E S S AI S Ü R LES FACULTÉS DE L'AME,   E S S A I 5 U R LES FA CU LT ÉS DE L' A M E, Confidérées dans leurs rapports avec Ia fenfibiüté & l'irritabilité de nos organes ; Par M, FABRE3 Profeffeur aux Ecoles Royales de Chirurgie , &c. A AMSTERDAM, Et fe trouve a Paris, f V e n t e , Libraire , rue des Angloïs. IMérigot jeune, Libraire, quai des Chez\ Auguflins , au coin de la rue Pavée. /Buiss o n , Libraire, rue des Poitevins; hotel de Melgrigny. M. DCC. LXXXV.   E P I T R E DÉDICATOIRE A M. LE CHEVALI ER DE CHAMPIGNY. MONSIEUR, hommage de eet Ouvrage vons eft bien du; cejl vous qui mavez* inï\ a  pirela plus grande confiance en mes principes , quelques nouveaux quMs foient;pour peu que je vous lesfiffe entrevoir, vous les faififfïez,, vous les developpiez, même avec une fagacite qui me flattoit en me pénétrant de leur certitude : oui, la véritéfevdeejl capable de /rapper ainfi un ejprit auffi jufte que le vbtre. Vous favez* que Bacon ouvrit une va/te carrière a la faine Fhilofopkie » en remontant a la  Jouree des erreurs, en mon* trant que Vobfervation des faits & de la nature pouvoitfeule conduire a la vérité; auffï avez> - vous trouvé quen fuivant fidèlement cette voie ,fai combattu U matérialifme dune manière plus fatisfaifante que perfonne: cependant Vobfervation ma obligé d'accorder a la matière bien desfacultés quon lui refujoit; maisvous avez, très-bien jenti que par la je rendois plus facrées a ij  les preuves que jai données d'ailleurs de l'exiftence de Vame. Enfin, a combien dautres titres ne meritezvous pas le témoignage public de la véne'ration de celui que vous vous plaifez, Rappeller votre ami. F AB RE.  A VE R TISSE MENT. Il y a environ vingt-cinq ans que M. de Haller publia des expériences faites fut les animaux vivansj pour confrater , difoicii, la fenfibilité & i'irritabiiicé de leurs organes : ces expériences le trompèrent , en ne lui découvrant ces propriécés que dans certaines parties ; d'oü il conclut que les autres en étoienc privées. L'exercice de Ia Chirurgie me fit bientöt apperceyoir cette erreur; en conféquence aiij  X ^VERTISSE MENT. je publiai, il y a quinze ans, un ouvrage oü je démontrai que toutes nos parties étoient ce qu on appelle en Phifiologie, fenfibles & irritables, & oü je commencai a faire l'application de cette doótrine aux fonóïions de 1'économie animale. Quelque temps après , dans un autre Ouvrage , intitulé : Recherches fur la nature de l'homme, confidéré dans Vétat de fanté & dans Vétat de maladïe y je donnai plus d'étendue a cette application : en  AVERT1S SEMENT. xj y traitant de la Phifiologie , je fis entrevoir les rapports de ce que nous appellons fonctions animales , avec la fenfibilité & rirritabilité: ce n étoit encore qu un fimple appercu ; maïs les recherches que fai fakes de-uis fur les différentes opinions des Philofbphes • touchant les facultés de 1'ame , m'ont découvere qu'il y avoit des erreurs a combattre , & du cóté des Métapbyficiens, & du cóté des JMatériaiiftes. Ceft ce que j'ai entrepris aiy  XÏj AVERTIS S EMENT. dans eet Ouvrage ; mais je dois prévenir le Lecleur, que quelqu'un m'ayant fait appercevoir que mes expreffions, touchant les fenfations Sc le fentiment, ne répondoient pas toujours a 1'idée qu'on doit avoir de 1'ame & de la matière , j'ai d'abord tenté de juftifier mes idees a. eet égard , comme on le verra dans un poft -fcriptum qu'on trouvera a la page 84; mais j'ai fenti depuis , que je fuis encore refté en arrière dans ma tentative. Il fembleroit, en efFet, dV  AvERTISSEME NT. XÜj prés les mots fenfation Sc [entiment, que j'ai appliqués indiftinclement a 1'homme Sc aux bêtes, que je penfe que la matière fèroit fufceptible de ces fenfations d'apperception, de ces fentimens de douieur , de plaifir Sc de confcience qui ne peuvent appartenir qu'a une fubftance fimple Sc fpirituelle , telle qu'eft notre ame. C'efl: ainfi que ces expreffions^ que j'ai employees en beaucoup d'occafions , en parlant des animaux auxquels je refufe une ame , ont pu être interprétées d'une manière qui a v  XIV AvERT IS SEMENT. choque les idees qu'on leur attaché en Métaphyfique ; ce que j'aurois évité li j'avois rappellé dans eet Ouvrage la définition que j'ai donnée de la fenfibiiité phyfique dans mes Recherches fur la nature de l'homme, en parlant de i'kritabilité. « Telle eft , ai-je dit, cette » propriété de la matière or- » ganifée vivante, a laquelle » je donnerai déformais le feul » nom de fenfibiiité; mais je r> n'entends point par ce mot » la perception Sc le fenti- » ment que 1'ame a des - im-  Ar ERT IS SE ME NT. XV » preflions que les objecs ma•s) tériels font fur nos organes, » mais une action ou un » mouvement qui eft déter» miné dans plufieurs de nos » parties par ces mêmes im» prelfions». J'ai encore averti dans un autre endrc it de mes Ouvrages, en parlant de 1'organifation animale dans le vivant, que je prenois le fentiment dans un fens purement phyfique > c'eft-a-dire que j'entendois par ce mot une impreifion qui porte, par la communication des nerfs., fur ies parties préa vj  XVj AVERTISSEMENT. cordiales, Sc dont il réfulte divers mouvemens corporels, idirférentes aólions , fans le concours de 1'ame. C'eft d'après ces définitions que j'ai dit que la fenfibilité étoit commune afhomme, auxanimaux Sc aux plantes même, comme en en a la preuve dans la feniitive Sc dans d'autres ; Sc c'eft dans ce fens phyfique que les mots de fenfibilité, de fentiment Sc d'irritahilité peuvent être fynonimes. C'eft donc 1'habitude que j'avois d'employer en Phifiologie les mots de feu fatzon Sc de  Avertissement. xvi> fentiment pour exprimer la fenfibilité phyfique, qui ne confifte que dans des mouvemens organiques; c'eft, dis-je, cette habitude qui a détourné mon attention des reprocbes que ces expreffionspouvoientm'attirer. C'eft donc non - feulement pour déterminer le véritable fens dans lequel on doit. les enrendre lorfque je parlerai des animaux, mais encore pour préparer le Leóleur a concevoir 1'idée que je luipiéfenterai des rapports de i'homme avec tous les êsres organifésen général, que je vais faire  XVÜj AVERTISS EMENT. précéder eet Ouvrage par un Difcours préliminaire Enfin, pour achever d'éclaircir quelques exprefïions & quelques idéés qui peuvent paroitre équivoques , je vais ajouter ici quelques réflexions en forme de notes, que le Lecteur aura la bonté de rapporter aux pages ëi. aux lignes que j'indiquerai ; je releverai en même temps quelques fautes d'impreffion qui ont échappé.  RÉFLEXIONS En f o r m e de notes A ajoutcr dans k corps 51, M. dt Maupertuis a dit que Defcartes ne regarda les bêtes comme de pnres machines, en les comparant a une horloge , que pour plaire aux Théologiens, &,que le contraire arriva , paree qu'ils craignirent , ajoute M. de Maupertuis, que fi 1'on admettoit un tel méchanifme pous caufe de toutes les aöions des bêtes, on ne put foutenir auffi que toutes celles des hommes n'avoient point d'autre principe. Mais ces prétendus Théologiens avoient une ■terreur panique , paree que Defcartes avoit enfeigné & prouvé que les fentimens de plaifir & de douleur ne pouvoient réfi-  xx RÉ FLEXIONS, &c. der que dans un être fimple & fpirituel ; il avoit établi que ces feminiens n'avoient rien de commun avec les mouvemens phylïques & les au tres propriétés de la matière; d'oü il concluoitque les bêtes n'ayant pas ce principe fpirituel, ne pouvoient éprouver ni fentiment de douleur,ni fentiment de plaifir , & par conféquent qu'elles étoient de pures machines. L'homme le plus ftupide éprouvant les fenfations de douleur & de plaifir, ne peut donc être comparé avec elleson ne peut donc pas dire que le principe qui lui fait éprouver ces fenfations lui eft commun avec les bêtes. 3. Page Sx ,ligne 17 , le fentiment qu'il craint, life[, le chariment qu'il craint. 4. Page 87 , ligne 18 , eet auteur avance d'abord une propofition fingulière , eet auteur avance cette propofition. rité, les idéés des Métaphyficiens ne font point en contradiöion avec les expériences ; als rejettent feulement un langage adopté par les Phifiologiües. Ces derniers, accoutumés a appdler certains mouvemens corporels fenfibilité, ïrritabiliti, paree qu'ils font la caufe occafionnelle de la douleur,. du plaifir & des paffions dont 1'ame eft affeclée, qualifient de partie douloureufe celle oii s'opère le mouvement corporel qui occafionne la douleur i mais ils conviennent que ces mouvemens matériels, cette irritabilité , cette fenfibilité n'ont rien de commun avec la fenfation de douleur & autres que notre ame éprouve. Il eft donc évident qu'il ne s'agit que d'une contrariété dans le langage. 6. Page 94, 1'enfant a une ame, fans doute , mais tout le monde convient qu'elle n'exerce aucune de fes facultés (ajoutcz intelle£tuelles ) dans les premiers temps de fon exiftence. Or , 1'enfant qui vient de  xxij RÉFLEXIONS,&c. fortir du fein de fa mere eft ici coroparé a un petit chien qui vient de na'itre. A la rigueur on peut dire que cette comparaifom n'eft pas parfaite, paree que 1'enfant ayant une ame , cette fubftance fpirituelle eft affeclée du fentiment de la douleur, tandis que le jeune chien n'éprouve que des mouvemens méchaniques; mais je n'ai eu en vue ici que la fimilitude de la fenfibilité phyfique , qui eft exaöement la même dans 1'un & dans 1'autre , fans que 1'ame de 1'enfant donne aucun figne de fes facultés. 7. Lorfque je dis, page 96, que les réfultats des obfervations de Locke. & dcfalbé de Condillac prouvent que notre ame n'a des idéés que par nos fens, j'entends que les fens n'en font que les caufes occafionnelles. C'eft de cette manière que je 1'ai entendu lorfque je dis, page 106, que 1'action intuitive interne , que je regarde comme un fixième fens , donne occafion a 1'ame de réfléchir , de comparer des idéés, ces facultés ne pouvant appartenir a cette  RÉ F L E XI O NS, &c. xxiij vue intérieure, qui n'eft capable que de mouvemens corporels. 8. Page 108, ligne 18 , &/af, qu'on rapporte a préfent a 1'ame , excitée par la vue intérieure , les fonclions , &c. 9. Page 109, ligne 13, effacez les mots fuivans, la vcrtu & le vice,fuppléez les nams de verta & de vice, &c. 10. Même page , lignes 19 & zo, effacez ce qui fuit, ce font ces aclions que la vue intérieure nous retrace ; life%, 1'ame, au moyen de la faculté de réfléchir que lui a donnée le Créateürpour fe perfe&ionner, acquiert les idees de la vertu & du vice. 11. Je ne faurois trop prcvenir le Lecteur que dans toutes les occafions oü je parle des organes du fentiment, je les confidère phyfiquement, c'eft - a- dire que je défigne par cette expreffion le centre du fyftême nerveux, qui eft placé fous le diaphragme , & qui eft le véritable fenforium commune, oii répondent toutes les imprs£-  Xxiv RÊFLEXI ONS, &c. fions un peu fortes, foit de la part des fubftances matérielles , foit de la part des affe&ions de 1'ame. Ainfi , lorfque je dis , page 113, que les animaux font doués, ainfi que 1'homme, du fentiment , je ne parle que du fentiment phyfique, & non de celui dont 1'ame de 1'homme eft afredde , & qui n'a ricn de commun avec le fentiment corporel. 12. Page 129 ,« c'eft par ces loix, ai- je dit, que lesidees du juffe & de 1'injufte, de la convenancc & de la difconvenance , &c. affectent différemment les hommes», ajourez, quoique ces idéés foient les mêmes chez tous les ho mmes, lts fenfations qui en font la caufe occafionnelle afftdent plus ou moins vivement celui qui les éprouve. 13. Page 134 , notez que dans ce cftapitre je ne parle que du principe phyfique des différens caraöères. Dans le feptième , oü il s'agira de la liberté de 1'homme, je parlerai du principe fpirituel qui peut modérer, réprimer, & même vaincre les af-  RÊFlEXIONS,&c. xxv feóVions & les affinités qui portent 1'hornme a la colère , a la vengeance. 14.. Page 167, ligne première & fecondc, effacez nécejj'airts, & fubftituez ordinaircs. 1^. Lorfque j'ai dit, page 186, que la Philofophie nous dicte que fi la révélation ne nous avoit pas annoncé une vie future, il faudroit la fuppofer pour notre bonheur , je n'ai voulu dire autre chofe, finon qu'il ne peut exifter ni félicité particuliere, ni félicité publique dès que ce dogme devient incertain , & qu'en conféquence la bonté du Créateur nous ell un sur garant de 1'exifience de cette vie future. 16. Page 190, ligne li , après le mot c'ejl, ajoutez , pour plujiturs. 17. Page ii1), ligne 18 } cYEttingen , lifei, Deitingen, 18. Enfin je dois encore avertir le Lecteur que les loix dj la dialeöique m'obligcront de me répéter fur différens points que j'ai déja traités dans mes autres Ouvrages,  xxvj RÉ F L E XIO NS, &c. par la ratfon que ces Ouvrages, qui ne regardent que 1'art de gucrir , ont du être in"différens a pluueurs perfonncs qui fcront peut-êtrc curieufes de lire celui-ci.  xxv i.) DISCOURS PRÉLIMINAIRE. T i'tgnorance ou Ton a éte, jufqu'a ces dernicrs temps, fur les vrais principes de la vie des êtres organifés, a donne lieu a une infinité d'hypothèfes métaphyfiques dont les Matérialiftes ont fouvent profité pour fe rarTermir dans leurs •idéés : voyons d'abord la manière féduifante dont M. de Voltairc femble , dans la fiöion fuivante, vouloir infinuer cette opinion. II fuppofe une douzaine de bons Philofophes dans une ile oü ils n ont jamais vu que des végétaux : ils admirent cette vie qui circule, qui femble fe perdre & enfuite fe  xxviij DISCOURS renouveller; & ne fachantpas trop comment ils prennent leur nourriture & leur accroiflement, ils appellent cela ame ve'gétative. Qu'entendez-vous par ame végétative ? leur dit-on. C'eft un mot, répondentils, qui fert a exprimer le reffort inconnu par lequel tout cela s'opère : mais ne voyez - vous pas 9 leur dit un Méchanicien , que tout cela fe fait naturellement par des poids, des leviers, des roues , des poulies f Non, difent cesPhilofophes, il y a dans cette végétation autre chofe que des mouvemens ordinaires; il y a un pouvoir fecret qu'ont toutes les plantes d'attirer a elles ce fuc qui les nourrit, & ce pouvoir, qui n'eft explicable par aucune méchanique , eft un don que Dieu a fait a la matière , &  PRÉLIMINAIRE, xxix & dont ni vous ni moi ne comprenons la nature. Ayant ainfi difputé, nos raifonneurs découvrent enfin des animaux. Oh, oh, difent - ils , après un long examen, voila des êtres organifés comme nous ■ ils ont inconrëftabiement de la mdmoire , & fouvent plus que nous; ils ont des paffions; ils ont de la connoiffance; ■üs font entcndre ieurs befoins; ik jperpétuentlcurs efpèces. Nos Phillofophcs diffèquent quelques-uns fe ces êtres ; ik y tföuvent un coeur |ne eervelle. Quoi ! difent-ils * Jauteur de ces machines, qui ne fait nen en vain, leur auroit donné ;ous les organes du fentimenr, qu'ils neuffent point de fbnti |em? Tl fcroitabfurde dele pen-r. II y a certainement en eux b  xxx DISCOURS quelque chcfe que nous appellons auffi ame , foute de mieux, quelque chofe qui éprouve des fenfations , & qui a une certaine mefure d'iddes. Mais ce principe, quel eft-il? eft-ce quelque chofe d'abfolument différent dc la matière; eft - ce un efprit pur ? eft-ce un être mitoyen entre la matière que nous ne connoiiTons gucre, 6:1'efpfh que nous ne connoiiïons ras ? ett - ce une propricté donnce de Dieu a ia matière organifée ? Ils font alors des expériences fur les infeaes, ft» les vers de terre j lis les coupent en plufieurs .parties, & ils font étonnés de voir qu'au bout de quelque temps il vient des têtes k toutes ces parties coupée's. Le mérite animal fe reproduit donc, & tire ainfi de fa def-  PRÉLIMINAIRE, xxxj truftion menie dequoi fe multiplier. A-t-il plufieurs ames qui attendent, pour animer ces parties reproduites, qu'on ait coupé la tête au premier tronc ? Ils reffemblent aux arbres qui repouffent des branches , & qui fe reproduifent de bouture : ces arbres ont - ils plufieurs ames ? 11 n'y a pas d'apparence : donc il eft trés - probableque 1'ame de ces bêtes eft d'une autre efpèce que ce que nous appel lons ame végétative dans les plantes; que c'eft une faculté que Dieu a daigné donner a certaines portions de la matière ; c'eft une nouvelle preuve de fa puilfance ; c'eft un nouveau fujet de 1'adorer, &c. M. Bonnet, ainfi que plufieurs Métaphyficiens , a accordé plus bij  xxxij DISCOURS pofitivement une ame aux bêtes. Voici comme il s'explique en conlidérant les anïmaux en général. « S'il eft une faculté, dit-il (ij, ?> qui paroiffe propre a i''ammal » exclufivement a la plante, c'eft » affurément d'être doué d'une ame » capable de fentir. Unie k une v fub'flance organifée par des nceuds » inconnus , cette ame compofe » avec cette fubftanqe un être » mixte, un être qui participe a » la nature des corps & h celÏQ * des efprits. Comme pprtion da » matière , eet être eft une ma- j S chine admirable par fa ftrucwre; » comme fubftance fpirituelle, eet ; » être eft atóe' de la préfence des j ( i ) Conremplation de la nature , X' pa«q chap. XXX.  PRÉLIMINAIRE, xxxii) » objets corporels d'une manière j> qui ne paroit avoir aucun rap- » port avec ceile dont les fubf- » tances matérielies agifTent les » unes fur les autres. De l'impref- » fion des objets extérieurs réfulte » un certain mouvement dans la » machine; de ce mouvement ré- » fulte dans 1'ame un certain fen- » timent qui eft fuivi de la réac- » tion de la fubftance fpirituelle » fur la fubftance corporelle; réac- » tion qui manifefie au dehors le » fentiment, & qui en eft 1'expref- » Tion ou le figne. » Les divers fentimens qui s'ex» cltent dans 1'animal peuvent fe » réduire au plaifir & a la douleur, » féparés 1'un de 1'autre par des » degrés fouvent infenfibles , 6k b iij  xxxiv DISCOURS » iflus de la même origine. Le plai» fir porte 1'animal a rechercher 3> ce qui convient a fa conferva» tion & a celle de fon efpèce. * La douleur le porte a fuir tout y> ce qui peut nuire a cette doublé » fin. » L'expreffion de la douleur & 3> du plaifir n'eft pas la même chez ■» tous les animaux, foit paree que » 1'intenfité ou la quantité de 1'un y> öc de 1'autre variedans difFérentes » efpèces, foit paree que les or» ganes , au moyen defquels 1'ame » manifefte fes fentimens, ne font » pas les mêmes chez tous les ani» maux. » II eft des efpèces oü le fentl3> ment fe manifefte par un plus » grand nombre de fignes, par des  Préliminaire. ^ » fignes plus varie's, plus expreffifs, j) moins équivoques ; & Ces efpèces >) font les plus parfaites, celles qui » ont avec nous des rapports plus » prochains. Que d'expreffions, par »exemple , dans 1'air , dans les >> móuvèmens & dans les attitu» des du finge, du cheval, du chien, » du chat, de Fécureuil! II n'y a » guère moins d'exprefiions chez » les oifeaux que chez les quadruy> pèdes; il ne faut, pour s'en con» vaincre, que jetter les yeux fur » une baffe cour. » Mais les poifTons ne s'expri» ment pas avec autant de clarté » ck d'énergie ; ils fprmerit un peu» ple de muets chez qui le lan» gage des fignes eft peu abondant. 3) Les reptiies, ies coquillages, ies b iv  xxxvj DISCO URS » infecSles > encore plus élolgnés » de nous que ne le font les poifv» fons, rendentaufii leur fentiment » d'une manière plus obfcure. En» fin les animaux les moins ani» maux, comme les orties & les » anémones de mer, les polypes, »nous donnent des marqués de » fentiment auxquelles nous ne pou:» vons nous refufer lorfque nous 3> les obfervons avec attention. La 3) promptitude avec laquelle ils fe » contraöent lorfqu'on vient a les » toucher , quoique tres - le'gdre» ment; la manière dont ils allon3) gent & dont ils raccourciffent » leurs bras póur faifir leur proie, » & la porter a leur bouche, ne » permettent pas de les retrancher » du nombre des êtres fentans ». Mais je vals plus loin que n'ofe  PRÉLIMINAIRE, xxxvij d'abord aller ?A. Bonnet; a tous ces êtres j'ajoute les piantes, puifque plufieurs de leurs parties font également capables de mouvement, & que plufieurs d'entre elles donnent des fignes trop marqués de cette fenfibilité que nous nommons phyfique, pour les exclure de la chaine des êtres qu'on croit fufceptibles de fentiment. Les feuilles de la fenfitive s'ouvrent le jour, öc fe ferment a l'approche de la nuk j les mouvemens de contrattion s'obfervent dans fes raineaux comme dans fes feuilles. M. Duhamel a fait plufieurs obfervations fur cette plante; il a vu qu'une irritation produit plus tfeflèt qu'une incifion, ou même qu'une feclion ; une ldgère irritation n'agit que fur la parde qu'elle affecle direclement, & bv  xxxvlij DISCO U RÉ fur les parties voifines; mais une plus forte irritation porte plus loire fes influences, & d'autantplusloin, qu'elle eft plus forte : tout ce qui peut produire quelque effet fur les organes des animaux agit fur la" fenfitive; une fecouffe, une dgratignure, Ia chaleur, Ie froid, les odeurs pénétrantes, font contracter fes rameaux & fes feuilles. On trouve dans l'Arnérique feptentrionale une forte de fenfitive bien plus admïrable encore que celle de nos climats; car la plante dont il eft queftion failit des infe&es vivans comme fait un animal qui vit de proie. L'attrape-mouches, ou le dioneecL mufcipulaeft le nom que Linceus a donne'a cette plante ? devenue célèbre depuis quelques années ; fes feuilles, d'une figure  PRELIMINAIRE, xxxix longue & cunéiforme, portent a leur extrémité une appéndice partagée en deux lobes entourés d'épïnes, 6c mobiles fur la ligne qui les fépare comme fur une charnière, a-peu-près comme les deux écailles d'une huitre. Of, lorfqü'une mouche, attirée paf un fuc mielleux qui fe filtre fuf ces efpèces de palettes, vient s'y pofer , elles fe rapprochent a finftant, faififfent le malheureux volatil, le ferrent de plus en plus tant qu'il fait des mouvemens pour s'échapper, & ne le lachent enfin que lorfqu'il eft mort, paree que, dans eet état, fon immobilité fait ceffer la contraclion des deux palettes. Tels font les mouvemens, les adVions qu'on obferve dans les êtres erganifés; or, il s'agit de favoir fi b vj  xl DISCOURS une ame fpiritueile en eft le principe , ou s'ils ne dépendent que de 1'irritabilitd , confidérée comme une fimple prcpriétd phyfique, dont Dieu , dans la création, a doué la matière organife'e vivantefans 1'intervention d'un être fpirituel. Loin de craindre de contredire la foi Sc la révélation , ni de bleffer la religion, en admettant la dernière de ces propofitions, je crois, au contraire , combattre le Matérialifme plus puifTamment qu'on n'a fait jufqu'a préfent, en prouvant, autant que la raifon & 1 obfervation pourront le permettre , que , V hom me n'eft confortdu que par la matière avec tous les êtres organifés y & que Dieu l'a difüngué éminemrnent dans la nature, en le douant feul d'une ame fpiritueile & immor-  PRÉLIMINAIRE, xlj telle. Telle eft la thèfe que j'ai a foutenir dans eet ouvrage. Ceux qui exercent 1'art de guérir font, fans doute, le plus a portee de s'occuper des rapports de 1'ame avec nos organes; ii ne fera point inutile de faire connoitre de quelle manière quelques médecins ont penfé a eet égard. Stahl & fes difciples ont attribué a 1'ame tous les mouvemens du corps, qu'ils ont regardé comme une machine purementhydraulique, dépourvue de toute aöivité, ckdont la méchanique ne diffère en rien de celle de la matière inanimée ; ils ont imaginé que la fabrication du corps & 1'exercice des fon&ions vitales & naturelles étoient i'ouvrage de 1'ame ; qu'elle n'ignoroit rien de tout ce qui s'y palToit; qu'elle étoï%  xlïj DISCOURS même inflruite des changemens qui arrivoient dans les fluides, quoique fon attention fe relachatqüelquefois; qu'elle avoit foin de réparer les défordres qui furvenoient, & que lorfque le corps étoit épuifé psr la fatigue , elle favoit fe dérober aux imprefficns extérieures , & amener ainfi le fommeil pendant lequel elle travailloit tranquillement ck a loifir. Enfin les Stahliens attribuoient les maladies a ce que 1'ame étoit fouvent négligente ou pareffeufe a remplir fes fonêtions; a ce qu'elle fe lailïoit aller quelquefois au défefpoir ou a la crainte par des caufes légères, ce qui lui faifoit abandonner lachement la partie, ou exciter, dans fon trouble , des mouvemens nuifibles a l'économie animale,  PRÉLIMINAIRE. Whytt, moins enthoufiafte , a Imaginé un fyftême fondé fur la même bafe que celui de Stahl, mais qui cependant en diffère effen* tiellement. Son opinion étoit que puifque les contractions des mufcles, dont 1'aclion n'eft pas foumife a la volonté, pouvoient être exci-* tées par 1'irritation méchanique , que puifque ces mouvemens augmentoient dans la même proportion que cette irritation , il falloit croire, ou que la matière étoit capable d'engendrer du mouvement ( ce qu'il jugeoit contraire a tour ce que nous connoiffons des loix de la nature ) , ou admettre qtre 1'ame agit immédiatement fur les fibres mufculaires, & caufe leur contra&ion, quoiqu'elle n'en ait pas la confcience, comme elle 1'a lor£  xli* DISCOURS qu'elle exécute des mouvemens volontaires. II attribuoit donc a 1'ame tous les mouvemens qui ont lieu dans le corps , même ceux qui paroiflent le plus indépendans de la volonté , comme ceux du coeur. II croyoit que 1'ame étoit effentiellement préfente a toutes les parties du corps, & que toutes les fois qu'il fe préfentoit quelque caufe d'irritation nuifible , ou feulement défagréable , elle excitoit des mouvemens propres a 1'écarter. Ainfi, le fang, en rempliflant les ventricules du cccur, caufe une irritation défagréable que 1'ame fait ceffer en produifant la contraêtion des ventricules qui chaffe ce fluide dans les artères. Ainfi , lorfque 1'oeil eft frappé d'une trop vive lumière, il ea réfulte une fenfation  PRÉLIMINAIRE. xïv qu'on auroit peine a fupporter li 1'ame ne rétréciffoit fur-le-champ la prunelle de facon a diminuer confidé'rablement le nombre des rayons qui parviennent a la rétine. Enfin les expériences nombreufes que M. de Halier a faites fur les animaux, & plufieurs Naturaliftes fur les végétaux , ont anéanti ces hypothèfes ; elles ont ouvert les yeux fur le véritable principe du mouvement dans les êtres organifés vivans. C'eft ce principe qu'on a nommé irritab'dité. J'ai déja démontré, dans mes autres Ouvrages, par une infinité d'obfervations faites fur le corps humain dans 1'état de fanté & dans 1'état; de maladie, & il fera encore évidemment prouvé dans celui-ci que cette propriété eft .pure ment phyfique. Si elle  xiv) DISCOURS avoit êtè accordée exclufivement a 1'homme , on poufroit 1'attribuer a 1'ame fans blelfer la raifon ; mais comme non- feulement tous les animaux, mais encore les plantes en font douées, certainement la foi 6c la révelation ne nous obligent pas de croire que les mouvemens 6t les aêtions des bêtes 6c des végétaux dépendent d'un être fpirituel. II eft vrai que nous ne pouvons concevoir le méchanifme de 1'irri* tabilitd; nous favons feulement que dans 1'homme & dans la plus grande partie des animaux A elle dépend d'un fluide dont nous ignorons la nature ; lequel fluide émane du cerveau , 6c eft diftribué', par la veie desnerfs, dans toutes les par-  PRÉLIMINAIRE, xlvïj ties du corps (1); mais 1'ignorance oü nous fommes, de quelle manière rimprefllon des fubfiances matérieiles fur les organes des êtres vivans détermine les mouvemens dont il s'agit, fuffit-elle pour que nous les attribuions a une ame ? Nous ne connoiffons pas mieux les loix des mouvemens d'attraclion & de répulfion , les loix des affinités chymiques & magnétiques ; avons-nous pour cela le droit de conclure que ce font des ames qui préfident k ces mouvemens ? (i) Si on venoit m'objecler que les êtres dans lefquels o(i ne découvre ni eerveau ni nerfs, comme la plupart des infecles, les coquitla| les plant.es , ne font pas moins capables des mêmes mouvemens , je répeadrois que , fans doute, dans ets êtres , un fluide & une organifauon analogues produÜeot les merries efiets.  