318 H61   L A DESTRUCTION DE LA LI GIJ E.   WW 318 M61 L A DESTRUCTION DE- LA LIGUE, OU LA RÉDUCTION DE PARIS, P I E CE NATIONALE EN Qt'AIRE ACTES. A AMSTERDAM. M. DCC. LXXXII.   P R E F A CE, C'est a la Poéfie dramatique qu'il appartient d'animer 1'hiftoire languiffante & froide dans fes narrations; de retracer avec précifion & vérité les événements les plus faits pour inftruire les fieries futurs, en leur expofant les tableaux des calamités paffées; calamités toujours prêtes h renaitre, &que les hommes ne pourront éviter qu'en rejettant les opinions abfurdes de leurs ancêtres, & en gémifiUnt fur leur aveuglement & leur frénéfie. C'eft un miroir immortel, oü 1'homme appertjoit combien il lui importe de diffiper Terreur, toujours fi funefte, & toujours fi prompte k dominer la plus nombreule portion du genre-humain. On a voulu peindre dans ce Drame, 1'époque la plus défaftreufe & la plus extraordinaire de nos annales. Jamais le fanatifme,, dans aucun fiecle, ne leva une tête plus hideufe & plus triomphante. La foule des événements, le caraftere des perfonnages, les combats opiniatres de la politique & de la fuperftition, les talents, les erreurs, le courage & les crimes, tout fait tableau; & ce tableau n'eft pas indifférent a tracer. II expofera , dans un jour évident, par quel fing'ilier hafard eft monté fur le tröne de France, le pere de la dynaftie régnante. On aimera, je crois, a contempler de quel orage fut agité & battu le tronc nud & dé* pouillê, qui, reverdilfant depuis, a étendu & iij  VJ P R Ê F A C E. fes branches & fes fuperbes rameaux fur plufieurs trönes de TEurope : haute fortune qu'elle ne cöntemple aujourd'hui qu'avec des yeux jaloux. Mais a quoi tenoit-il alors que la France ne prït une autre forme & une toute autre combinaifon? Tous les efprits étoient ardents & fiers a 1'excès, avoient une volonté forte & déteiminée. Tous les bras étoient vigoureux & armés ; la force , 1'opiniatreté, l'enthoufiafme, tout annoncoit la vie du corps politique. Pourquoi cette force immenfe ne fut-elle pas dirigêe, dans ce fiecle de barbarie, par des idéés faines & des principes reftaurateurs de la liberté ? Pourquoi un peuple a-t-il épuifé fa conftance pour des chimères, au-lieu de conquérir des avantages ïéels, & qui étoient alors en fa puiffance ? Ainfi, par une oppofition fatale & trop bien marquée dans Thiftoire, le courage & les lumieres ne fe rencontrent jamais enfemble. L'intrépidité foutenue appartient a tel fiecle, & ce n'eft qu'une force aveugle qui fe meut au hafard. Les idéés politiques & juftes nailfent dans un autre fiecle , & les bras font énervés , amollis, les ames foibles, dégradées, fans vigueur & fans caraftere. Les temps de nos guerres civiles font ceux oii, ma!gré le fanatifme, le Philofophe aime a rer onnoitre du moins les ames fortes, hardies , paffionnées; & il regrette alors que ces rares vertus de 1'homme n'ayent pas été appliqtiées avec plus de difcernement a des caufes vraiment grandes, patriotiques, & dignes de fa valeur.  P R Ê F A C E. Vij Ainfi le fanatifme de ce fiecle doit être doublement en horreur aux Philofophes, en ce qu'il a corrompu ce qu'il y a fouvent fur la terre de plus utile a un peuple opprimé & généreux ; la guerre civile. Nos voifins font fortis triomphants avec la liberté, de ces mêmes guerres oü s'agitoient leurs nob.es courages. L'Angleterre, laHollande, la Suiffe, &c. ont racheté de leur fang les droits de l'humanité ; & nous , après tant d'efforts, de combats, lorique ces mêmes conviüfions révéloient la force des individus & le tempérament robufte de 1'Etat, las , affaiffés, retombant fur nous-mêmes, nous avons ployé fous le joug de Richelieu, vingt-deux ans, après tant d'exemples de fermeté & de conftance. On s'étoit égorgé pendant trentecinq ans pour des illufions ; & la nation, ayant Tépée au poing, ne fut ni connoitre ni raifonner fes vrais intéréts politiques. Remontons a 1'origine de cette hgue fameufe qui pouvoit régénérer 1'Etat, & ne fit que le troubler; qui fut d'abord inftituée par les plus fages motifs , & dégénéra par le fanatifme des Prêtres; qui eut de grands hommes & de véritables patriotes pour appui, ,& qui enfuite fe perdit honteufemcnt dans 1'abfurdité des querelles théologiques. Tachons de'découvrir ce que les Hiftoriens timides , prévenus ou adulateurs, ont craint d'expofer. A un certain éloignement, les vraies caufes des événements difparoiffent, & 1'on ne voit plus que les couleurs prédominantes qu'il a plu a certaines plumes trompées ou vénales de donner aux objets. a iv  viij P R i F A C E. Appuyons-nous fur les faits; cherchons furtout quelle etoit alors la difpofilion d'efprit des peuples : elle laiife une empreinte vifible, & la vérité nue a une énergie qui lui eft perfonnelle. L'adminiftration paternelle de Louis XII fut malheureufement de courte durée. Malgré plulieurs fautes politiques, il laiüa le Royaume riche, bien cultivé ; & la culture eft le gage le plus aifuré de Theureufe population. Et jettant les yeux fur fon fucceffeur, ce bon Roi, dont on doit bénir la mémoire , &qui fe connoiffoit en hommes, s'écrioit, en foupirant : Oh! nous travaillons en vain » £6 gros garfon nous gatera tout. II ne prophétifa que trop bien. Francois Ier. n'eut aucune des qualités néceffaires pour gouverner un Etat. II en eut même de funeftes. Une bravoure déplacée, un efprit diffipateur, une préfomption orgueilleufe, du goüt pour une dominaticn arbitraire , un fafte prodigue, une avidité coupable féparerent dès-lors les intéréts du Prince de ceux de fes peuples. Son amour pour les arts naiffants tenoit plutót a la paflion du luxe qu'a celle de 1'humanité. Ce ne font pas, eneffet, lestableaux, les ftatues, les palais, la mufique, les vers & les chanfons, jouiffances particulieres des exafteurs & des déprédateurs publics, qui établifient le bonheur d'une nation. Les Ecrivains eux-mêmes fe font trompés trop fréquemment a ces marqués équivoques. Mais la poftérité de Francois Ier. n'occupa le tróne que pour en être 1'opprobre. Quatre regnes déteftables & fuGceffifs, mar-  P R Ê F A C E. ix gués par tout ce que le crime & le vice ont de honteux & de funefte, écraferent le Royaume; & dans 1'efpace de quarantedeux ans , ce ne fut qu'un enchainement de violences, de cruautés & de perfidies. La moileffe de Henri II & fon abnégation devant la Ducheffe de Valentinois & fes favoris; la puérile foibleiïe de Francois II aux genoux des Princes de Guife & de leurs créatures; la férocité & la démence de Charles IX (i); lesdébauches infames de Henri 111, fes viles fuperftitions , fes profufions immenfes; tous ces Rois pervers dégraderent la majefté royale, la nation Francoife & 1'humanité. Ils offrent k la main équitable de 1'hiftoire une phyfionomie propre è. y graver la honte; car elle doit une flétriffure particuliere a ces grands ennemis de la patrie, qui la déchirerent du haut de leur tröne. Catherine de Médicis avoit, pour étendre fon autorité , d'un cöté le poifon , & de 1'autre une troupe de filles galantes pour corrom- (i) Le maffacre de la St. Barthelemi fut le crime da tróne; & ce crime fut médité pendant fept années, entre les deux Cours de Charles IX & de Philippe II. Charles IX a figné Ie maffacre de la St. Barthelemi, dans lage oü les plus mauvais Rois ont eu des vertus & de la lenfibilité. II a tiré fur fes propres fujets , & de coupables Hiftoriens ont voulu 1'excufer fur fon age, & le plaindre. Ce qui prouve qu'il netoit que barbare , & non fuperllitieux, c'eft qu'il avoit donné des ordres expres pour fauver les jours d'Ambroife Paré , fon premier Chinirgien. Sa raifon étoit, qu'il ne falloit pas êter la vie a un homme qui pouvoii lui ccnferver la üenne.  X P R Ê F A C E. pre, énerver les Princes de la Cour, & attirer a elle tous les iecrets. Elle cherchoit la pierre philofophale avec fes forciers & fes fouffleurs; & non moins avide de fouler le peuple avec fes traitants Italiens, elle envoyoit le Roi faire enregiftrer au Parlement les édits que cette infame troupe avoit fabriquès. Le Roi alloit, avec une forted'intrépidité, affronter la haine & le mépris des peuples. Les hommes font bien patients; mais k la fin , quand ils font trop outragés , ils fe réveillent de leur léthargie , deviennent furieux , & réagifient contre un pouvoir tyrannique. Les défaftres publics prouvent toujours que le Gouvernement eft très-mauvais. Tous les ordres de TEtat, également mécontents, fe fouleverent prefqu'a la fois. Voila ce qui donna de la force & du caractere a la ligue naiffante; &je crois découvrir fa véritable origine dans Textrême malheur des peuples. Différents prétextes échaufferent fans doute les efprits; mais tous parurent fe réunir contre le tröne. Les vrais motifs des guerres civiles ne furent pas la défenfe du Catkótkijme. 11 faut lire, dans les écrits du temps , de quelie haine jufte & violente on étoit animé contre les enfants de Catherine de Médicis , & les plaintes aiguës qu'on jettoitde toutes parts. Le peuple appercut alors le Duc de Guife, brave , généreux , magnanime, populaire, gémiffant fur fon oppreffion , le confolant, le foulageant; on le vit comme le protefteur de la nation & le réclamateur de fes droits oubliés.  P R É F A C E. XJ II y avoit le parti des poütiqms, qui, pour être le moins nombreux , n'en avoit pas moins d'influence fur les efprits. Tous les Proteftants non fanatiques, tous ceux qui penfoient, furentde ce parti,qui tendoit réellement a la réforme des vexations émanées du tröne. Le Duc d'Alencon fe mit k la tête; le Roi de Navarre & le Prince de Condé, réputés Catholiques, fe rangerent fous le même étendard; plufieurs hommes vertueux, diftingués par leurs lumieres ,embrafferent ce parti, & notamment le fage & brave Lanoue , qui, d'après des confeils mürement pefés , fit recommencer la guerre civile. De quelque maniere enfin que Pou envifage la ligue dans fes commencements , on ne peut la confidérer que comme un combat entre la tyrannie & la liberté. La preuve laplus authentique , c'eft qu'en un inftant tout devint foldat en France, d'un bout du Royaume a 1'autre. Payfans, bourgeois, arti fans, tous fe jetterent avec ardeur dans cette guerre civile; ce qui démontre que les hommes étoient parvenus k ce degré d'impatience de leurs maux, oü, las de fouffrir, ilstranchent leurs liens avec le glaive. On les vit échanger leur vie contre le feul efpoir du foulagement (i). Quand vous verrez la tyrannie, 1'anarchie (i) Tandis que le peuple fe foulevoit en France, les Religionnaires desPays-Bas, partifans généreuxdes droits de 1'homme , commencerent les attroupements. On les appella d'abord des gueux; & ces gueux braverent Philippe II, & fonderent la République de Hollande.  3Üj P R 1 F A C E. n'eft pas éloignée. Nous ferons quelques rêflexions fur la guerre civile. C'eft la plus affreufe de toutes, fans doute; mais c'eft la feule, peut-être , qui foit utile, & quelquefois néceffaire.Quand unEtat eft parvenu a un certain degré de dépravation & d'infortune , il eft agitê de mille maux intérieurs. La paix , qui eft le plus grand bien, lui eft éthappée, & cette paix ne peut plus être malheureufement que 1'ouvrage de la guerre civile. II faut alors la conquérir les armes a la main, pour rétablir 1'équilibre. La nation qui fommeilloit dans une inaftion molle, fentiment habituel de Tefclave, ne reprendra fa grandeur qu'en repaffant par ces épreuves tenibles, mais propres a la rêgênérer. Ce n'eft qu'en tirant 1'épée, que le citoyer» pourra jouir encore du privilege des loix; privilege que le defpote voudroit enfévelir dans un éternel filence. Deux nations voifines & égales en force, quife font la guerre, ne gagnent, après de longues fecouffes , qu'un épuifement mutuel. Elles fe choquent d'une maniere toujours funefte; elles font dans 1'impuiffance de fe fondre 1'une dans Tautre, & la guerre conféquemment ne fait qu'accroitre & irriter leurs bleffures. L'Auteur de l'Efpritdes Loix dit que la vie des Etats eft comme celle des hommes. Deux nations armées fe font doncdes maux irréparables , & le fang eft verfè dans d'inutiles batailles. Mais la guerre civile eft une efpece de fievre qui éloigne une dangereufe ftupeur, & raffermit fouvent le principe de vie. Les intéréts de  P k Ê F A C E. , . Xlij cêtte guerre font toujours connos. Chaque efprit les difcute; & après les attentats tyranniques, elle devient même inévitable, Jmrce qu'elle rentre alors évidemment dans e cas de la défenfe naturelle , & que chacun eft appellé a foutenir fes droits. Une criminelle neutralité devient même impoffible aux citoyens. L'ambition, la folie , la vaine gloire des conventions de familie, des traités obfcurs ou bizarres, des intéréts prefque toujours étrangers aux peuples, font lesautres guerres. La guerre civile dérive de la néceffité & du jufte rigide ; le droit inconteftable étant violé , la guerre réparatrice devient légitime, paree qu'il n'y a plus d'autres moyens pour la partie léfée. Cette guerre que j'appellerois (1) facrée, eft vraiment entreprife pour le falut de 1'Etat. Quant aux fuites, rarement font-elles funeftes a ce même Etat. Les nations fortent redoutables de ces débats inteftins. Les lumieres politiques font plus répandues, les bras plusfermes & plus exercés. La fureur & la violence de cette guerre la rendent même de Courte durée; elle ne connolt pas ces temporifations cruelles, dictées par des chefs tranquilles au fond de leurs cabinets ; elle ne connoit pas ces reprifes qui éternifent les combats & font couler goutte a goutte le fang des hommes. Le fang cóule a propos & élancé de veines généreufes; la querelle eft promptement vuidée; 1 Etat tombe, ou eft réparé. (i) Si le Ciel U permet , c'ejl pour la liberti.  xir P R 1 F A C E. Voyez Thiftoire : prefque toutes les guerres civiles, en èlevant les ames, en fortifiant les courages , en répandant la vertu belliqueufe dans tous les efprirs, en les échauffant pour la patrie, ont amené la liberté républicaine ; les loix étouffées renaiffent parmi le bruit des armes. Chaque individu ftipule hautement pour fes piopres intéréts» & la nation armée pour la grande caufe du rétabliffement de fes droits, leve une tête lloriffante, & en impofe a fes voifins lorfqu'on la croit enfevelie fous fes ruines. C eft ce qui eft arrivé dans 1'Empire Romain , en Angleterre, en Hollande, & dans tous les Etats qui jouiffent aujourd'hui de quelque liberté; c'eft ce que nous ne tarderons pas k voir en Amérique, oü fe jettent les fondements d'une république nouvelle & vafte , qui deviendra 1'afyle du genre humain, foulé dans Tanden monde (i). Toutes ces fecouffes politiques ont produit par - tout des changéments heureux. Mais par une exception fatale, la France n'a point recueilli le fruit de fes longues difcordes. C'étoit le moment pour elle, après tant (i) On ne prononce point ici fur la légitimité ou 1'illégitimité de l'infurre&ion des colonies Anglo-Amé-ricaines. C'eft encore un problême politique, & des plus difficiles a réfoudre. La viftoire décidera la queftion beaucoup mieux que tous les raifonnements. C'eft dans cinquanteannées qu'on fera dans le véritable point de vue pour connoitre & apprécier les avantages de cette guerre civile , fi déraifonnable dans fon origine , mais qui doit s'abfoudre elle-même , pour perdre a jamais les couleurs, d'une révolte coupable ou du moins précipitée.  P R k F A C E. XV d'inftabilitè, de prendre une forme permanente : elle étoit dans une crife ou tout annoncoit la vigueur & la forme; mais les perfonnages de la guerre civile , & même les corps affemblés, en s'agitant de tant de manieres, ne furent point faire un feul pas vers la liberté. Indifférents, ou plutöt aveugles fur leurs intéréts, les peuples ne furent ni les connoitre, ni les étudier, ni même les deviner par inftinct; inftinft qui a appartenu aux nations les plus groffieres, capables des plus grandes chofes dans des temps encore plus ténébreux. J'ai cherché vainement, dans les écrits de ce temps-la, fi je ne rencontrerois pas quelque trait qui tendit k indiquer ces circonftances comme favorables pour opérer une révolution falutaire. L'éclipfe de Tefprit humain a eet égard eft totale & profonde; tous ces Ecrivains fe débattent entre des mots vuides de fens , oublient les privileges effentiels de 1'homme ; ne parient que de la mejfe, & ne tremblent que pour elle. Ces fameux états tenus k Blois, ces affemblées nationales, devant lefquelles s'anéantit la majefté royale, & qui, dans leur folemnelle convocation, auroient pu rétablir le Royaume, en réprimant les abus les plus dominants, perdirent le temps en déplorables difputes. Au-lieu de défendre les droits du peuple, ils s'occuperent de la Tranfubflantiation & du Concile de Trente. II s'agiffoit de la caufe la plus noble, la plus importante , fans doute, de réparer les maux antiques faits a la patrie. Ces idéés furent k  XVj P li Ê F J C E. peine appercues ou indiquées; le miférable efprit de controverfe gata töut. Ils agiterent qu'il ne falloit qu'une Religion, puifqu'il n'y avoit au Ciel qu'unDieu. Ils parierent néanmoius, comme par hafard, de pu~ tiirles traitants & les mignons ,defupprimer tous les impóts arhitraires; mais plus coupables que s'ils n'en euflent point parlé, ils abandonnerent ces grands objets fi intéreffauts a examiner & a débattre. En lifant leurs cahiers 3 on croiroit Être affis fur les bancs de la Sorbonne, & y entendre le jargon des ergoteurs, au-lieu du langage des hommes d'Etat. Le fier Duc de Guife, Tidole de Paris, & qui avoit mérité cette idolatrie par fes qualités héroïques &populaires, plein d'audace & de courage, touchant du pied les degrés du tröne, rait a profit cette haine univerfelle contre Henri III, & fondée fur les plus grands motifs qu'une nation puiiTa avoir; mais il mêprifa trop fon Roi. II n'apper9Ut ni fa haute fortune, ni toute la faveur du peuple; il perdit 1'öccafion de régner fur la nation , qui déja 1'adoroit. Guife , content d'avoir avili le tröne par la fupériorité de fon génie , tempoiïfa ou dédaigna de s'y affeoir. II emporta dans le tombeau , aux yeux du peuple , le nom d'un héros magnanime. On crut qu'il n'avoit pas voulu acheter une couronne par un crime qui lui auroit été fi facile, & dont il auroit été abfous par la voix publique, & peutêtre même par la voix de la poftérité (i_). Le On a donné k Cromwel le nom d'ufurpateur; il  P R È F A C F. Xvij Le foible Henri III (i) pendant ce temps , fe montrant en public avec des petits chiens qu'il portoit pen lus a fon cou dans un pani/r, dépenfant des fommes immenfes pour des finges, des perroquets, des moines & des mignons , déja tondu dans 1'opinion publique & enfermé dans un couvent d'après le vceu général, non moins ridicule qu'odieux, ré* pondit a fon adverfaire, en le faifant affaffiner. II n'imagina pas d'autres moyens pour retenir la couronne qui chanceloit fur fa téte : mais ce fut pour lui un crime de plus, qui ne fit qu'augmenter 1'exécration publique. II parut avoir frappé fon Souverain : dès-lors le cri univerfel dirigea contre lui le couteau dont bientöt un Jacobin lui ou- ïl s'élanca d'un gradin bien plus bas que celui oü étoit Guife : mais n'a-t-on pas porté a la Cour de France öc publiquement le deuil de 1'ufurpateur ? (l) On dévoroit d'avance le tröne de Henri III, qui, quoique jeune, n'avoit point d'enfants, & qui n'avoit plus de frere. Catherine de Médicis croyoit facilement en exclure le Roi de Navarre & le Prince de Condé, pour caufe de proteftantifme. Elle vouloit donner la couronne au Duc de Lorraine , fon gendre. Le Duc de Guife, de fon cóté , fongeoit a reléguer le Roi dans un couvent, & a régner a fa place. II auroit mis en~ avant le Cardinal de Bourbon ; il auroit appuyé fur le droit de-proximité ; puis renverfant d'un coup de pied le fantême, il fe feroit montré aux yeux du peuple , difpofé déja, par 1'amour qu'il avoit fu lui infpirer, a Ie recevoir. Henri III, de fon cöté, regardant le Royauirie comme un patrimoine , comme une ferme qu'il pouvoit démembrer a fa volonté , n'étoit pas éloigné de le partager en faveur de fes mignons; & Joyeufe & d'E pernon devoient y avoir la meilleure part. Henri III appelloit Joyeufe & d'Epsrnon, fes enfants.  