818 J 7   pip J-7 A LA H A T E, Chez H. CONSTAPEL, Libraire a la Grande Salie de la Coor d'Hollande.   E ï DESOjILMESï D R A M E EN CINg ACTES ET EN PROSE t Par M. de Monvel Kiprêfenté par les Comédiens Frangais a Am* fier dam le 15 Novcmbre 1785. è AMSTELDJM, Chez ~*,oAR NOËL GUERIN, Libraire. M D C C L X X X V. 318 J»7  acteurs. M. de SlRVAN. Valville, fils de M. de Sirvan. M. de Franval, père. Franval, fils. Desormes, Intendant de M. de Sirvan. Saint-Germain, vieux Doraeftique atta# ché a Valville. Charles ") > Domefliques de M. de Sirvan. Louis j, Deux Fermiers. Clementine, fille de M. de Sirvan. Julie, femme d'un certain age, attachc'e a Clémentine. Domestiques de la maifon. La Marechausee. Sa Scène fe pasfe au Chdteau de M. de Sirvan. un quarf - de - lieue d"une pefile Ville de Provifice.  CMMEÏTTIK ET DES03LMES9 D R A M E. A C T JE P 1 E M I E I. ie Thédtre reprefentc un appartement ëlégamment meuHé: aix quej'en ai bannie.... &quel feroit mon efpoir, en reftant en ces lieux? D'armer une jeune perfonne contrê tous fes devoirs; de la rendre rebelle aux ordres de fon pè. te; a'achever de me psrdre Sc de laperdreelle même, en nourisfant 1'erreurquinousavöit féduits; de 1'arracher des bras paternels, & d'asfocier fon deftin au fort d'un malheureux. qui, tout innocent qu'il eft, n'en eft pas moins traité comme un coapable, que fa familie a rejetté de fon fein, que fonpèreachasféloindelui, quefesamis ontoublié, <% pour qui la douleur est devenue un fentiment d'habitude... fuyons.... je le dois.... 6 mon père !.... que de reproches vous avez a vous faire! ( il ferre plujieurs papiers) partons. ..■ ma liberté m'appartient.... & mon cceur!.... Ie facrifice eft afFreux!... mais je le dois aPhonneur. scène il, JULI E, DESORMES, J U L I E, triftement, JVXonfieur Déformes, Mademoifelle demande fi vous pouvez pjsfer un inftant dans fon appartement.... Ah,Monüeutl... DESORMë'S, avec inyiiélude, Qu'est-ce Julie?  D R A M E, 5 JULIE. Clémentine.',., elleestdans un défespoir!... ah', votre cosur en feroit déchiré. BE S 01 MES, Hélas.' JULIE. Son père fort de chez elle... DESORMES. Eb bien? JULIE. II lui vient d'annoncar 1'arrivée de fon époux futur.... le père du jeune homme arrivé aujourd'hui tnême. DESORMES, (Tune voix étauffée. Oui, ce foir, je Ie fais .. .. ( ü regarde d fa montre ) il cd ftpt feures... dans une heure il fera ici... le fils n'arrivera que demain, JULIE. Monfieur de Sirvan a quitté Clémentine. pour aller au. devant de fon ancien ami.... les larmes defafille, fes raifons contre un hymsn qu'elle abhorre, fes prières, fon de'fospoir, n'ont pu le fléchir,. .. il n'est plus d'espéran- Ce & VOUS VOÜa fépariis fans retour. DESORMES, avecun profond foupir. Sans retour- JULIE. Je Pavois bien prévu... lorsque je rn'appercus de votre araour , ma raifon m'avertit mille fois des dangers qui vous menagoient. Etat, fortune, naisfance, tout vous difoit que vous ne pouviez prétendre a Clémentine, tout devoic Partner contre vous, tout me faifoit un devoirdetrahir votre fecret... je 1'ai gardé: ma tendresfe pour eet enfant que j'ai élevé, fes larmes. vos inilances, l'eftime que vous m'a. vez infpiréj, mon amitié pour vous... tout ma fait illufion. Vous vou; nourrisfiez d'efpeir, & j'embrasfois une chimère qui vouspromettoit le bonheur-.. (.'événement a tout détruit; il m'éclairebien tard fur ;na faute.. .je me la reprocherai toujours; vous & Clémentine devez me Ia reprocher fans cesfe: A 3  6 CLEMENTINE ET DESORMES, un moe vous arrêtoit fur Ie bord de 1'abïme, & sïl s'eft accuffr ^ C'eSt ma feU,e f°iblesfe W «15 DESORMES. avez raiton... tout nous fé/iai-P ;« r■ i g. ' mais v°us •s*- *- s^AS&us&r • JULIE- C'eft encore un myftère. Tout ce que jamu DéWf,., »a.» fils dun Préfident au Parlement'de Grenoble. DESORMES, vivement.' Dc Grenoble, ditesvous? C A hnrt \ t r ■ fuyons; il n'y 'a point a balancci 0 'e fero's'«onnu... JULIE. Comment? DESORMES, mee troub/e. Julie... allez retrouver votre maltresfe J*; i . que faurai 1'honneur de lui parler. d«es-Ioi..; JULIE.- Ah! Monfitur! je crains bien que 1'isfue de r-pc ,<,..<: «e foit funeïte pour eüe. Vous connoisfez Mon(f« "f0?01 van. il aime & fa fillt, & fon fils ■ nS. M 1 f-dfSir" dans le moment de fa cólère, il ne connoV nf V'°lent: accable; fes écarts ne font pas longsTla „^rï^ premiers inftaots font affreux. b al^^ié; mais ]es DESORMES. II eft violent, je Ie fais, mais il eft hon • il . • cceur fenfible .. . . Julie.... n'abandonnez nas' rÜ * W elle a befoin de cunfolation. iaünnez P3* Clémentine, JULIE. Vous pouvez tout fur fon cceur; c'eft a fon bonheur que  D R A M E. 7 vous devez Ie facrifice d'un amour qui ne peut être, pour tous deux , qu'une füuree éternelle de chagrins; parles-lui... repréfentez-fuf... mais, je vous connois, nes veeuxferont remplis, puisque c'eft votre probité que j'implore & que c'eft d'elle feule que je puis tout obtenir. DESORMES, avec fermeté, mais avsc un fsupir. Je fcrai mon deyoir. SCÈNE III. DESORMES, feul. ( II a les bras croifés , £? fon vifage doitpeindre letroub/ede foname 11 rejie un moment immobile , il va fe ietter enfuite fur un fiège. ■Sonfilence n'eft interrmr.pu que par quelqv.es foupirs étouffés, & fe levant avec vivacité:) Je ne ferai point tdmoin du bonheur de mon rival... Certe idéé eft affreul'e'- Queleft-il? quelelt ce fortune mortel qui m'enleve tout ce que j'aime, tout ce que j'aimerai jusqu'au dernier foupir? Grénoble 1'a vunaitre... Son père leconduit ici.. fon père 1'aime fans doutte'. il veut le bonheur de fon fils, puisqu'il ademande pour lui Clémentine, puisqu'il lui donne pour époufe tout ce que la nature a formé de plus parfait! Ah, mon père! fans votreaveuglëment, fans votre foiblesfe pour une maratre cruelle, j'aurois pu. comrnece jeune homme, prétendre a la félicité! Vous auriezpuprévenir mon rivalj'aurois recu de vos mains Clémentine! vous m'auriez donné plus que la vie en obtenantpour votre fils, unbien, fans lequel il n'est plus , il ne fera plus de bonheur pour lui. Ah! mon père, quelle différence! Vous tn'avez accablé dupoids dc votre malédiótion! vous m'avez banni, cbasfé loin de vosyeux... le malheur eft tout mon partage; leslaraies, ledefespoir, voila monavernr.' : DieuxNonnemoi la force ... j'en ai bsfoin. Gr^nd Dieu! ne m'abanne pas... Si ta voix qui parle a mon cceur, 'ent pas cent fois ariêté mon bras défespéré... je ne ferois plus, je ne  I CLEMENTINE ET DESORMES, fouffrirois plus' N'ai-je donc recu la vis que comme un flé m tie ta cólère, & ne me défends.tu d'en fortir que pour en ..perpétuer les tourmens ? SCÈNE IV. •DESORMES, LOUIS, LOUIS. M onfieur Déformes, voila les Fermiers qui apportent de 1'argent. {Déformes eft appuyé fur le dosjïer d'une chaife; il eft ahJorbé aans fes refiexions; il ne voh, n''entend rien; Louis lui crie a ToreUle-) Monfieur. DESORMES, iiftrait. Plait-il ? LOUIS. (A part) Comme il a 1'air agité... {hauc~) Ce font ces Fermiers qui ont eu ordre d'apporter de 1'argent. DESORMES. 'Avec agitation.) Oui.... Eh bien puisqu'ils font la... {revenain a lui I faites les encrer, je vais les recevoir.... ( Apa.it.) Tachons de furmorjter mon trouble. L O U I S, ( l'obfervant £f h part.) Ce garcon- ladepuis quelque tems ajene fai qui dansli tête... {II fait quelque pas pour fortir, £f revient.) Monfieur fauroit il fi Monfieur de Valville elt rentré? Son père le demande. DESORMES, avec diftraüion. 0_ui, Valville'i le frère de Clémentine? LOUIS. Oui, Ie frère de Mademoifelle.., (a pirt,') Maisaquoi penfe-t-il donc ?  DRAM E, 9 DESORMES, toujours prêeccupê. je ne 1'ai pas vu de la foirée. LOUIS. Comme ce Chateau n'eft qu'a un quart de Ileue de la Vil Je, & que probablement il y eft allé, il pourra être retour pour fouper. (Voyant que Déformcs ne lui répond pas.) Oh! il y a du dérangement dans ce cerv-au-la.. .. («»x Fermiers) entrez, Mesfieurs, entrez : Monfieur Déformes va vous expédier. C11 fort en regardant Deformes, en témoignant Ia /urprife 011 il eft de fes diftraüions- ) SCÈNE V. DESORMES, DEUX FERMIERS, LE PREMIER FERMIER. "Votre ferviteur, Monfieur Déformes; nous vous avons furement fait attendre , * mais te n'eft qu'hier que nous avons regu votre lettre. DESORMES. Ce n'eft ausfi que d'hier, mes amis, que j'ai fgu de Monfieur de Sirvan le befoin qu'il avoit de la fomme que je vous ai demandée de fa part. LE SECOND FERMIER. La voila, que neus apportons. DESORMES. C'eft cinq mille francs pour vous, je crois? LE PREMIER FERMIER. Etfrptquejetiens, c'eft le compte, Monfieur Défarmes, nous aurions eu befoin d'une rêmife ou du moins de quelque délai; 1'année n'a pas étè bonne. B  10 CLEMENTINE ET DESORMES, LE SECOND FERMIER. Sans des amis, nous aurions été bien en peine. DESORMES. Soyez perfuadez ques'il eüc dépendu de moi, vous eusfiez obtenu du teuips. LE PREMIER FERMIER. Oh! nous Ie favons bien: vous êtes bon, compatisfant; 11 vous êtes jamais riche & fi vous avez des terres, heureux ceux qui feront vos Fermiers! vous entrerez dans leurs peines; tous les événemens ne vous feront pas égaux: vous femirez que Ie travaileft toujours lemême, que Ia terreeft toujours trempée de notrefueur, mais qu'elle trahit bien fou»ent nos e^pérances; vous n'exigerez pas de ceux qui la mettent en valeur, de vous donner beaucoup quand ils n'auront rien recu... vous ferez leur père & ils vous bé. niront. Que tous les gens rfchesne vous resfemblent ils? DESORMES. . Je vous remercie, mes amis; mais c'ell Ie portraitde M. de Sirvan que vous venaz de faire : malheureufement pour vous il ne pouvoit fe pasfer de eet argent , il ne doit pas lui refter, c'eft pour en obliger un arm". LE SECOND EERMIE R. En ce cas-Ia j« n'ai plus de regret. DESORMES, fut en leur parlant dans le courant de la Scène, a fait leur quittances les leursprefente: Voila votre quittance .... Oui, c'eft celle ci..,« Voila la vétre. LE PREMIER FERMIER. Grand merci. LE SECOND FERMIER. En voila pour quelque tems. DESORMES. Vous ne partirez pas ce foir ? LE SECOND FERMIER. PJon pas, il eft nuitclofe. ..demaina. la pointe du jour.  