xlvïij DISCOURS ■ C'eft ainfi qu'en voulant rendré raifon de tout, on a abufé du mot ame, en 1'appliquant a plufieurs caufes que Dieu a placéei iau-dela de la fphère de notre intelligence; 1'ame végétative, 1'ame fenfitive , 1'ame accordée aux bêtes; nors avons vu plus d'un Philofophe s'autori er de ces idéés pour conclure en faveur du Matérialifme; car, comme le mot ame, également appliqué a 1'homme , aux bêtes & aux plantes, efiace toute ligne de démarcation entre ces diiférens êtres, on a conclu que dans 1'homme tout n'étoit que matière, ainfi que la raifon nous prefcrit de le penfer a 1'égard des animaux & des végétaux-. Je crois donc établir des principes plus vrais & plus orthodoxes,  PRÉLIMINAIRE, xlfx en démontrant autant qu'on peut 1'exiger , que l irritabilité eft une propriété de la matière organife'e vivante, indépendante de tout être fpirituel. Une propriété commune a 1'homme , aux animaux & aux plantes ; une propriété enfin différemment modifiée fuivant leur orgahifatiön particuliere ; c'eft pourquoi il n'eft point furprenant que plus 1'organifation de certains animaux a de rapporti avec celle de 1'homme , plus les mouvemens & les actions de ces animaux ont de reffembianee avec les Hennes: mais ces reflemblances ne leur fuppofent point une ame. Ce qui en a impofé a eet égard , c'eft le cerveau dont la plupart des animaux fontpourvus comme nous, & auquel on a fait jouer un röie  1 DISCOURS ü diftingué dans la pfycologie , tandis qu'il fera démontré dans eet ouvrage, que toutes fes fon&ions fe re'duifent k préparer le fluide qui eft diftribué dans toutes les parties du corps par la voie des nerfs. Un autre phénomène bien remarquable qu'on ne fauroit expliquer , & qu'on a également rapporté aux facultés d'une ame, conlifte dans les différens rapports, dans les différentes affinités que le fyftême fenfible a avec les objets extérieurs; mais c'eft encore ici une propriété phyfique que Dieu a accordée a la matière organifée vivante; propriété qui tient évidemment aux différentes modifications primitives ou acquifes du fyftême fenfible en général, & de chacun iles organes en particulier dans  PRÉLIMINAIRE. Ij 1'homme & dansles animaux ; dela, la diiférence de leur inftinct, de leur gotit, de leurs afteêtions, de leurs averfions, de leur caractère , & des différentes propriétés de leurs fens, comme jen donnerai les preuves les plus convaincantes. Tel eft le point de vue fous lequel je cönfidörerai tous les êtres organifés vivans. En fuppofant que 1'homme n'eüt point d'ame, ainfi que les animaux, il vivroit également, il fe reproduiroit; toutes fes foncVions vitales & naturelles s'exdcuteroient par les rnêmes loix, fes mouvemens lui donneroient un air d'intelügence qui ne dépendroit cependant que du jeu de fes organes ; aufii la plupart de fes aêtions animales, pedant tout le cours de  Vi) DISCOURS fa vie, ne font-eUes que ie péfultay de fon organifation, fans que fon ame y ait aaivement aucune part; ce lïeft que dans les momens oü elle exerce fes facultés, qu'il eft réellement diftingué de tous les êtres organifcs. Quelles font donc ces facultés ? La folution de cette queftion eft le principal objet de eet ouvrage ; pour les développer : ces facultés, je commencerai par examiner leurs rapports avec les fens i ces fens font diftingués en externes & en internes ; on connoit les premiers : a 1'égard des feconds, on trouvera des idéés nouvelles que 1'cbfervation rn'a fuggérées; elle ma fait diflinguer une propriété particulière de lofgang de la vue, c'eft. A-dire, une vue intérieure, dont les  PRÉLIMINAIRE, liij les rappprts avec 1'ame conftituent les opérations de ce qu'on nomme l'efprit; de la , la réflexion, la con> paraifon , 1'imagination , la mémoire, &c. En feoond lieu , on avoit cru que le fenforium commune réfidoit dans le cerveau k 1'origine des nerfs; mais on fera obligé de le reconnoitre placé au milieu du corps , fousle diaphragme, oü l'anatomie nous apprend que fe trouve le centre du fyftême fenfible , auquel tous les nerfs répondent par la communication que le nerf intercofial établit entre eux: or, ce font les rapports de 1'ame avec ce centre, auquel j'ai donné le nom d'organe du fentiment; ce font, dis-je, ces rapports qui diftinguent éminemment 1'homme de la béte; car c  liv DISCOURS on verra que la fenfibilité phyfique de eet organe, portée a un certain point, influe d'une manière admirable fur les facultés de 1'ame, en rendant plus aêtifs les fens qui lui fourniflent fes perceptions ; de la le génie 6c les talens. Enfin , après avoir confidéré 1'ame , n'exercant fes facultés qua la faveur des fens, nous la verrons agir par elle - même; telle eft la volonté, le plus précieux de fes attributs, par lequel Dieu a rendu 1'homme libre 6c le maitre de faire fon bonheur. Mais quel eft donc ce bonheur ? Chacun 1'apprécie fuivant fes préjugés, fes goüts, fes paflions; Jean-Jacques RouJJeau, qui s'en eft li fort occupé , en a-t-il eu une jufte idéé ? C'eft ce qui me refte a . examiner en peu de mots en terminant ce difcours.  PRÉLIMINAIRE, lv Ce Philofophe, dans un fyftême nouveau , commence par envifager 1'eipèce humaine fous différens rapports ; il la confidère d'abord avant rétabliffement de la fociété : voici 1'idée qu'il donne de eet état primitif, auquel il rapporte exclufivement le principe du vrai bonheur. « Qu'eft-ce que 1'homme, dit-il, » fi on le dépouillede tous les dons » furnaturels qu'il a pu recevoir, » & de toutes les facultés artifi» cielles qu'il n'a pu acquérir que » par de longs progrès ? N'eft-il pas » évident que 1'homme ainfi confi» déré eft un être compofé de deux » fubftances, d'un corps plus avan» tageufement organifé que les » autres animaux, &c d'une ame fpi» rituelle, immortelle, libre9 fen» fible, compatifiante, intelligente; c ij  Ivj DISCOURS 5> que eet être, en fortantdes mains » de la nature, eft purement perfec» tible, c'eft-a-dire, qu'il n'a recu •» fes facultés intelleêtuelles 6t mo» rales qu'en puiffancc; qu'il a be» foin , pour perfeclionner ces fa» cultés , du concours fortuit de » plufieurs caufes qui peuvent ne » jamais naïtre, & fans lefquelles il » demeurera éternellement dans fa j> conftitution primitive ? L'homme, j> dans eet état, eft donc fans éner» gie, fans activité, fans aucun exer» cice de fes facultés; borné au 3> feul inftinct phyfique, il ne con» nok que lui, il ne compare rien, » il ne hak ni n'aime rien; en lui 35 la confeience eft nulle ; c'eft un 3> être imbécille, ftupide 6c béte» » Eft-il poffible , continue notre » Philofophe, qu'unpareil être foit  PRÉLIMINAIRE. lvij » malheureux ? N'eft-il pas jncon»teftable, au contraire J qu'il eft » bon & heureux, & qu'il denieu9 rera tel tant qu'il demeurera » dans eet état oü la nature 1'a fait a> naitre? L'homme naturel & pri» mitif eft donc effentiellement bon » öc heureux ». Telles furent , fuivant JeanJacques , les premières générations , les premiers hommes fortant des mains de la nature i placés dans des forêts immenfes , % de grandes diftances les uns des autres, ifolés x nus, fans habitation , fans ufage de la parole, fans aucun exercice de leurs facultés intelleauelles , ils n'éprouvèrent que les paffions qui tirent leur origine des befoins phyfiques; mais fijptèé des millkrs de fiècles, lorfque C üj  Iviij DISCOURS ces hommes extrêmement multipliés ne trouvèrent plus dans les produftions fpontanées de la terre «ne nourriture fuffifante, alors le germe de leurs facultés engourdies /ufqu'a ce moment fut forcé de fe développer; alors ils devinrent induftrieux; les maris, lesfemmes, les pères & les enfans contra&èrent Thabitude de vivre enfemble; chaque individu s'appercut que la manière de penfer de fes femblables étoit conforme a la fienne. Enfuite les hommes fe réunirent par intérêt commun ; ils fe formèrent une idéé des engagemens mutuels & de 1'avantage de les remplir. Ces premiers progrès mirent l'homme en état d'en faire de plus rapides; bientót il fe procura des commodités qui dégénérèrent en befoins;  PRÉLIMINAIRE. lix on s'affembla ; chacun regarda 6c voulut être regardé ; 1'eftime publique eut un prix ; de ces préférences naquirent la vanité 6c le mépris , la honte 6t 1'envie; de la, les premiers pas de 1'inégalité; de la , des haines, des vengeances terribles , &c. Enfin 3 fuivant le Philofophe de Genève, files hommes, qui étoient par leur nature heureux 6c bons , font aujourd'hui méchans 6c malheureux, ils en font uniquement redevables a 1'état focial, qui feul lesadépravés 6c rendus miférables. Quel eft donc le remède qu'il propofe contre les inconvéniens de eet état ? C'eft d'en modifier, corriger, réformer toutes les parties, ou plutot de leur fubftituer un nouveau plan de gouvernement, de relic iv  lx DISCOURS gion & d'éducation ; c'eft cette fubftitution qui eft 1'unique objet de fes écrits philofophiques, politiques & moraux que tout le monde connoit; c'eft ce qu'il appelle édiavec folidité} dans un fiècle oü la Philofophie ne fait que détruire* Telles étoient les vues d&Jean-Jacques Roujfeau. On a vu qu'il a commencé par fubftituer a la révélati on un fyftême ablurde touchant Fhomme qu'il nomme primitif, tel qu'il dit être forti des mainsde la nature; quoiqu'il lui accorde une ame fpiritueile & intelligente, il Faftimile aux bêtes, il le fait errer féul pendant des milliers de fiècles dans les forêts, n'ayant encore 1'ufage ni de la raifon, ni de la parole, abfolumentbrut & ftupide. «Ny a-t-il pas lieu de douter t  PRÉLIMINAIRE, lx) » ajoute-t-il, ft divers animaux an» tropoformes, teis que les orangs» out'ans ,pongos, enjokos, beggos, mandrilles, &c. ne font pas en » efFet de véritables hommes, dont » la race difperfée anciennement » dans les bois, n'auroit pas eu 33 occafion de dëvelopper fes facul33 tés, fic fe trouveroit encore dans 331'état primitif de nature » ? Je ne- crains point de dire qu'on n'a jamais outragé la raifon de cett& force; l'enthoufiafme du génie at-il pu égarer le citoyen de Genève~ jufqu'a ce poinc la ? Qu'on fe repréfente l'homme immédiatement après fa' formation; les rapports de fon ame avec fes fens, oc fur-rout avec fa vue inférieure, ne dnremrrfs pas le diftinguer des bêtes ? Frappé de tem ce qull voyoit 5  hij DISCOURS qu'il touchoit, qu'il fentoit, qu'il goütoit, qu'il entendoit, fon ame dut éprouver des fenfations dont les animaux font abfolument privés; de la, la réflexion, la mémoire , 1'imagination ; ck par ces moyens, fon entendement dut acquérir des connoiffances ou les bêtes ne fauroient atteindre. Voyez le Traité des fenfations de M. l'abbé de Condillac, oü il développe > d'après 1'obfervation, 1'origine & les progrès des connoiffances humaines, en fuppofant une ftatue organifée comme nous, & animée d'un efprit privé de toute efpèce dJidée. Obfervez encore de quelle manière un enfant cherche a s'inftruire fur tout ce qui 1'environne. D'un autre cóté, par les rapports de 1'ame avec ce que nous appel-  PRÉLIMINAIRE. Ix'ür lons les organes du fentiment, & par les loix des affinités que le divin iCréateur a établies entre ces or■ganes & les objets extérieurs , l'homme, tel que lean-Jacques le fuppofe , fut néceffairement capable d'une infinité de mouvemens & d'aaions analogues , a la vénté» a celles des animaux qui font doues des mêmes organes , mais il eut de plus laperception de ces mouvemens & de ces adions ; il eut le fentiment intime de fon exiftence & de fa liberté;il eut des averfions & des affedions plus réfléchies; il eut ce fentiment de conicience qui fait diftinguer le bien d'avec le mal, le vrai d'avec le faux. Enfin fon penchant le porta, fans doute, a vivr^d'abord avec fa familie, & enfuite avec fes fem*  W DISCOURS blables pour former une fociéti) qui eft Hm le plus naturel da 1 hom me. II eft donc bien furprenant ouee le Philofophe de Genève, dont les< vues fur la morale étoienc le plus* fouvent auffi juftes que profondes,, art penfé que le genre humain „ dans fa naiflance, ait fubfifté pendant une multitude de fiècles difperfé dans les bois; qüe chaque: individu folitaire ne s occupoitque: de fes befoins phyfiques, & que: eet état le rendoit heureux, comme fi' ce bonheur, qui eft celui des bêtes, étoit digne de l'homme doué d'une ame fpiritueile & immortelle! C'eft cependant eet état que notre Philofophe auroit voulu prendre pour modèle en propofant des inftitutions capables de rentfre les  PRÉLIMINAIRE, lxv hommes heureux; mais celui oü la foeidté ■humaine eft parvenue aujourd'hui ne le permettant pas, il a taché du moins de s'en approcher le plus qu'il -lui a été polfible. Mon :objet n'eft point d'examiner fi les moyens qu'il ;propofe dans fon fyftême d'éducation & dans fon contrat focial font bien ou mal -wus» je me .bornerai ici a lui reprocher :de n'avoir pas fait une diftinêtion bien éffentielle touchant 1'objet qu'il vouloit approfondir. Ne deivoit-il pas en effet diftinguer la féllicité publique d'avec le bonheur iindividuel ? II eft certain que dans lun état le mieux conftitué, oü 1'éI galité, la liberté, la paix dc 1'abontdance régneroient , des milliers id'individus peuvent être malheuIfeux par les rapports mal affortis  lxv] DISCO URS,&c. de la modification de leur fyftême fenfible avec les objets qui les environnent; de même que dans un autre état , oü la corruption des mceurs domineroit par le vice de fes inftitutions , chaque individu, de quelque condition qu'on le fuppofe , n'eft pas moins le maïtre de ïè rendre heureux par la pratique de la vertu. Oui , 1'efclave d'un tyran peut fe procurer, par la patience & i'exaêtitude a remplir fes devoirs, cette douce fatisfadtion intérieure qui conftitue le véritable bonheur. Fin du Dijcours préliminaire.  T A B L E D E S C HA P I T R E S. CHAPITRE PREMIER. E la repxoduclion des êtres orga-* nijés. Page l. CHAPITRE II. Que Ia fenfibilité' & tlrrltablllté font lei vrals principes de la vie dans Vhomme & dans les animaux. 22 CHAPITRE III. Que les bêtes font de pures machines. $i CHAPITRE IV. Des rapports de Vame avec les organes des fens, & partlculiérement avec celui de la vie. pó CHAPITRE V. Des rapports de Vame avec les organes du fentiment, 123  TABLE DES CHAPITRES. CHAPITRE VI. De tinfluence de la fenfibilité des organes du fentiment fur le génie & les talens. Page 13$ CHAPITRE VII. De la liberté de thomme. 168 CHAPITRE VIII. Des caujes finales. jc; Ejfdi fur les facultés diflérens degrés de leur altération : or, ces mouvemens fuffifent-ils pour eonclure que ces molécules font des animaux vivans ? Mais quand cela feroit, il ne faudioit pas moins , fuivant cette liypothèfe, partir du point oü les premiers linéamens d'un être organifé étant déja formés, fes parties n'ont plus qua fe développer; car il fera toujours auffi difficile de concevoir quand & comment 1'embryon fe forme , qu'il répugne de fuppofer que le germe en exiftoit dans la première femelie de fon efpèce que Dieu a créée. De tous les animaux qu'on peut foumettre aux expériences , pour découvrir de quelle manière leurs parties fe développent, les poulets font le plus a portée de nous foumir les obfervations né> ceffaires: or, tous ceux qui fe font occupés de cette recherche ont vu que la tête & la colonne vertébrale de 1'animal font les parties qui fe montrent les premières , & que toutes les autres paroiffent en fortir.  de VAme. l5" Cette obfervation jette d'abord un trait de lumière qui éclaire ce que nous cherchons a connoitre. La fubftance cérébrale doit donc être regardée comme un vrai bulbe , d'oü partent les nerfs, que nousfavons, par 1'étude de la plüfiologie, fervir de bafe a toutes les parties de 1'animal: ainfi, Ton voit que dans la formation de 1'embryon on ne doit point s'inquiéter des poumons, du cceur, des entrailles , des mufcles , des jambes , &c. ; ces parties doivent être confidérées comme celles des plantes, dont la première trame exifte déja dans 1'oignon, dans la graine ou dans le bourgeon,& qui fe développent enfuite fucceffivement lorfque les circonftances le permettent. Le problême de la formation des animaux ne doit donc regarder que le cerveau, & peut-être une fort petite partie de ce vifcère; mais, quoi qu'il en foit, ce myftère n'eft pas moins impénétrable, 8c ne doit point par conféquent nous occuper: revenons donc au poulet.  16 Effaifur les facultés On obferve que lorfqu'un ceuf a été fécondé par le coq , la chaleur de la poule donne naiffance au poulet qu'il renferme; mais que s'il y a dans la même couve'e un ceuf qui ait été privé de 1'influence de la femence du male, il s'altère & fe pourrit par 1'effet de la même chaleur. Voüa encore un phénomène qu'on chercheroit en vain a expüquer; tout ce qu'on peut dire , c'eft que la femence du male eft néceffaire , ou pour concourir a former le bulbe, d'oü toutes les autres parties doivent fortir, ou pour Tammer feulement. Enfin ,voiIal'ceuf fécondé: d'après les obfervations dont nous venons de parler, on peut donc concevoir qu'un fluide actif agit d'abord fur un point qui contient la première trame des parties du poulet ; ce point eft le cerveau, d'ou partent la moële épinière & tous les nerfs dont le développemenr fuccellif forme chaque partie. t Pour expliquer ce développement „  'de VAmt. fj depuis la formation de 1'animal jufqu'au dernier degré de fon accroiffement, M. de Buffon avoit regardé le corps de eet animal comme une efpèce de moule intérieur , dans lequel la matière qui fert a fon développement fe modèle & s'aflimile au total, de manière que fans qu'il arrivé aucun changement a 1'ordre & a la proportion des parties, il en réfulte une augmentation de chaque partie prife féparément. II eft certain que le développement ne peut fe faire, comme on fe Timagine ordinairement, par la feule addition aux furfaces , & qu'il eft néceffaire que la matière qui fert a ce développement pénètre 1'intérieur de chaque partie , & le pénètre également dans toutes fes dimenfions, pour que laforme de cette partie ne foit point altérée ; mais, fans avoir recours a 1'idée abflraite d'un moule intérieur, il fufEt dadmettre le développement des n-erfs: comme ils font la bafe de toutes les parties de Tanimal, ce développement procurera 1'acr  m iB Effaljur les facultés croiffement proportionnel de chaque paftie, jufqu'au point oü ils ne font plus fufceptibles de s'étendre; ce qui arrivé a diflérens ages dans les animaux, fuivant teurs efpèces. Enfin une preuve évidente que la bafe de nos parties eft telle que je le dis, c'eft que 1'obfervation nous apprend que 1'accroiflement & la nutrition dépendent des nerfs; car, lorfque les principaux nerfs d'un membre font coupés ou gênés dans leurs fonétions , non-feulement ce membre ceffe de croïtre, mais eneore il tombe dans 1'atrophie (i). (i) M. de Haller, & plufieurs autres phifiologiftes, trop préoccupés de la circulation du fang, qu'ils regardoient comme le feul principe de la vie , ont cru que le cceur étoit la partie qui étoit formée la première , & que les vaiffeaux qui en partenr, formoient par leur développement, la bafe de toute3 les autres parties: cela pourroit être ainfi fi le fang ne retournoif point aü cceur, on concevroit bien d'abord la formation des artêres ; mais comment les veines auroient-elles pu fe former enfuite l  de VAme. *9 La reproducïion des vége'taux s'explique par les mêmes principes : une graine renferme les premiers rudimens d'une plante femblable a celle qui 1'a produite; cette graine étant couverte de terre , la sève , qui la pénètre agit fur elle; d'un cóté, elle développe les racines, & de 1'autre elle étend le tilfu qui doit former les autres parties qui doivent s'élever au-delfus de la terre. Mais cette manière n'eft pas la feule par laquelle les végétaux font multipliés. Les graines & les femences ne font pas néceffaires a la reprodudion de toutes les plantes : pour multiplier la vigne, le faule, le grofeillier, il fuffit de couper une de leurs branches & de 1'enfoncer dans la terre. Cette branche devient un tronc qui donne les mêmes produ&ions que celui dont elle a été tirée : il faut donc que cette branche renferme , comme les graines , des germes dont le développement produit des racines & des branches qui croit comme la réfiftance , fe sa montrent fupérieurs aux loix de Ia méchanique. II eft d'ailleurs fort nai) turel que des puiffances animées aug-  24 Ejjai fur les facultés *> mentent leurs efiorts a mefure qu'on 33 leur réfifte; & dans l'homme corporel » & fpirituel tout enfemble, il exifte 3= certainement une puifiance de cette « efpcce. L'ame, de 1'aveu de tout le »> monde, eft le principe de tous les *> mouvemens volontaires & naturels ; '3 excitée par le fentiment confus de fes 33 befoins , occupée en tout temps de la 33 confervation du corps auquel elle eft 33 unie, poufiee par le defr deloigner 33 l'infcant fatal qui doit rorrpre cette »3 union, elle agit dans cette vue par » une efpèce d:inftincè, fans fe rendre 33 fenfiblementtémoignage defonaction; 33 elle eft le moteur qui remonte la ma» chine ; elle combat efficacement les 33 réliftances ordinaires qui tendent a ar>» réter le cours des fluides; elle fait cir» culer Ie fang. A de nouveaux obftacles, »3 elle oppofe de nouveaux efForts; & »3 c'eft dans ces fortes d'efforts redouble's »3 que conlifte la fïèvre : eftorts heureux ï3 ou malheureux , fuivant les circonf33 unces j  de VAwet 2£ » tances ; efforts , dont 1'unique but eft s> notre guérifon mème ; on reconnofc icï » cette nature, dont le médecin doit » étudier Ia marche & feconder les opé33 rations 33. Enfin , pendant que M. de Sauvages t célèbre médecin de Montpeüier , élevoit cette hypothèfe métaphyfique contre Ie fyftême des méchaniciens , M. de Halier faifoit en Allemagne des expériences qui conftatoient la véritable puiffance motrice de nos folides, telle que Af. de Buffon 1'avoit preffentie: c'eft Tirritabilitéj 1 unie a la fenfibilité. « Nous ne connoif= 33 fions pas, ditdès-lors un profeffeur; = 33 d'Italie, le reflort qui fait mouvoir nos 133 parties; quelques foins que I'on eut > 33 employés pour le découvrir, on refioit '33 toujours dans 1'obfcurité des conjeci.33 tures , & 1'on y feroit encore , fi M, de 1:33 Haller ne nous eut pas ouvert Ia voie 33 pour en fortir. L'irritabüité eft un prin'33 cipe démontré, fur lequel eft fondé m le fyftême de 1'éconpmie animale : ejjg B  %6 Efjai fur les facultés » eft le moteur de Ia machine; c'eft elle 3? qui lui donne 1'accroiffement & la vi33 gueur; enfin elle eft i'inlirument par »» lequel s'opèrent les principales fonc** tions du corps C'eft I'idée de ce profeffeur qui excita mon zèle dans le temps , & c'eft du fein de ma profeffion que j'ai vu que tous les phénomènes de 1'économie animale Ia jufiifioit , comme je 1'ai prouvé danstous mes ouvrages : il me fuffira donc ici d'expofer quelques obfervations a eet égard , relatives au fujet que je traite. i°, L'irritabilité & la fenfibilité dépendent des nerfs, ou du moins du fluide nerveux qu'ils diftribuent dans toutes les parties, puifque ces propriétés font aboJies dans celles ou 1'accès de ce fluide eft ïntercepté, 2°. Les cffets de la fenfibilité & de I'ivritabilité font quelquefois féparés, & fort fouvent fimultanés; c'eft a-dire, que ïa méme caufe produit en même-temps tiae fenfation & le mouvement.  