318 H87 C H A R L E IX. O u L'ÉCOLE DES ROiS. TRAGEDIE.   CHARLES IX, o ü L'ÉCOLE DES ROIS, TRAGÉDIE.   N O T E S. L'amiral de Coügni fat !e premier qm envoya nne colofiefS dans le nord de 1'Amérique La découverte A? ce continent, & la découverte bien plas importante de Vimprimerie, ont changé la face de 1'univers. La comnmru2 des dées eft devenue f. rapide, qu'on peut prédire c a£nce que Ié .M & 1. l**»***" 'nd£ du monde dans quelques fiecies, & de 1 Europe ennere aWcent années. Cette penfée in'a toujours domme: « en fondant a ce commerce de penféas fi contmuel & liraP?de!Te je me fuis écrié, dans un dithyrambe fut lAflemblée nationale: Le Ruffe & 1'Ottoman , 1' Afrique pTus groflièie, Prefatie tous les humains fous lejoug abrutis , " Au fein d'uhe antique pouflière Baiffent lcurs fronts anéantis. fout Icra libre un jour; un jour la tyranme, Sans appui, fani états, de 1'umvers banme , Ne verra plus le fang cimenter fes autels ; Et, des vertus mère féconde , La'liberté, reine du monde , Va, fous d'égales lois, raflembler les mortels. Oü donc cft ee pouvoir groffi par tant de crimes? Öii donc eft, diront-ils, ce monftre audacieux? Ses pieds touchaient aux noirs abimes ; Son front fe perdait dans les cieux. Jl ofait commander ; les peuples en filence, De fes décrets impurs adoraient rmfolence ; Le monde était aux fers; le monde eft déhvré ; Et 1'auteur de fon efelavr.ge , Vomi par 1'infernal rivage, Dans le fond des enters eft a jamais rentré. A C T E 111. Et que votre naifiance Semfeisit d'un fi haut rang vous öter 1'efpérance. _ t„ Dere du chancelier de l'Hópital était médec.n da1 Mnnémble de Bourbon, & petit-fils d'un juif d'Av.gnon, fi 1 ori ên croit Varillas. Ah' Sucer. Olivier, de qni les noms vantcs Serónt de fiècle en fiecle k jamais répétés. Wer fut miniftre ou fénéchal fous Louis VII; Ohvierfut chancelierde^France, fous Henri K La vertu du chancelier (Sier eft vantée Convent dans les épltres du chanceher de fllópital qui lui fuccéda immédiatement, Ta oah a de nos maux trois fois rompu Ie cours, Ét wujours étoufTés ils tcnaiffent toujours. La première paix entre les proteflams & 1" c«holique. fut conclue en 1563, nès-pen de temps apèrs faflaffinat du 1 w„no«;« H- Guife- la feconde fut conclue en 156»: Se eft cZu foSMe nom de paix de Longjmneau. La bifiel fTconcïïe en 1570 a Saint - Germain, cette tro, E ft  6t N O T E S. fieme paix ne fut propofée, de la part de Catherine de Médicis, que pour attirer a Paris les chef* du parti proteftant. Comment déterminer les bornes des penfees? Des philofophes ont demandé long.tems la tolérance religieufe; mais ce mot de rolërance eft trés - déplacé, quand il s'agit d'opinions métaphhyfiques: Dans un pays libre, on doit avoir la liberté la plus illimitée de manifefter fes opinu ons, fauf a être puni, d'aprè' la !oi, fi les opinions manifeflées ont pu nuire a la fociété: Mais, en fait d'opinion, la calomnie feule eft nuifible, la calomnie feule eft puniffable, tout le refte doit être indifférent. La liberté religieufe n'eft encorë établie fur la terre que dans quelques provinces de fAmérique feptentrionale; & ces provinces font encore le feul pays, jufqu'a ce jour, ou, les hommes aient joui d'une véritable liberté. Dix ans déja palTés un édit important Permit dans mes éiats le culte proteftant. Cet édit eft de 1562. lis doivent leurs états a 1'un de vos ancêtres. Pépin, fils de Charles Martel, étant devenu roi des Francais, donna 1'exarcat de Ravenne au pape Etienne III, pour en jouir a perpétuité, lui & fes fuccelfeurs. Son fils Charlenwgne confirma cette donation fous le pontificat d'Adrien 1; les papes étaient alors vaffaux des rois de France. Ttlle eft 1'origine de ces longues guerres de 1'empire & du facerdoce, qui ont défolé fi long tems 1'Italie & 1'Alleraa. gne. De la vinrent tous les malheurs de la célèbre maifon de Suabe, qui defcendait de Charlemagne. Jean - fans-terre quittant, reprenant la couronne. Jean - fans - terre , roi des Anglaii, fut excommunié par le pape Innocent III. Ce pontife accorda rinvefticure du ro. yaume d'Angleterre au dauphin Louis, fils de Philippe Augufte; mais le faible Jean-fans-terre ayant mis fon empire fous la proteétion du ?ape, & s'étant déclaré vaffal du faintfiége, le pontife èquitable retira fon excommmiication. Le roi de France fut excommunié a fon tour, auffi bien que fon fils qui, malgré les défenfes de la cour de Rome, avaic paffé la mer pour fe mettre en poffeffiort du royaume d'Angleterre. L'infortuné Jean mourut bientót, confumé de cha. grins; fon fils Henri III lui fuccéda. Le dauphin repsffa en France, après avoir été roi des Anglais durant une annde: a fon retour, il fut contraint de fe fouinettre a la pénitence qui lui fut impofée par le fouverain pontife; fes chapelains a'ièrent a Rome demander pardon pour lui, & ce pardon lui fut accordé a condition qu'il donnerait, deux ans de fuite, au faint-fiége, la dime de fes revenus. Sept empereurs chaffés de I'églife & du tróne. Les fept empereurs,dom il s'agit,font Henri IV,Henri V,  N O T E S. ^5 des détails fur fon éducation agrefte & £e' lens d'ort inftituteur, quelque grand» qu. ;o,^rDnetPc^ vent lutter ---geufement contre des hab,^ fi 1'mftituteur, homrae fait, homme' ecioirt, ™ , S'nt au-deifus des hommes, n'efpérez pas qu ih. . élêvem au niveau des hommes: ils vivront & mourront enfant* A C T E II. ' FWtriffant tout-a coup le nom de connétable, Te connétable de Bourbon perfécuté par la duchelTe d An- .nulême me e de Francois premier, fe yu contramt de IhereheVnrTalie a la cour de Charles.Quint dom 11 comchercher un au e comre ,m ,a duches. ft "d'AiSX. ne veuait1 knt quelques hifloriens, que e,,„ tmour dédaigné. Le connétable de Bourbon qunta la Franco en i^sT il g»gn«, ',année fuivame' c?n?e 'am,ral dBon»ve Jabataill fd! Rébec oü Bayard fut tué; & en r5«, ï céSe bataille de Pavie, oü 1'amital Bonmvet fut tué , & Fraucois 1 fait prifonnier. II mourut, en t5»7^« «ge de Rome. Deux M i le duc d'Anjou, confondant lenra deffems, Dans un Tang critninej a pu «amper fes maas. Le duc d'Anjou, depuis Henri III, ava.t gagné deux ba. tms Sr, le parti calvinifte ; ceUe de Jarnac & celle de MOnCVausUn'aimeZ que mon fitte; & je paffe mes jours A "entendre louer, a 1'admlrer toujours. Des quatre fils de Catherine de Medicis, Henri III fat «lui JeTle Sou le plus; Charles IX était jaloux de cette préfércnT, & de la gloire qu'il avait acquife avant de régner. H^las' ce piince aveusle, a lui-même contraire, Repou'ffaic les confeils "& le cxur de fa mere. Francos II, dans fefpace très-court de fon règne, fut gouveTé unlquement par le duc de Guife, & fon frère le cardinal de Lorraine. Nièce du grand Léon, fille des Médicis, rVft adire, petite.nièce de Léon X, fille de Laurent de Médicis duc d'Urbin , neveu de ce pontife célèbre. ' Avec Montmorenci je vis enfin s'éteindre . _ Le nom des Triuuwirs qui n'était plus a craindre. Le triumvirat était formé du duc de Guife, du connétable de Montmorenci & du maréchal de Saint. André. Ce dernjer niourut en 1562, a la bataille de Dreux; le duc de Gu fe fut Sné 1'année fuivante au fiége d'Or éans; le connétable de Montmorenci fut tué, en I5«7. » 1» batuüle de fcmt-Denu: E  f<$ N O T E S. il ne favait ni lire ni écrire. La mort de ces trois hommes renforca beaucoup le parti proteftant, déja très-fort depuis le maffacre de Vafïï, premier fignal des guerres civiles. Les grandes injuftices révoltent. Ceux qu'on voulait opprïmer deviennent plus crands. Après le malTacre de Valfi, les calviniftes furent eu état de livrer fes batailles. La J>t. j3arthelemi produiüt la Ligue. Les proteftans ne furent point détruits; & ceux mêrae qui avaient confeillé le crime, pour reiever, difaient-ils, 1'autorité royale prête a tomber en France, profiterent de 1'horreur univerfelle-pour. anéantir cette autorité. L'affafïïnat du duc de Guife, aux états de Blois, fit egorger Henri III & fon illuftre fucceffeur. Carlos, avant le tems au tombeau defccndu , Jette un cri douloureux qui n'eft pas entendu: i Le fang de votre l'ceur demande aufli vengeance. ïfabelle de Valois, fceur de Charles IX, époufa Philippe II, roi d'Efpagne. Elle avoit été promile a dom Carlos, K périt empoifonnée, dit-on, pour s'être montrée trop feniibia a famour de ce jeune prince. Ils moururent tous les deux en 1568. Penlez-vous qu'il oublie, en faveur de la France , Et Êurs coinrnuns a'ieux , & leur doublé alliance'. L'empereur Maximilien II,& le roi d'Espagne Philippe U , étaient eoufirw - germains. Maximilien avait epouié Ma e d'Autriche, faur de .Philippe; & Philippe, Marguerue d'Autriche, Toear de Maximilien. Au tems oü Charles - Quint, laffe" de fa grandeur, Nomment ibn fils monarque, & fon fiere empereur. En 1555, Charles-Quint abdiqua la couronne d'Efpagne en faveur de Pbilippe II Ion fils, &, trois ans apres, ia couronne impériale en faveur de fon frére Ferdinand i, pfere de Maximilien II. Cette divifion de 1'héritage de CharlesOuint ctawgsa 1'équilibre de 1'Europe. C'eil par eet événement que la France parvint, un demi-ftécle apiös, a prenclre fon rang de puiffance dominante. Ah! fi Rome oubliait qu'un roi.... de votre nom, Rédtüfit Alexandre a demandcr pardon. II eft ici queftion de Charles VIII & d'Alexandre VI. L «mtrée triomphante de Charles VIII dans la ville; de Rom, eft de 1495- Après avoir conqnis prelque toute 1 Italië, « revnx Tn Frfnce, épnifé d'hommes & d'urgent I>*emPlefpff " Plince ne défabufa point Louis XII' & Francois I.^fta fcc. cefleurs, de cette chiinérique conquete de 1 Italië. Leurs luc ^ès fuinèrent la France, malgré 1'économie de Louis au, oc Sf vénalité des charges établie fous Francois I, Les France, écrafées de jour en jour depuis la mort de uoun ai, pe fe relevèrent que fous le miniltère de SüIIi. 11 s'élève pour nous aux cbamps de l'Aniéiique , , De nouveaux intéréts, une autre politique.  &« 318 H87 CHARLES IX, o u L'ÉCOLE DES ROIS, TRACÉDIE; PAR MARIE-JOSEPH DE CHÉNIER. M. D C C. X C A AMSTERDAM, rw. B. VLAM, Libraire.   ÉPITRE DÉDICATOIRE A LA NATION FRANCAISE. s Francais mes concitoyens, acceptez rhommage de cette \ tragédie patriotique. Je dédie 1'ouvrage d'un homme libre a une Nation devenue libre. Sous le defpotifme aviliirant donc vous avez ü peine fccoué le joug, 1'avarice & Ia flatterie die taient les épitres dédicatoires. Ainfi Ie fublime Corneille comparait Jules Céfar a Jules Mazarin; ainfi Voltaire mettait Tancrède fous la proteétion dss maltrefles de Louis XV; ainfi 1'efclavage rappetiffait la Nation entière, & jufqu'aux hommel que leur génie plac,aic infiniment au dallus des autres. Malgré leurs effons, ils defcendaient eux-mêmes au niveau du gouvernement; tant il eft vrai qu'il ne faurait exifter de grandeur morale oü la liberté n'exifte pas! Comment pouvait-on parler da vertu chez une Nation qui fupportait une liaftille & dés lettres-de-cachet? Ces abus monftrueux ne font plus. Vous avez anéanti Pautorité arbitraire; vous aurez des lois & des moeurs. Votra fcène dpit changer avec tout Ie refte. Un théitre de femmelettes & d'efclaves n'eft plus fait pour des hommes & pour des citoyens. Une chofe manquait tr vos excellens poètes dramatiques: ce n'eft pas du génie certainement; ce ne fout point des fujets; c'eft un auditoire. Dans le dernier fiècle, Britannicus avoit cinq repréfentations; Bérénice en avait trente. C'eft que les Francais de ce tems-la connaiflaient rnieux la princefle de Clèves que Tacite. J'ai concu, j'ai exétuté avant la révolution, une tragédie que la révolution feule pouvait faire repréfenter. Les gens que cette révolution contrarie, & qui, dans le moment oü j'écris, commencent a lever la téte avec une audace qui n'eft que ridicule, n'ont pas manqué de trouver atroce que la Saint* 3  VI t P I T R E Uarthelemi Kt offerte aux yeux du peuple francais. Mais Vota dont Tautorité eft auffi grande que la leur eft m.féra ble Voltaire, après avoir crayonné dans fa Hennade ce grand & ten* e fu et" prédit des tems heureux oü il fera tranfporté t Ta ftïne UvM Ceux qui font encore gouvernés par des préjugés ne font Pas Francais. Q>ir. courent dans le nord relrouver la féodalité; qu'il, choifilTent pour leur pame ces b-lles & déplorables contrées oü 1'inquifmon abatardit les hommes,'anéantit les vertus, les talen., 1'taduflrie. te parvient a rendre ftériles les champs les plus favonfes par le foleil Te n'ai pas befoin d'aflurer ces raauvais citoyens de mon • profond mépris pour eux. Je m'honorerai de ^"J^ vant mes contemporain, & devant la poftérué. Ils font me, JnnU, P«ce qu'il. déteftent la liberté Je n'en refterat point la ; qu'ils frémiffent. D'autres grand, fujets soffrent en foile a ma plume; & , malgré ma jeunelfe , le tems pourra me manquer, mais jamais la volonté, jamai. le courage. Ces hommes f. éclairés, ofent dire qu'il n'y a plus de fana. tifme religieux au dix-huitième fiècle. Mais les hombes procés, les affaffinat, juridiques de Jean Calas & du chevalier de Labarre font du dix -huitième fiècle. Mais bienplus récemment on a refufé d'enfevelir dans Paris un vieillard couvert de gloire, le génie le plus brillant qu'ait eu la France, 1'auteur d'Alzire & de Mahomet, le défenfeur des Calas & dn cheva. lier de Labarre. Quel était le crime de Voltaire ? d'avoir lut té foixante ans contre le fanatifme. Qu'eft-ce qui s'eft vengé ? le fanatifme? Qu'eft-ce qu'il faut écrafer? Ie fanatifme. II rampe, mais il exifte encore; il écric de plats libelles anonymes, des mandemens d'évêques contre 1'AiTemblée nationale, & d'infames journaux oü tous les bons citoyens font outragés ü tant la feuille. Ce font ces mêmes hommes, qui, pour Ie malheur de la France, ne font pas tous au-dela des froutières; ce font eux qui ont ofé porter jufqu'au pied du tröne d'infolentescalomnies contre une pièce auffi rnorale qu'énergique. O Louis XVI! roi plein de juftice & de bonté, vous êtes digne d'ètre le chef  N O T E S. 71 Lorraine, qui fut long-tems fon protefteur, le fit nommer chancelier fous Francois II. , ACTE IV. La France, dom jadis il mérita 1'eftime , L'accufe de pencher en lecret pour Calvin. Le chance ier de 1'Hópital défendit la caule des protefhn. ™iinmie dePoiffi, fut cenluré par la Sorbonne. uetie cnan-ur K fdéfendre un tiers dts Francais, fut attr.btée par la nuJitude VFon penchant pour les f^JgSSSSJU le proverbe populaire, gardons • nous de la tneffedu p«- miral, & tous les cntibu r Lorraine: -Ptfrce cité ^*i«^Rt^TJ^££ * ^ es mimftres, dit - il, ga*na" ' / , rdivai de Lorraine pr échts & exhortauons ^.ff^fj^u^ ptemièrement préchi en l tglife Mtre uame > ^.f s m Geriuain. «ffiucnce $ auditeurs: 8? W» eategu  72 N O T E S. fAuxerrois, toutes les firies & ottaves de la Fête.Dieu, par cntre. fuites de journées, lui prêchant un jour, & te len-, demain le minime dont je vous ai ci-dejfus écrit; admonestant, fur foute chofe, le peuple , qu'il fallait plutót mourir fe laiffer ipuifer jufqu'a la dernière goutte de fang, que de pcrmettre, emtre Phonnew de Dieu & de fonèglife , qu'autre religion eüt cours en France, que celle que nos ancitres avaient fi étroitement & fi religieufement obfervée. Ce nfa été chofe avjfi nouvelle de voir prêcher un cardinal, cnmwe peu auparavant un mini/lre: il a cxcitè grandement le peuple auxarmes. Bayle termine eet article par une inveétive éloquente contre le cardinal de Lorraine, dont les meeurs étnient srfll peu évangéliques que le caraélère. Cette énerjrique foitie trouvera fa place ici; & peut-être 1'autorité de Eayle en impofera a. quelques gens qui, nè connaiiTant pas mieux 1'hifloire que la poéfie dramatique, m'ont reproché d'avoir repréfenté ce cardinal béniffant a Paris le glaive des aflaffins. 11 était a Rome; mais, de Rome, il dirigeaitles meurtres qu'il avait confeillés; mais il donna mille écus d'or mu courrier qui lui apporta la nouvelle du malTacre. „ C'était . un grand cardinal, qui ne s'expofait &rien,en allumant par „ tous les coins du royaume la guerre civile: il était affuió de „ fuivre toujours la cour, il 1'abri de tout danger & de toute peine, & que, pendant que les provinces feraient un théatre de carnage, il contiuuerait è fe vautrer dans les „ voluptés; que fon luxe, fa pompe, fa bonne chère, fes , amourettes ne fouffriraient point d'interruption. C'eft', la un fujet de fcandale, qui doit augmenter prodigieufement " 1'horreur que fait aux ames véritablement ckrétiennes, un " prédicateur boute-feu, cornet de guerre, & defupplices, ' & de tueries, homme qui, & proprement parler, n'eft " point de la religion de J. C. mais de" celle de Saturne, & " qui, dans le fond, pratique ce que les prêtres de Carthage " pratiquaient anciennement en 1'honneur de ce faux dieu; ils " lui immolaient des hommes, & s'imaginaient que fa teli'' gion demandait de telles viétimes." " Voyez ci. après, la Lettrc aux auteurs de la Chrmique ie Paris, fur un article du Mercure, ACTE V. Pardon, Dieu tout- puiffant, Dieu qui venge les crimes. Quelques hifforiens ont tévoqué en doute les remords de Charles IX; mais je crois que d'après fon caraétère, il eft jmpoffible qu'il n'en ait pas éprouvé. Mahomet, Henri VIII, Cromwel, font des fcélérats fans remords; mais 1'irréfolution avant le crime annonce nécelTairement le repentir après J'exécution du crime. FIN DES li O I £ ii DISCOURS  N O T E S- <$9 Frédéric I furnommé èarbe-roufe, Philippe le régent, Othon IV, Frédéric II, Conrad IV. Les kétenrs feront biei aifes peut-être de jeter un coup-d'oeil rapide fur cette foule • d'attentats des fouverains pontifes. _ L'erapereur Henri IV eft excommunié par Grégoire VII, par Viftor III, par Urbain II, principal auteur des croifa. des & par Pafcal II. Soutenu & confeillé par la cour de Rome, le fils de ce grand & malheureux empereur fe fait élire a la place de fon père vivant; Henri IV demande gra. ce ii ce fils coupable , & meurt a Liége en appelant fur lui les vengeances du ciel. Henri V fit déterrer le corps de fon père qui était mort rebelle au faint-fiége, & des excommunications des quatre fouverains pontifes. Henri V, une fois affermi fur le tróne impénal, change de difpofitions envers la cour de Rome. 11 eft excommunié par Pafcal II, par Gélafe II, & par Calixte II. Le duc de Saxe, Lothaire, élu empereur après la mort d'Henri V, conferve la paix avec la cour de Rome, ü force de complaifance, ou plutót de balTiffe. II fut, dit. on, le premier empereur qui baifa les pieds du pape. Le vatican érigea dès lors en ufage inviolable cette humiliante cérémonie. Pour s'y fouftraire, Conrad III fon fucceffeur n'alla point fe faire couronner en Italië* Frédéric I, fucceffeur & neveu de Conrad III, & fi celébre fous le nom de Frédéric baibe-roulfe, baife les pieds d'Adrien IV, & conduit fa mule dans Rome; il eft excommunié par Alexandre III; il crée deux anti - papes, & après vingt ans de viftoire, il finic par faire la paix avec ce même Alexandre III: cette paix fut conclue i Venife; Frédéric baifa les pieds de fon ennemi, & conduifn fa mule dans la place faint-Marc. . _ ,,,, Henri VI étant devenn empereur, après la mort de rrédé. ric I fon père, ménage conftamment les fouverains pontifes pour opprimer le refte de l'Italie fans obftacle. II fut iniufte avide & cruel, mais il ne fut point excommunié. Philippe I eft excommunié par Innocent III, pour s'être dit empereur fans la permiffion du pape: Innocent 111 lui propofe de lever fexcommunication, s'il veut donner fa fceur en mariage au neveu du fouverain pontife; Innocent III demandé auiïï, pour la dot de cette princefle, plufieurs provinces de l'Italie: la propofition n'eft pas acceptée. Le même Innocent III excommunié Oihon IV, qu'il avait long-temps foutenu fous le règne de Philippe I. Grégoire IX, frere d'Innocent III, excommunié Frédéric II fucceffeur d'Othon IV & petit-fils de Barbe-roufie, qu'it ée'aloit par le courage & par 1'ambition. Durant toute fa vie Frédéric II ne cefla de combattre & de négocier, pour E 3  ft> N O T E É. établir era Italië le fiége de 1'Empire: aufTï nul empereur tie fut plus odieux au Vatican. Céleflïn IV & Innocent IV f excommunièrent, coirime avait fait Grégoire IX. La cour de Rome attribua le livre de tribus impoftoribus, h fon chancelier Defvignes. Conrad IV hérita de 1'excommunicatión lancêe contre fon père, de la haine du faint fiège & des malheurs' qui pourfuivaient fa rriaifoti, depuis plus de deux fiècles. Les fatfions guelfes & gibelines déchirèrent l'Italie pendant fon règne, comme durant les règnes de fes prédécefieurs. II mou> rut empoifonné, dit-on, par Mainfroi, batard de Frédéric II, & chef d'un parti confidérable qui lui donna le tróne dé Naples & de Sicile. Voyez Cliavles d'Anjou, le fils des rois de France. Ce fougueux pape, Innocent IV, après avoir dépofé Fré". Öeric II dans le concile de Lyon; après avoir prêché une croifade contre Conrad IV, & une autre contre Mainfroi, propofa le royaume de Naplës au comte d'Anjou, frère de Louis IX, roi de France. Trois fucceffeurs d'Innocent IV firent les mêmes offres au comte d'Anjou qui réfolut enfin de les accepter. 11 fe retidit maitre de Naples & de la Sicile; le jeune Conradin fut défait en bataille rangée; Charles d'Anjou eut la barbarie de lui faire trancher la tête, ainfi qu'a fon coufin Ie duc d'Aurriche; il eut la barbarie plus «rrar.de de revêtir eet affaflïnat des fonnes de Ia juflïce; ces deux jeunes' princes furent cöndamnés par un jugement juridiqne; ce jugement fut exécuré en 1268. Quinze ans Sprès, les vêpres ficiliennes veftgérent Ia mort de cés iunöcentes viétimes. C'eft ainfi qu'au milieu des bücliers de Confhnce, Le fcliifme d'un moment puifa quelque importmice. Le concile de Conftance fut convoqué en 14.14 par ie pape Jean XXIII: on y condamni les opinions de Wfclef & de Jean Hus; 1'année fuivante, Ie concile fut terminé par le lupplice de Jean Hus & de fon difciplé Jéróme de Prague; Jean Hus avoit un fauf-conduit de 1'empereur Sigifmond. Ces deux héréfiarques furent brülés avec beaucoup de cérémonie^ en préfence du pape, de 1'empereur & des pères du concile, pour 1'édification des fideles. Ces meurtres occafionnérent én Allemagne une guerre longue & cruelle, vulgairement appellée guerre des Hujfites. Martin Luther, dans le fiécle fuivant, renouvela, avec un fuccès prodigieux, les opinions de Wiclef & de Jean Hus. Citoyen de la France, & fujet fous cinq roi'3, Sous votre frore & vous miniftre de fes lois. Il était né en 1505; par conféquent tl avait vu Louit XII, Francais I, Henri II, Francois 11 & Charles IX, Le cardinal de  DÉDICATOIUE. vil d«sFrancais. Mais des méchans veulent toujours établir un mur dë féparation entre votre p*#! & vous. Ils cherchent a vous perfuader que vous tfêtes point aimé de ce peuple. Ah! venez au théatre de la Nation, quand on repféfente Ch a r le s IX: voos entendrez los acclamations des Francais; vous verre* coulerleurs larmes de tendreffc; vous jou.rez de 1 enthoufiafme q"e vos vertus leur infpirent; & 1'auteur pamote reCue.llera le olus beau fruit de fon travail. Fernm s, fexe timide & fenfible, fait pour être Ia confola• ^ «ni eft votre appui, ne craignez point cette Sque ptuTe des &T* ***** M «*f eï d'une influence immenfe fur les mceurs génerales. II fut w tems une école d'adulation, de fadeur & de Hbertinage: l Tn faire une école de vertu & de hberté. Les hom i„ïv recevront plus de ces molles impreffions qu, les déna. ti. deviehdront meilleurs & plus dignes de votre turent. Ils dev endronhommes. Les mceurs des villes atnour: ^^^^^é^^ie la cour. On ne femodéleront plus les ^ J & ^ ^ ne verra plus en France, ainfi di. pudeur & même fans P'ffi* J l'Lge monre, & fe déshonorer mutueliemenc y ftrueux' <■ mi, laiffez fréquenter k vos enfans ces fpeflaPères de familie 1 « Wq & de h y des févères. ^ tere*^ émmgement négligée dans puiferontle go* d no re h ^ de les colléges. Et vous e vqus ne ^ la pame & dun J^'** & de 1'ancien efclavage;vous les hommes des anciens préjugé* « ferez les hommes de la hberté nou* C e ^ que mes écrits Je ^ ^ jufticP£ compléte que poète, un écnvain .e ** *uend Jenfevelidanslap0USiorfqu'il n'en peut plus omt & q ^ ^ yie ^ fiére du tombeau. Mais ceux qu fte peu jalonx de ceux ,m *PP»che«da Jes qui encore dans trente années, au milieu ue  vin ÉPITRE DÊDICATOIRE. m'auront fuivi dès ma jeunefle, vos fuffrages confolefont fans doute la vieilleffe du poète national. Nation fpirituelle, induflrieufe & magnanime, vous avez daigné accueillir les prémices d'un faible talent qui vous fera toujours confacré. Soutenez • moi dans la carrière pénible que je veux fournir. J'ai déformais pour ennemis irréconciliables tous ceux qui devaient leur exiftence aux préjugés, tous ceux qui regrettent la fervitude. Je dois avoir pour amis tous ceux qui chériffent la patrie, tous les véritables Francais. Vous donnez un grand exemple au monde. Le refte de 1'édi. fice féodal va bientót s'écrouler fous les efforts de 1'augufte Affemblée qui vous repréfente. Votre admirable conftitution eft fondée fur 1'égalité. Nous verrons difparaitre ces titres, ces diftinétions anti-fociales, ces diffeïences abfurdes qu'on n'a point rougi de reconnaltre entre 1'homme & 1'homme, entre la terre & Ia terre. Si 1» tyrannie ou 1'efclavage ofent encore fe montrer a découvert, que votre ihéatre en faffe juftice, & devienne en tout rival du théatre d'Athènes. Mais c'eft a la Nation feule qu'il appartient de protéger les poètes citoyens qui defcendront dans cette lice glorieufe pour terrafler les ennemis. de la Nation. 