XVÜj P R Ê F J) C S. vrit le flanc; & la France entiere, dans 1'ivrefie de la joie & de la vengeance , applaudit au régicide (i). Quelle lecon pour les Rois prévaricateurs! Les enfants de Catherine de Médicis, comme frappés de la malédiftion des peuples, defcendirent tous au tombeau avantle temps, & fans lignée. La mort moiffonna dans leur jeune age, & Charles IX, & Henri III, & les Ducs d'Alencon & d'Anjou, & toute cette race de mauvais & d'indignes Princes, qui n'eurent d'aftivitê que pour le mal. La nation fe regarda bientöt comme délivrée d'un fléau qui préparoit fa ruine entiere. Tout retentiiïbit de cris d'allegreffe; c'étoit peut-être le moment, pendant eet interregne, de rétablir les droits de la nation. Elle étoit remife a elle-même; elle ne connoifibit pas alors les vertus héroïques de Henri IV, qui étoit pour elle dans le plus grand éloignement. On avoit détefté la Maifon de Valois; on n'aimoit guere plus la Maifon de Bourbon ; on la regardoit, difent tous les hiftoriens, comme une branche igarée, perdue & (i) La mort des Guifes infpira au peuple une telle douleur, elle fut fi générale, fi profonde, que celui qui lit 1'hiftoire ne peut s'empêcher de dire : Le peuple regardoit ces deux freres comme le foutien de fes droits & de fa liberté, & 1'on crioit tout haut : D'uu éteigne la race des Valois! Jamais peuple ne jetta un cri plus unanime. Ce régicide fut regardé, non - feulement en France , mais encore en Italië , comme une a&ion vertueufe ; & Ton compara le parricide , les uns a Judith & a Eléaiar, les autres aux plus grands hommes de l'agtiquité,  P R Ê F A C E. xiX batarde. Tous les voeux étoient pour les Guifes , qui étoient populaires & montroient du génie. Henri IV n étoit aux yeux du peuple qu'un Proteftant qui renchériroit bientöt fur les attentats d'un Roi Catholique, & qui de plus détruiroit la meffe dans Paris. Le fang des Guifes exiftoit encore ; on le faifoit remonter jufqu'a Charlemagne; & ce fang verfé fous fes yeux& pour fa caufe, fembloit devoir lui devenir encore plus cher. Mayenne avoit a venger fes deux freres tués h Blois. Seul refte de cette Maifon formidable, il ne figura point pour un chef de parti d'une maniere ferme & décidée. En vain fa mere lui redemandoit fes fils maffacrés; en vain la veuve du Duc & fa foeur crioient vengeance; en vain la nation ceifoit d'être royalifte. Calme, irréfolu, modéré, il fembloit redouter d'être élu Roi. N'ayant rien de commun avec le fang bouillant de fes freres, il n'étoit pas né pour fe trouver dans cette grande crife de 1'Etat. Mayenne, avec plus de fermeté & d'audace, auroit pu mettre la couronne fur fa tête. Les Ducst les Comtes , &c. la Nobleffe enfin étoit toute prête a fe vendre. En donuant des Gouvernements , en prodiguant les places les plus éminentes aux plus ambitieux , en pouffant le Roi de Navarre a toute outrance, il eft probable qu'il auroit réuffi. Le jeune Duc de Guife , fon neveu, enfermé pour lors , n'auroit pas nui a fes deffeins; mais Mayenne, d'ailleurs habile Capitaine, n'avoit point d'activité, & il ne connut pas le prix des moments. b ij  XX P R É Jf' A C E. La nation dans cette forte épreuve, pleine du fentitnent de fes maux & douée du plus grand reffort, égara fon courage, & ne fut point établir ni même propofer une forme de gouvernement qui éloignat les défaftres paffes, dont le peuple avoit fait une fi longue & fi cruelle expérience; elle ne fongea point a oppofer une jufte réfiftance a ce pouvoir énorme qui depuis Louis XII avoit foulé & avili 1'Etat. Déplorabie aveugiement du fiecle ! fatale erreur! La France ayant a choifir , a nommer fon Monarque , ne concut aucune idéé politique. Armée, forte, vigoureufe , couverte d'acier, elle fe jetta dans le dédale épineux des difputes théologiques ; & s'enfoncant dans ces routes tortueufes, elle oublia le fer qu'elle tenoit, & 1'époque la plus heureufe & la plus rare pour drefier un contrat focial. Henri IV tira 1'épée pour régner. Mais ce qui le juftifie, c'eft que la force alors répondoit ala force, & qu'il oppofoit le glaive au glaive. Le fuccès du prétendant étoit plus quedouteux. Ses droits, quoique légitimes, pouvoient être annullés par la volonté des peuples , par leur opiniatre réfiftance, ou par le cours des événements. L'aicendant terrible de la Religion, les anathêmes multipliés, & qui invitoient les poignards du fanatifme, pouvoient encore a leur défaut i'éloigner a jamais du tröne. II eüt alors accepté bien volontiers toutes les conditions qu'on lui eüt impofées. II avoit de Théroïfme; il eut commandé avec joie a une nation libre : elle pouvoit, en lui mettant la  P R £ F A C E. xxj couronne fur la tête, lui (lifter un contrat cénêreux , qu'il eüt figné avec noblefle. Mais que lui enjoignit-on ? Ce qui étoit le plus indifférent pour le gouvernement d'un Etat, de fe faire Catholique & d'entendre tous les jours la me/Te. Ce fut 1'unique condition qu on lui impofa; & 1'on crut alors avoir gagne un point de légiflation important, un gage éternel de la félicité publique. Les Grands, plus habiles & plus laches, vendirent a beaux deniers comptants leur fervile obeinance, & ne fongerent qu'a dreffer des traites particuliers. Henri IV promit tout ce qu'on voulut (i), s'engagea a payer les fommes les plus fortes ; «Sc chaque homme en place dans cette anarchie tumultueufe , ne iuivant que des intéréts petits & fordides , parut raeconnoitre ou plutót méprifer 1'intéret ge- lieQu'arriva-t-il ? Le defpotifme de RicheÜeu , contre la nature éternelle des chofes, fortit du fein de ces guerres civiles. II en fortit pour punir ce même peuple qui avoit eu le courage de s'armer, de mounr, & qui en combattant valeureufement pour des opinions ftériles, n'avoit pas fu compoftr un raifonnement utile (2). Vmgt-deux an- (i\ Les négociations entreprifes aRome pour obteni'du Pape Tabfolution de Henri, font vra.mejn mcroyables & 1'on a peine a imaginer 1 .nflex.bihte du Pape & la néceffité oü fe trouvoit un Roi de France de cette abfolution. . (i) Richelieu ne fut que facnfier. Henri IV, ou un autre erand homme , auroit fait fubfxfer enfemble les & b nj  XXÏj P R É F A C E. nérs après , Richelieu devoit régner ; ce Richelieu qui brifa la tête de ces mêmes Grands qui s'étoient vendus, eux & leur poftérité. Ce Cardinal, avec 1'audace d'un Prêtre qui n'a ni patrie ni enfants, ofa détruire tous les poids intermédiaires; & Louis XIV, dont il applanit la trop fuperbe route, entra enfuire en bottes & le fouet h la main au milieu des dépofitaires, des organes & des gardiens de nos loix , ( qui, en 1'abfence des Erats-généraux , les fuppléoient néceffairement). II leur défendit jufqu'a des reniontrances; & depuis, quand ce corps de magiftrature, vains fimulacres de nos antiques libertés, & frappés du mépris royal, vinrent repréfenter humblement aux genoux du Monarque fes vexations, fes injuftices , fes erreurs, fes profufions, &c. le Monarque répondit théologiquement, en les chaffant de fon palais : moi, mon pere; je lui livre ma pare... Hilaire pere. Imprudent! tu ne fais pas tout ce qu'il m'en coüce. Non, tu dois vivre, paree que ta vie eft la notre. Hilaire fils, avec un cri douloureux. Sa vie eft auifi la mienne.... Elle périroit-la, lorfque j'aurois!... Non, non; tous les tourments de la faim ne m'obligeroient point...( On frappe encore, & la même voix fe fait entendre ). Hilaire, Hilaire! monparrain, melaiflèrez-vousdonc raourir fur le feuil de votre porte?... Ouvrez, au nom de Dieu... ouvrez... je vous en fupplie... Hilaire fils', fe débarrafant de fon pere, qui ne le retient que foiblement, court vers la porte qu'il ouvre avec la plus grande aiïien. Vous allez entrer, chere Lancy.... Venez, venez au milieu de nous. SCÈNE IIf HILAIRE pere, H I L A I RE fils, Mlle. LANCY. Hilaire fils, prenant dans fes bras Ml\e. Lancy, & la foutenam dans fa foiblefe. La voici, mon pere, la voici. Rejettez-la, repouflez-la. Ah! fi vous aimez votre fils, regardez!a plutöt comme votre fille. A iij  6 La Destruction (II la fait affeoir; elle veut fe jetter aux gettoux de fon parrain qui Ven empêche, la Jou' tient & la fait affeoir.) Mlle. Lancy voulant fe jetter une feconde fois a fes pieds. Mon cher parrain, ayez picié de moi... Hilaire pere, prévenant fon attitude. Pauvre fille! Non, tu n'espoint coupable comme ton pere... Dans quel état te revois-je !... Comme le malheur nous a tous changés! Mlle. Lancy ,préte a fe trouvermal, & portam la main fur fon cosur. Hélas! hélas! le befoin... C Hilaire fils, a ces mots, leve les bras & les yeux précipitamrnent au ciel, & court par la porte entr'ouyerte.') Hilaire pere. II va t'apporter le feul pain qui nous refte... Dans quel moment viens-tu ! Nous fommes tous réduits, comme toi, a la plus horrible difette. Mlle. Lancy. Que j'expire avant vous... Vous êtes le feul parent qui me refte en cette ville: prés de vous, je me raffiire contre la terreur de mourir... Je n'ai vu autour de moi que des mourants. Tout ce qui m'approchoit n'eft plus.... Faut-il donc que je meure aufli!... Hilaire fils, revenant, la refpiration agitée, & donnant a Lancy un morceau de gros pain «oir. Tenez, prenez... Lancy ! hélas!... Mlle. Lancy. C'eft me rendre a la vie. II y a trois jours que je n'ai mangé... (Elle mange avidement. Hilaire foupire, fe détourne & s'éloigne; fon fils va a luiy ie prefik dans fes bras, comme pour le remercier de ce qtiil a fait pour Lancy. Ils parient bas.)  DELALiGUE. 7 Hilaire pere. O Dieu! quand 1'expiation de nos crimes aurae-elle mis fin & cette punition célefte? Hilaire fils. Prenez foin d'elle, mon pere, & laiflez-moi fortir. J'irai, conduic par mon courage, & je rapporterai quelques aliments. II ne faut plus compter fur notre domeftique; il devroic être de retour... Son zele ne nous aura fervi de rien; 1'infort'uné aura fuccombé fans doute au milieu de la rage d'une multitude affamée... Je fuis plus jeune, plus adroit, plus robufte; je ferai plus heureux dans mes recherches... Ne me retenez plus; demeurez avec ma mere, & regardez Lancy comme de la familie... Hilaire pere. Tu veux t'expofer! Je t'accompagne, mon fils; ie ne t'abandonnerai poinc feul a ta fougue imprudente... Eh bien, nous unirons nos forces; & foutenus 1'un par 1'autre... Hilaire fils. Ah, voici ma mere! (Apart impatiemment.) Elle va retarder ma fortie... SCÈNE III. Les Aéteurs précédents, Mad. HILAIRE. Mad. Hilaire allant a Mlle. Lancy. J'accours : j'ai entendu fa voix. Vous avez bien fait d'ouvrir a cette chere enfant. Je 1'ai toujours aimée; & tant que j'aurai quelque crédit, elle ne fera jamais regardée ici comme étrangere. A iv  & LaDestrüction Mlle. Lancy. Ah ! ma chere marraine... je renais. Mad. Hilaire. Tu as donc fongé a nous au milieu de cette calamité générale?... Quand ceflèra-t-elle? Hélas! nous y fommes piongés comme toi. (Après un filence.) Je vois tes yeux abattus, tes joues iillonnées par les larmes... Tu viens feule, hélas!... ton filence... je 1'entends... il ne faut point te demander ce qu'eft devenue ma pauvre amie. Mlle. Lancy. Ma chere tante n'eft plus, & j'ai été bien prés de la fuivre ; je le defirois... II a plu au Ciel de vous rendre fenfible & mes prieres... Ma tante m'a toujours fervi de mere; votre nom fut toujours dans fa bouche, malgré les débats qui nous féparoient... Elle m'a dit, en mourant, de venirvous trouver; que furement vous auriez pitié de moi... Ses derniers voeux du moins ont été exaucés. Mad. Hilaire. Guerre malheureufe ! tu as brifé les liens les plus chers; le parem repouflè fon parent, 1'ami fon ami... Que de défaftres effroyables, fans ceux, hélas! qui fe préparent! Mlle. Lancy. Vous avez du moins pour confolation un époux, un fils , une mere; & moi, je ne fais quel eft le deftin de mon pere; aucune nouvelle n'a foulagé ma douleur inquiete... II a cru devoir foutenir Ia caufe de Henri... Eft-il mort en combattant pour lui? Crueldevoir! il eftforcéd'obéirh fesferments. Combien fon cceur doit foufFrir far Ie fort de fa fille , de fes concitoyens, de fes amis! Hilaire pere. , De fes amis?... Porteroit-il Paudace jufqu'a" sen croire encore dans cecte ville? Conferve t on  delaLigüe. 9 quelques droits fur le cceur de fes concitoyens, en les aflïégeant pour fervir la caufe d'un Prince hérétique, que PEglife rejette de fon fein, & qui conléquemment n'a plus aucun droit au tröne ? Mlle. Lancy. Ah, mon parrain! qu'il y auroit de chofes a dire la-deflus!... Hilaire pere. Je confens a vous difh'nguer de lui, ma fille, a caufe de votre fexe, & fur-tout de votre age. Je ne vous enveloppe point dans la haine que je lui voue; car il s'eft élevé entre nous deux une barrière éternelle. Eh ! qui 1'eüt dit, que nos ames différeroient un jour a ce point? (Mlle. Lancy fi? Hilaire fe regardent douloureufement. ) Qu'il ferve un ufurpateur; qu'il écrafe les murs qui Pont vu naitre; qu'il aide a faire un monceau de cadavres de tous les malheureux habitants de cette ville : je mourrai du moins fans lui pardonner. Oui, j'aime mieux expirer ici dans les angoifles de la famine, que de vivre comme lui au rang des réprouvés de la feéte de Henri. Mlle. Lancy. Ah! connoifiez-le mieux, mon parrain, & ne 1'outragez pas. Hilaire fils, a voix baffe. O chere Lancy ! pardonne... Mad. Hilaire, a fon époux. Ménagez du moins vos termes en préfence de fa fille infortunée, & ne 1'obligez pas a condamner fon pere.. - Eh ! s'il fauc le dire, nous fommes tous afièz a plaindre, fans aggraver encore nos malheurs par le fentiment pénible de la haine. Cette funefte guerre, qui, depuis fi long-temps, arme les Francois, fait plus que répandre le fang; elle divife ceux qui s'airnoient, ceux qui vivoienc  IO La D ES TRUCTlON {bus Ie même toic dans une tranquille union... Tandis que le carnage enfanglante les remparts de la ville, on fe difpute avec acharnement dans 1'inr.érieur des maifons. Et que produifent ces inimitiés particulieres? De nouvelles atrocités... Si Henri a des droits a la couronne, pourquoi les lui ravir, (bus prétexte de 1'éclairer? Qu'on (bit jufte d'abord a Ion égard; il le fera lans doute envers Rome & 1'Eglife. On tourne le fer contre lui, & 1'on voudroit qu'il fe laifTdc percer le flanc! Au lieu de couvrir la face du Royaume de tant de meurtres,n'eut-il pas mieux valule laiflèrrégner?... Vous frémiflèz, mon cher époux? Hilaire pere. Oui, je frémis de vos paroles inconfidérées... Ce n'eft pas d'aujourd'hui... Mad. Hilaire. Je puïs me tromper; mais quoi, après tout, au milieu de ces difientions éternelles, Dieu eft-il plus adoré, la Religion mieux fervie, lacharité plusobfervée? Allez, il faut que cette guerre foit impie, puifque le Gel nous en punit fi cruellement. Malheur a qui a pu 1'entreprendre ! malheur a qui Ia continue ! malheur a qui... Hilaire fils, arrêtant fa mere. Au nom de la tendreffe que vous avez pour moi, ma mere, laiflèz la ces difputes interminables, & ne les renouvellez pas. Vous le favez, elles irritent mon pere & ne le changent point. On ne les entend jamais fans de nouveaux fujets de douleur & de larmes... N'avons-nc :s pas aflèz de foupirs a donner a notre fatale fituation, fans agiter encore ces triftes querelles? Confervons ramine, la paix, la concorde, puifque tout le refte nous eft ravi... Nous difputons! & la famine nous dévore ; nous difputons ! & nous oublions les  delaLigue. ii moyens de fubfifter. Ici je ne fais que languir; ne me retenez plus... Hilaire pere. Et les périls qui vont t'environner.... Hilaire fils. Attendrons-nous ici une mort affreufe & lente? Voici le moment de tout hafarder. Hilaire pere. Nous ne nous quitterons point. Mlle. Lancy, les arrêtant. Ah! gardez-vous de fortir. Tous ceux qui errent dans les rues, portent la rage dans le regard comme dans le coeur; on prodigue 1'or, fans pouvoir rencontrer le plus groffier aliment. On n'entend que les cris d'une foule féroce qui fe difpute la chair des animaux immondes. On les dévore fans horreur; & je n'ai entendu, en traverfant la ville, que des plaintes lugubres qui penjoient a travers les murailles. Mad. Hilaire, h fon époux & a fon fils. Songez fur-tout qu'il eft défendu, fous peine de la vie, de gémir de la mortalité, ou de parler de paix. Quiconque ne proféreroit que ces mots, il faut fe rendre, feroit faifi fur le champ & précipité a 1'inftant même au fond de la riviere.... (i ) Tremblez de dire un feul mot fur les calamités publiques. Mlle. Lancy. Cela eft bien vrai.... Des foldats de la ligue courent en troupes menacantes, écartent tout ce qui (i) II y avoit des arrêts qui défendoient', fous"peint de U vie, de parler de paix. Onoccupoit le peuple defermons, de proceflïons, de faluts; les Parifiens fouffroient une efpece de mort lente, & les maifons des Jifuiut & des c«f udns regorgeoient de bied.  32 La Destruction s'aflèmble, & le raoufquet repouflè dans 1'enceinte des maifons les malheureux, pales & défigurés, qui implorent quelque fecours. Chacun eft barricadé; il n'y a d'ouverc que les temples, oü les fermons des Miniftres des autels promettent la manne du Ciel a ceux qui foupirent après du pain. Hilaire pere. Les chants confolateurs de 1'Églife, en dérobant aux vrais fideles 1'image des maux préfents qui ne doivent être quepafiagers, affermiflent lafoi, foutiennentlecourage, préfervent nos autels; &Dieu qui voit notre conftance, fera que d'un momenc h 1'autre la ville fera miraculeufement délivrée.... Oui, la manne tombera plutöt que.... Hilaire rils. Cet efpoir trompa long-temps notre profonde mifere; & Ia famine, malgré 1'attente des plus prochains fecours, n'en marche pas moins tête levée dans cette Capitale, & moiffonne fous nos yeux.... Hilaire pere, Vinterrompant. Va, mon cher fils, crois-moi, c'eft en redoublant la ferveur des prieres, c'eft en les uniifant en chceur dansles proceflionspubliques, que les vceux d'un peuple entier monteront jufqu'au Ciel, & lui feront une fainte violence. Hilaire fils. Et moi, oferai-je expofer ma penfée ? Ces proceffions religieufes & militaires, oü le crucifix & les bannieres font mêlés aux arquebufes & aux hallebardes, oü les fabres & les furplis fe touchent, oü les habits pontificaux font furchargés de cuiraffes, oü le fommet des mitres marche de niveau avec la pointe des moufquets, oü enfin le plainchant des pfeaumes eft accompagné par de brufques & fréquentes décharges qui expofent la vie  DE LA L I G O E. 13 des fpeéhteurs; toutes ces pieufes & nouvelles cérémonies font fakes fans doute pour exalter 1'imagination du peuple: mais je crains qu'elles n'yayenc déja produit une impreflion trop profonde, propre a le rendre opiniarre, &, pour tout dire,amoureux de fes malheurs. Hilaire pere. Ils vont finir, mon fils, fi le peuple acheve conftamment ce qu'il a commencé pour 1'intérêc de 1'Eglife & de 1'Etat. Hilaire fils. Ils vont finir, dites-vóus? Et les afliégeants, toujours maitres des environs, ne font pas repouffës, & 1'échelle du vainqueur eft encore aux pieds de nos murailles. On ne peut s'échapper dans la campagne, ni faire entrer des provifions dans la ville. La contagion menace de mêler bientöt fes horreurs a celles de lafamine... Ah! mon pere, votre ceilfe courrouce & s'enflamme.... Je n'en dirai pas davantage.... Hilaire pere. Tu feras bien, mon fils: car tes difcours m'affligent; & la famine qui tue les corps, me paroit cent fois moins hideufe que 1'héréfie qui tue les ames. Ces calamité, te dis-je, feront paflageres; & notre fainte Religion attaquée, mais triomphante, comme 1'onc prédit les Prophetes, fera raffermie fur de nouveaux fondements. Hilaire fils. Adieu, ma mere, c'eft votre fubfiftance que nous allons chercher. Mad. Hilaire. Que la prudence vous guide; ne vous écartez pas trop au loin, & craignez de tomber dans les corps-de-gardes avancés.  