de VAme. Sf 3*. Ces deux propriétés, dans les aniaaaux , ne peuvent être excitées que par des agens matériels ; mais dans l'hommej les affecïions morales peuvent auffi influer fur tous les mouvemens de la machine, de la manière que je Texpliquerat en fon lieu. Un phénomène hors de la portee■ de toute explication, eft la différencë! des affinités que les diverfes efpèces de i ftimulus ont avec les parties fenfibles Sc i irritables. L'iroprefilon d'un même agent iqui excite des fenfations & des mouve-' i mens differens dans diverfes perfonnes ; iwne fubftance qui irrite violemment 1'ef-' ttomac, & qui ne produit pas un effet :bicn fenfible lorfqu'elle eft appliquée fur ia membrane pituitaire ou fur la conjonclive; les mêmes caufes morales qui1 :produifent des afFections & d'autres effets fi diffe'rens dans différentes perfonnes. J°. Enfin les fibres nerveufes font plus ).ou moins affectées la première fois qu'elles ifubiffent l'a&ion d'une caufe ftimulante Ba  2<3 Ejjai fur les facultés ou irritante; mais elles s'y accoutument peu-a-peu , au point qu'a la fin elles n'en font plus affectées ; de la les phénomènes fïnguliers de 1'habitude, qui fait que nous nous accoutumons quelquefois aux fubftances les plus pernicieufes fans en être jncommodés , & qui influe de mille ma„nières fur le moral comme fur le phyfique , ainfi que nous le verrons plusJoin (I). (i) On a découvert égalemenr, par des expériencei, que plufieurs parties des plantes font irritables: un célèbre botanifte de 1'académie de- Snint-Peterjbcurg a obierve que 1 irritabilite ver getale eft excitée , ainfi que 1'irritabilité animale, par un flimulant; qu'a la contraéliop des fibres fuccède un relachement fenfible , & que ces alternatives de contraclion & de relachement font en raifon du degré de 1'irritabilité dans les diiFéren:es panies de la plante & de 1'aétion du flimulus; enfin que l'inr'ubilité yégétale a moins d'énercie cue Pirrkabiljté animale, &. que fon 1'appercoit plus fenfiblement dans .les pariies feXuelie? de la plante que dans les autres , quoiqu'elles en foient douées a diiierens degrés. Vöj*. %jnnet, Ccmtemplation de la nature, toni. VJM,  de VAme. 5p Suivant ces obfervations $ tl toutes celles que j'ai rapportées ailleurs , il eft donc évident que la fenfibilité & 1'irritabilité font les vraies caufes qui exécutent toutes les fonctions matérielles dans l'homme & dans les animaux vivans. Jö viens de dire que ces propriétés dépendent du fluide nerveux qui eft préparé dans le cerveau , & que les nerfs diftribuent dans toutes les parties; or, cette idéé nous ramène au méchanifme du développement des parties des animaux , tel que j'ai 1'ai obfervé dans le chapitte précédent: nous pouvons donc dire qu'après la formation de 1'animal, le cerveau, par une fuite de fa première fonótion , continue d'être 1'organe d'oü émane le principe de la fenfibilité & de firritabilité. Mais cela ne fuffit pas, il importe encore de découvrir par quelle force , par quel méchanifme le fluide nerveux eft diftriouó dans toutes les parties, & en même -temps quelle eft la ftructure de none organifation qui donne lieu \ tant B3  fjö Effai fur les facultés ,de phénomènes qui ont étonné jufqua .préfent. L'anatomie & I'exercice de notre art Ji jus apprennent que les fubftances cor.ticales & méiullaires du cerveau font inienfibles &incapab!es, par eües-mêmes, -fl'aucun mouvement. Dun autre cóté, :dcs expériences faites fur des animaux; arivans nous ont montré qua chaquê «xpiration le fang veineux reflue par les •jugulaires & les vertébrales jufques dans „Jes finus de la dure-mère & dans les veines trii uivt,,,;, U'J p2%& ne communiqué^ ■a ce vifcère un mouvement -d elévatioo Jèc ö'abaiffement qui répond a celui de Ja reipiration; méchanifme qui s'étend , par la même caufe, jufqua la mot-Hé épinière. Telle eft donc 1'impulfion totijours agiffante qui détcrmine le fluide nerveux a pénétrer dans les nerfs ; or , comme ce fluide, continuellement pouffé dans la même direöion , ne retourne jamais vers fa fource, les nerfs en font Soujours pleins, & font, par cette raifon,.  de VAme* tf$ dans un état de tenfion qui de'pend de leur plénitude , & non de Téloignemerrt réciproque de leurs extrémités comme les cordes tendues 5 c'eft donc eet état de tenfion qui fait que le fyftême fenfible forme un tout dont les parties out une connexion fi ferrée , une correfpondance fi intime, qu'un nerf ne peut être un peu vivement ébranlé fans que eet ébranlemerit ne fe communiqué dans un iriftant indivifible, non dans le cerveau oü 1'on a placé mal-a-propos le fenforiwn commune, mais dans le centre du corps , oü réfide le principal fiège du fentiment ;qui nous eft commun avec les bêtes. Van Helmont n'avoit point ignoré, a~ peu-prés , Ie fiège du fentiment; il avoit obfervé que 1'aftion des nerfs qui le produit eft dirigée vers Ie centre du corps; auffi plaga-t-il fon grand archée dans Ie pylore, d'oü il fuppofa que fa puiffance & fes ordres s'étendoient fur toutes les autres parties du corps. La même opinion a été préfentée pat' B4  32 Ejfaï fur 'les facultés quelques médecins \ mais fous un autre point de vue. MM. de Ja Café & Bordeü ont regardé le diaphragme comme un centre d'acftïcn qui, dans les fonócions corporelles, & même dans Ie matériel de beaucoup de fonöions dépendantes effentiellement de 1'ame, setend de ce centre dans toutes les parties du corps , ou bien s'y concentre & fait des impreffions furprenantes. Enfin , M. de Buffon a également reconnu que le fiège du fentiment eft dans Je centre du corps. «Dans l'homme , dit* iJ, & dans les animaux qui luirelfemm blent, Ie diaphragme paroït être le « fiège du fentiment: c'eft fur cette par- * tie nerveufe que portent les impref» fions de la douleur & du plaifir; c'eft » fur ce point d'appui que s'exe'cutent i» tous les mouvemens du fyftême fen- 53 fib,e Po«r peu qu'on s'examine , *i continue-t-il, on appercevra aife'ment * que toutes les affections intimes, les * émotions vivcs, les épanouiffemer,s du  de VAme. 3? « plaifir, les faififfemens, les douleurs , » toutes les impreffions fortes des fenfar> tions devenues agréables ou faeheufes, « fe font fentir au-dedans du corps * a « la région même du diaphragme: il n'y t, a, au contraire , nul indtce de fentik ment dans le cerveau; il n'y a dans j» la tête que les fenfations pures , ou plu33 tót les repréfentations des mêmes fen» fations fimples dénuées des caracïères 33 du fentiment ; feulement on fe fou« vient i on fe rappelle que telle ou telle 33 fenfation nous a été agréable Ou défa33 gréable; & fi cette opération qui fe 33 fait dans la tête eft fuivie d'un fenti33 ment vif & réel, alors on en fent 1'imr >3 preffion au-dedans du corps, & tou»3 jours a la région du diaphragme». Ces fortes de phénomènes n'ont pas befoin d'autres preuves que le fentiment intime de celui qui les éprouve. Mais eft-il bien vrai que le pylore ou le diaphragme foient le véritable fiège du fentiment? II eft bien certain que les  34 Ejjaijtör les facultés fenfations un peu fortes & les mouvemens qui le caraótérifent répondent dans le voifTnage de ces parties; mais 1'anatomie va nous apprendre que le* phénomènes qu'on attribue au pylore & a« diaphragme doivent étre rapporte* a une autre partie de cette région. Parmi fes nerfs qui prennent naiffancedu cerveau, on en diftingue deux paires qui communiquent avec beaucoup d'autr.es, & qu'on nomme petitsèc mqyensfympathïques; cleft la portion dure de lafeprième paire & la huitième paire ;mais outre ces nerfs, qui ont une origine connue , il en eft deux autres qui jouentle plusgrand róle dans 1 economie animale; ce font \es deux intercoftaux , un de chaque cóté , ou les grands fympathïques , qui rtgnent le long des vertèbres, depuis le Cm jufqu'a I'extrémité de 1'os facrum. On avoit cru que chaque intercofta! prenoit naiffance de la fïxième paire du cerveau , & de la branche ophtalmique de la cinquième paire; mais M. Winjiow,  de tAme, || öbfervateur fcrupuleux , n nié cette origine fans lui en affigner d'autre. II ne conviendroit point de faire ici h defcription exa&e des intercoftaux; je me contenterai de faire quelques obferva^ tions fur leur difpofition & leur principale fondtion. Ces nerfs, qui communiquent médiatement ou immédiatement avec tous les autres nerfs, font placés au centre du fyftême nerveux pour établir une eorrefpondance de fenfibilité & de mouvement entre toutes les parties du corps, Quoique les nerfs intercoftaux ne tien* nent point immédiatement a la moélle allongée , ni a celle de I'épine , ils n'abondent pas moins en fluide nerveux; ils le regoivent de tous les nerfs avec lefquels ils communiquent: car, comme dans ces nerfs ce fluide ne retourne point vers fa fource, & qu'il y eft fans ceffe pouflé par le reflux du fang veineux, il eft obligé de e réfléchir dans les branches & dans les troncs des deux intercoftaux,oü il aboutig de toute part,  3<5 Ejfai fur les facultés Ces nerfs font entrecoupés, d efp'ace én efpace, par un grand nombre de ganglions ; ces ganglions font autant de centres d'oü il part des fibres nerveufes quï communiquent avec d'aucres,. ou qui fe diftnbuent dans les parties voifines : or , comme il entre des fibres charnues dans la compofition des tuniques de ces ganghons, on peut préfumer que la contrafiaon de ces fibres fert a pouffer avec plus de -force le fluide nerveux dans une infinité de nerfs qui font hors de la portée dé l'impulfion directe que les autres nerfs regoivent, a leur origine. par le reflux du fang veineux, & a rendre par-la la eommunication du fentiment & du mouvement plus intime & plus prompte : cette idéé juffifie bien 1'opinion qu'on a eue de ces ga,ngIions, en les regardarrt comme de petits cerveaux particuliers oüs'amaffe en réferve une certaine quantité de fluide nerveux. Enfin les ramifications des intercoftaux, gonjointement avec d'autres nerfs,  dt (Ame. 37 forment, des deux cötés, des plexus fut les principaux vifcères de la poitrine & du bas-ventre; ce font autant de pointt de réunion oü plufieurs filets nerveux viennent aboutir, & d'oü il en part pour fe diftribuer ailleurs, ou pour communiquer avec d'autres nerfs. Mais, outre ces plexus, il en eft un principal formé par la réunion des deux intercoftaux, & placé au centre du corps, fous le diaphragme, immédiatement derrière reftomac: plufieurs branches da nerf intercoftal de chaque cóté , après avoir formé, avec des rameauX de la huitième paire, les plexus cardiaque & pulmonaire, & avoir communiqué avec les nerfs dorfaux & ceux des extrémités fupérieures , fe réuniffent en deux gros cordons qui percent le diaphragme, & forment au-deffous deux ganglions confidéfirables , nommés femi lunaires , un de chaque cóté. Ces ganglions communiquent entre eux par une infinité de filets nerveux , lefquels forment un plexus  3* EJJaifur les faculUs unïque placé, comme je 1'ai dit, au centre du corps, & qui eft nommé , laire, &c. 3 Or, fuivant cette defcrlption anato!!lqUe >J\ eft aifé ^ voir que ce Jlexuseftle principal point de réunion des deux intercoftaux, & par conféquent detousles nerfs. Ceft donc cette partie qu on peut regarder comme le centre du fyftême fenfible; cette ^ fc Portent toutes les impreftlons un peu fortes que les nerfs regoivent, & qui conftitue Ie fens interne des animaux Ie Ventable fenforhim commune. Le voiftnage des lieux en avoit fans doute impofe a Van Helmont, è MM. de la Café Bordeu,de Bufton, &a tous les morahftes qui ont regardé, les uns, ie Pylore, les autres, Ie diaphragme, & Ies autres, le cceur comme Ie fiège du fentiment. Ces parties peuvent bien participer aux mouvemens que les fenfations produifent, mais c'eft gr les nerfs queues regoivent des intercoftaux, dont la ré»  de VAmt, $

tercoftal, & de tous les autres nerfs qui communiquent avec lui, le plexus folaire doit être regardé comme le principal puint d'appui fur lequel cette jmpulfion,, q,n poulfe le fluide nerveux dans les nerfs, porte de tous les cötés; c'eft par cette difpofition que ce plexus devient le centre de la fenfibilité. 4°. C'eft par la même raifon que les perfonnes darts lefquelles la circuladon du fang eft naturellement vive, & qui  de VAme, 47 1 ont par conféquent les nerfs plus tendus |& plus fenfibles , font plus affeétées par Tirritation & par les paffions ; elles éprouivent des fenfations plus vives, des douleurs plus fortes, & plus facilement des tmouvemens convulfifs, que celles qui ont une conftitution oppofée. c°. Lorfque nous voulons faire un effort violent, nous fufpendons le mouvement de la refpiration : fans doute :que dans ce moment une plus grande quantité de fang veineux reflue vers Ie xerveau , puifque les veines du cou fe ;gonflent, & que le vifage devient rouge: :c'efè donc ce reflux qui augmente Ia preffion du fluide nerveux dans les nerfs, Sc qui communiqué par-Ia plus de force aux mufcles. 6°. Par une conféquence néceffaire, lorfque le mouvement du coeur & celui de la refpiration font languiffans , & que i'impulfion que le cerveau recoit eft 10'ible , les forces & les fenfations font  4$ Ejfai fur les facultés diminuées a proportion ; c'eft ce qui arrivé aux perfonnes qui ont perdu beaucoup de fang, ou qui fortent d'une grande maladie. 7°. On éprouve que le trop long repos diminue la force des mufcles, les rend engourdis dans leurs mouvemens, & y caufe quelquefois des inquiétudes douloureufes : on peut préfumer que ce phénomène dépend de ce que le fluïde nerveux ne s'eft pas renouvellé depuis u^n,« dans les fibres mufculaires, & que par fon trop long féjour ; il a perdu fa modiheation narureue > changer eet état, il faut donc que 1'exercice donne lieu au renouvellement de ce fluide. 8°. D'un autre cóté , le trop long exercice , 1'emploi immodéré des forces, les longues veilles, font ftnvies de laffitude & de foibleffe j paree que le mouvement violent des mufcles & 1'exercice des fens trop long-temps continué, ont fait;  de VAme. ^ fait une diflipation trop confidérable de fluide nerveux : il faut donc que le repos & Ie fommeil donnentle temps au reflux du fang dans le cerveau de réparer Ia perte de ce fluide dans les parties quï en manquenf. 9°. Enfin, fuppofons qu'un homme fbit bien conftitué, qu'il réftfte pendant le cours d'une longue vie a mille accidens qui 1'abrègent dans un autre, & qu'il parvienne au dernier terme d'exiftence que la nature lui a marqué', il na finit enfin que par 1'e'puifement du principe de la fenfibilité & de 1'irritabilité. La conftitution du corps la plus favorable eft celle oü le cerveau bien organifé fournit beaucoup de fluide n-erveux, & celle oü les organes qui exécutent les autres fonétions vitales ont une adion libre & vigoureufe. Jufqua lage de qua-* rante a cinquante ans , l'homme jouit, è peu de chofe pres , de toute la force dont fon tempérament eft capable ; mais enfuite cette force commence a décliner?  JO Ejjal fur les facultés paree que la fource du fluide nerveux devient moins féconde: aufli, vers eet age, le corps ne peut plus exécuter les aétions qui confomment le plus de ce fluide, comme les exercices violens,le fréquent ufage des plaifirs de 1'amour, &c. Dans la vieilleGé, la foiblelfe des reflorts de la machine augmente par la même caufe; déja les fenfations diminuent d'intenfité, les mufcles ont peu de force, & les pertes que le corps fait ne fe réparent prefque plus. Dans la décrépitude, le cerveau ne fournit plus de fluide nerveux que pour 1'exercice des fonctions les plus néceffaires a la vie ; nonfeulement les mufcles n'ont plus d'acYion , mais encore prefque tous les fens font abolis; auffi 1'ame ne donne-1-elle prefque plus de fignes de fa préfence par aucune de fes facultés, & l'homme celTe enfin de vivre lorfque la fource du principe de la fenfibilité & de 1'irritabilité ne peut plus en fournir pour faire mouvoir le cceur & les organes de la refpiation.  de VAme. CHAPITRE Ui. Que les Bétes font de pures machines. On ne peut appliquer les fciences deia ge'ome'trie, de la méchanique & de Ia chymie, a 1'économie animale , fans s'expofer k donner dans les plus grandes erreurs: c'eft ainfi que Defcartes a échoué lorfqu'il a voulu prouver que les bétes étoient de pures machines, en les comparant a une horloge, a des orgues. On dit qu'il n'établit un fyftême fi paradoxe que pour plaire aux théologiens : Ie contraire arriva cependant; ils craignirenr, ajoute-t-on,que fi 1'on admettoït un tel méchanifme pour caufe de toutes les aétions des bétes, on ne put fouteni* aufli que toutes celles des hommes n'avoient point d'autre principe. Telle eft-rj eftet la principale bafe fur Iaquelle os fonde l'opinion du matérialifme ; car, dit-on, fi les bêtes n'ont point d'ame [ Ca  r$2 EJfai fur les facultés & qu'elles paroiiTerit en avoir une, n'en eft il pas de mêms des hommes ? Sophifme bien capable d'en impofer a ceux qui ne connoiffent point les loix de 1'éco? nomie animale. II faut cependant convenir que les apparences font bien féduifantes. « II S3 n'eft point étonnant3 dit M. de Bu ffon, 33 que l'homme qui fe connoit fi peu lui33 même , qui confond fi fouvent fes fen33 fations & fesddées, qui diftingue fi peu 33 le produit de fcn ame de celui de fes 33 organes , fe compare aux animaux s 33 & n'admette entre eux & lui qu'une 33 nuance d'un peu plus ou d'un peu 33 moins deperfection dans l'organifationj 33 il n'eft pas étonnant qu'il les fafferaifon33 ner, s'entendre & fe déterminer comme 33 lui, & qu'il leur attribue les qualités ?3 qu'il a & celles qui lui manqueht Aufïï ce célèbre naturalifte n'a-t- il point donné dans cette erreur ; il a prouvé 9 autant qu'on pouvoit 1'exiger, que les bétes n'ont point d'arue. Cependant il ne.  de t Amh y_J tónhoiffoit point le véritable principe de leurs actions; il 1'avoit fenti feulement, en foupgonnant, cómmeje 1'ai déjadit, des forces intérieures, dans les corps organifés, ifidépendantes des loix de la méchanique. Ces forces font donc la fenfibilité & 1'irritabilité. On n'a jamais douté que ce ne fut par les nerfs que les animaux euffent des fenfations, & que leurs mufcles fuffent capables de mouvement; mais ün phénomène bien avéré, & qu'on ne doit jamais perdre de vue, c'eft que ces nerfs ont des rapports trés - variés avec les divers ftimulus dont ils fubiffent 1'impreffion, non - feulement dans les différentes parties du corps, mais encore dans les individus de diverfes efpèces, & quelquefois même dans les individus de la même efpèce ; loix incompréhenfibles, comme celles des affinités cbymiques , des phénomènes magnétiques; loix, en un mot, qui font celles de l'attradion & de la répulfion, également inconcevableS,  14 EJJai fur les facultés mais qui n'exiitent pas moins. Or, telles font les caufes phyflques de ces mouvemens, auxquels on a donne' les noms de Sympathie & £ antipathie; telles font les caufes qui de'terminent invariablement dans les animaux le choix de leurs alimens, & qui font le principe mate'riel de leurs inclinations & de leurs averfions qui femblentfi fort dépendre del'intelligence. 'Ajoutez a ce principe la ftruécure de leur organifation , telle que jen ai donne' une ïdée générale dans le chapitre précédent, & vous réduirez , fans hypothèfe , toutes leurs actions au pur matérialifme. Pour écarter tous les dotites qu'on pourroit oppofer a cette aflertion , je vais appliquer cette doctrine a quelques-uns des animaux qui font Ie plus a portee de nos obfervations (i), & auxquels on fup- (0 O" vou dans les anciennes hiftoires , & les voyageurs racontent des chofes trop fingulières touchant certains animaux des pajs lointains, pour ne pas foupconner au moins de 1 exagération; c'efl pourquoi je les paflerai fous filence.  de VAmêi ƒƒ pofe !e plus d'intelligence. Alais ce fera toujours fans perdre de vue les rapports de rhomrne avec les bdes, Dans rhomrne & dans les animaux, dont l'organifation efi analogue a la fienne(i) , le fyftême fenfible eft fufceptible d'une infinké de modifications , foit naturelles , foit accidehtelles , qui font varier Ie caradère qui dépend des organes du fentiment. Ces modifications different quelquefois au point que dans les hommes les mcmes organes ne font pas affeélés de la même manière par le même ftimulüs ; la même quantité de vin , par exemple , qui donne de la gaieté a un homme, rend un autre homme fombre &querelleur; les mêmes objets n'excitent donc pas toujours les mêmes fenfations : cela produit d'abord une grande variété (1 ) Je dois exclure de ce cliapitre les animaux dont 1'organifaiion diffère abfblument de lanótre, comme 1'huitre, les iufecles, & une icfinice d'autres, C 4.  