pijp 326^ A 244   LETTRES sur t'OPINION DOMINANTS dans qüelqües Pais. Les loix deivent ttre tedemtnt propres au ptuple pour lequsl ellesjont fakes? que c'e/l un trés-grand bajari fi celles d'une nation peuvent amvenir a wk autre. II faut qu'elles Je rapportent « la nature fc? att frincipe du gouvernement qui ejl établi, oü qu'nn veut établir; joh qu'elles le forment, comme font les loix politiques; foit qu'elles le maittiennet.t, comme foi.t lei ioix civiles. MoNTESQUIFU. h Z U T P H Ë N chez A. van ELDIK 1790. Imprimé au bénefice des perfonnes indigenw*,   AU LECTEUIl! jT' fut ün tems oü je me ftVtois ene ?a v|» rite pourroit percer a tra ers les rréjügés & les paflions des hommes; Cet efpoir fut le guide de ma conduite & le reflbrt c'g toutes tnes aftions. IVlu's il n'eft plusj fai été aveuglé par cette doüce efpérance. Cependanr, quel nemme doué du moïrtdre bon fens pourroit douter* que des défuiiions aufli acharnées * auffi exeffives que les iiótrcs^ nc foient pré:udiciables au bienêtre public, & fe tromper fur le moiert propre k les faire erflèr? Pöur les faire ceflèr il falloit fans doüte une conciliririoh, & poi.r y réufflr, il falloit adoptef les deux véruésj qui m'ont lak rompre le filencei La première: C'eft que celui qui agit felon ia convküon, n'eft jamais srkninel dans A a  i CO » la force du terme, & que dans ce fens, \t t, parci oppofé, pris dans* fon enfemble, n'eft „ pas plus criminel que le parci Stadhoudé„ rien, parceque dans ce parti, il y a autant „ d'honnetes gens, que dans 1'aucre, d'ou il j, réfulte philofophiquemenc: qu'il n'auroit pas dü être puni. " Mais, des véricés philoib-phiques doivenc toujours ceder aux paflions & . furcouc & la néceflïté polirique, tant que celle ci fiibfifte» Les loix ont donc févies, parcequ'elles féviflènt toujours en conféquence des -événemens, & parceque Ton croic que la flireté de la conftitution rétablie exige des punitions. Ainfi, ces punitions ne font aux yeux des gens qui favent voir, que des punitions politiques & n'en déplaife a ces Jurisconfultes qui ne diftinguent pas les loix politiques des loix civiles, leurs idéés fur ces punitions ne font d'aucun prix h mes yeux; ön ne doit pas confondre des délits particuliers avec le crime de lèfe-Majefté , parceque la première loi eft la félicité publique. Le vrai point de vue eft donc foit philo* fophique, foit politique, mais la vérité philofophique, ne fauroit 1'emporter fur la néceffité po-  C5) politique, a moins que Ia fureté du gouvernement n'exige plus ces punitions, d'ou il fertfuit, qu'une conciliation ne fauroit avoir lieu, fans que le parti de l'oppofitton n'adoptc I'autre vérité, favoir: „que celui Ia féul aime „ vraiment fa Patrie, qui faic facrifier fon opi„ nion particuliere au bienêtre général." II falloit donc faire paflèr ces idees pour f'attendre au retour de 1'harmonie & a 1'oubli du pafte; ces deux difpoftions devoient aller de pair pour réalifer mes efpérances, & ceux de mes lecteurs, qui connoiftènt la fatisfaftion qu'on éprouve lorsque le fucces couronne des intentions fans reproches, fauront, qu'elles devoient être mes impreftions, lorsque je perdois 1'efpoir de contribucr au bonheur de ma Patrie. Ainfi, le motif qui rrTanimoit ceflè aveq; mon espoir; Je voiois- cidevant ma gloire dans mon efpérance , ma fortune dans la félicité publique, & apréfent, que je ne puis plus rien pour elle, mon motif devient perfonel. Mais, f'il na plus rien d'élevé ni de louable; üifa auffi rien de repréhenfible. Quand on feit A 3 Uvré  co, pvré \ ropinion générale, on re faurott y ëm Indifférent; Avant de publier mon dernier écrit, je favois qu'il me feroit du torc dans lopinioq de plufieurs perfonnes, & je m'abandonne a 1'en,vie de développer des idees, qui ferviront indirectement a faire mieux connoicre mes principes, Cependanr, en publiam ces lettres, je fuil Ioin d'être perfuadé que tout ce qui f'y trouve foit iufte. Comment pourrois-je Têtre dans des matieres auffi importantes, moi, qui fui* convaincu de la médiqcrité de mon inrelligence, & qui en perdant 1'espoir d'ètre utile ma Patrie, viens encore nouvellement dn faire 1'épreuve, combien ou peut errer dam fes idéés, Noik ne nous donrnns pas nos talens; fe n'eit pas une bonte decre dans Terreur, pourvu qu'on y foit de bonne foi & a celui , qui aime la vé. i é, il ne coute rien d'en convenir. La honte n'cfr que pour cemc que la nature, d'une main libérale, a doué de galens fupérieurs, & qui les reflèrrent dans le cerclc é roit d'un vil amour propre , au lieu dê ks lairej fervir a la iélicité des hommes.  Nötre vie eft fi courte & nous avont fcefoin de fi peu. II eft étonnant que 1'homme foit fi enclin a facrifier fa probité a la fortune fa conviftion a des hommages infignifians, lorsque ce n'eft pas le coeur qui les donne. D'ailleurs, combien de fois n'arrive^t-il pas, que celui qui ne fe rend pas compte de fes aflions, fe trouve démasqué par lui même, ou par un feul homme qui ne le craint pas, & f'abandonne a une vengeance publique? Adieu, alors les charmes de ces vains hommages que 1'opinion publique dément. Adieu, les douces illufions d'une grandeur chimérique, dans laqu'elle on aimoit a fe mirer. Alors la plus brillante fortune eft empoilönnée. Alors, mais trop tard on apprend h connoitre le vrai prix des chofes, & que ne donncroit - on pas, pour que le fentiment intérieur ne prononcat pas la fentence rédoutable: tu 1'as bien mérité. Le vice feul avilit, & non pas la naisfance ni 1'obfcurité dans laqu'elle nous laiflè une aveugle fortune. La vertu ennoblit 1'ame, & fixe le rang chez ces hommes qui en fentent le prix & 1'honorent. Dans quelque condt(ion que 1'on fe trouve, on n'y eft pas pour A 4 CR  C8) . en tirer vaniré, mais pour être utile a fes fèm» blables. Etre jufle, c'eft le moïen de mériter fa fortune, oü de fè'.