O E U V R E S POSTHUMES FREDERIC II, R 0 I DE P R U S S E. Tome L A AMSTERDAM, C»bz D. J. CHANGÜIOM, i 7 8 p.   HISTOIRE D E M O N T E M P 5, TOME PREMIER,   TABLE DES MATIËRES D E L' H I S T O I R E DE MON TEMPS. TOME PREMIER. Avant-Propos. . . Pag. vu C. H * P. I. Ètat de la PruJJe a la mort de Frcdêrw GiAllnne. Cura^èrcs des Primes de VEurope, deltursMhiijtres, ds leurs Générêux. Idéé de leursfarces, de leun resources £f de leur infiuence dans les affaires as VEurope, Etat des fciences fc? des beiux ans. Ce qui doms lieu a- la guerre contre h maifon d' A>i. trkhe- ' •- Pag. r C ii a p. II. Aaifons de faire la guerre a la Reine de Hongrie après la mort de ÏEmpereur Charles VI. Campagne d'hiver en Silèlie. •>•'■■ 74. C h a i'. . 111. Gmpagns de i74r. Nlgockturu de paix. Homrtw de Breüav,, Re:om a Berlin „„ * 3-  T A 2 L £, Chat. IV. faifons polhiques a plupart des Hiftoires que nous avon*> font des compilations de menfonges mêlés de quelques vérités. De ce nombre prodigieux de faits qui nous ont été tranfmis, on ne peut compter pour avérés que ceux qui ont fait époque, foic de l'êiévatnn, ou de Ia chutc des Empires. II paroft indubitable que la bataille de Salamine s'eft donnée , & que les' •Perfes ont été vaincus par les Grec?. II n'y a aucun doute qu'Alexandre !e Grand n'ait lub» jugud PEmpiic Jc Darins, que les Romainsn'ayent vaincu les Cartbaginois, Antiochus & Perfée; cêla eft d'auraut plus évident,, qu'ils ont poffédé tous ces Etats.- L'Hiftcire' acquiert plus de foi dans ce qu'eüe rapporte' des guerres civiles de Marius & de Sylla, ds Pompée & de Céfar, d'Augufte & d'Antoine" par 1'authenticicé des Auteurs contemporains qui nous ont décrit ces événemens. On n'a; point de doute fur Ie bouleverfement de 1'Empire d'Occident & fur celui d'Orient, car' on voit naïcre & fe former des royaumes du* démembremenc de 1'Empïre Romain ; > mate-  fiii AVANT• PROPOS. lorfque Ia curiofité nous invite a defccndre dans le détail des faits de ces temps reculés, bous nous précipitons dans un labyrinthe plein d'obfcurités & de contradidiions , & kous n'avons point de fil pour en trouver l'iflue. L'amour du merveilleux, le préjugé des hiftoriens, le zèle mal-entcndu pour leur patrie, leur haine pour les nations qui leur étoient oppófées, toutes ces différentes pasGons qui ont guidé leur plume, & les temps de beaucoup pofiérieurs aux événemens, oü ils ont écrit, ont fi fort altéré les faits en les déguifant, qu'avec des yeux de lynx même oa ne parviendroit pas h les dévoiler a préfenf- Cepecdant, dans la foule d'Auteurs de 1'autïquité , i'on dillingue avec fatisfadlion la defcription que Xénophon fait de la retraite des dix mille qu'il avoit commandés Sc.ramenés lui-même en Grèce. Thucydide jouic è peu prés des mêmes avantages. Nous fommes charmés de trouver dans les fragmens qui nous reflent de Polybe, 1'ami & le compagnon de Scipion 1'Afiicain, les faits qu'il nous raconte dont lui-même a été le témoin. L&s ■ Lettres-  'AVANT - PROPOS. Lettres de Cicéron a fon ami Atticus portent Ie même caradlère; c'èft ua des a&eurs de ces grandes fcënes qui parle. Je n'öublierai pointles Comrnentaires de Céfar, écrits avec ïa noble fimplicité d'un grand homme, tSt quoi qu'en ait dit Hirtius, les relations des autres hiftoriens font en tout conformes aux' événemens décrits dans ces Commenraires;; mais depuis Céfar 1'Hiftoire ne contient que des panégyriques ou des fatires. La barbarie des temps fuivans a fait un cahos de I'Hfftoire du Bas-Ernpire, & 1'on ne trouve d'ineérelTant que les Mémnites écrics par la früe de 1'Empcreur Alexis Comnène, paree que cette PrincelTe rapporte ce qu'elie a vu. Depuis, les meines, qui feuls avoient quelque connoiiTance, ont laiflë des Annales trouvées dans leurs couvens, qui ont fervi a 1'Hiftoire d'AIIemagne; mais quels matériaux pour 1'Hiftoire ! Les Francois ont eu un Evëque deTours, un Joinville, & Ie Journal de l'Eroile, foibles ouvrages de compilateurs qui écrivoient ce qu'ils apprenoient au hazard, mais qui difficiiement pouvoient être bien inftruits. Depuis la renaiflance des Lettres, la paffion  2 rAV 4 NT- PROPOS. d'écrire s'eft changée en fureur. Nous n'avons que trop de Mémoires, d'Anecdotes & de Relations, parmi lefquelles il faut s'en tenïr au petit combre d'Auteurs qui ont eu des charges, qui ont été eux-mêmes aéleurs,qui onc été attachés ó la Cour, ou qui ont eu la permiffion des Souverains de fouiller dans les archives, tels que le fage Préfident deThou» Philippede Comines, Vargas Fifcal du Concile de Trente, Mademoifelle d'Orléans, le Cardinal de Retz &c. AjoutODs-y les Lettres de M. d'Eftrades, les Mémoires de M. de Torcy, monumens curieux, furtout ce derBier qui nous développe la vérité de ce tefla» ment de Charles II, Roi d'Efpagne, fur lequel les fentimens ont été li partagés. Ces réflexions fur 1'incertitude de THiiloiie, donc je me fuis fouvent occupé,m'ont fait naftre 1'idée de tranfmettre h la poftérité les faits priccipaux auxquels j'ai eu part ou PrulTe, les revenus de 1'Etat ne montoient qu'a fept millions quatre cent mille écus. La population dans toutes les provinces pouvoit aller è trois millions d'atnes. (*) Le feu Roi avoit laiffé dans fes épargnes huit millions fept cent mille écus, point de dettes , les finances biea (_') C'eft un nombre rond que le Roi met ici; ta yéricable population n'alla en 1740, qu'a 8,240,000 perTonnes. Oeuy. pojlh, de Fr. 11. T. I. ^  t ' HISTOIRE adminiflrées, mais peu de reflburces; la balance du commerce perdoit annuellement un million deux cent mille écus, qui paffoient dans 1'éiranger. L'armée étoit forte de foixante & feize mille hommes, dont a peu prés vingt fix mille étrangers; ce qui prouve que c'étoit un efFort & que trois millions d'habitans ne pouvoient pas fournir a recruter même cinquante mille hommes , furtout en temps de guerre. Le feu Roi n'étoit entré en aucune alliance, pour lailTer a fon fucceffeur les mains libres fur le choix de celles qu'il voudroit former & qui après fa mort feroient les plus avantageufes a 1'Etat. L'Europe étoit en paix , a 1'exception de 1'Angleterre & de 1'Efpagne, qui fe faifoient la guerre dans Ie nouveau monde pour deux oreilles Angloifes que les Efpagnols avoient coupées, & qui dépenfoient des fommes immenfes pour des objets de coi;trebande bien indignes des grands efforts que faifoient ces deux nstions,. L'Empereur Charles VI venoit de faire la paix avec les Turcs a Eelgrad par la médiation de Mr. de Villeneuve, Miniftre de France a Conftantinople. Par cette paix PEmpereur cédoit a l'Empire Ottoman Ie royaume de Servië , une partie de la Moldavië & l'importante ville deBelgtad. Les derrières annéés du règne de Charles VI avoient été fi malheureufes, qu'il s'éioit ■vu dépouiller du royaume de Naples, de la Sicile & d'une partie du Milanois, par les Fran-  DE MON TEMPS. $ cols, les Efpagnols & les Sardes. II avoit de plus céié a la France par la paix de 1737 le duché deLorraine, que la maifon du Duc fon gendre avoit poflëdée dc tems immémorial. Par ce traité 1'Empereur donnoit des provinces, & la France de vaines garanties, a 1'exception de la Tofcane, qui doit être envifagée comme une poiTeflïon précaire. La France garantiffoit i 1'Empereur une loi domeftique qu'il avoit publiée pour fa fucceffion, fi connue en Europe fous le nom de la pragmatique ScmQion, Cetta loi devoit alTurer a fa fille 1'indivifibilité de fa fucceffion. On a fans doute lieu d'être furpris en trouvant la fin du règne de Charles VI fi inférieure a 1'éclat qu'il jeta a fon commencement. La caufe des infortunes de ce Prince ne doit s'attribuer qu'i la perte du Prince Eugène: après la mort de ce grand homme il n'y eut perfonne pour le remplacer. L'Etat manqua de nerf & tomba dans la Iang_usur & dans le dépériflement. Charles VI avoit recu de la nature les qualités qui font le bon citoyen, mais il n'en avoit aucune de celles qui font le grani homme: il étoit généreux , mais fans difcernement; d'un efprit bomé & fans pénétration; il avoit de 1'application, mais fans génie, de forte qu'en travaillant beaucoup, il faifoit peu; il poffédoit bien le Droit germanique; parlant plufieurs langues & furtout le latin «lans lequel il excelloit; bon père, bon mari, mais bigot ic A 2  IIIST0IR2 fuperftitkux comme tcus les Princes de Ia maifon d'Autriche. On 1'avoit élevé pour obéir & non pour commander. Ses Miniflres I'amufoient a juger les . procés du Confeil aulique, a s'attacher pon&uellement aux minuties du cérémonial & de 1'étiquette de la maifon de Bourgogne : & tandis qu'il s'occupoit de ces bagatelles , ou que ce Prince perdoit fon temps a la chaffe, fes Miniflres, véritabiement maitres de 1'Etat, difpofoient de tout defpotiquement. La fortune de la maifon d'Autriche avoit fait pafler a fon fervice le Prince Eugène de Savoie dont nous venons de parler. Ce Prince avoit porté le petit collet en France. Louis XIV lui refufa un bénéfice; Eugène deman da une compagnie de Dragons; il ne 1'obtint pas non plus,, paree qu'on méconnoiffoit fon génie & que ies jeunes .Seigneurs de la Cour lui avoient donné le fobriquet de Dame Claude. Eugène voyant que toutes les portes de la fortune lui étoient interdites quitta fa mère, Madame de Soiffons, & la France, pour ofFrir fes fervices a 1'Empereur Léopold: il devint Colonel & regut un régiment; fon mérite perca rapidement. Les fervices lignalés qu'il rendit; & la fupériorité de fes taleas 1'élevèrenc dans peu aux premiers grades militaires. II devint Généralilfime, Préfident du Confeil de guerre, & enfin premier Miniftre de 1'Empeleur Charles VI. Ce Priace fe ïrouva donc  DE MON TEMPS. 5 chef de I'armée impériale; il gou^erna non feu. lement les provinces Autrichiennes., mais 1'Etn-pïre même, & proprement il étoit Empereur. Tant qua le Prince Eugène conferva- la vigueur de fon efprit , hs armes & les négociatior.s d;s AutrichienS profpérèrent: mais lo'squi 1'age & les infiraraté* Teurent afïbibli , cette tête qui avoit fi longtem-ps travaillé pour la bien de Ia maifon Impériale-, fut hors- d'état ds conjinuer ce même travail,. & de lui rdidr j les mêines firvices. Quelles réflexions ha.niMantes pour notre vanité! Un Condé, un- Eugène, un M-arlboroug. voient 1'extinclion de leijr , efprit précéder celle de leur corps, & les plus. vaftes génies finiflTïnt par l'imbécillité! pauvres-. humains, enfuite glorifiez ■ vous fi vous 1'ofez! La décadence des forces du Prince Eugène fut 1'époque des intriguss de tous les Miniftres Autrichiens. Le Comte de Zintzendorff acquit Ie> plus de crédit fur 1'efprif de fon maitre; il tra■vailloit peu , il aimoit la bonne chère. C'étoit TApicius de la Cour impériale , & 1'Etnpereur difoit que les bons ragouts de fon Miniftre lui fiifoient de mauvaifes affaires. Ce Miniftre étoit haut & fier;" il fe croyoit un Agrippa, ua Mécèae. Les Princes de 1'Empire étoient in» dignés de la dureté de fon gouvernement; en eela bien différent du Prince Eujène, qui n'etnployant que la douceur , avoit fu mener plus fursment le Corps gerirunique a fes fins, A 3  EJSTOIRE Lorsque Ie Comle de Zintzendorff fut- era.' ployé au congrès de Cambrai, il crut avoir pénétré Ie cara&ère du Cardinal de Fleuri. Le Francois, plus habile que 1'AlIemand, le joua fous la jambe, & Zintzendorff retourna a Vienne, perfuadé qu'il gouverneroit la Cour de Verfailles comme celle de rEmpereur. Peu de temps après Ie Prince Eugène, qui voyoit 1'Empereur toujours occupé des moyens de foutenir fa pragmatique Sanction , lui dit que la fgule facon de 1'aflurer, étoit d'entretenir cent quatrevingts mille hommes, & qu'il indiqueroit les fonds pour le payement de cette augmentation, ü 1'Empereur y vouloit confentir. Le génie .de 1'Empereur, fubjugué par celui d'Eugène, a'ofoit rien lui refufer. L'augmentation de qua. ïante mille hommes fut réfolue, & bientót I'armée fe trouva compléte. Les Comtes de Zintzendorff & de Staremberg, ennemis du Prince Eugène, repréfentèrent a 1'Empereur que fes pays foulés par des contributions érormes nepouvoient fuffire a 1'entretien d'une fi groffe armée, & qu'i moins de vouloir ruiner de fond en comble 1'Autriche, la Bohème & les autres provinces, il falloit réformer l'augmentation. Charles VI, qui ne connoiffoit rien aux finances non plus qu'au pays qu'il gouvernoit, fe Iaiffa entralner par fes Miniflres & licentia ces quarante mille hommes nouvellement levés,a la veille du décès d'Augufte I, Roi de Pologne. Deux candidats fe préfentèrent pour occuper  BE MON TEMPS. ce tróne vacant. L'un c'étoit Augufle, Eleeteur deSaxe, fils du dernier Roi de Pologne, foütenu par 1'Empereur des Romains, 1'Impératrice de Ruffie, 1'argent & les troupes" Saxonnes. L'autre étoit Stanislas Lezinsky, appelé par les vceux des Polonois & protégé par Louis XV, fon gendre; mais le fecours qu'il tira de la France fe réduifit a quatre bataillons. II vit la Pelogne; il fut affiégé a Danzic; il ne put s'y maintenir, & renonca pour la feconde fois au trifte honneur de porter le nom de Roi dans une république oü régnoit 1'anarchie. Le Gomte de Zintzendorff comptoit fi fort fur 1'efprit pacifique du Cardinal de Fleuri, qu'il engagea légèrement fa Cour dans les troubles de la Pologne. Le plaifir de donner la couronne de Pologne conta a 1'Empereur trois royamnes & quelques belles provinces. Déja les Francois avoient paffé le Rhin, déja ils afliégeoient Kehl, qu'a Vienne on faifoit des paris fur leur inaction. Cette guerre qu'on entreprit, fut 1'ouvrage de la vanité , & la paix qui s'enfuivit, celui de la foiblelTe. Le nom du Prince Eugène qui en impofoit encore, foutint lesarmes des Autrichiens fur le Rhin, les campagnes de 1734 & de 1735, & bientöt après il finit de vivre, mais trop tard pour fa gloire. Deux emplois qui avoient été réunis par le Prince Eugène, le commandement de I'armée & la.préfidence du confeil de guerre, furent féparés. Le Comte de Harrach eut la A 4  S * H I S T O 1 RE charge de Préfident, & Ecenigseck , Wallfs£ SeckendorfF, Neuperg, Schmeitaa, Khevenhuller & le Prince de Hildbourghaufen briguèrent 1'honneur dangcreux de commander les armées impériales» Quelle tache de Iut-ter coatre la répuraticn du Prince Eugène & de remplir une place qu'H avoit fi bien occupée ! D'ailLeurs ces Généraux étoient auffi divifés entr'eux que les fuccefleurs d'Alexandïe. Pour fuppléer au mérite qui leur manquoit, i!s avoient recours a 1'intrigue : SeckendorfF & le Prince de Hildbourghaufen s'appnyoient du crédit de l'Impératrice & d'un Miniftre nommé Bartenftein, rjatif d'Alface, de petite extract-ion , mais laborieux , & qui avec deux aflbciés , Iinorr & Webcr , formoient un triumvirat qui gouvernoit alors les affaires de 1'Empereur. Khevenhuller avoit un parti dans le confeil de guerre , & Wallis , qui fe faifoit gloire de haïr & d'ê re haï de tout le monde, n'en avoit aucun. Les RufTes étoient alors en guerre avec les Turcs ; les fuccès des premiers erflammoient le courage des Autrichiens. Bartenftein crut qu'on pourroit chafier les Turcs de 1'Europe SeckendorfF vifoit au commandement de i'armée. Cos deux perfonnes , fous prétexte que* 1'Empereur devoit affifter les RufFes, fes alliés, contre 1'ennemi du nom chrétien , plonjèrent la maifon d'Autr'che dans un abyme de malheurs. Tout le monde vouloit confeiller (l'£mpereur; fes Ministres, l'Impératrice, le Duc de Lorraine, chacun tra—  DE MON TEMPS. s fracaüoit de fon cóté. 11 émsnoit du confeil impérial chaque jour de nouvea.x projets d'opérations : les cabales des grands qui fe contrecarroient & la jaloufie des Généraux vTrent manquer toutes les entreprifes. Les ordres que les Généraux recevoient de Ia cour fe contredifoient les uns les autres, on bien obligeoient ces Généraux a des opérations impraticables. Ce défordre domeilique devint plus funefte aux. arnies autrichiennes que Ia puiffunce des InfiJelles. A Vienne on expofoit le Vénéra'ole , tandis qu'on perdoit les batailles en Hongrie , & 1'on avoit recours aux prefriges de Ia fuperftition, pour réparer les fautes de Ia 'malbabileté. SeckendorfF fut emprifonné a la fin de fa première campagne, a caufe , difoit-on, que fon béréfie attiroit le courroux célefïe. Kcenig". feck, après avoir commandé Ia feconde année fut fait Grsnd-Maltre de l'Impératrice; ce qui fit dire a Wallis qui eut Ie commandement la troilième année, que fon premier prédécelTeur avoit été encofFré, que le fecond étoit devenu eunuque du Sérail, & qu'il lui reftoit d'avoir la tête tranchée. II ne fe trompa guères ; car après avoif per Ju Ia bataille de Crutzka, il fut enfermé au chateau de Bruin. Neuperg,. .que 1'Empereur & Ie Duc de Lorraine avoient. inftamment conjuré d'accélérer la paix, la conclud avec les Turcs è Belgrad, & pour récompe fe fut a fon retour con. finé au chateau de Ghtz. Ainfi Ja cour de Vienne n'ofant pas remonter a la caufe de fes A S  10 HISTOIRE malheurs £ auxquels tout ce que la cour avoit aV plus auguuV avoit contribué , pour fe confoler elle puniffoit les inftrumens fubalternes de fes infortunes. 1739. ■APres la conclufion de cette paix , I'armée Autrichienne fe trouva dans un état de délabrement affreux : elle avoit fait des pertes confidérables a Widdin, a Meudia, a Panchova, au Timoc, è Crutzka : 1'air mal - fain , les eaux bourbeufes avoient occafionné des maladies contagieufes, Sc la proximité des Turcs lui avoit communiqué la pefte; elle étoit en même temps ruinée & découra^ée. Après la paix la plus grande partie des troupes demeura en Hongrie; mais leur nombre* ne paffoit pas quarante-trois mille combattans: perfonne nc penfa è recompléter'l'armée. L'Empereur n'avoit d'ailleurs que feize mille hommes en Italië, douze mille au plus en Flandres & cinq ou fix régimens répandus dans les pays héréditaires. Au lieu donc que cette armée devoit faire le nombre de cent foixante & quinze mille hommes , 1'efFtttif ne montoit pas a quatre-vingt.deux mille. On avoit fupputé, 1'acnée 1733, que 1'Empereur pouvoit avoir vingt-huit millions de revenus; il en avoit bien p'trdu depuis, & les dépenfes de deux guerres confécutives 1'avoient abymé de dettes, qu'il avoit peine d'acquitter avec vingt millions de revenus qui lui reftoienc. Outre cela fes finances étoient dans la plus grande conXufion. Uae méfintelligence ouverte régnoit  DE MON TEMPS. li entre fes Miniftres; Ia jaloufie divifoit les Gêné.' raux, & 1'Empereur lui même découragé par tant de mauvais fuccès, étoit dégouté de la vanité des grandeurs. Cependant 1'empire autrichien, malgré fes vices & fes foibles cachés , figuroit encore 1'année 1740 en Europe au nombre des puiffances les plus formidables: Pon confidéroit fes refiburces, & qu'une bonne tête y pouvoit tout changer ; en attendant fa fierté fuppléoit a fa force, & fa gloire paffée a fon humiliation préfente. II n'en étoit pas de même de Ia France. Depuis 1'année 1672 ce royaume ne s'étoit pas trouvé dans une fituation plus brillante; il devoit une partie de fes avantages a la fage adminiftration du Cardinal de Fleuri. Louis XIV avoit placé ce Cardinal , alors ancien Evêque de Fréjus , en qualité de précepteur auprès de fon petit-fils. Les prêtres font auffi ambitieux que les autres hommes , & fouvent plus raffinés. Après la mort du Duc d'Orléans, Régent du royaume, Fleuri fit exiler le Duc de Bourbon qui occupoit cette place, pour Ia remplir Iui-même. II mettoit plus deprudence que d'aclivité dans fa manierede gouverner: du lit de fes maitreifes il perfécutoit les Janfénifles; il ne vouloit que des évêques orthodoxes , & cependant dans une grande maladie qu'il fit, il refufa les facremens del'Eglife. Richelieu & Mazarin avoient épuifé ce que Ia pomps & le fafle peuvent donner de confidération. Fleuri fit par contralte confilter fa grandeur dans A 6  «t HISTOIRE la fimplicité. Ce Cardinal ne laifla qu'une aTe€" rnince fuccefllori a fes neveux; mais il les' enrichie par d'immenfes bïenfaits que le- Roi répandit fur e.ux. Ce Premier Miniftre préféroit les négociations a la guerre , paree qu'il étoit fort dans les intrigues & qu'il ne favoit pas commander les armées: il affeftoit d'être paciï;que, pour devenLr 1'arbitre plutót que le vainqueur des Roisj hardï dans fes projets , timide dans leur e.xécution; économe des revenus de 1'Etit & doué d'un efprit d'ordre: qualités qui le rendirent utile a la France , dont les finances étoient épuifées par La guerre de Succeffion & par une .adminiftration vicieufe. II hégligea trop le militaire, & fit trop de cas des gens de finance ; de fon temps la marine étoit prefque anéantie, & les troupss de terre fi fort négligées , qu'elles ne purent pas tendre leurs tentes Ia première campagne de 1'année 1733. Avec quelques bonnes parties pour 1'adminiftration inférieure , ce Miniftre pafioit en Europe pour foible & fourbe, vices qu'il tenoit de 1'Eglife oü il avoit été élevé. Cependant la bonne économie de ce Cardinal avoit procuré au royaume les moyens' de fe libérer d'une partie des dettes immenfes contracties fous le règne de Louis XIV. 11 répara les désordres de-la régence; & a force de temporifer la France fe releva du bouleverfement qu'avoit caufé le fyftème de Lay. II faüoit vingt années de paix a cette monarchie.pour refpirer après tant de calamités. Chau.  1TE MQ'N TEMPS. 'ij vclln, Sous-Miniftre, qui travailloit fous Ie Gardïnal, tira le royaume de fort inaétion : il fit réfoudre la guerre que la France entreprit 1'année si?33> dont le Roi Staniflas étoit le prstexte, mais par laquelle la France gagna la Lorraine, Les courtifaus de Verfailles difoient que Chauvelin avoit efcamoté la guerre au Cardinal, mais que le Cardinal lui avoit efcamoté Ia paix. Chauvelin , encouragé & triomphant de ce que fon coup d'efTii avoit fi bien réuffi, fe flatta de poi> voir devenir le premier dans. 1'J.itat. U falloit acoabler celui qui 1'étoit: il n'épargna point les calomnies pour noircir ce Prélat dans 1'efprit de Louis XV; mais ce Prince, fuborctonné au Car.dinal qu'il croyoit encore fon précepteur , lui rendit compte de tout. Chsuvelin fut la v,'ét:me de fon ambition. Sa place fut donnée par le Cardinal a M. Amelot, homme fans génie , aur quel le premier-Miniflre fe confioit hardiment, paree qu'il n'avoit pas les talens d'un homme dan.gereux. La longue paix dont la France avoit joui, avoit inteirompu dans fon militaire la fucceffion des grands Généraux. M. de Villars, qui avoit commandé la première campagne en Italië, étoit mort. Mrs. de Broglio, de Noailles, de Coigny étoient des hommes médiocras; Maillebois ne les furpaffoit pas. M. de Noaiiles étoit accufé de manquer de eet inftinél belliqueux qui feconfieen fes propres forces: il trouva uajour une épée pendue a fa porte , avec cette inferip. A 7  T4 HISTOIRE tion: Pokt hmicide ne fsras. Les talen s du M»réchal de Saxe n'étoient pas encore développés. Le Maréchal de Belle-Isle étoit de tous les mili. taires celui, qui avoit Ie plus féduit Ie public; on Ie regardoit comme le foutien de Ia difcipline militaire. Son génie étoit vafte, fon efprit brillant, fon courage audacieux; fon métier étoit fapaflion, mais il fe livroit fans réferve a fon imagination: il faifoit les projets, fon frère les rédigeoit; on appeloit le Maréchal Fimagination, & fon frère Ie bon - fens. Depuis Ia paix de Vienne la France étoit 1'arbitre de 1'Europe. Ses armées avoient triomphé en Italië comme en Allemagne. Son MiMiftre Villeneuve avoit conclu la paix de Belgrad: elle tenoit la cour de Vienne, celle de Madrid & celle de Stockholm dans une efpèce de dépendance. Ses forces militaires confiftoient en 180 bataillons , chacun de 6ao hommes; 224 efcadrons, a 100 têtes; ce qui fait le nombre de 130,400 combattans, outre 36,000 hommes de milice. Sa marine étoit confidérable; elle pouvoit mettre 80 vaiffeaux de différent rang en mer, y co^pris les frégates; & pour le fer. vice de cette flotte on comptoit jusqu'a 60,000 matelots enclaffés. Les revenus du royaume montoient 1'année 1740 è 60,000,000 d'écas, dont on décomptoit i©,ooo,oj>o affectés au payement des intéréts des dettes de Ia couronne qui vcnoient encore de la guerre de Succeffion. Lc  DE MON TEMPS. j§ Cardinal de Fleuri appelloit les Fermiers • généraux qui étoient è la tête de cette recette, les quarante colonnes de 1'Etat, paree qu'il envifageoit la richeffe de ces traitans comme la reflburce la plus füre du royaume. L'efpèce d'hommes la plus utile a la fociété, qu'on appele le peuple, & qui cultive les terres, étoit pauvre & obérée, furtout dans les provinces qu'on appello de conquête. En revanche le luxe & 1'opulence de Paris égaloit peut - être Ia fomptuofité de Pancienne Rome du temps de Lucullus. On compJ toit pour plus de 10,000,000 d'argent orfévré, dans les maifons des particuliers de cette capitale immenfe. Mais les mosurs étoient dégénérées: les Francois, furtout les habitans de Paris étoient devenus des Sibarites énervés par la volupté & la mollelTe. Les épargnes que le Cardinal avoit faites pendant fon adminiftration, furent abforbées en partie par la guerre de 1733, & en partie par la difette affreufe de 1'année 174e, quï ruina les plus floriffantes provinces du royaumeDes maux que Law avoit faits a la France il étoit réfulté une efpèce de bien, confiftant dans la Compagnie du Sud, établie au port d'Orient; mais la fupdriorité des flottes Angloifes ruinant a chaque guerre ce commerce, que la marine guerrière de la France ne pouvoit pas protéger fuffifamment, cette Compagnie ne put pas a la longue fe foutenir. Telle étoit la fituation da la France 1'année 1740: lefpc&ée au. decors.  