r   DISCOURS SUR L'ÉGALITÉ des HOMMES, ET SUR LES DROITS ET LES DEVOIRS, QUI EN DÉRIVENT, P A R M«. PIERRE PAULUS, ANCIEN Confeiller et Avocat Fiscal de VAmirauti au Département de la Meufe; Membre des Sociétés Hollandoife et Zélandoife des Sciences a Haerlem peu de chofa pour donner quelque reliëf au génie, qui fe foutiendra par fa propre élévation: Mais ce que je crois ne pas deyoir faire et que je puis dire fans blesfer la modeflie de notre eftimable Ecrivain, connu depuis longtemps, et par fes écrits, et par fes talens, dont par le malheur des temps la Patrie a étê trop tot privée ; eest que le Public a déja préjugé le mérite de fon ouvrage par Paccueil flatteur qu'il lui a fait et qui a paru par Pavidité avec laquelle il en a, dans Pefpace de trés peu de mois, épuifé tro'iséditions et réclamé une quatrieme, qui a déja paru. Ce fupfrage est appuyé de celui des Directeurs de la fociété de teyleu, jugement bien plus décifif que celui de quelques particuliers et qui Vest même encore après que le Public a prononcê. On Jait (a) que ces Mesficurs, fuges compétens fans doute et reconnus pour tels, lui ont témoigné leur fatisfaclion par une lettre , qui lui fait le plus grand honneur, ainfi qiPk fon ouvrage, et qu'ils ont accompagnée d'une Mé. daille d'argent, ornée cFune infeription extraordinaire , jointe o la colleótion complette des ceuvres que cette fociété a déja publiées, avec la pro- QO^Fey. Algemeen Letterkundig Magazyn ,n. i. p. Sp.  DU TRAD U C T E U R. xvij proinesfe de le gratifier durant fa vie d'un exemplaire de celles qui parottront dans la fui- te. Je dols ajouter encore que quoiqu'on dut s'attendre qu'un ouvrage de la nature de celui - ci, fur - tout dans les conjonclures a&uelles tt vu Pefprit de parti, qui regne par - tout, ne plaïroit pas également d tous et froit fujet 4 des critiques, les unes diclées par la malignité et l'envie; les autres par des vues plus nobles c t plus louables, pour corriger ce qu'ilpourroit y avoir de déje&ueux, le perfeaionner et contribuer ainfi a établir folidemment et a développer plus clairement encore , s'il étoit posftble , les grands principes et les véritês facrèes , qui y font enfeigne's; je rfai rien vu jusqüici non feu~ lement, mais il na rien paru, que je fiche , quant aux points esfentiels, qui mérite qüon le releve et qüon y fasfe la moindre attention. Dans ce que fai eu fous les yeux, 011 ne trouvs que de fausfes applications, des chofes mal vues, des conféquences gratuit es , des infinuations odieufes, des interprètations malignes, de Pignorance, dt la mauvaife foi: et la meilleure réponfe qüon puisfe y faire et la feule qu'elles mentent» c'est le mépris. II ne me refe qu'un mot a dire de ma tradu&ion. Le flyle ne ferapas ausfi coulant, ni le langage * * fiU$~  xvin A V A N T-P R O P O S. ausfi pur, que je Vaurois fouhaité, et que dam tfautres circonjlqnces il auroit peut-ét re été posfible de les rendre. Mais quoiqiiune tradu'cüun fuisfe être fidele, fans être trop littérale, fai eraint, en nCéloignant davantage de la lettre, de ne rendre pas asfez exaclement la penfée de rAuteur, J'ai voulu, autant que la choj'e via paru faifable, canferver et faire paroitre jusqiid Jon tour ffejjr.it, et je ri'aipas balancc d y facrifier Vélégance, le tour, les trahfu tions, Varrondisfement des périodes et ce qüon dppelle le nombre oratotre , en un mot, mon a'mour propre. Je ne me fuis étudiè qu'd rendre fidélement le fond des chofes et d faire paroitre mon Auteur fous fes train naturels. Animé da même ejprit que Pillujlre Ecriyam, je le répete, je 11 ai eu d'autre ambition que d'étre utile et en pubüant Jon ouvrage enfrangois ,de le faire con'ttottre et de le mettre d la port éed'une plus grande partie de fEurope. S'il peut contribuer quelquechofè d l'édairer fur fes vrais intéréts et préparer ainfi fon bonheur, fi ce n'efi pour lagénératbm prèfente , au moins pour la pofièrité , je Jerai fatisfait: mes vues fier ont remplis, mon but fera atteint: je rendrai gr aces au Seigneur et quel-que jugement qu'on porte de mon travail, je me confolerai par le fruit qu'il aura produit. D É-  DÉDICACE A Mesjleurs les Diretleurs et Membres de la Société The'ologique de tevler, d Haarlem. messieurs! T.Vp discours que j'offre au public, doit fa naisfance a la question: en quel fens lef hommes peuvent-ils être dits êgaux ; et quels font les droits et devoirs qui en dêcoulent ? question propofée par votre Socie'té en 1'anne'e 1790, en fixant le temps, auquel les re'ponfes devroient être remifes, jusqu'au 1 Decembre 1791. Vous y avez donc trop de droit, messieurs! foit comme auteurs de la question, foit comme juges des pieces , envoyées pour le concours, pour que je ne me croie pas obligé de vous en faire publiquement hommage. Ausfi n'avois-je d'autre intention, en le compofant, que de le foumettre k votre jugementet de vous le faire parvenira eet effet dans le temps fixe' par le Programme; mais comme il s'est e'tendu fous ma main * * 2 plns  xx DÉiJICACE. plus que je ne me 1'étois propofé dans le principe , et que celui qui s'étoit charge'dc letranscrire, afin qu'il put vous êtrepréfcnté, en a e'té empêché par divers incidens, enforte qu'a mon retour en cette ville vers la fin de Novembre 1791, je ne trouvai la copie guere pius avance'e qu'a mon départ, quelques femaines auparavant; je n'ai pas vu moyen dans le court efpace qui me reftoit, de mettre ma réponfe dans 1'ordre requis, pour pouvoir vous être envoye'e dans le terme prescrit. J'ai donc préféré de la garder jusqu'a ce que je fusfe inftruit de ce que vous auriez décide' par rapport h. celles que vous auriez reeues, ou que la pie'ce ou les pieces couronnées, au cas qu'il y en eüt, auroient e'té publiées. Les discours des Profesfeurs cras et brown , dont le premier a obtenu a jufte titre la Médaille d'or, et le fecond une d'argent , ayant donc paru dans le troizieme Tome des cenvres de votre Sociéte', concernant la Retigion Naturelle et Révêlêe; j'ai cru pouvoir me déterminer fans risque a donner pareillement ce traité au public; paree qu'il me paroisfoit'que ia tra&ation différoit asfez, pour ne pas craindre d'infpirer de 1'ennui par cela feul, qu'il s'y agit du même fujet; et d'un autre cóté, que ce^ fujet mérite trés asfurément d'être  DÉDICACE. xxi d'êtfe confidéré de tous les cótés et fous divers afpe&s. Je me fuis flatté que par lamême les vues de laSociété, en propofant cette question , feroient d'autant mieux remplies. Si je vous offre eet ouvrage, messieurs! cc n'est nullement, que je follicit pour lui ou attende de votre autorite' et crédit la moindre prote&ion. Non: qu'il foit plutót enfeveli dans le plus profond oubli, s'il nepeut fe foutenir et le défendre lui-même par le poids des principes et des raifonnemens , fur lesquels il est élevé: et fi tel étoit le cas, qu'on fe garde de flétrir la vérité même, qui en fait le fujet, en recherchant en fa faveur 1'appui de qui que ce foit. La démonftration de la vérité peut ausfi peu s'inculquer et fe propager par 1'autorité et le pouvoir, que ceux ci font en état par eux-mêmes de réfuter, d'obscurcir ou d'extirper radicalement des vérités folidement écablies : 1'histoire du Christianisme en fournitles preuves les plus frappantes dans tous les temps. — Je n'ai d'autre vue, en vous dédiant ce traité, que de vous en faire publiquement hommage et (attendu que votre question y a donné lieu) de le foumettre particuliérement a vos lumieres, comme je m'étois d'abord propofé de le faire, en vous 1'eavoyant anonyme. ** 3 ^  xxh DÉDICACE. Je n'ai plus qu'une feule chofe a ajoutefï que ce traité voit le jour, a peu de différence prés, mot a mot, tel qu'il a été compofé originairement : ce que plufieurs de mes amis, qui l'ont lu, il y a longtemps , pourront attefter. Ce que je puis avoir ajouté pour plus de juftesfe, on le trouvera par tout dans une note entre deux [ ] (crochets): moyennant quoi ces additions pourront être aifément diftinguées du texte primitif: auxquelles je me rapporte en conféquence. Je foubaite au refte de tout mon cceur, que comme vous vous êtes déja employés d'une maniere fi diftinguée, a répandre les lumieres réelles et folides parmi les hommes et a étendre les progrès des Arts et des Sciences utiles, dieu veuille couronner ultérieurement vos louables efforts par fa grace, enforte que vos noms, joints a Celui de l'illufcre Inftituteur de votre Société foient transmis avec gloire k la pofterité et confacrés par la reconnoisfance parmi ceux des bienfaiteurs du genre humain. J'ai 1'honneur d'étre avec une confldération diftinguée, messieurs! votre obéisfant et affeftionné ferviteur Rotterdam P. P A U L U S. ce 22 Juin 1793. SOM-  S O M M A I R E. S E C T I O N I. INTRODUCtlON, ciiapitre i. D aas quel fens les hommes peuvent être dlts égaux, dans F'état de nature. chapitre ii. Des droits et devoirs qui réfultent de cette égalitê. S E C T I O N IL C h A p i t 11 e i. Dans quel firn les hommes peuvent être dlts égaux dans /'état civjl. chapitre ii. Des droits qui naisfent de ï'égalitê des hommes dans Fétat ciyil. chapitre iii. Des devoirs qui naisfent de F égalitê des hommes dans Fétat civil. chapitre iv. Réfutation de quelques confïdérations qui ont été fait es contre Fégalité des hommes , et contre les droits et devoirs, qui en èmanent dans Fétat civil. SE C T I O N III. conséquences rélatives aux droits et devoirs mutuels des peuples, qUl réfultent de Fégalité des droits et devoirs des hommes dans Fétat de nature et civil. CONCLUSION.  Cefl de rhomme que fat a parler; et la question que fèxamine, m'apprend que je vais parler a des hommes, car on nen propofe point de femblables quand on craint d'honorer la vérité. jfe défendrai donc avec confiance la caufe de rhumanité devant les fages qui m,y invitent, et je ne feraipas mécontent de moi-méme, fi je me rends digne de ce fujet et de mes juges. Mon fujet intéresfant rhomme en général, je tdcherai de prendre un langage qui convienne ct toutes les nations; ou plutót, ouhliant les temps et les lieux, pour ne fonger qüaux hommes a qui ja parle, je me fuppo ferai dans le Lycée df Athenes, répétant les lef ons de mes maltres, ayant les Plafons et les Xénocrates pour juges, et le genre humain pour auditeur. 6 Hommel de quelque contrée que tu fois9 quelles que foient tes opinions, icoutet — R. O U S 5 E A U.  DISCOURS 5 U ft L'E GALITE DES HOMMES ET SUR LES DROITS ET DEVOIRS QUI EN DÉRIVENT. S E C T I O N I. INTRODUCTION. Il n'est pas posfible de traiter une question plus importante, que celle qui a écé propofée au public, il y a quelque temps, par une Sociécé refpeélable de cette République favoir: Dans quel fens les hommes peuvent-ils être dits égaux; et quels font les droits et les devoirs qui découlent de cette égalitê? parceque les événemens, dont nous fommes témoins, ont fixé, depuis prés de quatre ans, 1'atcent'on de toute 1'Europe lur les divers objets qu'elle renferme, et qu'on ne fauroit en propofer une qui intéresfe davantage le genre humain et dont la véritable intelligence puisfe être d'une utilité et d'une conféquence plus esfentielle et plus érendue pour tous les peuples durant le cours des fiecles. A jCe  2 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. Ce n'est pas que je veuille infirmer que cecte égalicé, de même que cellc des droits et devoirs, qui y font fondés, foit jusqu'a ce jour un problême fi douceux et fi incertain qu'on ne fauroit cc qu'il faut en penfer: — qu'il feroit par coni'cqucnt ausfï trés difficile de déterminer au juste ce qui en est dans le fond, ou d'en decouvrir les traces dans la nature ou 1'esfence de 1'homme, et qu'il faudroit ainfi beaucoup de peine, d'habileté et de favoir pour expofer clairement ces matieres et les mettre a la portée de tout homme de bon fens. — Je fuïs perfuadé au contraire que fi on ne les avoit jamais traitées dans FEcole et dans les écrits des Savans avec tant d'affectation et d'apparat, et qu'on fe fut toujours appliqué a cette discusfion, en mettant de cöté tout préjugé, toute crainte humaine, toute vue de faveur, et en renoncant généreufement en plufieurs points a foi-même, on ne pourroit, a 1'heure qu'il est,qu'être extrcmement furpris, que dans le dixhuitieme fiecle toute une nation, en introduifant une nouvelle forme de gouvernement, ait cru devoir déclarer qu'elle avoit pofé Fégalité des hommes, comme hommes, pour la bafe inébranlable de tout fon ouvrage, dont elle ne fe départiroit jamais, ausfi peu que des droits et devoirs, qui, felon fes idéés, en découlent abfolument et incontestablement: qu'elle les mainuendroit et les défendroit contre quiconque vou- dróit  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 3 droit de nouveau y porter atteinte. On s'étonne?' rok qu'une Société de ce Pays, compofée de plufieurs Perfonnes de talens et d'un mérite reconnu, ait encore pu juger nécesfaire de porter, avec une efpece de déiiance et d'héfitation, au tribunal du Public la question: Dans quel fens les homvies peuvent ils être aits ég a ux, fit quels jont les droits et les devoirs qui decoulent dei cette égalitê? Mais les chofes ont été ainfi confdtuées de nos jours, qu'aucun de ceux qui en ont été les témoins et qui ont réfléchi fans piévention fur le véritable écat des connoisfances parmi les hommes généralement,et nommémencpar rapport aux divers points,dont il s'agit, u'a pu confidérer comme un hors d'ceuvre, ni la déir.arche du Peuple Frarcois, nila question de la dite Société. - L'homme, cettemerveille deDieufurlaterre,formé afon image et afiiresfemblance, avoit été dégradé et avili a un tel pomt, qu'aux yeux d'un grand nombre il n'avoit poinc d'autre valeur, ni plus de prix que mille autres chofes, créés pour fon ufage. On en concluoit qu'on pouvoit doncle traiter de la même maniere: qu'il n'étoit fait, que pour obéir et porter les fardeaux, qui lui feroient impofés, par le petit nombre, qui s'igaminant former une clasfe d'êtres, fupérieure au gros des individus de fon efpéce s'arrogeoit le droit de gouverner la multiA % tuit,  4 DE V ÉGALITÊ DES HOMMES &c. tude, indépendamment de fon choix. II ny avoit d'exception que pour ceux, qui dans le tnoyen dge — dans ces temps de barbarie, de brigandage et doppresfion — avoient été élevés par Fun ou Fautre hafard, de eet état d'abjeclion, oü ils avoient été réduits, a eet ordre fameux auquel on a donné dans la fuite le nom de Noblesfe: — inftitution héréditaire, parlaquelle la familie defcendue de ces hommes privilégiés, — n'i nporteque lea motifs de cette distinclion eusfenc été fouvent plutót les fceaux de leur opprobre, que les preuves de leur mérite, — fe perfuadoit avoir acquis un fang plus pur et une nature plus noble et plus fublime, que le reste des humains ; fur lesquels elle étoit par conféquent pleinement en droit de ne regarder qu'avec hauteur et avec le dédain, qui Faccompagne toujours: — inftitution,quietabliedans fon origine par la force, fur les ruines de la puisfance royale et pour cimenter Foppreslion et Fesclavage de Fhomme en général (a); en fuite foigneufement conferVée par les fouverains comme un moyen des plus propres a maintenir leur despotisme; a été propagée jusqu'a nos jours et de plus répandue dans toute FEurope par de nouvelles concesfions de titres et de prérobatives femblables, aus- (a) Robertson introd. a PHift. de Charles F. Tom» I. p. 28 et fuiv, et Tom. II. p. 52. 53.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 5 ausli vaines que contraires au bon fens: et tout cela avec un tel fuccès, que ces concesfions font pour divers Princes d'Allemagne une partie asfez confidérable des revenus et des rapports de leur domaines. „ Les yeux du Peuple, dit rous„ seau (a), furent fascinés a tel point, que fes conducteurs n'avoienc qu'a dire au plus petit „ des hommes, fois grand tol et toute ta race: „ ausfi-tót il paroisfoic grand a tout le monde, ainfi qu'a fes propres yeux, et fes defcen„ dans s'élevoient encore a n:efure qu'ils s'éloig- noient de lui: plus la caufe étoit reculée ec in„ incertaine; plus 1'effetaugmentoit; plus on pou„ voit compter des fainéans dans une familie, ec 5, plus elle devenoit illuftre." C'est par rapport é eet état des chofes et eu égard aux préjugés, aux coutumes, k 1'esclavage, a diverfes autres caufes qui y avoifinent, que eet état a enfantés, qu'il esc devenu de la plus grande importance, dans ce moment oü la véritable nature et la dignité de 1'homme fonc fi fort méconnues et obfeurcies, de rechereber cequi est propremenc de cette égalitê et quels font les droits et les devoirs, qui en réfultent; examen, qui feroit fans «kmte trés inutile, ou plutöt toute la question de- vroit Sur FOrig. et les fond. de Pinégal. parmi les hem' vaesp. 168. (Edft. Am ft. in 8.) A 3  6 DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. vroit paroitre finguliere, même ridicule, fi les droits et les devoirs des hommes, confidérés féparément et individoellement, n'avoient pas été fi totalement dénaturés par des inftitutions humaines et arbkraires, telle que la distinction fi abfurde en nobles et roturiers, en librcs ct esclaves. En effet; en confidérant d'un regard tranquille et impartial 1'état a&uel de la Société dans 1'Europe entiere, oncirok avecrousseau, „ qu'el„ le ne montre presque autre chofe que Ia violence „ des hommes puisfans et 1'oppresfion des foibles. „ L'efprit fe révolte contre la dureté des uns; on w est porté a déplorer 1'aveuglement des autres; „ et comme rien n'cst moins ftable parmi les „ hommes que ces rélations extérieures, que le „ hafard produit plus fouvent que la fagesfe, et 5, qu'on appelle foiblesfe ou puisfance, richesfe on „ pauvreté, les établisfemens humains paroisrent „ au premier coup d'oeil fondés fur des monceaux de fable mouvant; ce n'est qu'après avoir écarté la pousfiere et le fable qui environncnt 1'édifice , qu'on appercoit labafe inébranlable furla„ quelle il est élevé, et qu'on apprend a en re„ fpeêter les fondemens (a)." Or fans 1'étude féricufe de rhomme, de fes droits, de fes devoirs («) Bid. préface, p. 6%. fuiv.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 7 naturels et des conféquences, qui en dérivent, on ne viendra jamais a bout de faire ces distinclions et de féparer dans la conftitution aftuelle des chofes ce qni fait proprement la volontó divine d'avec ce que Part humain a peu a peu ofé entrcprendre. II fera donc bien plus esfer.tiel, en traitanc cette matiere, de nous dépouiller entiérement de nos préjügés, qui ont fi fouvent été nuifibles a un examen libre et impartial de 1'efprit humain, de nous y conduire avec candeur et de n'y chercher que la vérité; qu'il ne fera necesfaire d'y mettre beaucoup de favoir, d'art et de fagacité. On ne fauroit même avoir un befoin abfolu de tous ces fecours, ni pour tirer la lumiere éternelle de 1'obfcurité, dont a la vérité elle a été enveloppée par le forfait de l'homme, mais qui cependant n'a pu 1'éteindre; ni pour la rendre fenfible et évidente pour quiconque a des yeux et veut s'en fervir. Mais avant d'entrer dans la discusfion même de la chofe, qu'il me foit permis de faire prcalablern ene encore quelques obfervations; afin de pouvoir d'autant mieux dans la fuite fixer 1'attention du lecleur fur ce qui fait proprement le grand point dans 1'examen de cette égalitê, comme des droits et devoirs, qui en decoulent. Je penfe donc qu'endemandant: dans quels fetis les hommes peuvent être dit s égaux? on n'a pas en vue 1'égalité phyftque de l'homme, mais uniA 4 4ue"  8 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. quement 1'égalité morals. Qu'ainfi la question ne dit pas: Dans quel fens les hommes peuvent-ils être dits physiquement égaux? Ou: Dans quel fens peuton dire que les hommes fe resfemMent — en forms extérieure, conftru&ion, attitU' ae, couleur, force, don de la parole, génie &c? Conféquemment, que la feconde partie de la question : quels font les droits et les devoirs qui découlentde cette égalitê? ne s'yrapportepasdavantage. II est clair que fi 1'on y avoit en vne 1'égalité phyfique de rhomme, ou fes forces et facultés phyfiques, égales ou inégales; fes droits et devoirs phypques, c'est-a-dire, laplus grande ou la plus petite mefuredefes forces et de fes facultés, entreroicnt pareillement feuls en confideration. Mais clans le fens phypque il n'y a ni droits , ni devoirs proprement dits, Ceux-ci ne font réiacifs qu'a des loix et a des inftkutions morales. Et fi la question ne devoit pas fe prendre , ou qu'elle füt proprofée dans une acception phypque, non dans un fens mor al, elle pourroit fe faire ausfi bien par rapport a toute efpece d'animaux et de bëtes, que par rapport a l'homme: ce qui trés asfurément ne lauroit jamais être 1'inccntion de la Société, ou de qui que ce ioit (r), Par (O Ce m'a 'été une grande fatisfaftion de voir par Ia prifase du Tome XIII. des Oeuvres puhliies par la Société Thï-  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. $ Par la même raifon, me femblc-t-il, qu'en discutant cer.ce question il n'csc pas befoin de s'arrêccr a examiner Pêgalitê ou l'inégalité des deux fèxes, ni des ciroits et devoirs qui en réfultent. Cette recherche ne rouleroit de même que fur la condition phyfique de l'homme, et par conféquenc uniqucmenc fur les droits et devoirs, qui en dérivent, ainfi que de la foiblesfe de 1'un et de la force de l'aucre: droics ec devoirs, donc nous avons déja vu qu'il ne faurok être question. Ce n'est pareillemenc pas ici le lieu, a mon avis, de parler de ces droits et devoirs qui dérivent de rinégalitfi de cette coniticution phyfique des parens en faveur des enfans; non plus que de ceux qui les lient réciproquement, tant que ceux-ci hors d'écat de fubfifier par eux-mêmes, ne peuvent fe pasfer des fbins et du foutien de ceux-la. A tous ces égards 1'faom- Thiologique de Tejler, p. 415. que j'ai bien faifi ln penfée de cette Société. Voici comment elle s'yexpriuie: „qui „ne voit, que les folutions defuées paree problême font „ en même temps, du moins pour Ie principal, d'un ordre „entiérement mor al; et que, dans quelque fens que les „hommes puisfent et doivent être cenfés égaux, l'égaiïté, „qa'on a ici en vue, ne fauroit fans la plus grande abfur„di/é et extravagance, fe rapporter a une autre qu'a Ia „m orale, a une égalitê de droits et de devoirs? Outre „ que la notion mime de devoirs renferme toujours dtreSc j,t::ent quelque chofe de meral."~\ A 5  io DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c rhomme est dans le même cas que la brute: ou bienil ne s'yagiroit que de droits et de devoirs fondés fur la foiblesfe ou la farce; et ni les uns, ni les aucres ne feinbient entrer ici en ligne de compte. L'examen en question concerne, je penfe, uniquement Piwmme je conduifantpar lui même, et pouVant Je pasfer du fecours necesfaire de Veducation; et ne doic par conféquenc ausli porter que fur fégalité de l'homme dans le fens mor al, et fur les droits ec devoirs mor aux, qui en réfultent: en un mot: il fxut rechcrcber fi ks hommes, encant qu'hommes, pris chacun apart et individuellement, lont égaux entr'eux en droits ec en devoirs; et fi en vcrtu de cette égalitê, loisque p:.rvenus a lage de discernement, ils commencent a iubfifter d'une maniere indépendante et qu'ils font en état d'acquérir des propriétés et de fe diriger par euxmêmes, ils apportent dans la Société et y confervent une égale mcfure de droits et devoirs; ou fi, a leur entree dans le monde fans dépendre de peribnnc que d'cux-mêmes, 1'un y apporte et conferVe un droitplus écendu ou plus limicé que 1'autre? Une autre chofe, que je dois encore obferver, c'cst que dans cette matiere il faut entendre uniquement et firiétement par droits et devoirs, ces droits que chaque individu peut s'accribuer pleittement, fans blesfcr ceux de fon prochain; et ces de-  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &e. iï devoirs que fon prochain peut abfolument exiger de lui, fans potter en quelque maniere que ce foit acteinte a ces droits. J'entends ces droits et devoirs, qu'on appclle öansl'Ecöle^rS et officia perfebla, droits et devoirs parfaits, dont 1'exercice doit être laisfé libre et auxquels tous font {enus. SEC-  i* DE V ÉGALITÊ DES HOMMES &c; S E C T I O N L chapitre i, Dans quel fens les hommes peuvent être dits égaux dans i'état de nature. C kJur Ia première parcie de Ia question: dans quel fens les hommes peuvent-ils être dits égaux? je nepuis répondre, fi non que tous font, moralement et en eux-mêmes, égaux par leur nature, et je ne faurois imaginer de raifon, que dans 1'etat de nature, 1'un devroit en naisfant être plus grand ou rnoindre, et en conféquence, parvenu a pouvoir fe pasfer des fecours de I'éducation, avoir plus ou nu ins de droit aux biens de ce monde, quel'autre. Qui voudroit le foutenir et asfigner a Ca'tüs, par exemple, plus qua Mévius, devroit produire les titres.pui lesquds ilcroiroit pouvoir établircedroit fupérieur c'upremier: ticres qu"il ne fauroitpuifer dans leur nature ou leur valeur intrinféque, qui font les mêmes pour tous deux. Le jugement que Caïus pouiroic porar de fa fiipériorité audesfus de Mévius, ne prouveroit rien, pu;>que celuici feroir. égalemenc fondé a porter le même jugement touchant Caïus, et par conféquent ausfi k s'ar-  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. i| s'arroger la même prééminence. Que s'ils précendoient n'en faire pas moins valoir efficacement, chacun fon opinion fur le mérite de kur voifiny il faudrok de toute nécesfité que le droit du plus fort décidat finalement. Mais ce ne feroit pas la un droit: ce feroit une violence toute pure; et c'est afin de la prèvenir que la nature a donné a tout homme un droic e'gal; dans 1'exercice duquel elle ne fauroit par conféquenc vouloir que 1'un foit troublé par Fattentat de Fautre. Sitelle avoit été fa volonté, elle auroit aniené le principe de fa propre destruétion, en allum int parmi les hommes le flambeau d'une guerre éternelle des uns contre les autres, ec en livranc la terre en proie au plus violent; ce qu'elle n'a pu, a moins que de tomber dans la concradiftion la plus abfolue avec elle-même: car allez et multipliez, et allez et exterminezvous, ne font pas des chofes qui peuvent s'accorder: et c'est pourquoi je penfe, que fi Fon vent êcre de bonne foi, il feroic trés inutile de dispucer davantage contre h o b b e s fur ce point. Dans Fécac de nature un homme n'a donc pas acquis,en naisfant, plus de droitqu'un autre hom. me, fur fon femblable, ou fur la propriété de Ia terre, des mers, des rivieres et des eaux, qui font fur la terre, non plus que fur aucune de leurs produftions naturelles; tous au contraire onc un droit igal d'en prendre autant que chacun en a befoin Pour  14 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c; pour fubflfter. La terre, avec tout ce qui y est, ne peut être envifagée que comme un don que le pere commun, le Créateur Touc-Puisfanc de rUnivers, a fait fans distinétion a tous fes enfans, les fils des hommes, pour leur fervir de demeure et fournir a toutcsleurs nécesflcés; don fur lequel ils doivent donc ausfi avoir tous un droit égal, dans 1'exercice duquel ils ne fauroienc ie troubler les uns lesautresfansinjufficeet fans s'oppofer aux fins charitables que les gratuités et les miféricordes du Donateur s'y font propofées a 1'égard de tous. — II a dit a l'homme en général: Remplisfez la terre etFasfujettisfez; et dominez furies poisfons de la ;ner et fur les oifeaux des cïeux et fur toute héte quife meutfur la terre f» La terre par cette raifon a été confiderée a bon droit par ciceron, comme la citê commune des hommes (b); que tout le genre humain a été appellé 6 cultiver, afin de prévenir qu'elle ne foit deYolée par les ravages des bêtes féroces ou par 1'épaisfeur des brousfailles (V). 11 esc égatetnsnt évident, que dans 1'étac de nature perfonne ne peut êcre le fujet, le ferviteur ou 1'esclave d'un autre; qu'au contraire chacun 00 Gen. I. vs. 28. (£) Communem urbem et clvitatem homlnunu De fin. Ion. et mal. Lib. III. 19. (O Di nat. Deor. Lib. II. 39.  DE V ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 15 cun y est pour lui-même empereur, roi, prince, duc, comte, baron, feigneur, ou jouic de tout autre ticre inventé par les hommes, indépendant a eet égard de tout aucre homme, et tenu de n'obfervec aucune autre regie de conduite» que celle, que, lans préjudice du droit équivalent des autres, il jugera a propos de fe prescire lui-même. — Dans eet état de nature, ainfi que nous 1'avons vu, il n'y a point de différence entre les hommes. Lorsque Dieu les créa a fon image, il ne les créa ni robles , ni roturiers. Cette distinétion humiliante a été uniquement 1'ouvrage de la violen ce et de l'injuftice. Le genre humain est forti des mains de fon Créateur, revêtu des mêmes droits, et dans le premier iïge du monde on ne connoisfoit ni maïtre, ni esclave. La vie patriarchale, dont Moïfe nous a tracé un fi ravisfant tableau, est un monument de la liberté et de 1'égalité originaire des hommes. La nature n'a attribué, ou pu attribuer aucune confidération, pouvoir ou autorité a 1'un au desfus de 1'autre, par la mèinc raifon que nous venons de voir, qu'elle n'a accordé,ou pu accorder, a 1'un plus de droit qu'a 1'autre fur la terre et fur fes productions. Les hommes font donc tous, de leur nature, égaux en indépendance, et toute fubordination des uns envers les autres ne peut jamais être, que la fuite d'une convention mutuelle et volontaire. „ Un autre étatprimitif et ori- » gi*  16 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. s, ginaire, dit burlam aquï ra), c'est celui oü les hommes fe trouvent les uns a 1'égard dea „ autres. Ils habitent tous une même terre; ils », font placésles uns a cötédes autres;ils ont tous „ une nature commune, mêmes facultés, mêmes „ inclinations, mêmes befoins, mêmes defirs. Ils „ ne fauroient fe pasfer les uns des autres; et ce „ n'est que par des fecours mutuels qu'ils peuvent „ fe procurer un état agréable et tranquille. Ausfi ,, remarque-t-on en eux une inclination naturelle „ qui les rapproche, et qui établit entr'eux un commerce de fervices et de bienfaits, d'oü ré}, fuite le bien commun de tous et 1'avantage par„ ticulier de chacun. L'écat naturel des hommes „ entr'eux est donc un état d'union et de Société; 3> la Société tiétant autre chofe que runion de „ plufieurs per [onnes pour leur avantagt com- •: mm. . La Société naturelle est une So- „ ciété d'égalitê et de liberté. Les hommes y jouis[ant tous des mêmes prérogatives et d'une entier e in dépendance de tout autre que dcDieu: „ Car naturellcment chacun est maitre de [oU „ même et égal a tout autre, aussi long» „ temps Qü'lL NE se trouve point , assujetti a quelqu'un par convent ion." Tout (a) Princip. Hu drtit nat. part. I. Chap, IV. §  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. xp Tout ceci et nommement cette égalitê des hom» mes, est confhttée, s'il est posfible, encore da» vantage, quand on réfléchk que tous les hommes tirent leur origine d'un fcul couple, Adam et Eve, nos communs ancêtres; circonftance que nous trouvons confignée avec la certitude la plus indubitable dans les écrits de 1'Ancienne Alliance. Je fais bien, que cette preuve pourra ne pas paroitre d'un fort grand poids a ceux, qui font moins perfuadés de la vérité de ce que les auteurs de ces livres nous rapporcent, que ne le doivent être raifonnablement ceux, qui les tiennent pour Ie document Ie plus auchencique et le plus memorable de Fantiquité, ainfi que de 1'hifloire du monde et de l'homme, lequel est parvenu jusqu'i nous par une dispen fation parciculiere de la Providence, et qui nous fait connoitre la conduice, qu'il lui a plu de cenir avec un peuple particulier, afin de conferver parmi les hommes la connoisfance du feul vrai Dieu, ec de les préparer pour une économie meilleure et plus univcrfelle, laquelle feroic écablie par la venue de Jéfus-Chriscau monde. Mais il n'en est pas moins cercain (ec ceci fuffic pour notre buc dans ce moment) que ceux qui pourroient doucer jusque-la de Fautorité de ces écrics, ou n'y avoir pas aucant de confiance, que nous nous croyons fondés k y mettre; ont été jusqu'ici hors cFécat de prouT> vef  iS DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. ver d'une maniere fatisfaifante et par des raifons folides, que tout le genre humain ne feroit pas forti d'un feul tronc, d'un feul fcng, mais de diverfes tiges; ou même de démontrer par des raifonnemens, tant foit peu plaufibles, que la terre a été peuplée p?r plus d'un homme et d'une femme. — Deforte que la perfuafion, comme perfuafion, que le genre humain doit fon origine au même couple, et que par cette raifon il ne peut être confidéré que comme une feule familie univerfelle , qui a été formée d'un même lang, doit être a peu prés également forte, indifférent» ment chez tous, quoi qu'ils puisfenc penfer d'ailleurs de l'autorité des rélations, qui nous en ont été transmifes avec tant d'exactitude. Or en faifant ainfi deséendre toute 1'efpece humaine des mêmes aïeux, laProvidence a, d'une facon toute propre et naturelle, comme forcé les hommes de reconnoïtre Pégalité de 1'extraction et de 1'origine, qui leur est commune k tous, et par la elle a voulu comme prévenir, au moins réprimer, leur vanité, leur orgueil et leur ambition. Elle connoisfoit a fond 1'ouvrage de fes mains: elle favoit, que dans la fuite des temps, nonobftant ces précautions même, rien encore ne pourroit le contenir et le préferver de s'écarter de la fimplicité, de 1'univerfalité de fon être et de fa nature jqu'auroic ce été fi 1'un avoit pu dire:  DE L'ÉCALTTÉ DES HOMMES «Sec. 19 Je fuis de Céphas; et un autre: Et moi dApol* los: fi par une fcrupukufe recherche et en remoncanc au principe, cous n'avoienc pas écé obligés de convenir, quMs écoienc nés d'un feul et même pere, et qu'ils avoient écé formés d'un même limon. Cetce égalicé nous est encore enfeignée d'une rnaniere frappante par 1'expérience. Quand nous réfléchisfons avec quelque accention fur nousmêmes, nous fencons cous, tant que nous fommes, et quelque climat que nous habitions, que nous fommes fujets aux mêmes impcrfeclions et infirmités corp.ri.llcs; que les mêmes femences de vertu et de vice, de pasfions de Ia cha;r et de 1'efprit, de convoicifes et d'h .bitu les, fe rrouvent en nous, et que nous avons k accen.lreque nous ferons égalemenc disfous par la more. En un moe: nous fentons d'une rnaniere a ne pouvoir plus le concescer de bonne foi, que nous avons tous été fairs de la même poudre et que nous y retournerons; nous fentons, que ni écablisfemens humains, ni titres ronflans ou prérogacives, par lesquels nous nou.s étions focrement perfuadés pcuc-êcre, que nous écions fort élevés au desfus des autres, pourrrmt nous exemter, en quoi que ce foit, de ces loix univerfelles (a~). Cetce 00 II faut lire fur cette é^alité des bommes la belle defaription de ciceron de Legib, LH. I. § io et Iu B 2  co DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c Cette égalitê des hommes entr'eux dans 1'étac de nature, paroic fur-tout d'une rnaniere des plus confolantes pour chaque individu; quand on confidere que nous avons tous un feul Dieu pour pere, prote fleur et juge: qu'il a la même rélation avec tous les hommes, et que tous ont réciproquement Ia même rélation avec lui: que ce Dieu iïa point a"égard d Tapparence des perf'onnes $ et qu'ainfi aucun mortel ne peut s'ar» roger fpecialement le moindre avantage au desfus de fes prochains, fondé fur ce qu'il auroit recu du ciel, ou pourroit en attendre, une proteflion et une faveur plus éminente et plus fignalée, en vertu de laquelle il feroit en droit d'exiger dans le monde plus de pouvoir, d'autorité et de crédit fur les autres. Une femblable distinflion ne fauroit avoir lieu dans 1'état de nature, ou rhomme ne paroic fous d'autre aspect que fous celui d'homme; Dieu y est le pere et le protefleur commun de tous également; et tous peuvent s'attendre avec le même droit a fon fecours ec a fa proteflion paternelle, fans que 1'un puisfe y former a eet égard plus de précencion que 1'autre. —— Le gouvernement fuprême de la Divinité est parfait, non partial; ec il ne fauroit être posfible que 1'un en füc grévé ou opprimé d'une facon partiale, plus que 1'aucre. Envifagé comme un être moral, l'homme ne peut donc avoir recu qü'une feule et même loiy pour  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. ax -pour y confortner fa vie. II s'enfuic encore que 1'un ne peut avoir d'aucre regie h fuivre que fon voifin. II ne pcuc prétcxter, qu'il feroit moins tenu a cette loi; ou qu'il en exifteroic une particuliere pour lui, fur laquelle, et non fur la loi générale, il devroic former fa conduite. II ne fe trouve aucune tracé de cette distinclion, abfolumenc contraire d'ailleurs a la nature des chofes. — .Tous les hommes doivent donc être jugés individuellement, fans la moindre distinétion ou reftriétion, fclon les mêmes loix morales et immuables de la nature; conféquemment ils font a-uslï a eet égard parfaicement égaux entr'eux. — De quelque cöté donc qu'on veuille examiner l'homme, il paroic incontestablement, que dans 1'écac de nacure il ne fauroic y avoir aucune différence d'hommes a hommes, en vercu de laquelle ils pourroienc s'arroger, fur tout ce qui a été mentionné ci-desfus, un plus grand droit les uns que les autres; mais qu'ils font tous égaux de la nature. La feiile différence peut-être qu'on y pourroit asfigner entre les hommes, devroic êcre cherchée dans la plus