c 556 (>(>   s FAUT CROIRE A SA FEMME, C O M É D I E EN UN ACTE ET EN VERS. P A R M. P I G A U L T. A PARIS, Et fe trouve A MAESTRICHT, Chfiz Jean-Eome Dufour & Ph. Rou^, Imprimeurs-Libraires, afibciés. M. DCC. L X X X V I.   IL FAUT CROiRE A SA FEMME, C O M É B 1 ï« J C EN E PREMIÈRE. VAL E R-ET, FR O N T I N. ( Frontin entre fur la fcent, avec fair de chercher amlquun. Valere fort fwtweimm ie chc^ Nicandre. ) Frontin. St... ft- ü eft, j.e crois, inftallé chez Nicnndre. Hem... peifonne, héttiVÏ. j'en.rage. 11 fauc pourcann apprendre,.. Valere. Mon cber Frontin 8 Frontin. Monficur. A ij  4 IL FAUT CR01RE A SA FEMME, Valere. J'ai réuffi. Frontin. D'honneur ? Valere. Oui, Froctin. Frontin. Quel plaifir pour votre ferviteur! Je partage & j'admire un fuccès fi rapide. Ce n'eft pas nous, Monfieur, qu'une femme intimide; Quelle vivacité dans nos galants exploits! Nous paraiflöns a peine, & 1'on fubit nos loix. Va l e r e» Pas tout-a-faic encore. Frontin. Elle fait Pinhumaine! Je vous le difais bien; ce n'étoit pas la peine De venir de fi loin pour la mettre en courroux : Nous pouvions aufli bien 1'adorer de chez nous. Mais.... Va l e r e. Ce n'efi: pas cela. Frontin. Que faut-il que j'en penfe? Daignez donc difïïper ma profonde ignorance. Si j'ai pu me tromper en vous croyant vainqueur, Ai-je tort a préfenc de croire a fa rigueur? Valere. Rofeïde, Frontin, me voic avec tendreffe, Et fe croic mon amie, & non pas ma maitreflë. Del'amour, dans fon fein, je vois croitre les feux  C O M É D I E. 5 Frontin, d part. Oui, maïs fi par hafard ce coeur eft vertueux ? Valere. Depuis deux mois entiers j'adorais Rofeïde. L'amour me confumait, ce Dieu devienc mon guidè. Frontin. Ah! Monfieur, quei plaifir de tromper un époux, Qui croit a la vertu, bien moins qu'a fes verroux! Valere. Sons ce déguifement, qu'inventa ma tendrefiTe, J'ai de fon viêux mari pris toute la rudeflè. Ce matin, fur fes pas, entré dans ce féjour, Je fais, pour le gagner, le procés a l'amour; Je condamne le luxe & les dépenfes vaines, Je détefte avec lui les vanités mondaines; Er. mon homme, foudain, m'offrant fon amitié, Veut me rendre gardien de fa chere moitié: Je refufe...» infilte... autre refus... il prefle, Et malgré mni m'entraine aux pieds de ma maitrefle. Ainfi plus d'un jaloux, pour fuir un certain mal, Par excès de prudence a fervi fon rival. Frontin 'li n'enfaut pas douter ; oui, c'eft l'amour lui-même Qui nous a fuggéré eet adroit ftratagême. Enfin, le petit Dieu couronne vos defirs: Je vois s'ouvrir, pour vous, la route des plaifirs. Va l e r e. Nicandre m'introduit auprès de fon époufe. II me difoit tout bas en fa fureur jaloufe: ,, Voilacelle qui doit recevoir vos lecons; „ Vous feule loin de moi bannirez les foupcons. „ Je vous laiiïè en ces lieux". La trifte Rolèïde En frémiffant, fur moi, porte un reganl timide.., A üj  6 IL FA UT CROIRE A SA FEMME, Tous mes lens font émus, je vole dans fes bras. Quoi! tu fers mon époux, & tu ne me hais pas, Dit-elle? fesaccens... fon air... qu'elle était belle! Ses yeux verfaient des pleurs, je pleurais avec elle. Je ne fais quel tranfport prés d'elle m'agitait; Je voulais m'expliquer, le refpecT: m'arrêtait..., Je fors