j« H I S T O I R É" pleine d'abus dans fon intérieur, fous Je gou er" nement d'un Prince foible, qui s'étoit abandomé lui & fon royaume a la direftion du Cardinal de Fleuri. Philippe V, que Lou;s XIV avoit placé en fe ruinant fur ie tróne d'Efpagne, y régnoit encore. Ce Prince avoit le malheur d'être fujet a des aïtaques d'une mélancolie noire, qui approchoit affez de la démence; il avoit abdiqué l'ar> née 1726 en faveur de fon fi!s Louis, & il reprit Ie gouvernement 1'année 1.727 après Ia mo?t de ce Prince. Cette abdication s'étoit faite contre la volonté de la Reine Elifabeth Farnèfe-, née PrincelTe de Parme : elle auroit voulu gouverner le monde entier; elle ne pouveit vivre que fur le tróne.' La Reine, pour empêcher le Roi de prendre déformais des dégoüts pour le tróne, 1'y retint en entreprenant continuellement de nouvelles guerres, foit avec les Barbarefques, foit avec les Anglois, foit avec la maifon d'Autriche. La fierté d'un Spartiate, 1'opiniatreté d'un Anglois', la finelTe' Italisnne & la vivacité Frangoife, formoient le caraólère de cette femme fingulière .elle marchoit audacieufement a raccomplifTement de fes deffeins; rien ne la furprenoit f rien ne pouvoit 1'arrêter. Le Cardinal Alberoni, fi célèbre dans fon temps, avoit un génie refTemblar.t a celui de cette PrincelTe ; il travailla long - temps fous elle.  DE MÖN T'EM'FS. Ia confpiration du Prince Celamare! psrdit c& Miniftre, & la Reine fut obligée de I'exiler,, , fo.ir fatisfaire a la ven^eance du Duc d'Orléans Regent de France. Un Hollandois de nation*, nommé Ripperda, remplit cette piace importante: il avoit de 1'efprit; cependant fes malverfatiafls furent caufe qu'il ne put fe- foutenir long-temps. Ces changemens de Miniftres furent iiïHperceptibles en Efpagne , paree que tes Miruffresn'étoient que les inflrnniens dont ia Reine fe feivoit, & que c'étoit dans' tous les temps fa- vo'lonté qui régloit les affaires; L'année 1740 1'Efpagne fortoit de Ia gue:r.v d'Italië qu'elle avoit terminde glorieufóment. Do.tCarlos, qus les Anglois avoient transporté eri' ïofcane pour fuccéder è Cofme, dernier Duc de la maifon de Médicis: ce Don Carlos, disje, étoit devenu Roi de Naples, & Francois de Lorraine avoit recu cett» ïofcane en -Aèiommzgement de la Lovraine1 que la France avoit réunie a fa monarchie. Ainfi ces mêmes Anglois qui avoient combattu avec tant d'acharnement contre Philippe V , furent les promoteurs de Ia puisfance efpagnole en Italië: tant la politique change & les idéés des hommes font variables! Les Efpagnols ne font pas auffi riches en Eu> rope qu'ils pourroient 1'être , paree qu'ils ne font pas laborieux. Les tréfors du nouveau monde font pour les nattons étrangères, qui fous des noms efpagnols fe font approprié ce cornmerce. Les  i|f 31IST0IRE Francois, fes Hollandois & les Anglois jouiflenf ( proprement du Pérou & du Mexique. L'Efpagne eft devenue un entrepót d'oü les richeiTes s'écoulent, & les plus habiles les attirent en foule. II n'y a pas aiïez d'habitans en Efpagne pour catt'iver les terresjla police a été négligée jusqu'ici, & la fuperftition range ce peuple fpirituel au ïang des nations les plus foibles. Le Roi jowit de 24,003,000 d'écus de reve-1 Sus; mais Ie Gouvernement eft endetté. L'Efpagne entretient 55 a 6o,oco hommes de troupes réglées; fa marine peut aller a 50 vaiflèaux de ligne. Les Hens dif fang qui Joignent les deux maifons' de Bourbon, produifent entr'elles une alliance étroite; cependant Ia Reine fe trouvois outragée de la paix de 1737 que Ie Cardinal de Fleuri avoit faite a fon infu: pour s'en venger elle caufoit a la France tous les défagrémens qui dépendoient d'elle. Alors 1'Efpagne étoit en guerre avec l'Angleterre, qui protégeoit des contrebandiers: deux oreilles angloifes coupées a un matelot de cette nation allumèrent ce feu, & les armemens coütèrent des foromes immenfes aux deux nations: leur cornmerce en fouffrit, & comme de coutume, les marchands & les particuliers expierent les fottifes des grands. Le Cardinal de Fleuri n'étoit pas mécontent de cette guerre : il s'actendoit bien è jouer le róle de médiateur ou d'arbitre, pour augmenter les ayantages du coa> merce de la France.  DE MON TEMPS. i*, Le Portugal ne figuroit point en Europe.' Don Juan n'étoit connu que par fa paffion bizarre pour les cérémonies de 1'Eglife. II avoit obtenu par un brefdu Pape le droit d'avoir un patriarche, & par un autre bref, de dire la mefie, a la confécration prés. Ses plaifirs étoient des fonctions facerdotales; fes batimens, des couvens; fes armées, des moines, & fes maltreües, des xeligieufes. De toutes les nations" de PEurope' fangloife étoit la plus opulente; fon cornmerce* emtaiToiï tout le monde; fes richeiTes étoient excefilves, fes reffources presque inépuifables : & pourvue de tous ce3 avantages, elle ne tenoit pa* entre les puiffances le rang qui fembloit lui convenir. Georgell, Elefteur de Hanovre, gouvernoit alors PAngleterre. II avoit des vertus, du génie, mais les pafllons vives a 1'excès; fêïüic dans fes réfolutions, plus avare qu'éeonóme , capable de travail, incapable de patience, violent, brave, mais gouvernant PAngleterre par les intéréts de Pélectorat, & trop peu maitre de lui. même pour diriger une nation qui fait fon idole de fa liberté. Ce Prince avoit pour Miniftre le Chevalier Robert Walpole. II captivoit Ie Roi en lui faifant des épargnes de la Lifte civile, dont Georger groffifToit fon tréfoï de Hanovre ; Walpole manioit Pefprit de la nation par les charges & le» penfions qu'il diftribuoit a propos pour gagnés  *P ■ Jï I S T O ï R Ê" Ia fupdfiorite des membres du' Parlement: M" génie ne s'étendoit pas au-dela de l'Angleterre: il s'en remettoit pour les affaires générales de 1'Europe a la' fagarité de fon frère Horace. Un jour que des Dames le preffoient de faire avec elles une partie de jeu, il leur réponditr j'abandonne le jeu & 1'Europe a mon frère. Il ïi'entendoit rien a la politique; Ceft ce qui donna lieu a fes ennemis de le calomnier, en 1'accufant d'être- fufceptible'de corruptioh. Malgré" toutes les cónnoiffances que Walpole avoit de I'intérieur du royaume, il entreprit un projtt (*) important qui lui manqua : il voulut introduireTaccife en Angleterre. Si cette tentative hu' avoit réuffi, les fommes que eet impot devoit rapporter, auroient fuffi pour rendre 1'au. tbrité du Roi defpotique. La nation le fentit; elle fe cabra. Des membres du Parlement dirent a Walpole qu'il les payoit pour le courant des fottifes ordinaires , mais que celle - la étoit au^ deffus de toute corruption. Au foitir du Parlement Walpole fut attaqué; on lui faifit fon mauteau , qu'il lacha a temps, & il fe fauva i 1'aide d'un capitaine des gardes qui fe trouva pour fon bonheur dans ce tumulte. Le Roi apprit par cette expérience a refpecter la liberté angloife: rafFaire ' des accifes tomba , & fa prudence raffermit fon tróne. Ces troubles inteftins empêcherent 1'An-  t>-E MO.N T.EMVS. ■•^•eterre de prenc're part a Ia guerre de 173S» .Eienfót après s'alluma la guene avec 1'Efpagne , rnalgré la cour. Des marchands de la cité produifirent devant la Chambre baffe des oreilles de contrebandiers anglois que les Efpagnols avoient coupées. La robe enfanglantée de Céfar qu'Antoine étala devant Ie peuple Roinain, ne fit pas une fènfation plus vive a Rome, que ces oreilles n'en caufèrent a Londres, Les efprits étoient émus ; ils réfolurent tumultuairement Ia guerre : le Miniftre fut obligé d'y confentir. La Cour ne tira d'autre parti de cette guerre que d'éloigner de Londres 1'Amiral Hadock , dont 1'éloquence 1'emportoit dans la Chambre baffe fur les corruptions de Walpole; & le Miniftre, qui difoit qu'il connoiflbit le prix de chaque Anglois , paree qu'il n'y en avoit point qu'il n'eüt marchandé ou corrompu, vit que fes guinées ne 1'emportoient pas toujours fur la force & 1'évidence du raifon. riement. L'Angleterre entretenoit alors 80 vaifleaux des quatre premiers rangs, & 50 vaiffeaux d'un ordre inférieur.: environ 30,000 hommes de troupes de terre. Ses revenus en temps de paix montoient a 24,000,000 d'écus; elle avoit au-deli une reffoutce immenfe dans la bourfe des particuliers & dans la facilité de lever des impóts fur des fujets opulens. Elle donnoit alors des fubfides au Danemarck pour 1'entretien de 6000 hommesj ■.k la Heffe pour un nombre pareil: ce qui joint &  ass HISTOIRE as.ooo Hanavriens lui fournifiöit en Allemagne un corps de 34,000 hommes a fa difpofition. Les Amiraux Wager & Ogle avoient la réputation d'être leurs meilleurs marins: -pour les troupes de terre, 'le Duc d'Argile & Milord Stairs étoient les feuls qui euflent des prétentions fondées i briguer les premiers emplois, quoique ni Tun ni ï'autre n'euüent jamais commandé des armées. Le Sieur Littleton paflbit pour 1'orateur le plus Yébément,; le Lord Hardwey pour 1'homme le .plus inftruit ; Milord Chefterfield pour le plus fpirituel ; le Lord Carteret pour le politique le .plus violent. Quoique les fciences & les arts fe fuüent enracinés dans ce royaume, la douceur de leur cornmerce n'avoit pas fléchi la férocité des mceurs nationales. Le caraftère dur des Anglois vouloit des tragédies fanglantes; ils avoient perpétué ces .combats de gladiateurs qui font 1'opprobre de 1'buinanité; ils avoient produit le grand Newton, Hiais aucuh peintre, aucun fculpteur , ni aucun bon muficien. Pope floriffoit encore & embellisfoit la poëfie des idéés males que lui fourniflöient les Shaftesbury & les Bolinbroke. Le Dofteur Swift, qu'on ne peut comparer aperfonne, étoit fupérieur a fSs compatriotes pour le goüt, & fe fignaloit par des critiques fines des mceurs & des ufages. La ville de Londres l'emportoit fur celle de Paris en fait de population de 200,000 ames. Les habitan» des trois royaumes mor.toient a pr»«  BE MON TEMPS. ^ ie 8,000,000. L'Ecoffe, encore pleine de Ja. cobites, gémiflbit fous le joug de l'Angleterre, & les catholiques d'Irlande fe plaignoient dé 1'oppreffion fous laquelle la haute figlife les tenoit affervis. A la fuite de cette puiffance fe range la Hollande, comme une chaloupe qui fuit 1'iinpreffion d'un vaiffeau de guerre auquel elle eft attachée. Depuis 1'abolition du Stadhouderat, cette répu. biique avoit pris une forme ariftocratique. Le grand penfionnaire, affifté du grefHer , propofe les affaires a 1'affemblée des Etats Généraux, donne des audiences aux Miniftres étrangers 8c en fait le rapport au confeil. Les délibérations de ces affemblées font lentes; le fecret eft ma! .gardé, paree qu'il faut communiquer les affaires a un trop grand nombre de députés. Les Hollandois comme citoyens abhorrent le StadhoudeJ Jat, qu'ils envifagent comme un acheminement è la tyrannie ; & comme marchands ils n'ont de poütique que leur intérêt. Leur gouvernement par fes principes les rend plus propres a fe défendre, qu'a attaquer leurs voifins. C'eft avec une furprife mêlée d'admiration que Pon confidère cette république , établie fur un terrain marécageux & ftérile , a moitié entourée de Pocéan, qui menace d'emporter fes digues & de 1'inonder. Une population de 2,000,000 y jouit des richeffes & de Populence qu'elle doit i fon cornmerce & aux prodiges que fon induftrie ?  h i s t o i r e ..spérés. La ville d'Amfterdam fe plaignoit i 1* wérité que la Compagnie des Indes orientales des JDanois & celle des Francois etablie au port d'Orient portoient quelque préjudice a fon commerce. Ces plaintes étoient celles d'en vieux. Une calamité plus réelle affligeoit alors la république. Une efpèce de vers qui fe trouve dans les ports de 1'Afie, s'étoit introduite dans leurs vailTeaux & puis dans le fafcina'ge qui foutient les digues, & rongea les uns & les autres ; ce qui mettoit la Hoilande dans la crainte de voir écrouler fes boulevards a la première tempête. Le confeil aftembié ne ttouva d'autre remède a cette calamité que d'ordonner des jours de jeune par tout le pays. Quelque plaifant dit, que le jour de jeune auroit dü être indiqué pour les vers. Cela n'empêchoit pas que 1'Etat ne fut très-riche:' il avoit'des deues qui datoient encore de Ia guerre de Succeffion, & qui au lieu d'afFoiblir Ie crédit de la nation., 1'augmentoient plutót. Le Penfionnaire Van der Heim, qui gouvemoit la Hoilande, paffoitpour un homme ordinaire: phlegmatiq'ie, circonfpeft, même timide, mais attaché a l'Angleterre par coutume, par religion & par la crainte que lui infpiroit la France. La république pouvoit avoir 12,000,000 d'écus de revenus , fans compter les reiTources de fon crédit; elle pouvoit mettre en mer 40 vailTeaux de guerre ; elle entretenoit 30,000 hommes de troupes réglées, qui fervoient principalement a la gar-  D£ MO N TEMPS. 25 •gardede fes barrières, comme ce'a avoit été dé. termiaé pr Ia pa'x d'Ucrecht; mais fon militaire n'étoit p'us comme autrefois 1'école des héros. Depuis la bataille de Malplaquet, oü les Hollandois perdirent la fleur de leurs trotipes & la pé« v pinière de leurs officiers , & depuis 1'abolition du Stadhouderat, leurs troupes s'avilirent manque de difcipline & de confidération; elles n'avoient plus de généraux capables du commandement. Une paix de vingt-huit années avoit emporté les vieux officiers, & 1'on avoit négligé d'en former de nouveaux. Le jeune Prince d'Orange, Guillaume de NalTau, fe flattoit qu'étant de la familie des Stadhouders , il pourroit parvenir au même emploi. Cependant il n'avoit qu'un petit parti dans la province de Gueldre & les républicains zélés lui étoient tous oppofés : fon efprit ceuftique & fatirique lui avoit fait des ennérriis , & 1'occafion lui avoit manqué de pouvoir développer fes talens. Dans cette fituation la république de Hollande étoit ménagée par fes voifins , peu confiJérée pour fon influence dans les affaires générales; elle éroit pacifique par principe & guerrière par accident. Si nous portons de la Hollande nos regards vers le nord , nous y trouvons le Dantma ck & la Suède , royaumes a peu prés égaux en puisfance , mais moins célèbres qu'ils ne 1'avoieric été autrefois. Sous le règne de Fréderic IV le Csacn.arc's Oiuy. fofih.de Fr. 11, T.U B  25 UISTOIRE avoit ufurpé le Schléswic fur la maifon de Hol* Hein : fous le règne de Chriftian VI on vouloit fconquérir le royaume des cicux. La Reine Magdèl'a'ih'e ee Bareuth" fe fervoi't de Ia bigoterie pour que ce frein facré empêchat fon mari de lui faire des irfdélités: & le Roi, devenu zélateur outré de Luther, avoit par fon exemple entralné toute fa cour, dans Je fahatifme. Un Prince dont 1'imagination eft frappée de Ia Jérufalem célefte, dédaigne les fanges de la terre ; les foins des affairss font pris pour des momens perdus, les axiom.es de Ia politique pour des cas de confcience; les régies de 1 evangile deviennent fon code militaire , & les intrigues des prêtres influent dans les délibérations de I'Etat. Depuis Je p:eux Enée, depuis les croifades de St. Louis, nous ne voyons dans 1'biftoire aucun exemple de héros dévots. Mahomet, loin d'être dévot , n'étoit qu'un fourbe qui fe fervoit de la religion pour établir fon empire & fa domination. Le Roi entretient 36,000 hommes de troupes réglées; il echète les récïues en Allemagne & vend ces troupes è Ia puiffance qui le paye le mieux : il peut raJembler 30,000 miliciens, dont ceux de Ja Norvège paffent pour les meilleurs. La marine danoife eft compofée de 27 vaiffeaux de ligne & de 33 d'un ordre inférieur : cette marine tft Ia partie de 1'adminiftration de ce pays la plus per.fectionnée; tous les counoiiTeurs en font 1'éloge. Les r.veuus du Daraemarck. ne.paflcnt pas 5,600,000  DE MON TEMPS. i? r écus. Cette puiflance étoit alors aux gages des Anglois qui lui payoient un fubiide de 150,000 écus pour la folde de 6000 hommes. Le Prince de Culmbach-Bareuth commandoit les troupes de terre: ni lui ni les autres généraux au fervice ds cette puiflance ne inéritent d'article dans ces Mémoires. M. Schulin , Miniftre de ce Prince, doit être rangé dans la même catégorie. 11 réfulte de ce que nous venons d'expofer, que le Danemarck doit être compté nu nombre des Puiflances du fecond ordre & comme un acceflbire qui fe rangeant d'un parti, peut ajouter un grain i la ba'ance des pouvoirs. Si de-li vous paflez en Suède, vous ne trouveres rien de commun entre ces deux royaumes, finon 1'avidité de tirer des iubfides. Le gouvernement fuédois efl: un mélange de 1'ariftocratie, de Ia démocratie, & du gouvernement mt> narcbique, entre lesqusls les deux premiers genres prévalent. La Diète générale des Etats fa raflemble tous les trois ans. On élit un Maréchal , lequel a la plus grande influence dans les délibérations. Si lss voix font partagées, le Roi, qui en a deux, décide de 1'affaire; il choifit de trois candidats qu'on lui propofe , celui qu'il veut, pour remplir les places vacantes. La Diète élit ui comité fecret , compofé de cent membres tirés le Ia noblefle, du clergé, des bourgeois & des payfans; il examine la conduite que le Roi & ie Sénat ont tenue dans 1'intcrB z  ê8 H I S T. O I R £ valle des Diètes,' & il donne au Sénat des m» firuclions qui en.braffent les affaires intérieures comme les étrangères. La Reine Ulrique, fceur de Charles XII, avoit remis les rênes du gouvernement entre les mains de fon époux Fréderic de HefTe. Ce nouveau Roi refpefta fcrupuleufement les droits de la nation: il confidéroit fon pofte a ptu prés comme un vieux lieutenant-colonel invalide regarde un ftetit gouvernement qui lui procure une retraite honorable. Avant d'époufcr la Reine Ulrique , ce Prince perdit la bataille de Mont - Caffel en Lombardie, pour donner a fon pèfe, qui fe trouvoit dans fon armée, Ie fpeclacle d'un combat. Le Comte Oxenftiern avoit été chancelier du royaume, il fut déplacé par le Comte de Gillenbourg. Ce Comte g'étoit attaché les officiers,- ce qui lui donnoit un parti confidérable es Suède : il défiroit. la guerrs , fe flattant de relever fa nation par quelque conquête. La France défiroit encore plus de fe fervir des Suédois, efpérant d'abaiffer par eux la fierté ruffienne, & de venger ainfi les affronts que fon Ambaffadeur Monti, fait prifonnier a Danzic, avóit effuyés a Pétersbourg: dans cette vue ]a France payoit a la Suède un fubfide annuel. de 3oo,oco éeus, qui ne 1'engageoit cependant a aucune hoftilité. La Suède n'étoit plus ce qu'elle avoit été autrefois. Les neuf dernières années du règne de Charles XII avoierjt .été fi^nalées par des mal.  JOE MON TEMPS. 25 fieiirs. Ce royaume avoit perdu la Livonie-, un grand morceau de' la Poméranie & les duchés de Brèmè & de Verden. Ce démembrement lar privoit ds revenus, de folJats & de grains que précéiemment elle retiroit de ces provinces: Ia* Livonie é'.oit foHrmagafin d'abondance. Quoique la Suède ne contienne qu'environ 2,000,000' d"ames, fon fol frérüe & quantité de montapes arides dont elle ell couverts, ne lui fourniffoient pas même de quoi nourrir cette foible population; la ceilion de la Livonie la réduifit aux abois. Les Suédois révéroient cependant (quelque' malheur qu'il leürfül arrivé)-la mémoire de Char^ les XII, & par une iuice affez ordinaire des contradiflions de 1'efprit humain, ils 1'outragèrenÉ après fa mort en puniffant Gcertz du dernier fup«. plice; comme fi ie Miniftre étoit coupable de3 fautes de fon maitre.- Les revenus de ce royaume möntoient' apprök criant a 4,000,000 d'écus; il n'entretenois qua 7000 hommes de troupes réglées, & 33,000 de milice étoient payés d'un fonds différent. On avoit donné du tems de Charles XI des terres a cukiver a ce nombre de payfans qui étoient en même temps- militaires, obligés de s'affembler les dimanches pour faire 1'exercice & s'inftruire & combattre pour la défenfe du pays; mais lorsquö la Suède faifoit agir ces troupes au dela de fes frontières, il falloit les folder du tréfor public. Ses poits contenoient 25 vaiffeauxde ligne &,,2,6B 3  jo '•EIS TÖ I -R B fregates. Une longue paix avoit rendu leurs foldats payfans; leurs meilleurs généraux étoient inorts; les Buddenbrock & les Lcewenhaupt n'étoient pas comparables aux Reinfchild; mais un inftinct belliqueux animoit eneore cette nation, & il ne lui manquoit qu'un peu de difcipline & d® bons conducteurs. C'eft le pays de Pharafoane qui ne produit que du fer & des foldats. De toutes les nations de 1'Europe, la fuédoife eft la plus pauvre. L'or & 1'argect (j'en excepte les. fubfides) y eft aufli peu connu qu'a Sparte; de grandes plaques de cuivre timbrées leur titnnent lieu demonnoie, & pour éviter l'mcommodité du transport de ces maffes lourdes, on y avoit fubftitué Ie papier. L'exportation de ce royaume fe borne au cuivre , au fer & au bois,- mais dans la balance du cornmerce Ia Suéde perd annuellement 500,000 écus, a caufe que fes befoins furpaffent fes exportations. Le climat rigoureux oü elle eft fituée, lui interdit toute induftrie; fa laine greflière ne produit que des draps propres a vêtir Ie bas peuple. Les plus beaux ■édifices de Stockholm, Sc les meilleurs palais que les feigneurs ayent dans leurs terres, datent de la guerre de trente ans. Ce royaume étoit pfFeftivement gouverné par un triumvirat compofé des Comtes Thuro Bjelke, Eckebiat & Rofen. £a Suède confervoit encore fous la forme du gouvernement républicain la fierté de fes temrs jnonarchiques : un Suédois fe croyoit fupérie*  LE MON TEMPS. 3'! au citoyen de toute autre nation. Le génie des Guftave Adolphe & des-Charles Xil avoit laiffé des impreflions fi profondes dans 1'efprit des peup!es, que ni les viciffitules de la fortune, ni le temps n'avoient pu les efFacer. La Suède éprouva le fort de tout état monarchique qui fe change en républicain; elle s'afFoiblit. L'amour de h gloire fe changea en efprit d'intrigu? ; le désintérefTe.nent en avidité; le bien public fut facriiïé au bien perfonnel; les corrup'ions allé» rent au- point , que tantót le parti francois, tantót la fadtion ruffe l'emportoit dans les Diètesj mais perfonne n'y foutenoit le parti national. Avec ces défmts les Suédors avoient conf.:;é Pefprit de conquête, direftement oppofé a 1'efprit républicain, qui doit êcrj pacifiqtve, s'il veut conferver ia forme du gouvernement établi. Ce royaume, tel que nous venons de le repréfenter, ne pouvoit avoir qu'une foible influence dansles afFaires générales de 1'Europe; auiïï avoit-il pgrdu neauconp de fa confidération. La Suède a pour voifine une puiflfance des plu» redoutables. Depuis le Septentrion, en prenant de la mer glaciale jufqu'aux bords de la mer noire, & de la Samogitie jufqu'aux frontières de la Chine, s'étend le terrain immenfequi forme 1'em» pire de Rufiie; ce qui produit 800 milles d'Alle. magne en longueur fur 3 011 400 en largeur. Cjt Etat, iadis barbare, avoit été ignoré en Europe avant le C:ar Iwan Bafilide. Pierrel, pour B 4  32 H I S T O I R E poh'cer cette nation , travailla fur elle comme Peau forte fur le fer: il fut & le légiflateur & lefondateur de ce vafle empire ; il créa des hommes, des foldats & des Miniitres; il fonda la ville de Pétersbourg; il établit une marine confrdétable & parvint a faire refpecter fa nation &' fes'-ttïleris -finguliers a l'Europe entière. Anne Lvano vna, (*) nièce de Pierre I, gouvernoif alors ce vafte empire: elle avoit fuccédé a Pierre'. II, Els du premier Empereur. Le règne d'Aimefut marqué par une foule d'événemens mémoia-bles, &, par quelques grands hommes dont elle eut 1'habileté de fe fervir, fes armes donnèrenir un roi aia Pologné.'Elle envoya-au fecours (|) de 1'Empereur Charles VI, 10,000 RufTes au bord du Rhin, pays oü cette nation avoit é é peu connue. La guerre qu'elle fit aux Turcs , fut uncours de profpérités & de triomphes; & lorfque1'Empereur Charles VI envoyoit folliciter la paix jufqu'au camp des Turcs, elle di&oit des lois a 1'empire ottoman. Elle protégea les fciences dan3fa réfidence ; elle envoya même des fa vans a Kamtfchatka, pour trouver une route plus abrégée' qui favorifat le cornmerce des Mofcovites avec les Chinois. Cette PrincelTe avoit des qualités qui la rendoient digne du rang qu'elle occupoit ; elle avoit de 1'élévation dans 1'ame , de Ia fsrmeté . dans C*> 174°. Ct) '735«  DE MON TEMPS. 33 dansTefprit; libérale dans fes récompenfes; févère dans fes chatimens; bonne par tempéra* ment ; voluptueufe fans désordre. Elle avoit fait Duc de Courlande, Biron foa favori & fon Miniftre. Les Gentilshommes fes compatriotes lui difputoient jufqu'a 1'ancienneté de fa noblelTe. II étoit le feul qui eüt un afcendant marqué fur 1'efprit de l'Impératrice; tl étoit de fon naturel , vain, grofller & cruel; mais ferme dans les affaires-, ne fe refufant point aux entreprifes les plus valles. Son ambition vouloit portee le nom de fa maitreffe jufques au bout du monde d'ailleurs aufli avare pour amsffer que prodigue en fesdépenfes; ayant quelques qualités utiles, fans en avoir de bonnes ni d'agréables. L'expérience avoit formé fous le regne de Pierre I un homme fait pour foutenir le poids du gouvernement fous les fucceffeurs de ce Priöce. G'étoit Ie Comte d'Oftermann; il conduifit en pilote habile, pendant 1'orage des révolutions , le gouvernail de l.'