RELATION d'une course dans quelques PROVINCES des P A ï S - B A S, et dans une tres petite partib de L'ALLEMAGNE. dêdiêe A madame la baronne PE HEECKEREN de CEOESE, S'il ennuie, ïl espere grace En faveur'de fa Dédicace.   LETTRE I. Dimrendaal, Jeudi 17 £Aoüt 1786. V v ous voulcz, mon cher ami, que je voits donne fouvent de més nouvelles, & que je vous fasfe pan des obfervations, que j"aurai lieu de faire dans la petice Courie que je vais entrcprendre. Jamais asfürémenc obfervateur moins atten? tif n'a pris la plüme pour communiquer ce qu'ii a vu; mais j'aime mieux pécher par mon esprit que par mon coeur & je facrifie avec plaifir ma vanicé au defir de vous fatisfaire. Vous favez que nous fommes partis enfemble, le Comce de Rechteren, mon frcre lc Lieutènant Colonel avec fon fils, & moi Faprèsdiïic du Jeudi 1 o d'Aoüc. Nous arrivames le mC»me foir a Arnhem. Le lendemain nous cümes foin d'êcre de bonne heure a Nimégue, pour nous y embarquer fur le plus triste bateau que j'afe jamais vu. Ce triste bateau étoit rempli de la plus triste compagnie, & décoré d'un Roef plus triste encore fans fenêtres & fans table. Nous A  C » ) y logeames nos cannes & nos épées, m figne de posfesfion, & nous nous ylacames nous mêmes fur le tillac Le tems étoit beau. 'S'il y avoit eu du vent, il auroit été a 1'Est^ mais 1'eau •étoit plus calrae, que ne le font communement mes fosfés a Voorftonden; deforte que le courant, au defaut du vent, nous fit descendre lentement la majestueufe riviere qui baigne les murs de Nimégue, & que la hauteur de 1'eau rendoit plus belle encore que d'ordinaire. Comme je me propofe d'aller faire une tour:née en Flandre, d'oü je vous marqserai ce qui m'y aura paru de plus interesfant, je ne veuxpas pasfer enderemcnt fous filcnce tes beautés de notre propre pats. Je ne vous ai den dit de la fituation pittoresque du beau païs entre Doesburg & Arnhem, ni de la fertile vallée entre cette ville & Nimégue, par ce que vous Ia connoisfez ausfi bien que moi. Je fuis toujours frappé de la beauté de ces cantpns, quoique je les aie traverfés cent fois. Mais dans le bateau, a une dercie lieue de Nimégue, je n'ai pas été frappé moins vivement de la fuperbe pofition de cette ville, & du magnifique coup d'oeil qu'elle offre, vue de eet endroit de la riviere. Sa litu-ation en amphithéatre, enveronnée de coteaux couverts d'arbres & de moulins, qui femblent fortir des toits & couronner la Ville; fes clo«chers, fon Chateau & fon Belvedère, qui fe re*  C 3 ) fiechisfent dans Peau & s'élevent avec éclat au desfus des maifons moins élévées qui bordent la rive; tout cela forme dans le lointain une per-r fpeftive d'une beauté ravisfante. Le fouvenir que me caufe ce fpectacle m'oblige de vous dirc, comme il convient a un voyageur exact, que Ie Colonel Hoeuft, connoisfance da mes compagnons de voyage, nous avoit fait prcparer ce matin a la Place Royale un petit déjcuné, ou du vin, une langue de boeuf fuméa & deux poulets froids piquerent vivement notre curiofité, & fervirent merveilleufement a nous restaurer des fatigues du commencement de cette journéc & de notre petite courfe. Le defaut de vent ne nous fit avancer que lentement; cependant la vue de 1'eau transparenté de la riviere; la beauté du tems; le plaifir de la converfation; des livres; des viandes froides; du vin ; mille autres petites begatclles, qui amufent cn voyage repandirent beaucoup d'agrément fur notre trajet. Nous n'avions rien d'interesfant a voir que quelques clochers, des faules & des prairies, fpeétacle toujours uniforme. Quelquefois pour-tant le calme de 1'eau, qui rcfiéchisfoit tous les objets, 6c la largeur du fleuve, qui en quelques endroits & cntr'autrcs pres du village d'Ochten formoit une nappe d'eau d'une êtendue a perte de vue, claire comme le cristal, entourée d'arbres de- formes & de coulcurs difA a  C 4 ) fërentes, de dochers, de maifons de plaifance, & d'habitations de païfans, offroien: une vue charmante, dont je fentis vivement touce Ia beauté. En pasfant a Thiel, oü notre bateau s'wrêta quclque tems, nous nous fimes mener en barquette a la ville, qui me parut johe, proprc & ■bien batie. mais les maifons en gênéral antiques & mal baties. La ville est peuplée & vivante. II -y a beaucoup de commerce tranfitoire, furtout du pai's de Liege, qü'on doit attribuer en grande partie aux cntraves, qui genent la navigation de la Meufer  C 7 ) Ellë coute au travers des posfesfions de différentes puisfances, qui n'ont pas-, manqué , chacune de leur cöté., d'y mettre de péages; ce qui force les marchandifes de choifir la route de terre. Si la Province de Hollande pouvoit fe refoudre a: facrifier fon intérêt particulier au bien général & permettre aux Etats Généraux de continuer la chausfée de Bois-le-Duc. k- Eindhoven jusqu'au pais de Liege ou jusqu'a Maestricht, le commeree des deux villes. & furtout de la première y gagneroit confidérablement.. Une grande partie des marchandifes prend apréfent le chemin du Brabant, oü le Gouvernement prend plus de foin des voies publiques, que dans notre païs foit-difant, industrieux; & pasfent de la a Ostende, d'oü des négocians Hollandois & Zélandois les transportent pour. leur propre compte dans leurs magafins. L'Hötel de ville a Bois-le-Duc-est un bel é~ difice, dont la facade est entierement batie en pierre de taille bleue.. L'architeéturc m'en.a paru noblc & fimple. Au desfus de 1'entrée prin» cipale s'élevent quatre pilastres d'ordre lonique, furmontés d'un fronton, qui porte les armes de la ville. La grande Place ou le marché fur" lequel ce batiment est fitué est trés vaste, mais irrégulier, &, feroit plus beau, li 1'on pouvoit abbattre quelques maifons, qui font un mauvais effec, &. la retrécisfent d'un cöcé, J'y ai admiré.„ A 4  ( 3 ) ausfi le Gouvernement, dont Ia facade d'une pierre blanche est trés ornée & d'un bon gout. Précédé d'une vaste cour, eet Hotel a une apparence impofante & distinguée. La Cathédrale, que je n'ai vue qu "extérieurement & en pasfant, attire les regards par fa grandeur & fon architeéture hardic, mais gothique. Voila, mon cher ami, tout ce que j'ai pu voir a Bois-le-Duc, dans le peu de tems que je l'ai parcouru. Ajoutez-y le Corps du Rhtngrave de Salm, qui avoit la garde en plufieurs endroits, & dont la vue m'a fait plaifir par la variété & la lingularité de fon habillement, au quel nous ne fommes.point accoutumés dans ce païs-ci. II est facheux que des repréfailles & des piquanterics un peu fondées aillent nous privcr felon toute apparence de ce beau Corps, dont nous aurions du moins pu conferver une partie. Nous partimes donc de Bois-le-Duc le Samedi, 12 d'Aoüt, a huit heures & demie du matin. Jusqu'a Helvoirt, qui est a moitié chemin, quatre chevaux nous trainerent dans une légere voiture du pas le plus lent, que jamais cheval ait marché, par un fable aride & profond, a travers un païs, oü nous n'eumes pour toute vue que des marais, une bruyere inculte a perte de vue , des potences & des pendus. A Helvoirt le chemin devient meilleur & le païs s'embellit;  C 9 ) & quoiqu'il ne fok pas extrêmemenr beau, ü ne laisfe pas d'être culcivé. La plus grande partie de la route est bordée de bouleaux & de trembles; & Fon voit a chaque pas ces tristes arbres vous préfenter leur feuillage tremblant & leur écorce blanchatre, qui ne plaifent point a la vue. La terre de Duurendaal, ou je fuis aétuellement , est asfez agréablement fituée. La petite riviere d'Aa la traverfe, & oütre qu'elle procure Fagrément de la pêche, elle donne aux fosfés & aux étangs plus d'eau, qu'on n'en trouve dans la plupart des Campagnes dans cette faifon. Le terrein y paroit asfez fertile, & les arbres y croisfènt bien. Mais on a ici & dans les environs une méthode particuliere de les planter, que je n'ai encore remarquée nulle part. Quoique je fois bien éloigné de condamner ce que je ne connois pas, & dont je n'ai fait aucune- expérience, elle ne laisfe pas de me paroitre finguliere. On commence comme chez nous par creufer un trou, qu'on remplit de la terre qu'on en a enlevée, ou de celle des environs, mais on la remplit entierement, & même au desfus du niveau du terrein ordinaire ; après quoi on pofe les racines de 1'arbre qu'on veut planter fur cette fuperficie, & on les recouvre par de la nouvelle terre, qui forme naturellement de petites monticules {hoopjes,) de la hauteur d'un pied & demi ou de deux pieds. .A 5  11* > L'arbre pousfe au commenGemem avec vigueur dans cette terre rapportée autour de fon tronc. Lorsqu'on applanit ces monticules cinq a fix ans après, les racines restent découvertes, & n'ont que leurs extrêmités dans la terre. L'avantage confiste, 3 ce qu'on préténd ici, en ce que le foleil & les pluies ont plus d'action & font plus de force fur ces racines, que lur celles qui» comme chez nous, font cachées dans la terre. U me femble qu'on pourroic oppofer quelques argumens a ces raifons; mais une pratique constante vaut mieux en fait d'agricukure que la plus belle théorie, & Fon voit les arbres réusfir ici ausfi bien que chez nous. Je dois cependant.obfcrver une feule chofe; c'est que dans ce païs ci, oü cette méthode de planter les arbres esc généralement recue, le vent, a ce que j'ai oui dire, déracine plus d'arbres qu*ailleurs; & que j'y ai vu de mes propres yeux des bouquets entiers de pins, que le vent avoit fortement inclinés vers la terre, ou presque entierement renverfés. II fe pourroic au reste que les bouleaux, triste mais favorite produétion de cette contrée, pivotant plus en terre & tracant moins fur la fuperficie que les pins & les fapins, pusfent mieux par la redster a la violence du vent; & que cette méthode, trouvée bonne pour cette espèce, qui asfurément réusfit trés bien ici, ait peut-étre enfuite été étendue a d'autres arbres, moins faics  C ir >. pour elle. Au reste tenons nous en, jusqii a ce que nous foyons mieux informés, a notre faeon de planter; puisque, quoiqu'il en foit du plu» ou moins de bonté de la méthode en ufage ici * elle donne au moins aux arbres trés mauvaife grace. La manicre de les élaguer n'est pas moins particuliere. On coupe toutes les branches den bas jusqu'a vingt pieds; on laisfe croitre toutes les autres fans y toucher; deforte que les arbres donnent peu d'ombrage par en bas, & qu'ayant k tête ctnharrssfée de branches de toute espèce, Hs ne pcuvent jamais former une belle & haute tige. Je crois que pour cette méthode, je puis Ia condamner fans témérité, puis qu'elle choque égalemcnt la raifon & la vue. Un arbre trés commun dans ce quarüer, est le peuplier blanc> rfbeelboom ou Witboom, comme on le nomme ici, Sa tige' devient de plus en plus blanche, a mefure qu'elle vieillit. Je me fuis amufé ici a parcourir les maifons de pa'ifans, pour voir comment elles font conftruites, & en quoi elles différent des notres. Ce qu'on nomme chez vous la cuifine, est ici ordinairement au milieu & occupe toute la largeur de la mufon. A chaque coté il y a une porte visa-vis 1'une de 1'autre, §c il y a encore une chambre au devant de la maifon, mais qui n'a point d'entrée que par la cuifine. Derrière esc.  C «* ) ré'tabïe, oü les ehevaux & le bêtail font rangés au milieu, les têtes tournées du cöté du mur. II n*y a poim de mare a fumier derrière la tnaifon, mais il est repandu & disperfé fous le bêtail dans 1'ctable. L'airc pour battre le bied, oecupe une partie longue & étroite d'une grange feparéc de la maifon; une autre partie de cette grange contient Ie troupeau de raoutons; & le reste fert a fêrrer le bied & le foin, pour les quels il n'y a point de place dans la maifon, & point de m ules au dehors, comme chez nous. Outre cette grange, il y a encore ordinairement un petit rcduit, ponr placer ks ehevaux, les tourbes, les charettes & autres ustenfrles. Les moutons font trés petits dans ce païs; mais le gros bêtail y est plus beau. Les paturages & les prairies y font en trés bon étit, par ce qu'on les fumc avec beaucoup de foin; mais il est rare d'y voir paitre du bêtail. La coutume est de 1'envoyer de grand matin dans les prairies, oü on 1'attache a de petits poteaux, qu'on dêpiace de tems en tems, quand il a mangé toute 1'herbe a fa portée; cc qui s'appelle ici comme chez nous tuuren. Vers les huit heures on le ramene a 1'étable. On a foin a la maifon d'avoir toujours une grande marmite fur le feu, oü 1'on fait cuire les mauvaifes herbes & tout ce qu'on peut rasfembler; ordinairement on y joint un peu de farine, & Ton donne ce  C '3 ) potage a matiger au bêtail, ce qu'en nommï foppen. Cc foppen est un article trés important de 1'economie rurale de ce païs. Vers les trois heures après midi le troupeau retourne a la prairie, pour rentrer le foir, & pasfer la nuit dans 1'établc. De cette maniere le bêtail, après avoir bien mangé dans la prairie, vient pendant la plus fortc chaleur du jour & durant la nuk digerer & faire fon fumier a la maifon. Cc que Ia prairie y perd, est amplement compenfé par les engrais dont on la fume, tant en êté qu'en hiver. On fe fert beaucoup dans ce païs des boeufs pour le tirage. Ici a Duurendaal, on en a un , qu'on nourrit en été en le tuurant fur les gazons des fosfés & des allées; & en hiver on lui donne du loin de moindre qualité. On 1'attelle a la charette ausii fouvent qu'on en a befoin. Cet animal a le pas un peu plus lent qu'un cheval, mais il peut tirer d'avantage. Quand il a fept a huit ans, on le vend ou on 1'engraisfe & on le tue. Un pareil boeuf qui a tiré, vaut toujours a age & a poids égal plus qu'un boeuf qui n'a pas tiré, par ce que la chair en est mcilleurc. La Chateau de Duurendaal est grand & trés commode, mais un peu légerement bati. Quand on le voit de loin, fa grosfe tour & fon tok d'ardoife lui donnent une trés belle apparcnce. L'écurie & les remifes font fuperbes. Le  potager esc beau, pour cc qui regarde fa grandeur , les hauces murailles qui 1'encourenc, & les . arbres fruitiers qui lenrichisfenc. Le Village d'Oosterwyk qui esc couc prés a presque une demie lieue de longueur, mais est peu peuplé. II étoic aucrefois peuc êcre trois fois plus grand, & n'a plus que 1'ombre aujourd'hüi de fon ancienne fplendeur. Elle la devoir a fes manufaélurcs de draps, qui fonc encore fleurir Tilburg, qui commence ausfi un peu a déchoir. Ce Bourg compte cependanc encore aucant d'habicans que Bois-le-Duc, quatorze mille .ames ; Ooscerwyk, qui en avoit anciennement peuc êcre dix mille, en a k peine deux mille apréfenc. Déja vers le commencement du dernier fiecle, dans une requêce adresfée aux Archiducs Ferdinand & Ifabelle, les habicans fe phignoienr de ne pouvoir plus payer les impofitions, paree que leur populacion diminuoic; & ils alléguoient pour preuve que le nombre des brasferies, qui avoic écé auparavanc de crence trois, n'étoit plus alors que de vingc deux. Actuellement il n'y en a plus qu'une. On attribue cette décadence d'Oosterwyk Ji plufieurs caufes; entr'autres k 1'abolition d'une fi grande quantité de couvens dans les Païs Bas & ailleurs, aux quels les fabriqueurs avoient beaucoup de débit; mais furtout au poids des impots, qui font plus forts a Oosterwyk, que dans la  C '5 ) plupart des autres villages, & qui de jour cïi jour dcviendront plus onéreux, a méfure que la dépopulation augmente. Chaque village de la Mairie est taxé a une certainc fomme, deforte que plus le nombre des habitans diminue , plus ceHix qui restent doivent contribuer, puisque deux mille doivent payer acluellement, ce qui autrefois étoit payé par dix mille. La tèrre de Duurendaal est iituée en partie fur le tenïtoire d'Oosterwyk, & en partie avec le Chateau fur celui de Heukelom; & la différence des impofitions ds ces deux endroits est fi grande, que Tanden Seigneur a fait tout expres démolir une grande maifon de païfan, qu'il avoit fur le territoire d'Oosterwyk, pour la rebatir a quelques pas de la fur celui de Heukelom, afin de foulager fon fennier de Fexcès des impots. II y a encore dans la Mairie plulieurs fup:rbes villagcs au bourgs, que je fuïs faché de n'avoir pas occafion de voir; mais tous, a ce que j'apprends, commencent plus ou moins a décheoir. Entr'autres Boxtel , qu'on dit trés beau, fleurit par la culture du lin & la fabrique des toiles. II faut que tous ces endroits fe foutiennent par leurs manufactures , car le païs est couvert de landes & de marais, & n'esc pas cultivé, comme il pourroit 1'être. Ausfi m'a-t'on dit, que la plus grande partie des draps de Leide fe fabriqué dans ce païs-ci.  Le fang n'est pas beau a Oosterwyk, 6c lts feinmes y ajoutent encore a leur laideur naturelle de grands corps de baleine, que dès leur naisfance elles portent du matin au foir, ce qui leur défigure la taille, 6c leur óte faifance 6c 1'air libre 6c naturel, qu'on admire fowent même dans les païfanncs, lorsqu'elles n'ont d'cutres graces que celles que la nature leur a données, 6c qui plaifent fcules a la longue, quoique bien des femmes ne s'en doutent point. J'étois trés curieux de voir Udenhout ou plutót Strydhoef, terre de M. Ie Général DopfF, dont j'avois beaucoup entcndu parler. J'y ai été hier, mais je n'ai pas eu 1'honneur d'y voir la familie, qui étoit partie pour la foire de Boisle-Duc, ni les promenades, oü on ne m'a pas invité dëntrer. Tout ce que j'y ai vu de prés, ont été deux Demoifelles, qui y font logees; 6c de loin , une jolie fituation, un terrein fertile, de beaux jardins qui paroisfoient tenus proprement; 6c au dela un grand bois prés de 1'avenue , dans lequel j'ai pu remarquer quelques beaux chênes, mais oü je n'ai pas en occafion de pénêtrer plus avant. Entre Oosterwyk 6c Udenhout, il y a une grande bruyere, dont le terroir paroit asfez bon, & que je n'ai pu voir qu'avec beaucoup de regret languir dépeuplée 6c fans culture. On trouve prés d'Udenhout plus de chênes qu'ailleurs, mais ces  C «7 ) ces éternels bouleaux dominent toujours fur Ia route. Du cöté du grand chemin, qui traverfe le village, Strydhoef est bordé de trés beaux peupliers de Lombardie. La végétation rapide de ce bel arbre devroit feule fuffire pour gucrir de la manie de planter ces tristes bouleaux. J'ai bien peur, mon cher ami, que ces détails d'agriculture ne vous paroisfent longs & en* nuyeux, & que vous ne trouviez dans Ia fuite» que je pefe fur des chofes peu interesfantes, & que je ne fais que glisfer fur des fujets de plus grande importance. Mais il fout avoir de la patience avec un correspondant tel que moi, & li je n'écris felon-mon gout, il mest imposfible d'écrire. Je crains furtout, que dans la fuite la rapidité de notre courfe ne me laisfe pas Ie tems de vous marquer tout ce qui m'aura frappé, & que par ik mes Lettres ne foienc feches & vuides de chofes. Adieu ; nous retournons demaiti a Bois-le-Duc, & nous allons de la a Bréda, d'oü nous commencerons notre courfe en pats étranger. B  C i3 ) LETTRE II. -Brugss, Mercredi 23 d'Aoüt 5786. j^elon notre refolution, dont je vous fis part .dans ma derniere, nous partimes pour Bois-leDuc Vcndredi ,1e 18 de ce mois, & y arrivames avant midi. Nous trouvames la foire belle & brillante, & vers le foir nous ,y vimes beaucoup de beau monde. J'ai renouvellé dans cette ville ma cotmoisfance avec Madame Douglas; j'ai pris du thé chez elle, & me Tuis promené a la foire avec fa familie. Le foir nous fümes au fpeóracle, compofé de la partie de 1'Opéra de la troupe de Maestricht. On nous y donna .Uamitié a ïépreuye & JJépreiive villageoife, qui furent asfez bien exécutées. L'emplacement étoit trés petit & trés mauvais , la foule prodigieufe, & la chaleur infupportable. Le fpeétacle fut honoré de la préfence de Mcsfieurs les Députés du Confeil d'Etat, M. 'd'Aarsfens de Sommelsdyk avec Madame fon Epoufe & M. de Ligtenberg. Nous allames k Jeur loge leur faire notre compliment, car nous  C t9 ) n'avions pas été les voir & leur Hotel, & nous fümes invités a fouper chez eux. Nous étions arrivés a Bois-le-Duc en chaife de poste a deux ehevaux & k quacre plaees, dont on paye cinq florins & demi par jour. Nous en repartimes le Iendemain Samedi avec ia mé me voiture; mais les ehevaux étoient fi mauvais, que quoique nous fusfions partis a cinq heures & demie du matin, & que nous ne nous fusfions arrêtés qu'environ une heure en route, nous n'arrivames qu'a quatre heures pasfées a Bréda, qui nest qua huit lieues de Bois-leDuc. Si Ton e-xcepte le voifinage des villages, qu'on trouve jusqu'a une certaine distan ce entourés de prairies & de terres cultivées même avec beaucoup de foin, la plus grande partie du reste de la contrée, qui borde la route entre ces deux villes, est une bruyere immenfe & ftérile. Vous fentez, qu'une pareille vue ne contribua pas a adoucir le chagrin & calmer 1'impatience d'être traiués li miférablement par des ehevaux, -qui n'avoient point de tröt, & qui n'avoienc .qu'un pas de torme» A une lieue au dela de Tilbourg, nous atteignimes RayshofF, campagne de M. Ray, qu'il A défrichée & plantée lui-même, & qu'on peuc dire qu'il a erée; puisqu'elle est fituée dans un endroit ifoli, au milieu d'une bruyere immenfe, B a  C ) qui ne prodnifok rien auparavant, & qu'on trouve convertie aujourd'hui en terres labourécs, en prairies artificielles, en jolies aHées, en bois & en étangs. La maifon qu'il y a batie est fimple & gaye, & couvert d'un tok de chaurae trés proprement entretenu, qui lui donne un air riant & champêtre. Les arbres y croisi'ent bien en plufieurs endroits 1'ordonnance & Farrangement de cette campagne est agréable; & la fatisfaftion de voir une contrée fertile, oü il n'y avoit-, il y a ^ quelques années, -que des landes mculr.es, la rendent plus interesfante encore qu'elle ne le feroit fans cela. Nous déjeunames dans cette maifon, oü nous fümes trés poliment recus, & que je ne quittai pas fansêtre trés content d'y avoir été, Tous les grands cfcemins de la Mairie font 'plantés d'arbres, & mes antipathiques bouleaux nous accompagnerent toujours, quoique beaucoup moins au dela de Tilbourg qu'en deca. A un quart de iieue de Raysholf-, nous entrames dans la Baronnie de Bréda, qui de ce >cöté la ne fe prefente pas avantageafement. Une bruyere encore plus étendue qu'anparavant ne -nous quitta pas jusqu'a une petite lieue de la «ville, dont une campagne extrêmement bien cul■rivée , des prairies fertiles, des jardins rians & *des vergers agréables annoncent 1'approche. .Bréda a'est pas grand ,# mais gai & riant.  C «O" Deux petites rivieres, qui prennent leur fource dans le Brabant, le Merk & 1'Aa, fe joignent près de la ville & la traverfent föus le nom d'Aa ou de breede Aar d'bü elle a pris fon nom; Elles fe déchargent près du Biesbos, & portent bateau de Ik jusuq'a Bréda. Cette ville n'a pourtanc qu'un commerce dé eombmmation, & tous les batimens qu'on voit dans le port, & qui arri'vent de la Hollande, ne portent que des denrée3 ou des tourbes. Les rues font en général moins larges a Ercda qua Bois-le-Due, mais les maifons mieux batfes. Je n'y ai vu cependant aucun édifice bièn remarquable que le Chateaut La ville est peu peuplée, & fans la garnifon dc fépt bataiUons & d'un regiment de cavallerre, elle ne feroit guères vivante. Le fexe m'y a para beau, & j'y ai vu qiiantité de charmantes bourgeoifes qui sTiabiflent bien. J'ai remarqué aüsfi avec plaifir, que la plupart des femmes y portent des bonnets ronds, & que les ridicules bonnets quarrés en ufage chez nous y font rares. La ville est entourée de fosfés d'une magnifique largeur, & munie de bonnes fortifications. Des remparts qui font trés jelis on a une vue agréable tant fur le dedans de la- ville; que fur les^ villages & les belles forets de fapins & de chênes qui 1'ënvironnent. La grande églife avec fon beau elocher m'a B 3  para batie d'une espèce de pierre que nous appellons duiffleen. J'ai négligé d'en examiner 1'inténeur, ce qui me fache d'autant plus x que j'ai appris depuis, qu'il y a un fuperbe tombeau en marbre d'un Comte de Nasfau, qui pasfe pour un chef d'oquvre de fcujpture. Ce n'est pas le tems qui m'a manqué, car nous iommes restés a Bréda toute la journée du 19. Le Chateau est un grand batiment antique d'une belle apparence, & bati en brique, méïée de pierre de taille bleue. Au milieu, U y a Wie vaste cour; & fon architeéture qui esc un melange de gothique & de moderne est ornée de médaillons en pierre bleue,, qui reprefentent les anciens Empereurs Romains. L'intérieur esc remsrquable par de trés beaux appartemens, &; furtout par fes tapisferies, dont une partie en baute-lisfe offre les portraits & reprefente 1'histoire des Comtes & Princes de Nasfau jusqu'au Roi d'Angleterre Guillaume III.; & 1'autre partie mérite d'être distinguée, par ce qu'elle est brodée de la propre main de la Reine d'Angleterre, fille de Jacques II., & d'une autre Princesfe de la maifon de Nasfau. Mais g'est la grande falie qui fait la principale beauté de ce Chateau. Elle est longue, ö j'ai bien retènu, de cent foixante fix pieds, large de trente neuf, & conftruite vers Pan 1530 fous Henri Comte de Nasfeu, par le faroeux Arcbitefte Icalicn Bologne.  C 23 ) Près de ce Chateau est un jardin appellé Te Valkenhof*, qui est plus grand que ne Je font communcment le peu de jardins pabiics, que nous avons dans notre païs. II ma paru tres agréable, mais j'ai été fafpris de le troaverfipeu. frequente. Je m'y fuis promené deux fois par le plus beau tems du monde, 6: je n"y ai vu que trois cu quatre dames, & quelques bourgeois & bourgeoifes. Cependant il est tellemcnt fitué , qu'il pourroit faire Ie rcadez-vous & les délices de la bonne compagnie. L'après-diné du 19 nous avons fait avec M. de ïengnagell de Landfort une grande promenade de trois heures dans les environs de la ville,. qui font trés agréables, furtout vers le belles forets de chênes & de fapins, fituécs du cóté d'Anvers & de Berg-op-Zoom. Les amufetnens du reste de la journéc ne mérfcent point que je vous en parle, & vous aurez fans doute dans la fuite quelque occafion de voir la ville de Bréda, ou je me flatte de n'avoir pas été pour la dernicre fois.. Nous en fommes repartis Lundi a huit heures du macin pour Anvers, qui en est éloigné de dix lieues. Nous avions pris une voiture pareille a celle de 1'avant-veille, mais de meilleurs ehevaux. La chausfée nous accompagna jusqu'a un peu au dela, du Haagje, trés joli village a une demie lieue de Bréda , dans "une contrée agréable. B 4  < *4 ) EUe reste asfez belle encore une lieue plus loin; après quoi le païs change ; la fertilité disparoic; on trouve peu de culture, beaucoup de bruyeres, des fables, des marais & une mifere affreufe; furtout vers les frontieres qui feparent le rerritoire de FEmpereur de celui de la République. Dans la Mairie & la Baronnie on plante les jeunes arbres avec la téte, mais j'ai retrouvé dans le Brabant Impérial notre maniere de les planter ététés & fans petites monticules. Une lieue avant d'arriver a Brafchate, le défert s'embellit un peu. Les Anverfois y ont bdti quelques fermes, & fait plufieurs défrichemens eu femis de fapins, en champs labourés & en prairies. Peu après eommence la chatisfée, & une allée qui conduit tout droit a Brafchate, phntêe en chênes, hêtres & peupliers de Lombardie. A cöté toujours le même terroir aride, mais plus défriché; ce qui fait plaifir, quand on vienc de pasfer par une route ausfi ennuyeufe, & par des landes ausfi fiériles. Tout enfin eommence a. annoncer Fappröche d'une grande ville. Brafchate est un village florisfanc h deux lieues denvers. La pierre de taille bleue y esc déja asfez commune. De la, la chausfée va toujours tout droit, bordée de chênes ététés, & treverfant un païs plat & cultivé, mais qui ü* rien de bien remarquable. On n'esc pas longcems  C 25 > fans découvrir Ia ville d'Anvers, qui fe prefente de loin avec un air de grandeur qui impofe. L'étendue de fon enceinre & k multitude de fes clochers la distinguen: trés avantageufement, & témoignent dabord qu'elle est plus qu'une ville ordinaire. Un peu avant d'y arriver, s'offrent a la vue une grande manufacture de coton, & de fuperbes prairies arrofées par 1'Eseaut. Dès qu'on est entré, ou remarque dabord aux portes & a plufieurs maifons particuheres, que la pierre de taille bleue ou grife, que nous appellons Hardjleen, qui s'exploite dans les environs de Namur, & dont 1'entrepot est k Bruxelies, est plus commune dans ce païs-ci que dans le notre. Les rues y ont une largeur plus qu'ordinaire; les maifons y font antiques, mais onc en général un caraftere de grandeur & de hardicsfe, bien éloigné de cette apparence mesquine, qui dépare toutes nos maifons particulieres, & dégrade tellement notre maniere de batir en général, qu'elle perce même au travers de nos monumens & de nos batimens publics les plus beaux. Je fais bien que la plupart des Hollandois, qui n'ont jamais quitté leur païs, préferent de beaucoup les maifons d'Amfterdam, petites, fans architeérare & fans gout; mais propres, agréables , bien peintes & bien entretenues, aux grands & masflfs hotels d'iei; paree qu'a une B 5  apparence de grandeur & de magnificence, ils joignent malheureuferaent une ordonnancc moins fymmecrique, un encretien moins foigneux & un extérieur moins propre. Mais je fais ausli, que ce n'est pas d'après le go ut étroit & mesquin? d'un tel Hollandois que je veux former le mien,. & juger de la véritable beauté des chofes. Pendant un féjour de huit mois a Paris, je nvetois tellement accoutamé a la belle architeéture & a la maniere grande & hardie de batir de ee païs la, qa'en pasfant a mon retour par Anvers, j'y trouvai trés commun , ce qui m'y a de nouveau frappé apréfenr, Anvers me parut alors te-nir un peu des villes de Hollande; aujourd'hui j'ai trouvé qu'elle tient un peu de Paris. En voyant la forme des rues & des maifons, fans. perrons & a grandes portes, avec des croifées a la francoife, & plufieurs a grands carreaux; quelques unes baties en pierre de taille, & les autres peintes en blanc ou enduites de platre, je crus fi vivement un moment être a Paris, que le coeur ni'en ferra. II me femble, que la maniere de batir de ces païs-la éleve 1'ame a la première vue, & lui donne du resfort; au Jieu que notre architeelure la met a 1'étroit & la resferre. Comme nous ne nous fommes arrêtés qu'une feule foirée a Anvers, oü noüs avions été plus fouvent, nous n'avons fait que la parcourir un peu. J'y ai admiré plufieurs fuperbes hotels,  C *7 ) dignes des plus famenfés Capitales; mais j'ai tronvé en général la ville peu peuplêe & peu vivante. L'on ne remarque que trop , combien elle est déchue de fon ancienne gloire; mais 1'otl peut juger, quelle doit avoir été fa fplendeur, par les beaux restes qu'elle en conferve encore. Elle est remplie de riehes & de belles églifes. La Cathédrale est fameufe dans toute FEurope par fes richesfes, & furtout par les fuperbes tableaux de Rubens qui la décorent; mais il me feroit imposfible, comme vous fèntez bien, de vous en faire une defcription, que d'ailleurs on trouve par tout. Elle est d'architeérare gothique, mais de la plus grande hardiesfe; conftruite en grande partie en pierre de taille, & ornée d'une tour fuperbe, d'un travail achevé & d'une hauteur prodigieufe. Nous 1'avons parcourue, & y avons vu célébrer un fervice folemnel avec de la belle mufique, je ne fais pas a 1'honneur de quelle fête. Mais 1'églife qui m'a paru la plus belle par fon architeéture moderne est celle de S. Charles, ci-devant des Jéfuites. Je penfe qu'elle est admirée des connoisfeurs. Je ne crois pas que les femmes foient ici plus jolies que chez nous; mais ces bonnets ronds que j'aime a la folie, me les ont fait paroitre fi piquantes, que j'en ai été beaucoup plus affeclé, que de ces grands bonnets quarrés qui déngurenc  C ) nos fermnes; cachent leurs cheveux; leur donn?nt une figure fade, & font paroitre leur tête trois fois plus longue qu'elle ne 1'est effeclivemenc. Ajoutez a cela, que les fèmmes de ce païs-ci font mieux habillées, mieux chausfées; qu'elles om plus de graces , parient moins lentement & avec plus d'accent. Vous fentez bien, que je ne parle que des femmes bourgcoifes; les femmes comme il faut ont partout a peu pres le raème habillement. Quand on fe trouve au milieu d'Anvcrs* qifon y admire fes belles cglifes; fes larges rues; fes vastes hotels; cette apparence tout-afak différente de celle des villes de notre païs; & tous ces magnifiques restes de fon ancienne riehesfe; on a peine a croire, qu'h trois lieues de la, on fe trouve dans une immenfe bruyere ; ©u l'on ne voit que par-ci par-la quelques fémis de pins, & qui resfemble comme deux gouctes ment mêlé d'admiration; je contemplai fa pofition, la largeur du fleuve magnifique, qui coule au pied de fes murs, & qui fans des obitacles politiques pourroic y faire arriver les plus gros navircs; & je fentis alors qu'il faut être IIollandois, pour ne pas déplorer le fort d'une ville autrefois fi florisfante & fi riche. Nous avions engagé jusqu'a Gand une chaife de poste a quatre places & a trois ehevaux, qui nous couta fepc écus de Brabant, qui font environ vingt fiorins de Hollande. Nous courumes dabord i'ur une chausfée, qui traverfe le Zwyii-, drechtfche Volder, ou nous vimes des prairies fuperbes, mais couvertes d'un bétail trés petic, qui ne repondoit pas a la beauté des paturages. Nous quittames la chausfée & le Polder na village de Burg, a une demie lieue de la Têie de Flandre; & nous eumes pendant plufieurs lieues un chemin de terre, interrompu de tems en tems dans les fonds mauvais par de petits bouts de pavé, qui n'avoient fouvent que vingc a trente pas de longeur. Le païs que nous traverfames me paruc trés fertile; mais nous aurions du y venir avant la moisfon, pour y voir encore fur pied le froment & furtout le lin, qui en font la beauté & la richesfe. A préfent nous n'y trouvaraes que de 1'avoine, des pomraes de terre,  C 3» ) par-ci par-lk un peil de farrafin, & les plus beaux trefles du monde. II resfemble on ne peuc davancage h la concrée encre Zutphen, Voorsc & Voorftonden. Haesdonk, a