14 La Destr'uction Hilaire pere. Nous ne tencerons point d'aller jufques-Ia. Hilaire fils, a Mik. Lancy. Adieu, chere Lancy. Quel temps pour s'aimer \ Que font devenus les jours oü nos peres, alors amis, nous deilinoient l'un a Pautre! La guerre civile a tout détruit... Heureux ceux qui ne font plus!... J'avancois avec tant de joie dans la carrière de la vie; je touchois au terme defiré... Mais Ia guerre, la famine, tous les fléaux réunis, n'ont pu deflecher ni tarir au fond de mon cceur Ie fentiment inaltérable qui y eft caché. (Avec attendriffement.) Adieu, Lancy. ( On entend un certain bruit) Mad. Hilaire. Arrêtez... on vient... ils font plulieurs... prêtons 1'oreille. Hilaire pere, avec exclamation. Ah, bénis foient les Miniftres du Seigneur !.... Quoi! tu ne reconnois pas leurs voix?... Eh! ce font nos défenfeurs, nos amis, nos confolateurs... C'eft le Ciel qui les envoye. Je ne fors qu'après les avoir entendus... Refte, mon fils, refte... lis nous apportent fans doute d'heureufes nouvelles; car ils ne viennent jamais ici fans nous prêter le courage & les lumieres qui les animent & les guident. Mad. Hilaire. Oui, toujours des efpérances, & rien de plus... Que vont-ils aujourd'hui nous annoncer ? {Hilairepere va leur ouvrir la porte, les regoit éi? les falue affeclueufement.)  BE LA LlGU E. 15 SCÈNE IV. Les Aéteurs précédencs, VARA DE, GUINCESTRE, AUBRY. Guincestre, entrant fur la fcene. S a lu t au bon fidele Hilaire, vrai Catholique, zélé pour la Religion, charitable ennemi des huguenots, & que le Ciel, conféquerament, ne laiffera point ici-bas, fans ouvrir fur lui les tréfors infinis de fes miféricordes. V a r a d e. Mais, quoi! vous femblez tous bien émus. Pourquoi vos vifages font-ils alcérés a ce point?... QuV vez-vous donc? A u b r y. Vous étiez tous deux prêcs a fortïr; c'étoit fans doute pour aller dans les temples, invoquer la foudre fur Ia tête du relaps hérétique... Allez, mes amis, le tonnerre ne tardera pas a tomber fur lui. Hilaire pere. Le befoin nous tourmente; notre familie eft nombreufe, notre domeftique nous manque, & j'allois, avec mon fils, chercher les moyens de trouver quelque nourriture, afin de ne pas voir quelqu'un des nötres augmenter demain la foule des moribonds ou celle des morts. A u b r y. Quant a ceux qui meurent, mes bons amis, il ne faut pas les pleurer: félicitez-les plu tót de leur heureufe fin. Leurs ames s'envolent droitau Ciel, puifqu'ils expirent dans les bienheureux fentiments  i6 LaDe.struction delabonne caufe... Vous pouvez fortir; mais.n'affichez point de regrets fur tout ce qui s'eft patTé: tous ces événements étoient arrêcés dans les décrets de la Providence, & doivent tourner au profk de Ia Religion. Guincestre, du ton d'un infpiré. II vaut mieux cent fois mourir en marcyr, que de vivre en hommes tiedes. Ce fiege fera une chofe mémorable dans les falies de TEglife. Louange éternelle a tous les fideles qui ont eu la foi & la conftance! Ils feront tous comptés parmi les Saints du martyrologe,ces héroïques défenfeursde laCatholicité! V a r a d e. O mes enfants! quelle gloire pour 1'Eglife, de triompher d'un hérétique comme Henri! Nousaurons bientöt un Roi Catholique; & favez-vous que notre falut éternel dépendoit de notre réfiftance? Tout le Royaume étoit excommunié, s'il eüt fouffert a. fa téte leNavarrois; mais le faint Pere porte Ia France dans fon fein, & du milieu de Rome il a veillé a la fauver du plus épouvantable, du plusafFreux défaftre, du danger d'être Proteftante... Qu'il fera beau, dans quelques jours, d'avoir réfifté a 1'ennemi de nos autels, & d'avoir fauvé la Foi des vrais croyants! Hilaire pere, a fa familie.. Oh, que j'ai de joie a les entendre! Comme ils rempliflènt mon ame de confolations pures, de force & d'efpérance! Oui, 1'Eglife triomphera, & nous avec elle. Mad. Hilaire. Mais,Meffieurs,arriveront-ils enfin ces fecours défirés, & fi long-temps attendus?... Pendant ce temps, les Royaliftes font toujours les maitres; ils font'dans 1'abondance, & nous gémiöbns dans la  delaLigueI 17 !a familie. Le Légat, le Duc de Mayenne, les Seize, les Prédicaceurs, du hauc de leurs chaires, nous promeccenc conftamment des merveilles; & rien n'avance, que la douleur & la raortalité. II faut que vous foyez les premiers abufés; car chaque fois que vous venez nous vificer, vous nous apportez des nouvelles que vous croyez vraies; & non-feulemenc elles ne fe vérifient point, mais c'eft toujours le contraire qui arrivé, & qui trompe notre mutuelle attente. V a r a d e. L'armée qui vient délivrer la ville, marche a grands pas; on 1'appercoit déja, quoique dans le lointain, du haut des tours. On voit briller des lances.... C'en eft fait, le bied, lafarine, les tonneaux de vin , les vivres de toute efpece vont entrer a grands flots par les portes,avec Iafoulevictorieufe des foldats. Vous feréz bien récompenfés de votre conftance; car le pain & la viande feront pour rien. Aiors on ne verra de tous cótés que fêtes,plaifirs,divertifTements, oü 1'onfe réjouirafen honnêtesChrétiens s'entend). Après demain, toute la ville fera illuminée, & 1'on chantera,en adions de graces, un beau Te Deum dans 1'Eglife Cathédrale... Sur ma parole, je vous y ferai bien placer... Le foir, doublé rang de lampions fur vos fenêtres. Mad. Hilaire. Nousavions déja loué des fenêtres pour voirpafjer le Roi prifonnier, lorfque Mayenne écrivoir Èt Paris qu'il le tenoit (i), & qu'il ne pouvoit lui échapper qu'en fautant dans la mer. (i) C'eft un trait hiftorique. B  18 La Destruc tion A V R r y. Plüt & Dieu qu'il le füc noyé alors! Mais fi la foudre ne 1'écrafe, il fera errant dans le monde, le front marqué du fceau de la réprobation... Encore un peu de courage, & nous touchons a la fin de tout ceci. On a un peu fourfert, d'accord; cinquante ou foixante mille hommes font morts de faim : mais préfentement ils tiennent au Ciel pour récompenfe , la palme glorieufe du martyre, & je regarde comme les plus infortunés ceux qui reftent fur terre; car ils n'ont pas, comme eux, Faffurance de Ia béatitude éternelle. Mad. Hilaire. Ah ! Meffieurs, je ne difpute point contre vous; mais fi 1'on avoit pu concilier avec Pintérêt de la foi Pintérêt d'une ville auffi grande, aufll peuplée, éviter de tels défaftres, fi longs, fi terribles, fi défolants... Femmes, enfants, vieillards, tous innocents, hélas! ont fuccombé dans les fouffrances! Hilaire pere, bas h fa femme. Paix, mon époufe, paix. Vous attirerez fur votre tête Panathême de 1'Eglife & le courroux du Ciel. II ne nousapréfervésjufqu'icique parceque nous nous fommes montrés foumis & réfignés.... Prenez patience. A u b r y. Mais nous fouffrons comme vous, Madame, & plus encore, j'ofe le dire; car, exténués de fatigues & de courfes, nous allons porter en tous lieux des confolations a nos freres. II n'y a que le zele pour la Religion, qui nous prête des forces miraculeufes, & qui nous faflè oublier nos propres befoins. Nous montrons la férénité de Fame dans les moments les plus pénibles : & pourquoi ? Paree que nous regardons toujours Ie ciel, & non la terre.  DE LA LlGVfi 19 GuiNCESTRE. Allez,l'Angeexterminateurdefcendradu ham du ciel avec fon glaive enflammé , plutöt que de laifièc vivre Henri fur le tröne de France... je vous laffure> au nom de Dieu même. Hilaire fils, dun ton ferme. ^ Meflieurs, les plus magnifiques paroles ne nourrilTent point; & fi vous n'avez encore pour fecours que de trompeufes efpérances & diftribuer, je crain» fcien que 1'aveugle défefpoir ne s'empare d'un peuple afFamé, & qu'il ne fe porte au malheur dereconnoure un Rol Proteftant qui lui donnera dt» pain. Varade, d'un ton de voix adouci. Ecoutez, jeune homme : il vous faudroit plus de réfigoarion a la voionté célelte; mais puifque le befoin vous domine, & que Dieu, h ce que je vois, ne vous a pas accordé le courage dont il gratifie fes élus chéris, nous aiderons k vocre foibleflè... Suivez-moi en fecret, a condidon toutefois que vous maudirez de tout vorre cceur le Navarrois, que vous le haïrez, comme vous le de* vez. Je vais vous faire donner d'une certaine nourriture de mon invention, laquelle, une fois prife, fnutient fon homme potlr trois jours au moins.., C'eft de mon invention, vous dis-je... Hilaire fils, avec un cri de joie. Eft-il poflible! Vous nous donneriez de quoi nous nourrir? Guincestre, avec une certaine dignitê. Oui, ayez toujours confiance en nous, & ne murmurez point mal-a-propos. Sans votre grande jeuneflè... Mais nous vous pardonnons... Vous pouvez même aller tous de ce pas avec lui, en prenant la précaution de le fuivre de loin, afin de ne point faire de jaloux. Chacun de vous ob- B ij'  so La D e s t ru c t ion tiendra fa portion ; vous en rapporterez même au logis; & comme la nature humaine eft fragile, vous vous trouverezainfi en état d'attendre legrand jour qui ne tardera pas a luire. Mad. Hilaire, s'inclinant. Mille aftions de graces vous foient rendues, généreux bienfaiteurs! Nous fommes préts a vous fuivre... J'en rapporterai pour fa mere; elle a quatre-vingts ans paffes, Meffieurs... Elle vient de s'afföupir un peu... Je ne craindrai plus fon réveil!... J'aurai quelque chofe a lui offrir. C'eft un grand miracle que le Ciel a accompli fur elle, en nous la confervant jufqu'a ce jour. Hilaire pere, a fa familie. Vous le voyez, mes enfants, vous le voyez,le Ciel n'abandonne jamais ceux qui efperenten lui.™ Vousavez blafphémé bien a tort; je vous reprenois a jufte titre. Ah! croyez-en toujours les Miniftres infaillibles de 1'Eglife. Hilaire fils, aux trois Prétres. Pardonneza nos plaintes indifcretes, a nos murmures... La douleur m'égaroit. Mlle. Lancy. Ah! fi ce fecours étoit arrivé hier feulement, ma pauvre tante... Ah , Dieu! j'aurois pu la retirerdes bras de la mort... Elle eft morte, Meffieurs, en louant votre zele, en vous béniffant, en priant Dieu pour le falue de cette ville qu'elle attendoit de vos prieres efficaces. A u b r y , du ton d'un infpiré. Vous voyez que les paroles des mourants font éclairées du jour nouveau dans lequel ils vont entrer. La Religion a foulevé a fes yeux le voile de 1'avenir; elle a vu le triomphe prochain de 1'Eglife ; les frémiffèments de 1'enfer ne prévaudront point contre fa balè inébranlable. Allez... con-  LE LA LlGUE. 21 duifez-les, difcret Varade; nous vous attendrons oü vous favez. Le fcientifique Guinceftre va refter avec moi. Nous avons quelques difpofitions a prendre pour la fête folemnelle qui fe célébrera. Je veux qu'on s'en fouvienne long-temps, & que les yeux de tous les fideles foient éblouis de fa pompe & de fa magnificence. (Mlle. Lancy fe joint a Madame Hilaire qui marche en lui donnant le bras. Hilaire fils prend la main de fon pere, & ils fuivent, avec une efpece ds tranfport de joie, Varade qui fort le premier.) SCÈNE V. GUINCESTRE, AUBRY. (Vers le commencement de cette Scène, on voit Madame Hilaire, la gr and? mere, qui, du fond de la chambre, s''avance a pas lents a la porte entrouverte, le dos courbé & appuyée fur une canne. Elle s'arrête, en prêtant l'oreille aux difcours des deux Curés Ligueurs, qui ne Vappergoivent point. Cette femme, qui efi dgée, doit avoir fair refpe&able.) A u b r y , après un filence. Savez-vous qu'on a afiez de peine a leur perfuader de fe laifler mourir de faim? Guincestre. Le zele s'eït étrangement refroidi depuis le jour de la Saint - Barthelemi. C'étoit la le bon temps. B iij  zz La Destruction A v b r y. Oui; Ton faifoit alors do peuple tout ce qu'on vouloit. GuiNCESTRE. Aujourd'hui 1'on rencontre des raifonneurs; innis en allant ainfi de maifonsen mailbus ranimer le courage des patients, nous renverferons infailliblemeot les projets de Henri. La ville, vous le voyez, fe foutient, & bien contre fon attente. II fe verra forcé de lever le fiege, & nous ferons délivrés a jamais de lui & de fa race. „ A u b R y. Ce diable d'homme-la a de la vigueurau moins. Sa tête reflemble a fon bras. Comme il a ripoflé a Sixte-Quint! Comme il s'eft battu a Arques! Comme il a négocié a Rome! Habile dans fes marches, après avoir commandé en Capitaine, il fe bat en foldat. Nous pouvons bien le rendre odieux,mais non méprifable. Ce n'eft point la un Henri III. Eutre nous, nous ferions-nous jamais imaginé, au commencement de cette guerre , qu'il en feroit venu tout feul au point oü il en eft? GüINCESTRE. Non, par ma foi. De fon cöté, il fait faire aufli des miracles; mais c'eft avec 1'épée... II eft vrai que, pour être aux portes de la Capitale, il n'eft pas encore dedans. Notre parti eft bien plus fort qu'il ne penfe. Nous lui avons aftbcié toute la populace. Fiere de cethonneur, elle y répond en mourant de bonne grace. Le feu du fanatifme , échappé de 1'encenfoir, brüle mieux que jamais. C'eft un vrai plaifir que d'attifer fes flammes, que d'être témoin de leurs rapides progrès: tant que les efprits feront ernflammés ace point,nousn'aurons rien a craindre. Que reyieuNl a Henri d etre  de la Lig ut. 23 viftorieux, lorfque 1'opinion publique eftfoulevée conrre lui? C'eft un homrae qui s'épuife par fes efforts même, & qui finira par tomber fur fes trophées. A u r. r y. Mais il vife a fe faire aimer, paree qu'il fent bien que la force d'un Monarque eft nulle tant qu'elle n'eft pas dans le coeur de fon peuple. Comment lui enlever ce pouvoir qu'il fe ménage ? car enfin de jour en jour (ne nous le dilfimulons pas,) il devient cher a plufieurs. Guincestre. II faut renouveller 1'accufation qui nous a fervi \ anéantir fes qualités héroïques. A u b r y. Nous avons les infinuations des confefllon- naux ... (O- Guincestre. C'eft lil qu'il faut le peindre comme un homme qui détruiroit la derniere mefie dans Paris, s'il mon- toit une fois fur le tröne. A u b r y. Bien dit... Mais avouez que c'eft un bon peuple , un peuple bénin, que celui qui ne craint rien tant au monde que de n'avoir plus de meffès. Préférer la famine a cecte privation, & repouffer des viótoires avec un tel prétexte, eft un prodige non moins étonnant.... Ce qui doit nous inquiéter le plus , c'eft cette prétendue abjuration de SaintDenis. (O Les Confeffeurs exigeoient des pénitents, qu ils recardaffent le décret de Ia Sorbonne, qui excluoit H^nn du tröne . comme un omcle du Saint-E/prit, & quils euffent a s'y conformer aux dêpens it Uur vic. B iv  24 La Destruction Guincestre. Voilh le coup que nous redoutions. II a été fort habile; mais nous avons de quoi parer a ce tour d'adrefle. En préfentant cette converfion comme faufie & diffimulée, en la dénoncant comme une nouvelle hypocrifie, un menfonge public fait au Ciel & a la terre, un piege politique pour établir plus furement le Proteftantifme en France, nous 1'arrêterons fur les degrés du tröne... A u b r y. . Mais il faut perfuader cela, & tout Ie monde n a pas la même chaleur pour nous croire. Guincestre. Tu fais que 1'on eft toujours éloquent pour Ia multitude, lorfque 1'on crie hautement au nom de Dieu & de la Religion; Ie peuple s'éroeut alors comme par enchantement; il ne faut pas d'autre argument que celui-ci : Le Pape ne regoit point cette abjuration. Alors le glaive que Henri tient dans les combats, fe brifera contre Ie glaive de la parole que nous armons du baut des chairee. Les efprits feront terrafles. Dociles a nos impreflions, ils n'agiront plus que conformément a nos volontés. Après tout ce qui s'eft fait, on peut tout fe promettre. Nous diéterons h 1'impétueux Boucher le texte de quelques fermons. Avec une oclave, il fera perdre a Henri le fruit de deux batailles. II a embrafé les cerveaux a St. Méry; & en fortant de-la, le peuple va quelquefois plus loin qu'on n auroit fu le prévoir... Tout autres que nous feroient épouvantés de tels fuccès. A u b r y. Comme nous nous réjouirons, quand une fois la famte Ligue aura chafle les Bourbons! Rome nous devra beaucoup, & s'acquittera magnifiquement felon le pront que nous lui aurons fait fai-  de la Ligue. 25 re... fj) Aldobrandin n'eft pas fi rufé que SixteQuinc, & confentira de bonne grace a partager. Landriano m'a promis pour ma part une place éminente... Guincestre. Mon cher Aubry, fansl'efpoir d'une fortune élevée & qui nous faflê dominer le vulgaire, qu'aurions-nous befoin de nous intéreiïèr a ce grand chan-f gement? & que nous importeroit au fond, que tel ou tel homme vint a remplir le tröne? Tous les chefs de Ia Ligue marchent a des intéréts particuliers, & les noms de patrie & de Religion ne font plus que pour les efprits crédules du peuple. C'eft un beau morceau a vendre ou a démembrer, que la Couronne de France. Qu'en penfez-vous? Aubry. Une aufll belle opération ne s'offre pas toujours. Guincestre. Mettre le tröne en quatre , fruftrer Henri de fon Royaume, fe partager fes belles Provinces, s'enrichir de fes dépouilles, & les diftribuer en différents lots; les circonftances ne font-elles pas favorables? Ceux qui veulent en profiter, le fentent bien ; & fans 1'imprudente divifion furvenue entr'eux, le partage feroit confommé il y a longte mps. Aubry. C'étoit Ia feule chofe qui put leur nuire. Ils auroient dü fe hater. (1) C'eft ce même Aubry qui, après Ia mort de SixteQuint , dit publiquement en chaire : Dieu nous a délhrés d'un méchant Pape ; sil eüt re'cu plus long - temps , il eüt fa!'* précher dans Paris contre le Souverain Pontife. C'eft que le Pontife , fur la fin de fes jours, avoit refufé de feconrir la Ligue.  a6 La D estrtction Guincestre. Ils n'ont été politiques qu'a demi... Mais tous n'eft pas défefpéré, s'ils perfiftent. Aubry. Pour moi, je ne reviens point de ce peuple, qui, dans la difette, chante des pfeaumes de toutes fes forces; qui, pénfiant d'inanition, vole entendre des fermons, ranime une voix éteinte pour crier d ïhérétique; qui, dans 1'intérieur de fes maifons, fe difpute avec emportement, 1'un pour le Légat, 1'autre pour Guife; celui-ci pour Mayenne. .. 11 y va de bien bonne foi: & comment eftil dupe a ce point?... Guincestre. Quand on a bien préparé la machine qui doit monter les cerveaux, ils font difpofés a 1'enthoufiafme, & 1'on doit calculer alors 1'extraordinaire & le merveilleux, comme les chofes naturelles & peffibles. D'ailleurs, ce peuple éternellement étranger a fes vrais intéréts, femble né pour être aflèrvi; tant il s'y prête avec facilité. C'eft un immenfe troupeau, que chacun fe difpute pour le tondre a fon gré; il s'abandonne bénignement aux cife?ux; fa toifon le furcharge, & qui 1'en débarraffe eft toujours bien venu... Aubry. II eft vrai qu'il ne connoit guere que Ia mutinerie, & qu'il a un goüt décidé pour la fuperftition... Guincestre. C'eft la ce qui 1'enchaïne au fol qu'il broute innocemment. Ayons foin de 1'entretenir dans fon imbécillité native. EtoufTons 1'aurore d'une raifon qui voudroit percer par intervalles. Qu'il ne penfe jamais que d'après nous. En fondant notre autorité fur fon imagination ardente & foible, craintive &  de la Ligue. 