu oü 1'on fait ces mielies exécutions , s'appelle , Boflandgi Bachi Fourkouni , ou , le Four de Boftandgi Bachi ; & voici 1'origine de cette dénomination. En entrant dans i'enceinte du ferrail par la porte qui eft du cöté de ya/i kiosk , & attenant le Has Bagtchê , ou jardin de réferve , on trouve les Cazernes des Bofiandgis , auprès defquelles il y a un four ; oü des Boulangèrs font cuire le pain & Ie bifcuit pour les chambrées de cette troupe ; è cêté de ce four , eft placée la prifon , dans* laquelle on retient les infortunés , qui doivent fubir la queftion ; après Ia priere du Yatfou , qui fe fait k deux heures de nuit, lorfque lei Bofiandgis font rentrés & retirés dans les cazernes , on tire les patiens de la prifon , on les Ronduit dans nn lieu écarté , ou 1'interceffioi*  fur les Mémoires du Baron de Tott. 45 «3es Boftandgis , qui font quelquefois émus de pitié, ne puiffe avoir aucun accès ; c'eft-la ou le Boftandgi Bachi fait éprouver a ces malheureufes viefimes, divers genres de tortures. Lorfqu'un homme eft dans les mains de ce terrible Officier, on dit vulgairement , qu'un tel eft au four du Boftandgi Bachi. » Telle eft la juftice que le Defpote exerce » légalement, fans doute , puifqu'aucune l®i ne » réclame contre ces atrocités } 8c que 1'habi» tude de fouffrir , étouffe jufqu'a la plainte. « II n'y a peut-être pas de Monarque fur Ia terre plus acceffible a la plainte que 1'Empereur Turc j tous fes fujets indiftinöement, Mahométans , Chrétiens 8c Juifs , peuvent tous les Vendredis , lorfqu'il va en cérémonie a la Mofquée > lui préfenter un placet. La formalité pratiquée a eet effet, eft finguliere , & méritoit bien d'être rapportée. Les opprimés , qui ont quelque plainte grave a adreffer direófement au Souverain , fe rangent en file fur fon paffage , dans la place qui eft devant la grande porte du ferrail , ils ont chacun fur la tête un morceau de natte allumé 8c fumant , qui eft 1'emblême 8c 1'allégorie du feu, qui dévore leur ame; quand 1'Empereur appercoit eette fuméeil s'arrête , donne ordre a quelqu'un des gens qui Fentourent, de ramaffer les placets , il fe les V.i.p.ai^  y.i.p.214- 46 L E T T R E fait remettre, & les place dans fon fein. Sultan Muflapha IV , qui étoit grand travailleur ? ne manquoit pas de lire tous ces placets, & a fouvent fait 3 après cette leclure , des aftes de juftice éclattans , Sc capables d'honorer fa mémoire. On voit quelquefois dans les Tribunaux, des plaideurs ferraes & hardis , qui , éprouvant, Ou foupconnant quelque prévarication de la part du Juge , ofent le menacer , en ces termes , hajfir yakarum , j'allumerai la natte. » Voyons aöuellement la juftice ordonnée « dans les Tribunaux Turcs , fur un code écrir, » révéré par 1'opinion , & commenté par des» Magiftrats départis a eet effet. Et vous , qui , » juftement touché des inconvéniens & de la » multiplicité de nos formes judiciaires , avez ►> ofé dire , fans pouvoir affurément le penfer , ►> que la Juftice chez les Turcs , étoit preféra►> ble a la nötre , examinez avec attention le ►> tableau que je vais vous offrir ; & fi vous » en avez le talent , tachez d'indiquer quelques » remedes a la furabondance qui nous nuit , » corrigez notre intempérance , mais ne nous „ vantez pas la famine. i ) ^ ■ Z Z T T R £ pumanité; s'il fe bornoit fimplement a mettre dans 1 autre baffin de cette balance, en contrepoids aux vices de la Juftice Mahométane' Ietermte des proces, qui, dans les Tribunaux dEurope.voient fouvent écouler plufieurs génerations, Fbydre des formes , le dédale des divers Droits Coutumiers dans les' Empires Cbretiens , les privileges des Nobles des Villes * des Communautés , Sc 1'énormité des Vrais de ■Juuice quj „,oatent queIquefois 3u déc ÖU fonds du proces ; j'avoue très-fmccrement que }e ne faurois décider lequel des deux bamns de la balance emporteroit 1'autre, { Le Gr3nd-Seigneur eft en même tems , Ie » fucceffeur au Cabfat, & Je Chef du Gou» vernement Militaire; fon defpotifme eft éta. * bli fur le Coran , Sc 1'interprétation de ce » Livre eft exclufivement attribuée au Corps » des FZemas ; tout doit Être foumis a la Loi, -> tout doit obéir au Souverain. Ces deux pout voirs ont la même fource ; on appercoit déja » le choc & les débats qui doivent naitre de ( ces deux puiffances, dont le droit eft égal, ► & dont les intéréts font différens: on voit ► également , que le pouvoir de fé nuire les > réunit fouvent , Sc les contraiqt a des égards > Sc des ménagemens réciproques. L'Auteur n'a pas fait atention que , par les  'fur les Mémoires de M. le Baron de Tott, 4$ têrmes de ce paffage , il fait difparoitre le defpotifme complet 8c revoltant , contre lequel il fe déchaïne avec tant de véhémence. Dès qu'il y a , entre le Defpote & le Peuple , un Corps intermédiaire , dont le droit eft égal, quoique fes intéréts foient différensj dès que ce Corps eft le dépofitaire , 1'organe 8c 1'intcrprête.de la Loi , a lsquelle le Souverain doit etrë foumis , cbmme le dernier de fes fujets ; enfin } dès que ce Corps , & le Defpote , font farces par la Loi , de fe crair.dre & de fe ménager , il ne peut plus'y avoir d'arbitraire abfolu , qui , dans aucurj cas , ne devroit être contrarie , & qui feul peut conffituér le véritable defpotifme. Et s'il eft vrai , comme il eft dit dans la page fuivante des Mémoires , que le Souverain peut , d'un feul mot , exiler , & même perdre le Mufti , 8c tous ceux de fon Corps qui lui déplaifent , il eft également vrai que les Gens de Loi peuvent , dans un inftant , par des difeours feditieux , & des yaltas, ou des placards affiches , comme cela fe pratique , aux Mofquées & dans les autres endroits publics , foulever entiérement le peuple , détroner , & même faire étrangler ou maffacrer le Souverain. On a vu fouvent des Muttls exilés caufer au Monarque les plus vives alarmes \ & ce fut du fond de fon exil , dans fa maifon de campagne, D  y.r.p.117. V.I-p.120, j I < ] c \° L E T T * E fur Ie Bofphore , que le fameux Mufti EiTad Effendi excita contre Sultan Mahmoud la fermentation , qui fit périr le Kifiar Aga J Seuieïman Aga , & 1'Arménien , & qui auroit même entrainé la perte de eet Empereur , s'il ne s'étoit promptement décidé è facrifier ces trois favoris. „ Examinons k préfent 1'ufage du pouvoir ] » fon de Ia part du Grand-Seigneur , foit de la » part des Juges. " Confultons préfentement les Livres de Loi ' » & voyons comment on fait les interprêter » dans les Tribunaux. " Sur la foi de ces deux annonces , le Lefleur attend d'abord un précis des Canoun Siu/eïmani, ou des Ordonnances du Grand Soliman qui réglent & déterminent tout ce qui a trait au Régime Civil, Féodal , Militaire, & k 1'adminiltration des Finances. II fe flatte de pouvoir Gxer fes idéés fur 1'étendue du pouvoir du Defpofe t fur les bornes qui lui font prefcrites par a Loi , fur la portion de ce pouvoir qu'il Conïe aux Vizirs , aux Agas, & aux autres Offi:iers fubalternes , qui commandent dans les Prodnees',. & dont la Loi circonferit 1'autoriré lans des limites , plus ou moins refferrées. Le .eöeur , dis-je , attend encore k la fuite de ces eux annonces , un tableau fuccinft de la Ju-  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. rifprudence Civile & Criminelle , qui lui donne une idéé de la Loi , dans fa pureté , & le mette a même de la diftinguer d'avec les violations commifes par les Officiers chargés de la faire exécuter , & les abus qui la dénaturent. Au lieu de cela , 1'Auteur fe borne a affurer 3 en deux pages , que les Vizirs , ou Pachas , envoyés par le Defpote pour Gouverneurs & Fermiers des Provinces , les Fermiers particuliers départis par eux dans les divers diftriös de leurs Gouvernemens , & les Sous-Fermiers établis par' ceux-ci dans chaque Canton , font tous autant de fcélérats , qui tiennent les uns des autres la foculté d'opprimer, Sc de dépouiller arbitrairement & complettement Ie Peuple , Sc que le rjroduit des vexations & des atrocités qui découlent de cette cafcade tyrannique , va refluer dans le réfervoir du Defpote , qui engloutit les biens, Si la fubftance de tous fes Sujets. 11 fe borne a déclamer contre la preuve par témoins , qui détermine les jugemens dans tous les Tribunaux de Twrquie ; contre le nombre prodigieux de fanx-témoins , qui y font a Ia dévotion & a la folde des plaideurs ; & contre quatre ou cinq autres points de la Loi , fans faire attention que la Loi du Témoignage eft la bafe de la Procédure Criminelle , 8: entre pour beaucoup dans la Procédure Civile de tou- D 2  l E T T R È tes les Nations ; que les faux - témoins font malheureufement affez nombreux partout , & qu'il n'y a que la pénétration & la fagacité du Juge , qui peuvent démêler la vérité , ou Ia fauffeté des affertionsi, Dans le cours de cette trés* courte difcuffion d'une auffi vafte matiere, 1'Auteur cite plufieurs traits capables de déshonorer la Juftice Ottomane. Seroit-il jufie , pour donner une idee de la Jufiice qu'on exerce dans les Go urs Souveraines de France , de choifir pour exemples les Procés des Sorciers , les Jugemens du Pere Girard & de Ia Cadiere , d'LJrbain Grandier & des Religieufes de Loudun , la condarnnation & 1'injufte fupplice du MaréchaKde Marillac , de Galas , & de tant d'au^ tres ; & un Ecrivain qui traite de pareils cbjets , ne doit-il pas diftinguer ce qui appartient a la Loi, de ce qui ne peut être mis que fur le compte de 1'ignorance , de Terreur , de Ia t prévarication , ou de la tyrannie ? Les Turcs ont eu fans doute, comme les autres Nations, de ces momens de relachement & de vertige , ou les Loix perdent leur force , le Gouvernement fon autorité, le Peuple fon énergie ; oü rien ne peut plus mettre un frein a la tyrannie du Monarque , a 1'avidité des gens en place , h la rapacité des Sous-ordres ; oü toutes les bonnes infïitutions font négligées , ou les revers  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. 55 accumulés aceompagnent le défordre & Tanarchle ; ou enfin une Nation ne fe reffemble plus a elle-même , & décheoit du pair de toutes Celles qui 1'entourent , mais quel eft 1'Auteur équitable , qui, pour faire le procés a la Monarchie Franeoife ; voudroit fe prévaloir des régnes de Charles VI , de Charles VII, & de Louis XI ; du maffaere de la St. Barthelemi, & des troubles de la Ligue , ou de la Fronde. Mle Baron de Tott n'a certainement pas eu 1'intention de dégrader aux yeux des autres Peupies une Nation qui s'eft conftamment cou* verte de gloire pendant plufieurs fiedes , qui 3 fait les plus vaftes conquêtes , produit une foule de grands Monarques, & de grands hommes \ une Nation qu'on a vu , dans le liecle dernier , porter fes armes viclorieufes fous les remparts de Vienne , & encore de nos jours en 1739? triompher des efforts réunis des Alleniands & des Ruffes , & conclure , après une brillante viöoire , la glorieufe paix de Belgrade ; Sc fi 1'on vouloit aujourd'hui préfenter cette Nation a 1'Europe comme un efiain anarchique de barbares , vivant fans ordre , fans juftice , fans loix , fans mceurs , fans caraöere , ignorant les premiers élémens de toutes chofes , & énervé par le poids accablant, humiliant, fl> jxiffant, de 1'arbitraire le plus abfolu; il femble * D j  i i 6 f4 L e t t x e que, dans un pareil jugement qu'on prononce-1 roit contre elle les rsproches devroient etre plus profondément difcutés, & Ia fentence mieux motivée. II faut un ouvrage immenfe pour donner des idees vraies, jufïes & préches ducaraaere, iu gouvernement , des Ioix , des mceurs Sc des coutumes des Turcs. Je n'entreprendrai pas ce travail , paree que j'ai fu indireaement qull eft déja fait , & bien fait, par I'homme du monde Ie plus capable de 1'exécuter. » On pourroit croire , fur Ia foi des Euro» péens, que la douane eft plus douce chez » les Turcs que chez les autres Nations. Les „ Francs n'y payent en effet que trois pour » cent. Je veux bien ne pas mettre en lïgne de » compte les avanies qu'ils effuyent d'ailleurs » dans tous les genres; ce font des étrangers: * leur pofition n'entre point dans 1'examen des mceurs & du gouvernement des indigènes. „ Ceux-ci font affujettis a payer fept pour cent f de douane , & dix fur beaucoup d articles de > confommation ; par une clémence, que Ton » affeae auffi de vanter , on percoit ce droit j en nature. Mais qu'en refulte-t-il f que fur » cent turbots qu'un pêcheur apporte , on lui » prend les dix plus beaux , & qui valoient i feuls tout le ftetin qu'on lui laiffe. II eft incoateftable que la douane tn Tui>  fur les Mémoires du Baron de Tott, 5*5 quie eft plus modérée que dans aucun autre pays commercant; & TAuteur des Mémoires eft cerrainement le premier qui ait mis la chofe en queftion. Les Francs payent ce droit a raifon de trois pour cent , fur lefquels il faut encore déduire le bénéfïce du tarif, que PAuteör pafie fous filence ; les marchandifes y font évaluées a un taux bien inférieur a celui de leur valeur courante , & qui réduit peut-être ce droit a deux pour cent. 11 faut obferver de plus, que cette douane une fois acquirtée, Ie Négociant Franc , muni du Te'ske'ré, ou de la quittance du Douanier , peut promener fa marchandife dans toutes les places de 1'Empire , fans qu'on en exige un nouveau droit ; il n'y a jamais d'avanies en fait de douane , moyennant le tarif; &c les difcudïons férieufes avec les Douaniers font , on ne peut pas , plus rares. Les Frangois pourront-ils jamais oublier la bonhomie & 1'honnêteté d'Ifak Aga , grand Douainier de Conftaritinople ? qui , dans un tems ou la pefte faifoit d'afrreux ravages dans la Capitale , & oü fes Bureaux même en étoient infeclés , eut affez de déférence a la priere de M. le Comte des Alleurs , Ambaffadeur du Roi , & affez de confiance dans la probité des Francois , pour permettre que leurs marchandifes fuffent direöemetit tranfportées dans leurs magafins, fans fubir au- D 4  ^6 L E r T R E cune vifite , ni même paffer a la douane , & pour fe contenter de percevoir le droit fur le pied de leurs propres déclarations. N'eft-il pas douloureux d'être obligé de mettre en oppofition a cette bonnefpi , 1'indignité de quelques Francais qui , mlfré les menaces formidables que 1'Ambaffadeur avoit faites a tout Négociant , qui feroit capab'e de tromper un individu auffi confiant, oferent préfenter des déclarations infideles a eet honnête homme , qui eut la fagacité de découvrir la fraude , & la générofité de ne pas s'en plaindre. Ce même Douanier ufa > pendant long-tems , du même procédé envers plufieurs Négocians Francois , qui } fous le régne de Sultan Mahmoud , faifoient 1'immenfe commerce de la bijouterie , Sc éprouva auffi patiemment , de la part de quelques-uns , les mêmes traits d'ingratitude 8c de mauvaife foi. - Les indigénes payent cinq pour cent de douane , & non fept , &c dix pour cent , comme le prétend 1'Auteur des Mémoires. Ce n'eft point au Douanier que la Loi attribue la faculté d'exiger le droit en nature , mais au March'and , qu'elle accorde le choix de payer de cette maniere , fi elle eft plus convenable d fon intérêt. .Ce n'eft point une clémence affeclée , dont eet Officier ufe arbitrairement envers le Marchand, .ni dont il puiffe fe vanter , mais, un bénéfic§  Juf les Mémoires de M. le Baron ~de Tott. tff |> de la Loi, que celui-ci peut réclamer, fi 3 par une évaluation exagerée de fa marchandife , il fe croit lézé en acquittant le droit en argent. je ne concois pas, au refte , oomment 1'Au-, teur a pu fe prévaloir de 1'exemple du poiffon. dont le droit n'a abfolument rien de commun avec le Douanier , & eft percu par Ie Balutkhci Bachi, ou Chef des poiffonniers , qui achete le Malikiané, ou la Ferme de la Pêche. le Baron de Tott eft trop inftruit de ce quj fe paffe en Turquie , pour ignorer toutes ces particularités , &C trop équitable pour ne les avoir pas rapportées. II auroit certainement dit auffi quelque chofe dej la douceur de la peine que la Loi inflige aux Contrebandiers. Lorfqu'une marchandife en contrebande eft faifie , & portée a la Douane, le propriétaire fe préfente , la réclame t 8c fe la fait délivrer , en payant le doublé droit. Je penfe que 1'Auteur n'auroit pas été tenté de mettre a cöté de 1'indulgence turque, la rigueur que les Loix exercent en Europe contre ce genre de délit, fouvent puni de mort, &£ prefque toujours au moins par la perte de la liberté. L'Auteur , en parlant du Ramadan, ou Carême des Turcs, s'exprime en ces termes : » On » remarque en effet que cette Lune confacrée u k 1'abftinence, n'a Qrdinairement que vingt- * D 5  5$ L E T T R É h hiiit joitrs, & que les gens prépofés pour1 h obferver cette planette,& venir faire une dé-* » claration juridique a la Porte , appercoivent j> toujoiirs un peu tard le premier trait de luis miere qui en défigne le renouvellement; mais » en revanche ils font hien moins fcrupuleux « pour affirmer 1'apparition de la Lune fui-* » vante , qui détermine le Baïratn. II y a une raifon légale , qui n'eft pas rapportée dans les Mémoires , &C pöur laquelle le Ramazan \ ne remplit jamais exaclement 1'intervale d'une Lune a 1'autre , qui pounoit être de trénte &C un jours. Quelle que puiffe étre 1'époque , oü les témoins de la première apparitiori de la Lune du Ramazan, & de celle qui le ter» mine, viennént en faire leitrdéclaration juridique , la Loi a décidé que ce tems d'abftinence pourroit n'être que dé vingt-huit jours , rhais ja-i mais n'excéder trente * paree que s'il outrepaffoit ce terme , il fe rapprocheroit trop de la durée du Carême des Chrétiens; Je ne dirai pas a 1'Auteur ce qu'il dit a Ia fin "de fon premier volume : Voïla de quoi reformer bien des idees. C'eft"a fon jugement que je foumets ces obfervations. Je trouve , Monfieur le Marqnis , peu de chofes a obferver dans le fecond volume, qui a uniquement trait aux' Tartares , & qui rffe  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. $9 paroit le meilleur & le plus intéreffant de tous. Vous favez que j'ai réfidé cinq ans en Tarra-; rie, avec une miffion de la même nature que celle de M. le Baron de Tott , & dont ma correfpondance fait foi ; vous favez que j'ai fait, comme lui, une campagne d'hiver avec 1'Armée Tartare ; que j'ai joui, comme lui, de la bienveillance de Krim Gueraï, Khan auquel j'«us 1'honneur de faire ma cour , a Kichela, après fon expédition de Moldavië, qui m'a toujours, depuis cette époque , continué fes bontés, pendant fon exil, a Rhodes & a Scio , lorfque j'étois Conful-Général a Smyrne ; 8c m'en a encore donné des témoignages , après fon fecona! avénement au Tröne de Krimée ; vous favez encore , qu'en retournant par terre de Tartaria a Conftantinople , j'ai traverfé, comme lui , la Moldavië & la Walaquie ; j'ai reconnu la vérité de tout ce que ce fecond volume des Mémoires contient de relatif a ces deux Provin* ces, dont j'ai donné 1'hiftoire abrégée dans un Ouvrage intitulé , Obfervations Hiforiques & Géographiques fur les Peuples Barbares , qui ont habitê les bords du Danube & du Pont Euxin , impriméa Paris en 1765. J'ai trouvé également exad & bien vu tout ce qui y eft dit du Gouvernement , des mceurs & des ufages des Tartares; je crois, par exemple, ce volume tout  6° l Z T T R Z .entkr de M. le Baron de Tott, en exceptant quelques fautes , d'une nature a ne pouvoir pas & etre attribuées ; & je ferois d'autant mJms fonde a en contredire Ie contenu , qu'il eft parfaitement conforme a tout ce que j'ai dit fur cette mattere , trente ans auparavant, & que je ftus charmé de trouver attefté par un homme .auffi celébre. En i7yS , j'envoyai a Ia Cour un Memoire fur 1'état Civil, Politique & Militaire de Ia petite Tartarie , dans lequel je traitai ces ■objets , avec le plus d'ordre , de méthode & dexaöitude qu'il me fut poffible ; j'eus 1'honneur d'en adreffer en même tems une copie è M. Ie Gomte de Vergennes , alors Ambaffadeur a Conftantinople. En 1759 ; a mon arriyée dans cette Capitale , j'eus également 1'honneur de lui remettre une réiation de la révolution qui avoit placé Krim Gueraï Khan , fur le Tröne de Crimée , & dont je venois d'être témom. Ce Miniftre voulut bien faire parvenir ce trava.1 a M. le Duc de Choifeul , qui daigna laccueilhr. Feu M. Bignon , & M. 1'Abbé Des Aulnais , ayant lu , il y a quelques années , ces deux manufcrits, eurent la bonté de paroïtre y attacher beaucoup plus de prix que moi-mê, me; & me firent 1'honneur , a mon dernier voyage a Paris , de me les demander , avec .quelques autres , pour les dépofer a Ia SibJio^  'fur les Mémoires de M. le Bcmn de Tott- 6 i theque du Roi, oü ils font encore. » Mon Secrétaire, les perfonnes qui m'acw corripagnoient , avoient cru que je les con-' » duifois a Conftantinople. Je les détrompai , » pendant le trajet du Niefter. " » Et en note , on nomme auffi ce fleuve Niew per. " Cette note ne peut avoir été mife ici que par 1'Editeur , qui certainement n'eft pas Géographe. Le fleuve dont il eft parlé dans ce paffage , eft celui que les Turcs appellent Tourla. II avoit, dans les tems les plus reculés , le nom de Tyras , & on lui donna enfuite celui de Ddnnflris , qui eft 1'étymologie du nom de Dniefter, par lequel les Polonois & les Ruffes le défignent de nos jours. Le Dnieper , très-diftincf de celuici, eft le Borïflhene des anciens , qui, dans des téms moins reculés a été appellé Danapris , duquel les Polonois & les Ruffes ont tiré celui de Dnieper, qu'ils lui donnent aujourd'hui. En parlant des Salines d'Orkapi , ou de Précop , 1'Auteur dit ce qui fuit. M L'ignorance du » vendeur & de 1'acheteur paroiflënt auffi fe » réunir pour dicler les conditions qui les lient « réciproquement. Eli es permettent a 1'acheteur n de venir lui-même puifer le fel dans le lac , w' 8c den charger fes voitures , dont.le nombre vr des chevaux eft convenu t ainfi que le prix |' V.II.p.s. V.ILp. ioi,  L S T T K s mais fous la claufe , que fi la veiture caffe ; fous fon poids , avant d'être arrivée a un point „ déterminé , eet événement entraine amende „ Sc confifcation. f Ce privilege étoit uniquement accordé aux Ruffes , qui venoient acheter le fel des falines de Précop, & non indiüinöement è tous les acheteurs. Le nombre de chevaux , ni la portee du chariot, n'étoient nullement déterminés. Le RufTe pouvoit donner a fa voiture toute la capacité qu'il jugeoit è propos , & y atteler autant de chevaux ou de bceufs qu'il en falloit pour la trainer. Si le charriot caffoit avant d'avoir paffé le pont qui efl fur le chemin de Précop , & être forti de Plfihme!, il n'y avoit point de confifcation, 8c Tarnende fe reduifoit au paiement doublé du prix convenu. Tout ce qui eft dit dans eet article , eft inexacl On trouvera des détails plus circonftanciés & plus précis fur le commerce du fel en Krimée , dans un Ouvrage que je dois inceffamment donner au Public. L'Auteur arrivé a Barktcheferaï , Capitale de la Krimée , & réfidence du Khan , fe plamr de la mauvaife chere , en ces termes : „ Réduits k de mauvais pain , au riz, au mouton , & a „ des volailles étiques , nous étions en effet. „ menacés de faire bien mauvaife chere. Je ne »} concevoispas que leplus beau fol du monde,.  ]ur les Memoires ie M. le Ba?on de Tott. (> j; & le voifinage de la mer , me laiffaflent „ manquer de beurre , de légumes , & de poif» fon. Mais j'appris bientót que le céléri étoiï cultivé dans le jardin du Khan , comme une „ plante rare ; que les Tartares ne favoient pas „ battre le beurre, & que les habitans des cötes „ n'étoient pas plus marins que ceux des plai,, nes ; il fallut me foumettre. u Pendant quatre anS que j'ai réfidé a Baktcheferaï , j'y ai mangé de très-bon pain , que je faifois prendre tout uniment chezun BoulangerTartare. Ce pain étoit en forme de gateaux longs de prés d'une aulne , très-minces, trés-légers, &c de très-bon gout. J'y ai bu 1'excellent vin blanc du cru du pays, dont les Cofaques d'Ukraine, 5C les Ruffes , viennent acheter tous les ans une très-grande quantité, Sc qui peut être affimiléa notre vin de Chabli. J'y ai trouvé en grande abondance, & au meilleur marché poffible , des dindes , des poules, des poulets, des oyes , & toutes fortes de volailles , que je faifois engraifferdans ma baffe-cour, & qui étoient dclicieufes. Je ne concois pas ce qu'étoient devenus , a 1'époque des Mémoires, les lievres, les perdrix, les canards fauvages , les outardes, les pigeons ramiers, les pluviers dorés, les vaneaux , les bécaffines , les cailles , les grives , dont nous étions fi raffaffiés, que nous préférions fouvent au gi-  • $4 L E T T R E bier la viande de boucherie , & même les fa-4 laifons j ce qu'étoit devenu la morue fraïche, &£ les huitres , que CaiTa fournilToit fréquemment & abondamm'ent a Baktcheraï; le poiffon de Baliklava , les truites de la riviere de Katchi , & les belles écreviffes du ruiffeau de Boulganak. Les meions, & les meions d'eau , phts beaux Sc meilleurs que ceux de Provence ; les excellens & .