évcr au deflus d'elle. Dans quelque état qu'on fe trouve, la convic tion d'avoir bien agi, jointe H 1'cftime de ceux qui ne jugent pas fur de futiles apparences eft toujours uq vrai bien. On peut braver les événemens lorsquon fent au dedans de foi un appuy qui nous foutient dans la profpérité, ou nous confole dans 1'infortune, & lorsque de Cette courte exiftence il ne nous reftera qu'un inftant, qui de nous ne donneroit pas fa fauflè grandeur avec toures les illufions qui I'accom* pagnent, pour le fimple fouvenir d'une feulq bonne aclion? tante  LETTRES S ü R L'OPINION DOMINANTE DANS QUELQUE PAIS. LETTRE PREMIÈRE. A Monjieur B iL*a période de votre lertre dans Jannette vous dires Monfieur : „ Les droits inaliénables „ de 1'humanité ne font plus n:éconnus, les „ hommes reclament la liberté qui leur revienc „ & le meilleur parri que puifTent prendre „ les grands de la rerre, eert d'y faire atten„ tion en cedant de bonne grace, ce qu'ils „ feroient forcés d'accorder dans la fuite; «* la'a fait naitre Tenvie, dans un tems, oü ces A 5 idéés  O) Jdées femblent fe propager dans plufieurs païs, de vous dire féparément raon opinion fur une hypothèfe auffi importante. —— Je fais combien peu il appartient a un homme médiocre de traiter une telle matiere. Je fais qu'il m'eft impoflible de vous ofFrir les détails nécefiaires pour en porter un jugement définitif; mais n'importe, je vais vous expofer naïvement les impreffions que j 'ai recues, en vous aiïurant que je conviendrai bonnement de mes erreurs, fa vous me prouvez que je me trompe. Dans ce cas ci Monfieur & dans bien d'autres, il me falloit une pierre de touche a laquelle je-pufiè éprouver mes idees il me falloit des autorités refpeftables pour m'infpirer la confiance nécefiaire, afin d'entreprendre au fond plus que mes facultés ne me le permettent. Je penfe avoir trouvé cette pierre touche & ces autorités dans 1'esprit des loix, & je ne crois point que dans les tems ou nous yivons, il y ait un ouvrage qui mérite plus dëtre profondément médité. Une partie des hommes Monfiour & beau tagiwr, faire des plans, des projets, je me trom» pe  fe rxh forr, fi elle ne fera pas toujours arretée par }es \ érirés que ce grand homme a puifé dans les imperfeclions humaines; une puiflance irréfiftibk', c'cfi h dirc: norre propre nature, nous retiendra toujours dans les limites, que nous pe laurions Franchir, puisque nous y fommes enchainés par nos vices 6c par nos foibleflês, Mais, fi Pon croit aux idéés recues dans plufi urs païs, notre fiécle eft un fiécle de raifon & de lumiere; un fiécle, ©ü les droits de 1'homme feront respeétés; un fiécle, oü lei grands feront pour toujours foumis a la julb'ce; Un fiécle enfin, qui produira un bonheur pour 1'humanué que juscu'apiérent efle ne connois» foit point, & qui forecra nntre poflérité a ladrniration & a la reconnoifiance. Or, comme on n'a pas befoin de prouver que plus la vertu eft refpeflée, plus les hommes feront heureux, il fenfuit de eet cxporé: que les vertus antiques vont disparoitre devaot les vertus mo* dernes; il fenfuit, que les admirarcurs de 1'antiqu'tó cefTeront de lui prodigucr leur encens, ou que du moins ils diront: „ Les Grccs i* les Romains avoient des vertus, mais la gé-, n uération du XVlIIme fiécle les a furpaflè, ts'eft  „ c'eft celle qui en premier lieu mérite rios ti hommages. " Cependant, fi jamais cette efpéce d'oubli de foimême qui nous fait trouver notre bonheur dans celui des autres; & fans laquelle ü n'y a ni vraie vertu, ni patriotisme, a peu regné fur la terre, c'eft dans le fiécle ou nous vivons. Jamais 1'égoïsme n'a marché davantage tête lévée; Jamais il na fait plus de profélites; Les hommes ont beau couvrir leur avidité perfonnelle & leur faufiè ambition par les raifons les plus infidieufes, il ne faut pas être bien clairvoyant pour ne point en être la dupe. Efi-ce dans un fiécle dc luxe, qui a dépravé nos moeurs & donc la feule fupériorité quand au moral confific peutêtre dans ce que nos vices mêmes 1'ont rendu moins féroce, que 1'on doive f'attendre, ft ce revirement, (fi j'ofe m'exprimcr ainfi) des elprits & des coeurs? Efi-ce dans un fiécle oü les hommes croient f'être dépouillés de leurs préjugés en foulant aux piéds la réligion & les moeurs, ces boulevards des vertus antiques, que 1'on doive f'attendre a voir triompher ces vercus, au milieu de la diflblution, au milieu du mépris reg- nant  03) nant de tont ce qui devroit être facré pour les hommes? Etrange aveuglement' la vertu eft la feulc bafe du bienêtre public, c'eft une vérité a la portee de tout le monde, & néanmoms ce n'eft point a cette fource que 1'on va cherchcr le bonheur, c'eft en boulever&nr. les états que 1'on penfe parvenir a -un but aufli falutaire. Ne me dites pas Monfieur: „ C 'eft a caufe de la corruption qu'il faut * d'autres loix pour contenir les hommes. Les loix feront toujours infuffifanr.es lorsqu'elles contrecarreront 1'opinion générale. C'eft le respeft qu'on a pour la vertu qui eft fa feule fauvegarde, c'efl Popinion qu'on a des moeurs qui les córrompt ou les purine. Or, en partant de ce principe n'en refulte-t-il pas la maxime de Montesquieu: „ que les meilleures loix „ deviennent mauvailès & fe tournent contre „ 1'état, lorsque les principes du gouverne„ ment font corrompus, & que les mauvailès „ ont l'efFet des bonnes s lorsque les principes cn font fains. " Approchons de plus prés: „ Je n'ai pas „ naturellemcnt 1'efprit défaprobateur (die Mr. rt de Montesquieu) Platon rémercioic le del „de  