15 Dicembre 1789. DISCOURS  DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Suivant ropihion d'un grand génie de Paiuiqüité.ia tra;é. die eft plus philofophiqüe & plus inftruétive que 1'hiftoire même. S'il faut entendré par tragédie un roman d'envirori quinzé cents vers, chargé d'épifodés, écrit d'une manière lache & bourfouffléa, dont 1'unique but eft d'intérefler, pendantdeuxheures, par une intrigue adroitement combinée, & femée de quelques fituations piquantés, on ne fauroitetre, fur ce point, dé 1'avis d'Ariftote; & ce poème, bien lom d'avoir 1'iinportance qu'il lui donne, n'eft guère au-deflus d url opéra comique. L Mais fi, pour compofer une excellente tragédie, le choix néceifaire d'un feul fait intéretfant & vraifemblable ri'eft presque tien; s'il faut des caraétères deffinés fortement, puiféi dans la belle nature, & fe faifaht reffortir les uns les autres par un contrafte perpécuel; fi ce grand mérite n'eft rien encore- fi 1'on doit écrire 1'ouvrage eri vers; fi les vers doivent êcr'e toujours travaillés lans que le travail fe falTe fentir; toujours pleins de poéfie, fans que ie poète s'étale pour ainft dire - forts fans dureté, majeftueux fans enfture, fimples fans faruüïarité, harmonieux fans que 1'harmonie coüte r.e.i au fens- s'il faut par la magie de 1'êloquence, remuer les cceurs, & faire veifer des larmes de pitié ou d'admhat.on, & tout , IZr incülquer aux hommes des vérités importantes, Creur du crime, 1'amonr de la vertu & de la hberté, le  t DISCOURS. des hommes. Aucun ouvrage n'exige un efpritaufïï flexible, une aufli grande variété de talens & de connaiflances. Voila ce qu'était la tragédie dans Athènes. Ajoutez qu on „•v reoréfentait que des pièces nationales. Le théatre grec retentiflait des louanges de la Grèce & de fes héros, quelquefoi même des vivans. Les guerriers qui, aSalamine,ava,ent vaincu le grand roi, entendaient célébrer leur va.llance dans l tragédie des Perfes. Souvent, en faifanc parler les fameux " ges des tems pafTéa, le poète infé.ait dansia pièce SfsES relatif, aux tems préfens. L'CEdipe Colonne, entre autres, eft plein d'allufions a la guerre du Peloponèfe. Peut-on s'étonner, après cela, de 1'enthouü.fine qumfp.raient a la Nation la plus fenfible de la terre , ces chefs d oeuvre d'éloquence, repréfentés fur des théatres magmfiques, avec un appareil digne des poètes & del'auditoire ? Les fpedacles dans Ia Grèce étaient des fêtes publiques, & laiffaient de* traces profondes, paree qu'ils n'étaienc pas trop fouvent ré- pétés. ._ Le poète fublime qui a créé Ia fcène francaife, avait tous les talens néceïTaires pour 1'élever a la hauteur du théatre grec; mais' des obftacles fans nombre 1'en ont empêché. D'ab'ord il était impoffible de traiter dignement des fujets nationaux fous le règne abfolu du cardinal de Richelieu. Les malheurs de la France, occafionnés prefque toujours par Ia faibleffe des rois, par le defpotifme des miniftres & 1'efprit fanatique du clergé , auraient néceflairement rempli de véritables pièces nationales. Le gouvernement n'était point affez raifonnable pour les permettre, & les Francais n'étaiem pas encore capables de les fentir. Quant aux défauts de Corneille, on a dit fouvent qu'il les devait a fon fiècle, & rien n'eft plus vrai: mais ón pouvaij «outer qu'il les a rendus trés-dangereux, en leur donnanc une force qui appartenait è fon génie, & qui les a confacrés comme des beautés dans 1'efprit de la multitude. Les romans de la Calprenède & de mademoifelle Scudéri, étaient devenus en France une efpèce de poétiquè du théatre. De la ces intri. gues fans fin, ces noms fuppofésj ces épifodes coniinuels,  PRÉLIMINAIRE. n ees paffions fans naïveté, &, pour tout dire en un mot, cette nature faétice que tant de mauvais critiques ont ridiculement préférée a 1'exqulfe fimplicité de Ia fcène grecque. Le Cid fit pleurer toute Ia France; Cinna fixa notre langue; on admira dans Horace des beautés inconnues avant Corneille S inais ce génie vieilliifant produifit une foule de pièces aufli monftrueufes pour les mceurs que pour la diftion. II femblait vouloir replonger le théacre dans la barbarie dont fes chefsd'oeuvre 1'avaient tiré. Racine ne bannit pas entièrement fafféterie qui s'était emparée du théatre ; mais il fut mettre dans fes vers le naturel le plus élégant; il rejeta cetie froide métaphyfique prodiguée avant lui jufqu'au fein des conjuiations, du parricide & de 1'incefte. On ne vit plus paraltre ces fublimes princefles qui ne s'abaiffaient jamais a pleurer. Cependant, par les fuites d'un goüt déteftable, les larmes de Monime, d'Andromaque & d'Iphigénte, ne faifaient pas foupconner au public qu'il avait admiré das fautes énorraes. Nombre de gens regrettaient encore le ton rails & guindé de Viriate & de Pul" chérie. On chercherait en vain dans Racine des détails politiques comparables aux beaux morceaux de Cinna; mais il y a plus de morale dans fes bons onvrages que dans ceux de Corneille. Après avoir abandonné la fcène è trente-huic ans, il confut dans fon loifir, trop long pour Ia gloire de notre littérature, il concut, dis-je, qu'il pouvait furpafler Corneille & lui-mê« me, & peut - être égaler Sophocle. II fit Athalie, 1'ouvrage le plus philofophique qui eüt encore illuftré la fcène francaife." Ce chef - d'ceuvre n'eft pas dirigé contre Ie fanatifme; on ne 1'eüt pas fouffert a la cour: mais il eft dirigé contre les flatteurs, contre les prêtres courtifaus, contre la politique cruelle des ambitieux. Les lepons que donne Ie pontife au jeune roi qu'il vient de couronner, font d'un pathétique admirable & d'une raifon fublime. On concevra que Racine ne pouvait fe permettre davantage, fi fon veut examiner avec attention la fiècle briljant qui lui doit une partie de fa gloire. On verra ** 2  XII DISCOURS quelle était Ia fervitude des penfées fous lerègne de Louis XIV; & fon fentira combien il eüt été dangereux devouloirfecouer ces chalnes de 1'efprit. Le tems nous a permis d'ofer beaucoup plus; & nos defcendans oferont plus que nous. S'il eüt vécu dans notre fiècle, eet homme ü qui la nature avait accordé tant de facilité pour le travail, & tant de patience, una raifon fi droite & une feufibilité li patfaite, il aurait mis fans doute plus de hardiefle dans les mceurs & dans les détails de fes immortels ouvrages. Non content d'égaler 1'harmonie enchanterelfe de Sophocle & d'Euripide, la grace &lamaje(lé de leur diftion, la variété de leur éloqueuce.il les aurait encore imités dans 1'art de donner un grand but au poème tragique. Comme eux il aurait mis fous les yeux de fa patrie, fes lois, fon gouvernement, fes grands hommes, les époques célèbres de fon hiftoire. Comme eux, ii aurait indruk fes contemporains, en retracant les malheurs & les fautes de leurs ancêtresï & la France aurait des modèles de tragédies nationales. Campifiron, la Grange*Chancel & quelques autres, perdirent le théatre. On vit reparaitre fur la fcène tragique les princefles déguifées, les princes qui ne fe connoiffoient pas eux.mêmss, les intrigues compliquées, & tous les beaux fentimens de Calfandre & de Clélie. Cependant les chefs -d'oeuvre de Racine n'eurent jamais au tant de fuccès, dans leur nouveauté, que les faibles ouvrages de Campiftron; & Tiridate faifait les délices de Paris, h-peu.prés dans le tems oü 1'incomparable Athalie paffait pour un mauvais ouvrage. C'était Ia mode de s'ennuyer en lifant. Cette mode ne ceffa qu'au comtnencement de ce fiècle, quand la France avait perdu Racine. Entre la dernière tragédie de eet homme éloquent, & la première de M. de Voltaire, il s'écoula un efpace de prés de trente années. Pendant tout ce tems, la fcène fut livrée & des écrivains dont les meilleurs étaient médiocres. On croyait la carrière fermée, lorfque OZdipe parut. II eft imprudent d'annoncer, a la mort des hommes illuftres, qu'ils n'auronc plus d'égaux. Je concois qu'un tel arrêc fatisfait 1'amour-pro-  PRÉLIMINAIRE. »n pre de celui qui le prononce; mais c'eft prédire un fait impoffible, & par conféquent, c'eft dire une abfurdité. La révolution dans les idéés, raaintenant fi avancée d'un bout de 1'Europe * 1'autre, commencait h éclorre fur la fin du règne de Louis XIV. La révocation de 1'édit de Nantes, funefte aux intéréts politiques de la France, fut utile aux progrès de 1'efprit généra!. Les Proteftans chaffés de France, accuférent, dans une foule de livres, ia religion qui les perfécutait. Les matières religieufes furent foumifes a la difcuflion , & la difcuffion chez quelques -uns produifit le fcepticifme. La raifou humaine fit plus de pas en vingt ans, qu'elle n'en avait fait depuis un fiècle avant cette époque. Parrni les ouvrages nés dans ces' tems orageux, il faut diftinguer ceux de notre grand dialeécicien Baile, & fur.tout fon diaionnaire, le feul ouvrage de cette efpèce oü il y ait du génie, & fun des plus beaux monumens qu'ait élevés la philofuphie. Au gouvernement inonachal des de-nières années de Louis XIV, fuccéda, fous la régence, une efpèce de liberté de penfer. Fontenelle, un moment perfécuté par les Jéfuites, jouiffait alors d'une haute réputation. II Ia devait a fes éloges & a cette hiftoire desoracles qui d'abord avait failii le perdre. Ce fut dans cttte aurore du bon fens que parurent les premiers eflais de M. de Voltaire. II ne créa point 1'efprit phüofophique en France; il 1'y trouva, mais il fut 1'appliquer a tous les genres d'ouvrages littéraires; il le mit a la portée de toutes les clalfes de la fociété; il en fit, pour ainfi dire, la monnoie courante; & parvint è exercer fur tout fon fiècle 1'empire le plus cher & le plus univerfel, celui du génie & de la raifon. C'eft fur- tout i fes tragédies que M. de Voltaire doit fon influence fur 1'Europe entière. Un livre, quelque bon qu'il foit, ne faurait agir fur 1'efprit public d'une manière aufli prompte, aufli vigoureufe qu'une belle piece de théatre. Des fcènes d'un grand fens, des penfées lumineufes, des vérités de fentiment, exprimées en vers harmonieux, fe gravent aiié. ment dans la tête de la plupart des fpectateurs. Les détails font perdus pour Ia multitude; le fil des raifonnemens intermédiaires lui échappe, ellc ne 1'aifit que les léfultats. Toutes nos idéés  siv DISCOURS viennent de nos fens; mais 1'homme ifolé n'eft ému que médiocremeut: les hommes raffëmblés recoivenc des impreffions fortes & durables. Perfonne, chez les modernes, n'a fi bien concu que M. de Voltaire, cette éleftricité du théicre. On a criiiqué fes plans, & peut-être avec raifon. II y a quelquefois plus de richelfe que d'ordre dans 1'économie de fes tragédies. 11 n'a pas toujours obfervé la vraifemblance; on peut préparer les événemens mieux que lui. Mais pour de légères fautes de compofition, que de beautés de toute efpèce l quelle grandeur dans les conceptions! c'eft -la fa partie dominante. Que de fituations tragiques! que de paffions! que de mouvement 1 La tragédie de Manlius eft beaucoup mieux conduite que Mahomet, Alzire, ou Sémiramis: mais le cinquième afta d'Alzire vaut dix tragédies comme Manlius, II faut une efpèce d'imagination pour éveiller fans ceffe la curiofité par de nouveaux incidens; il faut beaucoup d'adreffe pour éviter toutes les invraifemblances; mais il faut du génie pour peindre énergiquement les mceurs; il faut du génie pour mettre la raifon en fentiment; il faut du génie pour échauifer le cceur, pour éclairer 1'efprit, & pour enchanter 1'oreille. Les nombreux fuccès de M. de Voltaire irritaient 1'envie. Elle avait befoin d'un rival a lui oppofer, elle fe faifit de Crébillon. L'auteur de quelques pièces romanefques & mal écrites, fut préféré pendant quarante ans, par des journalistes, a f auteur de Mérope & d'Alzire, au plus beau génie du dix - huitième fiècle. Le dernier foupir du grand homme fut fatal a la réputation de Crébillon. Le nom de ce poète in. porree! & fans naturel, cefla d'être prononcé avec ceux de Corneille & de Racine, & 1'enthoufiafme qu'il avait infpiré tomba de lui-même, par la raifon que fes admirateurs na pouvaient le lire. M. de Voltaire a plus approfondi dans fes tragédies la rnorale proprement dite, que la politique. II a combattu durant foixante ans le fléau de la fuperftition. Sa plume a fans cesfe retracé les ufurpations du facerdoce, iarement les préten» tions arbitraires des rois & des grands. II a fait quelques «Sgédjös oü le public francais entendait au mohis prononcer  PRÉLIMINAIRE. xv des noms francais, mais parmi ces tragédies, d'ailleursfondées ftr des faits inventés, Zaïre eft la feule qui fo.t adm.rée des connoilTeurs, & les Francais n'y font qu'accelfo.res. Le oblies qui ont empêché Corneille & Racine de repréfemer leur Nation fur la fcène tragique, exiflaient encore pour M. de Vo ie. Grace a lui-même, grace a quelques ph,lo. ftphes qui ne fe font pas occupés du théatre , ces obftac es n'exiftent plus pour nous. Les hommes fupéneurs font uwch« refprlt humain. Saus eux, H refterait .mmob. le. Les pas que ces mattres fameux ont fait faire a notre fiècle, dotvent exciter notre émulation. Continuons la route, sd eft poffible-, en partant du point oü ils fe font arrêtés. La tragédie de Charles IX, commencée bkn avant qu on püt prévoir la révolution qui s'opère en France, ne pouvait Le achevée, ce me femble, dans des c.rconftances plus favorables. Quelle époque en eiTet pour établir fur notre théatre la tragédie nationale! Nous voyons éclorre une cbofe publique au milieu de nous. L'opmton du peuple eft maintenant une puiffance. La Nation la plus éclatrée de 1'Europe s'apercoit enfin de la nullité de fa conft.tut.on. Elle va bientót s'affembler pour anéantir les abus fans nombre que 1 >gnorance, la parefle. 1'efprit de corps & les imérêts parricuhers ont accumulés en France depuis prés de quatorze fiècles. Pour créer parmi nous la tragédie nationale, j ai choiii ie fujet le plus tragique de 1'hiftoire moderne. ]'ai banni de ma pièce ces confidens froids & parafites qui n'entrent jamais dans l'action, & qui ne femblent admis fur la fcène que pour écouter tout ce qu'on veut dire, & pour approuver tout ce qu'ou veut faire. Les fept perfonnages les plus illultres de la France a la fin du feizième fijcle, fervent a nouer & ii dé. nouer mon intrigue importante. Voici comme j'ai concu leurs caraftères. Catherine de Médicis n'a d'autre panton que de tromper & de commander. Toujours calme, toujours inébranlable dans fes delTeins, les moyens lui font indilférens, pourvu qu'elle réufTiffe. Artificieufe par caraétère & par fyftême, elle fait juftifier fa conduite d'après les principes du Machiavélifme,  ?yi DISCOURS principes affreus qu'elle développe de manière a féduire aifé* ment un efprit faible; principes, d'ailleurs, prefque univer-, fellement adoptés dans ces tems oü la véritahle politirjue était encore inconnue. Catherine de Médicis gouverne fon fils; mals, & fon tour, elle eft gouvernée par les Guifes. On doit remarquer dans le duc de Guife & dans Ie cardinal de Lorraine fon oncle, un même efprit d'orgiieil & d'audace, mais diverfement modifié, felon la différence de leur age & de leur état. Le duc de Guife a toute 1'énergie d'un jeune ambitieux. On fent qu'il a de la peine a trornper; & tandis qu'il parle au nom de Ia France & du bien public, fouvent il laiffe entrevoir fon défir de vengeance & fes vues particulièf res. II infulte lui-même Coligni. Le Cardinal, au contraire, défigné par Coligni d'une manière outrageante, fait femblant de lui pardonner. Le Cardinal, plus mür & plus politique que fon neveu, en alléguant les intéréts du ciel, s'oublie toujours lui-même en apparence. II eft aifé de com? prendre que fon zèle pour la religion n'eft qu'un zèle hypotrrite. II abufe de 1'écriture-fainte & des ufages les plus rtfpectés de la religion catholique. Sa conduite eft un facri. lége perpétuel, , Charles IX, affiigé, flatté, corrompu fans ceffe & par fa mère & par les Guifes, flotte dans une irréfolution perpétuelle. II eft trés.faible, & par conféquent trés-facile a émouvoir. On voit cependant que tous fes penchans font vicieux. lleftjaloux defonfrère le duc d'Anjou :1e fang ne 1'épouvante pas, le parjure encore moins. Ce n'eft pas un roi faiblement vertueux; c'eft un raéchant fans énergie. L'Amiral a ce caractère fombre & méfiant que forme la longue expérience du malheur. Sa haine contre les Guifes eft égale a leur haine contre lui; mais fon coeur magnanime ne peut foupconner fon roi. Dans les projets qu'il communiqué a Charles IX, projets qu'il avait en effet concus, on doit voir un génie aétif, étendu, véritablement patriotique, mais que des drconftances malheureufes ont rendu funeffe a Ia France. Le chancelier de 1'Hópital eft éminement vertueux. II dit hardiment la vérité. Ami de.s bons, ennqmi des raéchans»  PRÉLIMINAIRE. xvn mais lent h les foupconner, il voudraic conciüer tous les pnrtis II tient en quelque forte la place du chceur des Grecs. Sa'vertu, fon génie, fa vieillelTe, donnent un grand poids a fon autorité. Dans fes difcours quelquefois pleins de véhémence, & toujours pleins de fageffe, il rappelle h ceux qui 1'écoutent, 1'hiftoire des tems paffés. II a les mceurs d'un vieillard homme d'état & homme de lettres. La candeur, la confiance & la bonté, font les qualités qui diftinguent le jeune roi de Navarre, depuis notre grand Henri IV. L'age de ce prince, & la nature du fuj et, neme perine'ttaient pas de lui donner dans cette tragédie un róle trésimportant. Mais il eft refpeété même par fes ennemis; il eft annoncé comme devant être quelque jour un grand homme; & le chancelier de 1'Hópital, en quittant une cour perfide, préfage le bonheur des Francais, s'il parvient a régner fur eux. Le roi de Navarre dévance le cri de la Nation entière, dans fon imprécation contte Charles IX. On ne pouvait met. tre dans une bouche plus pure, 1'indignation que mérite un crime inouï. Les perfonnages de cette pièce fe nomment mutellement Si-e, Madame ou Monfieur. Le mot feigneur, qui ferait abfurde dans les tragédies natiouales, nepeut être a fa place que dans les pièces oü 1'on peint les mceurs efpagnoles & italiennes. II eft déraifonnable, lorfqu'on fait parler les anciens Romains ou les Grecs. Le mot qui répond en grec au mot feigneur, n'eft jamais employé dans Sophocle & dans les autres trag.ques d'Athènes. La grande connoiffance que Racine avait de la «ttérature ancienne, ne permet de lui faire qu'un reproche: c'eft d'avoir cédé trop facilement, en ce point comme en quelques autres, * 1'ufage établi fur la fcène francaife. Les hommes tels que lui font faits pour mener leur fiècle, & non pour le fuivre. Leurs moindres omiffions tirent a confequence. La multitude, qui ne raifonne pas, fe prévaut de leur exemple, quelquefois involon.aire; & leur autorité triomphe longtems de la raifon la plus évidente. Ceux qui pourraient trouver mon exafluude minutieufe, doivent réfléchir qu il ne faut 5  27111 DISCOURS ricn négliger de tout ce qui tient au coflume, & que la vérité du coftume eft beaucoup plus eiTentielle & obferver dans les mceurs que dans les habits. Au moment du maffacre de la Saint. Barthelemi, le cardinal de Lorraine était a Rome, & le chancelier de 1'Hópital avait quitté la cour depuis quatre ans. J'ai cru qu'il m'était permis cFaltérer légérement 1'hiftoire. Je penfe qu'on peut, dans une tragédie hiftorique, inventer quelques incidens, pourvu qu'on ufe avec modération de ce privilége, & fur-tout qu'on ne prête point a fes héros des aftions contraires a leur caraétère connu. Si, par exemple, on introduifait dans une tragédie Bayard éperdument amoureux d'une jeune Italienne, & deux heures avant une bataille envoyant un cartel il fon jeune rival, au neveu du roi Louis XII, il faut convenir qu'on ferait agir Bayard d'une manière abfolument indigne d'un général & d'un homme fenfé. Si Bayard n'envoyait le cartel que pour fe ménager le plaifir de faire une réparation brillante, cette combinaifon ferait, ce me femble, d'une puérilité inexcufable; mais fi Bayard, en pofant fon épée aux pieds de Gafton, s'écriait dtvanc tous fes officiers,qu'ilagrandfoind'appellerlui.même: Contemplez de Bayard Pabaiffement augufte; le poète, par cette emphafe déplacée, acheverait de dénaturer le caraétère de ce preux chevalier, que 1'hiftoire nous repréfente aufli modefte que vertueux. On a écrit dans ces derniers tems quelques tragédies fur des fujets francais; mais ces pièces font une école de préjugés, de fervitude & de mauvais ftyle. L'auteur a fubftitué aux grands intéréts publics, des faits fans importance, & des rodomontades militaires; il a facrifié fans celfe a la vanité de quelques maifons puifTantes, & a 1'autorité arbitraire. II n'a donc point fait des tragédies nationales; & fi tout homme un peu lettré fouffre en écoutant de pareils ouvrages, ce n'eft pas dans le fonds, paree qu'ils ne font point affez conformes il 1'hlstoire; c'eft paree qu'ilj ne font point du tout conformes au fens cornmun.  PRÉLIMINAIRE. XK Que des tragédies déteftables réuffiffent, grace h la pompeufe abfurdité d'un dénouement; qu'on s'avife de faire des tragédies en profe; qu'on nous exhorte a laiffer la Sophocle & Racine, pour imiter les dégoütantes abfurdités du théatre anglais, & les niaiferies burlefques du théatre allemand; ces fottifes fans conféquence font plus divertilfantes que dangereufes: tout cela paffe, & va bientót du ridicule a 1'oubli. L ennemi conftant, le fleau le plus redoutable, je ne dis pas feulement de notre théatre, mais des arts & des mceurs chez les nations modernes, c'eft eet efprit de galanterie, fruit de 1'ignorance de nos ancêtres, efprit contraire au vrai but de la fociété, efprit humiliant pour le fexe qui eft convenu d'être trompé, & plus encore pour celui qui trompe. Je n'en chercherai point 1'origine, je n'en fuivrai point les progrès. Cette queftion intéreifante, & que je pourrai traiter ailleurs, me mènerait ici beaucoup trop loin. Qu'il me fuffife d'établir, de manière i n'être point défavoué par les gens capables de iéflexions; qu'il fuffife de faire fentir que eet efprit déraifonnable a rallenti fingulièrement la marche des nations modernes dans les arts & dans la morale. II a, pour ainfi dire, mutilé nos pafïïons: mais les vertus & les talens vlennent des pasfions: mais les fenles paiïïons font concevoir & exécuter de grandes chofes. Si toute 1'Europe eft dominéé de cette chimère puerile, la nation francaife en eft plus acteinte que toute autre, non par un caradère particulier, mais par une foule de circonftances qu'il ferait trop long d'expliquer ici. Entrez dans 1'atelier de nos peintres, de nos fculpteurs; courez a nos théatres; ou. vrez nos poètes, nos orateurs, nos hiftoriens même; parcourez nos livres de morale & jufqu'a nos livres de Phyfique; vous trouverez par-tout des traces de eet incurable préjugé. Et qu'on ne dife pas que c'eft une fuite néceflaire de la etvilifa.ion; la galanterie diminue, au contraire, * mefure que les peuples font plus civilifés. Je prends a témoin 1'expénen. ce Te ne parlerai point ici des Romains & des Grecs, qui n'ónt jamais connu ces mceurs ridicules. Je veux m'en teuir  xx DISCOURS aux modernes. Comparez Ie dix-huitième fiècle au tems de la chevalerie. II faut qn'un poète tragique fe roidiile contre le torrent. La comédie doit peindre les travers de la fociété, la vérité du moment & du lieu. La tragédie doit peindre les palïïons humaines dans leur plus grande énergie. La différence des époques exige quelques différences dansles formes; mais le fond doit être le même. L'efprit change; Ie cceur humain ne faurait changer. La nature autour de nous eft fi fardée, fi voilée, fi chargée de vêtemens étrangsrs, qu'elle n'eft plus reeonnoiflable. Jetons au loin ces prétendus ornemens qui le couvrent, nous retrouverons les formes antiques. Les Grecs 1'ont repréfentée nue dans leurs poèmes comme dans leurs ftatues. Chez eux, les mceurs, les inftitutions, les ufages, tout les menait a la vérité: tout nous poufTe en fens contraire. Les Grecs étaient une nation libre: ils ne connoifTaient pas les préjugés gothiques, & 1'hydre des conventions qui nous affiége. Suivoas le confeil d'Harace; lifons-Ies jour & nuit. II ne s'agit plus de les traduire; rempliflöns-nous de leur efprit, & créons comme eux. Mais des gens qui n'ont rien k dire, s'écrient fans cefTe qu'on a tout dit. Ces mots n'ont point de fens, & jamais on ne peut tout dire. L'art fuivra le deftin de fon modèle; il s'épuifera quand Ia nature deviendra flérile. Mais la nature, qui n'entre ,pas dans les paflïons des petits critiques, produira toujours des objets variés entre eux, malgré leur resfemblance apparente, & toujours des hommes fupérieurs, en très-petit nombre il eft vrai, qui fauront apercevoir & peindre cette extréme variété. Le zèle des prophètes de mal. heur, prêts dans tous les tems k défefpérer de leur fiècle,eft difté par la vanité jointe a 1'impuiflance, & nulle par la faine raifon. Le génie méme ne peut deviner les bornes du génie. Je vais plus loin; 1'individu doué de cette faculté précieufe qu'on nomme génie, ne peut deviner fes propres iorces. II ne faurait prévoir a quel degré des circouftances quelquefois prochaines, pourront exalter fon ame.  PRÉLIMINAIRE, xxi II ne m'appartient pas de juger du mérite de la tragédie de Charles IX; & peut-être prouvera. t - elle que mes talens pour exécuter, font trés - inférieurs è mes intentions; mais du moins la cour de Charles IX y eft peinte de fes véritables couleurs; il n'y a pas une fcène dans la piéce qui n'infpire 1'horreur du fanatifme, des guerres civiles, du parjure & de 1'adulation cruelle & intéreiTée. La vertu y eft exaltée, le crime puni par le mépris & par les remords, la caufe du peuple & des lois défendue fans ceffe contre les courtifans & la tyrannie. J'ofe donc affirmer que c'éft Ia feule tragédie vraiinent nationale qui ait encore paru en France; qu'aucune autre pièce de théatre n'eft aufli forcement morale; &, par une conféquence néceflaire de ces deux propofuions inconteftables, ]'ofe affirmer qu'il faut être ennemi de la rairou pour craindre la repréfeiuation d'une pareille pièce. Je fais qu'on imprime encore a la fin du dix-huitième fiècle, que la philofophie eft une invention pernicieufe, & que tout fera bouleverfé, fi elle vient a triompher dans 1'efprit des hommes; c'eft dire, en d'autres paroles, que tout fera bou. leverfé quand les hommes aurone du bon fens. Si c'eft una vérité, il faut convenir du moins qu'elle n'eft pas évidente. On peut d'ailleurs prédire aux ennemis de Ia philofophie que tous leurs efforts feront inutiles. Permis a eux de retourner de la luinière aux ténèbres; mais qu'ils ne fe flattent pas d'y ramener 1'Europe. Elle s'avance è grands pas des ténèbres 1 la lumiere. C'eft la marche néceflaire de 1'efprit humain, qui ne peut rétrograder depuis 1'invention de 1'imprimerie. PuhTé-je, dans mes ouvrages , & furtout dans des tragédies politiques & nationales, ne pas refter inutile aux progrès de cette philofophie bienfefante & courageufe! Puifle 1'étude & 1'expérience mürir mon faible talent! Puiflê-je élever un jour quelques monumens qui ne déshonorent point la langue fran?aife, & qui ne foient pas tout-a-fait indignes d'une Nation éclairée depuis prés de deux siècles, par le génie des grands hommes I aa doüt 17Ö8.  AU ROI. M on ar que des Francais, chef d'un peuple fidéle, Qui va des nations devenir le modèle, Lorfqu'au fein de Paris, féjour de tes aïeux, Ton favorable afpecï vient confoler nos yeux, Permets qu'une voix libre, h 1'équité foumife, Au nom de tes fujets te parle avec franchife; Préte a la vérité ton augufte foutien, Et, las des courtifans, écoute un citoyen. Des efclaves puifiaris qui confeillent les crimes, Tu n'as pas adopté les fanglantes maximes. Le peuple, en tous les temps calomnié par eux, Trouve fon défenfeur dans un roi généreux: Des préjugés du tröne écartant 1'impofture, Louis fait refpecter les droits de la nature. C'eft au peuple, en efFet, que tu dois ta fplendeur, Et fa grandeur peut feule aftermir ta grandeur. En vain les ennemis du Prince & de la France, Etalant fans pudeur leur fuperbe ignorance, Vont d'un adroit fophifme accafer mes difcours i Mentir avec adreffe eft le talent des cours. Confulte la raifon, immortelle fcience, Et cette autre raifon qu'on nomme expérience: Exerce ton efprit, interroge ton cceur; Et des temps reculés fondant la profondeur, Fais parler devant toi les faftes de 1'hiftoire: Examine quels noms, dévoués a la gloire , De trente nations maintenant révérés, Pour 1'avenir entier font devenus facrés; Et de quels noms affreux la mémoire flétrie, Recueille après cent ans 1'horreur de la patrie. Des ennemis du peuple on connaït les forfaits? Les noms de fes amis rappelleut des bienfaits. Maisil eft trop de rois, il eft trop de miniftres, Qui recourant toujours h des moyens finiftres, Oubliant que du peuple ils tiennent leur pouvoir, Regardent comme un droit ce qui n'eft qu'un devok.  AU ROL ï»a Ainfi des Armagnacs 1'oppreffeur tyrannique, Des biens des Templiers 1'ufurpateur inique; Ainfi 1'efclave-roi de 1'orgueilleux Arinand, D'un miniftre barbare imbécille inftrument; Ainfi de Médicis la race couronnée, Par de vils favoris tour-a-tour encbalnée; Tous ces rois fainéans, fur Ie tróne endorrais» Aux confeillers de cour indigneinent fourais; Subilfant avec eux une immortelle peine, Des fiècles mdignés ont encouru la haine. Quel tableau différent fe préfente i mes yeuxt Voila nos fouverains, voila tes vrais aïeux: Des demi-dieux francais je vois 1'imsge heureufe; Familie de bons rois, hélas! trop peu nombreufe. Contemple de Pépin fhéritier refpeété: U voulut des Francais fonder la liberté, Mais il ne put jouir d'un fi grand avantage: Le ciel te réfervait eet honneur en partage. Contemple Louis neuf, le plus jufte des rois, Débrouillant le chaos de nos*antiques Iois; Et celui dont 1'amour fecondant la prudence Réunit 1'Armorique au refte de la France. Par quinze ans de vertus, ce roi fans favori, De pére de fon peuple obtint le nom chéri. Le citoyen lui paye un tribut de tendrefie i Sur.tout il fe rappelle, & vante avec ivrellè Henri quatre & Sulli, ces nom idolitrés, Que 1'amour des Francais n'a jamais féparés. Louis doit les rejoindreau temple de mémoirej Et mes chants quelque jour célébreront fa gloire. Ce penreur éloquent, la gloire des Romains, Qui crayonne les mceurs des antiques Germains, Fier ennemi des cours & de la tyrannie, Ecrafoit les méchans des traits de fon génie: Ce grand républicain, fujet des empereurs. Du fils d'Enobarbus dénonca les fureurs],  xxiv AU ROI. Et le druel Tibére, en intrigues fertile, Et du vil Claudius la démence itnbéciile. Mais en éternifant leurs indignes portraits, De Trsjan, de Nerva , fa main pelgnit les traits» Et du monde pour eux follicitant 1'hommage, D'une palme immortelle entoura leur image. Des mon enfance épris de fa male fierté, Et libre avant les jours de notre liberté, Dans un art différent le prenant pour modéle, Difciple faible encor, mais difciple fidéle, Si j'ai dépeint ceroi bourreau de fes fujets* Dont la main parricide immola les Francais; Bientót-je veux chanter un rJrince magaanirae» Un miniftre chéri'que la juftice anime, Citoyens tous les deux, dont les travaux conftans' Nous ont rendu nos droits ufurpés fi long-temps; Une augufte Affemblée oü la vertu préfidej Oü du peuple francais Ia majefté réfide;' Et dans ce peuple enfin trois peuples confondus, Oubliantde vains droits vainement défendus: Nos ennemis vaincus, nos villes alarmées, Aux infames complots oppofant des années: Les citoyens quittaut 1'ombre de leurs foyers, Et fous les étendards fe mélant aux guerriers: A leurs vaillans efforts la Baftille foumife; Sur fes créneatix fanglans la liberté eonquifes Du fage Washington Ie vertueux rival, Son éléve autréfois, maintenant fon égal s L'équité la plus pure a Ia candeur unie, D'un maire philofophe honoraut la génie: Et dans la France entiêre un peuple fortuné, Au feul nom de Ia cour autréfois confterné, Rallié déformais au nom de la patrie, Illuftre par les inceürs, & grand par 1'induftrle, Révérant, chériffant les vertus de fon roi, Libre fous fon empire, & foumis & la loi. CHARLES IX.  