CHAPITRËS. St fants Honorius 6f Arcadius. Mauvaife éducation qu'ils en ont recue. Piété pernicieufe de Théodefe le jeune. Pag. 173 Chap. IV. Les libéralités des empéreurs envers lesèglifes, & les privileges quHls accordent au clergé y dètachent ce corps des fociétés civiles, foni que les intéréts particuliers de ce corps font déformais oppofés a IHntérêtgénéral de la fociété. Les mceurs fe corrompent. Grands defordres des moines. Corruption générale des mceurs. La bigoterie univerfelle de ces temps aveugle les hommes , dètruit la population , 6? attribue au clergé unepuijfance nuifible a rétat, formidable aux princes. SuLordination parmi les évéques. Les évêques des villes métropoles obtjiennent uae grande préeminence fur les autres. Celui de Rome obtient le premier rang, celui de Conftantinople le fecond. Après avoir été élevés par les princes,, les eccléjtajliques s'attribuent eux-mêmes toutes fortes de prérogatives. Rejpecls qu'ils fe font rendre par les princes. Exemples de Léonce évéque 4e Tripoli, de S. Amhroife, de S. Jean Chryfoftome, de S. Martin. Les richeffes du clergé le corrompent. Magnificence des évéques. Dé. trets des conciles & loix des empéreurs contre les voyages des évéques, contre leur féjour a la cour, contre les translatiens. Débordement des mceurs du clergé. Prodigieux défordres des moines. Moines Maffalms. S. Epiphane s'attaché principalement a condamner leur averfion pour le travail. Efets de la fuperftition des chrétiens com-  4 Hiftoire des Rêvolut. du Gouvernement Charges de 1'Etat. II cafla les Gardes Prétorien* nes fifuneftes a fesprédéceffeurs: & il öta a leurs chefs, les Préfets du Précoire, toute 1'autorké militaire: dès lors leur charge devint purement civile, de judicature & de finance C«); non content de les avoir fi fort abaiffés, il les divifa pour les abaiffer encore davantage. Au Keu de deux, 'il en fit quatre. 11 partagea tfErripire en quatre Préfeótures, les Préfeótures en DioCéfeB ', & les Dioccfes en Provinces. Dans chaque Préfeóture il mit un Préfet du Prétoire; dans chaque Diocéfe un Vicaire du Préfet, & dans chaque Province un Magiftrat fubordonné au Vicaire du Diocéfe. II créadeux Maïtres de la milice, 1 uil pour 1'Infanterie, 1'autre pour la Cavalerie, auxquels il ne confia que 1'infpeclion & le foin de la discipline des Troupes. Et pour que cette Charge, malgré les bornes qu'il y avoit mifes, n'infijfrlt pas encore trop d'ambition h ces nouveaux Officiers, cc ne portat pas les Troupes a un cxcès de refpeót pour eux, il ne leur donna le rang qu'après les Confuls, les Patrices, les Piéfets du Prétoire, le Préfet de Rome & celui de Conftantinople. La même raifon 1'avoit porté a fubordonner les nouveaux Préfets du Prétoire Ca) Zofimq Liv. 2. ch. 33-  (f de rEfprit-Humain, Chap. I. 5 non feulement aux Confuls, mais même aux Patrices , dignité fans fonótion qu'il inftitua le premier (Z>). Sous fes prédéceffeurs les Préfets du Prétoire avoient eu trop de pouvoir & trop de fonélions: car outre leur autorité militaire fur les Gardes Prétoriennes, ils avoient encore fur elles droit de vie & de mort: leurs Edits avoient force de loi dans toutes les Provinces: ils jugeoint en dernier reffort. Les premiers Empéreurs leur avoient fucceffivement attribué un fi grand pouvoir pour diminuer d'autant plus celui des MagiftratSj qui avoient été inftitués du temps de la République, & que les circonfhnces les avoient obligés de laiffer encore fubfifter. Mais les Prefets du Prétoire s'étant par la rendus fi puiffants qu'ils firent fouvent mafiacrer les Empéreurs pour fe mettre a leur place , Conftantin réforma cette autorité qu'il redoutoit. Par ce moyen il Crut rendre la vie des Empéreurs plus aiïurée, il-ne fit qu'affoiblir la discipline militaire (c). (&) Zofime Liv. 2. ch. 40. Autel. Vict. in Conftantino. CO Zofime Liv. 2. ch. 33. Quand les Soldats fe mutinoient, ou refufoient d'obéir, ou ne faifoient pas (Tailleurs leurs devoirs, les Préfets du Prétoire, qui avoient dans Ie même temps 1'intendance des vivres» leur retenoient la nourriture: & les faifaient par lk rentrer dans leur devoir. Mais cela ne fe put plus A 3  6 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Parmi les prédéccffeurs de Conftantin, ceux qui ofaient s'avouer a eux mémes la fupériorité de leurs talents, & qui favoient en tirer avantage, n'ont jamais craint ni les Préfets du Prétoire, ni les Gardes Prétoriennes; &, hormis Pertinax, dont la mort violente n'a été qu'une fuite de 1'affreux gouvernement de Commode, aucun bon Prince n'a eflüyé le fort que ces Gardes ou leurs chefs ont fait éprouver aux méchants. Vefpafien, Titus, Nerva, Trajan, Adrien, Antonin, Mare-Aurele ne périrent point comme Galba , Caracaila, Hciiogabale & d'autres mauvais Empéreurs. Mais Conftantin ne fe fentoit point les talents & la vigueur des premiers , & avoit a fe reprocher beaucoup de vices des derniers. Les mêmes vues despotiques déterminèrent cet Empéreur a transférer le fiège de 1'Empire a Byzance, & ay fonder une nouvelle capitale a laquelle il donna fon nom. II abhorroic dans la ville de Rome les marqués de fon ancienne fplendeur, qui la faifoient regarder comme le centre de ce refte de liberté, que le defpotisme n'avoit encore pd détruire, & de 1'ancienne Religion faire après la réforme de Conftantin, parecque le commandement des troupes fut feparé de i'intendancc des vivres.  & de 1''Efprit-Hunmin, Chap, I. 7 que le changement de ce Prince 5 avoit plütöt fortiiïée qu'affoiblie. Le fouvenir de la grandeur paffee de cette capitale du monde; 1'existence d'un Sénat qui fe regardoit comme 3a fource de toute autorité légitime & comme le juge c!u Prince; les veftiges de pluüeurs anciens ufages, qui rappelloient a la mémoire les anciens droits de la Bourgeoifie Romaine; la vue des Dieux, a qui on avoit conftamment attribué les étonnantes prospérités de Rome; d'autres reftes de 1'antique dignité de cette maitrefle des Nations, roidiffoient également les Romains & contre Pambition exceffive de Conftantin & contre la nouvelle Religion qu'il avoit' embraffée & qu'il vouloit introduire dans 1'Etat C'eft ce qui fit que lorfquece Prince, que les Romains n'avoient vu dans leur ville que peu après la défaite de Maxence, y retourna pour la feconde fois dans la vingt & unième année de fon regne, il y fut fi mal recu, que tout le monde le chargeoit de malédiótions & d'injures, & que la populace s'ameuta un jour pour 1'infulter par des cris3 qui marquoient la haine qu'ils lui portoient (d~). Ayant formé le deffein de ruiner une ville qui lui étoit devenue fi odieufe, Conftantin pu- CO Liban. Orat. 15. Zofim. Liv. 2. A 4  8 Uifioire des Revolut. du Gouvernement blia que Ie Dieu des Chrétiens lui avoit ordonnë de tranfporter lefiègede 1'Erapire aByzance (e), oü il alla tracer Jui-même le plan des nouvelles maraiiies. 11 en pouffa 1'ancienne enceinte a trois quarts de lieue plus loin en 1'étendant jusqu'aux deux mers, qui forment la pointe fur laquelle elle efr. fituée. Philoftorge rapporte qu'un de ceux qui le voyoient étendre fi exceffivement les murailles, lui demanda jusques oü il prétendoit aller, & que 1'Empéreur lui répondit, jusqiCa ce que celui qui va devant moi s'arréte (ƒ) ; par oü il voulut faire acroire qu'il étoit dirigé par une Puiffance céleite: impofture propre a la fois k ébranler les plus fuperftitieux parmi les Payens, & a engager les Chrétiens a. le feconder de toutes leurs forces dans fon entreprife. Pour attirer dans fa nouvelle ville une foule d'habitans, il fit a ceux qui venoient s'y établir des largeffes en terres & en argent: tous les propriétaires de biens-fonds en Afie, dans le Pont & dans la Thrace , furent privés du droit de les Jaiffer ab inteftat a leurs héritiers légitimes, ou d'en difpofer par teftament, a moins qu'ils n'eus-, fent une maifon a Conftantinople; difpofition tyrannique, qui ne fut abrogée que par Theo-* (e) Cod. Taeod. Liv- 13. tit. 5. L. 7. (ƒ) Philoft. Liv. 2. ch. 9,  fi? de 1'Efprit. Humain, Chap. I. 9 dofe le jeune, plus de cent ans après (g). Qjiantité d'impóts, trés néceffakes a la défenfe de 1'Etat, fur'ent deftinés a nourrir le nouveau peuple auquel 1'Erapéreur prodigua des diftributions de blé, d'huile, de vin, de viande cc d'autres fortes d'alimens. II faifoit diftribuer par jour prés de quatre vingt mille boiffeaux de blé, qu'il faifoit venir d'Alexandrie. Cette distribution étoit attachée aux maifons, afin qu'on s'emprefllt d'en batir, & qu'on s'appliquat a les entretenir ( h). Par la il priva Rome du blé, qu'elie tiroit auparavant de FAfie, de Syrië, de Phenicie & d'Egypte, qui jusqu'alors avoit fervi a la faire fubfifter; & dans le mcme temps il introduifit a Conftantinople 1'ufage très-pernicieux des largeffes publiques, qu'il auroitdü plütöt abolir a Rome même, oü il ne fut introduit que par 1'ambition des particuliers & 1'imprudence du Sénat dans les temps de la décadence de la République. Les habitans de Rome, qui dans le cours des profpérités paffées avoient couvert 1'Italie de jardins & de maifons de plaifance (j), nepouvant plus tirer leur nourriture ni de leur Cjï) ^od- Theod. tit. 6. nov. Themift. Orat. ?. C/O Eunap. ch. 4. Zos. Liv. 2. Philoft. Liv. 2, Z.ozom. , CO Tacite ann. Liv. 12. A 5  io Hifloire des Revolut. du Gouvernement propre fol, ni de 1'Egypte, furent déformais réduits au feul blé d'Afrique & de la Sicile. La fondation de Conftantinople fut également pernicieufe a 1'Orient & a 1'Occident. D'un cöté Conftantin perdit des fommes imraenfes a batir une ville fuperbe, & a la remplir d'un nombre prociigieux de gueux, qui avoient befoin d'être nourris tous les jours, & confommoient par la une partie précieufe des grands impöts qu'on levoit fur les Sujets; & de Pautre il affama le peuple de Rome, qui par la fuite des temps devint toujours plus miférable; au Heu que Pintérêt de 1'Empire exigeoit que Rome confërvat & même augmentat fa puiffance, pour être en état de s'oppofer aux invafions des Barbares. Les grands de Rome, fur tout ceux qui n'avoient point de peine a changer de religion, quittèrent en grand nombre Pancienne ville pour aller s'établir dans la nouvelle, oü 1'Empéreur, flatté de leur efprit de fervitude, les combloit d'honneurs & de biens. Rome & PItalie fe dépeuplèrent de plus en plus: une grande partie des richeffes de cette contrée paffa en Oriënt; & les Etats d'Occident devinrent de jour en jour plus impuiffants a réfifter aux Barbares qui venoient fondre fur eux. Cette nouvelle ville fut k certains égards encore plus fatale a 1'Empire d'Orient: elle öta k  12 lïijloire des Revolut. du Gouvernement portion du terrein fertile que la ville venoit a perdre par la; ce qui augmenta confidérablement les frais de 1'Etat déja trop accablé de dépenfes. ( Themift. mat. 18.) Conftantin & Théodole firent grand cas de cette richeffe apparente & illufoire qu'ils croyoient voir dans cet entaffement d'efclaves du luxe, des délices, de la molleffe, qui faifoient circuler beaucoup d'argent fans produire pourtant aucun effet: & ils ne voyoient point que cette multitude voluptueufe, incapable d'aucune difcipline, impropre aux travaux de la guerre & de la paix, & qui ne lavoit tout au plus que faire le commerce, & rester ajffife dans les atteliers, ne pourroit plus être employee a défendre 1'Empire contre les Barbares, & a être conduite de la ville aux frontiéres. Comme le but principal de Conftantin étoit de fapper la puiffance de 1'ancienne capitale & 1'autorité de fon Sénat, il en inftitua un nouveau a Conftantinople qu'il voulut égaler a celui de Rome, Mais le nouveau Sénat tenoit tous fes droits de 1'Empéreur,au lieu que les Empéreurs tenoient tous leurs droits de Tanden Sénat. Par la celui de Rome perdit tout d'un coup tout fon luftre & toute fon autorité, tandis que celui de Conftantinople ne pouvoit être, par la nature même de fon inftitution, & ne fut en effet que 1'organe  £? de F Efprit-Humain, Chap. I. 13 de la flatterie & rinftrument de la fervitude. Le Sénat de Conftantinople acquit un pouvoir emprunté, dont il ne pouvoit faire üfa gé quo pour plaire a fon bienfaiteur, & le Sénat de Rome perdit au contraire fon pouvoir naturel & originaire, en vertu duquel les Empéreurs prccédents n'avoient gouverné f Empire ,& commandé lesA<-mées que comme Miniftres & Généraux de ce Corps. Car, quoique fous les mauvais Princes, le Sénat aït fouvent été obligé de ceder a la force, cependant aucun Empéreur, avant Conftantin, n'a jamais cru pouvoir exercer légitimement les droits de la fouvraineté qu'en vertu des Magiftratures qu'il avoit obtenues du Sénat. Et quoique, par un certain.efprit de mudnerie, les Troupes eusfent le plus fouvent ufurpé le pouvoir de conférer 1'Empire, les Empéreurs ne laiffoient pas de demander encore au Sénat, a la tête même des armées qui les avoient clus, les Magiftratures, qui leur conféroient le pouvoir exécutif. Je dis le pouvoir exécutif, parceque le légiflatif reftoit toujours attaché au Sénat, oü le Prince ne paroiffoit que comme le premier entre fes égaux, n'y ayant pas même le droit d'y préfider que lorsqu'il étoit conful annuel, fa voixn'étant comptée que pour une, comme celle de tous les autresSénateurs, le Sénat décidant tout, & les Décrets étant toujours concus au nom du Sénat,  20 Ilifioire des Revolut. du Gouvernement de celles des Romains; les Goths, par exemple, ne favoient manier que 1'épée & la lance, & par coniéquent ils ne pouvoient pas combattre de loin, comme les Romains, dont la Cavalerie étoit très-exercée a tirer de 1'arc. Les Barbares, en général excepté les Sarmates, n'avoient guére de cuiraffes, & point de casques, témoin Tacite (z), Herodien O) & les Colonnes Trajane & Antonine; de forte qu'expofés aux coups fans défenfe, ils ne pouvoient pas, comme les Romains, demeurer long-temps inébranlables. Aulli une de leurs principales manoeuvres dans la guerre étoit de fuir pour revenir encore au combat, au lieu qu'une des principales regies de 1'Art de la Guerre des Romains étoit de demeurer immobiles dans fon pofte. Enfin, pour ne rien dire de quantité d'autres avantages que les Romains avoient fur les Barbares dans la guerre, le but que les premiers fe propofoient dans les combats étoit de vaincre, au lieu que celui des Barbares étoit de piller. Heft donc évident, que ce ne fut pas pour avoir de bonnes Troupes que Conftantin prit tant de Barbares a fa folde; ce ne fut que pour (z) Tacit. de Mor. Gcrman. (o ) Herodien p. 250.  & de rEfprit.Ilumain, Chap. I. ar avoir des Troupes a bon marché. Outre la paye ordinaire, qui alors étoit de leize foüs quatre deniers, monnoye de France, il falloit donner aux Soldats Romains une récompenfe après le fervice; il falloit encore leur 'faire de temps en temps des libéralités durant le fervice, tant pour s'affurer de leur fidélité, & les empêcher de fe laiffer débaucher par des Chefs de Rebelles, par des Compétiteurs a la Couronne, par des Collégues rivaux, que pour les engager a fe laiffer conduire dans des Pays é'oignés, ou employer k des guerres dangéreufes & pénibles. Les Barbares, au contraire, qui n'avoient point de luxe, point de molleffe , point de goüt pour les délices, n'avoient pas tant de befoins a fatisfaire, & par conféquent coutoient beaucoup moins. Et comme ils avoient paffé chez eux toute leur vie k errer de lieux en lieux, & a fe faire la guerre une Horde a 1'autre, ils fe laiffoient mener & employer par tout au gré du Prince. Mais ces Barbares altéré ent peu a peu 1'art & la discipline militaire des Romains: ils leur communiquérent leurs vices, & leur basfeffe d'ame; & iJs leur firent perdre cette en vie de fe diftinguer, cette noblefle de fentimens, cetamour de lapatrie qui avoient toujours élevé les Soldats Romains au-deffus des Soldats des autres Naüons. Eux au contraire ils apprirent B 3  6? de ï'Efprit-Humain, Chap. I. 23 velles places, étoient affez fortes pour réfifter, dans ces endroits, aux invafionsdes Barbares, qui ne favoient pas Tart d'affiéger les places fortes, & n'avoient pas la moindre connoiflance des Machines qu'on devoit employer foit pour 1'attaque, foit pour la défenle d'une fortreffe. Mais ces petites Garnifons ne pouvoient fortir de leurs places pour aller s'pppofer aux Barbares, qui prenoient une autre route pour entrer dans les Provinces de 1'Empire par les endroits qui reftoient ouverts. II falloit pour cet effet des Armées entieres difcribuées, comme elles 1'étoient fous fes prédéceffeurs. Ce fut donc un grand inconvénient que celui d'avoir rétiré ces Armées. Ces Troupes, diftribuées dans les Villes, s'accoutumérent bientöt a 1'oifiveté, alamolleffe, aux fpefhcles; & 1'habitude aux plaifirs & aux délices de la vie les rendit laches & efféminées, comme 1'habitude du danger, & d'avoir a combattre fréquemment les ennemis, les avoient auparavant rendu braves & endurcies aux fatigues (c). Ces Soldats ne furent plus vivre ni en bons citoyens, parceque ce n'étoient que des Soldats corrompus; ni en bons Soldats, parcequ'ils avoient pris les vices des mauvais citoyens. CO Zofime Liv. 2. B 4  il Hijioire des Revolut. du Gouvernement Bientöt ils devinrent fi vicieux & fi foibles qu'ils re purent plus porter les cuiraffes fur leurs dos, ni les casques fur leurs têtes. Depuis Dioclétien on s'étoit'accoutumé a regarder 1'Empire Romain comme un fardeau qu'une feule tête ne pouvoit porter. Conftantin dut le fentir en effet; car après qu'il fe fut débarraffé de tous fes rivaux, & même de fes Collégues; après qu'il eüt fondé Conftantinople; lorsqu'enfin il fembloit s'être mis au deffus de tous lesdangers, il n'éprouva presque plus que des revers. Ainfi dans 1'espérance de rendre 1'Empire plus fort en le devifant, il le partagea entre fes enfants. L'experience fit voir bientöt qu'en s'imaginant prévenir par la les maux qu'il croioit voir, il en avoit occafionné de plus grands qu'il n'avoit pas prevus. L'on fentit de plus qu'en prétendant donner par fon partage plus d'activité & plus de force a chaque Corps, il n'avoit réuffi qu'a décompofer & déranger djs parties que 1'habitude & les circonftances avoient tellement liées enfemble, qu'elles dépendoient les unes des autres. Quand cette divifion n'cut entrainé d'autres inconveniens que celui de faire [naltrê Ja jaloufie entre les Succefieurs des deux empires, & de les accoutumer a croire que leirs intéréts n'étoient plus les mêmes, c'en étoit déja trop pour la ruine comnume des ups & des autres. Lors-  & de FEfpit-Hitmain, Chap. I. 25 que les Vifigoths formérent le deffein, du tems d'Honorius, d'envahir 1'Empire d'Occident, ils firent alliance avec Arcadius, qui regnoit en Oriënt: iis allérent enfuite défoler 1'Italie & Rome lans craindre qu'on les attaquat par derrière. Leur premier projet avoit été de fe jetter-fur 1'Empire d'Orient, d'en démembrer quelques Provinces; mais la cour d'Arcadius leur fit des préfents pour les engager a fe tourner veis i'Italie, oü on leur fit efpérer un butin immenfe. Voila les effets que devoit naturellement produire le partage inconfidéré de Conftantin. On préiend que les régiemens fait par cet Empéreur , furtout ceux qui concernoient les Préfets du Prétoire & les autres grands Officiers des Armées, produifirent du moins cet effet, que dès lors la vie des Souverains commenca k être plus affurée; qu'ils purent mourir dans leurs lits, & qu'ils ne fe ciurent plus obligés de verfer le fang avec tant de férocité. Je ne concois pas comment on peut fe former cette idéé, quand d'un cöté on confidére les révoltes qui fe firent bientöt après la mort de Conftantin contre les Princes de fon fang, & puis encore contre plufieurs de leurs Succefleurs; & quand de 1'autre on fe repréfente les maffacres que Conftant, Conftance, Gallus, Théodofe , d'autres encore, firent de milliers de perfonnes, fans-la B 5  a6 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement inoindre forrne de procés. Conftantin ne fut pas plutót enterré, que les Soldats fe foulevérent contre Delmace & Annibalien, neveux de cet Empéreur, & leur öterent la vie. 11 avoit donné au premier la Thrace, la Macédoine & 1'Achaie, & au fecond 1'Arménie-Mineure, le Pont & la Cappadoce (^). Ils égorgérent encore deux freres de Conftantin, Jule-Conftance & Annibalien, & cinq autres de fes neveux dont on ignore les noms (e ). Douze ans après ce masfacre, dans lequel périrent auffi tous les principaux courtifans & favoris de Conftantin, Magnence, Germain d'origine, esclave affranchi, devenu fucceffivement Officier & Chef de deux Légions, forme contre Conftans, Fils de Conftantin, & Empéreur d'Occident, uneconfpiration a Autun, fe fait proclamer Augufte, le réduit a prendre précipitamment la fuite, envoye après lui Gaifon, qui 1'atteint dans les Pyrenécs & lui öte la vie (ƒ). Presque dans le même temps on apprend Ja révolte de Vétranion, vieux Général, qui fe fait proclamer Augufte en Pannonie» Conftance qui, après la mort de fes freres Conftant & Cd) Eunap. Cap. 4. Jul. Orat. 1. Zofim. Lib. 2. (e) Aurel Viét-Eutrop. & fupra pltati. (ƒ) Zonar. Amm. Marcell. Liv. 15.  &? de FEfprit-Humain, Chap. I. 27 Conftantin, après ia défaite de Magnence, & 1'abdication de Vétranion, réunit tout 1'Empire Romain fous fa puiffance, eut a trembler pour fa vie, ayant réduit fon neveu Julien a prendre les armes contre lui: & ce fut peut-être k une maladie dont il mourut naturellement qu'il fut redevable d'avoir échappé a une mort violente. Julien lui-même courut le risque d'être affaffiné par dix Soldats chrétiens. Le regne de Valens futtroublé par la rebellion de Procope, par la confpiration de Théodoret, par celles de plufieurs autres. Si ces fréquentes révoltes ne firent que rendre chancelant le tröne de Valens» celle de Maxime coüta la vie a fon neveu, 1'Empéreur Gratiën. Valentinien II. frere & fucceffeur de Gratiën fut tué par les ordres du Comte Arbogafte, Capitaine de fes Troupes. Les regnes d'Honorius & d'Areadius re préfentent qu'une fuite de féditions. Valentinien III. fut affafliné par ordre d'un autre Maxime, parent du premier, qui ufurpa 1'Empire & la femme du défunt. Ce Maxime lui-même fut asfaffiné par ordre de cette Princeffe, devenue fon Epoufe, a qui il avoit eu 1'imprudence de déclarer, que c'étoit par amour pour elle qu'il avoit fait öter la vie a fon Mari. Quelle fuite d'horribks preuves contre le fentiment de ceux qui croyent,  @> de 1'Efprit. Humain, Chap. I. toutes les accufatiors de crimes d'Etat qu'on lui envoyoit dans des libelles anonymes. L'Hiftoire a rendu k jamais infame le nom d'un Eunuque Espagnol, nommé Paul, qui étoit Sécrétaire de Conftance, & le principal des Délateurs que ce Prince avoit a fes gages ( h ). Ce Paul parcouroit les Provinces pour chercher par tout des criminels qu'il emmenoit avec lui a la cour, oü qu'il faifoit punir fur le champ par les Gouverneurs des Provinces felon les ordres qu'il avoit. 11 étoit fi habiledans cet exécrable métier, qu'on 1'appelloit communément Ia chaine, parceque , mieux que qui que ce fut, il favoit faire naitre les accufations 1'une de 1'autre, & en faire une espece d'enchainement. Après qu'il eut fait voir fon adrefle a la cour, 1'Empéreur 1'envoya dans diverfesProvinces, en Angleterre, en Syrië, en Paleftine, oü il porta la défolation & la terreur dans les principales families. Un grand nombre d'innocents perdirent leurs biens & la vie, d'autres, en grand nombre aufli, confervérent la vie mais perdirent leurs biens, & d'autres furent envoyés en exil. On n'employoit contre les accufés d'autre forme de procés que la torture: il falloit avouer les crimes que 1'on n'avoit point commis ou fe (/O Voyez Amm. Marcel, Liv. io. 19. 22. 35.  32 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement loix au préjudice des innocents. Comme on préparoit des jeux a Theffalonique, capitale de 1'IUyrie , pleine d'un peupie licentieux, pasfionné pour les fpecïacles, les habitans demandérent au Commandant de la Ville un Cocher du Cirque qu'il avoit fait mettre en prifon. Sur fon refus le peupie fe fouleva, affomma cet Officier & mafiacra plufieurs autres perfonnes diftinguées. Théodolë informé de ces excès fe livra aux transports de fa colere, & ordonna le masfacre des coupables. Ceux qui furent chargés de cet ordre raffemblérent les habitans dans ie Cirque, comme pour un fpeclacle: puis tout a coup ils les font envelopper par des Soldats, & font faire main baffe fur tout ce qui fe préfente fans diftinéiion d'age ni de fexe. Sept mille, felon les uns, quinze mille, felon les autres, .presque tous innocens, furent égorgés d'une maniére fi affreufe. 11 n'y eut que S. Ambroife qui s'élevat fiérement contre cette cruauté. Les autres perfonnes de la cour étoient déja fi accoutumées aux exécutions arbitraires & atroces que tout le Confeil de Théodofe avoit approuvé & même confeillé cet ordre exécrable de mafficrer les coupables fans aucune forme de procés Qu'on (:) Vita. S. Ambrofii.  6? de FEfprit-Humain, Chap. I. 3$ Qu'on juge par la des progrès qu'a faits le despotisme fous les fucceffeurs de Conftantin. Tout devoit les y porter: le luxe & le fafte qu'iis étaloient fans pudeur; les femmes qui fe mêloient du gouvernement; les eunuques, qui5 d'abord après la mort de Conftantin, commencérent a s'établir a la cour des fouverains de 1'Orient & de l'Occident,& qui y remplacérent, pour ainfi dire, les affranchis de ces anciens Empéreurs , dont les vices & les cruautés ont éternifé 1'infamie; les befoins éternels des princes qui les forcérent a fouler aux pieds toutes les loix de 1'humanité & toutes les regies de la raifon, pour chercher des reffources dans les vexations & 1'oppreffion des peuples; enfin la fiatterie continuelle de cette foule de vils courtifans qu'ils entretenoient a leurs cours. Conftantius ne fut pas plütöt monté fur le tröne qu'il affecla d'établir a fa cour tous les abus du despotisme oriental: il ne fe croyoit grand que par cet éclat extérieur qui éblouit la multitude. II fe quaiifioit de feigneur de toute la terre* & dans fes ordres, ainfi que dans fes lettres, il fe donnoit de fa propre main le tïtre d1 eternel (^). Une multitude incroyable de valets remplifibic (*) Amm. Marcefi. Liv. 15. Athanaf. de Syriói I-\ 871. Tomé ï. C  .34 Hifioire des Revohit. du Gouvernement • Ion palais. U y avoit mille officiers de cuiline, .autant de barbiers, beaucoup plus d'échanfons; & les cunuques étoient en fi grand nombre qu'on nepouvoitles cbmpter (l). Le trél'or public en fouffroit infiniment; car ils avoient tous de gros gages. Un barbier, par exemple , avoit par jour vingt ratïons de pain, Ja nourriture de vingt "cbevaux, &une gröfiepeijfioni outre Jes Iïbéralités fréquentes que le prince avoit coütume de faire a ceux qui favoient le flatter d'avantage. Julien, fon fucceJXtur, ayant demandé un barbier il entre un horame fuperbement habillé. Je dtmandois :un barbier, dit alors le prince, éf .non un fénateur. Töus les domeftiques de Conflantius étoient choifis dans la lie des ames le plus baffes & le plus dépourvues de talents: car 1'Empéreur haïfibit les perfonnes de mérite k caufe de leurs prétentions, & ne vouloit que des gens qui ne cefTafient de le flatter a outranceComme il y avoit tant a gagner dans les moindres charges, le concours étoit grand; ceux qui donnoient le plus d'argent 1'emportoient fur ceux qui n'avoient que de la capacité. Mais ces gros falaires n'étoient pas, a beaucoup pres, comparables aux droits qu'ils favoient fe faire, & aux. CO Julian, Orat. 7. Amm. Marcell. Liv. 22.  6? de F Efprit-Humam, Chap. I. deront des rescrits pour pouvoir violer ces loix , & les privé du tiers de leurs biens. Cependantl'abus étoit 11 enraciné, que Symmaque, préfet de Rome, un des plus vertueux perfonnages de fon fiècle, crut ne pouvoir s'empêcher. de folliciter 1'empércur pour une dispenfe, en faveur de fop fils qui avoit été nommé préteur, & que f empéreur crut ne dcvpir pas la lui refufer. Ainfi Symmaque, qui ne paffoit que pour undes moins riches d'entre les fénateurs de Rome, put, mak gré les loix, dépenfer pour la folemnité de 1'entrée de fon fils deux mille livres d'or péfant, qui font une fomme immenfe. (Sym.L. 10. ep. iz. Liv. 4. ep. 8. Phcet. ch. 80.) En qupi je ne fcais pas ce qui doit furprendre le plus, ou de ces dépenfes énormes, ou des richeffes étonnantes qui font reftées encore a Rome après le départ des plus riches families qui allérent s'établir 4 Conftantinople. Maxime, qui étoit un fénateur des plus riches, dépenfa plus de quatre mil-^ lions de ducats d'or a l'entrée de fon fils dans la préture. II eft facile d'en conclure, que Rome abforboit toutes les richefles de 1'Occident, & que i'étonnante opulence de quelques uns y faifoit 1'étonnante mifére de la multitude. L'hiftoire fait mention d'une dame chrétienne, nommée Aglaë , qui vivoit k Rome fous le regne de Dioclétien, & qui avoit foixante,. trois intendans C4  4>a Hijloire des Revolut. du Gouvernement pour gouvcrner fon bicn. Elle avoit fait trois Ibis la dépenfc des jeux publiés, qui ccutoient des miliions. Les tréfors que les princes de ces temps prodiguoient pour foutenir le poids d'un luxe & d'une pompe frivole, les obligérent a une pernicieufe économie a 1'égard des troupes. Valens, empéreur d'Orient, imagina a ce fujet de faire a la fois un doublé profit. Follement perfuadé que les Goths, qu'il aimoit, feroient & affez forts & affez fidelles pour défendre 1'empire contre tous les ennemis tant intérieurs qu'étrangers, il licencia une partie des anciennes troupes, & exempta de la milice les citoyens Romains; mais en exigeant une taxe, au lieu des foldats que devoient fournir les villes & les provinces (p~). Dans le même temps Gratiën, fon neveu, cherchoit a s'attacher d'autres nations barbares. II s'étoit attiré la haine de fes fujets, & ftii tout des Romains, par quantité de loix odieufes qu'il avoit publiées contre les payens; & cette haine, qu'il avoit jufiement méritée, le détermina h prodiguer fes faveurs a des barbares qui profeffoient, mais pratiquoient fort mal, la foi chrétienne. Les hommages de ces étrangers, E [(P') Socrat. Liv. 4. Ch. 34.  46 Hiftoire des Revoiut. du Gouvernement armées, il falloit donner tout aux armées: Conftantin, voulant remédier a cet abus, commit une faute plus énorme encore, qui fut celle de réduire fes fuccefiëurs k la néceffité de tout donner aux barbares. Ces princes eurent k faire k trois fortes de barbares, a ceux qui fervoient dans leurs armées, a ceux qu'ils avoient été obligés de recevoir au milieu de leurs états en leur cédant des provinces, enfin k ceux qui erivironnoient par tout les frontieres des deux empires. Les premiers étoient des foldats perfides, & avoient a leur tête' des officiers plus perfides encore: ils fe fcparoient aifément des troupes Romaines pour fe joindre k des barbares qui les débauchoient; & i!s quittoient encore ces barbares pour fe réunnir k d'autres qui leur faifoient voir de plus grandes efpérances. Les empéreurs n'avoient d'autres moyens de s'affurer de ces perfides qu'en élevant leurs officiers a toutes les plus grandes dignités de 1'empire, en leur laiffant commettre tous les excès dans les villes & fur tout dans les villages,'•(*) (*) Libauius, nous apprend dans fon Dijcours dt Patroc, Vicor.pag. 5, que les troupes des empéreurs étant répandues dans les villes & dans les villages, les habitans de ces villages fe mettoient ordinairement fous la protection de ceux qui logeojent chez  Ê? de VEfprit Humain, Chap. I. 49 lie: & Orefte les leur ayant refufées, ils fe révoltent, choififfent pour chef Odoacre , fimple foldat de la garde impériale, qui fait trancher la tête a Orefte, relégue Auguftule dans un chateau & prend le titre de roi d'Italie. Q c ). Si les chofes qui regardent particuliérement 1'empire d'Orient, ne nous éloignoient pas trop de notre objet, il feroit aifé de faire voir, que les mêmes fautes du gouvernement opérérent la ruine de cet empire: & que toutes les bévues commifes par les empéreurs d'Orient, n'eurent, de même que celles qui fe commirent ne Occident, d'autre fource que les nouveautés imaginées par Conftantin. Enfin les nations barbares qui environnoient les frontiéres des deux empires, ne ceffoient de faire des tentatives pour s'en emparor chacune de fon cöté. Conftantin & Conftance leur donnérent d'abord de 1'argent: c'eft ainfi qu'ils réuffirent quelquefois k apaifer particuliérement les Allemans, les Arabes, les Perfes. Le premier eut même l'imprudence d'envoyer du fer aux Perfes, qui en forgérent des armes, & s'en fervirent pour lui faire une guerre fanglante ( d). (O Tillem. Hiftoirc des Empéreurs. Murat. Annalp; d'Ital. (rf) Eufeb. Vit. Conftant. Lib. 4. Theodof. Uhi: Ch. 24: Tome I. D  5o. Pïifioire des Revolut. du Gouvernement Julien trouva cette politique extrêmement mauvaife, par la raifon qu'un peupie qui a fait acheter la paix n'en eft que plus en état de la faire acheter encore. Lorsqu'il gouverna les Gaules en qualité de Céfar, il refufa nettement aux Allemans les préféns qu'on avoit eu la coutume de leur faire , & il foutint ce refus par des victoires fignalées qu'il remporta fur ces barbares. II faut bien que les préfens, qu'on faifoit k ces nations , fuffent très-confidérables , puisque le même Julien, devenu empéreur, voulant engager fes troupes, qui lui demandoient de Pargent, a le fuivre courageufement dans fon expédition contre les Perfes, leur dit, que de tant de tréfors que pofledoit la république romaine, Ü ne reftoit plus rien, & que le mal venoit de ceux qui avoient apris aux princes k acheter la paix des barbares. Vousvoulez des richejfes ,ajouta-t-il, voila le pays des Perfes c'eft la qiCilfaut en aller chercher. . . . Nos finances font épuifées, nos villes dêtruites, nos provinces ruinées. Un empéreur qui ne connoit d'autres biens que ceux de time n'a pas bonte d'avouer cette pauvreté honnête(e). Mais les fucceffeurs de Julien profité. rent peu de fon exemple, n'ayant ni fon coura- (O Amm. Marcell. Liv. 24.  6? de rEfprii-Hutmin, Chap. I. $% ge, ni fes talents,- & fe faifant trés haïr de leurs fujets & plus encore de leurs troupes, ils furent tous forcés de chercher k éloigner les barbares de leurs états par des préfens confidérables, qu'ils continuérent de leur faire jusqu'a ce que ces nations fe lafférent d'en recevoir. Combien de motifs pour ces empéreurs de dépouiller les fujets de leurs biens! Un fafte mon» ftrueux , des guerres continuelles k foutenir> toutes fortes de barbares k contenter, des pertes de pays k reparer. Quelque ruineux que chacun de ces articles fut pour les fujets, qui de* voient fournir aux princes les moyens d en fuporter les frais, la fuperftition des empéreurs chrétiens ajouta encore aux anciennes eharges une charge toute nouvelle. Conftantin, après avoir embralTé la vraie religion, crut, ou fe laisfaperfuader, qu'il étoit du devoir d'un prince chrétien de combler de biens les églifes des fidelles, & d'enrichir les miniftres de Dieu (*). (*) Quand Conftantin commenga le concile de Ni« cée, il fit diftribuer une grande quantité d'argent aux pauvres des villes & de la campagne. Dans le même temps, il écrivit des lettres aux officiers de tou* tes les provinces , pour leur ordonncr de diftribuer tous les ans, dans chaque ville, une certaine quantité de blé aux vierges confacrée* a Dieu, aux veuD 2  è? de r'Efprit. Humain, Chap. I. 53 des chrétiens ces libéralités mal entendues, faifoit des dépenfes immenfes en viótimes: !es boeufs fembloient de voir manquer, s'il eüt vecu. JMais fi cette dépenfe de Julien étoit onércufe k 1'état, elle fervoit au moins a lui attacher d'avantage les troupes qu'il avoit k fa fuite. Car Ammien Marceliin dit (ƒ) que les foldats fe gorgeoient tous les jours de Ja chair des aninijux immolés, & du vin des facrifices. Mais ies fu chelfes que la fuperftition des empéreurs prodigua au clergé n'appauvriffoient pas feulement 1'état, elles corrompoient encore les mceurs de ceux qui devoient feryir d'exemple a la multitude des fidelles, & aux fouverains même. II falloit des tréfors immenfes pour batir continuel. lement tant de nouvelles églifes dans tous les res aux environs, a Tarfe cn Cilicie, & a Tyr. E!lo en avoit en Egypte prés d'Alexandrie & ailleurs, & dans la province de 1'Euphrate prés de Cyr. Un ï par tie de ces terres étoient deitinées h fournir tous ies ans une certaine quantité de nard, de baume, de florax, de canelle, de fafran & d'autres drogues précieufes, pour les encenfoirs & pour les lampes. Les mèmes mémoires rapportés par Anaftafc, .font un tong dénombrement des vafes d'or & d'argent, que cet empéreur avoit fourni pour le fervice de toutes ces églifes. Cela peut nous faire juger des profufions étonnantes de ce prince envers les églifes. Cf) Amm. Marcell, Liv. 24. D 3  54 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement états des deux empires, pour les orner au grê d'un clergé vaiu & faftueux, & pour les doter de maniere, que les fonds puflent fuffire non feulement a 1'entretien mais a la cupidité infatiable des miniftres, dont nous aurons lieu de décrire les moeurs dans la fuite de cet ouvrage. Conftantin futle premier a augmenter le nombre des anciens impóts, (g) Zofime dit ( Liv. 2. Ch. 38.) qu'il établit (il auroit plütöt du dire qu'il rétablit) entr'autres , deux nouveaux impöts extrêmement pernicieux. L'un étoit le follis, qui fe levoit fur les perfonnes de qualité. Cette taxe étoit fi onéreufe qu'a la longue elle ruina la plüpart des families diftinguées de 1'empire. L'autre étoit le chryfargyre, que devoient payer les merciers, les trafiquants & jusqu'aux femmes qui trafiquoient de leur corps. On le levoit tous les quatre ans. Ce terme venu on entendoit, dit Zofime, dans toutes les villes les plaintes & les cris de ceux qui devoient payer cette taxe: enfuite arrivoient les collecteurs qui faifoient battre les pauvres gens qui fe trouvoient hors d'état de la payer, & qui quelquefois même portoient la barbarie jusqu'a leur faire donner la (#) ViS. Jun. Vita Conftant. Zofim. liv. 2. Gotlicf. Cjjrpnol. Cqd. Theodos. p. ü & »3-  Êf de i'Efprit -Humain, Chap. I. 55 torture. Les meres vendpient les enfants maV les, les peres proftituoient les filles. Le même empéreur imagina encore uh autre moyen odieux de faire de 1'argent. II conféroit fuccesfivement k toutes les perfonnes, qui fe diftinguoient par leurs richeffes, des magiftratures honorables, qu'ils ne pouvoient refufer: & pour 1'honneur qu'ils recevoient, il les obligeoit a lui donner de groffes fommes d'argent. Pour cet effet il tenoit une lifte exacte de tous les ri. ches citoyens de fon empire: & il envoyoit fes députés de cöté & d'autre pour fignifier aux perfonnes , qu'il avoit marquées, 1'ordre qui les élevoit a ces charges. Mais dès que 1'on voyoit venirces commiffaires, la plupart des citoyens riches prenoient la fuite, & fe fauvoient dans des pays étrangers pour ne pas être contraints d'accepter des honneurs qui les ruineroient. Conftance fils de Conftantin conferva les impofitions de fon Pere, & y en ajouta de nouvelles. Ces nouvelles impofitions devinrent d'autant plus ruineufes pour les états d'Occident, que la ville de Conftantinople y attiroit de jour en jour avec les families les plus illuflres de 1Ttalie une très-grande partie de fes richeffes. Cette confidération devoit porter les empéreurs d'Occident a diminuer les anciens tributs au lieu de ne fonger qu'a les augmenter* Julien montra D 4  5 ïifs qui font douter de la fincérité de la conver. firn de Conftantin. Loix des premiers empéreurs chrétiens contre les payens. La cruauté de ces loix habitua les empéreurs ü toutes fortes de cruautés. Les chrétiens h force Je perfécuter les payens aprennent a fe perfécuter eux-mêmes entr'eux. L'efprit d'intolérance s'empan des latques auffiUen que du clergé. Les empéreurs négligent les affaires temporelles pour les fpirituelles. Des futilitês occafionnent des fcMsmes £f ies héréfies. Hèréfie d'Arius. Vempéreur Conftantin tache d'étouffer cette héréfie dans fa naiffance, en prétendant que ce n'étoit qu'une. dispute de mots. Imprudente conduite de Thèophües évéque d'Alexandrie, envers les payens. Mau~ yaife conduite de S. Cyrille, évéque du même lieu, envers lesjuifs. Mort cruelle de la célebre Hypatie, fille duphilofophe Thèon, plus favante que fon pere. Méchante conduite des moines. Vimprudente opinidtretè d'Audas attire en Perfe une cruelle perfécution fur les chrétiens. Les chrétiens fe eroyem otligés de tfobjwyer pas mi-  6o Hifioire des Revohit. du Gouvernement même les loix de pure police envers les payens. Exemple de S. Ambroife , & de S. Auguftin. S. Grégoire de Nazianze vante envain la douceur des chrétiens. II charge a tort Vempéreur Julien, Ö* loue a tort l'empéreur Conftantius. Ecrits de S. Lucifer de Cagliari contre la perfècution. Cet évéque accable cependant d'injures horribles fon propre fouverain. Accufations des Ariens contre S. Athanafe: des mêmes contre S. Eufthate , évéque d'Antioche. Guerre prête a éclater pour le rètabliffement de S. Athanafe. Schismes caufés par des éleStions d''évéques. Richeffes de Vévéque de Rome. Conciles tumultueux. Sentiments de S. Grégoire de Nazianze au fujet des conciles. Les papes projitent des discordes des évéques. Mais Véglife & 1'état en fouffrent infiniment. Pourquoi les barbares Ariens ont per. fécuté les Catholiques. Si le premier des empéreurs chrétiens, Conftantin, n'eüt pas été toute fa vie domino par un efprit d'ambition & de vanité fans hornes, qui le portérent a de grands crimes; s'il n'eut pas fait étrangler Licinius fon collégue, fon ami & fon beau frere («); s'il n'eüt pas fait mourir, fans aucune forme de procés, Cris- " . 15. üt. 10. L. 4. Gothor. ibid»  & de f Efprit-Humain, Chap. II. 73 jde la terre oül'on auroit attaché desbandelettesa des arbres, ou dreffé des autels de gazon: ordre aux officiers , aux gouverneurs des villes de déférer les coupables; & aux magiftrats & a leurs fubalternes de faire leur devoir fous peine de payer trente livres d'or d'amende. Ses deux fils Arcadius & Honorius, qui lui fuccedérent dans 1'empire, confirmérent fes loix & y ajouterent de nouvelles. Ces méchantes loix ne manquérent pas de produire les plus méchants effets. D'un cöté les empéreurs, en s'accoutumant a publier des loix li tyranniques contre les payens, s'habituérent infenfiblement a gouverner despotiquement tout leurs fujets fans diftinciion de religion. A force de vouloir favorifer la vraie religion les princes chrétiens devinrent des despotes, des tyrans beaucoup plus méchans & plus abfolus que n'avoient été la plupart des empéreurs payens. Dans plufieurs loix & refcrits de ces princes chrétiens on remarque des traits d'une tyrannie fi infolente , qu'on. n'en retrouve aucun exemple dans l'hiftoire de Néron ni de Caligula. J'ai rapporté plus haut des traits d'une tyrannie ouverte & groffiére: en voici d'un despotisme fourd & raffiné. Valentinien II, prince foible, efclave de fes eunuques & de quelques prêtres, étant dans la coutume de diftribuer les principa-. E 5  y6 Hiftoire des Revolut, du Gouvernement mérite. Leurs favoris étoient des fcélérats qui ne mettoient aucunes bornes a leur rapacité, a S. Cypricn, lui dit: II y a long - temps que tu vis avec un efprit facrilége, £? tu es ennemi déclaré des dieux rO'. mains £ƒ des loix facrées. (voy. Fleury Hift. Ecclés.) Enfin le préfet de .Rome qui fit martyrifer S Laurcnt, Jui dit: on dit, que dans vos cérémonies les pontifes offrent des libations avec des vafes d'or; que le fang de la viEtime eft repte dans des coupes d'argent, ï"e Pour éclairer vos facrijïces noüurnes vous avez des cierges fichés a des chanieliers d'or. On dit que pour fournir a ces offrandes les freres vendent leurs héritages , & réduifent leurs enfavts h la pauvreté. aü. marty. S. Laurent.) Voü^ ce qui excitoit 1» fureur des payens, ces demonftrations de rage contre leurs dieux, ces fermons & ces décha'inements contre leurs loix facrées, ces largeffes quirenverfoient les families & minoient la fociété. Les Romains n'ont jamais perfécuté les épicuriens qui difoient que les dieux ne fe foucioient pas des hommes, ni les acadérniciens qui excitoient des doutcs fur 1'exiftence & fur la providence des dieux, & qui nioient, du moins du temps de Cicéron, affez pubiiquement 1'inmortalité de I'ame. Cela prouve que Rome ne féviffoit que contre ceux qui ne vouloient pas refter tranquilles, ni laiffer adorer en paix les dieux de la patrie. Les Grccs de ces temps dont nous parions, étoient moins tolcrans. Lucien rious apprend , dans fon AIcxandre, que de fon temps les Athéniens , lorsqu'ils célebroient quelque fètc, faifoient proclamer: „ s'il y a ici quelquc épicurien, quelquc chrétien , ou quclque impie, qui foit vcnu pour fe moquer des myftercs qu'il fe rctire I  Hiftoire des Revolut. du Gouvernement feroit en péril comme auteur du défordre. ( Socrat. liv. 6. ch. 14.) tant le peupie prenoit part aux difputes eccléfiaftiques, a celles même oü il n'entendoit rien. Les Oceidentaux avoient naturellement la tète moins chaude, 1'imagination moins vive, le cceur moins méchant, 1'efprit moins intriguant que les Orientaux. Mais le clergé, &, avec le temps, les moines ne laifférent pas d'agiter la courd'Occident. Séduits par 1'exemple du clergé d'Orient, animés par leur propre intérêt, ils y excitérent presque d'auffi grands troubles qu'en Oriënt. D'abord ils demandérent, comme les Orientaux,qu'on promulguat des loix contre les payens; & tandis que ceux-ci fourniiïoient les meilleures troupes & les meilleurs capitaines, les chrétiens ne fe laffoient pas de folliciter les empéreurs k les exterminer. (*) (*) Comme ce zele mconfidéré des chrétiens dura auffi long-temps qifil y eut des payens, S. Auguftin obtint d'Olympius, qui gouvernoit 1'imbecille ernpé. reurHonorius, une loi, qui excluoit les payens de toutes les charges civiles & militaires. (L. 43 & 45; C de HaereO Alors Généride, excellent capitaine, mais payen, fe retira du fervice. Mais comme on ne pouvoit pas fe paffer de lui, il fallut qu'Honwua revoquat fa lqj, C^oüm, Liv. 5- ch. 4*-)  6? de VEfprit - Humain, Chap. II. 85 Bientêt on vit auffi en Occident les disputes & les jaloufies mutuelles des membres du clergé erabrafer, comme en Oriënt, 1'églife & 1'état» Le fchisme des donatiftes en fournit un trift» exemple. Né d'une bagatelle il a produit des désordres affreux. Menfurius, évéque de Carthage, étant mort pendant la perfécution de Dioclétien, Cécilien, élu par le fuffrage du peupie, redemanda aux anciens des vafes d'or & d'argent que fon prédéceffeur leur avoit confiés. Ceux-ci, pour ne pas être obligés de les rendre, formérent un parti, dans lequel ils attirérent Lucilia femme riche & puiffante; ils convoquérent un concile de foixante dix évéques, oü ils firent condamner & dépofer Cécilien, en faifant ordonner a fa place Majorin, domeftique de Lucilia. Dès ce moment toute 1'Afrique eft en feu. Les parties s'adreffent a l'empéreur Conftantin , qui convoque un concile h Rome, oü le parti de Majorin eft condamné: ce parti recourt encore 3 l'empéreur, fous prétexte qu'a Rome des évêj ques en pctit nombre s'étoient enfermés en un. lieu, $ avoient jugé ce qu'ils avoient voulu avec précipitation. ( Confiant. Ep;s. ad Eluf. & ad Chrafi. Optat. lib. 1. coll. 3. carth.') Conftantin convoque le concile d'Arles, oü Fon prononca encore en faveur de Cécilien. Le parti de Majorin, qu'on appelle les donatiftes du nom de F 3  &f de ï'Efprit - Humain, Chap. II. 87 cident même , pour un fimple dépot de vafes facrés. Quoique dans les contrées occidentales les têtes chaudes ne fuffent pas fi communes qu'en Oriënt, cependant les difputes nées enOccident, n'ont pas manqué d'y produire des maux crueis. On y en avoit eu des exemples, même avant le triomphe de 1'églife, même durant les temps des perfécutions. On voit fous Décius le prêtre Novatien faire naitre un fchisme a Rome par un excès de zele qui tenoit de la fureur. L'églife étoit alors dans 1'ufage d'accorder le pardon h la priére des confeffeurs, lorsque ceiui qui étoit tombé fe préfentoit avec un billet d'indulgence, écrit de leur main. Novatien s'éleve contre cet ufage, qui, par la facilité de quelques confes_ feurs, avoit, dans quelques églifes, dégénéré en abus. II foutient, que l'églife ne doit jamais accorder de pardon a ceux qui font tombés dans Tapoftafie: qu'ils n'ont point de falut k efpérer; que la pénitence, le martyre leur eft inutile. II cn difoit autant de tous les péchés graves, & il réfufoit a l'églife tout pouvoir de lier & de délier , prétendant que ceux qui commettoient quelqu'un de ces péches, que 1'écriture appelle dignes de mort , ne devoient point obtenir le pardon par le miniftére des prêtres, mais feulement 1'efpérer, s'ils faifoient pénitence, de Ja F 4  88 Hiftoire ies Revolut. du Gouvernement feule bonté de Dieu (*): (Socrat.Liv. 5. ch. 10. Sozom. Liv. i. ch. 22.) Sur ce fondement il accufe-Ie pape S. Corneille d'avoir acheté un billet du magiftrat pour fe fouftraire a la perfécution de Décius, & d'avoir communiqué avec des évéques qui avoient facrifié aux idoles. II fépare des confesfeurs, & un grand nombre de fideiles de la communion de Corneille , & il fe fait lui-même ordonner évéque de Rome. Ce fchisme partagea auffitót toutes les provinces, d'abord de 1'Occident, & puis de 1'Órient mê. me (O > iJ dui-a jusques dans le cinquiéme liecle. Quelles gens font donc ces chrétiens qui prennent feu pour les moindres chofes, qui mettent tout en combuftion par leurs difputes, qui ne ceffent de fe faire les uns aux autres tous les maux poffibles, qui cherchent a 1'envi k intérefler les empéreurs dans leurs disputes, h les aigrir, k les engager k des violences? Les prêtres & les philofophes des payens n'en agislbiwit pas ainfi. Ils ne faifoient point corps: ils <*-> Acefius, évéque Novatien, ayant expliqué ceN te doctrine de fa feéte a Conftantin, cet empéreur Iuj dit: prenez denc une écheile mtmtez tout feul au cicL Sozom. iiv. i: ch 22. Cr) Sozom. Liv. 7. ch. 18.  £-? de t'Efprit. Humain, Chap. II. 89 n'avoient aucune influence fur la multitude, ni fur les princes: ils fe contentoient de disputer les uns contre les autres dans 1'enceinte de leurs écoles, & dans le cercle étroit de leurs difciples? Ils ne cabaloient point. S'ils s'élevoient contre des fentiments recus, contre des fuperflitions, des préjugés de la nation, c'étoit a couvert, & ils n'alloient point intriguer, accufer, crier, folliciter pour troubler le repos public. La reli» gion chrétienne eut feule ce malheureux fort, que les moindres brouilleries entre quelques uns du clergé, le plus fouvent pour des chofes de rien, pour des mots, pour des fubtüités inintelligibles, allumoient d'abord un grand feu qui embrafoit ordinairement 1'Orient & 1'Occident. Quand les brouilleries du fameux Arius avec Alexandre évéque d'Alexandrie eurent commencé a éclater , l'empéreur Conftantin écrivit 4 1'un & a 1'autre: j'apprends que telle a été Vorigine de yotre dispute. Vsus Alexandre demandiez. aux prêtres ce que chacun d'eux penfoit fur un eer. tam paffage de la Loi, ou pliitót fur une vaine quefiion. Vms Arius avanpates inconfidérément ce que vous ne deviez jamais penfer. II falloit ou ne pint faire une telle quefiion, ou n'y point répondre. Ces queflions qui ne font point nêceffaires qui ne viennent que d'une oifiveté inutile, peuvent élrefaites pour exercer 1'efprit; mais elles ne deiF 5  90 Hiftoire des Rev olut du Gouvernement vent pas être portées aux oreilles du peupie. II faut réprimer en ces matieres le démangeaifon de par. Ier. . . Pardonnez-vous donc rêciproquement Vindifcrétion de la demande & Findifcrétion de la reponfe. . . . Et ont diyijés pour un fi petit fujet, il rïeft pas jufte que vous gouvemiez felon vos penfées une fi grande multitude du peupie de Dieu. Cette conduite eft laffe ê? puérile, indigne de prêtres & ■ghommes fenfésCs). Cette lettre révoltaégalement le clergé des deux partis, & le célebre Ofius, évéque de Cordoue, qui avoit un grand afccndant fur 1'efprit de Conftantin , lui ayant fait fentir, que la queftion dont il s'agiffoit n'étoit pas une bagatelle, il le détermina a convoquer le célèbre Concile deJNicée, le premier des conciles écuméniques. Dans ce concile triompha le parti oppolé a, Arius, qui fut lui-même condamfeé, dépofé, exilé. Cependant il continua de prêcher fa do&rine. Dès lors les evêques qui avoient aflifté au concile de Nicée , Ofius fur tout, fe mirent a perfécuter les ariens. Ces perfécutions durérent jusques a la mort de Conftantin, qui cependant, un peu avant fa fin , commencoit déja a montrer du penchant pour 1'arianisme. Conftantius fon fils fit ceffer (O Eufeb. vita Conftant.  de F Efprit. Humain, Chap. II. 91 cés perfécutions, & perfécuta a fon tour les catholiques, a la tête desquels s'étoit alors mis le fameux S. Athanafe , fucceffeur de 1'evêque Alexandre. II importe de favoir, comment les ariens s'y prirent pour gagner Conftantius, & pour lui in'ipirer cet efprit de perfécution. Magnence, qui s'étoit révolté contre l'empéreur Conftant, Tayant fait affafiiner , continua la guerre contre Conftantius, & mena fes troupes en Pannonie, oü il engagea, prés de Murfe, une bataille avec 1'armée de l'empéreur, qui, au lieu de commander lui-même fes troupes, s'étoit rétiré dans une églife, oü il fut accompagné par Valens evêque de Murfe un des principaux chefs des ariens. Celui - ci avoit des perfonnes affidées k qui il donna ordre de venir en diligence 1'avertir de 1'événement du combat. Tout-a coup, tandis que de cruelles inquiétudes tourmentoient 1'efprit de l'empéreur, Valens vint lui annoncer que les ennemis battus avoient pris la fuite. L'em^ péreur, transporté de joie, défiroit voir celui qui en avoit apporté la nouvelle,* mais Valens s'en excufa en difant qu'il la tenoit d'un ange Conftantius le crut au point qu'il difoit dans la fuite a tout le monde qu'il devoit cette viétoire CO Sulp. Sever. Liv. 2. Zofim. Liv. 2,  «yi Hiftoire des Revolut. du GöUvernemêttt uniquement aux priéres & au mérite de Févê; que, & point du tout a la valeur de fes troupes ni de fes géneraux, quoiqu'il n'eut été témoin de leur lacheté ni de leur valeur. Dès lors commencérent les perfécutions des catholiques. Voila donc un evêque qui trompe un empéreur pour I'erjgager a perfécuter. Saint Ampbyloque, evêque d'Icone, employa un moyen bien plus honnête pour engager Théodofe I a perfécuter les ariens, ce que JNettaire, evêque de Conftantinople &S. Grégoire de Nysfe avoient jusqu'alors inutilement tenté. Théodofe avoit déclaré Augufte fon fils Arcadius, qui n'avoit alors que fix ans. A cette occafion toutes les perfonnes de condition allérent rendre leurs refpeóts aux deux Auguftes. Amphyloque ne manque pas d'aller au palais avec d'autres évéques, mais après avoir fait fes compliments au pére, il ne falua point le fils qui étoit auprès de lui. Théodofe crut que 1'evêque n'avoit pas encore remarqué fon fils, & 1'avertit dele faluer. Alors Amphyloque s'approcha d'Arcadius & fe mit a le carefier du bout du doigt en lui difant, bon jour jnon enfant. Cette groiliereté irrita l'empéreur, qui commanda qu'on mit dehors cet evêque. Mais celui-ci fe retournant vers Théodofe: vous Bepouvez pas foufTrir, lui dit-il, que 1'on méprife votre fils: or croyez • vous que Dieu n'abhor-  & de ÏEfpriuHiimttin3 Chap. II* 5^ re pas de même ceux qui refufent de rendre a fon fils unique le» mêmes honneurs qu'a lui. Théodofe loua la fagefie d'Amphyloque, & lui accorda fur le champ les loix cruelles que eet evêque lui avoit demandées contre les ariens (v^ Après cela le pape Sirice infpira k Théodofe des loix encore plus tyranniques contre les manichéens, dont le nom eft devenu commun a des fectes innombrables de fanatiques, & qui ne s'accor> doient pas même dans leurs principes; le véritable manichéisme ayant pour bafe la doörine des deux principes éternels, indépendans , le bon & le mauvais, qui n'étoient admis que par la plus petite partie de ces feéles (jc). Le pape ]ui - même fit au fujet des manichéens des régie* ments qui décelent fon manque de prudence, d'humanité & de charité. Comme ces manichéens disfimuloient leur profeflïon, il ordonna de prendre garde qu'ils ne fe mêlaffent avec les catholiques dans les églifes & y re5ufient la com. munion; il en priva même ceux qui fe convertifloient: & en cas qu'ils fufient vraiment convertis, il ftatua qu'ils feroient renfermés dans des monafteres, pour y pafier Ie refte de leurs (v) Sozom. Liv. 7. ch. 12. Socrat Liv. 5. ch. 12, (jc) Voy.Beaufob. Hift.du Manichéisme.  9+ ffijloire des Revolut. du Gouvernement jours dans les jeunes & les priéres, & qu'on ne leur accorderoit 1'euchariftie qu'a. la mort. Lorsque Neftorius fut nommé evêque de Conftantinople, il prononca un fermon devant Théodofe le jeune, oü, entre autres déclamations qu'il fit contre les hérétiques, il lui dit. Donnez moi, feigneur, la terre purgée d'hé„ rétiques, & je vous donnerai le ciel;extermi3, nez avec moi les hérétiques, & j'exterminerai avec vous les Perfes" (Socrat. Liv. 7. ch. 29.). L'empéreur ne manqua pas d'obéir a Neftorius: il publia auffitöt une loi févere contre les Ariens, les Macédoniens, les Appollinariftes, lesNova-» 'tiens, les Sabbatiens, les Eunomiens, les Valentiniens, les Montaniftes, les Prifcillianiftes, les Phrygiens, les Marcionites, les Borboriens, les Meflaliens, les Euchites, les Donatiftes, les Audiens, lesHydroparaftates, les Afcodrugites, les Photiniens, les Pauüens, les Marcelliens, & les Manichéens. (L. 65. C. Theod. de Haeret.) Comme les payens s'étoient toujours foutenus malgré les loix des premiers empéreurs chrétiens, il étoit naturel, que le clergé, dont le zele fe fignaloit fi bien contre les hérétiques, laifiat beaucoup moins en repos les idolatres. Non content des loix trop peu rigoureufes des premiers princes chrétiens, il commenca fous Théodofe k demander contre les payens des loix  & de F Efprit-Humain, Chap. II. Q$ fanguinaires. Théodofe les écouta; mais ils réusfirent encore mieux auprès de fes fucceffeurs 5 prin* ces foibles, fuperftitieux, plus occupés des affaires de l'églife que de celles de leurs états. Quoique les nouvelles loix, que le clergé obtint contre les payens ,fulfent également atroces dans les deux empires, cependant elles produifirent en Oriënt des effets beaucoup plus funefr.es qu'en Occident. Les payens d'Occident montrérent plus de modération, ceux d'Orient plus de feu & d'animofité. Les Occidentaux fe bornérent presque toujours k fupplier, les Orientaux prirent fouvent les armes. Maxime s'étant révolté contre Valentinien 11, qui gouvernoit trés mal 1'Occident, Théodofe vole au fecours du jeune empéreur, bat le rebelle en Pannonie, le fait prifonnier en Italië, rend 1'empire d'Occident a Valentinien qui 1'avoit quitté en fe réfugiant auprès de lui, & s'arrête trois ans en Italië pour gouverner en tuteur les états de fon collégue. Les évéques d'ftalie s'attroupérent alors k fa cour pour le folliciter de détruire le paganisme. Théodofe fe rend pour cet effet k Rome , le centre de 1'idolatrie. La il ex. horte les fénateurs k embralfer la religion chrétienne, & leur déclare en même temps que le tréfor public ne fournira plus aux frais des facriftces. L'état, leur dit-il, a befoin de foldats & non de vi&imes. II permet encore aux evêques  9$ Hijloire dei Revolut. du Gouvernement d'abattre ies monumens de l'idolatrie, & envoie des ordres aux gouverneurs* pour les affifter. Les Occidentaux ne coururent point aux armes, comme les Orientaux pour défendre leurs temples: iis fe contentérent de conjurer le Prince, quoiqu'en vain, de vouloir refpeéter les dieux d'une religion, qui jusqu'alors avoit fait profpérer 1'empire romain, & de ne les pas obliger a embralTer une religion qui engageoit a renoncer aux biens de ce monde en faifant des promeffes pour 1'autre vie qui pouvoient être trompeufes. Théodofe au lieu de fe laiffer fléchir par des prieres, dont il connoiffoit trop la futilité,fit d'autres régiemens & d'autres loix qui tendoient au même but. Ceux qui réfiftoient a ces loix devenoient de mauvais fujets par la haine qu'ils portoient au gouvernement, & ceux qui s'y founiettoient devenoient encore pires, parcequ'ils ne furent dès-lors que des hypocrites fufceptibles de tous les vices. En Oriënt la perfécution des payens produifit des maux plus funeftes, des maffacres & des féditions. Les evêques de ces pays chauds, étant plus fougueux, fe portant a tout avec violence „ ne fachant ufer de prudence en rien, impatiens de voir exécutées les loix des empéreurs, fe mettoient eux - mêmes a la tête des officiers de la juftice, & le plus fouvent leur zele fanatique les  lo5 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement re: enfin la fureur les poufia jusques ï mettre le feu a l'églife. Un des chrétiens ayant voulu s'y oppofer , ils le tuérent; les autres prirent la fuite. Les payens s'en repentirent auffitöt: ils allérent en foule fupplier S. Auguftin, qui s'y étoit rendu exprès pour reconnoitre le défordre fur le lieu, qu'il voulut leur pardonner en lui offrant toutes fortes de fatisfaftions. Après cela ils lui firent encore écrire par Neftaire vieillard vénérable & homme de lettres, offrant de rétablir le dommage & ne demandant que 1'exemtion de la peine. S. Auguftin en lui répondant reconnoit & loue fon affeóiion pour fa patrie; il demeure d'accord de la douceur qui convient aux évéques: mais il conclut qu'il eft néceflaire de faire un exemple dans cette occafion, & que les coupables doivent être punis ( d~). Auffi furent-ils punis par Honorius a la follicitation de Poffidius évéque de Calame & de S. Auguftin. Ainfi quand les chrétiens caufoient des torts aux payens ou aux hérétiques, il falloit, felon les évéques , qu'ils ne fuflent ni punis, ni tenus: de la réparer; quand au contraire, les payens ou les hérétiques caufoient des dommages aux chrétiens, il falloit, felon les mêmes évéques,' qu'ils (d) S. Auguft. ep. 91. 103. IC4.  ito Hijitire des Revolut. du Gouvernement vir k fes déteftables myfteres, k fes opérations magiques & k fa curiofué de favoir 1'avenir: Qu'après fa mort on avoit trouvé dans fon palais des coffres pleins de tête & des puits rernplis de corps morts. Quelles calomnies inexcufables, dont la fauffeté eft démontrée par toute la vie de Julien, par le caraftere de fon coeur, par les principes de fa politique, par tout le refte de la conduite envers les chrétiens, par le fletpee de tous les hiftoriens, par celui même des Antiuchiens. Car ce peupie qui eut 1'infolence de railler l'empéreur fur fa barbe, fur fon manteau & fur fa paffion pour la philofophie, ne lui reprocha jamais aucune cruauté, aucun meurtre. Infulté perfonnellement k Antioche Julien ne s'en vengea que par une fatire, qu'il intitula le Mifopogon, Quelfe apparence après cela, qu'il aïc voulu fe fouiller du fang de perfonnes innocentes. Parceque Julien étoit payen, & qu'il fit du mal au chriftianisme, fans en faire pourtant aux chrétiens, S. Grégoire le charge d'outrages pour des vices qu'il n'avoit point: & dans le même temps, parceque Conftance étoit chrétien, il le comble d'éloges pour des vertus qui lui manquoient entiérement. Cependant tous les hiftoriens, & fur tout les orthodoxes, nous dépeignent cet empéreur comme un homme plein de vices, & fans aucune vertu.  & de l''Efprit-Humain, Ghap. IL ti% de fon evêché & chaflé d'Alexandrie alla crier par tout 1'Orient & tout 1'Occident, que 1'empéixur abufoit de fa puilfance pour violenter Jes confciences; qu'il employoit, contre Ja juftice & contre la raifon, fon autorité temporelle dans les affaires qui concernoient puremerit le falut des arres; que c'étoit un méchant qui Jaiffoit gouverner Jes affaires ecclefiaftiques par des comtes & des eUnuques; un homme léger, qui donnoit des ordres & écrivoit des Jettres contradictoires; un tyran, qui n'avoit pas refpeété fon propre fang, qui avoit égorgé fes onc'es, fait mourir fes coufins, qui avoit Jaiffé dans la mifere Ja fille de fon beau-pere, qui avoit marié a' uh barbare, aArface, roi d'Armenie, Olympiade fiancée a fon frere, qui enfin par toüte fa conduite montroit qu'il étoit le véritable antèchrift. (O Toutes ces injures contre fon fouverain n'étoient certainement pas conformes k 1'efprit de 1'évangile, ni aüx préceptes de charité tant de fois inculqués par Jefus - Chrift, ccpar les apótres. £Ues étoient für- toUt indignes & fcandaleufes dans Ja bouche d'un fucceffeur des apÓ; tres, qui s'attacboit alors a faire voir Ja nécesfité de la tolérance en matieré de fon O') Athanas. cpllt, ad folitar. Tome I. H  H4 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Dans le temps de fon exil il écrivit une trés. longue lettre aux folitaires d'Egypte, oü pour montrer 1'injuftice ds la perfécution de Conftantius & des Ariens, ii dit i s'il eft honteux , que quelques évéques aient changê par la crainte, il eft Men plus honteux de leur avoir fait violence; ci? rien ne marqué plus lafoiblep d'une mauvaife eau. fe. Ainfi le démon, n'ayant ven de vrai, vient avec^ la hache £f h coignèe rompre les portes de ceux qui le regoivent: mais le Seigneur eftfidoux, qu'il fe contente d'enfeigner fc? de dire: fi quelqu'un veut venir après moi; & celui qui vcut être mon disciple. Et quand il vient a chacun de nous il ne fait pint de violence, mais il frappe a la porte, & dit: ouvre moi ma foeur, mon époufe. Si on luiouVre, il entre, fi on ne veut pas, il fe retire. Car la vérité ne fe priche pas avec les ipées & les dards, nipar les foldats , mais par le confeil & la perfuafion. Et quelle perfuafton oü la réfiftance fe termine a l'exil ou a la mort. Et enfuite. Ceft le propre de la vraie religion de ne point contraindre, mais de perfuader: car le Seigneur lui-même n'a point ufé de violence: il a laiffè la liberté en difant h tout: fi quelqu'un veut venir après moi: & li fes difciples: voulez vous vous en aller (£)? ld. ibi pag. 830. 855.  6? de r'Efprit.Humain, Chap. IL 115 S. Hilaire, evêque de Poitiers, vivoit dans le même temps de la perlecution de Conftantius contre les catholiques. II fut exilé comme Athanafe. Son exil le fixant en Phrygie, il envoya h fes confrères & amis dans les Gaules un traité des Synodes, oüil fe plaignoit beaucoup de la perfécution des Ariens, & les accufoit en même temps d'impiété & de toutes fortes de crimes. Quand il parle contre la perfécution, il dit: Dieu nousa enfeignê a le connoitre: il ne nous a pas contraint. II a donné de l''autorité a fes préceptes en nousfaifant admirer fes opérations divines. II ne veut point d'un confentement forcé. Si l'on em~ ployoit la violence pour établir la yraie foi, les évéques s'èleveroient contre cet abus, &f ils s'écrieroient: Dieu eft le Dieu de tous les hommes: il n'a pas befoin d'une obéiffance fans liberté; il ne repoit pas une profeffion que le cceur défavoue: il ne s'agit pas de le tromper, mais de le fervir. Lemême dit ailleurs ( dans fon traité contre Auxence, evêque arien de Milan.) „ II faut gémir de la „ mifere & de Terreur de notre temps, oü l'on „ croit, que Dieu a befoin de la proteéèion des „ hommes, & oü l'on recherche la puiffance „ du fiecle pour défendre l'églife de J. C. Je „ vous prie vous, qui croyez être evêques, dë 3, quel appui fe font fervis les apótres pour prê,> ener 1'évangile ? quelles puiifances leur onÉ H 2  il6 Hiftoire des Revölut. du Gouvernement „ aidé a annoncer J. C. & a faire palier pres„ que toutes les natiors de 1'idoïatrie au culte , de Dieu? appelloient-ils quelque officier de „ la cour, quand ils chantoient les louanges de „ Dieu en prifon, dans les fers & après les „ coups de füuet ? S. Paul formoit-il l'églife de „ J. C. par des édits de l'empéreur, quand il „ étoit lui-même un fpe&acle dans le théatre. „ Je penfe qu'il fe foutenoit par la proteétion „ de Neron, de Vespafien, ou de Decius,dont „ la haine a relevé le luftre de la doftrine céles„ te. Lorsqu'ils fe nourriffoient du travail de „ leurs mains; qu'ils s'affembloient en fccret „ dans des chambres hautes,- qu'ils parcouroient „ les bourgades, les villes, & presque toutes „ lesnations par mer & par terre, malgré les „ ordonnances du fénat & les édits des princes, „ je crois qu'alors ils n'avoient pas les clefs du „ royaume des cieux.. . Maintenant helas! les „ avantages humains rendent recommandable „ la foi divine; & cherchant a authorifer le „ nom de Jefus-Chrift on fait croire, qu'il eft „ foible par lui-même. L'églife manace d'exils „ & de prifons & veut fe faire croire par force, elle qui a établi fon autorité par les exils & " les prifons. Elle attend comme une grace, * que l'on communiqué avec elle après s'être " établie par la terreur des perfécutions: elle  •$? de VEfprit. Humain, Chap. II. 117 „ bannit les evêques après s'êcre étendue par le „ banniffement des evêques: elle fe glorifie d'ê„ tre aimée du monde, elle qui n'a pu être k J. ■» C. fans être haïe du monde". D'autrepart quand il parle des perfécuteurs, voici comme il s'exprime. „ Je parle comme fa„vant de ce que j'ai vu &de ceque j'aiouimoi„ même. Hors fevêque Eleufius, & quelque peu j, avec lui, la plus grande partie des dix provinces 3, d'Afie oü je fuis, ne connoiffent point Dieu , 5, ou ne le connoiffent que pour le blasphêmer. „ Tout eft plein de fcandaJe , defchisme, d'infi„ délité ". Mais cela n'eft rien au prix des injures atroces dont il accable Conftantius dans fon traité contre cet empéreur. 11 commence ainfi. „ II eft temps de parler, puisque le temps de „ fe taire eft palTé. Attendons J. C. puisque 1'antechrift domine: que les pafteurs crient, „ puisque les mercenaires ont pris la fuite: per„ dons Ja vie pour nos brebis, puisque les lar„ rons fontentrés, & que Je Jion furieuxtour,, ne k 1'entour; allons au martyre avec ces „ cris, puisque 1'ange de fatan eft trar.sformé „ en ange de lumiere". II regrette enfuite de n'avoir pas vecu du temps de Néron & de Décius pour combattre un ennemi déclaré, plütöt qu'un perfécuteur déguifé, qui n'ule que dartifices & de flatteries; & qui fous prétexte d'hoH 3  ï 18 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement norer J. C. & de procurer 1'union de l'églife, détruit la paix & renonce k J. C. II foutient qu'il a raifon de traiter Conftantius d'antechrift & de tyran: & il ajoute que c'eft un loup raviffant couvert de la peau de brebis, qui fe decouvre par fes ceuvres. „ Vous ornez , dit - il, le fanc„ tuaire de l'or du public; vous oftrez k Dieu „ ce que vous avez öté k des temples d'idoles, „ ou confisqué fur des criminels: vous faluez „ ies evêques par le baifer, par lequel J. C. a, „ été trahi: vous baiffez la tête pour en recevoir „ la bénédiclion, & vous foulez aux pieds leur „ foi: vous les recevez a vötre table, comme 3, Judas qui en fortit pour trahir fon maïtre ; „ vous leur remettez la capitation que J. C. „ paya pour éviter le fcandale: vous donnez 3, les tributs pour inviter les chrétiens k renon„ eer k la foi: vous relachez vos droits pour faire perdre ceux de Dieu". Comment accorder la doétrine de la tolérance avec fi peu de charité envers fes confrères, & avec une telle rage contre fon fouverain, l'empéreur Conftance , dont au contraire S. Grégoire de Nazianze dit tant de bier ? & queile étonnante contradietion entre les enfeignemens des evêques dans les temps oü l'églife fouffroit, & leurs prétentions dans les temps oü elle dominoit? Qui pourroit lire fans indignaüon, & fans quelque forte d'hor-  £-? de £'Efprit.Humain, Chap. II. 110 reur même, les écrits de S. Lucifer, evêque de Cagliari, contre ce même Conftance, oü il traite l'empéreur d'impudent, d'injufte, de maudit, parcequ'il avoit voulu que les evêques condamnaffent S. Athanafe. (Gen. 34. 14.) oüil le qualifie d'apoftat & d'hérétique, parcequ'il n'obéiffoit pas aux canons du concile de Nicée,* oü il foutient qu'il ne faut avoir aucune efpece de communication avec les hérétiques (traité de non conven.) & prétend en même temps que l'empéreur avoit tort de reprocher aux evêques catholiques d'être ennemis de la paix, de 1'union & de la charité fraternelle, parceque ces evêques avoient au fujet des hérétiques le même principe que Lucifer: oü enfin il enfeigne, contre les préceptes & 1'efprit de 1'évangile, qu'il ne faut point épargner ceux qui péchent contre la loi de Dieu. Voici comment ce faint evêque commence ce traité en s'adreffant a l'empéreur. „ Te voyant confondu de toutes les „ facons par les ferviteurs de Dieu, tu as dit „ que nous t'injurions au lieu dc te refpeétcr, „ & que nous fommes des infolens ". Puis il fe met a juftifier la conduite de fes confrères & la fienne propre par des exemples tirés du vieux teftament. Si tu étois tombé, dit-il en con„ tinuant fon apoftrophe, entre les mains de „ Mathathias ou de Phinces, te voyant vivre H4  ï 20 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement „ comme les infidelles, ils t'euflent fait mourir „ parleglaive: Cependant tuprétends, que je „ te fais injure, parceque je blelle par mes pro,, pos ta fierté qui a verfé le fang des fideiles. „ Pourquoi, empéreur, ne te vanges tu pas de „ moi? . . . ce n'eft pas que tu n'en aies 1'en„ vie: mais tu en es empêché par celui, k qui „ j'appartiens, & qui rn'ordonne de reprendre „ tes actions criminclles, & de te dire, que j'ai „ renoncé a toi, k toutes les richeffes de ton „ empire, & a ton pere le démon. .... De„ vons - nous reipeét* ton diadême, tes pen„ dants d'oreille, tes bracelets & tes habits pré,, cieuxau mépris ducr&teur? Que tu es peu „ fenfé de dire: j'ai été outragé par Lucifer, 3, par un miférabJe, moi qui fuis empéreur, tan„ dis que tu devrois dire, par un evêque qui t'a „ reconnu pour un lpup raviffant. . . . Saches „ que nous connoiffons 1'obéilTance que nous „ devors a toi comme k tous ceux qui font en dignité: mais cette obéiffunce nous la de vons „ feulement pour les bonnes ceuvres. ( voilk le ,, moyen le plus propre de s'afFranchir k fon ,, gré de toute obéilfance) j'ajoute que 1'apótre qui ordonne a'obéjr aux rois & aux puiffan„ ces, parle des princes & des magiftrats qui ne 3, croyoient pas encore au fils unique de Dieu , j, & qui devoient être attii és a la foi par notre  £? de F Efprit-Humain, Chap. II. 123 eux-mêmes les uns les autres, & leur folie invi? toit les barbares a fondre en même temps fur eux pour les détruire tous. Pour faire öter a S. Athanafe fon évêché, &, le faire chaffer d'Alexandrie, oü lui-même n'a. voit pas voulü laiffer entrer Arius, les evêques ariens 1'accuférent devant l'empéreur Conftantin , éc devant différents conciles d'une foule de crimes: qu'il avoit de fon chef impofé aux Egvptiens un nouveau tribut de lin pour l'églife d'Alexandrie; qu'il avoit envoyé une bourfe pleine d'or a un rebelle nommé Philuméne; qu'il avoit envoyé dans la Maréote le prêtre Macaire pour faire maltraiter le prêtre Ischyras, & que Macaire ayant furpris Ischyras dans le temps qu'il faifoit le facrifice,il lui fautaau corps, lebattit, brifa le calice & renverfa 1'autel; qu'il avoit tué Arfene évéque d'Hyfele dans la Thébaïde, & qu'il lui avoit coupé la main droite pour s'en fervir a des opérations magiques; qu'il avoit employé lesvoies de fait, & commis de grandes violences pour par venir a 1'éveché d'Alexandrie, en faifant emprifonner ceux qui réfiftoient, ayant en fa compagnie des comtes, qui contraignoient les fideiles par le fouet, par les emprifonnements & par les tourments a communiquer avec lui contre leur volonté, & en gagnant par 1'argent les miférables & les avares; enfin qu'il  6? de VEfprit-Humain, Chap. II. 127 ble en S. Euftathe évéque d'Antioche, ce qui les détermina a conjurer fa perte. Pour cet effet ils s'alTemblérent a Antioche même, & ils tinrent un concile, oü une femme débauchée vint accuier Euftathe de lui avoir fait un enfant. Les évéques ariens la crurent fur fon fimple ferment, & dépoférent l'évêque catholique, malgré les proceftations de quelques autres évéques qui étoient intervenus au même concile fans avoir participé au complot (0). Comme ces derniers étoient en trop petit nombre, les premiers vouloient procéder k Ja nomination d'un autre évéque. Mais le peupie d'Antioche s'en mêla: une partie confentoit qu'on nomnrêt un autre évéque; mais une autre partie tenoit ferme pour Euftathe. De la divifion on en vint jusques k la fédition. Les magiftrats, les foldats, tout le monde prit les armes. La ville alloit être renverfée, fi Conftantin n'eüt pas envoyé promptement un comte a Antioche pour adoucir les efprits, & rétablir la paix. 11 fit venir Euftathe a la cour, entendit fes juftifications & 1'envoya en exil. Voila donc eneore des évéques qui allument un fi grand feu, qu'une des quatre premières villes de 1'univers touche au moment de (0) Socrat. Liv. i. ch. 24. Sozomen. Liv. 2. ch.19.  ï j.S Hiftoire des Revolut. du Gouvernement fa ruine. L'hiftoire des chrétiens fourmille de pareils exemples, & on a peine k y rencontrer deux évéques en dispute pour une chofe quelconque, fans que l'on trouve a la fuite d'une telle dispute des divilions parmi les chrétiens des deux églifes, fouvent de ceux de toute une province, & bien des fois de ceux des deux empires; tant étoit éloignée la conduite des chrétiens des préceptes de leur religion, quoiqu'il ne manquat pas d'évêques qui leur préchoient la charité, la douceur, 1'union & la paix. S. Grégoire de Nazianze, difoit que quand ce feroient deux anges qui contefteroient, il ne feroit pas julïe que le monde entier fut troublé par leur divifion Ces discordes s'allumoient fur-toutal'occaiion des conciles & des éleétions des évéques. Plusun évêché étoit confidérable plus il tentoit Tambition & la cupidité de ceux qui y prétendoienr. Les deux principaux étoient celui de Rome & de Conftantinople. Auffi voit-on que les fchismes & les troubles pour les éleéèions des évéques y commencérent de bonne heure. Du temps de S. Jean Chryfoftome ,qui gouvernoit l'églife de Conftantinople (?) Theodor. Liv i. ch. 21. Chryfoft. in Euflat* {O S Gréjoir. de Nazianze cha. 1.  130 Ilifloire d^s Revolut. du Gouvernement bonne diere, que leurs tables furpajfent celles des rois. Ils pourroient être vêritablement heureux, Jït méprifant la grandeur de Rome, ils imitoient la vie de quelques évéques des provinces, qui par la frugalitè de leur nourriture , la pauvretè de leurs habits & la modeftie de leur contenance fe rendent chers a Dieu & a fes vrais adorateurs. Le fchisme dont cet hiftorien fait mention eft celui d'Urfm qui s'éleva contre 1'éiection de Damafe, après la mort du pape Libére arrivée en 366. Le peupie y ayant pris parti, comme a 1'ordinaire, la faction qui tenoit pour Damafe , dont l'éleóïion avoit auffi été approuyée par le préfet de Rome, attaqua les partifans d'Urfin, qui s'étoient rctirés dans l'églife de S. Made Majeure, appellée alors la Bafilique de Libere: elle rompit les portes de l'églife , y mit le feu, en découvrit le toit, & y affomma cent trente perfonnes de 1'un & de 1'autre fexe» Juventius, préfet de Rome, tacha inutilement d'appaifer la fédition: on le menaca lui-même, de forte qu'il fut obligé de fe fauver a une maifon de campagne (*). Cependant le (*) Je rapporto ainfi ce fait pour me conformer k la piüpart de nos hiftoriens modernes. Mais Ia relation, qu'on en trouve dans le Libellus Fauftini, eft toute au défavantage de Damafe. Selon cet auteur, Urfin étoit un perfonnage vénérable, qui avoit été élu  6? de ï'Efprit-Humain, Chap. II. t$i parti de Damafe eut Je delfus, & il demeura depuis tranquillement dans la poffeffion de fon fiége. C'elt a lui que Prétextat, payen d'un rare merite , qui fut fait préfet de Rome après Juventius, avoit coutume de dire par plaifanterie: faites moi évéque de Rome, &auffitót je meferai chrétien (t). II y eut en effet quantité d'illus• tres Payens qui fe firent chrétiens pour être élus évéques. Quantité d'autres furent élus évéques avant qu'ils euifent été batifés. S. Ambroife même n'avoit pas encore recu le batêrne, lorsqu'écant gouverneur de la province de Ligurie, il accepta févêché de Milan pour pré venir une fédition qui y alloit éclater au fujet de l'éleclion légitimement avant Damafe. Mais ce dernier entreprit de fe faire élire pape lui-même au préjudice d'Urfin: & pour cet effet il corrompit Juventius préfet de Rome, & Julien préfet de 1'Annone: & s'étant fait élire évéque au moyen de leur proteöion, il affembla une troupe de parjures & de fripons de toute efpece qui frappoient & tuoient tous ceux qui refufoient de 1'accompagner. Enfuite il ramaffa des cochers, desfosfoyeurs, des gladiateurs & tout le clergé , & les ayant armés de haches, d'épées, & de bStons, il les mena attaquer la Bafilique, oü la factlon d'Urfin s'étoit fa** vée. CO S. Hyeronym. ad Pammach. ep. 61. ch. 3. I 2  13a Hiftoire des Revolut. du Gouvernement d'un nouvel evêque fV), tant les féditions pour cette caufe étoient fréquentes. Quand on voulut donner a Conftantinople un fucceffeur a S. Grégoire de Nazianze , qu'on forea d'abdiquer cet évêché, on fut k la veille d'une fédition. Quand la cour & le concile ont voulu öter le même Gége a S. Jean Chryfoftome , il s'y éleva une fédition. II n'y a eu aucune grande églife qui n'ait effuyé de pareüs malheurs. L'hiftoire du fchisme qui s'éleva k Carthage pour 1'ordination de Cécilien eft afffeufe. II importe de la connoitre pour prendre une idéé des maux horribles que produifoient les haines réciproques des chrétiens. Nous ne donnerons ici qu'une légere esquiffe de ce qui arriva du temps de l'empéreur Julien. Cet empéreur, qui n'aimoit pas les perfécutions , ayant accordé fa proteétion aux Donatistes , perfécutés fous Conftantin & fous Conftant, ces fchismatiques fortirent des lieux de leurs exils, & des déferts oü ils s'étoient cachés. & vinrent reconquérir a main armée les églifes d'oü on les avoit chaffés. Felix évéque de Zabe, & Janvier de Flumenpisce vinrent a Lemelle, oü ils attaquérent les Catholiques enfermés dans l'églife; (m) Paulin. Vie de S. Ambroife n. 6.  & de r'Eprit - Hiimain , Chap. II. 13^ ils en blefférenc & tuérent plufieurs, parmi lcsquels il y avoit des diacres qui avoient entrepris de défendre 1'autel. Deux autres évéques Donatiftes vinrent a Thipafe, ville de la Mauritanië, accompagnés du gouverneur & de quelques officiers, avec des enfeignes militaires: ils chasférent les Catholiques, blefférent des hommes, tuérent des enfants, trainérent des femmes par Jes rues & en firent avorter quelques unes: des religieufes furent violées; & Felix, evêque d'Idicre en viola une qu'il avoit confaerce luimême, & dont il étoit par conféquent le pere fpirituel. Ces fchismatiques avoient concu une telle averfion contre les Catholiques, qu'ils confacroient de nouveau les vierges confacrées par des évéques catholiques ; exorcifoient les fideiles pour leur donner un nouveau batême; lavoient les murailles des églifes; brifoient & brüloient les autels, rompoient ou fondoient les calices facrés, & jettoient même aux chiens 1'euchariftie des Catholiques: ils remettoient les prêtres & les évéques au rang des laïques, & impofoient la pénitence aux vierges & aux enfans les plus innocents qu'ils attiroienc a leur parti. (Optat. Liv. 1. Liv. 6. Augujï. ad Donat. epift. 105.) Du fcin des Donatifles il fortit une autre forte d'enragés qui furent appeilésCirconcellions, k I 3  134 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement caufe des cabanes des payfans oü ils s'arrêtoient pour chercher des vivres. Ces furieus couroient par ies bourgades & les marchés avec des armes, fe difant Jes défenfeurs de la ju'lice, mettant en liberté les esdaves, déchargöant les gens obérés de leurs dettes, & ménacant de mort les créanciers qui ne vouloient par Jes en décharger. ( Optat. Liv. 3.) Il y avoit plufieurs autres petites fociétés de Donatiftes, qui pour différentes caUfes s'étoient détachées du grand parti. Enfin en 394 une nouvelle élection d'évêques occafionna un autre grand chisme parmi eux. Quel excès d'ambition dans ces evêques de tous les partis, puis qu'ils fe portoient fi aifémenta des excès fi funeftes, & caufoient tant dc troubles dans l'églife & dans 1'état? Après la dépofition de S. Eufthatc en 330 l'églife d'Antioche fut agitée par un fchisme qui dura quatre vingt cinq ans. Deux évéques catholiques, S. Mélece & Paulin, tous deux hommes d'un rare mérite, & un évéque arien, Euzoius, cauférent ce fchisme par le droit que chacun prétendoit avoir au fiége de cette ville. Cette difpute fut agitée avec tant de chaleur & d'aigreur qïié tout le monde voulut y prendre part; & elle fit naïtrcune divifion entre les Orientaux & les Öccidentaux. S. Jerpme & les Occidentaüx étoient contre S. Mélece (Hyeron.  135 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement garoit. On ne cherchoit plus a éclairer, mais a confondre: on vouloit vaincre pour 1'honneur & non pour la vérité: on ne vouloit point être vaincu, non pour Famour de Ja raifon, mais pour l'amour de foi-même. Lorsque les esprits étoient échauffés a ce point, & que la dispute occafionnoit des fcandales, on demandoit des conciles. Les différents partis employoient toutes fortes de moyens pour s'attirer chacun des partifans & avant ]e concile & dans le concile: & celui qui avoit le malheur d'y fuccomber, demandoit encore d'autres cor ciles: & s'ilfuccomboit encore, il redouoloit fes efforts pour réfifler encore. De Ja les divifions dans l'églife, a la fuite desquelles venoient toujours les fmffes accufations, les calomnies atroccs, les baines irréconciliables, les violences les plus exécrables , les manéges les plus indignes , les intrigues pleines de fourbes & de fraudes, les cabales pleines de fcandale. Et comme les princes & les fujets ne manquoient jamais de fe mêler de ces conteftations, foit par amour de la religion, foit par une fauffe maniere de penfer, foit par les manéges des eccléfiaftiques, il y a eu peu de conciles, qui n'aient produit de défolantes divifions dans Jes deux empires. On n'a qu'a confidérer les actcs des conciles que 1'efprit de discorde & d'aminofité k fait te-  £? de VEfprit-Humain, Chap. II. 137 nir coup fur coup après celui de Nicée, pour fe faire une idee des chofes indignes & exécrables, qu'y commettoit toujours le parti qui vouloit triompher de la vérité & de la bonne caufe. Le même concile de Nicée, le premier des cecuméniques , a eu un commencement trés - fcandaleux. Les évéques qui venoient a peine de fortir de 1'état d'oppreffion oü les empéreurs précédents avoient tenu les Chrétiens, commencérent par préfenter a Conftantin des mémoires les uns contre les autres: l'empéreur trouva leur procédé fi indigne qu'il brula tous ces papiers. (Théodoret. Liv. 1. ch. 11. Sozom. liv. i.ch. 17.) Dans tous les conciles qu'on a tenus depuis, pendant trés long-temps, les évéques ont toujours débuté par des plaintes & des accufations réciproques, par des conteftations fcandaleufes. Dix ans après le concile de Nicée , Conftantin ayant affemblé le concife de Tyr pour juger la caufe de S. Athanafe, que les Ariens accufoient de divers crimes, voici comment on a donnó commencement a ce concile. On y fit d'abord entrer S. Athanafe, qu'on obligea d'y refter debout comme un accufé devant fes juges. L'évêque Potamon qui étoit de fon parti, en fut indigné: il s'adrella a Eufebe de Céfarée, & lui dit: qnoi, Eufebe, tu es affis pour juger Athanafe qui ejt innocent1? lepeut-on fouffrir'? dis-moi, n\étoisI 5  13S Hiftoire des Rtvolut. du Gouvernement tu pas en prifon avec moi avant la perfécution ? pour moi fy perdis un oeil: te voila fain & entier. Comment en es - tu forti fans rien faire contre ta eonfcience? Eufebe fe leva furie champ, & quit. ta 1'alTemblée en difant: Si vous avez la hardieffe de nous traiter ainfi en ce lieu, pcut-on douter que vos accufateurs ne difent vrai ? fjf fi vous exerccz %ci une telle tyrannie, que ne ferez vous point chez vous ? Paphnuce de fon cöté s'adreffa h Maxime évéque de Jerufalem , le prit par la main & lui dit: puisque je porte les mêmes marqués que vous, £f que nous avons per du chacun un oeil pour J. C., je ne puis fouffrir de vous voir affis dans Vaffembiie des méchants, & il lefitfortir. (Epiph.haer.6Z. Athanas. Apol.) Le pape Jules ayant convoqué cn 342. un concile a Rome pour juger la caufe du même Athanafe accufé de tant de crimes, & de mauvaifedoótrinedans la foi, par les Ariens ou Eufcbiens, écrivit une lettre aux Orientaux pour les prier d'y vouloir intervenir. Ceux-ci prévoyant qu'ils ne feroient pas les plus forts aRome, s'en excuférent, & répondirent au pape Jules d'unè maniére qui déceloit leur mauvaife volortté , comme on le peut voir par la réplique que leur fit le même pape : „j'ai lu, dit-il, la lettre que 5, m'ont apporté mes prêtres: & je me fuis éton„ né que vous ayant écrit avec charité & dans  & de l*Efprit-Humain, Chap. II. 141 rins, que les Catholiques avoient, felon lui, pronon cée par cabale & par paffion, Cependant les Catholiques n'y acquiefcérent pas , prétendant que Candidien, prévenu pour Neftorius, avoit donné a l'empéreur de fauffes informations. Cela obHgea les Neftoriens a écrire a Théodofe une lettre, oü ils lui marquent entr'autres chofes , qu'après la lecture de fa lettre , ils avoient voulu fe rendre a l'églife de 1'apötre S. Jean, pour rémercier Dieu & le prier pour fa majefté. „ Mais auffitöt que nos adverfaires, ajoutent3, ils, nous ont vus, ils en ont fermé la porte: „ & comme après avoir fait nos prieres dehors, „ nous retoumions fans dire mot k perfonne, ,, il eft forti une troupe de valets qui ont arrêté quelquesuns de nous, ont öté les chevaux ,, aux autres, en ont bleffé quelquesuns & nous ,, ont pourfuivi avec des batons & des pierres „ jusqu'a une grande diftance". (aft. Concil. Ephes.) Ces mêmes évéques écrivirent enfuite a Artiochus, préfet du prétoire, & a Valere , maïtre des offices , en ces termes. „ Nous „ fommes réduits a 1'extrémité: nous avons tous 3, les jours, pour ainfi dire, la mort devant les :, yeux. Les excès de Cyrille & de Memnon ,, font au deffus de la fureur la plus barbare. „ On nous infulte continuellement, comme 3, dans une guerre ouverte. On a déja deux fois  J42 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement ,, mis des écriteaux a nos maifons pour les mar„ quer a ceux qui devoient les attaquer. Tou„ tes les églifes nous font fermées. Confumés „ de maladie nous n'ofons montrer la tête pour „ prendre un peu d'air. Nous vous fupplions „ d'avoir pitié de nous, de nous délivrer de la mort, & d'obtenir qu'il nous foit permis d'alIer a la ville impériale rendre raifon de notre „ foi, & prouver 1'héréfie & la malice de ces j, gens la Autrement nous ferons en proic h ,, leur fureur ". Je ne finirois jamais, fi je voulois montrer, de concile en concile, la mauvaife conduite des évéques de 1'un ou de fautre parti, & continuer a donner des exemples de leurs paffions, de leurs fanatisme, & de 1'opiniatreté de ceux qui étoient dans Terreur. On peut s'en rapporter la deffus a S. Grégoire de Nazianze qui s'exprime en ces termes: je neme trouver ai jamais dans aucun fynode pour être de compagnie avec des oyes ou des grues qui fe battent a Vétourdie. On n'y voit que divijions, que querelles, que myfteres honteux qui éclatent. Les bons font raffemblés dans un même lieu avec des hommes furieux. (Carm. XL torn. %. p. 81.) & ailleurs: ils fe querellent, au milieu de VaffemhUe, avec tant de fureur, ils poujfent de fi hauts'cris, ils fe dé-  & de PEfprit-Humain, Chap. II. 143 cldrent 1'un l''autre fi cruelkment, ils font tant d& bruit, ils donnent tant de peines, ils courent tant de 1'un a 1'autre pour fe réunir en troupes, qu'on les prendroit pour des gens tombés en démence. fCarmine de vita fua~) Voici comme il parle en particulier de ceux qui fe trouvérent au concile de Conftantinople tenu en 381, qui fut le fecond oecuraénique. 11 eüt été honteux pour moi de ccntinuer a refter (comme évéque de Conftantinople il avoit été, pendant quelque temps, a la tête de ce concile) dans la compagnie de ces débauchés, dont les uns étoieiit parens ou alliés des receveurs des tributs, £f n'avoient dans le coeur que des fentimens corrompus: Les autres tout brulés du foleil revenoient de la charrue: ceux-ci avoient été occupés a labourer la terre: ceux-la n'avoient abandonné que depuis peu les vaijfeaux, ou l'armée, «f=f fentoient encore l'eau croupie, ou leur corps étoit encore infeÜé de la puanteur de leurs playes (Ccncil. Conjl. de Episcop.') Dans ce même écrit, & ailleurs encore il continue a Jes depeindre comme des fuperbes & des ambitieux . comme des avares qui ne fongent qu'a amaffer par toutes fortes de voies, comme des hypocrites qui. fous 1'apparence des vertus, cachent de grands vices,comme une troupe de geais & un elTain de guêpes  Hiftoire des Revolut. du Gouvernement qui fautent au vifage (voy. epis. 55. 76. 83. 