C»4) „ de ce qu*it étoit né du tems de Socrate, », & moi je rens graces h Dieu, de ce qu'il lü*a fait naitre dans le gouvernement oü je * vis. " Cependant, ce grand homme défa* prouvoit fans doute les vices regnans; plufieurs portraits qu'il fait prouvenr, qu'il ne parloit pas ainfi par politique. Mais, il croioitquela nature même avoit préscrit la forme de beaücoup de Gouvernemcnts & que le caraétere nauonal, le climat, la pofition & 1'étendue du païs, avoient eu fur certe forme une influence directe; il croioit que la libercé & les droitg de 1'homme pouvoient éirc renVclés dans une Monarchie, quoiqu'il lui préferit les républiques, mais furtout il connoifoit trop les imperfeftions hurnaines, pour les jamais perdre de vüe. U ne défaprouvoic dorx pas la forme de fon gouvernement, mais bien la conduite des hommes ,4 il penfoit que poür contribuer aü bonheuf des Nations, il falloit les guérir, tant quepoffible, de leurs préjugés. „J'éntens „ paf les prêjugés (dit il) non ce qui fait que „ 1'on ignore de certaines chofes, mais ce quj »> fait que Ton f'ignore fomiéme, C 'eft donc pouï appïenJre mieux a 4.0*. hoi**  Os) floitrt les hommes que 1'efprit des loix a va éffèntiellement le jour, & pourroit on revoquer en doute que cette étude fert de bafe aux autres études pour nous enfeigner, ce que 1'on doit attendre d'eux & par quels moïens on peut les rendre plus heureux & meilleurs? Maintenant au contraire, les idéés femblent f'être détachées de la connoiflance des hommes. On cherche trop le mal dans 1'inégalité des conditions aü lieu de le chercher davantage dans 1'imperfeétion hutnaine; on voit 1'elprit défaprobateitf, dont Montesquieu fe défend, f 'emparer dans quelques païs de la plupart des intelligences; Grands & petits, riches & pauvres, font imbus de 1'idée chimérique d'un gouvernement presque parfait, & les progrès de ces idéés me pafoiflènt trés dangereux, tar je n'y reconnois que 1'exaltation des elprits fSc un vrai délire de Timagination. La nature ayant mis tantót une lïnguliére diverfité, tantöt une prodigieufe diftance entre 1'efprit & les talens des hommes, il n'eft pas poffible d'égalifer les intelligences. Quelqu'é«lairé que 1'on croie ce fiécle, un maitre d'»« tiunéthique n'entendra pas un Newton, ni un Ca- théchifte  téchifte ne penfera pas comme un Bonnet & un Necken — Nous ne fommes plus dans les tcms des miracles, & il en faudroit fans doute, pour que tous ceux qui fe croient des Lycurgues & des Solons etiflènt la profondeur de leurs idéés. „ Mais les droics de 1'homme ne font plus méconnus," dices vous Monfieur. — Soit> je veux le croirc. Mais ce qu'il feut pour appliquer ces droits aux gouverncmens; pour voir tous ces rapporrs, tous ces fils cntreliés qui maintiennent les états & leur donnent la prospérité & la vie, n'eft pas plus connu qu'au* trefois, & ne fcra ni ne peut être approfondü que par ces peu d'hcmmes , qui d'un coup d'oeil pénétrent les rellbrts qui mcuvent les empires. Cependant, fi nous faifons attention aux idees recues, les hommes les plus ordinai* res favent pénétrcr maintenant les plus abftraits rapports de 1'état; on ne connoit pas feulement le fiége du vrai mal, mais on en con. noït auffi le remède; on raifonne a tort & è travers fur les chofes les plus difficilcs a comprendre; on croit faifir les caufes & 1'on nö voit que leurs effets; on voudroit les coirigcr, les détruire, & 1'on ne fonge pas combien les imperfeétions des hommes y influent, & que  07) que plus les moeurs font corrompues, plu$ il faut y faire attention. Voila fi je me trompe, le mal épidémique f 'eft communiqué aux efprits de nos jours. Dela cette envie déméfurée de tout changer, tout bouleverfer; Envie, qui femble être le point oü fe rallient les mécontens, avec tous ceux fur lesquels ils ont de 1'influence, & qui paroit bien plus propre a confondre qu'a éclairer les idéés. Quoiqu'il ne m'appartienne pas Monfieur, de juger le génie, je ne crois point me tromper en affirmant: que lorsqu'il fe trouve joint a I'amour de 1'humanité, il ne cherchera pas feulement a pénétrer les défauts du gouvernement, mais auffi a voir les inconvéniens des remedes Un tel homme, voiant de tout cóté 1'enfemble des chofès , fait auffi , que fi 1'opinion f'y prête, il eft aifé de tout démolir, mais trés difficile de tout réconftruire; fe fouvenant de la corruption des hommes, il penfe & calcule en conféquence, & ne voiant pas le moïen de rendre le gouvernement parfait, il craint de l'attaquer dans fes fondemens, B paree*  parcequ'il fait, qu'il faut plufieurs génératioris pour fcntir les inconveniens qui refultent de nouveaux établiffemens, & que 1'on risque toujours de fubftituer de nouveaux abus, aux abus qui fubfiflent. Les loix ne fauroient faire mouvoir les hommes, comme les fils font mouvoir les marïonettes; la chimère d'un parfait gouvernement, qui f'eft fouré dans tant de têtes eft un trés grand mal Monfieur, puisqu'dle fait ou^ blier cette vérité conftante: que les droits de l'homme 'ne fauroient fe faire valoir davantage que 1'imperfeétion humaine "ne le fupporte. Pour rendre les hommes plus heureux , il faudroit pouvoir fubftituer 1'idéal d'unéperfeftion morale, a celui d'un parfait gouvernement, dorit j'ai parlé. 