état d'une main toujours füre. Il étoit originaire du comté de la Marei en Weftphalie , d'une extraftion obfeure; mais les talens font diftribués par la nature fans égard aux généalogies. Ce Miniftre connoiffoit la Mofcovie comme Verney le corps humain; circonfpeét ou hardi, felon que le demandoient les circonllances , & renencant aux intrigues de la cour pour fe conferver la direction des affaires. On pouvoit compter , outre le comte Oftermana, le Comte Lcewenwolde & leB S  S4 HISTOIRË vieux Comte Golowkin du nombre des Miniftres dont la Ruflle pouvoit tirer parti. Le Comte de Munnich, qui du fervice de Saxe avoit pafte a celui de Pierre I, étoit a la tête de i'armée ruffe: c'étoit le Prince Eugène des Mofcovites; il avoit les vertus & les vices des grands généraux; ha. bile, entreprenant, heureux; mais fier, fuperbe, ambitieux & quelquefois trop defpotique, & facrifiant la vie de fes foldats a fa réputation. Lafcy, Eeith , Lcewendahl & d'autres habiles généraux fe formoient dans fon école. Le gouvernement entretenoit alors io,ooo hommes de gardes, cent iataillons qui faifoient le nombre de 6o,ooo homjnes, ao.ooo dragons, 2000 cuiraffiers; ce qui montoit au nombre de 92,000 hommes de troupesïéglées; 30,000 de milice & autant de Cofaques , de Tartares & de Calmouks qu'on vouloit affembier. De forte que cette puiflance pouvoit mettra .ians faire d'efForts 170,000 hommes en campagne. La Eotte ruffienne étoit évaluée alors a 12 vais. feaux de ligne, 26 vaiflèaux d'un ordre inférieur & 40 galères. Les revenus de 1'empire montoienta 14 ou 15,000,000 d'écus.. La fomme paiott modique en Ia comparant k 1'étendue'immenfe de ces Etats; mais tout y eft k bon marché. La denrée la plus néceflaire aux Souverains, les foldats, ne coótentpas pour leur entretien la moitié de ce que j^iyent les autres puiilances de 1'Europe. Xe foldat-rufle ne recoit que huit roubles pa? an des vivres qui s'achètejjt a vil prix; ces vivrea  DE MON TEMPS. 35 tkmnent lieu a ces équipages■ énormss qu'ils ttainent après leurs armées. Dans la campagne que ls Maréchal Munnich fit 1'année 1737 contre les Turcs , on comptoit dans fon armée autant de chariots que de combattans. Pierre 1 avoit formé un projet que jamais Prince avant lui n'avoit concu. Au lieu que les conquérans ne s'occupent qu a étendre leurs frontières , il vouloit refferrer les fiennes. La raifon en étoit que fes Etats étoient mal peuplés en coroparaifon de leur vafte étendus. II vouloit rafiembler entre Pétersbourg, Mofcou, Kafan & 1'Ukraine les i2,ooo,oco d'habitans éparpillés dans eet Empire, pour bien peupler Sc cultiver cette partie , qui feroit devenue d'une défenfe aifée par les déferts qui 1'auroient environnée & féparée des Perfans, des Turcs & des Tartares: ce projet, comme beaucoup d'autres,, avorta par la mort de ce grand homme, Le Czar n'avoit eu le temps que d'ébaucher le cornmerce. Sous l'Impératrice Anne la flotte marchande des Rulles ne pouvoit entrer en aucune comparaifon avec celles des Puifiances du Sud. Cependant tout annonce a eet Empire que fa population, fes forces, fes richeifes & fon cornmerce ■ feront les progrès les plus confidérables. L'efprit de Ia nation eft un mélange de défiance & de finefle; pareifeux , mais intérefles, ils o".t 1'adreffe de copier, mais non le génie de 1'invettion: les grands font fa&ieux; les gardes, redoutables aux Souverains; le peuple eft ftupide, ivrogne, fuperB 6  3<$ & I S T O I R E ftitieux & malheureux. L'état des chofes, tel qua nous venons de le rapporter, a fans doute empê*cbé que jufqu'ici 1'Académie des fciences n'ait fait des élèves Mofcovites. Depuis les défaftres de Charles XII & l'éiabliflement d'Augufte de Sa:;e en Pologne , depuis ies victoires du Maréchal Mnnnich fur les Turcsles RulTes étoient réellemect les arbitres du Nord ; ils étoient fi redoutables, que perfonne ne pouvoit gagner en les attaquant , ayant des efpèces de déferts a traverfer f our les atteindre, & il y avoit tout a perdre, en fe réduifant même a Ia guerre défenfive-, s'ils venoient vcus attaquer. Ce qui leur donne eet avantage, c'eft le nombre de Tartares , Cofaques & Calmouks qu'ils ont dans leurs armées. Ces Üiordes vagabondes de pillards & d'incendiaires font capables de détruire par leurs incurfions les provinces les plus floriflantes, fans que leur arrrse même y mette le pied. Tous leurs voifins, pour .éviter ces dévaftations, les ménageoïeLt, & les RufTes envifageoient 1'alliance qu'ils contractoient avec d'sutres peuples comme une protection qu'ils accordoient a leurs cliens. L'influence de la Ruffie s'étendoit plus directejment fur Ja Pologne que fur fes autres voifins : cette république fut forcée après ia mort d'Augufte 3 d'élire Augufte II, pour Ie placer fur Ie tróne pagnols & des Italiens, qui les dévancoient dans cette carrière, & la nature fit naltre chez eux" de C 5  H I S T O I R K ces génies heureux qui bien tót furpaffèrent leurs cmules. C'eft ftntout par la méthode & par un gout plus raffiné que les auteurs francois fe diftinguent. Ce qui retarda le progrès des arts en Aljemagne, ce furent les guerres qui fe fuivirent depuis Charles Quint jusqu'a celle de la Succesfion d'Efpagne. Les peuples étoient malheureux & les Princes pauvres: il fallut penfer premièrement a s'aiTurer les alimens indifpenfables, en remettant les terres en culture; il falloit établir les manufaftures felon que les premières produclions les indiquoient. Et ces foins presque généSaux empêchèrent que la nation put fe tirer des' ïeftes de labarbariedont ellefe reïTentoit encore; ajoutez qu'en Allemagne les arts manquoient d'un point de ralliement, comme étoient Rome & Florence en Italië, Paris en France, & Londres en Angleterre. Les univerfités avoient a la véïité des ' ProfeiTeurs érudits, pédans & toujours dogmatiques; perfonne ne les fréquentoit a caufe èe leur rufticité. II n'y eut que deux hommes qui fe diftinguèrent a caufe de leur génie & qui firent honneur a la nation; 1'un c'eft le grand Leibnitz & 1'autre Ie dofte Thomafius. Je ne fais point mention de Wolff, qui ruminoit le fyftème de Leibnitz & rabacboit longuement ce que 1'autre avoit écrit avec feu. La plupart des fevans Allemands étoient des ■ manoeuvres, les ïïancois des artiftes. Cela fut caufe que les ouviages francois fe répandjrent fi univeifellemeni,  BE MQN' T'EWPSZ & que leur langue remplaga celle des Latins , & qu'a préfent quiconque fait le Francois, peut voys. ger par toute I'Europe fans avoir befoin d'un in» terprète. L'ufage de cette langue étrangère fit encore du tort è la langue nationale, qui ne reftane que dans la bouche du peuple, ne pouvoit acquérir ce ton de politeiTe qu'elle ne gagne que dansla bonne compagnie. Le principal défaut de Is langue eft. d'être trop verbeufe; il faut la reiTerrer , & en adouciffant quelques mots dont la prononciation eft dure, on parviendroit a la rendre fonore. La NobleiT? n'étudioit que le Droit public; mais fans goüt pour la belle littérature) elle remportoit des univerfités le dégout de 1ï pédanterie & de fes inftituteurs. Des Candidats ou Tbéologiens, fils de cordonniers & de tailleurs, étoient les Mentors de ces Télémaquea. Qu'on jugede I'éducation qu'ils étoient capablesde donner. Les Allemands avoient des fpeftacles mais groffiers & même indécens; des bouffbns orduriers y repréfentoient des pièces fans géni© qui faifoient rougir la pudeur. Notre ftérilité^nous obligea d'avoir recours i 1'abondance des Francois , & dans la plupart des Cours on voyois des troupes de cette nation repréfenter les chefd'ceuvres des Molière & desRacine. Mais qu'eftce qui mérite plus 1'attention d'un phiïofophe „ que l'aviliffement oü eft tombé ce peuple Roi , cette nation maltreffe de I'utiivers, en un mot les Romains? Au lieu que des Gonfuls menoient sa C 6  H I S T O I R E triomphe des Rois captifs du temps de la république, de nos temps les fucceffeurs des Ca'.oa & des Emile Ce dégradent de la virilité pour afpirer a 1'honneur de chanter fur les théatres "des Seuverains, qui du temps des Scipion étoient regardés avec autant de mépris que nous en Ük< fpirent les Iroquois. O tempera! o mores! Les opéra, les tragédies & les comédies étoient inconnues en Allemagne , il y a foixante ans. L'an 1740 1'induftrie & le cornmerce plus r.ffinésavoient tendu 1'Allemagne partie co-partageante des tréfors que les Indes verfent annuellement en Europe : ces fources de 1 opulence avoient amené. avec elles les plaifirs,, les aifances, & peut-être Tés défordres des mceurs qui en font une fuite. Tout avoit augmenté, les habitans, les équipages,, ie» meubles , les livrées, les carroffes & la fcmptuofité des tables. Ce qu'on voit de belle architecture dans le Nord.date environ du même temps. Le chateau & 1'arfenal de Benin, lachaneellerie de 1'Empire, & 1'églife de St Jean BorEomée a Vienne, le chateau de Nymphenbourg «n Bavière, le pont de Dresde, & le palais Chinois de cette ville, le chateau de 1'Elefteur $ Manheim, le palais du Duc de Wurtemberg i Louisbourg. tous ces édifices, quoiqu'ils n'égaJent pas ceux d'Athènes & de Rome, font pourjant fupérieurs a l'architeclure Gothique de nes aacêtres. Dans les temps paifés les Cours d'AliBmagne paroiflbient des temples oü. l'on célébr.o*  DE MON TEMPS. ies bacchanales ; act-uellement cette débauche, indigne de ia bonne fociété, a été reléguée en Pologne, ou bien eft devenue 1'amufement de Ia populace. 11 n'eft encore que quelques Cours io cléfiaftiques, oü le vin confole les Prêtres d'une paffion plus aimable a Iaquelle ils font obligés de renoncer par état. Autrefois il n'étoit point de Cour d'AIIemagne qui ne fut remplie de bouffonsr la groflièreté de leurs plaifanteries fuppléoit a 1'ignorance dei conviés, & I'on entendoit diredes fottifes, faute de pouvoir dire de bonnes cbofes. Cet ufage, qui eft 1'opprobra éternel du bon fens a été aboli, & il n'y a que la Cour d'Augufte II, Roi de Pologne & Ele&eur de Saxe , oü iL fe confervoit encore. Le céremonial dans lequel 1'imbécillité de nos aïeux placajadis la fcience des„ Souverains, paroit effuyer un fort égal a celui des bouffons: 1'étiquette fouffre joumellement des brèches; quelques Cours 1'ont entièremer.t abolie. Cependant la Cour de 1'Empereur Charles VI fit exception a la régie: il étoit trop zélé feftateur des formules de 1'étiquette de Bourgogne pour les abolir; il avoit même dans fa dernière maladie, peu de momens avant fa fin, ordonné les meffes & les heures pour 1'appareil de fa pompe funèbre, & nommé les perfonnes qui devoient porter fon cceur dans un étui d'or a je ne fais quel couvent. Les Courtifans admiroient fa grandei:* & fa dignité : les fages bla'moient feu orgueil, ^ui fembloit lui furvivre. C 1  «s HTS T O I R E Remarqaons furtout que par un effet de I'argent répandu en Allemagne, & qui étoit furement le triple de celui des temps antérieurs , non feulement le luxe avoit doublé, mais le nombre des troupes que les Souverains entretenoient , avoit augmenté a proportion. A peine 1'Empereur Ferdinand I avoit-il entretenu 30,000 hommes. Charles VI en avoit foudoyé dans Ia guerre de 1733 , 170,000, fans fouler fes peuples. Louis XIII avoit eu 60,000 foldats. Louis XIV en entretint 220,000 & jufqu'a 360,000 durant la guïrre de Succefïïon. Depuis cette époque , tous, jusqu'au plus petit Prince d'Allemagne , avoient augmenté leur militaire. C'étoit par efprit d'imU tation ; car dans la guerre de 1683 Louis XIV leva le plus de troupes qu'il put, pour avoir une fupériorité décidée fur ceux qu'il vouloit combattre: il ne fit aucune réforme après la paix; ee qui forca 1'Empereur & les Princes d'Allemagne a garder fur pied autant de foldats qu'ils en pouvoient payer. Cette coutume une fois établie fe perpétua dans la fuite. Les guerres en devinrent beaucoup plus couteufes; la dépenfe des magafins fut immenfe, pour entretenir ces cavaleries nombreufcs & les raiDmbler en quartiers de cantonnement avant 1'ouverture de Ia campagne & la faifou des fourrages. L'infantetie, toujours entretenue, 'changea prefque d'état, tant on travailla a la perfeétionner. Avant la guerre de Succeffion Ia cioitié des bataillons portoit des piqués & 1'autre  BE MON TEMPS. 6j des moufquets, & ils combattoient armés fur fix lignes de profondeur; on fe fervoit de ces piqués contre la cavalerie; les moufquets faifoiert un feu foible & ratoient fouvent a caufe des mèches» Ces inconvéniens firent changer d'armes : on quitta les piqués & les moufquets & on les remplaga par des fufils*armés de baïonnettes; ce qui réunit ce que le feu & le fer ont de plus terrible. Comme on fit confifter dans le feu la force des bataillons, on diminua peu a peu leur profondeur en les étendant, Le Prince d'Anhalt, qu'on peut appeler un Mécanicien militaire, introduifit les baguettes de fer; il mit les bataillons a trois hom» mes de hauteur: & le défunt Roi, par fes foins infinis, introduifit une difcipline & unordremerveilleux dans les troupes , & une précifion jusques-la inconnue en Europe pour les mouvemens k les manoeuvres. Un bataillon Prufiïen devint une batterie ambulante , dont la vltefie de la charge triploit le feu, & donnoit aux Prufiïen* 1'avantage d'un contre trois. Les autres nations imitèrent depuis les Prufilens , mais imparfaitement. Charles XII avoit introduit dans fes troupes 1'ufage de joindre deux canons k chaque bataillon. On fondit a Berlin des canons de 3, de 6, de 12 & de 24 livres affez légers pour qu'on put les manier a force de bras, &; les faire avancer dans les batailles avec les bataillons auxquels ils étoient attachés. Tant de noüvelles inventions transforsïoient une armée ea unc forterefie mouvaate..  HISTOIRÊ dont I'accès étoit meartrier & formidable. Ce fut dans la guerrè de 1672 que les Francois trouvèrent Pinvention des pontons de cuivre tranfporta. bles. Get ufage facile de conftruire des ponts ren dit les rivières des barrière^ inutiles. L'art de 1'attaque & de la défenfe des places eft encore dl aux Francois. Vauban furtout perfettionna la fortification; il rendit les ouvrages rafans & les couvrit tellement par les glacis, que pour établir des batteries de brèche, fi on ne les place a préfent fur la crête du cbemin couvert , les boulets ne fauroient parvenir au cordon de Ia maconnerie qu'ils doivent ruiner. Depuis Vauban on a conftruit des chemins couverts maconnés doublés, & peut-être a-t-on même trop multiplié les coupures. C'eft furtout Part des mines qui a fait les plus grands progrès. On étend les rameaux du chemia couvert a trente toifes du glacis : les places bien minées ont des galeries majeures & commandantes. Les rameaux font a trois étages. Le Mineur peut faire fauter le même point de défenfe jufqu'a fept fois. Pour les attaques on a inventé les globes de eompreffion, qui, s'ils font bien appliqués, ruinent tout£s les mines de la place a une diftance de 25 pas du foyer. C'eft dans les mines que confifte a préfent la véritable force des places, & par leur ufage que les Gouverneurs pourront le plus ' prolonger Ia durée des fièges. De nos jours les forterefies ne fe prennent plus que par une norabreufe artillerie. On compte ttois pièces fur eb.*-  DE MON TEMPS. 65 «me batterie pour démonter un canon des ouvrc* ges: on ajoute a de fi nombreufes batteries celles de ricochet qui enfilent les lignes de prolongation ; & a moins de 60 mortiers employés a ruiner les défenfes,, on ne fe hazarde guères aafiïéger une place forve. Les demi-fiipes, les fapes ordinaires, les fapes tournantes , les places darmes & les cavaliers de tranchées, font autant de nouvelles inventions dont on fe fert pour les attaques, qui en épargnant le monde, accélèrent la reddition des forterefies. Ce fiècle a vu revivre des troupes armées a la légere: le< pandours Autrichiens, les légions Franeoifes & nos bataillons francs; les houfards, originaires de la Hongrie, mais imitts par toutes les autres troupes, rempiacent cette cavalerie Numide & Partbc fi fameufe du temps des Romains. Les milices anciennes ne connoifibient point d'uniforme; il n'y a pas un fiècle que les habits d'ordonnance ont été généralement admis. La Marine encore a fait beaucoup de progrès, tant pour la conftruttion des vaiffeaux que pour rendre plus exact Ie calcul des pilotes; mais cette matière étant très-vafle, je Ia quitte, de crainte de m'engager dans une trop longue digrefliorj. De tout ce que nous venons de rapporter da progrès des arts en Europe, il réfuke que les pays du Nord avoient beaucoup gagné depuis la guerre de trente ans. Alors Ia France jouiflbit de 1'avantage de tout ce qui eft du reTort des bellesIsttres & du goót, les Anglois de la géométrie $  HISTOIRE de la métaphyfique , les Allemands de la chimie, des expériences de pbyfique & de 1'érudition ; les Italiens commencoient a tomber; mais la Pologne, la Rufiïe, la Suède & le Danemarck étoient encore arriérés d'un fiècle en comparaifon des nations les plus policées. Ce qui mérite peut-être le plus nos réflexions, c'eft le changement qui fe voit depuis 1'année 1640 dans la puiffance des Etats. Nous en voyons quelques-uns dans leur accroiftsment ; d'autres demeurent , pour ainfi dire, immobiles dans la même ficuation, & d'autres enfin tombent en confomption & menacent ruine. La Suède jetta fon feu fous Guftave Adolpbe, elle difta avec la France la paix de Weftphalie; fous Charles XII elle vainquit les Danois, les Ruffes, & difpofa pour un temps du tróne de Pologne: il femble que cette Puiffance ait alors rafiemblé toutes fes forces pour paroitre comme une comète qui jette un grand éclat & fe perd enfuite dans 1'immenfité de l'efpace; fes ennemis la démembrèrent en lui arrachant 1'Eftonie , la Livonie, les principautés de Brème & de Verden , & une grande partie de Ia Poméranie. La ehute de la Suède fut 1'époque de Pélévation de Ia Rufiïe: cette Puiflance femble fortir du néant, pour paroitre tout a coup avec grandeur, pour fe mettre peu de temps après au niveau des Puiffances les plus redoutées. On pourroit appliquer a ïierre I ce qu'Homère dit de Jupiter: il fit trois pas, öc il fut au buut du monde. En effet, abattre-  BE MÜN TEMPS. <57 la Suède, donner fuccefïïvement des Rois k la Pologne, abaiffer la Porte Ottomanne & envoyer des troupes pour combattre les Francois fur leurs frontières , c'eft bien aller au bout du monde. *On vit de même la maifon de Brandebourg quitter le banc des Eleétèurs pour s'affeoir parmi les Rois; elle ne tiguroit aucunement dans la guerre de trente ans. La paix de Weftphalie lui valut des provinces qu'une bonne adminiftration rendit opulentes. La paix & la fageffe du gouvernement formèrent une Puiffance naiffante , prefque ignorée de 1'Europe , paree qu'elle travailloit en lilence & que fes progrès n'étoient pas rapides, mais 1'ouvrage du temps. On parut étonné lorsqu'elle commenca k fe développer. Les agrandiffemens de Ia France, dus tant l fes armes qu'a fa politique, furent plus prompts & plus confidérables. Louis XV fe trouva par fes poffefïïons fupérieur d'un tiers a celles de Louis XIII; Ia Franche-comté, 1'Alface, Ia Lorraine & une partie de la Flandre annexée a eet Empire, lui donnoient une force bien fupérieure a celle des temps paffes; ajoutez-y fur. tout 1'Efpagne foumife a une branche de la maifon de Bourbon , qui Ia délivrant, au moins pour long-temps, des diverfions qu'elle avoit toujours i craindre des Rois d'Efpagne de la branche Autrichienne, lui donne a préfent la faculté de fe fervir de fes forces ent ères contre celui de fes voifics qu'elle juge néeeffaire de «mbatue. Les  68 H I S T O I R Ë Anglois de leur cóté ne fe font pas oubliés. Gibraltar & Port Mahon font des acquifitions iraportantes pour une nation comniercante; ils fe font enrichis prodigieufement par toute forte de trafics: peut-étre que 1'électorat de Hanovre, affujetti i leut domination , ne leur eft pas inutile , par 1'infiuence qu'il leur donne dans les affaires d'Allemagne , auxquelles i!s ne prenoient autrefois aucune part. On croit généralement que la nation Angloife, a préfent fufceptible de corruption, en eft devenue moins libre; du moins en eft - elle plus tranquille. La maifon de Savoie ne s'eft pa3 oubliée non plus: elle acquit la Sardaigne & la royauté; elle écorna le Milanois , & les politiques la regardent comme un cancer qui ronge la Lombardie. L'Efpagne avoit établi Don Carlos dans le royaume de Naples. La maifon d'Autriche ne jouiffoit pas des mêmes avantages. La guerre de Succeffion avoit fait de 1'Empereur Charles VI un des plus puiffans Princes de 1'Europe ; mais 1'envie de fes voiftns le dépouilla bientot d'une partie de fes acquifitions & le remit au niveau de la fortune de fes précédeffeurs. Depuis 1'extinction de la branche de Charles Quint en Efpagne, la maifon d'Autriche avoit perdu premièrement 1'Efpagne, paffée entre les mains des Bourbons; une partie de la ï'landre; depuis, le royaume de Naples & une partie du Milanois. II ne. refta donc a Charles VI de Ia fucceffion de Charles II que •juel-jUss villes en Flandre & une partie du Mila-  DE MON TEMPS. . « I S T O I R E il-donna encore audience au Marquis de Botta,auquel.il dit les mêmes chofes que Ie Comte de Gotter devoit dédarer a Vienne. Botta s'écria; „ Vous allez ruiner la maifon d'Autriche, Sire,. „ & vous abymer en même temps.1' — „ U ne „ dépend que de la Reine, reprit le Roi-, d'ac-„ cepter les ofFres qui lui font faites." Cela rendit' le Marquis rêveur; il fe recueillit cependant & reprenant la parole d'un ton de voix & d'un air ironique, il dit: „ Sire, vos troupes font belles,'. » j'en conviens; les nótres n'ont pas cette appa„ rence , mais elles ont vu Ie loup; penfez, je „ vous en conjure, a ce que vous alles entre». „ prendre." Le Roi s'impatienta & reprit avec vivacité: „ Vous trouvez que mes troupes font: „ belles, & je vous ferai convenir qu'eües font „ bonnes." Le Marquis fit encore des inftances pour qu'on différat 1'exécution de ce projet. Le Roi lui fit comprendre qu'il étoit trop tard & que Ie Rubicon étoit paffé. Tout Ie projet fur Ia Siléfie ayant éclaté, une entreprife auffi hardie caufa une effervefeence fingulière dans 1'efprit du public. • Les ames foibles & timorées préfageoient la chute de 1'Etat, d'autres croyoient que Ie Prince abandonnoit tout au hazard &' appréhendoient qu'il ne prit pour modèle Charles XII. Le militaire efpéroit de Ia fortune & prévoyoit de 1'avance- ■ ment. Les frondeurs, dont il fe trouve dans tout: pays, envioient a PEtat les accroiffemens dont il étoit fufceptib!e.;Le Prince d'Anhalt éttit furiw  DE MON TEM'PS. 87 de- ce qu'il n'avoit pas congu ce plan & n'étoit pas Ie premier mobile de I'exécution : ■ il prophétifoit, comme Jonas, des malheurs qui n'arrivèr rent ni a Ninive ni a Ia Pruffe. Ge Prince regardoit I'armée impériale comme fon berceau; il avoit des obligations a Charles VI, qui avoit donné un brevet de Pru ceffe a fa femme, & il craignoit avec cela ragrandiiTwment du Roi, qui réduifoit un voifin comme le Prince d'Anhalt au néant. Ces fujets de mécontentement 1'engagèrent a femer Ia défiance & 1'épouvante dans tous les efprits; il auroit voulu intimider le Roi lui-même, fi cela avoit été faifable; mais le parti étoit trop bien pris & les chofes pouffées trop avant pour pouvoirreculer. Cependant, pour prévehir le mauvais effet que des propos d'un grand général comme étoit le Prince d'Anhalt pouvoient faire fur les officiers, le Roi jugea a propos d'affembler avant fon départ les officiers de Ia garnifon de Berlin, & de leur parler en ces termes: ,, J'entrepreus „ une guerre, Meffieurs, dans laquelle je n'ai d'autres alliés que votre valeur & votre bonne „ volonté: ma caufe eft jufte, & mes reffburces „ font dans la fortune. Souvenez-vous fans cefft - de la gloire que vos ancêtres fe font acquife „ dans les plaines de Varfovie, a Fehrbellin &. „ dans 1'expédition de la Pruffe. Votre fort eft „ entre vosmains; les diftinclions & les récom* „ penfes attendent que vos belles accions les raéri« :y tent. Mais je.n'ai pas befoin de vous exciter a -  IS HISTOtRE „ faglofre; tous n'avez qu'elle devant les yeurV„ c'eft le feul obj'et digne de vos travaux. Nous „ allons afFronter des troupes qui fous le Prince j, Euqène ont eu Ia plus grande réputation: „ quoique ce Prince n'exifte plus, d'autant plus „ d'bonneur y aura-t-il k vaincre,que nous aurons k mefurer nos forces contre de braves foldats. „ Adieu! partez. Je vous fuivrai inceiTammenï „ au rendez-vous de la gloire qui nous attend." Le Roi partit de Berlin après un grand bal jnasqué; il arrïva le 21 de Décembre a CrofTen. Une fingularté voulut que ce jour même, une corde, apparemment ufée, a laquelle la cloche de la catbédrale étoit fufpendue, fe rompit. La clocha tomba, & cela fut pris pour un iiniftre préfagcj car il régnoit encore dans 1'efprit de la nation des idéés fuperftitieufes. Poar détourner ces mac'vaifes irrpreffions, le Roi expliqua ces fignes avantageufement. Cette cloche tombée fignifioit felon lui l'abaifTenient de ce qui étoit élevé; & comme la maifon d'Autriche 1'étoit infiniment plus que celle de Brandebourg, cela préfageoit clairement les avantages qu'on remporteroit fur elle. Quiconque connoit le public, fait que de telles raifons font fuffifantes pour le convaincre. Ce fut le 23 de Décembre (*) que I'armée entra dans* ia Siléfie. Les troupes marchèrent par cantonnement , tant paree qu'il n'y avoit point co ï74*  DE MON TEMPS. 