grande ou plus pecice mefure de forces corporelles ec de facultés incelleftuelles, comme dans ies propriétés, que chacun fe feroic procurées pour fa fubfiftance; vu que 1'un ec 1'aucre ne peuc manquer de donner un cercain ascendant. Mais outre que dans B 3 1'écac  22 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 1'écac de nature il fe trouve ordinairernent moins de différence encre les forces corporelles et les facultés morales refpeétives des hommes, ec qu'il esc rare, que, vivanc dans cec état, ils amasfent, chacun en fon particulier, au dela de ce que le befoin du jour demande; cecce différence ne donne par fa nature nuls droits plus érendus aux uns qu'aux aucres; au concraire elle fert de preuve, que dans 1'écac de nature chaque individu a les mêmes droits fur les biens de la terre, et pcuc en employer autant qu'il esc requis pour facisfaire a fes befoins, fans qu'il doive y éprouver le moindre empêchement, cu obftacle de la part de quelqu'autre; ausfi peu que dans 1'excenfion des forces de fon corps et des facul • tés de fon efpric; — ausfi longtemps qu'il n'empicte pas fur les droits également facrés de fon prochain. Mais cette égalitê des hommes, répandus fur toute la furface du globe, quelque pare qu'ils fe trouvent et quelque partie du monde qu'ils haoicent, de quelque cribu, pcuple ou nacion qu'ils foient nés, et quelle que foit leur forme ou leur couleur, femble être expresfément et comme k desfein confirmée par la venue du divin fondateur du Christianisme et par fon féjour fur la terre, tels et de la rnaniere qu'ils ont eu lieu. Pour s'en convaincre, on n'a qu'a fe rapeller, qu'il  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES «Sec. 2£ qu'il est né dans une petite ville, de gens firnpies, obfeurs er pauvres,ec qu'a confidérer de quel. le rnaniere il a été élevé et fur quel pied il a f& journé dans une autre chécive bourgade parmi fes concitoyens; qu'il y a exercé la profesfion de charpenticr, qui ctoit celle de fon pere; qu'il a ainfi vécu continuellement avec ceux de la plus basfe clasfe: comment dans la fuite, aprês qu'il fut entré dans 1'excrcice de fon ministère, il a en toute occafion et en tout lieu annoncé, presfé ct foutenu la doctrine d'une charité fraternette ec univerfelle, fans distinction de perfonnes ou de peuples; qu'on réfléchisfe combien peu il a fréquente les grands de fon temps et ceux qui étoient dans les honneurs; combien peu il a recherché leur commerce; — que bien loin de la il a converfé joumellement et par préférence avec les pauvres et les petjes, auxquels il a toujours témoigné prendre le plus vif intérêc; — qu'il a fait stekt d'hommes abjects et du commun pour être fes apöcres, fes disciples ec fes confidens: qu'il leur promic les dons du S. Efprit, et que ces dons ont été cffeftivement répandus fur eux. Qu'on médice en couce foumisfion et humilité de ceeur, en renoncant a tout préjugé, a touce fuperfticion, les avancages, que fa ▼ie ec fa more ont apporcés a tous les hommes généraleraent, de quelque condicion, rang, forme, B 4 cou-  24 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &e. couleur ou nation que ce foir; qu'on pefe pa* reillemenc la promesfe du faluc éternel, faice indifféremment k tous ceux qui, marchant felon fes ftatutset fes ordonnances, feroient la volonté de fon pere, qui est aux cieux, et aimeroienc Dieu ec leur procha'm comme eux-mêmes, fans faire aucune différence de perfonnes, de rangs ou de peuple: puisque c'écoit dans la fidele obfervacion d'un tel amour, que confiltoit toute la loi de Moïfe et le concenu esfenciel des écrits des Prophetes. Une confidéracion accencive des commencemens, des progrès et des fuites de tous ces événemens frappans, qui ont déja fi puisfammene influé fur la civilifacion du genre humain ec fur 1'adoucisfement de fes mceurs, par la propagation de la morale la plus pure et la jplus aimable, qui ait jamais été prêchée, et qui par cetce raifon a écé regardée a bon droic, comme étant d'origine divine; auroic du, il y a longcemps, faire fencir a couc le monde, que 1'égalicé abfolue de tous les hommes en faifoic le fondemenc, qu'une de fes vues capitales étoit de réparer les breches, que des infticudons humaines y avoient faices, et de ramener ainfi les hommes a leurs droits et devoirs primitifs: car tant qu'ils ne feroient point rétablis dans cette égalitê et dans le même degré de libercé, il étoit imposfible, que la religion de  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 2g de JéfusChrisc eüt jamais fur la terre et parmi tous les hommes cette influence univerfelle fur les mceurs, qu'elle y produisit cette élévacion de fentimens et cette félicité, qu'elle esc d'ailleurs fi propre par fa nacure a procurer, ec donc les livres de la nouvelle alliance nous donnenc des asfurances fi claires et fi formélles. Je crois qu'on peut et qu'on doit cntendre conformémenc a ces vues une grande partie de 1'excellent fermon fur la montagne, oü notre Seigneur die encr'aucres: Bienheureux Jont les PAUVres en esprit: car le Royaume des deux est a eux. Bienheureux font ceux qui i'LKUrent: car ils feront confolés. Bienheureux font les d é b 0 n n a 1 r e s: car ils hérite-, ront la terre. Bienheureux font les miséricordieux: car miféricorde leur fera faite. Bienheureux font ceux qui procurent la paix: car ils feront appelles enfans ds Dieu ray Le buc en effec de celui qui y parle et enfeigne, est évidemment d'incuiquer VhumUité, la douceur, la bienveuillance ec Vamour de la paix, ec de faire voir que c'est uniquemenc par ces vertus qu'on doit chercher a exceller; que c'esc a leur pracique feule que les béné' O) Mat. V. vs. 3-5-7, 9- Conf. luc. VI. vs. se, 21,24—28. ^  SG- DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. bénédiétions temporelies ec écernelles font acta- chées: que tous ceux qu'il vienc de nommer, quelque mépris, oppresfion ou dédain qu'ils auronc esfuyés de la part des riches et des grands, éprouveroncunjour, qu'ils n'ontpas écé faits d'une maciere moins pure, ou qu'ils onc écé plus méprifablcs aux yeux de la Divinicé, que ceux qui fe croyoienc placés dans ce monde et élevés a une fi grande distance au desfus d'eux; et que ces humbles, débonnaires, miféricordieux et pacifiqucs auront écé dans le fens le plus propre les enfans de Dieu fur la terre. Ce fuc dans le même efpric que Jéfus dit Je te rends gr aces ê Pere/' Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces chofes aux s a g e s et aux enten dus (c'est a dire, a ceux qui croient être fages ec font enflés de leur fcience) et que tu les as rêvélés aux petits enfans (a ceux qui font humbles, dociles et Jans prévention comme les enfans). Et un peu plus bas (£_): Apprenez de mui que je fuis débonnaire et humble de coeur: et vous trouverez le repos de vos ames. II a clairement donné a encendre par ces déclaracions que la vanité, 1'orgueil, la préfompüon, 1'ambition et le defir de dominer fur les autres, n'étoient pas moins f» Mat. XI. vs. 25. (b) Ibid. vs. 29.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 27 moins contraircs aux vues de fon pere céleste, qua ia tranquillité de 1'ame, ec par cela même au bonheur refpcclif de chaque homme. Tont le monde en effet devoic convcnir, que la pourfuite des grandeurs du fiecle ne pouvoic jamais producer cette tranquillité; qu'au contraire elle ne pouvoic fe trouver que chez ceux-la feuls, qui étoient véritablemenc doux et humbles de cceur, qui ne rcgardoient par conféquent pas comme un déshonneur d'être égaux aux autres. C'esc pourquoi il dit: Jpprenez de mot que je fuis débonnalre et humble de cmr: et vous trouverez le repos de vos a m e s. Sa réponfe k quelqu'un , qui lui die (»): Voilct ta mere et tes freres font ld dehors, qui cherchent d te parler: mérice finguliérement d'êcre remarquée a ce fujec: car il lui demanda: Qui est ma mere et qui font mes freres ? étendant fa mam fur fes disciples, il dit: Voict ma mere et mes freres. Car quiconque fera la volonté de mon pere qui est aux cieux, c elui-La est mon frere, et ma sceur, et ma mere. H n'esc asfurément pas posfibie de prêcher,. fans la moindre distinftion, un amour fraternel plus univerfel, une rélation ■blus unh'erfelle des hommes entr'eux, que le r fon- (/) Mat. XII. vs. 47-50»  fi8 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c fondateur du christianisme ne Ie fait dans ces pa.' roles. II n'est pas posfible de repréfenter Iégalitê des hommes, comme hommes, en termes plus forts, qu'en les confidérant tous com- ine des freres, des Jceurs et des meren avec cette feule claufè, qu'ils fasfent la volonté de leur pere commun, qui est aux cicux, avec jequel, nous avons vu, qu'ils foutiennent tous es memes rapports, comme ils ont envers lui les mêmes obligations k remplir: - et en abohsfantainfi, hors 1'obfervation de cette volonté toute autre discinction, même celle des liens du* fang les plus étroits et les plus tendres. Ce fut fans doute encore 1'humilité et 1'égalité entre les hommes, qu'il fe propofa pouMmt, lorsqu ayam appellé un peth enfant et Fayant mis au milieu de fes disciples (a), il dit: En vérité je vous dis, que fi vous n'êtes changés et ne devencz comme de petits enfans (c'est-i. dire, comme nous I'avons remarqué plus haut dociles, humbles, pleins de bonté et exempts forgueilm de pré/omption) vous n'entrerezpoint dans le royaume des cieux Quiconque 'SHTJMILIERA SOI-BléME, COMME CE PE< TIT CELUI-La EST LE PLUS grand 47(,*4)8,MAT' XVIIL VS' 2_4> C0nf' Luc' 3*  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 39 GRAND AU ROYAUME DES cieux. kt dans une autre occafion O): Vousfavez que les princes des nations les maïtrisent et que les grands usent dautorhé sur elles. Mais il n'en sera pas ainsi entre vous: au contraire quiconquE voudra être grand entre vous, qu'il soit votre serviteur. Et quiconque voudra être le premier entre vous qiïil foit votre serviteur. De même que le pis de rhomme ff est pas venu pour être fervi; mais pour fervir et afin de donner fa vie en rancon pour plufieurs. Ce fut encore évidemme'nt fa penfée, lorsque parlant aux troupcs et a fes dicip'.es, ii s'cxplique ainfi par rappo.t aux feribcs ec aux pharifiens lis font toutes leurs ceuvres pour être regardés des hommes: car ils portent delarges phylatleres et de longues franges d leurs vêtemens. Et ils aiment les premières pla ces dans lesfesfins et les premiers sieges dans les fynagogues: et les salutations aux marchés et d être appellés des hommes notue maitre, notre maitre. Mais pOUr VOUS, vous ne 8 ER EZ Cd) Mat. xx. vs. 05—28. Conf. Marc. x. vs. 42." fuiv. et L u c. XXII. vs. 24—27. (JO Mat. XXIII. vs. 5— **. Conf. Luc. XX. vi. 46. fuiv.  3o DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &e. serez point appelles notre MAITRe; , car unfeul est votre maitreyƒavoir Carist: et pour vous, vous êtes tous freres. Et vous n'appellerez personne sur la terre pere: car un seul est votre pere, savoir celui qui est dans Les cieux. Ni vous ne [erez point appellés doEleurs : car un feul est votre dotleur, favoir Christ. Mais celui qui est le plus grand entre VOUS, sera votre serviteur. Car quiconque selevera, sera abaissé, et quiconque sabaissera, sera élevé. II n'est pas pcsfible de veiller avec plus de foin et d'asfiduicé, que le fauveur ne 1'a fait en toute occafion , contre les mouvemens d'ambition et d'orgueil, qui s'éleverent de temps en temps dans le fein de ceux, avec lesquels il cue le plus de liaifon pendant fon féjour fur la terre, ni de les tenir plus ftrictement a leur vraie égalitê ni a leur qualité univerfelle de freres. — Un jour allanc k Capernaüm avec fes disciples, et ayant remarqué , qu'ils avoient eu quelque différent entr'eux, arrivé a la maifon , il leur demanda (a): Be quoi disputiez vous enfemble en chemin P Mais ils fe turem: car ils avoient disputé enfem- 00 Marc. IX. vs. 33-35.  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 31 enfemble en chemin, qui seroit le plus grand. Et s'étant as fis , il appellales douzc et leur dit: si quelqu'un veut être le PREMIER, il SERA LE DERNIER de TOUS ET LE SERVITEUR DE TOUS. ' Dans un autre endroitil die f»: Qiiand tu fier as convié par quelqüun d des noces, ne te mets point au plus haut lieu: de peur qüun plus honorable, que toi, ne foit conyié par lui; et que celui qui aura convié et toi et lui, ne vienttc et ne te dife; donne ta place a celui- ci; et qüalors tu ne commences avec honte d te mettrs au plus bas lieu. Mais quand tu fier as convié, va et te niets au plus bas lieu: afin que quand celui qui t"a convié, viendra, il te dife: mon ami, monte plus haut. Alors cela te tournera d honneur devant tous ceux qui feront d table avec toi. Car quiconque s'éleve, sera ABAISSÉ: et QUICONQUE s'ABAlSSE, SERA élevé. Et un peu plus loin (b): Quand tu feras un festin convie les pauvres, les IMPOTENS, LES liOITEUX ET LES A V E u- gles. Et tu feras bienheureux de ce qu'ils nont pas de quoi te rendre la pareiile: car la pareille te fera rendue en la réfurre&ion des justes. La frequentation, y a-t -il voulu dire, (a) Luc. XIV. vs. 8-11. (f) Ibid. rs. 13 et 14.  3a DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. dire, de ces gens, qui après tout font vos égaux, ne vous fera point un déshonnear ni une honre. tant s'en feut, que le commerce familier, que vous entretiendrez avec ces perfonnes abjedes en apparence cc qui peut-être le font ausfi a vos propres yeux,tendra un jour a votre réelavancage: car comme leurs circonfiances dans ce monde les metcenc hors d'état de vous offrir quelque recribution,ou retour de 1'amitié que vous leur témoignez, le pere commun et créateur de nous cous, aux yeux duqucl ils ne font pas plus petits que vous, fe chargera de leur decte ec vous le rendra dans la vie a venir. Ce fuc fans douce ausfi ce qu'il avoic en vue lorsqu'il die a fes disciples f» Combien dificilementceux qui ont desrichesfes, entreront-ils dans le Royaume de Dieu! Et lorsque les disciples s'étant étonnés de ces paroles, il leur repondit de nouveau: Mes enfans, qu'il eft difficile d ceux qui fe conf ent aux richesfes, d'entrer dans le Royaume de Dieu. Ces riches ou grands, fuivant lui, accachoientgénéralement erop deprixala vanicé etauxgrandeurs du fiecle; s'cstimoient meilleurs et plus excellens que leur prochain; oublioientl'égalité et la fraternicé univerfelle des hommes; ec ne fe laisferoient ainfi perfuader que trés difficilement a devenir (d) Marc. X. vs. 23-25. Couf. Mat. XIX. vs. et Lu c. XVIII. ys. 24. **  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 33 devenir les fujets de ce Royaume, dont cette fraternité univerfelle faifoit un des principaux fondemens. Ce n'étoit pas dans les rangs les plus élevés, parmi les grands et les riches, qu'il falloic chercher d'ordinaire la réalitédes vertusdefagesfe, de bonté et de vraie miféricorde. Celles-ci préféroient fe tenir a 1'ombre et ne point être vues. On les trouveroit principalement dans les rangs inférieurs, parmi ceux qui n'ambitionnant ni des charges publiques , ni les richesfes de ce monde , regardoient en pkic les peines et les fatigues perpetuelles des mortels a s'acquérir de la confiJération et des tréfurs. Les riches ou grands, vouloit il dire par cette raifon, ne pourroienc jamais fe réfoudre férieufement a renoncer a ces biens, a ces honneurs, qu'ils avoient acquis dans le monde, pour s'asfujettir aux lo;x de ce corps ou de ce royaume, que fon pere céleste avoit réfolu d'ériger fur la terre par fon moyen. L'obfervation de ces deux commandemens, le premier: Tu aimeras le feigneur ton Dieu de tout ton cceur, et de toute ton ame, et de toute ta penfée, et de toute ta force: et le fecond, qui lui est femblable et par des'us lequel il n'y a point de commandement plus grand: Tu aimeras ton prochain comme toi même (tf): cette obfer- va- O) Marc. XII. vs. 30-32. Conf. Luc. X. fa» 27 et 23. C  34 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES éVc. vatton leur feroit vraifemblablement toujours trop pénible, fi non impraticable. C'étoit néanmoins cette charitè univerfelle —cette réunion des nations et des hommes pour nêtre qidun feul peuple et ne former qiiune feule familie, qui devoit être opérée par la venue de Jéfus-Christ au monde , et dont les heureufes fuites étoient fi palpables, que Siméon les eut peut • être en vue, lorsqu'a 1'aspect de 1'enfant Jéfus dans le temple, il s'écria comme en exrafe: Seigneur! tu laisfes maintenant aller ton feryiteur en paix felon ta parole: car mes yeux ont yutonfalut, lequel tu as préparé devant la face de tous les peuples: une lumiere pour éclairer les nations et pour être la gloire de ton peuple d'israël Jéfus Christ. en effet avoit été envoyé pour évan^elifer aux pauvres, pour guérir ceux qui ont lecoeur froisfé; pour publier aux captifs la délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue: pour mettre en liberté ceux quifovt foulés: en un mot: pour publier l'an agréable du seigneur (h). Ausfi toute vallée ferois comblée, et toute montagne et toute colline fertit abaisfée, et les cho- 0») Luc. II vs. 29-32. Qb) Loc. IV vs. 18 et 19.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 35 ehofes tor lues feroient redresfées, et les chemins raboteuxferoient applanis. Et toute chair verroit le salut DE dieu (dQ. Ce fut asfurément encore dan! 1'intention de moncrer le néant des richesfes et des grandeurs terrestres, et par oppofidon la dignité de touc homme, entant qu'homme, qu'il propofa a fes disciples le cas fuivant (è): // y avoit un homme riche , qui fe vêtoit de pourpre et de fin Un, et qui tous les jours fe traitoit bien et magnifiquement. IIy avoit ausfi unpauvre,nomméLazare, qui étoit couché a fa porte tout plein d'ulceres, et defiroit cCêtre rasfafié des miettes , qui tomboient de la table du riche: et même les chiens venoient et lui léchoient fes ulceres. Et il arriva que le pauvre mourut et fut porté par les anges au Jein d'Abraham Le riche mourut ausfi et fut enfeveli. Et étant en enfer et élevant fes yeux, comme il étoit dans les tourmens, il vit de loin Abraham et Lazare dans. fon fein Et s'écriant, il dit: Pere Abraham! aie pitiê de moi et envoie Lazare, qu'il mouille dans Peau le hout de fon doigt et rafraichisjè ma langue: car je fuis griévement tourmenté dans cette fiamme. Mais Abraham répondit; men fis, fouviens -tot qm 00 Luc. iii vs. 5, 6. C*) Luc. xvi vs. 19-15: C 2  36 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. que tu as recu tes Mens en ta vie, et que Lazare y a eu fes maux: mais il efi maintenant confolé, et tu es griévement tour ment é. ■ Lazare, a-t-il voulu donner a entendre, avec quelque mépris, quelque hauteur qu'il fut traité dans cette vie par le riche , et quelque chétive apparence qu'il ait pu avoir aux yeux de tout le monde , ne fut non feulement pas inférieur a ce riche en valeur esfentielle; mais il fut trouvé beaucoup plus excellent aux yeux de Dieu, lorsqu'ils furent pefés tous deux dans les balances de la juuïce. - Dans le même but, pour arrêter 1'attention des hommes, non a Vapparence, mais a la réalitè des chofes , il dit une autre fois a quelques-uns» qui fe confioient en eux ■ mêmes ffêtre justes et qui tenoient les autres pour rien, cette parabole; Deux hommes monter ent au temple pourprier, Vun étoit pharifien, et Vautre péager. Le pharifien fe tenant a Vécart, prioit ceci en luimême : ê Dieu ! je te rends gr aces de ce que je ne fuis pas comme le reste des hommes, qui font tavisfeurs, injustes, adulteres, ni même comme ce péager. Je jeüne deux fois la femaine: je donne la dime de tout ce que je posfede. Mais le péager se tenant loin , n'osoit pas même lever les yeux vers le cielj mai$ f» Luc. XVIII vs. 9-14.  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 3? mais frappoit fa poitrine, en difant: 6 Dieu! fois appaifé envers moi,qui fuis pécheur! — Je vous dis que celui-ci descendit enfamaifon jUStifié , plutöt QUE- l'aUTRE. CAR quiconque s'éleve, SERA ABAISSÉ, ET quiconque s'abaisse, sera éleve. Mais c'eit fur - touc dans ce fens que je prends et que je ne lis jamais fans le plus vif feminiene de ce qui nous y est fignifié avec tant d'énergie , le lavement folemnel des pieds des apötres par ce même fondateur de la religion chrécienne (V): acte, par lequel il voulut leur apprendre a tous 1 'humilité et 1'égalité, fans aucune prétention de fupériorité des uns fur les autres. Car après qu'il eut lavé leurs pieds et repris fes vêcemens, et qu'il fe fut remis a tableaveceux, illeurdemanda: favez-vous ce que je vous ai fait? Ou en d'autres termes: comprenez • vous ce que je vous ai voulu enfeigner par la? Et tout de fuite, fans attendre leur réponfe, il continua par leur en donner 1'explicanon , en cette rnaniere: Vous ni app'elleZ Maitre et feigneur, et vous faites bien: car je le fuis. Si donc moi, qui fuis le Seigneur et le Maltre, ai lavé vos pieds , vous devez ausfi vous laver les pieds les uns des autres. Car je vous (li donné un exemple; afin que comme je vous ai fait, O) j ean. XIII vs 3-12. C 3  38 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. fait, vous fasjiez de même. En vérité, en vérité, je vous dis; le ferviteur nest point plus grand que fon Maltre, ni Vambasfadeur plus grand que celui qui Va envoyé. Si vous favez ces chofes , vous êtes bienheureux , fi vous les fait es. A ceci tous connohront que vous êtes mes disciples, si vousavezde l'amour i'un pour l'autre (a). ■ Je ne crois pas qu'il foit posfible de presfer 1'humilité dans le commerce et 1'égalité, qui existe entre les hommes et qu'ils doivent pratiquer mutuellement les uns envers les autres; — de les presfer d'une rnaniere plus forte et plus frappante, que Jéfus-Christ ne l*a fait par cette action, pour l'inltruétion de fes apötres et de tous ceux qui dans la fuite voudroient devenir fes disciples. Les a&ions fonnent d'ordinaire bien plus fort chez les hommes que les paroles, et font ausfi une impresfion plus profonde. —- Et fi celui qui, entant qu'auteur de cette nouvelle, de cette céleste religion, étoit fans contredit le maitre de fes disciples, de fes imitateurs, a fait une telle chofe; — s'il leur a donné un pareil exemple; combien plus 1'humilité et la foumisfion devoient-elles convenir a ceux-ci et fe rencontrer chez tous les membres de ce corps, qui ne pouvoient alléguer abfolument aucun titre, pour f» Iiid. vs. 35.  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 39 pour y fonder 1'autorité ou la fupériorké, qu'ils voudroient s'arroger fur leirs freres; mais qui, comme imitateurs de leur maltre, ec qui faifoienc profesfion de fon nom,écoiencparfaicementégaux, en vertu de fon inflitucion expresfe? Si je voulos a!!é;uer tous les pasfages, oü la doctrine de 1'égalité et d'une charité fraternelle univerfelle, qui y esc fondée, esc enfeignée ec pofée mê.iie pour bafe de couce la religion chrétienne, jcferois obligé decranfcrire, peus'en fauc, tous les discours ec les inftruétions parciculieres de Jéfus - Chrisc, cels qu'ils nous onc écé transmis dans les écrics des Evan-élistes ec des Apötres; et je faurois a peine oü je devrois finir. Je crois d'ailleurs que les endroits cités font plus que fuffifans pour démontrer la vérité de ce que j'en ai die, ec convaincre cout homme impartial et non préoccupé (a). Je fais bien que cette preuve de 1'égalité de l'homme, tirée des livres de la nouvelle alliance, ne fera pas admife du tout, ou du moins fort peu comptée par ceux, qui n'ajoutent aucune foi au con- (V) Qui fouhaite confulter un plus grand nombre de pasfages qui s'y rapportent; qu'il voie luc. XIII vs. 29 et 30. Mat. V vs. 43-48- Jean. XV vs. 12-15. Rom. XII vs. 4,5,9, 10, 16 et 18. I Cor. I vs* aö, 27 etfur-tout jaq. II vs. 1-9. C 4  40 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. contenu de ces livres, pris dans leur totalité ec comme reufermant Phistoire véritable d'un envoyé célesce, nommé Jéfus-Christ, qu'ils tiennenc pour une pure fiftion, ou pour 1'histoire d'un fourbe, lequel ne mésïte pas par conléquenc, qu'on fasfe la moindre attention a ce qu'il peut avoir dit. —— Mais en m'asfurant, que cette preuve, fondéefur les actions et les paroles du héros de cette histoire, fera du plus grand poids chez nombre d'autres, qui pleinement perfuadés de 1'authenticité et de la vérité de ces livres, recoivenc avec une foi entiere les lecons et les inltruétions, qui s'y trouvent, et qu'ainfi je n'aurai pas perdu mes peines auprès d'eux; j'ofc demander a ceux, qui tiennenc cetce hiscoire pour une fable, ec Jéfus - Chrisc pour un imposceur, ce qu'ils auroient exigé de celui, qui dans ce temps feroit venu au monde de la part de Dieu, pour éclairer le genre humain, le tirer de la profonde ignorance, oü il étoit plongé ec le ralaèHer a la vraie connoisfance du créateur de toutes chofes, comme a celle de fa volonté et de fon culce ; — ce qu'ils en auroienc exigé , qui ne fe reunisfe poinc en Jéfus -Chrisc, ec d'oü ils penfent pouvoir inférer, que fon histoire doit etre une fiftion et lui même un imposceur? En véricé, quand on conficiere 1'écac du genre humain a . 1'époque que Jéfus • Christ devoit appuroicre fur la terre pour opérer ce.grand ouvrage; 1'aveu- gle-  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 41 glcment et la fupcrflicion dcsPaïens, et 1'orgueil, la morgue et 1'ignorance des Juils , ainfi que la dégénérarión de la religion de leurs peres; il paroit que la cbofe auroit été imposfible a tout autre, qui n'eüc pas éré revêtu du pouvoir de justifier fa misfion, ou ce qui revient au même, de confirmer fa doctrine par des fignes et des aurades , qui furpasfoient les forces et les facultés ordinaires des hommes. L'entendement humain étoit en général tröp grosfier, trop peu éclairé; 1'aveuglement et la fuperftition des Païens (fans en excepter les Grecs mêmes et les Romains) étoient trop grands d'une parr, et de 1'autre 1'attcnte et les vues des Juifs étoient devenues trop mondaines, trop vaines, pour que les raifonncmens les p'us justes et les plus folides eusfent feuls fuffi pour renverfer leurs temples et leurs autels, étayés paria fuperftition , 1'ignorance et le fanatisme: en un mot: pour produire une révolution générale dans les idéés des hommes et leur faire embrasfer une religion, qui, deftituée de tout objet vifible et matériel d'adoration et de culte, devoit être purement ipirituelle et auroit pour but d'amener une amélioration morale ec une charité univcrfelle parmi les hommes. — II falloit cependant que cette révolution — ce grand, ce proJigieux changement — fe fit, pour qu'on put dire a bon droit, que la renue de eet énvoyé avoit fait un bien réel et C 5 ap-  P DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. apporté la paix fur la terre et la bonne volonté parmi les hommes. Mais comment auroit-elle pu avoir lieu; comment auroit-on pu 1'attendre dans de pareilles conjonétures, fans 1'intervention de faits frappans et de preuves parlantes , qui fisfent une iropresfion vive et profonde fur les efprits et les déterminasfent ainfi a mettre une pleine confiance de foi en celui qui les opéroit? Comment cüc-il été posfible, fi 1'on ne veut fuppofer de plus grands miracles encore, qu'il eüt pu pu faire recevoir fa doctrine de la multitude et la faire pasferjusque dans fon cceur, — ce qui étoit abfolument nécesfaire ; puisque c'étoit chez la multitude que cette révolution dans les idéés religieufes et morales devoit s'effeétuer, fi elle devoit jamais avoir une infiuence univerfelle; comment la chofe eüc-elle été posfible, s'il n'avoit pu employer des moyens extérieurs et vifibles, qui, fupérieurs aux forces et aux facultés des autres hommes, lui fcrvisfent comme de lettres de créance pour conftater fa misfion divine? —— En confidérant et en méditant attentivement et fans prévention la fituation des chofes a cette époque, tout homme raifonnable devra conclure, ce me femble, que de femblables moyens étoient abfolument indispenfablespourproduire ce changement et cette révolution. II y a plus: la doctrine que Jéfus - Christ a annon-  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES. &c. 43 annoncée, n'écablic-elle peis par elle - même ladivi- nité de fon origine? ■ Oü et par qui, avant lui, a-t-il jamais été enfeigné une morale plus pure ec qui dut répandre plus de félicité parmi les hommes? Quel autre avoit dit avant lui : Vous avez appris qu'il a été dit: tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi: mais moije vous &,'aimezvos ennemis; bénissezceux qui vous maudissent; faites du i3ien k ceux qui vous haissent et 1'riez pour ceux qui vous courent sus ET vous persecutent: afin que vousfioyez les enfans de votre Pere, qui est aux cieux: car il fait lever fon foleil fur les méchans et fur les bons, et il envoie fa pluie fur lesjustes et fur les injustes: car fi vous aimez ceux qui vous aiment, quelle recompense en avez vous? les péagers n'en font-ils pas tout autant? et si vous faites accueil seulement a vos freres, que faites-vous plus que les autres? les péagers ne le font-ils pas aussi?- Soyez donc parfaits (en ce point,) comme votre pere qui est aux cieux , est parfait (ü ne fécoute point, prends encore avec toi une ou deux per[onnes; afin quen la bouche de deux ou trois témoins toute parole foit ferme. Qtie s'il ne les écoutepas , dis le d Véglife, et s"il n'écoute non plus Péglife, qu'il te foit comme un païen et un péager (b~); c. a d. ne te méle, ne conyerfe plus avec lui; afin qüil en ait honte rc~). Une autre (a) Mat. VI vs. 14, 15. Marc. XI. vs. 25, 26V Q) Mat. XVIII. vs. 15-17. (Y) 2 Thes. III. vs. 14.  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 45 aütrc fois interrogé par un de fes disciples: com* bien de fois fon frere pècheroit contre lui et qüil lui pardonneroit; il répond : je ne dis. pas jmqüd fept fois, mais jusqüa sept fois sep tante fois O) ; c'est-a-dire , jusqu'a rifflH et a la continue. Autremcnc fon pere céleste ne pardonneroit non plus, fi chacun ne pardonnoit de tout fon coeur a fon. frere fes fautes (£). Qui jamais, avant lui, a appuyé plus vivement et avec plus d'inftances fur 1'obligation d'aimer fon prochain coMME s 0 i-m ê m e , fans distinction de langue, de peuple m de nation, avec la déclaradon expresfe, qu'il n'y a point de commandement plus grand que celui-la? Et de faire a autrui ce qu'on voudroit qui fut fait a foi-même? Ec quelle morale peut-on imaginer pour la félicité et le bonheur de 1'humanité, qui, élevée fur un meilleur fondement, foit propre a verf r plus de douceurs et de bénédiftions dans le fein de tous les individus, que celle quj nous devons a JéfusChrist? Oü trouvera-t-on un plus ample contenu de tous les devoirs envers le prochain que celui qu'il a renfermé dans ces regies générales? « Comment feroit-il posfible de fuppofer qu'une doe- (a) Mat. XVIII. vs. 21 , 23. (b) Mat. XVIII. vs. 35.  4* DE L'ÉGALITÊ* DES HOMMES &cï doctrine fi falutaire — fi propre a faire des heu. reux, lors même qu'on ne confidere firn but qu'en deca du tombeau, — feroit originaire d'un imposceur; puisqu'il n'a pu y avoir fon avantage propre ou fa grandeur perfonnelle en vue et ne s'y propofer d'autre fin, que la réforme des hommes ec 1'avancement de leur bonheur? Elle ne respire en vérité qu'une philanthropie univerfelle et une joie mutuelle. C'eft donc 1'unigue ec véritable fource de tout ce qu'on pcuc appeller grand et estimable en l'homme; et fi nous étions fi heureux, que de lui voir pröduire généralement parmi les hommes, les effets,qui lui font propres, je fuis perfuadé, que nous ne contemplerions partouc que la paix, 1'espérance, la jus-ice ec Ia bienveuillance, fondées fur ce respect pour Dieu et pour fa volonté, qui fait le trait le plus noble et le plus caracléristique de 1'objet qu'elle fe pro- pofe. Scroic-il posfible après cela, y auroit-il du bon fens h fuppofer, que la morale la plus pure, la plus parfaite, les principes les plus épurés de vertu ec depiété, devroient leur origine a un fourbe, lorsque cette même pure<-:, cette même perfeétion emportent nécesfairement 1'origine céleste de cetce doctrine et font ainfi disparoitre tout foupcon d'imposture ?, Je ne fais fi je me trompe; mais i] me paroic toujours, que beaucoup de philofophes, ou qui pré-  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 47 prétendent pasfer pour tels, fe font rendus etfe rendent encore tous les jours coupables d'une noire ingratitude envcrs le fondateur du christianisme et de fa doctrine, en ce que, tandis qu'ils) nient la vérité de fon histoire et la font envif-iger comme une nétion; ou ce qui est asfurément plus abfurde encore, qu'ils regardent Jéfus-Christ même, comme un fourbe, et par conféquent fa doétrine, comme une imposture; ils ne fe font néanmoins aucun fcrupule de proficer de lalumiere qu'il a répandue et de la préfenter comme une nouvelle découverte qui leur est due. Je demande, perfuadé gue perfonne n'ofera foutenir l'affirinative férieufement et de bonne foi,fi depuis lui aucwi philofophe a trouvé et enfeigné de morale plus parfaite, appuyée fur $ autres fondemens et qui conduife a un plus grand bonhcur pour tout 1'enfemble de 1'efpcce humaine? Si au contraire tous les fyftêmes de morale, propofés par des philofophes postérieurs, a qui fa doctrine a été connue, n'ont pas été batis généralement et développés d'ap:ès fes principes? Et s'il n'est pas au desfus de toute contradiétion que la doctrine de Jéfus ■ Christ a répandu dans le monde un degré de connoisfance ec de fcience, qui n'y existoit pis auparavant; et que nous fommes tellement accoutumés apréfentde marcher k cette clarté, que nous ne la confidérons plus comme  48 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &cv comme une lumiere, donc il est 1'Auteur, maia comme une chofe que nous avons apportée avec nous au monde? Tandis que destitués de ce fecours, privés du fon encourageanc ec conf jlanc de fon Lvangile, nous nous trainerions vraifemblablement en taconnanc dans ces mêmes cénebres fombres et Iugubres, dans cette même crisreincertitude, ou, lors de fa venue bienheureufe au monde, les peuples de la terre étoienc tous, plus ou moins profondémenc, enfevelis: ecpeut-êcre nocre condition feroit-elle pire encore. En vertu de ces confidéracions je crois avoir etc duement autorifé a en appelier aux déclarations ec aux enfeignemens du fondateurduchristianisme, en ce qu'ils attestent expresfément 1'égalité des hommes, confidérés comme tels, ou qu'ils y font appuyés comme fur leur bafe. Après avoir donc, a ce qu'il me fcmble, pleinemenc démontré cette égalitê, je pasferai a 1'examen des droits et des devoirs, qui en découlent. SEC-  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 49 S E C T I O N L CHAPITRE II. Bes droits et devoirs, qui réfultent de cette égalitê des hommes. D ans Fétat de nature, et tant que les hommes ne font liés par aucun contracl focial, chacun esc maitre de lui -même, ou, de fes propres aótions, et a en conféquence le droit abfolu de faire tout ce qu'il juge a propos,fans préjudice d'un autre. Mais par cela même ausfi il n'a aucun droit quelconque fur les aêtions des autres; il n'en a aucun de leur commander la moindre chofe, la oü tout homme jouit d'un droit égal. Le feul qu'il ait a leur égard, confiste a les folliciter, nullement a dispofer de leurs aétions ou a regler leur conduite: attendu que le droic de commander ne dérive, que d'un contraét focial; dont nous parierons plus particuliérement dans la fuite. „ Dans Fétat de „nature," dit 1'ingénieux price f», „1'un peut recevoir des bienfaits d'un autre et être „ ainfi ra) Conftdêrations nltèrieum fur fétat de la Liberti Civile &c. Trad. Holl. 23. D  (o DE L'EGALITE DES MOMMES &c. „ainfi mis dans le cas de lui devoir de la recon„noisfance; mais le HenfaUeur n'acquiert point „par la le pouvoir d'un maltre fur celui qu'il „a gratifié, ni aucun droit de décider pour lui, „quels témoignages de gratitude il lui doit, ou „ de les lui extorquer dans la fuite. Dans 1'écat de „nature 1'un peut avoir plus de force, de connois„fance et de propriété que 1'autre; ce qui lui „ donnera du crédit et de 1'influence; mais jamais ,,le moindre degré d'autorité. Aucun mortel ne „ pourroit être obligé par la de lui obéir. Perfonne „n'a été conftituépar 1'Auteur de la nature 1'esclave „ou le fujet d'un autre; ec nul n'a aucun droit, „ foit de prescrire des loix a un autre; foit de ha „öcer fans fon confencement une partie de fes „posfesfions ou de fa liberté." Touc homme , confidéré féparémenc, peut donc faire ce qu'il veuc, fans pouvoir être gêné ou empêché par un autre. II peut s'asfeoh-, fe tenir debouc, marchcr, fe promener, courir, &c., quand et comme il lui plait. H a «ne entiere liberté de penfer, de parler et de communiquer fes idéés a d'autres. II peut fervir Dieu, felon fa volonté fans qu'il foit permis a qui que ce foit , de mettre des bornes plus ou moins étroites ou de s'oppofer, en tout ou en partie, a eet exercice de fon droit: en d'autres termes; il peut profesfer intérieurement ec excé- riefi  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. rieurement telle reKgiori, qu'il juge convenable. — II a un droit indivifible fur la terre, les mers, les rivieres et toutes les eaux, qui s'y trouvent, avec toutcs leurs productions, fans en excepcer aucune; de rnaniere cependant et avec cette reftriction, fondée dans la nature, qu'il ne faut point y comprendre la place, qu'un autre occupe, ou dont il a fait fa propriété par des monumensincontcstabics , qui attestent fa prife de posfesfion, comme, p.ex., en y conftruifunt une habitation ou demeure ; et cela par cette raifon et en vertu de cc principe , qu'un autre a le droit de faire la même chofc. Car le droit de jouir emporte évidemment pour les autres 1'obligation de laisfer jouir, et qui y feroit attaqué, feroit pleinement au.orifé a s'y oppofernon feulement, mais a metcre Paggresfeur hors d'état de le faire a 1'avenir. Cette théorie des droits de l'homme s'accorde asfez généralement avec la pratique chez la plupart des peuples, qui vivent dans Pétat de nature: — avec ce que les Espagnols en virent et apprirent lors de la découverte de 1'Aménque: avec ce qu'ANsoN, bougainville, bïron, wallis , carteret, cook, banks, forster et autres voyagears attentifs onc ©bfervé a eet égard chez les habitans divers de D » eet-  5a DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. eette multitude prodigieufe de pays fitués dans l'Océan pacifique : pareillemcnt avec ce que vail-lant a remarqué chez les Hottentots , les Caffres &c. , en Afrique ; smith,' more, bosman et adanson en différents panies de la Guinée ; lesseps dans fon pasfage par la Sibérie, chez les Kamfchadales, les Tfchutkis &c.; et bruce parmi les nombreufes tribus des Arabes , dont il a traverfé les terres dans fon voyage mémorable pour décou- vrir les fources du Nil. Ils fe fervent en quelque forte de la terre entiere, des mers, des rivieres, des eaux qui fe préfentent fur leur route et de toutes leurs produétions; mais rarement au dcla de ce qu'il leur en faut pour leur ufage aétuel et nécesfaire. Ils ne s'embarrasfent point de fe procurer des propriétés plus étendues et plus durables. Ils vivent abfolument au jour la journée, tout comme les mendians en Europe. Ils n'aiment guere a y mettre plus de travaii que la llriéte nécesfité ne demande, et rien ne leur paroït plus infupportable que la contrainte de s'en occuper plus qu'ils ne le jugenr a propos: de marcher, de s'arrêter, de parler ou d'agir, lorsqu'il ne leur plait pas et qu'ils n'y font point pousfés par les mouvemens impérieux de la nature. „ Tel est „encore aujourd'hui dit rousseau felon 1'ex-  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 53 1'exacje vérité (a), „ le degré de prévoyance „du Caraibe: il vend le matin fon lit de coton, cc vienc pleurer le foir pour lerachecer, fauce „ d'avoir prévu 'qu'il en auroic befoin pour la nuic „prochaine." Quand on renconcre chez les fauvages des provifions, plus de propriécé et d'activicé a s'amasfer de quoi fubfifter, que le nécesfaire de chaque jour n'en exige, on peut presque coujours s'asfurer, qu'il exisce déja chez eux une fubordinacion fcnfible ec qu'ils vivenc dans une fociété plus ou moins réglée. D'une aucre pare les devoirs, que couc homme, vivanc dans 1'écac de nature esc obligé de remplir, fonc par oppoficion aux droits de chacun, qu'on doic laisfer faire a fon prochain tranquillement et paifiblement ce qui bon lui femble, s'il ne nous trouble point dans 1'exercice de nos propres droits: qu'on ne doit point lui öter ou lui rendre pénible 1'ufage de la terre, desmers, des rivieres ec des eaux, ausfi peu que la jouisfance de leurs produftions; qu'au contraire nous devons le confidérer ec le laisfer jouir, comme écant homme ausfi bien que nous, notre frere, des: cendu du même Aïeul, et la créature du même Dieu, a 1'image duquel il a été formé de même que O) Sur Vorig, ct les fondem. de Pinégal. farmi les hommei, p. 39. D 3  $4 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. que nous et avec lequel nous foutenons tous les mêmes rélations. II ne nous est pas permis en conféquencc de nous arroger la moindre domina. tion, ou pouvoir despotique fur fa perfonne ou fes acïions: mais nous fommes tenns de toutes manieres de le laisfer faire et agir felon qu'il lui plak. Ausfi peu devons-nous le gêner dans fa liberté morale, fok, p.ex., en l'empêchant de produire fes penfées de bouche ou par écrit; foic en voulnnt le borner dans 1'exercice de fa rcligion ou en exigeanr qu'il s'y conforme a nos idéés et a nocre rnaniere de fervir Dieu. Pour tout dire, fégalité une fois pofée, et je crois 1'avoir établie, tout le monde est obligé d'accorder a un autre tout ce a quoi il est lui - même autoriféi Je fuis donc fortéloigné de convenir avec rotjsseact (jf),„ que les hommes dans 1'état de nature „ n'ayant entre eux aucune fortederélationmora„ fe, ni de devoirs connus, ne potjrroiént s, être ni bons ni med hans et „ n'auroient ni vices ni vertus, „ a moins que, prenant ces mots dans un fens „ phyfique, on n'appclMt viccs dans 1'individu, „ les qualités qui peuvent nuire a fa propre w confervation, et vertus, celles qui peuvent y „ contribuer." Cette propofition abfurde et f» Disc. fur rinigal, p. 63.  