'C'eft d'après un tel modele, rque 1'homme fe juge, 'fe jultifie ou 'fe condamme. Un tel modele, 'conduit h ces principes qui noug font trouver notre bonhéur dans le bonhéur des autres, & nous portent a faire le bien qui eft dans notre puiffance. Sans doute lTiomme doitfouvent f'en écarter; c'eft 1'effet de nos vices & de nos foibleflès. Mais du moins ■un tel idcal de perfeftion, lonqu'il eil bien iïh- pri-  primé dans Ie coeur, ramene vers ta verQti ennoblit 1'ame & 1'éléve au deiïus de la maxi* me vulgaire: „qu'on ne peut eüciger deVkontM me davantagC) que fan devoif ne lui itn* „ pofe* n Mais, comme ün tel idéal feróit abfolit* menr néceiïaire pour réalifer plus ou moins les idéés regnantes fhr les droits de l'homme & du citoyen, utche-t-on de le produife? Je le demande a vous Monfieur qui voyez plus quö moi dans le monde le jcü & la réaclion des paflions humaines? N'eft>il pas vfai qu'ort eftime bien davantage les gens d'après leur opinlon qué d'après de leur probité ? N'eft-il pas vfai qu'il y eft a connus poür n'avoir aucun principe de morale» qui néanmoins parient fouvent le plüs des efforts qü'ils faut tenter, poür faire refpecler les droits de fhomme & du citoyen; & tandis que la réligion & les moeurs font le foutieft des empires, que peut on, que doit on atten4rê de ceu* qui ne les refpeétenc plus? 11 faiic éommencef paf hdftofer davantagê la vertu öê la probité, Sc par méprirer les vi* cos, fi Tori Veüt immortalifef notre fiéele, ef» B a ga-  m Cao) garantiflant les, droits de 1'humanité. C'eft plutófpar les moeurs que par les loix, je le répéte» que 1'on peut corriger les- hommes. II fait chercher le remede dans le mal même & non hors de lui. Un petit pais fera toujours heureux, qu'elles qui foient fes loix, fi un Markgrave de Baden le gouverne, & un grand état le ifera, fi les Miniftres partent du principe: qu'il faut corriger les vices par de bons exemples & refpecter autant les loix que 1'autorité fouveraine. De tout tems on a varié d'idée fur le meilleur des gouvernemens; cette queftion n'a jamais été décidée, ni elle ne le fera jamais, parcequ'en laifiant la 1'effervescence acluelle qui ne fainqu'une exeption a la rêgle; les hommes font ordinairement prévenus en faveur du gouvernement fous le quel ils vivent. —— Jabqu'a. préfent on croioit, (je 1'ai deja dit), que la nature dans bien des pais, avoit préscritla forme des gouvernemens. II falloit un fiécle auffi éclairé que le nótre pour nous apprendre le contraire, & pour nous faire voir en dépit des Montagne des Montesquieu & d?autres grands hommes, que le caraclére national, le climat, la pofi- tioo  tion & létendue de la France n'ètoient point des obftacles, pour y établir une forme de gouvernement tout a fait oppofée a 1'ancienne; Voyons apréfenc f'il y aura moïen d'y introduire auffi d'autres moeurs, finon je ne m'attens pas a de bien heureux effets, car 1'excés du bien même peut devenir un vrai mal, l'homme n'eft guéres fait pour une efpéce d'indépendance, & il 1'eft bien moins dans les grands sétat, oü 1'unité qu'il faut dans le gouvernement, 1'exclut presque de foimêmei. Enfin Monfieur, jvefpere de tout mon coeur, que les idees regnantes prod'uiront une félicité que les hommes ne connoifibiënt point; mais je ne m'en flat te pas; Je crois au contraire, que dans quelque tems 1'efprit humain va reprendre fon cours ordinaire & rentrer dans fes limites. . II fut un tems, oü la fuperfii'tion & le fanatismé faifoient beaucoup de mal fur la terre; il en fut un autre, & il fubfifte encore, oü 1'incrédulité repandit une funefte indifférence qui énerve les ames. Le premier , étoit masqué par le zèle de la réligion; 1'aun-e par la tolerancc & maincenant que les idéés femblent avoir bcfoin d'üne' B 3 autre  tutre tournure; 1'efprit d'égalité extréme, d'ou provient toujours la liccnce, femble fe masquer fous le voeu refpe&able de maintenir les droits de l'homme & du citoyen. Apiè» avoir tyrannifé les hommes au nom d'un Dieu de C'émence, on a fini par perdre de vue le refpecT: qu'on doit a 1'Etre Suprème; & après avoir fait de pos jours bien des efForts pour tout bouleverfer, refte a favoir, f'il ne faudra pas en revenir aux gouvernemens, qu'on a voulu profcrire. 1'Homme judicieux doute fouvent, lorsque 1'homme vain croit avoir tout approfondi. —<■ Erchainé par 1'opinion dominante, celuici croit penfer par lui même, lorsqu'il ne fait que fuivre les idéés d'autrui — fanatique dans un fiécle de fanatisme, incrédule dans un fiécle irréligieux, il croit devoir être non pas libre, mais indépendant de nos jours, & un tems peut venir ou il conviendra d'avoir couru après une chimère. Mais avant ce tems la, qu'elles fanglantes feenes peuvent encore avoir lieu; Qu'elles horreurs vont encore fi?> commettre ? „ Ce fur un beau fpeftacle dans le fié„ cle pafië (dit Mr. de Montesquieu,) de voir n fe»  03> '„ les efibrts impuiflans des Angloïs, pour étaw, blir parmi eux la Démocratie. Comme ceux, „. qui, avoient part aux affaires, n'avoicnt point „ de vert^ que leur ambition etoit irritée par v le fuccés de celui qui avoit le plus ofé; ,, fCromwel) Que 1'efprit d'une faction n'etoit „ réprimé que par 1'efprit. d'une autre, le gou„ vernement changoit fans ceflè; le peuple é„ tonné , cherchoit la Démocratie & ne la „ trouvoit nulle part. Enfin après bien des „ mouvemens, des chocs & des fecouflès, il „ fallut fe repofer dans le gouvernement mêv me, qu'on avoit profcrit. " II ne me conviendroit- point d'aprécier ces reflcxions; je les cite, & ne les juge pas. Mais, fi elles font fondées; fi 1'illuftre auteur a rémonté des effets a: leur caufe, 1'application eft aifée, & je n'ai pas befoin de la faire. Je ne me- permettrai donc qu'une feuje question: Quand on penfe au caraftére national des Anglois, a leur amour pour la liberté, & h leur haine con.tre le defpotisme; Quand on, fpnge: qu'il n'y a point de peuple, oü fe trouve plus d'originalité, & oü 1'on appercoit plus de veftiges de la dignité humaine, eft il B4 pro-  C»0 probable que 1'on fera réuffir chez d'autres nations ce qui n'a pas réuffi a celle lk; parviendra-t-on a affurer