25 d'ennemi, que paree que la faifon ne permettoit pas de. camper: elles répandirent fur leur paffage la déduftion des droits de la maifon de Brandebourg fur la Siléfie. On publia en même temps un manifefte contenant en fubftance : que les Pruffiens prenoient pofieffion de cette province pour la garantir contre Pirruption d'un tiers, ce qui marquoit affez clairement qu'on n'en fortiroit pas impunément. Ces précautions firent que le peuple & la nobleffe ne regarderent point rentree des Pruffiens en Siléfie comme Pirruption d'un ennemi, mais comme un fecours officieus qu'un Toifin prétoit a fon allié. La reiigion encore, ce préjugé facré cbez le peuple, concouroit a rendre les efprits pruffiens; paree que les deux tiers de la Siléfie font compofés de proteftans qui, longtemps opprimés par le fanatifme autrichien , regardoient le Roi comme un fauveur que le ciel leur avoit envoyé. En remontant POder , la première fortereffe qu'on rencontre c'eft Glogau. La ville eft fituée fur la rive gauche de cette rivière; fon enceinte eft médiocre , environnée d'un mauvais rempart dont la moindre partie étoit revê ue. Son fofle pruvoit fe pafler en plufieurs endroits; la contrefcarpe étoit prefque détruite. Comme la faifon rigoureufe empêchoit d'en faire le fiège d.ns les formes, on fe contenta de la bloquer; d'ailleurs U groffe artillerie n'étoit point encore arrivé©. La Cour de Vienne avoit dooné des ordtes precis  9$ . H I S T O I R E a.Wenzel Wallis, Gouverneur de Ia place, de nc point commettre les premières hofiilités; 'il crur que de le bloquer n'étoit pas 1'affiéger,' & il fe laifla paifiblement enfermer dans fes r'empans. Depuis la paix de Belgrad la plus grande partie de I'armée autrichienne étoit demeurée en Hongrie, Au bruit de la rup:ure des Pruffiens, le Général Braun fut envoyé en Siléfie, oü il put rafiembler a peine 3o©o hommes; il tenta de s'empater de Bresiau, tant par la rufe que par la force, mais inutilement. Cette ville jouiflbit de priviléges femblables i ceux des villes impériales: c'étoit ane petite république gouvernée par fes magiftrats & qui étoit exempte de toute garnifon. L'amour de Ia liberté & du lüthéranifme préfervèrent fes habitans des fléaux de Ia guerre; ils réfiftèrer.t aux follicitations du Général Braun, qui 1'auroit pourtant a ia fin emporté , fi le Roi n'eüt haté fa marehg pour l'ob.üger s la retraite. Dans ces SS. trefaites le Prince Léopold d'Anhalt arriva a Giogau avec 6 bataillons & 5 efcadrons; il releva les troupes du blocus , & Ie Roi partit fur le ehamp avec les grenadiers de i'armée, 6 bataillons & 10 efcadrons, pour gagner Breslau fans perte de temps. Après quatre jours de marche il fe trouva aux portes de cette capitale, tan dis que le Maréchal de Schwérin longeoit Ie pied des montagnes & dirigeoit fa marche par Liegnitz,. Schweidnitz & Franckenftein, pour purger-d'entfemis cette partie de Ia Siléfie.  »E MÖN TE MP S( 9*' Le premier de Janvier le Roi s'empara desfaubourgs de Breslau fans réfiftance , & envoya les Colonels de Borck & de Goka pour fommer la ville de fe rendre: en même temps quelques troupes paiTérent 1'Oder & fe cantonnèrent au döme. Par la le Roi fe trouvoit maitre des icv.r. cótés de la rivière & bloquoit effectivement cette ville mal approvifionnée, qui fut forcée d'entreren compofition. 11 faut obferver de plus que lesfoffés de la ville étant gelés-, la bourgeoifie pouvoit craindre d'être emportée par un affaut général. Le zèle de la reiigion luthérienne abrégea toutes les longueurs de cette négociation: urr cordonnier enthoufiafte fubjugua le petit peuple, lui communiqua fon fanatisme & le fouleva aupoint d'obli er les magiftrats a figner un a&e de neutralité avec les Pruffiens & a leur ouvrir les,portes de la ville.. Dès que lé Roi fut entré dans cette capitale, il licentia toutes les perfonnes en place qui fe trouvoient au tervico de la Pvéine der Hongrie. Ce coup d'autorité prévint toutes lesmenées fourdes dont ces anciens ferviteurs de la> maifon d'Autriche auroient fait ufage dans la fuite pour cabaler contre les- intéréts des Pruffiens. Cette affaire terminée,un detachement d'infantene paffa 1'Oder pour chaffer de Namslau une garnifon autrichienne de 300 hommes , qui quinze jours après fe rendit piifonnière de guerre. On ne laiffa qu'un régiment d'infanterle dans les faubourgs de Breslau, & le Roi dirigea fa marche fur Ohlm,  S>2 H I S T O I R Ë oü Braun avoit jeté Ie Colonel Formemini avec 400 hommes. Cette ville prend fon nom d'une petite rivière qui paffe fous fes murs; elle étoit entourée d'un mauvais rempart a demi éboulé & d'un foffé fee: le chateau qui vaut un peu mieux, ne peut fe prendre qu'avec du canon. Pendant qu'on fe difpofoit a donner un affaut général 2 cette bicoque, le Commandant capitula. La garnifon fe débanda en fortant, & il ne lui refta que 120 hommes, avec lefquels il fut convoyé a Neiffe. Les ennemis avoient une garnifon a Brieg de 1200 hommes ét pour Ia bloquer, ainfi que les autres places, le Général Kleift en fit 1'inveftiffement avec 5 bataillons & 4 efcadrons. Pendant que le Roi avoit pris ou bloqué les places le long de 1'Odcr, le Maréchal de Schwéria étoit arrivé £ Francltenöein, en approchant de la rivière de Neiffe qui fépare la haute Siléfie de la baffe ; il tomba fur les dragors de Lichtenftein, qu'il pouffa fur Otimacbau: ce chateau épifcopal a un pont fur la Neiffe. Mr de Braun, pour couvrir & faciliter fa retraite, y jeta trois compagnies de grenadiers. Le Maréchal de Schwérin les bloqua; Ie lendemain le Roi Ie joignit avec des raortiers & quelques pièces de 12 livres. Dés que les batteries furent en état de jouer, Ie Major Muffling, Commandant de la garnifon, fe rendit a difcrétion. Il ne reftoit plus que la ville de Neiffe a prendre i mais elle valoit mieux pour fa force que toutes les autres. €ette ville eft fituée au-dela de la Neiffe, fortifiée  BE MO N TEMPS. d'un bon rempart de terre & d'un foffé qui a fept pieds d'eau de profondeur, environné d'un terrain bas & marécageux, oü Roth, qui en étoit Commandant , avoit pratiqué une inondation. Du cóté de la baffe Siléfie cette place eft commandée par une hauteur qui en eft éloignée de 800 pas. La faifon rigoureufe s'oppofoit aux opérations d'un fiège formel; il ne reftoit donc pour s'en emparer que l'affaut, le bombardement ou le blocus. Roth avoit ren lu l'affaut impraticable; il faifoit tous les matins ouvrir les glacés du foffé; il faifoit arrofer le rempart d'eau qui fe geloit tout de fuite; il avoit meublé les baftions & les courtines de quantité de folives & de faulx pour repouffer les affaillans, ce qui fit renoncer a l'affaut. On effaya de bombarder la ville; on y jeta 1200 bombes & 3000 boulets rouges, le tout en vain; la fermeté 1 de ce Commandant obligea les Pruffiens d'abandonner cette entreprife & d'entrer en quartiers d'hiver. En même temps le Colonel Camas, chargé d'une expédition fur'Glatz, rejoignit I'armée; il avoit manqué fon coup faute de bonnes mefures. Pendant que les Pruffiens fe cantoi?noient autour de Neiffe, lc Maréchal de Schwérin , a la tête de 7 bataillons & de 10 efcadrons, defcendit en haute Siléfie; il délogea le Général Braun de Jasgerndorff, de Troppau & du chateau de Grstz. Les Autrichiens fe retirèrent en Moravie ; les Pruffiens prirent leurs quartiers derrière 1'Oppa, & s'étendirent jufques a Jablunka fur les frontières  9+ H I S T O I R E de Ia Hongrie. Durant ces opérations militaire* Je Comte de C-otter fe trouvoit a Vienne; il y -négocioit, plutót pour fe conformer i l'ufage que dans 1'efpérance de pouvoir réuffir. II avoit temi un iangage affez impofant, capable d'intimider toute autre Cour que celle de Charles VI Les coürtifans de la Reine de Hongrie difoient d'un ton de bauteur, q„e ce n'étoit point a un prince dont la fonétion étoit, en qualité d'Archichambellan de 1'Empire, de préfenter a 1'Empereur le baffin a Iaver les mains, de préfcrire des lois a fa fille. Le Comte de Gotter, pour enchérir fur ces propos autrichiens, eut 1'effronterie de montrer au Grand Duc une Iettre que le Roi lui avoit écnte, oü fe trouvoient ces mots: .„ Si Ie Grand „ Duc veut fe perdre, qu'il fe perde." Le Grand Duc en parut ébranlé. Le Comte Kinsky, Chancelier de Bohème , 1'homme le plus fier J'una ' Cour cü Ia vanité dominoit, pric Ia parole ; traita toutes les propofitions du Comte de Gotter de flé riffantes pour les fucceffeurs des Céfars; ranims le Grand Duc & contribua plus que tous les autres miniflres a rfempre cette négociation, L'Europétoit dans la furprife de 1'invafion inopinée de Ia Siléfie. Les uns taxoient d'étourderie cette Jevée de boucliers; d'autres regardoient cette entreprife comme une chofe infenfée. Le Miniftre d'Angleterre, Robinfon, qui réfidoit a Vienne, foutenoit que le Roi de Pruffe méritoit d'ètre excommunié en politique. En même temps que ie Comte óe  DE MON TEMPS. jftj Gotter partit .pour Vienne , le Roi envoya le Général Winterfeld en Ruffie ; il y trouva Ie Marquis de Botta, qui y foutenoit avec toute la vivacité de fon cara&ère les intéréts de la Cour de Vienne. Cependant en cette occ^fion le bon fens poméranien 1'emporta fur la fagacité italienne, & M. de Winterfeld parvint, par Ie crédit du Maréchal Munnich, a conclure'avec Ia Ruffie une alliance défenfive; c'étoit tout ce qu'on pouvoit défirer de plus avantageux dans ces circonftances critiques. Après que les troupes furent entrées dans leurs quartiers d'hiver , le Roi quitta la Siléfie & vint a Berlin pour faire les difpofitions convenables pour la campagne prochaine. On fit partir pour I'armée un renfort de» 10 bataillons 5c de 25 efcadrons. Et comme les intentions des Saxons & des Hanovriens paroiffoient équivoques, il fut réfolu d'aiTembler 30 bataillons & 40 efcadrons auprès de Brandebourg fous les ordres du Prince d'Anhalt , pour veiller fur la conduite de ces Princes voifins. Le Prince d'Anhalt choifit Gen» thin comme 1'endroit le plus propre pour fon eampement, & d'oii il tenoit également en échec les Saxons & les Hanovriens. La plupart des fou» verains étoient encore dans 1'incertitude, ils ne pouvoient point débrouiller le dénouement qui fe préparoit. La miffion du Comte de Gotter a Vienne, d'autre part 1'entrée des troupes pruffiennes en Siléfie, leur préfentoient une énigme,' & ils s'efforgoient a deviner fi la Pruffe étoit  $s HISTOIRE Palliée ou Pennemie de Ia Reine de Hongrie. De toutes les puiffances de 1'Europe, la France étoit fans contredit la plus propre pour affifter les Pruffiens dans leur entreprife. Tant de raifons rendoient les Francois ennemis des Autrichiens, que leur intérêt devoit les porter a fe déclarer les amis du Roi. Ce Prince, pour fonder le terrain, avoit écxjt au Cardinal de Fleury, & quoiqu'il n'eut fait qu'effleurer les objets, il en difoit affez pour être entendu. Le Cardinal (*) s'ouvrit davantage dans fa réponfe; il y dit fans détour: „ Que „ la garantie de la pragmatique Sanftion que „ Louis XV avo't donnée a feu 1'Empereur, ne „ l'engageoit a rien, par ce corre&if fauf les droits „ d'un tiers: deplus, que feu l>Smpereur n'avoit „ pas accompli Partiele principal de ce traité, par „ lequel il s'étoit chargé de procurer a la France ,, la garantie de 1'Empire du traité de Vienne." Le refte de la Iettre contenoit une déciamatiou affez vive contre 1'ambition de l'Angleterre, un panégyrique de ia France & des avantages qu'on rencotitfoit dans fon alliance, avec un détail circemftancié des raifons qui devoient porter les Elecleurs è placer l'Elefteur de Bavière fur le tróne impérlal. Le Roi continua cette correfpondance; il rnarqua au Cardinal le défir fincère qu'il avoit de s'unir avec le Roi très-Cbrétien, en 1'affarant de <*> Lettre datée d'tfii Jauv. 7741,  DE MO N TEMPS. 9i s$e toute la facilité qu'il apporteroit de fa part, pour termlner fort promptement cette négociation. La Sucde vouloit auffi jouer un róle dans les troubles qui alloient furvenir; elle étoit alliée dela France, & par 1'inftigation de cette puiflance, elle avoit fait pafier un corps de troupes en Finlande fous les ordres du Général Buddenbrock: ce corps, qui avoit infpiré de la jaloufie i Ia Ruffie, sccéléra 1'alliance qu'elle fit avec Ia Prufle; mais ces engagemens penfèrent être détruits auflitót que formés. Le Roi de Pologne venoit d'envoyer le beau Comte Lynar a Pétersbourg. Ce Miniftre plut a la Princefle de Mecklenbourg, Régente de la Ruffie; & comme les paffions du cceur influent fur les délibérations de 1'efprit, la Régente fut bientót Iiée avec le Roi de Pologne. Cette paffion auro't pu devenir auffi funefte a la Prufle que 1'amour de Paris & de la belle Hélène le fut a Troie. Une révolution que nous rapporterons en fon lieu, en prévint les effets. Les plus grands ennemis du Roi, comme c'eft 1'ordinaire, étoient.fes plus proches voifins. Les Rois de Pologne & d'Angleterre, qui fe repofoient fur les intrigues que Lynar lioit en Ruffie, conclurent entr'eux une alliance offecfive , par laquelle ils fe partageoient les provinces pruffien. nes ; leur imagination les engraiflbit de cette proie, & tandis qu'ils déclamoient contre 1'ambitioa d'un jeune Prince leur voifin, ils croyoient déja jouir de fes dépouilles, dans 1'efpérance que la Qiuy. pojlh. di Fr. 2U T. 1. E  »3 H i s r O l R £ Ruffie & les princes de PEmpire concourroien. pour faire réuflir leurs delTeins ambitieux. C'étoit le moment qu'auroit dü faifir la cour de Vienne pour s'accommoder avec le Roi. Si alors elle lui avoit cédé le duché de Glogau, le Roi s'en feroit contenté & 1'auroit affiftée en vers & contre tous fes autres ennemis; mais il eft bien rare que les hommes cedent ou fe roidiflent toujours a propos. Le fignal de la guerre fut donc donné a 1'Europe. Partout on fe tatoit, on négocioit, on intriguoit pour s'arranger & former des alliances; mais les troupes d'aucune puiflance n'étoient mobiles; aucune n'avoit eu le temps d'amaffer des magafins , & le Roi profita de cette crife pour exécuter fes grands projets. CHAPITRE III. Campagne de 17 41. Nègociations de paix. Hommage de Bretlau. Retour a Berlin. Les renforis pour I'armée de Siléfie arrivèrent a Schweidnitz au mois de Février. De leur cóté les Autrichiens fe préparoient également pour la guerre ; ils drèrent le Maréchal de Neuperg des prifons de Brunn, oü il avoit été détenu depuis la paix de Belgrad, pour lui confier le commandement de cette arméo qui devoit reconquérir la .Siléü>. Ce Maréchal afièmbia fes troupes aux  DE M ON TEMPS. 9? environs d'OImutz, & il détacba le Général Lsntulus avec un corps pour occuper les gorges de li principauté de Glatz, par oü Lentulus fe trouvoit a portée de couvrir la Bohème & de joindre I'armée de Neuperg dans les opérations qu'il méditoit fur Neiffe. Les houfards autrichiens préludoient déja fur la guerre; ils fe gliffoient entre les poftes des Pruffiens, tachoient d'enlever de petits détachemens & d'intercepter des convois: il fe paffa de petites aftions, toutes auffi favorables a 1'infanterie du Roi que ficheufès pour fa cavalerie. Ce Prinpe, en arrivant en Siléfie, fe propofa de faire le tour de fes qusrtiers, pour fe procurer la connoiffance d'un pays qui lui étoit nouveau. Ii partit ionc de Schweidnitz & vint a Franckenftein. Le Général Derfchau, qui commandoit dans cette partie, avoit pouffé deux poftes en avant; 1'un étoit a Silberberg & 1'autre a Wartha, tous deux dans les gorges des montagnes. Le Roi voulut les vifiter; les ennemis en eurent vent, & tentèrent de 1'enlever: ils tombèrent par méprife fur une efcorte de dragons poftés en relais auprès du village de Baumgarten, entre Silberberg & Franckenftein. Le Colonel Ditfort, qui commandoit cette efcorte, ignoroit trop la guerre pour manceuvrer avec avantage contre des troupes légères; il fut battu & perdit 40 maitres. On entendit cette tiraillerie i Wartha; le Roi, qui s'y trouvoit, raffembla quelques troupes a la hate, pour accourir au fecours des dragons qui étoient a un mille £ 2  V30 •H I S T O i R £ de-la; mais il arriva après coup. C'étoit une étourderie de la part d'un fouverain de s'aventürer fi mal accompagné. Si Ie Roi avoit été fait prifonnier dans cette occafion, la guerre étoit terminée, les Autrichiens auroient triomphé fans coup férir, la bonne infanterie pruffienne feroit devenue inutile, ainfi que tous les projets d'agrandiffemen* que le Roi fe propofoit d'exécuter. Plus on approchoit de 1'ouverture de la campagne, (*) plus les affaires devenoient férieufes. Le rapport des efpions s'accordoit unanimement a confirmer que les enriemis fe renfoi coiect dans leurs poftes, qu'il leur arrivoit de nouy.elIes troupes & qu'ils méditoient de furprendte les Pruffiens dans leurs quartiers, en y pénétrant ou par Glatz ou par Zuckmanrel. Vers Ie même temps 100 dragons & 300 houfards Autrichiens s'étoient jetés dans Neiffe. Cet indice feul étoit fuffifant pour dévoiler en partie les deffeins des ennemis, & cela fut caufe que le Roi donna des ordres pour refferrer. fes quartiers: il auroit du fur le champ les raffembler tous, mais il mariquoit alors d'expérience, & c'étoit proprement fa première campagne. La faifon n'é oit pas affez avancée pour qip les blocus de Glogau & de Brieg puflent fe convertir en fitnes. II y avoit cependant un pro,:et tout arrangé pour p endre Glogau d'emblée , & le Prince Léopold d'Anhalt eut ordre de 1'exécuter fans perte £*) Wars,  JDË M'ON TEMPS. roi d'e temps. -Ce fut le g de Mars que Ia ville fut attaquée par cinq endroits a la fois & prife en moins d'une heure de temps; la' ca/alerie même franchit les remparts , tant les ouvrages é'oienC tombés en mine. Aucune maifon ne fut p'illés', aucun bourgeois ne fut ihfulté, & h difcipline pruffienne bsiila dans tout fon éclat. Wallis & toute fa garnifon" devinrent prifonniers de guerre. Un régiment de !a nouvelle création en prit poffeffion; on fit travaiüer d'abord a perfeftiormer fes ouvragts, & le Prince Léopold-, avec le corps qu'il commandoit, joignit le Roi a Schweidnitr. €e ..'étoit pas le tout que d'avoir pris Glogau; les troupes éfoiert encore trop éparpillées pour fe jbindre au befoh; furtout les quartiers qu'occupoit ' le Miréc'iil m S:h '.'érin en haute Siléfie, étoient, ceux qui caufoient le piu3 d'inquiétude. Le Roi voulut que le Maréchal les IevAt & qu'il f3 repiiat fur la Neiffe, oü le Roi vouloit le joindre avec toutes les troupes de la baffe Siléfie. Schvérin n'étoit pas de ce fentiment;- il écrivit que fi on vouloit le renforcer, il promettoit de foutenir fes quartiers jufques au printemps. Pour cette fois le Roi en crut plus fon Maréchal que lui-même. Sa crédulité penfa lui devenir fatale; & comme s'il eüt fallu accumuler fes fautes, il fe mit lui-mêma a la tête de 8 efcadrons & de 9 bataillons pour fe rendre a Jagerndorff; il rencontra le Maréchal a Neuftadt. La première queflion fut: „ Quelle „, nouvelle ave2-vous desennemis?" — „ Aucune, E 3  102 HISTOIRE „ reprit le Maréchal, finon que les troupes ïtór* „ chiennes font difperfées le long des ftontlèrcs „ depuis la Hongrie jufqu'a Braunau en Bohème, », & j'attens i tout moment le retour de mon j, efpion." Le lendemain le Roi arriva a JtegerndorfF; fon delTein étoit d'en partir le jour fuiva: t, pour ouvrir la tranchée devant Neiffe, oü le Maléchal Kalckftein I'attendoit avec 10 bataillons cc autant d'efcadrons. Le Duc de Holftein, qui étoit alors a Franckenftein, devoit y joindre le Roi également avec 7 bataillons & 4 efcadrons. Lorfque le Roi touchoit au moment de fon départ (*) & qu'il donnoit fes derniers crdres au Maréchal comme au Prince Léopold, 7 dragons autrichiens arrivèrent; on apprit de ces déferteurs qu'ils avoient quitté I'armée a 1'reudenthal, (qui n'efl qu'a un mille & demi de Jasgerndorff) que leur cavalerie y campoit & qu'elle y attendoit 1'arrivée de 1'infanterie & du canon pour traverfer les quartiers pruffiens & les obliger a lever le blocus de Neiffe. Dans ce temps même on entendit efcarrneucher devant la ville; tout le monde cru', que 1'avant-garde de Mr de Ncuperg étoit fur le point d'inveftir Jrcgerndorff. II n'y avoit que 5 bataillons dans cette malheureufe ville, 5 pièces de 3 livres & affez de poudre pour 40 charges. La fituation auroit été défefpérée, fi M. de Neuperg avoit fu en profiter; mais la montagne n'enfanta qu'une (.*) 2 Avril,  BE MON TEMPS. 103 foUris. Les etinemis vouloient favoir fi les pruffiens étoient encore dans leur quartier; pour s'en inftruire leurs troupes légères alloient efcarmoucher devant chaque ville , afin de rapporter k leurs officiers ce qui en étoit. Les deffeins des ennemis s'étant tout k fait manifeftés, le Roi ne balam:a plus un moment pour raffembler I'armée. Les troupes de la baffe Siléfie eurent ordre de paffer la Neiffe k Sorge & celles de la haute Siléfie de joindre le Roi a Jajgemdorff. Le 4 d'Avril le Roï partit pour Neuftadt avec tous ces corps raffembléf,' en cotoyant I'armée ennemie, qui marchoit par Zuckmantel & Ziegenhals vers Neiffe. Le lendeHiain (*) il fe porta fur Steinau, éloigné d'un mille de Sorge, oü il avoit fait conftruire des ponts fur la rivière dd Neifle. Il fallut lever le blocus de Brieg, & Ie Général Kleift recut ordre de joindre I'armée avec fjn détachement; le Duc de Holftein recut d.-.s ordres pareils, réitérés k plufieurs reprifes; ceux qui en étoient chargés ne purent les lui rendre, & il demeura tranquillement k Franckenftein, voyant paffer Pennemi k fa droite & a fa gauche fans s'en embarraffer. Des déferteurs do I'armée autrichienne arrivètenta Steinau; ils dépofèrent que Ie Général Lentulus avoit joint le même jour le Maréchal deNeupergauprès de Neiffe. Sur cette nouvelle les quartiers pruffiens furert reffytrés a 1'inftant a Pentour de Steinau, & le C) 5 Av:il. E 4  i©4 '- R I S T O I R I -Roi choifit un pofte oü il püt recevoir Penneim au cas qu'il voulüt fe porter fur les Pruffiens. Pour comble d'embarras le feu prit fur le foir au quartier de Steinau; ce ne fut que par bonheur ; qu'on fauva le canon & les munitions de guerre par des rues étroites dont toutes les maifons étoierj enflammées; les troupes paffèrent lanuit au bivouae fur Ie terrain que le Roi avoit choifl pour fon «amp. Le lendemain (*) ce petit corps de 13 bataillons &de 15 efcadrons, après une marche affez ■fatigantc, arriva a Falckenberg, oü 1'on apprit que le Colonel Stecho.97, qui couvroit Ie pont de Sorge avec 4 bataillons, avoit appercu un gros cjrps d'ennemis qui fe fortirioit de 1'autre cöt'é de Ia rivière &'faifoit même un feu affez vit fur les pruffiens Le Prince Charles y marcha. auffitöt avec 4 bataillons, & il avertit le Roi que Lentulus fe trouvoit fut 1'autre bord ,de la Neiffe avec 50 efcadrons, & rendoit le paffage abfolument impraticable, paree que Ie terrain étoit trop étreüt pour déboucher. Cela obligea de changer Ia direclion * de la marche; on prit Ia route de Michelau, autre pont fur Ia Neiffe, oü le Général Marwitz étoit déja avec les troupes raffemblées des quartiers de . Schweidnitz & du blócus de Brieg. Le pont de Sorge fut levé fans perte de temps, & le foir tous ces différens corps joignirent le Roi. Le lendemain (t) I'armée paffa la Neiffe a Michelau dans le W 6 Avril. etJ 8 Avril.  DE MO'IV TEMPS. Ï6S Ie deffein de marcher fur Grotkau. Un courier qui avoit paffé cette ville, apporta des dépêches au Roi, de forte qu'il ne fe doutoit de rien. Une neige qui tomboit a gros floccons preffés, intercep. toit la lumière & empêchoit de difcerner les cbjets. On marchoit toujours. Les houfards de • Pavane - garde entrèrent dans le viljage de Leipe qui eft fur ce cheaiin, & donnèrent fans le favófr fur un régiment de houfards ennemis qui y cantonnoit. Lés Pruffiens prirent 40 des ennemis tant i pied qu'a cheval, & Pon apprit d'eux qu'une demiheure auparavanc M. de Neuperg avoit pris Grotkau; un Lieuter.ant nommé Ivlitzfcbefahl y commandoit avec 60 hommes; il fe défendit trois heures contre toute I'armée autrichienne. Les déferteurs 'dépofètent de plus que le- lendemain Pennemi mareberoit a Ohlau, pour y prendre Ia groiTe artillerie que le Roi y avoit mïfe en dépót. -Sur cette nouvelle , les différentes colonnes de Parmée , qui étoient toutes en marche , furent auffitöt sffemblées. Le Roi Ia partagea en 4 divrfions, qui cantonnèrent dans 4 villages, affez piés les unes des autres pour qu'en moh s d'une heure elles puffent être affemblées a leur rendez-vous. Le Roi prit fon quartier dans les villa:;es de Pogrel & d'Alfen, d'oü il dépêcha différens officiers a la garnifon d'Ohhu pour Pavertir de fb.t-npproche &• pour attirer a lui deux régitaens de cuiraffiers qui venoient d'arriver dans ces enyiroiKS; aucun de ces, officiers ne put s'y rendre a caufe des parti»  i»6 HISTOIRE ennemis qui infeftoient ces contrées. Le jour fuivant la neige fut fi épaifie, qu'a peine diftinguoit-on les objets a 20 pas: cependant on apprït que 1'ennemi s'étoit approcbé de Brieg. Si ce oauvais temps avoit continué, 1'embarras des Pruifiens n'auroit fait que s'accroitre: les vivres commenooient a devenir rares, il falloit fecourir* Ohlau, & en cas de malheur il n'y avoit aucune retraite; mais la fortune fuppléa è la prudence. Le lendemain, 10 d'Avril, le temps parut clair & ferein; & quoique la terre fut couverte de deux pieds de neige, rien ne s'oppofoit a ce qu'on vouloit entreprendre. Dès les 5 heures du matin 1'armée fe raffembla auprès du moulin de Fogrel; elle ccnfiftoit en 27 bataillons, 29 efcadrons de cavalerie & 3 de houfards: elle fe mit en marche fur 5 colonnes; celle du milieu étoit d'artillerie, les deux plus voifines du centre, d'infanterie, & les deux aux extrêmités des ailes, de cavalerie. Le Roi favoit que 1'ennemi lui étoit fupérieur en cavalerie: pour obvier a eet inconvénient, il mêla entre les efcadrons de chaque aile deux bataillons de grenadiers;c'étoit une difpofition dont Gufiave Aöolphe avoit fait ufage a la bataille de Lutzen, & dont felon toute apparence on ne fe fervira plus. L'armée s'avanga dans eet ordre vers Pennemi, en fuiva:.t la direction du chemin qui jnène a Ohlau. Le Général Rottembourg, qui menoit 1'avant-garde, en paffant auprès du vülage de Pampitz prit une vingtaine de prifonniers.. qöi  BE MON TEMPS. 