deux lieues & demie d'Anvers, esc un village trés agréable & cres florisfanc; les maifons propremenc baties, blanchies en dehors, avec des contrevents peints en vert, égayent beaucoup la vue & font un effet trés agréable. II y avofr foire; la rue étoit remplie de monde; de charmances villageoifes, donc quelques unes écoient trés jolies, en bonnets ronds, en fouliers gris , & avec un petit tablier, nous fourioient quand nous les regardions , & nous montroient des dencs ausfi blanches que 1'ivoire. Des faluts ausfi gracieux font beaucoup de plaifir adesvoyageurs. De Haesdonk a Waesmunfler, beau village a cinq lieues d'Anvers & a moitié chemin de Gand, le païs devient plus fablonneux, & resfemble parfaitement a la contrée des environs de Brummen, & a plufieurs cantons cultivés de la Comté de Zucphen. Ce fonc des champs cultivés, coupés de hayes; des arbres de toute espèce disperfés dans la campagne, & des petks •taillis de chênes entre deux. Un peu avant d'arriver a Waesmunster, le païs s'éleve infenfiblement, fans que l'on s'en appercoïve; ce qui nous procura cout-it-coup une jolie vue, qui me &  C 3* ) d'autant plus de plaifir, qu'elle étoit moins at-nn* due. A méfiire que ce païs s'éleve, il devicnt plus fablonneux; on voit plus de farrafin & de taillis, & même des bois entiers de chênes ététés, fous lesquels on cultive la terre les deux premières années après la coupe des branches» Waesmunster est fitué fur une pente douce, au bord d'une petite riviere, nommée le Donn ou Durmc, oü la marée monte encore, quoiqu'elle ne fe décharge qu'a une lieue & demie de la dans i'Escaut, entre Rupelmonde & Dendermonde. Ce village ainfi que Haesdonk fleurïc par des manufaétures de dentelles & furtout de toiles de fil & de coton. Nous entendimes les atteliers en pasfant devant les maifons; nous vimes les femmes & les filles asiifes devant Ieurs portcs, occupées a faire de la dentelle fur des cousfins, & qui nous difoient le bon jour de lu maniere la plus amicale & la plus gracicufc. Tous ces villageois en général nous parurent extrêmement obligeans & honnêtes. Comme notre voiturier s'arrêta environ une heure dans eet endroit pour y rafra'ichir fes ehevaux, nous profitames de ce tems pour nous promener, & descendimes par une jolie allee de jeunes hêtres jusqu'a une grande Abbaye de Réligieufes, fituée près de la riviere. Nous examinames les dehors de la maifon & de la chapelle, qui étoient bien entretenus ; nous  ( 3* ) parcourumes un peu les environs, & vimes au bord de 1'eau des bateaux qui chargeoient des genéts pour être brülés dans des briqucnes. Mais, malgré la beauté du lieu & 1'agrément de la fituation, je fentis un ferrement de coeur involontaire, k 1'idée de tant de fllles féparées pour toujours du monde & des hommes; enfermces enfemble pour toute leur vie, & n'ayant d'autre liberté & d'autre récréation, que de fe promener a des heures réglées dans les jardins d'une habitation , qui, quoique agréable a d'autres égards, n'est toujours qu'une prifon pour elles. Je quittai donc avec plaifir un endroit, qui m'infpiroit involontairement une mélancolie desagréable, & rentrés dans le village nous continuames bientöc notre route. Après avoir traverfé un païs de la même nature, nous arrivames a Lokeren, fuperbe village fameux par fes toiles, & fitué plus haut fur la même petite riviere de Dunne, oü la marée monte. encore; ce qui fait qu'elle porte bateau, Nous 1'y pasfames fur un pont, & vimes beaucoup de blanchisferies dans les prairies qu'elle arrofe. Nous ne nous arrêtames point dans ce village ou bourg , qui me parut d'une asfez grande étendue. La chausfée y commence, & continue jusqua Gand a quatre lieues de la. Jusques-la noüs avions eu beaucoup de fable. JNous pasfames encore, avant d'arriver a la ville, par  C 33 > par deux viïïages, florisfans tous deux par leurs manufaétures. La chausfée va au commencemcnt en ferpentant, comme nos grands chemins ordinaires, & est de même plantée irréguiierement d'arbres de toute espece, furtout de chênes ététés. Mais a deux lieues de Gand elle commence a resfembler davantage aux belles routes de France, allant presque toujours tout droit; & est joliment plantée de jeunes hêcres, qui forment une belle allée. Tout le païs jusqua Gand est plat, fertile & trés bien cultivé; mais partout coupé de hayes vives, qui bornent la vue & rendent Ja route uniforme. Elles font caufe que cette ville ne ne s'annonce pas avantagcufement, & qu'on en est tout près avant de la bien appercevoir. Cependant on voit dabord a la fituation de fes clochers, qu'elle est d'une immenfe longueur. J'avoue que j'étois impatient d'y arriver, & trés curieux de voir & de connoitre cette ville celebre, autrefois une des plus fiorisfantes de 1'Europe par fon commerce & par fes manufacwres, Ia patrie de Charles-Quint, & qui lui fut toujours chere. Je me rappellai en approchant les paro» les remarquables de eet Empereur, qui difoit; après avoir éié aParis, quin'étoitpas, ilestvrai, ce qu'il est aujourd'hui: „ Je puis mettre Paris dans mon Gand; " & lors qu'après la rebellion de cette ville, on lui confeilla de la décruire: „ Oü C  ( 34 ) retrouvetai-je li-n pareil GandV* Je favois que cette ville étoit extrêmèment décbue; mais je fus rnalgré ceia cruellement trompé dans mon attente; & elle est bien éloignée de fatisfaire iétilement en partie une imaginat-ion trop remplie de ces brillantes idéés. Nous ferions arrivés vers les trois heures après-midi, fi nous n'avions pas du esfuyer le desagrément d'ótre arrêtés a la Porte par des 'Gommis, qui fe mirent a vifiter nos malles , paree que nous ne voülumcs point leur donner la piece. Nous les obligeames de remettre le tout en bon ordre, comme ils 1'avoient trouve; cependant, comme cela nous arrêta quelque tems trés desagréablement en plein air, une ombfe legere de mauvaife humeur obfeurcit un peu mon contentement précédent; & je crains qu'elle u'ait jetté une teinte fömbre furtout ce que j'ai Vu depuis dans la Ville. LTIotel de S. Sébastien, oü nous allames loger, est de Parchiteéture la plus distinguée, -& a une apparence de palais; mais 1'exténeur "nous en parut fi vieux, & 1'intérieur fi malpro~pre, que nous commencames dés lors a prendre du dégout pour un féjour, oü nous nous propofions de rester jusqu'au furlendemain matin* J'avois une faim dévorante; mais comme Ie diner n'étoit pas encore pret, nous allames courir un |7eu> par la ville, & nous eümes le malheur  C 35 ) d'étre encore mécontens de notre courfe. Nous trouvames les maifons fi fales & fi vieilles; les rues 11 tristes; les femmes malgré leurs bonnets ronds fi mausfadss, les vieilles resfemblantes a des forcieres, & les jeunes a des fouillons; que mon frere me dit: Mon Dieu! que ferons-nous jusqu'après-demain dar.s une ville fi triste? Vous avez raifon, lui repondis-je, qu'y ferons-nous? nous voyageons pour nous amufi.r, & nousallons devenir ici méiancoliques; partons demain, fi vous voulez, pour Bruges, & restons plutöt' un jour plus longtems a Lille ou ailleurs. En parlant ainfi, nous arrivames a notre Hotel; & fon air de magnifkence fombre & malpropre nous fortifia encore dans la refolution que nous venions de prandre d'avancer notre départ. Cependant il faut rendre justice a Gand. L'après-diné, apparemment paree que j'avois oublié 1'avanture des Commis, & que je n'avois plus de faim, elle me parut plus riante ou plutöt moins triste. Nous primes un laquais de louage pour nous conduire; ce que nous ferons dans la fuite dans toutes les villes oü nous nous arrêterons; & comme nous n'avions que peu de tems, nous, aimames mieux voir le Iocal, que toutes les fadaifes qu'on montre ordinairement aux étrangers. II y a d'ailleurs peu de chofes bien remarquables a Gand, au moins a ce qu'on nous a dir. C 3  C 3* ) On alloit voir autrefois la Maifon de force nouvellernent batie, qui esc trés vaste, & oü on a la charitable humanité d'accorder une heure par jour a tous les prifonniers pour prendre 1'air & fe ïéjouir dans la cour. Mais 1'Empereur vient, on ne fait pourquoi , de défendre de faire voir eet établisfement aux curieux. Nous nous mimes donc a par courir Ia ville. Elle esc d'une étendue immenfe; on dit qu'il faut plus de trois heures pour faire le tour des remparts ; rnois elle n'est pas habitée oü peuplée -a proportion de fa grandeur. L'herbe y croit dans les rues; on y remarque encore moins qua Anvers cette aétivité vivante -& gaye, qui fait quelquefois le desagrément, mais ie plus fouvent le charme des grandes villes. Une mmqucllité morne & triste y cient la place de ce mouvement perpetuel. Ausfi ne fe foucienc-elle plus que par le commerce des coiles, qui fe fabriquenc dans les environs, & par le pasfage des marchandifes, qu'y amene par eau le foible commerce d'Oscende pour aller de la a Bruxelles, dans le païs de Liege & dans les aucres concrées voifines. Neus vimes près de la Douane, qui est fituée fur une grande place, des caisfes remplies de fucre & d'autres denrées d'oucremer, qui venoienc d'être déchargées des bateaux, pour être rechargées fur des voitures de transpsar campagne fertile, cultivée avec beaucoup- de foin en légumes & en grains. On voit, au milieu d'une place publique, une colonne fur un piedeftal de pierre bleue, au haut de laquelle est placée une ftatue de Char- < les-Quint, de bois doré, ayant 1'epée d'une main & le globe du monde de Fautre. Ce monument n'est pas bien merveilleux. L'Hotel de ville est trés grand, & doit avoir été autrefois trés beau; il le feroit même encore , fi on y avoit tenu la main. La facade trés élevée est d'architeéture moderne, & a trois rangs de colonnes 1'un au desfus de l'autre. Les cótés font gothiques & d'un grand travail; mais. la pierre qui étoit blanche est devenue fi noire , tout le batiment est fi fale & fi mal entretenu, qu'on y jette a peine les yeux, ou, du moins qu'on les en détourne dabord. Nous rentrames le foir & notre Hotel bien tard & bien fatigués. Je me mis cependant a vous écrire pendant le reste de la foirée & une partie de la nuit; & c'est ainfi qu'il faudra faire tous les jours,, fi je veux vous écrire avec quelque détail & avec quelque exaétitude. Je ne veux point laisfer échapper la première impresfion que les objets font fur moi, avant que j'aye eu le tems de m'y accoutumer; & je crois que c'est la meiileure maniere pour bien distinguec ce qu'il y a de particulier, & faifir ce qu'il y C 4  C 4° ) a de remarquable dans un endroit. C'est pourquoi j'ai un petit livret en poche, oü j'ai foin , pour foulager ma mémoire & prévenir la confuilon, de marquer dabord par deux móts ce que je vois de plus interesfant dans ma promenade. Anvers, pour la maniere de batir & a plufieurs autres égards, tient déja beaucoup plus de Paris & des autres païs lointains que de la Hollande, Gand en tient encore davantage. II est vraiment fingulier, que des villes k fi peu de distance des notres en foient ausfi diflerentes que fi elles en étoient a cent lieues. Notre conducteur nous a asfuré, qu'il y a une centaine de millionnaires a Gand; mais comme je n'étois pas bien dispofé ce jour la, j'ai pris la liberté de ne Je pas croire fur fa parole & d'en douter, ce qu'il vous est permis de faire comme a moi. Le lendemain matin, qui est aujourd'hui, nous fommes partis de Gand, trés contens de notre Hotel, pour ce qui regarde le diné, les lits & le prix. II est mi que notre appartement avoit 1'air malpropre; mais on nous a dit après, que cela est venu de ce qu'on nous a logé fur le devant, que les logemens nombreux, qui donnent fur le derrière de la maifon, font trés propres & trés commodes, & que 1'Hotel en général a beaucoup de reputation. Nous eumes encore le tems avant notre  C 41 ) départ d'aller voir la Cathédrale. C'est un Edifice, qui n'a rien d'impofant a 1'extérieur, mais dont l'interieur est décoré fi magnifiquement, que je n'ai rien vu a Paris qui le furpasfat. Je ne fuis pas capable de vous faire une defcription d'objets fi intcresfans pour les amateurs & les connoisfeurs des beaux arts. Imaginez-vous feulement tout ce que la peinmre & la fculpture ont de plus achevé & de plus exquis; & ne manquez pas, quand vous viendrez a Gand, d'aller voir avant tout cette églife, qui est presque la feule chofe qui mérite véritablement d'y être vue. Vous y admirerez les colonnes, les pilastres & tous les autres ornemens en marbres de différentes couleurs, le maitre-autel d'une grande magnificence; une chaire presque entierement en marbre d'une beauté de fculpture au desfus de tout éloge; des tombeaux de plufieurs Evêques, tous parfaitement travaillés en marbre pour la plupart par des artistes des Païs-Bas ; un entr'autres du dernier Evêque, mort il y a une dixaine d'années, dont les deux. figures qui entourent le tombeau font le plus grand effet, & qui est furmonté de fon portrait en mofaïque , mais qui , a ce qu'on dit, n'a point de resfemblance, Les tableaux font encore au desfus; ils font de Rubens & des autres grands maitres de 1'école Flamande. Nous y vimes entr'autres un fuperbe tableau de C 5  C 42 ) Job; mais celui qui mérite le plus d'être remarqué est un S. Sébastien mourant, fi beau & d'une fi grande vérité, que le moindre connoisfeur en peinture ne peut manquer d'en être vivement frappé. Je ne me rappelle pas d'avoir jamais vu de tableau, qui m'ait fait plus de plaifir; & on nous a dit, qu'un Seigneur, qui 1'avoit déja va, étoit revenu expresfemenc de Paris a Gand pour le voir encore une fois» Nous eumes le plaifir de parcourir & d'exa* miner les curiofités de cette églife dans la compagnie d'un Anglois & de trois Angloifes, qui étoient habilléa en vrais Anglois de la facon la plus originale. Ils attirerent mon attention au commencemcnt autant que les plus beaux Saints de marbre, quelque admirable que fur leur fculpture. J'aurois bien défiré, qu'ils fusfenr venus avec nous dans la Barque de Bruges, mais je n'eus poinr. cette fatisfaction. Au fordr de 1'églife, nous allames dabord vers la Barque, qui partit ce matin a huit heu-. res, & arriva ici a Bruges eet après-midi a quatre. Ces deux villes font a huit lieues 1'üne de 1'autre, deforte que nous avons fait une lieue par heure. Cerre Barque, que les Flamands nomment Berge, est beaucoup plus grande, plus commode, plus élégante & plus belle que les Barques de la Hollande. Elle a, oütre plufieurs autres commodirés, deux appartemens ausfi fpa-  ( 43 ) cieux que les pavillons de nos grands Yachts, bien meublés & trés agréables. Derrière fur le tillac il y a une espece de Tente ou de Baldaquin, couvert par desfus & ouvert aux cötés, fons lequel on est délicieufement asfis au frais, quand il faic beau, comme aujourd'hui, pendant qu'on jouit a fon aife de la vue du canal & de tout le païs d'alentour. On trouve ordinairement dans ces Barques une nombreufe compagnie, deforte qu'il y a aifement de quoi s'y desennuyer, & fouvent de quoi s'y inftruire. A une heure on y fert a diner. II y des tables de trois différens prix. Nous en avions ce jour-la deux du premier prix, une dans chaque grand appartement; celle, a la quelle nous nous mimes, étoit de vingt couverts & 1'autre de douze. II y avoic du bon linge propre & la petite vaisfelle.d'argent. Nous dinames fupérieurement; on nous fervit du vin excellent; & ce qui est encore plus remarquable , c'est que nous eumes tout cela pour un prix trés modique. Nous payames quinze fous de Brabant par tête pour le transport, quinze fous par tête pour notre diné, & douze fous pour celui des domestiques; le vin a un prix trés modique , & rien du tout pour notre bagage. Après-diné on nous fêrvk un excellent caffé, que nous payames a part. Je crois qu'il y avoit dans la Barque deux cuifinirrs & quelques (emmes pour la cuifine. Tout ce qui regaïde le  C 44 ) diné & les rafraichisfemens, fe dirige pour le compte & aux fraix des Etats de la Province; ce qui fait qu'on y est fi bien & a fi bas prix. II faut avouer en général, que cette voiture d'eau est un fuperbe établisferaent, qui fait honneur a ce païs, & auquel je crois qu'aucun autre n'a rien a comparer en ce genre. Cette Barque étoit tirée par quatre ehevaux. Le païs que nous avons traverfé est plat, uni & tres fertile; terre labourée en grande partie, mais toujours coupée par des hayes , qui empêchent la vue de s'étendre. Elle est oütre cela fouvent bornée, a caufe que dans plufieurs endroits 1'élévation du païs rend le canal fi enfoncé, que fes bords paroisfent comme deux digues. II est bordé des deux cotés d'un rang d'arbres, qui font un effet trés agréable. Depuis Gand jusqu'a Bruges, foixante quatre pierres numérotées font pofées a un demi-quart-de-lieue 1'une de 1'autre, pour marquer les distances; deforte qu'on fait toujours oü l'on est; ce qui m'a fait fonger avec plaifir aux anciennes colonnes milliaires des Romains. Pendant que j'étois tranquillement occupé dans cette Barque a noter quelques remarques pour ma correspondance avec vous, je remarquai a cöté de moi trois étudians de Louvain, dont 1'un, qui paroisfoit s'imaginer avoir mis beaucoup d'élégance dans fon ajustement, voulut imker  ( 45 ) les jolis airs des jeunes Francoïs, & fe mit h faire 1'éventé & 1'étourdi. Je le regardai de mes deux yeux, & vous ne fauriez vous imaginer combien ces mines Francoifes, au travers des quelles a péfanteur Flamande per9oit vifiblement, lui alloient mal. Ausfi ne püt-il parvenir avec fes manieres gauches & fon langage barbare , (car fon patois me parut tel,) a donner de la grace a fes ridicules. Après cela ces Mesfieurs étalerent au grand jour leur fcience fcholastique, & firent une converfation extrêmement ennuyeufe pour ceux, qui n'avoient autre chofe a faire qu'a les écouter. ïl ne nous est rien arrivé de remarquable a notre débarquement a Bruges, ou nous fommes alles loger a lTIotel de Commerce. Ce logement me paroit exaétement 1'oppofé du S. Sébastien de Gand, qui a une apparence fi magnifique; au lieu que celui-ci a un extérieur fi mince, qu'on le prendroit pour un fimple cabaret de la Hollande. Point de porte cochere; une petite entrée; urn escalier qui resfemble a un escalier dérobé; un corridor étroit qui mene a notre appartement; une grande tranquilité; point de gens a la porte; point de fracas; rien enfin qui annonce un hotel fréquenté. Je fuis toutefois fans inquiétude; c'est le meilleur de la ville, & 1'Empereur luimême y a logé. A tout événement d'ailleurs j'ai bien diné dans la Barque.  C 46* ) Nous avons lieu d'être extrêmement contens du tems, qui a été agréable pendant tout notre voyage , quoiqu'un peu froid pour la faifon; mais ^ ces deux dernicrs jours & furtout les foirs, il a été d'une beauté furprenante; ce qui a rendu notre courfe d'eau d'aujourd'hui extrêmement agréable. S'il faifoit plus chaud, avec la rapiditè que nous voyageons nous nous échaufferions beaucoup; nous ne pourrions pas tant courir & voir tout ce que nous voyons; pour moi furtout, qui veille les foirs & me couche tard pour vous écrire. Mais il n'en fera pas ainfi aujourd'hui. Nous avons couru eet après-diner & toute la foirée pour voir la ville & le port, paree que nous voulons partir demain matin pour Ostende; mais je me referve a vous en parler dans ma fuivante. A préfent je vais fermer mon paquet & descendre pour aller fouper a table d'höte, après quoi j'irai tranquillement me coucher. Adieu, mon ami, je continuerai cette espece de Journal dans ma fuivante.  ( 47 ) LETTRE III. Bunker que, 25 (TAoiit 1786. iL'orsqu'en fermant dernierement ma Letcre je m'apprêtois a deseendre, je ne me doutois guères de ce qui alloit éblouir mes yeux dans la falie. Je tacherai de vous en donner une foible esquisfe, après que je vous aurai parlé de ce que j'ai vu de plus remarquable a Bruges. Comme nous avions déja diné avant notre arrivée, nous ne perdimes point de tems, & nous primes dabord un homme pour nous conduire & parcourir la ville avec nous. Vous favez qu'elle étoit dans le quatorzieme «5c quinzieme fiecle une des plus florisfantes de 1'Europe, célébre par fes manufaétures, le centre du commerce des toiles & des laines, & 1'entrepöt des produétions du Nord & du Midi. Quoique presque entierement dépouillée de fon ancienne gloire, elle ne laisfe pas d'être encore interesfante, du moins paree qu'elle a été autrefois, fi ce n'est plus paree qu'elle est aujourd'hui. Sa forme est ronde, au ljeu que celle  C 48 ) de Gand est triangulaire. Son enceinte est trés grande, car il faut deux heures & demie pour en faire le tour; mais ainfi que Gand elle est peu peuplée. On nous a dit dans la Barque, qua Gand la population s'est beaucoup augmentée depuis une vingtaine d'années, & que la ville recommence un peu a fleurir par le commerce des toiles, mais que Bruges dépérit de jour en jour. Cependant certe derniere ville ma paru avoir plus de commerce & de mouvement que 1'autre. II faut fiwoir d'ailleurs, que c'éroit un Gantois qui nous tint ce discours, & qu'il y a une vive jaloufie entre ces deux villes voifincs. Des bateaux & même de grands vaisfeaux, venant d'Ostende & même de roer, rémoign ntque le commerce n'y est pas entierement anéanri. De gros navires même a trois mats, partis des Indes, viennent apporter jusques dans le basfin ou port .de Bruges les pioduftions des ces cÖmats loinrains. Ccpcndanr ces derniers fonr rares; moins a caufe de la iiruarion de la ville qui est asfez favorable, que paree qu'il n'y a plus de compagnie des Indes & de maifons asfez puisfantes pour expédier de pareils vaisfeaux. Nous vimes le port rempli de vaisfeaux de plufieurs nations , mais principalement Anglois, Hollandois & Hambourgeois, qui y apporroient du bois, des laines & d'aurres marchandifes de toute espece, ce qui y atrire beaucoup de monde;  C 49 ) de, & lui donne plus d'aclivité, que je n'en ai vu dans aucun quartier de Gand. Ces vaisfeaux y déchargent leurs marchandifes; dont une partie est transportéc dans de vastes magafinsi en partie vieux, en partie nouvellement conflruits, qui entourent ie port; & dont 1'autrepartie estrechargée fur des vaisfeaux plats de moindre grandeur, nommés Béiandres, pour être portés a Gand & plus loin; defortc que Bruges, outre un commerce tranfitoire, a 1'avantage d'êcre un entrepot pour les païs voifins. Si 1'Empereür avoit réusfi dans fon projet de rendre 1'Escaut libre, il auroit peutêtre relevé un peu Anvers & quelques villes voifincs du Brabant, mais il auroit ruiné celles de la Flandre. C'est a Bruges, a ce qu'on m'a dit, que fe fait le principal commerce de toiles & de dentelles qu'on fabrique dans le païs. On fait ausfi beaucoup de dcntelles dans la ville même; & il y a peu de maifons bourgeoifes, oü nous n avons vu des femmes occupées a en travailler , asfilés dans leur vestibule ou devant leur porte. Tout cela donne encore quelque gaité a une ville, qui n'a plus que ces foibles restes de fon ancienne fplendeur. Nous vimes fur Ie marché aux grains au milieu de la ville un batiment immenfe, qui a écé autrefois un vaste magafin pour le commerce, mais qui ne fert plus aujourd'hui qu'a Ie gêner)  150) puisqu'il est devenu une douane. Ge Ibatirficnt • n'a qu'-une falie, qui est asfurément trés remar-quable, & qu'on nous a dit être la plus grande -de toute 1'Europe. Elle a deux cent quarante "pieds de long 6c quatre vingt de large. il y a quatre'cent ans qu'elle a été conltruite-; 6c fa •charpente qui est de bois de chêne acelade •remarquable, qu'il ne s'y attaché jamais d'araiguéei J'ai vu de mes propres yeux que les murailles en étoient comme couvertes; 6c je n'en ai remarqué aucune dans toute 1'étendue de la •charpente, qui est d'une élevation prodigieufe. Un canal, qui traverfe la ville, pasfe au desfous de cette falie, élevée de quelques marches; deforte qu'au moyen de trappes -6c d?un petit :moulin a bras on chargeoit 6c déchargeoit autrefois les vaisfeaux avec trés peu de peine. Ge canal ne fert plus a eet ufage; mais c'est encore de la mëme maniere, que les chariots-, qu'on ■fait pasfer fous la falie au bord de 1'ancien canal , font chargés 6c déchargés aujourd'hui des marchandifes , qui doivent payer des droits a J'Empereur. A quelque ufage au reste que ferve ^apréfent ou puisfe fervir dans la fuite ce bafjjnent, conftruit avec la plus grande folidité en 4sriques avec de gros pilastres en pierre de taille, il fera toujours un fuperbe monument 6t un magnifique reste de i'ancien commerce floris» fent de cette ville.  C 5- ) Qulfé ce batiment & le basfin, qui m'ont paru ce qu'il y a de plus interesfant a Bruges, nous y avons encore admiré 1'églife ci-devant des Jéfuices, qui esc petice, mais cant en dedans qu'au dchors d'une belle architeéture moderne. Nous vimes dans celie de Notre Dame les fuperbes tombeaux en marbre noir de Charles le Har» di, Duc de Bourgogne, qui fut tué au fiege de Nancy, & de fa fille Made, époufe de FEmpereur Maximilien. Ces deux tombeaux font a cöté 1'un de Fautre, exaétemenc femblables, & ne font pas tant remarquables par leur fculpture, que par la riche dorurc de 1'or le plus fin, dont ils font trés fomptueufement ornés. Ausfi font ils preferves foigneufement du contact de Fair, & confervés fous de grandes armoires de bois fermées fous clef, & qu'on n'ouvre qu'avec grand appareil, moyennant un falaire. Ces deux corps font inhumés dans cette églife & y onc été transportés par Charles-Quint. Mais, ce qu'il faut furtouc ne pas oublier d'aller voir k Bruges, est Féglife de S. Servais, oü Fon admire une fuperbe chaire du plus beau bois d'acajou, ornée de deux colonnes Corinthiennes du même bois avec chapiteaux de cuivre, doré en or fin de ducat. Excepté a Gand, je ne me rappelle pas d'avoir vu quelque part une chaire, qui appröche en beauté de celle-ci. Devant la chaire est une ftatue en marbre blanc, reprefen» D a  C 5* > tam ün Evêque, dont j'ai oubKé le nom, mais qui a cré fondateur de eette églife. Elle a été faite il y a peu d'années par un arcLte des Païs-Bns, & m'a paru de la plus grande beauté. On mva dit que les connoisfeurs viennent de tous cörés pour 1'admirer. II y a encore dans cette même églife une trés jolie orgue, décorée d'une belle fiatüe de S. Servais, patron de 1'églife, faite par un artiste Brugeois, nommé Pullin'k, INous ne pitmes pas entrer dans la Cathédrale qui étoit fermée, mais nous vimes le Palais de 1'Evéque, qui est a cöté, & qui a une belle facade avec deux ordres d'architeéture 1'un au desfus de l'autre. Les rues de Bruges font en général larges, "& pour la conftruéïion des maifons cette ville resfemble plus ou s'éloigne moins des notres 'que Gand oü Anvers. II y a ~moins de ces grands Hotels d'ostentation que dans ces deux villes; cependant il y a par-ci psr-la plus de bonKrie architeéture que chez nous, Oü il n'y en -a presque point du tout. Après avoir parcouru la -ville, nous fimes un petit tour de rempart qui n'est pas fort beau; & nous finimes par la notre courfe, dans laquelie nous vimes ce qu'il y a ■de plus interesfant a Bruges. Le foir nous trouvames k la table d'Höte, oütre plufieurs Mesfieurs Brugeois & étrangers, nne jeune Demoifelle Angloife, qui étoit belle  C 53 > comme les amours. Cette charmante fille ,. qui, ne parloit que 1'Anglois, ne fe mêla presquepoint a k converfation , deforte que nous dumes nous cententer du plaifir de la voir. Iinaginez-vous une de ces belles coupes de vifage, une de ces phiilonomies a justes proportions, comme celles qui fervent encore de modêles aux artistes. & aux amateurs du» vrai beaule plus beau, teint du- monde; une blancheur éblouisfante ; la fivïcheur & les coulcurs vives de la jeunesfe & de la fanté; des cheveux chatains que j'ai trouvés les plus beaux du monde, qui fiottoient avec grace autour de fon cou, & tomboient en petites boucles naturelles fur fes épaules; des iourci's. de la même couleur» tcls que le pcimre le plus habile auroit de la peine a en traecr dc plus beaux > des veux qui peignoicne fon ame, & qui la peignoient pasfionnée,. mais tendte, délicate» douce & fenfibleajoutez-a eek fcizc a dixfepc ans; 1'innocence & k candeur quj font le charme de eet age; eet attrait touchant, plus puisfant que k beauté, qui fe fent mais ne fe définit point; enfin eet enfemble heureux qui interesfe a la première vue; Et fi vous avez asfez de force d'imagination pour vous figurer un pareil objet, vous n'aurez encore qu'unc foible idéé de la charmante Angloife, qui fit les délices. de. notre foupc. Elle étoit k feuje femme de Ia compagnie» tous les regards étoient fixés fur elle; cc il n'y D 3  C 54 ) a point d'aimam qui attire le fer, comme cette ravisfante figure attira tous les yeux de Fasfemblée. Elle avoit deux vieux originaux avec elle, dont 1'un étoit fon pere; Jamais homme ne resfembla plus a 1'idée que je me fuis formêe du Minhtre de JFakefieldu ■ II y avoit entr autres encore a table un Officier Autrichien, qui avoit fait la veille connoisfance avec elle dans la barque de Gand. 11 lui coma beaucoup de belles chofes en Anglois, mais elle ne lecouta guéres, & il s'en dédommagea en nous débkant, tonics les avantures vraies ou fausfes, qui lui étoienc arrivées durant fa . vie: Ausfi parla-t'il presque {out feul pendant le foupé. . La nuit fe pasfa a rêver de la belle inconnue, comme il étoit bien naturel; & le lendemuin il fallut fe lever de grand matin, pour partir a fix heures par la barque d*Ostende, qui n'est qu'a quatre lieues de Bruges. Nous fumes fürpris & ravis d'y retrouver notre charmante Angloife, & de pouvoir faire le voyage en fa compagnie. Elle avoit encore une Dame plus agée avec elle, & les deux originaux da la veille, dont 1'habillement & la coëffure étoient plus originaux encore ce jour-la. Nos deux Dames étoient en redingottes proprement faites, un chapeau fur la tête, & la jeune toujours les cheveux fiottans avec grace. Sa beauté me parut furpasfer encore a la clarté du jour tout ce que la lumiere fouvenc  C 55 > 8-vancageule des bougies, & rimagihacion encore plus flatteufe de la nuk pouvoient lui avoir prêté. de charmes. Notre Officier bavard y étoit ausfi; il avoit couru par la ville, car il arriva tout esfoufflé justcment a tems pour donner la main a la Demoifelle au fortir de la voiture & la condture dans la barque, oü il fe placa près d'elle fous la lente. II caufa beaucoup en Anglois; &, j'avoue que je fus un peu mortifié de ne pouvoir me mêler a cette converfation. Je dus me; contenter de regarder notre belle voyageufe de tous. mes yeux, & de rencontrer quclquefois lesfiens.. Enfin, pour. adoucir un peu mon chagrin, je tirai de ma póche mes tablettes' avec mon crayon, & je m'amufai a tracer fon por-, trak, comme vous venez. de le lire; deforte que vous voyez qu'il n'est pas d'imagination. Mon occupation excita fa curiofité; & paroisfant fentf ma peine , elle commenca la converfation. avec moi, en me demandant en trés mauvais Fran9oisv fi je ne parlois pas 1'Anglois: je lui reppndis que non; que je 1'entendois un peu, mais qu'elle parloit trop vite pour que j'en pusfe comprendre quelque chofe : elle rcpÜqua que par la même raifon elle avoit peine a. comprendre mon Fran9ois; ce qui fit qua mon grand regret notre converfation ne fut ni longue ni interesfante. Je pris dès lors la refoluD 4  C 56 ) rion de m'exercer avec ardeur dans la langue Anglpife, que j'ai négligée depuis quelque tems, & de tiener même de la parler, dès que 1'occafion s'en prefentera. Elle me dit encore, qu'elle venoit d'Angleterre, pour aller comme penfionnaire dans°un convent d'Ostende, afin d'y apprendre le Franss , & qu'elle y resteroit deux ans. Ceci lui donna un nouveau charme a mes veux. L'idée de couvent & telle de jeune filie mêiées enfcmbie font naitre une émotion fecrette, qui n'est jimais fans interêt; mais qui dcvient douloureufe, dès que l'idée de rcligieufe s'y mêle. j'avois' déja foupconné', que cette compagnie Angloife étoit Catholique, par la converfation que le pere de la Demoifelle avoit faite en Latin'avcc deux Capucins, qui étoient avec nous dans la barque. File étoit la feule qui parlat quelques mots de Francois; & j'avois déja vainement esfayé de commencer- une converfation avec les deux hommes, qui ne favoient que oui & non, & qui paroisibient craindre encore de ne pas bien placer ces deux mots. ' Une Dame qui avoit été avec nous dans Ia barque, & qui avoit beaucoup caufé avec la jeune Angloife, nous a raconté depuis a Ostende quelques détails au fujet de ces Anglois. La Dame agée étoit la femme de 1'autre original qui étoit ami du pere de la jeune Demoifelle, & ils  C 57 ) avoient pasfé la mer avec cux poirr leur renfr compagnie. Ils avoient premieremeat été voir les couvens Anglois de Gand & de Bruges, & avoient fini par préferer celui d'Ostetide. Elle ajouta, que cettê aimable rille étoit trés gaye, paroisfok ayoir beaucoup d'esprit, & avoit, dansles diiTérens couvens. qu'elle avoit vifkés, turktpiné trés plaifamment les religieufes, qui faifoient tout au monde pour la retenir; que malgré fa gayeté, elle nourrisfoit cependant dans le fond de fon coeur une fecrette crainte, qu'avec le tems fon pere ne voulüt la faire religieufe, mais qu'elle avoit pris fon parti a eet égard; que c'étoit la raifon qu'elle avoit eue de choifir Os-, tende, paree que, dès qu'elle auroit le moindre foupcon que fon pere voudroit exécuter fon desfein, elle s'enfuirok fans delai du couvent & s'embarqueroit pour 1'Angleterre, heureux païs, oü l'on n'encloitre point les filles malgré elles. Dieuveuille 1'asfister, li jamais le cas arrivé; car k en juger par fes regards, elle a aueune vocation pour la vie religieufe; & asfurément vu fa beauté, ce feroit un meurtre, & le coeur m'en faigne d'avance. Nous apprimes ausfi de cette Dame que le pere avoit été un banquier asfez riche a Londres, qui avoit eu le malheur de fe déranger, mais qui avoit encore fauvé quelques débris de fa fortune. J'ignore les raifons qu'il peut avoir de D 5 .  