ï> R A M Ë. IE LE PREMIER FERMIER. Mais , nous vous arrêtons; vous avez peut-être des af. Faires.? Adieu, Monfieur Déformes. LE SECOND FERMIER. Nous nous recommandons a vous. DESORMES. Adieu, mes bons amis, portez-vous bien. SCÈNE VI. DESORMES, feuh (// laisfe les facs fur le Secrétaire ouvert, ildt't, après tin moment de réflexion. Je n'irai point parler a Madermifelle de Sirvan.... Ells ignore que je dois partir cette nuit... aurois-jela forcede lui cnchcr?.. Non, elle liroït dans mes ytux, dans mon cceur... & fa douleur, fes larmes..,. Je n'irai point lui parier... j'acheverais de me perdre... Get écrit 1'inftrui. ra de ce que ma bouche ne pourroit jamais lui dire; je ne verrai point fes pleurs.... elle ne fera point témoin de mon défespoir. On vient. .. (// apperpit Clémentine, Je leve vivement.') C'eft elle .... (avec une joie involoniaire.) Je la verrai donc encore une fois! SCÈNE VII. CLEMENTINE, DESORMES. DESORMES. (II va au devsnt d'elle elle verfe des Varmes, £f détourns 'latête pour les cacher aDeformes. C^Lémentine! Grand Dieu! que) é"tat eft Ie vótre! A« nom duCiel, calmezv ous, votre douleur rn'accabls. B 2  ia CLEMENTINE ET DESORM E CLEMENTINE, après s'être asjife. Ah! Déformes ! veus m'abandonnez.. .vous me laisfez feule, & livrée a ma peine mortelle... vous fouffrez que J'on me facrifie... & vous m'aviez dit que vous étiezd'un rang a pouvoir prétendre a ma main! DESORMES, ^ Je fuis né d'un père qui tient un état diftingué dans une des premières. Villes duRoyaume: Mon fang eft noble; le nom de mes ayeux, connu peut étre avec quelqu'avantage.., mais je n'en fuis pas plus heureux. CLEMENTINE. Pourquoi m'avoir toujours caché 1'origine de vos peines? Pourquoi ne vous être point ouvert a mon père? il eütpu vous fervir. DESORMES. J'ai dü me taire, fouffrir en filence, & ne point révéler un fecrot dont la connoisfance eüt fait rougir cdui de qui j'ai recu le jour. Une belle mère a caufé toute mon infortune... mon père 1'adoroit; il me facrifia a fa tranquilité perfonnelle; je n eus d'autres torts que des inconféquences pardonuables ama jeunesfe. Ma belle mère. pour avancer un fils, unique fruit de fon mariage, empoifonna ma conduite, aux yeux de fon époux. il Ia crut : trop fier pour favoir fléchir, je défendis mon innocence & mes droits, fans doute avec trop de chaleur: On me fuppofa le? plus affreux desfeins ? II n'eft point d'horreurs que 1'on ne m'imputat. Mon père, excité par les confeils de fa femme, obfédé fans cesfe, & perpetuellement aigri, me bannit de fa préfence, ic m'accabla de fa malédiftion. . CLEMENTINE. Quelle rigueur dans un père ! DESORMES. J'apprends, par des voies indirtcles, que 1-on fepropofe de m'enlever ma liberté; je fuis loin des lieux qu m'ont vu inaltre. Apres avoir long-tems erré, j'arrive er fin dans ce fejour; je vous vois, je vous adore, & tous mes miux font oubliés. L'Etat d'intendant, eet état fi peu conforme  B R A M E, 13 amanaisfance, s'ennoblit a mes yeux, dés qu'il me rapproproche de vous. Préfenté a Monfieur de Sirvan, par un vieux Militaire, qui me connoisfoit asfez pour répondre de moi, votre père accepte mes fervices... & j'ai vainement espéré de la fortune &dutems, une rcvolut:on qui me permit d'aspirer è votre main. CLEMENTINE. Mais pourquoi n'avoir pas cheichd les moyens de vous juftifier aux yeux de votre père ? DESORMES. Mes Iettres ont été interceptées; les démarches de mes amis toutes infruftueufes: le découragament m'a pris; je n'ai plus fait de tentatives ; depuis fept ans je n'ai rien'appris de ma familie: il y en a bieniót onze qu'elle m'a rejettée de fon fein. CLEMENTINE. Malheureux! avec tant de vertusl DESORMES. Si la vertu n'étoit pas elle-même fa récompenfe, que ferviroit d etre vertueux ?.. Votre douleur feule eft un tourinent qui fur pas fe mes forces. Me pardonnez - vous de vous avoir caufé des chagrins?... CLEMENTINE. Qui ne finiront qu'avec ma vie... mais je ne vous en accufe point. DESORMES. Ah ! par pitié ne déchirezpas mon cceur... (avec e fort.) Vous ne ferez jamais a moi, je ne puis être a vous. CLEMENTINE. Et c'eft vous qui me le dites!... vous cruel, vousavez raifon. Répétez-moi que je ne ferai jamais avous... mais qualle erreur nous avoit donc féduits? Ne devions-nous pas prèvoir?. . Ah je ne vous reproche rien; mon eceur apré> venu le votre? c'est moi qui fuis coupable... mon père Ta prononcé.., dans trois jours... Défoimts j'ai befoin d'un B 3  14 CLEMENTINE ET DESORMES, ami qui me tende une main fécourah'e: c'eft vous que j'im» plore: rappeilez ma raifon qui s'ègare, ioyez mon protec teur, mon appui,... donnez moi des armes contre vousniême! je ne puis étre a vous, guerisfoz mon cceur d'un amour qui faifoit ma fólicité; parlez, je n'espêre qu'en vous, eert a Déformes de me rappeller a moi-même: c'eft a fon courage de me rendre le mien. DESORMES, avec Vefart léplus pénible. . Clé-Jientine! 1'abfenco, Ie tems, les réfiexions, cbanrte ront en v( us des fentimens que le devoir tournera vers 'un autre. Chaque jour ajoutera avoseffons; vous en verrez Ie fuccés, vous vous en applaudirez , & Ja raifon hatera Ia vicloire. CLEMENTINE, le regardantfixement. Puisque vous croyez que le tems triomphera de ma tendresfe, Ie tems éteindra donc votre amour? DESORMES, emporteparlapasfion. Moi, cesfer de vous aimer! jamais! (revenand a lui.) mais je m'oublie.... Mademoifelle, dans trois jours un autre sura des droits fur votre cceur. CLEMENTINE, vivsintnt. Des droits! cn eft-ce un que la violence? DESORMES. Non 1'ame eft libre, mais elle doit immolcr fa liberte* k des devoirs de convention, quand ces devoirs intéresient le bonheur de lafociété. Surmonter fes pasfions, eft fon emptoi continue!: elle Ie doit, elle Ie peut , fi'l'effort eft pénible, ah qu'il eft doux de fe dire, je fuis environnrf d'êtres dönl n félici'é eit en moi; il m'en a ccuté pour Ja leur procurer ; mais j'ai con.battu, j'ai triomphé, i!s font heureux & leur bonheur eft mon ouvrage. Voila ce que dira Mademoifelle de Sirvan en voyant fon époux, fes enfans, fon père; elle fera tranquille, fe fouviendra de moi , & ne s'eo fouviendra jamais qu'avec un fentiment d'eftime. CLEMENTINE. Ah.' mon ami, vous n'avez point réusfi.... vous avez  D R A M E. »5 ajouté a 1'opinion que j'avois de vous , & vous n'avez point affoibli mon amour. DESORMES. Mademoifelle. CLEMENTINE, avec un efort marqués Je ferai tout pour me vaincre... je défsspére d'y parvenir... mais j'emploierai tous rnais efForts... (avec le plus tendre inürêt.') & vous! vous! que deviendrez-vous? DESORMES. Il-eft toujours al'honnête-boinme des voies permifes pour échapper a 1'indi^ence- La guerre eft allemèe, j'ai <.!éja fervi, je fervirai, je fuis que la iortunequ'on fait par le métier des arrr.es eft lente , & quelque fois plus brillanteque folide, je fais que le courage e!ï fouvent oublié ; mais il eft beau de fervir fa patne, düc-on mê.ne un jour avoir a Ia taxer ü'ingratitude. CLEMENTINE. Eh bien éloignez vous , fuyez-moi, fervez votre pays , mais ménagez vos jours; ils me feront toujours bien chers! Souvenez vous deClémentine quine vous oubliera jamais... adieu, Déforrces', adieu... Votre rang eft égai au mien , 1'hymèn auroit pu nous unir, un père aveuglé vous acca ble.... bien-tót nous ne nous verrons plus; je vous aime.. .. & je ferai 1'époufe d un autre. (Elle s'èloigne lentement, toujours en 'regardar.t Deformes, il la fuit triftement des yeux: ils font tous deux un gefte qui témeigne leur défespoir , &f Clémentine rentre dans Jon appartement. )  ié CLEMENTINE ST DESORMES, SCÈNE VIII. DESORMES, Jeul. Qvertu! derair! êtes.vous fatisfaits? Le facrificeeft• ü asfez entier? C'en eft don.c fait, & je viens de lui dire un éternel adieu. Remettons cette Lettre a Julie... elle la rendra a Mademoifelle de Sirvan, quand je ne ferai plus ici ... hélas cette nuit je n'y ferai plus... c'eft pour Ia dernière fois, Clémentine, que vous entendrez parler du malheureux Déformes. Mes comptes font en regie, & je puis maintenaat,... Une voiture entre dans la Cour.. . fèroiwe déja? ... (il va vers la feiiétre) une chaife de postel... il n'eft donc plusd'etpoir.., C'eft le pèredel'époux futur de Clémentine... partons fans différer... mais j'oubliois.... Ah! fuyons, & ne nous expofons pas a des queftions.., mes effets me feront rendus. . . Que mon repos, que celui de Clémentine n'eft il ausfi asfuré'. portons eet argent a ma caisfe & renvoyons en la clef a Mon. fieur de Sirvan, lorsque.... SCÈNE IX. DESORMES, JULIE, LJ U L I E. e prèfident arrivé, il descend de voiture, voila 1'appaitement que M. luideftine; il peut s'y rendre dans un in-, ftant, vous le verrez.