27 erédule, notre pouvoir régira fesefprits, & notre autorité s'élevera fans peine au-deflus du pouvoir des Rois... Aubry. Toute ma crainte eft, qu'enfin ce peuple n'ouvre les yeux; il ne faudroit qu'une Iueur rapide & fatale, pour lui faire appercevoirce tas de menfonges que nous avons fabriqués... S'il alloit raifonner, que deviendrions-nous? Guincestre. Ta crainte eft juftement fondée. II eft une invention récente, que j'ai toujours jugée très-dangereufe , & dont les conféquences n'ont pas encore été appercues par nos fublimes Sages. A u b r y. Quel eft eet objet nouveau, deftruéteur de notre antique & formidable pouvoir? Je cherche & n'appercois pas... Guincestre. L'imprimerie... Y êtes-vous? A u b r y. II eft vrai. Guincestre. Je Pai prédit... cette découverte nous porrera malheur. Elle a commeneé par nous être utile; elle finira par nous faire (auter. Tous ces impriinés, forgés par des plumes vénales que nous lsichons contre Henri & fa fecte, pourront un jour être anéantis par d'autres a fa louange, & qui n'étant pas payés, feront bien meilleurs. II n'y a plus d'actions fecretes devant cette langue rapide, univer- fel-le , indeftruélible Songez a la fatyre Mé- nippée; li cela étoit lu, G cela étoit entendu généralement... Aubry. La frayeur me faifit... Heurcufement que fur  a8 La Destritction mille, il n'y en a qu'un tout au plus qui fache lire : mais n'importe; dès ce moment, jevais publier que la leéture conduit néceiïairement a 1'héréfie, a 1'incrédulité, a la révolte, a tous les crimes. ... Guincestre. J'ai toujours confeillé de mettre les plus dures entraves aux progrès de l'imprimerie, de renoncer même aux avantages pafTagers qu'elle pouvoit procurer, afin de détourner 1'attention de fes prodigieux effets; car on pourroit, en donnant une certaine direftion aux efprits, les mener au point diamétralement oppofé oü nous voulons les conduire. Si cette force immenfe el! une fois tourrée contre nous, il ne fera plus en notre pouvoir de 1'arrêter; elle difperfera nos opinions , comme un vent impétueux diffipe un monceau de paille légere. Aubry. Si jamais, comme je 1'efpere, je monte & certaine place, je ne ferai content que lorfque j'aurai aboli la derniere prefiè... Guincestre. Tant que j'en verrai une dans 1'Europe, je frémirai dans la crainte que la raifon humaine ne rallume fubitement fon flambeau. Aubry. On ne fonge point affez a ce que vous venez de dire, & il faudroit a nos chefs la fupériorité de votre coup d'oeil. Guincestre. N'augmentons point cependant nos allarmes. Ce n'eft, pour le moment attuel, qu'un danger imaginaire. L'état oü la France eft réduite , ne laifie rien a craindre de fitót: Elle eft trop malade pour vouloir faire 1'efprit fort. Le petit peuple fur-  velaLxgve. 20 tout ne s'en relevera de long-temps. II eft tellement impregné d'une falutaire & profonde ignorance, que, dans mille ans d'ici, la chaïne des préjugés dont il eft garotté ne fera point encore ufée, & qu'il la trainera a demi-rompue, en baifant fes débris, & en regrettant qu'elle ne foit pas entiere. Aubry. Gardons toujours Ia même marche. Tant que nous faurons étudier & conduire les caracteres felon les rangs, & déguifer les vrais motifs qui nous font agir, nous retarderons la funefte époque. Guincestre. Confolons les uns par 1'efpoir de la couronne du martyre; effrayons les autres avec les mots d'anathême & de Rome. Aux moins aveugles, promettons des places qui flattent leur ambition(i); & quant a cette tourbe infenfible, fur laquelle il y a peu de prife, faifons-lui fentir le fouet de la terreur, en la précipitant indifférerament dans les cachots ou dans la mort. Aubry. Tu n'excelles pas mal dans ton röle, toi, & tu pofïèdes au fuprême degré 1'art de te contrefaire. Guincestre. Et toi, ton mafque eft excellent! Selon ceux a qui tu parles, on voit ton vifage abfolument changer. Tantöt ta voix eft menacante, ton ceil enflammé, (1) Les Moines & les Prêtres régnoient non-feulement fur le peuple, mais fur la nation -, & ce qui le prouve , c'eft que le Duc de Parme , ce grand Général, voulut mourir en habit de Capucin, & ordonna qu'on mit 1'infcriptioa fuivante fur fon tombeau : Hic jactt Frater Alexander Parnefius, Capucinus, j  30 La Destruction ton gefteroide & dur; tantöc ton regard eftdoux, ta parole humble, careflatue, ton front charicablemenc baiffé; & lorfque dans ces temps-ci tu contrefais 1'air famélique, exténué, mourant, on diroit que tu vas rendre 1'ame, fur-tout lorfque tu prends la quinte de ta petite toux feche... Aubry, prenant Vair en queflion & toujfant. Comme cela, n'eft-il pas vrai ? Guincestre. Admirable! en vérité, admirable!... Tu ne te vois pas toi-même... Je te le répete, tu ne fais pas a quel point tu excelles... Aubry, avec emphafe. Parler au peuple, el! une forte d'éloquence que les plus grands Clercs de ce monde ne connoiflènt pas toujours, & a laquelle ils font bien inhabiles, quand les circonftances les y forcent. Ils n'ont pas la langue qu'il faut alors; car cette langue la ne fi'apprend point dans le cabinet. Guincestre. II n'y a rien de plus plaifant que de te voir, après t'être bien rafiaflié avec nos provifions cachées; de te voir, dis-je, prendre tout de fuite, en fortant, un vifage fi alongé, que 1'on diroit que tu vas tomber au bout de la rue. Comment fais-tu pour figurer fi bien tes jambes chancelantés, pour êcre a la fois fi pale & fi bien portant? Aubry, ƒ« détournant, appergoit la mere Hilaire qui étoit reftée debout a les entendre. Son front efl indigné ; elle efl appuyée fur fa canne. Uun ton embarraffé & fourd. ) Paix, paix, paix! Une femme eft la qui nous écoute. Guincestre, tournant la tête & frongant myflérieufement les fourcils. Elle nous auroit entendus?  de la Ligue. 31 Aubry. Mais il y a toute apparence. M.id. Hilaire grand'-mere, avec la plus grande indignation. Oui, je vous ai entendus, miférables que vous êtes, & je viens d'apprendre a vous connoitre. Je vois en vous les fléaux de ma trifte patrie. Allez, il y a long-temps que je foupconnois confufément les horribles intrigues que votre bouche a dévoilées. J'ai vu naitre la Ligue. J'ai vieilli au milieu des défaftres qu'elle a enfantés. Que ceux qui font encore aveugles, n'ont-ils affifté, comme moi, a Pentretienqui vient de démafquer vos ames infernales! Guincestre. Bonne femme... prenez garde & ce que vous dites... Bonne femme, fi 1'on n'avoit pitié de votre age... Aubry. Vous oubliez qu'on pourroit vous punir fur la place... Mad. Hilaire grand'-mere. Me punir? Ldches que vous êtes, me punir !... Qui de vous aura le courage de me délivrer des courts moments qui me reftent a vivre ?.. Auteurs de la mifere publique, quels maux particuliers vous refte-il encore a faire? La mort eft le feul bienfait qui parte de vos mains, & vous ne 1'accordez qu'avec une cruauté lente... Ofez frapper du dernier coup la femme infortunée que vous faites mourir depuis fi long-temps. J'ai perdu cinq enfants dans ces malheureufes guerres que votre génie hypocrite a allumées. Un feul me reftoit, hélas! & je ne le vois plus, ni lui, ni fa femme, ni fon fils... Me voila prés de mes bourreaux; Un crime de plus ne doit pas les intimider. Ils onc  32 La Destrüction nppris h aflafllner les miens : qu'ils m'aflaflinent a mon tour. Mon plus grand fupplice feroit d'envifager plus long-temps les monrtres qui ont défolé mon pays, les monftres fortis du gouffre des enfers \ & quand, hélas! ö mon Dieu! y rentreront-ils pour ne plus perfécuter les humains? Ao8Rï,fa menagant. Si je m'en croyois... Guincestre, le retenant. Retirons-nous... Laiflbns cette vieille femme a elle-même. Que peut-elle avec fa voix caffëe, expirante?.. Dans une heure, elle ne fera plus. Aubry, lui jettant un regard furieux. Puiflè-t-elle a 1'inftant même expirer!... Guincestre,ö/ö porte. Si toutefois elle ne mouroit pas dans le jour... Je m'entends. Viens, Aubry, viens... Sortons. SCÈNE VI. Mad. Hilaire grand-mere, feule. O Mon Dieu! ayez pitié de la France! En quelles mains je la laifle en mourant! L'étranger, le citoyen, c'eft a qui déchirera fes entrailles! Pauvres Franccns, comme vous avez été les viétimes de votre crédulité! Vous étiez faits pour être heureux; & vous livrant h une folie fuperftition, vous n'avez fu ni reconnoitre les importeurs, ni repouffer vos tyrans... Voici la quatre-vingt-troifieme année que je fupporte la vie. O mon Dieu! les quinze dernieres me font devenues les plus ameres, par les horreurs que j'ai vu commettre en votre faint nom. Les crimes de 1'hypocrifie ont affez fatigué  BE LA Ll G ü E. 33 fatigué mes yeux; ils ne demandenc plus qu'a fe fermer... Je mange le pain des jeunes & desforcs, le pain de mes enfants, moi, rebuc inutile & fardeau fur la terre... Je demande d'aller a vous, ö mon Dieu ! Que votre volonté foit faite; mais envoyez-moi ia mort, la mort, la mort, ö mon Dieu, la mort! C'eff: la grace que j'implore de votre miféricorde, &je vais 1'attendre avec confiance aux pieds de cette croix, oü chaque jour de ma vie je vous ai offert 1'hommage de mon amour. ( Elle fort a pas lents , & paffe dans la. chambre voifine, d'oü elle efl fortie. ) C  34 LA D ES tRVCTÏ ON ACTE II. Le Thédtre repréfente le Camp de Henri. Ld Roi eft dans une tente plus èlevée que celles qui font autour. Des foldats moment la garde aux erivirom. SCÈNE PREMIÈRE. Henri feul, dans fa tente. Non, ie ne puis me réfoudre h donner l'affaut Ven redoute les horribles fuites... Trop de fang a déja coulé. Epargnons ceux qui reviendront L dès qu'ils me connoitront... C'eft un peuple bon, qui fe Hvre a Ia mort par egarement. II l été écnauffé, féduit, trompé par es tanemis de fon bonheur. Sauvons-le, mdgré ui, & perdons s'il le faut, une Couronne, plutót que de hvrer au fer cette cité immenfe, peuplée de femmes, "enfants, de vieillards... Ah ! je frémis de cette feule image... Non, ce ne fera pas moi qui verSi le fang Francois... II m'eft trop préaei£ Qu'ils devilnnent ou non mes fujets, je dois les éiargner. ( U appelle. ) Monfieur de Mentmorency!  ï> E LA LlGÜEé 35 SCÈNE II. HENRI, MONTMORENCY. MoNTMORENCY. Sire? f Henri. Qu on ne difpofe poinc 1'afTaut que j'avöis ordonné.... J'ai changé d'avis. MoNTMORENCY. Sire, les afliégés, rebelles a vos bienfaits, ont iait rejetter le pain par-defRis les remparts. H e n r i, vivement. Jefuis fur qu'ils enmanquenc. En vain Mayenne veut me faire croire le contraire par cette feinte; je ne veux pas que le peuple foit la viflime de cette faufTe politique. Je fais que la famine les devore. Autant que je le pourrai, mon ami, ie tournirai des vivres a ces malheureux... Faitea dire a tous ceux de mon armée qui ont des parents dans la ville, que je leur permecs de leur porter des vivres. MontmoRency. Sire, pourvu qu'ils ne s'arment point contre vous de vos propres bienfaits... Henri. Quand un peuple immenfe élcve jufqu'a moi fes lamentables cris, je ne puis endurcir mes entrailles, en me rendant fourd h fes plaintes. Oue des fanatiques abufent de 1'efprit crédule de ces mfortunés, c'eft a moi de les fauver de leur propre délire. Je fens que je fuis leur pere, & qu'U Cij  36 La DestrvcTion m'eft impoffible de ne point partager leurs maux. Allez, & proclamez mes ordres. SCÈNE III. HENRI, SüLLY. Henri. E h bien, mon cher Rofni, caufons en fecret... Ils ont de la peine a me croire Cathohque. Ils s obftinent a dire que je ne puis être abfous que par le Pape, & régner conféquemment que fous la bonne volonté. S U L L Y. Sire,le moyen de rendre vains tous les foudres du Vatican, c'eft de vaincre: alors vous obtiendrez aifément votre abfolution. Mais fi vous n etes pas viftorieux, vous demeurerez toujours excommunié. Henri. Taurois déja vaincu : mais j'aime ma ville de Paris; c'eft ma fille ainée. Je fuis j.aloux de lamaintenir dans fa fplendeur. II auroit fallu la. meetrek feu & a fang. Les Chefs de la Ligue & les Efpagnols ont fi peu compaflion des Panfiens! Ces pauvres Parifiens! Ils n'en font que lestyrans; rr.ais moi, qui fuis leur pere & leur Roi, je ne nuis voir ces calamités fans en etre touché julqu'au fond de 1'ame, & j'ai tout fait pour y apporter remede, tout jufqu'a apprendrepar coeur, & répéter le catéchifme qu'ils m'ont donné (U- (i) L'Archevêque de Bourges lui fit réciter plufieurs fois  de la Ligue. 37 S u l l y. Vous avez bien fait, Sire; on n'appaife pas autrement des Théologiens. Allez, 1'aciion la plus agréable a Dieu fera toujours d'épargner le fang des hommes, & de mettre fin aux maux qu'ils endurent, foit par aveuglement, foit par opintètreté. Henri. Mais n'y auroit-il pas eu plus d'héroïfme & de fermeté a foutenir le Proteftantifme, a le faire monter avec moi fur le tröne, & a donner ainfi a mes fujets une Religion plus fimple, plus épurée, plus propre a détruire les nombreux Sc incroyables abus de 1'autorité facerdotale ? S u l l y. Si cela eüt pu fe faire fans hafarder votre couronne , fans plonger la France dans une guerre interminable, il eüt été bien avantageux a 1'Etat de recevoir de vous le principe de fa félicité & de fa grandeur, & d'anéantir le germe des fatales difcordes que Rome nous envoye; mais il s'agie évidemment de foumettre d'abord la Capitale, afin de pouflèr les ennemis du centre du Royaume vers la frontiere. Henri. Cette abjuration a coüté beaucoup a mon cceur. fon catéchifme •, on lui impofa des obligations perfonnelles etentendrc la Meffe tous les jours ; ufage conflamment fuivi par fes fucceffeurs ; d'approcher des Sacrements au moins quatre fois Tan , Cr de rappeller les Jéfuites. Ce dernier article eft remarquable. Henri devoit pafier pour hypocrite aux yeux du Catholique , pour ingrat aux yeux du Calvinifte , pour avare aux yeux du Courtilan : il n'eft rien de tout cela aux yeux du Philofophe, C üj  38 LaDestruction S u l l y. Elle étoit nécellaire II faut entrer dans Paris. Henri. Vous avez été le premier a me confeiller d'alIer a la meffe, & vous êtes refté Proteftant. S u l l y. Je 1'ai dü. Ils haïfToient votre Religion, & non votre perfonne; il falloit que vous fuffiez Catholique. II m'étoit permis, a moi, de demeurer fidele a la loi de mes peres. Henri. Je me fuis reproché plus d'une fois ma foibleflè; je ne m'en confole que par 1'idée que ma converfion rétablira la paix. Eh! que ne facrifie-t-on pas a ce grand intérêt ? S u l l Y. Les efprits ne font pas préparés encore pour un heureux changement... Point de remords, Sire! les Rois doivent dominer les Religions, & ne s'attacher qu'a celle qui, compofée d'éléments purs, découle du fein de Ia Divinité, dont ils font ici-bas les images, quand ils font éclairés, fermes & bien» faifants. lis doivent être au-deffus de ces pratiques fuperftitieufes qui avilifTent la raifon, abatardifient les peuples, leur ötent leur énergie & leurs verrus. C'efl a eux de préparer de loin a leurs fujets un culte raifonnable, digne de l'homme, & de faire tomber, foit par les mépris, foit par une fageflb attentive, ces querelles miférables qui ont tant de fois enfanglanté la terre; c'eftainfi que, légiflateurs fublimes & prévoyants, ils deviennent les bienfaiteurs du genre humain. Henri. Que ne puis-je 1'être fous ce point de vue, & faire avancer mon fiecle vers la vérité! Mais, né  delaLisüe. 39 dans une Religion qui a rendu a la raifon humaine une partie de fa liberté, je me trouve forcé de rétrogtader, entrainé par la barbariequi m'environne de toutes parts. Me voüa obligé d'embrsilèr un culte chargé d'abfurdités révoltantes. Eh ! que deviendra ie bien que je voulois faire aux hom* mes? S u l l y. Vous en ferezbeaucoup, en paroiflant céder au torrent contre lequel i! n'y avoir point de digues, II faut aller d'abord au plus prelTé, & terralTer le fanatifme qui, fous vos yeux, égorge vos fujets. Donnez-lui le fignal qu'il demande pour appajfej fes fureurs. Touchez les autels oü il doit tomber vaincu & défarmé, ötez-lui fon poignard & fes flambeaux... Une melTe enrendue doit enchainer Ie monftre & préyenir 1'effufion du fang. Entendez la melTe , & regardez ce peuple, tantot infenfé, tantöt furieux, comme un peuple d'enfants qu'iL faut conduire par les illufions qui lui font cheres. Henri, avec ajfeclion. Toi, mon cher Rofni, que rien n'oblige a ce facrifice; toi, difpenfé de ummoler, refte ridélement attaché a la Religion réformée. Le poids de ton nom, tes vertus, ta male probité te rendent «hef d'un parti que je ne puis plus favorifer trop ouvertement, mais auquel je ferai toujours attaché de ceeur & d'efprit. Non qu'il foit exempt de la fange qu'il a contraétée par fon voifinage avec le Papifme; mais il fecouera le refte de fes viles fupertlitions, & 1'on verra naitre bientöt une Religion que la dignité de la raifon humaine pourra avouer fous le regard de la Divinité. S u l l y. Pfince! fi je fais lire dans 1'aveair, & voir la isarchc de 1'efprit humain, il faut que 1'idole de C iv  40 LaDestrvction Rome tombe par degrés. Les abus & les lumieres conduiront un jour la France au Proteftantifme; & le Proteftantifme lui-même ayant épuré fon culte, montrera enfin a 1'univers les vrais adorateurs de Dieu en efprit & en vériré. Alors dégagée d'un melange ridicule & honteux, la Religion fortira éclatante & pure, le front élevé vers les cieux. Elle enchaïnera fans eifort les efprits droits & les cceurs vertueux qui chériront fes attraits chaftes & nobles, eux qui fe refufoient aux idéés aviliffantes & injurieufes, fous lefquelles on ofoit repréfenter le Créateur de 1'univers & le Pere augufte des hommes. Henri. Heurenx le Prince qui pourra préfider h cette époque , & qui fera favorifé dans ce grand changement par les lumieres nationales, autant que j'ai été arrêté par la démence & le fanatifme! S u l l y. Un de vos defcendants, Sire, une de ces ames fortes & généreufes que la Providence tient en réferve , chez qui 1'amour du bien devient paflion , qui concoivent, veulent & exécutent les grandes entreprifes, brifera le joug de ces tyrans religieux qui rempliflènt les efprits de chimères myftiques, & dont Populence oifive mine les forces de 1'Etat: & la France alors, délivrée du principe fecret de fa deftruclion, reprendra fon luftre & fon éclat. Henri. PuiflTe-t-il faire ce qu'il ne m'eft pas permis de tenter au milieu de tant d'efprits farouches, amoureux de leur fervitude! Ce Royaume dégradé par fa fatale union avec Rome, ne reprendra 1'afcendant naturel qu'il devro't avoir fur tous fes voifins, que quand il aura adopté une réforme urgente qui profcrive, & le tribut immenfe & annuel payé a  de ia Ligue. 41 ia chaire de Saint Pierre, & le célibat fcandaleux des Prêtres, & cette armée inutile de cénobites, & toutes ces chaïnes arbicraires & bizarres qui attentent également aux privileges de l'homme & du citoyen. S u L L Y. Le temps & la raifon réaliferont les mouvements généreux de votre cceur... vos enfants, vous disje , fe fouvenant de vous, rendront a l'homme la liberté que 1'atrocité des fiecles barbares lui ont ravie; & la puifïïmce imaginaire de Rome, réduite a fa jufte valeur, n'excitera plus que la rifée des fages, Henri. J'en accepte Paugure , mon cher Rofni; mais mes amis ne diront-ils pas que j'ai cédé a Pintérêt , au defir de régner ?... S u L L Y. Vous auriez été coupable, lorfque le vaifieau de 1'Etat étoit battu d'une fi furieufe tempé te, de n'avoir point porté la main au gouvernail. I! n'appartenoit qu'a vous de le fauver. Reltaurateur de la France, non, ils ne vous feront pas ce reproche. Ils favent qu'un Roi fe doit, avant tout, au repos de fon pays; qu'il n'eft point hypocrite, pour donner le change au fanatifme... Eh! mon cher maitre, n'eft-ce pas le méme Dieu que nous adorons, le Dieu qui nous commande de chérir les hommes , & de leur faire tout le bien qui eft en notre pouvoir?... C'eft le même Evangile, c'eft-a-dire, la même morale que vous reconnoifTez pour la mettre en pratique... Le refte, Sire, eft une vaine difpute de mots. Henri. Sans doute, mon cher Rofni; & ceux qui adorent le même Dieu, qui fuivent la morale augufte  42 La Destruction de 1'Evangile, devroient bien enfin fe réunir, s'erabraflèr, & fe regarder comme freres... Eh! ne le font-ils pas, puifqu'ils font d'accord fur les mêmes devoirs, & qu'ils honorentles mêmes vertus? S u l l y. Un culte auffi raifonnable , aufll fimple, auffi pur, choquoit trop 1'ambition & 1'orgueil des Prêtres Catholiques qui ont furchargé la Religion de monftruofités étrangeres. Us ont befoin d'égarer 1'efprit de l'homme dans la confufion ténébreufede leurs dogmes & de leurs myfteres. Henri. Comme mes vceux impatients hatent le jour oü la France fera éclairée, oü 1'efprit de perfécution ceffèra, oü, faute de controverfiftes, tombera 1'aliment fantaftique de ces débats honteux!... En attendant, foyez bien fur, mon cher Rofni, que, fidele a mes principes autant que je le pourrai fans rallumer les divifions ni les difcordes, j'érablirai la tolérance dans mes Etats. Elle feule fait la gloire & la force des Empires. S u l l y. Vous le devez, Sire, & par humanité, & par fagefie , & par reconnoiflance, & même par policique. H e n r i. Ah, mon cher Rofni .'Je ne penfe tout hauc fur ces matieres qu'avec vous... Qui plus que moi dok détefier le fanatifme? Que de fois j'ai vu le couteau levé contre mon fein! J'ai toujours devant les yeux 1'infortuné Coligny fanglant & déchiré (i), (i) Coligny eüt été le feul homme propre a établir ea France une conftitution libre ; fa vertu étoit forte , lorfque celle des autres ployoit aux circonftances. Le poignard des snaffacreurs de la nuit de la St, Barthekwi avoit plongé dans  de la Ligue. 