10? eonilrmèrent 1'avis que des payfans du village da Molwitz étoient venus donner au Roi, que l'armcu ennemie étoit cantonnée dans Molwitz, ©rtitrtgeri & Hüneren. Dès que les colonnes fe trouvèrent a deux mille pas environ de Molwitz, I'armée fe déploya pour fe mettre en bataille, fans qu'on vit paroitre d'ennemis en campagne: la droite devoit s'appuyer au village de HerrendorfF; M. de Schu» lenbourg, qui commandoit la cavalerie de cette aile, s'y prit fi mal-adroitement, qu'il n'y arrivé point : la gauche étoit appuyée au ruifleau de Lauchwitz , dont les bords font marécageux & profonds. Cependant, comme la cavalerie de fa droite n'avoit pas donné affez de champ pour Tinfanterie, on fut obligé de retirer trois bataillo. s ds la première ligne, dont par un heureux hazard on forma un flanc pour couvrir la droite des deux lignes d'infanterie. Cette difpoiition fut la princi. pale caufe du gain de cette bataille. Le bagage fut parqué auprès du village de Pampitz, environ a mille pas derrière les lignes, & le régiment de La Motte, (*) qui dans ce moment venoit joindre I'armée , le couvrit. Rottembourg avec 1'avangarde s'approcha de Molwitz, d'oü il vit déboucher les Autrichiens; il auroit dü les attaquer dans ce défordre, s'il n'avoit eu des ordres précis de ne rien engager; ainfi il ramena fa ttoupe a 1'aüo droite, dont elle faifoit partie. II doit paroitre (*J li arrivsit d'Oppeln. E 6  H I S T O F R E étonnant qa'un Général expérimenté corame Mide Neuperg fe fut laiffé furprenclre de cette manière: il étart-cependant excufable; ii avoit donné des ordres a difFérens officiers de houfards de battre la campagne , furtout vers Ie chemin de Brieg Soit pareUe, foit négligence, ces officiers ne s'acquittèrent pas de leur devoir, & Ie Maréchal n'eut des nouvelles de 1'approche du Roi qu'en voyant fon armée en bataille vis-a-vis de fes cantonnemens. M. de Neuperg fut réduit a mettre fes troupes en bataille fous le feu du canon pruffien, qui étoit promptement & bien fervi; fon aile droite de cavalerie, fous les ordres de M. de Rcemer, arriva la première. Cet Officier intelligent & déterm'né, vit que 1'aile droite des Pruffiens étoit plus prés de Molfitz que la gauche; il comprit qu'en reflant dans fon pofte , M. de Neuperg rifquoit d'être battu avant que. la cavalerie de fa gauche fut arrivée, & fars attendre 1'ordre de perfonn?. il réfolut d'attaquer la droite des Pruffiens. M. de Schulenbourg, pour gagner le village de Herrendotff, fit très-mal-adroitement par-efcadrons un quart de converfion a droite; M. de Rcemer, qui s'en appercut, fans fe fornwr, donna a bride abatue & eri colo ne fur cette aile que M. de Schulenbourg commanuo.t; les 30 efcadrons des troupes de la Reine qu'il menoit, culbutèrent dars l'inftant les 10 efcadrons pruffiens , dont chacun leur p< étoit le flauc g uch-:. Cette cavalerie en déroute paffa devact.é; e;itre "les Ügnes de-  DE MON TEMPS. *ejp Pinfanterie, qu'ils auroient culbutée, fi celle -ci n'avoit fait feu fur ces fuyards; ce qui en même temps écarta les ennemis. M. de Rcemer y fut tué; mais ce qui doit furprendre tout militaire, c'eft que ces deux bataillons de grenadiers qui avoient été entrelacés entre les efcadrons de Ia droite, fe foutinrent leuls & fe joignirent en bon ordre a la droite de 1'infanterie. Le Roi, qui croyoit rallier la cavalerie comme on arrête une meute de chiens, fut entrainé dans leur déroute jufqu'au centre de I'armée, oü il parvint a rallier quelques efcadrons qu'il ramena a la droite. Ils furent obligés d'attaquer les Autrichiens. a leur tour; mais des troupes battues & ramaffées a la hate ne tiennent guère; ils fe débandèrent & M. de Schulenbourg périt dans cette charge. La cavalerie ennemie vi&orieufe tombant alors fur le flanc droicde 1'infanterie pruffisnne, oü nous avons dit qu'avoient été placés trois bataillons qui n'avoient pu entrer dans Ia première ligne, cette infanterie fut vigoureufement attaquée a trois reprifes; des officiers autrichiens tombèrent bi. fles entre fes rangs; elle défarconna a coups de baïonr.ette des cavaliers ennemis, & a force deva'.eur elle repcufla les Autrichiens, qui perdirent beaucoup de monde. M. de Nojperg faifit ce moment; fon infanterie s'ébranla pour entamer la droite des Pruffier.S' dépourvue de cavalerie: fecondé èo fa cavalerie autrichienne , il fit des efforts incroyables pour erifoncer les üoupes du. Roi, mais inutikment E 7  110 HISTOIKE cette valeureufe infanterie réfiftoit comme un rocher a leurs attaques, & par fon feu leur détruifoit beaucoup de monde. A la gaucha des Pruffiens les chofes étoient moins hazardées : cette aile qu'on avoit refufée a 1'ennemi, étoit appuyée au ruiffeau de Lauchwitz; au dela de ce marais, la cavalerie du Roi avoit chargé celle de la Reine de Hongrie & 1'avoit battue. Cependant Ie feu de 1'infanterie de la droite duroit depuis prés de jr heures avec beaucoup de vivacité; les munitions des foldats étoient confumées, & ils dépouilloient les fournitures des morts pour trouver de la poudre a charger. La crife étoit fi violente, que de vieux •officiers croy.oient les affaires fans reffource & prévoyoient le moment oü ce corps fans munition feroit obligé de fe rendre a 1'ennemi; mais il n'en fut pas ainfi, & cela doit apprendre aux jeunes militaires k ne pas défefpérer trop vtte; car non feulement 1'infanterie fe foutint, mais elle gagna du terrain fur 1'ennemi. Le Maréchal de Schwérin, qui s'en appergut, fit alors un mouvement avec fa gauche, qu'il porta fur Ie flanc droit des Autrichiens; ce mouvement fut le fignal de la victoire, & de la défaite des ennemis; leur déroute fut totale: la nuit empêcha les Pruffiens de pourfuivre leurs avantages au dela du village de Lauchwitz. Alors arrivèrent ces 10 efcadrons d'Ohlau, mais trop tard; une chauffée qu'ils avoient k paffer pour joindre I'armée, leur avoit été barrée par les houfards autrichiens, qui les arrétèrent Iong-femps  S>E MON TEMPS. n* 'a ce débouché, & ils ne 1'abandonnèrent que Ioifqu'ils virent les leurs en fuite. Cette journée coüta a rarmée de la Reine 180 officiers, 7C00 moTts tant cavaliers que fantaffins; les ennemi* perdirent 7 pièces dc canon, 3 étendards & 1200 hommes qui furent faits prifonniers. Du cöté des Pruffiens on compta 2500 morts, parmi lefquels étoit le Margrave Fréderic, coufin du Roi; & 3000 bleiTés. Le premier bataillon des gardes, fur lequel tomba l'efFort principal de 1'ennemi, y perdit la moitié de fes officiers; & de 800 hommes dont il étoit compofé, il n'en refta que 180 en état de faire le fervice. Cette journée devint une des plus mémorables de ce fiècle, paree que deux petites armées y décidèrent du fort de la Siléfie,& que les troupes du Roi y acquirent une réputation que le temps ni 1'envie ne pourront leur ravir. Le Ieéteur aura remarqué fans doute dans le récit de cette ouverture de campagne, que c'étoit a qui feroitie plus de fautes, du Roi ou du Maréchal de Neuperg. Si Ie Général autrichien étoit fupérieur par fes projets, les Pruffiens Pétoient par Pexécution. Le plan de M. de Neupsrg étoit fage & judicieux: en entrant en Siléfie, il fépare les quartiers du Roi; il pénètre a Neiffe, oü Lentulus Ie joint, & il eft fur le point non feulement de s'emparer de 1'artillerie royale , mais encore d'enlever aux Pruffiens leurs magafins de Bieslau, les feuls- qu'ils euffent. Mais M. de  nz HISTOIRE Neuperg'auroit pu furprendre le Roi a Jtegerndorfï' & par ce coup feul termiraer toute cetce guerre; de Neifle il auroit pu enlever le corps du Duc de Holftein qui cantonnoit a un mille de-la; avecun peu plus d'aflivité il auroit pu empêcher le Roi de paffer la Neifle a Michelau; de Grotkau encore il auroit dit marchér jour & nuit pour prendre Ohlau & couper le Roi de Breslau. Au lieu de faifir ces occafions, par unefécurité impatdonnable il fe laiffa furprendre, & fut battu en grande partie par fa propre faute. Le Roi donna encore plus de prife que lui a la cenfure; il fut averti a temps du projet des ennemis, & il ne prit aucune mefure fuffifante pour s'en garantir. Au lieu de marcher a JaigerndorfF pour- éparpiller encore plus fes troupes, il auroit dii raflembler toute fon armée & la placer en cantonnemens reflerrés aux environs de Neifle; il fe laiffa couper du Duc de Holftein, & fe mit dans la néceffïté de combafre dans une pofition oü en cas de malheur il n'avoit aucune retraite, oü il rifquoit de perdre I'a.mée & de fe perdre lui-même. Arrivé a Molwitz, oü 1'ennemi cantonnoit, au lieu de marcher avec vivacité poar féparer les cantonnemens des troupes,de la Reine, il perd deux heures a fe former méthodiquement devant un village oü aucip ennemi ne paroiflbit; s'il avoit feiiïement attaqué ce village de Mol-vitz, il y eüt pris toute cette' infanterie autrichienne, a peu prés de même que 24- bjtaillcns frat-cois furent gris a Blindheim; mais il n'y avoit dans fon'armée  BE- MO N TEM SS. ijue le Maréchal de Scbwérin qui füt un homme c!s tête & un général expérimenté. Il régnoit beaucoup de bonne volonté dans les troupes; mais elles neconnoiffoient que les petits détails, & faute d'avoir fait la guerre, elles n'alloient qu'en tatonnant cc craignoient les partis décififs.. Ce qui fauva propremerrt' les Pruffiens, ce fut leur valeur & leur difcipliue^ Molwitz fut 1'école du Roi & ds fes troupes. Ce Prince fit des réflexions profondes fur toutes les fautes qu'il avoit faites, & il tacba de s'en corriger dans la fuite. Le Duc de Holftein avoit" eu occafion de frapper un ^rand coup; mais pour lui les occafions étoient perdues. N'ayant point recu. d'ordre du Roi, il avoit marché , fans trop favoir pourquoi, d'Ottmachau a Strehlen-; il s'y trouva précifément le jour de la bataille & eutendit Ie feu des deux armées. Le n toutes les troupes des Autrichiens en déroute pafférent a un mille de fon poiie: il en auroit pu détruire les refles.; mais faute de favoir prendre une réfolution, il laiffa le champ libre a M. de Neuperg, qui raffembla fes fuyards de 1'autre cóté de la ville de Neiffe, & le Duc de Holftein joignit tranquillement I'armée du Roi auprès d'Ohlau. Après fa jonction & 1'arrivée d'autres renforts, ce corps raffemblé confifloit en 43 bataillons, 66 efcadrons de cavalerie & 3 de houfards. Pour profiter de cette victoire, il fut réfolu d'entreprendre le fiège de Brieg, Le Maréchal de Kalckflein fut chargé de la conduite de ce fiège, & I'armée du Roi.  ï; + H I S T O I R E fe campa auprès de Molwitz pour Ie couvrlK Huit jours après 1'ouverture de la tranchée,. M. Piccolomini , qui étoit Commandant de la pliee, oapitirla, avant que fon chemin couvert fit omporté & lorfqu'il n'y avoit encore aucune brèche aux ouvrages-, L'armée refta trois femaines au eamp de Molwitz , pour donner le temps de eombler les tranchées & de ravitailler la place de Brieg, dont toutes les munitions avoient été eonfumées. Le Roi profita de cette ina&ion pour exercer fa cavalerie, pour lui apprendre a manesuvrcr & a changer fa pefanteur en célérité; elle fut fbuvent envoyée. en parti, pour que les officiers appriffent a profiter du terrain & qu'ils priflent plus de confiance en eux-mêmes. Dans ce temps Winterfeld , ie même qui avoit négocié une alliance en Ruffie, fit un fi beau coup a la tête d'un détacbement, qu'il acquit la réputation d'être auffi bon officier que bon négociateur? il furprit & bat.it le Gér éral Baranay a Rothfchlot & lui prit 300 prifonniers. Comme les Pruffiens jouiffoient de Ia faveur du pays, ils avoient les meilleures nouvelles; ce qui leur procura a la petite guerre plufieurs avar.tages. Cependant nous ne rapporterons point toutes les aftions femblables; par . exemple, comment les Autrichiens ruinèrent auprès de Leubus un nouveau régiment de houfards de Bandemer, comment ils prirer.t une centaine de houlans auprès de Strehlen, comment ils brölerent Zobten , comment les Pruffiens les battirent i  DE MO N TEMPS. 115 Friedwalde & en d'autres rencontres; paree que tv n'eft pas l'hiftoire des houfards, mais ceile de la conquête de la Siléfie que nous nous fommés propofé de décrire. La bataille qui en avoit prefque décidé, caufades fenfations bien différentesen Europe. La cour de Vienne, qui s'attendoit a des fuccès, s'irrita & s'aigrit de fes pertes: dans 1'efpërance d'avoir fi revanche , elle tira des troupes de la Hongrie & quantité de milices dont elie renforca M. de Neuperg, Le Roi d'Angleterre & celui de Pologne commencèrent k refpefter I'armée commandée par Ie Prince d'Anhalt, que d'abord ils avoient méprifée. L'Empire étoit comme étourdi d'apprendre que de vieilles bandes autrichiennes avoient été défaites par des troupes peu expérimentées. En France on fe réjouit de cette viftoire; la cour fe fiattoit qu'en fe mêlant de cette guerre, elle arriveroit a temps pour donner le coup de grace k la maifon d'Autriche. Par une fuite de cette difpofition favorable , le Maréchal de Belle -IQe, Ambaffadeur de France a la diète d'élection qui fe tenoit a Francfort, vrat dans le camp (*) du Roi lui propofer de la part de fon maitre un traité d'alliance, dont les articles prinCipaux rouloient fur 1'éleccion de 1'Eledeur de Bivière, fur le partage & le démembrement óes provinces de la Reine de Hongrie, & fur la garantie que la France promettoit de donner de Ia baffe (.*) Molurfts,  ïirr HISTÖIRE Siléfie, a cqndition que le Roi renorc.t a .V fucceffion des duchés de Juliers & de Bergue maitre. On convint que NeiiTe ne feroit affiégée 1 que pour la forme, que les troupes prufliennes ne 1 ferqient point inquiétées dans les quartiers qu'elles prendroient en Siléfie comme en Bohème , furtout que fans le fecret le plus rigide, tout ce  DE MON TEMPS. 135 qu'on venoit de régler feroit nul, dc toute nullité. II faut avouer que s'il y a une fatalité, elle s'eft furtout manifeftée fur M. de Neuperg, qui paroiffoit deftiné a faire les traités les plus humilians pour fes fouverains. Peu après M. de Neuperg fit prendre a fon armée la route de Ia Moravie. Le ilège de Neifle fut auffirót commencé ; la ville ne tint que 12 jours; Ia garnifon autrichienne n'en étoit pas encore fortie.que les ingénieurs pruffiens y tragoient déja les nouveaux ouvrages qui par la fuite la rendirent une des bonnes places de 1'Europe. La ville prife.on fépara I'armée;une partie marcha en Bohème fous les ordres du Prince Léopold d'Anhalt; quelques régimens furent employés au blocus de Glatz, & Ie refto des troupesaux ordres du Maréchal Schwérin s'ètabiit dans la haute Siléfie. Le Duc de Lorraine, qui fe trouvoit a Presbourg , fe flattant que le Roi regarderoit des pour-parlers comme des traités de paix, lui écrivit demandant fa voix pour 1'élection a 1'Empire. La* réponfe fut obügeante, mais concue dans'un ftile obfeur & fi embrouillé , que 1'auteur même n'y comprenoit rien. La campagne terminée onze mois après 1'entrée en Siléfie,. le Roi re$ut 1'hommage de fes nouveaux fujets a Breslau, d'óü il retourna a Berlin. 11 commengoit a apprendre la guerre par fes fautes ; mais les difficultés qu'il avoit furmontées , n'étoient qu'une partie de celles qui reltoient a vaincre pour mettre le comble au grand ouvrage qu'il avoit entrepris de perfectionner..  II I S T O I R E CHAPITRE IV. Raifor.s polhiques de la trèit. Gw.rre dei Francais & des Bavarois m Bolème. L'Efpagne fe déclare contre 1'Autriche. Diète de l'Empire. Résiolutisn en Ruffie. Dlmfii négociations." 3?our ne p3s trop interrompre le fil des évéoevmens militaires, nous nous fommes contentés de ne toucher que fuccintement les caufes qui occafionnèrent cette efpèce de fufpenfïon d'armes entre la Pruffe &■ l'Au'riche. Cette matière eft délicate. La démarche du Roi étoit fcabreufe; il eft néceffaire d'en développer les motifs les plus fecrets: le lecteur r.ous pardonnera de reprendre les chofts d'un peu plus- haut, afin de les-éc aircir davantage.. Le but de la guerre que le Roi avoit entreprife, étoit de conquérir la Siléfie: s'il prit des ■ engagemens avec la Bavière & la France, ce n'étoit que pdur remplir ce grand objet; mais la France & fes alliés vifoient a des fins toutes différentes. Le miniftère de Verfailles étoit dans Ia perfuafion que c'en étoit fait de la puiflance autrichienne & qu'on alloit'.la détruire pour jamais : il vouloit élever fur les ruines de eet empire quatre fouvsrains, dont les forces pourroient fe balancer rétiproquement; favoir, la Reine de Hongrie, qui garderoic ce royaume, 1'Autiicbe, la. Styrie, la.  BE MON TEMPS. 137 Carintbie & la Carniolc; l'Elefteur de Bavière, nattre de la Bohème, du Tyrol & du Brisgau; la Piuffe avec la bafle Siléfie; enfin la Saxe joigt ant la haute Siléfie & la Moravie a fes autres pofTeffions. Ces quatre voifins n'auroient jamais pu 'fe comporter a la longue ,& la France fe préparoit a jouer le rö'e d'arbitre & a dominer fur des dcfpctes qu'elle auroit établis elle-même. C'étoit renouveler les ufages de la politique .des Romains dans les temps les plus flor flans de cette république. Ce proiet éto:t incompariblc avec la liberté germanique & ne convenoit en aucune manière au Roi, qui travaüloit pour 1'éïévatioo de fa maifon & qui étoit bien éloigné de facrifier fes troupes pour fe-former & fe créer des rivaux. Si le Roi s'étoit rendu 1'inflrument fervile de la. politique frangoife, il auroit préparé lui-même le joug qu'il fe feroit impofé: il auroit tout fait pour la France. & rien pour-lui-même, &*peut être Lou:s XV feroit-il parvenu a réalifer cette monarchie univerfelle, dont on veut attribuer le projet chimérique a Charles Quint. Aioutons a ceci, puifqu'il faut tout dire, que fi le Roi avoit fecondé avec trop de chaleur les opérations des trcupes francoifes, leur fortune tx'ceflhe 1'auroit fubjugué; d'alliéil feroit devenu fujet; on 1'auroit entrainé au-dell de fes vues, & il fe feroit trouvé dans la néceffité de confenür a toutes les volontés de la France, faute d'y pouvoir réfifler, ou de trouver des alliés. qui pufRnt 1'aider a foitir de eet efclavage. La.  3J* H T S T O I K E- prudence fembloit donc exiger du Roi une cöni dufte mitigée, par laqueiie ii établit une forte d'équilibre entre les maifons d'Autriche & de Bourbon. La Reine de Hongrie étoit au bQrd du précjpice; une trève lui donnc-it le moyen de refpirer & ]e Roi étoit fur de la rompre quand iï le Jugeroit è propos, paree que Ia politique de iacour de Vienne Ia preiToit de divulguer ce myilère.. Ajoutons/pour la plus grande juftification du Roi, qu'il avoit déeouver* les Haifons feerétea que Ie Cardinal de Fleuri entretenoit avec M. de Stainville, Miniftre du Grand Duc de Tofcane & Vienne :il favoit que Ie Cardinal étoit tout difpoféa facrifier les alliés de la France, fi Ia cour de Vienne lui offroit Ie Luxembourg & une partie du. Brabant;, il s'agiffoit donc de manceuvrer adroitement, furtout de ne point fe laiffer prévenir par un vieux politique qui s'étoit joué dans Ia dernièrsguerre de plus d'une tête couronnée. L'éi'énement juftitïa bientót ce que le Roi avoit prévu de Hndifcrétion de la cour de Viecne: elle divulgua le prétendu traité avec la Pruffe , en Saxe, en Bavière, a Francfort fur Ie Mein', & partout oü elle avoit des émiffaires. Le Comte ds Podewils, Minift.e des affaires étrangères, avoit été chargé a fon retour de la Siléfie de paffer par Dresde, pour fonder cette cour, qui avoit marqué fans ceffe beaucoup de jaloufie & de mauvaife volonté pour tout ce qui intéreffoit la Pruffe: il y. ' trouva le Maréchal de Bslle-Iflj furieux.de ce.  DE MOK TEMPS. 139 qu'il venoit d'apprendre d'un certain Koch, amiffaire de la cour de Vienne, qui après lui avoir fait des propoütions de paix que le Maréchal rejeta, lui déclara que fa cour s'étoit a tout hazard accornmodée avec le Roi de PiuiTe. Bien plus, toute Ia ville de Dresde étoit inondée de billets qui avertiffoient les Saxons de fufpendre la marche de leurs troupes pour la Bohème, paree que le Roi de Pruffe, réconcilié avec la Reine de Hongrie , fe préparoit a faire une invafion en Luface. La timid.té ombrageufe du Comte de Bruhl fut raffurée par la fermeté haidie du Comte de Podewils, & les Saxons marchèrent en Bohème. Sur ces entre»faites l'Elefteur de Bavière communiqua au Roi une lettre de l'Impératrice Amélie, qui 1'exhortoiti s'accommoder avec la Reine de Hongrie avant le mois de Décembre, fans quoi cette PrincelTe fe trouveroit obligée de ratifier les préliminaires ' dont elle étoit convenue avec les Pruffiens. Cette conduite de la cour de Vienne déga. eoit "le Roi de tous fes engagemens. On verra dans la fuite de eet ouvrage que cette co'jr pnya cher fon indifcrétion, La guerre avoit fouvent changé de tr.éatre pendant ces négociations : alors toutes les armées parurent s'être donné rendej-vous en Bohème.. L'Elefteur de Bavière avoit été a deux marches de. Vienne; s'il eti avancé, il fe feroit trouvé aux. portes de cette capitale, qui, mal fournie de troupes,. na lui. auroit oppofé qu'une foible réfiftance-  Ho H I S T 0 I R £ L'Elefteur abandonna ce grand ob;et par l*appféi henfion puérüe que les Saxons étant feuls- en . Bmèine, ils pourroient conquérir ce royaume & te garden Les- Francois , par une fineffe mat entendue, s'imaginoient qu'en prenant Vienne le Bavarois devjendr.oit trop puiffant; ils fortifièrent donc, pour 1'en éloigner, fa méfiance contre les Saxons. Cette faute capitaie fut ia- fource de tous les malheurs qui accab.èrent enfuite la Bavière. Cette armée de- Francois & de Bavarois fut partagée; on en donna 15oco hommes a M, de Sègur pour couvrir 1'Autnche & 1'éjeftorat, & 1'Eltfteur avec le gros de fes fo.ces s'empara de Tabor, de Budweis, & marcha droit a Prague, oii les Saxons le joignirent, de même que M. de Gaffion,.les premiers venant de Lowofitz , le dernier de Pi'lfen. Le Maréchal Toerring- & M. de la Lcuville, qui commandoient è Tabor & aBudareis, abandonnè-ent^ces villes a 1'approche des Autrichieis; non feülement les ennemis y trouvèrent un magafin 'j eonfidérable, mais par cette pofition qu'ils occupèrert, M, de Ségur fe trouva coupé de I'armée de Bor.ème. M. de Neuperg & ie P,ince de Lobtoutz, qui venoient tous deux de Moravie, fe fortifièrent dar.s ce pofte. L'Elefteur de Ba' vièie, qui fe trouvoit alors devant Prague, ne pouvant 1'affiéger dans les régies a caufe de la rigueur de la faifon^ fe détermina a la prendre par furprife. La place étoit d'une vafte enceinte; elle étoit. défendue par une gatniibn trop foiblg-» ea.  DE MON TEMPS. Ï4-I muMpliant les attaques, il falloit néceffairement qu'il fe trouvat quelque endroit dans la ville faifs ïéfiftance, & cela fuffifoit pour Kemporter. P4ague fut donc affaillie de trois cótés différens. Le Comte de Saxe efcalada 1'angle flanqué du baflion St. Nicolas vers la porte neuve; il fit baiffer le pont levis & introduifit par cette porte la cavalerie , qui nettoyant les rues obligea la garnifon d'abandonner la potte de St. Charles que le Com e Rutowsky effayoit vainement de forcer; il ne fit donner l'affaut qu'après que les ennemis eurtnt quitté le rempart. Les Autrichiens, accablés d'cnnemis, furent contraints de mettre bas les armer. Une tro'.fième attaque que M. de Polaftron devoit diriger, manqua tout a fait. Le Duc de Lorraine, Grand Duc de to-cane, voulut alars fe mettre :i ia tête des armées, & il s'avancoit a grandes journées pour fecourir Prague. A peine arrivé a Kcenigsfaal, il apprend que les alliés étoient déja maitres de cette ville. Ce fut pour lui comme un coup de foudre; il retourna avec précipitation fur fes pas; ce fut moins une retraite qu'une firte. Les foldats fe débandoient, pilloient les villages & fe rendoient par bandes aux Francois. Mrs. de Neuperg & de Lobkowitz fe réfugièrent avec leurs troupes découragées derrière les marais de Budweis, Tabor, Neuhaus & Wittingau, camps fameux d'oü Zhka, chef des Huffites, avoit bravé les forces de tous fes ennemis. Le Maréchal de Belle-We, que la fciatique avoit retenu a Dresde,  .