NOUVELLES HIS TORIETTES EN VERS.  OuVRAGES du même Auteur quife trouvent che\ le même Lïbraire. Le Jugement de Paris, Poëme en quatre Chants; fuivi d'Qïuvres mêlées, nouvelle édition, in - 8. figures. Fables Nouvelles, dédiées a Madame la Dauphine, in-8. figures. Hiftoriettes , ou Nouvelles en vers, in-S. figures.' Le Jaloux fans Amour, Gomédie en cinq Aöes; en vers libres, in-8. Gabrielle de Pafly, Parodie de Gabrielle de Vergy, en un Aóïe, in-S. Les Egaremens de fAmour, ou Lettres de Fanelly & de Milfort, 2 volumes grand in-S. figures. — Les mémes, 2 volumes in-8. pet, pap, figures; Rêveries Philofophiques, in-8.  kÜ/ 757 F11 NOUVELLES H ISTORIETTES EN VERS, Par M. IMB ERT. A AMSTERDAM, Et fe trouve a Paris,, Chez Delalain 1'aïné, Libraire, rue Saint-Jacques, prefqu'en face de celle du Platre. M, DCC, LXXXI.   AVERTISSEMENT. Q u a n d je fis paroïtre un Volume de Contes 3 je ne croyois pas devoir un jour en publier un fecond; mais ce genre offre des plaifirs a 1'imagination , & n'allarme point la parefle; c'eft moins un travail qu un délaffement; on entreprend facilement un Conté, on le ftnït fans beaucoup de peine; le plaifir vous y rappelle au premier moment d'ennui; les vers coulent aifément de la plume d'un Conteur, & le Volume fe trouve achevé, avant d'avoir eu le projet d'en faire un. Une autre circonftance a accéléré la fin de celuici; c'eft 1'eftimable Recueil de Fabliaux que vientde publier M. L* *. je n'ai pu voir tant de fujets heureux, fans avoir envie de les traiter. Je me fuis fenti doucement entrainé; 6c j'ai eu bientöt de quoi compléter ma Golle&ion,  vlij AVERTISSEMENT. Une partie des Contes qu'on va lire, a déja paru anonimement & avec quelque fuccès dans le Mercure de France. Je les redonne corrigés, avec d'autres qui n'ont pas encore vu le jour. Une Table que j'ai placée a la fin du Volume , ïndique les fujets que j'ai empruntés, & les fources qui me les ont fournis. Quelque peu de gloire qui réfulte aujourd'hui de ces bagatelles, je n'aurai pas a regretter les momens employés z ce nouveau Recueil, s'il eft aufli favorablement accueilli que le premier. NOUVELLES  NOUVEL1ES HISTORIETJES, EN VERS. L IV RE PREMIER. CONTÉ PREMIER. LE DÉLASSEMENT D'HERCULE. J'AI lu dans un Auteur, écrit en vieux langage, Qui par hafard m'eft tombé fous la main, Vieux chroniqueur, paré, fuivant 1'antique ufage , P'im vieil habit de parchemin; A  c HISTORIETTES EN PERS. J'ai trouvé, dis-je, un trait qui peut paroïtre Original, quoique digne de foï. Jamais ce manufcrit ne fut lu que par moi; Et j'ai promis de le faire connoitre. Cette anecdote, écrite en ftyle vieux, Et qu'en nouveau langage ici je vais tranfcrire, Servira de Préface aux Difcours férieux , Aux graves récits qu'on va lire. Par-tout le plus mince écolier Connoit Hercule & fa vaillance. Ce Héros dont le nom ne fe peut oublier , Par fa vie & par fa naiffance Fut un homme très-fingulier. Les miracles alors fe faifoient par douzaine s Plus aifément que de nos jours i Témoin les diftraites amours De Madame fa mere Alcmene, Qui fut, par un fecret inconnu parmi nous Et qu'on voudroit bien voir renaïtre * Céder a fon Amant, fans être Infidelle a fon cher Epoux. Ajnfi naquit le grand Alcide,  LIVRE PREMIER. 3 Vous favez fes travaux, fon audace intrépide. On le voyoit pourfuivre , en plaine & dans les bois, Des brigands la troupe cruelle, Les arrêter, juger, afiommer a la fois , Exercer enfin tous les droits De la Juftice criminelle. De tous nos Fier-a-bras on fait que ce Héros Comme du verre auroit brifé les os • Qu'il fe plaifoit a battre, a frapper , a détruire ; C'efl ce que par-tout on lira : Mais ce qu'on ne fait point, ce qu'a peine on croira, II aimoit les Contes pour rire. Quand dans quelque rencontre il avoit triomphé , Et que des mains de la Vidoire II venoit d'ajouter a fes titres de gloire Quelque Géant vaincu, quelque monftre étoufféa II appelloit prés de fa cheminée De jeunes filles ou gabons, Et la bien gravement a leur troupe étonnée II en contoit de toutes les facons : Du férieux, du gai, même du tendre; Et quand fes petits Auditeurs Vouloient faire a leur tour 1'office de Conteurs? ' A ij  4 HISTORIE TTES EN VERS. II fe plaifoit a les entendre. Parmi les Fabliaux ou modernes ou vieux s Dont ce Conteur aimoit 1'ufage , On dit que les plus merveüleux Lui plaifoient toujours davantage ; Des cygnes noirs,ou des merles tout blancs^ Des ömbres de maris jaloux & mécontens, Qui viennent parmi les ténebres , 'A minuit, par des cris funebres, Découvrir & tirer les pieds De leurs infidelles moitiés ; De ces fantomes noirs qu'on fe plaït a décrire * Des chats petits , petits, fe haufTant, grandiiïans , Et tout-a-coup difparoiffans Avec de grands éclats de rire. II ne travailloit pas a paroïtre favant, Mais a fe rendre clair & facile a comprendre Aux jeunes auditeurs, qui, prompts comme le vent Venoient en cercle autour de lui fe rendre. Le cercle trop nombreux étoit doublé fouvent; Et pour être entendu de 1'afTemblée entiere , II rangeoit les gtands par derrière, Et les plus petits, par devantt  LIVRE PREMIER. S Vous 1'euffiez vu pleurer lui-même ou rire D'un réck trifle ou gai. S'il arrivoit qu'un mot Fut mal compris, il favoit auffi-töt Ou le changer ou le mieux dire. Hercule ainfi des Contes qu'il faïfoit, On qu'on lui contoit a lui-même , \ Avec des enfans s'amufoit, Oublioit la gloire fuprême, Et fa maflue a fes pieds repofoit. Chaque enfant, comme on le foupconne} Eüt fait pour la lever des efForts fuperflus: Chacun impunément la touche, 1'environne i Et d'un pied familier ils fautent par-defTus, Un rival,(Ies rivaux d'Hercule Etoient xaxëè fans doute, & même de fon temps, ) L'ayant furpris un jour, tournoit en ridicule Ces puériles patTe-temps. Croyant fa valeur émouffee Par un femblable amufement, II vint, au milieu juflement De quelque Hifloire commencée, L'appeller au combat. Le Héros a 1'inftant Aüj  6 HISTORIETTES EN FERS< Releve fa maflue inflruite a Ia viöoire , ïl fond fur fon rival, a fes pieds il 1'étend , Et revient finir fon Hiftoire. Sans mon Auteur, je n'aurois point ofé Accufer un Héros, révéré dans l'Hiftoire , D'un pareil goüt: mais j'ofe croire Qu'il efl plus d'un Héros qu'ont immortalifé Des exploits dignes de mémoire , Et que Peau-d'ane eüt amufé. Les Contes néanmoins qu'ici je fais paroitre. Vont avoir d'Apollon un froid accueil peut-être, II efl: exigeant déformais : Mais s'il compte pour peu, ce Juge trop févere. La gloire de les avoir faits, Je compte pour beaucoup le plaifir de les ïaue,  L1VRE PREMIER. y CONTÉ II. LE FANFARON PU NI. 23 U temps de ces preux Chevaliers Qui ne favoient que deux métiers, Aimer & battre; exa&s dans leurs promefTes, Si vaillans aux combats, en amour fi difcrets, Accoutumés enfin a parler de plus pres A leurs Rivaux qu'a leurs Maitrefles ; Vivoit un Guerrier plein d'honneur, Qui, fameux par mainte prouefte, Avoit en parchemin vingt titres de Noblefie, Et pas un billet au porteur. Un nom couronnc par la gloire, L'efpoir de vivre dans l'Hiftoire, De fes travaux étoient 1'unique prix. Vint le befotn d'argent; c'eft un mal incommode j II eut recours, fuivant la mode, A 1'Ufurier j c'eft encor pis. II étoit pauvre ; il Ie fut davantage: Tant qu'a la fin en proie au nouveau créancier , Aiy  8 HISTORIE TTES EN VERS. II fut contraint, pour Ie payer, De donner a fon fils fa fille en manage. Cet hymen dut 1'humilier: Mais quand il eut pleuré fur fa gloire fletrie, Pour ennoblir au moins fon gendre 1'Ufurier. Lui-même il 1'arma Chevalier. Le gendre crut alors par fa Chevalerie, Avoir acquis des ancêtres nouveaux ; II étoit Chevalier, il fe crut un Héros. Dès ce jour-la, prenant fans cefie Le eoftume & le ton guerrier, On 1'entendit toujours & citer fa NoblelTe, Et fe moquer du Roturier. Les feuls mots dont il fit ufage Etoient combats, tournois, faits glorieux ; Sur-tout avec fa femme; il vouloit a fes yeux Se donner un air de courage. Mais peu dupe de fon langage, Sa femme, dans tous fes grands airs Ne voyant qu'un nouveau travers, Sans le méprifer moins, le railloit davantage. A fa valeur Ie fot un jour  LIVRE PREMIER. $ Voulut donner un air de vraifemblance; II déclara que trop long-temps 1'amour, Avoit enchaïné fa vaillance. « Je fuis honteux d'un aufli long repos , « Lui dit-il; il efl temps , Madame, " De faire voir, par de nobles travaux, 33 Quel efl 1'époux dont vous êtes la femme. >j Viennent mille ennemis au-devant de mes pas, 33 Je vous promets par ce feul bras, 33 Plus de hauts faits dans deux journées , 33 Que n'en feroient en dix années 33 Tous vos ayeux tués dans les combats. 53 Laiflez-moi donc remplir mes hautes deflinces Le lendemain, De grand matin, II fe leve; il appelle & Laquais 8c Servantes ; Se fait revêtir par leur main D'armes neuves & bien luifantes; Puis faifant de fa cour entr'ouvrir devant foi Les deux portes retenüflantes , Ebranle le pavé fur un grand palefroi. A-peu-prcs dans fon voifinagc  10 HISTORIE TTES EN VERS. Etoit un bois, fort propre a fon deflein ; 11 s'y rend au galop, s'enfonce fous 1'ombrage , Au pied d'un chêne il attaché foudain Son cheval; puis de 1'oeil a travers le feuillage , Examinant s'il n'eft point appercu, Sur une branche feche il fufpend fon écu, Et de fa belle épée auffi-töt il fait rage Pour le frapper; fon bras avec courage L'attaque, &, par un choc qui n'eft point repoufte II frappe, il frappe a coup prefle ; Tant qu'a la fin fous ce bruyant orage Son innocent écu fe trouve fracafTé. Cela fait, pour gagner une viéloire entiere, II rompt fa lance; & fur fon beau courfier t Monté légérement en brave Chevalier, II revient tout couvert d'une noble poulliere. Sa femme en le voyant, pour tenir 1'étrier Se préfenta, fuivant un vieil ufage , Qui lors étoit le prix du vrai courage; Mais faché d'un accueil, qu'il trouve familier, Notre Héros couvert de gloire : « Femme, dit-il, n'approchez pas ».  LIVRE PREMIER. SI Puis lui montrant fes armes en éclats , Les faux témoins de fa victoire : «Je viens, dit-il avec mépris, m De mettre a bout ce qu'avec leur NoblefTe » Chez vos parens que vous vantez fans cefïè, » On n'auroit pas même entrepris ». Sa femme ne dit mot, admire 1'aventure, Et s'étonne de voir en éclats fon armure , .Comme s'il fut forti d'un combat fmgulier 9 Sans que cheval ni Cavalier EufTent la moindre égratignure, Notre Héros fortit Ia femaine d'après. Même combat, même fuccès. Pour cette fois plus fier de fa vidoire , Quand pour le recevoir arrivé fa moitic, II la repoufle avec le pié, Comme fi fon approche eüt dü fletrir fa gloire. Le cheval cependant étoit frais, fans fueur; L'épée, en cent lieux ébréchée, D'une goutte de fang n'étoit jamais tachée; Le cafque, tout prouvoit une oifive valeur. Sa femme eut des foupSons; pour en être éclaircie ,  iïi HISTORIE TTES EN VERS. Elle fe fit une armure en fecret; Et comme il s'en alloit un jour vers la forêt Broyer trois Chevaliers armés contre fa vie : ( C'eft ainfi qu'il parloit.) « Qu'ofez-vous efTayer, 3> Dit-elle? Contre trois ? Au moins fongez a prendre , " Je vous en prie, un Ecuyer. 33 Pourquoi, dit-il ? Pour me défendre ? 53 C'eft aftez de mon bras; épargnez-vous ce foin. 33 J'irai tout feul; & vous pouvez m'en croire 37. En effet il avoit befoin D'aller combattre feul pour gagner Ia viétoire, Mais dès qu'il fut parti, la Belle promptement Prend la lance, 1'écu, le cafque, la cuiraflê, Et du Héros fuivant la tracé , Piqué fon palefroi, qui va comme le vent, Vous devinez qu'auparavant Notre maligne Aventuriere A de fon cafque abattu la vifiere. Dans la forêt arrivé le premier, Déja le valeureux Gendarme, Avec un horrible vacarme, De fon nouvel écu brifoit encor Facier.  LIVRE PREMIER. ij Sa femme eüt étouffé d'un rire involontaire, En voyant le combat de ce hardi Vainqueur ; Mais malgré fon mépris elle étoit en colere : Elle jura par fon honneur De lui faire expier, au moins par la frayeur, Sa valeur fi peu téméraire. « Eh! de quel droit, VafTal, viens-tu couper ainfï w Les arbres de ce bois que ton afped dégrade ? 33 Veux-tu troubler ma promenade 33 Par le train que tu fais ici ? 33 Va, je lis dans ton cceur: c'efl pour ne point te battre 33 Que tu brifes la ton écu. 33 Poltron, je venois te combattre ; 33 Mais la peur t'a déja vaincu. *3 Te voila mon captif > fuis-moi; je te deffine i> A venir a 1'inflant pourrir dans mes cachots»« A ce difcours, fans doute on imagine La frayeur de notre Héros. Cette frayeur lui coupe la parole ; II n'a pas le pouvoir, hélas ! de s'échapper, Moins celui de fe battre encore. II fe défole. Qu'un enfant fut alors yenvi fans le frapperj  14 HISTORIETTES EN VERS. Lui demander, en fortant de 1'Ecole, Ses deux oreilles a couper, II eüt laiffé couper fes deux oreilles. Son ceil n'ofe s'ouvrir ■ & cette épée enfin , Qui faifoit chaque jour tant de rares merveilles, Tout doucement s'écoule de fa main. II demande giice; il s'engage Ane rentrer de fes jours dans le bois; Et s'il a fait du mal, il veut deux fois, cent fois, De fes deniers, réparer le dommage. « Ame bafTe, lui répond-on, ?