43 que fes vertus & fa probité n'ont pu fauver de la férocité des Cathoüques... Ils me tueront, mon ami, ils me tueront: mais n'importe, je veux tenir les deux Religions dans ma main, & je n'en protégerai pas moins, jufqu'au dernier foupir, ceux dont je fuis obligé de me féparer (1). S u l l y. Agiiïèz & marchtz toujours fous 1'oeil de Dieu, c'eft aflèz pour ne plus craindre les hommes. Henri. Oui, je me remets tout entier a la Providence. (Après un filence.} J'ai befoin, pourrendre mon peuple heureux, d'un homme qui ait vos lumieres & votre fermeté; car il y a bien des malfaiteurs a combattre... Savez-vous quel eft le terme de mes fouhaits, le but defiré de mes travaux? C'eft de faire en forte, mon ami, que tout cuitivateur, jufqu'au moindre payfan, mette tous les dimanches la poule au pot (2). Tout dérive de le tombeau le plus généreux dêfenfeur de la liberté des peuples; 1'Hofpital étoit plus attaché a 1'autorité royale qu'au peuple. (1) Henri iv donna le fameux édit de Nantes , révoqué par la dare intolérance de Louis xiv. L'état des Proteftants étoit fixe en France ; ils étoient fatisfaits & tranquilies, & eet édit étoit tout-a-la-fois 1'ouvrage de fa fageffe , dé fa reconnoiffance, de fon attachement & de fa tolérance. Pourquoi faut-il que le fanatifme le plus aveugle ait détruit ce monument de concorde ? La plaie profonde faite a la patrie , n'eft pas encore fer-mée de nos jours. Eh , quelle eft donc la malheureufe conftitution de notre Gouvernement , qu'un feul homme trompé ou orgueilleux puiffe faire a la patrie des maux fi longs Sc prelqu'irréparables! Comment une volonté erronnée & barbare regne-t-elle encore foüement après lui, quand il eft defcendu au tombeau, Shargé des reproches de la faine partie de la nation ■ (2) Henri iv, comme le fait le moindre citoyen, vouIpit que tout fayfan eüt une poule pot tous les Dimanches,  44 La D estrüct10n la, mon ami; la joie, la fanté, la force, la population, les bénédirftions envoyées au Ciel, & qui retombent fur la tête des Rois... Allez, j'ai bien vos maximes dans le cceur. S u L L Y. Généreux Prince, ayez conftamment le courage de faire le bien; car il eft toujours difficile a faire, au milieu de ces hommes avides, de ces courtifans orgueilleux, qui ne voyent qu'eux & jamais le peuple... Henri. Ne me cachez jamais la vérité, mon cher Rofni. Je la defire, je la cherche, & me crois né pour 1'entendre. S U L L Y. Sire, je vous prouverai mon dévouement abfolu, en ne vous déguifant jamais rien de ce qui pourra intérelïèr votre gloire ou le bonheur de vos peuples. (// fort.) Eh bien , voila tout-a-la-fois le thermometre & le refultat d'une bonne légiflation. On entaife les raifonnements a perte de vue. Le payfan a-t-il la poule au pot : CEtat eft bien. adminiftré : ne 1'a-t-il pas? V Etat eft mal gouverne. Rois, travaillez pour faire entrer la poule au pot : voila votre vraie gloire! Je ne fais pourquoi M. de Voltaire s obftine a trouver cette expreffion triviale . ce que les copiftes n'ont pas manqué de répéter. L'Auteur de la Henriade auroit^il voulu que Henri IV eüt fait une période poenque ? La poule au pot, voila 1'expreffion fimple & vraie , telle que le coeur 1'a diaée. J'ai voulu la confacrer comme une des plus belles qui foient forties d'une bouche royale. Charles IX ne favoit que les noms des chiens de chaffe K des pifeaux de proie.  se la Ligue. 45 SCÈNE IV. Henri, feul. ^Voila l'homme qui m'aidera a porter le fardeau de la royauté; il ne flatce pas, il efl: févere; tant mieux. II aura le courage de me repréfenter mes fautes; il n'y a qu'un ami qui puiflè fe charger d'un tel emploi. Graces a Dieu, j'en ai trouvé un... Dans quelle fituation je me trouve ! Obligé tout-a la-fois de tirer 1'épée & de feindre aux pieds des autels, il faut conquérir & fauver en mêmetemps mon Royaume! Quel fiecle ! Le facerdoce combat la royauté; le fanatifme tient fon poignard fufpendu fur ma tête, & paroit ne pas vouloir manquer fon coup. Un Pape m'ordonne d'un ton abfolu de defcendre du tröne. Mayenne, les Seize, le rufé Philippe (O, les décrets de la Sorbonne, ont armé mon peuple contre moi. Quelle foule d'ennemis a dompter! La foiblelTè n'eft point mon partage. Mais que d'obftacles a vaincre ! que de partis a concilier! que de faclions a combattre! Répondons a la rébellion par le courage, a la férocité par la conftance, au fanatifme par la clémence. Je laflèrai peut-être les farouches ennemis de la tranquillité publique. J'armerai du moins contr'eux les vertus faites pour amollir les ames les plus dures... (i) Quel fieau pour le monde que Philippe II! Falloit-il que la domination cruelle & fa politique deltruflive s'étendiflent non-feulement fur 1'Europe entiere , mais encore fur les quatre parties du monde!  4& La DESTRUCTióN SCÈNE V. HENRI, B I R O N. Henri. M onsïetjr de Biron , vous commanderen cette nuk le potte de la Pointe-Notre Dame : faites charger deux bateaux de farine, que vous conduirez dans la ville. En voici 1'ordre écrit & figné de ma main, dont vous ne vous fervirez qu'au befoin... Si vous aviez entendu ce qu'on m'a dit de leur mifere ! Je vous connois, mon ami; votre cceur en faigneroir... J'ai été plus d'une fois tenté de lever le fiege; & je ne réponds point, fi je ne finis pas bientót avec Briffac, que je ne décampe. J'aime mieux ne jamais régner, que d'obtenir un tröne qui coüteroit fi cher a mon coeur. B i r o n. Sire, je ne puis qu'approuver ces fentiments fi fares dans un Roi; mais cependant que votre Majefté confidere qüe les deux bateaux de farine qu'elle m'ordonne de faire entrer, produiront un effet dangereux pour fes intéréts & pour la ville même. Les afliégés vont croire que ces vivres leur arrivent d'une main amie; que c'eft un bienfait des Efpagnols; qu'il leur en arrivera de plus confidérables. Les Ligueurs en profiteront pouraccroitre 1'opiniatreté du peuple : & qu'en arrivera t-il? Le trépas d'un plus grand nombre. Henri. Ils font dans les tourments de la famine, & vous confidérez les cruels droits de la guerre!... Fais  SE la Ligue: 47 •ce que je te dis, mon ami. Je connois le malheur. J'ai vu de pres le befoin; & fi jamais je regne, je ferai en forte qu'aucun de mes fujets n'éprouve le mal-aife de la difette. B 1 r o n. Mais au moins, Sire, que la longueur du fiege ne vous rebute point. Vous avez rapproché les poftes; vous avez refTerré la ville; vous avez brulé les moulins. Toute reflburce va bientót leur rrianquer; ne perdez pas le fruit de tant de victoires... Vous emporterez la ville. Henri. Je fais tout cela; mais ce que tu ne faïs ni ne fauras jamais, c'eft ce qu'il m'en coüte pour refter ici... L'homme de Briffac ne vient point... Voila deux heures de retard... Je crains beaucoup... Si cette négociation alloit manquer... Dieu par delfus tout... Mais je ne puis rien prévoir de touc ce que deviendront mes affaires... O Dieu!... (II tombe dans une profonde réflexion.} SCÈNE VI. HENRI, B I R O N. ( Un homme du commun, conduit par un garde, entre chez Henri; M. de Biron fe retire au fond de la tente.) Henri, vivement. L e voila ? Eh bien, la lettre ? Langlois. Sire, je n'en ai point.  48 La D es t ruc t io n Henri. Comrnent, tu n'en as point ? Langlois. Je ne fuis point un fimple courier, mais un agent de confiance; mes inftruétions font verbales, Henri. Eh!pourquoi donc refter fi long-temps? Langlois. Votre Majefté ne fait pas ce qu'il faut de précautions pour entrer & pour fortir de la ville, & de chez M. le Gouverneur. Henri. Qu'a-t-il dit? Langlois. De répondré a votre Maiefté, lorfqu'elle me demanderoit Ia lettre : Les Briffac ont toujours été fideles a leur patrie 6j? a leur Roi. Henri. , J'entends. Refte la un moment. ( Le Roi paffe dans un cabinet & êcrit.) SCÈNE VII. BIRON, LANGLOIS. B i r o n. Ils font donc aux derniers abois dans Ia ville, puifqu'ils ont renvoyé les bouches inutiles? Langlois. Ah, Monfieur! heureux ceux qui font dehors! II n'y a plus de place dans les cimetieres, ni dans les Eglifes, pour enterrer les morts. B i r o n. Que me dites-vous! Langlois.  ï) E LA LlGUÉi 49 Langlois. On peut compter a préfenc fur quinze cents hommes qui expirent chaque jour (f}. B i r o n. II ne leur refte donc pas un muid de farine ? Langlois. Une mere a mangé fon enfant. B i & o n. Ciel ! Et cömment, dans leur défefpoir, ces malheureux n'égorgent-ils pas la garnifon? Langlois. La garnifon les égorge. B i r o n. Et les Prêtres fouffrent de telles horreurs? Langlois. Les Prêtres appeflent ceux qui meurent, des rnarryrS. B i r o n. Et ces infortunés fe croyent tels ? Langlois. Ceux qui furvivent, patent de Ia gloire de 'es imiter; on promene le Saint Sacrement dans les rues, pour fortifier les coürages'. Voila le pain qui les noarrit. Si un homme tombe dans fa foule ea expirant de befoin '.Encore une ame dans le Ciel, s'écrie Ie Prêtre, réjouifez-vous-en avec moi. Venez, mes amis; touchons tous fes vêtements, & prions-le dHntercéder pour nous. B i r o n. Pauvre patrie !... L'humariité faïnte a défcrté les autels; oü s'eft-elfe réfugiëe ? Langlois. Dans le cceur de Henri. (i) Faits hiftoriqiies. D  50I La Destrvction SCÈNE VIII. HENRI, BIRON, LANGLOIS. Henri, a Langlois. Prends certe bourfe & cette lettre. L'argent pour toi, la letne pour BrifTac. Langlois. Je ne prendrai ni 1'un ni 1'autre. Henri. Pourquoi ? Langlois. J'-xpofè ma vie pour mon Roi avec plaifir, même avec joie. Je ne la vendrois pas pour tout 1'or du monde. Si vous me renvoyez a M. de BrifTac, j'y retourne, mais fans lettre. Henri. Sans lettre Langlois. Oui, je ferai arrêté, interrogé, fouillé... Dites-moi ce que que vous voulez qu'il fache; il le faura de vive voix... Songez que, quand j'aurai votre fecret, j'en ferai plus maïtre au milieu des tourments, que la famine n'eft maitreffe des entrailles qu'elle Hévore. Henri, après un filence. Ami, je fens en ce moment que je ne fuis pas fi grand que toi. Langlois, finclinant. Henri fera toui urs le héro» de la France; & mon premier devoir eft de mourir pour elle & pour lui.  ■ be la Ligue. 51 Henri. Eh bien! dis au Gouverneur que Henri favoic bien qu'il auroit toujours lieu de chérir M. de Briffac autant qu'il Pa conilamment eftimé... (Avoix bajje.) Ajoute que j'arriverai demain a la porte St. Denis a quatre heures du rnatin. Langlois. A quatre heures du matin?... Cela fuffit, Sire, je lui rendrai vos propres paroles. Henri. Echappe aux gardes, aux efpions. Langlois , avec une modejlie & noble fermett?» J'échapperai (1). SCÈNE IX. HENRI, BIRON. Henri. E11 bien, mon ami, que dites-vous de eet hom* me-la? B i r o n. Sire, je ne fuis pas encore revenu de mon éton* nement; mais il faut qu'il foit né quelqu'un. (1) On a voulü conferver le norrt de eet Officier de ville , attaché a la caufe de Henri. L'hiftoiie ne négligé que trop les uoms obfeurs, pour tout atttribuer aux noms eonnus. C'eft au Phiiofophe a rendre enfin juftice a qui elle eft due. Langlois contribua tout autant que Briffac è 1'entrée de Henri , & fon nom ne doit plus être féparé du norrt qui a prévalu fous la plume des Hiftoriens toujours attentifs a flatter l'homme en place. Langlois paroit même avoir fervi Henri d'une maniereplus défintéreflëe & plus noble. D ij  52 La Destrpctiow H e n r i. Quelqu'un! C'eft un Frarcois! Vou* aufll vous auritz 1'injuftice commune a cous les Grands, qui ne veulent croire a 1'élévarion des femiments que dans les rangs les plus diftingtiér ? La générofiré, la nobleftè, la franchife appartiennent aufll aux claffes inférieures. Je 1'ai éprouvé plus d'une fois. J'ai trouvé des fecours dans la pluparc de ceux que 1'orgueil dédaigne. Oui, oui, c'eft le peuple qui eft franc, qui oblige, & qui aime Je vois que vous ne connoiflez point la nation. Non, mon ami, non, vous ne connoiflez pas ce bon peuple. II efl: léger, mais fincer'e; il eft fur-rout fenfibie, & il m'adoreroit, s'il pouvoit deviner ce que je fens pour lui... Je vous 1'avoue : fi je n'étois jaloux de fon amour, de cette aflvction vive qu'il fait fi bien témoigner; fi je n'avois formé le plan de réparer fes malheurs, de le rendre heureux, ne croyez pas que je tinfTe contre Ie tourment d'en voir périr un li grand nombre : mais il s'agit de prévenir le démembrement du Royaume. Sans ce puiffant motif, certainement, très-certainement je leverois le fiege, & m'en irois vivre dans mon petic Royaume de Navarre. La, je ne voudrois pas de Grands a ma Cour, excepté deux ou trois que vous êtes, & que je me plais a reconnoïtre comme m'étant vraiment attachés... Le refte... ah! le refte... Savez-vous que le plus infortuné des hommes, le plus trompé, le plus ennuyé, feroit le Souvernin qui ne feroit environné, qui ne régneroit que fur de grands Seigneurs? Mais en voila aflcz la-deflus... Donnez ordre que les Généraux fe readent ici.  de la Ligue. 53 SCÈNE X. HENRI, feul. C^uel eft donc le terme fixé par la Providence aux déf lires de ce Royaume— O Dieu! qui Lis dans les coeurs, tu vois le mien! Si la couronne aflvrmie fur ma tête peut fauver eet Etat divifé, en pr ie a 1'étrar ger, & commencer le repos de la France, fais que je regne, ö mon Dieu ! que j'anéannfle les projecs de la Cour d'Efpagne, que j'opere la dilïöUuion entiere de la Ligue! Si, au contraire, lamolleflè, Tinfenfibilité, 1'oub'idemes devoks devoient me faifir fur le tróne & corrompre mon coeur, (en ce moment fenfible, & voulant le bien,) fais que je n'y monte jamais! Fais y uflèoir l'homme le mieux né pour gouverner la narion, & lui rendre fon caraclere & la gloire!... CVft le moinh indigne de ce rang fuptême, qui, aux yeux de ta juftice, doit 1'occuper. SCÈNE XI. HENRI, LES CHEFS DE L'ARMEE. Henri, aux Chefs. Me s amis, que chacun de vous fe rende a fon pofte.... Vous ferez avancer les troupes pendant la nuit, mais dans le plus grand filence. IVlerurez tellement votre marche, que vous ne vous préfentiez qu'a quatre heures du madn aux portes de Paris. Une ombre favorable couvrira nos armes. La, D iij  54 La Des tructïon vous donnerez le fignal que j'indiquerai. Si les portes s'ouvrent, fi les barrières tombenc, vous entrerez en filence; vous paflèrez dans les rues en ordre de bataille, mais les tambours muets, en vous emparant des places & carrefours... Défarmez ceux qui réfifteront; mais épargnez le fang Francois! & que ce foit plutöt un triomphe pacifique qu'une entrée militaire. Songez que les Parifiens font mes enfants, & faites qu'il n'y ait point d'autres violences commifes que celles que la plus grande néceffité pourroit autorifer. U n Chef. Sire, nos vies font a vous, & nous répandrons notre fang avec joie. Mais nous fongeons aux périls de 1'entreprife. II ne faut qu'une barricade pour couper toute communication. Une main forcenée peut mettre en mouvement tout ce peuple, & caufer un affreux maffacre. D'ailleurs, la trahifon fut de tous temps 1'arme favorite de la Ligue. LailTeznous les dangers, Sire; & quand nous aurons établi nos poftes, votre Majefté s'avancera au milieu du corps de fa Noblefie. Henri. Mes amis, je dois être le premier a la charge, le dernier a la retraite.... Je combats pour ma gloire & pour ma couronne. Un autre Chef. Votre courage, Sire, nous fait trembler. C'eft a nous a mourir pour vous; a vous, Sire, de vivre pour régner fur Ia France; & nous ofons dire que ce vous eft un devoir. Henri. Eh bien! le tout entre vos mains... Je veux que Jes plus determinés Ligueurs perdent leur férocité en ma préfence. C'eft au moment que je ferai raaitre de la Cspitale & que je pourrai me venger d'eux,  de la Ligue. 55 qu'ils reconnoitronc que m )n coeur efl: porté niuurellement a pardonner a fes ennemis. Un autre Chef, a demi-voix. Puiflè-t-il ne plus fe trouver de ces monftres fanatiques, s'élancant de 1'oinbre des autels, pour fignaler leurs religieufes perfidies! SCÈNE XII. ACTEURS PRÉCÉDENT S, UN NOUVEAU CHEF. Le nouveau Chef. S ire, les Parifiens échappés ou renvoyés de la ville, & fauvés de la famine par vos bienfaits, demandent a porter a vos pieds les témoignages de leur amour & de leur reconnoifiance. Henri. Qu'ils viennent cous a tnoi! Que ne puis-je les arracher tous a la mort, au prix de mon iar g! II eft bien temps que mes fujets refpirent aprè- tant de calamités! Seront-elles éternelles, grand Ditui PuifTe le feu de la guerre civile s'éteindre puur jamais! $) iv  $6 La Destructiou SCÈNE XIII. HENRI, LES CHEFS DE SON ARMEE, FOULE DU PEUPLE. foule du peuple. ^'RE' ayez P'tié de nous, ayez pitié de nouss S(re !... * Une Voix qüj d o yi i n e. Vous êtes boni m ncius Jaifiez pas mourir. Une autre Voix. Oui, vetos avez un bon iceur... F^tes-nous encore donntr du pain; que nous en portions h nos femmes, o nos enfants, qui pleurent, qui languiflenr, qui pénflent... Une autre Voix. Vous aimez lesParifiens, fauvez-les, (auvez-nous tous! Henri. Mes amis, Ia viiJe aura des fecours; je lui ai envoyé des vivres, je lui en enverrai encore... la famine cefTera. foule du peuple. On nous tue dans la ville, & 1'on nenous laifTe pas fortir. Nous n'efpéronsplus qu'en vous,nous nefpérons plus qu'en vous! Un Homme du peuple. Au moment oü je vous parle, Sire, il n'y a per. fonne dans Paris qui n'ait des morts ou des mourants dans fa maifon. U n a u t r e. Nous feriens morts comme eux, fi vous n'aviez e.u puie ae nous.  be la Ligue. 57 U n autre. I's mourront tous jufqu'au dernier dans Ia ville, ü vous ne prenez pitié d'eux, comme vous avez pris picié de nous. Henri. O mes enfants! mes enfants!... je fauverai la ville, ,& malgré elle... je vous le promets, F o u l e du peuple. Sauvez nos peres, nos meres , nos freres, nos enfants ! Ils font Francois... Ils vous béniront.,. Un Homme du peuple. Ils vont périr fi vous ne les fecourez... C'eft un miracle fi nous vivons. U n autre. Oui, Sire , ils font réduits a broyer les os des morts pour en faire du pain. Un autre, jettant au Roi un morceau de pain. Tenez, Sire, voyez par vous-même, en voici un morceau... U n autre. Ne vous a-t-on pas caché, Sire, qu'une malheureufe mere avoit roti fon enfant?... H e n r 1, Je cachant le ■ vifage. Vous m'arrachez les entrailles, mes amis; arrêtez... Toutes ces horreurs vontceflèr... Jefuisauili malheureux que vous 1'êtes; je fouffre a moi feul tous les maux des habitants de cette ville... Ils finiront... Un Homme do peuple. Nos maux finiront, dit le bon Roi, nos maux finirontl Henri. Oui, je vous le jure devant Dieu, vous aurez bientót la paix.  58 La Destruction foule DU PEUl'LE. Nous aurons la paix, nous aurons la paix, dit le bon Roi. Henri. Oui, allez porter aux vöcres & des confolations & des fecours. (A fes Officiers.) Que 1'on donne du pain a tous ces iniortunés ; qu'on leur en donne en abondance; en abondance, entendezvous? & qu'ils le partagent avec tous ceux qui fouffrent. Un Homme du peuple. Vive le bon Roi qui nourrit fes ennemis! Cri du peuple. II nous donne du pain! II eft Catholique. Autre Cri du peuple. II nous donne du pain; il doit régner. Autre Cri du peuple. II n'eft point Huguenot ! Prions Dieu pour lui!... Cri général. Vive le Roi! vive le Roi! vive le Roi! Henri, rentrant dans fa tente, & s'effuyam les yeux. Que Dieu difpofe de moi felon fa volonté! II faut dans vingt-quatre heures que la ville foit fauvée, ou que je renonce a la Couronne.  