enfin, honteux, de n'avoir a mon age De cec heureux moment tiré nul avantase. Frontin. Quoi! vous êtes vaincu par la timidité! AHons, ferme, morbleurde l'intrépidité. C'eft avec un benêt qu'une femme eft cruelle; Ec qui fait tout ofer, obtient tout de fa Belle. Vous avez cent raifons pour être audacieux. Primo, Monfieur, votreoncle arrivé dans ceslieux; Et le facheux pourrait, d'après mes conjeétures, Nous envoyer ailleurs chercher des aventures. C'eft le meilleur ami de notre vieux jaloux. Va l e r e. Et fa vive amitié ne peut rien contre nous. Très-difficilement on approche Madame, Et I'ami du mari ne 1'eft pas de la femme. Dans fon appartemenr je vais me cantonner. Sous ces habirs, d'ailleurs, peut il me deviner? Ai>rè? avoir trompé le foupgonneux Nicandre, A me voir démafquer je ne dois pas m'attendre. J'entends du bruit... on vient. Eloigne-toi,Frontin. Frontin. Oui, je vais me cacher au cabaret voifin.  C O M Ê D I E. n SCÈNE 71. NICANDRE VALERE. NiCANDRE, fans voir Valcrc. e maudit pays! que ne fuis-je en Efpagne! Je pourrais a mon gré gouverner ma compagne, Confier aux^verroux mon repos, mon honneur, Rire des vains efforts d'un jeune fuborneur: Mais on exige ici qu'un mari fok facile; Ec pour plaire au public, il fauc être imbécille. Oh! nous verrons, morbleu... Que faites-vous ia? Un Argus vigilant ne trotte pas ainfi. VALERE, embarrajfi. Mais... je cherche un ombrage épais & folitaire, Oü, conduire par moi loin des yeux du vulgaire, Votre époufe, docile a mes inftruftions, Combacce avec fuccès le feu des paflions, Des principes du cemps démêle 1'impofture, Et puife des lecons au fein de la nature. La paix qui regne ici, pénetre jul'qu'au coeur. La campagne eft, Monfieur, 1'afyle du bonheur, Et de ce calme heureux qui convienc a Madame. Ni candre. Ces jardins font peu faits pour une jeune femme. Cet endroit me parait fuffifammenc obfcur. Le plus prés de ma porte , eft toujours le plus fur. Rentrez, & gardez-vous de quitter Rofeïde. Valere. Vous ferez fatisfaic. A iv  8 1L FAUT CROIRE A SA FEMME, NlCANDRE. Mais... je vous crois timide. Valere. Point du tout. Nicandre. En public il faut de la douceur; Mais dans le tête-h-tête ayez de la vigueur. Valere. J'en aurai. Nicandre. Soyez fourde a fon touchant Iangage : E!le vous féduirait. On eft tendre a votre age. J'ai compofé pour vous un fage reglement: I! faut de point en point le fuivre aveugiément; Pour en faifir lpfpric, le relire fans cellè. ( Appercevam Léandre.) Allez endoftriner votre jeune maïtrefle. SCÈNE III. NICANDRE, LÉANDRE. Nicandre. Vous voila de retour? ( Léandre h falue. ) Approchez fans fac^m. léandre. Jé craignais de gêner... peut-être... Nicandre. Eh! Monfieur, non;  C O M Ê D I É. 9 Vous n'étiez pas de trop. J'indiquais a Finette Les moyens d'être un jour une Duegne parfaire. Je cache a tous les yeux mes foup§ons, ma frayeur, Et ce n'eft qu'a vous feul que j'ouvrirai mon cceur. léandre. Vous verrai-je toujours malheureux, intraitable, Empoifonner les jours d'une femme eftimable? Abjurez, croyez-moi, vos honteufes fureurs: On ne parvienc jamais a contraindre les cceurs. Nicandre, ironiqucment. Je devraisvj'en conviens, moins délicac, plus fage, Me livrer aux douceurs