M È M O I R E HISTORIQUE, POMTIQUE ET CRITIQUE,  k  MÉMOIR E^/ HISTORIQUE, Z S>OLITIQUE ET CRITIQUE, Sur les Droits de l'Empereur en Matiere Eccléfiafiique. Servant de Réponfe a 1'Ouvrage qui a pour Titre s OBSERVATIONS PHILOSOPHIQUES SUR LES PRINCIPES Adoptés par tEmp treur dans les Matieres Ecclcfiaftiques. * » » Sine ir& & ftudio , quorum caufas procul habeo : Mihi Galba. Otho, Vitellius me beneficio nee injuriS. cogniti. Tacit. PrjEFAT. Dépourvu d'intérêt , j'écrirai fans paflions : Galba, OthonVitellius ne me font connus ni par leurs bienfaits, ni par leurs injures. Prefacede Tacite. A U T RÉC H'T. M. DCC. L X X X V I.   A VAN T-PROPOS. Il parut 1'année 1784 un Ouvrage intitulé : Obfervations philofophiqu.es fur les principes adoptés par l'Empereur dans les matieres eccléfiaftiques. Cet Ecritchaud l aflez britiaüt dans le flyle , femé de vérités fpécieufes; étoit d'ailleurs incohérent dans fes idéés, inexafit dans fes applicatións', faux dans fes conféquences. Tout cela compofe un mauvais livre. 11 fut défendu comme mauvais livre, mais dans un autre fens: aufli-tót la rareté lui donna de lavögue;les gens de parti le vanterent, lo colporterent; les Imprimeurs le multiplierent , les gens a préjugés Tadmirerent, les ignorans mème s'en informerent; de ce quil étoit profcrit, 011 le crut fort «langereux, & fes plus ardens partita a  ( i > fiirent peut-être ceux qui ne l'avoient pas lu. Brüler riejl pas répondre , difoit J. J. Roulfeau a rArchevèque Beaumont. Réfuter eft plus utile que défendre; car 011 pourroit dire des livres ce que Tertulien difoit des premiers Chrétiens, le Martyre en efl la graïne. Tel feroit 1'effet de la liberté de la preffe; la Vérité chalferoit Terreur, & la Philofophie feroit juftice des Mafcarïlles qui prennent fon manteau. Un fentiment feeret de liberté eft attaché a 1'efprit de rhomme ; il recherche ce qui lui eft défendu, & 1'Auteur prohibé a de plus en fa faveur la prévention du Lecteur contre la violence, & fon amourpropre qui veut avoir un avis a foi. Ce doublé motif, peut-être, me donna la curiofité de lire 1'Ouvrage. Je vis a'vec  ( 3 > peine eet abus de la raifon & des prïn* cipes, dans une matiere fi grave. Je eom* pris qu'il étoit dangereux de prévenir & d'égarer 1'opinion publique, qui eft la Reine desRois.Mon indignation fe tourna contre 1'Auteur, contre fes profélytes intéreffés, & je crus que s'efForcer de détruire l'illufion, &c d'arracher le voile au menfonge inepte ou ignorant, c'étoit le devoir dc rhomme de bien. Voila ce qui m'a engagé & écrire ce Mémoire. Mon intention eft pure & droite , le Public appréciera mes efForts. Mais je déclare avec vérité que je ne tiens h aucun parti, que je ne défire de plaire a aucune Cour, que je ne prétends pas même a la futile gloire d'Ecrivain. Je n'ai de paffions que le bien public & la vérité. Je fouhaite ardemment le bonheur des A 2  ( 4 ) hommes, & pour le mien , il ne ctépend ni de leurs opinions, ni de leurs caprices. Pour donner de 1'ordre & de la clarté a mes recherches, j'ai cru devoir debrouiller le cahos oui'Auteur que jerefute égare fes LeiSteurs : j'ai donc réduit la matiere agitée a trois chefs principaux, c'eft 1'objet des trois paities de eet Ouvrage. Dans la première, j'examine & jétablis par les monumens hiftoriques la mefure des droits de 1'Empereur & des Souverains en matieres eccléfiaftiques. Dans la feconde je fuis la marche progreffive des ufurpations des Papes qui ont interverti 1'ancien Ordre de fÉglife. Dans la troifiemej'expofe les caufes & 1'hiftoire fommaire du Cénobitifme , les effets qu'il a produits dans TEurope, & ce que 1'Eglife & 1'Etat en ont éprouvé de bien & de mal. Après avoir ainfi mis mon Le&eur  ( 5 ) au fait par des tableaux hiftoriques, dont on ne peut contefter la vérité, puifque j'ai confulté les meilleures fources, je m'attache plus particuliérement dans la quatrieme partie a fuivre les paralogifnies de 1'Auteur, & a pofer ce que je crois les véritables principes & les conféquences les mieux démontrées. Si j'avois eu 1'ambition de faire un livre , j'aurois pu groffir beaucoup eet Ouvrage, y amaifer la plus faflueufe & la plus lourde érudition , & briller par mon épaiffeur au milieu des iBéncdiótins de France ou des Miniftres de Hollande. Mais comme mon feul objet eft Futilité publique, & réta,bliifemcnt des droits de la vérité, je n'ai cité que quaud j'ai craint qu'on m'accufat de partialité ou de menfonge ; j'ai écrit pour les Leóteurs gens-da-monde, A 3  ( 6 ) qui veulent s'inftruire fans étudier, pour ces malades qu'il faut guérir fans potions degoütantes. Les favans n'apprendroient rien ici, mais je fuis sur qu'ils n'y démentiroient rien.  PREMIÈRE PART1E Examen hiftorïque des droïts de l'Empereur & des au tres Souverains en mattere eccléjlajl'ique. Confidérer 1'état préfent des chofes, & dire puifque tout eft ainii, fans doute il a toujours été de même, & il doit a perpétuité refter de même; c'eft le jugement d'une prévention bien ignorante, ou d'une mauvaife foi intéreffée a confolider les défordres. Celui qui fe borne ainli a 1'horifon de fon liecle, & qui ne voit rien au-dela, reffemble a ces Géographes Chinois qui deffinant leur vafte Empire fur une Mappemonde, Tenferment d'un Océan immenfe oü ils jettent fur les bords quelques Ifles qu'ils appellent le refte du monde. Mais quand on embrafle les grandes maffes de 1'hiftoire, elle nous oftre un immenfe Théatre de changemens, de révolutions, de cataftrophes fubites, ou de lentes dégradations. Tout a changé , tout changera : Tignorance , meredes erreurs , a égarétoutes lesopinions j déchainé toutes les paflions : les plus fagcs. A 4  (8) inftitutions ont ètè altérées comme les établiffemens les plus frivoles, paree que la raifofl humaine n'ayant pas encore pris ion niveau, tine horde de barbares détruiibit en un inf- , tant tout 1'ouvrage de la fageffe des üecles i c'eft ainfi que les Loix de Crete & les Arts de la Grece ont péri, c'eft ainii que la Religion chrétienne a été détournée de fa pureté & de fa iimplici.té primitives, & du premier caraclere que lui donna ion divin Auteur. La ramemr a fon premier objet, ce n'eft pas innovation, c'eft reforme, c'eft réintegration : THiftoire nous aconfèrvé les précieux monumens de fon antique caraftère, c'eft a elle qu'on doit recourir pour former des tabieaux de comparaifon entre 1'inftitution primitive & la pratique a£tuelle. Puifqu'il s'agit d'établir la mefure des droits de 1'Empereur en matiere de religion , c'eft ■au regne de Conftantin qu'il faut remonter d'abord, pour voir commentl'Eglifechrétienne, proicrite & periëcutée jufqu'alors, acquit uneexiftence légale & politique dans 1'Etat; fur quels principes fe fit 1'union des deux pouvoirs, & jufqu'a quel point le Sceptre & 1'Encenfoir partagerent leur autorité. C'eft au quatrieme fiecle que fe fit cette importante révolution, oü fuivant 1'expreffion du grand Boffuet, la Croix, inftrument d'humiliatïon, devint Vornement du front des Empereurs, & la foi de la Cour fut bientut eclfe du monde. Dans tous les temps, chez tous les peu-  pies rautorité fur la Religion fut toujours, & avec-raifon, regardée comme la plus imporrnnte de 1'Etat : celui qui peut diriger les opinions de la multitude eft le véritable maitre de la force publique, & les opinions religieuiès font par leur nature les plus ardentes, les plus aétives : & les plus irréiiftibles quand elles entrent en mouvement. La Dignité de grand Pontife chez les Romains étoit briguée par les premiers hommes de la République en fortant du Confulat; Cé/ar eut ibin de s'y perpétuer, & Thabile Augujie ne manqua pas de réunir la Dignité impériale a cette importante autorité qui en faifoit toute la fbrce. ••' Les Empereurs qui le fuivirent ne s'en départirentjamais, & Conjianün, en abjurantle paganifme, ne lui fit peut-être pas moins de tort comme grand Pontife, que comme Empereur. Un Pape qui fe feroit Turc ne caulèroit fans doute pas un moindre ébranlement a monde chrétien. II elf naturel de croire que ce Prince, fi ha^ bile en pohtique, connut trop bien fes intéréts pour renoncer a ce droit fi précieux de fa Couronne, & en eftet les monumens hiftoriques dépofent qu'il ne renonca pas a fon autorité en mariere de religion, mais qu'il ne fit qu'en clianger laforme & Tobjet. L'Eglife reconnut alors une autorité dont elle avoit befoin, & que des circonftances critiques, des temps de troubles & d'ignorance lui firent eniuite fecouer & fouler aux piéds.  (io) Conftantin , fans faire de changement a 1'ordre intérieur établi dans 1'Eglife, en prit a lui le gouvernement fuprême , & le droit de la régler comme il le jugeroit le plus avantageuxau bien public, droit dont iljouitfans aucune oppoiition de la part des Evêques. il conierva au Peuple le droit d'élire fes Evêques & fes Dofteurs, il permit a ces Evêques de s'affembler en Synodes provinciaux pour difcuter les points de controverfe qui s'élevoient, & régler lèa détails appartenant aux rites & aux cérémonies, enfin ce fut lui qui convoqua a Nicée le premier Concile général qu'on a nommé Mcuménique, c'efi-a* dire, univerfel. La forme de 1'hiérarchie eccléfiaftique n'étoit pas encore alfurée ; Conftantin en faifant dans les loix de 1'Empire quelques changegemens qu'il eroyoit utiles a fes intéréts, les fit pafier de même dans le gouvernement eccléfiaftique. (i) Jufques-la il n'y avoit euque trois Evêques qui s'attribuaflent quelque prééminence fur les autres; c'étoit ceux de Rome, d'Antioche & d'Alexandrie : Conftantin voulut que la réfidence impériale jouit du mêmehonneur, & 1'Evêque de Conftantinople fut élevé au rang de Patriarche. Les quatre Prélats fuprêmes répondoient dans Tor- (O Voyez l'hijloire de rétablifiement de la Monarthiefrancoife dansles Gaules, par 1'Abbé Dubos, Tome I, pag. 64,' & rhifioire ds Naples par Gianone, Tome I, jpag- 9i > J3Z-  ( n ) dre eccléfiaftique aux quatre Préfets prétoriaux,établis par le Prince dans 1'ordre civil. Je dois 1'avouer, quand je devrois pafferpour Proteftant , la fucceflion aux clefs de St. Pierre n'étoit pas alors plus établie que celle a fon patrimoine, Cette création de dignités dans 1'Eglife prouve déja 1'autorité impériale en matiere de hiérarchie, nous allons commencer a en voir 1'exercice en matiere de difcipline dans Ie fameux fchifme des Donatiftes. Voici le fujet de la querelle. L'Evêque de Carthage étant mort, les Evêques & Ie Peuple d'Afrique élurent 1'Archidiacre Cécilien, fans attendre les Evêques de Numidie, qui avoient coutume de concourir a 1'éleclion : ceux-ci a leur arrivée, s'irriterent de cette précipitation, & animés par les ennemis & les rivaux de Cécilien, ils le citerent devant eux. Une Dame riche & puiffante dans le Pays,nommée Lucile, ennemie particuliere dc Cécilien , répandit contre lui 1'argent & les intrigues, & parvint a le faire dépofer juridiquement, & déclarer indigne de 1'Epifcopat par une aflemblée de foixante-dix Evêques : les Prélats Numides donnoient pour motifs de leur ientence, i ° . que Cécilien avoit refufé de comparokre devant eux; 2°, que dans le temps qu'il étoit Diacre, fous la perfécution de Dioclétien , il avoit montré une timidité qui alloit jufqu'a la dureté envers les vrais Chrétiens; j°. qu'ayant été confacré par i'Evêque d'Apton-.  gue, Fèlix qui, dans la même perfécution, avoit été ce qu'on nommoit un Traditeur , c'eft-a-dire, un traitre qui avoit livré 1'Ecriture-Sainte aux Païens , ce Prélat abandonné du Saint-Efprit, n'avoit pu le lui communiquer, & en conféquence ils élurent a fa place le Diacre Majorin; il en réfulta une guerre civile en Afrique, qu'on nomma un fchifme, & auquel 1'Evêque de Cafes-noires, nommé Donat, mérita par fon ardeur fanatique de donner fon nom. L'Empereur Conftantin, a qui cette affaire fut portée par les Donatiftes , nomma en 1'anuée 313, pour 1'examiner, 1'Evêque de Rome , aflifté de trois Evêques des Gaules. Sa fageffe avoit cru prévenir Pefprit de parti en prenant des jugesfi éloignés. Cécilien futjuftifié de tous reproches , abfous de la fentence & confirmé dans fon Siege,fans qu'il fut fait mention de 1'Evêque Félix, qui 1'avoit facré. Cette feconde affaire fut examinée a part 1'an■néefuivante par Elien , Proconful d'Afrique, a qui 1'Empereur donna commiflion de juger. Ce qui eft très-remarquable, puifqu'Elien ■ji'étant ni Prêtre, ni Evêque, il en réfulte la preuve que 1'Empereur, juge naturel de cette matiere, pouvoit commettre indifteremment -a fa place qui il vouloit. Félix fut abfous par le Tribunal laïc , comme Cécilien 1'avoit été par le Tribunal eccléfiaftique. Les Donatiftes fe recrierent fur ces deux jugemens , ,& infifterent en particulier fur le petit nombre d'Evêques Européens qui avoient caffé ia  fentence des feptante Prélats d'Afrique : on voit qu'ils ne reclamerent point d'immunités qui duffent infirmer le jugement du Proconfujb; ils n'en attaquoient que le prononcé, & point la forme. L'Empereur eut encore la condefcendance d'ordonner la revilion de cette affaire : il fit aflembler a Af les en 314, un Concile oü fe trouverent prefque tous les Evêques d'Italie, des Gaules, d'Allemagne & d'Efpagne : les Donatiftes furent encore condamnés. Ils en appelerent a 1'Empereur lui-même, & ce Prince la jugea en Perfonne a Milan enl'année 316. Affurément fi jamais affaire fut examinée, c'eft celle-la : les Donatiftes perdirent encore leur Procés ; 1'Empereur confirma la fentence des deux Conciles. II n'y eut point de réclamations juridi* ques, mais des murmures & de la^ fédition. L'Empereur dépofa quelques Evêques des plusturbulens , il en exila quelques autres ; il y en eut même des plus faftieux a qui il fit faire le Procés, & qui perdirent la vie. Cette rigueur anima les fougueux Africains, & cette partie du monde fut inondée de fang. (1) Le ■refte du regne de Conftantin fut empoifonné par cette malheureufe querelle; elle troubla même long-temps fes Succeffeurs, qui ne furent occupés qu'a appaifer des revoltes ou a (0 1 hiftoire de ce fchifme a été écrite par plufieurs Auteurs : yoyez la Differtationde M. dc balais, a U irU(ebt- Herma» Hritiaius mifidlaneorum, Tm I. hb. IK ücc. ' '  C 14 ) les punir; & par un acharnement qui n appartient qu'aux querelles théologiques, celleci ne finit abfolument qu'avec le cinquieme fiecle,long-temps après la mort de ceux qui 1'avoient allumée. 11 me femble que c'eft le premier exemple, & le plus complet qu'on puiffe donner de 1'autorité impériale en matiere religieufe. Tous fes monumens hiftoriques (i) dépofent que Conftantin avoit divifé le Gouvernement de 1'Eglife en intérieur & extérieur. II laifla le premier aux Evêques & aux Conciles c'eft ce qui concernoit les controverfes , les 'rites, les mceurs du Clergé. Mais il ré* fervoit a lui toute la partie extérieure, c'efta-dire , la difcipline de 1'Eglife , les différends entre fes Membres, tant par rapport aux biens, que relativement a la réputation & aux droits & prérogatives ; leurs délits publics ou privés. Ce fut d'après cette divifion bien établie que Conftantin & lés Succeffeurs convoquerent les Conciles & y préliderent, qu'ils nommerent les Juges en matieres de difputes relicieufes, comme nous venons de le voir dans 1'affaire des Donatiftes, qu'ils fixerent les limites des Dioc'èfes, jugerent les caufes civiles des Miniftres de 1'Eglife, & firent pumr par les Magiftrats ordinaires ceux qui contrevenoientaux loix. Tel étoit le plan primitif (i) Voyez hi Vie de Conftantin par Eufebe. J,es Codex luftinien & Théodofien, G- le Commentaire G odefoy , fur ct dernier, Tome A /.  de 1'adminiftration combinée de 1'Eglife & de 1'Etat. II ne fut pas affez clairement developpé, oualfezfermementfoutenu, nous aurons occafion de voir par la fuite corament eet édifice s'écroula en enféveliffant fous fes ruines ceux qui 1'avoient élevé. L'Evêquede Rome tiroit de 1'éclat de la Ville impériale, de fon opulence (1), de fon crédit a la Cour, un luftre qui lui donnoiE fur les autres une forte de fupériorité. Le Siege de Rome étoit la première place politique dans 1'Eglife; il en devint la première place hiérarchique dés les premiers temps, objet de la cupidité ou de 1'ambition, il ne devint jamais vacant fans rempftr le Clergé & le Peuple d'intrigues , de factions , de corruptions vénales, fouvent de diffentions fanglantes; & la Thiare, quand elle n'étoit encore qu'une Mitre, étoit déja difputée par tout ce que la force & 1'adreffe peuvent imaginer de moyens; elle méritoit déja 1'application de ce mot d'un ancien, la première place ne s'obtient que par le mérite des rufes (2). Mais il eft certain qu'alors les Papes, comme les autres Evêques, étoient foumis aux Edits des Empereurs; tout ce qui tenoit a la Religion étoit décidé, ou par des Juges nommés par (1) Voyez fur le luxe & la magnificence des Evêques de Rome le chap. III du XXVII Lir. d'Amie* Marcellin. (2) Summus nempe focus nulld non artepetitus. JüVENAL  ( 16 ) les Empereurs, ou par des Conciles aflêmblés a eet efFet : les affaires moins importantes étoient décidées dans chaque Diftrift par 1'Evêque Diocélain. Les Evêques ne dépendoient que de 1'Empereur & du Concile , aucun ne croyoit tenir ion Siege de la grace du St. Siege apoftolique (i).Ce ne fut qu'enl'an née 372 que 1'Empereur Valantinien fit une loi imprudente qui donnoit a 1'Evêque de R ome le droit de juger les Evêques du DiftricT:, & les Evêques fe haterent a la première occaiion de révendiquer 1'exécution de cette Loi. Ce fut le premier pas de 1'Evêque de Rome vers le Souverain Pontificat. Les Succeffeurs de Conftantin oceuperent indignement fa place: leurs noms , confervés feulement pour la chronologie, font ians éclat dans 1'hiftoire. On voit cependant valere cette foiblefle, les Empereurs conferver un fimulacre d'autorité: au 5me- hede 1'Empereur Zénon interpofe fa puiflance pour appaifer les troubles caufés par Eutichés; il donna, en 482, ce qu'on appella 1'Edit d'union, dans lequel il confirme les decrets des Conciles de Nicée, de Conftantinople, d'Ephèfe ^ de Chalcédoine. ' Précédemment 1'Empereur Theodofe avoit refufé d'affembler un Concile. Marcien , fon CO Voyez Blondel de la primaulé dans TEgUfe. Dupuis fur l'ancienne difciphne de l'Egl'Je. Et l'Archevêque P. de Marca jur Vtinion de l Empire O du fe****. f SuccdBfeur,  Succeffeur, 1'aceorde en 451 contre les mê* ïiies Eutichéens. L'Empereur y préfida luimême, & ce fut.pour y afïifter qu'il le retira de Nicée, ou il 1'avoit affemblé d'abord ; mais Tinvafion des Huns en Illirie lui fit craindra de s'éloigner trop de Conftantinoplc. L'Empereur , affifté des Peres du Concile, condamna Eutichés, le dégrada de la Prêtrife, & ordonna la formule qui eft encore fuivie aujourd'hui. Tel étoit Fétat de 1'autorité impériale dans les affaires eccléfiaftiques fbus les Succelfeurs de Conftantin : autorité légitime & non conteftée, mais a laquelle la foibleffe des Empereurs donnoit peu d'exercice, & que I'ambition fine & adroite des Pontifes Romains minoit fourdement & fans éclat. Les Barbares du nord inonderent 1'Europe, & arracherent les débris mal unis qui formoient encore la maffe affaiffée de 1'Empire Romain. L'autorité delaCouronne étoit alors fi peu conteftée , que les Princes Barbares , fe mettant aux droits des Empereurs , nepermirent aaucun Pontife Romain d'occuper Ie Siege, fans que fon éleclion eüt été approuvée d'eux (1). Ils firent des Loix de Religion, citerent les Eccléfiaftiques a leurs Tribunaux, & de leur feule autorité ils aflemblerent des Conciles (2;. La foumiflion des (O Voyez Maclovrius, Hifloria Germanor. T. t& (6J Voyez Bifozge, Hiftoire des Eglifes réformécs, T.L  (i3) Papes fut alors fans mefure & fans réclamation. Les Papes a la vérité obtinrent dans le ^me. fiecle, par Fautorité de Phocas, ufurpateur de FEmpire Grec, cette prééminence fur le Patriarche de Conüantinople fi débattue depuis trois fiècles, & qui leur afiuroit la fuprématie univerfelle ; mais cette augmentation de pouvoir fur le Clergé ne les fouftraifoit pas a 1'autorité du Souverain; Fhiftoire Byzantine & le formulaire de Marculphe contiennent un grand nombre de preuves de Fautorité que le Magiftrat civil confervoit encore en matiere de Religion, & de la fubordination des Papes a la puiffance royale. Depuis la deftrucuon totale de l'Empire d'Occident, fous le méprifable Auguftule , les Papes n'avoient gueres plus eu rien a demêler avec les Empereurs. Elevés par le fyfiême féodal a Tétat de Souverain , comme tous les grands Propriétaires, refpe&és, & prefque adorés par les Barbares accoutumés a une flupide vénération pour leurs Druides, enrichis par la politique, par 1'ignorance & par la fuperftition a 1'envi, leur puilfance & leur crédit alloient toujours croiflant. L'ufurpation du Tróne de France par le Maire Pepin , les porta au falte du pouvoir par la reconnoiffance & la libéralité du pere & du fils, Pepin les dota de ce qu'on appelle le patrimoine de St. Pierre, qui comprend ce qu'on nommoit alors Fexarchat de Ravenne ,  C 19 ) & la Pentapole ; Charlemagne y ajouta une grande partie de 1'Italie, en détruïfönt le Royaume des Lombards. Mais il eft pourtant certain qu'il le rélërva la Souveraineté de la ville de Rome, dans laquellc il ne laiffoit au Pape que des pouvoirs (1) fubordonés. Car la prétendue donation de Confiantin n'avoit pour objet que la Seigneurie de la Ville & du territoire, ce qu'on appelloit le Duché de Rome, & la Souveraineté alors n'en étoit pas conteftée a 1'Empereur. C'eft ce qu'on voit dans la Lettre même que le Pape Adrien écrivoit a Charlemagne, avant fon élévation a l'Empire, & que Muratori a confèrvée (1). Ainfi il refte démontré par tous les témoignages biftoriques que les Empereurs & les Rois,tant en Oriëntqu'en Occident, avoient 1'autorité Souveraine lur 1'Eglife & für tout ce qu'elle pofledoit: cette autorité n'a jamais été conteftée dans 1'Orient, & commè nous le démontrons , la barbarie feule des Peuples du Nord, & les fauffes idéés de leur ancienne Religion , qu'ils mcloient a la Doctrine de 1'Eglife , ont pu jetter des nuages fur des droits li évidens (3). (1) ïroyei; Muratori, droit de l'Empire fur Tétatec■cléiiaflique, ch. VI. (2) Muratori rerum Italicarura fcriptores, Tom. III, part. II. (3) Sur les droits des Empereurs Grecs en matiere de Religion, voyez le Qjx\QnQriensChrijhanui, Tom. I. B 2  ( 20 ) Le droit de confirmer l'éle&ion du Pape avoit toujours appartenu aux Empereurs, le Pape Adrien I, conféra par un acte folemnel a Charlemagne & a fes fucceffeurs le droit de le nommer (i), ni Charlemagne, ni fon fils Louis-le-Débonaire ne voulurent ufer de ce droit, mais ils fe réferverent toujours celui d'approuver & de confirmer l'élection qu'auroit faite le Clergé & le Peuple (2) Romain ; & la confécration d'un Pape ïfétoit tenue pour légitime que quand les Ambafïadeurs de TEmpereur y avoient affifté. Les Evêques de Rome obéiffoient en tout aux Empereurs , & recevoient leurs ordres comme des Loix (3). Les MIJJi dominici des Rois de France étoient chargés de veiller a la conduite des Prélats & des Prêtres du fecond Ordre, de connoitre de leurs querelles & de les terminer, de faire des régiemens fur le culte public, & depunir les contraventions & les délits des Eccleüaftiques comme (4) des La'ics. Toutes les Eglifes & tous les Monafte- (O Anaftafe fait mention de eet afte, confervépar Yvo & Gratiën. (2) Voyez Mabillon , Comm. in ordinem Romanum mufei ftalici, T. II. Muratori, Droits de 1'Eglife fur TEtat eccléfiaftique. (3) Voyez Baluze, Prafat. ad Capitularium Reg. francorum. §. 