de la Ligue* 59 ACTE III. Le Thédtre repréfente la maifon d'Hilairs. SCÈNE PREMIÈRE. LANCY, UN OFFICIER. Ils font enveloppés tous deux d'un large manteatt qui les déguife. On appergoit qu'ils font chargés de pains. Ils paroiffent fatigués. Ils entr'ouyrent leurs manteaux en entrant. , Lancy. uelle défolation répandue dans cette ville!... Encore perfonne ici!... Plus de parents!... plus d'amis! Tous les liens de la tendrefie & de 1'amitié font rompus... J'ai parcouru tous les lieux oü je pouvois la rencontrer... Vaines recherches! Grand Dieu , n'eit-elle plus! Voici la vingtieme maifon que je vifite: & qu'ai-je vu? quel fpeétacle d'horreur! Des couleuvres & des ferpents engendrés dans les décombres de ces demeures défertes, & qui rongent les cadavres reftés fans fépulture Ceux qui vivent, reflèmblent a des fpeclres. N'avons-nous pas traverfé des rues oü des infortunés couchés fur le ventre, broutoient 1'herbe rare, a 1'exemple des animaux ? Quel courage ou quelle opiniatreté anime donc ce malheureux peuple ?  6o LaDestrvction L' Officier. Au'ant nous fommes touchés de compafiïon fur Ie fort des alfiégés, autant leurs tyrans fe montrent infenfibles. Le murmure & la plainte leur font défendus. Ils réfervent leurs gémiflèmc-nts pour le filence des ténebres, dans la crainte d'être punis comme réfraftaires aux ordres qui défendent de demander la paix. Lancy. I's veulent éternifer la guerre; mais ces Prêtres qui 1'ordonnent ne combattent pas... O ma fille! ma fille! oü te trouverai-je!... Arriverois-je trop rard f... Mon ami, je vous fatigue, en vous aflbciant a mes dernieres recherches; mais pardonnez a ce cceur paternel; il pourfuit les traces de fon enfant-. Elle n'eft pas ici... Dieu! oüeft-elle? L' O f f i c 1 e r. Le chemin que nous venons de faire eft pénible; je 1'ai entrepris lans peine pour un intérêt aufll cher. Mais fongez aufli, que fi le Roi con. fènt a ce que 1'on porte des vivres a ces infortunés, il ne veut pas que 1'on s'abfente erop longtemps. Lancy. II me faut donc défefperer de pouvoir la fecourir! Hélas! elle expire peut-être de befoin dans un com obfeur de cette ville, tandis qne j'ai la de quoi lui racheter la vie... La bonté de Henri fera donc infactueu' est elle ! mon ami, c'eft... la voici... Je fuis Ie plus heureux des peres... Wille. Lancy, fe précïpitant dans fes bras. Mon pere!... je ne croyois plus obtenir du Ciel cette faveur inligne. Hilaire pere, avec une pieufe indignation. Eft-ce bien toi que je revois en ces iieux? Lancy, voulant Vembraffer. Ah, mon ami! Hilaire pere, le repouffant. .Moi, ton ami! Suis-je 1'ami d'un traitre a fa Religion  b e la Ligue. 6$ ligion & h fa patrie ? d'un homme qui s'eft rangé contre nous, qui nous affiege, qui combat fesconcitoyens Toi, mon ami! toi, foldat de Henri! Lancy. Je ne fuis point traitre a ma Religion, ni a mes concitoyens... Avant peu tu en feras convaineu. Refpeéte le nom d'un héros que tu connois mal. C'eft mon Roi légitime: il doit être le vótre h tous, & pour votre bonheur. Hilaire pere. Lui, qui nous enferme dans ces murs avec toutes les horreurs de la guerre & de la famine! lui, auteur de tous les crimes qu'elles entrainent !... Lancy. Les vrais auteurs de la guerre civile font les importeurs qui la perpétuent, qui ont fafciné vos yeux... Hilaire pere. Tranchons-la. Que t'importe aujourd'hui notre exiftence, notre infortune ? Sors, & laiflè - nous mourir. Lancy. Non: vous ne mourrez point... Et toi qui fus mon ami, ton efprit eft droit, je le toucherai, je 1'efpere... Hilaire pere, s'éloignant. Ofes-tu?... après... Lancy. Oui, j'ofe... Dis-moi ! que! eft Ie but de cette Ligue contre votre Souverain? Qu'a-t-elle fait pour 1'Etat ? Depuis trente-neuf années de guerre, c'efta-dire, de défolation, de ruines, de meurtres, d'incendies, de pillages, la France n'offre que plaies fanglantes, & force la pitié de fes ennemis les plus cruels! Ah! il faut un Roi comme Henri, pour la fauverdu précipice oü tout 1'entraine. Tu connois E  66 LaDestrvction bien peu fon ame, fi tu ne la crois pas fenfible. Tu n'as point vu couler fes pleurs, au récit de vos maux; tu ne fais point comme il les partage, & combien il fouffre de votre aveuglemenr. II ne peut fe réfoudre a prendre d'affaut cetre ville rebelle. II veut la préferver d'un carnage affreux; & fa fenfibilité va plus loin encore, il voudroit pouvoir nourrir la ville en 1'afliégeant. II rifque fa vicloire, il hafarde fon tröne, en laiffant paffer fecretement des vivres. Hilaire pere. C'eft en vain que ta voix infidieufe cherche a nous perfuader des bienfaits imaginaires... Regarde autour de toi; oü eft donc le témoignage de cette prétendue clémence ? Réponds... Lancy. Mon arrivée en ces lieux... Si tu me vois en cett» ville, apprends que c'eft par fa permiflion. Cet ami & moi, nous fommes venus tous deux, chargés de pains petris en fa préfence, arrofés de fes pleurs, & que je viens de dépofer chez toi, prés de ta mere. Hilaire pere. Quoi 1 des aliments, & de fa main!... Nous aurions la des aliments?... Ma mere auroit... Lancy. Je Païtrouvéedéfaillante, &j'aieuIebonheurde la rappeller a la vie. Hilaire pere, avec le cri de Vame. Tu m'as rendu ma pauvre mere!... toi! Lancy. Oui, allez vivre tous, en béniüant le Roi qui vous donne Ia vie! Ce pain a été fait, vous dis-je, fous fes yeux, & il y a mêlé fes larmes. Ce n'eft pas Ia feule grace qu'il deftine a fes enfants. Vous verrez d'autres effets de fa généroficé. Elle embraffera tous  déljLigve. 67 ceux qui reviendront h lui; il ne veut que le repos de la France & fa félicité... Mais cachez ces provilions a la recherche avide du foldat que vous payez pour vous déléndre, & qui erre néanmoins dans Ja ville qu'il met au pillage, le fer & les flambeaux a la main... Tant que le fiege durera, je veillerai h votre fubfiftance... Hilaire, voila comme je réponds a tes ou trages! Hilaire pere. Je demeure confondu! O mon fils, oü es-tu?... L'Officier, a voix bajje, a Lancy. Partons, mon ami, partons: 1'heure nousprefie. Lancy. Un inftant, ami... L" O f f i c i e r. Nos drapeaux nous attendent... n'abufons point des bontés du Roi... Dérobez-vous..., Lancy. Que vous êtes preflant!... Oh! que j'embraffe ma fille... L' O f f i c 1 e r, a voix bajje. Songez au pofte qui vous eft confié... Ce jour va décider peut-être du fort de 1'Etat. L a n c y, a Hilaire pere. Toi, que je ne crains point d'appeller mon ami, fur que tu en rempliras les devoirs, adieu; je te confie ma fille. Sers-lui de pere jufqu'au moment oü la paix pourra me rendre a moi-même. Ce moment ne fauroit être éloigné. PuifTe la fin de ce malheureuX fiege me ramener bientöt vers Vous!... PuifTe ce peuple, inconcevable dans fon opiniatreté, ouvrir les yeux fur cette Ligue funefté, fur ces fatellites mercenaires, qui, en déchirantle fein de la patrie, font parvenus a s'en faire croire les légitimesdéfenfeurs... On vous peint Henri fous des traits bien différents de ce qu'il eft en effe>. On fe garde E ij  68 La Destrvction bien de vous rendre compte de fes vrais fentiments: & dans cette derniere conférence encore, que n'at-il pas dit a vos députés? Avez-vous lu les offres de paix qu'il leur a remifes par écrit, afin qu'elles Ment publiées?... Hilaire pere. Non... nous n'avons point vu eet écrit: au contraire, des gens dignes de foi nous ont afTuré qu'il vouloit la ville fansaucunecondition; qu'il prétendoit nous traiter en vainqueur, en conquérant, & détruire a la fois la melTe & nos privileges... Plutèt mourir tous!... Lancy. Voilh comme les Seize, les Prêtres & les Efpagnols vous trompent; voila comme 1'efprit de fraude devient de jour en jour plus audacieux dans fes menfonges. Je 1'ai entendu, moi, leur reprocher leis calomnies qu'ils répandoient parmi le peuple; les conjurer de prendre des fentiments humains; leur expofer fon refpeét pour la Religion... Comme il s'attendriflbit en leur peignant le trifte état de la patrie; fes belles campagnes dévaftées; fes villes florifianr.es fans communication & fans commerce; 1'anarchie a la place des loix; lestribunaux déferts; la police interrompue; les autorités fubalternes & les dominations arbitraires dévorant tout & remplacant la majefté royale! O mon ami! il étoit ému jufqu'aux larmes, en déplorant ces viles erreurs de la fuperftition qui dénature l'homme. Mais elle a transformé vos ligueurs en tigres cruels: fanatiques, cupides, intérefles au défordre, ils ont foif du pillage & des déprédations; ils fe font vendus h 1'étranger, & n'appercoivent pas même 1'efclavage qui va les enchainér. Allez, un jour viendra que vous regretterez, mais trop tard, d'avoir écouté cesorganes d'impofture, ces miniftres de défola-  de la Ligue. 69 tions... Je ne puis en dire davantage.,. Adieu, ma fille. Mlle. Lancy. Et vous nous abandonnez, vous notre libérateurl... Encore quelques moments... degrace... Lancy, avec tendreffe. Crains, ma fille, crains de faire perdre \ ton pere, en un feul jour, trente années d'honneur. Je cede au devoir; cedes-y a ton tour. Epargne» moi tes larmes, ou répands-les fur cette malheureufe cité. Et vous, mes amis , barricadez-vous, & mettez vos provifions a 1'abri du foldat féroce. On lui a donné le droit de dévafter, & vous ne pouvez réprimer le défordre affreux qu'il exerce cn vos propres murs... Ah! revenez au bon Roi; je vous y exhorte au nom de la paix... Adieu. Puifliez-vous m'entendre ! (II fort avec VOfficier, & Ton ferme la porte que Ton barricade enfuite.) SCÈNE IV. HILAIRE pere, Mad. HILAIRE grand'mere, Mad. HILAIRE, Mlle. LANCY. Hilaire pere. O Providence! préferve-nous de ce dernier malheur!... La foi feroit perdue... Mais, mon fils ne revient point... Pourquoi ai-je perdu Ia tracé de fes pas!... Nous avons de quoi... (On voit dans le fond la grand'mere Hilaire qui s'avance, portam despains dam fon tablier. Mad. Hilaire la foutient.') E iij  *ro La D m s t r u c t i o tf Mad. Hilaire grand'mere. Mes enfants, venez partager ce bienfait inattendu. C'eft le Ciel qui vient de nous 1'envoyer par les mains du généreux Lancy. II nous fauve la vie a tous... Mais je ne vois pas mon petit-fils. Le cher enfant nous manque. Prenez une nourricure dont vous devez avoir tous grand befoin, & puis vous irez le cherchcr, de peur que fon courage imprudent... Je veux le revoir. Hilaire pere, prenant les pains cF les diflrlbuant. Et vous, ma mere, vous qui avez döt fouffrir plus que nous, prenez. Mad. Hilaire grand'mere. Lancy a pris foin de moi... mais je crains d'avoir furpafle mes forces. Cette nourriture prife trop précipitamment... Je fens la (en mettant la main fur fon eftomac ) un poids... Et toi, ma chere Lancy, ne te laifle point abattre. Mlle. Lancy, tenant un morceau de pain, & Varrofant de larmes. Non, je ne puis... je ne puis... je ne mangerai point qu'il ne foit de retour. Je ne confentirai a vivre que quand je le reverrai. Mad. Hilaire. Ma mere, ce bienfait nous devient inutile, fi le Ciel ne nous le ramene pas. Hilaire pere, s"arrêtant. Oui, ma main tombe; ma main ne portera aucun aliment h ma bouche, tandis que loin de nous, mon fils fouffre... Je neveux plus de ces fecours, s'il ne les partage... Le cruel! nous quitter au moment ou la Providence nous exauce... Ah! fon intention étoit bonne : il voulojt nous foulager... Le Ciel m'a donné un bon fils. Au péril de fes jours, il fe précipite dans quelque danger  de la Ligue. 71 pour nous rapporter de quoi vivre. Mais qu'entends-je? on monte; qui vienc ici? Ce font des voix confufes. (En étouffant un cri.) Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! ce font les SuifTes... Qu'allonsnous devenir!... Mad. Hilaire. Les SuifTes! Nous fommes perdus. ( On entend plufieurs voix confufes & terribles qui difent: ) C'eft ici, c'eft ici. — En es-tu bien fur? —Je te le dis. — Oui, c'eft ici; je ne me trompe point. — Entrons. — De force ou de gré. SCÈNE V. ACTEURS précédents, SUISSES armés de fabres & portant des flambeaux. Des Voix menacantes. O uvrez ! ouvrez... ouvrez a 1'inftant même... Ils fe font enfermés, bon figne... Allons, a toi... vite. La hache ici... Brifons , coupons, enfoncons les portes. ( On entend les coups de hache qui brifent les portes.) Redouble... Allons, bien... Encore. Bon... Dépêche-toi... Nous y voila... tout va tomber. Hilaire pere. Cachons notre pain. ( II le cacbe & en mange quelques morceaux.) Mad. Hilaire. J'expire de terreur... Ils brifent les verroux, rompent les barreaux, détachent les gonds... Mad. Hilaire grand'mere. Cachez-vous dans ma chambre... Je m'oppoferai E iv  73 LaDest&uctïon feule h eux... En ine voyant, ils auront peut être pitié de mon age. Hilaire, errant fur la fcene. Dois-je m'armer... exciter leur fureur ou fupplier ces barbares?... (La porte tombe; les Suiffes entrent, ar més de haches, de moufquets, T & portam des flambeaux.) Mad. Hilaire, Mlle. Lancy, au premier afpecl. Mon Dieu!... mon Dieu !... Ciel! miféricorde!... Quels fronts! Le Premier Suisse. Gardez de réfiiïer... Votre pain, votre pain, ou la mort. Hilaire, qu'on fai/it. Barbares, nous en manquons. Autre Suisse. C'eft: ce que nous allons voir. Autre Suisse. Eft-ce bien ici ? Autre Suisse. Oui, oui, te dis-je... Je les ai vus entrer tous deux; ils portoient du pain fous leurs manteaux; c'étoient deux Officiers... Je les aurois bien attaqués, mais j'étois feul alors. Autre Suisse. Bon; furetons... Vifitons tous les coins & recoins. Autre Suisse. Suivez moi, vous, dans cette autre chambre... & que rien n'en forte. ( Mad. Hilaire grandmere efl a la porte de cette chambre; un Suiffe la renverfe. ~) Paffons, paffons, voyons par-tout. Hilaire pere, relevant fa mere. Inhumains ! qui ne refpe&ez point la vieilleffe,  Ês la Ligue. 73 efl-ce a notre vie que vous en voulez? Je fuis défarmé. Satisfaites votre rage. Mad. Hilaire. Liches brigands.'qui défoiez la ville au-lieu de la défendre, eft-ce pour de pareils attentats qu'on vous a payés ? Sont-ce la les fecours que vous devez aux citoyens? U n Suisse. Voila de belles raifons! II nous faut des vivres, entendez vous, de gré ou de force. Plusieurs Suisses, trouvant du pain dam la chambre voifine, avec une joie féroce. Camarades, en voici... en voila, camarades!... en voici... Un autre Suisse. Bonne trouvaille, ma foi. (Voyant les pains qu'on apporte.) Ah, ah, ah! Bon, bon , bon!... Bonne capture... Mad. Hilaire, d genoux, avec Mlle. Lancy. Ah! partagez avec nous au moins; j'ai une mere , j'ai un fils... une mere agée... fes cheveux blancs... Un Suisse, le fabre nud fur leurs têtes. N'en cachez-vous point ? (II les fouille.) Par la mort!... Mad. Hilaire, Mlle. Lancy , demi' mortes de peur. Vous voyez... Le même Suisse. C'eft qu'il en faut, pour nous, & pour nos camarades qui font a 1'autre bout de la ville a faire Ia même expédition; nous nous rejoindrons, & c'eft avec eux que nous partagerons... Hilaire pere. LaifTez-nous un feul pain... un feul... Regardez cette femme courbée fous le poids des années...  74 La DESTRUcTfoN C'eft ma mere... Prenezpitié d'eile au moins, ref- peétez fon age. Plusieurs Suisses. Emportons tout. — Vraiment, voila de belles paroles. — Nous n'en avons pas encore afTez pour nous & les nötres. Hilaire pere, fe relevant. Tuez-moi fur la place, ou rendez-moi un feul pain. Un Suisse. Allez, vous êtes bien heureux encore d'en avoir , & nous ne vous laiflbns la vie, que par ce qu'en enfoncant vos portes, nos peines n'ont pas été inutiles; car fans cela... point de quartier... Hilaire pere, avec lafureur du défefpoir. J'en aurai, barbares ; j'en aurai, ou vous me tuerez... Tuez, tuez-moi... (II fe jette fur eux pour avoir un pain, les femmes fe jettent entre. lui &les Suijfes; les Suijfes le repouffent &foU' rient de fa foibleffe.) Plusieurs Suisses. LailTe, il peut a peine fe foutenir... Epargnele, nous fommes les plus forts. ( Un jeune Suijfe jette du pain a la jeune Lancy, comme touché de fon état. Un vieux le ramaffe, en lui difant d'un ton dur:) Que fais-tu ?... Eft-ce ta foeur... dis? & n'ai je pas la mienne? Le jeune Suisse, gémiffant. Je ne puis rien...  de la Ligue. 75 SCÈNE VI. HILAIRE pere, les deux Dames HILAIRE, Mlle. LANCY. Tous quatre font accablés & dans des ptlflures dijférentes. Mad. Hilaire. D ans quelle excrêmité plus horrible fommesnous retombés! Mlle. Lancy. O mon pere! ne nous aviez-vous donc apporté ce pain, tréfor fi rare, que pour qu'il nous füc ravi 1'inftant d'après par ces barbares! Hilaire pere. Mon courage eft abattu... Tant d'adverfités m'accablent enfin... Je n'y réfifte plus... O nouveau fpe&acle de douleur!... Ma mere... Elle eft comme anéantie. (Ils prodiguent tous leurs foins a la grand'mere. _) Mad. Hilaire grand'mere. Ah, mon fils.'a peine puis-je parler.... Dieu m'exauce... Je mourrai dans vos bras. Hilaire pere. Si vous mourez, nous vous fuivrons. Mad. Hiliaire grand'mere. J'ai fini ma carrière; mais la votre doit s'étendre : j'ai quelque chofe d'important a vous dire, & je ne fais fi j'en aurai Ie temps & Ia force... II faut que je vous éclaire.... Les moments me fonc précieux.  76 La Destruc t ion Hilaire pere. De quoi voulez-vous parler, ma mere? Mad. Hilaire grand'mere. Tu auras peine a le croire; ta bonne foi, ta candeur... Mes enfants, j'ai entendu... Ecoutezmoi, mon fils. Ici a cette place même... SCÈNE VII. ACTEURS précédents, HILAIRE fils. Hilaire fils, dans la douleur. "Vous me revoyez... hélas! & je ne vous apporte aucun fecours... Mais... Hilaire pere. Ah, mon fils! d'oü viens-tu? Mlle. L a n c v. . Graces, Dieu puifiant, qui nous Fas rendu. Mad. Hilaire. Pourquoi t'es-tu féparé fi long-temps de nous ? Hilaire fils. Ah! ma mere, vous dirai-je ce qui m'eft arrivé ! En aurai-je la force ? J'ai couru aux remparts de Ia ville. J'avois appris que 1'on y diftribuok des fecours. O quel étonnement! les afiiégeants nourriflöient les affiégés, & c'étoit par ordre de Henri. J'ai crié aux foldats : „ Mes amis, „ donnez-moi du pain pour une femme de qua„ tre-vingts ans, pour un pere chéri, pour une „ mere tendre, pour une fille célefte, dont le „ pere eft parmi vous, pour la fille du généreux „ Lancy... Par pitié, ou par grace, donnez-nous „ du pain, ou envoyez-moi la mort". En difant ces  de la Ligue. 77 mots, je découvre mon fein; un foldat eft ému, il me préfente un pain au bouc d'une lance; je le détache du fer homicide; je le cache; je le prefiè fur mon fein; je vole pour vous 1'apporter... Des foldats féroces, qui errent dans cetce ville, fe jettent fur moi, le glaive en main, & me dépouillent. J'ai eu beau défendre votre aliment avec la fureur du défefpoir; ils ont dévoré a mes yeux ce pain qui devoit être le foutien des jours les plus facrés. Ils y ont puifé de nouvelles forces pour aller ravir la nourriture a 1'enfance & a la vieillefTè... Peu leur importent les cris, les prieres & les larmes, ils font prêts a faire couler le fang; & c'eft dans notre ville qui les a appellés, qui les foudoie, qu'habitent ces ennemis inteftins, plus dangereux, plus cruels que ceux qui écrafent nos murailles. Hilaire pere. Ah, mon fils! que me dis-tu? Ils font entrés ici de même; ils ont tout enlevé... Le généreux Lancy nous avoit apporté la vie... C'eft Ia mort qui nous refte. Hilaire fils. Le brave Lancy a paru dans ces lieux? QAdemi-voix.) Ah, que ne 1'ai-je fu, & que ne 1'aije fuivi!... Hilaire pere. Regarde.... vois ces gonds abattus, ces verroux forcés, cette porte brifée, tout le défordre de ces lieux Notre mere en eft demi-morte d'effroi. Hilaire fils, d'un ton ferme & décidé. C'eft donc au malheur qu'il appartient de-nons éclairer!... Ah, mon pere! j'ai vu le tableau le plus horrible... Mais de quelle horreur précieufe & falutaire il a pénétré mon ame!... Je 1'oferai  La Destruction dire, on nous trompe, on nous abufe ; nous fomjnes féduits... Hilaire pere. Que dis-tu? Hilaire fils. C'eft dans un indigne efclavage que la Ligue prétend nous retenir. Donnerons-nous les mams a notre propre fervitude? Sortonsde eet état de mifere & de tócheté... Que le fceptre enfin foit remis aux mains du Roi légitime— Hilaire pere. Eft-ce mon fils qui parle ? Ciel! Hilaire fils. Henri eft doué de toutes les qualités royales. II faudroit le choifir, quand même les loix fondamentales du Royaume ne nous 1'auroient pas donné. Allez, tout mon defir aujourd'hui eft de Ie voir entrer triomphant dans cette ville aux acclamations de tout fon peuple. Hilaire pere. Comme la mifere & 1'infortune font changer de langage! Tu es dans le délire, mon cher fils... Hilaire fils, impètueufsment. Non, c'eft plutöt... Les Ligueurs, vous dis-je, font des barbares & des importeurs qui fe moquent tout bas de notre crédulité... Eh, quels fecours abominables ont-ils ofé vous ofïrir, eux qui (è difent vos amis ! Répondez... Hilaire pere. Ils fouffrent comme nous. Réduits a la même extrêmité, que peuvent-ils dans cette effroyable difette? Hilaire fils. Allez, elle n'exirte pas pour eux.  de la Ligue. 