L A VALISE DECOÜSUE.   L A VALISE DECOUSUE, O u RECUEIL De Lettres de différentes Per/onnes , pour fervir d l'Hifloire des ÏNSURRECTIONS de France, de Liége & des Pays-Bas. Je ris de ces Peuples avilis qui, fe laiffant ameuter par des Ligueursj ofent parler de Liberté, fans même en avoir l'ide'e) & le coeur plein de tous les vicesdes Efclaves, s'imaginentquepour être Libres, il fuffit d'ètre mutins. Sf. ff. ROUSSEA U, Coufid. fur /$ Gouv. de Palogne, SECONDE P A R T I E. t i A FRANCFORT, & fe trouve k Maefrricht', chez Cavelier, Libraire, 1 7 9 0.   Let t re XIX. De M. ïr*, d M. DE VlLLEBON, Rédatleur de la Gazette de Bruxelles, d Bruxclles. De Neuwied, 15 Janv. 1790. Vous favez, Monfieur Sc cher Confrère, que je fuis, depuis long-tcmps, en correfpondance avec les Habitans des Champs Elyfiens. Dans le dernicr paquet que j'ai recu de ce Pays, qu'on die fort agréable, j'ai trouvé une Lettrc de la feue Impératrice-Reine, furies affaires actuelles des Pays-Bas. Cette Lettre m'ayant jparri mieux convenir a votre Gazette qu'A la mienne, je me détermine a vous 1'envoyer. Pour peu que vous yous intéreffiez au fort  ( 6 ) de vos Concitoyens, vous ne ferez póint difficulté de la publier. Mais je crains bien que vous n'en foyez empcché par les Défenfeurs de la Liberté. Ils veulent que la Preflè foit libre , mais feulement pour propager leurs opinions , pour déclamer contrc les Princes, & non pour refuter les menfonges & les calomnies qu'on débire contrc eux & contre leurs Mini'Ctres* Les Patriotes de France, de Liege &c dc Brabant, font comme les Philofophes modernes, qui prechoient la tolérance pour être tolérés, & qui ne pouvoient tolérer ceux qui ccrivoient contre leurs Syftêmes. Lc Rédacteur de la Gazette de Liege a qui j'avois adrefle, au commencement de cette année, la Réfutation d'un rnenfonge odieux qu'il avoit public contre fon Souverain, me répondit que ce men-  ( 7 ) fonge n'étoit pas une erreur de fa part; que Partiele lui avoit écé fourni par un des Bourg-Meftres ; & que s'il s'avifoit d'ei* admetcre la Réfutation dans fa Feuille , il perdroit non - feulement le Privilege de la rédiger , mais qu'il courroit rifque d'ètre affommé par les Patriotes , Protecteur de la Liberté. Il faut convenir, mort cher Confrère, que le monde eft fort mal inftruit des événemens contemporains» & qu'il n'y a gueres que les Acteurs qut en connoiüent la vérité. C'eft pour ne pas m'expofer a mentir, comme tous nos Confrères les Gaeettiers, que j'ai ctabli mes correfpondances Gazettieres dans 1'autre monde. Adieu, mon cher Confrère. Mes compli- ' mens, je vous prie, a votre Ami M. Quoiltn, & recommandez-lui plus de vigilance dans  ( 8 ) la diftribution des Gazettes. Plufieurs de mes Abonnés fe plaignent de ce qu'ils n'ont pas recu quelques Nos de mes FeuiHes, Je fuis pourtant trcs-attentif i en envoyer a fon Bureau Ia quancité fuffifante. Vale iterum & me obfequentijftmum tx'tfijma. LETTRE  ( 9 ) Lettre XX. De Marie-Therese , Impératrice-Reïne de Hongrie, d la Nation Belgique. Des Champs Elyfe'es, 6 Janvi 1790; Cjenereux Habitans des fertiles Provinces des Pays-Bas, vous qui m'avez chériffi fi tendrement, & comblée de tant de dons gratuits, m'auriez-vous deja oubliée ? Et fï vous vous fouvencz encore de vgtre amour, de vos bienfaits & des Vertus qui me les ont attirés, d'oiï vient vous ctes-vous conduks comme fi vous en aviez totalemeae perdu le fouvenir ? Doux Brabanjons ,', braves Flamands* quel mauvais Génie a pu corrompre votre B  ( io ) raifon & renverfer vos tètes raffifes > au point de vous faire renoncer a la Domination des Princes de mon Sang, au point de vous déchainer comme des Furieux contre tout ce qui leur rcfte encore attaché ? Si, en m'arrachant a mesSujets, la mort m'a fait perdre leur amour, elie ne leur a point ravi le mien. Vous m'étiez chers quand je Régnois fur Vous, vous me 1'êtes encore dans les Champs Elyfiens, & c'eft' pour vous donner une preuve de eet amour, que je me fiiis déterminée a vous communiqüer les Obfervations que j'ai faites fur votre pofition aóluclle. Si elles vous font utiles, j'aurai rempli mon objet,puifqu'elles ne m'ont cté infpirées que par le deur de votre félicité. Une Nation bonne & fcnfible peut fe livrer a des écarts; mais pour Fèn gucrir, il fuffit quelquefois de  •( II ) • lui en montrer les conféquences, & c'cft a quoi je prétends me bomer. Vous avez donc brifé les Hens qui vous aiTujettiubient a 1'Autorité, auffi ancienne que légitime, de la Maifon d'Autriche, &c vous vous ctes dèclarés librcs & indcpcndans! Si c'eft.dans 1'efpoir d'être plus Heureux, vous ne tarderez pas d'être. défabufés. Après avoir corrompu une partie des Troupes Autrichiennes, en avoir bami, ou plutot aflaffiné un grand nombre, & avoir forcé de s'éloigner celles qui Tont rcnées fidclcs au Souverain , bientót tournant contre vous-mêmcs 1'efpèce de rage qui vous anime , vous vous déchirerez les uns les autres , & ne parviendrez jamais a confolidcr votre Indépendance. Bientót le Pcuple, ouvrant les yeux fur les vrais motifs qui ont fait agir vos Prêtres, réclamcra B 2  ( 12 ) contre le Pouvoir que les Etats fe font arroeés; Van-der-Noot lui-même deviendra un objet d'horreur a Ceux qui ont le plus applaudi a fes machiuadons tiaitreifës; enfin, tous vos efforts criminels n'auront abouti qua vous rendre pauvres Sc malheureux. Dépouillez-vous un moment, s'il vous eft poffible, de tout efprit de prévention, cV: examinez de fang-froid les moyens par lefquels on eft parvenu a vous foulever contre votre Souverain. Vous verrez que la défenfe de vos Privileges n'a étc que le prétexte, dont les Mal-intentionnés fe font fervis pour vous porter a feconder leurs re(T ceux qui t'ont conduite dans le précipice oü tu t'agites d'une maniere a la fois cruclle & ridicule; ils ont beau fe démener, ils rentreront avec toi fous la Domination dont ils ont brifé le jong, & tu feras la première a les punir de leur témérité. Oui, quand le malheur 8c la néceffité auront diffipc le preftige qui t'égare, tu maudiras les Moteurs & les piïncipaux Agens de ton Infurredion , & tu t'emprefferas dc conduite  ( 17 ) eonduire le glaive vengeur de la Juftice fur leurs têtes crimüielles. Qukonque a ofé troubler par fes intrigues la félicité publique, quelque rang qu'il oecupe i doit être abandonné a la fcvérité des Loix'. Souffriras - tu qu'on laiffc impunis un Van-der-Noct , aujourd'liui l'objst de- tes hommages, autrefois celui de ta hainc, dans tous les temps celui du mépris des Geus fenfés , échappé ï la Prifon , mais jamais a finfamie? Un Lingitèt, Avocat des mauvaifes Cau~ fes, chaffé du Barreau de Paris, banni d« France & de 1'Angleterre , méchant par CRradere, pervers par principes, vain & menteur a l'extrême, & mordant, pour de 1'argenf, fes Amis & fes Bienfaiteurs ? Un Vonch, Avocat fans Caufe, & qui» n'ayant d'autrc talent que celui d'intnC  t m ) guer, s'eft fait Chef de Parti pour jouer un Róle? Un Van-Eupen qui, fous le mafque de la piété, cache 1'ame la plus ambitieufe & la plus fcclérate? Un IValkiers qui, pour conferver une grande fortune qu'il doit a ma Maifon, s'eft montré un des premiers Cabaleurs contre le Gouvernement, dans le temps même qu'il étoit fon Stipendiaire, efprit mediocre, cceur debauché , mauvais Mari, Amant crapuleux , & dont toute la morale fe réduit a tout facrificr a fes goüts ? . Un Marmol qui n'a crié contre le Dek potifme, que pour parvenir a 1'exercer lui-même d'une maniere aullï lache que cruelle ? Les Abbcs de Tongerle & de St.Btrnard,  ( 19 ) dont la bêtife & l'ignorance égalent la luxure, Sc qui n'ont foudoyé vos premiers Miliciens, que dans 1'efpoir de fe faire rendre au ccntuple 1'argent qu'il ont depenfé pour fomenter la Rébellion ? Un Cardinal - Archevêque de Malines que j'ai tiré de la plus profonde mifere, inftrument docile du fanatifme & de la fuperftkion, mal entouré, mal conduit, qui n'a jamais fenti la dignité convenable a fes dignités, & en qui l'ignorance eft fi naturelle, qu'elle échappe a fes propres rcflexions? &C. &c. &c. Non , Beiges , quand vous ferez plus calmes , Sc que la raifon aura repris fon Empire fur vos têtes vertigineufes, vous ne fouffrirez pas que les principaux Auteurs de vos égaremens échappent a votre juftc yengeance, Ils ont caufé vos mal- C 2  ( 20 ) hcnrs, il faut qu'ils en foient punis, pour 1'exernple dc vos enfans. J'ai lu dans lc Livre des Deftinées, 5c je vous e;i fais part pour la confolation de ceux d'entre vous qui font reftés fidcles a leur Souverain, j'ai lü que tous les efforts de la Pruffe, de la Hollande & de PAngleterre fèront impuiffaus pour vous fouftraire a la Domination Autrichienne, & que vous y rentrerez, fous peu de temps. S'il vous refle une lueur de raifon , vous n'attendrcz pas que la force vous ramene a votre devoir; vous préviendrcz les nouveaux malheurs qui vous menacent. Il eft temps encore de détourner les maux d'une guerre, incvitable, fi vous perfiftcz dans votre Rebellion ; il eft temps de profiter des offres qui vous font fakes par le Miniftre dc la Cour Impériale, chargé de  ( 21 ) plsins pouvoirs. Vous n'héfitercz point a. prendre ce parti, fi vous daignez refléchir que 1'indépendance ne vous rendroit pas plus hcureux , quand vous reuffiriez a Pétablir fur des bafes folides- Lespeths Etats, commc L'a dit Mentefquieu, font comme des ballons, que les Miniftres des grands Etats Je renvsicnt réciproquement felon qn il leur pint. Pour peu que vous entendiez vos intéréts , vous cefferez de vous occuper, d'aillcurs inutikment, des moycns de vous placer au rang de ces ballons politiques. L'exemple de 1'Etat Liégeois, que vous avez fous les yeux, doit vous faire fentir les inconvéniens des petics Etats. Et Vous, Miniftres d'une Religion qui vous commande la foumiffion Sc 1'humiIké, n'ouvrirez - vous pas enfin les yens. fur les dangers qui vous menacent de tous  ( 22 ) cótés ? Ecoutez la voix de la Railon qui vous crie que fi le Peuple domme, vous ferez bientót réduits au fort des Eccléfiaftiques de France, &c que fi les Etats ont la prépondérance, vous ne tarderez pas a devenir la proie de la première Puiflancc victorieufe. Croyez-en une Princeffë qui ne cefia point d'avoir a cceur la gloire de la Religion & les interets de fes Miniftres. Hatez-vous de donner aux Beiges l'exemple de la foumiffion & du repentir , & vous precipitant aux pieds de ce Tróne qu'il n'a pas dépendu de vous de renverfer, dites a 1'Empereur Roi ce que 1'auteur de la Vénté Vengée vous confeilloit de lui dire le 20 Octobre dernier : Sire, pardonnez-nous d'avoir fi long„ temps réfifté a vosVolontés Souveraines, „ d'avoir abufé de la Sainteté de nos Fonc-  ( 23 ) , tions, pour égarer un Peuple bon, mais » crédule. Trompés nous-mêmcs par quel„ ques Efprits rufés & mal-intentionnés, „ nous avons cru la Religion intércflee a „ 1'afFoibliirement de votre Autorité , & „ cette erreur nous a livrés au démon de „ la haine & de la vengeance. Rappellés „ a la raifon , par les malheurs de tout „ genre qui déchirent la France & 1'Etac „ de Liege; plus éclairés fur nos Devoirs, „ fur vos Droits & fur la Bienfaifance de „ vos Vues , nous reconnoiflons aujour„ d'hui la plénitude dc votre Puiffance „ Royale ; nous rougiffons de 1'cxcès dc „ notre aveuglement, & nous Supplions „ Votre Majefté d'oubüer les égaremens „ qui cn ont été la fuitc. Nos biens, nos „ poffeffions, notre vie, tout eft a votre „ difpofition; nos cceurs vous en renou-  ( H ) „ Yellent 1'hommage : mais, Sire , vous „ êtcs le Pere auflï-bien que le Roi dc j, vos Sujets; leur bonheur eft nécefiairs 3, au votre : nous efpcrcns donc que, tou„ chée de notre repentir & de nos larmcs, „ Votre Majefté n'écoutera' que la Magna„ nimité 'jui lui eft naturelle , 8c que , „ dans les punitions deftinées a fes Sujets „ Rebelles, Elle voudra bien avoir com„ paiïion d'un Clergé plus ftupide que mé„ chant, plus aveuglé que corrompu. » LETTRE  ( ^ ) Lettre XXI. De M. l'Abbé £■*■** de C**, d M. l'Abbé Ch* *, Bibliothécaire de S. M. I. 0 B*** Aix-la-Chapelle, 19 Janv. 1790. S1 j'étois Ovide Sc que vous fuffiez Mé~ chie, ou fi j'étois Mechie Sc que vous fuffiez Ovide, je recevrois avec un nouveau plaifir , Monfieur l'Abbé , le titrc d'Ami que vous voulez bien me donner; mais la Fortune & les Mufes ne m'ont fait ni 1'un ni 1'autre. Je ne fuis que très-fimplement l'Abbé S*** de C**. Ce titre n'annoncc, pas une grande Magnificence ni un grand mérite; mais quelque foit mon Etat Civil Sc Littéraire , je peux , en depit des ri- ü  ( 26 ) clieffes 5c des talens, me piquer d'avoir da fentimcr.t & même des fentimens. Je pronte de eet avantage , Monfieur l'Abbé, pour vous renouveller 1'affurance de mon attachement. Ovide auquel vous me comparcz , pour quelques mauvais vers échappés a mon cccur, vous 1'auroit mieux dit fans doute, mais il ne 1'auroit pas mieux fenti. Je me fiatte que vous voudrez bien ne faire aucunc attention a 1'accefToire , pour ne vous attachcr qu'au fond. Je chcrirai toujours le fouvenir de votre connoinancc, & n'oublicrai jamais avec qu'elle bonté vous m'avez communiqué les trélors fcientiliques confiés a votre Garde. M. le Comte de Trauttmanfdorff eft toujours iciavec toute fa Familie, & compte y paiTer encore plufieurs femaines, pour dennor a Madame la Comtcfle le temps  ■ ( 27 ; de fe rétablir parfaitement. Je le vois affez fouvent & il nc fe laffe pas d'avoir des boncés pour moi. L'efprk & 1'amabilité que vous lui connoiffez, font les moindres des qualilés qui m'attachent a lui. Il eft pattri de nobles fentimens & de bons principes. C'eft un véritable Homnïe-d'Etat; il voit vite & jufte , penfè par luimême5 agit par fa volonté & ne fe détermine que par la Raifon. Il n'y a que des Efprits vulgaires qui jugent des Hommes cn Place par les Evér.emens, &: fur-tout par une Révolution que la Sageffe la plus confomméc ne pouvoit empecher, fans la forre. Puifque vous raffcmblez des matériaux pour fervir a 1'Hiftoire de ce:te ctrange Révolution , je dois vous rendre compted'une Converfation que j'eus avanthier avec cette Exceilence, Elle ctoit au D 2  ( 28 ) milieu d'uta tas de papiers, lörfque fon Valet - de - chambre m'ouvrit la porte de fon cabinet : je ne veux pas vous interrompre, Monfieur le Comte , hu' dis-je, en faifant mine de me retirer, je reviendrai dans un moment plus opportun. Non, M. l'Abbé, me répondit-il, vous arrivez toujours a propos, paree que je fuis toujours charmé de vous voir. Des papiers ne doivent point effrayer un Homme dc Lettres. Il eft vrai que ceux-ci feroient un champ trop aride pour votre efprit habitué a fe nourrir d'objets plus agréables, que dcsRapports d'affaires Politiques ou d'Adminiftration; mais enfin c'eft mon métier, & s'il a fes épines , il a auffi fes fieurs. Croiricz-vous que depuis que je fuis rcdevenu libre & que je pourrois me livrer a la difliparion , je n'ai pas de plus grand  ( *9 ) piaifir , que de mèttxe en ordre mes papiers & de me rendre compte a moimême de ce que j'ai ccric durant mon Minïftere, Le tendre attachement que j'ai voué & que je dois a tant de ticres a mon Maïtre, me rend comme perfonnelle la perte qu'il vient de faire d'une des plus belles Provinces de fa Monarchie, & c'eft en relifant ces Ecrits que je chcrche a calmer la douleur que cette perte me caufe. Si je n'ai pu détourner les événemens qui ont amené cette étrange Révolution , j'ai du moins , la confolation de pouvoir dire qi;e c'eft contre mon gré qu'on a commis les aótes de violence & de defpotifme qui ont fervi de prétexte aux Révolutionnaires. Tenez, ajouta-t-il, voila le Rapport que je fis a 1'Empereur le 20 Juin, aprcs la Caflation des Etats. En voici un autre du  ( 30 )' 2 Aoüt, 011 je lui parlois du principe d'après lequel il me fembloit qu'il convenoit d'agir. Celui que je lui adrelFai le 19 Novembre , vous prouvera mon courage a lui dire la vérké. MM, de Lannoi, de Duras, de Colcma , de Spangen & de Prud'bcmme d'Aillj , fe trouvant chez moi^, au fortir -de leur détention, & parlant de 1'oppreffion qu'éprouvok la Nation, je crus devoir leur lire quelques morceaux de cette Dépêche , pour leur prouver combicn je m'élevois contre toute efpece de violcnce. Enfin , mon cher Abbé, je pourrois défier la haine la plus envénimée de trouver, fok dans mes Rapports, fok dans mes Lettres particulieres ai'Empereur, une feulephrafe qui contrarie le fyftême de modération & de douceur dont j'avois établi la néceffité dans ma Dépêche du 2 Aoüt, fyftcme de  ( 3i ) la bonté duquel je fuis fi convaincu, que je le fuivrois encore , fi je me retrouvois dans les mêmes circonfiances* Divers morceaux de plufieurs de ces Rapports qu'il m'a lus, font venus a 1'appuide fon aifertion. De vous rendre compte de mes Obfervations fur ces Morceaux, & fur le Syftême de Ion Excellence, ce n'eft pas ce dont il s'agir, car vous verriez que, tout en admirant fon efprit dc modération , je ne lui ai pas diffimulé qu'i fa place , j'aurois employé la févérké , fans pourcant jamais m'écarter des formes preficrites par les Loix. Mais comme mon unique but eft de vous mettre au fait de la conduite qu'il a tenue a 1'égard de la Nation confiée a fon Gouvernement , je me bornerai a ce qui le concerne uniquemênt. Je defirerois pouvoir vous rendre  ( 32 ) dans leur entier les différens palfages de fes Dépêches auffi intérefTans par leur tournure, que par Ie fond ; mais ce qu'une lefture rapide m'a permis d'en retenir fuffira pour vous en donner une jufte idéé, & pour vous convaincre de Fimpofture, de la mauvaife-foi, de la méchanceté de 1'exécrable Linguet. Dans la Dépêche du 20 Juin , M, le Comte de Trauttmanfdorff manifefte a S. M. 1'Empereur-Roi fes regrets d'avoir etc obligé d'en venir a l'acT:e violent du 18 , par Pobfcination des Etats a s'interdire toute démarche qui eut pu fervir de prétexe pour mitiger ou difFérer 1'exécution des réfohuions qu'on avoit prifes a eet écard. Toujours fidele A fon principe fon Excellcnce , dans fa Dépêche du 2 Aout, dcvcloppe  ( 33 ) développCj avec une fagefie 8c une prccifion adrnirablej les motifs qu'elle ayoir, pour engager S. M. a ufer de bonté 8c de clémence ,|plutöt que d'employer la force 8c la févcrité; ce n'cft pas, difoit-il, qu'il ne faille montrer de la fermeté dans les Réfolutions, pour óter aux mal-Intention» nés tout efpoir de fuccès dans leurs tentaüvesmais la violence qu'on confond fi facilementavec la fermeté , n'eft proprequ'a ■ irriter les efprits 8c a redoubler le défordre. Celle des Dépêches qui m'a le plus intcreffé, & que j'ai le mieux retenue, eft celle du 19 Novembre, M. le Comte de Trauttmanfdorff y débute par ces propres mots : " Nous nous trouvons dans un mo3, ment fi important & fi décifif, qu'il y s, auroit une forte de trahifon a difiïmuler 3» & a craindre de déplaire On ne  ( 34 ) 5> réuffira point a détourncr 1'orage qui „ nienace le Gouvernement , fi 1'on nc „ s'emprcffe de lever la principale caufe „ du mal. Il eft temps que je la dévoile „ k Votre Majeste' ; je me fuis borné, „ jufqu'a prcfent, i en gémir en filence, „ mais il n'y a plus moyen de diffimu„ Ier que, fous prétexte d'étages a prendre „ ou de complots a diffoudrc, on procédé „ contre les Sujets de V o t r e Ma j e s t e' , „ avec une violence & une injuftice qui „ mettent la Nation au défefpoir, & ame„ neront infailliblement une révolte gé„ nérale. „ Une partie de 1'émigration vient de „ cette caufe. Tout le monde s'enfuit , „ dans la crainte d'être arrêté, paree que „ tout le monde eft expofé a 1'être , &c ,! avec 1'appareil le plus revoltant, Quand  ( 35 ) „ le fort tombe fur quclque innocent , en „ en eft quitte pour dire qu'on s'eft mé„ pris ou qu'on a été mal informé. On „ n'obfèrve plus aucune forme > & quoi„ que tout cela fe faffe par le Gouverne„ ment Militaire, on ne laiffe pas d'en rc„ jetter la faute fur le Gouvernement Civil „ qui, par ce moyen, partage tout 1'odieux „ de cette conduite. „ Il n'y a qu'un cri a eet égard, même „ dans les Provinces, & je fouffre telle„ ment de ces vexations, que j'ofe dire a „ Vo tre Majes te' que, fi jen'étois pas „ ici par Devoir, rien au monde ne pourroit „ m'engager a refter un quart-d'heure dans un Pays oü tout Citoyen court rifque, „ a chaque inftant , d'être enlevé du fein „ de fa Familie. Je ne crois pas qu'il exifte „ aujourd'hui, en Europe, de Payi oü les E 2  ( 36 ) » Droics de Sureté, de Liberté & de Pro„ priétéj foient moins refpectcs que dans „ celui-ci , quoique Votre Majeste' ait s, fpécialement & folemnellement promis 3, de les défendre. >, Son Excellence terminoit cette Tirade par ces propres mots : J'ai parlél Quels qu'en foient les j'ruits, je ne men repentirai jamais , paree que fat fait mon devoir. Mon feul regret efi de n'avoir pas parlé flutót. D'après 1'opinion fi répandue de la févérité, pour ne pas dire de la dureté , de l'Empereur,il étoit naturel de defirer d'être inftruitde quelle maniere il avoit répondu aux Obfervations courageufes de fon Miniftre. A pcine S. E. fe fut-elle appercue de ma curiofité i eet égard que , pour m'épargner une demande indifcrete " les  ( 37 ) „ Lettres de S. M. font, me dit-elle, un „ depót facre que je ne me permettrai „ jamais de violer en aucun cas; qu'il vous „ fuffife de favoir, ajouta M. de Trautt„ manfdorff, que, dans fa Réponfé, S. M, té,> moignoit le plus vif regret de n'avoir „ pas fu ni pu imaginer ce qui étoit ar„ rivé, & qu'Elle approuvoit pleinement „ les principes cnoncés dans mon Rap„ port du 2 Aoüt. „ D'oü vient donc , lui dis-je, que 1'Empereur n'a point empêché d'employer la force & la violence? „ Les Princes font fort i plaindre , me „ rcpliqua-t-il. S'ils pouvoient voir tout n par eux-mêmes, ils ne feroient point de „ fautes; mais, obliges de s'en rapporter n fur bien des chofes a leurs Miniftrcs, ils errent , quelquc juftes & eclairés », qu'ils foient, quand on leur préfentc les.  ( 38 ) „ objets fous un faux jour. Je puis vous „ aiTurer, mon cher Abbé, que 1'Empereur „ eft Bon & même Débonnaire •, qu'il aime » fes Sujets, comme un Pere fes Enfans; „ & que c'eft par une fuite de eet amour, „ qu'il s'eft quelquefois montré févere dans la punition des délits. Un Prince clc„ ment pour les coupables, eft cruel pour „ la Société. Un ancien difoit que c'eft „ perdre les bons , que de pardonner aux „ mechans. Le Souverain vraiment bon eft „ celui qui eft bon pour touf fon Peuple, s, & c'eft-la cc qui cara&érife la bonté de „ 1'Empereur. Si ce Prince s'eft quelquefois „ montré févere a 1'égard de fes Sujets des * Pays-Bas, foyez fur, qu'il en coutoit & „ fon cosur & qu'il n'agifloit que dans „ des vues favorables au bonheur de la „ Nation. C'eft le bien général qu'il a ton-:  ( 39 ) „ jours en vue , &c fon coup-d'a:il eft fi ,, jufte, que fi S. M. n'a pas toujours fait le „ bien, ce n'eft pas fa faute, mais la faute de „ ceux qui > par défaut de lumieres ou de „ mauvaife volonté, lui ont mal expofél'c,t tat des chofes. Ainfi croyez que c'eft „ contre fon vceu & fes principes, que le „ Militaire a agi d'une maniere defpotique „ a 1'égard de fes Sujets Brabancons. La „ certitude que j'en avois me d'ctermina, „ mais trop tard fans doute, de prendre „ fur moi, dans la Dédaration du zo No„ vembre, de mettre fin a tous ces Acles „ d'un pouvoir arbitraire qui avoient fi s, fort aigri les Efprits, même contre le „ Gouvernement Civil. „ L'occafion de m'infti'uire de la vérité de quelques détails , fur lefquels le Public varioit fans ceflè., étoit trop belle , pour  ( 40 ) n'cn pas profker. La Déclaration du zo Novembre qu'il venoic de mentionner m'engagea ï lui parler de celles qui la fuivirent de fi prés. J'étois bien-aife d'apprendre s'il atoit étc fpécialement autorifc a rendre aux Beiges leur ancienne Conftitution &, dans ce cas, les raifons qui 1'avoient détourné defeprêter plutöt a ces Conceffions capables de prévenir les défordrcs qui font arrivés. „ Je fais, me répondit-il, quon a ré„ pandu bien des bruits & débitc beau„ coup de menfonges a ce fujet; mais „ vous allez favoir la vérité. „ Je n'avois aucun plein-pouvoir pour 5) ces Conceffions 5 mais dans la crife oü „ nous nous trouvions, mon zele pour „ 1'Etat m'a déterminé i les prendre fur » moi. 11 s'aguToit de fauver le Pays, Sc il  ( 4i ) j, il n'y avoit pas moyen d'attcnJre des „ Ordres de Viennc. Ce que je n'aurois 3) pas ofé dans d'autres circonftances , j'ai „ cru devoir I'exccuter dans !e cas extréme » oü nous nous trouviöns , me rendanc „ dailleurs refponfable de routes les Dc„ clarations publiées & ce fiijet. Si elles n'ont pas empêché la Révolution, elles „ 1'ont fans doute rendue moins cruelle, m en amortiffant la fureur des efprits , „ qu'une plus longue rcfiftance aux defïrs de la Nation, n'auroit fait que redou„ bier. C'ctoit un torrent qu'il n'y avoit 5> pas moyen d'arrèter, qu'il eüt cté im„ prudent de braver & auquel il falloit « tracer un lit pour le rendre moins dan„ gereux ; & c'eft ce que j'ai fait par les „ Declarations. Vous êtes trop éclairé pour „ que j'aie befoin de vous obferver que F  ( 4* ) dans des circonftances moins urgentes, „ je n'aurois pu prendre fur moi de publier, „ au nom de S. M. de pareilles Déclara„ tions. D'aillcurs. vous n'ignorcz pas que „ 1'Empereur fepropofokde donncr, a fes „ Peuples des Pays-Bas, une nouvelle Conf.. titution. Ellc cioic annoncce dans 1'Edit % de caflation du 18 Juin. dom les Difpo„ fitions n'étoient que provifoires. Jc fais qu'on ma blamé de n'avoir pas donnc „ cette Conftkution avant les troubles ■, „ mais quel Efprk judicieux peut ignorer „ qu'une Conftkution qui, en confervant „ 1'efprk de 1'ancicnne, devoit être com„ mune a toutes les Provinccs Belgiques, „ n'étoit pas 1'ouvragc d'un jour? Pour en „ faciliter & en hater le travail , j'avois „ établi une efpece de Jointe ; mais les „ affaires de France ayant exalté les Têtcs  ( 43 ) „ Brabanconnes, il nc fe paffait pas de „ jour que je ne recuffe des Mémoires qui „ rendoient ce rravail tous les jours plus „ difficile, par la diverfité des Prétcntions. „ Les uns vouloient qu'on adoptat le SyC„ tême Francois, les autres le Syftême An„ glois, quelques-uns auroient defiré qu'on „ donnat au Prince une Autorité abfolue, „ en un mot , il falloit du temps pour „ former une Conftitution qui fut con„ forme au vceu général de la Nation, fi 1'on ne vouloit s'expofer a de nouveaux 3, embarras. Sur ces entrefaites les Efprits échauffés „ par les Papiers Francois , fufcitcrent des „ attroupemens, des émeutes qui amene„ rent les cataftrophes de Tirlemont, de .„ Dieft & de Louvain. Ces cataftrophes cau„ ierent des mccontentemcns , des cmiF 2  ( 44 ) „ grations & des complots, qui, fervirent „ de prétexte aux violences & aux vexa„ tions fans nombre, exercées par Ie Gou„ vernemenc Militaire. Vous fentez qu'il ne „ falloit rien moins que ces injuftes traitejj mens, pour achever d'aliéner lesEfprits, „ &c pour rendre inutilcs les moyens de „ faire adopter au plus grand nombre la 3, Conftkution projettée. » Jugez, d'après ces détails » mon cher Abbé, combien on doit ajouter peu de foi a ce qu'on débite dans le monde fur „ la conduite du Gouvernement Civil. Ju~ », gez s'il étoit poffible de tenter de nou3, velles négociations pour ramener des „ cceurs fi ulcérés, & s'il eut étc fage d'em„ ployer, pour les foumettre, le peu de forces qui nous reftoient. Qiiand Ie ca„ raótere d'un Peuple a été altéré par une  ( 45 ) „ fucceflïon non interrompue d'Ecrits fï„ dkieux, ce n'eft ni par des promeffés ni „ par des violences qu'on peut le ramener a fes anciens principes. Si quelque chofe s, pouvok cahner les Beiges & les rappel„ Ier a la foumiffion, c'étoit de leur ac„ corder touces leurs demandes, 8c c'eft „ le parti que j'ai pris. S'il n'a pas eu tout a, le fuccès que j'avois lieu d'en efpérer, « il n'a pas laiffé que d'opérer un grand bien en arFoibliilant les préventions & „ lcshaines contre le Gouvernement, & en otant aux mal-intentionnés tout prétexte „ de Rébellion. Soyez fur, mon cher Abbé, j, qu'ils ne tarderont pas de fe repentir d'a„ voir rejetté ces Conceffions, dans 1'efpoir „ de fe rendre indépendans 8c de fe gou„ verner eux-mêmcs. „ Je n'en doute pas, Monfieur le Comte;  ( 46 ) je fuis même perfuadé qu'après s'être entredéchirés les uns les autres , ils finiront par fe rallier au tour du Tróne Autrichicn, Sc qu'ils s'eftimeront trop heureux de pouvoir rentrer fous fa Domination. Je ne fuis pas, ai-je ajouté, du nombre de ceux qui ont défapprouvé la facllitc avec laquelle vous avez rétabli les chofes fur 1'ancien pied. Les circonftances exigeoient ce facrince. Il n'en eft point qu'on ne doive hazarder pour confcrver une Nation difpofée a changer de Gouvernement. Mais n'a-t-on pas quelque raifon de vous rcprocher de vous étre enfuite relaché fur d'autres objets, qu'on re^arde comrne la caufe des derniers malhcurs ? Je vous avoue, par exemple, que je n'ai pas été peu furpris moi-mème d'apprendre que vous aviez fait reftituer les armes a des Citoyens qui, le lendemain,  ( 47 ) les ont tournees contre vous, & d'apprendre auffi que c'étoit par vos ordres qu'on a comblé les fofles de Bruxelles & détruit des fortifications qui vous mettoient en état de r-élifter plufieurs mois aux efforts des Rebelles. Je ne dois pas non plus vous diffimuler que j'ai entendu blamer dans Ie monde 1'Armiftice que vous avez conclue avec le Commandant des Rebelles, paree que vous deviez , dit-on, yous attendre qu'on en abuferoit pour vous combattre avec de nouvelles forces. „ Vous parlez-la, mon cher Abbé, m'a „ répondu le Miniftre, le langage du Pu„ blic mal inftruit des circonftances. Outre „ que je ne fuis refponfable de rien de cc „ qui concerne la partie Militaire, abfolu„ ment féparée & indépendante du Civil, „ apprenez que les areses enkyées aux  ( 48 ) „ Bourgeois ne leur ont point etc rendues» „ On a feulement reftituc quelques fufils „ a certaiiies Perfonnes de dtflinclion qui „ les réclamoient avec d'autant plus dc „ raifon , que ces fufils, la plupart d'un „ grand prix, étoient une propriété qu'on „ auroit dü reipe&cr & dont aucune de „ ces Perfonnes n'étoit capable d'abufer. „ Quant au comblement des folfcs, il „ eft bon que vous fachiez que j'ai tou„ jours regardé comme inutiles Sc même „ comme nuifibles, les précautions qu'on „ a prifes pour fortifier Bruxelles. Ces „ foffés , ces chevaux de Frife établis dans „ les rues, au fcin de la Ville, devant les „ boutiques ne fervoient, d'un cóté, qu'A „ aigrir les Efprits, & de 1'autre, qu'a mon„ trer de la crainte Sc de la detreffe. D'ail„ leurs, le Militaire, a cette époque, avoit réfolu  ( 49 ) réfolu Sc décidé qu'on fe replierok fur „ Namur, ce qui effeclivement eut été tres„ fage Sc qu'on auroit eu le temps d'exé„ cuter, fi le Militaire eut été foumis a mes „ ordres. Ce changement auroit donné „ une nouvelle face aux affaires & peut„ être empcché la Révolution : au moins „ e£t-il certain qu'il eut empêché la féduc„ tion des Troupes Sc les pertes qui en „ ont été la fuite, Outre que la Garni>} fon de Bruxelles, en fe retirant a Na„ mur, nous conférvoit cette Province, „ couvroit celle de Luxembourg, proté„ gcoit le pays dc Limbourg Sc tenoit en „ refpect lc Brabant Sc le Hainault, elle „ m'auroit facilité les Négociations que j, je me propofois d'entamcr Sc aux' „ quelles on ne vouloit fe prcter» qu'aprcs ?> que les Troupes auroient évacué le BraG  ( $o ) ,, bant oü je fcrois refté pour cette objet* „ On n'a pas plus de raifon dc m'im„ putcr 1'Armiftice que les autres chofes. „ Je ne 1'ai ni confeiüce, ni concluc, ni „ approuvce. C'eft par une lettre du colo„ neldeJ5rö« que j'enai appris la première j, nouvelle. Il me mandoit qu'il négocioit „ avec Vander-Merfch, au nom du Géncral „ & Alton, pour une fufpenfion d'armes „ d'un a fix mois, & lorfque M. d'Alton „ me demanda ce que j'en penfois, je lui „ répondis par un Billet oü je lui difois en „ propresmots, qu'il étoit douloureux d'être „ réduit a une fituation qui faifoit regarder „ cette Armiftice comme un bonheur, & qui „ je m'en remettois entiérement a lui. „ Soit que cette fufpenfion d'armes, pro„ poiée par les Rebelles, fut un piege de A leur part, fok que les Négociateurs ff  ( Si ) „ foient mal entendus 8c mal exprimés s, dans le Traité, vous favez cju'elle n'a „ dure que dix jours , pendant lcfquels les „ principaux Moteurs de l'Infurre&ion fe „ font rendus a Bruxelles, pour foulevcrle „ peuple & chaffer la garnifon. Le plus „ fur étoit de commencer par féduire les „ foldats, & ils y ont réuffi, d'autant plus „ facilement, qu'on avoit eu Pimprudence „ d'en loger une grande partie dans des » Couvcnts, oülcs Moines leurprodiguoient „ les boiffons, 1'argent 8c les promeffes, „ pour les detacher du Souvcrain 8c leur „ faire époufer la caufe des prétendus Pa„ triotes. C'eft en effet d'un Couvent que „ fordrent les ifO grenadiers qui donne3, rent le premier cxemple d'un Corps enticr qui défertoit3 exemple qui, comme vous favez j fut fuivi par des défertions fi con-  ( 52 ) „ tinues , qu'on auroit perdu toute Par„ mee > fi Pon n'euc fait partir, a la hate Sc „ fans la moindre préparation.. ce qui reftoiu „ Sans toutes ces malheureufes circonfTi tances, que Pinimitié même n'oferoit „ m'imputer, nous ferions encore a Bruxelles „ oü du moins nous n'aurions pas fait la „ perte de tant d'objets intercffans, tels „ que les Archives , le Tréfor, ; Et je „ regarde comme une efpcce de miraclc S) d'avoir pü fauver, dans une cataftrophc M pareille , les papiers auxquels j'attache „ le plus de prix, tels que ma Correfpon}, dance avec 1'Empereur. Il eft vrai qui je „ n'ai fauvé que cela •, mais je compte trop „ fur 1'honnêteté de ceux qui dirigent au„ jourd'hui la police de Bruxelles , pour 3S ne pas compter aufii fur la rcftitution ,s de mes effets reftés ert leur poffeffion.  ( 53 ) „ Vous voila, mon cher Abbé, aufïï inf„ truit, que vous putffiez le dcfirer, des „ circonftances qui me font particulieres „ dans 1'étrange Révolution que les Pays- Bas viennent d'cprouver. Je laiffe a votre „ fageffe & a votre attachement pöur moi „ le foin d'en faire ufage dans 1'occafion. Je profite, Monfieur l'Abbé , de cette libcrté pour vous prcmunir contre les relations de l'ignorance ou de la mauvaife foi a 1'égard d'un Miniftre, qu'il fuffit de connoitrc pour 1'admirer & chérir. Une fagefle fans auftérité, des vertus fansorsucil, une gaieté fans indécence, des dignités obtenues fans brigue & foutenues fans fafte, bon mari, bon pere,bon ami, fur-tout cette s'implickc qui n'appartient qu'aux Ames fupéricurcs, tels font les principaux traits qui caracTérifïènt M. le  ( 54 ) Comte dc Trauttmanfclorff, Sc qui me le font aimer. J'aurois été charmé, Monfieur l'Abbé , que vous fuffiez entré dans quelques détails fur les agitations qui regnent parmi les Bruxellois. Je défire , autant Sc peut-être plus que vous, mais dans des vues différentes , que les Ariftocrates prédominent encore quelque tems dans ces differens Partis. C'cn eft fait du Clcrgé & de la Nobleffe , fi celui du Peuple 1'cmporte. Mais comment fe peut-il que les Etats veuillent s'allier avec la Pruffe ? Comment des hommes, qui voient luire fur leurs tctes 1'aurore de la liberté, ne craignentils pas 1'Alliance d'un Etat purement dek potique? 1'Alliancc d'un Roi opprcfTcur de la liberté, en Hollandc, & de 1'autorkc fouverainc, a Liége ? d'un Monarque hu*  ( $5 ) IS juftice diKjuel on ne faüroit eompter, puifqu'il fe laifiè mener par des Miniftres cffrontément injuftes & qui fc font un jeu de la foi des Traités ? Je le prédis, la Belgique rentrera fous Ia Domfnation Autrichienne, avant fix mois; & fi le Cabinet de Vienne étoit bien [*eft montré, lousle rcgne précédent, bon publicifte, il s'eft montré fous le regne aótuel, bien mauvais politieke. Soyez sur que ie Roi de Pruffe ne tardera pasa difgracier cc Miniftrc, &que s'il tarde trop, U n'eft pas sur de tenir lui-mêmclong-tems furie Tröne : fes propres Sujets pourroient bien le faire redevenir fimple Eledeur dc Brandebourg. Plufxeurs de fes Régimens ont deja fuccé, iLiégclelait de la liberté, & U eft naturel «te penfer qu'il en vanteront la douceur au reftede 1'Arméc. Il fuffit qu'un anneau de la chainc militaire fe détache, pour qu'elle fc brife en vïngt endroits..... Adieu, M. l'Abbé, écrivez moi plus fit** vent & croyez qu'on ne peut rienajoutera Pattachement plein de refpeft que je vous ai voué&avec lequel je fuis, &c. LETTRE  ( 57 > Lettre XXIL D'un Anonyme d M: Del Marmol, Confetller de Brabant, d Bruxelles. Liege, 17 Janvier 1790. Je me fuis procuré, Monfieur, la petite Brochure dont vous me parlez dans votre Lettre du 13, & je vous avoue qu'il faut être bien peu au fait de nos affaires, pour admirer un pareil radotage. L'Auteur, quel '.ju'il foit , en impofe dans prefque tous les articles qui concernent notre Révolution. Ce n'eft effeóHvement que par des impofturcs & des altérations dc faits qu'on peut défendre une Caufe auffi mauvaife,que celle de nos Patrioces. L'injuftics de leurs prétentions faute au^ yeux de quiH  ( 58 ) «onque connoït la Conftitution de notre Gouvernement. Je juge , par 1'impreffion que 1'Auteur dePamphlet a faite fur vous, que vos propres Troubles ne vous ont fans doute pas permis de vous occuper des notres ; mais puifque vous aimcz la véritè & que vous feriez charmé de polivoir la faire connoitre a ceux de vos Concitoyens, qui ont les mémes préventions que vous contre notre Prince, je vais vous la montrer fous toutes les faces, & pour cela je n'aurai befoin que de refuter les erreurs & les menfonges de 1'Apologifte de nos Révolutionnaires, Avant tout, il convient de vous mettre d'abord au fait de notre Conftitution , Sè pour vous öter foute fufoicion de partialité, dans 1'expofition des Droits du Prince & du Chapitre Catliédral , j'emprunterai  ( 59 ) k pinceau du Chef des Révolutionnaires. Voici ce qu'on lic dans le Voyage d'un Amateur des Arts, imprimé a Liege, revu & corrigé par M. Fabri, le même que 1'Au-. teur du Pamphlet qualifie Üllhtftre BtttrgMeftre. » L'Eglife de Liege obrint par Donations „ des anciens Rois d'Auftrafie, des Empe„ reurs & d'autres fes Poffeffions Sc Ter„ ritoires adtuels.,, (Au refte, je vous préviens , que vous ne devcz vous actacher qu'au fonds des idéés : car il ne faut pas vous attendre que nos Révolutionnaires qui n'onc rien refpecté , puiffent s'affervir a refpecter la langue) " les Droits Régaliens „ utiles Sc honorifiques y attachés , font, „ a la mort de 1'Evêque-Prince , dévolus „ au Chapitre Cathédral qui les exerce jufqu'a ce qu'il ait élu un Succeffeur Sc li 2  ( 60 ) „ que l'Ele£Üon ak été confirmée par le „ St. Siege. „ Je n'ai pas befoin, Monfieur, de vous faire obferver que, de 1'aveu des Révolutionnaires , la Souveraineté dc 1'Etat Liégeois réfxde dans le Chapkre Cathédral & dans le Prince qui le Repréfente, mais je vous prie de ne pas 1'oublier. „ La Loi fondamentale du Pays n'y ad; met d'autre Religion que la Catholi„ que.,, (Rien de plus fage que cette Loi. C'eft prefque toujours de la différence des opinions religieufes que naiflent les divifions & les troubles.) « Le Gouvernement „ analogue a celui de l'Empire tient le „ milieu entre le Monarchique & 1'Arif„ tocratique. „ Le Prince, en effèt, n'a que le pouvoir de faire le bien & n'a pas celui de fake  ( 6i ) le mal. Un Etat eft bien conftitué , lork qu'il n'a pas befoin de grands Hommes pour le Gouverner & qu'il ne peut fouffrir de la médiocricé ou des yices de ceux qui le conduifeut , & tel 1'Etat de Liege. L'heureufé impuilïance du Prince pour mal faire , pour rendre des Edits contraires aux Loix Conftitutives de 1'Etat, n'empêche pas que le Gouvernement ne foit véritablement monarchique, contre le fentiment de 1'Auteur. On ne connoit entre le Gouvernement monarchique & le Gouvernement Ariftocratique, que 1'Olygarchie, & affurcment 1'Etat de Liege n'eft point Olygarchique. L'Auteur prouv.era lui-même plus bas qu'il eft Monarchique; car qu'eft-ce qu'une'Monarchie, fi ce n'eft le Gouvernement d'un feul Homme, foumis aux Loix Fondamentalesde 1'Etat, chargé dupouvoir  ( 62 ) exécutifSc dc la fandtion du pouvöir'légiflacif? Or,tel eft notre fagc Gouvernement, & tel étoit celui dc France, avant que les Rois ne s'arrogeaffent le droit d'impofer ik les Pariemens celui de fanctionner. „ L'Evêque-Prince a fon Domaine ap„ pclié la Menfe Epifcopale. Cc Prince, „ étant élu par le grand Chapitre 'Sc con„ firmé par le St. Pere, demande Sc recoit „ feul les inveilitures de 1'Empereur : alors. ,f il eft revètu de toute (Autorité requife pour regir en Souverain ; mais avec les „ limitations que prefcrivent 1'ancienne„ Conftitution & les Traités qu'on nomme „ les Paix du Pays. Par exemple, quoiqu'il „ sic, dans fon Confeil-Privc Sc de Ré„ <*ence, le Gouvernement de toute la Po-. „ lice , qu'il y exerce une Autorité fort „ étendue Sc qu'il y porte toutes fort ei  ( €3 ) i, dOïdonnanccs, dEdits & de Régttmtnsi „ prenant quelquefois 1'avis de fon Cha„ pitre Cathédral dans cerraines matieres „ graves , il ne peut neunmoins toucher k ii Pancienne legislation, ni faire des Loix: « nouvelles autres que de Police, ni établir „ des impöts , ni faire la guerre ou des „ alliances offenfives, fans le concours des >, trois Etats du Pays. „ Quand vous ne connoitriez de notre Révolution que ce qu'en ont publié nos Journalillcs, nos Gazettiers & nos autres faifeurs de Libelles , cette Tirade fuffiroit pour vous prouver l'injuftice & 1'abfiirditc de nos Révolutionnaires. Si le PrinceEv êque , élu par le Chapitre Cathédral, confirmé par le St. Pere & invefti par le Chef de 1'Empire, fe trouve revêtu de toute l'Autorits requife pour regir en Souverain,  ( *4 ) pourquoi lui défobéic-on? S'il a le Gouvernement de toute la Police, pourquoi le lui a-t-on conteftc au fujet de 1'affairc de Looz.? £11 ne peut toucher a Cancienne Legislation , fans le concours des trois Etats du Pays, d'ou vicnt lui fait-on un crime de fe refufcr i 1'abrogation du Sage Reglement de i684? Et s'ü faut le concours des trois Etats , de quel droit une poignée de Gensfans aveu ont-ils rcformé (le 17 Aout) ce Reglement, &c en confequence de cette réforme attentatoire aux Loix & a 1'ordre Public, revoqué, avec une violence tyrannique, les Membres de la Régencc lcgalement établie, & clu a leur place des Hommes qui, s'ils eufienteule moindre honneur a perdre , fe feroient bien donné de garde d'adhérer au vceu prétendu de cette vile Canaille? Je dis Canaille, car quel autre nora  nom donner d des Gens de la lie du Peuple qm, en entrant dans ï'fcoteUde-VMe, ont commencé par mmikr, Sc mettre en pieces les EculTons de leurs anciens Magiftrats Sc ks Armes de 1'liluftre Maifon dsBavierc leur Bienfaitrice? Ce qui prouve que cetta Populacc n'agilïbk que paffivement Sc par 1'infpiration de ceux qu'elle alloit élire pour Magiftrats, c'eft que ces mêmes Magiftrats ont; depuis, èmpêehé le Chapitre Cathe. dral de célcbrer 1'Anniverfaire fondé par les Princes de cette Maifon 5 ils ont mêmc porté la petitefle jufqu'd défendre dc fon-,ner la groffe cloche qui devoit 1'annonccr d la piété des Fidelles, » L'Ordre Primaire qui n'eft cmn» pofé que des fèüls Chanoines Tréfon» ciers de la Cachédrale , conftitue le pre* mier Corns des Etats, Le fecond eft I  ( 66 ) „ fonné de la première Noblefle & on „ 1'appelle X'Etat-Noble : il faut pour f „ ctre admis faire preuve de Noblefle Cha„ pitrale. Le troifieme Etac qu'on nomme YEtat-Tiers eft compofè des-Bourg„ Meftres de la Ville Capitale de Liege „ & de ceux des Villes du Pays au nom„ bre de vingc-deux.... „ Le Prince a fcul le droic de conyo„ quer les Etacs, &c il le feit lorfqu'il le „ juge i propos , felon que les affaires „ graves & publiqucs ou la néceffité de „ quelque impofifion générale 1'exigent. „ Lorfque les réfolutions des Corps font „ uniformcs, le Prince auquel elles font „ préfentccs avec fuffllcaüon de les agréer „ & d'j donner la Sanclion, -les fait rédiger „ en fon Confeil-Privé & publier fins fon „ Nm , par un Edit ou Mandement qn'o»  ( 67 ) v nomme Exécutoire ; alors il en rcfalte „ ««f Lp/, appellée da Sens du Pays, & „ qui dok en conféquence être exe'cutéc uni„ vaftlkmnti „ Rien ne caraótérife mieux le pouvoir Monarchique & Royal, que eet expofé. L'Auteur y ajoute encore de nouveaux traits dans ce qui fuit. „ Tout ce qui regarde 1'exercice de la „ Souver■aineté', les Droits, les Régaux dn „ Prince, les Négociations avec les Cours „ étrangeres ou leurs Miniftres, la Police , „ les Jiirifditfions du Pays eft traité au „ Ccnfeil-Privé; il eft proprement ce que » font ailleurs les Confeilt d'Etat. Son Au„ tontijjUrh/e du Prince, Sc c'eft toujours „ en fon nom que ee Confeil décide Sc „ ordonne, &c. „ Et vêritablement, Monfieur, s'il exifte fur la terre un Prince dont les Dföhs I 2  ( 68 ) foient évidens, inconteftables , légitimes , c'eft le notre. En acquerrant par Donation une partie des Domaines des Empereurs & des Rois d'Auftrafie, nos Evêques ont acquis fur leurs Sujets les mêmes Droits , la même Jurifdiótion , la même Autorité, la même Soureraincté, dont jouiffoient les Monarques Donateurs •, & 1'on fait, & 1'Auteur défintereffé de YHifioire du Droit Public £'Allemagne en convient,(T.Lp. 19,) que 1'Autorité de ces Monarques étoit indépendante de celle des Etats; que leur pouvoir étoit fi abfolu, que s'ils propofoient des Loix nouvelles a tAjfemblêe des Peuples, Hvant que de les faire executer, c'étoit plutot afin de les publier avec éclat, que pour demander le confentemant des Sujets. Il fallpit que leur pouvoir fut en cffet bien etendu, puifqu'ils aliénoient des portions  ( $9 ) de leurs Domaines , fans avoir befoin du confentement de la Nation , cofnme ils 1'ont pratiqué en faveur de nos Evêques, ainfi qu'il appert par les A&es authentiques de ces diverfes Conceffions. Il eft donc évident que fi la Nation Licgeoife eft libre, que fi fon Souvcrain ne peut 1'impofer , fans le confentement des trois Ordres de 1'Etat qui la repréfentent; que fi le Prince ne peut rien changcr aux Loix Conftitutives, fans le concours de ces trois Ordres , la Nation eft redevable de ces bienfaits a la générofité de fes Prinees; & que, d'après cela, s'il étoit permis a li Nation d'anéantir les Loix établies, pour en faire revivre d'abrogces, fous prétexte qu'elles lui font plus favorables, il feroit a plus forte raifon permis au Souvcrain de faire revivre fes anciens Droits ; or, plus  ( 7° ) on remonteroit vers les Loix Fondamentales , & plus fes Droits feroient étendus Sc indépendans. Mais le Peuple Sc le Prince font également intéreffés a rejettcr les nouveautés politiques Sc a s'en tenir, fur 1'objet de 1'Adminiftration, aux Loix établies. Si, comme j'en fuis convaincu & comme il me feroit aifé de vous en convaincre, il n'exifte pour 1'Homme naturel d'autre Droit que celui du plus fort ou du plus fin , & pour 1'Homme focial qui met la Religion de cóté . d'autre Droit, que les Conventions, ( * ) le Prince pourroit fans injuftice exercer un pouvoir prefqüabfbki fur fon Peuple , fi Yoa admettoit la mé- (*) On trouvera , dans la fuite de ce Reeueil, Une Lettre de M. L. S. D. C. oü cette propofi. tion nous paroit de'montre-e juiqu'a 1'e'ndence.  ( 71 ) diode de ceux qui cherchent a rétabür les Régiemens abrogés par celui de 1684. M. Fabri parle de ce dernier Réglemenc dans la fuite du Tableau de notre Adminiftration, & ce qu'il en dit mérite d'être rapporté. Je tcrminerai 1'extrait de fon Ouvrage par cette citadon. ,, Le Confulat de cette Capitale fut de „ tout temps une place confidérable & „ très-briguce. La forme aduelie d'élec- don a laquelle préfidcnt des CommiC „ faircs du Prince fubfifte depuis 1'an 1684. „ Le Duc de Baviere Maximilien -Henri, „ pour lors Evêque-Prince de Liege, fut „ obligé d'employer la rigueur & la force „ pour foumettre fon Peuple. Quelques Citoyens & même un Bourg-Meftre paie„ rent de leur tête la Rébellion. Enfin, un Sage Reglement introduin"* une forme  ( 72 ) „ d'Eleclion qui, depuis, a écé conftamment „ obfervée , fixa les droits de la Magiftra„ ture & de la Bourgeoific, & rétablit fuc„ ceffivement la fubordination & le bon „ Ordrt qui fondent aujourd'hui ïheureufe „ tranquïllité de cette Capitale. „ C'eft pourtant le même Homme qui s'exprimoit ainfi, il y a peu d'années, qui a mis dans la tête des Liégeois que ce Sage Reglement auquel nous devons felon luimême , la fubordination, le bon Ordre & l'heureufe tranquillité dont nous jouifions dans 1'Elcclion des Magiftrats, jadis fi orageufe, c'eft ce même Homme, dis-je, qui a perfuadé ï une partie du Peuple, que eet Edit étoit aftentatoirc a fes Droits & qu'il falloitle fupprimer. C'eft ce même Homme qui, a la faveur de ce vain prétexte, eft parvenu a foulever la Populacc, & par elle, a  ( 73 ) a chafier la Magiftrature légalètnent élite ,a s'emparer de la place de premier BourgMeftre , a forcer le Prince a ra:ifier une conduite fi criminelle, & a contraindre les Ckovens, qui déteftoient le plus cette conduite , a paroitre 1'approuver. C'eft enfin ce même Homme qui, après avoir fi liautement reconnu, comme vous venez da lc voir, la Icgkimké des Droits du PrinceEvêque, les a combattus, depuis, de toutes fes forces & a tellement intrigué qu'il eft venu a bout de tourner concre ces Droits la PuiiTance momentanée de la Cour de Berlin deftinéfc a les protéger. Il n'eft point d'inconféquence, je le fais, dont l'clprk-huniain ne fok capable; mais ce qui m'étonne , c'eft la confiancé audacieufe avec laquelle certains Perfonnaees s'efforcent d'annoblir, aux yeux de leurs K  ( 74 ) Concitoyens, les motifs de leurs plus viles aótions. Il n'a pas tenu aux efforts du Sr. Fabri de transformer Hntérêt perfonnel & 1'ambition effrénée qui 1'cnt fak agir, en des fentimens généreux & patriotiques , tandis que perfonne n'ignore ici qu'il n'avoit, pour fe mettre i 1'abri des pourfuites de fes nombreux créanciers , que la rcflburce d'excker une Révolte, d'expulfer les Magiftrats & de s'infialler a leur place. Si ton en croit 1'Hiftorien ou plurót 1'Apologifte de notre Révolution, le PrinceEvêque la fanclionnée & les Etats 1'ont afprouvée & ont adopté tous les changemens qui en ont été la fuite. Une expofition rapidc de ce qui s'eft paffé le 17 & le 18 Aoüt, vous mettra d'abord ï portee de juger ce que vous  ( 75 ) dcvez penfer de cette Sanction. Je vous prouverai enfuite que les Etats n'ont pas été plus libres que le Prince & qu'ils font ; illégalement compofés. On convient généralement qu'on n'avoit ij rien a reprocher au Souverain; qu'il n'a:j voit porté aucune etteinte a la Conftitution , ni fait aucun abus de 1'autorité qu'ella ; lui donne. Je dois ajouter , de peur que vous ne 1'ignoriez, que loin d'avoir mé) contenté la Nation , dés qu'il a fu que le 3 Peuple defiroit 1'égalité dans la répartition i des impöts , il a auffi-tót invité la Nobleife & le Clergé a fe départir de leurs : Privileges ; & que n'ayant pas le pouvoir d'exiger par lui-même ce généreux facrij fice , il s'eft empreffé de convoquer les , Etats. Ils devoient s'affembler le 31 Aoüt s & ce fut le 17 du même mois que le K 2  ( 7o ) Sr. Fabri & Confors parvinrent a foulever quelques Hommes des Fauxbourgs , k la plupart defquels on avoit fait la lecon. Ceux-ci en eurent bientót fait foulever d'autrcs , en les flattant de 1'efpoir de les délivrer des impöts & de rendre m Peuple le droit d'élire fes Magiftrats. Je vous ai déja dit qu'elle fut la conduite de cette Populace i 1'Hótel-deVille. Le Prince-Evêque étoit a fon Chatcau de Seraing. Les nou,eaux Bourg-Meftres, accompagnés de Gens armés vont le chercher. pour qu'il ratifie 1'Elcékion fi illegale de la nouvelle Magiftrature & qu'il promette de Santlionner tout ce qu'on méditepour le bien Public. S on Altesse, trainée a 1'Hótcl-de-Ville, y arrivé a travers une forêt ambulante d'épées mws ,  ( 77 ) de lances, de piqués & de bayonnettes. Dcfcendue de Carroflè, un Frippicr , oui un Frippier lui préfente la Cocarde, Sc lui die , tenez Grand - Tere ; mettez. cela fur votre manche; elle n'en fera pas deparée. Ce Malótru ïaififfant enfuite notre Souverain par-deiTous le bras, comme il eut fait d'un de fes camarades de cabaret , montez, , lui dit-il, Grand-Pere , & n'ajez. point peur. Vous fentez combien cette conduite Sc ce propos ctoient raiTurans. Parvenu dans la Grand'Salle , hériuce dcpées nues , & éclairée , le croirez - vous ? par une feulc bougie, que le moindre loufïle parricide pouvoit éteindre, le Prince figna tout ce qu'on voulut, & a fa place n'auriez-vous pas agi de même ? Sa docilicé n'empêcha pas que le lendermin il ne fut mfulté par quelques particuliers , entre  ( 78 ) autres par un Médecin , & que M. le Comte de Mém, fon Neveu, ne fut deftitué de fa place de Grand-Mayeur. Penfez-vous , d'après cela , Monueur* que le Prince étoit librc? & s'il ne 1'étoit pas, n'eft-ce pas abufer de la parole , n'eft-ee pas trop compter fur la crédulité du Peuple 2c fur la patience des efprits éclairés, que d'ofer dire & répéter, d'après les Gazettiers, que notre Souverain a luimême ratifié la conduite des Infurgens ? Etquand 1'approbation, qu'on lui a fi indi«mcment arrachée, eut été volontaire &c fpontanée, le Prince avoit-il droit de révoquer fans raifon des Magiftrats légalcment élus? avoit-il droit de confirmer 1'Eledion de ceux qui les ont remplacés i de fupprimer , fans 1'aveu de la Nation , un Edit foliicité par la Nadon ? un Edit en vi-  ( 79 ) gueur depuis plus d'un necle , fans avoir excicé la moindre réclamation \ & aUquel la Cité de Liege devoit, de 1'aveu de tout le monde, la celTation des horribles défordres qui accompagnoient, avant 10S4, prefque toutes les Eleftions de notre Magiftrature? Si le Prince eut entrepris ce que les Démagogues ont exécuté , ne feroit-il pas généralement regardé comme un Tyran? Voyons a préfent fi les Révolutionnaires peuvent tirer avantage de 1'approbation des Etats. Les trois Ordres conyoqués par les Prince, peu de jours avant fa fuke, 1'avoient étéd'une maniere légale; mais les Ufurpateurs de la Régence, intéreffés a faire admectre, parmi les Députés, des hommes a leur dévotion, ont foulé aux pieds les foimes légales & leur ont fubftitué un vcritc-  ( 8o ) We brigtodage, relativement a l'orgamf*tion de 1'Ordre du Tiers-Etat. Les Lettres Convocatoires de eet Ordre avoient été adreffées aux Bourg-Meftres Régens des 22 bonnes Villes légalement élus ; mais, pour avoir des Députés dont elle fut plus fure, la Régence ou Magiftrature de la Capitale , obligea par des infinuations , par des ménaces, «5c même par des Reces ces differentes Villes a defcituer leurs Repréfcntans lcgiames, i en nommer d'autres, «5c a leur adjoindre des Citoyens qu'on connoiflbit favorabies a la Révolution. Or, peut-on regarder 1'Etat-Tiers comme düment repréfenté , dans les Etats, par eet affemblage mconftitutionel dc Gens intrus , parmi lefquels fe trouvent même plufieurs Membres, étrangers aux Villes qu'ils font cenfes repréfentcr ? Si done 1'Etat- Tiers  ( 81 ) Tiers eft mal organifc, fi fa formation eft illegale, inconftitutionnellc, tout ce quïl a déliberé , réfolu , deercté eft caduque & frappé dc nullité. Je ne vous parlerai point de 1'Ordre de la Noblefle, quoiqu'il me fut aisé de vous demontrer que fes déliberations ne fauroient ctre d'aucun poids en faveur de la Révolution ; mais outre que cette démonftration exigeroit des détails peu agréables, il fuffit, que 1'Ordre de 1'Etat-Tiers foit illégal, pour qu'on ne puiflè étayer les in5iovations du fuffragc des Etats. J'ajouterai feulement a la nullité de 1'Ordre dn Tiers, celle de 1'Ordre Primaire ou du Clergé, lequel n'a été ni libre, ni en nombre faffifant dans fes délibérations, Vous n'en douterezpas, quand vous faurez que la plupart part des membres de eet Ordrc, dont on L  ( 82 ) connoifloit lattachement pour le Prince & le zele pour la Conftitution, ont été menacés par des Billets anonymes , les uns , d'être allaffinés, les autres , brulés vifs dans leur maifon, s'ils s'avifoient de contrarier dans leur Recès les ópérations de la nouvelle RégcnCe; quand vous faurez, qu'a ces ménaces clandcftines, on a joint les infultes pübliques d'une Populace effrennée, a qui 1'cn avoit fait enténdrc que le Peuple n'avoit pas de plus grand enncmi que le Clergé ; quand vous faurez que, pour mieux intimider eet Ordre rcfpeclable cc le detourner de toute délibération contraire aux vues des Révolutionnaires, on a porté la tyrannie jufqu'a inveftir d'Hommes armes , la falie Capitulaire oü il tient fes Affembiées. Ce font ces ménaces, ces infultes. ces violence.s, qui ont mis en  ( 83 ) 1 fuitc les plus courageux, & obligé les auJ tres de psroïtre approuver ce qu'ils blament i Sc execrent dans le fonds du cccur. Jufqu'a j préfent, Monfieur, fi 1'on peut fe prévaloir de 1'approbation des Etats, fi tout ce que les Etats peuvent avoir arrêté d'attentai toire aux Loix conftitutives Sc aux Droits | du Prince ne porte pas avec foi un vice infanable de réprobation Sc de nullité. L'Apologifte de la Révolution en impafe encore, lorfqu'il avance que tous les Citoyens de Liege ey des autres Villes dc la Dcmination du Prince-Evêque defroient depttis long-temps la Révocation du Reglement de 1684, & qii'ils fe font réunis pourdemander la refiitution des Droits arrachés au Peuple par le Meurt re & le Erigandage. Tous les Citcyens defiroient fi peu la Rcfvocation dudit Reglement, que la plupart L 2  ( 84 ) en ignoroient 1'exifcenee a 1'époque dc ia Révolution. Il n'eft en effet gueres connu du Peuple, que depuis que les Dcmagogues en ont fait leur cheval de bataillc pour s'élever contre le Gouvernement. Toutes les villes dcfiroient fi peu cette fuppreffion, quavant flnfurreótion du 17 Aoüt, oucune d'ellcs n'avoit manifefté ce defir, Sc que bien loin de ccla , le plus grand nombre d'entre elles ont plufieurs fois fuppofé nos Princes, dans difrércntes eccurrcnccs, de leur donner, pour l'Eleftion des Municipalités , des Régiemens analogues a celui de 1684, comme il appert par leurs Requêtes confervées d?.ns les Archives du Gouvernement. Tous les Citoyens fc font fi peu réunis pour demander U refthution des prétendus droits arracbes au Peuple, quelts plus diftingués d'entre eux, n'ont pu ea.  ( 85 ) cher leur indignation , en voyant les atteintes que les Factieux portoient a la Conftitution & a la tranquillité publique, fous le vaia prétexte de rendre au Peuple des Droits qu'il n'a pas, & qui lui fcroient funefbes , s'il les avoit, & qu'il en jouit. Tous les Citoyens, du moins ceux qui font fages &c éclairés , fe feroient au contraire réunis pour empêcher ces innovations , s'ils avoient pu fe natter de faire entendre raifon au Peuple abufé par les Moteurs de rinfurreótion. Mais la craintc d'être infultés, pillés & égorgés, a mis en fuite ceux qui n'avoient pu contcnir leur indignation & a forcé les autres a la cacher fous Ie voile du filence. Il faut que la Régence reconnoifie elle-même fa Caufe bien mauvaife, puifqu'encore aujourd'hui,il y auroit du danger d'élever ouvertement des plain-  ( 86' ) tes contrc fes opérations. Elk favorife la liberté de la PrelTe , mais elle promet 400 florins a celui qui lui décclera 1'Auteur d'un Pamphlet, oü 1'on fe plaint de fa tyrannie. Elle tolere & encourage les libelles , menfongers & calomnicux contre le Prince-Evêque, contre le ChapitreCathcdral , contre tous ceux qui défapprouvent & maudilTcnt l'Infurre&ion & fes fuites défaftreufes; mais elle exerce 1'inquifition la plus odieufe & le defpotifme le plus tyrannique, pour empêcher qu'on n'éclaire le Public fur le Charlatanifme de fon zele , 1'injuftice de fes prétentions, 1'irrégularité de fes démarches, les contradiclions de fa conduite, Hllégalité dc fes Reces, le danger de fes principes, la raauvaife foi de fes jugemens, & 1'infamie de fes procédés.  ( 87 ) II eft poffible que dans ce que f Auteur öjoute , touchant ce qui a donné lieu au Reglement de 1684, i1 ioit de bonne foi; mais je puis vous affurer du moins qu'il n'eft pas bien inftruit. Ceux qui connoiffent 1'Hiftoire de Lie^e favent, que, dès le commencement, eet Ecat fut gouverrrc par des Echevins hommes par le Prince-Evêque, fon Souverain ; que la Prineipaüté étant devenue plus pcuplée, plus riche , plus étendue, le Prince créa, en \2f3, deux Magiftrats Supérieurs, fous le nom de Maïtres-Jurés, appellés dans la 'fuite Bourg-Meftres , & permit qirïls feroient élus par les fuffrages du Peuple , recueillis tantot par tête, tantöt par corps de Métiers. C'eft a cette fatale permiffion que remonte la fource des fédicions & des troubles qui dans la fuife ont fi fouvem  ( 88 ) affligé 1'Etat, paree qüelle a fcryi dahstous les temps dc prétexte aux ambkieux, pour foulever la populace contre le Gouvernement. La place des nouveaux Magiftrats acquit une telle confidération, qu'elle fut ambitionnée par les Patriciens ou Nobles qui s'en feroient emparés , a 1'exclufion des Plébéïens , fi la Paix ou Traité de Jenefle n'eut décidé que le Peuple nommeroit i une place, &c la Noblefle, a 1'autre. Ces Elections toujours accompagnées de brigues, dc ■ cabales & quelquefois de meurtres , changerent fouvent de forme. Quelques Families nobles, ayant concentré dans leur fein la place de Magiftrature a la'.juellc les autres Nobles avoient droit de prétendre, donnerent lieu a des débats dangereux qu'Armld de Home termina, en privant la Noblefle  ( 89 ) blelTe dc la Magiftrature, pour la laiiTcr au Peuple qui en jouic exclufivement jufqu'en 1408 , époque a laquelle Jcan de Baviere lui öta ce droit. Il le lui rcndit bientót après, mais en raflujettiflant a utj nouveau Reglement. Par ce Reglement ce Prince inftitua plufieurs Confeillers préfidés par deux Chefs ou Bourgmeftres qu'il nomma Régens. La Magiftrature éprouva encore de nou* reaux changemens, dont qudques-uns doanerent lieu a des conteftacions entre 1c Prince & les Régens ou Bourg-Meftres. Quand les prétentions de ceux ci n'auroient pas été condamnées par la Chambre Imperiale, il n'en auroic pas été moins eertain, que le Prince-Evêque a feul le droit de nommer les Magiftrats ; que ce droit eft imprcfcriptible 3: inhérent a la ^ouve> M  ( 9° ) raiaetc; & que ft le Prince la cédé an Peuple i . il peut le rcprendre, paree que les prérogatives de la Souveraineté foient inaliénables. Mais continuons de parcourir 1'Hiftoire de la Magiftrature. De nouveaux troubles, toujours caufés par les Eleótions, amenerent de nouveaux Edits. Un des plus célébres eft celui de i lefquels la Magiftrature, pour fe maintenirplus de temps en fondVton , fouleva la populace de Liege , fous prétexte que le Tiers-Etat avoit feul le droit d'élire fes Magiftrats.Déterminée dans fes mouvemens  ( 91 ) par les fcditieux qui la faifoienc agir , elle calTa le dernier Reglement, pour reprendre tantot celui de 1603 , tantöt celui de 1631. Maximilien-Henri de Bavtere, qui occupoit alors le Siége depuis vingt-fix ans, fe tint pendant quelque temps éloigné de fa Capitale, pour n'être pas témoin & peut-être victime dc 1'ingratitude de fes Sujets. Cependant follicité par 1'élite des Citoyens eu proie a la tyrannie des Rebelles , il confentit d'entrer en négociation avec la Regence Sc le réfultat des négociations fut une Tranfaction qui fatisfit tous les Ordres de 1'Etat & la Régence elle-même; mais un Intriguant, nommé Macors, le Fabridt ces temps malheureux , ne trouvant pas fon avantage dans lapaix, entretintla Rébellion dans la baiTe claffe du Peuple, & s'étant mis a la tête de cette Canaille, il dépofa lesM 2  ( 9-* ) Magiftrats & fe fit proclamer premier BöurgMeftre. Rappellé par fes fideles Sujets 5c précédé par un Corps confidérable dc troupes , le Prince MaximUien entra dans fa Capitale, dont les Bourgeois lui avoient ouvert les portes, fubjugua le refte des Rebelles , diffipa les Cabales, 5c fit trancher la tête a Macors, fans égard aux follickations de ceux qui demandoient fa grace, fermeté louable , digne de fervir, de modele a fes Succefleurs. Pardonner aux Semeurs de zizanie, aux C urupteurs de fidélité, aux ennemis de 1'Etat , ce feroit encourager Ie crime &c fe rendre coupable de celui de lèze-Nation. Après avoir rétabli le calme, MaximUien s'occupa des moyens de le rendre durable, A la follici ation de fon Peuple & de con-> ccrtavwcl i, il publia le 29 Novembre 1684.  ( 93 ) ce fage Edic qui a ecarté jufqu'a- préfent des Ele&ions Magiftrales, les brigues ruincufes & fouvent meurtiieres, dont elles ctoient toujours accompagnées. Par condefcendance pour fon Peuple , il confentit a lui teifler le droit d'élire un des BourgMeftres Sc adopta pour eet effet Ie Régiement de 1649, mais en y faifant des changemens propres a préyenir les abus. Pour vous faire mieux connoïtre 1'utilité Sc ja fagefle de eet Edit, qui contient 8f afticles, je crois deyoir en préfenter ici le préambule. Maximilien-Hinri, Sec. A tous ceux qui ces préfentes verront, fahr. „ Quand 1'expe'rience de plufïenrs fiecles „ ne donneroit pas affez a connoïtre que les „ Lettres, Privileges & Franchifes, dont no« tre Ville dc? Liege a joui jufqu'a ptétënt  ( 94 ) „ rront fervi qu'a fournir plus de moyens aux „ Efprits fêditieux d'attirer d foi, fous le „ nom fpe'cieux de la confervation defdits ,. Privileges & Franchifes, la plus vile po„ pulace de ladite Ville & toute forfe de gens „ fans aveu & des malfaiteurs , foit pour „ contente* , aux dépends du repos public, „ de 1'Autorite & des Régaux du Prince & „ des Droits de fon Eglife, leur ambïtion, haine & pajfton particuliere, ou pour e'vi„ ter le chatiment du a leurs crimes; ce qui „ s'eft paffe', depuis peu de mois n'e'tant „ tout feul que trop fuffifant pour faire voir „ k toute la Terre qu'?7 ejl nêceffaire de cher„ cher des remedes efïïcaces k des maux qui „ pourroient par la fuite conduire la Ville a fa perdition : c'eft pourquoi defirant d'ap„ porter les remedes neceffaires a tous les „ abus & deïordres paffes , pour e'tablir la „ paix & le repos folide dans notre Cite' de Liege , & par ce moyen y faire retleurir la „ Juftice , la Police & le Commerce;.... „ nous avons bien voulu enfuite des trés„ humbles fupplications d Nous faites ,-mo„ de'rer & amplifier, de 1'avis de ve'ne'rables, „ Nobles, nos Très-Chers &Bien-Aimes „ Confrères, les Doyen & Chapitre de notre  ( 95 ) „ Eglife Cathedrale, la Re'forme de feu notre „ très-honoré Oncle Ferdistand, de haute „ me'rnoire, faite en 1'an 1649, par lVtablifle» „ ment du Reglement fuivant, pour être les „ points d'icelui inviolablement obferve's. „ Etant notoire & public , que la trop „ grande multitude de perfonnes qui ont in„ tervenu aux Eleftiotis du Magiftrat de la „ Ville & a la direftion de la Police de'pen„ dante dïcelui, joint & 1'ambition des prc'„ tendans , a e'te' 1'origine des confufions & „ des maux dont cette Ville a été accablée „ re'duite d un itat dèplorable : & quoique ,. nous pourrions par le même principe que „ deiTus, retenir d Nous la création annuelle „ du Magflirat de notre Cité, Nous av'ons „ neanmoins bien voulu en accorder re'voca„ blement h la ge'ne'ralite' de la Bourgeoifie, ,. quelque participation , en la maniere fui„ vante. &c. „ Or, c'eft eet Edit fage, utile, ncceilaire, généreux & bienfaifant; eet Edit qui a mis fin aux émeutes, aux féditions, aux troubles , aux atTaflinats qui fignaloient aupr-  ( 9* ) rayant chaque Öéftion de Magiftrature j C'eft eet Edit que la Cour de Berlin , intérelléc fans doute a entretcnir le défordre parmi nous , voudroit que le Prince fupprimat. Jugcz du fervice quelle nous auroit rendu, fi le Prince eut été affez foible pour céder dans cette circonftance aux invications rcitérées & ménacantes du miniftere Pruffien. La noble fermeté qu'H OENSEROECKa montrée dans cette enconftance, fufhroic feule pour lui donner des. droits éternels i l'éftirrle & a la reconnoiffance de la Nation Liégeoife, quand il n'auroit pas déja acquis cent autres titres a notre amour. Un temps viendra , & faffe le Ciel que ce temps ne foit pas eloigné ! oü le petic Peuple éclairé , par les malheurs , fur la Charlatanerie criminelle dc ceux qui l'ont porté a méconnoitie 1'Autorité  ( 97 ) torité Sc la bienfaifance bénira le Souvcrain a qui il n'a point cefle d'être cher, Sc profcrira avec vengeancc les principaux Auteurs de fon égarement. Je dis le pent Peuple; car 1'Etat-Primaire & lc refte du Clergc, la partie la plus eftimable de k Noblcffè > la plus nombreufe de la Bourgeoihe , la plus honnêfc d'entre les Artifans , n'ont jamais approuvé 1'Infurrection Sc font toujours demeurés fideles au Prince , finon ouvertement, de peur des reiTentimens de la Populace , du moins dans le fonds du coeur & dans le fein de leur Familie. Tous ceux-la, loin d'applaudir aux changemens opérés par les intrigwes des Démagogues, n'ont cefle de les regarder comme 1'écueil prochain de la profpérité publique. Et véritabkment , il a'y a que ceux qui n'ont rien a perdre , N  ( 9o ) que ceux qui fe font un patrimoine du defordre de 1'Eta't, qui puiffent ne pas defu-er le rétabliiTement de la Chofe publique. Car que vculent ceux qui fe font montres contre le Prince & le tiennent éloigné de les Sujets ? Veulent-ils un Prince zélé pour la juftice , pour les mceurs, & paffionné pour le foulagement des pauvres? nous l avons : un Prince bien intentionné pour la profpérité de 1'Etat, & bienfaifant par caraótere, indulgent jufques dans la févéritc fans être foiblc dans fes condefcendances ? nous 1'avons : un Prince reliaieux , fans fanatifme, dont la Politique n'agite ni ne foit agüce, qui fache fe concilier & raffeaion de fes Miniftres ik 1'eftime des Miniftres étrangers ? nous 1'avons : un Prince ami de 1'ordre & de la paix, ennemi des tracafferies, protcóteur  ( 99 ) tics talens utiles ? nous 1'avons. Voudroientils un Prince Philofophe, indifférent fur la Religion , préférant 1'efprit a la vertu, la flatterie a la vérité, les plaifirs a fes devoirs, alfezpeu éclairé, pour fe lahTer féduirc par les fyftêmes des Novateurs, & affez foible, pour fe laiilèr aller aux fuggeftions malévoles d'une Cour injufte ou trompée ? Nous ne 1'avons pas & puiflions ne jamais 1'avoir ! Ricn ne décele mieux l'ignorance ou la mauvaife foi des ennemis 'de Son Altesse Celsissime, que 1'affurance avec laquelle 1'Auteur de la Brochure prétend , d'après le fyftême des Ufurpatcurs de la Régence , que le Prince-Evêque de Liege n'a pas le droit de rendre des Edits ou d'etablir des Régiemens, en matiere de Police & d'Adminiftration. Je ne vous ferai point 1'afïront de croire N 2  ( ioo ) que j'aie befoin de réfuter 1'Apologifte de la Révolution fur ce point : vous êtes trop inftruit, pour ne pas favoir que le droit d'établir des Loix utiles au maintien de 1'ordre & des mceurs, d'accorder des graces , des diftinclions , pour 1'encouragement de la vertu , eft un des attributs de la Souveraincté, une des prérogatives elfentielles du Pouvoir exécutif. Je vous ferai feulement obferver que le Bourg-Meftre, qui contefte aujourd'hui a notre Prince cette prérogativc, eft le même qui, dans le Voyage d'un amateur des Arts a reconnu que le Prince-Evêque de Liege, clans fon Confeil-Privé, exerce une autorité fort éten • due ; qu'il y porte tout es fort es dOrdonnances , d'Edits & de Regiemens; qu'il a le Gouvernement de toute Police qu'une fois ciu par le grand Chapitre, coufumé  ( ioi ) par Ie St. Pere , & invefti par 1'Empereur, il fe trouve revêtu de toute l'Autorité requife peur regir en Souvcrain. Jugez d prcfent d qu'elle cfpece de Gens nous fommes livrés; jugez quelle confiance on peut avoir en des Hommes qui avancent le pour & le contre, felon leurs intéréts momentanés. Mais quelle idéé fe font-ils donc forméc de notre Nation , pour ofer tentcr de lui perfuader que celui qui la repréfcnte, qui en cxerce la Souveraineté , n'a pas le droit de régler la Police ? Le Prince n'eft-il pas la Perfonne de 1'Etat ou plutöt 1'Etat luimême perfonnitié ? N'a-t-il pas 1'exercice du pouvoir exécutif, Sc pcut-il exerccr ce droit, s'il n'a celui d'établir des Loix analogues aux circonftances ? Les Loix civiles qui tiennent d la politique font naturelle^  ( 102 ) ment variables , paree que la Nation variable elle-même, eft fujettc a de nouveaux befoins; paree que fes maladies différentes exi^ent différens remedes. Il faut fuivre 1'Etat dans fes différentes fituations, régler fa marche , tempérer les mouvemens, raffermir les reiïbrts trop foibles ou relachés, créer d'un cöté, décruire de 1'autre •, il faut changer, modifier, abolir , réparcr •, fans quoi 1'Etat, femblable aux anciens édifices qu'on n'habite plus, fe dégraderoit peu a peu & crouleroit de toutes parts. Or, c'eft-la lcdcvoir, plutót que la prérogative, de notre Prince; & il n'y a que des Efprits de travers ou de mauvaife foi qui puinent foutenir le contraire. On ne peut exercer le pouvoir exécutif qu'en donnant des ordres, & les ordres, qui font des Loix, varient felon les occurrences.  ( 103 ) Eh ! quel Citoyen pourroit fe natter d'être libre , de jouir en repos de fes propriétés , ii le Prince ne poifédoit toute 1'activitc > toute 1'étendue de la force Nationale ? L'expérience ne nous a-t-elle pas appris, & la conduite des Auteurs de 1'lnfurreclion actuelle ne furht-ellc pas pour nous convaincre , qu'au milieu du Gouvernement le plus fage fe confervent, fë nourriflènt, fe dévéloppent mille germes fecrets de mécontentement; que les Mécontens deviennent fouvcnt des Factieux, & que foit qu'ils fe montrent a découvert, fbit qu'ils marchent dans les ténébres> ils parviennent fans beaucoup de peine a en impofer aux efprits crédules & i les foulever , en criant a 1'oppreffion, au defpotifme? Quel Citoyen tant foit peu jaloux de fa tranquillké, n'eit pas intérene a pré-  ( i ö4 ) venir les attentats de la fédition ? Et le moyen de les prévenir, fi le Prince n'eft fans cefle armé de toute la puiflance Nationale ? Un pouvoir ne peut être arrêté ou limité que par un autre pouvoir , Sc deux pouvoirs , dans un Etat tel que le notre , impliquent contradiótion. Si > comme on en convient aujourd'hui , la Souveraineté réfide dans la Nation, celui qui repréfente légitimement la Nation doit 1 exercer dans fa plénitudc. Le Prince eft le centre oü le réuniflent toutes les volontés •, c'eft 1'organe univerfel de chaque individu, 1'ame, pour ainfi-dire , par laquelle chaque Citoyen agit Sc refpire ; c'eft la Nation elle-même. Or, attaquer fes prérogatives , chercher a diminuer fa puiflance, c'eft attaquer la Nation , c'eft contredire fes volontés , c'eft affoiblir fes forccs. Tous  ( ioj ) Tous les Citoyens font intéreffés a augmeneer la puiflance da Prince. Pour que la liberté, la fureté & la propriété foient a 1'abri des atteintes des méchans, on doit invefUr le Souverain de Ia plus grande force poffible. Au feul nom du Souverain, lc crime cachc doit trembler &c le crims public doit fuir. Il n'y a pas a craindre que, chez nous, le Prince puilTe jamais abufer de !a Puiffance , au point de devcnir defpote. Notre Conftitution eft trop fagc , trop connue, trop favorable a la Nation, pour avoir a craindre eet inconvénient de la part d'un Prince, qui ne peut mettre aucun impöt, fans le confentement de la Nation. D'ailleurs un Souverain éledif & qui n'arrive jamais a la Souverainetc que dans un age mur, ne peut ignorer que le pouvoir, s'il n'eft fou0  ( io6 ) tenu par la juftice, fe brife par la force-, que fes tréfors font dans le cccur dc fes Sujets •, qu'il ' exiftc une communauté de fortune entrc fon Peuple & Lui •, qu'cn otant aux Citoyens la faculté de s'cnrichir, il leur óte celle de lui donner •, que fa gloire dépend de leur profpérité , & fa félicité de leur amour. Or, fuppofer un Prince qui, foulant aux pieds ces vérités cénéralement reconnues , n'auroit aucun égard pour ceux qui 1'ont élevé a la Souveraineté, mépriferoit les clamcurs de la Nation entiere , &c fe croiroit plus fort que fon Peuple, qui mettroit fa gloire dans 1'aviliffement de fes Sujets & feroit fa félicité de leur haine-, c'eft fuppofer tout a la fois un monftre & une impoffibilité : d'oü je conclus que le defpotifme eft impoffible parmi nous, & que fi notre Prince  ( k>7' ) ne peut devenir defpote, on doit Ie revêtir de toute 1'Autorité, de toute la force que la Nation peut lui communiquer. C'eft fans doute ce quelle fera, lorfqu'elle aura enfin furmonté les obftacles qui 1'empêchent de manifefter fans crainte les fentimens d'indignation qu'elle leur avoués aux Démagogues, & de donner un libre e/Tor aux fentimens d'eftime, de reconnoiifance & d'amour qui 1'attachent a fon légitime Souverain. Ce renouvellement d'alliance de la Nation avec le Prince eft 1'objet des veeux de tous les honnctes Citoyens, & foutienc leur efpoir, au milieu des calamités qui nous affligent. Au refte, au-lieu de Los qu'on lit pag. 64 ligne 4, lifez Lévoz. O 2  ( io8 ) Lettre XXIII. De Lord de Wr** * M. le Marquis de St.P** en [on Hotel, d Paris. Dufi'eldorff, ió Janv. 1790. M on emprcffemcnt a vous repondre, Monfieur le Marquis, doit vous faire jugër du plaifir que m'a fait votre demierc Lettre. Vous ne m'auriez pas rendu la juftice . qui m'eft due, fi vous aviez pu me croire fiché contre vous. Je n'en aime pas moins les Gens, quoiqu'ils penfent autrementque moi. Il eft libre a chacun de penfer comme il veut ou comme il peut, pourvü qu'il me laiffe la même liberté. Je vous prie feulement d'obferver, que je ne fuis pas le fetil, parmi les Anglois, qui dcfapprouve votre Aflêmbléc Nationale & qui Ia cOnfiderc  ( 109 ) comme Pinftrument dont la providence fe fert, pour confommer la diflblution du Royaume. Les renfeignemens que vous me demandez fur les Prérogatives de notre Roi , vousprouveront, qu'on a dépouillé le votre de celles qui cara&érifent principalcment la Royauté. Non, la France n'eft plus une Monarchie, & ne peut pourtant jamais devcnir une Démocratie. Je vous le prédis, fi vous tardez encore quelques mois a rendre au Roi, je nc dis pas, fon ancicnne Autorité, mais a lui donner une autorité abfolue & indépendante , c'cn eft fait de ce Royaume; vous verrez les Puhfanccs voifmes s'en partager les ruines. Vous feriez, même a prefent, hors d'état d'empêcher cc partage , fi elles 1'avoient réfolu. L'Efpagnc ni la Sardaigne, vos Alliécs, n'oferont en former  ( iro ) le projet •, mais quand elles verront vos Ifles fe détacher de la Métnopole, 1'Alface Sc la Lorraine paffer fous la Domination Autrichienne, 1'Angleterre jetter un dévolu fur pluheurs dc vos Ports, il faudra bien qu'elles fe dcterminent a prcndre part au oateau. Quand le Ciel a rcfolu , dit-on, la ruinc d'un hommé , il commence par lui óter la raifon : il agit de même a 1'egard des Nations , Sc vous conviendrcz, Monfieurle Marquis, que, depuis quelquc temps, la conduite de vos Compatriotes Parifiens Sc Provinciaux n'eft rien moins que raifonnable. Quelque amis que nous foyons de la liberté, nous avons fenti que de toutes les formes de Gouvernement, le Monarchique convenoit le mieux a un Peuple commerfant, parxe que , le Commcrce produifant les  ( III ) richeffes , & les richeffes , 1'inégalité & 1*' corruption, la Démocratie n'auroit pu fe foutcnir iong-temps parmi nous, Le meilleur des Gouvernemens , celui qui convient le mieux a une Nation n'eft pas néanmoins exempt d'inconvéniens. Le Monarchique , vous le favez, tcnd naturellement au pouvoir abfolu & defpotique. C'eft pour 1'empêcher d'y arriver , que nous avons établi des Contre-poids qui contrebalancent cette tenfion naturelle. Tel eft le droit que la Nation s'eft réfervée d'accorder ou de réfufer les fubfides, Sc tel erf auffi le pouvoir qu'clle a d'établir les Loix ou de les abroger. A ces deux prérogatives prés, qu'elle a fagement eonfervécs pour elle , notre Roi jouit de routes les autres. En fa qualité de Magiftrat fuprême , il eft la fource de tout pouvoir judiciaire.  ( H2 ) le Ccmmettant dc «tos les Jugcs, lc Clief dc tous les Tribunaux-, tout s'y fait en fon nom. Il a le droit d'accorder grace aux criminels & celui de commuer la peine. Il peut * fa Tolonté convoquer, ajourner, proroger, tranfporter & diffondre les Pariemens qui, comme tout le monde fait, font cenics rcpréfenter la Nation , droit dont votre Affemblée Nationale, qui eft aujourd'hui votre feul Parlement, a dépouillé le Monarque. Le notre peut, fans en rendre aucune raifon, ce que le votre ne peut plus, refufer de donner fon confentement Royal i un BUI ou Acle ou Dccret qui auroit palTe dans les deux Chambrcs du Parlement. Ilpeut encore, i fa volonté3augmenter les Membres des deux Chambres, en créant un plus grand nombre dc Barons. Le Roifeul, & fans qu'il aitbeloin d'aucua aclc  ( H3 ) iade de Parlement a le pouvoir de déclarer la guerre, de faire paix, d'envoyc'r ou de recevoir des Ambaffadeurs , de conclure Traités ou Ligues avec toutes les Puiffancesétrangeres, de donner des £ommiffions, pour faire des Levées d'hommes par tcrre ou par mer , de faire même des Levses fcrcées pour la marine, ce que nous appellons mcttre cn prejfe. Il a le pouvoir de difpofer de la Garde des chateaux, des fortereffes, des ports & havres , des vaiffcaux de guerre, des munitions, des rnagafins. Il a feul le choix de la Nomination des Commandans & autres Officiers de terre & de mer. Il eft le diftributeur des Titres & des Dignités; 11 crée les Pairs du Royaume, nomme les Confeillers-Privés ou d'Etat, les Evêques, les Archevêques, & conP  ( M ) voque, quand il lui plait , 1'Affcmbléc du Glergé , laquelle 'eft formée fur le modele du Parlement , & il la provoque ou diffout a fon gré. Par fa prérogative Royale , il peut ériger des Univerfités , des Colleges, des Hópitaux, des Foires, des Marchés, planter des Forêts, établir des droits de Chaffe & des Garennes , accorder des Privileges , des Sauf- Conduits , des Lettres de Marqué , protéger fon Débiteur contre la pourfuite d'autres Créanciers. Ses Domeftiques font exempts de tout autre fervice qui demandcroit leur préfence, comme celui dc Prevöt, celui de Commiffaire , &c. Il n'y a que le Roi qui puiffc donner des Patcntés, pour étre autorifé ï demander ou a recevoir des charités, dans les cas de naufrage, d'incendie ou autrement.  ( 'm ) Le Roi eft hors de 1'atteinte des Tribunaux ; fa Perfonne eft facrée & inviolable, Sc dans tous les cas douteux, on prclume en fa faveur, femper prafumitur pre Rege. Il fixe la valeur des mécaux, leur poids & la monnoie. Ses Droits ne peuvent jamais être foumis a profcription , comme ceux du Sujet. II eft fummi Rcgni cufios, Sc en cette qualité , a la garde de tous les biens de ceux qui, par manque de raifon, ne peuvent fe gouverner eux-mcmes. Il eft, par fa Prérogative, uhimus hxres Regni, Sc comme tel, le rcccptaclc de tous les biens oü il ne fe préfente point d héritiers. Mnfi , les biens de ceux qui n'ont point d'hcritiers dircfts, foit naturcllcmcnt, foit par confifcation, par révcrhon ou autwment, appartiennenc au Roi, de méme P 2  ( n6 ) que tous les trcfors trouvés, monnoyés ou non monnoyés, dont les propriétaires font inconnus; comme auffi des mines d'or ou d'argent, en quelque lieu de fa Domination qu'elles foient; les chofes perdues ou cgarées ; les terrains incukes ou délaifies par la men les biens des Etrangers morts avant d'être naturalifés; en un mot, tous les effcts dont la propriété n'eft point connue, appartiennent au Roi , aiofi que les foijfons qu'on nomme Rojaux, tels que la baleine , 1'efturgeon , le dauphin, &c Le Roi peut établir des Capitaineries ou droit de chaffe, dans chaque Province, pour en jouir dans le cas que la fantaiiïe lui prcnne d'y aller voyagcr ; &c C'eft peutctre le feul Prince en Europe qui ait un pareil Privilége. Les Rois d'Angleterre ont long-temps joui du droit cxclufif de chaffe  ( H7 ) dans tout le Royaume; nos loix décernoicnt les peines les plus terribles contre tout particulier qui chaffoit fans en avoir recu la permiffion du Monarque, La fuppreffion ou du moins 1'adouciffement de ces loix féveres fut un des Articles de la Charte de forêt, de forcfta, que les Seigneurs ont obtenue a main armee; & c'eft en vertu de -cette Charte, qui laiffe au Roi le droit d'établir des Capitaineries dans chaque Province , qu'il y a un quinzieme établi fur prefquc toutcs les grandes Terres de la Grande-Bretagne. Quoiqu'en aient dit vos Philofophes démocrates, nous honorons tellement le Roi, que, par nos Loix 5 il efc regardé comme le Vïce Gerent de Dieu fur terre, comme le Vicaire du Souverain des Souverains, établi poux gouverner la terre & le Peuple  r ( n8 ) du Seigneur, &z fur-tout comme le Protecteur & le défenfeur de la Religion. Son office X ce: egard eft exprimé dans les Loix tfEdouard le Confeffeur : Rex, quia Vicarius fummï Regis eji; ad hoe confthuitur, ut Regnum, Tenant & Populum Dominï , & fuper omn'ia Sanclam Ecclefiam ejus, veneretur , Regat & ah ïnjuriofis dcfendat. Les Loix lui auribuent fous cec afpecT: plufieurs prééminenccs : ainfi , la Loi.ne veut pas que 1'on trouve aucune imperfecüon dans le Roi, aucune injuftice , erreur ou négligence, aucune infamie, tache ou corrupt ion; car en prénant la Couronne, tout Aite ou BUI de profcription précédent , fondé en Juftice &c même en Parlement, en purgé ipfo fado. Telles font, Monfieur, les principales prérogatives qui appartiennent juftement X  ( ii9 ) notre Roi & dont il jouit ou peut jouir. Si vous defirez de les connokre plus en detail confulfez le livre Anglu Notitia, par Jean Chamberlayne, d'oü j'ai extrait en partie les principaux articles que vous venez de lire. Vous voüa préfentement , Monficur le Marquis, en état de juger fi, comme le prétendent plufieurs de vos Auteurs, notre Gouvernement eft plus Démocratique que Monarchique ; s'il eft indifFérent fur les objets de Religion , comme vos Philofophes paroiifent le croire. Il refpecre fi fort la Religion & en fent tellement 1'importance & huiiké, qu'il la regarde comme un frein plus puiffant & plus réprimant que les Loix, qui ne peuvent empêcher ni punir les crimes fecrets. Et véritablemcnt, comme je Pai dit ail-  ( I2Ó ) leurs, quelque fages & prévoyante* qu'oii fuppofe les Loix, elles n'arrêtent que la mam, tandis que la Religion regne fur la confcience , agit fur la volonté, reprime les mouvemens des cceurs corrompus ou prêts ï fc corrompre , rend doux les facrifices les plus pénibles. Elle ne fe borne pas, comme les Loix, a condamner le vice & i punir les forfaits : elle ordonne la bienfaifance & la pratique de toutes les vcrtus. Otez la Religion aux Hommes , il n'y a plus pour eux de morale, & les Etats tombcnt dans 1'anarchie. La Religion eft le premier lien de la Société, le ciment de 1'édifice politique , la plus importante de toutes les Loix, le premier mobiie de la verrn; & fi votre Affemblée Nationale étoit • véritablement éclairée , fi elle avoit une profonde connoiflance du cccur humain , au-lieu  ( Ï2I ) au-lieu de délibérer imprudemment , pendant plufieurs jours , pour favoir fi on parleroit de la Religion , dans le Préambule de la Conftitution 5 au-lieu de paffer fous filencc un objet fi intéreffant pour le bonheur de 1'efpece humainc, & de fe contenter d'ajouter , après coup , ces mots mefquins : en préfence & fous les aufplces de lEtre-Supréme,- au-lieu de s'occuper a affoiblir ce premier reflort de la Machine fociale, par une tolérance mal-entenduc, par la profanation des Temples , par le mépris des Miniftres des Autels ; fi dis je, 1'Affemblée prétendue Nationale eut eu dc vraies lumiercs, des notions faines de la politique , elle auroit fenti que, fans la Religion, il eft impoffiblc d'offrir a 1'Homme des motifs fuffifans pour 1'engager $ obéir, plutot a fa raifon , qu'a fes paffions,  ( 122 ) a liotêrêt Public, qu'a fon propre intérêt, qüe fans la croyance en un Dieu Vengeur & Rénumerateur ,. il n'y a point de Morale, & que la Morale de la Religion tire toute fa force du Dogme 5 car fans le Dogme, point de mcrveilleux, & fans le merveilleux , point de foumiffion ni de refpedt. Notre Gouvernement, pénétréde ces vérités, veille avec d'autant plus de foin au mamtien de la Religion, que la liberté de la prefle , que je n'ai jamais approuvée , favbrife le relachement de ce reflort falutaire. Auffi, malgrc eet inconvénient , la Religion eft-elle encore plus honorée chez nous qu'en France , puifque le jour de Dimanche , fpéclalement confacré au Culte Divin , il n'y a pas un feut Spedacle en Angleterre, pas même dans Londres.  ( m ) Le plus funeftc des préjugés eft de croire que les préjugés font toujours nuifibles a la Société. Les préjugés font les paffions du Peuple, comme les paffions font les préjugés des Philofophes. C'eft ce que l'Affemblée l Nationale n'a pas fenti. Les Francois ré- I fléchiffent moins que nous , paree '.ju'ils fentent plus , paree qu'ils fentent plus I vïte, paree que tous les objets nouveaux. 9 leur font une impreffion plus forte ; mais un temps viendra oü ils rougiront de leur impéritie politique, oü ils fentiront 1'utilité., la,nécefficé, 1'indifpenfabilité des préjugés qu'ils s'efforcent d'abolir. Peu de jugement fuffit pour fentir que les préjugés outragent la raifon ; mais beaucoup de jugement y découvre un fonds de fageffé qui doit les faire refpecter du vrai Philofophe. L'opinion générale mérite des égards dc fa part, CU  ( 124 ) paree qu'on ne heurte pas impunément un ufage généralement recu & qui, d'ailleurs , a fon coin d'utilité. Le fentiment commun d'un Peuple devient pour le Sage une foite de Regie, a laquelle il fe con-, forme avec d'autant moins de répugnance, que la Société en retire du pront. Tindal, Collins, Woeljlon , Hobbes, Bolimbrooke , eiülènt été plus Philofophes & de meilleurs Citoyens, fi prénant les préjugés pour ce qu'ils font, ils ne fe fuffent point permis de les attaquer dans 1'opinion publique. Les Hommes ont trop de befoins , trop de paffions , pour qu'on puhTe jamais les conduire , je ne dis pas par raifon, mais par la raifon. C'eft ce que vos Philofophes , comme la plupart des notres, n'ont pas compris ; mais ce que le dode Wolf paroit avoir fenti, lurfqu'il a dit : " touta  ( 125 ) ,5 notre Philofophie*ne nous empêche pas » d'agir Sc de parler bien fouvent, fans » nous en appercevoir, par pure opinion. 3, Nous ferions même ridicules de pré„ tendre faire autrement; & ce feroit un „ fort lot Perfonnage dans la Société, que „ celui qui diroit : je ne veux parler que „ de ce que je fais par vtie de demcnjtra3, tion : je ne veux agir qu'en conféquence „ de quelque axiome. Tout ce qui diftin „ Sc de s'y conformer. - „ Pour entretenir la Société, difoitA/*//r„ branche, ce n'eft pas alfez de parler une „ même langue,il faut tenirun mêmelan» gage' u faut paroitre pe»ier comme les „ autres; il fauc vivre d'opinion, comme » i'on agitparimitation, paree que ce n'eft  ( 126 ) pas tam la vérité qui unit les Hommes, „ que 1'opinion & la coutume. „ Quand les Hommes font convenus de faire réjaillir lur une Familie entiere le déshonneur, dont s'eft couvert un de fes Membres flétri pour quelque crime, As ont cu en vue d'obliger tous les Membres a fe furveillcr les uns les autres , a s'infpirer réciproquement des fentimens honnêtes , a faire regner la vertu dans la Familie & a en bannir le vice & le crime. Or, avant dc chêrcher d détruire ce préjugé , il convient d'examiner, s'il n'eft pas . plus avantageux, que nuifible a la Société ; Sc pour peu qu'on connoiflè 1'Humanité, on conviendra que la craintc de flétrir des perfonnes cheres, a plus épargné de ennies a la Société, que la craime même du fupplice.  ( 127 ) L'efprit huinain3 & fur-tout J'cfpntFranf ois , penche Sc court vers les extrêmes ; il ne fauroic fe plaire dans ce jufte milieu oü repofent le bonheur & la fagcrlè, fa compagne. Si les Peuples fe dépouillent d'un préjugé, ils tombent dans un préjugé oppofé. La potence cefTe-t-elle d'être une ignominie ? Cc n'eft qu'un mauvais quartd'heurc a paffer, difent nos libertins d'Angleterre , & prefque tous ceux qui calculeht, devienpent des Voleurs. Les Voleurs font fi communs parmi nous, qu'il faudroit Troyagerpar Caravane, pour n'être pas volé fur les grands chemins. Auffi avons nous foin, en nous mettan: en route, de faire plufieurs bourfes. Les Francais ceffent-ils d'idolatrer leur Roi ? ils 1'avilifTent. Du fanatifme de la fuperftition , & tombent dans celui de 1'irréligion, plus dangereux ,  ( 128 ) lans être plus tolérant. Pour ne pas faire une banqueroute d'argent, ils en font une d'honneur & de juftice. Pour ne pas ruiner" Jean-Picrre, ils dépouillent & volent^^wJacqucs. Ainfi, détruire une errcur, c'eft en mettre une autre a fa place, & puifque les hommes ne peuvent fe paner d'erreurs & de préjugés, il eff de la fageffè de leur laiifer les plus utiles au bien général. Voila ce que votre AfTemblée Nationale n'a pas prévu. Sous prétexte d'arracher 1'ivraie de la fuperftition , elle a dévafté le champ de la Religion. Pour corriger les déprédations de la Cour , elle a renverfé la Monarchie. De Paris, Ville dc luxe & dc commcrce , elle a fait une Ville de guerre & de mifere. Pour fe débarraffer d'une Armée redoutable , mais difciplinée, elle en a établi une indifciplinable &c plus  ( 129 ) plus dangercufe. Au Defpotifme miniftè* ricl , elle a fait fuccéder un Defpocilmé anarchique & univerfel; aux Lettres de cachet, les affauinats; a une fervkude modérée , une licer.ce effrénée. Elle a détruit 1'cfpionage de la Police qui contribuoit a la fécurité des Habitans de Paris , pour etablir un Comité, de recherches inqüifitorial, plus propre a inquiéter Hnnocencs qu'a effrayer le crime. Pour réhabilker 1'Homme dans fes prétendus droits naturels , elle a envahi tous les pouvoirs, avih la Royauté , détruit la füreté perfonnelle , affoibli la foi du ferment, rempli les Provinces de Démagogues, infefté les Campagnes de brigands, incendié des Abbayes , démoli des Chaccaux , brülé des ^rchives, pillé des CouvenSj violé les afyles le la pudeur & dc la piéte, diminué les R  ( l3o ) revenüs publics, fait paffcr 1'or mohnoyé chez 1'Etranger , éloignc du Royaume un million de Citoyens, corrompu les fources du bonheur public & particulier * & appauvri la pauvreté même. Convenez donc, Monfieur le Marquis, que s'il y a de vrais Philofophes dans 1'Affemblée Nationale , ce ne font pas ceux qui l'ont dominéé & lui ont fait rendretant de Décrêts contraires a la raifon, a la juftice, a la faine politique. Si vous êtes fage, vous ne tarderez pas a vous éloigner d'une ville oü il n'y a plus de fureté pour les honnêtes Citoyens. Ou je fuis fort trompè, ou la Guerre civile, le plus terrible des fiéaux, fuccédera bientót aux diifentions particulieres qui agitent Paris & les principales Ville du Royaume.  ( i3i ) L'état de violence de l'Aótion publique ne peut durer long-temps, & malheur aux Citoyens qui fe trouveront dans la Capitale, au moment du choc qui fe prépare! On aura beau immoler M. de Favras a la Sottife publique ; on aura beau menacer d'un pareil fort quiconque ofera confpirer en faveur de 1'autorité Royale & de la liberté perfonnelle du Roi, on ne fera que reculer de quelques inftans & rendre plus cruelle la contre-Révolution3 qui peut feule empêcher la diffoludon dc la France, R 2  ( 132 ) Lettre XXIV. De M. 23 * * , Notaire , d M. I'Avocat W , d Malines. Tongres, 17 Janv. 179c, v - » ous en direz fout ce qu'il vous plairas mon cher Coufin , mais je ne faurois approuver votre facon de penfer fur notre Révolution. Le plus fur effet qu'elle ait produit jufqu'a préfent, c'eft d'avoir caufe de grands troubles, fans avoir foulagé le Peuple. Cc qu'il y a de plus fachcux , c'eft que nous ne fommes point au termc de nos malheurs. Vindependance des Erabancons & des autres Provinces Belgiques n'étant pas encore aiïurée , nous devons nous attendre que les Pruffiens , qui ne font venus cheznous que pour ctre a portéc  (. 133 ) de la décider, s'y mainriendront jufqu'a ce qu'ils aient accompli leur defiè.in •, & Dieu fait a quel point cette prolonguion de féjour épuifera notre Pays l Il eft fort a craindre qde nos Etats ne foient bientót dans le cas de mettre quelqu'impót fur le Peuple, pour fubvenir aux befoins du Fifc & au paiemcnt des Troupes Pruffiennes ; de forte qu'au-lieu du foulagement premis par les Révolutionnaires a nous nous trouverons plus chargés* . Mais dc quel droit le Roi de Prune exigeroit-il le paiement de fon Exécution Militaire dans notre Pays ? Ce n'eft pas comme Roi de Pruffé, mais en fa qualité de Duc de Cléves, que, dc concert avec J'Evêque de Munfter & avec 1'Electeur Palatin, il devoit faire marcher, non fix mille hommes , mais douze cent, comme fes  ( 134 ) Collegues, pour faire exécutcr le Décrêt de la Chambre Impériale de Weftlaer. Cette Exécution , felon le Décrêt , devoit fe faire aux frais du Pays de Liege, comme vous favez ; mais le Pays de Liege eft-il dans 1'obligation de fournir aux frais d'une Exécution qui n'a pas eu lieu ? d'une Exécution oppofée au Décrêt de la Chambre Impériale ? d'une Exécution contraire aux intéréts du Prince , du Peuple, & de la Conftitution de 1'Empire ? Et quand les Pruffiens auroient défendu la Caufe qu'ils étoient dans 1'obligation de défendre, pourroient-ils exiger , en confeience, mais des Pruffiens ont - ils de la confeience ? eh , bien, pourroient-ils exiger, en juftice,les frais caufés par cinq ou fix mille hommes, dans une Expédition pour laquelle on ne leur en demandok que douzc, cents?Non,  ( 135? ) quelque peu délicats qu'ils fe- foient montrés en Hollande Sc chez nous, je ne puis croirc qu'ils fe déterminent jamais a une pareille demande. Ils deviendroient 1'horreur de 1'Europe , comme ils en font aujourd'hui 1'efFroi , s'ils bravoient a ce point 1'opinion publique. Perfonne n'ignore aujourd'hui qu'ils ne font venus chez nous en fi grand nombre, que pour être 2 portee de foutenir, en cas de befoin, les Rebelles des Pays-Bas ; que ce n'eft que pour avoir le prétexte d'y prolonger leur léjour , qu'ils fe font déclarés en faveur des prétentions des Patriotes, dont ils ne peuvent fe diffimuler l'extravagance Sc le ridicule. Les cngagemens, pris par Van-derNoot, avec la Cour de Berlin, font une nouvelle preuve, que le principal objet de cette Cour étoit de fe ménager une Place  ( 13^ ) d'armes dans notre Pays. Quoique je ne fois qo'un Clerc de Notaire, dans une petite Ville , vous devez vous rappeller , mon cher Coufin , que ce fut 1'idée que j'en eus, du moment que j'appris qu'elle envoyoit fix mille hommes; & c'eft ce qui me fit dire, dans le temps, que fi notre Prince- Evêque étoit bien confeillé, il auroit détaché quelque Homme d'efprit auprès du Comte deHerjlbcrg> pour lui dire, a 1'oreille , qu'on 1'avoit pénétré, &c que s'il n'y avoit pas moyen d'efquiver les fix mille hommes, on les garderoit de bonne grace, pourvu toutefois qu'ils protegeaffent la bonne Caufe. Le Miniftre Pruffien n'auroit afTurément pas mieux demandé, puifiju'il auroit pu voilcr, par cc même moyen , les deflèins de fa Cour , relativement aux Pays-Bas, & qu'enoutre,  ( *37 ) il fe feroii épargné 1'odieux attaché a la défenfe des Rebelles & d 1'infradion desDé^ crets de la Chambre Impériale de Weftlaer* La fcience du Gouvernement eft 1'art de faire concourir les paffions humaines au bien général des Sujets & a la profpérité de 1'Etat ; &, comme le Prince ne peut voir tout par lui-même, il doit s'environner d'Efprits obfervateurs , capables de 1'éclairer fur les viccs de fon adminiftration êc fur les entreprifes du dehors nuifibles a la Nation confiée a fes foins. La grandeur ou la médiocrité des Princes dépend fur-tout du choix de leurs Explorateurs , de la différence des foürces ou ils puifent leurs lumieres, du plus ou du moins d'habileté des Miniftres qu'ils emploienc. Il n'y a que l'ignorance ou la flatterie qui puiflèrit rejctter fur le Deftin les malheurs S  ( 138 ) de 1'Etat. Les mots Furtune Sc Ha/ard, en politique , ne fignifient que l'iiitelligence ou 1'incapacité , la fageue ou 1'impéritie des Souverains. Ce font eux , & non le Deftin, qui tiennent dans leurs mains la chaine fatale des événemens heureux ou malheureux. La Fortune n'eft aveugle que pour les Princes fans difcernement, qui choififfent mal leurs Miniftres , ou qui , par une économie mille fois plus ruineufe que la prodigalité, ótent aux Réfidens qu ils ont dans les Cours étrangeres, les moyens d'éventer les projets de leurs ennemis. Telle eft aujourd'hui la politique & la perverfité des Cours, que fans argent Sc fans intrigue , les Puiflanees de 1'Europc ne fauroient fe maintenir dans leurs pofleifions, C'eft pour avoir trop négligé ces funeftcs reffources, que Jofeph II a ignoré les dcf-  ( 139 ) feins perfides du cabinet de Berlin, Sc n'a pu prévenir flnfurredtion de fes Provinces Belgiques, qu'il perdra infailliblement, s'il faut en juger par la maniere dont on négocie avec elles. M. le Comte de Cobenz.1 a, je le fais, de la fageflTe , de 1'cfprit Sc même des lumieres •, mais quand on s'égare Sc qu'on eft bien monté, on s'éloigne davantage du bon chemin. Ce Miniftre chargé de pouvoirs illimités a donné fa confiance a 1'Ennemi né de tous les Miniftres envoyés dans le Brabant, a un Homme élevé Sc trèsverfé, a la vérité, dans la connoiflance des affaires , mais qui, fous 1'enveloppe du zele & de 1'honnêteté , cache 1'efprit le plus aftucieux Sc une ambition fi déméfuréc , fi tenace, qu'il n'a ceffé d'immoler impitoyablement a cette paffion tout ce S 2  ( Ho ) qui lui porfoit ombrage, & qui a agi avec tant d'adrefle, qu'il a trouvé plus d'un défcnfeur parmi fes propres vi&imes. Je le prédis, M. de CobcnzJ ne tardera pas d'augmenter le nombre de ces dernicres , Sc ne reconnoitra le tort qu'il a eu de prendre pour guide le renard Crumpipcn, qu'après avoir échoué dans fes entreprifes. Quoique fimple Clerc de Notaire, dans ■unepetire Ville, je fuis affez bien informé, pour favoir que ce madré Crumpipcn, dans 1'efpoir de procurer A leurs Altesses la Souveraineté ou du moins la plénitude du Gouvernement des Pays-Bas , & de gouverner en chef, fous leur nom , a accucumulé embarras lur embarras , pour fe rendre néceffaire a. M. le Comte de Trauttmanfdorff Sc le mettre plus fürement dans le cas d'être éliminé, Et véricablement,  ( Hi ) cjuoique ce Miniftre ne fe fut conduit que d'après fes fuggeftions , quoiqu'il 1'eut remis dans la confiance de S. M. I. & R. que M. de Beljoyofo, fon Prédécefleur, lui avoit fait perdre , a peine la Révolution a- t-elle été décidée; a peine les Membres du Gouvernement, obligés de fuir de Bruxelles, étoient-ils hors des portes de la ville, que M. Crumplpen informé de 1'arrivée de M. le Comte de Cobenz.1, a tourné le dos a M. dc Trauttmanfdorff', pour préfenter fa face hypocrite au nouveau Plénipotentiaire, & continuer fes manoeuvres , auprès de celui-ci, jufqu'a ce qu'il foit parvenu a fon but. Mais il ne faut pas être doué d'une grande fagacité, pour prévoir qu'il le manquera, & que pour trop offrir aux Etats oü il a un parti, il compromettra gratuitement la dignité duTróne, 1'ambition bien excufable  C ) de leurs Altesses 5c la féputatiori du Chargé de pleins pouvoirs. L'occafion de reconquerir les Beiges i leur Souverain, & de les fauver de leurs propres fureurs, eft pourtant bien favorable, fi 1'on favoit la faifir. Citoyen obfeur , Obfervateur inconnu des maladies de 1'efprit humain, je ne puis éclairer les Trönes; mais duffiez-vous m'accufer d'une folie préfomption, je ne crains pas de vous dire que, pour changer la face de l'Europe & dompter a jamais 1'Efprit d'Infurreclion qui menace la tranquillité de tous les Etats, je n'aurois befoin que d'une heure d'entretien foit avec Jofeph II, foit avec le Comte de Hertz.hrg, foit avec CatheYtnc II. Soyez fur, mon cher Coufin, qu'il n'y a pas le moindre charlatanifme dans eet épanchement. Vous feriez con-  ( H3 ) yaincu de 1'efficacicé de mes moyens, fi je pouvois les confier au papier. Mais ne trouverez-vous pas fingulier qu'un Homme capable dc changer & d'améliorer la deftinée de [plus de cent millions d'Ames, fe plaife a vivre ignorc dans le coin d'une petite Ville d'un petit Etat? Je n'en fais pas tant que notre M. Crumpipen, mais je fais être heureux. ll n'a tenu plufieurs fois qu'a moi de fortir de mon obfcurité & de faire connoiflance avec la Fortune; mais je n'ignore pas que le chagrin tk 1'inquiétudc marchent a la fuite de cette 'puiflante Divinité : poft eam fedet atra cura, & quand on a le néceifaire, c'eft n'être pas fage que de s'expofer a des foucis, pour obtenir un fuperflu, que la jouiffance convertit bientót en néceffnire. Je me fuis appercu de bonne heure, que le bonheur eft bien plus dan"  ( H4 ) nous-mèmes , que clans les cbjets qui nous entoureht. Celui qui, parcourant le Palais d'un Riche voluptueux, s'écria, que de chofes dont je fais me pajfer! n'étoit-il pas plus prés du bonheur, que le Poffeffeur de ces rafiaffiantes fuperfluicés ? Nulla eft adeo voluptas, comme Pline la obfervé, qua non affiduitate fuifaftidium pariat. De la fanré, un talent qui nous donne de quoi vivre, un peu de bien pour fe foutènir en maladie, quelques livres, la fociété d'une ou de deux Perfonnes honnêtes & aimables , cela ne fuffit-il pas pour continuer le pélérinage qu'on nomme U Vie ? Sur une Route oü 1'on eft certain de ne prs repaffèr, c'eft une vraie duperie, que de fixer les objets , avec le deur de fe les approprier. Il fuffit d'avoir de quoi payer les auberges oü 1'on eft obligé dc s'arrêter. Si vous êtes lage, mon cher Coufin , vous  ( H? ) vous adopterez ma Philofophie & ne vous mêlerez plus des querelles de vos Concitoyens. Vos Ecrics ni les leurs , ni ceux dc tous les Ecrivailleurs d*e Bruxelles, n'empêeheront pas que le Brabant ne rentrc tot" ou tard fous la Domination Autrichiennc. Soyez fur que quand 1'Empereur fuccomberoit a fa maladie , fa mort ne changeroit rien au fort qui vous attend, Léopold eft trop cclairc pour ne pas fentir combien, dans les circonftances aftuelks, il importe a. la Maifon d'Autriche de ne point perdre une feule des Provinces Belgiques ; il a trop de caractere , pour fe laifler intimider par la Prune, & il fera, n'en doutez pas, affez habile pour 1'empêcher d'agir , ou fi elle fe déclare Miez puhTant, pour lui réfifter & la vaincre. Quelque envie qu'elle ait d'affoiblir la Puiflance T  ( I4<5 ) Autrichiennc, elle ne Te commettra pas, auflï facilcment que vous pourricz 1'imaginer > contre une Armee forte dc 400 mille hommes , fournie de prés de 14 mille canons & commandée par un Laudon Sc par des Généraux jaloux de marcher fur les traces de ce grand Capitaine. Croyez-moi , mon cher Coufin, renoncez a 1'efpoir d'une indépendance chimérique. Il en lera de votre Infurredion r comme dc la notre : après s'être bien agités, bien tourmentés, bien déchires les uns les autres ; après avoir troublé 1'Etat, ï'uiné le Commerce, épuifé le Pays Sc rendu le Peuple malheureux, les Beiges , comme les Liégeois, rentreront fous le joug de 1'obéiflance & rougiront d'avoir été les dupes des Efprits fédideux qui les ont portés a fe foulever contre leur légidme  ( 147 ) Souverain. Pour peu qu'ils eulFent été raifonnables, ils auroienc vü que les calamités font le chatimehr inévitabte de la Révolte, & que prefque toutes les Infurrections n'aboutiffcnt qu'a rendre les Peuples plus malheureux. Souffrez que je termine ma Lettre par le tableau que fait Adijfon d'un Peuple en proie aux fureurs de la Difcorde. Un Pays, dit-il, ne fauroit être frappe' d'un fle'au plus terrible que eet efprit de divifion qui fe'pare un Peuple en deux corps plas oppofes 1'un & 1'autre, que s'ils Formoient effecnvement deux Nations différentes. Rien de plus pernicieux que les effets de ces divifions, non-feulement par rapport aux avantages qu'en retiref ünnemi commun; mais encore a caufe des maux qu'elles verfent k longs traits dans le ccenr de prefque tous les particuliers. Leurs malignes influences s'e'tendent même jufques fur les mceurs & les opinions des hommes; elles renrerfent infenfiblement les ide'es de la 'T z  ( 143 ,) vertu & detraifent même jufqu'au fens comtnuti. Qnand 1'efprit de parti de'ploie toute fa rage & toute fa fureur, il produit les guerres civiles & le carnage ; & lorfqu'il eft retenu dans fes bornes les plus e'troites , il fe manifefte naturellement par le menfonge, la de'traétion , la calomnie & les injuftices. En un mot, il feme par tout dans une Nation le fiel & la rancune, & e'touffe les femtnces de la douceur , de la compaflion & de 1'humanite. Adieu, mon cher Coufin, je me flatte que vous ne vous plaindrez pas cette fois de la Curtitude de mes Lettres. Recevez mes falutadons ; fi elles ne font pas angéiiques, elles font du moins très-cordiales.  ( H9 ) Lettre XXV. De M. l'Abbé S. de C. d M. le Duc de C**, * Condê. Aix-la-Chapells, 18 Janv. 1790. IVon, Mópfieur le Duc, je ne m'en dédis pas , c'eft lorfque le goüt & les talens ont dégénéré en France, & que 1'efprit Philofophique s'eft emparé de nos Auteurs , que nos mceurs ont commencé de fe corrompre. C'eft ce qui ne me fera pas auffi difficile de vous prouver, que vous vous 1'êtes figuré. J'obferverai d'abord que le gout littéraire n'eft pas un objet auffi indifférent qu'on fe 1'imagine & que notre Gouvernement a paru le croire, par fon peu de fob l encourager la Critique. Les opinions  ( iyo ) littcraires adoptées par Ia multitudc, ca~ ractérifent les mceurs nationales , paree que le gout tient effentiellement aux mceurs : il fe trouve analogue & conforme aux inclinations 8c aux préjugés dominans. Un Peuple violent & féroce gouteroit médiocrement des Ecrits qui ne refpircroient que la tendreffe & la douceur. Des compofitions males & aufteres rebuteroient des Nations douces 8c efféminées. Nos Opéra euffent affadi le cceur d'un Spartiate ; le Sybarite eut été révolté des Tragédies terribles & fanguinaires de Crébillon 8c de Dubelloy. Quand les Loix 8c les Bienféances regnent fouverainement dans un Etat, ccla fuppofe dans la Nation une re&itude & une folidité d'efprit qui} par un enchaïnement néceffaire, influent fur 1'éducation,  ( tfl ) fur la Littérature , fur les Arts utiles, Sc fur les Arts de pur agrément. Alors les idéés générales font juftes, les maximes faines , les décifions modeftes , 1'imaeinatioh réglée, le Génie affujetti a la raifon, 1'Art foumis a la Nature, les Artiües foumis aux loix de 1'Art. Mais quand dans un Etat les loix font fans vigueur; quand la licence eft tolérée, le luxe encouragé, la Religion dominante impunément attaquée, cela fuppofe dans la Nation une foibleffe de raifon, une déviation d'efprit, une perverfion de goiit qui , par leur influence infcniible , mais inévitable, finiflent par rendre cette Nation méprifable & malheureufe. Alors les principes font arbitiaires, les Regies violées , la Nature défigurée , les décences méconnues, les qualkés bnllantes préfc-  ( 152 ) rees aux qualités folides, la vérité & le mérite confondus avec 1'erreur & le Charlatanifme. Ces deux tableaux contraftés rctracent affez fidélement le Siècle de Louis XIV, & le Siècle philofophique oü nous vivons. On ne peut douter en effet que le Gout 8c les Talens n'aient dégénéré parmi nous, comme ils déclinerent chez les Grecs , après le Regne A'Alexandre , &c, chez les Romains , après le fiecle A'Augufte. " Tout femble ram ener les Francois a la bar„ barie, dont Louis XIV 8c le Cardinal „ de Richelieu les ont tirés „ difoit Voltahe lui-même, dans fon Epitre dédicatoire de Zaïre a M. de Falkener. Mais d'oü vient qu'avec de nouveaux fecours les Talens ne fe font pas du moins fbutenus dans un degré eftimable ? D'ou vient  ( 153 ) vient qu'avec de nouveaux Modeles, ils fe font montrés fi foibles & fi bifarres ? C'eft précifément, Monfieur le Duc » cette richefle qui leur a nui; car il ne faut pas croire que la Nature foit moins libérale en Hommes de génie, dans unfiecle, que dans un autre : elle eft toujours la même, toujours inépuifable. Mais lorfqua les talens font parvenus, dans quelque genre que ce foit, a leur plus haut degré d'élévation , ils s'affoibliflent & dégénerent, comme des fruits , qui ont acquis leur maturité, fe flétriffent & fe gatent. Les Talens , vers la fin du Siècle dernier , avoient fait tous les progrès qu'ils pouvoient faire. Le penchant trop naturel des Hommes a le laffer de la beauté même & a eftimer moins ce qu'ils poffédent, depuis qu'ils en ont la jouiflance; le befoin V  ( J54 ) de varier leurs plaifirs fit naitre de noUyeaux genres. Le gout devenu plus éclairé, devient plus exigeant. On eompara les Modeles ; on les analyfa, pour portcr le Génie a les furpaflèr; mais, par la raifon qu'on fent moins , lorfqu'on réfléchit d'avantage; que 1'cfprit perd en vigucur ce qu'il gagne en étendue , on ne fit que fuivre dc loin ces Modeles, fans jamais les attcindre. Le découragement fuit de prés 1'humiliadon & le défaut de fuccès : on fe laffa donc dc marcher fur leurs traces; on prit de nouvelles routes, & on s'égara. Fonteneik &c Lamotte furent les premiers qui donnerent eet exemple dangereux. Doués 1'un & 1'autre de bcaucoup d'efprit, mais n'ayant pas la force dc s'élevcr d la hauteur des grands Ecrivains, ils préfenterent des beautés fardées; ils s'efforccrent  ( 155 ) d'éblouir par des penfées fines, ingénieufes Sc brillantes. Les fentences remplacerent la chaleur du fentiment. Ils hazardercjit en ftyle timide des opinions hardies fur le Gout Sc la Religion. La manie de 1'efprit raiionneur , qu'on a nommé Efprit Pbilofcpbique , s'empara de tous les Efprits, & a force de raifonner fur ie beau, on ne le fentit plus. On plaiguit ceux qui s'étoient donnés des entraves, en s'arTujettinant aux Regies , Sc chaque Auteur ne fuivit plus que les caprices de fon génie. On avanca des paradoxes ; on établit de faux principes ; on dépenfa beaucoup d'efprit, pour prouver que les Anciens en avoient manqué; & par 1'adreffe de quelques Ecrivains a mettre dans leurs intéréts 1'amour-propre des Lecteurs , on préfera le bel Efprit au bon Efprit, les beautés artificielles aux V z  ( 15$ ') beautés limples dc naturelles , & le mauvais gout prévalut. D ans ces circonftances Volt air e parut. Perfonnc n'etoit plus en état que lui de rarnener les Efprits fur la route du vrai. Il avoit recu de la Nature tout ce qu'il falloit pour briller a cóté des plus beaux Génies du fiecle dernier; mais féduit luimême , des Page Ie plus tendre, par 1'amour de 1'indépendance ; impatient dc fe faire un nom, il donna 1'effor a fon efprit, avant d'avoir laiflé mürir fa raifon & perfectionner fes talens. (*) Plus ambitieux dc louanges que de gloire , plus flatté dc (*) Voici ce qu'il e"crivoit de Cirey le 4 Septembre 1738 , c'eft-a-dire , b. 1'age de 44 ans : je me fuis mis trop tard a corrigsr mes ouvrages. „ Je paife aftuellement les jours & les nuits a ,» réformer la Henriade, OEdipe, Btutus, & tout » oe que j'ai fait. „ Lett. a M, Htivitmt,  ( 157 ) la réputation d'un Efprit facile & agréable, que de celle d'un Génie achevé, loin d'oppofer une barrière au mauvais gout, il le favorifa par' de faux principes, & fouvent par de mauvais exemples, encore plus dangereux, Pour pallier fa foibleffe & juftifier fes écarts, il s'efforca de perfuader au Public qu'après les Chefs-d'ceuvrc du ficcle de Louis XIV, il étoit impoffiblc de fe fignaler dans la carrière des Arts. „ Les Grands Hommes du fiecle paffe , „ dit-il, dans 1'Hiftoire de ce fiecle, cb. 29, „ ont enfeigné a penfer &c a parler ; ils „ ont dit ce qu'on ne favoit pas. Ceux qui „ leur fuccédent ne pcuvent gueres dire „ que ce qu'on fait. „ Les grands traits naturels qui appar„ tiennent aux Arts , les beautés qu'ils }, comportent font en petit nombre •, les  ( m ) „ fujets & les embelliffemens propres aux „ fujets, ont des bornes plus refferrées „ qu'on ne penfe. La Route étoit difficile au commen„ cement du fiecle de Louis XIV, paree „ que perfonne n'y avoit marché ; elle „ 1'eft aujourd'hui, paree qu'elle a été „ battue. „ Il ne faut. pas croire que les -grande* ,3. paffions tragiques & les grands fenti„ mens puiffent fe varier d'une maniere „ neuve & frappante. „ Vous feutez, Monfieur le Duc, la foibleffe de ces idéés. La raifon & 1'expérience nous apprennent, qu'il n'y a point dans les Arts de genre épuifé , ni de genre qui puiffe jamais 1'ctre. Les Arts font 1'imitation de la Nature, & la Nature nous offre des fources inépuUables d'imitatiou.  ( 1/9 ) Le monde moral eft plus vafte & plus varié que le monde phyfiquc. Il y a dans le coeur de 1'Homme une génération perpétuelle de paffions, &, dans chaque paffion, une infinité de nuances & de variations; car combien les pafljons ne peuvent-elles pas être variées par les circonftances, par les préjugés & pa» mille autres caufes! Confultons 1 'expérience. A 1 epoque oü Sophocle préfenta fon Ocdipe aux Juges , devant lefquels il avoit été. cité par fes propres nis, Efchyle avoif compofé quatrevingt-dix tragédies , Euripide foixantequinze, & lui-même en avoit déja fait cent, dont vingt avoient été couronnées. Lorfque Corneille donna Nicomede, cette piece avoit été précédée de vingt autres du même auteur. Cepcndantlcs Chefs-d'ceuvre de ce Pere de la Tragédie, n'empêchcrenr  ( l6o } pas Rttcine , fon Succcüeur, de fe fignaler dans le même Art. Mafillon fut encore s'illuftrer dans la prédication, après Boitrddloue ; & Flécbitr, dans 1'oraifon funebre, après le grand Bofaet. Il n'y a point de carrière en effet ou 1'on ne puiifé acqucrir de la gloire , même après Hercule , témoin les exploits dc Théfée. Quoique Voltalre n'ait égalé ni VHercule ni le Théfée de notre Thcatre, il a néanmoins cultivé 1'art de Melpemene avec afféz dc talent, pour être lui-même une prcuve contre fon principe. Mais quand il leroit vrai que les Auteurs du dernier fiecle fe fuffënt emparés de tous les grands Sujets, qui empêche qu'on ne les manie de nouveau, lorfqu'on fe fent capable de les furpaffer? Ne 1'a-t-il pas lui-même tenté, dans Oedtpe;Mariamne, Brutuf,  ( i6i ) Brutus, Merope, Zulime ,0r eft e, Rome fattvee, les Pélopides, les Scj/thes, Dom-Pedre ? Ce n'eft pas pour avoir jdioifi ces fujets déja traités en France qu'il a été blamé des Gens de gout : c'eft pour n'avoir pas furpaffé fes Rivaux, Sc pour être refté inférieur d Bajaz.et, Sc même a Ar'tane, dans Zulime i. X Eleclre, dans Orefte; X Catilina, dans Rome fauvée; X Atrée , dans les Pélopides, Sc XPierre-le-Cruel, dans Dom-Pedre. Pour appuyer fon affertion , Volt air e ajouEe que, dans tous les Arts, il y a un terme par dela lequel on ne peut plus avancer. D'accord, mais qui 1'a jamais atteint ce terme , Sc qui peut le fixer ? De ce que Ylliade Sc YEneide n'ont pas encore été iarpaffées, faut-il en conclure que ces Poëmes font parfaits, Sc que la Poéfie épique eft arrivée d un degré de perfe&ion par deli X  ( ïéz ) lcquel on ne peut aller i Ce n'eft poins 1'Art, mais le talent qui eft borné. Virgile voyoit des beatles qu'il n'avoit pas faifies, puis qu'après onze années de travail, fon Poëme lui paroiffoit li défectueux, qu'on 1'auroit livié aux flammes , fi 1'on avoit rempli fes intentions. Michel-Ange meurt agé de ïoo ans, & meurt en difant : " pourquoi faut-il ceffer 3, de vivre , precifément quand je com„ mencois a connoitre quelque chofe dans „, les Arts que j'ai fi long-temps cultivós ? ,• Ne devez-vous pas conclure, d'après ces obfervations , Monfieur le Duc , que les Chefs-d'osuvre du Siècle dernier, loin d'être un obftacle au fuccès des Artiftcs , ótoient pour eux dc nouveaux fecours; & que fi, malgré ces fecours, les Auteurs &c les Artiftes n'ont pu furpaffer ni même  ( i63 ) egaler leurs Prédéceffeurs, il faut imputer leur infériorité a la foibleffe de leur génie, & cette foibleflè a la manie du raifonnement ou de 1'efprit Philofophique ? Semblable a cette trifte Saifon, qui ne femblc fuccéder aux autres, que pour flétrir ou détruire les ornemens dont elles avoient paré la Terre, 1'efprit Philofophique a porté la froideur & la fécherefie dans tous les champs de la littérature; mais le champ de la morale eft celui qui a le plus fouffert de fes atteintes corruptrices. Je le dis hardiment & fans crainte d'être démenti par aucun Connoifleur impartial, Volt air e & fcan-^Jacqws Roujfeau execptés, tous les Ecrivains de cc fiecle reconnus pour Philofophes, ne font que des Ecrivains médiocres, dont le moins médiocre ne fauroit être comparé , dans aucun genre , X 2  ( 164 ) aux bons Ecrivains du fiecle paffé. Car, je ne compte pas, parmi les Philofophes de nos jours, Montefquieu qui a fi bien parlé de la Révélation &c du Chriftianifme, ni M. de Buffon, dont la fupériorité reconnue dédaigna toujours de defcendre dans les déclamations, les querelles & les intrigues des Philofophes. Quoi ! les Diderot, les ÜAUmbert, les Marmontel, les Condorcet, les LaHarpe, les St. Lambert, fi pronés les uns par les autres , regardés par la multkude comme les flambeaux du fiecle, ne fe feroient pas élevés au-defliis de la médiocrité f Non , Monfieur le Duc , & fi ce font des flambeaux , ils brillent fans éclairer, femblables a ces Aftres qui ne font point un fecours pour la Terre, & dont la préfcnce témoigne que la nuk eft arrivée.  ( i6s ) Remontez a- la fource de leur célébritc, S'ils étoicnt partis du niveau de leur efprit & qu'ils euffent parlé naturellement, on les eut certainement confondus dans la foule; mais, leurs prétentions excédant les bornes de leurs talens , ils ont eu recours a la fingularké, en employant un langage hardi, my ftérieux, emphatique, paree qu'on a Pefpoir de perfuader au Vulgaire qu'on dit de grandes chofes, quand on s'exprime d'une maniere contournée, quand on declame contre les préjugés ou qu'on affccle le ton de maïtre. Il me femble avoir affiüe au Confcil de leur amour-propre, au moment oü ils ont pris la plume. " Si je par„ cours le lentier battu , quelle gloire „ pourra-t-il m'en revenir? M'eft-il donné '„ d'aller auffi loin que les grands Hommes ,, qui m'ont précédé? Prénons une autre  ( 166 ) ?> voie. La fmgularité attire les regards : „ foyons donc lïnguliers. Qu'importe que „ nos idees foient faufTes, pourvu quelles >, foient impofantes ? La hardicffe excite ,, 1'attention : quelle foit le premier de nos „ relforts. La Tolérance flatte les efprits; n nous la prêcherons , mais fans la prati„ quer. Si quelques Gens fenfés nous trouvent ridicules , nous les ferons" taire : les Grands que nous fronderons en général , & que nous fktterons en parti„ culier , ne nous refuferont pas leur crédit, pour écrafer nos adverfaires. Avec de 1'audace & de Padrcffe on triomphe „ de tout. „ De pareilles maximes ne devoient pas demeurer ftériles; ils les ont mifes en pratique. L'air avantageux qu'ils ont fu donner aux idéés les plus communes, les a fait  ( f6y ) paroïtre excellentes , mervcilleufcs. A la fuffifance, quelques-uns ont joint le fecours d'une obfcurité myftérieufe, appellée fort k propos* pour envelopper des penfées fauffes. Tels nos anciens Aftrologues s'appliquoient a couvrir de ténebres la bifarrerie de leurs concepcions & a perfuader que la hauteur de leurs penfées étoit la caufe qui cmpêchoit de les faifir, Ce n'eft pas que plufieurs des Auteurs dont je parle n'aient de 1'efprit & même un certain talent; mais leurs Produófions n'en portent pas moins le caractere de la médiocrité. En eft-il une feule qui offre cette vivacité de conception, cette plénitude de fentiment, cette force de raifon., ce coloris naturel & toujours frais, ce ton aifé , ce ftyle fimple & nombreux , ces tours varics, qui font le fceau diffindtif de*  ( i6$ ) bons ouvrages du dernier Siècle;- Ne furht-il pas d'être un peu familier avec ceux-ci, pour reconnoitre au contraire, dans les leurs, de 1'enflure pour de la dignité, du bifarre pour de 1'original ou du neuf, de la contraintepour de lalégéreté, defroides exclamations pour de la chaleur, de la fubtilité pour de la délicateflè , du faux bel efprit pour de la raifon? Qu'on m'en citc un feul qui porte une véritable emprcinte de cette vigueur d'ame extraordinaire, qui rend propre a imaginer ou a faifir fortement les beautés d'un fujet, vigueur qui caractérife tous les bons ouvrages du dernier fiecle, & fans laquclle on ne peut fe flatter d'avoir un vrai talent. Les Confidérations fur les mazurs de ce Siècle , paffcnt pour le meilieur livre de Morale qui foit forti des plumes Plnlofo- phiques.  ( if9 ) phiqucs. J'avouerai fans peine qu'il annonce l'étude & la cOnnoilfance des Hommes , & qu'on y trouve des penfécs ingénieufes, des réflexions juftes & pleines de fens; mais eft-ce la un Ouvrage fupérieur ? L'élocution n'en eft-elle pas feche , incoherente, brufque, déeharnée, fetiguante? Ce qui bleue fur-tout dans ce Livre, c'eft le ton de prétention qui regne d'un bout a 1'autre , l'affedation continuelle de 1'Ecrivain a donner aux penfées les plus communes un air de profondeur & de nouveauté. Son debut même eft rébutant. J'ai vécu , dit-il •, je voudrois étre utile a ceux qui ont a vivrc. Le feul mérite dc cette phrafe eft d'être courte. Qu'offre-t-elle en cffet, fi ce n'eft une morgue infultantè & un contrafte affeóté entre 1'Autcur qui a vécu Sc les ledeurs qui ont a vivre ï Y  ( 170 ) Un autre eut dit : " j'ai acquis quelque „ expérience : je voudrois rendre mes rc- flexions utiles a mes fcmblables. „ L'expreffion eut été fimple 8c naturelle mais il convenoit au Philofophe de fe redrefTer, de frapper l'oreille &c d'annoncer qu'il avoit fu profiter de la vie. Au-lieu de fe borner d dire, que 1'extrane diffipation qui regne dans les Sociétés de Paris , fait qu'on ne prend pas affez d'intérêt les uns aux autres , pour être difficile dans fes liaifons , il dit, avee une recherche intolérable : " il regne a Paris une indifférence générale qui mul„ tiplie les goüts pajfagers} qui tient lieu „ de liaifon , qui fait que perfonne n'eft „ de Trop dans la Société ; que perfonne „ n'y eft nécejfaire. Tout le monde fe con„ yient ; perfonne ne fe manque ; on fe  ( I7i ) „ recherche peu •, on s'accueille avec plus „ de vivacicé que de chaleur, on fe perd „ fins regret, &c. Chap. I. „ A quoi bon fe donner tant de peine ? Pourquoi ces affaucs de couleur, ces nuances étudiées , ces expreffions pincées Sc fubtiles , pour exprimer une obfervation auffi rebattue que celle-la? Quand on cherche a inftruire fon Le&eur & non a lui paroicre merveilleux , on s'exprime plus fimplement Sc Ton n'a pas recours, comme M. Duclos , ï la coqueterie des phrafes coupées, graduées Sc fententieufes. Les préjugés les plus tenaces , dit-il, dans le même chapitre, font ceux dont les fondemens font les moins folides. On peut fe détromper d'une erreur raifonnée, par tel* même qu'on raifonne; mais comment tombattre ce qui na ni principe ni conféquencc? Y z  ( 17^ ) A qui eet Auteur fera-t-il comprendre que la ténacité d'une chofe , d'un préjugé dépend de la foiblene de fes fondemens ? N'eft-il pas- plus aifé de démontrer que les préjugés qui réfiftent le plus aux lumieres de la vérité, font ceux qui ont des racines plus fortes dans nos intéréts ou nos paf fions , & qu'alors ces fondemens ne doivent pas étre regardés comme peu folides ? Le moyen de le détacher par le raifonnement d'une errcur que le raifonnement a produite .3 Enfin, demander comment combattre ce qui n'a ni principe ni conféquence ; c'efc demander comment anéantir ce qui n'exifie point. Mais les erreurs, fur-tout celles qui font raifonnées, ont un principe & une conféquence : le principe d la vérité eft vickux  ( 173 ) & la conféqucnce mal déduite 5 mais ils n'e.xiftent pas moins, Prefque coutl'Ouvrage des Confklérations eft écrit de ce gout, Il n'y a point dc C!iapitre qui n'offre des penfées fauffes ou mal dévcloppées , & des penfées triviaies déguifées fous 1'appareil des grands mots. Pour dire que les mceurs d'un Peuple ont plus d'infiuence fur fa conduite que les loix , 1'Auteur nous dit : u les mceurs d'un „ Peuple font le principe actif de fa con„ duite , les Loix n'en font que le frein > „ celles-ci n'ont donc pas fur lui le même „ empire que les mceurs. On luit les „ mceurs de fon fiecle, on öbéit aux loix, „ c'eft 1'autorité qui les fait ou qui les „ abroge , les mceurs d'une Nation lui ,, font plus facrees & plus chcres que les ,> loix. „  ( 17} ) En un mot, la manie de donner A toutes fes idéés un tour fententieux, & la fureur marquée de mettre de 1'efprit & de la finefTè, oü il ne faudroit que de la fimplicité,rendent fon ftyle énigmatique,faux & infoutenable. Vous en jugerez par ces morceaux pris au hafard. „ A 1'égard de ceux qui fe preferent s, naïvement a nous , c'eft paree qu'ils „ n'ont pas de droit a la jaloulie.... La cupidité réduite en fyftême fait les cri„ mes.... Nous devons a tous ceux qui „ nous doivent, & nous leur devons éga„ lement, quelque différens que foient ces „ devoirs.... Les Peuples les plus fauvas, ges font les plus criminels. Les Peuples „ policés valent mieux que les Peuples „ polis. Cbap. ƒ, 3, Les mauvais fuccés ne détrompent  ( 175 ) „ pas ceux qu'ils humilient. Ou eft plus 5, humilié d'être au-deffous de fes préten„ tions, que de fes devoirs.... L'indiffé„ rence eft la feulc difpofition de 1'amé i, qui doive être ignorée de celui qui 1'é„ prouve : il n'y a qüun incérêc tres-fen„ fible qui faffé jouer l'indifférence. L'ef„ prit fert a tout & ne fupplée prefqüa „ rien On les croit capables de faire tout ce qu'ils n'ont pas fait, & unique„ ment paree qu'ils n'ont rien fait. Ch. XI. Ce n'eft affurément pas ainfi qu'écrivoient Pafcal, Nicele, La Bruyere, Abadie & les autres Moraliftes, dont on ne retient fi facilement les penfées, que paree qu'elles font facilement & fimplement exprimées. Aprcs les Conjideratiuns fur les mveurs de ce Siècle, 1'ouvrage de Morale le plus vanté par les Philofophes eft 1 'lutroduftion a la  ( 17& ) . connoijfance de l'F.fprit-Humain, par M. de Vauvcnargues , mort a Paris en 1747 , dans des fentimens tres - Philofipbiques , expreffion confaerée pour dire trés-peu Ghrétiens. C'eft a 1'occafion de eer Ouvrage de Morale que Voltaire s'eft écrié, en apoftrophant PAuteur : " Comment avois-tu pris }> un vol fi hardi dans le Siècle des Petitejfes ? „ Par quel prodige avois-tu a 1'age de „ 2,f ans la vraie Philofophie & la vraie „ éloquence? „ Cependant, Mönfieur le Duc , rien demoins fublimc que 1'cfTor de ce vrat Pbilofopbe. Vous en jugerez par les Penfées mémes que Voltaire en rapporte & qu'il cite comme les plus profondes & les plus dignes d'être 'médit ces par ceux qui penfent. Voici la première. La  ( 177 ) La Raifon nous trompe plus fouvent qui la Nature. Il n'y a la, ce me fcmble, rien de bien. profond. Je crois y voir au contraire un défaut de jufteffe. En effet , qu'eft-ce que la Raifon , finon cette lumiere naturelle qui nous fait connoïtre le bien & le mal, ce qui nous eft avantageux ou nuifible ? Et qu'eft-ce que la Nature, finon 1'affèmblase de nos défauts > de nos befoins, de nos paffions? Or, qui peut nier que ce ne foient les paffions qui aveuglent, ennivrent Sc trompent la raifon ? M. de Vauvcnargues en convient lui-même dans la feconde Penfée rapportée par fon Panégyrifte. Si les paffions font plus de fautes que U jugement, c'eft par la mime raifon que ceux qui gouvernent, font plus de fautes que les Hommes privésf %  ( 178 ) Si ce font les paffions qui gouvcrnent Ie jugement, il eft donc faux que la Raifon nous trompe plus fouvent que la Nature. La penfe'e de la mort nous trompe; car elle nous fait oublier de vivre. Quelle ctrange morale ! la penfée de la mort ne nous trompe pas, puifqu'elle a un objet certain : elle ne vous fait pas non plus oublier de vivre, puifque fon effet lc plus ordinaire eft de porter , même les Epicuriens , a mettre le temps d pront. Les plus faujft de toutes les Philofophies tfi celle qui , fous prétexte d'affranchir les Hommes des embarras des paffions, leur confeille Poifivcté. On pourroit dire, que Ia plus fauffe de toutes les Philofophies eft celle qui raifonne ainfi; car quel Philofophe confeilla jamais YOifivetc, mere de tous les vices 3  ( 179 ) L'Auteur moralifte a peut-être voulu dire la Parejfe; mais la Pareffc elle-même n'eftelle pas la plus ardente Sc la plus maligne de toutes les paffions , quoique fa violence foit infenfible, & que les dommages qu'elle caufe foient très-cachés, ainfi que la trèsbien obfcrvc la Rochefoucault ? On peut dire , en effet, que la ParefTe eft, pour 1'ame, une efpece de fiévre lente qui, a la longue , 1'altere , confume fes forces , la rend, pour ainfi parler , paralytique & incapable de toute vertu. Nous devons peut-être aux paffions les plus grands avantages de l'Efprit. Cette penfée eft fi peu profonde, fi peu neuve , que le peut - étre la rend niaife. Et véritablement, qui peut ignorer que les paffions font le reffort de 1'efprit ? que d'un fot elles font fouvent un homme habile} Z z  { 180 ) fOfflmJ, quand elles font extrêmes, elles font quelquefois un fot ou plutö't un fou du plus habile homme du monde? Sans les paffions, point de chaleur ni de fentiment; fans le fentiment & la chaleur, point d'éloquence ni de vrai talent. Il faut donc avoir bien peu réflechi pour mettre en doute que 1'efprit doive aux paffions fes plus grands avantages. Quiconque eft flus févere que les Loix eft un Tyran. Si c'eft dans les Tribunaux, loin de renchérir fur les punitions que les loix infligent, ou les mitige en tous lieux : la penfée alors devient inutile. Si c'eft dans la Société , la penfée alors eft évidemment faufie ; car les loix ne puniifent point les Ingrats , ni les Philofophes qui déraifonncnt, ni les Morel qui s'infinuent dans la  ( 181 ) confiance d'un Favras, pour le dénoncer enfuite» Accufera-t-on pour cela de Tjrannie les honnêtes Gens qui puniffent ce monde par le mépris? Il eft bon que les mceurs foient plus féveres que les loix : celles-cï fe borneut a punir le crime ; les mceurs portent d bien faire , Sc font, en cela , plus précieufes que les loix. Combien font donc coupables ceux qui s'efforcent de corromprc & d'anéantir nos mceurs? Voila pourtant, Monfieur le Duc, les fublimcs maximes que Voltaire offre a 1'admiration publique & a la méditation de ceux qui favent penfer. Quel cas faire, aprcs cela, du fuffrage de ce fameux Ecrivain? Mais que fignifie cette maniere de compofer par penfées détachées > commune a prefque tous nos Ecrivains Philofophes ? Paignez y faire attention & vous verrez  ( i8» ) que chez eux, c'eft par-tout, jufques dans 1'Hiftoire , uije circonfcription étroite qui ilole les objets &c prouve 1'impuiflancc de faifir & de lier 1'enfemble d'un fujet. Ils traitent toutes les matieres par chapitres, par paragraphes ou par réiiexions féparées; & quand 1'Ouvrage ne comportepas ces fortes de divifions , ce font a chaque page des incohérences, des internüffions > des repos forcés, qui prouvent que la refpiration de ces Meffieurs eft très-courte, 8c que , femblables aux afthmatiques , ils font obligés d'interrompre leur marche , pour reprendre haleine. Dela ces mélanges de lueur & d'obfcurité, tant de reticences 8c d'exclamations de commande, ces tranfitions forcées, ces longs épifodes, ces fcntences parafites qu'on peut détacher du fond, fans nuire a 1'Ouvrage, ce qui prouve  ( 1S3 ) qu'il eft fans ordre, fans unité , & par conféquent fans génie. Mais d'oti vient qu'ils ne peuvent fournir une longue carrière > fans haleter a chaque pas ? C'eft qu'ils ne pollédent qu'un demi talent, qu'une ame imparfaite, fi 1'on peut hafarder ce terme ; car 1'ame d'un Ecrivain eft dans 1'accord du cceui? 8c de 1'efprit , 8c nos Philofophes n'ont que de 1'efprit. Eh ! quel ufage encore ont-ils fait de leur efprit! Peu contens d'avoir dénaturé les regies, d'avoir peryerti les genres, d'avoir corrompu le gout , ils ont répandu des maximes dangereufes, établi des principes pernicieux , enfeignc des dogmes négatifs &c deftrucïeurs, traité la Morale 8c la Religion, comme ils ont traité la Raifon &' le Gout. Cependant, quelque facilité qu'ils aient a concevoir 8c ï mettre au jour avec  ( 184 ) affurance des idees faufTes ou bifarres, il ne faut pas croire que ce foit fans précaution, qu'ils ont entrepris de renverfer les principes religieux & monarchiques. Ce projet a été concerté avec beaucoup d'adreffe. Pour dénaturer le Gout, ils n'avoient a redouter que les réclamations de quelques Gens de Lettres ; mais en frondant trop ouvertement la Religion & 1'Autorité , ils avoient a craindre d'armer contre eux le Gouvernement. Ils ont donc cachéleur marche, & taché deparvenir a leur but, en déguifant leurs motifs par des coups ménagés. De peur d'cffrayer par des maximes dont la hardieffe eut d'abord révolté, ils ont débuté par des déclamations modérées contre les préjugés. Leur maniere étoit infidicufe : ils vouloient épurer les idéés, réformer des erreurs nuifibles, inf- pirer  ( i8s ) pirer plus d'amour pour la vérité, plus dc sele pour la vertu; mais entrainés par 1'cCprit d'indépendance qui les maurifoit , ils ont mis dans la claife des préjugés funef tes, les opinions les plus utiles au bon ordre de la Société , Ik fous prétexte de combattre le fanatifme & la fuperftition» ils ont attaqué les dogmes fondamentaux du Chriftianifme & empoifonné les fources de la Morale. Ils ne fe font pourtant pas aveuglés fuf les effecs de 1'humeur inquiéte qui les portoit a tout profcrire; pour s'autorifer dans leurs dechainemens, ils avoient befoin d'un appui : la Toierance a été la Divinité a laquelle ils ont en recours. Ils 1'ont prêchée cette Tolérance ; ils 1'ont préconifée , ils ont célébré fon Culte & fait leurs .efforts pour ranger tout le monde parmi, fes adoAa  ( m ) rateurs, dans 1'eipoir d'accréditer avec irrfpunité leurs opinions négatives Sc de ne rien tolérer, dès qu'ils auroient établi leur Dominalion. La vanicé des Hommes habilement ménagée devoit entrer auffi dans la politique des Philofophes. Ils ont déployc les rufes de la flatterie •, tous les Gens en place quï avoient des prétentions a 1'cfprit ont été careflès, préconiiés. Le Siècle, qu'on vouloic fubjuguer, avoit befoin d'être féduit Sc aveuglé : auffi en ont-ils fait le Siècle des Lumiercs Sc le Siècle des cbofes. Ils ont vanté les progrès dc la Raifon , en infinuant toutefois que la raifon eft le fynonime du Scepticifme. La Raifon , difoit Diderot, a fait de grand progrès fous Boindin, Sc 1'on fait que Boindin a été long-temps dans Paris le Prédicateur de 1'Athéifrae. Voltaire, dc fon  ( 187 ) cóté, appelloic Bayle , l'eternel honneur de la Raifon humaiue. D'autres faifoient 1'élcge SAnaxagore , de Pyrrbon, tfEpicure. Lucréce , Spinofa , Hobbes ctoient plaeés au rang des Sagcs les plus éclairés. Aorès les louanges prodiguées aux Philofophes les plus pervers, font vcnus, par une conféquence néceffaire, une foule de traits lancés contre les Défenfeurs du Chriftianifne. Les Bojfuet, les Fénélon, les Huet, les Pafcal, les Abadie , ont été immolcs fans miféricorde a leurs Antagoniftes; on a même cherché a répandre des nuages fur la fmcérité de leurs fentimens religieux. Rien en un mot n'a été négligé pour amener les Efprits a cette indifférence qui détache des idéés recues & rend indulgenc pour de nouvelles maximes & de nouveaux fyftêmes. Aa 2  ( 188 ) Les voies ainfi préparées, il n'étoit plus queftion que de jetter a la tête du Public, felon 1 'expreffion de Diderot, des propofü tions audacieufes, pour l'accoutumer aux incartades de la Pbilofophie. Le projet fut exécuté par lui-même dans les Penfées Philofopbiques. Saus fe donner la peine de fonger a ce qu'il avancoit; fans s'inquiéter dexe qu'on pourroit lui répondre; ou, pour mieux dire, n'écoutant que les mouvemcns de fon infpiration phrénétique , la penfée qu'il n'y a point de Dien, dit-il, na jamais tffrayé perfonne. Penf. IX. De quelles Perfonnes prétend-il pirler ? Sans doute de ces Ames tombées dans 1'abrutiflement de la débauche , concentrées dans leur maliee, endurcies au crime, qui exiftent fans remords, fans idéés ni fenfations. S'il eut interrogé les Ames droites,  ( 189 ) fènfibles , vertueufes, il auroit appris que la penfée la plus défolante pour elles &: pour tous les malheureux , ( fi cette penfée étoit poffible a d'autres qu'a des Philofophes furieux) feroit celle de la non-exiftence dc Dieu. Mais n'admirez-vous 1'effronterie avec laquellc ce Philofophe fe donne pour 1'interpréte du genre-humain, prêt a le démentir fur cette hqrr;ble affertion ! La penfée quil n'y a point de Dieu na jamais effrayé perfonne ; mais bien celle , ajoute-t-il , qu'il y en a un tel que celui qu'on me peint. L'idiée d'un Dieu qui punit après la mort n'eft effrayante que pour les Beaumarchais, les Mirabeau , les Linguet qui ont fermé 1'entrée de leur cceur au repentir; mais elle eft confolantc & la feuie vraiment confo-  ( 190 ) lante pour 1'hönncte Homme, pour le bon Citoyen , pour 1'Homme vertueux. L'idée que la Religion nous donne de 1'Etre-Suprème pefe également fur fa juftice cnvers les méchans, fur fa clémence enyers les foibles , lur fa bienfaifance pour les vertueux ; & fi cette idéé effrayante pour les uns, encourageante pour les autres, confolante pour les derniers, pouvoit