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 5$ et qui privé l'homme de fa valeur la plus esfentielle, ne lui feroit jamais échappée, s'il ne s'étoit forgé d'après fa propre invention et fes chimères un prétendu homme fauvage qui ne devoit toute fon existence qu'a lui feul. „ O Homme, dit-il (ö), voici ton histoire teil» 9} que fai cRu la lire, non dans les „livres de tes semulables qui \, sont menteurs, mais dans la nature. „ qui ne ment jamais. Tout ce qui fera d'elle, 8, fera vrai; il n'y aura de faux que ce que „ j'-ï aurai mêlé du mien sans le „ vouloir." Tandis qu'il avoit dit peu auparavant (£), „ que, ce n'ccoic pas une légere en„ treprife de démêler ce qu'il y a d'originaire et s, d'artificiel dans la natuie aétttelle de l'homme, et de bien connoitre un état qui nexiste plus, „qui n'a peut-être point existé, „ qui probablement n'exist era jamais, et dont il „ étoit pourtant nécesfaire d'avoir des notions „ justes pour bien juger de notre état préfent." — L'homme qui a été pofé par rousseau pour bafe de tout fon raifonnement, n'est donc autre chofe qu'une fi&ion, un être idéal, un enfant de O) Md. p. 7. O) Préfaee du dife. fur Forig. tt les fendtm, de Fini' gul. p. 57' T> 4  $6 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c; dc fon imagination: car un ócre qui n'existe pas , qui riapeuuêtre point existé et quiprobablement rfexistera jamais , ne fauroic. pasfer que pour le fruic phantaftique de 1'imagination et du caprice de 1'Auteur. Au moins n'est-ce asfurément pas rhomme : car dans ce cas il faudroit qu'il existat encore , ou qu'il eut incontestablement existê, puisqu'il ne fauroit fans cela être comparé de fait avec ce que nous appellons homme: et 1'on feroit hors d'état de décider s'il faudroit le tenir pour un homme ou pour une autre espece d'êcre. II esc imposfible en effet de reconnoitre rhomme récl au portrait que rousseau tracé du fien (V). En dépouillant, dit - il , „ eet être, ainfi conftitué (marchant droit), de tous les dons ,, furnaturels qidil a pu recevoir, et de toutes „ les facultés artificielles, qu'il n'a pu acquérir „ que par de longs progrès; en le confidérant, ,, en un mot, tel qu'il a dü fortir des mains de la nature , je vois un animal moins fort 3, que les uns t moins agile que les autres, „ mais a tout prendre, organifé le plus avan* „ tageufement de tous : je le vois fe rasfa- fiant fous un chêne , fe défaltérant au pre„ mier ruisfeau , trouvant fon lit au pied da „ mê- (*) Disc. fur Ptrig. et les ftniem. de tinègaUf. 12,  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &cr57 „ même arbtè qui lui a fburhi fon repas; „ et toilet fes befoins fatisfaits." Ce tableau de l'homme ne fauroit être asfurément plus arbitraire, il est fondé tout entier fur des faits fuppofés ou adoptés, nuilement fur des vcrités prouvecs. Confidéré en lui-même il est tout ausfi applicable au cerf, a 1'élan , a la renne, au cheval &c.; mais ce n'est abfolument pas celui de l'homme déterminément, tel qu'il a existé de tout temps, tel qu'il existe encore; on n'y trouve pas les caraéleres qui en distiil- guent 1'économie de celle des autres animaux. Mais puisque cette description ne peint pas l'homme même , il est inutile de rechercher s'il y a des rélations morales entre de femblables êtres, vivaut dans 1'état de nature , ct fi 1'on peut leur asfigner des droits et des devoirs, des vertus et des vices; et par cette feule confidération on pourroit pasfer la négative ïirousseau, fans qu'ou put en conclure la moindre chofe contre les rélations morales, les droits et les devoirs, qui, d'aprés les preuves que je penfe avoir données, fubfiftent entre V homme et fon prochain. Si rousseau, ou tout autre, avoit voulu prouver avec quelque fondement et d'une rnaniere convaincante , que la description qu'il a donnée de l'homme , dans 1'état originaire de nature , lui convenoit véritablement, il auroit dü D 5 éta'  58 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c, établir la réalité de fon existence parl'éxpérience, par les rélations et les obfervations des voyageurs, qui ont fuivi les fauvages dans 1'intérieur de leur familie et dans leur rnaniere de vivre. II auroit dü conclure de ce qui est, a ce qui peut être; et non de ce qui peut être, a ce qui est. Dans ce cas il auroit valu la peine d'examiner avec exaétitude fon homme naturel, ainfi que les raifonnemens et les conféquences qu'il y appuie. On auroit eu alors un principe fixe et ftable d'oü 1'on eüt pu partir. Mais tout repofe actuellement fur la fuppofition d'un homme imaginaire, fur un non-être; dont 1'histoire de la vie humaine ne nous dit rien et par rapport auquel il n'existe point de preuves ce?taines. Quand on confulte les rélations des voyagcurs ci-desfus nommés et d'autres, on voit conftamment que les fauvages vivent entr'eux , les uns plus, les autres moins, dans une certaine rélation de familie ou de tribu. Mari , femme , enfans vivent cnfemble, et trés fouvent on rencontre plufieurs families qui fe réunisfent ou fe rasfemblent prés et a cöté les unes des autres; tout difFéremment de la rnaniere dont rousseau fe repréfente fon homme fauvage , ifolé , errant feul, fans aucune rélation avec femme ou enfans, Ce cherchant ni n'entretenant aucun commerce avec  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 35 avec la première , que celui qu'une rencontre purement fortuite lui offre de loin a loin, pour fatisfaire les appetits de la nature (a); état qui met et rabaisfe i'économie de l'homme beaucoup même au desfous de celle de quelques animaux. On trouve au contraire les fau¬ vages fenfibles ausfi bien aux devoirs de 1'union conjugal, de cette cohabitation familiere, qu'aux douces rélations de pere et de mere. Et pofé qu'on rencontrac chez 1'un ou 1'autre voyageur la rélation de la vlo d'un ou do pluficurs hommes , qui fut conforme a ce que rousseau en a débité; cette rélation et ce peu d'exemples fuffiroient-ils, pour en conclure que tel auroic été en efi'et fétat oiiginuire de rhomme? — Rousseau même ne pourroit en convemr: car parlant aillcurs (i>) de quelques cxemples d'hommes quadrupedes (ca ci. marchant fur les mains et fur les pieds), il p'étend avec ruifon, que ces exemples, pris d'enfans a un age oü leurs forces naturelles ne font pas encore développées, ni leurs membres rafFermis , ne difent rien pour prouver que cette facon de marcher a quatre feroit naturelle a 1'homme et la plus analogue a 1'ordre («) Sur Vorig, et les foridcm. de ViiiêgaL, p. 47, fur tout note (10) p. 23S—249. (V) Ibid. dans les votes (3) p. i°X. fuiv.  6-q DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 1'ordre de la nature; et qu'il aiinerait tout autant dire que les chiens ne font pas destinés a marcher, paree qu'ils ne font que ramper les premières • femaines après leur naisfince, „ Les faits parti„culiers" dit-il en autant de termes, „ont „encore peu de force contre lapratique univer~ „felle de tous les hommes , même des nations qui „naya/it eu aucune communication avec les „autres, n avoient pu rien imiter (Telles." Quand même donc il confteroit par quelque rélation qu'on auroit rencontré dans 1'un ou 1'autre coin de la terre un ou plufieurs hommes, vivant de la rnaniere que rousseau 1'affirme de fon fauvage; que pourroit-on de grace inférer de plus de ces faits particuliers contre la pratique générale ou la facon générale de vivre de tous les hommes, que de ceux qu'il allégue lui-même d'hommes quadrupedes? — Pourquoi ferois-je obligé, en formant cette conclufion, de procéder différemment de ce qu'il a cru a bon droit devoir faire dans le cas fusdit ? Mais voila ce qui arrivé au plus habile philofophe, tout, comme au plus idiot: quand nous avons une fois entrepris de défendre une certaine thefe, la prévention nous fait employer fouvenc des armes, qu'on peut aifément tourner contre nous. Du reste ce n'est pas ici le lieu de combattre l'homme fauvage de rousseau a 1'égard d'un plus  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 6ï plus grand norabre de particularités; fans quoi il fe préfenteroic un vaste champ de réflexions. Je ne connois point d'ouvrage oü Fon ait pêché plus fouvent,en avancant des propofitionshardies, mais la plupart destituées depreuves ,que ce même traité de rousseau. Lorsqu'il nous peinc l'homme fauvage de la nature, nous devons le croire fur fa parole, ou nous fommes encore des gens prévenus, des laches, qui n'ofons regarder derrière nous pour voir ce qui s'est pasfé dans le commencemcnt. Mais fi 1'un ou 1'autre voyageur penfe qu'il ne faut point mettre Yorang-outattg, le pongo, l'enjoko, ou fous tel autre nom qu'il puisfe être défigné, le beggo et le mandrill, au rang des hommes, mais dans la clasfe des bêtes, ce n'est que faute d'un examen asfez approfondi et 1'on croit ne pas devoir s'en rapporter a fon témoignage; celui de merolla vaut alors feul plus que celui de plufieurs autres enfemble f». quelque palpable qu'il foit pour un leéteur non préoccupé que cette préférence est uniquemenc due a 1'attachement pour 1'idée qu'on caresfe et qu'on s'étoic propofé d'établir; — et qüa prendre les chofes du cöté le plus favorable, on ne fauroit rien déduire des rélations de part ec d'au- f» Sur ttrig. de Htiéga!., nott (8) p. sip-33/V  €i DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c; d'autre , avec une certitude fuffifante pour ob contre rhomme fauvage qu'il dépeint (0). Si je voulois y procéder avec autant de hardiesfe que rousseau, je pourrois peut-être foutenir, avec beaucoup moins de risque d'ëtre contredit, que chez aucun de ceux qui ontvoyagé ou féjourné plus ou moins de temps dans des contrées, habitées par des fauvages, on n'en rencontrera aucune cfpece a laquelle la description de fon homme fauvage foit appiicable. Au moins me fuis-je k cette occafion donné de nouveau la peine de parcourir une quantité de rélations , en particulier des voyageurs modernes , ci-desfus mentionnés , auxquels on ne fauroit refufer, non plus qu'a la condamine et maupertuis, le jus te éloge d'avoir voyagé et rcdigé leurs obfervations pnr écrit , avec ju \ement et avec exaétitude ; ct je n'ai trouvé nulle part des fauvages, fans cn excepter ceux de 1'aride et lugubrc Terre de feu (Tierra del Fuego) a la rnaniere de vivre et de fubfiilcr desquels on ne pourroit pas rendre plus ou raoios appiicable cette description du philofophe même de Geneve: „ Les (a) Qa'on life en attendant fur cette espece d'animaux iuffon Hist. nat. T. XIV. p. 20 fuiv. £dit. Amft.; ct 1'on verra que ce fondement même fur lequel rousseau katit, croule totalement.  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 6% „ Les premiers développemens du coeur furent „ Peffet d'une fituation nouvelle, qui réunisjbiï }, dans une habitation commune les maris et les „ femmes, les per es et les enfans; Vhabituds de 3, vivre enfemble fit naltre les plus doux fenti,, mens, qui foient connus des hommes, l'amour „ conjugal et 'd amour paternel. Chaque familie „ devint une petite fociété II fauc ausfi que lui-même aic abandonné cacitemcnt dans la fuite ces idéés qu'il s'écoir faice des rélations morales qui fubfiftent entre les hommes, aiufi que de leurs droits cc de leurs devoirs, de leurs vertus et de leurs vices, dans 1'état de nature: vu qu'il n'auroit autrement pu dans des temps postérieurs établir fon excellent ouvrage, intitulé le contracl focial, fur les fondemens qu'il y a pofés. Les droits et devoirs naturels de l'homme y fervent de bafe a ceux qu'il vouloit lui adjuger par ce contract focial dans 1'état civil. II est vrai, qu'il tache d'y foutcnir encore en quelque forte le contraire (£). Mais entr'aurres ce qu'il donne dans le chap. VI. du liv. I. , qui traite du patle focial, comme le fondement et le motif de ce contracl:, y esc fi dirmétralement oppofé, que je ferois une oeuvre furérogatoire, fi jevoulois le moncrer d'une rnaniere plus expresfe (c). Je (a) Ort'g. de Finégal. p- jo6. (£) Contr.foc ch.VUl.p. 24. fuiv. Edir. d'Amft. 8vo- (O Voyez ausfi liv. II. chap. IV. a la fin,p. 43 et 44;  6*4 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c; Je crois en avoir asfcz dit, pour faire voir que la prétention de ce philofophe , en niant tout rapport moral de rhomme a fon prochain, dans 1'état de nature, est destituée de fondement réel, et ne prouve rien par conféquent contre ce que j'ai produit ci-dcsfus en faveur de fa vérité et de fa réalité. Mais 1'intention de la fociété n'a certainemenc pas été de borner la dite question touchant fégalité des hommes , et les droits et devoirs qui en découlent, uniquement a 1'examen de fégalité et des droits et devoirs d'hommes, vivant dans 1'état de nature: ou, en d'autres term.es, aux hommes en général, fans rapport k une fociété, dans laquelle ils pourroient vivre. On a fans doute eu en vue, de faire rechercher et déterminer en méme temps, dans quel fens les hommes, d a n s l'ét a t civil, peuvent être dits égaux ? Et quels font les droits et devoirs qui découlent encore au- jourd'hui de cette égalitê? ■ Examen au- quel je vais confacrer la Je&ion qui fuit. SEC-  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c 6$ S E C T I O N IX CHAPITRE X. Dans quel fens les hommes peuvent être dits égadx, dans 1'état civil. j/V.près qu'il a été prouvó , comme on fe Ie perfuade, que les hommes font tous égaux de leur nature, et qu'ainfi ils ont tous les mêmes droits, comme ils font tenus aux mêmes devoirs, les uns envers les autres; il femble qu'il est évident par la chofe même, qu'ils font demeurés parfaitement égaux dans 1'état même de fociété,. autant qu'il n'a pas dü s'y faire, expresfóment ou tacitement, quelque altération par le contract focial. Mais afin de pouvoir déterminer quel changement y a dü arriver abfolument par la nature d'un femblable contract, il faut examiner au préalable quel est proprement le but de Yasfociation. Je trouve qu'il est trés inutile d'entrer a eet effet dans de favantes discusfions fur 1'origine de la fociété et de produire les divers fentimens des philofophes anciens et modernes fur ce point. — E Nous  €6 DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. Nous n'en avons point de preuves historiques; et tout dépend par conféquent de raifonnemens, puifés dans la nature et 1'état des chofes, fans que les fubtilités, qui ne font dues le plus fouvent qua des fpéculations ct a la fcience de 1'école puisfent être ici d'aucun poids, ou qu'il foitnécesfaire que nous nous arrêtions a les réfuter. En effet, foit que je pofe 1'origine des Sociétés „d'abord dans le mariage; puis dans les enfans; „ après ccla en ce qu'on demeure enfemble dans 5, une même maifon, et dans la communauté de „biens, qui en réfulte; ce qui fait Ie commence„ment des villes et comme la pépiniere des répu„ bliques: car ces asfociations font fuivies de „celles de freres et de proches plus éloignés, „ lesquels ne pouvant plus être contenus dans une „feule maifon, font obligés de fe pourvoir „d'autres et de devenir ainfi comme autant de „colonies. De la réfultent de nouveau des maria„ ges et des alliances, d'ou il fort encore plufieurs '„autres ordres de parens. Cette propagation et „fuite de descendans est 1'origine des républiques:" Comme ciceron la décrit au naturel dans ce pasfage connu f» et en quoi d'autres auteurs s'ac- (a) De ogk. Lib. I. 17. „Quod in ipfo connubio „fuj proxima in liberis: deinde una domus, communia »omnia. Id autem est principium urbis, et quafi femina- M rium  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 67 s'accordent avec lui f»; foit que je lui asfigne d'autres caufes accidentelles ou pofitives: le hut de 1'asfociation ou de la Société civile même, pefé fans prévention, ne peut guere être autre que d'établir par tous les membres, ou tout le corps, un moyen pour la füreté et la défenfe de la perfonne, de la liberté et des biens de chaque individu, par des voies que toute la Société juge utiles et propres a cette fin, et par conféquent de faire effeétuer par toute la Société ce qui ne pourroit être fait asfez efficacement par chacun féparément. „C'est une réunion de toutes les forces „ particulieres pour atteindre les fins fusdi- „tes (by Je m'explique. Puisque les hommes, felon ce qui „ rium reipublic». Sequuntur fratrum conjunftiones: post „ confobrinorum , fobrinorumque : qui cum una domo jara „capi non posfint, in alias domos, tanquam in colonias, B exeunt. Sequuntur connubia et affinitates: ex quibus .„etiam plures propinqui. Quce propagatio, et foboles, „origo efi rerumpublicarum." Bürlamaqui Princ. du dr$it vat. Part. I Chap. IV p. 36. Rousseau Disc. fur l'inègal. p. 107 et contraB focial Liv. I. Chap. II. p. 3 fuiv. (b) Gravina chez montes^. Efpr. des Ltix. Livr. h Chap. III. p. m. 5. E 2  6$ DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. qui a écé prouvé, font tous égaux de leur nature, il fauc que la Sociécé civile, confidérée dans fon vrai buc, foit un écablisfemenc, qui aic pour fin de maincenir cecce égalitê et de la défendre contre les atteintes de la violence et de 1'opprcsfion. Elle doit donc, par fa nature, affermir uniquement ec garantir toutes les rélacions comme elle les a crouvées. Elle ne peut conftituer 1'un le mattre ou Yesclave de 1'autre. Elle n'éleve par conféquent perfonne au desfus de fes concitoyens: au contraire elle les met tous de niveau, en les asfujettisfant tous a la même autorité générale , favoir , a 1'aucoricé des loix, c. a d. de la voloncé de la Sociécé (V) (i). Je (a) Voy. ausfi locke du Gouvemem. Civil. Chap. X. §. II. p. 181. (ï) F reder ic II. a obfervé avec la plus grande justice contre machiavel, que fi dans fon fameux ouvrage, le Prince , celui-ci avoit examiné, comme il auroit dü le faire, Porigine des gouvernemens et discuté les raifons qui ont pu engager des hommes libres a fe donner eux-mêmes des maltres, avant que de marquer leurs différences, il auroit été réduit a mettre lui-même au jour les preuves qui eusfent entiérement renverfé fon livre oü Ton fe propofoit de dogmatifer le crime et la tyrannie. II auroit dü avouer, dit le Roi QAnti-Machiavel p. i. fuiv.), j, que les peuples ont trouvé nécesfaire a „leur  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 69 Je penfe de bonne foi que la Sociécé ne peut avoir d'autre buc, comme je penfe ausfi qu'elle doit „ leur repos et a leur confervation d'avoir des juges poiir „ regler leurs différents; des prote&eurs pour les maintenir „ contre leurs ennemis dans la posfesfion de leurs biens; „des fouverains pour rcunir tous leurs différens intéréts „en un feul intérèt coramun; qu'ils ont d'abord choifi „ceux d'entr'eux qu'ils ont cru les plus fages, les plus „équitables, les plus défmtéresfés, les plus humains, les „plus vaillans pour les gouverner. Qjie c'est donc la „justice qui doit faire le principal objet d'un prince , que „ c'est donc le bien des peuples qu'il gouvernt, qu'il doit „préférer ti tout autre intérêt. Que le fouverain, bien „loin cTêtre le maitre abfolu des peuples, qui font fous „fa domination , n'en est que le premier magi„strat." Beau langage dans la bouche d'un roi, qui l'illuitre bien plus que plufieurs campagnes, marquées de continuels triomphes! II vit la vérité, et il ia confesfa tuvertement devant les peuples. — Ce grand Roi s'explique fur ce fujet avec la même clarté et la même énergie dans un autre ccrit Qconfidérations fur les corps polit. de l'Europe). „Si mes réflexions, y dit-il, ont „le bonheur qu'elles parviennent a la connoisfance de „quelques princes, ils y trouveront des vérités qu'il „n'auroient jamais entendues de la bouche de leurs „courtifans et de leurs flatteurs: peut-être même feront„ ils frappés de voir ces vérités placées a cóté d'eux fur „ le tréne. Qu'ils fachent donc, que leurs mauvais prin„cipes font la fource la plus empoifonnée des malheurs de „1'Europe. Voici Terreur de la plupart des princes. Ils E 3 »«oi-  7o L)E L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. doit avoir pour fondement des droits et des devoirs égaux pour tous généralement, vu que tout autre fon- „croient que c'est tout exprès et uniquement pnr une „attention fpéciale pour leur grandeur, leur félicicé et „ leur morgua, que Dieu a créé cette multitude d'hommes, „dont le bien-être leur a écé confié , et que leurs fujets „font uniquement destinés a être les inftrumens et les »,ministres de leurs pasfions déreglées. Le principe pnr „ lequel on agit, étant faux , les conféquences ne peuvent „en être qu'infinimenc mauvaifes. De la cette pasfion démefurée d'une vaine gloire ; de la ce defir ardent „ de tout fubjuguer; de la la dureté des impóts, dont le „peuple est chargé; de la la paresfe des princes, leur „fierté, leur injustice, leur tyrannie et tous les vices qui „ dégradent la nature humaiue. Si les princes fe dépouil. „loient de ces idéés erronnées et qu'ils voulusfent remonter „ au but pour lequel ils ont été établis, ik verroient, que „ ce rang dont ils font fi amoureux, que leur élévation „n'est que l'ouvrage du peuple: que ces millions „ d'hommes, qui leur font confiés, ne fe font pas „faits les esclaves d'un homme, afin de le rendre plus „redoutable et plus puisfant: qu'ils ne fe font pas foumis „4 un concitoyen, pour devenir les martyrs de „fes caprices et les jouets de fes fantaifies; mais qu'ils „ont choifi celui d''entr'eux qu'ils ont cru le plus„juste, pour les gouverner; le meilleur, pour leur„fervir de pere commun ,• le plus humain, pour „ compatir a leurs maux et les adoucir; le plus fort, „pour les défendre contre leurs ennemis; Le plus „prudent, pour ne pas les engager mal a propos dans  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 71 fondemenc esc incompatible avec 1'égalité abfolue des hommes ; en vercu de laquelle une par- dans des guerres ruineufes et destruclives ; enfin Ie „plus propre a reprèfenter le corps de Fétat, et „ entre les mains duquel le pouvoir fouverain piit fervir „a appuyer avec le plus d'ejficace les loix et Ia juftice, „ nullement è commettre lui-même impunément des crimes „et a exercer la tyrannie." Et dans fon excellent Esfai fur les formes de gouvernement et les devoirs des fouveraitis, compofé feulement peu d'nnnées avant fa mort, il s'énouce encore fur ce fujet en cette rnaniere: „ Vu „que les loix ne pouvoient ctre maintenues ni exécutées, „fans un infpeöteur, qui s'en occupat fans cesfe, ce fut „ IA F origine des régens, que le peuple choisit „et auxquels il se souMiT. Qu'on s'imprime „bien fortement dans 1'esprit, que la feule rnifon, qui },a engagé les hommes a fe donner des chefs, a été le „maintien des loix; vu que c'est la vóritable ORISINE DE la si PR cme PUISSANCE? Le „ régent étoit le premier ministre de Fétat. Lorsque ces „fociétés naisfantes avoient quelque chofe a. craindre de ,,leurs voifins, il armoit le peuple et voloit a la défenfe „des concitovens. Cet inftinft univerfel des hom„ mes , qui les pousfe & fe procurer le plus grand bonheur „ pOSflble ,d ONNA LIEUaL'lNTRODUCTlONDESDIF„FéRENTES TORMES de GOUVERNEMENT." VoyeZ 1'un et 1'autre pasfage dans fon Esfai fur les formes degou' vemement, p. 10. et fuiv., la note: et p. 5 et 6. (de la Trad. Holl.) — NB. Le Traducteur n'ayaat pu confulter 1'original même, a été réduit a rendre ces endroits, E 4 ls  72 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. parrie ne peut être repréfentée par une autre fans fon intervention ; mais chacun a un droit complet et qui ne peut lui être öté, de concou«r a déterminer la volonté de toute la fociété, dont il deviendroit aétuellement membre. En cffet fi A. n'avoit pas ce droit, B. ne pourroic non plus le reclamer comme un droit, qui lui appartint abfolument: car a quel titre B. y feroit-il plus autorifé qu'A? Et en pourfui. vant ainfi d'individu en individu, chez qui, ou chez quelle partie du tout faudroit - il enfin chercher ou trouver ce droit? On ne devroit le chercher et Ton ne pourroit le rencontrer nulle part autre que chez cette partie du tout , qui auroit fu s'en emparer par le foi - difant droh du plus fort. Mais ce droit du plus fort est pure violence, une tyrannie, une injuflice lesquelles nous avons vu qu'en vertu de fégalité des hommes et de leurs droits, égalitê qui est née avec eux, il n'est pas permis qui foient exercées par les uns fur les autres : d'oü il s'enfuit que dans le fens ftricT et propre il ne peut Ie moins mal qu'il lui a été posfible, d'après la citatioa que Mr.PAULcs en fait en Hollandois. O) Voyez rousseau, Ctntr. ftc. liv. £ chap. III.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 73 peut y exister, ou qu'on ne peut dire qu'il y existe un état civil , un contracl focial, s'il n'esc 1'ouvrage du tout. La Société ne peut être telle de fait, ou être ainfi nommce , qu'autant que tous fes membres font efieétivement formée: a 1'égard du reste la chofe auroit toujours 1'apparence d'être le gouvernement de la violence, de la tyrannie et de 1'injuftice , une domination ufurpée par une partie fur une autre partie, fur des hommes, qui ne fauroient être proprement dits membres de la Société \ mais qui y auroient été asfujettis par le droit du plus fort; et ainfi ce feroit un empire exercé fur des esclaves, fur des hommes, auxquels on auroic ravi les droits qui leur appartcnoient, et que 1'on contiendroit et asferviroit par une force majeure ou par la violence. Situation qui exclut toute idéé d'un contract focial et qu'il est ainfi moralement imposfible qu'on ait eu en vue? Lors donc qu'on parle d'une Société , d'une asfociation d'hommes pour les dites fins , il ne fe peut, ce me femble, qu'on n'accorde le même droit a tous les membres , a toutes les parties contractantes: car en vertu de fégalité des droits et des devoirs de tous les hommes, ci - desfus prouvée, perfonne ne peut être en droit d'obliger fon femblable a former une pareille asfociation. II faut que ce foit un acte volontaire E 5 eu  74 DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. en tout fens, qui ait fa fource dans la liberté et 1'égalité de l'homme, pour qu'on puisfe lui doneer le nom d'une obligation légicime et qu'elle foit ainfi de quelque force. „ En effet" dit rousseau (4% „ s'il a'y avoit point de con» „ vencion ancérieure , oü feroit, a moins que 5) 1'élection ne füt unanime, 1'obligation pour le „ petit nombre de fe iöumettre au choix du grand , et d'oü cent qui veulent un maitre , „ ont-ils le droit de voter pour dix qui n'en „ veulent point ? La loi de la pluralité des fuf„ frages est elle - même un établisfement de con„ vention , et fuppofe au moins une fois 1'una„ nimité." Et , cela étant, on ne peut donc fuppofer que chaque homme, pris féparément, en contractant une pareille obligation , auroit voulu borner fa liberté et fon égalicé naturelle, ainfi que 1'exercice des droits qui en découlent, plus qu'il ne doit être jugé abfolument nécesfaire pour atteindre le but de f asfociation , tel qu'il vient d'être propofé et décrit. —— Ce but est donc la mefure, d'après laquelle il faut déterminer, et la pierre de touche , a laquelle il faut éprouver fégalité ou 1'inégalité, avec les droits et les devoirs qui y font attachés, lesquels ont doit reconnoitre comme ayant encore lieu au- Contr, Soc. liv. I. chap. F.p. 16.  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 75 aujourd'hui parmi les hommes dans 1'écac civil. Si 1'on y apporce Tartencion et Timpartialicé requifc, on verra que les hommes, tant dans 1'état civil, que hors de eet état, ont confervó leur égalicé primitive; paree que le concracl focial , ausfi peu que couc autre établisfemenu humain, n'a pu changer leur esfence, mais que celle-ci ou la valeur de chaque homme esc demcuréc ce qu'elle écoic auparavanc; que par conféquent les hommes, étant rescés nécesfairement les mêmes les uns a T égard des autres, doivent ausfi avoir confervé les mêmes droits, les uns par rapport aux autres. D'un autre cöcé le buc du contract focial ayanc été uniquement et exclufivement a tout autre, de procurer a chaque individu la fürecé convenable de fa perfonne ec de fes biens, et de maincenir la libercé ec Fégalité perfonnelle de tout le monde, paria réunion de toutes les forces et moyens de tout le corps; il cn réfulce fms contredit que la libercé cc Tégalicé particuliere et perfonnelle de chacun, en vertu desquelles il peuc faire tout ce qu'il veut, felon qu'cllcs ont écé ci-devanc démoncrées, n'ont pu fubir d'autre altéracion ou reftriclion , que celles qui écoient abfolumenc indispenfables pour obtenir la fin qu'on s'étoit propofée; favoir de devoir foumectre a cec égard fa voloncé particuliere a ccllc  76 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. a celle de la pluralité de tout le corps, dont il fair lui-même partie. Puis donc que ceci confte, et que tout homme par conféquent est resté libre et entiérement indépendant en tout ce, en quoi la volonté générale n'a point mis d'entraves a fa volonté particuliere, rélativement au but fusdit de la Société; aucune autre distinélion ou inégalité civile ne peut non plus avoir lieu, que celle qui est fondée fur ce but général de la Société, fur cette utilité générale; favoir, que dans les chofes, qui s'y rapportent, la minorité doit fe foumettre a la volonté de la totalité, dont ils restent toujours membres, et que tout particulier doit obéir a ceux qui font chargés de 1'exécution de la volonté générale. Et a proprement parler il n'y a pas même en ceci de distinction ou d'inégalité : car chaque membre de la Société est individuellement tenu a ces mêmes devoirs, et ne peut fe glorifier d'y être cn quelque forte moins obligé, que tout autre. — Au contraire une parfaite égalitê de tous les membres a ici lieu. „Dans 1'état de nature," dit mon te s qui eu quelque part (V), „les „hommes naisfent bien dans 1'égalité, mais ils „ n'y fauroient rester. La Société la leur fait „perdre, et ils ne redeviennent égaux que „par f» Esp. des loix, liv. VIII. chap. III. p. m. p0. Edit en 4.  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 77 „par les loix." Et rousseau exprime la même vérité; ni moins distinctement, ni avec moins de force , lorsqu'fl conclut le premier livre de fon contracl focial par cette remarque: „ qu'au „lieu de détruire fégalité naturelle, le paéte fon„damental fubftitue au contraire une égalitê „morale et légitime a ce que la nature avoit pu „mettre d'inégalité phyfique entre les hommes, „et que pouvant être inégaux en force ou en „génie, ils deviennent tous égaux par convmtion „et de droit:'' La loi est par conféquent ici, comme ailleurs, la feule fouveraine des hommes. On ne peut fuppofer d'autre but dans la formation d'une Société civile, que celui que je viens de poier: et en tout cas, fi 1'on vouloit en asfigner d'autre, il faudroit prouver qu'il en existe: il faudroit prouver par des faits, que tout un peuple fe feroit réuni et formé en Société, dans d'autres vues, avant qu'on put être obligé de le croire. — Mais il n'est pas posfible d'en produire. — Et quand il le feroit; ce ne feroit après tout qu'un fait, qui n'établiroit point le droit, et auquel je ne ferois pas tenu de m'arrêter dans la préfente discusfion. Une telle asfociation ne fauroit non plus être obligatoire pour la postérité, puisque celle-ci ne fe feroit point engagée, ec qu'une Société ne peut avoir, pas plus qu'un par-  7* DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. particulier, le droit d'impoier a qui que ce foit, un engagement et de 1'y obliger par le fait, s'il n'a été confulté a cette fin et qu'il n'y ait confenti de fon plein grc. Ce procédé feroit direcïement contraire a 1'égalité démontrée des hommes et blesferoit formeliement Les droits et les devoirs qui en découlent. Je fais bien que grotius dans fon célebre traité du droit de la guerre et de la paix (cij), prétend, que comme il feroit lübre a chaque homme en particulier de fe rerdre 1'esclave de qui il veut, il feroit pareillement libre h tout un peuple de fe foumettre a une ou plufieurs pcrfonnes, enforte qu'il leur transférat entiérement le droit de le gouvcrner, fans s'en réferver aucune partie. Mais je nie de la rnaniere la plus forto, qu'aucun homme puisfe avoir Ie droit defe rendre 1'esclave d'un autre, et par conféquent r.usfi que tout un peuple pourroit le faire. Renonccr a fa libercé c'est dans le fond renoncer a fa qualité d'homme, aux droits de 1'humanité, même aux devoirs qui y font attachés. II n'y a point cc dédommagement posfible pour qui a ainfi renonce a couc. „Que restera t-il a „l'homme dans le monde," dit frossard ce (V) Liv. I. chap. III.