d'un nouveau manage; Etre aimé de ma femme a peu-près, & toujours Satisfait de la Belle, ainfi que des amours, Des maris complaifants étudier le code, Et grofllr Ie torrent des maris a la mode. Par tous nos jeunes gens je ferais révéré, De ma chafte moitié je ferais adoré. Cela ferait très-bien; oui, mais dans cette vie Ainfl que fes vertus, tout homme a fa manie: Je veux que ma moitié n'exifte que pour moi; Au défaut de l'amour, je regne par 1'effroi. Je ne me flatte point, je connais au contraire Des époux furannés le deltin ordinaire. Comment? lorfqu'a vingtans, avec de la douceur, Une taille parfaite, un efprit enchanteur, Un mari complaifant, libéral & fidele, Peut a peine fix mois plaire k fa Tourterelle; Vous prétendez, mon cher, qu'afoixante & quatre ans Je captive une femme a peine en fon printems! Quand fur nos fronts ridés le temps marqué fes traces, L'homme mort h l'amour dok rompre avec les graces. Je me fuis méconnu , j'ai formé ce lien. La vertu n'efl: qu'un nom dont je n'efyère rien; C'eft fous un joug de fer...  ïo 1L FAUT CROIRE A SA FEMME, léandre. Quel préjugé barbare! Connaiflez-vous les maux qu'un jaloux fe prépare ? Pafièr de la tendreflè a 1'inhumanité, Encourager fa femme a 1'infidélité, Rendre par fon malheur une faute excufable; Toujours plus malheureux & roujours plus coupable, Adorer fa vi&ime en lui percant le cceur, Couler fes triftes jours dans le fein de 1'horreur; Voila le vrai tableau... Nicandre. Quelle audace eft la vótre? Des Coquertes du fiecle êtes-vous donc 1'Apötre ? Vous êtes-vous flatté qu'en accufant 1'époux, Sa faule moicié s'enfljmmerait pour vous? Je fuis majeur, je crois. Quoi qu'on fa(Te & qu'oa dife Je n'écouterai rien, je veux vivre a ma guife. léandre. Mais I'ufage, Monfieur... Nicandre. Je méprife fes loix. Mon hymen m'a donné d'inconteftables droits; Je les ferai valoir. Que m'importent I'ufage Et ce? faibles maris qu'a leurs yeux on outrage? J'éviterai leur fort. Ma'gré les mceurs du temps, Vous verrez une femme ignorer les amants. Je fuis loin cependant de la foiie extréme De croire qu'un époux foit aimé pour lui-même. léandre. Croyez a la vertu. Nicandre. Mais il ferait plaifant  CO M*D I E. « D'infpirer a mon aa;e un pur attachemenc. Ma femme m'a juré... mais non... léandre. II fauc la croire. Dans un livre j'ai vu, fi j'ai bonne mémoire : Sous les loix de 1'hymen pour couler d'heureux jours, II fauc a fa moitié s'en rapporter toujours. Mais je ne concois rien a votre jaloufie; Souvent vous la portez jufqu'a la frénéfie; Etlorfque vous avez crié, juré, pefté, Vous êtes tout-a-coup d'une fécurké! Tendre avec Rofeïde , & changeant de langage... Nicandre. II faut la confoler du malheur d'être fage. Je fais trop que la femme affèz encline au mal, N'a pas un grand refpecl pour le nceud conjugal. Avare de bienfaits, 1'économe nature Joignit a fes attraits un grand goüt au parjure. La crainte étant toujours un pniiïanc correftif, Je fuis fouvent armé d'un air rébarbatif, Et par la, je fais croire a ma douce femelle, Que je fuis pénétrant, que je veille fur elle. La crainte d'un mari fait plus que la vertu. Peut-êire fans cela que touc ferait perdu. Un imbécille époux au deftin s'abandonne, Et croif que fa moitié dok être franche, bonne; Mais ce Sexe a toujours befoin de caution, Et la plus füre, ami, c'eft la précaution. léandre. Ce Sexe avec raifon décefte qui 1'opprime. Le bunheur des époux duit naïtre de 1'eftime. L'amour ne peut paraitre oü régne la douleur. Rofeïde déja rougit de la douceur Que vous feignez prés d'elle, & voic qu'elle eft fondée Sur tous les iürveillancs donc elle eft oblédée.  