> Qui penfes que 1'argent peut laver un outrage ï y> Toi, Chevalier ! je vais, poltron , 53 Te parler un autre langage. » II faut que nos débats, ici même & foudain, 5> Se vident par le fer; 9a, 1'épée a la main. » Vite, a cheval: & fonge a ta défenfe ; » Car, point de quartier avec moi. i» Si je refle vainqueur, je te le dis d'avance, » Ta tête au même inftant vole a dix pas de toi », A ces mots, comme pour lui rendre Le courage par un affront,  LIVRE PREMIER. itc Du plat de fon épée elle le frappe au front: Mais le pauvre homme, au lieu de fe défendre Tombe a fes pieds en lui criant merci; « Eh! pardon ! j'ai fait vceu, malgré ces armes-ci 33 De ne me jamais battre. Ah ! je vous en conjure ! »* Ah ! laiflèz-moi poltron, fans me rendre parjure, 33 N'eft-il pas un moyen d'effacer entre nous 33 Tous vos griefs, fans me battre avec vous La Belle alors, pour finir cette guerre, N'offrit qu'un feul moyen qu'on ne devine guère, Elle lui fit trois fois baifer a deux genoux, Baifer ! eh quoi ? Baifer.... la terre. Mon Chroniqueur Pa fait chatier autrement. Pour moi, j'en dirois trop , fi je difois comment, Les trois baifers donnés, le Chevalier femelle: « Adieu, dit-il, fouvenez-vous de moi. »3 Mon nom efl: Bérenger; & c'efl ainfi, dit-elle, 33 Que je punis les poltrons comme toi », Depuis ce jour, on prétend que la Dame Ecouta des Galans le propos fédudeur, Et prouva qu'infpirer du mépris a fa femme, C'eft mettre en dauger fon honneur,  16 HISTORIETTES EN VERS. Dès le foir même, il alloit a la Belle Raconter fes nouveaux exploits. En entrant,il trouve auprès d'elle Un Galant, qui pour cette fois Demeure affis. Sa femme qu'il appelle Lui jette un coup-d'ceil méprifant, Le voit, & fans mot dire écoute le Galant. Comme 1'Epoux veut lui faire querelle : « Taifez-vous, lache, après tous vos affronts. « Si vous foufïïez en ma préfence, s> J'appelle Bérenger; & vous favez, je penfe, j> Comme il arrange les poltrons 33, A ce nom feul, il garda le filence : Sa femme qu'armoit le dédain , Seule eut droit avec lui de parler, de fe taire ; Et s'il fe mettoit en colere, Bérenger 1'appaifoit foudain, CONTÉ  ' L IV R E PREMIER. ,7 =m£==*==*=* CONTÉ III. LE QUIPROQUO. ]L3a ns nos difcours foyons précis, mais clairs r Ce n'eft pas fans danger qu'a ce point on déroge. Mon ami, qui mal interro<*e Recoit réponfe de travers. Si c'eft trop peu d'un mot, mets-en deux • qui te preftè ? Ne fuffifent-ils point ? Eh bien ! encore autant. D'oü vient qu'on difpute fans cefle t C'eft que jamais on ne s'entend. Un jeune Auteur promet; on le cite, on le nomme; On le louoit par encouragement: II .s'eft mépris au compliment; Et 1'enfant fe croit un grand homme. ün pere a dit fouvent: cc mon fils, gagne du bien « Cette morale eft fort commune. Le fils, qui vole a la fortune , Honnête ou non, prend le premier moyen ; D s'agit d'arriver, la voiture n'eft rien, Une mere fouvent a fa fille répete, B  18 HTS TO RIET TES EN VERS. 33 Soycz poïie envers tous, en tout tems ; 3: II ne faut nas déplaire aux gens 3^, Lafille O'-cii trap , & la voiia. coquete. .Un ordre mal donné jadis fit naitre ainfi Un quiproquo chez un horame d'Eglife. Nul accident facheux ne fuivit la méprife ; On en rit dans le temps ; tachons d'en rire aufli. Trop fouvent affis en carrofTe, Par derrière un Evêque avoit ufc Pétui Qu'on appelloit jadis un haut-de-chaufTe , Et nommé culotte aujourd'hui. cc Pour arranger ceci, la Brie, Dit en fe levant Monfeigneur , 33 Qu'on le porte a Sainte-Marie »4 Saintc-Marie étoit le nom de fon Tailleur. Mais ce pauvre la Brie encor jeune & novice,; Qui depuis peu de jours étoit a fon fervice, Et qui lui parloit peu fouvent, Tout bonnement & fans malice Prit le nom d'un Tailleur pour le nom d'un Couvent, Dans un Couvent du voifinage,  L IV R E PREMIER. 1? Nommé Sainte-Marie, il court le même foir De la part de 1'Evêque, & fier de fon mefTage, La culotte a la main, s'introduit au parloir. L'Abbefrè 1'accueille avec joie; « Monfeigneur, lui dit-il, hier fort mal a point 33 Fit un accroc, & vers vous il m'envoye , 3> Pour vous prier d'y mettre un point »4 Sans attendre réponfe, a ces mots il fe prefïe De s'en aller. II fit fon ferviteur, Et vous laifTa dans les mains de PAbbefie La culotte de Monfeigneur. Vous jugez bien que pareille incartade Snrprit 1'Abbefle etrangement • Plus elle rêve au compliment, Et moins elle concpit une telle ambaflade. Mais toujours les Prélats ont eu Dans les Couvens la fuprême puiffance D'ailleurs, la première vertu Des Nones c'eft 1'obéiflance. On fe réfigna donc. Mais, quoi! Se réfigner ? on fait bien plus encore ; Avec reconnoiflance on accepte Pemploi: Bij  >j H1ST0RIETTES EN VERS. Leur zele y met un prix dont chacune s'honorc» On tint Chapitre ; a haute voix , L'Abbefïe harangua la chambre fynodale ; Elle infpira fon zele, & toutes a la fois Briilerent d'imprimer leurs doigts , A la culotte Epifcopale. II fallut pourtant faire un choix ; On confulta le fort qui nomma Dorothée, Jeune Nonain de peu d'cfprit dotée, "Cjui jamais de 1'Amour n'avoit fubi les loix. Dans fa celluie après cette aventure , Son aiguille en main, la voila, Qui du nouveau Pfeautier obferve la ftrufture ; Le tourne, le retourne. Eh ! bien donc ? qu'eft cela <* C'eft drólement fait tout cela ! Mais a quoi bon eette ouverture ? Ainfi les pourquoi, les comment A fon efprit donnent la tablature, Et 1'enfoncent profondément Dans des réfiexions de nouvelle nature. Elle vent commencer; mille penfers divers Par je ne fais quel charme entraïnent Dorothte ;  LIVRE PREMIER. Son aiguille, a tort, a travers , Sur 1'étoffe au hafard portee, Se promene fans regie a 1'endroit, a 1'envers, Vingt fois recommencé, 1'ouvrage Tant bien que mal s'acheve enfin ; Et de pompons ornc fuivant 1'ufage, Bientöt 1'innocente Nonain Le préfente a 1'Aréopage, Qui voulut au Prélat le renvoyer foudain ; Non fans 1'enjoliver. Les attentions fines , Les petits foins font nés chez les Vifitandines; Greflet 1'a dit, & le fait efl certain. On prit,póur enfermer l'étofTe réparée, Un corbillon de divérfes couleurs ; Sur elle on étendit une couche de fleurs , Et par-defllis, mainte pêche pourprée, Qui s'annoncoit au gqut par 1'odorat; Puis le tout fut remis au Suifle du Prélat. Chez PEvêque on ne jeiinoit gucre, Et 1'on y dïnoit fort fouvent ; On dinoit ce jour-la. Pour completter la chere, On annonce au deflert des pêches de Couvent. B iij  22 HISTORIETTES EN VERS, Préfent de Nonne efl: friand d'ordinaire. Ce beau fruit, comme de raifon} Parut d'une faveur exquife. Mais en fouillant au fond du corbilJon, Jugez du bon Prélat quelle fut la furprife '. Malgré tout le refpeét qu'on doit a la Grandeur , De longs éclats d'un ris moqueur La fienne fut apoftrophée , Si-töt qu'on vit s'élever en trophéc Un haut-de-chauffè aux mains de Monfeigneur» Aufli-töt il manda la Brie, Qui répondit tout bonnement Avoir été fidélement La remettre a Sainte-Marie. L'hifloire fit grand bruit, on en rit largement, Et le Prélat d'abord prit mal la raillerie ; C'ctoit agir bien mal-adroitement ! Par malice aufli toute pure, Sans cefle on en parloit; mais lui-même un beau jour S'avifa d'en rite a fon tour , Et Pon cefla de conter Paventure,  LI F RE PREMIER. 23 On lit dans un antique ouvrage, Biv CONTÉ IV. LA FIDÉLITÉ MAL RÉCOMPENSÉE. IWes amis, je veux vous redire Un trait des plus touchans, & point imaginc ; Oui, je veux, duflïez-vous en rire, Rendre en vers Ie plaifir qu'en profe on m'a donné. Ce n'eft pas un Conful de Rome , Ou quelque Roi, qu'ici je prends pour mon Héros ; Pas un Seigneur, ni même un homrae ; Je L'ai choifi parmi les animaux. Et pourquoi nonf ft 1'aclion eft belle, De fon auteur que fait la qualité ? Un homme ingrat vaut-il un chien fidele ? AfTez fouvent les chiens ont de 1'humanité Plus que vous, hommes que vous t tes ! Or,les Mufes toujours doivent, par équité, Immortalifer jufqu'aux bêtes} Quand les bêtes 1'ont mérité.  24 HISTORIETTES EN VERS. Qu'autrefois fous CharlesrMartel. Le Seigneur d'un trcs-vieux Chatel Y confumoit les fruits d'un fertile héritage. II avoit-la fon prudent Aumonier , Un faucon, dans les airs avide braconier , Son Sénéchal, une moitié fort fage ; II n'y manquoit qu'im héritier. Déja le bon Seigneur, vóifin de Ia vieilIefTe, Se voyant fans enfans, trembloit pour fa NoblefTe. Mais de fes voeux enfin 1'Hymen importune, D'un beau garcon le rendit pere. Dieu fait, dans un jour fi profpere, Si 1'on fêta Ie nouveau-né ! Outre la Nourrice ordinaire Qui gouvernoit ce fruit d'un tendre amour , Deux autres, au befoin , prê-tant leur miniftere , Auprcs de lui dormoient & veilloient tour-a-tour* Deux amans dans Ie voifinase, Jeunes, fur-tout bien amoureux, Aux autels d'Hymcnée avoient ferré des noeuds Si beaux de loin; Sc pour leur rendre hommage , Leurs Vafiaux préparoient des jeux,  LIVRE PREMIER. 3$ Des courfes de chevaux; c'étoit alors 1'ufage. Montés par des Valets, deux courfiers bien appris, De la courfe en plein champ fe difputoient le prix ; Des Jugcs fpeclateurs décernoient la viétoire ; Les Maïtres guidoient les travaux ; Le mérite étoit aux chevaux, Aux Maïtres feuls étoit la gloire. C'étoit bien-la, fans contredit, Pour qui cherchoit la gloire, une belle refiburce ; On pouvoit, fans quitter fon lit, Remporter le prix de la courfe. Les fpeétateurs furent nombreux ; Pas un feul Cavalier qui n'y menat fa Dame. Tout fier d'avoir un fils qui combloit tous fes voeux, Notre époux réfolut de donner a fa femme Le piaifir d'aller voir ces jeux. Tous leurs gens les accompagnerent; Les trois femmes feules refterent Pour garder le cher nourriftbn. Seules ? Non , je dis mal; car le jeune Titon , Chicn des mieux faits, cher a fon Maitre , Et qui, comme on va voir, étoit digne de 1'être,  26 HIS TORIET TE S EN VERS. Avec elles étoit refté. Mais quand de toutes parts vers la fête on s'avance, Que faire-la f L'ennui vient; on commence D'entendre les clameurs; (car grande eu 1'affluence;) Lorfqu'on entend, on eft tenté De voir auffi • bientót la curiofité L'emporta fur la vigilance. Pour endormir bien promptement Le rioumffon, chacune ufe d'adrefle; Le mobile berceau , balancé mollement, Toujours d'un égal mouvement, Allant, venarlt, flotte fans ceffe ; Et pour mieux affoupir fes fens, Certaine voix foporative En frédons longs & languilfans Traïne une romance plaintive. Puis au haut de la tour gaïment On courut voir fi la courfe étoit belle ; Souvent ainfi 1'oubli d'im feul moment Ouvre de pleurs une fomce éternelle. Un gros Serpent, de venin tout gonfïé, Des fentes d'un vieux mur félé ,  LIVRE PREMIER. 27 Vient étaler fa crcte étincellante , Son dos bien argenté , fa prunelle fanglante. Vers la falie oü 1'enfant goütoit un douxjrepos , Son corps, qui du Soleil réfiéchit la lumiere , Dans fa marche rampante & fiere , Promene en longs replis fes tortueux anneaux. Par la fenêtre ouverte il glifTe, de maniere Que tout pres du berceau le voila parvenu. Las ! il voit un enfant, endormi, prefque nu. . . «j Sa tête fur fon bras efl mollement penchée ; Son fein tout découvert eft plus blanc en effet Qu'une goutte de lait, Qui s'étoit lors de fa levre épanchée. Tout réveille a 1'envi Ja faim Du vórace Sc cruel repüle ; Sur fa tête on eüt vu foudain Friflbnner fa crête mobile ; D'un venin plus cruel que la fiamme Sc le fer, Son dard s'enfle, s'échappe ; Sc plein d'impatience, Vers 1'enfant qui fommeille, en fifflant il s'élance. Mais a deux pas, 1'ccil & 1'oreille en 1'air , Sur un lit notre Chien fidéle  BIS TORIETTES EN VERS. Veüloit & faïfoït fentinelle. Sur le Serpent il fond comme un éclair, L'arrête en fon chemin, fufpënd fa fairri cruelle; Le petit animal, en grondant le harcelle, Contre fon aiguillon arme griffes & dents, Et bientöt le fang qui ruiffelle Inonde les deux combattans. Le courage en leurs coeurs foudain fe renouvellej Et leur choc efl fi vigoureux Que le berceau fe renverfe auprès d'eux. Mais tel fut fon bonheur extreme, Que 1'enfant, (ah! fur lui Ie Gel a du veiller, ) Fut du berceau couvert a 1'infiant même, Sans aucun mal, même fans s'éveiller. Enfin, apres mainte cpreuve hardie , Titon avec adreffe attaque fon rival; Par la tête il faifit le vorace animal, L'écrafe entre fes dents, & le laifTe fans vie. Puis voyant qu'il ne peut, malgré tout fon effort, Relever le berceau, plus prudent il le quitte; Et tout en haletant il remonte bien vite Sur le lit pour veiller encor.  L1VRE PREMIER. 2$ Cependant, la courfe finie, Les femmes, de la tour viennent a pas prelïe ; Mais de quel défefpoir leur ame fut faifie, Quand on vit le berceau dans le fang renverfé ! Elles crurent foudain que pendant leur abfence , L'enfant avoit été dévoré par le Chien j Et la fuite en cette occurrence Leur parut Punique moyen De fe fouflraire a la vengeance. On part. Mais d'un trouble fi grand Elles fe font laifTé furprendre , Que voulant fuir la mere, on a pris juftement La route qu'elle devoit prendre. On la rencontre au même inftant. « Ou courez-vous, s'écria-t-elle f » Quelle eft la funefle nouvelle " Que vous nous apportez ? Mon enfant efl-il mort? « Paiiez ^. La Nourrice d'abord Tombe a fes pieds, implore fa clémence, Lui confeiïè a grands cris qu'ayant eu Pimprudence De quitter fon fils un moment, Le Chien Pa fait périr impitoyablement. La Dame, a ce récit, tombe fans connoifTance,  50 HÏS TORIETTES EN VERS. A lïnftant même arrivé fon époux, Qui la trouve prefque fans vie. Gel! qu'avez-vous ? Soudain d'une voix affoiblie": « Ce que j'aimois le plus, lui dit-elle, aprcs vous, » Votre bonheur, mon bien fuprême , » Mon fils efl: mort. Le Chien, élevc par vous-même, 33 L'a dévoré «. Le perc eut été moins furpris Quand il eüt vu tomber la foudre en fa préfence. Muet de défefpoir, a grands pas il s'avance Vers rappartcment de fon fils. A peine efl-il entré, que, d'un air d'alégrefle , Le fidéle Titon accourt en bondiffant, Malgré mainte bleflure, & les maux qu'il reffent, Plus emprelfé, le leche, le careffe ; Par des geiles divers , par plus d'un cri touchant y II exprime a la fois fa joie & fa tendreffe. On croiroit qu'il reffent tout le prix du bienfait Qu'a fon cher Maïtre il vient de rendre ; Vous diriez qu'il a du regret De ne pouvoir fe faire entendre, Pour lui conter ce qu'il a fait. Son Maïtre, hclas! qui ne peut le comprendre Jette les yeux fur lui, voit fon mufcau fanglant j  LIVRE PREMIER. 3I Par ces fignes menteurs fa colere efl trompce; II le juge coupable , & tirant fon épée, II abat fa tête a 1'inüant. Après ce coup, plus morne & plus farouche, Tandis qu'il tient fon front caché fous fon manteau , L'enfant s'éveille j un cri fort de fa bouche : Lepere accourt, fouleve Ie berceau; II voit.... Dieu! quel objet pour les regards d'un pcrc I Ce fils, qu'il avoit cru privé de la lumiere, Qui lui fourit encore ! il poulfe un cri • On accourt; dans fes bras la mere Souleve ce gage chéri, Tremble en le regardant, 1'obferve, fe rafiure ; EUe le voit bien vivant, fans blelTure; Et de joie enfin tous les yeux LaifTent couler des pleurs délicieux. Puis en cherchant par-tout, pour deviner Phiftoire On trouve un gros Serpent, fumant encor, dit-on, Dont la tête écrafée annoncoit deTiton Et le combat & Ia viétoire. Tout s'éclaircit; le pere enfin A reconnu le crime de fa main.  32 HIST0R1ETTES EN VERS. II a privé du jour un ferviteur fidele; Et quand il croit d'un fils venger la mort cruelle, De fon libérateur il devient PafTaffin. Tant qu'il vécut, il en eut fouvenance ; Et s'impofa , pour expier La mort de ce bon Chien, la même pénitence Qu'on impofoit alors au meurtrier. II lui fit décerner jufqu'aux honneurs funebres • Et pour rendre a jamais célebres Et fes vertus & fes revers, Sur fa tombe lui-même il écrivit ces vers : cc De mes amis, la mort ici recele 55 Le plus infortuné comme le plus fidele CONTÉ  L1VRE PREMIER. CONTÉ V. LE LAID CHEVALIER. Un homme des plus laids aimoit a la folie Une jeune Beauté • le cas n'eft pas nouveau ; Pour aimer femme jolie , A-t-on befoin d'être beau? Or, notre Amant, fi 1'hiftoire efi fïdelle, Etoit fpirituel autant qu'il étoit laid • Et par certain hafard, furprenant en efiet, Mais qui par fois fe renouvelle , Sa Maitreflê étoit fotte autant qu'elle étoit belle. Amour, ce font-la de tes jeux ! Cet homme que 1'on croyoit fage , Et qu'on favoit être amoureux, Voulut tater du manage. Pour parokre toujours a la raifon foumjs, Tandis que fon hymen s'apprête, II prétend ( cet ufage eft de tous les pays) Prendre confeil de fes amis, Pour n'agir que d'après fa tête. C 53  34 HISTORIETTES EN VERS. «c Amis , dit-fl., confeillez-moi; ï3 Je veux prendre pour femme Orphife. 