les droits de rhomme & du citoyen davantage qu'on na pu le faire en Angleterre? Je 1'efpére de tout mon coeur, & dans cette efpoir, mais non pas dans cette attente j'ai 1'honneur de me dire avec la plus houte confidération Monfieur! Votre trés humble & ttès obeïflant Serviteur. tettr&  <*5) L E T T R E II. A Monfieur B . . . ^jT'ai deja eu plufieurs preuves, combien il eft ^ difficile de f'expliquer clairement, & je fuis bien aife, que vous me donniez moïen d'interpreter quelques unes de mes idéés. „ Ainfi vous croyez (dites vous Monfieur) „ que tout ce qui f'eft paffe ne fervira de „ rien, & que les hommes après avoir eu de „ fi hauces idéés de leurs droits, y renonce„ ront? " Non Monfieur, ce n'eft pas tout a fait mon fentiment. Je penfe qu'il reftera des veftiges permanens des efforts qui fe font, & j'aime a croire autant que je le fouhaite qu'il rendront les hommes plus juftes. Mais entendons nous: Je n'avoue point les hauts droits, dont vous me parlez. Je crois qu'ils font limités par les loix: car, les mêmes loix ne convenant pas a tous les pais, il fenfuit qu'un gouvernement B 5 admet  admet plus de liberté qu'un autre, d*ou il re-^ fulte que les droits de l'homme doivent être déterminés par les loix qui conviennent aux païs, & non pas par la liberté qui lui revient. dans fon état d'égalité. naturelle. Des que Ton devient membre d'une focie'-. té qnelcgnque, on cede fes droits naturels,, aux droits qui conviennent a. cette fociété, &, c'eft pourquoi la liberté qui revienc k l'homme, dans fon état d'égalité naturelle, doit ceder a la liberté qui convient au bienêtre public. Au. refte, qu'eft-ce que cette liberté primitive, dont on fait un fi grand étalage? Si 1'on dit: Cefont les droits qui appartiennent a l'homme com.-me membre de la fociété, la queftion. fe préfente de foi même: „ Tous les païs doivent ils donc avoir apeuprès le même gouvernement? " &. fi cela ne fe peut pas, il en re-, fulte comme je viens de- le dire: qu'un gouvernement admet plus de liberté qu'un autre. Si 1'on dit au qontraire: „ Ce font les droits qui lui reviennent felon les loix de la nature," on foutient une chofe abfurde, carr quel homme ne fent pas fa foiblcfiè & fa dépendance? Si le plus grand des philofophes; fent 1e beXoin de  07) de fes femblables dans le moral & dans Ie phyfique, & f'il fenfuit que l'homme eft né pour vivre en fociété , & p.ir confcquent pour la dépendance, que nous importe des droits dónt l'homme ne fauroit jouïr & comment pourroiton adopter un fyfième, qui pêche auffi évidemment dans fa fource? Ainfi je ne m'arretc pa* a cette derniere idee; je crois en effet le fiécle trop éclairé pour partir d'un tel principe. Je reviens donc a la première pofition, & f'il eft vrai que le même gouvernement ne convient pas a tous les païs, je n'ai pas bcfoin de faire voir je penfe, que de nos jours on n'y fait gueres attention, & c'eft pourquoi j'ai de la peine a me perfuader, quelqu' éclairé que ce fiéjle puifie être, qu'en détruifant ce qui eft établi, on aura de la peine a tout réconftruire; je crois au contraire que les idees que 1'on fe forme, conviennent d'autant moins de nos jours „ que la place na^ „ turelle de la vertu eft auprès de la liberté, & qu'elle fe trouve auffi pcu auprès de la „ liberté extréme qu'auprès de la fervitude. " Mais, il ne m'appartient pas d'approfon- dir  C*8) dir ces rnatieres. Jaime mieux en revenir I yotre qucftion. „ Le meilleur pnrti qtü puifTent prendre 'ty les grands de la terre (difiez vous dans vótre „ avantderniere Monfieur) c'eft de ceder de bon„ ne grace, ce qu'ils feroient forcés d'accorder w dans la fuite." Or, en interprétanr ceci d'après les idéés regnantes, j*ai cru que cela vouloit dire: que les Princes devroienr circonferire les bornes de leur puifïance. Si vous aviez die Monfieur: „ Les événemens furvenus feront fentir „ aux grands de la terre, combien il leur „ importe d'être juftesu je- ne vous aurois pas contredit, mais je vous aurois obfervc: que les injuftices dont on fe piaint le plus, proviennent rarement des Princes, mais presque toujours de ceux qui abulènc de leur confiance. Je n'ai point cherché a juflifier ce qui fê fait, en difant tout eft pour le bien, & je fuis loin d'avoir changé d'idée. Jai toujours cru que reffervescence regnante auroit pu produire de grands avantages, fi on avoit pu la contenir dans fes limites, c'eft a dire: Si au lieu de vouloir tout boaleverfcr, on f'éroit borné de  de bonne' foi a réformer les abus qui fubfiV tent. Je ne crois pas que les hommes foient aflèz heureux pour ne pouvoir 1'être davantage, mais je crois encore moins qu'ils foient fusccptibles de ce degrè de bonhéur auquel on fêmble f'attendre, & qui cadre auffi peu avec fimpcrfedtion naturelle aux hommes, qu'avec Tindifference regnante pour la réligion & let moeurs. -,, Mais, (dites vous encore) auroït - on „ dü felon votre idéé fupporter le gouveme„ ment en France, car fans le changer on ne „ pouvoit oter le mal. M Vous favez Monfieur: que fai toujours évité tant que poffible d'entrer en détail fur bien des chofes, tant parceque je me défie de moi même, que parceque je fais que fi 1'on •f'écarté des idéés générales, de pareils objea ont toujours plufieurs points de vüe. Cependant, je vais repondre a cette queftion , en vous priant toutefois de vouloir confidérer que je n'attache aucun prix a ces idéés hafardées, car je conviens de bonne foi qu'elles ne fonc que 1'applicaüon que j'ai taché de. faire des idéé»  Cs*) idéés de TiHuftre Montesqiea aux événement de nos jours. Ainfi, mes idéés quand mêmö dies feroient jultes, auroienc peu de mérite, parcequ'clles ne m'appartiennent pas. „ Si vöus ótez