84 (*). Tandis que cet efprit de discorde ruinoit l'églife & 1'empire, les évéques de Rome feuls s'occupoient a en tirer avantage. Jaloux des évéques d'Alexandrie & de Conftantinople qui fe disputoient k 1'envi la direétion des églifes d'Orient, les papes craignoient avec raifon que 1'un ou 1'autre de ces évéques, & plus vraifemblablement celui de Conftantinople , ne parvint k gagner dans 1'Orient un ascendant, qui contre balancat, ou furmontat même la primauté du fiége de la première ville du monde. Ils firent donc de continuels efforts pour entretenir la discorde parmi les Orientaux, tant pour les empêcher de fe réunir fous un feul évéque, que pour engager les p'us foibles a recourir au fiége de Rome, ce qui leur fourniffoit des prétextes de s'ingérer avec quelque forte d'autorité dans les disputes des Orientaux & d'ufurper infenfiblement de nouvelles prérogatives. Après la mort de Conftantin, qui avoit dépofé & exilé S. Athanafe, cet évéque alla a Rome pour implorer le fecours du pape S. Jules. Ce- lui- (*) Voy. la note fuivante a la fin.  6? de r'Efprit-Humain, Chap. ttt 145 M-ci le prit aullïtöt fous fa protectton; il convöqua un concile a Rome oü S. Athanafe fut décfare* innocent en 1'abfence des évéques d50fient,qui ne voulurent point intervenir (Sozom. Liv. 3. ch. 8. Socrat. Liv. 11. ch. 12.). Après cela il s'tmploya auprès de l'empéreur Conftant pour faire tenir un concile oecunémique, ne dourant pas qu'il n'y fit confirmer, moyennant la protection de ce prince, le jugemeUt rendu a Rome. Le concile fut convóqué a Sardique en lllyrie en 347. L'exemple, les recommandations , les lettres du pape Jules, & fur-tout la décifion du concile de Rome, oü avoient afiifté cinquante évéques, attiférent dans le parti de S. Athanafe tous les évéques d'Occident. Les Orientaux, qui y étoient en moindre nombre, s'étant apper£us de ce qui devoit arriver, fe retirérent de Sardique dès le commencement , & s'arrêtérent Ü Philippopolis en Thrace, d'oü iis écrivirent a leurs confrères, qui étoient reftés chez eux, les raifons qu'ils avoient eu de fe féparer des Occidentaux affemblés a Sardique. Us leur mandérent, entr'aütres chofes, qu'Athanafe étoit allé eh Italië & en Gaule pour folliciter cette afiemblée: qu'ayant gagné Jules, évéque dé Rome, & Ofius, évéque de Cordoue, ces deux prélats • avoient obtenu, de la bónté de l'empéreur CohTome I. K  T46 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement ftant, la convocation de ce concile. „ Nousy 5, fommes veniis, difent-ils, appelles par des ,, lettre6 de l'empéreur: a notre arrivée nous „ avons remarqué qu'Athanafe , Marcel, & „ tous les fcélérats juftement condamnés & dé5, pofés par plufieurs conciles, étoient affis, „ au milieu de l'églife, avec Ofius & Portoge„ ne (evêque de Sardique) qu'ils y parloient, ,, & qui pis eft, y cclebroient les divins myfte,3 res. . .. Nous leur avons ordonné de les ex„ clure de leur affemblée, dc les condamner & de j, ne point communiquer avec les pécheurs: & „ puis d'écouter avec nous ce que nos peres „ avoient jugé contre eux. Mais ils n'ont „ point voulu fe fcparer de leur communion, ,, autorifant 1'héréfie de Marcel & Jes crimes „ d'Athanafe & de quelques autres, & les pré„ férant k la foi & k la paix des églifes. Us prétepdoient encore introduire une nouvelle „ erreur, qui étoit de préférer aux conciles orien„ taux le jugement de quelques évéques d'Occi- dent, fe faifant juges des juges mêmes: & „ voulant retouclier au jugement de ceux qui font deja avec Dieu On voit ici affez clairement, que la conduite du pape Jules 1'avoit yendu fufpeifl de partialité aux Orientaux , puisqu'il avoit fait abfoudre, dans fon concile de Rome, Athanafe condamné auparavant par plu-  & de FEfprit-Humain, Chap. il. 14;? fieurs conciles d'Orient; & d'ambition, puisqu'il s'attribuoit 1'autorité de réformer avec fes évéques d'Occident les décifions des conciles d'Orient. Cette conduite des Orientaux, jointe au jugement que le pape Jules, & la tête du concile de Rome, avoit rendu en faveur de S. Athanafe, &des autres évéques perfécutés par laplus grande partie des évéques d'Orient, a donné lieu aiï fameux canon, qui attribue au pape une jurisdiclion fur les autres évéques, dont l'évêque de Rome n'avoit jamais joui auparavant. Ofius, qui, comme nous favons dit, préfidoit k ce con* cile, paria en ces termes aux peres affemblés. „ Si deux évéques d'une même province ont „ une affaire enfemble , aucun des deux ne „ pourra prendre pour arbitre un évéque d'une „ autre province. Que fi un évéque ayant été „ condamné (par les évéques & le mérropoli„ tain de fa province) fe tient fi afiuré de fon „ bon droit, qu'il veuille être ju?é de nouveau „ dans un concile, honorons, fi vous le trou„ vez bon, la mémoire de 1'apötre S. Pierre,* que ceux qui ont examiné la caufe écrivent a 3, Jules évéque de Rome: s'il juge a propos de renouveller le jugement qu'il donne des juges: j, s'il ne croit pas qu'il y ait lieu d'y revenir^ ,> on s'en tiendra a ce qu'il aura ordonné". K 2  148 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Le concile approuva cette propofition. (canon* 3-&40 L'exemple du pape Jules fervit de lecon h fes fucceffeurs. Depuis cette époque iis embraiférent avec emprelfement tous les évéques, les prêtres & les moines qui recouroient a eux. Et quoique les canons de ce concile n'euffent pas Jaforce d'obliger les Orientaux, puisqu'ils n'y avoient pas aiMé, lespapes prétendirent néanmoins exercer fur eux la même autorité, que fur les Occidentaux. Cependant, fentant bien qu'ils ne pouvoient pas, en vertu de ce conci.le, ufurper tout lc pouvoir qu'ils fouhaitoient, ijs employércnt différents artifices pour atteindre leur but. Les exemples feront voir comment ils s'y font pris. Urbain , évéque de Sicque dans la Mauritanië Céfariene, ami de S. Auguftin, ayant excommunié le prêtre Apiarius, comme chargé de plufieurs crimes, dont les ha. bitans de Tabraque favoient accufc, le prêtre en appella en 418 au pape Zoüme. Quoique le concile de Sardique n'eüt autorifé que les appellations des évêqu2s, & non pas celles des cleres inférieurs, qui étoient obügés de fe foumettre aux jugements de leurs évéques & des conciles de la province , Zofime accepta 1'appel, &.envoya trois légats en Afrique avec une inftruclion qui contcnoit quatre chefs. Le premier fur les  6? de rEfprit -Hwnain, Chap. II.' 149 appellations des évéques au pape, le fecond contre les voyages importunsdes évéques a Ia cour; -letroifieme enjoignoit de traiter les caufes des prêtres & des diacres devant les évéques voifins, en cas qu'ils euffent été injuftement excommuniés par leur évéque.: Ie quatrieme d'excornmunier l'évêque Urbain.on de le citer b. Rome, s'il ne reparoit fa faute. Pour appuyer le premier & le troifieme article, le pape alléguoit non pas le concile de Sardique, mais celui de Nicée. Cette rufe eft remarquable. A cette époque on faifoit déja peu de cas du concile de Sardique. Les plaintes des Orientaux avoient ouvert les yeux aux Occidentaux impartiaux & fenfés. Quoique les orthodoxes reeonnuffent encore, que pour le fond on y avoit fuivi la doctrine du concile de Nicée, cependant on ne pouvoit s'empêcher de fentir que la cabale de l'évêque de Rome y avoit dominé, & qu'entr'autres fautes que l'on y avoit commifes, le pape, pour faire valoir fi proteftion , & encourager les recours è fon fiége , y avoit fait abfoudre Marcel d'Ancyre convaincu de fauffe doerrine. Deforte que, malgi é fon abfolution, on Pa toujours regardé comme hérctiqus, felon la propre remarque de S. Epi« phane (haer. 72.11. 4.), qui s'appuye même de 1'autorité & du témoignage de S. Athanafe. Le concüe de Sardique étant donc décrié, les pa* K 3  ifSÖ Hiftoire des Revoiut. du Geuvermmtnt „ ges, parcequ elle étoit Ia ville regnante, & „ par le même motif les cent cinquante évéques „ ont jugé que la nouvelle Rome, qui eft ho„ norée de 1'empire & du fénat, doit avoir les mêmes avantages dans Fordre éccléfiaftique & „ être la feconde après elle". II y avoit deux chofes dans ce décret qui déplurent également a Léon & a fes fucceffeurs. La première étoit la raifon, fur laquelle les peres avoient fondé la préeminence du fiege de Rome. Us vouloient qu'on la fondat fur quelque chofe de plus foüde, parcequ'iJs craignoient, avec trop de raifon, que Rome n'allat tomber fous le joug des barbares, & que dès lors elle cefferoit d'être refpeftée. La feconde chofe qui les fachoit, étoit le fecond concile d'Ephefe Eufebe, evêque de Dorylée, preira Eutychés de canfeifcr les deux natures après 1'incarnation , ies peres s'écricrent: otez, Irulez Eufebe. Qu'il foit brulé vif, qu'il Joit mis en deux. Comme il a divifé, gu'on le divife. QCon. Calcéd. att. i. p. 22.~) En lifant les aÊtes des conciles de ces temps, vous retrouverez presque toujours le même efprit de douceur & de charité? Mais vous remarquerez auffi, que Ie manque •de charité n'a jamais fait perdrc de vue la vérité; du Hioins dans les conciles oü les hérétiques n'ont pas été appuyés de lapuiffance féculiérc. C'elï une juftice qu'il faut rendrc aux conciles libres. Les fautes contre la charité y ont été rachetées par le zele pour Ia vérité.  & de VEfprit-Himain, Chap. II. 1-57 Tang, qu'on avoit accordé k l'évêque de Conftantinople: car ils prévoyoient, que, Conftantinople pouvant mieux fe défendre contre tes barbares, les évéques de ce fiége fe rendroient non feulement les chefs fpirituels de 1'Orient, mais de 1'Occident. C'eft pourquoi les papes fe firent déformais une étude de fomenter la discorde parmi les évéques d'Orient & d'engager les opprimés a recourir a eux. C'eft ainfi que Simplicius, fuccefJeur de Léon, prit fous fa protettion JeanTelaja, évéque d'Alexandrie, qu'Acace, évéque de Conftantinople, avoit fait dépofer, comme parjure & mal ordonné. Felix, fucceffeur de Simplicius continua la brouillerie, & Gélafe la pouffa encore plus loin. Cet efprit de brouillerie & d'ambition reparoïtra toujours, & toujours avec plus d'animofité. II produira enfin un fchisme permanent. Cet efprit contentieux, intrigant &• brouillon des évéques a du naturellement déterminer les empéreurs a chercher les moyens de le bannir au moins des conciles. Pour cet effet ils y affiftoient ordinairement eux-mêmes, & prefcrivoient les matiéres, fur lesquelles les évéques devoient donner leurs avis. Quand d'autres affaires les empêchoient d'y intervenir, ils y envoyoient des préfets des provinces ou des villes, v des officiers avec des foldats pour faire obfer-  158 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement ver 1'ordre, & empêcher les conteftations éclatantes. Et comme il étoit rare, qu'il n'y eüt parmi les évéques au moins deux faétions oppofëes, la faction qui avoit l'empéreur ou fes officiers de fon cöté, ne manquoit jamais de triompher de 1'autre. Sous Conftantius & fous Valens les Ariens ont toujours eu le deffus: fous Conftant & fous les deux Théodofes ils ont toujours eu Ie deffous. Cependant la partie, qui fuccomboit, alloit crier par tout, qu'on avoit fait violence a la raifon, qu'on avoit prononcé fans examen , qu'on avoit fermé la bouche a ceux qui vouloient parler, & que la puiffance fécuhere avoit ufurpé les droits du clergé. Au contraire le parti vainqueur foutenoit, que tout s'étoit paffé dans les formes, que toutes les opinions avoient été bien discutées , & que Ton n'avoit cherché que la vérité. Tous les aéïes des conciles atteftent ce que je viens de dire: mais je ne donnerai ici que le précis do ce qui eft arrivé dans deux conciles. L'empéreur Conftantius fe trouvant en 355 a Milan il y convoqua un concile pour concilier les Catholiques & les Ariens, y étant follicité tant par le pape Libere , qui défiroit de bonne foi la réunion des églifes, que par les evêques orientaux , qui ne cherchoient qu'& engager les occidentaux a fouscrire la condamnation de S. Atha-  'ïób Hiftoire des Revblut. du Gouvernerkèhi péreur tira 1'epée contre eux, & envoya fur lë champ en exil les plus opini&tres. Après quoi S. Athanafe fut condamné, & le concile terrni- né(>)- Avec le temps les hérétiques fe multipliérent, & l'églife en fut prodigieufement déchirée. Pour trouver un remede a tant de désordres l'empéreur Théodofe I jugea a propos de convoquer én 3^3 a Conftantinople les évéques de toutes les fectes, s'imaginant bonnement qu'en les faïfant conférer enfemble il les ameneroit a la" Concorde. II vint de tous cötés des évéques dé toutes les religions: l'empéreur leur ordonna dé donner chacun leur confeffion de foi, & de faire paroïtre clairement la queftiön qui les divifoit les uns des autres. Chaque parti en chargea celui qui étoit eftimé Ie plus habile. Chacun 'écrivit fon dogme, & le porta a Théodofe. H prit tous leurs écrits, & s'étant tiré a 1'écart, il pria Dieu de le vouloir éclairer. En fuite ayant lu chacune de ces confeflions de foi, il rejetta toutes celles qui divifoient laTrinité, & lesdéchira. II y en eut une feule, qui tenoit pour le confubjïantiel: & ce fut auffi ce mémoire feut qui (6) Lucif. de non conven. Idem de non pirc. Iden-v pro dthirtas. Sulpic. Liv. 2, Athanas. ad Solü',  6? de rEfprit - Humin, Chap. II. 16x qui mérita fon approbation (c). Cela finit le concile, mais ne finit pas les disputes; car les hérétiques s'en allérent criant, que beaucoup font appelles, mais que peu font éius. Cependant comme Théodofe ne doutoit point qu'il n'eüt été iiilpiré, lorsqu'il fe décida pour les Catholiques , ainfi que Conftantius n'en doutoit pas non plus, lorsqu"il fe décida pour les Ariens, il donna plufieurs loix pour défendre aux hérétiques de s'affembler, même dans les maifons des particuliers , &permit aux Catholiques de les en empêcher. Malgré toutes ces précautions que prertoient les empéreurs pour prévenir les conteftations, les accufations calomnieufes & les intrigues dans les conciles, les évéques continuérent toujours d'en agir de même: avec le temps ils ne fe contentérent même plus de femer la discorde , & de former des faótions dans les conciles mêmes, ils prirent encore la coutume de faire venir au lieu du concile des troupes de moines pour appuyer les fentiments, qu'ils y manifefteroient, par des bruits & des tumultes que ces moines exciteroient parmi le peupie. Lorsque 1'empé- Cc) Socrat. Hifi. Liv. 5. ch. 10. Sozom. Liv. eh. 12. Tome I. li  16% Hiftoire des Revolut. du Gouvernement reur Théodofe le jeune convoqua en 431 le concile général d'Ephéfe, il y envoya en fon nom Candidien, comte des domeftiques, avec une commiflion concue en ces termes: „ II lui eft „ ordonné } dit-il dans la lettre adrejfée au „ concile, d'éloigner abfolument de la ville d'Ephéfe tous les féculiers & les moines, de „ peur que ces perfonnes, qui ne font point „ néceffaires, ne faffent du tumulte, & n'em„ pêchent les délibérations du concile. II doit „ aufli prendre foin que les difputes ne produi„ fent point de divifions, & que tout fe paffe „ fans aigreur. Sur - tout nous lui avons enjoint „ d'empêcher abfolument que perfonne de vous j, ne quitte le concile, foit pour retourner chez „ foi, foit pour aller ailleurs ou pour fe rendrea j, notre cour. Nous voulons aufli que l'on n'y „ intente aucune a&ion civile ou criminelle contre perfonne (<*)". 0° peut juger del'effet de cette lettre par celle que l'empéreur envoya au concile pour le faire ceffer. „ Com„ me nous préférons, y eft - il dit, la paix des „ églifes a toute autre affaire, nous avons es„ fayé de vous récancilier, non - feulement par Qd~) Voy. les act. de ce Concile. Contefi. Candid. Synod ch. 9.  6? de rEfprü-Humin, Chap. II. 163 3> nos officiers, mais par nous-mêmes. Mais „ nous y avons fi peu réuffi, qu'il ne nous a „ pas feulement été poffible de vous engager k ,, prendre en déiibération les matieres contes„ tées: ainfi nous ordonnons que le Concile „ d'Ephéfe foit féparé" (e)- Cette haine & cette rage que les évéques mirent dans leurs divifions, les laïques la mirent dans les leurs. A la moindre occafion d'une querelle qui s'élevoit quelque part entre des citoyens de différentes fecles on fe portoit d'abord aux excès. De part & d'autre on mettoit le feu aux maifons & aux églifes; on prenoit les armes; on s'égorgeoit; on s'exterminoit tour a tour. Qu'on en juge par un feul exemple. L'é. glife des apötres a Conftantinople menacant ruine, l'évêque Macedonius voulut en enlever le corps de Conftantin le grand qui y étoit enterré; mais comme Macedonius étoit arien , auffitöt les Catholiques, par averflon pour lui, s'y oppoférent comme k un attentat criminel. Au contraire les Ariens fe rangérent de fon cöté. ' On prit les armes de part & d'autre: on eri vint aux mains: & on fe battit tellement que la cour de l'églife & le puits qui y étoit furent rera- (j) Vóy. les mêmes aóï. L a  164 Hiftoire des Revolüt. dü Gouvernement plis du fang des gens tués & bleffés, qui couloit même dans la galerie joignante & jusques dar s ia rue. (Sozom. Liv. 4. ch. 20.) Ce tait arnva en 357. lous le regne de Conftantius. Ammien Marcellin rapporte (Lfy.25.) que Julien, dans la vue de ranimer entre les Chrétiens lturs funeftes diffentions, qui faifoient tant de ravages dans l'églife , rappella les évéques exilés par Conftantius, & leur rendit leurs églifes'^ car il favoit , ajouta t-il, que les bêtes féroces font moir.s cruelles pour les hommes, que les Chrétiens en général ne 1'éroient, dans leurs difputes, les uns pour les autres. Les empéreurs étant les uns d'uhe fe&e, les autres d'une autre, mais la plupart néanmoins Catholiques, & les évéques leur infpirant continuellement leur efprit d'intolérance, quand ils fe déclaroient pour un parti ils ne m mquoient jamais de perfécuter tous les autres: ce qui faifoit qu'ils avoient 1'affecr.ion d'un feul parti, & étoient en averfion a tous les autres, de forte que ks perfécutés foupiroient aprè« quelque révolution, dont üs puffent efpérer quelque foulagement k leurs maux. Le défir d'une telle révolution portoit continuellement les uns k chercher les moyens de la faire arriver, & les autres a la faifir & pouffer avec empreffement, dès qu'elle commeneoit k fe montrer. Enfin  6? de f Efprit-Humain, Chap. II. 165 l'empéreur Valens, qui protégeoit 1'arianisme, ayant envoyé des prêtres de cette fe&e aux barbares, ces peuples en fe convertilTant embrafférent tous la feéle de leurs apótres: & lorsqu'après leurs irruptions ils fe furent établis dans les provinces de 1'empire, ils y rencontrérent les Catholiques, (*_) qui les haïfloient mortellement, C*) Quand l'empéreur Conftantius eut commencé \ perfécuter les Catholiques, les évéques de ce parti fe mireut auffuöt a le décrier auprès des peuples Nous avons vu que S. Hilaire , évéque de Poitiers , Ie traitoit d'antcchrift, de Iarron, de loup raviifant &c. Auffi Conftantius eut fur - tout les Gaulois pour fes ennemis particuliers. Ils forcérent Julien a accepter Ie tïtre d'empéreur , & fes troupes voulurent être employées a détróner fon oncle. L'empéreur Valens, en perlecutant de même les Catholiques , indigna fes meilleurs capitaines, Trajan, Arinthée&Viófor-, tous zelés Catholiques. QThéodor. Liv, 4. ch. 32. & 33. V, & les Goths 1'ayant attaqué , il perdit contre eux deux batailles, dont la derniere lui coüta la vie. Ces capitaines ne pouvoient manquer de fe faire battre , puisqu'ils lui reprochoient qu'il s'étoit attiré la cojere de Dieu par les faveurs qu'il accordoit aux ennemis de Ja foi catholique; & qu'ils avoient entendu ie moine Ifaac dire a l'empéreur, lorsqu'il conduifoit fon armée, la feconde fois, contre les Goths: „ oü allez vous, em„ péreur ! oü allez vous, empéreur'. vous avez fait la guerre „ a Dieu il rieft pas pour vous. C'e/i lui qui a excité con. „ tre vousles barbares.') Théodor. Liv.4. ch. 34," Valen? L 3  176 Hiftoire des Revotut. du Gouvernement religion payenne, la bigotterie ne portoit point a fuir la fociété des hommes, k méprifer les agrémens de Ia vie civile, k négliger les affaires de 1'état. Au contraire, dans la relision chrétienne, la bigotterie engage a avoir tout cela en horreur. Ceci eft démontré par toute l'hiftoire .des Chrétiens & par 1'expérience iournaliere de nos temps. La bigotterie des Romains payens opinion de Scipion, qu'il fe porta plus d'une fois a 1'accufer dans Ie fénat: il 1'aecufa de luxe, de mollede , & de relachement dans la difcipline militaire, comme on peut voir dans Tite-Live , liv. 29. ch. iq Le cenfeur M. Caton n'en avoit pas meilleure opinion. ( Tite-Live, liv 38. ch. 54.) II y a dans Aulugelle un fragment de 1'Hiftorien Valerius Antices contenant un fait, qui dépofe contre fa continence. Puella, quadam pulcherrima, dit-ü, quam Carthaqine. ampia civitate in Hispania expugnata , coeperat Publius Africanus Superior , non reddita patri , fed retenta ab eo , atque in deliciis, amoribusque ufurpata eft- Le poëte Naevius fit des vers fanglans contre Scipion, long-temps après fes victoires, qui fuppofentmanifcftement,que, bien loin d'être chafte, il donnoit dans la galanterie & même dans la débauche. Voici un fragment de ces' vers. Etiam qui res magnas ftcit gloriofe Cujus faüa viva nunc vigent, Qui apud gentes folus praftat Eum fuus pater, cum pallia uno, ab amica aiduxlt.  ö* de rEprit-Humain , Chap. III. ij§ jours fansrien prendre;il yen a qui le fixiéme „ fentent a peine encore la faim, tant la contem,,plation, qui nourrit leur ame,leur fait oublier 3, toute autre nourriture. Ils méJitent au refte fur „ la loi, fur les prophetes; ils les commentent. ,,Le principe qui fert de fondement a toutes leurs „ interprétations, eft que, dans i'écriture, le fens „ Iittéral eft comme le corps, & que le fens fpi,, rituel ou allégorique eft comme 1'ame. Ilss'écar- tent donc du premier pour ferapprocher du fe,,cond. C'eft ainfi qu'ils vivent féparément pen- dantfixjours: le fepciéme ilsferafTemblent; & 3, comme ils ont une grande vénération pour le „ nombre de fept, ils ont de fept en fept femaines „ une fête qu'ils céjebrent enfemble avec folem„ nité. Dans les affemblées ils font placés fuivant „l'age,les bras cachés fous lemanteau, la main „ droitepofcefurlapoitrine au deffous de la bar„be, & la main gaucbe appliquée fur le cóté. „Au milieu d'eux s'avance n.n des anciens & ,,des plusfavans; il differte avec gravité & mo„deltie,les autres écoutent dans le fiience, mon- trant d'un mouvement de tête, leur approba„ tion ou leur doute. On ne fert fur leur table qu@ „dupain, du fel, &del'eau; toute 1'attention „qu'on a pour les plus délicats , c'eft de faire chauffer leur eau & de leur donner de ThyiTo„pe, Ilsnefeféparent pas d'abord après lerepass M 2  i8o Hiftoire des Revolut. du Gouvernement „ilspaffent la nuit a chanter deshymnes jusqu'au „ moment oül'aurore va paroitre. Alors toutes „lesvoix fe réuniffent; & fe tournant enfuite „vers le foleil levant ils demandent aDieu 1'es„prit de fageffe. C'eft la que la fête finit. Cha„ cun fe retire & va chercher la fageffe dans fon „hermitage". La prophétie ayant ceffé chez les Juifs après la mort d'Esdras, d'Aggée, de Zacharie & de Malachie, les fyftemes des philofophes payens commencérent peu k peu k pénétrer en Judée. Cette révolution eft due aux Juifs qui demeuroient k Alexandrie en Egypte. Cette ville ayant été fondée par Alexandre, ce conquérant y fit venir des colonies de divers endroits: il y transporta même des Juifs: & accorda a tous les habitans de toutes les nations d'y exercer librement toute efpece de cultes. Sous les premiers des Ptolomées la nouvelle ville fe peupla prodi'gieufement: les favants en tout genre y accoururent. Les Pythagoriciens fur-tout s'y transportérent en grand nombre, parceque, quelque temps auparavant, ils avoient été chaffés de la grande Grece, oü ils avoient fondé des écoles nombreufes & célebres. L'Egypte devint infenfiblement le centre de tous les arts, de toutes les fciences, de toutes les opinions, de toutes les'fuperftitions. La liberté que les roisGrecs  £? de V'Efprit-Humain, Chap. III. i8r y accordoient a tous les cultes & a tous les fyftemes de doctrine y atcira, outre le grand nombre de Pythagoriciens, des Péripateticiens, des Stoïciens, des Sceptiques, des Platoniciens, des feórateurs de Zoroaftre, desldolatres, des JuifsDe tant de fectes differentes il étoit naturel que les unes fuffent plus favorifées h la cour que les autres. Les prêtres Egyptiens, accoutumés fous les prédéceffeurs d'Alexandre, a mener la cour & la nation, tSchérent fous les Ptolomées de conferver un refte de leur ancien crédit, en fe rapprochant des fectes qui étoient les plus eftimées & la cour: ilsfe conciliérent d'abord avec les Pythagoriciens; a quoi ilsfe déterminérent d'autant plus aifément, qu'ils voyoient dans le fyfteme de ces philofophes plufieurs doctrines, que leur chef avoit puifées chez leurs ancêtres. II importoit auffi è ces prêtres de lier amitié avec les Platoniciens qui jouiffoient d'une grande réputation. Cela ne leur coüta pas plus de peine: car Platon avoit pris beaucoup de Pythagore: & pour les fentiments qui étoient particuliers a Platon , les prêtres Egyptiens avoient, dans leur ancien ufage de tout interpréter par allégories , un moyen facile de concilier les opinions les plus contraires. Enfin comme Platon avoit auffi adopté quelques idéés de la doctrine de Zoroaftre concernant les émanations, ces M 3  Ï&2 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement prêtres, a 1'aide de leurs allégories, s'approchérent de même, des fe&ateurs de Zoroaftre. Les différens philofophes qui fe trouvoient en Egypte eurent les mêmes motifs de faire ce qu'ils voyoient faire aux prêtres d'Egypte. 11 leur importoit de fe rapprocher de la cour en fe rapprochant des fettes qu'elle diftinguoit le plus. Cela fit naitre un nouveau fyftême de philofophie, qu'on appella le Sincrétisme, parceque fon objet étoit de concilier toutes les opinions, & fur-tout celles des principaux philofophes. Ce nouveau fyftême fit un cahos de tous les fyftêmes: les opinions de chaque philofophe fe confondirent tous les jours de plus en plus avec les opinions de tous les autres. ■ Les difputes qui s'élevérent enfuite, du fein même du Sincrétisme, occafionnérent a la longue la naiffance d'un autre fyftême: ce fut YEckttisme, qui, fans fe donner la peine de concilier les philofophes entr'eux, faifoit profeffion de prendre ce qu'il y avoit de bon dans chacun. Le fond de leur philofophie étoit le platonisme, non pas celui de 1'académie d'Athenes, mais celui de 1'école d'Alexandrie, oü 1'écletisme avoit pris naiffance. Ainfi tout ce que ces nouveaux philofophes adoptérent de la doftrine de Platon, avoit déja été altéré par la doftrine des philofophes fincrétiftt's, dont les nouveaux avoient  & deVEfprit-Humain, Chap. III. 183 été les difciples. Les ecleótiques profeffoient fur tout de concilier Ariftote avec Platon, parceque ces deux philofophes étoient ceux qui avoient alors le plus de réputation. Pour cela, dit encore, M. 1'abbé de Condillac, on imagina des diftinétions & des fubtilités; on fit violence au texte, on 1'interpréta arbitrairement, & on parvint k faire dire a tous deux ce qu'ils n'avoient penfé ni 1'un ni 1'autre. L'eclectisma eut pour chef Ammonius Saccas d'Alexandrie: il avoit été élevé dans la religion chrétienne; & avoit étudié Ia philofophie fincrétique. Après cela il quitta la religion ch rétienne pour embralTer 1'idolatrie, & le fincretisme pour fon nouveau fyftême. Etant mort au commencement du troifieme ficcle il laiffa un difciple qui le furpaffi. Ce fut Plotin de Lycopolis en Egypte. 11 lieuriflbit fous l'empéreur Gallien qui avoit une grande eftiine pour lui; 1'impératrice Salonine 1'honoroit encore davantage. II eut un grand nombre d'admirateurs , d'amis & de difciples. Des fénateurs de Rome & des dames de qualité vinrent exprès a Alexandrie pour le connoitre & 1'entendre. Le defijr de s'inftruire de la do&rine des Perfes & des Indiens le determinérent a fuivre l'empéreur Gordien le jeune dans fon expédition contreSapor, roi de Perfe, & fuccefftur d'Artaxerxes. A l\xemp!e de fcn maitre il fit M 4  S84 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement profefïïon de 1'éclect.isme, fuivant principalement la doctrine de Pythagore, y joignant celle de Platon & prenant auffi quelque chofe des St:>ïciens & des Peripatéticiens. II étoit fi attaché a fon abftinence pythagorique, qu'il refufa d'ufer de la thériaque a caufe de la chair de vipere qui y entre. 11 fe vantoit d'avoir un génie familier, comme Socrate : mais celui de Plotin étoit, a ce que difoientfes-difciples, d'un ordre fupérieur & du rang des dieux, de forte que ks enchantemens n'avoient point de pouvoir fur lui. Les plus fameux de fes fucceffeurs furent dans ces temps Porphyre, fon difciple, Jamblique, difciple de Porphyre, Edefms difciple de Jamblique, & Maxime que ks hiftoriens chrétiens regardent comme le principal féduéleur de l'empéreur Julien. (Socrat. liv. 3. ch. 1. Sozom. liv. 5. ch. 2.) Si les idéés de Platon & de Pythagore conduifoient naturellement a l'enthouftasme, elles y devoient porter avec plus de violence en Egypte qu'ailleurs: car de la fuperftition a 1'enthoufiasme le paffage eft rapide, & les Egyptiens étoient les peuples les plus fuperftitieux de 1'univers. Auffi les extafes étoient-elles communes parmi les éclecliques: leurs méditations les élevoient au deffus du refte des hommes, & ils voyoient tout ce qu'ils vouloient voir. Plus enthoufiaftes  ff de t'Efprit - Humain, Chap. III, 18 J quePJaton & Pythagore, ils croyoient pouvoir, dès cette vie, s'élever par dégrés jusqu'a Dieu, s'abimer dans la divinité, & fe déifier en quelque forte eux-mêmes. Les émanations, telles que les Perfes les avoient imaginées, étoient le fondement d'une confiance fi extravagante: car en ce point ils préferoient Zoroaftre a Platon. Ils employoient fouvent 1'allégorie. Par ce moyen ils interprétoient toute la mythologie aleur gré: ils ne voyoient dans Jupiter, dans Junon, & dans les autres dieux, que des divinités qu'ils difoient émaner du Dieu fuprême. Selon leur fyftême tous les êtres émanent de Dieu: & fis font plus ou moins parfaits fuivant qu'ils en émanent plus ou moins immédiatement. Tout vient de cette première fource, les corps comme les efprits. Nos ames en font féparées par une longue fuite de génies, de démons, & de divinités de toute efpece. Elles font a f extrémité de la chaine; & comms elles font éloignées par dégrés du principe de tout, elles peuventauffi s'enrapprocher par dégrés. II ne faut pour cela que des jeünes, des méditations, des retraites, des mortifications. Les Juifs d'Alexandrie eurent naturellement la curiofité de connoitre une philofophie qui promettoit de pénétrer dans la nature de i'univers, qui parloit de Dieu en termes magnifiM 5  ö9 de F Efprit -[Humain, Chap. III. i80 des do&eurs, qui avoient entrepris de tout discuter, tout analyfer, tout éclaircir dans une religion, dont les myfteres & la fimplicité s'oppofoient également a tout raifonnement, & prelcrivoient uniquement 1'humilité dans la foi, & la charité dans les oeuvres. Ces dcóteurs prétendoient ériger en articles de foi toutes leurs doftrines tant vraies que faufies, d'oü naiffoient les disputes, auxquelles on prenoit trop de part, paree qu au lieu de méprifer & de faire rentrer dans 1'oubli tout ce qui étoit hors de 1'évangile & des traditions , on fe mêloit de toutes les queftions, en s'occupant a rejetter tout ce qui paroiffoit faux , ce qui occafionna une foule d'héréfies, & a embralTer tout ce qui paroiffoit vrai. Par lk on furchargea 1'évangile d'une infinité d'additions, & on rendit extrêmement corapliquée la religion la plus fimple: altération funefte qui en enfanta des plus funeftes encore, &produifit des troubles fans fin,qui déchirérent l'églife & ruinérent fucceffivement les deux empires. , D'autre part les fanatiques prétendoient faire paffer pour des oeuvres méritoires des aftions ou indifférentes de leur nature, on même blama?bks;foit parcequ'elles mettent celui qui les pratique hors d'état d'être utile a fon prochain, foit parcequ'elles nuifent a la fociété en général.  ï$>d Hiftoire des Revohit. du Gouvernement On avoit adopté les rêveries des EiTériiens & des Therapeutes contre Je manage , & en faveur du célibat : & il fe trouvoit déja une multitude d'enthoufiaftes qui pouffoient ces abfurdités fi loin , qu'ils foutenoient que Dieu avoit défendu le manage k ceux qui avoient déja été mariés une foi (rf), a ceux qui avoient été élevés a la prêtrife (e): on avoit embraffé avec enthoufiasme Jes enfeignemens des philofophes platoniciens d'Alexandrie fur la néceffité des jeunes , des méditations , des retraites & des mortifications, pour parvenir k une perfection capable d'élever 1'homme jusqu'k Dieu t enfin la doctrine des Pharifiens fur les oeuvres de furérogation étoit devenue la doctrine générale de tous les Chrétiens. Plus on s'éloignoit des premiers temps de 1'évangiie, plus on s'écartoit de la pureté de fa doctrine. Les altérations croifioient de jour en jour. Sous les fuccefieurs de Conftantin la religion chrétienne ne fut plus, chez le commun des hommes, qu'une pure fu- C<0 C'étoit la doctrine de Tertullien. Le Concile de ISiéocefarée fouinit a ia pénitence ceux qui fe maricroient plus d'une fois. Plufieurs Conciles fuivirent fon exemple. CO Le même Concile & plufieurs autres après defendirent le mariage des prêtres.  6f de F Efprit-Humain, Chap. IIL 19? perftition, infiniment plus pernicieufe a la fociété civile, que n'avoit jamais été aucune efpece d'idolatrie; puisque le culte des faux dieux ayant été inventé par les législateurs humains pour attacher les hommes aux gouvernements, & pour les empêcher de violer les loix, tous ces cultes fuperftitieux tendoient au bonheur des états. Mais la fuperftition des Chrétiens dctachoit les hommes de la fociété; les affoibliffoit au point de n'être plus capables de remplir, les devoirs de fujets, ni d'aider leurs concitoyens a porter les charges communes; les portoit a un fanatisme opiniatre & rebelle; les engageoit k tous momens dans de difputes, des tumultes, des féditions; les excitoit enfin k la haine & k la perfécution. Les moines furent les premiers a introduire Ia fuperftition & k la répandre. La fuperftitieufe Egypte qui avoit été 1'afyle des moines juifs, c'eft-a-dire des Efféniens & desThérapeutes, fut le berceau des moines chrétiens. De la ils fe répandirent bientöt dans les pays voifins avec tant de rapidité, qu'en trés -peu de temps 1'Egypte, la Paleftine, la Syrië en furent toutes couvertes. Quand S. Caffien & S. Germain firent au commencement du cinquieme fiecle leur voyage en Egypte, ils y en trom-érent plus de foixante mille, fans les Anachoretes, les Hermites, & les  jteji Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Sarabaïtes qui y étoient en trés grand nombre 5 & fans les religieufes dont il y en avoit plufieurs milliers. La feule ville d'Oxyrinque dans la basfe Thébaïde avoit dix mille moines & vingt mille vierges. Fauftin & Marcellin, qui rapportent cette particularité, dans la requête qu'ils préfentérent aux empéreurs Valentinien & Théodofe, ajoutent que les moines logeoient jusques fur les portes & dans les tours. Quand S. Hilarion alloit faire la vifite des monafteres en Paleftine, il amenoit avec lui jusqu'a deux mille moines, «Sc cette troupe n'étoit encore, au rapport de 1'auteur de fa vie (chap. 19. 22.) qu'une très-petite partie de ceux qui s'étoient fixés dans cette feule contrée, oü ils s'étoient déja accrus a une multitude innombrable, quoiqu'ils n'y euffent été établis que par S. Hilarion lui-même. Enfin Zofime, qui a vecu vers la fin du quatriéme & le commencement du cinquiéme fiecle, dit (Liv. 5. ch. 23.) que les moines, malgré leur profellion de pauvreté, avoient réduit k la mifere tout 1'Orient, parceque, s'étant étenduspar tout, ils avoient occupés les biens de tout le monde. Caflien voyagea dans ces contrées pendans fept ans d'un monaftere a 1'autre: il marqua tout ce qu'il obferva, tout ce qu'on lui raconta, & il en compofa fes livres des inftitutions mon af  £f de 1''Efprit -Humain, Chap. III. 193 monaftiques. Un précis de quelques unes de fes lettres nous peut donner une idéé de la fuperftition qui regnoit dans ces monafteres. II étoit moine lui même: on ne fauroit donc trouver un pius fidelle tétnoin. Les moines d'Egypte portoient une tunique de lin qu'ils ferroient avec une ceinture & un cordon de Jaine, lequel defcendant du coü paffoic fous les aiffellest des capuces leur defcendoient jusqu'au haur. des ép; ules, & ils ne les quittoient ni jour ni nuit: ils marchoient nuds pieds avec un bacon a la main: par deffus la tunique ils portoient un manteau & par deffus le manteau une peau de ehevre. S. Bafile dit (epit. r.)quel'humilité du folitaire doit paroïtre dans tout fon extérieur: qu'il doit avoir 1'oeil trifte & baiffé versla terre, latêtcmalpeignée , 1'habitfale & négligé. S. Hilarion ne coupoit fes cheveux qu'k paques, ne lavoic jamais fon fac, & ne quittoit fa tunique que quajjd elle étoit tout-a-fait ufée. QS. Jérome Vie de 6'. Hilar.) Leur nourriture ordinaire n'étoit que du pain & de i'eaü. L'expérience leur avoit fait préférei cette nouniture aux légumes, aux herbes & aux fruits que leurs prédéceff. urs avoient eu coutume de matiger fans pain :. ils prenoient deux petits paiuSj de fix onces chacun, par jour. Cette melure paroilfoit grande aux plus zelésj Totne I. • JSf  194 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement & les nouveaux moines fur - tout avoient de la peine a fe gorger, felon leur maniere de penfer, de tant de pain. Cependant en certaines occafions on y ajoutoit quelques douceurs: & 1'auteur rapporte que 1'abbé Serene 1'ayant voulu régaler un dimanche, il lui fit fervir une fauce avec un peu d'huile & du fel frit, trois olives , cinq pois chiches , deux prunes & une figue. Un jour de paque S. Palémon dit a S. Pacome d'apprêter h diner pour la folemnité de la fête. S. Pacome mêla un peu d'huile au fel qu'ils avoient accoutumé de prendre avec les herbes fauvages: mais Palémon 1'ayant vu, fe frappa le front, & dit en pleurant: Mon Seigneur a étê crucifié, fj? je mangerai de thuilel Cette confidération 1'empêcha d'en goüter. Quelquefois il mangeoit fans boire, d'autres fois il buvoit fans manger. S. Hilarion avoit coutume de ne mango: que quinze figues après le foleil couché: quand il fentoit des tentations de volupté, il diminuoit cette nourriture, & pafloit quelquefois trois ou quatre jours fans manger. (S. Jerêm. vie de S. Hilarion^) 11 y eut quantité de moines qui 1'imitérent dans cette maniere exceflive de jeuner: il y en eut quantité d'autres, qui le furpafférent même. Vers la fin du quatriéme fiecle il y avoit k Nazianze des moines, dont S. Balije dit, qu'ils pratiquoient des auftérités prodi-  & de' 1'Efprit-Humain, Chap. III. 403 demeuroit penfif, il fe trouva tout-a-coup transporté de 1'autre cöté du fleuve CO- La bonte ridicule d'Ammon ne méritoit pas d'être ménagée par un miracle, A 1'age de quatre vingts ans S. Antoine eut un moment de vanité: il lui vint en penfée qu'il n'y avoit point dans ie défert d'autre moine parfait que lui. Un fonge le défabufa en lui revelant, qu'il y en avoit plus avant un autre plus parfait & qu'il devoit 1'aller voir. A la pointe du jour l'oótogénaire fe met en marche laiffant aller fes pieds a 1'aventure: le troifiéme jour il arriva k une caverne,oü s'étoit retiré S. Paul le premier des hermites: ils s'embraflentjils fe faluent par leurs noms, eux qui n'avoient jamais entendu parler 1'un de 1'autre. Pendant leur converfation un corbeau volant doucement vint mettre devant eux un pain tout entier & fe retire. Ha, dit S. Paul, vous voyez la bonté du feigneur qui nous a envoyé a diner: il y a foixante ans que je recois tous les jours la moitié d'un pain: a votre arrivée J. C. a doublé la portion. 11 fut question de favoir qui romproit le pain, la difpute fut trainée jusques vers le foir; enfin l'on s'accorda endécidant, que chacun tireroit de fon (i) Vie de S. Antoine.  io8 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement miracles de J. C. & des apötres en ont dans la fuite fait palier des milliers de faux. Non contents d'attribuer a des faints particu. liers des miracles qu'ils n'avoient jamais faits & dont finvention faifoit tort a la divinité, les Chrétiens de ces tems s'imaginoient que la feule •profeffion du chriftianisme avoit des vertus myftérieufes & extraordinaires. Le conté qu'ils débitérent fur la caufe de la perfécution de Valerien eft frappant. Valérien avoit d'abord aimé les Chrétiens, même plus que n'avoient fait les Philippes, qui s'étoient montrés fi favorables aux Chrétiens, qu'on les avoit foupconnés d'avoir été de leur religion. Après cinq années de regne fon affeétion fe changea en haine. II eft évident qu'il en faut attribuer la faute a 1'inconduite des Chrétiens. Cependant ceux-ci en imaginérent une caufe dont la fauffeté &c 1'abfurdité faüte auxyeux,& qu'ils n'auroient pas pris la peine d'inventer, fi la véritable n'eüt toumé a leur déshonneur. Ils firent donc coürir le bruit, que Macrien avoit détourné l'empéreur de la bonne volonté, qu'il avoit eue auparavant pour les Chrétiens. Ce Macrien étoit aiors le plus grand perfonnage de 1'empire, le plus grand capitaine, le plus fage politique, le plus experimenté dans les affaires, enfin le plus riche. Ces qualités, avouées par les Chrétiens, lui firent, felon eux, venir 1'en-  ff de V Efprit-Humain, Chap. III. 21 i Sge de prendre parti, il bnlanca, pendant quelque tems s'il devoit refter dans la fociété pour s'inftruire dayantage dans 1'étude de la bible, ou s'il devoit fe retirer entiérement du monde a 1'exemple d'Elie, de S. Jean-Batifte & des Récabites. Des circonftances particulieres le déterminérent enfin a choifir une vie moyenne, oü il put refter tranquille comme les folitaires, & profiter des connoilfances des gens verfés dans 1'étude des écritures. S. Bafile, qui avoit plus appris que S. Grégoire, fit auffi plus d'efforts pour effacer de fa mémoire les vaines connoiffances qu'il avoit acquifes: il raconte lui-même, qu'a fon retour d'Athenes il commenca a s'éveiller comme d'un profond fommeil, en reconnoiffant la futilité de la fageffe humaine, «Si en ne foupirant qu'après la feule vraie lumiere , favoir celle d'e 1'évangile (ƒ>). Comme il avoit lu dans Tévangile, que le principal moyen de parvenir a la perfeélion étoit de renoncer aux biens & aux plaifirs de ce monde, il alla fe retirer dans un lieu fauvage au pied d'une montagne, oü il employa tout fon temps & tous fes loins a oublier, ainfi qu'il le déclare lui-même, ce qu'il avoit appris des hommes, & a rompre par les prieres, les jeünes, & les mortifications, tout (p) S. Bafil. ep. 79. O a  % i % Hiftoire des Revolut. du Gouvernement commerce de 1'ame avec le corps. Comme ce faint dans le défert entretenoit correfpondance avec fon ancien ami, S. Giégoire, il lui perfuada enfin de venir demeurer avec lui. Ils y faifoient leurs délices d'étudier 1'écriture fainte, & fes anders interprêtes, particuliérement Africain & ürigene, de faire de leur mieux pour oublier les fciences profanes, &, afin d'y mieux réuffir, ils fe mirent k tailler des pierres , planter des ar bres, porter du fumier, & a faire d'autres chofes paieilles pour la mortification de leur corps & la fanétification de leur ame (#). S. Bafile avoit un frere , qui devint depuis évéque de Nyffe , & faint comme lui. Ce frere n'étant encore que prêtre fe laifla perfuader d'enfeigner la rhétorique a des jeunes gens. S. Grégoire de Nazianze dit, que tous fes amis, & tous les Chrétiens en général en furent fcandalifés, tant les Chrétiens haïfioient alors les études profanes. S. Grégoire lui-même en concut une telle douIeur, qu'il écrivit au nouveau profefllur de rhétorique une Jettre pleine de reproches (r). Ce mépris de toutes les fciences, cette recherche d'une ignorance fi crafle, & ces mortifications continuelles fi propres a exalter 1'imagination, expofoient les Chrétiens a. toutes les fur- (?) S. Grégoir. de Nazian. epis. o. (O Epis. 43.  ff de VEfprit-Hamain, Chap. III. 21$ prifcs de 1'impofture: & comme les vrais miracles ne faifoient qu'honorer la religion chrétienne, & en attefier davantage la vérité, la fraude pieufe ffen pouvoit inventer affez de faux pour contenter la crédulité pieufe. En effet, Ja crédulité des fideiles étoit telle qu'üs ne diftinguoient pas méme Jes impofteurs les plus éffrontéséc les plus méchants. Voici s comment, du temps de Lucien3 ils fe font laiffés tromper par un fripon nommé Pérégrinus. „ Comme Pérégrinus fut „ devenu grand, dit Lucien, il fut une fois fur3, pris en adultere. . . Enfuite il débaucha un „ jeune garcon. . . Ennuyé de ce que fon pere „ lui retenoit trop long-temps fon bien par une „ longue vieilleffe, il J'étouffa, comme vous „ 1'aurez entendu vous - même. Après cela il „ fut obligé de quitterfa patrie: dèslors ilchan„ gea a tous momens d'air & de pays, tant qu'il „ fe mêla parmi les Chrétiens en Judée, oü il „ apprit leur doétrine. Mais il leur fit voir bien„ tot qu'ils n'étoient que des apprentifs auprès „ de lui. Car il ne devint pas feulement pro„ phête, mais chef de leur affemblée. II inter„ prêtoit leurs livres facrés, & en compofoit s, lui-même, de forte qu'ils le conlidéroient „ comme leur législateur & leur patron. . . . Sur ces entrefaites notre protée ayant été ar„ iêté a caufe de fa nouvelle doctrine, cette O 3  ff de VEfprit-Humain, Chap. III. 21S profeflion, ayant 1'imagination égarée par Pétude d'une philofophie ténébreufe & toute farciedecesfuperftitions, qu'ils avoientpuifées dans la doctrine de Zoroaftre, dans 1'école de Pythagore & dans les livres des Platoniciens; les philofophes payens, dis-je, voulurent, a 1'exemple des Chrétiens dont Ia doctrine commenc >it a s'étendre, s'attribuer auffi le don des prophéties & des miracles. Tout les portoit k inventer, tout les aidoit k faire accroire leurs fraudes. D'abord leur philofophie enfeignoit, que notre ame pouvoit parvenir par degrés a s'élever jusqu'a Dieu de qui elle étoit émanée. Les ames , difoient - ils, féparées de leur premier principe, par une longue fuite de génies, de démons & de divinités de toute efpece, doivent d'abord tacher de s'unir aux efprits du dernier ordre, de paffer enfuite aux efprits d'un ordre fupérieur, & de monter de la même maniere de divinité en divinité jusqu'a ce qu'elles parviennent enfin k la divinité fuprême. 11 faut pour cela jeüner, mener une vie retirée, fe mortifier de toutes les facons. Si on ne réuffit pas par ces moyens, ou fi quelqu'un ne fe fent pas asfez de force pour les mettre en oeuvre, il doit pour lors avoir recours a des prieres, k des évocations, k des cérémonies, k des opérations ex. traordinaires. lis afiuroient que les uns ou les O 4  a 16 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement autres de ces moyens ne pouvoient manquer de faire obtenir aux hommes tout ce qu'ils fouhaitoient, & par conféquent les dons de prophétifer & de faire des miracles. Le pays oü cette philofophie fleuriüoit le plus étoit 1'Egypte, qui de tout temps avoit été, par un concours de plufieurs circonftances particulieres, le berceau & le centre des fuperftitions les plus grosfieres, & oü les prêtres avoient toujours accoutumé de fan&ifier le menfonge par des inventions continuelles de fraudes pieufes. A cette époque 1'Afie mineure étoit prodigieufement déchue de fon ancien étar. La tyrannie de plufieurs petits rois, les guerres inteftines & étrangeres, le despotisme de Rome, les vexations des gouverneurs Romains, les incurfions & les ravages de différents peuples barbares , les tremblements de terre , qui ont fouvent renverfé des villes entieres, les pertes fréquentes, d'autres malheurs, y avoient fucceffi vemen t détruit la culture des fciences , étouffé le génie, éteint toute lumiere. Les habitans de ces con. trées devinrent dès lors fi groffiers, fi fuperftitieux, fi fots même, qu'on eüt dit, qu'ils étoient tombés en demence. Les impofteurs même , dont ces pays commencérent bientöt a fe remplir, étoient fi ftupides, qu'ils ne favoient imaginer que des impoftures des plus groflieres:;  (f de rEfprit. Humain, Chap. III. 217 cependant ils n'avoient pas la moindre peine a fe faire reconnoitre pour tout ce qu'ils vouloient. Lucien dit que les Paflagomens en particulier couroient après le premier charlatan, qu'ils rencontroient, avec la flute, le tambour ou la cymbale , & le prenoient pour un homme defcendu duciel. Jamais la Judée, la Syrië ,TEgypte, laCappadoce &la Bythinie n'ont vu tant de magiciens & d'aftrologues qu'a cette époque. Pour fe former une idéé de la bêtife de ces peuples, ilfaut lire dans Lucien l'hiftoire d'AIexandre, ou le faux prophéte , qui par la plus grosfiere de toutes les impoftures parvint h fe fairè reconnoitre dans fa propre patrie, oü tout le monde le connoilfoit, & par ceux même qui favoient vu naïtre & devenir grand, pour un defcendant de Jupiter, pour 1'interpi ête o'Efculape, &pour un prophete; de forte qu'il y avoit continuellement k fon temple un concours prodigieux de perfonnes de toutes les nations qui venoient lui demander des oracles. II faut auiTi lire dans le même auteur l'hiftoire de ia déeffe de Syrië & de fes prêtres; on yremarquera, entr'autres chofes, quantité de rites & de cérémonies fuperftitieufes que les Chrétiens d'Orient paroiüent avoir imités, & qui femblent même avoir été adoptés enfuite par les égüfes d'OcciO 5  &? de rEfpriuHumairi) Chap. III. 211 3, Ces prodiges rous remplirent d'admiration „ pour le moment. Mais quant a vous, conti„ nua le philofophe, ne les admirez pas, non „ plus que moi, qui luis puiifié par la raifon ". Ce récit ayant échauffé 1'imagination de Julien, il lui dit: adieu: appliquez vous a vos démonftrations; vous m'avez indiqué celui que jecherehois, & ayar;t embraffé Chryfante, il s'en alla promptement a Ephefe, cü il trouva Maxime, qui lui enfeigna toute la fuperftition de fon école O). Inftruit par de tels maïrres Julien devint extrêmement ïüperftitieux: il croyoit k la magie & aux fonges. II racontoit lui-même, que la nuit qui précéda la déclaration des troupes, qui le proclamérent Augufte, le génie de 1'empire lui étoit apparu pour lui faire des reproches de ce qu'il 1'avoit fi fouvent refufé, en menacant que s'il ne le recevoit pas aftuellement, que tant de gens s'y accordoient, il s'en iroit trifte & confus ( y ). 11 racontoit auffi qu'étant a Vienne il avoit eu la nuit une vifion d'un fantöme lumineux qui lui prononea quatre vers grecs,qui portoient que quand Jupiter feroit dans leverfeau, & Saturne au vingtcinquiéme degré (se) Eunap. Vie de Maxime, (y) Julien. Epis. ad Athanas.  222 Hiftoire ies Revolut. du Gouvernement 'de la vierge, l'empéreur Conftance finiroit en Afie d'une tiifte mort. (Zofim. Liv. 3. ch. 4.) Julien tenoit toute fa fuperftition de 1'école de Plotin, qui recommandoit beaucoup les jeünes, les mortifications , 1'abftinence pythagorique, quantité d'autres pratiques fuperftitieufes. C'eft pourquoi il avoit entrepris de réformer les moeurs des prêtres payens en tachant de leur infpirer une gravité, & de leur attribuer une autorité qui les duflent éloigner des chofes capables de les ravaler dans 1'efprit de la multitude. II leur défendit d'aller aux théatres, ou d'aflïfter aux combats dans les cirques: il alla même jusqu'k leur défendre la leéture des livres de 1'ancienne comédie , oü il étoit parlé d'amour (a). D'autre part il vouloit que tout.le monde cédat au pontife dans le temple, & il en donna 1'exemple lui-même. „ Dès que le magiftrat, dit„ il dans fa lettre a Arface fouverain pontife de Galatie, touche la porte du lieu facré, il de„ vient fimple particulier; c'eft vous qui com„ mandez au dedans" S. Grégoire de Nazianze dit (orat. 3.) que cet empéreur avoit (3) Amm. Marcel]. Liv. 21. eh. 1. C«7 S.'GrégöIfë de Nazianze orat. 3. Sozom. Li?. 5. ch. 16. C&) Julien epit. 49.  6? de f Efprit. Humain, Chap. III, 223 même formé le delfein d'établir des lieux de retraite, c'elt - a - dire une efpece de monafleres pour les hommes & pour les femmes, oü ils puifent s'occuper tranquillement a méditer, a fe purifier , a fe mortifier. Je n'ai confidéré ici Julien que comme un philofophe qui fournit des exemples pour faire connoitre les fuperftitions de la philofophie qui regnoit a cette époque. Quand Conftantin fe fit Chrétien, on ne voit point qu'il aïc pris 1'évangile pour regie de fa conduite, au contraire toutes fes maximes & toutes fes aétions, qui ont du rapport au falut de 1'ame, & aux affaires de l'églife, montrent qu'il a puifé fa facon de penfer & d'agir chez les Juifs & chez les Payens, ce qui a dü néceffairement établir la fuperftition fur le tróne. II a imité les favans de fon temps: il a pris dans chaque religion ce qu'il croyoit, ou ce qu'on lui difoit y avoir de bon: il a feulement négligé 1'évangile, parcequ'il s'oppofoit trop & a fa propre ambition & h. celle des évéques «Sc des prêtres qui 1'entouroient. J'ai dit ailleurs qu'il a extrêmement enrichi le clergé & les églifes: cette maxime ne venoit certainement pas de JefusChrift ni des apótres: il n'a fait en cela qu'imiter ks Juifs & les Payens. Les peuples orientaux , chez lesquels Conftantin fut élevé, «Sc demeura depuis la plupart du temps, avoient la  2^4- Hiftoire des Revolut. du Gouvernement fuperftition de prodiguer beaucoup aux prêtres & aux temples. D'ailleurs la politique exigeoit, comme je 1'ai déja montré, que Conftantin dans les circonftances oü il fe trouvoit, adoptat cette fuperftition. L'idée d'exemter les églifes des contributions ordinaires, le clergé de toutes les fonélions municipales; celle d'avoir toujours des évéques & des prêtres a fa cour, & a fa table, de les amener a fa fuite jusques dans fes expéditions militaires; fon affeélation de diftinguer les gens du clergé par deffus tous les miniftres d'état, de les baifer (c), de les carefier, d'écrire aux é vê ques, aux prêtres, & jusqu'aux moines, des Iettres pleines de flatteries (d ); fa vanité de faire ac- croire (O Parmi les évéques que Conftantin fit venir, & grands frais, au concile général de Nicée il fe trouva Paphnuce, évéque dans la haute Thébaide, qui dans la perfécution avoit eu 1'oeil droit crevé & le jarret gauche coupé. Conftantin prenoit plaifir k le faire venir fouvent chez lui, a 1'embraffer & a lui baifer le creux de 1'oeil qu'il avoit perdu pour la foi. Sozom. Liv. i. c. 10. Rufin. Liv. i. c. 10. Qd) Conftantin fentant, dit Eufebe, vita Conji. Liv.4. ch. 14., combien il avoit toujours befoin du fecours de Dieu, travailla k 1'obtenir par les prieres de ceux qui étoient les plus agréables k Dieu: & il écrivit aux évéques pour leur demander des prieres. II écrivit entr'autres k S. Antoine, & voulut que fes deux fils  & de Ï Efprit-Humain, Chap. III. 225 cröiro qu'il avoit (e) des vifions céleftes; enfin fes manieres dans les aetes de dévotion & fes fa9ons d'exercer la piété (f), ne refpiroient Conftant & Conftantius écriviflent avec lui, le traitant fort rcfpe&ucufement, 1'appellarit pere, & le priant de lui faire réponfe. Vie de S. Antoine. ch. 28: Quand S. Antoine refut ces lettres il appella les moines, & leur dit: „ne vous étonnez pas li un empéreur nous „écrit: ce n'eft qu'unhommc: étonnez-vous plütöt ,,de ce que Dieu a écrit une loi pour les hommes**. Voilk 1'esprit de ce temps-lk. (e) Eufebe vie de Conftant. allure dans plus d'uri endroit, que Dieu accordoit fouvent k Conftantin dans fes prieres des preuves fenfibles de fa préfence r & des apparitions miraculeufes, que quelquefois il fe découvroit k lui dans les fonges & lui révéloit ce 'qu'il avoit a faire; qu'il 1'alfiftoit d'une maniere extraordinaire dans les combats, & dans d'autres occafions. On a parlé ailleurs de la prétendue apparitioit de la croix, que Conftantin fe vantoit d'avdir vue aii deifus du foleii. (ƒ) II avoit, dit Tillemont d'après Eufebe, la bonté d'ecouter debout les discours les plus longs que lui faifoit Eufebe , évéque de Cefarée , prétendant qu'il devoit ce refpeét aux chofes faintes dont on lui parloit. II nourriflbit fon ame de la parole de Dieu & employoit k cela une partie de la nuit, qu'il déroboit a ion fommeii: il fe renfermoit tous les jours dans fon cabinetk certaines heures pour convcrfèr feulavec' Dieu: il employoit un temps confidérable k compöfer de longs discours, qu'il recitoit enfuitc dans fari Tome I. P  *2«S Hiftoire des Revolut. du Gouvernement certainement pas 1'évangile, mais la fuperftition du vulgaire de fon temps. Ses deux fils imitérent parfaitement 1'exemple de leur pere. Conftant toujours entouré d'évêques catholiques , & poufle par leurs confeils avoit yéfolu d'en venir a une guerre contre l'empéreur d'Orient fon frere, & de mettre tous les deux empires en combuftion, fi celui-ci n'eüt pas cédé & rétabli Athanafe dans fon fiége d'Alexandrie. Conftantius,toujours environné d'évêques ariens ne s'occupa, pendant presque tout fon regne, qu'a convoquer des conciles, a écouter des plaintes d'évêques, de prêtres & de moines, a perfécuter les Catholiques, k dépouiller leurs églifes pour en orner & enrichir celles des Ariens, k vexer les Payens, tandis que les Francs, les Allemands & les Saxons ravageoient les villes fituées le long du Rhin; que les Quades & les Sarmates défoloient la Pannonie & la Moefie; que les Perfes ruinoient la Méfopotamie & 1'Armé- palais: il mortifioit plufieurs fois dans 1'armée fon corps par de grandes auftérités: il faifoit de longues prieres &c. Voy. Ti Hem. Hifl. des empér. t. 4. art. 86. 6f 87. Tout cela prouve qu'il oublioit fes devoirs pour s'oceuper de petites pratiques, & qu'il ne confidéroit pas que la vraie dévotion confifte a remplir d'abord les devoirs de fon état, & non pas k vivre dans une c our comme dans un cloitre.  & de FEfprit-Hümain, Chap. III. 835 les enfans de Théodofe le grand. Honorius<& Arcadius, dont le dernier étoit pere de Théodofe le jeune & de Pulcherie, avoient été élevés par S. Arfene. L'abbé Fieuri nous fera connoitre le caractere de ce faint. „ Honorius, t\ „ Arcade, dit - il, ( Liv. 20. n. 1.) avoient été „ élévés par S. Arfene, leur parrain au batê„ me, leur gouverneur & leur précepteur: car „ on ne diftinguoit point alors ces deux fonc„ tions. H étoit romain,, parfaitement inftruit „ des lettres humaines & divines, & folidement „ vertueux. II étoit diacre & menoit a Rome „ une vie retirée avec une foeur qu'il avoit, „ quand l'empéreur Théodofe , cherchant un „ homme a qui il put confier la conduite de fes „ enfans, écrivit a l'empéreur Gratiën: celui- „ ci s'adreffa au pape qui lui indiqua Arfene j, Arfene confervoit toujours un grand amour „ pour la retraite que les foins de fon emploi & 1'embarras d'une grande fortune lui firent dé" firer ardamment. .. A la fin il en trouva 1'oc, cafion. Arcade ayant commis une faute confi„ dérable, il en vint au dernier chatiment & le „ fouetta. Le jeune prince en fut tellement ir„ rité, qu'il chargea un officier de fes gardes „ de le défaire d'Arfene a quelque'prix que ce „ fut. L'officier qui refpefloit Arfene & crai„ gnoit l'empéreur, découvrit a Arfene la mau-  II elt important, Monfcigieur, ajoute cet ejlimable „ étrivain en s'adrejfmt au prince fon éieve, de bien re„ marquer, comment fe font établis cas rangs & ces „ jurisdiftions, fi vous voulez pouvoir rendre raifon 4, des révolutions qui arriveront dans l'églife. Or, ce >i qui eft arrivé a Conftantinople vous fait voir, que „ certains fieges ont d'abord obtenu des priviléges .,, par 1'ufagc; & qu'enfuite ils fe les font faits confir„ mer par des conciles. Mais ce qui s'introduit par ,, 1'ufage eft néceffairement fujet au changement, .„parceque 1'ufage change lui - même. II faut donc „ s'attendre, que quelques évéques fe feront de nou„ velles prétentions, qu'elles leur feront conteftées., „ & qu'il en naitra par conféquent bien des dispu- „ tes Les papes, par exemple, n'ont jamais Tome I. R  25 8 Hiftoire des Revoiut. du Gouvernement dit tous les Chrétiens leurs esclaves. Voila Torigine & ies progrés étonnants du gouvernement & de Ia puilXince eccléfiaftique. Le clergé, enrichi par les libéralités des empéreurs, exempté des impóts par leurs loix, fouftrait par les mêmes loix a la jurisdiéiion féculiere, & revêtu lui-méme d'une autorité & d'une j»risdi£lion particuliere & indépendante, devoit nécelTairement former dans 1'état un corps extraordinaire qui n'eüt rien de commun ni avec 1'état, ni avec aucun autre corps: il devoit donc avoir auffi des intéréts particuliers entiérement oppofés a 1'intérêt général. La propre uti- „ vaulu reconnoitre ni le fecond rang de l'évêque de „ Conftantinople , ni fa jurisdiêfion fur 1'Afie & fur le Pont; & ils ont jugé que les décrets des conci„ les de Conftantinople & de Calcédoine, fur cc fujet, „ étoient contraires aux canons & aux loix eccléfia- „ ftiques Ces eonteftations feront enfin 1'origi- „ ne d'un fchisme, qui féparera pour toujours- 1'é„ glife d'Orient de celle d'Occident". Cependant les papes, en reprocharif des ufurpations k l'évêque de Conftantinople, feront eux-mêmes d'autres ufurpations. L'évêque de Rome, com■jne patriarche , n'avoit de jurisctiftión que fur les égiifes fuburbicaires, c'eft-a-dire fur quelques pro.vinces d'Itaüe foumifes a fon fiege. Dans la fuite, il ötttreprendra fur de nouvelles provinces, & il ofera 4«ê#!e attenter jusques furies fouvérainsf.  6f de VEfprit-Humain, Chap. IV. 259 lité étant la fuprême loi de tout corps quelconque, le clergé a dü chercher la corfidération, les richeffes, la puiffance au préjudice de la conCdération, des richeffes & de la puiffance de 1 etat. Les membres du clergé ont dü avoir chacun les mêmes vues, parceque chacun fent, que plus il procure d'avantages au corps dont il eft, plus il en augmente la part a laquelle il peut lui même prétendre. De la ce concours d'efforts d*. toute espece,de rufes, de manéges, de cabales, de violences qu'employe le corps en général, & chaque membre en particulier pour multiplier les avantages de leur fociété particuliere au désavantage de la fociété civile. De la cette liaifon indiffoluble entre le corps & les membres pour fe défendre mutuellement contre toute entrepri. fe étrangere, & pour former toujours de nouvelles entreprifes fur les puiffanccs féculieres & fur les états. De lk les prétentions du clergé d'être reconnu lui feu! pour Pinterprêce du ciel, de pouvoir lui feul fixer les fentimens des hommes dans les matieres fpirituelles; d'ériger même en vérités de foi des chof-s de fa pure invention, & tendantes uniquement è fon bienêtre particulier. De )k enfin les apothéofes de ceux qui fe font fignalés par quelques avantages confidérables, qu'ils ont procurés au corps du R 2  <*? de F Efprit - Humain, Chap. IV. 2 65 tre qu'il écrivit k l'empéreur pour 1'engager k faire publiquement pénitence de ce crime, lui mande que la nuit avant fon départ de Milan, il crut voir Théodofe venir a l'églife, & qu'il lui étoit impoffible d'offrir le facrifice (/). Or on trouve, que cette vifion fent 1'impoltüre ,• & que le faint évéque femble 1'avoir inventée pour faire fentir au prince, que le ciel lui avoit diété 1'ordre de lui refufer la communiqn k moins qu'il ne fe foumït k une pénitence publique. S. Ambroife fe livra k des excés de zele dans d'autres occafions encore. L'empé: eur Valentinien 11 ayant demandé a cet évéque, k la follicitation de fa mere Fauftine, une églife dans Milan pour les Ariens qui étoient k la cour, il s'y oppofa avec tant de violence, comme fi un prince n'étoit pas maïtre d'établir la tolérance dans fes états, que l'on touchoit au moment d'une fédition. En effet, l'empéreur envoyé des foldats pour prendre en fon nom poffeffion d'une églife: auflitöt l'évêque les excommunie. L'eunuque Calligone, préfet de la chambre, lui fait dire: Tu méprifes Valentinien de mon vivant; je te couperai la tête: l'évêque lui fait répondre: Dieu veuille que tu accomplijfes ta mena. CO Ambr. ep. 52. n. 14- R 5  %66 Hiftoire dss Revolut. du Gouvernement ce: je fouffriraien évéque ff tu agiras en eunuque (tri). L'empéreur publie une loi pour permettre les afiemblées des Ariens: l'évêque lui écric, qu'un prince, n'a pas ce droit. L'empéreur lui fait fign;tbr de choifir des juges pour juger fa caulè avec Auxence, évéque arien; l'évêque lui répond, que dans les caufes de la foi (cependant ce n'écoit pas une caufe de foi, mais une dispute d'évêques pour le fiége de Milan) les é-'êques jugent les empéreurs, & que les empéreurs ne jugent pas les évéques («). Voulez vous, lui mande-t-il, qu'en me foumettant a des juges j'abaifie le facerdoce ? La vie d'un feul homaie n'eft pas comparable a la dignité de tous ies évéques. La deflus S. Ambroife fe retire dans l'églife, oü accouruc en même temps une multitude de catholiques qui le gardérent jour & nuit; l'évêque en récompenfe de leur attaché, ment les confoloit par de fréquens discours, dont il nous refte celui qu'il prononea le dimanche des ramaux. Ce fermon fait voir qu'il ne négligeoit rien pour fe conciüerle peupie & Ie détacher de l'empéreur (o). Auffi ce Prince fut- (m) Ambros. ep. 78. n. 27. C») Ambros. ep. tl. ad VaJent. n,. 4. Co) Sermo de Bafil. poft epift. 21.  & de VEfprit-Humain, Chap. IV. t€j il obligé de céder, parcequ'Ambroife avoit un grand afcendant non feulement fur le peupie, mais fur la plupart des courtifans. Comme les officiers du palais ne ceffoient de prier l'empéreur d'aller h l'églife pour faire la paix avec l'évêque, Valentinien leur répondit un jour: fi Ambroife vous k commande, vons me livrerez pieds & mains Hés Qp). L'évêque de Callinique ayant fait brüler, «ontre la défenfe des loix, une fynagogue des Juifs, & les moines du même lieu ayant brülé une églife des hérétiques Valentiniens, l'empéreur Théodofe ordonna a fes officiers d'informer du fait & de punir les coupables felon les loix. S. Ambroife écrivit d'abord a l'empéreur pour 1'obliger a rétraéter ces ordres, voulant que des chrétiens, & fur tout un évéque & des moines ne fuffent point punis du tout pour de telles chofes (4). Mais cette lettre n'ayant eu aucun effet, S. Ambroife fermona publiquement l'empéreur qui étoit venu a l'églife: & après le fermon il lui déclara nettement, qu'il le fépareroit de fa communion, s'il ne révoquoit point (P) Ambros. ep. 78. n 27. CO Ambros. ep. 40.  2 le clergé, mais très-dangereufes pour le prince & pernicieufes a 1'état. Comme Juftine mere de Valentinien II ne ceffoit de protéger les Ariens, & fur tout a Milan, oü elle faifoit fa réfidence avec fon fils, S Ambroife s'avifa de confondre les Ariens par des miracles. Un homme d'entre la multitude fut tout d'un coup faifi du démon, & commenca a crier: que ceux qui nioient les martyrs, ou qui ne croyoient point a la doarine d'Ambroife fur 1'unité delaTrinité, étoient tourmentés comme lui. Un Arien des plus opiniatres, rendit publiquement témoignage, qu'étant dans l'églife , pendant que S. Ambroife prêchoit il avoit vu un ange qui lui parloit a 1'oreille, de forte qu'il fembloit, que l'évêque ne fit que rapporter au peupie les paroles de 1'ange (0- L'anpératrice & la cour fe moquoient de ces miracles, mais les idiots qui croyoient bonnement, que 1'Arien avoit vu tout feul ce que toute la multitude des fideiles affemblés dans l'églife n'avoit pas vu, fe convertirent en grand nombre Cette converfion, fi elle eft vraie, eft bien plus miraculeufe , que la chuchotene de (O Paulin. Vit. Ambros. r. 6.  i,yo Hiftoire des Revolut. du Gouvernement 1'ange avec l'évêque, qui a plfitöt l'air d'una bouifonerie que d'un miracle. Je parle a regret de certaines actions des faintö. Mais comme l'églife a prodigué ce tkre k tous ceux qui lui ont procuré des avantages confidérables, ii n'eft pas poflible de s'arrêter fur cette matiere fans toucher k quelque faint. S. Jean Chryfoftome eft un faint des plus refpe&ables de l'églife. Ses moeurs étoient auffi pures, que fa doélrine & fon éloquence étoient grandes. Cependant 1'efprit du corps, & la mauvaife facon de penfer, qui regnoit depuis Conftantin, lui firent commettre des chofes indignes de lui, & qu'on ne peut s'empêcher de taxer de fanatisme. Après Ia chüte de Rufin & d'Eutrope, Gainas, capitaine Goth, de la feéte d'Arius , étoit devenu fi puiflant a la cour d'Arcadius qu'il donnoit affez a connoitre a l'empéreur même, qu'il afpiroit a lui fuccéder. Ce capitaine, qui avoit le commandement de toutes les troupes impériales, demanda k Arcadius une églife dans la ville de Conftantinople pour lui & ceux de fa fefte: l'empéreur la lui promit; & fa promeffe étoit jufte , parceque 1'intolérance eft injufte II fit donc appelier S. Jean Chryfoftome qui* étoit alors évéque de Conftantinople, & lol propofa la demande de Gainas. L'évêque répon-  & de rEfprit'Humain, Chap. IV. 271 dit qu'il ne faut pas donner aux chiens les chofes faintes. Gainas qui étoit préfent dit: je dois avoir pour moi & pour les miens une églife ausfi bien que les autres: & je puis bien la demander après les fervices que j'ai rendus aux Romains. Jean lui répliqua: vous avez été recompenfé au dela de vos fervices. Confidérez ce que vous étiez autrefois, & ce que vous étes mairitenant; comment vous étiez vêtu avant que de p-.ffer le Danube, quelle étoit alors votre pauvreté & quelles font aujourd'hui vos richeffes. Puis fe tournant vers l'empéreur il lui dit: qu'il valoit mieux quitter 1'empire, que de livrer la maifon de Dieu a des chiens ( v). Ce même évéque étant brouillé avec S. Epiphane au fujet de la condamnation des livres d'Origenes, 1'impératrice Eudoxie femme d'Arcadius fe rangea du parti de S. Epiphane. Alors S. Jean prononca, contre les femmes, un discours que le peupie ne mar qua point d'appliquer, comme il devoit, & 1'impératrice. Elle en fut indignée, s'en plaignit a l'empéreur, & comme le clergé de Conftantinople importunoit tous les jours la cour de fes plaintes contre 1'é- (v) Socrat. Liv. 6. ch. 6. Sozom. Liv. 8. ch. 4. Théodor. Liv. S- ch. 33,  2j 2 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement vêque, qu'il accufoit même de plufieurs crimes „ elle excita Théophile , évêque d'Alexandrie k convoquer au plus vïte un concile pour examiner ces accufations. Pendant ce concile S. Jean fit plufieurs fermons propres a irriter la multitude contre fes ennemis & particuliérement contre 1'impératrice. Dans un de ces fermons il dit entre autres chofes: „ la race de 1'aspic domine: il refte de la poltérité de Jezabel: la garce combat encore contre Elie " il apporte enfuite 1'exemple de S. Jean - Baafte & de fon martyre, & il ajoute: Herodiade danfe encore en „ chercnant la tête de Jean. C'eft ici un temps „ delarmes: tout fe tourne al'infamie". Puis étant vei;u au pieaume , qui exhorte a ne pas mettre fa confiance dans les richeffes, il releve 1'exemple de David en ce qu'il ne fe laiflbit pas gouverner par fa femme; & exhorte les femmes k ne point donner de mauvais confeils k leurs maris. Tout le monde comprit, qu'il marquoit 1'impératrice par Jezabel & par Herodiade, qu'il avoit fait allufion k fon nom d'Eudoxia, lorsqu'il dit que tout fe tournoit k f infamie ut xSokixv. Enfin que par Ja fageffe de David il vouloit relever la foibleffe d'Arcadius qui fe Jaiffoit maitrifer par fa femme. On crut auffi que par la race de 1'afpic il vouloit marquer 1'extracfion de 1'impératrice ,fille deBouton,de la nation des Francs,  de tEprit. Humain, Chap. IV. 273 ennemis de 1'empire & d'une nature féroce. Le concile dépofa peu après S. Jean, & l'empéreur 1'envoya en exil. Mais comme la populace étoit entiérement dévouée k l'évêque elle fit des mouvemens qui ménacoient d'une révolte. Pour 1'appaifer il fallut le rappeller auflltöt. Environ deux mois après fon rétablifiement, on drefla k Conftantinople une ftatue en 1'honneur de 1'impératrice. A la dédicace de cette ftatue, on fit, comme il étoit de coutumè, de grandes rejouisfances: il y eut des danfes & des fpeclacles dé farceurs: en leur applaudiflTant le peupie pousfoit des cris qui importunoient les miniftres facrés pendant qu'ils faifoient leurs fonótions dans la prochaine églife de S. Sophie. S. Jean Chry* ibftome en fut indigné: il prêcha contre ces infolences, & blama non feulement ceux qui les commettoient, mais ceux qui les commandoient ainfi que ceux qu'elles regardoient. Ce fut uri nouvel aftront fait a l'impératrice, & elle s'en reffentit: mais l'évêque, loin d'en êcre intimidé , tint a cette occafion un discours célebre qui commence par cés paroles. Herodiade eft encore furieufe ff demande encore ia tête de jean (x~). 11 fut chaffé de nouveau & mourut en exil; (x) Socr. Liv. C. ch. 18, Torn I. I  *74 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement mais le clergé rétablit fa mémöire & la célebra. II rendit juftice au rnérite de ce faint évéque tant k 1'égard de fes vertus que par rapport aux obligations que lui avoit le corps eccléfiaftique. S. Martin évéque de Tours fut obligé d'aller k la cour de Valentinien I pour lui demander quelque chofe. L'empéreur inflruit d'avance de ce que l'évêque fouhaitoit de lui, & fachant d'ailleurs que Jufline fon Epoufe n'aimoit point les évéques catholiques, a caufe de fon attachement a la fecle ariene, donna ordre qu'on ne le lailTat point entrer dans le palais. Sur ce refus S. Martin fe revêtit d'un cilice, fe couvrit de cendres, s'abfünt de boire & de manger, pria jour & nuit. Le feptieme jour un ange vint lui ordonner de retourner hardiment au palais* S. Martin obéit: les portes du palais s'ouvrent d'elles-mêmes: perfonne ne 1'arrête: il arrivé jusques dans la chambre de l'empéreur. Valentinien , le voyant venir de loin, s'emporte contre ceux qui 1'avoient laiffé entrer: & ne daigne pas fe lever. Tout a coup un feu miraculeux couvre fon fiége, & 1'oblige a fuir. Ce prodige confond l'empéreur, il court embraffer le faint, & fans attendre fa demande, il lui accorde d'avance tout ce qu'il étoit venu lui demander (y). (j) Sulp. Dial. 2. ch. 6.  & der Efprit. Humain, Chap. IV. 275 Ce même faint étant a la cour de l'empéreur Maxime, qui s'étoit révolté contre Valentinien II, le rebelle 1'invita a fa table. Au milieu du repas, un officier fuivant fa coutume, préfenta la coupe a Maxime: celui-ci la fit donner k S. Martin, s'attendant k la recevoir de fa main: mais quand il eut bu, il donna la coupe k un prêtre que l'évêque avoit ameré avec lui, en déclarant que ce prêtre étoit le plus digne de la compagnie. Tout le monde fut agréablement furprisde ce trait d'une noble haidi.fle: on en paria dans tout le palais. La femme de Maxime fur-tout étoit enchantée du faint évéque: elle demeuroit jour & nuit affife a terre k fes pieds pour 1'entendre par Ier. Voulant le régaler k fon tour, elle 1'invita a diner chez elle avec l'empéreur: l'évêque 1'ayant accepté, 1'impératrice lui prépara fon fiége, lui approcha la table, lui donna k laver, & mit devant lui les viandes qu'elle avoit apprêcées de fes propres mains: pendant qu'il mangcoit, elle fe tenoit éloignée & debout dans la poflure d'une fervante(z). Un tel faint, qui favoit fi bien faire refpecter les évéques & les prêtres, méritoit bien 1'apothéofe. Ces traits accoutumérent peu k peu le clergé a celfer de C>z) Td'om Dfaï. 2. ch. 7.  £? de rEfprit- Humain, Chap. IV. ilj ches quittoienc exp ès la religion payenne pour pouvoir devenir évêqnes. S. Ambroife lui-même étoit gouverneur de la province de Lipurie , & n'étoit pas encore ia.ifé, lorsqu'il fut fait évéque de Milan. A-ec le temps ce oléföïÜPe devini fi gcréral, que plufieirs conciies firent difTérens réblemens pour le réprimer Le coi'cüe de §lg dique, qui M tcnu en 3^7, rêgla qut- fi un xVche un avecat, un homme d'affaires eft demandé p'öur é.'êque, il ne doit point être ördonné, qu'après avoir Jfait les fonftions de léftetir, de diacre, " afin que l'on puifTe éproüver fa foi, fa mol deftie*, & la gravité dé fes moeurs, & TéleZ ver jusqu'a 1'épiscopat, s'il s'eri trouvedigne: „ car il n'eft pas permis, d'ordohnér légerement i des néophytes" (i) Cependant, malgré ce concile, & plufieurs autres, cet ahus ne celra point: au contraire il augmenta encore: ce qui obligea le pape S. Celeftin d'écrire en 428 des lettres décrétales aux évéque des Gaules, d'Apu^ Be & de Calabre pour leur dcfendre d'ordonner de fimples laïques, que leur puiffance faifoit nommer évéques au préjudice des cleres qui (6) Can. 13.  2*4 Hiftoire des Revolut, du Gouvernement avoient paffé leur vie dans le fervice de l'églife. Mais les riches & les puiffans continuérent toujours a 1'emporter fur les canons. De fi grandes richeffes ne pouvoient naturellement que fomenter 1'avarice, augmenter 1'ambition, infpirer le goütdes plaifirs, corrompre les moeurs , porter è toutes fortes de crimes. Origenes, qui vivoit encore avant la converfion de Conftantin, accufe déja les évéques de fon temps de trop de fierté, d'ambition, d'avarice, devolupté, & d'autres vices. Dans fon Homélie in Matth.XK. 25. il s'exprime è ce fujet en ces termes. „ Nous furpaffons quelque„ fois le fafte des mauvais princes payens. Nous „ voudrions presque avoir des gardes, comme „ les rois. Nous nous rendons terribles & de difficile accès, principalement aux pauvres: „ nous traitons ceux qui nous parlent, 6? qui „ nous prient de quelque chofe, comme feroient „ les tyrans & les gouverneurs les plus cruels. „ On voit en plufieurs églifes, principalement des grandes villes,ceux qui conduifent lepeu» ple de Dieu ne garder plus aucune égalité, „ quelquefois même avec les meilleurs disciples „ de Jéfus, & ufer de menaces dures: tantót „ fous prétexte de quelque pêché, tantöt par „ mépris de leur pauvreté ". Dans d'autres ho. mélies le méme écrivain blame beaucoup 1'abus  Êf de rEprit-Humain, Chap. IV. 285 de plufieurs évéques de défigner par teftament leur fucceflèur, & de choifir leurs pareus pour remplir leurs places. S. Cyprien, qui a aufli précédé la converGon de Conftantin, fait voir, dans fon traité de Lapfis, qu'avant la perfécution de Décius les moeurs des Chrétiens avoient extrêmement dégénéré. „Plufieurs évéques, dit-il, j, au lieu d'exhorter les autres & de leur montrer 1'exemple , négligeoient les affaires de Dieu, ,, fe chargeoient d'aftaires temporelies, quit„ toient leurs chaires , abandonnoient leurs peuples, & fe promenoient dans d'autres pro„ vinces pour fréquenter les foires, & s'enri„ chir par le trafic .... Iis vouloient avoir „ de fargent en abondance, ufurper des terres „ par de mauvais artifices, tirer de grands pro„ fits par des ufures: c'eft a quoi ils emplo„ yoient les biens & les revenus de leurs églifes „ dont ils avoient fadminiftration." Et ailleurs „ il dit: Nous nous appliquons k gagner & a augmenter notre patrimoine: nous fommes „ pleins d'orgueil, de jaloufies, de divifions: „ nous négligeons la fimplicité & la foi: nous „ avons renoncé au monde de bouche & non „ d'effet: nous nous plaifons a nous mêmes, „ & nous dépiaifons k tout le monde". Qu'on juge après cela quelle corruption doit avoir amené le triomphe de la religion fou. Conftan-  Hiftoire des Revpiut. du Gouvernement rin, & faugmentation prodigieufe des richeffes des églifes. Auffi ne s'eft - il jamais tenu de conciles, qui dans ces temps étoient trés - fréquens, ■pu l'on n'aït entendu des plaintes contre un pp plufieurs évéques. Entre tant d'exemples il n'eft: pH.s poffible de faire un choix : je me contenterat dVé.uer ceux qui fe préfenteront les pre.mitrs.amamémoire. L'an 400 plufieurs évéques d'Afie étant venus a Conftantinople, S. Jean Chryfoftome , évéque alors de cette ville, les asfembla en concile. Ses conférences commencérent, par une accufation d'Eufebe, évéque de Valentinople contre Antonin , évéque d'Ephefe, fon métropolitain. L'accufation contenoit fept chefs. Le premier, d'avoir fondu des vafes facrés & employé 1'argent au profit de fon fils. Le fecond, d'avoir öté du marbre de 1'entrée du batiftere, pour le mettre dans fon bain particulier. Le troifieme, d'avoir fait drefler dans fa falie a manger des colomnes de l'églife, depuis long-temps a terre. Lequatrieme, de tenir a fon fervice un valet, qui avoit commis un meurtre, fans lui avoir fait aucune correcfiom Le cinquieme, d'avoir vendu a fon profit des terres que Bafiline, mere de 1'empéreUr Julien , avoit laiifées a l'églife. Le fixieme, d'avoir repris fa femme, après 1'avoir quittée & en avoir eu des enfans. Le feptieme de tenir pour Joi &  & de ÏEfprit' Humain, Chap. IV. 283 pour maxime de vendre les ordinations des évéques , k proportion du revenu. Le métropolitain mourut, avant que tous ces chefs euffent été pleinement conftatés (c). Mais S Jean Chryfoftome ayant été fur les lieux trouva que tout étoic vrai, quoique l'évêque accufateur fe fut laiffé corrompre par l'évêque accufé, & qu'il lui eüt promis par ferment de n e point produire de témoins. Dans le voyage, que S. Chryfoftome fit k cette occafion, il obferva encore, que la discipline étoit étrangement corrompue dans toute 1'Afie, principalement par la faute des évéques. Quand il fut arrivé k Ephefe, il asfembla un concile, oü il informa contre fix évê^ ques, accufés d'avoir été ordonnéspour de 1'argent. Les accufés, convaincus par les témoignages unanimes de prêtres, delaïques & même des femmes, avouérent leur délit. „iOr, nous vous „prions, ajoutérent-ils, de nous laiffer, s'il fe „peut, dans le fervice de l'églife , fi non, de „ nous faire rendre 1'or que nous avons donné: „car il y en a d'entre nous qui ont donné jus,, qu'aux ornemens de leurs femmes". S. Chryfoftome fit rendre k ces évéques leur argent, & les dépofa. (O Pallad. Dial. Sozom. Liv. 7. ch 26.  288 Hijhire des Revol. du Gouvernement II öta auffi de Nicomedie l'évêque Géroilce qui, ayant été diScrë de S. Ambroife a Milan, avoit quitté fon églife parceque l'évêque 1'avoit obligé a faire une longue pénitence , & qu'il s'en éfoit allé a Conftantinople. Comme il étoit excellent médecin, homme aótif & éloquent, il s'y concilia bientöt 1'amitié des courtifans & des favoris de l'empéreur, qui lui procurérent 1'évêché de Nicomediei Lk il s'appliqua k faire plütót le médecin que 1'évêqUe, par oü il fe fit beaucoup aimer de fon troupeau. Mais S. Ambroife ne lui pardonnoit pas fa fuite de Milan, & les évéques les plus rigides défaprouvoient fon application k la médecine. Ainfi S. Chryfoftome le dépola malgré les plaintes & les gémisfemens de fon peupie. ( Socrat. Liv. 6". ch. 6. ff 11. Sozom. Liv. 8. ch. 4. ff 5.) A fon retour a Conftantinople S. Jean Chry. foftome apprit, que deux évéques avoient, pendant fon abfence, cherché a 1'envi a ufurper le fiége de cette ville. L'un étoit Antiochus, évéque de Ptolomaïde en Phénicie, 1'autre Severien évéque deGabales en Syrië, a qui il avoit, a fon départ, confié l'églife de Conftantinople. Antiochus s'appercevant qu'il ne pouvoit pas fupplanter Severien, retourna chez lui après y avoir, par fes fermons, amalfé beaucoup d'argent. D'autre part farchidiacre Serapion fit avor-  ,294 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement ilmpücité & 1'humilité avoient dispara en Occident auffi-bien qu'en Oriënt; que les calomnies, les haines, les divifions avoient pris la pace de la charité chrétienne, que les évéques fur-tout cherchoient la pompe,le luxe, les plaifirs; qu'ils amaffoient des richeffes par toutes fortes de moyens; que dédaignant les fonétions de leur miniftere, ils fe mêloient dans les affaires du fiecle, oü ufant d'artifices, d'infidélités, & de parjures, ils abufoient de la fimplicité des riches, de la fuperftition des empéreurs, de 1'avarice des eunuques, du crédit des favoris, de la faveur des femmes. La cour de Maxime, qui s'eft révolté contre Gratiën & fa fait tuer, étoit remplie d'évêques, qui y accouroient des Gaules, de 1'Efpagne, de 1'Italie, les uns pour folliciter fa protecfion contre les Ariens, foutenus par Fauftine mere de Valentinien II; d'autres pour 1'irriter contre les Priscillianiftes & le déterminer a les faire mourir; d'autres pour en obrenir des préfens, pour être transférés, moyennant fa proteélion, k de meilleurs évêchcs, pour faire donner des emplois k leurs parents, en un mot pour tout ce que pouvoient leur fuggérer leur ambition & leur avarice. L'hiftoire d'Occident, quoique ftérile, fait même mention d'évêques fouillés de meurtres, cou-  6f de F Efprit-Humain, Chap. IV. 295 pables de féditions, dominés d'un efprit cruel de vangeance. Patirocle évéque d'Arles ayant été tué en 426 par un tribun, qui favoit percé de plufieurs coups , L'évêque de Marfeille en eut une fi grande joie qu'il alla a la rencontre de celui qui revenoit fouillé de fon fang, & communiqua depuis toujours avec lui (ƒ). La chofe étoit fi publique & fi fcandaleufe, que deux ans après un concile fut afiemblc pour condarnner l'évêque de Marfeille. Environ dans le même temps il y avoit h Valence dans le Dauphiné l'évêque Maximin qui avoit été accufé d'homicide, & avoit même fubi la queftion. II étoit encore coupable de plufieurs infamies & même d'héréfie. Le pape Boniface envoya une lettre décrétale aux évéques des Gaules, par laquelle il leur ordonna de tenir un concile pour juger ce méchant homme. Cependant ce pape lui - même étoit coupable de plufieurs tumultes, de violences & de meurtres qui ont été commis a Rome par fes partifans, lorsqu'il fut ordonné évéque au préjudice d'Eulalius qui avoit été élu avant lui, & qui étoit foutenu par Symmaque, perfonnage d'une ' CD Re,at- Symmach. ap. Baron. ann. 418. M fi". Libel. Presbyt- ap. Baron. an. 419. T 4  ip5 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement grande probité , & préfet de Rome. J'ai parlé dans Ie chapitre précédent d'un autre tumulte caufé dans la même ville pour la même raifon par le pape S. Damafe, lorsqu'a force de violences & par la mort d'un grand nombre de perfonnes il fit annuller l'éleftion d'Urfin. Je refpeóte trop le faint fiége pour m'arrêter plus long temps a parler des vices de quelques uns de fes évéques. D'ailleurs il faut bien fe donner de garde de s'imaginer, que tous les évéques ayent été vicieux, parcequ'un grand nombre 1'aété, ni de croire que tous ont été fuperftitieux, paree que plufieurs font été. II y a eu par tout, particuliérement a Rome, k Conftantinople, k Alexandrie, a Antioche, a Jerufalem, des évéques également vertueux & éclairés. S'ils ont été en p'us petit nombre que les mauvais ou les fuperftitieux, ils ont par la grandeur de leurs vertus, par 1'etendue de leurs luroieres, par Ia prudence de leur zele plus édifié & inftruit les peuples, que les autres ne les ont fcandalifés ou pervertis. II y a eu un temps, oü presque tout FOient & 1'Occident , Rome même, étoient tombés dans 1'Arianisme. II faut con venir, qu'alors le plus grand nombre d'évêques étoient ou, ignprans, ou, vicieux. Mais d'autre part il faut  (f de rEfprit-Humain, Chap. IV. 297 fe fouvenir auffi quele peu d'évêques orthodoxes qui font reftés fermes dans la foi, ont déployé de leur cöté tant de vertus, qu'ils ont a la fin triomphé de Terreur. Si l'on pouvoit juger des moeurs des évéques chrétiens en général par les peintures, que les hiftoriens de ce temps nous font des moeurs des evêque hérétiques, des Ariens, par exemple, des Donatiftes, des Pelagiens, des Neftoriens, nous devrions aujourd'hui rougir pour nos ancêtres, & fouhaiter pour 1'honneur de notre religion , qu'il n'y eüt jamais au d'évêques. Nous redoublerions ce voeu, fi l'on pouvoit prêter foi aux récits des crimes que les hérétiques & les fchismatiques ont imputés aux évéques orthodoxes dans les conciles , dans les requétes préfentées aux empéreurs, dans leurs livres, qui ont échappé a la pourfuite deftruclive des Catholiques. Ne daignons faire aucune attention aux accufations dont ils chargé les évéques catholiques. Ne faifons non plus aucune mention de certains crimes horribles que les Catholiques ont reprochés a leurs adverfaires; ear enfin les évéques hérétiques ou fchismatiques étoient pourtant Chré.iens, & avoient puifé leur foi & leur maniere de vivre aux mêmes fources que les orthodoxes. Contentons nous de T 5  •ap8 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement voir quels évéques avoient les Ariens pendant le regne de Conftance leur proteóteur. Cet empéreur ayant fait chaffere'n 356". S. Athanafe d'Alexandrie, & ayant dans le même temps envoyé en exil plufieurs autres évéques d'Egypte qui tenoient le même parti que lui, les hiftoriens difent qu'on mit k la place de ces exilés des jeunes gens débauchés, quelques uns bigames, d'autres chargés de plus grands, délits. On vouloit feulement qu'ils fuflent Ariens, riches & accrédités dans le monde. Ces débauchés achetoient 1'épiscopat cömme a 1'encan: enfuite ceux de leur parti, aides de troupes de foldats, contraignoient le peupie k les élire & les mettoient en poffeffion. Comme les églifes étoient riches, & qu'outre cela le clergé avoit été exemté, par le même Conftance, des fonctions civiles, c'étoient principalement les décurions & les autres magiftrats des villes qui achetoient ces évechés. S. Athanafe lui-même avoit eu pour fucceffeur un certain George de Cappadoce, homme de baffe naiffance. Cet évéque abufa étrangement du revenu de fon églife qui étoit grand. II corrompoit ceux qui étoient en charge & principalement les eunuques. Sa vie étoit voluptueufe, il faifoit grand' chere & aimoit les femmes. D'ailleurs il prenoit k toutes mains: il  de VEfprit.Humain, Chap. I V. 1299 dépouilloit les particuliers de ce qu'ils avoient hérité de leurs parens: il prit la ferme de tout le falpêtre; s'empara de tous les étangs oü croisfoitle papyrus d'Egypte, & de tous les marais falins. II couroit même après les moindres profits. Comme on portoit en terre les corps morts fur de petits lits, il en fit faire un certain nombre , & voulut qu'on s'en fervït même pour les étrangers: il prenoitun droit pour chaque ufage qu'on en faifoit; & il faloit s'en fervir fous certaine peine. Ses moeurs étoient cruelles: il accufoit les uns après les autres auprès de l'empéreur pour partager leurs dépouilles. 11 avoit fuggéré a l'empéreur que ce Prince avoit droit de prétendre des habitans d'Alexandrie les revenus de leurs maifons, parceque cette ville avoit été batie par Alexandre le grand, aux droits duquel l'empéreur avoit fuccédé (g). Dans le même temps Macédonius commettoit toutes fortes de crimes & de violences k Conftantinople, oü il étoit évéque. II y étoit aidé d'Eleufius & de Marathonius. Le premier avoit une charge honorable a la cour: il la quitta pour devenir évéque de Cyzique. Marathonius avoit (g) Sozom. Liv. 4. ch. 10. Amm. Marcell. Liv. 22. n. 11.  '3oo~?Hiftoire des Revolut. du Gouvernement été payeur des officiers du préfet du prétoire: ayant amafTé beaucoup de bien dans cette charge, il s'en démit pour s'appliquer k gouverner les höpitaux des malades & des pauvres: puis k la perfuafion d'Eufthate, évéque de Sebafle, il embrafla la vie ascétique, & fonda un monaftere a Conftantinople. Enfin Macédonius le fit évéque de Nicomédie. Ils pafibient tous trois pour gens de bonnes moeurs. Cependant tous trois commirent des violences exécrables contre les Catholiques. Iis faifoient fouffrir de cruels tourments k ceux qu'ils vouloient attirer k leur croyance, & qui demeuroient fermes dans la foi Catholique. II y eut des femmes, k qui, pour avoir refufé de participer k la communion des Ariens, on coupa les mamelles en les ferrant entre les bords d'un coffre & le couvercle: on les brula k d'autres en y appliquant un fer rouge, ou des oeufs brulans (A). Les moeurs de tant d'évêques étant telles on peut juger quelles étoient celles du clergé inférieur. S. Jeröme nous donne une idéé des moeurs du clergé de Rome dans fon petit traité qu'il a adreffé k la vierge Euftochium, fur la maniere de garder la virginité. L'abbé Fleuri (ft) Socrat. Liv. IX. eh. 38. Sozom. Liv. 4. ch, fso,  ff de VEfprit - Humain, Chap. IV. 301 cn donne le précis qui fuit. 3, II avertit la vierge „ de fuir les hypocrites de 1'un & de 1'autre fexe: „ & parlant des clercs en particulier, il dit: II „ y en a qui briguent la prêtrife ou le diaco„ nat, pour voir les femmes plus librement. „ Tout leur foin eft de leurs habits , d'être „ chauffés proprement, d'être parfumés. Ils „ frifent leurs cheveux avec le fer: les anneaux „ brillent a leurs doigts: ils marchent du bout „ des pieds; vous les prendriez pour de jeunes „ fiancés plütöt que pour des clercs. II y en a ,, dont toute 1'occupation eft de favoir les noms „ & les demeures des femmes de qualité & de „ connoitre leurs inclinations. J'en décrirai un „ qui eft maïtre en ce métier. II fe leve avec „ le foleil; 1'ordre de fes vifites eft préparé; il „ cherche les chemins les plus courts: & ce „ vieillard importun entre presque jusques dans „ les chambres oü elles dorment. S'il voit un „ oreiller , une ferviette, ou quelque autre pe„ tit meuble a fon gré, il le loue, il en admire „ la propreté, il le tate, il fe plaint de n'en „ avoir point de femblable & 1'arrache plutöt „ qu'il ne 1'obtient". S. Jeröme dépeint aufli 1'avarice de ce clergé: il dit que ces prêtres, fous prétexte de donner la bénédiétion, étendent la main pour recevoir de 1'argent: qu'ils courenc après les femmes pour leur arrancher de 1'ar-  302 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement gent; & que par leurs careiïès & leurs baffefies ils fe foumettent a celles qu'ils devroient gouverner: d'autres faifoient leur cour a des perfonnes agées & fans enfants, & leur rendoient les fervices les plus vils & les plus indignes pour parvenir un jour k partager leur fucceffion. Les discours de S. Jean Chryfoftome nous apprennent que les moeurs du clergé de Conftantinople étoient auffi dépravées que celles du clergé de Rome. II y avoit des eccléfiaftiques en grand nombre, qui vivoient avec des vierges, qu'on nommoit fous. introduites, & qu'ils appelloient eux-mêmes foeurs adoptives. S. Chryfoftome foutenoit dans fes fermons, que cette cohabitation étoit pire, que s'ils entretenoient onvertement des femmes publiques: il difoit que cette coutume étoit fcandaleufe, & que ce fcandale n'étoit que trop fondé. Dans d'autres discours il leur reproche leur avarice, & les exhorte k fe contenter de leurs penfions, k ne point courir les tables des riches, ni les flatter, ni fe rendre leurs dépendans 11 y avoit des clercs meurtriers & adulteres, que ce faint chasfa de fon églife (£). Le clergé choqué de fes CO Hom. 15. 16. Pallad. Vit. S. Chryfolï. Ck) Pallad, pag, 65.  ff de ï'Efprit-Humain, Chap. IV. 305 discours conjura fa perte, & imagina, pour le faire dépofer, de lui attribuer de faux crimes ,& de 1'en accufer formellement dans le concile que 1'impératrice Eudoxia fit tenir a Conftantinople en 403. J'ai rappor té plus haut des accufations qui paroiffoient fondées: en voici de celles qui fentent la calomnie toute pure. On difoit qu'il mangeoit feul, vivant licentieufement comme un cyclope : qu'il recevoit des femmes feul h feul aprés avoir fait fortir tout le monde. On nomma une femme, entr'autres, dont on foutenoit qu'il abufoit. Mais l'évêque offrit de s'en juftifier par l'infpeclion de fa perfonne, en faifant voir 1'état oü l'avoient réduit les auftérités de fa jeunefie. Ils 1'accuférent auffi d'avarice; d'avoir vendu quantité de meubles précieux de l'églife; d'avoir fait vendre par un homme de confiance les biens queThecle avoit laiffés a l'églife. On prétendoit auffi qu'il avoit ordonné prêtre Serapion, prévenu de crimes, & qu'il en avoit fait le confident de fes débauchés: qu'il donnoit de 1'argent aux évéques qu'il avoit ordonnés, afin de fe fervir d'eux pour perfécuter fon clergé (/). Les canons de presque tous les conciles nous font voir, par rapport aux eccléfia- (O Aft. Concil. apud. Phot. Cod. 59-  364 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement ftiques de toutes Jes églifes en général, qu'ils négligeoient Jes fonclions de leur miniftere pour ne s'occuper que des affaires temporelJes, qu'ils tenoient des boutiques de marchandifes, qu'il y en avoit même de ceux qui faifoient le métier d'artifan , & avoient des ateliers oü ils exercoient publiquement leur art: d'autres coUroient les pays, les cabarets, les femmes & vivoient dans une proftitution honteufe: d'autres fe fouilloient de plus grands crimes encore. Les conciles fe font efforcés en vain de faire des régiemens pour remédier k tant d'excès. On voit, que les eccléfiaftiques les ont continuellement méprifés, parceque l'on voit que chaque concile a été obligé de faire de nouveaux régiemens a leur égard. Les empéreurs ont fait, comme les conciles, différentes loix pour réprimer 1'avarice, les féduótions & 1'incontinence du clergé. 