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 79 ce vrai philancrope (V), „quand il aura perdu „ce privilege, le feul qui le distingue de la brute, „puisqu'il est la fuite immédiate de la faculté de „juger? Qu'est-ce qui le confolera de cette „privation humiliante? Qu'est-ce qui lui fera „aimer Fexiftence , puisqu'il n'a plus rien de „commun avec 1'espece humaine, puisque fes „goürs, fes fentiraens font asfervis a d'autres „goüts, a d'autres fentimens? — Cherchez un „dédommagement a une perte fi fiicale; placez „auprès de lui quelque jouisfance, qui 1'attache „encore a cette terre, et vous verrez s'il est „quelque chofe de comparable a la liberté, et „vous reconnoitrez que la plus grande injustice, „que vous puisfiez faire a votre femblable, c'est „de la lui ravir. La liberté est le feul état, „oü l'homme puisfe être homme oü fes facultés „ föient fufceptibles de développement, fon ame „ d'élévation, fon coeur de vertu, fon exifience de „ bonheur." Une pareille aliénation, fi Fon veut en raifonner de bonne foi, est incompatible avec la nature de l'homme; et Fon détruiroit en effet toute la moralité defesaétions,fil'onpouvoitpriver fa Ca) La caufe des esclaves tiegres et des halitans de la Cuinée, portée au tribunal de la Jufiice, &c. II. part. f. 8. fuiv.  So DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. fa volonté de toute liberté. Dans ce cas^ quand il n'a plus le pouvoir de choifir entre le bien et le mal, ou d'agir conformément au dicramen de fa propre confcience, il devient femblable aux bêtes de fomme, qui faites au joug, font chasfées ou menées avec le baton le long du même chemin battu; fans qu'il puisfe faire aucun ufage mor al de fa raifon, ce préfent inestimable qu'il a recu du ciel par desfus les autres animaux de la terre es par lequel il a été fait feulement un peu moindre que les anges et établi dominateur fur les créatures inférieures fa): c'est fur ce fondement que je penfe,que les hommes ne fauroient avoir le droit de fe rabaisfer a un degré d'humiliation, incompatible avec leur nature, et de céder le don Ie plus précieux de la Divinité, la prérogative capitale de fon être, 1'appanage de la religion chrétienne et la bafe de toutcs les loix et conventions morales (h). L'exemple, allégué par grotius, des Campaniens, qui étant réduits a 1'extrêmité par les Samnltes, leurs ennemis, furent obligés, en choifisfant de deux maux celui qui étoit le moindre, '< (a) Pfi, VIII. vs. 6—0. (£) Coiaf. locke du Gouvernement civil, chap. X. §. II. p. 180 et 181.  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 81 dre, de fe jetter entre les bras des Romains et de fe donner d eux avec leur ville de Capoue, leurs terres, leurs temples efTOUs leurs droits divins et humains; eet exemple ne peut, •a mon avis, être cité avec justice comme une preuve, que tout un peuple fe feroit légitimement livré a Fesclavage. Premierement cette démarche fut uniquement 1'effet de la crainte trés fondée d'être fubjugué par d'autres; et par conféquent k eet égard rien moins que volontaire. Et en feconi lieu afin de fe préferver de cette violence et de la mine entiere de tout ce qui leur étoit cher et précieux, ils fe livrerent a la bonne foi des Romains, pour en être protégés et maintenus dans la posfesfion de tous leurs biens et de leurs temples, comme de tous leurs droits divins et humains. Les Romains ne purent donc jamais avoir le droit de les gouverner que conformément a leurs propres loix divines et humai ïes. D'ailleurs pourroit-on qualifier du nom de droit, le procédé d'un peuple qui enleveroi: k un autre tous fes droits divins et humains, et i'obligeroit ainfi de fe conduire a 1'avenir uniquement feloti fa volonté et de fervir Dieu felon fes loix et fes rits ? Ce ne peut jamais être un droit. Dans ce cas un tel peuple ne feroit term envers 1'ufurpat. ur a quoi que ce foit, qu'a lui obéir, ausfi longtemps qu'il y feroit contraint par une force abfolunienc F ma*  «2 DE L'ÉGALITÊ DÉS HOMMES êkc. majeure. Mais dès qu'il pourroic rompre fes chaïnes, il le devroit; paree qu'il est obligé de vivre felon les loix morales que Dieu lui a données et felon le dictamen de fa propre volonté, et paree que les droits de fesclavage fout abfo lument nuls. „ En effet," direnc quelques membres du Sénat de Rome, a foccafion qu'on y dclibéroit de la peine qu'on impoferoit aux Privernatcs, paree qu'ils avoient ravage les terres de leurs voifius, amis des Romains, et qu'ils venoienc d'être foumis par ces derniers; „en cifet pouvez- vous croire qu'aucun peuple,ou mêmequ'aucun „particulier, demeure volontairement dans un „ état dont il fera mécontent, et qu'il cherche „pas a s"en tirer dès qu'il le pour ra faire? La „ paix n'est asfurée que de la part de ceux qui la „font de bon cceur. Point de fidélité a espérer „d'un peuple que Ton prétend réduire en jervi„tude (ö)." Je fais bien encore que grotius dans ce même chapitre du dit ourage (£) prétend de plus que tous les gouvernemens n'ont pas été ctablis en faveur de ceux qui font gouvernés, mais plutöt de ceux quigouvernent,etquece#.r ci feroient plus que ceux-ld. Mais je fais ausfi que fo* 00 Livius Histor. Lib. VIII. n. 21. CO *. «. n. 15.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 83 fon raifonnement pour démontrer que fon opinion esc conforme a la juscice et a la nacure de la fociété, esc crès foible dans cec endroit; ec que quant aux cas, pris de la vie civile, qu'il produic pour éclaircir fon opinion; le premier, p. ex., fondé fur le droit que Ie maitre a fur fon esclave, oü le gain ou 1'avantage est tout entier du cóté du maitre, a déja été réfuté ci-desfus; que \zfecond, tiré de ce que Ie profk qu'un médecin fait, en traitant fes malades, n'auroit aucune liaifon avec 1'art de la mcdecine, ne paroit pas fort clair et intelligible: et que le troifieme, pour montrer que 1'utilité est cependant fouvent réciproque entre ceux qui gouvernent et ceux qui font gou- vernés, emprunté de 1'autorité du mari fur fa femme, ec d'un tuteur fur fon pupille, ne prouve rien: tant paree que cette réciprocité fuit naturellement, fi 1'on adopte les fondemens du contracl focial que j'ai pofés, qtie paree qu'on ne peut pas trop bien conclure d'un reglement civil ou d'un établisfement particulier a rel ou tel peuple, n une regie umverfelle et nécesfaire, fur laquelle le contracl focial même devroit être formé. Tandis qu'il ne fait rien a l'affaire,que des adulareitrs des princes et des rois aienf avoué cette doctrine. Si eet aveu fuffifoit, il n'y auroit point de tyrannie fi dure ec fi avilisfance pour 1'humanité, qu'on ne «tët tenir pour juste ec légicime; et nous pöurriofl3 F a nou*  *4 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &cv nous dispenfer dans ce cas de tout examen et raifonnement. Au lieu d'alléguer de pareilles autorités, grotius auroit dü plutóc fe rappeller dans ce moment le dire mémorable de Guillaume I., ,, que ces gens disfimulant la vraie caufe „du mal qu'üs eachent a leurs princes, cherchent „des prêtextes, en les flat tant et en mentant, „pour embrafer leurs ceeurs contre leurs fujets , „ dont ils ne tiennent pas plus de co?npte que de „bétes (a)." Les États-généraux des Provinccs-unies des Pays-bas penfoient ausfi tout différemment dans les premiers temps de la République. Dans le célebre placard du '16 Juin 1581., par lequel ils déclarent le Roi d'Espagne déchu de la fouveraineté et feigneurie de fes provinces, ils difent, „que le prince est uniquement conftitué le chef de „fes fujets, pour les garantir et les défendre de „tout tort, vexation ec violence, comme le heriger est commis a la garde de fes brebis: que les „fujets n'ont pas été créés en faveur du prince „pour lui être foumis en tout ce qu'il peut ordon„ner, qu'il foit conforme ou contraire d la loi „divine , juste ou injuste ; maïs que le „prince est ÉT A bli pour l'amour „ DBS Ca) Apologie p. 50, (Injprimé chez Sylvius, petit in 4-  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 85- „des sujets, sans lesquels il n'est „pas prince; afin de les gouverner avec „jiucice ec avec équcé, de les maintenir ec de „les aimer, comme un pere fes enfans, ec un „berger fes brebis, pour la confervation desquel„ les il mee fa vie. Et que, lorsqu'il ne le fais „pas, mais qu'au lieu de les protéger, il cherche „d les opprimer, a les vexer, d leur ravir „leur libertét leurs privileges et leurs anciens „ ufages et coutumes, et d les commander et „ traiter en esclaves , il ne doit point être „tenu pour prince, mais pour un tyran, et „qu'en conféquence il est permis , Jelon Is 55 droit et l'équité, d fes fujets au moins, „fur-tout fur la délibération des états dtf„pays, de ne plus le reconnoitre comme prince, „ mais de le dépo/er, et que fans qu'il y ait „abus, ils peuvent pour leur défenfe, en élire „un autre d fa place pour chef Ca)," Dans ce placard, comme dans l''Apologie de Guillaume I. le but de couces les Sociécés ec les droics inaliénables de couc homme, même dans 1'écac civil, font pofés pour bafe des raifonnemens qui (a) Le grand livre des J>lacard>, part, I. eol, 25. F 3  8tf DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. qui y font avancés et qui n'ont pu être puifes que dans cette feule fource (i). Je (i) Les exemplesque grotius du droit de la guerrs et de la paix Liv. I. Chap. fff. § 8. allegue de peuples, qui fe font foumis a la domination d'autres peuples, d'un roi ou d'un petit norabre, pour en être gouvernës, ne décide rien ici. i. II y parle d'aftesde^w//>/(?s , quiétoient par conféquent déja unis par un contracl focial; tandis que je parle du fondement et du but de cette union même, — 2. Entant que ces aftes n'emportcnt pas une fujettion fervile , dont 1'abfurdité a été démontrée, il y a un inftant, dans le texte même, mais feulement que tel 011 tel peuple s'est choifi tel ou tel mode de gouvernement , ils ne prouvent rien contre ce que j'ai avancé jusqu'ici: car chaque peuple peut fe choifir telle forme 4e gouvernement, qu'il croit la meilleure pour 1'exécution de la volonté générale. Mais entant que ces peuples ont été en elfet plus loin , que de fe donner fimplement un gouvernement, en asfujettisfant p. ex. ce gouvernement pour 1'avenir, non k la volonté générale du tout, mais uniquement a la volonté particuliere du gouvernement , ct en piötendant lier par lii la pos» tdrité même, ce font des aftes incompatibles avec euxmemes c: des exemples , qui ne peuvent jamais former un droit. Si cela étoit, 011 pourroit y eu ajouter divers autres de date plus récente, d'oti fon- pourroit peut-être inférer encore quelque chofe de plus au préjudice des peuples. Mais tous ces exemples ne feroient pas plus conclaaiis pour établlr ce qui est de froit. Nullement: — teut gou-  PE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. s> Je crois donc pourvoir conclure que lananire même de la chofe nous apprend qu'on ne peut fup- geuverncment, dit rousseau (Contr. foc. Ihr. 111. Ch. i.p.'9,)eft un corps intermédiaire étabPi entre les fujets & le fouverain pour leur mutuelle correspondance, chargé de Pexécution des loix , & du maintien de la liberté, tant civile que politigue. Les membres de ce corps s'appellent magistrats ca roi s, c'efl-a-dire, gouverneurs, Sf le corps entier porte le nom de p r i n c e. Ainfi ceux qui prétendent que PaSe, parlequel un peuple fe foumet a des chefs , tfejl point un contrat, ent grand raifon. Ce n'ejl abjolument qifune commiffwn, un emploi dans lequel, fimples officiers du fouverain , ils exercent en fon nom le pouvoir dont il les a fait dépofitaires, & qtpil peut limiter , modifier & reprendre quand il lui pla't Valiènation d'un tel droit e'tant incompatible avec la nature du corps focial , & contraire au but de Pasfeciation. yappelle donc gouvernement ou fuprême adminiJlration Pèxercice lêgitime de la puifjance exécutive, & prince ou magijirat, l'homme ou le corps , chargé de cette adminijlration. Ceft dans le gouvernement que fe trouvent les fords hiterinédiaires, dont les rapports compofent celui du tout au tout ou du fouverain a Pétat. On peut rèprefenter ce dernier rapport par celui des extrêmes d'une proportion continue , dont la moyenne proportionnelle efl le gouvernement. Le gouvernement regoit du fouverain les ordres qtpil donne au peuple, & pour que Pétat foit dans un bon éqttilibre, il faut, tout compenfè, qiïil $ ait égalitê F 4 en'  88 DE UÉGALITÊ DES HOMMES &cJ fuppoter qu'il fe foit fait d'autre contract focial que celui que j'ai tantöt décrit; ec que 1'égalité entre le produit ou la pwjfance du gouvernement pris en lui. même & le produit ou la puifjlmce des citoyens, qui font fouvera'ms d'un cotc' & fujets de Pautre. De plus, on ne fauroit altérer aucun des trois termes fans rumpre a Pinflant la proportion. Si te fouverain veut gouverner, ou fi le magiflrat vent donner des loix, ou ft les fujets refufent dPobéir , le de'sordre luccede a la regie, la force & la volonté' n'agiffent plus de concert, & Pétat disfout tombe ainfi dans le despotisme ou dans 7anarchie-. Enfin comme il n'y a qu'une moyenne proporïionnelle entre chaque rapport, il n'y a non plus qu'un bon gouvernement pojjible dans un état. Mais comme mille êvénemcns peuvent changer les rapports d'un peuple, non feulement different gouvernemens peuvent être bons a divers peuples , mais au même peuple en dijjérens temps. —_ Le gouvernement, a parler avec précifion , est donc tout autre chofe que le fouverain. Celui - ci est la nation, et celui-la 1'exécuteur de la volonté de la nation. Tout peuple a plein droit d'arrêter un tel gouvernement, et il peut choifir pour cela celle forme qu'il veut. Mais aucun peuple ne peut moralement céder en même temps la fouverainité fur foi-raême ou Ia détermination de fa propre volonté t. ce gouvernement ou a quelqu'un d'autre hors de foi. Une pareille cesfion priveroit tout citoyen de fes droits naturels, que nous avous vu qui font indisfolublemeni attachés a la qualité d'homme. Un homme; ae peut s'obliger 3 une feryitude aveugle et öter par & a fes  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c 89 Iitó des hommes, comme tels, n'ayant pu être anéantie ou altérée par ce contraét, aucune autre inégalité ne peut avoir lieu dans la fociété, que celle qui réfulte de ce que rélativement a Pintéret commun , chacun doit foumettre fa volonté particuliere a la volonté générale de la fociété et obéir a celui qui est chargé de fon exécution; que même, tout bien confidéré, ceci n'est pas une différence ou une inégalité. — „Par quelque cöté," dit trés bien 1'ingénieux rousseau e», „qu'on remonte au principe „de la fociété, on arrivé toujours a la même „concluflon, favoir que le pafte focial établit „entre les citoyens une telle égalitê qu'ils „s'engagent tous fous les mêmes conditions, et doivent jouir tous des mêmes droits. „Qu'ainfi par la nature du pafte, tout afte de „ fouveraineté, c'est-a-dire tout afte authenti- „que & fes aftions toute moralité. Et la fociété, qui n'est pas gouvernée par elle - même , mais par une volonté qui ne dépend point d'elle, enfreint fégalité des droits de l'homme, et n'a par conféquent dans ce fens point de liberté civile. — Les procédés des peuples , auxquels grotius en appelle, de la rnaniere que nous avons dit, étant confidérés fous ce point de vue, pourront par conféquent être aifément appréciés. (a~) Contr.foc. liv. II. chap. W. ƒ>. 42. F 5  $ó DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. „que de la volonté générale oblige ou favo„rife égalemenc tous les cicoyens, enforte que „le fouverain connoit feulement le corps de „la nation et ne distingue aucun de ceux qui „ la compofent." Ce n'est ausfi que fur ce pied feul que la fociere civile roe fembie f,- prêter a ce que la doctrine Ie Jéfus.Christ et de fes Apötres puisfe s'app iquer véntabiemenc a fes membres particu .c s Gëtte doctrine, comme nous 1'avons Vu, pofe pi Ui fondeim-nt une charïté fratemelle et univerjele, er rous meuique presqu'a chaque page, A'aimer r.otreprochain commenous-mêmes; ainfi de virre avec lui comme membres d'une même fociété de freres. Mais comment cette doctrine feroit elle inteiligible; comment du moins feroit - elle praticable pour des hommes, vivant dans une fociété civile, fi 1'on ne pofe, comme un principe fixe et immuaMe, la dite égalitê des hommes et 1'obligation abfolue de fe confidérer rnuaicTcmcnt comme égaux? Si la" iiaisfance fcule pouvoit mettre de Ia différence entre hommes et hommes; donner une fupériorité de droits a celui-ci au desfus de celui-ia, et qu'ainfi 1'un fut crée noblc, et 1'autre roturier? — Dans cc cas les lecons et les préceptcs du fondaSeur de la religion chrécienne, que nous avons mentionncs, feroient infructueux parmi des peu- pies,  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES Sec. 91 pies, qui s'écoient dcja réunis en fociétés, ec touc fon plan auroit écé irnposfible a exécucer, la oü il avoic entr' autres pour but d'établir fur la terre une charité fraternelle et üniverfelle, ec d'effeémer ainfi que la volonté de fon pere célcste y fut faite comme au ciel. ■ Ceux qui apprécient en quelque rnaniere les principes fublimes de fa religion, ne 1'accuferonc certainctnent pas de n avoir pas voulu les étendre a tous les hommes, h ceux même qui vivent fous lc contraft focial; ils font donc ausfi obligés de convenir que torna fociété civile doit être confiicuéc de rnaniere que les points fondamentaux de fa doctrine, Sn? en cxccptcr aucun, puisfent y être appliqués H chacun en particulier, ec qu'il n'est pas permis de les énerver, beaucoup moins de les ancancir par quelque écablisfement humain. Je vais donc montrcr qucls font les droits qui femblent réfukcr nécesfairement d'un tel contraM focial, et desquels il faut par conféquent quon jouisfe dans toute fociété civile. SEC-  $i de l* Égalitê des hommes &c. s e c t i o n il CHAPITRE n. Des droits qui naisfent de Végalitê des hommes dans l'état civil. T 'es droits qu'un contracl: focial, tel que celui dont le fondement et le but ont été démontrés dans le chapitre précédent, asfue a tout membre indépendant (i) de Ja fociété et qui ne fe trouve pas dans un tel état d'abaisfement, qu'il est généralement reconnu pour n'avoir point de volonté propre f», font donc nécesfairement. I. De pouvoir voter dans 1'asfemblée législative de toute la fociété, foit en perfonne, foit par un corps de repréfentans, au choix desquelsil a eu part; et en conféquence de concourir ou par lui-même, ou par un femblable corps, è déter- fji) Voy. ci-desfusp. iq. (2) Tels, p.ex., que les mendians et ceux qui fon» métier de pe fubfifter que des charités de 1'Egüfe et (Tao«aónes publiques.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 95 déterminer la volonté de toute la fociété dans routes les chofes, fans exception, qui font nécesfaires pour établir et nvancer le but de 1'asfociation; et a exiger de chacun des membres la foumisfion et 1'obéisfance a la volonté de la Sociécé (i). 2. De (O Ce m'est une finguliere fatisfaftion que montes. qui eu asfigne ce même droit a tout citoyen dans une fociété civile, et que je puis ainfi appuyer mon fentiment fur ce point de celui de ce grand homme, du moins pour 1'esfentiel. „Comme dans un état libre," dit-il QEsp. dei hixliv. XI. ch. FI. p. m. 123.) „Tout homme, qui est „cenfé avoir une aine libre, doit être gouverné par lui" „même, il faudroit que le peuple en corps eik la puis« „ fance législative Mais comme cela e t imposfible dans „ les grands états, et est fujet a beaucoup d'inconvénients „ dans les petits, il faut que le peuple fasfe par fes reprénfentans ce qu'il ne peut faire p^r lui-même. „L'on connolc beaucoup mieux les befoins de fa ville, „que ceux des autre.s villes , et on mge mieux de la „ capacité de fes voifins, que de celles de fes autres conw „patriotes. 11 ne faut donc pas que les membres du corps „ légMatif foient tirés en géuérsl du corps de la nation , „mais il convient que dans cheque lieu principal les „habitans fe choifi^fent un repréfentant. „Tou-; les citoyens dans les divers diftrictts doivent „avoir droit de donner leur voix pour choifir le repréfen„tant, excepté ceux , qui font dan un tel état de basr, fesfe qu'ils fout réput4s u'avoir poiut de y0!01^ propre. • 9  04 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. . s. De faire tout ce qu'il juge a propos et qui n'est point contraire a la volonté expresfe de tout ie corps, a laquelle feuk il est asfujetti; fujettion cependant, qui ne peut s'étendre plus loin, qu'a ce qui fait 1'objet de cette volonté même, favoir aux mefures nécesfaires a prendre pour mettre la liberté, la perfonne et les biens particuliers de chaque individu en füreté: enforte que pour tout le reste il est demeuré ausli libre et indépendant qu'il 1'étoic auparavant. Donc, 3. De.penfer, de dire et d'écrire ce qu'il veut, lorsque le droit d'un autre n'y est point léfé. Spécialement, 4. De fervir Dieu felon fes proprcs lumieres et fes proprcs conccptions: ou de pouvoir profesfer et pratiquer tel mode de culte, qu'il croit le plus agréable a 1'Etre fuprême: vu qu'il n'a jamais pu „ II y avoit- na gracd vice dans la plupart des anciennes „ républi.ques, c'est que le peuple avoit droit d'y prendre „ des réfolutions actives et qui deraandent quelque exécu» „ tion, cbofe dont il est entiéreraent incapable. II ne doit „ entrer dans le gouvernement que pour choifir fes repré„fentans, ce qui est tres a fa portée. Car s'il y a peu de n gens, qui connoisfeut le degré précis de la capacité „des hommes, chacun ast pourtant capable de favoir eu „général, fi celui qu'il choifit, est plus éclairé que Ia w plupart des autres."  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES. &c. 95 pu s'obliger a fe conformer en ce point aux préceptes ou k la volonté d'un autre, bien entendu néjiimoins que !e bon ordre, établi par la volonté générale, c'est-a - dire , la loi, ne foit point troublé, ou les droits égalemenc facrés des autros diininués, par 1'ex-rcice de fa rciigion. 5. D. défendre fa vie et fes biens par toutes les meilleures voies posfibles, même aux dépens de la vie de Faggresfeur; lorsqu'ils font attaqués d'une rnaniere violente, fans qu'il puisfe reclamer le fecours du magiftrat civil, établi par la fociété. 6. De pouvoir dispofer de fes biens a volonté , avec la feule excepdon peut-être de les donner ou de les léguer a 1'ennemi déclaré de la fociété dont il est membre. 7. De ne pouvoir, fous quelque prétexte que ec foit, être privé de fa propriété ou de fes biens, a moins que le befoin public, clairement conltaté et jugé tel par 1'asfemblée législative de la fociété, ne Fexigeat; ec alors feulement encore moyennant un dédommagement juste et préalable. 8. De détermincr, par lui-même ou par fes légitimes repréfentans, les impóts, qui font demandés et doivent être portés par la fociété, pour Fentretien de Fadminillration publique. Ce que Locke dit a ce fujet, est excellent (a): „Si „ quel- (*) Da Ceuvern. civil Chap. X. §. VII. p. ipi ruii>t  96 DE V ÉGALITÊ DES HOMMES &c.: „ quelqu'un précendoit avoir le pouvoir d'impofer ec de lever des taxes fur Ie peuple, de fa propre autorité et fans le confentement du peu- „ ple , il violeroic la loi fondamentale de la „ proprieté des chofes et décruiroit la fin du gouvernement. En effet, comment me peut appartenir en propre ce qu'un autre a droit „ de me prendre lorsqu'il lui plaira?" 9. De concourir a demander co npte et raifon a tout agent public de fa gestion et de fon admimftration. 10. De traiter tous les hommes indifféremment, comme fes egaux, comme fes confrères, comme membres du même corps civil, qui n'ont abfolument point d'autres droits que lui-même , et qui par cette raifon ne fe peuvent rien arroger au-desfus de lui, qu'autant que chacun doit de Fobéisfance, de la foumisfion et du reipeét a ceux qui ont été établi par la volonté de la fociété même, les executeurs de fes loix et de fes regiemens. — „ La liberté politique dans un cito„ yen," dit montesquieu (^), „est cette „ tranquillité a'esprir qui provient de 1'opinion que „ chacun a de fa fureté; et pour qu'on ait cette „ liberté il faut que le gouvernement foit tel „ qiCun citoyen nepuisfepas craindt e un citoycn" 11. D'être f» Esp. des loix Liv. XI. Chap. VI. p. in. 122.  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 9; 11. D'être éligible pour toutes les dignités, emplois et places, qui onc lieu dans la fociété, fans autre différence que celle des vertus ec des talens de chacun. ,,La république," difoit 1'ambasfadeur fabricius au roi Pyrrhas (V), „ en admettant également aux emplois publics le riche et le pauvre, égale tous fes citoyens „ et ne reconnoit entr'eux d'autre différence que 3, celle du mérite ec de la vertu." 12. De ne pouvoir être accufé juridiquement, arrêcé ou emprifonné que dans les cas décerminés et felon les formes prefcrites d''avance par la loi. Je dis: d''avance. Car la loi feule déclare la volonté de la fociété , et limite la liberté naturelle de chaque particulier; fans laquelle dcclararion et limitation il pourroit autremenc en ces points mêmes (a 1'exception neanmoins de ces chofes qui étoient déja défendues a l'homme dans 1'étac de nature, donc les devoirs 1'obligenc toujours,) il pourroit agir comme bon lui fembleroic, et ainfi il ne lui feroic pas posfible de cransgresfer Ia loi. Touce autre accufacion , decention ou emprifonnement, qui n'ont point été exprimés d'avance par la volonté de la fociété , feroienc nuls ec une pure violence. „ Dans cous les états donc, tj») DiOiN d'halicarn. Excerpt. Ugat. p. 744—74 %. G  93 DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. „ donc", dit encore locke (ö) „le pouvoir de „ ceux qui gouvernenc, doit être exercé felon „ des loix publiées et recues, non par des arrêts „ faits fur le champ et par des réfokuions arbi« traires : car autrement on fe trouveroit dans un plus triste et plus dangcrcux état, que n'est „ Fétat de nature , fi Fon avoit armé du pou„ voir réuni de toute une multitude une per„ fonne , ou un certain nombre de perfonnes , 5, afin qu'elles fe fisfent obéir felon leur plaifir, „ fans garder aucunes bornes, et conformément „ aux decrets arbitraires de la première penféc j, qui leur viendroit; fans avoir jusqu'alors donné ,, a connoltre leur volonté , ni obfervé aucunes „ regies qui pesfunt justilier leurs aétions." 13. Au cas qu'il foit coupable et qu'ainfi il foit jugé nécesfaire de 1'arrêter et de le mettre en prifon, de n'être dans aucun cas traité avec plus de rigueur, qu'il n'est abfolument nécesfaire, pour s'asfurer de fa perfonne et le tenir fous füre garc[e> Ces précautions étant fuffifantes pour remplir le but de la fociété; on ne fauroit préfumer que les membres particuliers aient voulu s'obliger a quelque chofe de plus par le contractfocial. 14. De pouvoir fans le moindre empêchement faire Cd) Da govvem. civ., Chap. IX. §. IV. p.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 9t> faire un libre ufage de la terre, des mers des rivieres et des eaux qui s'y trouvenc, autanc qu'il n'en a pas déja aétuellement écé pris posfesfion ou fait ufage. Pareillement. 15. De touces leurs produclions. Et finalement. 16. De cransporcer, oü il veuc, 1c fuperflu de ces biens, donc lui-même ou la fociécé n'onc pas befoin , pour les échanger contre d'autres , les vendre ou entrafiquer, comme bon luifemble; en un moe: de commercer par-tout lans la moindre gêne: car la terre, les mers , les rivieres et Jes eaux avec tout ce qu'elles produifent, nepeuvent appartenir a des perfonnes ou a des Sociétés parciculieres, qu'autanc qu'il en a écé pris posfesfion de fait et qu'elles peuvent être aétuellement employées: vu que 1'Auteur libéral et bienfaifant de toutes ces chof.s, les a touces créées et données pour l'ufage de cous fes enfans, ec que chacun en parciculier y a hors de la un droic égal ec qui ne peuc lui êcre öcé. Après avoir pcfé avec atcencion les fondemens fur lesquejs, il me femble , que 1'asfbciacion repofe encore aétuellement, ou devra convenir, je penfe, que les droits de chacun de fes membres doivent fe rapporter aux chefs indiqués, ec que ceux-ci feuls font compatibles avec fégalité G 2 cc  ïoo DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &e. et 1'indépendance naturelle des hommes. Toute autre fociété dans laquelle ces droits ne feroient point exercés en-entier par chacun des membres, péchcroit contre le véricable but pour lequel elle a été établie, et ne fauroit être dite libre a eet égard. Les droits civils font par conféquent dans le fait des droits, originaires du feul auteur de la nature; nullement de quelque pouvoir humain , qui pourroit être cenfé les accorder. La fociété ne peut donc les enlever aux hommes. Son but,comme nous 1'avons vu, ne le demande pas non plus. Au contraire il les confirme et les garantit. D'un autre cóté je penfe, que tous les droits ultérieurs , qu'on pourroit juger appartenir a l'homme, dans 1'état civil, et qu'au premier coup d'oeil peut-être on ne trouveroit pas compris parmi les articles fusdits, paroïtront cependant, après qalus mür examen , pouvoir en être déduits ou y être rapportés facilemcnt. . Je n'y ai pas, par exemple, dit expresfément que chaque membre a le droit de concourir a determiner et a établir telle forme de gouvernement qu'il pourra juger nécesfaire pour atteindrc le but de la fociété. Mais ce droit me paroisfoit asfez clairement renfermé dans le premier article , qui lui accorde voix dans l'asfemblée législative de la fociété , pour aider ainfi  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. io» a détermincr en toutes chofes la volonté du corps; puis qu'il parloic de foi-même que ce droit comprenoic celui d'aider a regler la forme du gouvernement, Mms laquelle la volonté de la fociété ne fignifieroit rien, c'est - a - dire , resceroit fins eftér. Par la méme raifon je n'ai pas non plus articulé féparément et asfigné a chaque membre de la fociété le droit de concourir a former ou a rompre des alliances, et par conféquent a faire la paix ou-la guerre, a regler la for.ne des procédures juridiques, a ériger des cours ec des tribunaux de justice et autres objets de cette nature: par ce que tout cela est fuffifamment contenu dans le droit général, exprimédans cc même article; — et qu'il paroisfoit ainfi inutile d'y faire, a 1'imitation de quelques philofophs anciens et modernes, des fousdivifions et de charger celles-ei de nouvelles distinttions, qui auroient aifément pu donner lieu a cc que 1'un ou 1'autre point eüt été omis et par la rendu douteux: comme cela est arrivé a quelques-uns d'entr'eux. C'esc pourquoi j'ai cru , qu'une regie générale, uniquement circonfciite par des excéptions formellement exprimées, comme cela c'est fait dans divers articles fuiyans , feroit plus fiire et plus certaine. Du reste, vous aurez certainement reraarqué, G 3 M9 S,  Ï02 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c messieurs ! que ces exceptions s'accordent ausfi peu, que la regie générale même, avec le fyftême et la doctrine de rousseau. — Celuici prétend que la fociété est „une asfociation „qui défcnd et protégé de toute la force com„mune la perfonne et les biens de chaque asfo„cié et par laquelle chacun s'unisfant d tous, „n'oBÉIT POURTANT qu'h lui-MÊME „ET RESTE AUSSI LIBRE Qü'aUPARA- „vant — Cette thefe est evidemmenc fausfe , et lorsqu'on ne veut pas fe jouer des mots , elle contredit directement le but princi. pal du contraét focial même ; lequel tend fans doute a asfujettir chaque membre , dans ce qui concerne la fociété, a la volonté générale; et attendu qui cette volonté peut être fixée ausfi bien par Ja pluralité que par 1'unanimifé , ausfi bien par repréfentation qu'en votant en perfonne , il est clair que je ne fuis pas restè ausfi libre que je Vétois auparavant, lorsque je n'avois rien a démêler avec cette volonté de la fociété, paree que je ne m'y étois foumis par aucun contraét. — Et autant que cette propofition, confidéréc en elle-même, paroit in compatible avec la nature des chofes, autant femble-t-elle en même temps contradictoire a la doéïrine que rousseau y fait fuivre immédiatement, et presque tout d'une ha- X*) Corttr. Stc. liv. J. chap, VI. ƒ>. ï?.  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 103 haleine, „ que ces claufes fe réduifent toutcs a „une feule, favoir 1'aliénation totale de chaque „asfocié avec tous fes droits, a toute la commu„ nauté (ji) ;" enforte qu'en écartani du pafte focial touc ce qui n'est pas de fon csfence, on trouveroit qu'il fe réduit a ceci : „ Chacun de „nous met en commun fa perfonne et toute „sa puissance sous la suprème di„rection de la volonté générale; „et nous recevons en corps chaque membre „comme partie indivifible du touc (»." Car comment accorder cette aliénation avec 1'idée d'une fociété oü chacun reste ausfi libre qu'il Vétoit auparavant et n'obéit qu'a lui - même ? Comment la concilier avec ce que rousseau dit un peu plus bas , que quiconque refufera d'obéir a la volonté générale, y fera contrahit par tout le corps (c) ? Car perionne ne prendra a eet égard pour une bonne raifon ce qu'il y ajouce, afin de pallier la chofe, que cela ne fignifieroit autre chofe, finon qu'on le forcera d'être libre! Mais on pofe tres abufivement outre cela que chaque membre de la fociété auroit mis fa perfonne (a) Contr. foc. liv, I. ch. VI. p. 18. O) Bid. p. 19. Co nu. p. =3. G 4  104 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. forme et toute sa puissance fous la fuprême dire&ion de la volonté générale. Cela n'est vrai qu'autant qu'il est nécesfaire pour le but de 1'asfociation ; et il n'est pas befoin pour cela, comme nous 1'avons vu, de 1'aliénation totale de toute la pu:sf.mce ou de tous les droits de chaque individu, llya même des droits, qui apartiennent a l'homme, et qu'il ne peut transporter a aucun autre, ni a une fociété; comme celui de fervir Dieu felon que bon lui femble ; ou de prendre , rélativement a des vérités religieufes , le diétamen de fa propre conscience , et non les décifions des autres hommes, pour la regie de fa conduire. Pvousseau 1'a bien fenti lui - même ; cnr dans la fuite , en traitant des bomes du pouvoir fouverain, il dit: On convient que tout ce que chacun aliene par le pa&e focial de fa puisfance , de les biens, de fa liberté, c'est seulement la partie de tout cela dont l'usage importe a la co mmu nauté; mais il faut convenir ausfi que le fouverain feul est juge de cette impor- tance (a\ Cette conclufion est de nouveau entiérement incompatible avec ce qui précede; Si la fociété même devoit juger de tout,favoir, fi telle ou telle partie des droits particulicrs de chacun auroit été cédée a tout le corps, et fi elle pout-* O) Conti: foc. liv. II. chap. IV. P- 3S>«  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 105 pourroit en conféquence en dispofer, tellemenc, que dans tous les cas chacun fut tenu de fe regler fur cette décifibn ; elle pourroit être réellement ausfi abfolue, ausfi arbitraire, ausfi tyrannique dans fes decrets, que le gouvernement monarchiquo, aristocratique et despotique le plus mauvais 1'a jamais été ; et il imporceroit peu que cette tyrannie fut exërcée par le fceptre et la couronne ou fous le nom impofant d'asfemblée nationale. — En effet quand cette asfemblée feroit compoféc de tous les membres individuels du corps entier, elle pourroit être fouvent dans le cas de devoir conclure a la pluralité, ct fi elle n'étoit forméc que par les réprefentans de la nation, elle devroir. le faire pareillemenc: fi donc cette pluralité n'étoit tenue a d'autre regie qu'a fa volonté fouveraine et qu'elle put décidcr tout felon fon bonplaifir, fans être liée par aucune loi ou aucuus droits, divins ou humains; je demande quel garant chaque membre de la fociété pourroit avoir de la füreté de fes droits les plus inébranlables -y et de ne point être privé chaque fois de ces mêmes droits, de ces mêmes biens , pour la confervation desquels il est entré dans 1'asfociation ?— Et pourquoi une asfemblée du peuple ou de fes réprefentans pourroit-elle moins être asfujettie a des exceptions ou a des restriétions dans 1'excrcice de fa volonté , que tout autre corps établi G 5 pour  X0t5 DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c; pour décider, fous 1'un ou 1'autre rapport, des droits, biens, proprietés &c. dequelqu'un? Pourquoi feroit - il moins permis d'excepter de la fubordination a la volonté générale certains droits de chaque individu, tels que nous avons allégués ci-desfus; que rousseau même en excepte des cas ou droits particuliers , oü des perfonnes privées d'un cöté cc le public de 1'autre fonc inréresfes f»? Non , „quoique le pouvoir légis„latif foit le fhpreme pouvoir d'un état," dit locke O); » cependant il n'esc et ne peut être „abfolument arbitraire fur la vie et les biens du „peuple. Car ce pouvoir n'étant autre chofe „que le pouvoir de chaque membre de la fociété, „remis a certc perfonne ou a cette asfemblée, qui „est le législateur, ne fauroit être plus grand que „ celui que toutcs ces différentes perfonnes avoient „ dans Pétat de nature avant qu'ils entrasfent en „fociété, et eusfent remis leur pouvoir a la com','munauté qu'ils formerent enfuite. Car enfin „ perfonne ne peut conférer a un autre plus de "pouvoir qu'il n'en a lui-même: or perfonne „n'a un pouvoirabfolu ct arbitraire fur foi-même, ou fur un autre , pour s'öter la vie , ou pour „la ravir a qui que ce foit, ou lui ravir aucun bien O) Contr. foc. liv. II. chap. W. p. 41. (F) Du Couvcrr.cm. ch. chap. X. §. II. p. til.