C 58 ) vouloïr fi indignement contrecarrer fa nature, en enfermant une des plus jolies fiiles de 1'Anfleterre. ö Apréfent, comme il faut quelques ombres a. un tableau, & pour vous prouver que ce n'esc pas en enthoufiaste aveugle , que je vous al parlé de cette charmante perfonne, je vous dirai qu'elle n'étoit pas fans défauts, comme vous, 1'aurez 'fans doute déja foupconnê. Ses pieds n'étoient pas jolis, & elle m'a paru mal chausfée. Ses dents, fes mains & fa taille, qui auroient été asfez bien pour plufieurs autres femmes, ne 1'étoient pas asfez pour elle, & ne repondoient pas au charme du reste. Au furplus % excufez cette longue digresfion en faveur du fujet; & fongez, je vous prie, que je vous écris autant pour mon plaifir , que pour le ▼otre. Comme probablement je ne reverrai jamais cette angélique fille, il me fera doux de pouvoir m'en rafraichir la mémoire dans les lettres que je vous écris , lorsque 1'éloignemenc du tems & du lieu commencera a me ia faire oublier. II faifoit ce matin Ik un froid percant, bien rare fi non unique dans cette faifon&' notre Officier, en habit d'été & fans rédingotte, fen-> tit, malgré le charme de fa pofition, malgré les peines qu'il fe donnoit pour parler l'Anglois, & malgré 1'ardeur qu'il y mettoit, le froid le tran-  ( 59 ) fir k cöté d'une ausfi jolie fflle, & Fut obligé de descendre dans un des appartemcns pour s'en garantir. Nous fumes peu après connoisiance avec lui. Nos domestiques , (il n'en avok pas) notre politesfe froide, notre air indifferent, le peu d'attentjon que nous parumes donner k fes vanteries & k fes fanfaronnades, le peu d'erapresfement furtout que nous temoignames k rechercher fa converfation, furent caufè, je crois, qu'il prit bientöt un tout autre ton avec nous, & qu'il rechercha la notre. Nous voyageames encore le lendemain enfcmble; & devenu lui même plus uni & plus fimple, il nous trouva beaucoup plus lians. Que vous dirai-je de la contrée. Avec une fi belle fille devant les yeux, s'amufe-t'on k regarder la campagne. Tout ce que j'en ai obfervé, c'est qu'entre Bruges & Ostende elle esc basfe & platte; que 1'eau y est en quelques endroits plus élevée que la terre; qu'il y a plus de prairies que de terres labourées, & qua plufieurs égards ce païs resfemble a la Hollande. Le canal est trés large, & peut recevoir les plus gros vaisfeaux. L'appröche d'Ostende fait plaifir par la quantité de mats qu'on découvre. On est obligé de quittcr la barque k un gros quart-de-lieue de la ville, k caufe d'une magnifique éclufe, conftruke en pierre de taille avec la plus grande folidké. On pasfe la, fi l'on veut,  C 60 ) dans une pecïte barquette, qui VOus conduit jusqu a la ville, ainii que votre bagage & les marchandifes. Mais, comme il faifoit beau tems nous préferames de faire ce pecit bout de chemin a pied , pour mieux voir le pon & fes environs ; & après avoir dit un dernier adieu a linteresfante Angloife & au reste de la compagr.ie, nous fitnes notre promenade en compagnie de deux bons peres Capucins, qui quoique avec tongues barbes, têtes nues, fans fouliers & fans chemifes, étoient trés polis & trés honnêtes. Nous arrivames environ vers les onze heures & allames loger au Logement appellé l'Hótel de'ville. Comme nous avions peu de tems a perdre nous nous promenames avant diner, dinames i table d'Höte en asfez bonne compagnie, & courumes encore toute 1'après-dinée jusqu'a 1'heure du ipectacle. Ostende est environné de dunes du cóté de la mer, & de prairies des autres cörés. II ne paroit pas fort , quoique les fortifications n'y foient point encore démolies, comme dans les autres villes Impériales des Païs-Bas. L'entrée du port, qui s'avance dans Ia mer en püotis me parut belle; mais on dit qu'elle n'est pas fort bonne. La ville n'est pas grande, mais elle est proprement batie. Notre derniere guerre Angloife lui a fait tant de bien, qu'elle s'esï  C 61 ) rccrue de Ia moitiè. On a reculé les remparts, & bati ce qu'on appelle la nouvelle ville, qui est charmante a la vue. Les rues larges, Iongucs, droites, tirées au cordcau & fe coupant a angles droits; & les facaces de fes maifons fymmécriques & a une hauteur égale, font un Snfcmble trés agréable & produifent un joii coup d'oeii. Ces maifons font toutes ncuves & jolies; & dans 1'ancienne ville même on en a rebati plufieurs. La maniere de batir & la ville en général differe des trois autres villes que nous venons de pasfer en dernier lieu. C'est un mélange de conitruétion Francoilé, Angloife & Holiandoife; far.s doute par ce qu'elles ont été baties par des négotiants de ces diverfes nations, furcout des deux dernieres. On reconnoit a une métamorphofe ausfi fubite la puisfance créatrice du commerce, & l'on admire Faétivité, & 1'aifance qui 1'accompagnent partout. Maihcurcufemcnt il est a craindre, que eet éciat n aura été que pasfager , & s'évanouira bientót comme la caufe qui Pt fait naitrc. Dès apréfent il diminue a vue d'oeii & diminuera probablemcnt bien davantage, puisque le Gouvernement a pousfé 1'aveuglement jusqu'a mettre de nouvelles entraves au commerce, en impofant des droits d'entrée & de fortie fur le tranfitoire ou en les augmentant. Une pareille gêne ne peut que détruire de nouveau un commerce qui  C 6i) ne Fait que de naitre, & auquel il fclldt beaucoup dencouragemens pour 1'empêcher de languit Jai entendu raconter ici a ce Fujet, que dG Romherg, qui a une puisfance mairJd «ce dans les Païs-Bas, ayanc fait a eet t gard de fortes repréFentations aM. de Belgiojofo, & tache de lui démontrer le tort, que de pareilles impoficions devoient nécesFairement'Faire au commerce, en avoit recu pour reponFe, que lui Ministre avoit été asfez lengten» en place pou favoir ce qu'il devoit Faire; & pour ne pas ignorer Furtout que tous les marchands étoient des coquins qui voudroient facrifier tout a leurs interets M Ion jpint a Cet aveuglèment inconcevable du Gouvernement Je peu d'csprit d'ordre & d eeo omiede]a qui neparoit pas faite pour Je commerce, & qui a la coutum{fde dé. penFer dans les tems de foire & quelqueFo s dans un jour de ft*, ce qu'elle a ^ Tc beaucoup de peine dans un long espacf 3e tems mani dont on s appercoit déja dans la Mairie de Bois-le-Duc; ,1 n'est pas difficile de prévoir que ces nouveiles maiFons ne resteront pas Ion. ms^habitée sou ne le Feront jamais; ! qu0l dont i, " Ti' P°int dG rCt0mber da"s "éane dont il na été tiré pour un moment que par des circonftances étrangeres, qUe Dieu veuille ne p faire renaitre fïtöt. p Cc. «welles maiFons onr. été. conftruites &  ( 6-3 ) fe conftruifent encore journellement par des particuliere, a qui le terrein a été vendu a bas prix, fous condition d'y batir. Le port, oü il y avoit beaucoup d'aétivité , étoit rempli de vaisfeaux; muis nous n'en vimes entrer ou fortir aucun, que le Paquébot d'Angleterre, qui parti de Margate le foir d'auparavant, arriva a quatre heures 1'après-diné a Ostende. Nous y vimes même conftruire des vaisfeaux , ce que nous avons vu ausfi a Bruges; mais ce n'étoit que peu de chofe» Le port paroit bien entretenu, & les quais & tous les autres ouvrages trés folidement conftruits en pierre de taille. La ville en général, quoique petite est beaucoup plus gaye qa"Anvers, Gand ou Bruges. Elle est peut-être moins belle, mais asfurément plus jolie; & fi on y remarque moins de grandeur, on y remarque ausfi moins de mifere. Ausfi me fit-elle beaucoup de plaifir. La grande églife ne me parut avoit rien de bien remarquable après celles que j'avois déja vues, & je ne veux point lasfer votre attention par trop de détails. Nous aMmes le foir au fpeétacle. C'est une troupe ambulante, qui est venue originairement de Rheims & nous a dévancés de quelques jours feulement dans les villes que nous venons de quitter. Nous 1'attrappames enfin k Ostende. "U'actrappe ,au reste n'a pas été fort interesfante ;  C 64 ) car la troupe nous fatisit mal, & nous cn fijmes moins contcns que de celle de Bois-ie-Duc. L'emplaccment cependant, le théatre & les décorations, fans être fort beaux, écoient beaucoup meilleurs ici. On nous donna fEnfant prodigue de Voltaire, & une méchante perite piece peu connue, dont j'ai oublié le titre. Le lendemain raatin, c'est-a-dire, aujourd'hui nous partimes pour Dunkerque, mais un petic accident, arrivé pendant la aait,, rendit ce départ un peu desagréable. Lorsque mon frere fut habillé, il voulut prendre fa montre; mais il la chercha longtcms , & ne la trouvant point il commenca par m'en temoigner quelque inquiétude. Je ne fis qu'en rire, ne rnimaginant pas qu'elle pouvoit étre fondée; mais peu après, voulant prendre la mienne a mon tour, je la trouvai tout ausfi peu; & je m'appercus que j'avois perdu ma cravane avec une bouclé d'argent par desfus le marché. Nous commencames alors a^ foupconner que nous étions volés', & nous n'en doutames plus, lorsque nos gens nous dirent, que Ie matin en entrant ils avoient trouvé ouverte la porte qu'ils avoient fermée le foir d'auparavant. L'Hóte , a qui nous en fimes dabord nos plaintes, en marqua le plus grand defespoir; nous fupplia de ne pas nous adresfer au Magiilrati nous asfura qu'il trouveroit moyen de nous ïa  ( «5 ) ia Sdre ravoir au plmöt avec moins de peine; & förtir dabord, avec les fignalemens que nous lui donnames de nos eflèts perdus, pour aller, a ce ■qu'il nous dit, en chaife a Bruges, & mé me jusqu'a Gand, a la pourfuite de celui qu'il foupconnok &re 1'auteur du vol. C'étoit un Francois arrivé la veille au foir, & qui étoit forti de trés bonne heure ce même marin, pour partir par la Barque de Bruges; il y avoit plufieurs tirconftances, qui devoient faire tomber les foupcons for Lui. Mais quelque foit le filou, il faut qu'il air été bien faardi d'ofer entrer la nuk dans la chambre oü nous étions couchés, pour y venir prehdre nos effets; d'autant plus que la montre de mon frere étoit fuspendue a une chaife placée près du chevêc de fon lic Au reste , nous avions été imprudens de n'avoir pas fait fermer la porte a clef; & moi doublement d'avoir laisfé ma montre fur une table. C'est une dure lecon, qui nous ren dra moins confians & plus prudens dans la fuite; mais c'est une espèce de miracle en même tems, qu'elle n'ait pas été plus dure encore, puisque j'avois pousfé la négligence jusqu'a laisfer fur la même table ma bourfe, oü il y avoit vingt cinq & trente Louis; mais au licu de la prendre, on «'est laisfé tenter par la bouclé d'argent de ma crayatte, qui étok a cöté de la bourfe; ce qui . - E  C 66 .) proüvc que le voleur a fait fon -coup h tatons & dans 1'obfcurité. Nous nous regardames ün moment mon frere •& moi d'un air asfez capöt; mais 1'inftant d'aprcs nous primes notre parti en philofophes, & ne -pümes noüs regarder longtems fans rire & même -de bon coeur. J'avois pourtant quelque regret de deux cachets d'or a mes armes, qui étoient attachés a une -chaine d^or; mais comme j'avois bien repofé, j'etis 1'esprit asfez libre pour fentit, •que le bonheur non mérité d'avoir confervé ma •bourfe & d'en être quitte pour une demie cor-■rection , devoit 1'emporter fur le déplaifir d'avoir ^perdu ma montre avec mes eachets. A cela près, nous avons été asfez eontens de 'notre aubergc, ainfi que des autres oü nous -nous fomme-s arrêtés jusqu'ici dans notre courfe. Nous avons laisfé notre adresfe a 1'Hóte, qui -nous a promis de nous donner a Dunkerque des nouvelles du fuccès de fes perquifitions, dont je -n'ai pas grande idée. Nous partimes donc pfes legers que •nous -étions arrivés, & nous dimes 'adieu a Ostende •tin peu douloureufement; avec le doublé regret de laisfer nos mennes dans les poches d'un -coquin, & finteresfante Angloife dans un couvent ■*au milieu de vieilles bégueules, qui ne favent "-que prier en Latin & medire. Notre voyage Jusqu'a Dunkerque fut trés üngulier. Nous  C 67 ) avions eu premierement rintention d'y aller en voicure , & de prendre la route nommée le flrand au bord de la mer, qu'on nous avoit dit être extrémemcnt agréable: mais comme nous trouvames quelques inconvéniens a ce parti, & principalemcnt a caufe de la bonne ou finguliere compagnie qu'on trouve fouvent dans les barques & voitures publiques, nous préferamés ia route par eau, ce qui rendit notre traverfée plus variée. Nous commencames par aller en Diligence jusqu'a un village, dont j'ai oublié le nom, a cinq quarts de lieue de la ville, pour y trouver la Barque, qui va de Bruges a Nieuport, ce canal ne pasfant point k Ostende. Cette Diligence n'avoit que deux ehevaux, & nous y fumes a quatorze ou quinze perfonnes, oütre une grande quantité de bagage. On nous placa trois perfonnes fur un banc; deforte que nous fümes entasfés trés plaifamment 1'un fur 1'autre, & cahotames fur un mauvais pavé, que c'étoit uri plaifir. II y avoit entr'autres avec nous 1'Officier Autrichien de la veille & une compagnie de .cinq Anglois, deux hommes & trois femmes, tout fraichement arrivés d'Angleterre, d'oü ils étoient partis 1'après-diné de la veille. A peine ayoient-ils esfuyé de leurs fouliers la pousfiere de leur Ile, qu'ils quittoient pour la premieie fpis E 2  de leur vie. Ausfi étdient-ce les Anglois lei plus Anglois que j'aie jamais vus'; ils ne favoienc que trés peu du presque point de Francois. C'étoient-, a ce que nous apprimes depuis, un Tellier & -un 1 marchand qüincalilier; chaeun avec leurs femmes, & une jeune filie qui coraraen$oit a ne plusétre une enfant. Elle n'étoit pas fort jolie, mais elle avoit la fraicheur de la jcunesfe & de longs cheveux noirs flottans futfes épaulcs, avec un chapcau par desfus. Des deux femmes, qui étoient plus agées & trés iai;des, Füne avoit t>eauconp d'embonpoint, 1'autre étoit trés maigre; mais toutes deux avoient ra figure & les manieres vraiment Angloifcs. Elles étoient en capottes, & la tête de Ia grosfe comme celle de la menue étoit cocffée d'un -chapeau 'énorme, ausfi original qu'elles mêmes. Comme ces Anglois allerent avec. nous jusqua Dunkerque, nous fimes bientöt connoisfance, & les langues Angloife & Francoife furent ce jour la impitoyablement estropiées. Notre première connoisfance commenca de bien près, car nous 'Êtions trés ferrés dans la Diligence & pas trop a notre aife; mais comme ce n'étoit qu'un petit •bout de Chemin, cette incommodité me parut piquante. La jeune fille étoit placée entre mon Yrere & moi. Elle débuta par des éclats de rire !& par des exclamations & des fignes d'étonne'nent, dans un geut apparemment Anglois 6;  C *9 ) tous-k-fait plaifant. Les deux femmes étoient fur un autre banc, ombragées de leurs grands cbapeaux ; les deux hommes fur le devant; & 1'Officier, qui étoit venu le dernier, fe placa fur 1'impériale de la voiture. Mais il ne put y tcnir longtems, &. nous, lui procurames une petite place a cöté de nos domestiques. 11 nous acr compagna jusqu'a, Nieuporc, oü il nous quitta pour aller, a fa garnifon a. Ypres. Nous fortimcs de notre Diligence bien ércintés, &. nous pasfames dans une Barque, beau-; coup moins bonne que celle de Gand ou da Bruges. A peine y fumes nous établis, qu'on vint nous, averti.r. qu'on avoit fervi. II n'étoit. que dix heures, & je n'avois point d'appctit; cependant en voyage un diné. ne fe refufe guères; mais nous eumes toutes les pcines du mon» de a y. engager nos Anglois, qui ne pouvoient fe mettre dans la tête., qu'on devoit diner a dix, heures, lorsqifon ne prenoit faim qua deux. Ausfi rcfisterent-ils longtems avec toute ropinia». treté, nationale, &.ce ne fut qua force de leur. repeter, qu'il n'y auroit pas moien d'avoir quelque chofe h manger de toute la journée, que nous pümes les détermincr enfin a fe mettre h table, quoiqu'a contrecoeur; ce que les mufelcs., du vifage du fellier exprimerent on ne peut plus, énergiquemènt & plus fingulieremcnt. La repas ne fut pas bien brillant: C'é.co.ic.j E> 3  C 7° J 0m,f TTfen,ent un Vcndredi' & »ous **m fort, des pommes de terre qui ne vafoicnt nen de Ia raye qu, nageoit dans de 1'huile rang-. du pam gris & un vJn détestab]e> rn apper?u que trop que ce n'étoit plus Ia Barque de Gand; qiand on dine a dix heures il aUCr£ Ch0fe -ger de bon appe it ausfi ne goutai-je de quelques morecaux que pa esprit de prevoyanee. Mais pour nos AngfcT qu. avoient commencé par faire les diflkiles je les vis befogner a ce mauvais diner, ]e premier quils faifoient fur le continent, d'un aPP4 comme s ik étoient a Ia table du'plus magmlq Lord de 1'Angleterre. 4 L'Officier s'étoit placé entre nous deux h table, & nous regala de deux bouteilles de bon v|n qu'il aVoit prifes avec lui. II nous racoma Plufieurs parncularités de fa vie; comment f Srofi-C, nViT&Cn ^-mmenci He p.opofoit d aller fannée proehainé en Angleterre ■ comment il comptoit quicter Je f « J ion pere, qui étoit riche, feroit mort S ment fon pere étoit' membre des Etats du Brabant & comment il le feroit après lui; col ment fon domestique étoit tombé malade a Gand, ce qui fa,foit qu'il n'en avoit point avec lui; & plufieurs autres chofes non moins interesfantes que j.oubliée, H parioit de tout, mais il ne  C 7- ) laisfoit pas de favoir qaelque chofe; &; on dé-. • mêloic ïi travers fes vanteries, qu'il avoit de 1'esprit & de la naisfancc. Ausfi 1'entendimes-nous h la porte de Nieuport fe nomraer a la garde le Comte. de , Capitaine au Régiment de Ligne. C'est ainfi que malgré notre mauvais diner Ia< converfation de eet Officier, la grande compagnie, & la variété de nations & da langages m'amuferent beaucoup; Le langage des Flamands même varie entre eux. Je comprends tres facilement les Brugeois. & les Ostendois, mais les Gantcis font presque intelligibles.; non feulement a moi, mais même aux Flamands de ce quarticrci, comme ils me 1'ont dit eux-mêmcs. A. Nieuport, a deux lieues & demie de 1'endroit oü nous-. nous embarquames, nous quittames. notre Barque pour entrer dans une autre plus petite & moins commode. Nous traverfames.:la ville, qui nest pas grande, ucn'eütrien d'interesfant pour moi que la fameufe bataille qui s'est donnée par le Prince Maurice dans fes environs. On dit que la pêche y fleurit pasfablement, & nous y vimes. beaucoup de tpnneaux de harengs dans la rue. Nous-.eumes le tems dc ...nous y arrêtér asfez longtems, pour aller avec nos Anglois dans une auberge boire le plus mau? vais caffé, qui ait jamais été fait en Flandre. II faifoit Ghaud ce jour-la; & en allant d'une BarE 4  C 7~ ) que a I'autre par les rues de Nieuporc , la grosfe Angloife fuoic a grosfes gouttes; tandis que la maigre & la jeune fille cotiroient a toutes jambes de craiute d'arriver trop tard. Cela m'amufa; & comme nous avions tems de reste, je ne voulus point lui offrir mon bras; quoiqu'a d'autres égards je fosfe charmé de pouvoir leur être utüe dans leur embarrasi Si c'avoit été fa gentille compatriote de la veille, je 1'auroisportée fur mon dos, s'il en avoit été befoin & lij 'en avois eu la force. Hcurcufement fon mari le quincaillier vint a fon fecours. Ce quincaillier avoit quelques prérentioris a 1'élégancc ; il avoit de la poudre dans fes cheveux, une culotte de foye cc une redingotte qui paroisfoit faite a fa taille; tandis que 1'autre portoit une perruque ronde , des bas de lil rayés, & un habit fi large qu'il auroit pu contenir deux gros felliers comme lui. Nous dumes de nouveau changer de Barque a Furnes, a deux lieues de Nieuport. Celle oü nous entrames étoit encore plus petite que 1'autre , & nous n'y fumes pas trop a notre aife. Si cela avoit continué ainfi, nous aurions été bientót ausfi a 1'étroit dans la Barque que dans la Diligence. Nos Anglois, apprenant qu'il étoit déja quatre heures pasfées, & que nous étions encore a quatre lieues de Dunkerque, leverenc les mains au ciel & nous dirent, que chez eux on pouvoit faire deux cent milles, qui font.  C 73 ) environ foixante & dix lieues par jour. Nous leur repondimes que hors de 1'Angleterre, on alloit ausfi de tems en tems plus vite qu'aujourd'hui, & qu'on pouvoit même faire cinquante lieues par jour fans peine; mais que ce n'étoit pas dans des Barques tirées par un cheval & remplies de monde. Je crois qu'ils nen crurenc rien; ils nous avoient communiqué leur plan de. voyage, qui s'étendoit par Lille jusqu'a Bruxelles, & puis le retour par Gand & par Bruges ; & ils calculerent alors, qu'en allant toujours ce train la, ils devroient mettre plufieurs mois a une courfe, a la quelle ils ne pouvoient donner que peu de jours. Nous tachames de les rasfurer, mais ce fut en vain; & le fellier, qui avoit la dire&ion, fe mit a étudier tristement une petite carte Angloife de la Flandre, qu'ils avoient avec eux, qui étoit fautive k plufieurs égards, & qui me parut contenir toutes leurs connoisfances en Géographie, du moins pour ce qui regarde le continent. Toute la contrée depuis Ostende jusqu'a Furnes est un païs uni, un peu uniforme mais trés fertile. Les champs y font bien cultivés & les prairies excellentes; mais le bêtail n'y est pas de la première grandeur, excepté dans les environs de Furnes, qui est renommé pour eet article. Nous traverfames cette ville avec nos Anglois, qu'il falloit aider k chaque inftant; ils ne E 5  C 74 ) connoisfoient pas Ia raonnoye da pais; ils favoient mal la langue, & ils" n'étoienr jamais fords de leur ile, deforte que tout é*oit étranger pour eux. Nieuport n'est qu'a une petite distance de la mer, mais Furnes en est plus éloigné;. cette ville est petite, un peu plus grande & plus jolie que Nieuport'; mais je n'y ai rien vu qui m'ait frappe; ausfi n'ai-je fait que Ia traverfer. L'Empereur y démolit les fortificarions, comme dans toutes fes autres villes des Païs-Bas;' & il n'y a que- Luxembourg qui restera en état de défenfe. Tout le reste de ce beau païs est ouvert. &. abandonné au premier occupant. Je, crois qu'un de fes motifs par-Ia est de prévenir toute revolte de fes fujets, qui ne pourroient trouver aucune place forte pour' leur retraite ou pour leur défenfe. Si ce Monarque aimoit véritablement eet interesfant païs, le plus beau domaine des Ducs de Bourgogne, fes.ancêtres materneis, il n'enagiroic point comme il fait; il ne feroit point plufieurs chofes qui doivent arrêter la prospérité de ce peuple; il ne gêneroit point Ie commerce; il ne feroit pas pasfer a Vienne regulierement tous les trois mois la plus grande partie des revenus des couvens fupprimés, qu'il fait femblant d'employer a d'autres ufages; car il a établi une caisfe de religïon a Bruxelles, mais on dit qu'il n'y a rien dedans; il a'épuiferoic point le païs de  C 75 ) fcette facon; enfin il ne mécóntenteroit point grands & petits, car tous font égalemcnt animés contre lui, & pérfonne ne s'en cache. C'est 'une chofe inconcevable, comme ón s'entretient librement a fon fujet dans les • voitures & dans* 'les barques publiques. On nous paria aujourd'hui de deux nouveaux projets qu'on prétend qu'il veut mettre en exécution dans les Païs-Bas. Le premier feroit de rendre tout libre, d'abolir toutes les taxes & tous les impöts, de quelque nature qu'ils foyent, & de faire payer a chacün de fes fujets quarante pour cent, c'est a dire, environ la moitié de fes revenus par an. Le fecond, ausfi violent & plus tirannique encore, feroit de s'emparer de tous les héritages entre pa* rens plus éloignés que coufins germains. Ce dernier projet paroit furtout incroyable; ausfi ne garantis-je aucun des deux, & je ne vous écris que ce qu'on nous a raconté; cê qui prouve du moins 1'opinion qu'on a de lui, & de quoi on le juge capable. Environ a moitié chemin de Furnes a Dun* kerque, il y a un batardeau au milieu du canal, qui empêche 1'eau falée qui est au dela de fö mêler avec 1'eau douce qui est en deca , & qui fait ausfi qu'on doit encore changer de Barque, pourtant pour la derniere fois. Jusques-la le canal est en plufieurs endroits étroit & peu pröfond ; mais depuis ce batardeau jusqu'a Dun-  C 76 ) fcerque il est plus large & va toujours tout droit. Un peu avant d'arriver a ce batardeau, prèsv du village de Hooykerque, commence le territoire Francois. Nous ne manquames pas d'ytrouver des Commis, maïs ils nous aborderent avee beaucoup plus de politesfe que les divers Commis Impériaux, que nous avons eu le malheur de renconuer jusqu'ici, & que nous avons trouvés tous de la demiere infolence. Ausfi pour une piece de monnoye que nous leur donnames nous lais* ferent-ils abfolument en repos, On nous fit remarquer dans ce endroit une églife fituée près des Dunes, aujouid'hui prèsqu'entierement couverre de fable, que la mer y apporte journellement, & y laisfe en s'éloignant inT fenfiblement de la cóte. On avoit pris au commencement le parti, chaque fois qu'il y avoit fervice, de la nettoyer & débarasfer des fables; mais ils fe font tellemcnt accrus a la fin, qu'il a fallu 1'abandonner entierement ék batir une nouvelle églife près du canaL La contrée jusqu'a Dunkerque est toujours la même, platte «Sc fertile. C'est un de ces bons païs, qui infpirent de 1'interêt par leur richesfe, mais qui ne produifent point d emotion par leur beauté. J'avois eu peu d'occafion jusqu'ici d'entrer dans les maifons de païfans & de les exami* ner; je profitai ici d'un mpment de délai, occar  C 77 ) tfonné par le pasfage d'une Barque a 1'autre. Dans ce quaitier-ci dies rcsfemblent extérieurement aux notres plus qu'ailleurs; & celle oü j'entrai me parüc tcnir beaucoup de la distribution de celles de la Mairie de Bois-le-Duc, furtout pour ce qui regarde remplacement du bêtail & 1'aire pour battre le bied, ïl étoit neuf heures ce foir, lorsque nous arrivames. Nous fommes partis ce matin k huit heures d'Ostcnde, deforte que nous avons mis treize heures a faire ces neuf lieues, & eu durant ce court trajet quatre Barques & une Diligence. La route cependant ne m'a pas ennuyé La compagnie, la fingularité de nos Anglois, le fréquent changement de Barques, qui quoique chaque fois plus mauvaifes & tirces plus lentement, varioient la route, le beau tems furtout me donnerent de la gaieté & de la bonne humeur , & firent que je m'amufai beaucoup. Nous avions entr'autres dans notre compagnie un Recollet trés aimable. Le Flamand étoit fa langue naturelle, il parloit asfez bien le Francois & il estropioit 1'Anglois; deforte qu'il fournit plus qu'un autre a la converfation. II faifoit nuk, lorsque nous entrames dans la vïlle. II n'y avoit point de lune, & malgré cela point de lanternes ou de reverberes allümés; On ne les allüme dans ce païs-ci qu'au premier ie Septerabre; deforte que cecte différence d'uné  C 78 ) remaine auroit pu nous coüter quelques bras ou jambes, .Cependant cette police. n'est pas mieux établie chez nous; au milieu de 1'hiver même quand il fait tard, on ne voit goutte dans les rues. , Nous primes congé- en débarquant du Sellicrs & du Quincailliers, ainfi que de jeurs compagnes, fans oublier la jeune petite Selliere, aux* ycux noirs & aux belles boucles flottantes, & allames loger .a 1'Hötel de Fhndre. Poureux,' nous les vimes entrer dans un mauvais pctit cabarê.t, a quelques pas de Ia. Après un mauvais diné maigre a dix heures du matin, le foupé a fait plaifir; II est vrai qu'il étoit a-peu-près maigre ausfi, & que nous n'avons eu presque que du poisfon; mais il étoit beaucoup mieux preparé que celui du diné, & Pappetit asfaisfonne tous les méts. Après urj bon foupé & de la fatigue, le Üt ne fera pas moins agréable; il est vrai qu'il ne paroit pas fort bon & qu'il est fans rideaux; mais j'espere que le fommeil tiendra Jieu de tout ce qui manque. Comme 1'expérience inftruit, nous avonl ferré ce foir avec beaucoup de foin nos bourfes, nos bagues, & tout ce qu'on a bien voulu nous' Iaisfer de nippes a Ostende. Adieu, il fait tard, & la plume me tombe des mains. Ma cor-respondance avec vous ne me laisfe presque pomt de repos dans la journée, «5c m'emportc  ( 79 ) encore une partie de la nuk; mais elle me plak & m'amufe, & cela me fuffit. Je continuerai de vous écrire ce qui me paroitra de plus remarquable pendant le reste de notre courfe. Nous resterons demain ici , & partkpns pour Lille après-demain. LETTRE IV. Lille, Dimanche 27 d'Aoüt 1786. N ous employames la journée d'hier a parcourir & a voir Dunkerque. Cette ville n'est pas d'une grande étendue, mais elle est trés peuplée & trés vivante. Depuis Gand, qui nous a pam fi triste, toutes les villes que nous avons pasfées fe font animées fuccesfivement. A Bruges nous trouvames déja plus de mouvement qu'a Gand, h caufe de fon port; a Ostende plus qu'a Bruges; & a Dunkerque plus qu'a Ostende. .Je  C 80 ) n'ai pu parvenir k favoir Ia population des autres villes; mais on nous a dit, qu'a Dunkerque il pourroic y avoir trente quatre a trente cinq mille ames; ce qui, vü fa petite étendue, dok paroitre exagéré. Je ne confulte aucun livre qui traite des endroits que je parcours: Je ne fais point de delcnption d'un païs; je ne vous écris que ce que je vois; & vous ne lirez peut-être pas les chofes comme elles font, mais comme elles me paroisfent ; Je ne vous marqué que ce que j'ai vu & fenri par moi-même. Les rues de Dunkerque font larges, bien pavées, comme dans toutes les villes de la Flandrc & du Brabant; & furtout dans la partie extérieure, qui paroit batie plus tard que le centre elles font droites, bien percées & fymmetriques' ce qui rend la ville agréable & riante. Ses maifons font pour la plupart bien baties, mais fimples; m mesquines, ni Fascueufes. Elle est remphe de boutiques; mais je n'y ai vu aucun de ces Hotels de grands Seigneurs, qui font tant de parade dans les autres villes; je n'y ai point vu non plus de ces bicoques a demi ruinées, qui deparent ailleurs les plus beaux quartiers. C'esr 1'efFet du commerce qui égale tout; qui bannk ia trop grande ostentation, comme elle éloiene Ia trop grande milére. On y admire plufieurs batimens publics mais tous fimpl€s& fans faste, des magafins, un ar- fenal,  C 81 ) fenal, de vastes cafernes pour les foldats cc quelques autres; furtout une Cordicre, c'est-a-dire, Un grand badment, qui a fervi autrefois h reparer les cordagcs, les voiles & en général tous les agrêts pour la marine, & qu'on esperc y pouvoir faire fervir de nouveau dans la fuite. II ne conticnt qu'une feule falie,' qu'on m'a die avoir deux mille deux cent pieds de longueur fur une petite largeur. Ausli a-t'on peine a y voir jusqu'au bout. Si elle étoit plus large, elle feroit bien au desfus de celle de Bruges, qu'on nous a dit la n'avoir pas fa pareille en Europe. Ce qui est véritablcmcnt grand & noble, & ce que jusqu'ici j'ai vu de plus beau en architecture dans cette courfe-ci, est Ie portail de la grande églife, conftruitc en pierre de taille blanche, qu'on nous a dit avoir été apportée d'Angleterre. II resfemble beaucoup au portail de la magnifique églife de S. Génevieve de Paris, qui est lui-même une imitation de celui du Panthéon de Rome. Dix fuperbes colonnes Corinthiennes d'une hauteur & d'une grosfeur prodigieufe forment un beau péristile, & foutiennent un fronton, orné de bas-reliefs fupérieurement travaillés. Sur la frife on lit 1'infcription fuivante, digne de la noble fimplicité du reste: D:o Opt. Max. Cette églife, comme toutes celks qui ne font pas modernes, est en dedans d'architeéture Gothique. II n'y a que cc beau portail qui foit neuf. QuoiF  < 32 ) qu'elle fok trés ornée, il «!y a rien qui la dis' 'tingue particulierement. Mais c'est le port, -qui est 1'ame de la ville, ' -& qui -en fait 1'objet le tpkis curieux & le plus ir.téresfant. Nous 1'avons parcouru & examiné avec beaucoup d-'attention. -Nous eumes le plaifir dly Tencontrer M. Tresca, *négociant aifé de -la ville, avec qui nous avions fait connoisfance la veille dans la Barque. II eüt la polkesfe non 'feulement de nous invfcer a fouper, cc dont nous ' nous excufames, mais ausfi de ^parcourir le port avec nous, ;& de nous faire remarquer bien des ' ^chofes, qui nous feï-oient échappées lans cela. Vous favez que les Anglois par le .traité d*Utrecht forcercnt les Francois a combler ce .port. 