CHARLES IX; O Ü L'ÉCOLE DES ROIS; TRAGÉDIE*  pERSONNAGES. CHARLES IX, roi de France. CATHERINE DE MEDICIS, reine-mere. HENRI DE BOURBON, Roi de Navarre. LE CARDINAL DE LORRAINE. LE DUC DE GUISE. L'AMIRAL DÈ COLIGNI. LE CHANCELIER DE L'HOPITAL. Membres nu conseil. Courtisans. PROTESTAMsdela fuite da l'Amirri. Gardes. Pages. Lt Scène eft dans Paris, auiMttau'du Lowr*.  CHARLES IX, O ü L'ÉCOLE DES ROIS, TRAGÉDIE. ACT.E PREMIER. SCÈNE PREMIÈRE. LE CHANCELIER DE L'HOPITAL, L'AMIRAL DE COLIGNI. l'a m i e a l. Illustre chancelier, de qui la voïx propice Fait au fein des combats refpe&er Ia juftice, Soyez toujours 1'oracle & 1'appui des Francais. C'eft a vous, 1'HópitaI, que nous devons Ia paix. Sans vous, nous périfllons. Votre prudence aftive Aux raaux des deux partis fut fans ceffe attentive; Et vous flattez encor d'un avenir plus doux Tant de bons citoyens qui n-efpéraient qu'en vous. Ce palais retentit des chants de 1'hyménée; D'un noeud faint & chéri la pompe fortunée, AfFermiflant la paix entre deux jeunes rois, Mêle au fang des Bourbons Ie fang de nos Valoïs, Quel hymen! Marguerite, idole de la France, Henri, des Navarrois 1'amour & 1'efpérance, Pour le bonheur public uniflant leurs efforts, Vont expier le fang répandu fur ces bords. ICh! qui peut maintenant, témoin de leur rendréfte, Repouffer loia de foi la publique alégrelïè'? A 2  4 CHARLES IX. \ Les Guife, toutefois, fouillant des jours fi beaux, Se préparent encore a rouvrir les tombeanx. Croyez-moi, le péril n'eft point imaginaire: Maurevert a commis un crime mercenaire; A des piéges fanglans ils ont déja recóurs; Au fein du louvre même ils achètent mes jours: 11 faut veiller fur eux, c'eft eux que 1'on doit cramdre. Ce n'eft pas d'aujourd'hui quïls ofent tout enfreindre. < Vous même , enfin, monficur,, s'il eft vrai que leur choiK Vous ait riominé jadis 1'organe de nos lois, Ce choix fi defiré vient de leur politique; lis ont fu fe plier a 1'eftime publique; • Ils veulent nous trainer dans 1'ablme fatal, En voilant leurs projets du nom de 1'Hópital. LE CHANCELIER, Ah' formez, Coligni, des cnintes légitimes. Je ne puis, quant è moi, leur imputer des crimes, Et je n'adopte pas vos foupf;ons inquiets. : Si fon pourfuit vos jours au milieu de la paix, J'en frémis; je voudrais le cMtimcnt du traiwe: Mais je blame un dépit qui s'aveugle peut-Être; Et vous devez favok que des plus vils complots Ils ont auffi, monfieur, foupconné des héros. Ah' je ne prétends pas les excufer fans ceffe; lis ont d'un jeune roi maïtrifé la faibleffe: Mais avouez du moins que dans nos temps cruels 11 n'eft point de Francais qui ne foient cnminels: Tous fe font égarés, & la nuit environne Les droits facrés du peuple & les devoirs du tróne. Tai vu ce Louvre en deuil, & prefque enfanglanté; L'orgueil & lalicence, & point de liberté: T'ai vu de nos Valois la maje'fté flétrie; Les plus grands citoyens déchirant leur patrie, Maltint avec baffelTe , ou combattant leur roi; Les plus grands, je 1'ai dit, & vous enfaitesfof. L* A M I R A L, llfallait s'égarer, convenez-en vous i même; Et des deftins francais 1'enchainement fuprême Préparait des longtems a nos jours déteftés Ua cours de trahifons & de calamités.  Acte I, Scène I. $ J'ai fuivi le torrent qui ravageait Ia France; On peut le détourner, & j'en ai 1'efpérance. Au repos tout-a-coup nous ne parviendrons pas; Les foldats & les chefs ont befoin de combats. Depuif PB l ■■: entter 1'Efpagne nousoutrage: ]] • f ! contre nous-même exercés au carnage, ] , mioM, tl en eR tems, de plus juftes deffeins; Dans Ie fang eftagnol courons baigner nos mains: trc ptrtij c"cft le feul qui nous refte, le chancelier. |% éxtrfaité! parti vraiment Funefte! Tom deux Frar>ciis, tous deux nous cbériflems 1'état; V ; ,: .: en guerrier, je penfe en magiftrat; : :z loujours garder le cara&ère. La guerra eft un fléau quelquefois néceflaire, Qu'il faut craindre toujours , & long-tems éviter , Et dont j'ai vu 1'état rarement profiter. Oui, tous ces vains débats oü le glaive décide, Ces lauriers teints de fang , cette gloire homicide Qui d'un prince orgueilleux peut enivrer le cteur , Opprimant les vaincus, Frappe aufli le vainqueur. Loin de nous des Fureurs trop Fouvent inutiles I Mais loin de nous cent Fois ces difcordes civiles, Oü le Fer, Fans pudeur brilant tous les Hens, Verfe des deux cótés le Fang des citoyens! Et peut-être a ce choix la France eft condamnée: Telle eft, je le fais bien, 1'humaine deftinée, Qu'il faut chercher Fans cefle un danger différent, Et par un mal nouveau guérir un mal plus grand, l' a m i r a l. Bourbon vient. Il eft feul, & fon ame égarée D'un éternel chagrin femble être dévorée. A 3  i CHARLES IX. SCÈNE IX. ,L thaNCELIER DE L'HOPITAL, L' A M S* ^RAL DE COLIGNI, LE ROI DE NAVARRE» i* A té I R A L. TVéTENBEZ-vousnourrir des chagtins fuperfiusï Bonner toujours des pleurs a celle qui n'ett plus > Ocher prince! ó mon fils! cette douleur amere Ne pourra du toiubeau rappeler votre mere. L£ ROI DE NAVARRE. Ce cruel fouvenir eft préfent a. mon cceur; Mais je fais, Coligni, furmonter ma douleur, iln autre fentimeac m'affiége & me tourmente. L' A M I E •* L- Quel eft-il? contentez notre ame impatiente. ju.E ROI BE NAVARRE. L'effroi, je 1'avoürai. t' A M I R A K» D'oü vous vient eet efFroi ? LE ROI DE NAVARRE. Hier nous commencions, d'Alencon, Guife & moi, Ces jeux qui fembleraient réfervés a 1'enfance, Oü, toujours agité par 1'avide efpérance» Un oifif courtifan confumant fon loifir, Perd fes biens & le tems, fans trouver le plaifir. Trois fois j'ai repoufté le trouble qui me preüe ! Apprenez, duffiez-vous condamner ma fatblefle, Ce que j'ai,vu, fans doute, ou ce que j'ai cru voiff Ce que mot-même enfin je ne puis concevoir; Ce qui s'offre fans eeffe a mon ame éperdue: Trois fois les dés fanglans ont effrayé ma vue. C'eft peu: dans les momens coufacrés au repos,' Je me luis retracé des malheurs, des complots; le poifon terminant les jours de votre frère, Et peut- être au cercueil précipitanc ma mèrej  ACTE i, SCÈNE ii, ? Nos fuccès, nos revers, & les champs odieux Oü Condé, ce grand homme, expira fous nos yeuxï D'un carnage éternel nos régions fumantes, Et des princes lorrains les intrigues fanglantes; Vos amis & les miens, viftimes des traités, Au milieu de la paix. profcrits, perfécutés, Dans les murs de Vaffi maffacrés fans défenfe, Accufant leur trépas inutile a la France. Excufez, chancelier, des mouvemens confus, Par ma faible raifon vainement combattus. 11 eft de ces inftans oü 1'ame anéantie D'un finiftre avenir parait être avertie; Et peut-être, en effet, ces fecrettes terreurs Des défaftres prochains font les avant-coureurs. On a vu, dans la nuit, dans les vapeurs d'un fonge, La vérité par fois fe mêler au menfonge. LE CHANCELIER. Sur des fignes trompeurs ceffez d'être alarmé; Aux regards des mortels 1'avenir eft fermé, Sire ; & quand le ciel même, a qui tout eft pofllble, Nous daignerait ouvrir eet ablme invifible, Parmi tant de menfonge & tant d'obfcurité, Quel ceil diftinguerait 1'augufte vérité ?^ Vous ne prétendez pas imiter, je 1'efpère, Ces rois qui, fur Ie uóne, élèves du vulgaire, Font régner tout 1'amas des fuperftitions; Enfans qui du fommeil gardent les paffions, Et qui, fur les projets qu'un fongg leur infpire; Rifquent a leur réveil Ie deftin d'un empire. LE ROI DE NAVARRE. Je lesblame avec vous, & vous devezjuger Que des preflentimens ne pourrönt me changer. Vous connaiffez mon coeur; il eft fans défiance. L' A M I R A L. Moi, qui des courtifans ai quelque expérience, Je crains que 1'avenir ne reffemble au pafté; Par un aflaffinat la paix a coromencé. Nos cruels ennemis ont un pouvoir fuprême: ]e crains, je 1'avoürai, mais bien plus que vous,imême» A 4  5 . e H A R L E S i x. Non pas quelques inüans, mais la riujt, mais le jour, Mais durafl't mon fommeil, mais au fein de la cour. LE ROI DE NAVARRE. Que les lieux oü jadis s'écoulait mon enfance, Avec un tel féjour ont peu de reflemblance! Et combien je rends grace aux généreux humains, Qui des males vertus m'ont ouvert les chemins! Je ne reffemblais point aux enfans des monarques, Corrompus en naiflant par d'éclatances marqués, Enivrés de refpefts, de titres féducteurs, Livrés aux courtifans, condamnés aux flatteurs, A l'art des fouverains faconnés par des prêtres , Et fans ceffe bercés du nom de leurs ancêtres. Au lieu de ferviteurs a mes ordres foumis, je voyais 'prés de moi des égaux, des amis. Au travail, au courage, a la franchife altière, Qn exercait alors notre élite guerrière. Li, bravant du midi les brülames ardeurs, Ou des hivers glacés fupportant les rigueurs, QravifTant fur les monts, fur les rochers arides, Nous formions notre enfance a des jeux intrépides. De vous & de Condé fuivant bientöt les pas, Je remplacai mon père au milieu descombats, Et ce qui doit fur-tout aux peuples de la France Sur mes deflins futurs donner quelque efpérance, Durant plus de cinq ans, défenfeur de nos droitss j'ai connu 1'infortune, école des grands rois. Enfin je fuis entré dans une autre carrière: A mes yeux tout-a-coup quelle image étrangère! Des guerriers fans pudeur, de molleife énervés, Perdus par un vain luxe, avec art dépravés; 'Des femmes gouvernant des princes trop facties, Aux paffions d'un roi des courtifans dociles, Oue le feul intérêt fait agir & parler, Sachant tout contrefaire' & tout diffimuler, En voyant ieurs plaifirs & leiir fauffe alégreffe^ Et leurs vices polis' voilés avec adreffe, j'ai tegretté cent fois nos grolïières vertus, Nos monts & nos rochérs de frimats revêtus, L,es périibies travaux, Ie tumulte dés arraes.  Acte I, Scène II. § Et mes premiers fiiccès pour moi fi pleins de charmes, Et ces camps généreux oii parmi des guerriers Votre élève croiffait a 1'ombre des lauriers. le chancelier. On vient. C'eft Médicis. l* a m i e a l. Et les Guifes prés d'elle! SCÈNE III. LE CHANCELIER DE L'HOPITAL , L'AMIRAL DE COLIGNI, LE ROI DE NAVARRE, LA REINE-MERE, LE CARDINAL DE LOR. RAINE, LE DUC DE GUISE, Courtisans, Pages, Gardes, la reine-mere. J'ai me a voir, Coligni, vos foins & votre zèle. Déja vous vous rendez auprès du roi mon fils ? l' a m i r a l. patten Jois en ces lieux le moment d'être admis, Madame, la reine-mere, A 1'inftant même il pourra vous admettrd Dès que vous 1'entendrez , j'ofe vous le promettre , De fes intentions vous ne vous plaindrez pas. ;l veut.par vos confeils gouverner fes états; Il veut qu'en même tems votre vertu 1'éclaire, Chancelier, des Franqais vous 1'ange tutélaire. Et vous, a qui le ciel promet de grands deftins, Prince déja fameux parmi les fouverains, Mon coeur vous a choifi pour 1'époux de ma fille; Bourbon, noble héritier d'une augufte familie, Connaiflez votre frère, & fongez a 1'aimer Songez qu'il vous chérit, qu'il fait vous eftimer. De cent jeunes héros fi la France s'honore, Mon fils au deiïus d'eux fait vous placer encore. A 5  CHARLES IX. H *; s». W 4 Vos mk, imt fa <«« n«lc:,és Wrd^u*. Vont, dans quelques molens, s'affemb,Pr pres de mtï 11 va les recevoir; & fi plus d'une injure Dans le fond de fon cceur n'excite aucun murmure, / Si de leurs fautes même il ne fe fouvient plus , Vous verrez qu'il n'a point oublié leurs vertus. Suivez-moi. L'Hópital, vous chériffez la France; Venez voir fon bonheur, c'eft votre récompenfe. Venez, ne tardons plus. SCÈNE IV. LE CARDINAL DE LORRAINE, LE DUC DE GUISE. L E CARPINAL. Xjes fuis-tu chez le roi? ï. B DUC. Pour y voir ce héros, qui 1'emporte fur moi ? Celui qui m'a ravi la main de Marguerite, Et tous ces proteftans accueillis a fa fuite? Voila bien des affronts; c'en eft trop: mais enfin, Rien ne s'oppofe plus a notre grand deffein: C'eft le jour du carnage. le cardinal. 11 faut avec prudence De I'intérêt commun voiler notre vengeance. Le roi, dit - on, le roi veut retarder les coups: Ce n'eft pas lui qui règne, & Ia France eft a nous. Avec nous Médfcis elle-même confpire; Tout s'émeut, tout s'unit pour nous jeter 1'empirei. Ce fceptre chancelant va t.omber en tes mams, Et j'avois dès long-tems préfagé tes deftins. l*ai vu mourir ton père au fein de la vichoire^ Êt fans le vieux rebelle, ennemi de fa gloire, 11 eut ofé peut-être... Hélas! il ne vit plus;. Mais tu me rends fon nom, fes projets,, fes vertusr  A C T B I , SCÈNE IV. 3J Sois en tout comme lui. Devtens plus populaire; Fléchis pour gouverner: on t'admire; il faut plaire. Tu fais trop répéter que tes nobles aïeux Étaient maitres ailleurs, mais fujets en ces lieux. L E DUC. Et qui peut maintenant vous caufer tant d'alarmes ? Du plus bel avenir, ah! goütez mieux les charraesi Par-tout des courtifans qu'il ne faut qu'acheter, Me fachant que fe vendre, & fervir, & flatter, Appuis, fans le favoir, de mes grandeurs futures, Ou fe comptant déja parmi mes créatures. Je crains peu les Valois; je crains peu Médicis; Je ne 1'eftime point; je plains le roi fon fils: Ces lieux n'invitent pas & parler fans myftère; Mais fi tout bas, du moins, on peut être fincère, Vous ne 1'ignorez pas, il eft fait pour céder; Elle pour obéir, en croyant commander. Et quant au chancelier, n'eft-il pas votre ouvrage? LE CABDINAL. Compter fur 1'Höpital ferait lui faire outrage. L E DUC. Du moins ce cteur timide autant que généreux, Aime trop la vertu pour être dangereux. Bourbon m'arrête feul: c'eft un roi magnanime; II me hait, je le hais, mais il a mon eftime: Sa candeur noble & fiére infpire le refpect; Je ne fais quel inftincr. m'agite a fon afpeft. Ce n'eft pas avec vous que je veux me contraindrej Son afpect m'interdit; & fi je pouvais craindre, ]e 1'avoürai, mon cceur fentirait quelque effroï De voir un tel obftacle entre le tróne & moi. Laiüons-la ce public, cette foule inconftanteB Echo tumultueux des fables qu'elle invente. Qu'elle ofe m'applaudk ou m'ofe déprimer, Je ne defcendrai point jufqu'a m'en faire aimer. 11 eft de ces mortels qu'outrage 1'indulgence, Du figne des héros marqués dés leur enfance, ?ar le choix de Dieu même au grand déterminés: & eft d'autres mortels a xamper deftinés,  CHARLES IX. Automates flottans entre des mains habiles, Kt dans 1'obfcurité trainant des jours ftériles; Dévoués en naiffant a foubli du trépas, Faits pour baifer la terre oü font marqués nos pas. De tous leurs vains propos que me fait 1'arrogance? Le fort mit entre nous un intervalle immenfe. D'une gloire fans borne il faut les infulter, D'un regard complaifant quelquefois les flatter, Mais les tenir toujours couchés dans la pouffière: A ceux que 1'on méprife on doit rougir de plaire. Votre neveu pourrait humilier fon front , Et de leur amitié rechercherait 1'affront! Mon père, mes aïeux m'ont préparé la voie. Souffrez que devant vous tout mon cceur fe déploie: Excufez ma fierté. Croyez que vos avis, Recus avec refpedt, ne feront pas fuivis: Vous ne me verrez pas aux faveurs plébéiennes Vendre le nom de Guife & le Tang des Lorraines: ]e ne veux point fléchir; je ne fais point tromper; Et pour monter enfin, je ne dois point ramper. LE CARDINAL. Tadmire, en le blamant, eet orgueil magnanime; Je vois de nos aïeux 1'ambition fublime: Si tu régnais un jour, les Francais plus heureux Adoreraient les lois d'un maitre digne d'eux. Mais pour toi cependant je crains tes vertus même, Je crains ta confiance & ta fierté que j'aime, Tous ces dons généreux que tu devrais cacher. On apercoit le but oü tu prétends marcher; Sans 1'avoir découvert, j'aurais voulu 1'atteindre; Tu n'y parviendras pas fi tu deviens i craindre. Vois par des riens facrés les Franqais gouvernés, Sans but, fans intérêt, loin d'eux même entralnés. Guife, oü vont s'arrêter tant d'efprits fanatiques ? C'eft peu d'avoir profcrit le fang des hérétiques; Ouand nous aurons du tróne écarté les Valois, : Ces Boutbons, ces Condés ne feront point nos rois. Un proteftant peut-il commander a la France? Songeons a profiter de 1'antique ignorance. Je voudrais qu'en ce jour on nous eut accordé  ACTE I, SCÈNE IV. Le fan* du Navarrois & celui de Condé. Médicis le refufe. Unalliél fon gendret Des fils de faint- Louis! Non, je n'ofe y prétendre. D'autres avec lé tems, du moins c'eft mon efpoir, Auront moins de fcrupule, & nous plus de pouyoir. STdétruI... tout s'abaiffe; & les Valo s eux-meme Nous porteront bientót a la grandeur fupreme. Cependant ie dirai deux mots au chancelier: Te fus fon protector; il paralt loubher 11 fert les Proteftans, nos amis 1'appréhendent, Chez moi dans ce moment nos amis nous; attendent, Charle eft irréfolu; Guife , i faut fe hftter . Sur tout ce qu'il doit faire allons les confulter. SIN BU TREMIER A C * ï. «Ï3  M e H A R 1 E S ÏX. ACTE II. SCÈNE PREMIÈRE. LE ROI DE FRANCE,' LA REINE-MERE. la rein e-m e r e. JM on nis, n'en doutez pas, ce meurtre eft néceflaire. le roi de france. Mais i -in de la paix! la rein e-m e r. e. La croyez-vous fincère? le roi de france. Tout un pi e! la reine-mere. Sans doute. II s'agit de régner. le roi de france. Cet effroyable coup peut du moins s'éloigner. la rein e-m ere. Frappons cette nuit même. le roi de france. Ah! ma pitié I'emporte. la reine-mere. Vous aviez confenti. le roi de france. Je le fais; mais n'unporte: Ce n'était point, Madame, a 1'inftant de frapper; Je m'eflayais moi-même, & j'ofais me tromper. Je m'abufais, vous dis-je; il n'eft plus tems de feindre: Je me croyais plus fort. Mais qu'avons-nous a craindre? Ne précipitons rien. Je veux que les efprits, Egarés tant de fois, foient toujours plus aigris;  ACTfi II, SC ENE I. *5 Que la paix foit encore ou vaine ou peu durable; Que des chefs proteftans 1'ambition coupable De Ia France, & mes yeux, prétende difpofer: Mais n'avons-nous, enfin, rien a leur oppofer? Si dans le fond du cceur ils font encor rebèles, Ceux qui m'ont défendu, ceux qui me font fidèles, Mes amis.,.. LA REINE-MERE. 11 faut bien vous éclairer, mon fils : Vous ignorez encor qu'un roi n'a point d'amis. Je vous donne, il eft vrai, des lurnières fatales; Mais de vingt nations parcourez les annales: Vous trouverez par-tout d'infidèles fujets, Rampans & frémilfans fous le joug des bienfaits; Ardens a trafiquer de la honte & du crime; Prêts a vendre Tétat & leur roi légitime, A changer de devoir, fitót qu'un autre roi Marchande imprudemment ce qu'on nomme leur foi. L'intérêt fait lui feul les amis & les traitres, Prenez du moins, prenez lecon de vos ancêtres. Sans remonter bien loin, le roi Francois premier Fut un généreux prince, un noble chevalier. II enrichit Bourbon & le combla de gloire: Bourbon devait fans doute en garder la mémoire : Mais ce chef renommé, funefte a 1'Empereur, Et qui dans fes cités répandait la terreur, Flétriffant tout-a-coup le nom de connétable, Devint pour 1'Empereur un appui redoutable, Et contre les Francais guidant leurs ennemis, Eut 1'exécrable honneur de vaincre fon pays. Ils fe reffemblent tous: connaifTez leur faiblefle, Et fachez les dompter a force de foupleffe. Tous ceux qui maintenant ont foin de vous venger, Ceux la même oferont un jour vous outrager. Sur tout, vous êtes jeune & fans expérience, Craignez des proteftans traités, paix , alliance. lis ne vous aiment pas, vous devez y compter; , Ils refpirent; le mal ne peut plus s'augraenter: Vous régnez.  f6 CHARLES IX. LE ROI DE FRANCE. J'aurais du, fi le mal eft extréme, Commander mon armée & les punir moi-même. Deux fois Ie duc d'Anjou confondant leurs deffeins, Dans un fang criminel a pu tremper fes mains. A tous les jeux obfcurs d'une oifive molleffe Vous avez cepeudant condamné ma jeunelfe:' Vous n'aimez que mon frère, & je paffe mes jours A 1'entendre louer, a 1'admirer toujours. le règne, & c'eft lui feul que tout mon peuple adore; Dans les dangers publics c'eft lui feul qu'on implore: II ne me refte plus qu'a recevoir fes lois. francais comme mon frère, & du fang des Valois, A leur gloire immortelle il me fallait attemdre. Mais 1'avez-vous permis? LA REINE-MERE. Et vous ofez vous plaindie ! J'aurais pu pardonner des fentimens jaloux Au jeune mfortuné qui régnait avant vous. Hélas! ce prince aveugle, 4 lui-même contraire, Repouffait les confeils & le cceur de fa mère. Vous ne me voyez pas vous confondre avec lui: Que dans les champs guerriers d'Anjou foit votre appui; Un tel honneur convient a la feconde place. Je fais que votre cceur, plein d'une noble audace, A pour les grands exploits un penchant gloneux; le fais que bien fouvent on a vu vos aïeux Entourés au combat de fang & de poufllère, Dans leur propre péril jeter la France entiere. Pour moi je les condamne, & le chef de létat Ne doit pas affecter les vertus d'un foldat. _ II eft d'autres honneurs, il eft une autre gloire, Et l'art de gouverner vaut mieux qu'une viftoire. Nièce du grand Léon, fille des Médicis, Dans ce chemin gliffant je puis guider mon fils: L'efprit qui les forma fut aufïï mon partage; Et j'ai fu. les Francais m'en rendront témoignage, Punir ou careffer, fuivant nos intéréts, L'orgueil féditieux de vos premiers fujets,  ActeII, ScbnèL 17 Feindre de voir en eux tout 1'appui de Ia France, Des honneurs les plus grands enfler leur efpérance, Renverfer tout-a-coup cette gloire d'un jour, Les natter, les gagner, les tromper tour a-tour, Et contre eux tous erjnq m'armanc de leur faibleffe, Régner par la difcorde, & divifer fans ceffë. Quand, durant votre enfance, on vit les proteftans S'unir contre la cour aux princes mécontens, De Guife & de fon frère élevant la puiffance, Je voulus arrêter le mal en fa naiffance. Mais enfin devenus trop grands par mes bienfaits, Ils régnaient duns ce Louvre , & je conclus la paix. Je me fis des amis dans le parti contraire. L'ambitieux Condé, s'éloignant de fon frère, Bon fujet un moment, roais afin d'être roi, Cmt m'acheter lui-même, & fe vendit a moi. Avec Montmorenci je vis enfin s'éteindre Le nom des triumvirs ciui n'était plus a craindre. Ce vieux foldat, toujours contre moi déclaré, Rejoignit dans la tombe & Guife & Saint-André. II exiftait encor des ligues infolentes; Contraints de recourir a des trèves fanglantes, Nous avons trop connu les différens partis: Long-tems de leur pouvoir ils nous ont avertis, Mon fils; & fi bientót vous n'agiffez, peut-être Ce Coligni bientót deviendra notre maitre. ' le roi de france. Qui? lui! la r e i n e-m ë r e. J'ai dit Ie mot: c'eft a Vous de penfer Si vous avez encor le tems de balancer. Devant vous, a 1'inftant, ne viens-je pas d'entendre Ses difcours, fes confeils, ce qu'il ofe prétendre? Et n'ave2!-vous pas vu que fon efprit jaloux Veut m'écarter moi-même & dominer fur vous? Le nom de la patrie eft toujours dans fa bouche; Mais de fes vains difcours 1'auftérué farouche, Trompant quelques tfprits, ne peut ffi'en impofer f Ses avis font d'un maitre; & j'ai du fuppofer, fi  lS C H A R L E S IX, TN> . tnll, ce(; combats oü fans ceffe il afpire, le P-Pica fon empire. q le roi de france. ]e rai fouvent penfé, je le fens, je le crc-fè Pourtant.... SCÈNE II. if rOI DF FRANCE, LA REINE-MERE, LÉ CARDINAL DE LORRAINE. l a rein e-m ere. Venez', monfieur, venez vous jotadre i moi. V0usTavez que le jour oü la paix fut conclue. La mort des proteftans fut aufli réfolue Et ce coup néceflaire au bonheur de létat, Punitrant des mutins 1'éternel attentat Des rives de ma fceur Bourbon vient d'être uni; De gloire & de bienfaits j'ai comblé Coligni; Je vois 1'homme d'état & non plus le rebelle; ]e lui rends une eftime, une amitié nouvelle; Condé me feta cher; & tous. mes vrais amis Ne fe compteront plus parmi leurs ennemis. Ne vous alarmez point: mes bontés , je 1'efpère, Vont les rendre aujourd'hui plus foigneux de me plaire. Mais du moins il eft tems de cimenter la paix: 11 eft tems qu'un édit preicrlve a mes fujets De rentrer dans le fein de 1'églife éternelle. A cette augufte loi s'il eft quelque infidèle, Par fon jufte trépas c'eft è moi de venger Rome, & ce Dieu puifiani que 1'on ofe outrager.  