21. (4) Voyez Muratori, antiq. Italica medii avi, Tom. I. dhï. IX. franc, de Roye de migis dominicis. Cap.8 & 10,  r ) res devoient payer au Tréfor du Prince une impolition proportionnée a leurs revenus, a inoins d'une diipenïé particuliere du Souverain (i). II eft vrai que les Empereurs Latins ne s'atrribuerent pas, comme les Empereurs Grecs, le droit de décider par eux-mêmes les controverfes purement théoïogiques; (2) 'ils laifïerent Ia connoiffance & la déciüon aux Papes & aux Conciles. Mais Fautorité du Pape n'en étoit pas plus étendue pour cela. II ne pouvoit rien décider par lubmême, il falloit qu'il affemblat un Concile. Quand il s'élevoit dans les Provinces quelque nouvel e opinion, on n'attendoit pas la déciüon de llome , on affembloit un Concile provincial oü les Evêques opinoient avec la plus grande liberté , & föuvent d'une maniere oppofée a ce qu'ils favoient être le fentiment du Pape: c'eft ce qu'on a vu dans les Conciles des Francs & des Germains au lujet de la fameufe querelle fur les Images. Et il faut obferver de plus que le droit de convoquer les Conciles n'appartenoit pas au Pape , mais aux Empereurs ou aux llois, dans les Etats de qui fe formoient ces aflemblées, & aucun dé- Voyez Muratori, antiq. Ital. mediï évi, T. I, tlifiT. 17, & le Recueil imprimé a Rotterdam en 1751, en 7 vol. 8°. fous le titre d'Ecrits pour & contre les immunités prétendues par le Clergé de France. (2) Voyez la dififertation de Charlemagne lui-méme ie imagimbus, Lib. I Cap. 4. B 3  C« ) cret n'avoit force de loi, qu'autantqu'il étoit approuvé & reconnu par le Souverain (i). Telles étoient les bornes de la puifl'ance temporelle & fpirituelle des Papes dans lé 8ra«« fiecle. Les troubles du fiecle fuivant, la foibleffe& les malheurs de la poftérité de Charlemagne , 1'ignorance & la fuperftition répandues fur toute 1'Europe, donnerent occaiion aux Pontifes habiles & ambitieux, qui occupoient le Siege de Rome, de fecouer infenfrblement le joug, & ils éleverent leurs audacieufes prétentions ju'qu'a l'Empire univerfel du monde Chrétien. Toutes ces caufes réunies avoient favorifé lentement 1'extention du pouvoir Papal, mais dans 1'onzieme fiecle le Pontificat de Grégoire VII, mit les droits du Pontife Romain a leur plus haut degré de fplendeur, & il ne manqua que le temps a eet habile & ambitieux Prélat pour s'établir au-deffus des Empereurs & des Rois. On verra dans la feconde partie de ce Mémoire tout ce qu'il acquit a 1'Eglife , ici je ne ferai mention que de la difpute des ïnveftitures, commencée fous ce Pape, fuivie fous fes Succeffeurs , & qui troubla les regnes de HenrilV&de Henri V, caufa une longue & fanglante guerre, & noya 1'Europe dans le fang. Le prétexte étoit la fimonie, 1'objet étoit d'enlever aux Souverains toute influence dans les choix des Evêques & des Abbés , & (O Voyez la Préface des Capitulaires de Baluze.ü' l'hiftoire de VEglife par Bafnage, tome I.  ( *3 ) cette longue conteftation ne finit que par un accommodement oü les Papes fiipuloientdes concordats en argent, diftëremment modifiés depuis, mais qui rendent toujours les Peuples & les Rois tributaires de 1'Eglife de Rome; mais cette guerre du Sacerdoce & de l'Empire fut longue & fignalée par les plus grands excès. L'Empereur Henri IV, pourfuivi par les excommunications de Pai'cal II, vit les fujets fe révolter contre lui, fon propre fils ufurper fa Couronne, & alla linir obfcurement a Liege fa vie & les malheurs en 1'an 1106. Mais le Pape ne jouit pas desfruitsde fa perfidie; Henri V défendit aufli vivement que fon pere fon droit aux inveftitures; les excommunications de Rome pafferentdu pere fur le fils, la guerre fe rallumaplus vivement que jamais. Henri pour terminer cette querelle li fcandaleufe & li cruelle pour 1'Eglife & pour 1'Etat, alla attaquer le Pape jufques dans Rome; il le prit aifément & 1'enferma dans le Chateau de Viterbe. L'Empereur dicla les conditions du traité, il fut remis en poffeflion du droit de nommer les Evêques & les Abbés. Cette paix, qui avoit été diftée par la force fut bientöt rompue. Le Clergé de Romeanimoit le Pape, &l'accufoit de lacheté ; ce Pontife affembla les Evêques & renouvella les excommunications contre Henri V. II fut déclaré hérétique & ennemi de 1'Eglife, ce qui expofoit fa Couronne & fa vie même aux plus grands dangers dans ces temps de barbarie B 4  ( *4 ) & d'ignorance (i). A ce fignal les Princes d'Allemagne fe revolterent & prirent les armes pour ce qu'on appelloit la caufe de 1'Eglife. L'Empereur prit le fage parti de retourner en italie chercher fon ennemi jufques dans Rome Pan 1116. A fon approche le Pape fe fauva a Bénévent, & appelloit les Normands a fon fecours ; il mourut au milieu de tous ces préparatifs. On vit encore alors le fcandale de deux Papes a la fois , 1'un éiü par les Cardinaux, 1'autre nommé par 1'Empereur. Enfin Calixte II, Pontife plein de lumieres & de qualités perfonnelles, après avoir repris Rome & enfermé fon Compétiteur, rendit le calme au monde chrétien par une paix avantageufe aux deux partis 1'an 1111. II fut réglé que les Evêques & les Abbés feroient élus, les uns par les Chanoines; les autres par les Moines; mais en préfence de 1'Empereur ou de fes Commiffaires , nommés a eet effet : qu'en cas de diviüon fautorité inpériale décideroit, mais fur le confeil des Evêques; & que les Empereurs n'inveftiroient plus avec la Croffe & 1'Anneau, mais avec le Sceptre. Le Concile général de Latran confirma 1'année luivante ces difpofitions,qui font toujours demeurées en vigueur depuis , fauf de légers changemens. Le Siege Pontifical fut fucceffivement occupé apres Calixte II par des Papes & des CO Voyez Gervaife, êtfertations fur ï'hiréfie.  ( *5 ) Antipapes, qui fe d ilputoient la Thiare comme une Couronne temporelle. Les Empereurs Sc les Rois fe partageoient entre eux, & c'étoit autant de fujets de guerre que la fréquente vacance du Siege de Rome rendoit preique continuelles. Mais 1'Empereur Frédéric, dit Barberouffit^ étant parvenu au Tröne , 1'Europe fut replongée dans les horreurs qu'entrainoient toujours les querelles entre le lacerdoce & l'Empire: Frédéric avoit annoncé dés les premiers jours de fon regne le delfein formé de rétablir fes droits dans l'Italie, de maintenir la dignité de l'Empire, & de reffcrrer dans les hornes légitimes la puiffance & les richcffes du Pape & du Clergé. Adrien IV occupoit alors la chaire de Sairit Pierre, il comprit toute 1'étendue du danger, & ne s'occupa qu'a le prévenir, ou a le combattre avec toute la hauteur de fon caracïere. II commenca au couronnement de 1'Empereur en 1155 a mettre lui-même en avant les plus ridicules prétentions, maii que 1'efprit du liecle & la fuperfiition des peuples autorifoient. II vouloit que dans la Cavalcade folen pontificaux, & i l#^^^É^^p5fö#royaI lui tenant fétni, iM^^-l --Vïjourd'huile tableau l^i/ÊM^§i% \- une prétention de cette^»tSi|^fe>it que rilible : mais il iluff^lp: | | 3 „,4e oü I & une prébit que rilï— ;: -je uil  ( *6 ) 1'hiftoire nous fixe; la prétention & la conteftation qui s'éleverent a ce fujet furent également férieufes & fatales au repos des peuples. L'Empereur aigri attaqua ouvertement les richeffes du Pape, du Clergé , & des Moirés : richeffes toujours croiffantes , & quimenacoient d'envahir 1'univerfalité des biens. II commenca par défendre tout tranfport de liefs fans' le confentement du Suzérain ; il fit d'autres Loix dans le même tfprit, & s'occupa enfuite a réduire les petites républiqucs qui s'étoient élevées en Italië. (i) Le Pape Adrien moufut quand tout fe préparoit a une guerre ouverte entre 1'Empereur & lui. Les Cardinaux fe partagerent fur le choix de fon Succelfeur : on vit encore deux Compétiteurs, 1'Empereur protégeoit 1'un, & le fit reconnoitre par un Concile qu'il convoqua expres a Pavie ; la France foutenoit 1'autre. Le Pape Francois fe lauva a Avignon, fon rival mourut, mais 1'Empereur en éleva un autre a fa place. Le nouveau Pontife fut reconnu par les Princes de l'Empire alfemblés en diette a Wittemberg : mais celui des Francois , qu'on nommoit le Pape Alexandre, rentra en Italië, & affembla un Concile a Latran oü il dépofa folemnellement 1'Empereur en n6f. 11 1'avoit déja excommunié & anathématifé depuis long-temps, avoit délié fes fujets du ferment de fidélité, & les avoit ex- (0 Voyez Pllijloirc de Frédérie^r le Comte de Bunau.  c *7) cités a la révolte. Remettre ces faits connus fous les yeux du Lecleur, & les rapprocher des faits antérieurs que nouJ avons rapportés dans les premières époques de 1'établilfement de la religion; il femble que c'eft juger la queftion qui nous occupe, & établir avec aflez de folidité de quel cöté fe trouve 1'envahiffement des privileges, les abus üe fautorité , & 1'oubli des droits les plus facrés de la religion & de la fociétè. Cette audacieufe démarche eut le fuccès qu'elle méritoit, 1'Empereur courut a Rome , & le Pape effrayé fe fauva a Bénévent, oü il fut trop heureux d'obtenir fon falut par une démiflion volontaire en faveur de fon rival. Celui-ci ne jouit pas long-temps de fon bon? heur, il mourut & 1'Empereur fidele a fa vengeance ne voulut pas entendre parler d'Alexandre; il nomma Calix III pour Succeffeur de Pafcal. Mais le fort des armes ayant changé, 1'Empereur ayant éprouvé beaucoup de revers , & lés ennemis s'étant multipliés par les intrigues & les menées fecrettes d'Alexandre , ce Pontif rufé vint a bout de fe retablir, & de forcer 1'Empereur a lui venir baifer les pieds : les hiftoriens du temps ont même ajouté les circonftances les plus infultantes, car difentils,il renverfa d'un coup de pied la Couronne impériale, & pofa infolemment le pied lur la tête de 1'Empereur, en prononcant avec le plus profane abus , ces paroles d*un Pfeaume : Super afpidem & Bajilifcum ambulabis , & con-  culcabis Leoncm & Draconem. Tu marcheraf fur 1'Afpic & le Balilic , tu fouleras aux pieds le Lion & le Dragon. Tel fut la fin de cette lutte inégale oü fintrigue d'un Pontife arma contre 1'Empereur fes propres fujets, le rendit par la fuperftition du temps fi odieufe & fi méprifable a fes propres domeftiques, que les plusfideles qui lui reftoient en petit norabre n'ofoient approcher de lui pour fon fervice; ils pofoient les plats fur fa table en s'en éloignant avec horreur, & ils jettoient aux chiens fa defferte. Alexandre 'ibmenta les jaloufies & 1'ambition des autres Princes ; il fouleva toute 1'Europe contre Frédéric. • Cependant dans tout le Cours de ce récit, quel eft le Lefteur impartial qui puiffe blamer les entreprifes des Empereurs, & exculér la violence, 1'injuftice & 1'orgueil des Papes ? De fujets,ils étoient devenus Souverains indépendans, ils prétendirent enfuite devenir Souverains de leur Souverain même. Pouvoient-ils dire que ce fut l'intérêt de la religion qui les animat ? La pureté de la foi, ^intégrité des dogmes? Rien de tout cela n'étoit en danger : c'étoit les abus d'une autorité ufurpée , des richeffes injuftement acquifes qu'ils défendoient avec tant d'ardeur. Aujourd'hui que les lumieres du iiecle ne prêtcnt plus a ces odieus, attentats, les mêmes caufes excitent autant de haines, autant d'intrigues & de mouvemens fecrets; mais les efprits autrement préparés ne font plus fujets fans doute a recevoir ces germes  C 29 ) de revoltes & de féditions : eh, que peut-oiï penlèr de ceux qui regarderoient comme des atteintes portées a la religion 1'efprit de reforme & les Loix fages qui tendent a ramener tout a 1'ordre primitif du Chriftianilme, & aux principes du bonheur public! Les entrepriiès des Papes, comme on le verra dans la feclion fuivante, continuerent encore pendant deux fiecles avec plus ou moins de fuccès , mais toujours dans un efprit conftant d'envahiffement & d'ufurpation. Les Croifades avoient un peu diffipé 1'ignorance & la barbarie; la vue de nouveaux peuples, de nouveaux pays, la comparaifon des mceurs des nations, la curiofité qui ameneleslumieres; les abus même qui s'étoient difcrédités par leurs excès ; tout annoncoit dans le quatorzieme fiecle la révolution qui devoit s'opérer cent ant après. L'efprit humain fermentoit, & alloit produire la bouffole, 1'imprimerie, les lunettes a longue vue; & multiplier alapenféeles mondes de 1'efpace, tandis que le nötre fe doubloit fous les pas de 1'homme, & que la chaine des idéés, déformais fixe & impériflable, alloit lier la génération préfente a celles quine font plus, & a celles qui ne font pas encore. Cette fituation de l'efprit humain étoit bien défavorable au fyftême pontifical: ce fut dans ces circonftances que s'éleva la querelle fameufe entre le Roi de France Philippe-leBel & le Pape Boniface VIII. Ce Prince fut le premier qui donna 1'exemple de pofer des  (30; barrières infurmontables a 1'orguefl &a 1'ambition des Papes. Ce Pontife avoit écrit a Philippe des lettres pleines de hauteur, oü il ofok lui dire que tous les Souverains de la terre étoient iöumis au Saint Siege au teniporel comme au ipirituel. Les réponlès du Roi furent méprifantes, la difpute s'échaüffa; & le Pontife publia la fameufe bulle unam fanclam, dans laquelle il foutint que Jelus Chrill avoit donné a lbn Vicaire les deux pouvoirs, qu'il avoit foumis tous les hommes au Pape, & que nier cette propolitition c'étoit être hérétique, & hors de la voie du falut. Le Roi de fon cöté affembla les Pairs du Royaume, & fit dreffer par des JurifconfuU tes un acte dans lequel il étoit démontré que rhéréfie étoit du cöté du Pape; il lui reprochoit de plus la fimonie & d'autres vicesplus criminels encore; enfin il demandoit 1'aflèmblée d'un Concile général pour dépolèr un Pape fi peu digne del'être. Le Pontife excommuniale Roi, les Pairs de France, les Jurifconliiltes Francois & tous leurs fauteurs & adhérants. Mais ces armes fpirituelles avoient perdu leur force, les peuples étoient plus éclairés, & 1'opinion générale qui imprime aux Loix leur coniiftence & leur vigueur étoit contre la Cour de Rome (i). Le Roi répondit a la Sentence d'excommunication par une affemblée générale des Etats (i) Voyez 1'hiftoire des démêlés de Philippe-le-Bel avec le Pape Boniface VIII, par M. Dupuy. I  ( 3i ) de fon Royaume oü il dénonca folemnellement le Pape, & fit dreffer un appel au futur Concile. II indiqua même la Ville de Lyon pour le lieu de raffemblée, & envoya des Commiflaires en Italië pour foulever les peuples, & s'emparer de la perfonne même du Pape qu'on devoit amener devant le Concile. La mort du Pontife prévint 1'éxécution de ce deffein. Benoit XI qui Ie remplaca, & mourut prefque auffi-tót, n'eut que le temps de lever 1'excommunication. Le Roi eut le crédit de le faireremplacer par Bertrand de Goth, Archevêque de Bourges , & ce dernier fixa fa réfidence a Avignon , oü les Papes fe font établis pendant foixantedix ans : c'étoit en 1'année 1305. Cette vigoureufe conduite de Philippele-Bel , ouvrit les yeux a toute 1'Europe , & 1'éloignement oü les Papes fe trouvoient de l'Italie donna plus de force a leurs ennemis : la plupart des Etats de leur domination s'en détacherent, la faclion des Gibelins , conftante antagonifte de la Papauté , multiplia fes difcuffions & fes examens de leurs droits , & des prétentions du Pontificat; enfin la défe&ion au fpirituel comme autemporel, devint prefque générale par toute 1'Europe. Les révolutions furvenues depuis dans la religion, les guerres, les héréfies, & fur-tout laréformation,acheverentde détruire l'exceflive influence de la Cour de Rome : le proteftantifme, qui donnoit aux Papes des obfer-.  ( 3* ) vateurs jaloux, fit que les Cardinaux devinrent plus fcrupuleux dans les éleclions, 5e que les Pontifes fe montrerent plus modérés & plus exemplairs. L'autorité du Pape depuis cette. époque n'eft plus que vénérable , elle s'eft renfermée infeniiblement dans les limi* tes que lui afiignoient la raifon & la piété; & peut-être eft-il a délirer qu'elle conferve ce jufte dégré de force j qu'elle refte dans 1'état oü 1'a portée le développement fucceflif du temps & des circonftances. II n'eft pas douteux d'après fexpofé que nous venons de faire de cette fucceffion de faits qui compofent le tableau fommaire de 1'hiftoire eccléfiaftique, que les Rois & les Empereurs n'ayent de droit dans leurs Etats l'autorité dont jouiffbient les premiers Emper reur Chrétiens; il eft également certain que Conftantin & fes Succelfeurs ont réellement dominé fur 1'Eglile naiffante. Mais a préfent que la formation des nouvelles Monarchies a établi plulieurs centres de puifliince, n'eft-il pas avantageux pour prévenir les fchifmes & les divilions d'opinion, qu'il y ait un point de raliement & d'unité ? La Cour de Rome dans fon état acliuel eft un Sénat des Prélats les plus diftingués , leur Chef choili parmi «ux avec 1'agrément de toutes les Couronnes eft communément un Pontife que fon age, fes talens & fes moeurs rendent également refpeétable. Cette Cour, la plus prudente, la plus paiüble , la plus circonpefte de toutes par fa foibleffe même, ne pré ten d plus rien que la  4 v >> ; ïa paix, la charité, l'efprit de rEvangite i fon autorité paternelle n'eft plus que de confeil & d'exemple ; l'infaillibilité dont les Ultramontains font la prérogative -née du Pape, eft réellement une qualité acquilé de fon confeil, oü toutes les affaires font préparées par les hommes les plus fins, les plus adroits, les plus fpirituels, les plus expérim'entés du monde. A quoi fe réduit donc la difcuffion élevée par l'Auteur que eet écrit fe propofe de rélüter ? Prétend-il refufer aux Empereurs & aux llois le droit de faire quelques changemena relativement aux affaires de l'Eglife, quand ils le jugent convenable au bien de leur Etat? Cette prétention feroit abfurde & contrariée par les principes & par les faits. Les Souverains ont chacun dans leurs Etats fautorité que Conftantin & fes fucccffeurs avoient dans l'Empire, ils font aux mémes droits. Fin de la première Partie,  ( 34 ) SECONDE PARTIE. Examen kifiorique des ufurpations des Papes fur les droits des Couronnes. La diftribution faite par Conftantin de Ia fuprématie eccléfiaftique en quatre Patriarchats fut une des premières caufes de 1'élévation fuprême du Siege de Rome. 11 ne fe pafla pas un fiecle que tout ctoit déja dans le défordre. Si !a Monarchie eft néceffaire quelque part, c'eft affurément dans le domaine des opinions. Comme tout eft conteftable, tout eft contefté; c'eft-la qu'il faut une autorité qui décide, & qui, vrai ou faux , dife le dernier mot. Sans cela ce qui pafleroit pour vérité au Midi , pourroit être réputé faufleté au Nord, & 1'Orient douteroit de certains points, dont 1'Occident fe rendroit martyr. La réfidence . impériale avoit élevé 1'ambition de 1'Evêque de Conftantinople : il affecloit de l'autorité fur les Patriarches d'Alexandrie &t d'Antioche. Les foibles Succefleurs de Conftantin n'étoient pas en état de fe rendre le centre de ces quatre points divergens , comme c'avoit été 1'objet de 1'inftitution. L'Evêque de Rome, Patriarche éloigné, & en apparence impartial, étoit fouvent pris pour juge dans ces interminables difputes; & comme il arrivé toujours  i 35 ) ï'habitude fit le droit. Les Evêques fuffragafm en ufoient de même dans les conteftations avec leurs Métropolitains; enfin ces fréquens appels, toujours recus, toujours jugés,donnerent peu-a-peu au Pontife Romain unefupériorité réelle. Cependant cette autorité ne s'élevoit pas fans conteftation ; PAfie prelqu'entiere obéilfoit a Rome pour ne pas obéir a Conftantinople, mais malgré les foins ardens & infatigables de Léon-le-Grand, & de fes Succefceurs \ ils ne purent jamais foumettre les Prélats d'Afrique a leur jurifdiclion (i). II faut obferver que c'étoit particuliérement en Afrique que les hérélies prenoient naiffance ; Peiprit exalté & les paffions ardentes, fruits du climat, étoient le germe de ces fubtilités métaphyfiques, ou des vues ambitieufes qui fe cachoient a Pombre de la Religion; «Sc le parti qui fuccomboit, ne manquoit jamais d'en