79 Hilaire pere. Ne perdons pas du moins la conftance & la foi. Faut-il devenir coupables paree que la faim nous confume ? & pour quelques courts moments qui nous reftent a vivre, trahirons - nous 1'augufte croyance de nos peres, en nous liant aux Huguenots?... Seroit-ce mon fils que j'ai élevé dans. mon fein, qui s'égareroit a ce point, qui renieroit le nom Cacholique ?... Hilaire. Mon pere, je faurai mourir pour la foi de 1'E-. glife quand il le faudra; j'aime ma Religion, mais j'aime auffi ma patrie : défabufez-vous fur les motifs qui font agir la Ligue. L'ambition ardente & cachée en eft l'ame : ce n'eft point a la perfonne de Henri qu'on en veut, c'eft a fon Royaume. Contemplez 1'ouvrage des Ligueurs ; ils aiment mieux voir périr un peuple entier, que d'accepter Ia paix qui leur eft offerte. Ils la redoutent, paree qu'elle finiroit leur tyrannique empire. Ils viennent nous exhurter avec un air hypocrite a fupporter la famine, tandis qu'a 1'écart ils calculent les avantages qu'ils retirent de notre révolte... Hilaire pere. Notre révolte ?... Oü fuis-je !... Ah, fi tu n'étois pas mon fils! Hilaire fils. J'ai vu notre fidele ferviteur couché dans Ia foule des morts. II a perdu la vie en difputant de quoi nous foulager, & les coups qui 1'ont percé pouvoient s'étendre jufqu'au cceur de votre fils... Vous ignorez encore ce qui vient de fe pafier... Grand Dieu! quels tyrans implacables, quels monftres n'en feroient attendris, & ne confentiroient pas au plus grand, au plus entier facrifice pour la prompte ceffation d'un tel fléau !... Ecoutez & tremblez... Une femme.., faut-il donc que ma bouche vous  8o La Destruction 1'apprenne!... une femme, une mere, dans cette démence inconcevable qu'infpire le tourment de la faim, a tué fon enfant, a fait rötir fes membres palpitants, a voulu porter a fa bouche... Mais la nature trahie, outragée, reprenant bientót tous fes droits, elle efl: morte de douleur fur cette affreufè nourriture... Mad. Hilaire, Mlle. Lancy. O temps! ö jour d'horreur! Hilaire pere. Voila le crime de 1'hérétique : que Dieu 1'en puniflè. Hilaire fils, forlement. Voila le crime de la Ligue... Mes trois freres ont péri dans les fadtions qu'elle a fufcitées; & vous, mon pere, vous qui dans tous les temps en avez fouffert, vousnevoulez pasreconnoitre desagents vendus a 1'étranger? Faut-il que toute votre familie périflè, pour vous ouvrir les yeux? Hilaire pere, avec une douleur concentréé. Tes paroles me font bien plus cruelles que la faim que j'endure. Hilaire fils. Depuis long-temps, mon pere, je nourriflbis ces idéés, & je n'ofois, par refpeft, les exprimer, de peur de heurter vos opinions. Mais le jour de la vérité eft enfin venu, & je ne crains plus de la produire dans tout fon éclat. Ils verront, vous disje , le trépas du dernier Francois, plutöt que de renoncer a leurs vues ambitieufes... Cette Ligue j, fur laquelle vous ofez fonder de fi grands intéréts, qu'eftelle au fond? Une horrible & tumultueufe confufion, un amas de diverfes rites capricieufes, enfantant chaque jour ordonnances, édits, plans nouveaux, changés h tous moments. II s'y engendre tant de jaloufies, de haines, de defieins oppofés;  delaLigoe. 8i fes prétentions font fi contraires & s'entre-choquent tcHement, qu'il fera impoffible de jamais les concilier. Hilaire pere. Arrête...Tu as fucé un mauvais Iait, mon fils, & ton egarement fera 1'amertume de mes derniers jours. . . La gloire de nos autels fut toujours attachee al éloignement desHuguenots. Ils ont toujours tentéderenverfer I'état politique du Royaume. Reviens de tes erreurs : la jeunefTe n'eft que trop fi> jettea fe laifTerféduire par d'éblouiffantes nouveautés. .. Ne vois-tu pas que, dans ces temps orageux, notre Religion n'a été foutenue que par la fainte Ligue? Henri III a déshonoré le tröne; il vouloic iaire un büch^r immenfe de cette Capitale (O; tu le fais, tu 1'as détefté avec tous les vrais citoyens. Le Navarrois, fon allié, refpeétera-t-il le privilege de nos autels? Entrant h main armée, 1'hérétique renverfera toutes nos libertés... Hilaire fils. Eh.' il fe puniroit iui-même; il détruiroit fon pouvoir. D ailleurs, il ne peut plus être confidéré, comme hérétique, s'étant foumis a 1'Eglife & ayant fait abjuration publique. (0 II paroit prouve par 1'hiftoire , que Henri III, anrés woirete/WM,, paffa a 1'autre extrémité, & devimhrito* A la tete d une armee de quarante mille hommes , il mé." dita la ruïne de la Capitale, comme le foyer de la rébellion mais lm-même en étoit le principal auteur 11 s'é cna dit-on, en regardant Paris des hauteurs de SaintCloud, ou U etoit campé : Encore quelques jours, & on „t *crra ni tes mai/ons , ni tes murailles, mais feulement le Üta ou tu auras été.. Le poignard de Clément parut donc aur yeux des Parifiens avoir fauvé la Capitale & Ie Royaum. Jama1S Ia mort du plus odieux tyran ne fut apprife avee de plus grands tranfports de joie. Henri III avoit done réel! lement blcffé & irrité li nation. v"*reei-  82 La Distruction Hilaire pere. FaufTe grimace ! Rufe affedée ! Aftuce de guerre ! II foudroie nos murailles, afliege nos autels, & la converfion paflèroit pourfincere!.. Si cette abjuracion n'étoit pas un pur aéte de politique, il eüt donné des preuves d'une foumiflion parfaite au Légat de Rome; mais il efl: hérérique au fond de Tame. Hilaire fils. C'eft a Dieu feul qu'il appartient de fcruter les cceurs, ékdejuger s'ils font (inceres ou diflimulés. Pour nous, croyons au ferment du brave Henri. Hilaire pere. Non , je n'y crois point; c'eft un nouveau parjure... Cette abfolution enfuite a été donnée contre tous les regies; & d'ailleurs, elle n'a pas été racifiée par le Pape. Hilaire fils. Le Pape! Et Henri a promis devant Dieu!... Le Souverain Pontife peut bien vouloir 1'éprouver; mais il ne peut s'empêcherde le reconnoitre. Hilaire pere. Quand il le reconnoitra, alors il fera véritablement Roi de France. Hilaire fils. Ainfï la Couronne de nos Rois feroit entre les mains du Saint-Siege ! II deviendroit juge de leurs penfées le? plus fecretes; & jufqu'a ce qu'il lui plüt de 1'éteindre, il attiferoit le feu de la guerre civile ! La Religion, au-lieu de défarmer des mains fanguinaires, affermiroit le glaive qui déchire en tous fens le fein de la patrie!.. Suffit-il d'être Ligueur, pour mériter toute croyance? Le premier fondement de la tranquillité publique, réfide dansun chef qui réunifie les divers partis qui fe choquent ; les défaftres, dont nous gémiflbns, auront toujours  de la Ligue. 83 le même cours, tant qu'il n'y aura pas un Monarque univerfellement reconnu dans tout le Royaume... Les qualitésde Henri, fa générofité, fa grandeur lui méritent le fceptre. C'en eft fait, je me range parmi les Royalifies... Hilaire pere. Arrête, inforcuné, arrête !... Tu perds ton ame, & jc pleure fur toi... H1 l a 1 r e fils, en regardant Mlle. Lancy. Je veux fuivre déformais les drapeaux fous Jefquels marche le fidele Lancy; la paix, 1 abondance, le bonheur n'entreront dans cette Capitale que lorfque fes portes s'ou vriront devant un Roi populaire. II ne faut peut-être qu'une voix pour ramener les Francois a leur Souverain. Eh bien, je crierai: la paix, la paix avec le bon Roi! & les voix de plufieurs fe joindront a la mienne... Combien il en eft qui gémifienr en filence, & qui n'attendent que ce fignal pour abjurer la Ligue & fes fureurs! Hilaire pere, avec courroux. Demeure, jeune infenfé, demeure, ou je ne te reconnois plus pour mon fils. Hilaire fils, avec un cri de douleur. Mon pere! Et voila donc 1'ouvrage du fanatifme ! II nous défunit. Hilaire pere. Recevoir un hérétique dans le tröne de SainrLouis! quel facrilege! quelle piofanation!... Ah ! je frémis... Ecarte-toi de moi, enfant dénaturé. Je ne puis te pardonner ce blafphême: fors de ma préfence, ou repens-toi... Mad. Hilaire grand'mere, d fon fils. Hilaire, écoutez : refpeétez monpetit fils. C'eft Dieu qui 1'infpire. Hilaire pere, avec emportment. Dites 1'efprit des ténebres... Fij  84 LaDestrüc tion Mad. Hilaire grand'mere, continuant. J'ai recueilli toutes fesparoles, &j'y ai reconnu le vrai portrait de ces traitres, que je croyois des hommes finceres, & que je me reproche bien aujourd'hui d'avoir écoutés... Hilaire pere. Qu'entends-je! oü fuis-je!... Mad. Hilaire grand'mere, d fon petit-fih. Approche; je te reconnois... Oui, tu as un fens droit, le fens de ton grand-pere. 11 déteftoit le langage des hypocrites; il a prévu tous les malheurs qui nous accablent; il en accufoit nos Prêtres; H me Pa dit cent fois... Hilaire pere. Et vousaufli, ma mere , vous qui fütes fi pieufe, firéfignée... Allez-vous perdreenun inftantle mérite d'une vie entiere ?.. Qui vous a donc tous pervertisa la fois? Le poifon de 1'hérélle auroit-il circulé amoninfudansma familie?... O Dieu! ce feroit la le dernier coup... Frappe, avantque mes triftes yeux foient témoins... Mad. Hilaire grand'mere. Ecoutez-moi, mon fils... Plein de votre probité , vous ne pouvez ajouter foi a certains crimes, qui n'exifient que trop. Ici Guinceftre , Aubry, ames de la Ligue, ontdévoilé les myfteresd'iniquitéqui renferment leurs intrigues, leurs attentats, & tous nos défaftres. Hilaire pere. Et qu'avez-vous entendu? Mad. Hilaire grand'mere. Ici, h cetteplacemême,jeles ai entendus profaner la Religion qu'ils profeflènt. Hilaire pere. Eux?.... Mad. Hilaire grand'mere. Ce font des monftres, vous dis-je... L'avea  de la Ligue. 85 d'une cabale infernale efl; forti de leurs bouches. Ils ne me favoient pas fi prés d'eux, les traitres! Hilaire pere. Ah! que m'annoncez-vous?... Se peut-il!... Non Mad. Hilaire grand'mere. Leurs complots font horribles & ténébreux, te dis-je, & je n'exprimerai qu'imparfaitement jufqu'oü ils ofent aller. Ce font des fourbes qui fe fervent de ce qu'il y a de plus facré au monde, pour étayer leur perverfe ambition. Leurs difcours m'ont fait frémir. Ils annoncent des coeurs attroces & capables de tout enfreindre. Je leur ai peint, dans la première chaleur du refTentiment, toute 1'indignationque leur fourberie abominable m'infpiroit; & dans leur l&cheté, ils n'ont fu que menacer. Hilaire pere, avec la plus grande furprifs. Vous menacer, ma mere.,. vous menacer!... Qu'entends-je!... Mad. Hilaire grand'mere. Et non me délivrer d'une vie dont je fens tout le fardeau. Hilaire pere. En croirai je ce que vous me dites?... Mad. Hilaire grand'mere. Douterois-tu de ce que ta mere te dit? T'at-elle jamais trompé ? Ouvre les yeux; il en eft temps encore... Je les ouvre aflèz-töt pour t'éciairer... La vérité eft fur mes levres avee le dernier foupir. H 1 la 1 re pere, les yeux au Ciel, Dieu! guide-moi... Eft-ce la vérité que j'entends ? Mad. Hilaire grand'mere. Dérobez votre tête a la tyrannie; brifez Ie joug qui vous retient ici; paflèz avec courage dans le F iij  S6 La Destructioit camp de Henri, & rejoignez votre ami de tous les temps, le brave, le généreux Lancy. Mad. Hilaire, a fon époux. Ah! cher époux, fes paroies ont allumé en moi un counge nouveau. J'appercois la Ligue fous fon vrai jour : adopte nos idéés ; rompons 1'affreux efclavnge oü nous captivent depuis trop long-temps des hommes qui n'ont le nom de Dieu a la bouche que pour mieux cacher la cruauté dans leur cceur. Hilaire pere. Quoi! nous aurions été trompés a ce point? Mad. Hilaire grand'mere. ^ Oui, vous 1'avez été, mes enfants.... Je vous 1'attefte en préfence de Dieu, & prête a paroitre devant lui. Hilaire pere. Quoi! les mains qui tous les jours touchent les faints autels, ourdiroient ces trames ténébreufes & fanguinaires ?... Hilaire fils. Votre candeur antique & refpedable, comme 1 a dit ma mere, ne vous a jamais permis de croire a la duplicité, a Ia trahifon de ces hommes qui fe montrent fous des dehors religieux, & vous avez. confondu la Religion & fes Miniftres; 1'une eft fainte, mais les outres font pervers. .. Hilaire pere. Quoi! il me faudroit renoncer aux idéés les plus confolantes?... Ah! j'en mourrai... Que ne fuisje déja dans la tombe! Hilaire fils. Mon pere, rendez vous,- la paix n'eft qu'aux pieds du tróne d'un bon Roi. Malgré le poids de 'lage, ma mere trouvera afiez de forces pourabandonner une ville remplie de tant d'horreurs. ( A  de la Ligue. 87 fa grand'mere. ) Nous vous porterons dans nos bras— Mad. Hilaire grand'mere, dune voix affoiblie. Vous n'aurez pas cette peine-la, mes enfants. ( Elle chancele.) Hilaire fils, dun ton ému. Qu'avez-vous ma mere? (Ils fe raffsmhlent toiis trois autour delle.) Mad. Hilaire grand'mere. Ne vous effrayez point... Je lutte depuis trois heures contre mon dernier moment... Tantdecoups portés a la fois... Cette nouvelle foibleflê va peutêtre en décider... Embrafièz-moi tous... Je ne vous vois plus... Je vous bénis, mes enfants!... Dieu, j'ai confiance en vous... Efpérez en lui, mes enfants... attendez fa volonté derniere... Heureux qui peut quitter ce monde fans regrets!... Je fuis tranquille... II y a déja quelque temps que je ne fouffre plus... Mes enfants, non!... la mort n'ell pas fi terrible qu'on la fait... Je ne me fuis jamais trouvée fi bien... Qu'on me laillè. Hilaire pere, dans la plus grande douleur. Nous vous abandonnerions!... & vous pourriez le croire! Mad. Hilaire grand'mere. Je me fens bien, vous dis-je... Quittez-moi, je n'ai befoin de rien. J'éprouve un fentiment de paix intérieur, qui m'étoit inconnu... Oui, mes enfants , Henri triomphera. Mes yeux qui percent 1'avenir dans un jour éclairé & nouveau, femblent déja ]e voir fur le tröne. 11 y regne en pere. II releve la France, il la confole. Les Francois fe fouviendronc long-temps de lui; & fon nom fera le premier gage de 1'amour qu'on portera a fes defcendants... Que vois-je? Ce Philippe II, qui, dans fa rage ambitieufe, a verfé fur la France ce déluge de maux... F iv  88 La Bestrvction Sa race s'éteinr (x); & Ja Providence donne fon Empire a un defccndant de ce même héros dont il vouloit ufurper la couronne... Ainfi la Juftice éternelle punit & récompenfe... Mon fils, donne-moi ta main... Ou êtes-vous tous ? Hilaire pere & fils. Nous fommes dans vos bras. Mad. Hilaire grand'mere, fe feulevant & retombant. Mes chers enfants J... Mon Dieu f Hilaire pere. Elle expire. (Ici fe fait un grand filence: les quatre perfonnages doivent former un tableau patnétique.) Mad. Hilaire. Ne nous abandonnons pas a la douleur, cher époux. Hatons-nous d'exécuter fes volontés dernieres. (A Mlle Lancy.) Lancy, arrachons-les du triits objet qui les confume... Je crains qu'ils n> luccomhent. 3 Hilaire, pere, avec dêfefpoir. Laifflz-moi expirer a fes pieds... O mon Dieu» ( //prte. V Mad. Hilaire. II te refte une époufe, un fils : fupporte la vie pour eux. Hilaire pere, après un long filence, s'éloignant du corps de fa mere. Vousl'exigez.. Rendons-lui les derniersdevoirs, & quittons cette ville. Je me fouviendrai de fes dernieres paroles. Elle ne ièrontpas vaines. Je me rends a vous, mes enfants. Oui, foyons royaliftes...., (0 On peindra dans une autre piece de théatre ce fom: tiqueT Pr° caraöer* ?ui apPPelle les couleurs drama-  de la Ligue. gg ( Sa familie le preffe dans fes bras, avec les têmoignages de la nconnoijfance. Levant les mains au Ciel cF contemplant fa mere.) je ne t'entendrai donc plus, ó femme refpcctable! ö bonne mere !... Tu meurs dans ce calme paifible qui n'appartient qu'a la vercu. £t moi, la douleur, la home, le regret d'avoir été abufé, toutes lespaffions triftes, pénibles, agitent mon ame... Je me trouvoisiï heureux d'avoir encore ma mere, de lui payer mon tribut de refpedt & d'amour! Je me fhtrois de 1'accompagner de mes foins dans une vieillcife encore plus avancée.Ces longs troubles, cette famine, ces attentats m'ont ravi de fes années celles qui m'étoient les plus cheres, celles oü j'aurois pu m'acquitterenvers elle de rant de foins prodigués a mon enfance! Ame célefte! le corps que tu as hab:té n'mfpire aucune terreur h ton fils. (7/ fe jette fur le corps de fa mere.) II fut le temple des vertus douces & courageufes. C'eft un dépot que la terre ne gardera pas long-temps, & que le Ciel doit recevoir. Tu m'as inftruit, tu m'as ouvert les yeux; c'eft ton dernier bienfait: il vivra dans ma mémoire, & je me trouve pénétré d'une horreur inexprimable, en découvrant l'affreux tableau qui m'eft enfin dévoüé. Hilaire fils, avec impétuofité. ■ Vous pleurezEt moi, témoin de fon trépas haté par ces barbares, je jure fur ce corps facré de venger fa mort. Ses derniers mots, defcendus au fond de mon creur, y ont déployé une force toute nouvelle... Je jure de pourfuivre les Seize & les Efpagnols, de m'armer contre ces infames oppreffeurs, de mettre un frein a leur atrocité, de me dévouer tout entier au Roi Iégitime, de fermer Ia bouche a ces cruels Théologiens qui ont travaillé a éteindre dans le cceur des Catholiques toute fidé-  oo La Destrüction lité a leur Souverain, & qui, rompant les Hens néceffaires de 1'obéifiance & de la fubordination, établilTant une autre autorité que celle duPrince, ont été caufe de tous les maux horribles qui ont couvert le Royaume. Je jure enfin d'écrafer le ferpent du fanatifme, qui s'eit replié de tant de manieres pour exhaler fes poifons. Je remets a Dieu qui m'a protégé jufqu'ici, & dont je crois fuivre en ce moment l'augufte & fainte voix, je lui remets ma vie entiere, la confacrant a mes concitoyens. Si la mort m'enleve, mon trépas du moins ne fera pas infruétueux; mes jours auront été prodigués pour ma patrie. Que je fois en butte a tous les traits des ennemis de la France, & qu'elle foit fauvée!.... Adieu; vous entendrez tous parler de moi: je rejoins le pere de Lancy. Hilaire pere. Mon fils! que ton courage héroïque foit plus calme. Mad. Hilaire. Hilaire, que ta vertu ne foit pas imprudente. Mlle. Lancy. Allons tous enfemble nous jetter dans le camp du Roi. Hilaire fils, dans la plus grande agitation. Non, je veux être feul. Sa mort fera vengée, vous dis-je... O mes amis! mes concitoyens! vous me verrez, vous m'entendrez; accourez tous a mes cris douloureux; venez vous joindre a mon défefpoir; venez, & délivrons la patrie de fes horribles perfécuteurs. ( // fort fans vouloir rien en' tendre.)  j>ë la Lig ut. 91 SCÈNE VIII. HILAIRE, Mad. HILA I R E, Mlle. LANCY Mlle. Lancy. I l va obéir a fes tranfports; il nous quitte, il va fe perdre. Mad. Hilaire. Hélas! Hilaire pere. Que le Seigneur le couvre de fes ailes, pour récompenfer fa piété filiale! Je ne compte plus furun bras dechair, & n'efpere plus qu'en Dieu. Mlle. Lancy. Quoi, tantd'affautsm'étoient réfervés! Etcomment pourrai-je les fupporter! Tous les traits dé la guerre civile font venus fé réunir contre moi; & pour un moment d'efpérance, la crainte & la terreur m'agitent fans cefTe... Mais que vois-je! Les voici encore. Ah, grand Dieu! Ils amenent quelques nouveaux défaflres.... ( On voit une foule de Jdtellites armés.)  