être 1'ouvrage de 1'Homme, elle feroit ce que la politique humaine auroit imaginé de plus fublime & de plus propre a faire aimer la vertu & détcfter le vice. Il eft aifé dc concevoir , Monfieur lc Duc , combien ces éruptions Philofophiques , travaüiécs dc longue main, ont du faire de fingulicrcs impreffions fur le Public. Avec dc la nouveauté & dc 1'audace, on eft toujours aifuré dc remuer la mul-  ( 191 ) tiende & d'entramer les efprits vulgaires,qui n'attendent que le moment de 1'électricité pour entrer en fermentation & fe dévouer a Terreur. Les Philofophes étoient affurés d'avance du fuffrage de ces fortes d'efprits , & ne doutoient pas que ce fuffrage ne leur procurat, par une efpece d'épidémie, une foule d'autres partifans. Et véritabiement, rien de fi conforme au génie Francois que d'adopter avec fureur cc qui eft nouveau & fur-tout ce qui eft ttrangc. Nous fommes naturellemcnt plus légers, plus inconftans que les autres Peuples. Jouets de notre volage imagination . tout cc qui la frappe, nous occupe; tout ce qui la remue, nous intérelfè; tout ce qui la natte nous tranfporte. La nouveauté des objets dont elle amufe nos penfées communiqué a notre ame fon incertitude  ( m ) & fa mobilité. Un Homme facile s'cnthou fialme d'abord de ce qui favorife (es goüts,, Le bandeau de 1'illufion, mis adroitemenc fur les yeux d'un Homme fans expérience, le fait tomber dans le piége. L'Homme droit, mais crédule, fe Laifle prendre aux apparences de 1'amour du bien. L'Homme fenfé, mais foible, réfifte quelque temps a la contagion de 1'exemple; il fe laiffe enfijite étourdir par les cris de 1'admiration & finit par groffir le troupeau. C'eft ainfi que les Philofophes font parvenus a accréditer leurs idéés, a répandre leurs fyftêmes deftructeurs , z infpirer de 1'indifférence pour la Religion, du mépris pour 1'autorité, du gout pour 1'indépendance, a détacher les Francois de 1'amour dc leur Roi, a changer le caraaere National, a pervertir nos mceurs , a renverfer la monarchie, a brifer  ( m ) brifer tous les liens de la Société, a métamorphofer en un mot un Peuple renommé par fa douceur, fa polkeffe & fa genéroiité en un Peuple de brigands, de voleuis &c d'affaiiins. Je vous prie, Monfieur le Duc, d'agréer, en dcpit de 1'égalité politique, 1'aliurance du profond refpect avec lequel je fuis, &c. Bb  ( 194 ) ►q —«a-^g>q- „ que pour exercer eux-mêmes un pouj, voir tyrannique. Ces facrés J.... F... * :, n'ont d'abord montré du défintéreffe33 ment, que pour s'attirer la bienveillance Cc  ( 202 ) „ du Peuple, & quand ils Tont eue, quand „ ils fe font fentis en force , les B...., „ fans pitié pour la détreffe publique, „ ont voulu être payés , & fe font taxés „ eux-mêmes a dix-huit francs par jour , £ j, commencer du jour de leur départ, juf qu'au jour de leur arrivée chez eux, tandis „ que la plus grande partie d'entr'eux n'a„ voient pas auparavant vingt- quatre fols „ a dépenfer dans les 24 heures. Je vois a „ préfent, que l'Abbé S*** avoit raifon „ de me dire, que je changerois de facon „ de penler fur le compte de ces B... ♦ la. „ Je lui en ai voulu dans le temps •, j'ai „ porté même la fottife jufqu'a détourner „ la tête, quand je le rencontrois dans la „ rue, pour éviter de nous faluer. Je fais „ qu'il s'en eft appercu, mais c'eft un bon ,a diable, qui n'aura pas de peine a me  ( 203 ) „ pardonner, quand il faura que je penfe „ plus mal que lui de ceux, qu'il appelloit „ dès - lors des Conjurateurs , & que moi „ j'appelle aujourd'hui de f.... Voleurs & „ de vrais Affaffins. „ C'eft-ld, m'a-t-on dit, le langnge qile vous tenez, depuis la Séance du 4 Aoüt. ■Il vous feroit plus d'honneur, fi vous 1'aviez tenu auparavant, fur-tout fi, comme moi, vous n'aviezni Terre ni Penfions. Mais êtes-vous également revenu de vos préventions contre le Prince de Lambefc, a qui vous n'avez cefie de reprocher votre Retraite ? Le reffentiment vous a-t-il permis de fentir, comme tous les, Gens fenfés &c cquitables, combien la Commune de Paris s'eft montrée injufte & inconféquente a 1'égard de ce brave Militaire ? Voici ce que l'Abbé S***, votre ancien Ami, eut le Cc 2  ( 204 ) courage d'imprimer a Bruxelles, après avoir" lü , dans le Journal de Paris, l'Arrêté de (Ajfemblée des Repréfentans de cette Commune en délire , concernant la Dénonciation de ce Prince. „ Mais par quelle malheureufe deftinée „ arrive-t-il que, depuis que les Francois „ fe difent libres , il taille être en Pays „ étranger , pour oler élever la voix con3, tre leurs égaremens & leurs travers ? „ Nous déclarons que nous ne connoif„ fons pas, méme de vue, M. le Prince de 3, Lambtfc, & que nous n'avons eu, de notre „ vie, aucune efpece de liaifon avec fesPa„ rens. Mais ne fuffit-il pas d'avoir fu préfer„ ver fon efprit de la corruption générale, „ pour juger que eet Officier n'eft pas plus „ repréhenfible, aux yeux de la Nation, qui „ C i 1'époque du 12 Juillec, n'étoit pas reu-  ( 205 ) „ tree dans fes Droits) que ne le feroit au„ jourd'hui, aux yeux du Roi, un Officier „ de la Milicc Bourgeoife, _qui, par les or„ dres de fon Commandant, auroit pour„ fuivi, dans les Thuilleries ou ailleurs, une „ Troupe de Royaliftes armés contre 1'Af„ femblée Nationale ? Le 12 Juillet, M. le „ Prince de Lambefi étoit encore foumis au „ Rei &c au Marécfial de Broglie: un Mili„ taire peut-il fe rendre criminel, en fui„ vant les ordres de fon Maitre ou ceux de „ fonGénéral? Lel 2 Juillet, leRoin'étoit „ pas encore dépouillé de fon autorité. Le „ j2Juillet, 1'Affemblée Nationale n'avoit „ pas encore délié les Troupes du ferment „ defidélité, ni ordonné , aux Officiers, de „ prêter ferment a la Nation; &, malgre „ cela, 1'on ofe accufer M. de Lambefi du „ crime de Leze-nation J & un Corps de  ( 205 ) „ Magiftrats ne craint pas d'avancer qu*/7 „ seft: rendu coupable d'un ajfaffin.it, pour „ avoir, en pourfuivantdesBrigands, écarté „ & blelfé légérement, d'un coup de fabre, „ un Imprudent (*) qui barroit fon panage 3, & faifoit mine de vouloir 1'arrëter!.... „ Nous laiifons , aux Efprits fains , le foin „ de qnalifier la conduite des Repréfentans „ de la Commune Parifienne, a 1'égard de ceux qu'il leur plak d'appeller des Arijio- (*) II n'a pas tenu aux Calomniateurs de M. le Prince de Lambcfc , de perfuader au Public que eet Imprudent e'toit mort fur la place ou des fuites <3e fa bleffure , tandis qu'il jouiffoit, peu dc jours après fon accident , de la plus parfaite fante'. On affure que le principal Auteur de ces bruits calomnieux & le plns ardent Inftigateur de la De'nonciation, eft un ancien Colonel ( M. de Morton'), fi connu & fi détefte', qu'il de'fefpere fes ennemis, en leur ètant le plaifir d'exage'rer fes deïauts & fes vices. On pourroit dire de lui que Duclos difoit de Louis XI, qu'il eft impoflible de le calomnier.  C 207 ) „ erates: nous nous contenterohs d'obferver „ que fi la Commune de Paris interrogeoit 9, les Etrangers Sc les Francois même qui „ n'ont pas été mordus de la Tarentule anti- Royalifte, on lui diroit que les vrais cou„ pables du crime de Lèze-nation font ceux „ qui ontjplongé la Nation dans 1'abyme de „ maux de toute efpece, oü elle s'agite Sc „ fe détruit de les propres mains; ceux qui, „ tout en criant a la Liberté, ont éloigné de Paris le tiers de fes Habitans , & de „ 1'Alfemblée Nationale, le quart Sc 1'élite „ des Dcputés. On lui diroit encore que les „ vrais coupables d'ajfajfinat font les auteurs, „ complices & fauteurs de la mort de MM. de „ Launaj, Fleffelles, Foulon, Berthier, Bel„ z,unce Sc dc cent autres vi&imes du devoir „ & de la fidélité; ceux qui ont menacé la vic „ honorable de MM. Malouet Sc Mounier;  ( 208 ) „ ceux qui, dans la nuk du f au 6 Octobre, „ ont poignardé la généreufe Sentinelle qui „ veillok a la porte de la Reine, & arrofé „ les appartemens du Roi du fang de fes „ propres Gardes; ceux qui.... mais il n'eft „ pas temps de tout dire. Dignes Repréfen„ tans des Communs & très-Communs de „ Paris, voila les vraisCoupables du crime „ de Lèze-nation •, voila ceux que vous auriez „ dü dénoncer au Tribunal nommé pour „ juger les crimes d'Etat. „ De 1'humeur dont je vous connois , mon cher L**, je doute que, malgré votre Converfion a 1'égard de 1'Anemblée Nationale, vous fachiez gré a l'Abbé S*** de fon zele pour la défenfe du grand Ecuyer. 11 vous eft aifé de haïr ceux qui rognent vos revenus , mais il vous eft difficile d'aimer ceux qui vous ont fait du bien. Quoiquïl  ( 209 ) Quoiqu'il en fok, je fuis bien-aife de vous dire que l'Abbé s'inquiete peu de votre fac_on de penfer a fon égard , & que tout bon diable qu'il eft , il compte parmi fes fuccés 1'animofité de ceux qui fententa parient & fe conduifent, comme vous. Je vous dis adieu fans facon; car je fais combien vous haiflez les complimens. Dd  ( 210 ) Lettre XXVIII. De M. * * Monfieur le Marquiz de ** Lieutenant - Général des arméés du Roi, d Douai. Herve, 18 Janv. 1790. Votre Lettre , Monfieur le Marquis, & le Billet de change qu'elle renfermoit, me font parvenus trés - exa&ement. Perfonne n'a jamais fu donner des confeils plus fages & des confolations plus énergiqucs, que les vótres. La vie cefleroit d'être tiéde pour le commun des Hommes, fi les amis tels que vous étoient moins rares. Quand bien même les autres plaifirs leur manqueroient, celui de la reconnoiffance fufKroit pour occuper leur fenfibilitc. Je fuis du moins convaincu de cecte vente pour ce qui me regarde.  ( 211 ) Je n'ai pas encore recu de Reponfe d'Icalie, Il y a toute apparence que le thermomêtre des fentimens du Prince en queftion fera, de plufieurs degrés, au-deffous de la ciédeur, Convenez, Monfieur le Mar.quis, que fouvent 1'ame ne fait oü elle va fe loger. Vous ne regnez pas ; vous n'ètes même deftiné a regner, autrement que fur les efprks raifonnables & les coeurs bien nés, & cependant ceux qui prétendent au Tröne font bien au-deflbus des fentimens que je vous connois, & dont j'éprouve la folidite. Les Nouvelles de Vienne font trcs-facheufes. Une Lettre, que j'en ai recue aujourd'hui, m'annonce que 1'Empereur dépérit a vue d'ceil & qu'il n'y a point de remede a fa maladie. Son Médecin prétend que S. M. n'a pas fix femaines de vie. La plupart des Membres des Etats de  ( 212 ) Limbourg qui font ici , ont appris' cette Nouvelle avec douleur. Prefque', tous les Limbourgeois font demeurés attachés d leur Maïtre , malgré les Troupes Patriotiques Brabanconnes qu'on leur a envoyées. J'ai été touché jufqu'aux larmes des preuves que plulieurs families pauvres ont données de leur courageufe fidélite. J'ignore cc que vous penfez de 1'Empereur ; mais je puis vous affurer que fa rhort fera une perte pour fes Sujets; ils ne la fentiront , que quelque temps après qu'il ne fera plus. Cuioiqu'un prince ait plus de peine, qu'un autre Homme» d fe détacher de la vie ; quoiqu'il foit plus difficile de mourir avec courage, quand on n'a plus d'efpérance & qu'on voit foi-même approcher le moment fatal , je parierois que Jofepb II confervera fa tranquillité  ( 213 ) jufqua fon dernier foupir. H eft éclairé & il a 1'ame forte. L'état de foibleffe oü il fe trouve ne 1'empêche pas de s'occuper encore des affaires du Gouvernement. Le Doéteur Qjiarin, fon Médecin de confiance, lui ayant fait des repréfentationsace fujet, Opportet hnperatorem taborantem mort , lui a-t-il répondu. L'habitude d'être occupé de grandes chofes épure Pefprit Sc déracinc de Paine une ■ crtainebaflefle naturelle, qui y feroit reftée fans cette circonftance. Les affaires de Liege lont toujours dans le même état. Comme elles tiennent, par les Pruffiens, a celles des Pays-Bas, je douce qu'eües fe terminent avant que les premières ne foient décidées définitivement; a moins que la Cour de Berlin, ne fe fentant pas affez forte pour commencer la guerre , n'ordonne aux Troupes qu'clle  ( 214 ) y a envoyées, de fe retirer. Si elle prend ce parti, je fuis allure d'avance qu'elle donnera pour prétexte l'obftination du Prince a fe refufer a fes Propofitions. Perfonne n'en fera la dupe; mais il lui importe peu d'être machiavélifte, pourvu qu'elle fauve les apparences, & 1'égard de la Maifon d'Autriche; car elle ne s'eft pas inquiétée de les obferver, relativement au Prince de Liege , qui n'a pas d'Armée a lui oppofer. Et véritablement, pour peu qu'elle fe piquat d'apparence de juftice, elle n'auroit point ouvertement enfreint le Décret de la Chambre Impériale de "Weftlaer, & bravé par cette infraclion les loix de 1'Empire, les loix de la Juftice, les loix de 1'honneur, les loix de fon propre intcrêt. Car fi jamais les Prulfiens fe révoltent contre leur légitime Souverain, elle aura  ( 215 ) donné 1'exemple a fes Alliés de protégcr lesSujeis révoltés, depréférence aux Sujets reftés fideles. Je ne défefpere pas plus que vous, Monfieur le Marquis , que la France ne foit bientót laffe de fe meurtrir de fes propres mains ; que le Roi ne reprenne fon autorité ; Sc que le Tröne ne brille après la tempête, d'unplus beléclat, alors,mais pas plutót, j'irai m'en réjouir avec vous , ainfi qu'avec tous les bons Francois. En attendant, je vous prie de me continuer 1'honneur de votre amitié, & de ménager votre fantc, afin d'être témoin des Révolutions qui feront une fuite néceffaire de celle-ci. Vous êtes monté fur un bon Vaif feau, c'eft votre réputation; vous avez un bon pilote, c'eft la prudence. Je ne crois pas qu'il exifte d'écueil pour vous : vous  ( 21(5 ) etes cftirné , chéri , honorc de tout i.e monde vous n'avez donc rien a craindre: des nouveaux orages qui fe préparent. Il a paru, il y a quelque temps, un Recueil de Lettres fur Tes affaire de Liege qui a fait grand plainr aux ennemis de la Révolution, c'eft-a-dire, a tous les Gens fenfes. L'Auteur fuppofe qu'elles ont été écrites par différentes perfonnes, Sc pour donner de la vraifemblance a ce lyftême, il a mis en tête des noms forgés ou feulement des lettres inidales. Le hafard a voulu qu'il a employé la Lettre initiale du nom de M. de B* que vous connoiffez, & celui d'une Perfonne avec laquelle il a eu effeftivement quelques relations. Ne voila-t-il pas que ce M. de B*, qu'on n'avoit feulement pas eu en vue, a pris le mords aux dents, Sc a ccrit a un Joumalifte pour fe défendre d'être  ( 217 ) d'être coupable de cette Lettre qui dans le fonds ne pouvoir que lui faire honneur? Je connois 1'Autenr de la Brochure , & ü vous écrivez d M. de Berg, je vous prie d« lui dire que eet Auteur étoit bien loin de vouloir lui nuire, ni a la Perfonne a qui la Lettre eft adrelfée, puifqu'il en parle» dans la Lettre même, avec la plus haute eftime, Faites lui fentir en même temps qu'il a manqué de prudence , en défavouant un Pamphlet, que perfonne de ceux qui le connoilfent n'auroit été tenté de lui attribuer •, en fignant ce défavceu, auffi groffier que ridicule; & fur-tout en attaquant un Ecrivain dans le cas de dire comme Horace : At illt Qtti me commorit (~melius non langere, clamoj Flehit; & infignis toto suntabitur Orbe* Ee  ( 218 ) M. le Marquis d'Havricourt eft toujours a Liege avec fon aimable Epoufe. Il leur tai-de beaucoup dc pouvoir retourner cn France. Je ne les vois , que lorfque je vais dans la bonne Cité. Le Marquis avoit préparé une fort belle Ode pour la Con~ valefcence de 1'Empereur , mais je crains qu'il ne foit obligé de la mectre au feu &c d'en faire une autre fur la mort de ce Prince. Quand je fonge que le cceur & la vie d'un grand & triompbant Empereur, comme dit Montagne, c'eft le déjeuner d'un pet'it ver, je fuis tenté de dire avec Salomon, Vani'tas vanitatüm , omnia vanitas , prater txmare deum. Depuis quelque temps , je finis , comme Sénéque, toutes mes Lettre* par une Sentence, & je n'en connois pas de plus fage que celle-la. Vale & me femper ama.  ( 219 ) P. S. Comme j'allois fermer ma Lettre, l'Abbé S*** eft entré chez moi. Nous ■ avons caufé des affaires de Liege, auxquelies il m'a paru prendre un vif interet. Lui ayant demandé ce qu'il penfoit de la fin qu'elles auroient, croiriez vous qu'il m'a répondu , qu'il avoit un fecret preffientiment que le Pays de Liege & celui des Pays - Bas Autrichiens , auxquels on pourroit réunh? le Duché de Cléves, formeroient dans peu de temps un feul & même Etat, fous le nom de Royaume de Bourgogne, & qu'on verroit a la tête de ce nouvel Empire un des Fils du Roi de Pruffe? J'ai rejetté bien loin cette idéé, comme une extravagance : mais j'avoue que l'Abbé me 1'a rendue trés - vraifemblable , en me faifant entendre que la Cour de Berlin , ne fe fentant pas affez E e 2  ( 22Q ) puifiante pour rcfifter aux forces de la Maifon bAutrhbc, ne manquera pas de lui propofer de s'allier avec Elle & de lui laiffer prendre en dédommagemenc la Baviere, qu'elle n'a ceffi de convoiter„ Preflc par 1'heure du Courier , je n'ai pas le temps de vous raconter tout ce que eet Abbé m'a dit , pour appuyer fa conjefture ; mais fi , contre toutes les apparences , les événemens juftifioient fa prévifion, il pafiera dans mon efprit, ou pour forcier ou pour un des plus madrés & des plus heureux Obfervateurs que j'aie jamais connus.  ( 221 ) Lettre XXIX. De M. l'Abbé S. de C. d M. R. de 'T d Paris, Aix-la-Chapelle, 19 Janv. 1790. Vo t r e Reponfe , Monfieur , n'a fait que me connrmer dans mes idéés. De ce qu'elles font nouvelles Sc oppofées a celles de 1'Auteur du Contract Social, il ne s'enfuit pas qu'elles ne foient pas juftes. J'ai penfé d'après moi, Sc vous me jugez d'après ies autres. Mon efprit n'eft pas de ceux qui fe laiffent eturainer au torrent dc 1'opinion dominante &c fubjuguer par les maximes du Siècle. J'ai fait des Livres de Littérature, par beioia, & j'ai étudié laMorale& Politique, par gout. Sans être éloquent, comme Rotifcati, on peut ctre auffi bon  ( 222 ) Obfervateur que lui, & ce que j'ai le plus obfervé, étudié, médité, approfondi, c'eft 1'Homme & 1'att de le gouvcrner. A vous permis d'admirer les lumieres & la fageffè des Dominateurs de 1'Aflemblée Nationale , de les quulifier de Grands Philofophes , de leur élever un tróne & même des autels dans votre coeur, pourvu que vous me laifliez la liberté d'en penfer, felon ma railon & d'après mes principes, que je crois plus utiles & plus vrais que ceux qu'ils ont adoptés. Il eft poffible que l'Affemblée Nationale renferme dans fon fein quelque vrai Philofophe & profond Politique > mais il ne s'eft pas encore fait connoitre. S'il y exifte, il ne doit pas avoir donné fon fuffrage a la Déclaration des droits de 1'Homme, ni aux Décrets qui ont dépouillé le  ( 223 ) Roi • de fon autorité & de fes Domaines , Ia Nobleifë , des droits Seigneuriaux ; le Clergé, de Ia propriétc de fes biens; car les Principes de Ia Déclaration lui auront certainemcnt paru prématurés , éphémeres , infociaux , abfurdes, 8c les Decrets* contraires a la raifon commune 8c a la juftice univerfelle. Il ne doit pas non plus avoir donné fa voix aux Décrets qui favorifent la Tolérance des fectes Religieufes, la Liberté de la preffe , qui accordent aux Juifs les droits de Citoyen, qui anéantiffent la diftinction des rangs, 8c admcttent les Porte-faits &c les Valets de bourreau a toutes les dignkés, places 8c emplois publics. Il n'y a rien , en effet, dans tour ; cela , qu'un vrai Philofopbe 8c profond Politique puiffe approuver. Pour que ce langage, Monfieur, voiw  ( 224 ) paroiffe un peu moins extraordinaire , je me permettrai quelques obfervations qui, fi vous daignez vous dépouiller de toute prévention, pourront du moins vous faire witre des doutes (ur la fagefle & 1'infaillibilicé que vous attribués a l'Affemblée Nationale. je dois d'abord vous faire remarquer, que le cercle des vérités univcrfelles & évidentes eft plus étroit que vous ne penfez. Ce que nos Légifiateurs Philofophes prenncnt pour des vérités ne font que des préjugés, je veux dire , des opinions admifes fans examen, fans jugement, fans aucun doute, & d'autant moins flexibles, qu'elles favorifent leurs inclinations, & qu'ils le* ont adopties fur la foi d'Auteurs célèbres. Les Mix abt au, , les BartiAvt, les Lametb , 3. les autres Oraeles de lAflemblée Nationale ont  ( 225 ) önt de 1'efprit fans doute & même des conhoiilances; mais ont-ils 'aflêz vécu ou ailez x-éflechi pour avoir des lumieres & une vraie Philofophie ? Leurs connoiflances font fuperficielles ; elles peuvent être comparées a ces rivieres plus larges que profondes, dont les eaux bruyantes offrent une vue' agréable, mais qui ne font d'aucune utilité ; au-lieu que les lumieres du vrai Philofophe reflemblent a ces fleuves profonds, rapides & filentieux, qui ne parouTent pas tant, mais qui font d'autant plus utiles que Paf cal les a comparés a des cbemins qui marchent & portent ou Pon veu 't aller, Autant lé clercle des vérités morales eft reflerré, autant celui des préjugés & des erreurs eft étendu. Comme le corps, 1'efprit humain eft fujet a des maladies , & m|me a des épidemies, Il n'y a point d chez toutes les Nations policées, TiiuérctPublic,  ( 253 ) le bien National, Putilitc Générale, font la mefure d'après laquelle on doit décider de ce qui eft bon ou nuifible , honnête ou malhonnête , vice ou vertu; de même que tout ce qui eft conforme ou contraire aux loix, cara&érifé ce qui eft jufte ou injufte. Ainfi, s'il eft de 1'intérêt de la République d'avoir des ferfs 3z des efclaves , Ja fcrvitude & 1'efclavage n'ont rien qui bleffe les loix fociales, ni la raifon, ni même l'humanité, car, il y a parmi le Peuple une infinité de gens, cent fois plus malheureux que les efclaves. L'Homme, étantplus cruel&plus féroce que les animaux, qui ne font pas , de fang froid , comme lui , la guerre k leurs femblables , doit-on trouver extraordinaire qu'il fafle des efclaves de fes ennemis vaincus , auxquels les droits de la guerre lui permettcnt d'arracbcr la vie ? Il cft  ( 254 ) permis a un foldat vainqueur de tuer 1'ennemi qu'il pourfuic , Sc il ne lui fera pas permis d'en faire fon efclave , quand il 1'aura atteint ? Un criminel eft condamnc i périr fur un échafaud, il eft mort a la fociété, par fes forfaits Sc fa fentence. La Société nepeut-elle, fans offenfer la raifon Sc l'humanité, lui accorder d'échanger fa vie contre fa liberté ? Un acte de clémence qui tourne a 1'avantage de 1'Etat feroitil contraire a la juftice & a la raifon? Et peut-on nier qu'il ne fut plus utile de réduire les criminels en fervitude, que de les retrancher de la fociété? On gagneroit des bras au fcrvice de 1'Etat, Sc le lupplice de la fervitude, qu'on aggraveroit a proportion de la grandeur des forfaits, feroit plus dur peut-être Sc d'un exemple plus utile, qu'une fouffrance momentanée qui  ( 255 ) dérobe pour toujours les criminels aux af> flittions de ce monde. En un mot , la fervitude n'eft pas plus contraire aux Droits de 1'Homme, que la prifon , les galeres & 1'échafaud. ................. • • « , * AVIS DE L'EDITEUR. La fuite de cette Lettre a été brülée par mégarde chez l'Imprimeur, & il n'en exiftoit point de copie. Nous en fommes d'autant plus fachés,que VAuteuryprouvoit d'une maniere convaincante & inconteftable , que VAffemhlée Nationale n'avoit pas le droit de dépouiller le Roi de fin Autorité; le Cleigé, de fes Biens ,■ la Noblcffe, de fes Dr-jits Setgneuriaux ; 6" la Bretagne , de fes Privileges, II y demontroit que c'eft fe montrer  ( *S$ ) ignorant ou mal intentionné. que de favo-' rifer la liberté de la pretfe, dencourager le Peuple a apprendre a lire & a écrire, d affoiblir le rejfort de la Religion, le plus important de tous par fon utilité, & de vouloir donner a la France une forme démocratique, &c. Au refte, on verra, par la date des Lettres fuivantes, qu'elles ne font point partie de celles que le hafard a mifes entre nos •mains. Les Perfonnes a qui elles ont été écrites nous les ont envoyées, en original, pour leur donner une place dans la u.me- Partie de ce Recueil. Nous nous fommes déterminés d'autant plus volontiers a les y inférer, qu'elles peuvent fervir , comme les précédentes, a IHiftoire des INSURRECTIONS qui affligent les plus beaux Pays de ÏEurope. Lettre  ( z$7 ) iQ — —™a^.rste-rv««a?t?g».