" 318 ƒ/$ LA MATINEE DU COMÉDIEM DE PERSOPOLIS; PROVE R B E, EN UN ACTE ET EN PROSE. A AMSTERDAM, Et je trouve A PARIS, Chez CAILLEAÜ, Libraire & Imprimeur , rue Saint - Severin. Et chez les Marchands de Nouveauté», M. DCC. LXXXII.  A Meffieurs les Auteurs du Journal de Paris. Messi e u rs, Ne croyeK pas que je mefwe vos talens a la valeur d'un écrit éphémère ; ïl s enfant de beaucoup aitilfoit digne de vous êtrepréfemé: mais comme ila un but moral)Panie trés - arialogue a votre miniftère, daign^ en agrêer la Dédicace, comme. une prèUve de ma docile condefcendance au jugememqm vous en portere^. J'ai l'honneur dêtre, Mejfieurs, Un de vos Abonnés.  A VER TIS S E ME N T. K^i E n'eft pas une 'Pièce de Théatre que 1'Auteur donne au Public, c'eft a-peu-près la peinture de 1'emploi que les Comédiens faifoient autrefbis de leur tems. Acluellernent que tout eft changé, ces Meffieurs ne peuvent voir de fatyre dans cette petite Pièce. Au contraire, s'ils comparent leur conduite préfente avec celle qu'on a taché de décrire ici, ils s'appercevront fubitemenc que c'eft un éloge indirect qu'un homma dilicat a voulu leur ménager.  PERS O N N AG E S. BELVA L, Comédien. S O P H I E , Comédienne. LE COMTEDE MCEURSEVILLE. LA FLEUR, Valet de Belval. La Scène fe paffe dans le hel appartement de Belval.  LA MATINÉE D U COMÉDIEN DE PERSOPOLIS; P R O. VER B E. SCÈNE PREMIÈRE. belval, feul. BELVAL, rota -de- chambre fuperbe, je regardant dans fa glacé. Ma foi, d« telle manière que je me mette, je fuis toujours bien. C'eft une folie pourtant que certe robe-de-chambre; mais il feroit fi ridicule d'être furpris fans nne certaine élégance Elle me va très-bien ; mes cheveux, quoique retrouf» fes, flottent avec grace, le col agréable, du linge fin, parfumé délicieufement, bienchaufle: qr»'une A 3  6 LA MATINÊE DU COMÉDIEN* femme vous furprenne dans eet état, elle n'y tient pas. Sophie vient déjeuner avec moi; je veux qu'elle s'en aille fubjuguée. C'eft une petite écervelee qui ne ooit pas k ces goüts fubits & charmans , qu. ont fait les délices de nos femmes aimables. Nous verrons.... Ah ca , récapitulons ma journee. Prennèrement, Sophie , toute-a-l'heuie , dans linjtarit; midi, rendez-vous chez Monfieur ie Uuc de Volnay; enfuite diner chez ce Prince etranger: a quatre heures * , je m'ëvade & courre dan.s ma loge m eerdfer la tête de mon róle dans cette Piece nouvelle. C'eft le deplaifant. Pourquoi r.e sen pas tenir a ce que nous avons? Ce n'eft pas ma faute; je fais tout ce que je puis pour faire renoncer aux Nouveautés. Mais mes camarades fe Jaiüem entraïner, & moi je fuis la viéllme de ces compla.fances mal entendues. Ce qu'il y a de crue], c'eft que ne pouvant mal jouer , je foutiens ieul 1 ouvrage auquel je donne un mérite dont le pauvre Auteur ne s'étoit pas douté.... J'entends du bruit ; c'eft ma belle & mutine Sophie : ne ipngeons qu'au plaifir de la voir. SCÈNE 1 l SOPHIE, BELVAL. Sophie. En vérué, Belval, 11 fant que je foi's la complaifar.ee même pour venir chez vous au milieu du tonnerre 6c des éclairs , par le tems le plus afireux. r  P R O V E R B E. f Belval. A voir vos céleftes appas , on a dü vous prer.dre pour une immortelle qui marche, luivie du briljant cortége de la Divinité. Sophie. Oh ! trève de galanterie ! Belval. Non. Regardez-vous; & ne me croyez pas affez fimple pour louer une femme quand elle ne le mérite pas. Sophie. Ah!... fcavez-vous que vous me ferez tournes la tête, fi vous continuez. Belval. J'aimerois bien autant vou3 la voir perdre. Sophie. Vous êtes logé avec une magniflcence. Belval. Affez bien; mais il faut que je quitte malgré moi eet appartement. Sophie. Pourquoi donc ? II eft peut-être trop cher. Belval. Non, je n'en