S# ËJfai fur les facultés dans Ie caraftère des hommes en géncral; ils font bons, mécharis, poltrons, courageux , gais , triftes, adtifs , pareffeux, &c. fuivant leur confthation individuelle, & ruivant ]es rapports varjés des agens matériels de leurs fenfations , avec les nerfs qui en fubifTent Fimpreffiorr. Le caractère des animaux eft égalément différent, fuivant leurs efpèces; il peut aufti changer par des caufes accideritelles; mais il n'eft point fufceptible de ïant de variations que celui de l'homme, paree que Ie fyftême fenfible des bétes n'eft foumis qua 1'impteuión des objets matériels de leurs appétits & au fentiment de leur confervation ; au lieu que dans l'homme, les affections morales, & la différence prodigieufe qu'il met dans fa manière de vivre , dans fes habitudes, produifent dans les organes du fentiment des modifications variées a 1'infini. Les animaux font farouches, familiers, douX, cruels, timides, courageux, agiïes, pa-  de tAmét '57 ïêffeuX, &c. fuivant leurs efpèces particulières; mais tous les individus de lil rfiême efpèce ont le même caraétère , Ia même allure , les mêmes habitudes, paree qu'ils ont confervé leur conftitution primitive , & que leur manière de vivre ne ehange jamais. Tels font les animaux qui viveht féparés de la fociété des hommes ; mais quelques-uns de ces animaux font fufceptibles de changer de caraéïère jufqu'a un certain point, & d'acquérir même , par 1'éducation & 1'habitude, quelques fortes de talens étrangers a leur nature. Le chien domeftique eft très-différent de celui qui eft fauvage; l'hab'.tude d'ètre parmi les hommes Ta rendu familier de farouche qu'il étoit. L'éducation ,qui cónfifte a 1'égard des animaux dans des impreffions plus ou moins fortes q i'on fait & qu'on répète fouvent (ür leurs organes, en change infenfiblement la modifïcation; de manière qu'ün animal devient capable d'imiter des mouvemens & des actions  Je? Effai fur les facultés étrangères a fa conftitution naturelle ,< c'eft par cette raifon qU un ferin apprend a répéter un air de flageolet, qu'un perroquet parle ; mals ces talens acquis ne fuppofent dans ces animaux ni intelligence , ni réflexion 3 ils ne font d'abord que le réfultat méchanique de leur organifation, & enfuite de I'habitude. Ajoutezencore que de tous les animaux'qui peuvent imiter la prononciation de quelques paroles, nous ne connoiffons dans Ia nature que quelques oifeaux qui acquièrent cette faculté; tels font Ie perroquet, Ia pie , Ie geai, le mede, le fanfonnet. Cependant il femble qu'on peut infiC ter cöntre mes affertions fur ce que Ie chien, par exemple , qui eft fans cefié fous nos yeux, donne trop de fignes d'intelligence & de réflexion , pour qu'on doive reftreindre toutes fes aétions au feul méchanifme de fon organifation. Sans doute qu'on auroit raifon fi on n'en jugeoit qu'au premier afpeéc; mais analyfez  de VA met f£ toutes fes actions, & vous en découvrirez le véritable principe. Ce qui nous en impofe d'abord dans eet animal, ce font fesyeux, fes regards, qui femblent être dirigés par la réflexion & animés par 1'efprit; mais ces organes n'ont en lui que cette apparence ; ils ne font pas le véritable principe de fes actions ; c'eft fon odorat qui eft le fens Ie plus parfait & le plus extraordinaire qu'on 'connoiffe dans tous les animaux. Prenons pour exemple le chien de chaffe : comment peut-il fuivre invariablement Ia tracé du gibier par ce feul organe ? Ce gibier laiffe donc fur cette tracé des émanations qui ont encore la force d'agir fur eet organe affez long-temps après le paffage de eet animal: & comment ce chien diftingue- t-il , par ces émanations, 1'efpèce de ce gibier, & le degré de viteffe avec laquelle il fuit devant lui? Car, un chaffeur expérimenté connoït,par les différens mouvemens de fon chien, fi c'eft un lièvre ou une perdrix qu'il pourfuit, & Cc5  CO E'JJai fur les facultés même a quelle diftance 1'animal fetrouvéf il faüt donc que 1'organe de 1'odorat de ce chien foit bien fin pour être affecté de cette manière par de pareilles émanations'; ajoutez encore qu'il eft peu d'animaux qui arjnt les organes du fentiment auflï fenfibles qu'il les a: avec ces difpofifions, eft-i! donc néceffaire qu'il aif une aróe pour s'attacher a fon maitre , qu'if voit ou pour mieux dire , qu'il flaire tous les jours, qui pourvoit a fes befoins , & qui excite fi (ouvent en lui des fenfations agre'ables en le careffant ? Doit - on êtré furpris qu'il paroiffe inquiet quand ïT eft abfent; qu'il Ie cherche , & que fouvent quoiqu'éloigne' , it le retrouve en fuivant fa tracé ? Mais, dit- on , on obferve dans ce£ animal une infinité de mouvemens & d'aétions qui expriment h timidité, \l foumiffion , la crainte, la tendre affection » &c. II eft vrai qu'on diroit que ces mouvemens , ces actions de'pendent des faculte's d'une ame; mais fuivant ce que  'de rJrne. un pr;ncipe b;en ^ rent. Le chien ne touche point è robjet defon appétk, paree que , dans le temps q«on Ie drefïbit,il étoit battu quand il Vou oitJe prendre, & qu'on a continué «e le Jui préfenter avec le méme tonceft donc le fentiment, c'eft - ft - dire \ I eftet d une fenfation renouvellée dans Ie iens intérieur qui le retient; au lieu que 1 homme qm n'a point éprouvé le" W> Ik^nt qu'il craint, eft retenu par une combmaifon d'idées, fuggérées par £ connonTance des loix & de Ia punition qu on exerce fur ceux qui s'emparent du bien dautrui: pour que la conduite du chien reftemblatacellejje l'homme dans Ion pnncipe, il faudroit .qu'un chien fut  de fjmé. capable de s'abftenir de prendre ce qu'il defïre, paree qu'il auroit été témoin feulement qu'on a frappé ou menacé un autre chien dans la même circonftance ou il fe trouve; ce qui n'arrive jamais, car un chien n'apprend point a rapporter , a fetenir droit, en le voyant montrer a un autre ; il faut que les lecons lui foient directement adrefiées, & qu'elles foient, pour ainfi dire , imprimées fur fes propres organes. L'hiftoire du loup, dont un auteur (i) a tiré les inductions les plus captieufes en faveur de tous les attributs de la raifon qu'on fuppofé aux bctes, va encore rous fervir a prouver qu'elles ne font que de pures machines. Le loup eft le plus robufre des animaux carnaciers de 1'Europe; la nature lui a donné une voracité & des befoins proportionnés a fa ( i ) Lettres d'un phyficien de Nuremlerg, inferées dans Ie troifième volume des variétés littéraire*,  % Éptfur les facuttès force; il a des fens exquis, une vue percante, une excellente ouie, & un odötat qui linftrüif encore pluS süremerif de tout ce qui s'orTre fur fa route. « Après deux mois , dit le phyfidefi " de hemberg, les jeunes loups luiverit » leur mère, qui ne pourroit plus fouf-« » flir feule a une voracité qui s'accroit « tous les jours; ils déchirent avec elle * des animaux vivans; ils s'effaient a la » chafTe , & parviennent par degré £ » pourvoir avec elle a leurs befoins »3 communs. L'exercice habitué! de la » rapine, fous les yeux & è fexemple »> d une mère déja inffruite , leur donne * chaque jour quelques idéés felatlves * a cet obiet; ils apprennent è fecort» noitre les forts oü fe fetire le gibier; » leurs fens font oüverts è toutes les int' *> preffions; ils s'accoutument £ les dif- * t)inSuer entre elles, & £ reéèifier par * 1'odorat les jugemens que leur font » porter les autres fens. Enfin, lorfqu'ifs « ont huit ou neuf mois, 1'amour force  de VAme. s> la louve a quitter la portee de i'ari» ne'e pre'cédente , pour s'attacher a un 33 male ; ce befo'.n preffant anéantit la 33 tendreffe de la mère , & la familie 33 refte ainfi abandonnée33. II n'y a rien dans la conduite de ces animaux qui décèle la moindre intelligence , ni aucune combinaifon d'idées ; la tendreffe que la louve a pour fes petits eft une affection qui ne dépend évidemment que de la modification que lés organes du fentiment ont acquis en elle dans 1'état de mère, puifque lorfque eet état a ceffé , & que le fentiment qui én étoit le réfultat, a été effacé par celui de 1'amour , la louve ne veille plus a fa confervation de fa familie qu'elle méeonnoit dès-lors , & qui lui devient abfolument étrangère. D'un autre cóté , fi^ les jeunes loups femblent münquer d'expérience dans la recherche de leur proie, ou dans les dangers qui les menacent, ce n'eft pas paree que leur jugement n'eft pas encore affez formé, mais paree  8ó* Ejfai fur les facultés cue les organes de leurs fens font encore trop foibles pour recevoir des impreffions affezsüies de la part des objets de leurs appétits ou de leur crainte, pour ne pas fe tromper; c'eft comme un jeune chien qui prend plus fouvent le change fur Ia voie du gibier qu'un chien adulre, paree que dans celui-ci, I'orgahe de l'odorat ayant acquis toute fa perfeclion par l'age& I'habitude, il eft plus en état de diftinguer & de fuivre invariablement la tracé de 1'animal qui fuit. « Le loup adulte, continue notrephy» ficién, vit dans les alternatives de la » chaffe pendant la nuit, & d'un fom» rneil inqüiet & léger pendant le jour: » telle eft fa vie parement naturelle ; 33 m:iis ( ans !« lieux oü fes befoins fe » trouvent en concurrence avec les de* f,rs de l'homme, la néceffité d'éviter » les pièges qu'on lui tend , & de pour» voira fa süreté, le contraint d'étendre » fes idéés a un bien plus grand nom» bre d'objets; famarche, naturellement  de VAme, 33 librc & hardie, devient précautionnée 33 & timide; fes appétits font fouvent fuf33 pendus par la crainte; il dütingue les 33 fenfations qui lui font rappellées par 33 la mémoire , de celles qu'il recoit par 33 1'ufage actuel de fes fens: ainfi, en 33 méme temps qu'il évente un troupeau 33 renferme dans un pare, la fenfation 33 du berger & du chien lui eft rappellée 33 par la mémoire, & balance 1'impref33 fion acruelle qu'il recoit par la préfence 33 des moutons. II ne faut pas beaucoup 33 d'expérience a vin loup pour apprendre 33 que 1'homme eft fon ennemi; 1'attrou" 33 pement & 1'emeute lui annoncent com33 bien il eft craint, & tout ce que lui33 même doit craindre : auffi , toutes les 33 fois que 1'odeur d'homme vient frap33 per fon nez , elle réveille en lui 1'idée 33 du danger; la proie la plus féduifante 33 lui eft inutilement offerte tant qu'elle 33 a eet acceffoire effrayant ; & même 33 lorfqu'elle ne 1'a plus , elle refte long3» temps fufpecte; le loup ne peut avoir  6S Effai fur hs facuhés H alör* qu'une idee abftraite du pénfj » puifqu'il n'a pas la connoiffance du * P^ège qu'on lui te d». Les modifications variées des organes du fentiment , & les différehs rapports que Ie Créateur a établis entre ces organes , & les objets extérieurs, conftn tuent Ie fond dü caraétère des animaux Ie Pnnwpe de leurs aftions. QuW poule ait fait éclore, dans la même cou vee, des canetons & des poulets, 1'im frreffion mip r«->„ a> * . „ *— 'V"MJ u uuc mare voilirte tait lur les nerfs optiques des premiers, immédiatement après leur naiffance , lés détermine è s'y précipiter , paree que cèt clément eft analogue a leur conftitution, paree qu'il a une affinité particulière avec leur fyftême fenfible; tandis que la même impreffion de 1'eau fur les yeuxdes pouffins les en éloigne , malgré 1'exemple de leurs frères d'incubation paree que les organes du fentiment, dans ces derniers , font fans doute modifiés différemmertt iue dans les canards. Le principe qui e  'de VAmè. 6$ attire les bêtes vers les objets de leurs appétits, & celui qui les éloigne de ce qui peut leur être nuifible , dépendent donc des modifications différentes qu'elles apportent en naiffant dans leur fyftême fenfible : c'eft par cette raifon qu'une perdrix eft troublée & fe cacheen voyant3 quoique pour la première fois, un faucon qui plane dans les airs ; c'eft ainfi que le divin Créateur a rendu l'homme un objet de crainte prefque pour tous les animaux; fa préfence excite en eux; un fentiment de frayeur qui les détermine a fuir, a moins que 1'habitude de le voir 'Jouvent n'efface infenfiblement cette fenfation, & ne les rende familiers de farouches qu'ils étoient. Si un loup n'ofe faifir un mouton par la crainte du berger ou du chien qu'il voit ou qu'il fent, ce n'eft donc po'.nt paree qu'il fe forme une idee du danger qu'il court, mais paree que ces deux êtres fontnaturpllement pour lui des objets d'antipa'? thie, dont il s'éloigneroit de toutes fe$  T> Effaifur les facultés forces, dans Ia circonftance dont il eft queftion, fi Ia préfence de 1'objet de fon appétit ne le retenoit pas. « Tout animal, pourfuit notre auteur, " qui palfe fucceffivement de la chaiïe W a" fommeil, & qui, par confóquentj » n'eft point fujet a 1'ennui, ne peut avoir » que trois motifs qui 1'intérefTent, & qui " devi^nent les principes de fes con" noi,Tan«s, de fes jugemens, de fes - déterroinatipns&de fes aftions; favoir - la recherche de la nourriture , les pré' M c;iut'ons reiatives k fa süreté, & le » foin de fe procurer une femelle lorf» qu'il eft preffé du befoin de 1'amour " Nous v°y°ns q^ le loup emploie , " quant è la recherche de fa nourriture, » toute 1'induftrie qui convient k fa force • " i! prend des mefures pour safTürer du' » beu oü iltrouvera fa proie; & fi, dans » cette recherche, il choifit plutöt un en" dr01t qu'un autre,ce choix fuPPofe des » faits précédemment connus. II obferve enfiute^endantlongtemps^esdifférens  de VAme. ft s> genres depérils auxquels il s'expofe,les 53 évalue , ce calcul de probabilité le 33 tient en fufpend jufqu'a ce que 1'appétit 33 vienne mettre un poids dans labalance , u & le détermine volontairement. Les 33 précautions relativesa fasureté exigent 33 plus de prévoyance, c'eft-a-dire, un 33 plus grand nombre de faits gravés dans 33 la mémoire ; il faut enfuite comparer 33 tous ces faits avec la fenfation actuelle 33 que 1'animal éprouve, juger des rap33 porrs qu'il y a entre les faits & la fen33 fation, enfin fe déterminer d'après le 33 jugement porté >3. C'eft bien abufer de la raifon que d'appliquer un pareil langage aux actions des bétes. C'eft ainfi qu'on en impofe a ceux qui ignorent combien 1'organifation animale peut produire des mouvemens fans le concours d'aucun être intelligent. Les actions du loup , dans la recherche de fa nourriture , n'ont de rapports qu'avec fes fens ; fi, dans cette recherche, il fe fixe dans un lieu plutöt que dans un autre,  72 Ejfai fur les facultés c'eft paree que fon odorat lui ayantt appris que les objets de fon appétity fontt plus commun ; cette fenfation, qui fe re- > nouvelle a chaque inftant dans fa quête,, le retient dans eet endroit. Les mêmes organes qui avertiiïent le: loup de la préfence de fa proie, 1'aver-tiffent également du péril qui le menace i: I'appe'tit & Ia crainte produifent deux; fenfations direclement oppofées; 1'unei détermine machinalement dans un ani- • mal les mouvemens qui 1'approchent de 1'objet dont il defire la jouiffance , & 1'autre produit les mouvemens qui le rer pouffent ou 1 eioignent de celui qui peut lui être nuifible : ainfi, fuppofons que lobjet de la crainte d'un animal foit placé entre lui & lelieu de fa retraite oul'objet de fon appétit ; dans ce cas,cet animal doit néceffairement faire un circuit pour s'approcher du point oü il afpire d'arriver,parce que le mouvement qui le détermine vers ee point combinéavec celui qui 1'éloigne de Ia ligne direóte qui y conduit, doit pro- duirq  de VAme. 73 duire nécefTairemcnt le détour qu'il prend pour y parvenir. « Il eft difficile, ajoute en£in notre plii33 fycien , en terminant fon hiftoire ; il eft 33 difficile de favoir fi 1'amour fournit aux 33 loupsun grand nombred'idees;il eft cer 33 tain feulement que les males font plus J3 nombreux que les femelles ; qu'entre 3» eux il y a des combats fanglans pour. 3> jouir , & qu'il s'établit un mariage; » mais on ne fait pas fi la louve en cha33 leur refte la proie du plus fort, ou fi un »> choix libre la livre aux empreffemens 3> du mieux aimé. On fait cependant qu'il 33 entre dans la conduite de la louve une; 33 forte de coquetterie qui eft commune 33 a toutes les femelles de toutes les efpè33 ces : elle entre en chaleur la première ; 33 mais elle diiiimule , ou méme refufe 3» aflez longtemps ce qu'elle d;fire. II eft 33 vrailemblable qu'il entre du choix dans 33 fon affociation , car elle s'enfuit avec 33 celui qui refte fon mari, & fe de'robe 33 aux autres prétendans, alors,& pendant D  74 Ejfaï fur les facultés 3i la geftation, elle demeure avec celui 33 qu'elle a adopté , ou qui 1'a conquife , 33 & enfuite ils partagent enfemble les 33 foins de la familie. Ainfi, quelque »3 foit le principe de cette fociété , elle 33 établit des droits réciproques , & fait 33 naitre de nouvelles idéés : les loups 33 unis chaffent enfemble, & les fecours 33 qu'ils fe prêtent rencent leur chaffe 33 plus facile & plus fürc. S'il eft quef33 tion d'attaquer un troupeau , la louve 33 va fepréfcnter au chien,qu'elle éloigne 33 en fe faifant pourfuivre , pendant que 33 le male infulte le pare & emporre un 33 mouton que le chien n'eft plus a portée 33 de défendre : s'il faut attaquer quelque 59 bete fauve, les ról es fe partagent en 33 raifon des forces ; le loup fe met en 33 quête , attaque f animal, le pourfuit, ?> & le met hors d'haleine , lorfque la lóu33 ve , qui d'avance eft poftee a qüel3> que détroit , le reprend avec des 33 forces fraiches, & rend en peu de » temps le combat inégal. II eft aifé de  de t Ame. y<* » voir combien de telles adions fuppo33 fent de connoiffances; il paroit méme 33 difficile que des conventions de cettfe 3> nature puiffent s'exécuter fans un lan33 gage articulé 3>. Le fentiment de 1'amour & 1'e'tat de mère , dans les animaux , produifent des changemens fouvent trés - confidérables dans leur caradère & dans leurs adions. La femelle, füt-elle naturellement douce & timide, devient, quand elle eft mère, hardie & cruelle. La voix de certains animaux change de modulation dans Ia mcme circonftance; celle de la poule , de pleine & fonore qu'elle eft, devient rauque &; monotone quand elle veut couver , & c'eft avec ce ton, qui fubfifte après la naiffance de fes petits, qu'elle les conduit & les raffemble auprès d'elle quand ils s'en e'cartent. Enfin , fi Ia perdrix, dans fcn e'tat de mère, voie lentement,comme fi elle e'toit b!efiee,devant le chaffeur ou le nez du chien qui Ia pourfuit (allure qui écarté fes enne- Da  76 Effal fur les facultés mis du lieu oü eft fa familie), c'eft que fon affeótion pour elle ne lui permet pas de s'en éloigner plus vtte. Et telles font les actions qui dépendent des organes du fentiment dans les animaux, auxquels oa a donné le nom a'inJlïncT,. D'un autre cóté, 1'affociation du male & de la femelle , pendant la geftation & pendant que la familie exige des foins, n'eft pas générale dans tous les animaux (i); elle eft conftante dans un très-petit nombre, & n'a jamais lieu dans les autres ; ce qui prouve qu'elle dépend d'une modification des organes du fentiment, particulière a certames efpèces feu» lement. Enfin, ce n'eft sürementpas par «ne efpcce de coquetterie qu'une femelle (i) Le loup & la louve font peutrêtreles feuls animaux quadrupèdes qui s'affockkt pendant leurs atnours & 1'éducation de leur familie. M. de Buffon doute de cette affheiation , mais la plupart des chafTeiirs, & le phydcien de Nunmberg furtput, aiïurciit qu'elle eft réelle.  de VA/iie. 77 qui commerice a entrer en chaleur re • füfe pendant quelques temps le male qui la pourfuit, mais paree que fes parties de la génération font encore trop fenfibles dans le commenccment, pour fouffrir 1'approche du male. D'uilleurs, le phyficien de Nuremberg (O a fuppofé au loup & a la louve affociés , fes talens pour la chaffe ; mais certainement ces animaux ne s'en doutent pas; car Jorfqu'on dit que la louve fe fait pourfuivre au loin parle chien du berger, ce n'eft point dans 1'intention de donner au loup la facilité d'attaquer le troupeau , mais c'eft que fon affecYion pour fa familie, combinée avec le fentiment du dangcr qu'elle couvt elle-mcme de h part du chien, eftjcomme dans la perdrix , le feut principe de fon allure; & quant a 1'autre circoftance de leur chaiTe , on peut bien. préfumer que le même fentiment rete- (i) On m'a dit que c'étoit un habile officier de chafle.  78 Effaz fur les facultés mant la louve auprès de fes petits pendant que le loup va a Ia qucte, Ie hafard peut la faire trouver a portee de reprendre avec des forces fraiches Ia béte fauve qui a été relancée de fon cóté; & cette explication eft d'autant plus naturelle, qu'on doit juger que ft ces adions étoient 1'effet d'une combinaifon d'idées & du raifonnement, plutót que de Ia modification paffagère du fyftême fenfible de ces animaux, ils fe ferviroient dans tous les temps d'une pareille rufe , qui leur procureroit une nourriture plus „süre & plus abondante que lorfqu'ils font feuls. La difpofition générale du fyftême fenfible , les rapports qu'il a avec les objets extérieurs , les différentes modifications qu'il eft fufceptible de conïrader par différentes caufes, donnent donc 1'explication de toutes les adions des bêtes, fans' avoir recours a la combinaifon des idéés, a Ia réflexion dont l'homme feul eft capable. Cependant on peut encore infifter fur 1'intelügence apparente de  de F Ame. 7P certains animaux qui vivent en fociété. Que ne dit-on pis de 1'induftrie & des talens des abeüles ? Une ruche eft une re'publique oü chaque individu ne travaille que pour la fociété , oü tout eft ordonné , diftribué , réparti avec une prévoyance, une équité, une prudence admirable; Athènes n'étoit pas mieux conduite. Plus on obferve ce panier de mouches, & plus on découvre de merveilles ; un fond de gouvernement inaltérable , un refpecT: profond pour la perfonne en place, une vigilance fingulière pour fon fervice , la plus foigneufe attention pour fes plaifirs , un amour conftant pour la patrie, une ardeur inconcevable pour le travail, une affzduité al'ouvrage que rien n'égale , le'plus grand défintéreffement joint a la plus grande économie, la plus fin? géométrie employée a la plus élégante architeclure , &c. C'eft ainfi que 1'enthoufiafme des obfervateurs confidère le travail des abeilles : inais voyons de quelle manière M. de D4  $0 Effaifur les facultés Buffon réduit ces objets d'admiratlon l leur jufte valeur. II eft certain que 1 induflrie des abeüles ne doit écre rapportés qu'a une muïtitude re'unie dans un efpace donne'; car, a prendre les moucbes une a une , elles n'ont ni talens , ni génie; dès-lors il faut convenir que leur intelligence apparente ne vient que de leur lociété nombreufe La mère abeille produit dix mille individus tout-a Ia-fois & dans un même lieu: ces dix mille individus, fufient-ils encore plus ftupides qu'ils ne le font, feront obligés, pour continuer feulement d'exifier, de s'arranger de quelque facón 5 comme ils agiffent tous les uns comme les autres, avec des forces pales, euffent-ils commencé par fe nuire, ils arriveront bientót afe nuire le moins pofiible: ayant tous été produits è-la-fois , habitanttous enfemble , setant tous métamorpbofés en même - témps , ils ne peuvent pas manquer de faire tous h même chofe; & pour peu qu'ils aient du fentiment, ils prendront des habitudes  de V Ame. 81 communes, ils s'arrangeront, ils fe trouveront bien enfemble , ils s'occuperont de leur demeure , ils y reviendront après s'en être éloignés. Enfin, les cellules des abeilles, ces hexagones fi vantés, ne font, fuivant M. de Buffbn , qu'un réfultat méchanique qui fe trouve dans la nature. Les grains d'une grenade font a plufieurs facettes par les compreffions réciproques qu'ils fubiffent en croiffant : qu'on obferve les petites écailles de la peau d'une rouffeite , on verra qu'elles font hexagones , paree que chaque écaille croiffant en même-temps , fe fait obftacle , & tend a occuper le plus d'efpace poffible dans un efpace donné : de même , les corps des abeilles, en fe développant, tendent a occuper le plus d'efpace poffible ; & comme ces corps font cylindriques, les cellules doivent devenir hexagones par la raifon des réfifrances réciproques. Plus ces corps feront nombreux, plus il y aura des forces qui agiront enfemble , & qui s'oppoferont de même, plus il y Dj  -8a EJfaL fur les facultés aura , par conféquent , de contraintes méchaniques, de réfiftances forcées, plus il y aura de perfe&ion qui pourra paroïtre le réfultat d'une intelligence fingulière , mais qui ne fera réellement que renet méchanique du développement du corps des abeilles. Voila comme M. de Bufon apprécie les prétendues merveilles qu'on attribue a 1'efprit, a la morale même des abeüles. Je vais terminer ce chapitre par une réflexion de eet auteur , qui fait bien fentir la profondeur du génie qui 1'infpiroit dans fes confidérations fur l'homme & fur les animaux. « D'oü peut venir, dit - il, cette uni53 formité dans tous les ouvrages des 53 bêtes ? Pourquoi chaque efpèce ne 33 fait-elle jamais que la même chofe, 33 de la même fagon? & pourquoi chaque 33 individu ne le fak-il ni mieux, ni plus 33 mal qu'un autre individu? Y a-t-il de 33 plus forte preuve que leurs opéra's tions ne font que des réfultats mécha-  de VAme. 83 s> niques & purement matériels ? Car , 33 s'ils avoient la moindre étincelle de 3a la lumière qui nous éclaire , on trou55 veroit au moins de la variété, fi 1'on 53 ne voyoit pas de la perfection dans 53 leurs ouvrages; chaque individu de Ia 53 même efpèce feroit quelque chofe d'un 33 peu différent de ce qu'auroit fait un 33 autre individu. Mais, non, tous tra33 vaillent fur le même modèle fans 1'a33 voir appris ; 1'ordre de leurs aftions eft 33 tracé dans 1'efpèce entière , il n'appar33 tient point a 1'individu; & fi 1'on vou33 loit attribuer une ame aux animaux , 33 on feroit obligé a n'en faire qu'une 33 pour chaque epfèce, a laquelle chaque 53 individu participeroit également: cette 33 ame feroit donc néceffairement divi33 fible , par conféquent elle feroit maté3» rielle & fort différente de la nótre: 35 pourquoi mettons-nous au contraire , 5» tant de diverfité & de variété dans nos 53 produétions & dans nos ouvrages ? 33 Pourquoi l'imitation fervile nous coüte- D 6  84 Effai fur les facultés 53 t-elle plus qu'un nouveau deflin? C'eft 33 paree que notre ame eft a nous, qu'elle 53 eft indépendante de celle d'un autre, 53 & que nous n'avons rien de commun 33 avec notre efpèce , que la matière de 33 notre corps, & que ce n'eft , en effet, 33 que par les dernières de nos facultés 33 que nous refiémblons aux animaux 33, P. S. Lorfque j'ai eu fini eet ouvrage, ne me fiant point a mes lumières , j'ai voulu confulter une perfonne plus éclairée que moi fur un fujet auffi délicat que celui que je traite : un eccéfiaftique , auffi honnête que favant, docteur deSorbonne, a bien vouiu fe préter a mes defirs ; après avoir approuvé tout ce qui eft relatif a la religion, voici la principale obfervation qu'il a faite: fans doute que je ne me fuis pas expliqué affez clairement fur le point qu'il contefte ; je vais donc ticher de le fatisfaire a eet égard. « II me paroit, dit il , que dans eet »3 ouvrage , on s eft écarté du principe ,  de TAme. 8jf > qu'il faut aller a magis noto ad minus 33 notum. Voici comme on a raifonné: 33 Les animaux ont des fenfations fem~ 33 blables aux noires , & cependant ils 33 nont point d'ame : donc les fenfations 33 nappartiennent pas d Vame. Mais dans 33 ce raifonnement, on met en principe 33 ce qui eft en queftion; il y a plus, >3 les deux parties du principe fe contre33 difent; car, ou les animaux n'ont point 33 de fenfations femblables aux nótres, 33 ou il faut admettre, s'ils en ont de fem33 blables pour la faim, la foif, la crainte, 33 &c. qu'ils ont une ame , la matière ne 33 pouvant jamais être fufceptible de fen33 fations qui fuppofent néceffairement 33 un être fimple , c'eft-a-dire, qui n'eft 33 point compofé de parties 33. On voit bien que cette objecYion ne porte que fur le principe & la nature des fenfations. II y a long-temps que les métaphyficiens font dans 1'opinion qu'il n'y a qu'un être fpirituel qui puiffe avoir des fenfations, avoir du fentiment, être fen-  86" Ejjai fur les facultis fible; mais la phifiologie nous montre les mêmes objets fous un autre point de vue: nous appellons fenfation toute impreffion qu'un objet quelconque fait fur les nerfs, dont Penfemble forme ce que nous appellons fyftême fenfible. Lorfque cette impreffion eft légère, la fenfation eft bornée dans 1'organe qui la recoit; mais lorfqu'elle aun certain degré d'intenfité, elle répond, par la communication des nerfs, au fenjorium commune , c'eft-a-dire , au centre du fyftême fenfible, au plexus folaire, d'oüil réfulte,par réa&ion comme je 1'ai expliqué, des mouvemens dans d'autres parties du corps, & cette fenfation prend alors le nom de fentimeiu proprement dit: or, dans l'homme, 1'ame a Ia perception de ces impreffions , de ces mouvemens; elle les compare, elle juge de leur intenfité , & elle peut fe les faire repréfenter dans un autre temps par la mémoire (i), facultés dont les animaux ( I ) Dans )e chapitre fuivant , je jnflifierai cetre manièie de m'exprimer toucfaant Ia ménioire.  