-. vous le faurez... DESORMES. (II ixoit debout devant Jon bureau ouvert quand Julie ejl entrie. Il avoit deux Jacs dargent Jy,r un bras '& s'apprètoit a en prendre deux autres, lorsque (coulant Julie, & cédant a jes craintes, il rejette les Jacs dans le Secrétaire lepousje Jan: le fermer, y laisje la clef, £?tout plein de Jon trouble il dit a Julie, en lui prejentant la Lettre qu il vient d'éctirei) Ah • Dieu! non.... je me puis...» Julie.... faites.  D R A M E, 17 .mei ramitié de rendre cette Lettre a Mademoifelle de Sirvan. JULIE. De votre part? DESORMES, Oui. LOUIS. A 1' inflant même? E) E S O R M E S, avec le plus grand trouble. Non, non-., Ah'. Julie! je vous le demande en gra» ce. . cefoir... cette nuit... ne la lui rendez que dë. rnain. JULIE. Demain, foit. DESORMES, d'une vaix étouffé* Adieu, Julie. JULIE.» Quoü l'on ne vous reverra point? DESORMES, d'une voix coupée par les fanglot's. Nc Ia quittez pas.. , ayez pitié d'elle... confolez la... je n'öüblierai jarr.ais tout ce que vous avez fait pour moh.- dices lui... qu'elle ne fortira jamais u;i moment de mon cceur... que jufqu'a la mort... Ah Julie adieu.. „ mes pleurs vous difent trop... mais je le dois. r. adieu... SCÈNE X. JULIE, feule. 'A H.' ! malheureufe Clémentinet-fes larmes m'onttout appris... ils ne fe verront plus. 6  18 CLEMENTINE ET DESORMES, SCÈNE XI. JULIE, S A I N T -;G E R M A I N. SAINT- GERMAIN. O U donc eft M. de Valville, Julie? fou père le démande depuis une heure. JULIE. Je ne fais pas. Voila plufiems fois qu'il ne rentre que bien avant dans 'a nuit-.. cela ne lui écoit pas ordinaire. Votre maltre fe dérange , Saint Germain. SAINT- GERMAIN; Si Monfieur de Sirvan le favoit, inflrxible comme il eft, cela feroit un beau bruit... n'en paiïez pas... c'eft peut étre quelque folie dc jeunesfe... quediable auffi voila ce que c' e!t que de ne pas donner auxjeunes -guis une honnête liberté... I'excès de féverité leur eft auffi nuifible qu'une trop grande indulgence. JULIE. Queluiveut Monfieur de Sirvan? SAINT.GERMAIN. lldoitpartiracinq heures du matin avec moi, pour aller audevani de fon futur beau-frère, Monfieur de Franval le fils... car on fait enfin le nom de cetépoux fi long.tems inconnu. Une affaire d'honneur 1'avoit oblfg férer un hymen que je n'envifa-e qu'av^c horreur. Mon frère est érroi'ement lié avec iui, c'est cequ'il viènt dems dire...ils fe connoisfoient des 1'enfance.. . Hélas Vaiville ignoroit que c'étoit a eet ami /Icher que 1'on me deftinoit, il eut déja fans doute' employé le pouvoir qu'il doit avoir fur lui, pour ie disfuad-.r dc notre alliancd Valville me fervira, je Ie prierai, je le conjurerai d'attendre Mo; fieur de Frar;val fur mon fort mfortuné... Mon frère estil encore a table ? JULIE. Oui, Mademoifelle, j'ai ciu lui voir un air bien trifte,: CLEMENTINE. Mon père est fi févere... malgré Ia bonté de fon cceur, « fa tendresfe pour nous, il a qutlquefois des emportemens fi cruels... fa violence eft fi terrible, qu'ii nous a toujours infpiré plus de crainte qua de conriauce... Héla= ! s'ilavoit cu pitié de fa f51 Ie, li mts larmes I'avoient touché, je ne ferois pas dans 1'etat hnrrible on jo> me vijs! cir je fens bien que mon état eft affreux. J'ai r cu du CW un earac* tére naturel U-ment enclinila mélancolié; née a/ec u-, cceur malheureufement trop fenfible, les impresfiont que j'y reqois font ineffacables, Vous me connu'sfez, Julie; vous favez fi le changement eft fait pour moi; s'il eft posfibie que je voie jamais avec indifférence, ce qui fut pour moi 1'pbjct du plus tendre attac'iement. jugez li jamais il eft poifible que j'oubüe Déformes, li je puis jamais prétendre a voir un autre le remplacer dans mon cceur, & s'il eft en moi de former le plus refpeflable des liens quand je btflle d'ua feu dont Thymen me feroit un crime! JULIE. Non, je vous rends juftice; mais vous connoisfez 1'étendu. des devoirs que vous impofent Sc le nom defille, 6c celui d'époufe que vous allez porter. Vos réfltxions, Ma. demoilélle... Mais on eft forti de table... on vient dans eet appartement..,  D R A M E. 24 CLEMENTINE, aveceffroi. C'est mon père,.. jentends fa voix... je frisfonne...' elle ne m'a jamais fair, une telle impresiion. SCÈNE II. CLEMENTINE, JULIE, M. DE SIRVAN, M, DE FRANVAL. M. DE SIRVAN. On n'a point vu M. Déformes. .. Sait-on oü il eft ? JULIE. Non, Mnnfieur, M. DE SIRVAN,» Af. /<» Fratml. C'est mon Intendant.., vous n'avez pas befoin decetar. gent ce foir. , demain matin vous aurtz toute la f'mme; Déformes vous la comptera: il doit en avoir teqa una partie aujourd'hui. M. DE FRANVAL. Rienne preste; demain, ap^ês-demain , mon ami; n'ayez la-desfus aucune inquiétude. Cette acq'uifition qui me rapproche de vous me tientvivement au cceur; mais quelques jours de retard ne peuvent me la faire mirqutr. (s^appro* chant de Clementine. ) Qa'avez-vous, Mademoifellt ? vous paroisfez incommi dée. M. DE SIRVAN. Ce n'est rien, ce n'estrien; rentrez Mademoifelle. M. DE FRANVAL. Son afpeft feul infpire le plus vif intérêt,..i  ki CLEMENTINÉ ET DESORMES, ( Clémentine regarde Monfieur tic Franyal dlun teil igarè.fait un gejle qui marqué ie defordre de fes idéés; elle revi'.nt a elle. s'approche de fon père, d qui elle prend la main avec vivacité, la lui baife, le regarde, foupire, cf/ori avec Julie.) SCÈNE III. M. DE SIRVAN, M. DE FRANVAL,' M. DE FRANVAL. "^^otis ne m'avez pas trompé, mon ami; Clémentine'eff charmante, mon fils eft doux , il a de bonnes quaiirés, il rendra votre fiile heureufe ; je fuis fur qu'ii le fera avec elie. M. DE SIRVAN. Le changement d'état 1'épouvante: mais Franval eft aitnable, 0 rendra ce changement plus doux a fupporter. M. DE FRANVAL. fe me flatte qu'il lui plaira... II a été-obligé d'aller ren. drè grace au Miniftre, & quelque diligence qu'il air faite, nous n'avons pu, tous deux arriver en mème temsici. M. DE SIRVAN. j'espére demain matin avoir leplaifir de i'embrasfer; mais vous è:es fatigué; iiberté route entiere: Voila votre ap> partement, alle/, vous repofer. M. DE FRANVAL. Puisque vous me le permettez, j'agirai fans f'acon. M. DE SIRVAN. C'est ici, fuivez-moi.  D K A M E. 25 5 C E N E IV. M. DE SIRVAN, M. DE FRANVAL, VALVILLE, SAINT-GERMAIN. M« DE SIRVAN. S aint-Germain, prennez desflambsaur. (A FalmlW) Moniieur, acinqheures du matin vous montcrez acheval avec Saini-Germain... point dc pareffe, jevousprie. VALVILLE. Mon père, j'exécuterai vos ordres. M. D E S I R V A N, i M, de Frar.val. Venez, mon ami. M. DE FRANVAL, a Valville. Monfieur, je vous falue. (Ilsfortent tous deux.') (Valville lui fait la révérence, fcf reftefeul.) SCÈNE V. VALVILLE, feul. (II fe promene quelques momens en filence, il al'airturité) \ . jen en trouve rien... aucun moyen ne fe préftrte .. i[ ü'y a cepsndant pas areculer, ma p.üole d'honneureft énganée... Ma s parquelle fatalité, moi qui n'eus jamais ce t° pasfior1 funefte, me fuis-je lafsfé emporter? Un morrient aoiiivéré... des liaifuiis que j'aurois du fuir.., AH il dé* penJ de nous d'arrêcer les commencemens du vice; mais apres Ie premier pas, il nous entraine, it nous fubjug* u nous cmjcche de revénir en aniere.,. Si je parviens 1 ü  BfJ CLEMENTINE ET DESORMES, me tirer de eet abytne, jamais, jamais je n'aurai pareille fairte a me reprocher... & i! faut partir demain!.. AM Ciei! quel parti prendre ? a quel expédient recourir? SCÈNE VI. VALVILLE, SAINT-GERMAIN» SAINT-GERMAIN, rentrantavec unflamleau. V ous etes encore ici, Monfieur ? VALVILLE, toujours fort agité. Oui. SAINT-GERMAIN. Vous n'aüez pas stoute cucher? demain , a cinq heures du matin il faut être a cheval. VALVILL E. ƒ« pramenant avec inquiétude. Je le fais bien. SAINT-GERMAIN, Vexaminant avec furprife. Qu'eft-ce que vous avez, Monfieur? VALVILLE. Rien. SAINT-GERMAIN, l'obfervant toujours dun aii inquiet. Rien... rien... Vous n'avez point ordinairement 1'air fi rifte... vous n'avez point loupé ? Vous avez quelqua cbofe que vous ne voulez pas liire ... VALVILLE. Non, je vouslerépéte... je fuis très-franqullle. Se prontenant touiours de l air ie plus ag'tt par-lant a lui mtme:) Cn .que iuftant aj UW a mon embarras !.. II faut cgptndaue oc'^&er ma paroiu,: ou je fuis deshoj.ortf.  D R A M Ë. 27 SAINT-GERMAIN, p'ofant vivement fon fianibeau fur une table £jf fc rapprochant ae fon maitre. Deshonoré, Monfieur.' expi:'quez-vous... VALVILLE, après un fiknee, regardant SaintiGer* taain, avec le defir de s'e.xpliquer £7 la cfainte de ie faire; lui prenant vivement la taain & avec un grand joufiir. Mon ami. .. SAINT-GERMAIN. Motsfieur. VALVILLE. Je fuis dans la pofiiion la plus affreufe!.. SAINT-GERMAIN. Ah! Monfieur! vous m'eflïayez! Qu'est-ce-que c'qit donc? Vous êtts-vous bauu ? devez-vous vous battre.? ParJezdonc, Monfieur, parlezdonc? VALVILLE. J'ai joué... j'a; per du. SAINT*GERMAIN. Beaucoup ? VALVILLE. Mille iouis! SAINT-GERMAIN. Ah! Monfieur ! VALVILLE. Je n'en avois que cent fur moi, j'ai perdu le refte fut ma parole. SAINT-GERMAIN. Et comment lerez - vous. VALVILLE. ]e 1'ignore. D a  a8 CLEMENTINE ET DESORMES, SAINT-GERMAIN. Mille louis 1 & ii Monfieur votre père en étoit inftruit... VALVILLI. Ah' Ciel! Saint-Germain ne me trahisfez pas... vous connoisfez mon père. SAINT-GERMAIN. Je me tairai... lui, qui regarde Ie jeu, comme Ia plus runefte des pasfions... il ne vous le pardonneroitjamiir... mais, Monfieur, eftce a vous de hafarder une fomme fi eonfidéiable? étez-vous votre rnaitre? re dépendez-vous pas de 1'bomme Ie plus fevère, d'unhomme intraitable fur toutes les folies de la jeunesfe? VALVILLE. Je me fuis trouvé engagé... on perd, on s'obftine;p!us Ja fortune vous eft contraire plus on s'opiniatre a la brusquer; & 1'espoir de réparer une première perte, vous emralnc enfin dans une ruine totale... Voila mon hiftoire. SAINT-GERMAIN. Et votre parole d'honneur eft donnée? VALVILLE. Je n'y puis manquer fans me couvrir d'infamie. SAINT-GERMATN. Et quel eft votre Créancier? VALVILLE. Un Officier étranger, qui part a quatre heures du matin, & a qui j'ai promts qu'avant trois heures fon argeut feroit chez lui. SAINT-GERMAIN. Et il n'y a pas moyen d'obtenir un délai? VALVILLE. D'un homme qui part, d'un étranger que je ne verrai peut ■ être jamais.  