11 y a, entr'autres, une loi de Valentinien I (/. 20. C. Tbeod. de Epis.) qui défend aux eccléfiaftiques, aux afcétes & aux religieux d'aller dans les maifons des veuves ou des filles orfelines; en permettant aux parens oü aux alliés de les déférer aux tribunaux publics. Elle ordonne aufli que les femmes, qui leur feroient particuliérement attachées, ne leur pourroient rien donner, nileguer, pas même fous prétexte de religion, le tout  & de f Efprit-Humain, Chap. IV. 305 tout fous peine de confiscation. Quelque temps après Théodofe I fit une loi, par laquelle il défend de choifir pour diaconeffes des femmes moins agées que de foixante ans: il veut aufli qu'elles ayant des enfants; qu'elles laiffent k d'autres le gouvernement de leurs immeubles, & ne jouiffent que des revenus, desquels feuls il leur permet de dispofer librement. 11 leur défend d'aliener leurs bijoux & les autres meubles précieux; d'inftituer l'églife, ou aucun clerc pout fes héritiers; ni de leurrien laiffer par legs, par fideicommis, ou par aucune derniere volonté. (L. 7. C. Theod. de Epis.) Le motif de cette loi fut 1'abus que faifoient les eccléfiaftiques de la fimplicité des diaconeffes pour fatisfaire leur avarice & leur incontinence. Entr'autres un diacre de Conftantinople y avoit occafionné par urt pareil excès un grand fcandale. Une femme de qualité ayant été condamr.ée pour fes péchés par le prêtre pénitencier a jeuner & a prier continueilement, elle devoit, pour cette raifon, refter long temps dans l'églife. Un diacre fe fervit de cette occafion pour lier avec la penitente uneamitié particuliere, qu'il poufia fi loin qu'il parvint a en abufer. La chofe étant devenue publique, on fupprima le prêtre pénitencier, & Théodofe fe hata de faire la loi que je viens de rapporter (Sozom, Liv. 7. ch. 16.) Cependant Tome I. V  3oc» Hiftoire des Revolut. du Gouvernement ces loix, & d'autres qui furent publiées pour les mêmes fujets, ne produifirent pas plus d'effets que les canons des conciles. Les intrigues & la puiffance du clergé empêchoient auffitöt qu'on ne les mit en exécution. C'eft pourquoi Sulpice Severe (Hift. Liv, i. ch. 23.) fe plaint que, de fon temps, le clergé fe déshonoroit par une cupidité extréme: „ ils cherchent, dit-il, a ga" ,, gner des terres , ils cultivent eux-mêmes; 5, leurs biens, & fe couchent fur leurs coffres: 5, ils s'occupent h vendre, a acheter, a faire „ toutes fortes de trafic. S'il y en a de ceux qu? „ ne poffedent point de biensfonds, & qui nt „ font point de trafic, ils foupirent, dans 1'oi» fiveté, après les charges, ce qui eft encore 3, plus indigne, fe proftituent pour de 1'argentï „ & vendent au plus offrant la fainteté de leur miniftere". S. Jerome (epift. 2. ad Nepot. deVita Cleric') en parlant des loix qui défendent eux eccléfiaftiques les acquificions des biens par teftament, dit: „ 11 eft honteux qu'il foit permij „ aux prêtres des idoles, aux pantomimes, aux „ cochers du cirque, aux femmes publiqucs de „ fuccéder par teftament, & que cela foit défer„ du aux feuls clercs & aux moines. Et ces loix , ne viennent pas des perfécuteurs de notre re„ ligion, mais des princes chrétiens. Je ne me „ plains pas des loix: mais j'ai regres que nous  ff de VEfprit - Humain, Chap. IV. 307 5, les ayions méritées. Le reméde eft bon. Mais „ pourquoi ai-je la playe qui a befoin du re„ méde? Le réglement eft fage & néceflaire. Cependant il ne fuffit pas pour réprimer 1'a„ varice: car nous éludons les loix par lemoyen „ des fideicommis ". Le concile d'Antioche, tenu en 369, décrit ainfi les maux de l'églife dans la lettre qu'il envoya aux évéques d'Occident par le diacre Sabin (Tom. 2. Concil.') „ La faine doctrine eft „ renverfée, les loix de l'églife font confondues; 5, les ambitieux s'emparent des premières places 5, qui deviennent la recompenfe de 1'impiété. La gravité facerdotale eft perdue: on ne trou„ ve plus de pafteurs qui fachent leur devoir: „ ils tournent a leur profit les biens des pau„ vres, ou en font des liberalités. La rigueur „ des canons eft oubliée; la licence de pécher >, eft grande. Car ceux qui font parvenus k 1'auj, torité par la faveur des hommes, témoignent j, leur reconnoiffance en accordant tout auxpé,, cheurs. Ainfi les peuples font fans correclion; & les pafteurs n'ofent parler, étant esclaves „ de ceux qui les ont élevés. Quelques uns crai„ gnant d'être convaincus de crimes honteux j, excitent des désordres dans le peupie pour s'y }, cacher, & rendent la guerre irréconciliable, 3, parcequ'ils craignent que la paix ne découvre y *  de 1'Efprit-Humain, Chap. IV. 309 exagérées, quand on fe rappellera les exemples frappans de tout cela , que j'ai rapportés jusqu'ici, & quand on aura lu ceux que je vais rapporter encore. Tant de fuperftitions & tant d'excès rendirent a la longue la vie monaftique méprifable & odieufe chez une grande partie des Chrétiens. Les gens fenfés cherchoient a en empêcher la propagation, parcequ'ils voyoient qu'elle étoit pernicieufe aux états par la nature de fon inftitution , puisqu'elle arrêtoit la population, & plus encore par les défordres de fes feétateurs. Les autres méprifoient les moines & leur faifoient indécemment toutes fortes d'outrages. Ils étoient le fujet des railleries dans les places publiques, & dans tous les lieux oü le monde avoit coutume de s'affembler. L'un difoit, dit S. Jean Chryfoftome (w), j'ai le premier mis la main fur un tel moine, & je 1'ai roué de coups. L'autre: j'ai découvert la taniere d'un tel. L'autre: j'ai bien animé le juge contre lui. L'autre fe vantoit de 1'avoir trainé par la place, & mis au fond d'une prifon: deffus les affiftans s'éclatoient de rire. Salvien rapporte (0) O) Défens. de la vie mon. Liv. I< ch. 3. <<0 Salvian. de Gubern. Dei. V 3  S de VEfprit - Humain , Chap. IV. - 315 ;«n 390 une loi qui défend aux moines de paroïtre dans les villes, & leur ordonne de fe retirer 'dans les déferts & d'habiter les folitudes (f). Mais deux ans après il révoqua cette loi (y), ce qui prouve k la fois la méchanceté des moines, puisqu'ils demandérent faboiition d'une loi qui ■ne faifoit que les ramener aux regies de leur inïtitut, & leur puiffance , puisque l'empéreur n'ofa les refufer. Le désordre augmenta de plus en plus: les troubles furent continuels. Les moines parvinrent k gouverner les peuples, k do-miner même dans les cours. En Oriënt furtout on ne put bientöt plus être évéque fans être moine. Ce désordre paffa plus tard en Occi- xent auflïtöt pied k terre, lui demandérent pardon & lui embraffcrent les genoux. Enfin les commiflaircs furent forcés de donner parole aux moines de fufpcndre toute exécution, de receyoir leurs remontrances & de les envoyer k l'empéreur. QSulp. Liv. 17. Theo~ dor. Hijl. Liv. 5. ch. 20.) Cette mutinerie des moines étant demcurée impunie , ils ne connurent plus de borncs. Les moines d'Egypte dans une parcille occafion poulfércnt 1'audace jusqu'a frapper & a blefler a fang le préfet d'Alexandrie, & a en venir enfuite a d'affrcufes violences pour empêeher la punition des excès commis par S.Cyrüle, évéque de la ville, comme je 1'ai rapporté plus haut. i») L. 1. Cod. Theod. de Monach. Cv) L. 2. cod. V 5  6f de ïEfprü.Humain, Chap. I,V, 317 Juivit de prés ce concile. Comme les peres ve= noient de condamner la doctrine d'Eutychés qui nfbit les deux natures de Jefus Chrift, les moines de Paleftine fe révoltérent contre Juvenal, evêque de Jerufalera, qui y avoit opiné comme les autres, en 1'accufant d'avoir trahi la foi. Ils difoient que le concile & leur évéque avoient déclaré, qu'il y avoit deux fils, deux Chrifts & deux perfonnes qu'il falloit adorer. Juvenal étant dans ce moment revenu du concile, ils voulurent 1'obliger k fe rétracter, & k anathematifer la doctrine qu'il avoit fouscrite: l'évêque n'ayant pas voulu fe rendre, ils envoyérent un afiaffin pour le tuer; celui-ci ayant manqué fon coup , s'en vengea fur un autre évéque, & le tua. Juvenal fut obligé de fe fauver a Conftantinople , & le moine Théodofe fut ordonné k fa place: mais comme il reftoit toujours un parti dans la ville qui tenoit pour le concile, & pour l'évêque chalTé, la faction des moines fouetta les uns, öta les biens k d'autres, brüla les maifons , ouvrit les prifons & laiffa fortir les criminels k condition qu'ils fe déclareroient contre le conci- fe crut encore trop heureux de pouvoir faire fa paix avec les moines. (Socrat. Liv. 6. ch. i2.&fuiv. Sozom. !iv. 8. ch. 8. & fuiv.) act Conc. Calced.  313 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Je & contre Juvenal. Dorothée, gouverneur de Paleftine étoit alors occupé contre des barbares: dès qu'il fut informé des troubles excités k Jeru. falem, il y revint en diligence. Mais Théodofe & les moines lui fermérent les portes, & quoiqu'il eüt de bonnes troupes avec lui ils lui firent tant de réfirtaace > que pour pouvoir rentrer dans la ville, il lui fallut promettre d'adhérer a leur parti: les violences furent continuées pendant vingt mois. Cependant ils ne furent point punis; la fuperftition de l'empéreur Marden > ou la puiffance des moines étant trop grande. L'empéreur fe contenta de leur écrire une lettre, oü il leur reproche les excès qu'ils ont commis. „ Vous n'avez pas fait cela, leur dit„ il, pour la défenfe de la foi, mais pour ufur„ per les prélatures dont vous étes tout-^-fait „ indignes. . . Vous rendrez compte de votre „ impiété & de vos crimes k Jéfus Chrift, qui „ ne les laifièra pas impunis: mais pour nous, 3, nous ne voulons point exercer de punition „ fur des moines. Nous avons feulement or„ donné de contenir les habitans de Jerufa„ lem, & de punir les coupables de meurtres ou d'incendies. Et parceque 1'expreffion des 3, deux natures vous a troublé, comme fi c'é„ toit une nouveauté, fachez que ce n'étoit pas  & de F Efprit-Humain > Chap. IV. 325 h politique , cherchérent dès lors h öter aux payens leurs richeffes, qu'ils verférent dans les églifes & parmi le clergé, dont ils pervertirent les moeurs dans le même temps qu'ils portérent des coups mortels k finduftrie. Ce clergé corrompu fe mulriplia a Finfini par une fuite de la corruption même, & ruina è la fois l'églife par fes discordes & 1'état par 1'intérêt qu'il trouvoife a le ruiner. Le fanatisme & la fuperftition, qui accompagnérent par tout la vrale religion a mefure qu'elle s'étendoit, autorifant les disputes fanglantes, & juftifiant les richeffes prodigieufes du clergé, portérent les empéreurs a fomenter 1'esprit de diffention dans l'églife, par la part qu'ils prenoient a tous les nouveaux différends qui s'y élevoient, & a ajouter «ncore aux richeffes du clergé des prérogatives pernicieufes k 1'état. La fuperftition payenne n'avoit produit aucun de ces maux chez les Romains. Elle n'avoit point ?ugmenté le nombre des prêtres au de la du befoin: elle n'avoit point produit des légions innombrables de moines : elle n'avoit point féparé les prêtres du refte des citoyens: elle ne leur avoit point donné des intéréts oppofes&ceuxde 1'état: elle ne leur avoit point fourni les moyens d'établir leur grandeur fur la ruine de 1'état & des autres citoyens. Si elle gatoit la raifon, elle n'cxaltoit pas 1'imagination; fj X 3  326" Hiftoire des Revol. du Gouvernement elle ne donnoit point des moeurs, elle ne leg corrompoit pas: fi elle menoit a 1'indifférence, elle ne portoit point au fanatisme: fi elle faifoit naïtre des doutes, elle s'oppofoie par fa nature aux disputes. La fuperftition chrétienne feule, s'étant établie dans des lieux & dans des temps favorables k Terreur, parvint k offusquer la doctrine de 1'évangile, a gater 1'efprit & le coeur, a corrómpre les moeurs. Les temps malheureux des perfécutions furent ceuxoü laréligion fleurit; les temps heureüx oü le chriftianisme domina, furent ceux oü la fuperftition triompha. La tyrannie des empéreurs payens attaquant toutes les perfonnes vertueufes, ces malheureux trouvoient une reffource admirable dans la nouvelle religion qui nacquit dans le même temps que le despotisme s'établit dans 1'empire romain. Elle les confoloit par le mépris des chofes de ce monde, par les promefles d'une vie plus heureufe, par fa doctrine propre k calmer toutes les paflions, par 1'union fraternelle de tous les fideiles, par leur charité extraordinaire qui les portoit k prêter toutes fortes de fecours a ceux qui étoient dans l'affliction, ou qui manquoient des moyens de fubfifter. Mais dès que le despotisme fut exercé par des princes chrétiens, comme il frappoit presqu'uniquement fur les payens, & qu'il favorifoit avec  328 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement temps de Théodofe I il y avoit dans la même ville trois mille comédiennes, d'oü nous pou,vons inférer quel devoit être alors le nombre des acteurs. Ammien Marcellin rapporte, qu'étant arrivé une fois que la ville fut défolée par une grande famine, on chaiTa tous les étrangers, qui étoient presque tous des laboureurs, des marchands, & autres gens utiles, & on retint toute cette immenfe multitude de gens de théatre. Après Ie fac de Rome par Alaric, les Romains fugitifs fe retircrent en grand nombre h Carthage. Leur premier foin fut de courir au théatre, d'y prendre part dans les faétions des fpeótateurs, &de fe fignaler par une frivolité turbulente. Unpaffage deSalvien (e) nous fait voir la raifon, pourquoi ces fugitifs de Rome ont préféré Carthage aux autres villes. Cette grande ville, dit-il, étoit plongée dans toutes fortes de vices: ce n'étoit qu^yvrognes couronnés de fieurs & parfumés. Toutes les rues étoient pleines de lieux infames &de piéges contre la pudeur: rien n'étoit plus commun que les adulteres & les impuretés les plus abominables, qui fe produifoient cn public avec la derniere impudence. On y voyoit des hommes fardés & vêtus en femmes fe promener dans les rues. A Rome, a ConftantK (O De gubcrn. Dei Liv. 7.  g34 Hiftoire des Revohit. du Gouvernement arrêter: il fe dérobe aux deux capifaines qui étoient chargés de la commiffion & parvient heureufement dans fes états: nonobftant cette perfidie il demeure encore fidelle a fon ancien alÜé. Cependant cette nouvelle preuve de fa fidéöté ne corrige point 1'ame noire de Valens. II donne ordre au comte Trajan de lui öter la vie ou de force ouverte, ou en fecret. Le comte tache de gagner de plus en plus la confiance du roi, & après s'en être bien alfuré, il le prie a un feftin, oü il le fait affaffiner (l). Les fucceffeurs de Valens uférent d'une perfidie encore plus cruelle envers les Vifigoths. Valens les avoic recus pour alliés: il leur avoit afïïgné la Moefie khabiter; 1'empire en tiroit un grand nombre de jeunes gens pour fes armées, outre les troupes auxiliaires que la nation entretenoit fur pied pour fon fervice. Mais comme ces barbares confervoient leurs moeurs, leurs ufages & leurs loix, cette disconvenance déplaifoit fi fort aux Romains, qu'ils continuérent detraiterles nouveaux habitans de la Moefie, comme un peupie ennemi plutóc que comme leur allié. Les efprits étant dans cette dispofition , les Vifigoths furent tout-a-coup accablés d'une famine CO Amm, Marceil, Liv. 39. i  & de rEfprit-Humain, Chap. IV. 33i extraordinaire. Alors les miniftres de 1'empire eurent ordre de faifir cette occafion pour les exterminer. Les officiers Romains, dit Jornandes, abuférent indignement de la fituation mal* heureufe de ce peupie. Non feulement ils leur vendoient k un pnx exceflïf les alimens ordinaires, mais les chairs infeétees des chiens. Ils poufierent leur dureté a un tel point, qu'il leur fallut donner un esclave pour avoir un pain, Sc dix livres d'or pour un agneau. On les obligea enfin a échanger leurs propres enfans contre des alimens. On y joignit la perfidie la plus atroce. Feignant d'être touché de la mifere générale de cette nation on invita tous les chefs a un feftin. On avoit formé le projet de les y affaffiner tous. Mais ces fcélérats ne purent 1'exécuter, parceque le complot fut éventé. Les Vifigoths indignés de tant d'atrocités fe choifirent un chef pour faire la guerre aux Romains. Us alloient ravager 1'Orient: maisRufin,' qui gouvernoit Arcadius, leur offrit des préfens, & les engagea a fe tourner du cöté de 1'Occident , oü il leur fit espérer un butin immenfe. Alaric leur roi les conduit a Ravenne. De )k il envoyé des députés a Honorius pour lui offrir de confondre fes Goths avec les Romains, pour n'en faire qu'un feul peupie, ou de décider par un feul combat le fort des deux nations. L'em-  & de r Efprit •Humain, Chap. IV. 337 veau en Italië, qu'il traverfeavec la vitefle d'un voyageur, arrivé aux portes de Rome, réduit la ville a Pextrémité, & impofe aux habitans les conditions de la paix. II fe retire: on lui manque encore de parole; il fe préfente de nouveau aux portes de Rome: Honorius tremble, & lui propofe un partage de 1'empire. Alaric s'éloigne encore de Rome, une nouvelle perfidie 1'y attire encore. Honorius traite de nouveau avec Alaric: mais tandis que les conférences font oüvertes, Sarus, général de l'empéreur, attaque les Goths, & en tue un grand nombre. Alaric furieux affiege Rome pour la troifieme fois, y entre & la livre au pillage. Quelle fuite d'horribles perfidies! ce font Ja les fruits de Péducation & dir fouet de S. Arfene (*). Quoique Pexpérience eüt fait connoïtre les triftes effets des perfidies, qu'on avoit employees, on continua encore de s'en fervir. Theo-? dofe le jeune ne laiffa pas d'en ufer, malgré fa piété tant vantée. Ce pieux empéreur, fe voyant O») Voy. fur tout ce'a Zofime Liv. 5. ch. 5. 6. 36". 37. 48. 49. & Liv. 6. ch. 6. & 7. (?) On a dit plus haut que les empéreurs Honorius & Arcadius ont été élevés par S. Arfene, qui fe fit moine pour avoir fouetté Arcadius-, on y a auffi parlé de fon caraöere. Tomé I. ' y  538 Hiftoire des Revolut. da Gouvernement expofé aux attaques continuelles des Huns, qui3 fous la conduite de leur Roi Attila, avoient déja défait plufieurs fois fes miférables troupes, ne feut imaginer d'autres moyens de les contenir, que de les déterminer a lui vendre la paix pour de grolfes fommes d'argent. Mais a force de fa-' cheter coup fur coup il avoit également épuifé fes finances & fes fujets. Ainfi manquant d'argent pour les contenir davantage, de vertu pour les combattre, & d'honneur pour détefter tout moyen infame, la perfidie lui parut la feule resfource contre la bravoure d'Attila. II réfolut de le faire affaffiner. On tache de gagner Edécon, envoyé du roi barbare. Edécon fait ferablant d'accepter les promeffes de Théodofe & de vouloir exécuter fon deffein: mais a fon retour il révele le fecret a fon maitre. Attila diffimule; & comme Edécon avoit amené avec lui des ambasfadeurs de l'empéreur, complices de la même trahifon, le roi les recoit, les traite avec bonté , éc prend toutes les mefures pour dévoiler leur commiflion contre fa vie. Dès qu'il feut découverte, il envoya des députés a Conftantinople avec ordre de dire a l'empéreur, que Théodofe étoit fils d'un pere trés noble, auffi bien qu'Attila: mais qu'en lui payant le tribut Théodofe étoit déchu de fa noblefle & devenu j'esclave du roi des Huns. Qu'ainfi il n'étoit pas  6? de rEfprit Humain, Chap. IV. 339 jufte qu'il dreflat des embuches a fon maitre, comme un esclave méchant; qu'il ne lui pardonneroit, qu'après qu'il lui aurok remis entre les mains 1'eunuque Chryfaphe , auteur de cette trahifon , pour être puni comme il le méri* toit ( n > Je ne finirois pas fi tot, fi je voulois achever la peinture des moeurs qui fuivirent de prés la converfion de Conftantim Qu'on fe repréfente la volupté , la débauche, la moleffe, le fafte , les violences, les horreurs que pcuvent enfanter un empire dur, un despotisme lüperbe, un gouvernement militaire, une cour ftupide, idiote & fuperftitieufe; un clergé fanatique, hypocrite , orgueilleux, ignorant; des grands fans? moeurs & fans honneur; un peupie fans vertu,1 fans principes, esclave plus encore d'un mauvaisï clergé que de fon prince, ennemi du travail,' pafilonné 'pour les fpeclacles, & on fe fera it foi-même un tableau parfait des moeurs de ces fiecles. Salviendit (0) que de toutes les? nations, la nation des Romains étoit la plus vile , la plus corrompue. Les Saxons, dit-il, font farouches, les Francs & les Goths infidelles, lesGepidesinhumains, les Huns & les Alains («) Jornandes & Priscus, (0) Salvien du gouvernem. deDfeu Liv. 4. 5. 6,7,'' y %  34° Hiftoire des Revolut. du Gouvernement impudiques: mais il loue les Francs pour leur hospitalité, les Goths, les Vandales & les Saxons pour leur chafteté: & il fait voir que les Romains avoient de grands vices & point de vertus; II déclame principalement contre leurs débauchés, leur paffion pour les fpeétacles, au milieu des horreurs de la guerre & des calamités publiques, contre les injuftices des puiffans & des riches, & 1'oppreffion des pauvres , qui faifoit préférer la domination des barbares a celle des Romains. Ces vices dépeuploient 1'empire, qui étoit encore dépeuplé par les guerres continuelles avec les barbares, par les avantages exceffifs du clergé fur leslaïques,par la continence hypocrice de ce même clergé, paria foule innombrable des moines. Les befoins continuels, oü étoient les empéreurs d'avoir des armées de barbares pour défendre leurs états contre d'autres barbares, prouvent 1'extrémité a laquelle on étoit réduit. Enfin les moeurs étoient alors fi corrompues, qu'elles avoient perverti la religion même de Jéfus-Chrift, dont le principal but eft d'infpirer famour, la charité & la douceur: car nous avons vu, que la méchanceté des hommes, qui 1'embrafférent, fe fervit de cette même religion  & de l'Efprit.Humain, Chap. IV. 34 r pour vexer, opprimer, exterminer leur prochain. M. de Montesquieu dit (p), „ que nous devons „ au chriftianisme & dans le gouvernement un cer„ tain droit politique,& dans la guerre uncertain „ droit des gens que la nature humaine ne fauroit „affez reconnoitre". Mais dans les temps, dont nous parions, quoique la réligion chrétienne, pour être plus récente, dut naturellement produire plus d'effet, le chriftianisme n'avoit pas encore produit ces avantages. Le despotisme commencé par les empéreurs payens s'étoit raffiné d'avantage,comme je 1'ai fait voir, fous les empéreurs chrétiens. La fuperftition leur a dióté beaucoup de loix, qui paroiffent refpirer la douceur, & 1'amour de 1'humanitc, mais qui en effet font tort a 1'humanité. Telles font leurs loix pour fuspendre en certains jours & en certains temps toute procédure criminelle, & pour donner la liberté, en certaines grandes fêtes, a des fcélerats qui méritoient la mort (*> Au contraire la réligion de ces princes ne les a pas empêché de rendre capitaux les crimes les moins nuifibles, & de punir, par le glaiveécpar Ia confiscation des biens, des fautes, fur lesquelles il (p) Esprit des Loix Liv. 24. ch. 3, (*) Voy.le chapit. fuivant. 1 dt  342 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement auroitfallu fermer les yeux, ou qu'il ne falloit punir que par des peines légeres. „ Cette réligion, dit le même auteur, défen„ dant la pluralité des femmes, les princes y „ font moins renfermés, moins féparés de leurs „ fujets, & par conféquent pkis hommes: ils , font plus dispofés a fe faire des loix, & plus capa„ bles de fentir qu'ils ne peuventpas toutfj)". Ce raifonnement eft très-jufte, quand on oppoié la réligion chrétienne a la mahometane, qui a cette époque n'étoit pas encore née. Mais la réligion des Romains a toujours rejetté la pluralité des femmes. Ainfi on ne peut pas dire, que cet avancage foit particulier h la réligion chrétienne , puisqu'il avoit déja été produit par la fuperftition payenne. „ C'eft ce droit des gens, que nous devons „ au chriftianisme, dit encore ce grand homme, „ qui fait, que, parmi nous la victoire lailfe au „ peupie vaincu ces grandes chofes, la vie, la „ liberté, les loix, les biens, & toujours la réligion,lorsqu'onnes'aveuglepasfoi-même (r)". Ces effets dérivent naturellement de la réligion chrétienne: cependant on voit par toute F hiftoire des temps, dont il eft ici queftion, qu'elle ne les y a pas produits: qu'au contraire les (?) Esprit des Loix Liv. 24- ctt.'Jh Cr) ld. ibid.  ff de VEfprit-Humain, Chap. IV. 345 princes chrétiens de cette époque ont confervé lans aucune altération ies ufages des princes & des peuples payens par rapport a la maniere de traitcr les vaincus. Ce qui prouve que les Chrétiens d'alors ne connoiflbient point leur réligion, & qu'ils n'étoient guidés que par des fuperftitions: ce qui eft encore démontré par tant d'autres preuves que j'en ai apportées dans cet 011vrage. II y a plus: c'eft que les Chrétiens d'alors ont, par rapport k leur maniere de traiter les vaincus, furpafle infiniment la cruauté des payens; puisqu'ils ont toujours tourmenté les vaincus , qui avoient une réligion différente, ■quoique la réligion chrétienne défende d'inquiéter perfonne pour la réligion: au contraire les payens de Rome ont toujours laifle leur réligion aux vaincus , quoique la réligion des Ro-, mains ne les obligeat pas a la leur laiffer. Le chriftianisme n'a commencé a opérer ces effets, dont parle M.de Montesquieu, qu'après qu'on eut aboli 1'esclavage; ce qui ne fe fit qua trés • tard: car dans les temps, dont nous parions, les eccléfiaftiques même & les églifes avoient de grands troupeaux d'efclaves. Et quand dans les ficcles du bas age les princes commencérent a abolir 1'efclavage, ce ne fut pas encore la réligion qui les y détermina; ce ne furentpas non plus les eccléfiaftiques qui les en follieitérent^ < y 4  344 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement mais ils y furent portés par des vues de politique, & d'intérêt, comme le favent ceux qui ont lü l'hiftoire. Ainli il eft conftant, que la réligion des Chrétiens d'alors n'a produit aucun bien, parcequ'ils ne fuivoient point, & méconnoiffoient même, la réligion de Jéfus-Chrift, & qu'au lieu de celleci ils s'attachoient a des fuperftitions abfurdes & contraires a 1'efprit de 1'évangile. Au lieu d'aucun bien elle a au contraire caufé tous les maux dont j'ai parlé dans cet ouvrage: & elle en a encore caufé d'autres dont je n'ai point par-. lé> (*) Elle a détruit la fefte ftoïque , dontM.de Montesquieu ( Efprit des loix Liv . 24. cl. 10.) dit: ■ , qu'elle feule favoit faire les citoyens; qu'elle feule „ faifoit les grands hommes; qu'elle feule faifoit les „ grands empéreurs — Nés pour la fociété, ajoute-t-il, iis „croyoient tous que leur deftin étoit de travaillerpour „elle; d'autant moins a charge que leurs récompenfes „étoient toutes dans eux-mêmes; qu'heureuxpar leur „philofophie feule, il fembloit que lefeul bonheurdes „ autres put augmenter leleur — Pendant que les Stoï„ ciens regardoient comme une chofe vaine les riches„fes, les grandeurs humaines , la douleur , ies clia„grins, les plaifirs, ils n'étoient occupés qu'k travailler „au bonheur des hommes, a exercerles devoirs de Ia „ fociété ". j  de F Efprit - Humain, Chap. IV. 34 ^ La fuperftition prodigieufe & les méchantes moeurs, qui regnoient a cette époque, noue peuvent faire juger de 1'état des fciences. J'ai aifez montré jusqu'a quel point on avoit dégradé la philofophie. S'il y avoit encore des philofophes, c'étoient de ces hommes vertueux, qui méprifant la doétrine actuelie, s'appliquoient dans leurs cabinets a la lecture des anciens, & pratiquoient la vertu fans profeffer la philofophie. Les autres n'étoient que des fanfarons fa- Leur fuperftition donna aux Chrétiens d'alors une vie trop contemplative. M. de Montesquieu (Efprit des loix Liv. 24. ch. 11.) dit a ce fujet. „Les hommes „étant faits pour fe conferver, pour fe nourrir, pour „fe vêtir, & faire toutes les actions de la fociété, la „religion ne doit pas leur donner une vie tropcontem„plative". Elle leur donna de fauffes idéés fur les pénitences; car elles menoient a 1'inaSion & a la pareife d'ame. Les moines qui travailloient alors, paflbient pourtant Ia plus grande partie de leur vie a méditer. Cutre cela ils s'attiroient la plus grande partie des biensfonds dans les endroits oü ces pénitens s'établjlToieiit. „II eft bon, dit encore le même génie f_Efprit. des loix „Liv. 24..ck. 12.) que lespénitences foient jointes avec „1'idée du travail, non avec 1'idce de 1'oifiveté; avec „ 1'idée du bien, non avec 1'idée de 1'extraordinairc; «avecl'idée de frugalité, non avecl'idcc d'avarice "  ff dep Efprit-Humain, Chap, IV. %47 Afterius, évéque d'Amafée, difoit-il (O qu'il avoit appris a Antioche la jurisprudence d'un esclave Scyte qui fy enfeignoit publiquement. Cet aviliffement de la fcience du droit produifit les effets les plus funeftes. Les gens de bien & d'honneur ne fe fouciérent plus guéres de 1'étudier: elle devint 1'objet de la plus vile canaille, & les tribunaux de judieature furent remplis de fripons, qui vexoient les prévenus, qui envoyoient en prifon & y traitoient en criminels jusqu'aux perfonnes qu'ils n'avoient fait appelier que comme témoins; exercoient dans le même temps le métier de juges & d'avocats; vendoient la juliice aux plus offrants, &qui enfin a cette friponerie ajoutoient encore celle de leur manquer fouvent de parole, de forte que les complices du marché, qu'on avoit fait avec eux, & qui ordinairement étoient des gens puiffans, ou riches, ou des avocats, prétendoïent refter auprès des juges fur les tribunaux, pour lesempêcher de violer leur promeffe (ï). La conduite des étudiars aux académies les habituoit de bonne heure a commettre dans la fuite tous les désordres, dont je viens de par- CO Apud Phot. Hom..7. In fervum Centarioiüs. | CO LibJttu de ingredientibus ad judieeï. \  •§4.8 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Ier. Piongés dans la crapule, ilsne fe donnoient, comme, dit Ammien Marcellin (v), d'autres occupations que de courir les lieux de débauche, de fe régaler les uns les autres, de jouer, & de fe procurer toutes fortes d'amufements des plus indignes. L'empéreur Valentinien I fit en vain une longue loi pour modérer les débordemensdes étudians O), en leur défendant de trop fréquenter les fpectacles , de donner de trop fréquens feftins, de voir les femmes pubiiques; & en ordonnant aux magiftrats de faire fouetter publiquement les infracleurs de fa loi, de les chaffer des académies, & de les renvoyer chez eux. Cette loi étoit trop foible, & manquoit trop de prudence pour qu'elle put Temporter fur la force des moeurs. Outre de méchantes moeurs les étudiants avoient encore des ufages infenfés. A Athenes, par exemple, ils avoient pour coutume, lorsque les études alloient commencer, d'aller au devant de ceux qui y venoient étudier. Ils les attendoient fur les ports, dans les avenues, & jusques dans les lieux déferts. Et comme chacun fe paffionnoit pour fon maïtre, ils faifoienc tous CO Amm. Marcel!. Liv. 30. CO L. 1. C. de advocat. divers, judic.  & de V'Efprit.Humain, Chap. IV. 349. Jeurs efforts pour obliger les nouveaux venus a faire leurs études fous le même maitre. Après avoir conduit fétranger chez eux, ou chezquelqu'un de leurs amis, ils 1'expofoient a une dispute publique , oü il étoit permis a tout Ie monde de 1'attaquer. Enfuite ils le conduifoient au bain en cérémonie, marchant deux a deux. Quand ils étoient proche, ils commencoient a fauter & a crier, comme des furieux, faifant femblant de fempêcher de palfer outre. Enfin ils le laiffoient entrer. Dès lors il étoit initié; & on lui communiquoit tous les honneurs des étudians (y). Deux loix de Théodofe le jeune nous font connoitre les fciences qu'on enfeignoit alors publiquement, & les honneurs qu'on accordoit aux profefieurs. Par Ja première il ordonné, qu'il y aura k Conftantinople dix profeffeurs pour les humanités latines, & autant pour les humanités grécques; trois fophiftes pour enfeigner la rhétorique latine, & cinq pour Ia grecque : un profeffeur de philofophie, & deux pour le droit. (Voy. L. 3. tit. 9. Liv. 14. du Cod. Thêod.) 00 Eiinap. in Pfell, Gregor. Nazianz. or. 20.  350 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement L'autre loi accorde h certains profeffeurs de belles-lettres, d'éloquence & de droit la dignité de comte du premier ordre, de forte qu'ils ayent le même rang que les vicaires des préfets dupiétoire, qui gouvernoient des diocéfes entiers. Elle donne la même dignité k ceux qui auront profeffé vingt ans dans 1'auditoire du capitole de Conftantinople. Godefroi dit, que cette loi n'eft qu'une partie de la première, (Cod. Théod. Liv. 6. tit. 21.) FIN de la PREMIÈRE PARTIE»    HlSTOIRÉ f DES RÈVOLUTIONS du Gouvernement & de VEfprit-Etumain depuis la converfwn de Conftantifh Seconde Partie* DES REVOLUTIONS ARRIVÉES DANS LA LEGISLATION.  DE LA LEGISLATION. Ch. I. Loix fur les tefïamens. Ch. II. Loix pour Vabolition da bix papiennes. Ch. III. Loix fur la continence du clergé. Ch. IV. Loix fur le concubinage, ff la légitimation des enfants. Ch. V. Loix fur le divorce. Ch. VI. Loix fur les mariages. Ch. V11. Loix fur les fecondes mees. Ch. V11L Loix fur la puisfance paternelle. Ch. IX. Loix fur les fêtes. Ch. X. Loix fur les afiks. Ch. XI. Loix fur Ja procédure criminelle Ch. XIJ. Loix concernant les délfrsjff les peines. Ch. X111. Loix concernant le clergé. Ch. XIV. Loix concernant différentes matieres ecclèfiaftiquej. Ch. X V. Règlements'concerrant les papes. Ch. XVI. Loix pour le fotilagement des peupks.  Pag- 35? HISTOIRE DES RÉVOLUTIONS t)u Gouvernement ff de VEJprit-Humain depuis la converfion de Conftantin (o) Hchiec. Syntag. Ant. Rom. Liv. z, ch. 14 . Tome L Z % CHAPITRE PREMIER. Loix fur les Teftaments. Les anciennes loix romaines défendoient d'inflituer hcritiers les dieux, ni les communautés. La raifon politique de ces loix étoit cachée aux fimples fous les fübtilités myftérieufes: de la jurisprudence formulaire. Les jurisconfultes difoient que les dieux & les communautés ne pouvoient rien recevoir par teftament parceque n'ayant point de perfonne, ils ne pouvoient pas déclarer eux-mêmes s'ils acceptoicnt ou non ce qu'on leur avoit lailTé £ a ). Mais la véritabia Seconde Partie.  &JerEJprit.Humam, II. Part. Chap. T. 357 Cependant les empéreurs ne le laiTérent point de mettre tout en oeuvre pour accrofcre les richesfes des églifes & des monafteres. La fuperftition les aveugloit au point qu'ils ne voyoient pas les maux que celacaufoit aux citoyens & al'éiat. Us ftatuérenc que tous les biens, qu'acquéroient les clercs, leur appartiendroient tellement, que, contre les regies du droit ordinaire, ils en pusfent tetter, pendant Ia vie du pere Cd). Non contents de cela, ils voulurent encore, que les églifes & les monafteres fuccédaffent aux clercs qui mourroient fans teftament (e). Comme les eccléfiaftiques abufoient étrangement de ces priviléges abfurdes & pernicieux, nous avons vu que Valentinien I fe vit obligé de les modérer, du moins a 1'égard des veuves, des falies orfélines, & des diaconeffes , qui étoient les dupes les plus ordinaires de 1'avarice des eccléfiaftiques. Cependant la f mrbe & Pin, fatiabilité de ces gens trouvoient de ter?.ps en temps des moyensd'éluderla loi: ce qui engagea d'autres empéreurs k la renouveller & a sjuuter de nouvelles précautions pour en piévenir la violation. C d) L- 32. & 38. C. de epis. & cler. Nov. 123, CO L. 20. C de epi. & cler. Nqv. 5. Nov, 131. Z 3  & del'Efprit-Humain, II. Part. Chap. I. 359 céder h mokié de leurs biens a leurs héritiers naturels: de plus cette loi déclaroit nuls les testamens de celles qui avoient des enfants , & ]aiff)ient leurs biens a l'églife, ou a des étrangers , & que le tiers de ce qui aaroit été laiffé a des perfonnes étrangcres feroit dévolu au fifo. Enfin, pour ne pas effaroucher les eccléfiafüques, l'empéreur protefh, que le principal objet de cette loi étoit la multiplication & la fplendeur des families (/?). Cependant Ie clergé en fut fi offenié, que Sévem,qui ufurpa 1'empire, après que Majorien eut été tué, caifa cette loi pour mériter les bonnes graces d'un corps, que la fuperftition avoit rendu fi puifftnt, & qu'on ne pouvoit gagner qu'en lui abandonnant les héritages des citoyens. CHAP1TRE DEUXIEME. Loix pour Cabolition des Loix Papiennes. II eft certain, dit M. de Montesquiau (a), que les chargemens de Conftantin furent faits ou fur des idéés qui fe rapportent au chris- Qh") Novel. Major. tit. 8. (_a) Efprit des Loix Liv. 23. ch. 21. Z 4  %6o Hiftoire des Revolut. du Gouvernement tianisme, ou fur des idéés prifes de fa perfection. Les loix faites dans 1'objet de la perfeéhon chrétienne, furent fur - tout celles, parlesquellesil 6ta les peines des loix papiennes (*), & en exempta tant ceux qui n'étoient point mariés, que ceux qui, étant mariés, n'avoient pas d'enfants. Le chriftianisme peu éclairé qui regnoit du temps de Conftantin, & qu'on avoit puifé, non pas dans 1'évangile, mais dans les doelrines abfurdes des différentes fe&es de la nouvelle philofophie d'Alexandrie, dans Jes moeurs des moines juifs & payens, & dans les moeurs des moines chrétiens, avoit infpiré aux fideJIes, a 1'égard du mariage, des idéés trés défavorables. Le célebre paffage de S. Paul (i), qui par des rai- (*) Les loix papiennes impofoient des peines a ceux qui gardoient le célibat, & k ceux qui n'avoient point d'enfants légitimes: ceux qui n'étoient point mariés, ne pouvoient rien recevoir par teftament, hormis de leur proches parens. Et ceux, qui étant mariés n'avoient point d'enfants, ne pouvoient recevoir que la moitié de ce qu'on leur avoit Iaiffé. Le refte demeuroit confisqué. Voy. Heinecc, ad Leg- Jul. Pap, jj'oppaeam Liv. 2. ch. 21. C^bJ Ad Corinth, c, 7.  &derEfprit.Humafa9 U.Part. Chap. II. 36*1: fons particulieres a fon temps (c), lesquelles ne convenoient plus a 1'époque dont nous parions, avoit exhorté les Chrétiens k préférer le célibat au mariage, les forüfioit dans leurs faulTes idéés. Entrainé par la fuperftition de fon iiécle, l'empéreur Conftantin publia une loi (d), par laquelle il déclara qu'il n'y auroit plus aucune difïérence entre les célibataires & les perfonnes mariées : que les premiers pourroient déformais acquerir par le teftament de ceux même qui n'étoient point parens, aufli bien que les derniers; que les perfonnes mariées qui n'auroient point d'enfants, ne feroient plus fujettes aux peines des loix papiennes. „ Ces loix avoient été éta„ blies, dit Sozomene en parlant felon 1'efprit „ de fon temps (e), comme fi la multiplication „ de 1'efpece humaine pouvoit être un effet de ,, nos foins; au lieu de voir que ce nombre „ croit & decroit felon 1'ordre de la provi5, dence". CO Ibid. v. 26. & fuiv. voyez flir ce fujet un pstit traité du Mariage £p de Ja Législation, imprimé a la Haye chez GolTe 1775- (d) Eufebe vie de Conftant. Liv. 4. ch. 26. Sozomen, Hiftöir. Ecclés. Liv. 1. ch. 9. L. ï. C. de infirm. poen. coelibat. (O Liv. !• ch. 9. Z 5  %f)Z Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Tout fait préfumer, que cette loi a été fuggérée a l'empéreur par les évéques qui étoient continuellement a fa cour. On le doit juger furtout par les éloges qu'ils lui prodiguérent alors a cet égard (ƒ), par la reconnoiffance que lui en témoignérent les hiftoriens eccléfiaftiques (#)> & principalement par 1'intérêt que le clergé y avoit. Du temps de Conftantin pre?que tous les évéques n'avoient point de femmes (*)> ou s'ils en avoient, ils s'en abftenoient depuis leur élévation a 1'épiscopat. Or ceux qui vivoient ainfi, travailloient continuellement a obliger les autres (ƒ) Nazaire ne faifoit que répéter les éloges des évéques, lorsque dans le panégyrique qu'il adreife a Conftantin il dit; vos loix n'ont été faites que pour corriger les vices , & régler les moeurs. Vous avez ©té l'artifice d:s anciennes loix qui fembloient n'avoir d'autres vues que de tendre des piéges a Ia fimplicité. Cg) Voy. Eufeb. & Sozom. loc. cit. (*; Les Chrétiens avoient de Ia peine a élever a 1'épifcopat des hommes mariés, de peur que leur attachement pour leurs femmes ne leur fit commettre des fautes: ils en avoient encore plus a y élever des hommes qui avoient des enfants, ou qui pouvoient s'en donner, paree qu'ils craignoientqu'ils ne fuffent tentés de les enrichir aux dépens des églifes dont ils adminiftroient les biens.  £f de VEfpriuHumain ,11. Part. Chap. Iï. 363 k imiter leur exemple & k rendre univerföl le joug de la continence. Ii étoit donc naturel, que les eccléfiaftiques céiibataires, qui paffoient pour les p'u? parfaits, haïlTcnt les loix papiennes , qui outragcoient leur chafteté & choquoient leur intérêt. Pour prouver le mérite de la continence les philofophes chrétiens de ces temps débitoient d'étranges doétrirres. Ils difoient que le corps eft la prifon de 1'ame: que par confcquent il y avoit du mérite k diminuer le nombre de ces prifons: ils difoient encore que la concupiscence eft un mal, parceque c'eft la révolte de la chair contre 1'esprit: d'oü il falloit inférer que le mariage étoit une fuite de cette révolte Ces doclrinesféduiloient par leur auftéritémême, car „par la nature de 1'entendement humain, „ nous aimons (dit le célebre auteur d'un im„ mortel ouvrage (A)) en fait de réligion tout ce qui fuppofe un effort; eornmé en matiere (*) On voit par differents paffages des livres de S. Auguflin contre Julien, que ce Julien, qui étoit évéque d'Eclane, reprochoit au commun des catholiques de croire que le mariage n'étoit pas une inuitution de Dieu •, mais une invention du démon. (_/>) Efprit des Loix Liv. 25. ch. 4.  36*4 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement „ de morale, nous aimons fpéofativement tout „ ce qui porte le cara&ere de la févérité. Le „ célibat a été plus agréable aux peuples a qui il j, fembloit convenir le moins, & pour lesquels „ il pouvoit avoir de plus facheufès fuites". Voila la raifon pourquoi ces doftrines en ont impofé jusqu'i ce grand génie d'Origenes, dont on ne peut s'empêcher d'admirer rimmenfitédes connoiffances & la fupériorité des talens, malgré les erreurs oü i) eft tombé. Cet homme extraordinaire étoit fi perfuadé de la néceffité de la continence, qu'il fe mutila pour prévenir tout effet de la concupifcence. Ces fauffes impreflïons ont égaré de bonne heure quantité d'autres chrétiens encore. Le concile de Nicée, après avoir défendu la mutilation volontaire, paffa a condamner nommément les erreurs des Valéfiens, dont S. Epiphane rapporte qu'ils étoient tous eunuques, & qu'ils ne permettoient a leurs disciples de manger rien qui eüt vie, jusqu'a ce qu'ils fe fuffent mis dans le même état: qu'enfuite ils leur permettoient tout, comme étant dès-lors en fureté contre les teritations; non feulement ils mutiloient leurs difciples; leurs hötes même, quelqu'oppofition qu'ils y appor- (O S. Epiphan. Haeres. 53.  ffdeVEfprit.Humain, II.Pari.Chap. IT. 36"^ taiTent, étoient fouvent expofés a cette étrange opération. Revenons aux loix papiennes. L'abolition de c?s loix fut confirmée par Conftant & Conftantius , fils de Conftantin. Cependant cette abolition ne s'étendoit pas aux loix décimaires, qui étoient un des chefs de ces mêmes loix papiennes. Les loix décimaires régloient les avantages qu'un mari & une femme pouvoient fe faire par teftament. Ils pouvoient fe donner le tout s'ils avoient des enfants communs (£): s'ils n'avoient point d'enfans, ils pouvoient, en vertu de leur mariage, recevoir la dixieme partie de la fucct fllon: s'ils avoient des enfars d'un autre mariage, ils pouvoient fe donner autant de dixiémes, qu'ils avoient d'enfans. Conftantin ordonna, que 1'autorité de ces loix fut confervée, pour empêcher, dit-il, (/) que les héritages ne s'acquiérent par de fauffes careff.s qui, malgré la rigueur des loix, étoient déja trop communes parmi les perfonnes mariées. II défendit même, fous des peines trés - féveres, les fidéicommis tacites, par lesqueïs le fidéicommiflaire (fc) UIp. Fragnl. Lib. 4. Paull. Recept. Sentent Jib. 3.. Heinec. ad Leg. Jul. Pap. Poppaeam. Lib. 2. cap. 21. 5. 4 & feq. (!) L, 1. C. Th. de infirmand. poen. coellb.  365 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement étoit chargé en fécret de rendre au mari, fi c'é. toit la femme qui avoit telle, ou k la femme, fi le teftament étoit du mari, les biens dont on Ta voit inftitué hérider (jw). Le clergé lui laiffa alors porter cette derniere loi; parceque la plupart des eccléfiaftiques avoient des enfans, foit qu'ils les euffent eus avant ou après leur ordination. Mais avec le temps les circonftances changérent: & ce changement entraina l'abolition de la loi de Conftantin. En Qceident le clergé fut affujetti peu a peu 311 joug de la continence; en Oriënt même quantité d'eccléfiaftiques s'y foumettoient volontai* rement. D'ailleurs la fuperftition introduifit ce joug dans le mariage même. Des perfonnes qui avoient fait voeu de chafteté , fe marioient a condition, qije l'autre partie refpecleroit leur virginité. Tel fut, entre mille autres, le mariage de la vierge Pulchérie avec l'empéreur Marcien. Or ceux qui fe marioient ainfi, & principalement la foule immenfe des eccléfiaftiques célibataircs , devoient défirer l'abolition de la loi de Conftantin , ainfi que des loix décimaires qu'il avoit confirmées. fionorius & Théodofe le jeune écoutérent les voeux de ces gens j & per. (m) L. unie. C. ie hi; qui ie defe*.  'tydèrEfprit-Humain, IL Part. Chap. III» 371 lui ordonné auffi des bigames. Mais les conciles & les papes regardérent toujours ces exemples comme des violations des canons. Avec le temps on poufla même la rigueur au point, que plufieurs conciles ftatuérent, que fi la veüve d'un prêtre ou d'un diacre fe . remarie, & ne veut pas quitter fon fecond mari, iis feront tous deux excommuniés. Plus les moeurs fe corrompoient, plus on s'efforcoit de les corrompre davantago par des entraves chimériques. Après qu'on eut achevé de dechonorer les fecondes nöces, on en eut plus de courage de renouveller les attaques contre les premières. Les papes furent les premiers a violer a cet égard le canon du concile de Nicée. Comme les prêtres de plufieurs pays d'Occident avoient coutume de vivre avec leurs femmes, le pape faint Sirice envoya en 385 une lettre décrétaJe a Hime^ rius (0> métropolitain d'Arragon en Efpagne, dans laquelle il s'éleve contre cette coutume des eccléfiaftiques efpagnols, prétendant, contre la vérité & contre la pratiqué des apötres, qu'après que Jefus-Chrift eft venu perfeftionner Ja loi, les prêtres & les diacres font obligés par une (O C'eft la première des fameuics lettres décré* tales des Papes. Aa 2  37i Hiftoire des Revolut.-du Gouvernement loi inviolable de garder, du jour de leur ordination , la fobriétó & la continence au point de ne pouvoir plus vivre avec leurs femmes. Voila une raifon des plus faulTes cmployée pour obliger les eccléfiaftiques a violer la foi qu'ils ont donnée a.leurs femmes, & la perfidie préfcrite pour 1'amour d'une vertu imaginaire. Le pape S. Innocent, fon fecond fuccefieur , mareha fur fes traces: ce pape envoya en 405 une lëttrs décrétale a S. Exupere, évéque deTouloufj, oü ildéclare, qu'il veut bien accorder, que les diacres & les prêtres, qui, pour n'avoir en aucune connoiflance de la lettre de S.Sirice, auront continué d'habiter avec leurs femmes, gardent leur rang; mais k condition que déformais ils s'en féparcront, & ne pourront monter &un degré plus élevé: que quant , a ceux qui pourront être convaincus d'avoir été inftruits des ordres de S. Sirice, & de les avoir enluite violés, ils devoient être dépofés. Ces lettres prouvent deux chofes; que les évéques d'Occident s'abfienoient déja tous de leurs femmes , puisque les papes ne parient plus d'eux (t); CO En Oriënt les évéques étoient pour la plupart mariés, haoitoient avec leurs femmes, & travailloieilt a la genération, quoique l'on iit de temps en temps de"s ordonnances pour empêchcr que des prêtres, qui avoient des enfans, ne pulfent être élus évêqucs.  &di?Efprit-Humaini 11. Part. Chap. III. 573 l'autre que ce fut proprement a cette époque , que ce joug fut impofé aux prêtres & aux diacres d'Occident d'une maniere, qu'il n'étoit plus permis de réclamer , puisque ces deux papes avoient pofé pour principe de leur défenfe, que 1'évangile reprouvoit les mariages des prêtres; aifertion également injuricufe au concile de Nicée, qui avoit décidé tout le contraire, & dangereufe pour la foi, puisque l'on en devoit inférer , que les conciles oecuméniques pouvoient fe tromper. Cependant dans les pays éloignés de Rome les évéques ne fe montrérent pas fort exacts a fuivre les loix des papes, ni même celle de l'églife univerfelle. Ainfi, quoique 1'Afrique & la Mauritanië fufient des provinces d'Occident, oü Jes papes avoient eu le bonheur de faire valoir leur autorité dès le quatrieme fiecle, l'hiftoire de ces temps & des fuivans, nousymontre des évéques qui continuoient a vivre avec leurs femmes, d'autres qui étoient bigames, & d'autres encore qui avoient deux femmes a la fois. Peu de temps après la mortdupapeSirioe,!&du tem psmême du pape Innocent, vivoit en Afrique uniilufire pbilofophe, Synefius, qui avoit étudié a Alexandrie, fous Ja favaate Hypathia, fille du mathématicien Théon , dont j'ai eu occafion deparler (*). Synefius pafiuit (O Part. I. Ch, II. Aa 3  374 Hiftoire des Revclut. du Gouvernement fa vie en philofophe, loin des affaires publiques , qunnd le peupie de Ptolemaïde, métropole de la' Cyrenaïque, le demanda pour evêque. Ce philofophe accepta 1'épifcopat; mais avec une proteftation qu'il rendit publique: elle étoit conc.ue dans ces termès. „ J'ai une femme que j'ai „ recue de Dieu & de la main facrée de Théo,, phiic, évéque d'Alexandrie. Or je déclare ,, que je nè veux ni me féparer d'elle ni m'en ,, approcher en cachette, comme un adultere. ,;j Mais je fouhaité d'avoir des enfans en grand „ nombre & vertueux " (v). Quelque temps après le pape' S. Léon écrivit aux évéques de la Mauritanië pour leur ordonner de dépofer les evêques bigames, parmi lesquels il compte auffi ceux qui avoient époufé des veuves. A plus forte raifon, ajoute-t-il, on doit dépofer celui qui a deux femmes a la fois, & celui qui en a époufé unè autre après que la fienne 1'a quitté e». Les empéreurs, follicités par les eccléfiaftiques qui avoient mauvaife opinion du mariage, fe mêlérent auffi, des femmés des prêtres. lis1 commencérent par défendre aux eccléfiaftiques ('O Sincfius ep. 105. ( x) Epift- Leon. 1. ai. £7.  6?de CEfprit-Humain,11. Part. Chap. III, 375 de fe marier après leur ordination,. Cependant Honorius, auteur de cette ioi, les exhorta en même temps a ne pas quitter celles avec qui ils avoient contraété, avant leur ordination, un mariage légitime, puisque, dit-il, ils fe font en leur compagnie rendus dignes du facerdoce (y). Cette loi avoit du moins cela de louable, que loin d'obliger les prêtres k ufer de perfidie envers leurs femmes, elle les follicitoit a ne les pas quitter. Dans la fuite Jes empéreurs changcrent d'avis. Loin d'exhorter les eccléfiaftiques a garder leurs femmes, ils leur permirent de les répudier lorsqu'ils vouloient fe faire confaerer (&). lis déclarérent aufli incapables d'être promus aux ordres facrés ceux qui avoient contraéïé de fecondes nöces ou avoient époufii des veuves, ou des femmes répudiées (fl). Quoique ces Joix faflent affez fentir, que Jes empéreurs avoient adopté les préjugés du clergé fur le prix & la néceflité de la continence, on ne voit pourtant pas qu'ils ayent fecondé tout a fait le zele outré des Occidentaux, maitrifés par les papes, qui (y) Novcl. 22. & nov. 117. L. 42, C. de epis. & cler. O) Novel. 123. & nov., 6. O) Nov. 6. Aa 4  ö»de F'Efprit-Humain, II. Part. Chap. IV. 381 eubinage. La loi papienne avoit défendu certains mariages; un fénateur ne pouvoit époufer une affranchie: un homme libre ou un ingénu le pouvoit: mais il lui étoit défendu, ainfi qu'a un fénateur, d'époufer une femme , qui avoit •mené une mauvaife vie, qui avoit monté fur le théatre, qui avoit été condamnée par un jugement public, ou qui avoit fait le métier de débaucher & de proftituer des femmes & des filles Cf). Cependant Ja même loi, permettoit de tenir a titre de concubines celles qu'elle défendoit d'avoir pour femmes (g). Mais cette derniereespece de conjonélion, quoique licite, ne produifbit pas ies effets civils du mariage (h). Les enfants ne paffoient pas fous Ja puiffarce du pere: ils confervoient le nom de la mere: ils ne fuccédoientpas a leur pere; cependant il pouvoit leur donner de fes biens foit a tïtre de donation, ou de legs: ils n'étoient point enfants légitimes, mais feulement naturels du pere: cependant leur -naiffance étoit exempte de tache j & ils pou~ (ƒ) Ulpian. Fragm. tit. 13. & 16. Heinec. ad Legem Jul. Pap. Popp. lib. 2. cap. 1. Cg) Paul. Fragm. lib. 2. Sentent. tit. 20. §. 1. L144. D. de V. S: (ê) Voy. Heinec. ad Leg. Jul. Pap. Popp. lib. 2.  382 Hijloire des Revolut. du Gouvernement voient monter a toutes les dignités de 1'état Les Chrétiens regardoient ces conjonétions comme de véritables mariages (£). L'églife, dit l'abbé Fleuri, n'entroit point dans ces diftinctions établies par la loi papienne, & fe tenant au droit naturel elle approuvoit toute conjonction d'un homme & d'une femme, pourvü qu'elle fut unique & perpetuelle (k). Cependant, comme ces conjonétions paroiffoient marquer, une concupiscence extraordinaire dans ceux qui s'uniflbient de cette maniere, les plus zélés partifans de la continence jügeoient qu'il falloit chercher les moyens de les abolir. Conltantin auroit voulu défendre ces conjoncrions: mais Ia coutume en étoit trop générale, & trop enracinée. II chercha donc a les rendre odieufes. II commenca par ordonner, que 1'homme ne putrien donner pendant fa vie, ni laiffer par teftament h fa concubine; & que le pere ne put donner, ni léguer h fes enfants naturels qu'une fomme très-modique Ql). II penfoit obtenir par la, que 1'amour des hommes pour leurs (O Prem. Concil. de Tolede Tom. 2. Concil. can. 17. tenu en 400. (*) Hiftoir. Eccles, Liv. 20. n.48. CO Voy. Heinec. ad Leg. Jul. Pap. lib. 2. cap. 4) J. 5- '  tfdeVEfprit-Humain, II. Part. Chap.IV. 383 concubines & des peres pour leurs fils les engageroit a contraéter des mariages légitimes, d'autant plus qu'il déclara en même temps, que ceux qui voudroient époufer formeliement leurs concubines pourroient par \k rendre légitimes les enfants qu'ils en avoient eus jusqu'alors (m). Après cela il fit une loi, pat laquelle il défendit, fous des peines très-féveres, non feulement le mariage, comme avoit fait ia loi papienne, mais le concubinage aux fénateurs, & k toutes les perfonnes d'un rang confidérable. Enfuite il interdit 1'une & l'autre conjonclion aux ingenus non feulement avec les affranchies, mais avec les filles des affranchies, & avec les cabaretières & les marchandes en détail, outrant en tout cela la rigueur de Ia loi papienne ( n ). Mais plus il ufa de rigueurs pour exterminer le concubinage, plus les moeurs s'oppoférent a fes loix. Ses fucceffeurs furent obligés d'en modérer quelques unes, & d'en abroger quelques autres. L'empéreur Valentinien modéra celle qui regarde les legs qu'on peut faire aux enfants naturels, en permettant de leür laiffer une once, quand il y a des enfants légitimes, & trois onces, quand il (m) L. 5. C. de natur. Liber. CO Ij.1- C. de natur. Liber.  38'4 Hiftoire des Revoüt. du Goüyernemeht h'y en a pas (o). Juftin permit aux fénateurs d'époufer les comédiennes, avec 1'agrément dii prince , voulant par la juftifier Ie mariage de Juftinien fon neveu avec Ia fameufe comédienne Tbéodora (py Juftinien lui-même ne fut pas plutöt monté fur les thröne , qu'il fe hata dc permettre ces mariages fans que fon eüt befoin d'obtenir 1'agrément de l'empéreur: cinq ans après il abrogea même tout ce chef de la Joi papienne qui bornoitlaliberté des hommes dans le choix de leurs époufes; & donna a tout le monde une entiere liberté de choifir une femme dans toutes les claffes & dans toutes les profeffions (jï). Enfin il déclara, que le mariage d'un homme avec la femme qui auparavant avoit été fa concubine, légitimeroit défoimais les enfants nés dans le concubinage (r). Toutes ces loix portent 1'empreinte de la débauche & de 1'imprudence. Elles font voir tout- a- Ia fois la licence des moeurs qui regnoit alors, & 1'imbécillité des princes a la favorifer. Elles tendoient a détruire le con- cubinage, (o) L. -3. C. de nupt. Procop. anecd. (p) L. 33. C. dc epife, aud. L. 29. c. dc Nupt. (j) Nov. 89. cap. 15. ( r ) L. ic C. de natur. lib. Novel. 12. Cap. 4. Novel. 18. cap. 11. Novel. 19.  386 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement de Conftantin, avoient privées des effets civils. Conltantin lui - même, &, a fon exemple, Zénon , Anaftafe & Juftin avoient permis la légitimatiori par le mariage iubféquent: mais feulement pour les concubinages qui étoient déjafaits du temps de la publication de leurs loix (s). Ainfi ccmme elles n'afluroient point la même liberté a ceux qui prendroient encore des con* cubines , elles laijfoient au moins un frein pour ceux que les regies de la bienféance & de la décence pouvoient encore arrêter. Mais Juftinien, après avoir permis, pour abolir le concubinage, les mariages défendus par les loix anciennes, fondées fur les regies de la décence, invita encore ceux, que des circonftances & des confidérations paffageres pouvoient empêcher de contraóter de pareils mariages, a fe décerminer au concubinage jusqu'a ce que d'autres circonftances ou d'autres confidérations leur permiifent d'é.ioufer leurs concubines, & de légitimer par la les enfar ts qu'ils en auroient eus. Enfin l'empéreur Léun Jéfendit expreffement le concubinage (r). Comme l'églife ne mettoit, (O L. 5. 6. 7. C. de 'natur. lib. voy. Heinec. ad Leg. Jul. Pap. Popp. Lib. 2. cap. 5. $. 5. CO Leon. Novel. ii>. cap. 5.  ê3 deï'Efprit-Humain, 11.Part. Chap. V. 387 par rapport a la légitirriité dü contract, aucune différence entre cette conjonélion & le mariage , il ne pouvoit y avoir d'autre motif important & folide de la nouvelle loi de ce prince, que 1'indécence des ünions qui fe faifoient par le concubinage. Cependant il laiflk fubfifter la loi de Juftinien qui permettoit ces ünions indécentes k des hommes de la première claffe, par exemple , des fénateurs & des patrices avec des comédiennes, des joueüfes pübiiques, des caharatieres, des filles de joye. C'eft ainfi que ces fages législateurs manquérent tous leur buc 1'un 'après l'autre. CHAPITRE CINQUIEME, Loix fur le divórce. TT" es empéreurs chrétiens marqué rent Is mé. il_^4 me imbécillité & la même imprudence dans leurs loix fur Je divorce. Du temps de Conftantin & de fes premiers fucceffeurs les églifes avoient de la peine a permettre, que les mariés puffent faire divorce, & pafler a un fecond mariage, fi ce n'étoit pour caufe d'adultere. Cependant toutes les églifes & tous les conciles permettoient de répudierfaferr»;. Bb 2  3po Ilijloire des Revolut. du Gouvernement Après plufieurs fiecles le clergé reconnut enfin que jusques. la il avoit été dans Terreur: & que rien ne pouvoit juftifier les canons, ni la coutume quiexigeoient une perfidie de ceux qui, étant mariés, vouloient fe faire clercs, ou moines, Alors le clergé d'Orient réfolut de permettre le mariage indiflinftement k tous ceux qui étoient dans les ordres facrés. EnOccidert, au contraire, il fut réglé qu'aucun marié ne feroit plus confacré. Cette différence vint de Tintérêt du pape. En Occident le célibat des eccléfiaftiques fut ordonné par les papes, qui, déja depuis long-temps, Eppliquoienttous leurs foins k f- rendre maicres de teut le clergé de tous les pays cbrérjens. Or comme les princes devoient naturellement s'oppofer k un deffein fi pernicieux, qui tendoit k leur fouftraire une grande partie de leurs fujets, & k les aflüjettir a un joug ctranger, les papes jugérent ncceffaire de défendre 1c mariage au clergé, pour empêcher, que, pnr amour pour leurs enfants, les eccléfiaftiques n'aimalfent mieux obéir k leurs princes, qu'au fiége de Rome, les princes pouvant faire du bien aux enfans des prêtres mariés, & Jes papes ne pouvant gueres leur en faire. Dès qu'il fut réglé qu'on n'auroit plus befoin f exiger , qua les clercs répudiaffent leurs femmes, les eccléfiaftiques fe mirent a foutecir que  &deTEfprit'Humain, II. Part. Chap. V. 391 Ie divorce étoit défendu pour toute caufe quelconque. On n'admit plus même pour caufe légime 1'adultere. La contradiétion étoit manifefte entre cette nouvelle doctrine, & cé'ie qu'on venoit de quitter; cependant il fallut fe rendre, & reconnoitre que 1'évangile rép-ouvoit le divorce. Jefus-Chrift paroic réanmoins avoir déclaré, que le divorce eft permis pour caufe d'adultere. Mais depuis cette révolution l'églife nouvelle décida que l'églife ancienne avoit eu tort de donner cette interprétation aux paroles de Jefus-Chrift: & dès-lors il ne fut plus permis de croire ce qu'avoit cru l'églife ancienne. U fallut changer de croyance k cet égard fous peine de damnation éternelle. Si après une telle décifion il étoit encore per» mis d'ouvrir la bouche pour défendre la croyance de 1'ancienne églife, .dont nous tenons tout ce que nous avons de bon, dont nous fommes obliés de révérer les traditions , & dont la discipline & la doftrine paroiffent aux perfonnes les plus éclairées infiniment fuperieures k la discipline & a la doctrine de Rosfiecles': fi, dis-je, il étoit permis de dire encore un mot en faveur de la discipline de 1'ancienne églife fur ce point, je dirois, que Jefus-Chrift neparoit(y) (y) S.Matth. ch. 19. & ch. 5. V- %Vr 3,2« Bb 4  ff de FEfprit. Humain, II. Part. Chap. V. 39.3. cordent h. entrer chacune dans un monaftere. (Cap. 1. ff 2. de Conv. conjug.) Je fais bien que nos canoniftes ne veulent pas qu'on regarde cette profeflion religieufe comme une diffolution du mariage : mais je fais auffi qu'ils fe moquent de nous: puisque s'il faut juger des chofes par les effets, une pareilie profeflion religieufe dilfout tellement le mariage, qu'il n'eft plus poffible d'y revenir. De même avant que le mariage ait été confommé par la copulation, chacune des parties peut viöler la foi donnée k l'autre pour entrer dans un monaftere: or comme ce n'eft pas la copulation, mais le confentement qui fait le mariage, n'eft-il pas évident que l'on permet ici la répudiation en faveur des ordres réligieux ? Donc ou le texte de S. Mathieu admet des interprétations, & pour Jors il eft jufte d'y admettre celles de fancienne églife, ou il n'admet point d'interprétation, & pour lors il eft très-abfurde de lui en donner pour favorifer les moines, dont la discipline, du moins cr-lle des moines modernes, eft fi oppofée a fesprit de 1'évangile, ainfi qu'a la discipline des moines anciens. Avant que l'on eüt connu lavéritable explication que, felon la nouvelle doctrine, il falloit donner au texte de S. Mathieu, les Chrétiens ont admisie divorce pour un grand nombre de Bb 5  3p4 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement caufes: eek fe prouve par les loix, que les empéreurs chrétiens ont publiées pour limiter ces caufes. On a des loix de Théodofe le jeune, prince dont la piété a été vmté^ dans tous les fiecles; on en a de plufieurs autres empé* reurs, qui fixent le nombre des caufes pour lesquelles il eft permis au mari de répudier fa femme, & h la femme de répudier fon mari. L'ancienne églife n'a jamais réclamé cortre ces loix: a-t-elle donc ignoré le vrai fens eu texte de S. Mathieu, ou bien s'tft elle rendue coupable d'une diffimulation facrilége? N'allor s pas lui faire de pareils reproches. Avou >ns plü'ót que nous avons innové, & que nous n'en faurions donner aucune raifon folide. Nous favons par S. Ifcér ée que, déja fous le regne de MarcAurele une femme chrétienne a répudié fon mari. Cette coutume étoit donc ancienne dans l'églife. Or quelle apparence de regarder comme contraire k la doctrine de Jefus Chrift une coutume, qui approche fi prés des temps apoftoliques? De notre temps il n'eft point permis k un mari de fe faire moine, après la confommation du mariage, fans le confentement de fa femme, qui elle même doit, dans ce cas, fe vouer a. une vie réligieufe, fi elle n'eft pas encore affez avancéc en age pour être a 1'abri des tentations.  &'del''Efprit-Humain, II. Part. Chap.'^V. 395 charnelles (a). Cependant Jes 'moines des fieo les paffés ont, pendant long-temps, profité des loix de Juftinien qui, comme je viens de le dire , permit fans aucune reftriétion le divorce tant aux femmes qu'aux hommes de tout age pour entrer dans un monaftere. Ces faints archimandrites , & ces faints moines des fiecles paffes étoient-ils donc hérétiques pour avoir follicité ces loix , ou pour les avoir obfervées? On ne dira pas cela, j'espere. On ne doit donc pas condamner ceux qui admettent encore aujourd'hui le divorce pour des Caufes raifonnables; puisqu'on ne condamne pas les moines du temps de Juftinien & de fes fucceffeurs, qui 1'ont admis pour une caufe déraifonnable. 11 y 3. plus. Ces loix de Juftinien qu'on ne condamne pas, outre qu'elles choquoient la nature du mariage, & le principe fondamental du divorce, étoient encore pernicieufes pour 1'état, & pour les families, paree qu'elles permettoient a ceux qui entroient dans un monaftere de laiffer tous leurs biens aux moines, excepté la légitime qu'on ne pouvoit öter aux enfans, fi on en avoit. Et les moines, qu'on ne condamne pas non plus, O) Cap. r. & 2. de Conver.'Conjugat. Hoftiens, §mr.m. cit. tit. n. 10.  396" IMfioire des R&vol. du Gouyernemtnt ont pBöfifeé de ces loix; injuftes pour s'emparer. des biens d'un grand nombre de families au préjudice de la fociété civile. Les Loix des princes chrétiens fur le divorce avoient cela de bon, qu'elles permettoient le divorce (*); qu'elles le permettoient aux femmes (**) comme aux hommes; & qu'elles ne le permettoient que pour de certaines cau- (*) ,, Le divorce, dit 1'auteur de 1'Efprit des Loix „ Liv 16. ch 15. a ordinalrcment une grande utilité „ politique: & quant a 1 'utilité civile, 11 eft établl „ pour le mari & pour la femme , & n'eft pas toujours „ fivorable aux enfants". L'auteur du Traité du Mariage & dc fa Législation fait vpir, que quand on a de bon-nes loix civiles, le divorce ne peut jamais devcnir nuifible aux enfans, & que le plus fouvent il leur eft avantageux, tant par rapport a leur éducation, qui des lors n'efl: plus troublée par les tracafferies & les difcordes continuelles des parents, ni corrompue par les mauvaifes moeurs de 1'un ou de l'autre, qu'a 1'égard des biens, qui fe diflïpcnt moins, lorsque la difcorde ne fait plus négligcr 1'économie, & lorsque les vices de Ia partie qui a été renvoyée, n'occafionnent plus de dépenfes fuperflues. (**) „II eft quelquefois fi nécelTaire aux femmes de ,, répudier, dit encore M. de Montcsquieu au même .endroit, & il leur eft toujours fi facheux de le faire, „ que la loi eft dure qui donne ce droit aux hommes ■ ,,Yans le donner aux 'femmes ".  &f de VEfprit-Hüma"n, TI. Part. Chap. V. 307 Tes (*)• Mais elles avoient cela de maüvaisqu'elles admettoient pour légitimes des caufes qui ne Tétoient pas, & en rejettoient qui 1'étoient. Valentinien III, Théodofe le jeune & Juftinien accordérent tant au mari qu'a la femme la faculté de répudier, dans le cas que l'autre partie eüt été convaincue d'avoir fouillé dans les tombeaux des morts, ou d'avoir volé dar.s les églifes (è). La première de ces caufes eft ridicule,-Ja feconde a plus de rapport aux raoeirs d'un chrétien, qu'& la nature du mariage. II ne faudroit permettre le divorce, que dans le cas ou quelqu'un des principaux objets du mariage eft attaqué. Ces objets font la génération & 1'éducation des enfans, & 1'amitié conjugale. Ainfi les mêmes empéreurs ont fort bien fait de permettre le divorce, quand une des parties a cherché a fe défaire de l'autre, ou quand Je mari a trouvé que fa femme lui a été infidelle, ou qu'elle le conduit de maniere qu'il ne peut compter fur fa fidelité, ou que Je mari a coutume de mal- Quoique la loi de Romulus, celle des douze tables, & enfin celle d'Augufte, connue fous le nom de papienne, eulfent défendu les divorces fans caufe, les moeurs des Romains abolirent toujours ces joix: & non feulement les hommes répudioient les femmes, mais les femmes même répudioient les hommes fans caufe. (li) L. 8. Cod. de Repud. Novel. 22. Novel. 117.  4i 2 Hiftoire des Revqlut. du Gouvernement auffi I'opim'on de tout 1'Occident; car, lorsque les fils de Théodofe permirent ces mariages, les Occidentaux ne voulurent pas recevoir cette loi, comme on peut juger par ce qu'en dit S. Auguftin. Cependant il eft certain, malgré S.Ambroife, qu'aucune loi divine n'a jamais défendu les mariages des coufins germains. La probibition de ces unions a une autre origine. „ Dans „ les premiers temps, dit M. de Montesquieu, „ (O c'eft-a-dire dans les temps faints, dans „ les ages oü le luxe n'étoit point connu, tous „ les enfans reftoient dans la maifon & s'y éta„ bliflbient. C'eft qu'il ne falloit qu'une mai„ fon très-petite pour une grande familie. Les „ enfans de deux freres, ou les coufins germains „ étoient regardés & fe regardoient entr'eux „ comme freres". Et comme les peres & les meres vouloient conferver les moeurs de leurs enfans & leurs maifons pures, & cherchoient pour cela k infpirer a leurs enfans de 1'horreur pour tout ce qui pouvoit les porter a 1'union des deux fexes, ijs devoient faire concevoir aux coufins germains la même horreur pour le mariage , qu'ils faifoient concevoir aux freres & aux foeurs. Le défenfe de ces mariages eft donc CO Efprit des Loix Liv. 26. ch. 14.  4i8 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement niftes, & Tertullien, qui pendant long temps a fuivi les erreurs de cette feéte , les conda unoient abfolument (w). C'eft uv bonheur pour les Chrétiens, que Montanus ait dans le même temps enfeigné plufieurs autres erreurs infupportables: fans quoi il eüt été a craindre, que celle qui attaquoit les fecondes nöces ne fe fut répandue avec fuccès. Car il y a eu dans la fuite quantité de peres de l'églife , même des plus éclairés, qui ont marqué une averfion peu excufable pour les fecondes nöces tant des hommes que des femm,s (ra). Les enthoufiaftes qualifioient ordinairement ces nöces de fornication honnêce. Les ap&tres, dit 1'auteur inconnu d'un commentaire fur S. Matthieu, fauffement attribué a S. Jean Chryfoftome, ont permis les fecondes nSces h caufe de Vincontinence. Selon la permijfion de fapêtre on peut époufer une feconde femme: mais felon la vérité une pareille union eft une yéritdble fornication. Cependant puisque Dieu fa permife, c'eft une fornication Iionnête (o). Les peres du concile de Néocéfarée, tenu en (ra) Tertull. exhort. ad Caftit. ch. 18. («) Irénée Homel. fur Luc. c. 17. Bafil. ad Amphiloc. c. 55. Gregor. Nazianz. orat. 31. Ambros. de Offic. Liv. i. ch. dern. O) Can. 30. eau. 31. qu. 1. in Decreto Gratiank  fJ>del'Efprit-Hwnain> II. Part. Chap. VII. 419 415 5 réglérent que ceux qui fe marieroient plus d'une fois, feroient mis en pénitence pendant un certain temps (<5): & ils défendirent aux prêtres d'alïïfter aux feftins des fecondes nóces, parcequ'on devoit les regarder comme une foibleffeCP> Par les loix papiennes la faculté naturelle, ) Concil. de Néocéfarée can. 7. CO L. 72. 74. 79. D. de Cond. & Demonft: (O L. 2. L. 3. C. de indut. Vidu. Heinec. ad Legi Jul. Pap. Lib. 2. ch. 16. Dd %  cY de l'Efprit-Humain, II. Part. Chap. VII. 421 Ier dans les maifons des veuves & desfillesorfelines, en permettant aux parens de les déférer aux tribunaux publics; & qui ordonné aux clercs de ne recevoir d'elles aucun legs ni aucune donation, fous peine de confiscation. Comme cette loi fut inutile, l'empéreur Majorien (O imagina un nouveau moyen, qui fut d'obliger les veuves au deffous de quarante ans k fe remarier, dans 1'efpace de cinq ans aprè? la mort de leur mari; ouacéder la moitié de leurs biens a leurs héritiers naturels. Le pape S. Léon même avoit follicité cette loi. Mais les eccléfiaftiques la firent bientöt abroger par le fuccelfeur de Majorien. CHAPITRE HUITIEME. Loix fur la puiffance paternelle. Un des moyens qu'imagina l'empéreur Con* ftantin pour étendre la nouvelle religion9 fut de diminuer la puiffance des peres , qui, par leur age & leurs habitudes, font touiours portés a tenir pour ce qui eft établi; & d'öter (O Novel. Major tit. 8. Dd 3  ff de VEprit- Humain, Iï. Part. Chap. VIII. 4*3 ter, parceque fa profeffion réligieufe y faifoit obftacle. Le monaftere devoic donc fuccéder néceffairement dans ces biens. Une toi des empéreurs Gratiën, Valentinien "& Théodofe fit encore plus de tort h la puiffance paternelle , & plus de bien aux moines. Car ils éten dirent la loi de Conftantin a tous les biens des parens du cóté maternel des enfants O)-Ceux donc qui déformais fe faifoient moines , apportoient aux monafteres non feulement les biens de leu s meres, mais même ceux quils -avoient acquis d'un patent quelconqüe du tot» maternel. '"'"i L'empéreur Juftinien étendit les loix de ies. prédéceffcurs a tous les biens qui arrivent aux enfants, foit par fucctflion colla.érale, foit paria libéralité d'un étranger, comme aufli a ceux qu'un fils gagne par fon induftrie (y> Cependant il arrivoit de temps en temps qua quelque faint abbé, bien aife de fe défaire des moines relachés, dont 1'indiscipline auroit ete capable de cörrompre les moeurs des autres, leur permettoit de quitter le monaftere, & leur rendoit leur héritage. Ces ades de générofite ne (x) L.<5. C.Th. eod. Cï) §. i.tóft. Per 1"as Perfon' Cui* adqUir' I Dd 4  ffdeFEfprit-Hiimain, II. Part. Chap. VIII. 42? perftition des hommes, elle n'étoit pourtant pas encore parvenue a fón comble. Noüs verrons que dans la fuite elle eft encore allee beaucoup plus loin. .Ainfi les princes des fix premiers fiecles n'avoient pas encore fongé a établir que les enfai 's puffent fe marier fans le confentement de leurs pareus. Cela écoit réfervé a des temps plus barbares. II eft moins pernicieux k 1'état de permettre, qu'un enfant qui ne fe fent point de talents propres pour vivre dans le monde, le quitte fans 1'agrément des parents, que de tolérer qu'un enfant, qui veut donner naiffance a une familie dans la fociété, coure le risque, en fe mariant k fon caprice, d'établir une familie malheureufe. Le droit du pere d'annuller un mariage, que fon enfant a contracté fans fa permiflion , eft fondé fur 1'amour des peres, fur leur prudence, fur leur expérience, fur leur raifon , & fur 1'lacertitude de celle des enfans, que 1'age tient dans 1'état d'ignorance & les paflions dans 1'état d'ivrefle. L'exercice de ce pouvoir eft nécefiaire pour prévenir une infinité de mariages malheureux , que peut faire naïtre une paflion déréglée, k laquelle la puiffance fait bientöt fuccéder le dégout. Le bien de la fociéré eft lié a ce pouvoir paternel. Toutes ces raifons ne valurent rien dans la fuite. Nous le verrons en fon temps.  *28 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement CHAPITRE NEUVIEME. Loix fur les fètes. Conftantin a ordonné aux magiftrats & aux artifans de chömer le dimanche; mais il permit aux gens de la campagne de vaquer aux travaux de 1'agriculture ( a ). Cette loi prouve qu'auparavant les Chrétiens avoient accoutumé d'exercer leurs profeflions le dimanche même, hormis le temps qu'ils employoient au lervice divin. Cette exception en faveur de 1'agriculture fut obfervée pendant long - temps. Mais les exhortations des moines & 1'exemple des Juifs déterminérent a la longue les Chrétiens a s'abstenir ce jour des travaux même de la campagne. Du temps d'Arcadius &d'Honorius, ainfi que de Théodufe le jeune , les gens de la campagne travailloient encore le dimanche, comme on le peut inférer des loix de ces princes rangées fous le titre de feriis dans les codes de Théodofe & de Juftinien, oü ils ont foin de détailier fcrupuleufement toutes les occupations qui doivent cefièr le jour de dimanche, & durant la quio- («) L. 3. C. de Feriis.  432 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement qué de refpecler les loix de ces princes, de s'y conformer, & de les faire obferver dans les églifes. Mais les eccléfiaftiques foumis aux princes barbares montrérent dès le commencement une hardielfe extréme a entreprendre fur les droits des princes. Ayant affaire a des rois & a des miniftres ignorants & incapabJes de s'inftruire euxmêmes des matieres de la réligion , le clergé pouvoit leur faire embraffer comme des articles de foi tous les régiemens qu'il s'avifoit d'imaginer pour fa propre utilité. Nous ne verrons dans la fuite presque plus que de pareils attentats, quand nous aurons a pari er des préten-; tions & des régiemens des eccléfiaftiques des. temps barbares. Jusqu'a cette époque on n'avoit chomé que le dimanche & les fêtes de paques, comme on le voit par une loi de Théodofe le jeune (e), oü il réduit au nombre de cent vingt cinq toutes les féries de 1'année tant prophanes que chrétiennes. Les profanes étoient un mois de vacations durant les chaleurs de 1'été, & un autre mois en automne pour recueillir les fruits de la terre, & ces mois étoient différents felon la différence des pays. Pour les fêtes chréciennes il mar- CO L. 7. C. de Feriis^  43^ Hiftoire des Revolut. du Gouvernetheht Dieux qu'on honoroit dans ces temples. Dans le. premiers temps du chriftianisme ces afiles, ft peu honorables aux Dieux des payens, étoient déja fi fort multipliés, fur-tout enGrece, qu'au rapport deTacite (?) le fénat de Rome fut obligé d'en retrandier un grand nombre, parceque 3es temples étoient remplis de débiteurs infol vables & d'esclaves méchants; & que les magiilrats avoient de la peine a exercer la police, le peupie protégeant les crimes des hommes comme les cérémonies des Dieux. Cet exemple du peupie payen féduifit le clergé chrétien. II auroit cru fe déshonorer, s'il fe fut anontré auffi indifférent & auffi tranquiile que les prêtres payens, & s'il n'eüt pas taché de furpafièr le zele du peupie idolatre. Cette idéé lui fit commettre de grands excès. Le désordre arriva au point, que les empéreurs Arcadius & Honorius, quelque imbécilles, quelque fuperftitieux & quelque esclaves qu'ils fufient d'ailleurs du clergé, fe virent forcés de publier une loi pour réprimer les abus de 1'intercesfion des clercs & des moines en faveur des criminels(£). C O Annal. Liv. 2. (*) L. 16. L. 32. C. de epis. & cler. dont j'ai rapt poué le contenu dans Ie chapiuc 4.  & del'Efprit. Humain., IL Part. Chap. X. 437 Cependant S. Jean Chryfoftome crut qu'il étoit de fon devoir de ne point obéir a cette loi, comme nous le voyons par Ie fermon qu'il fin au peupie, lorsque 1'eunuque Eutrope, favori de l'empéreur Arcadius, fe réfugia dans l'églife pour fe fauver des mains de ceux qui avoient ordre de 1'arrêter. II eft important de confidérer un peu la conduite que tint en cette occafion faint Chryfoftome qui étoit alors évéque de Conftantinople. Les extraits que donne l'abbé Fleury d'un de fes fermons, ferviront a nous la faire connoitre (/). Eutrope, dit ce favant hiftorien, fe réfugia dans l'églife pour fauver fa vie* & faint Chryfoftome s'oppofa généreufement k ceux qui voulurent 1'en tirer par violence. 11 fitc même en cette occafion un discours au peupie, profitant du concours prodigieux qu'avoit attiréV un tel fpeétacle. Après avoir exhorté fes auditeurs a avoir pitié d'Eutrope, qui Ja veille „ quand on étoit venu du palais pour Ie tirer de Ik par force, avoit embraffé I'autel, tremblanc da tout le corps, & ayant le vifage d'un mort, il ajoute. Fous direz qu'il a fermé cet.afüe par diverfes loix: mais il a appris par expérience le mal qu'il a fait. Lui-même a violé la loi le premier, £3* (O Hift. Ecclés. Liv. 20. n. 37. Ee 3  438 Hiftoire des Revol. du Gouvernement fa disgrace eft une inftruftion pour tout le monde. Et enfuite. ai-je adouci vos efprits, ai-je chaffé lacolere, ai-je éteint Vinhumanité, ai- je excité la tompaffion? oui, je le crois; vos vifages le témoig'nent ff ces torrens de larmes. Adons donc nous jettcr aux pieds de l'empéreur , ou plütót prions le Dieu de miféricorde de l'adoucir enforte qu'il nous accorde la gr ace entier e. 11 ejï déja fort changé: car ayant appris qu'Eutrope s'étoit réfugié en ce lieu faint, il a parlé a toute fa cour qui vouloit Vaigrir contre le coupable, ff le demandoit pour 'l'égorger: il a répandu des larmes , ff faifant mention de la table facrée, a laquelle il s'eft réfugié , il a appaifé leur colere. Après cela quelle grace mérjteriez-vous fi vous gardiez votre courroux contre ce malheureux. Comment vous approcheriez-vous des faïnts myfiats, ff demanderiez-vous le pardon de yos pér hés ? Cc discours, continue l'abbé Fleury, eut fon effet; & S. Chryfoftome fauva la vie a Eutror pe: mais ce ne fut pas fans peine, & fans livrer des combats. On vint a l'églife en armes, on tira des épées, on mena le faint évéque au palais; on lui fit un crime du fermon qu'il avoit prononcé; on lemcnaca de mort. Tout cela ne I ébranla point, il ne rendit point Eutrope, & il fit voir la force in.vincible de l'églife fondée fur la pierre, c'eft a-dire, ƒ égliie, qui ne confifte  ff de VEfprit-Humain, U.Part. Chap. X. 439 'pas dans les lieux, ni dans les muraillcs & les toits, mais dans fes moeurs & fes loix, & que ce qui mettoit en ftretéceux qui s'y réfu^ioient, n'étoit pas la force des portes, ou des batimens, mais le refpeél: de la religion, & la fainteté de fes miniftres. Eutrope fut pris toutesfois, mais >par fa faute, étant forti de 1'enceinte de l'églife. Eutrope étoit le plus grand fcélérat de 1'erripire. Zofime dit (m) qu'il gouvernoit Arcadius comme une béte, & que par ce moyen il attiroit h lui tout 1'or & 1'argent des fujets, ayant placé par tout des troupes de délateurs, qui par leurs calomnies faifoient condamner a la perte des biens tous les citoyens qui paflbient pour riches. Or quel moyen d'excufer S. Chryfoftome , qui viola avec tant d'éclat la loi récente de fon prince, loi pleine de fageïïe, conforme a celle de Moïfe, & occafionnée par les fréquents tumultes, & par les défordres de toutes éfpeces, qu'avoit déja produits 1'habitude, oü étoient le clergé & les moines de protéger Jes fcélérats contre la juftice des magiftrats ? Cependant voiJa encore un nouveau tumulte occafionné par un faint évéque pour Ja défenfe d'un homme Cm) Zofime Liv. 5. ch. 12. Ee 4  '44Ö Bifioire des Revohit. du Gouvernemeni fes & plus de raifon, il ne manqua pas de fentiï lui-même, que rien n'étoit plus déraifonnable que d'accorder 1'immunité a ceux qui alloient, dans les égliies pour cornmettre leurs crimes fous la proteélion de Dieu même. On priva donc ceux-ci du droit d'afile. Mais on laiffa fubfifter encore long-temps tous les autres excès de cel; abus. C'avoit déj& été line trés-grande faute des premiers empéreurs chrétiens de psrmettre d'admettre 1'immunité poUr les dettes & les délits de moindre importance, parceque cette indulgence donnoit occafion au clergé, & fur tout aux moines de protéger non feulement ceux que les loix leur abandonnoient, mais auffi ceux qu'elles ne leur abandonnoient pas; D'ailleurs toute l'hiftoire fait voir, que ces immunités ont fouvent occafionné de grandes révolutions foit dans le^ états , foit dans les opinions. D'abord lts afiles invitent plus au crime, que les peines n'en détournent. Puis on peut compter qu'autant qu'il y a d'afiles dans un état, il y a autant de petites fouverainetés, oü les loix communes perdent leur force, & font anéanties par celles d'une puiffance étrangere, qui peut en faire 1'ufage qu'elle veut, & même y établir un esprit oppofé a celui du corps entier de la ibeié-  &de?Efprit-Humain3 tl. Part. Chap. XI, 44? té (h> „ Les patriarches de Conftantinople, „ dit M. de Montesquieu (v), avoient un pou„ voir immenfe. Comme dans les tumultes populaircs, les empéreurs & les grands de 1'état fe retiroient dans les églifes, que le patriar« „ che étoit maitre de les livrer ou non, & ex„ ercoit ce droit k fa fantaific, il fe trouvoit toujours, quoiqu'indireótement, arbitre des „ affaire publiques". CHAPITRE ONZIEME, Loix fur la procédure criminelle. Depuis Conftantin jusqu'a juftinien les empéreurs d'Orient & d'Occident ont publié un nombre innombrable de loix. En les voyanCfe mêler de tout, & vouloir foumettre tout k des loix pofitives , on diroit qu'üs ont voulu étab'ir 1'ordre non feulement dans 1'état, mais dansles maifons, & qu'ils ont cherché a regler jusqu'aux aólions les plus indifférentes des hom- Cu) Traité des Délits & des Peines. Cv) Confidérations fur les caufes de la grandeu? des Romains ch, 22,  44? Hiftoire des Revolut. du Gouvernement mes. Mais les défauts de ces loix étoient tels, & leur multitude étoit fi prodigieufe, qu'elles produifirent des effets tout contraires k ceux que fe propofoient ces imbécilles législateurs. C'étoient des mélanges de bonnes & de mauvaifes loix; des loix pleines d'humanité & pleines de cruauté, des loix fondées fur des principes de la plus faine philofophie, & puifées dans la fuperltition la plus groffiere; des loix qui n'avoient point de liaifon, qui partoient de différens prinT cipes, & devoient produire différens effets, oü le caprice dominoit , oü les vicieufes détruifoient les bonnes, oü les claires & les fimples étoient perdues dans tin cahos immenfe formé par la multitude de celles oü tout étoit obscur & incertain. Presque tous ces princes vouloieiit aflifler éux^ mêmes a 1'adminiftration de Ia juftice, & décider a leur gré les affaires de la plus grande in> portance, ou des perfonnes de confidêration. Tels étoient entr'autres Valentinien I, Valentinien II, Arcadius, Léon, Juftinien. Le premier publioit de fages loix, & intervenoit aux jugemens pour les faire violer au préjudice des in« nocents ou de ceux qui n'étoient coupables qüé de délits très-légers qu'ils qu'il deftinoit pour victimes a fon avarice, k fa cruauté & k fa colere , de forte qu'Aufone, dans le discours qu'il adrelfa  ffdeTEfpnUHumain, II. Part. Chap. XI. 449 adrena a Gratiën même, fils de cet empéreur, déclare, que fous le regne de fon Epere le palais étoit plein de terreur, & les affemblées des ma•giftrats pleines d'inquiétude, de plaintes & de trifteffe (x). Valentinien II au contraire intervenoit aux jugemens, pour obliger les juges a la clémence, oü il alloit fi loin que quelquefois il a déclaré calomniateurs les accufateurs qui offroient les preuves les plus convaincantes. Quant k Arcadius, Zofime (y) „dit, que fous fon „ regne la nation des calomniateurs fe répan„ dit, entoura la cour & finfefta. Lorsqu'un „ homme étoit mort on fuppofoit qu'il n'avoit „ point lailfé d'enfans; & on donnoit fes biens „ par un rescrit: car, comme Ie prince étoic „ étrangement fhrpide, & 1'impératrice entre„ prenante a 1'excès, ellefervoitfinfatiable ava„ rice de fes domeftiques & de fes confidentes: (x) Aufon. Gratiar. A£t. pre Confulat. Amniieja parle trés amplement de cette cruauté de ValentinienI. ü dit, entr'autres , Liv. 30. qu'il ne fe laffoir point dc faire tourmenter ceux qu'on mettoit a la queftion1 quelquefois ces miférables perdoient la vie dans la torture qu'il avoit ordonnéc; il renvoyoit toujours les affaires aux juges meines qu'on avoit recufés. II faifoit nourrir de cadavres , deux ourfes, dont il prenoit ur» foin particulier. (y ) Hiftoire Liv. 5, Tome I. Ff  450 Hiftoire des Revolut, du Gouvernement „ de forte que pour les gens modérés il n'y ,, avoit rien de plus défirable que la mort". Quant a Léon, j'ai déja allégué au fecond chapitre un paffage de Malila, qui dit, que pour fatisfaire fa cruelle 'avance, il avoit a fes gages des délateurs & de faux témoins; & que lorsque ces gens lui manquoient, il fe rendoit accufateur lui même. L'exemple du quefteur Ifocafe, que j'ai rapporté au même endroit, prouve affez la vérité de la peinture qu'en a fait cet hiftorien, & nous fait voir, que Léon non feulement fe mêloit de la procédure judiciaire, mais qu'iL condamnoit les accufés, & confisquoit leius fciens avant que les juges les euffent entendus, & examinés. Enfin voici comment Procope Hous dépeint la maniere dont s'adminiftroit la juftice fous le regne de Juftinien. ,, 11 y avoit „ autrefois, dit - il (z), fort peu de gens ala „ cour. Mais fous Juftinien, comme les juges „ n'avoient plus la liberté de rendre juftice? i, leurs tribunaux étoient déferts, tandis que le palais du prince retentilToit des clameurs des „ parties qui y follicitoient leurs affaires". Sous les princes imbécilles c'étoient leurs fa* voris, leurs eunuques, les femmes même qui Cz) Procop. Hifi. Secret.  ffdel''Efprit-Humain, II.Part. Chap.XII. 46$ les autres officiers fubalternes des juges, qui extorquoient de 1'argent aux particuliers pour s'acquitter de leurs fonctions, & empêchoient 1'entrée chez les magiftrats a ceux qui ne vouloient ou ne pouvoient pas leur faire quelque préfent (q). II ftatua la peine du feu pour les Juifs, leurs ju^es, leurs patriarches, qui inquiéteroient ecu* d'entr'eux qui abandonneroient leur fecte pour embraffer la réligion chrétienne f>): il décer-» na la même peine contre les arufpices qui entreroient dans les maifons des particuliers pourconfulter les entrailles des viclimes, ou qui les confiilteroient chez eux a la réquifition des autres: & il leur permit dans le même temps d'exercer cette fonction dans les temples & les autres lieux public?. 11 leur défendit,fous la même peine du feu, d'entrer jamais dans les maifons des particuliers , même pour vifiter leurs amis, & ordonna de rompre avec eux toute amitié, toute familiarité, quelque ancienne qu'elle fut. II compriC dans la même défenfe les prêtres des idoles & tous les autres miniftres des facriflces Le premier de tous les législateurs romains, il ftatua la peine de mort pour 1'adukere. Sa loi fur (q) Voy. Baron Annal. h Fan 331. (O L. 1. C. Théod. Liv. 16. tit. 8. CO L. 1. & 2. C. Théod. Lib. 9. tit. 16.  & derEfprit-Humain, IL Part. Chap.XII. 46"ƒ que toute autre chofe. Son fils Conftance publia une foule de loix fanguinaires contre les magiciens, les devins, les adorateurs des idoles, les fodomites & autres criminels. Mais rien n'égale la fureur imbécille de Théodofe I qui alla jusques a ordonner la peine du feu pour les mariages entre coufins germains, & qui malgré cela ne fe faifoit aucun fcmpule, comme je fai fait voir ci - deflus, d'en accorder la dispenfe(v). Conftantin avoit cela de bon que dans le même temps qu'il faifoit des loix cruelles, contre les crimes, il ufoit d'un peu d'indulgence envers les criminels ( x ), puisqu'il leur laiflbit au moins la vie, & ne leur otoit que les biens. Je conviens que 1'indulgence eft un grand défaut, parcequ'elle affoiblit les loix: mais elle cefia d^enêtreun,lorsqu'ileft néceffaire que la dureté des loix foit modérée. Aucontraire les fucceffeurs de Conftantin confervérent fes loix tyranniques , auxquelles ils en ajoutérent encore d'autres plus tyranniques, & ils n'imitérent poinC fa modération. Souvent même leur caraclere despotique leur faifoit envifager & punir comme crimes les chofes les plus indifférentes, & dont ils auroient (v) Cod. Théod. Qx ) Optat. Panegyr. ch. 6. Ttme I. Gg  4(55 Hiftoire des Revohit. du Gouvernement eu honte de faire mention dans leurs loix. Un gouverneur ayant demandé a Valentinien I un msillcur pofte , l'empéreur repartit: puisqiCil n'eft pas content de fa place, je vais lui en donner une autre : qu'on lui tranche la tête: & cet ordrC barbare fut exécuté fur le cbamp. S'il y a eu des empéreurs dont le caraéfere ne les portoit pas k la cruauté, ni au despotisme, ils étoient ordinairement fi foibles, qu'ils laiffoient excrccr la cruauté & le depotisme a leurs favoris, a leurseunuques, aux gouverneurs des provinces, aux juges. Honorius & Arcadius n'étoient pas natu* rellemeut cruels; mais Stilicon, Rufin, Olimpius, Eutrope, un grand nombre d'autres le furent pour eux. Théodofe I n'étoit pas un tyran lui-même: mais la tyrannie fut fous lui exercée par les eccléfiaftiques k qui il accorda des loix par lesquelles ils purent détruire la moitié de fes fujets. Théodofe le jeune n'aimoit pas les injufticesni les violepces: mais on voit dans Melila» & dans S.. Ifidore , que les fujets de 1'empire n'ont jamais été fi fort tourmentés, qu'ils le furent par les violences de fes favoris, les eunuques Antioque & Chrifaphe, & par les vexations de fes traitans. Les écrivains du cinquieme fiecle ont beaucoup loué la douceur & la bonté de Valentinien IL S'il a véricablement mérité ces éloges,  & de PEfprit-Humain, II. Part. Chap. XII. 46? il faut dire qu'Arbogafte fon miniftre étoit un véritable barbare, qui avoit confervé parmi les Romains la fierté orgueilleufe des princes de la nation dont il étoit (y). Le refcrit contenu dans la loi 2. C. de crimine facrilegii eft un monument qui dépofe contre 1'un ou contre l'autre. On voit par les lettres de Symmaque, préfet dc Rome, que cet homme vertueux & éclairé, qui jouiffoit de la confiance & de 1'eftime de fon prince, lui avoit donné des confeüs fur le choix des magiftrats. Voici la réponfe que l'empéreur lui fit la-deflus. II n'eft pas permis de raifonner fur la décifion du fouverain. C'eft une efpece de facrilege que de douter du mérite d'un homme quü a honoré de fon choix. Quand un prince s'avife de qualifier de facrilége les confeüs de fes confidens & les rémontranccs des magiftrats, il eft vifible qu'il ne veut écouter que fon caprice , & qu'il veut gouverner fes fujets au gré de fa fantaifie. Quand je confidcre les befoins continuels, Qy~) Un ancien auteur marqué qu'Arbogafte étoit Franc de nation , & qu'ayant eu des différends perfonncls avec Marcomir & Sunnon, princes francois, il en avoit été chafle dc fon pays. Voy. Gregou-. de. Tours Hiftoir. Liv. 2. ch. 9. Gg 2  468 Hiftoire des Revoiut. du Gouvernement d'argent qu'avoient ces empéreurs chrétiens, malgré leurs revénus immenfes, a caufe de leur luxe prodigieux, de leurs prodigalités inconcevables envers le clergé & les églifes, de leurs guerres perpetuelles avec les barbares, & k caufe des tributs qu'ils payoient a ces nations, je tiens pour évident que leur législation criminelle n'eft qu'une fuite de ces befoins. Pour pouvoir confisquer les biens de leurs fujets, ils rendirent toutes les peines capitaies, ce qui, felon le principe de la jurisprudence romaine, entrainoit toujours la confiscation des biens: & pour pouvoir multiplier ces peines, ils mukipliérent les crimes, en qualifiant de crimes non feulement les aótlons indifférentes, mais fouvent lc3 louables. Quand après avoir établi de pareilles loix, les princes faifoient grace de la vie, & otoient les biens, ils paroifibient encore humains; & auifitöt de vils adulateurs compofoient des panégyriques pour élever au ciel la clémence du prince qui ruinoit fes fujets & les laiflbiC vivre. Les hiftoriens eccléfiaftiques difent que Conftantin a bati, orné & enrichi les églifes des biens, que fes juges ont confisqués fur les payens. Qu'on fe rappelle a préfent fes étonnantes profufions envers les églifes & les eccléfiaftiques, dont j'ai donné quelque idéé dans les  ffderEfpnUHumain, II.Parr.Chap.XII. 469 chapitres précédents, & l'on pourra juger de 1'abus énorme que cet empéreur a fait de la législation criminelle. Parmi ces loix abominables des empéreurs, il en eft de plus abominables encore, qui viennent évidemment de leurs miniftres. Ces miniftres haïfloient mortellement deux fortes de gens, les citoyens qui par amour du bien public parloient avec franchife, & les philofophes. Pour exterminer ces gens, les miniftres, qui n'aimoient ni la patrie ni les lumieres, imaginérent de donner une grande extenfion au crime de lefe - majefté, & de fuppofer de Ja réalité a la magie qui, par la nature des chofes, n'en pouvoit pas avoir. Parmi les loix de cette efpece eft fur - tout remarquable celle que 1'eunuque Eutrope a fait porter par les empéreurs Arcadius & Honorius, „ deux princes dont la foibleffe, dit M. de Mon- tcsquieu fjz),eft célebre dans l'hiftoire, deux ,, princes qui furent menés par leurs miniftres, comme les troupeaux font conduits par les „ pafteurs, deux princes esclaves dans le palais, enfans dans le confeil, étrangers aux armées, qui ne confervérent 1'empire, que parcequ'ils „ le donnérent tous les jours". Cette loi déda- O) Esprit des Loix Liv. 12. ch. 8. Gg 3  4.70 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement re, que ceux qui attentent contre les miniftres & les officiers du prince font criminels de lefemajefté, comme s'ils attentoient contre le prince même (a). Avec une telle loi, avec les délateurs , & avec les juges qu'il y avoit alors, un miniftre du prince pouvoit faire périr tous les honnêtcs gens qui lui faifoient ombrage. Les philofophes étoient odieux aux miniftres, parcequ'ils ne craignoient point dc dire la vérité aux princes, & de leur ouvrir les yeux fur les fautes de leurs officiers , & parcequ'ils éclairoient le peupie. Or,comme ces favans avoient fouvent dans l'hiftoire naturelle des connoiffances qui étonnoient les idiots, il étoit aifé, dans un temps oü toutle monde étoit idiot, de les attaquer comme magiciens. La plupart même y donnoient occafion eux mêmes par leur vanitc de s'attribuer des connoiffances, des talens & un art qu'ils n'avoient point & ne pouvoient point avoir. Or leur franchife, jointe ou a leurs véritables connoiffances ou a leur véritable charlatanerie , leur coüta presque toujours la vie, par les peines qu'avec ces qualités ils caufoient continuellement aux miniltres. Les favoris de Valens firent périr presque tout ce qu'il y avoit (a) L. 5. C. ad Leg. Jul. Majcft.  & de V'Efprit-Humain, II. Part. Chap. XIÏÏ. 47 r alors de gens k talents: ils n'eurent pour cela befoin d'autre artifice que de qualifier de philofophe tout homme dont ils vouloient la mort (£). CHAPITRE TREIZIEME. Loix concernant le clergé. Tous les eccléfiaftiques, depuis le moindre clerc jusqu'a l'évêque de Rome, étoient, fous les premiers empéreurs chrétiens , égalcment foumis a la puiflance féculiere. Ni les princes , ni 1c clergé n'en doutoient pas alors. Quoique la fuperftition eüt déja avant le regne de Conftantin extrêmement infefté la réligion y quoique les Chrétiens fufient accoutumés depuis la naiffance du chriftianisme a avoir une grande vénération pour les prêtres & pour les évéques; quoique, fous les empéreurs payens, les plus zélés des fideiles euffent de la repugnance a paroïtre devant les juges, & qu'ils euffent coutume de prendre dans tous leurs différends les évéques pour arbitres, il n'étoit néanmoins (6) Amm. Marccll. Liv. 29. Gg 4  -472 Hiftoire des Revolat. du Gouvernement jamais tombé dans 1'efprit de perfonne d'imaginer, que dans Ia fociété civile le clergé dut être regardé comme un corps particulier, & différent du refle des fujets. Conftantin commenca par accorder au clergé des exemptions. Cela prouve donc que, fans cette conceffion, les eccléfiaftiques n'auroient point eu de priviléges particuliers. Ses fuccesfeurs augmentérent encore les exemptions du clergé & lui accordérent encore d'autres prérogatives: cela prouve donc que Ie clergé ne s'éloignoit du fort des autres fujets qu'a mefure que la générofité fuperftitieufe des princes lui accordoient de nouvelles prérogatives. Les empéreurs modifioient fouvent, ou révoquoient même les priviléges qu'eux mêmes, ou leurs prédéceffeurs avoient accordés au clergé. Cela prouve enfin, que ces conccffions dépendoient uniquement de la volonté du fouverain. L'empéreur Conftantin s'étant en 312 déclaré en faveur de la réligion chrétienne, il envoya un an après a Anulin, proconful d'Afrique, une lettre oü il lui ordonna d'exempter les clercs de fa province de toutes les charges publiques,afin que rien ne les detournat du fervice de la réligion (c). (O Eufeb. Ilift. Liv. 10. ch. 7- Epift. Conftant. ad Anulin. ap. S. Auguft. epis. 68. al. 88.  474 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement „ henreux, c'eft qu'ils font rarement capablcs,) de s'en appercevoir; ou que s'ils s'en appercoivent, ils necroyent pas de leur dignité de „ 1'avouer. Iis tombent donc de faute en faute "« La loi de Conftantin, dont cc refpeclable écrivain fait ici mcntion, eft de 1'an 326, & elle porte, qu'on n'élira de nouveaux clercs, qua pour remplacer les morts (*), & qu'on ne choifira alors que de tels fujets, que leur pauvreté; ou la baffeffe de leur naiffance exempte des charges publiques. Car il faut, dit l'empéreur , qua les riches portent les charges du fiecle, & qua ïes pauvres foient nourris des biens des églifes (e). Cette exemption ne rëgardoit que les perfon->' lies & non pas les biens propres des clercs. Conftantius , fils dc Conftantin, fut le premier è. exempter le clergé du payement du eens pour les fonds de terre : il les exempta auffi des charges fordides, auxquelles on étoit affujetti pour les biens fonds qu'on poffédoit, comme de fournir de la farine, du pain, du charbon: il les exempta enfin des contributions impofées aux mar-. (*) Le nombre des clercs étoit réglé, parcequ'il n'y avoit point d'ordinations vagues: tous étoient attachés a une certainc églife. (O L. 3. & 6. C. Thcod. dc eris. & cler.  476 Hiftoire des Revolm. du, Gouvernémmt que 1'on nommoit curiales: a moins qu'ils n'eusfent été dix ans dans le clergé. Par une autre loi, qui eft du même temps, il ordonné la même chofe h f égard des moines (*). Tout cela montre clairement que les églifes & les clercs is'avoient d'autres exemptions que celles que les princes vouloient bien leur accorder, & qu'ils n'en jouiflbient qu'auffi long temps que les princes ne jugeoient pas a propos de les révoquer. Cela fe prouve encore par une loi de Valentinien III qui rctablit la loi de Conftantin a 1'égard de ceux qui entroient dans le clergé pour fe fouftraire aux charges, que devoient porter ■les citoyens qui avoient des biens. Je rapporterai cette loi avec les éclaircifiemens qu'y ajoute Tillemont en ces termes. „ Cette loi (Nov. s, Valent. 38.) regarde les bourgeois qui en„ troient dans 1'état eccléfiaftique. Car nous „ croyons nous pouvoir fervir de ce terme de „ bourgeois, pour marquer ceux que les Latins 5, appelloient curiales & decuriones, c'eft-a dire „ les habitans des villes qui avoient quelque 5, bien, & n'avoient point d'emploi a la cour, „ ni dans les armées, & ne s'occupoient point „ au trafic. Ces bourgeois compofoient le corps C*) L. 63. C. Th. de Decurion.  êjdeï'Efprit.Humain, II. Part. Chap. XIII, 47$* „ c? en biens fpirituels plutót qu'en biens tempo, „ reis é? terrefires. ( Tülem. Hifi. des empéreurs „ Tom. 6. Valent. HL art. 14.) Cette loi fut „ encore rénouvellée, quant au fond, par Ma„ jorien". M. L'abbé de Condillac (Cours d'étude Liy. 16. ch. 1.3 dit, en parlant de l'empéreur Conftantin, „ qu'il permit par une loi k „ tous ceux qui auroient des procés, de recu„ ferles juges civils, pour appeller au jugemenc „ des évéques, ordonnant que les fentences ren,, dues dans un tribunal eccléfiaftique feroient „ confidérées, comme s'il les avoit rendues lui„ même, & enjoignant aux gouverneurs da „ les faire exéeuter". Cependant il ne laifie pas de remarquer dans une note , qu'il y a des critiques qui penfent que cette loi eft fuppofée: mais elle fera, ajoute-t-il, Ment ét port ée par un des fucceffeurs de Conftantin, Honorius. Ce favant homme fe trompe ici groffierement. II eft certain que Ja prétendue loi de Conftantin eft fuppofée. 11 en eft d'elle, comme de tant d'autres fauffes pieces , que des méchants eccléfiaftiques ont fabriquées pour tromper les idiots, & même les gens de bien de leur corps, pour pouvoir s'arroger des prérogatives & des droits qu'iis n'avoient pas. Quant k Ja loi d'Honorius, qui ne peut être que la 41. C.  480 Hï/loire des Revolut. du Gouvernement Th. de ep. & cler. elle dit a la vérité , que tous les clercs, évéques, prêtres, diacres & autres ne doivent être accufés que devant les évéques, qui examineront ces caufes en public , & en feront dreiTer des actes: mais il eft évident que cette loi ne parle que des caufes qui concernent la réligion; & qu'il faut 1'entendre fuivant une autre loi du même empéreur (X. 23. C. Théod. eod.) laquelle ordonné, que la connoiffance des crimes publics, commis par des eccléfiaftiques, appartienne aux juges féculiers (l). Valentinien I accorda le premier aux évéques le droit de corriger les clercs de leurs diocefes pour des délits légers concernant la discipline, & de juger leurs diffentions en matiere de réligion : mais en même temps il leur défendit févérement de fe mêler des affaires criminelles de leurs eccléfiaftiques, voulant que celles - ci f usfent jugées par les magiftrats ordinaires, ou par les gouverneurs des provinces, felon le rang du prévenu (m). Cette loi eft louée par S. Ambroife évéque de Milan, & il la rappelle a Va- Jen- (2) Godcfroidans fes notes fur laLoi 10. C. Théod, ie Jurisd, & fur la loi 23. C. Th de epis. & cler, (,ro) L. 23. C. Th. de epis. & cler.  ffderEfprit-Humin, U. Part. Chap. XIII. 4). Dans une de ces lettres, Pélage exhorte Narfés a quitter fes fcrupules qui le portoient k craindre qu'il ne fut pas permis de perfécuter perfonne pour une différence de fentimens. „ Ne vous arrêtez (0) Lib. Pontif; £p) Le même.  ffieVEfprit.Humain> II. Pari. Chap. XV. m une loi d'Athalaric , roi des Goths, oü il dit: fi quelqu'un veut intenter aélion contre un clerc de l'ëglife romaine, il doit premierement s'adrefier au pape, quijugera par lui-même, ou déléguera des juges. 95 le deraandeur n'a pas recU fatisfaótion , il s'adreffera au juge féculier, après avoir prouvé le déni de juftice de la part du pape. Mais celui qui s'adreffera a nous fans rendre le refpeft dü au faint fiége, perdra fa caufe, & payera dix livres d'or, applicables aux pauvres par les mains du pape. Mais la loi de Tuftinien, dont nous avons parlé ci-deffus, donna un peu plus d'extenfion a la jurisdióHon des évéques fur leur clergé. Mais fi la jurisdiaion civile des papes lur le clergé étoit dans ces temps encore fort refferrée, leur jurisdiaion eccléfiaftique a 1'égard des affaires fpirituelles avoit déja recu des accroiffemens extraordinaires. Car, quoiqu'originairementilsn'euflent droit d'exercer cette junsdiction que fur les provinces foumifes au gouvernement civil de la préfeaure de Rome ( ), {*) Conftantin partagea tout 1'empire romain enqua* „e grandes préfedtures, 1'Orient, l'fllyrie, les Gaules 1'Italic, a chacune desquelles il prepofa u»préfet du prétoire. Chaque préfeaure comprenoitplufieurs diocefes-, & ceux-ci étoient divifés en plufieurs  & de?Efprit-Humain, II. Part. Chap. XV. 59% propre politique leur ont foumis eneore ritalie3 l'£fpagne, la Gaule, & 1'lllyrie. Le concile de conféquent moins capables de fournir des aum&nes en telle abondance, qu'il auroit fallu pour faire bril-* Ier les évéques & le clergé. Le fiége de Rome, la capitale du monde r Ia demeure de tant d'illuftres families & de tant de riches citoyens , obtint aifément le premier rang. Celui d'Alexandrie avoit le fecond rang, parceque cette ville , a caufe de fon commerce, de fes richeffes, de fa grandeur & de la multitude de fon peupie, étoit réputée pour la feconde ville de 1'univers. Le fiége d'Antioche, quoique ce füt, fuivant la propre expreffion du pape Innocent Qepijiii, ap, Dyonis. c. 45.) le premier fiége da premier des apötres, ne put obtenir que le troifieme rang, paree > Mais les accufateurs obtinrent deux ans après un fecond concile, a 1'ouverture duquel le pape demanda d'abord qu'on apportat 1'écrit compofé par le diacre Eunodius, & qu'on le lut publiquement. Eunodius avoit fait cet ouvrage cn (x) Lib. Pontif in Symmacho. Kk 4.  532 Hiftoire des Revolut. dü Gouvernement dispenfes de fes loix presque dans le même moment qu'il venoit de les porter. S'étant avifé de renouveller fous des peines beaucoup plus féveres les loix anciennes, qui défendoient de demander le gouvernement du pays, oü l'on avoit fon domicile, a caufe des grands inconvénients qui en étoient réfultés, il accorda auflitót une dispcnfe de fa propre loi k -Andronique, & le fit gouverneur de Ja Pentapole, fa patrie, oü il tint une fi méchante conduite, qu'il fit fentir de nouveau la néceflicé de faire obferver Ja loi (D). L'empéreur Juftinien s'eft fur-tout diftinguépar fa conftante coütume de révoquer, corriger, modérer 1'une après l'autre presque toutes fes loix, qui font innombrables. „ Sous lui a, on voit dans le cours de quelques années, dit M. de Montesquieu (c), la jurisprudence „ varier davantage qu'elle n'a fait dans les trois „ cents dernieres années de notre monarchie. „ Ces variations font la plüpart fur des chofes j, de fi petite importance, qu'on ne voit aucu- 1'exhorta a changer d'avis. Théodofe obéit; révoque fa Loi-, dépofe le préfet: & répond au moine fanatique qu'il s'eft rendu k fes inftances, & fe recommande k fes prieres (.Voy, Evagr. L. c.) (fc) Synes. ep. 58. 73. 89. CO Grandeur des Rom. ch. 30.  534 Hiftoire des Revol. du Gouvernement l'empéreur Conftance, Ammien Marcel lin peint ainfi fon cara&ere injufte & despotique Qd). „ Semblabie aux princes médiocres, pour pea „ qu'il trouvat un prétexte faux ou léger d'ac3, cufer quelqu'un d'avoir afpiré au tröne, il 3, 1'approfondiflbit a 1'infini, & employant in33 différemment des moyens juftes ou injuftes , 3, il furpafioit en cruauté Caligula, Domitien & 3, Comode. Ce fut en imitant la barbarie de „ ces princes qu'il commenca par faire mourir 3, honteufement tous fes parens & fes alliés. 3, La rigueur de fes foupcons,qui s'étendoient a „ tous les objets de cet ordre, aggravoit encos, re les maux des. miférables qu'on accufoit d'a3, voir donné quelque atteinte a la majefté de „ 1'cmpire: dès qu'il entendoit de ces fortes de „ bruits il ordonnoit des enquêtes plus rigou„ reufes que les loix ne le permettent, éta„ bliffoit pour juges de ces affaires des hommes 5, cruels, & prolongeoit dans les fupplices, autant }, que la nature le permettoit, la mort des mal„ heureux qu'on exécutoit. II fe montra dans „ fes exécutions bien plus barbare que Gallien; Cd) Ammien Marcel!. Liv. i. ch. 16. je me fuis fervi de la nouvelle traduction fran^oife qui a paru a ^^rlin.  ff del'Efprit-Humain, II. Part. Chap. XVI. 53 j „ car ce prince expofé aux embuches réelles & 5, fréquentes des rebelles , tels qu'Auréole' & „ Pofthume, Ingenuus , Valens furnommé le 3, Theffalonique, & plufieurs autres, adoucit j, pourtant quelquefois les fentences portées. 3, contre des crimes capitaux: mais Conftance, „ par la force des tortures, donnoit a des faits même douteux un air de vérité. II déteftoit „ dans ces occafions la juftice, quoiqu'il fit tout „ pour pafier pour jufte & pour clément. Les 3, plus petits incidens lui fervoient a exciter des „ maux fans nombre ". L'empéreur Valentinien I, bon chrétien & catholique décidé, doué d'ailieurs de beaucoup de prudenee, qui Ie porta a publier des ordonnances fages, & a établir des défenfeurs pour la fureté des fujets contre les vexations des magi* ftrats & des grands, pouffa cependant le despotisme infiniment plus loin que Conftance. Les écrivains chrétiens de fon temps , indifférens fur fon caraétere brutal & fourds aux cris de 1'humanité revoltée contre fon inconcevable férocitc, ne blament gUeres en lui, que fon esprit de tolérance qui 1'avoit déterminé a tolérer 1'exercice de la réligion payenne, & a en laiffer les prêtres dans la poffeflion de leurs priviléges. Mais Ammien Marcellin , humain & fenfible, fait en plufieurs endroits des peintures terribles LI 4  $$6 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement de fon affreux despotisme. „ Valentinien, dit„ il au chap. 7. du Liv. 27. quoieju'il eut déja ,j plus d'une fois trahi fon humeur farouche, j, tacha pouitant, dans les commencemens de j, fon regne, pour affoiblir 1'opinion qu'on avoit de fa férocité, de réprimer les faillies impéa, tueufes dc fon caraclere. Mais ce vice caché „ & jenfermé pendant quelque temps, n'en Si éciata qu'avec plus de violence pour le mal3, peur de bien des gens. Sa cruauté recevoitr 3, de nouvelles forces de fon penchant exceffif k Ia colere. . . . On remarqua, entr'autres, 3, parmi les fupplices qu'on fit fouffrir alors a 33 des perfonnes d'un moindre rang, la mort „ de Dioclès, ci-devant grand tréforier de l'Il- lyrie, qui fut condamné au feu pour de lége3, res fautes. . . . Florentius le préfet ayant 3, appris que dans une affaire, qui demandoit s, qu'on fit grace, la colere avoit emporté l'em-« s, péreur fi loin, qu'il avoit ordonné qu'on fit 3, mourir trois membres de chaque magiftrature 3f de plufieurs villes; Eh quoi, dit-il, s'il fe j, trouve des villes qui n'en ont pas autant? IL „ faudroit donc dijfércr du moins jusqu'ci ce qu'il. „ y en alt un nombre fujjifant. La cruauté de, ., l'empéreur avoit encore ceci d'affreux & d'é3, trange: c'eft quefi quelqu'un déclinoit le tri-i> PUnal d'un enqerrri puiffant & demandoit un.  & de PEJprit. Humain, II. Part. Chap. XVI. 537 „ autre juge, on lui réfufoit fa demande & it étoit renvoyé précifément k celui qu'il craig„ noit, quelque fortes que fuffent fes raifons „ de le récufcr. Une autre chofe non moins „ affreufe, c'eft qu'il faifoit mourir fans délai „ tout débiteur qu'on difoit être entiérement in3, folvable. j, On ne trouve point d'exemple, dit ce mês, me écrivain , Liv. 30. ch. 8. qu'il fe foitcon3, tenté d'infiiger de médiocres chatimens; mais ,, plus d'une fois il ordonna de multiplier les „ queftions, après des interrogatoires oü les ac„ cufés avoient été tourmentés jusqu'a en per5, dre presque la vie. Son penchant a faire du. „ mal étoit fi décidé, que jamais en fignant une 3, fentence de mort il ne 1'adoucit; ce que des „ princes très-cruels ont cependant fait quelque ,, fois. ... Ce prince fut poffédé dès fon en„ fance&de 1'avidité d'acquérir ,fans s'inquiéter s, des moyens, & de la foif de s'enrichir par les „ naufrages d'autrui. Ainfi, après la guerre „ des Parthes, ayant befoin d'argent pour payer „ & recruter 1'armée, il joignit a la cruauté le „ défir infatiable d'accumuler d'exceiïïves ri„ cheffes, & feignit de ne pas favoir qu'il eft. 5, des chofes qu'on ne doit pas faire quoiqu'on „ Je puiffe. „ Valentinien ne choifit jan-ais de propos dé, U 5  53? Hiftoire des Revolut. du Goüvernement „ Kbéré de méchants juges; mais s'il apprenoit „ après les avoir établis qu'ils fe conduifoient 3, avec inhumanité, il fe vantoit d'avoir trouvé „ des Lycurgues & des Caffius, ces anciennes „ colomnes de la juftifce, & les exhortoit dans 3, fes lettres k punir rigoureufement les plus Iés, geres fautes ". Ammien Marcellin rapporce au Liv. 29. ch. 3. des exemples presqu'incroyables de la cruauté & de Ia colere furieufe de ce prince. „ Un de fes » pages, dit-il, qui devoit retenir un chien de sy Sparte jusqu'a ce que la proie pafiat, 1'ayant 33 laché avant le temps, parceque cet animal, s, qui vouloit s'échapper, Ie mordit, fut roué 33 de coups & enterré le même jour. Le chef „ d'une fabrique lui préfenta une euiraffë polio ., avec tant d'art, qu'il s'attendoit k en être bien recompenfé: mais Valentinien ordonna , „ qu'on le mit a mort: & cela parcequ'elle pe. foit un peu moins que ce qu'ilavoitprefcrit.... „ Africain, célebre avocat de Rome, après avoir fourni fon temps dans le gouvernement d'une j, province , follicita un autre emploi: mais „ Valentinien répondit durement au général de 3, la cavalerie Théodofe qui faifoit la demande „ & Tappuyoit; Comte, ahbatezla têtea cet hom„ me qui veut changer de place. Ainfi périt ui> » fujet éloquent, dont tout le crime étoit de  54* Hiftoire des Revolut. du Gouvernement te féroce, & non moins altéré de fang hu. „ main „ Les clairons des défaftres civils fe firent ,, bientóc entendre, la terreur plongea toute la „ ville dans un morne filence, & au milieu des cruautés & des actes de barbarie , dont le „ nombre & la variété font a peine croyables, on diftingua la mort de 1'avocat Marin. Cet }j homme, fans qu'on approfondit les indices, fut condamné comme coupable d'avoir, par „ des voyes illicites, tenté d'obtenir Hisparilla 3, en mariage. „ Quelques lecleurs qui recherchent avec foin „ les détails, murmureront peut-être tous bas, „ & diront que telle action en a précédé une au- tre, ou que je paffe fous filence des événe- mens dont ils ont été les témoins. Mais j'ai „ cru devoir me dispenfer de raconter des cho- fes peu dignes d'être confervées. .. Et quand j'aurois le defiein de tout dire, les regiflres publics ne m'auroient pas tout foürni, vü la „ violence des troubles de ces temps, & la fu- reur avec laquelle on confondoit tout: puis„ qu'il eft clair que ce qu'on craignoit le plus, „ c'étoit non un jugement, mais la fuspenfion „ de tous les actes de juftice. Le fénateur Ce„ thegus, accufé d'adultere, eut la tête tran.  ff deVEfprit-Humain, II. Part. Chap. XVI. 543 „ chée, & Alypius, jeune homme de bonna „ maifon, fut rélegué pour une bagatelle: d'au5, tres perfonnes moins diftinguées perdirent pu4, bliquement la vie. Chacun voyant dans ces „ maux 1'image du danger qu'il couroit, il arrïvoit que les fonges même n'offroient a 1'ima„ gination que des bourreaux, des chaines & „ d'obfcures prifons". L'Hiftorien rapporte plufieurs autres exécutions également injuftes & cruelles ordonnées dans le même temps par Maximin, par Valentinien lui-même, & par les confidens de 1'un & de l'autre, & il continue enfuite ainfi. „ Maximin fit périr auffi Serieus & Asbolius, dont „ nous avons parlé plus haut: & parcequ'en les }3 exhortant a nommer qui ils voudroient, 3 „ avoit eDgagé fa parole qu'il ne les puniroit „ ni par le fer, ni par le feu, ce fut a coups „ de bales de plomb attachées k des courroies qu'on leur öta la vie. Pour 1'aruspice Cam„ penfis, k qui il n'avoit rien promis, il fut „ condamné aux flammes..... C'étoit par d© „ femblables manoeuvres & d'autres tout aufïï „ déteftables, & qui fouilloient la gloire de Ro„ me, que Maximin, dont le nom feul fait fré„ mir, franchiffoit toutes les bornes, & s'éle„ voit fur les ruines d'un grand nombre de fof„ tunes. Car on dit qu'il avoit toujours & une  ffderEJprit-Bumain, II. Part. Chap. XVI. 561 inftitution fi falutaire a été de peu de durée, Car il y ordonné k tous les gouverneurs des provinces de faire élire dans chaque ville des défenfeurs pour foutenir les foibles contre les grands, & pour lui donner avis de tout ce qui fe feroit contre les loix & les regies de la juftic'e Les troubles qui fuivirenc de prés la pu* blication de cette loi , nous peuvent faire juger de fon fuccés & de fa durée. C&) Majoran. Nov. 3, Tome I. f? n  5G1 Hiftoire des Revol. du Gouvernement CONCLUSION. Conféquences tirées des Chapïtres précédents. Paralléle des vices du gouvernement fous ks empéreurs payens, ff fous les chrétiens. Les princes chrétiens ont été obligés par différentes raifons ie fe règler dans le gouvernement de 1'état dCaprès les maximes du clergé. Autorité du clergé: autorité extraordinaire des évéques. Comment les évéques ont acquis cette autorité. Raifons de la chüte de 1'empire fous les princes chrétiens. Cene fut pas l'aviliffement du fénat; ni 1'autorité ff la licence extraordinaire des affranchis j ni la puiffance exceffive des préfets du prétoire; ni la tyrannie, la cruauté ou la volupté incroyable de plufieurs empéreurs', ni la magnificence ff le luxe exceffif, ou le goüt extraordinaire des plaifirs, cöfnmuns également aux fouverains de Rome ff aux particuliers; ni la licence des armées ; ni les extravagances ff le despotisme des gardes prétoriennes : ce ne furent pas non plus les forces ff les différentes irruptions des Barbares fous Gallus ff fes fucceffeurs jusqu'h, Dioclêtien; mais ce furent uniquement les nouvelles manieres de penfer, les 7iouvclles maximes ff les  578 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement des facrifices a la clémence de Caius (£). Le miniftre le plus ordinaire des cruautés de ce prince étoit un certain Protogene qui avoit continuellement fur lui deux regïtres, dont il appelloit 1'un 1'épée & l'autre le poignard. Cet homme étant un jour entré dans le fénat, & y ayant appercu Scribonius Proculus, qui, comme tous les autres, s'eroprelToit de lui rendre de profonds refpeéts , il le regarda d'un ceil de colere, & lui dit; comment ofez-vous mefaluer9 yous qni étes Vennemi de l'empéreur? Les fénateurs eurent h peine entendu ces paroles, qu'ils fe jettérent fur leur collégue & le mirent en pieces (/)• Caligula donnoit fes pieds a baifer aux plus refpeélables des fénateurs, il s'en faifoit adorer comme un Dieu, fe faifoit promettre des facrifices, & les traitoit en général avec un tel mépris, que s'il n'eüt pas été prévenu par la conjuration de ceux qui le tuérent, il auroit déclaré conful un cheval de la faction des verds, qu'il prioit fouvent a fouper chez lui, & a qui il faifoit donner de 1'orge & du vin dans des vafes d'or (w). Confidérez Ia conduite (fc) Xiphil. vie de Caligul. O) Xiphil. ibi. O») Le même.  ff de f Efprit-Humain, 11. Part. 579 de ce même fénat fous Néron, & vous le verrez décerner des fupplications & des graces folemnelles aux Dieux pour le parricide commis paree prince en la perfonne de fa mere Agrippine qu'il fit inhumainemenc affaffiner («). Après que Néron fe fut proftitué a Rome, en Italië, en Grece,a chanter & a jouer de la harpe publiquement fur lesrhéatres,& a conduire des chariots dans le cirque , habillé de verd, & couvert d'un bonnet femblable a celui de la canaille qui exercoit cette profeflion, le fénat en témoigna une fi grande allégreffe , qu'il en ordonna des réjouiffances publiques; & lui décerna un fi grand nombre de fêtes & de facrifices, que 1'année entiere n'eüt pas fuffi pour les célebrer (0). A fon retour de cet infame voyage en Grece tous les fénateurs allérent au devant de l'empéreur, qui entra dans Rome ayant a fon có é un joueur d'inItruments: ils l'accompagnérenc au Capitole & au pa'ais, & pendant la marche ils faifoient des acciamations en ces termes. OMmpimiqm , Bithiomque, Augufte, Awufte. A Naon tiercüle, a Néron Apollon. Vous êtes feul vamqueur dans tous les combats; vous êtes feul éterneh Au- (?0 Le même dans Néron. (0) Le même. Oo %  5?o Hiftme des Revolut. du Gouvernement gufte, Augufte. Voixdivine; heureux ceux qui vous peuvent entendre (/>)! Dion, qui étoit fénateur du temps de Comode, raconte que cet empéreur aimoit avec fureur les combats des gladiateurs, & qu'il en faifoit lui même toutes les fonftions, quoique les loix, & l'opinion pubiique des Romains regardafTent comme infames toutes les perfonnes qui descendoient dans 1'aréne ou montoient fur ie théatre pour amufer le public. A cette infamie il ajoutoit encore la lacheté de ne faire que des combats fimulés; car pour lui iltenoit dans fa main droite un bouclier, «Sc dans fa gauche (car il fe vantoit d'être gaucher) une épée de bois: & quant au gladiateur, qui combattoit contre lui, il ne lui permettoit que d'avoir une férule a la main. Cette timidité, quoique trés - méprifable aux yeux des Romains, pouvoit encore s'excufer dans un empéreur; mais quel moyen d'excufer fon avarice qu'il cherchoit a fatisfaire par la récompenfe fordide qu'il fe faifoit décerner pour cette profesfion. Car il en vouloit être récompenfé comme les gladiateurs ordinaires; & au lieu que les autres ne recevoient qu'un léger falaire, il préten- (P~) Xhiph. ibi.  ff de FEprit - Humain, II. Pa~t. 581 dit chaque jour deux cents cinquante müle drachmes du fond deftiné a cette dépenfe. Aprè» Jui il faifoit combattre ceux qu'il avoit choifi le matin au bas du théatre, habillé en Mercure, tenant un bacon d'or a ia main, & affis fur un tröne de même métal. Quelquefois il faifoit attacher enfemble les gladiateurs, & les obligeoit a combattre dans cette pofture, d'oü il arrivoit que ces combattans tuoient fouvent les fpectateurs dont ils s'approchoient de trop prés. Or le fénat devoit aiMer a toutes ces infamies, & Dion dit: „ nous faifions di„ verfes acclamations, telles qu'elles nous ér „ toient prefcrites, & celle-ci plus fouvent qu'aucune autre. Vous êtes le maiire, vous „ êtes le premier, vous remportez heureufement „ lavicloire: vous êtes toujours victorieux: Cuna- zonien vous êtes viCtorieux ". Le même hiffcorien rapporte, que ce monftre ne paroiffoit jamais en public fans tirer 1'épée hors du fourreau, ni fans répandre de fang. Quelquefois, dit-il, il faifoit femblant de vouloir couper les cheveux a quelqu'un, & il lui coupoit le nez ou 1'oreille. Comode demanda au fenat, qu'en honneur de fes grandes actions on appellat la ville Comodienne : le fénat ne fe contenta pas de lui accorder fa Oo 3  582 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement demande; mais il s'appella lui-même Como: dien Quand Comode eut été tué, & Pertinax élu k fa place, le fénat fit de tels cris de joye, qu'ils feroient feuls propres a faire fentir, combien il étoit déchu de fon ancienne gravité , & combien il avoit oublié la décence dans toutes les chofes (>). Non feulement Jes acclamations, (?) Aelius Lamprid. in Commode-, (O Le même. Acclamationes fenatus poft mortem Commodi graves fuerunt. Ut autem fciretur, quod judicium fenatus de Commodo fueritipfas acclamationes de Mario Maximo indidi, & fententiam fenatus confulti. Hofti patrice honores detrahantur. Parricida: toveres detrahantur: parricida trahatur. Hojlis patrice, parricida, gladiator in Jpoliario lanietur, Hqflis Deorum, carr.ifex fenatus , Hoftis Deorum , parricida fenatus, hojlis Deorum , hojlis fenatus. Gladiatorem in Jpoliario Qui fenatum occidit, in jpoliario ponatur. Qui Jenatum occidit. unco trahatur: qui itmocentes occidit, unco trahatur. Hoftis, parricida, vere Jevere. Qui fanguini Juo non pe•percit, unco trahatur. Nobiscum timuifti, nobiscum periclitatus es. Ut falvi fimus Japiter optime maxime ferva nobis I'ertinacem. Fidei Pratorianorum feliciter. prcetoriis cohortibus feliciter, pietati Jenatus feliciter. Parricida trahatur, Rogamus Augufte, parricida trahatur; hoe rogamus, parricida trahatur. Exaudi Cajar. Delatores ad leonem. Exaudi Cafar. Speratum ad Leonem. ViElorixe Populi Romani feliciter : fidei milüüm feliciter : fidei Prcetoriane-  £f de 1''Efprit-Humain, II. Part. SH maisle fenatus -confulte même qu'on dreffa ladeffus, témoigne 1'indécence & la balTeiïe qui regnoient alors dans le fénat. Par la fuite 1'indécence & la puérilité y furent pouiTées encore plus loin. Dans cette affemblée, jadis fi grave, rum feliciter: cohortibus pratorüs feliciter. Hojlis Hatuas undique, parricida jlatuas undique, gladiatoris ftatuas undique : 'gladiatoris &? parricida ftatux detrahantur. Necator civium trahatur, parricida civium trahatur : gladiatoris ftatuce detrahantur. Te falvo, Jalvi et fecuri Jumus, vere vere, modo vere, modo digne , modo yen , modo libero. Nme fecuri fumus; delatorilus metum. Ut fecuri fimus , Mawibus metum; Jalvi fimus, delatores de fenatu : delatovlus fujlem, te falvo: delatores ad leonem, temperante de. tatoribus fuftem. Parricida:, gladiatoris memoriaaboleaw gladiatoren in JpoHario. Exaudi Cafar, carnifxunco trahatur; camfex fenatus more mnjorum unco trahatur. Savior Domitiano, impurior Nerone, ficut fecit, fic J>aty»m Memorice irmcentium ferventur : honores innocentnm rekuas, rogamus. Parricida cadaver unco trahatur , g aJatoriscadaverunto trahatur: gladiatoris cadaver *ffoüario ponatu, Perroga, perroga; omnes renjemus unco traLdLm. Qui omnes occidit, unco ***** q» omnem atatem occUit, unco trahatur, qui utrumque femtn occïdn, l" tr ham qui fanguini fuo non pepercit, unco traha Z aui templa Jpoliavit, unco trahatur, qut ufi*m**» Le'vit, unco trahatur. Qui vivos Jpoliavit, unco trahatur. ftinutile de rapporter le rede de ce témoignage I rindecence, de la baffeiTe & de rextravagance da tL Quel fénatus-confulte&qucls fénateurs- Oo 4  584. Hiftoire des Revolut. du Gouvernement fi augufte, fi majcfiueufe qu'on auroit pris chaque fénateur pour un roi, on entendoit répéter jusqu'a quatre vingt, jusqu'a cent fois les meines cris de joye ou d'imprécation , que queique événement infpiroit véritablement, oü que 1'esprit de flaterie disftoit faufTement. Pollion raconte, dans Ja vie de Claude, que lorsque l'on cue recu a Rome Ja nouvelle que J'armée 1'avoit élu empéreur, Jes fénateurs s'affemblérent dans le temple d'ApoJlon, oü a peine on eut Jü la lettre de Claude au fénat, qu'il s'y éleva de grands cris de joye, dont chacun fut répété un grand nombre de fois. On commencapar crier; Claude Augufte, que les Dieux vous confervent. On le répeta foixante fois. Puis on cria: Claude Augufte, nous vous avons toujours déftré pour prince, ou un prince tel que vous. Cela fut répété quarante fois. Après on cria. Claude Augufte, vous êtes frere, pere , ami, bon fénateur, ff vous êtes vraiment prince. Cela fut répété' quatre-vingt fois. On continua enfuite a faire & a répéter d'autres cris. M. de Montesquieu apporte plufieurs rai, fons de cet inconcevabJe état de bafielfe & de fervitude, oü étoit tombé Je fénat (Y). D'abord Cs) Grand. & Decad. des Rom. Ch 1  5§ó Hiftoire des Revolut.' du Gouvernement dispofoient des empiois encore plus que les princes mêmes. Et comme ces favoris étoient ordinairement des affranchis & d'autres gens pareils de la plus vile naiffance, plus on s'accou. tumoita la fortune, aux paflions, aux extravagances de ces perfonnes méprifabl es, & incapables de mettre des bornes k leurs fantailies en aucune chofe, plus ons'habituoitè.méprifertout principe d'honneur & de probité. Comode ayant clevé fon favori CJéandre de la plus abjecte condition au grade de capitaine des gardes, celui-ci entreprit d'abord d'avilir le fénat au point, qu'il püt fe promettre de n'y laiffer aucun qui ofat arrêter les crimes & les violences qu'il fe propofoit de cornmettre: il en chaffa tout ce qu'il y avoit d'hommes refpeéïables, & il y fit entrer k leur place des affranchis, & d'autres gens de la plus vile populace. Après cela il n'eut point de peine k vendre, au nom de l'empéreur, les decrets, les fentences, les gouvernemens, les plus grandes charges de 1'état, feconduifantd'ailleurs avec une folie fi extravagante, qu'il ofa créer vingt cinq confuls dans 1'espace d'une feule année (*). CO 'Lamprid. in Commod. ch. 6.  ff de rEfprit -Humain, II. Part. 587 Septime Sévere répara bientöt les maux, que la cyrv nie ; xnavagante de Comode avoit faits k Péoft, & aux particuliers. Mais d'un autre cöté porta ie despotisme a ion comble, & quoiqu'ii s'abflint lui-même de cruaütés, il établit des principes de gouvernement qui jufiifient toutes les -cruautes. Tour c::t effet il eut a fes pages des jurisconfultes, qui acfievértnc de ruiner toute 1'autorité du fénat. Ces jurisconfultes étoient des gens de fortune j venus de 1'Orient k Rome, oü les empéreurs de cette époque, & particuliérement Sévere, les élevérent a des poftxs de confiance auprès d'eux. Tels firent les célèbres Papinien, tJlpien , Jules Paul. Comme i's n'étoient point fénateurs, & qu'ils venoient de pays, toujours foumis a un despotisme illimité, iis s'imaginoibnt &par 1'esprit de leur première éducation, & par une certaine envie contre le fénat, & par une complaifance ir.téreflëe envers kur maitre, que le gouvernement monarchique étoit la meilleure espece de gouvernement, que les hommes puisfent foubaiter pour leur bonbeur. Et comme ils n'avoient point d'idée de l'espdt d'une véntable monarchie, & qu'ils la-cönfondoient avec le véritable despotisme, qui ne connoit aucun pouvoir intermédiaire, ils enfeignoient, que, depuis la révolution opérée par Jules ■ Céiar &  SU Hiftoire des Revolut. du Gouvernement. par Augufte, tous Jes droits du fénat avoient pafte au prince; que Ia puiftance impériale n'étoit point une fimple délégation, & qu'elle n'étoit point fubordonnée k des loix: qu'au contraire la volonté du prince étoit arbitraire; qu'elJe s'étendoit fur la vie & fur Jes fortunes des fujets, & qu'il pouvoit dispofer de 1'état comme de fon patrimoine (w). Dans Ja même vue Sévere remplit Ie fénat d'autres Orientaux habitués a 1'efclavage , qui par leurs flatteries éloquentes &par leurs fophismes ingénieux établirent des principes propres a transplanter dans Rome Ja fervitude & la baffesfe des Syriens. C'étoient-Ja Jes principes de Sévere dans le gouvernement de 1'état. Dion, & Xiphilin, fon abréviateur, rapportent, que' ce princeliit un jour dans le fénat un discours, oü' après avoir loué la rigueur & la cruauté de Sylla, de Marius & d'Augufte comme 1'unique moyen de conferverun pouvoir abfolu, & blamé Ja clémence & la douceur de Pompée & de Céfar comme des qualités dangéreufes, qui avoient occafionné Jeur ruine, iJ entreprit Ja défenfe de Comode, dont il avoit pourtant Jui-même flêtn auparavant Ja mémoire par des acfes pu- 00 D;on Cafïius Liv. 75.  de P Efprit-Humain, II. Part. 589 blies, &ilfit une inveócive outrageufe contre 1'augufte affemblée qui 1'avoit deshonoré par fes décrets (x). Malgré cette humiliation frappante du fénat, les légions ni les gardes prétoriennes n'avoient pas encore proclamé un empéreur, qui n'eut O) Dion 1. c. & Xiphil. dans sévere. II eft impoi» tant de rapporter un paffage de ce discours, auqüel Dion a été préfent, parcequ'il nous fait connoitre jusqu'a quel point les regnes de Caligul-u de Néron & de Comode avoient dépravé les moeurs Romaines. „ Plufieurs d'entre vous, leur ait-il, vivent d'une „ maniere plus infame & plus criminelle que ceile „ dont il a vecu. Si l'on trouve étrange qu'il aït tué „ des bêtes de fa propre main, ne vit-on pas depuis „ peu de jours un ancien conful fe jouer &fe diver„ tir publiquement 'a Oftte avec une courtifane qui étoit traveftie en panthere.' Que fi Comode com„ battoit quelquefois contre des gladiateurs, n'y en „ a-t-il pas plufieurs parmi vous qui s'appliquent au „même exercice ? Pourquoi quelques-uns ont-ils ,', acheré fes boucliers, fes casques d'or, & fes autres „ armes"? Sévere méprifoit fi fort le fénat, qu'il ne connoisfoitpas même de nom tous les fénateurs. Numérien qui enfeignoit Ia grammairc a Rome, alla en Gaule, s'y donna pour fénateur, amaifa des troupes, & défit Albin , ennemi de Sévere. Le prince lui écrivit dcs lettres de remerciment, & Ie traita toujours en fénateur. Dion. 1. c  «5? de rEfprit - Humain, 11. Part. 593 Mais rien ne contribua tant a perdre le fénat, que la longue abfence de ces deux prin«tes, qui fixérent leur réfidence loin de la capitale. Tant que les empéreurs avoient fait leur réfidence a Rome, ils n'avoient pü s'empêcher de parolcre au fénat, de délibérer avec lui fur les affaires d'état, de fuivre en bien des chofes fon avis, de faire publier la plupart de leurs ordres publics fous le nom & 1'autorité du fénat. Mais dès que Dioclétien & Maximien eurent commencé a féjourner 1'un a Nicomédie & l'autre a Milan, l'on vit ceffer d'abord toute liaifon & toute communication entre le fénat & la cour impériale. Les fouverains s'attribuérent a euxfeuls toute la puiffance législative & exécutrice; & au lieu de confulter le grand confeil de 1'empire , ils ne prenoient plus d'avis que de leurs miniftres particuliers. Conftantin imita tout cela. 11 fe batit une nouvelle ville, oü il fixa la réfidence de la cour impériale, & oü il fe forma un fénat, qui n'avoit rien de commun avec celui de Rome, & qui fur-tout n'avoit même pas 1'ombre d'une autorité législative. Les hiftoriens. mettent au nombre des caufes principales de la deftruciion de 1'empire le grand afcendant, dont les eunuques , les femmes & les favoris jouirenc fous les princes chrétiens. 7ome ï. P?  fj de fEfprit- Humain, II. Part. 599 a qui ils abandonnoient le fort des fujets. Enfin les eunuques même avoient déja acquis fous les empéreurs payens une aufli grande puiffance, qu'ils ont jamais obtenu fous les chrétiens, comme le prouvent deux lettres rapportées par Jules Capitolin, dont 1'une eft de Mefitheus beau-pere du troifieme Gordien (»)» & l'autre de Gordien même (.*)• Les préfets du prétoire augmentérent encore plus, fous les empéreurs payens, les maux de 1'empire , & des particuliers: car ayant une puifianceimmenfe, la pluparten abufoientpour s'enrichir des dépouilles des fujets, & pour fatisfaire leurs haines & leurs vengeances par la deftruftion des plus iliuftres & des plus yertueufes families de 1'état. Plufieurs d'entr'eux bouleverférent fouvent 1'empire pour öterla courorine & la vie a leurs fouverains, & fe mettre en leur place. C») Epis. Mefitheiad Gordian. EvafiiTe nos gravem' temporum maculam, qua per fpadones, & quï amicitibi videbanturCerant autem vehementes mimici) omnia vendebantur, yoluptati nobis eft. (HO Epiftol. Gordiani ad Mefithcum. Nifi D" omnipotentes romanum tuerentur Imperium, etiam mine per emtos fpadones velut in hafta pofiti venderemur. Pp 4-  ff de VEprit-Humain, II. Part. 6c# même, & cette indulgence partoit même d'un fonds d'humanité & de débonnaireté : car il recommandoit aux gouverneurs la juftice, 1'équité & 1'humanité envers les fujets; il menacoit de Ion indignation & des peines les plus rigoureufes les miniftres qui abuferoient de leur autorité , quoiqu'au befoin il ne fe fentic pas affez de forces pour fnrmonter la compaffion que lui infpiroient fes favoris coupables de toutes fortes d'injuilices & de vexations. II chargea les peuples de nouveaux impöts. Mais, fans parler de ceux qu'imaginérent les tyrans, Vespafien, un des meilleurs & des plus fages fouverairs de Rome, en leva peut-être plus que ce prince, & les employa aux mêmes.buts, a rebatir & orner des villes, a conftruire des temples, a rc*eompenfer des gens de lettres & des favoris. II n'y a que cette différence entre Vespafien & Conftantin, que celui-ci étoit extrêmement prodigtfe du bien de fes fujets, aü lieu que l'autre n'en étoit 'que libéral; & le prince chrétien dorina infiniment aux prêtres, au lieu que le payëh y fut très-modéré. Ammien Marcellin dit O) ^ue Conftantius, (y) Marcell. Liv. 21. ch. 16. Semblablc dans \é rede aux princes mediocres, pour peu qu'il trdlivJt Tme l Qq  614 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement étoit changée en un lac couvert de vaifleaux armés, oü Von voyoit 'nagcr quantité de monftres marins. Les matériaux employés a la décoration de cet amphiiéatre étoient ou d'or , ou d'argent, ou d'ambre. L'arene étoit ceinte tout autour d'une muraille, fur laquelle on voyoit le podium, qui étoit une avance de mur, en forme de quai, orn^ de petites colomnes & de baluftrades. C'étoit la place des empéreurs, des fénateurs & des magiftrats. Comme ce podium , élevé de quinze pieds, ne défendoit pas allez les fpe&ateurs qu'il contenoit des attaques des éléphans, des lions, des léopards, des pantheres, & des autres bêtes ou trop grandes ou trop agiles, on y mettoit tout autour des rets oü des treillis qui garantiffoient les fpeétatturs fans les empêcher de voir. Ces filets étoient quelquefois faits de fil d'or. Tout autour de l'arene, aux plus bas lieux, étoient des voutes oü l'on mettoit les bêtes, qui devoient combattre. Les dépenfes qu'on faifoit pour la provifion des bêtes étoient immenfes. Outre celles que nous avons nommées ci-deflus, on faifoit venir a grands frais des hippopotames, rhinoceros, des crocodiles, des élans, des giraffes, des zebres, (Sc quantité d'autres animaux , dont nous ne connoiffons pas les noms, & qu'il falloit tirer des déferts les 'plus reculés de 1'Afrique , de  6? de F'Efprit - Humain, 11. Part. 615 PEthiopie, & jusques de file de Madagascar (b ). La même magnificence & Ia même prodigalité regnoient dans Jes cirques, dont il y en avoit quinze a Rome, parmi lesquels le plus remarquable étoit celui qu'on appelloit le grand cirque. Sa longueur étoit de trois ftades & demi, & fa largeur de quatre arpens. Quelques écrivains difent qu'il pouvoit contenir jusqu'a trois cents quatre vingt mille perfonnes. Les car eer es, ou endroits d'oü partoient les chevaux & les chars, étoient de marbre: les bornes étoient dorées. On voyoit dans fon enceinte quantité de temples, d'autels, de colomnes avec des frontons formant comme 1'entrée d'un temple, des colomnes portant des ftatues de dieux & de déeffes , des obélisques, & d'autres batimens. Le bas du cirque en dehors étoit un rang de boutiques ménagées dans les arcades les plus basfes. Aux facades en dedans il y avoit, comme aux amphithéatres, le podium ou place des fénateurs, au deffus les fiéges des chevaliers, plus haut une grande galerie regnant tout autour, (ZO Voy. par rapport a tout ce que l'on a dit fur famphithéatre Calphurnius Eglog. 7. Maffei Veron. Illuft. Liv. 2. Montfauc. Antiq. Expl. Tom. 3. Mémoir. de 1'Acad. des Inferip. tom. 12. & 17. Qq 4  616 Hiftoire des Revol. du Gouvernement au deflüs de cette galerie s'élevoient des rangs de gradins jusqu'au haut de la facade. Les jours deftinés aux jeux on jonchoitordinairementl'arene de fableblanc. Mais il y a eu des empéreurs qui, pour plus de luxe, y firent répandre du cinnabre, du fuccin & du bleu (c). Probus ayant voulu donner des jeux pour célebrer fes vi&oires fit transporter dans le cirque une immenfe quantité d'arbres avec leurs racines, & y forma une grande forêt, qui fut touta-coup remplie de mille autruches, de mille daims, de mille cerfs & de mille fangliers. Tout ce gibier fut abandonné au peupie. Le jour fuivant il y eut un maffacre de cent lions, d'autant de lionnes, de deux cents léopards & de trois cents ours ( d). Mais ces fpeótacles furent peu de chofe en comparaifon de ceux que donna enfuite l'empéreur Carin, qui pour la fplendeur extraordinaire, avec laquelle il célebra les jeux du cirque & de 1'amphithéatre , furpaflk tout ce que 1'extravagance & la prodigalité de ies prédéceffeurs avoit encore feu imaginer. (c) Sur les Cirques voy. Montfauc. Tom. 3. Mémoir. de 1'Acad. des Infcript. & Bell, Leur. torn. 3, tpm. 13. torn. 17. torn. 21. (d) Vopiscus Hift. Augus.  & de F Efprit-Humain, II. Tart. 617 Ce prince voluptueux fit triompher dans Rome tolis les vices & toutes les infamies, que Verus y avoit apportés d'Antioche. Dans le cours de quelques mois il époufa & répudia fucceffivement neuf femmes, qu'il laifla prejque toutes enceintes. Malgré ces uniohs fi légitimes il iouiila encore quantité de families illuftres par fes adulteres, & par d'autres vices honteux. Toutle palais étoit rempli de courtifannes, de chanteurs, de danfeurs, & de tous les artiftes du vice, du luxe, & de Ia folie: il ne mangeoit jamais fans en avoir quelques uns k fa table : il choifit dans cette troupe infame deux jeunes hommes les plus difiblus pour en faire 1'un préfet du prétoire, & l'autre conful (e). Les moeurs des plébéiens aifés, des riches chevaliers, & d'une grande partie des fénateurs ré* pondoient parfaitement a la conduite de ces empéreurs: & ce débordement de la capitale infeéla fucceflivement toutes les riches provinces de 1'Europe, mais principalement 1'Italie, & la Gaule méridionale. Le Chriftianisme modéra dans la fuite cette licence effrénée des moeurs : il n'abolit point les vices, mais il empêcha de 6'y précipker avec tant de fureur: il établit des (•) Le même. Qq 5  <5i 8 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement décences, des circonfpeétions, & un certain art de cacher fes vices, que les payens avoient entiérement oubliés. Dès que le peupie eft corrompu, 11 eft indispenfable que Jes foldats que l'on en tire le foient auffi; mais Ja corruption des troupes romaines fut produite par d'autres caufes encore. Depuis CJaude, Jes foldats avoient appris qu'ils pouvoient donner i'empire a qui ils vouloient GeJa porta Jes principaux officiers, qui ofoient élever leurs espérances jusqu'au tróne, k flatter les troupes qu'ils commandoient: & pour les flatter, ils ferelachoient de 1'ancienne difcipline. Quand une armée avoit nommé quelqu'un empéreur , il falloit encore débaucher toutes les autres armées, qui s'arrogeoient le même droit: & après qu'on s'étoit affermi fur le tröne par la foumiffion de toutes les armées, il falloit encore continuer a les careffer, k les combler de prér fens, & a les ménager par rapport k la discipline , pour ne leur pas faire venjr 1'envie de changer de maïtre. Enfin Septime Sévere, & fon fils Caracalla établirent pour principe, qu'un fouverain devoits'aifurerdel'affeérjon de fes foldats , & compter pour rien tout lerefte de fes fujets (ƒ). (ƒ> Dion Liv. j6.  [ ff de rEfprit - Humain, IL Part. 6 \ $ Dans cette vue Sévere donna h. fes foldats une partie des tréfors qu'il avoit amaffés par les profcriptions de ceux qui avoient fuivi le parti de Niger & d'Albin, fes concurrens , & qu'il ne ceffoit d'amaffer par fes exaótions continuelles : il augmenta leur paye: & il leur fit encore des largeffes extraordinaires a chaque fête publique, ou toutes les fois qu'ü ies mena a une nouvelle guerre, ou qu'ils en revenoient viftorieux. Outre cela il relacha beaucoup de 1'ancienne discipline: entr'autres chofes il leur permit de porter des anneaux d'or, & de vivre dans le camp avec leurs femmes ( g). Cependant fon économie naturelle mettoit des bornes a fa libéralité envers les foldats, & fa fermeté ordinaire modéroit fon indulgence. Mais Caracalla fon fils pafla toutes les bornes: il augmenta encore la paye des foldats (7i), & employa toutes les ri- (gO Le même ib. Hérodien Liv. 3. (7*) Dion dit Liv. 78. q»e Macrin écrivit au fénat que cette augmentation alloit a foixante & dix fflttlions de drachmcs. Mais il y apparence, dit M- de Montesquieu Grand, des Rom leur Décad. ch 16. que ce prince enfloit les chofes: ÓV fi l'on compare la depenfe de la paye de nos foldats d'aujourd'hui avec le rede des dépenfes pubiiques , & qu'on fuive la même proportion pour les Romains, on verra que cettefom-  61 o Hiftoire des Revolut. du Gouvernement chefles a fe gagner.leur affeclion. Ainfi cette augmentation exceflive de ia paye & des gratificationsappauvritles fujets pourenrichir & amollir le militaire (_*"). Parmi toutes les troupes Romaines les gardes prétoriennes furent celles qui firent le plus de mal a 1'état. Ce corps toujours attaché aux empéreurs , parceque ceux-ci le difïinguoient, le careflbient, 1'ornoiencdt Je combloient de bienfaits plus que tous les autres corps d'armées, les foutenoit dans 1'exercice de toutes leurs cruautés, de leurs profcriptions, de leurs exaclions & de leurs extravagances les plus folies. Les foldats des gardes prétoriennes qui, jusqu'a; Septime Sévere, ne furent que de dix a douze mille hommes, devinrent rapidement fi infolents qu'ils me eut été énorme. Tout ce qu'il y a de conftant, c'eft que depuis Caracalla les foldats prétoriens recevoient par an douze cents cinquante drachmes, ou neuf cents vingt livres. (_Dion. Liv. 77.) (*) Ces tréfors amaffés par des princes, dit M. de Montesquieu Grand £f Décad. des Romains ch 16. n'ont presque jamais que des effets funeftes: ils corrompent ]e [ucceffeur, qui en eft ébloui, & s'ils ne gatent pas fon coeur, ils gütent fon efprit, il forme d'abord de grandes entreprifes avec une puiffance qui eft d'accident. qui ne peut pas durer, qui n'eft pas naturelle, & qui eft plutöt enflée qu'agrandie.  625 Hiftoire des Revolut. da Gouvernement eapitale. Cependant fous les princes payens les barbares furent toujours défaits, su lieu que fous les princes chrétiens ils furent presque toujours vi&orieux, de forte qu'ils parvinrent fuccclfi ement k éteindre 1'empire d'Occident. Cette différence de leurs fuccès eft d'autant plus remarquablc,que, felon toutes les apparences les plus frappantes, fous les princes chrétiens Jes circonItances n'avoient jamais été fi favoraWes aux entreprifes des barbares, qu'elles le furent fous le regne de 1'efféminé Gallien, & de fes fuccesfeurs. Cependant fous les Chrétiens 1'empire fut fubjugué: & fous les payen6 il gagna, par les guerres contre les barbares, une force & une puiffance, qu'il n'avoit pas eu depuis longtemps. Le regne de Gallien & les troubles qui favoient précédés, avoient tout préparé pour faeiliter aux barbares 1'incurfion & la deftruétion de 1'empire. Avant lui les révoltes des armées aVoient été & rapides & fréquentes: fept a huit empéreurs, proclamés fucceffivement par les armées , furent maffacrés par d'autres armées avant qu'ils euffent eu Ie temps de s'affermir fur ie tröne & de fonger aux affaires de 1'empire (*). (*) Ce qu'on appelloit 1'empire Romain , étoit alors , comme I'obfcrve M. de Montesquieu , une  ff der Efprit - Humain, II. Part. 6t? Les guerres civiles, la marche continuelle des armées, 1'embarras des nouveaux fouverains attirérent, fous Gallus, une foule de barbares fur différentes provinces de 1'empire. Les Gotns, les Borones, les Bourguignons pillérent 1'Europe: les Perfes ravagérent 1'Afie, entrérent dans la Mefopotamie , poufférent jusqu'en Sirie & jusqu'k Antioche, qu'ils prirent & ravagérent: les Scythes firent des courfes en Cappadoce, & défolérent Peflinunte & Ephefe (m). Sous Gallien les Allemands firent des incurfions dans les Gaules; les Goths, les Borones & les Cages ravagérent 1'Illirie & une partie de l'Italie ; les Scithes défolérent 1'Afie. Dans le même temps les Perfes infeftoient les provinces voifines des Romains. Mais les maux intérieurs occafionnés par 1'indolence & les vices de Gallien furent incomparableraent plus grands. Une armée, une province fe révolte 1'une après l'autre; une foule de rebelles prennent le titre d'empé- efpece de république irréguliere , telle , a peu prés t que 1'ariftocratie d'Alger, oü la milice, qui a lapuisènce fouveraine, fait & défait fon magiftrat, qu'on appellé Dey. Et peut être cft-cc une regie aflez générale que le gouvernement militaire eft a cgftains égards plütot républicain que monarchique, ( m) Zofime Liv. i. Rr *  6"-i8 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement reurs: chaque p^étendant foule les peuples par" des impofitións afFrsufeö: les guerres qui fe font de toutes parts défolent la campagne: une fléri'ité affreufe & générale produit la famine. cette famine & les maffacres continuels d'hommes occafionnent enfin une peff.e cruelle , qui dura plufieurs années , & défola fuccesfi vemen t toutes les provinces, toutes Jes villes, & presque toutes Jes families de 1'empire Romain (n). Un écrivain judicieux & profond (k) PolHo in Galliano. Acceffe rat prasterea" his niahs , quod Scytha; Bithyniam invaferant, civitatesque delevcrant. Denique Aftacum, qua; poftea Niconiedia dicta efi, graviter vaftavcrunt. Denique, quafi conjuratione totius mundi concuffis orbis partibus, etiam in Sicifia quafi quoddam fervile beiluin extïtit ... GaI!ieno& Fauftino Confulibus, inter tor bellicas clades etiam terras motus gravifiimus fuit, & tencbros per inultos dies: auditum prasterea tanitruum, terra mugiente, uorr jove ton ante, quo motu multas iabricx devorats funt cum haoitatoribus, Mota eft & Roma, mota & Lybia.... Maria etiam multas urbes oo cuparunt ... Nam & peftilentia tanta extiterat vel Ronti, vel in Achaicis urbibus, ut uno die quinqire millia hominum pari morbo périrent. Sxviente fortuna, cum htnc terras motus, inde hiatus foli, ex diverfis partibus peftilentia orbem Romanum vaftaret, capto Valeriano, Gallis parte maxima obfeflis, cum belkim Odcnatus inferret, cum Aureolus përurgeretll-  & de ? Efprit-Humain, II. Part. 629 £0) foupconne qu'a cette époque la guerre, la pefte, & la famine avoient emporté en peu d'années la moitié de 1'efpece humaine. Au milieu de ces fléaux , Auréole fe fait proclamer empéreur par une armée confidérable campée fur le baut Danube,- il paffe les Alpes, s'empare de Milan & menace Rome. Gallien eft tué dans le cours de cette révolte. Claude lui fuccéde; celui-ci s'eft a peine affermi fur le trone par la défaite cc la mort d'Auréole, qu'il apprend qu'une multitude immenfe de Goths avoit envahi les frontieres de 1'empire, &s'étoit avancée dans la Macédoine jusqu'a Thelfalonique. La fituation du nouvel empéreur étoit des plus triftes & des plus dangéreufes. Tetricus, général de beaucoup de mérite, s'étoit emparé des Gaules, de 1'Elpagne & de la Grande Bretagne: les légions diftribuées dans ces provinces étoient également perdues pour l'empéreur: Zenobie avoit élevé en Oriënt une puiffance formidable lyriam , cum iEmiüanus /Egyptum occupaflet, Gothi, & Clodius, de quq dictum eft fuperius, occupatis Thraciis Macedoniam vaftarunt, Theflalonictim obfederunt. Scythse autem.hoccft pars Gothorum, Afiam vaftabant. (0) Gibbon Hiftoire de la Décadence &dela Cuütq 1'Emp, Rom. chap. 10, a la fin. Rr 3  fj> de F'Efprit-Humain, II. Part. 631 fait fur eux un butin immenfe de troupeaux & d'esciaves. Le nombre des femmes captives étoit fi grand, que chaque foldat en eut deux ou trois pour fa part. Le peu de Goths qui échappérent aux défaites, fe réfugiérent dans les parties inacceflibles du mont Hoemus, oü ils furent encore affiégés par la famine, par la pefte, & par les détuchements de l'empéreur. Mais Claude meurt bientöt après. Alors la crainte d'une guerre civile, qui dans ces temps orageux ne manquoit jamais d'arriver après la mort d'un empéreur , éloigne les troupes des paffages du mont Hoemus & des bords du Danube. Cela donna occafion aux Goths, qui étoient fur le mont, de descendre, & k d'autres tribus de Goths, qui n'avoient pas encore pris les armes, de quitter 1'Ukraine, de traverfer les rivierea, & de fe joindre k leurs compa» triotes, pour tenter de nouvelles entreprifes fur les états de 1'empire. Aurelien, le plus brave & le plus habile des capitaines de Claude, devenu fon fucceffeur, marche contr'eux: il en eft foattu & les bat k fon tour: mais il eft objigé de leur céder la grande province de la Dacie, dc de Tantum mulierum cepimus, ut binas & ternas mulicres viólor fibi miles poilit adjungere, Rr 4  63K Hiftoire des Revolut. du Gouvernement celui qui recommande de ne s'occuper ni de' fon manger , ni de fon boire, ni de fon corps, ni de fon vêtement, mais de prendre exemple desoifeaux, qui ne fement point, ne moilfonnent point, & n'arnaifenr point dans de granges, & font pourtant nourris par le pere céleste, quoiqu'ils foient inférieurs aux uommes (ï). Enfin cette doctrine étoit une fuite de 1'opinion généralement recue chez Jes Chrétiens, que la fin du monde & ie royaume des cieux étoient fur Ie point d'arriver. Les apötres, & principalement S. Paul avoient prédit cet événement merveilleux (0> leurs disciples en avoient confervé & transmis la tradition, & le clergé de ces temps 1'appuyoit encore fur une explication Jittérale qu'ils donnoit aux paroles de Téfus-Chrift lui-même, qui déclara que le fils de 1'homme alloit bientöt paroitre dans les nuages & qu'il defcendroit de nouveau fur la terre avec tout 1'éclat de fa gloire avant l'extinction totale de cette génération, qui avoit été témoin de fon humble état dans ce monde. Le clergé vouloit par la engager les fideiles a fe défaire de leurs (O Matth. ch. 6. (v) Ma.th. ch. 2i. S. Paul aux Theflal. epit. i. eh. 4. & 5-  g42 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement en étoit foupconné, lui-même, rejetta ce crime fur les Chrétiens, & qu'on en arreta un tics grand nombre que l'on convainquit moins d'avoir bruié Rome, que de haïr le genre humain. Ainfi, ajoute-t-il, quoique les Chrétiens fujjent dts fcélêrats dignes des plus rigoureux chdtimens, on ne pouvoit s'empêcher de les plaindre, parcequ'ils n'étoient pas immolés k Vutilüê publique, mais h la cruauté d'unfiut (ö). Je crois voir plufieurs raifons de cet éloignement des fideles pour 1'élégance, pour les plaifirs, pour les arts, & pour les connoifiances ordinaires. D'abord les premiers Chrétiens étoient presque tous de race juive, & par confcquent d'une nation qui méprifoit les goüts , les amufemens, & les lumieres de toutes les autres nations: de plus les Chrétiens pour la plupart étoient desjperfonnes des plus baffes clafies, qui devoient naturellement haïr tout ce quifervoitaux plaifirs ou au fafte des riches & des grands, parceque ceux-ci fe faifoient haïr eux-mêmes par leurs vexations, par leur orgueil & par leur infolence. Enfuite comme les payens avoient lié le culte „ de leurs dieux a toutes leurs aóiions publiques, Jfl) Tacite ann. Lfv. 15. ch. 14,  ff de VEfprit - Humain, 11. Part. 64? de la vie civile. Les payens Vont d'abord remarqué & relevé. Le préfet Symmaque ofa bien le faire fentir a Valentinien II même dans la célebre requête qu'il lui adreffa pour le rétabliffement de 1'autel de la viaoire. Nous tfentrons point dans des disputes, lui dit-il, qui ne conviennent qu'a des gens oififs, ff nous vous offrons des prieres ff non pas des controverfes (g). Nous avons vu, que cet efprit de controverfe étoit venu aux Chrétiens de 1'efprit d'intolérance des Juifs , leurs peres, & de 1'humeur acariatre des Egyptiens, oü le Chriftianisme jetta d'abord fes fondemens, & s'y étendit en peu- „ Le commerce „ étendud'Alexandrie,dit M.Gibbon (Ji), &fa „ fituation, prés de la Paleftine, facilitérent 1'in„ troduftion du Chriftianisme dans cette ville; „ la nouvelle réligion fut d'abord embraffée par „ un grand nombre de Therapeutes ouEfféniens „ du lac Maréotis, fefte juive qui avoit beau„ coup perdu de Ion. refpeft pour les cérémonies judaïques. La vie auftere des Effeniens , l] leurs jeünes & leurs excommunications, la „ communauté de biens, le goüt du célibat, & „ la chaleur, non la pureté de leur foi, offroient „ déja une vive imag; dc la difcipline primiti- (g) Symmaq. Liv. 10. Let. 54<;/*) Décadene. de 1'Emp. ch. 15. Ss 4  deT'Efprit-Humain, II. Part. 651 la lettre. „La fureur des disputes, dit-il, de„ vint un état fi naturel aux Grecs, que lors„' que Cantacuzene prit Conftantinople, il trou„ va l'empéreur Jean & 1'impératrice Anne oC„ cupés a un concile contre quelques ennemis. „ des moines; & quand Mahomet 11 1'affiégea „ il ne put fuspendre les haines théoiogiques, & „ on y étoit plus occupé du Concile de Floren„ ce que de 1'armée des Turcs. On fe deman„ doit fi l'on avoit entendu la melïe d'un prêtre „ qui avoit confenti a 1'union; on 1'auroit fui „ comme le feu. On rëgardoit la grande églife „ comme un temple prophane. Le moine Gen„ nadius lancoit fes anathêmes fur tous ceux „ qui défiroient la paix ". Ces disputeurs de profeflion devoient naturellement être intolérants , intraitables , infociables, ennemis acharnés, malgré les préceptes de Jefus-Chrift, de tous ceux qui montroient avoir en tout ou en partie des fentiments & des principes différens. Ils refufoient tous' les devoirs de 1'amitié, de l'hospitalité, de la parenté, de la vie civile même, a tout payen, a tout hérétique, eu un mot a tout homme qui du genre humain & pour 1'amour de la vertu & de Ia vérité , cherchent k y apporter de la imuiere.  65* Hiftoire des Revolut. du Gouvernement par des paroles, par des manieres d'agir, par des facons de penfer fe rendoit fufpect d'une doctrine ou d'un fyftême particulier. Si un payen humain & poli invitoic fon parent chrétien a honorer fes nöces, le chrétien infociable ou refufoit 1'invitation, ou abandonnoit brusquement le cortége joyeux de 1'hymen avant que 1'époufe toucbat le feuil de la nouvelle demeure, & entrat dans le veftibule oü rWent places les Dieux Lares. De même un chrétien prié aux obféques d'un payen commettoit l'impoliteffe ou de ne pas fe rendre k la pompe funebre ou de la quitter avant qu'elle s'approchat du bücher. Quand un chrétien éternuoit, fi un payen Jui difoit, Jupiter vous ajfijle, le premier répondoit k cette civilité par une imprécation contre Jupiter. Prié a un repas d'un parent payen, le chrétien devoit le refufer, pour ne point participer aux hbations qui s'y faifoient, felon la coutume, en invoquant les Dieux propices. Ces maximes d'infociabilité répandoient dans le fyftême doux & charitable du chriftianisme de germes d'amertume & de haine qui le défiguroient entiéremenc. Quel dut être 1'indi-nation des payens, & quel le fcandale de bien des chrétiens, d'entendre les docleurs de l'églife vomir des irjures, & faire des imprécations contre leur prochain égaré ? Et qui eft aujourd'hui  ff de ?'Efprit - Humain, 11 Part. 653 fi peu honnête & fi peu inftruit de 1'cfprit de 1'Evangile, qu'il puifle lire, fans plaindre 1'indigne maniere de penfer des chrétiens d'alors,_ les abominables tirades de f ouvrage fur les fpectacles écrit par ce Tertullien, dont S. Cyprien faifoit tant de cas, qu'il 1'appelloit fon maïtre, & faifoit de fes livres une étude journaliere (£) ? „ Vous aimez les fpeétacles, s'écrie ce fou„ gueux écrivain (;/) , attendez le plus grand „ de tous les fpe&acles, le jugement dernier, „ le jugement univerfel de 1'univers. Oh! com„ bien j'admirerai, combien je rirai, combien „ je me rejouirai, combien je triompherai, „ lorsque je contemplerai tant de fuperbes mo„ narques & de dieux imaginaires, poufiant „ d'affreux gémifiemens dans le plus .profond de „ 1'abyme ; tant de magiftrats, qui perfécu„ toient le nom du Seigneur, liquéfiés dans des fournaifes mille fois plus ardentes que „ celles oü ils ont précipité les Chrétiens; tant „ de fa£es philofophes rougiffant au milieu des „ fiammes avec les difciples qu'ils ont féduits ; 1 „ tant de poctes célebres, tremblans devant le „ tribunal, non de Minos, mais de Jéfus-Chrift; (fc) S. Jéröme de Vir. illus ch. 53(O Tertullien des SpeS. ch, 30.  & de rEfprit - Humain, 11. Part. C$j airner paflionnement tout ce qui pouvoit amufer & exalter leur fantaiiie. C'eft ce qui a donné occafion tantöt a 1'inipoftiire, tantöt a 1'ignorance, d'inventer unefouledefaux miracles, de faufles vies de faints , de fauic martyrcs , de faufles hiftoirés des démons, & quantité dé faufles doctrines, qui ou déturpoient & corrompoient la foi orthodoxe, ou augmentóient le nombre des hérétiques. Telle étoit, entr'aütres, la doctrine des millenaires, enfeignée par S. Juftin le martyr, & par S. Irenée, qui avoient été inftruits par des difciples immédiats des apötres (m); doctrine accueillie par tous les peres dés temps fuivans jusqu'a Lactance («) qui vivoit du temps de Conftantin. Ils prétendoient, qu'après Ja conflagration de ce monde, qui devoit arriver au bout de fix mille ans, a compter du moment de la création, le fauveur, accompagné de la milice triomphante des Saints & des Elus échappés a la mort, viendroit regner fur Ia terre jusqu'au temps défigné pour la refurrec. tion des morts. Dans cette idéé iJs lui avoient bati une ville brillante d'or & de pierres pré- m Voy le fecond. Diaiog. de S. jiiftfo avec Tfy" phon, & S. Irenée Liv.5. ( n) Laótant. Liv. 7, Tomé L T c  6j8 Hiftoire des RevoluU du Gouvernement cieufes, entourée de jardins immenfes, délicieux, & abondans en toutes fortes de fruits 3 oü le peupie heureux jouiroit de tous les plaifirs imaginables. Telle étoit encore la doctrine fi généralement prêchée, '& fi chere aux peres & aux doèteurs de l'églife orthodoxe, qui annoncoit avec une affurance finguliere la fin prochaine du monde. Cette forte de gens n'étoit guére portee" pour les affaires du monde, ni guéres propre £ Jes manier. Des hommes d'une telle trempe , ignorant la philofophie, deftitués de toute connöiffance de Ia nature humaine, n'ayant aucune pratique du monde, & manquant presque tous de toutes les lumieres néceffaires pour bien interpréter les faintes écritures, ne croyoient pas être humbles, s'ils n'abattoient leur ame, ni pieux, s'ils ne donnoient dans des extravagances, ni chrétiens, s'ils n'employoient la plupart du temps a prier, & s'il ne ruinoient leurs forces & leur fanté par des jeünes fréquents & excefiifs, ni tempérans s'ils le permettoient la moindre élegance dans leurs maifons, dans leurs meubles, dans leurs habits, dans leurs cheveux, dans leur barbe, ou la moindre liberté dans leurs discours, dans leurs geiles, dans leurs ris (o). Tertullien ne pouvoit C») Voy. Fleury moeurs des Chrétiens p.6". & toir.  de VEfprit. Humain, 11. Part. 6 5 9 point fouffrir, qu'un chrétien fe fit la barbe, puisque, felon lui, c'étoit Un menfonge contre notre propre face, & une tentative impie pour perfeéïionner 1'ouvrage du créateur ( p ). D'après le même principe il trouvoit exécrable I'habillement des acteurs, & il traite für tout d'impies les acteurs tragiques; qui par leurs brodequins élevés s'efforcoient d'ajoutér Une coudée a lrur taille (q). Nous avons vu, au chapitre troifieme de la première partie, combien d'extravagancps 1'efprit de bigoterie a fait imaginer aux cénobires, aux hermites & aux autres ascétiques dar:s 1'idée de fe rendre agréables k Dieu ; & combien toütes ces miférables folies ont été généralement admirées , preuve certaine que le petit esprit & la bigoterie formoient le caractere général des Chrétiens. A ces caufes, qui ont tant cohtribué k corfompre la réligion, & k dégrader le earaóterë des Chrétiens, il faut encore joindre fintérêt particulier du clergé. Chez les Romains la réligi n avoit été, dès le commencement de la république , fubordonnée a la politiqüe. Du temps (p) Des Speet,, ch. 23. Clement Alexand. Fédag, Liv. 3. ch. 8. , C?) Des Speckcl. ch. 23. Tt $  & del'Efprit-Humain, II. Part. c6i regne de 1'idölatrie, & Jes Chrétiens profeffant non - feulement une croyance toute oppofée a celle des gentils, mais ayant auffi adopté une morale, des moeurs, & jusques a des manieres différentes, il étoit alors néceffaire, que ceux qni fe chargeoient de l'inftruftion des fideiles par rapport a la réligion, euffent foin auffi de les diriger dans tout le refte de leur conduite, afin que leur vie civile n* démentit point leur nouvelle réligion & leur nouvelle morale. Le befoin de diriger d'un cóté , & d'être dirigé de l'autre, forma deux ordres diftingués, celui du clergé , & celui des laïques, dont le premier avoit le droit de prescrire ce qu'il jugeoit a propos, & d'exclure de l'églife les réïraéhires j ne dépendant lui-même de perfonne, ni d'aucun fouverain , parceque la réügion nouvelle ne pouvoit, concernant les chofes qui la regardoient, recevoir des loix qui fuffent venues d'une fource empoifonnée, ni reconnoitre pour fupérieurs des magiftrats ou des princes guides par tine réligion ennemie. Sur ce principe le clergé fónda dans le christianisme Une république ariftocratique dont on n'avoit pas encore vu la pareille dans le monde. B avoit la puiffance législative & la puiffance exécutrice: il exereoit la première par 1'interprétation des écritures, par 1'application de Tt j  66ï Hiftoire des Revol. du Gouvernement la tradition , par des réfolutions qu'il prenoii dans fes affemblées, & par les régiemens qu'il y prescrivoit: la feconde, il 1'exercoit par les pénitances qu'il irnpofoit, & par les excommunications qu'il prononeoit contre les défobéillans. Par les articles de 'la croyance & par les céréi monies réligieufes il acquit fur les laïques 1'empire fpirituel, & par les proces de la morale ilobtint furies mcmes 1'empire temporel: car comme fa morale embraffoit tous les objets de la vie civile , la maniére de s'nabiller, la quahtë &la quantité de la nourriture, les différentes profeflïons dès arts, des métiers, les empiois civils & militaires, les études, les manieres de converfer, les matieres des discours , la méditation & le travail, les'paroles & les penfées, les prieres publiques & les particulieres, les amufemens particuliers & publics, enfin les geft.es, la contenance extérieure & jusqu\ la maniere de marcher, de rire <% de voir (f)> $ n'y avoit presque rien de ce qui fe faifoit en public ou, en particulier, qui ne fut foumisa. la législation, a la cenfure&a Ia correélion du clergé. Cet empire, qui avoit été fondé fur 1'ignojance des laïques, devoit naturellement qeffer (O Voy. Flcury Moeurs des Chrétiens §. II &fuiv.  £f de fEJprit- Humain, II. Part. 663 dès que ceux-ci commencérent k avoir dans leur corps des gens capables de s'inftruire euxmêmes & d'inftruire les autres, qui avo'ient euxmé\nes affez de lumieres pour comprendre le fens des écritures, & qui étoient eux-mêmes affez philofophes pour connoïtre les préceptes de la faine morale. Dès lors il devoit être libre a chacun de fuivre les fentimens, que fes connoiffances, & fa confcience lui diftoient: & après que la réligion chrétienne fut devenue dominante, il étoit jufte que les princes entrepriffent de faire examiner par des perfonnes éclairées tout le fyftême du clergé, toute fa doftrine & toutes fes prérogativcs, pour pouvoir juger, fi des préjugés, des paflions, le défaut de certaines connoifiances ne 1'avoient pas porté k ériger des erreurs en vérités, a établir de faux fyftêmes de doétrine , a ufurper des droits qui ne lui revenoient pas, h. nuire a ia réligion, aux moeurs, oü a 1'état; trois objets trop importans pour être a jamais abandonnés au jugement & a 1'autorité d'un feul corps, puisqu'enfin aucun particulier ne peut remettre, fans ctre bien convaincu de fa propre ignoranqe, entre les mains de qui que ce foit le foin de Ion falut éternel ou de fon bonheur temporel, ni aucun prince celui, de fes fujets & de fon état. Tt 4  X.ivres Nouveaux imprimés chêzC. PlaaT}' Libraire a la Haye. Traité des Loix Poiitiques des Romains, du tems de la République!, par M. P'lati de TaJJulo, .2 vol. gr. 8. 3-10-0 Voyages en différens Pays de l'Europe,2 vol. gr.ts. 2-10-0 Lettres fur la Hollande, 2 vol. 12: 1 - ï6 - o Journal d',in Voyage aux Pays Méridionaux de 1'Europe, par M. s«izer, gr. 8. 1 - 16 - o Itineraire Chronologique, fiiiv..iaue & Litteraire des VII Provinces des Pays-Bas, dc iCUr Territoires» Colonies &c. par M. Le Febure, Baron de St. iidephont, 2 vol. 12. avec Cartes. 2-12-0 NB. Ouvrage utile Ê? nècejjrire, non feulement aux Voyageurs, mais a chacun qui dèfire d'acquérir uné connoiffance exatte de ces Provinces, de la Conftitntion Politique de ce Pays , de fon Commerce, des Mceurs de fes Habitans, de ce que l'on trouve de plus remarquable dans chaque Ville. Des Hommes favans cf illuftres qui y ont pris naiffance &c. Nouvelle Bibliothéque Belgique, III Tomes 6 vol. 8. 6-0-0      H I S T O I R E DES REVOLUTIONS, ARRIVÉES DANS LE GOUVERNEMENT X T DANS V ESPRIT HÜMAINJ   HISTOIRE DES REVOLUTIONS, arrivées DANS L E GOUVERNEMENT, LES LOIX et l'ESPRIT HUMAIN» Après la Conversion de Constantin jusqu'A la Chute de l'Empire d'Occident. A LA H A T E, C h e z C PLAAT, Libraire. MDCCLXXX1II.   P R É F A C E. ne dis pas des chofes neuves. Un honv nête hiflorien ne fait point crêer des faits nouveaux. Mais je tire du cahos de Vhift oir e les évenemens, les faits, les maximes, les fyftêmes qui peignent les caraèleres ê? les talens des hommes, des primes & des nations, qui ont occafionnê les principales révolutions dans le gouvernement, dans les loix 6? dans Pefprit humain. 'Je les ai puife's dans des fources fidelles, je les rapporto avec toutes les circonflances que fai crues nèteffaires 3 foit pour exciter Vattention du lecteur, foit póur lui faciliter les moyens de les graver dans fa mémoire. Mon plan choquera également ceux qui penfent qiiil ne faut pas tout dire dans wit hijloire: ceux qui veulent Men qu'on dife tont, mais avec un certain ménagement, qui * 3 té-  yi p R E> F A C E. témoigne le refpecJ que Vauteur conferve pour les opimons générales, & avec une certaine adreffe, qui déróbe au commim des lecleurs les fources des préjugés-, qu'une longue prefcription a rendus refpeclaUes. Mais il me femble a moi, qu'un bonnête homme ne peut & ne doit jamais fervir Vimpoflure, quelque hen établie qWelle foit. TABJLE  T A S L Ê D e s. CHAPITRE'S. PREMIÈRE PARTIE. Chap. I. Nouvelles Maximes de Politiqüas Changements dans le Gouvernement. Conftantin affbiblit les poüvoirs de ious les corps de VEtat. II divife plujieurs charges , & crée des dignités fans fonttion. Fondation de Con(lantinopki Motifs de cette fondation. Rome f Italië perdent leur fuhfiftance. U Oriënt efi dépeuplé pour peupler la nouvellè ville. Inftitution d'un nouveau Sénat: mauvais effets de cette inftitution. Conftantin aime les Barbar es , 6? en prend un grand nombre h fa jolde. Les nouveaux rêglements de eet empéreur riont pas rendu la vie des primes] plus, ajfurée. Preuve ds cela. Gouvernement despotique. Les dèlateurs fe maintiennent en crédit malgrè lesloix. Luxe, falie, vanité des empéreurs. Nombre incroyable d'officiers inutiles a leur coun Les particuliers les imitent. Richejfes immenfes des Romains. Les Barbdres qui fervent dans les armées des empéreurs y apportent leurs vices, Uur indiscipline, & font perdre aux Romains * a leurs  viii TA BLE dés leurs vertus, leur discipline, fj leur art de la guerre. Les empéreurs achettent la paix des Barbar es leurs ennemis, ufage qui ruine ksfinances détruit enfin tempire d'Occident. Les Romains leur cedent des provinces. Libéralitès prodigieufes des empéreurs envcrs les églifes & le clergê , ce qui ruine Vétat. Impóis exce'sfifs & ruineux. Pag. i Chap, i. Changement de religion. Efprit d'intolérance. Suites de cc changement, & de eet efprit. Motifs qui font acuter de la fincêritè de la converfion de Conftantin. Loix des premiers empéreurs chrétiens contreles payens. La cruautè de ces loix habitua les empéreurs a toutes fortes de cruautés. Les chrétiens a force deperfécuter les payens aprennent d je perfécuter euxmêmes entr'eux. L efprit d'intokrance stempare des laïques aujfibien que du clergé. Les empéreurs négligent les affaires temporelies pour les fpirituelles. Des futilités occafionnent des fchismes & des liéréfies. Hèréfie dyArius. L'empéreur Conftantin tache d^ètouffer cette héréfie dans fa naijfance, en prétendant quece n'étoit qu'une dispute de mots. Imprudente conduite de Théophile, évéque d'''Alexandrie, envers les Payens. Mauvaife conduite de S. Cyrille, évéque du même lieu, envers les juifs. Mort cruelle de la célebre Hypatie, fille du philofophe Théon, plus favante que fon pere. Mêchante conduite des moines. L'imprudente opinidtreté d'Audas attire enPerfe une cruelle perfécution fur les chrétiens. Les chré-  CHAPÏTRES. £ chrétiens fe croyent obligés de n'obferyer pas mime les loix de pure police envers les payens. Exemple de S. Ambroife, & de S. Auguftin. S. Grégoire de Nazianze vante ènvain la douceur des chrétiens. II charge a tort t'empéreur Julien^ & loue a tort Vempéreur Conftantius. Ecrits de S. Lucifer de Cagliari contre la perfécution. Cet évéque accable cependant d'injures horribles fon propre fouverain. Accufations des Ariens contre S. Athanafe: des mêmes contre S. Eufthate, évéque d'Antioche. Guerre prêteaklater pour le rétablijjement de S. Athanafe. Schismes caufés par des éle£tions d'évêques. Richeffes de Vévéque de Rome. Conciles tumultueux. Sentiments de S. Grégoire de Nazianze au fujet des conciles. Les papes profitcnt des discordes des évéques , mais l'églife 6? l'état en foujfrent infiniment. Pourquoi les barbar es Ariens ontperfécuté les Catholiques. Pag. 59 Chap. IN. Nouvelles efpeces de bigoterie, nouvelles fuperjlitions, nouvelles moeurs. Les Chrétiens cherchent h renchérirfur les Efféniens, les Therapeutes, les Philofophes. Dottrine mozurs des EJJeniens, & des Therapeutes. Les philofophes accourent en foule a Alexandrie. Les prétres égyptiens fe rapprochent en plufieurs points des dogmes des fettes qui étoient les plus efiimées ü la cour. Les philofophes fuivcnt leur exemple. De la les Synchrétifies, éf puis les Ecclecliques. Ammonius Soccas eft ï'auteur de VeccleStisme. Ses disciples. Fanatisme de ces philofophes. Fana* 5 tisme  % TABLÈDEé iisme des Pharifiens. Les Chrétiens du temps dè Conftantin méconnoiffent l''efprit de Vèvangile^ quittentfes prèceptes pour embraffer ceux des philojophes, des afcetes juifs, des Pharifiens. Les nouvelles juperftitions des Chrétiens devinrent plus pernicieufes a ïétat, que la fauffe religion des Payens. Moines. Leur nombre prodigieux: leurs vétemens : leur faleté: leurs auftérités étonnantes: leurs richej]es, leur fanatisme, leurs fuperfiitions grofféres. lis fe vantent de chaffer les démons. Des legions de démons obfedent leurs monajieres. Opinion abfurde & peu chrétienne euHls ont de la figure de Dieu. S. Antoine. S. Paul. S. Siméon Stylite: étonnantes folies de te dernier. On leur attribue de faux miracles. Fauffe raifon de la perfécution de Falérien, fondiefur de faux miracles attribués aux Chrétiens. ' Les Chrétiens méprifent toutes les fciences. Ex. emples de S. Grégoire de Nazianze 6? de S. Bazile. Les Chrétiens deviennent par la fi fimples qu'ils fe laiffent tromper par les impofteurs les plus groffiers. Exemple de Pérégrinus. Les philofophes payens, jaloux des chrétiens, inventent auffi des miracles. VAfie étoit dans ce temps lécole de lafuperfiition. Goüt fingulier de Julien pour la fuperftition. Conftantin ne connoisfoit point les regies de Nvangile. Il étoit Juperftitieux. Ses fucceffeurs Vont furpaffé de plus en plus. Exemple de Conftant, Conftantius, Va* lens, Théodofe. Cet empéreur choifit S. Arcene pour préceptear & gouverneur de fes en~ fants  sm TABLE des ., comparès avec les effets produits par la fuperftU tion des idoldtres. Effets de la vraie religionchrétienne. Débordement des mceurs. Paffion pour Les fpeSlacles. Faftions des Verds des Bleus. Perfidies des princes chrétiens. La religion chrêtienne n'a pas produit alors les Mens que par fa - nature elle devoit produire : au contraire, fon efprit étant méconnu par les chrétiens, imbus de fuperftitions, elle caufa de grnnds maux. Etat des fciences. Mceurs des étudians. Pag. 245 SECONDE PARTIE. Des Revolutions arrivées dans la Legiflation. Chap. I. Loix fur les Tejlamens. Pag. 35 y Ch ap. II. 1 ■ peur Vabolition des loix papien- nes. P. 359 Chap. III. fur la continencedu clergé 368 Chap. IV. fur le concubinage, £f la legi- timation des enfants. - - 380 Chap. V. fur le divorce. - - - 387 Chap. VI. ■ fur les mariages. - - 403 C h a p. V11. fur les fecondes nóces. 417 Chap. VIII. fur lapuiffances paternelle. 421 Chap. IX. fur lesfêtes. - - . 428 Chap. X. fur les aftles. - - - 433 Chap. XI. fur la procedure criminelle. 447 C h a p. X11. —- Concernant les délits 6? les peines. - -- -- - 462 Chap. XIII. —- Concernant le clergé. - 471 Chap.  C H A P I T R E S. xm Chap. XIV. Loix concernant differentes matieres ecclefiaftiques. - - Pag. 490 Chap. XV. Reglements concernant les pa- pes. ... 496 Chap. XVI. pour le foulagement des peu- ples. - - » 529 CONCLÜSION. C'onfequences tirêes des chapüres précédents. P. 562 AVER-  AVERTISSEMENT. L'auteur étant éloigné de plus de cent pofte» de 1'endroit oü cet ouvrage a été imprimé, on ne doit pas lui imputer quelques fautes d'impresfion qui s'y font gliffées. On donne ici une lifte des plus groffiéres, qu'il a pu découvrir en parcourant a la hate les feuilles qu'on a pu lui fair» parvenir, avant la publication de fon livre. ERRATA, Pag. 7- Ugne 11. antique lifez ancienno. Pag. 19. ligne iï. Coudtans lifez Conftant. Pag. 24. ligne 13. devifanc ii/ès divifant. Pag. 53. n. (ƒ) Liv. 24. Llv- 2l- Ch- Ia- Pag. '54. n. ;g) Gotlief lifez Githof. Pag. 58. «gne 18. coutoient lifez caufoient. Pag. 73. Ugne 18 • plus méchants & plus abfolus lifez plus méchants, a quelques égards,* plus abfolus. Pag. 97- Hgntió Pballans lifez Phallus. Pag' 111. Ugne U> punir lifez PenferPag. 213. dans la note Ugnt 25. créance lifez croyance. Cet Ouvrage devoit paroitre en deux Tomes; c''étoit 1'in* tention de l'auieur; certaines raijons, auxquelles le Leüeur doit être ajfez indifférent, n'ent point permis de fuivre cet arrangement. L'Imprimeur n'ayant pu être injlruh a tems de ce changement, n'a pu non plus faire disparoitre le met Ton». I. placé au bas de chaoue feuiile.  Pag. u H IS T O I RE DES REVOLUTÏONS, Arrivées dans le Gouvernement 6? itons VEfprit-Humain, «Zepazy la Converfion de Conftantin. CHAP1TRE PREMIER. Nouvelles Maximes de Politique. Changements dans le Gouvernement. Conftantin offbiblit les pouvoirs de toits les corps de VEtat. II divife plufieurs Charges, crèe des D/gnités fans fonction. Fondation de Conftantinople. Motifs de cette fondation. Rome rItalië perdent leur fubfiftance. L''Oriënt eft dêpeuplé pour peupler la nouvelle yille. Inftitution d'un nouveau Sénat: mauvais effets de cette inftitution. Cmftantin aime les Barbares, en prend un grand nombre a fa folde. Les nouveaux réglements de cet Empéreur n'ont pas ren* du la vie des Princes plus affurée. Preuve de Tomé I. A  % Hijloire des Revolut. du Gouvernement cela. Goiiverncment despotique. Les délateurs fe malntiennent en crédit malgré les loix. Luxe, falie, vanité des Empéreurs. Nombre incroyable d"'Officiers inutiles ct leur cour. Les particutfers les imitent. Richeffes immenfes des Romains. Les Barbarcs qui fervent dans les armées des Empéreurs y apportent leurs vices, leur indiscipline, font perdre aux Romains leurs vertus, leur discipline, & leur art de la guerre. Les Empéreurs achettent lapaix des Barbar es leurs ennemis, ufage qui ruine les finances £? détruit enfin VEmpire d'Occident. Les Romeins leur cedent des Provinces. Libéralités prodigieufes des Empéreurs envers les Eglifes £f le Clergé, ce qui ruine l'Etat. Impots excejfifs e? vuineux. Ce ne fut point la fortune qui renverfa 1'Empire Romain , qui amena les Barbares dans ces Provinces, & qui affervit fucceffivement a tant de nations étrangeres les vainqueurs de la plus grande partie du monde alors connu. Non, ce qui amena cette Révolution, auffi étonnante que fubite, ce furent les nouveaux régiemens de Confcantin, les nouveaux vices dugouvernement, la méchanceté & 1'imbécillité des nouveaux Empéreurs; les caprices & les viles paffions d'une nouvelle efpèce de miniftres &  &de VEfijrit.Humain, Chap. I. 5 de favoris des Princes, c'eft-a-dire des Eunuques; la dépravation des mceurs, 1'awJiffemenC & 1'abrutiflèment des peuplés, les fuperftitions nouvelles, le fanatisme & 1'efprit d'intolérance, le mélange des Barbares avec les Troupes Romaines, la perte de Ja discipline militaire & 1'oubli de l'art de la guerre. Avant Conftantin plufieurs Empéreurs ont par leurs vices défoié 1'Etat, par leurs largefles corrompu la Milice, par leurs impöts révolté les Sujets, par leurs débauches irrité les gens de bien, par leurs cruautés indigné le Sénat & la NoblelTe. Mais, excepté Augufte, qui dut néceuairement faire de nouveaux régiemens pour fa nouvelle monarchie, aucun Empéreur n'entreprit de dranger les anciennes inftitutions, par lesquellesRome s'étoit élevée au comble de la grandeur. Ainü rien n'empêchoit les princes vertueux de réparer par leur figeffe les nraUX caufés par Ja méchanceté, ou par 1'imbécillité de leurs prédéceffeurs. Mais Conftantin, prin. ce rufé & méchant, imagina un plan de gouver! nement, qui renverfa les anciennes inftitutions, & öta k fes fucceffeurs tous les moyens de les rétablir. Dans la vue de s'attribuer tout le pouvoir k lui feul, cet Empéreur commenca par affoiblir les pouvoirs de tous les Corps, & de toutes lei A 2  & de rEfprit-Humain, Chap. I. « I'Afie, & a la Thrace, contrée voifine des Barbares , les citoyens les plus riches, les plus induftrieux & les plus utiles; & la population de tous les Etats de cet Empire fe trouva dès lors fimal partagée fur leurs territoires, que Conftantinople & trois ou quatre grandes villes ;regorgeoient d'une immenfe multitude de gens inutiles, tandis que la campagne manquoit de laboureurs, les bourgs & les villages d'habitans, les places fortes & les villes , fituées fur les frontieres, de défenfeurs. Saint Jeröme dit dans fa Chronique qu'il fembloit queConftantin eutdépeuplé tout le refte de 1'Orient pour peupler Ja feule ville de Conftantinople. Cependant, foixante ans après,Théodofe I. jugea qu'aucune des grandes villes de 1'Men 'étoit affez remplie d'habitans, & que Conftantinople fur tout en manquoit. II fit tous fes eftbrts pour augmenter davantage la population de ces villes aux dépens de tout le refte. II difoit, que la ville de Conftantinople étoit encore a moitié vuide, parcequ'il y avoit autant de terre en labour qu'en maifons. Cette fauffe idéé lui fit commettre deux grandes fautes, 1'une de couvrir de maifons les terres qui fourniffoient une partie de leur fubfiftance aux habitans,& 1'autre d'augmenter la diftributiondu blé, non feulement en proportion du plus grand nombre d'habitans qu'il y attira, mais en pro-  14 Hi/loire des Revolut. du Gouvernement & jamais au nom du Prince. Mais la nouvelle inftitution du Sénat de Conftantinople _confondit toutes chofes; & le pouvoir précaire & ridicule, de ce nouveau Corps ayant fait difparoitre les droits naturels de 1'ancien, le defpotisrae s'ouvrit un chemin oü il n'eut plus .ï craindre aucun obftacle. Thémiftius dit, au fujet du Sénat fervile de Conftantinople, que ce Corps étoit fi méprifé, qu'on regardoit plutöt comme unepeine, que comme un honneur d'en être membre ( k ), & que, qüoiqu'on donnat a ces Sénateurs letitre de Patres Conforipti, auffi bien qu'& ceux de Rome, neanmoins ils n'avoient rien qui les rendit dignes de ce grand titre Tant eft petit le pouvoir des Princes fur 1'opinion publique, & tant eft grande chez les peuples, qu'on commence a affervir, la haine contre les inftruments de la fervitude. L'averfion que cet Empéreur, qui étoit né parmi les Barbares & qui eut toujours affaire a eux, conferva conftamment pour Rome & pour les mceurs des Romains, le porta a préferer les goüts, les manieres & les mceurs des Barbares. Et comme les Princes des nations Barbares étoient généralement vains & faftueux, Conftantin fut (O Themifi. or, 3. (O Idem or. 4,  &? de VEfprit-Himain f C\a$. I. 15 de tous les Empéreurs Romains celui qui le premier bannit du tróne cette affabilité, cette fimplicité de cette modeftie fi communes a fes pré-; décefleurs, & dont les plus méchants même n'avoient pas dédaigné de fe parer. En effet c'étoit au moyen de ces qualités vraies ou feintes qu'ils s'étoient faits toujours un grand nombre de confidens & de partifans; & qu'ils pouvoient tout voir & tout connoïtre par eux-mêmes, fans être obligés de fe fier aux rapports de ceux, k qui la dignité feule donnoit le droit d'approcher du Souverain. Dioclétien, qui, féduit par 1'excmple des Rois de Perfe, voulut être adoré comme eux, n'en devint pas plus orgueilleux ni plus intraitable, que ne 1'avoient été ces anciens Capitaines de la République & ces Empéreurs , a qui la flatterie des Grecs & 1'oftentation des Afiatiques élevoient des temples pour les y faire adorer comme leurs propres Dieux. Mais Conftantin fe montra fou d'orgueii dans toute fa conduite. Regardant la magnificence & 1'éclat comme 1'attribut de la grandeur, il ne fe laifibit jamais voir que le front ceintd'un diadême: fon habit étoit refplendiffant de perles & de pierredes; fa fuite étoit nombreufe: enfin k fa cour, dans fes fêtes il étaloit tout le falie de la Repréfentation Afiatique: Conftantin voulut être grand par tout ce qui 1'entouroit.  