les puiffunces intermédiai„ fes (dit Monfieur de Móiitestjuieu) vous auréz bientöt un gouvernement populaire, „ oü un gouvernement defpotiqtie." Eh, bien dira-t-on: „la France femble être deftinée „ a un gouvernement populaire." Mais en fut il jamais un oü fe trouverent plus de vingt millions d'jtmes? d'ailleurs fa polition & fon étendue fi favorables a une Monarchie, le feront-elles autant pour une République"? Mais, pourront dire d'autres: rafièmbiée nationale a décreté que le gouvernement en France eft monarchique; on ne veut pas un état populaire , mais üii état oü les trois pouvoirs fè balaflcent. jè repöns: qu'en ötant les puiffances intermédiaires on a détruit la Monarchie, & fi 1'on veut un gouvernement oü les trois pouvoirs fe balancenr, pourquoi va-t-on plui loin en France qu'ên Angleterre? La puifian» ce exécutive au lieu d'être moins puifiante, ae devröit-elle pas letre davantage a- méfure qu'un  qu'urt pays a plus d'étendue, & tandis que la liberté politique eft peutêtre autant aflurée en Angleterre que la nature humaine dans ce pays, je fupporte , pourquoi faut-il.plus affoiblir 1'autorité royale en France? Eft*ce parceque je caractére national en France eft fusceptible de plus de liberté, ou bien parceque le miniftére en Angleterre fait trop fe rendre maitre des fuffrages? Mais, des efprits profonds femblent croire: que ce vice eft une perfeftion, & que de ce mal appafent il refulte un vrai bien pour fétat. Auffi contre ce mal apparent il paroit-y "avoir, dans ce gouvernement, une admirable resfourcc. Car lorrquè le miniftére a perdu la confiance publique, le parti de 1'oppofition fe renforce, & le Roi pour maintenir fon autorité fe voit dans 1'obligation de choifir d'autres Miniftres agréablcs a la nation; d'ou il fenfuit: que la corruption qui même au bien peut être durable, & que celle qui tend au mal eft arretét par elle même. Toute gêne impofëe a la puifiance exécutive eft fujctte a des inconveniens dans uü pays d'une médiocre étendue & doit être pouf cette raifon pernicieufe dans un vafte empire. Plus un  C3>> ön pays eft étendue, plus il faur de 1'unité dan» fon aftion & plus, fi elle manque, les embarras fe mukiplient. Mais dira-t-on: la puifiance exécutive en France eft conférée au Roi! Oui, mais avec quelles encraves? Quel décret, que celui de raflèmblée nationale fur le droit de faire la guerre & la paix, dans lequel on foumet les Miniftres a une cenfure perpétuelle, fource intariflable de défiance & d'une contrainte dans les vues, qui contrafte avec la dignité dun aufli grand royaume. Que 1'on ne dife point Mr. ce font des entraves propres a tenir les Miniftres dans leur devoir! pour que cette idee fut jufte, il faudroit qu'on fit auffi des loix propres a défendre 1'innocence accufée. Si non, les meilleures intentions peuvent être mal interprétées; le plus grand des Miniftres, f'il eft jugé par 1'événement, peut devenir la victime de la profondeur de fes vues dans un projet entrepris pour foutenir la dignité de la nation. Le mal eft toujours au cöté du bien dans le monde; il ne faut pas feulement fonger a faire le bien, mai$,.auffi a prévemr le mal qui peut réfulter du bien même, car tout mal qui arrete un mal plus grand, eft un vrai bien. . •> Je  (33) Je ne crois pas me tromper Monfieur «r penfant que de tels décrets ne font bons que fur le papier & impoffibles dans la pratique. Si 1'on fait réproduire la grandeur d'ame des anciens tems, & qu'alors on fépare la France en de petites Républiques; je croirai au fuccês de ce que 1'on entreprend, finon, je crains que 1'on ne fera rien, pour avoir voulu trop faire. En un mot, il me femble qu'il falloie laiffer plus de puifiance au Roi, ou le faire descendre du thröne, & ceci me conduit a la queftion: Pourquoi rafièmblée nationale com* mence-t-elle a détruire les apparences mêmes d'un gouvernement monarchique? Je me fins imaginé qu'il y a bien des perfonnes parmi le parti populaire , qui pré* voient combien il fera difficile de faire paffèr tout d'un coup ce Royaume, fans fe démembrer de la Monarchie au gouvernement populaire. Peut être même y en a-t-il qui penfent: qu'il n'y a pas d'autre moïen pour réalifer leurs principes démocratiques. —— Mais» pourra-t-on me dire: Si 1'on admet cette poflïbilité , a quoi bon maintenir en atten* dant 1'ombre du moins de 1'autorité royale? C que  (34) que fius-je: peut être parceque c'eft le meilleur moïen d'en détacher de plus en plus les esprits. Peut être les idéés feroient encore trop frappées par le fusdit événement, peut être auffi leur eft- il indifférent d'avoir un Roi fans puis(Since réëlle ou de n'en pas avoir , & qu'ils fê difent en conféquence: fi ce que nous étar bliffons peut fe foutenir, bon; fi cela ne fe peut pas, bon encore; Nous voulons un gouvernement populaire, n'importe de qu'elle facon,. . . . . Mais, laifibns la les motifs d'une fimple fuppofition. Voici pourquoi, Monfieur, cette idéé m'eft venue. Si je ne me trompe, on peut dire: qu'il y a trois partis efièntiels en France. L'un voudroit remertre les chofes apeuprès fur Tanden pied. L'autre voudroit maintenir une véritable Monarchie & ne réformer que les vices capitaux, & les grands abus du gouvernement. Le troifieme eft le démocrarique. Le premier abbatui en apparence conduit fes vues dans 1'ombre du miftère. Le fecond lutte ouvertement avec le troifieme, quoique celui ci foit le plus fort. Or, qui ne fait que le véritable efprir, démocratique, c'eft de dépendre de fon égal  (35) 'égal en vertu de Ia Ioi, & non pas de fbn ((si. périeur en vertu de I'inégalité dans les conditions? & d'après cette vérité ma fuppofraon f'explique par elle même, parcequ'il