ai que pour cent louis; mais je n'ai pas de fallon d'étc , de cabinet de bains, ni de boudoir. Sophie. Ni de boudoir ? Oh! il faut avoir un boudoir, A |  £ LA MA TINÉ E DU CO MÉ DIE jfo Belval. Vous m'excuferez donc de ne pouvoir vous en, préfenter un. Sophie, étonnée. ^ Pour moi, il n'en faut pas , Belval. Ah! nous n en fommes pas encore la. Je vois bien que vous voulez me mettre dans la longue lifte de vos conquêtes y mais , mon cher am'i , je ne fuccomberaj pas. Elégance , propos aimables , figure interenante ; vous avez tout, j'en conviens; & moi, je luis infenfible. Voila bien des chofes perdues ,' n elt-ce-pas ? Belval. Comment , vous me fuppofez des apprêts. Non , je vous jure , mon cceur n'a pas de détours. Jugez par d'autres. Eft-il un feul homme qui, vous pofledant comme moi en. tête-a-tête , ne fpit tombé a vos pieds. Sophie, avec fiené. Je ne 1'ai jamais foufFert. Et oü prenez-vous , Monfieur, que ce foit un tête-a-tête que je vous accorde.... Belval. Ah! Sophie, ne m'accablez pas de votre difgrace. sofhi e. Eh bien ! quittez donc ce ton déja conquérant que vous prenez avec moi. Belval. _ Quel petit démon de vertu! En vérité, Sophie je vous croyois phjs de conduite ; une femme* charmante , belle comme vous Fetes.... Ah ! profuez de vos beaux jours.  PROFERBR $ Sophie. Vous verrez que je pafferai mes beaux jours a aimer Moniieur; cela feroit fort réjouiffant. Non, je vous le répète , laiffons a nos Tragédies eet amour Romanefque. Je n'y crois pas, & n'y croirai de ma vie: tenez-vous-le pour dit. Belval. Non ; vous reviendrez de cette erreur ; & vous verrez qu'un jour.... Sophie. Encore. Ah! vous m'impatientez. Brifons ladeflus, ou je pars. Belval. Ah! trop charmante incrédule! allons , foit, je me tais. Sophie. Oui, parions de chofes plus férieufes. Belval. Heureufe tranquilité ! vous faites de 1'amour un jou jou. ( Voyant que Sophie paroitvouloirfe lever"). Parions donc de chofes férieufes avec vous, Sophie. Sophie. Vous partez dans quinze jours pour Bordeaux. Belval. Oui; j'ai obtenu trois mois de vacances. Sophie. Eh bien ! j'ai la même permiffion. Belval. O Ciel! eft-il poffible? ma belle amie : nous ferons route enfemble. Que de triomphes nous,  id LA MATÏNÊE DU COMÉDIEN, allons avoir! que de joie nous allons répandre f que .dargent nous gagnerons, re'unis. Vous ne pouvez douter avec combien d« plailir je me pretera, atous VQS defirs< .q ^ ^ ^ je luis toujours für de plaire. O Sophie! que mon lort eft heureux! Sophie. Par exemple, ce que vous me dites la , n'eft pas une fadeur: c'eft fenti, & je vous en tiendrai bon compte. Belval. Si j'étois affez fortune' pour parvenir.... Mais comment.mon bel ange, avez-vouspu obtenir? ... Sophie. Prétexte de fante. Vous fcavez, il y a trois jours, que nous nous quittames a fept heures du matin , après avoir paffe la nuit a faire mille folies. Le foir, je ne pus jouer; ce qui hata par hafard le début de' cette nouvelle Aétrice qui, je vous réponds, n'eut point parue devant fix femaines. Vous me trouvates la phylioncmie d'une langueur affez intéreffante : ma glacé me dit que vous aviez raifon. Je fis meure fur le champ mes chevaux a la voiture. La crainte_ de ne pas réuifir ajouta a ma paleur. On me plaignit:■; mais je revins vive , animée ; car j'obtins ce que je demandai. Belval. Que peut-on vous refufer? Vous conviendrez que le Speciacle fera fort ennuyeux pendant votre abfence. Sophie. . Ah !. dites pendant la nötre , Monfieur Belval ; je fuis jufte.  