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 107 ;,bien qui lui apparrienne en propre. Un homme „ne peut fe foumettre au pouvoir arbitraire d'un „autre; ct, dans 1'état de nature, n'ayant point „un pouvoir arbitraire fur Li vie, fur la liberté, „ou fur les posfesfions d'autrui, mais fon pouvoir „s'étendant feulement jusqu'oü les loix de la na„ture le lui -pcrmettent, pour la confervation de „ fa perfonne , ec pour la confervation du restc „ du genre humain; c'esc tout ce qu'il donne et „qu'il peut donner a une fociété ; ec, par ce „moyen, au pouvoir législatif; cnforte que le „pouvoir législatif re fauroit s'écendre plus „loin." J'ai cru devoir réfucer cecce propoficion de rousseau d'une rnaniere un peu décaillée, paree qu'il m'a paru que 1'asfemblée confticuance des Francois a faic encr'autres un abus trés réel de cetce idéé , en porcant atteinte a plufieurs especes de propriété, et en s'en arrogeant la dispofition , comme fi toute propriété devoit être cenfée avoir été remife a la communauté et lui apparcenir légicimemenc. Rien en vérité n'est plus dangereux dans une fociété civile, que cette prétention , ni plus fait pour introcuire le pouvoir le plus arbitraire, fous prétexte d'avancer le bien public: comme 1'expcrience Pa. déja montré: car il femble que la préfente asfemblée législative (1), con- CO ICeei fat icrlt êki-qi.]  io8 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. concinuant a marcher dans la route qui lui a été frayée,ne le cédera point a fes prédécesfeurs, en attaquant et anéancisftnc diverfes propriécés, auxquelles on n'avoic pas encore touché; ce dont elle fe fut trés vraifèmblablemenc abftenue, fi elle n'avoit eu eet exemple devant les yeux. — Mais cette thefe dangereüfe de rousseau, ou plutöt cette contradiction ou il esc tombé avec luimême, est provcnuc, felon tóutes les apparences, de cc qu'ayanc pofe dans une autre occafion, que l'homme ne foutenoit, dans fétat de nature, aucune rélation morale avec fon prochain ; et ne connoisfoit ainfi a fon égard ni dious ni devoirs; ce dont il a été parlé plus au long ci-desfus; il ne pouvoit pas bien lui adjuger aétuellement dans fétat civil d'autres droits, que ceux qui émanoient du contrall focial même. Ec par cecce raifon il devoit 1'y foumettre entiérement, comme il devoit Télever par fon moyen a la condiuon cTun homme, qui venoit a préfenc d'acquérir des droits et de deyenir fusceptible de devoirs mor aux, Mais tantót il fe préfentoic divers poincs, qu'il ne pouvoic ni prouver, ni décermincr foic par cet asfujettisfement, foic par cette élévation; ec tancöc il étoic forcé d'avoir recours a des hypothefes cc a des raifonnemens , qui dérivanc des droits naturels et inaliénables de l'homme, hcurtoient de front les principes qu'il avoit précédem- raent  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. io*< ment pofés du moins qui ne s'y-. accordoient pas: obfervation qu'on ne fauroit avoir asfez devant les yeux , en lifanc le contracl focial de eet auteur. Je penfe ainfi pouvoir tenir pour fuffifiimmenr démontré les droits de rhomme, dans 1'étan civil, tant par rapport a Ia volonté générale de la Fociété , qu'cu égard a ceux qu'il ne lui a pas foumis et qu'il s'est réfervés, tels que je les lui ai asfignés; je vais donc parler des- devoirs, qui, dans ce même état, font impofés k tout homme. SE O  ho DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c S E C T I O N IL CHAPITRE III. Des devoirs, qui naisfent de Végalitê des hommes dans l'état civil. .A-utant qu'il peut importer a 1'homme d'avoïr appris a connoitre fes droits, comme citoyen , touc autant doit-on compter qu'il lui importe de bien entrendre et d'avoir conftamment devant les yeux fes devoirs en cette qmlité, afin qu'il n'abufe point de fes droits, pour anéantir les vues dans lesquelles ils lui ont été accordés, et renverfer les droits des autres qu'il devroit défendre. Et quoiqu'en y réfléchisfant attentivement, il ne foit pas difficile de déterminer ces devoirs,en lesoppolant aux droits de chaque individu, il ne fera cependant pas inutüe, que nous nous occupions quelques inftans a en faire 1'énumération. Le premier devoir qui s'offre d'abord ici, a tout citoyen, confifte a laisfer jouir tout membre de la fociété tranquillement et de la rnaniere la plus abfolue de tous les droits, qui lui reviennent, comme citoyen, et que nous avonsci-desfus mar-  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. ur marqués; jusque-la même qu'on doit 1'aider en toute rnaniere dans leur cxercice. Si chaque citoyen avoit toujours ce devoir devant les yeux et le pratiquoit, il ne fe pasferoit jamais rien dans la fociété, dont il eüc lui-même fujet de fe plaindre, et tandis que les droits de tous feroient confervés intacts, il jouiroit des fiens propr-es dans Ia plus grande étendue. L'obfervation la plus parfaite des devoirs de chacun esc fans contredit le plus fur garant posfible des droits civils de chacun et le moyen 1c plus efficace de les faire valoir. 2. II doit fe foumettre avec un égal empresfement a la volonté générale dc la fociété, dans toutes les chofes qui la regardent; appuyer cette volonté, ct, autant qu'il depend de lui, lui faire rendre 1'obéisfance la plus ftricte. II s'est enticrement foumis dans ces cas a fa décifion; ct ne peut par conféquent s'y oppofer fans crime. Ses devoirs s'étendent ausfi loin que fes droits. Autant qu'il est fondé a reclamer ceux. ei, autant la fociété est-elle fondée a infilter fur ceux-la, et par conféquent èi prétendre de fa part la fournisfion la plus exacte a fa volonté. Elle est donc ausfi plcinement en droit de 1'y obliger. Mais ce devoir bien entendu et pratiqué est finguliément propre' a procurer le plus grand bonheur posfible de chaque membre ; en prévenant tout trouble dans la fociété, et en facilicant extrémemen c  iifl DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. ment les opérations du gouvernement. Un tel état, fur-tout fi la forme du gouvernement y étoit portée a ce degré de perfcétion dont elle est fusceptible, ct qui feule pourroit préferver toujours la fociété de confufion, feroit une des plus heureufes fociétés fur la terre; et chacun de lés membres auroit la jouisfance la plus paifible de tous fes droits, ct feroit de foi-même en füreté contre toute injuftice et violence. Chaque membre de la fociété a donc le plus grand intérct a 1'obfervation exaéte de ce devoir , et a tenir la main qu'il foit pratiqué par tout le monde. Rien ne porte plus direétement atteinte a Fégalité des droits de chaque horome, que la violation de ce devoir; ct n'est plus propre par fa nature a produire Fanarchie avec routes les calamités, qui Faccompagnent tousjours, comme a disfoudre une fociété libre, c'est-a-dire , fondée fur fégalité des droits de l'homme. 3. Tout membre de la fociété est tenu d'expofer fa vie poür fa défenfe ct fa confervation, lors et ausfi fouvent qu'elle le jugera nécesfaire. „Le traité focial," dit fort bien rousseau f», „a pour fin la confervation des contraétans. Qui „veut la fin, veut ausfi les moyens, t ces „moyens font inféparablcs de quelques risques, „mé> (a) Contr. fot. Liv. II. Chap. V. p. 45.  DE V ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 113 „même de quelques perces. Qui veut conferver ,-,fa vie aux dépens des autres, doic la donner „ansii pour eux quand il faut. Or le „citoyen n'est plus juge du péril auquel la loi „veuc qu'il s'expofe." Sans cela ausfi il feroic trés fouvenc imposfible de fauver 1'état. Et lorsqu'un cicoien expofe fa vie pour la défenfe de 1'état, que faic-il que lui rendre ce qu'il en a recu, favoir la fürecé ec la proteétion? — 5,Que fait un citoyen," demande rousseau fV), „qu'il ne fit plus fréquemment et avec plus de danger dans fétat de nature lorsque „livrant des combats inévitables , il défendroit „au péril de fa vie ce qui lui fert a la con„ferver? Tous ont a combattre au befoin pour „la patrie, il est vrai, mais ausfi nul n'a jamais „a combattre pour foi. Ne gagne-c-on pas „encore a courir pour ce qui fait notre füreté „une partie des risques qu'il faudroit courir „pour nous-mêmes fitöt qu'elle nous feroit „ötée?" „Un craicre a fa pacrie ne mérice „pas plus de blame," die ciceron (h) pour cecce raifon, „ que celui qui fe foustraic a IV- Ibid. Chap. IV. p. 44. (Ji~) De finib. bon. et mal. Lib. III. 1 Je demande en même temps la liberté de montrer encore briévement dans une feclion particuliere les conféquences importantes pour 1 'humanité en général, que je penfe , qui doivent découler des principes que j'ai pofés, et qui par cela même méritent en tout fens 1'attention de toits les peuples de la terre.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. ca* S E C T I O N IL CHAPITRE IV. Réfutation de quelques confulér ations, qui ont été fait es contre Fégalité deshommes, et contre les droits et devoirs, qui en émanent dans Fétat civil. T J-/a première confidération, que j ai en vue et que j'ai trouvée dans la plupart des écrits , qui ont paru contre ceux , qui ont pofé 1'égalité de droits de tous les hommes pour bafe de leurs recherches fur les fociétés,revient k ceci:„qu'une „fociété ne fauroit iubfiftcr, oü une femblable, fégalité de droits entre tous les citoyens, auroit „lieu; qu'il ne fauroit y avoir une fubordination „véritable ou fuffifante, et que ces états ne pour* „ roient manquer d'êrre agités par des disfeniions „perpétuelles et violentes , qui en feroient des ,,théatres fanglans de calamité et d'anarchie." — Mais je proteste férieufement, que rien ne me paroit moins appiicable a fégalité des droits et devoirs des individus dans 1'état civil, que cette reflexion. Si chacun fatisfaifoit au droit, qui lui appartient, ec touc-a-la fois a obligation, qui lui  tt6 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. lui est imposfée, il feroit abfolument imposfible , que rien de ce qu'on prétend, eüt lieu dans cette fociété. La foumisfion même la plus parfaite — la plus caraétéristique y regneroit. Car vu que le droit de 1'un emporte un droit tout femblable pour 1'autre; vu que le droit et le devoir font ici dans la Iiaifon la plus étroite: il faut que chaque membre de la fociété laisfe h fon compagnon 1'ufage complet et paifïble de fes droits puisqu'il n'a point d'autres, ni de meilleurs fondemens a produire pour les fiens propres. Son droit emporte par conféquent en même temps fon devoir envers autrui; et lorsque le premier lui est bien expofé et répréfenté, il doit être du plus grand poids pour f engager a pratiquer le dernicr, envers les autres, et le rendre extrêmemcnt fcrupuleux fur ce point. Et pour ce qui est de la fociété même, favoir, par rapport a la foumisfion nécesfaire a fa volonté, je ne puis non plus concevoir de motif plus fort et plus presfant, que celui, qui réfulte du concours de chaque individu a déterminer la volonté .générale foit en perfonne, foit par des repréfen. tans, nommés h cette fin; comme du droit que tout le corps a de contraindre fes membres parti.culiers a 1'obfervation de cette volonté manifestce. Car je penfe d'un cöté , qu'il y a tout lieu de croire, qu'une loi, a laquelle chaque membre aura concouru ec confenti de la rnaniere fusdite , trou-  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. m? trouvera plutöt de 1'obéisfance, fera mieux obfervée et exécutée, que fi elle étoic fimplement la volonté particuliere d'un feul ou d'un petit nombre de législateurs, qui n'auroient pas été choifis par tour le corps; et d'un autre cöté, qu'une telle loi étant foutenue par la volonté de la fociété entiere , et pouvant être protégée et mife en exécution par les forces et le pouvoir de ce même tout, feroit vaifemblablement, même a en juger a priori (i), plus fidélement obfervéc et atteindroit mieux fon but, que celle, qui auroit été faite d'une autre rnaniere. Ladite réflexion acquerroit alors feulcment quelque force, fi la forme même du gouvernement de cette fociété étoit vicieufe. Mais cela ne prouveroit rien contre fégalité des droits et des devoirs des hommes dans une fociété , comme celle dont nous avons raifonné jusqu'ici. II prouveroic feulement que cette conftitution auroit été mauvaife et auroit manqué des arrangemens et des moyens, proprcs k réprimer la violence , qu'un bon gouvernement demande. II est hors de doute que dans des états libres le gouvernement peut être CO - confidérer la chofe avant qu'elle existe réellement.  is8 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &d être conftitué de rnaniere qu'il donne lieu a 1'anarchie. On pourroit, par exemple, n'y avoir pas pourvu aux dispoficions nécesfaires pour 1'exercice d'une bonne police dans toutes les villes et lieux: on pourroit y avoir négligé d'établir des juges ordinaires et revêtus de 1'aur.orité nécesfaire: on auroit pu en agir de même par rapporc a tout le pouvoir exécutif. Les moyens qui doivent fervir a 1'union, a une prompte expédition et au fecret, pourroient y manquer de force et de vigueur: comme elles manquent indubitablement dans ce qui nous est connu jusqu'ici de la nouvelle conftitution francoife (i); et par oü elle restera trés probablement défectucufe, fi 1'on n'y remédié pas. Mais ces défauts ne feroient nullement a imputer h la nature ou a Vesfence de la fociété, qui auroit été élevéefut les fondemens indiqués. Ce feroit feulement un vice dans la conftitution même, et il n'est. pas douteux, qu'on ne put trés bien le prévenir, moyennant de tels arrangemens dans la forme du gouvernement, qui tendisfent a préferver la fociété de confufion, a procurer a la justice un cours (i) [Qu'on fe fouvienne que j'ccrivols ceci au pris€*mps de I'année 1791.]  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. T29 cours reglé; k la police des moyens fuffifans pour exercer fon autorité indispenfable, et au pouvoir exécutif général tout, ce dont il a befoin pour faire exécuter par-tout et obferver exactemenc les loix faites par le corps focial: car rien ne peut être plus conforme k fa volonté, k fon dcfir, que 1'exécucion de fes decrets, qui font en eifet fa volonté même , et il ne fe peut rien dire ou fuppofer de plus incompatible avec foimêrne, fi ce n'est, qu'une fociété voudroit une chofe, et en même temps ne la voudroit pas: qu'elle la décretcroit, comme nécesfaire; mais ne la feroit pas exécuter, comme telle: que par le dernier elle contrecarreroit toujours le premier et feroit ainfi dans une contradiétion perpétuclle avec elle-même contre la nature de tous les prjcédés de chaque homme en particulier. Au contraire. Rien n'est plus vraifemolable, plus certain même , finon qu'une telle fociété fera dispofée k asfurer fon exi^tence et k tenir fes affaires en regie: ou bien il faudroit qu'elle voulüt fa propre destruétion; mais c'est ce qui ne peut fe préfumer d'une asfociation d'hommes, qui ne fe font réunis en un corps que pour mettre la liberté, les biens et la vie de chacun d'eux en füreté; elle doit donc ausfi vouloir nécesfairement ces moyens, qui peuvent la préIerver de la ruine, qui naitroit immanquablement I de  |3o DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES. &c, de Ia confufion et de 1'anarchie. Or ce moyen ne peut être autre qu'une fage conftitution; et il est clair par cette raifon, qu'elle doit la vouloir abfolument. Cependant j'avoue trés volontiers , que ce n'est pas une rêche fort facile, de former une pareilk conftitution; et qu'envifagée fous Ie fusdit aspect c'est un des établisfemens les plus imponans, dont 1'esprit humain puisfc s'occuper. EHe mérite fans doute 1'attention de quiconque prend a cceur Ie bonhcur du genre hurain,qui y est fi étroitement lié, et ce feroit ptucêtre une des qücstions les plus intéresfantes, qui cusfent jamais été propofées au public, favoir: fégalité des hommes, avec les droits et let devoirs, qui en découlent, tant dans fétat civil, que dans celui de nature, étant accordée: QUELLE EST LA ME ILLE URE FORME DE GOUVERNEMENT, QUI Y SOIT ASSOKTIE ET QUI RÉPONDE A SON BUT? Maïs je fuis néanmoins perftiadé que la chofe est tiès posfible, et que la forme du gou/ernement d'une fociété lil re, oü 1'on jouisfe de tous les droits communs et particuliers, que nous avons vu ci-desfus lui appartenir, peut trés bien être reglée de rnaniere, a prévenir toutes disfenfions et féditions funestes, et par Ia toute réfifiance réelle a la volonté de la fociété, qu'on a fouvem épro»  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 131 éprouvées dans des états libres. Mais il, n'est pour le préfent ni de mon fujet, ni ce n'est le lieu d'en rnicer exprLsfément., Et pofé, que dans une fociété libre on ne put prévenir entiérement toute espece de disputes et de mouvernens; bien conlidérés et examinés d'un ceil impartial, on verra qu'ils font encore toujours plus de bien que de mal. Ellcs produiront, dit price quoique part, un développement et une activicé des facultés, qui ne fe voient jamais fur les fcenes tranq lilles de la vie. Ce font les efforts agisfans de la fanté et de Ia vigueur, qui tendent toujours a conferver et a purifier. Tandis qu'.tu contraire la trmquillité qui a lieu fous dos ;rouvernemens despotiqucs et qui du premier coup d'eeil fembleroit les recommander au desfus des fcenes plus tumu'tueufes des états libres, réfulce uniquement d'une Mcheté fervile et de l*inr.étion des facultés des hommes. ■■ Mais une telle tranquillité ne differe en rien du filence de la nuit ou du calme et de la ftupeur de la mort (1). Des Cl) „Je fis le lendemain,'' dit Mïladi montagüe lans une de fes lettres, écrites d'Adrianoph; ,,Je fis la „lendemain avec* elle (1'époufe de 1'Ambasfadeur d* ^Franee) le tour de toute la ville dans une voiture 8«uvene dorés, avec le train réuni de nos corteges-, I 3 „pré»  i3i DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. Des membres d'un état libre, des citoyens, dans la véritable acception du mot, qui favenc qu'ils font leurs propres législaceurs, et qu'ils font dirigés plutót, que gouvernés, par une conftitution qu'ils fe font choifie librement; qui ne font pas foumis a la volonté arbitraire d'un de leurs concitoyens; qui ne craignent point de penfer et de s'expliquer fur les fujets les plus importans; qui ne font pas nécesfités de confulter incesfummen: les regards d'aucune créature, qui prétend et foutient par la force, qu'elle est leur maitre. De tels citoyens feuls peuvent posféder une élévation d'ame, une étendue et force d'esprit, qui doivent les rendre grands et heureux! • Les „précédées, de nos gardes, ce qui étoit Ie moyen de „faire ameuter le peuple, afin de confidérer ce qu'il „n'avoit jamais vu, et que peut-être il ne reverra „jamais, deux jeunes époufes d'envoyés chrétiens a la „fois. Nous attirames une grande foule de fpectateurs, „mais qui furent tous ausfi tranquilles, que des morts, _ Si quelqu'un avoit ufé de la liberté, que notre popu„ lace est accoutumêe de fe permettre a chaque nouveau „fpeclacle, nos janisfaires n'auroient pas craint de kt „fabrer, fans quils eusfent couru par la aucun risque, „comme étant au desfus de la lei." Voyez Lettres de M. Worthly Montague p. Hó. CTrad. Holl» «n 8. chez 1'. Meyer a Amft.)  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 133 Les concestations et les émeutes populaires de tout autre genre ne peuvent en effet jamais être la fuite nécesfaire de 1'égalité des hommes, non plus que des droits et devoirs, qui en réfultent dans 1'état civil. Le mal peut être ausfi peu une fuite abfolument nécesfaire du bien, que le menfonge et la tromperie doivenc 1'êcre de la vérité et de Ia probité. Ces contestations et ces disfenfions font plutöt la fuite, d'une part, de la renitence des grands et des puisfans, dont 1'intérêt demande qu'un petit nombre gouverne la multitude; qui ne laisfent échapper aucune cccafion, de divifer le peuple, et de le pousfer a des voies de fait, par toute forte de rufes ec d'intrigues, qu'il ne connoit malheureufemenc pas ; — gens_ , qui prétendroient volontiers , que quelques individus de 1'espece humaine font nés avec le droic inhérenc de dominer, ec d'autres au contraire, avec 1'obligation d'obéir; qui voudroient regarder le peuple comme leur domaine, ec fes posfesfions comme un fonds commun , oü ils auroient le droic de prendre ce qu'il leur plaic, candis qu'il n'en reviendroit k chaque particulier, que ce qu'ils daigneroienc ne pas lui öcer; qui, felon qu'ils fonc trés énergiquement peints par feu le Prince Guillaume I., rongent le peuple, vivent du fang des pauvres et ont depuis fi longtemps fait de I 3 té»  f34 DE LVÉGALITÉ DES HOMMES &e. Vétat {[même Vobjef) de leurs larcïns et de leurs concusfions, qu'ils réputent leur péculai être un reyenu ausfi bon et ausfi asfuré, mats beaucoup plus fruBueux que celui qiiils pergot- vent de leurs champs et jarains (tf). Sans cette race , qui en attendanc fe recrie, 'bien plus encore que les autres , des rristcs malheurs, qui de temps en temps ont cu lieu dans de pareillës fociérés libres, ct qui doiveuc felon tux réfulter comme nécesfairement; fms eux, dis-je, ces malheurs, ces désordres et ces fcenes fanglantes de guerre civile y feroient peu k craindre, beaucoup moins les y verroit, ou les y éprouveroit-on effeftivement: comme Fhistoire des anciennes républiques de Grece et de Rome entr'autres pourroit nous en fournir plufieurs exemples , propres a nous en eonvaincre. . Mais' outre ccux-ci il y a encore une autre espece d'hommes, qui agisfant par les mêmes vues ambiticufes et irtcrcsfées que les précédens, mais en déguifant les chofes fous d'autres apparences et fous un autre nom, caufent fouvent le même mal* T*i cn \ue ceux» qui fous le beau rom dé vrais amis du peuple, de- partifians finceres de f* ' (V) Apohg. p. 50, (chez C. Silvius 1581. petit. 4->  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 135 fa caufe et de celle de la libertéet en faifant valoir bien fort en toure occnfion cette qualité qu'ils fe font arrogée, ne font en effec que des fédutleurs dUpeuple; qui cherchent confiamment a fonder leur propre grandeur fur les ruines du bon ordre ec de la foumisfion aux loix; qui voudroienc que les commandemens des hommes eusfent plus de force que ceux des loix; qui ne peuvent fouffrir 1'écablisfement d'une conftitution , qui comprenne touces les parcies du corps et les cienne en regie, paree qu'elle meccroic fin a leur pouvoir ufurpé; et font par cetce raifon de leur mieux , pour 1'écarter ou 1'affoiblir, ec faire durer les désordres de la confufion ec de 1'anarchie , afin de conferver ainfi ou d'acquétir cette autorité et cetce influence, auxquclles ils ne pourroient précendre fous un gouvernement bien reglé et bien afFermi. Ausfi 1'expérience de tous les temps a fait voir, que ces deux fortes de gens qui tendent des pieges a la vraie libercé ec cherchent h la perdre, ne different que de nom; que d'ordinaire, fi leurs projets échouent, ils fe donnenc la main ec for> ment une coalicion, pour détruire Ia liberté et la renverfer de fon fiege. Ce n'est donc pas aux fondemens de la fociété même qui ont été ci - desfns pofés, qu'on devroit imputer nécesfairement de femblables événe» I 4 mens;  i36 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &e. méns; mais plutöt d'un cöté a 1'intérêt et a 1'ambidon de ceux qui ne peuvent fouffrir, que des magiftrats ne feroient a confidérer, que comme des ferviteurs, et non comme des maitres; qui fe figirrent qu'ils doivent occuper ce rang élevé en vertu de leur propre droit, et refufent de convenir, qu'ils ne font pas moins proprement les ferviteurs du public, que les ouvriers a la journée, qui travaillent a fes grands chemins, ou que les foldats, qui combattent pour lui; comme d'un autre cóté a ceux, qui cherchent toujours a jetter la fociété dans la confufion et 1'anarchie, afin d'y trouver leur grandeur et leur avantage, étendre leur influence et leur autorité: ceux-ci doivent tous êrre confidérés, tant féparément, qu'cnfemble, comme les véritables caufes des événemens allegués : comme les auteurs du mal, dont eux - mêmes fe plaignent enfuite ; en décourageant le peuple et en le rendant continuellement inquiet fur fa fituation actuelle, afin de le porter par ce moyen a fe courber enfin volontairement et avec docilité fous les chaines, que les uns, ausfi bien que les autres lui ont forgées en fecret. Au contraire. Si nous agisfions tous de bonne foi par rapport aux fondemens du contract focial; fi nous faifions tous ce qui dépend de nous, pour maintenir et concourir a mettte en effet ce qui a été  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 137 ére prouvé êcre de droit, ec dériver de la nature et de 1'esfence de tout homme, comme norrc obligation morale Fexige véritablement, et que nous fouhaiterons Favoir fait au dernier jour : perfonne ne douteroit, je penfe, qu'une fociété libre , telle que nous en avons défini les droits ec les devoirs rélativement a chaque membre, ne put parfaitemcnt avoir lieu, fans être expofée a ces chocs et a ces calamicés, qu'on voudroit faire envilager, comme en étant inféparables. Perfonne n'oferoit nier 1'excellence d'une telle fociété, et ne pourroit fe dispcnfer de reconnoitre que la confiitution, qui y feroit fondée, ne fut un établisfement le plus rafonnable ec le plus falutaire.— Puis donc que nous fommes obligés de la rnaniere la plus abfolue et la plus expresfe, de faire et d'appuyer de touc nocre pouvoir cout ce dont il est prouvé moralement, qu'il doit êcre ainfi et non antrement; qu'il esc dans la nacure des chofes; prêcons enfin 1'oreille h la voix de la raifon ec de Phumanité ; concourons de bonne foi au bonheur du genre humain en général, en mectant de cöcé nocre miférable incérêc propre et que nous entendons encore fi mal; concourons aélever Faucel de la véricé, pour que couce la terre puisfe être fon temple , ec tous les gens de bien, fes facrificateurs et fes miniftres, afin de prévenir ainfi ou de décourner touc le mal, qu'on pourroit I 5 fans  i38 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c fans cela prétendre qu'il en auroit a craiudre. Faifons fincérement tous nos cfïbrts , pour éelairer les aweujrles par fa lurrtiere, y ramener ceux qui f- fonc égarés. et réfister avec des forces reünies aux eiureprifes que des méchans et des léductcurs vou.iroient former contre elle. Cesfons de faire violence au bon fens par touces fortes de fophismes et d'anéantir les droits les p us précieux de rhumanité par de fiux ra'fonnen ens. Rendor.s ingénument hommage a la véricé, confesfons ouvertement devart les hommes, que les imendans ne fonc pas plus grands que les propriécaires; les ferviceurs pas. plus Sjrands que les feigneurs, touc un peupie pas moindre qu'une fociété decommerce; et qu'il n'a par conféquent pas moins de droit de regier fon grand ménage , qu'une pareine fociété ou une familie particuliere n'en a de dirigcr fes proprcs affaires comme bon lui feinble. Dans ce cas routes ces correscations ct disfenfions prétendues ouréelles , dans des étatslibres, ne feroient plus connucs que par tradition, et lc vrai bonheur du genre humain feroit bientót élevé furun fondement inébranlable: — événement,qui, au moyen de la propagation de h vérité, aura lieu un jour, lorsque le peuple aura une fois appris généralement a bien connoitre fes droits et fon véritable intérêt, ec a cistinguer fes vrais amis de ceux qui cherchent a 1'égarer et a le tromper. „Fon  DE L'ÉGALlTïï DES HOMMES &c ;$» „Fort bien," dira-t-on pcuc-être, et c'esi: ici une autre remarqiie qae quelques-uns ont fake: „mais, s'il étoit pos'ible , que tous les ,, droics, qui reviennenc a chaque membre dans ,, une fociété civile, p.uivoient être exercés eu effet; fi i'on p mvoic établir une forme de gou„ vernement qui s'y accordac: d'oü vient qu'on „ s'en esc fi forc écarté dans presque cous les „ états qiv éxistcnc aétuellement fur la terre ?D'oa ,, vient quo ia plupart des fociécés, qui on: exis„ té , ou exiscént encore , ne répondent nulle„ ment h la description , qu'on en donnc? D'oü „ vient, que beaucoup de gouvernemens, au „ lieu d'être un établisfement, desriné a défen„ dre le foible contre le forc; au lieu de foute„ nir Ia vertu et de réprimer le vice, d'encou„ ragcr tout examen libre ; d'affermir la liberté „ de chaque membre de la fociété et de protéger ,, chacun fans distinécïon dans la jouisfance de „ fes droics civils ec rcligieux: en un moe: au lieu ,, d'être un établisfement, fondé fur ces droits „ irréfragables, qui appartienncne a l'homme dans „ 1'étac civil, n'oflrent dans la plupart des états „ de 1'Europe , qu'un gouvernement et une do9, minacion abfolumenr arbitraire ? D'oü vient y „ voyons- nous éléver les uns injuftement, abaisfer „ les autres, encraver les plus nobles progrès do „ 1'elprit humain , cc fowler aux pieds les phi3 pré-  140 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. '„ précieux privileges? N'est -ce pas une preuve,' „ que convaincu par 1'expérience del'imposfibilité „ de ce fyftême , on a du s'écarter du tableau ,, qu'on tracé des droics qui apparciendroient a „ l'homme, même dans 1'écac civil, ec faire de „ fon gouvernemenc un ecablisfemenc plus arbi- traire ec plus abfolu ?" Je réponds, que ce n'esc rien moins qu'une preuve de tout cela; que cette dégénération ne peut fervir d'argument contre la vérité de la description que j'ai faite de la fociété; ausfi peu que Pabus d'une chofe peut en óter le bon ufage; mais que tout cela est caufé bien davantage par l'intérêc et la cupidité de fes mêmes gens, qui n'épargnent rien, pour regner fur leurs femblables, et qui, lorsqu'ils ont une fois le pouvoir en main, manquent rarement d'en abufer pour les opprimer ec fatisfaire les pasfions les plus honteufes ; candis que d'une autre pare il fauc 1'attribuer ausfi a la foiblcsfe cc a la folie des moreels, qui croienc, qu'ils doivenc en confeience une foumisfion eneiere a ces mauvais régens ec lacher la bride a la cyrannic et a leur oppresfion. C'esc k ceece doctrine du pouvoir ilümité de ceux qui gouvernement et de nilégitimité de toute réfistance , qu'on doic, pour la plus grande parcie, les excès allégués desgouvernemens anciens ec modernes; ec ils auroienc fans doucc moins exiscé par-couc, oü les véritables droics  DE L"ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 14! droits du genre humain auroient été défendus avec libercé ec univerfellemenc crus et reconnus. CYsc ce que 1'aimable montague fait entendre fort fpiricuellemenc dans une de fes leccres, lorsqu'en parlanc du gouvernemenc dcspotique de 1'empereur des Turcs, elle ajouce: „ Je ne puis m'em„ pécher de fouhaicer du fond de mon cceur, que le parlement trouvat bon d'envoyerici (a Adri„ anople') une charge de vahfeau de vos fau„ teurs del'oüéissance passive,pour „ qu'ils pus/ent contempler une adminiftration „ arbitraire dans fon jour le plus grand et le „ plus fort, et fentir, qu'il est trés difficile de „ décider, qui font les plus mifêrables le prince, „ le peuple ou les mlnijires ra~)" En efFet ces gouvernemcns feuls peuvent être justes et équicables, qui onc une cendance nacurclie a procurer le bonhcur de tous. Et puisqu'il «esc vifible, dit le vrai philanthrope hutcheson, „que dans touces les démocracies ec dans couces „les asfemblées qui fonc réellement élues par le „peuple ec qui lui fonc unies par Pincérêc com- mun, on s'appliquera toujours a avoir fiaélement „fioin de Tint ér ét général, qui est ausfi celui „ de Vasfemblée même; une conftitution ne pcuc „être bonne, ou Pon n'a pas remis en tout, „ou 00 p. 114. CLett. XXMI.-)  I»*-DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c; ou en partie, quelques • unes des plus impar* „tantes fonclions de i'autorité publique, a une „telle asfemblée , qui ne feut ou'êtra „fidele a ces intéréts, pour l'a„mo'jr desquels tout gouverne„ ment a été établi fV)." Oe la que Guillaume I. obferva déja dans fon apologie (£), ce monument d'une justification franche et loyale, digne en tout fens d'êire lue; de la, dis-je, que GuilLume L. obferva déja, „qu'une asfemblée „des Etats fert de btide et de barrière a la „tyrannie, ct i]ue jxr cette railbn c'est un crime „autant h;fi ces cyrar.s, qui mangent le peupic; s,et fonc les enncmis de leurs ftvjers et de leur propre couronne, que cctcc noble asfemblée „est aiméc, honoréc ct révérée par les vrais „rois, vnis princes c: les bons peres du peuple, „ comme le tra's fondement *',  DE L'ÉGALITÊ DÉS HOMMÉS &c. i45 9,ÊTROITEMENT LIÉES, DE MÊME .i87.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 155 tés privées ayant été éntr'autres le but capita! que les hommes fe font propofé, en s'asfociant, il fuppofe nécesfairement, qu'ils ont dü avoir des propriécés privées; et cela étant, ils ne fauroient être réputés avoir perdu par 1'asfociation un bien , dont la confervation a été la principale fin pour laquelle ils fe font réünis. Ce feroit une trop grande abfurdité pour que quelqu'un put 1'embrasf.T. Tous ne Luroic-nt par conféquent non plus être également riches ou pauvres dans cette fociété; mais ces états divers de la vie civile doivent y avoir pareillement tous ces dcgrés et modifications, qui font toujours la fuite nécesfaire et naturelle de 1'aétivité, de 1'économie» de la bonne direétion, de 1'inteiligence , de la probité et de toutes les autres vertus et talens. Pour asfii- rer fégalité des hommes, rélativement a tous leurs droits et devoirs, il fuffit, que chacun fans distinblion ait le même droit que tous fes concitoyens , d'augmenter fa propriété privée au moyen des vertus et des qualités mentionnées et de jouir ainfi, comme un autre, de toutes les commoJités et agrémens de la vie. Je crois bien cependant, que Fégalité des posfesfions , feroit mieux preportionnée dans une pareille fociété que fous des gouvernemens abfolus et arbitraires. L'cxpérience leconfirme pLinement, lorsqu'on r'approcheiespaysgouvernés furcepicd, de  iS6 DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES éVcv de ceux on 1'ou jouit d'une plus grande mefure dc libercé perfonnelle ec indépendance. Qua 1'on compare V'Angleterre,laHollande, la Suisfe avec les états divers de l'Allemagne ,avec VItalië, VEJpagne cc avec ce que la France du moins a écé. On y voic les plus chécifs bacimens ec la plus extreme indigence piacés a cöté des plus fuperbes palais et de la plus énorme profufion. On nc pourroit donc confldérer que comme une bénédiécion lignalée pour ie genre humain en géneral , fi des fondemens que nous avons pofés pour une cicc libre, il pouvoic naicre au die égard une plus grande égalitê encore entre les hommes, et fi tel pouvoit être le fruit de mon travail aétuel, ce feroit ma plus douce recompence. Cecce mefure moins disproporcionnée de biens, fcroic fur -le total un plus grand nombre de families concentes, accroicroit le bonheur domeftique cc produiroic par conféquent plus de vercu; tout cela ne pourroit qu'influer de la rnaniere la plus fenfible fur la félicicé publique. „ Voulez- vous," die rousseau tres bien, „ voulez-vous „ donner a fétat de la confistance, rapprechez les degrés extrèmes autant qu'il esc posfible ; ne fouffrez ni des gens opulens ni des gueux. „ Ces deux ccacs, naturellement inj'éparabks, „ fonc également funestes au bien commun; de „ 1'un fortent les fautcurs de la cyrannie, ec de „ 1'autre  DE L'ÉGALITÊ" DES HOMMES &c. ijf£ „ 1'autre les tyrans. C'est toujours entr'eux que „ fe fait le trafic de la liberté publique; 1'un „ Padie te et P autre la vend (V)." 11 fcïriBle donc qu'a bien confidérer et pèfét toutes les füifes de Fégalité des droits et devoirs des hommes dans 1'état civil, elles ne fauroient être qu'un bonheur et une bénédiétion pour le genre humain , bien plutöt du moins que celles qui peuvent réfulter d'une doétrine oppofce. En rcconnoisiant cette égalitê, on a une regie a tous égards fürc et certaine, pour mefurer et définir, les droits du citoyen dans Fétat civil, ct Fon y a en même temps un fanal, pour diriger fa marche en établisfant une forme de gouvernement. Hors de Ia,j'ofe le dire, ilnc fe trouvenulle part de principe fixe, auquel on puisfe s'en rapporter , pour déterminer tous ces objets divers, ct tant qu'on n'admettra pas eet unique et véritable fondement ce toute fociété civile ct de tout gouvernement; tant qu'on ne reglera pas fon travail en conféquence, il ne fe peut en vérité qu'on en fasfe jamais autre chofe qu'un établisfement arbitraire, déraifunnable, contre lequel le bon fens des hommes fe révoltera éternellement, que par cette raifon on fera toujours obligé de maintenir par la force: comme nous voyons, a la honte du genre humain, que (\a) Conti* foc. liv. II. 