appeller a 1'Evêque de Rome: c'eft ce qui arriya dans Phérélie d'Eutichés, Moine de Conftantinople, qui avoit des idéés particulieres fur les deux natures de Jefus-Chrift. Si ce n'étoit pas dans 1'Orient que les héréfies prenoient naiffance, comme il arriva pour Pélage, Moine Anglois, qui dufputoit lür le pêché originel & fur la grace, c'étoit toujours dans ces climats ardens qu'elles y faifoient plus de ravages; c'étoit la que les (O Voyt\ Dupuy fur Panci*nns difiplint d$ tEglift. C a  v J J fynodesfe multiplioient, fe contrarioient, abfolvant & condamnant tour-a-tour, jufqu'a ce qu'enfirt on en fut venu a appelier a la décifion de 1'Evêque de Rome & des Prélats d'Europe, dont lejugement, plus tranquille , étoit communément définitif. Pélage condamné d'abord par un premier Concile, avoit été juüifié enfuite par une feconde aflémblée a Diofpolis, puis condamné de nouveau par les Evêques d'Afrique, aifemblés a Carthage , puis encore par ceux de Numidie,a{femblés a Millieves; enfinen dernier lieu a Rome, ce qui termina la co.nteftation. Habitué a ce reffort de jurifdiction, qui ne tenoit qu'a des coniidérations particulieres, le Pontife Romain ne tarda pas a vouloir Périger en droit; les Patriarches d'Antioche & d'Alexandrie étoient abattus, celui feul de Conftantinople lui difputoit l'Empire univerfel. Les Conciles de Chalcédoine & de Conllantinople , fous Théodofe-le-Jeune, en créant un cinquieme Patriarchat en faveur de 1'Evêque de Jerufalem, les avoit déclarés tous égaux; mais cette difcipline étoit déja oubliéc, il n'y avoit plus de rivaux que ceux de Conftantinople & de Rome (i). Cette' querelle étoit reftée indécife jufqu'au jrme. fiecle ! ce fut alors que le Tyran Phocas, affaffin de Maurice, & ufurpateur de fon Tróne, cédant aux follicitations de BonifaceU, décida cette conteliation en faveur de 1'Evêque de (i ~) I'oyez Le Quien, Oriens Chriftianus, & les Auteurs qui ont écrit fur les Patriarches, cités par Fabricius dans fa Bibiiotheque antique; ■  (%?) Rome, qui devint alors 1'Evêque univérfcl (i). Une caufe encore de la grande élévation du Siege de Rome, c'eft la profonde vénération que les Nations Septentrionales étoient ac-. coutumées d'accorder a leurs Prétres : ils tranfporter'ent naturellement au Clergé Chrétien tout le refpect & la foumiffion qu'ils avoient eu pour leurs Druides. Ainii les Prêtres de 1'Occident , plus riches , plus refpectés, plus puiffans que ceux de 1'Oriènt ,-aidoient a Po* pinion publique a placer leur Pontife au-delfus du Patriarche Grec. La rufe & Pavidité vinrent aider ces difpoiitions naturelles ; dans ces fiecles barbares oü tout étoit violence & atrocités , la charité fut la feule vertu que prêcha le Clergé, la rémifiion des péchés y étoit attachée, & alors les tyrans acquirent Fimpunité par des fondations, des donations, & des bienfaits immenfes , dont ils enrichirent le Clergé. On evalua fur un certain tarif les anciennes pénitences publiques de la primitive Eglilè, & les peuples furent livrés aux oppreffeurs puiffans qui capituloient avec le Ciel. Les Evêques & les Abbés acquirent même des Souverainctés , & le Pape, fupérieur a tous les Souverains eccléfiaftiques, ne devenoit-il pas par-la lui-même bien fupérieur au Patriarche de Confiantinople? Tels furent les progrès de la puiffance Pontificale dans le 7me- CO Vojyei Anaftafe de vitis portijicum. Paul Diacre de rebus gcjlis longobardorum, lib. IV. Muratori faiptores rerum Lalicarum.  138) fiecle, & les effets funeftes qu'a caufé dan£ la Religion 1'invalion des Barbares, par l'efprit de foumiflïon fervile aux Prétres, qu'ils avoient reeu de leurs Druides, & par laforme de leur Gouvernement, qui rendoit tous les grands propriétaires Souverains & Militaires. ,Car ce fut le Gouvernement féodal qui fit les Evêques & les Abbés Souverains, qui leur donna les droits régaliens, & contre Telprit de 1'Evangile, la prérogative de mener des troupes a la guerre. La politique même des Souverains de ccfiecle favorifa Pélévation & Pagrandilfement du Clergé. Ils compterent plus fur la fidélité des Prélats que lür celle des Barons, les premiers n'étant pas héréditaires , ne pouvoient avoir de plans fuivis , ni de projets de familie. L'habitude & Le préjugé confirmoient dans l'efprit du peuple ce que la politique des Princes faifoit en faveur du Pape. La multitude accoutumée a la fuprématie du grand Druide croyoit le revoir dans la perfonne du Pontife Romain. Le Clergé appuyoit cette reffemblance; & il appelloit le Vicaire de Jefus-Chrifl & le fucceffeur de St. Pierre, celui que la multitude regardoit comme le fucceffeur du grand Archimandrite (1). Le même (1) Voici comme Céfar , dans fes Commentaires, parle de ce Pape des Druides : Ais omnibus Diuidibu» pre eft anus quij'ummam apudeos (Celtas) auiïoritatem kabet. Hoe mortuo ft qui ex Reliquis excellii dignitate , fuaedii, Sed fi Juut plures pares fuffragio Druiduto digituft  ( 39 ) refpect entrafnoit les mêmes honneurs & 1* même autorité. Le droit ne fut créé qu'après le fait en cette occaiïon : le Pape alla chercher jufques dans la révélation les titres de fa Suprématie; les prétentions ne furent point contrariées, le Schifme avoit féparé au commencement du ^me. fiecle 1'Eglife grecque de 1'Eglife latine, le peuple préfentoit de luimême la tête au joug , & la politique des Princes 1'alfermiffoit. Mais les Princes a leur tour ne. tarderent pas a fe repentir de leur ouvrage. Le Pape affermi dans ces honneurs & dans cette puiffance inconnue a la primitive Eglife, commenca a porter dans les affaires politiques un ton d'autorité qui convenoit a fa fortune préfente. Voila le germe de ces guerres des Guelfes & des Gibelins, & de ces longues querelles entre l'Empire & 1'Eglife, qui onttroublé le monde pendant quatre cents ans, & qui ont été li fatales aux liecles fuivans. La première & la plus dangereulé plaie qu'en recut la fociété, ce fut cette opinion, que toute perfonne excommuniée par le Pape, ou même par un Evêque, étoit dès-la même privée de tous les droits de Citoyens, & même Non nunquam etiam armis de prinripatu contendunt. Cefar 'de Bello Galico. lib. VI. Cap. 3. Ces Druides font foumis a un Chef Suprème qui jouit parmi les Celtes de la plus grande autorité. A jfa mort il eft remplacé par le plus éminent d'entr'eux; ii plufieurs concurrens d1 égale dignité fe préfentent, les fufFrages du College des Druides en décident, & «iuelquefois le fort des armes difpofe de la ïlüare.  r 40) de ceux de 1'humaniié. Et il eft remarquable que cette doctrine, qui caufa tant de troubles & de révoltes, & qui fit couïer tant de lang humain, étoit un dogme du paganifme. L'excommunication dans fon principe, quoiqu'ayant toujours quelque cliolè de honteux, n'avoit rien de la barbarie injufte qu'on y ajouta en Europe dans le 8me- liecle. C'étoit tine exclulion, un baniffement de la fociété des Fideles. Cette cruelle innovation tire encore fon origine de la Religion des Druides ,& du préjugé groffier des peuples Barbares, qui confondoient toujours leurs vieilles erreurs avec la Sainteté des dogmes du Chriftianifme. On trouve encore 1'explication de ceci dans un paffage des Commentaires de Célar (1). Quiconque n'obéiroit pas aux Druides , de quelque rang qu'il fut, feroit éloigné des Sacritices. C'eft la peine la plus cruelle qu'on puiflé intliger a un Celte. Cette interdiction range celui qui 1'a encourue parmi les impies & les fcélérats : c'eft a qui s'éloignera de lui, on craint fon abord, on évite lés difcours, on le fuit comme un peftiféré, il n'y a plus d'honneur, ni de conlidération pour lui, il n'y a pas méme de juftice. (I) Siqui aut privatus aut publicus Druidum decreto non ftetit facrificiis interdicitur. Hitcpana apud eos gravifjima, Quibus ita eft interdicïum , ii in numero impiorum & j'celeratorum habentur : nis omnes deifdunt, eorum adi(um fermonemque defugiunt, ne quid ex conttigione incommodi accipiant. Ne que iis petenlibus jus traditur, neque fionos ullus communicatur. Cei'f de 13ello Gsllico, lib. 6, C3p,  c 4i; Mais ce qui porta tout-d'un-coüp la puiffance Pontificale a fon comblc, ce fut la collulion par laquelle Zacharie , qui occupoit alors le Siege de Rome, favorifa la rebellion du Maire Pepin, qui fur la déciüon de ce Pape, engagea les Etats du Royaume de France, en f51 , a 1'élever fur le Tröne du foible Childéric III, qu'il détróna. C'eft un fait qui eft confacré dans toutes leshiftoires (1): Le Pape Etienne II confirma folemnellement cette déciüon de fon Prédéceffeur en 754; & pour la rendre plus augufte & plus lolemnelle aux yeux des Peuples, il facra une feconde fois le nouveau Roi, déja facré a Soiflbns par le Légat, & donna aufli 1'onétion lainte a fa femme & a fes deux fils. La fuite de cette ciminelle complaifance ce fut la haute proteftion que 1'ufurpateur Pepin & fa poftéiïté donnerent au Siege de Rome. L'Italie foumife encore aux Empereurs Grecs, & déchirée de diviüons, fut alors le Theatre des prétentions ambitieufes des Papes. Pepin récompenfa le Pape Etienne aux dépens des Rois Lombards, il leur enleva 1'exarchat de Ravenne, laPentapole, &tous ee qui fe trouvoit a la bienféance de la Cour de Rome, & tout cela dans la même année 754 : le bienfaitfut payé comptant. C'eft ainfi que fe forma la Monarchie temporelle des Pa- (I) Voye^ le Cointe , Annal. Ecdefniftica francice. Mezeniy, Daniël, Velly, & Bofluet definfio dcdiirafie deri Giilïicanl. part. I. p. 225, &c.  c 42; pes, & qui la nouvelle Maifon royale de France donna Couronne pour Couronne (1). Et ce Royaume du Pape fut nommé le Patrimoine de St. Plerre; car Jefus Chrift avoit déclaré que fon Royaume n'étoit pas de ce monde. Charlemagne, fils & fuccefieur de Pepin, rappellé en Italië par les mouvemens des Lombards, qui troubloient le Pape Adrien dans fes nouveaux Etats, fe montra plus magnifique encore & plus libéral que Ion Pere. II détruiht le Tróne des Lombards & ajouta de nouvelle poffeflions a celles dont Pepin avoit déja enrichi 1'Eglife. La politique avoit autant de part que la libéralité a fes dons magnifiques. Maitre de toute 1'Europe par la force des armes, depuis les Pirénées jufqu'ala Baltique, Souverain réel de 1'Italie, &. dans le fait Empereur d'Occident, Charles, le plus grand homme de fon iiecle, ne voyoit en rival que la mémoire de fon Pere, il voulut la furpafler, & acquérir le titre d'Empercur, qui lui fembloit manquer a fa gloire. Aidé des circonfiances favorables que lui procuroient les troubks de TOrient, Charles fe trouvant a Rome,le Pape LéonHI, comme par une ïnfpiration foudaine, prend fur 1'Autel une Couronne d'or, qu'il lui poie fur la tête, en S'écriant : Vive le Grand Empereur Charles. il) Voye-^ Sigonius de regno lallco lib. III. pag:. 202. Hiftoria Imperii Gernianici, tome 2 p- 301-66. Muratori Annales d'Itulie.  Le peuple entralné par rexeihffe de quelques gens apoftés, ennlvré par 1'enthoufiafme qui gagne ü aifément la urukitude, fiatté en iecret paree fentiment obfcur de liberté * dont cette elpece d'éleclion avoit 1'air, tout le peuple crie : Vïve L'Empereur, & la yoix du Peuple fut lavoix de Dieu Nous avons expliqué pécédemment quelles reftriftions Charlemagne avoit mifes afes bienfaits. Une des plus importantes avoit été de lè réferver la confirmation des éle&ions de Pape qui fe faifoient alors par le concours du Clergé & du Peuple (i) : les Papes prétendoient, depuis que Louis-le-Débonnaire avoit renoncé a ce droit par un a&e de Tan .817. Mais tous les Auteurs qui ont examiné cette piece avec foin , Pont reconnue évidemment iuppofée (3). Le favant Muratori a penfé que eet afte a été fabriqué dans le 11 m. liecle ; mais il eft vrai que Charles-le-Chauve, qui avoit obtenu l'Empire par les bons offices du Pape , pour marquer fareconnoiffance, affranchit al'avenirle Siege de Rome de cette obligation. Auffi depuis Félection d'Eugene III, fi) Voye^ Bunau hifloria impeai Romano-Germanicit lom. II. Freder. Spanheim de factd tmn(lat, imperii in Car. mag. per Leonem III. tom. II. (2) Voyei Bunau Kiftoria imperii Germanici. tom. II. (3) Voyez les confignes du pere Hardouin. tom. 4. Les annales de FEglife de France du Pere le Cointe, tome 7 & le tome 1 des Capitulaires des Rois de Francs yar Baluze.  ( 44 ) eri 824, cheque éleclion fut une Guerre civile qui remplit 1'Italié de troubles & de cariiage, oüla religion & 1'humanité furent également offenfée, & le déibrdre ne celfa qu'au regne d'Othon-le-Grand, qui mit fin a tous ces abus. Auffi dans tout eet intervalle la Thiare acquife par des moyens fi criminels , étoit portee dans lemêmeefprit, 1'ambition & 1'agrandiflement des deux pouvoirs étoient le feul objet des Pontifes. Les regnes foibles & puiillanimes de Louis-le-Débonaire & de fon fils Charles-le-Chauve furent très-favorables a ces ufurpations, &tous les Hiftoriens atteftent 1'extenlion de la puiffance Papale a cette époque (1), quoiqu'il ne foit pas vrai, comme font prétendu lespartifans du St. Siege, que Charles-le-Chauve ait fait ceffion au Pape Jean VIII de la Ville de Rome & de fon territoire. La plus infigne de ces ufurpations ce fut l'autorité que les Papes & les Princes d'Italie s'attribuerent de nommer au Tróne impérial quand les longues ckfanglantes querelles de la poftérité de Charlemagne mirent toute 1'Europe en combuftion.. Charles-le-Chauve a forcede préfens & de promefles obtint les titres d'Empereur & de Roi d'Italie en 876 , par le crédit du Pape & des Princes Italiens affemblés a Paviè. (O V°yeï Bunau Hiftoria imperii. Romuno. Germart. Tome I. Becard Hifloria Franria oriënt. Tom. II.  Carloman & Charks-le-Gros lui fuccéderenf par les mêmes moyens en Italië & en Allemagne. Après eux'toute PEurope fut bouleveriëe ; il s'éleva des :troubles atfreux en Italië , en France, en Allemagne ; les Trönes de l'Empire & de 1'Italie étoient a 1'enchere , & 1'avidité des Papes les livroit.au plus (ijoffrant. Cette puiffante influence fur Péleftion des Empereurs ne pouvoit manquer de diminuer & de limiter extrêmement Pexercice d'une puiffance obtenue par des moyens fi précaires. C'eft ainfi que l'autorité des Papes dans les matieres civiles s'accrut prodigieufementfous les Princes qu'ils avoient ainfi favorifés : leur puiffance dans les affaires de Religion s'accrut de même,& ils en refterent les arbitres. On voit fous cette époque la difcipline eccléfiaftique s'altérer fuccelftvement, les Princes font peu-a-peu dépouillés de leur autorité en matiere eccléfiaftique, l'efprit de Charlemagne ne fubfifte plus : l'autorité des Evêques fe perd , celle même des Conciles s'affoiblit; alors s'établit cette opinion que le Pape avoit été établi par J.C lui-même comme le Juge fuprême de fon Eglife; il n'auroit fallu pour confondre cette prétention qu'un texte de StPaul, oü rapportant fa controverfe avec St. Pierre fur la circoncifion de premiers chrétiens, il déclare qu'il lui réfifta en face 1'ac- - (2) Voye\ Sigoniui di R*gno Italko.  (4^; cufent de judaifer, & fit triompher fon opinion fur celle de ce premier des Papes; mais Pignorance feule égaloit alors la fuperftirion, & quiconque avoit le courage d'entreprendre, étoit sur de trouver peu de réliftance. Ce fut alors que pour autoriler ces innovations, on imagina de fabriquer les fauffesdécrétales & cette foule d'aftes pfeudonymes, les donations, les conceflïóns de Charlemagne & de Louis-le-Débonaire, toutes pieces que la critique des liecles fuivans a déclarées fuppofées. Mais darts les fiecles obfcurs 1'ignorance regnoit, & les abus s'établiflbient a fon ombre : ils allerent toujours en croiffant dans le neuvieme & le dixieme fiecle. Le Pontificat indécemment difputé par des rivaux également indignes, préfentoitfucceflivement dans ceux qui Poccupoient des exemples de tous les vices & des modeles de fcandale pour la Religion comme pour les moeurs. Je paffe rapidementfur ces fcènes d'horreurs, mon deffein n'eft pas d'avilir la Religion, ou fesMiniftres; & je ne rappelle ces faits déja confignés dans toutes les hiftoires (i), que pour démontrer que les moeurs & la piété n'ont pas gagné a ces innovations ufurpées , & que le rétabliffement de 1'ordre antique & primitif ne peut allarmer par fes conlëquences les confciences délicates. (O^oyef Eccard origines guelphica, tom. I. lib. II Le Cardinal Baronius, Pierre de Marcalligonius, Muratori..  Cependant malgré ces fca idales | & ce» révolutions continuelles , la puiffance fdes Papes s'augmentoit toujours: 1'Empereur Othonle-Grand trouva dans la fupertfition de fon liecle de grands obftacles aux reformes qu'il vouloit faire. 11 commenca par donner un édit qui défendoit de procéder a 1'éleclion d'un Pape avant que d'en avoir informé 1'Empereur , & recu lés ordres. Ce fage réglement dont il maintint 1'éxécution , ne le foutint que pendant un liecle. Envain ce Prince, ainfi que fon fils & fon petit fils, qui fuccéderent a fes vues comme a fon Tróne, rétablirent leur autorité fur la Ville & le territoire de Rome, & leur fuprématie fur ces Evêques; envain ils encouragerent les Prélats a méconnoitre l'autorité légiflative que les Papes avoient ufurpée dans 1'Eglife; le mal ne fut qüe fulpendu, 1'opinion publique de leur temps n'étoit pas préparée pour ces importantes réformations, & le torrent des abus réprit fon cours avec plus de violence encore. L'activité Pontificale ne fe ralentiffoitpoint, la rufe fuivoit lentement & par des voies détournées un plan combiné de longue-main , & luivi fans intermption, & dés que les circonftances favorables fe préièntoient, la violence achevoit d'abattre & force ouverte des digues minées depuis longtempsfi; par ia rufe & 1'artifice. Ce fut dans ceneuvieme liecle, comme 1'obfervent les Bé- CO Voyez rhijjbir* du Droit EceUf. public d* Franse tome I.  r 4« j> ,nédi><£. tom. 3 lib. I. (2) Voyez Gallia Chriftiana , tome II, & Ducange, noten fur la vie de St. Louis, (3) Ön tronve dans lê Sire de Jóinville, ufl trait qui cara&érife bien ce mélange de fierté, d'ignorance, de ïiaïveté, & de religion qui formokle genre d'elprit de la nobléfle darls ces temps. Pothon 'de la Hire,Chevalier Francois de la fuite de St. Louis, Courant pour prendre fon rang dans la Bataille , trouvadans lapiainö fón Chapelain qui vouloit le conleifer, je n'ai pas leij D  c 50; Ce fut alors que le titre de Pape ou de Pere univerfel fut attribué fans difficulté a 1'Evêque de Rome, ce fut alors qu'il futreconnu pour Juge lans appel dans les difputes de Religion, qu'il prélida a tous les Conciles par fes Légats; & qu'il ^eut la force de combattre & d'humilier les Souverains qui ofoient attaquer ces droits ulurpés. Depuis le Pontificat de Léon IX , on voit un fyüême d'agrandiffement & d'ambition fuivi pied-a pied a travers toutes les contradictions & les obftacles; & qui ne recut fa perfecïion que par le fecours des Moines, fur-tout des Moines mendians. Non-feulement les Papes prétendirent ctre Juges fuprêmes dans les Synodes & les Conciles , tant Généraux que Provinciaux, & les feuls Difiributeurs des Dignités,& des Bénéfices ecclélialliques, ils voulurent même être les Souverains de 1'Univers, & difpofer a leur gré des' Royaumes & des Empires. Léon IX, créateur de ce fyftême, en montra le premier exemple en donnant a Tancrede de Hauteville, & a fes Normands les terres qu'ils avoient ufurpées en Italië , & celles qu'ils pourroient en- fir, dit la Hire, roici venir les ennemis eh èien,Mortfeigneur, reprit le Chapelain, fakes du moïns un acïe d'amour de Dieu. Alors le bon Chevalier levant fes yeux & fes gantelets vers le Ciel , dans toute la loyauté de fa foi, s'écria : Mon Dieu traite^, je vousprie, ce 'pauvre U Hire comme vous voudrie^ qu'il vous traitdt fi vous éüt\ la Hire & qui fut le bon Dieu. Et il fe jetta dans U jnêlée.  C SO core enleyer aux Grecs & aux Sarrazins (i). Les Empereurs, les Rois de France, & plus qu'eux tous, Guillaume-le-Conquérant mirent des entraves a l'ambition des Papes , mais comme il n'y avoit pas de la part des ■Souverains un plan aufli bien lié, auïfi bien fuivi que du cöté des Papes , ceux-cia la longue avoient toujours le dernier avantage : & de même, dans leurs entreprifes fur les droits des Evêques , faute d'amitié dans le fy(terne de défenfe , les Papes en féduifant, en achetant, en divifant finilfoient toujours par affurer le fuccès de leurs iuvafions. Ce fut par une fuite du même efprit que fans aucun droit réel Nicolas II créa Robert Guifcard Duc de la Pouille , de la Calabre & de la Sicile , a charge de foi, & hommage a 1'Eglife de Rome, & d'un tribut annuel en ligne de valfalité (2). Et voila 1'origine d&s prétentions des Papes fur le Royaume de Naples & des deux Siciles que les Souverains de eet Etat reconnoiffent par un tribut annuel. En 1059,Nicolas ^ avoitdonné un décret qui attribuoit exclulivement aux Cardinaux le droit d'élire lePape (3) ; jufques-la cette élec- (O Voyez l'Hifioire latine de Sidle, par Malatera lib. I. cap. XIV. Cr Scriptor es Italici de Muratori. (2) Voye\ Muratori, Annales d'Italie. tom. VI. Et Annales des Baronius a Tan 1060. (3) il y a eu plufieurs copies de ce décret, laplus exafte fe trouve dans le chronicum Farnenfe de/ïrJptqre-j rerum Italicarum de Muration, tome II, part. II pa». 