- q , Lettre XXX, De M. de C* * d M. ie Barox de B * *, d Vienne. Boon, 24 Mars 1-790. Je erakis bien , mon cher Baron, que M. Je Comte de ?***, votre Ami & le mien, ne trouve le nouveau Roi prévenu contre lui; car, Leurs Alti sses onc donné leur confiance ï l'Ennemi-né dc tous les Miniftres qui ont gouverné les Pays-Bas. Plaignons les Princes, que Je fort paroïc avoir condamnés 3 ne rien voir que par lesyeux d'autrui. Mais fiLioromdifi gracie notre aimable Ami, je fuis perfuadé qu'il oppofera a cette difgrace une patience & un courage qu] prouveront qu'il Kk  ( 258 ) eft fupérieur a 1'infortune , lors tttéaïtf qu'il en eft la vidtime. Tïcmore, Monfieur le Baron, fi vous per' fiftez a penfer favarablemcnt de M. C * mais je perfide a vous dire que, tant que eet Homme ambitieux fera employé, le Miniftere de Vienne ne parviendra point a rétablir Tordre Sc la paix dans les Pays Bas. Vous n'en doutercz point, quand vous aurez lu le Mémoire que je viens d'cnvoyer ï M. le Comte deT***. J'ydémontre, clair comme le jour, que c'eft lui & lui feu* ql1i a lufcité & fomenté volontairemcnt les troubles qui ont agité ces belles Provinces , & qu'il a fait plus de tort, lui feul, i la Maiion A'Autriche, qmjofeph II & Laudon ne lui ont fat de bien Sc d'honneur. Toujours animé de 1'efpoir de bannir  ( 2?9 ) . les Miniftres de la Belgique, Sc de gouverner feul, fous le nom de leurs Altesses, il vient de porter le coup le plus funefte a la réputation du nouveau Roi ; car il n'y a que C*** qui ak pii confeiller Sc rédiger laDéclaration, publiée fous le nom' de Léopold II, Sc envoyée par leurs Altesses aux Etats de Brabant. Je la joins ici, dans le cas qu'elle ne foit point encore parvenue a Vicnne. Lifez-la, & voyez fi jamais Souverain porta fi loin, je ne dis pas la clémence & la bonté, mais la fbibleffè & la timidké. Tous les Efprits voués a la Maifon d'Autrkhe en font auffi honteux, qu'indignés. Il étoit difficile d'imaginer rien de plus propre a détruire la grande opinion que 1'Europe a concue des talens Sc du caractere de Léopold. Ceux qui font a ce Prince 1'injuftice dc cröire K.k 2  ( 26o ) qu'il a rédigé lui-mtme cette abfürde Déclaratioo» difent déjd a ce fujet, que Tel brille un ifecond rang qui s'cclipfe au premier, Mais il faut etre bien borné , pour penler que le propre Frere de l'Empeïeur & 1'Héritier de fa Couronne » ait pu fe perjjiettre la cenfure Sc la condamnation la plus févere de fon Adminiftration. Jmagineriez-vous qu'on lui fait dire qu'il n'a ceffé de defapprottver hautement les changemens introduics depuis plufieurs ermces dans les Pays-Bas, Sc particuliéiement les infracVons fakes a la Jojieufe Entree , aux Privileges & aux Confikutions des Provinces refpeélives ? Quelle confiance les Peuples pourroient-ils avoir dans les Rois , fi les Rois eux-mêmes imputoient a leurs Prédéceffcurs d'avoir accumulé les vexations & les injuftices fur la tête de  ( |6i ) leurs Sujets ? Si feu 1'Empercur a réellement empiété fiir les droits de fes Peuples, ce dont je fuis loin de convenir, la Politique tk fur-tout la Fraternité devoient jetter un voile fur les toits de S. M, I., aulieu d'outrager fa cendre encore chaude êc pour ainfi dire palpitante, Mais que penfér des propofitions offertes aux Etats ? Si elles étoient acceptécs, autant vaudrcit n'êcre pas Roi des Pays-Bas» Je doute que le Stathouder , que même M. le Duc tYAremforg voulut accepter le Gouvernement des Pays-Bas, a ce prix..,, Avois-je donc tant de tort de vous dire que C * * * tacheroit de perdre auffi M. le Comte de Cobenzl ? Heureufement ce Minifixe n'a pas été confuké. Je doute d'ailleurs, qu'il eut fouffert que S. M. fut fi indécemment comprom.ife, aux yeux de l'Eu-  ( 262 ) rope enüere. Je fuis au contraire perfuadé, qu'il eut fait fes efforts pour détourner leurs Altesses de prendre fur Ellës cette Déclaration auffi peu Fraternelle , qu'impolitique Quelque fage. & édairé que foit Léopold, il ne rccouvrera jamais les Pays-Bas, s'il s'en rapporte aux Perfonnes endoctrinees par ce C***. Vous favez combien le fort fe plait a juftifier mes prédictions : faites en forte que celle-ci ne le foit pas. C'eft trahir les Rois, que de leur laiffer ignorer des vérités capables de leur épargner des regrets. On n'eft pas digne de leur plaire, quand oh ne s'expofe pas a leur déplairc. Le Cardinal de Richelieu, celui de tous les Hommes d'Etat qui a le mieux connu & pratiqué Part de dominer les Puiffances, fachant que les chofes d'ici-bas n'ont de  ( 263 ) valcur que celle que Topinion leur donne, recommande aux Princes, dans fon Teftament politique , d'avoir foin de leur réputation, comme de leur bien le plus folide. Cicéron, qui étoit auffi grand Homme d'Etat , qu'excellent Orateur , dit qu'un grand nom équivaut a une grande Puiffance , magna vis & magnum nomen, funt unum & idem . . . . La vérité n'a befoin que d'être préfentée fous fes vérkables traits , pour être accueillie d'un bon efprit , &; celui de Léopold eft auffi droit, que pénétrant : c'eft du moins 1'idée qu'en donnent tous les Voyageurs qui ont eu 1'honneur dc 1'approcher. Fakes lui donc connoitre la vérité , fans tous ces ménagemens qui ladéfigurent ou la rendent inutile. Son Prédécelfeur eut été plus Philofbphe, s'il avok  ( 264 ) eu mi peu moins de cette PhilofophU; Francoife, qui confifte moins a s'élever audeffus des préjugés , qu'a en délivrer les autres. Les préjugés , fur-tout ceux qui tiennent a la Religion , font Pame de la fociété , la vie morale de 1'Homme , la fource de tous les grands facrifices , le reffort lè plus énergique de 1'Autorité i quand elle fait s'en fervir. Il eft bon fans doute d'épurer te Culte de Xivraic des fuperftidons, mais il faut le faire peu a peu & par la main des Prétres mêmes, s'il eft poffible. C'eft par les Evêques des PaysBas > que 1'Empereur eut dü opérer les Réformes Eccléfiaftiques qu'il projettoit. Ce Prince n'auroit pas dü ignorer, que ce n'eft que fous 1'Egide de la Pveligion, que les Rois peuvent iauver leur Autorité des attentats da Peuple? Les Philofophes Francois voulant dépoiUll©r  ( 26S ) dépouiller leur Roi de fa puiflance , ont commencé par détruire la Religion qui fair un devoir aux Peuples d'obéir a. leurs Princes etiam difcolis, L'Hiftoire , ce Juge intégre des Peuples Sc des Rois, reprochera peut-être * yofeph II, d'avoir plutot concu de grands projets, que bien calculé les moyens de les exécuter • mais elle obfervera en même temps qu'éclairé par 1'expérience, il eut réparé fes erreurs , fi une mort prématurée Sc jaloufe de la gloire Autrichlehne ne Peut enlevé au milieu de fa carrière. La fagefle & le courage qu'il a montrés,dans les derniers momens, prouvent, en dépit de les détracteurs, combien il étoit digne de regner fur des Peuples plus reconnoiifans. Il auroit pu dire, eu mourant , comme notre Henri IV, LI  ( 266 ) ils ne me connoltroHt, que lorfqwils ne mauront plus. Peuples de Brabant, vorre haine pour lui, qu'il n'avoit point méritée , juftifie les maux cruels que vous éprouvés , en vous entre-dcchirant les uns les autres , & abfout d'avance Ion Succcfleur de toutes les vengeances qu'il lui plaira d'exercer contre vous. Je vous demande pardon, Monfieur le Baron , de cette Apoftrophe. Mais quand on fonge que Frédenc , le rival & l'ennemi de Jofeph^n's. pu, dans fa Correfpondance la plus fecrette , lui refuler fon eftime & fes éloges, il eft bien diiïicile de fe défendre, même dans une Lettre, d'un mouvement d'humeur contre une Nation qui ne fe laffe point d'entaller, fur 1* tombe de ce grand Prince, les fatyres, les libelles & toutes les ordures de 1'igno-  ( 267 ) rance & du délire. Adieu, mon cher Baron; donnez moi de vos nouvelles; donnez m'en de votre Cour, & crovez qu'on ne peut rien ajouter a 1'attachement invioialde, avec lequel j'ai Phopn*',- L 1 2  ( 268 ) Lettre XXXI. De M. l'Abbé W.**9 Chanoine du Chapitre Cathédral de Malines, d M. le Chevalier de St. P * *, d Francfort. Bruxelles, 26 Mars 1790, Ïl parofc ici depuis quelques jours, mon cher Ami, une Brochure intitulée lx Valife Découfue , imprimée, m'a-t-on dit, dans vos Cantons. Je viens de la parcourir, & j'avoue qu'elle m'a mis de fort mauvaife humeur. C'eft la production d'un fot ou d'un fou. Si vous en connoiffez 1'Auteur, dites-lui , je vous prie, de ma part Sc de celle de tous les Brabancons, qu'il n'a pas le fens commun ; qu'il penfe fort mal; & qu'il n'écrit pas mieux , qu'il ne penfe.  ( z69 ) Il prétend que les Francois, les Liégeois & les Beiges font plus malheureux , depuis que les uns ont une Affemblée Nationale, & tiennent leur Roi en captivité; depuis que les autres ont mis leur Prince dans le cas de s'éloigner de fes Sujets; & que les derniers ont chaffé les Troupes réglées de leurs Provinces & déclaré la Maifon d'Autriche dcchue de la Souveraineté des PaysBas. Pour peu que vous lifiez les gazettes, vous devez fentir vous-même combien eet Ecrivain eft dans 1'erreur. Et véritablement, eft-ce que, lorfqu'il s'agit de récouvrer la liberté, on doit mettre au rang des malheurs les infultes , les pill3ges, les incendies , les emprifoniïernens , les meurtres , les alfaffinats, la pénurie dargent , la difette de grain , 1'exil des riches Confommateurs, le défauc de connance&  ( 27° ) de credit dans le Commerce? Il faut être bien neuf, en politique, pour nepasfavoir que la liberté eft le plus grand des biens, & que tous les maux réunis ne font que de légers nuages incapables d'éclipfer le bonheur quelle procure. Le Compüateur de la Valife pouvoit-il ignorer que le bonheur eft moins dans les chofes,que dans L'opinion, & que pour qu'un Peuple foit heureux, il fuffit qu'il croie 1'être ? J'avouc qu avant les troubles, les Brabancons n'étoient rien moins que furchargés dimpóts; que leur Commerce étoit florinant & qu'il eut pu le devenir davantage, fi les AvantCoureurs de la Révolution n'eunent éloigné de nos Provinces les riches Réfugiés de Géneve, de Hollande, de France, Sc les voyageurs Anglois; j'avoue encore que le Clcrgé3 la Noblefle & tous les Bourgeois  ( 271 ) qui poflêdent des biens-fonds font aujourd'hui dans le cas de facriner une partie de leurs revenus, pour contribuer aux levées de troupes dont nous avons befoin, pour maintenir notre indépendance & repouf fer 1'Armée Autrichienne dont nous fom* mes ménacés ; mais cela empêche-t-il que nous ne foyons hcureux ? Tous les facrifices ne coiïtent rien, quand il s'agic de défendre la liberté. Les chaines les plus péfantes ceflent de 1'être , quand on les porte volontairemenr. Et fi nous finhTons, comme le fot Auteur de la Valïfc nous en menace , par retomber fous la Domination Autrichienne , nous aurons eu du moins 1'avantage d'avoir fourni aux Tacites futurs la matiere de quelques pages intéreifantes. Adieu, mon cher Chevalier, Quelque  ( 272 ) mécontent que je fois de U Vtlift, je ne ferois pas faché d'en voir la feconde Partie , laquelle m'a-t-on afluré, eft fur le point d'être pubiiée. Vous m'obligerez donc de m'en procurer un des premiers exemplaires. Vale iterum & me tui dcvotijjimum exiftima. Lettre  ( 273 ) ►SI ■aiKJB^"' >«Oï>" "*3!ES?E»"&< Lettre XXXII. De M. Alétophih; au Rédacteur ou Editeur ou Auteur de la Valifc Découfue. Liege, 26 Mars 1790. J'ai hi, Monfieur, la première partie de .'impertinente Brochure que vous avez publiée fur les Infurreclions qui font la gloire de notre Siècle , & qui feront le bonheur de nos Neveux. Il faut être bien audacieux & bien ennemi de la liberté publique, pour ofermettre au jour des Déclamations fi abfurdes contre les Rcftaurateurs des Nations. Le vceu de 1'Homme dégradé, eft de vivre dans un repos fèrvile, & la relïourcc des petits Efprits', de decrier les Ames énergiques. Dés que la M m  ( m ) tnédiocritc perd 1'efpoir d'égaler ce qu'elle admire, 1'admiration fe change en haine ; &c voila fans doute , Monfieur , ce qui vous a déterminé a recueiüir ou a forger vous-même les Lettres dont voüs avéz réoalé les Sots & les Ariftocrates de France , de Liege & des Pays-Bas. Parmi les Grands-Hommes qu'on maltraité dans ces Lettres, il en eft un que je connois particuliérement, & que mon amour pour la vérité m'engage a dcfendre des imputations que vous vous êtes permis de publier ou de répéter contre lui. Ceux qui ne jugeroient de M. le Bourg-Meftre Fabri, que d'après vos Lettres &c cent autres Pamphlets ariftocratiques , le prendroient fans doute pour un Homme fans conduite , fans délicaielfe, fans religion , fans mceurs, pour un eipion des Cours  ( m ) étrangeres , un vendeur d'Hommes , 1'opprobre de fa Pacrie & 1'objec du mépris de ceux mêmes qui encomageroient fa lacheté. Javoue que c'eft-la 1'opinion que la plupart des Liégcois peuvent vous en avoir donnce; mais je puis vous affurer, Monfieur, que cette opinion eft in jufte & calomnieufe. Ceux qui connoillent a fonds ce digne Magiftrat vous diront, comme moi , qu'il n'a contre lui que les apparences. Son cceur eft bon & fon caractere excellent. S'il a fouvent emprunté & rarcment rendu, ce n'a jamais été que pour faire de bonnes ceuvres, pour obliger les Amis. Ses Correfpondances avec les Miniftres étrangers n'avoient d'autre objet que de vanter la douceur de notie Gouvernement, ia fageffe de notre Conftitution, le refped Mms  ( 276 ) 5c la reconnoiiTance du Peuple Liégeois pour les Evêques a qui nous devons nos loix, la liberté & tous les droits dont nous jouiflons. Ses liaifons avec le tfaron de Vater, Major Prufïïen, 5c avec les émules &c fucceffeurs de ce Militaire Recrnteur, avoiesit pour objct de purger les families Liégeoifes de Jeunes gens qui , par leur mauvaife conduite , pouvoient donner du chagrin d leurs parens. S'il lui eft quelquefois arrivé de fc prê'ter a des enrölemens forcés & a des enlevemens fecrets, c'étoit pour éviter le fcandale qui eut pü rcfulter de 1'éclat de ces opéradons utiles au repos public. Ceux qui lui reprochent fa haine contre le Prince, ignorent donc que le premier tort n'eft pas de fon cóté ? Il vaquoit une Prébende , d la nomination du Prince :  ( 277 ) ïvL Fabri qui eft auffi bon pere , que Citoyen zélé , auroit voulu la procurer a fa Fille ; il la demande , ik le Prince a la cruauté de la lui refufer, fous prétexte qu'il 1'a promife, ou que la reconnoiffance lui fait un devoir de la donner a la Sceur ou Niéce d'un Chanoine auquel il a des obligatkms ; comme fi des obligations particulieres étoient dignes de balancer les fervices multipliés ik connus, que M. Fabri avoit déja rendus. a la Chofe publique! Ceux qui lui ont fait un crime d'avoir intrigué contre le Gouvernement, jette des femenccs difcorde parmi le Peuple, & foulevéla Populace des Fauxbourgs, pour forcer nos Magiftrats a lui céder leur Place & le Prince, fon Autorité, peuvent-i!s fe diffimuler que la Nation Liégeoife, fatiguée d'un long calme & tombée dans 1'engour-  ( 2?8 ) difièment, avoit befoin d'une agitation qui la préfervat de la confompdon ou de la paralyfie dont elle étoit ménacée ? Et le moyen de procurer cette agitation falutaire, fans promettre au Peuple de le rendre plus heureux & fans 1'engager a demander la fuppreffion du Reglement de 1684» une des principales fources de la tranquillité perfide dont nous jouiffions? Si, depuis 1'époque de la Révolution, les Citoyens font moins i leur aife , les pauvres moins fécourus, 1'argent plus rare, le crédit & la confiance diminués , les families divifées, toutes les loix impunément violées , notre Prince &c les plus riches Confommatcurs exil és , toutes les fources du Commerce interceptées ou taries , ce n'eft point a M. Fabri qu'on doit imputcr ces changemens, Il n'a pas dépendu de lui  ( 279 ) de nous rendre tout a coup un des premiers Peuples de 1'Europe, en nous amalgamant au peuple Pruffien. Ses projets ctoient excellens , mais il n'a pas été le maitre de les exécuter. Il faut le juger d'après fes intentions, & non d'après des événemens qu'il eut empechés, fi on n'eut contrarie fes fages opérations. Qu'on le laiffè agir libremént, & il aura bientót tout réparé. Je connois fon plan & fi, comme je 1'cfpere, il vient a bout de fon exécution, fes plus grands ennemis finiront par admirer fon patriotifme & par le regarder comme un des plus grands Hommes du Siècle. Qu'avons-nous befoin d'un Prince éledlif, prefque notre égal, & dont la politique droite & timide ne fauroit en impofer aux Princes tentés de nous vexer, Il nons fatic  ( 2gO ) un Roi héréditaire, un Roi puifiant.. • mais il n'eft pas temps de dévélopper les grandes idéés de notre Bourg-Meftre. Le Public les connoitra par leur exécution. En attendant , Monfieur le Rédacteur ou Monfieur 1'Auteur de la Vaïifc Découfue & très-découfue en tout fens, je vous affure , je me Matte que vous voudrez bien inférer ma Lettre dans la 2™- Partie de ce Libelle. Vous ne pouvez vous refufer i cette juftice, fi vous êtes de bonne-foi 5 car rien de plus clair & de plus évident que les preuves que je viens de vous donner de 1'honnêtecé de M. Fabri Je fuis, Monfieur, votre, &c Lettp.i-  ( 281 ) Lettre XXXIIL A M. l'Abbé G* *, Député dê Loraine aux Etats - Généraux. Aix-la-Chapelle, 29 Mars 1790» V n'eft point par des injures, Monfieur l'Abbé , qu'un Homme qui croit avoir raifon, doit répondre a des obfervations critiques. Il eft poffible que je n'aie pas le lens commun , comme vous le prétendez; mais heureufement il eft poffible auffi, que vous & vos dignes Collégues ne fbyez point infaillibles dans vos décifions. Quand j'ai dit que le Régime, que vous avezfubftituéaux anciennes Loix, nefauroit convenir a des Francois, je n'ai fait que repeter ce que J. J, Roufeau, votre Oracle, Nn  ( 282 ) avoit avancé en d'autres termes. " Les „ Peuples, dit-il, une fois accoutumés a „ • des Maïtres, ne font plus en état de s'en „ paner. S ils tentent de fécouer le joug, „ ils s'éloignent d'autant plus de la li,, berté, que, prénant pour elle une li„ cence effrénée qui lui eft oppofée, „ leurs Révolutions les livrent prefque „ toujours a des Séducteurs qui ne font „ qu'aggraver leurs chaïnes. ,, La fituation acluelle de la France prouve en partie la vérité de cette obfervation , Sc les événemens ne tarderont pas a en juftifier plcinement la juftelfe. Vous vous nppuyez d'un paffage de Montagne, pour prouver qu'on peut fans danser réfondre les loix d'un . grand Etat. Quelque refpectables que foient des autorités , elles ne m'en impofent jamais  (• 283 ) dans les macieres de morale & de raifon. D'ailleurs , Montagne tk Roujfcau , doués d'une imagination vive ik facile as'exalter, peignoient énergiquement les objcts fous PafpecT: qui les frappoient dans le moment; mais ils ne les envifageoient pas toujours <|le même. Il y a dans Montagne vingt paffages qui détruifent celui que vous citez. Je me bornerai a un feul. " Il eft bien „ aifé , dit - il , d'accufer d'imperfeftion „ une police. Il eft bien aifé d'infpircr a „ un Peuple le mépris de fes anciennes „ loix tk obfervances : jamais Homme „ ne 1'cntrcprit qui n'en vint a bout ; „ mais d'y rétablir un meilleur état en „ place de celui qu'on a ruiné, a ccci plu„ lieurs fe font morfondus de ceux qui „ l'avoient entrepris. „ Ofez recourir encore a des autorités! Nn 2  ( 284 ) Dufliez-vous me traicer de fanatique ou de fcélérat, après m'avoir traite d'imbécïïle» je foutiendrai a qui voudra m'cntendre, qu'il eft d'une impofïïbilité politique Sc morale > que la nouvelle Conftitution puiffe prendre racine en France. On verra plutót ce beau Royaume fé dhToudre, fe partager en différens Etats ; ou le Roufïïllon, la Navarre & une partie du Languedoc fe réunir a 1'Elpagne •, 1'Alface Sc la Lorraine palier fous la Domination Autrichienne; le Dauphiné Sc la Provcnce fe joindre a la Sardaigne , Sc la Franclïe-Comté formcr Un nouveau Canton Suiffe, que de voir les différentes Provinces de ce vafte Royaume vivre paifiblement fous la nouvelle forme qu'on vient d'établir. Tant que les Individus Francois, Sc fur-tout ceux du midi, auront le droit d'être annés, ils rellemble-  ( 28s ) ront aux Spartes, nés des dcnts du dragon de Mars , lefquels comme vous favez, s'entrctuerent les uns les autres, a i'exceprion de cinq qui aiderent Cadmus a batir la Ville de Thebes. Ce '.jui fe paffe encore a préfent parmi le Peuple d'un même Canton , d'une même Ville , en eft déji la preuve. Que fera-ce Iorfque les Villes , les Cantous & les Provincès feronc en rivalité ? Monfieur l'Abbé , voulcz-vous connoltre a fonds mon imbécilité ou ma fcélcrateffe ? Apprenez que , fi j'en avois les moyens, je ferois pendre Mirabcati, Target , Barnave > Chapelier , Volney, Lamcth, PEvéque d'Jutun , & géncralement tous les Députés de l'Affemblée Nationale qui fe font emparés de la boufibie & des cordnges du vaifieau de 1'Etat; c'eft vous dire  ( 285 ) que vous ne feriez pas épargné. Faites moi pendre , quand vous le pourrez, comme vous avez fait pendrc M. de Fdvras, pour des intencions plus louables encore que les miemies , la crainte de la pendaifon ne m empechera jamais de vous dire que vous êtes des demi - Philofophes , des demiPoliciques, des demi - Publiciftes, & non des demi-Droles, des demi - Fripppns , des' demi - Sccléracs. L'invafion d'une Armee ennemie & viófcorieufe n'auröit pas fait autant de mal, que vous, a laFrance. Elle n'a ni Armee , ni Marine, ni Argcnt, ni Religion , ni Roi ; & ces pertes, qui font votre ouvrage, ne peuvent, hors une feule , être réparées de long temps. Chacun de vos Décrets ajuute une nouvelle blefTure i 1'Etat. Ce n'eft pas feulement le Roi, la Familie Royale, les Princes du Sang,  ( 287 ) ia Noblcffe, le Clergé , les Parlemens, les Préfidiaüx, Ie? Baillages, les Militairèsj la Prévócé , les Négocians, les ïiches Propriétaires qui ont a fe plaiudre & a gémir de vos opérations, mais toutes les claffés de Citojens qui n'ont pas profité de vos délires & dc vos brigandages. Craignez que le vertige ne ceffe Sc que le Peuple n'ouvre enfin les yeux fur fes vé.itaMes Gppreffeurs. La Nobleflè & le Clergé ont fouffert, de fa part , toute forte de vexations Sc d'horreurs, fans ofer manifcfter leurs rcflcntiment; mais quand le Peuple verra que les pierres des édifices qu'on lui fait renverfer retombcnt fur lui; quand il fentira fes vrais intéréts, & qu'il connoitra les Inoculateurs de fon d'élire, il eft a craindre qu'il ne rentre en fureur Sc que, pour expier (es forfaits, il ne venge  ( 288 ) fur les Membres de votre Affemblée , le Roi, la Noblefle & le Clergé des injuftices & des perfécutions fans nombre qu'ils ont éprouvées &c dont ils fe reflentiront long-temps. Quoiqu'il en foit, je perfide a dire qu'il eft impoffible que Ia nouvelle Conftitution fe loutienne. Dans le cours d'un long Gouvernement , dit fort bien M. de Montefquieu , on va au mal par une pente infenfible & on ne remonte au bien que par un effort, dont un Peuple corrompu n'eft jamais capable. Ce n'eft point par 1'injuftice & par le crime, difoit Platon, qu'on établit de bonnes loix ♦ , Fin de la feionde & dernier e Partie,