'Ces dcrniers ont trouvé moven d'éluder eet article avec beaucoup d'adresfe fous divers pretextes, & ils n'ont comblé efleclivement que le basfin au ibout du port-, qui est trés grand -& trés -beau, On est acluellement occupe -a nettoyer ce basfin, •& a le débarrasfer de la vafe qui s'y 'est amasfée & des décombres -( Dunkerque. Les foidats Francais font en général de trés beaux hommes, qui ont bo.nne mi> ne & font trés lestes & dégagés. Les environs de. la ville font agréables; ce fent des jardins> des„champs ék, beaucoup der prairies, couvertes de bétaÜ. Une allee nous. mena d'une des portes de: la ville jusqua un quart de ü>ue de la au- jardin Royal, qui est» rouvellement ouvert au-public, qui a de jolies promenades, plantées de vieux & dejeunesarbres,. II y a un p.avil!on au milieu, oü l'on fert toutes fortes. de. rafraichisfemens. On trouve dans. le. jardin.une quantité de cabincts de verdure.,, avec? une table 6k de^ b.ancs ,. ppur fe. retirer avec une compagnie. To.us ces cabinets ont des noms différens. D'un cóté ils portent ceux des lies Antilies,, comme Tabago, Grénade,.. &0 ; d'un autre cöté ceux. des Saints; d'uii troisieme, ceux des difierenr.es Villes de 1'Europc. Nous y, rencontrames quelques Mesfieurs & queK ques Dames; mais, la compagnie n'y. étoit pas, nQtnbreufe. Si a. Bréda au .Valkenhof, qui est trés agréable., on établisfoit une maifon, oü l'on put feprocurer des rafraichisiemens ; fi, on y ajoutoit. quelques autres cammodités pour le public; ek, fi, onyimpofoit, comme daqsxejui-ci, une légere retribution ï, payer a< la .porre pour cc«s qui n'y, déjjienfejoiept rien ^ afin. d'en éloigne.r les polis-, F 3  ( 8(5 ) forss & le bas peuple, qui y défolcnt la bonne compagnie; eet endroit feroit fans doute plus fréquente, & devieudroit, comme il doit letre-, Ie rendez-vous du beau monde. La ville, quand on y arrivé de ce cóté-Ia, préfeötë un joli coup d'oeii, par la quantité de cafernes 6c autres batimens publics qui lentourent. Elle m'a paru a tous égards bien fituée. D'un cöté elle a la mer«, de 1'autre elle commür.ique, par des canaux ou de petites rivieres, nonfeulement avec Ostende, Bruges, Ypres & tout ce cöté de la Flandre & du Brabant; mais ausfi avec Calais, Berg S. Vinox, S. Omcr & par-la avec 1'Artois, d'oü elle tirc toute la pierre dont elle a befoin. Ponr tous ces endroits il part des Barques a des jours & a des heures ièglées. II y a oütre cela pour la plupart de ces. memes endroits des chausfees, qui menent jusqu'aux extrémités de la France. Nous avons déja remarque a Dunkerque plufieurs coutumes .Francoifes, entr'autres ccile de placer le nom aux coins des rues. Nous nous étions propofés auparavant de pasfer par Calais; mais comme c'étoit un peu hors du chemin, & que cela nous auroit trop retardés, nous avons abandonné ce desfein. Cette ville d'ailieurs, a ce qu'on nous a dit, n'a rieri de remarquable; elle est plus petite & moins flofisfante que Dunkerque, & n'a "presque que  ( 87 > k pêche cc les. Paquébots d'Angleterre. Itest. vrai... qu'il y a une petite éminence élevée tout expres, d'oü l'on découvre le chateau de Doitr vrcs & les cötes de l'Angleterre. Mais que m'auroit fcrvk de 'voir de loin eet intéresfant r'tvage! a rien, qula en resfentir une douleur plus vive de m'en éloigner- fans pouvoir y mettre le pied. L'image de la belle Angloife d'Ostende revêt encore d'un nouveau charme Ijdée avantageufe & peut-être chimériquer que je me fuisformée de eette He fameufè v & cc n'a déja pas été fans regret que j'ai quitté. Dunkerque & fon port,., fi voifin d'un païs, que je défire ft ardemment de voir, & qui renfejm.e. de. fi..belles campagnes Sc de fi. belles femmes», Comme il y a neuf postes & demie ou dix-rneuf lieues de Francc de Dunkerque. a Lillc nous fommes-. partis ce matin avant fix heures,. en carrosfe a deux ehevaux, qui nous a coine^ deux Louis, oütre fept livres quatre fous pour. te permis, pour deux perfonnes. Nous avons été. contens de l'Hórel de F&ndre »ü nous avons logé.. Nous, ne fouimes arrivés ce foir. qu'a fep:,, heures, & cette joumée a été trés fatale pour, nous, & furtout pour moi. Je m'étois dès longtems fait une fête de pouvoir jcuir de la belle vue, qu'on découvre de Mont Casfel; mais j'ai-. été cruellement frustré dans mon espoir. Ce matin a notre départ, il y avoit une petite E4,  C 88 ) pluïe, qui étoit peu de chofe, & qui ne nous empêcha pas de voir le païs autour de nous. La chausfée jusqu'a Berg S. Vinox a deux lieues de Duikerque va toujours a cöté du canal. Le pais est plat & trés fertile, furtout en paturages. Nous trouvames des Commis a Berg S. Vinox; comme Dunkerque est un port franc, on est cenfé, quand on y entre par terre de' lorrir du Royaume , & 0n est cenfé d'y rcntrer, quand on fort de la ville; de forte que les Commis avoient le droit de nous vifiter; mais comme ils furent tres honnêtes, nous en agimes ausfi honnêtcmcnt avec cux. Nous pasfames Berg S. Vinox fans nous v ar- Péter, Cette ville n'est pas jolfe, mais elle me parut asfez grande, & trés vivante par les canaux qui la traverfent , & qui communiquent avec plufieurs endroits. Quoiqu'clle porte Ie ns>m de Berg, elle n'est pas fituée fur une élevation; elle est au contraire entourëe de prairies basfes & fertiles. Mais un peu au déla le pais commence a s'élever; il n'cn est pas moins tértile, & n'en devicnt que plus beau. Pour voir cette contrée dans toute fa beauté, il faudroit y venir au mois de Juillet avant h' moisfon ; apréfent tous les bleds étoient coupés; il n'y avoit plus qu'un peu de tabac, des navets, de 1'avoine en gerbes, des pommes de terre, des feves, des treflcs, & par-ci par-la des  C $0 ) prairies. La campagne étoit parfemêe de haycs vives & d'arbres cpars ca & la. A une demic lieue de Mont Casfel nous montames plus .rapidement, & fumes bientöt ft élevés, que nous aurions pu jouir de la plus belle vue, fi a la petite plnie du matin, qui avoit cesfee a Berg S. Vinox, n"eut fuccedé une grosfe pluie, qui obfeurcit Pair & ma gayeté en même tems. Nous étions environnés de brouillards & ne pouvions presque rien voir. Plus nous montions, plus ce voile fatal s'étendoit autour de nous; & tout cc qu'il nous permit a peu près de distinguer, fut que fans lui nous aurions eu la plus belle vue du monde. Cet appercu peu confolant aebêva de me défésperer. Quoique a une grande êlevation, le terrein étoit ausfi gras & ausfi fertile que dans Ia plaine. Ici je voyois le bétail paitre au desfus & au desfous de ma tête; les prairies en pente, fituéesPune au desfus de Pautre & couvertes de vaches pittoresquement place'es, formoient lê plus bel amphithcatre du monde , & préfentoient des points de vue, qu'on ne pouvoit voir fans en être pénêtré de plaifir. ' Plus loin j'avois a ma droite une hauteur, un vallon a ma gauche; desfous ce vallon, un autre vallon; desfous celui-la , un troifieme , tous cultivés & rians; & par desfus ces fites rians mes yeux fe feroient délicicufement promenés a pene de vue, d'un cöté F 5  ( 9 °* > jusqu'h la merr- de 1'autre fur toute Ia riche con-, trée des environs. Mais le brouillard, a méfure que nous montions , s'épaisfisfbit de plus en plus, & nous voila bientót tout-a-fak ce fuperbepaïfage. - Imaginez-vous la défoïatión d'un amateur des. belles vues ausfi pasfionné que moi. En avoir une devant foi dans toute fa beauté; être venu, expres pour Ia voir, & ne pouvoir en jouir;. perdre une pareille occafion peut-être pour toujours ; c'étoit une fituation dont je fentis 1'amen» tinne dans toute fa force. Je ne favois presque plus ce que je faifois; defespéré, je me tournois de tous cötés dans la voiture; enfin, rebuté de regarder fans rien voir, je fermai les yeux & dchai de fuppléer par mon imagination a ce qui étoit refufé a ma vue. G'est ainfi que j'arrivai a Mont Casfel fur le haut de la montagne, oü nous nous arrêtames quejque tems ; le brouillard y étoit fi épais, qu'on n'y voyoit pas a dix pas devant foi. Nous trouvames dans 1'auberge un Anglois qui déjeunoit & qui grondok; un Anglois qui gronde n'a pas la mine prévenante; ausfi eus-je honte de moimême en regardant fon air grogneur, & fa man-' vaife humeur fit pasfer la mienne. La pluie cependant ne disparut pas avec elle,. mais Ie brouillard s'éclaircit a méfure que nous defcendimes. Que vous dirai-je de cette defcen-  C 9* ) te, <\ui órtrit des objets trop intéresfans, trop variés pour une plume comme la mienne! Ellè fe fait plus infenfiblement, mais elle est encore plus belle que la montée. Ce font des champs & des prairies en pente; des bois entre deux; par-ci par-la des échappés de vue charmans; partout un fol riche & bien cultivé. Je fus vivement frappé de la magie de ce fpeftacle, & ne pus le voir fans émotion, malgré la pluie & lé ciel couvert. Defcendus de la montagne, nous trouvames la contrée toujours également belle, & moins platte que la partie de la Flandre trop uniforme, que nous avions traverfée jusqu'iei. Après avoir traverfé deux jolis villages, nous arrivames a Baiileul oü nous dinames. En pasfant dans notre auberge devant une porte ouverté, nous appercümes, dans une chambre a cöté de la notre, un homme avec un enfant & deux Dames de Valenciennes, dont une nous parut trés jolie. Elle excita dabord en nous la curiofité naturelle & indomptable, que nous avons de voir de près ce qui plak. Malheureufement il y avoit une cloifon entre deux. Mais que ne trouvent des yeux animés d'une curiofité, qui a ce fexe charmant pour objet ! Nous appercümes unè petite fente dans la cloifon, & trouvames moyen* cn écartant les planches, d'admirer a loifir cette jolie Francoife. Imaginez-vous le plaifir exquis qu'il y a de regarder ainfi {urüvement, la bou-  C 9* > cJ»-onverre, I'haleine retenue, 1'oeil devant un trou & le pied en fair: II n'y a point de femme qui ne gagne a être regardée ainfi. Celle-ci du moins nous parut.tres jolie, & furtout remplie de graces dans fon attitude & dans fes gestes; elle étoit excesfivement bianche, mais fa bouche étoit moins jolie que Ie reste de fa figure. Nous la vimes plus a notre aife peu après, Vaces a 1'enfant que nous agacames & qui vint jouer avec nous. . Baüleul est une ville ou un grand bourg, oh il fe fait beaucoup de dentelies, mais qui n'a d'ailleurs rien de remarquable. I>e Bailleul, qui est un peu éievé, nous defcendimes dans la vallée, oü nous eümes de nouveau un païs plat, qui continue ainfi jusqu'au dela de Lille, & qui est d'une fertilité admirable. U n'est pas posfible de voir un terrein donner de plus belles produftions, & furtout de voir de plus belles prairies, d'une herbe plus épaisfe, plus fine & plus douce. La pluie, qui avoit ranimé la végétation, ajoutoir encore a la beauté & a 1'éclat de fa verdure. Le bêtail y est plus grand «Sc plus beau que dans Ie reste de la Flandre, excepté a Furnes; mais ce qu'il a de remarquable la, comme ici, c'est qu'il est généraiement dans tous' ces endroits d'une couleur rousfe ou plutót biune, comme celle des ehevaux fauvages, & que cotte couleur, qu'on dédaigne chez nous, paroit  C 93 ) avoir ici Ia préference. J'ai fait 1'année pasfêê la même obfcrvation en France. Les maifons de païfans, excepté dans les villages, m'y parurent déja tenir un peu de eet air de mifere, qu'on ne leur trouve que trop communément dans les païs fous la domination Francoife, & qui est bien plus frappant encore dans la Picardic & dans le reste de la France proprement dite jusqu'a Paris. II est douloureux de voir de fi belles contrées gémir fous le monopole cc •fous la tyrannic des Fermiers Généraux, qu'on nomme publiquement dans la Cspitale les fangftóes de 1'Etat & du peuplc. C'est un plaifir de voyager en France, a caufe des postes bien règlécs & des belles routes. Cependant, quand la reflexion furvient, elle y mêle un peu de peine. II est asfurément trés agréable de courir grand train , par des allées iarges, bien plantëes, bien pavées & bien enirctenues; allant ordinairement tout droit d'un village k 1'autre, par les hauteurs & par les vallées , a travers un païs charmant, varié, fertile, & qui ravit la vue a chaque inftant: Mais cette fenfatron perd un peu de fon charme, dès qu'on fe rappelle, que le commencement de ces ouvrages véritablement grands & utiles a été un vol fait a l'agriculture & a la proprieté, puisqu'on n'a point payé le terrein; qu'ils ont été faits & font «ncore entretenus journellemcnt fous le nom de  C 94 ) forvées par les païfans , fans qu'ils en ïbienc payés, ce qui est un nouveau vol fait a leur tems précieux , la feule proprieté fouvcnt du jpurnalier agriculteur, déja vexé & opprimé dans ce païs-ci & fous ce finguiier gouvernement de mille autres manieres. Ce qui altere encore eruellernent le plaifir de voyager dans cepaïs, c'est la douleur qu'on resfent de voir raaltraiter les ehevaux avec une cruauté, qui fait faigner le coeur. C'est la coutumc générale a Paris. Cent fois, en pasfant le Pont-neuf, j'ai défiré d'être asfez fort pour pouvoir fouëtter a mon tour les coquins de voituriers, qui fouëttoient leurs ehevaux avec une barbarie enragée, dont on a peine a fe former une idéé; tandis que ces pauvres animaux tomboient a chaque pas fur le pavé glisfant, & ne pouvoient monter le Pont, paree que leur charge étoit trop péfante. On nomme cette Ville Venfer des che> vaux & le paradis des femmes. II est bien juste fans doute, que les femmes aient un paradis, puisqu'elles font le notre dans ce monde; elles devroient le trouver partout. Mais pourquoi notre cocher de Dunkerque devoit-il étendre eet enfer fi loin, & traiter en vrai Francois fes pauvrés ehevaux qui étoient Flamands, comme s'ils étoient Parifiens. Toute cette roüce est bordée d'ormes, entremélés de faules ététés & de peupliers blanc*;  ( 95 ) & la contrée parok en général bien pourvu'e de bois. Nous pasfames par Armentieres, qui n'est qu'a trois lieues de Lilie. C'est une jolie ville, fameufe par fes fabriques & fon marché de tolles. II y a de bonnes maifons, & la pierre de taille blanche & bleue parok y être asfez commune, Un peu avant d'y arriver, on traverfe la Lys fur un pont de pierre. De ce pont on a une vue charmante fur cette petite riviere, qui bordée de prairies plantées de • peupliers de Lombardie, & dans le lointain de joiies maifons de campagne , coule dans un vallon, & va tomber a Gand a quelques lieues de la dans 1'Escaut. C'est dar.s ces environs que commence la Flandre Wallonne, & dès lors nous n'entendimes plus parlcr la langue Flamande. Je fus un peu faché de devoirquitter ces bons Flamands; peuple franc, honncte & poli, mais d'une politesfe cordiale , & qui tient plus, je crois, de notre Nation, que les Walions, avec qui nous allons faire connoisfance. Nous arrivames enfin vers les fept heures du foir a Lillc. Cette ville est fituée au confluenc de deux petites rivieres, Tune nommée la haute & 1'autre la basfe Douille, qui s'étant unies fous le nom commun de Douille, vont tomber enfemble dans la Lys, un peu au desfous d'Armentieres. -Eüc est dans un païs plat, entourée de  C 96 ) prairies, & Mtie dans une terre grasfe qui, dans ce tems de phtie, rend Ie pavé crotteux & glisfant; & Ia ville a a eet égard, ainfi qu'a plufieurs autres, beaucoup de conformité avec Paris. II part tous les jours de Lille pour Douay & pour Ypres une Barque qu'on appelle Carrosfe d'eau. Elle communiqué & commerce ausfi par eau avec Courtray, Gand & plufieurs autres villes, & même avec Mons, d'oü elle tire beaucoup de charbon de terre. Ces dermers bateaux pasfent par Tournay. Le commerce de Lille est confidérable, & fieurit principalement par les manufactures en toiles, qu'on fabrique en grande partie dans les villages des environs, par celles en fils, en toiles peintes, en dentelles, en draps & autres étoffes de laine, en camelots & plufieurs autres, toutes fabriquées dans la ville. II s'y est établi ausfi depuis deux ans une manufacture de porcelaine, dont la terre fe trouve dans les environs, & dont la peinture, a ce qu'on nous a dit, est trés belle & approchante quelquefois de celle de Sevre. Nous nous fommes fait mener dabord h notre arrivée a la grande Place, dans 1'intention de nous loger a 1'Hötel de Bourbon, qu'on nous a recommandé, & qui pasfe pour le meilleur. Mais on n'a pas pu nous y recevoir, paree que 1'Ar,chiduc Ferdinand & 1'Archiduchesfe, qui doivent arriver  C 97 ) arriver ce foir d'Anvers ou de Gand, ont arrêté tous les appartemens de la maifon; deforte que nous avons été obligés d'aller a deux maifons de la a 1'Hötel Royal, oü nous n'avons pu avoir qu'un appartement de derrière, & oü je crois que nous ferons asfez mal. La grande Place est remplie de monde, tant de Militaires que de Bourgeois, qui attendent tous avec impatience 1'arrivée de l'Archiduc. Le canon est pret fur les remparts, pour le faluer a fon arrivée; on fonnera les cloches, & la Garde fcra fous les armes. Je me fuis promené environ une heure avec mon frere, pour le voir arriver; mais je 1'ai laisfé feul après cela, & me fuis enfermé ici pour continuer ma correspondance avec vous, qui m'étes bien plus cher que tous les Archiducs du monde. Adieu, je vais envoyer ce paquet a la Poste. On nous appelle pour venir fouper en bas dans le fallon; peutétre que nous y trouverons quelque étranger; mais hélas! ce ne fera point, comme a Bruges , une belle Angloife, comme celle qui est aprér fent au couvent d'Oscende. G  LETTRE V. Tournay, Mardi 29 (TAofit 1786. J^"ous foupames Dimanc'ne au foir, après vous avoir expédié ma Lettre, avec un Anglois, arrivé en deux jours de Paris. II commenca la converfation, & paria beaucoup pour un voyageüt de fa nation. Je le crouvai honnête & poli. On m'a dit depuis qu'il est commercant, & qu'il féjourne fouvent a Ostende. Neus pariames beaucoup de Paris, & il me parüt gouter peu cette ville. II parloit toujours de Londres & lè mettoit en parallele avec Paris; vous penfez. bien de quel cöté il faifoit pencher la balance. S'-il avok parlé de la campagne Angloife, je lui aurois volontiers donné gain de caufe: Mais •quoique je croie volontiers que Londres est hab'ké par une nation trés intéresfante a connoitre; qu'il est ausfi & peut-être plus riche, florisfant, industrieux & peupié que Paris; j'ai peine a croire néanmoins, qu'il renferme dans fen;fein un peuple ausfi gai, ausfi fociable, ausfi  C 99 > prévenant pour un voyageur, que cette derniere ville-, qu'il offre des objets de curiofité ausfi nombreux, des plaifirs ausfi variés; que 1'architeéture, la peinture, la fculpture & en général tous les beaux arts y fasfent a un dégré pareil les délices d'un amateur; qu'on y trouve tant de gout, tant d'urbanité, tant de politesfe ; enfin, j'ai peine k croire, que cette ville ifolée, n'étant point le point de réunion de toute 1'Europe par fa pofition, par fa langue & par fes modes, puisfe jamais être ausfi intéresfante pour un étranger, que la Capitale de la France. Quoiqu'il en foit, eet Anglois-ci me parut moins fingulier & moins fauvage, que la plupart de fes compatriotes qu'on rencontre en païs étranger. Ses affaires & fes fréquentes courfes dans le Continent lui ont fans doute öté cette originalité, qui caraélérife généralement fa nation, & qu'elle contrafte dans 1'fle ifolée qu'elle habite. L'Archiduc n'arriva qu'a onze heures du foir, & en véritable frere de l'Empereur, il refufa tous les honneurs. Le lendemain, hier, nous avons beaucoup couru par la ville, & vil tout ce que le tems nous a permis de voir de plus remarquable. Vous fentez bien qu'il n'est pas posfible de connoirre a fond dans le courc espace d'un jour un endroic comme celui-la. Lille est une trés belle & trés o-rande ville, qui paroit florisfante, & qui res« 9- -* " G a  C »öo) fcmble plus a Paris qu'aucune de celles que j'ai vues jusqu'apréfent. Elle esc bauê en partie en briques, & en partie en pierre de taille, qui y est asfez commune. Jen ai remarqué de trois especcs; Pune bleue, espece de grés, qui n'est pas fort belle, mais qui est trés dure & forme les fendemens de la plupart des 'maifons, même de briques; I'autre blanche & plus tendre, mais qui ie durcit a Pair; elle vient d'un village a une lieue de "k ville , fur le chemin de Tournay, oü l'on en trouve des bancs trés étendus fous terre; la troifieme espece est la bleue ou grifë', qui vient de Namur & de fes environs, & donc on fe 'ferc beaucoup chez nous & furtout en Hollande. La ville est bien pavée., & a plufieurs rues larges & bien .percées ; les plus belles font la rue Royale & cëlle nommée des Jéfuites; la première furtout est longue, bien alignée & ornée de plufieurs trés beaux hotels. Nous avons admiré, près de la grande Place, le nouveau Moment qu'on est occupé a conftruire pour la Comédie. Le dehors est achëvé ; mais Pintérieur n'est pas en ordre, & on n'y repréfente pas encore. Vet édifice paroit une imitation du nouveau Théatre Italien de Paris; "fa faeade est ornée de même d"un péristile de Tix colonnes ïoniques, furmonté d'un balcon de pierre-, cóirnne celui de k-Salie Fntncöiïe de  Ja même Ville. Les faces laterales on: chacune quatorze croifées , & font décorées de quatorze pilastres du même ordre; la facade de- derrière en a huit. Ce batiment est en général trés beau , & doit frapper ceux quln'ont. pas été plus ïoin. II est conftruit de pierre de taille blanche , peinte en jaune. Cette mode commence a gagner a Lille. On a nettoyé & on s'occupe encore a nettoyer plufieurs églifes cc hotels de pierre de taille, qu'on peint enfuite en jaune; ce qui leur donne un air de fraicheur & de nouveauté,. qui les distingue avantageufement.. On, entretient les maifons ausfi mal, & on les peint ausfi peu dans ce païs-ci, que dans la Fmnce & presque tous les autres païs de 1'Europe, excepté le notre & peut-être 1'Angleterre. La Hollande est le vrai paradis des peintres teintusiers; on y peint les maifons tous les trois ans, & ils n'ont qu'a y rester s'ils veu? ïent avoir de quoi vivre. Asfurément rien ne donne plus de reliëf & de parure a une maifon que la peinture; elle fait paroitre neuf,.ce qui est vieux; agréable pour un moment, ce qui est fans gout; &. la négligence a eet égard fait paroitre quelquefois mausfade le plus beau chef cföeuvre. On n'a qu'a voir a eet effet les palais, les églifes & les hotels de Paris, qui ne font pas tout-a-fait neufs.. Ces edifices, cent fois plus beaux. que tous les batimens de la liolG 3  C *0Z ) , lande, «5c dont Ia vue feule aggrandit lU & éleve 1'ame, ne laisfent pas de paroitre malpropres, «Sc d'avoir quelque chofc quidéplaït «Sc qui fait de Ia peine. Un ignorant de mauvais gout, qm ne fait pas démêler, a travers ces taches fuperficielles, la noble hardiesfe, les belles proportions & 1'ordonnance judicieufe de ces grands monumens, ne voit en eux que des masfes énormes de pierres mal entretenues «Sc noircies • «Sc leur préfere hautement des maifons petites, lLeres «Sc baties fans régies ni proportions, mais qui lont entretenues proprement, peintes foigneufement, ornées «Sc enjolivées avec une profuilon mesquine, qu'il prend pour de la magnificence oc du gout. II y a plufieurs grands batimens publics a Lile comme 1'Hótel de la cliambre des comptes; Hopital des foldats, qui a été ci devant le col! lege des Jéfuites, & quelques autres; Mais je ne yous parlerai que d'un feul, qui est le Magafin a bied des Etats. C'est un édifice immenfe, jresque de forme quarrée, trés vaste en dedans, & qui a trois cent foixante fix fenêtres asfez doignees 1 une de 1'autre. On peut y admirer ausfi plufieurs hotels particuliers «Sc quelques beaux portails d églifes, mais aucun d'une architeéture bien remarquable. ' Nous virr.es dans Ia grande églife ou collécar 11 "ï a PohK d'Evêque a Lille, &  cette ville est fous le resfort de celui deToumay, un fuperbe tombeau d'un Comte de Flandre^dont on n'a pu me dire le nom. On y volt plufieurs. autres ornemens trés riches, que je ne vous décrirai point, ces magnifkences faifant, fouvent beaucoup de plaifir k la vue, mais rarement h la leéture.. De cette églife nous allames a la parade, oü nous vimes 1'Archiduc. Ce Prince me parut un «ès bel homme, tant de figure que de taille. Je n'ai jamais vu. la pareille de fa queue, qui lui descend jusqu'au bas des cuisfes. .11 étoit trés fimplement vêtu, en frac gris a gros boutons» & en chapeau rond.. La parade me fit beaucoup de plaifir. Les. Troupes Franeoifes ont trés bonne mine, & font proprement habillées.. On ne peut voir de plus beaux .hommes manier les armes avec plus de rapidité & de bonne grace. Nous eu.mes encore occafion Ie foir. de voir a 1'Esplanade le régiment de Condé faire fes évolutions, en préfénce de PArchiduc &de 1'Archiduchesfe. Ils firent trés bien plufieurs manoeuvres, a ce que j'öuis dire a mon trere,. mais ils formerent mal leur ligne. Ils .«'excellent point a fe tenir, tranquilles, comme des automates, ou a prefènter les armes, comme des mannequins, qu'on met en mouvement par des ficellesv niais pour tout ce qui exige de 1'adresfe &. de la vivacité, ils font fuperieurs au C 4  C 104 ) dela de toute ïdée. Un corps de ces Troupes, en uniforme blanc , offre un trés beau coup d'oeii. Les foldats Francois font plus honnêtes & furtout beaucoup plus gais que les autres foldats que j'ai vus; ils ont 1'air de faire leur métier avec beaucoup de bonne volonté, «Sc il n'y paroit pas 1'ombre de contrainte. Dans les intervalles de repos, je les vis s'amufant a fauter, danfer «Sc chanter. Ils ont tous 1'air aifé, dégagé, leste, & un ton de bonne éducation, qui furprend infiniment un étranger. Sous les armes ils ont une contenance tres martiale. Chaque régiment a fon Maitre de danfe «Sc fon Maitrc d'armes. Le foldat d'Infanterie a fix fous (de France) par jour, «Sc une livre & demie de pain, qui est de froment «Sc meilleur que le notre; car un Francois n'aime point le pain de feigle, «Sc en confume trois fois plus qu'un Hollan'dois ou un Allemand, & fix fois plus qu'un Anglois. K y a en garnifon a Lille quatre régimens d'Infanterie , qui doivent être de douze cent hommes chacun, un de Cavallerie & un de Dragons. M. Soutreuil , Lieutenant Général «Sc Cordon rouge est aétuelicment Commandant de la ville; M. le Prince de Soubife en est Gouverneur,* mais il n'y étoit pas1. '. Nous eumes encore occafion ce même matin de voir une proccsfion «Sc la dédicace d'une églife. Quoique j'aie vu plus d'une fois a Paris des  C 105 ) foleinnités de cette espece, elles me font toujours grand plaifir, a caufe des cérémonies «Sc furtout de la belle mufique qui les accompagnent. Ce font des farces, il est vrai; mais des farces magnifiques, majestueufes «Sc impofantcs. Je me rappelle encore avec beaucoup de plaifir d'avoir vu, durant plus de trois heures, 1'Archevêque de Paris officier «Sc dire la grand-Mesfe le jour de Paques de Pannée pasfée. Cette Mesfe me parüt une des plus belles chofes qu'on put voir, «Sc la mufique en étoit ravisfante. L'aprèsdiné nous allames voir les tableaux «Sc autres curiofités des églifes. Nous vimes aux Capucins une defcente de croix de Rubens, plus petite que celle d'Anvers, mais trés belle; je n'avois jamais cru, que 1'image d'un corps mort püt faire tant de plaifir, «Sc paroitre fi beau; une préfentation de 1'enfant Jéfus a S. Francois; trés belle eopie de Rubens, mais violent anachronisme; «Sc 1'enfant Jéfus dans 1'étable, par un peintre dont on ignore le nom. Ce dernicr tableau nous parüt ausfi trés beau, quoique moindre que les deux autres «Sc furtout que le premier.' Dans 1'églife dédiée a S. Cathérine, nous vimes cette S.ainte fur le point d'être décapitée, & la paleur de la mort fur le vifage. Ce tableau, ausfi de Rubens, est fuperbe; mais il me parüt mal placé, dans un mauvais jour, «Sc pas asfez éclairé. Vous favez bien, que je ne fuis O 5  C Ï OÓ* ) pas oonnoisfeur en tableaux, que je n'ai aueunes prétentions a ce fujet, & que je ne nf ingere pas a décider de leur plus ou moins de beauté. Je vous fais-part fenlement en ceci, comme en toih te autre chofe, de 1'impresfion que les objets font fur moi; je vois -quejquefois tout autrement qu'un autre, & vous pourrez juger par vous-même de ma facon de voir, fi tót-ou-tard vous. entreprenez vous-même cette courfe. II est bien facheux pour moi en attendant, de n'avoir pas mieux étudié la Légende & 1'Histoire des Martyrs, & de ne pas être inilruit a fond de 1'histoire de ces Saints & de ces Saintes: on m'en a tant montré; une qu'on va décapiter ; un feeond qu'on tue a coups de flêche; un troi.fieme, qu'on regale encore d'une autre maniere; deforte que j'en fuis toujours reduit a faire des questions a mon conduaeur, & a découvrir mon ignorance a des perfonnes, .qui ne favent que cela, & qui confequemment penfent, que, quand oratie fait pas cela, on ne fait rien. Après avoir examiné ces tableaux, nous en allames voir un d'un autre genre, mais plus touchant. On nous mena a Ia Biéte, Couvent de Religieufes de 1'ordre de Saint Dominique, qui font toutes de familie noble, & payent dix mille livres a leur entree. Nous entrames dans 1'églife, pendant qu'elles chantoient 1'Office dans le Choeur, & nous resrames préferjs devant Ia gril-  X i°7 ) le durant tout le fervice. Nous les vimes chanter, fe baisfer, fe mettre a genoux, baifer la terre, fe relever, fe rasfeoir, «Sc repeter cette finguliere cérémonie plufieurs fois de fuite. • Cependant le filence «Sc la clarté lugubre de 1'églife, la vue de leur babillement bizarre & incommode, la connoisfance de la feverité de leur régie «Sc du desagrément de leurs occupations, ¥& dée furtout de les favoir privées des douceurs de la focieté, «Sc renfermées pour toute leur vie; quelques unes encore dans la fleur de leur age, & luttant peut-être avec defespoir contre la nature, étouffant douloureufement le cri de leur coeur détrompé, qui fe reproche fes voeux, qui gémit des privations forcées qu'il s'est impoiëes; toutes les impresfions «Sc ces idéés mélancoliques me troublerent, m'émurent par dégrés; je fenris un ferrement de coeur involontaire, «Sc je ne pus pourtant m'arracher de ce triste endroit. A la fin elles fe leverent toutes, s'avancerent deux a deux, & vinrent fe mettre a genoux justement devant la grille oü nous étions, a trois pas de nous, le vifage tourné de notre cöté, & vis-a-vis le maitre-autel, qui étoit a 1'autre bout de 1'églife. Comme elles ne venoient que deux H la fois, nous pümes les examiner toutes trés a notre aife. H n'y en avoit point de jolies, une feule cxceptée, qui avoit de la fraicheur. A genoux devant wei, je la fixai machmalemenc &  ( 108 ) fans reflexion; elle Ieva de même Ia tére pour regarder devant elle; mais en rencontrant mes yeux, elle baisfa incontinent les fiens, & fe remit a prier. C'est ainfi que tous les grands jours de fête cette cérémonie fe fait en public, & que 1'églife est ouverte pour tout le monde. Quelles idéés une jeune Religieufe ne doit-elle pas emporter, lorsque, après avoir vu ce fexe vers lequel la nature 1'entraime, mais quin'existe plus pour elle, elle rentre dans fa celluie folicaïre; & que la, livrée a elle même, elle s'abandonne k fes reflexions, qui ne peuvent être, a ce qu'il me femble, que tristes & que douloureufcs! Quelle farce! penfai-je en mor-même; & c'est pour une ausfi triste farce, qui ne fert a rien, qu'elles abandonnent leurs families, leur liberté, le monde & leurs plus doux penchans, & fe rendent presqu'entieremcnt inutiles a la facieté, dont elles auroient pu faire le charme. Et il ne faut pas croire qu'elles rachetent ces privations par des jouisfances d'une autre espece. Premierement, fongez k trente femmes enfermées enfemble, & figurez vous, fi vous le pouvez, • les tracasferies, les petites haines, les disputes fans fin, qu'une pareilie asfociation contre nature doit nécesfairement enfanter. Sa chez enfuite, qu'elles font obligées toutes les nuits, dans toutes les faifons, de fe lever a minuit, pour aller, pendant deux heures chanter & prier dans 1'églife.  ( 109 ) A fix heures & demie du matin, de nouveau lai même cérémonie ; la mesfe a onze heures; 1'après-diné, depuis quatre jusqu'a fix, encore la même chofe; & cela tous les jours de la viey point d'espoir d'un meilleur fort, point de terme que dans le tombeau. Ces Religieufes n'ofent jamais fortir. Quand elles veulent voir & parler quelqu'un, c'est dans' le parloir au travers d'une grille. Je fus curieux de voir ce parloir, que nous ne connoisfons chez nous que par les romans. C'est une grande falie, qu'une grille épaisfe fëpare en deux; deux moitiés de table, une de chaque cöté, fe joignent & femblent n'en faire qu'une. Je crois que la moitié mondaine de la table est fervie par le moyen d'un tour, par lequel on fe pasfe ce qu'on veut. C'est la que les Religieufes peqvenc diner & fe rejouir avec leurs amis. Mais quelle gaieté , quel plaifir peuvent-elles resfentir, ayant toujours devant les yeux , & touchant de la main a chaque inftant cette barrière fatale, qui ne cesfe de leur rappeller, fi elles pouvoient 1'oublier un feul moment, qu'elles font éternellement féparées du monde. Ce Couvent est trés riche; le batiment esc vaste & beau, & la porte de la cour magnifiquement dëcorée: mais qu'importe une belle entrée, quand il n'est pas permis d'en faire ufage! Ce &t donc avec une impresfion crès mélan»  C "O > colique, que je quittai ce triste féjour; & fi malheureuiément ces Religieufes avoient été plus jolies, je crois que j'aurois eu le coeur bien déchiré. Notre conducteur nous raconta en fortant, que peu de jours auparavant, une compagnie de Dames Angloifes étoit venue voir le Couvent; & qu'après s'être entretenues longtems avec une des Réligieufes, qui parloit leur lan.gue, elles avoient paru trés touchées, & étoient forties les larïnes aux yeux. . J'oublie presque de vous dire, que notre conducteur, après nous avoir fait voir quelques niaiferies ou foit-difantes curiofités du Couvent, nous conduifit & nous fit entrer dans une petite Chapelle, qui esc une imitation de celle de Notre Dame de Lorette ; elle est de la même grandeur, ornée de même, & lui resfemble parfaitcment a tous égards. On y voit la petite cheminée, & tout ce qui fe trouve dans 1'autre ; enfin toutes deux font exactement pareilles; il n'y a aucune différence, excepté que celle-ci n'est pas la veritable, & que les Anges ne 1'ont pas transportée par les airs. Au fortir de ce cloitre, nous allames a ce qu'on appelle la Nouvelle Avanture, a un quart de lieue hors de la ville. C'est une grande mailon, ouverte tous les foirs, au public, avec un beau jardin dans une jolie fituation. Les jours .de fête & les Diruanche le monde y fourmille.  C i» ) ön rrt'a' dit qu'on y a compte un jour quatre mille fix cent perfonnes; ce qui donne, s'il est vrai, une idéé asfez avantageufe de la population de Lille. Comme il étoit fête ausfi le jour que nous y' vinmes, nous y trouvames une grande foule. II y a une trés vaste falie dans la mai* fon, oü danfe qui veut; de la mufique & des loges- commodes tout autour avec des banquettes pour s'asfeoir & regarder. Ce fpeftacle nous amufa un moment, a caufe de la joye bruyante & générale, & du conftraste frappant avec celui qui venoit de nous émouvoir d'une autre maniere a la Biete. II y a dans cette maifon plufieurs petits cabinets pour y prendre des rafraichisfemens avec une compagnie; on en voit encore davantage dans- le jardin, qui est d'ailleurs trés agréable, trés grand, joliment planté, & percé d'allées & de petits fentters. On y jouit d'une grande liberté , & je crois qu'on peut par-fois s'y amufer trés bien. Ce jour-ik il n'y avoit que des bourgeois & des bourgeoifes, des foldats, des filles, & quelques Officiers, mais pas une feule femme comme il faut. Au reste pour s'-y bien amufer, il faut venir plus tard, & ce n'étoit pas encore le bon* moment. Rentrés en ville, nous fimes un petit tour fur lè rempart qui n'est pas beau, paree qu'il n'est pas planté d'arbrés; mais qui offre une belle vue fur la campagne. Delk nous fumes a i'Er».  