♦fM H I S T O I R E tant que les affaires parurent eritiques en Bohème fe rendit è Prague d'abord après fa redoition li détacha Polaflron a Teutfchbrod , Ie Comte de Saxe a Picheli, pour nettoyer les bords de Ia - Saffawa, & d'Aubigné fe porta fur la Wotawa avec 20 bataillons & 3o efcadrons. L'intention du Maréchal étoit de.pouffër jufqua Budweismais la circonfp.ftion de ce général 1'airêta i Piftck. Ainfi i'inaclivité des" généraux francois donna aux Autrichiens Ie temps de refpirer & de fe fortifier dans leurs quartiers. Le Maréchal de Belle-Ifie, plus flatté de la repréfentation de 1'ambaffade que du commandement des armées, man Ja au Cardinal que fa fanté nelui permettant pas de fournir aux fatigues d'une campagne, il demandoit d'être relevé. Le Cardinal donna ce commandement au Maréchal de Broglio, affoibli par deux apoplexies; mais fe trou-ant i Strasbourg dont il étoit Gouverneur, il parut éire celui de tous les généraux qui pourroit joindre le plus vife I'armée de Bohème. Dès fon arrivée ce Maréchal fe brouilla avec M. de Belle-Me. Broglio changea toutes les difpofitions de fon prédécelTeur: il raffembla une maffe de troupes, avec lefquelles il fe rendit a Pifeck. Le Grand Duc fit mine de 1'attaquer ; fa tentative fut inutile : Lob. kowitz ne réuffit pas mieux fur Frauenberg. Enfin les Autrichiens fatigués inutilement retournèrent a leurs quartiers. Les Francois, qui aimoient leurs commodités. trouvoient fort a redire que  DE MON TEMPS. ' 143 les ennemis les inquiétaffent fi fouvent; ils auroient bien voulu que les Pruffiens fe miffent en avant pour les couvrir; mais il auroit fallu être imbécille pour foufcrire a de lelies prétentions. M. de Valori, qui étoit Mjniflre de la France i Berlin, s'exhaloic en plaintes: il foutenoit que les Allemands, qui n'étoient bons qu'a fe battre, devoient ferrailler contre les Autrichiens, pour donner du repos aux Francois, qui leur étoient fupérieurs en toute chofe. On 1'écouta tranquillement, & a la fin il fe laffa de fes vaines importunités. Tant de puiffances, qui s'étoient alliées contre . la maifon d'Autriche & qui vouloient partager fes dépouilles, avoient excité la cupiiité de princes qui jufqu'alors s'étoient tenus tranquilles. L'Efpagne ne voulut pas demeurer oifive, tandis que tout le monde penfoit a fon"agrandiffement. La Reine d'Efpagne, qui étoit de Panne, forma des prétentions fur cette principauté& fur celle de Plaifance, qu'elle appeloit fon cotillon, pour y établir fon fecond fils Don Philippe. Elle fit paffer 20,000 Efpagnols fous les ordres de M. de Montemar par le royaume de Naples, en même temps que Don Philippe avec un autre corps paffbit par le Dauphiné & la Savoie pour pénétrer en Lombardie. Ainfi un feu qui dans fon origine ne parut qu'une étincelle en Siléfie, fe communiqua de proche en proche & caufa bientót en Europe un embrafement univerfel. Tandis que tant d'armées commettoient les  144 HISTOIRE unes vis-a-vis des autres plus de fottifa que de belles aftions, la diète de I'Empire afT.mblcp a Francfort pour 1'éleétion d'un empereur, perdoit fon temps en frivoles délibérations; au lieu d'élire un chef, elle difputoit fur des pourpoints ou fur des dentelles d'or que les feconds ambaiTadeurs prétendoient porter ainfi que les premiers. Cette diète étoit partagée en deux partis ; les 'uns étoient partifans fanatiques de Ia Reine de Hongrie, les autres étoient fes ennemis outrés. Les premiers' vouloient le Grand Duc pour empereur , Ies autres vouloient avec une forte d'obftination 1'Electeur de Bavière. La fortune , qui favorifoit encore les armes des alliés, 1'emporta, & Ieur parti gagna enfin 1'afcendant qu'ont les heureux. La diète de Francfort cependant n'avancoit guères.' Pour fe faire une idéé de-cette afiemblée & de la lenteur de fes délibérations , ii ne fera pas inutile d'en donner une efquifie. La bu'le d'or eft regardée comme la loi fondamentale de I'Allemagne ; c'eft a elle qu'on en appeüe en toute occafion, & s'il y a des chicanes, elles naiffent de la faSon de 1'expliquer. Les princes choifilfent donc les docteurs les plus inflruits de cette loi, les pédans les plus Iourds & ies plus confommés dans les vétilles de la formalité, pour les envoyer comme leurs repréfentans a ces aflemblées générales. Ces jurisconfultes difcutent fur Ja forme des chofes & ont 1'efprit trop rétréci pour envifager les objets en 'grand ; ils font eniyrés de leur repré-  DE MON TEMPS. 'ttf repréfentation & penfent avoir la mêtns autorité que celle dont eet augufte corps jouiilbit du temps de Charles de Luxembourg. Enfin dans cette diète, au i de Décembre de 1'année 1741, on étoit auffi peu avancé qu'on 1'avoit été avant la convocation de cette illuftre affemblée. Si les Autrichiens avoient eu quelques fuccès par leurs armes, le Grand Duc auroit emporté la pluralité des voix : il falloit donc dans ces conjonftures brufquer 1'élection, pour profiter de la fupériorité des fuffrages & empêcher, "par 1'élévaüotf d'une autre familie au tróne impérial, que cette dignité ne devint héréditaire dans la nouvelle maifon d'Autriche. Pour acheminer les chofes a ce but, le Roi propofa de fixer un terrne pour le jour de 1'éleclion: eet expédient fut approuvé & la diète fixa pour ce choix le 24 de Janvier de 1'année 1742- Cette diète & fes délibérations faifoient moins d'impreffion fur le Roi d'Angleterre que ce qui le touchoit de plus prés; la crainte qu'il avoit de cette armée de Maillebois qui menacoit fon électorat, fut fi vive , qu'il fe réfolut a faire le fuppliant a Verfailles pour garantir fes pofTellions.' 11 y envoya comme fon Miniftre M. de Hardenberg, pour figner un traité de neutralité avec Ia France. Le Cardinal de Fleuri demanda au Roi ce qu'il auguroit de cette négociation. Ce Prince lui répondit qu'il étoit dangereux d'offenfer a demi & que quiconque menace, doit frapper. Le Cat; Oeuy.fojih. ie Fr. l/.J. 1. ö  i4« HISTOIRE dinal , plus patelin que ferme , n'avoit pas us caractère aflez male pour prendre des partis décififsil croyoit ne rien donner au hazard en tenant les ehofes en fulpens; il figna ce traité. Ces tempéramens & cette conduite mitigée ont fouvent nui •aux affaires de la France; mais la nature difpenfe fes talens a fon gré; celui qui a recu pour lot la hardieffe, ne fauroit être timide, & celui qui eft né avec trop de circonfpeótion, ne fauroit être sudacieux. -Cette année étoit comme 1'époque des grands événemens. Toute 1'Europe fe trouvoit en guerre pour partager les parties d'une fucceffion litigieufe; on s'aflembloit pour élire un empereur d'une autre maifon que de celle d'Autriche, & en Ruffie on détrónoit un jeune empereur encore au berceau : une révolution placa la PrincelTe Elifabeth fur ce tróne. Un chirurgien (*) Francois de naiffance, un mufieien, un gentilhomme de la cbambre & cent gardes Préobrafzenskoi corrompus par 1'argent •de la jEeance , conduifent Elifabeth au palais impérial. lis furprennent les gardes & les défarment. Le jeune Empereur, fon père le Prince Antoinc de Bronfwic, & fa mère la PrincelTe de Mecklenbourg font'arrêtés. On affemble les troupes; elles pretent le ferment a Elifabeth, qu'ils reconnoiffent pour leur Impératrice. La familie malheureufe eft enfermée dans les prifons de Riga. Oftermann, O Leitoc.  D E MON TEMPS. I47 ;près avoir été traité avec ignominie, eft exilé en Sibérie: tout cela n'eft 1'ouvrage que de quelques heures. La France, qui efpéroit profiter de cette révolution qu'elle avoit amenée, vit biantót après fes efpérances s'évanouir. Le deflein du Cardinal de Fleuri étoit de dégsger la Suéde du mauvais pas oü il 1'avoit engagée. II crut qu'un changement de règne en Ruffie rendroit le nouveau fouverain facile a conclure une paix favorable k la Suède: dans cette vue il ayoic envoyé un nommé d'Avennes avec des ordres verbaux au Marquis de la Chétardie, Ambafftdeur a Pétersbourg „ afin qu'il employat tous les moyens poffibles pour culbuter la Régente & le Généraüffime. De telles entreprifes, qui paroitroient téméraires dans d'autres gouvernemens, peuvent quelquefois s'exécuter en Ruffie. L'efprit de la nation eft enclin aux révoltes. Les Ruffes ont cela de commun avec les autres peuples, qu'ils foit mécontens du préfent & qu'ils efpèrent tout de 1'avenir. La Régente s'étoit rendue odieufe par les foibleffes qu'elle avoit eues pour un étranger, le beau Comte de Lynar, Envoyé de Saxe; mais fa dévancière, l'Impératrice Anne, avoit encore plus ouvertement diftingué Biron, Courlandois & étranger comme Lynar: tant il eft vrai que les mêmes chofes ceffènt d'être les mêmes, quand elles fe font en d'autres temps & par d'autres perfonnes. Si 1'amour perdit la Régente, 1'amour plus popu. fcüre dont la princeffe Elifabeth. fit fentir les e2ejf G %  I48 HISTOIRE aux gardes Préobrafzenskoi, 1'éleva fur Ie trène. Ces deux Princeffes avoient le même goüt pour Ia volupté; celle de Mecklenbourg le couvroit du voile de Ia pruderie; fon cceur feul la trahiflbir. La PrincelTe Elifabeth portoit Ia volupté jufqu'a h débauche: la première étoit capricieufe & méehante; la feconde dillïmulée, mais facile; toutes deux haïffoient le travail, toutes deux n'étoient pas nées pour le gouvernement. Si la Suède avoit fu profiter de l'occafion, elle auroit frappé quelque grand coup pendant que la Ruffie étoit agitée par des troubles inteftins: tout lui préfageoit d'heureux fuccès; mais le deftin de la Suède n'étoit point de triompher de fes ennemis. EUe'demeura dans une efpèce d'engourdiffement pendant & après cette révolution; elle laiffa échapper l'occafion, cette mère des grands événemcns; la perte de Ia bataille de Pultawa ne lui fut pas plus fatale qu'alors la molle inaftion de fes armées. Dès que l'Impératrice Elifabeth fe crut affurée fur le tróne, elle diftribua les premières places de 1'empire a fes partifans. Les deux frères Beftuchew, Woronzow & Trubetzkoi en'rèrent dans le confeil. Leftoe, le promoteur de 1'élévation d'Elifabeth, devint une efpèce de miniftre' fubalterne, quoique chirurgien; il étoit porté pour la France; Beftuchew pour l'Angleterre: de la caquirent des divifions dans Ie confeil & des intrigues interminables a la cour. L'Impératrice n'avoit 4e prsdüe&ion pour aucune des puiffance*; m'ais  DE MON TEMPS. 149 elle fe fentoit de I'éloignement pour la cour de Vienne & pour celle de Berlin. Antoine Ulric, père de Pempereur qu'elle avoit détröné, étoit coufin germain de la Reine de Hongrie, neveu de l'Impératrice douairière, & beau-frère du Roi de Pruffe; & elle appréhendoit que les liens du fang ne fiffent agir ces puiffances en faveur de la familie fur la ruine de laquelle elle avoit établi fa grandeur. Cette princeffe préférant fa liberté aux loix du mariage, trop tyranniques felon fa fagon de penf;r, pour affermir foi gouvernement appela fon neveu le jeune Duc de HMein a la fucceffion. Elle le fit élever a Pétersbou-g en qualité de Gnnl Duc de Ruffie. Le public croit aftez léjérement que les événemens qui tournent a 1'avantage des princes, font les fruits de leur pré^oyance & de leur habileié: par une fuite de cette prévention 1'on foupconna le Roi d'avoir ttempé dans ce!te révolution arrivée en Ruffie; mais'il n'en étoit rien. Le Roi n'y eut aucune part & n'en fut informé qu'avec le public. Que!" quss mois auparavant, lorfque Ie Maréchal de Belle-Ifle fe trouvoit au camp de Molwitz , la converfation avoit tourné fur le fujet de la Ruffie. Le Maréchal parut très-mécontent de la conduite du Pance Antoine & de fa femme la Régente; & dans un moment oü fa colère s'allumoit, il demanda au Roi s'il verroit avec peine qu'il fe fit une révolution en Ruffie en faveur de la Princeffa Elifabeth , au défavan:age du jeune Empereur G 3  ï5ö II I S T O I IC £? ïwan qui étoit fon neveu ? Sur quoi le Ro. répondit qu'il ne connoiffoit de parens parmi Ier fouverains que ceux qui étoient fes amis. La converfation finit, & voila tout ce qui fe paffa, Berlin fut pendant eet hiver Je centre des négociations- La France preiToit le Roi de faire agir fon armée; l'Angleterre 1'exhortoit a conclure Is paix avec 1'Autriche ;. 1'Efpagne- follicitoit fon alliance, le Danemarck fes avis pour changer de parti j la Suède demandoit fon affiftance., la Ruffie fes bons offices a Stockholm; & fEmpire germam'que foupirant après la paix , faifoit les plus vives inftances pour que les troubles' s'appaifaffent. Les chofes ne reftèrent pas long-tems dans cette fituation. Les troupes pruffiennes paffèrent i peihe deux mois dans leurs quartiers d'biver. La deftinée de la Pruffe entraina encore le Roi fur ce théatre que tant de batailles ('evoient enfanglanter & oü les viciffitudes de Ia fortune fe firenï fentir tour a tour aux deux partis qui fe faifoient la guerre. Le plus grand avantage que le Rol xetira de cette efpèce de treve avec les Autrichiens , fut de rendre fes forces plus formidables. L'acquifition de la Siléfie lui procura une augmentation de revenus de 3,600,000 d'écus. La plus grande partie de eet argent fut employee è l'augmentation de I'armée: elle étoit alors de rc<5 bataillons & de 191 efcadrons, dont 60 de houfards. Nous verrons bientót I'ufage qu'il en Br.  &E MON TEMPS. 151 chapitre v. Irruption des Autrichiens en Bavière. Dèpart du Roi. Ce qui fe paffa a Dresdt,' Prague & Olmutz. Négociation de Fitzner. Etpéihion de Moravie, Autriche £f Hongrie, Négociation d§ Imini. Blocus de Brieg. Le Roi quitte la Moravie £f joint fon armée de Bohème a Chruiim. Ce 'qui ft paffa en Moravie aptè; fon dèpart. Changement dt miniflère a Londres. Négociation infruBueufe de Chrudim, qui fait prendre le parti de déciisr l'irréfolution des Autrichiens par une bataille, ^^.uoiqüe les Francois fufTent maltres de Prague, qu'ils occupaifent les bords de la Votawa, de la Muldau & de h Saflava, les AütrichierA ne defefpéroient point de leur falut; ils avoient tiré io.ooo hommes d'Italie , 7 000 de Hongrie, auxquels ils joignirent 3,000 hommes du Brügau,. arrivant par le Tyrol. Ce corps, qui montoit au nombre de 20,000 hommes, avoit le Maréchal de Khe-enhuller a fa tête. Ce général forma auffitót Ie plan de tomber fur les quartiers de M. de Ségur & de le chalfer des bords de l'Ens. Nous ne feurions nous difpenfer de rapporter a ce fujet un mémoire, en date du ïq Juin 1741, que le Roi envoya è l'Elefteur de Bavière. Le lefteur verra que tout le mal qui arriva, avoit été p.réyu, £ g 4  *5* H I S T O I R E que les princes qui ne corrigent pas avec célérité les mauvaifes difpofitions qu'ils font dans leurs opérations de campagne, en font toujours punis; car 1'ennemi eft mauvais courtifan; loin d'êtrfc flatteur, il cbatie févèrement les fautes de celui qui lui eft oppofé, füt-il roi ou empereur même : Voici ce mémoire. Raifons qui doivent engager l'Eletceur de Bavière a poujfer la guerre en Autriche. „ La pofition des troupes prufliennes occupant „ une partie confidérable des forces autrichien„_ nes, on contient le Maréchal de Neuperg en „ Siléfie. L'armée des alliés, qui n'a point d'en„ nemi devant elle, devroit pouffer fes opérations ,, le long du Danube & gagner promptement „ 1'Autriche. L'Ele&eur trouve fon ennemi au dépourvu; il peut s'emparer fans réfiftance de „ Pafiau, de Lintz, d'Ens & de la fe porter fur „ Vienne , fans rencontrer aucun obftacle. Si 1'on fe rend maitre de.cette capitale, onccupe, „ pour ainfi dire, la puiflance autrichier.ne dars „ fes racines. La Bohème, qu'on en fépare par ,, cette marche, dégarnie de troupes & privée de toutfecours, doit tomber d'elle-même. II faut ,, étabür le théètre de la guerre en Moravie, en ,, Autriche & en Hongrie même: dans les cir- conftances préfentes ctUe opération eft auffi aifée que füre; & il eft inconteftable qu'el'e ,, obligera la Reine de Hongrie d'accepter fans „ délai les conditions de la paix qu'on voudra lui „ prtfcriic.  DE MON TEMPS. 153 „ prefcrire. Si l'Elefteur diffère de profiter des ,, conjonfturcs avantageufes ou il fe trouve, il „ donne a 1'ennemi le temps de rarTembler fes „ forces. Ce qui eft fur aujourd'hui, ne le fera plus demain. En tournant vers la Bohème, „ l'Elefteur expofe fes Etats héréditaires au „ caprice des événemens; il offre un appas aux ,, ennemis, qui fauront bien en profiter. Mon ,, avis eft qu'on ne prendra jamais les Romains ,, que dans Rome: qu'on ne larife donc point ,, échapper l'occafion de s'emparer de Vienne. „ C'eft le moyen unique de terminer ces différends „ & de parvenir a une paix glorieufe." Ce mémoire fut lu & aufiitót oublié. L'EIecteur, qui n'étoit pas du tout militaire, ciut que des raifons fupérieures 1'engageoient a prendre un autre parti. Khevenhuller profita de ces fautes. Vers la fin de Décembre (*) il paffa 1'Ens en trois endroits. Ségur, au lieu de tomber avec toutes fes forces fur un de ces trois corps pour les détruire en détail, fe retira vers la ville d'Ens; ii ce s'y crut pas même en fureté. Une terreur panique hata fa fuite; il courut d'une baleine a Lintz, oü il fe fortifia. M. de Khevenhuller ne lui donna pas le tempé de reprendre fes efpritsj il le pourfuivit avec vivacité; & le monde apprJt avec étonnement que 15,000 Autrichiens bit», quoient a Lintz 15,000 Francois: tant un feuï G S  2?* HIs ro I R M homme peut donner d'afcendant a fes troupes &£ celles de fpn ennemi. L Eledteur de Bavière, confterné d'un revers auquel il ne s'attendoit pas, eut recours a I'amitié du Roi; il Ie ccmjura dans les termes. les plus. tendres de ne le point abandonner & de fauvet fon Etat & fes troupes par une puiffante diverfion: il défiroit que les Pruffiens pénétraflènt par Ia. Moravie en Autriche, pour donner a M. de Ségur le temps de refpirer. H faut fe rappeler pour un. moment la fituation ou fe tróuvoient les armées. La pofitiou de I'armée principale de la Reine dB.. Honerie é'oit trés-judicieufe.: elle avoit le dos» (tpurné vers le Danube, fa droite couverte par les marais de Wittingau, fa gauche par ia Muldau & par Budweis, fon front par Tabor. Les alliés décrivoient avec leurs troupes comme un demi». egrcle autour dè ces quartiers, de forte que dans leurs opérations ils avoient Pare a décrire, cc les Autrichiens qui étoient au centre, Ia corde: de plus , leurs troupes étroitement reiferrées dans leurs quartiers couvroient les opérations de M. de Khevenhuller contre les Francois; ils tenoient a 1'Autriche, d'oü ils tiroient leurs vivres & leurs fecours; ils gardoient un pied en Bohème, de forte qu'a 1'ouverture de la campagne ils pouvoient fe flatter de rétablir leurs affaires. Pour déloger cette armée d'un pofte auffi avantageux, il étoit de k dernière néceffité que les alliés fiffent un effort général, pour que les Autrichiens Msyis  DE MON TEMPS, 3S3 d© tous cótés fuccombaffent fous !e nombre de leurs ennemis. Ce plan fut propofé a. M. de Broglio, fans qu'on put jamais lui perfuader d'y> concourir. Quoique Ie peu de concert & de bonne volonts qui régnoit entre les alliés, obligeat d'abandonner le projet le plus décifif pour rendre la fupériorité. aux armées des Francois & des Bavarois, il n'enj é:oit pas moins important de foutenir l'Elefteur i» la veille d'obtenir la couronne impériale. Les jnuis mitigés n'étoient plus de faifon Ou il falloiti s'en tenir a Ia trève verbale qui n'afluroit de rien & que les Autrichiens avoient fi ouvertemenr. enfreinte, ou il falloit détromper les alliés de Ia Pruffe de leurs foupcons par quelque coup d'éclat. L'expédition en Moravie étoit la feule que les circonftances permiffent d'entreprendre, paree qtfelle rendoit le Roi plus néceffaire & le mettok en fituation d'étre également recherché des deux partis: ce Prince s'y détermina, en même temps bien réfo'u pouftant de n'y employer que le moins de fes troupes qu'il pourroit & le plus de celks que fes aliiés voudroient lui donner. Les Saxons,,qui gardoient alors les bords de la Saffa*a>. étoient 4 portée de fe joindre a un corps dePruffiens qui devoit entrer en Moravie.. De \& cette petite armée pouvoit fe porter fur Iglau, err déloger le Prince de Lobkowitz qui y commandoit, & pouffer en avant jufqu'a Horn en bafï»s Autiic-'ae. Cette manceuvre devoit ou forcer- M, d&J Q £  tStS H I S T O I R E Khevenhuller d'abandonner M. de Ségur , ou obliger I'armée principale de la Reine de quitter Wittingau, Tabor & Bud«?eis, auquel cas M. de Broglio n'ayant rien devant lui, pouvoit aller au fecours de Lintz. La difficulté de ce plan confiftoit a faire confentir la cour de Drefde a 'a jonétion de fes troupes avec les pruiTiennes. D'abord le Maréchal de Sch*érin recut ordre de s'emparer d'Oimutz avec le corps qui avoit hiverné en haute Si'étle; enfuite ie Roi expliqua i M. de Valori le but de cette expédition & 1'utilité qui en réfu!ter«it pour la France. Ce moyen étant le feul qui püt fauver les troupes bloquées a Lintz , le Roi vou'oit aller a Dresde. II fit partir M. de Valori un jour avant fon départ, pour qu'il fondit ks efprits & les préparit aux propofitions qu'on vouloit faire. On étoit convenu que M. de Va'ori feroit un figne de tête a 1'arrivée du Roi. Ce iigne fe fit; & dès que ce Prince eut franchi la cérémonie des premiers complimens d'ufage, il s'entretint axec le Comte de * * * de fon projet. En voici le réfumé; mais pour le bien faifir, il faut reprendre les chofes de plus haut. Le feu Roi de Pologne Augufte II avoit fait un plan de partage de la fucceffion de 1'Empereur Charles VI. La cour de Vienne en eut vent. Le Prince de Lichtenflein paffant par Dresde en 1735. fous Ie ïégne d'Augufte III, mécontent du Comte Suikowsky miniftre & favori, affiira *** que s"it pouvoit lui procurer ce projet de partage, lui &  D E MON TEMPS. 15} fa cour t'épargneroient rien pour perdre Sulkows^y & pour lui procurer fa place. *** eut la perfidi» d'accepter cette propofition. II fit copier eet écrit & le remit au Prince de Lichtenflein. Or comme les Saxons s'étoient déciatés contre la maifon d'Autriche & précifément avant 1'arrivée du Roi, la Reine de Hoi grie avoit en voyé une vieille Demoifelle de Kling a Dresde. intrigante de profeffion, & qui ayant affifté a 1'éducation de la Reine de Pologne, mafquoit la commiflion dont elle étoit cbargée du prétexte d'un voyage ordinaire, dort 1'uaique but étoit de fe rapprocher d'une Princeflë a laquelle elle étoit attachée depuis long-temps. A peine eft-elle arrivée a Dresde qu'elle fe rend chez Ie Comte de * * *, & Ie tirant a Pécart, elle fort de fa poche ce projet de partage , & lui dit: connoiffez - vous ceci? ,, promettez - moi fur le champ de faire que les „ Saxons feretirent de la Bohème, ou je découvre „ votre trahifon & je vous perds." * * * promit ce qu'elle voulut; outre cela il n'ofoit par timidité défobliger le Roi, & il avoit de la répugnancea remettre les troupes faxonnes entre les mains d'un voifin qu'il avoit voulu dépouiller de fes Etats fix mois auparavant. Ajoutez que * * * fe prêtoit avec répugnance è l'agrandiiTement de l'Elefteur de Bavière, auquel il envioit la dignité impériale. Après que ces différens fentimens fe furent combattus dans fon efprit , la peur 1'emporta ; par timidité il remit au Roi les troupes faxonnes* bien 9 7  f|| B I ST 9 r R E rélblu de les retirer auffitót que cela feroit poffible. L'après-midi il y eut une conférence chez le Roi. He Comte *•*-*•, le Comte de Saxe, Valori, M. Defaleur & le Comte Rutowskys'y trouvèrenk Le Roi leur expofi les moyens qu'il croyoit les plus convenables pour. fauver M. de Ségur & la Bavière: il 3voit une carte de la Moravie fur laquelle il leur expliqua fon projet de campagne. Son deffein étoit de tomber de toutes parts fur les quartiers des Autrichiens. En conféquence M. de Broglio devoit attaquer le Prince de Lorraine, qui commandoit I'armée ennemie du cóté de Frauenberg, tandis que les Pruffiens & les Saxons ies prendroient en flanc vers Ighu. Le Comte de Siaxe objefta que le Maréchal de Broglio avoit & peine iö.ooo hommes avec lui & que 1'expéütio» d'Iglau manqueroit fau a :e fourrages & de fubfifiance. La première ob eft ion étoit fans réplique; quant a Ia feconde, le Roi fe chargea de la lever, d'ailer a Prague fe concerter avec M. de Sechelles, Intendant da I'armée, fur les moyens de fournir des vivres suk Saxons. Sur ces entrefaites le R.oi de Pologne entra dans la chambre. Après que'ques civilités le Roi voulut du moins lui faire 1'honneur de lui communiquer a q>iel ufatje on deftinoit fes troupes. Le Comte *** avoit vite ptié la carte de Ia Moravie; le Rni la lui redemanda; on Pétala de nouveau, & ce prince fit en quelque forte le vendeur d'o viétan, débitant fa ïftirchandife Ie mieiu qu'il étoit poffible; il appuypit furtout  BE MON TEMPS^ r5* ftfc er que Ie Roi de Pologne n'auroit jamais Ia Moravie, s'il ne fe donnoit Ia peine de la prendre». Auguile III répondoit- oui a tout, avec un aic de convictton mêié de quelque chofe. dans Ie regard qui décotoit 1'ennui. *** que eet entretiea iropatientoit, 1'interrompit en annoncant a fora maitre que 1'opéra alloitcommencer. Dix royaumes k conquérir n'euflent pas retenu le Roi de Pologne une minute de plus. On alla donc \ 1'opéra, & le Roi obtinfc, malgré tous ceux qui s'y oppofoient3 une réfolution finale. II falloit brufquer 1'aventure', comme on prend une place d'affaut; c'étoit le feul moyen de réufllr a cette cour. Le Iendemain, a 6 heures du matin , le Roi fit inviter le père Guarini, qui étoit en même temps une efpèce de favori, de miniftre, de bouflbn & de confefieur. Ge prince lui paria de facon a lui perfuader qu'il ne vouloit réufllr que par lui: la finefle de eet Italien fut la dupe de fon orgueil. Le père Guarini, en quittant le Roi, fe rendit auprès de fon maitre, qu'il acheva de confirmer dans la réfolution qu'il avoit prife. Enfin le Roi partit d« Dresde, après avoir vaincu tous les obftacles, Ia mauvaife volonté du Comte * * * , Ie peu de réfolution d'Augufte III & les tergiverfations du Comte de Saxe, qui peu occupé de Ia Haviere, avoit encore les chimères de la Courlande en tête, & croyoit pour faire fa cour être dans Ia néceffité0 de contrecarieï aisant <0i étoiC eii lui lej ÊlllffieiiS*  H I S T O I R E Lorfque le Roi arriva a Prague, Lintz tenoit encore ; mais le Comte de Tcerring , par fon inconfidération, s'étoit laiffé battre par les Autrichiens. On fit encore quelques tentatives pour lnfpirer de l'aétivité au Maréchal de Broglio, mais inutilement Le Roi convint tout de fuite avec M de Sechelles pour fournir des fubfiftances aux Saxons; il dit: „je ferai 1'impöffible poflib'e." Sentence qui devroit être écrite en lettres d'or fur Je bureau de tous les intendans d'armée. M. de Sechelles ne fe contenta pas de le dire, mais il exécuta tout ce qu'il avoit promis. De Prague ie Roi paffa par fes quartiers de Bohème. 