PROFERBE. ii Belval. Julie dok être au défefpoir. Sophie. Elle ne Ie fcait pas encore ; j'aurai le plailïr de lui diie ce foir. Belval. Vous jouez, fans doute. Sophie. Non furement. On ne me verra qu'après mon retour; c'eft le feul moyen de fe faire defirer. Belval. C'eft une affez bonne méthode : il y a déja quelque tems que vous vous en fervez ; car cette année-ci.... Sophie. Cette annee.... Mais j'ai joué dix a douze fois au moins. Belval. Cela eft différent. Aujourd'hui, cependant, je comptois bien fur vous. Je vous avertis que je ferai d'un mauffade; prenez garde avec qui voua me laiffsz.... II me vient une idée. Sophie. Quoi? Belval. Vous ne connoiffez pas ma petite campagne. Sophie. Qui vous coüte tant d'argent. Belval. Précifément.  k'a LA MATINÈE DU COMEDIEN, Sophie. Non , je ne la connois pas. Belval. Kh bien ï allons-y ce foir: c'eft un bijou dontvous ferez enchantée. Sophie. Avec vous feul? Belval. Qui; vous me craignez fi peu. Sophie. Soit; a condition que vous ne vous en vanterez pas. Belval. Je vous le protefte. Sophie. Allons , j'y confens donc; je le veux bien. Belval. Que de graces! Sophie. Ainfi vous ne jouerez pas non plus : Fierville fera déteftable dans votre róle. Belval. Je l'imagme bien ; mais vous ne fcauriez croire comme le pauvre garcon aime a fe faire riffier. II n'en eft que plus ferme : il femble que cela le réjouit; il fera pour moi d'une reconnoiflance.... Sophie. ^ Vous avez vos fantaifies , j'ai les miennes auffi. J'ai celle, d'aller voir commentnos doublés feront re9us , de voir la groffe humeur du Public; cela fera. très-réjouiffant.'  FROFERBE. r 3 Belval. Maisnotre partie. Sophie. Bon, ne croyez-vous pas que je me donne la douleur de voir toute la Pièce : les trois premières Scènes , a la bonne heure ; dans le moment de la groffe ciife, voila tout. Belval. Mais fi on nous voyoit. Sophie. Eh ! n'ai-je pas cette loge grille'e qu'on me prête, quand je veux. J'irai bien empaquetée ; vous, le mouchoir fur les dents, chapeau détrouffé > coftume étranger. Belval. Vous êtes miraculeufe. * Sophie. Pour qui donc ces préparatifs ? Belval. Pour vous, pour votre déjeuner. ) Sophie. Tant pis, car je ne déjeünefai pas. Belval." Pourquoi donc ? Sophie. Je prends les eaux de Vichi. Belval. Je ne vous fcavois pas malade. Depuis quand? Sophie. •Depuis quinze jours. Je retournois ciiez m •  14 LA MATINÈE DU COMÉDIEN, avec affez de rapidite': ma voiture écrafa le plus joli pent epagneul poffible , tout pareil a mon bibi. Cette reliemblance, les cris de douleur de ce charmant animai.... B £ l v a l. Vous ont caufé une révolution. Sophie. Oui, très-violente. Belval. m Ce fera donc pour le premier furvenant. Voici juftement la Fleur qui vient annoncer quelqu'un Qui cft-ce , la Fleur ? SCÈNE lij. LA FLEUR, BELVAL, SOPHIE. L.a Fleur. E s T un Mönfieur qui revient au moins pour la lixieme iois. r B e l v a l. Le connois-tu ? . L a Fl e ur. Non, Mönfieur. . E,h ïien ! dis"lui W dans vos ra" »,• . . . u.ui, je concois ce que vous me dites. B Ê l V a e. vo^arez'^" V3PeUrS au -oinsque Ferionr^o^v °;.LPlUS-de fonner d- I' * 5y°ê. ' °U "OUS devons mifVo4 rêtlffk dCS ,aUners- ^ue ce»e ideemilL fr/ j C: fr' 'e vous 1'avouerai, vingt- cette cam„a g' P°Ur arra"Ser mes affaires; l^isgy*•ces meub,es -ma voitu- & Sophie. vrai.<^ l'argent me fonddans les mains ,  P R O V E R B E. ■ ' *| je ne fgais comment ; une femme eft pille'e par tont le monde. Eh puis! n'ai-je pas ma. familie entière a nourrir. Je fuis bien loin de regretter cette dépenfe ; mais elle abufe un peude ma complaifance. Que faire a cela ? Belval. Renvoyez-moi-la dans la Province avec une petite penlion, oü en leur faifant obtenir quelque place, rien ne vous fera plus facile. Sophie. Vous avez raifon. Je garderai feu'ement ma pauvre mère, car je mourrois, je crois , de douleur, d'en agir avec elle comme tant d'autres femrnes. Cette ingratitude, eet orgueil m'infoirent pour elles le