i6 Hijioire des Revoiut. du Gouvernement - Cet efprit de vanité Ie porta encore h créer des dignités jusqu'alors inconnucs tant par lc tïtre que par le but de leur inftitution (rn ). La principale de toutes ces nouvelles dignités étoit celle des Patrices. Ces Patrices étoient fans fonftions: cependant ile avoient le rang au desfus des Préfets du Prétoire, par oü il ravala encore cette Charge qu'il avoit déja trop abaiffée, & augmenta en même temps le nombre des Courti* fans qui devoient 1'environner. Dans la même vue il créa auffi des Comtes d'une nouvelle efpèce. Avant lui on nommoit Comtes, ( Comités,) les Sénateurs que les Empéreurs avoient coutume de choifir pour les accompagner par tout & les affifter de leurs confeils dans toutes les affaires civiles & militaires Cet emploi étoit conlidéré: mais Conftantin ne voulant point de cette forte de Confeillers que la nature de leur Charge portoit a contraóter une efpèce de familiarité avec le Prince, il leur en öta les fonctions, & ne leur laiffa que le titre & la confidération par oü les Comtes ne furent plus qu'une partie du luxe du Prince. Depuis ce tems Cm) Eufeb. Vit. Conft. Lib. 4. cap. i> O) Dio Caff. Liv. 53. Co) Eufeb. Vit. Co aft, L. c.  6? de VEfprit-Himiën, Chap. I. 17 tems les dignités cefférent d'infpirer de Ij'éawJation; en effet les principales n'exigeant aucun mérite, ceux qui manquoient de ces talens qui rendenc les hommes de génie propres & néceffaires aux places inférkures, n'en étoientque plus fürs, avec un pcu de fuupleffe, de parvenir aux premières dignités. La folie dê Conftantin fe montroit par tout. II eüc cru donner une mauvaife éducation a fes enfants, s'il n'eut pas pris tous les foins poffibles pour kur infpirer, dès leur plus tendre enfance , le même caraclère [de vanité dont il étoit dévoré." II fit Céfars & Confuls fes trois Fils, quoique les deux cadets fuffent a peine agés de quatre ars. Libanius fon panegyrifte dit (p), qu'il voulut dès lors que la grandeur de leur naisfance & de leur qualité parut même dans leurs habits & dans tout ce qui les entouroit, pour les éloigner de bonne heure de la petitefTe d'esprit, & pour donner a leur ame une trempe 'de vi« gueur & de force. II voulut qu'ils euffent tout en abondance, pour les accoutumer a faire des largeffes & a récompenfer largement les perfonnes qui le méritoient (j). U leur forma une cour, leur fournit tous les officiers néceffaires CP) Liban. Orat. j C? ) Julian. Or. 1. Tome I. B  18 Hiftofre des Revolut. du Gouvernement pour foutenir la majefté des titres dont il les avoit décorés, il leur donna même des Corps d'Armées. Quand ils furent un peu plus agés, U les envoya, quoique fort jeunes encore, dans les Provinces, qu'il leur avoit deftinées, afind'yapprendre agouverner, duc-ceêtre aurisquedes fujets, & a commander les armées, au péril de fe faire battre par les Barbares. Enfin ilréuffic fibien aleurgater Pesprit, que Conftance, lepluschèri de fes Füs, & qui, après la mort de fon Frère Conftans,réunit fous fadomination tous les Etats de fon Père, ne favoit jouer le fouverain qu'en affe&ant une gravité ridicule. Illa pouffoit cette gravité , au rapport d'Ammien Marcellin (r), jus■qu'kdemeurer immobile comme une ftatuedevant tout le monde, & a n'öfer en public ni tourner latête, ni faire un gefte, ni fe moucher , ni cracher. Tout le folide, toute la fimplicité des cours précédentes disparut a celle de Conftantin, *& toutes les idéés fe portérent a un frivole cérémonial, a des minuties, h une vaine pompe, a une grandeur puérile & ridicüle• II aimoit tcllement les Barbares, qu'il en éleva plufieurs aux premières Charges CO- Ces ames baffes & ferviles, n'ayant que des fentimens ignobles, fovoient mieux flatter fa vanité, que (r) Amm. Marcef, Liv. 21. CO Eufeb. vit. Cofift. Liv. 4. ch. 7,  & di ï'Efprit- Huniain, Chap. I. 19 ne le faifoient fes propres fujëts, parmi lesquels les payens le haïflbient, & les Chrétiens, k 1'exception du Clergé, étoient peu propres a faire les courtifans. Kon content d'avoir des Barbares a la Cour, il en rempüt fes Armées: iis faifoient pour le moins la moitié de fes Troupes. Jornandes dit CO' qu'Araric, Roi des Goths, fournit a Conftantin quarante mille hommes , & que ce nombre fut toujours entretenu depuis fous le titre d'alliés. Pour montrer k ces Barbares l'eftime toute particuliere qu'il avoit pour eux, il fit drefler derrière la falie du Sénat une ftatue au Père d'Aihanaric, un de leurs Rois, dont iis vantoient les exploits ( «> Outre les Goths, il avoit encore a fa folde des Francs & jusqu'a des Sarmates en grand nombre (7). II eft très-aifé de voir les motifs qui portérent Conftantin a mêler tant de Troupes étrangeres fiux Troupes Romaines. Ce ne fut certainement pas leur bravoure, ni leur adreffe, ni leur fidér lité qui 1'y déterminérent: car avant d'en faire fes Soldats, il les avoit eu tous pour ennemis, il les avoit tous combattus, tous défaits. Les armes de ces Barbares n'avoient pas 1'avantage (O Jornand. Her. Goth. ch. 21, O) Themift. Orat. 15. (*0 Amm. Marcel. Liv. 15. O) Amm. Marcel. Liv. 17. Jornand. Her.Goth. B 2  22 Hiftoire des Revolüt. du Gouvernement tout 1'Art Militaire des Romains, & s'en fervirent eniuite pour fe révolter contre leurs Maïtres. Si Conftantin avoit voulu garder les fommes prodigieufes qu'il prodigua pour batir & embellir Conftantinople, & pour enrichir les Eglifes & le Clergé d'une Religion, qui prescrit la modeftie, la fimplicité & le mépris des biens de ce monde, il en eüt pu former un fonds asfez grand pour entretenir conftamment une Armée de plus de cent mille hommes; il eüt pü former encore une autre Armée pareille, s'il eüt voulu y employer les impöts qu'il deftina aux diftributions qui devoient fe faire a Conftantinople. Après avoir aviü & affoibli fes Troupes par le mélange des Barbares , le même Empéreur fic une autre faute également pernicieufe a la fureté de 1'Etat. II fit conftruire des forts & des places fur les Frontiéres (Z>), oü il mit de petites Garnifons, & retira au contraire des mêmes Fronticres les Armées, que fes prédéecsieurs avoient accoutumé de placer le long des Fleuves, oü ils élevoient des tours de diftance en diftance pour loger les Soldats. Les Garnifons, quoique petitts, qu'il mit dans fes nou- CO Aurel. Via. Ammien Mare. Liv. 27.  i8 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement que les arrangemens pris par Conftantin avoient rendu plus affurée la vie des Princes! D'autre part presque tous les fucceffeurs de Conftantin ne firent que fe jouer de la vie de leurs fujets. Malgré les loix, qu'a 1'cxemple de Conftantin ils publièrent 1'un après 1'autre contre les délations & contre les li belles anonymes, ils ne cefférent de livrer aux délateurs la vie & les biens des perfonnes les plus innocentes: malgré les loix, qu'ilsfirent 1'una Pexemplede 1'autre pour empêcher les juges de raaltraiter les accufés & leur enjoindre de ne les condamner qu'après que leurs crimes feroientbien conftatés, ils envoyérent aufupplice une infinité de perfonnes, fans s'embarraffer d'obferver a 1'égard de ces miférables ni leurs propres loix, ni même celles de la nature. Entre mille exemples je n'en alleguerai que deux ou trois. Conftance, qui, dès le commencement de fon regne, avoit publié des loix pleines de fagefie eontre la fureur des délations, & qui dans une de ces loix dit (g ) qu'on doit regarder comme innocent celui qui, ayant des enne. mis, n'a point d'accusateur, ce même Conftance entretenoit une foule de déiateurs, & recevoit Cg) Cod. Theod. Lib. 5, tit. 34. L. 5. & Lab, 10. t!t. 10. h- 4.  $o Hiftoire des Revolut. du Gouvernement réfoudre a perir dans les tourments. Sous ce Prince extrêmement foupconneux & entouré d'une foule immenfe de flatteurs, qui, feignant de trembler pour fes jours, envénimoient les' aélions les plus indifférentes, les fonges devinrent une matière d'accufations capitales. Un délateur, digne Collégue de Paul, étoit appéllé par plaifanterie le Comte des fonges, parcequ'il favoit donner les interprétations'les plus malignes aux réves qua les imprudens racontóient avoir faits. L'Empéreur Valentinien I, que bien des Pèrès de 1'Eglife ont comblé d'éloges, parcequ'il a hardiment confeffé la foi de J. C. fous Julien, étoit un Prince cruel, fanguinaire, violent, qui dans fes emportemens n'obfervoit jamais aucune forme de juftice. Un Gouverneur 1'ayant prié de lui donner un meilleur pofte: PuisqvCil rfeft pas content de fa place, dit-il, je vais lui en donner une autre: qiCon lui tranche la téte. Ammien Marcellien dit (Liv. 29.) que 1'ordre fut exécuté fur le champ. Le même Hifcorien rapporte dans le même livre, que ce Prince avoit deux Ourfes, extrêmement carnaffieres, qu'il faifoit nourrir de cadavres; & qu'enfin il ordonna d'en laiffer aller une, comme pour la rccompenfer d'avoir déchiréun grand nombre d'hommes. Son Palais étoit devenu le fejour de la terreur, & les affem-  6? de VEfprit-Humain, Chap. I. 3E blees des Magifixats étoient pleines d'inquiétudes, de plaintcs & de trifteffe. C'eft ce qu'Aufone attefie en parlant même a Gratiën Fils de Valentinien pour le remercier du Confulat qu'il lui avoit conféré. La plupart des Gouverneurs des Villes & des Provinces, que Valentiniencréa, furent de la même trempe que leur maitre. Maximin furtout, qu'il fit d'abord Vicaire de Rome & puis Préfet des Gaules, fe rendit fameux par des cruautés extraordinaires. Cet homme de fang avoit coutume de dire: Perfonne ne doit fe flatter di'être innocent, quand je veux qu'il foit coupable. Ammien Marcellin rapporte dans les Livres 28 & 29. quantité de fes aciions cruelles qui font horreur. Honorius & Arcadius laifférent ufurper 1'un k Stilicon, 1'autre k Eutrope, vileunuque, une autorité fi exorbitante, que ces deux Miniftres purent k leur fantaifie enlever tl tous les fujets des deux Empires & les terres & les biens, & les autres chofes précieufes, qui tentoient leur cupidité. (Zoftm. Liv. 5. ch. 12 & 13-) Ils portérent 1'un & 1'autre a de tels excès, qu'ils cauférent fuccelïlvemen t plufieurs féditions. Théodofe I, dont les Pères de 1'Eglife ont trop vanté le regne, fournit un autre exemple trés - frappant d'exécutions arbitraires que les Empéreurs fe perrnettoient contre leurs propres  & de PE/prit-Hümain, Chap. I. 35- profits qu'ils tiroient de 1'abus' de leurs charges. Les eunuques que Conftantin avoit réduits aêtre la partie la plus vi!e de la maifon impériale:(jn)i parvinrent fous Conftance jusqu'a gouverner l'£mpire. Tel étoit, entr'-autres, ce fameux Eufebc, qu'il éleva k la dignité de grand cham< bellan. On verra dans la fuite quantité d'eunuques obtenir a la cour des Empéreurs une autorité égale & même fupérieure a celle d'Eüfebe. Pour ne pas par Ier de plüfieurs autres, on verra fous Arcaditis un nornmé Eutrope , vil eunuque forti de Ia fange, manquant abfolument de taIens, n'ayant que de la baffeffe & de la méchan ceté, faire la loi k fon maitre même, & le faire encenfer par tous les courtifans. Pour gagner les faveurs de ces princes il ne falloit que manquér de talens comme eux j ou n'en avoir que pour les favoir flatter extraordinairement. Dans leur imbéciile impudence les fucceffeurs' de Conftantin fe font émancipés jusqu'a entretenir k leurs cours des rhéteurs exprès pour s'èn faire louer publiqueméntdans dèspanégyriques', qu'ils avoient le front de vouloir entendre eux-mêmes. Tele étoient, entr'autres, Libanius & Themiftius. Ce dernier, par fes impudentes fiatteries, avoit (tb) Lampride Vie d'Alexand. au commencement. C 2  36 Htjloire'des Revolut. du Gouvernement fi bien gagné les graces de Théodofe I, qu'il le fit préfet de Conftantinople, charge que 1'empéreur lui donna non feulement pour le récompenfer, mais fans-doute pour 1'obliger a refter auprès de lui. En effet ce rhéteur rapporte luimême dans fon dixhuitième panégyrique, qu'un certain poëte ayant récité devant Théodofe un discours k fa Jouange, ce prince témoigna qu'il eüt pris plus de plaifir k entendre un philofuphe comme Thémiftius, qu'il feplaignoit de n'a voir pas entendu depuis long-temps; aufli déclara-t-il dès lors qu'il vouloit que tous les ans il prononcat fon panégyrique en fa préfence. Après cela on ne doit pas être tant furpris de la fotte vanité de Conftantius, qui s'attribuoit, au rapport d'Ammien Marcellin (Liv. 19. & Liv. 21.) les viétoires gagnées par d'autres, & fur tout celles qu'avoit remportées Julien dans les Gaules. En publiant les défaites des Allemans & des Francs, battus par ce prince, Conftantius ne le nomma feulement pas: mais il fe repréfenta lui-même, dans les arcs de triomphe qu'il fe fit élever dans la Pannonie & dans les Gaules, rangeant fes armées en bataille, combattant en foldat aux premiers rangs, donnant les ordres aux troupes, tuant de fes mains les ennemis & les mettant en fuite. La foule de flatteurs dont les cours de 1'Orient & de l'Occident ont toujours été remplies, a ren-  fi? de l'Efprit. Humain, Chap. I. 37 rerfé 1'esprit de tous ces princes a un point incroyable. Des milliers de valets desoeuvrés faifant une partie du fafte des empéreurs, les particuliers s'empreflérent a imiter cette pompe ridicule. Au fein de la mifere, produite par les exactions ëxceflives des empéreurs, & par les vexations de leurs officiers, on voyoit dans certaines maifons jusqu'a deux mille domeftiques inutiles, ornés de bracelets & de colliers d'or. Julien ennemi de toute oftentation ne fit que paroitre. II réforma la cour (72): mais fes fucceffeurs abolirent bientöt fa réforme. Entre p'ufieurs exemples, Julien avoit réduit a dix-fept les agens du prince; fes fucceffeurs les multipliérent au point qu'au commencement du regne d'Arcadius & d'Honorius i!s fe trouvoient au nombre de dix mille. Le même Julien avoit congédie tous les cuifiniers & fommeliers inutiles: il y en eut une foule fous fes fucceffeurs; & Théodofe I. y en ajouta encore un plus grand nombre. (ZoJime Liv. 4 ch. 28.) Les particuliers imitérent, comme toujours, la folie des princes. Les befoins imaginaires augmentérent également le luxe & la mifere: on fe fit tant de befoins, que pour les fatisfaire, om empruntoit 1'argent a des ufures incroyables. Théodofe I. crut les O) Ammian. Marcell. Liv. 22. Liban. Orat. 12. c3  38 Ilijtoire des Revohd. du Gouvernement réprimer, en fixant par une loi (o)> 1'totérët de 1'argent a douze pour cent. • Par le luxe afïreux des particuliers le despotisme des princes fit de jour en jour des progrcs rapides; car plus les fujets fe livrent au luxe, plus ils hatent leur ruine: & des gens minés par leurs vices ne font point capablcs de fentimens généreux: la pauvreté, qu'ils regardent comme le plus trifte de tous les états, les avilit: & k leurs yeux 1'esclavage eft encore une reffource pour eux dans leur mifere. Deux loix du même Théodofe (Cod. Théod. Liv. 15. tit. 9. L. 1. ê? Liv. 6. t. 4. L. 25.) nouspeuvent faire juger, combienle faftemonftrueux des princes avoit eu d'influence fur celui des particuliers. Ces loix bornent les dépenfes que les fénateuis de Rome & de Conftantinople faifoient pour les préfens k leur entrée dans le confulat, ou pour les jeux que les préteurs & les quefteurs étoient obligés de donner au peupie. Entr'autres chofes il y ordonnc, que les deux premiers préteurs de Conftantinople ne puiffent dépenfer k leur entrée plus de, deux. mille livres d'argent tous les deux enfemble. L'empéreur y déclare infames ceux qui deman- £«) Cod. Theodof.Liv.i5- tit. 9- h'h  & de l'Efprit.Humain, Chap. I. 41 des Alains fur tout, flattoient fa vanité, & il leur donna les meilleurs emplois de la cour & de 1'armée; il alla même jusqu'a quitter Phabillement Romain pour porter celui de ces nations Sous le regne des premiers princes chrétiens tout avoit d'abord dégouté les Romains du fervice dans les armées: 1'incapacité & la molleffe de leurs princes; le manque de talens dans leurs capitaines; la haine que méritoient les barbares , qui, malgré leurs défauts & leur ignorance en toutes chofes, étoient fupérieurs en nombre dans les armées, & en crédit a la cour fV). Ce dégout éloigna du fervice tout ce qu'il y avoit de plus honnête & de plus brave parmi les Romains. Ceux qui reftérent, ou qui entrérent depuis dans les armées, fe laifférent bientöt corrompre par les vices & Findiscipline des barbares. Bientöt le foldat Romain n'eut plus de honte d'abandonner fon pofte, de jetter fes armes dans le combat, de fe rendre prifonnier. Ces lachetés ne furent plus des crimes dignes de mort. Peu a peu ils devinrent fi mofis, fi efféminés que, trouvant les cuirafies & les casques infupportables, ils ne rougirent point de demander k 1'empéreur Gratiën la permifllon de (?) Zofim. Liv. 4. (r) Végece de Re Milit. Liv. 1. Ch. 20. C 5  41 Hiftoire des Revotut. du Gouv'ernemmt les quitter; & que Gratiën, déja gaté par les barbares, ne rougit point de leur accorder cette honteufe liberté. Enfin les troupes Romaines avoient oublié jusqu'a 1'ufage de fortifier leur camp, de forte que par cette négligence leurs armées étoient aifément enlevées par la cavalerie des barbares (*)• L'averfion pour les travaux militaires des anciens Romains devint fi contagieufe, qu'a la cour des empéreurs on regardoit comme fordides & indignes d'un honnête homme les travaux, qu'un refte de discipline & de Tanden art de la guerre avoit encore confervés («)• Le mal gagna au point, que même Théodofe I, qui étoit plein de valeur, favoit Tart de la guerre, & eftimoit les foldats, ne put parvenir k faire airaer le fervice a un aflëz grand nombre de Romains, de forte que fes armées furent presque entiérement compofées d'Alains, de Huns, de Goths & d'autres barbares de toute efpéce (6). Godefroi rapporte dans fa chronologie du code Théodofien pag. 103. une loi de cet empéreur, par laquelle il ordonne d'enröler dans fes troupes tous les vagabonds & autres vauriens qui ne font bons k au- 'CO Idem ibi. CO Panegyr. Iï. pag. 234 & 235. (u) Zoüm. Liv. 7. Socrat. Liv. 7. Orof. Liv. 7-  &? de rjSftrit-Humain, Chap. I. . 4j tre chofe. Cc qui fait voir, combien il étoit alors, difficüe de trouver d'honnêtes gens qui vouluffent porter les armes. Ces desordres ne manquérer.t pas de produire leurs effets. Les armées des empéreurs- furent presque toujours. défaites par les ennemis, & leurs etats occupés par des nations barbares. II eft plaifant de voir S. Grégoire de Nazianze attribuer ces malheurs a 1'impiéte arienne & aux pechés des chrétiens. Que de maux, dit„ il (x), ne voyons-nous pas, ou n'apprenons „ nous pas des autres. Des pays entiers ren„ verfés, des milliersd'hommes mis k mort, la „ terre toute rouge de fang, toute couverte de „ corps, un peupie qui cour,t comme maïtre'par „ tout un pays, oü même on ne 1'attend pas (*). „ Qu'on n'en accufe point la lacheté de nos OO Orat. 14. (*) Sous Valens', les Goths & d'autres barbares étendirent leurs ravages jusques dans 1'Achaie d'une part, & dans la Pannoniede 1'autre. Fritigerne, leur roi, fut fi furpris de ne point trouver de réfiftar.cc > qu'il ne pouvoit comprendre comment les Romains öfoient fe donner pour maitres d'un pays qu'ils 11*6foient pas défe'ndre. Ils le pojfédent donc, difóit-ü, au même titre, que les troupeaux pojfédent les prairies m ils paijfent. Themift. p. 181. Zofim. Liv. 4.  44 Hijloire des Revolut. du Gouvernement „ foldats qui ont presque aflujetti tonte la terre. „ C'eft la punition de nos pech és & de 1'impié„ te arienne qui a dominé li long-temps". Les hiftoriens ont beaucoup vanté les victoires de Théodofe fur les barbares, & particuliérement fur les Goths. Ces derniers, chaffés de la Macédoine par les troupes de cet empéreur, & renfermés dans la Thrace qu'ils avoient déja devaftée, furent reduits k demander la paix & k fe foumettre k 1'empire. Mais les conditions qu'ils y obtinrent firent voir le peudefoliditédes vi&oires qu'on avoit remportées fur eux, & le peu de cas qu'on pouvoit faire des armées qu'on employoit pour les combattre. Ils demandérent qu'on leur cédaten propre une partie de la Thrace & de IaMéfie; qu'on les recüt au nombre de citoyens Romains , & que cependant on les exemtat des tributs & des droits que devoient payer les citoyens; qu'on les laiffat toujours unis fans chercher a les disperfer en différens pays; que dans les armées on ne les fit fervir que fous des chefs de leur nation. Tout leur fut accordé (y). Nous verrons dans la fuite quels troubles cet accord a produit. L'effet de cet accord qui fe manifefta le premier, fut qu'ils fe rendirent redoutables a leurs vainqueurs par le grand nom- O) Zofim. Liv. 4. Themift. Orat. 16 & 18.  6? de VEfprit.Humain, Chap. I. 4$ bre de troupes qu'ils leur fourniflbient. Libanius rapporte ( z) qu'un foldat Goth ayant été pris, a caufe de fes infolences, par des gens du peupie & jetté dans la mer, Théodofe fut faifi d'indignation & de frayeur en confidérant que cette violence pouvoit porter les Goths de fon armée k fe révolter, & ceux de la Thrace &reprendre les armes. La peur 1'engagea a punir, pour la fatisfaétion des Goths, tous les habitans de la ville, en les privant pour une demie journée de la diftribution ordinaire du pain, chatiment qu'il auroit fait durer plus long-temps fans la crainte qu'il eut que le peupie alarmé n'en vint a une révolte. Ainfi les empéreurs, après avoir pris a leur folde les barbares, ne furent plus maïtres de leurs troupes, puisqu'ils avoient également a craindre & les barbares qui les fervoient, & les barbares de qui venoient ces troupes. Tout cela fait fentir combien fut funefte a 1'état la politique de Conftantin de diminuer le nombre des foldats Romains, & de prendre des étrangers leur place pour diminuer la dépenfe militaire. Les fautes des prédéceffeurs de Con. flantin avoient été caufe que pour s'ahurer des (2) Liban. Orat. 14.  £f de FEfprit-Bumain, Chap. I. 47 & en leur prodiguant de Pargent. Les feconds . rëprehoient fouvent les armes, & pour les leur faire quitter , il falloit presque toujours leur • donner de nouvelles fommes & d'autres chofes précieufes, ou leur ceder une plus grande étendue de pays. Valentinien I. pour retenir les Goths au de ia du Danube, Lur donna d'abörd de 1'argent, & puis leur en donna encore pour les enga^er k cefler de ravager la petite Scythie. :Sous Valens, ces mêmes Goths pafférent le Danube , & on ne trouva d'aut-re moyen de les contenir , que de leur céder un canton de la Thrace (h): mais a peine s'y furent ils éta- eux, pour pouvoir s'oppofcr aux pr.opriétaires des terres qui demandoient aêtrepayés, & aux officiers des villes qui vcnoient lever les tailles deleur territoire • fouvent même pour fe mettre en état d'aller ravager les terres des villages voifins , & commettre plufieursautres défordres ; parecque c'étoit, dit-il, un crime irrénaiffible d'ófer toucher a un foldat. Libanius pric 1'empéreur de remédier a ces excès, qui ne faifoient •qu'enrichir les foldats & fur-tout les officiers , au grand préjudice des villes, obligées de faire bons les déniers impériaux, & au préjudice auffi des viliages que les habitans abandonnoient pour fe retirer chez' ceux qui avoient ces protectcurs. (o) Amm. Marcell. Liv. 30. (&) Zofim. Liv. 5. Sozomen. HÜloir, Eccl. Miiratori Annali d'Italia al 1'anno 408.' *  48 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement blis, qu'ils reprirent les armes, & pour les appaifer encore nous avons vu que Théodofe I„ leur vainqueur, ajouta au canton qu'ils avoient dans la Thrace, un autre canton dans la Méfie. Les Goths qui gardoient 1'illyrie pour Arcadius s'étant révoltés, Alaric qui les commandoit, les mena en Italië & alla afliéger Rome: les Romains pour s'en délivrer furent obligés de lui donner cinq mille livres d'or, trente mille livres d'argent , quatre mille robes de foye, t trois mille peaux teintes & trois mille livres de poivre» Bientöt après il revient encore k Rome & la pille. Ces Goths euffent fans doute détröné 1'imbécille Honorius: mais il fe refout enfin k leur céder un pays en Efpagne en deqk del'Ebre; & Ataulfe leur roi, qui avoit fuccédé k Alaric, fe contenta de ce canton pour avoir la main de Placidie fceur de f empéreur. Enfin ces continuelles prétentions des barbares» dont les premiers empéreurs chrétiens s'étoient flattés de former les principaux appuis de leur empire , au mépris de leurs troupes nationales aboutirent k renverfer 1'empire d'Occident. Le patrice Orefte ayant détröné Nepos, & fait proclamer empéreur fon propre fi!s Romulus, furnommé Auguftule , 1'armée d'Italie qui étoit toute compofée d'étrangers, exigea pour récompenfe de fes fervices le tiers des terres d'Italie:  5i Hijloire des Revolut. du Gouvernenient Ses fucceffeurs eurent Ia foibleffe d'adopter la même maxime. Julien qui fuspendit a 1'égard ves & au clergé. • Julien abolit cette Iibéralité. Jovien, fon fucceffcur, ne pouvant, a caufe de la dif^tte du bied, la rétablir entièrement, en fit donner le tiers •, ce qui fe contlnuoit encore du temps de l'hiftoricn Théodoret. Ce pendant ce tiers méme alloit fort loin, comme on peut en juger par ce qu'en dit le même hittenen Liv. r. Ch. 10. Et» effet, Eufebe (Vie de Confiant. Liv. 4. Ch: 27. 28.) dit, que quoique Conftantin fut extremément libéral envers tout Ic mond:; il avoit ccpendant coutume de donner aux églifes, avec une profufion toute particulière, tantöt des'terres, tantót des revenus de bied. Anaftafe, le bibliothécaire, dit, (dans la vie du pape Silveftre,) que 1'on avoit de fon temps d'anciens mémoires, qui montroient , que cet empéreur donna a 1'églife de S. Jean de Latran a Rome , en maifons & en terres, rrcizc mille ncuf cents trente quatre foüs d'or de revenu annuel, ce qui revient k peu prés k cent vingt cinq mille quatre cents livres de rente. II batit fept autres Eglifes a Rome, a chacune desquelles i! afïirM% des revenus immenfes. Car les rentes dont il dota ces églifes, & quatre autres , qu'il fit conftruire a Oftic', a Albe, a Capoue & k Naples, montent enfemble a dix-fept mille fept cents dix-fept foüs d'or; le fou d'or dc ce tcmps-lk valoit a peu prés neuf livres de notrc monnoye actuclle. Une des fept églifes qu'il batit k Rome , étoit ccüa de S. Pierre au Vatican, k Ia place d'un temple d'Apollon. A cette églife il affigna des maifons dans Amioche &: des ter-  ét Hiftoire des Revolut, du Gouvernement reille impofture pour colorer fon entreprife d& bitir Conftantinople, dont le véritable but étoit de ruiner Rome & fon fénat (e); s'il n'eut pas diffcré jusqu'au dernier moment de fa vie » fe faire donner le batême, après foixante quatre ans de vie, & trente quatre de regne (ƒ), & nue & s'étant endormi dans cette inqutétude , jéfu^ Chrifl lui apparut avec ce même figne qu'il avoit vu au ciel, & lui commanda d'en faire faire un femblablë, & de s'en fervir contre fes ennemis. Laaance n'en parle pas. D'autres ecrivains eccléfiaftiques le raportent feulement comme un fonge. Eufebe luimême fuprimo dans fon hiftoire eccléfiaftique Uil fait fi intsreffant, & le réferva pour la vie ou plutSt le panégyrique de Conftantin. CO Philoftorge dit, Liv. 2. Ch. 4., que comme Conftantin tra^oit lui-même ces nouvelles murallles, un de ceux qui étoient avec lui, voyant qu'il lesétendoit toujours , lui demanda jusqu'oü il prétendoit aller , & que Conftantin lui répondit, jusques a ce que celui qui va devant moi s'arrHe. Par oü il prétendoit faile connottre, qu'il étoit conduit par une puilfance célefte. Conftantin même déclare dans une loi, (L. 7« tit. 5> Liv. 13. Cod. Theod.) qu'il a bati Conftantinople par 1'ordre de Dieu. Eufebe raconte dans la vie de Conftantin, Liv. 2. Ch. 2., que Dieu fe déeouvroit fouvent a 1'empéreur dans les fonges, & lui difoit ce qu'il avoit a faire. (ƒ) Voyez le même Eufebe, vie de Conft. Liv. 4. Ch. 20., ou il dit, que' cet empéreur compofoit Ion-  & de l'Efprit-Humain, Chap. II. 6*3 après avoir fait a fa cour une infinité de harangues (g)»publié un grand nombre de loix dans tous fes états pour engager fes fujets a fe faire batifer; s'il n'eüt pas choqucl'efprit de 1'évangile en comblant d'honneurs & de richeffes le clergé k qui J. C. & les apótres avoient donné 1'exemple delafimplicité&prefcrit de vivre dans 1'humiliation; s'il n'eutpas cherchéparla k corrompre les mceurs de ceux que leur miniftere oblige a mener une vie plus fainte & plus édifiante que le gros des fidelles; enfin fi fa conduite n'eüt pas toujours été toute oppofée a celle qu'avoient tenue jusqu'alors les chrétiens, je ne croirois pas, que ce feroit une folie de regarder fa converiion comme fjncere, malgré la répugnance que doit fentir toute perfonne fenfée a trouver de la fincérité dans la converfion d'un homme, qui n'allégue qa'une impofture évidente & groflïere pour tout motif de fon changement. Mais voici, felon toutes les apparences, les motifs qui ont opéré fa converfion. II vouloit fe rendre plus abfolu que n'avoient été fes prédéceffeurs; il vouloit mieux s'affurer la vie & vent de longs difcours de piétc , & les récitoit u ccuk de fa cour, aux évéques, & a qui vouloit vcnir 1'cntendre. Cg~) Amm. Marcell. Liv. 21.  54 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement 1'empire; il vouloit prévenir les révoltes des armées & abaiffer le fénat de Rome, dont 1'autorité originaire bornoit 1'aütorité ufurpée des princes, & dont les droits légitimes contrarioientles prëtentions illégitimes des tyrans; il Vouloit enfin détruire tous les anciens ufages qui fervoient k faire reconnoitre les marqués des limites que les anciennes inftitutions avoient prefcrites au pouvoir des empéreürs. Tout cela demandoit qu'il s'attachat aux chrétiens , en fe , déclarant leur proteaeur & le défenfeur de leur foi. La croyance des fidelles, loin de combattre ou de borner 1'autorité du prince, préfcrivoit auxfujets d'obéir a leurs fouverains dans tout ce qui concernoit les chofes de ce monde; loin de permettre aucune révolte contre le prince, elle leur enjoignoit de porter avec patience même leurs injuftices, même leurs cruautés; loin de leür éleverl'ame au point de les faire afpirer k partager par des prérogatives & par des dignités le pouvoir impérial, elle la leur abaiflbit jusqu'a leur faire méprifer les honneurs & les places diftinguées de ce monde. Se mettre k la tête de géns pareils, c'étoit s'attacher un parti dont le prince n'avoit rien k craindre, & dont au contraire il avoit tout k efpérer: il devoit s'en promettre une obéiffance aveugle, unefidélité, une affection & un attachement finguïiers, Quels trans- ports-  & de TEfprit-Humain, Chap. II. 65 ports de joie & de reconnoifiance ne devoit point exciter dans une multitude de fujets jusqu'alors perfecutés, opprimés, vexés, la confidération de fe voir tout-a-coup devenus le parti dominant dé 1'empire, délivrés de toute oppreflion, & en état de faire trembler leurs ennemis! Cependant i] ne luffifoit pas pour le deffein de Conftantin , qu'il fe déclarat le proteóteur & le chef des chrétiens: il étoit sufii necéffaire qu'il cherchat tous les moyens d'humilier les payens, de leur abattre 1'ame, de diminuer leur puiffance, de décruire Pancienne religion fi oppofée a fon büt, & de leur faire embraffer la nouvelle, dont il fentoit les avantages. C'eft la ce qui le porta d'un cöté a faire tant de loix contre les payens & leur idolatrie , & de 1'autre a élever fi fort les chrctiers, a les diftinguer k la cour, k leur prodiguer fes tréfors, a les placer dans les premiers emplois de 1'état civil & militaire au point qu'infenfiblement il fit perdre aux chrétiens leur. ancien efprit d'humilité, & leur infpira 1'efprit d'ambition des payens , dont ils prirent peu k peu tous les vices en renoneant k leurs anciennes vertus. S'il n'avoit point abattu les payens, le fénat de Rome, quelque particulier mecontent, ou bien quelqu'ambitieux auroit pu trouver parmi eux affez de partifans & d'affez pu:s. fans pour ofer entreprendre de le détróner; s'il Tome I. E  Eft Hiftoire des Re-tolut. du Gouvernement ifavoit pas élevéles chrétiens aux honneurs,s'il rie les avoirpas enrichis, il n'eüt pas trouvédans leur feul attachement affez de moyens pour fe föutenir. Dans ces temps les prêtres & les évéques avoient un afeëhdant extraordinaire fur 1'efprit dès fideiles; parceque Ia religion cbrétienne s'étoit formée dans le fein de la religion judaïque öü lés prêtres jouiffoient d'un crédit & d'un pouvoir txtrêmes; parceque les prêtres & les evêqiies étoient regardez chez les chrétiens comme te'i flreceffeurs des apótres; parceque les profajics étoient d'ordinaire extrêmement igriorans, au h%Ü qnd Ië clergé avoit les connoiffances riéGeiluircs pour rinftruclion des premiers; enfin paxeque les Befoins des fideiles les tenoient 'èktis ürle 'contifmefle dépendance du clergé, auquel il falloit recourif pour l'inftruétion dans la foi, pour fe faire recevoir parmi les catéchuinenes, ou parmi les pénitens, pour être admis a ï'euchariftie, pour avoir part aux aumönes, pour s'en faire affjfter dans les maladies & dans les tribulationS, pour foumettre a leur arbitrage ies procés qu'on cherchoit a finir a 1'amiable, pour d'autres caufes enfin tant fpirituelles que temporelles. Ainfi Conftantin mit d'abord tous fes foins a gagner le clergé: il attira beaucoup d'évêques & de prêtres a fa cour; il en avoi^  ty de l'E/prit-Humin, Chap. II. 6> toujours a fa table; il les prenoit avec lui, lorsqu'il alloit k la guerre; il leur dcclaroit fouvent, qu'il les regardoit comme fes péreS, fes mtïtres, fes interceflèurs auprès de Jefus-Chrift; quand il s'agilfoit de les faire aller d'un endroita 1'autre pour quelque affaire ou temporelle ou fpirituelle, il les faifoit nourrir fplendidement k fes frais, &leur faifoit donner des voitures publiques, de forte qu'Ammien Marcellin dit(g) que les prêtres & les evêques avoient ruiné les voitures publiques de tout 1'empire: il leur donnoit une partie de 1'or &de 1'argent, dont il dépouilloit les temples des payens, & il épuifoit encore fes fujets par des impóts pour avoir plus de moyens d'enrichir le clergé chrétien (/;). Enfin il leur batit par tout de fijperbes églifes, qu'il orna ck dota avec prodigalité. Eufebe (i)nom Cg) Amm Marccll. Liv. ai. C A) Vi6t. Junior Vita Conftanr. Zofim. Liv. 2. Eufcbe Hifi. Liv. 10. ch. 3. CO Voici donc, dit 1'Abbé Fleury, Hiftoire Ecsl. Liv. io. ri. 3., quelle étoit 1'églife de Tyr. Une enceinte de murailles enfermoit tout le lieu faint, dont i'c.ntrée étoit un grand portail tourné k 1'orient, fi clevé qu'il paroifloit de fort loin, attirant les regards des infidèles. On entroit d'abord dans une grands •our carrée, environnée de quatre galeries foutenues de colomnes, c'eft-a-dire, un péryftile , & entre les colomnes étoit un treillis de bois, 'snforte que les gju E a  Ilijïoin da Revolut. du Chunrnmtnt a donné -une exa&e defcription de 1'églife que 1'evêque Paulus fit batir a Tyr vers la moitiédu jeries étoient ferméas, mais k jour. La s'arrêtoient ceux qui avoient encore befoin des premières inftructions. Au milieu dè la cour, & vis-k-vis 1'entrée de réglife étoient des fontaines, qui donnoient de leatf cn abondance. Ayant paffé la cour , on trouvoit le portail de 1'églife, ouvert auffi vers 1'orient par trois portes; celle du milieu étoit beaucoup plus haute & T!us large que les autres; fes battans étoient de cui>re avec des Iiaifons de fer, ornés de fculpture agreacie. Par cette principale porte' on entroit dans Ia nef ou le corps de la bafilique , & par les autres dan* ies bas-cötes ou les gaieries, qui l'accompagnoient ceux qui étqient convaincus d'avoir confulté les devms. Cepeudant comme il devoit, malgré lui, conférer aux pa. yens une grande partie des gouvernemens & des magiftratures, puisque lts chrétiens étoient encore pour la plupart des gens fimples & grosfiers, qui n'avoient aucune connciffance du monde, ni des lettres, dans Lien des endroits fes bix n'étoient point exécutées, & dans d'autres elles ne 1'étoient point a la rigueur. Les fucccsfeurs de Conftantin trouvérent encore pendant long-temps les mêmes obftacl es contre le méme zele qu'ils avoient de faire triompher Ia nouveile religion & d'exterrniner 1'ancienne. Leur imprudence augmenta même les difficultcs: car au lieu de choifir la voie doucc & füre de la perfuafion, ils employérent presque tous des moyens violens, cruels & révoltans, qui faifoient que les opiniatres fe roidifibient encore davantage, & que les fouples ne devenoient, en pliant, que des hypocrites. L'empércur Conftant, |aincux par fes débauches, par fon habitude infame d'exercer le crime contre nature avec des (») Liban. orat. 14. E 4  74 Hiftoire des. Revolut. du Gouvermmnt les dignités a ceux qui favoient le fiatter & le tromper leplus, Symmaque, préfet de Rome, perfonnage d'une grande probité, plein de zele pour le bien de 1'état & doué de grandes connoiflances, lui écrivit, que les honnêtes gens ne manquent jamais pour remplir les poftes; qyüaftn de les discerner, il faut êcarter d'abord ceux qui briguent, & que parmi les autres fe trouver ont furement ceux qui méritent. L'empéreur lui fit la* deffus un refcrit dans ces termes. II n'eft pas permis de raifonner fur la décifton du fouverain: c'ejl ojfenfer la majeflé impériale que de douter du mérite d'un homme qu'elle a honoré de fon choix. (voy. M. le Beau dans fon hiftoire du bas - empi * re ( * ): Cependant c'étoit un vice commun a (*) Les Romains , quoiqu'on dife , n'ont jamais été intolérans qu'envers ceux qui prétendoient intro, duire dans 1'état des principes contraires a 1'efprit de leur gouvernement, a leurs inftitutions politiques, ou au bien de la fociété en général. Ils ont banni des cultes infames, tels que celui des Bacchanales, que des étrangers avoient introduits a Rome vers la moitté du fixieme fiecle de fa fondation, parceque dans les affemblées que 1'on tenoit pour le culte de Bacchus , on commettoit toutes fortes de crimes des plus nuifibles a la fociété, comme des adalteres, des fauffetés, des meurtres. Ils ont défendu tout culte dc dieux étrangers, qui n'eüt pas été approuvé par les pontifes éc le fénat: mais cette défenfe ne regardoit que les  6? de r'Efprit - Humain, Chap. II, 75 tous les empéreurs de cette époque de ne jamais donner leur confiance a aucum homme de citoyens romains, & non pas les étrangers qui habitoicnt dans Rome: & le fénat fe portoit aifément a adópter les divinités étrangcrcs, fur - tout lorsque les citoyens paroiffoient fe difpofer d'eux-mêmes a leur culte. C'eft cette facilité du fénat qui a naturalifé i Rome uhe foule incroyable de dieux étrangers. Si dans la fuite les Romains ont commencé a fe montrer intolérans envers les chrétiens, il faut 1'attribucr a ces motifs que nous venons d'alléguer dans le texte. Ils ne pouvoient fur-tout fouffrir que les chrétiens traLraffent leurs divinités da faux dieux , leurs prêtres de fourbcs, leurs cérémonies d'adions abominables, leurs divinations d'impoftures. Les payens ne prétendoient pas empêcher les chrétiens d'être chrétiens: mais ils vouloient que les chrétiens ne les empêchaffent pas eux mêmes d'être payens. Chez les Romains la religion etoit une partie de leurs inftitutions politiques •, combattre leur religion c'étoit dor.c combattre leur gouvernement. Voüa ce qu'ils ne pouvoient fouffrir, & non pas que les chrétiens fuffent & vouluffent refter chrétiens: cela auroit été contre leurs principes , & contre leurs anciennes coutumes. QFoy. Beaufort Républiq. Roni. Tom. 1. ch. 4. fc? fuiv. Pilati Loix Politiq, des Romains tom. 2. ch. dernier.) Lorsqu'Emilien, préfet du prétoire fous 1'empéreur Valerien, voulut obliger S. Denis, evêque d'Alexandric, a facrifier aux dieux, il lui dit, qui vous empêcke d'adorer votre Dieu, fil efl Dieu, avec ceux qui li font naturellement? Le proconful d'Afrique qui porra la femencc de mort cantre  £f de V'Efprit - Humain, Chap. IL 77 leurs violences, k leurs cruautés. L'empéreur, Valens fe faifoit détefter par fes propres cruautés & par celles de Pétrone fon beau-pere. Cela fit naitre une foule de libelles diffamatoires} fur tout contre Pétrone , qu'on regardoit comme un fecond Séjan. Mais cet homme fi juftement haï porta auffitót l'empéreur a publier un édit qui condamnoit k mort non feulement les auteurs des libelles diffamatoires, mais ceux même qui oferoient les garder. L'eunuque Eutrope qui maitrifoit l'empéreur Arcadius, & qui n'ignoroit pas que lui même étoie en exécration k tout le monde, fit publier, fous le nom de ce prince, une Ioi terrible. Quiconque aura confpiré, y eft-il dit, ou feulement formé le des. fein d'une confpiration contre la vie des confeillers des princes ou des principaux magiftrats, fera condamné k mort comme criminel de léfemajetlé, quand même le complot n'auroit pas été exécuté: les enfans feront condamnés k Finfamie & k une mifere perpétuelle : aux qui intercederont pour eux , feront déclai és infames: tous ceux qui auront participés au crime^ Cependant cette formule même fait affez connoitre^ qu'on ne chaffoit les épicuriens & les chrétiens, que pareequ'ils y venoient pour outrager leurs dieux, & qu'ils ne favoient pas fe comporter avec décence.  78 Hiftoire des Revolat. du Gouvernement feront foumis aux mêmes peines eux & leurs nefans: elle promet des récompenfes a ceux qui donneront avis du complot dès le commencement, & 1'impunité aux complices qui le découvriront. (L. 5. C. ad Leg. Jul. Majeft.~) Quelles méchantes loix! elles font méchantes dans le despotisme même. Sous Ie regne d'Arcadius, dit Zofime (Liv. 5.) la nation des calomniateurs fe répendit, entoura la cour & 1'infeéte. Com. me Ie prince étoit étrangement ftupide & 1'impératrice entreprenante a 1'excès, elle fervoit 1'infatiable avance de fes domefüques & de fes confidentes. Honorius en Occident faifoit dans le même temps des loix juftes au gré des uns, & des loix injuftes au gré des autres. Les injuftes étoient exécutées a la rigueur par 1'autorité de ceux qui les avoient obtenues: les juffes tomboient presque toujours fans exécution foit par la cohfufion & le défordre qui regnoient alors en toutes chofes & fur - tout dans le gouvernement, foit par 1'impuilfance de ceux qui confeilloient ces loix. On y voit de beaux fentiments, dë bons principes. Mais cès principes faifoient 1'opprobre du gouvernement par le mépris qu'il affeétoit d'en faire, lorsqu'il étoit queftion de les mëttre a exécution. Le plus pieus de tout les empéreurs, Théodofe II. celui dont S. Auguftin dit, qu'il auroit pu être dé>  & de ? Efprit-Hutnain, Chap. 11. 79 fié, s'il fut demeuré particulier, fut le plre de tous les despotes. Qu'on en juge par cette loi, oü il défend, comme crime de lefe-majefté, non feulement de porter des étoffes de la teinture des ornemens impériaux, mais d'en garder chez Toi. S. Ifidore qui vivoit fous fon regne dit (lettre 35) qu'on donnoit des héritiers k des perfonnes encore vivantes, qu'on dépouilloit de leurs biens presque tous les fujets qui fe faifoient remarquer par leurs richeffes: qu'aux uns on arrachoit leurs enfans, aux autres on enlevoit leurs femmes. Ilfoula, ainii qu'Honorius, les peuples par beaucoup de nouveaux impots, & les traitans les pourfuivoient avec des cruautés fi extraordinaires, que les fujets fe rejouisfoient felon 1'exprelïïon de Salvien (lm 5. de gubernatione Dei) des invafions des barbares , qui n'ayant pas encore appris les vices des Romains , leur faifoient efpérer plus de douceur & plus d'humanité. (Foy. Mobil. Hift. Liv. 5 Prifc. Excerpt, qui rapportent les mêmes chofes.') D'autre part les chrétiens, qui, dans les temps précédens,avoient été perfécutés par les payens, parceque non contents d'adorer le vrai Dieu, i!s avoient coutume d'infulter les Dieux de la religion dominante, de maudire leur culte & leurs loix facrées, de fe retirer de la fociété q>  8o Hiftoire des Revolut. du Gouvernement vile pour fe livrei* entierement a leurs affaires fpirituelles au préjudice de leurs propres families & de 1'état, les chrétiens, dis-je, voyant a cette époque leur religion établie fur ie trone éc fe fentant dès lors les plus forts, fe crurent auto; rifés, par la conduite que les payens avoient tenue jusqu'alors envers eux, k les pouvoir perfécuter k leur tour, avec d'autant plus de raifon qu'ils favoient que leur religion étoit la véritable, & que celle qu'ils cherchoient k détruire , étoit fauffe & impie. Mais 1'habitude de perfécuter leur fit perdre peu a peu cette douceur, qui jusqu'alors avoit diftingué les fideiles, & cette charité univerfelle qui étoit 1'ame du chriftianisme, & qui fait la bafe de 1'évangile. Les différens peupks chrétiens devinrent des troupes d'hommcs féroces, qui non contents d'affouvir leur rage par la perfécution de ceux, dont ils eroyoient avoir i\ fe vanger, s'entrebattoient & s'entredéchiroient eux-mêmes avec une fureur acharnée pour de vaines disputes, fur de fimples mots, fur des chimères de fantaifie, fur la maniére d'entendre quelque paffage des écritures, fur la facon d'exprimer des myfléres inconcevables; pour des motifs d'ambition, d'avarice, de jaloufie; pour des paffions plus criminelles, ou du moins plus fcandaleufes encore. Si  ö* de rEfprit-Hmnairi, Chap. IÏ. zt Si Ton veut fe faire une idéé des excès, des crimes, des folies qu'a enfantés 1'efprit d'intolérance , du dégré de dépravation oü les hommes font dès Jors tombés, & de la multitude de maux énormes que les états en ont reffen* tis, il faut fe repréfenter ces Africains impétueux, coleres, & vindicatifs • ces Egvptiens fanatiques, vifionnaires & fougueux ; ces Aliatiques & cesGrecs vifs, fpéculatifs, fophiftes, raifonneurs, difputeurs, intrigans, & brdtiillons: il faut repaffer dans fon efprit les que-' relles qui agitérent fans cefTe 1'églife, les fchismes qui la défolérent, les feéles qui la déchirérent. Cet efprit d'intolérance attira toute 1'attention & tous les foins des hommes vers les objets qui 1'intéreffoient; & les détourna des objets qui intéreffoient la fociété & 1'étar. Les différents partis ne fongérent plus qu'a fe fupplanter les uns les autres , k fe faire rédproquement le plus de mal qu'ils pouvoient & perfonne ne fe foucia plus de remplir Jes de! voirs que fon état lui impofoit. Les empéreurs fongeoient k convoquer des conciles k gagner des partifans, a Jes faire triompher, h les combler de biens & d'honneurs, k abattre le parti contraire ; k lui óter les églifes, Jes biens, les dignités, Ia vie même. Les eunis. Tom I, F  81 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement qaes, les ferames, les généraux , les courtifans, les evêques, les prêtres, les moines cabaloient, intriguoient, inventoient mille menfonges, mille calomnies, & commettoient mille fripponneries, foit pour attirer le prince dans leur parti, foit pour le porter a faire plus de mal qu'il n'auroit eu envie d'en faire au- parti oppofé, foit pour 1'empêcher d'en faire autant qu'il auroit voulu au parti qu'il haïffoit. Le parti protégé par la cour commettoit avec impunité tous les crimes, & le parti opprimé en faifoit autant par défespoir, fans fe mettre en peine des fupplices affreux qu'on lui feroit fubir. Les hommes devenoient tous les jours plus méchants par 1'habitude du crime ; les plaies de 1'état s'envenimoient tous les jours d'avantage par 1'indifférence générale des princes & des citoyens pour le falut de 1'état. Les partis catholiques & ariens fe battoient k Conftantinople pour une églife, que ceux-ci vouloient avoir & que les premiers s'opiniatrérent a leur refufer; les capitaincs des armées, deve. nus chefs de partis, dirigeoient ces combats, . tandis que les Huns d'un cöté , d'un autre les Ifaures, & d'un autre encore les Perfes, venoient fondre fur les provinces de 1'empire d'Arcadiu^; dans le même temps le mimftère d'Honorius nc s'occupoit qu'a imaginer de nou-  de VEprit. Humain, Chap; II. g3 velles loix contre Jes payens, tandis que les Goths venoient en force défoler 1'Italie, & faccager Rome. Un paflage de S. Grégoire de Nyfle nous met en état de juger de la manie des hommes de ces temps ia. Si vous voulez cbanger une piece de monnoye dit-il , on vous fait de grands difcours fur la dijférence du fils engendré& du pere non eiigendrê: fi vous demandez combien vaut le pain , ou vous répond que le pere eft plus grand, &f que le fils lui eft foumis: & fi vous demandez quand le bain fera chaud, on vous ajfure bien férieufement que le fils a été créé. S. Epiphane étant venu a Conftantinople pour faire condamner par S. Jean Cryfoftome, évéque de cette ville, les'livres d'Origenes, qui venoient d'être condamnés par le concile de Chypre, ij trouva ce faint évéque peu dispofé a le fatisfaire: il difoit qu'il ne faloit rien précipiter, ni con. damner" perfonne fans connoilTance de caufe. Cette excufe détermina S. Epiphane k fe préfenter devant le peupie, qui devoit s'asferabler dans 1'églife des Apötres, & a y condamner publiquement les livres d'Origenes. S. Epiphane étoit déja arrivé prés de 1'églife quand il rencontra un diacre, envoyé par S. Jean Chryfoftcw me, qui 1'avertit de la part de 1'évêque, qu4il s'éleveroit une fédition, & que lui S. Epiphane F 2  %6 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Donat, un de leurs chefs, protefte encore d'avoir été jugé fur des préventions , d'avoir été accablé par les intrigues & les manéges des adverfaires , de n'avoir point été écouté, & demande un nouveau jugement. Conftantin fait venir les deux parties dans fon confiftoire, ou fon confeil d'état, il les écoute avec patience , examine tous les aétes, & déclare enfin , que Cécilien eft innocent, & que fes adverfaires font des calomniateurs. Alors le clergé catholique prie l'empéreur de punir ces calomniateurs. II bannit les plus féditieux: cela ne fuffit pas aux catholiques: ils font de nouvelles rémontrances contre les donatistes, qui étoient toujours protégés par les magiftrats féculiers. Pour fatisfaire les orthodoxes, Conftantin óte aux donatistes les églifes & confisque tous les lieux, oü ils avoient accoutuméde s'effembler. (q) Malgré ces rigueursle nombre des donatistes augmente, Scs'étend toujours d'avantage. Ils s'établiffent en grand nombre en Italië, & même ü Rome. Nous verrons dans la fuite les atrocités horribles qu'ils ont commifes après la mort de Conftantin. Voila donc un terrible feu allumé, parmi les chrétiens d'Oc- (O Cod. Thcod. Lib. 16. tit. 2. L. I: & 2,  & de FE/prit-Humatn, Chap. IL 97 les tranfportoit encore au point d'outrer la rigueur de Ja loi par de nouvelles rigueurs dans 1'exécution. Api ès que Théodofe eut ordonné de fermer les temples, Théophile evêqued'^lexandrie lui demanda la permiffion d'abattre un des temples de cette ville, parmi lesqueJs il y en avoit de trèsfameux, que Jes payens refpe&oient infiniment. L'empéreur lui ayant accordé fa demande, Théophile entreprend de détruire un ancien temple de Bacchus, dont les payens ne faifoient plus aucun ufage. Cette deftruclion fe fit donc fans aucune réfiftance: mais 1'evêque y ayant trouvé des figures de membres virils, que les payens avoient coutume de confacrer a Bacchus & qu'ils nommoient Phallaus, il les fit montrer en public , & promener par la ville , comme pour reprocher aux idolatres leurs infamies & leur faire honte de leurs myfteres. Cette conduite alarma les payens : le peupie entra en fureur: les philofophes mêmes en furent ?choqués. On prit les armes & on en vint aux mains. Après plufieurs combats , oü il y eut des tués de part & d'autre, les payens fe retirérent dans le temple de Serapis qui pouvoit contenir quantité de monde, & refiembloit a une forterefie. Alors Théophile appelle k fon fecours le préfet d'Egypte & le commandant des troupes de l'empéreur qui étoient tous deux chrétiens, & les en-, Tomé I, G  ^3 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement gage a bloquer le temple. Dans le même temps il envoye des députés a l'empéreur pour lui faire part de ce qui étoit arrivé, & poür folliciter un ordre d'abbattre tous les temples d'Alexandrie en commencant par celui de Serapis; il fit auffi venir quantité de moines pour 1'aider dans fon entreprife. L'ordre de l'empéreur étant venu, plufieurs payens s'enfuirent: Ceux qui s'étoient enfermés dans le temple furent attaqués: il s'y livra plufieurs combats: mais enfin Je temple fut pris. Théophile fit trainer par toute la ville les membres difperfés de 1'idole , & les jeter enfuite au feu piece par piece k la vue de tout le monde; & non content de cette inlulte füte aux payens, il fit bruler dans 1'amphithéatre le tronc qui en étoit refté. Le temple même fut détruit jusqu'aux fondemens. On en ufa de même avee tous les autres temples non feulement d'Alexandrie , mais de toute 1'Egypte. Chaque évêqua en procura la deftruftion dans les villes, dans les bourgs & jusques dans les déferts. Les évéques de Syrië imitérent bientöt l'éxernple des Egyptiens: & ce procédé y occafionna de même des féditions. Lesidoldtres ayant été ainfi reduits en Egypte 't unpetit nombre , les évéques fe mirenta attaquer lës juifs, qui,fur tout a Alexandrie,étoient fort riombreux'. S. Cyrille fe diftingua, fous le re-  ey de VEfprit-Humain, Chap. II. 9$ gne de Théodofé II, par fon efprit d'intolérance contre ce peupie malheureux. II écoit évéque d'alexandrie, & s'y attribuoit une grande auforité a i'exemple de presque tous les autres évéques, non feulement dans les affaires fpirituelles, mais dans les temporelles. Orefte gouverneur de Ja ville étoit, comme tous les ailtres gouverneurs des villes, juftement choquê de cette puiffance que s'arrogeoient les évéques. Un jour qu'ii étoit occup'é k la police duThéatre, quelques partifans de 1'evêque, & entr'au-' tres un nommé H;érax, maitre d'école, s'approchérent du gouverneur pour entendre fes ordonnances. Ces chrétiens prirent a cette occafion querelle avec des juifs au fujet de quelques danfeurs; & les juifs s'en prirent a Hiérax & 1'accuférent de ne venir au théatre que pour exciter des féditions. Orefte qui avoit la même opinion de Hiérax, qui d'ailleurs étoit un des plus fervents auditeurs & partifans de 1'evêque, le fit faifir auffi tót & fouetter dans le théatre même. S. Cyrille, inftruit de ce qui venoit de fe paffer, envoya querir les principaux des juifs, & leur fit de grandes menaces. Ceux-ci en revanche fe mutinérent, & tuérent en une nuit plufieurs chrétiens. Le jour venu on connut les U teurs de ce maffacre. S. Cyrille fit auftitóC eonvoquer les chrétiens, & s'étant mis a Jeu£ G_a  zoo Hiftoire des Revoiut. du Gouyernement tête il alla aux fynagogues des juifs, les leur öta, les chaffa eux - mêmes de la ville, & abandonna leurs biens au pillage. Plufieurs périrent dans le tumulte. Orefte en fit fon rapport a l'empéreur. (x) D'autre partl'évêque,reconnoisfarit que, par une fuite d'une trop grande vivacité, il avoit franchi les hornes d'un jufte zeIe , conjura le gouverneur de fe réconcilier avec lui: mais il effuya un refus. Alors les moines du voifinage, habitans du mont Nitrie, gens féditieux, qui fous fevêque Théophile, prédéceffeur & oncle de S. Cyrille, avoient exercé contre Dioscore, contre les grands freres & leurs partifans toutes fortes de violences a Alexandrie, viennent, au nombre de cinq cents, commettre de nouveaux excès: ils guettent le gouverneur Orefte: celui - ci étant forti en chariot, ils 1'approchent, 1'infultent & jettent des pierres fur lui & fur fa fuite. Ammonius, entre autres, le frappe & la tête & le met tout en fang. Ses officiers, épouvantés, fe disperfent: mais le peupie accourt en foule, met en fuite les moines, & prend Ammonius, qui eft trainé devant Ie préfet, eft mis a la torture & y rend 1'ame. S. Cyrille prononca fon éloge & lui donna le ti- O) Sozom. Liv. 7. ch. 15. Rufin Liv. II. ch. 23.' The odor. Liv. 5. ch. 22.  &dcrEfprü-Humainy Chap. II. ioi tre de martyr. Le peupie, fanatique & léger, touché du fermon de fon évéque, abandonne Orefte, qu'il venoit de défendre contre les moines, & prend le parti de 1'évêque. La fédition fe termina par une atrocité exécrable. Orefte voyoit fouvent Hypatie, filJe du fameus géometre Théon, plus favante que fon pere, & que tous les philofophes de fon temps. Elle étoit payenne, & enfeignoit publiquement la philofophie platonicienne. Sa doctrine étoit relevée par une rare modeftie, par une grande beauté & par tous les genres de mérite. Le peupie fa natique la foupconna d'avoir irrité Orefte contre S.Cyrille ,& d'empêcher leur réconciliation. Un cierc, nommé Pierre, cherche par fes discours a donner du poids a ce foupcon : il affemble une troupe de furieux, fe met a leur tête, fait faifir Hypatie en pleine rue , d'oü elle eft trainée dans une églife, dépouillée, affommée a coups de pots caffés, mife en pieces & bruiée publiquement au Cinaron. Cette aclion, dit Socrate(;y), couvrit d'une grande infamie 1'évêque & l'églife d'Alcxandrie. Cependant elle demeura impunie, tant étoit grande a la cour la puiffance des évéques. (y) Socrat. Liv. 7. ch. 15. G 3  102 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Pour faire voir que cet efprit d'intolérance étoit répandu par tout, & que le clergé étoit par tout également animé d'un fanatisme fi imprudent & fi atroce , je rapporterai encore la conduite indecente d'un faint évéque en Perfe. ïsdegerde, roi de Perfe, du temps de Théodofe le jeune, étoit favorable aux chrétiens: il leur laifibit le libre exercice de leur religion,* & on prétend même qu'il avoit concu le deflein d'embrafler le chriftianisme. Au lieu d'une fi heureufe révolution le zele indifcret de l'évêque Audas, d'ailleurs très-vertueux perfonnage (z), attira fur les chrétiens de la Perfe une des plus violentes perfécutions. Audas abattic un temple oü les Perfes adoroient le feu. Le roi f ayant appris fit venir 1'évêque , & fe plaignant d'abord doucement de cette action, il lui commanda de rebatir le temple. L'évêque s'obftina k le refufer. Alors le roi ordonna la mort de l'évêque, la deftrucrion de toutes les églifes, & 1'extirpation de fous les chrétiens qui fe trouveroient dans fes états. Théodoret en rapportant («) cette hiftoire blame a la vérité l'évêque d'avoir abattu le temple du feu, mais il le loue Cz) Fleuri Hifi. Eccles. Liv. 24. n5. 26. O) Théodor. Hifi. Liv. 5- eb, 39»  £-? de rEfprit Humain, Chap. II. ioj d'avoir fouffert Je martyre plütöt que de le rebadr: car il me femble, dit-il, que c'eft la même chofe d'adorer le feu ou de lui bStir un temple. Voila précifément un des principes qui produifoient cet efprit d'intolérance, & qui étoit alors adopté même par les évéques les plus écla'rés, les plus vertueux, & les moins intolórans. On le voit pratiqué par S. Ambroife lui-même, qui d'ailleurs faifoit profelfion de haïr les violences , & qui en avoit donné une preuve frappante par fon refus de communiquer avec Idace & Ithace, deux évéques efpagnols, qui avoient fait condamner k mort l'évêque Priscillien, auteur d'une héréfie. Des chrétiens ayant brulé, par le confeil de l'évêque du lieu, une fynagogue a Caiiinique en Méfopotamie, & des moines ayant détruit de la même facon un temple tfhérétiques, Théodofe ordonna de punir Jes incendiaires, de réparer les dommages, & de faire des recherches k 1'égard des offrandes précieufes & des richeffes, que 1'on accufoit le-s moines d'avoir enlevées de l'églife qu'ils avoient brulée. Cet ordre, quoiqu'il ne regardat qu'une affaire de pure police, fut un fujet de fcandale pour S. Ambroife: il écrivit a l'empéreur que les chrétiens feroient prévancateurs, s'ils obéisfoient, ou martyrs, s'ils aimoient mieux obéir G 4  ï©4 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement k Dieu. II fe plaint fur-tout que ie prince ait condamné l'évêque en particulier, & il lui dit, qu'il fera coupable ou de la chüte de l'évêque, ou de fa mort. Quelle honte, ajoutoit-il, pour un empéreur chrétien, qu'on puifFe lui féprocher de n'armer fon bras , que pour vanger les hérétiques & les juifs (ê). Sa lettre n'ayant pas eu 1'effet qu'il défiroit, Ambroife fe tranfporta k Milan, oü étoit alors Théodofe, & ce prince étant venu a l'églife, il lui en paria publiquement, & le menaca de 1'excommunication, s'il ne revoquoit fes ordres. L'empéreur fut obligé de plier. Dès lors les chrétiens, qui favoient que leurs violences refteroient impunies, fe portérent a de tels excès, que Je même empéreur fe vit encore forcé de faire des Joix vigcureufes pour les contenir (c). Cependant les chrétiens commetcoient ces crimes de la meilleure foi du monde: car on Jeur avoit donné pour principe qu'il étoit de la perfe&ion chrétienne d'empêcher le plus qu'il étoit poffible Pexercice d'une fauffe religion, & que fur-tout il n'étoit pas permis d'y contribuer d'aucune maniére. C'eft d'après ce principe, que du (ZO Ambros. ep. 40 & 41. CO Cod. Theod. Liv. j6, t. 8, L. 9. & L. 23,  & de l'Efprit-numain, Chap. II. 105 temps de Julien, Mare d'Aréthufe aima mieux mourir que de iien donner pour rebatir un temple de payens qu'il avoit ruiné lui • même: & c'eft d'après le même principe, que cet homme imprudent & fanatique fut révéré par les chrétiens comme martyr. Le même empéreür fut obligé, malgré fes principes, d'envoyer au fupplice un grand nombre de chrétiens fanatiques , qui fe croyoient obligés de démolir les temples qu'il avoit ordonné de rebatir pour 1'ufage des payens. Au contraire, quand les payens s'émancipoient h faire des infultes aux chrétiens, alors les évéques ne manquoient pas de repréfenter aux empéreurs qu'il étoit de leur devoir de punir les coupables, & de faire réparer les dommages. Entre mille, je ne citerai que S. Auguftin. En 408 les payens de Calame célébrant une de leur fêtes pafférent, dansant en troupes dans la rue, devant la porte de l'églife des chrétiens. Les cleres de l'églife voulurent empêcher cette infolence; mais une gréle de pierres les repouffa. Ce procédé des payens détermina l'évêque a faire fignifier au corps de la ville les dernieres loix contre les idolatres, qui d'ailleurs y avoient déja été publiées 1'année auparavant. Comme les chrétiens en preflbient 1'exécution, les payens attaquérent de nouveau leur églife a coups de pierG 5  6? de fEfpric-Humain, Chap. II. 107 fuflent punis & condamnés & les réparer. Selon ce principe les loix de pure police ne regardoient que les payens. II auroit été injufte d'obliger les chrétiens a les obferver é^alement. Quand on confidére les loix & la conduite des chrétiens contre les payens, quand on fe met devant les yeux Ja loi de Théodofe I, qui défend les facrifices, fous peine de profcription, foit dans les temples, foit dans 1'intérieur des maifons; celle qui ménace des plus grands fupplices ceux qui chercheroient 1'avenir dans les entrailles des viéiimes; celJe qui défend toute immolation fous peine de mort, & tous les autres aóles d'idolatrie, fous peine de confiscation des lieux ou ils auroient été faits, on eft étonné d'entendre enfuite les écrivains eccléiiaftiques louer les chrétiens pour leur douceur, leur tolérance, leur humanité, leur efprit de compasfion envers les payens. Qu'on fe rappelle la conduite des chrétiens, tant princes que particuliers , envers les payens depuis Conftantin jusqu'au regne de Théodofe, temps ou vivoit S. Grégoire de Nazianze, & qu'on juge après cela ce qu'on doit penfer de ce faint prélat, lorsque dans une de fes harangues il s'exprime ainfi: ,, II y a eu des temps, dit-il (e) aux payens, (O Orat. 4.  io$ Hiftoire des Revolut. du Gouvernement „ que nous avons eu 1'autorité en main; mais qu'avons nous fait k ceux de votre religion qui approche de ce que vous avez fait fouf„ frir aux chrétiens? Vous avons - nous öté vo)f tre liberté ? avons - nous excité contre vous 3, une populace en fureur! avons - nous établi j, des gouverneurs pour vous condamner au fupplice? avons-nous attenté a la vie de quel„ qu'un? avons-nous même éloigné perfonne 3y des magiftratures? En un mot avons-nous „ fait contre vous aucune des chofes que vous j, nous avez fait fouffrir, ou dont vous nous „ avez ménacés". S. Grégoire s'aveugloit iet fans-doute lui-même; & en faifant des reproches pareils aux payens il ne fe fouvenoit pas, qu'il combatttoit fes propres fentiments, & qu'il vantoit les principes de la tolérance, tandis que lui-même n'avoient que ceux de 1'intolérance. Car, dans une de fes harangues (ƒ) il blama publiquement l'empéreur Conftantius de n'avoir pas öté 1'empire & la vie k Julien k caufe dé fa mauvaife religion; & dans une autre harangue il blame encore Théodofe fon fouverain , de ce qu'au commencement de fon regne il fe conduifoit avec trop de réferve envers les héréci- (ƒ) Orat. 3. orat. i.  fc? derEfprit-Humain, Chap. II. 105' ques & les payens; il y dcclare qu'il n'ofe di« re, fi c'eft par un défaut de zele, ou par un excès detimidité, ou par prudence, que Théodofe propofoit d'attirer les ames a la vérité par la perfuafion, au lieu de les forcer, par la terreur , a quitter extérieurement leur héréfie. Ce faint étoit fi agité par fon efprit d'intolérance qu'il n'eut point de fcrupule de fe permettre les calomnies les plus atroces. Dans fes trois inveétives contre Julien fon fouverain , qu'il prononca après la mort de cet empéreur, il nous le peint comme un tyran fanguinaire exercant fes cruautés contre les perfonnes les plus irmocentes tant pour affouvir fa rage, que pour fatisfaire une furieufe fuperftition. II dit que ce fut particuliérement k Antioche que Julien fit paroitre fes cruaurés & fes vices les plus exécrables. Dans fa troifieme harangue il nous repréfente le fleuve Oronte, qui paffe par Antioche, presque comblé des corps de ceux qu'il avoit fait tuer ou noyer durant la nuit: il ajoute qu'il y avoit divers endroits écartés du palais, des foffes, des caves, des puits, des écangs qu'on avoit trouvc tout remplis de cadav res de perfonnes qu'il avoit fait martyrifer pourlenom de Jefus-Chrift. Que parmi ces martyrs on avoit remarqué un grand nombre d'enfants & de jeunes fillesj a qui il avoit fait öterla vie pour les faire fer-  6? de f Efpnt - Humain, Chap. II. u j Comme il n'eft pas croyable que ce faint perfons;age ait voulümemir exprès pour charger Ju* lien, il faut croire qu'il a été lui-même mal in- formé. S. Cbryfoftome portoit aux payens, & k tous ceux qui n'étoient point chrétiens, une haine, qui tenoit de la iureur. Les Antiochiens s'étant révoltés en 387 contre l'empéreur Théodofe I ils s'atrendirent k en être féveicment punis. La trifteffr écoic extreme: une grande partie des habitans avoient pris la fuite. Les évéques & les moines y accoururent en foule pour confoler le peupie, étengager les officiers du prince a lui faire des rapports propres k en obtenir le pardon. Entre autres un magiftrat payen leur avoit parlé pour les raffurer fur un faux bruit, qu'on avoit répandu d'une troupe de foldats qui devoit arrivcr. Saint Chryfoftome, qui, menant alors une vie afcétique , n'étoit pas encore évéque, fut p-éfent k ce difcours. Son indignation fut extreme de voir que des chrétiens s'arrêtoient 3 recevoir leur confolation d'un infidelle. II leur en fit après de grands reproches (HomiLi6.'). „ J'si rougi de honte,leur dit - il, que vous ayer „eubefoin d'une confolation étrangere. J'ai fait „ des vceux pour que la terre s'ouvrit & m'en„gloutit, quand j'ai entendu, comme il vous ,,parloit,tarit6t pour vous confoler,tantót pour  \it Hiftoire des Reyokit. du Gouvernement vous faire fentir votre lachêté. Vous ne deviez >) pas recevoir de lui des inftru&ions: c'eft vous ,, qui devez inftruire tous les infidelles. Certainement ces évéques li'agiffoient pas de bonne foi, ou bien la paffion les aveugloit. Quand féplife catholique fe trouvoit fous le jou^ , ils crioient qu'il écoit injufte & déraifonnable de perfécuter: quand l'églife dominoit, ils crioient qu'il ne falloit pas ménager les payeDS, ni les hérétiques. Auffi long-temps que le célebre S. Athanafe, évéque d'Alexandrie, fe fentit le plus fort a la cour de Conftantin, il ne voulut jamais confentir k avoir le moindre ménagement pour Arius. L'empéreur qui avoit banni cet hé éfiasque, a 1'inftance des évéques venus au concile de Nicée, ayant dans la fuite reconnu fa faute& 1'ayant rappellé, Athanafe, fans égard pour les ordres de Conftantin, ne voulut jamais lui permettre feulement de rentrer dans la ville d'Alexandrie (h); comme s'il eüt appartenu aux évéques d'exclure des villes de leur diocéfe cc ux qui avoient des fentiments réprouvés en matiere de foi, & de les en exclure même malgré le fouverain. Ce même S. Athanafe, lorfqu'il fut par Conftantius dépofé Qh') Socrate liv. I. ch. 14. Apolog. p. 777. & fuiv.  £-? de ï Efprit-Humain, Chap. II. 121 „ humilité, notre patience & notre obéiiTance „ dans les chofes raifonnablts ". (fuivant ce piincipe les evêques ne font plus tenus, fous les princes chrétiens, de mortrer leur humilité & leur obéiiTance, non pas même dans Jes chofes raifonnables.) Cependant S. Lucifer eut le courage d'envoyer ces fanglants écrits a l'empéreur même, qui, étonné de cette hardieffe, ne fit pourtant autre chofe,que de lui faire écrire par Florentius, maitre des offices, pour lui demander, fi en effet c'étoit lui qui les avoit erivoyés: & le faint evêque ayant répondu, qu'il reconnoiffoit ces écrits pour fiens, qu'il les avoit effeftivement envoyés a la cour par un exprès, & qu'il les renvoyoit encore pour que Conftance les examinat, le prince fe contenta de lui faire changer le lieu de fon exil, auquel il 1'avoft déja condamné auparavant. (apolog. Lucif.) II eft a remarquer, que S. Athanafe non content de ce qu'il avoit écrit lui-même contre l'empéreur Conftance, traduific encore en grec tous les écrits de Lucifer, pour qu'ils puffent être lus cn Oriënt, auflibien qu'en Occident. Telle étoit alors la faeon de punir des plus faints evêques. II eft trifte de voir ces contradiétions, ces emportemens,ces jeux des paffions dans Jes chefs H 5  ui Hiftoire des Revolut, du Gouvernement de l'églife, dès les premiers moraents de fa délivrance du joug des payens. Mais il eft beaucoup plus trifte encore de voir ces evêques en venir, pour ainfi dire, auxmains pour la moindre discorde qui s'éleve entr'eux fur des chofes de peu d'importance, fur des queftions frivoles, fur des fbbtilités inconcevables; attifer un grand feu, courir a la cour, intriguer, cabaler, gagner les eunuques,abufer les femmes, demander un concile après 1'autre, folliciter des loix cruellesles uns contre les autres ,fe calomnier réciproquement, envoyer des émiflaires dans toutes les villes, dans les déferts même, repaires de moines férocesjchercher a faire des fa&ions, afe procurer la faveur des gouverneurs, a attirer a fon parti les évéques; k prévenir les marchands, les artifans, les femmes du commun, k ameuter la populace, k faire venir des troupes de moines, a foulever enfin 1'Orient & 1'Occident, tandis que les nations barbares obfervent & faififfent toutes les occafions de ruiner les deux empires, & que les unes attaquent les frontieres, les autres pénétrent dans les provinces & les ravagent 6c encore d'autres entreprennent de porter la guerre & la défolation dans le cceur même de 1'un 65 de 1'autre empire. Leur intolérance portoit les chrétiens a fe détruire  124 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement avoit ménacé d'empêcher a Tavenir qu'on ne transportat du bied d'Alexandrie a Conftantinople (/). Conftantin ayant cru quelques unes de ces accufadons lui öta fon éveché jurant qu'il croyoit devoiragir ainfi en bonne confcience, (Théodor. Liv. ï. ch. 33.) & 1'envoya en exil a Treves dans les Gaules. Cet empéreur étant mort peu de temps après, Athanafe & fes partifans firent tant de bruit dans tout 1'Occident, & particuliérement a la cour de l'empéreur Conftant, que celui-ci prit hautement fon parti, & écrivit des lettres menacantes a Conftantius fon frere, empéreur d'Orient, oü il lui mande de rétablir Athanafe dans fon fiége, ou de s'attendre a y être contraintpar lesarmes (m). Voila donc une guerre civile prête a éclater entre deux freres, & k embrafer 1'Orient & 1'Occident pour un évéque, qui prétendoit qu'on n'avoit pas Ie droit de lui infliger des peines temporelles pour une fimple dispute théologique, après que lui- •'■ 1 ' ) " ! 1 — (O Voy. fa propre apologie Socrat. Hifi. Liv. 1. ch 14. & 27. Philolt. Liv. 3. oh. 11. Sozomen. Liv. 2. ch. 17. & ch. «5. (m) Voy. S. Athanafe lui-même dans fon epit. aux folitaires. Socrat Hift. Liv. 2. ch. 23. Sozom. liv. 3. Ch. 20.  fe? dt ï'Efprit -Humain, Chap. II. ia$ même avoit ufé de la même rigueur pour la mêr me dispute envers le prêtre Arius, malgré les prieres & les menaces de Conftantin («). Après Je retour d'Athanafe a Alexandrie on 1'accufa de crimes encore plus odieux. On lui imputoit d'avoir caufé a fon retour du tumulte & des féditions parmi le peupie, dont la plus grande partie 1'avoit vü rentrer a regret; d'avoir pillé les églifes d'Alexandrie; d'y avoir commis (n) Conftantin , après avoir dépofé &exilé le prêtre Arius, s'en repentit, ie rappella, & lui permit de retourner a Alexandrie. Mais Athanafe ne voulut jamais ni le lailfer rentrer dans la ville ni 1'admettre a la communion. Conftantin, informé de 1'oppofition opiniStre de cet évéque, lui envoya deux officiers avec une lettre , oü il lui ordonne de ne point s'oppofer a 1'entrée d'Arius dans ia ville, ni dans l'églife: car fi j'apprends, ajoute-t-il, que vous 1'avez refufée a quelqu'un de ceux qui la défirer.t, j'enverrai auffitöt vous dépofer & même vous éloigner. Mais S. Athanafe rapporte lui-même, dans fon apologie, qu'il ne fe Iaiffa point intimidcr par ces menaces, & qu'il pcrfifta dans fon refus. H engagea même S. Antoine, qui avoit un afcendant extraordinaire fur les habitans d'Alexandrie, a defcendre de la montagne pour venir fortifier les fideiles, & excomunier folemnellement les aricnscequc S. Antoine exécuta avec tant de vigueur, qu'ii déclara , que cette héréfie annonijoit la prochaine arrivée de 1'antechrift. Vie de S. Ant. ch. 24.  126 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement des violences & des meurtres; d'avoir détoürné les fonds des aumönes, que Conftantin avoit ofdonnés pour la fubfiftance des veuves & du clergé en Lybie & en quelques endroits de 1'Egypte 'y & d'avoir fait vendre pour fon profit particulier le blé deftiné k cet ufage, dont il avoit la diftribution (Apol. Athan. p. 724. £? fuiv.~) II fut encore chafié & récabli de même fous Ie même Conftantius. Quelque temps après la mort de ce prince, l'empéreur Valens, ennemi des catholiques , avoit déja donné fes ordres pour chaffer ds nouveau Athanafe d'Alexandrie. Mais 1'hiftorien Sozomene dit (Liv. 6. ch, 12.) qu'il les revoqua auffitót fur les rémontrances qu'on lui fit, que cette démarche le brouilleroit avec fon frere l'empéreur Valentinien, qui protégeoit cet évéque; ou que du moins les partifans d'Athanafe, qui étoient en très-grand nombre, feroiént des mouvemens pernicieux a 1'état. Maii fi les accufations des ariens contre S. Athanafe étoient vraies, quels horribles gens étoient donc lesorthodoxes: &fi elles étoient faufles qüelle méchanceté inouie que celle des chrétiens hérétiques. Les prêtres des faux dieüx n'ont jamais rien fait de pareil. Falloit-il donc que ce fut le deftin de la religion chrétienne de raffembler dans fon fein les gens les plus méchants. Les ariens avoient un autre ennemi redouta-  £-? de V'Efprit-Humain, Chap. II. 129 tinnple vers la fin du quatrieme fiécle, il y avoit dans cetce ville, felon fon propre rapport (O, cent mille Chrétiens, outre un grand nombre de Payens & de Juifs: la moitié de ces Chrétiens éroient pauvres, mais les autres cinquante mille P'ffé'oient tart de richeffes, que, fi l'on pouvoir ajuuter foi au témoignage d'un faint, qui n'avoit pas grande connoiffance du monde, leurs biens fe montoient k deux & même k trois millions de livres d'or, ce qui fait une fomme prodigieufe, fur tout pour ces temps-la. Le fiége de Rome 1'emportoit encore fur celui de Conftantinople non feulement pour 1'honneur, mais pour les cornmodités de la vie & les moyens d'amaffer des richeffes. Ammien Marcellin, après avoir rapporté ( s) le fchisme & les troubles arrivés dans cette ville après la mort du pape Libere peur l'éleér,ion de fon fucceffeur, ajoute: quand je confidére la fplendeur de Rome, j'accorde aiféimntf que ceux qui afpirent a cet évêché nefont pas mal de faire tous leurs effbrts pour Fobtenir , puisqu'ils y trouvent un établijfement affuré, oüils font enrichis des offrandes des dames: ils fortent en chariots, habillés avec magnificence : Qr ils fent fi (r) Jean Cryioftom. hom. 45. (O Amm. Marcell. Liv. 27. ch.-3. Tome I. I  6? de VEfprit-Humain, Chap. II. 135 au contraire les Orientaux le foutenoient, & rejettoient Paulin (Paul. ep. 349-)- A Conftantinople S. Grégoire de Nazianze, dans le temps qu'il gouvernoit cette égüfe , prononca deux fermons devant le peupie pour le porter a fe tenir tranquille, & k mettre fin a cette divifion qui y cauoit de grandes allarmes. 11 leur dit, que c'étoient les paffions qui étoient la vraie caufe de cette querelle. & que tandis que chacun fe couvre du prétexte de la foi, celui qui le jour précédent étoit catholique, fe trouve hérétique le lendemain fans favoir pourquoi. II leur fait voir, que plus ils fe piquent de prendre part a ces disputes fous prétexte de la foi, plus ils deviennent méchants; que déja la vertu étoit même décriée au point, que l'on ne croyoit plus qu'il y eüt perfonne quilapratiquatfincérement, & que ce mépris paffoit jusqu'a la religion, dont on jugeoit par ceux qui 1'enfeignoient. (Gregor. Or. 13.6? 14-) Mais les conciles occafionnérent le plus fouvent des fuites bien plus funeftes encore. Le but des conciles étoit de déterminer les questions de la foi, & de regler la difcipline. Or comme,les queftions entrainoient toujours des disputes, & les disputes des animofités, des aigreuts, des injures & des calamnies mutuclles, chaque parti fe roidiffoit, s'aveugloit, s'éI 4  &> de rEfprit-Humain, Chap. II. "139 ,} la fincérité de mon cceur, vous m'ayez répondu d'un ftyle fi peu convenable, qui ne j, refpire que la contentlon, le fafte & Ia vanité. Ces manieres font éloignéos de la foi chrétienne , puisque je vous avois écrit avec chi„ rité, il falloit répondre de même, & non pas „ avec un efprit de dispute: (x) "Les Ariens s'adrefierent a l'empéreur Conftance qui les protégeoit: il convoqua concile fur concile, parmi lesquels celui da Rimini eft remarquable par la chüte malheureufe de prés de quatre cents évéques catholiques , qui fe laifférent furprendre par les artifices des Ariens, qui n'y étoient qu'au nombre de quatre - vingt, & intimider par les menaces des officiers de l'empéreur (31). Deux ans auparavant les mêmes caufes avoient produit les mêmes effets dans Ie concile dc Sirmium. Potamius évéque de Lisbonne s'y diftirigua d'abord par la défenfe de la foi cathöliquë; mais il finit par Ia trahir pour obtènir une terre du fifc qu'il defiroit avoir (2). Lefameux évéque deCordoue, Ofius, qui avoit eonfeffé dans O) Aót. Concii. Sozom. Hifi Liv. 3- ch. 5. & 6. (y) Voy.Basnage Annal. Politiq. Eccles.fur l'an. 359, FleuryHiftoir. Ecclés.Tillem.Hift.Ecclés. fur la même année. Cs) Lffiefl. Marcel. & Fauttin.  140 Hiftoire des Revohit. da Gouvernement la perfécution, que les evêques catholiques véneroient, depuis le concile de Nicée, comme leur pere, & qui conduifoit déja depuis long - temps tous les conciles, ne pouvant réfifter aux violences des Ariens, fuccomba de même & fouscrivit une fauffe profeffi m de foi que Potamius avoit compolée; enfin le pape Libere lui-même, féduit par Fortunatien, évéque d'Aquilée, approuva & fouscrivit la même profeffion de foi, renonca a la communion de S. Athanafe & embraffa celle des Ariens («). L'hérefie de Neftorius occafionna , comme toutes les autres, plufieurs conciles, parmi lesquels le plus remarquable eft le concile oecuménique d'Ephefe, convoqué par Théodofe le jeune en 431. II y eut dans ce concile de grandes conteftations, comme dans tous les autres, entre les Catholiques & le parti de Neftorius. Candidien, comte des Domeftiques, que l'empéreur y avoit envoyé en fon nom, lui ayant don né avis des excès qui s'y étoient commis, & de la discorde fcandaleufe qui y regnoic, Théodofe y envoya un refcrit par un magifterien, c'eft-adire un officier du maitre des offices, par lequel il déclaroit nulle la dépofition de Nefto- (a) L-iber. ep. T. 10. ad Viuc. Athanas. de fug.  15© Hiftoire des Revolut. du Gouvernement pes, pour lui procurer plus d'autorité, firent joindre les canons de ce concile a ceux du concile de Nicée, dont ils vouloient qu'on le regardat comme une fuile, & citérent depuis toujours les canons de Sardique comme des canons de Nicée. Le pape Zofime réuffit par cet artifice a furprendre , en quelque maniere, les évéques d'Afrique : car ces évéques trouvant étrange ce que le pape leur mandoit dans le premier article au fujet des appellations des évéques k Rome, & dans le troifieme, cü il vouloit que les caufes des clercs fufient portées devant les évéques voifins, ils ne fcurent qu'y répon. dre, puisqu'ils n'avoient aucune connoiffance de ces canons du concile de Nicée, que Zofime leur alléguoit. Ils cherchérent ces canons & ne les trouvérent point. Cependant ils n'ofoient pa.s croire que le pnpe leur en eüt impofé. Airfi ils lui firent réponfe, qu'ils fouffriroient que lc pape en ufat comme il vouloit par provifion, pendant quelque peu de temps, jusqüri ce qu'ils fufient mieux informés des décrets de Nicée. (voy. Auguft. ep. 229 & 44- Epift. cont. Afrïc. ad Ponif. torn. 2. Conc. Epift. ad Caeieft. ib.~) Après qu'Eutycbés eut été condamné pour fa. nouvelle héréfie par S. Flavien, évéque de Conftantinople, cet héréfiarque écrivit au pape §. Léon: „on vouloit me faire confeffer deux  £f de ïEfprit-Humain, Chap. N. 151 „ natures: pour moi je n'ofois raifonner fur la ,, nature du Verbe divin, ni anathematifer les „ faints peres Jules, Fclix, Athanafe & Gré„ goire, qui ont rejeté le mot de deux natures, „ C'eft pourquoi j'en ai appellé a votre fainteté, „ & j'ai prié qu'on lui en fit rapport, prote„ ftant de fuivre en tout votre jugement. Mais „ on ne m'a point écouté, & on a prononcé „ contre moi une fentence de dépofition". (Coll. Lup. 6\) Ce recours d'Eutychés flatta extrêmement le pape S. Léon. II écrivit auffitöt a FJavien , qu'il ne voyoit pas avec quelle juflice Eutychés avoit été féparé de la commuflion de l'églife. Après quoi il lui demande une ample relation de tout ce qui s'étoit pafle a ce fujet. (Leo. ep. 10.) Mais S. Flavien n'avoit pas moins d'adrefTe que S. Léon. Voyant que la cour impériale alloit décider contre lui, & que furtout 1'eunuque Cryfaphius , qui gouvernoit Théodofe le jeune, avoit pris le parti d'Eutychés , il répondit au pape, qu'il n'étoit pas vrai qu'Eutychés en eut appellé au fiége de Rome: qu'au contraire il fe recommandoit lui-même Jt fa fainteté, qu'il le prioit de faire fa propre caufe de celle qu'il avoit avec Eutychés, de procurer la paix, & d'empêcher fur tout le concile,que l'empéreur alloit convoquer a Ephefe. (Epift. 21.) Cette modeflie & cette foumiflion de S. Flavien, qui K 4  152 Hiflo-irs des Revolut. du Gouvernement & foumettoit en quelque facon au jugement dg S. Léon, & imploroit fon fecours, & fur - tout 1'averfion qu'avoient déja les évéques de Rome pour'tous les conciles que l'on tenoit en Oriënt, k caufe de la fupériorité dont y jouiffoient les évéques orientaux , déterminérent S. Leon a prendre le parti de l'évêque de Conftantinople: & l'empéreur ayant en effet convoqué en 449. le concile d'Ephefe, Léon y envoya fes légats, quilogérent chez l'évêque Flavien, mangérent afa table & en recurent toutes fortes de fervices, ce qui fit qu'Eutychés les déclara fufpeéts. (Conc. Chalcad. act. 1. p. 150.) Ce concile ayant approuvé la doftrine d'Eutychés & condamné & dépofé S. Flavien, S. Léon demanda k l'empéreur un concile en Italië, oü il vovoit bien que les chofes iroient autrement, les Occidentaux, qui le reconnoiffoient pour leur chef, ne pouvant manquer d'y avoir la fupériorité fur les Orientaux. La chüte de 1'eunuque Chryfaphius & la mort de Théodofe le jeune facilitérent 1'accompliffement des vceux de S. Léon. L'empéreur Marden convoqua en 451 le concile oecuméflique de Calcédoine , oü les Occidentaux 1'emportércnt fur les Orientaux (*> Cependant (?) II faut lire les actes de ce concile pour pren lence ou la politique les terminoit: & les effets qu'ils produifoient, c étoient Ia difcorde, la haine , la oerfécution, des confiscations de biens, des baonifiemens, des (upplices, des tumultes dans les villes, des féditions dans les états, des eonfpirations a la cour, des guerres civiles. Combien de malheurs inconnus avant la converfion de Conftantin. CHAPlTRÊ TROIS IE ME. Nouvelles efpeces de bigoterie, nouvellesfuperftitions, nouvelles mceurs. Les Chrétiens cherchent a renché. rir fur les Efféniens, les Therapeutes, les PMlofop ies. Doctrine & moeurs des Efftniens, cj? des Therapeutes. Les Philofophes accourent en foule a Alexandrie. Les prêtres egyptiens fe rapprochent en plufieurs points des dogmes des feftes qui étoient les plus efiimées a la cour. Les philofophes fuivent leur exemple. De Ik les Synchrétifles, ö" puis les Eccletliques. Ammonius Saccas eft Vauteur de VeccleEtisme. Ses difciples. Fanatisme de ces philofophes. Fanatisme des Phariftens. Les Chrétiens du temps de Conftantin mèconnoiffmt 1'efprit de Vêvangile, €ff quittent fes préceptes pour embr offer ceux des philofophes,  174 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement des afcetes juifs, 6P des Phariftens. Les nouvelles fuperfiitions des Chrétiens devinrent plus pemicieufes a 1'état, que la fauffe religion des Payens. Moines. Leur nombre prodigieux: leurs vétemens: leurfaleté: leurs auftérités étonnantes: leurs richeffes, leur fanatisme, leurs fuperfiitions groffiéres. Ils fe vantent de chaffer les démons. Des legions de démons obfedent leurs monafleres. Opinion abfurde peu chrétienne qu'ils ont de la figure de Dieu. S. Antoine. S. Paul. S. Siméon Stylite: étonnantes folies de ce dernier. On leur attribue de faux miracles. Fauffe raifon de la perfécution de Valêrien, fondée fur de faux miracles attribués aux Chrétiens. Les Chrétiens méprifent toutes les fciences. Exemple s de S. Grégoire de Nazianze cj? de S. Bazile. Les Chrétiens deviennent par la fi ftmples qu'ils fe laiffent tromper par les impofteurs les plus groffiers. Exemple de Pèrégrinus. Les philofophes payens, jaloux des chrétiens, inventent auffi des miracles. L'Afie étoit dans ce temps l'ècole de la fuperftition. Goüt fingulier de Julien pour la fuperftition. Conftantin ne connoisJoit point les regies de l'évangile. II étoit fuperftitieux. Ses fucceffeurs Vont furpaffé de plus en plus. Exemple de Conftant, Conftantius, Valens, de Théodofe. Cet empéreur choifit S. Ar. cene pour prècepteur & gouverneur de fes en-  (f de rEfprit- Humain, Chap. III. 175 fants Honorius Arcadius. Mauvaife éducation qu'ils en ont recue. Piélé pernicieufe de Théodofe le jeune. Scipion l'Africain a été, après Numa Pompilius, le plus grand bigot, dont l'hiftoire des Romains idolatres aït faitmention (a). Cependant ce même Scipion a été un des plus grands capitaines de 1'ancienne Rome, & 1'homme le plus inftruit, le plus éclairé, le plus poli, le plus aimable & peut-être même le plus galant de fon temps (Z>). Cela marqué, que dans la (a) Voy. Tite - Live lib. 26. cap. 19. Fuit Scipio non veris tantum virtutibus mirabilis, fed arte quoque quadam ab juventa in oftentationem earum compofitus. Pleraque apud multitudinem aut per noóturnas vifa fpecies , aut velut divinitus mente monita, agens-, five & ipfe capti quadam iuperftitione animi, five ut imperia confiliaque velut forte oracuh milfa fine cunctatione afiequeretur. Ad hxc jam inde ab initio pr«parans animos, ex quo togam virilem fumfit, nullo die prius publicam privatamve rem egit, quam in capitolium iret, ingreifusque xdem confideret: & plerumque tempus folus in fecreto ibi tereret. Hic mos qui per omnem vitam fervabatur feu confulto, feu temere , vulgatse opinioni fidem apud quosdam fecit, fiirpis eum divinse virum efle. (10 Le diftateur Fabius Maximus, celui-la même qui arrêta les progrès d'Annibal, avoit fi mauvaife  &de V'Efprit-Hamnin^ Gfaap. HL 17? in'étoit donc pas nuifible a 1'état. Mais nous allons voir, que la bigotterie des Romains chrétiens ruina ks deux empires. Dans les premiers fiecles de l'églife naiffante , plufieurs fe6t.es de philofophes & de Juifs afcéciques, établies dans les lieux mêmes, oü le chriftianisme avoit commencé a s'élever & k fe répandre, ont concouru k corrompre étrangement la fainteté & la pureté des préceptes de J. C. & des apótres. Com> me ces feéles faifoient toutes profeffion d'une grande auftérité, les chrétiens, k qui leur religion enfeignoit a méprifer les vanités de ce monde , s'imaginérent, qu'étant en poffefEon de la feule vraie religion, il étoit de leur devoir de s'évertuer a furpaffer ces fedes aufteres en tout ce qu'elles appelloient vertu , ou regardoient comme moyens de parvenir a la vertu. Les Efféniens, Juifs d'origine, fe repréfentant 1'ame formée d'un éther fubtil, immortelle de fa nature, & enfermée dans le corps, comme dans une prifon, enfeignoient que pour méri-* ter le falut éternel, il falloit extirper toutes les paflions, fe refufer a tous les plaifirs, «Sc par conféquent fuir les femmes & s'abftenir , felon les uns, abfolument du mariage, felon Jes au* tres, autant que l'on poüvoit fe promettre de dompter fes paflions. Loin des villes, oü ils nè rcroarquoient que des fcandales; & des temples» Tome L M  178 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement oü ils ne voyoient que des profanations , ils vi. voient de 1'agriculture dans une grande fobriété; fe regardant comme freres, & ayant leurs biens en commun. Les Therapeutes , autre efpece de Juifs, plus rigides que les Efféniens» menoient une vie toute contemplative : ils fe regardoient comme des gens qui n'appartenoient déja plus a ce monde , ils quittoient leurs parens, leurs freres, leurs femmes, leurs enfants; ils renoncoient ü tous ks attachemens de la terre , & ils abandonnoient jusqu'a leurs biens pour fe retirer dans des folitudes oü ils ne s'occupoient que de Dieu & des perfeétions divine6. j, Ils vivent folitairement, dit M. Vdbbè de Con„ dillac (c), a une petite diftance les uns des au„tres, & pendant fix jours chacun eft renfermc 3) dans fon hermitage, fans fortir , fans regarder „ même dehors. Ils ne prcnnent jamais de nourri„ ture qua le foir, perfuadés que le jour eft deftige k 1'étude de la fageffe,& qu'on ne doit don„ner aux foins du corps que quelques momensde „ la nuit; lis font mêmecommuncment plufieurs Cc) Cours d'Etud Liv. 15. ch. 3. Tout cc qui regarde les difterentes fefiles de Philofophes & d'Ascetiques, dont je fais ici mention , a été tiré de cet ouvrage de M. 1'abbé de Condillac, & de l'hiftoire öe la Philofophie de Brucker.  l85 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement ques, & qui donnoit une grande confidération a fes feétateurs. Ils étudiérent donc ce fincrétisme qui conciliant Platon, P}uhagore, Hermés & Zoroaftre , leur fit concevoir le defièin de concilier encore Moyfe avec ces philofophes, & leur en montra le moyen dans 1'ufage des allégories. Frappés de la maniere, dont les Platoniciens parloient de Dieu, ils fe regardérent, dans le Mufée d'Alexandrie, comme dans une de leurs écoles: ils crurent entendre Moyfe: cette conformité les flatta: ils en cherchércnt la raifon: ils fe perfuadérent bientöt, que Moyfe étoit la fource oü Pythagore & Platon avoient puifé leurs doélrines. Dès Ioj s ils répandirent comme une chofe füre que les philofophes payens avoient tiré des livres de JMoyfë tout ce qu'üs avoient dit de mieux. Les Juifs d'Alexandrie ayant 'tranfporté en Judée cette philofophie myftérieufe & fymboJique, elle y trouva auffitót des fe&ateurs; mais en 1'adoptant, ces feétateurs prétendirent & débitérent que c'étoit la même doctrine que Dieu avoit révélée a Moyfe; & que bien loin d'êrre une fcicnce nouvelle, elle s'étoit toujours confervée en Judée par une tradiiion orale, que Jes perfonnes les plus appliquccs a 1'étude des chofes divines s'étoient transmifes Jes unes aux autres. Cette feetc fut ceJle des Pharifiens. D'a-  £f de rEfprit - Humain, Chap. III. ï 8? prés leur principe ils fe mirent a appliquer les allégories a 1'écrkure, & ils la corrompirent. Surchargeant la loi d'une infinité d'obfervations frivoles, ilsfe piquoient fur - tout de faire des oeuvres de furérogation. Ils jeunoient plus fouvent que les autres Juifs , faifoient de plus longues prières, couchoient fur des pierres, & pratiquoient des auftérités de toute efpece. Et comme chacun obfervoit ce qu'il croyoit voir dans 1'écriture, chacun auffi imaginoit des mortifications différentes. Les uns, par exemple, marchoient fans lever les pieds; d'autres, en marchant, frappoient la tête contre les murs, & quelques uns étoient envéloppés dans un grand capuchon, d'oü ils regardoient comme du fonds d'un antre. A cette vaine fcience, & a cette fauffe piété qui en impofoit a la multitude, les Pharifiens joignoient encore 1'ambicion de 'commander , ils ne négligeoient rien pour ö'attacher le peupie : ils acquirent beaucoup d'autorité,- ils excitérent des guerres civiics; ils perfécutérent lorsqu'iis furent ks maïcres ; ils fouffrirent 1'exil & la mort piütöt que d'obéir a leurs fouverains. Nous allons retrouver les principes de toutes ces différentes feétes chez les Chrétiens du temps de Conftantin & de fes fucceffeurs. Et cela eft bien naturel. Les Chrétiens qui quittoiect leju-  ■ ■jgg Hiftoire des Revolut. du Gouvernement daïsraeou 1'idolatrie, ne vouloienc point céder en doctrine aux Payens, ou aux Juifs: ils vouloient encore les furpaffer en piété & en oeuvres furérogatoires. Les nouveaux Chrétiens, ou du moins les favans parmi eux, faifoient fur - touc grand cas du Platonisme d'Alexandrie, trés - différent de celui de 1'Académie, puisque ce dernier avoit été corrompu par les abfurdités du fincrétisme & de 1'éclectisme. En examinant les peres du fecond fiecle, on voit qu'ils ont voulu être philofophes: & en examinant ceux du troifieme & des fuivans, on voit qu'ils ont voulu être k la fois & philofophes & orateurs. Plus le chriftianisme s'étend, plus les Chrétiens s'éloignent de la fimplicité de leur divin 1'égislateur, dans leur conduite ils s'éloignent encore plus de la morale des apötres. A 1'amour de Dieu & de fon prochain , qui fait la bafe de l'évangile, le fanatisme fubftitua ce rigorisme abfurde, incompatible avec la nature humaine, pernicieux aux états, que nous avons dit avoir été enfeigné par les philofophes d'Alexandrie, pratiqué par les afcétiques d'Egypte, & adopté par les Pharifiens de la Judée. Quand Conftantin quitta 1'idolatrie, il trouva déja la religion chrétienne & la doctrine de l'évangile étrangement défigurées par les fottifes des fanatiques,. & par la philofophie ténébreufc  ê? de FEfprü-Humain, Chap, III. 195 gieufes; qu'il y en avoit qui fe chargeoient de chaines de fer pour raatter leurs corps; qui s'enfermoient dans des loges & ne fe montroient a perfonne; qui demeuroient vingt jours & vingt nuits fans manger. D'autres s'abftenoient entiérement de parler & même de réciter des prieres pour ne louer Dieu qu'en efprit: d'autres pasfoient les années entieres dans les églifes les moins étendues fans dormir, comme des ftatues animées. Etonnant fanatisme, que le témoigna-] ge même de S. Bafile ne rendroit pas croyable, Cl ce faint n'eüt écrit ces détails k Hellenius, in. tendant des tributs a Nazianze même, qui étoit a portée de tout vérifier. Ils s'affembloient pour prier le foir & la nuit; & k chaqua fois ils recitoient douze pfeaumes, prétendant que cela avoit été enfeigné k leurs peres par un ange, qui vint chanter au milieu d'eux onze pfeaumes, avec une oraifon après chacun, & puis en ajouta un douziéme avec alleluja & difparut. Le fignal de la priere fe donnoit avec une corne: ils n'avoient ni cloches ni horloges. Dans leurs cellules ils avoient pour tous meubles une natte pour fe coucher, & Un paquet de groffes feuiiles de la plante nommée papyrus, qui leur fervoit de chevet pour la nuit, & de fiége pour le joür. Hormis le lamedi & lé dimanche 3ils ne s'affembloient que de nüitpotrr N 2  ïq6 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement prier enfemble: les autres jours ils demeuroient dans leurs cellules k travailler & k prier. Ce régime étoit bien propre k donner 1'effor a 1'ame: il exaltoit d'autant plus leurs fantaifies > qu'ils avoient moins de jugement. Caffien alla vifiter un jour 1'abbé Sérene, qui demeuroit k Celles entre Nitrie & Scetis; ce moine étoit fort eftimédes autres fur-tout par fa pureté évangélique, felon 1'expreffion de 1'auteur. Cet abbé lui paria beaucoup de la mobilité de 1'ame & du pouvoir des démons fur elle: il lui raconta comme un fait certain, que cet endroit étoit tourmenté des démons, & que les moines en étoient fouvent attaqués vifiblement, de forte que dans les communautés on étoit obligé de veiller tour k tour pour faire la garde. Tous les monafteres de ces contréts étoient plus ou moins infeftés des démons: & les plus faints d'entre les moines étoient continuellement occupés k les combattre. Les premières hoftilités avoient déja commencé dès les premiers établifllments de S. Antoine. Ce faint eut de rudes combats k foutenir contre les démons: ils venoient, k ce qu'il difoit lui-même, fondre fur lui en troupes, & fouvent ils le battoient fi rudement, qu'il en perdoit la parole, & fentoit des douleurs excelïïves (vie de S. Antoine ch. 5.) S. Athanafe 1'ayant une fois fait venir k Alexan-  ff de VEprit-Humain, Chap. III. 197 drie pour excommunier les Ariens, les habitans s'attroupérent un jour en il grande quantité autour de lui, que quelques uns penfant que la foule pourroit 1'incommoder, fe mirent en devoir d'écarter le monde. Mais S. Antoine leur ordonna de n'en rien faire, & leur dit: ils ne font pas en plus grand nombre que les démons avec qui nous fommes accoutumés k combattre fur la montagne. (vie de S. Antoine ch. 24.) Les moines qui alloient vifiter S. Antoine entendoient fouvent fur la montagne un grand tumulte de voix, & comme un bruit d'armes, & voyoient la nuit le montagne pleine de bêtes farouches, tandis qu'il étoit en prieres. La plupart des laï'ques qui venoient chez S. Antoine étoient poiTedés des démons: il les en délivroit presque tous. S.Hilarion, fon difciple, en délivra un entr'autres , qui, au rapport de S. Jeröme dans la vie de ce faint, avoit dans fon corps une légion de démons. D'autre part ces puiffants chafleurs des démons avoient une idéé fi grofliere & fi peu chrétienne de Dieu, qu'ils s'imaginoient presque tous, encore au commencement du cinquiéme fiecle, que Dieu avoit une figure humaine: & comme Origenes avoit été un des premiers a défabufer les chrétiens fur ce fujet, ils traitoient d'Origeniftcs ceux qui prétendoient leur enfeiN 3  198 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement gner Ia vérité. Théophile évéque d'Alexandrie ayant entrepris dans une lettre pafcale de réfuter Terreur des moines, ils fe foulevérent contre lui, & publiérent par - tout que l'évêque étoit tombé dans une dangereufe héréfie. Les moines deScetis qui paffoient pour les plus éclairés de toute 1'Egypte, rejettérent la lettre de l'évêque avec indignation. Tous les prêtres qui gouvernoient les églifes de ces moines étoient du même fentiment, hormisPaphnuce, qui chercha en vain a éclairer les autres, car il ne put venir k bout de détromper aucun moine , excepté un certain Serapion. Ce moine même fut bien faché d'avoir prêté 1'oreille k la vérité: car s'étant profterné k terre pour prier, il s'écria en pleurant. Helas ! en m'a été mon Dieu, ö1 je nefai plus qui j'adore (ƒ). Mais quant aux autres moines, ils quittérent leurs monafteres, & coururent k Alexandrie dans 1'intention d'asfommer l'évêque en cas qu'ils ne puffent pas l'obliger a fe retraéfer. Mais l'évêque les appaifa en allant au devant d'eux pour les careffer, &' en leur faifant ce compliment: quand je vous voisy je crois voir le vifage de Dieu (ƒ) Cafiïen Coll. 10. ch. 5. (g) Idem ibi. fupl. liv. aio. n. 7.  & de rEfprit.Humain, Chap. III. 199 Vers la moitié du cinquiémc fiecle il fe trouva en Syrië un faint moine, qui fe diftingua de tous les autres par des oeuvres de la plus extravagante fuperftition. Ce fut S. Simeon Stylite. A Fage de treize ans il entra dans un monaftere, oü il furpaffa bientöt tous les autres moines par fes acles de piété, & fes mortifications. Un jour il prit la corde d'un puits, & s'en ferra le corps, de facon qu'elle lui entra fort avant dans les chairs: les moines s'en appercurent au bout de dix jours k la puanteur & au fang qui en dégouttoit: alors le trouvant trop exceffif dans fes mortifications; ils le firent fortir de chez eux. 11 fe retira dans le plus défert de la montagne, oü ayant rencontré une citerne, il y defcendit pour continuer a prier, & y refta jusqu'a- ce que les moines, touchés de repentir de 1'avoir chaffé, 1'envoyérent chercher «Sc 1'en firent retirer. Cependant il quitta dans le fuite ce monaftere de fa propre volonté, & alla fe nicher dans une loge qu'il déterra dans une montagne prés d'Antioche. La il lui tomba dans 1'efprit de ▼ouloir imiter le jeüne de Moïfe & d'Elie, & de paffer quarante jours fans manger. 11 prit dix pains & un vafe plein d'eau en cas qu'il ne put pas foutenir un fi long jeüne, «Sc fit murer 1'iflue de fa caverne. Au bout des quarante jours 1'abbé Bafius, a qui il avoit communiqué fon desN 4  ioo Hiftoire des Revolut. du Gouvernement fein, ouvrit la porte, & entra dans la caverne, oü d trnuva les dix pains,& le vafc encore plein d'enu. Siméon étoit profterné fans donner aucun figne de vie. L/abbé iui humeéh la bouche avec une éponge, & lui adminiltra 1'Euchariftie. Sircéon reprit alors fes forces; il fe leva, & commenca a manger des laitues& de lachicorée. Depuis ce temps ce folitaire continua, pendant vingt trois ans, de jeuner ainfi tous les ans quatorze jours de fuite. Après avoir demeuré trois ans dans cet antre, il monta au haut de la montagne , oü il s'enferma dans une enceinte de murailles, ayant une chaine de fer de vingt coudées de long, attachée par un bout k une groffe pierre, & par 1'autre k fon pied droit. Ces mortifications ne fatisfaifant pas affez fon imagination exaltce, il fa détermina k vouloir paffer ie refte de fa vie fur une colomne. II en fit faire uned'abordde fix coudées, puïs de douze, puis de vingt deux, & enfin de trente fix. Lk il s'occupoit continuellement k la priere, tantöt debout, tantöt incliné: il aimoit fur-tout a faire des inclinations profondes & fréquentes: il s'inclinoit fi bas, qu'il touchoit du front aux doigts de fes pieds, & fi fouvent, que les alMans comptérent une fois jusqu'k douze eens quarante quatre inclinations. 11 ne mangeoit qu'une fois la femaine, & point du tout pendant le  ff de VEfpriuHumain, Chap. III. 20Ï carême (/z> Siméon n'étoit pas le feul moine de fon fiecle, qui fit une fi cruelle guerre k fon eftomac. II y en avoit plufieurs autres, parmi lesquels les hiftoriens diftinguent fur tout S. Dalmace, moine de Conftantinople. Sulpice raconte dans fon hiftoire qu'il pafla quarante jours fans manger & qu'il fut autant de temps en extafe. Mais revenons a S. Siméon. La fuperftition étoit déja k cette époque fi générale, & fi enracinée, qu'on accouroit de toutes parts pour admirer ce faint, & pour lui demander des miracles. On y venoit des extremités d'Occident, d'Italie, des Gaules, d'Efpagne, de la Grande - Bretagne. Les infidelles même s'y rendoient en grande foule: les Ibériens, les Arméniens, les Perfes, & particuliérement les Arabes Ismaëlites; ils venoient en troupes de deux ou trois cents, quelquefois de mille. Théodoret en parle comme témoin cculaire; & il rapporte qu'une fois il s'en faliut peu qu'il ne fut écrafé par la foule de barbares, qui refouloient vers la colomne. L'empéreur Marcien , tout fenfé qu'il étoit d'ailleurs, fe (h) Tout cela eft attefté par Théodoret Lee. 2. qui connoiflbit de perfonne ce faint, & qui le vit en pa;rieiilier fur fa colomne, J N 5  %o% Hiftoire des Revol. du Gouvernement déguifa, pour 1'aller voir, comme un particulier. L'hiftoire de ces temps attribue a tous ces faints des miracles, qui conviennent parfaitement a leur efpece de fainteté, & k Tabfurde & fuperftitieufe maniere depenfer, qui avoit alors abruti généralement les efprits des Chrétiens. Les uns font des miracles dont la fauffeté eft évidente, tels que ceux, par lesquels on veut qu'ils ayent délivrés les perfonnes poffedées de démons: les autres font indignes de la majefté de Dieu, parcequ'ils ont plütót fair de traits de drölerie & de tours de gibeciere; indignes de fa fageife, parcequ'ils ont été faits par des motifs de nulle importance; indignes de fa bonté, parcequ'ils n'étoient d'aucune utilité ; indignes de fa toute-puiffance, parcequ'ils n'étoient point foutenus & que ce que fon avoit obtenu par un miracle étoit bientöt détruit d'une autre maniere. Entre des miiliers cTexemples que nous pourrions donner nous n'en choifirons que trois ou quatre. Le folitaire Ammon, ami & difciple de S. Antoine ,voulant paffer un jour un fleuve,nommé Lycus, il prie Théodore, fon difciple, qui ctoit avec lui de s'écarter, afin qu'ils ne fe visfent point nuds en nageant: puis il eut encore honte de fe voir nud lui-même: pendant qu'il  204 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement cöté. S. Paul fachant qu'il mourroit dans peu de jours, chargea S. Antoine de retourner chez lui prendre le manteau que lui avoit donné S. Athanafe, quoique perfonne, pas même S. Antoine , ne lui eut jamais parlé de ce don, & de revenir pour 1'enterrer enveloppé dans ce manteau. S. Antoine obéit: il fortit fans prendre aucune nourriture, & retourna par le même chemin. Le lendemain il avoit deja voyagé trois heures, quand il vit, au milieu des anges, des prophêtes & des apötres, S. Paul monter au ciel revêtu d'une blancheur éclatante. Lorsqu'il fut arrivé dans la caverne, il trouva le corps a genoux, la tête levée, les mains étendues en haut, de forte qu'il s'imaginoit, que S. Paul étoit encore en vie. Mais s'étant depuis affuré de fa mort, parcequ'il ne 1'entendoit pas föupirer felon fa coutume, il 1'enveloppa & 1'enterra Quelle fuite de miracles pour récompenfe d'une vanité, pou faire faire connoilfance a deux folitaires, fans aucune apparence de la moindre utilité, ni éJification de perfonne, & pour faire envulopper dans le manteau de S. Athanafe un hermite plus parfait que S. Antoine, parceque celui-ci gagnoit fon pain a faire des nattes & C*) S. Jerome vie de S. Paul. Supl. liv. 6. n. 48.  ff de T Efprit-Humain, Chap. III. 20 ƒ des corbeilles, & a labourer la terre, au lieu que 1'autre hermite ne travailloit point du tout, & fubfiftoit par les foins & les peines d'un corbeau. L'églife de Gothie a décrit, dans une lettre qu'elle a envoyée a l'églife de Cappadoce, le martyr de S. Sabas en 367 de la maniere fuivante (l). Les Goths payens ayant commencé k perfécuter les Chrétiens qui vivoient parmi eux, ils prétendoient forcer les fideiles k manger des riandes immolées k leurs idoles. Sabas le refufa conftamment. Pour 1'y obliger, Atharide vint par ordre du public tirer Sabas de fa maifon & de fon lit, & le fit trainer nud, comme il étoit, par des lieux rudes & pleins d'épines. Cependant fes perfécuteurs ne découvrirent pas la moindre marqué de déchirure fous les pieds, ni fur le refte du corps. Alors ils prirent un effieu d'un chariot, le lui mirent fur les épaules, & lui at. tachérent les mains étendues aux bouts de 1'esfieu: puis ils attachérent de même fes pieds k un autre ellieu, & le renverférent ainfi par terre. Pendant la nuit une femme le délia. Le jcur venu, Atharide lui fit lier les mains & le fit pendre a une poutrede la maifon. Un des ferviteurs C O Aft. Marty. Sinc,  3,o6 Hiftoire des Revolut. du Gouvernèment d'Atharide pouffa la pointe de fon dard contre h poitrine de Sabas avec tant de violence, que tous ceux qui étoient préfens crurent qu'il en mourroit fur le champ. Mais Sabas lui dit: tü crois m'avoir tué: cependant je n'en ai pas fenti plus de mal, que fi tu m'avois jetté un flocon de laine. Alors Atharide donna ordre a fes mi. niftres dé le faire mourir \ ceüx-ci lui attachérent une piéce de bois au coü;l'étranglérent&lejettérent dans le fleüve. C'eft ainfi, qu'au rapport des hiftoriens, ne périrent pas d'abord , & puis périrent pourtant, presque tous les martyrs. Ces miracles fi peu foutenus ont l'air d'enchantemens qu'on a défaits par des enchantemens contraires. Quelles tentations pour les crédules quand ils trouvent ainfi la toute - puifiance dë Dieu en défaut, & quel fujet de moquerie pour les incrédules! Le premier concile oecuménique de Nicée fut honoré de 1'afliftance de plufieurs faints évéques, dont l'hiftoire rapporte beaucoup de miracles. 11 s'y trouva entr'autres S. Spyridion évéque de Trimithonte dans 1'ifle de Cbypre. II gardoic des moutons tout évéque qu'il étoit. Une nuit des voleurs entrérent dans fa bergerie, mais comme ils voulurent en emmener les moutons qu'ils avoient choifis, ils fe trouvérent tout-acoup fufpendus en l'air par des cordes invifibles.  fcf de tEfprit-Humain, Chap. III.  ff de rÈfprit-Humain, Chap. Ut. ibcj 1'envie de s'élever a 1'empire. II confulta des magiciens d'Egypte, & ils lui prédirentun fuccès favorable. Pour y difpofer les dieux il faifoit aved eux des enchantemens & des facrifices impies, égorgeant des enfants, les ouvrant & regardant curieufement leurs entrailles. Mais les Chrétiens diffinoient ces preftiges non feulement par leurs paroles, mais par leürs regards ou leur fouffle. Cela mit Macrien en fureur; & comme il avoit un grand afcendant fur Tcfprit de l'empéreur, il lui perfuada de perfécuter les Chrétiens. (A2t. Mart. S. Dionys. Eufeb. Liv. 7. ch. 10.) On ne connoit point de fable plus fottement imaginée. Tout concourt k la détrüire, parceque toutes les circonftances y font en oppofition les unes avec les au:res. Jamais 1'homme le plus fage & le plus expérimenté d'un fi grand empire n*a pu avoit un feul moment la foibleffe de prêter foi k des magiciens d'Egypte, que tous les gens fenfésont toujours méprifés: jamais les magiciens d'Egypte n'ont égorgé des enfants pour confulter leurs entrailles: jamais les Chrétiens n'ont eu le pouvoir de défaire des enchantem-.ns par leur fouffle ou leurs regards, d'autant plus qu'il n'y a jamais eu d'enchantemens: jamais un empéreur, ami des Chrétiens, n'eüt tout d'un coup entrepris de les perfécuter fans les entendre, & fans leur donner le temps de fe juftifier; & jamais ü Tome I. o  iio Hiftoire des Revol. du Gouvernement ncüt fóvi contre tous en généralfur les inftan&ea d'un feul homme, quelque cas qu'il eut fait de fes vertus. La groffiereté de cette invention marqué un grand défaut d'efprit, les connoiffances les plus triviales dans ceux qui 1'inventérent, & une grande fimplicité dans ceux qui Ia recurent. Les Chrétiens étoient alors extrêmement fimples & ignorants: ils faifoient profeflion de méprifer toutes les fciences propres a éclairer la raifon , hormis les divines écritures. S. Grégoire de Nazianze s'étoit appliqué a Athenes k 1'étude de 1'éloquence pendant plufieurs années: S. Bafile fon contemporain & fon ami y avoit appris cn même temps la grammaire , la poëfie, 1'éloquence , la dialeótique, lagéometrie, l'aftronomie, & jusqu'a la medecine: mais k peine eu. rent-ils quitté Athenes, qu'ils fe repentirenc 1'un & 1'autre d'avoir confumé leur jeuneffe dans 1'acquilition des fciences vaines. S. Grégoire renonca auffitöt, comme il s'exprime lui-même (o), a la gloire de la Icience, aux délices & aux biens de la terre; il ne s'appliqua plus qu'a mener une vie chrétienne, & fur tout a méditer les faintes écritures pour purifier fon efprit de la corruption des livres profanes. Etant alors en Co) S. Greg. Carm. i. 2. 54.  114 HiJUin des Revolut. du Gouvernement „ disgrace contribua beaucoup k fa gloire & ai,, da a étendre fa reputation. Car fur cette nou„ veile les Chrétiens, qui de fon malheur par3, ticulier faifoient leur calamité publique , 3, commencérent k remuer ciel & terre pourle ,, délivrer de la prifon; & n'ayant pu y réuflir 5, ils s'efforcérent de lui adoucir autant qu'ils j, pouvoient les calamités de fon état aétuel. On voyoit dès le point du jour k la porte de fa prifon des vieilles, des veuves & des jeunes gens: les principaux corrompoient le 3, géolier pour lui faire remettre toutes fortes „ de rafraichiffemens , ils paffoient même la nuit avec lui & y célebroient leurs myfteres. Les églifes d'Afie lui envoyérent des députés pour lui témoigner leur peine, & lui offrir „ leurs fecours. On lui envoya de Fargent de toutes parts: ce qui lui valut de grandes fom- 3) mes C'eft pourquoi s'il fe trouve quel- ,, que impofteur parmi les Chrétiens qui fache „ bien prendre fon temps & faifir les occafions, 3, il s'enrichit en moins de rien". Enfin le gouverneur le Jaiffa aller. Mais Lucien nous apprend, que bieotöt après il fut abandonnc des Chrétiens, parcequ'ils le furprirent mangeant des viandes alors défendues. Les philofophes payens, jaloux des Chrétiens, vains par principes, fourbes & impofteurs de  Bi 8 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement tlent, oü ils fe font depuis toujours maintenus jusqu'a préfent. Voila les raifons, pour lesquelles les philofophes de ces temps purent aifément imaginer & débiter toutes fortes d'impoftures. Comme chez les Chrétiens les admirateurs de certains hommes diftingués par leur zele & leur piété leur attribuoient des miracles, chez les payens les disciples d'un philofophe de mérite en faifoient autant. D'abord ils choifirent parmi les plus anciens, Pythagore, & parmi les plus recents, Apollonius deThyane. Dès qu'on eut fait ce premier pas, on paffa k 1'éffronterie de publier les miracles de philofophes encore vivans, ou qui venoient feulement de mourir. C'eft ainfi que Porphyre publia ceux de Plotin fon maitre en philofophie; Longin & d'autres ceux de Porphyre, d'autres ceux de Jamblique, d'autres encore ceux de Sopater, d'Eudefe, d'Eufthate, de Théodofe, de Maxime & de quantité d'autres. Voici, a propos des miracles de ces philofophes, un paffage remarquable de Porphyre dans la vie de Plotin. „ J'ai été, dit-il „ n. 23, affez heureux pour m'approcher de „ Dieu une fois dans ma vie, & pour m'unir k „ lui. Cette union étoit 1'objec de tous les dé„ firs de Plotin: il eut quatre fois cette divine „ jouiüance pendant que je demeurai avec lui:  & de ïEfprit-Humain, Chap. III. ai? „ Ce qui fe paffe pour lors eft ineffable". Le même Porphyre dit, que Plotin chaffoit auffi les démons, & qu'il en chaffa un qui infeftoit les bains publiés. Les Chrétiens étoient alors fi fots, qu'ils croyoient ces menfonges, «Sc fe contentoient de les attribuer a 1'art magique des payens. Au contraire les philofophes payens foutenoient, que ceux d'entre les Chrétiens, qui avoient pu opérer des miracles, avoient été eux-mêmes des philofophes qui avoient reconnu & adoré les dieux, «Sc qui par leur fageffe s'étoient élevés jusqu'a eux: ils alloient en cela jusqu'au blafphême, car ils foutenoient la même chofe de JefusChrift même. Tout cela montre combien 1'Afie mineure étoit déchue de fon ancien bon fens. Cette contrée ainfi dégradée fut pour l'empéreur Julien une école de fuperftition. II y avoit des écoles d'aftrologie, d'horoscopes , de divinations, de magie, «Sc de 1'art des prodiges. Quand l'empéreur Conftantius eut fait Céfar Gallus, frere de Julien , il permit a celui - ci qui avoit déja vingt trois ans , d'aller étudier dans l'Afie mineure. II alla d'abord a Pergame voir le philofophe Edefius de 1'école de Plotin «Sc de Porphyre. Ce phüofophe, confumé de vieilleffe, lul confeilla d'aller puifer la fcience chez ks difci.  a2o Hiftoire des Revolut. du Gouvernement pies Eufebe & Chryfanthe, & fi jamais vous arrivez, luidit-il, aux myfteres, vous aurez hon. te de porter le nom d'homme (V). Cependant ces deux difciples du même maïtre avoient des fentiment différens: Chryfanthe étoit attaché a la magie : Eufebe au contraire la méprifoit, & ne faifoit cas que de 1'art de raifonner, fe moquant de tout ce qui n'étoit qu'ouvrage de 1'imagination. En parlant k Julien du philofophe Maxime, qui étoit alors a Ephefe, Eufebe Ie loua pour fa fageffe & fon efprit naturel; mais il le blama de ce qu'il abufoit de fes talents, & méprifoit les démonftrations en s'amufant k des folies. „ Dernierement il nous conduifit, ajoutas, t-il , au temple d'Hecate, & après que nous „ eumes adoré Ja déeffe, il nous dit: affeyez ,, vous , mes amis , voyez ce qui va arriver, & 5, fi je me diftingue du commun. Après cela il „ purifiaun grain d'encens, & recita un hym,, ne. Alors Ia ftatue de la déeffe parut lui té„ moignerfafatisfaclion par un fourire. Comme nous en fumes étonnés: tenez vous tranquil,, les, dit-ii; les flambeaux que vous voyez; dans les mains de Ja déeffe, vont s'allumer; & ils furent plütót allumés qu'il ne 1'eut dit. («) Eunap. Vie de Maxime.  & de t Efprit - Humain, Chap. III. 22? hie; & que les eunuques du palais exercoïeat les brigandages les plus atroces par tout 1'ernpiQuand il partit d'Antioche pour marcher contre Magnence, il affembla fes troupes pour leur tenir un discours, par lequel il exhorta ceux qui n'avoient pas encore recu le batême, a le recevoir au plütöt, en leur declarant que ceux qui n'étoient pas batifés, n'a* voient qu a quitter le fervice & a fe retirer chez eux (ft). Mais il ne fe fit batifer lui-même qu'onze ans après , & feulement b. 1'article de la mort, comme fon pere. Cependant fes troupes étoient fort inférieures en nombre k celles de Magnence; de forte que pour ne pas avoir fur les bras deux ennemis a la fois, il jugea néceflairé de faire une réconciliation fimulée & pleine de perfidie avec Vétranion autre rebelle. II crut, comme fon pere, avoir des fonges & des vifions céleftes, comme on fa marqué en fon lieu, & il ofa s'en vanter une fois devant toUt un concile. Ammien Marcellin, attaché fans fanatisme a la religion payenne, s'exprime ainfi au füjet dé cet empéreur. „ II troübla par une fuperfritiori ,, de vieille femme le chriilianisme, tout fimplë (g) Zoüm. Amm. Marcell. ih) Théodoret Liv. 3. ch. 3. P %  228 Hiftoire des Reyolut. du Gouvernement „ qu'il foit, en lui-même: & s'appliquaplürót a ,, 1'approfondir curieufement,qu'aleréglcr avec „ gravité. II y excita de grandes divifions, & les „ fomenta par des difputes de mots: il épuifa „ les fonds deftinés aux voitures pubüques, en „ faifant aller & venir fans cefie les évéques „ pour tenir des conciles , oü il vouloit être „ 1'arbitre du culte & de la croyance. (Jiv. 22.) Ses fucceffeurs, fans en excepter Julien même, ne firent qu'afFermir & étendre davantage la fuperfiition fur le tröne. Un trait de Valens fuffira pour faire connoitrefapropre fuperftition & celle de fon fiecle. Ce prince s'étant également aturéla haine des Catholiques par fon penchant pour 1'arianisme , & celle des Payens par fa proftffion de chrétien & par 1'exercice d'un despotisme affreux, tout le monde foupiroic peur le moment oü il cefferoit de vivre. Les magiciens confultoient leur art pour connoïtre fon fucceffeur. Ses efpions lui déférérent Hilaire & Patrice comme coupables d'avoir employé leur art pour favoir qui devoit regner après lui: ayant été pris tous deux & mis k la queftion, Hilaire dit: „ Nous ,, avons fait avec des branches de laurier cette „ table a trois pieds, que l'on nous a fait voir; „ & nous 1'avons faite a 1'imitation du trépied „ de Delphes. Nous la confaci ames par des charmes fecrets & de longues cérémonies: en-  (f de V'Eprit - Humain , Chap. III. 229 ,, fuite neus J'avons placée au milieu d'une mai3, fon, que nous avons eufoin de purifier aupara„vant par des parfums. Audeffus de cette table j, nous avons mis un baffin rond compofé de dif- férents mécaux, fur le bord de ce baffin nous }, avons gravé les vingt quatre lettres de 1'alphabet 5,grec, a certaine diftance 1'une de 1'sutre. LTn „ homme s'en eft approclié, vêtu de lin avec des chauffons de même, & une bandelette au tour „ de la tête, portant de la vervene. Cet homme „invoqua par certains cantiques le Dieu Phébus „qui prélide k ladifination, & enfuite il baianca un anneau pendu a de petits rideaux par un lil ,j trés délié. L'anneau avoit écé préparé aupara,, vant par les myfteres de 1'art. Alors nous de33 mandames qui devoit fuccéder au regne préfent; 3, & l'anneau en fautant fur le baffin marqui les deuxfj'llabes Théod. Quelqu'un desaffiftans cria 3, que le deltin marquoit Théodore, parcequ'on „difoit, parmi les gens de notre metier, que ce ,, devoit être un homme accompli. On ne chercha ,.pss davantage, car nous étions affez perfuadés „que ce ne pouvoit être que lui", (i) Ce Théodore étoit un des fecretaires de Tempéreur, fort inftruit dans les belles lettres & la ,, philofophie, & qui avoit gagné 1'eftime publique CO Amm. Marccll. Liv. 29. ch. 1. Sozom. Liv 4. P 3  t^o MJloire des Revol. du Gouvernement tant par fon mérite , que par la liberté avec laquelle il parloit au prince pour Pempêcher de faire tout le mal qu'il auroit bien voulu (T). La fotte curiofité de ces prétendus devins, qu'un empéreur moins fuperflitieux eüt méprifée, donna lieu k de terribles exécutions (Tous ceux qui furent foupconnés de magie furent condamnés au feu. Les philofophes furent confondus avec les magiciens: on brula avec les philofophes non feulement les livres qui enfeignoient les vifions abfurdes de 1'école platonicienne, mais aufli ceux qui ne traitoient que de phyfique, & même plufieurs de ceux qui ne contenoient que des matieres de jurisprudence & de littérature. Le célebre Maxime, le maitre de Julien, eut Ia tête tranchée k Ephefe, parcequ'il fut accufé, fans preuves, d'avoir eu connoifiance de cette opération magique, & d'avoir prédit un grand maffacre , après lcquel Valens périroit d'une maniere extraordinaire. II avoua fi.ulement qu'il avoit été inftruit de l'oracle: mais que 1'honneur de Ia philofophie 1'avoit empêché de trahir fes amis. Cette foibleffe d'efprit de croire a un oracle, jointe a une gran- (_k~) Sozom. Liv. 6. c. 35. (O Vqy. les. auteurs cités, & Zofime Liv. 4. eb,.14,.  ff de ï Efprit. Humain, Chap. III. 231 de noblefle d'ame auroit dü faire fon apologie auprès d'un prince Chrétien , fi Valens fe füt conduit d'après les regies de 1'évangile, & fi les ténebres de la fuperftition ne lui euiTent point offusqué la raifon. Les deux Théodofes porterent la fuperftition au plus haut degré oü elle pouvoit parvenir, 1'un trompé par la bigoterie de fon fiecle, 1'autre conduit par celle de fa fceur. II y avoit déja long temps, que les Chrétiens fe conduifoient comme s'ils étoient choqués de la fimplicité de la doélrine évangélique. Dans la foi ils vouloient quelque chofe de plus rafüné que 1'amour de Dieu & de fon prochain; dans la pratique ils demandoient des effets extraordinaires. De la la moinerie, les héréfies, le célibat, la virginité, les jeünes affommans, le renoncement a toutes les chofes de ce monde, au genre humain même, & une foule d'autres pratiques infenfées. Ces premières folies en firent naitre d'autres. On ne fe contenta plus de préférer, en dépit du créateur, le célibat & la virginité au mariage; on entreprit de foutenir que le mariage étoit blamable de fa nature, & que fur-tout une femme qui vivoit avec fon mari, ne pouvoit être 'fauvée. On ne fe contenta pas d'enfeigner , que les prêtres ne pouvoient pas fc marier, mais on alla jusqu'a prétendre, qu'il falloit fe féparerdun P 4  432 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement prêtre marié, & ne pas participer a 1'oblation qu'il a célebrée. On vit bientöt quantité de fanatiques qui profeflbient d'embraffjr la virginité ou la continence, non pour la beauté de la vertu, mais pour 1'horreur du mariage : il s'en trouva des foules d'autres qui abandonnoient leurs enfans pour fe livrer a la vie afcétique fans prendre plus aucun foin ni de les élever, ni de les établir, ni de les nourrir. On enfeignoit aux enfans a déferter pour la même raifon la maifon de leurs parens, & aux efclaves k quitter leurs maitres. II y avoit beaucoup de feétateurs des doftrines les plus aufteres, qui condamnoient ceux qui mangeoient de la cbair, qui vouloient qu'on jeunat même Je dimanche, qu'on s'abflint de fréquenter les afTemblées. des fideiles k caufe des méchants qui y intervenoient, qui regardoient comme vicieux 1'ufage des habits ordinai. res, & prétendoient que la perfeclion exigeoit qu'on portat un habit fingulier de leur invention. II eft conftant, qu'& cette époque ces erreurs s'étoient répandues parmi les Chrétiens de fun & de 1'autre empire. Cependant on ne trouve guere qu'un feul concile particulier, qui fe loit attaché a les condamner expreffément (*). (*) Ce n'eft pas que l'églife en général ne eoncïanmut ces opinions fauifes & fanatiques : elle e«i  ff de VEfprit-Humain, Chap. III, 233 C'eft celui de Gangres dans la Paphlagonie, qu'on a tenu en 376 ( m). La bigoterie étoit univcrfelle, lorsque Théodofe fecond monta fur le tröne. A la cour furtout elle étoit fi puiffante qu'elle fit disparoïtre Anthemius préfet du prétoire, miniftre éclairé, fage & vertueux, ami de S.Chryfoftome, & qui gouvernoit l'empéreur, lequel n'avoit que huit ans, lorsqu'il commenca a. regner. Théodofe avoit trois fceurs, dont la plus agée, nommée Pulchérie, avoit deux ans plus que lui. Quand elle fut parvenue k 1'age de quinze ans , elle éloigna Anthémius & s'empara du gouvernement de 1'état & de 1'éducation de fon frere. Elle avoit déja voué k Dieu fa virginité, & perfuadé k fes deux foeurs d'en faire de même, afin, difoit-elle, de fermer 1'entrée dans le palais a quelque homme étranger, qui eüt pu devenir 1'occafion de jalcunes & de révoltes. Quoique cela marqué de la fineffe & de la fupériorité d'efprit, il paroit pourtant, qu'elle-même étoit a même condamné quelques unes, lorsqu'elles étoient foutenues par des hérétiques, & dans des fiecles, oü l'on avoit plus a coeur la pureté de la doftrine évanjrelique. Mais a cette époque on fe montra affez indolent envers les chrétiens fanatiques. (m) Libel. Synod. torn. 2. Concil. P 5  234 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement gouvernée par des bigots, & qu'elle ne faifoit proprement qu'exécuter leurs lecons. Elle s'efforca fur-tout d'infpirer la piété k Théodofe, mais cette efpecede piété qui n'eft celle que des ames foibles: elle voulut qu'il s'accoutumat a prier fouvent, a fréquencer les églifes, ales orner de dons précieux, a honorer les évéques & les moines: a lire les écritures, a les bien enÉendre & a les apprendre par coeur. Le palais étoit réglé comme un monaftere. L'empéreur fe levoit de grand matin pour chanter avec fes foeurs, a deux choeurs, les louanges de Dieu. II y avoit une bibliothéque de livres facrés & de tous leurs interprêtes: Théodofe les lifoit tous. II n'ignoroit aucune des queftions qui troubloient l'églife: il connoilToit parfaitement toutes les pratiques relgieufes: enfin, k force d'étude & de foins, il parvint k entretenir les évéques, comme s'il eut vieilli dans le facerdoce. La plupart des leéteurs auront de la peine k comprendre comment une fille de quinze ans a pu parvenir k éloigner du gouvernement un homme grave & plein de mérite. Mais il faut obferver, que cet enfant avoit fait voeu de virginité, & montroit une grande piété. Or, felon lafacon de penfer de ce temps-la, ce mérite effacoit tout autre mérite. C'étoit - \k 1'efprit du fiecle, ainfi que de 1'éducation qu'avoient recu  ff de VEfprit-Humain, Chap. III. 237 Quel précepteur & quel éleve! L'offre de la diftribution des tributs de 1'Egypte, en faveur des monafteres & des pauvres, montre parfaitement de quelle nature étoient les lecons que les deux fils de Théodofe le grand avoient recues. Le trait fuivant nous fera voir de quelle espece étoient celles, que l'on donna a Théodofe le jeune. Un moine lui ayant demandé une grace, il eut le courage de la lui refufer. Le moine en fut piqué au point qu'en fe retirant il ofa dire a. f'empéreur „ je vous excommunie ". A ce mot l'empéreur crut voir tomber fur lui toutes les foudres de l'églife. Quand 1'heure du repas fut venue, & la compagnie aflemblée, il déclara qu'il étoit excommunié & qu'il ne pouvoit manger aufli long - temps qu'on le laiflbit dans cet état. II fit prier l'évêque d'ordonner au moine de 1'abfoudre: l'évêque lui fit dire, que 1'ex* communication du premier venu n'avoit pas la force de féparer de l'églife, & qu'il le déclaroit étantaflïs, &mettoitun pied furie genou : on avoit peine a 1'en avertir ouvertcmcnt a caufe du refpeft qu'on lui portoit. L'abbé pafteur, pour 1'en corriger, fefervitde cette induftrie. II convint avec un autre de fe mettre luimême en cetre pófture: celui-ci Ie reprit de fon immodeftie. Comme l'abbé ne s'en défendit point, Arene comprit auifjtöt que la correftion le regardoit, & en profita.  Hiftoire des Revolut. du. Gouvernement abfoiis de celle - ci; mais Théodofe n'en fut point content. II fallut chercher le moine, qui ne fe laiffa trouver qu'avec bien de la peine; & dont on eut encore plus de peine a obtenir qu'il rétablit l'empéreur dans fa communion Sous le regne de Théodofe le jeune les idolatres ont été exterminés dans presque toutes les villes de 1'empire: il n'en refta plus gueres qu'a la campagne. Alors les moines, qui vouloient toujours avoir de 1'exercice & qui n'en trouvoient pas affez dans la perfécution dupetic nombre de payens qui reftoient, fe mirent a fré quenter plus que jamais les villes, a y établir des monafteres en grand nombre, k fe mêler de toutes les affaires de 1'état & des particuliers, k obféder les cours des princes, & les hotels des grands, a briguer les évêchés & les autres dignités eccléfiaftiques, enfin k intriguer, k cabaler, k dogmatifer, a forger toutes fortes de fraudes pieufes, de contes abfurdes, de fauffes légendes, irépandre la fuperftition la plus grofliere pour abrutir les gens, captiver les efprits, & les aüujettir k leur joug. Depuis ce temps, la moinerie domina dans les confeils des princes, O) Tout ce qui rcgarde la bigoterie de Théodofe eft tiré de Socrate Liv. 7. ch. 22. & 23. Théodoret Liv. 5. ch. 36 & 37-  ff de rEfprit.Humain, Chap, III. 241 taf? ff je ne men étonne pas. Je fuis homme, ff je riéprouve que ce qui peut arriver a tout homme. tour vous jugez moi, comme nous avons jugè en~ femble les autres. Ifocafe fut enfuite conduit k la grande églife; la on 1'infti uifit des premiers principes de la foi , & on le batifa. L'empéreur % informé de la converfion de 1'accufé, lui envoya fur le champ fon pardon, & lui permit de retourner dans fa patrie, mais fans le rétablir dans fes dignités. (Manafjes Breviar. Hifi. Theoph. Chronogr. Zonar. Annal. in Leon.) Ce pieux empéreur avoit coutume d'aller fréV quemment faire vifite k un imitateur de S. Siméon ftylite, connu fous le nom de S. Daniël ftylite, qui paflbit fa v ie fur une colomne au haut d'une montagne , prés 1'embouchure du Pont Euxin dans le voifinage de Conftantinople. Gubas roi des Lazes étant venu renouveller fon alliance avec les Romains, l'empéreur le mena voir S. Daniël, comme le miracle , dit 1'auteur de la vie de ce faint ch. 31, de tout 1'empire romain. Le roi barbare fe profterna devant la colomne; & les deux princes élurent unanimement le faint hornme pour arbitre de leur traité, qu'il conclut auffitöc k la fatisfaction de tous les deux. L'hiver de 1'année 466, ayant été extrêmement rude, les orages & les vents ébranlérent Ia Tomé I. O  14.1 Hiftoire des Revoltit. du Gouvernement éolomne de S. Daniël. L'empéreur inftruit de cet accident, condamna a la mort ceux qui 1'avoient conftruite, & accourut fur le champ pour la faire raffurer. S. Daniël obtint le pardon des condamnés, & eut occafion d'opérer alors deux grands miracles. En defcendant la montagne, Léon tomba de cheval, le pommeau de la felle lui froifïa le front, & jetta fort loin fon diadême. S. Daniël, voyant le péril de l'empéreur, arrêta par fes prieres la malice du démon, qui, felon 1'auteur de fa vie, avoit caufé ce malheur, & préferva Léon d'une mort funefte. „ Mais „ ce qu'il y eut de plus confidérable, dit Tille„ mont { i#/?oz>. des empér. dans Léon art. 12.) „ dans cette occafion, & ce qui montre com„ ment la providence trouve des moyens admi„ rables pour exécuter fes deffeins, c'eft que „ 1'écuyer de l'empéreur, qui étoit arien, crai„ gnant que cet accident ne le disgraciat, eut „ recóurs au faint , qui lui promit non feule„ ment dele maintenir auprès de l'empéreur, „ mais encore de le délivrer de fon héréfie. Le „ faint fit fi bien en effet par fes douces exhor„ tations, qu'il perfuada a fécuyer de faire ab„ juration de fon erreur. Après cela il écrivit „ k l'empéreur & lui manda la converfion de „ fécuyer Jourdain, qui étoit venu le trouver „ pour le prier d'intercéder pour lui, & de de-  ff de VEprit-Humain, Chap. III. 243 „ mander fa grace. L'empéreur lui fit cette ré,, ponfe. Le danger oü je me fuis trouvé ne „ vient que de moi même , qui ai été aflèz té„ méraire pour monter a cheval en votre pré„ fence, au lieu de m'en aller a pied loin de „ votre fainte colomne. J'aurai foin de ne pas >, retomber a 1'avenir dans la même faute. Bien „ loin donc d'être faché contre Jourdain, j'ai „ bien de la joie au contraire de ce que ma „ chüte de cheval 1'a fait relever de fon er„ reur". Le regne de ce faint empéreur eft dépeint par Malila dans ces termes. „ Pour moi je n'eftime „ pas beureux le regne d'un homme qui pille „ les biens de fes fujets,qui a pour cet effet des „ délateurs a fes gages, & fuppofe de faux té„ moins; qui fe rend lui-même accufateur, lor$. „ qu'il ne peut trouver perfonne qui lui rende „ cet abominable fervice , qui amaflè Por de „ tout 1'univers pour le renfermer dans fes cof„ fres; qui dépouille les villes, & les réduic „ dans un état a ne pouvoir payer les anciens tributs". Suidas accufe ce même faint homme d'une grande cruauté, d'infiexibilité dans la colere, d'infatiabilité dans 1'avarice. M. 1'Abbé de Condillac fait d'excellentes remarques fur les inconvéniens que la bigoterie des princes doit nécefiairement produire. „ Si Q2  244 Hiftoire des Revolut. du Gouvtrnement votre piété n'eft pas éclairée, dit-il en par,, lant au prince fon éleve (V), vous oublierez „ vos devoirs pour ne vous occuper que de pe- tites pratiques; parceque la priere eft néces- faire, vous croirez devoir toujours prier: & „ ne confidérant pas que la vraie dévotion con„ fifte a remplir d'abord votre état, il ne tien„ dra pas a vous, que vous ne viviez dans vo„ tre cour, comme dans un cloïtre. Les hypo-„ crites fe multiplieront autour de vous. Les 5, moines fortiront de leurs cellules. Les prêtres „ quitteront le fervice de 1'autel, pour venir s'édifier a la vue de vos faintes oeuvres. Prin„ ce aveugle , vous ne fentirez pas combien „ leur conduite eft en contradiélion avec leur „ langage. Vous ne remarquerez pas feulement, que les hommes qui vous louent d'être tou„ jours au pied des autels, oublient eux-mêmes „ que leur devoir eft d'y être. Vous prendrez „ infenfiblement leur place pour leur céder la „ vötre. Vous prierez continuellement, & vous croirez faire votre falut;ils celTerontde prier, & vous croirez qu'ils font le leur. Etrange .„ contradiélion qui pervertit les miniftres de 1'é„ glife pour donner de mauvais miniftres a 1'état". (o) Condill. Cours d'études tom. io. Liv. 15. au commencement.  ff de l'Efprit-Humain, Chap. IV. 2ff CHAPITRE QUATRIEME. Les libéralitês des empéreurs envers les églifes, ff les priviléges qu'ils accordent au clergé, dètackent ce corps des fociétés civiles , ff font que les intéréts particuliers de ce corps font déformais oppofés a rintérêt génèral de la fociété. Ses moeurs fe corrompent. Grands de/ordres des moines. Corruption générale des moeurs. La bigoterie univerfelle de ces temps aveugle les hommes , détruit la population, ff attribue au clergé une puiffance nuifible a 1'état, formidable aux princes. Subordination parmi les évéques. Les évéques des villes métropoles obtiennent une grande préeminence fur les autres. Celui de Rome obtientle premier rang, celui de Conftantinople le fecond. Après avoir été êlevés par les princes, les eccléfiaftiques s'attribuent eux-mêmes toutes fortes de prérogatives. Refpefts qu'ils fe font rendre par les princes. Exemples de Léonce évéque de Tripoli, de S. Ambroife, de S. Jean Chryfoftome, de S. Martin. Les ticheffes du clergé le corrompent. Magnificence des évéques. Décrets des conciles ff loix des empéreurs contre les voyages des évéques, contre leur féjour a la cour, contre les translations. Débordement des. Q3  t$9 Hiftoire des Revelut. du Gouvernement clergé & les dédommagea largemept du tort que lui avoient fait ies loix de Valentinien & de fon frere. En 412. il publia une loi qui exempts les terres des églifes des charges fordides & ex? traordinaires; de la réparation des chemins, de la refeftion des ponts, du tranfport des chofes du fifc, ou des vivres des troupes; de 1'or de la contribution luftrale des marchands ; & ne les affujettit qu'a la contribution ordinaire, nommée canon, ou canonica iilatio (ƒ). Jusqu'a préfent le clergé, les évéques même avoient été fujets aux tribunaux fécuiiers tant pour le civil que pour le criminel; ainfi quV vant les exemtions, que les empéreurs leur ont accordées , & que quelquefois ils ont revoquées ou limitées , le clergé & les évéques étoient obligés de payer les tributs, chofe è laquelle les princes d'aujourd'hui ne font pas affez d'attention. Mais cette même année Honorius publii en faveur du clergé une loi qui fouftrait a la fois le clergé b. la jqrisdiétion féculiere, & donne aux évéques une jurisdiélion qu'ils n'ont jamais eue auparavant. Cette loi porte, que tous les clercs & prêtres ne doivent être accufés que devant les évéques; que faccufateur de quelque (ƒ) L. 40. de Epis. L. 6. de Sacros. Ecc. Cod. Tbeod.  & deVEfprit-Humain, Chap. IV. *£C condition qu'il foit, fera noté d'infamie, s'il nt prouvepas fa plainte; & que les évéques ex», mineront ces caufes en public, & en feront dresfer des aftes : mais l'empéreur déclare en même temps, que cette dispofition ne regarde que les caufes qui concernent la religion, & qu'il laiffe aux juges feculiers la connoiiTance des crimes publiés, même contre les évéques (g). Cette loi, après la mort d'Honorius, ayant été abolie par Jean, ufurpateur de 1'empire d'Occident, Valentinien III la renouvella après la défaite & la mort de Jean (A) (*> Jusqu'a ce temps les évéques n'avoient été que les arbitres des procés qui s'élevoient parmi les Chrétiens. Comme la religion chrétienne avoit commencé fous le regne des Payens, & que les apötres avoient réglé que la charité & la paix réuniffent tous les Chrétiens, ils ne vouloient point que les Chrétiens euffentdes procés, ou du moins ils vouloient qu'ils priffent d'autres (g) L. 23- C. th. de epis. (h) Nov. 12. de Epit. Jud. r*) Sous ces empéreurs les évéques n'avoient pas encore la jurisdiaion civile ou criminclle fur leur clergé pour les affaires purement tcmporellcs & pour ies crimes publics. Cette Jurisdiftion ne leur fut accordée que par l'empéreur Juftinien L. 29. C. juft. do Epis. aud.  %Sz Hiftoire des Revolut. du Gouvernement chrétiens pour arbitres : c'eft pourquoi dans ces cas les fideiles avoient coutume de recourir aux évéques & de les prendre pour arbitres dans leurs différents (t). -Et cet ufage a fubfifié, jus Suid. Lexic. Lit. L.  ff deï'Efprit.Humain, Chap. IV. 263 s'écria-t- il, on eft dans 1'ufage d'appeller d'une moindre autorité a une plus grande, ff ces méchants appellent du ciel a la terre, de jféfus - Crift § un homme. Quand on fe croic du ciel, il n'eft p?s étrange, qu'on exige de grandes marqués de refpcft de ceux qui ne font que de la terre. II eft vrai, que, maigré ce premier mouvement, Conftantin ne laiffa pas de juger encore les Donatiftes, Mais fes paroles n'en prouvenr, pas moins les lecons qu'on lui avoit données. On admire avec raifon les vertus de S. Ambroife. Mais comme 1'homme le plus vertueux peut fouvent errer de très-bonne foi, les perfonnes fenfées blament fon zele outré, par lequel il fut entrainé plus d'une fois a des a&ions fanatiques qui, en élevant la puiffance du clergé , blelTérent les droits de la fociété, & violérent les devoirs de la juftice & de la vérité. Tout le monde fait les circonftanees de fon procédé envers l'empéreur Théodofe pour 1'atrocité exercée par fes officiers fur les habitans de Teffalonique (*). Cette cruauté n'eft point excufable; elle eft d'un despotisme affreux. Majg Théodofe n'a pas ordonné cette exécution aufli (k) Voy. Tillem. Flcury Hift. Ec«lés. Liv. 19. n. 20. R 4  2fj4 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement fanglante: Fexcès en doit être imputé a fes- officiers. La chofe fut déliberée dans le confiftoire du prince : & tout un confeil n'opine jamais pour une atrocité fans exemple. Sous un gouvernement despotique il fe commet tous les jours des actions horribles: mais elles viennent ordinairement de ceux qui les exécutent, & non de ceux qui les ordonnent. II étoit jufte, néceffaire même que ceux qui avoient trempé dans cette révolte fufient punis, d'autant plus que Théodofe avoit déja pardonné, il n'y avoit encore que trois ans, une autre révolte. Si ceux qui furent chargés de 1'exécution, pafierent les ordres, qu'on leur avoit donnés, c'eft la faute du gouvernement despotique , mais non pas Une faute. particuliere de Théodofe : il ne devoit donc pas en porter la peine. Voila la première faute, qu'on découvre dans le zele de S. Ambroife. On 1'accufe encore d'avoir, par un motif du même zele, entretenu des correspondances fecrettes dans le confeil du prince, & de s'y être'procuré des espions qui lui en trahiffoient le fecret. L'empéreur en étoit faché ; & on ne voyoit pas comment un fi faint évêqüe concilioit, avec la religion, avec la probité, les perfidies qu'il faifoit commettre a fes amis. Voila donc une amre faute d'un excès de zele. Enfin on remarque, que S. Ambroife, dans la let-s  176" Hiftoire des Revolut. du Gouvernement voir Ja majefté impériale, & a ne regarder que foi-même. Les peuples furent bientöt la dupe de ces artifices. Les marqués ordinaires dont les princes témoignoient leur refpeél; aux évéques étoient, déja du temps de Conftance, de les baifer au front, de baifler la tête pour recevoir leur benediéüon, de les régaler magnifiquement, comme on le voit par Je discours de S. Lucifer que j'ai alJegué dans le chapitre II. Cela montre bien que , dès Jes premiers momens de la converfion de Conftantin, ils ont eu 1'adreffe de fe ménager un refpeél extraordinaire, ainfi qu'ils l'ont eu de fe procurer des richeffes immenfes. La confufion que 1'efprit de bigoterie avoit mife dans le gouvernement & dans les idéés , étoit telle que les empéreurs ne favoient plus ni ce qu'ils devoient a leurs fujets, ni ce qu'ils fe devoientaeux-mêmes. L'empéreur Léon,ayant voulu, par un principe de fuperftition, recevoir le diadême des mains d'Anatole, évéque de Conftantinople, cette cérémonie pieufe qui fe faifoit alors pour la première fois, donna occafion aux fucceffeurs de cet évéque de former des prétentions inouies & pernicieufes. Ils prétendirent que les empéreurs devoient être facrés par des évéques, & que ceux-ci n'étoient obligés de les facrer qu'aux conditions qu'ils juge-  & de fEfprü-Humain, Chap. IV, 177 roient a propos d'impofer aux empéreurs. Anaftafe, ayant été proclamé empéreur par le fénat & par 1'armée, Eupheme, alors patriarche de Conftantinople, s'opiniatra k lui refufer le diadême, jusqu'k ce que l'empéreur eüt figné une profeffion de foi, par laquelle il promettoit de protéger les décrets du concile de Chalcedoine. (Théophan. an, 506.) La même cérémonie de facrer les princes ayant été dans la fuite adoptée, comme tous les autres principes & ufages fuperftitieux des Orientaux, par le clergé d'Occident, on en tira des conféquences encore plus funestes: car on alla jusqu'a prétendre, que le clergé pouvoit dépofer le prince qui ne gardoit pas les conditions qu'on lui avoit prefcites du temps de fon facre, & même ceux qui faifoient des chofes, que le clergé ne pouvoit pas approuver, puisqu'on devoit juger, que s'il avoit pu prévoir ces entreprifes, il n'auroit donné le diadême qu'a des conditions qui les euffent empechées. Les prodigalités des empéreurs furent la fource d'une prodigieufe corruption de la plus grande partie du clergé. Quand on fe rappelle les grands maux que prodirifoient déja dans ce corps la fuperftition, 1'efprit d'intolérance & le fanatisme , il eft bien trifte d'avoir encore a fe repréfenter ceux qu'occafionnérent fes richeffes S 3  2? 8 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement exceffives. Car S. Ifidore n'avoit que trop de raifon de dire, que la piété des princes reli4, gieux a fait voir, ou même a caulé 1'irréligion „ des évéques. Les honneurs extrêmes qu'ils „ leur ont rendus, ont affoibli la pieté de ceux „ qui recevoient ces honneurs, & les grandes „ liDéralités qu'ils leur ont fakes, leur ontdon3, né occafion de vivre dans les délices & dans „ les excès óu luxe ". Les évéques des premiers fiecles avoient coutume de diftribuer aux pauvres la plus grande partie des préfens que les Chrétiens aifés faifoient aux églifes. La charité de ces évéques multiplia les libéralités des fideiles. Les premiers empéreurs chrétiens trouvant cette coutume établie fe firent une étude d'enrichir les églifes. Alors les évéques, féduits par 1'appat de tant de richefles, dont, en vertu de fancienne coutume, ils fe trouvérent les adminiftrateurs, commencérent a laiffer les pauvres a 1'écart, & fongérent k faire de ces richeffes un ufage plus briljant, ou k les ufurper eux-mêmes. Ceux qui ne fe fentoient point de penchant pour le luxe & les délices des laïques, les employoient k orner les églifes (*), les autres s'en fervoient pour (*) Le pape S. Damafe, qui n'eft mon qu'environ cuarante ans après I'empéi'cur Confir.ntiu, 2 bütj des  ff de rEfprit Humain, Chap. IV. *79 avoir une table fomptueufe & des équipages magnifiques, pour s'habiller en foye, matiere alors trés - précieufe, pour fe faire de puiffans partis dans les conciles, ala cour, dans les villes dê revenus des églifes de Rome plufieurs nouvelles églifes , & en a rétabli d'anciennes: il les a toutes ornées de peintures, de vafes d'or & d'argent, & d'autre» meubles précieux : il a acheté pour d'autres des bains, des maifons & des terres d'un revenu eonfidérablè. (Anaft. Biblioth. in Damafo') S. Géleftin , autre évéque de Rome, qui mourut en 432. offrit aux bafiliques de S. Pierre & de Julie des vafes d'argent du poids de mille fept eens quatre mares. S. Sixte , fuccefleur de Damafe , rétablit la bafilique de S, Marie, & y offrit un autel d'argent du poids de trois cents livres: il y ajouta plufieurs vafes d'argent du poids de 1165. livres , un vafe d'or de cihquante iivres, vingtquatre chandeliers de cuivre de cinquante livres chacun. II y donna en terres & en maifons le revenu de fept cents vingt neufducats d'or. Ildonnaau batiftere de S. Marie tous les vafes nécefiaires d'argent; entr'autres un cerf pour verfer 1'eau du poids de trente livres. II mit a la confefilon de S. Pierre un ornement d'argent du poids de 4C0. livres. II orna la confefiïon de S. Laurent de colomnes de porphyre & d'argent. II y donna un autel de 50. livres, une balufirade de 300. livres , la fiatue de S. Laurent, du poids de 200. Livres, H fit toute la bafilique de cc faint, & y offrit grand nombre de vafes d'argent, & un vafe d'or orné de perles du poids de dix livres (Lib. Pontif.) S 4  s8p Hiftoire des Revolut. du Gouvernement leur réfidence , pour débaucher les ouaillcs des évéques, avec qui ils étoient en discorde, pour foulever les moines, pour gagner les foldats & Jes gouverneurs, pour enrichir leurs parents, pour obtenir des évêcbés plus confidérables, pour aller cabaler a la cour (*), pour d'au- C*) Le concile écuménique de Sardique, qui fut tenu en 347. fit, k Ia propofition d'Ofius, évéque de Cordoue, des régiemens féveres contre les translations des évéques & contre leurs voyages a la cour. „ Ofius, évéque de Cordoue a dit, ( c'eft dans ces termes qu'y font concus les deux premiers canons de „ difcipline) il faut déraclner abfolument la pernicieufe „coumme , & défendre k tout évéque de pafier de fa 1, ville k une autre. II ne s'en eft point trouvé qui aït „paffé d'une grande k une petite: a'infi il eftmanifefle >, qu'ils n'y font pouffés queparl'avarice & 1'ambition : »,fi vous 1'approuvez tous, cet abus fera puni plus féverement, enforte que celui qui I'auTacommis, n'aft „pas même la communion Iaïque. Tous répondirent: „ nous 1'approuvons. Quant aux voyages k la cour, voici comme Ofius s'enplaint. „Notre importunité, nos afiiduités& nos ;,demandes injuftes nousötentle. crédit &l'autoritéque nous deviions avoir; car il y a des évêqucs quine „ cedent point de venir a la cour..... Les affaires qu'ils „v portent, ne font d'aucune utilité pour l'églife: ct „font des emplois & des dignités féculieres qu'ils de„ mandènt pour d'autres perfonnes. Ord«nnez donc s'il ,,\ous plait&c". Le concile régla , que de pareils évê.  5 tj de r Efprit •Humain, Chap. IV. 2gï tres ufages pareils. Nous avons vu quelle étoit, du temps d'Ammien Marcellin & du préfet Prétextat la magnificence & le luxe des évéques de Rome. S. Grégoire de Nazianze nous fait juger quel étoit le luxe des évéques de Conftantinople, lorsqu'il dit (orat. 32.) que fes ennemis, & furtout le clergé lui reprochoient qu'il n'avoit point une tabie fplendide & délicieufe, qu'il ne s'ha- ques feroient dépofés, & fit d'autres régiemens encore a leur égard. Mais malgré ces régiemens les évéques continuérent toujours d'aller a la cour, & de folliciter des translations d'un évêché a 1'autre. Ofius fe plaignit d'un autre abus. „ Quelquefois , dittt.üt un évéque vient dans un autre diocefe& y de„meure long temps par ambition, parceque l'évêque „du lieu a peut-être moins de talens pour inftruire. >, L'évêque étranger fe met a prêcher fouvent pour fe „faire défirer & transférer k cette églife. Réglez donc „le temps du féjour: car il y a de 1'inhumanité a ne „pas recevoir unévèquc,& dudangera le fouffrir trop „ long temps". Voici ce que dit Jufiinien dans la loi 43- C. de Epifc. L'abfence des évéques eft caufe, que le fervice divin fe fait plus negligemment, que les affaires des églifes font moins bien gouvernées; & les revenus employés aux frais des voyages des évéques, & de leur féjour ^ la cour impériale avec les cleres & les domefliques qui les accompagnent, de forte que fouvent ils font obligés d'empruntcr a ufure a la charge des églifes. S 5  Hiftoire des Revolut. du Gouvernement fcilloit point avec magnificence, qu'i! ne paroisfbit pas en public avec pompe, qu'il ne recevoit pas avec fafte & gravité ceux qui venoient le vifiter. „ Je ne favois point, dit - il, que nous autres évéques nous devions monter des „ courfiers fuperbes & pleins de feu, que „ nous devions avoir de riches felles & des j, voitures précieufes, qu'il nous falloit ne nous j, montrer qu'avec beaucoup de pompe & de 3, fafte, & que tout le monde devoit nous faire „ place, comme aux bêtes féroces". S, Jean Ch ryfoftome efluya les mêmes reproches. „Vous „favez,mes freres, dit-il,pourquoi on me veut „dépofer. C'eft que jen'aipasdetapifieries, que s, je ne fuis pas vêtu de foie, que je ne tienspas „ de table ". S. Athanafe, évéque d'Alexandrie, avoit des églifes fi riches, qu'il paflbit pour un homme puiflant, & capable d'entreprendre, a force d'argent, tout ce qu'il vouloit (a). Enfin tous lés évêchés ou presque tous, eurent de bonne heure des revenus fi confidérables, que des préfets du prétoire, des maitres de la milice, des gouverneurs de provinces, des jurisconfultes, & toutes fortes de gens puifiants & ri- (O Athan. apol. 2.  & deVEfpnUHumain, Chap. IV. 28$ avorter le defiein de Severien, qui, de fon cöté, lui témoignoit beaucoup de mépris. Un jour^ comme Severien paffoit, Serapion qui étoit affis* re voülut point fe lever. Severien indigné de cet affront, s'écria; fi Serapion meurt chrétien, J. C. ne s'eft pas fait homme. Serapion releva ces paroles, & les rapporta a S. Chryfoftome, qui chaifa auffitöt Severien de Conftantinople. (Sozom. Liv. 8. ch. 9.) Vingt ans auparavant un certain Maxime avoit mieux réuffi a fupplantcr S. Grégoire de Nazian. ze, qui gouvernoit alors l'églife de Conftantinople. Ce Maxime étoit un Egyptien né d'une familie oü il y avoit eü des martyrs. II faifoit profeflion de la philofophie cynique , dont il portoit 1'habit blanc, Je baton & les grands cheveux, ce qui lui fit donner le furnom de cynn que. 11 avoit voyagé en différents pays, & s'étoit conduit mal par tout, de forte qu'il füt plus d'une fois puni par les magiftrats; II fut fouetté pubJiquement en Egypte , & envoyé pour fes infamies en exil dans le défert d'Oafis, oü il demeura quatre ans. II vint enfin a Conftantinople , oü il fe vantoit d'avoir quitté pour le fervice de Dieu fa mere & fes foeurs. Malgré fes débauches il étoit fi adroit qu'il gagna bientót l'affe&ion de S. Grégoire. Dans peu de temps il entra fi avant dans fon eftime que c'è faint fit Tom I. T  290 Hiftoire des Revdut. du Gouvernement dans fon églife un discours, k fa louange. Dès lors Maxime entreprit de profiter de ce crédit contre fon panégyrifte. même. De concert avec un prêtre, ennemi de faint Grégoire, & avec Pierre évéque d'Alexandrie , il fit venir k Conftantinople fept prêtres & plufieurs évéques. Un prêtre de 1'ifle de Thaffe, qu'il feut attirer dans fon parti, lui fournit une fomme confidérable d'argent, avec laquelle il gagna nombre de prétres attachés k l'églife de Conftantinople, &une foule de mariniers qui devoient repréfenter le peupie. Tout étant pret, il fe fit ordonner évê. que, & une partie des habitans fe déclara pour lui. Son ordination fut même foutenue par un concile d'Italie, oü préfidoit S. Ambroife. Mais l'empéreur Théodofe fit céder le concile. (5. Grigoir. Carm. 1. £f 17.) Revenons k S. Jean Chryfoftome. Trois ans après fon voyage en.Afie, l'empéreur Arcadius appella a Conftantinople Théophile , évéque d'Alexandrie , & ordonna a S. Chryfoftome de faire le procés a cet évéque au fujet des accufations, que des moines avoient portées contre lui, eb lui imputant toutes fortes de violences, & entr'autres, plufleurs meurtres, outre quantité d'autres crimes. S. Chryfoftome s'en excufa par plufieurs bonnes raifons. Cependant Théophile travailloit jour & nuit aux moyens de ehas-  ff de r'Efprit - Humain, Chap. IV. 29 r fer S. Chryfoftome de fon fiége: il repandoit de 1'argent avec profufion; tenoit grande table; ufoit de careffes, & flattoit 1'ambkion des eccléfiaftiques par toutes fortes de promeffes. II trouva deux diacres que S. Chryfoftome avoit chafies de l'églife, 1'un pour un meurtre, 1'autre pour un adultere, & les engagea k préfenter au concile des mémoires contre l'évêque de Conftantinople, qu'il leur avoit diólés lui-même, & qui ne contenoient que des fauiïetés. Cependant dans les différents conciles que l'on tint a Conftantinople contre S.Chryfoftome, fes accufateurs lui imputérent des délits,que la chaleur de fon tempérament, & d'autres circonftances rendoient vraifemblables, & dont les conciles Font jugé coupable. L'accufation portée contre cet évéque contenoit vingt neuf chefs. On y foutenoit, entr'autres chofes, qu'il avoit fait battre,trainer & enchainer,comme lespofiedés, un moine nommé Jean: que des hommes, qui étoient en communion avec toute l'églife, avoient été mis en prifon par fon ordre, & y étoient mofts: qu'il les avoit méprifés jusqu'k ne point accompagner leurs corps a la fepulture: qu'il avoit injurié des clercs, les appellant gens corrompus, prêts k tout faire , ne valant pas trois oboles: & qu'il avoit même compofé contr'eux un livre plein de calomnies: qu'il avoit T a  292 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement accufé trois prêtres de lui avoir dérobé fon pal* lium; qu'il avoit outragé l'évêque Acace ,• qu'il avoit livré le prêtre Porphyre k Eutrope pour le faire bannir; qu'il avoit auffi livré le prêtre Venerius d'une maniere outrageufe ; qu'il avoit donné un coup de poing a Memnon dans l'églife des apötres jusqu'a lui faire fortir le fang de labouche, & n'avoit pas laiffé d'offrir enfuite les faints myfteres; qu'il avoit appellé S. Epiphane, avec qui il avoit été en mauvaife intelligence, radoteur & petit démon; qu'il avoit fait une conjuration contre Séverien de Gabales, & qu'il avoit excité contre lui les bas officiers de l'églife qui fervoient aux enterremens; qu'il avoit décelé le comte Jean dans une fédition militaire; que dans les procedures qu'il faifoit faire il avoit accoutumé d'être lui-même 1'accufateur, le témoin & le juge. (Jn évéque préfenta enfuite un autre libelle d'accufations contre lui, qui contenoit dix huit articles, mais kpeu prés les mêmes. 11 y ajoutoit, que S. Chryfoftome 1'avoit fouvent maltraité lui-même. Que S. Epiphane n'avoit point voulu communiquer avec S. Chryfoftome k caufe des Origeniftes; qu'il traitoit injurieufement les évéques & les faifoit chafler de fa maifon; qu'il entreprenoit fur les provinces des autres & y faifoit des évéques; qu'il ordonnoit évéques des esclaves étran-  6? de F Efprit ■ Humain, Chap. IV. 295 gers, non affranchis& même accufés; qu'il excitoit le peupie k fédition, même contre le concile; qu'il avoit enlevé de forcedes depots; qu'il difoit que la table de l'églife eft pleine de furies. Les conciles ayant dépofé 1'accufé, toute l'églife crut qu'on 1'avoit condamné avec juftice, au point que le peupie de Conftantinople, qui avoit toujours confervé beaucoup d'attachement pour S. Chryfoftome, ayant après fa mortdemandé avec menaces le rétabliffement de fa mémoire, Atticus, évéque de Conftantinople n'ofa le faire fans avoir confulté Ik deffus l'empéreur: & ayant depuis voulu s'en excufer auprès des autres évéques de 1'Afie, S. Cyrille, évéque d'Alexandrie, le taxa d'avoir fait une entreprife contre les canons (e). Les églifes d'Occident ne fourniffent point un fi grand nombre de pareils exemples; peut-être parceque" 1'Occident n'a guéres eu d'hiftoriens dans ces temps; peut-être aufli parceque les Occidentaux font moins brouillons, moins vifs, moins agités par de violentes paflions que les Orientaux. Cependant on ne voit que trop, par ce qu'en difent en général S. Jeröme, S. Auguftin, Orofe, Salvien & quelques autres, que la (O Cyril. Ep. ad Attic. tom. 5- part. 2. T 3  3®8 Hiftoire des Revoiut. du Gouvernement „ leurs infamies". Cependant croyant qu'iïs n'avoient pas affez dépeint les maux de 1'ëglifè les peres de ce concile difent, qu'ils ont chargé le diacre d'en faire un récit plus exact Mais ces eccléfiaftiques, quelque corrompus qa'ils fuffent, étoient encore des faints en comparaifon des moines. Ceux-ci ayant commencé par être les plus fuperftitieux de tous les hommes, ferendirent bientöt les plus méchants fujets de 1'empire. Dévoués par leur profeffion b. la pauvreté, ils devinrent en peu de temps fi nombreux, & fi riches, que, felon 1'expreffion de Zofime, ils appauvrirent tout 1'Orient (?7i), & fe rendirent fi puiffants, qu'ils fe foumirent le clergé, & firent même trembler quelquefois les empéreurs. Dèslors n'ayant presque tous qu'une fauffe vocation, ou perdant de vue leurs devoirs, ils fe répandoient en force dans les villes , oü ils s'ingéroient dans toutes les affaires, fuscitoient des disputes , infultoient les magiiTrats, foulevoient les peuples, intriguoient, cabaloient, tuoient, mettoient le feu aux batimens, commettoient toutes fortes de violences. Je ne crains pas qu'on trouve ces expreffions O) Voy. le chap. oü j'ai parlé de leur nombre & de leurs richeffes.  5 io Hiftoire des Revol. du Gouvernement qu'aCarthage, au commencement du cinquieme iiecle, tout le peupie avoit un mépris & une averfion extréme pour les moines. Dans toutes les villes d'Afrique, & particuliérement a Carthage, quand ils voyoient un homme pale, les cheveux coupés jusqu'a la racine, vêtu d'un manteau monacal, ils 1'accabloient d'injures & de malediélions. Quand un moine d'Egypte ou de Jerufalem, ajoute-t-il, venoit k Carthage, auflitöt qu'il paroiffoit en public, on s'éclatoit de rire, on le fiffloit, on 1'infultoit de toutes les facons. S. Auguftin lui même, qui défend d'ailleurs la vie monaftique O), reconnoit, qu'il y avoit un grand nombre de moines hypocrites, qui couroient fans ceffe les provinces pour tromper les crédules & les fuperftitieux, en leur faifant accroire qu'ils avoient des fecrets de toute efpece, & en portant fur eux des membres de martyrs, ou d'autres morts, qu'ils faifoient pasfer pour tels, qu'ils vendoient enfuite pour des reliques miraculeufes, de forte que Théodofe I fut obligé, pour empêcher ce honteux trafic, de défendre de fouiller dans les tombeaux, de déterrer les corps des morts, de vendre ni d'acheter les corps des martyrs (q). S. Jêrome, (p) S. Augus. de oper. Monach. ch. 28. (S) Cod. Theod.  6? de ïEfprit ■ Humain, Chap. IV. 311 qui vivoit dans le même temps, écrivit auffi a S. Marcelle & a S.Paule, que le peupie de Rome avoit en averfion les moines, qu'il murmuroit contre ceux qui venoient d'Orient pour infpirer aux Occidentaux le goüt de la vie monaftique ; qu'il les regardoit comme des grecs & des impofteurs qui féduifoient les filles & les faifoient périr par une vie trifte & auftere (>). L'empéreur Théodofe I, tant célebré pour fa piété , dit publiquement daas l'églife de Milan a S. Ambroife, qui intereedoit pour les moinos qui avoient brulé une églife d'hérétiques a Calame, que les moines faifoient bien des crimes. Les empéreurs firent diverfes loix, les conciles divers canons pour réprimer les excés de ces fanatiques furieux & turbulants. Nés au troifieme fiecle les moines étoient déja, a la moitié dü quatrieme, devenus fi incommodes a 1'état, qua l'empéreur Valens fit une loi pour les obliger a porter les armes (*). Leur inftitut, qui les atachoit a une profeffion toute contraire, les engagea, autant que leur fanatisme, k méprifer cette loi. Valens réfolut alors de les exterminer par le glaive: il envoya des troupes en Egypte, en CO S. Jerom. Let. 23. a Marcel. Let. 25. a Paule. CO Orofe Liv. 7. ch. 33- V 4  «ï2 Hiftoire des Revolut.''du Gouvernement Syrië, en d'autres provinces, qui attaquérent leurs cellules, brulérent leurs travaux, tuérent les uns & mirent en fuite les autres. Comae les moines venoient en troupes dans les vilies importuner les juges, demander la grace des criminels & exciter même des féditions contre ceux qui les refufoient, les magiftrats s'en plaignirent vivement a l'empéreur Théodofe, & lui repréfentérent, que par tout les moines leur faifoient une guerre ouverte, & étoient caufe d'un désordre général par 1'impunité qu'ils faifoient accorder a tous les crimes, a tous les excès (*). Sur ces rémontrances, Théodofe fit ( *) Les commiffaires envoyés par 1'empércurThéodofe pour punir les féditieux d'Antioche eurent d'abord 'a effuyer la fureur des moines. Ceux-ci quittércnt les grottes & les cabanes ou ils s'étoient enfermés, dcscendirent des montagnes , & fe répandircnt en force dans la ville: la ils fe mirent a menacer les commiffaires, & a les troubler dans 1'exercice de leur fon&ion. Ils paifoicnt ies journécs entieres a Ia porte du palais pour empêcher les informations & pour faire fuspendre les exécutions des arrèts. Macedonius fa fignala par delfus tous les autres. Ayant rencontré au milieu de la ville deux de ces commiffaires, il en prit un par Ie manteau , &leur commandaa tous deux de defcendre de cheval. D'abord ils en furent inuignés : mais ceux qui les accompagnoient, les ayant informés qui u étoir, & de quoi ii étöit capable, i!sm>  £14 tlijloire des Revolut. du Gouvernement dent, mais il y pafla pourtant, comme tousles autres maux d'Orient. Six ans après ies magi, ftrats, poulTés de nouveau a bout par les info lences des moines, renouvellérent encore leurs plaintes. Mais ils n'obtinrent du foible Arcadius qu une loi peu propre a remédier a de fi grands excès. En voici les termes. „ Qu'il ne foit per„ mis a aucun clerc, ou moine, même de ceux j, qu'on appellé cénobites, de revendiquer ou „ retenir par force les criminels condamnés au „ fupplice: qu2 perfonne ne redenne, ni ne j, défende les coupables que l'on conduit, après „ 1'appel, au lieu de 1'exécution. Que fi 1'auda„ ce des clercs ou des moines eft telle qu'il en „ faille venir a une guerre plutót qu'a une pro„ cédure judiciaire (ces mots font fentir jusqu'oü „ l'on portoit 1'excès ) qu'on nous en informe , „ afin que nous puiffions en faire une févere „ punition. On punira les evêques, qui n'au„ ront pas chatié les moines qui comrnettront „ déformais dans leurs diocefes des violences au „ préjudice de la loi" O). Les moines continuérent a exercer, k multiplier même leurs violences, & ils ne furent punis ni par les évéques, ni par les empéreurs. (*) L. 3. c. Théod. de his qui ad eqcles. L. 16. & 32. de Epis.  & de VEfprit-Humain, Chap. IV. ji5 Non contensde troubler 1'état, ils troubloient de même l'églife. Quand il y avoit quelque différend entre divers évéques, ou entre un évéque & quelques membres de fon clergé ou de fon troupeau, auflltöt les moines s'en mêloient, & amenoient toujours ie0 chofes aux extremités: d'une dispute ils faifoient naitre un trouble, d'untroubleuntumulte, d'untumulte des meurtres & d'autres excès. Comme ces disputes oo cafionnoient des conciles, les moines fe transportoient encore aux lieux des conciles &y mettoient tout en combuftion. Quand on tintle concile écuménique d'Ephefe, l'empéreur Théodofe le jeune ordonna a Candidien, comte des domeftiques, fon commiffaire ace concile, d'éloigner de la ville tous les moines, pour les empêcher de caufer des tumultes & de troubler les déliberations des peres (y). C'eft pour les mêmes raifons que le concile de Calcedoine , célebré en 451, vingt deux ans après celui d'Ephefe, fit un canon en ces termes. „ Nous hono„ rons comme ils le méritent ceux qui embraffent „ fincerement la vie monaftique: mais parce„ que quelques uns, fous ce prétexte, troubient O) Contett. Candid. Synod. cap. 9. in a& Conc. Ephcs.  5i6 Hiftoire des kevolut. du Gouvernement „ l'églife & 1'état (paroles remarquables) il eft „ ordonné que perfonne ne batiffe un mona55 fiere fans le confentement de l'évêque de la „ ville & du proprietaire de la terre; & que les » moines tant des villes que de la campagne 3, foient foumis a 1'évéque & vivent en repos: „ ne s'appi/quant qu'aux jeunes & a la priere, „ fans s'embarraffer d'affaires eccléfiaftiques ni „ féculieres" ( *). Cependant voici un fait qui (*) Théophile,évéque d'Alexandrie,s'étantbrouille avec le prêtre Ifidore, les moines de Nitrie , irrités d'ailleurs contre l'évêque de ce qu'il enfeignoit que Dieu eft incorporel, prirent le parti du prêtre qui fe réfugia chez eux. L'évêque eut recours au gouverneur d'Egypte pour les contenir dans le devoir. Cinquante de ces moines fe fauvérent, & allérent a Conftantinople, ou ils préfentcrent leurs plaintes d'abord a S Jean Chryfoftome, évéque de la ville & puis a l'empéreur même. Un officier fut envoyé a. Alexandrie pour amener Théophile. L'empéreur avoit ordonné que S.Chryfoftome le jugeroit dans un concile. Mais le jugement du concile tourna contre Je juge même. S. Chryfoftome fut dépofé & envoyé en exil: la deflus fes partifans prirent les armes, & cherchérentThéophile pourle jetterdans lamer. L'évêque fut obiigé de prendre la fuite. D'autres évéques fe fauvérent de même , de forte que le concile finit par 1'exil des vaincus & par Ia fuite des vainqueurs. L'évêque d'Alexandrie, ayant perdu une partie de fes «.dhérans, dont quelques uns étoient morts en prifon,  6? de V'Efprit-Humain, Chap. IV. 31$ „ k vous d'examiner de pareilles queftions, dont „ vous n'étes pas capables" (a). Cette foibleffe de f empéreur, de laiffer impunis les crimes des moines, donna bientöt occafion k d'autres troubles. Un moine nommé Timothée ayant formé le deflein d'ufurper le fiége d'Alexandrie & d'en faire chaflbr Proterius, qui 1'occupoit depuis 1'an 45a, fe mit k aller de nuit par les cellules des moines, & leur parlant par une canne creufe il leur difoit, qu'il étoit un ange envoyé du ciel pour les avertir de chafler Proterius & d'élire k fa place Timothée. Enfuite il affembla ouvertement les moines du voifinage d'Alexandrie, entra avec eux dans la ville, ï'empara de la grande églife, gagna un parti, attaqua le duc Denis qui s'oppofoit k fes violences, & fit m'aifacrer l'évêque Proterius qui s'étoit retiré dans le batiftere. Le corps de cet évéque fut enfuite attaché k une corde, expofé k la vue du peupie, infulté, hué , enfuite trainé par toute la ville, mis en pieces & déchiré de mille coups Le Concile deCalcedoine ayant divifél'Orient en deux grands partis, dont 1'unfoutenoit lecon- Co) Viel:. Chron. (b) Theodor. Liv. 4. Ch. II. Phoüus Cod. 12. Epiphan. haer« 8e.  ,520 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement cile, & l'autre 1'anathematifoit, les moines partagérent auffi. Dans cette fcandaleufe querelle les moines de Paleftine embrafférent le parti de ceux qui tenoient pour le concile, & ils firent trembler l'empéreur Anaftafe, qui le rejettoit. Cet empéreur voulant dépofer les évéques, qui reconnoifloient Je concile, envoya entre autres en exil EJie, patriarche de Jérufalem, & lui donna pour fucceffeur le prêtre Jean qui avoit promis de rejeter le concile. Mais les moines de Jérufalem 1'ayant enfuite engagé k manquer k Ja parole, Anaftafe envoya en Paleftine un nouveau duc, qui mit en prifon le patriarche Jean. Celui-ci, pour regagner fa liberté, promit d'acquitter la promefie qu'il avoit faite a l'empéreur. Mais a peine fut-il forti de prifon, qu'il envoya de nuit k tous les couvens des moines des enviTons pour les faire venir a Jérufalem. II y en eut bientöt dix mille. Alors le patriarche fe rendit a l'églife de Saint Etienne , & monta fur 1'ambon, ayant k fes cötés Théodofe & Sabas, deux archimandrites; & dans le temps que le duc, le neveu de l'empéreur, & le confulaire de la province s'attendoient que Jean fe déclareroit publiquement contre le concile, celui-ci anathèmatifa k haute voix tous ceux qui refufoient de s'y foumettre. Après ce!a le duc fut obligé de prendre la fuite, & le neveu de l'empéreur  de VEfprit.Humain, Chap. IV. 321 péreur ne put échapper k la vengeance des moines qu'en proteftant qu'il étoit venu k Jérufalem pour embraffer leur parti, & en donnant cent livres d'or pour le faint fepulchre, & tout autant a Théodofe & k Sabas pour les diftribuer entre leurs moines (vie ie s. Sabas). Non contents de cela, ces moines écrivirent a l'empéreur une lettre remplie d'infolences & de menaces, de forte qu'il fut obligé de plier. (La lettre eft rapportée toute entiere par 1'auteur de la vie de S. Sabas.) Nous verrons dans la fuite, que les cruautés des moines d'Occident furpasférent infinimeht, chofe incroyable! les cruautés des Orientaux. Les moines, au moins en partie, ne fe contentérent pas de leur fanatisme ordinaire. Versie regne de Conftantius il fe forma une fecte, que l'on nommoit en Syriaque Maffalins, c'eft-a-dire prians, parcequ'ils faifoient confifter dans la priere feule 1'effence de la religion -. ils menoient une vie oifive & vagabonde, demandoient 1'aumone, & vivoient pêle-mêle hommes & femmes. Sans s'aftreindre a garder le jeüne , ils mangeoient, quand ils en avoient envie. Ils rejettoient le travail cks mains comme mauvais. Ils difoient, que chaque homme avoit un démon qui le fuivoit depuis fa naiffance, & qui le pouffoit aux mauvaifes aclions. Pourlechafferiifalloit, felon Tome I. X  322 Hiftoire des Revohct. du Gouvernement eux,priercontinuellement. A ceux qui prioient beaucoup, il arrivoit fouvent, difoient-ils, de le faire fortir de leur corps en fe mouchant ou en crachant: alors on voyoit fortir de la bouche d'un homme, ainfi puriflé, une truye avec fes petits cochons; a la place on y voyoit entrer un feu qui ne bruloit point. Ils fe vantoient de voir des yeux du corps la Sainte Trinité, & de recevoir le S. Esprit d'une maniere fenfible. Pendant la priere ils recevoient desrévélations: ils avoient auffi des transports,desextafes qui leur faifoient faire des aftions extravagantes. Ils s'élaneoient tout d'un coup, difant qu'ils fautoient par deffus les démons. Ils avoient coutume de faire avec les mains les geftes d'un homme qui tire de 1'arc ; & ils difoient qu'ils tiroient alors contre les démons: ils fe donnoient hardiment pour des prophetes, des patriarches, des anges (è). Quoi^ qu'ils regardaffent les facremens comme des chofes indifférentes qui ne faifoient ni bien ni mal, S. Epiphane, qui a réfuté leurs erreurs, s'eft attaché a combattre principalement leur doctrine touchant le travail. Pour les refuter il apporte le précepte des apötres, la pratique des moi- (h) Theodo. Liv. 4. ch. 11. Photius Cod. !*• Ipiphan. haer. Zo.  & de rEfprü-Humaift, Chap. LV. 323 nes vertueux, & 1'exemple des prêtres & des évéques: car, dit-il, quoiqu'ils ayent droit de fe faire nourrir par ceux qu'ils inftruifent,toutefois ils en ufent fobrement. La plupart, imitant 1'apötre S. Paul, exercent de leurs mains quelque métier qu'ils trouvent convenable k leur dignité, afin qu'après la parole &TinftrucT:ion, ils ayent encore la joie en leur confcience, de fatisfaire k leurs befoins, par le travail de leurs mains (ƒ)• Ce témoignage de S. Epiphané prouve, que les eccléfiaftiques éclairés & vertueux regardoient alors le travail des mains comme néceffaire aux prêtres mêmes, & que Jes plus pieux pratiquoient en effet le précepte & 1'exemple des apótres. Mais les conciles de ces temps-la dépofent d'ailleurs contre S. Epiphane, & font voir, que la plupart ne travailloient point; mais qu'ils cherchoient k s'enrichir par le trafic, les ufures, par leurs flatteries & leurs afliduités auprès des femmes & des riches. Quel dommage pour la foi, pour l'églife,' pour 1'état, pour les moeurs, pour tout enfin, que la religion chrétienne foit devenue dominan- (O S. Epiphane 1. c. La doctrine de ce faint ne porte point fur les moines d'aujourd'hui: car s'ils haïffent le travail, comme les Maffalins, c'eft que le temps, & les opinions ont changé, X 2  324 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement te dans des circonftances fi fatales pour elle. Lee empéreurs qui rembrafférent, ne connoifibient que les fuperftitions, & ignoroient la doctrine da Jefus-Chrift & des apötres: ceux qui la leur enfeignérent, étoient des hypocrites arabitieux* ou avares, ou fanatiques qui avoient 1'etfprit gaté & la tête ardente. Les moeurs étoient déja corrompues: puisque les faints peres fe plaignent que,déja fous Dioclétien, les Chrétiens, & furtout le clergé avoit tellement dégénéré, qu'ils étoient envieux les uns des autres, & fe déchi-, roient par des médifances & des injures; que les peuples étoient féditieux & les chefs contre les chefs; que les pafteurs, pleins d'hypocrifie & de diflimulation, oublioient la loi de Dieu, avoient des jaloufies entr'eux, exercoient des haines, ufoient de menaces, & pourfuivoient avec ambition les charges eccléfiaftiques comme des dominations temporelles. Nous avons vü plus haut, qu'Origene & S. Cyprien en ont fait une plus trifte peinture encore. La religion chrétienne, née parmi les Pharifiens, les plus effrontés des hypocrites, propagée en Egypte, ie centre du fanatisme, de la fuperftition, & de la philofophie ténébreufe , fut placée fur le tröne par des fourbes qui y cherchoient leurintérêt plütöt que leur falut. Les princes, & fur» tout Conftantin, ignorant les vrais principe {/e  Ö9 de ïEprit. Humain, Chap. IV. 3x7 excès, avec une espece de fureur même, les Chrétiens, cebonheur extraordinaire éblouit les fideiles & les porta a laiffer a 1'écart févangile, qui leur parut dès lors trop fimple, pour imaginer de nouvelles doctrines, qui produifirent la fuperftition. Les moeurs, déja alterées par le changement de la fortune , achevérent de fe pervertir par la corruption de la doctrine. Les moeurs des troupeaux étoient conformcs a celles de leurs pafteurs. Un luxe énorme, une voluptéprodigieufe, une avarice effrénée étoient les paflions dominantes. Les cours des princes étoient le centre de la corruption: de Ik partoient les exemples de tous les vices. D'une main on raviflbit tout, de l'autre on prodiguoit tout. L'argent qui étoit arraché aux malheureux fujets par le fouet, les emprifonnemens, & les tortures, étoit prodigué a de milliers de gens fans mérite, aux fiatteurs, aux hypocrites, aux artifans de la volupté. On peut bien s'imaginer,que dans une fi grande corruption la fureur des fpeétacles étoit extréme. Au rapport d'Ammien Marcellin (d) on comptoit a Rome, pendant ls regne de Conftantius , jusqu'a trois mille pantomimes: & du (4~) Amm. Marcell. liv. 14. X 4  6? deVEfpriuHumainy Chap. IV. 329' riople, a Ephefe, Antioche, Alexandrie, Thesfalonique on fe paffionnoit moins pour un héros , ou même pour la patrie que pour un acteur, une comédienne, un cocher du cirque, Le commandant des troupes d'lllyrie, qui réfidoit k Theffalonique , y ayant fait mettre en prifon un cocher du cirque, coupable d'un cri-. me infame, & ayant refufé de 1'élargir a. l'occafion d'une fête, oü l'on vouloit donner des courfes, le peupie en vint a cette furieufe fédition, qui lui attira ce crüel cnariment, pour lequel S. Ambroife obligea Théodofe I a faire fa fameufe pénitence publique. Les révoltés ■s'emportérent jusqu'a tuer le commandant, a affommer a coups de pierres plufieurs officiers, & a les trainer enfuite par les rues. Une loi de ce même Théodofe (L. 15. tit. 7. Liv. 12. Cod. Theod.) nous apprend, que l'on avoit pour coutume de mettre les tableaux des aéïeurs, des cochers & des farceurs dans les lieux publics des villes k cöté des tableaux des empéreurs. Comme dans les jeux du cirque les cochers qui étoient habillés de verd difputoient le prix k ceux qui étoient habillés de bleu, les habitans des villes fe divifoient en deux fattions, celle des Bleus, & celle des Ferds, & chacun y prenoit intérêt jusqu'a la fureur. Bientöt on fit paroitre la même rage pour les acteurs de théatre, une faétion X $  533 Hijltire des Revolut. du Gouvernement prenant en affe&ion des acteurs que l'autre dé« teftoit. Ces faétions avoient commencé de bonne heure: Suetone dit que Caligula, paffionBé pour la faftion des verds, haiftbit le peupie de Rome, parcequ'il eftimoit l'autre. Sous les princes chrétiens ces faétions devinrent plus furieufes & très-funeftes a 1'état. Sous les empéreurs chrétiens on vit naitre un nouveau crime inconnu aux empéreurs payens. Ce fut la perfidie. Conftantin, prince chargé des plus grands crimes, fut le premier a en donner 1'exemple. Nous avons vü qu'il fit étranglerLicinius, après 1'avoir enchanté par des carefies, & afluré qu'il le laifieroit vivre tranquillement a Theffalonique (ƒ). Mais c'eft proprement fous le regne de Valentinien I que les Romains fe dillinguent par une fuite de perfidies des plus noires. Valentinien, après avoir défait les Allemands a Sultz fur le Nécre, conclut enfuite un traité, par lequel les deux peuples s'engagent a ne point entrer dans les pays fun de l'autre. Malgré ce traité les Romains s'avancent dans les terres des barbares écyconftruifentdes fortsfjg). Randon prince Allemand, indigné apparemment (ƒ) Jerome Chroniq. Cg) Amm. Marcel. Liv. 27. & Liv. 30.  £f de VEprit-Humain, Chap. IV. 331 de cette perfidie, furprend & pille Mayence. Les Romains, pour s'en vanger, confomment un crime qu'ils avoient déja plufieurs fois tenté en vain. Hs corrompent un officier de Vithicabe, roi de la même nation, & font affaffiner ce Prince (A). L'annnée 371 eft célebre dans l'hiftoire par la première irruption des Saxons, peuples Germains qui habitoient les bords de 1'Océan parmi des marais inaccaffibles. Ces peuples ayant traverfé la mer, & remonté fur des barques légeres les fleuves du continent, vinrent fondre fur les terres des Romains, oü ils défirent un corps de troupes commandées par le comte Nannein. Mais ayant été enfuite furpris par Sévere, général de 1'infanterie, ils demandérent la paix, & obtinrent de s'en pouvoir retourner librement en leur pays, k condition de céder aux Romains une partie de leur jeuneffe pour fervir dans leurs armées. Comme ils s en retournoient fans crainte, les Romains, qui leur avoient dreffé une ambufcade, les furprirent & les taillérent tous en pieces. Tillemont fait ladeffiis cette réflexion. „ Après ces violemers honteux de la foi publique fous des empéreurs ',' chrétiens il ne faut pas s'étonner, que Dieu (è) Idem Liv 27.  332 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement ,, alt permis la ruine des Romains, qu'il les aït „ livrés a ces mêmes peuples, dont ils s'irnagij, noient venir a bout par la perfidie. Je ne „ penfepas, que les anciens Romains eufferit 3, feulement fouffert, qu'un hiftorien eut vou„ lu excufer une a&ion de cette nature, & la 3, faire paffer pour un fuccès favorable ainfi que & fait Ammien "(i). Le même Valentinien, dans le delfein qu'il avoit formé d'alfurer toutes les frontieres par des forts, ordonna de batir des chateaux au de lh du Danube fur les terres des Quades. Ceuxci s'en plaignirent, & obtinrent d'Equice, général des armées de Tlllyrie, la fulpenfion des travaux jusqu'i de nouveaux ordres de l'empéreur. Maximin, préfet des Gaules, promit alors h Valentinien, choqué de ce retardement, qu*il feroit exécuter fes ordres avec vigueur par fon fils Marcellien, fi l'empéreur vouloit le faire duc de Valerie en lllyrie. Marcellien ayant obtenu cette charge, il recommenca auffitöt le travail des forts. Alors Gabinius roi des Quades vint le trouver, & le pria avec modeftie de ne point continuer. Marcelljen le recoit avec toutes fortes de politeffes, lui promet tout ce qu'il «neut» rJ~) Tillcmont Hifi. des empéreurs far'l'an 371.  ff de rEfprit'Humain, Chap. IV. 33$ Tinvite a fa table, & 1'y fait égorger (*). Les Quades paflent le Danube, & mettent tout a feu & a fang. Valentinien, pour s'en vanger, paffe de même le Danube, & ravage leurs terres. Les Quades lui députent les principaux de leur nation pour demander la paix. Leur mau-' vais habits & leur extérieur groffier le met en colere: il leur parle avec violence malgré 1'évidence de fon tort, fe rompt une veine , & meurt bientöt après. Voila la douceur & la juftice d'un prince chrétien qui avoit été confeffeur lous Ju-; ll6La même année que le miniltre de Valentie nienaffaffinaGabinius, Valens, frere de Vale*.; tinien, fit exercer une pareille perfidie contrs Para roi d'Arménie. Ce roi étoit allié deValens? qui 1'avoit protégé contre les Perfes. L'alliance duroit depuis quelques années, lorsque Valens, quelqu'en fut la raifon, prit tout d'un coup la réfolution de donner a, un autre les états de Para. Pour cet effet il écrivit h ce!ui-ci de venir. le'trouver pour déliberer de concert fur les mo-' yens de pouffer la guerre contre les Perfes. Para fe met en voyage: mais arrivé a Tarfe il apprend le deffein de Valens, qui étoit de le faire CO Amm. Marcel. Liv. 29.  33©' Hiftoire desRevolut. du Gouvernement péreur n'accepta ni Tune ni l'autre de ces pw*; pofitions: mais il s'engagea a leur abandonner en propre les Gaules & 1'Efpagne. Quoique cette ceffion fut de peu de conféquence pour 1'empixe, puisque ces provinces étoient déja en grande partie occupées par les Vandales, !esSueves& •les Alains, on cfaercha néanmoins k en f.uftrer les Goths par une perfidie. Ceux-ci ayant pris, en conféquence de la ceffion, le chemin des Gaules, Stilicon, géaérald'Honorius, les fuit dans 1'efpérancede les furprendre, & les attaque brusquement aupied des AlpesCociennes. Les barbares, a qui cette indigne aélion donna un nouveau courage, fe défendirent avec tant de bravoure que la victoire demcura indécife. Pour les appaifer, Stilicon employa de nouvelles promeffes qu'il ciégagea par une nouvelle perfidie. Alaric, fe retire en Ulyrie. Stilicon lui fait de nouvelles offres, & 1'ayant féduit pas des préfens il fait avec lui un traité dont le but étoit d'öter 1'empire a Honorius fon maïtre. Mais ce perfide général fut mis k mort par les ordres. d'Olympius, autre perfide, avant fexécution de fon projet. Quelque temps après, Alaric, a qui Stilicon avoit promis une certaine fomme d'argent au nom d'Honorius, envoya demander ce qu'on lui devoit: mais l'empéreur méprifa fa demande. Cette nouvelle perfidie 1'attire de nouveau  £4$ Hiftoire dei Revolut. du Gouvernement tiatiques & fuperftitieux, ou même des foüsiqui profeflbient la magie. L'empéreur Valens fit kruier un trés-grand nombre de livres fur cet art abfurde, & envoya au fupplice quantité de' philofophes qui avoient écrit de pareils livres, ou même enfeigné publiquement la magie. Cette folie étoit devenue fi commune, que le philofophe Libanius même , qui faifoit tant de parade de fon efprit & de la folidité de fa fcience, ne rougit point d'avouer, qu'il s'occupoit de la magie, & de fe vanter que par fes connoiffances en cet art, il avoit échappé aux recherches de Valens & de fes délateurs (vie de Liban.). La chüte de la philofophie entraina naturellement celle de toutes les autres fciences. L'étudc de la jurisprudence, qui, fous les anciens Romains , faifoit 1'occupation des plus grands hommes , & des premiers citoyens foit de la république ou de 1'empire, devint, depuis Conftantin, fi méprifable, que dans les plus célebres académies, a Beryte, aCéfarée, a Rome même , elle étoit enfeignée par des hommes de néant, par des affranchis même, comme 1'attefte Mamertin, qui, dans le discours qu'il fit k Julien pour le remercier du confulat, fe plaint que la fcience du droit civü, qui avoit élevé aux premières dignités les Manlius, les Scévola, les ScrviüSy étoit devenue un art d1 affranchis. Auffi  356 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement raifon étoit, que les premiers législateurs de Rome onr voulu empêcher, que les communautés ré!igieufes & les prêtres n'abufaffent de la fuperftition des particuliers pour s'enrichir excefiïvem?nt aux dépens des citoyens & de 1'état L'empéreur Conftantin avoit des vues tout oppofées. Plein de fon projet de faire triompher les Chr étiens, & de les élever fur la ruine des Payens, il voulut d'abord enrichir les eccléfiaftiques pour en former un corps propre a balancer la puiffance des différens corps des payens. Dans cette vue il ordonna, que chacun auroit déformais la liberté de laiffer en mourant tout ce qu'il voudroit aux églifes catholiques (c). Les fucceffeurs de Conftantin n'eurent pas befoin de chercher, comme lui, h élever la puisfance & a augmenter les richeffes du clergé. Les payens furent bientöt écrafés: fous Théodofe I les évéques & les moines en avoient exterminé la plus grande partie par le fer & Je feu: fous Théodofe le jeune il n'y en avoit déja presque plus dans les villes: & a Ia campagne même ils écoient fort inférieurs en nombre aux Chrétiens. C&) Schulting. Jurisp. Antej. p. 635. CO I-. I. C. de Sacr. Eccles.  3^8 Hiftoire des RevoL du Gouvernement Malgré ces loix, une veuvede qualité, nonrxr,ée Hypacie, qui vivoit du temps de l'empéreur Marcien, ofa faire un teftament, oü, après avoir laiüe beaucoup aux églifes, beaucoup aux moines, elle inftitue héritier de tout le refte un prêtre de Conftantinople. Le teftament fut impugné par les béritiers ab inteftat, & 1'affaire portée au fénat. Marcien même y fut préfent: & la préfence de cet empéreur, qui fut un des plus bigots, fit que le teftament fut approuvé en dépit des loix. Après cela l'empéreur fit une loi générale , par laquelle il permit & tout le monde de laiffer ce qu'on voudroit aux églifes, & aux moines (ƒ> Voila la raifon de tant d'éloges que lui prodiguérent les écrivains eccléfiaftiques & particuliérement le pape S. Léon (g). Les fuites de cette loi fe firent d'abord teïlement fentir , que fon fucceffeur l'empéreur Majorien, quoiqu'également devoué au clergé, fut forcé de porter Une loi par laquelle fans choquer direótement 1'avarice des eccléfiaftiques, il ordonnoit que les femmes, demeurées veuves au deffous de quarante ans, feroient obligées de fe remarier dans lespace de cinq ans , ou de (ƒ) Nov. Marcian. tit. 5. (g 5 Leon epis. 116.  fc? *FEprit-Humain, 11. Part. Chap. II. 367 mirent, que le mari & Ia femme puffent fe laisfer reciproquement tout ce qu'ils vouloient, quoique leur mariage n'eüt point produit d'enfans ( n ). Ainfi les eccléfiaftiques qui avoient des femmes, & que leur ordination empêchoit de s'occuper du foin de fe donner des enfans, purent dès-lors hériter de leurs femmes, & les inftituer leurs héritiéres. Je laiffe a juger au leéieur quel préjudice l'abolition de tous les chefs des loix papiennes a fait k la population des deux empires, oü tout concouroit déja k frapper des coups mortels fur 1'efpece humaine; le gouvernement despotique, la cupidité raviffante du clergé & des moines, les continuelles invafions des barbares, les guerres du dedans & du dehors, les vices des grands qui dépeuploient les campagnes & gatoient les mariages, 1'ancienne & la nouvelle Rome, qui abforboient tous les ans un nombre innombrable d'hommes. Par Ia les moeurs déja corrompues fe corrompirent encore d'avantage: la nature plus forte que les canons des conciles rendit féducteurs des femmes, la plupart de ceux qui manquoient 00 L. 2. C. de infirm. poen. coelib. L. 2. CTh.de jur. liburor.  