énormes concombres ,.aufS.gros' que nos courges longues; les cardes & les afperges, les plus groffe's & les plus fuaves qu'il y air au monde , dont j'énvoyai plufieurs caiffes I M. Ie Comte de Vergennes, a Conftantinople , pour les faire 'tranfpfanter dans le jardin du Palais de France ; & dont '1'Auteur lui-même ne peut fe difpenfer de faire 1'éloge , a la page 142. Les noix & les noifettes , dont il vante Ia grofieur j les aubergines , les pois & les feves , dont il défigne la culture , a la page 141. Un homme qui , avec tous ces moyens fait mauvaife chere, ne doit accufer que fa fobriété, ou fon infouciance. Le reproche fait aux Tartares, de ne pas battre le beurre , eft d'autant plus injufte , que le beurre eft un des principaux articles de leur commerce. La Crimée en produit annuellement 334000 quintaux turcs, qui font plus de 5000 quintaux de notre poids. II en vient a-peu-près aut'ant de chez les Nogaïs de Djamhóilouk, 8c la même quantité de chez ceux  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. 6$ ceux du Coubdn. La première qualité , appellée Tchitchtk 'Lighi , ou fleur de berure , eft même préférée pour la cuifine du Grand-Seigneur ; &C il faut être auffi malheureux , pour manquer de beurre en Krimée , que pour manquer de vin ent Bourgogne , & d'huile en Provence. J'étois lié particulierement avec Kaia Mirza^ j, de la familie des Chirins , réputée la première i, nobleffe des Tartares. II avoit époufé une 5, Princeffe du Sang , qui occupoit la charge „ d'Oloukane ( Gouvernante de Crimée.) L'Olou Kani, & non pas Olou kiné, n'eft poi.it Gouvernante de Krimée. Ce titre, dont la traJucYion littérale eft, grande Reine, défigne firnplement une dignité du Harem , que le Kan con~ fere ordinairement a une dé fes fceurs, ou, a defaut , a une de fes fÜles ou de fes parentes. A cette digmt'é font attachés les revenus de plufieurs Villages, & quelques autres redeyances. .,, On voit en Krimée plufieurs de ces retraites ménagées dans le roe , & toujours fur des rhon3, tagnes d'un accès difficile ; & 1'on peut pré„ fumer qu'elles fervoient d'afyle aux froupeaux t, que les Genois faifoient paltre dans les plai„ nes , pendant le jour , &£ qu'ils renfermoient }, ainfi pendant la nuir4 J'ai parlé , dans mes Obfervatiohé fur les Peil* pies barbares , Sic. de ces cavernes que 1'on trou? * E v.nsp.M»  '6& L b r t n 2 ve es Krimée , tant k Tcpékirman , a üne demi-: ïieue de Baktchezeraï, que le long de la partie feptentrionale du vallon de Katchi. On peut voir ce que j'en ai dit a la page 106. Je penfe bien différemment fur leur ufage. Je fuis perfuadé qu'elles ont été creufées dans les temps les plus reculés. La hauteur prodigieufe a laquelle on les a pratiquées dans ces roches taillées a jpic , & leur ordre fymétrique, reffemblant en grand aux columbaria de 1'antiquité , déterminent a croire que ces cavernes étoient des tombeaux des plus anciens habitans de la Cherfonefe Taurique. II auroit été bien difficile aux Genois de faire tous les foirs remifer leurs troupeaux dans ces afyles creufés a une fi grande élévation , ou 1'on ne fait pas même par oü, ni comment on pouvoit arriver, & oü 1'on ne retrouve plus Ia moindre tracé d'aucun fentier , ni d'aucune avenue qui put y conduire. » Le Bei' des Chirins repréfente conftamment » les cinq autres Beïs. Dans les Diettes appellées Kinghéches , qui font les affemblées extraordinaires de la Noblefle, ni dans toutes les autres convocations que les befoins de 1'Etat peuvent rendre néceffaïres , le Beï des Chirins, quoique Ie premier de tous , ne Tepréfente point les autres Beïs, il ne repréfente que fa familie ; & les Beïs des autres  fur les Mémoires de M le Baron de Tott. '6f maifons, qui compofoient la haute Nobleffe, 8c qui y font égalerrient appelés, repréfentent chacun la leur. 35 Baktcherai renferme cependant uh Journal ia hiftorique très-précieux, entrepris par les an53 cêtres d'une familie qui 1'a toujours confervé a> & fuivi avec foin. Ce manufcrir, que fon pre» mier Auteur a commencé, eh recueillant d'a- * bord les traditions les plus anciennes, contient ja tous les faits qui fe font fuccédés jufqu'a ce 50 jour. L'événement de ma miflion en Tartarie , » ayant engagé le conrinuateur de ce Journal a. * prendre de moi quelques éclairciffements qui 'pr me 1'ont fait découvrir, j'ai voulu inutile3» ment en faire racquifition. Dix mille écuj n'ont pu le renter; & les circonftances ne si m'ont pas laiffé le tems d'en obtenir dc& ex^ » traits. L'auteur des Mémoires auroit dü nommer la Familie qui pofféde ce précieux manufcrit des Annales Tartares, & le continuateur de ce Journal, afin-que 1'on put faire de nouvelles tentatives, pour en procurer 1'acquifkion a la Bibliotbèque du Roi. Je n'ai point entendu parler de ee Journal pendant mon féjour a Baktcheferai : mais un favant Tartare, apellé Hadji Gaffcir Effendi, établi a Karafou, une des principaless r* Ei ?.II.p.t«#  iV.ii.p.ir*. 3$ L E T T R É villes de Krimée, a compofé en vers turcs, une hiftoire abrégée de tous les Khans de la petite Tartarie , qui fe font fuccédés depuis Ginghizkhan. II m'en donna, en 1757, très-gratuitement, & avec toute la grace poilible, une copie. Je la fis tranfcrire a Conftantinople par une très-belle plume, Sc relier magnifiquement, avec des filets Sc des vignertes peintes Sc dorées dans le gout turc; Sc j'eus 1'honneur de 1'envoyer. de la Cannée, a M. Ie Duc de Praflin, alors Miniftre de la Marine. » Ón ne retrouve en effet les faftes de ce » Peuple (des Tartares) que chez les Nations quï » ont eu le malheur detre a la portee de lui, SC a> qu'il a fucceffivement ravagées: cependant ces. 33 mêmes Nations , qai ont peu ou point écrit, 33 contraignent 1'hiftoire de fe renfermer dans 33 les probabilités, mais elles font telles, qiVert » les comparant avec les annales de tous les » Peuples, on eft forcé de convenir que les 33 Tartares ont patdevers eux les titres d'anse cienneté les mieux conftatés. Perfonne ne peut certainement difputer a. la Nation Tartare 1'origine la plus reculée; perfonne ne peut contefter que la familie de Ginghizkhan ne foit une des plus anciennes Sc des plus iliuftres parmi les Souverains du monde, Sc celle*  fur lts Mémoires de M. le Baron de Tott, 69 'dont 1'Empire a été le plus vafte , & le plus 'étendu , piiHque les diverfes poffeffions des Prihces fortis de eet Auteur commun , ont embraff é toute la partie du Globe qui s'étend depuis la mer du Japon , jufques aux • frontieres de Pólogne. J'oferois même croire , malg'ré ce qu'en 'difent les Mémoires, que nous avons fürThutoire des Tartares, plus que des probabilités » puifque 1'hiftoire des Huns , eet immortei oüvrage de M. de Guine , nous en donne dès rotions claires, fuivies , & appuyées fur des autorités^ qu'on trouve dans ce précieux dépot les faftes non imaginaires, de toutes les Hordes Tartares , qui ont formé les divifions &C les fubdiyifions de eet immenfe Peuple. „ Sans prétendre moi-même a faire un exa»> men approfondi de la grande queftion qui agife » aujourd'hui nos Littérateurs , celle de la vé» ritable fituation de 1'Ifle des Atlantes, j'ob'» ferverai feulement que le plateau de la Tar» tarie, qui prolonge au Nord la chaïne des » montagnes du Caucafe, & du Thibet , juf» ques vers la prefqu'Ifle de Corée, préfente , » a' en juger par le cours des eaux s qui du » centre de 1'Afie , fe répandent au Sud & au *» Nord de cette partie du Globe, la portion » la plus élevée des terres qui féparent les mers » des Indes & du Kamtchatka. Cette feule ob-  'JO L E T T S X » fervation femble garantir que cette Zone , ocm cupée encore préfentement par les Tartares, » a du être la première terre découverte en Afie f »> la première habitée , le foyer de la première » population ; gelui d'ou font parties ces ém;V grations qui , conftaniment repouffées par la j; muraille de la Chjne , & par les défilés dvx » Thibet & du Caucafe , en fe portant fur 1'Afie *> Septentrionale , ont reflué dans notre Europe., >> fous les noms de Goths, d'Ortrogoths Si de jj . Vifigoths. c' Je crois devoir renvoyer le jugement de ces conjeclures de 1'Auteur fur 1'Atlantide , a Rudbekius, au. Pere Pezron , a M. Bailly, a l'HifJoire des Hommes. Mais j'obferverai feulemen,t que les Goths , les Oftrogoths, les Vifigoths , dont les émigrations ont, fuivi celles des Van.dales , étoient comme ceux-ci 4 des Peuples Celles & Tudefques , qui n'avoient , ni la même origine , ni le même berceau que les Tartares ; & que les Tartares connus. fous le nom, de Huns , n'ont reflué vers la partie occidentale du Continent, que long-tems après les Goths , Sc m§me après. les Slaves. Ceux>ci étoient en effet , les uns. & les. autres , des peuples trés* dïfférens & trés diftincls. des Tartares , &C pat1jeurs langues , & par les habitations qu'ils ^yc-jent quittées pour venir inonder 1'Europe  Jut 'les Mlmcms 'ie M. 'le Bdrön le 'Tod ft ia langue de* Vandales, les Goths, des Oftrogoths & des Vifigoths, étoit la langue Celte , ou Tudefque,mere de 1'Allemande : celle des Slaves, des Venni, ou Vendi, ou Venetes , qu il feut bien fe garder de confondre avec les Vandales , eft la mere de 1'Efclavon, du Ruffe & du Polonois; & la langue Tartare , de laquelle la Turque eft dérivée, n'a aucune fimihtude , ni la moindre analogie avec les deux autres , qui n'en ont pas plus entre elles. Les Goths étoient fortis du Nord , & avoient eu leurs premières habitations dans les terres qui fe trouvent entre 1'Océan feptentrional & la mer Baltique; & les Huns , fous le nom générique defquels font compris tous les peuples Tartares; qui fe font rabattus vers 1'Occident , venoient originairement de 1'Orient , & de ce plateau de terre , dont parle 1'Auteur dans ce dernier paffage, & dans lequel il croit retrouver la place^de Visie des Atlantes. L'étendue de', cette Lettre ne me 'permet pas de rapporter ici tout ce que Pelloutier , & plufieurs autres Ecrivains ont dit fur 1'origtne & la marche de ces divers Peuples; ni ce que j'en ai dit moi-même dans ma Differtation fur 1'origine de la langue Efclavone,& mes Obfefvations fur les Barbaresqu* ont habité les bordsdu Danube & du Pont Euxin. Voici, M. le Marquis, M. le Baron de Tot£ * E4  7a L e t t r s- revenu a Conftantinople, oü. la chaïne des évévemens offre un champ plus vafte a fon efprit a fes talens , k fon zele & k fon acïivité. Le* tro,fieme volume des Mémoires cnotient les détails les plus intéreffans & les plus piquans de fos opéranons dans la Capitale , le détroit des Dardanelles , & celui de la Mer Noire. Mais j'y decouvre encore fur divers points qui concernent les Turcs , des erreurs que je vais vous faire appercevoir. Je continue de ramaffer les connoiffances locales que j'ai eu Ie tems d'acquénr , pour tacher de juftiner k vos yeux une nation de tont tems amie &c alliée de la nötre , avec laquelle nous faifons un commerce qui eft encore 1'objet de Fenvie , & le défefpoir de tous nos rivaux ; une Nation dont la gloire conftamment foutenue jufques k 1'époque de la derniere guerre , 6c 1'exiftence qui lui refte x méritent, je crois, encore 1'eftime & la confidération de toutes les Puiffances. ^ Reprenons Ie fïï de nos Obfervations , & tachons de fatisfaire ceux qui, en trouvant comme vous & moi, ces Mémoires charmans * fe plaignent de ce que CAutcur ayant beaucoup de chofes a rendre, « luiffe beaucoup cï defyer , &n eft pas toujours exact fur d'autres. Ce font-la, M. le Marquis, les propres expreffions d'un homme d'efprit de votre connoiffance, dont le jugemeni m/a. été communiqué..  