C na ) planade voir 1'Exercice, dont je vous ai déja parlé; & nous pasfames après par la promenade publique, oü nous trouvames quelque beau monde. Cette promenade confiste en une allée trés large avec deux contre-allées, & ne me parut pas a beaucoup près fi belle que le Foorhout a la Haye. Après avoir vu toutes ces belles chofes, nous fimes encore quelques tours par la ville, & nous rentrames enfin chez nous bien fatigués. Nous n'avons pas eu le tems d'aller voir Ia manufacïure de porcelaine, mais nous avons vu aujourd'hui celle d'ici, qui est plus fameufe, par ce qu'elle est plus ancienne. Nous avons été asfez mal k notre Hötel, mais pas chcr. Si vous venez jamais a Lille, je vous confeille d'aller a 1'Hötel de Bourbon, oü l'on dit qu'on est fupérieurement bien, ce que 1'Archiduc faura mieux que nous. Le lendemain matin , qui est aujourd'hui, nous primes la Diligence pour aller a Tournay, k cinq lieues de Lille; trés charmés de pouvoir nous fervir' d'une voiture publique , qui quoique moins commode, est a plufieurs égards plus agréable qu'une voiture particuliere, a caufe de la compagnie mêlangée & fouvent plaifante qu'on y rencontre. On y trouve même quelquefois trés bonne compagnie, avec laquelle on parle du païs oü l'on va, & de celui que l'on quitte,  C »3 ) quitte; deforte qu'on abrége Ia route par Ia converfation, & qu'on s'inftruit en s'amufant. Nous y eumes celle de deux jolies Demoifek ks bourgeoifes de Tournay; d'un Francois natif de Normandie, entrepreneur des travaux du port de Dunkerque, qui alloit acheter a Tournay pour cinquante mille livres de chaux ; & de trois autres perfonnes , qui ne contribuerent guères a l'agrément de la focieté; deforte qu'avec nos gens, nous fümes a nous. dix dans la voiture. Ce Normand nous dit, qu'il avoit entrepris pour douze cent mille livres une partie des ouvrages de Dunkerque, qui doit être linie en deux ans; mais que le reste des ouvrages de ce port ne fera pas achevé en huit: ïl ajoura, qu'on compte ie même nombre d'années pour le port de Cherbourg. Ce Francois nous fit tant 1'éloge de la beauté & de la fertilité de fa Province de Normandie, que j'eüs peine a rester en place, & que je m'amulé déja dès apréfent a y voyager en idée. Vous fentez bien, qu'en compagnie de deux jolies Tournaifiennes, il eut été honteux de s'ennuyer, & même de faire beaucoup d'attention k la contrée. Je vous dirai donc fimplement, quelle m'a paru extrêmement belle; ékvée mais unie du cöté de Lille, un peu plus inégale «Sc plus montueufe pres de Tournay; mais partout un terrein trés ferrile «Sc trés bien cultivé.. H  C "4 ) Ce pais nVst pas fi beau cependantque celui entre Dunkerque & Lille, paree qu'il manque de paturages. A. une lieue de cette derniere ville, on traverfe un village, dont les maifons , comme dans les environs de Paris, font entiere* ment baties en pierres blanches, ou plntöt en tnoëllons; c'est-a-dire, en mofceaux irréguliers de pierre non taillée. C'est probablement des environs de eet endroit que Lille tire fa pierre blanche. Je ne 'voyage jamais en voiture par une belle coitrée^ fans regretter vivement de ne pouvoir aller k pied & parcourir le païs a droite & a gauche. C'est ainfi que j'ai fait, il y a environ deux ans, une grande partie de Ja route de Biuxellcs a Paris; ausfi me frappa-t'elle vivement, & y a-t'il plufieurs endroits, que je me rappelle encore fi bien-, qu'il me iemble que je pourrois les peindre. Ce trajet par la Diligence ne nous couta que douze francs, le bagage y compris. Notre cocher s'appelloit Lifidor, mais il avoit-, malgré etites éminences & de quelques collines plus  C "5 ) élevées, qui rendent fa pofition vraïment charmante. On appercoit a gauche, a une lieue de la ville, le mont de la Trinité, oü, li j'en avois eu le tems, j'aurois bien voulu aller jouir d'une belle vue. Nous arrivames avant midi a Tournay, & allames' loger a 1'Hötel de 1'lmperatrice, oü nous dinames a table d'höte, avec notre Normand de la Diligence, un Lieutenant Colonel de la garnifon , & deux autres Mcsfieurs. J'aime beaucoup les tables d'höte. S'il n'y a pas toujours dequoi faire une converfation agréable, il y a dumoins de quoi fe taire, écouter & s'amufer des ridicules qu'on voit, ou des fottifes qu'on entend. Ce fut bien la notre cas aujourd'hui. Notre Officier, homme déja d'un certain age, mangea beaucoup, but copieufement, & babilla encore davantage. II paria de tout h tort & a travers; c'étoient des vanteries & des fanfaronnades trop grosfieres, pour valoic la peine d'être relevées; il favoit tout, & la feule connoisfance, dont il me parut ne vouloir pas faire parade dans fes discours, fut celle de la vérité. II commenca par la campagne qu'il avoit faite 1'année pasfée en Hollande, & dont jl nous asfura être revenu en parfaite fanté, malgré 1'air malfain de ce païs; il parcourüt enfuite presque tous les païs de 1'Europe, & a la. fin du desfert il arriva en Chine; & cela fi finHa >  gülierement 5c fi fubïterhenr, , que fious n'y tinmes plus: toute la compagnie 'fe leva en fe ïegardant & en riant, 6c 4e laisfa feul avec fa. bonne amie fa bouteille. Vous me .permettrez de ne faire mention-, c-u'en peu de 'móts,-de ce "que j'ai vu de plus remarquable ici, le "tems me manquant abfölument, pour vous en entretenir en détail, & notre féjour n'y ayant été que d'un aprèsdiné. La ville de Tournay, comme vous favez, est une des plus anciennes des Païs-Bas. Ün Roi de France de la première race, nómmé Chilpcric-, y est enterré. Elle est pasfablement jolie, a quelques rues asfez belles, & quelques beaux hotels qui ont de farchiteclure. .Je crois que Véglife de Saint Martin est la feule, qui ait un portail'qui foit quelque chofe. Il est lur, que quand on vient de Lille, on voit Tournay a föït desavantage. "Ses rues ne font pas fi bien pavees que 'celles -des autres villes des Païs-Bas. La 'pierre de taille y est .presque ausfi commune qu'a Lille, mais il n'y en a que de bleue ou de grife; Tune qui vient des environs, & dont öii 'fait d'excéïïente chaux qui est renommée; 1'autre qui vient de Kamur, & qui est la meilleurc 'Les fondemens de presque toutes let maifons font en pierre. Tournay n'a point de manufaemres de toiles ©ü de dentélïes, h& fon principal commerce est  C 117 5 de, confommation, quoiqu'il y pasfe,- quelques Bateaux; qui vont a Lille». Elle n'êst guèxes wfvante ; cependant 1'Escaut, qui Ia traverfe, lui donne quelque mouvement. Son quay feroit beau, s'il y avoit de plus belles maifons. II est revêtu en pierre de taille, bordée en grande partie d'une belle balustrade de fer, & plantée d'arbres d'un bout k 1'autre» On a ici une fa•jon de blanchir les maifons en dehors, qui fait trés bel effet, & qui, k ce qu'on dit , rcfiste, même pour la couleur, aux.injures de 1'air.. La Catbédrale & les autres églifes font and* ques & gothiques. La première a quatre tours, &. une espece de tojt qui peut tenir lieu de cinqieme; mais le tout trés gothique, en pierre bleue , grosiïerement arrangée. En dedans , elle est magnifiquement décorée de marbres de diverfes couleurs, en colonnes, pilastresv balustrades, frames & autres ornemens de ce genre. Le maitre autel est d'une grande richesfe, & cette églife mérite en général d'être vue i mais faites moi grace, je vous prie, de la defcription '% je m'en fens abfolunient; incapablei, , J'y ai remarqué deux beaux tableaux de Rubens, le purgatoire, & la mort des Machabées; un autre repréfentant Saint André, qui. irnite* fi bienIe bas reliëf, qu'on s'y tromperoit, par un M.„ Gérard, Anverfois, je crois encore vivant. On, tous y montre ausfi deux belles pieces de van: H 3  C 118 ) Eek, & quelques autres moins rcinarquables. Le vaisfeau de cette églife est vaste & trés beau: Je ne me fouviens pas den avoir vu une ausfi longue que celle-ci, mais il me femble 'qu'elle n'est pas large a proportion. Nous allames voir enfuite 1'Abbaye de S. Martin. La maifon de 1'Abbé est grande, belle , neuve, & furpasfe les plus beaux hotels de la ville. Cette dignité est vacante depuis trois ans; on avoit la coutume auparavant de nommer un fuccesfeur parmi les Religieux du Couvent; mais 1'Empereur a défendu de proceder a une nouvelle éleclion fans fon ordre. La même défenfe a été faite dans toutes les Abbayes des Païs-Bas, & il y en a déja par la grand norabre de vacantes. On craint beaucoup qu'il ne veuüle leur envoyer des Abbés commendataires, ou les abolir tout-a-fait. II n'y a pas encore touché jusqu'ici; ce n'est pas fans doute qu'il ne convoite ces riches proyes; mais les Etats de ces Provinces lui ont fait de fi fortes repréfentations a ce fujet, qu'on fe flatte qu'il s'arrêtera dans fes reformes, ou plutót dans fes plllages. Cette Abbaye de Saint Martin est trés riche. L'églife est fuperbe & d'une belle architeéture moderne. Louis XIV. en a pofé la première pierre en 1673, lorsqu'il étoit encore maitre de Tournay. Le Tabernacle est de la plus grande  > tnagnifïcenee, ainfi que toute Féglifè. On vous y montre plufieurs chappes brodées trés richement, & qui furcnt un prefent du même Monarque. On y voit ausfi un tableau de Rubens, ou du moins qui porte fon nom, c'est. 1'adoracion des Mages; ainfi qu'un autre de Jordans, remarquable furtout par une porte, qui parok fe fermer, lorsqu'on pasfe devant le tableau,. & s'ouvrir, lorsqu'on revient fur fes pas.. Cette illufion est complette & furprenante. Je ne puis m'empêcher de remarquer ici, que fi tous les tableaux qui pasfent pour être de Rubens , font véritablement de lui, on feroit presque tenté de croire, que ee celébre Artiste a eu autant de mains qu'un autre a de doigts.. Outre ceux qu'on trouve dans les nombreux cabinets des Princes & des Amateurs, toutes les. innombrables églifes des Païs-Bas en font rernplies. S'ils ne font pas en grande partie, com ■ me il faut le croire, des produótions de fes disciples, asfurément ce grand homme est encore moins admirable par la beauté de fes ouvrages, que par leur nombre. De cette Abbaye nous allames k la Ckadelle, ou plutót a ' 1'endroit oü elle fut autrefois -, car elle est démolie aftuellement. On y allignc le terrein, pour y percer des rues, & fans doute pour y batir des maifons; pourvu qu'il fe trouve feulement des perfonnes pour les habker, puis, H 4  qu'il m'a paru que la ville peut trés bien conté* nir fes habitans. Au reste, reflexion faite, il le peut aifément, que je juge avec beaucoup trop de précipitation; car nous fommes dans une failon, oü tout le monde est a la campagne, & oü les villes font moins vivantes qu'en hiver. Que diroit un étranger, qui vicndroit au milieu de 1'été dans deux de nos Capitales Gueldroifes? D'un autre cóté, il n'est pas moins vrai, que ce n'est principalement que le beau monde qui foic abfent dans cette faifon, & que toute ville véritablement florisfaiKe, c'est-a-dire, qui a du com-, mcrce ou des manufaéturcs, doit avoir du mouvement dans toutes les faifons; deforte que tout ce qu'on en peut conclure, c'est que nos deux villes Gueldroifes font ausfi peu florisfantes que celle-ci. De 1'élevation , oü étoit la Citadelle , je pus jetter la vue fur tous les environs de la ville, & je fus charmé de leur beauté. . Nous avons été voir ausfi la Fabrique de porcelaine , que nous avons examinée, autant que le tems nous 1'a permis. Eile a asfez de reputation, comme vous favez; mais la peinture,, toujours en bleu, m'en paroit un peu trop uniforme & trop fimple. Nous avons , felon notre coutume, parcouru la rille, ausfi longtems qu'il a fait jour, & après être rentré, je me fuis mis dabord a vous écrire; Adieu.  (Ifrl > LETTRE VI. Namur, Jeudi 31 eTJoïlt 178 6. N ous avons été trés bïen & a un prix trés bonnête a Tournay, a 1'Hötel de 1'Imperatrice, dont nous avons trouvq 1'Höte & 1'Hötesfe ex-r trêmemcnt polis. Nous quittames cette ville hier matin , mais nous eümes encore, avant noitre départ, un petit démêlé asfez plaifant. Le foir de la veille, nous avions été nous mêmes chez la Directrice du Bureau de la Diligence de Bruxelles, & nous y avions arrêté quatre places jusqu'a Ath; mais pour être plus furs de notre fait, nous en avions payé cinq; paree que fans cette précaution, comme nous ne les prenions que pour une partie de la route, ceux qui feroient venus aprés nous pour les arrêter jusqu'i Bruxelles, nous auroient été préferés. Lorsque nous arrivames le matin au Bureau, nous trouvames la Diligence déja remplie, & une chaife a quatre places & a un cheval préparée pour nous, qui fuivroit la grande voiture, H 5  mais que nous devrions mcncr nous mêmes; ce qui promettoit déja une befogne asfez desagréable, & ne nous plut guères. Cependant la patience, cette compagne fi nécesfiiire des voyageurs, nous engagea a nous y placer, comme fi nous avions été parfaitement contens. Mais lorsqu'il fut question de partir, notre cheval fe mit a reculer & a fe cabrer; & il n'y eüt pas moycn de le faire avancer, quelque peine que nous nous donnames. II n'en fallut pas tant, pour allümér le feu qui couvoit fous la cendre. Mort frere fürieux faute de la voiture, je m'éhncc après lui; nöüs entrons tous deux trés en colcre dans la maifon, fermemcnt détennincs a nous faire rendre notre argent, ou a avoir une autre voiture avec un conducteur. On reveille Mad. la Directrice, qui dormoit encore, ar il tfétoit que cinq heures; elle fc leve en hate, vient k nous, dans le plus grand négligé, a pdnc ij demi-habillée, dans fe fimple appareit, ü 'une beauté tjitón vient cTarracher au JbmmeiL Effectivement, c'étoit une beauté. Elle avoit un peu trop d'embonpoint, mais beaucoup de fraicheur, une belle bouche & un fourife charmant. Nous grondames beaucoup & longtems; elle dit fes raifons enfuite, pretendit que nous  C i»3 ) avions grand, tort de nous lacher, & paria toujours en fouriant. Cependant ne gagnant rien, malgré fon fourire, paree que fes raifons étoient mauvaifes, elle commenca k fe facher a fon tour; mais fa colere même étoit mélée de tant de douceur, que je fentis mon coeur s'amollir par degrés; fon fourire cVïe desordre de fon habillement acheverent de me toucher, & ma colere n'y put tenir. Mon frere refista mieux. La disputc fut longue & vive. Enfin, nous finimes, elle , par nous rendre 1'argent de la cinquieme place, & par nous donner un autre cheval; nous, par nous refoudre a nous remettre dans la même ehaife, & a la faire conduire par un de nos Domestiques. C'est ainfi que nous quittames Tournay, & qu'après avoir bientöt ratrappé la Diligence, nous arrivames a Leuze ausfuöt qu'elle. Nous vimes fur la route près de la ville trois. anciens forts démolis. La contrée étoit belle; nous avions a notre gauche Ie mont de la Trinité & de fuperbes coteaux, ombragés d'arbres,, & s'élevant en amphithéatre au desfus de la plaine cultivée que nous traverfions. A notre droite le païs n'étoit pas moins beau ; mais une petite pluie froide & percante, que Ie vent du Midi nous chasfok dans la figure, ötoit un peu de 1'agrément de notre ehaife ouverte, & de 1'ehchantement du païfage.  t 12.4- ) . Cependaat, en vraisphilofophes, nous tacharaes.. d'être gais & contens, facharit, que co mme ïa vie esc un melange de biens & de maux, les voyages fonc un melange de plaifirs & de peines. Je me n.ppellai d'un cöté, qu'a la vérité on nous avoit pris nos montres a Ostende; que nous avions pasfé Mont-Casfel par un brouillard épais; que le tems depuis quelques, jours s'étoit mis en» tieremenc k la pluie; qu'au mois. d'Aoüt, nous avions un froid du mois de Novembre; & que nous avipns commencé la journée par nous quereller pour une vieilfe ehaife & un mauvais cheyaj, qui ne valoient pas quatre escalins: Mais je me fouvins ausfi d'un autre cóté, que nous avions rencontré une charmante Angloife; que nous avions toujours joui d'une parfaite fanté; que nous édons gais & contens; quèn me pre' nant ma montre, on avoit bien voulu me laisfér ma bourfe; que jusqu'a Dunkerque nous avions eu le plus beau tems du monde , ce qui avoit rendu notre trajet en barques extrêmement agréable; que s'il faifoit plus chaud, nous ne pourrions pas courir comme nous faifions, & nous. nous échaufferions davantage; enfin que dans la feule dispute, que nous avions eue durant toute notre courfe, nous avions encore eu le plaifir d'avoir affaire k une belle femme; deforte que tout bien péfé , &. confidérant les chofes du meilleur cóté, nous avions encore raifon d'être  c 1*5 y contens. ' II me femble qu'on fait mal de fe . chagriner longtems de malheurs ou de desagrétnens , auxquels le chagrin ne peut apporter aucun foulagement. II est de notre nature de donner quelque chofe au premier moment; c'est ainfi que lorsque nous perdimes nos montres, nous ne rimes dabord que du bout des lêvres; mais l'infiant d'après, ce fut de bon coeur, «5c nous fumes bientót' confolés. II n'y a que les peines du coeur, qui ne fe guérisfent point dès qu'on le fouhaite; il faut que cela vienne dé foi-même, s'il est posfible, «Sc que le tems amene le confolation. Quelle digresfion, «Sc cela a propos d'une petite plüie! mais vous avez commencé ma correspondance, il faut la fouteoir jusqu'aü bout, quelqu'ennuyeufe qu'elle devlenne. Peu après être forti de Tournay, on entre dans la Province de Haynaut. Leuze est un trés joli bourg, a trois lieues de Tournay, «Sc h la même distance d'Ath. C'est la que nous tombames dans la grande route de Bruxelles a Paris, que nous continuames jusqu'a Ath, «Sc que j'ai faite deux fois, en compagnie ou dans des circonftances qu'on n'oublie guères. A mon retour de Paris, j'ai couché k Leuze. II parok y avoir quelque commerce dans eet endroit, furjout en tabac. ' Entre Leuze «Sc Ath le -pais Öevient plu*  c \ montueux, & en même tems plus pittoresque. Je ne vous en dépeindrai point la beauté, elle est au desfus de mon pinceau. La pofition de la ville d'Ath est ravisfante, Située dans un jolt vallon s entourée de collines de hauteur inégale, toutes culdvées, riantes, couvertes de maifons & d'arbres épars; elle délecte la vue & enchante 1'imagination. Pour la villé, elle n'est plus rien. La malédiétion, qui paroit s'êtrc étendue fur toutes les villes Impériales de ce païs, s'est appéfantie fur celle-ci 5 elle a perdu jusqu'aux moindres restes de cette fplendeur, qui a distingué autrefois toutes les villes de ces belles contrées. Elle a pourtant encore quelque commerce tranfitoire, par fa fituation fur la riviere de. Tenre ou Dender , qui tombe dans PEscaut a Dendermonde, & qui a fa fource prés de la grande route entre Mons & Ath. J'ai pasfé ausfi une nuk dans cette ville, lorsque je^ partis pour Paris; & j'ai eu tout Ie tems de men bien resfouvenir, pendant les trois heures, que nous avons été obligés de nous y arrêter apréfent. Nous trouvames enfin moyen, pour vfngt & quatre escalins de Brabant, de nous y procuref une voiture a deux ehevaux pour nous mener a Mons, qui n'en est qu'a cinq petites lieues. Le païs entre ces deux villes -est élevé & montueux & le chemin monte & descend conti-  ( 127 ) ouellement. II n'y a point de hayes comme dans la Flandre; Nos yeux s'étendirent a perte de vue fur une plaine. immenfe, inégale & fertile, coupée par des hauteurs & des. bas fonds, qui nous firent appercevojr quelquefois la pointe d'un clocher, dont 1'églife étoic cachée dans la vallée, & nous procurerent plufieurs autres points de vue intéresfans. Dans un demi lontain fé gréfentoient de jolies. maifons de plaifance, agrér a'blement fituées fur le penchant .des coteaux; mes défirs voloient vers elles, & vers les jardins & bosquets, dont mon imagination les erabellisfoit d'avance. Des allées, des touffes épaisfes de bois & d'immenfes forêts bornoient au loin cette vaste plaine; En flattant ma vue, ils piquoient ma curiofité, & renouvelloient mon chagrin d'être cloué dans une voiture, qui.m'empêchoit de tout voir de près. Le fol de ce pais est une espece de terre grasfe, ausfi bien au fommet des coteaux que dans le fond des vallées ; mais une circonitance rend ce païs dans cette faifon moins beau que celui entre Lille «Sc Dunkerque, c'est que, comme il a peu de prairies, 1'oeil ne découvre après .la moisfon, qu'une campagne nue & peu variée, malgré 1'inégalité pittoresque du terrein. On voyoit pourtant encore par-ci par-la des avoines-, des feves, des navets, des .carottes, deschoux,  C n.8 ) & des champs entiers de trefle 6c de luzerne; mais point de pommes de terre. . Nous rencontrames fur cette route une quantité de chariots chargés de houitie, qui ailoient de Mons k Ath, ou on les embarque pour plufieurs villes des Païs Eas, probablemenc ausfi pour la Holiande. A une lieue de Mons, nous traverfames un petit espace de terrein inculte & couvert de bruyere, dont je ne fais mention, qne paree que c'est un phenoméne dans ce païs; & près de la un grand bois, que j'ai cru être la pointe de la foret de Soignies. Un peu plus loin le païs baisfe, & nous vimes tout-a-coup la ville de Mons a nos pieds. Lorsque nous lumes defcendus de la montague, nous nous trouvames dans un vallon riant, resferré de tous cötés par des collines, enrichi de prairies fertiles, & arrofé par la petite riviere de Hayne, qui donne fon nom a la Province, & qui tombe près de Condé, a quelques lieues de Ia, dans PEscaur. A 1'autre cöté de ce vallon étroit fe voit, appuiée fur la montagne oppofée, Ia ville de Mons, oü nous arrivames enfin environ vers les quatre heures. Nous dinames dabord, & parcourumes la ville pendant le reste de Ia journée. Elle m'a paru pasfablement grande Sc asfez jolie, bdtie h peu près comme Tournay, mais beaucoup plus vi- vante  ( 129 ) vante & plu9 gaye. Je n'aipasfé que tres peu de tems dans chacune de ces deux villes , & je ne les connois guères; s'il me falloit cependant décidcr, dans la quelle des deux je préfererois de demeurcr, ma reiblution feroit bientót prifé, & je choilirois Mons fans balancer. Les églifes ne manquent pas dans cette ville. Celle des Dominicains m'a paru belle. La grande églife, oü je n'ai été qu'un moment, est riche & trés vaste; fes gros piiiers de pierre bleue, & fes voutes en briques fans platre lui donnent un caractere fombre & majestueux, qui impofe & ne déplait pas dans un femblable édifice. Toutes les autres églifes étoient fermées, fans doute paree qu'il étoit tard. A ce qu'on nous a dit, il y a trés peu de chofes intéresfantes a voir a Mons. Nous avons beaucoup parcouru les rues & furtout les remparts, pour connoitre le local. Ils font trés agréables, bien plantés, bien ombragés, mais charmans furtout paria belle vue qu'ils donnent fur la campagne pittoresque d'alentour. Mon ami, fi vous voulez être ravi, enchanté, enlevé , extafié; partez de chez vous, courez a Mons, volez y fur les remparts, jettez la vue fur les environs, & vous ferez plus que tout cela. Nous avons été bien & a trés bon^compte a •la Couronne Impériale. Nous en fommes parti» I  C 130 ) 'ttüjourri'htiï de trés grand matin, en ehaife de poste a quatre places & a deux ehevaux, que nous avons accordée jusqua Namur, a quinze 'Keues de Mons , pour deux Louis. C'est rout '••ce qu'il nous a été poslible d'-avoir a plus bas 'prix, après avoir été chez quatre différens voi'tuners. II n'y a point d'endroit oü nous nous 'fbyons donné tant de peine pour avoir une vo'vture, & oü on ait plus taché de nous tromper. Nous n'avons pas pris la chausfée ou la gran'de route qui pasfe par Nivelle, paree qu'elle est plus longue , & que nous la fuppofions Htfïóirra agréable; & nous ayons preferé d'aller le chemin de terre. Ah, mon ami! plus j'avance dans ce païs-ci, plus je lens que 1'expresfion me manque, non ■feulement pour veus en dépeindre la beauté & Ia fingularité, mais pour vous donner feulement une 'idéé des fenfations délicieufes qu'il me fait éprou'vcr. La contrée entre ces deux villes est extrè•niement montueufe, en quelques endroits pier' reufe, en d'autres plus fertiie; mais partout trés différente dc -ce que j'ai vu jusqu'ici dans cette courfe. Près de Mons, nous rencontrames une 'grande quantkë de petits chariots , attelés de *üx, lept a huk chiens, qui alloient chercher du fable deux lieues loin. A Binche, petite ville a krois lieues de Mons, laide, majs trés fingulieHWawit ütuée, nous- primes un chemin de traver-  fe i & c'esr afors funottr que tesfe : C'est un païs impofant & majestueus", moins. festile, mais plus frappant, & dont elle a tracé le plan d'une main plus hardie. Cesf la contrée des poëres & des peihtres; «Sc je dou> te que l'imagination la plus variée & la plus vive puisfe inventer des païfages plus pittoresques que ceiTX que nous vimes aujourd'hui Nout allames toujours par monts & par vaux; le che« min nous conduisfit quelquefois par des fentiers trés étroits entre les gorges des montagnes, & je crois que nous ne vimes pas- dix toifes de ter* rein uni dans tout ce païs. Imaginez-vous, fi vous fe pouvez, trn grand" espace de terrein, fur lequel on ait enta'sfé pêle mêle & repandu comme par hafard dcï mon^ tagnes cultivées, des montagnes couvertes de bois, des rochers, de petits vallons irréguliers, des champs labourës, des prairies, des arbres, des buisfons, des villes,. des villages, des. chav teaux, des maifons, de petites rivieres, des ruisfeaux, des moulins; & vous aurez quelque idéé de la belle apparence de desordre de eet intéresfani païs. Si le eiel avoit été plus clairy I a  Jt ï 3 a ) & *fi le foleil avoit encore embeHi de fes rayons cette romantique contrée, le fpeétacle en aurok été trop magnifique, & nous auriens eu trop de peine a le quitter. Mon imaginatie*, émue par les tableaux ricfaes & variés qui fe fuecédoient fans relache, megara délicieuferaent pendant toute cette route dans les plus agréables réverics, & prêca un intérét plus vif encore a ces i'rappantes beautés de la Nature. C'étek, comme je 1'ai dit, le véritable païs de l'imagination & de la poene, & il me femble que tous les habitans d'un .pareil canton devroient -avoir un Jangage plus relevé que 1'ordinaire, animéparles images fublimes ou riantes que la Nature leur «fi're de tous -cötés. Leur patois ni leur figure n'ont cependant rien de bien distingué; & fi la Nature les a fait poëtes , elle en a fait des poëtes de trés mauvaife mine. • II peut faire trés froid dans ee beau peis; nous en fumes tranfis toute la journée; il y avoit beaucoup de vent, & le tems étoit détesxable. -Des bourasques de pluie. nous obligeoient a chaque inflant de lever la coëffe de notre ehaife , oü nous érions alors enfoncés fans rien voir ; & quand la pluie eesfée oous permettoit de la baisfer, un ciel fombre & couvert nous voiloic les plus beaux points de vue, & obfeurcisfoit même les objets près de nous, qui auroient recu le plus grand éclat de la Jumiere brillante du  C *33 ) foleil. Admirez, je vous prie, notre 'malheur; & avouez qu'avec toute la philofophie du: monde, il étoit imposfible a un amateur ■ ausfi pasfionné que moi des belles fituatións ,. de ne pas fe défoler pendant quelques momens de contretems fi facheux & qui devenoient fi fréquens. Les richesfes de ce beau- terrein ne fe bornent point a fa furface; Hntérieur de la terre produit de la chaux, dn charbon de terre & de la belle pierre, furtout pres de Namur. Nous dinames a Gosfeliers, asfez joli bourg a moitié chemin, faifant partie du Brabant, quoique fur leseonfins du Haynant & du Namurois. 11 n'estqu'a une lieue-de Charleroi, dans un canton fameux par la? houille qu'il produit. Si j'en avois eu le tems, & fi la pluie Favoit permis, j'aurois bien vouiu aller voir, a une demie lieue de la , les fosfes d'oü on latire, profondes, a ce qu'on m'a dit, de quatre fois la hauteur du clöcher de Fendroit. La fituation de ce petit bourg est ausfi fingulierc que celle du reste dui païs. Le pasfage continuel d'une multitude de chariots chargés de'dif-' férentes marchandifes & furtout de houille, lui donne beaucoup de mouvement, mais rerict en même tems les rues presque impraticables dans ce tems de pluie, par la boue épaisfc &. noire dont ils couvrent le pavé. Nous y remarquames plufieurs couteliers. Notre diné, quoiqu'asfez mauvais, fut meilleur que nous n'avions. I 3  4isa <Öe ,1'attendre .dlune auherge de fi peu d'apJjparence. Après avoir rafrakhi nos ehevaux * Fieurus, f>etite ville a ;trois lieues de .Gosfeliers, nous . ^ourfuivimes notre route dans un païs sou]ours également beau, & .courumes quelque .tems dans «ne grande plaine, que }e ne croyois pas ;fi éleHés, .lorsque iour a .coup s'ofTrit a nos pieds uo vallon étroit & fi profond,, .qu'il resferabloit :beauco.up «a un précipice. Nous descendimes .asfez rapidemenr par un petit chemin tortueux, ««reufé dans le rocher, ,& nous étions presque ;parvenus a .Ia moieié de la defcente, quand nous .appercümes dans le fond du vallon un petit vUiage, avec fon églife & fon clocher, .qui vue de la ne nous parüt pas plus grande qu'une eabane. Le fond de notre chemin étoit .-du roe, ainfi que les có.tés, qui fembloient deux murailles ; mais ce fond de roche étoit fi inégal, ,.que -notre voiture légere jnenacoit ,a .chaque «irjfcmt de verfer. Ce n'étoit pas la première fois, que .nous courumes ce danger aujourd'hui, dans notre chemin de traverfe,; mais ce chemin étoit en même rems fi fingulier .& fi beau, qu'il me parut .doux d'être en danger i ce prix. Nous étions a peine defcendus dans cette .espke de précipice, que nous remontames; il n'avoit pas deux cent pas. de largeur,, & étoit :de tous cöcés entouré de rochers. Je flVec une Mms*  C 135 ) mêlee dc transport, les pointes grifès de rochenue i pareer it travers 1'herbc verte & tendre , & sclever au milieu des vergers couverts d'arbres fruitiers, des prairies, des erefles, des avoincs & des autres produeïions, dont ie nature recompenfe le travail industrieux des pauvres villageois, qui habitent ce délicieux coin de terre. Cc village s'appelle Ounay. S'il n'y avoir dans eet endroie pktoresque qu'une feule habitation , & point de route qui le traverfat:, il feroit difficile, pouc un hom me dégouté du monde, de trouver quelque part un afyle plus écarté., une retraite plus folitairc. A une lieue 6c demie de Namur nous attcignf mes la chausfée qui vient de Bruxelles. Le pavé n'est pas ausfi bien entretenu dans les EtatsImpériaux que dans les Etats Franeois. Nous vime3 portcr la chaux fur les champs en guifè d'engrais, coutumc générale que nous avons obfèrvée depuis Lille. Nous vimes ausfi iémer du froment,. ce qui me parut asfez fingulicr au mois d'Aoüt, mais je me fouvins alors que, même dix jours auparavant,. j'avois vu femer du fcigle dans la Baronnie de Bréda, & qu'on ra'y avoit dit, que c'étoit la coutume générale dans ce païs de femer fi tot. Chez nous on croiroit tout gaté. II est linguiier que les coutumes même en agricujture varient tellement d'un endroit a 1'autre, que chacun croit iiiivre nou feul 4  C 136 3 lement la meilleure , mais même Ia fcule bonne méthode, & que Tune réusfic ausfi bien que 1'autre. Arrivés a la vue de Namur, nous eümes de nouveau un fuperbe fpeétecle. Quelques belles fituations que nous ayons déja rencontrées, nous n'en avons pas encore vu d'ausfi frappantes que celle de cette ville. Je crains de vous ennuyer par ces éternelles repétitions de belles fituations & de belles vues; mais dans un païs comme celuici , & avec une tête romanesque comme la mienne, il ne m'est pas posfible de m'en taire; foyez fur que je ne vous ai pas exprimé la huitieme partie de ce que j'ai fenti. Je me bornerai donc a vous dire en peu de mots, que du fommêt d'une hauteur beaucoup plus élevée que nos plus hautes collines, nous vimes la ville de Namur dans le fond d'une étroite vallée, au eonfluent de la Meufe & de la Sambre, & comme enfevelie dans les montagnes qui 1'environnent de toutes parts. C'est dans ce point de vue que je vous laisferai, a caufe du départ de la Poste. Soyet fur, qu'arrivé k Liege, je continuerai a vous faire part de la fuite de notre voyage. Adieu.  