D R A M E, SAINT-GERMAIN. Mais, oü trouver une pareille forame?.. J'ii bien une centaine de louis; c'est tout ce que je posfede, je vous 1'oftre de tout mon cceur. VALVILLE. Ah! mon ami... mais cela ne fait pas le demi-quartde la fomme ... SAINT-GERMAIN. Eh! vraiment non, VALVILLE. Que vais je devenir? SAINT- GE RMAIN. Ma foi, Monfieur, il n'y a qu'une chofe a faire... II faut affronter Ia tempête; votre père n'eft pas encore endormi, entrez chez lui, avouez tout. VALVILL E, avec la plus grande vivacité. O Ciel! direa mon père... & qui fait jusqu'oü pourroi> aller fa fureur? SAINT-GERMAIN. Mars comment ferez-vous? VALVILLE. Tu connois mon père & tu me propofes... dans Ia premiers violence, il n'eft peut-être point d'extremités auxquellesiliie feportat... Non, non, jecrainstropfacWe. SAINT-GERMAIN. Je me mets a la torture, & je ne vois rien, rien qui puisfe vous tirer d'affaire. VALVILLE, nbbaxtu par le défespoir, £? d'une voix abjoli/ment ètouffée. Toute cette Scène qui fe paue a cdié de la chamlre . oü répofe M. de Franval, > dikte a de. mi votxj Éf lorsque les Aéfeurs Jont forcés de réiever il e/t nécesjaire qiïils conjervent toujours Vair decrainte quils doivent avoir, d" étre entendus de Vappartenent VDtfin, D 3  3o CLEMENTINE ET DESORMES, Ah! Dieu! que je fuis a plaindre'. Si j'si Commis una fauce, que je fuis cruellement puni. (En difant cela, il tombe as/is fur le fauteuil, placé pris du fécetaire de Déftnnes; fa main en touche involtntairement la clef; il leve les yeux, Papperpoit, ouvre le Jécrtiaire qui n'etoit que pousjé; il voit les Jacs dargent, les regarde avec tviditi, ferme prècipitament le bureau , s'en éloigne , y revient; après quelques ntomens de Vagitation la plus marqué e, il dit a Saint (Jennain, qui pendant cette pantomime de Valville Jembloü réfigchir profondement. Saint •Germain... SAINT-GERMAIN. Monfieur... VALVILLÏ. Puis-je compter fur toi? SAINT-GERMAIN. Est ■ ce que vous cn doutez ? VALVILLE. Non mon ami... mais donne-moi ta parole, qnequoiqae je te dife tu n'en parieras jamais. SAINT-GERMAIN. Je vous la donne, Monfieur. VALVILLE. Ecoute... je tremble de te le dnre... II y a dans ce fe. eretaire... SAINT-GERMAIN, réculant d'efroi a. ce Jeul mot de Calville. Ah! Monfieur. VALVILLE, avec la plus grande vivaciti. Avant de me condamner écoute moi, je t'en conjure...' Mon père n'ouvre presque jamais ce bureau. Déformes ny travaille que le foir; & pour être plus a portee de lui...' je porterai ma dette a mon Officier; nous partiron» fur le  D R A M E. 31 ehamu; nous irons au-devant deTranval, a qui je conterai mon hiftoire... II vient d'hériter du bien de fa mère; le desfein qu'il a de fefixer ici, 1'acquifition qu'il compte faire dans levoilïnage, fuivant cequenous a dit fon père, tout 1'aura mis danspa nécesfrté d'apporter avec lui de l'argent 1 il eft trop mon ami pour me refufer des fecours dans, une crife ausfi terrible, il me donnera tout ce qui m'est nécesfaire, j'en luis für; je remettraiia fomme oü je I'aurai pri. fe; elle y fera demain dans 1'après»-midi, & fon n'aura foupcon de rien. SAINT-GERMAIN. Monfieur, je n'y confentirai jamais,.. vous devez rougjr feulement d'y penfer. VALVILLE. Mais 1'embarras oü je fuis, Ia févérité de mon père , tout me juftitie. SAINT-GERMAIN. Rien, Monfieur, rien ne peut vous juftifier: vous avez donné votre parole d'honnieur ? vous avez eu tort, vous ne deviez pas le faire. ,. Un honnête ■ homme n'engage ja. mais fa parole, quand il ne prévoit pas pouvoir y fatisfairo; vous êtes dans cecas,vous avez eu tort, vous avez eu ton. VALVILLE. Eli bien, j'en conviens; mais il n'eft plus de remedc. SAINT-GERMAIN. Fakes ce que vous voudrez, je m'en vais; je ne ferai point votre complice,.. je fuis un domeftique , mais j'ai de la probité. ( Jl fait quelquespas pour fortir. ) VALVILLE, le retenant. Saint-Germaia; mon ami; ne m'abandonne pas. SAINT-GERMAIN. Non, Monfieur; non, vous êtes Ie maitre; mais je na vous ptêterai pas la main,-. je cours averür votre père.  32 CLEMENTINE ET DESORMES, VALVILLE, avec la plus grande vivacitè. Saint Germain ! gardez-vous de me pousfer au défespoir.. ^ Fiëmisf-z, je fuiscapable de cout. SAINT-GERMAIN. Tncz-moi... vous le pouvez, . Tuez-moi, vous ne me furceicz point a m'avilir. VALVILLE. Si vous me trahisfez... ne craignez rien pour vos jours... je ne fuis pas un monfhe; mais je fuis un honnne perdu , déftspéré...Si vojsayerdsfez mon père.' Ah! Dieultrernbiez! je ne répmdsplus de moi. ..je fuiscapable de tout... vous vous rcprocherez ma mort- SAINT- GERMAIN, avec le plus grëni effroi. f Ah! Ciel! Ah! Manfïeur, Monfieur, qu'ofez-vous dire! VALVILLE. I.e tems s'écoule, Ia nuit eft avancée... Vous pouvez me perdre, vous pouvez me fauver. SAINT-GERMAIN. Te me jt.tte a vos eenoux .. Mon maitre 1 mon cber Mattre! au nc n de foins que j'ai pris de voire enfance, ayez pitié de vous - niéme ..., Vous vous perdcz , vous vous deL.honorez.' VALVILLE, fait un pas pour fortir. Vous ne ie voulez pas? SAINT-GERMAIN, en élevnnt la voix , toujouts « gér.oux £f retenant Valville. Mon Maitre)..* VALVILLE. Taifez-vous... Taifez - vous... Si vous criez, vous haterez ma peite. SAINT-GERMAIN, toujours a génoux, s'oppofani a Valville qui veut fortir. Mon Maitre! mon cher MaitreI ,  DRAM 33 VALVI L L E , fe dsbarrasfant des mains de Saint-Germain. Laisfez-moi... SAINT-GERMAIN. Oü courez-vous ? VALVILLE, faifant un dernier effort £? ƒ" débarrasfant de Saint-Germain. M'arracher par la mort au crime qui m'environne. SAINT-GERMAIN, fe rejettant Jur Valville, ie re. tenant a brasfe-corps, & lui difant d'une voix éteinte \ Ah. Dieu!... Eh bien, que faut il faire Vous vous perdez... Vous me perdez... VALVILLE. O mon ami! je t'entralne avec moi dans Pabyme... Mais le malheur... Mais la 1'ataÜté. (II Ventraine vers le Secrétaire. ) SAINT-GERMAIN, réfiftant. Comme le cceur ntc bat!.. Ah.' Monfieur, qu'eft-ceque nous faifons? VAL VILLE , pofant la main fur la clef, £f pret a ouvrir, s'arrétant. O fuite affreufe d'une prèrhjere farit e! (// ouvre le Secrétaire , fjf recule un pett,fe eachsnt levifage de fes mains ) SAINÏ-GERMAiN, reculant d l afpeil du Secrétaire o/ivert. II eft ouvert! .. . (Il tient le Jlambeau d'une main, £ƒ de fautre il arvète fon maitre.) ne prenez rien.... Ne prencz rien... VALVILLE, lui metiant la main fur la bouche. Taifez-vous donc... Taifez-vous. SAINT GERMAIN, arrétantfon Maitre qui fait un par vers le Bureau. Vous me perdez... E  34 CLE ME NT INE ET DESORMES, VALVILLE, obligé de s'appuyerfur le Secrétaire, tremblant, pdle; la voix éteinte. La rerpirationmemanque... Mon état eft pour le moins, ausfi affitua que le vètre... SA^INT-GERMAIN, tomhant fur le fiègeacóti du Bureau. Ah 1 Monfieur, s'il en coute tant pour faire un crime , comment fe trouve-t-il des criminels? VALV ILLE, lui mettantplufeurs facs fur les bras, prenant nusfi, ouvrant un tirair oü il y a des rou* leaux d'or , les prenant, & refermant le Sécrétaire Jans en óter la clef. Ma fomme fera complette... Retirons-nous... Partons, tout de fuite... Je vais dégager ma parole, Demain matin, grace a Franval, tout fera réparé... hors !a honte d'un cnme, qui, pour être ignoié, n'enpèfcra pas moins fur mon cceur. (Ils fortent ioucement.) Fin du fecond Acii,  ACTE III. SCÈNE PREMIÈRE. (Le jour a rcparu pendant 1'entre-sJcle.) CLEMENTINE, JULIE. JULIE. ^^.uoi! mon nrrin'é n'obtiendra rien de vous ? La nuit entiere s'est pasfée dans les 1'armes, & le jour vient de neus furprendre; vous, repousfant avec obüination les foinsde ma tendresfe, & moi vous rappellant en vair ce que vous devez a votre j ère, a vous-même... M idemoifelle. CLEMENTINE. (Elle est asfifè , elle iieht la Lettre de Déformes; Jon agitation est vifible.) Je ne le verrai plus!. JULIE. Ah! pourquoi vous ai-je rendu cette Lettre? CLEMENTINE, de fair le plus fombre. C'en eft donc fait!... Tout est fini pour moi. JULIE. Rentrons dans votre appartement... Tout le monde peut être ici téuioin du defordie afTivux de votre ame... E 2 *5  36 CLEMENTINE ET DESORMES, CLEMENTINE, toujours d'une voix ttaujfée. Cette lettre estl'arrêt de ma mort... II me dit une'ternel adieu, je n'y furvivrai pas. JULIE. Voici 1'heure oü votre père viendra fans doute trocver M. de Fntiv-il.,. II pasiera par ici... Que