fur les Mémoires de M. Ie Baron de Tott. 73 „ J etois arrivé depuis peu de jours , &c. ; 5, lorfque le premier Médetin du Grand - Seigneur m'envoya demander , a onze heures du „ foir, fi je voulois le recevoir . . . „ Cependant comme ce Médecin Italien [parloit encore difficilement le Turc, Sic. M.^Iè Baron de Tott n'auroit certainement pas dit que le Premier Médecin dn Grand-Seigneur étoit un Italien ; il fait trop bien que cette place diftinguée ne fauroit.être occupée par un Chrétien , de quelque Naftion qu'il puiffe être 3 qu'elle eft toujpurs donnée a un Mahométan , qui doit être tiré , comme les autres Vlemas , des Médréjfés, Sc de 1'ordre des Muderris , Sc parvient , comme eux, aux premières dignités. Sultan Abdulhamid vient tout récemment d'élever fon premier Médecin Arif EfFendi, a la place de Ki^asker. Le premier Médecin a le titre de Hekim Bachi effendi , Sc porte le gros turban rond , appellé Eurf, de même que les Gens de Loi de la plus haute claffe. Aucun Médecin national , ni étranger , ne peut exercer cette profeffion fans fon agrément , ni ouvrir boutique fans fon attaché. Le Lecleur fera peut être furpris que les Médecins foient en boutique ; mais c'eft un ufage recu a Conftantinople , & dans toute la Turquie ; il eft prafiqué par tous les Médecins Grecs Sc Juifs, &C V.III.p.a. VIIII.p.iK  74 L E T T R E même par plufieurs Européens , qui ont prefqué. tous une pharmacie , & font en même tems Apothicaires. Le Doöeur Italien dont il eft parlé dans les Mémoires , étoit un Napolitain appellé il Dottor Caro ; j'a été fort lié d'amitié avec lui. II avoic de la taille, de la figure , de 1'efprit , de 1 acquit, de 1'élocution , 8c encore plus d'adreffe , .1 eut accès auprès du Sultan Muflapha, jour même pendant affez long-tems de la confimcede ce Prince, & fit une affez grande fortune. Mais plufieurs Grands de la Porte , ja» loux de fcn credit, & re trouant d'autre moven de fe débarraffer de lui , parvinrent a lui faire donner des commiffions politiques auprès de qudcues Cours de 1'Europe , 8c profiterent de fon abfence pour le détruire dans 1'efprit de t'Env pereur. Revenu a Conftantinople, après fés négociations , il s'apper^ut des mauvais offices que fes ennemis lui avoient rendus , fit des efiörts jnutiles pour recoaivrer les bonnes graces du Sultan, & prit enfin Ie parti de retourner dans fa patrie , oü il mourut peu de tems après fon retour. Le Grand-Seigneur confulte fouvent , dans fes infirmités , des Médecins Européens j qui , Iorfqu'ils font affez heureux pour infpirer quelque confiance an Souverain , fe mêlent Ibuvent de beaucoup d'affaires étrangeres k leur prpfeffion ; mais ils ne peuvent adminifirer au*  'fur les Mémoires du Baron de Tott. 7? 'cun remede au Sultan , fans 1'aveu , & même la préfence du Hekim Bachi , qui a la grande main fur la fanté du Prince. C'eft aujourd'hui un Médecin AUemand , appellé M. Cobts , qui pofféde , & mérite k jufte titre la confiance & les bonnes graces de Sultan Abdulliamid , Empereur régnant, auprès duquel on a reconrrn , en diverfes occafions, qu'il avoit quelque crédit, Dans la rélation que 1'Auteur donne de Ia mémorable journée de Tchécheme , fi fatale k lEmpire Ottoman , il décrit le combat des deux Amiraux de la mapiere fuivante. „ Cependant les deux Amiraux fe trouvanf » par le travers 1'un de 1'autre , le Ruffe, après „ avoir laché fa bordée , s'approcha du Turc , » pour lui jetter de 1'artifke , & fauta lui-même » pendant cette manoeuvre. Haffan Pacha, alors » Capitaine de Pavillon, & qui m'a fourni les „ détails que je donne ici , après avoir vu fon » vaiffeau échappé a ce fracas , fe croyoit hors „ de danger , lorfqu'il appercut fa poupe en» flammée , & fon batiment prêt de fubir le » même fort. Déja fon équipage s'étoit jetté a la „ mer , il s'y précipita lui-même j & affez heutt reux pour fe faifir d'un débris de 1'Amiral en» nemi s il échappa encore aux éclats du fien A V.IH.p.5f,  7& L e t t r r » dont Ie feu ne tarda pas a gagner les foutes » aux poudres. " II faut néceffairement ici que Ie texte de Ivf. le Baron de Tott alt été prodigieufement altéré par 1'Editeur, ou que Haffan Pacha ait eu des raifons particulieres pour lui raconter ce fait dans des termes bien différens du récit qu'il a eu Ia bonté de m'en faire lui-même , trois jours après 1'aclion, lorfqu'il vint a Smyrne , oü j'étois alors Conful-Général. Les Mémoires ne parient point del'abordagedes deux vaiffeaux , de 1'événementqui y donna lieu, du combat long &| fanglant dont il fut précédé, ni des bleffures d'Haffan Pacha. On y litfimplement, que Ie vaiffeau Ruffe , après avoir laché fa bordée , s'approcha du Turc pour lui jetter de Partifice , 6c fauta lui-même pendant cette manoeuvre. Si cela étoit exaö , il eft 'clair que M. PAmiral Spiritoff qui le commandoit, auroit certainement fauté avec lui. Cependant perfonne nlgnore que ce brave Général eut le bonheur de fe fauver dans fon canot avec vingt-quatre perfonnes , & qu'il vit encore è Petersbourg . comblê des graces qu'il a méritées de fa Souveraine. On pourroit conjecuirer auffi , par ce qui y eft dit d'Haffan Pacha , que ce Commandant fe précipita fain , fauf & intaöe a Ia mer,  jfar les Memoires du Baron de Tott. 77 lorrqu'il vit fon vaiffeau enflammé. II eft pourtant inconteftable qu'il arriva a Smyrne criblé de bleffures. Le rapport de M. le Comte de Choifeul Gouffier eft bien plus conforme a la vérité, & a la vraifemblance , & fe rapproche bien plus des particularités que j'ai recueillies moi-même de la bouche d'Haffan Pacha. Voici ce que M. le Comte de Choifenl dit de cette affaire , au chap. v , page 94 , de fon Voyage Pittorefque de la Grece. „ L'Amiral Spiritow fortit de la ligne pour » attaquer feul la Capitane , qui tenoit la tête »> de la ligne Turque. Le combat fut très-vif ; » & les vaiffeaux s'étant abordés , s'accroche» rent par leurs agrès. Les Ruffes jetterent alors » dans le batiment ennemi des artifices , dont » 1'effet ne fut que trop prompt, puifque n'a» yant pu s'en éloigner , le feu prit également n aux deux vaiffeaux , qui fauterent enfemble. » II ne fe fauva que vingt-quatre R.uffes , parmi n lefquels étoient 1'Amiral , fon fils , & le » Comte Théodore Orlow. Ce fuperbe vaiffeau » portoit quatre-vingt-dix canons de bronze , »> & avoit a bord une caiffe de cinq cents mille » roubles. « Je crois ici pouvoir fatisfaire M. le Comte de Choifeul lui-même , en ajoutant a ce qu'il a ecrit, quelques détails un peu plus circonfi.  ' févere par amour de 1'ordre , entier, abfolu , implacable par caraöere , 8c malheureufement quelquefois cruel Sc fanguinaire, par néceffité. II a apporté en naiffant , le germe du génie qui auroit fait de lui un, homme éronnant , fi 1'é4ude négligée jufques a un age trop avancé , & le défaut des notions primitives Sc des connoiffances de première néceffité , n'en avoient empêché 1'entier développement; fa valeur, fon intrépidité , fon aöivité , fon zele pour 1'Etat > qui 1'élevent au rang des plus fameux guerrier^s  Jiir les Memolrei de M. le Baron 'de Tom $ ï que nous vantent Phiftoire ancienne & moderne , auroient été bien plus brillans, bien plus utiles a fon pays , fi 1'ufage qu'il en a fait eüt été plus éclairc. Il a cependant rendu i 1'Empire les fervices les plus diftingués dans les Armées Sc dans le Confeil. On vient de voir ce ce qu'il a fait fur. mer; toujours viclorieux fur terre , il a vu 1'ennemi, infiniment fupérieur en nombre, fuir devant lui a Lemnos, Sc nelui a jamais donné fa revanche. II a rétabli la Ma-' rine Ottomane entiérement détruite a Tchechemé ; il a perfectionné la conftruöion -Sc lé gréément des vaiffeaux ;. leur a donné des bords moins élévés, des poupes plus baffes , plus élégantes & plus commodes , des matures plus hautes, des agrès plus dégagés, & une artillerie plus réguliere ; il a chatié les plus puiffans rébelles de 1'Empire, délivré la Morée de riavafion des Albanois , qui, fous le prétexte de venir défendre cette fuperbe Province, d'une feconde attaque des Ruffes , 1'avoient complettement dévaftée ; il a fauvé les Grecs , qu'on avoit délibéré dans le Confeil d'exterminer entiérement , pour les punir de leur défeclion, Sc n'y être plus expofé ; il a obtenu pour eux une amniftie générale , Sc fidelement obfervée , qui, jointe aux mauvais traitemens par lefquels les Ruffes ont payé tout ce que les Grecs avoient * F 6  v.m.Mi f ■£ £ £ T T n B fait pour eux, a ramené un grand nombre de rransfuges, & etnpêché 1'évafion totale de ces nombreux fujets , que la rigueur auroit occalionnée , & qui auroit depeuplé les Provinces , laiffé la plupart des terres fans culture , & privé la marine d'une pépiniere de matelots. II a conftamment maintenu la police , 1'ordre , & la tranquillité dans la Capitale , prévenu ou étouffé toutes les révoltes. La nature aidée par Pétude & par l'art, auroit pu faire d'Haffan Pacha un homme prodigieux ; la nature toute feule n'en a fait qu'un grand homme. En reprochant a 1'Auteur des Mémoires les couleurs injuftes & défavantageufes avec lefqueh/es il a peint Haffan Pacha", je ne puis affez louer les portraits qu'il a tracés des trois Miniftres qui gouvernoient 1'Empire , a 1'époque eü M. le Baron de Tott commencoit fes opéra, tions, ils font on ne peut pas plus reffemblans. J-ai connu ces trois perfonnahes , & je les ai tous reconnu. Je vis fucceffivement Melek , & Izzet, Pachas , a Smyrne, après leur Viziriar, Le prmier portoit fur fa fuperbe figure le caractere &C 1'empreinte de la doucenr &c de la bonté qu'il avoit dans 1'ame , & rien de plus. L'autre joignoit aux mêmes qualités , de 1'efprit , de 1'acquit & du ftyle. Ifmaël Beï étoit exilé , & malade a Scio, lorfque j'y paffai è,  ra fur ks Mémoires-de M. k Baron de Tott. 93 mon retour en France , au mois d'Aoüt 1778. Dès qu'il apprif mon arrivée dans .cette Isle , il m'envoya un des principaux Officiers de fa maifon pour me prier de venir le vor j &c cette invitation me fut rendue dans des termes qui peignoient cette aviditc , eet empreffement qu'ont tous les Mniiftres exilés d'apprendre quelque chófe d'intéreffant , & de trouver a qui parlcr des affaires qui ont paffe par leius mains. Je me rendis chez lui, a dix heures du matin. Je le trouvai 'dans la lethargie de 1'opium , dont il fait un ufage jmmodgre. Je m'nppercus qu'il étoit de cette ctaffe d'hommes appelles Thériakis , defquels 1'Auteur a fait une peinture fi vraie, fi gaie & fi agréable. Je défefpérois de pouvoir tirer aucun parti de lui , lorfqU il écarta nn peu lés fumées de 1'opium , pour me" faire les complimens d'ufage & me dire des chofes infiniment honnêtes & obligeantes. La converfation devint infenfiblemcnt plus animée ; il retomboit quelquefois dans' faffoupiffement, me priöit de contihuer mon difcours , ne perdoit pas un mot de ce que je lui difqis , reprenoit le fit du colloque , & me répondoit avec une juffeffe & urie précifion ctonnantes. A onze heures on fervit le diner , pendant lequel il fut très-gai , très-aimable , mangea très-peu , & laiffa échapper plufieurs traits, du genre de  94 J I T T R. 8 celui des deux ferins, duquel parient les Mémoires. Les Thériakis font , on ne peut pas plus , fobres , 8c ont mille petites fantaifies , prefque enfantines ; une fleur , un fruit un oifeaü , un joujou , font pour eux des amufemens aufll délicieux que peuvent 1'être pour nous ks plaifirs les plus piquans. A midi, Ifmaël Beï fe lava , fit fa priere , après laquelle nous reprimes notre converfaron. Elle roula principalement fur ce qui s'étoit paffé pendant la guerre , 6c depuis la paix. Ce Miniftre développa , durant tout le cours de eet entretien , un efprit vif, 8c agréable , un jugement fain , des vues vaftes , une élocution pleine de grace & d'élégance , 6c une connoiffance affez étendue des intéréts des principales Puiffances de 1'Europe. Vers les quatre heures , on lui apporta de quoi faire fon ablution^ pour la priere de VIkindi, Je lui demandai fes ordres , 8c il me dit adieu , en me témoignant le plaifir qu'il auroit de me revoir , fi le cours des événemens nous rapprochoit jamais 1'un de 1'autre. Ifmaël Beï eft rentré en grace peu de tems après j Sultan Abdulhamid lui a donné les trois queues, 1'a envoyé Pacha au Caire, d'ou il a paffé & d'autres Gouvernemens , moins orageux.  