mépris & la haine ra plus violente. Belval. Coeur excellent! Combien vous vous attachez ceux qui vous connoiffent a fond ? Mais voici déji la Fleur de retour. SCÈNE VII ET DERN I E RE. SOPHIE, BELVAL, LA FLEUR, Belval. E H bien , la Fleur! ce Monlieur 1'as tu conduit a fon cinquième. La Fleur. A fon cinquième , Mönfieur ? C'efi:, je vous affure, quelqu'un de grande importance»,  «funirtBDvooMiBigir- Bon.' n,. . La Fleur. Comment,faquin>en ricanam? En.'oui,mafoi, ;e vous dis Ja vérue'Belval, duménuton. la Fleur. Arrivé' a votre voiturp i ■ Ah! Belval. pi«, La Fli«, 4^ eft-a-dire , en hauflant les épaules; Belval. Que dis-tu ? La Fleuj. Ah! rien, Mönfieur.... Je touflbis; ~ . Belval. Oui.. . . Oui, Mönfieur1 A FLKüR' Achève. B£1^  PRÖVERBE. a$ La Fleur. Enfin 11 eft monté, 8c s'eft fait conduire a deux pas d'ici dans un hotel fuperbe; & la preuve qu'il en eft le Maitre, c'eft que le Suifie eft venu avec fon baudrier lui remettre des lettres. Comme il m'avoit ditd'attendre, j'ai vu tout cela : enfuiteil en a the' une de fa poche qu'il a ouverte , & a laquelle il a a;outé quelque chofe , & m'ayant recommandé de vous la donner, avec deux louis qu'il m'a prié d'accepter , vous fentez , Mönfieur, avec quel plaifir je m'acquitte de cette commiffion. Belval. Que peut-il me dire? Voyons. ( En ouvrant la. 1 ettre. ) Elle étoit écrite avant de fe rendre chez moi.. .. Sophie. Oui, c'eft \ quoi je réfléchis ; je fuis bien curieufe Belval. Vous allez le fcavoir. (II Ut.) « IIfemble, Mony> fleur, que vous devrie^ vous défaire de l'habitude r» d'offrir des fervices que fecrettement vous vouspro» mette^ bien de ne pas rendre »>. Ce n'eft que du 'yerbiage que tout cela; je 1'acheverai dans un autre moment. Sophie. Non pas , s'il vous plaït; je veux 1'entendre en? tièremen;. Belval. Mais.... Sophie. Je le veux abfolument.  26 LA*MTINÉEDÜ COMÈD1EN Belval. tut • , Sophie. -Maïs, achevez. Belval continue ( BelJétonnT) FP ^ V°US ^ d* *«* S S o, p h i e. Ehbien!... voyons, voyons la fin. VlTI^itentendu faire d - />- ^ » kvous hnHerciéde votrt vohure ■ eJ} fand ^ —™ Le Comte de Mceurseville. O Dieu! c'eft moi qm fw» complettement fa  PROFERBE. 2? dupe. Ah , Sophie! combien je fufs piqué, fon periifliage m'accable. Sophie. Envérité, Belval, on le feroit a moins: vous phuL0"11 lej°Uer' & ^ Im qU1 S'eli d°nne C3 Belval. . S,X!.al11°riTt re>andre cette aventure , que je ferols humtlie! Un homme de fon rang fera cru Oui - je ne fens que trop que ce caraftère leger auqueï jemeiuisabandonné conduitinfenfiblement a la fatune & a 1'oubh de foi-même. Et ,e me le rappeile: ceft le reproche qu'il m'a fait. Je veux déformais qu on n ait plus a fe plaindre de moi: Je profiterai de mon congé, paree que je ne veux pas pa'lfer pour inconfequenti mais une fois de retour, cabales intngues, jaloulies, j'oublie tout pour me livrfer 1 mon etat. Je n'abuferai pas de mes talens pouraccabler mes camarades, étant bien convalncu que la mpdeftie & la franchife me procureront plus de iatisfacFion que les défauts que je me reconnois ne m ont donné de plaifirs. Sophie. Votre exemple m'entraïne; ce retour fur vousmime achève ma conquote ; & réellement ne fentez-vous pas, Belval , qu'il vaut mieux la devoir au fenrimsnt, qu'a ce luxe & a cette coquetterie ridicule qui n'auroient pu me féduire. Belval. Oui, Sophie , oui, vous avez raifon. La Fleur. Le voiü revenu a lui - même. Cela parohToït  *&LA MATINÊE DU COMÉDÏEN, &v. affez difficile: vous voyez qu'il ne faut jurer dé rien. ' RÉFLEXION. Les Auteurs onteu bien fouvent la bonhommië de fe faire jouer par les Comédiens. Quand ceuxci fe joueroient un peu a leur tour, quel mal y auroit-d? J'avoue que cela feroit extrêmement edihant. F I Nx