'th. XI. p. 71. la note.  158 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c que c'est le cas dans la plupart des états de 1'Eu* rope; et auquel doivent leur origine pres- que toutes les éruptions plus ou moins confidera- bles de fédition ou d'infurreétion, qui depuis quelques années fixent 1'atention du monde entier, et dont fur le tout les fuites font encore incalculables. C'est a la négligence de ce point, que je crois encore , comme je Fai cru des le principe , qu'il faut attribuer principakment la plus grande partie des fcenes fanglantes, qui entre le 5 ct 6 Octobre 1789 et depuis ont accompagné et flécri la révolution francoife: je veux dire : qu'a mon avis, elles n'auroient pas eu lieu , fi 1'on n'avoit pas négligé eet objet. Je penfe que lorsque par fes decrets du 4 Aoüt de ladite année, 1'asfembiée nationale d'alors cut préfenté au roi la déclaration des droits de l'homme, pour la fanénonner , fes miniftres n'auroient pas dü lui y faire répondre : „ Je ne mexplique point fur votre. „ déclaration des droits de l'homme et du ci„ toyen, elle contient de trés bonnes maximes, „ propres a guider vos travaux; mais desprinci- pes, fusceptibles d'applications, et même d'in„ terprêtations difêrentes, ne peuvent être „ justement appréciés, et n'ont hefoin de I'S„ tre , quau moment oü leur véritable fens „ est fixé par les loix, auxquelles ils doi-  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 159 DOIVENT SERVIR DE PREMIÈRE BASÉ „ (_«)." II dut en effet paroitre étrange, qu'on nevouloit point s'expliquer fur les principes, bien qu'on fut obligé de convenir qu'ils devoient fervir de première bafe aux loix , qui devoient être fait es ; et qu'on les jügedt cependant fuscepcibles de différentes interprétations. C'est précifément pour cette raifon qu'il auroit fallu trés nécesfairement entrer en conférence fur ces bafes importantes, fur lesquelles tout 1'ouvrage devoit être élevé, avec les principaux auteurs qui en avoient formé le projet, ou 1'on auroit dü faire que le roi fe fut expliqué rondement fur ce point. Tout 1'édifice dépend toujours et par-tout des bons ou mauvais fondemens; ec ce n'est qu'autant que ceux-ci fonc bien ec folidemenc conftruits, que 1'architeéte et le propriétaire peuvent espérer et s'attendre , que celui-la fera inébranlable. On auroit dü confulter enfemble fans prévencion et de bonne foi fur ces bafes, les discuter, les examiner ec les pefer fcrupuleufement dans la balance de la vérité et de la justice. Si 1'on s'y étoit pris de cette rnaniere, on n'auroit pu manquer de s'entendre de part et d'autre; et puisque la vérité n'esc («) N e c k e r fur fon ddminiflration p. 327.  t6o de l'égalitê des hommes &c. n'est qu'une et qu'il ne peut y avoir deux fortes de justice, il me fcmble qu'en y procédaht avec droiture, il ne fe pourroit qu'on n'eüt éié obligé de reconnoitre unanimement cette vérité; qu'on ne fut convenu enfuite des conféquences incon* testablcs qui en découlent, et qu'on ne fe fut enfin accordé a établir une forme de gouvernement, la fcule qui fut conforme a ces principes. Mais dès que dans le confeil du roi on penfa tout dhTéremment de 1'aslembléc nationale même , fur ces premières bafes; dès qu'on le Ut entendre ouvertement et que par ce motif on refufa de les fanétionner; lors par conféquent qu'on rendie tout ce qui s'étoit fait, incertain ct précaire, et qu'on resta le maitre de faire chanceler a tout moment, même d'abattre entiérement 1'édifice, qui de cette rnaniere n'avoit aucun appui föltcTe ; il n'étoit pas furprenant, que ces membres de 1'asfemblée, qui avoient eu asfez de génie et de courage, pour mettre au jour une piece, telle que cette dèclaration des droits de Vhomme, eurent asfez de perfpi. cacité, pour pénetrer ces fuites; et il étoit bien | préfumer, que de tels hommes ne fe donneroient point de repos qu'ils n'eusfent élevé une conftitution complette fur ces bafes respc éfables. On ne pouvoit pas fuppofer qu'ils fe laisferoienc rebuter  DE L'EGALITE DES HOMMES &c. i6f febuter par un pareil refus d'accepter les prin« cipes qu'ils avoient pofés. On devoit prévoir que des mouvemens fans fin, pour parvenir k les faire reconnoitre , feroient la fuite d'une :éponfe, qui ne pouvoic leur paroitre avoir été faite fur des fondemens valables. Mais,' quand on examine les raifons, que la perfonne, qui dans ce temps avoit un grand ascendant dans le confeil du roi et qui par fon intégrité méritoit de Favoir, a alléguées depuis contre cette êêclaration des droits de rhomme, il est facile h comprendre qu'on ne s'entendit poinc alors fut fon fujec, ec que Fun lui attribuoit ce que 1'autre auroit trés asfurément nié y être renfermé, ou devoir en réfulter. Enforte qu'on pourroit dire en vértié, que le decret de Fasfemblée nationale touchant les droits de Vhomme, a été rejetté dans le confeil du roi fur de touc autres fondemeos, qu'il ne repofoic réellemenc. Necker, par exemple, en a extrêmemenc contre eet article de la déclaration des droits de. Vhomme, par lequel il est ftatué que les hommes naisfent et demeurent libres et égaux en droits. Mais quand on lit avec attention ce qu'il & remarqué fur ce poinc (V), on trouvera qu'il confond la liberté ec 1'égalité en droits, prifes dans f» Necker fur fon Adminifluittonf, 328-343. L  ió2 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c.1 dans le fens moral, avec la liberté et 1'égalité phyfiques des hommes, et qu'ainfi le decret mentionné a été contredit fur des fondemens et par des raifons, qui n'y écoient en aucune rnaniere applicables. L'égalité des droits et des devoirs des hommes, ne portent poinc, comme nous 1'avons fait voir, fur leurs facultés phyfiques, fur leurs forces , fur leur genie, leurs posfesfions, leurs richesfes; qui ne peuvent donner, ni öter des droits muraux a l'homme, comme homme. Elle est uniquement rélative aux droits et devoirs moraux3 en vertu de quoi chacun, fans distinétion, est aucorifé, dans 1'état de nature ec civil, a exercer ces droits, que nous lui avons asfignés et détaillés ci-devanc (ö). En attendanc toutes les réflexions de necker tornbent fur les droitsphyfïques de l'homme, et pourroient ainfi être accordées, fans que la thcfe de 1'égalité des hommes en droits ec en libercé y gagnac ou y perdic la moindre chofe. En effet que fignifie autre chofe ce qu'il die: „ les „ hommes ne naisfent pointlibres, puisqae la con„ fervation de leur vie, les préparatifs de leur s, force et de leur fianté, et Vapprentisfage enfin „ du fimple bon fens, de cette faculté qui doit „ lts (a) Voyez«- desfusp. g—\i.p, 49—53.^.02—oe».  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 163 „ les inflruire a fe gouverner eux - mêmes, tous „ ces biens indispenfables font le prix de Uur „ dépendance («)?" Car qu'est-ce que touc cela, finon 1'éducation, que les parens font obligés de donner a leurs enfans , et que ceux-ci doivent recevoir dans eet état de foiblesfe phyfique? Mais, outre que tous les hom¬ mes font égaux entr'eux a eet égard, ce n'écoic pas cecte égalicé phyfique en droics et en devoirs, que 1'asfemblée nationale a eu en vue dans la déclaration des droits de Vhomme, ausfi peu que, comme nous 1'avons remarqué ci-desfus (£"), on a pu favoir dans la question, dont nous nous fommes occupés jusqu'a prefent (1). Ce Ca) Administ. p. 329. (ZO Cl - desfns p. 9. CO ,le «e concois abfolument pas que necker puisfe imputer fi fort en mal aux Francois, d'avoir pofé, que i"s hommes naissent lidres et ecau? en droits.' puisqu'il s'en faut bien qu'ils foient les premiers qui l'aient dit, aristote , platon , plctarque imucvdide, Xenophon, polybe et tant d'autres parmi les anciens Grecs et Romains, l'ont enfeigné il y a longtemps. On iit même dans les loix Romaines {Inftitut lib. 11. II. §. 2.) „Ju're énira naturali omnes homines ab „initio liberi nafcebantur." (C'est - a-dire: felon le droit de la nature les hommes naquirent librfs dans les commencemens.) sidwey, locke, birlamaqïi , m 0 n x e $ q v 1 e v , rousseau, v a t t f: l et grand L 2 nom»  ï64 DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &éi Ce quiy esc ajouté, n'escpas de meilleurtitre: que les hommes ne demeurent point libres _ „ puisqu'après êcre fortis de la dependance pacer„ nelle; ils pasfenc fous 1'empire des loix, fait es „ avant eux et fans eux O?)." Car en ce poinc ils fonc encore de niveau , ainfi qu'il a été prouvé (fi) , avec cous les autres hommes , fans discinétion, ec puisque l'as/èciation, donc ils fe fonc fait membres tacitement ou explicitement , les oblige par cela même d'obéir aux loix de la fociété , faites ou a faire, mais auxquelles, en entrant dans le monde, comme des perfonnes qui ne dépendent que d'elles-mêmes, ils ont préfentement ausfi obcenu le droic de confentir , foic en perfonne, foic par des repréfencans, ainfi qu'il a écé pareillemenc prouvé ci-devanc (V); la foumisfion qu'ils doivenc a ces loix, ne peut jamais fervir de preuve, que les hommes dans 1'étac civil n'auroient pas cous des droics égaux ec ne feroient pas aombre d'autres écrivalns modernes ont tous enfeigné Ia iriêrne chofe, et pofé cette vérité, que les hommes naisjent individuellement égaux et libres, pour la bafe de leurs raifonnemens. 00 Administ. p. 3 29. et fuiv, (b) p. 10. CO P. 92.  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c, 165 pas également libres: ce dont il s'agit cependant unique.ncnc ici. Vu la haute estimc que j'ai pour fon caraétere moral, j'ai regret de devoir le dire ; mais il ma paroit que necker a été étranger a cette maciere. Je ne conccis autrement pas, comment il aic pu écrire , „ que les hommes ne naisfent „ point égaux en droits, puisqu'ils arrivenc „ dans le monde avec des titres distincis, que, „ ces titres font les degrés de force , d'e- „SPRIT Ct de TALENT, dOllt ils font diverfemenr doués; qu'ils ont chacun leur „ part faite , qu'ils ont chacun leur mefure déterminée, fur 1'échelle immenfe des facultés „ morales ct phyfiques , et que c'est pour ainfi ,, dire , avec une patente particuliere , fcellée „ du grand fceau de la nature, qu'ils fortent des „ ténebres du néant (V)." — Outre que je dois avoucr que je ne comprends pas toute la derniere partie de ce raifonnemenc, k moins qu'elle ne dut prouver un destin aveugle; ec dans ce cas je n'ai pas befoin de m'y arrêcer ; la première parcie montre de nouveau clairemenc, que necker confond toujours les facultés phyfiques avec les droits moraux de l'homme, et qu'il fe ferc de celles-la pour combaccre ceux-ci. Ou que pour mon-» (a) Administ. p. 330. L 3  i66 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. montrer ce qui doit être proprement de droit, il en appel le, a la force et s'y retranchc, ce qui est abfolument abfurde O). C'est afin de mettre un frein et une barrière a la force, que la nature a donné a tous les hommes des droits égaux. Je fuis égalemenc perfuadé que fans cela il n'auroit pu dire: „ que les hommes ne demeurent ,, point égaux en droits, puis que les loix de pro„ priétê font les premières qu'ils rencontrent au ,, moment ou ils veulent faire ufage de leurs „ facultés , et que ces loix font tellement impé„ ricufes , qu'au milieu de nous , les uns font „ cor.damnés d un travail continuel, n'ont au„ cune part aux dispenfations agréables de la fortune , et les autres en épuifent toutes les „ douceurs et tous les plaifirs (&)." Car en premier lieu, les droits de l'homme dans 1'état de nature et dans 1'état civil y font entiérement confondus, du moins n'y font ils pas discingués; ausfi peu que ces deux états mêmes; et, en fecond lieu, nous avons montré dans rinftant, en réfutant la dcrniere conftdération, quant a ce qui regarde 1'état civil, que ccsdroirs de propriété ne font fi facrés pour chacun, et les loix , qui s'y rapportent, fi forces, que paree qu'ils font fondés fur (<0 Voy. ci-desfus p. 12—13. O) Adminnt.p. 331»  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 167 fur fégalité des droits que tous les hommes ont fur leur propriété privée; vu qu'aucrement 1'état de nature n'auroit pu être qu un état de vol et de brigandage , et que 1'état civil auroit renfermé le principe incontestable de fa destruéïion et la preuve la plus frappante de fon abfurdité. . Égalitê de droits ne dit nullement, ainfi qüe nous favons vu dans tout ce discours, le droit et la faculté de voler et de piller; mais au contraire le droit de pos fe der fa liberté, fa vie et fes propriet és en füreté et d''en jouir fans empêcheme/it. « C'est ausfi une expresfion abfolument erronée, qu'u' ne partie du genre humain feroit condamnée a un travail continuel &c. Si 1'on entend par la, qu'une partie feroit uniquement deflinée par la nature au fervice de 1'autre. II s'en faut tant, comme nous venons de levoir, que chacun a le droit le plus complet, de s'acquérir, par fon aétivité, fon économie, fa probité , fon intelligence et toutes les autres vertus, qui ne manquenc jamais d'amener le vrai bonheur et la véricable prospérité , de s'acquérir des propriétés, de les accroitre et de goüter toutes les douceurs de la vie, qui peuvent en être les fruits raifonnables;ce dont 1'expérience nous fournit journellement des exemples,qui plus que tous les raifonnemens peutL 4 être  168 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &cs' êcre renverfent 1'asfertion de notre écrivain , ec en fonc voir la fausfecé. En effec, fi cec objec lui avoir écé plus familier, je doute ausfi, qu'il eüc pu avanccr, „ qu'enfin 1'égalicé des droics ne peuc fe con}, cilier qu'imparfaicemenc avec les faints devoirs ,, de la reconnoisfance; car que ces devoirs fiex., is feroient plus, fi les droits particuliers du bienfaiteur étoient méconmis Peuc-êcre cela feroic-il vrai , fi de l''égalitê des droits il réfulcoic une communauté de biens ,• fi chacun en particulier pouvoic fonner des précencions fur les biens de cous; ec que par cecce raifon il ne düc poinc de reconnoisfance pour la pare qui lui en feroic faite. Mais fi cela étoic, ce qui précede ne pourroic de nouveau êcre vrai, que Pun feroit condamné a un travail et d une abftinence continuelle, et que l''autre yivroit dans l'aife et Poifivcté. Mais oucre cela , la communauté de biens n'esc pas non plus une fuice de 1'égalité des droics. II y a un inftanc, que nous avons démoncré couc exprès la fausfecé ec 1'abfurdité de cejee précencion; ec ainfi nous n'avons pas befoin de nous y arrêcer davantage. Les devoirs de la recon-; (*) ÜU. p. 33»«  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 169 reconnoisfance pour les bienfaits recus, même tous les autres devoirs des hommes, quoiqu'on admetce Fégalité de leurs droits, reftent ausfi grands, ausfi obligatoires qu'auparavant, et émanent, a bien confidcrer les chofes, de cette unique fourcc. j'ignore comment il auroit été posfible de pofer d'autres principes plus vrais pour Ie corps législatif, qu'on vouloit érigcr, que Fasfetnblêe nationale ne Fa faitentr'autres en France par fa déclaration touchant fégalité des droits des hommes , tant a leur arrivée, que pendant leur fejour dans le monde. —■ Je déclare fincérement que je ne cömprends pas, pourquoi on a penfé , que la bafe de Pédifice d'une fociété civile auroit pu être plus refpcétable et plus majeftueufe, que celle des droits de rhomme, fur laquelle les légisJatenrs francois ont cru devoir établir le leur. Les droits et la nature de l'homme font pour le Iégislatcur ce que les propriétés de la matiere font pour Je méchanicien ; celles -ci font fondées dans la nature et 1'csfence des chofes et par la fur 1 expérience Ia plus parfaite. Par cette raifon je ne vois pas pourquoi necker veut que la déclaration des Américains doit être tenue pour plus majeftueufe et plus impofante, ou plus claire , que celle du peuple Francois, nommément eet article oü ils difent, L 5 » qu'au.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &cV „ qu'aucun peuple ne peut conferver un gouvcr„ nement libre et heureux, fans être attaché par „ des liens fermes et eonftans, aux regies de la „ justice, de la modération , de 1'économie, de la tempérance et de la vertu, et fans recourir ,, fréquernment a ces principes fondamentaux(óQ." Je ne vois pas, que ces maximes fondamcncalcs er ces expresfions feroient moins fulcepcibles de divers fens et de diverfes interprétations, que la déclaration, que les hommes naisfent et demeurent égaux en droits; ec que les mots jufiice, tempérance et vertu auroient une fignificacion moins rélative, que Fégalité des droits de l'homme. Je crois même abfolument le contraire, et le peuple, qui ne recevroit point d'éclaircisfemens ultérieurs, par une explication claire de ces parolcs, feroit ausfi incercain couchant fes droits et fes devoirs, après, qu avant cetce déclaracion.— Justice, par exemple, ausfi bien que vertu, est un terme abfolument rélatif; mais pour que je fache, fi je pratique la justice, ou fi elle m'est faice, je dois favoir préalablemcnc quels fonc les droits, que je puis reclamer ou d'après lesquels je puis me conduire envers les aucres; et fans la con- (a) Administ. p. 540»  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 171 connoisfance de mes droits et devoirs moraux , je ne faurois agir en homme vertueux, puisqu'agir en homme vertueux n'est autre chofe que fe conconduire conformémenc a ces droits et a ces devoirs. Abrégeons. Qui lit avec attention ce que necker dans 1'endroit citê allégue au long pour justifier le procédé du confeil du roi a cette époque, verra, qu'il a ma) faifi la déclaration des droits de rhomme, telle qu'éile avoit été donnée par 1'asfemblée nationale, ainfi que les intentions qu'elle y avoit, au moins, qu'on lui a asfigné des conféquences et des fens, qui n'y étoient réellement point renfermés, mais dont 1'oppofé avoit véritablement lieu. Et qui réfléchit alors fans partialité et fans prévention fur ce qui est arrivé depuis, ne pourra que regretter, comme homme et comme ami de rhumanité, que dans ce temps on ne fe foit pas mieux entendu fur ce point; ou qu'on n'ait pas fait de la part du roi fur cette déclaration des droits de rhomme, des obfervations, telles qu'on auroit pu y faire fans contredk et dont tout homme fenfé auroit dü convenir. On auroit pu exiger, par exemple , que les devoirs ausfi bien que les droits de l'homme dans 1'état civil y fusfent formellement exprimés, et non qu'ils pusfent feulement en être déduits par voie d'oppofition, afin que le peuple , en apprenanc fes  tra. DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. fes devoirs, eüt pu être contenu et engagé a fe conduire avec modération, autant que par la déclaration de fes droits, il fut animé et enhardi; tandis qu'a préfent en ne lui déclarant ümplemenc que ces derniers, fans y ajouter une déclaration également expresfe des premiers, il devoit uniquement apprendre a connoitre ceux-ci par des conféqucnces et des raifonnemens: ce que devoit certainement lui être moins facile et moins clair, que fi ces devoirs avoient été déduits aauellement de la déclaration des droits et propofés enfemble avec eux. Une demande fi raifonnable, jointe a celle, que la déclaration même des droits de l'homme fut exprimée ; déterminée et définïe plus exactement qu'on ne 1'avoit fait, n'auroit pu, ce me femble, être désapprouvée; et fi 1'on avoit enfuite accordé de Ia part du roi, ausfi bien que de celle de 1'asfemblée, toutes les conféquences, qui découlent naturellement et ainfi lêgitimement, d'une telle déclaration des droits et devoirs de Vhomme dans Fétat civil, et que de cette rnaniere on fc füt mis de bonne foi et de concert a 1'oiwage même de la conjtitution ,■ je ne crois pas, que les chofes fe fusfent jamais fi fort embrouillées dans cc pays, qu'on 1'a vu arriver malheureufement dépuis; mais ce qui dès lors parut inévitable a des yeux obfervateurs et philofophes, jpuisqu'il étoit notoire qu'on n'étoit pas d'accord, fur  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 173 fur les principes, ec que chaque pas, que f asfemblée feroit, devoic révolcer le roi ec fon cofjfeil, produire la haine ec le resfencimenc, faire natredes faétions violences, qui mefureroienc de temps en ccmps leurs forces ec ébranleroienc 1'écac même: comme hélas! on ne 1'a que erop vu, et qu'on le voit encore aujourd'hui (1). Après CO [J'écrivois ceci en 1791 avant !a fuite du roi b Varennes. Je ne pouvois prévoir alors les fuites, dont nous avons été témoins depuis, qui ont incontestablement fouillé la révolution francoife et qui ont rempli touc coeur fenfible d'amertume. Mais tous ces événemens ont été néanrnoins toujours plus on moins des fuites de ce premier faux pas , paree qu'il éloigna mutuellement les chefs, les divifa même entierement, et fut ainfi caufe, qu'il a été mis au jour, d'abord partie il partie et en fuite comme par revifion, une conftitution, qui, fauts d'une délibération, faite en comraun et impartiale, portoit inconteftablement les carafteres d'un fruit prématuré, qui devroit fans doute avec le temps, être changé et corrïgé a phifieurs égards, mais qui en artendant donneroit occafion a toute forte d'abus, de part et d'autre: comme 1'expérience 1'a fait voir de la rnaniere la plus évidente. Necker dans un autre ouvrage, qu'il a fait paroitre <3epuis fous le titre: Du pouvoir exécutif dans les grands êtats, en deux volumes en 8 ; a de nouveau taché de montrer, que F asfemblée confiituante, en faifant préceder Ia déclaration des droits de rhomme; et en ne confi,déreot pas le pouvoir exécutif? comme le premier fondement de  m DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c; Après tout ce que j'ai dit jusqu'ici fur 1'égalité et les droits des hommes, je ne fais, fi j'ai befoin de de tout, en vertu de quoi il auroit dü avoir la primauré, auroit été la caufe de tous les malheurs, qui font furvenus a la franco depuis cette époque jusqu'au moment préfent. Mais je penfe, que c'auroit été renverfer 1'ordre des chofes. ■ Le pouvoir exécutif c'est-adire , le gouvernement devoit, & bien confldérer la chofe , dépendre des fondemens de la fociété même , c'est-a-dire, des droits des hommes dans fétat civil. A moins de cette détermination préalable le gouvernement ne pouvoit jamais avoir de confiftance, ni être un établisfement fondé fur la raifon. II feroit devenu un ouvrage arbitraire, auquel on auroit pu ajouter ou duquel on auroit pu retvnncher a plaifir; mais les Francois avoient trop d'expéïience de cette focon d'agir arbitraire , pour y déférer. Ils comprirent a bon droit , „qu'on devoit mefurer la „liauteur des eaux a leur première fource," vu qu'ils r.voient éprouvé, „que grosfies dans leur cours, et des„ cendues en torrent dans la plaine, elles inondent les cam.,pagnes, ou les traverfent dans tous les fens :" ce qu'ils vouloient prévenir. Necker (Pouv. Exécut. T. II.p. 6.) penfoie que cette précaution n'étoit pas nécesfaire; paree qu'il fe nguroit, que fon plan chéri de compofer le nouveau gouvernement d'un roi et de deux chambres, devroit alors tomber. Mais ceci n'en réfultoit nullement, et un gouvernement confhlant en un roi et en deux chambres, tirées de tout le c.orps de la nntion et qui le repré» fentent, est ausfi compatible avec 1'égalité des droits de 1'hoHime daus 1'état civil, qu'un gouvernement, compo-  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 175 rcmarquer quelque chofe en particulier fur ce qui y a été oppofé depuis peu par edmund bu r- ke fé d'un roi et d'une asfemblée nationale, ou que celui qui feroit formé d'une asfemblée législative et d'un confeil exécutif. Cette forme de gouvernement ne fait rien p?r elle-même a 1'esfence de 1'égalité ou de f inégalité des droits de l'homme dans 1'état civil: comme il fe concoic aifément, et qu'il feroit facile de le prouver, s'il falloit traiter de la forme de gouvernement, qui feroit la meilleure et la plus asfortie & fégalité des droits de l'homme ,• mais dont ce n'est pas ici le lieu de parler. Je perfisteen atten. dam a penfer, que, paree que le pouvoir exécutif d'alors a negligé de mefurer la hautcur des eaux a leur previsere fource, il faut lui imputer la plupart des malheurs de Ia France et de 1'infortuné Louis XVI. Ceux qui fe rappellent la faute, légere en elle-même, que les Carthaginois commirent au commencement de la première guerre jmuique, en quittant trop tót le détroit de Mesfine; ainfi que celle du maréchal autrichien Neuperg, dans ces derniers temps , au commencement de la première guerre de Siléfie, en n'attaquant pas les Prusfiens a Jagerndorff; ct réfléchisfent, que la première a préparé la deftruaion deCarthage et de la conquête de tout le monde connu d'alors par les Romains; et Ia derniere la pene de la Siléfie pour 1'Autriche, - doivent fentir quelles terribles fuites une première fausfe démarche , et qui eo. elle- même ne paroit d'aucune importance , peut avoir fouvent dans les grandes affaires. — Cet ouvrage da necker contient d'ailleurs beaucoup de bonnes cho' fes et dignes d'être lues , dans les endroits oü il remar*  \?6 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c; KE f». Outre que ce n'est guere qu'une pom«' peufc éloquence de mots, qu'un vain apparat de quelque fcience de Pantiquité , que des expreslions fystématiques, des décifions magiftrales , prononcées d'un ton d'autorhé , mais fans preuves, ii a écé, quant a ce qui concerne la décla* iration des droits de rhomme, fuffifamment réfuté par thomas payne dans fon excellent ouvrage, qui a pour titre: droits de rhomme: et qui est ausfi asfez généralemcnt connu dans nos provinces (i). Mais vu que le fujet, que nous traitons, esc d'une celle imporcance, qu'il mérite tien d'être envifagé et qu'on ne fauroit 1'envifager asfez par toutes fes faces, je m'arrêterai encore un inilanc a ce qui a été reniarqué par burke, contre cette égalicé des droits de l'homme dans 1'écac civil. » Si marqué phifieurs fautes importantes et incontéstables dans la confiitution frsncoife , telle qu'elle a étê déterminée pr.r rasfemblée conftituante, ou la compare avec d'autres gouvernemens.] (a~) Réjlexions fur la rivolution defrance firV. //. parties. a Amlt. chez Changuiou et du Four. Je n'ai pas l'édition angloife , et ne counois 1'ouvrage que par cette traductiou. (i) II a paru en bollandois chez le Libraire Mejer k Rotterdam.  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. iy7 ,, Si Ia fociété civile , dit - il (a) , est faite j, pour 1'avantage de rhomme, chaque homme a » droit a tous les avantages pour lesquels elle j, est faite. C'est une infitution de hienfaifan- ce, et la loi elle-même n'est que la bienfai* fance dirigée par une certaine regie. Tous „ les hommes ont le droit de vivre fuivant cette regie. Ils ont droit d la justice, et ce droit », leur appartient contre les plus forts de même „ que contre les plus foibles. Ils ont droit a 5, tous les produirs de letir induftrie ; et k tous s, les moyens de la faire fruétifier. Ils ont droit d'appartenir a leurs pere et mere. Ils ont „ droit d'élever et de p.rfeétionner leurs enfans. „ Ils ont droit aux inftru&ions pour le temps „ de la vie, et aux confolations pour le mo„ ment de leur mort. Quelque chofe qu'un „ homrne puisfe entreprendre féparément pour „ fon propre avantage , fans empiéter fur l'a« „ vantage d'un autre, il a le droit de le faire* „ il a en commun avec toute la fociété un „ droit incontestable a prendre fa part dans tous „ les avantages combinés d'induftrie et de force „ qu'elle procure. Mais quant au droit de „ partager le pouvoir, l'autorité ou la conduite „ des affaires de 1'état, je nier ai toujours trés ,, for- . Q) Réfiexion fur la rivol. ie fr, I. P. p. 99, M  178 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c „ formclhment qu'il foit au nombre des droits „ dire&s et primitifs de rhomme en fociété civi„ le; car je ne m'occupe que de l'homme civil et „ focial, et pas d'un autreè" Mais fi burke , avoit forme fa conclufion conféquemment a 1'éioge qu'il avoit fait du fondement fur lequel 1'infütucion bienfaifante de la fociété civile porte, il auroit dü convenir fans replique ; que parmi les droits , auxquels cette inftitution bienfaifante a dormé lieu , fe trouve celui de concourir en perfonne ou par des délégués, a déterminer la volonté, ou les loix, de Ia fociété, puisque que c'est a la continue le feul garant, que chacun jouira de ces droits,pour 1'amour desquels il esc fuppofé être entré dans la fociété; et qu'il s'accorde parfaitement avec le but de 1'asfociation. II n'auroit pas décidé d'une facon et d'un ton arbitraire: ceci est, et ceci n'est pas du nombre des droits de Vhomme en fociété'civile: comme s'il fuffifoit qu'il le prononcac pour qu'il fut recu et cru comme un oracle. 11 auroit premierement discuté et déterminé la bafe et le buc de lafociécé, et cette mefure, l.ifeule, qui foit füre, a la main, il auroit tracé les droits, qui feroient restés a chaque homme dans 1'état civil, paree qu'i! n'avoit pas été nécesfaire, que, pour remplir le but de la fociété, tous fusfent aliénés et mis en commun. Ausfi lui-même avoue: „ que la fociété civile est un réfultat de conven- v ik  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 179 }, tions; que ces convent ions doivent être fes loix i „ que ces conventions doivent modifier et limiter 5, toutes les especes de conf itution que 1'on fait fous le ter me de cette convention; qu'il n'y c% pas de pouvoir, foit législatif, judiciaire 011 3, exécutoire , qui ne foit leur réfultat,* qu'ils „ ne peuvent pas avoir d'existence danstout AUTRE ÉTAT DE CHOSES f»." Mais il penfe que cela même prouveroit, qu'on ne peut reclamer le droit fusdit de concourir a déterminer la volonté de la fociété; comme étant un droit, qui fuppoferoic qu'il n'existe point de fociété civile , et qui y répugneroit abfolument. > Mais nous avons prouvé précédemment (b~) parle but de la fociété, que ce droic fuppofe non feulement une fociété civile, mais s'accorde parfaitement avec ce but, et que celui - ci fans 1'exercice de ce droit , ne peut jamais êcre atteint d'une rnaniere füre et durable? II tache bien de justifier fa thefe,que chaque citoyen n'auroit pas ce droit, „ paree qu'un des premiers buts de la fociété ,, civile , ec qui deviendroit une de fes regies ,, fotidamentales feroit, que perfonne n'est juge „ dans fa propre caufe. Que par cela feul, „ chaque individu fe feroic dépouillé cout-dun- „ coup Ca) Ibid. p. 100. (J>) P- 75—91- P' 125. et fuiv. M 2.  iSo DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c; „ coup du premier droit fondamental qui ap„ parcienc a 1'homme , qui n'est lié par aucun „ contract, celui de jüger pour lui-même, et de „ foutenir fon propre droic." Mais pourquoi est-il die que rhomme s'esc dépouillé dans 1'état civil du droic d'être fon propre juge'? Evidemment pour aucune au re raifon , comme nous avons vu (V), que paree que la fociété ne fauroit autremenc fubfifier: que fétat de na'ure renakroit; et que les hommes fe font réunis en fociété, jullement pour cetce raifon , afin d'être protégés par la force générale concre chacun fcparéinenc, en nut, oü, felon les loix , on devroit prononcer que leur caufe feroit jutte: par conféquent ils ont ausfi dü fe foumeccre a la décifion de ces loix. Mais s'en fuit-il de la que l'homme auroit renoncé entiérement, et sans aucune restriction, au droit de se gouver- ner lui-même? Lorsque ce droic ne répugne non fculement pas au but de la fociété, mais s'y accordc parfaitemenc, comme il a écé prouvé au long ci-desfus (£)? Renoncer a êtrt mon propre juge, dans ma caufe propre et particuliere , esc-ce précifémenc la même chofe, que renoncer a tous autres droits , qui pour- roic-nt f» p. li8. C*) p. 92. et fuiv. •  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 1S1 roient mappartenir hors de la ? Est - il vrai , que pour conferver quelque liberté l'homme 1'aliene toute enttere? — Rien moins asfurément. — L'un peut avoir lieu, fans aucun préjudice de 1'autre ; le premier est même une conféquence de 1'égalité des droits de tout homme, lesquels doivent revenir, tant dans 1'état civil, que dans celui de nature , a chacun individuellement et par \k également, mais dont il ne pourroit jouir fan» 1'aliénation de cette partie de fon droit naturel, en vertu duquel il est fon propre juge; comme il a été pareillement discuté et montré d'une nuniere plus détaillée en fon lieu (a). Si 1'on relic avec attention cette partie du livre de lsurke, (je n'ai que faire a préfent de m'occuper du rcste, puisqu'il ne touche pas la matiere que j'ai en main,) on devra convenir, qu'en ne pofant abfolument point de principes, qui émanenc pofitivement de 1'esfence ou du but de la fociété, et ne batisfant point par conféquent fur des fondemens démontrés et incontestables, il fait tantöt des droits du citoyen dans fétat civil , ce qu'il veut; ct que tantót il attribue a la déclaration des droits de Phomme , ce qu'il juge a propos, fans s'embarasfer qu'il foit vrai ou faux , afin d'établir le fyftême qu'il a embrasfé ou faire voir firn* («) p. ii 8. et fuiv, M 3  i82 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES. &c. rimposfibilité de celui des Francois. Quia, par exemple, encendu un raifonnemenc plus arbitraire, que celui quil fait fuivre après ce que nous venons de rapporter (a) : ,, Le gouvernement n'est pas ,, fait en vertu des droits naturels , qui peuvent exister, et qui existent en effet indépondam. ment de lui (O- Ils font beaucoup plus clairs „ e: beaucoup plus parfaits dans leur abftraction; „ mais cette perfeétion abftraite est leur défaut „ pratique. En ayant droit a tout, on manque de „ tout (2). Le gouvernement est une invention „ de la fagesfe humaine pour pourvoir aux befoins des hommes. Les hommes ont droit a ce que leurs befoins leur foient fournis par cette fa» „ gesfe (_ti) p. 100. et fuiv. (1} Quelle est donc 1'origine du gouvernement? —— N'est-il donc pas le réfultat de la convention de fe réunir en fociété ? — Burke même n'en disconvenoit pas, il n'y a qu'un inftant. II ne repoferoit de cette rnaniere que fur la force ; et en vertu de quoi pourroit-on donc exiger de 1'obéisfance ? — Qui n'ofe pofer des principes, crainte qu'ils ne rentrainent peut-être trop loin , tombe toujours dans des abfurdités et en contra, diétion avec lui-même. (2) La déclaration des droits de Fhomme ne dorne pas a chaque citoyen droit a tout; mais fpécifie expresfement a quoi il a droit ; bukke lui attribue donc ici uue abfurdité, qu'elle n'a pis»  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 183 j, gesfe (i); au nombre de tous ces befoins on convient que hors de la fociécé civile, celui „ qui fe fait Ié plus fentir est de restreindre fuf„ fifamment les pasfions. La fociété n'exige pas ,, feulement qUw* les pasfions des individüs foient réduites; mais mé me que coüeétivement eten „ masfe, ausfi bien que fépurément, les inclina,, tions des hom nes foient fouvent barrécs, leur „ volonté controlée , et leurs pasfions foumifes ,, a Ia contrainte. Cela na peut certainement „ sVpérer que par un pouvoir qui foit hors ff eux„ mêmes (2) , et qui ne foit pas, dans 1'exercice de les fonétions, foumis a cette même volonté ,, et a ces mêmes pasfions , que fon devoir est de doivpcer et de foumerre. Dans ce fens la con,, trainre est, ausfi bien que la liberté, au nom„ bre des droits des hommes. Mais comme la „ liber- (O Que font ici des befoins? Quand est-ce le moment, que je puis faire ufage de ce droit ? — Et-jusqu'ou, va ce droit? (a) Cela est vrai , en Ie prenant dans un fens raifonnable ; car le pouvoir, qu'on appelle gouvernement, existe, comme tel, hors du peuple; mais il ne 1'est pas, fi 1'on entend par la qu'il doit fon origine a quelqu'un autre, que le peuple. Dans ce fens il a été créé par la fociété, et celle - ci peut, s'il en est befoia, appeller fa créature a rendre compte , et, fi elle le juge è propos, lui donner une autre forme. U 4  r84 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES cxcl „ liberté et fes reflriêtions varient avec le temps „ et avec les drconftanccs, comme elles admet„ tent rune et l'autre des modlpcations jus qu'a „ l'infini, on ne p£Ut les faumettre a aucune » regie fixe , et rien n'est si insensé 3, que de les d.iscuter, comme si cela pouvoit être." Je demande s'il feroit posfible d'accumuler dans un petit espace plus de contradiclions, plus de pretentieus vagues et arbitraires, qu'une réfiexion atceutive n'en découvre dans eet endroit? Si la liberté dans une fociété civile ne peut être asfignée felon une regie fixe, a laquelle chacun puisfe 1'éprouver et la mefurer, qu'est-elle alors, qu'un vain fon, qui n'a point de fignificatiou réelle et véritable ? C'est un nez de cire au- quel chacun le tyran et le philofophe, peuvent donner la forme qu'il leur pïafc, et qu'on peut faire fervir aux vues les plus finifires ,. comme aux plus falutaius. Quelle feroit donc la condition des hommes dans 1'état civil, autre que celle d'une troupe d'csclaves, auxqucls le charitable burke, ne refufera apparemment pas le droit, de folliciter refpeclueufement leur maitre, de pourvoir a leurs befoins, et de lesjtenir conti« nuellement foumis a la contrainte nécesfaire pour réprimer leurs pasfions individuelies ct collccti- yes? Quelle fera fur. tout cette liberté, ü  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 185 fi elle peut êcre modifiée d Pinfini? —— Mais jusqu'oü ne vont pas les chofes , lorsqu'on ofe ccrire publiquement, que rien n'est fi infenfé, que de les discuter, comme fi cela pouvoit être ? — En forte que l'homme dans 1'affaire, qui est la plus importante pour lui dans ce monde, feroic condamné a un refpeétueux filence par rapport a toutes les actions, qui pourroient y répugner, et dont il devroit montrer la violence cc 1'illégitimité , par le raifonnement. Comme le bceuf esc force de s'accommoder au joug, auqucl on 1'asfujeccic, l'homme devroic de même, dans les diverfes modificacions de fa libercé, plicr fans cesfe fa voloncé ec fes droits naturels au gré de fon cyran , fans qu'il ofac lui dire, que fais-tu? Mais burke avoic fans doute raifon de vouloir que coute discusfion des droics que l'homme a a la libercé , lui fut incerdice : car il avoic asfez de jugemenc pour fentir, qu'en permetcant cette discusfion, il perdoic fon procés, ec que la rille immortelle de Ia raifon, de la juscice ec de la Divinicé devoic gagner fa caufe de la rnaniere la plus complecce ec la plus viétorieufe. II s'est bien gardé ausfi par cette raifon d'atcaquer la déclaration des droits de Fhomme par le raifonnemenc ec de prouver par cecce voie qu'elle ne fauroit fubfiller.