645- D 2  (50 tion s'étoit fake par tout le Clergé, la Noblelfe & le Peuple ,• & elle étoit aufli tumuli tueufe & aufli fanglante que celle d'un Roi de Pologne. Mais la teneur de ce décret ell remarquable par la doublé prétention qu'il annonce , de diipofer du Tróne Impérial, & de ne pas reconnoitre a 1'Empcreur le droit d'influer fur l'éleclion du Pape. Je vais tranfcrire ce palfage notable. „ Les Cardinaux feront „ d'abord choix d'un Pape, & enfuite on de„ mandera le confentement du Clergé & du ,, Peuple qui le confïrmeront; on aura foin „ d'élire pour Pape quelqu'un qui foit déja „ membre' de PEglife de Rome , s'il lè trouve „ quelque fujet qui en foit digne, linon on le ,, prendra ailleurs; le tout fans aucun préju„ dice a l'honneur de notre cher fils Henri, ,, actuellement Roi, mais qui bientót fera Em~ j, pereur, comme nous le lui avons promis. Ni „ a Phonneur de fon Succeffcur, auquel le ,„ Siege apoflolique continuerafucceflivement .,, le même privilege.,, Telle eitla fuite impérieufe des circonftances, & leur influence fur la poftérité. Charlemagne, Souverain de toute 1'Europe, par le fait , avoit eu la foiblcfïë de délirer le titre d'Empereur, auquel il porta plus d'honneur qu'il n'en recevoit; il crut avoir befoin d'enchainer la iüperftition,& fe fit pofer la Couronne fur la tête par Adrien I. Charles-leChauve par foiblefle, oü par la même politique, ne voulut prendre le même titre qu'après 1'avoir recu du Pape; & la Cour de Rome s'en  fit un droit, qui coüta enfuite bien du lang & des larmes a 1'Europe entiere. De-la vint la ridicule idéé que la confécration papale étoit abfolument néceffaire pour que les Rois d'Allemagne puffent prendre le titre d'Empereurs Romains, quoique fans cette formalité ils polTédaflent 1'Italie & jouifiënt d'une parfaite Souveraineté; & aufli ces Princes furent nommés Rois des francs & des Lombards, enfuite Rois des Romains, jufqu'a ce qu'en 1508 Maximilien changea le titre de Roi en celui d'Empereur. Dans le fiecle fuivant Alexandre III fit un pas de plus que Nicolas; il enleva au Clergé & au Peuple fon droit d'approbation, & réferva aux Cardinaux feuls l'éle&ion du Pape (1). II ne fera pas inutilede donner ici une notion fommaire de 1'origine des droits, & de 1'état des Cardinaux. Dans le principe ce mot Cardinal étoit un terme adjeclif iynonime de principal. Ce titre ne fignilioit donc que diftingué, &fe donnoit aux Prêtres, ainfi qu'aux Evêques les plus refpe&és dans 1'Eglife Latine. Les premiers furent les fept Evêques du territoire de Rome, que les Papes appelloient Comprovinciales epifcopi. C'étoit a eux , puifqu'il ne pouvoit y avoir de Métropolitain , qu'appartenoit le droit de faerer le Pape. C'étoit donc la les Cardinaux-Evêques. C'étoit donc a ces fept Evêques que ledécret de Nicolas II donnoit le droit de préparer 1'éleCtion;enfuite ils f*0 Iro\cr Mabillon .Comment. in O' din. Rom.tomlï. D 3  C 54 ) devoient appelier les Cardinaux Prétres. C'étoit le nom qu'on donnoit a ceux qui gouvernoient les vingt-huit Paroiffes ou Eglifes principales de la Ville de Rome : tout le Clergé étoit exclu du droit de fuffrage, quoiqu'il eut voix négative; & que fon confentement fut néceffaire pour donner fanótion au choix des premiers. Tel étoit l'efprit du décret de Nicolas II, par oü Pon voit que le College des Electeurs, qu'on nomma depuis le College des Cardinaux , & le facré College , qui eft porté aujourd'hui jufqu'a foixante-dix , n 'étoit alors que de fept du premier Ordre & vingt-huit du fecond. Les nombreufes réclamations qui s'éleverent de la part de quelques principaux perfonnages de la Ville & du Clergé de Rome engagerent dans la fuite le Pape Alexandre III a y ajouter les Archiprêtres de St. Jean de Latran, de St. Pïerre & Ste. Marie majeure, les Abbés de St. Paul & St. Laurent hors des Murs, & les fept Juges Palatins (i). Cette promotion qui fatisfit les Chefs du Clergé Romain, laiffa fans forces les réclamations de tout le refte. Et pour achever d'éteindre toute oppolition, on adjoignit aux Colleges des Electeurs, les Cardinaux Diacres, qui étoient les Chefs du fecond Ordre. Tout étant ainfi réglé , on recueillit les premiers fruits de eet arrangement dés la mort d'Alexandre III. Car Lucius III, fon Suc- 'CO feyci Mabillon, Cjmmen. in Ordin. Rem. tom. II.  C 55 ) cefleur, fut éïu fans qu'il fut feulement fait mention du Peuple & du refte du Clergé. Tout ié traita entre les Cardinaux, qui font reftés depuis en poffeflion de ce privilege (i). II réfulte de eet examen, que tous les privileges des Cardinaux tirent leur origine du. décret de Nicolas II; que par ce mot de Cardinaux ce Pape n'avoit entendu que les fept Evêques fuffragrans immédiats du Siege de Rome , & les vingt-huit Curés de la Ville; & que cette Dignité , qui prit naiffance dans le llme. üecle, fous Nicolas II, n'eut un état fixe & fblide que dans le douzieme fous Alexandre III. D'après le décret de Nicolas II, oü les droits de 1'Empereur avoient été compromis , fon Succeffeur fut élu fans 1'intervention de Henri IV , alors mineur. Agnès fa mere s'oppofa a rinftallation de ce Pontife, & en fit nommer un autre ; ce fut un lujet de guerres & de diffentions, mais qui n'étoient que le prélude des horribles convullions quecauferoit au monde Chrétien le Succeffeur qui remplaca les deux Concurrens. C'étoit ce Gregoire VII, fi fameux dans 1'hiftoire du i2me. üecle , par les troubles dont il remplit 1'Europe, appellé au Tröne Pontifical par 1'unanimité de tous les fuffrages, & confirmé par 1'Empereur lui-même ; il montra un caraclere ardent, emporté, infiexible, & une ambition fans mefures II afpi- (i) Voye\ Pagi. Breriuri. Pontf- Roman. 'tom. II. D 4  C 56) roit manifefïement a la Monarchie univcrfelle, & y marcha avec toute la roideur de fon caractere. C'étoit un efprit fupérieur, hardi dans la conception de fes plans, habile a les conduire, rufé, pénétrant, il failiffoit tous les caracleres & les amenoit a fes fins; intrepide dans 1'exécution oü il fe précipitoit fans autre Confeil que le lien, il avoit tout prévu, ou pourvoyoit a tout a propos : rien ne fatiguoit fa patience, rien ne rebutoit fa tenacité, rien n'effrayoit fon courage; rien n'en impofoit a fa fierté : il étoit du petit nombre de ces hommes qui font faits pour dominer & forcer la fortune. Sorti du rang le plus bas, il s'étoit porté aux premières Dignités de 1'Eglife; il avoit gouverné fucceffivement tous les Papes depuis Leon IX, & enfin il s'étoit élevé lui-même a ce rang fuprême par Ie concours général de tous les Ordres, & le fuffrage univerfel, fans faire ufage du décret de ÏS'icolas II, qui auroit pu lui oppofer des mécontens. II parvint a enlever aux Empereurs & aux Rois toute leur jurifdiction fur 1'Eglife ; il voulut de plus les foumettre afa propre jurifdiction, & les rendre tributaires du Siege Apoftolique. Ce fut - la les deux objets qui P0C7 cuperent toute fa vie, & qui cauferent toutes les guerres qui déchirerent 1'Europe a cette époque. 11 avoit rédigé fes principes fur les privileges de PEglllèen vingt-fept fentences, qu'on appella de fon nom Diciatüs Hildobrandmï.  C'eft-la qu'il énonce fes droits h l'autorité Souveraine fur 1'Eglife & fur tous les Empires de la terre (i). Sur ces principes, il envahit les privileges de tous les Ordres de 1'Eglife, & fixa irrévocablement le defpotifme de la Cour de Rome : mais ce n'étoit que la partie la moins importante de fes pro-,ets; il vouloit s'affervir tous les Rois, & iltrouva dansles Empereurs , les Rois de France, & d'Angleterre des oppoiitions que fa vie ne fut pas affez longue pour forcer. Et on ne peut nier que ce ne fut réellement fon projet, car on le trouve développé dans fes Epitres (a) & dans d'autres Aft es authentiques. Le ferment feul qu'il exigea de 1'Empereur en eft une preuve complette; le voici traduit mot-a-mot. „ A commencer „ de eet inftant jé jure fur ma foi d'être fi„ dele a 1'Apötre St. Pierre & auPapeGré„ goire fon Vicaire; je promets d'exécuter „ tous les ordres que j'en recevrai, & dès que „ je le verrai, je deviendrai en perfonne le „ foldat de St. Pierre & le fien „. (3) Aflu- (1) Voye^ les Conciles du Pere Hardouin , tom. VI; Baronius. Le Pere Pagi, &c. Q2) Voye-{ le IXme. liv.de fes Epitres, Epit. 52. (3) Abhac hora & deinceps ; fidelis ero per reftam fidem B. Apoftolo Petro ejus que Vicario PapceGregorio, & quodcumque ipfe Papa prseceperit obfervabo : & ea die quando eumprimitus videro per manus meas miles Sanöi Petri & illiüs efficiar.  ( 53 ) rement cette formule eft un a&e réel de foi & hommage. Quoiqu'il füt bien reconnu que tout ce que poffédoient les Papes étoit des dons des Rois de France, Grégoire eut 1'audace de prétendre que ce Royaume étoit tributaire du St. Siege, & d'ordonner a fes Légats d'exiger ce tribut : ( i ) cette demande extravagante n'eut aucune fuite. 11 écrivoit a Philippe I, Roi de France , „ que fon Royaume & fon „ ame étoient fous Pempire de St. Pierre, „ qui avoit le pouvoir de te lier & de le de„ lier fur la terre&dans le Ciel. " f2) II prétendit aufli que la Saxe étoit un fief de 1'Eglife donné par Charlemagne a St. Pierre. II prétendit encore que le Royaume d'Efpagne appartenoit a 1'Eglife; mais liir cette partie des droits de St. Pierre, il varioit un peu : tantöt dilant que 1'Eglilé de Rome en avoit joui dans les premiers temps (3), & tantót que les titres de cette pollëflion avoient été égarés avec d'autres très-importans. (4J Les Efpagnols fe montrerent plus dévots que les Francois; le Roi d'Arragon & le Comte de Befallu enBéarn,fe foumirentaun tribut annuel. (5) Plulieurs Princes Efpagnols fuivi- CO Voye^ fes Epitres dans les Conciles du P. Hardouin. f,fj) Lib. VII. Epit. XX. ibid. * (3) Lib. X. Ep. VII. ibid. (4; Lib. X. Ep. XXVIII. ibid. C5) V°ye\ Pierre de Marca, hiftoire du Be'arn. liv. IV-,  ( 59 O , rent ce pieux exemple, mais il ne fit point imprelïion furies Anglois. Grégoireayantdemandé a Guillaume-le-Conquérant les arrérages du denier de St. Pierre & la preftation en foi & hommage pour le R oyaume d'Angleterre, qui étoit aufli un fief du St. Siege; la première partie de la demande fut accordée, mais 1'autre rejettée. La Lettre que Guillaume écrivit au Pape eft d'une précilion & d'une fermeté remarquables, la voici telle qu'on la trouve dans les Recueils du temps. Les titres de Saint Pere & de Sainteté, de Fils, &c. n'y font point employés, foit que 1'ufage n'en fut pas encore établi, ou que le Conquérant piqué les refusat expres. „ Hu„ bert votre Légat rri'a engagé a prêter ferment „ de fidélité , a vous & a vos Succeffeurs , & a „ donner plus d'attention a vous faire paffer les „ fonds que mes prédéceffeurs ont accordé an„ nuellementa 1'Eglife : de ces deux propofi„ tions j'ai admis la derniere & rejetté 1'autre, „ je n'ai jamais prétendu ,& je ne prétends en „ aucuneoccalion vous rendrehommage" (i). Cet argent dont il eft queftion ici étoit ce qu'on nommoit le denier de St. Pierre : c'étoit encore une axaction; il avoit en pour (O Voici le texte tel qu'il fe trouve au VII. vol. des Jhijiellanea de Baluze. Hubertus Legatus tuus adnionüit me quatenüs tibi & fuccerToribus tuis fidelitatem facerem, & de pecunia quam anteceflbres mei ad Ecclefiam mittere iblebant, meliüs cogitarem : unum admili, alterum non admifi ; fidelitatem facere nolui & nolo, &c.  C tfo ) objet dans fon origine, l'établiffcment & 1'entretien d'un College Anglois a Rome, & la fbndation n'étoit payée que dans le petit canton de 1'Angleterre qui en avoit formé le projet ; les Papes enfuite en dénaturant 1'objet, en avoient fait un impót qui s'étoit répandu fur tout le Pays, & qui dura jufqu'a la révolution d'Henri VIII. Ce mauvais fuccès ne découragea pas Grégoire VU' : il adrelfa la même demande par une lettre Encjclique(i) a Welphe, Duc de Baviere,aux plus grands Princes d'Allemagne, a Genfa, Roi de Hongrie, a Suénon, Roi de Dannemarck ; cette lettre eut dilférens fuccès, fuivant les licux,mais ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'efi qu'on vit venir a Romele fils de Démctrius, Czar de Ruffie, pour prêter foi & hommage au Saint Pere, & obtenir l'expeclative des Etats de fon Pere. Un (2) autre Démétrius fut élevé par le Pontife, en 1'an 1076, a la Dignitë de Roi de Croatie & de Dalmatie, a la charge de foi & hommage, & d'un tribut annuel de deux cents pieces d'or ; & cette entrcprife étoit d'autant plus injufte & plus hardie, que ces Provinces appartenoient aux Empereurs de Conftantinople. Jufques-la Grégoire n'avoit fait qu'établir fon autorité fur les Rois; la Pologne lui fournit (1) Voye^ Les Conciles du Pere Hardotiin. lib. IX. (2) Voye^ le Corps de diplomatiques de Dumont, tome I.  ( 6i ) une occafion éclatante d'en déployer 1'exercice. Le Roi Bafile II avoit affafliné 1'Evêque de Cvacovie , le Pape 1'excommunia avec les formules de la plus honteufe dégration,le déclara exclu de la Royaüté; délia fes fujets du ferment de fidélité , en leur défendant d'élire un autre Roi fans fa participation (i). Dans ce rapprochement de faits qui nefixent guères 1'attention da monde , paree qu'ils font épars dans fhiftoire des liccles, ce qui m'étonne ce n'eft pas cette produ&ion vigoureüife de la nature qui jette de loin en loin quelque grand carafterefait pour dominer les •autres & les ployer fous 1'empire du Génie , mais c'eft ce penchant de Vhumanité a la fervitude, cette foiblcffe,cette timidité générales de la multitude qui fe courbe & fe profterne devant celui dont la main pefe fur leur téte i prompts a reconnoitrc pour leur Maitre quiconque aura le courage de vouloir 1'ètre. A quoi tient donc le fort de Phumanité, puifque l'efprit d'un fëul homrae peut dranger la face du monde! Un grand Ecrivain a obfervé que fi Charlemagne n'avoit pas été oppofé comme une digue aux efforts des Sarrazins, les Mahométans auroient inondé 1'Europe , & Yljlamifme feroit aujourd'hui la Religion du monde : fi Grégoire VII avoit occupé plus long-temps le Siege de Rome, ou li fon efprit s'y étoit perpétué après lui, les clefs de (O Foye\ Dug1afs,.^//fori« Poloni*. tom. I.  C 6a ) St. Pierre feroieiit devenues le Sceptre univerfel, & l'Empire des Céfars fe feroit reprodruk fous une forme eccléfiaftique. Grégoire manqua de temps pour la pluplart de fes projets, d'autres furent abandonnés ou mal fuivis par fes Succeffeurs, mais une partie fe confolida par le temps même; & on peut dire que tous les droits dont jouit le Pape aujourd'hui ont été ou affcrmis, ou établis par ce Pontife. L'efprit de ce Pape fougueux fe perpétua dans 1'Eglife Romaine, il reparut avec la même aclivité dans la perfonne d'Alexandre ÏII. On a vu dans la lècïion précédente les démêlés violens qu'il eut avec 1'Empereur Frédéric Barberouffe, les guerres cruellesqui en furent la fuite, & comment 1'intrigue & les menées fecrettes de ce Pape finirent a fon avantage cette fcène d'horreurs, au mépris des droits & de 1'honneur du Tröne. La vente des indulgences commenca aufli dés ce temps a établir une banque homeufe, Oü la fraude diftribuoit a la fuperftition crédule des abfolutions & des rémiflions qui n'étoient pas ratifiées dans le Ciel, le calme étoit rendu pour de l'argent a des confciences coupables des plus grands crimes, & 1'impunité aflurée a tous les forfaits qu'on pourroit racheter. Ainli tous les noeuds de la fociété fe trouverent relachés, & il en réfulta une licence affreufe qui mit 1'Europe au pillage des Prêtres, & a la merci des hommes puiffans & tyranniques. Ainfi 1'avarice des Pon-  ( 63 ) tifes ne fut pas moins fatale au monde que rie le lui avoit été leur orgueil. Cette augmentation de richeffes augmentoit aufli les vices de la Cour Romaine dans ces temps de corruption, oü 1'Europe n'avoit en général ni moeurs, ni lumieres. J'éloignerai des yeux du Lecteur ce tableau honteux de leandale. L'éclat qu'avoit jetté fur la ChairedeSt. Pierre le triomphe d'Alexandre III, fur Frédéric I, donnoit aux Légats du Pape un orgueil égala celui de leur Maitre,& les vices de la Cour de Rome le répéterent avec le même icandale dans ceux qui étoient chargés d'en repréfenter le Chef. lis dérogeoient aux privileges des Chapitres, nommoient aux petits" bénéfices ceux qui vouloient les leur payer; ils extorquoient de toutes manieres 1'argent des Peuples. lis excitoient des féditions, & fe montroient eux-mêmes a la tête des facYions. Leurs exces même s'éleverent a un tel point, que le Pape Alexandre III, en 1456, fut obligé de les réprimer par un loi févere (1). Au treizieme liecle les domaines du Pape s'accrurent encore beaucoup par les Ibins de quelques Pontifes habiles; & particuliérement d'Innocent II, & de Nicolas III. Lë premier Acte d'autorité que fit Innocent en recevant la Thiare,ce fut de foumettre a fa puiflance le Préfet de Rome , qui juliqu'alors avoit été fujet de 1'Empereur , a qui feul il prê- (1) Cette loi fe trouve dans le Recueil du Pere Lamy, intitulé Ddieia Eruditerum. tom. IL  C <54 ) toit ferment de fidélité en entrant dans fon office. Le même Pontife fe mit en poffeflion de.la Marche d'Ancone , Defpolette, d'Aflïfg & de quelques autres territoires qu'on avoit, dilbit - il, ufurpés & détachés du Patrimoine de St. Pierre. D'un autre cóté, Frédéric II, qui étoit bien aife de fe concilier la faveur du Pape contre Othon IV, enrichit encore le Siege de Rome de préfens en terres & en domaines ; ainli toutes les circonllances favorilbient eet efprit lent & temporifeur d'ufurpation, & la haine. & 1'amitié lèrvoient également les Pontifes. Les anciennes donations de la Comtefle Mathilde furent confirmées, & les domaines du Siege de Rome ainli plus étendus & plus affurés que jamais. • Nicolas 111, en 1278, développa le même efprit d'ambition & d'avidité, mais avec plus de hauteur. 11 refufa de couronner 1'Empereur Rodolphe, jufqu'a ce que ce Prince eut folemnellement reconnu toutes les prétentions de la Cour de Rome. Après ce traité, que foufcrivirent tous les Princes d'Italie, & que 1'Empereur avoit été obligé d'accorder aux circonftances, le Papeenvahit plulieurs cantons de 1'Italie, dépendans dePEmpire, & en particulier la Romagne & la Ville de Bologne, Tels furent les moyens lentement, mais infatigablement fiiivis par la Cour Romaine, pour fe former cette puiffance tem-> porelle dont elle jouit encore aujoürd'ui. Ces deux Pontifes avoient repris le fyftême de Grégoire VII, de gouverner defpo- tiquement  tiquement 1'Eglife, & même de s'attribuer la fuprématie temporelle fur les Empereurs & les Rois; & de fe rendre les véritables Souverains de 1'Europe, dont les Souverains titulaires n'auroient été que leurs Vaiïaux. Le premier avoit de fa propre autorité donné un Roi aux Arménicns, & élevé au titre de Roi Primiflas Duc de Bohème. Il accorda les mèmes honneurs a Johannicius Duc de Bulgarie & de Valachie, & lui envoya un Légat extraordinaire pour le revêtir en cérémonie des marqués de fa nouvelle Dignité. II donna aufli le titre de Roi a Pierre II d'Arrangon , qui avoit rendu tributaires de 1'Eglife fes Etats d'Europe. Tous les Princes voyoient ces Adres de fouveraineté univerfelle , & aucuii n'avoit le courage de s'y oppofer. La fuperftition enchainoit tous les Peuples, & le glaive fpirituel, levé fur tous les Rois , menacoit tous ceux qui feroient réiiflence, de Péxcommunication & des fuites cruelles qu'elle avoit eucs pour Frédéric II. C'étoit peu pour ce Pontife ambitieux de créer des Royaumes fubalternes ; il voulut difpofer de l'Empire même , &il y réuffit. Phi~ lippe, Duc de Suabe & Othon IV, fe difputantla Couronne impériale,le Pape prit le parti d'Othon , lanca contre fon rival les excommunications & les Anathêmes ; Philippe mourut pendant ces difcuffions, mais Othon n'étant pas reconnoiflant au gré du Pape, celui-ci ferepantit de fon Ouvrage, & voulut le détruire. Othon fut excommunié & anathé- E  C 66 ) mifé afon tour, «5e un Roi des deux SiriïeS élevé a fa place. Le Roi de France Philippe - Augufte éprouva aufli les foudres de 1'Eglife, & fut contraint d'y céder. II avoit répudié fa femme, Pinceffe de Dannemarck, le Pape l'obligea de la reprendre. Jean - fans - Terre, Roi d'Angleterre, fentit d'une maniere plus facheufe la hauteur de ce Pontife, & 1'afcendant cruel que l'ignorance & la barbarie du liècle permettoient a la Cour de Rome de prendre fur les têtes couronnées. La caufe du Pape étoit évidemment injufie : les Moines de Cantorbery avoient élu un Archevcque, fuivant les formes accoutumées, & avec 1'approbation du Roi. Le Pape en nomma un autre, fans droits, fans titres, contradictoirement aux ufages & aux droits établis dans 1'Eglife; & il le facra a Viterbe. Jean voulut maintenir la validité de l'éle&ion, & il y eut fur cela de grands troubles en Angleterre : le Pape pour trancher toute difficulté, & renverfer les oppofitions, mit le Royaume eninterdit; aufli-töt on ceffa de célébrerles Offices de fEglife,les Temples furent fermés , on n'adminiftra plus les Sacremens, fi ce n'eft le Baptême, on refufoit la Terre-Sainte a la fépulturedes fideles, & les morts étoient enterrés fans prieres, fans cérémonies le long des chemins : tel étoit 1'effet de ces armes fpirituels que les Pontifèsmanioient avec une certitude entiere de leur e£ fet. Quand il crut les elprits fuffifamment aigris»  f é> ) . er animés contre le Roi, il 1'excommunia lui* même, délia fes fujets du ferment de fidélité, dëclara le Tröne vacant & acquis au premier occupant. 