11 apprit en chemin que Glatz s'étoit rendu, & il s'achemina vers la Moravie. II avoit appointé le Chevalier de Saxe & M. de Polaltron a Landscron, pour concerter avec eux les opérations auxquelles on Ce p'éparoit. M. de Polaltron é oit un homme confit en dévotion, qui fembloit plus né pour dire fjn chapelet que pour aller a la guerre.' De la le Roi fe rendit a Olmutz, que le Maréchal de Schwérin venoit d'occuper. On devoit établir des magafins dans cette ville; mais M. de Sechelles n'y avoit pas préfidé. Le féjour du Roi dans cette ville fut trop comt rour obvier a eet inconvénient, & 1'on prit les meilleures mefures que 1'on put pour y remédier. Pendant que le Roi étoit a Olmutz, il • y arriva un certain Fitzner, Confeiller du Grand Duc de Tofcane ; il étoit chargé de quelques propofltions de la cour- de Vienne. LeRoi, qui  DE MON TEMPS. lót fe livroit trop a fa vivacité , fans entendre ce que Fitzner avoit a lui dire , lui paria fans mettre de point ni de virguie a fon difcours : faute impardonnable en négociation , oü la prudence veut qu'on entende patiemment les autres & qu'on ne réponde qu'avec poids & mefure. II lui rappels toutes les infraétions que fa cour avoit faites a la ' trève d'Oberfchnellendorff, & il exhorta la Reine a s'accommoder promptement avec fes ennemit. Fitzner apprit au Roi la capitulation flétriflar.te que M. de Ségur venoit de figner è Lintz, d'oü le Roi prit occafion de tirer de nouvelles raifons pour hater la paix, en lui infinuant que les Anglois n'avoient que leur propre ihtérêt en vue & facrifieroient enfin la Reine aux avantages qu'ils tlcheroient d'obtenir pour lsur cornmerce. Fitzner ravala ainfi les chofes qu'il étoit chargé de dire, & 1'on convint de part & d'auire d'eniretenir une correfpondance fecrète par le canal d'un certaig chanoine Ianini. Sur ces entrefaites on recut des nouvelles de Francfort fur le Mein qui annorcoient l'élecrion & le couronnement de 1'Electeur de Bavière, -qu'on nomma Charles VII. Cependant la cour de Vienne ne reftoit pas les bras croifés. Si el'e Eégocioit avec ardeur, elle ne négligeoit pas non plus de faire ufage de toutes fes reflburces pour fe dégager par la force de tant d'ennemis qui 1'accabloient. Elle leva en Hongrie 15.000 hommes de troupes régulières; elle convoqua dans  1€2. H I S T O I R § ce royaume le ban & 1'arrière-ban, qui devoit lui valoir 40,000 hommes a peu prés. Son intention étoit d'en former deux corps d'armée, dont 1'un devoit pénétrer par Hradifch en Moravie, & 1'autre devoit paffer par la lablunka & gagner en haute Siléfie les derrières de I'armée pruflienne, tandis que le Prince de Lorraine s'avanceroit ce la Bohème pour combattre de front les troupes du Roi. Ce prince n'avoit pris que la' moitié destroupes qui hivernoient en haute Siléfie, qui faifoient 15,000 hommes, è la téte defquelles tl joignit les Frangois & les Saxons auprès de Trebifch. Un autre corps occupa par fes ordres Wifchau, Hradifch, Kremfir & les frontières de la Hongrie, pour couvrir fes opérations. La lenteur, jointe a la mauvaife volonté des Saxons, fit perdre dans cette expédition des jours & même des femaines; ce qui nuifit beaucoup au bien des affaires. Un feul exemple fuffira pour preuve de ce que rous difons. Budichau eft une maifon de plaifance, riche & bien ornée, qui appartient a un Comte Bur; on avoit aflivné par galanterie ce quartier aux Saxons. Le Comte Rutowsky & le Chevalier dg Saxe s'y fou èrent fi bien , que jamais on ne put faire avancer leurs troupes; ils y demeurèrent trois jours. Cèt empéchement fut caufe que le prince de Lobko>vitz eut le temps de retirer fes magafins d'iglau, & qu'è 1'approche des alliés il fe replia fur Wittingau. Les Saxons öccupèrent Iglau; mais il fut impoifible dte les  DE MON TEMPS, t5j faire avancer ni fur la Taya' ni vers Hom cn Autriche.' C'eft Ie cas de fa plupart des généraux qui commandent des troupes auxiliaires, de voir échouer leurs projets faute d'obéiffance & d'exécftion. Les Saxons, qui étoient les plus intéréiTés a cette expédition , étoient ceux la même qui employoient le plus de mauvaife foi pour Ia eontrecarrer. Ces contretemps obligèrent Ie- Roi a refondre fes difpofitions. Il donna aux Saxons les quartiers les'plus voifins de Ia Bohème, & les Prdflïèris occupèrent les bords de la Taya , de Znaym jufqu'a Gcedingen; petite ville qui eft- fur lesfror.' tières de la Hongrie-. Bientót un détachement de 5,000 hommes partit de Znaym & fit une irruption dans la haute Autriche; la terreur s'en répandit jufqu'aux portes de Vienne. La cour sppela fur te champ 10,000 hommes de la Bavière au fecoursde cette capitale. Les houfards de Ziethen pouffèrent jufqu'a Stociterau , qui n'eft qu'è une pofte deVienne. Cette irruption mit les trdüpes a leur aile par la quantité de fubfift|nces qu'elle leur procura. Mais les Saxons s'inquiétoient dans leurs quartier'; ils voyoient partout 1'ennemi, la peur groffiffbu pour eux tous les objets, ils-demandèrent qu'on leur laiflat occuper les quartiers des Pruffiens; ce qui leur fut accordé. M. de Polaftron, rappe'éen Bohème par les ordres de M. de Broglio ,avoit quitté I'armée, de forte crue ce qui reftoit, fiormoit a peine 3o,»oooo hommes; c'étoient les feules fur lefquelles il put compter & c'étoit trop peu pour faire tête a I'armée du Duc de Lorraine. Après tout, pourquoi s'opiniatrer a conquérir cette Moravie, pour laquelle le Roi de Pologne, qui devoit 1'avoir, témoignoit tant d'indifFérence? Le feul parti a prendre, c'étoit de fe joindre aux troupes pruffiennes qui étoient en Bohème; & pour couvrir Olmutz & la haute Siléfie, . on pouvoit fe fervir de I'armée du Prince d'Anhalt, qui devenoit inutile auprès de Brandebourg; il recut donc inceffamment 1'ordre de Ia partager, d'en envoyer une partie a Cbrudim en Bohème, & de mener 17 bataillons & 35 efcadrons dans la haute Siléfie, oü il feroit joint par fon fils Ie Prince Didier, avec les troupes que le Roi Iaifferoit dans ces environs. Malgré toutes ces difpoiltions, le Roi fe trouvoit dans un pas fcabreux. II avoit tout lieu de fe défier des Saxons; mais  BE MON TEMPS. x6>? leur mauvaife foi n'étoit pas afiez manifeite. M. de Broglio le tira de eet embarras, en demandant les troupes faxonnes, pour Ie renforcer, i ce qu'il difoit, contre le Prince • de Lorraine, ■qai vouloit 1'attaquer dans le temps que ce prince prenoit Ie chemin de la Moravie avec fon armée. Le Roi fit femblant d'ajouter foi au faux avis du Maréchal de Broglio , pour fe défaire d'alliés fufpefts. Le départ de la Moravie fut réfolu: f$ efcadrons éi jz bataiilons fuifffrenr lp p«; Q„ Bohème; 25 efcadrons & ip bataillons demeurè- rent tous les ordres du Prince Thierry dans un camp avantageux auprès d'OImutz, oü ce Prince auroit pu fe foutenir, fi le Maréchal de Schwérin avoit veillé comme il le devoit a amaffer fuffi. famment de vivres pour les troupes. M.de Bulow; qui fuivoit le Roi en qualité de Miniftre de Saxe; le voyant fur fon départ de Ia Moravie,'lui dit: „ Mais,Sire, qui couronnera donc mon maitre?" LeRoi lui répondit qu'on ne gagnoit les couronnes qu'avee du gros canon, & que c'étoit Ia faute des Saxons s'ils en avoient manqué peur prendre Brunn. Ce prince, bien réfolu de ne commander déformais qu'a des troupes dont il put difpofer & capables d'obéir, pourfuivit fa route, n^rtw ™* Zwittau & Leutomifche!, & il arriva Ie 17 d'Avril a Chrudim auprès du Prince Léopold, oü il mie fes troupes en quartier de rafraichiffement. Les Saxons efluyérent un petit échec dans cette retraite: les houfards ennemis leur enlevcrent un  l6g H I S T O I R E bataillon qui faifoit leur arrière - garde. Vainement voulut-on leur perfuader de fe joindre aux Francois; ils traverfèrent les quartiers des Pruffiens pour fe cantonner dans le cercle de Satz fur les frontières de leur éleftorat. Par leur défection les Francois affoiblis demeurèrent a Pifeck fans fecours. Le fardeau de la guerre pelbit prefque uniquement fur les épaules des Pruffiens, & les ennemis puifoient dans 1'affoibliffement des alliés les efpérances les plus flatteufes de leurs fuccès. Pendant que les Pruffiens fe refaifoient en Bohème de leurs fatigues, que les Francois fommeilloient a Pifeck & que les Saxons s'éloignoient Ie plus vite qu'ils pouvoient des hazards de la •guerre, le Prince de Lorraine rentroit en Moravie; le Prince Thierry d'Anhalt lui préfenta la bataille auprès de Wischau. Son pofte étoit fi bien pris, que les troupes de la Reine n'ofèrent le brufquer. Les Pruffiens reftèrent dans cette pofition & ne la quittèrent qu'après avoir confumé le dernier tonneau de farine qui reftoit dans leur magafin. Le Prince Thierry paffa les montagnes de la Moravie & affit fon camp entre Troppau & Jaegerndorff, fans que I'armée ennemie fit mine de le fuivre. Dans cette retraite les dragons de NafTau nouvellement levés eurent une affaire (*) avec les houfards autrichiens, oü ils fe fignalè- rent (*) A Napajedell.  DE MON TEMPS. 169 rent par leur valeur & par leur conduite. En même temps le régiment de Canneberg (*) fe fit jour a travers 3,000 ennemis qui vouloient le couper de I'armée & s'acquit beaucoup de gloire. Les gendarmes qui cantonnoient, furent attaqués de nuit dansun village oü 1'ennemi avoit mis le feu: la moitié des efcadrons fe battirent a pied au milieu des Hammes, pour donner aux autres le temps de monter a cheval; alors ils donnèrent fur les Autrichiens, les battirent & leur firent des prifonniers; un Colonel Brédow les commandoit. Ces faits ne font pis importans; mais comment laiifer périr dans 1'oubli d'auflï belles aftions, furtout dans un ouvrage que la reconnoiifanc» confacre a la gloire de ces braves troupes ? Cependant que pouvoit-on prévoir de cette guerre, en réfléchiifant fur le peu d'intelligence qui régnoit entre les alliés, fur les pitoyables généraux quï conduifoient les Francois, fur la foiblefle de leur armée , fur la foibleffe plus grande encore de celle de 1'Empereur? finon que les vaftes projetsr du cabinet de Verfailles qui fembloient devoic s'accomplir 1'année précédente, étoient plus qua douteux alors. De tels pronoftics, fondés fur des faits-certains^1 avertifföient le Roi de ne pas s'enfoncer trop avant dans ce labyrinthe , mais d'en chercher 1'ilfue au phitót: bien d'autres raifons fe joignoient C*3 Entre Prerau CC Grrctz. Ccuy, pofih, it Fr. U. T.I. fit  i?<» H I S T O I R E encore a celles que nous venons de rapporter pour renouer Ia négociation de la paix avec la Reine de Hongrie. Le Lord Hindford fut employé pour moyenner eet accommodement: il y étoit plus propre qu'un autre, vu qu'il avoit déja travaillé a la réconciliation des deux puiflances, & que fon amour propre fe trouvoit intéreiTé a couronner fon ouvrage. II trouva Ia cour de Vienne moins docile •que par le paffé: 1'affaire de Lintz, 1'évacuation de la Moravie & Ia défection des Saxors lui avoient rendu fon ancienne iierté; fes négociations fecrètes a la cour de Verfailles lui faifoier.t même porter fes vues plus ioin. On a vu de tout temps 1'efprit de la cour d'Autriche fuivre les impreffions brutes de la nature; enflée dans Ia bonne fortune & rampante dars 1'adverfité, elle n'a jamais pu parvenir a cette fage modération qui rend les hommes impaffibles a 1'égard des biens & des maux que le hazard difpenfe. Alors fon orgueil & fon aftuce reprenoient Ie deffus. Le mauvais fuccès de cette tentative du Lord Hindford fortifia . le Roi plus que jamais dans 1'opinion oü il étoit, que pour qu'une négociation de paix réuifit avec les Autrichiens, il falloit auparavant les avoir bien battus. Une armée belle & repofée 1'invitoit a tenter Ie fort dés armes; elle étoit compofée de 34 bataillons & de 69 efcadrons, ce qui faifoit i peu prés Ie nombre de 33,000 hommes. Avant que 1'on en vint a cette décifion, il arriva un changsmeHC daas le ffliniftère anglois. Cette natioa  DE MON TEMPS. ifi inquiète & libre étoit mécontente du gouvcrne.' ment, paree que la guerre des Indes fe faifoit a fon défavantage & que la Grande Bretagne ne jouoifpas un róle convenable dans le continent. On fouetta le Roi fur le dos de fon miniftre ; il fut obligé de chaffer le Sr. Walpole, que Milord Carteret remplaga. Un mécontentement a peu pres femblable dans le fiècle paffe coüta la v;e au Roi Charles I; c'étoit 1'ouvrage du fanatifme, & la chute de Walpole ne peut s'attribuer qu'a une cabale de parti. Tous les feigneurs vouloient parvenir au miniftère: Walpole avoit occupé cette place trop long-temps. Après l'avoir culbuté, la polïïbilité de réuffir donna une nouvelle efferves. cence a 1'ambition des grands; ce qui fit que dans la fuite eet emploi paffa de main en main & devint de toutes les places du royaume ia moins inamovible. Le Cardinal de Fleuri fut trés-mécontent de ce changement; il s'accommodoit affez de la conduite modérée de Walpole , & il craignoit tout da 1'impétuofité de Carteret, qui a 1'exemple d'Annibai avoit juré une haine implacable a tout ce qui portoit le nom francois. Cet Anglois ne démentiS pas 1'opinion qu'on avoit de lui; il fit payer dae fubfides a la Reine de Hongrie, il la prit fous fa prote&ion, il fit paffer des troupes angloifej en Flandre ; & pour diminuer le nombre dg* ennemis de 1'Autriche, il.s'engagea envers le Roi i. lui procurer une paix avantageufe. Ces offres furent recues avec reconnoiffan.ee, quoique le ti i  172 H I $ T O I R E Roi fut bien déterminé a n'avoir 1'obligation de Ia paix qu'a la valeur de fes troupes & a ne point fonder des efpérances fur 1'incertitude d'une négociation. M. de Broglio, qui fe trouvoit a Pifeck, avec une douzaine de ducs & pairs, a la tête de io.cco .hommes, fit tant par fes repréfentations , que Ie Cardinal réfolut de lui envoyer quelques fecqurs. On ne les raflembla qu'au printemps, & ils anivèrent trop tard: faute fouvent reprocbée aux Francois, de n'avoir pas pris leurs mefures a temps, Amis des Autrichiens, ils leur avoient fait perdre Bedrad; a préfent qu'ils étoient leurs ennemis, ils ne leur faifoient aucun mal: cette dernière paix reifembloit a fa guerre, & cette dernière guerre a Ia paix. C'eft par cette conduite tnolle qu'ils perdirent les affaires de 1'Empereur, & que Ia prudence engagea la plupart de leurs alliés a les abandonner. Ce fiècle étoit ftérile en grands hommes pour la France; celui de Louis XIV en produifoit en foule. L'adminütration d'un prètre avoit perdu le militaire. Sous Mazarin c'étoient des héros, fous Fleuri c'étoient des cour?tifans fybarites.  DE MÓN TEMPS. i73 CHAPITRE VI. E'ènem'ns qui précèlent la _ bataille de ChttujUtz. Difpojition dl la bataille. Affaire de Sahé. M. de Belle - Ijlt vient au camp pruffim; il part pour la Si.v?.' Paix de Br.'slau. .L'armée du Roi en Bohème étoit partagée en trois divifions : iö bataillons & 2 j efcaJrdr.s cou'roient le quartier général de Chruiim:' 10 bataillons & 20 efcairons aux ordres de M. de Gcetz étoie^ aux enviröns de Leutomifchel, & M. de Kalckftein occupoit avec un nombre par'eil Kuttenberg. Ces trois corps pouvoient fe joindre en deux fois 24 heures. II y avoit outre celaf 2 bataillons dans la fortereffe de Glatz, un bataillöa gardoit les magafins de Kcenigsgrastz & 3 autres couvroient les dépots de Pardubitz, de Podiebrad & de Nienbourg; de forte que 1'EIbe couloit en ligne parallèle derrière les quartiers des Pruflierfs, & les magafins étoient diftribués de telle fortè , que de quelque cóté que vint l'ennemi, 1'arrrfée pouvoit fa porter è la rencontre. Le Priace d'Anhalt, plus fort qu'il n'étoit néceffaire.n'ayant point d'ennemi devant lui , garda 18 batailldns & (50 efcadrons pour couvrir la haute Siléfie, & détacha le Général Derfchau avec 8 bataillons' & 30 efcadrons poar renforcer I'armée de Bohème.H 3  174 HISTOIRE Ce renfort étoit encore en marche, qu'on apprit que le Prince de Lorraine quittoit Ia Moravie & marchoit par Teutfchbrod & Z'-vittau pour entrer en Bohème. On fut même que le Maréchal de Kcenigseck , qui commandoit cette armée a latere, avoit dit qu'il falloit tirer droit vers Prague & combattre les Pruffiens chemin faifant; il ne les croyoit forts que de 15,000 hommes , & jugeoit fa fupériorité affez confidérable pour attaqut r un corps auffi foible fans rien hazarder. Bien des perfonnes condamnèrent le Maréchal de ce que faifant la'guerre dans les propres Etats de la Reine, il étoit auffi mal informé: ce n'étoit pas tout a fait fa faute; la Bohème penchoit plus pour les Bavarois que pour les Autrichiens; d'ailleurs les Pruffiens étoiens vigilans & obfervoient attentivement les perfonnes qui pouvoiènt les trahir; & enfin, des troupes arrivoient, d'autres partoient, de facon que ces mouvemens compliqués ne pouvoiènt guères étre débrouillés par des campagnards ou par des gens du peuple. M. de Kcenigseck pouvoit être mal fervi en efpions; mais il ne falloit pas iégérement condamner fa conduite. Ce général croyoit peut - être que fi par fa fauteM.de Neuperg avoit été batttr a Molwitz, ce n'étoit pas une raifon de croire les Pruffiens invineibles, & fon projet étoit beau, d'expédier chemin faifant les Pruffiens & de prendre Prague d'emblée. A 1'approche des Autrichiens le Roi avoit le choix de deus partis, ou de'mettre 1'Elbe devant foi „  DE MON TEMPS. I7S m d'aller a la rencontre dn Prince de Lorraine & de le combattre. Ca dernier parti prévalut, non feulement comme le .plus glorieux , mais encore comme le plus utile, paree-qu'il devoit hater la paix;les négociations, comme nous 1'avons dit, demandant un coup décifif. L'armée (*) du Roi s'aflembla auffitót auprès de Chruiim qui en faifoit le centre; la droite fut appuyée a Trzenitz & la gauche au ruiffeau de la Cbrudimka. Les bntteurs d'eflrade , les efpions, & les déferteuïs de 1'ennemi avertirent que le Prince de Lorraine alloit camper ce rnêtns jour a Setfch & Boyanof, & qu'il' vouloit y féjourner le 15. On apprit d'autre part qu'un détachement de 1'ennemi avoit occupé Czaslau , qu'un autre corps marchoit è Rottenberg & que fes houfards s'étoient emparés du pont de Kollin. Le deffein de M. de Kcenigseck paroiiïbit être d'enlever Ie magafin pruiïien de Nienbourg & de s'avancer enfuite vers Prague. Pour le contrecarrer, le Roi partit lè 15 avec Tavant - garde, fuivi de I'armée, pour gagner le pofte de Kuttenberg avant 1'ennemi : il fallüt preffer ceite marche, pour arranger la boulangerie de I'armée a Podiebrad, Cette avant-garde étoit oompofée de 10 bataillons, d'autant d'efcadrons de dragons & d'autant de houfards. Le Roi campa ces troupes fur la hauteur de Podertzau auprès de Goti'bortz , ou ce corps, quoique foible, étoit CO n Mai. H 4  175 HISTOIRÈ. dans un pofte inexpugnable. Ce prince, pour s'orienter dans ce terrain , alla a Ia découverte, & il appenjut d'une hauteur un corps a peu prés de 7 ou 8,ooq horrlmes qui campoit è un demimiiie de Ia vers Wilincof. En combinant avec la marche du Prince de Lorraine le corps qu'on appercevoit, on j'ugea que ce pouvoit être le Prince de Lobkowitz , qui venoit de Budweis pour fe joindre a la grande armée.. Le Prince Léopold, qui fuivoit le Roi, eut ordre d'avancer le Iendsmain , pour que ces deux corps fmTent a portée de fe fecourir réciproqueinent. Cependant cn ne vit aux environs de Podertzau que beaucoup de petits partis, que Pennemi envoyoit probabie. ment pour reconnoitre ce camp. Les patrouilles des Prufliens allèrent pendant toute Ia nuit; les «hevaux de Ia cavalerie étoient fellés & les foldats habillés; ce qui mit 1'avant-garde a 1'abri de toute furprife. Le Iendemain (*) a la pointe du jour les feoufards rapportèrent que Ie camp qu'on avoit vu la veillc a Wilincof avoit difparu: ces troupes qu'on avoit prifes pour celles du Prince de Lob', kowitz , étoient effectivement 1'avant-garde du Prince de Lorraine , qui pour ne rien rifquer s'étoit retiré a Papproche des Pruffiens. Auffitót que le Prince Léopold eut paffe le défilé de Hermanieftit?, 1'avant-garde continua fa marche. Le Roi choifit en route une pofition pour I'armée', & ii <*) Le 16 Mai,  DE MON TEMPS: *»? & il fit avertir le Prince Léopold de camper ladroite a Czaslau & la gauche au village de Chotufirz. L'avant • garde ne dévancoit I'armée que d'ursdemi-mille ; elle prit 'des cantonnemens entreN-euhof a la droite de I'armée pruffienne & Eut*tenberg: on trouva dans cette ville une cuifibn dopain préparée pour les Autrichiens & tous Ie9fecours dónt les troupes peuvent avoir befoin»L'avant - garde devoit s'aiTembler au-fignal detroi.ï coups de canon fur la hauteur de Neuhof; ce qui étoit facile , paree que les régimens les pluséloignés n'éroient qu'a un quart de mille des autres*Vers le foir le Prince Léopold envoya un officier» pour rapporter au Roi que la marche de 1'arméeayant été retardéepar I'artilletie & le gros bagage*il n'étoit arrivé au camp qu'au foleil couchant» ce qui 1'avoit empêché de prendre Czaslau; &qu'il avoit appris que Ie Prince Charles campoit a Wilincof, c'efl: a dire a un mille du carm>' prufiien. Tout cela préparoit la bataille qui devoit fe donner: dans cette intention le Roi par-tit le17 a 4 heures du matin pour joindre le Prince Léopold. En arrivant aux hauteurs de Neuhof on découvrit toute .I'armée autrichienne , qui pendant la nuit avoit gagné Czaslau & qui s'avan» c.oit fur 4 colonnes pour attaquer les Pruffiens > voici 1'ordre dans lequel Ie Prince Léopold aveitrangé les troupes. Èlles étoient dans une plaine dont la gauche tire vers le pare . de Spislav?.;; entre ce pare & le village de Chotufitz le- terraus' H- 5-  ■ nS li I' S T O IR Ë étoit marécageux & traverfé par quelques petits ruiffeaux. La droite aboutiiToit au voifinage de Neuhof & s'appuyoit a une chalne d'étangs, ayant une hauteur devant elle. Le Roi fit avertir le Maréchal de Buddenbrock d'occuper cette hauteur avec fa cavalerie, au Prince Léopold dedétendre promptement les tentes, de mettre les deux £iiers de 1'infanterie en première ligne & de laiiTer a la droite da la feconde ligne du terrain pour y former 1'infanterie de l'avant - garde: toute cette avant-garde, tant cavalerie qu'infanterie, arrivaau grand trot pour joindre I'armée. Les dragorsfurent mis en feconde ligne a 1'aile que le Maréchal de Buddenbrock commandoit & les houfards fur les flancs; & en troifième, 1'infanterie forma le fanc & la feconde Hgne de 1'aile droite; car les Prufliens avoient appris a connoitre par la bataille de Molwitz 1'importance de bien garnir les flancs. A peine ies troupes furent-elles in» corporées a I'armée que la canonnade commenca, Les g 2 pièces de I'armée pruffienne firent un feui affez vif. Le Maréchal de Buddenbrock avoit fórmé fur la hauteur qui étoit devant lui fon aile de cavalerie , de forte que fa droite débordoit celle du Prince de Lorraine: il attaqua 1'ennemi avec tant d'impétuofité," qu'il renverfa tout ce qu'il trouva vis-a-vis de lui,- la pouffière étoit prodïgieufe; elle fut caufe que la cavalerie ne put pas jproöter de fes avantages autant qu'on devoit s*y aitendre. Les houfards de Bronikosvsky , nouvel'  DE MON TEMPS. 379 lement ibnr.