a ê 'r è ïlï, s c è S ê iï, LA REINE-MERE. Rendê2, rendez, mon fils, au tróne, a la patriè» A la religion fa majefté chérie. Nos malheurs font finis; ils femblent déformais Se perdre dans 1'éclat d'une éternelle paix. Mais trop fouvent, au gré des ligues nuitinéesj Ün feul jour a détruit 1'ceuvre de vingt années* La mort frappe les rois; un lache fucceffeur, Du peu-digne, ou jaloux de fon prédécefféur» De fes projets bientót laiffe tombur la gloire, Et veut dans le cercueil éteindre fa mémoire, Par-dela le tombeau régnez fur les Frangais; Sur les fiècies futurs étendez vos bienfaits; Dans un repos certain que la France refpire; Que rien n'agite plus le culte ni 1'empire. Vous hnpofëz un frein a la rebellion, Le frein de la clémence ; &, foit ambi'tion, Soit pouvoir des bienfaits, foit crainte auffi peüt'êtifé» Les grands adopteront le culte de leur maitre; Ët nous verrons fans doute , après leur changement» Les reftes du parti détruits en un moment. D'un teil imitateur le peuple les contemple; De fon premier modèle il fuit toujours 1'exemple: Pour eux , non pour Calvin, fon choix s'eft déclaréi 11 ne méprife point ceux qui l'ont égaré; Mais , frappé d'un retour injufte ou légitimèj 11 revient fur fes pas avec Ceux qu'il eflime. Le tems calmera tout. Ne croyez pas pourtant Etre approuvé d'abord de ce peuple inconfiant: Non, jufques aux bienfaits tout lui parott a crainarél II ne voit que des maux, & veut toujours fe plaindïe* Ses cris vous parviendront; c'eft a vous d'achever: Bachez le méprifer, mon fils, & le fauver. LE CARDINAL. Sire, du coèur des rois c'eft le ciel qui difpöfe; C'eft lui qui vous infpire, & vous Vengez fa catifVt 11 bénira vos jours. Tel eft mon fentïment» L E DUC. Si 1'on peut en effet s'expliquer librernent* C i  3f CHARLES IX; Sire, aprés nos malheurs renouvelés fans ceffe,' j'oferai demander pourquoi tant de faibleffe, Pourquoi tous ces traités que je ne concois pas.' TJn poifon dangereux infecïe vos états; L'amour de la difcorde & des chofes nouvelles, Enhardit contre vous un amas de rebelles. Ah! fi 1'on eüt daigné leur impofer des lois, Votre frère, a mes yeux, les a vaincus deux fois, Sire, je lui connais des rivaux en courage : IViais vous ne voulez pas confommer votre ouvrage. Peut-être' aurez-vous lieu de vous en repentir: II faudrait les dompter, & non les convertir. le cardinal. II faut des faintes lois implorer la puiffance , Punir, épouvanter la défobéiffance, Et non tenter encor le hafard incertain D'une éternelle guerre oü le fang coule e» vain. Sire, ün mal violent veut un remède extréme: L'état trop divifé s'eft affaibli lui - même ; Et fi 1'on veut guérir fa funefle langueur, Dix combats feront moins qu'un inftant de rigueur. Soyez femblable au Dieu que le monde révëre; Montrez- vous a-la-fois indulgent cï févère; Avec le chatiment préfentez le pardon; Et faifant de vous-même un entier abandon, Sans épargner Ie fang, mais fans rjrop Ie répandre, Craignez les paffions qui pourraient vous furprendrel. Ecoutez, chériffez les miniftres du ciel; Tout le pouvoir du tróne eft fondé fur 1'autel. De Pépin jufqu'a vous, Rome & les rois de France Confervérent toujours une étroite alliance : Ainfi de jour en jour votre puiffant état A vu par le faint-Siége augmenter fon éclat. Soyez reconnaiflant; croyez que votre zèle Ne faurait furpaffer fa tendreffe fidéle. le roi de france au Chancelier Vous vous taifez, Monfieur? le chancelier. Sire, permettez-moi. /  Acte III, S' c e n e il. 37 le roi de france. Ainfi vous refufez d'éclairer votre roi! LE CHANCELIER. Eh bien , vous 1'ordonnez; je ïomprai le filenee. On parle du faint-Siége & de reconnaiffance: Eft-il d'ingratitude oü le bienfait n'eft pas? Je pourrais vous citer des pontifes ingrats: L'Europe a vu cent rois armés pour leur défenfe, Et le fang des héros cimenta leur puiffance. De notre antique hiftoire interrogez les tems; Qui leur a pu donner ces deftins éclatans? Sujets des empereurs, qui les a ren dus maltres? lis doivent leurs états a 1'un de vos ancêtres. Quel ufage ont-ils fait de ces droits conteftés? Accumulant les biens, vendant les dignités, Ils ofent commander en monarques fupsêmes, Et d'un pied dédaigneux fouler vingt diadêmes. Un prêtre audacieux fait & défait les rois: Vos aïeux 1'ont fouffert. Mais voyez a fa voix Jean - fans - terre quittant, reprenant la couronne; Sept empereurs chaffés de 1'églife & du tróne, Forcés de conquérir Ia foi de leurs fujets, Ou dans Rome 3 genoux courant fubir la paix. Voyez Charles d'Anjou , le fils des rois de France, Remplir du vatican 1'odieufe efpérance, 11 vole, il facrifie a d'injuftes fureurs Le relte infortuné du fang des empereurs, Et fon ambition, cruellement docile, Frépare a nos Francais les vêpres de Sicile. Un enfant, feut efpoir de Naple & des Germains," Ctfnradin, vers Ie ciel levant fes jeunes mains, Périt fut 1'échafaud en demandant fon crime, Convaincu du forfait d'être un roi légitime. A ce vertige affreux trois fiècles font livrés: Toujours d.u fang, toujours des attentats facrés^ Inveftiture, exil, meurtres & parricides, Et 1'anneau du pêcheur fcellant les régicides. Faut-il nous étonner fi les ptuples lafTés , Sous ttnflexible joug tant de fois terraffés, C 3  3» e 'h a r l. e § ix-- ' Par les décrets de Rome aflaifinés fans ceffe, Dès qu'on ofa contre elle appuyer leur faiblefie* Bientót, dans. la réforme ardens a fe jeter, D'un pontife oppreffeur ont voulu s'écarter? C'eft ainfi qu'au milieu des buchers de Conftance, Le fchifne d'un moment puifa quelque iroportaace} Ainfi, qije des prélats l'indifcrète fureur, Conquit trente ans de guerre & 1a publique horreur C'eft ainfi que Luther, au vatican rebelle, Etabüt aifément fa doctrine nouvelle; Après lui, c'eft ainfi que 1'auftère Calvin Pans Genève eut encore un plus brillant deftin» II n'eft qu'une raifon de tant de frénéfie : L.es crimes du faint • Siége ont produit 1'héréfie. ^'éyangile a-t-il dit: „ Prétres, écoutez-moi, v Soyez intérelïés, foyez crueis, fans foi, 91 So/ez ainbkieux, foycz rois fur la terre; Prètres d'un Dieu de paix, ne prêchez que la guerre* ^ Armez & divifcz, pour vos opinions, Les pèréS, les enfans, les rois, les nations?" Voila ce qu'ils ont fait: mais ce n'eft point la, fire ^ La loi que 1'évangile a daigné leur prefcrire. ■gi Genève s'abufe, il la faut excufer; Et, fans être coupable, on pouvait s'abufer. Genève -aura penfé que ce livre fuprême, iBpn, jufte, plein du Dieu qui le diéta lui-même, ^Toujours cité dans Rome , & fi mal pratiqué, ï*eut-être aufS dans Rome était mal expliqué. Duffions - nous de Calvin condamner l'infoIences Entre les deux partis 1'Europe eft en balance3 Et parmi vos fujets le poifon répandu, Jufque dans votre cour déja s'eft étendu. Ah! quoique vos fujets, li vous devez les plaindre, Sire, vous n'avez pas le droit de les contraindre, Le demier des mortels eft maitre de fon cceur; Le tems amène tout, & ce n'eft qu'une erreui| Jft fi quelques iuftans elle a pu les féduire, L'avenir eft chargé du foin de la détruire. Mais affecjer un droit qu'on ne peut qu'ufurperj ComaiaBder aux efpritt de ne pas fe trompet!.  Acte III, Sceke II. §9 Kon, non 5 c'eft réveiller les antiques alarmes. En lifant votre édit, tout va courir aux armes; Et vous verrez encor dans nos champs défolés, Par la main des Francais les Francais immolés, Après tant de traités les Franqais implacables, Et contraints par vous-même a devenir coupables, Citoyen de la France, & fujet fous cinq rois, Sous votre frère & vous miniftre de fes lois, J'ai voulu raffermir fes grandes deftinées; Elle eft chère k mon cceur depuis foixante années. Sire, écoutez les lois, 1'honneur, la vérité; Sire, au nom~de la France, au nom de 1'équtté, Par cette ame encor jeune, & qui n'eft point flétiie, Au nom de votre peuple, au nom de la patrie, Dirai-je au nom des pleurs que vous voyez couler, Que tant de maux facrés ceffent de 1'accabler: Rendez-lui fa fplendeur qui dut être immortelle; Votre viéux Chancelier vous implöre pour elle; Ou bien, fi ma douleur ne peut rien obtenir, ; | }e ne prévois que trop un finiftre avenir; Mais fachez que mon cceur n'en fera point complice; Avant les proteftans qu'on me mène au fupplice: Je condamue a vos pieds ce dangereux édit; Je ne le puis fceller; puniffez - moi: j'ai dit. le roi de france. Moii je vous punirais! non, non, des traits de flame Tandis que vous parliez, ont pénétré mon ame. Chancelier, je vous crois , & je pleure avec vousj Oui, je veux adopter des fentimens plus doux; Oui, c'eft Ia vérité; je dois Ia reconnaltre. Oui, j'ai pu me tromper; on m'égarait peut-être» Adieu, Madame; & vous, üiivez-moi, chancelier €4  4§ G: fl A R L E; S IX, SCÈNE III, L.A REINE-MERE, EE CARDINAL DE LOg,i RAINE, LE DUC DE GUJSE, t E CARDINAL. Jj'oo v^A^e de roes mains commence a m'efFrayef, D'un zèle ambitieux vous voyez Ie prettige?- li & ehm2-mere. Ne craignez riett. l e cardinal, , Le roi . . . la r e i n e-m e r ea Ne craignez rien, vous. dis - ^ Aux difcours d'un vieillard il s'eft laiffé troubler ; Mais c'eft encor mon fils, & je vais lui parler. l e; cardinal» Nos ennenus . . . la rein e-m e r e. Mourront. Rien ne peut les abfoudr?, l e duc. jParlez-Iui donc, madame, $ daignez Ie réfoudre. ' Coligni peut encor trainer quelque atteptat,. Et fon culte nouveau renverferait 1'état, Et de tous les fo;fai(s fes amis font capables, Et le bonheur public ve.ut le fang des coupables, Le roi laifferaitril échapper les inftans? Voudrait-il reculer? Songez qu'il n'eft plus tems. A vous, a nous du moins, ce ferait faire in]ure i Q.u'i! ?cbève: ou bieptót, c'eft moi qui vous le jurea pans fa cour ^ a. fes yeux, yous verriez des fujets Murer, malgré lui, le. bonheur des Francais. ? i Bf % ^ troisiemi a e ï j;  A Cf f. IV, Sc ! HE ï. 41 ACTE IV. SCÈNE PREMIÈRE. LA REINE-MERE, LE CARDINAL DE LORRAINE, LE DUC DE GUISE. L E. CARDINAL. X)'ou peut venir, madame, un fi prompt changement? LA REINE-MERE. J'ai couru le chercher dans fon appartement: 1 L'Hópital en fortait. Mon fils, a mon approche, A foudain contre nous exhalé le reproche; Jl s'eft plaint de vous-même, & plus encor de moi; gur-tout de 1'Höpital il rn'a vanté la foi. „ C'eft le feul, a -1 - ü dit, qui ne veut point me nuire, 3, Environné d'amis zélés pour me féduire, a, Mon ame contre eux tous a befoin de s'armer, Et je dois craindre enfin ce que je dois aimer." A ces mots, 1'obfervant d'un teil tendre & paifible, „ Mon fils, ü vos chagrins votre mère eft fenfible," 1 Ai je dit, ,, & pour vous mon ardente amitié !X Va prefque en ce moment jufques a la pitié. „ De votre chancelier je connais la prudence; Mais ce fafte impofant de fa vaine éloquence „ Peut, je crois, attirer quelque foupcpn fur lui; „' On a moins de chaleut en parlant pour autrui. « Vous ne comprenez pas quel intérêt 1'anime? La France, dont jadis il mérita 1'eftime, '„ L'accufe de pencher en fecret pour Calvin : Le jugement public ne faurait être vain. Vous craignez qu'avec vous je ne fois pas fincére? " Le fils Ie plus chéri peut redouter fa mère! " L'ambition fouvent infpire des fujets: „ Mais moi, fi je vous trompe, oü tendent mes projets? * Cs  4a CHARLES IX. „ Mon éclat vient de vous, mes deftins font les vdtre j; „ Vos intéréts ies miens; je n'en puis avoir d'autres, S1 Jugez-nour. maintenant," Ce difcours Pa frappé, Long-tems de me répondre'il femblait occupé; D'un filcncc plus tendre il éprouvait les charmes} II pleurait: a fes pleurs j'ai mêlé quelques larmesj J'ai calmé lentement fon efprit corhbattu, Vantant fa piété, la première vertu. Des éloges flatteurs fon oreille eft éprife: Je 1'ai cent fois nommé le vengeur de 1'églife, Son enfant le plus cher, fon plus ferme foutiea? Et des embraffemens ont fini 1'entretien. l E duq. Mais ofez-vous compter fur cette ame incertaine, Qu'un mot peut émouvoir, & qu'un inflant ramène^ L A REIlfE-MERE. Je congois votre doute; & pour nous garanth? Des dangereux effets d'un nouveau repentir, Je viens d'avoir recours a mes agens fidèles. J'ai fait femer par-tout que le chef des rebelles % Pour d'utiles forfaits renongant aux combats, De'Charle & de moi-même a juré le trépas; Qu'il a dans Orléans fait fon apprentiffage; Que d'un fecond Poltrot il voudrait faire ufage, Ceptndaht j'ai, fur 1'heure, envoyé prés du r«t Pxs nriteurs zélés dont je connais la foi; Ft, pat eux informé de ce bruit populaire, Vous fentez a quel point va monter fa colèrey Jl eft extréme en tout; je réponds du fuccès, l e cardinal. Ainfi 1'on vous devra le faltit des Francais. la reine-mere. Qu'il agiffe aujourd'hui; demain qu'il fe repente : J'y confens. Mais vei? nous c'eft lui qui fe préfenfcs,. 31 paralt égaré.  A e T e; IV, S c e n e II. 42 S C E JN E II. LE ROI DE FRANCE, LA R K (N E-MERE , LÉ. CARDINAL DE LORRAINE, LE DUC DE GUISE, couetisans, GARD?s, PAGES. le roi pe france troublé, fans voir perfonue,. Port er la main fur moi! le cardinal a la Reine-mjre. ]t penfe 4 Coligni. le roi de france. Tel eft Ie fort d'un roi! la beine-mkre auX Guifeï. Je 1'entends qui fe plaint. le roi de france. Et 1'on nous porie enviet Trop heureux le mortel qui peut cacher fa vie \ Le tróne eft bien fouvent chargé d'infortunés. a la Reine - mère. C'eft vous! je vous cherchais. Ah! madame... apprenez...» Vous ne me trompiez pas— & tant de barbarie...* De l'indigne Amiral favez-vous Ia furie? la reine-mere. Je fais tout; je crois tout. l e duc. II faut le préveniï» le cardinal. Puniffëz Coligni. le roi de j? r a n c e. Si je veux le punir.' la reine-mere. Cachez votre courroux; notre ennemi s'avance* le ROI de france» 11 oferait encore affronter ma préfence! flos, Qu'il n'approche pas l  H CHARLES |X, le carpinal, Calmez vos fens troubléj. l a rein e-m ere. Songez, J Ia vengeance. U vient: diffimulez. 5 C E N E III, LE ROI DE FRANCE, LA REINE-MERE, LE CARDINAL DE LORRAINE, LE DUC DE GUISE, LE ROI DE NAVARRE, L'AM IR AL DE COLIGNI, LE CHANCELIER DE L«HO- PITAL, protestans i)£ la suite de l'amiral courtisans, gardes, pages. l' a m i r a l, On n'a point fait Ia paix, Sire, en quittarjt les armesj Et je viens a vos pieds dépofer mes alarmes ; je viens auprès du tróne invoquer un appui, Dans les nouveaux périls qu'on m'annonce aujourd'hui, Ce prince généreux , devenu votre frère, L'Hópital, de nos lois Ie miniftre févère , Et ceux qui m'ont jadis fuivi dans les combats, Ont-youlu prés de vous accompagner mes pas. Au deftin d'un ami leur grand cceur s'intéreiTeï Ils ont tous entendu votre augufte promefle. Un récit, toutefois qui me femble douteux, Annonce plus d'un crime & des piéges honteux. le roi de france, Plus d'un crime! expliquez.... l' a m i r a l. L'un n'eft qu'imaginair^, Au fein de votre cour, une main fanguinaire Déja, dit-on, s'apprête au plus lacbe attentat^ Et veut par un feuj coup renveifer tout 1'état, II s'agit de f rapper.  ACTK IV, SCKNE III. 45 ls roi »e france. Qui donc? t' a m i r a l. Votre perfonne. le roi de france. Quel eft le criminel ? ^ l'amiral. C'eft moi que 1'on foupcpnne. Des courtifans jaloux ont répandu ces bruits; lis veulent par ma mort en recueillir les fruits. Te fais quels ennemis penfent ternir ma gloire, Jjt je fiémis pour vous, fi vous daignez les croire. le roi de france. Moi 1 je les croirais! l' a m ï r a l. Non : j'ofe au moins 1'efpérer. On ajoüte, & d'abord je dois vous déclarer Que de mes envieux la funefte puiffance M'a fait a ce difcours donner quelque croyance .• Ie fais trop qu'a me perdre ils foat tous occupés, Et c'eft ie fort des rois d'être fouvent trompés. On ajoüte, on prétend qu'une troupe perfide M'impute auprès de vous eet affreux parncide, Et qu'enfin de ma vie on doit trancher le cours. le roi de france. Se peut-il...» l a m i r a l. Oui, j'apprends qu'on en veut a mes joufs. Je viens favoir de vous ce qu'il faut que j'en penfe. la reine-mere. Le roi devait s'attendre a plus de confiance. l* a m i r a l. Vous le voyez affêz; mon cceur fe fie au fien, Puifque je viens, madame, implorer fon foutie». le roi de navarre. Pardonnez; le foupcon me parait excufable. Punit-on Maurevert? ou n'eft-il point coupable?  4« CHARLES ï& / la reine-mere» Prince, on doit le punir. le roi de navarre. Le roi i'avait promlfc. la rein e-m ere. Eh quoi! douteriez-yous des fermens de mon fils? le roi de navarre. Je ne fais point douter de la foi d'un monarque. la reine M ere. Vous avez de la fienne une infaillible marqué, Et 1'hymen de fa fceur elt un gage affuré Qu'il elt prêt i tenir tout ce qu'il a juré» le roi de navarre. Eh bien, par ce faint nteud, par le doux nom de frère, Sire, a vos intéréts ne foyez point contraire. Protégez un guerrier redoutable & foumis; Dans fes perfécuteurs voyez vos' ennemis. Un prince eft vraiment grand, Iorfqu'il punit Ie Crimes Plus grand, Iorfqu'il foutient la vertu qu'on opprirne. le roi de france. De tous fes ennemis 1'Amiral eft vainqueur; Ses confeils vertueux font au fond de mon cceur: Craindrait-ü que fon maitre eüt deffein de lui nuitef l* a m i ral, Je crains votre bonté trop facile a féduire. la reine.merï, a 1'Amiral. Au milieu des faux bruits qui vous ont alarmé, Des feminiens" du roi 1'Höpital informé Pouvait tenter au moins de raffurer votre ame. II le devait peut - être. le chancelier, Et je 1'ai fait, madame, l' a M i r a l. Le roi feu! eft garant des volontés du roi, Madame; un mot de lui peut calmer mon effref.  A e t b IV, Scenb UI. 47 la reine-mere» Parlez, mon fils. le röi de france, regardant toujours la Reine-mère. Le ciel, maitre des deftinées, Ne peut Mter par vous la fin de mes années. Non; je dois vous compter au rang de mes foutiens: Si vos drapeaux fouvent ont combattu les miens, C'eit des troubles civils la fuite accoutumée; Des Francais a la France oppofaient une armée: Ces fautes font du fort, je les veux excufer ; C'eft le malheur-des tems qu'il en faut accufer:' Je connais votre cceur, & n'ai pas a m'en plaindre. l' a m i r a l , aux Guifes. Vous 1'entendez, meffieurs. le roi de france. Vous n'avez ric-n a craindre. l' a m i r a l, A mes perfécuteurs puis-je oppofer mon roi? le roi de france. Vous Ie pouvez, fans doute, & j'en donne ma foi. l' a m i r a l. Je dédaigne a préfent leurs trames criminelle». l e duc Nous verrons donc finir ces craintes éternelles? l' a m i r a l. Je puis craindre a la cour, mais non pas aux coinbatsj J'étais déja fameux quand vous n'exiftiez pas. l e duc Le foupcon ne convient qu'è des ames timides. l' a m i r a l. Jeune homme, on ie connalt au milieu des perfides. l -e duc. Quant i moi, je ne vois qu'un traitre dans ces lieux.  CHARLES IX. I.' A M 1 R A L. II en eft deux pourtant qui s'offrent & mes yeutf. Montranc i;i 1 Iciiure . Ce coup n'a point rtmpli leur cruelle efpérance. L E DUC. Celui qui 1'a porté voulut venger la France. LÜ ROI I> E FRANCE. Guife! L' A M I R A L, Ah! du meurtrier on a conduit Ia main» L E DUC. Qui? L* A M I R A i. Vous pourriez Ie dire. L E X U C. Expliquez-vous enfin». 1.' A M I R A L. Vous. L E DUC. Je ne 1'ai point fait; mais je I'aujais dü faire. LE ROI DE NAVARRE. Comment 1 L E DUC. J'aurais puni 1'affaffin de mon père* bas k la Reine-mère. Adieu. Je vais hater 1'inftant de nous venger. SCÈNE  Acts IV, Scène IV. 49 SCÈNE IV. LE ROI DE FRANCE, LA REINE-MERE, LE CARDINAL DE LORRAINE, LE ROI DE NAVARRE, L'AMIRAL DE COLIGNI, LE CHANCELIER DE L'HOPITAL; protestans de la suite de l'amiral, courtisans, gardes, pages. l' a m i r a l. .Ainsi, de fon aveu, mes jours font en danger! la rein e-m ere. De eet ambitieux nous blamons 1'infolence; Mais fon orgueil demain gardera le ilience: Vous n'aurez point foriné des fouhaits fuperflus, Et de vos ennemis vous ne vous plaindrez plus. l* a m i r a l. Sire, excufez encor ma fombre défiance, Ce fruit amer de 1'age & de 1'expérience. Que votre cceur m'écoute: il femble que ma voix Se fait entendre a vous pour la dernière fois. Le tróne oü vous régnez eft entouré de piéges, De guerriers corrupteurs, de prêtres facriléges. O mon roi 1 penfez - y; profitez des inftans: Hélas! demain peut-être il ne fera plus tems, le cardinal. C'eft ainfi qu'a la haine un guerrier s'abandonne: Un pontife outragé le plaint, & lui pardonne. l' a m i r a l. Qui? vous me plaindre! ó ciel! vous, m'ofer pardonner! Un tel excès d'injure a de quoi in'étonner. Quant a moi, je ne puis vous pardonner vos crimes. Toujours les proteftans ont é:é vos viftimes : C'eft vous qui réclamiez, pour fuumettre fes cceuis, Le fecours des bourreaux & des inquifiteurs : C'eft vous qui menaciez du plus honteux fUppli^t D  CHARLES IX.' 5° De malheureux fujets qui demandaient juftice : Vous, enrichi des pleurs & du fang dts Frangais, Comblé tout a-la-fois de biens & de forfaits. Sire j'ai defiré de fauver votre empire, Mais' a le renverfer je vois que tout confpire. Sur une cour perfide ouvrez enfin les yeux, Et craignez, craignez tout de ce fang odieus? Voila les ennemis du tróne & de la France. Si vous ne les chafféz loin de votre préfence, Si vous ne les cbargez de tout votre courroux, Ces méchans, croyez-moi, perdront 1'état & vous. SCÈNE V. LE ROI DE FRANCE, LA REINE-MERE, LE CARDINAL DE LORRAINE, courtisans, gardes , pages. la reine-mere. Douterez vous encor des projets de fa haine? ' le cardinal. Eft-il pour ce rebelle une afféz grande peine? le roi de france. Et fon cceur inhumain femble exempt de remord! la reine-mere. II va tout expier en recevant la mort, Nos défenfeurs font prêts, & je les vois paraitre. SCÈNE VI. LE ROI DE FRANCE, LA REINE-MERE, LE CARDINAL DE LORRAINE, LE DUC DE GU1SE, courtisans, gardes, pages. la reine-mere. "Venez, braves guerriers, foutiens de votre maitre, Contre un fang odieux noblement conjuiés,  A C T £ IV, S C E •» E Vf, ia Et chargés déformais des intéréts facrés. Que la rehellion, que le crime s'expie! Le tróne eft attaqué par une fecte impie : Accufant chaque jour le trop Jent avenir, Vos cris femblaient hater I'infiant de Ia punir: Votre jufte fureur , trop long-tems retenue, Peut éclater enfin ; la nuit, I'heure eft venue : Faites votre devoir , & , comblant nos fouhaits , Sachez de votre roi mériter les bienfaits. L £ DUC. Sitót que le fignal fe fera fait entendre, Vous verrez qu'a ce prix nous pouvons tous prétendre-, Nous partirons, madame, aux accens de 1'airain Qui va fonner pour nous dans le temple prochain, Ma main, je 1'avoürai, dans une nuit fi belle, Voudrait feule immoler tout le parti rebelle; Mon cceur même congoit un déplaifir fecret, Ft, plein d'un tel honneur, le partage a regref. Mes compagnons du moins, font dignes de me fuivre, De cueillir les lauriers que le deftin nous livre ; Et, contre les profcrits dès long.tems animés, De 1'ardeur qui me brille ils font tous enflammés. LE ROI DE FRANCE. Vous m'aimez, je Ie crois; vous fervez votre maitre; Mais long-tems mon efprit, trop timide peut-être, Concut avec frayeur un fi hardi deffein; D'une amertume affreufe il rempliffait mon fein: Jufques dans mon fommeil Ia redoutable ïdée S'offrait... Ne craignez rien, mon ame eft décidée. Puifque Ie ciel vengeur ordonne leur trépas, Puifqu'au fond de 1'abitne il entraine leurs pas, Puifqu'il faut oppofer le parjure au parjure, Puifqu'il s'agit enfin de Ia commune injure, Du falut de mon peuple & de ma fiireté, Je ne balance plus; le fort en eft jeté: La cloche fonne trois fois , lentement. Verfez le fang, frappez. Ciell qu'entends-je? Ah! madam?, L E DUC. Reine, c'eft a vos foins de raffermir fon ame, D a  5t CHARLES IJf. Pour nous, le glaive en main, nous jurons è genouï De venger Dieu, 1'état, le roi, 1'églife, & nous. Roi, chaffez maintenant ces ftériles alarmes: Exhortez-nous, pontife, & bénifljez nos armes,1 La cloche fonne trois fois, lenttment. Le duc de Guife & tous les autres courtifans mettent un genou en terre, en croifant leurs épées. Ils reftent daas cette poJition pendant le difcours du cardinal de Lorraine. LE CARDINAL. De 1'immortelle églife humble & docile enfant, Et créé par fes mains prêtre du Dieu vivant, Je puis interpréter les volontés facrées. Si d'un zèle brülant vos ames pénétrées Se livrent fans réferve a 1'intérêt des cieux; Si vous portez au meurtre un cceur religieux, Vous allez confommer un important ouvrage, Que les fiècles futurs environt a notre age. Courez & fervez bien le Dieu des nations; Je répands fur vous tous fes bénédiétions: Sa juflice ici bas vous livre vos victimes; Sachez qu'il rompt au ciel la chaine de vos crimes; Oui, fi jufqu'a préfent vous en avez commis, Par le Dieu qui m'infpire, ils vous font tous remlï. L'églife , en m'imprimant un figne ineffagable , Défendit a mes mains le fang le plus coupable; Mais je fuivrai vos pas, je ferai prés de vous; Au nom du Dieu vengeur je conduirai vos coups. Guerriers, que va guider fa fainte providence, Miniftres de rigueur, choifis par fa prudence, II elt tems de remplir fes décrets éternels; Couvrez-vous faintement du fang des criminels : Si dans ce grand projet quelqu'un de vous expire, Dieu promet a fon front les palmes du martyre. Le tocfin fonne depuis ce moment jufqu'au cornmencement du cinquiöme acte. LE ROI DE FRANCE. D'une héroï'jue ardeur mon cceur fe fent brüler. Acceptez, ö mon Dieu ! le fang prêt a couler.  Acte IV, Scène VI. 53 LA REINE-MERE. II vous entend, mon fils; il recoit votre hommage. Venez, & de ces lieux préfidez au carnage. L E DUC. Et vous, fuivez-moi tous. Amis, guerriers, foldats, Au toit de Coligni courons porter nos pas. C'eft 1'ennemi du tróne, & 1'artifan du crime; Qu'il foit de cette nuit la première viétime: Que tous les proteftans è- la-fois accablés, Dans les murs, hors des murs, foient en foule iminolés. LE CARDINAL. PérifTe & leur croyance, & le nom d'hérétique! Et que demain la France, heureufe & catholique, D'un roi chéri du ciel bénilfe les deftins , Et 1'ordre falutaire accompli par nos mains! xi» bu quatrikme acte, D 3  ff CHARLES IX. ACTE V. SCÈNE PREMIÈRE. le roi de navarre. Quel fignal efFrayant tout- a-coup me réveille f De ilniftres clameurs ont frappé mon oreille; Et de I'airain fur-tout les lugubres accens, D'une fubite horreur ont glacé tous mes fens. J'entends encor des cris. Ah! mon ami peut-être Succombe en ce moment fous le glaive d'un traitre; De fes perfécute.urs l'implacable courroux Peut-être en ce moment.... SCÈNE II. LE ROI DE NAVARRE, LE CHANCELIER DE L'HOPITAL. le roi de navarre. L 'hopital, e ft - ce vous? le chancelier. Sire .... le roi de navarre. Eh bien ? le chancelier, Apprenez .... le roi de nav ar r t. - , Que me faut-il apprendre ? Et d'ou viennent les pleurs que je vous vois répandre ? le c ii a k( c £ l i e r. Les proteftans ....  Acte V, Scene II. SS ' £ e roi de navarre. Pailez. le chancelier. lis font trahis, vendus. le roi de navarre. Coligni .... le chancelier. C'en eft feit; Coligni ne vit plus. le roi de navarre. 11 ne vit plusl grand Dieu! quel bras inexorable... le chancelier. J'ai vu cent bras percer ce guerrier vénérable ; J'ai vu porter fa tête en ce louvre odieux ; J'ai vu de tous cótés un peuple furieux, Trop docile inftrument des vengeances de Rome, Frapper, fouler aux pieds les reftes d'un grand homme. le roi de navarre. O forfait! le chancelier. Dans nos. murs le fang coule en ruiffeaux. Tout ce qui vit encore, excepté les bourreaux, Tout frémit : le ciel même a voilé fa lumière; Et Paris maintenant n'eft qu'un vafte repaire Üü la mort.... le roi de navarre. C'eft affez. Preffentimens affreuxl Les voila donc remplis! Venez... courons... je veux... le chancelier. Arrêtez. Ont-ils donc befoin d'un nouveau crime? Vivez, au nom du ciel, vivez , roi magnanime; Parmi tant d'affaffins ne portez point vos pas, Et gardez-nous un fang qu'ils n'épargneraient pas. Non, vous n'avez pas vu cette nuit déplorable: Tantót des cris, tantót un filence exécrable ; Guife & tous fes amis combattant de forfaits, , En invoquanc un Dieu qu'ils n'ont connu jamais ; D 4  55 CHARLES IX. Les prêtres, plus cruels, fur les pas de Lorraine „ Ecbauffant i 1'envi cette effroyable fcène, Dans leurs perfides mains tenant le bois facré, Soufffant tous leurs poifons fur ce peuple égaré, Et femblant redouter, au milieu du carnage, Qu'un feul des proteftans puiffe évirer leur rage; Criant: Frappez ï du roi c'eft 1'ordre fouverain. Chaile, au milieu du louvre, une arquebufe en main, S'enivrant è longs trairs d'un plaifir fanguinaire, Et cherchant fon devoir dans les yeux de fa mère. C'eft ici, prés de nous, que Ie roi des Francais, Sous ie plotnb deflructeur fait tomber fes fujets: C'eft iet, je i'ai va, qtie fa main forcènée, De nos appuii, des flens-, tranche la deftinée: Mais quand la cruauté ne connait pius de frein, Faifibie, gardant feule un front calme & ferein, Prés de lui MéJicis applaudit 4 fes crimes, Exake fon adreffe, & comp'te fes victimes. LE EOI BE NAVARRE» Le crï de la pitte", parmi tant de forfaits.... L E CHANCELIER. La pïtié n'entre plus dans Ie cceur des Francais. On voit de tous cótés , fans armes, fans défenfe, Tomber de eet état la gloire ou I'efpérance : Malgré ftscheveux blancs, le vieillard immolé; Sous un gros d'afTaffins le jeune homme accablé, Qüi de fon corps mourant protégé encore un père; L'enfant même égorgé fur le fcin de fa mère: Les uns, percés de coups au moment du réveil; Les autres, plus heureux, frappés dans leur fommeilj Les époüx expirans dans les bras de leurs femmes; Auprès de leurs enfans, ceux-ci livrés aux flammes; De leurs tcits embrafés ceux - la précipités; D'autres en fe fauvant par Ie glaive anêtés; D'autres fuyant Ia mo?t dans le» Hots de la Seine, Et retrouvant la mort fur la rive prochaine: Les csdavres fumans, les membres difperfés, Paitout dans leï chemfns, dans le fieuve entaffés.  ActeV, Scène II. 57 le roi de navarre. Effroyable attentat! cour infame & cruelle! Ouoi! leurs mains.... Que fais-tu, providence éternelle? De tous mes compagnons ils ont percé le fein! le chancelier. Oui, vos amis ont tous achevé leur deftin. Ce vieillard , qui jadis éleva votre enfance, A du fer catholique éprouvé la vengeance. 0n veut les convertir en les affaflinant: A de nouveaux traités recourons maintenant. O deuil! ó fouvenir de notre antique gloire! Oh ! d'une affreufe nuit périffe la mémoire! Nos fils, & que le ciel trop long tems en courroux, Daigne les rendre, hélas! moins barbares que nous! Nos fils détefteront des trames infernales, Liront en pïlilTant nos fanglantes annales, Avec un long effroi contempleront ces lieux, 1 Et maudiront les jours oü vivaient leurs aïeux. Je fuis ce roi crédule, & ces laches miniftres; Ie vais chercher la paix loin de ces bords finiftres. Ces débris malheureux, fans afile, fans roi, Qu'ils viennent, j'y confens, fe ranger prés de moi: Vaurai toujours pour eux 1'intérêt le plus tendre, Un tolt a leur offrir, & mon fang a répandre. Comme on nous a trompés! Sire, je fuis vaincu. Mais cette cour approche; adieu, j'ai trop vécu. puiffe encore, & voila ma dernière efpérance, Puiffe un roi tel que vous, éprouvé dès 1'enfance, Wiüxi dans les travaux & dans I'adverfité, Purifier un jour ce tróne enfanglanté! * II fort. le roi de navarre» De la cour d'un tyran la probité s'exile, Et du crime honoré la vertu fuit 1'afile. D S  CHARLES IX, SCÈNE III. LE ROI DE FRANCE, LA REINE-MERE, LE ROI DE NAVARRE, LE CARDINAL DE LORRAINE, LE DUC DE GUISE, courtin sans, Gardes, Pages avec des flambeaux. Le roi de France veut fortir en appercevant le roi de Navarre» la Reine - mère lui fait figne de refter. le roi de navarre. j\/jlon admiration doit enfin éclater, Sire, & je vous attends pour vous féliciter. Vous devenez des rois le plus parfait modèle; Nul ne pouffa fi loin la prudence & le zèle; Nul n'exerga jamais ce courage pieux, Et ne fut maifacrer fon peuple au nom des cieux. la reine-mere. Ce difcours maintenant peut fembler téméraire ; Et ce qu'on a fait, prince, il a fallu le faire. Le roi vous devait-il compte de fes projets ? le roi de navarre, Non: mais il elt au moins comptable a fes fujets; II eft comptable au ciel qui venge le parjure. le cardinal. Penferiez-vous qu'au'ciel on ait fait une injure? Le culte facrilège eft bientót aboli, Et 1'honneur des autels a Ia fin rétabli. Pour Coligni, ce mot va vous bleffer peut-être, Mais c'eft la vérité : Coligni fut un traltre. le roi de n a v A r n e, Lui? Coligni l l e duc. Lui-même; & fon caur dès long-tems Méditait ....  