dc l'Ame. 87 font privés, paree qu'ils n'ont point d'ame; mais ils ne font pas moins fufceptibles d'éprouver les mêmes impreffions , les mêmes mouvemens, paree que la phifiologie nous prouve que la fenfibilité & 1'irritabilité font des propriétés de la matière organifée , inde'pendantes de tout être fpirituel: ainfi, dans ce fens, je puis donc dire que les fenfations font purement phyfiques & matérielles. Les métaphyficiens voudroient-ils borner ce que 1'on doit entendre parfenfibilité'a la pers ception que 1'ame a des fenfations ? Dans ce cas, tout fe réduiroit a convenir des mots; mais il paroit qu'ils ont été plus loin: voici comme s'explique a ce fujet 1'auteur de la vrai philofophie, >lts^- Cet auteur avance d'abord propofition fingulière qui fait le fujet d'un chapitre particulier; favoir , que les hommes ont de rinclination a rapporter leurs fenfations oü elles ne Jont pas, II prétend que cette inclination eft une erreur qui conduit au matéralifme. « II eft do nc d'une  88 Ejfai Jur les facultés » extréme importance , dit-il, de proü53 ver que cette pente qui nous incline 33 a placer la douleur ou le plaifir dans 53 les parties de notre corps bien ou mal 53 affectées, devient, par notre faute, la 53 fource d'une foule de jugemens faux: 53 c'eft ce que nous allons faire , en em33 ployant des faits également certains & 33 fenfibles. Perfonne n'ignore qu'un inf33 tant après la mort, Ie corps eft privé 33 de toute fenfibilité : d'oü peut venir 53 un changement fi fiabit ? On ne fauroit 53 douter qu'il ne vienne de ce que 1'ame 33 n'ayant plus d'influence fur la matière 33 a laquel'e elle étoit unie, celle - ci , * après la mort, eft réduitea fes propres 33 qualités, c'eft-a dire, a Pinfenfibilité: 53 on faifoit donc un larcin a 1'ame, dans 33 le temps de fon union avec le corps, Jj en attribuant a celui-ci ce qui appar53 tenoit a la première, favoir, la fenfibi- 33 Üté33. En infiftant toujours dans la méme cpinion , 1'auteur dit qu'on voit quelque-  de VAme. %9 fois des enfans qui, en jouant, font une ligature a leur pouce , & qu'au moven de quelques piquures, qui ne font accompagnées d'aucune douleur, ils tirent de leur doigt quelques gouttes de fang; d'oü il conctut que la ligature fufpendant en quelque forte'la communication établie par la fageffe fouveraine, entre le pouce tk 1'ame, la piquure n'eft fuivie d'aucune fenfation; marqué certame, ajoute-t-il, que ce n'eft point dans les membres, mêmes vivans, que rélide Ia douleur ou le plaifir. Enfin , dans les réflexions que 1'auteur faitfurl'étendue de la fenfibilité de l'ame,il rapporte a cette fenfibilité la mort qu'une aftedion trop vive de douleur ou de joie caufe quelquefois. « Mais, ajoute-t-il, » comme il ne dépend pas toujours de „ la volonté de 1'ame d'affoiblir les fen» fations pleines de véhémence , dont fc les atteintes la furprennent au dépourvu » & malgré elle, une providence atten» tive a la confervation des hommes  f 9O Ejfai fur les facultés 33 offre un port affuré a 1'ame , ou elle: 33 fe trouve a 1'abri de ces fentimens fu-33 bits & trop violens, & qui, par leurt 33 continuité, donneroient la mort ; ce: 33 port eft 1'évanouiffement; c'eft la que,, 33 par un prodige qu'on n'admire pass 33 affez , on voit dans le même inftantt 33 la fenfibilité pouffée a 1'excès , fe chan— 33 ger en infenfibilité, & les douleurss 33 les plus vives perdre leur force 33. Perfonne n'eft, fans doute , plus per-fuadé que moi que nous avons une: ame fpiritueile & immortelle; mais pouri m'en convaincre je n'ai pas eu befoin de; lui attribuer des propriétés qui appar— tiennent évidemment a la matière. Om prétend que la fenfibilité , qui caractérife: la douleur ou le plaifir, ne réfide pass dans la partie qui eft affectée ; mais les; exemples qu'on rapporte font-ils capables de perfuader un phifiologiftes inf-truit? Les idéés des métaphyficiens doi-' vent-elles prévaloir fur des principes: conftatés par des expériences & des ob-fervations fans nombre ?  de VAme. S>X La fenfibilité & 1'irritabilité font éviIdemment des propriétés données par le divin créateur a la matière organifée vivante : jufqua préfent on a méconnu Ja nature & toute letendue de ces propriétés , & dans cette ignorance, on en attribuoit les effets a une ame qu'on inommoit tantöt végétative, tantöt fenfitive ; en un mot, on rapportoit a notre iame la plus grande partie de ces propriétés ; de la ces expreffions impropres, 'les pajjions de Vame , les fentimens du .cceur , pen/er c'eft /emir , &c & c'eft [fuivant ces fauffes idéés qu'on a établi ttant d'hypothèfes métaphyfiques. C'eft donc pour avoir méconnu le ivrai caradère de la fenfibilité & de 1'irrittabilité dans l'homme & dans les ani;maux, & le méchanifme de leur organi: fation, que 1'auteur de la vraie philofophie a dit que la douleur ne réfidoit point dans la partie affedée , ce qu'il a cru prouver par les exemples qu'il a rapportés, II eft certain que le corps d'un  02 \EJJai fur les facultés homme qui vient de mourir eft d'une infenfibilité abfolue; mais ce n'eft poirni paree que 1'ame en eft féparée, c'efïl paree que les fonciions des organes dd la fenfibilité & de Pirritabilité font abo lies. II réfulte la méme infenfibilité darm une partie vivante , lorfque les nerf:! de cette partie font liés : dans ce cas; peut-on dire que la communication eni tre cette partie & 1'ame a été intevceptéé par la ligature ? II faudroit donc fup-) pofer a 1'ame une réfidence locale dan.i quelque partie de notre corps ; elld feroit donc matérielle. Enfin, commenr peut-on concevoir que la fenfibilité de 1'ame portee a 1'excès puiffe abolir ou fufpendre les fondions du cceur & des organes de la refpiration, fur lefquebl le divin créateur ne lui a donné aucur empire , comme nous le verrons en fon lieu (i ) ? (i) Le phénomene dontil eft ici queftion feta expliqué, fui\ant les loix de 1'économie animale ; dans le cinquième chapitre.  de l'Ame.. 05 Mais abrégeons : 1'exemple des animaux ne turnt-il pas pour réfoudre la jueftion qui nous occupe? Suivant l'obinion que je combats , ou il faut les i'uppoler d'une infenlibilité ablolue , ou 1 leur faut accorder une ame. Suppolitions également fauffes. Par quel préjugé fe laiffe t-on dominer , pour ne jas voir que les animaux lont lufcep;ibles de fenfations , de douleur ? San$ ioute qu ils n'ont pas pius de perception de ces fe.ifations, de cette douleur, que ..es feuilles de la fenfitive n'en ont du mouvement qui les fait retirer fur ellestnêmes quand on les touche. Mais ils. m'expriment pas moins les effets de leur fenfibilité phyfique par le méchanifme 1de leur organifation. Or, c'eft par ce méchanifme que les feminiens de Ia 'faim, de la foif & de la crainte déteriminent en eux tous les mouvemens :néceffaires pour fatisfaire leurs befoins , :ou pour fuir les objets de leur antipathie , comme je 1'ai expliqué.  94 Effai fur les facultés Enfin, pour démontrer les rapports des fenfations de l'homme avec celles des animaux, fuppofons un enfant & un jeune chien qui viennent de naitre : 1'enfant a une ame fans doute , mais tout le monde convient qu'elle n'exerce aucune de fes facultés dans les premiers temps de 1'exifience. Ainfi, nous pouvons le comparer au petit animal que nous mettons a cóté de lui. Si leurs mères tardent trop a leur donner a tcter, ils crient, ils s'agitent, paree que le fentitiment de la faim, fention facheufe qui fe communiqué de 1'eftomac au plexus folaire, détermine dans les mufcles de leur poitrine & dans ceux de leurs extrémités les mouvemens qui expriment ces cris ces agitations. Si, dans ce moment, les mères préfentent la mamelle a 1'un & a 1'autre , ils s'appaifent. Alors le mameion appüqué entre leurs lèvres & fur leur langue, & le lait fe préfentant aupharinx qui doit opérer la déglutition , le feul contact de ces corps fuffit pour exciter  de VAme, l'irritabiTité des mufcles qui mettent en action ces différentes parties. Tel eft, dans ces deux individus, le méchanifme matérielde leurs actions, fans le concours d'aucun être fpirituel. Pour revenir a l'objeétion qui m'a été faite , j'ai donc pu dire que les animaux ont des fenfations analogues aux nótres, quoiquils liaient point d'ame.  $6 Ejjai fur les facultés CHAPITRE IV. Des rapports de Vame avec les organes des Jèns, & particulierement avec celui de la vue. JjOCKE a ?té ' térieure les fonóiions que M. Yabbé de Condillac attribue a 1'efprit, & que Locke a défignées par Ie mot réflexion , tout s'explique naturellement. Ainfi 1'organe intuitif interne ne fe borne point a nous repréfenter dans leur enfemble les ob-  de VAme. iop jets abfens, il nous fert encore a les approfondir , a les analyfer pour enrichir 1'entendement, qui ne confifte, ainfi que 1'imagination , que dans les rapports intimes de Fame avec eet organe. Tous les mots d'une langue, par exemple , font les fignes des chofes , ou de leurs qualités,oude leurs adions. Or, depuis 1'enfance, il n'eft aucun de ces mots fur lefquels la vue intérieure ne fe foit ex-ercée, ou par befoin, ou parfimple curiofité, ou pour acquérir des connoiffances, afin d'en pénétrer la fignitication. La"vertu & le vice ne font que des mots; mais ces mots défignent des bonnes & des mauvaifes adions. Or, lorfqu'il s'agit d'approfondir la fignification de ces mots, & nous former une idéé réelle de la vertu & du vice , cetont ces adions que la vue intérieure nous retrace ; & c'efi ainfi que par cette faculté nous cherchons toujours , autant qu'il eft poffible, a nous former des idéés repréfentatives de toutes les abftradions en général ; c'eft par ce  ïïö Ejjai fur les faculte'ü mcyen que nous entendons ce que fignlfient les mots abftraits , fubftance, dureté, étendue, froid, chaleur, appercevoir, penJer, raijonner, croire ,vouloir, &c.; mais une fois que 1'entendement a bien faifi , de cette manière, la fignifkation de tous les mots qui compofent notre langue, dans 1'ufage habituel que nous en faifons, foitfpour parler , foit pour e'crire , il n'eft plus néceffaire que la vue intérieure nous repréfente 1'idée ou 1'image de la chofe que chacun de ces mots exprime; il fuffit alors qu'elle nous retrace les caractères avec lefquels ils font écrits, tant il eft vrai qu'il faut que cette vue foit toujours pour quelque chofe dans nos penrées(i). On a fouvent dem indé que deviennent les idees dont on cefje de s'occuper ? Oü fe confervent-elles ? D'oü reviennent- elles lorfqu elles fe repréfenrent a nous ? Efl- ( i ) J'ignore- de quelle manière ceux qui ne favent pas lire fe repréfentent les mots qu'ils prononcent.  de t Ame. IIJ ce dam Vame qu elles exijlent pendant ces longs intervalles oü nous ny penfons poïnt ? Eft ce dans le corps? A ces queftions, & aux véponfes que font les métapfryficiens , on croiroit ,que les idees font comme toutes lts chofes dont nous faifons des prnvifions , & que la mémoire n'eft qu'un vafte magafin. M. Vabbé de Condillac eft bien éloigné d'adopter cette manière de concevoir la mémoire; mais il 1'explique d'une facon toute auffi vicieufe: il d^t que différentes parties du cerveau ont acquis la faculté de (e mouvoir d'elles-mêmes, de la même manière dont elles ont été mues par 1'action des fens; que les habitudes de eet organe fe confervent; que toutes les fois qu'il obéit a ces habitudes, il retrace les mêmes idees, paree que les mêmes mouvemens fe retracent en lui; qu'on a des idéés dans la mémoire, comme on adans les doigts des pièces de clavecin , c'efta-üire, que le cerveau a , comme tous les autres fens, la facilité de fe mouvoir.  912 Ëffaijur les facultés fuivant la détermination dont il s'eft fait une habitude. Enfin, que la mémoire a lieu lorfque les idéés, qui ent été produites par 1'action des objets fur les fens, foQJtje^djk^s par les mouvemens dont „' " .ié 1'habitude. }V\Lon.üll*c avoiteu Ia I il |||! S?M&ce en phifiologie , il | i M'iwitS^ÉP idéé bien différente | du cervejü J'd% lui eut pas fuppofé des |jnnumM \ n'a pas; & en les admettant, il ric les eut pas comparés a ceux des doigts, paree qu'il n'eiit point ignoré qifen fait de mouvemens organiques, 1'habitude ne peut influer que fur Paction des mufcles proprement dits ;• ainfi , fon opinion fur la mémoire n'a aucun fondement : voyons donc fi par l'action intuitive interne on ne concevra pas plus facilement les phénomènes qu'elle préfente. Nous avons vu ci-devant de quelle manière nous acquérons nos connoiffances par la vue intérieure; or, dans Ia  de VAmè. Ir3 füite , 1'ame, en dlrigeant eet organe fut tous les objets de ces connoiffances, elle fe les fait repréfenter quand elle veut 5 ainfi, en s'examinant foi-même , tout le monde peut fe convaincre que la mémoire n'eft autre chofe que le réfultat de l'action intuitive interrte. Lorfqu'un prédicateur débite un fermon qu'il vient d'apprendre, il le ht, pour ainfi dire , intérieurement; mais fi quelque objet extérieur fixe trop fes regards , ou fi un fentiment de timidité ou de crainte détourne ou fufpend 1'exercice de fa vue intérieure, fa mémoire eft en défaut. Ce cas doit être diftingué de celui oü la grande habitude de répéter ce que 1'on a appris conftitue la mémoire fans le fecours de l'action intuitive interne, comme , par exemple , les prières qu'on fait par cceur depuis longtemps , & qu'on débite quelquefois fans fe tromper , quoique la vue intérieure foit fixéé fur d'autres objets; alors tout confifte dans 1'habitude de prononcer les  ÏI4 'Effal fur les facultés mêmes paroles qu'on a répe'tées fi föuvent. Quelquefois les chofes qu'on veut fe rappeller fe préfentent facilement a la mémoire , fur- tout s'il offre devant les yeux un objet qui a quelque rapport avec la chofe oubliée; mais lorfque ce fecours manque , 1'ame fixe la vue intérieure fur tout ce qui peut rappeller 1'idée de Ia chofe dont on a perdu le fouvenir. Enfin nous avons des exemples que la mémoire a été totalement perdue dans certaines maladies , & qu'elle a été infenfiblement reftituée a mefure que la guérifon de ces maladies faifoit des progrès;ce qui prouve qu'elle dépend d'un organe dont l'aclion peut être entièrement fufpendue par une caufe rhorbifique, & enfu'te être rétablie lorfque cette caufe eft détruite. Le fommeil eft 1'état de repos de tous les fem; il 1'eft auffi de 1'organe intuitif }nternc, mais pas toujours; 1'aétion de  de VAme, H5" eet organe a quelquefois lieu pendant le forameil le plus profond; c'eft ce qui s'appelle riteer. Ce n'eft point comme, les autres fens, dent 1'exercice ne peut avoir lieu que la perfonne ne s'éveille; celui de 1'organe dont il s'agit peut être porté i un degré confidérable fans que l'homme celle de dormir. Le plus fouvent nous rêvons des objets qui nous ont vivement occupe's pendant la journée; d'autres fois les réves dépendent d'une grande habitude que l'action intuitive interne a d'être exercée , Sc quelquefois ils tiennent a une difpofition contre nature, comme je 1'expliquerai ciaprès. Dans le dictionnaire de 1'Encyclopédie , on rapporte 1'hiftoire fuivante d'un fomnambule. On dit que dans un féminaire,un jeune eccléfiaftique fe levoit dans la nuk pendant le fornmeil le plus profond ; qu'il prenoit du papier, compofoit & écrivoit des fermons; que lorf-  Hó" EJJ'al fur leii facultés qu'il avoit fini une page, il Ia relifoit töüt haut d'un bout a I'autre; tk que fi quel^ que chofe lui déplaifoit, il le retranchoit Bz écrivoit par-deffus les corrections avec beaucoup de jufieffc. Le témoin oculaire de ce phénomène dit avoir vu le jeune eccléfiaftique éciire un fermon en dormant, & qu'il y fit une correftion affez furprenante; qu'ayant mis dans un endroit ce dïvïn enfant, il crut, en relifant ce qu'il venoit d'écrire, devoir fubftituet le mot adorable ü divin j que pour cela 3 il effaca ce dernier mot, & plaga le premier exacïement au-deffus ; après cela , voyant que le ce, qui convenoit a divin 3 n'alloit pas avec adorable , il ajouta fort adroitement un t a cóté des lettres precédentes, de facon qu'on lifoit eet adorable enfant, &c. Le narrateur de cette hifioire a prétendu prouver par elle que 1'ame a des idees innées. II eft certain que dans les réves , les idees ou les images que la vue' intérieure nous préfente peuvent déter-  de tAtne. 'ltffi mine* différens mouvemens, différentes adions, jufqua nous faire lever du Ijlt pour marcher; on peut même exprimer ces idees par la parole: Thabitude influe plus fur ces mouvemens, fur ces adions, que toute autre caufe ; mais que dans un fommeil profond, on tracé fur le papier des lignes réguliere? decriture ; quon règle avec précifion un papier de mufique avec les notes & les paroles placées a propos , comme on 1'a encore fuppofé: certainement 1'organe intuitif interne n'a pu conduire la main de M. 1'Abbé dans ces opérations pendant le fommeil. II faut donc que le narrateur , ou le témoin oculaire , ou le fomnambule en aient impofé; car un pareil détail d'adions réguiières ne peut être dirigé que par la vue extérieure, L'adion intuitive interne peut être également déterminée , pendant le fommeil , par une affedion contre nature. L;e cochemar ou Vincube , par exemple / accident très-commun dans 1'aifedion hypo-  ïlS TL ff ai fur les facultés condriaque, dépend d'une impreffion facheufe fake fur le centre du iyftéme fenfible. Celui qui éprouve eet accident s'imagine , lorfqu'il eft endormi, avoir fur la poitrine & 1'eftomac un poids confidérable , dont il ne peut venir a bout de fe débarraffer, malgré tous les efforts qu'il crok faire ; il foupire , il fe plaint, &: jette quelquefois des cris; il s'imagine encore combattre contre des hommes très-forts & très-grands; d'autrefois il crok fe trouver dans une maifon en proie aux flammes, ou bien être fur le point de fe noyer fans pouvoir fe fauver : effaie-t-il de fe tirer de ces dangers, il lui femble qu'a chaque pas il recule de la même diftance qu'il s'étoit avancé. On avoit fuppofé a eet accident plufieurs caufes imaginaires , tandis que la circonftance dont je vais parler décèle la véritable; c'eft qu'il ne furvient a ceux 'qui y font fujets , que lorfqu'ayant 1'eftomac plein , ils dorment couchés fur le dos: or, fi 1'on confidère que le plexus  de VAme. ïi-p folaire eft fitué derrière 1'eftomac , & que ce vifcère porte fur lui quand on dort dans cette fituation, on concevra que dans une maladie, telle que 1 affection hipocondriaque , dans laquelle les nerfs ont une fenfibilité contre nature, portee a 1'excès , rimpreffion que le poids de 1'eftomac fait fur le centre du fyftêmefenfible eft feule capable de produire tous les effets qui caracïérifent le cochew mar ; auffi, dans la même maladie & avec la même difpofition des nerfs, eet accident n'arrive jamais quand on dort coucbé fur Ie cóté; & lorfqu'il a lieu , tous les mouvemens extraordinaires qui Pao» compagnent s'appaifent, & la fenfation facheufe quele malade éprouve fe diffipe fur le-champ lorfqu'il fe léve, ou qu'il fe met feulement fur fon féant, Ce phénomène prouve donc qu'il y a un rapport bien marqué entre Porgane intuitif interne & le plexus folaire; rapport établi par les loix de Iafympathie,  X20 Efai fur les facultés .comme la phifiologie nous 1'apprend. Mais comment une fenfation facheufe, excrtée dans ce plexus, peut - elle être la caufe que la vue intérieure nous repréfente des géants , des précipices , des maifons enflammées ? C'eft fans doute par le trouble qué cette fenfation produit dans 1'organe , ce qui arrivé auffi quclquelois hors du fommeil; car nous voyons tous les jours que les maladies aigucs & chroniques peuvent tellement dépraver la vue intérieure, que les malades n'ont que^ des idéés infenfées lorfque les accès du mal les prennent, quoiqu'ils foient trèséveillés: tel eft 1'état du délire & de la folie. Or, je demande s'il n'eft pas plus naturel de rapporter une pareille dépravation d'idées a un organe matériei affefié par une caufe morbifique, qua un être fpirituel, qu'il faudroit fuppofer être fufceptible de changer de modification ou de manière d'être , ce qui ne peut convenir qu'a la matière. Enf n ,  At VAme. \ïl Enfin , de tout ce que nous venons de dire, il réfulte que Ia vue intérieure effc une aéHon organique qui doit être diftinguée de 1'extérieure : diftinétion qui porte quelquefois fur ce que la bonté ou la perre&ion de 1'une ne répond pas toujours a celle de I'autre. On peut, en effet, avoirla vue extérieure très-percante & très-étendue, tandis que 1'intérieure eft comme engourdie Sc fans énergie» & vice verfa. Suppofons donc que l'action intuitive interne foit naturellement lente & foible j on obferve, dans les individus qui font nés avec cette modification vicieufe de 1'organe, une dégradation proportionnelle dans les facultés quï en dépendent; dégradation qui peut aller, par une infinité de degrés, jufqu'a 1'imbécillité ; au lieu que lorfque Ia vue intérieure a toute 1'énergie dont elle peut être capable , les idéés font claires, I'imagination eft vive & féconde,la mémoire étendue Sc très-surej en un mot, 1'efprit  Ï22 Ejfai fur les facultés eft plus ouvert,plus vif, plus orné & capable de plus de pénétration: j'en dan- jierai la raifon phyfique dans le fixième chapitre.  de VAme, 12% -L homme eft encore diftingué des Ibetes par les organes du fentiment: ce i n eft pas que les animaux n'en foient égallement doués ; ces organes font ie principe de leur inftinft; mais dans chacune de leurs efpèces, ils ont une modification donnés qui ne change jamais; au «eu que dans l'homme ces mêmes organes font fufceptibles de fe modifier de iant de manières différentes , qu'il eft ~are qu'un individu reffemble parfaite^enta un autre par fon caraélère, pM goüts,fes paffions, fon efprif' fon ïeme & fes talens. Si Ia raifon permettoit d'afligner une 'iace k 1'ame, k un être fpirituel, ce srott, fans doute, dans le centre dj CHAPITRE V. ths rapports de Vame avec les organes du fentiment.  EUai JUr les facu^'s fyftême fenfible, dans le plexus folairö qu'il faudroit la placer; car c'eft-la ou réfide le fentiment de foi, c'eft-la oü répondent les fenfations du plaifir & de la douleur; c'eft de la que partent nos inquiétudes, nos defirs , les fentimens de la joie , de la peine, en un mot, toutes les affedions morales qu'on rapportoit au cceur. S'il falloit analyfer tous ces objets, quatre ou cinq volumes pareils ?celui-ci ne fuffiroient pas: les occupatbns de mon état ne me permettant point de 1'entreprendre, je me bornerai l quelques obfervations générales qui pourront faire concevoir tout le refte. J'ai dé ja obfervé plufieurs fois que les impreffions un peu fortes faites fur les nerfs fe propagent jufqu'au centre du fyftême fenfible , d'oü elles fe réfléchiffentfur d'autres parties, & déterminent, par la communication des nerfs , tantöt Padion de certains mufcles, tantót celle de certaines glandes, tantót celle des organes de la digeftioi», de la circula-  de VAme. i.2? tion,de la refpiration, de la génération, &c. qu'unhomme, par exemple, qui n'a jamais entendu de mufique, affifte pout la première fois a urt concert , une mélodie brülante, une harmonie douce, voluptueufe, lui cauferont un plaifir qui cclatera dans fes yeux ; au lieu que fi les voix & les inftrumens font difcordans , la peine qu'il en relfentira fe peindra également fur fonvifage: or, interrogez eet homme fur ce qu'il a fenti, il vous dira que les mouvemens de la peine & du plaifir font partis des environs de 1'eftomac. Quel eft celui qui n'épröuvera pas une vive fenfation dans les organes du fentiment a la leéture du trait fuivant r" * A la bataille tfEttingen, un officier ïj anglois, a la tête d'un efcadroh qu'il s> commandoit, n'avoit qu'un bras dont 3o la main lui fervoit a tenir la bride de 33 fon cheval; dans la chaleur du combat, 33 un jeune officier frangois, & la tête si d'un corps qu'il commandoit de fon F3  126 Eflai fur les facultés 53 cóté, vientalui pour 1'attaquer; mals 35 s'appercevant qu'il lui manquoit . un 33 bras, au lieu de le frapper il le falue 33 avec fon fabre (i) ». Vous qui venez de lire ee trait, qu'avez-vous éprouvé en le lifant ? Votre vue intérieure vous a repréfenté , non - feulement les perfonnes dont il y eft queftion, mais encore le champ de batailie; & lorfque vous aveZ vu l'action généreufe de 1'officier frangois, action a laquelle vous ne vous attendiez pas, votre ame a eu la perception d'une fenfation délicieufe, excitée dans le plexus folaire. Perfonne n'ignore que les fortes commotions dans ce plexus peuvent être fuivies d'un évanouiffement fubit, & de la mort même, en fufpendaM ou en arrètant tout-a-fait, par la communication des nerfs, le mouvement du cceur & ce- (i) C'eft un Anglois qui a racónré , les'lannes aux yeux, a M. Ie chevalitr de Chamfigny, ce trait d'un courage généreux.  