33 Elle, répondit-on ? mais, quoi! » Vous favez. . . Oui, je fais; je connois fa fottife, 33 Mais, croyez-moi, je me fuis confulté, 33 Et j'y trouve un grand avantage; S3 Car nóus'fommes en fonds, foit dit fans vanité, 33 Pour donner aux enfans qui nous viendront, je gage, 33 Moi, de 1'efprit, elle, de la beauté ; 33 Efl-il un plus digne héritage ? Cela dit, aniiné par cet efpoir fiatteur, Le foir même il conclut Paffaire. Qu'arriva-t-il ? Ses enfans, par malheur, De leur pere eurent la laideur, Et la bêtife de leur mere,  LIP-RE PREMIER. 3S CONTÉ VI. LA FENGEANCE. yE veux vous conter 1'aventure D'un très-illuitre Chevalier Qu'un très-antique Fablier A laifle pour modele a la race future. Elénor eft fon nom. Plus vaillant Paladin N'a jamais honoré la France; II favoit en un tour de main Rompre un écu, fracafler une lance , Faire quitter 1'aicon aux meilleurs Ecuyers, Des plus vaillans Héros tranfpercer la cuirafle, Pourfendre des géans, & coucher fur la place Et palefrois & cavaliers. Elénor étoit, pour tout dire, Le Héros de tous les tournois. Mais Ie plus grand de fes exploits, C'efi d'avoir fu plaire & fuffire A donze femmes a-la-fois. Cij  56 HIS TO RIET TE S EN VERS. Tandis qu'il entaffbit vidoire fur vidoire, Dans fon voifinage vivoient Douze Nobles qui tous avoient Femme jolie, ou peu s'en faut. La gloire A fes attraits, mais 1'Amour la vaut bien. Ce principe eft le nptre, il fut auffi le lien. Le Chevalier n'avoit pas en partage Moins de beauté que de courage : II voulut, faifant trève a fes travaux guerriers, Enter le myrte au moins fur fes lauriers. Chez les Belles du voifinage II alla porter fon hommage. Sur ces douze Beautés il falloit faire un choix, Et cependant fon cceur n'en rejettoit aucune ; D'ailleursrceil peuttromper;au lieu d'en choifir une, II les prit toutes a-la-fois. A chacune des douze il s'efTorca de plaire , Et plut fi bien, que tour-a-tour De chacune il obtint ce doux figne d'amour, Qui fert tout-a-la-fois de preuve & de falaire. Mais cachant avec foin qu'il étoit bien traité, II goutoit fes plaifirs avec tant de prudence, Que chacune de fon cóté  LIVRE PREMIER. 5? Crut 1'avoir feule. Oh ! pour cette croyance, Elle blefle la vraifemblance, Bien qu'elle foit la pure vérité. Quoi! faire prendre a jeunes femmes Un douziéme d'amour pour un amour enticr I Quel amour en ce cas, Mefdames, Que 1'amour de ce Chevalier ! Chacune d'elles en cachette A le parer s'occupoit tous les jours ; Avec bant de Dames d'atours , Rien ne devoit manquer k fa toilette. Au (Ti, lorfque dans un tournois II alloit arborer fa lancc , On admiroit tout-a-Ia-fois Sa beauté, fon courage & fa magnificencc. Toute une année ainfi ce Sultan forumé , Auxcombats, en amour, entaffant les proueiïesj Vécut dans les plaifirs, de gloire couronné, Auprès de fes douze Maitreffes. Plus fine, ou plus jaloufe, une des douze enfin ( d'Ariol eft fon ]10m ) foupconna Pinfidèjfe 5 Et pour s'en éclaircir, la Belle  38 HISTORIETTES EN VERS. Fit aflembler par un feflin Ses onze rivales chez elle. Après diner (le tems étoit clair & ferein ) Finement elle les invite A defcendre dans le jardin, Sans nul Cavalier a leur fuite. La, tout en refpirant le calme & la fraïcheur , Parmi ces petits jeux, qui loin de tout cenfeur, Donnent aux Belles d'ordinaire Gaité plus libre & pudeur moins auftere j' « Jouons , dit-elle, au Confciïeur. « Chacune de nous, jeune & belle, 33 Dok ctre aimée , aime fans doute aufTi; 33 Mais je voudrois favoir qui de nous douze ici 33 A le plus bel Amant, & le plus digne d'elle. 33 Prenons un Confeflëur, lié par un ferment; 33 Que chacune en fecret lui nomme fon Amant; 33 Et qu'il décide après, laquelle , heureufe ou fage, 33 Du plus beau Chevalier tient le cceur en otage Comme on étoit fort en gaité, D'une commune voix le jeu fut accepté ; Et quant au Confeflfeur, la place eft accordéc I  LIVRE PREMIER. 39 A celJe qui d'abord en a concu Pidée*. Aux pieds d'un arbre alors va s'aiïeoir gravemcnt La Dame d'Ariol, d'un air difcret, fidele ; Et r une des douze humblement A deux genoux vient fe ranger prés d'elle ; Puis de lui dire : cc O Dame Confefteur, «Je peux vous déclarer le fecret de mon cceut; m Car pour Amant j'ai le plus galant homme , 33 Le plus beau Chevalier.... Après cela, je croi, 33 Vous devineriez bien fans moi 33 Que c'eft Elénor qu'on le nomme ». A ce nom d'Elénor Ie Confeflèur palit, Puis changea vingt fois de vifage. II eut pourtant Ia force & le courage; De déguifer fon trouble & fon dépit. Vers fes genoux une autre s'achemine ; Mais tout prés de parler au grave Confeflèur,. Elle fe frappoit la poitrine.. « —Ce gefte-Ia prouve, ma Socmv =aUne grand' faute, un choix blamable... . =3 Oh ! point; j'aime , dit-elle, un mortel adorable » 33 Le Chevalier le plus courtois, C iv:  40 HISTORIETTES EN VERS. 33 Et qne je crois le plus fidéle.... 33 C'eft Elénor 33. Pour cette fois Jngez du ConfefTeur la farprife nouvelle. Une troifiémc accourt fans fe faire prier, Riant, fautant; & d'un air cavalier, 'Avant qu'on 1'interroge , elle répond bien vïte ; « Mon Amant n'eft encor que fimple Chevalier; 33 Mais fa beauté, fa vaillance mérite 33 Le rang de Duc, de Roi De fa bouche foudain C'eft le nom d'Elénor qui fort avec emphafe» Une autre après, toutes les onze enfin Ont fait choix d'un homme divin, Et le nom d'Elénor termine chaque phrafe. Quand la derniere eut fini de parler, La Dame d'Ariol rejoint fes pénitentes , Qui déja bien impatientes Demandent qui des douze a droit de s'appeller Plus heureufe en amour.« Autant 1'une que 1'autre , Répond 1'ex-Confefteur; 33 mon Amant eft le vötre; 33 A nous douze, en un mot, nous n'avons qu'un 33 Amant. 33 Mais il n'a pas long-tems, fi vous voulez m'en croire,  L IV R E PREMIER. 41 » A fe vanier de fa victoire ; « Et nous nous vengerons, j'en fais un bon ferment". A ces mots, dans les airs s'élance Un cri de fureur, de vengeance. jl o Ti -ri II alla voir le lendemain L'une de fes douze MaitrefTes. Doux fourire & tendres carelfes, D'entrer en jeu; mais des yeux, de la main, On arréte le jeu foudain. Pour prétexte on lui dit qu'un Argus les obferve, Mais que pour 1'en dédommager, On 1'attendra le foir dans le verger ; Et lui fans foupconner le fort qu'on lui réferve, II y vole. Fier & content, II y porte un air de conquête : Mais le rendez-vous qui rattend , Ne doit pas être un tête-a-tête. Douze Beautés qu'anime un noir deffein , Sous des berceaux en fentinelle, Attendeni leur viftime avec un cceur d'airain ; Déja dans leurs mains étincelle Le couteau menaqant, le rafoir inhumain. Sur lui tout en entrant, les portes font fermécs ;  LlVRE PREMIER. 43 Et tout a coup douze femmes armées L'environnent d'un bras vengeur. Dans leurs regards éclate une fureur Qui n'eft ni feinte, ni muette. tc Ah ! traïtre, lui cria 1'efcadron révolté De ces fpadaflins en cornette , « Recois enfin le prix de ta déloyauté ». Un tel accueil, ces difcours très-aufteres Surprirent Elénor ; mais il fit de fon mieux Pour paroïtre en effet ne s'en allarmer guères, Et de Pair le plus gracieux II falua fes adverfaires. La Dame d'Ariol a cet arrêt cruel Veut donner un air légitime ; Elle veut, pour punir le crime, Confondre avant le criminel. «Ne m'avez-vous pas, lui dit-elle, 33 Fait cent fois, mille fois ferment 33 Que vous m'aimiez ? —Affurément 3 Lui répond-il, » ma toute Belle ! 33 Et je le jure encor dans ce moment. 35 Je fus toujours & je veux être ?3 Votre ami,votre Chevalier,  44 HISTORIETTES EN VERS. » Tant que je vivrai. —Comment, trakre Dit une autre en levant fon glaive meurtrier ! 33 Lorfque j'étois ta Souveraine, 33 Quand ta bouche & tes yeux cherchoient a m'at33 tendrir, 33 Tu mentois donc ? —Non, belle Reine ; 33 Non, vos beaux yeux m'avoient fu conquérir, 33 Et fous vos loix encor je veux vivre & mourir. Une autre alors 1'appelle ingrat, parjure, infame. 33 —Oui, douce Amie, oui, dans mon ame 33 Vous avez allumé le plus ardent amour ; 33 Et je perdrai plutót le jour 33 Que d'éteindre ma flamme.... 33 Que dis-je ? qui de vous n'a mérité mes voeux ? 33 Mon cceur, au lieu de tendres feux, 33 Dut-il nourrir pour vous des froideurs criminelles ? 33 Nature daigna vous former 33 Toutes aimables, toutes belles , 33 Et j'ai dü toutes vous aimer 33. Vous efl-il arrivé quelquefois par méprife, De renverfer une ruche furprife f Soudain des mouches en fureur,  LIFRE PREMIER. 4; Vous avez vu la bourdonnante armee Fondre fur vous, & de rage animée Vous menacer de 1'aiguillon vengeur. Tel notre Chevalier défarmé , fans défenfe , De tous cötés entouré du trépas, Ne voit plus que le fer qu'aiguifa la vengeance , Et n'entend que ce cri: « Perfide, tu mourras«. « —Non, cria-t-il, non, je ne mourrai pas. p> MaitrefTes de mon cceur, entre vos mains armées, » Sans crainte & défarmé, vous me verriez courir. 33 Pour vous craindre aujourd'hui, je vous ai trop J3 ai méés ; 33 Vous m'avez trop aimé pour me faire mourir. 33 Néanmoins s'il vous faut mon lang, je vous le livre. 33 Si je vous ai déplu, pourrois-je aimer a vivre ? 33 Mais j'oferai, pour prix de tant de foins rendus, 33 Vous demander au moins une faveur derniere j 33 Que celle qui m'aima le plus, 33 Prenne le fer, & frappe la première >>. II prononca ces mots d'un ton fi gracieux, Un feu li tendre animoit fes beaux yeux, Que fes juges vaincus lui rendirent les armes j  45 HIS T0R1ETTES EN VERS. Leurs cceurs ont abjuré tous projets inhumains \ Le fer vengeur quitte leurs mains ; Et même de leurs yeux s'échappent quelques larmes. Mais tout n'eft pas encor fini. La Dame d'Ariol, par qui de fes proueftes Le Chevalier faillit être puni, Lui parle encore au nom de fes douze Maitrefles. « Nous aurions dü punir tes defirs inconftans; « Mais de notre courroux 1'Amour eft encor maïtre. " Nous fümes tes dupes long-tems, «II faut au moins ceflër de 1'être. sj L'une de nous fans doute eft plus chere a ton cccur. 33 Nomme-la, choifis ton vainqueur ; 33 Et Puifles-tU, fbté par elle, » Lui réferver le deftin le plus doux ! 33 Je crois que chacune de nous 33 Mérite bien un cceur fidéle 33. On applaudit a ce difcours: « Oui, dit-on, puifqu'ici même fort nous raflêmble, 3> Choifis 33. Le Chevalier perfifte; il veut toujours, II prétend les aimer toutes les douze enfemblc. Mais 1'Orateur femelle, a la colere enclin,  LIFRE PREMIER, 47 De fes délais s'impatiente; Et d'une voix altiere & menacante; cc Choifis, dit-il, ou meurs ». II fe décide enfin, cc Je devrois vous haïr; car c'eft par vous, cruelle, ■» Que de tant de Beautés il faut me deflaifir; 33 Mais puifqu'on veut enfin me forcer de choifir, 33 C'eft a vous que je jure une flamme éternelle 33. En achevant ces mots, il vole dans fes bras ; Et ces mots & ce gefte ont fini les débats. Même on prétend qu'au fond de 1'ame Tant d'amour le rendit excufable a leurs yeux ; Et 1'on crut, a juger fes tranfports amoureux, Qu'il aimoit trop pour n'aimer qu'une femme»  48 HIS TORIETTES EN FERS. CONTÉ VII. LE TRIPLE CHOIX. 3LiE Diable un jour cherchant aubaine, S'étoit voilé d'une figure humaine. ( Souvent ainfi, dit-on, il fe fait encor voir.) Par rufe ayant mené fur le bord d'un abïme Un Soldat, un vieux Chantre, avecFrere Herraotime: cc Pour racheter vos jours qui font en mon pouvoir, » Dit-il, réfolvez-vous a commettre ce foir 33 L'un de ces trois péchés; 1'ivrelTe, ou 1'homicide, 33 Ou 1'adultere. Allons, que chacun fe décide. 33 Pour 1'ivrefTe en ce cas, je fuis déterminé f Dit le Chantre. Le Militaire A 1'homicide eft réfigné; 3» Moi, dit le Moine alors, je fuis pour 1'adultere 33. NOUVELLES  t NOUVELLES HISTORIETTES EN VERS. LIVRE SE CO ND:   NOUVELLES HISTORIETTES EN VERS. LIVRE SECOND. CONTÉ PREMIER. LES JAMBES DE BOIS, IWes amis, un Fablier De Pan dernier, Qui valoit ceux de cette année, .Contoit un foir ce qu'ici Je vais vous conter auffi Dij  %2 HISTORIETTES EN VERS, Au coin de ma cheminée. Je me promenois prés d'un bois, Quand je vis un Payfan qui traverfoit la plaine* II avoit deux jambes de bois : Je vous fouhaite même aubaine. Ce fouhaic vous fait peur ? Mais écoutez cecï: Du compliment, j'ofe le croire , Vous m'allez dire grand'merci, Quand j'aurai conté mon hiftoire. Comme j'avois un peu d'ennui, Je m'approchai pour caufer avec lui. Tout en caufant, je crus bien faire De lui jurer qu'au fond du coeur Je prenois part a fon malheur. Ou'appellez-vous, malheur, dit-il prefqu'en colere! »Ce malheur eft un bien dont j'ofe me vanter, m Dont mon cceur s'applaudit fans ceflè ; 33 Et fi inon fort vous intéreflè, 33 Vous devez m'en féliciter 33. \ ce difcours, bien fait pour me furprendre, Je lui fis compliment du coeur & de la voix j hl ais je le fuppliai de me faire comprendre  LIVRE SECOND. n La volupté de deux jambes de bois. « Volontiers, dit-il, je commence. 33 Quant a 1'économie, elle efl de conféquencer 33 Pour de mallieureux Ouvriers; '33 Or, qui n'a plus de jambe, évite la dépenfe 33 Qu'il faifoit en bas & fouliers» 33 Les ronces me faifoient la guerre ; 33 J'appréhendois a chaque inflant 33 De me heurter contre une pierre, 33 Ou de me bieder en marchant; 33 Crainte & danger m'accompagnoient fans ceiïè ; 33 Maintenant exemt de tout mal, 33 Je vas, viens , fans que rien me blefle; 33 Boue & cailloux, tout m'éft égal. »3 Pour neiges & bourbiers je ne fais nulles paufes; 33 Je fuis ainfi devant vous arrivé; 33 Füt-ce un chemin d'épines tout pavé, 33 J'y marche comme fur des rofes. 33 Si fous mes pas je découvre un ferpent, 33 De mon pied j'écrafe fa tête; 33 Si quelque chien a. me mordre s'apprête, 33 Je peux, fans me gêner, 1'afTommer a 1'inflant. »3 Sur mes jambes, 1'Eté, je n'ai pas a combattra D üj  HIS TORIET TE S EN VERS* 33 Des mouches 1'agile aiguillon ; 53 Et fi ma femme a la maifon >=> Fait du bruit, j'ai de quoi la battre. * Qu'on me donne une noix, je la caflè. Le foir , 33 Pres de mon feu lorfque je viens tot'afleoir 3 33 Mon pied 1'attife. On a beau voir 33,Les faifons varier, toujours de leurs caprices 33 Mes jambes fa vent triompher ; 5 Enfin, après huit ans d'agréables fervices, 33 J'en fais du bois, pour me chauffersj. Je vous fouhaitois donc un fort dignc d'envie ; Vous le voyez. Ainfi ( qui 1'auroit pu penfer ? ) L'homme fans jambe, avec de la philofophie 3 A du plaifir a s'en pafier.  