11 étoit défendu, fous peine de la même excommunication, d'approcher ïe Roi & de le fervir ; enfin encouragé par le fuccès de fes bulles fulminantes, Paudacieux Pontife engagea Philippe-Augufte Roi de France, a faire finvalion de 1'Angleterre, qu'il lui donnoit de la part de Dieu; & accordales mêmesindulgences que pour les Croifades, aux Princes qui prendroient part a Cette fainte guerre. LeRoi de France, fansdouten devoitrejetter ces offres infenfées, 'méconnoitre ce droit uftirpé qui pouvoit lui devenir fatal a luimême, & obliger au contraire le Pape a ref* ipeder le droit des Souverains; mais la politique du temps n'étoit pas plus éclairée, & un intérêt mal entendu du préfent aveugloit fur les conféquences de 1'avenir. Philippe fit .de grands préparatifs qui effrayerent le Roi Anglois, & un Légat du Pape étant venu a Douvres pour entamer une négociation infidieufe,lefoible&malheureux Jean-fans-Terre conclut un traité par lequel il fe reconnoiffoit lui & fes fucceffeurs, VaffauX du Siege de Rome, a qui il fit hommage : il dépofa fa Couronne entre les mains du Légat, qui la lui rendit comme un bienfait du Pape, a qui il s'obligeoit de payer annuellement une redévance de fdo marcs d'argent pour 1'Angleterre, & 300 pour 1'Irlande. Onle contraignit  C 68 ; de plus a inférer dans le traité, que eet a£te n'avoit été ni furpris , ni forcé , & que c'étoit de fa pure volonté, & du confentement de fes Barons qu'il reconnoiffoit la Suzéraineté du St. Siege, & lè déclaroit lui & lés fucceffeurs déchus du Tróne, s'ils manquoient jamais a la fidélité qu'il juroit a fon Seigneur. L'Archevêque nommé par le Pape fut reconnu; & Philippe-Augufte en fut pour les frais de fon armement, & pour la honte d'avoir aidé a une conciliation li préjudiciable a 1'honneur des Souverains, & a la iüreté de leur Couronne. Grégoire IX, qui parvint enfuite au Pontificat, renouvella les fcènes de difcorde entre le Sacerdoce & l'Empire, & replongea 1'Europe dans de nouveaux malheurs. 11 commenca par excommunier 1'Empereur, fous prétexte qu'il avoit retardé d'un an fon expédition contre les Sarrazins, quoiqu'il fut bien que ce Prince étoit retenu par une maladie dont il s'étoit trouvé faili au moment de fon départ. Mais a peine étoit-il parti que le Pape attaqua les pofleffions impériales dans la Pouille, & chercha a fufciter tous les Princes de 1'Europe contre eet ennemi qu'i! fe faifoit fi injuftement. L'Empereur a ces nouvelles accourut en Italië, déht aifément les troupes du Pape, & leur arracha leurs conquêtes. Malgré la paix & 1'abfolution que le Pape vouloit lui donner, ce Prince juftement irrité attaqua la Lombardie, détacha la Sardaigne du Patrimoime de St. Pierre >  ( ^9 ) & en fit un Royaume pour fon fils Etienne. Le Conquérant fut chargé d'excommunication, d'anathêmes, de toutes les foudres de 1'Eglife; toutes les Cours de 1'Europe furent inondées de copies de ces violens diplómes, 1'Empereur répondoit par des maniieftes, & par des viéioires qui reftoient fans réponfe. La derniere reffource du Pape fut de convoquer a Rome un Concile général pour dépolër 1'Empereur, mais ces mefures hardies lurent encore rompues par le bonheur & la bonne conduite de ce Prince. II battit la flotte Génoife, prit tous les Prélats qu'elle portoit, & les relferra tous en prifon , tandis qu'il s'emparoit de leurs tréfors.Le Pape au défefpoir de tant de défaftres perdit courage ; fa mort qui fut attribuée au chagrin fuivit de prés , & on vit cette fois la fortune faire triompher le parti le plus jufte, & venger les Couronnes des infultes multipliées de la Thiare. Cet échec du Pontificat n'avoit pas découragé les Papes : leurs prétentions iè foutenoient avec hauteur, & fouvent avec fuccès : ce ne fut qu'au quatorzieme fiecle qu'on vit décliner leur Puiffance : les efprits y étoient préparés, & Philippe-le-Bel faifit habillementla circonftance. On en a vu les fuites ; &l'affoibliffement que leur caufa le féjour d'Avignon. Le déchet qui en réfultoit dans leurs revenus fit augmenter les ventes d'indulgences & les extorfions fans éclat. Jean XXII porta a 1'excès les taxes de la Chambre apoftolique. Les Papes Avignonois avoient aboli le droit d'é- E 3  C 70 ) lection, & ils noramoient aux bénéfices, & a tous les emplois des Eglifes. Ils avoient imaginé plulieurs impóts fous les noms de réferves, d'expeEtadons, de provifions, &C. ce qui caufa des réclamations générales. Ces abus s'étoient établis comme ulages; Clément VI & Grégoire X prononcerent formellement que c'étoit un droit donné par Jcfus-Chrift. Depuis le retour des Papes a Rome, ils n'ont jamais pu reprendre 1'afcendant que leur avoit enlevé Philippe-le-Bel. II y eut dans J'Eglife des fchifmes & des diviiions oü les Moines mêmes prirent parti, & alors les confciences fe partageoient, & le defpotifme fa-< cerdotal fut perdu. La réformation furvint, les héréües toürnerent en guerres de Religion, & l'efprit de difcuffion , aidé par 1'Imprimerie devint l'efprit général des Nations. II n'eft pas de notre fujet d'entrer dans tous ces détails que 1'hiftoire a developpés : notre but eft rempli, puifque nous avons demontréque ce qui refte même aujourd'hui a la Cour Romaine n'eft qu'un débris de ce qu'elle ufurpa autrefois; qu'en fe reportant aux temps de Conftantin , temps de 1'établiffement de la Religion chrétienne, & pendant les deux ou trois premiers fiecles de 1'Eglife , l'autorité del'Empereur régloit toutes les matieres de difcipline; & ordonnoit devant elle la difcuffion même des points de Théologie. Ainli, comme on le voit dans ce tableau abrégé, la lumiere a mefure qu'elle s'eft étcndue, a diffipé les ombres de 1'ignorance &  (?l) de Ia fuperftition. Aujourd'hui qu'elle efl plus vive que jamais, comment peut-on difputer au Souverain le droit de faire quelques légers changemens que la révolution des temps a rendu néceffaires, & quelle idéé peut-on fe former de 1'érudition ou de la bonne-foi des Ecrivains qui embraffent une fi faulfe opinion ? A préfent que ce qui concerne les droits des Souverains & ceux des Papes a été fuffifamment établi, ilne refte plus qu'a exami~ ner comment fe font fondés les Ordres Religieux, quelle utilité la Religion en a tirée, quels biens ils produifent au monde; &puifqu'il eft certain que les Souverains ont le droit de les maintenir ou de les fupprimer, il faut • établir enfin lequel de ces deux partis peut être le plus avantageux a la fociété. Fin de la feconde Portie. » 4  TROISIEME PARTIE, Recherches ' fur l'étahlijfement du Cénobitifme , fes caufes , (y les effets qu'il a produits en Europe dans 1'Eglife dans PEtat. I^E Cénobitifme eit une produclion indigène des climats de POrient: dans tous les temps, fous toutes les Religions, il s'eft conltamment reproduit fous toutes fortes de formes. Les Gymnofophilles dans 1'Inde , les Brachmanes dans la Perfe, les Efféniens dans 1'Egypte & la Paleftine, les Platoniciens & les Pythagoriciens chez les Grecs ; les Bonzes, les Fakirs, les Derviches des Mahométans modernes prouvent que cette cfpece d'inftitution tient effentiellement au climat par la force impérieufe dont il opere lür Phomme. II femble qu'une étude approfondie de la nature humaine, & une méditation attentive de 1'hiftoire , doivent nous porter a croire que ï'homme n'étoit pas deftiné a la fociété dans le fens qu'on a coutume de donnef a ce mot. (i) (I) Cette opinion paroitra fans doute paradoxale, paree que la place manque ici pour les developpemens, & comme mon objet n'eft pas de faire un traité de jnéthaphyfique, je ne puis que jetter des idees enger-  L'efprit de familie eft l'efprit focial de 1'homme, c'efl-la que fes qualités, que fes vertus mes, & les abandonner aux vents, comme les feuilles de la Sybille. Le Philpfophe , qui frappé des maux que répand fur l'humanité lalbciété univeifelle , prétenditquel'étatfauvage etoitl'état naturel de 1'homme , avoit fans doute une opinion exagérée : c'eft par 1'efpece, & le développement de nos facultés, qu'on doit juger de notre nature; puifque mos facultés font elfentiellement fociales , qu'elles nahTent & fe développent dans la Société, qu'elles refteroient engourdies & étouffées dans la folitude ; nous fommes par notre nature même deftinés a la fociété. Mais par une conféquence néceffaire, fi ces facultés fe corrompent, fe détériorent dans la fociété générale, fi le caraftere propre & diltinftif de 1'efpece humaine s'y affoiblit, & va prefque jufqu'a s'y effacer ; s'il en réfulte des modifications faflices de 1'homme, qui tendent même a détruire cette Société qui les a produites , n'eft-ce pas une preuve que cette Société générale n'eft pas dans Pordre de la nature, dont les Loix fixes & éternelles impriment a tous fes ouvrages un caraftere inneflacable de permanence ? L'homme eft effentiellement la créature fenfible & intelligente , TintelU'gen'eè & ia fenfbilité font le type de fa nature, & ce qui le fépare entiérement des animaux, avec qui d'ailleurs tout lui eft commun. Mais fon intelligence, dont il fent inceffamment les bornes, femblen'être qu'une qualité fecondaire deftinée a éclairer & a conduire fa fenlibilité. L'ceuvre de la Nature eft une, elle a fondu le monde tTun feul jet. La fenféiluè éft la loi des intelligences, comme la gravitation eft la loi des corps. Dans lephylique tout s'attire aveuglement, fuivant de certaines raifons & de certaines ma/fes ; & tout fe précipite vers le centre, qui contient tóut dans fes dillances. Dans le moral tout s'attire avec connoiffance, fuivant les qualités & les rapports moraux , & tout fe précipite vers 1'intelligence univerfelle, centre de toutes les intelligences, Cf loi conftante de tous leurs rapports^ La forme de fociété qui donne a 1'ame huinaine cette  C 74 ) fe déVeloppent, que fes mceurs s'épurent & fe perfectionnent; c'étoit dans ce fens que lefuprême Légiflateur prononcoit : il n'eft pas bon que Vhomme foit feuf 1'état de familie eft fon état d'innocence & de pureté. Fait pour connoitre & pour aimer, il trouve a fes connoiflances des bornes qu'il ne peut franchir, & qui en déterminent la mefure dans les limites de 1'utilité, mais cette force expanfive du cceur, qui brüle fans fe confumer, qui s'anime même de fa propre ardeur , eft la preuve fenfible que c'étoit le caraftere diftincTt & particulier de 1'ame humaine, qui devoit avoir pour objet de remonter a fon auteur par un fentiment tendre & contemplatif, que les Jufte mefure de développement eft donc fon état naturel. C'eft 1'état de familie, c'eft celui oü toutes les affeöions du cccur ont leur jufte étendue , oü 1'intelligence a fa véritable direftion, oü 1'amour-propre & 1'intérêt ne s'extravafant point en vices & en paflions ; ne débauchent point 1'imagination vers des objets illufoires. C'eft alors que le fentiment & la réflexion combinés compofent dans 1'homme ce caraflere moral qu'on appelle la Religion. Cette forme naturelle de la fociété eft celle qu'on retrouve dès les premiers temps chez les Arabes, un •des plus anciens peuples de la terre , le feul qui ait gardé , du moins dans quelques diftrifts, toute fa liberté, & dont les mceurs ont confervé jufques a nous toute leur immutabilité ; c'eftce qu'on appelle la vie patriarchale dans les livres Saints , & ce que les Poëtes ont nommé Page d'or : c'étoit celle de la jeuneffe & de Tinnocence du Monde. Ce fut celle des anciens Egyptiens, avant les conquêtes, ce fut aulli celle des premiers Indieus ; & chez ces deux derniers Peuples l'efprit des Cajles rappelle peut-être cette ancienne origine.  C 75 ) fophifmes de l'efprit déguifent & dédaigncnt paree qu'il elf innexplicable ; mais qui revient toujours faifir 1'homme dans la folitude, paree que c'eft le cri de la nature livrée a elle-même.( i } (O Je m'attends que tandis que les dévots vont crier, contre moi a PImpie ! les gens qui prétendent a l'efprit vont crier au Capucin ! 1'Athéifme eft devenu le fyftêmé & la mode, & ne pas croire en Dieu, fans favoir pourquoi, eft' la profefiion de foi de tous les imbéciles qui font femblant d'avoir de l'efprit. Pour moi, je croisavec le fage Addiflbn, que cette opinion infenfée n'aniionce que la pauvreté de l'efprit, la féchereffe du cceur, & la foibleffe de 1'imagination. Je crois, comme lui, qu'on ne citera pas parmi les Athées un Poëte , jii un Orateur. Au .refte , Ciceron, Platon, Séneque, Plutarque font des noms aifez célebres pour qu'on fe' confole d'être méprifé a leur fuite ; & quant a moi je né répondrai a 1'Anathême de ces Meflieurs' que par ces paroles de Paracelfe mourant : que mon ame foit avec celle de ceux qui ont cherché a connoitre le vrai, Cf u faire le bien. Cependant je dois étayer de quelque autorité plus grave que la mienne, cette opinion que le fentiment d'une Divinité eft le réfultat naturel de la conftitutionde 1'homme, & qu'il fe repréfente de lui-même a notre imagination, dès que nous nous trouvons libres de paiftons & de diftraftions, & livrés feuls a la nature. C'eft un pafrage remarquable de Séneque, que je citerai en ma faveur. m Une idéé confufe d'une Divinité, n'importe la35 quelle, mais enfin 1'idée d'un Dieu, eft inféparablement ™ attachée au cceur de 1'homme. Si vous vous trouvez « au milieu d'une antique forêt, dont les arbres vieux » & chenus élevent jufqu'aux nius leurs vaftes fom" mets, & chargeant les nues fur les autres leur cime « immenfe, vous cachent la lumiere du jour ; cette « épaiffeur de 1'ombre qui mafque le foleil même, ce « vafte filence, ces formes larges & majeftueufes ré»> veillent en vous le fentiment fecret de je ne fais i! quelle puiffance grande & invifible. Si vous voyez  ( 7* ) C'eft ce qu'on appelle la Religion , ce rapport fecret de 1'homme avec Dieu, fi clairement énoncé par Jefus-Chrift lui-même: vous aimere\ le Seigneur votre Dieu par-dejfus toutes chofes , & votreprochain comme vous-mêmc, car voila. la loi & les Prophetes. La Religion eft la loi de 1'amour dirigé vers le feul objet parfait, & c'eft comme le feul être fenfible & intelligent, que 1'homme par fa nature eft le feul être Religieux. (i) Dans les grandes fociétés qui fe font formées, des paffions fadfices ont pris naiffance; 1'amour-propre & 1'intérêt ont créé des vices qui fembloient n'être pas dans la nature , 1'orgueil, 1'envie , la cupidité ont inondé la terre , fambition la violence ont défolé 1'humanité; toute 1'énergie & l'a&ivité de l'efprit fe font dévelop- i» une profonde caverne creufée des mains de la na» ture, & dont la voute fe forme par de grandes maf»« fes de rochers , qui ne femblent fufpendus a rien ; » cette grande fabrique de la nature, fupérieure a touts •>» force humaine , étonne votre imagination , & la rem» plit confufément d'unecertaine crainte religieufe „ &c. Deus in unoquoque ( qxns Deus incerturn eft) habitat Deus. Si tibi occurrit vetuftis arboribus & folitam altitudinem egreffus frequens lucus, & confpeftum Cceli Denfitate ramorum aliorum alios protegentium fubmovens : illa proceritas filvas, & fecretum loei, & admiratjo umbrae, in aperto tam denfseatque continue , fidem tibi numinis facit. Et fi quis fpecusfaxis pènitus excefis montem fufpenderit, non manu faélus, fed naturalibus cafis in tantam laxitatem excavatus, animum tuum quadum religionis fufpicione percutet, &c. Senec. Epif. 41 ad Lucilum. ( 1 ) C'étoit 1'idée de Pafcal, qui dit : qu'eft-ce que la Religion ? Dieu fenfible au Ceeur.  < 77 > pés , Ia fenfibilité s'eft éteinte; on a créé les" Arts, les élémens ont été fubjugués par finduftrie, 1'homme a cru conquérir la nature, & il a perdu le bonheur. Dans ce conflit de toutes les pafïions , dan» cette lutte de tous les intéréts, quelques ames douces & tendres , froiffées par les contrecoups des paffions étrangeres, fe font retirées de la foule, & ont cherché dans la retraite, la paix , la tranquillité, le bonheur, c'eft ce qui a donné naiffance a la vie contemplative. Fatigués des excès de la Société, tourmentés par rinjuftice, ladureté, 1'égoïfme de leurs femblables, ces hommes fe livrerent a 1'excès oppofé , & dansle filence & la folitude , dégagés même des liens de familie, ils vécurent dans une apathique contemplation , qu'ils croyoient la feule innocence. Le climat de 1'Orient, qui en relachant les fibres, & en détendant tous les reffort du corps , porte les hommes au repos, a 1'oifiveté, vint aider cette difpofition : la' douce influence de 1'ajr, la chaleur conftante, la fécondité du fol qui rend fans travail des fubfiftances fuperflues, 1'étendirent. De 1'ombre, une poignée de ris & (i) de l'eau fraiche fuffifent a fhumanité CO Cet efprit de douceur cc de tendreffe, qui nalt «lu bonheur, & qui cherche a le re'pandre fur tout ce qui nousentoure, eft très-remarquable chez les lndiens: cette nation innocente ahorreur du fang,elle épargné les animaux ; fa bonté Paffocie fraternellement a tous les êtres de la création, & par le dogme de la métemphycofe , fa religion même ouvre a tous les êtres aniraés les vaftes chainps de 1'efpérance.  ( ?8 ) dans ces Pays. Qu'eft-ce que 1'homme demarf» deroit a 1'homme ? Et comment dans ce lilence des paflions, dans cette abfence des befoins, dans cette jouiflance continuelle de la nature dans toute fa pompe, cette fenlibilité qui elf. inhérente au coeur de 1'homme ne fe developperoit-elle pas avec toute fon énergie, & ne produiroit-elle pas 1'afcétifme le plus exalté ? La Religion chrétienne devoit plus que toute autre étendre & favorilèr cette difpolition de fame chez les Orientaux : aufli dés fon origine les déferts fe peuplerent de folitaires : la Thébaïde en particulier en étoit remplie. Mais bientót les incommodités, & les diftrattions même de 1'ifolement fe firent fentir, & Saint Antoine (i^, premier Légif-lateur des Cénobites , les réunit fous une regie commune , & fous une conftitution rixe & particuliere. Ils avoient un Chef qu'ils nommoient Abbé, mot Egyptien, qui fignifie Pere. Ces premiers Moines furent les homnoes les plus innocens qu'il y eut jamais eu fur la terre: épuifés demacérations , excédés par les jeünes&les veilles , tranfportés d'avance dans le Cielparles élans d'une imagirtation exaltée jufqu'au délire, ils ne tenoient a la terre que par la plus frêle exiftence. St. Jean Climaque, dans 1'écrit qu'il a intitulé : PEchelle Sainte, nous, a laiffé un tableau fidele de leur vie, qui effraie 1'imagination. C i ) Voyez les A&a. Sanctarum, tom.ll ad dicm if Jantiarii, pag . t.  Les Difciples de St. Antoine répandirent des Colonies de ces Saints enthouliaft.es dans la Syrië , la Paleüine , la Méfopotamie , &C Tout TOrient en fut bientót rempli; le vuide étoit fenlible dans les Villes, & les déferts, auparavant les plus innacceflibles, peuplés de ces pieux Anachorettes, retentiffoient des cris de la pénitence, ou des Cantiques de la Religion. De quelque maniere qu'on veuille expliquer cette dilpolition de l'efprit humain; qu'en la regardant même comme un écart de 1'imagination, on la compare aux excès des autres paffions exagérées de même par 1'imagination; 1'avarice féroce des Flibuftiers, le fanatifme guerrier des Mahométans , le fombre & tyranniqne patriotifme des Romains ne furent-ils pas cruellement fatals au monde? Que peut-on reprocher aux Peres du défert, oubliant 1'univers entier, ils ne vouloient qu'en être oubliés ,• ils ne fervoient pas le monde, mais ils ne lui nuilbient pas. Celui qui renonce a fes droits n'a plus de devoirs, car un devoir n'eft que le prix d'un droit. Leurs idéés étoient prifes dans une interprêtation rigoureufè de 1'Evangile; j'avancerai plus, elles n'étoient pas même étrangeres a la Philofophie payenne. Les écrits des Stoïciens & de quelques autres Philofophes étoient pleins de cette maxime, que pour parvenir a la Vêritable félicité, & £ une communication étroite avec Dieu , il falloic que Vame fe fépardt du corps , même ici bas; & que pour cela il étoit nécejfairs de macëra  ( 8o ; & de mortifier ce corps de toutes fes forces. II poufferent les chofes a 1'excès, mais eet eXcès ne fut dommageable a peribnne, il auroit été bien heureux pour le monde que ce premier efprit du Cénobitiline s'y fut conftamment.maintenu. Cette inflitution fut tranfportée dans 1'Occident vers le quatrieme liecle : St. Martinde-Tours forma les premiers établiffemens dans les Gaules; & ils étoient déja ii multipliés a fa mort, qu'au rapport de SulpiceSévere il ne fe trouva pas moins de deux mille Moines a fes funérailles. Mais cette plante exotique ne put jamais s'acclimater. Le nom feul paffa en Europe; l'efprit & la difcipline de 1'Orient n'y furent jamais en vigueur (i). Ici 1'homme affiégé de befoinss (O Sulpice-Sévere expofe ainfi, dans fes dialogues de Vita Martini, la diflërence du régime des Moines de TOrient a celui des Moines d'Europe. Mon. Egyp. placet ne-tibi prandium fifciculus herbarum , & panis dinüdius viris quinque ? Le Moine Egyptien. Seriez-vous content d'avoir pour le diner de cinq perlonnes une poignée d'herbes, & la moitié d'un pain? Mon- Eur. Facis tuo more qui nullam occahonem omittis , quin nos edacitatis fatiges. Sed facis inhumane qui nos gallos homines cogis exemplo angclorum rivere. Sed iontentus fit hoe prandio Cyrenenfis ille cui vel necejfitas, vel natura eft Efurire ; nos quod tib' Jkpe fefiatus funt galli fumus. Le Moine Europeen. Vous voila a votre ordinaire, toujours a nous reprocher la gloutonerie : mais n'eft-ce pas fortir de la nature, que de propofef ■a des hommes le régime des Anges ? Eh bien , que vos fpeöres de Lybie , chez qui lafamine eft, devenue une feconde natürc, faifant de aeceflité vertu,fe conten- toujours  ( Si ) toujours en guerre avec une nature févere., qui n'accorde la fubliftance qu'au travail, qui re lüfpend les impreflions doulourcufes que quand elles font repouffées par des etforts combihés , n'éprouve point cette dilatation du coeur qui porte a la tendreffe extutique, cette elfcrveicence de 1'imagination qui franchit les efpaces de 1'étendue & de la durée; cette plénitude du bonheur de vivre fous 1'ceil, fous la main de 1'Etre bienfaifant qui nous créa, & qui nous conlérve. Les établiffemens monaftiques fe répandirent cependant beaucoup en Europe. Les Bénédidtins lont les premiers, & il faut convenir que leur Inliituteur a donné dans fa regie le meilleur plan de légillation économique qu'une fociété Religieulé put adopter. Son Ordre fut réellement utile au monde: le travail y fuccédoit a la priere, le hlence & le recueillement maintenoient fans intrigue c< fans diftraction l'efprit de foumiflion & d'adlivité. Dans 1'état miférable oü fe trouvoit 1'Europe après l'inondation des Barbares , on peut conlidérer les premiers Monafteres de eet Or- tent, s'ils veulent, d'un fi