de rAmei i2j lui de la refpiration. Qu'une femme perde, par un accident imprévu, fon mari qu'elle aime tendrement; li elle eft préfente a fa mort, la vue d'un fpeclacle fi affreux pour elle peut communiquer au plexus folaire une commotion affez violenté pour produire les effets dont je viens de parler; mais fi ces effets ne font pas auffi funeftes, cette femme refte livrée a PafHiction la plus douloureufe. Alors, c'eft l acfion intuitive interne qui, lui préfentant fans ceffe le même fpeélacle, renouvelle a chaque inftant le fentiment de fa douleur ; mais fi, dans cette circonftance, elle imagine quelque motif de confolation fur lequel elle fixe fouvent fa vue intérieure, 1'impreffion facheufe qui caufe fon afflidion s'effacera peu-a-peu, au üeu que fi le fecours de ce motif lui manque, fi rien ne la diftrait de fon chagrin, cette même impreffion, trop long-temps continuée fur le centre du fyftême fenfible , influera fur une ou plufieuis fonc- F4  Ü2$ E ff ai fur les facultés tions de Theonomie animale, & altérera la fanté de cette femme. Telle fut la caufe de Ia maladie d'une 'dame dont j'ai déja fait mention dans un de mes ouvrages: affedtée d'un violent chagrin par des circonftances qui avoient obligé le gouvernement de s'affurer de la perfonne de fon marr, elle devint hydropique par cette feule caufe: elle fut traitée pendant long-temps de cette maladie fans fuccès; mais enfin, le mari ayant été reconnu innocent & remis en Iiberté, 1'état de la malade changea tout d'un coup ; Ie fentiment de Ia joie rétablit bientót 1'ordre dans les fonctions de 1'économie animale, & diffipa en peu de temps tous les fymptómes de la maladie fans aucun fecours de 1'art. Voita donc en quoi confiftent ces affections qu'on nomme moralc.i, & qu'on a cru fi étrangères a nos fens; mais ces affeéHons n'excitent pas les mêmes fenfations dans tous les hommes , paree qne les organes du fentiment ne font pas  de tJtne. modiflés de la même manière dans tous les individus, n'ont pas la même afïinité , ïes mêmes rapports avec les mêmes objets : c'eft ici particuliérement qu'on doit ie rappeller les loix de ces affmités dont j'ai déja parlé plufieurs fois; quoique ces loix foient incompréhenfibles, elles n'en exiftent pas moins; on en voit des effets auffi fenfibles dans le moral que dans le phyfique; c'eft par ces loix que les idees du jufte & de 1'injufte, de la cönvenance & de la difconvenance, &c. affectent différemment les hommes : de la, la diverfité des goüts, des paffions, en un tnot, des caractères qui peuvent tenir a la conftitution de 1'individu, ou dépendre de quelque caufe acquife ou accidentelle: quelques exemples vont rendre ces vérités fenfibles. Si nous confidérons les hommes en général, nous voyons d'abord que le climat qu'ils habitent influe fur la modification de leur fyftême fenfible. L'air froid oui refferre les fibres, qui pouffe une F $  Ï3P Ejjai fur les. facultés plus grande quantité de fang vers ie cceur & le cerveau, rend la circulation plus vive , & donne en même-temps plus de vigueur , comme je 1'ai expliqué dans le fecond chapitre. Les peuples du nord , dit M. de Montefquieu , ont donc plus- de force: or, le fentiment de cette force leur donne plus de confïance en euxmêmes , plus de courage, plus de connoiffance de leur fupériorité, c'eft-a-dire ? moins de defirs de vengeance, plus de ge'ne'rofite', plus de franchife, moins de politique & de rufe. Mais, d'un autre cóté, le froid rendant leurs fens moins actifs , diminue leurs fenfations ; d'oü il réfulte que les mêmes peuples font moins inge'nieux , moins de'Iicats , ont moins de vivacité dans 1'efprit, font moins fenfibles au plaifir & a la douleur. Dans les pays du midi, au contraire, la chaleur qui relache les fibres , qui diminue leur force & leur reffort, rend les hommes plus laches, moins capables d'une aciion ge'ne'reufe, plus enclins aux aftuces, a la  VAme* 131 trahifon ; mais en méme temps, comme la chaleur épanouit davantage les houpes nerveufes des organes des fens, ces hommes ont les fenfations plus vives, plus d'imag'hation , &. font plus affedés pat le plaifir & par Ia peine ; enfin, a ces obfervations de 1'auteur de YE/pritdes Loix, on peut ajouter que dans les climats tempérés, les caradères font plus mélés , plus difparates ; de forte qu'on y voit fouvent un philofophe tranquille & modefte a cóté d'un être ambitieux, impudent, ingrat, qui fe cache pour nuire, &c. II eft rare de voir des contraftes fi marqués dans les deux extrémités des zones. Cependant, la comparaifon des anciens Romains avec ceux qui habitent aduellement le même pays a prévènu plufieurs perfonnes contre les obfervations de Mi de Montefquieu j mais on peut dire que dans 1'ancienne Rome, Ia forme de Ia république & les divers événemens des guerres puniques infpirèrent tout d'un F 6  t^2 TL(Jai fur les facultés coup a ces peuples le courage & la fierté qui le rendirent rnaitre d'une partie du monde, malgre finfluertce du climat^ & qu'après la chüte de Ia république, cette1 ïnfïuence domina a fon tour , & fit dégémérer infenfiblement le caractère des romains , c'eft ainfi que des nations entières contractent quelquefois , par des circonftances particulières,. des caraétères oppofés a celui qui leur eft naturel: c'eft par cette raifon que le fanatifme n'a que trop fouvent rendus féroces & cruels des peuples naturellement doux. Enfin il fuffit de jetter les yeux fur 1'hiftoire pour voir combien Ie caraétère des nations eft fufceptible de varier par des caufes aceidentelles , malgre llnfluence du climat. Mais fi nous confidérons fbomme en particulier, quelle variété dans les caraétères par des caufes individuelles ! L'étude de I'économïe animale nous apprend que les différentes humeurs qui conftïtuent les divers tempéramens influent» non-feulement fur Ie phyfiquè,  de VAme. Ï35 mals encore furie motat. On fait que le tempérament bilieux eft plus fujet a la Êolcre & a d'autres paffions analogues: ön connoït le changement que 1'influence de la femence produit dans le caradère l 1'age de puberté , &c. Ainfi, fi les hommes font naturellement gais, triftes , orgueilleux , modeftes , colères, tranquilles , enclins a la haine , fufceptibles d'amitié, ce n'eft que paree que les organes du fentiment font en eux diffe'r remment modifiés. Repréfentons - nous un homme que rien ne choque , qui excufe les foibleffes & les ridicules de fes femblables , qui fe borne a plaindre ceux qui font vicieux; mettez, comme a fait Molière , eet homme en oppofition avec un mifantrhope; ce feroit donner dans le matérialifme, & en même temps foupconner d'injuftice le divin'créateur, que de fuppofer que les ames de ces deux êtres ont été créées avec des modifications particulières qui les rendent différentes: ces modifica-  r*34 Effa'i fur les facultés tions ne peuvent être rapportées qu'a h. matière , qu'aux organes du fentiment. Ceux d'Alcefte font fans ceffe irrités par les injuftices des hommes , par leur fauffete', par leurs baffeffes ; & cette irritation continuelle a modifie depuis Iongtemps les mufcles de fon vifage, de manière qu'il conferve toujours un air fomr bre & féyère. II eft révolté contre un plat jeu de mots entortille's dans un fonnet; il fe feroit. repenti de de'guifer fon fentiment au poëte qui eft venu le confulter fur cette production. C'eft en vain que Philïnte lui repréfente les égards qu'on fe doit mutuellement dans la fociété; Alce(le\m reproche avec aigreur fon aménité , fes complaifances , qu'il traite de foibleffe : mais I'amour ne ferat-il pas capable de réduire ce caraftère inflexible ? Non, le mifantrhopen'exprime fes fentimens a 1'objet qui le tient dans fes chaines que par des vérités offenfantes. Tel eft donc le principe de cette dif-  de VAme. férence prodigieufe qu'on obferve dans les cara&ères. Si rhomrne eft un mélange de grandeur & de bafleffe , de lumière jtk d'obfcurité, de perfections & d'imperfectlons-, de force & de foibleffe, de vertus.& de vices, ce n'eft que'parles modifications différentes des organes du fentiment : modifications qui font fufceptibles de varier a chaque inftant de la vie. Que Pope, dans fon E ff ai fur F homme , a bien faifi les différentes nuances de ces variations ! la vérité de fes obfervations, embellie par les charmes de Ia poéfie, dans fa langue & dans la notre (i), fait les plus vives impreffions : maïs en lifant eet ouvrage , on fent qu'il refte un vuide qui a befoin d'être rempli; or, ce vuide , qui confifte dans 1'ignorance oü 1'auteur étoit des véritables rapports de 1'ame avec les organes du fentiment, n'exiftera plus lorf- (i) Voyez la traduclion en vers de eet ouvrage ; par M. 1'abbé Durefiiet, de 1'académie frarijoife,  Ij 6 Effal fur les facultés qu'on fera 1'application de nOs principes aux idees fublimes de ce philofophe. iVoici comme M. 1'abbé Dure/hel arendu celles auxquelles cette application eft le plus néceffaire pour faire perdre a tout 3'ouvrage 1'air de métaphyfique qui en diminue 1'intérêt. Deux puifiances dans l'homme exercent leur empire ; 1'un eft pour 1'exciter, I'autre pour le conduire : L'amour-propre ( 1 ) dans 1'ame enfante le defir, lui fait fuir la douleur & chercher le plaifir. ia raifon le retient, le guide , le modère , Calme des paftions la fougue téméraire : I/un & I'autre d'accord nous donnent le moyen» Et d'éviter le mal, & d'arriver au bien. Banniflèz 1'amour-prepre, écartez ce mobile » l'homme eft enfeveli dans un repos ftérile : Otez-lui la raifon , tout fon effort eft vain, 31 fe conduit fans règle , il agit fans deflein J Jl eft tel qu a la terre, une plante attachée ) Cette exprefiïon , dans facceptron ftanfolfe, nr réponc! ya» cxaacracnt i colt» dont tape s'cft fcrvi ; favoir, felf lovt, Sui fignific amsur dtfoi: maii 1'une ou l'autt.e font ÜHÜffS; «mes dont 1'applicition voit les rois foulevés contre les rois, les » peuples contre les peuples , les dieux « contre les dieux ; le deftin maintient 3j 1'équilibre ou le rompt, comme il lui j> plait, en faveur des uns & des autres , 53 mais prefque toujours au détriment des jj Grecs. La colère &Achille, oifive en apparence, eft 1'ame de ces agitations j) & de ces tempêtes; le contrepoids de 5> 1'intrigue balance tour h. tour la terreuc is & la compaffion; & 1'efprit enlevé, 53 tranfporté , ravi hors de lui-même, 33 partage les périls des Troyens & des *» Grecs. 3,, Tel fut le génie qui ouvrit le fiècle d'Atkénes (i), Parmi les Grecs, les Athéniens étoient naturellement d'une conftitution bien plus fenfible que les Thébains (i) Je n'ignore point que les ouvrages d'Homère ont été faits long - temps avant lepoque dont il eft ici queftion; mais il? ne produifirent pas fnpins 1'effet que je leur attribue lorfqu'ils devinrent plus familiers aux Athéniens.  de VAme. I^y & les Spartiates ; auffi ce fut a Athènes ok ies ouvrages d'Homère firent les plus fortes impreffions, Ce peuple e'toit borné dans un efpace fort petit; fes aétions ne s'étendoientguères au-dela de 1'Attique ; mais lorfque 1'iliade & 1'odiflee eurent paru, il fe monta fiir un ton bien différent : les fentimens d'élévation, de grandeur & de fupériorité qu'il puifoit dans ces poëmes, 1'élevèrent bientöt au deflus des autres nations. Aihènes ofa mefurer fes forces avec le roi de Perfe; cette république eut la hardiefle de porter fes armes dans le fein d'une vafte monarchie; trois fameufes batailles gagnées, celle de Marathon, celle de Salamïne & celle de Plate'e , excitèrent en méme - temps la terreur dans Ie Perfan humilié, & Ja jaloufie dans les Grecs étonn^s. D'un autre cóté , le feu du génie d'Homère fi? communiqua bientót a des hommes fufceptibles d'en recevoir les plus vives impreffions. Echille pénétré des fentimens fublimes que 1'iliade lui infpi- Q  146" Ëffai fur les facultés roit, inventa la tragédie , & la porta dès fes premiers effais prefque a fa perfeétion. SophocU §c Euripide, qm lui fuccédèrent de prés, coururent la même carrière & le furpafsèrent encore. C'eft ainfi que les objets d'admiration & de raviffement, les objets propres a émouvoir vivement le fyftême fenfible des Athéniens, fe multiplièrent en mêmetemps, par la même caufe. Les Pindares, les Anacréons Anaxagoras, les Socrates , les Platons , les Miltiades , les Thémifocles, les Arïftides , les Démofi thènes, Sic. tous ces grands hommes, prefque tous contemporains, exercant leur génie fur des fujets différens, fuivant leurs conftitutions individuelles, élevèrent encore dans les Athéniens ces fentimens de grandeur & de fupériorité qui les firent afpirer 11'empire de la Grèce. Ainfi , les vi&oires multipliées , les richeffes , 1'indépendance , fruits d'une liberté portée è 1'excès, & je ne fais quo! d'impérieux dans 1'air & les manièrcs  de VAme. ,47 que donne ordinairement a fes concitoyens la füpériorité d'une ville fouvefaine ; tout cela forma $ Athéne* une aflemblée de gens qui fe croyoient audeffus des autres hommes. Auffi, 1'Attique i idoiatre d'elle même, ne 'fongea plus qu'a s'encenfer; folie de fes chimères, elle les transforma en divinite's : ie célèbre Aréopage foumettoit a fes jugemens, non-feuiement des héros, mais même des dieux. Enfin, la même caufe enflamma Ie génie des artifies; Athènes fut ornée de temples, de cirques, de bains, de pornques, de flatues, de colonnes, & d'une quantité prodigieufe d'édifices ou Ia délicatefle de i'art& Iafomptuofité d'un état riche & puiffant ont depuis fervi de modèles en fait de gout & de raagnificence. Athènes mit environ cinquante ou folxante ans as'élever ainfi au faïte de la grandeur ;enfuite les divers fuccès de la guerre du Péloponèfe commencèrent a marquer fadécadence. Enfin, cette ville fuperbe  !!^8 Efjai fur les facultés fut fubjuguée par Philippe, père d'Ale- xandre. Mais alors les Athéniens n'étoient plus les mêmes; ils avoient dégénéré par les loix invariables de la fenfibilité : il y avoit trop long-temps que les objets dont nous venons de parler faifoient fur eux les plus vives impreffions ; ils s'accoutumèrent enfin a ces objets, ils n'en furent plus affedés : l force d'être vivement & longtemps agités, leur fyftême fenfible devint plus obtus; les enfans étoient, prefquen „aUTai.t, raffafiés , pour ainfi dire, de la «sandeur ^Athènes. Ainfi, le centre des organes du fentiment des Athéniens n etant plus fufceptible d'etre vivement affedé par les mêmes objgts, le feu de leur génie * de leur courage s'éteignit. Trop Fon.-temps&trop profondément emvres deleur fupériorité , ils tombèrent enfin dancvnétatd'apathie dont ils ne fe font plus relevés. La réputatioudesRomains a eu deux principes ,1e premierat les talens guer-  de tAmt. Ï4# riers, & I'autre le degré fublime oü les lettres furent portées dans le temps d'Augufte. Rome avoit été JOO ans, depuis fa fondation , a fubjuguer les peuples qui 1'entouroient, lorfque les guerres puniques commenccrent. Cepeuple, quivenoit de combattre contre Annïbal pour le falut de la patrie, afpira après la deftruo tion de Carthage, ala conquêtedu monde. Il foumit, en effet, a fon empire prefque les trois parties de notre continent: mais le luxe qui s'introduifit dans Rome, pendant ces conquêtes, & la corruption des mceurs, effets néceffaires de 1'abus des richeffes & de la fatiété des grandeurs, firent pencher les Romainsvers leur ruine. Cependant, tant de paffions qui agitèrentles Romains dans la chüte de larépublique n'empêchèrent pas ie génie littéraire de s'élever au plus haut degré. Jufques-!a, ce peuple guerrier avoit dédaigné le commerce des mufes; ce ne fut pas mëmeunRo-nainqui ouVrit Ie (Tècle d'Augujle, Les Grecs eurent encore la gloire  XjO EJJcii fur les facultés d'allumer Ie feu du génie des poctes , des orateurs, des hiftoriens & des artiftes,qui brillèrent dans ce temps-la, Ce fut» en effet, fur la fin de la république que les écrits des Grecs pafsèi ent a Rome, & que les Romains allèrent admirer dans Athènes même les chefs-d'ceuvres des arts. Les ouvrages des Grecs infpirèrent d'abord Lucrèce, Plaute, Térence, Cicéron; enfuite, fous le règne paifible d'Augufte, Virgile , Horace, Ovide, Tzbulle , TiteLive, &c. enfantèrent prefqu'en mêmetemps ces productions, qui font encore aujourd'hui notre admiration. Mais alors les Romains , qui étoient déja avilis , ne furent pas vivement affectés par ces chefsd'ceuvres qui, par cette raifon, ne fufpendirent pas pendant long-temps Ia décadence de ce peuple. Depuis ce temps-la,Iesténèbresdei'ignorance couvrirent infenfiblement prefque toute laterre pendant plufieurs fièctes. Le Dante,\e Tajfe,\'Ariofte répandirent quelques traits de lumière enltajie; mais elle  de VAme, ' lyT fut bientót éteinte: leurs ouvrages n'excitèrent point ces fenfations vives, ne firent point ces impreffions durables qui élèvent le génie d'une nation, LaFrance étoit toujours reftée dans l'obfcurité a eet égard : 1'acceuil que Frattfois Ir fit a ceux qui s'occupoient des lettres & des arts produifit peu d'effet. Sous les règnes fuivans, la langue fit quelques légers progrès : il parut quelques auteurs qui avoient plus d'efpritque de génie. Mais le temps s'approchoit oü les Francois alloient s'élever au-deffus des autres nations par les fentimens de grandeur & de fupériorité qu'un génie fublime devoit leur infpirer. Corneille, qui ouvrit le fiècle de LouisXIV', parut enfin. Si 1'on confidère, a cette époque, 1'état de la littérature & des arts en France, & la difpofition des Francois, dont les organes du fentiment encore neufs, pour ainfi dire , n'avoient point encore été affeétés par aucun de ces objets fublimes qui font de fi vives impreffions fur le fyf- G 4  i ƒ2 Effai fur les facuhés time fenfible , on jugera, en effet, qu'on doit rapporter a Corneille la révolution fubite qui s'opéra dans 1'efprit de la nation , lorfque fes tragédies parurent. La tragédie eft bien plus capable d'affecter vivement le centre du' fyftême fenfible quele poëme épique. Son fujet, également grand & majeftueux, repréfente une aétion dont la marche vive & preiTée ne dure que vingt-quatre heures; 1'intérêt de cette aétion excite des fenfations d'autant plus fortes, que le nceud de Fintrigue &le dénouement font plus rappro^chés : ajoutez encore le fentiment qui anime les acteurs dans la repréfentationv Quels effets ne durent donc pas produire , dans leur nouveauté,-le Cid, Cinna, les Horaces, Rodogune, la mort de Pompée, Tolieucle , &c. ! On peut juger de ces effets par les fentimens d'élévation que ces tragédies excitent encore en nous, quoique dès notre enfance nous foyons aecoutumés a leur impreffion. Les tragédies de Corneille furent véri-  de tAme* tablement le fruit de fon génie ; les Grecs ne lui fervirent point de modèles : c'eft , fuivant Defpréaux , dans Tite-Lïve, dans Dion-Cajjius, dans Lucain, dans Sénèque & dans Plutarque , qu'il puifa ces traits fublimes, ces grandes idéés qui lui infpirèrent un nouveau genre de tragédie. II ne chercha point, comme les auteurs de 1'ancienne tragédie , a émouvoir la pitié & la terreur, mais a exciter dans le fpeótateur, par la fublimité des penfées & la grandeur des fentimens , des fenfations bien plus capables d'éiever le génie que les paffions tragiques. Tel futdont leprincipe de lagloire dont la France fut illuftrée par tant d'hornmes célèbres qui parurent prefque en mêmetemps. Racine , né avec une difpofition du fyftême fenfible, plus tendre, moins fiére , devint le rival de Corneille : fes pièces, qui refpirent la tendreffe, q u i fc n naïtre les fentimens les plus toucha ns, relevées d'ailleurs par une diétion prre & de  EJfai fur les facultés vers harmonieux (i), excitèrent les plus vives émotions. Mais nous ofons dire que malgre Sophocle & Earipide, qui ont été fes modèles, il n'eüt jamais atteint le degré fublime oü il s'eft élevé, fi Corneille ne 1'eüt précédé. Les chefs-d'ceuvres dramatiques, en fe multipliant ainfi , eurent bientöt développé Ie germe de ces génies rares dans tous les genres, qui fe montrèrent tous ala-fois. Pafcal, Molière, La Fontaine , Defpréaux , Fénelon, Bofjitet, Bourdaloue , Majfdlon , &c. excitèrent encore (i ) Obfervons ici que le même feu du génie, qui produifit tant de chefs - d'oeuvres de 1'efprit humain dans les trois fiècles dont nous parions, ëpuraen même-temps les langues: Ia grèque, Ia latine & la francoife fe font montées , en effet, a ces époques , au dernier période de leur perfecdon, ce qui eft encore un effet de la fenfibilité exquife des organes; car c'eft particuliérement la fineffe & la délicateffe de I'organe de loaie qui fait que Ie ftvle a cette harmonie qui excite «ne fenfation fi agréable, fur-tout dans les vers.  de F Ame. lyj* les plus vives fenfations dans les organes du fentiment des Francois par leur productions de genres différens, fuivant les modifications diverfes de leur fyftême fenfible : & le feu que Corneille avoit allumé dans 1'efprit de la nation fut fi vif, qu'il s'en eft échappé des étincelles qui font parvenues jufqu'a nous, & qui ont eu encore affez d'aftivité pour enflammer les génies du grandRoujjeau, de Crébillon, de Voltaire, de Montefquieu, de Buffbn9 de Roujjeau de Genève. Mais la gloire littéraire fut le moindre prodige du fiècle de LouisXIV. Ce prince,né fenfible, fut bien plus vivement affecté qu'aucun de fes fujets des fentimens d'élévation que Corneille infpira a la nation. Homère avoit produit le même effet fur Alexandre. Ces fentimens montcrent Louis XI'/ fur un ton de grandeur & de majefté qui fe communiqua a tous ceux qui 1'approchoient, Le grand Condé, Turenne, Vendome, Luxembourg, Catina, firent redouter fes armes aux na-> G 6  'I ƒ6" EJJaï fur les facultés tïons ennemies. L'Europe entière, liguée contre lui, fut contrainte de lui demander la paix; fes miniftres affuroient le fuccès des vafles projets de leur maitre par leur génie infatigable ; fes ambaffadeurs faifoient refpedter les Francois dans toutes les cours. Enfin, les arts illuftrèrent fon règne par des monumens dont le goiït, la majefté & la magnificence feront toujours 1'admiration des étrangers. Mais tant de fuccès, tant de grandeur, alloient avoir un terme; le cara&ère de la nation dégénéra: après un demi fiècle, le fyftême fenfible des Francois nefut plus fufceptible des mêmes impreffions jle plexus folaire étant moins affecté par les mêmes objets,le génie s'éteignit avec le courage ; les ennemis triomphèrent , & la gloire de la France fut prefqu'entiérement éclipfée a la mort de Louis-le-Grand. Depuis cette époque, elle a jetté en diftérens temps des lueurs affez éclatantes ; mais nous 1'avons vue encore une fois obfcurcie. Serions-nous djncmenacés dufortdes  de VAme. ÏJ7 Athéniens & des Romains ? Non, nous venons de voir que 1'amour des Francois pour leur roi fera dans tous les temps & dans toutes les circonfbnces le garant de la gloire de la nation. Nous avons donc vu que le génie & les talens peuvent s'élever fans gradation, & atteindre tout d'un coup le degré le plus fublime. Nous avons encore obfervé que dans les trois fiècles dont je viens de parler , ce prodige s'eft opéré dans un temps d'ignorance , & qu'apres un certain nombre d'années, la décadence des lettres. & des arts a ramené infenfiblement les Grecs & les Romains prefqu'au même point d'oü ils étoient partis. Nous avons expliqué ces phénomènes, en difant que lorfquHomère & Corneille parurent , leurs produclions excitèrent des fenfations d'autant plus vives dans la génération préfente , qu'aucun objet fernblable ne 1'a.voit jamais affectée ; mais qu'après un certain temps, le feu du génie de la nation s'éteignit, paree que les même feris  IjS Ejjht fur les facutu's fations trop vives , trop muUipliées , & trop long-temps continuées , avoient ufé9 amortile fyftême fenfible. Mais pourquoi les générations fuivantes n'ont-elles pas foutenu les lettres & les arts dans le même degré d'élévatiotj ou elles les ont trouvés, ayant tant de grands modèles fous les yeux, & étant favorifées par une éducation favante ? C'eft le problême qui me refte ici a réfoudre. Lorfque le fiècle &'Athènes fut fur fon déclin , Ariflote parut : c'eft plutöt par fon efprit que par fon génie qu'il fe rendit célèbre; il foumit tous les chefs-d'ceuvres des poëtes & des orateurs qui 1'avoient précédé a 1'examen de la raifon ; il fuivit le fil de leurs penfées , il en fit 1'analyfe la plus exacte; & d'après les réfultats de fes combinaifons, de fes calculs , il établit