Acte V, Scène III. le roi de navarre. II eft mort: n'êtes-vous pas contens f Vous I'égorgez , cruels ! cc votre bouche impie O'e encore attenter a 1'éclat de fa vie ! Vous lui rendez juftice : un nom II glorieux A mérité 1'honneur de vous être odieux. Voila donc les héros, les foutiens de la France ! Quelle exécrable joie ! ou quelle indifférence ! Quoi I je fais dans ce louvre éclater mes douleurs, Sans trouver un Francais qui réponde a mes pleurs ! la reine-mere. D'un indigne regret fi votre ame elt atteinte , Du moins le roi de navarre. N'attendez plus de fervile contrainte. Cet art, a nos Francais fi long-tems étranger, De flatter fa viétime avant de 1'égorger , Que ne le laiffiez - vous au fond de l'Italie ! Cruelle ! ainfi par vous la France eft avilie .' Ainfi vous flétriffez Ie nom de Médicis ! Vous renverfez nos lois, vous perdez votre fils, Vous perdez tout 1'état, reine & mère coupable. 'Confommez vos deflins, monarque déplorable. Ah 1 des devoirs d'un roi qui ne ferait jaloux ? Rendre fon peuple heureux eft un bonheur fi doux ! Et vous, de vos fujets deftructeur infiexible , Roi d'un peuple vaiilant, bon , généreux , fenfible , Vous vous rendez 1'effroi de ce peuple indigné , Et, fur fe tróne affis , vous n'avez point régné. D'un forfait fans exemple infortuné complice , Vous n'éviterez pas votre jufie fupplice : II commence ; & je vois dans vos yeux égarés, Le déïefpoir des cceurs en fecret déchirés. Eh bien! vous n'avez fait que la moitié du crime; Je refpire; il vous refte encore une viétime ; Prenez-Ia. Mais bientót Ie ciel va vous punir; A tant d'infortunés le ciel va vous unir; Votre front eft marqué du fceau de fa colère»  Co CHARLES IX, Un repentir tardif vous parle & vous éciaire; Ce fentiment afFreux , précipitant vos jours , Au fein des yoluptés en corrompra le cours; Vous craindrez & la France, & vous-même, & fe vfe; A Coligni mourant vous porterez envie ; Le fommeil , ce feul bien qui refie au malheureux, N'interrompra jamais vos ennuis douloureux; Pour de nouveaux tourmens vous veillerez fans ceffe; Et quand la mort viendra frapper votre jeunelTe , Vous chercherez partout des yeux confolateurs; Et vous verrez , non plus vos indignes flatteurs , Mais de vos attentats l'épouvantable image, Mais votre lit de mort entouré de carnage , Vos fujets maffacrés s'élevant contre vous , Le juge incorruptible enflammé de courroux, La France , applaudiffant au trépas de fon maitre , A vps derniers foupirs commengant a renaltre, Et votre nom royal a 1'opprobre livré , Et 1'éternel fupplice aux méchans préparé. Vous gémirez alors: vos plaintes inutiles, Vos remords impuiffans^, vos fouffrances flériles, Vengeront les Francais & Ie ciel offenfé ; Et vous rendrez le fang que vous avez verfé. SCÈNE, IV, & dernière. LE ROI DE FRANCE , LA REINE-MERE, LE CARDINAL DE LORRAINE, LE DUC' DE GÜISE, Courtisans, Gardes, Paces avec des ■flambeaux. LA REINE-MERE. Je ne prévoyats pas un tel excès d'audace. A Ia mort échappé, I'imprudent vous menace! Vous gémir! vous, mon fils! C'eft a lui de trcmbler. La main qui 1'a fauvé peut encor 1'accabler. LE ROI DE FRANCE, II a dit vrai.  A C T E V, S C E N K IV. 6V LA REIN E-M ERE. Comment ? LE ROI BE FRANC tf> J'ai commis un grand crime. LE CARDINAL. ün roi doit fe venger du parti qui 1'opprirne. LE ROI DE FRANCE. Je ne fuis plus un roi ; je fuis un affaffin. i LA REINE-MERE. Ah! tout vous infpirait eet important deffein. Votre intérêt. i £ CARDINAL. Le ciel. L E DUC. I L'éclat de votre empire. LE ROI DE FRANCE. A me tromper encor leur perfidie afpire ! Les attentacs des rois ne font pas ïmpums i Cruels, è mes tourmens foyez du moins unis. C'eft vous qui me coütez des larmes éternelles. Mee mains, vous le favez, n'étaient point cnm.nelles; Sans crainte & fans remord je «mtemplais les cieux : Tout eft changé pour moi ; le jour m eft odieux. Ou fuir ? oü me cacher dans 1'horreur des ténèbres ? O nuit! couvre-moi bien de tes voiles funebres. LA REINE-MER'E. Mon cher fils ... . LE ROI DE FRANCE. En ces lieux qui vous a raffemblés t Attendez un moment; ne marchez pas; tremblez. Pour qui ces glaives nus ? quels font vos adverfaires ? Vous courez immoler, qui ? vos amis! vos frères! Arrêtez; je défends . . . Mais que vors-je , inhumaans? Quel meurtre abominable enfanglante vos mams ? Moi-même.... Ah! qu'ai-je fait? Crue . mgrat, perfide, Parjure i mes fermens, facrilège, homtcide,  61 CHARLES IX. J'ai des plus vils tyrans réuni les forfaits , Et je fuis tout couvert du fang de mes. fujets. Ces lieux en font baignés: fous ces portiques fombres, Des malheureux profcrits je vois errer les ombres : Une invifible main s'appefantit fur moi. Dieu ! quel fpecire hideux redouble mon effroi! C'eft lui; j'entends fa voix terrible & menacante : Coligni . . . . Voyez-vous cette tête fanglante ? Loin de moi cette tête éi ces flancs entr'ouverts! 11 me fuit, il me preffe, il m'entraine aux enfers. Pardon, Dieu tout - puiffant, Dieu qui venge les crimes Toi, Coligni; vous tous, vous trop chères viétimes, Pardon: fi vous étiez témoins de mes douleurs, A votre meurtrier vous donneriez des pleurs. Des crutls ont inftruit ma bouche a 1'impofture ; Leur voix a, dans mon ame , étouffé la nature; J'ai trabi la patrie, & 1'honneur, & les lois : Le Ciekf en me frappant, donne un exemple aux rois. "> É, f 2 ff.  N O T E S SUR LA TRAGÉDIE DE CHARLES IX. ACTE PREMIER. Ce palais retentit des chants de l'byménée. Le mariage du jeune roi de Navarre, alors agé de 19 ans, avec Marguerite de Valois, fceur de Charles IX, fut célébré au Louvre fort peu de tems avant lemaffaciede la Saint-Barthelemi. Maurevert a commis un crime mercenaire. Perfonne n'ignore que 1'amiral de Coligni fut bleffë d'un coup d'arquebufe , deux pu trois jours avant Ie maffkcre: Ie meurtrier fe nommait Maurevel 011 Maurevert. II était attaché aux Gui. fes; & la part qu'ils avaient a eet affaffinat, ne peut raifonna^ blement être mife en doute. Dans le fang efpagnol coiirons baigner nos mains. Philippe II, roi d'Efpagne, fut lié toute fa vie avec Ia faétioij des Gutfes. 11 fut 1'ame & Ie foutien de Ia Ligue. L'amiral de Coligni, perfuadé qu'on devait a ce monarque hypocrite & cruej une grande partie des malheurs de Ia France, ne negligea rien pour engager Charles IX a porter la guerre en Efpagne & en Flandres. Outre les raifons de vengeance, Coligni donnait des raifons politiques pour déterminer cette entreprife ; il croyait qu'une guerre étrangère pourrait feule faire ceffer la guerre civile en France. Et vons devez favoir, que des plus vils complots lis ont aufïï, monfieur, foupconné des héros. Le duc Francois de Guife fut affaffiné par Poltrot, au tiége d'Orléans.en 1563; la faétion des Guifes accufa l'amiral d'avoir commandé eet aü'afCnat, O cher prince ! 6 mon fils! cette douleur amère Ne pourra du tombeau rappeler votre mère. Jeanne d'Albret,reine de Navarre & mère de Henri IV, mou-  64 N O T E S. rut a Paris Ie o de Juin 1572. Les Proteftans affiiraient qu'elle avait éte empoifonnée par un parfumeur fiorentin , nommé René: le poifon fut, dit-on, communiqué è des gants de fenteur, & le crime était ordonné par Catherine de Médicis. Au refte.ce fait n'eft pas proüvé,& les hiftoriens varient beaucoup fur le degté de certitude qu'il mérite. Trwis fois les dés fanglans ont eSïayé ma vue. Cette anecdote eft trés - connue. A la place de ce morceau, il y avait, aux premières repréfentations, un fonge du roi de Navarre qui était fort accueilli: quelques critiques difaient pourtant que j'avois rendu Ie roi de Navarre trop fuperüitieux, & qu'un roi tel que Henri IV ne pouvait être frappé d'un fonge. Si j'ai retranché ie fonge, ce n'eft pas que je me fois rendu a cette critique; la fuperltition était dans ce tems 1'efprit général, & il s'en faut bien que Henri IV en füt exempt. Lifez dans les mémoires de Sulli fes longs prefientimens fur fa mort. L'anecdote des gouttes de fang-fur'la table & fur les dés eft infiniment plus fuperftitieufe qu'un fonge. Mon unique intention , en faifant ce changement, a donc été de fubftituer une chofe neuve, & fondée fur le témoignage des hiftoriens, a un morceau d'invention dont les formös étaient déja fort connues fur la fcene frangaife. Le poifon terminant les jours de votre frère. Le parti catholique fit empoifonner, dit-on, par un valet de chambre, le cardinal deChatillon, frère de Coligni: ce prélat s'était réfugié a Londres; il mourut en 1571. Nos fuccèi, nos revers, & les champs odieux, Oü Condé, ce grand homme, expira fous nos-yeux. Le prince de Condé, oncle de Henri IV, fut tué en 1561 a la bataille de jarnac, par Montefquiou, capitaine des gardes du duc d'Anjou, Que les lieux oü jadis s'écoulait mon enfance , Avec un tel féjour ont peu de refleiublance ! L'éducation fait les hommes prefque autant que la nature. Henri IV, élevé au cbateau de Coaraffe en Béarn, parmi des rochers & des montagnes, devint un grand prince, paree qu'il ne fut point gaté a plaifir; il ne connut point dès fon enfance la molleffe & la flatterie. S'il eüt été accoutumé a vivre en fils de roi, il n'eüt pas été fi digne de régner. Lifez dans Péréfixe  DISCOURS PRONONCÉ Devant MM. les Repréfentans de Ia Commune, LE VINOT.TROIS AOOf l?8fj. Mêssieürs, Je fuis 1'auteur de Ia tragédie de Charles IX, que le public a bien voulu demander. Je viens vous 1'apporter. Je ne me defTaifirai point de mon manufcrit; mais je fuis prêt h lire Ia pièce devant les perfonnes qu'il vous plaira de noramer pour en prendre connaiffance; ou bien, fi vous 1'aimez mieux, 1'uu de vous, Mefiieurs, la lira devant les arbitres, pourVu que je fois préfent a la Ieéture. Quelques membres du public ont defiré que cette tragédie, avant d'être répréfentée, fik foUmife h votre examen. La confiance que vous avez" méritée peut juftifier, jufqu'a un certain point, cette cenfure provifoire, & vos avis lont faits pour m'éclairer. Mais je parle devant des citoyens aufli inftruits que vertueux: je dois leur parler en citoyen. Le peuple francais veut être libre, & vous avouerez qu'il en eft digne. Tout homme libre doit pouvoir publier fa penfée de «Juelque manière que ce foit, comme il doit fubir la peine A  a A MM. LES ftEPRÊSENT ANS prononcée par la loi. Les citoyens ne doivent être foumti qu'aux lois, & 1'opinion d'un feul homme ou de pluüeurs hommes n'eft point une loi. II n'eft pas queftion de changer de cenfeurs; il eft queftion d'abolir la cenfure. Toute^efpèce de cenfure eft une atteinte au droit des hommes: & qu'importe le nom, quand Ia chofe eit exaftement la même? [ Vainement voudrait-on établir une différence entre la prefle & le ttiéritre. Une pièce de théatre eft un moyen de publier fa penfée. Tout homme libre, je le répète, doit pouvoir publier fa penfée, dès qu'il fe rend refponfable. Quand un principe eft évident, tous les réfultats néceOaires ne peuvent être conteftés. Or,. ce n'eft point parmi des hommes aufli éclairés que vous qu'un pareil principe trouvera des contra- d"siUr!du principe général, nous defcendons au cas particulier dont il^agit en ce moment, je vous dirai, Meffieurs, que ne connaiffant point la tragédie de Charles IX, vous poumez vous en former une idéé faufle. On .vous aura dit, peutêtre que cette tragédie ferait trés dangereufe dans les circonftances aétuelles. S'il eft dangereux de faire détefter le fanatifme & la tyrannie; s'il eft dangereux de faire aimer la vertu, les lois, ialiberté, la tolérance, permettez-moi de me vanter ici qu'il eft peu d'ouvrages auffi dangereux que Charles IX. En peignant la rage des guerres civilei, cette pièce n en pent infpirer. que 1'horreur. En peignant un roi perfide, fanguinaire & bourreau de fon peuple, elle doit faire limèr, plus que jamais, le gouvernement d'un monarque dont la franchife & la bonté font connues; d'un monarque, fecond père du peuple, & reftaurateur de la liberté francaife; d'un monarque, digne héritier de ce Henri IV, dont j'ai voulu préfenter la ieuneffe & 1'amour d'une nation généreufe, & devenue libre. Quant aux allufions: car il faut trancher le mot; quant aus allufions prétendues que pourrait offrir Pouvrage, après celle de Henri IV, je n'en connais qu'une feule póffible, & je la crois inévitable. En écoutant le chancelier de 1'Hópital, le public croira, fans'doute, écouter ce grand miniftre, ne, comme lui, dans le corps du peuple, qu'on 'avait ofé nomurer Ie tiers-état; rappelé, comme lui, au miniftère dans les circonflances les plus difficiles; comme lui, écrivainphilofophe; comme lui, réunifTant les vertus d'un fage , & les talens dun homme d'état.  UKtACOMMUNE. 3 Ces allufions, je ne les ai point cherchées; Ie tems les i fendues naturelles. J'ai compofé mon ouvrage quand elles nexifta.ent pas encóre, quand Ia France regrettait eet excel. lentadmmiftrateur, quand Ia révolution qui s'opèfe ne pouvait pas même étre devinée. Ceux qui me connaiffem, neme foupconneront pas de fiatterie. Je ne demande, je n'attends, ]e ne veux rien qu'une feule chofe, 1'exercice légitime de mes droits d'homme & de citoyen. Dans ces droits elt compris celui de publier ma penfée, fans étre aflujeui a aucune ceiifiire, & celui de n'étre foumis qu'aux lois établies par les Re. préfentans de Ia Nation. ' rteUc"xtre' Meflïeurs' dal" un moment oü aucun pouvoir n eft fixé d'une manière irrévocable; peut-être le nouveau tribunal, qu'une partie du public m'a indiqué, doit paraltre néceflaire a la tranquillité de cette capitale. Mais je dois vous cire, Meflïeurs, qu'aprés 1'établiflement des lois ce ferait une injuflice inutile, & que toute efpèce de cenfure eft une vexa«on. Je publierai mon difcours, pour faire favoir comment jeme foumets a 1'examen qu'on a defiré. La leélure de la tragédie de Charles IX vous prouvera ce que j'ai avancé; & comme il n'eft pas ici queftion de talens, je fuis convainciï que vous y trouverez les intentions d'un bon citoyen, feut titre dont je fois jaloux. Si, par un malheur que j'airne i Croire impoffible, vous jugiez la répréfentation d'une telle pièce dangereufe en ce moment, j'ofe vousprier, Meflïeurs» de vouloir bien publier vos motifs, afin que je puiffe y répoiadre publiquement. Je vous refpeéte beaucoup, Meffieurss mais je refpefte encore plus la juftice & la vérité. Votre eftime me fera bien chère; mais celle du public, que vous repréfentez, m'eft encore plus précieufe. A s  A D R E S S E AUX SOIXANTE DISTRICTS DE PARIS. Messieurs, Si ie n'y étais farce, je ne «e permetttais pas de veras Semaidw un moment de 1'attention que vous confacrez è a publique. Mais j'apprends que dans quequesjdjta*. Plufieurs perfonnes ont parlé de la tragédie d,e Cbares IX, comme d'un ouvrage dangereux. Un ouvrage ne peut etre Sangereux que de trois manières: s'il eft calomrneuxs ,1 eft S aux mceurs, s'il eft contraire a la morale. Mon oucontraire aux mee , }j eft |c,etBf fan. Se iïy 1™V*? toute perfonne qui 1'accufe, fe rend C7^;1uinTmSs, Meflïeurs, que la tragédie de Charles ix a été recue a la comédie francaife. 11 y a deux mo.s que 1 wï Ta demandée; il a defiré que meflieurs les Repréfenle public 1 a de™éee'J i{rent c40„nailfance. Melfieuts les 'Zrél^r^CoJ^ ont nommé des commiifa.res ' ^TiSaminer, & les commiffaires ont jugé que la pièce rPouvTêt é'dlfendue. Elle était calomniée dés lors par ennemis du peuple; par ceux qui voudraient ma.nten.r en Franc^ S préiugés, le fanatisme & la tyrannie; par ceux qu, FadUav SenTAfimé Tartuffe & Mahomet. Je ne veux éta. hit ftns douteaucune comparaifon de mérite entre Charles IX Tc« deux pièces admirables; il n'eft ici queftion que de mioralité.  ADRKSSE, &c. 5 Quelques gens ont ofé dire que j'avais retracé le crime de la nation. Ce n'eft plus me calomnier, c'eft calomnier la nation entière. Le crime que j'ai retracé dans ma pièce, & que M. de Voltaire avait peint avant moi dans le fecond chant de la Henriade, eft le crime de Charles IX, de Catherine de Médicis, des Guifes; mais nullement celui de Ia nation. Dans aucune pièce de théatre, j'ofe Ie dire,la nation francaife n'eft auffi vantée que dans Charles IX; dans aucune, la caufe du peuple & des lois n'eft plus fortement défendue. Aucune ne fait haïr davantage la tyrannie, le fanatisme, le meurtre, les guerres civiles; aucune ne fait aimer davantage la vertu, la liberté, la tolérance. S'il s'agiffait d'une farce indécente & obfcène, ou d'une pièce infectée d'adulation & de fervitude, peut.être n'y aurait-il point de réclamations; mais c'eft 1'ouvrage d'un homme libre. II a'eft fait ni pour des efclave s, ni pour des courtifannes; il eft fait pour une nation qui a conquis fa liberté, pour une nation gouvernée par un roi jufte, confiant, généreux, digne d'elle, & qu'elle chérira toujours, par la même raifon qu'elle déteftera toujours la mémoire des Louis XI &. des Charles IX. Voulez-vous bien, Meflïeurs, prendre acte de 1'adrelfe qu j'ai 1'honneur de vous envoyer ? Si 1'ouvrage, une fois connu, fe trouve calomnieux, ou contraire aux mceurs, ou contraire a la morale, je me dévoue au mépris des gensdebien, comme 5'aurai droit a leur eftime fi tout ce que j'affirme eft Ia vérité. Si quelques perfonnes jugeaient a propos de vous dénoncer 1'ouvrage, foit avant, foit après fa repréfentation, je vous fupplie, Meflïeurs, de les engager a publier leurs attaques, & les pourfuivre, s'il en eft befoin, comme calomniateurs. Vous approuverez la fenfibilité d'un citoyen dont le patriotisme ne devrait pas être attaqué. Mon dévouement aux bons principes eft connu de tous ceux qui ont entendu prononcer mon nom. Je fupplie ceux dont je fuis ignoré, de ne pas fe laisfer entralner par les clabauderies des citoyens mal intentionnés. En compofant un ouvrage de la nature de celui dont il s'agit, j'ai dü m'attendre a des cabales très-violentes; mais auffi j'ai dü m'attendre 4 trouver un appui dans tous les hommes qui ont une ame énergique & libre, c'eft a-dire, dans tous lei vrais Francais. Ai  DE LA LIBERTÉ DU THÉATRE EN FRANCE, C E v x qui penfeut & qui favent exprimer leurs penfées, font Jes plus redoutables ennemis de la tyrannie & du fanatisme, ces deux grands fléaux du monde. L'imprimerie doit détruire, & la longue, la foule innombrable des préjugés. Grace a cette découverte, la plus importante de toutes, on ne verra plus Vefprit humain rétrograder, & des fiècles de barbarie fuccéder aux fiècles de lumières. En vain ceux qui font intérefTés il fromper les peuples, veudraient maintenant ralentir la coramu.» nication des idéés. La perfécution contre les livres ne fait qu'irriter le génie : elle ne faurait empêcher, ni même retarder les révolutions qui s'opéreront, de fiècle en fiècle, dans 1'es. prit général; & les perfécuteurs ne réuffiront qu'a fe rendre pdieux, en troublant, il eft vrai, le repos des écrivains Mus? p:es, mais en augmentant leur célébrité. IL Cependant, lorfqu'un gouvernement s'efforce, quoique jnfruftueufement, de gêner, de quelque manière que ce foit, Ie commerce des penfées, on peut en conclure, fans héfiter, que la nation foumife a ce gouvernement ne connait aucune liberté. Lorfque cette nation, laffe d'être avilie, veut reffaifir des droits imprefcriptibles, elle doit commencer par fecouer ces entraves ridicules qu'on donne a 1'efprit des citoyens, Aiors il devient permis de publier fes penfées, fous toutes les formes poffibles. II ne faut pas s'imaginer qu'on penfe libreroent chez une nation oü le théatre eft encore foumis è des lois arbitraires, tandis que la preffe eft libre; & ce n'eft pas i la fm du dix-huitième fiècle, que des Francais peuvent contefter 1'extrême importance du théatre. III. Les mceurs d'une nation forment d'ahord refprit de fes ouvrages dramatiques; biemót fes ouvrages dramatiques forment fon efprit. L'influence du théatre fur les mceurs n'a pas befoin d'être prouvée, puifqu'elle eft indifpenfable. L'amour-  DE LA LIBERTÉ DU THÉATRE. | propre, mobile de toutes les aftionshumaines, principe des bonnes & mauvaifes qualités chez tous les hommes, les rend peu dispofés a profiter de 1'inftruétion directe. Mais dans une belle pièce de Théatre, le plaifir amène le fpectateur a 1 inftrua.on, fans qu'il s'en apercoive, ou qu'il y puiffe réfifter. L homme eft effentiellement fenfible. Le poëte dramatique, en peignant les paffions, dirige celles du fpeaateur. Un founre qui nous échappe en écoutant une pièce comique, ou, dans 1 éloquente tragédie-, des pleurs que nous fentons couler de nos yeux, fuffifent pour nous faire fentir une vérité, que 1 auteur d un traité de morale nous auroit longuement démontrée._ Ajoutez cue notre fenfibilité, & même nos lumières, font innniment augmentées par celles de nos femblables qui nous environnenr. Un livre difperfé dans les cabinets parvient a faire lentement uue multitude d'impreffions différentes, mais Holte, mais prefque toujours exemptes d'enthoufiame. La fenfat.on que fait éprouver k deux mille perfonnes raffemblees au théatre francais, la repréfentation d'uu excellent ouvrage dramatique, eft «pide, ardente, unanime. Elle fe renouvelle vingt fois par an, dans toutes les villes de France, dans toutes les capitales de 1'Europe; & quand 1'ouvrage eft impnmé, .1 unit i ce grand effet qui lm eft particulier, le feul effet que peut produire un bon ouvrage dun autre genre. _ IV. Un gouvernement équitable encourageroit tout ce qui peut corriger les mceurs publiques. Un gouvernement éclairé concevrait que, plus les hommes feront inftruus, plus ils tendront a 1'égalité politique, feule bafe folide d une conft.tu. tiou. Un gouvernement ami des hommes, voudtait le bonheur de chaque citoyen, & 1'éclat de la fociétéentière. Mais le bonheur de chaque citoyen dépend de 1'égahté pout.que de tous les citoyens; & plus chaque citoyen eft heureux dans fon mérieur plus la fociété eodèr. eft puiffante & refpeftable au-dehors. Tout dépend donc, pour une nation, de la maffe de fes lumières. Le gouvernement eft donc coupable envers une nation, quand il gêne la publ.cat.on de|l« penfée en tou: « qui ne nuit point au droit des citoyens. Or, comme ce "oit des citoyens eft effentiellement égal pour tous, il eft fis évident que les différente, manières de publier fa penfée, doivent être également libres. II doit donc être perm.s de repréfenter ce qu'il eft permis d'imprimer II ne peut etre nuifible de faire réciter ce qu'il eft utile d écrire. A 4  4 DE LA LIBERTÉ V. Sous Ia régence d'Anne d'Autriche, & dans la jeuneffc du roi Louis XIV, Ia nation franpaife comrnencait a s'inftruire en écoutant, a fon théatre, les fcènes admirables de Pierre Corneille, & les excellpntes comédies de Molière. Ces deux poè'tes lui appreuaienc a penfer, tandis que fes plus éloquent profateurs bornajent encore tout leur génie a défeudre Janfé. nius, ou & flatter en chaire les princes morts & les princes vivans. Mais quand on s'appercut de cette route nouvelle que Ja raifon fe frayait en France, on réfolut de la lui fermer. Plus nos poètes dramatiques avaient illuftré la nation chez J'étranger, plua on fut les avilir; & plus leur art parut propre & former des hommes libres, plus on crut devoir rendre efclayes tous ceux qui le cultivaient, Ce n'eft donc point affez d'avoir compofé en France une piéce de théatre; ce n'eft point afi'ez d'ayoir a efluyer les intrigues, les pabales, les dégoüts fans nombre inféparabies de la carrière dramatique; ce p'eft point affez d'avoir a fupporter les tracafferies les plu» ^tranges,les rivalitésles plus humiljantes: pour faire repréfenter Vne pièce, il faut monter d'échelon en échelon; de M. le cenfeur royal, a M. le Jieutenant général de police ; quelquer fois a M. Ie miniftre de Paris; quelquefois a M. le magiftrat de la librairie; quelquefois a M, le garde-des.fceaux, voila your la ville. Veut-ou faire repréfenter fa pièce a la cour? c'eft une autre échelle it monter. Il faut s'adreffer a M. 1'intendant des plaifirs dits metius; & de M. 1'intendant des plaifirs dits menus, è M. le premier gentilhomme de la chambre en exercice. Tous ces meffieurs opt leur coin de magifttature, leur droit d'infpection fur les pièces de théatre, leur privilège i par oü n'y en a»t-il pas en France? 11 eft bien vrai qu'une pièce peut être repréfentée 4 Paris & a la cour, quand il eft ^véré qu'elle ne contrarie aucune opinion particulière d'aucup des aibitres; mais on doit fentir, en récompenfe, que rien n'eft moins poflible, quand la pièce n'eft pas tour-a fait iufignifiante. VI. On a établi des cenfeurs, agens fubalternes du gouvernement, qui recherchent avec un foin fcrupuleux, dons les pieces de théatre, ce qui pourrait choquer la tyrannie & com. battre les préjuges qu'il lui convieut d'entretenir. Tout ce qui eft dépourvu de fens eft approuvé par ces Meffieurs; les adulations baffes & rampantes fönt protégées; les farces même les plus ipdecemes font repréfentées lans obflacle: les vérités  Dü THÉATRE. fortes & hardies font impitoyablement profcrites. La miffion des cenfeurs eft de faire la guerre a la raifon, k la liberté* fans talens & fans génie, leur devoir eft d'énerver le génie & les talens: ce font des eunuques qui n'ont plus qu'un feul plaifir, celui de faire d'autres eunuques. VIL Du moins, fi 1'on connaiffait des lois établies qu'il ne füt pas permis de transgrefler; s'il y avait des hornes marquées, au - dela defquelles le génie ne pourrait plus avancer impunément; fi 1'on favait bien précifément jufqu'a quel point la raifon eft tolérée en France; quelque circonfcrit que füt le cercle des idéés, en rougiflant de faviliffement oü Ia nation eft plongée, en gémiffant fur la tyrannie qui nous environne, nous pourrions tenter de nous y foumettre. Mais tout eft arbitraire; tout fuir la volonté d'un garde-des-fceaux, d'un lieutenant-général de police, ou même d'un cenfeur. C'eft du caraétère particulier, c'eft du degré de lumières, c'eft du caprice de quelques hommes, que dépend la permiffion de repréfenter une pièce de théitre. Crébillon déclarant a 1'au. teur de Mahomet qu'il lui eft impoffible d'approuver cette pièce , Crébillon fuffit pour fufpendre , pendant plufieur» années, la repréfentation du chef• d'ceuvre. II faut obtenir Ie fuffrage d'un fouverain pontife, moins fcrupuleux paree qu'il était plus éclairé; il faut contrebalancer le refus d'un rival timide & jaloux, en trouvant un cenfeur raifonnable » il faut vaincre la froide obftination d'un prêtre oétogénaire, & de quelques autres miniftres a peine capables de comprendre cette profonde tragédie. VIII. Quand la comédie de Tartuffe, écrite foixante ans auparavant, fit marcher la nation vers la vérité, d'une manière auffi forte & plus directe, Molière déchiré, calomnié par ia cabale des prêtres, Molière infulté en pleine églife par Bour. daloue, Molière, en inférant dans fa piéce un panégyrique de Louis XIV, fut intéreffer forgueil de ce prince, & s'affurer de fon appui. Ce defpote, jeune alors, aidé d'un efprit droit & d'une forte volonté, donna, pour un moment, au théatre d'un peuple affervi, un peu de cette liberté qui caraétérife le théatre des nations gouvernées par elles-mêmes. II aida Molière a triompher de fes ennemis, & cette admirable comédie fut repréfentée. Elle ne faurait pas été, je penfe, en des tems poftérieurs au règne de Louis XIV; elle éprouverait de grandes difUcultés dans ce moment-ei. Louis XIV, lui. As  10 DE LA LIBERTÉ même, rfaurait pas toujours été fi favorable a Molière. Lorsque dans fes dernières années, afFaibli par 1'age & par les chagrin3, lafTé d'une puiifance arbitraire exercée pendant plus d'un demi-fiècle, il traïnait les refles de fa vie entre fon confeffeur jéfuite, & fa maitreife janfénifte, il n'eft pas probable qu'il «üt pris plaifir a voir tourner en ridicule les charlatans de dévotion; & leurs cris auraient infailliblement étouffé, prè» du vieux monarque, les réclamations du philofophe. IX, Ainfi, tout variait en France fous le defpotifme arlftocratique dont nous voulons fecouer le joug: ainfi la loi d'hier n'était plus celle d'aujourd'hui; & celle d'aujourd'hui fe voyait le lendemain remplacée par une autre: ainfi le moindre ami du prince, un valet-de-chambre, une courtifanne en faveur, la maitreffe d'un miniftre ou d'un premier commis, perfécutait infolemment la philofophie, ou la protégeait plus infolemment. Ün a vu Voltaire, luttan: a chaque nouveau chef-d'ceuvre contre la foule des envieux & des fanatiques, forcé de ménager des courtifans qu'il méprifait, déplorant la pufillanimité de fes concitoyens, difant la vérité parvocation, parbefoin, par enthoufiafme pour elle, fe rétra&ant, fe reniant lui-même pour échapper a Ia perfécution; admiré fans doute, mais dénigré, ma's haï, mais enfermé deux fois dans les cacbots de Ia baftille, exilé, contraint de vivre éloigné de fa patrie, ofant & peine venir expirer dans cette ville qui fe glorifie de 1'avoir vu naitre, jouilïant des honneurs d'un triomphe, & tronvant ü peine un tombeau; avant ce dernier opprobre, pourfuivi pendant trente années, jufqu'au pied duMont-Jura, par des mandemens & des réquifitoires; flattant fans ceffe & les flatteurs & les maltrefles du feu roi; & laiflant a la Poftérité, avec un exemple de force, un exemple de faiblefle qui dépofera moins contre lui que contre fon fiècle, indigne encore, a bien des égards, d'être éclairé par un fi grand homme. X. Et que n'eticil pas fait dans des circonftances plus heu. feufes? quel eflbr n'eüt pas pris fon génie.? quelle importance n'eüt point acquife la tragédie dans notre fiècle, fi des obfta. cles puériles n'euflent point arrêté la marche de Voltaire ? 