dira-t-il de 1'état on vous ê-cs MademoifelleV... M. de Sirvan va venir. CLEMENTINE, toujours asfife, fcf fe jettant dans ks bras de Julie. O ma tendre arme! je n'ai plus que toi dans 1'univers. Déformes s'cft a j mais féparé de moi... Mon père me repousfe.. Tous les cceurs hors Ie tien, Julie, fe font fermés pour moi ... Je me j;tte dans ton fein... Ah! n'aio p s comme tout ce qui m'environne, la barbarie d'infulter a ma doul. ur! Je n'ai plus que quelques momens èfouffrir. Va . le fpectacle de mes maux ne fatiguera pas long-terns tes re. irdï. . Si tu msfuis, qui recevra mes derniers foupiit? Si tu m'aba; donnés, qui fermera mes yeux ?... Juiie... JULIE, avec la compasfion la plus tendre. Qui? moi, vousrepousfer? Moi, pe pascompatiravos pc es? Et c'eft a moi que vous témoignez ces appréhenfions? .. Mais. Clémentine, quel eft le'défespoiroii votre creur fe plonge? QuoiJ les principes les plus chers, vos rérlexions, eet empue que je vous ai toujours vu fur vous. même, tout s'a. éantit devant une pasfïon infenfée? Songez que tout vous fepare de Déformes; que vous ne vous reverrez jamais. CLEMENTINE. Non jamais! , JULIE. Songez qu'un autre aura bientót Ie droit de vous repro, cher des fentimens injurieux pour lui, & coupables en vous. CLEMENTINE. Je vois quel forr m'eft réfervé... Mais te! eft mon chofx, q'je je ne puis lougir de mes feux, les cefavouer, ni les efélndre, -  D R A M E. 37 JULIE. Ouelqu'un vient.. C'eft M. de Sirvan! Ah! S'il fe peut, oéiubez-Iui vos larmes. SCÈNE II. CLEMENTINE , JULIE, M. DE SIRVAN, LOUIS. M. DE SIRVAN. M e faire remettre Ia clef de fa caisfe.... Sans raifon, fans explication!... Voila qui est très-particulier!.. Comment, il n'egt pas rentré de cette r.uit? LOUIS. -Depuis hier au foir, Monfieur, perfoRne ne 1'a vü. CLEMENTINE, bas a Julie. On parle de Déformes. JULIE, bas h Clémentine* Contraignez-vous. M. DE SIRVAN. _ J'ayouequeeelamefurprend;1lauroitau moins dü m'a ver. tir (ju il allo.t a la campagne... Probablement il y ell allé. LOUIS. Perfonne ne fait oü il est. M. DE F R A N V A L. Mais I'argent qu'il a regu hier, oü eft.il? LOUIS. Tl l'aura fars donte dépofédans ce Secrétaire fur lequel il travailloit quand vos fermiers font venus le lui apporter je  38 CLEMENTINE ET DESORMES, ne fai pas cequ'avoit hier au foir M Déformes, maisilétoit bien iriite; il avoit des diftraclions finuuiières: je 1'ai vu dans une agitation a laquelle je ne c .mpienois rien, M. DE SIRVAN. 1! est viai que depuis quelques jours fa conduite est asfez bizarre,,. A queile heure mon fils-eft il parti? LOUIS. Avant qtiarre heures, M. de Valville, & Saint-Germain étolent a cneval. M« DE SIRVAN. Savez-vous fi M. de Franval est éveillé? LOUIS. II 1'est, Monfieur. M. D E SIRVAN. Je vais pasfer dans fon appartement. ISlOESMIEIElEïlE KW'MWWEMM'EK'KWMMM SCÈNE III. Les Aüeurs prècèdens, C II A R L E S. CHARLES. M . Déformes est parti, Monfieur. M. DE S I R V A N. Comment? CLEMENTINE, bas h Julie qui lui fait figre de Je contraindrc. Ah.' pourquoi fuis-je iet ? C H A R L F S. Oui, Monfieur, je viens de le voir.  DRAM 1. 39 CLEMENTINE, basdjulie. II I'a vue I CHARLES- Mafg il est parti, Monfieur, pour ne plus revenir; ill'a dit, je 1'ai entendu, M. DE SIRVAN. Parti! cela ne fe peut pas... Sans me parler... Sans m'avertir... Tous fes effets font encore ici? LOUIS. Oui, Monfieur, dans fon appartement, CHARLES. Monfieur, j'ai 1'honneur de vous dire que je viens de le voir ; j'arrive de la Viile, il en fcrtoit; il diioit adieu a un aini II avoit l'air égaré, il étoit fi défiguré que je 1'ai presque méconnu. CLEMENTINE, s'appuycmt fur Julie. Ah! CHARLES. Etonné de ce que je voyois, je me fuis caché dans un endroit d'oüje pouvois tout entendre fans être appercu. Son ami lui difoit: „ mats pourquoi craignez-vous d'ê'Te décou- vert? Vos traits depuis onze ans, font tejlement chan„ gés, que vous fe.iez méconnoisfabie même aux yeux de ,, votre père. Quand au motif qui vous obüge afuir, les ,, mefures que vous avez prifes, vous mettent a 1'abri de „ tout. Reftez vous dis-je, il peut arriver mille événe,, mens .. Non, mon ami, a repris M. Déformes, il faut „ que je m'arrache au danger... Le périt m'environnc... Adieu, ils ne me reverront jamais. Si vous faviez tout „ ce que j'ai eu a combattre... Un regard, uu feul mot ,, me perdqit.' A ces mots il ernbrasfe fon ami, il monte a cheval & je le perds de vue. CLEMENTINE,» demi-voix. Ah! Julie, que je fouffre!  4o CLEMENTINE ÉT DESORMES, M. DE SIRVAN. Qu'est cs que cela fignifie? Un honr.êtehomme n'eri agit pas de la forte .. Oi; ne fuit pas, on ne fecache point... (// re.;arde lc Secretaire.") Plaife au Ciel que mes foupcons foient inj.ftes! (II va au Bureau, Fouvre. & dit-') je fuis volé.' .. Ah! le uialheureux! (_ Clémentine tombé dans un fauteuil, la téte baisfee, £? dans l'attitude de qudqu'un qui réfléchit, profondement.) CHARLES. Il faut aller a fa pourfuite, il n'y a pasun moment a perdrr..., courons tous,.. M. DE SIRVAN. Non non, laisfez, laisfez ce mifé'rable aller chereher ailleurs la peine due a fa basfesfe: je puis fupporter cette perte ex non me rüfoudre a le trainer a I tchaffaud .. il ne peut i'éviter ; qu'uii autre fe charge dufoinde me venger... {a fa fi'.le ) lui que nous re,jardinns tous comme Ie plus vtrui ux ües hommes, que j'aimais, en qui j'avois mis ma coniLnce . . CLE MEN TIXE, toujours asfife la tëte baisfee, fe parlant a elle v.Ame fans rien voir de ce qui fe pasje amour d'eile. Non, on ne le conncit pas. -. les méebans qui 1'accufent, verrort retomber fur cux tous les traas de leur calomme... j'irai trouver mon père... M. DE SIRVAN. Que d!t elle? CLEMENTINE, fans changer d'attitude. L'expresfion de Ia vérité est bien perfuahve... M. DE SIRVAN, la regardant a'itn air étonné <£? s'approümnt d'eile Clémenrne! CLEMENTINE, fe retourrant avec vivecuè, & comme quelqii'un que l on Jurpreni, Ahl mon pèreJ c'est vous... vous ne foupgonnez point  D R A M E. 4t Déformes... vous re 1'sccufez pas, je lis dans vos yeux Le crime qu'on lui impute, est le plus vil de tous ies crimes, il en est iucapable, ne fouffrez pas qu'on porte c»ntre lui un jugemeht précipité... nous méritons tous les deux -otre eftime; perfonne plus que lui n'cn est digne.& je jure è. vos pieds que j'émbrasfe... M. DE S I R V A N. Dars qnel égarément?.. CLEMENTINE, dans fon dtlift: elle dunne ajon père la Lettre de Deftrm e. Voila Ia Lettre qu'il m'écrit, fifea , c'est un homme vertueux.., je n'ai p .int a rougir... M. DE SIRVAN. Quel est ce papier? JULIE. O Citl! CLEMENT'NE, rtvéhaht un pen è elle f? faifm un mouvement pour reprendre la Lettre. Mon père... ( Pendant que M. de Sirvan fr.it la leffure de la Lettre, elledgeno'.ix devant lui, fovtenue par 'Julie.) M. DE S 1 R V A N. Dieu! qu'ai-je lü? & qu'est-ce que fapprends? (il fft.) „ Je m'éloigne a jamais de vous, je Ie d is ma ené.e C'é„ ment'.ntl (üiance ur. re gard terrible)' a Fféu-p m jVftfaia, oubliez-moi, il le faut , votre !•■'nheur en dépemr. (Ü s'interrom/tt fip dit d'une vuix éto'iffée: . tu pou-zoi* prétendre au bonheur; mais après l'avilisfeuient.. „Votre image ,, rne fuivra par-tout cette im ge adorée me fera reipcchlr » des jours qui vous on- été cners... je vous aitoerai jus„ qu'a la mort... elie n'esi pas Ioin, (il dit) non, non .. ,, \ous m'ai.nez& je vu» perds; mon coeur fe déchire*mes „ larmes batenent ce papier... adiéu chère Clémentine, „ adieu." (il recule, & Clementine toujours a ^enoux , Je laisje tomber en arrière fur Julie, les DomsjiiquesJont eloignes, & Moujieur ds Sirvan Ut la Lsttre de manière aulUs F  4a CL E ME NT INE ET DESORMES, font cenfés ne pouvoir Ventendre, il n'éléve la voix qu'aux k parte, & que pour appelier fes gens. Charles, Louis... allëz, c-urrez tous après Te fcélérat .. mort ou vif... amedlz le , je vous I crdonne. ( Les Domeftiques foriënt tous.) SCÈNE IV. CLEMENTINE, JULIE, M. DE SIRVAN. M. DE SIRVAN. Si j'écoutois ma rage & mon honneur blesfé... c'eft dans ton lang que j'éteindrois tes mëprifables feux. CLEMENTINE, toujours a genoux £? lui tendant les bras. Mon père! M. D' E S I R V A N. Moi, ton père! je ne le fuis plus; je n'ai jamais donrc la vie a celle qui a choifi 1'objet de fon amour parmi ces ctres avilis, deftir.cs ii périr un jour avec ignominie. CLEMENTINE, fe levant avec vivacité, & mar. cliant égarèe. Oü eft-ii, oü est il? qu'il paroisfe, qu'il fe juftifie-.. je 1'aime, il ne peut être indigne de moi. M- DE SIRVAN, d'un ton furieux. Quoi.' devant moi, ta bouche ofe avouer ?.. J U L I E , fe precipitant au devant de lui. Ah, Monfieur! fa raifon eft égarée... arrétez, au nom du Ciel. .. M. DE SIRVAN, tombant dans un fauteuil. Je fuccombe a mon rieïespoir.  DRAM E, 43 CLEMENTINE, toujours dans le délire, & avec la plus grande énergie. Il viendra, il fe juftifiera. J'attefte leCiel de la pureté des fon cceur; non, jamais la vertu n'habita dans une ame plus belle... je le conduirai vers mon père . . Oui .. j'y vole avec lui-.. vous me ratenez, cruels! vous craignez qu'il ii'enrende les ciis de fa iille éperdue, qu'il ne cédea la pitié, qu'il n'écoutê Déformes, qu'il ne lui rende l'honneur que vous cherchez a lui ravir... . C'est envain que vous m'airêtez,.