92 La Destrvction SCÈNE IX. ACTEURS précédents, AUBRY, fuivi des fatellites des Seize. Aubry. E ntrez , entrez, vengeurs des Catholiques & de nos faints autels... Nous avons entendu foutenir dans cette coupable maifon, qu'un hérétiquerelaps,impénitent, chef, fauteur, défenfeur public des hérétiques, foi-difant Roi de France & de Navarre, condamné & excommunié par le Pape, pouvoit avoir quelque droit a la couronne; & comme une telle propofition eft vifjblement abfurde, fchifmatique, erronnée , blafphématoire, facrilege, remplie d'impiété, & diélée par un efprit de révolte contre 1'Eglife, & de fédition contre les vrais citoyens,nous venons a 1'effet que, défendant les privileges des Catholiques, vous faffiez jultice felon votre charge, qui eft de trainer en prifon ces malheureux hérétiques,comme ch&iment préliminaire du fupplice qui leur eft deftiné. ( Les fatellitss environnent Hilaire & ja familie, f2? les chargent de chaines.) Hilaire pere. Importeur* barbare , c'eft toi qui te difois mon ami!... Aubry. Dieu 1'emporte. Sa caufe.... Hilaire pere. La caufe de Dieu! Monftre! j'ai été trop crédule. J'ai mérité mon malheur, Mais je m'éleve au-  de la Ligue. 93 delfts de tes fureurs. Je ne m'attendris que fbr ces femmes. Tu fignales contre elles tes tèches vergeances. Va, j'ai le droit de te méprifer au fond de mon ame; mais mon fils, du moins, mon fils eft a 1'abri de tes coup?. C'eft une viétime chere qui t'eft échappée. ( Lui montrant le corps de fa mere.) Affouvis ta rage. Regarde! Ce n'eft pas la cent millieme viétime que tes pareils ont immolée. Jouis d'un fpeétacle fait pour ton coeur; repais-en tes avides regards... Acheve : ton triomphe ne fera pas long.... A u b r y, d part. La vieille eft morte; mais elle a parlé. ( Haut.) Que le corps de cette femme, décédée dans des fentiments hérétiques, foit privé de la fépulture des fideles. Elle eft réprouvée également & de 1'Eglife & de Dieu, & livrée a cette heure a la damnation éterneile. Que fon corps foit trainé a la voirie, en attendant qu'il reflufcite pour rejoindre aux enfers fon ame abominable.... Hilaire pere, enchainê, avec fureur. Démon de la terre! quel que foit le jugement de Dieu fur elle, va, il y aura toujours un efpace infini entre fon ame & la tienne. Les tourments que tu inventes ici-bas, lesbüchersqueta rageallume , tu voudrois en pouffèr, en attifer les flammes jufques dans un monde inconnu; mais c'eft-lh qu'un Dieu t'attend! Ce Dieu que tublafphêmes, jugera qui de nous aura mieux fuivi les faintes loix qu'il adonnées aux hommes. Tu ofes faire de 1'Etre fuprême le miniftre obéiftant de tes fureurs; & lorfque la mort, malgré toi, fecourable aux malheureux, te dérobe & t'enleve tes viétimes, tu voudrois 1'établir bourreau éternel de tes vengeances! Tu Ie confonds donc avec les monftres vils qui te fervent & t'environnent!... Va,fi tune tretn-  94 La Destrüc TioN bles point devant fon ceil ouvert, tu n'en refientïras pas moins le poids redoutable de fa juftice. Aubry. Délivrez-moi de ces huguenots. Plongez-les dans les plus affreux cachots, & que mes ordres foient exécutés en tout point. ( On entraine Hilaire , fa femme & Mlle. Lancy.) (On enleve le corps de la vieille; &les fatellites, en Tenlevant, fe difent entreux:) A la voirie; c'eft une damnée ; a la voirie.  de la Lig üe. 95 ACTE IV. - (Le Thédtre repréfentc l''intérieur de la Baftille (i). Sur le cóté droit eft un cachot éclairé foiblement par une grojfe lampe fufpendue endehors. La grille du cachot laiffe appercevoir Hilaire, fa femme & Mlle. Lancy, enchainés d diférentes diftances, & dans des attitudes qui laiffent douter slis refpirent encore. Le cóté gauche de la prifon forme jufques fur le devant de la fcene un lieu féparé, dont la voute s'enfonce dans les ténebres; elle eft a demi-éclair ée, 'y trouve des morceaux éloquents. II paroiflbit intinttment perfuarte de la fubverfion de I'Ëglife & de 1'Etat, -fi Henri IV venoit a monter fur le tróne. L'éloquence de ce temps - la a une originaHté brufque & véhémente qai n'appartient a aucun aucre fiecle.  de la Ligue: go bien toucher les coeurs, car ils font endurcis; mais les grands talents font rares... Allons, je ne veux pas manquer le fermon. II prêcheroit dix heures de fuite, que je Fécouterois avec la même attention. Quel ftyle! quelle véhémence!... Me-ffieurs, s'il fe trouvoit dans rafTemblée quelqu'hérétique qui parüt ne point goüter fes difcours, ayez foin de le fuivre de 1'ceil, & qu'au fortir de 1'Eglife il foit arrêté & enlevé fur-le-champ Prenez-y garde... Troupe de Liguëurs, en tumulte. Oui, oui, nous n'y manquerons pas; & ceux qui s'aviferont de dormir, nous foutiendrons qu'ils ont ri. Un Ligueur. Nous aurons 1'oreille en l'air, & 1'ceil fur 1'affemblée; laiffez-nous faire. SCÈNE II. BUSSY-LE-CLERC, VARADE, MONTALIO, AUBRY. (Dès qu'ils arrivent, les Ligueurs fubalternes fe levens avec refpe&,fe tiennent debout, & Ton feri de nouveaux plats fur une table plus large & plus commode. ~) Bussy-lë-Clerc, aux Ligueurs fubalternes. Présente ment que vous avez repris desforces, retournez tous h vos poftes... Efpionnez les difcours, devinez les regards, & interprétez jufqu'au filence. Au moindre (bupcon, amenez ici Gij  zoo La Des TRtrcTiojf pêle-mêle & fans diftinéfion, ceux dont la phyfio» nomie feroit équivoque. II vaut mieux arrêter dix perfonnes, que de laiflèr échapper un hérétique. Allez, il y aura de la place pour tout le monde... Je fais creufer quelquescachots de plus, & cefera bientót fait... Parlez avec emphalè de nos partifans; exagérez leur nombre & leur force, & ve. nez me rendre compte de tout. (Les Ligueurs fubalternes faluent, & vont pour fortir. II les arrête.") Faites fur-tout comme fi vous étiez exlénuës par la famine; & quand vous ferez auprès de quelque bon Catholique prêt a rendre 1'ame d'inanition, prenez garde que votre fon de voix ne trahifiè le bon repas que vous avez fait. (Les Ligueurs fubalternes fe retirent.) SCÈNE III. ACTEURS précédents, BUSSY-LE-CLÈRC, Boss y-i. e-C l e r c. E h bien ! Meflieurs, nos provifions , comme vous voyez, ne manqueront pas de fi-töt. Vos craintes étoient bien frivoles. J'ai mis ordre a tout, & |'ai le plaifir de vous annoncer que nous avons de« vivres pour fix mois. V a r a d e, fouriant. Bon ï fix mois!... L'élecbon qui va fe faire, déterminera 1'armée qui nous délivrera du Béarnois. Les troupes de Philippe II ne retourneront pas a Madrid fans coup férir. Ses intrigues ont amené a lui les fecrers des Princes; & du fond de fon cabinet, il fuit de 1'ceil tous les mouvements de  as la Ligue. '»ot 1'Europe. Sa puiflance eft un coloflè qui pent repofer fur plus d'un tróne a la fois; fes drapeaux flottants, &fur-toutfestréfors, acheverontle refte. Cette vieille loi Salique, loi puérile & ridicule, fera annullée de plein droit. L'Infante Ifabelle, fille d'un Roi Catholique, fuccédera a la Couronne, & donnera fa main ït un Prince du fang. Vous voyez que déja les troupes de Philippe font maitreflès de la Capitale; & 1'on ne fauroit leur porter trop de vénération; car elles protegent 1'Eglife en confer-, vant Ie Catholicifme fur le tróne. B U S S Y-L E-C L E R C. Pour jouir d'un fi grand avantage, on'peut bien foumettre la France a une domination étrangere. Eh! qu'importe après tout celui qui aura la couronne en tête , pourvu qu'il regne fuivant notre volonté? MoNTALIO. Mais, Meffieurs, auroit-on jamais pu s'itmgïner que le Navarrois eüt réfifté fi long-temps a cette foule d'ennemis, a l'or des Efpagnols, au glaive de Mayenne, aux foudres de Rome, a l'enthoufiafme frénétique de tout un peuple? Rien n'>a pu 1'intimider. Cet homme-la eft d'une intrépidité qui me fait toujours frémir. Nous ne 1'erons jamais tranquilles tant qu'il vivra. A Ü B R Y. C'eft ce que j'ai toujours dit. [Ne chantons pas trop viétoire. 11 a un bras & une fanté de fer: aucune fatigue n'abat fon courage. II faut le voir dans les batailles. II eft par-tout. Son aétivité le mulriplie. C'eft une tête forte, une tête, entre nous, comme il en auroit fallu une a notre parti. D- puis la mort de Guife, nous n'avons guere eu que des laches ou des infenfés... II faudra, pour 1'abattre, fe porter a des réfolutions, j'ofe ledire, extrêmes. G iij ■ »  ioj La D e s truction M o n t a l i o. Meflieurs, ce qui m'intrigue le plus, c'eft cette abjuration fake a St. Denis. II s'eft fervi, cette fois, de nos propres armes. C'eft un tour adroit de fa part, qui peut trancher bien des difficulcés; Cc le chemin de la meffe pourroit fort bien devenir la route du tröne. V a r a d e. II a eté très-bien confeillé... C'eft une rufe * pour un ioldac, alaquellenousne nous attendions pas; mais, malgré cette démarche, il n'en eft pas encore au point qu'il s'imagine : il faut que le Souverain Pontife prononce 1'abfolution, afin qu'elle foit valide aux yeux de 1'Eglife, & Clément VIII ne fe conduit pas aifément. Quand il ne feroit que tcmponfer, felon la politique Italienne la plus commune, 11 lemeneroitencoreloin... Savez-vous d'ailleurs, Meflieurs, quelles font les formules prefcrites? "»ne «nt d'autres, fut un affezT ,! aVeUg!C'' ma,S qui arma fon bras? 1' tranfrfiraaez de clarte paur qu'on n'attribue pas uniquement cette  de la Lig de. 119 ( Tous les Ligueurs fortent, & on les voit entrer l'un après Tautre par la porte dun fouterrein. ) SCÈNE X. HILAIRE pere, Mad. H I LAI RE, Mlle. LANCY. Mad. Hilaire. a 1 re !... Ces cris, les as-tu entendus?..* Ciel!... Oferions-nous 1'efpérer?... O clémence divine!... O mon Dieu!... De quelle incertitude je fuis agitée 1 Hilaire pere. Paix, ma chere époufe, paix... Gardons-nous de nous faire encendre... Je tremble comme toi... Un efpoir inattendu frappe mon cceur.... Mais craignons encore... Les monftres qui nous oppriment, ne font pas éloignés... Ils pourroient reverir fur leurs pas... Quel bruit!... Eft-ce notre délivrance ou notre mort qui s'approcht ? ( On entend brifer les dernieres portes, elles tornbent. UOfficier Lancy entre d la tête d'une troupe de foldats armés comme lui de haches & dépées; le bruit des tambours & des troupes fe fait toujours entendre.) mort a 1'efprit du temps. Ainfi 1'hiftoire , dans les fcenes les plus curieufes & les plus intérefiantes , eft obligée defe taire, ou réduite a mentir. H iv  i~o La D estrvctkix SCÈNE XL ACTEURS' précédents, LANCY SOf DATS ARMÉS. ' Lancy, avant que la par te tombe tout-d-fait avec une forte exclamation. * Sm^^f Hi,aire' refPires-tu *« «■ C Ils répondem trés-fortement dun feul cri i } <->ui, oui, nous y fommes. ai i Lancy. Ah ! mon ami, oir es-tu ? on eft-elle? Toutes les Voix. Ici , ici, ici, Mlle. Lancy. Ceft fa voix, c'eft mon pere, c'eft lui. La^cy, fe précipitant avec fa fuite 'dans le cachot. Je ia retrouve, ma fille.,. Je viens aflèz a temps.. La joie me fuffoque. ( A fa fuite.) Aidez-moi k loulever a brifer fes chaïnes... Je ne puis parler. C Let endroit de la prifon fe remplit de prifonmers dêlivrés & de foldats libérateurs. On a enfoncé toutes les portes. Ils fembraffent On entend è différents intervattes les cris de Vive Henri, vive Henri! mêlés du bruit des tamhours & des trompettes.) Prisonniers et Soldats, s'embrafant dans la prifon avec ame. Mon ami... Mon frere,., Mon coufin... Mon oncle... Mon bienfaiteur... (Lancy avec fa file, Hilaire avec fa femme, for-  de la Ligue, 121 went fur le devant de la fcene un tableau ntuet & touchant. Les foldats les portent fur les bras, Lis font immobiles de faijiffement.) ( Après un repos.) Lancy, a Hilaire. Mon ami, quel moment!... Comme d'un inftant a 1'autre le fort de cette malheureufe ville eft changél... En vous quittant, je n'efpérois pas iltót vous revoir... A peine fuis-je de retour au camp, que 1'ordre arrivé aux troupes de marcher vers les remparts. Je gémiflbis d'être forcé encore «ne fois de rougir mon épée du fang de mes compatriotes. Nous comptions aller a 1'aflaut... Quel a été notre étonnement & notre joie ! Les portes s'ouvrent a 1'approche de Henri. BrifTac lui préfente les clefs; tout fe foumet : les faéheux difparoifïènt... Nous avancons... Non , ce n'eft point une ville qui fe foumet a fon vainqueur; c'eft un Roi paifible qui entre en triomphe dans fa Capitale. .. Entendez-vous ces cris d'allegrelTe ?... Hs vont *ux pieds des autels rendre hommage au Dieu des armées, d'une victoire d'autantplus chere a fon coeur, qu'elle ne lui coüte point de fang. Le Louvre va recevoir fon Roi. La pompe du Monarque eft dans rivrelTe de tout un peuple qui 1'adore & le bém't. Tous les veftiges de la guerre civile font effacés, il n'en refte plus la moindre tra-> ce. L'ahondance, fur cent chars couronnés de verdure , apporte è la ville lès dons variés. L'artifan dans eet inftant même peut reprendre paifiblement fes travaux accoutumés. L'ordre regne comme s'il n'eüt jamais été interrompu... Viens, mon cher Hilaire, viens contempler ce miracle, viens apprendre a connoïtre Henrk.. Ne te refufe pas, je t'en fupplie , au bonheur de 1'aimer comme nous.  123 La D e strvction Hilaire pere. Ah, que me dis-tu ! Vas, je fuis bien défabufé... Viétime crédule de cette L;gue perfide, je fuis trop éclatré fur fes nombreux attentats; & fi tu me vois ici, c'eft qu'on a voulu étouffer la voix qui alloit divulguer les plus affreux complots. Lancy. Embraflbns-nous encore... Viétoire entiere... Le coenr de mon ami nous eft rendu... II eft délivrê de la féduétion des traitres... Allons jouir de ce doublé triomphe. Hilaire pere. Hélas, pourquoi faut-il que mon fils fe foit écarté de nous!... II ne manque a ma joie que de le revoir. Mad. Hilaire. O mere défolée! que vas-tu devenir! Que t'importe un jour fi beau, fi ton fils ne le partage! Mlle. Lancy. Ah, mon pere • ces moments ceflènt d'être fortunés par 1'abfence d'Hilaire... Je vous 1'uvoue comme je le fens. Mad. Hilaire. Que nous le revoyions!... C'eft a ce feul pr;x que tous nos maux pourront être effacés. Lancy, d fa fille. Je vous ai toujours regardés comme deftinés I'un pour 1'autre... Que le Ciel vous rafïèmble, & je confens a vous unir. Mad. Hilaire. Cet efpoir eft bien flatteur; mais le Ciel nous accordera-t-il cette derniere marqué de fa miféricorde ? Lancy. Et fur quel fondement vous défefpérez-vous? II eft jeune, plein de force & de courage; il ne man-  de la Ligue. 123 que point, d'ailleurs, de prudence... Armez-vous plutöt de confiance, & telle que vous devez la concevoir, après tant d'heureux miracles. Pourquoi fe plaire dans des idéés funebres, quand tout annonce la clémence du Ciel? Le changement que vous venez d'éprouver, n'eft-il pas un témoigmge des graces toujours inattendues que la Providence tient en réferve? Mad. Hilaire. J'efpere en elle; je 1'ai toujours adorée : mais la crainte eft la plus forte ; un preffentiment fecret & fatal me dit que je ne le verrai plus. {Après un filence, on voit paroüre Hilaire fis. ) Lancy, s'écriant. II eft trompé, il eft trompé, ce preffentiment... Le voici! aeaa — ■ SCÈNE XII ET DERNIER E. ACTEURS précédents, HILAIRE fils. Hilaire fils, fe jettant éperdument dans les bras de fa mere. Ils vivent encore, & je fuis dans leurs bras! Mad. Hilaire. Mon enfant!... Hilaire pere. Mon fils!... Mlle. Lancy. Cher Hilaire!... Hilaire fils. Ah, Lancy!... Ah, mon pere!... Quel coup du Ciel!... Nous voila tous réunis, nous voila tous  124 La D es truction heureux!... Oui, le Ciel m'aréeompenfé d'avoir èió un des foldats de Henri. Sa caufe étoit jufte; je me fuis rangé fous fes drapeaux, prêt a verfer mon fang pour le libérateur de la patrie. Je ('ai vu, ce grand Hoi que nous refufions de connoitre, ce Roi que d'indignes faclieux nous peignoient fous de fi noires couleurs. Mon pere! d'un feul regard il m'a attaché a lui pour jamais. Ce n'eft point un emiemi couroucé qui cherche la vengeance, c'eft un Monarque bienfaifant qui veut commencer le bonheur du peuple. II n'a fallu que fa préfence, pour réveillerie patriotifme dans le coeur des Parifiens. Vous ne favez pas comme il recoit tous ceux qui vont a lui, avec quel ton affable i'l répond a leurs demandes. Sous des traits guerriers,on reconnoitun bon Prince, un coeur francois, le meilleur des hommes & des Rois; & 1'impofture vouioit Ie dépouiller de fon béritage... Venez, venez tous jouir du plaifir de 'Je voir. Allons tous nous réunir au tranfport de ceux qui 1'entourent. On accourt, on le voit, & 1'on ne peut fe raffaffier de Ie voir, & 1'on nepeut fe défehdre de 1'aimer. C'eft qu'il a ce front ouvert, ou la grandeur s'allie a la géaérofité; il femble pere de cette foule immenfe qui 1'environrje; fon gefte , fon regard , tout dit qu'on peut 1'approcher; il a enfin la confiance du •héros. Laifez, lat fez les venir a »wz',du-il, ils font affamés de voir un Roi... Au Louvre , foulevant une_tapiflèrie qui le cachoit, il a dit: Qu'il »'y ait point de voile entre mon peuple & moi! J li embraffé fes genoux; il a daigné me fourire. Je ne pouvois m'arracher d'auprès de lui; j'étois dans une ivreftè dont je ne fuis forti que pour fongera vous. Défefpéré de ne plus vous trouver,j'errois par-tout en vous cherchant, lorfqu'un ami, témoin de votre derniere infortune, vient depréci-  de la Ligue. 125 picerici mes pas... J'entre avec Ia terreur &l'effroL. Je vous embraffe avec joie, & je bénis miile fois le Ciel qui a mis fin a nos maux, en nous réuniffant, en nous donnant un bon Roi & la paix (i). Nodveaux Cris du feuple. Vive Ie grand Henri! Vive le grand Henri! Lancy. Entendez-vous ces nouveaux témoignages de l'ivrefie publique ? Ils nous appellent..... Ne formons plus qu'une familie; allons nous jetter aux pieds du grand Roi : ce nom qu'on lui donne, lui efl dü; il efl: l'expreffion del'amour quï rie s'accorde qu'a Ia bonté. Elle va s'affeoir avec lui fur le tróne; les exploits guerriers les plus célebres difparoiflent devant cette nouvelle gloire que lui attribue la clémence. Mad. Hilaire. Jour mille fois heureux qui nous réunit! Hilaire pere. C'eft fortir du tombeau pour revenir a la vie, Lancy. Oh, que d'aétions de graces vous devez au Ciel, ma chere fille! Mlle. Lancy. Du moment que je vous ai revu, mon pere, (1) Henri IV marchant vers Ia Cathédrale, étoit preffé par la foule de tous les cötés. Les Capitaines des Gardes voulurent faire rctirer cette multitude pour lui facüiter le paffage : Non , leur dit-il , j'aime mieux avoir plus de peine, & qu'ils me royent a leur ai/e. 11 écrivit a Gabrielle d'Eftrées: J'ai reeu un plaifant tour a 1'Eglife. Une vieille femme agée de quatre-vinges ans, m'eft venue prendre par la tête & m'a baifé. Se mertant a table a 1'Hötel de-Ville pour fouper, il dit en riant & en regardant fes pieds, qu'il s'étoic crotté en venant a Paris, mais qu'il n'avoit point perda fes pas. C'eft alors qu'il pouvoit dire a 1'oreille de fes amis ; Paris yaut tiert y/ic meffe,  nb La D e s t ru c t i o jv, &c. mon ame eft en prieres & loue !e Maitre fuprême des événements. Ce qu'Hilaire vient de nous expofer m'a vivement touchée, & chaque mot qu'il a poononcé élevoit un hymne au fond de mon cceur. O mon Dieu! oui, j'aurai toujours confiance en votre miféricorde... Je retrouve en un moment tout ce que j'avois perdu... Hilaire fils, d Lancy. Lancy! le Ciel connoït nos coeurs, comme vous les connoiflez.... II fait que j'afpire a un bonheur. Hilaire pere. Et Lancy & ton pere approuvent ton amour. Tu feras heureux, & vous allez être unis. (A Lancy en fouriant.) Mon ami, te rappelles-tu, que, dès leur plus tendre enfance, nous nous fommes flattés de voir un jour former fous nos yeux cette douce union? Lancy. Pouvoit-elle commencer fous de plus heureux aufpices ? (On entendies cris de Vive legrand Henri l) Allons mêler nos voix a ces acclamations univerfelles. Le regne d'un héros qui a connu le malheur, eft fait pour accomplir la félicité de fon peuple. FIN. On publiera la Mort de Louis XI, Roi de France, Piece hiftorique en cinq Aftes , avec des notes. Philippe II, Roi d'Espacke Piece dramatique en cinq Aftes , précédée d'un difcours fur fon regne.