chétif repas, pour moi je vous déclare & vous répete que nous ibmmes des hommes. Et il continue : Edacitas in gracis & Orientalibus Gula e/it in Gallis, natura. Ce qui s'appelleroit ihtempérance chez les Afiatiques ne doit être re<»ardé que comme le bon appétit parmi les Européens. II ne faut pas croire que ce dialogue ait été fait dans un efprit de plaifanterie ; Sulpice-Sévere eft un Hittorien qui fait preuve de bonne-foi, ca.r il atu'ibtie une faal* de miracles a St. Martin. F  dre comme des Colonies de défricfiemenf 4 qui rétablirent le cours des eaux , abatirent les forêts , que la négligenee & la dépopulation avoient laiffé croitre; formerent par-tout des champs fertiles; & tandis que leur travail créoit des moiflbns , leur économe charité nourriffoit les pauvres, aidoit les foibles, recueilloit dans leurs maifons les miférables & les opprimés. Mais il faut convenir aufli que ce premier efprit ne fe foutint pas toujours pur, qu'il fut excluüvement propre aux Bénédiclins, que les richefles ayant fuccédé au travail dont elles étoient le fruit, 1'ambition & 1'oifiveté amenerent le relachement & l'efprit d'intrigue. Dans le principe les Cénobites n'avoient été que des efpeces de laboureurs réguliers, mais laïcs ; foumis a la jurifdiclion des Evêques , enfuite ils furent admis aux Ordres , puis on choilit des Prélats parmi eux. Au travail des mains liiccéda l'efprit de la fcholaftique : alors ceux qui avoient de la piété parmi eux devinrent des fariatiques de bonnefoi, ceux dont la vocation n'étoit pas pure furent des intrigans fort adtifs. Je ne fais laquelle des deux efpeces étoit la plus dangereufe. Deux plaies mortelles que ces nouveaux Docleurs firenta la Religion &al'humanité, ce fut 1'établiflement de ces deux maximes ntroces & abfurdes; i° qu'il eft permis de tromper & de mentir pour le bien de la foi ; a°. qu'il faut pourfuivre & punir corporellement ceux qui s'égarent dans le dogme. La pre-  friieredeces opinions eau fa toutes les fraudes pieufes qui ont hébété l'efprit humain pendant des fiecles , 1'autre a caufé toutes les perfécutions religieufes , toutes les guerres facrées qui ont délblé la terre prefque jüfqu'a nos jours. Cette incorporation des Moines dans le Clergé ruina tout-a-fait l'efprit monaftique. Ils acquirent des honneurs, des dignités,des richelfes, des privileges conlidérables ; ori avoit un fi grand refpect pour leur vertu, qu'on ne prit prefque plus les Evêques que dans leur ordre, & la pafïion de propager une clafie d'hommes fi refpectables, poulfa jufquesa la manie 1'enthouliafme des fondatiohs. Cependant il eft vtai que dans ces temps barbares , oü c'étoit être homme de bien que de n'être convaincu ni de vol,ni d'affaflinat* le refpcft pouvoit s'acquérir aifément, & malgré cette haute vénération, le libertinage des Moines étoit déja paffé en proverbe dés le cinquieme fiecle par toute 1'Europe. Alors ils étoient encore fous la jurifdiérion immédiate de 1'Evêque diocéfain; aucun n'ofoit fe foufiraire a F ordinaire. Les Monafteres fe multiplierent & s'enrichirent exceffivement dans les fiecles qui fuivirent, & fur-tout dans 1'Eglilè latine , a caulèï de la protecfion des Papes. Les plus nobles families s'empreffoient d'y contacrer quelqtiesuns de leurs enfans, qui y portoient de groffes dots : de grands criminels , fatigués de leurü excès, ou pourfuivis par les remords, y v§* F 2  ( s4) noient chercher la confolation & la paix en échange des dépouilles du monde qu'ils avoient pillé; plulieurs en mourant enlevoient leur héritage a leur familie, pour le kaffer a des Couvens. D'autres croyoients'immortaliiér par des fondations, & 1'orgueil venoit fe joindre aux autres paffions pour enrichir les Moines. . Au huitieme fiecle il n'y avoit déja prefque plus de traces, même en Oriënt, de 1'ancienne difcipline monaftique: les Peres du déferta voient feuls confèrvé la ferveur & 1'innocence. Je ne fais pourquoi tous les Auteurs proteftans, & les Ecrivains modernes fe recrient fi fort contre ce qu'ils appellent Ce fanatifme atrabilaïre. Le régime aultere de ces faints Anachorettes U'éfoit pas plus dur que celui de certains Philofophes Cyniques ou Stoïciens \ ceux - ci facrifioient a la vanité, la plus petite des paffions humaines, ou a je ne lais quelle idéé chimérique de détachement & de pureté qui n'avoit point d'objet. Ceux-la fe propolöient le motif le plus pur, le plus noble, le plus digne de l'efprit humain; & au fond, quand même leurs idéés auroient été faulfes ou exagérées , ils étoient heureux par leurs efpérances : les vices du monde pouriüivent avec moins de fuccès leur proie fugitive, & donnent fans doute moins de contentement a 1'ame. Les déchiremens de 1'envie , les défefpoirs de 1'amour trahi ou méprifé, la rage & 1'humiliation de 1'ambition fruftrée ; la mifere volontaire & les tremblemens de 1'avarice, les infirmités cruelles qui fuiyent tous les exces;  (8S) ne font-ce pas la des macérations de l'efprit & du corps plus dures que toutes les auftérités des déferts de Syrië & d'Egypte? Aufli cette inftitution conferva fa pureté, tandis que tout le refte de 1'Ordre Cénobitique étoit tombé dans le relachement. II étoit tel dans le huitieme liecle , que le Gouvernement fut obligé de réprimer les Moines clauftraux qui excitoient des féditions dans les Villes, & Charlemagne fut contraint d'affembler plulieurs Conciles pour les contenir dans 1'ordre; celui de Narbonne en 788, de Ratisbonne en 792 , de Francfort en 794, & de Rome en 799 (1). La conlidération qu'on avoit pour les Moines alloit toujours en croiflant, les Princes & les Grands du fiecle fe retiroient fouvent parmi eux; la plupart même vouloient mourir dans Ce faint habit, pour s'aflbcier aux tréfors de prieres qui étoient communs a 1'Oix dre. Les Moines étoient appellés dans le Confeil des Rois, on en vit plulieurs occuper le Miniftere. Cependant leur vie étoit fort licencieufe , & le Gouvernement s'occupoit fouvent de les ramener a la regie. Louis-le-Débonnaire en particulier tint pour eet elfet un Concile 'a Aix-la-Chapelle en 817, & chargea de cette (1) Voye\ Fabricius , Bibliot. litter. medii osvi. tom. 111" Mar ca Hifpanica. lib. III. Cap. III. Ferreras, Hijloire d^Efpagne, tome II. Hijloire littéraire de la France, tome IV, &e. F 3  r §6) réforme Bénoit, Abbé d'Ahiane, qu'il nefau* pas confondre avec St. Bénolt, ce fameux Abbé du mont Caflln. Mais cette régénération ne dura pas plus d'un liecle (i). Ce fut alors qu^au défaut du travail des champs il leur fut prefcrit d'élever la jeuneffe, & de donner, chaque jour , quelques heures a lire & a copier les bons Auteurs, heureufe :inltitution, a laquelle nous devons tout ce qui nous refte des écrits de 1'antiquité. _ Au dixicme fiecle les Moines de 1'Orient vivoient encore dans la ferveur & l'efprit de leur Etat, mais ceux d'Eürope avoient oublié & la regie de St. Bénoit, & la réforme de Bénoit d'Aniane. O don, Abbé de Cluny, fit a cette époque une réforme qui fut adoptée par toute 1'Europe $ mais dont les efléts n'eurent pas plus de durée. Dans Ie temps des Croifades, quand ces pieufes & romanefques entreprifes mirent réellement le Pape a la tête de la chrétienté, le Pontife Romain n'eut pas de plus ardentc Müice que les Moines occidentaux : ceux de Porient reftoient toujours dans leur Etat. Cet attachement s'étoit préparé infenfiblemcnt par favidité des Evêques, qui ayant louvent cherché a envahir les biens des Monafteres , avoient contraint les Moines a fe mettre fous, la protection direfte du St, Siege. Les Papes *yant prévu de loin les conféquences avari* (O Voye-^ Mabillon , A&a Sancforum Ordinis Benemw. Sec. IV: p-1, >, Tom, II. ibid. p.  ( 87 ) tageufes qui en réfulteroient pour 1'accroüTement de leur Empire, avoient accueilli ces ■nouveaux Vaflaux avec empreffement, & ne les avoient affujettis qii'a un eens aflez léger. Ils devinrent alors les plus zélés promoteurs de l'autorité du Pape, & des droits légués par St. Pierre. . En général on remarque en etudiant 1 tiiltoire eccléiiaftique, que toutes les héréües, tous les fchifmes qui ont déchiré 1'Eghfe & caufé de continuelles plaies a la fociété, par les troubles & les guerres qui ont fuivi, v% rent des Moines ,& voici pourquoi.Dès qu'ils furent admis a la Prêtrife & aux Dignités eccléliaftiques , 1'ambition vint éveiller tous ceux qui avoient du caradere : ceux-ci avancerent des opinions plus ou moins fubtilcs, plus ou moins étrangeres au fond de la religion ; mais propres a faire du bruit dans le monde, a caulèr du mouvement, a fixer fur eux Tattention. S'ils n'étoient pas eux-mêmes les Auteurs de ces fubtilités, il ne manquoit pas parmi leurs confrères d'efprits bifarres , & c'étoit même les plus réguliers , a qui les jeünes , 1'oifiveté, & Pétude de la Scholaftique , généralcment préféréc alors a 1'Ecriture-Sainte , fourniffoient des idéés étranges & fouvent abfurdes : les ambitieux & les turbulens le faififfoient de ces ridicules fantailies ; ils les prêchoient, ou les écrivoient. 11 fortoit de quelqu'autre Cloitre quelqu'autre vilionnaire qui combattoit le nouveau dogme; de part & d'autre on crioit au novateur, a 1'hérétique, F 4  ( 88 ) ©n affembloit un Concile, le Pape admettoit toujours 1'opinion la plus incroyable, celle qui ötoit le plus a la raifon en faveur de Ia foi, le vaincu étoit déclaré hérétique , & obligé de le retracler, ou de fe voir enfermé ; 1'opinion de fon rival, quelle qu'elle füt, étoit déclarée Tanden dogme de 1'Eglhe , la facon de penfer orthodoxe; & 1'auteur du nouveau fyftême étoit élevé a 1'Epifcopat, on recevoit au moins une Abbaye. J'en pourrois citer un grand nombre d'exemples , mais dans 1'étroit- efpace oü je dois me renfermer, il me fuffit d*indiquer, h moins qu'en me contredifant on ne m'oblige a prouver. A cette époque des Croifades oü les vices étoient li repandus par toute 1'Europe, les Moines fe montrerent aufli corrompus que les gens du monde : ils firent alors un trafic honteux des prieres & des abfolutions; un abus des fraudes pieufes qui paffa toutes mefures de lcandale. Depuis long-temps eet in digne moyen de fervir la vérité avoit été employé, on avoit fuppofé de faux Evangiles, de faufles Epitres de St. Paul a Séneque, &c. de faux oracles des Sybilles (i),ou 1'on pre- ( O On en voit encore une tracé dans Fancienne yrofe de la Fête des morts , car le Poète Moine dit; Dies ir<■//• (1) foyc^ Duchefne , fpiciUgium vcitrum fcriptorum, tom. II.  ( 90 ^ , l'ardeur de fa foi les corps de St. Crepin & St. Crépinian, patrons des cordonniers , de St. Quentin , de St. Piaton, moins célebre a la vérité que le Philofophe du même nom; de St. Lucien, & beaucoup d'autrcs que le calendrier conferve a la pieté des jideles. Les Grecs fur-tout firent un grand trafic de cette lainte denree pendant les guerres laintes : les Croilés croyoient tout, achetoient tout, & rapportoient tout en Europe. (i) De la cette foule de Saints, dont la tête le trouvant dans quatre ou cinq villes différentes, enrichit a-la-fois quatre ou cinq Monaltercs (2}, L'ablénce des Principaux Prélats qui étoient allés eux-mêmes conduire leurs vaifaux a la Terre-Sainte, le prétexte pour les iimplcs lieligieux de s'enröler eux-mêmes dans cette religieuié expédition , lailfoient aux Moines le choix de vivre dans la licence des camps, ou de la tranfportcr dans leurs folitudes H»* vrées déformais lans regie & lans diicipline, a tous les excès que peuvent fe permettre des hommes riches, ignorans, fans efpiit, fans mceurs , & fans maitres. S'il nous rettoit quelques doutes fur des faits dont les Hilïoricns dépofent avec tant d'unanirrjité, il luffiroit de (1) Voye^ Muratori, antiquit. I'.aVca medii ceyi (2) Vtyt\ Matthieu, Paris, hifloria. major. p. 138. PupleÜis, hiftoire de Meaux, tome L Mémoires pour Ja vie de TAbbé de St. Cyrau , tome II. .T. J. Chifflet, de lineis ckrijli fepukhralibus, Cap. IX. Mabillpn , Artna}es*B.ene4-  lire Ia Diatribe que compofa St. Bernard contre tous les autres, fous le titre d'Apologie de fa nouvelle réforme. Tout ce qu'on avance ici leur eft reproché en détail; mais malheurenfement les Bernardins tomberent alfez promptement dans des excès plus grands que ceux qu'ils reprochoient a leurs confrères j & tandis que les folitaires de St. Benoit ont élevé dans les fciences les mouvemens les plus laborieux & les plus durables, tandis que ceux de St. Bruno continuuient d'étonner & d'édifier le monde par la perpétuité de leur efprit de pénitence; Dieu fans doute pour punir 1'orgueil & la médifance, a permis que les Bernardins, enrichis aux dépens de tous les autres, foient reftés conftamment dans une oilive opulence, & tout au moins dans un luxe fcandaleux. Cette IYIilice du Siege de Rome, en devenant trop riche, étoit devenue inutile a fes Maitres : les Moines alors étoient comme les loldats d'Alexandre qu'il renvoya en Macédoine chargés des dépouilles de TOrient; réfervant a de nouvelles levées de nouvelles conquêtes. II falloit a la Cour Romaine de nouveaux Ordres religieux ; mais il les falloit autrement conftitués, & fur des principes qui les maintinlfent dans l'aclivité : c'eft-a-dire que fans biens-fonds, fans propriétés indépendantes, toujours dans la main de l'autorité qui les créoit, leur fubliftance tint a leur travail, & que leur humble foumiffion fut toupurs «ntretenue par la mifere qui 6te a 1'hommc-  toute Vénergie de fon efprit & de fon cceur. Ce fut le Pape Innocent III qui le premief fit ces fages réflexions, & qui inftitua d'abord les Moines mendians dans le commencement du treizieme liecle. II avoit li bien jugé l'efprit de fon temps & les circonftances oü il fe trouvoit, qu'on ne fut bientöt embarralfé que de la trop grande multitude des enrólés qui pulluloient de toutes parts; & en 1272, le Pape Grégoire X les réduifit en quatre corps, Dominicains, Francifcains, Carmes & Auguftins. Chacun de ces Ordres a des prétentions différentes d'antiquité; mais il eft certain qu'alors ils furent réuiris chacun fous une difcipline particuliere. La Chaire, le Confeffionnal, & la Beface furent leur dot, l'a&ivité étoit leur efprit, Phumilité fut leur orgueil. En moins de rien ils furent répandus par-tout. Le Peuple ne crcyoit plus qu'a eux» les Prêtres ordinaires étoient prefque fans fonction. Ils pénétrerent dans les Palais, dans les Confeils des Princes, oü Pon les vit même prélider. Ils parurent comme arbitres entre les Rois, comme négociateurs ij comme Miniftres. Les Dominicains & les Francifcains furtout jouerent les plus grands röles dans FEglife & dans 1'Etat. Pendant trois fiecles ils furent a la tête de toutes les affaires, maitri-r ferent toutes les Univerüté, occuperent toutes les Chaires. lis furent les plus hardis champions du Tróne Pontifical contre les Rois, les Evêques & les hérétiques. Les Dominicains étoient alors ce que les Jéfuites font devenus  depuis, les Agens fecrets de la Cour de Ra* ine, le Confeil des Princes, & le grand mobile de tous les événemens intérelfans dans PEglife & dans 1'Etat. Mais un reproche que rien n'effacera jamais , & qui fuffiroit feul pour rendre odieufe i\ 1'humanité toute la Congrégation de St. Dominique, c'eft Pétablilfement de ce Tribunal fanglant, qu'on homme XInquifiüon. Quand il auroit été dégagé méme de tous les abus criminels qui en ont fait un inftrument de vengeance, d'extorlions, un moyen atroce de fervir avec hipocriüe les paffions les plus honteufes; y avoit-il rien de plus tyrannique que de vouloir enlever a 1'homme la propriété de fa penfée, rien de plus abliirde que d'établir un Tribunal humain, oü la violence le glaive levé, veut arracher a la foibleffe, même coupable, un aveu forcé , comme dans le Tribunal de la Pénitence, qu'on prend* diton , pour modele ; la clémence induigente re* coit avec compaffion la déclaration volontaire des fautes qu'elle ne va connoitre que pour les pardonner ? Y avoit-il rien de li monftrueux que d'encourager les dépolkions fecrettes , les délations traitreffes, de rompre tous les liens des parens , des amis, des ferviteurs ; de femef par-tout la corruption & la déhance? Enfin cette inftitution abominable a détruit en Efpagne 1'influcnce du climat; elle a rendu fombre, morne, défiante, foupconneufe , timide ^ ignorante, une Nation qui par le bienfait ds la nature, étoit la plus ardente, la plus vive f  la plus fpirituelte,la plus généreufe, ïa plus héroïque dont 1'Europe put s'honorer. Tels font les triftes effets de 1'impétueufe imagination d'un feul homme, a qui Pignorance & la fuperflition univérfelles ont permis de prendre de 1'influence fur fon liecle. Ce n'étoit pas la fans doute l'efprit du Sauveur du monde , quand il difoit : vene\ a moi paree que je, fuis doux (i). Ce fut principalement entre les mains de Ces deux Ordres que fut remis le commerce des indulgences : ces Religieux ajoutant leuf aaivité particuliere a 1'avantage de relever diredement du St. Siege, & de pofféder les premières Dignités eccléfiaftiques, remplifibient a-peu-près toutes les fon&ions du facerdoce. Les autres Eccléfiaftiques n'étoient plus que des Rentiers fans office ,& on peut dire que les Papes & les Moines compofoient toute 1'Eglife. Tant d'abus ne manquerent pas d'exciter beaucoup de murmures : PUniverlité de Paris , la plus ancienne du monde, puifqu'elle prétend remonter jufques a Charlemagne, mais au moins une des plus illuftres & des plus favantes, s'éleva vivement contre les Moines mendians : les Papes les foutinrent de tout leur pouvoir, & un Docfeur de Sorbonne, nommé Guillaume de St. Amour, attaqua publiquement les Moines dans un livre intitulé : des £j) Vgnitê ad mt qtia ego mitis fum.  ( 96 ) dongen des dermers temps. (r) U y établit que leur conftitution étoit inanifeftement contraire a l'efprit de 1'Evangile, & que les Papes en 1'approuvant avoient égaré 1'Eglife. St. Amour fut perfécuté par les Moines, & ce qui eft fort extraordinaire, exilé de Paris par le Pape : les Dominicains font conftamment tenu pour un hérétique, & ont fait imprimer a la fuité de la vie de St. Thomas la bulle qui condamna fon livre au feu'; mais il a été réimprimé a Paris en 1633, & eft, ainli que fon Auteur, fort eftimé par la Sorbonne & par 1'Univerfité de Paris. Les autres Moines ne figuroient plus dans le monde que comme de grands Propriétaires, jouiflant dans le luxe & 1'oifiveté des biens acquis par leurs ancêtres ; les mendians a qui lafortune & les honneurs venoient plus laborieufement,jouiflbient aufli avec plus de turbulence; ils prétendirent qu'ils avoient une commiflion exprefle & divine pour expliquer la Religion chrétienne, & la lbutenir contre fes ennemis. Ils méprifoient tout le refte du Clergé & fe vantoient de révélations , de miracles & d'une communication directe avec la Divinité. Tels furent les effets que produifit dans le monde chrétien la première ferveur des Ordres mendians; ils femerent par-tout le trouble ■ (O ^oy£j Lannoy, Explkam traditio. tom. I RichardSimon , Critique dt la Bibliot. des Auteurs Ecdéfiaftiques. tom. I.  & la divifion, leurs intrigues dévotes, leurs Fraudes pieufes, leur fanatifrne impérieux tourmenterent tous les peuples. Mais quand ils tombercnt dans le relachement, leur turbulence prit un autre cours, & ce fut un autre genre de défordres. D'abord il s'éleva une difpute violente entre les Dominicains & les Francifcains fur le mérite des deux Ordres; 1'hiftoirea confervé les fcènesfcandaleufes qui en réfulterent, & je ne les rapporterai pas ici : mais parmi les Francifcains mêmes, il y eut de violentes conteftations entre les zélés & les mitigés pour des adouchTemens qu'on vouloit apporter a la rigueur de leur regie. Les Ordres mêmes des Papes n'y furent pas refpectés, de part & d'autre les imputations d'héréiies furent prodiguées, les zélés fe battoient pour la pauvreté, comme des gens du monde feferoient battus pour les richeffes , & devant ce voeu fanatique on voyoit difparoitre le véritable voeu du Chrétien , la douceur & la charité. (i) Mais une entreprife fort extraordinaire, & qu'on ne croiroit pas fans doute, fi elle n'étoit atteftée par les monumens les plusauthentiques de 1'hiftoire, C'eft le projet de eet orgueil fanatique & impie tout a la fois qui fe propofoit de renouveller le fyftême entier de la Religion en 1'honneur des mendians. II (I) Voye'i ilans les Annales frat. minorum , tom. IV i ce qu'en écrit St. Bonaventure lui-même, qui étei Général de TOrdre. G  ( 98 ) parut dans le treizieme liecle un livre intituïé /'Evangile Eternel, ou les Propheties de l''Abbé Joachin. Ce Joachin paroit avoir été un perfonnage imaginaire comme Merün Fenchanteur & le Devin Nojiradamus , Prophetes aufli dont les centuries courent en France & en Angleterre. Mais 1'Ouvrage de Joachin, quelqu'en foit PAuteur, exifte réellement (iH prétend que Péconomie de la Religion efl divilée en trois périodes; la première qu'il appelle la loi du Pere, étoit 1'économie Mofaïque, 1'ancien Teftament; la feconde qu'il nomme la loi du fils, eft le Nouveau Teftament , la troilieme plus parfaite que les deux autres , & qui en eft le complément, c'eft celle du St. Efprit : elle ne tardera pas , dit-il, a paroitre. Dieu manifeftera fon regne par le moyen de Miniftres pauvres & aufteres qu'il fufcitera pourcela. Soit que les Francifcains fuffent les Auteurs ou les Approbateurs feulement de ces inepties romancfques, ils en rirent Papplication a leur Saint Francois (a) : ils prétendirent que fa regie étoit la véritable loi de Dieu annoncée au monde par leur Fondateur ; que c'étoit VEvangile éternel; prédit dans 1'Apocalypfe ? (3) & que le Séraphique Pere Francois CO II fe trouve a Paris dans la Bibliotheque de Ia Sorbonne. Jacques Echard en a publié des fragmenï. dans les Scriptoies Dominici, torn. I. (2) Voyez Annales minorum, tom. IV. (3) Apocalypfe. Cap. 14. lx 6. yoye\ Baluze Mi/ullanea, torn. h Ecard, Scriptore*  C 99 > ëtoit rétoiïeque St.Jean avoit vu volef dans le Ciel. Au milieu de la fermentation que caüfoient ces audaciculès folies , il s'éleva un autre Francifcain fanatique, nommé Gérard, qui publia un Commentaire des vifions de Joachin , fous le titre d''Introcluclion a l'Evangile étemtl. L'Evangile de Jefus-Chrift devoit, difoit-il, être abrogé 1'an 1260, & céder l'Empire a celui de St. Francois , qui étoit 1'Ange annoncée par 1'Apocalipfe; les Francifcains étoient les Apótrcs qu'il s'étoit choifis, &c. Ce livre fut publié a Paris, en 1254. Il s'éleva un cri général contre les Moines mendians, le Pape Alexandre IV fut obligé de fupprimer le livre, mais ce ne fut quel'année fuivante ; la Cour Romaine avoit peine a févir contre fes chers mendians, mais 1'Univerfité de Paris fit tant de bruit, (1) qu'il fallut enfin condamner le livre au feu. Ces querelles entre les Francifcains rigide* & les mitigés, & le fanatifme qu'ils avoient pour leur St. Francois , troublerent 1'Eglife &c la fociété encore long-temps les Peuples prenoient parti, il en réfultoit des féditions, & Ia Police n'ofoit févir fut ces fous atrabilaires. Enfin les plus ardens prirent le parti de fe domink'. tom. ]. Corfex inquifit. Tolofana: a Limborchio Edit, p. 301-2-3, &c. fi) Voye$ Boulay, Hift. de tüniyerfiti, rom. III, pag. 299. Ët Jordani, Ckroniconiis. Muratori ,Antiq. lm* lint* tom. IV, pag. 998 G 2  ( IOO ) féparer tout-a-fait de leurs confrères mondains* dont les fandales & le froc épais leur paroiffoient du luxe; une petite colonie fe fauva dans une Ifle de TArchipel, oü elle s'éteignitfans doute faute d'alimens & de recrues ; ceux qui refterent en Europe furent plus miférables encore, ils tomberent enfin dans les büchés de rinquitition. Les bornes dans lefquelles je dois me renfermer ne me permettent pas de fuivre plus loin fhiftoire des troubles caufés dans le monde par cette feconde efpece de Moines, qu'on nomma mendians, plus nuiiibles encore que les Moines rentés ; cette efquiffe de leurs excès fuffit pour mettre tout Lefteur impartial au fait de la queftion agitée; ceux qui voudroient connoitre plus en détail cette branche de fhiftoire de 1'Eglife, peuvent recouriraux fources (i), & jene crois pas qu'alors ils tentent , comme 1'Auteur des Obfervations philofophiques, de donner pour compenfation de Pinutilité aftuelle des Moines, les anciens fervices qu'ils ont rendusau Public; ils n'ont jamais fi bien fait que depuis qu'ils ne font rien. C'eft fans doute 1'excés de tous ces défordres qui a ouvert la porte ct la -réformadon; & dans ce fens, c'eft encore au Letteur a juger quel effet les Moines ont produit dans 1'Eglife.. Au moins l'efprit de controverfe prit (l) Voyez Annales minorum. Eymericus in direcforim 'inquifitoris, Et Noël Alexandre dans fon Hijloire Eeclófu,lrique.  X ioi ) un nouveau tour, la fuperftition groffiere difparut, le fanatiline romanefque s'éteignit; on revint a 1'étude de 1'Ecriture-Sainte, & les objets centellés entre les Catholiques & les Proteftans peuvent du moins occuper des elprits raifonnables. Les nouveaux Ordres religieux qui parurent dans le quinzieme liecle marquent déja la différence du tour d'efprit des nations ; le premier fut celui desfreres de la v ie commune, qui fans être liés par aucun voeu, fe confacroient a Péducation de la jeuneffe : c'eft a leurs foins qu'on a dü les meilleurs elprits de ce fiecle,. Erafme en particulier avoit été leur éleve. Mais ils ne durerent pas long-temps; 1'Ordre des Jéfuites qui s'éleva bientót apres, & qui joignit au même objet un plan d'Inftitution plus étendue, les fit prefque auffi-tót difparoitre. Les Moines rentés , dont on a vu 1'origine , adoptés par le fyftême ambitieux des Papes, leur étoient enfuite deven'us inutiles par 1'indolence oü les avoient jettés les richeffes, & les honneurs que leur avoient valu les circonftances morales& politiques des fieclesde Chevalerie & de féodalité. Les Moines mendians , créés par la fine politique du St. Siege, Pavoient d'abord fervi avec ardeur dans toute la plénitude de leur ignorance & de leur groffiéreté , au milieu d'un Peuple ftupide, ennivré de fuperftitions , étourdi de miracles & de révélations , livre a tout cc que 1'impofture peut oftrir de plus abfurde: mais comme les trompeurs & les trom- G 3  pés étoient prefque également hébétés, ces Charlatans s'étoient ennivrés eux-mêmes de la potion dont ils endormoient la multitude : ils étoient devenus leurs propres dupes, &c enfin a force de vouloir être plus Chrétiens que 1'Evangile ne 1'ordonne, ils en étoient venus a blafphê'mer Jefus-Chrift, en lui préférant Saint Francois. Ennemis de 1'EgUl'e , foudroyéspar le Vatican même, ils étoient tombés dans les büchers de 1'Inquifition Dans Je feizieme liecle 1'horifon de 1'Europes etoit éciairée , une fermentation générale mettok tous les efprits en mouvement : la Bible traduite en langue vulgaire, multipliée par rimprimerie nouvellement découverte, les Grecs de 1'Orient réfugiés en Europe, & renbuvellant fétude des Lettres,la Boulfoleamenant la découverte du Nouveau-Monde, & at-^ tirant 1'attention des hommes les plus adftifs &r lés' pltis entreprenans vers des vues d'un intérèt plus préfent que les chimères de la Scholaüique; tout annoncoit a la Cour Romaine qu'il lui falloit a préfent une autre milice que fes mendians, pour combattre les hérétiques, & difputer a des hommes inftruits un ■empire qui n'étoit plus celui de la parole. Ce fut a cette époque que parut la fameufe. Société des Jéfuites : comme elle eft éteinte aujourd'hui, il n'entre pas dans Pobjet de ce •difcours de difcuter ce qui la concerne. II eli du moins de la vérité hiltorique , & du devoir d'un Ecrivain impartial de rendre juftice a la beauté du plan de fon inftitution , & a la quau-  C 103 ) thé d'hommès diftingués par leurs talens & leurs vertus, qu'elle a portés dans fon fein. Les intéréts des deux partis lbnt encore trop préfens, les haines font encore trop animées pour que la froide impartialité puilfe s'expliquer tranquillement; & d'ailleurs , quelque foit 1'état exadt des faits; une chofe jugée faffe pour la vérité. Mais il faut avouer cependant que cette célebrc Société figurera toujours dans fhiftoire, que les refforts pro fonds de fon adminiftration feront 1'objet de 1'ttude des Philofophes; que les hommes de Lettres, les hommes d'efprit, les Amateurs des Arts en tous genres regretteront un Ordre de favans, de littérateurs , d'Artiftes qui leur ont fourni des lecons & des modeles dans tous les genres; & le fort de ce célebre inflitut, comme celui de Germanicus fera d'étre pleuré de ceux-mêmes qui ne Vauront pas connu (1). A mefure que les lumieres fe fontrépandues, que l'autorité des Couronnes a pris plus de conliftance, que la tyrannie féodale s'eft éteinte; un efprit plus libre & plus énergique a femblé ranimer 1'Europe : 1'agriculture, le commerce , Pindultrie ont détourné vers des objets utiles les idéés du Peuple, préoccupées jufques-la par toutes les momeries des Moines. Leur crédit eft tombé de toutes parts, mais, il n'étoit pas encore ablblument avili: la Religion proteftante a fait fur les Ordres monaf- (I) Flebunt Germanicum etiam ignoii. TaCIT. G 4  C 104 ) tiques le même effet que fur la Cour Romaine ; en leur donnant des cenfeurs vigilans , elle les a obligés a plus de décence & de retenue: ainli les grands lcandales ont ceffé, mais 1'efprit d'ignorance, de fuperftition , & d'hipocrilie eft toujours refté celui des Moines mendians , comme 1'indolence, 1'avarice, & le libertinage font demeurés le caraclere des Moines rentés. Cependant dans les guerres de Religion des deux derniers liecles on les a vu ardens a échauffer la multitude , a envenimer les barnes religieufes, a s'eftbrcer de renverlêr Ia fociété & de la replonger dans la barbarie, dont le travail lent & pénible de tant de liecles avoit eu bien de la peine a la tirer. On fe rappelle la figure que firent les Moines dans les troubles des Pays-Bas, & dans les guerres de la Ligue en France : ce fut bien malgréeux qu'Henii IV., le meilleur des Rois , occupa le Tröne. Enfin aujourd'hui que les Gouvernemens font plus éclairés , & les Peuples plus inftruits , 1'Etat monaftique eft apprécié a fa jufte valeur, & réduit a finlluence qu'il mérite. Au lieu du refpeft, de la vénération ftupide qu'on leur rendoit autrefois, on n'a plus que de la pitié pour ceux qui font de bonne-foi, & du mépris pour les hipocrites. Dans la derniere clalfe même du Peuple ils ne trouvent plus de fujets, on n'ofe plus s'aflbcier a la home de leur habit. Après avoir raffemblé a la hate cette fuite hiftorique de faits, tous avoués, tous pruu-  ( io5 ) vés fur les monumens les plus authentiques, je demanderai a 1'Auteur des Obferyations philofophiques : vous qui vous dites PhUofuphe , c'elt-a-dire obfervateur attentif & fcrupuleux de la nature, avez-vousconfidéré ces tableaux fucceffifs de fhiftoire ? Avez-vous remarqué que l'efprit humain fe développe dans 1'humanité comme dans 1'individu, & pourquoi voulez-vous dans la virilité de notre age nous réduire aux fautes, aux erreurs, aux ineptes de notre enfance ? On doit conlidérer la chüte de l'Empire Romain,& 1'inondation des Barbares comme une époque de renouvellement pour 1'humanité. Le génie des anciens avoit péri dans cette grande cataftrophe, le genre-humain fut alors comme créé une lèconde fois : il s'effc élevé a pas lents a travers les dangers de 1'enfance & de lajeunelfe, au point oü nous fommes; de nouveaux développemens fe préparent, ils feront a préfent plus preffés, plus étendus, comme les réflexions de 1'homme mür : fuivez la nature, mais ne prétendez pas 1'arrêter. C'ert au - travers des expériences des ages que fhumanité s'avance vers la lumiere & le bonheur. Dans le quatrieme fiecle, un fanatifme étranger avoit produit les Moines rentés, cette plante exotique s'efl bientót dénaturée, & il feroit difficile de montrcr qu'elle ait jamais produit de grands avantages a la fociété; a 1'égard des maux qu'elle a faits, le Lecleur-eft a préfent a même de les apprécier. Vers le  ( ïo6 ) dixieme fiecle un nouvel ordre de chofes s'étoit établi, & la politique infidieulè créa. les Moines mendians : on a vu les troubles & les malheurs qu'ils ont caufés dans le monde, ceux-la ne firent aucune efpece de bien, Ils faillirent même a détruire la Religion , dans le treizieme fiecle, comme nous 1'avons expliqué. De nouvelles circonftances amenant enfuite de nouvelles combinaiibns de vues & de projets, on a vu paroitre les Moines a (i) Barrette dans Ie quinzieme liecle : ceux-la furent les plus honnêtes,les plus modérés , les feuls qui euffent de la rauon & de l'efprit. Mais enfin tous ces inftituts étoient étrangers a la Religion de Jefus-Chrifi. C'étoit des innovations , & fi les ennemis de (oute innovatïon, quiprenlient ces nouveautés gothiques. pour Vantique difcipline de 1'Eglife , vouloient repaffer avec candeur cette fuite de faits que nous venons d'énoncer; ils verroient que ce qu'ils appellent les nouveautés acluelles font le retour a 1'ordre primitif, & fa réintégration. Les intéréts ou les erreurs qui onudonné naiffance a tous ces établiffemens ont difparus ; lss effets doivent tomber avec les caulès. Les prétentions du Siege de Rome n'ont plus lieu, il re fait plus la guerre aux Couronnes; il etc O) On nomme ainfi tous les Religieux du quinzieme fiecle qui portent Phabit nofr , &le bonnet carré ; comme les Jéfuites Earnabites, Théatins, &c.  C i°7 ) temps de licencier fit milice tombée par-tout dans le rclachement & 1'indifcipline. II paroit que c'eft aujourd'hui 1'objet général des Gouvernemens qui s'en occupent avec plus ou moins d'ardeur, avec plus ou moins d'éclat. Mais fi l'autorité ne fait pas fubitement cette réforme , le temps & 1'opinion gé-» nérale la feront lentement, & fhiftoire monaiiique demeurera dans les falies de f humanité, parmi celle des autres maladies de l'efprit humain. Mais puilque 1 'Auteur des Obfervationsphilofophïques a prétendu réduire a quelques points de droit la queftion que nous n'avons traitée jufques ici que dans le genre de fhiftoire; ii convient de le fuivre encore dans fes retranchemens, & c'eft 1'objet que je me propofè dans la derniere partie de eet Ouvrage. Fin de la troifieme partie.  QUATRIEME PARTIE. Critique des Obfervations Philofophiqu.es fur les Principes adoptés par 1'Empereur dans les Affaires Eccléfiaftiques. C^et Ouvrage préfente le plus fingulier amas de propofitions incohérentes : des vérités univerfellement reconnues, établies dépuis plufieurs années par les plus célebres Auteurs s'y reproduifent, & tandis que le Lefteur applaudit a la certitude des principes qu'il voit pofer, il eft furpris ou égaré paria faufleté des conféquences qu'on en tire. L'Ecrivain commence par une forte de préambule oü il avance comme une découverte en politique & en morale, que le Prince ne fait qu'un avec fon Peuple; que la puiffance , la richeffe , Ia gloire la süreté , la force de la nation, font celles du Souverain; & qu'enfin la profpérité publique fait le bonheur des Rois. D'oü il conclut que faire dcsmalhsureux & des méconttns c'eft diminuer le nombre de fes défenfeurs, & multiplier celui de fes ennemis. Ici on pourroit, ce me femble, répondre a PAuteur , qu'en reconnoiffant tous ces prin.cipes, il faut y ajouter une modihcation. La  C I09 ) , loi du Prince doit agir comme les loix de la nature par des regies générales, & elle ne peut fe plier aux caprices particuliers. Le bien public elt la loi fuprênie, le moyen de le produire eft reconnu, mais malgré fapplicatioa du légiflateur il ne peut s'alfurer de ne pas laiffcr dans la fociété qu'il gouverne, un grand nombre de malheureux & de mécontens qu'il n'a pas faits; & a eet égard fon attention ne peut fe porter que fur les moyens généraux d'affurer la félicité publique. Les malheureux ne le font alors que par les vices de leur cceur ou les travers de leur efprit, les mécontens ne le font que par la contrariété qu'ils trouvent entre les régiemens d'une fage adminiftration, & les préjugés de leur ignorance, ou les caprices de leur imagination. Le meilleur Gouvernement ne peut prévenir ces variétés de 1'efpece humaine qui murmure même contre les décrets de la providence. C'eft d'après ces principes que 1'Auteur va examiner les opérations politiques de lx Cour de Vienne, relativement a la Religion. 11 commence par établir que ces opérations font des innovadons, & qu'elles ne peuvent être juftifiées que par le motif du bien public. Ce qu'il nie en prouvant, felon 3lui le contraire exaéfement. A 1'égard del'innovation nous y avons répondu d'avance par une chalne de faits & d'exemples inconteftables; la queftion du bien public viendra a fon tour. C'eft fuivant les principes du droit naturel qu'il va examiner  . • . • ( liö ) la conduite du Gouvernement Impéïiat, & 'tout cet examen fe réduit a la dilcuffion & au commentaire d'un édit de 1'Empereur. _ Je fuppofe qu'on a cet écrit fous les yeux, ainli lans rapporter la teneur même de 1'édit & la glofe du Commentateur, je ne m'attacherai qu'a fes propoiitions en elles-mêmes. Le prétendu Philofophe s'égare dès le pre* mier pas en attaquant le titre même de 1'édit, Principes établis par S. M. car, dit-il, une affertion conteftée n'eft pas un principe. Je répondrai qu'en ce cas iln y auroit donc point de principes; car la géometrie feule portc fur des principes d'une tefle évidence qu'on ne fauroit avec toute la mauvaife foi du monde les contefter, & c'eft ce qu'on appelle des axiomes. Ainli la vérité ne feroit donc propre qu'aux mathématiques. Mais il faut obferver que les axiomes établiffent la démonftration géometrique, paree qu'ils pofent lür 1'éVidence ; & que les principes font dans la philolbphie fpéculative, ce que les axiomes font dans les mathématiques. Les principes font des véritcs morales établies par une difcuffion antérieure, dont ils fbnt fortis en forme de réfultats , & alors ils n'étoient que des conféquences démontrées; mais au moyen de cc qu'ils font démontrés & convenus; on en part comme de chofe prouvée, & voila pourquoi on les 'appelle principes, c'eft qu'ils font le commencement de nouveaux raifonnemens, dont les conféquences a leur tour pourront fervir de principes a d'autres. Et les princi*  ( **« ) pcs une foisavoués comme principes, nefont plus conteftés que par les ignorans. Et quant aux principes avancés dans 1'édit en queftion , il ne s'agit pas de les reléguer dans la claflé des opinions; ce font des faits conftans par Fhiftoire, & des vérités qu'on ne peut méconnoitre. Le droit naturel, continue-t-il, confifte dans la süreté , la liberté , Ja propriété; d'accord ; c'eft par cela & pourcela que les Souverains rcgnent. Mais n'abufons pas des mots, Sj bientót nous verrons que ces trois attributs de 1'homme individuel n'appartiennent pas également aux corps colleclifs; car l'individu eft un produit de la nature , 6e tout aggrégac politique n'exifte que par une convention de la fociété, & révoquable par elle. Il me femble qu'ici ce n'eft pas le Gouvernement Impérial, mais 1'Auteur qui s'abufe fur les principes. 11 s'inquiette beaucoup de définir ce qu'on. doit entendre par matiere eccléfiaftique : c'eft tout ce qui tient au régime & ü 1'adminiftration de la difcipline , des rites,& des biens de 1'Eglife j en un mot tout le matériel de la lleligion; car dés qu'il s'agit du dogme, eela s'appelle matiere théologique; or en cela il eft évident que puifqu'ü ne s'agit que de formules ou de propriété temporelle, tout cela eft affaire d'adminiftration & depolice; car iln'ya riem d'intellecluel, demoral dans toutes ces chofes , & les dogmes ou opinions religieufes font feuls du reffort de la confcience. Ainli les matieres eccléfiaftiques rentren£  C 112 ; de droit fous la main du légïflateur; je fuis propriétaire de ma confcience & de ma peniëe; le Gouvernement n'a ni la force ni le droit d'y rien changer; mais dans les acles extérieurs, il peut établir télle regie qu'il juge convenable a 1'utilité publique. La Religion eft le rapport intérieur de 1'homme avec Dieu, c'eft comme le rappelle fon fens étymologique un fecond lien qui enchaine a lés devoirs, hors des yeux de la loi, celui que les regies publiques contiennent déja par un premier noeud. La loi lie les mains, mais la Religion lie le cceur. Tout le texte de 1'Edit paroit exaftement calqué fur cette chaine de faits que nous avons expofés; ce font les conféquences de ces faits que Pon a pofés avec raifon en principes, & tout le raifonnement du gloflateur tombent a faux. Quand il s'agit d'un fait, Pétablir & le prouver c'eft tout faire, il n'eft pas queftion alors' des différentes opinions que différentes fecles ont de ce fait; les monumens hiftoriques dépofent-ils ? Tout ce qui les réfute fans les détruire eft erreur ou mauvaife foi. L'Auteur tout-a-coup a la faveur de 1'équivoque qu'il a jetté fur ce qu'il appelle matiere tcclèfiafiiqut, paffe aux matieres théologiques s dont il n'eft nullement queftion ni dans les opérations , ni dans 1'édit de 1'Empereur. Mais s'il veut pourfuivre cette matiere, nous lui objeclerons que la loi du chrétien, c'eft /'£eriture.- Sainte, que le Sacerdoce réuni en corps, & compofant même s'il veut a lui feul 1'Eglife,  ( 1*3 ) eft juge dans les controverfes fur le Dogme; mais il ne s'agit pas ici du Dogme; & quand il en feroit queftion , quel Dogme plus formel que cette déclaration politive du Sauveur : Vamour de Dieu & duprochain eji la loi & les pro* phetes. II a prononcé nettement la foumifiion, au Souverain : rende\ a. Cèfar ce qui eji a Céfar, & a Dieu ce qui eft a Dieu }- & PApótre St. Paul a dit exprefféinent d'après fon maitre: obéi£e\ aux puiffance^ du fiecle, car leur pouvoir vient de Dieu. Ainli dans tout cela on ne trouve aucune tracé de cette puiffance illimitée que 1'Auteur accorde au Sacerdoce. A 1'égard de la forrae qu'avoit 1'Eglife Chrétienne lbus les Apótres, on ne peut rien inférer pour fon état aftuel ; alors la Religion étoit cachée, perfëcutée, & puifqu'il attribue une fi grande autorité au Pape & aux Prétres , on doit donc penfer que 1'ordre qu'adopta 1'Eglife quand Conftantin y entra, eft fon véritable ordre public; car les premiers fiecles étoient ceux de la pureté dans le dogme & dans la difcipline, les traditions des Apótres étoient encore frakhes ; 1'Eglife de ce temps n'avoit pas moins le St. Efprit que celle d'aujourd'hui,& tous les changemens iürvenus depuis a travers la corruption des ages & les paflions des hommes, ont réellement été des innovations, des abus, & non pas des réfbrmes. On pourrok établir par les monumens, que PEglilè Apoftolique fe gouvernoit en forme de république, & qu'a l'avénement de Conftantin , 1'Eglife prit comme 1'Etat la forme H  r 114 > monarchique. L'Empereur préfidales Evêquescomme il prélida les Confeils ; & on a vu des exemples de cette affertion dans la première partie de cet écrit. II eft également prouvé par les aftes mêmes des Apótres, que PApótre St. Paul ne refpcdta gueres la ftiprématie de St. Pierre, quand il fe vante de lui avoir réüfté en face , & de Pavoir accufé de Judaïlér. Mais cette difcuffion nous rejetteroit dans les matieres théologiques oü notre füjet ne nous conduit point, renfermons-nous dans les matieres eccléfiaftiques. L'Auteur dans fa feclion IX fait une fortie fur une expreffion technique qu'il a Pair de ne pas entendre, ce qui nous donne peu d'idée de fon érudition. C'eft le mot bon plaifir pour exprimer la volonté fouveraine. II imagine que ce mot exprime le caprice arbitraire du defpotifme qui ne donne pour raifon de fa volonté que Ci volonté même. II faut donc le lui expliquer , ainli qu'aux Ledleurs qui pourroient tomber dans la même erreur. C'eft une expreffion de la bafle latinité employée fouvent, toujours même dans les capitulaires & les autres a&es publics, dans un temps oü les Monarques n'étoient rien moins que defpotes. On trouve dans tous ces vieux diplomes bene placitum eji nobis & baronibus nofiris, &c. ce qui vouloit dire alors qu'après avoir examiné & délibéré, c'étoit ce qui avoit été jugé le plus convenable, ce qui avoit agréé a ParfcmbJée, & ces fortes d'arrêts étoient nommés placita. L'alfertion de 1'édit conteftée dans ce para-  ( ii5 ) grnphe eft cependant d'une vérité irréfragable; ce qui a été établi dans 1'Etat par le confentementdu Souverain, peut être aboli de la même maniere. L'Auteur ié débat toujours vaguement furie droit naturel, c'eft un point accordé, mais il faudroit palfer aux applications. La queftion des richelfes du Clergé arrivé enfin, & 1'Auteur prétend que le defpotiline les convoite pour en augmenter les fbrces avec lefquelles il pefera fur Phumanité. Prévoir un mal dans la réforme d'un abus, qui par lui-même eft un mal, ce n'eft pas établir la nécellité de maintenir 1'abus; car le mal préfent eftpoiitif,& le mal futur eft incertain.Si 1'Auteur avoit étudié avec foin fhiftoire eccléfiaftique, il auroit vu que ces cruelles richelfes du Clergé, fi criminellement acquilés, li criminellement confervées, n'ont pas fervi dans fes mains a la profpérité publique, ni j 1'avancement de la Religion & des moeurs. 