— II lui paroisfoit bien plus court et plus aifé, en fuivant 1'ancienne et louable coutume des fuccesM 5 feurs  tZ6 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES Sec. feurs de St. Pierre, ou en laisfa.1t Jormir tranquillemen; les principes, a l'cxomple de machiavel, d'employer contre elle le fecours des anathêmes et de Pen foudroyer du haut de fon tribunal fuprême (i). Quand je confidere tout cela; quand je lis les autres fophismes qui lüivent encore, par exemple, „ que du moment qu'on öte ou altere quel„ que chofe en général a ces premiers droits de „ l'homme, et qu'on fouffre que 1'on y apporte „ quelques limires pofitives, ausfitót toute Vor- ganifation du gouvernement devient matiere „ de convenance;" c'est • a - dire , dont, lllon les circonftances on peut faire ce qu'on veut; et par conféquent l'inftitutïon la plus arbitraire. Quand je confidere tout cela, que j'y réfiéchis, je ne concois que diffkilement que eet ouvrage de bprke ait pu avoir quelque fuccès parmi une nation ausfi éclairée et ausfi dévouce a la liberté, que les Anglois; a moins que ce ne fut pour la fin^ularité de fon contenu; et pour le contraste frappant qu'il offre avec les fen- (\) La troifieme feftion du premier chapitre (7. I. p. 22.) de 1'ouvrape intéresfant de sidney, Discours fur le Gouvernement, a pour titre : La foi implicite nest que pour les fous : et pour connoitre la vérité il faut nécesfairement examtner les principes.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 187 fentimens, qu'en des temps antérieurs et en am\ chant des principes tout oppofés, fon auteur aprofesfés avec gloire, pubiiquement et en toute rencontre (1). Je me rappeile entr'autres d'en avoir lu autre fois ce trait remarquab!e: „ Le Chevalier george saville, qui ,, n'est pas un brouilion , dit en 1'année 1770 , t, dans la cbambre des communes d'Angleterre: „ Cette chambre a trahi les droits de la „nation. Le chevalier Alex. Gilmour exi„ gea qu'il rendit raifon de ce dire. Le Générai „ Comway prétendit, que ces paroles méritoient „ répréheniïon, que de cette rnaniere on injurioic „ le parlement; et que des membres avoient été en- (1) [Après que j'eus écric ceci, il m'est parvenu encore une autre réfutation de ce livre de eurke, fous le titre de vindicia gafliiae, ou défenfe de la révolution francoife &c, par j. mackintosh, traduit de 1'anglois et imprimé a Dordrecht chez de Haas 1702, en grand 8vo. Oü cette partie de .1'ouvrage de bürke est «usfi fupérieurement réfutée: (ƒ>. 165. fuiv.). J'y renvoie le leéteur et ce m'est une grande fatisfaftio» qu'un écrivain ausfi folide,que mackintosh, déduife les droits de rhomme dans fétat civil du même principe, favoir le but de la fociété, duquel je les ai moimème déduits ci-desfus, et qu'il les fixe par ce moves tt .es défende avec la raème clarté et Ia même force, sjjue je 1'ai fait.  188 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES && „ envoyésaLA tour pour de femblables propos; mais que comme il croyoit qu'ils avoient „ éce proférés dans une vivacité , il fe bornoit ,, a fouhaicer que ce membre fut plus circonfpecl „ a 1'a venir. Le 'chevalier georgesaville rephqua qu'il avoic parlé fans emportement, „ qu'd n'avoic pas coutume d'employer d'autres' „ termes, quand il feifoit mention de la conduite „ que la chambre avoit tenue dans 1'affaire „ couchanc 1'éleétion de Middlefex; et qu'il en> „ ploieroic toujours les mêmes cxpresfions, coures „ les fois qu'on délibéreroit fur ie même fujet. Mr. Serj. glynn pric la défenfe des termes, „ donc il s'écoic fervi. IJ remarqua, que c'écoient „ les feuls dans leur langue, qui pusfenc expri,, mer fidée.de la chofe; qui fi f0n prouvoic ,, qu'ils avoient écé employés d'une chofe , qui „ n'exiscoic poinc , perfonne ne feroit plus prêt „ que lui, h maincenir 1'honncur du parlement, „ en appellant le membre, qui les avoic profé' „ rés, a rendre raifon de fon procédé; mais „ que s'ils écoienc au contrain fondés fur'Ja vé„ ricé , les fuffrages de Ja pluralité n'écoienc „ pas en étac de Jes rendre punisfables. Le Sieur „ edmund burke défendit pareillemenc le „ Sieur sa viel e avec beaucoup de feu ; il „ défia le miniifere de punir le chevalier, fi 1'ac- ,> «I*  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 189 „ cufacion étoit fausfe, en difant, que fi Paccu„ fat ion étoit fausfe et injuste, le membre, qui s, P avoit faite, devoit être envoyé d la tour: mais en y ajoucant en même temps, que les „ minifires étoient convaincus pas devers eux„ mêmes de la vérité du reproche, et prenoient „ par cette raifon le parti de Pendurer patiem- ment et Idchement. II dit encore: que lepeu„ ple avoit le préfentminiftere en averfion, et de ,, man da d Porateur, fi fon fiege ne tremblois „ pas fous lui. Comme la discufion alloit fe cerminer, le „ Chevalier saville fe leva une feconde fois, „ et déclara, qu'il étoic encore ausli calmequ'au,, paravant; qu'il ne pouvoit 1'êtrc davantage; et faifant ufage du mot de Shakespeare : citez „ moi en justice , et je le répéter ai &c. : il finit par ces paroles: moi donc , ici préfent, „ en ma qualité, comme membre de la part du „ comté d'York, déclare, que la chambre „ des communes a trahi les droits „ de la nation. Tout cela cependanton 1'a laisfé pasfer, faas y faire attention (a)." Et O) Dans les Polit. Disq. T. I, p. 478. et cité dan» Ia préface de feu capeli.en van de pol avant les conftderat. itlter. fur la nature et la valeur de la liberté civile de price p, 46—43.  rpo de l'égalitê des. hommes &c; Ec quels étoient ces, droits de la nation, que Burke ausfi bien que sa ville croioient avoir été trahisy par Ia chambre des communes ? Étoient-ce des befoins, auxquels il devoit être pourvu par Ie parlement? Étoient-ce des pasfions du peuple qui devoient être réprimées ? Étoient - ce les droits que chacun a fur les fruits de fon induftrie particuliere, celui d'appartenir ct fon pere et a fa mere, ou le droit que ceux-ci ont d'élever et de perfeclionner leurs enfans, qui furentléfés dans le cas donc il s'agit?— Non. Ce furent ces droits de la nation qu'elle avoic excrcés en élifant un membre repréfentantpour la cham~ bre des communes , qui furcnc trahis. II faut favoir que Wilkes avoic été élu par ceux de Middlefiex pour leur député a la chambre des communes: mais celle-ci trouva bon de 1'exclure. Sur ce!a ceux de Middlefex 1'élurent de nouveau ; mais la chambre le rejetta pour la feconde fois, ec Ie méconcentemenc du public , qui compric, qu'il lui éioic trés fort permis de discuter fes droits, accruc cellement par la, que foixante mille perfonnes demanderenc au roi la disfolution de ce parlement. II s'agic donc précifément dans cette affaire de ces droits de la nation dans fétat civil, dont il est ici proprement question; — et burke les reconnut alors et les défendit d'un ton male. ——— Mais c'étoit b ur-  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. ipi burke du bon vieux temps, et celui que nous avons a combattre k préfimt, est burke d'aujourd nui: deux perfonnages , qui ont joué des röles trés differens , smxquels il n'est pas posfible de reconnoitre le même homme. Je pa-fe aétuellement k la discufion des conféquences importantes , qui femblent dériver , pour le genre humain en général , des principes pofés de 1'égalité des droits de l'homme dans 1'étac de nature et civil: discusfion , a laquelle j'ofe foliiciter et presfer mes ieéteurs de prêter encore quelques momens d'atlention. SEC-  roa DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES dcc.' S E C T I O N HL conséquences rélatives aux droits et devoirs mutuels des peuples, qui réfultent de Végalilé des droits et devoirs des hommes dans Pétat de nature et civil. T J—'a première consequence, qui réfiüte par rapport aux peuples entr'eux , de 1'égalité de9 hommes, telle que nous venons de la démoncrer, comme f ausfi de celle de leurs droits et devoirs, tant dans 1'état de nature, que dans celui de fo-" ciété , confifte en ce que les droits et devoirs d'un peuple a 1'égard d'un autre peuple , d'une nation indépendante rélativement \ une autre,font parfaitement les mémes que ceux d'un homme, qui ne dépend que de lui feul dans 1'état de nature , envers un autre homme. En effet, quand il s'agit des peuples, fétat de nature fe reproduit dans toute fa vigueur; aucun autre ne peut fubfifter entre deux nations indépendantes; ec par  T>E L'ÊGALITÉ DES HOMMES &c. iP3 par conféquent la même égalitê ainfi que les droits et les devoirs, qui en émanent, que nous avons vu qui existent dans fétat de nature entre des individus indépendans , doivent avoir lieu entr'eik-s. „ Puisque les hammes , dit „ vattel (V), font nacurellement égaux, ec „ que leurs droits et leurs obligations font les „ mêmes, comme venant également de la nature, „ les nations compofées d'hommes et confidérêes „ comme autant de perfonnes libres, qui vivent enfemble dans Pétat de nature, font naturel„ lement égales et tiennent de la nature les & mêmes obligations et les mêmes droits. La „ puisfance ou la foiblesfe ne produifent, a eet „ égard, aucune différence. Un nain est ausfi ,, bien un homme qu'un géant: une petite répu„ blique n'est pas moins un état fouverain quele „ plus puisfant royaume. Par une fuice nécesfaire „ de cette égalitê, ce qui est permis h une na„ tion, Pest ausfi a toute autre, et ce qui n'est „ pas permis a 1'une, ne Pest pas non plus i 1'autre?" Aucune nation ne peut donc préteridre quelque préeminence-, litre ou honneur au desfus d'une autre; beaucoup moins a-t-elle le droit de la contraindre a les lui accorder. En tous ces points fa) Breit 'Jes geus, prilim. p. 34 N  i?4 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. points elles font parfaicement de niveau; enforte qu'il ne peut proprement y avoir d'autre rang en- tr'elles, que celui du premier venu. Tout autre est contraire a leur égalitê réciproque et blesfe fégalité des droits qui en dérive. Que de flots de fang ont cependant coulé plus d'une fois chez les nations de 1'Europe, pour s'être écarté d'une regie ü fimple et la feule véritable. Que de tourmens d'esprit, d'écritures, de négociations et de peines, n'a pas couté la follicitude fcrupuleufe a fixer le rang, le titre de chacune et ceux des différens ordres de leurs envo* yés. Que de favans fe font épuifés a les déterminer exacfement par leurs écrits? ——■ Par la on a vu fréquemment 1'ouvrage de la paix retardé , fouvent échouer entiérement. La fotte et ridicule manie des rangs et des titres, qui s'est répandue fur 1'Europe, depuis qu'elle a été inondée par les Gotks , les Vandales , les Huns et autres nations barbares, ne s'est pas bornée aux individus: elle a rempü les peuples refpeétifs du même orgueil et de la même morgue; et nous leur avons vu exiger les uns des autres les mêmes diftinétions, qui ont lieu entre les particuliers, en raifon de la fupériorité de leur pouvoir et de la confidération dont ils jouisfent. Mille ans hélas! n'ont pas fuffi pour faire voir ce qu'il y a de frivole et d'infenfé dans ces préten- tions.  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &c 19$ dons. Et quoiqu'on puisfe dire a 1'honneur de la philofophie et du progrès des lumieres dans ce fiecle, qu'ils y ont apporté quelque tempérament; ils n'onc cependant pas eu asfez d'efficace, pour ramener les peuples a eet état primitif de nature, ec prévenir qu'on ne fit dépendre la guerre de ce vain point d'honneur. Tel esc le pouvoir d'un préjugé, qui Matte plus ou moins 1'orgueil et la grandeur de l'homme. ■ ■ Une autre conféquence, qui découle de 1'éga < lité des hommes dans 1'écac de nacure et civil, par rapporc aux peuples encr'eux, esc , que chaque nation a un plein droic au libre ufage de toutes les terres, rivieres et eaux (1) qui font fur la terre, fans que 1'une puisfe a eet égard mettre des entraves a 1'autre. Elles ont été évidemment destinées par Ie créateur bienfaifant de 1'univers et don» nées a toute 1'espece humaine , pour le bien ec 1'utilicé générale, et pour étre des moyens propres a CO 11 est clair, qu'ici et ailleurs je n'entends pas tles eaux, qui font entiérement renfermies dans les terres de 1'un ou 1'autre peuple, et qui font par conféquent occupécs de fait par une posfesfion aüuelle et expresfeg mais celles , qui baignant les terres de différens peuples, ou qui ayant une communication immédiate avec des nrers et des rivieres , femblent avoir été données par la nature même pour fufage de tous, N a  ig6 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. \ favorifer la communication entre fes différente» parties ec ferrer les liens de la grande fociété des hommes plus étroitement, qui'il n'auroic écé posfible fans cela. . En conféquence il faut que tous les peuples, fans diftinétion, puisfenc y faire par-touc un commerce libre, fans qu'aucun deux y apporce le moindre empêchement ou la moindre gêne. II n'est pas même permis a un peuple d'incerdire dans fon propre pays le libre crafic, foit a un aucre peuple, foic a fa propre nation, ou de le rendre difficile ou impracicable par des obftacles indirects, fans les raifons les plus graves et les plus évidences. II le pourroic par excmple, s'il craignoic d'êcre infeécé par la pesce, ou fi 1'on imporcoic des denrées, qu'une expérience incontescable auroic appris qui font dangereufes et nuifibles pour la vie et la fanté des hommes; ou encore dans les funestes temps de guerre. Dans ces cas on pourroic faire une excepcion légitime a cette regie générale. Mais hors de la on s'oppofcroit direclement par de pareils empêchemens et entraves aux vues miféricordieufes du créateur, qui n'a pas crée les produétions de la terre, des mers, des rivieres et des eaux pour tel ou tel peuple en particulier, mais pour couces les nations, pour tous les hommes en général et enfemble ; qui même par cette raifon a fait venir les chofes qui ne fe trouvent pas par-tout, celles-ci en tel en-  DE L' ÉGALITÊ DES HOMMES &e. 197 endroit, celles-la en tel autre, et a par cette dircction conduit les divers peuples comme par la main a une communication mutuelle par des échanges et en fe faifant part de ce que 1'un a de plus que 1'autre , afin de parvenir fürement par cette voie a la jouisfance de ce que la terre produit dans les différens clknats. „ Dieu 1'enfeigne," dit grotius f», „ par la nature des chofes 9 „ puisqu'il n'a pas voulu que tout ce qui est né„ césfaire a la vie , fe trouve par - tout; et qu'il ,, permet qu'un peuple furpasfe 1'autre dans les „ arts, dans la vue de cultiver 1'amitié parmi les hommes par une difette et une abondance mutuelle, afin que les nations particulieres, cro„ yant fe fuffire geiles-mêmes, ne devinsfentpas ., infociables. Pareet arrangement de la justice „ divine les chofes font a préfent confiituées de „ rnaniere, qu'un peuple remplit les befoins de „ 1'autre et que paria cequi croit dansun endroit, ,, femble être produit par-tout. Quicon- „ que prétendroit donc óter ce droit d'une navi„ gation et d'un commerce libre , priveroit le „ genre humain de la communication mutuelle la „ plus indispenfable , comme des occafions de „ fe faire réciproquement du bien, et feroit vio«, lence a la nature même." Sur (*jQ Mare libcrum cap. Lp. i, fq, N 3  ip8 DE L* ÉGALITÊ DES HOMMES &c. Sur ce fondement il penfe donc ausfi avec d'autres, „ qu'en général aucun prince ou républiquj „ ne peut cmpêcher que les fujets d'autres états „ viennent trafiquer avec ceux de fon propre pays, ou les flens avec ceux des autres ( „ et montés pour la plus grande partie par dei „ matelots anglois. Que les produtlions de „ 1'Europe ne feront transportées en Angleterre, N 4 ,, que  aoo DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES SÉci » que fur des vaisfeaux anglois, ou de la nati., on , chez laquelle ces denrées font fournies „ parle jol, cruhfent ou font fabriquées, pour, vu qu'on ne les amene point d'autres endroits , „ mats feulemcnt de ceux ou elles font indigenes „ et d'oü elles font d'ordinaire expédiécs la pre, „ miere jbis. Qtfaucune espece de mbrue, ha„ reng ou autre poisfon falé , non plus que la „ chair, faflons ou hmle de baleine ne feront ap„ pprcés dans le royaume ou en feront exporcés „ par d'autres que des navires anglois Ca)." ,Qu'on réfléchisfefiir les procédés cie la plupart des autres peuples. et fur le nötre même en Afrique, eq Afte et en Amérique; ec fon trouvera qu'il s'en faut bien que la conduite d'une grande partie du genre humain s'accorde en ce point avec la volonté juste ct équitabie du créateur, et qu'au lieu de fe regler, ne füc-ce que dans un rapport éloigné, fur cette voloncé, la plupart des peuples ont pris formellement a tache, par des établisfemenc humains de touc genre, de s'en écarcerencié- lement et ibuvenc de 1'anéancir cotalement/ i je fais, que ce mal a jetté les plus profondes racines. II est posfible que quelques-uns regarderont par cetce raifon, comme un hors d'ceuvre,' que nous infiftions fur fa réparadon ; peuc-êcre même (a) Hist. d& la patrie T. XII. p. &12.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. zot même en envifageront-rls la rentative comme ridicule : Mais je fais ausfi que cette remarque ne détruira point la justesfe de la maxime que nous venons de discuter, et que des peuples, qui la violent, fe rendent ausfi bien coupables de transgresfion , qu'ils le feroient par toute autre injustice : cc je ne vois pas, pourquoi on ne pourroit point leur adresfer dans ce cas, comme dans celui de toute autre perverfité, cecce exhortacion: „ peuples! renoncez a votre iniquité, et „ reglez-vous fur la volonté et 1'excmple de vo„ tre créateur, pere ec bienfaiceur commun; qui „ a donhé la terre a cous les fils des hommes, „ pour en faire ufage, et y a mis les mers, les ,, rivieres ec les eaux , afin qirelles* remplisfent „ ce but et rendent la communication plus aifée „ a tous. Souvenez-vous, qu'il n'a dit a „ perfonne d'encre vous cous: vous viendrcz jus., que • ld et vous n'irez pas plus loin : vous „ donc ne le faiccs pas. Mais plurót ou- 3, vrez vos ports ct vos avenues a vos prochains, „ a vos freres, afin que le genre humain, con„ formément a la volonté de celui qui fa créé, „ prenne de plus en plus 1'aspect d'une véricable ., fociété de freres." . Que le genre humain feroic en effec heureux, pouvoic , fans être empêché , inquiécé ou grévé a cec égard par des charges erop pefances, N 5 . trans-  ioa DE L'ÉGALITÊ* DES HOMMES &tf transporter par-tout, chez tous les peuples fans exception , les biens de ce monde, les echanger, en trafiquer, et accomplir de cette rnaniere la volonté de celui, qui les a fait venir a cette fin en différens lieux de la terre. Ce feroit obéir réellement aux loix de la nature; et ce reglement, cette pratique feroient bien plus dignes de la fagesfe des principaux gouvernemens de 1'Europe , que la politique étroite et dure qui fubfifte encore a eet égard. L'Angleterre, la France, 1'Efpagne et la Hollandefuffiroientadonneren ce pointunfiilluftre exemple d'humanité; et il faut espérer, que pour 1'honneur et la felicité du genre humain, 1'attention de ceux qui les gouvernent, s'arrêtera un jour fur eet objet. ^ II n'est pareillement permis a aucun peuple de s'approprier ou de s'arröger une plus grande portion de terres incultes et inhabitécs, qui fe trouvent encore dans le monde , qu'il n'est en état d'occupcr aétuellement et de convertir a fon ufage- Nous avons-vu ci.desfus (a)\qu'une perfonne particuliere, dans 1'état de nature, n'cn a pas la liberté, et par la même raifon tout un peuple ne fauroit 1'avoir. La terre a été donnée aux hommes pour fervir a leur ufage, et par cela même il n'est pas permis de 1'enlever a une partie, 00 />• 5i. piv.  DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. 203 ne , qu'aucant qu'on peuc 1'employer réellemenr. Avec quelle téméricé , avecquelle injufHcen'enonc donc pas agi quelques poncifes de Rom?, ec a quel poinc n'onc-ils pas atcencé direétement aux droics de cous les peuples ec de cous les hommes , lorsque par des huiles , corroborées d'un fceau , qui porcoic i'empreinte d'un pau. vre pécheur pénhent, ils partagerent de desfi.19 leur humble fiege tout le nouveau monde, ec en dispoferent, comme de leur propriécé légicime, en faveur de deux royaumes ! Commenc encore Ja conduice de plufieurs nacions en diverfes parcies du globe, en Alle, en Afrique ec en Amérique s'accorde - c - elle avec ce qui vient d'être dit! Comment s'y accorde le procédé des Anglois dans la Nouvelle liollande, ou, cn occupant de fait Un petic espace de cerrein , qui ne vaut pas la peine d'être nommé, ils s'approprient, dansles ordres , donnés au gouverneur pour la prife de posfesfion , une étcndue confidérable de pays, ct femblent la vouloir ötcr a coute autre porcion du genre humain (a). Si (d) II faut lire fur ce fujet la rélation du voyage a Botanjbaai, de f établisfement de la colonie angloife&c. par w. tench, p. 83. fuiv. et le fupplement p. 205. fuiv. (chez de Bruin a Arnft. en Svo.)  «o4 DE L'ÉGALITÊ DES HOMMES &c. Si la feconde maxime en particulier, „ qu'en général aucun piince ou répubüque ne peut empécher que les fujets d\mtres états vier.nent „ trafiquer avec ceux de Jon propre pays , ou ,, let fiens avec ceux des autres ."avoic été mieux pénetrée ec obfervée dans tous lts états, on n'auroic pas vu , aux dépens du droic particulier de chaque individu, accorder a di verfes compagnies tanc de privileges escclufirs de commercer fur celles ou telles mers, rivieres et pays, au moins pas ala continue cc pour un grand nombre d'années; mais on auroit laisfé a chacun la jouisfance de fon droit particulier et inaliénable, ec fauroit encouragé a en faire ufage. Sur. tout puisque les fuites ont fait voir oiure cela que ces fociécés exclulïves de navigation et de commerce ne peuvent lubfifter a la longue; qu'elle dégénerent entiérenjencde leur première inilicucion, ec, qu'au lieu d'êcre ucilcs a fétat en général, elles deviennent plucöc des corps nuifibles ec fouvenc excrêmement onéreux, qui menacenc de fencraïner touc encier dans leur chuce ec de 1'accablcr. —- Mais c'esE la le cours ordinaire des chofes, dès qu'on s'écar- te concinuellemenc des loix de la nacure. II réfulce en troifieme lieu des principes pofés de 1'égalité des hommes en droits et en devoirs, qu'il n'est pas permis a un peuple d'enlever a un' autre la moindre chofe de ce qui lui appartient, nj  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 205- ni biens, ni vie, ni libercé, II faut qu'ils foienc ausfi facrés pour deux nations indépendantes, que nous avons vu qu'ils doivent 1'être pour deux particuliers dans fétat de nature. „ Quiconque," obferva a bon droit f reder ic II. (a), „ veut ,, asfujcctir fes égaux, est toujours fiinguinaire et „ fourbe." L'atceinte portée a ces droits des nations peut par cette raifon être repousfée par la force; et fi un petit peuple n'y fuffifoic pas vis-avis d'un autre plus puisfant, il feroit de fintérêc, comme du devoir des autres peuples, de prêter leur fecours a eet elfct. Toute une nation, qui voit commectre envers une autre nation des aétes de violence oud'ufurpation, qu'elle pourroit empécher, foit feule, foit avec l'asfiflance d'un tiers, est ausfi étroitement tenue d'y prendre une part aclive, qu'un particulier, témoin de la violence faite a un autre homme, en rue ou fur le grand chemin, lorsqu'il peut s'y oppofer, ou par luimême, ou avec 1'aide d'autres perfonnes, est obligé de fecourir 1'opprimé contre fon oppresfeur. Toute guerre par conféquent, par laquelle les droits fusdits des nations font attaqués de cette rnaniere préméditée, est illicite et purement op- pres/iye. Le fang, qui y estrépandu, ec le (*) Anti • machiavel f, 36.  aoó" DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &ci Ie torc qui y est fait a chaque perfonne individuelle fera tót ou tard porté en compte, et ce fera une chofe trés difficile de s'en juscifier. „ Je me per„ füade," difoit un roi, qui pouvoir parler, par evpérience, „ je me perfuade que fi les monar- ques voyoicnt un tableau vrai des miferes qu'at„ tire fur les peuples une feule déclaration de », guerre, ils n'y feroient point infenfibles. Leur „ imagination n'est pas asfez vive pour leur re„ préfenter au naturel des maux qu'ils n'ont point „ connus, et a 1'abri desquels les met leur con- ,, dition. Comment fentiront-ils ces im- „ pöts qui accablent les peuples; la privation de la jeunesfe du pays que les recrues emportent; ,, ces maladics contagieufes qui défolent les ar„ méés; 1'horreur des batailles, et ces fieges plus „ meurtriers encore ; la défolation des blesfés „ que le fer ennemi a privés de quelques-uns de s, leurs membres , uniqucs inftrumens de leur 9, indulrie et de leur fubfiftance; la douleur des orphelins qui ont perdu par la mort de leur „ pere 1'unique foutien de leur foiblesfe; Ia perte „ de tant d'hommes utiles a l'état, que la mort „ moisfonne avant le temps? Les fouvcrains qui „ regardent leurs fujets comme leurs esclaves, ,, les hafardent fans pitié, et les voient périr fans „ regret; mais les princes qui confidcrent les ,» hommes comme leurs g c a u x , et qui envi-  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 207 [agent le peuple comme le corps dont ils [ons „ Paine , font économes du fang de leurs fii„ jets (a)" II faut donc espérer, que tous les peuples, ne pouvanc disconvenir de la vérité de cetce asfertion, ec touchés des dommages et de la mifere, que chaque guerre répand fur le genre humain, fe foumetcronc enfin a 1'équicé et a la justice de cette maxime! Qu'ils fentiront tous une fois la véricé, renfermée, pour tous les peuples fans distinction, dans une autre réflexion de ce même roi, lorsqu'il dit: „ Infenfés que nous fommes! ,, nous voulons tout conquérir, comme fi nous „ avions le temps de touc posféder , et comme „ fi le terme de notre durée n'avoit aucune fin. „ Notre temps pasfe trop vice, et fouvent lors,, qu'on ne croit travailler que pour foi- même, „ on ne cravaille que pour des fuccesfeurs indig„ nes, ou ingrats (£)." Mais une conféquence non moins certaine, qui découle des principes fusdits, c'est en quatrieme lieu, qu'il feroit de la plus haute injustice et ne pourroit être confidéré que comme une violence manifeste, qu'un peuple prétendroit s'ingérer d'une rnaniere aétive dans les affaires domesciqucs d'un £a) Anti - machiavel p. ipo. fuiv. (O Ibid.p. 31.  ao8 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &* d'un autre, et 1'obliger d'y fuivre d'autres idéés et d'autres dispofidons que les Hennes propres. Dans 1'état de nature , avons-nous vu, chaque individu peut faire ce qu'il veut, il peut fe tenir debout, marcher, fe promener, penfer, parler, regler fes propres affaires et les diriger a fon gré , tant qu'il -n'empicte pas fur les droits des autres. II en est de même des droits d'un peuple par rapport a un autre. Et toute nation ou puisfance, qui y porteroit atteinte, agiroit ausfi mal et ausfi injustement, qu'un particulier qui s'en rendroit coupable envers un autre particulier dans fétat de nature. L'un feroit une acdon de pure violence et d'oppresfion ; et par la même raifon il faudroit qualifier 1'autre du même nom. Beaucoup moins encore esc - il permis h un peuple de fubjuguer 1'aurre ; de le réduire en fervitude, ou de le rendre esclave d'un tiers. Rien ne fauroit répu-ner davantage a fégalité des droits de tous les hommes réciproquement, et par conféquent ausfi a ceux des nations vis-a-vis des autres nations, que les effbrts de l'un a s'ériger par la force en despote et cn maitre de 1'autre. Mais il n'y a malheureufemenr point de pêché qui fe commette pius journcllement parmi les peuples, que la violadon en ce point des loix naturelles, qui font celles de Dieu. II ne fepasfe presque point d'année, qu'on ne voie agir contre lei  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 209 les droits incontestables de 1'humanité , par les empires et les états les plus confidérables, comme par ceux qui font moins puisfans , et fouvent commettre des aétions, que la politique infidieufe et fes discours pompeux , ne font pas capables de pallicr, de justifier , beaucoup moins encore de rendre moralement bonnes, aux yeux du philo- fophe et de 1'ami des hommes. II n'y a presque poinc d'état en Europe , qui n'ait été troublé, point de tróne, qui n'ait été ébranlé par cetce caufe, et point d.e prince, qui n'ait éprouvé la vérité de cette réflexion. Plüt donc au ciel, qu'il vint un temps, oü le genre humain, créé pour fon bonheur et fo:i bien-être mutuel, cesfdt d'être fon propre bourreau ec fon descruéleur.' 011 il refpeéric Fégalité des droics des nacions et ne s'abftint pas de couc accencat et de toute ufurpation par la feule crainte de leur puisfance refpeélive; oü par conféquent les pecics écacs fusfenc autant en furecé , que les plus puisfans empires.' Un nain, avons-nous entendu, il n'y a qu'un inftanr, est ausfi bien un homme qu'un géant • et a par conféquent les mêmes droits. Le fecond ne peut donc jamais priver le premier de fa liberté , lé réduire par la force fous fon empire ou 1'asfujettir a celui d'un aucre, fans violer de la rnaniere la O plus  £io DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c plus oppresfivc a 1'égard de chaque individu 1'égalité des droits naturels de tous, et fe rendre coupable de Ja plus haute • injustice. „ La fociété „ univerfelle du genre humain," dit vattel (V) , „ étant une inftitucion de la nature elle-même, » tous les hommes, en quelque état qu'ils foient, „ font obligés de la cultiver et d'en remplir les „ devoirs. Ils ne peuvent s'en dispenfer par au„ cune convention, par aucune asfociation par„ ticuliere. Lo:s donc qu'ils s'unisfenc en fo„ ciété civile, pour former un état, une nation „ a part, ils peuvent bien prendre des engage„ mens particuliers envers ceux avec qui ils s'as„ focient; mais ils demcurent toujours chargés „ de leurs devoirs envers le reste du genre hu~ „ main. Toute la différence confifle en cc qu'c„ tant convenus d'agir en commun, erayantre„ mis leurs droits et foumis leur volonté au corps „ de la fociété, en tout ce qui intéresfe le bien „ commun, c'est déformais a ce corps, a fétat „ et a fes conducteurs de remplir les devoirs de „ 1'humanité envers les étrangers , dans tout ce „ qui nedépend plus de Ja liberté des particuliers, „ et c'est a Pétat particuliérement de les obfer- («O Droit des gens prilim. p. 31.  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 211 „ ver avec les autres états. Nous avons déja „ vu que des hommes unis en fociété, derneurént „ fujets aux obligations que la nature hutnaine „ leur itnpofe, Cetce fociété confidérée comme „ une perfonne morale, puisqu'elle a un encende„ ment, une voloncé ec une force qui lui font propres , esc donc obligée de vivre avec les „ autres foei ét és, ou états , comme un homme „ étoit obligé avant ces établisfemens, de vivre „ avec les autres hommes, eest • d - dire, fuivant les loix de la fociété naturelle, établie dans „ le genre humain? O fi nous pouvions donc biencöt voir arriver le jour, que tous les peuples de la terre,rendant hommage a ces loix éter. elles et immuables de la nature, les prisfenc, nonen paroles, mais en effet, pour les regies invariables de leur conduite dans les affaires d'état! O s'ils pouvoient fencir, que 1'équicé f ule apporce la véricable gloire; que f ufurpacion ec 1'oppresfion ne fonc que basfesfe, et que le véritable honneur confiile a agir avec justice.' Des principes ci - devant pofés de fégalité des droics et devoirs des hommes il réfulte, en cinquieme li- u , qu'il ne peut y avoir d'ufage plus incompatible avec ces principes, plus oppresfif, plus honteux, que celui qui non feulement s'esc introduit asfez généralement, fur-touc depuis Ia découverce du nouveau monde , mais esc même O 2 tle-  aia DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &b: venu une branche de trafic et de gain parmi les nations les plus policées de 1'Europe; j'ai en VUe LA TRAITÉ des negres.' Cette expresfïon, ou cette dénomination de la chofe défignée doit ce me femble, fuffire a quiconque a daigné lire ce traité jusqu'ici avec quelque attention, et dans le fein duquel il existe encore quelque fentiment d'humanité , pour le remplir de compasfion envers une partie du genre humain, et d'indignation pour 1'autre : lorsqu'il confidere et qu'il pefe les fouffrances amere-s de celle-la ainfi que la violence et Pinjustice infame, qui lui font faites par celle-ci; — et qu'il fe repréfente toutes les autres abominations, qui font inféparables de ce trafic honteux et deftructif. Ce n'est pas ici le lieu de parler avec étendue de la rnaniere dont cette traite fe fait, ni des crimes multipliés, qui doivent 1'accompagner a chaque pas. Frossard, 1'humain frossard, doublement digne de notre vénération , paree qu'il fait marcher par - tout la philofophie main - a - main avec 1'Evangile , qu'il fait fervir 1'autorité de l'un pour confirmer les lecons de 1'autre, et les rendre pour ainfi dire, plus facrées; frossard s'est acquitté fi fupérieurement de cette tache, que je puis y renvoyer mes lefteurs a tous égards f» Qu'il (a) Cet ouvrage a pour titre : la caufe des esclaves negres  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 213 Qu'il me foic cependant permis d'en cicer quelques endroks, pour justifier ce que j'ai dit touchant ce que ce trafic a d'mjuste et de honteux , et.de préfenter le tableau des miferes,' auxquelles ce commerce expofe les habicans d'une grande partie de 1'Afrique , nommément ceux de la fertile Guinée, et que frossard en a tracé a tous égards d'après la plus exacte vérité. ,, Dès le commen- cement de ce commerce odieux," dit eet écrïvain refpeftable (V), „ on a infeété les vastes ré„ gions de la Guinée , de tous nos vices , de „ toutes nos pasfions. On a fait périr plus de foixante millions d'habitans par la faim et la „ fatigue, parle chagrin, par un air corrompu, „ par la guerre, par les plus mauvais traitemens. „ On y excite , on y encourage le despotisme, „ les pirateries, les attentats les plus odieux, „ les crimes les plus atroces. On faccage annu„ ellement de vastes campagnes ; on dépeuple ,, des villes entieres; on réduit en cendres des „ villages nombreux; on égorge ceux qui ofent ,, réfifter a cette violation des droits de la nature, de ttegres' et des habitans de la Cutne'e, portie au tribunal de la juisttet, de la religion , de la politique; par M. frossard , en deux Tom. gr. 8vo. a Lyon chea (iAimé de la Roche. Qa) Tom. I. p. p. fuiv. o s  *i4 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c4 „ de Ja justice; on enleve le laboureur fans dé„ fiance de fon humble chauraiere, le fils du roi „ de fon palais, le pere des bras de fes enfans jtf alfamés, la mere au nourrisfon qu'elle allaite; „ on arrache ces Africains doux et paifibles a „ leurs amis, k leurs posfesfions , k leur patrie, „fck tous leurs privileges civils etnationaux; on „ les engouffre dans un vaisfeau oü , amoncelés ,, dans un cachot rempli de miasmes pesdlenciels, „ chargés de chaines, dénués de vêcemens , ils „ nagent dans la fange et ont fans cesfe la mort „ k leurs cötés. La , traités avec la derniere „ barbarie, nourris avec une parcimonie d'autant „ plusincompréhcnfible que les fuites en font p'us „ funestes, punis pour la moindre faute avec une „ févérité digne des Cannibales, ils n'out d'autre „ foulagement que dans Ja more de ceux qui les „ entourent, et d'autre espoir que celui de fubir „ bientót le même fort. — Ce n'est néanmoins „ que le commencement de kur mifere. Réfi„ ftent-ils aux horreurs de la traverfée (et com- „ bien n'y fuccombent pas!) arrivent-ils „ dans nos colonies fans avoir pu mettre un terme „ k leur malheur , ils font ausfi-tot trainés au „ marché, ils font vendus a 1'encan comme des „ pieces de bécail, fans recevoir le prix auquel „ on les estime; on Jes marqué d'un fer chaud, „ fans qu'ils aient comrais de crimes ; on leur  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES etc. 215 „ prononce l'arrêc d'une captivité étemelle , „ comme s'ils n'écoienc pas nes ausfi libres que „ leurs tyrans. „ Dès le premier moment on ne craint pas „ de leur faire fentir par les plus durs traite- „ mens, a quel poinc fera miférable 1'exiscen- „ ce a laquelle ils ont été condamnés. Ausfi » le fouvenir de leur patiie et de leurs amis, w la douleur qui nait de la perte de leur liberté, „ la nourriture grosfiere et peu abondante qu'on »• leur donne, l'inc'.