C 137 5 LETTRE VII. Liege, Samedi a de Septembrc 1786. N ous allames loger k Namur k 1'Hötel de Hollande, oü nous fumes trés bien recus, & même acceuillis avec beaucoup de distinclion ■ & de cordialité , dès qu'on fut que nous avions 1'honneur d'être Hollandois. On paroit conferver dans cette ville un grand foible pour notre Nation , & plus grand même qu'auparavant; on ne connoit fouvent le prix des biens, que lorsqu'on les a perdus. Cet attachement pour les Hollandois nous esc revenu de toutes parts; mais nous fumes furtout frappés de la converfation de la fervante, qui en nous couvrant la table & nous fervant au fouper, témoigna tant d'envie de caufer, jointe k une fi jolie tournure dans fes expresfions, que nous fumes charmés de lui faire des questions & de 1'écouter. Elle nous asfura, que les Hollandois étoient excesfivement regrettés dans la ville, qui dépérisfoit a vue d'oeii depuis leur I 5  C 13.3 x déparc; que nos Troupes, & furtout nos O.Hciers dépenfoient dix fois plus que les Troupes Autrichiennes, dont la garnifon d'ailleurs y est peu nombrcufe; & qu'un Enfeigne Suisfe a notre fervice vivoit plus noblement qu'un Major Autrichien. Je pourrois, fi j'en avois le tems, ajoutcr a ce fujet plufieurs détails que j'ai appris dans cette ville; je vous dirai feulement, qu'on nous a asfuré, que les foldats Hollandois, fans Jcs Officiers, dépenfoient huit cent mille florins par an, & que la vijle étoit diminuée d'un tiers depuis leur dépait. Cette même fille nous fit plufieurs obfervations au fujet de Ia conduite de i'Empereur & de 1'état de la ville; & cela avec tant de naivetc, de bon fens & de connoisfance de caufe, qu'elle nous furprit & nous charme tous deux. On ne s'attendroit guères a rencontrcr dans une fervante d'auberge un jugement plus justo & plus fam, qu'on n'en trouve fouvent. dans des perfonnes initruites, qui devroient en avoir davantage. En parlant de 1 abolition des couvens & du tort que cela fiifoit au païs, elle dit: „ il y a asfez de moines, & ce ne font „ pas eux qu'on regrette; mais on esc mécon„ tent des procédés injustes de I'Empereur, qui „ s'emparc des biens de ces maifons, & en fait „ pasfer tous les revenus a Vienne. Qui peut „ prendre arbitrairement 1'un, peut prendre i'au„ tre; & de cette maniere perfonne n'est asfuré  C *39 3 £ 3e f6 -propriew. On .craint ausfi pow ia» „.Abbayes," concinua .t'elle, 4, qui posfedenf. '„ame grande partie des biens fonds du païs , & „ qui ont été ipargnées jusqu'ici. Quelques. „ uns défirent qu'elles foient .ausfi aholies, paree „que .ces Religieux font des paresfeux; mai? „ que mm impone, ajouta-t'elle, qu'ils foient ,, parQsfeux ,ou non, dès qu'ils font vivre la „ manié de la ville. Qui tferoit travailler les „ pauvres gens , fi ce n'étoient ees eommunau„ tés. Ce font elles qui dans -ces rudes hiver# „ ont prefervé le peuple de pêrir de faira & de „ froid.; & fans elles la ville & tout le païs^fuc„ comberoit fous les procédés ruineux de PEm„;pereur, ^qjji ne veut pas qu'il aille bien a fes „ fujets des Païs-Bas. Voyez, " continua-t'elle, „ Jes fermiers de ces Abbayes, ils font a leur „.aife, ffc en état d'élever honnêtement une „ nombreufe familie. Voyez au contraire ceux „ de I'Empereur, autrefois des couvens rejbr„més; ils font plus gueux que des rats. Ils „ doivent payer tous les trois mois, & eet ar„ gent va tout droit a Vienne; tandis que les „ revenus des Abbayes circulent dans jle païs, „ & font vivre bien du monde. Que feroit-ce, „ fi elles étoient fupprimées comme les autres!" Vous pouvez juger du mécontentement de toute la Nation, dós qu'on commence a raifonner ainfi .daas ia clasfe .basfe du peuple. ,La férmentation  fne parok générale, & je me fouviens a ce fujet du móc équivoque qu'on cite du Prince de Ligne, lorsque I'Empereur lui. demanda-,. ce qu'on difoit de lui dans le païs. Sire, repondit-il, on dit que vous voulez notre bien. Rappellez-vous ce que je vous en ai écrit, quand j etois en Flandre. Mais que pourroient-ils faire: le païs est ouvert; & le tems de s'oppofer avec fuccès est pasfé pour eux. Hs ont été pufillanimes il y a deux fiecles, ils en portent la peine apréfent. On croit en attendant, & on fe flatte même généralement, que I'Empereur a un troc en tête, & qu'on changera bientót de Souverain. La ville de Namur n'est ni fort grande, ni for: jolie, & batie a peu près comme Mons & Tournay ; mais on n'y voit presque pas de grands hötels de Seigneurs. II y a peu de chofes remarquables a voir dans cette ville. L'égli* fe ci-devant des Jéfuites a un beau portail; mais Ie dedans est bien plus beau encore, d'une belle architeéture moderne, ornée de colonnes & de pilastrcs d'ordre Corinthien, le tout en marbre, jusqu'a la voute même , qui est décorée en fculpture avec beaucoup de travail. Ce marbre, qui n'est pas de la plus belle espèce, vient des environs de Charleville, a dixhuit lieues de Namur. II y avoit autrefoïs dans cette églife de fuperbes tableaux des premiers Maitres de 1'Ecole  Flamande, maïs I'Empereur les a tous fait enlever & transporcer a Vienne. La Cathédrale faic honneur k la ville. Elle est entierement neuvc, batie de fond en comble, il n'y a pas vingt ans, au même endroit oü étoit 1'ancicnne, dont la tour feule est rcstée. Son portail est trés beau & entierement en pierre de taille. Sa forme est en croix Grecque, & elle est furmontée d'un dome. Le dedans est trés beau, d'une architecture distinguée, & mérite a tous égards d'être vue. II n'y a guères d'ornemens de prix dans cette églife. J'y ai vu des tableaux , dont quelques uns m'ont paru asfez bons; mais la plüpart & furtout ceux duchoeur font, je crois, mauvais. Le remparts font dans la plus triste fituation.. Vous favez qu'a Namur on démolit les fortifications,. ainfi qu'a Mons, a Tournay & dans les autres villes, que I'Empereur posfede dans les Païs-Bas; mais nulle part cette démolition n'a fait naitre chez moi un fentiment ausfi douloureux, fans doute a caufe de la beauté des ouvrages ; & furtout paree qu'ils ont été conftruits par la République qu'ils ont couté des fomme» immenfes a 1'Etat, qu'ils étoient trés bien entretenus, & qu'il est dur de voir détruit ce qui a appartenu a notre Nation, qui en a été déposfedée trés cavalierement & de la maniere la plus bumiliante. Je ne peux ni ne veux vous décrire  i »*9 } «feefe dëlolaucai & ees ruines:,, ft fest Ie* voir ' de rochers qui s'élcvent fordautres rochers, en ionne de tours, d'aiguilles, de piramides, & « mdle autres figures bifarres; on en voit de couleurs variées, nuancées de bleu, de blanc &■ *e jaune; enfin c'est un aspeft quelquefois agréwie cc riant, mais le plus fouvent majestueus f tcrnbIe* ce font ce qu'on appelle de belles horreurs C'est ici qu'on peut fe former une foible idee des montagnes de la Suisfe, dont la descnption infpirc tant de curiofité & d'intérêt La rivierê coule, comme emprifonnée entre ceux murailles trésélevées, qui femblent la féparer du reste de la nature habitée. Son fond même est du roe ; on en voit de tems en tems des pointes ' loitir du miJieu de 1'eau. Comme tous les environs ic, font rochers, vous vous imaginerez. une vue tres uniforme, & cependant efle esttres variée. D'un cóté je vois apréfent, fur un petit morceau de terre entre la riviere & la montague, de fuperbes peupliers de Lombardie, qiu contrastent pittoresquenient, par leur beau verd & leur forme piramidale, avec la nuditéflérrie du roe. Je vois de 1'autre de johs jardins hm «drives, avec un parterre émaillé dè «eurs, au milieu de rochers arides, hérisfés depointes aigues &grotesques. En quelques endroits les montagnes font couvertes de forets a pene de vue: En d'autrcs les collines s'élevent en pente douce, & offrent a la vue des coteaux  C '53 3 cultivés les plus rians du monde. La riviere, Ü travers ces iites intéresfans , fait des tours & des détours fans fin , & femble fe plaire a prolonger fon cours dans cette contrée enchantée. Voila ce que mes yeux me découvrent; ii je vous difois apréfent, ce que mon imagination y ajoute; comme tachant de percer plus loin que ma vue, au travers de cette barrière impénetrable de rochers qui la bornent, elle fe forme une contrée au dela, & la décore au gré des pres* tiges charmans qui 1'égarent, je ferois un roman , plutöt qu'une deseription; & c'est ce que je ne veux pas faire, quoique je fois dans le païs le plus romantique que j'aye jamais vu. II est fingulier de' voir les arbres croitre fur les rochers, dans des endroits ou on me dit qu'il n'y a pas deux pouces. de terre. On rencontre plufieurs Hes dans la riviere. Dans ce moment, il s'en préfente une a mes yeux, qui, embellie avec iimplicité & avec gout, formeroit une charmanteretraite pour un philofophe, amant de la Nature ,< & de cette variété originale, qui la rend fi intéV resfante dans cette contrée. Mais il faudroit y ctre a deux; car c'est une triste philofophie que d"être toujours feul, 6c de n'avoir pas quelque aimable compagne , avec qui philofopher • de tems en tems. Cette ile paroit asfez grande; il y auroit de Tespace pour un jardin, un petit bosquet, un champ, une prairie; .1'air & 1'eau & K 5  < m 5 Ia plus belle nature Tenvironnent ; que faudroit-il de plus pour être heureux? Dans ces environs-ci, il y a beaucoup de carrières de pierre, & on la taille fur le rivage. Dans le moment on vient de faire fauter a grand bruit avec de la poudre une mine de rocher, fi près de nous, que les éclats de ia pierre font venus tomber dans 1'eau près de notre nacelle. Nous voyons ici des fours a chaux, & un peu plus. loin des bateaux qui la chargent, & qui descendant la Meufe avec elle, Ia transportent jusqu'a, Dort. C'est ici ausfi que fe trouve la terre k pipe, qui va de même en Hollande, oü ort 1'employe. Voki que nous rencontrons des bateaux remplis de mine de fer, qu'on va porter aux forges, pour y être fondue & préparée. A notre droite on s'occupe a conflruire au bord de 1'eau un nouveau chemin de Namur a Liege j c'est un ouvrage terrible; on est obligé en plufieurs endroits de faire fauter le rocher, & puis de le tailler; paree qu'il avance trop vers 1'eau, & qu'il ne laisfe pas de place. Quand il fera fini, ce fera un beau & horrible chemin; d'un cóté la riviere, de 1'autre une muraille de rocher perpendiculaire & d'une élevation prodigieufe. En quelques endroits même, il y a des morceaux de rochers qui penchent fur le chemin , & des masfes plus élevées qui s'inclinent encore davantage-, & femblenc ménacer h  < 155 ) 'chaque inftant de fe détacher, & de tomber fur les têtes des voyageurs. Ici, a une lieue en deck de Huy, je vöis des Vignes, plantées fur des coteaux expofés aumwi. On me dit que le vin qu'on en fait est asfez bon; je n'en ai pas grande idéé; mais je fuis curieux pourtant d'en goüter, quand nous ferons arrivés a Huy. Ces vignet rontinuent jusqu'k une lieue au delk de Liege. Ah mon atni! les belles montagnes dans eet endroit! Quelle hauteur! quelle variété! quelle* beautés! qüelles horreurs! Quel mélange enchanteur de vergers, de prairies, de rochers efcarpés, de collines k pente douce, de profonv des vallées ! II y a de quoi faire les plus magnifiques tableaux ; mais il y a des fituations , dont bien des perfonnes penferoient qu'elles ne font point dans la Nature. La magie de cè païfage est telle, que fi on y placoit une ftatue', je crois qu'elle s'y animeroit d'elle même. _ Je vois d'ici des chariots fur le rivage, & je remarque qu'on y,a, comme ailleurs, la coutumè inhumaine de mettre trop peu de ehevaux o« trop de charge. II n'est pas permis dans ce païs d'atteller .plus de quatre ehevaux k ces voitures, pour la' confervation des chemins; ma» comme la charge n'est pas fixée, les voituners fe dédommagent par elle, & éludent la loi èn chargeant fouvent, k ce qu'on me dtt, jusqu'k vingt quatre müle livres pelant.  C «5* ) Nous venons dans ce moment dtatrer dans Ie pais de Liege, «5c de quitter-les Païs-Bas, ces feperbes contrées, qUe k Nature a traitées fi iayorablement, mais que leurs Gouvernemens. joints a quelques autres circonfianccs desavanta' geufes, ont abaisfées fi fort au desfous de ce qu elles devroient être naturellement. La multitude & Ia grandeur de fes villes, ainfi que'les magnifiques restes, qui décorent encore jusqu'au* plus déchues, témoignent asfez, ce que ce païs a ete autrefois. Ses rivieres, lés canaux, & u mer qui borde fes cötes, le rendent presque ausfi favorablement fitué pour le commerce par eau que le notre; fa pofition entre la France «£ 1 Allemagne, «Sc fes belles grandes routes le rendent plus propre pour le commerce de terre Sonétendue, fes manufaétures nombreufes, autrefois les plus florisfantes de 1'Europe, «Sc qu'un commerce plus étendu «Sc plus libre ranimeroit encore, la fertilité admirable de f0H fol, & la varteté de fes produétions, auroient du 1'élever naturellement beaucoup au desfus de la Republique fa voifine, asfbrément bien moins favorifée de la Nature, ft-dans cette derniere la liberté n avoit fait fleurir le commerce,. «Sc fi le commerce n'y avoit fait des miracles.  ( 157 ) Me vokï dans la barque publique qui va de Huy a Liege. Huy esc asfez grand, mais mV paru triste. II' y a beaucoup de Couvens & plufieurs belles Églifes, qui manquent raremenc dans un Etat Eccléfiastique comme celm-ci; car cette ville est la feconde en rang du païs de Liege. Nous nous y fommes arrêcés environ une heure, que nous avons employee a faire une espece de diné froid, tel que nous 1'avons pu trouver dans 1'auberge. J'ai fatisfait ausfi ma curiofité a 1'égard du vin du païs, & elle m esc pasfée pour longtems. Cette barque est !a plus triste chofe du monde, malpropre, remplie de mauvaife compagnie, & fans aucune commodité. Je fuis dans ce mo- , ment asfis fur un tonneau, mes tablettes & mon crayon a la main, occupé a y griffonner quelques articles pour ma correspondance avec vous; au grand étonnement de la nombreufe compagnie qui m'environne, & qui paroic trés écon„ée qu'on vienne s'écablir fur un tonneau, dans une'barque puante, au milieu de la Meufe, pour écrire avec un crayon dans un petic livre. Heureufement que le tems est asfez beau; fans cela ce feroit bien pis, & ie me verrois condamne a m'entasfer avec cetce foule malpropre dans un reduit obfcur, pire qu'un cachot. Je n'ofe me lever , quelqu'envie que j'en aie , crainte de  perdre Ie meuble élégant qui- rae fert de liege. : II n'a pas été faeile de penêtrer de, lauberge jusqu'a cette délicieufe barque, qui étoit cependant vis-a-vis la porte; 6c il nous a fallu percer auparavant une foule de mendians miblens, malpropres 6c dégoutans, dont ce païs abonde encore plus que Mons & Namur. II est inconcevable, qu'un païs fi riche dans toutes les produftions de la terre, puisfe contenir tant de miférables. Le fang est encore moins beau ici que dans ces deux derniers villes; il n'y a^ presque pas de femmes jolies. C'est a Lille qu'a commencé cette race Wallonne, & dès lors les belles femmes ont diminué. Le fang a toujours enlaidi depuis, a méfure que nou$ . nous fommes avancés ; 6c plus le païs lui-même est devenu beau, plus il femble que Ia Nature la voulu priver de fon plus bel ornement. Les vieilles femmes furtout y font affreufes, 6c m'y paroisfent ce qu'il y a de plus hideux dans Ia Nature. Ce n'est pas que je veuille manquer au respeét, que Ia reflexion accorde a leur age, 6c qu'elles méritent a plufieurs égards plus en? core que les vieillards; mais leur affreufe laideur dans ce païs-ci ne permet aucune reflexion, 6? chasfe tout autre fentiment que celui de 1'averfion & de 1'horreur. Dans cette partie du païs de Liege il y *  < m 5 beaucoup de mines d'alun, & .nous voyons d'ie» plufieurs aluneries fur le rivage. II feroit bier* intéresfant de les voir de près, & j'en reviens toujours a ce que j'ai déja dit, au fujet del'agré* ment qu'il y a a voyager a pied ou a chevaU Ce qu'on me raconte ici de la maniere de préparer 1'alun est trés curieux. Quand on a tiré la terre d'alun de la mine, on la fait cuire; après quoi on la lave, & 1'eau qui contient les parties d'alun est conduite par des rigoles de bois jusqu'au bas de la montagne, dans des maifons oü elle est cuite de nouveau ; alors l'alun cou^ le au fond en gros cristaux, comme le fel ordinaire. Vous comprenez que ces rigoles doivent être d'une prodigieufe longueur, & mériter d'être vues. Une alunerie dans ce païs-ci occupe plus de cent cinquante perfonnes, tant dans 1'intérieur de la terre, que fur fa furface. La terre qui a été lavée & qui ne contient plus d'alun, n'est plus bonne a rien. Elle est tout k-fait -rouge , & forme des espèces de monticules de cette couleur fur les montagnes d'oü on Pa tirée; ce qui offre un coup d'oeii fmgulier & trés agréable a. voir de la distance oü nous fommes. Je ne vous ferai plus les éloges de la beauté du païs, elle est toujours la même. Seulement les montagnes font ici plus éloignécs du rivage :que de 1'autre cöté de Huy, ce qui doune une  C IOO > uie plus étendue, mais moins frappante. II y a. des deux cötés de la riviere de beaux Chateaux, finguliers par leur pofition , & de jolies maifons de plaifance. Séré Campagne du Prince Evèque, est au bord de Ia Meufe. Le Chateau est grand, mais ne brille pas, a ce qu'il me parok , par une architeéture distinguée. Aigremont est un trés beau Chateau, fitué fur le fommet d'une montagne, & qui paroit avoir des proménades étèndues & charmantes. Mais rien n'est comparable a la lituation pittoresque du Chateau de Choquiers. II est bati fur le fommet d'un rocher, qui s'éleve perpendiculairement de Ia riviere, & qui de ce cóté-la fe termine en pointe. Sa focade du cöté de la campagne a , a ce qu'on dit, une grande plaine devant foi; mais des appartemens de derrière 1'oeil plonge tout droit dans Ia riviere, ce qui par fon élevation doit produire une vue également effrayante & belle. Ce Chateau a été fameux autrefois par fa pofition, & a foutenu des fieges avant Pinvention de la poudre & du canon. Nous fommes arrivés dans cette ville plus tard que nous n'aurions défiré. Notre navigation a été extrêmement lente, malgré le courant que nous avions pour nous; & la beauté de Ia contrée  eöntrée n'a pu nous préferver de 1 impatience' naturelle a tout voyageur, & que 1'incommoditéde notre barque, & le desagrément de notre mauvaife compagnie excitoient cette fois plus qu'a 1'ordinaire. Nous avions fix ehevaux pour compagnons de voyage dans la barque; & ce ne fut qu'environ a une demie lieue de ia ville, qu'on fe refolut enfin a en mettre un a terre & a 1'y atteller, ce qui nous fic bientöt arriver. Vous ne fauriez vous faire une idee de la foule de fainéans, de mendians & de gueux, dont nous fumes entourés, lorsque nous débarquames. II y a des gueux & des gueufes dans tout païs, mais nulle part autant & d'ausfi laids qu'ici. Dans une des plus belles contrées du monde on trouve lax plus laide race d'hommes & de femmes qu'on puisfe voir. Des traits grosfiers & finistres; un teint brun & même noiratre, caufé, je crois, par les vapeurs de la houille qu'on brüle généralement dans cette ville, & une malpropreté qui les rend dégoutans & presque hideux , font le fonds principal de leur portrait. Je ne parle ici que de la populace. Les clasfes plus honnêtes du peuple, les bourgeois & les bourgeoifes ne font pas fi malpropres, mais ils ne font guères plus beaux. De toutes les femmes, que j'ai jusqu'ici rencontrées en rue, & qui font un nombre asfez confidéra.ble -, de toutes celles même que j'ai vues devant L  C iU ) eu dans les boutiques , il y én a peu qui m'ayent paru feulement pasfables. Celles de la ville Tont en général pales & fans aucune fiaicheur. Pour les hornmes, on rencontre k chaque inftant de ces gens a phifionomie finistre, qu'on feroit tenté de faire pendre a la première vue. ' "Plus j'avance chez cette nation Wallonne, plus je ;regrette ces bons 'Flamands, fi honnêtes , fi obügeans, qui nous faluoient avec tant dè tordialité; & furtout ces jolies Flamandes, fi fraiches, fi gentilles, fi prévenantes, qui nous •difoient le bon jour de fi bonne grace, & qui "hous regardoient en riant & en nous laisfant voif leurs belles dents. lei ce n'est pas la même chofe, & les femmes n'y ont pas grande envie de "lire. Le -pres de Liege paroit être un enfet pour les ehevaux, comme la France; mais il n'est point, comme elle, un paradis pour les femmes. Ce font -ei-les depuis Huy que j'aji :vu porter les fardeaux les plas pefans, «Sc tiret les barques les plus chargées. Voila ce que c'est que de n'être pas jolies. Ausfi, oütre leur 'laideur, ont-elles Pair trés miférable. Lorsque je 'mis pied a terre a men arrivée, je fus dabord entouré d'un cercle de ces beautés, qui me "dernanderent la faveur de porter le bagage. Je ïi'eus tien de plus presfé que de les regarder -&us deur énorme castor: mais-, hen Dieu4 quel^  le vue! au premier regard je demeurai ftupefait & pécrifié, comme fi c'eusfent été autant de tê-. tes de Médufe; & je fus tenté de retourner fu| mes pas, pour me ftuver de la poürfuite de cets te épouvantable partie du beau fexe Liegeois. Mais ce qui les distingue furtout des femmes des autres païs, comme vous conviendrez fan* doute avec moi, c'est qu'elles ont la tête tres dure; car c'est de cette partie du corps qu'elle* portent tous les fardeaux. Elles pofent fur la tête une espèce de cousfin en forme de bourrelet d'enfant, pour foutenir ce qu'elles portent, Ce fut de cette maniere que deux femmes chargerent nos deux portemanteaux , dont 1$ jnien est énorme, «Sc les transporterent de laj barque jusqu'a notre hotel, k près d'une demie lieue, par des rues couvertes de boue, remplïes de monde , qui aJLoient en montant «Sc defcendant; «Sc cela d'un pas ou plutöt d'un trót fil rapide , que nous eümes toute la peine du monde. a les fuivre. Admirez comme une femme refiste a tout, quand fa tête fe mêt de 1» partie. Vous craignez fans doute que je n'aille encore vous décrire en détail la beauté de la fituation de cette ville. Non; je vous dirai fimplement, qu'en arrivant par eau, elle fe préfente a la vue fituée en amphithéatre fur une colline, «Sc s'étendant en demi-cercle au bord de la Meufe; qu'une L z  C P1S4 ) multitude de clochers s'élevent avec pompe au desfus de fes églifes & de fes toits-; que la Citadelle fur une-montagne pareit la dominer avec fiercé ; qu'un .païs charmant 1'entoure de tous cötés; que des montagnes., de culture & de forme différentes, terminent le point de vue; & que le tout enfemble ferme un tableau 11 magnifique, que pour des voyageurs, qui ne veulent pas féjourner longtems dans la ville, il peut dédommager de la laideur des femmes -, du moins lorsqu'on ne les regarde pas fous le chapeau. Nous fommes allés loger chez M. Dupont k h Cour de Londres, hötel n*ès renommé, oü je compte faire un bon foupé, & bien -donniu En attendant adieu.  LETTRE VUL Spa,. Mardi 5 de Septembrs i.j86.. D imanche matin, le lendemain dè notre arrivée a Liege, M. Buchwald, Capitaine de Cavallerie a: notre fervice, & du- même régiment que mon frere, est venu nous voir de bonne heure ;. il a eu la bonté de nous conduire par»ut, & de ne pas nous quitter pendant tout le tems que nous avons été a Liege. Gette ville m'a paru grande & trés peuplée; H-y-a beaucoup de commerce.. Elle est fale & malpropre, & fes rues en- général font étroites & fourmillent de monde.. Elle est asfez mal batie ; peu de beaux hotels; peu ou point d'églifes a belle architeéture en dehors; & malgré Ia foule de monde qui lui donne beaucoup de vie & de mouvement, elle ra%« paru; fombre & triste en grande partie paree que Ia fumée de houille repand une teinte noire fur les maifons.. On commencé a y. adopter la coutume de les peindre, tant Le bois-que la pierre la brique* L 3  C 166 > Si cette coutume parvient a devcnir générale, la ville en deviendra beaucoup plus gaie. Malheureufement que c'est la mode aujourd'hui de les peindfe en jaune, qu'on nomme nanking; ce qui va tout ausfi mal a mon avis que fes culoctes de nanking, qui font ausfi de mode. Vous voyez p'ar la que la viilé en général ne peut pas pasfer pour belle. Les maifons y font bütiës partie en brique, & partie en pierre du pais, qui resfemble a celle de Namur, mais qui n'est pas de fi bonne qualité. . M. Buchwald nous mena dabord chez M. foti pere, Commandant de la Citadelie, oü il a unö jolie maifon, & Brigadier ou fecond Officier des Troupes de 1'Etat de Liege; II nous reent avec ■beaucoup de politesfe & de cordialité,- & il eüt la bonté de parcourir la Citadelie avec nous, & de nous faire remarquer les endroits, dont on a les plus beaux points de vue. Elle esr trés élevée au desfus de la ville, & ofte, a ce qu'on dit, une des plus riches vues qui foient dans 1'univers. Cette vue n'est pas ausfi étendue que celles qu'on a des montagnes entourées d'un pais plat; mais elle m'a paru beaucoup plus mtéresfante & plus pittoresque. On y découvre les objets les plus variés. Dabord Ia ville fé préfente a vos pieds dans toute fon étendue; au dela vous voyez Ia Meufe, qui ferpente danè 1 etroitc vailée que iui laisfent ies collines qui  couvrent fes rivages; plus loin fs produifenc des prairies, des vergers, des terres labourées, des houblonnieres, des vignes & des bois, qui ferment- enfemble un amphithéatre ravisfant, parfémê- de villages, de maifons de plaifimce, de moulins & d'abbayes; des montagnes plus élevées, coufonhées de haur.es futaycs, & renfermant dans léuf fein la houille, la pierre, le fcr, le plomb, le cuivre & 1'alun terminent dans le lointain cette magnifique fcene. Après que nous eümes joui quelque tems- d'un fi beau coup d'oeii, M. le Brigadier Buchwald nous montra fon jardin, tenu trés proprcment, & qu'il cultive avec beaucoup de foin. ■ Defcendus de la Citadelienous allames voir la Cathédrale & quelques autres églifes, dont je ne vous dirai qu'un mót des principales, pour ne pas vous ennuyer par 1'aridité de ces details. La Cathédrale est un édifiee gothique, qui n'a rien de bien distingué que fa grandeur.,; nous ne nous y arrêtames qu un moment, & ne fumes pas curicux de voir le tréfor. L'églife de Saint Michel est batie en domc;. petite, mais d'une architeéture charmante en. dedans. Elle est ronde, remarquable par fa belle voute, & mérite beaucoup d'être vue. Cclle des Domimcains. est dans le même gout, mais plus grande. Soo^ dome est plus élevé & fa voute plus hardie i L'archite&ure de 1'interièur m'cn a paru trés L 4  helle. L'églife du couvent des Norbertins öu Prémontrés esc belle; mais celle, ci-devant des Dominicains , apréfent paroisfe Saint Jacques Pest encore davantage. Son architeéture est gothique, mais en dedans d'un gothique fi fingulier , qu'il m'a fait grand plaifir. Elle a plufieurs tableaux estimés, & est ornée de beaucoup de marbre du païs. Son autel a la Romaine, c'est-a-dire, ifolé & non appuyé contre un rnur, est furtout admiré des connoisfeurs. L'églife de Saint Paul est ausfi d'un beau gothique. Ses grosfes colonnes bleues ont je ne fais quoi de folemnel & de vénérable, qui imprime le respeét dès qu'on entre. Mais l'églife ci-devant des Jéfuites est la plus belle de toutes; remarque que nous avons eu occafion de faire partout. On a fait une paroisfe de l'églife, & un fcminaire de ce qui étoit ci-devant le college & les appartemens, qui occupoient une grande écendue de terrein. A ce que m'a dit un Eccléfiastique, on trouve trés peu de bons tableaux dans les différentes églifes de cette ville. M. le Capitaine Buchwald nous fit 1'honneur de diner avec nous, & après avoir encore un peu courus 1'après-diné, nous allames faire une vifite a Mad. Buchwald, qu'il n'a époufée que depuis deux mois, & qui eüt la complaifance de nous rcgaler a la maniere de notre païs en nous faifant du thé. Vers le foir nous allames  c i69 y voir une promenade publique un peu hors de Ia ville , fur la route qui mene a Macstricht. Elle confiste en deux ou trois allécs asfez longues, qui n'avoient rien de remarquable pour nous, qui fommes accoutumés k en voir de plus belles dans notre païs; mais que fa fituation au bord de la Meufe, & fa vue fur la riante campagne d'alentour rend trés agréable. Nous y vimes une grande foule, principalement de bourgeois & de bourgeoifes. La plus grande partie du beau monde fe trouve k la campagne dans cette faifon; ce qui est bien naturel dans une ville fi fombre & fi triste, entourée d'une contrée fi riante & fi gaie. Mad. Buchwald nous avoit fait 1'honneur de nous inviter a fouper, & nous recut d'une maniere ausfi amicale que fi elle avoit été Hollandoife. Le lendemain matin, M. Buchwald eüt encore la complaifanee de venir nous prendre pour nous accompagner a une houillerie, que nous eümes le plaifir d'examiner tout a notre aife. L'entrée, qu'on nomme bure, resfemble k un grand puits, par lequel on éleve & on abaisfe de gros paniers , pour defcendre les hommes dans la mine, & pour en retirer la houille. Ces paniers étoient mis en mouvement dans cette houillerie au moyen d'un moulin, tiré feulement par deux ehevaux, paree que la mine n'étoit profonde que de cinquante pieds; mais qui er* L 5  a foüvent huit & davantage, lorsque k miné a mille a quinze cent pieds de profondeur, comme il y en a plufieurs fur les montagnes des environs. La bure & le moulin étoient fitués dans un batiment ou grange trés fpacieufe. II y avoit cinquante h foixante perfonnes oceupées a travailler fous terre. Les uns détachoient le charbon de la mine, & avoient chacun une petite lampe attachée au chapeau , pour voir dans tes fouterreins óbfcurs; d'autrés le transportoient jusqu'au bas de Pentrée» oü d'autrés encore, la plupart des gareons, ie chargoient dans les paniers , qu'on élevoit en haüt ausfitöt qu'ils étoient remplis. Pendant ce tems on chargeoit un autre panier, de forte qu'il n'y avoit jamais d'interruption. Les premiers de ees ouvriers ont ordinairement un falaire de vingt quatre fous de Liege, qui font envirön quinze fous de Hollande par jour; les feconds un peu moins, & les cnfans, qui remplisfent les paniers, n'ont que quatorze fous du païs. C'est pour un prix ausil modique que ces hommes fe dévouent. a une vie malfaine, ou a une mort lente, & quelquefois aux catastrophes les plus terribles.. II n'y a pas longtems qué dans cette même mine quarante deux perfonnes ont péri a la fois par 1'eau , qui vint les inonder trop fubitement pour qu'ils eusfent le tems de fe fauver. II arrive ausfi quelquefois > que des exhalaifons ou  C »7* ) ♦apeufs biturmneuTes, qui s'élévent dé ces térréS impregnces de foüffre, viennent a s'allümer h. la lümiere des petitcs lampes, lorsqu'on négligé les précamions necesfaires, & étoufFenc dans tii ■Jnftant tous les ouvriers. Ce font des feux fe** Iets que dans la langue du païs on nomme feux grieux. C'est aux dépens de la vie de tant de perfonnes, que fans le favok nous brülons chez nous le charbon de terre. II y a toujours, pour prévenïr ces malheurs ♦ des ouvriers dans la mine, qui ne font autre chofe que battre dans les mains près de la tête des perfonnes qui détachent le charbon, afin de chasfer ces vapeurs dangéreufes, & les empêchér de prendre feu aux lampes. Ce qui est bien furprenant, c'est que ces accidens terriblcs détcmragent fi peu, qu'il fe préfente dabord une foule d'autrés ouvriers pour s'engager aux mêmes ouvrages, & qu'on manque rarement d'avoir le lendemain le même nombre; tant il y a de miférables qui manquent de pain dans cette ville » C'est asfurément une chofe qui doit frapper tout le monde, que la mifere qui regne, prineipalement parmi le bas peuple, dans uh païs fi favorifé de la nature. Un Eccléfiastique j a qui je fis cette remarque dans la barque, me dit que cela vient de la trop grande population | mais je 1'ai entendu attribuer par d'autrés au Gouvernement Eccléfiastique. On m'a as-  <: tv*) furé, qu'il y a beaucoup de fondarions pour les pauvres, mais que Ie produit en est détourné ou mal employé par les administrateurs. Quoiqu'il en fok, il est fur que je n'ai point vu de ville, qui foit autant que Liege infestée de mendians de toute espece. Ces fouterrains, qui font quelquefois .a mille picds & plus fous. terre, ont de distance en distance des foupiraux qu'on nomme buren (Fair ou trom d'air, qui s'élévent de terre a la hauteur de vingt cinq a trente pieds, en forme dt grosfes cheminées, plus étroites par le haut que par le bas, conftruites en briqjie, & qu'on vok de trés loin fur le fommet ou fur le penchanc des montagnes, d'oü ils offrent un coup d'oeü asfez fingulier. Lorsque le charbon est tiré de terre dans le panier , on le recharge fur des brouettes, pour le transporter dans la cour, oü fe trouvent les marchands ou les voituriers avec leurs chariots. Ce travail ie fait par des femmes noires comme des demons. On retire par jour trente quatre paniers; dès que cela est fait, foit tard, foit de bonne heure, le travail est fini pour ce jour-la. Chaque panier contient environ deux mille livres de charbon, & coüte au marchand dix florins de Liege, qui font fix florins cinq fous de notre monnoye. Ceux qui en ont fait venir dans notre pais,  (173 > comme dn en a été obligé pendant la guerre Angloife, ont éprouvé 1'énorme augmentation de prix qu'occafionnent les fraix du transport, & le gain du marchand. L'eau qui s'amasfe fouvent dans ces mines, furtout dans celles qui font profondes, en esc tirée par le moyen de la machine a feu, qui esc tres intéresfante a voir, mais dont je ne fuis pas capable de vous faire une defcription bien claire; d'autant moins qu'elle n'étoit pas en mouvement lorsque je 1'ai vue. La vapeur de l'eau, mife en ébullition par le feu, & conduite par des tuyaux, a asfez de force pour faire mouvoir des roues énormes, qui pompent 1'eau & 1'éievent a une hauteur quelquefois de plus de mille pieds. C'est une chofe qu'il faut voir pour s'en former une idéé juste. Ce feu ou cette vapeur d'cau bouillante fait plus de force que n'en feroient peut-être dix a douze ehevaux. J'ai brulé d'envie de me faire defcendre dans le fouterrain, & de voir par moi-même, comment on y travaille. Je n'ai jamais été fous terre; mais tout le monde me i'a déconfeillé; & ce qui m'a principalement retenu, c'est que je n'étois pas équipé pour me noircir des pieds jusqu'a la tête, & que cette mine étant ïi peu profonde, ne valoit pas 1'espèce de risque qu'il y avoit. J'espcre que j'aurai occafion une autre année  C 04 > tfexaminer plus a loifir une houillerie, & de voir travailler une machine a feu. J'espere furtout de véir la préparation de 1'alun, ainfi que d'entrer dans des carrières de pierre, & dans quelque mine trés, profondede fer, d'étain, de plomh ou de cuivre. Je ne ferai content qu'après avoir pénétré au moins. jusqu'a quinze cent pieds dans les entrailles de la térre. On m'a dit que de toutes les mines, eelt le de fer donne le plus de richesfes a ce païs. Après avoir quitté cette houillerie, nous nous promenames eneore un peu par la ville, & af* Mines voir Ie Palais du Prince-Evéque. C'est un grand batiment, dont je n'ai vu que quelques parties, qui n'ont rien de bien remarquable. II forme en dedans une grande Cour quarrée, en» tourée de promenoirs en forme de galeries, formées par des colonnes gothiques d'un t*om trés fingulier. Ces galeries font garnies de plu-, fieurs boutiques, mais de trés peu de confidé* r-ation, & fimplement pour le peuple. II y a bien loin de la au Palais Royal a Paris; c'est comme d'une cabane % un Palais. La ville de Liege a trente fix paroisfeg, & en tout cent fept églifes. Ses citoyens jouisfent d'une grande liberté, & fon Gouvernement me paroit tenir beaucoup de la conftitution de 1'Angleterre. Le Prinee-Evêque n'est Souverain qu'en matiere dq police. Les Etats confistent en trois ordres; celui du ekrgé ou h chapimdesTrtfoueim, quifpnt  C 175 ) feixante; le Corps des Noblcs, -aclueliement au: nombre de dixfepc, & les villes, dont il y en a vingt deux qui ont voix. Chez ces Etat* refide le pouvoir législatif 5 & li j'ai bien compris, aucun ftatut n'a force de loi, ,qu'aprè§ avoir été approuvé du Prinee. Oütre les Etats , il y a un college , appellé la Chambre des vingt deux, compofée d'un rnembre de chaqua ville, dont le devoir est de veiller au maintiea des droits & des privileges du peuple. C'est devant cette Chambre que le Prince vient d'être cité dans la perfonne de fon Officier, au fujet des disputes de Spa, qui caufent une grande fermentation a Liege, & menacent même de divifer les Ordres de 1'Etat., On nous en a beaucoup parlé; mais je ne vous en dirai rien$ pour ne pas vous expofer fausfement Pétat de la question; comme il n'arrive que trop fouvent a des étrangers, lorsqu'ils parient des affaires d'un païs, dont ils ne connoisfent qu'imparfaitement la conftitution; ce que nous remarquons tous les jours a 1'égard de celles de notre Pvépublique, Plut-a-Dieu , que ce ne fut le cas que des étrangers. Dimanche au foir M. le Brigadier Buchwald nous a préfentés a la Societé, oü on nous & recus avec beaucoup de distindion. Cette Societé est dans le gout des notres. On nous y a fait de fingulieres questions. au fujet de notce  C 176 } »aïs, ^ comme, fi les affaires dans les a> femblées d'Etat fe traitoient en langue Fran* eoife, & plufieurs autres du même gout. Nous n'avions été curieux d'y venir que pour lire les gazettes, paree que nous avions déja entendu> parler par-ci par-Ia des troubles de notre Province. Nous y lümes d'étranges chofes & d'étranges reflexions, que nous primes pour autant de vérités ; car nous ne favions pas encore qu'elles étoient déja infestées du même poifor» que les gazettes en langue Hollandoife. Comme nous y trouvames un article, par lequel M. Blanchard annoncoit, qu'il fe propofoit de faire fon voyage aërien a Aix-la-Chapelle le Jeudi fuivant, 7 du mois, nous changeames notre plan, qui étoit d'aller le lendemain aAix, <% de retourner de la direclement chez nous, ou nous avions des raifons de presfer notre retour: mais dans.l'espérance que M. Blanchard tiendroit fa parole, nous refolümes d'ajouter encore trois a quatre jours a notre courfe, & de pasfer auparavant par Spa; pour n'arriver que le Mercredi foir a Aix-la-Chapelle, oü nous n'avions pas envie de rester longtems. Ce füt donc d'après cette refolution que Ie lendemain, après avoir diné a midi, nous quittames Liege a une heure • dans une Birouche attelée de quatre ehevaux' dont nous payames trente francs de Liege | (dix, huit.florins quinze fous de Hollande) pour nous  • iic-us mener jusqu'a Spa, a fept iieues de cette ville. Cette route resfembïe a celle de Mons a Namur ; mais les montagnes font plus éievées,' & la contrée est plus fauvage encore & plus pittoresque. On y a derrière foi la plus belle vue - du monde fur la ville de Liege & fes environs; & malgré le froid & la pluie qui me morfon- . foient, ce païs me plongea dans une extafe perpétuelle. Nous trouvames a moitié chemin une auberge trés florisfante, dans une fituation finguliercment ifolée entre des montagnes efcarpées. Les femmes du païs me parurent plus blanchcs & plus belles que celles de Liege. Environ a deux lieues de la, après avoir toujours couru •par monts & par vaux, nous defcendimes de .vallée en vallée, du fommet d'une montagne élevée jusques dans le fonds d'un petit vallon - étroit, qui nous conduifit a Eu, joli village a , cinq quarts de lieue de Spa. De la nous fuivimes toujours ce même joli vallon , resferré des deux cotés par des montagnes couvertes de -bois, '-& quelquefois par des rochers pelés & hérisfés de pointes, dont 1'aspect auroit eu de quoi épouvanter, fi nous n'eusfions pas eu h notre gauche un large ruisfeau, coulant avec rapi- , dité fur des caüïoux, & formant d'espace en espace de 'petites chutes d'eau fur des morceaux ! de roe, qui, i tout en mettant obllacle sr fa M  • courfe, ne la rendoient que plus agréable. 