LIVRE SECOND. SS «... ^^===—==5» CONTÉ II. Z£ FILS CORR1GÉ PAR SON FILS. «WLoi je donnè a mon fils la moiüé de mon bien,: 33 Que donnez-vous a votre fille ? =3—Moi, ma NoblelTe.—Ah! c'eft-a-dire, rien»* Ainfi parloient deux peres de familie, L'un fort riche, mais Rotiuier; L'autre Noble, mais pauvre, cc Ecoutez donc, beau 33 Sire, Dit celui-ci! 33 qui veut noblement s'allier, 33 Dok fe faigner un peu, puifqu'ilfaut vous le dire, 33 Le reftant de vos biens vient après votre mort 33 A votre fils; c'eft un efpoir, d'accord. 33 Mais vous vous portez bien. Puis cette derniere 33 heure, 33 Tant qu'on peut, on 1'éloigne ; & c'eft le droït 33 commun. 33 Or, qui pour bien diner, attend qu'un autre meure , 33 Peut diner tard, ou fe coucher a jeun. 33 D'ailleurs, vous promettez, & vous êtes fmcere; Div  S'6 HISTORIETTES EN rSR& » Mais trop fouvent, & j'en fuis peu furpris, » En voulant une chofe, on fait tout Ie contraire ; » Vouspourriezbienencor5malgrévoscheveuxgriS3 =3 Prendre,las du veuvage, une femme nouvelle. » Nous pourrions vous voir, malgré nous , m Elle, avoir des enfans de yous» » Ou vous au moins en avoir d'elle. '3II peut fe faire encor qu'a la fin de vos jours » Vous veuilliez dans un Cloitre aller fmir leur cours % » La, par un zele aveugle, & par trop ordinaire, " RéPandre en legs pieux ce bien par vous promis, 33 Et déshéritant votre fils » Pour êtrebon Chrctien, devenir mauvais pere. *II faut s'exccuter ; je donne tout mon bien: ( Je vous ai dit, Lefleurs, qu'il n'avoit rien.) " Vous'donnez tout k votre. II n'eft qu'un mot qu* 33 ferve: w Donation entiere & fans rëferve ,■ 33 Ou marché nul». Son dernier mot Etoit prendre ou laiifer.Le vieillard, (c'eft Henrique) Trouva qu'on parloit un peu haut, Et Ia condition lui parut tyrannique. II alloit renoncer a cet hymen promis« ■  LIFRE SE CO ND. $7 Mais quoi! fon fils aimoit la Demoifelle.' Lui-même il aimoit tant fon fils! Son fils pourra-t-il bien vivre féparé d'elle ? II fe rendit, figna tout fans effroi: cc Eh bien ! difoit-il a part foi, s> Je vivrai chez mon fils jufqu'a ma derniere heure* Après tout je ne rifque rien. 33 Par ce contrat je cede tout mon bien , ;>3 Non 1'amour de mon fils j fi fon coeur me demeure, 33 Tous les titres en parchemin 33 Valent-ils celui-la? Mais, non fans doute 33. Enfin s On conclut Fhyménée, on célébra la fête. Le Vieillard qui perd tout, croit gagiler un tréfor» Hélas ! il ne fait pas quels chagrins il s'apprête 1 S'il le favoit. . • . eh bien ! il le feroit encor ; Le coeur d'un pere eft un peu béte 1 Sa foibleffè fur ce point A re vivre eft tou jours prête: Sesyeux peuvent s'ouvrir, foncceur ne change point» Les deux Epote firent fort bon ménage» Arrivé un fils qui devient grand ; Deux tréfors ornoient fon bas age j  SS H1S TORIETTES EN VERS* Bon efprit, & cceur excellent. Pendant ce temps, le bon Henrique , Tant bien que mal, vécut a la maifon • Ce Vieillard au commerce, au détail domeftique, Etoit encore utile en fa vieilie faifon. Ce qui fert eft toujours de mode. Mais quand par 1'age enfin devenu peu difpos^ II eut fenti le befbin du repos , H étoit inutile, il devint incommode. Sa bru, fur-tout, le vit de mauvais «il * Son coeur étoit pêtri d'avarice & d'orgueil. Elle ne le voit qu'avec peine Manger le pain qu'ils ont recu de lui; Et fon coeur ne peut plus dévorer fon ennui, Ni vaincre , ni cacher fa haine. Le bon Vieillard fe voit traité Avec une rigueur extréme ; Et dans une maifon qu'il enrichit lui-même , II endure la pauvreté. Sa bru le perfécute &le brave a toute heure, Tant que, n ecoutant plus ni pudeur ni raifon, Elle menace enfin de quitter la maifon, S'il faut que Henrique y derneure.  LI FR E SE CO ND* £p Elle fit tant & par force & par art, «Que 1'époux étouffant le cri de la nature» Vint dire un jour au bon Vieillard, ( Sa femme 1'écoutoit) de chercher autre part Et fon lit & fa nourriture. cc O Ciel! que me dis-tu, mon fils s S'écria le Vieillard furpris ? As-tu déja perdu la fouvenance 33 De foixante ans de travaux inouis ? 33 Par mes fueurs, je t'ai mis dans l'aifance| 33 Et quand de mes biens tu jouis, 33 Tu me chalfes pour récompenfe ! 33 Las! contre moi de mes bienfaits armé, 33 Me punis-tu de t'avoir trop aimé ? 33 Au nom de Dieu, je ten fupplie, 33 O mon cher fils! quand tu me dois la vie, 33 Ne fouffre point que la faim vienne, hélas I 33 Finir la mienne. Ah! tu n'en doutes pas, 53 Je ne peux plus marcher; donne-moi pour afyle 33 Un coin de ta maifon qui te foit inutile. 33 Je ne demande pas a me voir déformais 33 Couché dans un bon lit, ou nourri de tes mets. >j La, fous cet appentis} ou dans la cache obfcur©  6"o HISTÖRIETTES EN VERSl » Qui vers tes caves aboutit, » Un peu de paille, hélas! fera mon lit, » L'eau, ma boiffon, du pain, manourriture. Tu peux ainfi fans frais me coucher, me nourrira » Oui, mon fils, a mon age il faut fi peu pour vivre» » Attends au moins que le Ciel te délivre. » Auprès de toi permets-moi de mourir; » Tu n'auras pas long-temps a me fouffrir. » Si pour tes péchés tu veux faire m Des aumönes, des dons pieux, " Fais-les, mon cher fils, a ton pere ; » Oü pourrois-tu les placer mieux ? => Rappelle-toi trente ans de complaifance » Sur-tout les foins donnés k ton enfance. S3 Songe que Dieu bénit Ie fils de qui 1'amour » Veille fur fes parens, les chérit, les révere, » Crains qu'il ne te puniflè un jour » Pour avoir fait mourir ton pere »ï Le fils efl attendri des difcours du Vieillard ; Mais il faut voir partir ou fon pere ou fa femme * Mais fa femme écoute a 1'écart; Mais elle regne en tyran fur fon arae.  L1VRE SE CO ND. ii Enfin, tout en pleurant fur le fein paternel, ( Tant par foiblelfe, un coeur peut devenir cruel! ) II confirme 1'arrêt. — cc Quoi! ta bouche 1'ordonne l 33 Mais ou veux-tu que j'aille en fortant de chez toi f, 33 Foible & mourant, quels étrangers, dis-moi, >3 M'accueilleront, quand mon fils m'abandonne J Le fils gronda 1'enfant, qui répondit: cc Mon pere, 33 Ce que j'ai fait, j'ai cru devoir Ie faire. 33 L'autre moitié de houflè, grace aux Cieux 3 « Nous fervira ; ce foin-la me regarde, 33 Et c'efl pour vous que je la garde 33 Quand vous ferez devenu vieux 3», Par ce reproche ingénieux ,• ,Ce fils trop criminel fent defliller fes yeux. En avouant fa coupable foibleflè, 11 mérita, du moins il obtint fon pardon , Et fit peut-être par raifon Ce qu'il auroit d'abord dü faire par tendreftè* Son pere mourut dans fes bras. Ainfi ce fils , agent d'une haine étrangere, Apprit d'un jeune enfant ce qu'il n'oublia pas ; Qu'un fils cruel envers fon pere Mérite aufli des fils ingrats. U£|9  *4 HISTÖRIETTES'EN VERS. ^========^ ■ . S» CONTÉ III. LA EAUSSE PEUR. Mathurin. O^'Avez-vous, Monfieur le Curé t L e C u r é» Ah! mon ami, j'én ai le coeur navré. Je viens de voir mourir Lucas pres de fa femme, Mathurin, C'eft un malheur. Dieu veuille avoir fon amc ! L e Curé. Hom! il ne 1'aura pas. J'ai vu (j'en meurs d'effroi,} Le Diable s'en faifir. II faifoit un peu fombrc. . . «v Matüurin. Le Diable ? Chanfon ! Croyez-moï, Vous avez eu peur de votre ombre. CONTÉ  LI FR E SECOND. 6;, »g-—f ssa^=i—». CONTÉ IV. £ £ D1ALOG UE. \j N Chevalier, dont la Vicloire Avoit fouvent couronné les exploits , Revenoit un jour d'un tournois , Plein de lafïïtude & de gloire. En fon chemin il trouva fon Valet, Le bon Memnon, qui d'un air bénévole / Tranquillement, a pas lents s'en alloit, Sans jetter un regard, fans dire une parole. « Ou vas-tu, lui dit-il ? Le Valet froidement r « Je vais , dit-il, Monfieur, chercher un logement»V Jaloux d'en apprendre la caufe, Le Maïtre s'en informe avec un air d'effroi: « Qu'eft-il donc arrivé chez moi f » Oh! rien, Monfieur.—Mais encor?—Pas grand» » chofe, 33 En vérité. Seulement votre chien, 3> Que vous aimiez fi tendrement. —Eh bien ? »—II eft mort,—Et comment?—Votre beau cheval 33 pie j I  66 HIS T0R1ETTES EN VERS. jj Que I'on panfoit alors, par malheur a fauté , 33 L'a renverfé, foulé, laitfé fans vie , 33 Et dans un puits enfuite il s'eft précipité. 33 — Mais, qui l'a donc effarouché lui-même f j3 — C'eft Monfieur votre fils, qui, du haut d'un »troifieme, » A fes pieds s'étoit lailTé cheoir. ^33 — O Ciel! & que faifoient & fa bonne & fa mere ? 73II eft donc bleffé ? — Mort. Et quand on l'a fait voir 33 A Madame, fur fa bergère 33 Elle eft tombée auflï fans voir & fans paiier. 33 — Coquin ! au lieu de fuir, il falloit donc aller 33 Demander aux voifins le fecours néceffaire. . . 33 — Oh ! maintenant vous n'en avez que faire. 33 Prés de Madame, a force de veiller, 33 Marton s'eft endormie, & dans la falie baffe 33 A mis le feu; tout finit de brüler • 33II ne refte plus que la place 33. Ainfi le Chevalier tomboit en peu d'inftans Dans une mifere profonde; II perdoit a-la-fois chateau, bêtes 8c gens, Et tout alloit le mieux du monde.  L1FRE SECOND. 6l CONTÉ V. LE D É P O SI TA IR E. riche Voyageur un jour Voulantmettre enlieusür une afTez forte Comme j Pour la garder jufques a fon retour, On lui fit aifément trouver un honnête-homme. Aifément, dira-t-on? Mais oui. Et fi vous écoutez jufqu'au bout mon ffiftoire^ Vous conviendrez, j'ofe le croire, Que d'honnêtes gens , tels que lui, Sont affez communs aujourd'liui. C'étoit un vieux Derviche. Un air doux, bien qu'auflere, Lui gagnoit les efprits • & notre Voyageur Rendit grace a Dieu de bon coeur D'avoir trouvé ce faint dépofitaire. II Lui porte fon or; ils étoient feuls; le foir ; Aifément le Derviche (il avoit le coeur tendre ) Confentit a le recevoir ; II eut après, comme on va voir, E.ij  68 HISTORIETTES EN VERS. Un peu plus de peine a le rendre, Ayant promis de ne laifièr jamais Homme vivant en toucher une obole, II fut a tenir fa parole Trcs-fidèle, même a 1'excès ; Car ce fcrupuleux honnête-homme Ne vouloit plus rien en céder, Pas même au maïtre de la fomme Qui vint a fon retour la lui redemander. « Que parlez-vous d'argent, de dépot, de voyage f as A tout cela je n'entends rien.. 33 — O Ciel! quel efl; donc ce langage ? 33 Vous devez me connoïtre; & je vous connois bien 33, Le Voyageur, bien sur de fa mémoire, Cita mille détails, exacts, comme on peut croire * L'heure , le lieu , s'il faifoit froid ou chaud ; Le Derviche écoute 1'hifloire Et ne fe fouvient pas d'un mot. cc A moi, dit-il enfin, de Por! quelle fottife ! 3> Apprenez que je le méprife , 33 Ce métal qui fubjugue & corrompt votre coeur. »3 En parler feulement me donne la migraine, 33 Finiflbns donc 33. II dit a peine  L1VRE SE CO ND. '69 Que fa porte fe ferme au nez du Voyageur, Dieu fait fi ce dernier jura, cria vengeance l II court de la Juftice implorer 1'affiflance. Mais las ! fon adverfaire au Tribunal cité , Ayant d'un mot prouvé fon innocence, L'accufateur efl a peine écouté. II étoit bien, pour qui Feut fu connoitre,' Honnête-homme k la vérité; Mais ce vieillard paflbit pour Petre j Et réputation vaut mieux que probité, Navré de fon malheur, que par-tout il raconte3 L'inconfolable Voyageur S'en retourne trifle, rêveur, Et de tout fon avoir n'emportant que la honte Avec le titre d'impofteur. Un vieil ami, qui pour lui s'intérefle, Plaint fon malheur peu mérité , Et lui confeille enfin d'emporter par 1'adrefle Ce qu'il n'a pu tenir de 1'équité. Ils chercherent tous deux , fans rien laiflèr paroitre , Un coflre bien clos , bien ferré , Eii]  7o HIS TORIET TES EN VERS. Empli de fable, & lourd autant qu'il pouvoit 1'être, Puis 1'ami s'étant bien paré D'un habit élégant 8c riche , Refpeétueufement va trouver le Derviche, Le fupplie a genoux de garder fon tréfor, Dix grands coffres, tout comblés d'or , Qu'il craint de confier a des mains infidelles, A ce difcours, le Derviche content Au fond du cceur, fe fait prier pourtant; Puis , calculant déja fes richefTes nouvelles, Accepte le dépot par pure charité. Soudain le premier coffre efl devant lui porté j Mais tandis qu'enivré de joie , Son ceil déja couve fa proie, Survient le Voyageur. Le Derviche foudain Tremble, enl'appercevant,pour fon nouveau butin, II craint, avec raifon, qu'une trop jufte plainte A Phomme aux coffres-forts n'infpire de la crainte. II fe décide • & tout-a-coup , Cédant peu, pour garder beaucoup : cc Ah! c'eft donc vous enfin que le Ciel nous amene, Cria-t-il; » c'eft vous que j'attends. » Eh! d'oü venez-vous donc, depuis un fi long tems ?  LIVRE SECOND. 71 « En vérité, vous m'avez mis en peine. « Mais je vous vois , il en eft tems encor ; » Voila votre dépot«. II lui rendit fa bourfe ; Et celui-ci, maïtre enfin de fon or, Comme s'il Peut volé, prit aufii-töt fa courfe , Bien réfolu, d'après cette lecon, De fe fervir de Caiflier a foi-même. Prefqu'aufiï-töt fon compagnon Vint le trouver, tout fier du ftratagême. Le coffre feul refta chez le vieillard, Qui ne voyant plus rien, craignit, mais un peu tard y D'avoir été vaincu dans fa propre fcience. Le coftre qu'il ouvrit confirma fon foupcon, Cela peut s'appeller, je penfe , Avoir fait reftitution, Sans acquitter fa confcience. E ïv  72 HISTORIETTES EN FERS. < ^======3, CONTÉ VI. LE TÉ M Ê RA IR E. IL. E jeune Lindor un matin , Dans un moment heureux, rendu chez fa MakrelTe-g Avoit eu par amour ce que le Roi Tarquin N'eut que par force de Lucrece. Abfent une femaine ou deux , Lindor, chez elle enfin quand il put reparoitre y Mit dans fon abord amoureux Le regard, le ftyle, & peut-être Le geile d'un Amant heureux. Mais le plus froid dédain répondit a fa flamrae. Quoi, dit Lindor faifi d'étonnement 1 Avez-vous oublié, Madame, Ce que jamais n'oublira votre Amant? C'eft ici qu'épuifant vos douces complaifances. . ..; Dans la plus douce volupté.... <— Eh bien ? Après ? Quoi donc ? Votre fatuité Prend cela pour des efpérances?  