11 verroit que dans les temps & dans les lieux oü le Clergé eft moins riche , il eft moins mondain & plus vertueux. Réduire les Monafteres, refferrer les domaines du Clergé, c'eft felon lui violer le droit naturel, & dépouiller un propriétaire qui avoit acquis légitimement &c. Enfin voici une grande queftion a établir: le droit de propriété, première branche effentielle du droit naturel, eft-il applicable a un corps colleclifP Je ne crains point d'aftlrmer la négative, & voici comme je raifonne. On oppelle droit naturel un ordre qui rèfulte tellement de la nature des chofes, qu'elles ne peuven 't H %  f "6 ) fubfïfter quand cet ordre ejï rompu ou intcrverlh Le droit de propriété eft effentiel ii 1'individu^ c'eft le premier point du droit naturel; car 1'individu ne peut ftibiifter que précairement,, s'il n'eft propriétaire de la perfonne; & de la propriété de fa perfonne, je déduis celle des chofes acquifes par fon travail , ou 1'emploi de; fa perfonne. Le droit d'hérédités eft une fuite de ce même droit. Mais les individus font 1'ouvrage de la nature , ils font elfentiellement fovis 1'empire de la nature; ils ont un intérêt > une volonté propres. II n'en eft pas de même des corps collectifs : la fociété les a formés > les a reunis fuivant de certaines regies, & pour de certaines raifons. Elle les a dotés pour un certain objet. La fociété qui a fait ces regies dans un temps, peut les changer dans un autre; car il n'appartient qu'ïi la nature de prononcer des loix immuables. Quand la raifon qui les a réunis vient a cefler, 1'union dok être diffoute; quand 1'objet de Ia fondation devient inutile ou n'eft pas deffervi, la fondation eft annullée de droit. Le Prince eft organe né de la fociété, ainli ce qu'il prononce eft cenfé la volonté publique, ou il faut renverfer toutes les Monarchies. II eft donc feul , & privativement le juge de tous ces cas différens. II ne peut y avoir que propriété perfonnelle, quoiqu'il y ak jouiflance commune ; ainli, la oü elfentiellement il n'y a point propriété perfonnelle, il n'y a point véritable propriété. J'en dirai autant de 1'hérédité ; la oü il n'y a point génératïon, il ne peut y  avoir que fuccefïïon , mais non pas hérédité. On n'eft point le fils de fon prédéceffeur, on eft a fa place fans être-a fes droits. Toute propriété colleétive ne peut donc être que viagere , c'eft un ufufruit. Et au contraire il eft de droit naturel que la fociété qui a fait un établiffement puiffe le modifier, le réformer, 1'annuller. Dans fa fection XIII, 1'Autcur décele toute la partialité qui 1'anime,en déclarant ennemis du Chriftianifmeeeüx qui refpe&antles dogmes & les myfteres de la Religion, fe plaignent feulement de l'autorité du Pape , de la richeffe du Clergé, de 1'Etat inutile des Moines, & des inconvéniens du célibat. 11 commence par mettre en fait 1'Etat du Pape d'une maniere toute contradictoire a ce que nous a-vons démontré dans .les première & feconde parties de ce Ménioire; & puis fur l'autorité de Léibnitz qui fe trouve en oppolition avec celle de St. Paul, citée plus naut; il pofe cette propofition qu'on croiroit tirée d'une bule de Grégoire Vil, que celui qui eji chargé de procurer le falut des ames a le pouvoir de réprimer la tyrannie & Vambiüon des grands qui font périr un fi grand nombre d'ames. Si ce principe étoit admis, nous rentrerions dans les guerres du dixiemc & du douzieme fiecle , & il eft évident que le Pape devenu juge de tous les Rois, feroit le Souverain unique& ablblu de la chrétienté. Qu'a dpnc gagné 1'humanité dans ces liecles d'ignorance & de barbarie , oü cette belle Jurifprudence étoit admife ? On vient de le voir dans H 3  C »8 ) les premières parties de cet Ouvrage. Elle a été vendue aux tyrans riches & crédules. On a vu des excommunications, des anathêmes lancés; des Princes, des Empereurs foulés aux pieds des Papes , dépofés ; leur Couronne déclarée vacante; étoit-ce a caufe de leur méchanceté? Non, c'eft paree qu'ils refüfoient 1'hommage & Ie tribut au St. Siege ; eh de bonne foi les Princes ont-ils été plus méchans, les peuples ont-ils été plus malheureux depuis que ces fcandales honteux ne ie voyent plus? Je fuis obligé de convenir que non,& ï'hiftoire en fait foi. Les Rois j comme PAuteur en eft convenu lui-méme, ne fe trompent jamais aux dépens des peuples , que ce ne foit a leurs propres dépens; ainli laiffons 1'intérêt s'éclairer lui-même, il n'y a point de meilleur précepteur. 11 n'en eft pas de même d'un Souverain étranger. Laiffons cheminer les Sciences , cultivons-les , propageons-les, fémons la vérité; elle leve lentement, mais lürement. Nous voyons déja fes progrès rapides depuis la renaiffimce des Lettres ; les fautes d'un liecle ne font pas celles du précédent, elles ne feront pas celles de celui qui va fuivre. Pour la queftion de la richeffe des Prètres, & du célibat eccléfiaftique, je ne m'épuilerai pas en raifonnement; je préfenterai feulement deux tableaux de comparaifon : d'une part 1'Efpagne, le Portugal, PItalie; de 1'autre PAngleterre, la Hollandes& les pays proteftans de 1'Allemagne. D'un cöté l'Artadompté  f»9) & vaincu la nature par-tout, de 1'nutrela plus riche, la plus féconde nature referme lbn fein maternel a des enfans dont 1'ingrate indolence ne daigne pas même recueillir les dons. D'un cóté 1'induftrie, l'activité, le courage d'efprit animent tout : de 1'autre 1'indolence, la langueur, 1'abatement laiflent perdre , ou repouffent les préfens fbrtuits de la nature. Ce n'eft pas 1'aumone qu'il faut donner , c'eft des falaires,ce font des encouragemens aux hommes laborieux , & des retraites aux vieillards & aux impotens. Aufli nul Pays au monde n'offre plus d'établilfemens de ce genre que la Hollande, & fur-tout 1'Angleterre. C'eft dans ces deux Pays qu'on voit fleurir 1'agriculture , lecommerce, les Arts, les Fabriques & une population qui excede les bornes du territoire : tandis que 1'Italie eft prefque déferte, que le Portugal eft vuide d'hommes, & que 1'Elpagne quatre fois plus grande que 1'Angleterre n'entretient que fept millions d'hommes, contre huit millions que nourrit celle-ci; cette Efpagne qui du temps d'Augufte avoit vingt-deux millions d'habitans. Je conviendrai que dans 1'Etat actuel de nos fociétés , 1'abolition des monafteres ne feroit peut-être pas 1'opération la plus preffée d'un Gouvernement, quand le luxe & les plaiftrs appellent tous les gens riches dans les grandes Villes , les riches monafteres font comme des réfervoirs de richeffes qui fertilifent les campagnes voiiines; ils donnent des fecours aux malheureux, ils font travailler H 4  ( I20 ) les artifhns, ils donnent leurs fermes a pkis bas prix ; a mefure crue les Villages fe fondent dans les Villes pour y lèrvir 1'oilivcté, ou pour y fuir la mifere \ les gros Couvents reftent au milieu de ces campagnes devenues défertes, & entretiennent autour d'eux une forte d'abondance : mais les grandes Prélatures, les groffes menfes abbatiales viennent fondre dans les Capitales ou dans les Cours ; mais ces revenus monaftiques formés desdixmes des paraiflès les épuifent, & ne huttent qu'un bien petit pécule au Prêtre chargé du foin d'inftruire , de conlbler, d'aider le malade & findigent. ATe vaudroit-il pas mieux augmenter le produit des Cures, y doubler le röle de Pofficitr de morale, comme fappelloit le bon Abbé de St. Pierre $ y entretenir de bons chirurgiens pour que les hommes ne périffent pas comme des mouchcrons, y établir de bons maitres d'Ecole pour apprendre aux jeunes gens a lire, écrire,& calculer grofliérement, afin de leur mieux. faire connoitre leurs intéréts, qu'en étant plus éclairés ils föient moins défians, moins proceflifs , moins livrés a des praticiens avides qui achevent de les dépouiller? La dé-penfe fe feroit de même fur le lieu, & enrichiroit le territoire. II ne fe formeroit point d'amas de richeffes , point d'engorgemens. £h , peut-on dire que ce ne feroit pas la rempür Pobjet de la fondation, & fervir la volonté des ancetres? Aifurément ce feroit un bien faux raifonnement. • Les ames pieulés & fenlibles qui ont formé  C 1*1 ) autrefois ces riches établilfemens, avoient en vue la multiplication des prieres, le falut des ames, 1'alfiftance du pauvre. C'étoit le bien moral qu'ils vouloient faire , ils le faiIbient fuivant les idéés de leur temps : ce feroit afiurément tromper leur intention que de la fuivre littéralement; c'eft s'y foumettre, c'eft la remplir que d'cn failir l'efprit. Si les offices fondés font faits négligemment, ou s'ils ne le font point du tout, le légillateur quiapplique 1'intention ,remet les chofesdans 1'ordre; s'ils fe font même, une piété plus éclairée nous enfeigne que de faire le bien eft la meilleure priere, que des aéles de charité 1'emportent lür la foi oilive; le légillateur fuit donc encore 1'objet de 1'inftitution , quand il la perfedlonne ftüvant les vues qui feroient celles des fondateurs, s'ils vivoient encore. Les Moines ne font point propriétaires, ils font économes &t adminillrateurs des biens des pauvres; li une nouvelle économie plus ftmple & plus utile s'établit, on peut réformer les anciens économes, & ils n'ont pas a fe plaindre. Une feule apparence de droit pourroit fonder leurs réclamations : ce font les défrichemcns qu'ils ont faits dans le moyen age, & qui incorporant aux fonds mêmes, leur travail perlönncl; devoit leur affurer ces biens par la plus inviolable cfpecc de propriété. J'en convicns ; mais aufli ils ont joui, ceux a qui 1'on redemande ces biens , ne lont ni les hls , ni les héritiers des précédens j ils n'en font que les.  c y fuccefleufs. Et les premiers móme n'avoienN ils pas fait voeu de pauvreté? Ce n'étoit pas pour eux qu'ils travailloient, c'étoit pour les pauvres; qu'on rende le bien aux pauvres de quelque maniere que ce foit, & tout eft dans 1'ordre. Comment peut-on comparer les domaines des Frinces, avec les biens des Moines 2 Ces domaines font véritablement des propriétés héreditaires , c'étoit toute leur fortune au temps de Charlemagne, dans ce temps oü les Royaumesi étoient régis fur le modele des hefs, oü un Roi n'étoit que le premier Baron de fon Koyaume. Depuis qu'il s'eft formé par les impóts un revenu public, les domaines y ont été fondus, le Prince a fait bourfe commune avec la nation : fes domaines ont été engagés, aliénés a vil prix , j'en conviens, maïs c'eft aquelqu'un de la nation qu'ils font engagés, c'eft dans la nation que s'en confommentles produits. Quelle limilitude.' vous vous recriez que les biens de 1'Eglife font les biens des pauvres, je Ie dis aufli; les bénéficiers ne doivent prendre deflüs que la vie & 1'habit, je le pentè de même : maislefontils ? Non, le Prince , dites-vous, ne le fera pas davantage ; je n'en fais rien : pourquoi juger d'avance; le Souverain pourroit vous dire, comme le pere de familie de 1'Evangile, pourquoi votre ceil eft-il mauvais paree que jl Juis bon ? Mais je mets tout au pis : les pauvres étoient fruftrés, ils le feront encore; eh bien, ils ne changcront pas d'état. Le pêché  \ 1 ^ j J fera fur la confcience du Prince, & plus fur celle des bénëficiers. Obfervateur philofophe vous mettez fur le compte du Gouvernement 1'inutilité des Moines ; mais confultez fhiftoire, & dites-moi dans quel temps ils ont été utiles, ou du moins quand ils n'ont pas été nuilibles. Vous étes Philofophe, ouvrez donc le coeur de 1'homme, & voyez de quelle vertu, de quelle énergie, de quel talent eft capable un homme étranger a tous les liens de la nature & de la fociété; citoyen de fon ordre feulement, & foummis a un defpote étranger, il n'a ni Roi ni patrierpauvre quand ia maifon eft riche, il n'a nul intérit au' travail; aflervi même dans fa penfée , il doit s'éloigner de 1'étude ; car ce qui eft vrai pour tous les hommes, n'eft vrai pour lui qu'avec la permiffion du général. Les deux: plus vifs feminiens de 1'homme tont éteints pour lui, 1'amour & la gloire. S'il eft bon Moine, le Ciel eft fa patrie, & une extafe apathique , fon état habituel; alors il eft inutile au monde. Mais s'il a les paffions de 1'homme fous les chaines du froc, quel torrent de vices doitfe déborder de fon cloitre, dés qu'il trouve une iffue! II n'y a point de créature plus pernieieufe au monde. Voila ce qui doit être, & voila ce qui a conftamment été, & fur cela Fhiftoire donne les preuves des affertions de la philofophie. Les Moines, dites-vous, ont été utiles autrefois , ils faifoient le métier de copiftes, & nous ont confervé tous les bons Auteurs : je fuis  bien Faché que ceux-la foient morts; car ie les remercierois ; mais leurs fucceffeurs ne lifènt ni n'écnvent, & nous avons des Imprimeurs • & nous avons déja établi que cette nation éterl nellequife reproduit fans génération, comme diioit Urafrae, n'a pas droit au mérite de fes peres llsetoient obligés au travail des mains,^ Moine qui ne travailloit pas, dites-vous, étoit iJJuniU h un voleur;eh bien ils font tous devenus voleurs , c'eft vous qui 1'avez prononcé. Vous direz tout ce qu'ils ont fait, tout ce qu'ils lont tenus de faire, tout ce qu'ils ne font point; & ainli vous prouverez d'autant mieux mon opinion 5 il faut maintenir le but, mais changer les moyens. Le célibat des Prêtres eft certainement un abus en ce qu'il eft forcé, promis dans un temps de faveur & d'ignorance, & fouvent violé quand la fanté plus développée, ou la fortune mieux affermie ne font plus une loi de l'hipocnhe. II porte fouvent le défordre & le fcandale dans les families, & fon moindre inconvénient c'eft le concubinage. Je fais bien que le célibat des foldats , que celui des rentiers égoïftes & libertins entrainent autant d'abus. Mais deux abus de plus n'en excufent pas un troifieme. Celui-ci eft peutêtre plus aifë ii détruire, paree que ce n'eft pas un dogme de la religion, ce n'eft pas une loi de J. C. c'eft un réglement de difcipline. Et nous avons 1'exemple du Clergé réformé, qui malgré le mariage des Prétres n'eft ni moins pieux , ni moins zélé , ni moins inftruit que le Clergé catholique. Le célibat eccléfiaftique a  (»5) 4 pour objet de ne donner de familie aux pretres» que les pauvres qui font les freres deJX. eh bien, il faut donc convenir que cette loi fut faite dans un bon efprit, mais que 1'expérience a prouvé que le népotifme remplacela paternité , que les maitrelfes & les gouvernantes lont plus cheres que les époufes légidmes , enfin que 1'égoïline concentre en lui-même Fhomme Holé, & que lea paflions & les caprices perfonnels ablörbent lans fruit les facultés de celui qui par état & par dévoir fe refnfe a cette force expenfive de 1'ame qui cherche a fe lier a ce qui eft hors d'elle. Faute d'avoir conlidéré avec attention cette diftin&ion li effentielle entre les opinions & les rites, ce qui eft de dogme, & ce qui eft de difcipline , 1'Auteur, peu verfé dans fhiftoire eccléliaftique, croit toujours voir le Criftianifme anéanti par des régiemens qui n'ont pour objet que des correclions utiles, mais non fonda* mentales. II fe perfuade que ce qu'il voit on fa toujours vu. Sans doute fon imagination lui peint St. Pierre avec la triple couronne, comme la Pape Pie VI, & les ?o difciples en pourpre romaine rangés autour de lui comme les Cardinaux.H croit fürement que le patrimoine de St. Pierre étoit le domaine paternel de ce prince des Apötres, dont il fit le titre ou bénéfice de fes Succeffeurs. Qu'il ouvre donc les aétes des Apötres, qu'il life fhiftoire de 1'Eglife, & qu'il convienne que quand J. C. a promis a fon Eglife la perpétuité, la ftabilité, il n'a parlé que du dogme ; car dés le premier Concile de Jérufalem,il y eut déja des changemecs dans la difcipline.  ( 126 ) II me femble qu'il refte démontré que cet ouvrage manque de folidité, de logique, & d^érudition : 1'Auteur s'applaudit cependant d'avoir expofé les vrais principes du droit naturel, & il ne doute pas d'en avoir fait les plus heureufes applications; j'efpere que mon ledteur en penlêra différemment. Notre philofophe déterminé a blamer toujours les Gouvernemens; pourfuit fes féveres recherches dans une efpece d'appendice oü il foumet a fa cenlure 1'édit de 1'Empereur fur la tolérance. Quelle philolöphie bon Dieu.' CetApötredu droit naturel qui reconnok que la füreté,la propriété , la liberté font les trois branches effentielles de ce droit; trouve mauvais que 1'Empereur permette ce qu'il ne peut pas empêcher, que chacun penfc comme il peut. Mon fentiment, ma penfée font des facultés de mon ame, ils lont donc ma plus intime propriété perfonnelle; ma religion compoiëe tout a la Ibis de ma penfée, c'eft-a-dire de mon opinion relativement a Dieu, & de mon fentiment, c'eft-a-dire faffeétion qui me porte vers lui , eft donc encore fous ce doublé afpeéï., ma propriété. Fuflé-je en Babarie, menacé du pal, la tyrannie qui voudroit arracher k ma langue un aveu pour Mahomet, ne pourroit violer ma religion qui eft dans mon cceur, & enchainer ma penfée. Quand cette penfée fe produit par des paroles, par des écnts, elle devientun acïe extérieur,& fous ce nouveau point de vue elle intérefïè la lociété , c'eft le fecond degré de la propriété & de la liberté. II doit être également franc & immune, car  ( 12? ) fi quelqu'un adopte mon opinion, c'eft fana violence de ma part, c'eft par un acte Iibre & volontaire de la lienne. La profeflion publique de ma croyance & de mon culte eft le troilieme dégré de la propriété de ma penfée : il eft étonnant, fans doute, que dans ce qui tient a 1'opinion il y ait une défenfe de penfer ce qu'on n'eft pas le maitre de ne pas penlér; ou du moins un ordre de ne le pas profelfer publiquement, quand il ne nuit a perfonne. Cette violence de la loi fut établie dans de» temps dlgnorance & de barbarie, oü la mefure des droits de 1'homme étoit abfolument inconnue. La liberté de religion eft un droit afiurément, & quand un Gouvernement eft affez éclairé pour donner la tolérance, il eft évident qu'il eft convaincu de 1'exiftence de ce droit lacré, &que s'il ne le prononce pas tout a fait, c'eft dans la vue d'allurer la tranquillité publique, & pour ne pas animer le fanatifme & 1'ignorance. Comment donc peut-il fe trouver un railönneur fe dilant philofophe, qui calomnie ces fages difpofitions de la loi, au lieu derendre grace au nom de fhumanité aux Souverains éclairés & bienfaifans qui remettent les nations en poffeflion de leurs privileges les plus effentiels. En modifiant ainli la raifon même & la juftice , le légiflateur femble dire aux obfervateurs fenfés, d'après St. Auguliin : NéceJJe eji taceatur aliquod verum proptcr incapaces. 11 ne faut pas annoncer brufqueraent la pleine vérité par ménagement pour les ineptes. Je ne m'arrête point a relever toutes les pbfervations du uiême Auteur fur les, dccla-*  ( "3 ) xations explicatives de 1'édit de tolérance. Je ne pourrois faire que des répétitions, car toutes lés idéés tournent fur le même cercle, & je crois que pour les lecteurs accoutumés a penfer,ce que j'ai déja dit contient le germe de tout ce que je pourrois ajouter. Tous les railbnnemens de notre prétendu Philofophe fur 1'édit de fuppreffion de quelques communautés religieufes,ne font ni plus «xacts, ni plus conféquens; je ne m'arrête pas a les combattre en détail; toute cette diffulion, toutes ces longueurs, cet appel continuel a des principes vrais, dont toutes les applications lont fauffes, fe réduifent a un pept nombre de queftions de droit naturel que j'ai difcutées & expliquées dans le cours de ce dernier écrit. Je penfe que les raifons morales & politiques y font clairement énoncées fans fanatifme religieux, mafs fans morgue philofophique; je crois aufli que les trois premières parties de ce mémoire ont clairement déduit les faits & les exempïes dont j'autorife mes opinions; s'il y a quelquelecteur impartial, délintereffé , cherchant la vérité, & 1'aimant pour elle, il fera fans doute de mon avis; pour les hommes departisje ne prétends pas les amener, je ne tiens a aucun, & je puis dire avec vérité, comme le Cardinal de Noailles dans la querelle du Janfénifme,a un Evêque qui lui difoit: Monfeigneur je viens me ranger a votre parti: Monfeigneur, reprit le Cardinal d'un ton apoflolique,jen'aipointd'autre parti que celui de J. C. FIN.