'Rieri ne 'resïemble plus pour le local a un endroic •écarté '& folitaire, que ■ cette iroute toujours fré-quentée. Elle nous mena-a Spa, Titué kii-même dans un fonds, entre des hauteurs qui lentourent de toutes parts. Vous m'excuferez, fi je ne .parie que légerement de eet endroit célebre & de fes environs. Le peu de tems que nous nous y fommes arrêtés, ne m'a pas laisfé •le loiiir de vous en commuuiquer beaucoup d'obfervations intéresfantes. Si j'y retourne une-autre fois, je vous en promets plus de détails. On nous prït a Spa pour des Allemands, paree que nous arrivames en Birouche, & pour des grands Seigneurs, paree que nous traverfames le 'Bourg d'un train d'enfer. Ausfi fumes nous re-ous avec éclat au Grand Hotel, oü nous allames loger, '& dabord enviro'nnés par des perruquiers , •des < tailleurs, des cordonniers, des libraires, des laquais-de louage , des blanchisfeufes, &c. &c. qui vinrent tous nous ofFrir leurs fervices, que nous n'acceptames cependant -qu'en partie. Après avoir '.fait une petite toilette , nous nous rendimes a la Redoute, oü nous payames chacun un petit Ecu pour 1'entrée, paree qu'il y avoit bal ce foir la. C'est un charmant endroit que cette Redoute, On y trouve un mélange de bonne & de mauvaife compagnie, de grands Seigneurs & d'Avanturiers, de la jeunesfe la plus  X 17 9 ') forisfanté, & de la vieillesfe la plus mahtdive. On s'y promene, on s'y chautTe, (car il y avoit ' du feu,) on y boit du thé, on y foupe, on y danfe, on y joue, on y caufe, on s'y tait, on y écoute la mufique, on y regarde, on n'y fait rien, ou même on s'y endort, fi on en a envie; enfin on y fait tout ce qu'on veut; perfonne n'y est gené , pourvu qu'on n'y fasfe point de fottifes: Et tout cela dans une fuperbe Salie, décorée de colonnes, de glacés & de tout ce que l'architeclure a de plus noble & de plus gracieux. Mais ce qui en fait le fpectacle le plus enchanteur, ce font quantité de femmes dont quelques unes trés jolies; toutes mifes fans luxe, mais avec gout & élégance; d'age & de nations différentes; & qui mêlées avec les hommes dans une Salie immenfe & bien éclairée , forment un tableau mouvant, des plus intéresfans qu'on puisfe voir. Ausfi ne ie vis-je point fans un fentiment vif de plaifir. Mes yeux feuls étoient occupés, mais toute mon ame étoit dans mes yeux, & elle jouisfoit déÜcieufement. La plus grande partie de la compagnie nombreufe que nous y trouvames, étoit Angloife, & comme cette nation en général n'incline pas a faire prompteraent connoisfance, ik que d'ail* leurs pour le peu de tems que nous nous pro.pofions de restcr a Spa, nous ne cherchions pas M ft  -a faire des liaifons, vous penfez bien que notre ■langue fut peu de la fête; Jusqu'a ce que nous vimes entrer avec beaucoup de gravicé M. le 'Colonel de Heeckeren -qui a fa rëfidence k •Berg-op-Zoora. Je ffes k lui comme un éclair, • & lui. pris la main. II parut trés furpris; fon premier mouvement fut une révérence fêche -& 'froidc, le fecond un acceuil cordial & charmant. Nous fumes tous trois trés charmés de'eetce rencontre, nous caufames beaucoup , nous nous tinmes enfemHe; & comme il n'y avoit perfonne de notre païs k Spa dans ce moment, nous y repréfentames a nous *rois avec beaucoup -de -dignké toute la nation Hollanddifê. *H faut vous dire par par&nthéfe, que M. 'de Brantfenburg étoit depuis quinze jours k Spa, -paroisfoit régulierement le matin & le foir en ■ public, & n'y avoit formé aucune liaifon. il favoit le nom de plufieurs perfonnes, mais ne connoisfoit le fon de voix d'aucune. Le lendemain dès fept heures du matin, noös choifimes chacun un cfeeval, mon frére & moi, parmi ceux qu'on trouve rangés en grand nömbre fur ia place, & nous allames faire le tour ■des fontaines. Nous fumes premierement k h ^aoveniere, puïs a-Ia Géronstere , fituées k une •demie lieue 1'une -de 1'autre, & k la même distance de Spa, dans les montagnes qui entourent ce bourg, Nous y trouvames trés peu de mon-  C va* ) de , fans doute a caufe du froid , tres vif pour la. faifon; mais nous nous promenames beaucoup , dans des fituations, quelquefois agrestes & fauvages, quelquefois pittoresques & champêtres, quelquefois cultivées & riantes, mais toutes également intéresfantes pour-eeux, qui pré-, fcrent. les beautés fimples de la Nature aux ornemens faétices de tëarfc J»'ai rencontré cependans beaucoup de perfonnes, revenues de Spa, qui trouvoient fes environs tristes & fans agrément. Mais pour moi, qui ai peut-être une facon. particuliere de voir & de fentir., favoue que je. luis bien éloigné d'être de leur avis. Le terroir, il est vrai, y est communément ingrat & aride;. mais ca contraste piquant de forets, de rochers, de champs labourés, de prairies, demaifons. & de- déferts; ces vallons resferrés &■ profonds; ces montagnes qui croifent & varientfi pittoresquement le païfage; ces petites cascades qui furprenncnt a chaque pas; cette fcenemouvante qui varie k tout moment ; tous ces caprices- bizarres de la Nature, aux quels nous ne fommes point accoutumés dans notre païs, forment k mes yeux un tableau original & touchant, trés propre k faire naitre cette émotion douce & mélancolique, a nourrir ces délicieufes rêveries,. qui font tant de plaifir k ceux qui favent en fentir le charme. Après cette petite courfe k cheval, nous payM 3  C 18* ) coururaes Spa a pied. Ce bourg n'a rien de bien remarquable; on n'y voic que des auberges ou des hotels qu'on loue en entier; les maifons y font bdties comme a Liege, & peintes en bleu, en blanc ou en nanking, la couleur aujourd'hui la plus a la mode. - Nous aliames après cela déjeuner a Panden Vauxhall. Nous trouvames cette Salie un peu' plus pctïte que celle de la Redoute, mais décorée comme elle par 1'archheclure Iaplusriche, jointe au gout le plus délicat. U n'y avoic presque perfonne, & nous fumes obligés pour trcuver le monde d'aller au nouveau Vauxhall, fa rivale; a qui le Prince, en vertu dn droit qu'il prétend avoir daccorder des privileges exclufifs, a défendu de donner des divertisfemens; maïs dont FEntrepreneur, bravant le Prince & méprifant fes ordres, donne non feulement pabhquement a danfer & a jouer, mais a pousfé meme 1'audace, il n'y a que peu de jours, jusqua ufer de voyes de fait, & a en empécher oe vive force 1'entrée a FOfficier du Prince avec fa Troupe, qui vouloit y prendre infpeftion, felon les ordres qu'il avoit recus. C'est, comme vous voyez, le Vauxhall des patriotes. Cec événement faifoit une vive fenfation a LieSe • lorsque nous y étions, & partageoit toute la' T% 0n Parlok d> cnvoyer un detachement oe lroupes.  Je ne veux point dëcider, jé le repête, tÉ* quel des deux partis a tort; peut-être 1'ont-ilstous deux: mais il me femble que, fi même le Prince a raifon dans le fond de Faffaire, comme bien des gens me Pont asfuré, il a eu toujours ton au commencemenc de mécontenter & même: de heurter de front les Anglois, qui ai ment asfèz que les chofes s'arrangenc un peu a leur fantaifie, & fans qui Spa feroit peu de chofe; & de s'être mis par-la dans la facheufe alternative de devoir dans la fuite, ou fe fervir de moyens de force pour maintenir fes droits & fon Vauxhall , ou abandonner fa Banque qui jusqu'jci a fait un de fes grands revenus; & de faire toujours dans- les. deux cas un tort inuni a Spa, qui peut devenir irréparable dans- la fuite, en endégoutant une muitirade de perfonnes tranquüles & pacifiques, qui n'aiment point a vcnir deLoin, pour trouver le trouble & les disputes dans. un lieu, desüné. & dévoué autrefois a ramufemenc. & aux plaifirs. Ce madn-la la Duchesfe de Cumbcrland y étoit pour la première fois. Le fuecas, qui a couronné 1'entreprife hardie dont je viens de parler, paroït 1'avoir décidée; & il femble quecbez elle, comme chez presque tout le monde , le fuccès tient lieu. de justice & de droit, puisqu'elle n'y avoit pas été auparavant. Jusqu'ici la compagnie avoit été partagée dans les. M 4  C «84 ) deax Vauxhalls, mais- fa démarche paroït avoir entrainé tout le monde ; car, comme je viens deledire, 1'ancien étoit défert, & le chagrin, 1'envie, la rage écoient peintes dans les yeux du Direéleur, des employés, & furtout des Banquiers privilégiés, comme il est bien naturel. La Duchesfe de' Cumberland, non contente de paroitre dans le nouveau Vauxhall, y donnoic encore un fuperbe déjeuné a une trentaine de perfonnes. II y avoit un autre grand déjeuné, ausö entierement Anglois; & oütre cela quantité de petits, de trois, de deux & même d'une perfonne. J'en avois un de ce dernier genre; cétoit mon troifieme de la matinée, mais ausfi étoit-il trés léger; un verre de vin de mufcac & quelques péches, voila de quoi je me rega- • lai moi-même dans mon coin, a ma petite table,ausfi fierement que la Duchesfe de Cumberland k la fienne, abondamment pourvue de rafraichisi'emens délicieux, & entourée de plulieurs beautés Angloifes non moins délicieufes. Cette nouvelle Salie * conftruite 1'année pasfée, est tres grande & trés belle. Elle a peut- . étre un peu moins de magnificence que les deux aHtres, mais beaucoup de délicatesfe & de gout. Ses belles colonnes blanches, ornées de festons de verdure & de flcurs, & entremêlées de plulieurs grouppes de jolies femmes dans leurs deshabiljés .élégans du matin, m'oflorent un des  plus gracieux tableaux que j'eusfe jamals v««. La mufique y ajoutoit un nouveau -charme; & les danfes vives & gaies qui s'exécucoient danSi une autre partie de la Salie , y mêloient un air de féërie , y repandoient je ne fais quoi d'enchanteur, qui firent jouir délicieufemenc mon imagination. A 1'Opéra de Paris j'ai vu dans ce gout charmant des fpeftacles beaucoup plus brillans ; mais 1'idée d'illufion & d'imvraifemblance, qui fe joint a tout ce qu'on voit au théatre, a caufé fans doute qu'Ms m'ont moins agréablement afFefté que cclui-ci. On dine a Spa a trois heurcs, & on s'habille après le diné. On va enfuite oü 1'on veut. Quelques perfonnes restent chez eux; d'autres vont faire des vifites; plufieurs vont fe promener en voiture fur la grande route qui vient de Liege, & dont je vous ai parl4 plus haut. Com*. me elle est plantée prés de Spa en allée de jeunes arbres , elle y forme une espèce de Cours. A fix heures, il y a Comédie ou Bal, ■■ enfuite asfcmblée publique a la Salie de Redoute , ou 1'on fait de nouveau tout ce qu'on vent. Vous voyez bien, que quand on fe propofe de rester quelque tems a Spa, il fout tacher abfolüment de faire quelques liaifons. Nous avons été au fpeftacle, oü on a repréfenté pasfablement, & dela k la Redoute, dont je vous dirai eacore. quelque chofe dans ma fuivante: Je doi§ M 5  C 1*6 y ffair ceï!e-d TI a fait trés froid ce foir, quand nous fommes tsmtrés; I'air étoit fin & fubtil, comme s'il aüoit géler. Adieu,, LETTRE IX. '4ix-ta-£hapelle, Jeudi 7 de Septembre 178Ó" T JLI y avoit Mardi foir beaucoup de monde a Ia Redoute a Spa. Je m'y mis amufé, comme la veille,, a regarder. J'ai pris plaifir furtout a examiner les femmes, leurs habillemens, leurs manieres, & j'ai eu occafion d'admirer la beauté de quelques unes. Les femmes Angloifcs fe mettent trés bien, & avec beaucoup de foin;. mais j'ai été faché de m'appercevoir, que plufieurs & même les plus élégantes avoient du rouge. Je m'étois flatté, que du moins chez cette Nation, qui aime tant ce qui dent de prés h la Nature, on ne trouveroit point J'Art dans ce  C 18-7 J> q*ui fait Ia'beauté par excëllence. Les femme» ne me paroisfent pas faites pour être des ta-' bleaux* dès qu'elles ne font que cela, elles perdent k mes yeux leur plus grand attrait. Je fais que bien des perfonnes trouvent mon fentiment k ce fujet ridicule, & le traitent de préjugé; mais j'ofe croire cependant que ce n'en est pas un. J'ai pasfé huit mois k Paris, oü j'ai vu plus de Dames enluminées, qu'il n'y a peutêtre de femmes dans toute la Province de Gueldre; & j'en ai rapporti mon fentiment plus fort même qu'il n'étoit quand j'y fuis allé. C'est la mode, me dira-t'on : foit; que la mode domine dans la coëffure, dans l'habillement, dans' tout ce qui n'est qu'accesfoire, je le veux. bien; mais je rejette fon empire, dès qu'elle ofe toucher k 1'esfence de la beauté, k la perfonne1 même; dès qu'elle défigure de fa main capricieufe la véritable beauté de la nature. N'est-ce donc qu'aux yeux feuls qu'une femme veut paroitre belle? Ne veut-elle plaire' que comme une production de Tart? Ne veutelle faire qu'une impresfion momentanée & peu fentie ? Comment peut-il jamais paroitre égal, de voir des joues colorées de la touche délicate de la nature, ou du pinceau toujours plus grosfier de Part. Pasfe pour les femmes qui font laides; elles n'ont point de beauté k gater; elles neveulent  f *8»& > ^no dégiafer ce qui leur manque. Pasfe encore, pour celles qui veulent reparer les outrages du, tetss.; elles ne peuvent gater ce qu'elles n'ont plus. Mais qu'une jeune beauté pale aille ternir cette fleur délicate & naturelle qui s epanouic dans rous fes traits; qu'elle altére 1'expresfion de fa phifionomie, qui feule pénétre jusqu'a notreame;. qu'en doanant quelque vivaeité a fes yeux> elle y efface les iropresfions touchantes du fen-r timent; qu'en voilant cette aimable rougeur, la, compagne de k pudeur, le plus grand charme, de la beauté,, elle détruife eet air d'ingénuité* de candeur, d'innocence, qui ne peut fubfisterv avec 1'artifice du fard; & pourquoi?. pour remplacer par des couleurs artificielles , que tout ler monde fait ne lui pas appartenir, une paleur, toujours intéresfante, quand elle est jointe a Ia beauté; c'est une manie que je déplore & que}e ne comprends pas! Que dirai-je des femmes» que la nature a embellies des couleurs les plus vives, & que la mode entraine jusqu'a leur faire flêtrir, fous une couche de fard, ce coloris frais. & transparent, qui prouve la fanté & commande 1'amour ? Au milieu de 1'enchantement & du trouble, que produit la vue d'une belle femme, Ia penfée que cette beauté qui brille avec tant d'éclat dans. fes yeux & fur fon vifage, n'est que faétice, & trompe nqs regards feius des couleurs éjcangeresj.  C i8 -9 1 cette perifée doit feule fuffire, il më femble v pour glacer rimagination la plus animée; & dè* que l'imagination est refroidie, 1'enchantemenc doit disparoitre. Car oü est la femme, quelqiio belle qu'elle foit, dont la beauté puisfe fe pasfer des illufions de rimagination'. L'imagination embellit tout par les prcstiges flatteurs dont elle décore fa chimère; elle fevêt les femmes de plus de charmes que ne peut faire la toilette lx plus rechcrchée; elle fait même le fondement de 1'amour, du moins de eet amour, qui n'est produit que par la feule beauté. Jé ne dispute pas, qu'une beauté avec dit rouge ne puisfe produire une espèce d'admiradon: mais ce n'est pas cette admiration fentie * ardente; ce mouvement intérieur qui s'empare de 1'ame, qui 1'entraine, & dont on fent qu'on n'est pas le maitre; c'est une admiration froide i reflêchie, tranquille , qui n'infpire rien; une admiration asfurément peu digne d'une belle femme. On ne 1'admire alors fouvent que comme •une belle partie d'un btillant tableau. C'est ainfl qu'aux fpeftacles de Paris, placées dans les loges, & confidérées comme faifant un enfemble avec les ornemens de la Salie & les décorations du Théatre, elles m'offroient un coup d'oeil ravisfant, & donnoient une teinte éclatante a tout ie tableau; mais elles ne produifoient pas chez moi le -fendment que ia beauté des femmes doü  procTuiri?. Vues eti masfe, elle faifoient un fpectacle fuperbe; mais vues une a une & de prés, le charme cesfoit; & ainfi que les piecej détachées des décorations, elles ne faifoient plus d'illufion. Nly auroit-il y pas quantité de femmes, qui ne connoisfent pas la valeur de leur beauté; qui fe contentent qu'elle foit admiréc, fans s'embar* rasier qu'elle foit fentie; fans fe douter même, qu'il y ait en cela quelque différence. Quclls' beauté cependant ne doit pas paroitre froide, dès que 1'on fe fouvient, que 1'éclat de fon teint, qué 1'expreslion même de fes yeux est trompeufe, & qu'on n'ofe lui donner un des plus doux témoignages de 1'amitié ou de 1'amour, qu'avec une froide précaution ; c'cst-a-dire, pour parler plus clair, qu'on n'ofe la baifer qu'au front, de crainte de fe falir la bouche. Faudra-t'il ajouter encore quelque chofe après cela. Pour moi, plus j'y reflêchis, moins je puis comprendre, que des hommes fenfibles & délicats puisfent n'être pas de mon avis. Pour les femmes, qu'en dirai-je ? Si elles manquenc de délicatesfe au point de fe contenter de paptager avec un rouge artificiel les hommages qui leur font rendus, il est tems pour les hommes, qui ont, dirai-je, le malheur d'en avoir encore, de tacher de s'en défaire au plutót. Quand les femmes n'ont plus de délicatesfe, elle n'est plu*  C *9ï ) pour les hommes qu'un fardeau péfant, non feuLement inucile, mais nuifible, qui tourmente même, qui est k charge. Voila les principales raifons qui m'indispofenc contre le rouge ; ce n'est pas feulement une affaire de góut, c'en est. une chez moi de feneimenr, & je crois que ce n'est pas faire torc aux femmes, que de confidérer leur beauté avec enthoufiasme. Les femmes. Angloifes, autant que j'en puis ju^er a la fimple vue, me paroisfent en général plus touehantes que les Francoifes; du moins elles me plairoient davantage. Elles ont plus de fimplicité, plus de naturel, moins de caquet & moins de prétentions. Leurs yeux ont moins de vivacité, mais annoncent plus dame. Le lendemain matin, c'est-a-dire, hier Mercredi, nous fimes une charmante promenade a cheval, par les routes tortueufes des montagnes autour de Spa. Nous rencontrames un païfan qui demeuroit du cöté de Stablo, a une lieue & demie de Spa, dans un village, que nous vimes devant nous, mais oü nous n'avions pas le tems d'aller. II nous accompagna pour nous montrer le chemin , & nous amufa beaucoup par ia converfation. Comme il avoit été valet de chambre d'un Seigneur Francois a Paris, il s'expliquoit asfez bien. II nous entretint beaucoup du Comte Rice, un des. chefs du para  C 192) contre Je-, Prince de Liege , & nous parut "lui êcre trés attaché; principalemcnt par animofiré contre Spa, qui, au commencement du fiecle, a ce qu'il nous raconta, avoit entierement écrafé fon village, dont les eaux minéralcs étoienc rneilleures , & avoient de ia vogue dans ce tems-la : II fe fkttoit que le tems étoit arrivé apréfent de le faire revivre. Nous pasfames par le Tonnelet, autre fontaine minéralc dans les environs de Spa, mais qui n'est pas fi fréquentée que les autres. Cette courfe par les montagnes, dans un canton fauvage, oü une nature brute étaloit des beautés d'un genre agreste & bizarre, me fit beaucoup de plaifir. Defcendus de cheval, nous fimes une autre jolie promenade k pied , courümes les deux Vauxhalls, dinames a midi, & partimes a une beure pour Aix-la-Chapelle, en carosfe a trois chevaux, qui nous couta quatre ducats, un ducat par cheval, & un ducat pour la voiture, qui étoit trés mauvaife. Nous avons été trés cher a Spa , & y avons plus dépenfé que dans trois endroits comme Mons ou Namur. Néanmoins ce ne fuc .pas fans regret, que je quittai ce charmant féjour, oü j'aurois bien fouhaité pouvoir rester •plus longtems. Quoique je n'aime point le jeu, rje ne craindrois pas cependant de m'y ennuier. Po. peut y pasfer toute la. journée felon fou choix ,  c '93 y diÖïx",' driris" la Compagnie la plus brillante & la plus nombreufe, ou dans la plus grande retraite. Je rie connois point d'endroit, oü il y ait des asiemblées plus riantes, plus gaies, plus diverfifiées, toujours animées par la danfe & par la müfiqué ; je n'en connois point ausfi, oü il y ait des folitudes plus profondes, plus ifolées, plus fauvages, plus délicieufes. Enfin , oütre lès plus belles promenades a cheval & a pied, 011 trouve a Spa tout ce que la vie bruyante 6c la vie retirée peu vent avoir de plus agréable ; tout ce que la bonne chere peut avoir de plus exquis, le gout de plus rafiné, la mode de plus nouveau, le luxe de plus magnifique. Ajoutez a cela un bon appartement & des livres ; & vous ro'avouerez que c'est un vrai paradis .pour quiconque a des gouts vifij & une bonne bourfe. Voük tout ce que je puis vous dire de Spa, ou nous n'avons pas été deux jours entiers. La route de Spa, & furtout de Verviers jusqu'a Aix, est de nature a faire oublier Spa & tout le rëste de la terte. Nous fuivimes jusqu'a Eu Je même joli chemin qu'en arrivant; mais un peu au dela, nous primes a droite; & après avoir monté 1'espace d'une demie lieue, nous noua ïrouvames fur une montagne trés élevée, en par* rie couverte de bois, en partie inculte & d'uo. aspsft fauvage. Mais, lorsque öqus fiimes; au  X 194 ) forrimet, tine ;fcene ravisfante* s'oavrït tout h coup a hos regards, qui s'étendirent a pertc de vue fu? un païs imrnenfe, parfemé de collines '■& de vallées, de villes & de villagcs. Nous Vimcs Verviers devant nous, dans un vallon long ■& ccröic, qui donne la même forme a ia ville; & au del'a le païs de Limbourg, province enchantée, qu'on croiroit produite par la baguette magique d'une Fée. Des bouquets de peupliers "de Lombardie, épars & plantés fans ordre, ajoutoienr a la beauté de ce païfage; & des montagncs éloignées terminoient majestueufement cc magnifique tableau. Ceete vue contrastoit fingu'lierement avec celle du païs agrestc & ftérile -que nous venions de traverfer, & me frappa -d'autant plus vivement. La ville de Verviers oü nous arrivames, après avoit été quelque tems a defcendre, est asfez grande, & fleurit principalement par fes manufaclures de draps, Nous ne nous y fommes ar<ïêtés qu'une demie heure pour rafhuchir les chevaux. Elle est batie comme Liege, 'mais moins fale & moins fombre ; & j'y ai remarqué quelques maifons en ardoife. Les meilleures y font ■peintes en verd , entremêlé d'un peu de blanc, ■ce 'qui leur donne un air liant & propre. C'Hêtel de ville que je n'ai vu qu'en pasfant, itfa para d'une architeclure asfez distinguée. Ce«e ville, que je croyois plus petice , paroïc  C ï05 > habitée de beaucoup de perfonnes riches, puls- que la Troupe de Spa fe propofe d'y pusfer quelque tems a la fin de la faifon. Plulkurs bras de la petite riviere de Weze traverfent la ville, & coulant avec impétuofité fur des morceaux de rochet ou fur des cailloux, forment de distance en distance des petites chutes d'eau trés agréables par leur murmure. Elle fe joint a TOurte a une lieue de Liege, & tombe avec elle prés de cette ville dans la Meufe. Verviers est infesté de mendians, comme les autres villes du païs de Liege. Ses environs font ausfi élevés, mais beaucoup moins fimvages que cenx de Spa. A peine fumes nous fortis de la ville, que nous montames de nouveau durant une bonne demie heure. Prés de lk cominence le Limbourg, & le territoire de 1'Empereur. J'allai k pied devant la voiture pendant la montée •, mais vous foupconnez bien que je m'amufai k regarder plus de cinquante fois derrière moi, pour jouir de la belle vue qui s'étendoir de plus en plus, a méfure que j'avan9ois. La plus rude montée pasfée , je remontai dans la voiture , & nous nous vimes alors dans un païs trés élevé, mais toujours un peu inégal, & qui continue ainfi jusqu'a une lieue d'Aix-la-Chapelle, oü 1'on traverfe les montagnes couvertes de bois que nous avions vues de loin, & qui féparent le territoire. de cette ville & & a  PAIlemagné de Ia provincë de Lmibourg & des Païs-^Bas. Touce Ia partie de cette province que nous parcourumes, & qui :fai: un espace d'environ fix Jicues, est un paradis terrcscre, une vraie terre .promife. Eile est prcsque entierement en paturages, tous fitués en pente & i'une au dcsfus de 1'aurre. C'est la que fe fait ce fromage fi renommé, & qui fent fi mauvais. Le coup d'oeil d'un bout a 1'autre étoit ravisfant. De. quelque cdté que nous portions la, vue, elle rencontreit partout des amphkhéatres de-prairies, couvertes d'une herbe fine & épaisfe, & nourrisfant -un bétail ausfi beau que celui dc tlollande. Par-ci par-la des champs labourés'varioient agréablement ce tableau. Les plaincs-fcrtiles de la Flandre n'ont point de fol plus riclse, ni de champs mieux cukivés; & 1'éievation du païs, la beauté des fites, Fenchantement des pcrfpeétives raettent cette fuperbe contrée bien au desfes de tout ce que j'ai vu de .plus beau dans les Païs-Bas & ailleurs. Qael regret d'avoir du la traverfer ausfi rapidement ! -II faifokie plus beau tems du monde: le foleil éclairok, ombrageok, nuancoir cette fraiche verdure, qui fèmblok étendue comme -un tapis immenfe fur les vaIlon<-: & fur les collines ; oü des groupes de vaches & de païfannes occupées a les traire, formoient un tableau, que je ne puis dér crire^ .mais que j'ai toujours devant mes jeux.  C "*9? ) J'êtois égaré' & hors de moi-même en traverfënt un païs, qui parloic fi- vivement a mon i'magination romanesque. Le jour baisfoit, quand nous arrfvames a Beloeil, grande auberge fur la route a deux Heues & demie d'Aix. L'Höte nous y mena dabord fur le grenier-, pour nous faire jouir de la vue étendue qu'on a dans ce païs élevé. 11 nous montra Eindhoven, que je pus distingucr de mes yeux fans lorgnette, quoiqu'éloigné de vingt lieues, a ce qu'il nous dit; les cnvirons de Namur; les frontieres de la Lorraine; pluSeurs autres endroits tant des Païs-Bas qui de 1'AllemagnQ; & il nous asfura qu'en plein jour on pouvoit appercevoir Bois-4e-Duc & Louvain. II ne négligea pas non plus de nous vanter beaucoup la fertilité de cette terre cherie de la nature; & il- nous asfura que le Limbourg est également beau & bien cultivé dans toutes fes parcies, & fi pcuplé qu'on compte trois mille perfonnes par lieue quarrée. De Beloeil nous continuames notre route dans 1'obfcurité; mais. la lune éclaira bientót asfez pour nous nous faire appercevoir que la comrée rcstoit toujours trés belle. La chnusfée cesfè , dès qu'on arrivé fur le territoire d'Aix, & 1'on' continue fa route fur un chemin de terre trés.dur, au travers d'épaisfes forets. II étoit dix heures, lorsque nous arrivames h cette vilie m& N 3  que, Tanden féjour de Charlemagne, & oh fon corps repofe encore. La porte étoic fermée. Un vieux foldat, asfez mal habillé, une lanterne a la main, & nous accostant dans un langage Allemand qui me parut peu poli, ne nous 1'ouvrit qu'après nous avoir fait payer beaucoup d'argent; mais en revanche, nous ne vimes point de Gommis. Nous allames prendre notre logement au grand bain de Charles chez Marnef, dont I'Hóte nous préfenta dabord a Mad. fon Epoufe, qui nous recut en grande Dame, & que nous trouvamrt asfife a table avec fa foeur & un Officier Suisfe. au fervice de la Republique. Nous avions fait beaucoup d'exercice ce jour-la, & n'érions guères d'humeur a faire les galans a di>: heures & demie du foir. Nous nous minimes donc dabord dans notre appartement, ou nous demandames a fouper, peu au fait des coutumes de la maifon, qui confistent a diner & a fouper avec Madame FHötesfe; ausfi notre foupé fÖHi rrès mauvais. Nous allames nous coucher peu après, asfez fatigués, & encore tout étonnés de Pair rustre du vieux foldat, qui nous ranconna a la Porte; de Pair de grandeur de Phótesfe qui nous recut dans fon hotel; de Pair humble de fon mari en fa préfence; de Pair mesquin du mechant foupé qu'elle nous fit fervir; & de Pair hideux de  ( m } I'afircufe fervante, qui vint faire nos lits pendant,, que nous le mangcanics. Je m'endormis ce-, pendant bien vite malgré tous ces- étonnemens ;, mais je fis encore la reflexion , qu'il étoit fingulier, que comme nous avions a peu prés. commencé notre voyage par une ville fameufe par le berceau de Charles-Quint, nous allions le finir par une autre plus fameufe encore par le tombeau de Charlemagne^ Aujourd'hui nous avons parcouru la ville & les environs pour en voir les curiofités. Elle.. paroit aggrandie a pluficurs reprifés, & chaque. fois entourée de murailles. La panie du milieu est la plus antique & la plus. ancienne; la partie extérieure, oü nous logeons , !a plus belle, & la feule même qui le foit un peu. La ville en général ne Fest pas,' elle m'a paru même triste. Les. maifons y font ausfi mal entrctenues pour ce qui regarde la peinture,. que dans les autres villes que nous avons pasfées. Elles font baties presque dans- ie même goüt qua Liege. La pierre dont on s'y fert, & qni est. mêlee avec la brique, resfemble a celle qu'on employé dans cette ville. II y a peu. de batimens, oü il y. ait de lVchitccmre.. Les murailles de la ville, qui font en pierre de taille, & les batimens publiés tombent presque en mine. Le pavé des rues est trés mauvais; mais les femmes en revanche fout asfez jolles, ce qui vaut bien un, N 4  c *m > b«u pavé. L'AHemand est proprement -Ia la», fiue du Pa1S; mais le peuple y parle un patois, qui «ent du Flamand & de 1'Allemand, & qui est presque inintelligible aux deux nations. On voit au milieu de la grande Place une Hame de Charlemagne au milieu de deux basfins 1'un au desfus.de 1'autre, & ornés de fontaines. Elle n'est pas belle -, & n'est remarquable que par le grand homme qu'elle repréfente. Prés de la • on vous montre dans une maifon une grande poupée qui figure Charlemagne, habillée trés bifarrement, & coërfée" d'une énorme perruque, fnfee & poudrée avec beaucoup de foin. Elle'' est enfermée dans une grande armoire, & promenée tous les ans en procesfion par la ville; ce qui, vu fa finguliere mine, doit faire une'cérémonie asfez ridicule. L'Hötcl de ville, ou nous allames de la, est un Mtiment en pierre de taille, trés grand, tres ' vieux, & fans arebitecrure distinguée. Nous trouvames le vestibule rempli de bourgeois arn.