L IV R E SE CO ND. 75 « =^^—=- > CONTÉ VII. L'A V A R E P U N I. \J N homme riche, avare, ( on fait qu'en tous pays L'un & 1'autre point fe raiïemble : ) Perdit fa bourfe , oü cent louis Pcle-méle dormoient enfemble, Jngez 1'alarme du Vieillard , Le défefpoir de fon ame éperdue. A tous les coins vite un Placard Avertit les pafTans de fa bourfe perdue. On défigne la forme & la couleur qu'elle a • Et deux louis feront la récompenfe De celui qui, trouvant la bourfe & la finance, Rendra 1'une & 1'autre. C'eft-la Le point eiïentiel & le plus difficile. Ce que 1'on trouve eft un don du hafard; Or, confultez & la Cour & la Ville, Qui refufe un préfent, a tort. Notre Vieillard Par qui la bourfe étoit redemandée , S'Ü eüt pu trouver a 1'écart  74 HISTORIETTES EN FERSl Celle d'autrui, 1'auroit gardée. La fienne tomba cependant Aux mains du pauvreHerbin jil crut devoir la prendre; Le Diable lui dit bien, tout en la regardant, De la garder; il aima mieux la rendre. 33 Non, dit-il, avant tout, 1'honneur : 33 Argent volé porte malheur. 33 Cela feroit pour nous une affèz bonne fommè, 33 Mais a chacun le fien. C'eft un dépöt que j'ai ; 33II faut le rendre; on n'eft pas obligé 33 D'être homme riche} on 1'eft d'être honnête33 homme 33. Mais Herbin avoit lors d'avides Créanciers. Comme il alloit rendre la bourfe, Arrivent chez lui des Huifïïers. Que faire ? II fe trouvoit fans argent, fans reftource* II crut pouvoir, en fes preftans befoins , Prendre les deux louis au moins Qu'on deftinoit pour fon falaire ; Avec ces deux louis bien frappés, bien luifans, II ferma, comme a 1'ordinaire, La triple gueule des Sergens. II va trouver foudain notre avare j il s'emprefte ;  LI FR E SE CO ND. 7; Dans fes mains il remit fon or ; Et le Vieillard, en voyant fon tréfor, Sentit fon coeur trelfaillir d'allegrefle ; Car 1'avare a, dit-on, un coeur pour fon argent, II en pleura de joie & de tendreffe , Et fit au bon Herbin un accueil obligeant, Mais fa mémoire trop fidelle Lui rappelle ce qu'il promit A qui rendroit la bourfe; & fon cceur en frémit, Donner, c'eft perdre. O promefle cruelle ! Deux louis donnés, c'eft beaucoup Pour qui voudroit ne rien donner du tout. Lors ne fachant a qui s'en prendre, II veut compter fon or. O furprife ! ö douleur ! Quoi! deux louis de moins ! Notre ayare en fureur Crie au voleur; Et fi 1'on ne rend tout, il va tout faire pendre. L'affaire fut portée au Magiftrat du lieu, Qui favoit du Vieillard la ladrerie extréme ; II favoit que 1'argent étoit fon bien fuprême, Et fa confcience & fon Dieu. Dés long-tems il cherchoit 1'occafion propicg De chatier fa coupable avarice;  76* HISTÖRIETTES EN PERS. II crut 1'avoir trouvée; & voici la facon Dont il fut par droit de juftice Venger un cceur loyal & punir un frippcn. II dit a ce dernier : cc vous êtes honnête-homme; 33 Vous n'aurez réclamé que ce qui vous eft du, 33 Mais s'il eft vrai que vous ayez per du 33 Une bourfe enfermant la fomme 33 De cent louis, je conclus, fans erreur, 33 Que celle-ci n'eft point la votre ; 33 Et j'ordonne qu'Herbin en foit le poffeffeur 33 En attendant qu'il s'en préfente un autre 3;, On applaudit tout d'une voix • Du Juge on confirma la fuprême;Sentence; Et 1'on trouva que fa prudence Savoit difpenfer a-la-fois Et la peine & Ia récompenfe,  L1VRE SE CO ND. 77 CONTÉ VIII. E T ULA. 30 È s l'age de puberté 4 Deux freres dans un Village, Avoient eu pour héritage Un grand fonds de pauvreté. Pauvreté, quand on 1'envifage, Comme on fait trop, efl laide a faire peur ; Et fon cortege, amis, 1'eft encor davantage. Fait-elle un pas f 1'ennui, le déshonneur, Le froid, la faim , la foif font du voyage. C'eft avec ces compagnons-la Que nos freres, deux ans, avoient traïné leur vie: Mais a la fin fi haut le befoin leur paria, Qu'il fallut bien invoquer 1'induftrie. Ils avoient alors pour voifm Un Richard qui, peu charitable, Avoit des fruits dans fon jardin Et des moutons dans fon étable.  «?S HISTORIETTES EN FERS. Ik réfolurent donc, pour pourvoir a leur table ,• D'emrorunter au voifin; mais comme ce Monfieur Accueilloit mal de femblables requêtes, On prit undes biais qu'on prend quand 1'emprunteur Choifit ce qu'il lui faut fans rien dire au prêteur: C'eft dérober, en termes moins honnêtes. Tous deux, un baton a Ia main Un grand fac fur le cou, fe font mis en chemin, L'un faifant a 1'étable une prompte vifite, Doit prendre un gros mouton & 1'égorger bien vite< Pour 1'empêcher d'être mangé des Ioups; L'autre doit au jardin aller couper des choux Qu'il n'avoit pas plantés. Ils arrivent. Le Maïtre , Qui veilloit encor par hafard, Entend du bruit. « Oh! oh! dit-il, fi tard ! « Mon fils, va voir ce que cela peut être. . „ » Le chien ne feroit-il pas-la ? » Cours 1'appeller «. L'enfant obéit a fon pere^ Gagne Ia cour, fe met a crier: Etula ; C'étoit le nom du chien. Le voleur, dont 1'affaire Etoit de crocheter la pone, a ce cri-la, Se croit appellé par fon frere^  LIVRE SECOND. jc, Et lui répond fur 1'heure : oui, me voila. Mais 1'enfant, a ce mot, n'héfite pas a croire Qu'il vient d'ouir parler le chien. II court trouver fon pere : « O Ciel! mon pere!... 33 —Eh bien ! ?3 — Le chien qui m'aparlé.-—Le chien! que veux-tu 33 dire ? 33 Un chien quiparle! —Eh! oui, vraiment. 33 J'en ai dans 1'ame une frayeur extréme. >3 ?rlais j'en fuis sur; il parle & très-diftincïement. 33 Venez , fi vous voulez, vous 1'entendrez vous33 même 33. Le pere le fuit en effet, Crie encore : Etula. Le voleur croit entendre Parler encor fon frere; & pour le faire attendre : « Un moment, lui dit-il, je fuis a toi, c'eft fait 33. Dieu fait fi la frayeur du pere Fut égale a celle du fils. II crut, tant ce prodige égaroit fes efprits, Que la forcellerie avoit part a Paffaire. II manda le Curé foudain ; Et pour abréger le voyage, Le fils 8c le Curé prirent par le jardin %  So HISTORIETTES EN VERS. Ou le coupeur de choux vaquoit a fon ouvragev Ce dernier, au bruit qu'il entend, Penfe que de 1'étable arrivé enfin fon frere. « As-tu trouve », cria-t-il a 1'inflant ? II parloit du mouton : le fils croit que fon pere Veut lui parler du Curé qu'on attend. * Oui, le voici, dit-il. Et 1'autre plus content; 5> Bon. De peur qu'il ne crie, égorgeons-lebien vïte »»J A ces mots, le Curé croit entendre un complot Tramé contre fes jours; il s'enfuit auifi-tót, Et le jeune homme avec lui prend la fuite. L'autre frere apportant un mouton fous fon bras^ Sans encombre, au logis arrivé avec fon frere ; Aux dépens de 1'avare on fit fort bonne chere; Et pour la raillerie on ne 1'épargna pas. Combien de faux calculs 1'avarice fait naïtre ! De ce qu'on lui vola s'il avoit fait un don, C'étoit un marché d'or: il eüt, pour un mouton Et quelques choux, fait deux amis peut-être, CONTÉ  li fr e second. 81 CONTÉ IX. le pardon mérité. XJn jeune Chevalier voulut faire fa mie De la femme d'un grand Seigneur, Le jeune Comte de 1'Ermie , Qui dans fon vieux chateau vivoit avec honneur. Supprimons les efforts qu'il tenta pour lui plaire , Ces pedts foins des tendres coeurs 3 Plus agréables d'ordinaïre A nos Belles qu'a nos Lecleurs. Après un long préliminaire , Notre Galant, prefTé par fon amour, Preiïa tant la Dame a fon tour , Qu'elle lui dit: <* Vous voulez dans mon ame 33 Faire pafler votre amoureufe flamme ? sa Mais, qu'avez-vous donc fait pour mériter mon coeur? a» II faut par des exploits le forcer de fe rendre , 33 Le conquérir par la valeur. 33 Pour moi, jamais on ne me verra prendre 33 D'Amant qui ne me fafTe honneur 33, F  fi H1ST0RIETTES EN VERS. Ce mot eft curieux de la part d'une Belle : Vivre avec un Epoux, & prendre des Amans Pour s'honorer, voila ce qu'on appelle La naïveté du vieux temps. Oui, telle étoit la mode peu Chrétienne De ce fiecle tant ingénu z, Dame, dont le Galant montroit de la vertu, Avoit droit d'oublier la fienne, Le Chevalier, en Amant bien épris : pour 1'obtenir, » Daignez vous joindre a mes prieres ; =3 Car fans cela vous me verrez venir =3 En fuppliant, ici, palier les nuits entieres 3,. Dupe de fes difcours , avec art préparés, L'Epoux intercéda pour lui pres de fa femme : « Pardonnez-lui, dit-il; je prends pour moi, Madame , 33 Tout ce que pour lui vous ferez. =3 Oubliez tous fes torts ; oui, je vous en conjure. «Refufer fon pardon, c'eft me faire une injure, '3 Je le veux ». La Belle aifément A reconnu la voix de fon Amant. Mais 1'injure en fon coeur eft trop nouvelle encore, Pour accorder le pardon qu'on implore. « Non, non, s'écria-t-elle. O Ciel, lui ditl'Epoux! 33 D'une telle rigueur, quoi! vous feriez capable! , Puis fe tournant vers 1'Ombre lamentable • 33 Quel eft donc ce crime fi bas,  LI FR E SE CO ND. 80 « Si noir, que 1'ofFenfé, par-dela le trépas, 3j Ne puifle encor pardonner au coupable ? » — Ma faute efl: grande aflurément, 33 Puifqu'en fouflrant la peine la plus dure , 33 J'ofe folliciter 1'oubli de mon injure, 33 Sans me plaindre du chatiment. 33 Mais je fuis contraint de me taire ; 33 Et par malheur mon crime eft tel, 33 Que fi j'ofois dévoiler ce myftere, 33 Je deviendrois encor plus criminel 33. Ce dernier trair d'un coeur rempli de zele , Difcret, foumis , fléchit enfin la Belle. Que n'eüt-il pas fait oublier ? cc Tout vous eft pardonné, dit-elle • 33 Allez donc en paix, Chevalier. 33—Ah! Madame, ce mot comble mon efpérance. 33 Après 1'heureux pardon, qu'onvient de m'accorder, 33 Tout ce qu'au Ciel j'ofe encor demander, 33 C'eft qu'un bonheur parfait fok votre récompenfe. 33 Puifque j'ai pu dans votre ame effacer 33 Ma faute, hélas ! cruellcmcnt punie, 33 Ma peine fans doüte eft finie, 33 Et mon bonheur va commencer 33,  $o EIS TORIET TES EN VERS. Jufques au moindre mot, on comprend les adiemc Du Fantöme qui fe retire. On ne dit rien : mais en attendant mieux, On le paya d'un doux fourire. Le mari fe rendort; & la Belle en fecret Revole auprès de ce qu'elle aime. On avoit puni fon forfait; II fallut bien payer fon heureux ftratagême. Ainfi le Chevalier, Amant tendre & malin, Recouvra le cceur de fa Belle. II le perdoit, fi la rufe fidelle N'eüt fecondé fon amoureux defiein. Le bonheur appartient fans doute a la tendrefie ; Mais trop fouvent, ( on le voit chaque jour ) On le mérite par 1'amour , On ne 1'obtieut que par 1'adreffe.  LIVRE SECOND. 91 CONTÉ X. VENVIEUX ET LE CONFOITEUX. O N en dira ce qu'on voudra ; Pour moi conter eft ma folie, Riftoire tant foit peu jolie , Bien racontée amufera. Même un mauvais Conteur, entre nous ne peut gucre Ennuyer fes Ledeurs; car on ne le lit pas. Mais on dit fort fouvent, pour ne favoir fe taire , Bien des fottifes.... En tout cas , II vaut mieux en dire qu'en faire. Je n'ai pas aujourd'hui, je croi, A vous conter longue -aventure ; Je ferai court, j'en donne ici ma foi; Tant mieux pour vous,Ledeur; tant pis pourmoi; Car, quand j'ai du plaifir, j'aime un plaifir qui dure. Deux Normands & des plus malins , £ C'étoit a Paris,ce me femble ) Sans trop s'aimer,vivoient enfemble j  '92 HIS TO R IET TE S EN VERS. Dieu nous gard' de pareils voifins ! L'ainé toujours prêt a médire , Maigre, fee, pale, foucieux, Avoit 1'ceil louche; U n'étoit jamais mieux Que quand un autre avoit du pire II pleuroit, quand il voyoit rire ; Cela s'appelle un envieux. Le cadet,fi j'en crois l'Hiftoire, De tout bien étoit amoureux ; Pour demander , jamais honteux, Pour acquérir, encor moins fcrupuleux ; Chez nos ayeux, fi j'ai bonne mémoire, On appelloit cela jadis un convoiteux. L'ufage qui fous fon empire , Tient la Grammaire, & lui donne la Ioi, Sans remplacer ce mot, a voulu le profcrire ; C'eft fort bien fait fans doute; mais ma foï II dit bien ce que je veux dire , Trouvez bon que j'en ufe. Au fonds L'envie eft un grand mal, s'il faut être fincere ; Mais convoitife eft pis encore. Elle eft la mere Des ufuriers & des frippons»  L1FRE SECOND. $3 Or, Pun & 1'autre camarade , L'Envieux & le Convoiteux, A petits pas faifoient tous deux Une affez trifte promenade. Saint Martin, qui pour lors regardoit ici bas, Connoiflant bien leur maladie , Defcendit tout prés d'eux, & leur tendant les bras, Pour fe donner la comédie: sc Mes amis, leur dit-il, vous me voyez en train 53 De faire aétes de bienfaifance ; 53 Je veux vous voir tous deux rendre grace au Deilin % 53 Qui vous a fait ici rencontrer ma préfence : 33 Je veux vous rendre heureux enfin. 33 Or, que chacun de vous s'explique : 33 Defirez, demandez, vous obtiendrez foudain, 33 Mais a condition, ( c'eft ma réferve unique ) 33 Que le doublé foit accordé 33 A qui n'aura rien demandé 33. Je vous laifle a juger fi leur joie eft parfaite, N'ayant, pour être heureux, qu'a former des defirs! Mais la condition trouble un peu leurs plaifirs} Et retient leur bouche muette.  Si HISTORIETTES EN FERS, Le Convoiteux, jamais content du fien, Gjuoique brulant déja d'avoir riche partage, Se promit bien De ne demander rien t Pour avoir deux fois davantage. II veut voir le premier s'expliquer l'Envieux* II l'enhardit,l'exhorte de fon mieux: «Bel ami, lui dit-il,allons, grande nouvelle t 53 Courage ! pour vous contenter, 33 Vous n'avez plus qu'a fouhaiter ; 53 L'occafion eft vraiment belle; 53 Voyons fi vous aurez 1'efprit d'en profiter Ainfi prêchoit ce zélé perfonnage ; Et 1'autre qui foudain feroit mort de douleur Si fes yeux avoient par malheur Vu fon rival avoir doublé partage, N'obéit point, & fe croit bien plus fage. Mais dans fon filence affermi, Pour s'excufer, il prend un air honnête, Bien poliment il incline fa tête , En lui difant: « après vous, mon ami jj. Saint Martin rit, Dieu fait, de voir leur politefle Obftinée a céder Ie pas^  LIFRE SECOND. jp; Car chacun infifte, & ne cefie De prier 1'autre en enrageant tout bas. Mais le premier enfin, bouillant d'impatience, Ne peut retenir fon courroux ; Et pour obliger 1'autre a rompre le filence, Le menace a la fin de 1'afiommer de coups. A ce propos, 1'Envieux en colere : « Eh bien, dit-il! je le veux, je le dois, 35 Jé paiierai le premier; mais j'efpere 33 Que tu vas t'en mordre les doigts 33,Aufii-tot par dépit, mais plus par caractere, II demande au Saint généreux A perdre un ceil, pour voir fon cher confrère A 1'inftant même en perdre deux. Promefle d'un grand Saint eft un arrêt fuprêmc ; Martin, par fon ferment, s'étoit lié foi-même ; II fut forcé d'exaucer 1'Envieux. Le vice ainfi punit le vice. Le borgne encor ne voulut pas, ( Tant ces deux cceurs étoient pleins de malice ! ) De 1'aveugle guider les pas.  96 HISTORIETTES EN FERS. CONTÉ XI. LA GUÉRIS ON FORCÊE: 3EÜ N Province un Saint renommé, Pour aller enrichir une Eglife nouvelle, Saintement efcorté d'une troupe fidelle, yoyageoit a pas lents, dans fa niche enfermé. On eüt pu le fuivre a la tracé Des miracles divers qu'il alloit opérant; Le malade, gaillard, devant lui va courant; L'aveugle le conduit, le muet lui rend grace. Deux malheureux ellropiés, Et qui gagnoient leur vie a 1'être , Par fes miracles effrayés , Devant lui craignoient de paroitre. Mais ils fuyoient en vain, tremblans & conflernés^ La vertu curative élancée a leur fuite Atteignit les fuyards; & trompés dans leur fuite, Ils furent a-la-fois guéris 8c ruines. m CONTÉ  LIVRE SECOND. 