& tnalaré vous je trouverai mon père... (elle appergoit M.de Sirvan, fe debarrasfant des mains de Julie, elle s'èlance vers lui.) Ah, Diru! je vous revois... c'eft vous... ils vouloienc, les iuhumains" m'empêcher d'arnvtr jusqu'a vous... mais je puis les braver dans vos bras ..mon père, céfendez-mo: comre lesbarbares qui vtulent rm moit & la honte de Déformes... remplisfez le plus famt des deVuirs, foyeg 1'appuy de 1'innocencc- (Elle tombe fur le fe/n de fon père; il la recoit , verfe des larmes la repousjanc doucement, dans les bras de Julie ) M. DE SIRVAN. Tu m'arrachés le cceur!... SCÈNE V. - Les Aiïettrs prècèdens, LOUIS* LOUIS. M onfieur, Monfieur, qiylques payfjns des environs, viennent de voir pasfefMo'nfieui Déformes devant le Chateau, il n'y a pas pius d'un qua' t-d'heure. M. DE SIRVAN Comment? après fon crime, il a fauduce encore.-. Fa  44 CLEMENTINE ET DESORMES, CLEMENTINE, ttujourt égarée, Que dit-on? Que dites-vous? LOUISCharles & mes camarades, ont couru fur fes tracks, il ne peur. kur èchapper. CLEMENTINE. Qui donc? M. DE SIRVAN,» Julie. Eioignez-la de mes yeux--. entrainez-Ia. CLEMENTINE, rèfijïant a Julie quiveut l'emmenor. Nc;n, non, je vous entends .• je fuis perdue- SCÈNE VI. Les a-Beurs précédent, M. DE FRANVAL, M. DE FRANVAL. Q i'est il donc arrivé ? Quel tumulte effrayant dans toute la maifon? M. DE SIRVAN, avec impétuofitê. Un monïlre, un fcé'érat,,. Déformes... il a trahitoiis les devoirs, touces les Loix de ia probité... jamais père re fur plus a plaindre... jamais homme ne fut plus crue!» lement trompé. CLEMENTINE, toujours dans le dêlire. II e!l innocent... je ne fuis point coupable. JULIE,» Clémentine. Venez...  D R A M £. 4S CLEMENTINE, réfiflant a Julie £ƒ s'adresJ'ant d Joii père. Arracbez - rnoi la vie. • M. DE SIRVAN, fe jettant dans les bras de M. de Franval, M. DE FRANVAL. Quoi donc? CLEMENTINE, tendant le bras vers M» de Sirvan. Mon père! JULIE. Ahr Dieu! CLEMENTINE. Darbare! fon trèpas est I'arrêt de ma mort. f M. de Franval cnnduit Af. de Sirvan dans fon appartement fj? Louis & Julie entrainent Clémentine dans le Jien.) Fin du troifieme Atle. -F 3  46 ACTE IV. SCÈNE PREMIÈRE. M- D E FRANVAL, M. DE S I R V A N. M..DE FRANVAL. X^*Te le livrez po'nt aux mains de lajuftice, que vous r.e fuycz conv^uicu do £on crime... fongez a quels miiords vous feriei. en pioye... M. DE SIRVAN. Quoiaue tout dépofe contre lui, vous ferez fatisfait... qu'il proave fon innocence... qu'il fe cérobe a la mort... mais fe juftifiera-t-il jamais de la féduction?.. M. D E F R A N V A L» 11 fut toujours honnète-hcmme, vousl'avouez vous-méme, un inrtant a'-t-ii pu le changer ? birvan , 1'on peut différtr fa v^ngeance ; mais la révoque t-on quand elle eft exécutée? SCÈNE II. JULIE. M. DE FRANVAL, M. DE SIRVAN. JULIE fertant de l'appartement de Clémentine, £? dam le plus grand déjordre. J^.h! Monfieur! Clémentine!... tous mes efforts font per-  D R A M E. 47 dus aup;ès d'eile... ledéfespoir Ie plus affreux s'est empire de fon coeur... fon efprit égaré ne connoic plus perfonne... venez... venez... votre préfencs feule, peut Ia rappeller a elle-même... M. DE SIRVAN. Mafiile!... jufte Ciel'... ah mon ami!-. M. DE FRANVAL. Je ne vous quitte point, (Ilsfortent cTnn cóté pc.tr entrer cJiez Clémentine, tandis que les Domefliques acccourent en foule par la porte du fond. Ils entourent {ƒ trainent Délbrmes ëcheveléjes rêtemens déchirés, dans /'état le plus affreux.) SCÈNE III. CHARLES, LOUIS, DESORMES, D O M E S T I Q U E S. CHARLES. Ici... ici... Monfieur va venir... menez Ie ici. LOUIS. II me fait compasfion. DESORMES. Au moins, refpeclez mon malheur. C'H A RLE S. Vous êtez un méchant... point de pk'é. D E S O R M E 6, ks Domefliques le laiffent Vore, il tombe dans un fauteuil. Ah! grand Dieu! LOUIS, d'un ton d'intétêt, Vous, Monfieur! vous!  48 CLEMENTINE ET DESORMES, CHARLES. Qui 1'aurolt dit ? DESORMES. Je refpire a peine... je re vois, ni n'entends,.. mes am:s, que vous ai-je fait? CHARLES. Ce que vous avez fait? DESORMES. Pourquoi tant d'inhumanité? CHARLES. Ce que vous avez fait? LOUIS, interrompant Charles & a demi vcix. Finisfez... laisfez le en paix. • • cela est affreux- Fut-U coupable. il est malheureux, il faut en avoir pitié. DESORMES. Dans quel état je fuis! comme ils m'ont traité! mais quel crime ai-je donc com.mis ? CHARLES. Celui dont chacun de nous pourroit être foupconné... celui dontnous fommes tous incapables-. • avouez le, Monfieur, avouez-le; vous êtes convaincu; que vous fervira de nier? DESORMES. Au nom du Ciel, & s'il vous rerte un fentitnent d'humani:é, que je parle a Monfieur de Sirvan! je fuis un homilie; des hommes doivent avoir pitié de moi .. On m'iin. pute des crimes. •. j'ignore... je ne puis comprendre... je meptrdsdans 1'horreur de mon fo«... Oü ell M de Sirvan ? LOUIS. 11 est prés de fa rille, quipeut-ctre apréfent expirt cntre fes bras. DESORMES, avec uncri de dèjes'oir. Ah!...  D & A M E. 49 SCÈNE IV. M. DE SIRVAN, J OL IE, DESORMES, CHARLES, LOUIS, Domeftiques. M. DE SIRVAN, a Julie , en fortant de l 'appartement de Clémentine. I^aisfez-moi... je nepuis foucenir ce fpeétaclequi me tue. .1 recournez auprès d'elJe, ne la quittez point. ( Julie fort.) DESORMES, accouranl a M. de Sirvan. Monfieur! M. D E S I R V A N. Monftre, réponds-moi! que t'ai-je fait pour porter dans mi f imille le d^ft'spoir & la honte? Je ne parle pas de la basfesfe dont tu t'es fouiilé... DESORMES, avec la plus grande furprife. Et vous ausfi .. vous m'aecufez!.. vous ?,. vous ? ■ » M. DE SIRVAN. Ton forfait honteux n'est pas ce qui m'irrite. PlutauCiel que ce fut-la ton fenl crime! je te pardonnerois, je te mépriferois, je 1'aisferois è d'autres mains !e devoir barbare de te livrer au fupplice que tu mérites. DESORMES, levant les mains au Ciel. Ah! Dieu! M. DE SIRVAN, continuant avec la même impi. tuo/ïte. Mais, tum'a ravi mafille... tes féductions 1'ontrévoltés contre moi... elle adispoféde fon cceur pour 1'objet Ie plus vil... il lui en coutera Ia raifon , Ia v'ié peut être... Voila ce que je üè pardonnerai jamais , ce que je ferai punir; G  5P CLEMENTINE ET DESORMES, la honte, les tourmens, le fuppliceleplus infame, doivent feuls me venger du défespoir oü tu me pionges, du malheur dont tu m'accables. de la perte irréparable dont tu feras la caufc, & qui me coutara la vie ? DISORMES, aneanti. Jufte Ciel! M, D E SIRVAN. Nomme tes complices, il le faut; quel est eet homme a qui tu parloisavant de partir?.. Dans quelles mainscriminelles as-fu dépofé le vol que rum'as fait? qu'il ferve ama -vengeance, qu'il en foit le prétexte... parle, parle, & meurs après couvert de 1'opprobre qui t*est dü. DESORMES, Mvenant a lui, fe relevant £f avec la plus grande fermeté. Il n'est pas fait pour moi, je fuis innocent. M. DE SIRVAN. Tu 1'es?.. DESORMES. Je le fuis... mon honr.eur me rend a moi-même. On peut m'óter la vi , & je ne ferai pas plus coupable. Les jouis du fcélerat & ceux de 1 homme vertueux font egale ment dans la main des hommes; mais la vertu tientaDieu; les hommes n'y peuvent rien... Cependant, oü font mes accufateurs?.. Quelles preuves a-t-on contre moi? M. DE SIRVAN. Tout eftavéré, tout teconfond. Envain as-tupre'tendu détoutner >ss foupcons, en laisfant ce Secrétaire ouvert.en feicr.ant avoir oublié laclsf.,. Tonairagité, des discours échappés, ta 1'uite, tes fausfes précauüons... Dieu! quèd'inconféquencesdans la conduite-des fcélérats! Envain la nuit les fenvftrtonmS, ils guident eux-même la lumiereaffreufe qui cévoiie leurs attentats, DESORMES. Mon cceur eft pur, & celui qui juge toutes nos actions ne me veria point rougir des miennes... mais li mon aoiour  DRAM E, pour Clémentine eft un crime a vos yeux, fi pour 1'expier i! ne faut que ma vie, demandez-la... je fuis prêt a vcus la donner. Depuis asfez long-tems, l'exilténce est un faidaau pour moi... mais j'ai des parens!.. Ah! Dieu! il me refte un père... Ne tralnez pas fon fils a l'échafaud.•. je fuis innocent, & mon père déshonnoré dtscendroit dans la tombe en maudisfant ma cendre infortunée. M. DE SIRVAN. Qu'il la maudisfe! que ton nomfoit en horreur... jeperds la rille la plus cbère. .. je la perds partoi feul, & pour toi. Je ne lui furvivrai pas; mais je mourrai vengé. DESORMES, marchant egarè Jur It Tkédtre. Clémentine.1., ó défespoir! oü eft elle'? Conduifez-moi vers elle... que j'expire è fes piedsl M. DE SIRVAN. Toi, paroitre devant ma rille! éloigne-toi, barbare... je dételle a jamais Je premier inftar.t qui t'offrit a fes yeux. SCÈNE V. Les Afteurs précedens, CLEMENTINE, JULIE, M. DE FRANVAL. CLEMENTINE, Zes cheveux èpars, fans rouge, dans le plus grand déjespoir, s'arrachant des bras ae Monfieur de Franval & de Julie. T ous vos efforts font vains, nous périrons enfernble. (Rencontrant fon père, & avec la plus grande Jerme/e.) Mor» père avez-vous confommé.votre vengeance?.. II refte encore une viétime, elle est devant vos yeux. M. DE SIRVAN. Cruels! pourquoi 1'avez-vous laisfé fortir! Confpirez vous ausfi contre moi ? G 1  ja CLEMENTINE ET DESORMES, DES ORMES, avec l'accent du dêjespoir. Clementine.' CLEMENTINE, regardcnt autour d'eile. Quelle voix s'est fait entendre? C'est la fienne (Elleap. perph Déformes , jette un cri, £ƒ tombe dans les bras de Jan père-) Ah !.. le voilé. M. DE SIRVAN, répousfaniDéjemes qui veutap* prochtr de'Clementine. Retirs-toi, barbare.'