émence des faifons a laquelle » on les expofe, les travaux pénibles dont on „ les accable et dont ils ne recucillent point les » fruits; tous ces maux, enunmot, trompent- n ils notre avarice en donnant la mort a un quart „ de ces malheureux, dans les deux premières i> années de leur féjour dans les isles. Si la „ force de leur confiicution leur fait furmoncer t, tant de dangers; dès lors levés avant 1'aurore, „ asfujettis aux fonélions les plus pénibles, tremblant a 1'afpeél de leurs tyrans, humiliés, „ dégradés, confidérés comme une clasfe d'êtres „ intermédiaires entre l'homme et la brute, ils „ n'ont de repos que quand leurs facultés intel- » leétuelles font rabaisfées au niveau de leur fitu- „ ation; que, quand a force de mauvais traite- f, mens, on a endurci leur ame au point de n'aO 4 „ voir  «5 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. „ voir plus rien de l'homme, et de ne plus fen» tir 1'horreur de leur captivicé!" Mais quelque navrant que foit ce tableau des miferes de ces hommes captifs et vendus; la mamere dont ils font ordinairement faits prifonniers ou les moyens qui y font employés, font tels que je doute en effet, qu'il foit posfible de commectre un tisfu plus énorme d'horreurs et d'inhumannés, que eelui qui est mis en oeuvre par nous Cnénens, pour enlever les malheuren* babitans de la Gumée, qu'on peut compter autrement Panm les plus fortunes de k ^ jes enJem. * Jeur patrie, a leurs amis, k leurs proches, a leurs families, et les faire tomber dans les pieges, que dans ces occafions on tend fans la moindre pitié a leur bonne foi, a leurs forces et k leur rigueur, comme s'il n'y avoitpoint de Dieu' qui pric garde aux actions des hommes. Voici* lecleur, ce que frossard en rapporte, con- iormement a la vérité: (a) - ]jfez. Parmi les moyens le plus généralement em„ ployés, pour fe procurer des esclaves, Ie „ premier, dit-ij, qui ait été mis en ufage „ c'est Venlevemt-nt. Ces enlevemens font faits n ou par les marchands noirs, qui yendent par „ échan- 00 p. ip6. fuiy.  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 217 t/ échange aux Européens les compatriocesqu'ils „ furprennenc, ou par les Européens eirc- „ mêmes. „ Souvent les vaisfeaux négriers remontent . les fleuves jusqu'a ce qu'ils trouvent un lieu „ convenable pour jetter 1'ancre. De la ils en- „ voient des chaloupes ou des pataches bien „ armées devant les villages fitués fur les rives. „ On prend fur ces pataches des naturels fami- „ liarifés avec cette pratique. Arrivés devant „ les habitations, il tirent un coup de fufil, ou „ ils battent de la caisfe pour indiquer qu'ils ont „ befoin d'esclaves. Après en avoir rasfemblé „ un nombre fuffifant , ils les conduifent dans „ les vaisfeaux. D'un autre cöté, les campag- „ nards qui demeurent prés des navires en fta- „ don, mettent immédiatement en vente les „ esclaves qu'ils peuvent fe procurer ou qu'ils „ tenoient en réferve. Souvent encore des „ marchands negres qui remontent jusqu'a trois M cents lieues dans des canots bien armés, pour „ faire des captures, amenent jusqu'a cent escla- ft ves k la fois. et eompletent bientót la cargai- » fon des vaisfeaux. C'est ainfi que fe fait en „ général la traite fur le Sénégal et la p Gambie. „ II y a fur la riviere de Siërra-Leona dif- p férens comptoirs appartenans a des marchands. O 5 d'Eu-  ai 8 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. - d'Europe. Leurs agens entreriennent on eer„ tain nombre de bateaux qu'ils en/oient fur la „ riviere , pour recevoir les esclaves que leur „ amenenc les courciers negres. Par ce moyen „ lisbont toujours un certain nombre d'esclaves „ prêts a être embarqu.s lorsqu'il arrivé un vais„ feau avec lequel ils ont des liaifons. „ Un navire négrier mouille-t-il a Ja cöte „ qui est entre le cap Monte et celui des Pal„ mes, les naturels qui ont des esclaves a ven„ dre, s'empresfent de 1'indiquer en allumant des „ feux fur le rivage. Le capitaine envoie ausfih tót fes chaloupes. Elles recoivent trois ou „ quatres esclaves a la fois et les conduifent „ dans les vaisfeaux. Quelque fois les na. h turels les amenent eux-mêmes. Cette mé" thode est Iongue? «aja des vaisfeaux qui „ restent prés d'un an fur cette partie de la ft cöte. „ Voici comment les marchands negres qui „ fournislént les vaisfeaux, fe procurent des es- „ claves. Quelques-uns fe cachent dans „ les forêts ou prés des routes, attendant le „ voyageur fans défiance, comme le chasfeur „ attend le lievre timide. D'autres fe mettenc „ en embuscade dans les champs de riz, pour „ enlever tous les enfans qui y font apostés pour p chasfer les oifeaux. II y en a qui fe tiennenc pres  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 219 „ prés des fources d'eau douce, afin de faifir le „ labourenr alcéré qui vient y étancher fa foif, ou prés des baies pour furprendre ceux qui y pê„ chent pour leur nourrkure ou leur amufemenc. „ Mais le poste le plus avantageux esc dans les „ prés, lo.sque 1'herbc esc haute, ou a cöté du „ fencier qui communiqué d'un village a 1'aucre. „ Cette pracique esc fi ordinaire, que beaucoup „ de nacurels , quoique leurs habitacions foienc ,, a une pecice distance, n'ofenc fe vifiter la nuic. „ Ec nous ofons les nommer fauvages , tandis „ que c'est nous qui lancons contr'eux d'infames „ ravisfeurs, qui encourageons ceux-ci a enlevcr „ leurs timides compatriotes, pour les faire fer„ vir a notre barbare cupidité («) •' „ Les marchandifes que les Européens livrent en échange a leurs agens negres, et que ccux„ ci donnent a leur tour a ceux qui leur vendent „ leurs compatriotes , quand ils ne les enlevent ,, pas eux-mêmes, font ou des cowries, petits coquillages qui fervent de monnoie dans diverfes contrées, ou des étoffes et d'autres produc„ tions de Portent; ou enfin des fupls, de la „ poudre a canon, des épées, de la batterie de cuifine, du fer en barre , des toiles , des „ grains de collier &c. Les fpéculateurs „ va- 07) P' fuiv>  t20 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &cV „ varienc ces articles felon la descinacion des navi„ res ec le goüc regnant du peuple avec lequel s, ils doivent crafiquer. „ C'esc avec les liqueurs fpiritueufes qu'on „ pate le plus grand nombre des esclaves. Les „ negres fonc naturellement fobres. Mais nous „ leur avons appris a aimer ces liqueurs avec pas» fion; et pour donner une idee de la quanticé „ qu'ils en confommenc, il fijffic de dire qu'en „ 1786 on a envoyé dans la Guinée, de Liver. » P°°l -eulemenc, 739,264 pintes de liqueurs „ angloifes f» Dans les pays trés peuplés , „ ces faéleurs achectent des esclaves avec une fi apparence de bonne foi. Mais arrivent-ils „ dans des villages ifolés, oü ils ne craignent ni „ d'écre découvercs, ni d'ècre repousfés, alors „ ils tnvitent les naturels d une conférence, ils ,, ouvrent un tonneau d'eau - de - vie, Ut les encou„ ragent a en boire. Dès qu'ils font parvenus „ a les enivrer, ik donnent un fignal d leurs „ gens qu'ils avoient placés en embuscade. Ceux„ ci tombent fubitement fur ces malheureux, „ faifisfent tous ceux qu'ils peuvent atteindre] „ et les entrainent a bord. Ces brigands ne fe „ font pas davantage de fcrupule, quand ils trou„ vent des cabanes folicaires fur les bords de la »» rivier (<0 /• 204. fuiv.  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES Sec. 221 ,, riviere , de chargcr de fers les haUtans „ qu'elles renferment. ,, Si nous confidérons que plufieurs de ces facteurs parcourent un pays immenfe , qu'iis „ y renconcrent les plus nombreufes occafions de facisfaire leur cupidité, qu'il y a des mar„ chés réguliers dans touc 1'intérieur du pays „ jusqu'a la distance de 400 lieues de la mer, que le goüc des marchandifes Européennes ,, esc devenu pour les negres une pasfion, ec „ que les enlévemens font ausfi fréquens a une „ grande discance que fur la cöce, nous conce,, vrons aifémenc que les esclaves enlevés for„ menc la plus grande parcie du nombre ex„ porcé annuellemenc (a). „ Le fecond moyen employé pour fe procurer des esclaves, c'esc de fomenter des guer„ res entre les fouverains de la Guinée. Ces „ princes, ainfi que ceux de 1'Europe , font }, fouvent ambicieux , jaloux, brülant d'accroïcre ,, leur cerricoire, leur revenu, leur pouvoir. „ Cecce ambicion fuscice des guerres meurcrieres; ec les ennemis qui échappenc au fer des „ foldats, font condamnés k 1'esclavage. Mais ,, le nombre de ces guerres esc peu confidé„ rable; et nous ne les compcerions pas comme „ une f» f - 213.  222 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &« „ fource de 1'esclavage des negres , fi elle, „ n avotent pas le plus fouyent pour aiguillon „ le defir de faire des esclaves. Les princes „ qui entreprennent ces escarmouches, car on „ ne peuc pas leur donner un autre nom , ne „ ionc fouvent que des chefs de tribus. Sem- * olables a ces chasfeurs qui proporcionncnc le „ carnage qu'ils fonc des habicans des forêcs k „ la confommacion des feigneurs qui les gagenc „ les fouverains n'expofenc leurs fujets qu'autant' * qu'ils pourronc ausfi-cöc jouir du fruic de „ leur viccoire. Tant qu'on ne leur demande „ point d'esclaves, ils font en paix. Arrive-c-il „ une flotte de marchands ; ils marchenc ausfi„ tot a Ia conquêce de quelque cancon , ils „ brulent des villes, faccagent les campagnes , „ emmenenc captifis tous les habitans, a raoins „ que, victimes eux-mêmes de leur cupidité „ ils ne deviennent la proie du traitant qui „ devoit les enrichir (a). » Lorsqu'il n'esc en guerre avec perfonne, „ il tombe fur quclqu'une de fes propres villes' „ qui font nombreufes, e: il ne rougic poinc de „ livrer fes propres fujets. Quand il a faic „ choix de celle qu'il veut faccager, il y entre „ pendanc le jour. II en resforc fecretement k „ nuic (<0 p. 216. fuiv.  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 223 „ nuit fuivante , après avoir mis le feu a une partie. Ses foldats apostés dans le quartier „ qui a été ménagé , faifislcnt les hahitans qui cherchent a fe fauver des dammes, ct qui „ ne fe doutent pas de rencontrer un ennemi „ plus redoutable. On les lui amene, il leur fait lier les mains derrière le dos, et marche „ avec eux ou a Joar ou a Kowar oü ils les „ vend aux Européens (tf).M Des aétes d'un despotisme lc plus excesfif font un troifieme raoyen , qu'on met en ufage pour fe procurer des esclaves et je ne penfe pas , que le ledteur le trouvera plus humain et plus chrétien que les précédens. ,, Un quatrieme moyen de procurer des es„ claves font les condamnations juridiques. Avant d'avoir aucun commerce avec les Européens, les Africains infligeoient aux coupabics les mêmes peines que les fociétés qui „ font également civilifées. Maintenant tous font condamnés a perdre la liberté. Mais ce changement ne fuffit point pour fatisfaire la „ cupidité de ces fouverains. Ils ont employé „ un nouveau moyen pour 1'asfouvir. Ils ont „ multiplié les crimes pour multiplier les cou- „ pa- (V) p. 218. fiiw. (fy ?• 232. fuiv.  &24 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES „ pables. Ils ont fixé des gradations fub- „ tiles dans les délks, afin d'en établir dans „ les punkions. Ils ont ftatué que les forfaits „ graves coüteroient non feulement la liberté k 1'ofFenfeur , mais a tous les males de fa „ familie, mais a fa familie entiere, mais a fes „ amis, ausfi loin qu'il leur plairoit d'étendre „ leur rigueur despotique. Quelques voyageurs „ prétendent même que le roi de Kayor pousfe „ la tyrannie au point de rendre un village en„ tier responfable desfautes d'un feul habitant, „ et qua la moindre olfenfe il les vend tous „ comme esclaves „ Un autre moyen encore employé pour faire „ des esclaves, est celui-ci. Plufieurs mar„ chands prés de la cöte nourrisfent des trou„ peaux d'enfaris pour les vendre dès qu'ils font „ parvenus a lage du travail. La condition de „ ces infortunés est d'autant plus déplorable, „ qu'ils connoisfenc leur destination , qu'ils en „ fentent toute Phorreur, qu'ils ont fans cesfe „ devant les yeux la funeste perfpeétive d'aban„ donner un jour patrie, parens, amis, tout „ ce qu'ils ont de plus cher ici-bas, pour „ obéir fervilement aux Européens auxquels „ ils font destinés. Qu'elle est décbiranre pour ,, cette (a) p. 236. fuiv.  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 225 „ cette mere qui allaite fon enfant, la penfée que „ dès qu'il aura atceint 1'age de lavigueur, on „ 1'arrachera de fes bras , on le transportera a travers les mers dans des pays d'oü il ne revien„ dra jamais , pour le foumettre a un esclavage „ éternel (a)l „ La fureur du jeu produit ausfi, " Mais ma plume fe refufe enfin a copier tous les autres moyens infames que 1'avarice et la méchan* ceté des hommes ont de plus inventés, pour les priver, les uns par le forfait des autres, de leur , liberté, posfesfions, amis et families, et les livrer a un éternel esclavage, ainfi qu'aux cruautés et aux tourmens , qui 1'accompagnent depuis fon commencement jusqu'a ce qu'ils cesfent de vivre! je renvoie le leétcur, qui fouhaitera en favoir davantage, a 1'auteur cité même, chez qui tous les moyens indiqués pour réduire des hommes libres en esclavage, font conftatés par les preuves requifes, et parmi lcsquels il trouvera des exemples de violence , de brutalité et de dégradation de la nature humaine, qui feroient incroyables , s'ils n'étoient hélas! confirmés par des témoins oculai. res et fouvent par des complices mêmes (b). Lors C«) p. 241. OO Voy. par exemple, T. I. p. 123, ï2, : 131, 162, 163, 202-204, 208-211, 214, aU\ b 16, 218 - 226,a36.240,244.a47 ,a6l.2;o&c> ^ p  *i6 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES cMc. Lors donc que 1'on confi Jere avec quelque actention cette traite , par rapport a tout ce qui s'y pasfe du commencement jusqu'a la fin, quel nom doit-on donner a une pareille pratique parmi des hommes? Peut-il fe concevoir, peut-il fe commettre de plus grande violence, de plus grande infamie et de plus grande bajrbarie, lors même que nous n'cn jugeons qu'en êtres fenfibles ec compaci>fans, fans que nous le comparions avec 1'égalicé des droits de l'homme ou avec les devoirs del'Evangile? Et que devrons-nous donc dire de cc trafic d'hommes, quand nous nous rappellons et que nous rcfléclmfons, que tous les hommes Jont naturellement égaux , et ont les mêmes droits, de quelque couleur., fiature ou nation qu'ils Jbient? Que perfonne par conféquent n'a la facuké, foit de priver lui-même fon frere de fa liberté, de fes biens, de fa familie et de les plonger dans 1'esclavage; foit de le faire faire par d'autres ou d'y donner une occalion réelle? Lorsque 1'on confidere par conféquent que touces ces aétions, depuis ie commencement de la traite jusqu'a fa conclufion, font des aétes de pure violence et d'injuscice, qui condamnés de tout temps au tribunal de la juscice, ne fauroienc être fus- cepcibles d'excufe? Lorsque nous comparons avec cecce conduice les devoirs de 1'Evangile, que comme Chrétiens nous devons reconnoicre ec pra- tiquer,  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 227 tiquer, nommément ces préceptes daimer notre prochain, comme nous -mêmes, et de faire ct tous les hommes , comme nous voudrions qu'il nous fut fait d nous -mêmes; que doit - on penfer alors de ce procédé des prétehdus Chrétiens? —• Doic-on s'éconner que les naturels d'Afrique ec SAmérique ont marqué jusqu'ici tanc d'avcrfion pour la religion de Jéfus-Chrisc, que nous prétendons profesfer, et qui jugée fur la rnaniere dont nous nous conduifons et agisfons envers eux et leurs compatriotes, ne fauroit être a leurs yeux que 1'infücucion laplus funeste et laplus destrucfive qui puisfe être imaginée , puisqu'ils voient fes disciples commettre les cruautés les plus barbares, fans faire la moindre attention aux gémisfemens des malheureux, des époufes, des enfans, des proches , lorsqu'ils arrachent leurs époux, leurs peres et leurs amis d'entre leurs bras, les enlevenc pour toujours a leur préfence et a leurs embrasfemens, et les livrent pour être les bêtes de fomme d'une autre partie du genre humain? Peuc-on concevoir quelque chofe , qui puisfe être plus déshonorant pour la religion et la rendre plus odieufe et plus méprifable aux yeux de ces hom= mes ignorans? Je proteste que je ne fais ce que ce pourroit être. —— Lorsqu'on réfléchit a touc cela, on a en effee de la peine a comprendre qu'il foit posfible, que P 2 ce  £28 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. ce trafic ait fi Iongtemps fubfifté, ait été permis, même encouragé depuis plus de trois fiecles, par des peuples civilifés, et parmi lesquels la religion de Jéfus-Christ est profesfée : un trafic, qui esc accompagné de tant d'horreurs, qui porte nécesfairement l'un a perfécuter, a tromper et a trahir 1'autre, qui blësfe toute honnéteté , toute moralité, et dégrade l'homme a la condition des brutes, d'autant plus dure, qu'un être, tel que l'homme, doit en être plus vivement affecté que la brute. Gonzales! toi, qui le premier as donné 1'exemple de ce inalheureux trafic, qui le premier as appris aux Portugais, tes compatriotes, et les as encouragé a e;ivo3'er des vaisfeaux en Ia Guinée, a attaquer fes paifibles demeures, a les devaster , a cn faifir les habitans qui ne craignoient aucun mal, a lescmmener captifs,loin de leur terre natale, de leurs parens et de leurs families; pour les rendre a jamais vos esclaves ou ceux des autres: Gonzales! toi qui as fait tomber des millions de viétimes par la main et fous les coups de ceux , qui , excités par ton exemple, ont marché fur tes traces: qui est capable de mefurer f atrocité de ton crime dans fa juste étendue, lorsque tu ofas porter ta main fur ces hommes paifibles; lorsque tu les enlevas de leur patrie, fanglottant et gémisfant d'être privés de leurs femmes, de leurs enfans, de leurs pro- ches,  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 229 ches, ec que tu les précipicas encore dans un escla* vage écernel! Quel remords tu dois en fencir un jour! — Si la peine doic êcre proporcionnée a la grandeur de Eactentat que cu as commis, ec dont tu as donné un fi funesce exemple aux aucres ; oü en trouvera-t-on le cerme? Mais — peuc-être — ignorois-cu ce que tu f'aifois, peut-être ne pré* voyois-tu pas les malheureufes fuites de con aftion infame dans toute leur énormité future, peuc-êcre ne foup9onnois-cu poinc qu'a caufe de ce forfait 1'histoire phceroic un jour con nom a cöcé de celui des plus grands malfaiceurs ec dévascaceurs du genre humain: c'esc peuc-êcre ce qu'on pourroic encore alléguer pour con excufe, ec qui pourroic appaifer en quelque rnaniere envers coi la colere d'un Dieu qui esc jufte! Mais qu'alléguerons-wöjw , pour nous disculper, nous qui avons pu réfléchir a touc cela tranquillemenc et de fang froid ? - Nous qui avons appris a mieux connoicre, qu'il ne te fut posfible , les droits ec les devoirs de l'homme en général et ceux que 1'Evangile de JéfusChrist nous prescrit; nous, qui avons pu fonder la plaie que ton exemple a faite aux peuples infortunés de 1'Afrique et de 1'Amérique , avec toutes les légions de vices, qui, comme nous 1'avons vu, accompagnent ce commerce dans touces fes pratiques? Qu'est ce qui pourra déformais rendre la continuation de cecce même perverfité avec P 3 tou-  »3a-DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES Sc.% touces fes fuites , je ne dirai pas légitime, mais en quelque facon pardonnable ? Avec quoi nous juscifierons-nous un jour fur eet article devant nos confeiences et devant le juge fouverain du ciel et de la terre , qui na point ctégard a Vapparence des perfonnes , nous qui favons, que celui qui commet l'injustice, recevra felon ce qu'il aura fait? Je fais bien que pour autorifer ce trafic d'hommes, on allegue conftamment, que fans lui nous ne pourrions maincenir nos colonies en Amérique: que fans de concinuels transpores de negres d'Afrique, on y manqueroic bientöc de bras pour faire 1'ouvrage nécesfaire dans chaque planration, paree que les nacurels mêmes de f Amérique, ec beaucoup moins les Européens n'en feroienc pas capables: que les riches recoltes de café, defucre, de laine, de coton &c, ne pourroienc plus être préparées et reeueillies , que notre navigation et notre commeccre en fouffriroienc un dommage confidérable, ec que nous ne tarderions pas de nous voir privés de ces produclions et de ces objets nécesfaires. —— Mais pofé que toutes ces conféquences fusfent inévitables; quel droit pourroient-elles encore «ous donner d'enlever les habitans de 1'Afrique, par violence, ou par les rufes et les fuggestions des autres, aleur propre travail, pour venir faire le  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 231 Ie nórre? Lorsque par foiblesfe on par ignorance, je ne fuis pas en état de faire mon propre ouvrage, fuis -je par cela même aurorifé a contraindre mon voifin ou mon prochain plus habile ou plus robusce que moi , foic par la force, foic par la rufe, foic avec le feconrs d'aucres, de fe charger* de mes affaires; a 1'arracher a fes foyers pacernels, a fen éloigner pour toujours, et a le forcer au travail par des coups et par tous les aucres moyens d'oppresfion ? Et puisque perfonne, qui est dans fon bon fens, me repondra, que fen ai le droit: je demande par quelle raifon ce même droit ne fera pas commun a tous les hommes, de quelque couleur ou nation qu'ils foient? Pourquoi les habitans d'Afrique devroient y faire exception? Pourquoi cetce parcie du genre humain auroic moins de droits, ec feroic ainfi descince a êcre 1'esclave de faucre, plucöc — que celle-ci? Puis donc que le droic des peuples de 1'Afrique esc ec doit êtrereconnu, ausfi grand, ausfi facré, que celui de tout autre peuple et de tous les hommes; il est indubitable, qu'en les reduifant en fervitude et en les chargeant , comme des esclaves , du travail dont nous ne pouvons ou ne voulons pas nous acquitter snous-mêmes , on ne leur fait pas moins d'injuscice ec de violence , qu'on n'en feroic a toute perfonne , qui feroit arrachée par P 4 force  a32 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES. &e. force de fa maifon er de fes affaires ec nécesfltée de faire 1'ouvrage d'un autre. Cesfons donc de décruire ec de fouler aux pieds fous un climat ces mêmes droits de l'homme, que fous un autre nous reclamerions de touc notre pouvoir pour nous-mêmes, ec que nous voudrions qui y fusfenc cenus pour facrés ec inviolables. Cesfons d'avoir plus longcemps la basfesfe de mefurer ec de facrifier finalemenc les droits du prochain k nocre incérêc propre ec a nocre ucilicé particuliere I* ïlenonfons, s'il le faut, a des producrions qu'on ne pourroic acquérir, qu'en violanc les droits de l'homme, et qui arrofées de la fueur ec du fang d'une partie du genre humain , devroient parvenir a leur maturité par une fuice innombrable d'ini- quicés ec d'horreurs. Cesfons d'incerprécer et de tordre arbitrairement les droics facrés et inaliénables de chacun en particulier, felon qu'il nous convient: mais en recherchant et en pourfuivant ce qui nous esc ucile ec avancageux, arrêcons-nous voloncairemencec généreufemenc, oü ces droics de I'individu fe préfencenc fur notre rouce ec nous crienc, comme aucanc de garants de 1'humanité, fur des principes que nous ne faurions contredire: tu viendras jus que-ld , et tu ne pas feras pas plus avant! . Je fuis néanmoins perfuadé qu'en abolisfant ce honi  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 233 honteux trafic, nous n'aurions pas befoin de perdre les avancages que nous retirons de nos colonies en Amérique , mais , qu'indépendammenc de la traite des negres, on pourroit trés bien faire de tels arrangemens, qu'elles fuslenc non feulement confervées, mais même améliorées: Si,par exemple (car ce n'est pas ici le lieu d'indiquer et de jdiscuter tous ces moyens et ces arrangemens posfibles;) fi peu d peu et avec une prudence bien réfléchie la liberté étoit rendue aux esclaves et a leurs enfans, qui fe trouvent aétuellement dans nos posfesfions et qu'ils ne fusfent employés au fervice des planteurs, que comme des ouvriers a la journée: Si d la fin on les égaloit en tout ec leur accordoit les mêmes droits , qu'a toutes les autres perfonnes libres; fi 1'on tachoit de favorifer la population des colonies par tous les autres moyens honnêtes; que par la douceur et 1'équité du gouvernement on cheicMc a y attirer des étrangers et que les planteurs mêmes, au lieu de vivre dans toute forte d'excès et dans la disfipation, fisfenc ce qui esc en leur pouvoir , pour épargner par 1'économie , 1'aéu'vité ec une bonne direétion, ce qu'au moyen d'un certain nombre d'hommes, employés comme esclaves, ils étoient accoucumés k moins débourfer pour leurs dépenfes journa- Jieres. Je dis cependant et a desfein: peu d peu tt fc P 5 let  234 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. /* fin : car ausfi peu qu'aucune confidéracion pourroit m'empêcher de renoncer de fait et fut le champ a un trafic, qui est uniquement fondé fur la violence, 1'injuftice et la destruftion, et dont 1'abolition ne pourroit ne point procurer le bonheur et la paix des opprimés, puisqu'elle feroit cesfer tout-a-coup les maux et les défastres, qu'ils éprouvenc acet egard: autant fuis. je d'opinion, qu'on ne pourroit dans une feule fois , abolir ec convertir en une liberté entiere 1'esclavage même, oü ces malheureufes vidimes de la méchanceté et de 1'intérêt propre fonc réduites en Amérique, qu'en les expofant au danger le plus manifeste d'abufer de cette libené et de la tourner contre elles - mêmes et contre les autres hommes, avant qu'elles eusfenc appris a 1'apprécier ct qu'elles fusfent de quelle rnaniere s'y conduire pour leur propre bonheur fur le nouveau théatre oü elles feroient trans, plantées. Ce feroit mettre un couteau entre les mains d'un enfant et lui faire courir le risque de fe blesfer ou de fe tuer par fon moyen. Mais ce danger cesfe, ec 1'enfant acquiert pleinemenc le droic de fe fervir de cec infitument utile , lorsque parvenu a lage de raifon , il en a appris 1'ufage ec le maniement. . On devroit en agir de même avec ces infortunés, vu qu'a eet égard, c'est-a-dire par rapporc a 1'em- ploi  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. = 35 plól qu'ils der roi ent faire, dans les colonies Fmropéennes en Amérique , de la liberté , qu'ils auroient obtenue, ils font femblablesa des enfans, ignorant ce qu'ils doivent faire ou laisfer dans eet état, qui leur esc entiéremeut nouveau ec inconnu, puisque la liberié dont on peut jouir dans ces contrées, et li rnaniere dont on y doit vivre, pour pouvoir fubfifter, differenc infinimenc de la liberté dont ils ont joui ec de la vie qu'ils ont menée en Afrique. Autant donc que la conduite de F asfemblée confiituante en France, en aboüsfant ce tralie impie, me paroic louable: autant m'a-c-elle toujours paru prématuréc ec imprudente ,lorsqu'ils mirenc les negres de leurs colonies Américaincs, incontinent et tout-a-coup en liberté et les égalerent a tout le reste des autre colons. C'étoit, comme 1'expérience 1'a prouvé, faire tourner le bienfait qu'on vouloit accorder, en mine. Toutes ces fcenes de dévastation, de meurtres, et d'incendies; en un mot, d'une guerre civile, qui y ont eu lieu après eet affranchisfement fubit et inconfidéré de tous ceux qui jusqu'a ce moment avoient été esclaves. fans les y préparer en allégeant leur joug et en les accourumant a la liberté, par degrés: tout cela ne feroit fans doute pas arrivé, fi 1'on avoit lentement formé les negres, qui fe trouvoient dans les colonies francoifes, alajouis* fance de la liberté et qu'on leur eüt enfeignépréala- ble-  a3&DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &cv blement h en faire un bon ufage. Aétuellement, en rompanc tout-d.coup les fers de gens , qui avoient été jusqu'ici uniquement contenus par ce moyen et conduits, forcés au travail par 1'oppresfion violente fous laquelle ils avoient gémi, on ne pouvoit qu'attirer toutes ces fuites fatales, qui ont accompagné eet événement, d'ailleurs digne d'éloge; et une aétion qui n'avoit pour but, que de mettre une partie du genre humain en posfesfioii de fes droits esfentiels, fervic a attaquer et a détruire ceux d'une autre partie ; tandis qu'elle ne procura point a ceux-Ja mêmes tout le bonheur et toute les bénédictons, qui auroient dü 1'accompagner d'ailleurs dès fon principe, et qu'on étoit en droit d'en attendre. D'autres ont allégué encore en faveur de cette traite des negres, que ceux-ci , pris dans Ia guerre par leurs propres ennemis, étoient également livrés a un esclavage, fincn pire, du moins pas plus doux, que celui oü ils alloient être conduits en Amérique par ceux qui les achetoient: et qu'ainfi le tout fe réduit fimplement a les faire' changer de maitre, changement, qui outre cela leur est plutöt avantageux que préjudiciable. ■ Mais d'abord, il est trés abufif de prétendre que toutes ces perfonnes auroient été faites captires dans la guerre par leurs ennemis. Nous avons indiqués ci-desfus divers autres moyens, par  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 237 par lesquels ces infortunés fonc réduics en esclavage , cels qne Venhvement, le jeu, l'achat denfans qu'on fait et qu'on nourrit a cette fin &c.: moyens, qui procurenc un bien plus grand nombre d'esclaves, que la guerre Nous avons vu oucre cela ce qui donne le plus fouvenc naisfance a ces guerres ec par quelles infligacions elles fonc ordinairemenc excicées. Ec nous ofons, pour nous excufer, alléguer que les negres onc écé faic prifonniers dans la guerre, qu'en conféquence ils onc écé réduics en esclavage et que parle droit de la guerre leurs princes acquerroient celui de les vendre: tandis que c'est nous-mêmes qui avons allumé ces guerres; qui les fomentons par ce trafic, et qui en fommes ainfi pour la plupart les feuls auceurs! Qui d'ailleurs ofera encore foucenir, que Ia guerre donne le droit de réduire les prifonniers en fervitude, de les y retenir ec de les vendre? Cetce coucume barbare n'a du moins plus lieu en Europe; ec je ne penfe pas, qu'il fe trouve quelqu'un , qui voulut la juscifier ou 1'incroduire de nouveau. Je crois donc pouvoir en regarder 1'illégitimicé , comme reconnue et même prouvée par ce qui a été dit précédemment de celle de Vesclavage même (£). Pourquoi cetce coucume feroic. (a) p. 221. et fuiv. COf- 73-32.  438 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &ci feroit-elle plus légitime parmi les peuples de TAfrique? Ce font des hommes tels que ceux de VEurope, ils n'en different que par la coulenr; et ils ont les mêmes droits. Pourquoi donc pourroient ils, même en guerre, être faits tsclaves et être vendus comme tels , avec plus de droit que les nations de 1'Europe? Si nous voulions agir en ce point, en gens de probité, en vrais chrétiens, et nous conduire conformémenc a notre devoir et aux lecons de 1'Evangile; nous ne devrions tirer d'autre parti de leur captivité et de leur esclavage, que celui de les racheter , de les rendre a leurs families, a leurs proches et a leurs amis, et de montrer ainfi par les faits a ces peuples aveugles la vertu et la bienfaifance de la religion que nous profesfons. Qu'un pareil procédé (a moins qu'il n'cxcitac des guerres entre ces peuples, ce qui obligeroh de s'abftcnir de ce devoir de charité même;) qu'un pareil procédé gagneroic parmi eux a la religion dejéfusChrist bien p'us de profélytes et d'appréciateurs, que d'acheter des hommes pour un fufil, une épée, un collier, des liqueurs ou autres chofes pareilles, de les précipitcr dans un esclavage éternel, et de les transporter par force dans un autre pays, pour les y expofer en vente, comme du bétail qu'on mene a la boucherie! — Mais  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 239 Mais hélas! au lieu de cela nous encasfons vio« jence fur violence. —— Le droit de 1'esclavage, qui n'est point un droic, mais pure iajusr tice et despotisme , nous le ftifons lérvir, pour y fonder celui d'achat et de vente, et après cela encore celui d'employer la perfonne vendue, comme un esclave et de la traicer, peu s'en fauc, comme une bêce de charge! Plus donc 011 fuit ec examine ce crafic avec atcencion ec avec foin , dans coute fon enchaïnure depuis le commencemenc jusqu'a la fin , plus on devra s'éconner, qu'il puisfe trouver encore des parcifans parmi des nacions civilifées, iinguliéremenc parmi celles, qui porcenc le nom de chrétiens; ec qu'on n'aic pas cravaillé , il y a longtemps , a abolir de desfus la furface de la terre, avec la chofe même , une dénomination , qui a déja déshonoré 1'humanité depuis des fiecles; afin que la honce de nos jours ne pasfe point a la poscericé plus vertueufe; ec que celle-ci ne nous répute avec touce nocre morale et nocre chriscianisme , plus barbares que les fauvages mêmes. Quand on fait ces confidéracions, il est ausfi difficile de concevoir, que la nation angloife, délibérant depuis peu fur ce fujet dans le parlement, a quelque point qu'elle füt convaincue de la turpitude et de PiUiquité de cecte traite, et dispofée a y mettre fin  Mo DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES Sca fin un jour, n'ait pu néanmoins trouver bon de 1'interdire poficivemenc et de ce moment, mais permettre de la faire et de la continuer jusqu'a la fin du fiecle, comme fi les viédmes nombreufes qu'on ailoit encore immoler, feroient moins malheureufes, et le tisfu d'horreurs et de crimes que 1'on commettroit dans eet intervalle, moins énorme et moins infame , que les esclaves qu'on feroit, et les injustices qu'on fe permettroit pour fe les procurer, au commencement du dix-huitiéme fiecle. C'est en attendant une fatisfaction esfentielle pour le philanthrope , que deux des principaux chefs des partis, qui partagent aétuellement Ie parlement d'Anglecerre, favoir, guillaumi pitt et charles fox, ont entr'autres voté tous les deux pour 1'abolitlon a&uelle de ce commerce et fe font efforcés par des raifonnemens trés folides d'en montrer la nécesfité et 1'obh'gation. Et quoique leur zele n'ait pu obtenir que de faire décreter cette abolition è temps , ils ont néanmoins par la conduite qu'ils ont tenue a eet égard, rendu un fervice réel a 1'humanité, et contribué a fixer de plus en plus 1'attention des autres peuples de 1'Europe fur eet important objet : comme raynal, necker, et d'autres hommes célebres 1'avoient déja fait auparavant en France ? II y a des révolu- dons,  DE L'ÉGALITÉ DES" HOMMES &c. a4i fions, qui peuvent être uniquement déterminées ct opérées par 1'opmion publique , ct il faut peut-être ausfi mettre de ce nombre celle, qui regarde la traite ct le traitement des esclaves. Mais quani des hommes vertueux et éclairés commcncent a fe réuiïir dans tous les pays , pour prendre en main la jufie caufe de 1'humanité, combattre ourertement et eondamner la violence ct 1'injufiicc qu'elle éprouve , on peut espérer que la lumiere fe pro'uira du fein des ténebres; que les ceuvres d'iniquité ne pourront foutcnir 1'éclat de cette lumiere , et que leurs auteurs feront obligés d'y renoncer par refpeét pour cette opinion publique. Quand celle-ci est une fois fixée, ce qui n'étoit auparavant qu'une fimple erreur, une faute , une coutume , devient un véritable délit , on ne peut plus accufer 1'cfprit; il f&üc s'en prendre au cceur; et perfonne ne veuc paster dans ï'opinion publj que pour un infame, qui n'a point de confeience. Quelque peu cue chaque cceur fenfible foit donc en état de coopérer de fait et direftement \ 1'abolition de eet odieux trafic ou de contribuer quelque chofe a adoucir Je fort même des negres en Amérique ; chacun cependant est a même par fes écrits et fes discours, en un mot, en manifestant fes fentimens , d'aider a couvrir l'un et 1'aucre de mépris, et de faire entendre Q la  %\% DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c* la voix de la juftice ec de la religion. De cetce rnaniere les maux de ce peuple finiroienc bientöt; la Guinée n'écanc plus mife a feu ec a fang, verrok fuccéderau faccagemenc de fes concrées fertiles , un commerce honnêce et avantagcux avec fes habitans; il y auroit un tenne a tous ces forfaits, inféparables de la traice des negres; on ne les commettroit ou ne les favoriferoit plus, et 1'on cesferoit de violer les droits de l'homme et les loix de la vertu. — Miniftres compatisfans de rEvangile, propagateurs de la foi de Jéfus, qui que vous foyez, et quelque part que vous vous trouviez, c'est avous, cntr'autres, que je fouhaiTterois infpirer particuliéremcnt de 1'intérét pour ces hommes infortunés! Ce font vos fembla- bles. La bonne nouvelle que vous êtes chargés d'annoncer aux peuples de la terre , s'addresfe ausfi d eux. Elle regarde incontestablemenc le Grec et le Juif, la circoncifion et le prépuce, le Scyte barbare , l'esclave et le libre Mais on continue de mépri- fer a leur égard ct de fouler aux pieds les loix les plus facrées de la nature et les devoirs les plus dvidens de la religion. ■ r* Pourriez - vous donc y être indifférens ? Pourriez-vous fins y ihcervenir avec le flambeau lumineux de 1'Evangi- Ie, (d) Colts. UI. vs. ii.  DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c. 243 Ie, voir avec une apporobation tacite qu'une partie du genre humain foit maltrakée par ceux qui prétendent être Chrétiens et appartenir a f églife dont vous êtes les docteurs et les miniflxes; qu'on les enleve par force de leur pays natal; qu'on les vende fans leur confencement; que 1'on condamne leurs enfans a 1'esclavage, et tout cela pour leur faire cultiver une région qui au furplus a été dépeuplée par les vices mêmes des Européens ? Quant k moi, je m'eltimerois infiniment heureux, fi je pouvois par ces réflexions avoir réveillé 1'attention de mes lecïeurs par rapport k eet objet, fixé leur opinion et avoir ainfi contribué a adoucir ec k changer töc ou tard le malheureux fert de ces infortunés. Q * CON-  244 DE L'ÉGALITÉ DES HOMMES &c.: CONCLUSION. Ce font la Mesfieurs, les conféquences, qui, je penfe, découlent nécesfairement de 1'égalité démontrée des hommes dans 1'état de nature et civil, mémc puur les différens peuples du monde, les uns par rapport aux autres, et dont j'ai ju.;é que 1'examen n'c:oit pas indigne de votre attention. Je foumets cependanc le teut a votre jugemenr et a celui du public impartial. En défendant et en décerminant les droits de rhomme, on ne peuc fuppofer a perfonne des vues particulieres, ou d'avoir voulu fervir celles de qui que ce foit. Ausfi peu que vous avez pu vous le propofer par la question même, au