57 ^ga=a=- ^fcjfe ^—— " ^ & CONTÉ XII. LES P E R D R I X. Un vieux oncle, bavard, mais qui ne mentoit guèrö, Me difoit: ( & long-temps il m'en reflbuviendra ) cc Tout ce que la rufe peut faire , w Crois que la femme le fera 33. C'eft ce que mon oncle ofoit dire, Pour moi, je ne vous dirai rien, Qu'un Conté, inventé mal ou bien , Dont je rirai, s'il vous fait rire. Certain Villageois avoit pris Derrière un buiftbn deux Perdrix* 'A fon diner, tout fier il les deftine. Sur elles il jettoit un regard eomplaifantj Et pour attendre moins, en gagnant fa cuifine, II les plumoit chemin faifant. En arrivant, attendri par la joie , II fourit a fa femme, & lui livre fa proie. Le couple oileau tout nud, muet & plus petit, G  p8 HIS TORIET TES EN VERS. Tranfpercé d'un long fer, qui dans leurs flancs fé~ journe, Cote a cöte rangé, déja tourne & retourne Devant un feu qui le rotit. Gombaut, (c'eft le mari) Paroiifien fort honnête, S'il aime les Perdrix, aime aufti fon Curé ; II court, en attendant, 1'inviter a la fête. Mais tout fe trouva cuit avant qu'il fiit rentré. Sa femme (c'étoit Mathurine) ftetira les Perdrix; car c'étoit (s'il en fut) Une femme experte en cuifine. Mais le hafard, ou le Diable voulut Qu'a la broche reftat collée Certaine peau bien riffblée, Que Mathurine avale au même inftant. Toute autre en même cas en auroit fait autant. A cette peau fi bien rótie, Elle trouve un goüt, un fumet, Qui lui donne aufti-töt 1'envie De voir fi tout répond a ce qu'elle promet. Des deux Perdrix., elle prend la plus belle, En détache une cuiffè, 6c la mange foudain.  L1VRE SE CO ND. 99 cc Ah ! Dien ! quel goüt exquis, dit-elie ! s> Si la cuifTe en a tant, que fera-ce de Faïle » l L'aile auffi-töt prcnd le même chemin ; L'autre aile fuivit la première , Et l'autre cuifTe en fit autant: La curieufe enfin s'efcrima tant, Qu'une Perdrix y pafla toute entiere. Mais Gombaut ne vient point. Sa femme a fous fes yeux Une Perdrix encor bien grafie & rcbondie. La manger, Mathurine en auroit bonne envie r Mais quoi! fur deux Perdrix en avoir mangé deux t Ce feroit trop. Plus modelte & plus fage, Elle en coupe le coü, le flaire.... Quelle odeur ! Elle y goüte. Quelle faveur ! cc Oh ! celle-ci vaut deux fois mieux , je gage Elle difoit bien vrai; mais pour n'en pas douter, La Dame y goüte un peu, puis davantage ; Enfin la mange entiere a force d'y goüter. A peine elle a fini cette importante affaire, Son efprit n'a point préparé G ij  ioo HIST0R1ETTES EN VERS. La réponfe qu'elle doit faire, Que 1'époux, en rentrant, amene le Curé. cc Eh bien, lui cria-t-il, ma femme, 33 Le gibier eft-il cuit ? Ah ! ne m'en parlez pas, Dit-elle en gémiflant; 33 j'en ai la mort dans 1'ame. 33 Un Chat cmel, le plus maudit des Chats, >3 Emportenos Perdrix.—Hem! un Chat! qu'eft-ce a dire, S'écria'Gombaut furieux ? II alloit a fa femme arracher les deux yeux, Quand Mathurine : cc—Eh! c'eft pour rire; 33 C'eft pour rire, imbécile. Eh ! quoi! 33 Ne le vois-tu pas bien f Je me moquois de toi. 33 J'ai la nos deux Perdrix; aucune n'eft brülée ; 33 Mais j'ai couvert le plat,pour le maintenir chaud. 33 A la bonne heure, dit Gombaut; 33 Tu les allois payer plus cher qu'a la Vallée. 33 Je m'apprêtois au moins a t'affommer de coups. ij Mais Monfieur le Curé va venir; hatons-nous. 33 Ca, notre plus beau linge, alerte ! 33 Pour ctre mieux, nous nous établirons 3» Dans le verger; j'aime une falie verte: 33 Sous la treille nous mangerons.  LI V RE SECOND. 101 v—Fort bien.Tandis qu'ici je vais pourvoir au refte , 33 A ton couteau vas rcdonner le fil: 33II en a grand befoin.—Je le veux bien, dit-il 33, II defcend dans la cour, il y met bas fa vcfte; Puis ouvrant fon couteau qu'il couche de travers, II le promene a droite a gauche, en fens divers, Sur le dos ébranlé de la meule criarde, Qui, tounjant fous fes doigts mord la lame a travers Les étincelles qu'elle darde». Cependant arrivé la-haut Le Curé, que 1'efpoir de faire bonne chere Avoit rendu plus gai qu'a 1'ordinaire , Et qui veut embraiïer la femme de Gombaut. cc Eh! fauvez-vous, dit-elle; il n'eft pas temps de rire. x> Mon mari va monter • s'il vous trouve avec. moi, 33 Vous êtes un homme. mort. — Quoi, L >3 Es-tu folie ? Que veux-tu dire ? 33 Je viens pour manger deux Perdrix y =» Avec vous, la-bas, fous Ia treille, 33 C'eft lui qui m'aprié.—Sauvez-vous, je vous dis» 33 C'eft un prétexte qu'il a pris. 33II prétend vous couper & rune & l'autre oreille» Guj  los HIS TORIET TES EN VERS. * Vous ne voyez ici ni Perdrix, ni Perdreau; 33 Et voyez-lè la-bas aiguifer fon couteau », A ces mots, la frayeur dans 1'ame, Le bon Curé ne fait qu'un faut; II fuit; 8c Mathurine appelle alors Gombaut. «c Eh bien! dit celui-ci, qu'as-tu donc, notre femme f 33—Eh ' j'ai, que Monfieur le Curé 33 Des deux Perdrix s'efl emparé, 33 Et qu'il fuit a grands pas; fi tu n'y cours bien vite, 33 C'eft: autant de mangé 33. Vers luiGombaut foudain, Sans quitter fon couteau, court & fe précipïte , Pour rattraper le prétendu larcin. Le Curé voyant par derrière Gombaut qui le pourfuit un couteau dans fa main} Galope vers fon Presbytere. Tous deux ainfi vont long-temps & grand train; L'un vomiffant 1'injure 8c la menace, L'autre prêt a mourir de frayeur fur la place. Mais le Curé qui par bonheur A pris fur fon rival une avance alfez forte, Rentre dans fa mailbn,ferme aux verroux fa porte, Et laiffe en-bas Gombaut exhaler fa fureur.  LIVRE SE CO ND. 103 Dans fa maifon le Curé fent renaïtrc Et fon courage & fa fierté ; Et reprenant un ton d'autorité, II lui parle par la fenêtre : Mais Gombaut de crier; cc eh quoi! quoi! toutes deux, 33 Vous voulez les garder!—Oui vraiment, je le veux, Lui répond le Curé , qui croit que fa furie En veut toujours a fes oreilles. 33 Quoi! 33 Vous les voulez garder! ah! faifons, je vous prie , 33 Un accommodement.— Comment? —Accordez33 moi 33 Ah ! donnez-m'en} de grace, une, au moins.— 33 Non, ma foi. 33 Quelle rage 33! II ferma fa fenctre bien vite Et 1'obftiné Gombaut le fupplie a grands cris De lui laiffer la plus petite: Mais il fe voit forcé de regagner fon gite, Et fans réponfe & fans Perdrix. Sa femme a fon courroux fut ainfi fe fouflraire» Sans doute il vint bientót un éclairciffement Mais qui fait efquiver 1'inftant de la colere , Efl: abfous bien plus aifément. Giv  104 HISTORIETTES EN VERS. Le tour m'a paru fin; mais en pareille affaire Femmes ont eu, dit-on, des fucccs fi conftans a Que fi j'en crois certaines gens, Cette mfe aujourcrhui feroit fort ordinaire , Et le fut même de fon temps.  NOUVELLES HISTORIETTES EN VERS. LIVRE TROIS IÉ ME.   NOUVELLES HISTORIETJES EN VERS. LIVRE TROISÏÉME. ■j , . ' <& 1 ' > CONTÉ PREMIER. LE MORT VIVANT. 3 'AI vu nombre de fous, j'en voi, Et j'en verrai, comme on peut croire ; Mais nul d'eux ne pourra 1'emporter, felon moi, Sur le Héros de cctte Hiftoire. Comme il fortoit d'une riche maifon j  io8 HISTORIETTES EN VERS. On lui donna des Maïtres a foifon. II étudia tout, fans jamais rien apprendre. L'un des Maïtres s'étant laffe Huit ans au moins a lui faire comprendre Le myftcre de 1'A,B,C, Va trouver fes parens: cc Je viens, dit-il, vous rendre 33 L'Eleve qu'a mon zele on daigna confier. 33 Dans Palphabet (& je n'y fuis pas béte ) 5» Mes foins n'ont pu Pinitier. 53 Je parviendrois plutöt moi-même a 1'oublier , 53 Qu'a le faire entrer dans fa tête 33. Claude (c'étoit fon nom) déja depuis trois ans,, Avoit compté fon quinziéme Printemps, Et Claude n'employoit encor que Ie langage, Dont, tout petit,il avoit pris Pufage. C'étoit toujours papa,maman; S'il avoit faim, il demandoit nanan ; Dormir, c'étoit dodo. Notre grand perfonnage Etoit, pour le dire en deux mots, Le jouet de 1'enfance & la dupe des fots. Une grande fortune, & fort bien établie  LIFRE TR O IS IÊ ME. io$ Echut a Claude , après la mort des fiens, Une fille charmante, éprife de fes biens , De 1'époufer fit encor la folie. Qu'on m'amene un riche héritier , Gauche de corps, d'efprit groffier, Je lui promets femme jeune & jolie. Rofe (je vais ainfi nommer La femme qu'il choifit) avoit de la fageffe : Mais qu'il en eüt fallu pour fe laifler charmer Par un mari de cette efpece ! Par bonheur Rofe avoit fait la promefie D'époufer Claude, Sc non pas de Paimer. A s'ennuyer, dit-on, elle ne tarda guère; Ce qui fuppofe 3 aux yeux des connoiiïèurs, Un befoin prefqu'involontaire De fe défennuyer ailleurs. Prés d'elle, comme d'ordinaire , Bientot on vit roder plus d'un confolateur• Un feul trouva le chemin de fon coeur. Ce fut Minval. Rofe auprès d'elle Avoit voulu garder fa Nourrice fidelle ; Coeur tout bon, tout facile, indulgent, trcs-humain, Et qui pour Rofe avoit enfin  iio HISTORIETTES ÉN VERS. Une amitié, peu s'en faut, maternelle. Elle eut fur fa pupille a gémir plus d'un jour: Eh ! qui n'eüt plaint fa deffinée ? Le pauvre Claude étoit froid pour 1'amour, Et prefque nul pour 1'hyménée. A 1'ennuyer il pafloit la journée , Et la nuit, (qui pourroit y penfer fans frémir? ) Et la nuit entiere a dormir. Auffi quand la Nourrice ( on la nommoit Lucrece ) La vit choifir un tendre favori, Loin de quereller, fon adrefiè Aida 1'amant a tromper le mari. Jadis c'étoit affez pour toute une familie D'un lit, vaue fans doute; & la, dit maint Auteur j Sans pourtant bleuer la pudeur , Couchoient pere, enfans , mere, fille. Dans un de ces grands lits dont enfin parmi nous Les temps ont aboli la mode, Couchoit Lucrece avec les deux époux; Et ce lit oü dormoit un mari peu jaloux, Fut de maint tour plaifant le théatre commode. Une nuit & dans un moment  L IV R E TROIS IÉ ME. mt Que, pour réparer la veillée, Claude ronfloit bien maritalement Pres de fa femme alors très-éveillée, Un bmit de longs foupirs prolongés tendrement Le réveille fubitemenr. C'eft Minval qu'on avoit au lit de ce qu'il aime Introduit très-furtivement. Ces foupirs exprimoient leur volupté fuprême; Rofe avoit oublié, dans fon raviftement, Tous les maris du monde, & s'oublioit foi-même. Claude fur eux étend la main: « Ma femme ! eh bien, dit-il f Que faites-vous » % Soudain, Tout doucement, la Nourrice qui veille, Pofe fa bouche auprès de fon oreille, Et lui répond: cc C'eft moi, Monfieur. — Comment! « c'eft vous! » Eh ! que faites-vous la, Lucrece, dit 1'époux, Tout en pleurant d'une douleur amere ? 33 Otez donc; voulez-vous lui faire 33 Quelque fille ou quelque gar C'étoit, dit-on, 1'ame de Démofthene, Claude courut auffi vers 1'Orateur Chrétien, Qui ce jour-la prechoit un difcours mémorable • II foutenoit, cSc le prouvoit très-bien , Que cette vie étoit une mort véritable ; Que ce qu'on appelloit mourir, N'étoit que commencer une vie éternelie, H  H4 HISTORIETTES EN VERS. Tranquille, heureufe, au moins pour qui favoit nourrir Dans un corps moribond un coeur pur & fidéle. L'Orateur avoit pris un ton fi véhément, Un air fi pathétique, avec tant d'énergie , Que Claude, du Sermon n'cmporta que 1'envie D'arriver bientöt au moment De cette mort qui fait qu'on eft en vie. Claude rentré chez lui ne fut plus difcourir Que de ce doux moment, du bonheur d'y courir. Sur ce point-la chaquc difcours fe fonde ; II ne connoiffoit plus au monde De volupté que celle de mourir. 33 tendre; » Et cela fait, on vous fera defcendre 53 Dans la tombe ou pour vous j'ai fu tout préparer. 33II faut que, pour aller aux demeures facrées , 33 Vous paftiez par-la main tenant; » La, quand 1'aiguille aura fur 1'horloge en tournant 33 EfHeurc par deux fois les heures figurées, 33 Votre ame au même inftant, fans douleur , fans 33 efïbrts, 33 Prendra congé de votre corps. ( Plus content dans fon lit, qu'a fa table un Chanoine, De cet efpoir Claude s'enivroit tant, Qu'avant que de mourir de la facon du Moine , II faillit expirer de joie en 1'écoutant. ) 33 Mais, dit Ie Moine, avant qu'elle vous foit ravie, Vous allez, fongez-y, voir tout ce qu'on fera, 33 Entendre tout ce qu'on dira; >3 Gardez-vous de donner aucun figne de vie. 33 Soyez donc fourd, muet, aveugle, & ccetera. 33 Et même fi par aventure  L1VRE TROISIÉ ME. 121 53 Dans Ia tombe en vous defcendant, 33 Quelque Foflbyeur imprudent 33 Vous faifoit une meurtriftiire, 33 Soyez tout comme un mort. Je vous en averti, 33 S'il vous échappe un feul geile, un murmure, »3 Dans 1'abïme infernal vous êtes englouti». Claude promet tout, & s'engage A tout fouffrir. « Allons, dit-il, courage ! 33 Me voila prêt a mourir au plutöt. 33 Ajuflez-moi pour cela, comme il faut33. Le Moine alors marmote une priere, L'arrange dans fon lit par un dernier effort, Et de fon doigt lui touchant la paupiere: « Claude, dit-il, c'ell fait; te voila mort». De joie alors Claude a peine refpire; Et Rofe de toute fa voix Crie: cc O Ciel! ah mon Dieu ! c'en efl fait! il expire! 33 Iln'ellpl us 33 ! Les voifins courent tous a-la-fois, Mais fon affliélion, hélas ! paroit fi grande, Qu'on ne peut la quitter, ni la voir fans frayeur ; A chaque inftant on appréhende  122 HISTORIETTES EN FERS. Qu'elle n'expire de douleur. Et cependant Ja Nourrice fidelle Demeure auprès du lit, & Minval avec elle. On fouleve Claude a 1'inflant; Tout de fon long dans la bierre on 1'étend, Couvert d'un grand linceuil, qui cache fon vifage. Dans la chambre, le Prêtre, homme a plufieurs métiers, L'expofe, & fur le champ 1'enclot, fuivant Fufages De cierges & de bénitiers. A fon róle de mort Claude refta fidéle. Quand les billets d'enterrernent Eurent de fon trépas annoncé la nouvelle, Parens, amis, chacun vint triftement Afperger le défunt, & confoler la femme. Mais Claude trelfailloit de joie a tout moment, Et, fi-tót qu'on difoit, Dieu veuille avoir Jon ame, Se croyoit mort complétement. Au temps prefcrit, le convoi funeraire Arrivé & fort toujours chantant. Tout fe paffoit fort bien; fans auctm fort contraire  LIVRE TROISIÉ ME. 123 Le défunt s'en alloit content; Quand au coind'une rue,un homme, au front févere, Voyant paiïer un mort, s'informa de fon nom. cc C'eft Claude, fui répondit-on. 53 O Ciel, cria-t-il en colere ! » Comment! c'eft Claude ? Ah ! le fripon ! 53II m'emportc un louis, dom je n'ai point quittance. 33 Va, malheureux, je ne t'en fais pas don ; 33 Je le mets fur ta confcience 33. Senfible & timoré, notre mort ne tint pas A pareille apoftrophe & barbare & groiïiere. Du linceuil qu'il fccoue il dégage fes bras , Et fe foulevant fur fa bierre : cc Malheureux, cria-t-il, qui troubles mon trépas! 