és; mais qui étoient. trés mal habillés, avoient une pauvre mine, & a eet égard ne valoicn* pas les notres. Nous fumes dabord environnés par trois ou quatre de ces Mesfieurs, qui fe crurent obligés de nous accompagner partout quoiqu'd y eüt une fille, qui nous ouvrit ies appartcmens. C'est une fuite des. disputcs du ft'lagistrat avec le pcuple, qui vient de le depo-  ( aor ) Ter, ce qui hè peut furprendrc perfonne 'moins que nous. Cette affaire est pendante aclüellement k la Chambre de Wetzlar. On nous y montra premierement la Salie diter des Ambasfadeurs, qui est trés grande, décorée d'ornemens gothiques, & garnie des portraits de töus ceux qui ont figné la paix de 1743. A cöté est la Salie d'asfemblée, oü les Bóurguemaitres s'asfembloient ci-devant. Ori nous fic vóir en bas la Salie de la paix, fameufe par celle qui y a été conclue 1'année 1748. On y voit encore les mêmes meubles, qüi ont été faits exprès pour eet événement, & qui Vont plus fervi depuis. Cependant ils tombent eri grande partie en pieces & en lambeaux. Pour évitcr les disputes du rang & du pas, on y avoit fait une grande table ronde, oü il n'y avoit pas de première place; & oütre la grande porte d'entrée, on y avoit pratiqué quatre autres portes d'égale grandeur, pour les Ambasfadeurs de chaqüe Nation. Sans cette paix, & 1'intérêt qu'elle donne naturellement k ' ce qui y a eü quelque rapport, eet Hötel de ville n'auroit rien de bien curieux. Nous allames de lk a la grande églife. En dehors elle est gothique & trés antique; en dedans en partie moderne, tout-h-fait fingulieremént conftruite, triste, fombre, mais k mon goüt belle k plufieurs égards. II y a Un bel N 5  C 2;° 2- ); autel en or, & une Chapelle neuve^ magnifik quement ornée, & qui mérite dëtre vue. Mais ce qui principalement y attire les curieux, ce font i les Reliques. Elles font gardées dans la Sacristie, oü elles font foigneufement enferméeg. dans plufieurs armoires. Elles nous furent montrées par un Eccléiiastique, qui nous en fit 1'explication dans un Francois fi barbare, que je n'en compris pas la quatrieme partie. II avoit! avec lui un autre Eccléiiastique de moindre dignité, qui les tiroit une a une des armoires, &. les remettoit a leur place. Cela fe fit avec une espèce de folemnité, que nous crurces devoir payer plus cher, que cela ne nous valoit réellement. Ausfi aurions nous volontiers négligé de les voir, fi ce n'eüt été une espèce de: honte' d'avoir été k Aix fans avoir vu les Reliques & furtout Fépée de Charlemagne. Ce fut ausfi la première chofe qu'on nous montra. Elle est trés* intéresfante, pour avoir fervi a ce fameux Guerrier, eet exterminateur des Saxons; fi effeétivement elle lui a appartenu, & fi elle n'est pas feinte & fausfe, comme on doit le croire de la plupart des autres pièces, qui nous furent montrées après. Elle perdroit en ce cas tout fon prix; car elle n'a fans cela rien de remarquable, & n'en peut avoir d'autre que celui-la. On nous dit qu'elle a été trouvée après fa mort dans, fon tombeau , ainfi qu'un Eyangüe avec des ° Tra  lettres peïntes en or, que nous v!mes ausfi. On nous fit voir après du fang de Saint Etienne. Ces trois Reliques précieufes doivent fervir au couronnement de 1'Empereur, & font, dans ces occafions, envoyées fous bonne garde, & avec beaucoup de précautions a Francfort, quoique de droit cette cérémonie devroit fe faire icL Les autres pièces curieufes qu'on nous fit admirer, furent une main & un os du bras de Charlemagne, enchasfés dans un bras & une main d'argent doré; plufieurs autres parties du corps de cec Empereur, enchasfées de même; & diverfes curiofités respeclables du même genre r' non moins inftruclives & intéresfantes, mais dont je vous ferai grace, comme j'aurois défiré qu'on me 1'eüt faite. Après que nous eumes vu ces antiquités fa-* crées, notre Laquais de louage nous ména k Burfchet. Ce Laquais de louage avoit beaucoup de resfemblance avec ces mannequins, qui fervent de joujoux aux enfans, & dont on faic mouvoir les bras & les jambes a volonté au moyen de petites ficelles. II marchoit toujours tout droit k trois pas devant nous, ne remuoit aucune partie de fon corps que les jambes, & pas plus encore qu'il ne falloir. II ne faifoic pas un pas de trop ni d'inutile. II n'y a poinc d'automate un peu bienfait, qui ne foit plus dé* gagé que lui. Sa figure étoit horrible; mais j nè h vis qu'on moment, car j'eus fo'm de óé+ tourner la tére, dès-qu'il faifoit mine de vouloir rourner fon vifage vers moi, & je 1'évitai autant que 1'auroit fait une femme enceinte pour la première fois. Heureufement, qu'en marchani devant nous, fa tête étoit ausfi immobile que le reste de fon corps. Ce triste perfonnage n'avoit aucune connoi>fance des curiofités de la ville; & quelques questions que nous lui fimes, il ne favoit repondre a rien. II connoisfoit le chemin, voila tout; & il n'y eüt que fes jambes & la vue de fon dos qui nous furent de quelque utilité. Burfchet est a un demi-quart de lieue d'Aix. Je crois que c'est une ville; du moins nous entrames par une porte, & fuivimes une longue rue toujours en defcendant. Cette rue n'offïe aucune belle maifon; elle est même trés laide. On dis qu'il y a une bonne auberge pour les étrangers; tous les autres habitans ne font que de petits marchands. Mais c'est ku bout de cecte rue qu'on trouve ce qui est véritablement curieux & intéresfant; je veux parler des bains d'eau chaude. On voit dabord au milieu de la rue un basfin 011 une espèce de grand puits, remplie d'une eau, qui reste toujours de la même hauteur, & dont la fource ne tarit jamais. Cet- ■ te eau est non feulement chaude, mais bruiante, & bouillonne en fortant de terre, comme celle:  mm > qui bouillit fur le feu. Les oeüfs, qu'on y. jette , font cuits en moins de cinq minuces. Eile est en plein air; & fa chaleur reste toujours la même, dans les plus fortes gelées de 1'hivcr, comme dans Ie tems le plus chaud de Tété. On voit s'en éiever même dans la première, fiiifon une fumée plus épaisjjf, Ce reiervoir est fous clef, & il n'escpas permis au public d'y puifer; mais tout a cöté il y a une fontaine publique de Ia même eau. j'en pris quelques goutes fur ma main; elle me biula vivement comme auroit fait de 1'eau bouülante. A quatre pas dela, ce qui me parüt bien remarquable, il y a une fontaine d'eau froide ordinaire. Les maifons oü 1'on prend les bains, font visa-vis. Nous entrdmes dans une des prürcipales, & nous y vïratrs difiérens bains, oü Fon fait entrer de cette euuchaude, rcfroidie plus ou moins, comme ie défire le malade , ou comme Fexïge fa fituation. On nous y montra ausfi les bains de vapeurs, & les différentes manieres, dont on peut fe fervir de ces eaux pour Fagrément & Ia famé. Mais, pour vous en bien fonner une idéé, il faudroit que vous Fallasiiez voir vous* même; il ne m'est pas posfible de vous en faire une defcription bien claire. Le touc me parüt trés commode & trés propre. II feroit intérest fant de pouvoir examiner ces eaux plus a loifir. II y a ausfi des bains chauds dans la ville ; mêinsv  ( 206* ) dans notre Logement & dans celui a cÖté; mais ces eaux n'ont pas a beaucoup prés le même dégré de chaleur. Comme le Courier va partir dans rinftant, je vais fermer ce paquet , & vous donnerai, quand je ferai de retour chez moi, la fuite de notre peüce courfe, qui touche a fon terrae. LETTRE X. Voorfïonden^ Mercndi 13 de Septembre 1786*. T JL1 y a déja trois jours, que je fuis de retour de notre petite courfe, dont je continuerai la relation jusqu'a notre arrivée Samedi foir a Cléves, ville que vous connoisfez fuffifamment, ainfi que fes environs. Ma derniere Lettre nous a laisfés a Burfchet, eccupés a admirer les bains chauds, & la fource'  d'eau bruiante ,, un des plus intéresfans phénomenes, qui nous aient frappés pendant notrecourfe. Pour arriver au Vauxhall de Burfchet, qu'on nous confeilla d'aller voir, nous'fumes conduits par plufieurs petits fentiers dans un jar*. din, que nous aurions cru destiné a la promenade, fi Fherbe qui croisfoit dans,les allées ne nous eüt témoigné qu'il ne fervoit guères a eet ufage. Au bout de ce jardin étoit un pavillon, plus fréquenté que la promenade. Nous entrames, & vimes une grande table ronde, couverte d'un tapis verd, & entourée de plufieurs joueurs asfis; les yeux hagards, la contenance morne, & dont on pouvoit voir la bonne on la mauvaife fortune tracée fur leur figure. Un filence profond regnoit dans cette asfemblée; il n'y avoit point de fpeftateurs; tout le monde jouoit; & nous nous appercumes que c'étoit moins un rendezvous pour'la focieté, qu'un coupegorge dangereux, un repaire du démon du jeu, dont la caverne s'annoncoit par les fentiers tortueux & détournés, & le jardin mal entretenu qui y conduifoient. Nous quittames donc bien vite eet endroit qui n'étoit pas fait pour nous, & allames parcourir les environs de la ville, qui nous offrirent des objets & des vues plus de notre gout & plus agréables. Le païs resfemble a celui de Limbourg, fans grre tout-a-fiüt. fi beau. II nous auroit frap-  C ao3, ;> pés davantage, fi nous y étions venus au conïmencement de notre courfe. Pour bien connoitre le local de la ville, nous voulumes -faire le tour du rempart; mais nous le trouvames vieux & peu agréable, & fes murailles ménacant ruine. Et, comme on nous dit qu'il faudroit une heure & demie, pour en faire le tour, nous préférames d'ailer fur Ie Loosber* montagne asfez élevée, a un quart de lieue de la ville. ■. Nous nous y achéminames donc par une forte chaleur, toujours a la fuite de notre automate, qui montoit la montagne avec Ja même roi» deur & du même pas dont il arpentoit ia rue Nous eümes quelque peine a caufe de la chaleur, au milieu de Ia journée; mais arrivés au fommet, une vue ravisfante nous en recompenfa magmfiquement. Je ferois presque blafé fur les belles vues, fi 1'on pouvok fe dégouter de. beautés de la nature. La ville, qui étoit a nopieds, fe découvrit h nous dans tout fon plan & dans toute fon étendue; nous pouvions compter • fes eglifes & fes clochers, & nous faire une idee plus juste de fa ficuation , que fi „0us 1 avions parcourue d'un bout a 1'autre. Au dela nous vimes toute la belle contrée qui 1'environne; d'un cóté, des montagnes, de 1'autre, uneplaine coupée par des collines & parfémée d* villages. _ ... Rentrej  | ?°9 ) Rentrés en. ville * nous allames a la Salie de Redoute, vis-a-vis de notre auberge > qui est asfez belle. II y avoit peu de monde, & nous n'y restames qu'un moment. Nous dinames a notre Hotel a Ia table publique, ou il y avoit beaucoup de grands Seigneurs , Francois, Allemands, Polonois, Livonicns & Rusfes, qui formerent une asfez bonne focieté. Madame lTIótesfe, asfife dans fon Canapé, & trés élégamment parée dina avec nous, fit avec beaucoup de grace les honneurs de la table & de Ia co'nverfation, & recut, comme il étoit juste, les hommages de la compagnie, enchantée de la préfence d'une perfonne de fon fexe. Cette Dame dine & foupe tou•jours avec les étrangers qui vienttent chez elle, & paroit aimer beaucoup la focieté. Elle est encore pasfablement jeune, & pas mal de figure. Son nom de familie est Marnef, & elle a époufé un Monfieur Braümer; mais je crois que ce n'est que pour la forme» C'est ün trés galant homme", discret, & qui fait vivre; il n'importune point fa femme par trop d'asfiduités; je 1'ai vu un inliant a mon arrivée, mais il n'a plus reparu depuis, & j'ignore encore ce qu'il est devenu. Notre diné fut trés bon. Après diné nous iumes a la nouvelle Redouce, conftruite depuis peu. Cette Salie est magnifiquetnent déeorée % O  & asfurément trés belle; mais elle ne m'a pas aütant plu que célle de Spa, plus noble, plus ïimple, & d'ailleurs plus grande. 'II y avoit une grande table, oü 1'on jöuoit trènte «S? quarante. Pour la compagnie, elle y étoit peu nombreufe '& peu agréable ; une a deux femmes, & pas la dixieme partie des 'hommes de Spa. En général, Aix-la-Chapelle m'a paru . triste. Je ne fais fi une dispofition mélancolique de l'es« prit m'a fait tout voir en noïr ce jour-la, comme a Gand; mais il est fur que la ville, 'les endroits publiés, le monde '& tous les objets qui y ont pasfé fous mes yeux, fe font préfenfés & fe préfentent encore a mon imagination foüs des couleurs lugubres & dans un point He vue "desagréabie, qui ne me donne aucun defir d'jr ïetourncr. Cette Redoute ne nous retint donc pas Iong-tems, & pendant que nous nous amufames jusqu'a 1'heüre du ipeétacle a nous promene'r par ia ville, nous rencontrames plufieurs fois M. Blanchard, 'qui étoit arrivé la veille comme nous, & qui parcouroit la ville en carosfe, en distribuant des cartes, pour engager les Seigneurs ck les gens comme il faut, a le favorifer de leur foufcription. C'est un petit homme menu, quï paroit trés leste & trés vif. Cette foufcription fera de deux Louis, & le voyage aëriea  C au ) ne fe fera que le 17 de ce mois , deforte que nous n'avons pu nous arréter pour le voir. A la Comcdie nous allames nous placer dans une Loge, a cöté d'une Dame trés bien mife, qui paroisfoit la plus élégante de toute la Compagnie , & nous fumes bien furpris après avoir jetté les yeux fur elle, de reconnoitre Madame notre Hötesfe. Nous fumes charmés de nous trouver en païs de connoisfance. Vis-a-vis de nous étoit M. Blanchard, fupérieurement coërfé, comme s'il vouloit aller voltiger en 1'air fans ballon; trés bien habillé & le chapeau fous le bras; avec une Dame, qui pasfe pour fa maitresfe, & qui, a ce qu'on prétend, 1'accompagnera dans fon voyage en 1'air, comme elle le fait dans fes voyages par terre. On nous donna les trois freres jumeaux véni~ tiens. Ce role difficile fut parfaitement exécuté, jmais tous les autres furent mal rendus. Cependant la fupériorité du jeu du premier Acteur nous fit beaucoup de plaifir, & ce qui nous amufa furtout infiniment, fut le role d'une M6tesfe d'Hötel garni, qui paroit trés fouvent dans la piece, & qui donna lieu \ des alluiions trés piquantes fur notre élégante voifine, qui fit cependant trés bonne contenance. Au fortir da fpecliacle, nous allames boire du thé & nous en~ nuier quelques momens a la nouvelle Redoute, après quoi nous reutrames. O i  ( 212 ) Lc Icndemain matin, 8 de Septemb?e, nous avons quitté Aix-la-Chapelle. Nous avions fait nn accord avec tui voiturier, qui s'étoit engagé a nous mcner en deux jours 4 Cléves pour huic ducats de Hollande-, en carosfe & trois chevaux. "C'est une distance de vingt quatre bonnes lieues, *& nöus eurnes au fujerde-ce marché, quelques -desagrcmens en route. Nöus fumes tres contero -de notre traitemenc & de nctre dépenfe a'notre Hotel, & comme la voiture fe fit attendre, j'allai encore avant mon départ faire mon -compliment a Madame i'Hötesfe dans la Salie oü elle déjeunoit, & oü ellë me placa a cöté d'elle dans fon canapé. J'eüs ie tems de caufer pkis d'une demie lieure avec elle, ou plutót de 1'écouter-, 8c je fus 'bientót toutes les nouvelles -d'Aix; je >connus les perfonnes qui avoient logc chez elle :pendant eet -été, leur fuice, & plufieurs aneedstes a leur fv> jet. Malheureufement ces «chofes ne m'intéres» 'fent guères, & je les oublie presque ausfitót que , je les apprends. Je dis malheureufement-; car •c'est effcétivement un plaifir de moins-, & un fujet de converfation qui me manque, & dont je me resfens fouvent. Elle me paria beaucoup ausfi du Buc de Brunswick-, notre ancien 'Veld-Maréchal, qui avoit logé dans la maifon è cöté. Enfin notre voiture arriva, & nous parttimes fans aucun regret ? du moins pour ce  C 2 I-3,> qui me regardece que je n'ai pas- pu dire de tous les.endroits oü nous avons pasfé. Nous . eurnes. une bonne lieue de chausfée, que nous quittames en même tems que le territoire d'Aix, pour entrer fur celui de Juliers.. Nous tra veriames enfuke un petk bout du Lim« bourg Impérial , & rentrames peu après dans le Juliers, pour ne plus le quitter de fitöt. Vers le midi nous arrivames a. Geileskirchen, oü nous. dinames.. Le païs que nous traverfames jusques la, est. ékvé,, mais uni & peu inégal: il est • beau &. fertile, &. me 1'aurok paru_ encore da-, vantage,, fi. nous. y étions venus du cöté de Venlo, & ü nous n'avions-pas pasfé les derniers. jours par . des païs beaucoup plus agréabjes. Je crus ausfi y. remarquer un air de miiere; mais je m'y. fuis arrêté trap peu. pour vous rasfurcr biencertainement. Nous vimes de. beaux bois, &, eumes des chemins. dejestaoles, qui nous uirpvirent d'autant plus., que noa$ venions des belles. chausfées. Heureufement que ce païs-ci n'est pas. ausfi montueux que celui de Liege, fans quoi il n'y.auroit. pa? eu moyen d'y.pasfer, de pluie. A une demie lieue de Geileskirchen nous traverfames. la terre de Briel-, appartenante. au Cnmte de Goltftein. Nous. manquames de verfer dans Fallée, qu'k cela prés nous trouvaBies trés belle, ainfi. que la terre. Elle n'est O 3;  C 214 > rien pourtant en comparcüfon de nos belles terres de Gueldre , qui ne font pas toujours ausfi avantageufement fitmées; mais qui font en général infiniment mieux entrctenues, plus foignées, plus décorées & de meilleur gout que la plus grande partie de celles que j'ai vues en païs étranger. Les maifons feules de ces dernieres ont ordinairement plus d'apparence, paree qu'il y a plus de gout & de bonne architeclure. On commence cependant dans la Province de Hol-, lande a élever des maifons de campagne fuperbes, qui joignent un gout fain a une grande magnificence. je languis beaucoup d'en pouvoir juger avec plus de connoisfance de caufe. Dans les environs d'Aix on trouve encore aux maifons beaucoup de pierre, d'une couleur grife, qui resfemble a celle de Namur; mais prés de Geileskirchen on en voit moins; les chasfis des portes & des fenêtres y font en bois comme chez nous; cc que nous remarquames de plus en plus, a méfure que nous avancames de notre cöté. Nous revfcnes ausfi dans ces environs du bied farrafin & du pain de feigle, que nous n'avions pas vu depuis que nous avions quitté les frontieres de notre païs. On descend un peu avant d'arriver a GeilesJrirchen, qui m'a paru up endroit asfez florisfant; mais le hafard malhéureux qui nous y fit arriver un Vendredi, fit que nous n'y trouvames qu'u»  ( 2-5 ) trés mauvais diné.dans le même gaut que celui de la harque d'Ostende a Dunkerque.. Ou nous y feryit de la foupe au. lait, de la morue falée qui fentoit mauvais, des pommes de terre qui n'étoient pas cuites, &. une amelette manquée; avec un vin aigre & piquant, qui nous fit faire beaucoup de grimaces. Voila la maigre chere que nous li mes en -l'honneur de la religion Catho.lique ; car non feulement que c'étoit un Vendredi,. mais encore un grand jour 'de fête par desfus le marché. Je crois que le diné de nos. chevaux fut meilleur ; du moins d.ura-t'il beaucoup. plus longterns,. &, nous ne partimes que trés tard. Heurcufement que la fille de, 1'Hótesfe de 1'auberge aimoit la converfation. C'étoit la feule de la, maifon qui. parlat un peu de mauvais Francois, qu'elle avoit appris a Liege, oü elle avoit été en penfion; ce qui lui donnoit un certain air élégant,, quj n'étoit pas de fon païs. Elle étoit extrêmement. fimple & .naive, & na.? voit. que quatorze ans, quoiqu'on lui en aurcit bien donné feize. Elle vouloit faire un peu la favante, & je m'amufai a étudier la Géographie avec elle. dans les cartes que j'avois avec moi. Elle étoit asfez bien habiliée, en honneur de la fête, & avoit un joli bouquet de rpfes, asfez rares pour la faifon. C'étoit k tour grendre une aimable fille.. O 4.  ■C M > Après avoir quitté Geileskirchen, nous traverfames un païs uni, clevé & asfez fcrtile, d'oü nos yeux fe promenerent h perte dc vue fur une campagne étendue, & dans 1'éloignement fur une contrée plus basfe, oü nous appercumes quantité de villes Sc de villages. C'étoit cependant toujours un aspeft uniforme; & nous n'y rencontrames plus les coups d'oeil variés de nos précédentes routes. Par-ci par-la même nous vimes quelques petits endroits mcuïtes, mais fi rarcs, qu'il ne vaut presque pas la peine d'en parler. Mais plus loin a deux lieues de Roermond, fa fituation du païs & la qualité du terrein coraffiencerent a changer trés vifiblement, & a ne Tcsfemhler que trop aux déferts de notre Province & de la Wcstphalie qui Pavoiiine. Ce n'étoient plus des coteaux verdoyans, des arbres fruitiers de toute espèce, disperfés fur un terrein iriche & bien cultivé; ce dcvim tout a coup un terrbir aride, des. collines de fable, une vaste bruyere, couverte de marais infecls, & par-ci par-la des hayes de bouleaux en taillis & des iemis de pins. Je reconnus Pappröche de mon païs a ces marqués non équivoques; mais je me resfouvins en même tems, qu'en y arrivant, je le reconnoitrois a des fignes plus agréables. Plus prés de Roermond nous revimes des champs iabourés, mais toujours un terrein fablonneux, & nous arrivames enfin tres tard dans cette Capitale de la Gueldre.  1217 ) Nous logeames a 1'Empereur, oü nous troüVamcs les Hótes & les, dómestiques extrêmement obligeans & ferviables. Je ne fais fi c'ést par prévention poür le nom de la Province, mais je crus remarquer dans ces bonnes gens une bonhommie & une cordialité , qu'on trouve beaucoup dans notre païs , & qui me firent grand plaifir dans celui-ci. II est fur du moins, que nous fumes trés bien traités. On nous paria des troubles de notre païs; on nous en demanda des noüvelles, que nous étions abfolument hors d'état de leur donner, & on nous fit part des bruits qui couroient a ce fujet dans la ville, & qui étoient trop finguliers pour ëtre dignes de foi. La marche des Troupes de Maestricht & de Venlo, commentée par les gazettes Hollandoifes , avoit donné naisfancé a ces bruits vagues, qui changeoient d'heure en heure, Nous étions curieux depuis longtems de lire des papiers publiés Hollandois, afin d'éclaircir les rapports douteux & contradicloires qu'on nous faifoit partout oü nous pasfions. Nous ne favions pas encore, a quel point d'imposture', ou plutöt & quel degré d'horreur & d'infamie, qui doit revolter tout honnête homme , 6t qu'une postérité plus calme aura peine h croire, étoient enfin parvenus ces Oracles de notre tems. Nous en demandames; ón ne put nous en praO 5.  < si8 ) curer a 1'auberge; mais 1'Hóte nous offrit de rious mener & de nous faire introduire k la Societé y oü. nous en trouverions. Nous y allames donc, k moicié deshabillés, & mon frere même en pantoufles. Un Monfieur de la ville eüt la bonté de nous y introduire, & d'infcrire nos noms dans un livre. Après un grand non> bre de complimens & de révérences, que nous fumes obligés de rendre k toute Ia compagnie, qui nous recut avec beaucoup de distinétion., mais qui nous examina en même tems , comme fi nous étions des animaux rares; on nous fournic plufieurs gazettes Hollandoifes i Nons vimes même, que le Post van den Nederrhijn avoit pénêtré jusques dans cette ville, oü, d'après les converfations que j'entendis , il ne me fembla pas avoir paru fans effet. Nous ne jugeames pas k propos de mêler nos reflexions k celles qu'on faifoit autour de nous, & après avoir recu & rendu le même nombre de révérences qu'k notre entrée, nous terminames notre petite apparition filencieufe, & retournames k notre auberge, oü on nous fervit trés bien k fouper. Roermond n'est qu'k dix lieues d'Aix-kChapelle, & il nous restoit encore quatorze lieues k faire jusqu'a Cléves; deforte que nous recommandames k notre voiturier d'être prêt de trés bonne heure; mais il ne s'en presfa pas davantage le lendemain matin, & prétendit qull  avoit dit tems de resce. Cela nous furprit, mais nous apprimes de notre Höte peu avant notre départ qu'il étoit imposfible d'arriver en un. jour avec notre voiture k Cléves, & qu'ausfi le cocher ne comptoit pas nous y méner. Notre accord k Aix étoit pourtant clair, & avoit été fait devant temoins; mais nous refolümes de disfimuler & de tiener k gagner Venlo, avant d'en venir k une explication; nous flattant que fur le territoire de notre païs nous parviendrions plutöt k lui faire ensendre raifon. Mais k peu de distance de Roermond, oü il s^arrêta déjk pour rafraichir, voyant qu'il fe faifóit tard & qu'il lambinoit infupportablement, je ne pus contenir plus longtems mon impatience, & la dispute commenca. II nous dit alors que 1'accord avoit été fait jusqu'a Gueldre, qu'il nous y meneroit ce foir, & nous y laisferoit. Nous fumes extrêmement furpris de remarquer par la que, fi nous nous fusfions cus plus longtems, nous aurions pris une autre route que celle de Venlo, & que coraptant arriver le foir k Cléves, nous ferions arrivés a Gueldres, oü nous n'avions rien k faire, & qui étoit hors de notre route. Nous voyant un moment étonnés, notre voiturier repêta fon discours, & par bonheur trés énergiquement. Qui fait, s'il nous eüt parlé avec douceur, s'il nous eüt dit que fon pere avoit fait un faux calcul , ou s'étoit trompé dans le  C 2 20 ) nom de la ville, ce qui a plufieurs circoristances nous parut asfez vraifemblable, & qu'il étoit imposfible de parvenir jusquli Cléves avec fes trois chevaux, extrémement fatigués du mauvais chemin de la journée précédente, qui fait, disje, fi alors nous ne fusfions pas entrés en partie dans fes raifons, & eusfions fini par changer l'ac« cord & ajouter quelque chofe au prix. Mais dès qu'il fut brutal, nous fumes fermes, & restames inflexibles. Nous ne laisfames pas néanmoins d'être un peu embarrasfés; car quoique nous eüs? fions le droit de notre cóté, nous fentimes qu'il étoit difficile de le faire valoir, autrement que par des témoignages d'Aix ; ce qui nous auroit entrainés dans un procés, ou du moins dans de longs délais , & retardes trés desagréablement. Oütre cela nous nous appercumes,. qu'il étoit imposfible, que trois chevaux, & furtout ces trois chevaux la, nous rendisfent lefoir a Cléves. Cependant, comme a plufieurs égards nous avions a nous plaindre de notre cocher , & qu'il avoit trouvé moyen de mettre tout le monde de fon parti, nous refolumes de ne pas céder, & nous lui dimes que 1'épuifement de fes chevaux ne nous regardoit nullement, & qu'il avoit a nous rendre le foir a Cléves , lèlon 1'accord; ou que nous trouverions :moyen de 1'y contraindre. II gronda, jura, mé'na9a, en mauvais Allemand, en mauvais Fla-  C *« > mand, & en mauvais Francois; mais nous continuames toujours fur le même ton, defespéranc bien pourtant d'arriver ce foir lk k Cléves. Enfin a Tegelen, a une demje lieue de Venlo, oü il s'arrêta de nouveau , notre perféverance vainquit la fienne ; & il fe détermina k prendre chez le maitre de poste de eet endroit une voiture a quatre chevaux pour fon compte , qui devroit nous mener encore ce foir a Cléves. Cela lui couta beaucoup d'argent, & il lui en resta peu pour les quatorze lieues qu'il avoit faites avec nous. Je ne pus m'empêcher d'avoir encore quelque pitié de lui, quoique par fa brutalité têtue il ne la méritat pas, & qu'il n'en retirat ausfi aucun effet. C'est ainfi que fe termina cette dispute, entierement k notre avantagc. J'ai oublié de vous dire que nous avons été traités trés honnêtement k Roermond, pour ce qui regarde la dépenfe. Je n'ai rien vu de remarquable de la ville, que nous n'avons traverfée qu'en voiture. Nous pasfames au commencement par un païs asfez riant; mais bientöt la fertilité disparut, les pins, les taillis de bouleaux, les bruyeres & les fables lui fuccederent. D'espace en espace cependant le païs étoit cultivé, mais point de culture riche & riante. Avec les bouleaux & le terroir aride, reparurent ausfi les bonnets quarrés & les grands corps de baleine des femmes; de-  C 2 22 ) forte que je n'eus plus qu'a fermer les yeux, ceque je fis. Nous parcimes tard de Tegelen; car tous ces accords & ces arrangemens prirent du tems, & nous avions encore dix lieues & demie a faire. Quoique Tegelen foit du païs de Juliers, on nous y donna une voiture de campagne ou phaëton, qui me parut de flruéture Hollandoife , telle qu'on n'en trouve que dans notre païs & les environs. Elle étoit trés incommode, mais en même tems trés légere; ce qui feul fut caufe que nous arrivames encore le foir a Cléves. J'auróis bien défiré de pasfer par Venlo, & de m'y arrêter pour voir la ville; d'autanc plus que le régiment de Byland venok d'y arriver tout récemment de Zutphen, pour y tenir garnifon; mais cela étoit devenu abfolüment imposfible, & nous dümes nous refoudre a laisfer cette ville a une demie lieue a notre gauche. Ce païs est asfez élevé; & s'il étoit plus fertile & mieux cultivé, il feroit pasfablement beau, mais pas fort intéresfant cependant, après ce que j'avois vu; deforte qu'il m'ennuya bientót» Dès que la contrée eut perdu fon intérêt pour moi, le voyage perdit fon attrait, & je me mis a dormir dans la voiture; ce que je n'avois guères fait auparavant, quoique fouvent j'en eüsfe eu plus befoin qu'alors. De cette fa^on nous  C 223 ) pasfames Straalen, & arrivames enfin a Kevelaar , par un vent & une pluie terribles. Vous favez que Notre Dame de Kevelaar a beaucoup de reputation, & qu'elle attire une infinité d'étrangers, qui rendent ce village trés fiorisfant. La veilie avoit été un grand jour de fête de la Vierge, qu'on célébre plufieurs jours avant & après. Depuis Aix nous avions rencontré beaucoup de pëlerins, qui alloient k Kevelaar, ou qui en revenoient: A méfure que nous avancions, leur nombre devenoit plus grand, & ce jour-ci la route en étoit comme fémée. Nous entendimes premierement une espèce de bourdonnement, qui devint plus fort, a mefure que la troupe de ces pélerins approcha. Lorsqu'ils furent tout prés, nous entendimes qu'ils recitoient leur Ave Maria, & nous les vimes pasfer, le chapelet k la main *, & tous les hommes le chapeau fous le bras. Ces gens viennent de toutes les parties du païs de Juliers, & même des environs de Cologne; de 1'autre cöté, il en vient de même, furtout de notre païs, ce qui produit une affluence prodigieufe k Keveiaar; ausfi y trouvames-nous toute la rue, ainfi que notre auberge & les autres maifons remplies de monde. ïl n'y avoit rien a manger, qu'un morceau de viande froide, déik entamée par les mains facrées & fales de plufieurs pélerins; tellement que mon appetit ordinairement asfez robuste en fut vaincu entierenent.  Le pasfage continuel de cette fouTe innombrable de pélerins & de pélerines, rasfemblés de tant de différens endroits, & qui alloient en procesfion d'une églife a 1'autre fous différens drapeaux, m'amufa beaucoup, & distraia ma faim. Nous nous y mêlames même pour mieux voir; & nous mimes le chapeau a la main, par respect, non pour la Sainte Vierge & fes miracles, mais pour les bras vigoureux de quelques milliers de nos compagnons de dévotion qui nous entouroient, & que nous favions remplis d'une ferveur & d'un zele, qui nous parurent infinement respeclables dans ces momens. C'est ainfi, que je tachai de distraire ma faim» jusqu'a notre départ de Kevelaar. II ne nous arriva plus rien de bien intéresfant fur la route ; il fit bientót nüit; nous arrivames trés tard au Lint prés de Cléves; & comme nous n'y trouvames rien k fouper, j'allai dabord me coucher» encore pour distraire ma faim. Voila quelle fut la conclufion de notre voyage: une voiture incommode; un chemin fablonneux; des femmes avec de vilains bonnets; des auberges fans diné; tous les élémens déchainés pour nous mouilier, & nous morfondre; & pour terminer le tableau, une faim dévorante. * * * Je  12*5 ) Jc crains, mon cher ami, que vous n'ayez trouvé dans mes difierentes Lettres, bien peu de détails intéreslans, beaucoup de mots & peu de chofes. II est fur que cela n'est que trop vrai.. Mais, oütre que j'ai entrepris cette correspondance, comme vous favez, autant pour mon amufement que pour le votre, dans 1'espoir, lorsque vous m'aurez rendu mes Lettres, de m'en rafraichir agréablement la méraoire dans Ia fuite; & que bien des détails par conféquent, qui vous paroitrom infipides ainfi qu'k tout autre, feront toujours pour moi trés intéresfans, par ce qu'ils me donneront des resfouvenirs amufans; daignez confidérer, je vous prie , que dans tous les endroits oü nous avons pasfé, excepté Spa, nous ne nous fommes arrêtés tout au plus qu'un jour, & dans plufieurs même qu'k peine une demie-journée; deforte que je n'ai pu voir que trés fuperficiellement, & que j'ai eu trop peu de tems pour faire des obfervations plus cürieufes. Mon intention n'a été fimplement que de vous faire part des impresfions, que j'ai recues des objets qui ont pasfé fuccesfivement fous mes yeux, & de quelques petites avantures qui me font arrivées. Ce n'est pas ma faute, fi je n'ai pas recu des impresfions plus interesfanr.es, ni rencontré des avantures plus agréables. P  c *-*6 y Notre courfe a été de peu de conféquence, ainfi que de peu de durée. Souhaitez pour moi en véiïtable ami, que j'aye les moyens d'en faire dans ia fuite de plus confidérables & de plus inftruétives, furtout en Angleterre ou en Suisfe; ce qui mettroit le comble a mes plus ardens defirs. F I N.  FAUTES A CORRIGER. Page a , ligne i 8 , la: lifez les. jy^m 2-6 , enveronnée : lifez environnée. - 5, 8 , tachés: lifez taché. ., 6V 18, une:heure: lifez pendant une heure. jyfa ai , 1'environnent: lifez les envi? ronnent. ^ 11 , 24 , vous: lifez.wom. • 1-3 > 13 ■> des: üfez- « 16, 2 3 , en : lifez eu. 19 , 2 8 , crée : lifez créée. , -: 20 , 24, qu'anparavant; lifez qu uupa- ravant. —— 2 4 , 14 , eu: /i/èa en. 25 , 9 , ou; ^2 on. __— s 1t retrouverai-je: lifezretrou. rois-je. 1 8 , furtout: lifez fur tout. 37, 20, vieindrai: lifez viendrai. 4 2 , 7 , va: lifez vu. 43 , 1 2 , II y des tables : lifez II y a des tables. 45 •> 5» a: nfeZ la- , 47, 2, 25 d'Aoüt: lifez Vendredi 25 d'Aoüt. — 55, 19, fenti: /i/èz fentir. — 5 7 , 21 , a: lifez n'a. r— 2P > ——• 3» fumes: lifez fimes.  Page 60 , llgne 16, diner: lifez Ie diné. 62, dern. ,onr: ///êz ont. 71 , 1 3 , intelligibles: lifez inintelli- gibles. 76, 13, ce: lifez eet. 7 8 } 6 & 7, Selliers, Quincai'lliers: lifez Sellier, Quincailler. 8 o , 2 5 , égale: lifez égalife. 82 , 20 , occupe: lifez occupé. 9 8 , 16 & 1 8 , est: lifez foit. 107, ■—— 16, les: lifez ces. 108, 9 , entraïme: lifez entraine. Ibid. 2 6, Sa chez : lifez Sachez. 125, 13, le: lifez la. ■ 128, i 6 , montague: lifez montagne. 131, 8 , festile: lifez fertile. 15 8 , 19, la : lifez 1'a. i74> dern., Tréfauciers: lif. Tréfomiers. 192, 13 , étaloit: lifez étale. ! 196, 7 , 1'une: lifez 1'un. II s'est-glisfé dans I'impresfion quelques autres fautes moins graves, furtout de points & cTaccens oubliés ou mal placés: mais, comme elles ne blesfent pas le fens, elles fe corrigeront aifèment a la leclure.