11 a parfaitement connu la majefté de ce beau genre de poéfie. Dans Mérope & dans Orefte, il a tranfporté fur notre fcène ï'auP.ère fimplicité de la fcène grecque. Dans Mahomet & éans Alzire, il a fu déployer, avec une éaergie jufques.lè  DU THÉATRE. II inconnue des Francais, eet amour de 1'humanité, cette haine du fanatifme, cette pafïïon pour la tolérance, qui fait aimer fes beaux ouvrages autant qu'on les admire. Combien il aurait donné de plus grandes lecons, s'il n'eüt pas été forcé d'affaiblir ou de voiler fes intentions en préfentant fur la fcène des mceurs- étrangères & des faits inventés! Quelle carrière immenfe ce redoutable ennemi de la fuperftition aurait vu s'ouvrir devant fes pas, en jetant les yeux fur 1'hiftoire moderne! La., tous les grands préjugés s'offrent h combattre. De quels traits de feu n'eüt-il pas fu peindre les ufurpations & les fureursdu facerdoce$ fétabliffement de 1'inquifition; les forfaits d'un Alexandre VI; les guerres longues & fanglantes que le fanatifme allumait, tour-è-tour, dans tous les coins de 1'Europe; des millions d'hommes égorgés pour des querelles théologiques; &, malgré tant d'atrocités, les peuples courbant toujours la téte fous un joug irabécille & cruel, que leur fang avait tant de fois rougi! XI. II n'aurait point, fans doute, (je fuppofe toujours des tems plus heureux,) il n'aurait point dégradé la tragédie nationale en Ia confacrant, comme a fait un homme médiocre, a, des aventures fans importance, a des fanfaronades militaires, a des fiatteries ferviles, flétriffantes pour 1'auteur qui ofe les rifquer & pour 1'auditoire qui peut les foufftir. Voltïire, poète, hiftorien & philofophe, était vraimenc digne de créer parmi nous une fcène nationale. On peut luijreprocher d'avoir médiocrement aimé la liberté: on peut lui reprocher même d'avoir fouvent déifié les tyrans & la tyrannie. Mais les grands hommes font ceux qui ont moins de préjugés que le vulgaire. En faifant maroher 1'efprit de fon fiècle, Voltaire dépeudait lui-méme de eet efprit; peut-être il a cru qu'il devait fubir un joug pour |qu'on lui permtt d'en brifer un autre. S'il avait vu, autour de lui, fe former une puiffance publique, il aurait écrit avec plus de hardieffe & de profondeur fur les matiêres politiques. Dans les circonftances oü nous fommes, 1'autorité atbitraire n'aurait point eud'adverfaire plus intrépide. II aurait compris que la tyrannie eft mille fois plus dangereufe que Ie fanatifme. Le fanatifme, fans Ia tyrannie, ne faurait avoir aucune puiffance: avec de 1'argent ik des foldats, la tyrannie eft toujours toute-puiffante. XII. Echauffé, dès mon enfance, par les écrits des grands hommes, pénétré des vérités fublimes qu'ils ont exprimées  12 DE LA LIBERTÉ avec tant d'énergie, paffionné pour 1'indépendance, & révolté contre toute efpèce de tyrannie; mais, par une fuite de ce caraétère, rne fentant trés - incapable de parvenir il la faveur, fous un gouvernement arbitraire, je m'étais üvré de bonne heure a la philofophie & aux belles - lettres. J'avais compris que dans un état oü 1'intrigue difpofe de toutes les places, un bon livre, c'eft-a-dire un livre utile, devient la feule aftion publique permife 'a un citoyen qui ne veut point defcendre a des démarches humiliantes. Entralné vers la tragédie, noufeutement par un perrchant irréfiftible, mais par un choix rnédité, par une perfuafion intime que nulle efpèce d'ouvr2ge ne peut avoir autant d'influence fur 1'efprit public, j'avais concu le projet d'introduire fur la fcène francaife les époques célèbres de 1'hiftoire moderne, & particulièrement de 1'hiftoire nationale; d'attacher a des paffions, a des évènemens tragiques, un grand intérêt politique, un grand but moral. La tragédie eft plus philofophique & plus inftruftive que 1'hiftoire, écrivait jadis Ariftote. J'avais cru qu'on pouvait rendre notre théatre plus févère encore que celui d'Athènes. J'avais cru qu'on pouvait chaffer de la tragédie ce fatras d'idées'roy thologiques & de fables monftrueufes, toujours répétées dans les anciens poétes. J'avais cru enfin qu'en joignant a la gravité, a la profondeur des mceurs de Tacite, 1'eloquence harmonieufe, noble & pathétique des vers de Sophocle, un talent fupérieur au mien pourrait faire dire un jour a tous les gens raifonnables, ce ou'Ariftote écrivait il y a prés de trois mille ans. XIII. J'ai du moins faifi la feule gloire oü il m'était permis d'afpire'r, celle d'ouvrir la route, & de compofer Ie premier une tragédie vraiment nationale. Je dis le premier, car tout le monde doit fentir que des romans en dialogue fur des faits tiès-peu importans, ou traités avec 1'efprit de la fervitude, ne fauraient s'appeler des tragédies nationales; & les petfonnes un peu lettrées n'ignorent pas qu'on avait fait, il y a plus d'un fiècle, des tentatives en ce genre. J'ai choifi, pour mon coup d'effai, le fujet, j'ofe le dire, le plus tragique de 1'hiftoire moderne, la faint-Barthelemi. Nulautre ne pouvait offrir peut-être, une auffi forte peinture de la tyrannie jointe au fanatisme. J'ai taché de repréfenter fidèlement le caraftère irréfolu, timide & cruel du roi Charles IX, la politique fombre & perfide de Catherine de Médicis, 1'orgueil & 1'ambinon du duc de Guife, ce même orgueil, cette mêjne ambitioa  BD IHÉATSI, JJ nasquëe, clan» le cardinal de Lorraine, d'un zèle hypocrite pour la religion catholique. J'ai oppofé a cette cour de confpirateurs, ia fiére & intrépide loyauté de l'amiral de Coligni, la noble candeur de fon élève Ie jeune roi de Navarre, depuis notre bon roi Henri IV, & le grand fena du chancelier de 1'Hópital, ce miniftre ami des lois & de la tolérance. Que Ie public me permette de 1'entretenir un moment, non pas précifément de eet ouvrage qui n'a pas encore été foumis a fon jugement, mais des difficultés qu'il a fait naitre a plufieurs lectures, & des prétendus inconvéniens que quelques gens ont rrouvés a fa repréfentation. Mes- lefteurs voudront bien remarquer qu'en répondant aux objections faites contre cette tragédie, j'aurai répondu a toutes celles qu'on pourrait faire contre les tragédies politiques & nationales. Elles demandent a étre traitées avec cette liberté auftêre & impartiale, avec cette haine des abus, avec ce mépris des préjugés qui diftingue un poète & un hiftorien philofophe. S'il fe trouve, & certainement il s'en trouvera parmi ceux qui jetteront un coup-d'ceil fur eet écrit; s'il fe trouve des perfonnes bien couvaincues que ce genre d'ouvrage ne ferait pas moins utile qu'il ferait intéreffant pour la nation; s'il fe trouve, & certainement il s'en trouvera, des perfonnes étonnées de la puérilité des objections que je m'appréte a réfuter, je les prie d'obferver que ces objeétians m'ont furpris plus qu'un autre; & je les prie encore de vouloir bien fe joindre a moi, d'unir, fur ce point, leur voix a la miemie, & d'employer, pour foutenir Ia raifon, un peu du zêle & de 1'ardeur qui n'ont ceffé d'animer ceux qui font profeffion de la combattre. XIV. Eft-il poffible de repréfenter, fur le théatre, un rol de France tout.è-Ia-fois homicide & parjure, un roi de France qui verfe le fang de fes fujets? né ferait-ce pas au moins trés- indécent? Voila la première objection. Que veutelle dire? A qui craint-on de manquer de refpeét ? font-ce des courtifans de Charles IX qui parientï Eft-ce bien fous Ie règne d'un prince équitable, d'un prince qui a fenti luimême le befoin de limiter fon pouvoir, qu'on pent trouver de 1'indécence è faire juftice d'un tyran, deux fiècles après fa mort? L'indécence ferait de calomnier un Charlemagne, un Louis IX , un Louis XII, un Henri IV. Mais quand un roi de vingt. deux ans a pu commettre le plus grand crime dont  14 DE Ei LIBERTÉ 1'hiftoire du monde falie mention, celui d'un roi qui confpire contre fon peuple, 1'indécence eft fans contredit a penfer un feul moment qu'une nation, viftime de fa rage, lui doit encore des égards, & qu'un citoyen de cette nation. ne peut la ven•ger après deux fiècles écoulés, en livranr, fur le théatre, li mémoire de ce raonftre a 1'exécration publique. ' 1 XV. N'eil-il pas indécent de repréfenter des prètres chrétiens fur le théatre? n'eft-c« pas un moyen für de nuire il la religion, fur-tout fi 1'on fait parler ceux qui ont mérité la haine publique? Telle eft Ia feconde objection. C'eft a-peuprès celle que les dévots faifaient autréfois contre la comédie de Tartiffe. Ainfi les charlatans, qui trompent les peuples, font toujours femblant de confondre la caufe des hommes & la caufe de Dieu. Mais leur fauffe dialeétique nê féduit plus perfonne. Non, fans doute, un ouvrage oü le fanatifme eft peint des couleürs les plus noires,c'eft- a- dire, de fesvérirables couleurs; non,fans doute ,un ouvrage oü la tolérance eft prêchée fans ceflè, ne faurait nuire h la religion, a moins que la religion ne foit effentiellement fanatique & prodigue du fang des hommes. Si cela était, ceux qui voudraient 1'abolir feraient les bienfaiteurs de 1'humanité. Mais cela n'eft pasLes jours font venus oü la religion s'épüre, & s'identifie, pour ainfi dire, avec la morale. On fait qu'il ne faut point accufer Dien des fautes de fes miniftrès; & 1'on fait qu'un miniftre de Dieu peut étre coupable. Le prêtre convainca d'un crime eft puni comme un autre homme; & les privilèges de 1'églife doivent étre anéantis au théatre comme ailleurs, par Ia raifon, maintenant connue, qu'un privilege eft une chofe abfurde. XVI. On m'a fait une troifiême objection, qui me ferait bien plas fenfible fi elle n'était parfaitement ridicule, & peutêtre indigne de la réponfe férieufe que je vais y faire. „ Vous ,, voulez compofer des tragédies nationales, & pour coup '„ d'effai vous choififfez dans 1'hiftoire de France un fait qui „ eft 1'opprobre de la nation; vous voulez retracer ft vos con„ citoyens une époque flétriffante pour eux, & qui devrait „ être a jamais effacée du fouvenir des hommes." Courtifans patriotes, vous croyez donc que le maffacre de la Saint-Barthelemi eft 1'opprobre de la nation I J'admets pour un moment cette propofition, que je vais bientót vous nier. Vous ne penfez pas du moins qu'un crime exécuté en 1572 puiffe fiétrir  DÜ THÉATRE* I j la nation francaife, en 1780. Quand les Danois affemblés pat jepréfentans, en 1660, déférèrent è leur roi 1'autorité la plus illimitée, certainement ils fe couvrirent d'opprobre aux yeux de tous les peuples qui avaient alors quelque idéé du droic politique; mais fi les Danois aujourd'hui fe rappelaient qu'tt» font des hommes & qu'il ne convient pas a des hommes d'obéir au caprice d'un feul, vous ne penfez pag que 1'ignominie de leurs ancêtres peferait encore fur eux. L'opprobre n'eft pas plus héréditaire que Ia gloire: fun & 1'autre. ne font pas plus héréditaires chez les nations qua chez les individus; & Ia honte des Danois en 1660, nefubfi» fterait plus pour leur poftérité devenue libre, comme Ie con» trat des Danois en i65o ne faurait lier leur poftérité, XVII. II en eft ainfi des Francais. En fuppofant que Ie maffacre de la faint-Barthélemi foit le crime de la nation, les Francais de ce temps-Ia font flétris, mais non ceux d'aujour. d'hui, qui n'étaient pas nés encore. En vous accordant (ce qui n'eft point mon avis) qu'un écrivaïn philofophe doij quelquefois dilïïmuler fa penfée par refpect pour fa nation, vous conviendrez du moins qu'il doit ce refpect feulement a la génération qui exifte, & qu'il ne doit que Ia vérité aux générations qui ne font plus. Cet efprit de fanatifme & d'intolérance qui a caufé nos guerres civiles du feizième fiècle, s'eft beaucoup affaibli parmi nous ; mais quand il fubfifterait dans toute fa force, quand il feroit encore 1'efprit général, quand lés partifaris effrénés du dogme auraient confervé fur la nation cette inflüence qu'ils ont perdue, ferait-ce en effet refpecter la nation que de la tromper ? ferait - ce lui manquer de refpect que de 1'éclairer? Quel homme aurait le mieux mérité de fes concitoyens, celui qui dans des écrits timides carefferait leurs préjugés, ou celui qui rifquerait de leurdéplaire en difant tout haut des vérités énergiques? Un bon citoyen ne doit-il pas traiter fa nation, comme un véritable ami traite foa ami? N'eft. ce pas fervir fon ami, que de le défabufer d'une erreur funefte ? & ne vaut-il pas mieux fervir fon ami que de le flatter? XVIII. Vous voyez donc bien qu'en retracant un événement du feizième fiècle, je n'ai fait que ce que fait un hiftorien; vous voyez bien que j'ai tout au plus accufé la nation francaife du feizième fiècle, & non pas la nation francaife actuel. le, a qui feule je dois obéiffance & refpect; vous voyez encore que fi j'avais attaqué les erreurs de la nation francaife  j6 DE LA LIBERTÉ actuelle, bien loin de lui manquer de refpect, j'aurais fait le devoir d'un bon citoyen: par couféquent il eft démontré que votre objection eft abfurde a tous égards. Mais, par furabon* dance de droit, je Vous niö maintenant ce que j'ai pu vous accorder tout & 1'heure. Le maffacre de la Saint-Barthélemi n'eft point le crime de la nation; c'eft Ie crime d'un de vos 'rois: & il ne faut point confondre vos rois avec la patrle, mslgr'ë les maximes d'efclaves qu'on vous débiteavos tbéütres, dans vos prétendues pièces nationales. C'eft Ie crime de Charles IX, de fa mère, du duc de Guife, du cardinal de "Lorraine; c'eft le crime de la cour; c'eft le crime du gou» vernement, comme la révocation de 1'édit de Nantes, les 'maffacres des Cévennes, & pour ne pas faire une énumération trop longue, comme tous les malheurs qui ont affligé, durant quatorze fiècles, cette grande & fuperbe nation, écrafée de ïègne en rëgne & de miniftre en miniftre, mais qui eft fatiguée " de la fervitude, & qui fent enfin fa dignité, XIX. U n'eft pas vrai que ces événemens défaftreux doivent être effacés du fouvenir des hommes; cette penfée fauffe n'eft digne que d'un rhéteur puCIlanime: ils doivent y vivre a jamais, au contraire , pour leur en infpirer fans ceffe une nouvelle horreur, pour armer fans ceffe le genre humain contre des fleaux dont le germe eft toujours fubfiftant, qüoique fouvent il foit caché. Les fanatiques alfurent qu'il n'y a plus de fanatifme; lestyrans, qu'il n'y a plus de tyrannie; & la foule des gens a préjugés ne ceffe de crier que les préjugés n'existent plus. Quand tous ces menfonges feraient autant de vérités, les tragédies d'un peuple libre, d'un peuple éclairé', devraient toujours avoir un but moral & politique; & les principes de la morale & de Ia politique ne fauraient changer. 11 faudrait toujours, è ne confidérer même que la perfeétion de 1'art, repréfenter fur la fcène ces grands événemens iragi•oues, ces grandes époques de 1'hiftoire, qui intéreffent tous les citoyens; & non plus ces intrigues amoureufes, qui n'intéreffent que des femmes; non plus ces palïïons fi fades, éternel aliment de cent tragédies qui fe répètent fans ceffe', & qui fe reffemblent .toutes par la moleffe & 1'abfence d'idées. Poêtes tragiques francais, lifez, relifez Sophocle & Tacite; connaiffez bien le fiècle oü le fort vous a placés; & fongez, en obfervant le peuple nouveau qui vous environne, qu'il eft tems d'écrire pour des hommes & que les enfans ne font plus. XX. I  DU THÉATRE. ij XX. O Racine! poète fublime & naïf dans Atlialie, aufière dans Britannicus, par.tout fenfible & touchant, par-tout correct, élégant, harmonieux, loin de moi 1'efprit des barbares qui mécoiinaiffent tes admirables beautés! Certes, malgré tes défauts qui font ceux de ton fiècle & que tes grands talens peut-etre ont rendus plus contagieux, je vois & je révère en toi .Ie génie le plus parfait qui ait iüuftré les arts de 1'Europe. Mais fal ait-il abaifler ce génie au róle decomplaifantdecour? gtait-fl amb.tionner des fuccès aux petits appanemens de Verfa.lles, ou dans le couvent de Saint Cyr? fallait-il enfin perdre tes veilles a compofer des tragédies allégoriques, i retracer en vers „cellens, mais peu tragiquesf &4 enc'ore moms ph.lofophrques, les amours du jeune Louis XIV & de la fille de Charles premier, ou les amours du vieux Louis XIV & t,e la veuve Scarron? Horame fait pour éclairer Ia trance, quimponaient a la France Efther & Bérénice ? Ah'. e' ZuTl ,ecrire -f-1"5 i0"gue éiégie r°yale'tu ™™ ™* oVéotS ' teméi fi tU aV!"'S em?]°yé ton tems & ton éloquence a donner a tes concitoyens d'énergiques lecons alors Z'd/, ^ 'ibeité' W 3UraiS fervi ta »^°« 5ai S ïlZLll odéda» qUf de bonheur' & Pl« de talens que de S T' T l£ COnfdl de L°UiS XIV n'auraic P« été ér è ndH f me/fP"t 1ue le «nfeil de Charles IX, peuttZe rut!-\ S Fra"93iS n'aUrak ^enrichifétrangerde coulé K f hPrUt;e:r,e '6 fang des FranSa,s n'aurait Pa* théologiqueï haf3UdS dU LSnSUed°C' *°Ur des /Xv!,', ^ ienréclamais Ia «bené du théatre dans lWurte aflemblée des Repréfentans de la Nation, ou fi j'é ais Srde n avo, pour leéteurs que des hommes'écIairésJ comme eux & foum.s au feu empire de la raifon, je n'invoquerais 1'aï tome d aucune époque ni d'aucune nation; je n'expof rais que des motrfs tirés du droit légitime de publier fa penfée Ce chapitre eft donc fpécialement écrit pour ceux dont lé ugement eft moins exercé, qui „eminent moins févèreme t les dees qu'ils ont adoptées, qui prennent fouvent 1'ufage pour le droit, & font plus aifément perfuadés par desexem. Pies que convaincus par des raifonnemens. Miniftre., com. ecouteC2en rneTUX' 0U Pa"ifans du ^Po*»e. Sm« °"S Parlera' point des Ath^"ens; vous mê dinez qu.ls vivaient au fein d'une démocratie: comme f, le B  j8 de la liberté droit des hommes dépendait de la forme des gouvernemensi comme fi le droit des hommes n'était pas le même dans Athenes & dans Paris, fous le trente-neuvième degré & fous le quarante-neuvième, a Tornéo & fous la lignel Mais laifTons dans ce moment les peuples qui n'ont point oublié la dignité de 1'homme. Je vous dirai qu'au commencement du feizième fiècle, on repréfenta fur différens théatres d'Italie, & même a Rome, devant le pape Léon X, la comédie de la Mandragore, du célèbre Florentin Machiavel. Dans ce pays fuperftitieux, on vit fans frémir, fur la fcène, un religieux qui fe joue de la confeffion, & qui eft 1'agent d'un adultère. II faut voir, dans 1'original, les conreils que frère Timothée donne a fa pemtente. Cette fcène eft admirable, j'ofe le dire-, elle eft égale, en tout fens, h celle oü Tartuffe veut féduire la femme de fon bienfaiteur;&,ce qui doit plus étonner, Machiavel a écrit fa comédie cent cinquante ans avant celle de Molière. Cette pièce n'eft pas fans doute une école de bonnes mceurs; mais fon immoralité ne ferait pas un titre d'exclufion, a Paris, oü 1'on repréfente journellement les farces de Montfleun, de'üancourt, & de M. de Beaumarchais. Rappelez-vous bien que la Mandragore fut compofée au commencement du feizième fiècle; dans un pays oü les monaftères ont fournitant de fouverains pontifes; dans les momens oü la cour de Rome avait befoin d'exagérer le refpect qu'on doit aux prètres; quand 1'églife étoit divifée par une foule d'héréfies; quand Martin Luther ébranlait déja le tróne apoftolique. Jetons maintenant un coup-d'ceil fur le théatre d'Angleterre. Shakespear écrivait a la fin du même fiècle. Voyez dans fes pièces nationales, les rois, les princes, les pairs du royaume, lesprêtres, les prélats de 1'églife romaine, & ceux de 1'églife anglicane, introduits fur la fcène, & pefés, pour ainfi dire , avec un efprit de liberté que le philofophe David Hume eft loin d'avoir éga. lée dans fon hiftoire. Croit. on que les Anglais fuffent libres du tems de Shakefpear ? Ah! de quelle liberté jouilfait 1'Angleterre avant la fuite de Jacques II! Sous les règnes fanglans de Henri VIII & de fes filles, les lois fe taifaient devant le monarque; la crainte & la corrupiion enchainaient les pariemens; & 1'antique charte nationale, bien loin d'être réclamee par les Anglais, était prefque ignorée d'eux. Agens ou partifans du defpotifme, tel fut pourtant, fous le defpotifme, le théatre de 1'Angleterre & de l'Italie.]  BU THÉATRE. tg XXII. Je fais que depuis ce temps, & même depuis la révolution de 1688, on a tenté d'abolir, en Angleterre, la liberté dont jouiffait Ie théatre. Je fais que Walpole eft'parvenu a confömmer cette iniquité miniflérielle. Grace a eet Anglais laehe & vil, Ie théatre eft foumis dans fon pays a des formes arbitraires. Par une fuite néceflaire des mceurs anglaifes, ces formes font beaucoup moins vexatoires,beaucoup moins infames qu'en France; mais elles font toujours arbitraires, & par conféquent tyranniques. Si 1'on ne favait combien les miniltres Anglais ont de moyens de corrompre les membres du parlement, combien il leur eft facile de déterminer en leur faveur Ia pluraliti des voix, il ferait impoflible d'imaginer qu'une nation qui fe croit libre & qui fe vante de penfer, jouiffe de la liberté de la prefte, fans jouir en même tems de la liberté du théatre. Comment ne pas voir, en effet, que 1'une & 1'autre font également fondées lur le droit qu'ont tous les hommes de publier leurs penfées? Cet aviliffement du théatre une fois confommé, nul homma d'un véritable génie n'eft entré dans la carrière. Les tragédies des Anglais font devenues froides, fans ceffer d'êtrs monllrueufes. C'eft un non-fens perpétuel, auffi bien que leurs comédies, dont rien n'égale Ia licence, grace a la een. fure des chanceliers, qui ne craignent que la raifon. XXIII. Députésdes communes de France, élóquens foutiens de i'aflemblée nationale,- & vous, nobles, qui avez proteflé contre 1'efprit de fciffion & qui voulez être de la nation francaife; & vous, prêtres, qui ne dédaignez point Ie nom da citoyens francais; c'eft a vous maintenant que je m'adreffe. Prêtres, ne foyez point effrayés par le fujet de cet ou'/rage: ne foyez pas plus fcrupuleux que Ie pape Léon X, qui n'a ceffé d'encourager 1'art dramatique; que le cardinal de Richelieu, qui 1'a cultivé lui-même; que le cardinal Mazarin, qui a préfidé a Ia naiffance de 1'opéra chez les Francais; que le cardinal Bibiéna, qui a fait Ia première comédie régulière écrite chez les modernes; que 1'archevêque Triffino, h qui nous devons aufli Ie premier effai régulier dans 1'art tragique. Le théatre eft, comme la chaire, un moyen d'inftruclion pu. blique: 1'inftruction publique eft importante pour tous les citoyens. Prêtres qui fiégez parmi les Repréfentans de la Nation, vous êtes citoyens, vous êtes envoyés dans cette affemblée pour y exercer des fonctions civiques, & non des fonétions facerdotales. XXIV. Vous tous, législateurs élus par le Souverain, ci- B 2  ao DE LA LIBERTÉ tovens de toutes les profeffions; vous tous que nous avons cha'gés de rendre a la France les droits qu'on avait ufurpés fur elle ces droits qui font a tous les hommes, & qui ne fauraient' dépendre ni des climats, ni des époques, parcourez un moment cet écrit; vous fuppléerez par vos lumières au Lu d'étendue des miennes. Vous penferez ce que je nai Sent être pas (fa dire. Vous fentirez combien la hberté du Ere eft a defirer pour 1'utilité publique. Cette raifon devrait feule déterminer des citoyens; mais cette raifon, deja fi Sè nïft ici que fecondaire, puifqu'il eft queftion Ü une cho e'rigo«reufement jufte. II faut pofer des lo s écrues f° fo" coêrcitivea, des lois confenties par ceux qu. repréfenrtt ia Nation. II faut que ces lois prononcent fur tous les ST Dat»1 un pays libre, tout ce qui n'eft pas expretfement „P rtourrai-nt-ils pas autorifer la cenfure par une loi écr.te, S pTconféquent'rendre légale .'autorité de tous ceux qui Snent la publication de la penfée? Demandez-moi s >ls peuÊ nt r endreIe defpotifme légal. Ne frémifTez pas, vous in'au- vft 1'autorhé arbitraire. Si elle peut être jufte en un feul caf elle peut être jufte dans tous. Mais elle eft in ufte par cL' effence. Du moment que vous admettez une feule partte de l'ordre public oü 1'opinicn du magiftrat fait la loi, vous vfol z le doit naturel, & le defpotifme eft en v.gueur. Les matrats font les inftrumens de la puiffance légisiarive, &non S fes dépofitaires. Ils doivent obcir aveuglément aux o.s Tc rites comme 1'automate de Vaucanfon obéiffau a des lois wranioues. Malheur au pays oü les magiftrats font législaSus Ce pays eft un pays d'efclaves; & les magiftrats font Siteurs par-tout oü leur opinion particulière déc.de. Mais ' f fentez-vous pas les inconvéniens d'une liberté fans limites? Te les fens & je veux des limites, puifque je veux des lois. Ouand 1'opinicn des magiftrati décide, il n'y a point de limites II n'y en a ni pour 1'efdavage, ni pour la licence. N avons-nous pas vu repréfenter fur nos théarrés les parades les plus indécentes & les plus infolens libelles? La repréfentation de Tartuffe, ce chef- d'ceuvre de morale comique, n'a-t elle pas été fufpendue pendant plufieurs années, tandis que la Femme juge & partie ne foufftait aucune difficulté? Des hom. mes dn premier mérite n'ont. ils pas été, de leur vivant, dé-  DU THÉATRE, 21 iignés avec outrage, & prefque nommés fur le théatre, tandis qu'on ne pennettait pas d'y dénoncer, d'une manière vague & générale, les vexations les plus tyranniques, & les abus les plus crians ? XXVI. Mais, me diront encore ces hommes que la raifon effraye toujours, penfcz - vous qu'il fok poffible d'établir des lois qui prononcent fur tous les cas? J'avoue que j'ai quelque peine a comprendre cette objection. Quand on dit que das lois coercitives doivenc prononcer fur tous les cas, on entend fur tous les cas, oü il y a délit. Quant a moi,jenefauraisconcevoir un dékt, fans concevoir aifément une loi qui prononce des peines contre cedélit. Mais des lois qui prononceraient fur tous les cas, neferaient-elles pas au moins trés - difficiles a pofer enpareille matiè)re? Cette objection me parait plus ridicule que l'aurre, & eek beaucoup dire. Sans doute elles feraient difficiles'it pofer; mais elles font importantes; mais elles font jufles; mais il ferait fouverainetnent injufte de conferver des formes arbitraires. Qu'importe la difficulté? Faut-il regarder les repréfentans de la nation francaife comme des enfans laches & parekeux, qui n'aiment point 1'efelavage; mais qui pourtant demeurent efclaves, par la raifon qu'il faudrait fe donner trop de peine pour être libres ? XXVII. Mais Ia liberté du théatre n'intéreffe que les eens de lettres. La propofuion eft fauffe. Le théatre, je 1'ai dit, ek un moyen d'inltruftion publique; par conféquent, il inté' relfe la nation entière. Mais les feuls gens de lettres feront des réclamations fur ce point. Quand cela ferait vrai n'ek ce point a ceux qui font léfés paruneinjullice, qu'il appartient de récjamer cautre elle? & faudra-t-il ne point écouter un homme qui crie a 1'oppreffion ? faudra-t-il négliger fes plain tes, précifément paree qu'il eft opprimé? Voila fans doute une finguhère logique. Eh! les gens de lettres n'ont-ils pas le droit de réclamer pour eux-meines, après avoir réclamé pour tant de monde? N'ek-ce point un homme de lettres qui a demandé jukice pour les Calas & pour Sirven? Ne font- ce point des gens de lettres qui ont tonné contre la fuperkition, contre le fanatifme, & contre 'nos lois criminelles & contre les iojufHces des tribunaux, & contre le« juMmens par commiifion, & comre les lettres de cachet & contre la corvee, & contre les déprédations du' hsc, & contre tous les abus qui ont abacardi les nations & B 3  22 DE IA L1BE1TÉ dégradé 1'efpèce humaine? J'aima ft voir des importans de Verftiilles, des valets grands feigneurs, bardés d'un cordon rouge ou bleu, s'imaginant avoir réfuté les raifons les plus évidences, quand ils ont répondu d'un air froid , qu'il n'eft ques. tion, fur ce point, que des intéréts des gens de lettres. O Francais! fi vous ne méritez plus ce nom de Welches qu'un grand homme vous donnait fouvent, fi vous voulez devenir une nation libre & raifonnable, rendez-en grace a vos gens de lettres. L'orgueil & la faibleffe des monarques, la vanité des princes, Ia balfeffe des courtifans, les préjugés & 1'ambition du clergé, 1'avarice, 1'infolence & 1'incapacité des ministres, les prétentions des corps toujours armés les uns contre les autres; voila ce qui a réduit votre nation au néant politique, oü elle s'eft vue plongée fi long-tems. Vos gens de lettres 1'ont retirée infenfiblement de 1'abime. On n'a rien oublié fans doute pour les rendre auffi fouples, auffi rampans que le refte des fujets: on les a effrayés par la perfécution , avilis par la proteétion: on les a écartés foigneufement de tous les cmplois importans, prefque toujours remplis par desfriponsou des imbécilles: on les a réunis dans des fociétés littéraires, pour les retenir plus airément fous la verge du defpotifme. L'ambition d'un homme de lettres étoit néceflairementbornée, en France, au fauteuil académique, ft quelque miférable penfion qu'il fallait remplir en erpionnant, en interceptant la vérité. Tout au plus Voltaire & Racine ont-ils pu prétendre a des emplois fubalternes de gentilhomme de Ia chambre, ou d'hiftoriographe de France. Ce fyftême d'avilifletnent était conforme ft 1'efprit de la tyrannie. II devait réuffir; il a réuffi. Cependant, comme il n'était pas poffible que des hommes, plus cclairés que le refie de Ia nation, n'euflent pas des momens d'énergie, la raifon a fait entendre, furie théêtre & dans les livres, une voix timide, il eft vrai, mais puiffante; car c'éraitla vois de la raifon. Chaque jour, dans le cabinet des écrivains illuftres, dans les tours de la Baftille ou de Vincenne, & même au fein des académies, la maffe des idéés s'eft augmentée. II s'eft trouvé quelques hommes dans notre fiècle qui ont uni la philofophie ft I'éloquence; ils ont écrit avec une noble hardieffe, qui fera furpaffée par leurs fuccesfeurs. N'outragez donc plus vos gens de lettres; ils vous ont fait prefque autantde bien, que vos rois, vos miniftres & votre clergé vous ont fait de mal. Apprenez que fans les gens de lettres, la France ferait, en ce mo-  Dü THÉATRF. 