fenfuit, 1'indifférence fur le maintien de tout ce qui f'efl; établi, pourvu qu'il y ait moïen de faire vivre les Francois fous un gouvernement populaire. Au refte il faut être jufie: fi ceux qui ont adopté ces principes croient de bonne foi que ce foit le vrai moïen d'établir le bonhéur de la nation, on ne fauroit défaprouver leur conduite. Lo^qu'une aflemblée nationale eft convoquée pour veiller au falut des peuples, il faut bien qu'il y ait une grand diverfité dans les principes & celui la agit toujours bien qui adopte le fiftême qui lui paroit le plus propre a la félicité publique; Mais je crains,  (40 1'aftibition , pour ignorer que par amour, pour 1'honneur on peut renoncer aux honneurs, & c'eft pourquoi le principe monarchique peut quelquefbis produire le même effet que le principe Républicain, quoiqu'il f'y trouve 1'esfenticllc différence, que celui-ci eft excité par la conviétion intérieurc, qui fe met fouvent au deflus de 1'opinion, tandis que 1'autre eft mis en action par les idees recues. „ Les Francois, dit un Anglois ingénieux, ,, reflèmblent a la vieille monnoie dont 1'em„ preinte eft effacée par le frottement, & fi „ je ne me trompe , ceci eft plus ou moins „ vrai dans toutes les monarchies." Le trop d'importance qu'on y attaché aux manieres fait du tort aux carafteres; on y voit moins cette originalité, qui fe trouve en Suiffe, en Hollande, & furtout en Angleterre. Les hommes fe refièmblcnt davantage dans les Monarchies, parcequ'ils font plus ce que 1'unité de ce gouvernement, ou pour mieux dire: les idéés recues fur les moeurs & fur les manieres les font être que ce que la nature les a fait. Ecoutons encore Mr. de Montcsquieu fur 1'éducation dans les Monarchies. C 5 „Le9  C40 „ Les vertus qu'on nous y montre font "M toujours moins ce que 1'on ooit aux autres, „ que ce que 1'on fe doit a ibimcme; elles ne „ font pas tant ce qui nous appelle vers nos „ concitoïens que ce qui nous en diftingue. „ On n'y juge pas les aftions des hom-, ,, mes comme bonnes, mais comme belles, non „ comme juftes, mais comme gnandes , non „ comme raifonnables, mais comme extraordi„ naires. „ Dès que 1'honneur y peut trouver quel„ que chofe de noble , il eft ou le juge qui „ les rend légitimes, ou le Sophifte qui les juftifie. „ II permet la rufe lorsqu'elle eft jointe a 1'idée de la grandeur de Tefprit, ou de la grandeur des affaires, comme dans la politii, que dont les fineffès ne 1'offenfent pas. „ II ne défend 1'adulation que lorsqu'elle „ eft féparée de 1'idce d'une grande fortune, „ & n'eft jointe qu'au fentiment de fa propre „ baüeffè. » Cet  C4S) „ Cet honneur bifare fait que les vertus „ re font que ce qu'il veut, & comme il les ,, veut ; il met de fon chef des regies a tout ,, ce qui nous eft préfcrit; il étend oü il „ borne nos devoirs a fa fantaifie, foit qu'ils ,, aient leur fource dans la réligion , dans la politique, ou dans la morale. „ Si dans ces traits de maitre, le génie de la nation francoife eft, comme je le crois, parfaitement faifi, par quel moïen ramenera t-on les idéésa la fimplicité ro'quife pourle gouvernement qu'on cherche a introduire ? Simplicité , qui, vü le dernier dccret, femble y être p'us nécefiaire que dans aucun autre pais de 1'Europe. Je ne crois point qu'il foit poffiblc de dispofer 1'cfprit national en France pour un tel gouvernement. Je puis m'y trompcr, je 1'avoue, mais en ce cas même cela ne fauroit avoir licu d'une facon auffi imprévue — auffi a- brupte par de nouvelles loix — par une conftitudon diamétralement oppofée h 1'ancienne. Non, l'homme eft trop attaché a fes af1feétions, a fes gouts, a fes fantaifies, pour pouvoir fubir une transformation directe. Autant qu'il eft impoflible, de faire prédominer le phlegme dans  C44> dans un tempérament colérique, autant 1'eft il de déraciner de force 1'efprit monarchique. La puifiance de 1'opinion 1'emportc par defliis la puifiance des loix; ce n'eft que pour autant qu'elles f'accordent que les loix peuvent être obfervées. Au refte, il feroit fans doute abfurde de croire que la vraie probité foit bannie des Monarchies, mais comme peu de perfonnes aiment la probité pour la probité même, & que la plupart des gens honetes le font par les exemples, ou par 1'opinion que 1'on attaché a la probité, il eft tout fimple, qu'il doit yen avoir moins dans les Monarchies que dans les Républiques, car, comme vous dites fort bien Monfieur, „la forme du gouvernement, forme le 9, caraétere national." Enfin, pour éviter les fauiïès interprétarions, je ne dis point: que les loix n'ont point d'influence fur les moeurs, mais je dis, qu'elles ne peuvent pas tout faire, & que 1'effét des loix doit être calculé fur le peuple, pour lequel elles font faites. „Lorsqu'on demanda a Solon: „fi les loix qu'il avoit données aux A- théniens  C45) 'théniens étoient les rneilleures: „je leur ai ,v donné , repondit-il, les rneilleures de celles „ qu'ils pouvoient fouffrir w belle parole qui de» 5, vroic être entendue de tous les législateurs. „ Quand uri peuple a de bonnes moeurs, dit en„ core Mr. de Montesquieu, les loix deviennenc „ fimples, & pour prouver comment les loix „ fuivent les moeurs, ilajoute: „Dansle tems „ que les moeurs des Romains étoient pures, „ il n'y avoit point de loi particuliere contre „ le péculat. Quand ce crime commenc,a a ,, paroitre, il fut trouvé fi infame, que d'être „ condamné a reftüuer ce qu'on avoit pria „ fut regardé comme une grande peine, témoiO „ le jugement de L. Scipion. Ne perdons point de vüe Monfieur, que pour procurer aux loix une grande influence fur les moeurs, il faut qu'on aie des moeurs. N'oublions pas, que les bonnes loix auront toujours 1'effet des