furies Mimoites-de-M. le Baron de Tott. > $ $ Le caracfere de 1'Empcreur Sultan Muflapha, qui donna le premier fa confiance a M. le Baron de Tott, méritoit d'être peint. Les Mémoires n'en offrent que quelques traits épars , qu'il faut raffembler , pour pouvoir s'en former une idee. Ce Prince étoit né avec un jugement fain , un cceur droit, & des mceurs aufteres. .11 avoit un efprit médiocre , une élocution facile , un ftyle pur , & une plume plus belle que n'a ordinairement un Souverain. Sa fanté, altérée par le poifon de Sultan Ofman , auquel il avoit échappé , après y avoir vu fuccomber fon frere aïné Sultan Mehemed , ne lui permettoit pas de donner beaucoup au plaifir , auquel il étoit déja peu porté par tempérament. Entiérement adonné aux occupations les plus férieufes , toujours enféveli dans un tas de papiers , il travailloit fans ceffe ; Sc quand fes favoris lui repréfentoient que le traVail forcé prenoit fur fa fanté : ,, II faut bien , leur répondoit-il , que je fajjè'la befbgne , 5, puifqaucun de vous ne fait la faire. " II a donné de nombreux Sc éclatans exemples de juftice ; Sc s'il lui échappa quelques traits de crnauté , ils tenoient moins a fon caraclere , qu'aux préjugés religieux & riationaux. On 1'a injuftement accufé d'avarice ; il a épuifé fes tréfors pour tacher de rétablir les affaires de 1'Empire.  y.iiip.i44 «)6 L E T T R E II feroit anffi injufte de lui accorder de grands talens , que de lui refufer du zele & de la bonne volonté ; & 1'on doit croire que , fi fon régne avoit été moins agité & plus heureux , la purété de fes intentions auroit fuffi pour opérer de grandes chofes. Paree que , lorfqu'un Sou— verain vent fermement le bien , fes Miniftres faventle faire. » Quelle qtse fut 1'ignorance des Turcs , il » n'étoit pas moins vrai qu'il nianquoit a laur » Armée une artillerie de campagne , dont les » plus grands talens n'auroient pu fe paffer. On n ne pouvoit employer les fonderies déja éta» blies. Tout le travail fe faifoit dans des four» neaux d'ufine , ( en note , fourneaux d'ufage » pour les fontes de fer. ) & le bronze calci» né d'abord par 1'athon des foufflets , & re>> froidi enfuite au fond des baffins , n'arrivoit » qu'en p;lte dans les moules , dont la défecjj tuofité ajoutoit un vice de plus aux pieces » qui en fortoient. « Les Turcs n'ont point de canons de fer, & ne favent pas en faire , ou dédaignent d'en faire ; toute leur artillerie eft en bronze ; leur marine militaire n'en a pas d'autre ; & fi 1'on trouve quelques pieces de fer dans leurs places de guerre, & leurs batimens marchands , elles ont été prifes fur les ennemis , dans les conquêtes, ou  Jar les Mémoires de M. le Baron de Tott. 97 ' ou achetées des Suédois , des Danojs , & des autres Européens. II eft d'autant plus furprenant que dans leurs fonderies ils n'euffent qu« des fourneaux particuliérement deftinés a la fonte du fer , qu'il eft forti , Sc fort journellement " de 'leur fonderie de Tophana , a Conftantinople , un nombre prodigieux de pieces de bronze , de moyens , de gros &C d'énormes calilibres , très-belles , très-bonnes , & perfeöionnées depuis long-te'rhs , d'après les proportions & les modeles de 1'artillerie Européene. On en a vu fans ceffe tout le long de la plage de Tophana , des rangées , fouvent de deux & de ïrois files; & ces files quelquefois a doublés &C z triples rangs ; & 1'on ne peut pas , fans injuftice , accufer les Ottomans d'une ignoranoe totale dans 1'art de-Jondre 1'artillerie. II eft difficile même de concevoir ccmment ils ont pu parvenir a s'en faire une fi belle , avec ds fourneaux dont 1'ufage feroit impraticable pour exécuter les petites pieces de campagne , qu'ils ont négligées , &c dont M. le Baron de Tott vou- 'loit les pourvoir. C'eft un problême que je ne me mêlerai pas de réfoudre, & dont je laiffe Ia 'folutiori aux Maïtres de 1'Art. Ecoutons ce que dit 1'Auteur , a propos de Fétablifiement d'une nouvelle Fonderie. G  V.IIIp^c 98 L £ T T R £ » Le Cheir Emini fut chargé d« payer les » dépenfes , & un Grec prétendu Architeéte , » eut le foln de raffembler les ouvriers, Sc de leur faire exécuter mes ordres. J'avois étu» dié le premier plan , Sc trouvé le moyen » de le défendre des eaux ; mais il falloit conf5, tamment joiudre la pratique a la théorie ; être „ tout-è-la-fois , architeöe , macon , tailleur de » pierres , forgeron , ferrurier. Mes plans n'é»> toient que pour moi , perfonne ne les enten>> tendoit ; aucune analogie entre le travail que » j'ordonnois, Sc celui auquel les ouvriers étoient » habitués ; j'ai dü fouvent , pour vaincre les difficultés d'une mauvaife habitude , mettre » le magon a la forge , & donner la truelle au »> forgeron. " Ce paffage pourroit faire croire que les Turcs n'ont ni architeaes , ni ouvriers ; évoquons , pour le combattre , les Ombres Auguftes des Empereurs Selim , Soliman , Bajazet , Acmed , Mahmoud , qui ont laiffé de fuperbes mofquées, des Klians , des Be^ftins , & plufieurs autres monumens de leur grandeur Sc de leur magnificence. Tous ces Princes n'ont certainement appellé perfonne d'Europe , pour venir leuf batir ces majeftueux édifices : ils ont tous été élevés par des architeaes & des ouvriers indi-  fur ks Memcires de M. le Baron de Tott 99 'genes-: ils font 1'admiration des Connoiffeurs étrangers ; & 1'Auteur des Mémoires lui-même, dans fon premier volume » leur a donné quelques éloges. Sultan Selim confia a un Architeöe Arménien la conftruftion de fes deux fuperbes Bafiiiques , dont Tune eft a Conftantinople , & 1'autre a Andrinople , Sc après qu'elles furent achevées , lui demanda laquelle des deux étoit la plus belle ? « Seigneur , répondit j, 1'Artifte , j'ai mis plus d'argent dans celle d'Andrinople , & plus d'art dans celle de la ?, Capitale. " Un autre Arménien , appellé Eckek Simecn , qui vit peut-être encore , Ou n'eft mort que depuis peu , fans favóir ni lire , ni écrire , ni même deffiner , a exécuté parfaitement-, de nos jöurs & fous nos yeux , la magnifique Mofquée de Sultan Mahmoud , delaquelle j'ai déja parlé , & que Sultan Ofman fit achever , pour pouvoir lui donner fon ncmt La bêtife Sc 1'ignorance de eet Arménien , en toute autre chofe qu'en architeöure , étoient au point de lui avoir attiré Ie furnom ó'Ëchèk Simecn , ou de Simeon l'dne. En voila , je penfe , fuffifemment pour juftifier les Turcs de 1'accufation dont 1'Auteur paroït les charger , de n'avoir ni architccfes , ni magons , ni forgerons , ni (erruriefs, Et comme il faut que tous Ces ouvriers concourent a la confeclion d'un G z  JV.IIIp.i6S '100 L E T T R £ grand édifice , il faut auffi que les fondateurs de ces valies monumens ayent trouvé, & trouvent encore chez eux tous les artiftes néceffaires , puifqu'ils n'en font point venir d'ailleurs. L'Auteur , en parlant du Corps des Janiffaires , s'exprime en ces termes : » L'abandon de 3) Ia regie , en anéantiffant 1'efprit de ce Corps , » a pörté a 400,000 le uombre des foudoyés; » ( celui des enrölés eft innombrable ) & 1'on » en compte a peine 20000 raffemblés, &c. « Les Janiffaires enrólés font en effët fi nombreux, que fi 1'on pouvoit en faire le récenfement, on en compteroit peut-être plufieurs millions. M. le Baron de Tott Sc moi, avons contribué a\ en augmenter le nombre. J'ai été , comme lui , agrégé a cette Milice , k Précop, en 1758. Cependant ils font cenfés n'être que 40000. C'eft pour cela qu'on les appelle les Kirk Bin KouL , ou les quarante mille efclaves ; &c quoiqu'il puiffe très-bien y en avoir 400, 000 de foudoyés , il eft certain qu'il ne fort du tréfor que 40000 payes , qui font reparties aux Janiffaires des Odas , ou des Cazernes de Conftantinople , Sc a. ceux qui , dans les garnifons , ont fuivi leur martnite. Tous ceux qui ne font point aux drapeaux , font appelles Yamaks , &c ne regoivent point le pret.  fur les Mémoires Je- M. le Baron de Tott. 'i,ö"ï: Tous les autres Corps , qui compofent la Milice Ottomane , font également très-nombreux ; & en voici la raifon. Le peuple de Turquie eft divife' , en Askeris , ou militaires ; en Bekdis , ou payfans. Et le Mahométan qui ne tient point a un Corps Militaire , doit , fuivant la Loi, payer comme les Rayas , une capitation , & toutes les charges qu'on impofe aux villes , aux bourgs} aux villages , & qu'on appelle Tékialif urfie ; quoique cette loi ne foit pas exécutée avec une grande rigueur , elle engage cependant bien des gens a fe faire infcrire. Les revenus de 1'Empire , portes fur les regiftres a plus de 500 millions , n'en pro- „ duifent que 74 effeöifs au tréfor public. Cette fomme doit cependant fournir a la paye des Troupes , a 1'entretien de la Ma-, rine , & aux autres dépenfes courantes , & „ non prévues , tandis que les 400 millions de revenus domaniaux 3 aliénés par Sultan „ Soliman pour 1'entretien d'une nombreufe Cavalerie , ceiui de 4000 chevaux de trait „ pour 1'Artillerie , réparation des fortereffes, „ entretien des chemins , &c. ne confütuent que la fortune particuliere de ceux qui en „ jouiffent, & que dans le cas de guerre , le Grand - Seigneur eft obligé d'employer fes vMIIp.17.  104 L E T T R £ „ tréfors en réferve pour pour voir inftantané„ ment au deficit de ces objets. " Les 4«o millions de revenus domaniaux aliénés par Sultan Soliman , font les conceffions des fiefs appelles Timars , 8t Ziamets; dont les titulaires rempliffent fi bien 1'intention du Fondateur , pour ce qui a trait a la Cavalerie , que cette Cavalerie féodale eft fouvent nombreufe , au point de devenir plus nuifible qu'utile , &C de mettre dans. PArmée la confufion & la difette, comme 1'Auteur Pa remarqué luimême , dans un autre paffage des Mémoires. Perfonne au monde n'étoit plus capable que M. le Baron de Tott , 8f par fon état de Militaire , &c par Pétendue de fes connoiffances , & par fon expérience canfommée dans les affaires des Turcs , de faire connoitre a fond le Militaire Ottoman ; & Pon voit avec tout le regret poflible qu'il n'ait pas donné fur cette matiere des éclairciflemens plus détaillés. II parle è plufieurs reprifes du Corps des Janiffaires , fans dire de combien de Compagnies il eft compofé , fans faire mention de fa divifion , en Ortas , Buhiks , &C Seymens , qui forment en tout 196 Compagnies ; favoir , löi Ortas, 61 Buluks , & 34 Seymens. 