des régies pour imiter les produétions de ces auteurs. Longin, Quintilien & tous les rhéteurs de Pantiquité ont donné également des préceptes qui fembleroienC devojr applanir les difficultés £u'on peu£  de VAme, ij-*} rencontrer dans la carrière des lettres ; cependant ils n'ont pu prévenir leur décadence, qui a fuccédé au lihchd'Atkênes & a celui d'AuguJle. Mais aujourd'hui que rimprimerie réunit avec tant de facilité , fous nos yeux , les chefs-d'ceuvres des Grecs, des Romains & ceux de la nation ; aujourd'hui que ks moyens d'apprendre & de fe former font fi multipliés & employés de fi bonne heure, ne pouvonsnous pas nous flatter du moins d'arrêter les progrès de cette décadence des Jettres ? oferons-nous prononcer la négative ? oferons nous dire que, fuivant nos principes,l'éducation littéraire qu'on donne a la jeuneffe n'eft point un moyen sur de la prévenir ? La connoiffance générale des régies de 1'art poétique & de 1'art oratoire , eft, fans doute , utile a ceux qui fe deftinent aux lettres; mais fi on vouloit faire une application méthodique de ces régies dans un poëme, dans un difcours , elles oppoferoi«nt plutöt des entraves au génie 9  ï'6*0 Ejjal fur les facultés qu'elles ne ferviroient a le conduire a foh but: les chefs-d'ceuvres que 1'imagination enfante ne font jamais calculés ni raifonnés. La vue intérieure dans l'homme de génie embralfe d'un coup-d'ceil tout 1'objet qu'il a a traiter ; il plane fur tout fon enfemble, d'oüil diftingue aifément les rapports de toutes fes parties ; & le fentiment intime du vrai & du beau qu'iltient de fa conftitution par la fenfibilité exquife de fes organes, fuffit feul pour donner la plus jufte proportion a fon ouvrage, Sc pour 1'orner de tout ce qui eft capable de perfuader, d'intéreffer le lecleur, de le toucher, de I'enlever au-deffus de luiméme. Lorfque Homère, Sophocle, Eu~ ripide , Dérnojihênes compofoient leurs ouvrages , penfoiennls a y placer avec fymétrie tant de figures de rhétorique qu'Arïflote n'a découvertes que quelques temps après dans leurs propres productions ? Les régies de 1'art oratoire, qu'on avoit dictées au grand Cochïn dans fajeuneffe, étoient-eiles préfeates a foi\ efprit  de VAmé. l6"i' iorfquil plaidoit fans préparation au barreau, & qu'il raviffoit faudience par fon éloquence ? Ce n'eft donc point par une marche méchanique qu'on peut devenirun génie fupérieur. Suppofons qu'un écrivain mette en pratique leslxons de fon profeffeur, qui lui a enfeigné ce que e'eft que métapaore , allegorie, antonoitiafe, dntuhèfe, projopopée , prétéridon f Jiypotkj'pofe,èic. & i'ufage qu'on doit faire de ces figures dans un poëme, dans un difcours; eet auteur ne fera jamais qu'un écrivain froid & fervile. On croit encore difpofer de loin Ia jeuneffe a fe diftinguer un jour par Ie génie, en lui mettant de bonne heure fous les yeux les ouvrages les plus fublimes des anciens & des modernes. A peine un enfant fait il prononcer quelques mots qu'on lui inculque dans la mémoire les chefs* d'ceuvres de la Fomaine : dès que eet enfant eft forti des baffés claffes, oü il a appris les premiers élémens des langues favantes onlui met entre les rnains Cké*  16*2 Ejfai fur les faculte's ron, Tite-Live, Salufle, Virgile, Hor ace, Ovide 5 Térence, &c. tk quelquefois Homère} Pindare , Anacréon, Demofhènes : on lui rend ces auteurs extrêmement familiers en les lui faifant expliquer, traduire, apprendre par cceur pendant plufieurs années; enfuite on lui ouvre le fanéhiaire de la littérature frangoife , & c'eft la oü 1'on s'applique a lui faire obferver, a lui expliquer & a lui graver profondément dans la mémoire ce qu'il y a de plus beau, de plus grand, de plus fublime dans nos auteurs. Ce long cours d'étude fini, celui qui a véritablement du goüt pour les lettres ajoute encore a cette éducation la fréquentation des fpectacles, & la lecture la plus affidue des meilleurs auteurs dans tous les genres de littérature. Un jeune homme ne peut fans doute entrer dans la carrière des lettres avec plus de connoiffances, & une mémoire plus riche : mais c'eft précifément cette richefle prjécoce qui étoufferoit le germe du génie s'il exiftoit dans ce jeune homme.  de t Ame. 1Ö5 II a été famiüarifé de trop bonne heure avec les produótions les plus fublimes de 1'efprit humain ; il ne fera plus fufceptible des fentimens d'admiration que ces produétions ont coutume d'exciter dans ceux qui n'y font point accoutumés : fa fenfibilité, a eet égard, aura été ufée avant que fon efprit ait été affez formé pour s'élever par fon impulfion : déformais les chefsd'ceuvres de Corneille,de Racme,c\\n grand Roujjeau, n'excitsront plus en lui les vives émotionsqui allument le feu du génie ; & ce jeune homme,devenu auteur, pourra montrer beaucoup d'efprit, beaucoup de fcience , beaucoup d'érudition , mais il ne fera qu'un froid imitateur, un plagiaire , un compilateur ; j'augurerois beaucoup mieux d'un jeune homme, qui, pendant le cours de fes études, n'auroit été qu'un étourdi, fans application; fon génie, s'il en a réellement le germe, fe développera avec bien plus d'énergie que s'il avoit fait des prodiges dans fes claffes l'exetnple de Jean-Jacques Roujjeau} dont  EJfni fur les facuiiis 1'éducation littéraire fut fi négügce , & dont le génie ne fe développa que fort tard , juftifie cette opinion. EHe nedoit point paroitre un paradoxe fi 1'on confidère qus les trois fiècles dorit j'ai parlé ont commencé dans un temps d'ignorance oü les lettres rampoient encore ; que lorfque les ouvrages d'Hcmère & ceux de Corneille parurent, la génération préfente étoit dans un age oü 1'efprit tout formé étoit capable de s'élever par les impreffions que ces chefs-d'ceuvres faifoient pour la première fois fur le ceni tre du iyftême fenfible; mais que dans les générations fuivantes, aucune éducation littéraire n'a pu s'oppofer a la décadence des Iettres. Au furplus, qu'on ne penfe pas que je condamne cette éducation; elle eft trop k 1'avantage de la fociété par rapport aux fciences, aux arts , & aux agrémens qu'elle peut en retirer. J'ai voulu feulement prouver que fi un homme avoit réellernentapporté en haiffant le germe fi rare d'un génie fupérieur, par la difpofition  de TAme, l'6$ •naturelle de fes organes, cette même éducation feroit capable de le faire avorter. Enfin, je n'ai plus qu'une obfervation a. faire a ce fujet, c'eft que nous nous trouvons aujourd'hui, a-peu-près, a la même diftance du fiècle de Louis XIV que Sénêque de celui d'dugufle : or, voici Ie portrait que la Métrie, qui a traduit une partie de fes ouvrages, fait de ce philofophe. « L'efprit de Sénèque, dh-il, me 33 paroit confifter dans une imagination 3? riche qui le maïtrifoit; efprit précieux, 33 Ie néologifme ne remonte pas plus 33 haut; raikmneur étudié, le plus fou33 vent peintre de colifichets. Je compare 33 les lurmcres dont il brille, tant elles 33 fentent 1'artifice , k ces étoiles que les 33 fufées laiffent après elles. Génie obfeur 33 lorfqu'il veut être concis, entrecoupé 33 de plus de ténèbres que de lueurs phi33 lufophiques ; peu confiftant ou peu 33 fpïide , de Ia peu conféquent ; élo33 auent k fa manière , en paroiflant mé33 prifer 1'éloquence ; vigoureux pac  166 Ejjai fur les facultés 33 vertu, vertueux par fecte , fort de >3 chofes par fecouffts, fort d'efprit par 33 affectation , pointilleux par minaude33 rie; enfin, s'appliquant plus a orner 33 fon langage qu'a fe faire entenrire 33 ou a s'entendre lui-même : il a mieux >3 aimé fe répéter en termes artiftement 33 variés ; content de briller par des 33 phrafes & des antithèfes qui marquent 33 le jeu & 1'enfance de 1'efprit, piège » inévitable pour qui,cherchant toujours 33 1'agrément de la diction & la vanité 33 ces paroles, préfère le fard de 1'élo33 quence a ces beautés naturelles qui 33 font bien mieux fans ornement 33. Ce n'eft point a moi a faire 1'application de ce portrait; tout ce que je puis dire , c'eft qu'il marqué , d'une manière fenfible, le commencement de la décadence du génie après le fiècle d'Augufe; je laiffe a juger fi nous en fommes au même point par rapport au fiècle de Louis XIV: au furplus , fi cela eft, les critiques font injuftes de s'en plaindre,  de VAme. i 6j puifque certe décadence eft en effetrr4~^x^t"'x'in c^iïai-re , fuivant les loix de la fenfibilité; car je ne doute point que fi les écrivains d'aujourd'hui, qui fe diftinguent du vulgaire j étoient nés du temps de Corneille, ils n'euffent égalé Racine, Molière , la Fontaine, Dejpréiux , &c. Je laiffe a penfer a quel degré Voltaire ne fe fut pas élevé, s'il fut venu a cette époque.  1ï68 Ejjai fur les facultés De la liberté de Fhommc, ^Sf o u s avons vu 1'ame, dans les chapiti-es piécédens, n'exercant fes facultés qu'a la faveur des fens ; mais ici nous allons la confidérer fous un autre point de vue; nous allons la voir agir par ellemême,non-feulement fans Pintervention des fens , mais encore malgré eux ; c'eft un modérateur que 1'Être fuprême nous a donné pour diriger nos adions; c'eft un pilote qui peut fauver le vaiileau qui lui eft confié, malgré 1'orage & le foulevement des flots. Par tout ce qui a été dit jufqu'ici, on a dü juger'que les produétions de 1'efprit dépendent concurremment de Pame & de la matière : c'eft de ce cöté-la que la raifon s'eft quelquefois déclarée en faveur des matérialiftes contre certaines opinions des métaphyficiens; c'eft dans ces occafions CHAPITRE VII.  de l'Ame. *£p occafions que 1'auteur du Syftime de la. nature a pu fe'duire a certains égards; mais lorfqu'il a e'té quefHon de Ia liberté de rhomrne, fon ignorance ( malgré fes prétentions ) & fon aveuglement 1'ont conduit dans des erreurs trop dangereufes pour que je négligé de dévoiler les fophifmes multipliés qui fervent de bafe a fa doéh ine. II commence par jetter un coup d'ceü, fuivant fa manière de voir, fur la con* ditkm de fhomme. « Nous naiffons, dit» il, fans notre aveu ; notre organifation » ne dépend point de nous; nos idéés » nous viennent involontairement ; nos « habitudes font au pouvoir de ceux qui » nous les font contraéier; nous fommes » fans ceffe modifiés par des caufes, foit » vifibles , foit cachées, qui règlent né» ceffairement notre facon detre; nous » fommes bien ou mal, heureux ou mal33 heureux , fages ou infenfés, raifon53 nables ou déraifonnables , fans que *t notre volonté entre poyr rien.dans ces H  170 Effai fur les facultés s» différens états; néanmoins , malgré les 3} entraves qui nous lient , on prétend i3 que nous fommes libres , ou que nous 33 déterminons nos adions ou notre fort, 33 indépendamment des caufes qui nous 33 remuent 33. Cependant 1'auteur n'admet pas moins «ne volonté ; il n'a pu fe déguifer le fentiment intime qui prouve fon exiftence; mais il la fait confifter dans une modjfication du cerveau, par laquelle ce vifcère eft difpofé a 1'adion, ou préparé a mettre en jeu les organes qu'il peut mouvoir: il dit que cette volonté eft néceffairement déterminée par la qualité bonne ou mauvaife, agréable ou défagréable de 1'objet ou du motif qui agit fur nos fens , ou dont 1'idée nous refte & nous eft fournie par la mémoire; qu'en conféquence nous agiffons néceffairement ; que notre adion eft une fuite de l'impub fion que nous avons regue de eet objet, de ce motif ou de cette idéé qui ont modifii notre cerveau, ou difpofé notre  de VAme. I-! volonté ; que lorfque nous n'agiffons point, c'eft qu'il furvient quelque nouvelle caufe, quelque nouveau motif, quelque nouvelle idéé qui modifie notre cerveau d'une manière différente, qui lui donne une nouvelle impulfion; une volonté d'après laquelle , ou elle agit, ou elle eftfufpendue, &qu'en tout cela nous agiffons tpujours fuivant des loix néceffbires. Enfin, voici comme 1'auteur termine la chaine de fes fophifmes fur eet objet. « La fatalité, dit-il, eft donc 1'ordre na» turel, immuable , ncceffaire , établi « dans la nature , ou bien la liaifon in» difpenfable des caufes qui agiffent avec » les effets qu'elles opèrent. D'après ces » caufes, les corps pefans tombent, les » corps légers s'élèvent , les matières » analogues s'attirent, les contraires fe repouflent; les hommes fe mettent en » fociété , fe modifient les uns les autres, » deviennent bonsou méchans, fe ren» dent mutuellement heureux ou maj- H2  I72 EJJai fur th facultés „heureux, s'aiment ou fe haiffent né„ ceffairemènt d'après la manière dont „ ils agiffentles uns fur les autres : d ou g 1'on voit aue la néceflké qui règle Ie * monde phyfique, règle auffile monde il moral : par eonféquent tout eft fitt» mis a la fatalité ». En rapportant a la matière tout ce qui fe paffe dans l'homme, 1'auteur a eu raifon de nier fa liberté: ce feroit comme dans les animaux oü tous les mouvemens & les adions qui en rekent font n^ceffaires; ainfi, en n'attribuant, comme il'fait, nos adions qua une mnmhcation du cerveau, qu'il fuppofé être le principe de ces adions, on ne peut cornette^ qu'elles ne foient néceftaires : mars comme nous avons démontré que le cerveau ne détermine aucun mouvement, * comme nous allons voir que tout concourt éprouver qu'il exifte en nous un être a qui Ua été accordé une forte d em pire fur certaines parties de notre corps Lc le pouvoir, indépendant de la ma  de l'Ame. 173 tière , d'arrêter ou de déterminer les mouvemens de ces parties, nous pouvons conclure que les adions qui réfultent de ces mouvement, font libres , & par conféquent que notre auteur a été trompé par;fon:ignorance: telle eft, en deux mots, la réponfe quej'oppofe d'abord a fes raifonnemens captieux. II s'agit a préfent de déterminer quelles fc*t les limites précilcs de 1'empire que le divin Créateur a accordé a 1'ame fur les parties de notre corps: c'eft par-la que nous allons juger de la nature de la liberté de l'homme & des bornes que Dieu lui a marquées. La phifiologie nous les montre , ces bornes; nous favons qu'il n'y a que les mufcles proprement dits dont 1'adion puiffë être déterminée , dirigée ou fufpendue par 1'ame : elle n'a aucun pouvoir fur les autres parties, quoiqu'il entre des fibres mufculaires dans la ftrudure de plufieurs d'entr'elles, comme le ca-ur, 1'eftomac , les inteftins , la veffie & Ia matrice; les mouvemens de ces parties H3  174 'Effai fur les facultés font nécelfaires lorfqu'un ftimulus maté^ riel excite leur irritabilité; 1'ame n'a au^ cun pouvoir fur leur aétion, foit pour la déterminer, foit pour Parrêter, non plus que fur; celle de toutes les autres parties , comme les vaiffeaux , les glandes , le ïiffu cellulaire , les membranes, la peau & lés nerfs. ïl n'y a donc que les mufcles proprement dits qui foient foumis a 1'empire de 1'ame : mais il faut encore connoitre quelles font les fonétions de ces parties, pour avoir une juffe idéé des 2Ctions que 1'ame peut diriger. Ces mufcles fervent a la progreffion, aux mouvemens des bras, des mains & des doigtsj ils fervent a nous faire exprimer nos idéés paria parole;ils fervent ala maftiration, a la déglutition, aux mouvemens des yeux, a marquer fur le vifage les différentes impreffions que les organes du fentiment éprouvent dans les paffions; enfin ils font mouvoir la téte & le corps fur la colonne vertebrale. Mais il ne faut  de PA/ne> 175* pas croire que toutes ces actions ne dépendent que de 1'ame , puifqu'elles nous font communes avec les an'maux; il faut donc encore diftinguer les cas oü elles font 1'effet du méchanifme de 1'organifation , d'avec ceux oü la volonté de 1'ame influe fur elles. L'action mufculaire eft un phénomèaè qu'on n'a pu encore expliquer d'une manière fatisfaifante; tout ce que 1'obfervation nous apprend a eet égard, c'eft que cette aétion dépend de 1'irritabilité, puifqu'on la détermine par une irritation méchanique, & qu'elle eft abolie dans les mufcles qui ne regoivent plus, par le moyen des nerfs, le fluide nerveux qui en eft le principe. L'obfervation nous apprend encore que cette aétion eft déterminée , dans les animaux, par les fenfations qu'ils éprouvent de la part des objets de leurs appétits ou de leur crainte: ainfi , la faim & 1'amour, fenfations qui portent fur le centre du fyftême fenfible , déterminent dans un animal, comme je H4  Sj6 Ejjai fur les jaeuhês Fai expliqué en fon lieu,les mouvemens de différens mufcles dont Padion lui fert a aller chercher fa nourriture, ou a s'unir a 1'objet de fon amour ; au lieu que la frayeur ou la crainte déterminent, dans d'autres mufcles, 1'adion qui éloigne le menie animal de 1'ojet de fon averfion. Nous obfervons encore d'autres "caufes déterminantes de 1'adion mufculaire dans les animaux : le trop long re* pos, par exemple , leur caufe fans doute, comme a nous, des inquiétudes dans les membres qui les obligent machinalement a fe remuer, è aller , venir, sagiter , fans y être excités par aucune autre fenfation. Enfin, qu'une mouche piqué un cheval, cette fenfation, qui porte fur Ie plexus folaire de eet animal, détermine les mouvemens de fa queue, de fes jambes, de fa tête , qui tendent tous a chaffer la mouche qui le tourmente. Telles font les adions qui nous font communes avec les bêtes ; elles fontné*ceffaires dans elles; elles le font égale-  de VAmè. 177 ment dans 1'homme lorfqu'il eft abandonné au feul méchanifme de fon organifation ; mais la volonté de fon ame peut déterminer , fufpendre ou diriger ces mêmes adions, malgré les fenfations qui mettent en jeu ce méchanifme : entrons dans un détail plus circonftancié fur cette faculté de 1'ame par rapport a 1'adion mufculaire. Indépendamment des fenfations qui déterminent la progreilion dans un animal , comme je viens de le dire , 1'habitude influe encore fur cette adion : dans le cheval, par exemple, lorfqu'une fois la progrefiion 'eft détcrminéc ] elle continue'd'elle-mcme; c'eft un branie donné qui ne ceffe que par la laffitude , ou par une contrainte étrangère , ou paree que 1'anifnal eft arrivé dans un endroit oü il a coutume de s'arréter : or , cette adion dans l'homme peut être déterminée, & ceffer par les memës caufes méchaniques : rhais 1'ame, par fa volonté, peut nonfeulementla déterminer, mais encore la"  178 Efjaijur les facultés détourner de Ia direétion qu'elle avoit prife , ou bien 1'accélérer, Ia ralentir ou 1'arrêter tout-a-fait, malgré les fenfations les plus impérieufes qui en étoient Ia première caufe déterminante. C'eft dans l'aétion des bras, des mains & des doigts 011 la volonté de 1'ame fe manifefte avec plus d'étendue & d'évidence. Les animaux font privés de ces parties: dans l'homme, leur aétion lui fert machinalement a fatisfaire 'plufieurs de fes befoins a fe défendre quand il eft attaqué, &dans fes chütes , a les rendre moins dangereufes, fans que 1'ame y ait aucune part; mais c'eft par fa volonté. que ces parties nous fervent a acquérir les talens qui nöus diftinguent fi éminemment des bêtes; c'eft cette faculté qui dirige l'action de ces parties lorfqu'il s'agit d'élever un édifice, d'imiter les objets par lapeinture ou la fculpture, qui nous fert a exécuter une pièce de mufique fur le violonoufur le clavecin,&c, Mais lorfqu'une fois nos mains & nos  de VAme. 17? doigts font fuffifamment exercés dans la méchanique d'une profeffion, 1'habitüde furfit pour exécuter les mêmes mouvemens ; il en eft de même de l'action des mufcles , qui fert l exprimer nos idéés par la parole; une fois qu'on a appris a parler, 1'habitude fait le refte: mais dans tous ces cas , l'homme eft toujours le maitre de déterminer , quand il veut, 1'acYion des parties qui doivent agir, ou de la faire ceffer. Le mouvement de la refpiration eft, fans doute, néceffaire a la vie , & pat conféquent n'eft point foumis effentiellement a 1'empire de 1'ame; cependant elle peut le fufpendre pendant quelques momcns , ou le modifier de différentes raanières. Je fuppofé qu'un fentiment de pitié foit exprimé par des foupirs, des fanglots tk des pleurs ; je fuppofé encore qu'une goutte d'eau , introduite dans la glotte en avalant , excite une töux violente; dans ces deux cas , 1'aótion des mufcles de la poitrine eft néceffaire , H 6  2c?Ö Ejjaifur les facultés 1'ame n'a point contribué a la déterminer, & il n'e'toit point en fon pouvoir , du moins il lui eut été difficile de Fartêter: mais fuppofons a préfent qu'aucune caufe maténejle ni morale n'excite 3'irritabilité de ces mufcles , & que Ia refpiration foit libre & tranquille ; dans ce cas, la volonté de 1'ame peut déterminer les mêmes mouvemens qui expriment les foupirs, les fanglots &latoux; mais elle ne peut pas faire couler les larmes , paree que les glandes lacrymales font hors de fon empire. C'eft ce pouvoir que nous avons d'imiter certaines aótions , dépendantes naturellement du méchanifme de notre organifation , qui conftitue les talens des acteurs tragiques & comiques ; ils expriment la pitié, la frayeur, la colère , la haine ,.la furprife, la tendreffe , Ia gaieté, la joie,&c., c'eft-a - dire, que l'aótion des mufcles que la volonté de 1'ame détermine , peint ces pafiions dans leursyeux ,-fur leur vifage , & dans tous leurs  de VAme. l8t mouvemens, fans que les organes du fentiment de ces acteurs foient affecte's de ces paffions , & quelquefois même, quoique ces organes é'prouvent actuellement des fenfations oppofées a celles qu'ils expriment. Enfin , perfonne n'ignore què 1'ame peut diriger les mouvemens des yeux; mais un acte de fa volonté qu'on n'a jamais foupgonné , c'eft 1'empire qu'elle exerce fur nos idéés, en dirigeant comme elle veut les mouvemens de 1'organe intuitif interne; mouvemens qui femblent, en quelque facon, dépendre des mêmes mufcles qui font mouvoir les yeux même; mais, quoi qu'il en foit, il eft certain que fans eet empire de 1'ame fur la vue intérieure, notre efprit n'exercero'it quepeu de fes facultés, paree que cette vue fuppofée immobile, 1'ame n'auroit de perceptions que celles que les autres fens lui fourniroient; mais en dirigeant l'action intuitive interne , fuivant fa volonté elle la fixe, tantót fur un objet.  l8a Ëffai fur les facultés tantót fur un autre, & c'eft par ce moyert que l'efprit a la faculté de réfléchir, de comparer , de raifonner & de porter fon jugement fans que les autres fens y contribuent. Telles font donc les feules acVions de l'homme, foumifes a la volonté de 1'ame. Si on me demande comment elle peut les déterminer ou les arréter, jerépondrai que je 1'ignore: je fais bien que le mouvement des mufcles dépend de 1'irritabilité; je fais encore que lorfque les nerfs font coupés, comprimés on obftrués, les mufcles auxquels ils fe diftribuent n'ont plus d'aétion, & qu'ils n'obéiffent plus a la volonté de 1'ame; mais je ne connois point la nature des rapports qu'il y a entre elle & 1'irritabilité & les nerfs : eh ! comment pourrois - je expliquer la manière dont un être fpirituel agit fur nos organes ? Mais ces rapports ne font pas moins évidens par les effets les plus fenfibles; car il n'eft pas poffible de les attribuer, ces effets, a «ne modifkation  de F Ame. 185 acruelle de la matière, puifque les actes de la volonté peuvent être exercés malgré les fenfations les plus vives; l'action de Mittius Scevola prouve, autant qu'on peut I'exiger, qu'ils ne peuvent émaner que d'un principe indépendant & fupé* rieur a Ia matière. Que 1'auteur du Syflcme de la nature vienne a préfent m'objecter qu'on ne fauroit concevoir qu'un être fpirituel n'ait aucun pouvoir fur nos fenfations , que ce pouvoir foit borné a q.uelques parties de notre corps, & que eet être ne foit pas capable , au contraire, de renverfer , s'il Ie vouloit, 1'ordre de la nature entière; je répondrai a ce fophifte, qu'ignorant les loix de 1'économie animale, il n'a pu avoir une jufte idéé de Ia liberté de l'homme; que dans fa manière de raifonner il a confonuu 1'effence de 1'ame avec celle de Dieu ; que fi la raifon 1'avoit éclairé, il auroit concu que 1'ame, toute fpiritueile qu'elle eft, n'eft qu'un être créé a qui dieu a départi la mefure  184 Ejjtiï fur les facultés de pouvoir qu'il lui a plu; qu'il a limitê fa puiffance , paree qu'il ne 1 a aüocie a notre corps que pour diriger certaines de «ïos adions, fuivant les vues de fa juftice : & voila non-feulement ce que 1'obfervation & la raifon nous apprennent, mais encore ce que la révélation nous enfeigne : concordance qui doit confon- dre quiconque ofera nier la liberté de l'homme: c'eft fous ce point de vue qu'il me refte ici a le confidérer. Tout le monde convient que le principal motif qui doit déterminer 1'homme, dans les adions qui dépendent de fa volonté; c'eft le bonheur. Mais, a quoi confifte-t-i! ce bonheur?La plupart des hommes le cherchent dansla jouiffance aduelle des objets de leurs defirs : mais ne fe trompent-ils pas ? Le plus fóuvent cette jouiffance n'échappe-t-elle pas a la pourfuite la plus adive?& plus fouvent encore, les deiirs latistaits ne iont-ils pas, par les loix néceffaires de la fenfibilité , fuivis de prés d'une fatiété apathique ?  