53 Eft-ce ainfi que Pon parle aux morts f O méchant 53 homme ! 33 Si je te dois en eftet cette fomme , 33 Lorfque j'étois en vie, il falloit m'en parler, 33 Ou bien a préfent t'en aller 33 Droit a ma femme en faire la demande ». Vous jugez bien qu'a cette réprimande Les Porteurs effrayés, fous leur habit de deuil,  124 HISTORIETTES EN VERS. LaifTent tomber a leurs pieds le cercueil; Puis de s'enfuir tout au plus vite. Mais quoique renverfé Claude s'écrie : cc Eh bien! *> Que faites-vous , & pourquoi cette fuite ? » Je fuis mort. Portez-moi toujours: cela n'eft rien. 33 Je fuis mort». A ces mots, il s'enfonce en fa bierre, Et fe rajufte dans fes draps ; Mais voyant qu'on ne revient pas : « Hola, cria-t-il en colere ! » Revenez donc: oü courez-vous fi fort ? 33 Ne voyez-vous pas bien, nigauds, que j e fuis mort 33 ? L'un , qui de rue en rue au Ioin fe précipite , Se croit galopé dans fa fuite D'un efcadron de revenans; L'autre, plus inftruit, ou plus fage , Gronde tout haut le perfonnage Sur fes écarts impertinens. Mais lui fans fe troubler, & d'une voix plus forte, Dit toujours qu'il eft mort: cc Allons donc notie train. 33 Eh ! que le Diable vous emporte I 33 Enterrez-moi donc ». A la fin On s'approche de lui; 1'on revient par elfaim ;  L1VRE TROISIÊME. 127 Bientót de la frayeur on paffe a la bravade ; L'un d'eux par le baton veut le voir corrigé : Mais lui qui dans le fond ne s'eft pas arrangé Pour mourir par la baftonade , Saute hors de fa bierre, & fans prendre congé, Bien furieux de fe voir dérangé: « Vil fcélérat, crioit-il, coeur barbare ! -j Hélas ! tu m'as refTufcité. Puis fe voyant enfanglanté : 33 Cruel! quelle fureur t'égare ? J3 Gel! eft-ce donc ainfi qu'on refTufcité un mort 5» ? Des fpeétateurs furpris d'abord La peur s'étoit évanouie. On ne voit plus que fa folie. Les enfans ameutés le fuivent par troupeaux, Et font pleuvoir les pierres fur fon dos, Criant au fou. Le pauvre hère S'enfuit au loin , vêtu de fon drap mortuaire. II fut quitte a la fin des pierres , du baton, QuanS on fut las de le pourfuivre. Mais il fut, comme fou, mis dans une prifon, Oü le Juge tout haut,non fans quelque raifon,  126 H1ST0RIETTES EN VERS. Lui dit d'aller apprendre a vivre. Quant a 1'Amant, il eut beau s'excufer, II fut reprimandé par un Arrêt fort fage ; Et 1'on prétend qu'il guérit avec 1'age De cette fureur d'époufer Les femmes avant leur veuvage.  L1FRE TRO ISIÉ ME. 127 CONTÉ II. LA CHOSE DIFFICILE. Bannissons 1'uniformité De nos écrits; c'eft un point néceflaire, Si bien que la variété Pourroit fe nommer 1'art de plaire, Oui, mais difons la vérité. 1 Aujourd'hui plaifons-nous avec facilité ? Apollon, qui toujours en chef-d'ceuvres fertile, Fit au Lecleur Francois tant de préfens divers, Sut eu 1'enrichifiant le rendre difficile. II eft tant de Conteurs ! On a lü tant de Vers ! N'importe; en ce moment, pour capter fon fuffrage, Ayons 1'art d'être court : toujours, comme aujourd'hui , Cet art-la fut utile; au moins un court Ouvrage Ne peut donner un long ennui. Une Femme de Cour, a parler toujours prête, (II faut la nommer Léonor, )  ï23 H1ST0RIETTES EN VERS. Prifoit fort la Noblefle, & s'étoit mis en tête, Que la diüance étoit plus grande encor Du Noble au Roturier, que de 1'Homme a la Béte, D'un mal haaf, un Prince alors furpris, Trompant de fix Dodeurs la fcience profonde Chargé d'honneurs & de mépris, Avant 1'heure avoit entrepris Le voyage de l'autre monde. Chez Léonor, fon trépas fut conté ; Ne vivant plus, il n'étoit plus flatté: * S'il faut, dit le Conteur, quoi que 1'on ait étc, » Expier chez les Morts les noirceurs qu'on a fakes 3 » Pour tout fon or, & pour fa dignité, » Je ne voudrois, ma foi! payer fes dettes. * Monfieur, dit Léonor, la Noblelfe a fes droits: 33 Je ne veux pas du Prince excufer la licence; 33II a, je 1'avoürai, mal vécu; mais je crois, 33 Pour damner un Chrétien de fi haute naiffance, 33 Que Dieu lui-même y regarde a deux fois». CONTÉ  L IVR E TR O IS IÊ ME. ï3p CONTÉ III. LE SIEGE PRÉ TÉ ET RENDU. Un Comte (c'eft Henri que l'a nommé l'Hiftoire), Avoit jadis pour Intendant Un homme dur , orgueilieux & pédant, Qui de tous les Héros d'éternelle mémoire Vous eüt en bloc vendu la gloire Pour un écu ; car il ne prifoit rien Vertu, génie , 8c beaucoup la richefie. Quand il voyoit le Comte ailleurs faire largefie 3 Vous euffiez dit qu'on déroboit fon bien. Auffï défendoit-il avec un zele extréme La bourfe de fon Maïtre en fidéle Valet, Non par amour , mais il vouloit Le garder des voleurs pour le voler lui-même. Pour attirer une brillante cour, Dans fon Chateau le Comte un jour Donne une fête magnifique ; En foule on y courut de loin comme de prés; I  ijo HISTORIETJES EN VERS. Speöacle, bal, grande mufique , Table ouverte par-tout, & fervie a grands frais. Le peuple même avoit bon vin , bonne volaille. Dieu fait fi cette joie attrifla 1'Intendant! cc Les affamés ! voyez cette canaille, Difoit-il fans ceffe en grondant ! 53 Oh! comme ces gens-la fe gorgent de mange dille ! 33 Tout cela n'a pas une fois 33 De tout un an fait bonne chere , 33 Et nous apporte a fatisfaire 33 Un appétit de douze mois. 33 Prencz, Meffieurs, prenez, ne vous en fakes faute. 33 N'ayez point de honte; on voit bien 33 Que cela ne vous coüte rien. 33 Courage ! Vous avez bon Hóte ». Dans ce moment arrivé un épais Laboureur , Qui tout en cheminant alionge un cou de gruc , Et qui vient fans apprêt pafier de fa charme A la table de fon Seigneur. II penfoit qu'aprcs tout pour faire bonne chere Une toilette étoit peu néceffaire. cc Que nous veut ce gredin, cria 1'Ordonnateur,  L1FRE TROISIÊME. . x3x Déja tout rouge de colere .? « Ce qu'il veut, dit Raoul ? ( On appelloit ainfi le Villageois). » Belle demande a faire! » Parbleu ! je viens manger, puifqu'on regale ici». En finiflant, de bonne chere avide, Raoul le pria d'avoir foin Qu'on lui donnat quelque place en un eoift ; Car pas un fiege n'étoit vide. « Tiens, s'écrie auffi-töt le colere Intendant, Qui d'un grand coup de pied répond a fa requéte ; » Tiens, tu peux la-defliis t'afTeoir en attendantj 33 C'eft un fiege que je te prête ». Néanmoins venant a foiiger Que le Comte pourroit blamer fa violence , Pour faire au Villageois oublier fon ofiènfe, II lui fit donner a manger. Raoul du bout des dents rit de fon aventure; II recoit le bienfait fans oublier 1'injure , Mange, boit largement, & fonge a fe venger, Pour épier le moment favorable, lij » Parbleu ! ie viens manper. miifrm'nn rémlf ir\ „  *12 HISTORIETTES EN FERS. Dans la falie auffi-töt il entre ; & juftement II arrivé dans le moment Oü 1'Intendant parloit avec fon Maïtre a table. Raoul s'approche avec un air content, Et lui lancant foudain , de très-rude maniere, Un pied robufle & lourd qui le frappe au derrière, Etdont le choc le renverfe a l'inftant; cc Grand'merci, lui dit-il; j'ai fait chere complette: 33 Voila, Meffire, avec votre ferviette , 33 Votre fiege que je vous rends ; » On ne perd jamais rien avec d'honnêtes-gens >3.  LI FR E TROISIÈME. x33 CONTÉ IV. LE PROCÉS BIEN J U G É. 33ans un hameau vivoit un homme peu notable, (On le nommoit Charlot Boncceur ). Pour fon prochain, toujours très-charitable, Hormi pour les Poiffons, car il étoit Pécheur De fon métier. Pour eux plein de fïneffe, Pour tout autre il n'étoit que candeur & fimpleffe. Sur le bord de la Mer un jour Aux Citoyens des eaux il faifoit plus d'un tour. Tandis qu'a leur faim qui s'irrite 3 Offrant de perfides appats, Très-p olim ent il les invite A prendre leur dernier repas; Tandis que fon filet dans les eaux fe déploie, Et que fon large ventre ouvert a tous venans , Livrant un hamecon des plus appétiffans, De fes convives f ait fa proie ; Aux oreilles du bon Pécheur, Arrivé un bruit fourd qui 1'étonne; Iiij  134 BIS TORIET TES EN VERS. Son ceil cherche le bruit, & voit avec frayeur Un malheureux noyé que Ia force abandonne. Avec fa longue perche il y vole foudain , Pourvu de force & de courage, Et travaille tant, qu'a la fin II 1'entraïne vers le rivage. Dés que Charlot eut pu 1'examiner, II reconnut Jean fon compere. Mais tandis qu'il jouit du bien qu'il vient de faire, II voit fur lui du fang qui le fait friiïbnner; Et fon ame a bon droit en étoit alannée ; Car comme de fa perche il 1'alloit pourfuivant, Le croc dont elle étoit armée, Venoit de lui crever un ceil en le fauvant. II en verfe des pleurs, le mene a fa chaumiere , Le met dans fon lit, a fes frais Le fait foigner, fi bien qu'a fon ceil prés, II lui rend fa fanté première. Mais Jean guéri ( qui 1'auroitcru? ) Contre Charlot court demander juftice, Et tout-a-coup oubliant le fervice, Ne fe fouvient que de fon ceil perdua  LIVRE TROIS IÉ ME. 13; Comrae Charlot ne peut plus le lui rendre , Jean, qui ne fauroit pardonner, Prétend qn'on le punifle; il faudroit, a l'entendre, A de gros intéréts au moins le condamner. Sur fon ingratitude on a beau le reprendre ; Notre borgne, aveuglé par fon reftèntiment, Veut fe faire payer fon ceil abfolument. Leur plaidoyer , comme vous pouvez croirc, Fut curieux. Charlot, en racontant 1'hiftoire , Dit que fon coeur ne s'eft rien reproché Dans tout ceci, que de 1'avoir pêché ; QüeJeann'eüt pu jamais refufer,fans folie, Un de fes yeux pour racheter fa vie ; Que fans cet accident il eüt fmi fon fort, Et qu'un borgne, après tout, voit encor mieux qn'un mort. Malgré ces beaux difcours que tout haut il rejette, Jean dit toujours qu'il n'eft nul temps , Nul cas,nulle Loi qui permette De venir éborgner les gens. Le Juge embarrafte ne favoit plus que dire. Un des foux que jadis on gageoit chez nos Rois, I iv  136- HIS TORIETTES EN VERS. Un foubeaucoup moins fou que ceux qu'il faifoit rrre, Pour opiner, éleve alors la voix. «Vous héfitez, dit-il! ma foi, de ma fageiïe » Ce Procès-la ne feroit point Pécueil. 33 Jean vient fe plaindre a vous qu'on ïfa pas eu 1'adrefie 33 De le pêcher, fans lui crever un ceil. 33 Eh bien , qu'on le jette fur 1'heure 33 Au même endroit d'oü l'a tiré Charlot; » S'il en fort fain & fauf, prononcez auffi-tót 33 Des dommages pour lui • fi mort il y demeure , 3> Que l'autre fok par votre Arrêt * Abfous de la bleffure, & payé du bienfait ». Ce Jugement parut fort fage, Et par la jufiice diclé; Mais Jean craignit de le voir adopté, Et fe mithors de Cour, fans plaider davantage. II s'en alla d'un air un peu honteux : D'une pareille épreuve il avoit trop a craindre • II aima mieux enfin perdre un ceil fans fe plaindre > Que d'aUer s'cxpofer a les perdre tous deux.  LI F RE TROISIÉ ME. 137 CONTÉ V. LES DEUX MARIS. 3K.osette en un Village avoit pris Ia nahTance. A Florence une veuve avoit eu par pitié Le foin d'élever fon enfance; Puis elle avoit par amitié Promis de la doter. Rofette Etoit jolie a la bavette, Et le fut bien plus a quinze ans. Quand elle revint au Village, Des Hots d'adorateurs vinrent lui rendre hommage. Si la beauté fait les amans, La dot fait les époux. La Dame Avoit mis pour condition Que 1'époux de Rofette auroit 1'attention D'aller chercher la dot chez elle avec fa femme, On préféra Gros-Jean, jeune encore & connu Pour un garcon fort fage. Or, comme ils s'en alloient, en modefle équipage, Chercher la dot après le mariage,  x38 HIST0R1ETTES EN FÉRS. Un embarras au mari furvenu , L'empêcha d'être du voyage. II fut décidé qu'on iroit Trouver fans lui la Dame de Florence; Qu'auprès d'elle on Pexcuferoit; Et fur cela, Rofette avec fa mere Armance , Se mit en route. A mi-chemin, Pour le déjeuner on s'arrête Chez un vieillard homme de tête, Et le hafard y fit entrer Lubin. ( C'étoit 1'ami du mari de Rofette.) En déjeünant Ia mere leur fit part De 1'hymen, du voyage; & le fage vieillard Trouva leur démarche indifcrete. « Mais, écoutez, leur dit-il; entre nous, j> Si la bonne Dame Eatile 3> Ne veut livrer la dot qu'aux deux époux, 33 Vous rifquez d'avoir fait une courfe inutile. 33 J'en ai grand'peur 33. Ce propos-la Allarme la fille & la mere. On craint qu'il n'ait raifon; mais que faire a cela f On fe frotte le front, 011 rêve, on délibere. « Ma foi, dit le vieillard 3 voici ce qu'il faut faire.  LIVRE TRO IS IÉ ME. 13$ 35 Gros-Jean n'eft pas connu de cette veuve-la ; » Faites prendre fa place a Lubin que voila ». On trouva cet avis fort fage; Et le jeune Lubin bien fiatté , bien prié De faire avec eux le voyage, Prit le röle du marié. La veuve les recut comme une tendre mere. On les fit rafraïchir ; & prefqu'au premier mot, Comme ils fembloient prefTés d'une importante affaire, Elle ordonna qu'on leur comptat la dot. Mais par malheur ou vient d'apprendre Par un Valet} que le Caiffier Eft abfent pour le jour entier. cc Eh bien, leur dit la veuve, il faudra donc Pattendre. m Vous coucherez ici; vous n'irez pas, je crois, 33 Pendant la nuit vous mettre en route. 33II eft tard. Chacun de vous trois 33 A befoin de repos fans doute ; 33 Et pour moi, j'aurai vu du moins plus d'un inftant 33 Ma Rofette que j'aime tant. 33 Demain vous partirez au lever de Paurore,  'Ho HlS TO RIET TES EN VERS. " Si vous vouI". On va prendre Je foin' » De vous drefler des lits „. Nos voyayeurs encore Occupes de Ia dot ne voyoient pas plus loiri. Le fouper vient, fans qu'on y penfe ; Grande chere, & grand appétit • Onfoupe affezgaiment; mais I'embarras commence Lorfqu'on fonge a fe mettre au lit. Tous trois fe regardoient, & gardoient le filence. Batile, pour coucher, voulut qu'on établit Les époux au rez-de-chauITée Et que la mere au-deffus füt placée. Tout cela de Rofette embarralTe 1'efprit; Lubin fe tait, & tout bas il en rit. Armance, en mere de familie , Pour déranger cet ordre-la , Dit qu'elle eüt bien voulu coucher avec fa fille. Mais la veuve 1'arrête : « Ah ! pourquoi donc cela ? » Laiffez ces enfans-la tranquilles. » Autant qu'en leur Village ils font époux ici; " Tous vos difcours font inutiles; » Allons^moi, je le veux ainfi».  tlVRE TROIS IÉ ME. 1{l Dupe enfin de fon flratagême , La mere a peur de fe trahir foi-même Par un refus trop obfiiné : Mais dans leur chambre ayant mené Les deux époux: cc Lubin, vous n'êtespas mongendre, Dit-elle; » au nom de Dieu, n'allez pas 1'oublier ». Puis de prier, de fupplier , De fe mettre a genoux pour lui faire comprendre Que Rofe n'étoit pas fon bien , Et qu'il ne devoit rien prétendre D'un droit qui n'étoit pas le fien. cc Jure-moi donc , dit-elle avec tendrefie, « Que de toute la nuit tu ne lui diras rien ». II jare; & plus tranquille alors elle les laifle Pour aller fe coucher. Lubin lui dit bon foir, Ferme fa porte a clef d'un air trés a fon aife, Comme chez lui; prend une chaife ; De fe déshabiller il fe met en devoir, Tandis que dans un coin Rofe a Pair de vouloir Se coucher habillée. cc Eh! quoi, dit-il, Rofette ! 