ySS Hi/loire des Revol. da Gouvernement de femmes. L'efprit de libertinage affoiblit l'e3 fprit de réligion. Les grands crimes fe multiplié-i rent a 1'infini; les célibataires n'étant retenus ni par la crainte de rendre malbeureufe leur familie, ni par la honte que peuvent infpirer des témoins domeftiques. CHAPITRE TROIS IE ME. * Loix fur la continence du clergé en particulier, Flus les Chrétiens s'éloignoient des temps des apötres, plus ils perdoient de vue les ordres de Dieu & de la nature. On le voit clairement par le joug qu'on impofa au clergé. Le fauveur & les apötres n'ont nulle part défendu le mariage aux eccléfiaftiques. Au contraire Dieu a ordonné a 1'hornme de fe multiplier. Mais peu a peu les Chrétiens commencérent k méprifer la fimplicité apoftolique, k rechercher au contraire les fophismes de la nouvelle philofophie , & k gouter les pratiques fuperftitieufes des fanatiques de 1'Egypte & de la Paleftine. Alors les plus zélés fe mirent k regarder Ie mariage comme une marqué certaine d'impureté & d'incontinence. Et comme on exigeoit, que les eccléfiaftiques ne fuflent pas feulement exempts  & de fEprit.Humain, II. Part. Chap.IÏI. 3«"0 de vices, mais qu'ils fe diftinguaffent par ifnè conduite pleine de vertus, on s'imagina, que le mariage étoit 1'état du monde qui leur convenoit le moins: que dis-je? on penfa même qué c'étóit un état illicite pour eux,. & qu'il falloit le leür défendre. Tel étoit le fentiment d'une grande partie des peres qui afTiflérent au premier concile général de Nicée, convoqué par Conftantin. Ce concile alloit paffer un canon pour défendre aux clercs d'habiter avec leurs femmes qu'ils avoient époufées étant Jaïques , lorsque tout-a-coup fe leva l'évêque Paphnuce , vieillard refpeclable , qui avoit lui-même toujours gardé la virginité; & fe déclarant contre la propöfition qu'on vouloit approuver, il dit a haute voix qu'il ne falloit pas impofer un joug fi pefant au clergé: que le lit nuptial eft hono„ rable, & le mariage fans tache; que cet ex- cès de rigueur nuiroit a l'églife; que tous ne „ font pas affez forts pour garder une continenJ? ce fi parfaite; & que la chafteté conjugale „ en fouffriroit; qu'il füffifoit bien, que celui j, qui étoit une fois ordonné clerc, n'eüt pas la liberté de fe marier, fuivant ï'ancienne „ tradition de l'églife: mais qu'on ne devoit pas £ le féparér de la femme. qu'il avoit époufée ?, étant encore laïque". Tout le concile fuivif Tomé I. • Aa  370 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement „ fon avis, & on ne fit point fur ce fujet de „ loi nouvelle" (o). On continua donc de donner les ordres facrés h. ceux qui étoient mariés; mais les conciles particuliers de plufieurs églifes, y firent néanmoins une exceptiön en haine de ceux qui avoient contraété de fecondes nóces O)- La plupart des eccléfiaftiques régardoient avec averfion les fecondes nöces, foit qu'ils ne puffent s'empêcher d'y reconnoitre un certain carattere d'incontinence , foit qu'ils fe laiflaffent aller aux préjugés du vulgaire. Infenfiblement cette averfion pour' les fecondes nöces gagna toutes les églifes d'Occident & d'Orient, de forte qu'on exclut par tout les bigames des ordres facrés^ Cependant en quelques endroits la force de fabus triompha des loix: car non feulement on trouve dans l'hiftoire des prêtres bigames, mais des évéques (j). L'évêque Théodoret fit voir dans la lettre qu'il écrivit a Domnus, évéque d'Antioche, que lorsqu'il ordonna Irenée, qui étoit bigame, évêqUe de Tyr, il avoit fuivi 1'exemple de plufieurs autres, qui avoient avant (o) Socrat. Liv. i. ch. IS. Sozoraen. Liv. i. ch.13-. (P) Epiph. Haeres. 59. cathaer. n. 4. (5) Theodor. epis. 110.  g76 Hiftoire des Revoïut. du Gouvernement youloient abfolument que les prêtres & les évéV ques fe féparaffent des femmes qu'ils avoient époufées avant leur ordination. Cette connivence des empéreurs, contraire aux régiemens des papes, fait voir, que la multitude des prêtres mariés étoit trop grande, & qu'on eüt révolté trop de monde par des loix, qui euffent obligé lés eccléfiaftiques a quitter leurs femmes. Les conciles des églifes d'Occident, fur-tout ceux que l'on tint après le pape S. Slrice, firent, a la vérité, tout ce qu'ils purent pour impofer ce joug aux eccléfiaftiques: mais ce qui prouve, qu'ils n'y réuffirent jamais, c'eft qu'il fallut toujours répéter les mêmes défenfes, & que l'hiftoire nous fait voir, que malgré ces défenfes toujours réitérées, il y eut continuellement des eccléfiaftiques mariés qui continuérent de vivre avec leurs femmes. Une raifon trés frivole determina Juftinien a -faire a 1'égard des évéques une loi particuliere. Cette loi, porte, que quand un fiége épifcopal fera vacant, les habitans de la ville feront un décret en faveur de trois perfonnes, dont les moeurs & la foi foient connues par de bons témoignages, afin que l'on choififlele plusdignc; (O L. :ti. C. de Episcop. &CIér. t  &del'Efprit'Humain} II. Part. Chap. III. 377 & que celui qui fera ordonné évéque, doit n'avoir ni enfants ni petits enfants, de peur qu.e les foins de fa familie ne le détournent du fervice de Dieu & des affaires de l'églife, & qu'il n'applique au profit des fiens les biens qui ont été donnés pour les pauvres (c). II eüt beaucoup mieux fait de décharger les évéques du foin de 1'adminiflration des biens temporels, adminiftration dont fe plaignoit beaucoup S. Auguftin , & d'admettre a 1'épiscopat des perfonnes qui avoient femmes & enfants, dont les moeurs font ordinairement plus integres, & le zele plus accompagné de prudence. Ce que je viens de dire fur la continence que l'on a prefcrite au clergé, ne porte pas fur la continence en général. Je fais que eft une vertu : mais pour les perfonnes, qui y font forcées, je crois moi, qui ne fuis pas thélogien, qu'elle ceffe d'être une vertu. Ainfi d'un bien on a fait un mal. On auroit dü, iroiter Jefus- Chrift & les apötres, qui font confeillée, & non pas ordonnée. Alors ceux qui auroient choifi de vivre dars la continence, auroient exercé un acle de vertu ". Quand , dit trés bien M. de Montes„ quieu (d'), la réligion donne des régies, non pas CO Esprit des Loix Liv. 24. ch. 7. Aa 5  37 S Hiftoire des Revolut. du Gouvernement „pour Ie bien, mais pour Je meilleur; non pas „ pour ce qui eft: bon , mais pour ce qui eft par„fait; il eft convenable, que ce foient des con„feils & non pas des loix: car Ia perfe&ion ne „regarde pas 1'univerfalité des hommes ni des „chofes. De plus fi ce font des loix, il en faudra „une infinité d'autres pour faire obferver les pre„ mieres. Le célibat fut un confeil du chriftianis„ me: lorsqu'on en fit une loi pour un certain „ordre de gens, il enfallut chaque jour de nou„ velles pour réduire les hommes a 1'obfervation „de celle-ci". II fallut faire des loix pour empêcher ceux qui fe voueroient a cet état, de ne s'y pas précipiter par imprudence avant un certain age, avant de s'y être préparés & exercés par dégré, avant d'avoir donné des preuves de leurs moeurs a l'églife qui devoit les recevoir. II en fallut faire pour éioigner de cet état ceux qui avoient donné des marqués de ne pouvoir vivre fans femme, tels que ceux qui avoient contraólé de fecondes nöces. II en fallut faire pour préveniró? arrêter 1'incontinence de ceux qui manifeftoient leur foiblelfe après avoir recu Jes ordres facres. Et ce dernier point fut celui, dont on ne put jamais venir a bout. On a menacé, on a excommunié, on a dépofé les incontinents: ce fut en vain. On leur a donné des cspions, & des comr  ff de V Efprit Humain, II. Part. Chap. III. 379 pagnons: ce fut encore en vain. Des conciles font encore allés plus loin. Celui, par exemple,, qui s'eft tenu a Tours en 566 a ftatue (e), que l'évêque marié doit toujours être accompa- \ gné de clercs, même dans fa chambre; & tellementféparé d'avec fa femme, que celles qui la fervent, n'ayent aucune communication avec les clercs: qu'il ne doit pas y avoir des femmes ï la fuite de l'évêque qui n'eft point marié: que 1'archiprêtre, étant a la campagne, doit avoir un prêtre qui couche dans fa chambre: que Ie prêtre, le diacre ou le fous-diacre, qui aura été trouvé avec fa femme, fera interdit pendant un an; & que 1'archiprêtre, qui aura négligé de veiller fur fes inférieurs, feraenfermé un moispour jeuner au pain & a 1'eau. Tout fut inutile. Les législateurs fe fatiguérent: ils fatiguérent Ia fociété pour faire obferver aux hommes comme un précepte ce que ceux qui aiment la perfection auroient pratiqué comme confeil. Ces loix avoient encore un autre défauf, & c'étoit le plus grand de tous. C'eft qu'elles ne s'accordoient pas avec les loix de Ja nature , puisque nos penchans naturels, & Ja volonté du créatcur nous portent a cherchcr la propa- CO Tom. 5. Concil. can. 13. 14, 19-  38» Hiftoire des Revolut. du Gouvernement gation de notre espece: & qu'elles ne s'accordent pas non plus avec les bonnes loix politiques, puisqu'elles détruifent la population, & menent au libertinage (*). C'eft un grand défaut d'harmonie & de jufteffe. Si l'on s'en fut tenu a la doftrine de 1'évangile, ou feulement h celle du concile de Nicée, on eüt évité tous ces inconvénients. Mais en changeant le confeil en loi, on choqua également 1'efprit du confeil, & celui de la loi. (*) „C'elï une regie tirée de la nature, dit M. de „Montesquieu, Esprit des Loix Liv. 23. cb. 21, que „plus on diminue le nombre des mariagcs, quipour„roient fe faire , plus on corrompt ceux qui font faits. „Moins il y a de gens mariés , moins il y a de fidéhtd. „dansles mariages: commelorsqu'il y a plus de vo„leurs, il y a plus de vols". CHAPITRE QUATRIEME. Loix fur le concubinage , ö* la légitimation des enfans. Le même principe qui avoit porté l'empéreur Conftantin & favorifer le célibat & la virginité , le détermina auffi a frapper fur le con*  ffdefEfpyit-Humain^llFart/Chap, IV. 385 eubinage, que les'Chrétiens haïflbientj pareer qu'il marquoit une paflion déréglée, & dans lè même temps elles approuvent cette paflion déréglée dans le mariage: cependant, après la loi papienne, le concubinage n'étoit proprement qu'un mariage, mais deftitué des effets civils: & en effet l'églife le rëgardoit, comme 'nous 1'avons déja remarqué, comme une conjbnétion licite. Les Chrétiens zélés n'y trouvoient & blamer que le transport d'une paflion avèugle. Ju» ltin & Juftinien, fondés fur ce même principe, voulurent attaquer le concubinage; mais pour obtenir 1'effet, ils frappérent fur le principe même qui les faifoit agir: car, par léurs loix, ils autoriférent dans le mariage le même déréglement qui les engageoit a perfécuter le concubinage. . , . 4 . La plus fotte de toutes cés loix fut celle de Juftinien fur la légitimation des enfans par le mariage'fubféquent: car après avoir permis les mariages des hommes de toutes les claift-s avec les femmes de toutes les conditions, cëtte liberté qui ne rëgardoit pas feülement les concubinages deja contractés , mais ceux qui fe feroient encore a 1'avenir, invitoit toü't le monde au concubinage, malgré les peines qu'il s'étoit données pour convertir en mariages les conjonc tions, que la loi papienne, & plus encore telïl Tomé I. B b  388 Hiftoire des Revölut. du Gouvernement me pöur fe faire clerc (*). Cela marqué évl. tlemment que les Chrétiens étoient alors dans Terreur. Ils défapprouvoient le divorce, parcequ'ils croyoient que Jefus - Chrift 1'avoit défendu, ou 1'avoit feulement permis pour caufe d'adultere; Cette opinion exigeoit donc qu'ils ne permiflent point de répudier fa femme pour embraiTer 1'état eccléfiaftique. C'eft une véritable perfidie qu'on commet envers fa femme. Et les conciles avoient d'autant moins de raifon d'approuver cette perfidie, que Jefus-Chrift ni les apötres n'ont pas exigé des clercs qu'ils n'euffent point de femmes. Si les conciles ne pouvoient pas approuver cette perfidie, ils étoient d'autant moins autorifés a 1'impofer (*). II eft naturel, dit le célebre auteur de 1'Es„ prit des Loix, que les caufes de divorce tirent (*) Voy. ce que j'a dit ci-deffus fur les Loix touchant le célibat des clercs. (*) L'hiltorien Socrate Liv. 5. ch 22. rapporte qu'en Theflalie on excommunioit un clerc, s'il habitoit avec fa femme, quoiqu'il 1'eüt époufée avant fon ordination, & que la méme coutume s'obfervoit en Macédoine & en Grecé: qu'en Oriënt tous obfervoient cette regie, mais volontaircment. S. Jerome, plus ancien que Socrate, dit Qaivers. Vigü. c. 1.) que les églifes d'Orient, d'Egypte & du fiége apoftolique obli-  h & del'Efprit Humain, II. Part. Chap. V. 3.^9 „ leur origine de certaine empêchemens qu'on ne „devoit pas prévoir avant le mariage: mais ce „défir de garder Ja chafteté pouvoit être prévu, „ puisqu'il eft en nous. Cette loi favorife 1'irxon„ ftance dans un état qui de fa nature eft perpe„ tucl; elle choque le principe fondamental du „ divorce qui nefoufTre la diffolution d'un maiia„ ge, que dans 1'espérance d'un autre 5 enfin, a fuij,v e même les idees réligieufes, ellene fait que „ donner des victimcs a Dieu fans facrifice " (v). Ces vérités fe font fentir par tous ceux que de forts préju^és n'ont pas privés du fens commun. Les mêmes préjugés qui aveuglérent le clergé, & fur tout les papes, ötérent aufli le fens commun aux empéreurs chrétiens: car non feulement ils approuvérent par leurs loix cette caufe fi déraifonnable du divorce, mais Juftinien, dont la ftupidité, en fait de législation,. eflinexprimable, alla jusqu'a ftatuer, que pour faire proftflion dans un monaftere il feroit permisa la femme de répudier le mari, & au mari de répudier la femme O). gcoient les clercs, qui avoient des femmes, h ccffer d'être leurs maris. S. Epiphane {boerss sg.Catbar.') té* moigne la même chofe. O) Liv. 26. ch. 9. Qx) Novel. 22. Nov. i2.i. L.42. C.de epis.&cler,^ Bb 3  yj% Hiftoire des Revolut. du Gouvernement, avoir voulu reprouver que les divorces que les p'articuüers 'faifoient de leur propre autorité fans le confentement des magiftrats. 11 eft conftant, que Moïfe a permis aux Juifs de répudier leurs femmes de leur propre autorité, & par la feule raifon qu'ils ne les aimoient plus f» Or Jefus-Chrift déclare que cela ne doit plus être permis, puisque Moïfe ne 1'avoit permis aux Juifs qu a caufe de la dureté de leurs coeurs. Mais la défenfe de Jefus-Chriil ne paroit pas regarder les divorces qui fe feroient pour des raitons légitimes & avec la permiffion des magiftrats. H eft aulïï-défendu de tuer: cependant le magiftrat peut faire mourir pour des caufes légitimes. Si le magiftrat peut donner la mort a un homme que Dieu a créé, pourquoi ne pourra-Ul pas de même fépar.er deux perfonnes que Dieu a reünies, lorsqu'il jUge, que des raifons importantes demandent cette féparation ? Ce qui prouve évidemment, que nous avons eonfondu toutes les idéés, c'eft' que nous ne permettons pas même le divorce qui fe fait par te confentement mutuel des deux parties • & «jue malgré cela nous permettons que Je mariage puilTb fe diffoudre, quand Jes deux parties s'ac- (O Deuteron, oh. 24.  398 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement traitsr fa femme; mais je ne vois pas pourquoi ils ont auffi accordé k la femme Ia faculté de répudier Ie mari, lorsqu'elle pourroit le convaincre d'avoir tué, ou empoifonné quelqu'un, ou d'avoir excité des féditions, d'avoir volé des troupeaux, ou vendu, acheté, caché une perfonne libre &c. Tous ces crimes font étrangers au manage, & n'empêchent pas un mari d'être un bon mari, & d'aimer fa femme. Ce fut encore pis d'avoir donné Ia même faculté au mari pour les mêmes délits de fa femme, comme fi le premier n'avoit pas mille autres moyens de tenir ou de remettre fa femme dans le devoir. Ces loix femblent n'envifager que 1'énormité de ces crimes, & elles ne devoient envifager que les effets qu'ils produifent dans ie mariage, & finfluence qu'ils ont fur les objets de 1'union conjugale. Les empéreurs crurent par la corriger les moeurs de leurs fujets: mais pour corriger les moeurs, il faut d'autres loix: & pour protéger les mariages il en faut encore d'autres. Ce qu'il y a de plus mauvais & de vraiment méchant dans ces loix, c'eft qu'au lieu de procurer 1'union dans les mariages, elles y introduifent la discorde. En accordant a 1'un & k l'autre le droit de s'accufer mutuellement, elles les rendent espions 1'un de l'autre: k la place de cette franchife, & de cette ouverture de coeur.  6P del''Efprit-Humain, 11. Part. Chap. V. 399 qu'exige 1'amitié de deux perfonnes unies, elles y étabüfient une défrince réciproque d'autant plus foupcmneufe, que la trahifon eft plusfaci\ï. lnfamos loix, bien dignes du pieux Théodofe & de rimbécille Juftinien. Pour venger des aótions criminelJes, elles invitent a en commettre de plu5 oiminelles encore. Cts ueux empéreurs permirent, 1'un & l'autre ( c ), tant aux femmes qu'aux hommes de répudier pour caufe d'adultere. En effet k ne regarder le mariage que dans des idéés purement fpirituelles, & dans le rapport aux chofes de l'autre vie, la violation eft la même. Mais dans les loix fur les mariages, il faut moins confidérer la bonté de i'homme, qui eft 1'objet de la religion, que la bonté morale des hommes en géréral, qui eft 1'objet des loix civiles i & il y faut plus corfidérer 1'union des deux fëxes dans 1'état civil, qUe dans 1'état fpirituel. „ Les loix i, poütiques & civiles de presque tous lts peu„ pies, dit Montesquieu (d), ont avec raifon „ diftingué ces deux chofes. Elles ont demandé 3> des femmes un degré de retenue & de contii, nence, qu'elles n'exigent point des hommes; O) Cit. leg. (<0 Efprit des loix Liv. 26. ch. 8.  4©o Hiftoire des Revolut. du Gouvernement * „ parceque la violation de la pudeur fuppofè „ dans ks femmes un renoncement a toutes les „ vertus; parceque la femme, en violant les „ loix du mariage, fort de 1'état de fa dépen-f j, dance naturelle; parceque la nature a marqué 1'infidelité des femmes par des fignes certains; 3, outre que les enfants adultérins de la femme „ font néceffairement au mari & a la charge du „ mari, au lieu que les enfants adultérins du „ mari ne font pas a la femme, ni a la charge „ de la femme ". Je ne fais pas fi ce furent ces confidérations, ou bien fon inconftance ordinaire qui portérent dans la fuite l'empéreur Juftinien a corriger a cet égard fes loix. Car par fa novelle 117 il ftatua enfin , que le fimple adultere du mari ne donneroit pas a la femme le droit de le répudier, en ajoutant que ce droit n'auroit lieu, que lorsqu'elle pourroit prouver, que le mari ne ceffoit de la méprifer, qu'il entretenoit dans fa maifon une femme, a laquelle il reftoit attaché avec une affection particuliere, ou bien qu'il avoit 1'habitude d'aller frequemment chez une femme qui demeuroit hors de la maifon, cc que, malgré les prieres de fa propre femme, les reproches des parens, & les rémontrances d'autres perfonnes dignes de foi, il continuoit de traiter la femme fufpeéte avec famiüarité. Cet  #> de f'Eprit.Humain, II. Part. Chap. V. 401 Cet empéreur, qui ne fit toute fa vie que faire des loix & les défaire, avoit d'abord (e) approuvé la loi de Théodofe (ƒ), qui permet le divorce que le mari & la femme font d'un commun accord. Comme ce confentement mutuel eft ordinairement fondé fur une incompatibilité mutuelle , quand la loi établit des caufes qui peuvent rompre le mariage, elle doit regarder celle-ci comme la plus forte de toutes. Cependant Juftinien changea brusquement d'opinion , & fans en donner aucune raifon, il dérogea en ce point k fa première loi & a celle de Théodofe , & établit que le confentement mutuel ne feroit plus une caufe légitime de divorce (g). II y fit une exception en faveur de ceux qui renonceroient au mariage pour obferver dcformais la chafteté. C'eft le comble de la bêtife. S'il eüt eu le moindre bon fens, il eut cqmpris, qu'il falloit au contraire permettre la diffolution du mariage par un confentement mutuel, excepté le feul cas, oü cela ié feroit pour ié vouer a la continence (e) Novel. 22. C/) L. 8. C. dc rcpud. Qg ) Nov. 117. (fe) Voy. 1'ETprit des Loix Liv. 26. ch: 9; Time I. Cc  404 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement M. de Montesquieu (i) cenfure encore deux autres loix de Juftinien qui concernent cet objet. Après avoir établi, que quelque refpe&ables que foient les idéés qui naiffent irnmédiatement de la réligion, elles ne doivent pas toujours fervir de principe aux loix civiles, parceque cellesci en ont un autre qui eft Je bien général de la fociété, il montre la vérité de ce principe par labfurdité de deux loix de Juftinien. „ Par la loi „ romaine, dit-il, un mari qui ramenoit fa femme dans fa maifon après Ja condamnation 3, d'adultere, fut puni comme complice de fes „ débauchés. Juftinien, dans un autre efprit, „ ordonna qu'il pourroit, pendant deux ans, „ 1'aller reprendre dans le monaftere (k). „ Lorsqu'une femme qui avoit fon mari a Ja „ guerre n'entendoit plus parler de lui, elle „ pouvoit, dans les premiers temps, aifément fe remarier, parcequ'elle avoit entre fes „ mains le pouvoir de faire divorce. La Joi de ,, Conftantin (7) voulant qu'elle attendit quaj, tre ans, après quoi elle pouvoit envoyer le „ libelle de divorce au chef; & li fon mari re3, venoit, il ne pouvoit plus 1'accufer d'adulte- CO ETprit des Loix loc. cit. (k~) Nov. 134. (O L. 7. C. de Repud. & Judic. de moribusfubkt.  &>del'Ejprit.Humain, 11. Part Chap. V. 403" 5, re. Mais Juftinien établit, que quelque temps „ qui fe fut écouié depuis le départ du rhari, „ elle ne pouvoit fe remarier, a moins que par „ la dépofition & le ferment du chef, elle ne „ prouvat la mort de fon mari. Juftinien avoit „ en vue 1'indiiTolubilité du mariage: mais on „ peut dire qu'il 1'avoit trop en vue. II deman,, doit Une preuve pofitive, lorsqu'une preuve „ négative fufrlfoit; il exigebit Une chofe trés „ difficile, de rendre compte de la deftinée d'uo „ homme éloigné, & expofé k tant d'accidens. „ II préfumoit un crime, c'eft-k^dire la défer,, tion du mari, lorsqu'il étoit fi naturel de „ préfumer fa mort. II choquoit le bien public, en laiffant une femme fans mariage; il cho„ quoit 1'intérêt particulier en 1'expofant a mil- le dangers. CHAP1TRE SIXIEME. Loix fur les mariages. 3es empéreurs chrétiens connoiffoient fi peu -A la nature & les objets du mariage, qu'il n'y a pas une feule de leurs loix fur cette matiere, qui foit fondée fur un bon principe. Ori en a pü juger par leurs loix fur le divorce. Cell Cc 2  404 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement fe verra encore mieux par les loix que nous allons rapporter. Valentinien le jeune porta une loi pour permettre aux Chrétiens de prendre deux femmes k k la fois O)- Au contraire Théodofe I défendit aux Juifs même d'avoir a la fois plus d'une femme. Le premier cboque les principes du mariage établis chez les Chrétiens, le fecond choqua les principes établis chez les Juifs, par leurs moeurs, par celles de tous les peuples d'Orient, par le climat de ces pays, & qui plus eft, par la loi de Moïfe, qui tenoit fa législation de Dieu même. La polygamie ne convenoit point aux Chrétiens, parcequ'ils fe régloient fur les loix & les moeurs des Romains, qui étoient fi prévenus contre le mariage d'un homme avec plufieurs femmes, que Jules Céfar, malgré le despotisme qu'il exercoit k Rome , trouva tant d'oppofition, lorsqu'il tenta de faire palier une loi en faveur de la polygamie, que le tribun Helius Caecina, qui s'étoit engagé k le feconder, n'ofa pas même la propofer O). La loi des Chrétiens ne convenoit point aux Juifs, par- O) Socrat. IMoir. Liv. 4. ch. 30. Niceph. Hiftoir. eccles. Liv. 2. ch. 33. O) L. 6. C. de Judaeis. • CO Sueton. in Jul. ch. 52.  fj> del'Efprit-Humain, II.Part.Chap. VI. 405 cequ'ils fe régloient fur des loix & des moeurs qui fe rapportoient au climat d'Orient, oü, pour ainfi dire, la nature même femble avoir établi la polygamie par la raifon, qu'en donne M. de Montesquieu (p). „Les femmes, dit ce grand „ politique,font nubiles dans les climats chauds a huit, neuf, & dix ans: ainfi 1'enfance & le mariage y vont presque toujours enfemble. „ Elles font vieilles a vingt: la raifon ne fe trouve donc jamais chez elles avec la beauté. „ Quand la beauté demande 1'empire, la raifon „ le fait refufer; quand la raifon pourroit 1'ob„ tenir, la beauté n'eft plus. Les femmes doi„ vent être dans la dépendance: car la raifon „ ne peut leur procurer dans leur vieilleffe un „ empire que leur beauté ne leur avoit pas don- né dans la jeunefle même. II eft donc très„ fimple, qu'un homme, lorsque la réligion r.e „ s'y oppofe pas , quitte fa femme pour en „ prendre une autre , & que la polygamie s'in„ troduife. ... La nature qui a diftingué les „ hommes par la force & par la raifon, n'a mis „ a leur pouvoir de terme que celui de cette „ force & de cette raiforl. Elle a donné aux „ femmes les agrémens 3 & a voulu que leur (/O Esprit des Loix, Liv. 16. ch. 2. Co 3.  4$6 Hiftoire d?s Revol. du Gouvernement „ ascendant finit avec ces agrémens. Mais dans les pays chauds ils ne fe trouvent que dans „ les commencemens, & jamais dans le cours j, de leurs vies". Dans ces pays un homme de trente & de quarante ans eft encore a Ia fleur de fon age, tandis qu'une femme de vingt cinq ans eft déja iur fon déclin. Si dans ces pays les hommes ne pouvoient avoir qu'une femme, comment feroit-il poflible d'y entretenir la population, & comment ypourroit-on empêcher une licence générale & affreufe, oü tous les hommes, qui dans la force de leur age & dans la chaleur de leurs paflions, ne pourroient fatisfaire leurs défirs felon les loix, employeroient les féductions & les violences pour les fatisfaire contre les loix ? Quand 1'homme eft dans 1'age a pouvoir remplir le mieux les vues de la nature, la femme ne 1'eft plus. Que faut-il que 1'homme faffe alors? Il faut que la loi lui donne la permiflion de prendre une autre femme, ou la nature le pouflera a, féduire celles qu'il ne peut avoir. Conftantin dióla la peine de mort contre 1'infidélité dans les mariages Qq Cette loi eft mau. vaife, parcequ'elle eft fondée fur des principes (.{). L. 2. C dc adulfi  {JdeVEfprit.Humain, 11. Part. Chap. VI. 407 qui viennent des loix de la réligion , au lieu qu'elle devoit être tirée. des principes du droit civil: puisque les législateurs humains ne doivent pas fe propofer pour objet le falut & la bonté des individus en particulier, mais 1'utilité de la fociété civile, & la bonté morale des hommes en général. Cette loi de Conftantin avoit deux défauts. Le premier eft qu'elle impofoit la même peine aux hommes qu'aux femmes, quoiqu'il y ait réellement une trés-grande différence, comme je 1'ai fait voir ci-deiTus, entre 1'infidélicé d'un homme & celle d'une femme. II eft vrai que notre réligion tient pour égale toute violation de la foi conjugale, foit qu'elle vienne du mari, ou de la femme. Cependant ce principe ne doit être confidéré, que 1'orsqu'on envifage le mariage fous un point de vue purement fpirituel & dans fes rapports aux chofes de l'autre vie. Mais lorsqu'on fait des loix pénales pour la fociété civile, il faut fe regler fur un autre principe; qui eft de proportionner les peines a la grandeur du mal, que caufe un délit. Or raduitere du mari ne produit point a beaucoup prés de désordres aufli grands que celui de la femme. L'autre défaut confifte dans la févérité excesfive de la peine diclée par Conftantin. L'expérience a fait voir, que toute rigueur en mariere; Cc 4  «ijc8 Hffioire des Revolut. du Gouvernement des délits de lusure eft inutile, & que même elle produit toujours de mauvais effets. Si les moeurs des citoyens font bonnes, la rigueiii eft déplacée, parceque ces fautes font rares; & elle eft cruelle, parcequ'elle offenfe & effarouche Finnocenee, parcequ'elle fait croire quele prince hait fes fujets, parcequ'elle fait voir, qu'il a une mauvaife opinion de leurs moeurs. Si, au contraire, les moeurs font corrompues, il n'eft point de loi qui puiffe ni arrêter ni dimirmer rimpétuofitédébordéede cette corruption. Alors plus les loix font féveres, plus on s'en moque, parceque ces fortes de crimes mêmes ne font plus que des objets de raillerie. Quel moyen de mettre en exécution ces loix, quand les fujets peuvent prouver qu'ils n'ont fait qu'irriter 1'exemple du prince & de Ja cour: quand le pere, qui veut cónferver la vie k fon enfant , peut dire au fouverain, & aux courtifans, c'eft vous qui m'avez corrompu mon fils ou ma fiiJe: quand les juges, qui prononcent Ja fentence,devroient être eux - mêmes les premières victimes de la loi fur laquelle ils décernent le fupplice? La févérité des loix, & le masqué totaJ de loix eft dans ce cas la même chofe: car Jes loix qui exiftent, ne fe peuvent point exécuter, & d'au|rcs il n'en exifte pas. ' Juftinien, législateur infiniment plus mauvai*  & de l\Efprit-Hütmin, II. Part. Chap. VI. 4°9 que Conftantin, le plus mauvais même de tous les légisiateurs connus, garda la fé vérité de Conftantin pour les hommes, & 1'adoucit pour les femmes, en ftatuant que la femme infidelle feroit battue de verges, 5? mife dans un couvent, d'oü le mari pourroit la tirer dans l'efpace de deux ans & renouer avec elle fon mariage (>)• La fottife de cette loi eft fi frappante, qu'on ne peut 1'attribuer qu'aux perfuafions de fa femme ïhéodora, qui, après avoir fait la comédienne, cortinua toujours depuis fon mariage avec Juftinien, a vivre dans le déréglement (O- Parmi tant de mauvaifes loix de cet empéreur on eft bien étonné d'en trouver une, dont la fageffe eft remarquable. Elle concerne 1'adultere, & permet au mari de tuer celui qu'il foupr conne d'avoir quelque commerce de galanterie avec fa femme, s'il le furprend caufant avec elle dans fa maifon , ou dans un lieu fufpeéfc, après lui avoir intimó par trois différens monitoires, fignés par trois perfonnes refpe&ables, de ne pas faire de vifites a fa femme. Le mari furprend-il 1'amant dans un lieu non fufpecT:, & hors de fa maifon, la loi ne lui permet pas de (O Nov. 134. ch. ic. (O Procop. Hiftoir. Anecd. Alleman, daüas les n«tes. Cc 5  4io Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Ie tuer, mais 1'autorife feulement a 1'accufer devant le juge: & celui-ci eft obligé de condamner 1'accufé comme véritablement convaincu d'adultere, pourvü que trois perfonnes dignes de foi atteftent avoir été préfentes, lorsque Facculateur a furpris le galant, & que cela foit arrivé après 1'intimation des trois monitoires (f). Avant la loi Julia, le mari avoit Je droit de tuer fa femme furprife en adultere, & aufli de tuer le galant f>). Cette inftitution ancienne étoit mauvaife , parcequelle fourniflbit au mari un moyen fur de fe défaire impunément de fa femme & de fon ennemi (». Augufte fentant Jes inconvéniens de cette coutume óta aux maris le droit de tuer leurs femmes; & quant aux galans, il ne permit de tuer que les perfonnes infames, les esclaves, & ceux qui faifoient de Fadultere un métier lucratif pour eux, en fervant la luxure des femmes débauchées. Par rapport aux galans d'honnête condition il voidut que les maris, n'euflent que le droit de les tenir enfermés dans Ja maifon pendant vingt - quatre heures, pour qu'ils pulTent dans cet efpace de temps appelier O) Nov. 117. ch. 15. O) Aulugellc Nuits Attiq. Liv. ic. ch 33 (O Voy. Cicér. lett. 1. a Attic. Liv! 6. & Mcji. gault a Ia not. 66.  ffdeVEfprit-Humain, II. Part. Chap.VI. 4JI les voifins pour être témoins du fait (y). Cette loi, donnant aux galans le temps de fe réconciiier avec les maris, aboutit a faire du mariage un trafic, par oü le mari gagnoit 1'argent de ceux que les féduélions de fa femme attiroient dans fa maifon. Seneque dit, que de fon temps on ne prenoit presque plus de femme, que pour les engager & irriter les paflions des hommes. Ainfi la loi de Juftinien eft Ia plus fage de celles que l'on a jamais portées pour réprimer les infidelités dans les mariages: ce qui eft bien furprenant de fa part. L'empéreur Théodofe I défendit les mariages des coufins germains fous peine de la profcription & même du feu O). Au contraire fes fils Arcadius & Honorius les permirent (a). Onvoit que Théodofe a cru que de pareils mariages étoient contraires a la loi naturelle, & que fes fils ont cru au contraire, que la loi naturelle ne les défendoit pas. Les fentiments de Théodofe étoient ceux des faints perfonnages de fon temps. S. Ambroife foutenoit que c'eft la loi divine, qui défend ces mariages (T). C'étoit- la O) Paullus Recept, fent. Liv. 2. tit. 26. §. 4. &feq. Cz) L. unie. C. Théod. fi nupt. ex refcrip. petant. (a) L. 19. C de Nupt. O) Epift. 43.  ff dt F Efprit Humain , II. Part. Chap. VI. 413 fondée fur la néceffité de conferver la pudeur naturelle dans la maifon. C'eft ce principe feul qui devoit guider Théodofe & fes enfans dans la compofition de leurs loix concernant les mariages des coufins germains. Si, dans leurs états, les coufins germains habitoient ordinairement dans la même maifon, la défenfe de Théodofe étoit raifonnable, & il n'y avoit d'injufle que la peine qui étoit tyrannique. Au contraire la permiilion accordée par fes enfants étoit déraifonnable. Mais malheureufement on ne voit que trop, que ni Théodofe, ni fes fils ne fe font pas conduits d'après ce principe. Ils n'ont fuivi chacun que leurs préjugés. L'empéreur Juftinien aadopté la loi d'Arcadius & d'Honorius,& il a rejetté celle de leur pere (d). Mais le pape S. Grégoire, qu'on appellé le grand, & qui étoit bien loin del'être, ne laiffa pas de déclarer ces mariages illicites, par la raifon qu'il les rëgardoit, ainfi que S. Ambroife, comme condamnés par la loi de Dieu, en quoi il fe trompoit trés - fort. Le même Théodofe défendit auffi, a 1'exemple de Conftance, les mariages du beau-frere (<0 5- 4. Inft. de Nupt. (e) Grejor. Liv. 12. epis. 31. q. 6.  414 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement avec la belle - foeur (ƒ). Cependant cette défenfe dépend du même principe, deforte qu'elle n'eft jufte que dans les pays, oü Jes freres mariés vivent enfemble dans la même maifon: mais dans Jes pays, oü ordinairement ils n'habitant pas enfemble, cette défenfe eft inutile, parceque fon objet, qui eft de prcVenir un commerce d'amour funefte aux bonnes moeurs, y celle. „ Cela explique, dit M. deMontesquieu, „ au même endroit, comment les loix de Moï» fe (g), celles des Egyptiens & de plufieurs au„ tres peuples, permettent le mariage entre le „ beau-frere & la belle-foeur, pendant que 5J ces mêmes mariages font défendus chez d'au„ tres nations ". Ce font des cas oü les loix dépendent des moeurs & des manieres. Ces loix prouvent d'ailleurs une chofe a Jaquelle il importe de faire attention. C'eft que c'étoient les princes , & non pas le clergé, qui fixoient les degrés de parenté oü il étoit permis ou défendu de fe marier, & qu'ils changeoient k cet égard leurs loix felon que chacun Ie trouvoit k propos. L'hiftoire nous apprend aufli que les princes donnoient fouvent des dispenfes con- (ƒ) L. 5. L. pen. L. uit. C. de Ihcëft nupt. (£) Deuter. 25. 5.  (fdefEfprit-Humain, 11. Part. Chap. VI. 415 tre leurs propres loix. II paroic même que Théodofe abufa tellement de fon pouvoir, qu'il accorda des dispenfes jusqu'a des coufins germains, dont il avoit défendu les mariages fous la peine du feu (h). Juftinien exerca encore 1'un & l'autre droit, comme on le voit par quantité de fes loix inferées dans fon code aux titres de nuptiis Êf de incefl. nuptiis, & par plufieurs paffages dans les Inftitutes au même tïtre. Mais dans la fuite diverfes circonftances, que je marquerai en fon lieu, aiderént le pape & les évéques a s'arroger fur le mariage presque toute 1'autorité des princes. Dès lors les papes firent de nouvelles dispofitions par rapport aux degrés de parente qui empêchoient le mariage, & prétendirent avoir eux.feuls ce droit, ainfi que celui de donner des dispenfes. Et comme 1'efprit de la cour de Rome vouloit que les dispenfes ne s'accordaffent pas gratuitement, mais qu'elles fe vendiffent chérement , on augmenta les empêchemens a 1'infini pour pouvoir dispenfer & 1'infini. Dans tout ceci il faut pourtant diftinguer le clergé d'Orient d'avec celui d'Occident. Le premier n'a rien innové dans cette matiere, & n'a rien ufurpé. Les empéreurs de 1'Orient (O Symmaq. epit. 14. Ambros. epis. 48.  41'6 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement fe mêloient trop eux-mêmes des affaires eccléfiaftiques pouf permettre a leur clergé de s'attribuer la connoiffance des chofes qui ne lui appartenoient pas. Mais 1'Occident écant tombé fous la puiffance de plufieurs rois barbares, qui, avant leur in vafion, avoient été payens, le clergé de ces pays föumis, en les convertiffant k la réligion chrétienne, leur döniloitpour de la réligion tout ce qui étoit propre k augmenter 1'au-. torité & la puiffance de l'églife. Voilk la raifon pourquoi le clergé d'Occident a voulu & a pü s'ingérer dans les affaires du mariage. Jugeons de ces ufurpations par le principe, qu'a fi fagement établi le judicieux & profond auteur de f Efprit des Loix. „ Tout ce qui regarde, dit-il, „ le cara&ere du mariage, faforme, la maniere ,, de le contracter, la fécondité qu'il procure, „ qui a fait comprendre k tous les peuples qu'il „ étoit 1'objet d'une bénédiction particuliere qui „ n'y étant pas toujours attachée , dépendoit 5, de certaines graces fupérieures, tout cela eft „ dü reffort de la réligion. Les coniéquences de cette union par rapport aux biens, les „ avantages réciproques, tout ce qui a du rap,, port a la familie nouvelle, a celle dont elle „ eft fortie, a celle qui doit naïtre, tout cela „ regarde les loix civiles. . . Ainfi outre les „ conditions que demande la réligion , poür- „ que  &JeTEfprit-Humain, II.Part.Chap.VIT. 417 „ que le mariage foit valide, les loix civiles en 3, peuvent encore exiger d'autres (z). CHAPITRE SEPTIEME. Loix fur les fecondes nöces. De certains préjugés, nés de la jaloufie des hommes, ont fait regarder dans tous les temps, & presque chez tous les peuples, les fecondes nöces des femmes comme une chofe indécente & contraire aux bonnes moeurs (£). Quelques peuples,qui ne voyoient pas d'oü venoit ce préjugé, allérent plus loin, & en conclurent que les hommes, qui fe marioient pour la feconde fois, fe fouilloient auffi d'impureté. Les Egyptiens, par exemple , ne recevoient point de bigames parmi les prêtres de leur Dieu Apis (/). Les Chrétiens, déja peu favorables au premier mariage, ne tardérent pas beaucoup a embraffer, & outrer même les préjugés des idolatres a 1'égard des fecondes nöces. Les Monta- (») Efprit des Loix. Liv. 26. ch. 13. (fc ; Voy. Heinec. Comment. ad Leg. Jul. Pap. Poppaeam Liv. 2. ch. 16. Cl) Coelius Rhodig. Le&. Antiq. Liv. 28. p. 107^ Tornt I. Dd  4.10 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement feroit cenfée accomplie par 1'entrée dans la c)éricature ou dans une monaftere O). Ces nouvelles loix, bien loin de produire 1'efFet qu'on s'en étoit promis, produifirent celui qui devoit s'en fuivre naturellement, c'eft adire un libertinage des plus fcandaleux. Les filles orfeJines, & fur-tout les jeunes veuves, & principalement celles qui n'avoient point d'enfans , furent bientöt entrainées par les eccléfiaftiques dans la débauche Ja plus effrénée. Ils alloient chez elles fous prétexte de les inftruire dans la réligion , de régler leurs moeurs felon 1'évangile, d'éloigner de leurs maifons tout mauvais fujet, de prévenir Ie fcandale, de Jes aider a vaincre les tentations. Mais en effet ils n'y alloient que pour les féduire, pour en abufer , & pour s'emparer de leurs biens. Les empéreurs, les conciles, les faints évéques s'efforcérent envain de remédier k ces défordres par leurs loix, par leurs canons, par leurs fermons. L'ircontinence&l'avarice de ces gens triomphéjent de tous les efforts de leurs fupérieurs, da tous les obftacles qu'on leur oppofa. J'ai déja allegué dans un chapitre précédent une loi de Valentinien I qui défend aux eccléfiaftiques d'al- CO Nov. 5.  422 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement 1'extrême dépendance des enfans , qui aiment toujours les nouveautés. Dans ce deilein il accorda aux fils la propriété des biens de la mere qui feroit morte avant eux ( v ). Les anciennes loix, qu'on avoit confervées jusqu'alors, avoient attribué au pere la pleine propriété de ces biens; mais Conftantin régla , que déformais il n'en eut que le fimple ufufruit. Ainfi, lorsque le fils quittoit la réligion de fon pere payen , pour erabraffer celle de Jefus - Chrift, le pere ne pouvoit pas lui öter les biens de fa mere; mais il étoit obligc de les lui laiffer, outre la légitime de fes propres biens. Cela affoiblit extrêmement 1'autorité des peres. Les moines tirérent par la fuite un très-grand avantage de cette innovation de Conftantin. Les peres tant payens, qua chrétiens ne pouvant empêcher leurs enfans de déferter la maifon paternelle , & d'entrer dans un monaftere, les moines héritoiént, après la mort du pere, des biens que la loi avoit refervés pour le fils. Car le fils n'avoit pas pü tefter avant d'entrer dans le monaftere,-parceque, le pere étant encore en vie, la puiffancs paternelle 1'en empêchoit: & après la mort du pere, il ne pouvoit plus tes. (v) L. 2. C. de Bon. Mater.  4^4 Hiftoire des Revolat. du Gouvernement pouvoient que déplaire aux autres moines. Salon J'esprit des monafteres ces procédés devoient être regardés comme contraires au bien de Ja réligion , & a leurs anciennes coutumes. C'eft pourquoi Jes moines obtinrent enfin du même empéreur Juftinien une loi, qui déclare que Jes biens des moines font acquis au monaftere, que les moines qui en fortent n'en peuvent rien retirer, & que pour eux, ils feront réduits « fervir les magiftrats dans leurs foncfions publiques (z). Ces loix, qui frappoient ainfi fur Ia puiflance paternclle, avoient du moins cela de bon, qu'elles fe rapportoient les unes aux autres, & qu'elles étoient confequentes. Mais voici une contradiaion des plus abfurdes, oü Ja fuperftition a fait tomber les princes & les conciles pour favorifer les moines. D'un cö'.é on permit aux enfans d'entrer dans les monafteres fans Ia permïsfiondes.parens (*), (Aty. 5. ch.41. Nov. 123,) De l'autre on permit aux peres de confacrer a Dieu par ferment leurs enfans, de les renfer- OO Nov. 5- ch. 5. 6. 7. s. ( * ) L'empéreur Valenürnen I I-I plus-fago que JufliUien , avoit défenciu de recevoir dans Ie cler?é les perfonnes qui ne pouvoien: pas dispofer d'elles- mv* Bies, Nov, 12. Va.'ent.  tydel'Efprit-Humain, II. Par?. Chap.;VIII. 425 nier dans un monaftere dès 1'age de fix ou fept ans, & de fe fervir de tous les artifices des moines pour les porter a faire profeflion folemnelle lorsqu'ils feroient parvenus a un age plus mür. Ainfi on öta aux parents tous les moyens de diriger la délibération d'un enfant dans le cas oü les premiers ne pouvoient avoir pour but que le bien de cet enfant; & on leur ordonna, au contraire, tout le pouvoir de fixer 1'état d'un enfant, dans le cas oü les parents pouvoient n'écouter que leurs paflions & leurs préjugés, & n'avoir pour but que leur propre intérêt, ouleur propre fatisfaétion. L'empéreur Majorien ayant fenti 1'abfurdité & 1'injuftice de cette inftitution, qui fe pratiquoit fur tout a f égard des filles, défendit de donner le voile aux filles avant 1'age de quarante ans: & condamna les parents a perdre le tiers de leurs biens, s'ils commettoient cette violence qu'il traite de parricide (AVv. Major. 12.) Mais les moines firent abolir cette loi fi fage & fi néccfTaire par fon fuccefltur Anthémius. Ainfi a cet égard les parens acquirent une autorité qu ils ne devoient pas avoir: & a tous les autres égards ils perdirent celle qu'ils devoient avoir. Voila donc 1'obiigation que neus avors a 1'abominable fuperftition des princes. Par des loix abiürdcsfur ks fuccefiions ils anéantirent la puisDd 5  426 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement fance des peres qui contient la jeuneffe: & par des loix encore plus abfurdes fur le divorce, ils abolirent la puiffance des rharis qui contient les femmes. La libertë des femmes produit le libertinage des hommes: & 1'imprudence préfomptueufe des jeunes gens porte a méprifèr l'expé'rienee & la fageffe des vieillards. Aufli fous ces empéreurs les moeurs fe perdirent entiérement, & la fageffe fut bannie de rous leurs confeils. L'autoricé paternelle eft néceffairement liée avec tout ce qui repréfente les peres, comme les vieillards, les magiftrats, les princes. Elle produit le refpeél du fils pour fon pere, & en même temps le refpect pour ceux qui ont une autorité reflemblante. „ Si vous diminuez 1'auto„ rité paternelle, dit M. de Montesquieu (Es„ prit des Loix Liv. 19. ch. 19.) ou même fi „ vous retranchez les cérémonies qui expriment „ le refpeét que l'on a pour elles, vous affoi- bliffez le refpeél: que 1'ón a pour les magi„ ftrats , que l'on regarde comme des peres. Les magiftrats n'auront plus le même foin „ pour le peupie qu'ils doivent confidérer corh„ me leurs enfans. Ce rapport d'amour, qui eft entre le prince & les fujets, fe perdra aufli ,, peu k peu. Retranchez une de ces pratiques „ & vous ébranlez 1'état". Quelque grande que fut dans ces temps la fu-  &deTEfprit-Humain, ll.Part. Chap. IX. 43^' zaine de Paqaes, fans faire aucune mention des travaux de la campagne. Mais il y avoit dans le même temps dans un monaftere de la Bithynie, fitué prés de Conftantinople, le faint abbé Auxent, qui, fans blamer expreflément les travaux du dimanche permis par les loix, ne ceffoit d'exhorter les Chrétiens k pafler le dimanche & méme le vendredi dans la priere & dans le jeüne fans travailler (Z>> L'auteur de fa vie rapportes que pour engager les ouvriers k s'abftenir ces jours du travail} il les nourriffoit, & leur donnoit leur falaire, comme s'ils euffent travaillé. Mais fes exhortations, ni fon exemple ne produifirent pour lors aucun effet. Dans ce même temps l'empéreur Léon ne défendit le dimanche que les fpeclacles, la mufique , les procés & point du tout les travaux de la campagne L. 9. C. de Feriis. Cependant comme les moines s'abftenoient da travailler le dimanche, 1'exemple & plus encore les iöllicitations d'une fi prodigieufe multitude de gens répandus par toute la terre, déterminérent enfin une grande partie des payfans a s'abstenir volontairem/mt des travaux de la campagne Mais il fe paffa encore long temps avant (6) Polland. ASt. Sana. 14. Februar.  430 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement que cette coutume devint générale: car on voit par la régie de S. Benoit, que les moines mêmes ne regardoient pas comme une chofe défenaue de labourer les champs le jour de dimanche, puisque ce faint fondateur , apiès avoir prefcrit a fes moines de ne s'occuper ce jour la qu'a méditer & a lire, y fait pourtant une exception en faveur de ceux qui n'y étoient point propres, en ordonnant de les faire travailler. La coutume de ceffer le dimanche les travaux de la campagne étant a la longue devenue univerfelle, les Juifs répandus par tout firent encore accroire aux fimples, que ce jour-la il n'étoit pas même permis de voyager avec des chevaux, des boeufs, ou des voitures, ni de préparer k manger, ou d'avoir foin de la propreté des maifons, ni des perfonnes. Comme cette fuperftition s'étoit principalement introduite en France, les peres du troifieme concile d'Orleans tenu en 538 firent un réglement, qui eft remarquable, parcequ'il change en loi, la coutume établie contre les loix de regarder comme défendus le dimanche les travaux ruftiques. Le concile dit: „ parceque le peupie eft perfuadé „ que le dimanche il n'eft pas permis de voyager 5, avec des chevaux, des boeufs ou des voitu- CO Reg. S. Benedift. c. 48.  ff deFEfprit-Hamain, II. Pari. Chap. IX. 43* „ res, ni de préparer a manger, ou de rien „ faire pour la propreté des maifons & des per-, „ fonnes; ce qui fent plus 1'obfervation judaïque, que le chriftianisme, nous ordonnons, „ que ce qui a été ci - devant permis le dimanche, le foit encore. Mais nous voulons tou„ tefois que l'on s'abftienne de travailler aux „ champs, c'eft-a-dire delabourer, faconner „ la vigne, faucher les foins, moiffonner ou? „ battre le blé, effarter, faire des baies, &c. 3, pour vaquer plus conftamment aux prieres de „ l'églife. Que fi quelqu'un y contrevient, ca „ n'eft pas aux laïques, mais aux évéques a le „ corriger" ( J). II y a encore une autre chofe h. remarquer dans ce canon. C'eft 1'autorité que s'attribua le clergé de régler la maniere de chomer le dimanche, & la défenfe qu'il fit aux laïques de fe méler de corriger ceux qui y contrevenoient. Cette autorité avoit toujours été exercée par les princes, comme on le voit par la loi de Conftantin, par celle d'Honorius &d'Arcadius, par celle de Théodofe, & enfin par celles de Juftinien qu'on trouve dans le code au titre de feriis, Le clergé de 1'empire Romain n'a jamais man^ C<0 Tom. 5. Concil- c. 28.  ffdeÏEfprit-tlümain, 11. Part. Chap. IX. 43 3' ïriarque feulement paques avec les fept jours qui le précédent, & qui le fuivent, & tous les dimanches de 1'annéé. Mais dès que le clergé fe füt emparé de cette partie dé la législation fécüliere il augmenta prodigieufement, au grand préjudice de l'agrïcülture, dü commerce, & de tous les pauvres gens qui doivent Vivre du traVail, le nombre des fêtes, oü il falloit s'abftenir de toüte efpece de travail, &, ce qüi eft encore plus intolérable , il en placa le plus grand nombre dans les mois d'été & d'automne, oü la campagne demande le plus de travaux. Quand ,, une réligion ordonné la ceffation du travail, die ,i M. de Montesquieu (ƒ), elle doit avoir égard }, aux befoins des hommes plus qu'a la grandeur de 1'être qu'elle honore ". (ƒ) Esprit des Loix Liv. 24. ch. 23. Terne I. Ee CHAPITRE DIXIEME. ;| Loix fur les afilesi -fT e clergé chrétien a toujours eu pour prinji A cipe de vouloir non feulement imiter^ mais furpaffer les Juifs & les idolatres dans tou-;  434 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement tes les chofes qui lui paroiffoient men er a la ver*., tu, ou faire honneur a la réligion. Ainfi troüvant les afiles établis dans la réligion des Juifs & dans la fuperftition des payens, il a cru que le culte du vrai Dieu les exigeoit aufli. Cette idéé paroiffoit d'autant plus naturelle chez les Chrétiens , que leur réligion furpafibit par Ia charité, la douceur, 1'humanité & Ia pitié toutes les réligions du monde: & comme Conftantin & fes fucceffeurs ne s'étoient point fouciés d'adopter dans la nouvelle réligion cette louable inftitution des autres peuples, le clergé fe crut d'autant plus obligé de fuppléer a la négligence des princes. Mais au lieu de faire la-defius des régiemens dans les conciles pour rétabliiTement d'un certain ordre & de certaines bornes a y, obferver, on abandonna le fecours tant des malheureux que des criminels k la discrétion des prote&eurs, ce qui occafionna de grands désordres. Mo'ïfe avoit fait fur ce fujet des loix trés-fages. II établit fix villes d'afiles, oü il voulut qu'on accueillït ceux qui avoient eu le malheur de tuer quelqu'un involontairement, chargeant les habitans de ces villes de protéger fa vie contre la vengeance des parents & des amis du dér funt jusqu'a ce que fon innocence füt reconnue  ff del'Efprit-Humain > II. Part. Chap. t. 433 par les juges (g). Si, par les recherches que Ton avoit faites, il étoit trouvé coupable, le droit d'afile ceflbit, & il devoit être puni de mort: fi au contraire il étoit jugé innocent, on le renvoyoit avec une bonne escorte dans la Ville , oü il s'étoit fauvé, eft il y devoit refter jusqu'è la mort du fouverairi pontife , deforte que s'il en fortoit avant ce temps y le vangeur du défunt pouvoit le tuer impunément (4). La loi de Moïfe qui h'accordoit 1'afile que pour öter un malheureux innocent de devant ies; yeux des parents du mort ; devoit fervir de regle au clergé chrétien. Mais malheüreuremenC Ce clergé n'eftimoit pas affez les loix de Mc ïfe , & il avoit d'autres exemples devant les yeux.Les payens qui, de même que Moïfe , n'avoient d'abord introdüit les sfiles que pour firnver les innocens, avoient peu a peu perdu de vue 1'objet de cette inftitütion, de forte que presque par tout ils avoient infenfiblement accordé k certains temples le droit d'accueillir toutes fortes de meurtriers & de filoux, fans confidérer que les méchants , qui avoient oftenfé les hommes, avoient k plus forte raifon oftenfé les (g) Nombr. ch. 35. ' i ft) Ibi vers. 27. & 23. Ee 9;  Aio Hiftoire des Revolut, du Gouvernement qui avoit été le fléau des fujets, & la ruine d> 1'empire. Après qu'on fe fut faifi de ce malheureux, quelquesuns crurent, que l'églife 1'avoit livré è fes ennemis: d'autres répandirent au contraire qu'il en avoit été enlevé par force. Mais le faint évéque ayant entendu ces bruits, fit un autre discours, oü il foutint hautement, que tout cela étoit faux, & que jamais l'églife ne •J'eüt abandonné, s'il pe 1'eüt abandonnée le premier. S. Chryfoftome auroit-il pu poulfer plus loin le mépris de la loi, & qu'auroit-il pu faire davantage pour inciter les méchants a commet,tre hardiment des crimes? Je fais bien que ce n'étoit pas Ik 1'intention de ce faint homme; mais tels devoient être naturellement les effets de la conduite, que fes préjugés, contraires a 3a bonne raifon, a la fageffe de Moïfe, & au Jbut des premiers inventeurs des afiles lui avoient fait tenir. Cependant la loi des empéreurs Arcadius & Honorius continua toujours de fubfifter, & on la trouve obfervée encore long-temps après. Le regne de Juftinien en fournit un exemple frappant. S. Lutychius, patriarche de Conftantinople , s'étoit attiré la colere de cet empéreur, qui, conduit par fon inquiétude, fa Jégereté, & fa euriofité imbécille, étoit tombé vers Ia fip de fa  ffdeVEfprit.Humain, II. Part. Chap. X. 44? vie dans 1'héréfie des ir.corporels, & faifoit tous fes efforts pour faire approuver fon opinion par le patriarche, qui s'y refufa conftamment, méprifant également fes promeifes & fes menaces. Les ennemis d'Eutychius faifirent cette occafion pour le perdre, & engagérent l'empéreur a donder ordre de 1'arrêter &; de 1'envoyer en exil. 'Lé?patriarche en fut informé pendant qu'il célébroit le faint facrifice dans l'églife d'Horsmidas; ce qui le détermina a refter dans le fanétuaire après qu'il eut achevé la meflè. Mais, l'empéreur y envoya un officier avec une troupe de gens armés qui le tirérent de la, & 1'emmenérent dans un monaftere: après quoi on lui fubftitua un autre patriarche II eft vrai, que l'empéreur Léon avoit déja publié en 466 une loi pour permcttre les afiles: mais elle ne rëgardoit que ceux qui fe refugioient dans les églifes, afin d'éviter d'être trainés en prifon pour leurs dettes, ou pour des délits légers (0}, Cependant il fallut un miracle pour engager l'empéreur è porter cette loi: & Jes hiftoriens difent que fans ce miracle Léon n'eüt jamais dérogé a la loi d'Arcadius & d'Ho- (*0 Vie de S. Eutych. (O L. 6. C. de nis qui ad eccles. confug. (.p ) Vie de S, Marcel, ap. Sur. 29. Decemi>. Le 5  Hiftoire des Revolut. du Gouvernement norius. Ainfi il vaut bien la peine de connoitre vn tel miracle: il fervira dü moins a faire juger de 1'efprit du fiecle. „ Le patrice Ardabure , le „ pluspuiffant de 1'empire, dit l'abbé Fleury „ (g)> étant irrité contre un homme de fa dé„ pendance, celui - ei fe réfugia danslemona5, ftere des Acémetes (ie Conjlantinopïe') qüe gouvernoit Je faint abbé Marcel. Ardabure s, 1'envoya demander, & comme on refufa de „ le rendre, il ufa de menaces; puis il envoya 3) des foldats qui entourérent le monaftere. Lés „ foldats au dehors menacoient 1'épée a la main, „ refolus d'attaqucr la maifon, fitöt qu'il fe„ roit jour. Alors ils virent un feu fur le haut „ du monaftere, qui lancoit vers eux des traits comme de foudre: ilsjettérent Jesarmes, fe 3, profternérent, & cherchérent a appaifer Dieu „ par leurs prieres. Ardabure lui-même 1'a„ yant appris pardonna k celui qui s'étoit ré„ fugié". L'empéreur Théodofe le jeune avoit déja porté avant Léon une loi pareille, qui accordoit 1'afile & ceux qui fe refugioient dans ks églifes, b 1'exception néanmoins de ceux qui y apportoient des armes avec eux (V); mais cette (q~) Hiftoir. Eccles. Liv. o. n. 26. CO C. L 4. Theod. dc his qui ad eccles. confug.  ffdel'Efprit'Humain, II. Part. Chap. X. 44$ loi, non plus que celle de Léon, ne favorifoit pas les grands crimes, comme les meurtres, les adulteres, les rapts, & autres délits capitaux, auxquels étoit attachée la peine de mort, de 1'exil, ou de la confiscation des biens. Ces crimes furent toujours exceptés, & l'empéreur Juftinien les excepta de nouveau par fa novelle 17. Cela s'obferva conftamment en Oriënt. Mais en Occident Majorien fit des innovations dangereufes & contradiótoires. D'un cóté il défendit fous peine de la vie d'arracher aucun criminel de l'églife, & principalement ceux dont les crimes méritoient la mort ( Major. Nov. 2.) de l'autre il établit 1'ufage de mettre la tête a prix; & ce qui eft le comble de la démence, même pour les délits, qui n'entrainoient point la peine de mort, Telle eft fa loi contre les adulteres: il y condamne les coupables de ce crime a la rélégation, & a la perte de leurs biens avec cette claufe, que fi les accufés ne fe remettent pas entre les mains de la juftice, il fera permis a tout le monde de les tuer jusques dans 1'enceinte de Rome. (Nov. 9. Major.) La loi de Majorien fur les afiles fut accueiliie avec le plus grand empreffement: & comme bientöt après les barbares s'emparérent de tcu.s les états de 1'empire d'Occident, & que les conquéra'ns fe convertifiöient a mefure qv' i  ^4+ Hiftoire des Revol. da Gouvernement tabliffoient, les eccléfiaftiques ne manquérent pas de faire regarder a ces nouveaux convertis Je droit d'afile comme un article de foi. Clovis, roi des Francs, ayant ordonné en ?ii aux évéques des pays qu'il venoit de fe foumettre dans les Gaules, de s'aflemblcr k Orléans pour les jpouvoir confulter fur différens articles, les peres de ce concile n'eurent rien de plus p reffé que d'établir la fainteté des afiles. Ils firent trente & un canons, dont le premier porte, qu'il eft défendii d'enlever les criminds non feulement de l'églife , mais de Ia maifon de l'évêque j ni de les rendre qu'après avoir pris ferment qu'on ne leur fera fouffrir ni mutilation, ni autre peine, k la charge néanmoins que ïe coupable fatisfera a la partie Q s). Le quatrieme concile d'Orléans renouvelle la même défenfe, enfin elle fe trouve repétée dans presque tous les conciles de ces temps, Cependant les rois y avoient fi peu d'égard, qu'ils faifoient fouvent tirer des églifes non feulement les laïques , mais les prêtres & les évéques même, qu'ils faifoient charger de chaines, battre & oufrager en diverles manieres. Le clergé de fon cöté redoubloit fes efforts pour faire refpe&er (O Premier Concil. d'Orleans tom. 4. Concil.  &&VEJprit.liumam, I1. Part. Chap. X. 44$ les afiles: quelquefois il y réuffilToit jusqu'a faire cornmettre aux princes des fautes dangéreufes & de mauvais exemple. L'hiftoire diftingue parmi ces princes le roi Gontran, qui regnoit fur JesFrancois vers la fin du fixieme fiecle. Ce roi fe trouvant en 587 a Chalons y voulut célebrer la fête de S. Marcel. II alla a l'églife pour comrounier, &il s'approchoit déja de 1'autel, lorsqU'un norD> ine vint 1'ahorder comme pour lui parler. Cec homme voulant fe prefier, un couteauJui tom-' ba de la main. On le faifit auflitöt, & on trouva qu'il en tenoit encore un autre. On le tira hors de l'églife, & ayant été mis k la queftion il découvrit qu'il avoit été envoyé pour tuer le roi: & qu'on lui avoit ordonné d'exécuter cet attentat dans l'églife, parceque dans ce lieu le roi n'étoit point environné de gardes. Les complices furent punis de mort: mais 1'affaffin lui-même demeura impuni, parcequ'il avoit été pris dans l'églife (t). Ce trait d'une piécé fuperftitieufe & folie devoit inviter tous les mécontents k tacher d'affafliner dans Jes églifes les princes imhus des préjugés du clergé. Lorsque plufieurs flecles après, le clergé eut acquis plus de lumie- (O Concil. dc Macon de Pan 585. Tom. 5. Concil, Gregor. Turon. Liv. 8. ch. 12.  ffdeVEfprit.Humain, II.Part.Chap. XI. 45! faifoient adminiftrer par tout la juftice a leur gré. Tels étoient Maxime, Paul, Romain, Maximin, Stilicon, Rufin, Eutrope, Chryfaphe & tant d'autres, dont j'ai parlé dans Ie cours de cet ouvrage; & nous y avons vüles maux affreux, que ces abominables favoris ont produits dans 1'état, & les défolations qu'ils ont caufées dans les families. L'imbécillité de Théodofe Ie jeune fournit k cc fujet des exemplcs remarquables. II aimoit a pardonner aux fcclérats les plus pernicieux, & il fit affaffiner, a 1'inftigation de ceux qui 1'entouroient, des perfonnes des plus innocentes (*). II aimoit Ia dépenfe, la magnificence, les fpectacles, & étoit extrêmement porté a lagénérofité; fes miniftres au contraire fouloient les fujets^ confisquoient les biens des riches, cc mettoiënt (*) C'eft ainfi qu'il fit tuer Paul in, maitrc des offi> "tes, que 1'impératrice Eudoxic, fa femme, clhmoit a eaufe de fes talents, de fes connoilfanccs & de fa proibité. Les rivaux de Paulin firent accroire a Théodofe qu'Eudoxie avoit de la paffion pour lui: & cela fuffit pour 1'engager a faire affaffiner cet officier, & a reavoyer Eudoxie, qui étoit fur-tout haïe de Pulcherie. (Fby. Tillem. Hiji. des Emper. Tom, 6. art. 24 ) C'eft ainfi auffi que Théodofe, i 1'inftigation de fon eunuque Chryfiiphe, avoit formele deflein de faire affaffiner le' roi des Huns. Ff 2  45 z Hiftoire des Revolut. du Gouvernement des impofitions cruelles (*). II s'occupoit jour & nuit k étudier les faintes écritures & les cornmentateurs; &fes miniftres le portoient a figner fans les lire tous les arrêts & toutes les requêtesqu'ils lui, préfentoient. Sa foeur, la vierge Pul- (*) J'ai déja cité plus d'une fois Ie paffage de SIfidore de Pélufe. Cependant il eft bon de lc citer encore, parcequ'il importe d'inculquer & de montrer fouvent que les regnes des princes uniquement pieux font les plus exécrables de tous les regncs. Ce faint 3fulore fe plaint, que fous le regne de cet empéreur, 3e plus pieux de tous, les eunuques du palais gouveraioient k leur gré toutes les affaires de 1'empirc. On •voyoit des gens k qui on donnoit des héritiers avant qu'ils fuffent morts, ou qu'on contraignoit d'abandonjner ieurs femmes a d'autres, eu a qui on enlevoit leurs enfants par violence: & Malila ajoute, qu'il y en avoit peu b. qui on ne ravit leurs biens; & tout cela par les ordres que les eunuques tiroient du prince Je plus ennemi de la violence & de 1'injuftice. Clfidor* Liv. i. ep. 3<5. Malei. Chrtn.') Prisquc, Hiftoricn de ce temps, rapporte un entrctien qu'il eut avec un homane, qui ayant été pris par les Huns s'étoit habitué parmi eux: & le réfultat en fut, que les Ioixromainej étoient bonnes, mais que ceux qui les devoient faire obferver étoient les plus méchants hommes de Ia terre. (_Prifc de Légat.~) & Ie même auteur affure , ainfi que Saivien que j'ai cité plus haut, que bien des Romains aimoient mieax vivre parmi les barbares, quedans leur propre pays.  &krEfprit-Humaini\l.Part. Chap. XI". 453 cherie qui vouloit gouverner 1'empire pour lui, ne manquoit pas de lui reprocher fon indolence, & fur - tout fa coutume parefleufe de ne pas lire les ordonnances, & ks loix que fes valets lui préfentoient a figner. Cependant il ofoit toujours foutenir k fa foeur qu'il ne manquoit jamais de les lire. Pour le convaincre de fon tort, elle lui préfenta un jour un écrit & figner: c'étoit un afte, par lequel iljlui abandonnoit fa femme pour être esclave. II figna, comme a 1'ordinaire, fans lire. Enfuite Pulcherie 1'informa du piege qu'elle lui avoit tendu; il parut honteux de fa négligence: mais ilnefecorrigeapoint (0). Les autres princes lifoient peut-être ce qu'ils fignoient: mais ils fignoient toujours ce que leurs favoris demandoient. Ainfi les loix , qu'ils faifoient, ne fervoient de rien. A 1'exemple des bons princes qui l'avoient précédé, Conftantin pubüa des loix contre les délateurs, qui cherchoient des criminels, dont la condamnation put plaire au prince, tant pour aller par cette voyeaux honneurs, que pour faire leur fortune par la part qu'on leur donnoit des biens confisqués. Conftantin ftatua con- Ca ) Evagr. Liv. 2. Ff 3  Iï4 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement tr'eux le dernier fupplice (fe). Cependant les magiftrats avoient trop d'intérêt a admettre les délateurs ; & pour qu'un dclateur ne parut pas un calomniateur, les magiftrats aimoient mieux condamner les innocens, que de décourager des gens fi propres a fervir leurs paflions. D'autre part le prince, profitant des confiscations, étoit bien aife de ne pas voir arriver le cas , oü fa loi dut être exécutée. Ainfi il y avoit bien des loix contre les calomniateurs, mais il ne fe trouvoit jamais des calomniateurs. Quiconque avoit bien des vices & bien des talens, une ame bien baffe & un esprit ambitieux , entroit dans cette carrière, & il étoit fur d'y faire fortune malgré les loix. Sous les regnes fuivans les délateurs fe multipliérent a 1'infini. Les magiftrats & les délateurs étant toujours d'accord, il n'y avoit plus de furcté pour les citoyens. Le mal devoit être extréme fans doute, puisque } pour le corriger, Théodofe I donna dans une autre extrémité. 11 ordonna, que celui qui déformais voudroit accufer quelqu'un fe préfenteroit devant le juge,lui dénonceroit le crime & le nom du coupable, & promettroit de pourfuivre 1'accufation jusqu'k la fin: voulant que le juge C&) Panegyr. 6. in Confiant.  ff de TEprit. Humain, II. Par-t. Chap. XI. 455 le retint en prifon jusqu'a ce que la fentence fut prononcée, pour Je foumettre lui- même h la peine du talion en cas qu'il n'eüt pas prouvé fon accufation (t). Cette loi, imagisrée fpour proscrire les délations, devoit aufli proscrire toute autre espece d'accufations, même des plus néceffaires & des plus juftes. Car quel honnête homme eut voulu fe mettre en prifon pour pourfuivre le crime d'un autre? II falloit avoir 1'ame bien balie, & bien du temps a perdre, ou il falloit être tourmenté par un© grande paflion de vengeance pour fe foumettrer a la rigueur de cette loi, & au risque encore de perdre fon honneur, fes biens, fa vie, de ruiner fa familie, moins par Ia faute des preuvas» que par les intrigues de 1'accufé & par la méchanceté ou 1'incapacité du juge. Bien des écrivains modernes ont fait les plus grandes éloges de cette loi de Théodofe, fans confidérer que , fi elle eüt été obfervée , elle eüt produit urt nombre infini de criminels, & pas un feul accufateur honnête. Comme les empéreurs qui fe piquoient d'être bons chrétiens, n'étoient rien moins que chré- CO L. 3. Cod. Théod. L. 17- Cod. Juü. de Iris q;: «ccuf. non poflint. Ff 4.  45(5 Hifloire d'es Revohtt. du Gouvernement riens, & que toute leur réligion confiftoit dans la fauflè piété & dans la fuperftition générale de leurs temps, plufieurs de ces princes firent des loix tant pour fuspendre en certains temps toute procédure criminelle, que pour deftiner certaines fêtes a la délivranee des coupables. C'eft ainfi que Conftantin a défendu tout acte judiciaire le dimanche & le vendredi, d'autres difent auffi Ie famedi (<0. Quelques-uns de fes fucceflèurs, entr'autres ThéodofeI (e), défendirent de faire des procédures criminelles pendant tout le carême. Ces pieufes loix avoient deux défauts: 1'un qu'elles prolongeoient les fouffrances des coupables, & les vexations des innocens retenus en prifon: l'autre qu'elles prolongeoient Ia procédure même, qui fur-tout dans les matieres criminelles doit être prompte, parceque plus la peine eft prés du crime, plus elle infpire de terrear. Théodofe alleguoit pour motif de fa loi, que les juges ne doivent pas punir lescriminels dans un temps, oü ils attendent de Dieu la rémiffion de leur propres crimes. C'étoit-la un fophisnie bien indigne d'un législateur; car il n'étoit pas queftion de pardonner (_d) Voy.TillemontHifloir. des cmpér. not. 41 &42, CO L. 4. C. Théod. dc Quaeft.  &f deFEfprit-Humain, ILPart. Chap. XI. 45j* les crimes, mais feulement d'en faire la recherche : & puisqu'il n'étoit pas au pouvoir des juges de remettre les crimes, il étoit plus conforme a la volonté de Dieu de les engager a la plus prompte adminiftration de la jufrice , piutót que de les en empêcher, d'autant plus que dans ces affaires la promptitude eft effi. cace, & que la lenteur eft nuifible par le trop grand intervalle qu'elle met entre la caufe & 1'effet. La loi de Valentinien I qui permit le dimanche les procédures criminelles contre les payens & les défendit contre les chrétiens (ƒ) avoit deux défauts de plus, qui étoient de diftinguer les criminels de deux différentes rcligions, tandis que les crimes étoient les mêmes, & d'occuper le dimanche les juges chrétiens pour les payens, tandis qu'elle ménageoit ce jour-la la piété & la réligion des chrétiens prévenus. Valentinien I ordonna qu'en faveur du jour dc paques les prifons feroient ouvertes aux criminels , exceptéa ceux qui feroient accufés de lefe-majefté, de facrileges, d'homicide, de magie, d'adultere (g). Valentinien II & Théo- (/) L. 3. L. 4. C. Th. dc Indulgj C^) L. 1. C. Théod. de poen. ' Ff 5  |53 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement dofe I étenairent encore cette loi: car i!s fta« tuérent, que déformaisles jugesmettroient tous les ans au jour de paques les prifonniers en liberté, fans attendre de nouvel ordre, & qu'ils re retiendroient que ceux qui feroient coupables des crimes les plus atroces (/;)• Ainfi une fauffe opinion , prife de cette idee qu'il falloit avoir de la pitié pour les Chrétiens, & qu'il falloit traiter avec charité fon prochain, détruifir. dans ces temps les vrais principes du gouvernement, & fit céder la juftice a la dévotion. Ces fauffe3 idéés de dévotion avoient été introduites & té* pandues par les eccléfiaftiques, & dans ces temps ils avoient déja pouffé h un tel exces leur démence fuperftitieufe , que plufieurs églifes avoient pour coutume de refufer la cornmunion aux juges, qui avoient condamne des criminels a la mort (Q. S. Ambroife déclara qu'il ne vouloit pas aller fi loin, mais qu'il exhortoit néanmoins les juges a ne faire mourir perfonne (k). Ainfi ces évéques, & S. Ambroife même, fe déclaroient hautement contre les loix qui irrfll* geoient la peine de mort, quoique néceffaire, du moins a 1'égard de 1'homicide, du parricidc, (&) L. 8. eod. tit. (<) Ambros. epift. 51. (*) Idem ibi.  ffderEfprit-Hunmn, TL Part. Chap. XI. 45? de 1'aflaffinat: & ce qui pis eft, les uns obligeoient, les autres excitoient les juges a fe révolter contre les loix, qu'ils faifoient ferment d'exéGuter. Après 1'étalage d'une charité fi extraordinaire & fi déplacée envers les criminels, on eft juftement étonné de voir dans l'hiftoire, que ces im* bécilles & fuperftitieux législateurs en avoient fr peu pour ceux qui en méritoient le plus, c'efta-dire pour les prifonniers. Les prifons étoient par tout remplies de malheureux, que la friponnerie des juges facrifioit a la vengeance & h la cruauté des grands, a la rapacité des délateurs, a la calomnie libérale, & ces pauvres gens y fouffroient des tourmens pires que la mort. Le philofophe Libanius, touché de compaflion pour ces miférables,adrefla aThéodofe une harangue, pour le prier de remédier a. tant de défordres 11 lui expofe, que les gouverneurs, pour faire leur cour aux puiffans, ou gagnés par les libéralités des riches, mettoient en prifon , pour des caufes très-légcrcs, des gens que les loix défendoient d'emprifonner , foit h caufe de la 1cgéretc de leurs fautes, ou parcequ'ils pouvoient donner caution: qu'cnfuitc ils laiflbient languir (O Liban. Orat. de Vin6t;.s  4 tion de ces miférables empéreurs! d'un cöté une pitié déraifonnable pour des criminels reconnus, de l'autre une iuhumanité exécrable pour des prifonniers innocents, ou dont le délit étoit léger ou incertain l A toutes ces cruautés on ajoutoit encore la queftion, qu'on faifoit fubir tant aux prévenus mêmes qu'au témoins; pratique affreufe , qui faifoit périr dans les tourmens,ou après les tour. mens. L'hiftoire a confervé un mot de Maximin, préfet des Gaules fous Valentinien I, qui avoit le front de dire: perfonne ne doit fe flatter d'être innocent, quand je veux qu'il foit coupable, Ce mot exprimoit la conduite de la plupart des juges, & il n'y avoit entr'eux & Maximin d'autre différence, finon que celui-ci ofoit fe vanter de ce qu'il favoit faire, & que les autres favoient taire ce qu'ils ofoient faire. Les loix vouloient que la naiffance, la dignité, la profeflion de lamilicegarantiffent de la queftion mais comme ces mêmes loix exceptoient certains crimes, pour lesquels elles vouloient qu'on ("O Liban. loc. cit. (>0 Voyez cntr'autres L. 3- ad Leg. Jul. Majeli L. 8. L. it. C. de quacft. L. 10. C. de dignit. L. 16V C. de Decurion.  Hiftoire des Revolut. du Gouvernement put donner la queftion a tout le monde, quand on avoit concu le deffein de faire périr un innocent, ou de lui ravir fes biens, on choifisfoit un de ces crimes pour le pouvoir faire périr dans la queftion, ou par la queftion. CHAPITRE DOUZIEME. Loix concernant les délits ff les peines. Que doit-on penfcr de Conftantin, de fa réligion, de fon gouvernement, & des moeurs de fon temps , quand on voit que tous les délits lui font égaux, & qu'il a dicté des peines capitales pour les moindres délits, comme pour les crimes les plus atroces? 11 ordonna le dernier fupplice pour ceux qui faifiroient pour dettes les esclaves ou les animaux qui fervent au labourage («): il défendit fous peine de la vie & des fupplices les plus rigoureux de tirer une femme honnête de fa maifon pour dettes foit particulieres ou publiques (p). H établit la même peine contre les greffiers, les portiers, & (e) L. i. C Théod. Lib. 2. tit. 30. Cf) L. i. C. Théod. Lib. 1 tit. 10.  46*4 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement le rapt des filles & des femmes eft d'une févérité extravagante & bizarre: car non content d'avoir prescrit la peine de mort & la perte des biens tant contre les ravifieurs, que contre ceux qui les aidoient, ou les recevoient dans leurs maifons, il priva de la fuccefiion paternelle & maternelle les filles même qui auront été enlevées malgré elles, alléguant pour motif de cette rigueur finguliere, qu'il eft difficile de croire, qu'elles n'y ayent pas donné occafion elles-mêmes (O* ^ne autre^e *"es ^x ordonné-, que fi une femme abandonne fon honneur a fon esclave , celui-ci fera brulé, la femme punie de mort, & que les enfans nes de ce commerce feront incapables d'avoir aucune part dans les biens de leur mere , ni aucune dignité dans 1'état. ( voy. Godefroi chro. Cod. Theod. p. 18.) Comme les geoliers & les gardes maltraitoient les prifonniers, foit pour tirer de 1'argent d'eux & de leurs amis, foit pour complaireaux ennemis des prifonniers, Conftantin veut que ce crime foit auffi puni de mort ( voy. le même.} Je ne finirois pas fitót, fi je voulois citer toutes les loix cruelles de cet empéreur. Ses fucceffeurs 1'imitérent en ceci, comme en pres- que CO L. i. Lib. 9. tir. 4.  & kV Efprit Humain, II. Part. Chap. XIII. 473 On ne peut douter qu'il n'aït donné les mêmes ordres aux autres gouverneurs des provinces. Ces charges publiques étoient honorables; mais elles obligeoient a des foins & a des dépenfes. 1 „ On remarqua bientöt, dit M. 1'Abbé de i, Condillac (d~), que le clergé fe rempliffoit „ de quantité de gens riches , qui n'y entroient „ que pour être plus riches encore, en jouis„ fant des exemptions. Quand on ne coniidere ,, que le zele de Conftantin, on peut 1'excufer „ de n'avoir pas vu, que ces exemptions étoient 5, contraires au vrai bien du clergé: mais il au„ roit du prévoir qu'elles le feroient au bien de „ 1'état. II s'en appercut enfin: cependant il „ ne les révoqua pas. En confidérant que c'é„ toit aux riches a porter les charges, il ordon„ na, qu'on ne recevroit dans le clergé que des „ perfonnes qui auroient peu de bien: ainfi d'un ,, cóté, il combloit l'églife de faveurs, de 1'au„ tre, il en bleffoit la liberté, & la privoit de „ tout bon fujet, qui feroit riche. En croyant „ donc remédier i\ un inconvénient, il en pro„ duifoit un autre: telles font les fuites d'une „ fauffe démarche. Malheureufement les prin„ ces ont fouvent tort, & ce qui eft plus mal- Cd) Condill. Cours d'Etude Liv. 16. ch. 1. Gg 5  ffdeVEfprit-Humain, II. Part. Chap. XIII. 475- chands, & des corvées, oü il falloit fournir des chevaux & des voitures pour le public (ƒ). Cet empéreur reconnut enfuite fon erreur. II modifia fa loi en confirmant aux églifes les immunités qu'il leur avoit accordées, mais en foumettant en même temps les biens des clercs a toutes les charges, auxquelles ils avoient été fujets auparavant (g). Valentinien I fit le même réglement: s'étant propofé de rétablir les finances épuifées par la guerre des Perfes, il déclara que perfonne ne feroit déformais exempt des impofitions: que les officiers de fa maifon & les magiftrats y contribueroient; & que les clercs fur - tout, qui font une profeflion particuliere de foulager les malheureux, devoient par leurs contributions donner 1'exemple du zele (/;). Son frere l'empéreur Valens renouvella en quelque facon la loi de Conftantin, & afiujettit aux charges publiques les clercs qui poffédoient des fonds de terre. II y a dans le Code Théodofien une de fes loix Qi) par laquelle il ordonné de foumettre aux charges des villes les clercs qui y étoient fujets par leur naiffance, & du nombre de ceux (ƒ) L. 10. C. Théod. dc epis. & cler. CO L. 15. ibid. C/O L. 1S. C. Théod. de epis. & cler. (O L. y. C. Th. dc epis. Sz cler.  &de l'Efprit-Hmwin, IL Tart. Chap. XIII. {fi? „ & le confeil des villes, & étoient appellés „ aux magiftratures & aux autres fonótions ho„ norables de leurs villes. Mais ces fonólions „ mêmes étoient obligées a des charges de gran„ de dépenfe, comme d'entretenir & réparer 3, les édifices publics, de donner des jeux: & j, d'aiileurs les corps des villes répondoient au „ fifc des impöts mis fur leur ville & fur tout 3) le territoire, & portoient eux - mêmes une 3, grande partie de ces impöts. Ainfi la qualité 3i de bourgeois paffoit pour. honorable , mais „ encore plus pour onéreufe; & on faifoit ce 3, qu'on pouvoit pour s'en dégager. Les uns „ cberchoient pour cela des emplois a la cour, „ d'autres fe mettoient dans le clergé, que les „ loix des empéreurs exemptoient de ces char„ ges, afin que ceux qui étoient confacrésal'au„ tel, fuffent libres de tout ce qui les en pou„ voit détourner. Cependant plus le nombre „ des bourgeois diminuoit, plus chacun d'eus ,, étoit obligé de porter les charges communes „ de leur corps. Ainfi les moins riches fe rui* „ noient & quelquefois le corps entier ; d'oü il „ arrivoit que le fifc ne pouvoit plus être payé des impofitions ordinaires. C'eft, ce qui a „ obligé les empéreurs a faire un grand nom„ bre de loix contre ceux qui abandonnoient 3, leur corps de ville; & pour ne parlsr ici que  478 Hifloire des Revolut. du Gouvernement „ de ceux qui entroient dans 1'état ecclcfiafti. „ que, ils ont ordonné quelquefois, que, non„ obftant 1'irnmunité du clergé, ces perfonnes feroient obligées de s'acquitter de toutes les j, charges civiles qu'elles avoient prétendu évi„ ter ; quelquefois qu'elles céderoient tout leur „ bien ou au corps, oü a des perfonnes capa„ bles de s'acquitter des mêmes charges, com„ me S. Ambroife le remarque. Ce fut fur cela que Valentinien fit la loi dont nous parions, ,, par laquelle il défend, comme les autres em- péreurs , de recevoir dans le clergé aucun „ bourgeois, ni aucun de ceux qui avoient plus » de trois cents livres (foüs d'or) de bien, par„ ceque ces perfonnes étoient capables d'être 33 aggregées aux corps de villes. Pour ceux qui „ étoient déja dans lc clergé, ou qui y entre3, roient même a 1'avenir, nonobftant la loi, il „ ne les oblige pas a renoncer a tout leur bien: 3, mais il ordonné que ceux qui auront des en3, fants, partageront leurs biens entr'eux & leurs sj enfants: & que ceux qui n'auront point d'en3, fants garderont le tiers de leur bien, & cé„ deront le refte ou aux corps de ville, ou k „ quelque parent capable de s'acquitter des fonc„ tions, dont la cléricature les exempte; étant jufte, dit - il, que ceux qui ont Vhonneur de i, fervir aux facrcs myfteres, foient riches en foi  6? dit'Efprit-Humain, II. Part. Chap. XIII. 485 fe trouve pas convaincu, il pourra différer Ia dégradation, & Ia chofe fera rapportie a l'empéreur tant par Ie juge que par l'évêque (ï). Quoique par cette loi les évéques ayent obtenu une espece de jurisdiélion, qu'ils n'avoient jamais eue auparavant, il y a néanmoins bien loin encore de Ja jurisdiftion que Juftinien leur accorde a celle qu'ils ont ufurpée dans Ja fuite. En vertu de cette loi les évéques n'avoient point le droit d'exccuter leurs fentences: & ils reftoient eux-mêmes foumis aux empéreurs, par la permiffion desquels ils pouvoient même être obligés de comparoitre devant les juges féculiers pour Jes affaires tant civiles, que criminelles. Quoique la fuperftition fut déja extréme a cette époque, les hommes n'étoient pourtant pas encore arrivés a cet excès de démence, qu'on eüt pu faire accroire aux princes, que la religion exigeoit, qu'ils fe dépouillaflent de leurs droits de fouveraineté a fégard des eccléfiaftiques. Ainfi Juftinien continua, comme fes prédécesfeurs, a dépofer & envoyer en exil les evêques, qui s'attiroient fon indignation. Encore peu de temps avant fa mort cet empéreur avoit envoyé en exil S. Eutychius, patriarche de Conftantinople (a),&ii en auroit ufé de même avec (t) Nov. 121. 00 Vic S. Eutychius. H b 3  486 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement S. Anaftafe, patriarche d'Antioche, fi la mort n'eüt empêché 1'exécution de fes ordres. Quand les princes condamnoient des évéques h 1'exil ou èla mort, quelquefois ils le faifoient avec 1'avis des évéques de la province, & d'autrefois de leur autorité toute feule. Après que le concile de Nicée eut dreffé fon fymbole de foi, l'empéreur Conftantin, qui 1'avoit approuvé, voyant qu'il y avoit des évéques qui refufoient d'y fouscrire, les menaca de 1'exil, &y envoya ceux qui perfiftérent dans leur opiniatreté (v). Quelques années auparavant, les Donatiftes ayant évoqué a lui la décifion du concile d'Arles, il examina leur caufe dans fon confeil fecret, les condamna, & envoya en exil les plus féditieux d'entr'eux, parmi lesquels fe trouvérent des prêtres & des évéques (x) ,qui fe piquoient de rélifier a fes ordres en faveur des Ariens: cc les évéques ne fe plaignoient pas de ce qu'il ufurpat fur eux i'autoritc de les punir, mais de ce qu'il les puniffoit contre la raifon , la juftice, & la loi de Dieu: ils crioient contre la perfécution, & non contre 1'exercice d'un O) Evagr. Liv. 4. ch. 33. & 41. Cx) Socrat. Hifi. Liv. r. ch. 14. Theod. Liv. i.ch. 20. Sozom. Liv. 2, ch. 16.  & de? Efprit-Humain, II. Pm. Chap. XIII. 487 pouvoir Jégitime. L'empéreur Honorius, voulant s'oppofer aux progrès de 1'héréfie de Pélage, écrivit de Ravenne h Aurelius évéque de Carthage, pour lui ordonner d'avertir les évéques, qui s'opiniatroient a ne vouloir pas fouscrire k la condamnation de cet héréfiarque, qu'il venoit de publier une conftitution, qui les condamnoit a 1'exil en cas qu'ils perfiftaffent encore dans leur obftination (y). L'empéreur Théodofe II, ayant convoqué en 431 le concile d'Ephefe pour juger 1'héréfie de Neftorius, patriarche de Conftantinople (2), les disputes qui s'y élevérent, déterminérent l'empéreur a faire mettre en prifon ce patriarche, & S. Cyrille , patriarche d'Alexandrie, qui y affiftoit au nom du pape S. Céleftin. Dans ce concile le patriarche d'Alexandrie, & 1'archevêque d'Ephefe préfentérent une requête aux peres, oü ils fe plaignirent, que Jean, patriarche d'Antioche, en haine de la dépofition de Neftorius avoit raffemblé environ trente évéques de fon parti, avec lesqucls il prétend, difoit la requête, nous avoir dépofés, quoiquil n'aü aucun pouvoir de nous juger ni par les loix de ï1 églife, ni par Vordre de (y) Ausuft. epis. 88. ad Jamiar. epis. 53. ad Gcner. (3) Voy. Baron, AnnaL a I'an 41a.  490 Hiftoire d:s Revol. du Gouvernement Comme les exempfes d'évêques punis par les empéreurs, foit de 1'avis de quelque concile, foit de leur feule autorité, font infinis, je ne parleraiplus que d'une punition févereque Juftinien infligea a. deux évéques. Cet empéreur ayant publié, dés le commencement de fon regne, des loix vigoureufes contre 1'impudicité, il voulut ftatuer un exemple capable d'intimider les plus débauchés. Ifaie, évéque de Rhode, & Alexandre, évéque de Diospolis en Thrace, convaincus de crimes abominables, furent par fon ordre dépofés, & condamnés a être mutilés & dans cet état promenés par la ville ayant a leur cöté un crieur public, qui devoit crier a haute voix: évéques ne deshonorez pas votre faint habit (b). CHAPITRE QUATORZIEME. Loix concernant différentes matieres ecclêfiaflU ques. *T\ /JTalgré ces funeftes exemptions que les emJ_vJL péreurs ont peu a peu accordées au clergé, ils fe font toujours confervé le pouvoir (&) Theoph. Chrono, année 532. p. 151.  ffdePEfprit-Humam, II.Parf.Chap. XIV. 491 de regler par leurs loix toutes les matieres ec «• cléfiaftiques qui pouvoient avoir quelque influence fur la fociété civile. Juftinien , qui a prodigué le plus de priviléges au clergé, a aufli fait le plus grand nombre de loix au fujet des évéques, des prêtres, des autres clercs, des moines, des églifes, des biens des églifes, & de toutes fortes de matieres eccléfiaftiques. Parmi les loix que différents empéreurs ont fakes a 1'égard de ces objets, les plus remarquables font celles, qui rendent les eccléfiaftiqes incapables de rien recevoir ni par teftament, ni par donation des veuves, des filles orfelines, & des diaconeffes, telle que celle de Valentinien, dont j'ai déja fait plufieurs fois mention. Celles qui défendent aux prêtres d'aller aux maifons des veuves, & des orfelines, dont j'ai aufli parlé. Celles qui fixent les caufes du divorce, que j'ai alléguées ci-deffus. Celles qui reglent les ordinations des évêqucs; qui déterminent 1'age de ceux qui peuvent être recus dans la cléricature, ou dans les monafteres; qui bornent a une certaine quantité Je nombre des prêtres; qui puniffent Ja fimonie & les brigues des evêques; qui limitent la fondation des monafteres;. celles enfin qui défendent aux évéques d'excommunier aucun fidefie, fans en alléguer une  492 Hiftoire des Revol. du Gouvernement caufe légitime & approuvée par les canons. (foy. Nov. Jufiin. 5. 6. 123. i3r. 137. tit. Cod. de epifc. ej3 cler. tit. Cod. de episcop. au~ dien.) Ces princes fe croyoient affez éclairés pour entreprendre de regler eux feuis, & fans confulter perfonne, la plupart des matieres eccléfiaftiques. Cependant, lorsqu'il s'agiffoic de quelque dogme de la foi, ou lorsque leurs régiemens avoient produit quelque fermentation dans les esprits, ils aimoient a convoquer des conciles , foit univerfels, ou particuliers (*_). Alors ils ordonnoient aux évéques de fe préfenter dans un temps marqué; ils choififfoient 1'endroit qu'ils jugeoient le plus a propos, felon les circonftan- {*) Plufieurs empéreurs voulurent s'ingérer dansles affaires fpirituelles beaucoup plus que ne le permcttoit le bien de 1'état. Tel étoit Conftantius qui a force de tenir des conciles mit toutes les provinces de 1'empire en combuftion. Tel étoit auffi Juftinien, don: Procope dk , Anecd. ch. 18. qu'au lieu de s'appfiquer a la guerre, il s'amufoit a de vaines fpéculaTions & a des cuiiofités fur la nature divine. Le mé, me Procope fait ainfi parier QG«th Liv. 3 ch 32.) un iiommé Arface qui confpiroit contre l'empéreur. „II eft „toujours fans garde, afhsdars un cabinct, bien avant „dans la nuit, avec les plus vieux évéques, feuilïetant „ les livres des chrétiens avec une curiofitc infatiable ".  & de VEfprit-Humain, II. Part. Chap. XIV. 49$ cesoü ilsfe trouvoient; ils y intervenoient euxmêmes, ou y envoyoient leurs commiffaires tant pour fignifier aux peres les matieres qu'ils devoient traiter que pour y faire obferver le bon ordre; ils y déclaroient leurs fentimens, & obligeoient le plus fouvent les évéques k s'y conformer; ils congédioient le concile, quand ils vouloient, les évéques ne pouvant fe féparer fans leur permiffion; enfin ils approuvoient ou rejettoient les délibérations des peres. Lorsque la doélrine d'Arius eut commencé h agiter les esprits, Conftantin réfolut de faire décider la dispute par un concile général. A cet effet il choifit la ville de Nicée , & envoya de tous cótés des lettres aux évéques pour leur mander de s'y rendre en diligence (c). Les peres étant arrivés k Nicée, l'empéreur les affembla, les harangua, leur expofa le fujet de leur convocation, donna la parole k ceux qui y préfidoient, & leur déclara qu'il leur laiffoit une pleine liberté d'examiner la doctrine (i). Le concile ayant dreffé fon fameux fymbole de foi, il le termina en menacant de 1'exil ceux qui ne voudroient pas y fouscrire, & en y envoyant (O Eufeb. vie de Conftant.. Liv. 3. ch. ). Comme dans les élecfions des évéques les brigues des concurrens occafionnoient fouvent des tumultes & de grands fcandales, les empéreurs fuivans, pour prévenir ces maux, ufurpérent fautorité de fe mêJer dire&ement des élecïions, foit en intimant au peupie de l'églife vacante d'y nommer le fujet quils vouloient, foit en (m) Epift. 1. Bonif. tom. 2. Concil. ü 3  5 92 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement obligeantle peupie aaccepter celui qu'ils avoient choifi eux mêmes. Timothée Solofaciole, patriarche d'Alexandrie , étant a Textrêmité, il envoya en 482 des députés a l'empéreur Zénon pour le prier tant en ion nom qu'au nom de tout fon clergé, qu'après fa mort, le peupie & le clergé euffent la liberté de lui choifir un fucceffeur. Zénon leur accorda leur demande; & comme le chef de cette députation avoi; été Jean Talaïa, prêtre & économe de l'églife d'Alexandrie, l'empéreur donna dans fa fépönfë de grandes louanges a cet eccléfiaftique. Cela fit que tout le peupie d'Alexandrie le régardoit déja comme défigné pour fuccéder a Timothée: & il fut effeétivement élu après la mort de ce dernier, qui arriva peu de temps après. (Lib. Brev, ch.i6.&i7.) Ce fait Prouve affez clairetnent, que les empéreurs de ces temps avoient trouvé néceffaire de reftreindre 1'ancienne liberté des éleótions des évéques, du moins a 1'égard des premiers fiéges, & de s'en mêler pour les diriger au bien de l'églife & de 1'état. L'hiftoire des papes nous en fournit fur- tout plufieurs excmples. C'eft ainfi que Vigile & Pélage furent élus, 1'un après l'autre, évéques de Rome fous le regne de Juftinien. L'ImpératriceThéodora,femme de Juftinien, rejettoit le concile da Chalcédoine que fon  ff de ïEfprit-Humain ,11. Part. Chap. XV. 503 mari approuvoit. Et comme elle faifoit tous fes efforts pour faire changer d'opinion k cet égard tant k fon mari, qu'elle maitrifoit, qu'aux évéques des premiers fiéges, elle crut n'y pouvoir mieux réuflir, qu'en faifant condamner ce concile par le pape même. Dans ce delTein elle réfolut de gagner Vigile, diacre de 1'égüfe romaine, qui étoit k Conftantinople. Elle lui fit offrir fecretement fept cents livres d'or, & un ordre pour Bélifaire, général de l'empéreur en Italië, pour le faire élire pape, k condition que Vigile promettroit d'abolir le concile de Chalcédoine , & d'écrire k Théodofe d'Alexandrie Jk. k d'autres évéques, ennemis de ce concile, qu'il approuvoit leur foi. Vigile ayant donné fa promefie alla a Ravenne trouver Bélifaire, k qui il promit deux cents livres d'or, s'il trouvoit le moyen de faire dépofer Silverius qui tenoit alors le fiége de Rome, & le faifoit élire pape k fa place. Bélifaire prit Rome fur les Goths. Silverius, acculé d'intelligence avec eux fut relégué, & Vigile nommé pape; après quoi il fe fit livrei' fon prédécefieur qu'il envoya dans file Palmaria, oü on le fit mourir de faim (»). O) Chron. Marcel a 1'an 536. Liber. Brcvia, ch. 22. Procop. Guer. Goth. Liv. 1. ch. 22. & 25, li 4  ff de 1'Efprit-Humain, 11. Part. Chap. XV. 505 „pas, lui dit-il, aux vains discours de ceux qui „difent, que l'églife perfécuce quand elle cher„ che k réprimer les crimes & a fauver les ames. „ On ne perfécuce que lorsqu'on veut obliger a „faire du mal. S'il n'étoicpaspermisdecontrain„dre ies hommes au bien, ilfaudroit abolir tou„ tes les loix divines & humaines qui ordonnent la „ pur.ition des crimes. L'écriture & les canons „nous enfeignent, que le fchisme eft un mal, & „ qu'il doit être réprimé, même par-la puiffance „ féculiere. Or quiconque eft féparé des fiéges „ apoftoliques eft dans le fchisme. Lorsque Toti„ la poffédoit flftrie & la Ligurie, & que les Francs ravageoient tout, vous ne fouffrites pourtant „point, malgré ces hoftilités, que l'on ordonnat „l'évêque de Milan, avant que vous n'eneulfiez „informé l'empéreur & recufes ordres; & vous „ fites conduire a Ravenne k travers les ennemis „ tant l'évêque élu, que celui qui devoit 1'ordon„ ner. II y a mille exemples & mille conftitutions „ qui montrent que les puiflances publiques doi„ vent punir les fchismatiques, non feulement par „ 1'exil, mais par la confiscation des biens & par „ de rudes prifons (#)". Narfés ayant écouté Pélage , les adverfaires de ce pape excommuniérent (?) Pelag. ep. 3. li 5  5o5 Hiftoire des Revolat. du Gouvernement Ie général: alors Pélage lui écrivit une autre lettre oü il le félicita de la coleredes fchismatiques, & 1'excita a les punir, & è les envoyer a l'empéreur (>). Le droit qu'ontles princes de punir les évéques par 1'exil, par la confiscation des biens, & par de rudes prifons, eft donc prouve par le témoignage même des papes. 11 eft d'ailleurs bien fcandaleux , pour le remarquer ici en paffant, de voir dans ces lettres un pape qui excite a la perfécution un général, & qui cite 1'écriture pour prouver la juftice d'un procédé , que les lumieres naturelles font regarder par un militaire comme contraire a la raifon & a la charité. Comme le pape de Rome étoit abfolument fous la puiffance des empéreurs, le clergé romain ne dépendoit du pape qu'autant que les priviléges particuliers des empéreurs le leur permettoient. Ainfi avant la loi de Juftinien, le pape n'avoit aucune jurisdiétion civile, ni crixninelle fur fon clergé. Cependant les Goths, quoiqu'ariens, avoient déja attribué au pape, pendant qu'ils furent maitres de Rome, quelque espece de jurisdiétion. Caffiodore (s~) rapporte Cr) Epis. 4- £s~) Cafftod. Liv. 8. var. ch. 24.  