... veux-tu qu'elle expire dans les bras de fon père ?. . U- DE FRANVAL. prénant Déjormes par le bras cjf voidant Véloigner de Sirvan, Eloignez-vous, refpeétez des rriaux que vous avez caufés. D ESORM ES, frappé de cette voix, fe retonrne, Vexamine le reconv.oit, jette un cri, & Je cache le vijage de Jes deux mains. Qui me parle?... Que voulez-vous?.. C'est lui? Jutte Duul M. DE FRANVAL. Que ditil? & queile furprife.a mon afpeft?.. CLEMENTINE egari'e . d'une voix fortt, &? mar. chant fur ie Thédtre. Non, malste" tout fe qui dépofe crmtre lui... Déformes n'est pas fait pour le crime... ne craius rkn .. dis que tu n'es pas coupable . le Ciel appuyeni les cris de l'innoceiice... Vous , qu'u'n dcilin crue) lui donne ici pour juges, laisfcz-le pnrler, il faut écouter 1'homme jufte que T n atcufe. Si quun mot peut juftifier.... Mais, Don.ilsonc léfolu fa perte, je L'aime, voilé fon forfait-. . & pourquoi lui faire un crime de ma tendreife? 1'amour dépend-il de nous? C'est le fentimtnt de la nature. ( Les farces, lui manquént, ell: tombe dans un JauteuiW)  DRA M E. . t n DESORMES. ( Pendant cette Scène, il s'est livré & tout fon dêfespoir. M de Franval, ia toujours obfervé de l'teil le plus cur eux & avec Vair du plus vif intérêt. Déformes. partagé entre M. de Franval £?'Clementine, posfant de l'un a l'autre, les regardant tour-atour, avec des yeux cüfe peignent les divers meuvemens dont il est agité% après avoir gardé un moment de filence , éclate enfin, Êf dit d'urte voix étouffée :) C'est trop ds cruauré... c'est trop prolonger mon fupPjice. 11 est au-desfus de mes forces, ( a M. de Franval.) Et vous.., vous, dont les yeux attachées depuis long-tems fur moi, femblert efïrayées de mon fort... Rendez grace au myftère qui vous cacbe en partie fon horreur. Je demande la mort comme un bienfait... Joignez vos vceuxama prière... l)oit-il vous en couter de (olliciter pour moi? Ah! ne mexpofez pas a maudire 1'inftant de ma naisfance, Sr les premiers auteurs de mes tourmens... Ne m'expofezpas a maudre le Ciel qui ne m'écrafe pas de defafoudrc... Sauvez moi du dêfespoir, de la rage, & du facrilége. M. DE FRANVAL. Infenfé! qu'ofez- vousdire? Repentez - vous, reoentez. vous... r M. DE SIRVAN, a Clémentine, avec la plus grein, de deuleur. Clémentine... Ma Sliet;.. C'e3t moi qui te presfe dans tx.es bras... CLEMENTINE, revenue tttiièremtht a elle,mais excesfivement afofblfe par la crife violente qu'*de vient d'esjuyer , dit d'ttne voix presqu'éteinte, é? qui bai:fe er.tore par gradation jusqu'd, la fin du couplet ; Mon père, écóutez-moi: & vous qui m'entendez, ayez égard a mon infortune; neme jugez pas fur ce que j'ai dit: li vente , la vertu lont dans mon cceur .. Mais ma raifon nest plus a moi, je n'en conferve un foible refte, que pour vous atteller que Déformes n'est point coupable... G 3  54 CLEMENTINE ET DESORMES, Ne vous expofez pas k treinper vos mains dans Ie fang de 1'innocence; votre vain repentir ne lui ïendroit pas une vie perdue au milieu des tourmens... ( Elle veut faire undernier ejfort pour Je jettcr aux pieds de Jon père, £ƒ die retombe dans les bras de Julie.) C'est vous fur teut que je conjure... Mes forces m'abandonnent... Arrachez-moi d'ici... J expirerois devant lui... M. DE SIRVAN, aveceffroi, £f Centrainantvers Jon appartement. Clémentine... Clémentine!.. (Hers de lui.) Mafille.'.. (Julie emmène Clémentine.) DESORMES, courant vers Clémentine, £? ariêté par les Domefliques, Que je Ia fuive au tombeau!.. M. DE SIRVAN. tendant les bras d M. de Franval , & dans l'excès dn déjespoir. Elle meurt!.. Ah'. Dicu... Je 1'ai perdue. M. DE FRANVAL. Ami trop malheureux!.. M. DE SIRVAN. Gui, je Ie fuis!.. Mais il me relle un espoir, M. DE FRANVAL. Oü courez- vous? M. DE SIRVAN. Laisfez - moi. M. DE FRANVAL. Venez vers votre fille. M. DE SIRVAN. Pour la voir expirer... Je n'écoute plus Hen.. Laisfezmot... (Aux Domefliques, en leur montrant Déformes.) Veillez fur lui... S il échappe... c'est vous qui m'en répon. drez... {.A Déjormes, avec l accent de la rage & du déjespoir') J'ai tout perdu, mojiftre!.. Je ferai vengé. \ | * * »  D R A M E. J5 M. DE FRANVAL, a M. de Sirvan, qui nut fortir. Qu'aUez-vous faire? M. DE SIRVAN. Le livrer a toute la rigueur des Loix,.. Me venger, & inourir... (II fort malgré les ejforts de M. de Franval.) M. DE FRANVAL. Airêtez... Arrêtez... II me fuit. (Apart, en regardam Déformes.) Infortur.é ... Ah! malgré-moi, fon fort.... CAux Domefliques.) Mes amis, laisfez-moi lui parler, éloigr.ez-vous quelques infhns. ( Les Domefliques rcntrent dans Vappartement du fond, dont la portc rejlè ouverte. On les voit de tems en tems feparoitre dans l'enfoncement. SCÈNE VII. M. DE FRANVAL, DESORMES. M. DE FRANVAL, a part. JVIon cceur est pénétré. (A Déformes qui est asfts dans un fauteuil, & tout ent-ier a fa doule-ar.) Je fuis feul avec vous, & je cëfe a l'intêret putsfant que malgré moi vous m'avez infpiré. Je ne vous demsnde point la vérité. In. nocent ou coupable, je ne puis vous abandonner au fort qui vous menace. (II ?avance vers la porte du fond, au. cun Domeflique ne paroit; il obferve s'il ne peut itre entendu, revientd Déformes, & lui dit dune voix basfe:^) Rntrez dans eet appartement... Les fenêcres donnent fur 'le Jardin, il vous fera facile d'échapper... DESORMES, Une repond rien, £? refle renver,fé dans un fauteuil; fon attitude g? fes ge/les, tout exprime fon dêfespoir.  56 CLEMENTINE ET DESORMES, M. DE FRANVAL. Vous nc répondez rien... Songez que les momens font chers, qu'un feul inllant perdu vous livre en des mains dont il ne dépendra plus de moi de vous arracher... DESORMES, il fixe un osil fombre fur M. de Franval, Cjf ne répond rien. M. DE FRANVAL. Quel movnefiler.ee!.. Eft-ce ainfi que vous reconnoisfez Ce que je fais pour vous ?,. DESORMES U regarde M de Franval, jette uk prof and foupir, & leve les mains au Ciel M. DE FRANVAL. Les Domefliques paroisfent dans le fond, & M de Franval qui les apperpit, baisfe la voix en parlant a Déformes. Que n'est il en mon pouvoir de prouver votre inno. cenc. ! ».. Tout vous accufe , & js ne puis vous laisfer périr... { Les Domefliques s'éloignent, & M. de Franval, prenant Déjormes par ■ le bras , continue ï) Venez . fuivez-moi. DESORMES 11 regarde fixement M de Franxal, fe leve, fjf détachant de fan bras celui du Préfident. il retombe, .asfis, & fait Jïgne qu'il ne peut confentir d prenire la fuite. M- DE FRANVAL. • Maïs rcffléchisfez donc... Songez que ledernier fupplice, est tout ce qui vous est réfervé. DESORMES. II fait un gefle de dêfespoir, fe re léve avec impètuofité, & retombe immobile. M. DE FRANVAL- les Domefliques reparoisfent. Si ce n'est pas pour vous... Si vousne craignez point la mort. fi vous vous élevez au-desfus de la hontc... Peutêtre avez vous des parens ? .. DESORMES II leve fur M. de Franval des yeux meuillés de larmes, &fe cache Üyifage avec fes mains.  D R A M E. 57 M. DE FRANVAL, Vous en avez.,, Ce fouvenir vous arracbe des larmes.. ^n! que vont-ils devenir?.. ils font deshonorés! DESORMES. II fe leve avec vivaviré, marche égaré. Après un moment d'immobilité. pendant lequel il a les yeux fixés Jur la terrs. il court a M. de Franval, fe précipite Jur Jen feir., £f le'baigne de Jes pleurs. M. DE FRANVAL. avec le plus tendre intérêt. Vous pleurez... Vous pleure,!.. Ah! Déformes! fielt de fautes que n'cfFacent point les pleurs, que ne réiarent point un tardif repentir. La fureté publique ferme tous les caeurs a la commifération... Mais vous attendrisfez le m:en... Vous le pénétrez de douleur... DESORMES. II le ferre dans Jes bras. M. DE FRANVAL. Les Dameftiques fontéloignés. Fuyez, je vous en conjure... Fuyez, je me charge di tout. ° D E^S O R M E S. II lui fait Jigne qu'il n'y peut confentir. M. DE FRANVAL. Vous voulez mourir... DESORMES le regarde , & Je rejette dans jon Jein. M. DE FRANVAL. Vivez, malheureux!.. Je vous en conjure au nom de vos parens.... Au nom de votre père fi vous l'aves en core. DESORMES. II tombe aux pieds de Franval. M- DE FRANVAL- Vous embrasfez mes genoux! Te vous 1'ai dit .. Un fen . timent mvolontaire.. • Le fehtimènt le plus tendre narle £ mon cceur pour vous... h H  58 CLEMENTINE ET DESORMES, DESORMES, II [aifit de main de M. de Franval.. h baigne de Jes larmes, ë? la baije plufieurs fois avec transport. M. DE FRANVAL. Votre père vit-il encore?.. DESORMES, d une voix êtouffée par les fanglcts. Le Ciel qui m'abandonne... Le Ciei me Fa confervë. M. DE FRANVAL. 11 vous aime ? DESORMES. II me 1'a temoïgné bien tarrl; mais je meurs tranquïlle, puisque je n'en fuis plus haï. M. DE FRANVAL. Qui êces-vous? DESORMES. Ne me connoisfez pas.' M. DE FRANVAL. Vous me refufez ?.. DESORMES. Je le dois. M- DE FRANVAL. Vos parens me font-ils connus ? DESORMES. Oui... M. DE FRANVAL. Oü font-ils? •• DESORMES. Par pitié... M. DE FRANVAL, Répondcz-moi... D'oü êces-vous ?  