11 ne dit rien non plus de •Ia fubdlvifion de ces Compagnies, en Tournadjisy Gardes des Grues, Zagardjis , Gardes des chiens  fur les Mémoires de M.le Baron de Tott. 10$ de chaffe , Samfouudjis , Gardes des dogues, 8C plufieurs autres Compagnies privilégiées , attachées cependant aux 196 , qui forment le Corps , & dont les Chefs parviennent , comme ceux des autres , aux plus hauts grades. II ne fait pas mention des Yerlis , ou Milices Provinciales de Janiffaires , commandées par un Serdar , dans les villes qui ne font point réputées places de guerre , Sc ou il n'y a point de Janiffaire Aga 5 des Yamaks , ou Janiffaires k morte paye ; des Otouraks , ou Invalides , difpenfés du fervice ; de la divifion dans les Armées , Sl dans les garnifons, en Sag Kal, Sc Sol Kol , ou aile droite Sc aile gauche , qui ont des drapeaux différens , Sc chacune leur Aga , dont 1'un s'appelle Sag Kol Agaffi , & 1'autre Sol Kol Agafi 5 des Bairaks de Serdenghétchedis , ou Compagnies de Janiffaires volontaires , que des Officiers de ce Corps le vent en tems de guerre , conduifent a 1'Armee , & entretiennent è leurs fraix ; il donne le détail des Officiers des Compagnies, Sc ne parle pas de 1'Etat-Major du Corps, compofé du Janilfaire Aga, du Seymen Bachi, du Koul Kiaïajfi » óulenitcheri Effèndi, du Muh^ur Aga , du Bache Thaouche , Sc de tOrta Tchaouche. Il ne dit que très-peu de chofe des Toptchis , ou Canonniers, ne fait pas meption des Coumharad*  LV.lrpl7;. i t 4 1 < J r*04 I E T T R E /is , ou Bombardiers , ni de 1'F.cole établie pour ceux-ci , par le feu Comte de Bonne val , Ahmed Pacha. II paffe entiérement fous filence. les A^aps, ou Pionniers , les Lagamdjis, ou Mineurs , 8c plufieurs autres Corps Miütaires, qui ont chacun une formation &c des regies différentes. II ne donne pas la plus légere notice des Canons de Sultan Soliman , qui déterminent Ie régime & la difcipline de tous les Corps Miütaires de 1'Empire. » La févérité des peines miütaires déja éta» blies , m'offroit une occafion de me faire » aimer des foldats, fans rien facrifier de la » difcipline ; & je m'empreffai de fubflituer a » la baflonade 8c aux fers , des moyens qui, »' moins violens en apparence , garantiffoient le » bon ordre & la foumiffion , en établiffant en ►> même tems , le fentiment d'honneur dont le >> Militaire ne peut fe paffer , & dont le mot » n'eft pas même dans la Langue Turque. « Le mot Ir\ , a chez les Turcs , la même figïification que le mot honneur , chez les Francois , 8c" cela eft fi vrai , que lorfqu'un Turc i été forcé par ce fentiment , de fe préter a juelque chofe de facheux , ou de défagréa»le pour lui , il s'en confole t en difant que 'eft un i/i belajfi ; un de ces malheurs que 'honneur entraine. Exagérer è ce point les ac- /  Jur les Memoires du Baron de Tott. '105. cufations, c'eft prejque juftifïer les accufés. » On a cependant déja dü obferver que , » par un effet affez extraordinaire , Abdulha» mid , en parvenant au Tröne , étoit dé» chu des droits du Harem. Les Doöeurs n Turcs 5c les Médecins Européens , confultés » fur eet événement , après en avoir difcuté >» Ie principe , engagerent Sa Hautefte a une » diffipation , qui écartat de fa penfée tout ce » qui pouvoit y avoir rapport, & détruire ainfi » l'effet, en détruifant la caufe ; de* fréquen» tes promenades , de la mufique , & quelques » bouffoneries , occuperent feules ce Prince , » &c. « Les foins que eet Empereur s'eft donnés depuis pour perpétuer fon augufte race , & 1'heureux fuccès qui les a couronnés , en raffurant les Ottomans fur la crainte de manquer de Princes , leur prouve la parfaite guérifon d'un Maïtre qu'ils chériffent , & fait honneur aux Médecins des deux fexes qui ont entrepris fa cure. » Un fimple Boftandji , attaché a Abdulhan mid dans fa retraite , étoit devenu fon favori » fur le Tröne , &c. . . . Le Vizir Caïmakan w fut fa première viclime ; on lui fubftitua eet » Hafl'an Pacha , furnommé Kouyoudgi ( le t> faifeur de puits ) dont j'ai déja parlé , 8C V.IIIp 23  •J06 Z E T f R E >» dont Ia cruauté ne pouvoit ofïrir crue des » moyens d'ordre'deftruclifs. « Ce même Caïmakam , défigné ici fous le nom de Halfan Pacha , & Ie furnom de Kouyoudji , eft conftamment appellé enfuite Mouf. tapha Pacha , dans tous les autres paflages des Mémoires ou il efi queftion de lui. C'eft fans doute une méprife de 1'Imprimeur ; mais elle ne fauve pas Terreur que 1'Auteur a commife. Ce Pacha ne s'appelloit , ni Mouftapha , ni Haffan. Son nom étoit Seuleïman Pacha Koï» oudgi. J'obferve encore a la page Z46 , une faute de la même nature. L'Auteur y donne le nom SUmer au grand Tréforier, que ce même Koïoudgi-Seuleïman Pacha éleva , a force ouverte & par violence , a la dignité de Pacha a trois queues , que celui-ci ne vouloit abfohiment pas accepter, Ce grand Tréforier s'appelloit Ofman EfFendi ; fon furnom étoit Jéhiekehirlu, paree que la ville de Yenichehir étoit le lieu de fa naiffance : il a été connu depuis fous le nom d'Ofman Pacha. „ II venoit ( 1'Empereur ) de nommer fon ,\ favori a la dignité de Surré Emiui. Cette Commiffion , dont 1'objet eft de conduire les Pélerins a la Mecque > confidérée comme }, un emploi feuLement lucratif , ne pouvoit  'fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. lof „ préfenter au public que le déclin de la faveur, „ & 1'avidité imprudente de ce favori. Je fus le voir pour lui configner 1 'offrande dont „ on m'avoit donné le foin } & je profitai de „ cette occafion pour examiner les diffcrens prés, fens dont il alloit faire hommage a la Mec- que. II me fit d'abord remarquer 1'étoffe de „ foie verte & or , deflinée a couvrir le Tom„ beau ; mais fi fon tiffu eft remarquable par „ fon épaiffeur , ce qui ne 1'eft pas moins , c'eft que la République de Vénife a contraflé v 1'ufage de faire a la Porte ce préfent , k „ chaque renouvellement de fes AmbafTadeurs. „ Elle entretient a eet efFet un métier toujours „ battant ; ce qui peut-être reffemble trop k „ un tribut. " II eft conftant , & de notoriété publique , que jamais le Surré Emini n'a été le Conducteur des Pelerins a la Mecque. C'eft un Office dévolu , de tous les tems , au feul bX unique Pacha de Damas, auquel on donne , a caufe de cela , le titre d'Emir Hadje , ou Commandant du Pélérinage. Tous les ans il part deux Caravannes pour la Mecque ; 1'une de Damas, 1'autre du Caire ; la première eft conduite par (Emir Hadje , Pacha de Damas ; 1'autre x par un des vingt-quatre Beïs qui gouvernent l'Egypte. A la première vont fe joindre k Damas,  soS Let t'r e tous les Pélerins de la partie Se ptenfrionale 2 Oriëntale & Occidentale de 1'Empire Ottoman ; la feconde , dont le départ eft plus tardif \ eft formée au Caire par les traïneurs 3 les autres Pélerins d'Egypte , des Régences de Barbarie , de 1'Empire de Maroc , & les Tartares "a pour lefquels il eft plus commode , & moins difpendieux de fe rendre par mer , de Crimée , ou des autres cantons de la petite Tartarie , a Conftantinople , & dela encore par mer , & par le Nil , au Caire j que de faire un long trajet de terre pour fe rendre a Damas. La première Caravanne attend 1'autre a une certaine diftance de la Mecque , oü elles fe rejoignent , & entrent enfemble , fous le commandement de ÏEmir Hadje. L'office du Surre Emini , ou Intendant des Groupes , eft de porter a Ia Mecque les groupes d'efpeces , provenant des legs de divers par-. liculiers , & en même tems les deux couvertures que 1'Empereur envoyé , 1'une a la Mecque , Sc 1'autre a Médine , &c les offrandes dont il fait hommage aux Saints Lieux. La première couverture eft deftinée è couvrir, a la Mecque, le Beïth Oullah , ou la Maifon de Dieu , qui eft 1'objet du pélérinage , & qu'on appelle plus communément le Kiabé ou le Cube 3 paree que fa forme eft un cube parfait ; cette cou-  fur les Mémoires du Baron de Totfi 10$ ' verture eft d'une étoffe de laine noire , fans aucun ornement. Le Surre' Emini , qui porte ' la neuve , rapporte la vieille 3 & la remet k 1'Empereur , qui en diftribue des morceaux aux Grands de TEmpire , & aux autres perfonnes qu'il veut favorifer. Ces lambeaux font dans la plus grande vénération : & ceux qui en poffédent , ordonnent qua leur mort , lorfqu'on devra les pórter a la fépulture , on en couvre leur tête dans le cercueil ; & on a foin , en efFet, d'étendre extérieurement ce précieux lambeau du cöté de la tête , & par-deffus le voile d'étoffe riche qui couvre la biere dans les en'terremens des Grands. La feconde couverture eft 'd'une étoffe de foie 8c or ; elle n'eft point portee par le Surre' Emini , a la Mecque , comme le difent les Mémoires , mais a Médine , oü eft le Tombeau, auquel elle doit fervir d'enveloppe. II eft difficile d'accorder le réfultat de ce volume avec les reproches que 1'Auteur fait 'a la Nation Ottomane dans tout le cours de fon Ouvrage. Les détails que préfente cette troifieme partie des Mémoires , de tous les travaux 'de M. le Baron de Tott, le fuccès de fes opérations pour la conftruöion des Batteries aux Dardanelles , & des Fortereffes a 1'embouchure du Canal de la Mer Noire , pour la fonte de  iio Efirral l'artitlerie, & la conftruótiort des ponts ; pour" la formation d'un nouveau Corps , deftiné au fervice des canons de campagne pour le jet des bombes ; 1'exercice & les manoeuvres d'Infanterie ; le maniment de la bayonette ; 1'établif* fement de 1'uniforme , & le changement des peines miütaires ; & pour la fondation d'une Ecole de Mathématiques , de Fortifications St de Génie. Tous ces détails y dis-je , prouvent que M. le Baron de Tott a trouvé chez le Monarque le defir réel de corriger des abus nuifibles, & de ne pas épargner fes tréfors pour fonder d'utiles 6c falutaires Etabliffemens ; chez les Miniftres 1'empreffement , feint ou fincere de féconder les bonnes iatentions du Souverain ; chez les Gens de Loi , une tolérance inattendüe t 8c plus de facilité qu'on n'auroit pu croire k plier la Loi aux befoins de 1'Etat ; puifque le Moufti Sc le Corps des Ukmas , eurent la complaifance de permettre que les Mufulmans fiffent des prieres publiques pour le fuccès des travaux d'un Chrétien , Sc que ce Chef de la Loi fit lui-même la bénédidtion de la bayonette, pour en autorifer 1'ufage; chez le Peuple enfin , une flexibilité , Sc une intelligence , qui doivent le faire regarder comme fufaeptible de la plus exaöe difcipline , Sc de toute forte d'inftructions : Sc la peinture attendriffante que M. le  fur les Mémoires du Baron de Tott. n i Baron de Tott nous fait, a la fin de ce volume , des adieux de fes Eleves, au moment de fon départ pour France , prouve encore la reconnoiffance de cette Nation envers les maitres qui prennent Ia petne de 1'endoöriner. Après la récapitulation que je viens de faire '9 Monfieur le Marquis , des brillans travaux de M. le Baron de Tott, je ne ferai pas affez maladroit pour parler des miens , a vous fur-tolit qui les connoiffez , & qui êtes plus en état que perfonne de les apprécier , & fi j'ofe vous en rappeller ici 1'époque , ce n'eft que pour vous attefter ,'a Ia juftification de la Nation Ottomane , que , dans les mêmes circonftances , j'ai troavé chez elle les mêmes difpofitions,& éprouvé de fa part les mêmes fentimens. Xorfqu'immédiatement après le combat de Tchechemé' 3 &Q au moment oü la Porte avoit Ia plus jufte crainte que les Ruffes ne portaffent leurs vues fur Smyrne , fi ce n'eft pour s'emparer de cette importante place de commerce , qu'ils n'auroient pu garder , du moins pour la ravager, ou en tirer une énorme contribution ; lors , dis-je , que M. le Comte de St. Prieft , Ambaffadeur du Roi k Conftantinople, voulut bien , a la demande du Miniftere Ottoman , me charger d'une commiffion du même genre , & me faire expédier un Commandement du Grand-Seigneur ,  tftfï . ' L E T T R E . ordonnant aux Officiers du Gouvernement dei Smyrne d'adhérer en tout a mes confeils , 5c de fe prêter a tout ce qu'exigeroit 1'exécution des plans que je pourrois leur donner, pour mettre la ville a 1'abri d'une attaque ; lorfqu'enfln, avec 1'aide d'un Officier Italien , appellé M. le Comte Morelli, 8c du fieur David , Charpentier-Conftrucleur de la Nation , je travaillai en mignature a Smyrne pour la défenfe de la ville , a-peu-près aux mêmes objets que M. le Baron de Tott exécutoit en grand , aux Dardanelles 8c a Conftantinople , pour le falut de 1'Empire ; • je trouvai tous les Chefs également empreffés a concourir aux vues du Miniftere ; 6c fans me - laiffer appercevoir la fenfation qu'ils avoient pu éprouver a 1'arrivée d'un commandement qui n'étoit pas flateur pour eux , ils me firent i fournir tous les hommes , & les matériaux qui m'étoient néceifaires pour les travaux dont j'étois chargé ,■ fe porterent partout oü j'eus befoin de leur préfence ; 6r féconderént enfin de la meilleure grace du monde toutes mes opérations. Quand 1'objet de ma Commiffion fut terminé , tous les ordres de la ville , affemblés chez le Mollah, drefferent, & expédierent ala Porte un ILam , ou procés-verbal, dans lequel, en rendant compte de ce qui avoit été fait , ils parierent dans les termes les plus avantageux , du zele  fur les Mémoires de M. le Baron de tott. r ï 5 zele que 'j'avöis montré en cette occafion , & des fervices que j'avois rendus. Le Mollah, en m'envoyant remercier au nom de la Ville , eitt 1'honnêtefé'de me faire remettre un extrait dé ce verbal , que j'adreffai a M. le Gomte de Sr. Pneft , pour prouver au Minifire que j'avois exécuté les ordïes de la Porté '& les fiéfts y a la fatisfaction générale. Nous voici arrivés j Monfieur leMarquis, a la quatrieme & deraiere partie des Mémoires , qui confient la 'relation de la tournée des Echelles du Levant , que M. le Baron de Tott a faitè fur la fregate du Roi 1'Atalante , en qualité d'Infpefleur du Commerce. fl auroit été a defirer -, que , fans dévoiler les rnyfter'es de fort ïnfpection , il eüt j dans ce dernier vblume A iaiffé échapper fur cette importante partie de fa miffion, quelque trait de lumiere neuf & faill'ant ; mais il a malheureufement prefque tou jours caché 1'Infpeöeur du Commerce derrierè le Voyageur j & plus les. ingémeufes obfervations , les judicieufes remarques , les lumineufes. conjeflures du voyageur -, fur la géographie , la-topographie , 1'hidoire naturelle, l'antiquité , &.l'hiitoire. des divers pays qu'il a parcourus-, font intéreflantes & fatisfaifantes pour les Sava'nS & les Curieux , p!us le filence de lïnfpècleuf efr affligeant pour les hommes d'Etat , H  y.iv.p.8. 