is 1L FAUT CROIRr A SA FEMME , Nicandre. Admirez avec moi les reflbrts plus qu'humains Qu'avec tanc de fuccès feronc jouer mes mains. Plus une jeune femme a d'actraits, de mérite, Et plus je crois qu'il faut éclaïrer fa conduite. La mienne eft dans le cas. Je voulais 1'épier, Et lui cacher les yeux qui la vont furveiller. II fallaicqu'en fa Duegne elle vit une amie, Riant & de mes foins & de ma bon-hommie ; Non de ces vieux lutins allant toujours grondant, Que devine d'abord & qu'évite un amant. Celle que j'ai choilie a toute fa jeuneflè , Certain air de bonté, qui vous cache une adrefie! De certains yeux frippons animés par l'amour, Certain air libertin & fage tour a-tour. On ne fait pas ainfi naitre de défiance. En elle les galants mettront leur confiance, La chargeront toujours de leurs tendres poulets; De fa maicrefïè ainfi je faurai les fecrets, Comme dans un miroir, je lirai dans fon ame. Fiuette partageant les chagrins de ma femme, Et cachant fes defieins fous un mafque flaneur, Trouvera fans eöbrt le chemin de fon cceur. léandre. Par ce lüche artifice une femme cruelle Aggravera les maux d'une époufe fidelle. Je ne vous concois plus. N'aviez-vous pas promis, Que te jour qu'en fon lic on vous verrait admis, Srrak marqué du fceau de votre complaifance; Er. que, tout pénétré de votre infuffifance, Vous deviez a jamais refpeétant votre choix, Ne penfer que par elle & recevoir fes loix ? Nicandre. Ce font contes en Pair qu'on fait a fes maicrefles.  C O M É D I E. 13 L'hymen anéantic de femblables promefles. Selon ce que m'a dit un célebre Dofteur, Ma femme eft ma fervante, & je fuis fon Seigneur. ( II falue Lèandrt, & rentre che{ lui. Léandre le fuic, & Nicandre lui fait une atttre révérence d fa porte, & la ferme.} SCÈNE IV. "LÉANDRE, feut. uelle fatalité femble régir ce monde! D. noeuds ainfi formés eet univers abonde. Le fordide intérêt enchaïne la beauté, Le vieillard foupconneux craint fa fragilité. I! veille nuit & jour; mais l'amour qu'il offenfe, En dépic de fes foins eft fur de fa vengeance. II guide les amants au feu de fon flimbeau , Sur les yeux de Pépouxil place fon bandeau, Et Pon voit tous les jours le ftupide hyménée, D'une foule d'amis carefièr la ligoée... Dans fa prévention , Nicandre eft affirmi. II me croira biencöc un fecret ennemi, Qui nourriflant dans Pombre une fecrete flamme Dois mettre mon bonheur a féduire fa femme; Et pour nuire d'avance a mes tendres projets, De fon appartement il m'interdit Paccès. Ma fincère amitié veut que je le délivre Da ridicule affreux fous.lequel il va vivre. On peur. en faire encore un eftimable époux; La raifon, quelquefois , ramène les jaloux.  H IL FAUT CROIRE A SA FEMME, SCÈNE V. ROSEIDE, VALERE. R o s e ï d e. T Je fuis a ta conduite a peine abandonnée, *