de VAme. iBj* L'ambitieux, par exemple , qui afpire aux fichefTes, aux honneurs, paffe fouvent toute fa vie fans atteindre lé bat que fon imagination lui montre toujours dans fèj loignement. II en eft de même de 1'avare, de 1'orgueilleux, de 1'égoïfte; ils vivent dans des inquiétudes , des tourmens & des mortifications continuelles : mais ramant & le voluptueux n'ont-ils pas des jouiffanc.es réelles ? Sans doute ; mais ils ne font pas plus heureux: plus leurs plaifirsfont vifs, plus leurfenfibilité s emouffe; auffi, non-feulement leur fanté en recoit des atteintes facheufes, mais ertcore ils fe réduifent infenfiblement dans un état d'indifférence , d'ennui , de dégout de foi-même qui efface en eux pour jamais ce fentiment intime de fatisfaction , cette confcience tranquille, qui eft la bafe la plus folide du bonheur; en un mot, ils font devenus infenfibles a lnorreur du vice & aux charmes de la vertu. Telles font les erreurs auxquelles la plupart des hommes fe livrent; j'en appelle k  186 Ejfai fur les facultés leur expérience; prefque tous ne voientle bonheur quedans autrui: infenfiblesatous les objets dont ils jouiffent, & que d'autres envient , ils s'eftiment malheureux, & ils le font réellement. Mais n'exifte-t-il pas un bonheur plus folide auquel tous les hommes puiffent afpirer, & qui nepuiffe être altéré, ni par la différence des conditions , ni des tempéramens ? Oui, je le vois dans 1'efpérance d'une vie future & e'ternelle. Mon état n'eft point de prêcherjfur les dogmes de la religion ; c'eft la philofophie qui me dicte que fi la révélation ne nous avoit pas annoncé cette vie future, il faudroit la fuppofer pour notre bonheur, paree que c'eft Ie point de vue qui préfente 1'objet Ie plus digne de l'homme. L'efpérance ! le plus doux & le plus inaltérable des fentimens, feul capable d'adoucir les amertumes de Ia vie (i). (i) Voyez laquatrième épttre de Pope furie fconheur de 1'homme , c'eft fous !e même afpeil que lui, que je viens de le confidérer.  de VAme. 1S7 Mais , öutre ce principal motif qui doit déterminer les actions de l'homme libre, il en eft un autre capable de le rendre heureux dès cette vie périffable; c'eft la pratique conftante de la vertu. « fois 33 bon, dit un auteur, paree que la bonté 33 enchaine les cceurs ; fois indulgent, 33 paree que,foibletoi-même, tuvis avec 33 des êtres auffi foibles que toi; fois doux, 33 paree que la douceur attire 1'affection ; 33 fois reconnoiffant, paree que la recon33 noiffance alimente & nourrit la bonté; >3 fois modefte, paree que 1'orgueil ré»> volte des êtres épris d'eux-mêmes; 33 pardonne les injures, paree que la ven33 geance éternife les haines; fais du bien 33 a celui qui t'outrage , afin de te mon33 trer plus grand que lui, & de t'en faire 33 un ami; fois retenu, tempéré , chafte, 33 paree que la volupté, Pintempérance , 33 les exces détruiront ton être , & te 33 rendront méprifable 33. Diroit-on que c'eft la le langage de 1'auteur du fyftême de la nature, lui qui  l88 Effai fur les facultés nie la liberté de l'homme , qui dit q"ue toutes fes actions font néceffaires , & qui a prétendu le prouver par 1'efpèce de dialogue fuivant. cc Suii-je le maïtre de ne point defirer ■» un objet qui me paroit defirable t Non , 33 fans doute , direz-vous ; mais vous 33 êtes le maïtre de réfifter a vos defirs fi 33 vous faites réflexion aux conféquences, b* Mais fuis-je lë'maïtfé de faire réflexion 33 k ces conféquences, lorfque 'mon ame a- eft entrainée par une paffion très-vive 33 qui dépend de mon organifation & des 33 caufes qui la modifient ? Eft- il en mon 33 pouvoir d'ajouter a ces conféquences « tout le poids néceffaire pour contreba33 lancer mon defir ? Vous avez dü , me 33 dit-on , apprendre k réfifter k vos paf33 fions, & contractei- 1'habitude de mettre 33 un frein a vos defirs : j'en conviendrai 33 fans peine; mais, repliquerai-je, ma 33 nature a-t-elle été affez fufceptible 33 d'être ainfi modifiée ? Mon fang bouil33 lant, mon imagination fougueufe, Ie  de VAme. l8p » feu qui circule dans mesveines, m'ont>f% permis de faire & d'appliquer des 33 expériences bien vraies au moment oü 33 j'en avois befoin? Et quand même mon 33 tempérament m'en eut rendu capable , » 1'éducation , 1'exemple, les idéés qu'on 53 m'a infpirées de bonne he.ure, ont53 elles été bien propres a me faire con3, tra&er 1'habitude de réprimer mes de>3 firs 53, Telles font les contradidions familières a 1'auteur du fyftême de h nature. II exciut ici Ia ïiberté de l'homme , tandis qu'il rad'met dans un autre endroit en lui recommandant d'ctre bon , d'étre jufte , de pardonner les injüres. Cependant , il n'eft pas moins vrai que la plupart des hommes relfeniblent au pcrtvait qu'il vientd'en faire; tels font les exemples fi multipliés quenous avons devant lesyeux. Mais quelle eft la caufe de cette dépravatio»? C'eft que dans une trop grande multitude d'hommes réunis, comme dans les grandes villes, les mceurs fe corrom-  IOO Effai Jur les facultés pent plus facilement par les idees recues, par les occafions, par 1'exemple, par le luxe, &c. 1'ame s'y laiffe entrainér par le torrent des paffions, & elle eft fouvent complice du défordre. Mais l'homme n'eft pas moins né libre, & chaque individu confidéré a part, on concoit qu'il peut fe garantir aifément de la contagion dont il eft environné. De toutes les paffions, 1'amour eft celle qui peut caufer le plus de ravages , c'eft ^un befoin de la nature; & pour peu que Ie tempérament en attife le feu , la volonté de 1'ame a beaucoup de pu'ne a s'oppofer a fes progrès : auffi la religion a-t-elle confacré le moyen de 1'éteindre. Quant aux autres paffions, il eft vrai que 1'ame n'a aucun pouvoir fur les fenfations qui les fufcitent; mais elle peut conftamment arrêter les actions qui réfultent de ces fenfations, & par conféquenr, anéantir leurs effets; elle eft la maitteffe enfuite d'empêcher que ces paffions ne fe  de V Ame. ipi r-enouvellent fi fouvent, en écartant continuellement les idees qui rappellent les jouiffances du vice, en fuyant les occa * fions & les exemples qui peuvent tenter de les fuivre , en fixant fouvent la vue intérieure fur les illufions de cette vie, & fur le vrai bonheur qui nous attend dans I'autre, fi nous le méritons ; & c'eft ainfi que 1'habitude de la pratique de la vertu change infenfiblement la modification vicieufe des organes du fentiment. Mais indépedammentde Ia volonté de chaque individu, il eft encore un moyen bien plus sur de monter le fyftême fenfible fur le ton de la vertu; moyen dont les pères font refponfables; c'eft 1'éducation,le naturel le plus heureux ou le plus vicieux, dans un enfant, peut être facilement perverti dans eet age tendre oü les organes font encore flexibles. Si, avec les difpofitions les plus favorables, un enfant eft mis entre les mains d'an inftuteur pervers & ignorant; s'il eft aban-  102 Ejjai fur les facultés donné aux mauvais exemples des jeunes libertins qui 1'entourent; le fyftême (enfible dans eet individu fe montera, par 1'habitude, fur un ton qui pourra devenir !a fource de toutes fortes de vices; mais fi un maïtre fage & intelligent memtre affidument a fon élèye les objets qu'il doit aimer ou haïr, qu'il doit delïrer ou fuir, qu'il doitefiimer ou méprifer; s'il re'prime avec perfévérance fes caprices, fes emportemens, fon penchant naturel a faire le mal, la première difpofition vicieufe des organes du fentiment peut être ainfi corrigée& entièrement effacée. Mais une éducation auffi foignée, auffidifpendieufe, n'eft point néceffaire a tout le monde : elle feroit fuperflue aux habitans de la •campagne : dans cette claffe d'hommes , les travaux pénibles auxquels ils font aflujettis, & les alimens groffiers dont ils fe nourriflent , rendent héréditairement le fvftême fcnfble bien moins fufceptible d'une difpofition vicieufe, que 1'oifiveté Sela bonne clière dans les riches. Mais  de F Ame. j-p ij- Mals tous ces moyens ne fuffifent pas encore : ces confidérations philoiophiques ne font pas a la portee de tout le monde , ou bien 1'on ne'glige de fe familiarifer avec elles: il faut donc des objets qui frappent les fens , & qui renouvellent , par cette voie , plus fouvent & plus efficacement 1'idée de la vie future. Le culte de la religion nous les offre ces objets; les exhortations & 1'exemple de fes rciniftres , les ce're'monies auguftes de leglife , tout eft fait dans ce culte pouc exciter les fentimens d'adoration, d'amour & de reconnoiffance , pour un Dieu re'munérateur; tout y eft ordonné pour re'primer les paffions & raffermir 1'ame dans la voie qu'elle doit fuivre pouc parvenir au bonheur fuprême. Enfin , repréfentons-nous un tableau que nous ne verrons jamais dans tout fon enfemble , mais dont 1'exiftence eft poffible. Suppofons que toute une nation foit péne'tre'e des vérités que la foi, la révé^ I  104 Effai fur les facultés lation & la morale de 1'évangile nous enfeignent. Le roi de cette nation fera le père de fes fujets ; le miniftère alliera la bonne foi & la probité avec la politique : cette nation n'aura rien a craindre de fes ennemis (fi la vertu peut en avoir); le fentiment d'une jufte liberté & 1'amour de la patrie, la rendront, dans 1'occafion, puiffante & redoutable. Le magiftrat n'ayant point de crimes a punir, fixera uniquement fon attention fur la balance de la juftice; le riche fera fes délices des aéïes de bienfaifance & d'humanité; dans toutes lesclaffes, chacun aura fes jouiffances; le commerce des amis, latable, le jeu, les fpeótacles , tous ces objets de délaffemens feront permis , paree que la décence & la modération y règneront; Ia pauvreté, qui ne pourroit exifter dans cette nation que par des accidens imprévus, fera auffi-töt fecourue; 1'intempérance ni les paffions n'y altéreront jamais la fanté. Enfin, pour tout dire en.un  de £ Ame. mot, dans cette hypothèfe, chaque individu étant formé a la vertu dès fa plus tendre enfance , une mauvaife adion feroit un phénomène incompréhenfible.  ïpö Effai fur les facultés CHAPITRE VIII. Des caufes finales. Après avoir mé 1'exiftence de 1'ame, il étoit bien digne de 1'auteur du fyftême de la nature de nier celle de Dieu. H y a employé la feconde partie de fon ouvrage Won ne peut lire qu'avec indignauon. II a préféré de fuppofer k la nature lintelligence qui peut n'appartenir qu'aun etre fpirituel; & multipliant fes efforts pour faper les fondemens de la religion, il n a point épargné les déclamations contre ceux de fes miniftres qui ont abufe de Uur facré caradère, ou qui 1'ont profane, contre les excès du fanatifme & les travers dc la fuperftition. Enfin, dans fon aveuglement, il a exclu toute idéé de création , prétendant que 1'uniyers , tel qu'il eft , a exifté de toute éternité. Mon objet n'eft point de relever id fignoxance de eet auteur, fa mauvade fo,,  de tAme. ip*» fes fophlfrnés, fes contradictiöns, fes paralogiünes : perfuadé qu'on ne peut fe forifier une plus jufte idéé de Dieu qu'en contemplant fes ouvrages, je me bornerai a quelques réflexions fur les caufes finales, en réfumant les principes que j'ai établis, d'après mes obfervations, fut 1'économie animale. En admettant que la matière a exifté de toute éternité, on nepeutfe larepréfenter que comme un cahos, oü tout, avant la création, étoit confondu & fans mouvement. Or, s'il étoit permis a la raifon humaine de vouloir pénétrer dans ce myftère fublime , il femble qu'on pour ■ roit s'en former une idéé d'après les loix même que Dieu a établies dans la nature. En fe rappellant 1'idée de M.de Buffon, que j'ai rapportée dans le premier chapitre , fur la transformation des élémens par les feuls mouvemens d'attraótion & d'expenfion, on peut dire , d'abord ' que pour débrouiller le cahos, il a fuffi au Ij  798 Effai Jur les facultés divin Créateur d'établir les loix de ces mouvemens , & celles des affinités & des rapports qui en dépendent. Suivant les lumières que nous puifons dans 1'étude de la nature , nous concevons, en efiet, que par ces loix , la matière a d'abord été animée ; que fes molécules fe font féparées & réunies diverfement, fuivant leurs affinités particulières, pour former les corps qui figurcnt dans 1'univers , & que depuis leur formation , les mêmes mouvemens font les caufes du cours régulier que nous leur voyons fuivre. Nous concevons encore que dans notre globe les molécules de la matière qui le compofent fe font modifiées d'une infinité de manières par les mêmes loix, & que de ces modifications il eft réfulté, fuivant les principes de M. de Buffbn , la lumière , lefeu, 1'air, 1'eau & la terre : de la ces produétions , ces deftructions , ces métamorphofes, & ces révolutions qui fe fuccèdent continuellement dans la nnture. Enfin, on concoit aifément que fi le divin  de VArnè* : 'ïpp Créateur abolifloit ces loix , la matière retourneroit auffi-töt dans le cahos. Mais fuppofons a préfent que ces loix euffent exif té feules dans 1'univers: dans cette fuppofition il n'y auroit donc point eu d'ctres organifés ; car il eft évident que les mouvemens d'attractioli & d'expanfion, & les loix des affinités ne fuffifent pas feules pour les produire : il a donc fallu pour eux une création particulière : telles furent les loix de la génération , par lefquelles le Créateur tira du néant les végétaux & les animaux dont 1'organifation eft admirable , mais qu'il fallut encore animer par une propriété parciculière , qui eft 1'irritabilité, a laquelle Dieu joignit la fenfibilité dans les animaux pour. les diftinguer des plantes. Ce fimple appercu du débrouillement du cahos, fondé fur les loix de la nature , fuffit bien pour démontrer qu'il exifte un être fupérieur a la matière, & dont 1'intelligence a pu feule, par les moyens les plus  i200 Fjfiai fur les facultés fimples,tirer du néantl'universtel que nous le voyons : auffi les loix de ces mouvemens font-elles les feules qu'on ne fauroit expliquer, paree que les bornes de 1'efprit humain ne nous permettentpoint de nous éleveralahauteurde pareils myftères émanés immédiatement de la Divinité. Nous concevons les loix du mouvement par irnpulfion, & celles de la mécanique, paree qu'elles font fecondaires; mais nous ne comprendrons jamais celles de 1'attractiqn, 'de 1'expanfion , de la gravitation , de la répulfion, des affinités, de la génération , de Pirritabilité & de la fenfibilité; nous ne pouvons connoitre que leurs effets, & les phénomènes qui.en réfuitent (i), Enfin , ce qui eft encore digne de notre admiration dans la création , c'eft que ces loix une fois données, le divin Créa- ( i ) C'eft la manie d'avoir voulu expliquer ces loix qui a enfanié tant de romans en phyfique, en métaphyfic[ue & en médecine.  de t Ame. '20Ï teur a voulu que tous les effets qu! s'opèrent par elles fuffent nécefftires, c'eft-adire, que leur énergie fuffife feule pour produire tous les phénomènes de la nature; tel eft le principe de cette harmonie qu'on admiredans 1'univers : contemplons la un moment dans les êtres organifés; c'eft le tableau dont il me refte a tracer une légère efquiffe pour terminer eet ouvrage. L'irritabilité & la fenfibilité font bien capables par elles-mémes d'animer les êtres organifés , mais elles ne fuffifent pas pour entretenir leur vie ; il faut encore qu'une nouvelle fubftance répare les pertes que Ie corps de ces êtres fait journellement, & qu'elle fourniffe a fon développement & a fon accroiffement, jufqu'a ce qu'il foit parvenu au degré d'éten. due que Dieu lui a marqué. C'eft la terre qui eft la fource de cette fubftance nutritive; les végétaux y puifent la sève dont ils fe nourriffent, & après ijs  202 Ejfai fur les facultés 1'avoir modinée de miile manières, ils la tranfmettent aux animaux pour leur fervir de .nourriture: j'ai dé ja obfervé par quelles loix cette sève fe modifie fi diverfement dans les plantes; mais 1'intelügence & la fagefle du divin Créateur éclatent bien d'avantage dans les loix qu'il a établies relativement a la nutrition des animaux. Le premier objet d!admiration qui fe préfente, confifte dans les différens rapports que les diverfes fubftances qui fervent d'alimens aux animaux ont avec les organes du goüt: chaque efpèce d'animalafon goüt particulier , de fagon qu'il ne fe nourrit que d'une forte d'aliment qui ne convient point a la plupart des autres efpèces. Or, cette variété de rapports & d'analogie eft fi prodigieufe, & fi lage en mêmetemps, que fi tous les animaux avoient eu le même goüt pour la même efpèce d'aliment, elle n'eüt point fuffi pour les nourrirtous, ce qui les eut excités fans cefle a fe détruire mutuellement en fe la difputant. Ajoutez encore que s'il n'y  'de. VAme. 20} avoit point d'anlmaux qui ne fe nourriffent que d'autres animaux, la fécondité de ceux qui fervent de nourriture aux autres feroit dominer leurs efpèces d'une manière très-incommode. La converfion des alimens en fubftance animale eft un de ces phénomènes oü 1'on admirela profondeur de 1'intelligence fuprême. Le principal agent de cette converfion eft la chaleur animale : cette chaleur ne doit point être confondue avec celle qui émane du foleil, ni avec celle du feu d'un foyer, ni avec celle quiréfulte de la fermentation ou du mélange de l'air pur avec Pair fixe; elle eft particulière aux animaux, paree qu'elle eft le produit de Pirritabilité (i). C'eft fous ce point de vue qu'on peut fi) Voyez mes Réflexions fur la chaleur animale, qui fervent de fuppiément a la feconde partie de mes Recherches fur différens points de phifiologie , de pathologie, &c. ti  204 Ëjjai fur les facultés comparer le corps des animaux a un laboratoire chymique,oülachaleur conjointtment aveclesmouvemens d'attraótion Sc d'expanfïon,&les loix des affinitésjtravaille, modifie , combine Sc aflimile d'une infinité de manières les fubftances qui lui font foumifes ; de la le eh\le, le fang & toutes les liqueurs qui en émanent, dont les qualités font relatives a chaque efpèce d'animal, & dont la formation eft au-dela de la fphère de nos connoiffances; nous favons feulement que ces liqueurs perdroient bientöt les propriétés qu'elles doivent avoir , Si qu'elles ne feroient pas long-temps fans s'altérer , fans fe décompofer, fi elles reftoient dans un parfait repos : il a donc fallu que 1'intelligence fuprëme ait pourvu a leur circulation, en établiffant des organes, dont 1'aétion, qui dépend de 1'irritabilité, lesentretient dans une agitation continuelle. Un des cbangemens le plus confidésrable dont les fluide s des animaux foient  de VAme. 20f fufceptibles par les différens mouvemens dont je viens de parler, & par la chaleur animale qui en réfulte , eft lexhaltation de ces fluides en vapeurs ou en gas : voici le tableau que j'en ai préfenté dans mes réflexlons fur cette chaleur, & qui donne une jufte idéé de 1 economie animale. « Ces vapeurs pénètrent par - tout; m elles peuvent fe tranfporter d'une ex» trémité du corps a 1 autre, a travers si le tiflu cellulaire ; elles s'évaporent » continuellement dans 1'atmofphère ; sj elles ont des propriétés différentes, 53 fuivant les différentes efpèces d'ani35 maux, & fuivant les diverfes modifï53 cations des organes ou des fluides dont 53 elles font émanées; ce font elles qu» 33 font la caufe indigène de 1'irritabilité 55 de nos organes qui exécutent les fonc53 tions vitales & naturelles: dans 1'état 55 de fanté , c'eft par 1'infenfible tranfpi55 tion qu'elles s'évacuent quand elles* 35 commencent a devenir nuifïbles; auffi  flOfS Effal fur les facultés " lorfqu'eiles font retenues trop long" temps, deviennent-elles la caufe de 33 plufieurs maladies 33. Mais dans ces maladies même, nous trouvons des motifs de reconnoiffance envers le divin Créateur; le plus fouvent leur caufe devient elle - même 1'inftrument de la guérifon. Lorfqu'une humeur heterogene excite extraordinairement rirritabilité des organes de la circulation , la chaleur augmente confidérablement, de même que le cour? des fluides ; de la la fièvre : mais cette même chaleur , & la vélocité du mouvement du fang, qui caraöérifent la maladie, agiffant fur le principe morbifique, parv}ennent, dans un temps donné, a le modifier de manière qu'il perd fa qualité nuifible, & la maladie eft terminée. Comme tout eft ordonné pour la confervation des hommes ! L'habitude eft un phénomène qui manifefte encore -la  de VAme. 207 bonté du divin Créateur a eet égard. Les inttmpéries de 1'air peuvent cauler beaucoup de maladies ; mais elles ne font pas néceffairement nuitibles ; ceux qui hab:tent toujours le même climat font beaucoup moins affedés des mauvaifes qualités de 1'air propre a ce climat, que ceux qui n'y font point accoutumés, paree que 1'habitude fait contrader a nos folides & a nos fluides des modifications qui mettent le corps al'abri des difpofitions vicieufes de 1'air. Les paffions , 1'opulence & Ia pauvreté font commettre a l'homme des exces dans fa manière de vivre , ou fubir des privations qui lui font nuifibles ;mais nous voyons fouvent que 1'habitude fait fupporter ces excès &.ces privations fans que la fanté en foit dérangée. On fait que le befoin de 1'exercice eft bien moins preffant a un certain age , Sc qu'il devient même impraticable dans ia  2ö8 EJJai fur les facultés vieiHeffe , paree que le corps n'a prefque plus de force a perdre : cependant l'empire de 1'habitude change encore ici 1'ordre des chofes ; car nous voyons des hommes fi accoutumés aux travaux les plus rudes, aux exercices les plus péribles, que le repos leur eft nuifible, même dans la vieillefle ; paree que leur corps a été modifié de longue main a fupporter ces excès, qui leur font a la fin devenus néceflaires. L'organlfation des animaux & la fenfibilité qui 1'anime manifeftent , d'une manière encore plus frappante ,1'ouvrage d'un Dieu. Nous avons vu que cette propriété combinée avec 1'irntabilité, eft la feule caufe des actions des animaux j actions qu'on attribuoit a un être doué d'intelligence. Les mouvemens qu'ils fe donnent pour fe procurer leur nourriture, pour fatisfaire leur amour, pour leur propre confervation, & pour celle de leur familie, toutes ces adions font né-  de tAmt. 20p ceffairement déterminées par le méchanifme de leur organifation ; celles de rhomrne, confidéré comme fimple animal, font foumifes aux mêmes loix: mais 1'être fuprême a voulu le diftinguer feul dans 1'univers par des propriétés particulières, & par une ame qu'il a affoctée a fon corps. L'organe intuitif interne eft évidem'ment un don que Dieu a fait a l'homme feul. Les yeux & les autres fens, dans tous les animaux, font exercés par les objets préfens; mais l'homme a la faculté exclufive de fe repréfenter, par fa vue intérieure, les objets abfens: de la fes idéés , fon imagination, fa mémoire , dont les animaux font privés. Les rapports de l'organe intuitif interne avec les organes du fentiment font encore un objet d'admiration dans l'homme ; mais ces rapports ne nous diftingueroient pas fi fupérieurement des bêtes, fi nous  210 ËJJat fur les facultés n'avions pas une ame dont les facultés combinées avec Faótion de ces organes, font la fource des productions de 1'efprit, du génie & des talens. Nous avons vu que les mufcles, proprement dits, font les feules parties de notre corps qui foient foumifes k la volonté de 1'ame: eft-il une preuve plus évidente de la bonté ineffable du divin Créateur ? Car a quoi auroit tenu notre exiftence fi l'action des parties qui exécutent lesfonctions vitales & naturelles, comme le cceur, 1'eftomac, les inteftins &c. eut été foumife a la volonté de Fhomme? L'ignorance, une.fenfation facheufe . le caprice, la folie auroient pu tous les jours nous faire ceffer de vivre. Enfin, tout nous annonce , tout nous prouve qu'en créant l'homme, Dieu Pa deftiné a jouir d'un bonheur éternel s'il le mérite : ce n'eft point k nous de raifonner fur les vues de fa juftice; mais il eft eer-  de tAme. 'At* tain qu'il a prodigué a l'homme les moyens d'être heureux, non-feulement dans la vie future , mais encore dans celle-ci: pour cela, il lui a aflocié une ame quil'a rendu libre , malgré la nécelfité des mouvemens de la matière. Oui, telle eft fa puiffance impérieufe fur les organes du mouvement foumis a fa volonté ; elle a, par cette puiffance, le pouvoir de régler la conduite de l'homme, fuivant les principes de la morale & de la religion , malgré le vice de fa conftitution , malgré 1'influence d'une mauvaife éducation , du climat, de 1'exemple, &c.; quoiqu'elle ne puiffe pas changer la nature de l'impreflïon que les objets font fur les fens, elle eft la maïtreffe d'en arrêter les effets, & c'eft ainfi qu'elle dompte, quand elle veut, les paffions les plus effrénées. Que l'homme fe connoiffe donc enfin, qu'il ne fe réduife point a la condition des animaux , dont les actions font néceffairement déterminées parle méchanifme de leur organifation. Oui, je me fens au-deffus de  \*2 Ejjdï fur les facultés de VAme. cette fatalité; j'ai le fentiment intime d'une volonté libre ; & fi je n'agis , comme les bêtes, que par 1'impulfion de mes fens, je luis un lache qui dégrade la nobleffe de mon être. FIN.  ■   I