23 ment, au point oü fe trouve encore 1'Efpagne, & fi 1'Efpagne poö'édait aujourd'hui cinq ou fix écrivains du premier ordre, apprenez que dans cinquante ans, elle ferait arrivée au point oü fe trouve aujourd'hui la France. XXVIII. Il eft donc démontré que les gens de lettres Francais ont des droits a la reconnailfance de la nation; mais cette reconnaiifance doit fe borner a une eftime fpéciale, & c'eft ce qu'ils ont obtenu: car c'eft Ja feule chofe qu'on ne pouvait leur enlever. Et que) homme confondra jamais la confidératiou paffagére d'un miniftre toujours flatté durant fon rniniftère, avec la confidération d'un Racine, d'un Fénelon, d'u-n Voltaire, ou d'un Montefquieu ? Leur gloire groffit, pour ainfi dire, a raefure qu'elle s'éloigne; elle rajeunit de fiecle en fiècle. Les gens de Iettres, fans doute, & même ces grands hommes, n'ont pas droit d'attendre des lois une proteétion particulière, que ne partagerait point le refle des citoyens. Des lois équitables ne connaiifent point d'acception pour certaines claffes de citoyens; mais elles ne connaifl'ent pas non plus d'exception. Si cette locution, le premier, le dernier des citoyens, n'était pas une locution abfurde, il ferait vrai de dire que le dernier des citoyens doit jouir, dnns la même étendue que le premier, des avantages de la conftitution. Tous les deux doivent être également répriinés par les lois. Ce qui eft jufte, ce qui eft injufte a 1'égard d'un citoyen, eft julte.eftinjufteai'égardd'unautre. Ils'enfuit trés-évidemment, qu'il n'eft pas raifonnable d'interdire au théatre la repréfentation d'un feul état de Ia fociété, s'il en eft un feul dont la repréfentation foit permife. J'ofe dire qu'il n'y a qu'une manière de répondre a ce raifonnement; c'eft d'employer encore le galimathias inintelligible des défenfeurs de 1'autorité arbitraire; c'eft de propofer, comme le raodèle d'une bonne conftitution, ce monftrueux ordre de chofes, oü des gens en place ordonnaient, défendaient ce qu'ils voulaient, fans alléguer d'autre motif de leur volonté, que leur volonté; oü, dans leurs décifions, tous les agens fubalternes de 1'autorité copiaient,au moins pour le fens ,1a formule inhumaine &dérifoire qui termine les édits des rois de France: car tel eft notre plaifir. XXIX. Nous touchons a 1'époque la plus importante qui marqué, jufqu'a cejour, 1'hifloire de Ia nation francaife; & la deftinée de vingt-cinq millions d'hommes va fe décider. Si les intéréts particuliers s'auéantiffent devant 1'intérêt public, B 4  ;:4 DE LA LIBERTÉ fi 1'on fait aux préjugés cette guerre ardente & vigoureufe, digne du peuple qui s'affemble, & du fiècle qui voit s'opérer une auffi grande révolution, alors le nom de Francais deviendra le plus beau nom qu'un citoyen puiffe porter; nlors nous verrons s'élever des vertus véritables; alors le gériie, fans ceffe avili par le defpotifme, reprendra fa fierté naturelle. A des arts efplaves, fuccéderont des arts libres; le théatre, fi long.tems efféminé, fi long.tems adulateur, rappelé déformais ft fon but refpedlable, n'infpirera, dans fes jeux, que le refpeél des lois, 1'amour de la liberté, la haine du fanatifme, & 1'exécratipn des tyrans. XXX. Mais fi, quand il faut de puiffans remèdes, on, nous donne des palliatifs; fi 1'on veut ménager encore les prétentions arbitraires, & cet empire de 1'habitude, cette autorité des anciens ufages; fi 1'on fe contente de remplacer un gouvernement abfurde par un gouvernement fupportable; fi 1'on ne fait que perfeétionner le mal, pour me fervir de 1'exr preffioq du vertueux Turgot; fi, quand il faut établir une grande conftitution politique, on s'occupe de quelques détails feulement; fi 1'on oublie un inftant que les lois doivent éga. lement protéger tous les citoyens, que toute acception de perfonnes ou d'état eft une chofe monftrueufe en législation, que tout ce qui ne gêne point 1'ordre public doit être permis aux citoyens, & que, par une conféquence néceflaire, il doit être permis de publier fes penfées, en tout ce qui negêne point 1'ordre public, de quelque manière, fous quelque forme que ce foit, par la voie de l'imprefiion, furie théatre, dans la chaire & dans les tribunaux; fi 1'on négligé cette portion importante de la liberté individuelle, la France ne pourra point fe vanter d'avoir une bonne conftitution: les ames fiêres & généreufes, que Ie forta fait naltre en nos climats, en. vieront encore Ia liberté anglaife que nous devions furpaffer: nous perdrons, peut-être pour des fiècles, 1'occafton fi belle qui fe préfente a nous, de fonder une puiffance publique; & Jes philofophes francais, écrafés, comme autréfois, fous la foule des tyrans, feront contraints de facrifier aux préjugés, ou de quitter le pays, qui les a vu naltre pour aller chercher une patrie: car il n'y a point de patrie fans liberté. XXXI. Quant a moi, je ne refpefterai point des convenances arbitraires. Tant que j'écrirai, ma plume, foumife ft la véri'.able décence, ne fe permettra jamais ces affreux libelles, rcpandus de nos jours avec tant de prufufion, pour troubler le  DO THÉATRE. 25 repos des citoyens & dé^honorer des families entières. Mais je ne concevrai jamais commenc, dans les ouvrages qui ont pour objec la correction des mceurs & la peinture de la fociété, 1'on peut raifonnablemenc oublier certaines profeffions, ou traiter ces profeffions privilégiées avec des ménagemens qu'on n'a point pour les autres. Je ne corfcevrai jamais comment ce qui paral: inftruétif dans 1'hiftoire, peut fembler nuifible fur la fcène: comment, par quel principe conforme a Ia liberté que la nation revendique a fi jufte titre, on peut raifonnableinent interdire aux poètes dramatiques les perfonnages les plus importans de nos annales. Je ne concevrai jamais comment la repréfentation d'un prêtre fanatique peut être préjudiciable a la tolérante morale: comment la repréfentation d'un roi tyrannique, ou d'un magiltrat injufte, peut détruire la puiffance des lois. Je ne croirai jamais que 1'unique but de la tragédie foit d'intéreffer, pendant deux heures, a quelque intrigue ainoureufe, terminée par un dénouement ro'manefque. Je ferai toujours perfuadé que Ie but de ce genre fi important, eft de faire aimer Ia vertu, les lois & la liberté, de faire détefter le fanatifme & la tyrannie. Si cela eft inconteftable, il eft auffi inconteftable que le vrai moyen de faire aimer la vertu, que le vrai moyen de faire détefter le fanatifme & la tyrannie, c'eft de les repréfenter fidèlement. La mémoire de Charlemagne & de Henri IV ne fera point déshonorée, par la raifon que dans des pièces de théatre on aura fait parler & agir Louis XI & Charles LX comme des tyrans qu'ils étaient. Fénelon ne fera point flétri, lorfque dans une tragédie 011 aura peint le cardinal de Lorraine comme un prélat féditieux & intolérant. Sully, 1'Hópital & Turgot ne defcendront point du rang oü. les a placés 1'opinion publique, du moment que fur la fcène ou aura retracé avec énergie 1'adminiftration defpotique d'un Duprat ou d'un Richelieu. Ainfi , dans la ferme réfolution oü je fuis de faire fervir au bien de ma patrie les foibles talens que j'ai recus de la nature, je repréfenterai dans mes tragédies, le plus énergiquement qu'il me fera poflible, & les vertus & les vices des hommes qui font livrés au jugement de 1'hiftoire. Je n'aurai pas plus de ménagement pour les rangs & pour les profeffions, que n'en aurait un hiftorien véritablement inftruit des droits de 1'humanité. Si des tragédies compofées dans un but auffi moral, auffi patriotique;, ne peuvent encore être repréfentées en France, je m'occuperai, dans le filence du cabinet, d'une génération plus beu■5 5  &6 DE LA LIBERTÉ DU THÉATRE. reufe & plus ra.fonnable que Ia nótre; je travaillerai pourceux qu. v.endront après nous: c'eft d'eux que j'attendrai Ia récompenfe de mes travaux. Cependant je gémirai fur la faibleffe de mes concitoyens. Leur négligence fur cet article ne pourra qu être la fuite de leur négligence fur beaucoup d'autres potnts. Ils fe feront occupés de Ia liberté individuelle; mais la hberté individuelle n'exifte pas dans un pays oü il n'eft pas permis de publier fes penfées; mais il n'eft pas oermis de pu. bher fes penfées dans un pays oü Ie théatre ne participe point a Ia hberté de Ia prelTe. En effet, Ia repréfentation d'une tragedie, d une comédie, eft une manière de publier fes penfées. D'ailleurs.pour qu'une nation jouiffe de Ia liberté individuelle, il faut que tout citoyen de cette nation puilTe faire librement tout ce qui n'attaque point la fureté perfonnelle, 1'honneur & la probité des autres citoyens. Aucun homme jufte, aucun homme doué de raifon ne peut révoquer en doute 1'évidence de ce principe; & la conftitution n'eft pas libre, je ne dis pas quand une clafle de citoyens, mais quand un feul citoyen ne jouit pas de cette liberté dans fa plus grande écendue. XXXII. Je relis ce que je viens d'écrire, & je crois pouvoir terminer ici des réflexions préfentées avec la franchife d'un ami de la vérité, & d'un citoyen digne de refpirer un air libre. Je n'adopterai jamais ces formes timides, ce ftyle équivoque qui convient a I'impofture, & dont on a fouvent mafqué la raifon. Les gens imbus d'anciennes erreurs s'étonneront de cette importance que j'attache a la liberté du théatre, du théatre qui change infenfiblement les mceurs nationales. Les opinions les plus certaines font traitées de chimères, quand elles contrarient les penfées de Ia multitude; mais le tems de la jufiice vient tót ou tard; & fur la queftion que j'ai traitée dans cet ouvrage, Ie tems de la jufiice n'eft pas, je crois, fort éloigné. Ces idéés qui, au moment de leur publicité, fembleront peut- être des paradoxes a plufieurs claffes de lecteurs, répétées fans ceffe après moi, feront bien-tót devenues des vérités triviales. La génération qui s'avance aura peine a concevoir qu'on ait pu les contefter; mais, en plaignant les erreurs de notre fiècle, elle fera foumife elle-même il d'autres erreurs, qui, pourfuivies fans relache dans mille écrits énergiques, finiront par fuccomber, a leur tour, fous les efforts de la philofophie. Ainfi marche 1'efprit humain: aiufi 1'art de penfer & d'écrire rendra chaque jour les hommes plus éclairés, & par conféquent plus vertueux, & par conféquent plus heureux. ,5 juin l7%9.  LETTRE AUX AUTEURS DU JOURNAL DE PARIS. «27 Aoüt 1789. ous avez inféré, Meffieurs, dans votre journal d'aujourd'hui, une lettre anonyrae fur la cenfure des théatres. Cette lettre eft abfoiument dénuée de principes; & fi elle n'avait pour leéteurs que des hommes d'une raifon exercée, je ne me donnerais pas la peine d'y répondre: mais elle. pourrait produire une efpèce de petit effet, dans un moment oü les idéés du grand nombre ne fout pas très-nettes, dans un moment oü mille efprits timides reculent devant la liberté, & fe.mblent regretter l'efclavage. La liberté eft un fruit d'une digeftion pénible; il ne fauroit convenir aux effomacs débiles. La tragédie de Charles IX, demandée par le public, a peut-étre occafionné en partie les difcyffions aftuelles fur la cenfure des ouvrages dramatiques. J'ai traité cette importante queftion dans un écrit particulier. J'ofe y renvoyer les perfonnes qui peuvent fe laiffer convainc.re par Ia juftice & la raifon. Je vais, pour les mêmes perfonnes, raffembler ici quelques principes, reconnus évidens par tous ceux qui entendent les matières politiques. Une fois ces principes admis, je ne demande aux leéteurs que d'être conféquens. N'eft-il pas vrai que dans toute déclaration des droits de 1'homme, le premier principe, Ie voici: Tous les hommes font égaux en droits ? N'eft - il pas vrai que de ce premier principe découle celui -ci: Tout homme doit pouvoir exercer fes facultés phyfiques & morales en tout ce qui ne nuit point aux droits d'un autre homme,? N'eft-il pas vrai que de ce fecond principe découle celui.ci: Tout homme doit pouvoir publier fa penfée de quelque manière que ce foit, fauf a être puni, s'il a bleffé Ie droit d'un autre homme ? N'eft- il pas vrai qu'il y a trois manieres de publier fa penfée, Ia parole, 1'écriture & 1'impreffion? N'eft-il pas vrai que Ia première manière peut s'exercer par la voie du théatre, de la chaire, des tribunaux & de la fimple converfa-  28 LETTRE AUX AUTEURS tion? Reraontons aux principes, foyons conféquens, & na craignons pas notre raifon, On cherche la liberté clans l'indèpendance; elle n'eft que dans la règle, dit 1'anonyme. Je fuis de cet avis, II en conclut qu'il faut une cenfure pour Ie théatre. Ce n'eft pas raifonner conféquemment: on doit en conclure tout Ie contraire. II faut une régie, c'eft-a-dire, une loi. Vous ne pouvez établir une cenfure, fans établir 1'opinion d'un feul homme, ou de plufieurs hommes décidant fouverainement. L'opinion d'un feul homme, ou de plufieurs hommes, n'eft point une loi; c'est dans la loi qu'est la règle. La liberté confifte a ne dépendre que des lois. L'anonyme prétend, Meffieurs, qu'il eft une borne oü la hberté doit s'arréter. Rien n'eft plus vrai. La commence la cenfure, dit- il. Ce n'eft pas raifonner conféquemment. II fallait dire: La commence la loi. Suppofez des hommes tels que vous voudrez; iis feront des hommes, ils jugeront avec pafiïon. La loi feule eft fans paffion; la loi feule eft une borne véritable. Du moment qu'il exifte une eenfure, il n'y a plus de borne véritable, puifque la borne eft dans l'opinion de ceux qui exercent la cenfure. Ceci eft 1'évidence. Que l'anonyme réfléchifle, qu'il foit conféquent, & qu'il ne craigne point fa raifon. L'anonyme nous parle des Grecs, des Romains c, des Anglois. Faut-il encore, Meffieurs, a la fin du dix-huitième fiècle, employer cette manière de raifonner? Regardonsnous les Grecs, les Romains & les Anglais comme le modèle de Ia perfeétion ? Si cela eft, ayons des ilotes, établis. fons chez nous J'efclavage, les combats des gladiateurs,une chambre haute, un parlement feptenaire. Si ces chofes nous paraifTent vicieufes, exarninons auffi les autres. Mais les autres font raifonnables. Ici Ia queftion de fait devient une queftion de droit. En vérité, ce n'était pas la peine de parler des Grecs, des Romains & des Auglais. Les Iégislateurs anglais, travaillant il y a cent années, ont établi la liberté fur une bafe plus folide que les peuples anciens. Les Anglais fe font élevés a Ia hauteur de leur fiècle: élevons-nous a Ia hauteur du nótre. Un fiècle entier n'a-t-il rien ajout,é a la fomme des lumières ? Cette opinion ferait trop ridicule. Soyons conféquens, ne craignons pas notre raifon. L'anonyme allure que 1'Angleterre eft le feul gouvernement  DU JOURNAL DE PARIS^ 29 moderne oü exifte la liberté de la preffe. L'anonyme fe trompe: elle exifte en Suiffe, en Hollande. II ne fallait pas on* blier fur- tout 1'Amérique feptentrionale, pays oü la liberté politique & civile eft infiniment plus étendue, plusfolide, & mieux établie qu'en Angleterre, grace aux lumières du dixhuitième fiècle. Heureux pays, oü la liberté de publier fa penfée eft-illimitée, fauf a être puni dans les cas déterminés par la loi. Revenons au théatre. Pendant long. tems, en Angleterre, il a été libre, comme la preffe. Ce fut Walpole qui le rendit efclave. Ce fut ce miniftre Walpole; & c'eft tout dire pour ceux qui connaiffent 1'Angleterre. Les hommes éclairés, les hommes juftes de fon tems s'élevèrent contre lui, particulièrement mylord Chelterfield; mais ce fut en vain. Walpole était für d'avoir la pluralité des voix dans tout ce qu'il propofait. J'ai fait ailleurs des obfervations fur ce point;mais fur ce point-Ia-même, un homme de beauconp de mérite, M. Briffot de Warville, m'avait déja prévenu. L'anonyme méprife beaucoup 1'ancienne cenfure des théa. tres. Je fuis charmé qu'il foit, fur ce point, de l'opinion générale. II veut que Ia cenfure foit déformais exercée par des gens éclairés. Je ne demande point s'il connaft quelque Mon. (ieur Guillaume qui veuille vendre des tapifferies ; mais que ces nouveaux cenfeurs unilfent 1'intégrité aux lumières, & je dirai ce que j'ai déja dit: Ce font des hommes, ils auront des pajfions. Je veux encore les fuppofer fans paffions, ce qui répugne a la nature humaine; & je dis que ce tribunal d'hommes parfaits tiencra tout au plus lieu d'une loi excellen. te; & je dis encore que leur autorité fera fouverainement injufte, par cela feul qu'elle fera arbitraire, par cela feul qu'elle tiendra lieu de la loi. Mais, dit-on, Meffieurs, la loi n'eft pas faite. Je Ie ftis. Mais elle ferait difficile a pofer. Qu'importe, fi elle eft poffible? Or, elle eft poffible. En effet, du moment que nous concevons un délit, nous concevons une peine contre ce délit; par conféquent, une loi qui déterminela peine. Mais il vaut mieux prévenir les délits que les punir. Mais, tout homme ayant le droit de publier fa penfée, fauf a fubir la peine déterrninée par la loi, du moment que nous 1'empéchons de publier fa penfée, nous le dépouillons d'un droir. Or, dépouiller un homme d'un droit, c'eft le punir. Ainfi, nous puniffons un homme avant qu'il foit cou«  3 LETTRE AUX AUTEURS pable, Ie tout pour ne pas Ie punir. Voila fans donte une merveilleufe invention. D'ailleurs, on1 ne prévient les déliti que par la crainte des chatimens; par conféquent, il faut des lois. U vaut mieux prévenir les dilits que lts punir. Par bon* heur, Meffieurs, 1'auteur n'eft pas conféquent. S'il 1'était, armé de ce beau principe, il nous óterait la liberté de la presfe; il nous rendrait fefpionnage de la police & les lettres de cachet; il nous donnerait une inquifition religieufe, & une inquifition d'éiat. Qui ne voit que les inftitutions les plus finifires feront excufées, fi 1'on admet ce principe vague & fans but? C'eft celui des tyrans & des efclaves. C'eft ainfi que, pour n'avoir point de délits k punir, on a commis 1'éternel délit de ravir a 1'humanité fes droits imprefcriptibles. Mais la liberté du théatre mérite une toute autre confidéra. tion que la liberté de la preffe. Des trois maniêres de publier fa penfée, la parole, 1'écriture & 1'impreffion, certainement la première eft celle dont les effets font le plus importans. D'après cela, établirons-nous une cenfure pour les tribunaux? établirons-nous une cenfure pour la chaire, dont les effets font encore plus populaires que ceux du théatre? Le malheureux qui manque de pain, ne donnera pas quarante-huit fous pour écouter une tragédie: il entendra le ferinon gratis. Fautil une cenfure pour les fermons? L'homme quiparledanslarue peut enflammer le peuple par fes difcours: ne pourra -1 - on parIer dans la rue fans confuker un cenfeur? Ah; laiffons de miférables objeétions qu'infpire fhabitude de 1'efclavage. Une vue courte appercoit aifément les inconvéniens de la liberté de publier fa penfée: une vue étendue découvre le remède dans cette liberté méme affujettie a des lois. Lifez des mandemens & des réquifitoires; vous y verrez que Voltaire, J. J. Rouffeau, Raynal, font des incendiaires, & que des livres ont produit tous les crimes. Les raifonnemens qu'on fait maintenant contre la liberté du théatre, on les a faits contre la liberté de la preffe. La raifon nous a donné 1'une, la raifon nous donnera 1'autre; c'eft une révolution inévita. ble: mais on peut lutter plus ou moins long-tems contre la raifon. Remarquez, Meffieurs, que la liberté du théatre a un grand inconvénient de moins que la liberté de Ia preffe. C'eft que nul ne peut échapper a la loi. II eft poffible de faire  Dü JOURNAfc DE PARIS. 31 imprimer un livre fans nom d'auteur, ni d'imprimeur, ni de libraire; il eft encore poflible d'imprimer de faux noms: mais en fait de pièces de théatre,. 1'auteur peut être forcé de fe nommer; c'eft a la loi de 1'ordonner; c'eft aux comédiens ft ne point fe charger d'une pièce anonyme. Croyez-vous, après cela,qu'il y ait beaucoup de délits? croyez-vous, Mesfieurs, qu'on affronte un chatiment cenain ? Mais on peut éluder la loi. Dites qu'on peut n'être pas dans le cas de la loi. En fait de perfonnalités, par exemple, il faut que la perfonnalité foit démontrée, pour que 1'auteur foit puni. Etabliffons une cenfure quelconque, nous ne bannirons point du théatre les perfonnalités qui ne font pas démontrées. Si nous voulons les empêcher, nous éleverons un tribunalinquiet.foupconneux, cent foispire que 1'ancienne cenfure, trouvant par-tout des allufions, des perfonnalités. Si un auteur éprouvé quelque injuftice, il aura,dit-on, recours aux magiftrats, qui jugeront d'après leurs opinions. Quoi! toujours des hommes! toujours des opinions! & jamais des lois ! C'eft dans la loi qu'eft la règ'e. La liberté confifte ft ne dépendre que des lois. Les idéés me gagnent en foule, & je finis, de peur de faire un livre. Si l'anonyme n'eft pas convaincu, qu'il me réfute; qu'il life mon écrit fur la Liberté du Théatre; qu'il üfe encore ma Dénonciation des Inquifiteurs de la penfée; qu'il rêche d'y répondre, non par des autorités, ni par des récits pathétiques de tous les maux qu'il fuppofe gratuitement, mais en prouvant que mes principes font faux, ou que mes conféquences ne découlent point de mes principes. En attendant, ne craignons pas notre raifon. Les citoyens ne doivent étre foumis qu'aux lois, établies par les Repréfentans de la Nation. Toute efpèce de magiftrats, ou d'affemblées d'admi. niftration , doit feulement faire exécuter les lois. Pourfuivons par-tout 1'arbitraire; ou ne prononcons plus le mot de liberté, fi nous ne pouvons concevoir la chofe. Quand la génération, vieillie dans le délire de 1'efclavage, aura quitté la vie, il viendra fans doute une génération plus courageufe, plus raifonnable, plus digne d'élever 1'édifice de la liberté, que nos faibles mains ne peuvent conftruire. J'ai 1'honneur d'être, &c.  m LETTRE AUX AUTEURS DÜ JOURNAL DE PARIS. 18 OStobre 1789. J'ai Iu, Meffieurs, avec furprife, Ia feconde lettre de ratio* nyme fur la cenfure du théatre. Quand je dis avec furprife, ce n'eft pas que Ia feconde foit mieux raifonnée que la première. Je fuis feulement étonné que l'anonyme n'ait pas tenté de refuter un feul des principes contenus dans ma réponfe. Je ne compromettrai point ma raifon,en répétant des vérités déformais triviales pour tous les hommes un peu au fait de la politique : je n'ajouterai ici que quelques mots a tout ce que j'ai écrit fur ce point. Des citoyens libres ne font refponfables que devant Ia loi. L'anonyme parle d'une een. /ure légale. Cette alliance de mots n'eft qu'abfurde: j'aimerais autant parler d'un defpotifme légal. La cenfure ne peut être légale, puifqu'elle eft néceffairement arbitraire. Mais on peut porter une loi qui autorife 1'iuquifition: on peut auffi, par une loi, placer Ia diétature abfolue dans les mains d'un homme ou d'un fénat. De pareilles lois ordonneraient de fe paffer des lois. L'anonyme n'eft pas trés - fort fur les prin. cipes. Je concois que des cenfeurs royaux trouvent la cenfure néceffaire. C'eft le raifonnement de M. Joife qui eft orfèvre, & de M. Guillaume qui vend des tapifferies. On connalt le mot de 1'abbé Desfontaines, II faut que je vive; mais on connalt auffi la réponfe foudroyante de M. d'Argen. fon, Je n'en vois pas la nèceffité. L'anonyme fuppofe une pièce qu'on aurait pu faire jouer, il y a deux mois, fur Ie théatre de Nicolet. C'eft dommage qu'il n'ait pas effiiyé de 1'écrire; mais s'il n'a pas 1'imagination néceffaire pour exécuterce chef- d'oeuvre,il eft affurément trèsdigne de compofer une poétique a 1'ufage des grands danfeurs du roi. La fable parle d'un animal timide qui fe couvrait de la peau d'un lion; il eut le malheur de laifler pasfer un bout d'oreiile  DU JOÜRNAE, DE PARIS. 