mauvaifes, lorsque la probité ne préfide pas a leur maintien, & fi Tor» adopte ces principes fi fimples , & fi évidens, on fentira qu'il n'y a point de rapport entre les tentatives des Francois & entre leurs moïens; je conclus donc de tout ce que j'ai dit  C46> ët fur cette matïere: qu'il vautmieux decor, rjger 1'adminiftration d'un gouvernement, que de le bouleverfer. Vons niez, Monfieur, qu'il y ait un grand rapport entre la France & notre République, & dans un fens jen conviens. Sans doute on n'avoit pas chez nous autant qu'en France Ie droit de fe plaindre. Je 1'ai deja dit: la corruption des loix politiques n'avoit pas encore infeété nos loix civiles; nótre proprieté & nöire fureté perfonelle étoient refpeclées, c'eft donc ici que le rapport manque. Mais, il fubfifte dans Pun & dans 1'autrc pais, en ce que Jon veut tout abbattre, pour pouvoir tout ré* confrruire; en ce que 1'on penfe que les loix peuvent détruire les imperfcctions humaines; cji ce que tout le monde croit voir le fiége dn vrai mal & le moïen propre a y rémédier. Enfin, il y a encore un autre rapport entre plulleurs pcrfonncs de 1'un & de 1'autre pais. Bien des gens du para* oppofé dans la République, n'en vouloient point a la conflitution; de même beaucoup de gens en Fran» ce vouloient confèrver la Monarchie. Les uns & les autres ont écé entrainés par les circon- flances  (47) ftances & par les paflions qui jamais ne fe déyeloppent davantage que dans les défuniona civiles. „ S'il eft impoffible (dites vous) de for„ eer 1'amouf du bien général par les loix, „ je ne crois pas qu'il y ait moïen de rendre „ les hommes plus heureux. Mon expérience „ m'a appris que les hommes ont, pour la ,, plupart, de mauvais principes, & que leurs „ vertus ne font que de faufTes vertus. " Daprès les idéés que fai developpées, je ne faurois admettre la première partie de vórre hypothèfe, & quand au refte, je ferois presque tenté de vous demander: qu'eft-ce que vertu? U ne faut pas trop lever le voile quj couvre les motifs par lesqucls agiflènt les hommes, que ne pourroit-pas dire a ce füjet? prenons donc leur beau cöté; abandonnons ceux qui ne fe refpedent pas; chaque honnete homme fait ce qu'il faut entendre par un homme méprifable. Je m'arrete donc auprès de ceux- qui ont cherché a fe connoitre . Auprès de ceux* donc  (48) donc 1'ame n'a point perdu le reflbrt qui donne le fentiment du jufte & de l'injufle, & alors encore je ne douce pas, que la plus grande parcie de leurs vertus ne foient des vertus faufïès; du clinquant qui éblouït Ia raultitude, Cependant, je crois a la vertu, Monfieur, & je plains du fond de mon coeur celui qui ne peut y croire; mais je aie perfuade que les vertus des meilleurs hommes font ternies par les motifs & que ceux qui favent être vrais avec eux mêmes, font fouvent a leurs propres yeux bien peu de chofe. Homme de bien, f'il en eft dans ce monde Illuftre Necker! oü eft le coeur droit & fcnfible qui pouroit douter de vötre probité? mais auffi vous étes trop généreux pour ne pas avouer ce que je viens de dire. C'eft vous, qui ne ditcs point,' mes intentions font pures, mais vous dites: elles font fans reproches. Trop vertueux pour avoir befoin d'impofture; trop modefte pour afficher des fentimens de parade; vötre plume h'exprime que les fentimens de vötre coeur & vötre ame fublime fe rapproche, par 1'amour de la vérité, du Dieu bienfaifant dont elle tient Fexiftence. Ce n'eft que dans les momens imprévus qu'un coeur fenfible & généreux,  (49) teux, puiflè être guidé par des vües pure?, & quclle perftction peut on attendre de la nature humaine fi dans les maticres rcfiechies un Neeker n'ofe que dire: mes intentions font lang reproches! Peut être trouverez vous cette fortie bien forte. II y a tant des perfonnes dans 1'opinion de.-quelles eet excelkn: homme a beaucoup perdu , & il n'en feroit pas ainfi f 'il étoit reflé dans fa Patrie. Alors fon nom n'auroit éré prononcé qu'avec la vé. ération la plus refpeclueufe. Alors la pofiérité auroit dit: Les Francois ont chafë leur Bienfaiteur leur Pere — & c'eft a ce ftux pas qu'il faut attribuer toutes les calamité^ furvenues. Quel homme doit donc ecre celui qui facrifie a fa vertu, fa gloire, fon repos, fa fanté & peut être fa vie! Au refte Monfieur , qüoique Ia plupart des vertus humaines ne fauroient fupporter la pierre de touche, c'eft un grand bien de pouvoir marcher tête levée, & de fe fentir honète homme. Vous avez eflujé des malheurs, mals il vous refte 1'eftime de ceux qui vous connoiflènt, & je connois trop vos fentimens pour ne  (50) ne pas étre conraincu qu'ils vous ont élevê au dcfuis de la fortune. Le défir de faire le bien, eft inné dans un coeur honête, la fortune en fournit les moïens, il n'y eft donc pas infenfible. Mais, lorsqu'elle lui échappe, lorsque les événemens y portent atteinte, il apprend a f'en paiïèr, & il furmonte aifément ie reflcntiment & 1'envie. „ Les gens d'hon„ ncur, (dit un homme d'efprit) ne font fou„ vent pas fortune, puisqu'ils ne la placent qu'a „ la fuite de 1'honneur, & qu'ils la croient fake y, pour donner du reliëf a la vertu, & pour en être comme la recompenfe." Mais, ce qu'il y a de disgracieux, c'eft que celui, qui n'a pas calculé les moïens qui conduifent a la fortune eft fouvent expofé aux reproches de ceux qui lui veulent du bien. Comme fi la délicareflè dans les moïens n'e'toit pas inféparable de 1'eftime de foimême; comme fil n'y avoit point de gens, qui ne réufiïffènt, que par le fentiment de leur propre bafièftè. Veuillez agréer les fentimens diftingués & le vrai attachement avec lesqu'els j'ai 1'honneur d'être Monfieur! Votre tres humble & trés obéïflant Serviteur.