DRAM E, 59 DESORMES. De Grenoble... M. DE FRANVAL. Comment?.. DESORMES. Ah', laisfez-moi mourir... *M. DE FRANVAL, Déformes.' répondez-moi... Votre père vit encore, 5c pourquoi 1'avez-vous quitté ? DESORMES. II me haïsfoit.., M. DE FRANVAL. Qu'aviez-vous fait?.. DESORMES. J'avois défendu mes droits contre une belle mère impla. cable. M. DE FRANVAL. O Ciel! regarde-moi... Tes traits... D ESORMES. Défigurés Far le tems & Ie dêfespoir, font-ilsreconnois- fabl.es.' M, DE FRANVAL. Seroit-il viai?.. Franval... Quoi! ferois-tu? Ah! parle... Réponds- moi... DESORMES. Que voulez-vous favoir ? M. DE F R A N V A L." Si je fuis Ie plus Infortuné des pères... DESORMES, tombant a Jes genoux. Me le pardonnez-vous ? •Ha  <5o CLEMENTINE ET DESORMESt M. DE FRANVAL, avec un cri. C'est lui!.. DESORMES, h genoux devant lui, lui tendant les bras, Voila votre victime! M. DE FRANVAL, Pembrasjant avec transport. Mon fils! quoi! c'est toi que je tiens dans mes bras ? DESORMES. Ah! mon père, je vous retrouve! M. DE FRANVAL. Quoi! lorsque le repentir d'une mère expirante vient de te uisculper a mes yeux , quand je reconnois mon injuftice, quand je te revois, 1'on prépare ton fupplice & l'op» probre t'attend ! ■. DESORMES. Ah* je ne 1'ai pas mérité plus que votre haine, & que cette malédiclion cruelle dont jadis vous m'avez accablé ! M. DE FRANVAL, avec le plus grand défordre £? le dêfespoir le plus marqué, Tu dëchires mon cceur.... O mon fils!.. . O mon cher fils! Mais en ce moment, grand Dieu! on t'accufe, on cc fpire ta perte... Si je tarde un inftant... Refteici... Je cours aprés Sirvan.. . II ne fait pas... O mon fils! c'est moi feul qui t'ai plongé dans eet horrible abyme! DESORMES. Mon père \.. M. DE FRANVAL, courant aux Domefliques qui font dans l'enfoncement, les faifant enirer, leur fa'iant avec Caüion la plus animée , d'une voix mêlée de fanglots , leur prenant les mains, leur mentrant Déformes. Venez, mes amis!... Celui que vous voyez, eet infortuné.... C'est mon fiïsl.,. Ne 1'accablez pas.... U  ■O R A M E. 6t n'est point coupable.... Ayez pitié de moi.... Avez pitié de lui.... Je vais... je cours... O Dieu permets qu il fott encore tems t 'I/ fort par ia porte du fond; Déformes le fuit jusques dans lenfoncementi U lui tend les bra- jwqu'1 ce qu'il foit cenjé ne plus app-rcevoir ; il refte dans la piece du fond, environné de teus les Domefliques ) Fin du quatrième Acle. «3  62 , ' f €§>. ':■ ^85? ^iw? ^ \ Pendant eet entre~Aft,t, le fond du Thédtre refte toujours ouvert; on volt Défer mes fe promener, s"asfeoir, fe lever ; fon ogitation, fon défordre est extréme; les Domefliques fe 'parient entr'eux , fe regardent, ent Vair de le plaindre. ACTE V. SCÈNE PREMIÈRE. JULIE, LOUIS. LOUIS, allant au-devant de Julie, qui fort de l'appartement de Clémentine. JEh bien! Julie... Mademoifellc... JULIE. II ne faut pas encore défespdrer de fa vie. LOUIS. Combiennous perdrions, il ce coup nous 1'enlevoit! JULIE. Elle a repris connoisfance, & fon esprit parolt plustran-  D R A ■ JM E, 63 quills ; il fembie que cette derniê.e crifeait rappetlé fa raifon , mais elle refufe tout föuTagèmenjt.. • Elle pleure, nomme Délbrrhes ; & tout a-coup fes pleurs féchent; elle tombe dans une rêverie profonde , & n'en fort que pour pronor.cer encore le nom de fon amant. LOUIS, vivement. M, de Franval a couru furies pas de M. de Sirvan; ilrftofc dans le plus grand défordre... Nous nous étions él >iar és par refpeft; il nous a fait approcher, & nous adit: ., bes ., amis, c'est mon fils, il n*est point coupabie... nel'acca,, b'.ez pas... ayez pitié de moi... ayez pitié de lui...'' il est forti: les pleurs baignoient fon vifage,.. nousignorans ce que cela fignifie- JULIE. Son fils l Déformes, fon Sis! LOUIS. II nous 1'a dit. J U L I E. Grand Dieu! toucberions nous au tenue de nosmaux?.. Ah! c'eit Saint-Germain. SCÈNE II. JULIE, LOUIS, SAINT-GERMAIN. JULIE. ^Vous voila! SAINT-GERMAIN, en vefte de couritr, bottes aux jambes, fouet» la main. Oui, mon maitre & M. de F'ranva! le lils arrivent. J'ai pris le devant, ils feront ici dans une demi-heure.  64 CLEMENTINE ET DESORMES, JULIE. Depuis que vous êtes parti, il s'est pasfé dans ce Chateau des chofes bien ètonnantes.... Clémentine a penfé perdie la vie. SAINT- GERMAIN; O Ciel! JULIE. Et Pauriez-vous jamais cru?.. Déformes.,. SAINT-GERMAIN. Eh bien? JULIE. II y avoit dans ce fecrétaire une fomme asfez confidérabie... & pendant ia nuk il a disparu, emportant avec lui eet argent qu'il venoit de recevoir. S A I N T-G E R M A I N. Comment? JULIE. Tout dépofe contre lui, tout Ie condamne, & perfonne ne peut douter... SAINT-GERMAIN. On 1'accufe? JULIE. On va Ie livrer entre les mains de la Juftice. SAINT - GERMAIN, jettant un grand cri. Ah, Dieu! ah, jufte Dieu! (II fort avec précipitation.)  B R A M E, 65 SCÈNE- III. JULIE, LOUIS. ^ JULIE V^/uc dit-il ?.. Oü court-il ?.. LOUIS. Mademoifeile. •. fi Monfieur Déformes n'étoit pas crimiuei, .. JULIE. Je ne fais plus que penfer... ce que vous m'avez dit, la furprife, !e cri, 1'état affreus de Saint- PejrjBWi), fa fuite précipitée, tout me confond, tout accroir mon incertitude. .. courons vers Clémentine,,, li Déformes est juftifié quel autre plutót qu'elle, a befoin d'en être informée! C Déformes paroit dans le fond. ) L O U I S , le montrant d Julie. Le voila. JULIE Calmez, s'il fe peut, fa douleur... encouragez Ie a ne rien négliger pour fa juftification - .. elle nous eft a tous ausfi nécesfnire qu'a- lui-méme. (Elk ftrt, & rentre chez Clémentine.) I Déformes, s'avanpe lentement, U a Vair ftmbre , il eft défiguré il leve quelquefois les yeux au Ciel, les Domefliques font dans Venfoncement, tous paroisfent confltrnès.) I  66 CLEMENTINE ET DESORMES, SCÈNE IV. DESORMES, LOUIS. LOUIS, allant a Déformes chapetiu bas, £? lui parlant avet autant (Pimtérit que de douceur. IVIonfieur Déformes... Monfieur,.. DESORMES. Mon ami I.. je n'ofe vous interroger...' ah I mon ami. i LOUIS. Parlez, ne craignez rien'... ne croyez pas que je vous gTCiife... Non, non, je vous ai toujours cru capable de rien faire contre la probté. DESORMES. Ce n'eft pas Clémentine n'exiftoit pa», ton cceur ferok Ie. («ui W'i m'eut rendu jufti.ce.  D R A M Ë. &f SCÈNE V. CLEMENTINE, DESORMES, JULIE, Let Domefliques, dans la piéce du fond. CLEMENTINE, parlant d Julie. fon déforire est tntins grand; Jaforce vient par gradation dans le courant de la Scène, INTon , non, tes conjeétures ne font pas fausfes.,. Non, Julie, j'en crois ton récit, & mes presfentimens.... Ah! Déformes je vous cherehois .« DESORMES. Eh quoi! vous daignez voir encore un InfOTtdné ?.. CLEMENTINE. Mes jours ne font ils pas aslez liés aux vótres? Penfezvous que je furvêcusfe un moment au coup qui vous frapperoit... mais, que ma dit Julie?... Elle an'a parlé'de Monfieur de Franval, devotie père... Hélas! mes idéés fort encore a tel point confufes... Quel rapport vótrejpè' re, 8c Monfieur de Franval?... DESORMES. II est de mon deitin d'être funefte a tout ce qui mVst cher... Ce père qui m'accabla fi long-tems de fa haine, & qui, défabufé, m'ouvre fon fein & me rend fa tendresfo... C'est MoiFieur de Franval. CLEMENTINE, après un inflant de Jilence, fa Julie d'une voix èteinte, & qui fait un ejfort pourferanimer. 11 ne périra point. (a Déformes ) Votre fort va changer... Un pére ! fon fils füt-il coupable, ne l'ab.-ndoi.na jamais quand il put le fauver. DESORMES. Bn fera-t-il le maitre'-... II a couru furies p*sde Mon. 1 1  63 CLEMENTINE ET DESORMES, fleur de Sirvan... il ne revient pas,., les plaintes font portées, tes indices me condamnent, &fi le Ciel ne prendma défenfe, je fuis perdu. CLEMEN'TINE, avec la plus grande énergie- Non, mon cceur s'est ranimé: j'ai recouvré la raifon; Pespoir vient de renaltre dans mon ame... les prefages ne peuvent me tromper. L'infortune est a fon terme... le Ciel vous éprouvoit, vous allez triompher. DESORMES, avec ejfroi. Quel bruit fe fait ewendre?.. CLEMENTINE, avec Ia plus grande cxplofien. Je vous 1'ai dit, nos malheurs font finis. SCÈNE VI ct derniere. M. DE SIRVAN, arrivant d'un ctté avec un exempt; M. DE FRANVAL, accourt par ie milieu du Thédtre; VALVILLE , btttè, £ƒ Jon fouet d la main, SAINT-GERMAIN, M- DE FRANVAL, fils, avec prétipitation; CLEMENTINE, JULIE, jont a la droite du Thédtre, DESORMES est au milieu; CHARLES, LOUIS, £ƒ tous les Demeftiqucs remplisfent le fond de la Scène, M. DE SIRVAN, a i'Exempt, en lui montrant Déformes. JL/e voilé, Monfieur, le voila, CLEMENTINE, tombant dans les bras de Julie & les mains étendues vers Jon père. Arrêtez! DESORMES, Je jettant dans les bras dejonpère. Mon père!  D R A M E. 60 M. DE FRANVAL, père. Qti'allez-vous faire?.. C'est mon fils... égorgea Ie dans,' mes bras. M- DE SIRVAN- Son fils i M. DE FRANVAL fe précipitant l'èpée' a la main entte l'Exempt fon frère, qui le couvre de fon corps. C'est mon frère!.. il n'est point coupable... SAINT GERMAIN tombant aux genoux de MotU fieur de Sirvan, Grand Dieu!.. au nom du Ciel... écoutez-moi... VALVILLE, aux pieds de fon père, C'est moi. mon pêre!.. épargnez 1'innocent. M. D E SIRVAN, M. DE FRANVAL. ensemble. Que ditez-vous ? Que dit-il ? VALVILLE ET SAINT-GERMAIN. Épargnez 1'innocent... c'est moi,.. VALVILL E, continuant. Mon père, écou'ez-moi... Déformes n'est point coin > pable... c'est vot--e fils... M. D E SIRVAN. Mon fils!... VALVILLE. Oui, cette nuit, quand tout Ie monde repofoit.. moifeul.;. SAINT-GERMAIN. Ah! je fuis plüs criminel que lui! M. DE SIRVAN. Parlez... parlez.,. VALVILLE. Hier, j'aijoué, j'aiperdu; ma parole étoit engagés; ƒ• * 3  fo CLEMENTINE ET DESORMES, vous crains, je ne favois comment m'acquitter.; i j'étois au dêfespoir ... j'ai forcé eet honnéte homme, en le menac\