114 I E T T R E les Commercans. Je ne fuivrai M. le Barori de Tott dans ce voyage , que pour actiever mes Obfervations. » Les montagnes les plus rapprochées de la » cöte du Sud , rendent cette Iflle ( Candie ) » prefqu'inabordable vers la Méditerranée ; ce „ qui donne a la cöte du Nord tous les avan» tages dont un mauvais fol peut être fufcep» tlble. Ce n'eft auffi qu'a la beauté du climat » qu'il doit la richeffe des produöions, que fes a habitans échangent contre Ie bied , qui leur „ manque. Les huiles font la bafe de leur com» merce, & la fabrication du favon leur prin» cipale induftrie. " Le bied ne manque point en Candie ; les plaines de Mejfara , & plufieurs autres cantons de ce Royaume , en produifent en trèsgrande abondance , & la récolte annuelle pourroit fuffire a la nourriture de fes habitans. Mais , comme le bied de Meffara eft d'une beauté fans ég3le, les Agas en vendent beaucoup au-dehors ; des batimeas Européens, & des bateaux Turcs & Grecs viennent en faire , en contrebande , de nombreux chargemens 3 a- Yérapetra 3 & a Mirabelk, & tranfportent cette, denrée en France , en Italië , a Conftantinople , a Alexandrie, a Bengaze , a Derne, a Tripoli , & même'aJ Tunis ; ce qui fait que la Candie eft quel-  fur les Memoires de M. le Baron de Tott. 11 f quefois obligée de recourir a la Morée , pour fa fubfiftance. L'huile &c le favon font a la vérité les deux principales branches de commerce de ce Royaume ; mais il produit encore une infinité d'articles importans ; de la foie tres-» belle, de la cire , du miel, une quantité de coton fuffifante pour la confommation du pays, des fromages , qui fortent en contrebande , 6c pafient en Turquie , en Egypte , fur la Cóte de Barbarie , en Italië , & en Provence ; des railïns fecs noirs , & des harroubs , dont 1'Egypte fait la principale confommation, » Mouhamed Bei' attaqua fon Maitre,f AH »> Beï ) fut heureux , & moins éclairé que » lui ; en voulant fuiure la même carrière s il »> courut anéantir le Chek Taher, afin de réum nir la Syrië a 1'Egypte, &c. " Ce ne fut point Muhammed Beï qui anéantit le Chek Taher ; le fameux Haffan Pacha , aöuellement Amiral de Turquie , qui , peu de tems après la paix de Ksïnardjik , ayant été envoyé avec une partie de la Flotte Ottomane } pour attaquer & punir ce rébelle , apporta a Conftantinople fa tête & fes tréfors. » De retour a la Frégate, elle fit voile pour » St. Jean d'Acre , oü nous mouillames le lenw deinain. Dge\ar 3 Pacha de Seyde , s'y trou- V.lV.p.97; V.lVpn4i  y.IVpia-4 ïlS 2 E T T R E >} voit alors; il me fit prier,.en débarquant l » de fatisfaire 1'emprefïement qu'il avoit de me » voir ; mais il s'en falloit bien que je le par» tageaffe : les cruautés qui 1'ont rendu célebre , I» & les vexations qui le faifoient craindre , ne » m'invitoient qu'a le mortifier » Je lui fis répondre , qu'étant tous deux voya» geurs, nos liaifons me paroiffoient inutiles. « 1'Officier crut que cette réponfe n'excluoit » pas la vifite que je fërois a fon Maitre dans » le Chef-lieu de fa réiidence ; mais le Pacha » en fentit toute 1'amertume ; & ce mot de » voyageur , dont le fens littéral ne pouvoit 55 lui convenir dans fon Gouvernement , ne » s'offrit plus k fes yeux que fous le fens figuré w de la mort, que les Turcs lui donnent, Stc. « Cette menace ne s'eft malheureufement pas réalifée. M. le Baron de Tott paffa en Syrië , en 1776. Neuf ans fe font écoulés depuis cette époque , cependant Dgézzar Pacha vit encore , & occupe encore le même Gouvernement , au défefpoir des infortunés habitans de la Syrië 3 contre lefquels il exerce les plus horribles vexations. „ Mais quelques chargemens de tabac , ou » de bied, dont le Commerce de Seyde seft » emparé , font les feuls objets que Sour ( 1'anp cienne Tyr ) peut lui offrir , & qu'il réunit  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. JXj as aux fiïatures , que les habitans de la campa>f gne apportent au marché , & dont 1'achat eft » exclufivement réfervé aux Frangois. >> „ Un des Négocians Francois établi a Seyde , '„ préfide le marché publjc. Les Janiffaires at,, tachés au fervice de la Nation y exercent „ la police, les Cenfaux , ou Courtiers de no- tre Commerce mettent le prix aux fiïatures, „ 1'achat en eft défendu aux gens du pays , a „ plus fbrte raifon aux étrangers ; aucun mo„ nopole n'eft plus manifefte, &c, " L'Auteur, en parlant des prérogatives dont la Nation Francoife jouit a Seyde, n'auroit pas du , ce me femble , omettre une particularité ïntéreffante ; qui eft que le Conful de France en cette Echelle , Conful-Général de Syrië , avoit autrefois le privilege d'être Emir Hadje des Chrétiens , c'eft-a-dire , Commandant du Pélérinage de Jerufalerh. Tous les Pélerins des trois Rits , Grec , Arménien & Latin , tant fujets dü Grand-Seigneur, qu étrangers , fe réuniffoient , & formoient une Caravane, que le Conful conduifoit aux Saints Lieux. Les Pélerins payoient une redevance au Conful Emir Hadje , qui , a ce titre- , avoit , comme les Pachas k trois queues, des Chatirs, ou valets de pied , qui font habillés d'une longue vefte , ou Dolama d'écarlate , dont les pans retrouffés & retousnés. Ib. en note  I e F P d % n i a 5 ( i i$ I E T T R E i dehors , laiffent voir une bordure de fatin iiine large & feftonnée , qu'ils ont en dedans ; ar-deffus cette vefte ils portent une ceinture e ver , fort large , a laquelle tient un poinard, dont le manche & la gaine font de même ïétal, & ils marchent en bottes de marroquin urne , devant le cheval du Pacha. Long-tems prés que les Confuls- généraux de France en yrie ont ceffé d'être conduöeurs de la Caraane Chrétienne , quelques-uns ont encore consrvé les Chatirs ; mais leurs fucceffeurs fe font affés de foutenir une prérogative ftérile & onéeufe , & n'ont plus voulu avoir des domefiipxes de cette efpece , dont le fervice leur étoit iuffi inutile , que leur entretien étoit difpenlieux. Ce ne font point les Turcs qui ont réroqué le privilegé accordé aux Confuls de Fran:e , d'être Emir Hadje de la Caravane de Jérufalem , ni les Confuls qui l'ont laiffé perdre ; mais les Pélerins ont ceffé infenfiblement d'euxmêmes de former une caravane générale , qui étoit pour eux un affujettiffeuent , & une augmentation de dépenfe ; ils ont préféré d'aller feuls, ou en petites troupes , qui, ayant moins d'appareil & d'éclat , les expofent moins a la rapacité des Arabes , & font fujettes a moins de fraix. „ Je n'avois pas encore mis pied h teree ,  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. 119 qu'un Drufe de la montagne vint me pré» feater requête contre un Négociant Frangois » fon débiteur , dont on m'avoit déja porté » plufieurs plaintes ; tandis que 1'on expédioit » les ordres néceffaires a la vérification & a » l'acquittement de cette créance , je fus bien ,> aife de caufer avec un homme qui m'avoit » frappé , par la noble fiené avec laquelle il >■> étoit venu réclamer ma juftice ; Sc 1'expédin tion des lettres me donna le tems d'en tirer » quelques détails fur les mceurs 8c les ufages » des Drufes , que je joindrai avec des notions j> ultérieures. « L'Editeur des Mémoires, qui met ici M. le Baron de Tott aux prifes avec un Drufe, pour tirer de lui a la hate , & pendant qu'on expédie des lettres , quelques éclairciffemens fur cette Nation , ignoroit fans doute que eet Infpecleur avoit avec lui, en qualité de Drogman de 1'Infpeétion , M. Venture de Paradis , favaut Interprête du Roi, qui , après avoir long-tems étudié les Drufes, &c s'être occupé d'eux pendant plufieurs années , eft parvenu a les connoitre affez bien , pour rédiger un catéchifme de leur Religion , 8c écrire un précis de leur hiftoire , qu'il a déja , ou doit inceffamment donner au Public. C'eft lui , fans doute, que M. le Baron de Tott ayrojt interrogé de pré-  V V L E V T R E férence Air les mceurs S| les nfages des DriN. fes, & qu'il aurojt conlulté plus a fon aife , & avec plus de fruit. . Urie parficularité a écbappé è 1'Auteur dans fes remarques phyfiques fur la ville d'Alep , il ne dit rien de la maladie a laquelle font aiTujeitfs tous les habitans indigénes , & même les étrangers qui y réfident pendant quelques annéesr. Cette maladie eft un gros bonton ou furoncle , qui vient une feule fois dans quelque partie du corps ; il n'eft ni douloureux , ni dangereux ; fon éruption s'annonce par une fievre de vingt-quatre heures. On doit bien fe garder de 1'irriter par des remedes , ni encore moins de le faire rentrer ; la fupputation , ou le ftiintemènt qui s'y forme infenfiblement , eft une efpece de eautere fpontané infiniment falutaire , qui purge le corps de bien de mauvaifes humeurs , & contribue au maiatien de la„ fanté. Ce boufon, qui dure un an , n'a abfolument rien de facheux que la cicatrice défagréable qu'il laiffe quelquefois , quand il vient s'affedir fur le vifage: chofe qc'il eft également impoftible. & de prévoir , 8c d'empêcher. Ces Peuples (les Turkmans) qui habitent a „ 1'hiver , le centre de PAfie , 8c qni 3 pendant 3, 1'été , viennent jufqu'en Syrië , faire païtre 9J leurs troüpeaux , avec armes öc bagages 2  fur les Mémoires ie M. le Baron de Tott. 111 font crus Nomades , & ne le font pas da„ vantage , que les Bergers Efpagnols, qui , a „ la fuite de leurs moutons , parcourent pendant huit inois , les montagnes de 1'Andas, loufie. Ils font feulement rèunis en- troupes „ plus nombreufes , afin de conquérir les pa„ turages qui leur conviennent , fi 1'on veut „ leur en difputer la jouiffance. Jamais ils n'entreprennent aucune attaque , jamais ils ne „ guerroïent faris y être provoqués. 