33 d'oreilie:ici beaucoup degens aflurent qu'ils ont apperc-u des oreilles entières. L'autruche, pourfuivie par des chafféurs cache fa téte derrière un arbre,& feflatte de n'étre point vue; mais l'autruche doit étre avertie qu'elle fe troinpe. Si j'en crois mes amis,.cette lettre, oü 1'on trouve, je m faispourquoi, les mots de talent, de génie, de favoir & d'esprft, vient, auffi-bieii que la première, d'un homme qui n'a rien de tout cela, mais qui eft parvenu , je ne fais comment, ft s'enfevelir de fon vivant dans un coin d'une académie céièbre. On veut auffi que dans fa lettre d'aujourd'hui il ait ofé défigner injurieufement la tragédie de Charles IX. Dans tous les cas, les lignes fuivantes trouveront leur adreffie, & renferment une excellente morale. C'eft une baffelfe de porter fes coups dans 1'ombre; c'eft une bafieffe d'attaquer indireétement ceux qu'on n'ofe attaquer en face: mais il eft poffible que certains perfonnages trouvent leur compte ft garder l'anonyme, en difant des injures. Ilsévitentla plus grande qu'on pourrait leur répliquer; celle de leur nom. Au refte, Meffienrs, comme la tragédie de Charles IX eft calomniée tous les jours par une foule d'ennemis du peuple, qui font les vrais ennemis du tróne, je publierai inceffamment une dèfenfe de cette pièce, oü je développerai ma conduite, & toutes les manoeuvres employées pour empécher fa repréfentation, toutes les miférables tracaiTeries qu'elle m'a occafionnées dans plus d'un genre. En attendant, voici ce que je déclare hautement. La tragédie dont il s'agit a été commencéa al y a plus de trois ans, reeue ft la comédie francaife ii y « quinze mois, portée, fkr la demande du public, ft Meffieurs les Répréfentans de la Commune, examinée, approuvée par trois commilfaires qu'ils ont nommés. On me force de Ie ré. péter fans cefle, elle eft parfaitement morale. Elle fait détefter la tyrannie, le fanatifme, le meurtre, les guerres civiles; elle fait aimer la vertu, les lois,Ia liberté, Ia tolérance. Dans aucune pièce, la nation francaife n'eft auffi vantée. Tout homme qui dira, qui écrira le contraire de ce que j'avance ici, fe rendra coupable d'une calomnie. Je fais tout le mépris qu'on doit aux libelles anonymes, mais qu'un accufateur fe nomme: alors, mon ouvrage ft Ia main, je Ie conduirai devant les tribunaux; & certainement il fubira la peine portée contra les calomniateurs. J'ai 1'honneur d'être, &c. C  ffle. LETTRE AUX AUTEURS DE LA CHRONIQJJE DE PARIS. 29 Novembre 1789. - Je viens de lire. Meffieurs, dans le Mercure d'hier, un article fur la tragédie de Charles IX, qui me femble mériter une réponfe. Si fon attaquait cette pièce du cóté littéraire, je garderais Ie filence: on femble attaquer fon but moral; je fuis forcé de prendre la plume. L'auteur de cet article affure qu'il n'eft point de Francais qui ne doive rougir, comme homme, en fongeant au mafiacre de Ia Saint- Barthélemi. II eft impoffible de calomnier toute une nation plus indécemment; & cette calomnie eft digne d'un journal ci-devant privilégié. Le crime affreux dont il s'agit eft celui de Catherine de Médicis, des Guifes, de Charles IX & de fa cour. Une nation qui n'a aucune part b fon gouvernement, ne peut être accufée des atrocités de fon gouvernement. J'ai déja exprimé cette penfée en d'autres termes dans mon écrit fur la Liberté du Théatre. Je fuis étonné qu'il me faille lépéter fi fouvent des idéés fi fimples. Celui qui ofe calomnier Ia nation entière, prétend que je n'ai pas dü faire bénir, par Ie cardinal de Lorraine, les armes des catholiques qui vont égorger les proteftans. Je fais que ce cardinal était a Rome a I'inftant du maffacre de la SaintBarthélemi; mais il ferait abfurde d'exiger du poète qui compofe une tragédie nationale, la fcrupuleufe exaétitude d'un hiftorien. Dans une tragédie, il fuffit de ne faire agir fesperfonnages que d'une manière conforme h leur caraétère connu. Je ferais blamable, par exemple, fi j'avais peint le chancelier de 1'Hópital comme un homme intolérant & fanguinaire, ou le cardinal de Lorraine comme un prélat vertueux. On n'ignore pas que ce prêtre ambitieux & fuperbe, qui avait obtenu des gardes pour 1'accompagner, qui avait accumulé fur fa tête tant d'évêchés & tant d'abbayes, maitre de 1'efprit de Médicis , & par elle de 1'efprit de fes enfans, fut le principal au-  LETTRE AUX AUTEURS, &c, ^ teuf des défaftres qui ont fouillé les règnes de Francois II & de Charles IX. On n'ignore pas, & le cridque 1'avoue, qu'il voulut établir en France Ie tribunal de 1'inquiiition. On n'i gnore pas, qn'il conduifit 1'aborainable projet de la Sa'nc-Uar* thélemi; & ce fait fut démontré par les lettres que le cardinal de Pellevé lui adrefTait a Rome, lettres que les huguenots in. terceptèrenr. Qui n'a pas entendu parler de 1'édit des gibets en 1559 -? Qui n'a pas entendu parler de cette bulle de 1*43' oü le pape Clément. VII lui accordait pour lui, & pour douzé perfonnes k fon choix, 1'abfolution des plus grands crimes, tels que lhomicide, 1'incefte, le facrilège, deux fois pour Jui, & une fois pour chacune des perfonnes choifies f Et s'il faut en croire leMercure de France, je n'aurais>s dü repré. kenter le cardinal de Lorraine béniirant les exécuteurs des meurtres qu'il avait confeillés! Ah! tous les amis de la vertu, tous les ennemis du crime doivent me rendre grace, j'ofe Ié dire, d'avoir mis fon fanatifme en aftion, de la manière la plusénergique,& d'avoir livré ce prêtre infame a I'exécratiort «e la poftérité. Mais que! eft Je but de Ia tragédie de Charles IX? Cette demande du critique eft d'une fimplicité précieufe, ou d'une mfigne mauvaife foi. Après avoir déclaré qu'il ne faurait le deviner, il ajoüte, a~t.on voulu L'hnpuiffance d'ache- ver la phrafe ferait d'un iinbécille ou d'un malhonnête homme, C elt pourquoi je fomme 1'auteur de cet article d'expltquer lui. tneme ce qu'il a voulu dire. Je refpefte le public, j'eliime les cntiques éclairés, je méprife les louanges & les fatirea dun M. de Charnois, jé méprife encore plus les calomniateurs; mais, tant qu'il y aura des tribunaux en France, je na ferai pas impunément calomnié. En attendant la réponfe du critique,je veux bien lui apprendre quel eüle but de Ia tragédie de Charles IX; c'eft d'ané.intir ie fanatifme qui eft affaibh, mais dont le germe fobfifie toujours dans une religion exclufive; c'eft d'infpirer 1'horreur de la tyrannie, du parjure, & des féduftions fuheftes qui entourent Ie tröne; c'eft d'inl fpirer 1'humanité, l'amour de la liberté & le refpeft des lois C'eft pour tout cela qu'il n'eft point au théatre de tragédia auffi fortement morale; c'eft pour tout cela qu'en Ia livrant 5 Firnprellion, je 1'appellerai Charles IX, ou l'Ecole des Rois. Chaque repréfentation renouvelle les tranfports dn peuple fran. fais, au moment oü Ie chancelier de 1'HdpitaI prédit Ia cosC a  "6 LETTRE AUX AUTEURS ftitution nouvelle, & le bon roi qui gouverne aujourd'hui la France. Ces applaudiffemens font ceux qui me flattent le plus. C'eft un honneur qu'on doit m'envier fans doute, mais qu'on ne peut me ravir. Je fais qu'il y a beaucoup de gens qui font choqués de cet ouvrage & de fon fuccès: c'eft un honneur de plus pour moi. J'ofe me flatter que mes écrits dé' plairont toujours aux ennemis de la raifon & de la liberté. J'ai 1'honneur d'être, &c. IVe. LETTRE AUX AUTEURS DU JOURNAL DE PARIS. 16 Novembre 1785». JVIessieurs, On avait beaucoup écrit depuis quelque tems pour ou contre la cenfure des ouvrages du théatre. Un fait vient démontrer, jufqu'a 1'évidence, 1'abus de ce tribunal arbitraire. Certainement, Meffieurs, il n'eft point de cenfeur qui n'eüt rêvé les plus abfurdes chimères fur Ia tragédie de Charles IX, qui vient de réuffir avec tant d'éciat & fi peu de danger; il n'en eft point qui n'eüt effrayé 1'adminiftration de fes terreurs vrities ou fauffes: 1'auteur de cet excellent ouvrage eüt été découragé a jamais; la nouvelle carrière qu'il ouvre au génie, fertnée fans retour; & le théatre de la nation, ce moyen fi puiifant de 1'éducation publique, ce théatre avili fous le defpotifme, par tant de pièces immorales ou infignifiantes,non. feulement étoit menacé de perdre fon ancienne gloire, mais de s'éteindre dans 1'ignominie, dont le fuccès récent d'un ouvrage fans mceurs 1'avait fi malheureufement entaché. Eh bien, Meffieurs, cette tragédie, fource de tant d'alar. me«,& calomniée d'avance avec tant de fureur, n'a pas donr.é •lieu au moindre abus, a la plus légêre effetvefcence. Ces al-  DU JOURNAL DE PARIS. 37 lufious, auffi téméraires qu'injufies, que 1'on feignait de craindre, & dont malignement on fuggérait 1'idée, ne fe font préfentées ft f efprit de perfonne. Je n'en excepte qu'une, & vous la connaiffez; c'eft l'appiication refpectueufe & rendre que la nation a faite avec tranfporc, au meilleur des rois, de ces vers fi heureufemeut placés dans la bouche du chancelier del'Hópital: On verra nos neveux, plus fiers que leurs ancêtres, Reconnaiflanr. des chefs , mais n'ayant point de maitres , Heureux fous un monarque ami de l'équité, Ueftaurateur des lois & de la liberté. Que fauteur eft bien vengé, Meffieurs, de tous ces libelles répandus d'avance contre fon ouvrage! II ne refte plus qu'ft lui rendre la juftice qu'il mérite, & qu'il obtiendra (j'ofe le lui promettre) de tous ceux qui connaiffent Ie grand art de la tragédie. Je fais que le nombre de ces connaiffeurs diminue de jour en jour. Je m'attendais au reproche qu'on a fait a la pièce de manquer d'aétion, & ft ce reproche de longueurs, devenu 1'arme bannale de tour, les fots qui fe mêlent He juger, & qui ne favent que dire; mais Ie temps n'eft pas encore arrivé d'être complètement jufte envers ce bel ouvrage, & de fentir tout le prix de ia grande révolution que 1'auteur vient d'opérer au théatre. Je ne me laifferai point enlever le mérite de le défendre contre fes décraéteurs. Mais je refpeéte les bornes de votre journal, occupé maintenant d'objets plus dignes encore de 1'attention publique. Je me contenterai feulement de vous dire, ft vous, Meffieurs, qui avez eu le courage de parler de la tragédie de Charles IX avec une impartialité qui vous honore, que cette pièce eft Ia première tragédie véritablement nationale qui ait encore été donnée fur notre théatre; qu'elle renferme ft-Ia-fois les plus imponantes lecons, & le plus grand exemple qui ait jamais éié ptéfenté, non-feulement ft la nation, mais ft tous les fouverains; que les principes répandus daas. 1'ouvrage rendront la mémoire dc fauteur éternellement chère ft la poftérité; & qu'enfin on a voté, dans quelques diftriéts, d'encourager un talent fi prédeux & des vues fi pures par une couronne civique. J'ai 1'honneur d'être, &c. Signi, I'ALissoT. C3  V*. LETTRE AUX AUTEURS DE LA CHRQNIQUE DE PARIS. l8 Janvier 1790, O n trouve, Meffieurs, dans un journal peu connu, qui fe nomme le Spe&ateur nat knal, un petit article, contenant un petit menfonge, qu'on me confeille de relever. Voici 1'article innocent. „ Vendredi on a donné a ce théatre,(théatre de la nation), fcu profit des pauvres, la vingucinquième repréfentation de Charles IX. On devait croire que cette tragédie, qui a attiré, dans fes premières repréfentations, une fi grande affluente, par le feul motif de la curiofité, en amènerait une au moins auffi grande quand il s'agirait de générofité, de bienfaifance & d haroatiité: cet efpoir a été trompé; & le chefd'ceuvre national qui a produit tant d'argent, tant échauffé d'efprits, tant occafjonné de querelles de vanité ou d'anti-pairiotifme, a produit a peine une recette de charité montante ■a 1200 ^ivres. II y a bien loin de 1'efprit d'enthoufiafine a 3'humanité." Je ne parlerai point de 1'envieufe malignité qui a diété ce joli paragrSphe. Mais il eft faux que la recette de vendredi «'ait monté qu'a 1200 liv. La recette de la porte a monté a 1800 liv. moins un ou deux écus. Ce menfonge eft peu iinportam par lui - même, mais il eft toujours inutile de mentir. Le Speétareur national me permettra de lui donner, par ia yoie de votre journal,- un avis dont il fera bien de profirer: <:e n'eft pas tout de n'être point lu, & de n'être pas Iifible; jl faut encore être véridique. II eft également faux que la tragédie de Charles IX n'ait attiré une grande affluence que dans fes premières repréfentations, comme le prétendu Speflateur femble 1'infinuer. L'af> fluence s'eft toujours foutenue. La recette de la vingfc quatrièrae repréfentation, donnée !a furveille de la viugtcinquième, a paffé 4200 liv. & beaucoup de gens venus pour  LETTRE AUX AUTEURS, &C. 30 voir Ia pièce, n'onc pas trouvé de place. La recette fuivante n'aurait pas, fans doute, été moins confidérable, fi Ia vingtcinquième repréfentation avait éeé annoncée quelques jours d'avance,comme toutes les repréfentations de pièces nonvelles le font a tous les fpeétacles, fur-tout quand Ia recette eft des. tinée a un ufage refpetfable. Mais Ia pièce avait été affichée jeudi pour le lundi fuivant, & n'a été affichée pour le ven. dredi foir que le vendredi matin. J'ai trouvé, tout comme un autre, que la recette de la repréfentation pour les pauvres, était beaucoup trop inférieure a la recette des repréfentations pour la Comédie francaife. Je 1'ai fi bien trouvé, que j'ai retiré ma pièce; & je ne la rendrai aux Comédiens, qu'a condition qu'ils donneront, au profit des pauvres, une feconde repréfentation, annoncée plufieurs jours d'avance. Je fais trés-bien qu'on a voulu me compro. mettre il cette occafion, & faire douter de mon zèle ptfur les intéréts du peuple, dont les pauvres forment Ia partie la plus intéreffante. J'efpère du moins que cetie lettre répond a tout; & j'ofe alfurer que ma conduite fera toujours d'accord avec les principes que j'ai profeffés dans tous mes écrits, fur-tout dans la tragédie de Charles IX. Je vous prie, Meffieurs, au nom de ces principes, qui font les vótres & ceux de tous les bons citoyens, de vouloir bien inférer, au plutót cette lettre dans vcire journal. Au refte, je fais quel eft le ftyle ordinaire de ces petits eunuques de littérature, qui, défefpérés & confus de leur impuiffance, ne ceffent de décrier dans leurs raiférables feuilles tous ceux qui font capables de proddire. Si vous réulliffez, ils vous prouveront, comme difait M. de Voltaire, que vous n'avez pas dü réuffir; ils dénigreront les plus beaux vers, en profe déteftable; ils dénatureront, ils falfifieront, ils mentiront avec impudence. Mais au milieu de leurs mouvemens convulfifs, 1'ouvrage demeure inébranlabié, s'il a vrai ment quelque mérite; & ces critiques ineptes font bientót plus oubliés qu'ils n'étaient méprifés d'abord : ce qui certainement eft beaucoup dire. J'ai 1'honneur d'être, &c. C4  Vle. LETTRE AUX AUTEURS DU JOURNAL DE PARIS. 3 Février 1750. J'a y a 1 s retiré du théatre ,Meffieurs ,ma tragédie de Charles IX, & je ne Pavais reudue qu'a condition qu'on la repréfenterait une feconde fois au profit des pauvres. MM. les Comédiens francais vous ont écrit a ce fujet une belle épltre, que j'ai cru devoir laiffër fans réponfe. Le ftyle en égalait la logique; & c'eft tout dire. Seul propriétaire de ma pièce, }1 eft trop évident que j'ai pu la retirer quand je 1'ai jugé a propos, & la rendre fous telle condition que j'ai voulu propoler: bien entendu que la Comédie francaife était libre de refufer cette condition, & de ne plus repréfenter Charles IX. C'eft a quoi fe réduifait la queftion. D'ailleurs, la repréfentation annoncée le matin pour Ie foir a rapporté environ illoo liv.: Ia repréfentation fuivante, an. noncée plufieurs jours d'avance, a produit 4660 liv.; ce qui fait prefque mille écus de plus. Cette réponfe eft viétorieufe. Des journaliftes qui ne fe piquent pas comme vous, Mesfieurs, de vérité & d'impanialicé, ont affuré que j'avais de» mandé ,a la Comédie francaife ma rétribution d'auteur, dans les deux repréfentations que j'ai fait donner au profit des pauvres, afin d'en difpofer a mon gré. C'eft un menfonge de plus pour ces journaliftes; mais je fuis forcé de répondre a, celui - ei. En demandant ma rétribution, j'en ai fixé 1'ufage ; j'ai dit que je la deftinais aux pauvres du diftriét des Cordeliers, dont je fuis membre. J'ai envoyé en effet a ce diftriét une fomme de 800 liv. qui excêde de fort peu de chofe la rétribution dont il s'agit. La lettre dont le diftriét a bien voulu m'honorer par la voie de fon préfident, eft un prix trop flat,teur du devoir que j'ai rempli. J'ai l'honneur d'iire, &c.  VIR LETTRE A M. LE PRÉSIDENT DU DISTRICT DES CORDELIERS. 29 Janvier 1790. M onsieur le président, Je vous prie de vouloir bien préfeuter mon refpeét a Mes. fieurs les citoyens du diftriét des Cordeliers, & leur offiir de ma part une fomme de huit cents livtes, que je deftine au foulagement des pauvres de ce diftriét. Cette fomme eft le montant de ma rétribution, comme auteur, dans les deux repréfentations de ma tragédie de Charles IX, qui ont été données au profit des pauvres. J'ai 1'honneur d'être, &c. VIIIe. LETTRE. 29 Janvier 1790. Le diftriét des Cordeliers, Monfieur, tient a honneur de pouvoir compter au nombre de fes membres, 1'auteur de la tragédie de Charles IX. Vous avez bien des titres a la reconnaiffance de vos concitoyens. Tandis que, par leur vigilance & leur fermeté, ils travaillent a affermir la conftitution nouvelle , vous préparez les efprits a en recevoir la douce iufluence, en détririfant les anciens préjugés: non content d'éclairer & d'inftruire vos concitoyens, vous partagez avec les indigens le produit de vos veilles & de vos talens. Ces débuts de votre jeuneffe donnent les plus flatteufes efbérances pour 1'avenir. Le diftriét, plein d'eftime & de reconnailfance, me charge de vous adreffe" cette lettre pour en étré le témoi. gnage. J'ai 1'honneur d'être, &c. Signè Paré, préfident. C5  É P I T R E MA NES DE VOLTAIRE. t r e de la tolérance, Bienfaiteur de 1'humamté, Qui, durant foixame ans, en France Combatüs pour la vérité; Voltaire, du fein tl'Elyfée, Prête-moi ces accens & cette aimable voix Par qui la raifon même, en plaifir déguifée; Sur les humains féduits reprenait tous fes droits; Cette chakur divine, & jamais £pui[£e f Dont ton ame fut embrafée; Bt ce courage heureux qui bravait a- la - fois Le vil courroux des fanatiques, Les cris des ftupides critiques, Et la mauvaife humeur des rois. Tes fuccès de bonne Iieure ont agrandi Ia fcène. Plein d'amour pour la gloire , avec moins de talen», Voltaire , ainfi que toi, dès mes plus jeunes ans J'offrjs des vceux a Melpomène. Les obftacles nombreux ne m'ont point arrêté; J'ai voulu rappeler la Melpomène antique ; Et dans les premiers jours de notre liberté, J'attachai fur fon front, avec quelque fierté', La cocarde patriotiqug. J'ai fervi les beaux- arts, j'ai vengé mes rivaux ; Et le yremier de tous , j'ai franchi la barrière Dont les cenfeurs nommés royaux Avaient fermé notre carrière. J'ai, parmi ces rivaux, trouvé beaucoup d'ingrars- Car en fait de reconnaifiance, ' L'efpèce des auteurs, dont pourtant je fais cas Avec celle Ues rois a de la refiemblance. '  i? ITRE AUX MAN E S DE VOLTAIRE. 43 Mais bien d'autres dcueils ont entouré mes pas. Des Carmes Déchaulfés la male république, Avant d'en connaitre un feul vers, S'avifait de juger mon ouvrage pervers , Le tout par inftinéf propliétique ; Et devant la Commune, en très-mauvais francais, Poujaut, la veille du fuccès, Me dénoncait comme hérétique, Malgré fon éloquente voix , II parut enfin cet ouvrage, Oü tous les préjugés (appés avec courage, Ebranlés , abattus, s'écroulent a-la -fois; Et qu'un citoyen véridique, Dans 1'élan d'une ame énergiqup, Proclamait l'ecole dës rois. Le foir, le lendemain, vin«t lettres auonymes M'annongaient un aflaflinat: J'allais être égorgé 5 mes vers étaient des crimes ; Vengeurs des droits du peuple, ils renverfaient 1'état j Vieux feigneurs, hiftrions , courtifannes & prêtres , Contre moi tout s'eft déchatné; Des Gautiers, des Charnois difciple infortuné , La férule de ces grands mattres M'a fouvent un peu mal - mené ; Et ne pouvant fléchir leur .goot inexorable, Ainfi qu'un efclave coupable, Je me vois tous les jours aux bêtes condamiié, •De quelques vers heureux les cuifaor.es Wefiures , Même lorfque ces beaux-efprits Iraient dans le tombeau rejoindre leurs écrits, Me vengeraient encor de leurs faibles morfures. Mais quoi! faut - il, a force d'art, Rendre la fottife immortelle ? Faut - il que la race nouvelle Apprenne & 1'exiftence & le nom d'un Suard? A changer la nature on ne faurait prétendre: Louis doit prél'enter un grand modèle aux rois j Syeys doit inventer les lois Que La Fayette doit défendre. Tout fuit aveuglément les ordres du deftinj Le cygne, au bord d'une onde pure,  44 ÉPITRE AUX MANKS DE VOLTAIRE. Fait entendïe fa voix, honneur de la nature; La gienouille croaffe en un marais voifin, L'tau doit- baigner les champs, les champs doivent produire ; L'liommc eft né pour créer, le tigre pour détruire ; Le renard eft fait pour trompet-, L'aigle pour fixer. la Himière , 'L'infeéte & Charnois, pour ramper Entre la fmige &.la pouffiëre. l - Qui plus que toi, grand hpmme , a reflenti les coups De ces gens qui, trainant leur vie Dans une obfcure ignominie, De tout ce qui reluit font bêtement jaloux 7 . . Si tu frappais encor ce^ noc'tmnes hibous , Blelfés des rayons du.génie! Si tu vivais-encor pour nous infpirer tous; Pour voir autour de toi 1'Euiope rajeunie, A vingt.ufurpatcurs redemander. fes droits ; Et, fur les débris formidables De ce doublé pouvoir des prêtïes. & des rois, Elever du tróne des lois Les fondemens inébranlables! Tu nous as fait un demi- dieu D'un agent de la tyrannie , Et cie ton, brillant Richelieu » La mémoire eft un peu ternie. II eft d'autres héros qu'jJ: te faudrait chanter; Pour la France & Louis tu inonterais ta lyre; Et rangés prés de toi, fans pouvoir imiter Ton aimable & docle délire , Nous pourrions au moins t'écouter.  N O T E S. J'ai voulu rappeler Ia Melpomène antique; Et dans les premiers jours de notre liberté, • J'attachai fur fon front, avec quelque fierté, La Cocarde patriotique. Non pas en compofant la tragédie de Charles IX, qui était faite depuis long. tems; mais en ajoutant au róle du chancelier de 1'Hópital feize vers oü il prédit Ia révolution. J'ai fervi les beaux - arts, j'ai vengé mes rivaux. Avant la révolution du mois de juillet, dans mon écrit fur Ia liberté du théatre; depuis cette révolution, dans plu. (leurs ouvrages oü j'ai attaqué avec énergie toute efpèce de cenfure; mais fur-tout dans ma tragédie de Charles IX, qui a brifé pour jamais les chaïries dont on avait chargé, en France, le génie des poètes dramatiques. Des Carmes - DéchaufTés Ia male république, Avant d'en connaïcre un feul vers, S'avifait de juger mon ouvrage pervers. Quelques citoyens du diftriét des Carmes eurent ia bon. hommie, car il faut être poli, de dénoncer h leur diftriét la tragédie de Charles IX, dont ils ne connaiffaient que le nom. Ce diftriét eut la bonhommie, car il faut toujours être poli, de députer vers les Comédiens francais, & vers la Commune de Paris, pour faire fufpendre la repréfentation de Ia pièce. Cette démarche n'eut point de fuite. Et devant la Commune, en tris - mauvais francais, Poujaut, la veille du fuceès, Me dénoncait comme hérétique. C'eft Ie 3 novembre, veille de la première repréfentation de Charles IX, que Cicéron Poujaut jugea a propos de dénoncer cette tragédie. II n'en connaiffait pas un mot, non plus que Ie diftriét des Carmes. L'accufation d'héréfie n'eft pas avérée, comme on le croit bien; mais la dénonciation eft très-réelle. A 1'objet du difcours de 1'orateur, & a/on discours même, une partie de 1'alfemblée crut qu'il était ivre, ou qu'il était fubitement devenu fou; mais i! eft conftant, malgré 1'apparence, qu'en dénoncant Charles IX, Cicéron Poujaut n'était ni plus ivre ni plus fou qu'a fon ordinaire.  40 r» o t e s. Et qu'un citoyen véridique, Dans 1'élan d'une ame énergique, Proclamait l'êcole des rois. A la première repréfentation de Charles IX, au quatrièm» acte, un citoyen dit aflez haut pour étre entendu de fes voi. fins: Cette pièce clevrait s'appeler l'école des rois. j'ai adopté ce fecond titre. Le citoyen dont je parle eft M. Mauraené, négöciant a Paris. Les gens curieux d'anecdotes feuraient quelque gré h un auteur, de leur avoir confervé le nom du vieillard qui, h la repréfentation des Précieufes ridicules, s'écria du fond du parterre: Courage, Molière! voilü la bonne Comédie. Le foir , Ie lendemain , vingt lettres anonymcs M'annoneaient un affaflinat. Le jour même de la première repréfentation, on m'avertit que la pièce rie ferait pas feulement commencée; que je ferais fifflé, hué, &qui pis eft, égorgé. Beaucoup de gens au parquet avaient des piftolets dans leur poche, Un quart d'heure avant le lever du rideau, un homme eut la bêtife ou la méchanceté d'aller dire a Madame Veftris qu'on tirerait fur elle & fur le Cardinal, auffitót qu'ils paraltraient: mais le public impofa filence h la cabale imbécille qui fe flattait d'écrafer cette tragédie patriotique; elle fut écoutée avec une attention parfaite, & le filence ne fut troublé que par des applaudiffemens univerfels. La pièce fut bien jouée; &, dans les repréfentations fuivantes, le jeu des acteurs s'eft encore perfectionné. MM. Vanhove, Naudet, Saint-Prix & Saint-Fa! rendent avec beaucoup de vérité les róles de l'Hópral, de Coligni, du cardinal de Lorraine & du roi de Navarre. Catherine de Médicis & fon fils Charles IX, font repréfentés fupérieurement par Madame Veftris, & M. Talma qui, trésjeune encore, a déployé dans cette pièce un talent fort rare. Plufieurs perfonnes ont dépofé dans le procés de 1'infenfé marquis de Favras, qu'il avait voulu faire tomber Charles IX, a la troifième repréfentation, moyennant ifi ou 20,000 livres. Des Gautiers, des Charnois difciple infortuné. M. Gautier, qui n'eft pas même Gautier Garguille, eft un écrivain des charniers, auteur d'une miférable feuille intitulée Journal général de la cour & de la ville. Les gens qui  H O T E 8. 41 lifenttouc, m'aflurent que je fuis fouvent attaqué dans ce jour. nal. Si M. Gautier peut gagaer un écu de plus en me dérigrant, il fait fon métier de folliculaire, & je 1'exhorte b. continuer. .>,.,,, M. de Charnois, écrivain trés-inférieur a la claffe médiocre, eft pourtant fupérieur a M. Gautier.' II a, comme Perrin Dandin, la fureur de juger; mais il fe borne n vouloir jugerde littérature, & fur-tout de littérature dramatique. H eft d'ailieurs fort ignorant. II fait auffi un journal intitulé h Spctïateur natiotial. II s'y eft'permis plufieurs meufonges fur la tragédie de Charles IX: je ne compte pas les abfurdités. M. de Charnois a déja été Couvert dé böue par M. de Ia Harpe, M. Ptfiiïo:, &. plufieurs autres écrivains diftingués. Vouloir augmenter fon ridicule ferait une entreprife impoffible. C'eft un de ces 'gens auxquets on ne faurait dire pis que leur nom. Faüt-'l qiïe la' race nouvelle* " ' -Apprenne & 1'exiftencc & le nom d'un Suard ? M. Suard était ci-devant cenfeur du théatre: il eft de plus membre de 1'académie francaife. On a tort de lui contefter fes titres littéraires; il n'a tenu qu'a lui d'avoir une grande réputation : il lui fuffifait de figner les lettres qu'il adreffait au journal de Paris. Des gens dignes de foi m'ont affuré qu'il avait fait d'autres ouvrages. M. Suard jouit de fa gloire avec modeftie: c'eft une vertu de plus. J'ai cru devoir profiter de cette occafion pour apprendre a 1'Europe que M. Suard, M. de Charnois & M. Gavitier barbouillent du papier a Paris. Syeys doit inventer les lois Que La Fayette doit défendre. ~- M. 1'abbé Syeys, député de Paris k 1'Affemblée nationale, eft un dè ceux a qui la France devra le plus de reconnaifrancé pour 1'admirable conftitution dont elle va jouir, Depuis f. f. Rouffeau, je ne connais pas d'écrivain qui air appliqdé' la philofophie a Ia politique avec autant de profondeur cc de hardiefle. Le nom de M. de Ia Fayette fera placé dans 1'hiftoire i córé des noms d'Épaminondas, de Dion de Syracnfe, .& de Washington. Les défenfeurs de Ia liberté font les véritables héros.  T A B h E. Epitre & la Nation, ........ Page y Difcours préliminaire, . IX 'Epitre au Roi, XXI1 Charles IX, tragédie, 1 JSfotes fur la Tragédie, 63 Difcour? prononcé devant MM. les Repréfentans de la Commune, . • • 1 Jdrejfe aux LX Diftritts de Paris, ..... 4 De la Liberté du Théatre en France, 6 Lettres diverfes, 27 Epitre aux Mdnes de Voltaire, 42 Notesjur VEpitre, • 4?