5o8 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement cependant par Ja fuite des temps les conciles, les loix des empéreurs, & principalement leur provinces. Les diocefes, au nombre de treize en tout, étoient gouvernés par des vicaires: chacun en avoit' un, hormis lltalie qui en avoit deux, ffavoir celui de Rome, qui exe^oit fon autorité fur dix provinces, & celui qu'on nommoit plas particuliérement le vicaire «J'Italie qui avoir fept provinces fous lui. Les diocefes de 1'Afie, de 1'Achaïe & de 1'Afrique étoient fous des proconfuls, dont 1'autorité étoit égale a celle des vicaires, mais dont la dignité étoit fupérieure. Les provinces, au nombre de centfeize, étoient gouvernées par des officiers dc différents noms. Les reöeurs des provinces commandoient k plufieurs provinces d'un même diocéfe. Les confulairee, les correaeurs, les préfidens ne gouvernojcnt qu'une feule province. Au préfet du prétoire d'Italie obéifToient 1'Ulyrie , 1'Afriquc & 1'Italie. Les deux vicaires du diocefe de 1'ItaJic réfidoient 1'un k Milan & l'autre k Rome, oü il y avoit encore un préfet, dont la jurisdiaion s'étendoit a cent milles au tour de la ville. La hiérarchie eccléfiafiique imita le gouvernement civil; ce qui ne fe fit pas tout d'un coup, mais peu k peu. Car au commencement tous les évéques étoient égaux, & nul ne.s'arrogeoit Ia moindre autorité fur l'autre. Mais dans Ia fuite les évéques des grandes villes, k qui Ie nombre & les contributions des fideiles donnoient plus de luftre & de crédit, commencérent infenfiblement k s'élever au deffus des évéques des petites villes, oü les Chrétiens étoient en moindre nombre, moins aifés, moins conüdérables, & par  512 Hiftoire des Revolüt. du Gouvernement Cependant, foit que ce canon n'eüt été fait qu'en 1'honneur du pape Jules, foit qu'enfuite Jes évéques 1'eulTent trouvé contraire a la bonne discipline, il eft certain qu'il ne fut pas obiérvé, & qu'on 1'abolit peu de temps après dans le concile général de Conftantinople célebré en 38 r, oü il fut ftatué, que ceux qui voudront accufer un évéque, intenteront leur accufation devant tous les évéques de la province: que, fi le concile de la province ne fuffit pas, ils s'adrefferont a un plus grand concile, c'eft-a-dire a celui du diocefe, qui comprenoit plufieurs provinces. Et que celui, qui au mépris de ce decret ofera importuner l'empéreur, ou les tribunaux féculiers, ou troubler un concile écuménique, ne fera point recevable en fon accufation (m). Le pape Zofime avoit entrepris en 418. de mettre les évéques d'Afrique dans la dépendance du fiége de Rome, en prétendant que les évéques dépofés par le concile de la province,ou du diocefe même puflent appeller a Rome, & demander la révjfion de leurs procés devant les évéques de ia province voifirte & un légat du pape. Cette demande de Zofime étoit ambities fe O) Sec. Conc. Général dc Conftant. aft can. ê,  52o Hiftoire des Revolut. du Gouvernement réponfeèun écrit puhlié par fes accufateurs & qu} étoit imitulé; Contre le fynode de l'abfolution irréguliere. Ils s'y étoient principalement attachés k réfuter la nouvelle prétention du pape de ne pouvoir être jugé. Si cela étoit vrai, difoient. ils, on pourroit en inférer, que S. Pierre & fes fucceffeurs avoient recu la licence de pécher avec les prérogatives de leur fiége. Eunodius nie cette conféquence, & dit en parlant de S. Pierre: „ il a transmis a fes fucceffeurs un avan„ tage perpetuel de mérites avec 1'héritage de „ 1'innocence. Ce qui lui a été accordé pour „ récompenfe de fes afbons s'étend a. fes fuc3, cefleurs, dont la conduite n'eft pas moins „ brillante. Car comment peut-on douter, que j, ceux qui parviennent k une fi haute dignité, „ ne foient pas faints? fi les propres mérites de „ quelqu'un n'y fuffifent pas , ceux de Saint „ Pierre y fuppléent. Ceux que Jefus-Chrift „ éleve a cette place fi éminente, ou font déja „ fainrs, ou il les rend tels: lui fur qui l'églife „ eft appuyée, prévoit ce qui eft propre a lui „ fervir de fondement". II n'eft pas néceffaire de faire fentir 1'abfurdicé, 1'impiété même de ce fophisme, qui malheure ufemert n'eft déja que tróp léfuré par l'hiftoire des papes. Les accufateurs difoient encore: s'il eft vrai que le pape n'Jt jamais été jugé, pourqüoi a-t-il,  ff de f Efprit*Humain, II. Part. Chap. XV". 541 été cité & emmené en jugement? Euoodius ré» pond, qu'il s'y eft foumis par humilité & fans jh être obligé (y). Comme les évéques étoient tous dans la d&i pendance du pape, ils approuvérent cet ouvra* ge tout d'une voix, & dirent: que cet écrit „ foit recu de tout le monde, & confervé a la }3 poftérité avec les aftes de notre concile, comme ayant été compofé par fon autorité '\ Cependant Théodoric méprifa le premier la décifion de ce concile a 1'égard de 1'indépendance du pape: car étant irrité contre le pape Jean I, qu'il foupconnoit coupable de trahifon , il le fit mourir en prifon (2): & douze ans après le pape Silverius fut, pour une femblable imputation , dépofé & envoyé en exil par ordre de l'empéreur Juftinien (a), comme nous 1'avons dit ci deflus. Comme les papes obtenoient k Ia longue tout ce qu'ils vouloient en Occident, ils firent tous les efforts poflibles pour fe foumettre auCG l'Orient. Mais les évéques de Conftantinople coupérent bientöt pié a kurs entreprifes. Ces évê- C y) Eunod. ap. Sirmond. Tom. 4. Concil. (z) Hifi. Misc a 1'an. 525. (a) Liberat. ch. Z2. Kk 5  522 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement ques afpiroient eux - mêmes au patriarchat univerfel de tout 1'Orient. Le fecond concile général de Conftantinople, tenu en 381, avoit ordonné par fon troifieme canon, que l'évêque de cette ville auroit la prérogative d'honneur après l'évêque de Rome, parceque Conftantinople étoit la nouvelle Rome (fc). Dans la fuite ces évéques ne fe contentérent point du fecond rang: ils voulurent être eftimés égaux a ceux de Rome. Auffi y a-t-il une loi de Théodofe le jeune qui déclare que l'évêque de Conftantinople doit jouir des prérogatives de 1'ancienne Rome (c). Cependant l'évêque de Rome avoit déja étendu fort loin fon autorité fur les provinces d'Occident, que celui de Conftantinople n'avoit encore d'autorité que fur les fix provinces de la Thrace. Mais en 398. S. Jean Chryfoftome entreprit de donner une plus grande étendue a 1'autorité du fiége de la nouvelle Rome, & a force de trouver par tout des abus & corriger, des évéques a dépofer, des églifes a réformer , il réuffit fi bien , qu'en peu de temps il eut fait reconnoitre fon autorité & ac- (6) Conc. Conftant, Can. 3. Socrat. Liv. 5. ch. 8. Sozomen. Liv. 7. ch. 9. (e) L. 6. C. de Saer. Eccl.  & deVEfprit-Humain, U.Part. Chap.XV. 553 certer fes réformes a onze provinces d'Afie, 6? k onze provinces du Pont, de forte qu'avec les fix provinces de Thrace , l'évêque de Conftantinople eut dès lors fous fon infptélion vingt huit provinces (d). 11 fit bien plus. Par le moyen d'une partie des moines d'fcgypte, qui s'étoient révoltés contre Théophile, patriarche d'Alexandrie, il fe fit députer par l'empéreur Arcadius pour juger cet évéque, k qui le Concile de Nicée, avoit accordé le premier rang après le pape. Cette affaire ne lui réufiit point: parceque 1'impératrice Eudoxie, irritée contre le faint évéque, fit en forte que le juge fuccomba lui-même, & fut envoyé en exil(e). Mais cet exemple fuffit aux fuccefieurs de S. Chryfoftome pour s'élever dans la fuite au deflus des patriarches d'Alexandrie & d'Antioche, & pour les mettre dans leur dépendance. On peut juger du chagrin extTême, que les progiès rapides des évéques de Conftantinople caufoient aux papes, par les brouilleries continuelles que le fiége de l'arcitnne Rome a eues avec celui de la nouvelle. Lorsque l'empéreur (<0 So7om. Liv. 8. ch. 5. Théodor. Liv. 5. ch. 28. CO Pall.Dial.Sozom. Liv. 8. ch. 17. Socrat. Liv.5. eh. 15.  52+ Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Théodofe le jeune eut décerné a l'évêque de Conftantinople l'infpec"r.ion fur 1'lllyrie (ƒ), le pape Boniface fit grand bruit. 11 écrivit a l'évêque de Thefialonique, aux évéques de Theflalie, k ceux de Macédoine, d'Achaïe, d'Epire, de Prévale, de Dacie, pour les exhorter k reconnoitre le faint fiége de Rome pour juge fuprême des évéques de 1'IIlyrie, & a rejetter celui de Conftantinople. ,, Si vous lifez „ les canons, leur dit-il (g), vous verrez „ quel eft le fecond fiége après l'églife Romai„ ne, quel eft le troifieme: ces grandes églifes „ d'Alexandrie & d'Antioche ont leur dignité „ par les canons dont elles font bien inftruites. 3, Elles ont eu recours k l'églife Romaine dans „ les grandes affaires, comme d'Athanafe &de „ Flavien d'Antioche. C'eft pourquoi je vous „ défends de vous afiembler pour remettre en „ queftion 1'ordination de Périgene ". Ce Périgene étoit évéque de Corinthe & le pape Boniface avoit confirmé fon élection. JMais bien des évêqu«s de 1'Illyrie ne vouloient point fouffrir, que l'évêque de Rome fe mêlat de leurs affaires, & s'attribuat fur eux aucune jurisdiction (ƒ) Cit. L. 8. C. de Sacr. Eccles, Bonif. Epift. ad epift. 5. Maced. tom.4. Conc. {k) Socrat. Liv. 7. ch. 36.  & deVEprit.Humain,ll. Part. Chap. XV. $25* Boniface envoya auffi une députation a l'empéreur Honorius pour le prier de foutenir dans cette affaire les anciens priviléges de l'églife romaine. Par ce moyen Théodofe fut engagé a révoquerpour lorsfaloi: mais il retint, malgré cela,la loi révoquée dans fon code, & n'y inféra pas la loi qu'il avoit portée a la follicitation d'Honorius & du pape. Un des moyens que les papes ont le plus fréquemment employés pour étendre leur jurisdióHon fur les provinces, oü ils n'en avoient point, fut de recevoir fous leur proteóbon tous les prêtres qui recouroient au faint fiégé contre leurs évéques, & tous les évéques qui y recouroient contre leur mécropoiitains, foit qu'ils euffent tort ou raifon. Comme cet artifice leur réuflit toujours trèsbien, ils s'en fervirent fur cout contre les évéques de Conftantinople, de forte qu'ils ne cesférent jamais d'exciter, tar.tót par leurs lettres, tantöt par leurs envoyés, tous les évéques de 1'Orient contre celui de Conftantinople, & de fomenter continuellement la discorde entr'eux. Quand on iit l'hiftoire du fchisme que le fiége de Rome a comroencé avec Acace évéque de Conftantinople au fujet de la dépofition de Jean Talaïa, évéque d'Alexandrie,que le pape Felix III avoit pris fous fa proteclion, on eft également indigné de 1'animofiié extréme qu'y ont mon-  526" Hiftoire'des Revol, du Gouvernement trée léfc évéques deRrnne, des vengeances qu'ils ont exercées jusques contre les rnorts , des obftacles qu'ils ort cppofés a toute réconciliation honnête , & des extremrés oü ils ont pouffé cette fcandaleufe affenre. La conduite qu'y ont tenue les papes, & \< urs lettres font voir clairement, qu'is n'ont entretenu fi long-temps ce fcni.^me, qu'è caufe de leurs prétentions contre les évêquef de Conftantinople, dont i:s régardoient 1'é évation comm trop funefte a celle qu'ils vouloient fe donner eux n êmes. Jean Talaïa ayant été é u évéque d'Alexandrie en 482, Acace, évéque de Conftantinople , l'accula auprès de l'empéreur Zénon de différents délits, & entr'autres , de parjure, paraque s'écant rendu fufpect au clergé d'Alexandrie de briguer ce patriarchat , pendat t la vie de Timotbéo S^lofaciole. on 1'avo t f;iit jurer de n'accepter jamais ce fiége. Air fi Acace repréienta a l'empéreur que Jean Talaïa devoit a caufe de fon parjure être dépoféj& qu'il pourroit nommer a fa place Pierre Monge. Zénon écouta les rémontrances du patriarche de Conftantinople & donna fes ordres pour faire charter le nouvel élu, & lui fubftituer Pierre Monge (/').- (O Lib. Breviar. ch. 16. 17;  f?det' Efprit-Humain, II. Part. Chap. XV. 527 Le pape Simplicius ,informé de ce changement, ne défapprouva pas d'abord la dépofition de Jean Talaïa: mais il blama beaucoup 1'ordination de Pierre Monge, parceque celui-ci rejettoit le concile de Chalcédoine, oü le pape S. Léon avoit fait par fes légats une grande figure & déployé une grande autorité (£). Mais l'évêque dépofé ayant appellé au pape, celui-ci n'héfita plus a le recevoir fous fa proteflion & a 1'afïïfter de toutes fes forces. Cela produifit un fchisme. Simplicius étant mort bientöt après, Feliac fon fuccefleur ne laifia pas de le poufler encore plus loin. II convoqua un concile des évéques d'Italie, & y donna contre Acace la fentence, qui commence ainfi: vous étes trouvè coupable de plufieurs fautes. Au mépris des canons de Nicée vous avez ufurpé les droits des autres provinces (plus les patriarches de Conftanfinople ufurpoient fur les autres provinces, moins il yreftoit a ufurper pour les papes, qui depuis long-temps ne ceffoient d'ufurper) vous avez non feulement recu a votre communiën des hérétiques ufurpateurs que vous aviez vous même condamnés, mais vous leur avez encore, donné le gouvernement d'autres églifes. Enfuite il paffe a lui reprocher la prötec- (*) Simplic. Epis. 17.  52S Hiftoire'des Revolut. du Gouvernement tion qu'il donne a Pierre Monge, ennemi du concile de Chalcédoine; & y ajoute vous riavtz point voulu répondre devant le faint fiége fuivant les canons (ces canons ne fe trouvent nulle part) au libelle de mon confrère Jean Talaïa, qui a intenté contre vous des accufations ttès-graves, ff par ce filence affeclê vous les avez confirmées. Ayez donc part avec ceux, dont vous embt-affez fi volontiers les intéréts; ff fachez , que par la prefente fentence vous ét es privé de ïhonneur du factrioce ff de la communion catholique, étant condamne par le jugement du Saint - Efprit ff de l''autorité apostolique fans pouvoir être jamais abfous de cet anathême (/). Acace après avoir rer;u cette lettre, 6ta des diptiques Je nom de Felix, & fic dépopofer par tout 1'Orient les évéques qui témoignoient fuivre le parti du pape. Ce fchisme dura long-temps. 11 occafionna de grands troubles dans l'églife, produifit de fréquentes féditions & alluma jusqu'a des guerres civiles. Lorsqu'une fuite d'empéreurs favorables au concile de Chalcédoine & au fentiment des papes fur Ia dépofition de Jean Talaïa eurent enfin, par des excès de rigueur, détruit les ennemis du fiége de Rome, les papes continuérent encore le fchisme peri« r/) Felic. Epis. 6. toni. 4. Concil.  &de ÏEfprit-Huimin, II. Part. Chap. VI. 5 2 9 pendant bien dü temps pour cette feule raifon, que des evêques & d'autres eccléfiaftiques charitables, tenant qu'i! ne falloit point condamnef les morts, refufoient de condamner expreffé* ment la mémcire d'Acace , quoiqu'ils fe fufient déclatés d'ailleurs pour le concile de Chalcédoine & pour le rétabh'ffèment de la mémoire do Jean Talaïa. Pour avoir la paix avec Rome, il fallut abfolument en verir a la condamnatiort expreffe de la mémoire d'Acace. Ces papes donnoient un bel exemple de la charité , que JefusChrift a tant recommandée a fes disciplcs, & qui, felon S. Jean , forme, avec 1'amour de Dieu, toute la bafe de la loi des Chrétiens. CHAPITRE SEIZIEME. Loix concernant le foulagement des peuples. On appellé communément gouvernement^ despotiques ceux qui n'ont point de loix: car la fantaifie du prince, celle de fes miniftres, celle des gouverneurs & des magiftrats, 1'info^ lence des troupes, & le caprice de tous ceux qui ont de 1'autorité cu qui fe fentent de Ja force , y tiennent lieu de loix. Cependant il n'y 3 point tu de gouvernement tout-a-la- fois plus Tomé I. LI  53° Hiftoire dis Revol. du Gouvernement despotique & plus chargé de loix que celui de Conftantin & de fes fucceffeurs. La raifon de cette étrange bizarrerie fe trouve dans une coutume plus ancienne que Conftantin, puisqu'elle a déja commencé fous Adrien, mais dont les plus méchants tyrans même n'ont pas tant abufé dans les accès de leur rage , que ne font fait les fucceffeurs de Conftantin dans Ie cours ordinaire de leurs regnes. Je parle de Ia coütume des magiftrats & des particuliers de préfenter aux princes des requêtes concernant 1'application & 1'interprétation des loix, & de celle des princes de répondre a ces requêtes par des rescrits (*). i*ar ce moyen on a, particuliérement fous Jes empéreurs chrétiens, porté le défordre au point, que les princes & les particuliers fe jouoient cgalement des loix, ceux-ci par les moyens qu'ils <*) L'empéreur Macrin jugeoit cette coütume fi pemicicufe qu'il 1'auroit abolie s'il n'eüt pas été tué avant 1'exécution de fon deffein. II vouloit, dit Jules Capitolin, cafl'er tous les refcrits de fes prédécefieurs, parcequ'il trouvoit déteftable, que l'on regardat comme autant de loix les caprices de Comode & de Caracalla, princes ignorants, au lieu que Trajan ne faifoit jamais aucune réponfe aux réquctes des particuliers, afin que des réfcrits.qui pourroient n'être faits que pour favorifer les impétrans, ne fufient pas era pl oyés ala décifion d'autres caufes. Vk de Macrin ch. iz.  ffdïïEfprit-Hamain, II. Part. Chap. XVI. 531 trouvoient en foule d'en obtenir des dispenfes sbu même des caffations générales; ceux-ia par. légereté, par imbéciilité, par furprife, par le plaifir de changer, par caprice. Le croiroit-on? Théodofe le jeune, qui fe piquoit fi fort d'être législateur, & dont nous avons le code de loix qui porte fon nom, a révöqué plufieurs de fes loix , trés utiles d'ailleurs, par la feule raifon , qu'un moine imbécille , S. Siméon Stylite, qui paffoit fa vie fur une colomne, a faire des milliers de révérences par jour, les avoit défapprouvées (a). D'autres fois il a accordé des ( a) Telle eft la loi, dont fait mention Evagrius Liv. r. ch. 13. Du temps de théodofe II les Chrétiens^ cnhardis par les moines & par des évêqucs # commettoient des excés affreux au préjudice des Payens , des Hérétiques & des Juifs. Théodofe eut pitié de ces derniers: il déclara, que Ia fecte judaique n'étant profcrite par aucune loi, devoit avoir par tout le monde le libre exevcice de fa réligion, & il po na une loi qui defendoit de leur öter leurs fynagogues ou de les bruler. & ordonnoit de leur rendre ee que les Chrétiens avoient enievé des fynagogues, qu'üs leur avoient öiécs ou brulées. ( L 35. Cod. Théod tit. 8. Liv. 16.) Malgré cette loi les Chrétiens d'Antioche otérent aux JuiL quelques fynagogues. Le préfet en inforrfta 1'empereur, qui lui ordonna d'obferver fa loi. S. Simeon Stylite défapprouva cet ordre , & blama 1'obéiffance du préfet. 11 en écrivit a l'empéreur, & LI 3  tydeVÈfprit-Humain^lhPart. Chap.XVI. 533 „ ne raifon qui eüt du porter aucun législateur ,, a les faire, a moins qu'on n'explique cecipar „ l'hiftoire fecrette de Procope , & qu'on ne, 5, dife que ce prince vendoit également ces ju„ gements & fes loix ". Tout cela fait voir que fous ces empéreurs qui faifoient continuellement des loix, le gouvernement étoit beaucoup plus despotique qu'il ne peut 1'être fous des princes qui ne font jamais de loix; car les loix des premiers ne fervoienC qu'a tromper, & a vexer les fujets, k autorifer toutes les violences des juges, & toutes les fourberies des délateurs. 11 eft important de voir dans Ammien Marcellin comment tous ces faifeurs de loix, qui paroiffent s'intéreffer fi fort au bonheur , k la tranquillité & a la fureté de leurs fujets, fe moquent non feulement de Jeurs propres loix, mais de celles de la nature même, dès qu'elles s'oppofent a leurs caprices & k leurs paflions; & comment les fujets s'attiroient d'autant plus de malheurs, qu'ils mettoient plus de confiance dans la fainteté des loix. Au refte comme il fe pourroit qu'on m'accufat de trop exagérer les horreurs du despotisme, fi je me contentois de donner le précis de ce qu'en rapporte ce véridique hiftorien, j'en transcrirai ici les pafjages les plus intéreffans. Dans le tableau des vertus & des vices de LI 3  & del'Efprit-Humain, II. Part. Chap. XVI. 539 „ vouloirs'avancer comme tant d'autres". Après avoir rapporté plufieurs autres exemples pareils 9 1'hiftorien conclut ce chapitre en difant ,, je fré„ mis de tout raconter; & je crains en même 3, temps qu'on ne s'imagine , que je prête k „ plaifirs des vices a ce prince qui d'ailleurs ne „ manquoit pas de belles qualités. Je ne faurois „ cependant pafler fous filence qu'il avoit deint „ ourfes qui fe nourriffoient de chair humaine, „ 1'une appellée miette d'or, & l'autre innocence. „ II en avoit un fi grand foin, que leurs loges „ étoient prés de fa chambre h coucher, & qu'il „ leur donna des gardes affidées; chargées d'em„ pêcher que leur fureur ne fe perdït. Enfin il renvoya Innocence dans les bois comme ayant 3, mérité cette récompenfe par le nombre des j, cadavres qu'elle avoit déchirés". On fe figure bien qu'un tel prince ne pouvoit manquer d'avoir des miniftres qui 1'égalaffent, le furpaflent même. Parmi un grand nombre de pareils fcélérats fe diftingua principalement 1'exécrable Maximin, dont Ammien Marcellin rapporté en plufieurs endroits les hcrribles cruautés. Cet homme étoit né dans 1'obfcurité a Sopianes ville de la Valérie. Après s'être appiiqué médiocrement aux belles lettres il s'adonna au métier du barreau. Sa bonne fortune le fit parvenir d'abord au gouvernement de la Corfe &  54» Hiftoire des Revolüt. da Gouvtnemenl de Ja Sardaigne, & enfuite a celui de Ia Toscane. L'empéreur le fit depuis préfet des vivres aRome, & lui conferva dans le même temps le gouvernement de fa province. Au commencement il fe conduifit avec prudence, mais dès, verfement cette affaire, quelques perfonnes  & de eEfprit Humain, H. Part, Chap. XVI. 54* t, qu'on mit a la torture, accuférent des nobles „ de s'être fervis de divers moyens de nuire, a 1'aide de leurs chiens & de gens de baffe ex„ traction, connus par leurs crimes & par leurs j, délations. Cet infernal inquifiteur, outre-pas„ fant enfuite de beaucoup le devoir de fa char3i ge, dit dans un rapport plein de malignité qu'il fit au prince, qu'il ne feroit pas poflibla ,, de découvrir & de punir les crimes affreux dont quantité de gens s'étoient rendus coupa?, bles a Rome, fi l'on n'avoit pas recours a des „ fupplices plus efficaces. Valentinien excité „ par ces avis, & plus violent que févere en- nemi des vices, ordonna par un feul arrêt 3, de mettre a la torture, fi le befoin 1'exigeoit 33 dans ces caufes qu'il confondoit contre toute raifon avec 1'idée de la majefté méprifée, les perfonnes que les anciennes loix & les déci- fions des empéreurs en avoient jusques-la ex„ ceptées: réuniflant enfuite deux pouvoirs ca„ pables de faire les plus grands maux, il joig„ nit k Maximin, qui devoit agir k Rome, en „ qualité de vicaire des préfets, le fecrétaire 3, Léon, pour qu'il jugeat de ce qu'on impu„ toit k tant de gens. Ce Léon fut dans la fui„ te maïtre des offices: c'étoit un malheureux j, brigand de Pannonie, cruel comme une bê»  $44 Hiftoire des Revoiut. du Gouvernement „ fenêtre écartée du prétoire une corde, qui 5, en pendoit, & au bout de laquelle il recueil„ loit les fecrets rapports des délateurs, dont les „ fimples dérionciations fuffifoient pour perdre bien des innocens. Quelquefois il faifoit paroïtre 1'un après l'autre les appariteurs Mu3, cianus & Barbarus, gens très-propres a tromsi per. Ceux-ci fe plaignant k grand cris des 3, maux dont ils difoient êtrre accablés, exagé„ rolent la cruauté du juge: ils afluroient & ré3, pétoient fans cefle, qu'il ne reftoit pas d'au33 tres remedes aux coupables pour obtenir gra3, ce, que d'accufer de grands crimes des gens 3, diftingués; & qu'en uniffant fon fort au leur, 3; on étoit fur d'être facilement abfous. Cet „ acharnement pouffé a 1'excès fit qu'on char„ gea de chaines plufieurs perfonnes', & que des „ gens de qualité furent obligés de prendre un 3, air humble & rampant. Et certes on ne pouvoit pas les blamer, puisque touchant pres„ que la terre de leur front, lorsqu'ils faluoient „ 1'affreux Maximin, ils 1'entendoient dire d'un „ ton féroce, que perfonne ne pouvoit être in- „ nocent, s'il ne le vouloit pas Maximin „ ayant recu un fuccefiëur fut mandé a la cour, „ oü il obtint le grade de préfet du prétoire. II 3Ï n'en devint pas plus doux, & n'en continua „ pas moins a blefler comme un bafiüc". Ammien  ffderEfprit-IIumm, II. Part. Chap. XVI. 545 mien Marccllin rapporte encore d'autres cruautds horribles que Maximin commit lui - même, ou fit cornmettre par d'autres avec i'agrément de l'empéreur. Mai3 qui pourroit continuer a transcrire ou a lire ces horreurs? Ce que l'on a lu jusqu'a préfent fait déja trop fentir a quel excés les empéreurs chrétiens & leurs miniftres ont porté le despotisme. Les peuples ne furent jamais fi foulés fous Ia domination des empéreurs payens, qu'ils le furent foüs celle des chrétiens: car les profufions de Caligula, les débauchés dispendieufes de Néron, la crapule de Vitelliüs, avoient été paflageres, &, comme les revenus ordinaires étoient grands & les finances abondantes, ces fous n'avoient pas eu befoin de tant chargef les fujets, comme Tont fait depuis tous les empéreurs chrétiens, qui, malgré le partage de 1'empire fait par Conftantin, & malgré les incurfions défolantes des barbares dans plufieurs de leurs provinces, donnoient plus aux églifes par dévotion, aux barbares par néceffité , aux courtifans par prodigalité, que les plus méchants tyrans n'avoient jamais dépenfé par folie. Cependant cesemporeurs chrétiens, qui ne cefioient de vexer les peuples, ont fait beaucoup de loix pour fou* lager les peuples: car il en étoit de ces loix conrBie de celles qu'ils ofit fai tes fur tant d'autres ob~ Tomé I. Mm  54Ö Hiftóire des Revolut. du Gouvernement jets importans: ils ne les promulguoient que pour être ks premiers a les violer, pour duper les peuples par de bonnes paroles, tandis qu'ils les opprimoient par leurs cruautés. Ainfi nous ne rapporterons ici quelques unes des loix, qu'ils publiérent pour foulager les fujets, que pour connoitre plus en détail les manieres dont ils les fouloient. Ces empéreurs firent beaucoup de loix fur les impóts, qui avoient été peu a peu portés a un excès qu'on auroit peine a croire, fi tous les hiftoriens, tant idolatres que chrétiens, ne s'accordoient dans les peintures qu'ils nous ont tracéesde la mifere affreufe, a laquelle ces terribles contributions ont enfin réduit les habitans même des provinces les plus riches par leur commerce, ou par leur fertilité naturelle. II y avoit certaines especes de tributs qui étoient fi cruels, que quand le temps de leur levée approchoit onentendoitpar-tout les gemiiiements, & les cris de la multitude, qui pleuroit la perte prochaine du peu de biens amafies par un travail affidu & par des fouffrances continuelles. Les uns vendoient leurs meubles pour les foustraire a la rapacité des exaéteurs, qui les apprécioient beaucoup au deffous de ce qu'ils valoient: les autres prenoient h des ufures énormes i'argent qui leur étoit nécefiaire : d'autres  &de fEfprit-Humain,II. Part. Chap, XVI, 547 forgoient leurs femmes & leurs filles a fe proflituer pourdel'argent: d'autres encore vendoient leurs enfans pour esclaves, d'autres enfin fe réfugioient chez les barbares. Zofime (e), Salvien (ƒ), S. Ifidore (g) Prisque (//),, Malela & lts loix mêmes des empéreurs atteftent toutes ces horreurs. II y a une loi de Théodofe le jeune qui defend aux peres & aux maïtres de for-» eer leurs filles & leurs fervantcs de proftituer leur honneur pour gagnerde 1'argent (z). Mais comme le nombre des malheureux qui devoient recourir k cet abominable moyen étoit fi grand, que le fisc, auquel les pröftituées devoient payer une certaine taxe, en auroit reffenti un préjudice corfiJérable, le patrice Florent, pour pouvoir obtenir cette loi, donna a l'empéreur une terre, dont les revenus puffent tenir lieu de 1'argent que rendoit la taxe qu'on alloit perdre (è). Quand, a la fin du cinquieme fiecle, l'empéreur Anaftafe abolit en Oriënt le fameux CO Zoflm. Liv. 2. C/) Salvien. Liv. 5. Cg) S. Ifidor. Pelus. Liv. 1. ep. 36. | (h) Pris. deLégat. Malei. Hift. Chron. (O L. 2. Cod. Theod. Liv. 15. tit. 8. ) Voy. Godefroi fur la nov, 18. Cod. Theod, Liv. 1. tit. 1. Mm 2  54$ Hifloire des Revolut. du Gouvernement tribut, appelé le Chryfargyre, les Hiftoriens, dit Tillemont (/), ont regardé cette abolition comme une aclion grande, vraiement royale & presque divine, digne de fervir de matiere aux plumes les plus éloquëntes, capable d'effacer & de couvrir toutes les fautes de ce prince, s'il n'avoit pas été ennemi de la vérité. Mais les fujets de 1'empire d'Occident n'eurent pas le même bonheur. Leurs princes au lieu de modérer les anciens impöts, en imaginoient continuellement de nouveaux tant pour fatisfaire aleur luxe, que pour fuppléer aux tributs qui leur venoient a manquer par les pertes continuelles des pays que les barbares leur enlevoient. Les Occidentaux ne commencérent a fentir du foulagement a cet égard qu'après qu'ils furent tombés fous la domination des barbares. ) L'énormité de ces impofitions étoit encore peu de cbofe en comparaifon de Ja cruauté des collecteurs. II y avoit une infinité de perfonnes de toutes conditions qui vivoient & s'enrichisfoient de ces levées. Qu'on en juge par les loix que différents empéreurs ont publiées pour réprimer les vexations de ces harpies. C'étoit une anciwnne coütume, que la cour nommat des in- CO Hiftc-ir. des Emper. dans Anaftafe art. 5..  ffdePE/prit.Humain, II. Part. Chap. XVI. 549 fpecfeurs pour régler les taxes que les fujets devoient payer. Or ces officiers abufoient de leur autorité au point, qu'ils rüinoient tous les ans une multitude de citoyens. lis foulageoient ou exemptoient même les riches & les gens aifés qui étoient en état de leur faire des préfens, & ils augmentoient d'autant plus les charges des pauvres: fouvent ils prenoient de 1'argent de ceux qui ne demandoient qu'a n'être pas taxés au de la du jufte, & puis ils leur manquoient de parole pour de plus grandes fommes d'argent qu'ils avoient recues de ceux qui vouloient être déchargés foit d'une partie, foit de tout 1'impot. Par ces raifons les infpefteurs s'étoient rendus fi odieux, que la plupart des peuples, pour s'en dclivrer, ofirirent de grandes fommes aux empéreurs. C'eft ainfi que la Macédoine, 1'Achaïe & les autres provinces de 1'Illyrie obtinrent de Théodofe le jeune le privilége de n'avoir point d'infpefteurs. Et fous ce même empéreur les plaintes contre les infpeéteurs furent fi unlverfellcs, qu'il porta une loi générale qui ordonné de ne donner déformais des infpefteurs, pour régie* les taxes des terres, qu'aux provinces ou aux villes qui les demanderont. Chaque ville avoit une magiflrature, dont les membres devoient exercer les offices munici. paux, lever les impofitions dans le difiriél de Mm 3  550 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement leur cité, & répondre au fifc des impóts mis fur tout ieur territoire. C'étoit ce qu'on appelloit le corps des décurions, qui, a caufe des biens qu'ils poffédoient, portoient eux-mêmes une grande partie des impöts. Ces décurions fe ruinoient eux-mêmes entr'eux par les vexations qu'ils fe faifoient les uns aux autres, & ils ruinoient encore les fujets par la dureté avec laquelle ils en exigeoient les taxes. Pour remédier a ces désordres , Valentinien 111 publia plufieurs loix, par lesquelles il ordonné, entr'autres chofes; qu'un décurion ne fera déformais responfable que de fon bien propre, & ne pourra plus être pourfuivi pour la taille d'un autre, comme on avoit accoutumé de faire jusqu'alors , par oü l'on avoit ruine* beaucoup de monde, de forte qu'en bien des villes il ne' fe trouvok plus perfonne en état de payer: Que quand on aura publié un édit pour quelque levée , ceux qui doivjnt payer , aurönt quatre mois pour apporter eux-mêmes leur argent au Capitole, fans qu'on put, dans cet intervaile, leur faire aucune pourfuite: Que ceux qui auront fait des pourfuites avant le temps marqué par fa loi feront punis par les intendans des fi. nances ou par les préfets du prétoire. Enfin que les gouverneurs des provinces & leurs officiers feront responfables des torts faits aux nar-  ffdeVEfprit-Humain, II. Part. Chap. XVI. S51 ticuliers par les receveurs, en pefant maU'argcnt qu'ils leur apporteront (m). Comme a caufe de 1'obligation de lever les impöts , & de faire les deniers bons, la charge de décurion étoit extrêmement onéreufe, tous les citoyens faifoient ce qu'ils pouvoient foit pour 1'éviter, foit pour s'en déüüre. Les uns cherchoient des emplois a la cour, d'autres fe mettoient dans le clergé. Or plus le nombre des décurions diminuoit, plus s'augmentoit le fardeau de ceux qui reftoient. Ce qui ruinoit les particuliers les moins riches, & quelquefois le corps entier. Ces défordres ont obligé les empéreurs a faire un grand nombre de loix contre ceux qui abandonnoient le corps de ville. Et comme ia plüpart de ces perfonnes fe faifoient clercs, les empéreurs furent plus d'une fois obligés d'imaginer des moyens d'empêcher le clergé de faire de fi grands torts aux féculiers. Conftantin avoit ordonné qu'on ne recevroit dans le clergé que des perfonnes qui auroient peu de bien: d'autres avoient ftatue que ceux qui fe feroient clercs, céderoient tous leurs biens ou au Cm) L. 34- L- 35. Cod. Theod. Liv. U, tit I. L.i85. tit. 1. Liv. 12. L. 185. ibid. L. 32- tit- ö. Liv. 12. Mm 4  55* Hiftoire des Revohtt. du Gouvernement corps de ville (k) ou a des perfonnes capables de s'acquitter des mêmes charges. Enfin Valentinien III défendit de conférer les ordres facrés a aucun citoycn aggrégé a quelque corps de vit le, ni k aucun qui auroit plus de trois cents fous d'or de bien. Pour ceux qui étoient déja dans le clergé, ou.qui y entreroient a 1'avenir malgré fa loi, il ordonné que ceux qui auront des enfants, partageront leurs biens entr'eux & leurs enfants a portions égales: que ceux qui n'auront point d'enfants garderont le tiers de leurs biens, & céderont Je refle foit au corps de ville, oü a quelque parent capable de s'acquitter des fonélions dont Ja cléricature les exemptoit; étant jufte, dic-il, que ceux qui ont 1'honneur de fervir aux facrés myfteres, foient riches en foi & en biens fpirituels plütöc qu'en biens temporels (o). D'un autre cöté, pour augmenter Ie nombre des perfonnes propres a porter les charges municipales, Théodofe le jeune porta une loi, qui OO J'ai déja parlé de ces loix, ainfi que de celle de Conftantin. dans plufieurs endroits de cet ouvrage & lans ce même chapitrc au j. oü je rapporte les loix concernant le clergé. CO Nov. Theod" 58.  &derEfprit-Humain, 11. Part. Chap. XVI. 553 permet auX peres qui n'auront point d'enfants légitimes, dont le nombre étoit alors trés-grand, de laiffer tous leurs biens è un fils naturel, & la charge de 1'engager avec fon patrimoine. au fervice & aux fonélions de la ville (p ). Outre les décurions qui recueilloient les taxes impofées fur les terres, il y avoit encore une foule d'aurres officiers qui levoient les autres impöts, dont il y avoit autant d'efpeces, qus la fantaifie des princes en favoit imaginer. II y avoit entr'autres les Palatini & les Canonicarii, qui n'étant foumis qu'au préfet du prétoire, fe fervoient de leur pouvoir pour faire mille exactions qui défoloient les peuples. Cela obligea l'empéreur Majorien a caffer ces officiers, & h ordonner quedéformais les impöts feroient levés par les,gouverneurs des provinces Mais ces gouverneurs eux-mémes commettoient des injuftices, des violences , des vexations d'autant plus criantes, qu'ils étoient munis d'une autorité, k laquelle on ne pouvoit gueres réfifter. Un philofophe anonyme qui vivoit fous Théodofe & Valentinien III (r) a tra- (O L. 1. c. Th. tit. 11. CO Valcnt. Nov. 4. Cr) Voy. !a Notie, de Temp. p. 164,[172 & fuiv, Mm 5  554 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement cé, dans un discours qu'il adreffe aux empéreurs , une affreufe peinture des maux, que les gouverneurs faifoient effuyer aux provinces (Y). Ils fe regardoient, comme envoyés dans les pays de leur gouvernement, non pour y rendre la juftice, mais pour s'y enrichir aux dépens des peuples: & non contents des excès qu'ils commettoient eux-mêmes, ils depêchoient par tout des fergents & d'autres officiers aufli fripons qu'eux, qui achevoient d'eroporter aux fujets, ce qui avoit échappéala rapacité de leurs chefs, qui pilloient tout Je monde fous prétexte de recueillir Je tribut dü au prince, & qui ne faifoient jamais un contrat, qu'ils ne trouvaffent moyen d'y faire un gain injufte. S'il falloit faire des recrues , s'il falloit acheter du blé ou des chevaux, s'il falloit réparer les murailles d'une ville c'étoit pour eux autant d'occafions d'exercer de nouvelles injuftices. Quelque grands que fufient les maux, qus les fujets fouffroient de Ia part des officiers des empéreurs, certaines coütumes, certains priviléges , & certaines loix, dictées par 1'esprit du despotisme, aggravoient encore davantage la mifere & la fervitude des peuples. A mefure que ' CO Vaient. Nov. 21.  6? de ïEfprit.Humain, 11. Part. Chap. XVI. 555 les incurfions des barbares augmentoient le poids des contributions, & d'une multitude d'autres charges, le clergé redoubloit fes efforts pour obtenir des exemptions foit par la grace des empéreurs, foit par 1'injuftice des gouverneurs, ou des préfets du prétoire, par oü le fardeau des féculiers devenoit d'autant plus pefant, que le corps le plus riche de 1'état n'aidoit pas a le porter. Souvent les empéreurs, forcés par les plaintes des fujets , révoquoient ces priviléges onércux: mais la fuperftition, plus forte que la Juftice, les portoit encore fouvent k caffer ces révocations, & a renouveller au clergé fes premiers priviléges. Les mêmes exemptions étoient ordinairement accordé.s k ceux qui tenoient des terres du domaine du prince k titre de donation, d'ufufruit, ou i quelque autre tïtre que ce fut. Une loi de Valentinien III foumet a tous les impöts ordinaires ceux qui poffedoient de pareilles terres ; elle caffe en outre les diminutïons des eens accordces aux terres des dignités majeures de l'églife de Rome, en les obligeant toutes k la réparations deschemins, des muraiües des villes, aux nouvelles levées, & aux autres dépenfes de ce genre; mais fes fucceffeurs ne laifférent pas long-temps en vicueurcette loi fi fage & fi ncccffaire.  556 Hiftoire des Revolut. da Gouvernement Les gouverneurs des provinces ayant pour coütume de faire chaque année Je tour de la province prétendoient être défrayés, & impofoient encore aux vilJes des contributions pour les autres dépenfes qu'ils faifoient a cette occafion, pour les frais des bains, & a d'autres titres (t). Les magiftrats prétendoient le quart de chaque partie d'une fucceffion: & les corps des villes prétendoient de même le quart des biens de tous ceux de leurs membres qui mouroient fans enfants. Théodofe le jeune, pour modérer la dureté, que l'on joignoit dans 1'exr écution a la cruauté de ces inftitutions, ordonna que les héritiers auroient le choix ou de faire eftimer le quart de leur fucceflion par Ia ville, ou de la partager eux-mêmes en quatre parts, dont la ville auroit celle que le fort lui feroit; échoir («)• II y fit encore diverfes autres mcdifications. Les foldats prétendoient auffi avoir des droits pour vexer Jes fujets: ils portoient leurs prétentions a un tel excès qu'ils s'arrogeoient le droit de faire paitre leurs chevaux dans les prairies des particuliers ( v). L'einpé- (t) Majoran. Nov. i. (a) Nov. ir. Cod. Théod. (v) L. 3. tit. 7. Liv. 7. Cod. Theod.  &deTEfprit-Humain, 11. Part. Chap.XVI. SS7 reur Arcadius le leur avoit défendu, en leur ordonnant de ne rien cxiger des particuliers que ce que les ordonnances leur permettoient: mais cette défenfe fut inutile; car Théodofe le jeune fut obligé de la renouveller (ar), mais la loi du fils eut le même fort que celle du pere. Les charges des fujets étant fi grandes, fi variées, fihorribles, on peut juger du tort que faifoient les fréquentes confiscations des biens & aux fujets, & a 1'état. Car les biens confisqués cefioient de contribuer aux charges, & le fardeau des fujets s'augmentoit a mefure que les revenus des princes fë multiplioient. On a vu dans ce même chapïtre combien 1'avidité des princes a exagéré les fautes des hommes, & multiplié les délits pour fe procurer plus de prétextes d'ufurper les biens de leurs malheureux fujets: mais nous n'avons pas encore fait mention d'un autre piége que la chicane la plus exécrable a tendu aux poffeflcurs de terres fertiles que leur réputation lauvoit de toute imputation arbitraire de crimes. Ce fut de déférer de pareils héritages comme caducs au fifc, foit fous prétexte que le propriétaire étoit mort fans héritiers, quoiqu'il ne fut pas mort, & qu'il eüt (x) L. 4. lbid.  558 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement même des enfants, foit en le faifant paffer pour un étranger, dont les héritiers, fujets d'autres princes, n'euffent pas droit d'hériter des biens fujets a 1'empire romain , foit en fuppofant de faux teftaments pour faire voir que quelqu'un avoit fait des legs ou des inftitutions d'héritiers contre les loix. Alors le fifc s'emparoit auflitót de ces biens , & fi les propriéraires ofoient plaider pour démontrer J'injuftice qu'on leur avoit faite, Jes magiftrats trouvoient toujours que les officiers du fifc n'avoient pas encore pris tout ce qui de raifon étoit dü'au prince. On fit plufieurs loix pour remédier k ces horribles défordres: mais les officiers du fifc & les magiftrats ou favoient, ou fe figuroient, que les empéreurs ne faifoient de pareilles loix que par vanité, & qu'ils n'aimoient pas qu'on Jes mit a exécution. Auffi 1'expérience faifoit toujours voir , que les magiftrats ne fe trompoient pas a cet égard. „ II arrivoit quelquefois, dit Tillemont (y) „ d'après Zofime (z), qu'on demandoit au£ „ empéreurs des biens qu'on prétendoit être „ dévolus au fifc , quoiqu'ils fufient poffédés (y) Tillem. Hiftoir. des Empér. dans Théodofe II arde. 23. (2) Zofim. Liv. j.  ff de? Efprit-Humain, 11. Part. Chap. XVI. 559 5, très-lcgicimement par les particuliers qui fe j, trcuvoient ainfi dépouillés de leurs biens, ou „ obligés de foutenir des procés contre des perj, fonnes puïiTantes. Pour remédier au mal, „ Théodofe ordonné par la Loi du 19. Oótob. 439, qu'on ne pourra demander k l'empéreur j> aucune aubaine qu'un an après que le droit du fifc y aura été ouvert: que celui qui en „ aura obtenu le don après ce temps écoulé, 3, fera obligé de repréfenter au juge des lieux le „ délateur, qui a donné avis de 1'aubaine pour être retenu prifonnier, & puni fans - doute, fi „ fon avis fe trouve faux: que les esclaves qui „ auront donné de ces avis, non feulement ne „ feront point écoutés, mais feront même bru„ lés ou iivrés aux bêtes: & que les juges qui „ admettront les donations contre la dispofition de cette loi, feront même obligés a la refti„ tution envers ceux contre qui ils 1'auront ad,, mife , outre les peines du facrilége & de cri„ me deléfe-majefté". Cod. Théod. nov. tit. 44. Ce qui prouve qu'il n'y a rien d'exagéié dans tout ce que j'ai dit fur les vexations des fujets de 1'empire romain, c'eft 1'inftitution des défenfeurs, inftitution louable, que la méchanceté des princes & des magiftrats ne tarda gueres a abolir. Valentinien I & Valens fon frere, touchés des maux affreux que l'on faifoit fouffrir a  $6 (*) Ceux qui violoient les régiemens desDruidcs, étoient déclarés impies. Ils n'étoient plus admis a Ia participation des chofes facrées: & ils perdoient jusqu'aux droits des citoyens. Ccfar. de bek Gall.  ffdeVEfpriuHumain, II.Part. Chap.XVI. 57* juftice: fes plaintes euffent été traitées de calomnies : & le calomniateur d'un évéque ne pouvoit plus efperer d'être encore recu dans l'églife (*> II avoit auffi été réglé, qu'un pécheur qui avoit mérité d'être excommunié d'une églife, ne pourroit pas être recu dans aucune des autres églifes ( g). Par ces moyens les évéques fe procurérent imperceptiblement, mais pourtant affez tot, & encore avant la converfion de Conftantin , le gouvernement des deux mondes k 1'égard des chrétiens. Ainfi Saint Cyprien n'avoit pas tort de s'écrier: „ Que les princes & les magiftrats" „ vantent leurs droits a un domaine terreftre & „ paffager: 1'autorité epifcopale feule eft déri„ vée de Dieu; elle s'étend fur ce monde-ci& „ fiar l'autre. Les évéques font les vice-regens „ de Jefus-Chrift:, les fucceffeurs des Apötres, „ & les fubftituts myftiques du Grand-Prêtre „ de la loi mofaïque (^). Le Concile d'Elvire en Efpagne , tenu fous Dioclctien, avoit mis ta calomnie envers un evêque , un prêtre, ou un diacre au nombre de ces crimes, qu'aucun repentir, aucune pénitence ne pouvoit expier. (*) Cela a cté établi & répété dans presque tous les conciles oecuméniques du quatriemö fiecle. (h) Cyprien ds Unitate EccUf\ (*) Zofime, en parlant du temps oü Conftantin fe fit proclamer Céfar par les troupes d'Angletcrrc, dit; „ nos affaires étoient dans un état floriffant & le* „ viftoires que nous avions remportées fur les bai„ bares les obligeoient k fe tenir en repos '*. Liv. z. L'empire étant tombé en décadence après la mort da Severe, plufieurs circonftances heureufes, & quatre grands princes, qui fe fuccedérent, f?avoir Claude, Aurelien, Tacite & Probus, le rétabürent,  5ffj Hiftoire des RevoL du Gouvernement au lieu que fous les chrétiens il ne fit que dépérir. 'Si, fous ies payens quelques tyrans abominables, comme Caligula, Néron, Comode, Héliogabale, avoient foulé les fujets & ^avagé les provinces, il reftoit pourtant a ceux de leurs fücceflèurs,qüi étoient fages, de grands moyens de rétablir les forces de 1'empire, de' le bien gouverner, de tenir tout le monde en refpeél:, & de vaincre les ennemis les plus puisfcnts. Mais fous les chrétiens les moyens de conferver 1'empire fe perdoient a mefure que les empéreurs, qu'ils fufient bons ou mauvais, & fuccédoient. II importebeaucoup dé chercher & d'approfonöis les caufes de cette différence: ce qui ne fe peut faire qu'en étudiant les vices de 1'ancien gouvernement & du nouveau, & en les comparant enfemble. On reproche avec raifon a Conftantin d'avoir avili è jamais 1'autorité du fénat de Rome par la création du fénat de Conftantinople. Cependant 1'effet de cette innovation n'a pas été fi, pernicieux que quelqu'un de nos écrivains modernes fe 1'eft imaginé: car cette inftitution de' Conftantin n'empêchoit pas fes fucceffeurs de. donner au fénat 1'autorité qu'ils vouloient, & d'y  é? de F'Efprit-Humain, II. Parti 577 d'y placer des membres capables de les aflifter par leur prudence dans le gouvernement de 1'état. Depuis que le fénat de Rome eft tombé fous la puiffance des empéreurs, il s'eft infiniment plus avili lui-même par fa propre lacheté, & par fon propre esprit de fervitude, qu'il n'a été humilié enfuite par la nouvelle inftitution de Conftantin. Pour ne pas parlër des flatteries qu'il prodigua a Tibere, & des baffeffes qu'il commit fous ce prince fcurbe & cruel, confidérez comment ce miférable fénat rampa fous Caligula. Cet empéreur ayant un jour tenu au fénat un discours plein d'infultes & de menaces il conclut en introduifant Tibere qui lui parloit en ces termes. „ Vous n'avex „ rien dit, mon cher Caius, que de véritable. „ C'eft pourqud vous ne devez aimer, ni „ épargner aucun de ces hommes-:a ". Les fénateurs furent fi épuuvantés de ce discours» qu'ils en perdirent la parole, & fe féparérent fans rien dire. Mais le lendemain ils s'affemblérent de nouveau: & ap^ès avoir eomblé d'eloges l'empéreur & fon discours du jour précédent, ils refolurent de lui rendre graces de ce qu'il leiir avoit bien voulu laiffer encore la vie, &ordonnérent que tous les ans au même jour, oü il leur avoit tenu cette harangUe, ori fera» Tome t O ö  rj? de rEfprit ~Humain, II. Part. " 585- cc fut Ia victoire , que Céfar avoit remportée iur Ie parti de la république. Dès lors les amis & les ennemis qu'il avoit dans le fénat, concoururent égalemcnt a oter toutes les homes que les loix avoient mifes a fa puiffance; les premiers cherchant k lui plaire, les autres a le rendre odieux. Cela rit, dit il, que fous les regnes fuivans il n'y eut point de flatterie qui fut fans exemple, ét qui put révolter les esprits. Les dépenfes exceffives des principaux Romains furent une autre caufe de leur fervitude. Du temps de la république les grands avoient amafié d'immenfes richeffes 5 dont les empéreurs leur ötérent enfuite la plus grande partie, fans leur laiffer les moyens d'en amaffer d'autres. Cependant, quoique la fource des richeffes fut tarie, les dépenfes fubfiftoient toujours, le train de vie étoit pris, & on ne pouvoit plus le foutenir fans la faveur de l'empéreur. Enfin les empéreurs ayant ufurpé la diftribution de tous les empiois, cela acheva, felon Montesquieu, d'avilir 1'ame desgranas: parceque dès-lors on commenca k demander & a obtenir tous les empiois par des voyesindignes: Ia flatterie, 1'infamie, les crimes furent les arts néceffaires pour y parvenir. D'ailleurs comme la plupart des empéreurs fe laiffoient gouverner par leurs favoris, ceux-ci Oo 5  59o lïijïoire des Revolut. du Gouvernement pas été fénateur. On regarda pendant long temps comme ün principe fondamental de la conftitution politique de cet empire la pratique de choifir le prince dans la p us augufte affemblée de 1'état. Mais après la mort de Caracdla, fils de Sétferé, les troupes afierablées en Syrië donnérent 1'empire a Macrin, Numide fans naisfance ( y ), qui n'étoit que 1'un des deux préfets du prétoire, charge ,• qui malgré fon extréme puiffance, ne fe donnoit jamais qu'a un chevalier, & qui excluoit du fénat ceux qui Ja poffédoient. Dès lors 1'autorité de ce corps tomba encore dava; tage. Une loi de Gallien mit le comble a 1'aviliffement & k la corruption du fénat. Jusqu'alors les commandrments des armées avoient toujours été donnés k des fénateu.s : c'étoit une pratique fondée fur un ancien ufage, fur 1'autorité du fénat, & fur 1'éducation excellente que recevoient les enfans des fénateurs. Mais Gallien, quelqu'en fut le véritable motif, ordonna par une loi expreffe , que les fénateurs feroient déformais exclus des armes (z). Dès lors les féna- (y) ld. ibid. (2) Aurel. ViÊt. de Cwjar. in Gallieno. Primus ipfe, metu focordis fuse, ne imperium ad optimos nobilium transferretur, fenatum militia veruit, ctiam adi-» re exercitum.  Éf del* Efprit Humain, II. Part. 591 teurs fe rerirérent a la campagne pour y jouir de leurs immenfes richeffes, les uns dans lefein des plaifirs & de la débauche, les autres dans une oifiveté philofophique & littéraire. Ils s'y accoutumérent fi bien & fi promtement, qu'ils ne fe fouciérent plus, comme le remarque Aurefius Viclor (a), de révendiquer leur dignité, pas même fous le regne des bons princes, qui n'auroient pas manqué d'aller au devant de leurs voeux, s'ils avoient témoigné de préférer 1'activité & le goüt des travaux illutlres a une vie ciolle & voluptueufe. Le fénat que Conftantin forma dans fa nouvelle capitale , étoit un corps de^ nouvelle création, qui n'avoit rien de commun avec le fénat de Rome, hormis le titre. Par 1'efprit de fon inftitution , le nouveau fénat étoit unè affemblée de fujets , qui dépendoient entiére- (a) Idem in Tacito. Amiffo Gallieni ediao reflci militia potuit, concedentibus modefle legionibus, Tacito regnante: neque Florianus temcre invafiflet, autjudicio manipularium cuiquam, bono licet, imperium darctur, amplifïïmo ac tanto ordine in caftris degente. Verum dum obleöantur otio, fimulque divitiis pavent, quarum ufum affluentiamque setcrnitate, majus putant, munivere militaribus ac pene barbaris viam in fe ac pofieros dominandi.  59% Hiftoire des Revolut. du Gouvernement ment de la fantaifie du fouverain. Mais le fénaf de Rome étoit par 1'efprit de fon inftitution une affemblée des peres de 13 nation, qui devoit choifir les princes, & régler leurs volontés. Cependant a cette époque ils ne différoient point eff érivement 1'un de l'autre: feulement celui de Conftantinople étoit mauvais par fa nature, & celui de Rome l'éroit devenu par fa foibkfie. Ce plan n'avoit pas été imnginé par Conftantin Jui-même, trop peu raffi; é p.,ur pouvoir inventer de nouveaux lyftemes. II 1'avoit pris du fyftême politique de Dioc'étien, dont il' adopta presque tous les principes de gouvernement. Sous les regnes deCiaude II, d'Aurelien, de Tocite & de Probus Je fénat avoit recommencé a concevoir des efpérances ambitieufes, & h fe rappeller fa grandeur paffée. Mais Dioclétien, prince rufé, s'êioit formé un nouveau fyftême d'adminiftration , qui donnoit tout au prince, & ötoit tout au fénat, aux troupes & au peupie. IJ commenca donc par rabaijfer Je fénat. A cet effet il chargea Maximien fon cóllégue , qui réfidoit en Italië , d'anéantir dans cette affemblée tout efprit de grandeur & d'indépendance. Laélance dit, (de mortePerfec. ch S._) que ce tyran eut bientöt detruit tous Jes fénateurs les plus refpe&ables foit par leurs vertus, foit par leurs richelfes. Mais  594 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Mais le même inconvénient regna incomparaLlement davantage fous les empéreurs payens. Agrippine regna plufieurs années fous le nom de Claude fon mari. Exils, poifons, meurtres, toutes les reflburces du crime éloignoient de fon imbécille mari les perfonnes qu'elle foupconnoit vouloir partager fon afcendant. Elle fit condamner a mort Domitia, fa coufine & fa belle-foeur, pour le crime chimérique de magie, parcequ'elle craignoit, que cette rivale ne balancat fon pouvoir auprès de Néron, fon fils, auquel elle avoit déja defiiné le tróne (è). Enfin elle fit empoifonner fon propre mari par la fameufe Locufte, qui étoit déja depuis long-temps comptée, felon 1'exprefEon de Tacite, parmi les inftruments du regne (c). (6) Sed in pracipuo pavore Agrippina vocem Claudii, quam temulentus jecerat,'/ata/e Jibi, ut conjugum fiagitia ferret; dein puniret, metuens, agere & celerare ftatuit, perdita prius DomitiaLepida muliebribus caus- iis: quia Lepida parem fibi claritudinem credebat, nee forma, anas, opes multum diftabant: & utraque impudica, infamis , violenta ,haud minus vitiis ajmula,bantur, quam fi qua ex fortuna prospera acceperant. Enimvero certamen acerrimum, amua potius an mater apud Neronem prsevaleret. Tacit. Annal. Liv. 12. (c) Dehgitur artifex talium, vocabulo Locujla nuper veneficii damnata, & diu inter inftrumenta regiii habita.  6f de rEfprit - Humain, 11. Part. s9S Sous Ie glorieux regne de Marc-Auréle, Fauftine fa femme, la plus débauchée des femmes pubiiques de fon temps (d), eut une grande part a i'adminiftration publique par la fupériorité qu'elle feut ufürper fur 1'ame molle & presque lache de fon vertueux & d'ailleurs incornparable mari. Elle faifoit donner les principales dignités aux complices de fes débauchés: & elle alla jusqu'a porter Caffius, gouverneur d'AIïe, a fe révolter contre fon propre mari, parceque , dit Xiphilin, voyant que l'empéreur écoit infirme, & que Comode, fon fils, étoit jeune & ftupide, elle appréhendoit, que la puisfance fouveraine ne tombat entre les mains d'un autre, qui la réduifit a une condition privée^ Enfin 1'afcendant qu'elle eut fur fon mari fut tel, qu'il la décora d'un titre jusqu'alors inconnu , & 1'appella mere des camps ê? des arméés ( e). Les intrigues & le poifon de Marcia, concubine de Comode, firent perdre la vie k ce monftre, & élevérent fur le tróne le fage & fé-. (<0 Jul. Capitolinus in Mar. Ant. Philos. Siquidem Fauftinam fatis cönftat apud Cajetam cönditioncs fibi & nauücas & gladiatorias élegTfléF. (O Le même Dion Caffius & Xiphilin dans Mar*1 Aurélc. Pp %  596 Hiftoire des Reyclut. du Gouvernement vere Pertinax (ƒ). Une autre femme, MoefaT fouleve, par fes libéralités, une légion Romaine , campée prés d'Edeffe en Phénicie, contre I'ufurpateur Macrin, cc fait tomber 1'empire Romain entre les mains d'un prêtre Syrien, d'Héliogabale, fon petit-fils. La même Moefa, indignée contre ce monftre, porte les gardes Prétoriennes a le dépofer, a le tuer même, & a transférer la couronce impériale h Alexandre Sévere, autre petit-fils de cette femme habile & ambiticufe. Après Ia mort de 1'ayeule, Alexandre, quoique rempli de vertus & de talents, fe laifia presqu'entiérement gouverner par fa mere ïVlamée , femme orgueilleufe & avare , mais d'aiJleurs très-habile dans 1'adminiftration des affaires publiques. Alexandre époufa, bientöt après fon avénement au tröne, & du confentement de fa mere, Ia fille d'un patricien refpeftable. La jaloufe Mamée ne tarda pas a foupconner, que le beau-pere & la femme de fon fils ne fufient enfiammés de la même paflion de dominer, dont elle étoit transportée. Auflitót elle fait accufer le patricien de trahifon, & il fut condamné au dernier fupplice par fon propre gendre, qui ne favoit réfifter a aucune des volontés de fa mere. Elle (ƒ) Hérodien Liv. s.  éf de l'Efprit.Humain, II. Part. 597 I'obligea même a chaffer du palais & a reléguer en Afrique fa propre femme (g). On ne voit point, que fous les empéreurs chrétiens des premiers fiecles les femmes ayent gagné un pareil pouvoir fur aucun des princes, k Pexception de Théodora femme de Juftinien, ou que du moins elles ayent abufé de leur afcendant fur les empéreurs jusqu'& les porter k de tels excès. 11 en eft de même des affranchis, & des eunuques. Les intrigues, les vexations, & les violences des eunuques qui dominérent dans les cours des empéreurs chrétiens, n'égalent pas a beaucoup prés finfolence, 1'avarice, 1'orgueil, les cruautés, les perfidies, les tromperies des affranchis qui gouvernérent les cours des empéreurs payens. Pour s'en faire une idéé, on n'a qu'k fe rappeller la puiffance & les richeffes immenfes de Pallas & de Narciffe fous le regne de Claude. Le premier de ces deux affranchis parvint k une fi grande autorité, qu'après avoir amaffé, par les voyes les plus indignes & les (g) Tous ces faits font rapportés par Dion Liv. 68. 69. 70. & parHérodien Liv. 4. 5. £? 6. Sous le regne d'Héliogabale, Soemias, fa mere , avoit accoutumé de prendre féance auprès des confuls, & de figner Jes décrets du fénat. Hiit, Aug. in Heliogab. Pp 3  598 Hiftoire des Revoiut. du Gouvernement plus criminelles, des tréfors prèsquincroyables, il réduific le fénat a tant de baffeife, que cette affemblée, la plus augufte de 1'univers, porta un décret pour honorer Pallas des ornemens de la préture , & pour lui décerner une gratification de quinze millions de fëfterces en récompenfe des fervices qu'il avoit rendus au public, & que perfonne ne connoiftbic. Enfuite le même fénat fit siïïcher un nouveau décret en honneur de cet afftanchi prétorien, oü il étoit peint comme faifknt revivre les anciennes moeurs, lui qui les avoit corrompues principalement par fes manieres d'acquérir tant de richesfes (//). II n'y eut pas jusqu'au lage «Sc vertueux Mare - Auréle • qui n'accortfat des faveurs fir.gulieres è des affranchis, & ne s'en laiffat quelqu- fois furprendre. Jules Capitolin dit, que Geminas & Agaclyte, affranchis tous les deux, jouirent fous cet empéreur conftamment d'un grand pouvoir. Tous les méchants princes, comme Caligula, Néron, Caracalla, Héliogabale, tirérent des conditions les plus abjeaes des monftres de méchanceté, qu'ils élevoient au principaux poftes de confiance, dont ds fe rendoient eux-mêmes les efclaves, Sc (b) XJiipU. dans Claude,  6*00 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Ces préfets du prétoire n'étoient originarrement que des capitaines des gardes inftituées par Augufte pour ia füreté de fa vie. M3is comme après le décés de Tibere les légions, & fur- . tout les gardes prétoriennes, ufurpérent rapidement une autorité despotique dans 1'empire, il étoit naturel, que le chef des gardes acquit une autorité exorbitante. Bicntót il fut placé a la tête non feultmenc de 1'armée, mais encore de la finance & même de la législation. Au commencement toute cette puiffance étoit entre les mains d'une feule perfonne: mais Comode, après Ia conjuration de Perennis, la partagea, pour la diminuer, entre deux perfonnes (l). Cependant ce réglement n'empêcha pas 1'avare Cléandre, qui quoique Phrygien de nation, & de condition ferrile i fut prépufé par le même Comode aux gardes prétoriennes, d'amaffer dans fefpace de trois ans plus de foixante millions de livres, outre les dépenfes qu'il fit dans la conftruétion de bains, de portiques, & d'au- CO Hérod. de latraducllon Latine Liv. r. Poft h;ec Commodus duos conftituit prafeflos, tutius fore ratus tantam illam poteftatem non uni dumtaxat credere, fed diffeaam in partes imbecilllorem eo pafto contra principem reddere,  & de rEfprit-Humain, II. Part. II. Part. 62 i 'aifaflinoient ceux, a qui ils avoient vendu 1'empire, pour le vendre k de nouveaux maïtres. Enfin ils maffacrérent Pertinax, qui ne vouloit point leur faire des libéralités exceflkes au préjudice de 1'état: & après avoir maffacré ce vénérable vieillard, ils mirent 1'empire a 1'encbere, en 1'ofTrant k celui qui leur donneroit le plus CO- Cela fouleva tout le monde' dit Mi de Montesquieu (*)> car, quoique 1'empire eüt été fouvent aeheté , il n'avoit pas encore été marchandé (*)• Septime Sévere les en punit: <•») Dion Liv. 73- Hérodien Liv. 2. (fe) Grand & Décad. des Romains ch. 16. ( * M. Gibbon, dont je n'ai encore vu que la traduftion franvoife du premier volume de fon Hiftoire de ia Décadence & de la Cbüte de TEmp. Rom. décrit fort bien 1'inflitution , les emreprifes & 1'infolence des Prétoriens dans le cinquieme livre. „ Leur inftitu„ tion, dit-il, remontoit a l'empéreur Augufte. Ce tyranhabile, perfuadé que les loix pouvoient co" lorer une autorité ufurpée , mais que les armes feu- les la foutiendroient, avoit formé par degrés un " corps redoutable, de gardes prêtes a défendre.fa perfonne, a en impofer au fénat, & a prévenir ou étouffer les premiers mouvemens d'une rébellion. II leur accorda une doublé paye &des prcrogatives „ fupérieures k celles des autres troupes Comme „ leur afpea formidable pouvoit k la fois alarmcr &  6iz Hiftoire des Revol. du Gouvernement il leur ordonna de s'aflembler dans une plaine prés de Rome, & de s'y rendre fans armes avec ,t irriter Je peupie Romain, ce prince ne laina que „ trois cohortes dans la capitale: les autres étoient „ dispofées en Italië dans les villes voifines Mais après cinquante ans de paix & de fervitude, Tibere „ crut pouvoir tont entrépr, qui rempliffoient les rues de Rome; multitude avi3, lie, & auffi méprifable par fa mifere, que par Ia bas„ feffe de. fes fentiments. Les défenfeurs dc 1'état, „ tous de jeunes guerriers, nés au fein de Wta„ lie, & élevés dans 1'exercice des armes & de Ja „ vertu, étoient les véritables repréfentans du peu-  6"24 Hiftoire des Révol. du Gouvernement toüver par un detachement de fa formidable armée d'Illyrie. Alors l'empéreur monté fur fon tribunal, leur reprocha féverement leur avarice, leur perfidie, leur infolence & leurs excès, les caffa avec infamie, leur fit óter leurs ornemens, & leurs armes, les exila de la capita le & de tous fes environs, en leur défendant, fous peine de mort, de paroitre a la diftance de trente lieues de la ville (O- Mais après cela il commit lui-même une faute plus grande que tous fes prédëcefieurs: car non feulement il rétablit ce corps dangéreux, mais il 1'augmenta encore jusqu'è cinquante mille hommes. Le feul changement qu'il y fit, fut, qu'au lieu qu'auparavant on tiroit cette troupe de 1'Italie, de la Macédoine, du Norique & de 1'Efpagne, H ordorina , que déformais 1'armée des prétoriens feroit formée des foldats les plus diftingués par leur bravoure & par leur fidélité, qui fe trouveroient dans les légions diftribuées fur ies frontieres de 1'empire. Ilchargea 1'état de 1'entretien ruineux d'une fi nombreufe troupe de parade, qui tiroit une dou- ■ ble ple, & les feuls qui euffent le droit d'éüre Je chef „ militaire de Ia république. Ces raifonnemens n'é„ toient que fpécieux. (/) Dion Liv. 74.  6?de r'Efprit-Humain, II. Part. 62f ble paye, & étoit ornée de plus beaux vêtemers & d'armes plus précieufes , dans 1'efpérance que les révoltes feroient moins aifées dans une fi grande multitude de foldats choifis; & qu'un corps fi puiffant & fi attaché par la nature de fon inftitution & l'empéreur feroit d'autant plus propre & plus porté a tenir dans le refpeél & dans la foumiffion les autres armées de 1'empire. Mais le fuccès répondit fi peu a des efpérances fi flatteufes , que Dioclétien & Conftantin furenc obligés d'abolir ces gardes dangéreufes & de leur en fubftituer d'autres (*). Tous ces terribles défordres que nous avons fuccinrement rapportés jusqu'ici, donnérent aux différentes nations barbares, qui environnoient 1'empire Romain, 1'envie & les moyens d'entreprendre de lui öter fes provinces, & de chaficr les empéreurs de 1'ltalie, & même de la ville (*) Sous le regne de Dioclétien les gardes prétoriennes fe mirent k vouloir protéger le fénat, que ca prince faifoit en partie détruire & en partie opprimer par fon collégue Maximien. Mais le rufé Diocléticji éluda leurs mefures: il diminua infenfiblement leur nombre, & abolit leurs priviléges. Enfin il leur fubftitua deux légions d'Illyrie, dont la fidélitc lui étoit connue, & il confia k elles feules la garde de fa perfonne. Aurel. Victor.- Tomt 1. Rr  6jo Hiftoire des Revolut. du Gouvernement fur les états, qu'elle & fon mari Oderat, a qui elle avoit fuccédé dans 1'empire, avoient enlevés k 1'empire Romain. Les guerres & les autres fléaux précédens avoient moilfonné non - feulement Ja fleur des légions, mais aufli de la jeuneffe de tout 1'empire: „les finances^avoientété j, entierement épuifées tant par les débauchés „ &le luxe, que par les malheurs de Gallien:" par les mêmes raifons Ia défolation dans les provinces étoit extréme. Cependant Claude triomphe de tous ces obftacles, & il remporte fur les Goths, au nombre de plus de trois cents mille combattants, plufieurs viétoires complettes (p). II (P) Pollio in Claud. Epift. Claudii Imp. ad Senatum, Patres Confcripti, militantes audite quod verum eft. Trecenta viginti millia barbarorum in Romanum iblumarmativenerunt: hxc fi vicero, vos viceni reddite meritis: fi non vicero, fcitote me poftGallienum veile pugnare. Fatigata eft tota respublica. Pugnabimus poft Valerianum, poft Ingenuum, poft Regillianum, poft Lollianum, poft Pofthumium, poft Celfum, poft mille alios, qui contemtu Gallieni principis a Republica defecerunt. Non fcuta, non Ipathas, non piia jam fuperfunt. Gallias & Hispanias, vires reipublica;, Tetricus tenet, & omnes fagittarios, quod pudet dicere, Zenobja poffidet. Quidquid feccrimus, fatjs, grande eft. Epift. Claudii Imp. Procho. Delevimus trecenta viginti millia Gothorum, duo millia navium merfimus...  6"31 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement refferrer tes frontieres de 1'empire pour pouvoir employer fes troupes a combattre les Allemands, qui, au nombre de plus de cent mille hommes, envahirent k deux différentes reprifes les plus belles provinces de la Lombardie, & poufférent enfin jusqu'a Fano, de forte que tout faifoit craindre que ces épouvantables guerriers ne miffent fin k 1'empire de Rome. Valerien même, quelqu'intrépide qu'il füt d'ailleurs, en fut fi allarmé, qu'il écrivit au fénat pour lui reprocher fa lenteur a confulter les livres de la Sibylle fur la maniere d'implorer le fecours des dieux, & pour lui offrir les animaux & les captifs qu'il faudroit pour faire les facrifices ordinaires de bêtes , & même les extraordinaires d'hommes On croiroit, dit-il dans cette lettre, que vous étes affemblés dans une églife Cj) Vopifc. in Aureliano Epift. Aurel. ad Senatum. Mirorvos, Patres fanóti, tanidiu de aperiendis Sibyllinis dubitafie libris; perinde quafi in Chriftianorum ecclefia, non in templo Deorum omnium tractaretis Agite igitur, & caftimonia Pontificum, cserimoniisque folemnibus juvate Principem necefiitate publica iaborantem. Infpiciantur libri, qu:e facienda fuerint, celebrentur. Quemlibet fumum, cujuslibet gentis captivos, quslibet animalia regia non abnuo, fed Iibens offero; neque enim indecorum eft Diis juvantib.us yincere.  ff de VEfprit -Huniain, II. Part. ©33 des chrétiens, non dans le temple de tous ks dieux: tant 1'indolence des fénateuts lui paroi> foit blamable. Enfin Auréiien battit les Allemands dans la même plaine, baignée par le Metaure, oü cinq cents ans auparavant, les deux confuls M. Livius & Claudius Neron tuérent Asdrubal frere d'Hannibal, & cinquante fix mille tant Carthaginois qu'auxiliaires avec lui. Les reftes de 1'armée vaincue furent encore défaits pres de Pavie; & les Allemands, qui peu auparavant avoient fait trembler Rome, furent réduits a trembler eux-mêmes (r). Auréiien pas- (O Après avoir foumis ies Gaules & 1'Orient, Auréiien célebra a Rome un triomphe magnifique que Vopifcus décrit ainfi: Princeps totius orbis Aurelianus, paeatis Oriente, Gallis, atque undique terris, Romam iter flexit, ut de Zcnobia&Tetrico, hoe eft de Oriente & Occidente triumphum romanis oculis 'exhiberet. Non eft ab re cognofcere, qui fuerit Aureliani triumphus; fuit enim fpeciofiffimus. Currus regii tres flierunt: in his unus Odenati, argento, auro & gemmis operofus atque diftinöus: alter quem rex Perfarum Aureliano dono dedit, ipfe quoqüe pari opere fabricatus: tertius quem fibi Zenobia compofuerat, fpcrans fe urbem Romanam cum eo vifuram . . Fuit alius currus quatuor cervis junftus, qui fuifle dici'tur regis Gothorum. Praecefierunt elephanti viginti, ferse manfueta; Libycae, Paleftins diverfae ducenue: trigides quatuor, Camelopardi, alces, cetera tatia per ordiRr 5  634 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement fa enfuite les Alpes, défit les Vandales, & les forca a demander la paix. Après cela il réfait fon armée, prend la route de Byzance, chaffe les barbares qui ravageoient 1'Illyrie & la Thrace, paffe 1'Hellespont, & va faire la guerre a Zenobie, veuve d'Odenat, femme célebre par fon courage, par fes connoiffances, par fa beauté, & par fa continence. II fe rend maïtre de la Bithynie fans tèfi£he*e: il bat fucceffivement les troupes de /Tenobie a Immes, a Daphné, a Emefe, & parvient enfin a mettre le fiége devant Palmyre, capitale de 1'empire de Zenobie. Les Perfes, les Armeniens, les Sarrafins accourent au fecours de la ville, qui fembloit.imprenable par elle-même, fur-tout k caufe qu'elle étoit fituée au milieu des deferts, oü il étoit dif- nem ducta: gladïatorum paria oótinginta, praeter captivos gentium barbararum, Blemyes, Axomita:, Arabes, Eudoemones, Judi, Boöriani, Hiberi, Saraceni, Perfe, Gothi, Alani , Roxolani, Sarmatae, Franci, Suevi, Alani, Germani religatis manibus, inter hos etiam Palmyreni, qui fuperfuerunt, & Egyptii ob rebellionem. . . . Inter haec fuit Tetricus. . . . Incedebat etiam Zenobia ornata gemmis, catenis aureis, quas alii fuftentabant. Praeferebantur corona; omnium civitatum aureas. Jam populus ipfe Romanus, jam vexilla Gollegiorum atque caftrorum , & catapbraftarii milites, &opcs regise,& omnis exercifus, & fenatus.  de r'Efprit-Humain, II. Part. 63 j ficile qu'une armée fubfiftaC aflèz long-temps, Auréiien lürmonte tous ces obftacles: il fetrouve dans 1'abondance, tandis que lesaffiégésman. quent de vivres. Dans cette extremité Zenobie entreprend d'aller chercher elle même des fecourschez les Perfes: mais elle eft faite prifonniere, & ce nouveau malheur oblige Palmyre k ouvrir fes portes. Quelque temps après une révolte desPalmyriensfoumisobligea l'empéreur irepalTer en Oriënt. Tl s'envengeacmellement: Palmyre fut rafée & presque tous les habitans maffacrés fans diftinétion d'age, de fexe, ni de condition f>). Enfuite il foumit 1'Egypte, oü Firmius avoit ramaffé les reftes du parti de Zenobie , & recouvra les Gaules, 1'Efpagne «Sc la Grande Bretagne. Dès lors 1'empire fut rétabli dans fes limites, k la Dace prés, que ce; prince céda volontairement aux Goths, après en avoir transporté les habitans dans la Moefie. (r) Vopifc. inAureliano. Epift. Aureliani ad Celonium Bafium. Non opoitet ulterius progredi militum gladios: jam fatis Palmyrenorum cïfum atque occifum eft. Mulieribus non pepercimus, infantes occidimus, fenes jugulavimus, rufticos interemimus. Cui terras, cui urbem deinceps reünquemus? Parcendum eft iis qui remanferunt. Credimus enim tam paucos tam multorüm fuppliciis efTe correctos,  636 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement. Dans le même temps qu'Aurélien s'occupoit a recouvrer les provinces perdues, il travailla aufli a rétablir 1'ordre dans toutes les parties du gouvernement, & la discipline dans les troupes. II y réuflït fi bien, qu'après qu'il eut été tué par la perfidie deMnefthée, fon affranchi, 1'armée ne voulut point nommer fon fuccefleur de peur de donner 1'empire a quelqu'un de fes asfaflins, de forte qu'eU» «anvoya au fénat 1'élection d'un empéreur. Le fénat de fon cöté refufa 1'occafion de rentrer dans fes droits, &renvoyale choix a 1'armée. Trois melfages pareils, 1'armée & le fénat continuant hk renvoier cette éleftion a 1'envi 1'un de l'autre,emporté rent en viron fix mois, &, ce qui parut encore bien étonnant, perfonne n'ufurpa dans cet intervalle le pouvoir fuprême, & il n'y eut aucun foulevement ni parmi Je peupie, ni parmi les foldats (*)• (*) Après l'éleftion de Tacite Ie fénat fit le acclamations ordinaires. Acclamationes fenatus hse fnerunt, dit Vopifcus in Tacito: Et Trajanus ad imperium Jenex venit, dixerunt decies. Et Hadrianus ad imperium fenex venit, dixerunt decies. Et Antoninus ad imperium fenex venit, dixerunt decies. Et quis melius quam fenex imperat, dixerunt decies. Imperatorem te, non militemfacirmis, dixerunt vicies. Tujube milites pugnent, dixerunt trieies. Habes prudentiam £ƒ bonum fratrem^  ff de 1'Efprit-Humain, W.Pdrt. 6tf Ainfi 1'empire Romain, qui, quelques années auparavant, fembloit ne pouvoir plus échapper a fa deftruétion, fe trouva rétabli au point qu'il parut ne pouvoir déformais plus retomber dans fon précédent état de langueur. Cependant il ne tarda pas beaucoup a périr entiérement fous les princes chrétiens. II eft de la plus grande importance d'en connoïtre & d'en approfondir les raifons. Une des doctrines principales des chrétiens, & certainement celle que leurs dofteurs leur inculquoient le plus, étoit le mépris des chofes de ce monde, parceque 1'attachement aux chofes temporelies détachoit trop les hommes de 1'appücation aux chofes fpirituelles, & du foin de leur falut éternel. Cette doctrine étoit une conféquerce des confidérations des chrétiens fur les moeurs extrêmement corrompues & licencieufes, qui dégradoient le genre humain a 1'cpoque oü eft né, & s'eft étendu le chriftianisme. Elle découloit auffi des interprétations que fembloient exiger certains confeils de 1'évangile, & fur-tout celui qui exhorte a quitter fon pere & fa mere pour fuivre le fauveur (*); & dixerunt decies. Sevérus dixit; catut imperare non pedest dixerunt tricics. Animum tuum, non corpus eUgmus, dixerunt vicies. Tccite Augufte dii te fervent. (O Matth. ch. 10 & ii.  ff de r Efprit-Humain, II. Part. 6*39 biens temporels, pour qu'ils pulTent fe donner entiérement a, la méditation, k la priere, &a la pratique des faintes oeuvres; & k dépofer ces biens entre les mains de l'évêque pour 1'entretien des pauvres & des miniftres de l'églife. Dans ce deflein il ne ceffoit d'annoncer aux fideles 1'arrivée prochaine de tous les maux qui peuvent affliger & défoler les nations, des tremblemens de terres, des inondations, des guerres civiles, des irruptions des barbares, la peste, la famine, & après tous ces déiaftres une flamme defcendue du ciel devoit embrafer 1'univers entier. Laótance, qui vivoit du temps de Conftantin, avoit 1'imagination fi frappée de la terrible idéc de cet affreus avenir (x), qu'ifr en parle avec un feu & une éloquence capable d'enimpofer a tout leéteur,qui n'auroitpas eule bonhfcur d'être détrompé de ce préjugé par 1'expérience de tant de fiecles. C'eft pourquoi les premiers Chrétiens avoient pour leur exiftence préfente, comme 1'obferve M- Gibbon Cy)> un tel mépris, & ils attendoient 1'immortalité avec une telle confiance, que la foi douteufe & imparfaite des fiecles mo- Cx) Laftanc. Inftit. div. Liv. 7. ch. & fuiv. (5) Hiftoir. de la Décadenc. de 1'Emp. ch, 15.  840 Hiftoire des RevoluL dü Gouvernènieht dernes ne fauroit nous en donner qu'une tresfoible idée. Ce préjugé donnoit aux chrétiens un caraétere trifte & fombre, qui les habituoit a réprirner les mouvemens de la nature, & a méprifer les intéréts de la fociété, & leur interdifoit également & tout plaifir & toute aétivité. Une groffiereté & une infenlibiiité foit naturelle ; foit affeétée s'oppofoit k toute l'a&ivité des fens , & parvenoit enfin a les engourdir, comme 11 ces facufcés que 1'auteur de la nature nous a données pour notre confervation, pour notre fubfiftance & pour notre inftruétion, ne pouvoient fervir qu'a nous égarer, & h. nous faire perdre notre falut éternel: non-feulement ils proscrivoient les délices de ce bas monde, & dédaignoient toutes les belles produftions de 1'art humain, mais ils blamoient, comme des marqués infaillibles d'orgueil & de fenfualité , toutes les efpeces d'élégance , de magnificence, de fomptuofité. Des habits de couleurs brillantes, des maifons fuperbes & ornées des meubles précieux, des vafes d'or & d'argent, des inflrumens de mufique, des oreillers de duvet, une table délicate ou abondantey 1'ufage des bains chauds, celui de fe faire la barbe , enfin tout ce qui ne portoit point 1'empreinte de la fimplicité, de la rudeffe, & de la fobriété la plus rigide, étoit 1'objet de Tindigna- tion  ff de f Efprit-Humdin, II. Paft. 641 tion des vrais chrétiens. Ils méprifoient les arts & les fciences: & 1'orgueil fpirituel, qua produifoit en eux la fatisfaction de pouvoir fe priver de tout ce que les payens chériffoient le plus, leur tenoit lieu de tous les plaifirs & de toutes les connoiffances néceffaires a la confervation & a ia prcspérité de 1'homme (2). Les Payens qui favoient tolérer les Juifs & méprifer leur efprit d'intolérance, diftinguérent, parmi cette nation, les Chrétiens, presque dès leur origine, par cette fainte haine qu'ils portoient h tout ce qui fert d'ailleurs d'amufcment & d'inftruction au genre humain: & comme il eft naturel, dans de pareils cas, d'outrer fes jugemens, les Payens allérent bientöt jusqu'a s'imaginer que les Chrétiens haïlfoient non-feulement les chofes mondaines, mais jusqu'au genre humain même. C'eft ainfi que s'exprime Tacite, cet hiftorien d'ailleurs fi phiiofophe&fijudicieux. En rapportant les recherches qu'on avoit faites k Rome pour dêcouvrir les auteurs du grand incendie de cette capitale, il dit que Néron, qui (2) Voy. le Pédagogue de S. Clément Alexandrin qui contient les élémens de la morale des Chrétiens. Laótance Inlt. Div. Liv. 6. Tertuil. des fpectac, & autres. Tome I. Ss  & de r Efprit-Humain, II. Part. 043. & même a presque toutes leurs afrions particuJieres, & que leur réligion commode & peu fevére fe mêloit k tous leurs plaifirs, k toutes leurs fêtes , a tous leurs jeux , k leurs pasfioos , & même a leurs débauchés , les Chrétiens en déclarant la guerre aux dieux & a la réligion des Payens, cru cnt la devoir déclarer k toutes les choies , oü ils appercevoient les marqués de fidolatrie. Enfin le clergé, les évéques & les docteurs qui dirigeoient la foi des fiieles,aimant k mettre dans 1'interprétation des écritures toute la fimplicU té polfible, & s'étudiant a en écarter toute la fagacité & toute la finefle, fe plaifoient a prendre dans un fens littéral les préceptes les plus rigides de Jéfus - Chrift & des Apötres. Et comme 1'évangile ( b ) dit, que celui qui ne hait point fon pere, fa mere, fa femme, fes enfans, fes freres, fes foeurs, & encore fa propre vie, ne peut devenir difciple du fauveur, ces interprêtes enfeignoient que , s'il falloit laiffer toutes ces chofes pour 1'amour de Dieu , il falloit bien d'autant plus renoncer a tous les plaifirs de cette vie, & k toutes les connoifiances inutiles k 1'oeuvre du falut éternel. C&) Luc. eh. 14. vers.26. Matth. ch. 10. ver». 37. Ss 2  644 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement Les Chrétiens ne fuioient pas moins les affaires que les plaifirs de ce monde. D'abord ils le firent par néceffité, & depuis par une fuite d'un mauvais principe. Auffi long-temps que les empérturs demeurérent attachés a la fuperftition payenne, les Chrétiens ne pouvoient en cocfcience accepter aucun emploi civil ni militaire. Les divinités & les rites du polytbéisme avoient été mêlés a toutes les aftioss de la vie publique comme de la vie privée. On ne pouvoit entreprendre aucune affaire publique fans pratiquer quelque cérémonie réiigieufe. Quand le fénat s'asfembloit, c'étoit toujours dans un temple ou dans un lieu confacré a quelque divinité, oü chaque fénateur , avant de s'occuper d'affaires, étoit obligé de verfer du vin, ou de bruler de 1'encens fur 1'autel (c). Ceux qui vouloient prendre poffeffion d'une magiftrature étoient obiigés de prêter a leur prince un ferment folemnel, oü l'on invoquoit les faux dieux, & d'exercer d'autres cérémonies réligieufts; enfin ceux qui entroient dans la milice, & ceux qui y-étoient avancés a des charges fuperieures, ne pouvoient fe dispenfer de prêter plufieurs fermens devant les enfeignes des légions, confacrées .(O Sueton. in Auguft. ch. 35,  ff de? Efprit-Humain, II. Part. 64S aux divinités payennes. Ainfi, pour le remarqueren paffant,TertuIJienexagére infinimentles chofes, foit qu'il ai: été égaré par fon imagination exaltée & par fon efprit bouillant, foit qu'il ait voulu en impofer aux gentils, lorsqu'il a ofé écrire que le fénat & les armées étoient de fon temps remplis de Chrétiens. Certainemcnt ou Tertullien n'a pas dit la vérité, ou ces Chrétiens n'étoient que des impofteurs & des hypocrites. Aprés que les Chrétiens eurent acquis un affez grand nombre de doeïeurs capables de s'occuper de 1'interprétation des Écritures, iJs trouvérent dans 1'Evangile des paffages affez clairs, a leur avis, qui interdifoient aux Chrétiens toute fonórion de magiftrature civile & d'emploi militaire, lis y trouvoient que la défenfe de nos perfonnes & de nos biens ne pouvoit pas s'accorder avec ces préceptes, qui prescrivoient a celui qui auroit recu d'un autre un foufflet fur fa joue droite, de lui préfenter encore la gauche, & a celui & qui quelqu'un auroit oté fa robe, de lui offrir aufli le manteau (i). La fimplicité des Chrétiens ne pouvoit fe determiner a fe prêter a 1'ufage des fermens, & la pompe & au CO Matth. ch; 5. v. 39. 40. Ss 3  646 Hiftoire des Revoïut. du Gouvernement fafte dc la magiftrature, ni a 1'agitation de la vie pubfique ( e ). Tertullien trouvoit tout emploi civil & militaire fi contraire a 1'efprit de 1'évangile, qu'il n'héfita point a confeiller la défertion a ceux d'entre les foldats, qui avoient embrafté le chriftianisme après s'être enrolés dans la milice (ƒ"). 11 exifte encore la rélation fmcere (afta fincera ) du martyre que fubit un certain Maximilien , jsaffan de la province d'Afrique, parceque préfenté par fon pere pour le fervice des armes, il s'opiniatra a déclarer que fa confcience ne lui permettoit pas d'embraffer la profeflion de foldat. Enfin les chrétiens de ces temps avoient fi fort en averfion la vie laborieufe & aéfive, qu'ils baïffoient jusques a 1'agriculture. Pendant long-temps on ne vit d'autres gens embraffer le chriftianisme que ceux qui habitoient les villes: & même fous les empéreurs chrétiens, les fideles étoient presque par-tout fi peu nombreux & la campagne, qu'on ne commenca que très-tard a y envoyer & entretenir des prêtres. Les Chrétiens de ces temps étoient plus portes aux disputes de théologie, qu'a 1'embarras (e) Tertullien Apolog. ch. 21. de 1'Idolat. ch. 17. iS. Origenes contra Celfuni Liv. 5. Liv. 7. Liv. 8, (ƒ) Tcrtuil. de Co. mil, ch. 11.  64 8 Hiftoire des Revolut. du Gouvernement „ ve. C'eft dans 1'école d'Alexandrie, que la théologie femble avoir pris une forrne regu„ liere & fcientifique: & lorsqu'Adrien vifita „ 1'Egypte, il trouva une églife compofée de „ Juifs & de Grecs, affez importante pour at3, tirer 1'attention de ce prince curicux.... Les 3, naturels du pays, peupie diftingué par une „ farouche inflexibilitédecaraclcre, recurent la 3, nouvelle doctrine avec fi-o/deur & avec réa, pugnance. Du temps même d'Origeneil étoit „ rare de trouver un Egyptien qui eüt furmon3, té les anciens préjugés pour les animaux fa3, crés de fa patrie. Dès que le Chriftianisme „ monta fur Je tröne le zele de ces barbares obéit & 1'impulfion dominante. Les villes de 3, 1'Egypte furent remplies d'évêques, «Sc les 5, déferts de la Thébaide peuplés d'hermites. Or ces Chrétiens d'Egypte étoient, pour Ja plupart, des fanatiques mutins, querelleurs , féditieux ; qui pour la moindre chofe le battoient, fe perfécutoient, s'entretuoient, bouleverfoient tout «Sc mettoient tout en combustion. Nous avons rapporté dans le cours de cet ouvrage quantité d'exempies qui prouvent Je caractere, que nous venons de leur donner (*_). (*) Vopiscus, après avoir peint Iui-mcme d'aflïeufes coulcurs le caraaerq des Egyptiens, rapporte une  & de F Efprit - Humain, II. Part. 649 Les autres Africains participoient beaucoup de ce cara&ere odieux des Egyptiens. Auffi l'éT glife d'Afriqu.-, qui a produic des écrivains cé- lettre dc l'empéreur Adrien qui eft remarquable. Sunt enim Egyptii, dit ■ il in Saturnino, ut fatis nofti, viri ventoli, furibundi, jaetantes, atque adeo vani, liberi, novarum rcrum, usquc ad cantilcnas publicas, cupidi, verfificatores, epigrammatarii, mathematici, arufpices, medici. Nam & Chriftiani, Samarits, & quibus prïfentia femper tempora cum enormi libertate displiceant. Ac ne quis mihi ./Egyptiorum irafcatur, &meum effe credat, quod in litteris retuli, Hadriani cpiftolam, ex libris Phlegontis Iiberti ejus proditam , ex qua penitus iEgyptiorum vita detegitur, indidi. „ Hadrianus Auguftus Serviano Confuli falutem. „ iEgyptum, quam mihi laudabas , Serviane cariffi„ me.totam didici, levcm, pendulam, & ad omnia „ fania; momenu volitaHtem. 111 i qui Scrapin colunt, „ Chriftiani funt: & devoti funtSerapi, qui fe Chrifti „ -Epifcopos dicunt. Nemo iilic archifynagogusjudteo„ rum, nemo Samarites, nemo Chriftianorum pres„ byter non mathematicus, non arufpex, non aliptes. „ Ipfe ille patriarcha cum jEgyptum venerit, ab aliis „ Serapidem adorare, ab aliis cogitur Chriftum. Ge„ nus hominum feditiofiffimum, vaniffimum, injurio„ fiffimum. Civitas dives, opulenta, fecunda, in qua „ nemo vivat otiofus.. . . Unus illis Deus, nullus eft. „ hunc Chriftiani, hunc Judasi, hunc omnes veneran„ tur & gentes: & utinam melius effet morata civi„ tas &c Ss 5  ($o Hiftoire des Revolut. du Gouvernement lebres, & des évéques d'un mérite diftinguc, tels que Tertullien, S. Cyprien, S. Auguftin, a, dans tous les temps, nourri dans fon fein des troupeaux de fideles, qui par des contentions fcandaleufes ont empoifonné 1'efprit & les moeurs des Chrétiens des autres églifes, & répandu une contagion univerfelle. Cet efprit turbulent de difpute gagna rapidement toutes les églifes des Chrétiens. Bientöt uisputa par - tout: & on s'accoutuma fi Dien a la controverfe, qu'a la fin cet efprit bouleverfa presque tous les royaumes des Chrétiens , comme on 1'a déja vu, & comme on le verra encore d'avantage par la fuite. Nous verrons qu'en Oriënt il détruifit 1'empire des Grecs , & les affervit aux Turcs: car la remarque de M. de Montesquieu (z") eft vraie a (») Grandeur des Rom. & leur Décad. ch. 22. En Occident cet esprit de dispute a excité des guerfes civiles, & fait égorger des milliers de citoyens dans presque tous les royaumes: il aarmé les plus grandes puilfances les unes contre'les autres: enfin il efi: parvenu jusqu'a donner une autre forme a tous les gouvernements civils de 1'Europe. D'un autre coté il a enfanté un tribunal infernal, oü aesmonfires eiragés, ennemis dc Ia lumiere, couverts du froc dc S. Dom:nique & de S.Francois, s'occupcnt avec fureur\\ couvrir le monde d'afTreufes lénebres, & a dé,chirer les perfonnes vertueufes & édaiïécs, qui, pour le biea  554 Hiftoire des Revohit. du Gouvernement .,, tant d'a£r.eurs tragiques, élevant la voix avee „ bien plus de force, pour exprimer leurs pro„ pres douf urs &c. Après la converfion de Conftantin, les Chrétiens mirent encore pius d'inhumanité & d'atrocité dans ieurs écrits tant contre les payens que contre les hérétiques: & la férocicé de leurs actions furpafla encore de beaucoup celle de leurs livres, comme Ie pr^uv^t les exemplcs nombreux, que j'ai rap^ortés. Quand on fait fur tout cela des réflexions férieufes, on doit être naturellement tenté da connoitre les raifons, pourquoi une réligion fi pure , fi douce , fi aimable, que le chriftianisme, pourquoi la feule véritable réligion, la feule digne d'être profeffée par des êtres raifonnables, aït pü produire les effets que nous venons dedécnre; au lieu que toutes les autres réligions, même les plus abfurdes,, n'ont jamais occafionné de tels inconvéniens. Il eft un proverbe latin, qui donne en un mot la réfolution de ce probleme : c'eft corruptio optirni pejjï. ma. Mais fi l'on fait plus particuliérement attention aux caufes qui peuvent avoir opéré des effets fi inattentius, il paroit que ce font les fuivantes. Une grande partie de ceux qui, dans les premiers fiecles, embraflbient la réligion chrétien-  £f de PE/prif. Humain, II. Part. 95$ ne, étoient des perfonnes mélancoliques, qui haïiToient tous les plaifirs des fens, & croyoient que 1'honnêteté &la probité exigeoient une trifte féverité, qui ne s'occupat que de 1'efprit, & condamnat tout ce qui eft agréable au corps. Ils regardoient fur-tout avec horreur toutes les voluptés qui ont rapport au commerce des deux fexes, commerce qui, felon eux, dégradoit la nature fpirituelle de 1'homme. On a déja vu, que tous les Saints-Peres étoient trés-peu favorables au mariage, & qu'ils donnoient des louanfes exceflives k ia virginité. Les Ascétiques, qui fe mukipüérent d'abord prodigieufement, préchoient par - tout 1'abftinence de tous les plaifirs , & recommandoient fingulierement la virginité aux célibataires & la chafteté parfaite aux mariés. II y avoit parmi les chrétiens un trèsgrand nombre d'hérétiques, connus fous le nom de Gnoftiques, qui faifoient la guerre au mariage & k toutes les délices terreftres & corporelles. S. Epiphane dit qu'il y avoit jusqu'a cinquante trois fcéles de ces ennemis des plaifirs: & ce qui étoit bien affligeant pour les orthodoxes, c'étoit qu'ils avoient deux grands moyens de faire valoir leurs doctrines , 1'étude de la philofophie & 1'opulence, par oü ils fe diftinguoient des autres chrétiens, qui méprifoient toutes les fciences profanes & étoient pauvres. Or cette  6s6 ) Hiftoire des Revolut. du Gouvernement méJancolie qui détachoit Ia plupart des chrétiens des plaifirs du monde, lts éloignoit auffi, par une fuite naturelle, des affaires de ce monde. Excepté ceux qui dégoutés du monde, ou indignes des folies & des extravagances des payens, ou affligés des cruautés des empéreurs idoJatres, embraflbient le chriftianisme, Je refte n'étoit presque qu'une multitude dep^vrcs gens,d'ouvriers, de journ&ljcrs j qui exercoient Jes métiers les plus vils, & les moins Jucratifs, & qui fubfiftoient en partie des diftributions ordinaires que les empéreurs faifoient aux pauvres citoyens. Ceux-ci, éloignés égalemént des affaires du monde, & des plaifirs du fiec'e, s'endurciffoient, par une vie févére & dure, a la fobriété, a 1'économie, k la chafteté, k la tempérance, k toutes les vertus domefbques; mais Jes vertus publiqucs n'étoient point de leur reflort: elles étoient plütöt 1'objet de leur mépris, fi pourtant ils étoient capables d'élsiver fi haut leurs penfées. Une grande ignorance, une imagination ardente & désordonnée, les climats brülans des pays oü le chriftianisme a jetté fes premiers fondemens , ont du porter une infinité de chrétiens a courir après les vifions, k donner dans le goüt des prodigts & des choles merveiileufes, a aimer  é6o Hiftoire des Reyolut. du Gouvernement des confuls elle a toujours été foumife a l'autorité du fénat & du peupie, comme du temps des empéreurs elle a été affujettie au despotisme du fouverain. Du temps de la république le fénat a aboli infenfiblement la réligion de Numa, & lorsque l'on eut retrouvé fes livres facrés, il les a faits déclarer pernicieux k la réligion recue & a 1'état, comme du temps des empéreurs Héliogabale avoit entrepris d'abolir les divinités & ■les cérémonies réligi entrainent nécefTaircnient la ruine d'un état, lorsqu'ils deviennent affez nombreux, fur-tout fi les princes, au lieu d'abolir ces vias & ces abus, ont la fou bleffede les adopter eux-mêmes. Et comment les premiers empéreurs cht étiens fe feroient-ils défen* dus d'adopter ces préjugés & de donner dans ces inconvéniens, eux qui n'étoient eux mêmes que dc nouveaux chrétiens, eux qui ne connoiffoient ni la nouvelle réligion que par les lecons du clergé, ni 1'ancienne que par 1'extrême corruption des payens d'alors, eux qui n'étoient que des miütairesignorans, ou des bigots imbécilles. Toutes ces chofes que je viens d'expofer, cor* rompirent la raifon, abattirent le coeur & avilirent 1'ame des Chrétiens. Lepetit esprit, la bas* fefle d'ame, & la bigoterie firent dès lors leur cara&ere. Et cqmme ceux qui fe faifoient chrétiens , ne fe convertiffoient pas toujours de  6' de F Efprit- Humain, II. Part. 66? bonne foi, mais pour des vues mn&tm & que ceux mêmes qui étoient chrétiens de bonne foi, & croyoient véritablement tous les articles de leur réligion fc tous les * leur morale, ne favoient pas re gier leusg fions, & avoient toutes fortes de vices, 1 eghfe fut bientöt remplie d'hypocrites, qui en public affeftoient do, apparences de probité, de devo, tion &de toutes k* vertus chrétiennes, permettoient en fecret touuc les chofes les plus abominables. Or ceux-ci joignoienc le petit esprit, la bigoterie & la haffelle d'ame des mau, vais chrétiens a la méchanceté des mauvais pa- . . >*vi r>w .onmiool sctcb E30nfc£.i .> > vens ( )• „ r M. de Montesquieu ( v) obferve avec fon j* 2ement & fa pénetration ordinaireque quelque fut la corruption de Rome (lorsnelle étoit enco, „pavennen tous les malheurs ne s'y étoient pas introduits: car la force de fon inftitution avoit été telle qu'elle avoit confervé une valeur bóa C*) Eufebe Liv. *.& S. Cyprien en plufieurs en, droits que j'ai déja e-ités plus haut, reproehent fut. tout aux eccléfiaftiques & principalement aux evêques ce vice de fhypocrifie , a 1'abri duquel i s contentoientleuravariee, leur orgueil, leur vamte & des paffions cneore plus infames. ' C») Grand, des Rom. ch» io.  m Hijtoiredes Revolut. du Gouvernement roïgue & toute fon application 4 Ja guerre au miheu des richeffes, de la mollefie & de la va ^\fisdès^^onpasIe ch^!^ majs les corrupteurs du chriftianisme vinren Plópart des chrétiens la crurent & la pratiqué. rent ou du moins affeaérent de la pratiquer, la valeur heroïque disparut, & elle f«c rempla«éepar tous les vices qui lui ^jc oppofés. Quand on voit les plus m*«*ais des empéreurs payens soccuper continuellement a des exercices qui exigent du courage, de Ja force, de 1'adreffe, de lagftité, de 1'efprit même, comme de conduire des chariots dans Je cirque, de combattre des gladiateurs, de tuer des bêtes féroces, on peut fuppofer que ces princes feroient prêts, au befoin, daüer commander les armées, & a combattre les ennemis. On peut penfer auffi que leur exemple pourra répandre le goüt d'ex* ercices, qui, fans être convenables aux gens de" guerre, ne leur abattent pas du moins le coeur ni neJeurénerventpaslecorps. Mais quand on voir les meileurs princes chrétiens perdre tout leur temps a écouter les quereJJes du clergé, a déci der des queftions de théologie, h convoquer des conciles, a perfécuter Jes disputeurs, è écri re a des foules d'évêques