's L'Auteur , dans fon fecond volume , page 65 , a déja refiue aux Tartares Nogaïs la qualité de Nomades ; il la refufe dans celui-ci aux Turkmens, qui ont a-peu-près les mêmes mceufs & le même genre de vie. Je ne fais fur q'uoi il fe fonde , pour ne vouloir pas abfolument. que ces deux Peuples foient appelles Nomades. Le Diöionnaire de 1'Académie , qui eft certainement celui auquel nous devons nous rapporter pour les diverfes acceptions des mots "de notre langue , s'exprime en ces termes. Nomade errant , celui qui rïa pc int d'habitatiön fixe. ( Nation Nomade , Peuple Nomade. ) II ajoute de plus , les Tartares font des Peuples Nomades. II n'y a en effet point de Peuples auxquels la dénomination de Nomades convienne mieux qu'aux Tartares Nogaïs , & aux Turkinens. Ils n'ont ni villes, ni villages, ils cam-  L B T T R S pent fans ceffe , fement leurs grains, & fontpaitre leurs beftiaux & leurs troupeaux , tantöt dans un canton , tantót dans un autre. Les Turkmens forment, comme les Nogaïs , différentes hordes , gouvernées par leurs Chefs , ou leurs Princes , qui ont , comme chez les Nogaïs, le titre de Beïs , & chez lefquels le commandement de 1'Horde eft héréditaire. Ces deux Peuples font , 1'un & 1'autre trés - hofpitaliers, &l amis des étrangers. Dans mon voyage a Magnefie , a Thiatyre , & a Sardes , dont j'ai donné la relation au Public , en 1765 , j'ai été trèsbien accueilli par 1'Horde de Djura Beï , qui campoit habituellement dans les plaines de Sardes & £Allahchür , 1'ancienne Philadelphie. Djura Beï avoit été décapité quelques années auparavant, par ordre de la Porte , pour crime de rébellion ; je trouvai a Jaïakeuï , chez le eélébre Cara Ofman Oglou , Ali Beï , fon fils & fon fucceffeur , qui, a^ant appris que je devois paffer k Sardes , me témoigna tout le regret qu'il avoit de ne pouvoir pas fe trouver k fon camp pour me recevoir , & me donna une lettre pour fa mere , k laquelle je me préfentai , le lendemain , avec cette recommandation. Je trouvai une femme agée , d'une figure noble & impofante , qui me combla d'honnêtetés , me donna un diner, & un fouper, dont  Jut les Mèmoltes de M. le Baron de Tott. le menu femblolt diaé par quelqu'un des anciens Patrlarches; me fit dreffer le foir une tente , dans laquelle je trouvai un très-bon lit ; & le lendemain , lorfque je pris congé d'elle > me forca d'accepter trois beaux tapis , qu elle nt porter de grand matin , roulés en balot , dans ma tente. Les Turkmens font , comme les Nogaïs, naturellement guerriers & courageux ; & quoiqu'en difent les Mémoires , attaquent , & fe défendent , avec une égale valeur & guerroïent certainement très-volontiers , même fans y être provoqués ; puifque dans la derniere guerre contre les Ruffes , un nombreux Baïrak des Turkmens , dont je viens de parler , partit des plaines de Sardes , fous le commandement de fon Chef Ali Beï, pour fe joindre , en dela du Danube, a 1'Armée Ottomane , & s'y comporta avec diftinclion. „ Nous fumes coucher , le même jour , a „ Mahamout Kan , efpece de chateau a 1'entrée „ des gorges du Beilan. Ces montagnes , que J5 nous traverfames le lendemain , font habitées ;, par les Curdes. " Les Curdes font un Peuple belliqueux , brigand 8c voleur , cenfé Mahométan , mais vivant prefque fans Religion ,, dans les montagnes de Caramanie. Ils font fi méprifés des Ottomans, gu'ils les comparent aux Bohémiens ; & que V.IVP15&  V.IVpifij y.ivpi6& ïl4 Ze t t r e leur nom eft paffé en proverbe. Quand les Turcs parient de deux hommes qui ne valent pas mieux 1'un que 1'autre , ils difent communément, Tchinghéné tchalar Curd dinar. C'eft-a, dire , c'eft le Bohémien qur joue du violon , & le Curde qui danfe. ■ „ Je ne parlerai pas des mceurs particulieres „ des habitans de Rhodes , ni de ce que cette „ Isle peut avoir eu de remarquable. Ces d& tails ont été décrits par M- le Comte de „ Choifeul Goirffier; & fon voyage compre'„ nant ce qu'il me reftéa parcourir.de la Gréce, je me bornerri au feul examen du Gouver„ nement Turc hors de la Capitale , &c. " M. le Baron de Tott ne pouvoit rien faire de mieux , que de s'en rapporter , pour tout ce qui a trait aux Grecs anciens & modernes , k 1'immortel Ouvrage de;M. le Comte de Choïfeul ; ouvrage également précieux par 1'intérêt de la matier? , la beauté du ftyle , la profondeur de 1'érudition , la vérité des deffins, la perfection des gravures , la riche & élégante compofition des vignetes; ouvrage fait pour honorer la France & le fiecle , 5c apprendre aux Grands 1'ufage qu'ils devroient faire de leurs richeffès & de leurs talens. La mauvaife faifon fe joïgnant aux affaires j, de mon infpeöion , je me déterminai s  fur les Memoires de M. le Baren de Tott. lij ?, paffer une partie de 1'hiver k Smyrne , •& „ nous partimes de Rhodes pour nous y ren- dre y en cotoyant 1'Afie, « » C'eft dans ces parages qu'on pêche les plus i belles éponges. U Ce font les habitans males 8c femelles de la petite I le de, Sime' , aujourd'hui , Simio , qui font cette pêche. Cette Isle , fituée au NordOuefi de Rhodes , vers 1'entrée du golfe de Macri , eft habitée par les plus habiles plongeurs que 1'on connoiffe dans le monde. Les garcons 8c les filles , chez ces Infulaires , ne peuvent fe marier qu'après avoir ramaffé un certain nombre de milliers d'éponges. Ces piongeurs ont la faculté de demeurer plus d'une heure fous 1'eau, fans prendre haleine. Les Anatomiftes affurent que ce prodige eft opéré par le foin qu'on prend de conferver aux enfans .1'ouverture du trou ovale , par lequel fe fait le jeu du poümon dans le fztus , & qui fo ferme après la naiftance. C'eft un point qui n'eft pas de ma compétence , 8c que je me garderai bien de difcuter. On peut voir ce que M, le Comte de Choifeul Gouffier a dit des habitans de Sïméj dans fon Voyage Pittorefque de la G-réce , chap. VII. . >> La-richeffe de plufieurs grands propriérai« res entretient dans les environs de Smyrne b.en nore ^r.IVpi7«.  tïS t X T T R È » üö fyftême d'indépendance , dont les progrès » augmentent chaque jour , . . . On a m pu remarquer auffi que les efforts que la » Porte a faits, il y a quelques années, pour ,» détruire 1'un de ces Agas, ont moins effrayé » les autres , qu'ils n'ont démontré la foibleffe „'du Defpote; ils fe font même enorgueillis de » voir le Capitan Pacha chargé d'aller en per» fonne inveftir la maifon de leur compagnon; » Sc les criiautés que ce Grand Amiral a exer„ cées après fa viöoire , contre des gens fans » défenfe, qu'il a maffacrés impitoyablement , »» ne peut avoir préparé pour 1'avenir qu'une » plus grande réfiftance. '* II faut défendre encore H?ffan Pacha contre cette injufte accufation de cruauté. L'Aga défigné dans ce paffage, étoit Aïras Aga, Commandant du. petit diftrict de Bourounabad , prés de Smyrne. Cet homme , en réuniffant peu-apeu plufieurs Timars, étoit parvenu a fe rendre redoutable ; il avoit accumulé fur fa tête les iniquités , 8c fur-tout courroucé la Porte par une foule de griefs infiniment graves. II avoit eu la hardieffe de vérlir avec fes troupes k Smyrne , furprendre & bloquer dans fon palais , Cara Ofman Oglou , que 1'Empereur avoit nommé Gouverneur de cette ville , pour y rétablir le bon ordre, après la rébellion de 1770,  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. tvf de laquelle j'ai parlé précédemment ; il 1'avoit forcé d'en fortir par capitulation , & y avoit commis les plus affreux défordres. II s'étoit permis de venir , a force ouverte , enlever du chateau de Smyrne , une femme qu'il pourfuivoit , qui y avoit pris afyle , & qu'il fit mourit peu de jours après. II avoit pouffé la témérité jufques a faire la plus violente infulte au Koul Kiaïajfi , Officier - Général du Corps des Janiffaires , que la Porte avoit envoyé a Smyrne , pour rechercher & punir les perfonnes qui avoient trempé dans la rébellion. Irrité de mon intimité avec le Koul Kiaïafi, &C de mes liaifons étroites , anciennes , & héréditaires avec Cara Ofman Oglou , que fa place , la mienne , & les circonftances , me forcoient d'entretenir , il me fit affaillir dans ma maifon ; & il y eut des coups de fufil tircs ; M. le Chevalier de Porcellet , & M. de Barentin, Officiers de Marine , qui m'avoient fait 1'honneur de diner chez moi ce jour-la , penferent être tués k ma fenêtre ; une bale qui traverfa ma cour , paffa heureufement entre M. Fonton &z fon fils , qui s'y promenoient. Les plaintes vives que M. le Comte de St. Prieft voulut bien adreffer a la Porte en cette occafion , jointes k tant de griefs antécédens, contribuerent a défider 1'Empereur de donner au Capitan Pacha  y.tVpi77- 'Ë E T T 8. E Sa commiffiofi de détruire ce rébelle. Ce Grand»' Amiral, dans une de fes tournees avec la Flotte Ottomane 3 vint a Smyrne pour eet objet. II ordonna k Cara Ofman Oglou , qui étoic dans fes terres , d'amener des troupes pour lui prêter main forte ; avec ce fecours , 8c quelques hommes d'élite qu'il avoit tirés de fes vaiffeaux , il marcha contre Aïvas Aga , qui fe laiffa furprendre , & n'eut que le tems de s'échapper feul, & de fe cacher dans un vallon ; il y fut bientöt découvert , 8c arrêté ; on 1'amena au Pacha , qui fit trancher la tête , k lui, & k fon Kidia , complice de tous fes crimes, Cet Amiral ne commit aucune cruauté, ne maffacra perfonne autre, & ne fit qu'exercer 1'autorité fouveraine dont il étoit dépofitaire , pour la jufte punition d'un coupable , q«e mille forfaits ac» cumulés avoient rendu digne du dernier fupplice. En partant de Syra, nous fimes voile pour „ Naples de Romanie; cette ville, fituée au fond du golfe qui porte fon nom , 8c qui , avec „ celui de Lépante , forme la prefqu'Isle de „ Morée , étoit alors la réfidence du Pacha qui „ gouverne cette partie de la Turquie Ertro- péenne.ic Je remarque dans ce paffage une erreur de géographie. Ce n'eft point le golfe de Naples  fur les Mémoires de M. le Baron de Tott. Ï29I Naples de Romanie qui forme la prefqu'Ifle de Morée. C'eft celui d'Engia , appellé anciennement Saronicus Sinus , &C celui de Lepante , qui , par leur rapprochement, fbrment l'lfthme de Corinthe , 8t font de la Morée une Péninfule. Le Golfe de Naples de Romanie eft beaucoup plus méridional que celui d'Engia , & fe trouve , relativement a celui-ci , dans la direction du Sud-Oueft. Je termine ma Lettre par une derniere obfervation relative a Miladi Montagut. Le lecteur pardonnera-t'-il a M. le Baron de Tott , de pourfuivre la mémoired'une femme illuftre , qui a écrit fur les Turcs une foule de chofes vraies , St bien vues , & les a exprimées d'ailleurs avec ces graces , cette empreinte de fenfibilité qui caraclérifent le fexe dont elle a augmenté la gloire , & qui obtiendront toujours grace pour les légeres erreurs qui peuvent s'être gliflées dans fon ouvrage ? J'ai rempli , Monfleur le Marquis , la tache que vous m'avez, impofée. Mais , malgré Verrata que vos ordres m'ont obligé d'ajouter a ce Livre , je vous avoue fmcérement que je 1'ai lu & relu avec le plus grand plailir , paree qu'il eft infiniment agréable a lire, 6^ qu'on y trouve I  L E T T R E bien des chofes intéreflantes en divers genres. Je n'aurois pas voulu que M. le Baron de Tott eüt fi-tót défefpéré des Turcs. Quoi qu'on puilïe dire en effet de la génération préfente , plufieurs particularités , qu'il n'a pu ignorer, doivent' faire mieux augurer de la génération future. II eft affez jeune pour voir peutêtre encore la Nation Ottomane diffiper les nuages qui peuvent avoir obfcurci fa gloire. Au refte , je perfifte a croire , qu'il n'a pas donné fes Mémoires tels qu'ils ont été publiés ; & qu'on les a mis au jour fans fon aveu, paree qu'on y trouve des fautes , qui ne peuvent lui appartenir. ,Nous devons nous attendre fans doute h voir paroitre une autre édition plus ample & plus exafte. Si cependant M, le Baron de Tott avoue celle qui a paru, je ne retraöerai ni les juftes éloges que j'ai donnés a 1'Auteur , ni les obfervations que j'ai faites fur 1'ouvrage , dans 1'examea littéraire auquel j'ai dü me bomer. Je fuis avec refpe&t , èVc.  E R RA TA. Page 8,1. i i, Ba\'ughiam bachi, ülez Ba\irghian Bachi. p. 10, 1. 3 , M. Mouradjera, l. M Mouradjea. p. 15 ,1. 6, Femmes Nikinahlus , l. femmes Nikiahlus. p. 16,1. 9 , Benden utcha talak , 1. Benden utche talak. p. 18, 1. n , Mouftapha III, l. Mouftapha II. ibid, \. 19 , Mouftapha IV, l. Mouftapha III. p. 34, 1. 7, & différens cependant, /. & different cependant. p. 38, 1. j, Mouftapha IV, /. Mouftapha III. p. 41 , 1. j8, Duni Zade', l. Durri Zadé. ' p. 41, 1. 18, Dwletun, l. Devletun. ibid. 1. 10, comme elle mérite, l. comme elle le mént»; p. 43, 1. 7, Nama\ Giack, 1. Nama^ Ghiahs. ibidem, 1. 13, même faute. p. 44 , 1. 13 , Boflandji Bachi Fourkouni, 1. Boflandji Bachi Fourouni. p. 49, 1. n, des Yaltas, l. des Yaftas. p. 64, 1. 1, la morue fraiche, l, la morone fraiche, ibidem, 1. 4 , Baktchéraï l. Bagtchétèraï. p. 66, 1. 10 , 1'antiquifme, /. 1'antiquité. p. 67 1. 4, Baktchéraï, l. Bagtchéfèraï. p. 71, 1. 4, cnotient, l. contient. p. 78, 1. 10, défaflré, /. défaftre. p. 86, 1. 3 , de Ia Grece de Rome, /. de Ia Grece & de Rome. p. 91, 1. 10, pertbnnahes, /. perfonnages, ibidem, 1. 11, reconnu, l. reconnus. p, 101, 1. 10, Tekialif urfie , 1. Tekialif urfiè. p. lof, 1. 13 , Sag Kal 1. Sag. Kol. p. 113, 1. 6, pour prouver au Miniftre, l. pour prouver a ce Miniftre. p. ilf, 1. u, le fameux Haflan Pacha aétuellement Amiral de Turquie, qui peu de tems après, &c. lif. le fameux Haflan Pacha, aftuellement Amiral de Turquie, peu de tems après, &c. p. 118, 1. 4, une ceinture de ver, l. une ceinture de vermeil. f . iio, 1. iy, (les Turkmans), l. les Turkmens.