és, avoient été de l'avant-garde du Roi; la cavalerie ne les connoiflbit pas, ils étoient habillés de ven, on les prit pour des ennemis: un cri s'éleva, nous Jommss coupés, & cette première ligne viclorieufe s'enfuit a vau de route. Le Comte de Rottembourg, qui étoit avec les dragons de la feconde ligne, renverfa cependant' un gros de 1'ennemi qui tenoit encore; enfuite il donna fur le flanc de 1'infanterie autrichienne, qu'il maltraita beaucoup & qu'il auroit toute hacbée en pièces, fi quelques cuiraffiers & houfards autrichiers ne lui étoient tombés a dos & en flanc. Rottembourg fut bleffé , & fa troupe mife en corfufion fe retira de la mêlée avec peine. La cavalerie cependant fe rallia, & lorfque la pousfièro fut difïipée , il ne parut fur ce terrain oü tant de monde s'étoit battu que 5 efcadrons de 1'ennemi; c'étoient les dragons de Wurtemberg, commandés par le Colonel Rretlach. Pendant ce combat de cavalerie, il parut un certain flottement dans 1'infanterie etmemie qui annoncoit fon in"certitude , lorfque M. de Kcenigseck réfolut de faire avec'fa droite un effort fur la gauche des Pruffiens. Ce parti étoit judicieufement pris, paree que le Prirïce Léopold ayant trop tardé a mettre les troupes en bataille, n'avq,it pas eu le temps dé former cette gauche fur le terrain le plus avantageux; il avoit garni en hate le village ds Chotèfifz; le régiment de Schwérin l'occupoit, mais mal & fans obferver de règle: fon régiment étök B 6  s8» H I S T 0 1 R E. I Ia-gauche de ce village, mais en 1'arr, paree qu'il avoit fuppofé, fans examen du terrain, que la cavalerie de la gauche devoit occuper I'efpace qu'il y avoit entre fon régiment & Ie pare de Spillau ; ■ mais ce terrain fe trouvant coupé de ruifTeaux, il ne fut pas poffible a la cavalerie de ï'occuper, d'cü il réfulta que fon régiment avoit 1'aile gauche en 1'air. Cepeudant la bonne volonté de la cavalerie lui fit tenter l'impolïible: elle défila en partie par le village de Chotufitz & en partie par des ponts pour fe former ,• en débouchant elle trouva M. de Bathyani tout formé, avec la civalerie autrichienne devant elle. Alors les ïégimens de Pruffe, de Waldau & de Brédow pénétrèrent a tra-vers Ia première & Ia feconde ligne de 1'ennemi, hachèrent en pièces les régimens d'infanterie hongroife de Palfy & de Vetefch qui formoient la réferve des Autrichiens , & a'appercevant que leur ardeur les avoit emportés trop Ioin-, ils fe fnent jour par Ia feconde, enfuite par la première ligne de 1'infanterie ermemie, & jevinient ainfi chargés de trophées rejoindre 1'ar. ffiée. La feconde ligne de 1'aile gauche de 1 •avalerie pruffienne fut attaquée par un corps autrichien dans Ie temps qu'elle déboucboit de Chouifitz; elle n'eut pas le temps de fe former * fut battue en detail. M. de Kcenigseck, qui s'apper9ut que par 1'abandon de Ia cavalerie Ie ïégjmenr de Léopold n'étoit plus appuyé de rien, dirigea tous les. efForts de fon infanterie de eg  BE MON TEM ES. iftr cóié-la: ce régiment fut contraint de reculer; Pennemi profita de ce mouvement pour mettre Ie feu au village de Chotufitz, en quoi il commit une grande fottife, paree qu'il ne faut pas embrafer un village qu'on veut prendre, les flammes vous empêchant alors d'y entrer: mais il eft prudent de mettre Ie feu a un village qu'on abandonne, pour empêcher 1'ennemi de vous pourfuivre. Le régiment de Schwérin, qui s'appercut 5 temps de eet incendie , abandonna Ie village & forma le flanc de la gauche : ce feu éleva comme une barrière qui empêcha les deux armées de s'aflaillir de ce cóté. Malgré eet obitacle 1'ennemi attaqua la gauche des Pruffiens a Ia droite du village r entr'autres un régiment d'infanterie hongroife voulut entrer le fabre a la main dans cette ligne; eet eflai lui réuffit fi mal, que foldats & officiers, de même que le régiment de Léopold Daun , étoient couchés devant les bataillons ■pruffiens comme s'ils avoient mis les armes bas, tant Ie fufil bien manié eft devenu une arme redoutable. Le Roi faifit ce moment pour donner avec promptitude fur le flanc gauche de 1'infanterie autrichienne. Ce mouvement décida la viftoire,les ennemis fe rejetèrent fur leur droite, oü ils fe trouvèrent acculés a la Dobroya; ils s'étoienl engagés dans un terrain oü ils ne pouvoient combattre , ce qui rendit leur confufion générale. Toute Ia campagne fut couverte de. fuyards; le ^aréchal de jBuddenbrock les talonna vivemen* ö 7  iSa- H IS T O I R E dans leur déroute; ils les pourfuïvit avec 40 efcadrons, foutenus de 10 bataillons, jufqu'a un mille du champ ■ de bataille. Les trophées des pruffiens confiilèrent en iS canons & 2 drapeaux;' ils iirent 1200 prifonniers. Quoique cette affaire n'ait pas été des plus confidérables, 1'ennemi perdit quantité d'officiers; eVfi 1'on vouloit évaluer leur perte en comptant morts, prifonniers bleffés & déferteurs-, on pourroit la faire monter fans exagération A 7,000 hommes. On leur auroit égale» ment enlevé quantité d'étendards, fi par précaution ils ne les avoient tous laiffés en arrière fous la garde de 300 maitres: les Pruffiens en perdi-■ rent ii',.,cs qui doit d'autant moins furprendre,que 1'ufage de la cavalerie autrichienne étoit alors de tirer k cheval; elle étoit toujours battue; mais cela ne laiffoit pas d'être meurtrier pour les chevaux des affaillans. Les morts du cuté des'Pruffiéns montèrent 'a poo cavaliers ••& a 700 fantaffins; il y eut bien 2,000 bleffés: les Généraux de Wer-'deck & de Wédel, les" Colonels BIsmarck, Mal. zahn, Korufleifch & Britz y perdirent la vie en fe couvrant de gloire, & les troupes y firent des prodiges de valeur. L'adion ne dura que 3 heures. Celle de Molwitz avoit été plus vive, plus acharnée , & plus importante pour les faites. Si les Fruffiens avoient été battus a Cho'tufitz, 1'Etat n'étoit pas fans reffources; mais en remportant -la vi&oire, on fé procuroit la. paix. • Les généraux des deux partis firent des- fautes  DE MON' TEMPS. cu'il eft bon d'examiner, pour n'en pas commettre de pareilles. Commencons par M. de Kcenigseck. ]1 forme le projet de furprendre les Pruffiens; il s'émpare de nuit de Czaflau & fes troupes légères efcarrrcouchent jufqu'au lever de 1'aurore avec les grands gardes des Pruffiens. Etoit-ce a deffein de les tenir alertes & de les empêcher d'être furpris, ou de les avertir du projet qu'il méditoit?' Le jour de l'aftion (*) il pouvoit des 1'aube du jour tomber fur le camp du Prince Léopold, que le Roi'ne joignit qu'a 6 heures» Que fait-il? il attend jufqu'a 8 heures du matin pour fe mettre en mouvement, Sc l'avant-garde arrivé. Quellesfautes fait-ildans la bataille même? 11 ïaifle au Maréchal' de Buddenbrock la liberté de fe faifir d'une hauteur avantageufe, d'oü la cavalerie pruffienne fond fur fon aile gauche Sc 1'accable: il prend Ie village de Chotufitz, & au keu de s'en fervir pour tourner entièrement le flanc gauche de fon ennemi, il -fe privé de eet avantage en y mettant le feu Sc en empêchant Iuimême fes troupes de le paffer; ce qui protégé Ia gauche des Pruffiens: il fixe toute fon attention fur fa droite, & il négligé fa gauche, que Ie Roi déborde Sc force de reculer jufqu'au ruiffeau de la Dobrava, oü la confufion de cette aile fe communiqué a toute I'armée. Ainfi dans le moment qu'il tient la vi&oire entre fes mains, il Ia  i«4 HISTOIRE Iaifle échapper, & fe trouve réduit a prendre k fuite pour éviter 1'ignominie de mettre bas les armes. Ce qu'on peut cenfurer dans la conduite du Roi, c'eft de n'avoir pas rejoint fon arméedans ce camp; il pouvoit confier fon avant-garde a un autre officier, qui 1'auroit menée auffi bien que lui k Kuttenberg"; mais ce qu'on peut reprendre a la manière dont le terrain fut occupé, ne doit s'attribuer qu'au Prince Léopold; il auroit du exécuter a la lettre les difpofitions que le Roi lui avoit prefcrites; il auroit dü fortir de fa fécurité, étant averti des deffeins de 1'ennemi par de continuelles efcarmouches, qui durèrent toute la nuit. II n'avoit pas fait un ufage judicieux du terraia ou il devoit combattre : fes fautes confi. ftoient k n'avoir. pas jeté quelque infanterie dans le pare de Spislau qui couvroit Ia gauche;- elle auroit bien empêcbé M. de Batbyani avec fa cavalerie d'en approcher: fa cavalerie'auroit dit s'appuyer a ce pare; s'il avoit été affez vigiiant pour le faire a temps , la chofe n'étoit point impraticable. Son ordre de bataille fur la droite étoit moins défeftueux; en faifant les changemens que 1'on vient d'indiquer, fa cavalerie de ia gauche auroit laiffé loin derrière elle ces petiss rHiffeaux qu'elle fut obligée de paffer en préfence de 1'ennemi, & fe feroit trouvée dans un terrain oü rien ne 1'auroit empóchée d'agir librement. Ajoutons encore que le village de Chotufitz n'avoit tout au plus que 1'apparence d'un pofte; Ie cituetière étoit le feul lieu tenable, mais il é4oit  BE MON TEMPS. lS3' sntouré de chaumières de bois qui fe feroient embrafées- atiffitót que Ie feu d'infanterie auroit commeneé. Le feul moyen de défendre ce village étoit de le retrancher, & comme le temps manquoit pour eet ouvrage, il ne falloit pas penfer a s'y foutenir. La faute principale que le Prince Léopold commit dans ce qui précéda cette adtion, fut qu'il ne voulut croire que les ennemis venoient pour 1'attaquer, que Iorfqu'il vit leurs colonnes commencer a fe déployer devant fon front. Alors il étoit bien tard ponr penfer a de bonnes diipo. fitions; mais Ia valeur des troupes triompba des ennemis, des obflacles du terrain & des fautes dans lefquelles tombérent ceux qui les commandoient: une pareille armée étoit capable de tirer m général d'embarras & le Roi eft lui - même convenu qu'il lui avoit plus d'une obligation en ce genre. Les Autrichiens après leur défaite ne s'arrêtérent qu'a 3 milles du champ de bataille auprès da village de Habor, oii ils prirent un camp fortifié fur la croupe'des montagnes. Le Prince de Lorraine y fut joint par un renfort de 4,000.hommes; le Roi en recut un en même temps de 6,000, que le Prince d'Anhalt lui envoyoit de la haute Siléfie fous la conduite du Général Derfchau. Les Pruf. flens fuivirent les ennemi3 ; mais lorfque leur avant-garde parut vers le foir aux environs d« Habor, dès la nuit même le Prince de Lorraine sn décampa & fe jeta par de grands bois fiu Ie  l>8* HÏSTOIRE shemin de Teutfchbrod. Les troupes pruffiennes, qui ne pouvoient pas s'enfoncer plus avant en Bohème faute de vivres, allèrent fe camper i Kuttenberg, pour être a portée de leurs magafins. Tandis que le Prince de Lorraine fe faifoit battre par les Pruffiens, Lobkowitz pafla la Muldau 3 la tête de 7 000 hommes & vint audacieufement faire le liège de Frauenberg, dont le chateau pouvoit tenir 8 j'ours (*)• Broglio, qui avoit recu un renfort de 10,000 hommes & que ie Maréchal de Belle-Ifie vint joindre , paree que Ia diète de Francfort étoit finie; Broglio, dis-je, fe mit en devoir de fecourir cette ville: il fit paffer tout fon corps par un défilé trés - étroit auprès de Sahé, que Lobkowitz avoit garni de quelque infanterie. Les premiers efcadrons frangois qui débouchèrent fans ordre ni difpofition, atïaquèrent les cuiraffiers de Hohenzollern & de Bernis qui faifoient 1'arrière - garde de Lobkowitz & les battirent. Les Autrichiens avoient a dós un bois oü ils fe rallièrent a différentes. reprifes; mais comme le nombre des Francois atigmentoit, ils. enfoncèrcnt les ennemis, & M. de Lobkowitz ne fecrut en fureté qu'en gagnanten hate Budweis. Les cuiraffiers autrichiens paffoient autrefois pour les piliers de 1'Empire; les batailles de Crutzka & de Molwitz les privèrent de leurs meilleurs officiers; on les remplaca mal: alors cette cava- C*) Bélation de Willicli, téinok ocalaire.  SE MON TEMPS, 1I7 lerie tiroit ou attaquoit a la débandade, & fut par conféquent fouvent battue: elle perdit cette con.-fiance en fes forces qui fert d'inftincT: a la valeur. Les Francois firent valoir 1'afFaire de Sahé comme la plus grande victoire: la* bataille de Pharfale ne fit pas plus de bruit a Rome que ce petit combat n'en fit a Paris. La foiblefle du Cardinal de Fleuri avoit befoin d'être corroborée par quelques heureux fuccès, & les deux Maréchaux qui s'étoient trouvés a ce choc, vouloient rajeunir la mémoire de leur ancienne réputation. Le Maréchal cje Belle-Ifle, ivre de fes fuccès tant a Francfort fur le Mein qu'a Sahé, vain d'avoir donné un Empereur a 1'AUemagne, fe rendit au camp du Roi pour concerter avec ce Prince les moyens de tirer les Saxons de leur paralyfie. M. de Belle-Ifie avoit mal choifi fon temps: Ie Roi étoit bies éloigné d'entrer dans fes vues. Tant de négociations fourdes que les Autrichiens entretenoienS avec le Cardinal de Fleuri & des anecdotes qui dénotoient fa duplicité, avoient difiïpé la confiance de ce prince: on favoitque la Chétardie avoit dit a l'Impératrice de Ruffie que le moyen le plus fur de la réconcilier avec la Suède étoit d'indemnifer cette dernière puiffance en Poméranie aux dépens du Roi de Pruffe. (*) L'Impératrice refufa eet expédient & en fit part au miniftre de Prufle qui" étoit a fa cour. En même temps le Cardinal C*) Vöyea relation de nkttdeldt.  Ig8 HISTOIRE Tencin déclara au Pape au nom de fa cour- qffïï ne devoit pas s'embarraffer de 1'élévation de I'a Pruffe, qu'en temps & lieu la France y fauroft mettre ordre & humifier ces hérétiques comme elle avoit fu les agrandir. Ce qui rendoit le Cardinal digne de la plus grande méfiance, c'étoit fa conduite ténébreufe; il entretenoit un nommé Dufargis a Vienne, qiri étoit fon émiffaire & fon négociateur. II étoit donc indifpenfablement néceffaire de le prévenir, furtout fi a tant de raifons politiques on ajoute celle des finances, la plus forte & Ia plus décifive de toutes: il y avoit a peine r 50,000 écus dans les épargnes. II étoit impoffible avec une fomme aufli modique d'arranger les apprêts peur la campagne fuivante. Point de reffources pour des emprunts , ni aucun de ces expédiens auxquels les fouverains ont recours dans les pays ou règne 1'opulence & Ia richeffe. Toutes ces raifons réfumées firent expédier des pleins-pouvoirs au Comte Podewils, qui étoit alors a Breslau, pour 1'autorifer a figner la paix avec le Lord Hindford, qui avoit des pleins-pouvoirs de la cour de Vienne. Tout ceci fut caufe que le Roi n'entra dans aucune des mefures que le Maréchal de BelleIfle lui propofoit, & que les audiences ne fe paffoient qu'en complimens & en éloges. On pouvoit prévoir par la fituation oü s'étoit mis Ie Maréchal de Broglio, qu'il s'expofoit a recevoir quelque échec; il ne eonvenoit pas aux intéréts de la Pruffe que les Autrichiens puffent s'enflejr  DE MON TEMPS. igj .urir un Maréchal & une armée frangoife aflïégée dans Prague. Les pariflens, qui aimont affez a piai» fanter fur tout, appelèrent cette armée ce'le des Mathurins, paree qu'elle devo't délivrer des prifonniers. M. de Maillebois paffa le Rhin a. Man. heim & dirigea fa marche fur Eger. Depuis que les Pmflïens avoient fait leur piix & que les Saxons s'étoient retirés chez eux.la fortune s'étoit entièrement déclaréo pour la Reine de Höngrie. Le Prince de h9m%»-, apfèi S»aIt nyic pnfeo, vint fe camper proche de Prague. M. de Broglio avoit pris auprès de Bubenirz une pofition qui lui étoit trés-défavantageufe. -Le canon des ennemfs 1'obligea de 1'abandonner & de fe réfugier dans Prague avec'toutes fes troupes; - il ne tirda pas a s'y voir affiégé. Les troupes allemandes de ia Reine formèrent 1'rnveftlffement du petit cóté; les Hongrois, les Croates & les troupes irré^ulières Penfermirent depuis le Rr.fchin jufqu'a Ja por:e Jïeuve & ils établirent des comnunications par dés ponts fur la haute & la baffj Muldau. On regarde conme l'événement le plus mémorable de ce fiège la grande fortie des-Francois dans-  2CO- If I S- T O I R R laquelle ils tuérent & prirent 3,000 hommes aus ennemis & leur enciouèrent le canon qu'ils avoient en batteries. Les Maréchaux de Belle - Ifie & ds Broglio rentrèrent triomphans dans Frague au retour de cette expédition, fuivis de leurs prifonniers & des trqmées qu'ils uenoient d'emportey. Si les Francois fe r-endoient redoutables aux Autrichiens par la vigueur de leur défenfe, ils n'en étoient pas moins a plaindre dans 1'intérieur de leur armée: leur fituation étoit digne dg pitié tant par la méfintelligence de leurs chefs, que par 1'affreufs mifère a laquelle ils étoient expofés. La difette étoit fi grande, qu'ils tuoient ic mangeoient leuts chévaux, pour fuppléer a la viande de boucherie, qu'a peine on fervoit a la Table des Maréchaux. Dans cette fituation déft> Jpérés, ei: i!s ::c vcoient dans 1'avenir que la mort ou l'ignomir.ie, M. de Maillebois vint a leur fecours pour les délivrer. Si 1'on avoit f.om:é carte blanche a ce Maréchal , le deftin de Ia Bohème auroit pu changer ;.'mali de Verfailles Ie Cardinal le menoit a ia lifière. Les occafions étoiert perdues pour ce Maréchal , paree qu'il 11'ofoit en profiter. La cour de Vienne fentit Is coup que le Cardinal pouvoit lui porter : trop foible pour le parer, cl'e tut recours a larufe, qui fuppléa a ce qui lui manquoit en force. Le Comte Uiefeld, Miniftre des affaires étrangères de la Reine de Hongrie, connoiffant le caractère du Cardinal, fut fi bien 1'amufer par des négociation?, qu'il donna u M.de Khevanhuller le temps d'accouris-  DE MON TE MBS. aas de la Bavière & de joindre le Prince de Lorrair.a. Les Francois fe laifférent fi bien amufer, que les Autrichiens gagnèrent une marehe fur eux & rédiu ■ firent M. de Maillebois a choifir entre le cpfflbafi ou la retraite; il futblamé généralement de n'en être pas venu aux mains avec le Prince Charies. Cependant il étoit innocent: nous favons avec certitudeque fa cour lui avoit donné 1'or.die potiuf de ne rien rifquer. M. de Maillebois obéit donc; & comme il lui étoit impoffible de s'approcber de Prague fars engager une affaire générale , il retourna fur fes pas & fe rapprocha d'Eger. Cette diverfion, quoiqu'incomplète, pro3uifitfes effets avantageux a ces troupes renfermées dans Prague. Les Maréchaux de Belle - We & de Broglio ♦ débarraffés de I'armée autrichienne, firent de gros détachernens pour amaficr des provifions, & ravitaillèrent la ville. M. de Maillebois, qui devenoii inutile en Bohème, oü. il n'avoit prefque aucun pied, prit par Ratisbonne & Straubingen, & fe joignit avec le Maréchal de Seckendorff, qui commandoit les troupes de 1'Empereur enBavièrr. Si I'armée de Maillebois eüt pu contenir plus long-temps celle du Prince Charles de Lorra:ne en Bohème, M. de Seckendorff auroit pa reprendsa Paffau, Straubingen & toutes les villes qui tenoient encore. pour les Autrichiens. M. de Maillebois tenta inutilemer.t de reprendre Braunau. Le Prince de Lorraine 1'avoit fuivi en Bavière, & comme la. faifon étoit avancée & les deux atméfis I'S  f EIS T O IR E' accablées de fatigues, elles prirent chacwe leurs quartiers dTiiver. Les affaires dé la maifon d'Autriche étoient fur un pied affez incertain en Italië. Les Efpagnols, fous les ordres de M. de Montemar, avoient pénétré Jufqu'au Ferrarois. Le Maréchal de Traun ,les ayant obhgés de reculer un peu, la Reine «1'Efpagne, qui ne vouloit pas que fes généraux niolliffent, envoya M. de Gages en Italië pour relever M. de Montemar. L'année 1742 pouvoit s'appeler celle des diverfions : 1'invafion de M. de Khevenhul'er en Bavière, celle du Roi en Moravie, cette armée que les Anglois raffembloient en Flandre ^ la marche de M. de Maillebois en Bohème, la flotre dè PAmiral Matthews qui menaca de bombarder ?fspies pour obliger !e R91 a la-neutralitë, Je paffage de Don Philippe par la Savoie pour engager le Roi de Sardaigne a retirer fes troupes de I'armée autrichienne fur le Panaro. Aucune de ces diverfions ne répondit entièremer.t au but que les auteurs s'en étoient propofé. Depuis la retraite de M, de Maillebois , Prague fut refferrée de nouveau par- un corps de troupes Iégères de Croates & de Hongrois, qui en formoient 1'inveltiffement. Pendant que tout ceci fe paffoit au Midi de 1'Europe, le gouvernement de la nouvelle Impéïatrice s'affermiffoit a Pétersbourg. Les miniftres d<ï cette princeffe furent affez adroits pour endoiv  BE MON TEMPS. 2«2" »ir par leurs négoeiations & l'ambaffadeut de France & M. de Loewenhaupt qui commandoit lestroupes fuédoifes en Finlande. Les RuiTes ufèrcn: habilement de ce temps pour renforcer leur armée. Dès que M. de Lafcy, qui commandoit les trcupes ïuffes, fe vit en force, il marcha en avant; il n'eut que la peine de fe montrer-, les Suédois plièrent partout: le nom ruiTe qu'ils ne proféroier.t qu'avec mépris du temps de la bataille de Narva, étoit devenu pour eux un objet de tetreurr ies pcftes inattaquables n'étoient plus des lieux de fureté pour eux. Après avoir ainfi fui de pofte en pofte, ils fe virent refferrés a Friedrichsham par les RuiTes, qui leur coupèrent 1'uniqite retraite qui leur reftok; ces Suédois eurent enfin la foi» blefle de mettre les armes bas., & fignèrent une capitulaties ignominieiife & flétrilTante , qai imprima une tache a la gloire de leur nation; 20,000 Suédois paffèrent fous le joug de 27,000 Ruffes. Lafcy défarma & renvoya les Suédois nationaux & les Finnois prêtèrent ferment de fidélité. Quel exemp'e humiliant pour 1'orgireil & la vanité des peuplcs! Ainfi les royaumes & les empires, après s'être élevés, s'affoibliflent & fe précipitent vers leur chute. C'eft bien a ce fujetqu'il faut dire: vanité des vanités, tout eft vanité-!. La caufe politique de ces changemens fe trouve vraifemblablement dans les différentes formes de gouvernement par lefquelles les Suédois ont gaffes. Tatt qu'ils ftfemoient une monarchie., fa  se» HrSTQlAÉ militaire étoit en honneur, il étoit utile pour'Ta défenfe de 1'Etat & il ne pouvoit jamais lui être redoutable. Dans une république, c'eft ie contrai* re: le gouvernement doit en être pacifique par fa nature, le militaire y doit être avili; on a to'Jt a craindre de généraux qui peuvent s'attacher les troupes; c'eft d'eux que peutvenir une révolution. Dans les républiques 1'ambition fe jete du cóté de 1'ii.trigue pour parvenir; iss eorruptions les aviliffent infenfiblement, & le vrai point d'honneur fe perd, paree qu'on peut faire fortune par des voies qui n'exigent aucun mérite dans le poftuiar.t. Outre cela, jamais le fecret n'eft gardé dans les républiques; 1'ennemi eft averti d'avar.ce de leuïs deffeins & il peut les prévenir. Mais les Francois réveillèrent a contretemps 1'efprit de conquête qui n'étoit pas encore erriièreuKnt effacéde 1'efprit des Suédois, pour les commettre avec les Rulles-, lorfque les Suédois manquoient d'argent, de foldats difciplinés & furtout de bons généraux. La fijpériori'é que les Ruffes avoient alois, obligea les Suédois a. envoyer des fénateurs a Pétersbourg offrirla fucceffion de leur couronne au jeune Grand Duc, Prince de Hciftein & neveu de l'Impératrice. Rien de plus humiiiant pour cette nation que le refus du Grand Duc, qui trouva cette couronne au deffous de lui. Le Marquis de Botta, tiors Miniftre autrichien a Pétersbourg, dit au Grand Duc en lui faifant compliment/: „ je voudroism qu'il fiit auffi facile a la» Reine ma ïaaiuelïe de-  DE MQN TEMP3. ioj J', tonferver fes royaumes qu'il 1'efl a votre Aiïeffe „ impériale d'en refufer." Sur ce refus du Grand Duc; les prêcres & les payfans qui ont voix aux dietes, vouloient qu'on choifit pour fucceffeur de leur Roi le Prince royal de Danemarck; les fénateurs du parti francois donnöient leurs fuffrages au Prince des Deux-ponts; mais l'Impératrice fe déclara pour l'Evêque d'Eutin, oncle du Grand Duc, & fa volonté I'emporta fur 1'influence des autres partis. L'éle&ion de ce prince ne fe fit que l'année 1743, tant les cabaies qui s'étoient formées a Stockholm tenoienc fes réfokitions de la diète en fufpens. Depuis la paix de Breslau 'les négociations ne finiffoient pas. Les Anglois avoient deiTein d'entrainer le Roi dans la guerre qu'ils alloient entreprendre ; les Francais vouloient 1'engager dans des mefures incompatibles avec la neutraiité a laquelle il s'étoit obligé;" 1'Empereur follicitoit fa médiation : mais ce Prince refla inébranlablc. Plus la guerre duroit, plus la maifon d'Autriche épnifoit fes reffources ; & plus la Pruffe reftoit en paix, plus elle acquéroit de forces. La chofe la plus difficile dans ces conjonftures étoit de maintenir teilement la balance entre ies parties belligérantes, que 1'une ne prit pas trop d'afcendant fur 1'autre. U falloit empêcher que 1'Empereur ne füt détróné & qae les Frangois ne fuffent chaffés d'Allemagne ; & quoique les voies de fait fuffent interdites aux Pruffiens par la paix dè  'ao6 II I S T O f R % Breslau, ils pouvoient par les intrigues parvenrf aux mêmes fins que par les arm'es: Poccafiorj s'en jwéfenta tout de fuite. Le Roi d'Angleterre s'étoit propofé d'envoyer fes troupes de Flandr.e au fccours de la Reine de Hongrie: ce fecours auroit perdu fans refïöurce les affaires de 1'Empereur & de la France.^ Un danger aufïï prefTant mit le Roi dans la néceffité d'employer les repréfentations les plus fortes; il alla jufqu'a menacer le Roi d'Angleterre d'entrer dans fon électorat, s'il hazardoit de faire paffer Ie Rhin a des tioupes étrangères, pour les introduire dans 1'Empire fans Ie confentement du corps germanique. Par des infinuations plus douces les Hollandois fe IaifTèrent perfuader de ne point joindre aiors leurs troupes a celles des alliés de Ia Reine de Hongrie , & les Francois ayant Ie temps de refpirer, pourvurent a leur défenfe. Les Pruffiens ne réuffirent pas de même dans «n projet qu'ils avoient formé pour le maintien de 1'Empe» reur. Ce projet avoit pour but de foutenir les troupes de ce Prince en Bavière. Les Francois avoient deux raifons pour y concourir; Ia première c'eft qu'en abandornant la Bavière ils étoient contraïnts de repaffer le Rhin & de fonger a Ia défenfe de leurs propres foyers; la feconde, qu'ayant fait un Empereur, il y avoit de Iahonte pour eux i 1'abandonner & a Ie livrer, pour ainfi dire, a la merci de fes ennemis. Mais leurs généraux avoient perdu la tête, & Ia terreur plus ïorte qu« le laifonnement 1« fubjugiioit; jj©u$  I)E MON TEMPS. . 20Y Kmplacer leurs troupes en quelque manière, on avo't defiein de former une affociation des cercles, qui mettroit fur pied une armée de neutralité; fous ce prétexte le Roi auroit pu y joindre fes troupes, & cette armée auroit couvert la Bavière. Cet'.e affa:re manqua par Ia crainte fervüe que les princes de 1'Empire avoient de la maifon d'Autriche. La Reine de Hongrie menaci, les princes tremblèrent & Ia diète ne voulut rien réfoudre. Si Ia France avoit foutenu ce projet par quelques fommes diflribuées a propos, il auroit réuffi : la plus mauvaife économie d'un prince eft de ne favoir pas dépenfer fon argent lorfque les conjonctures l'exigent. Ainfi finit 1'année T742, dont les événemens variés fervirent de prélude a une guerre qui fe fit avec un plus grand acharnement. Les Frangois étoient les feuls qui défiraifent Ia paix. Le Roi d'Angleterre, trop préoccupé de Ia io;bleffe du gouvernement francois, croyoit qu'il fuflifoit d'une Campagne pour 1'abattre; Ia Reine de Hongrie couvroit fon ambition fous le voile d'une défenfe légitime: nous verrons dans la fuita comment de partie belligérante elle devint 1'auxi. liaire de fes alliés. La Pruffe tacha de profiter de la paix dont elle jouiflbit pour rétablir fes finances; les reffources étoient ufées; il falloit laborieufement en affem-, bier de nouvelles, perfeétionner (Ia hate ayant empêché de le faire) ce qu'il y avoit de défectueux encore dans les recettes de la Siléfie, payer  ao8 H1S70IRE DE AfOA TEMPS. les dettes des Autrichiens aux Anglois. On entre» prenoit en même -temps de fortifier cinq places a neuf, Glogau, Brieg, Neifle, Glatz & Cofel; on faifoit dans les troupes une augmentstion de 18,000 hommes j tout cela demandoit de 1'argent & beaucoup d'écot.omie, pour en accélérer 1'exécution. La garde de la Siléfie étoit comruife k 35,000 hommes qui avoient fervi d'inltrumens a cette conquête. Ainfi, loin de profiter de cette tranquillité pour s'amollir, la paix de int pour les ttuupes piiitïïennes une école tie guerre. Dans IeS places fe formoient des magafins; la cavalerie acquéroit de 1'agilité & ^e l'intelligence, & toutes les parties du milita re concouroient avec une même ardeur a raffermitTement de cette difcipline qui rendit autrefois les Romains vainqueurs d( toutes les nations. fin du Temt Premier*