33 Comment! n'ofez-vous donc compter » Sur la promefle que j'ai faite ? 33 Me croyez-vous homme a vous iufulterf»  ï$2 HISTORIETTES EN VERS, A ce difcours, un peu moins inquiette , Rofe fous le rideau fe tient modeftement, De fes habits fe dépouille en cachette, Et dans le lit enfin fe coule doucement. A fon ferment encor fidele, Sans lui dire un feul mot, Lubin , Soufflé la lumiere; & foudain Sans lui parler fe couche a cöté d'elle. II s'y tient paifible un moment; Puis vers elle il étend une jambe diftraite; Rofette fe recule ; il y revient; Rofette L'égratigne légérement. Alors d'un air un peu plus lefte II la chatouille; on le lui rend Par vengeance; & de gefle en gefle , Ce mari fuppofé devient complettement Un vrai mari. Lorfque le drole De point en point en eut rempli le röle , Rofette la première sJnfin Rompt le filence, & lui dit: « Ah ! Lubin ! 33 Eft-ce donc-la ce qu'a ma mere j> Tu viens de jurer devant moi ?  LIV R E TROISIÉME. 143 » Auroit-on cru cela de toi ? 33 J'ai bien voulu vous laifter faire, »i Pour voir fi jufqu'au bout vous poufTeriez 1'aftaire. 3j Mais je fais a quoi m'en tenir, 3« Je fais combien votre parole eft süre 33 Ceci me fera, je vous jure , 33 Une leQon pour 1'avenir. 33 Pourquoi donc me faire querelle, Dit-il?33 qu'ai-je promis f Si je m'en fouviens bien, 33 C'eft de ne vous rien dire. Eh bien ? 33 Parlez; que vous ai-je dit ? Rien. j3 Et quand a mon ferment je yeux refter fidéle, 33 Vous me le faites violer ; 33 Car c'eft bien vous qui m'avez fait parler 33 ? II dit: & foudain recommence Tout-a-la-fois le gefte & le filence; Puis il s'endort. Rofette le matin Ayant fort goüté 1'éloquence Et le jeu muet de Lubin *, Par imérct ou par reconnoiflance Lui dit bon jour. Lubin de s'éveiller: Mais par malheur il fallut s'habiller.  «44 HIST0R1ETTES EN VERS. Car avant que 1'Aurore eüt commencé de naïtre , On vit tout-a-coup reparoitre Armance qui revint leur apporter expres De la part de Batile une couple d'ceufs frais. cc Eh bien, dit-elle, ma Rofette, » De notre ami Lubin, parle, es-tu fatisfaite ? » — Oui, ma mere, parfaitement. « II s'eft conduit en homme fage, Et de parole alfurément. » —Dieu le lui rende ! Allons, courage I » II eft tems de partir; il fe fait déja tard ». On entre chez Batile, on prend la dot, on part , Et fain & fauf on» arrivé au Village. La Rofette, & fa mere enfin Rendirent grace au bon Lubin, Qui volontiers eüt refait le voyage ; Et Ie mari ne fachant rien de rien, A 1'afpeél de la dot, leur fit fort bon vifage. On fut joyeux, & tout alloit fort bien , Lorfqu'un facheux hafard vint troubler le ménage. A Florence, un matin, Gros-Jcan Voulut, (c'étoit le jour de fan ) Au  LIFRE TROIS IÊ ME. HS Au Maïtre de fa ferme aller offrir une oie. Son préfent a la main , il s'avance avec joie • Mais pour un tems le Maïtre a quitté fa maifon, Embarrafle de fon oie inutile, II lui vint dans 1'efprit de i'offrir k Batile , Doijt il favoit la demeure & lé nom. En arrivant, ayant fait a la Dame Un beau falut: Je viens ici » Pour vous offrir une oie; & la voicï, Dit-il; » c'eft de la part de Rofette ma femme Batile ouvre de très-grands yeux Sur 1'orateur, 1'obferve , le mefurc ; Et ne revoyant point dans fes traits la figure De ce Lubin qu'elle a trouvé bien mieux : « Mon cher ami, prenez bien garde; 33 Ne vous trompez-vous pas, dit elle ? Eft-ce bien moi 33 Que ce préfent & ce difcours re^arde ? 33 —Oui, vraiment. C'eft bien vous qu'on anpelle, 33 je croi, 33 Dame Batile de Florence, 33 Qui de Rofette avez formé 1'enfance, 33 Et qui venez encor tout récemment «j De la doter ? — Oui, juftement. K  146 BISTORIETTES EN FERS. 33 — Eh bien, Rofette, c'eft ma femme ; 33 Et je fuis fon mari. — Qui ? vous ? 33 Non certes. — Oui, certes , Madame. 33 Quoi! je ne fuis pas fon époux ? 33 Que fuis-je donc f C'eft pourtantbien moi-même 33 Qui ce matin encore...— O 1'impudence extréme, S'écria Batile en courroux ! 33 Ici Rofette avec fa mere Armance 33 A mené fon époux; je le connois trcs-bien; 33II eft fait autrement que vous, je m'en fouvicn; 33 C'eft moi qui fis compter la dot en fa préfence ; 33 C'eft moi-même qui les priai 3» De ne partir qu'au lever de Paurore; 33 C'eft moi qui dans leur lit encore 33 Ai mené ma Rofette avec le marié 33. Oh ! pour le coup ce mot, cette affreufe nouvelle-, Pour toujours de Gros-Jean furpris Sc confterné Failïit déranger la cervelle. Après avoir long-tems queftionné , II jugca Paventure aftez & trop réelle; Et d'après les détails, il comprit a la fin Que l'autre époux étoit Lubin.  LtFR E TROlSIËME. 147 ïl s'en alla tout fumant de colere , Ne poüvant digérer 1'afFront de cette nuit. En arrivant il fit grand bruit, Et fut prés d'afTommer Rofette avec fa mere ; • Mais il fe contenta pourtant de les chafter, Ayant peur qu'en Juftice on ne prït mal 1'affaire. Bientot même il pardonne; il finit par fe taire a Et c'eft par-la qu'il eüt dü commencer. II fe fait raconter 1'hiftoire Du mari voyageur; on lui dit en effet Ce qu'il avoit promis , non ce qu'il avoit fait ; ïl crut a leur récit, ou fit femblant d'y croire. Oublier vin malheur vaut mieux que s'en fachei'. Mais quoique tard, Gros-Jean devenu fage, N'expofa plus fa femme aux hafards du coucher ; Auroit-il eu cent fois une dot a toucher, II eüt fait cent fois le voyage. Kij  148 H1ST0RIETTËS EN VERS. CONTÉ VI. L E . TROP BON MARCHÊ. JÖis Nymphes dans Paris en foule & tour-a-tour, Belles par fois, jamais féveres , Qui dans Ia milice d'Amour Font Ie fervice en Volontaires , Aiïidüment vers le déclin du jour, Même en des lieux fouvent peu folitaires, Pour recruter vont battre le tambour. 11 leur vient des Amours de toutes les manieres, De bruns, de blonds , de grofïiers, de galans, Et des Amours a la lifiere , Et des Amours en cheveux blancs. L'un d'eux offroit un foir, un trop petit falaire. « C'eft troppeu, dit la Belle, ajoutez encor....—Rien. «—Comment!—Non,rien deplus.—Eh bien, ■>■> Puifque vous le voulez ,il faut vous fatisfaire, Dit la Nymphe expofée a des marches divers. Puis au milieu de 1'amoureux myftere ; u Monfieur, dit-elle, en vérité, j'y perds  LIFRE TROISIÉME. H? CONTÉ VII. LES DEUX BOURGEOIS ET LE PAYSAK. TT* i 3. eès-pieusiment deux Bourgeois S'en alloient en pélerinage. Ils rencontrent un Villageois Parti pour le même voyage. On fe joint en marchant; viennent les quefiions Les réponfes d'abord, puis makte coniïdence; On fait route ; & bientót tous trois d'inteliigence Firent un fonds commun de leurs provifions. Sur le point d'arriver, 1'efpoir de leur ctufine Tarit un foir. Au trio Pélerin II ne refta que très-peu de farine, De quoi pêtrir un petit pain. Pour fe Ia réferver entiere , Nos deux Bourgeois voulurent finement Fruftrer leur compagnon, qu'a fa mine groffiere Ils croyoient duper aifément. cc II faut prendre un parti, dit 1'un; le Ciel m'inf|vrc. » Ce qui de trois ne peut guérir la faim , K iii  ijo HISTORIETTES EN VERS, 33 Au befoin d'un feul peut fuffire ; » Je fuis. d'avis qu'un feul ait tout le pain. 33 Mais pour agir en confcience, n Couchons-nous tous les trois, livrons-nous au 33 fommeil; 33 Et demain a notre réveil 33 Le plus beau rêve aura la préférence L'autre applaudit tout haut, comme vous jugez bien» Mais le fin Villageois voyant leur flratagême , Dans leur filet feignit de fe jetter lui-même , Pour les attirer dans Ie fien. On fit le pain; on le mit fous la cendre ; Puis dans fon lit, en moins de rien, Chacun des trois alla fe rendre. Mais nos Bourgeois plus las s'endormirent foudain» Notre Villageois plus malin Se leve fans bruit, fans mot dire, Court au foyer, mange le pain, Puis dans fon lit il fe retire. L'un des Bourgeois enfin fe réveille en furfaut: « Amis, dit-il, en leur parlant tout haut 3  L IV R E TROIS IÉ ME. i;r '33 J'ai fait un rêve; écoutez-en 1'mftoire. 3> Deux Anges rayonnans de gloire 33 En Enfer m'avoient defcendu ; a Je fuis long-tems demeuré fufpendu 33 Sur les brafiers de 1'ëternel abime : 33 La j'ai vu cet Enfer, tel qu'on nous le dépeint ; 33 J'ai vu comment un feu qui jamais ne s'éteint 33 Brüle le criminel, pour expier le crime : 33 Comment.... Et moi, dit l'autre, j'ai rêvé 33 Que traverfant des airs les routes éternellcs, 33 Deux Chérubins fur leurs brillantes ailes, 33 Dans le Ciel m'avoient enlevé. 33 La j'ai vu 1'Eternel fur un char de vidoire... Auffi-töt le Songeur, en bons & mauvais Vers , Du Paradis chante la gloire , Comme l'autre a chanté les tourmens des Enfers Le Villageois-les entend a merveille : Mais il feint de dormir. Les deux amis s'en vont Droit a fon lit; on le réveille ; Et lui, comme fortant d'un fommeil très-profond, D'un air tout erFrayé: cc Qui m'appelle f quoi ? qu'efi-ce » Leur dit-il ? »3»— Eh! parbleu! c'eft nous, Kiv  IS2. H1S TORIETTES EN VERS. » Vos camarades. Le tems preflë : 33 Allons, vite, allons; levez-vous. » Votre rêve ? il faut nous le dire. =3 —Oh ! j'en ai fait un fingulier, Répond le Villageois;» & j'ofe parier » Qu'a coup sur vous en allez rire. 33 Lorfque je vous ai vus par des chemins divers, 33 Tranfportés 1'un au Ciel, l'autre dans les Enfers, 33 J'ai fongé, moi, que Dieu ne vouloit plus vous 33 rendre ; 33 Que vous étiezpour moi comme dans le tombeau; 33 Je me fuis levé lors; & fans plus vous attendre , 33 Tout bonnement j'ai mangé le gateau.  LIVRE TROISIÉME. ,n CONTÉ VIII. LE NORM AND VINDICATIE. C e r t a i n plaifant, natif de Normandie, Qui faifoit rire, & qui ne rioit point, Avec douceur fouffrant la raillerie, Mais a la rendre exaét au dernier point, Arrivé un jour dans une hötellerie. La foif le tourmentoit, fans parler de Ia faim. Triftement a 1'écart il tenoit dans fa main Sa bouife de cuir enrr'ouverte, Légere, hélas ! folitaire prifon ! venoit de jouer, avoit fait grofTe perte ; Une piece d'argent, petite encor, dit-on, Tout a fon aife, & fans rendre aucun fon , Rouloit au ventre creux de fa bourfe déferte. Suivant fon lit, on fe couche. A 1'écart II mene 1'HÖte ; & modefte en fon dire, Demandeun vin. . . paffable; on lui donne dupire • De la bouteille il ne veut qu'un feul quart.  i;4 HISTORIETTES EN- VERS. L'Höte a ce mot jugeant fur Papparence, Que PEtranger eft léger de finaïice, Pour le fervir prend un air de dédain, Négligemment lui tranfvafe fon vin , En perd moitié, puis d'un air d'infolence : cc L'ami, dit-il, avec un ton railleur, « Vous allez a coup sur nager dans Pabondance ; 3> Vin répandu porte bonheur Que faire ? fe facher? PHöte n'èüt fait que rrrei Le Normand fit mieux. Sans mot direII Pécoute parler; puis 1'argent a la main , II lui demande un quartier de gros pain. Tandis que PHöte a gagné fa cuifine , Vers le tonneau tout droit il s'achemine, Toume le robinet; foudain Bacchus fuit a longs flots , coule & roule a fon aife; Tant que bientöt, comptoir, bancs, table & chaife 5 Tout nage dans des flots de vin* L'Hote arrivé, jure , s'écrie ; Au robinet il court d'abord ; Puis fond fur le Normand, avec tant de furie 5 Que ce dernier fur Pheure en feroit mort, S'il en eüt eu la moindre envie.  LïVRE TR01SIÊME. W Mais, quoique pauvre , il tenoit a la vie; II défendit fes jours. L'aventure courut; La fcène étoit dans un Village; Chez le Seigneur 1'Hóte parut, Voulant fur 1'Etranger gagner frais & domrnagè* Le Seigneur mande le Normand; Puis de lui demander le pourquoi, le comment, Mais celui-ci, fans changer de vifage, Répond aufh-tot: cc Monfeigneur, « L'Hóte m'avoit appris, n'aguères qu'en ménage ,7 Vin répandu portoit bonheur. „ Pour répondre a fa bienfaifance, 33 Envers lui je me fuis rendu Prodigue par reconnoüTance. 33 Puifqu'un verre de vin perdu 33 Doit me procurer de 1'aifance, S3 J'ai voulu, pour le mettre au fein de 1'abondance» 33 En répandre un tonneau 33. Ce récit entendu, Au Seigneur donna le fou-rire; Et le Normand abfous, avant qu'on s'en allat, D'un air grave & touchant a PHöte s'en vint dire : « Aüez i mon Höte, allez; vous êtes un ingrat 33.  */t5 HIS TORIET TES EN VERS. CONTÉ IX. LE SOUHAIT RA1SONNABLE. 3DE fa terre, un Fermier (d'ailleurs homme de bien) Se plaignoit fort; elle étoit d'ordinaire Fort bien enfemencée, & ne produifoit rien ; Sa femme étoit tout Ie contraire. Toujours abfent, fi quelquefois Un jour ou deux ils fe trouvoient enfemble, Elle en gardoit le fouvenir neuf mois : Le fouvenir tout feul; c'eft trop peu, ce me femble. Toujours au bout de 1'an elle étoit mere. Auffi, Laffe un jour de 1'entendre exprimer fon fouci Sur cette terre ingrate, & qui toujours ftérile Exigeoit, fans rien rendre, un labour inutile : = Monfieur, dit-elle, & prefque avec mépris, » Tenez, moi, des Fermiers je connoispeu 1'ufage, »ï Mais je voudrois voir les maris » Recueillir un peu moins & femer davantage ».  NOUVELLES HISTORIETTES E N V E R S. LIVRE QUATRIÉME.   NOUVELLES HISTORIETJES EN VERS. LIVRE QUATRIÉME. CONTÉ PREMIER. LES PERL ES. C/ONNOissez-vous rien de plus doux au monde Que de tenir fa mie entre fes bras; Et lorfque le Dieu Mars, prodiguant le trépas , Fait entendre de loin fon tonnerre qui gronde , De s'exercer a de plus doux combats l -  160 HITSORIETTES EN VERS. Tel étoit de Mirval Ie régime ordinaire; II fe rendit fameux par mille exploits galans. Un jour il eut gente Bergère, Tréfor d'amour, je la nomme Glycere; Un coeur naïf, comme on 1'eft a quinze ans ; C'étoit fon age. II fut pour elle Et tendre & galant tour-a-tour, Tant qu'il fut auprès de la Belle Donner & prendre de 1'amour. Glycere avoit une grace enfantine, Deuxgrands yeux noiriypleins d'amoureux appas; Un fein.... quel feinTune taille fi fine ! Petit pied qui ne mentoit pas ; Bouche de rofe, & ce tendre fourire Qui dit fi bien ce qu'on ne peut écrire. Mirval étoit encor dans fa jeune faifon. Fidele a 1'étiquette, a la mode éphémere, II avoit fes Jockais, fa petite maifon Oü fur la brune il menoit fa Glycere. Or, il voulut, pour avoir fous fes yeux De tous fes faits un regiftre fidéle, Tenir un compte exact des myrtes amoureux Qu'il cueilleroit dans les bras de fa Belle : Mirval  LIVRE QUATR1ÊME. 1G1 Mirval avoit de 1'ordre. Un foir Qu'ils étoient feuls dans fon boudoir: « Glycere , j'ai, dit-il, certain projet en tête. Tu vois ce cordonnet dont j'ai fu me pourvoir? « Ecoute. A chaque fois que fier de ma conquête 33 J'aurai pu te donner ici 53 Preuve d'amour complette, il faut que je te voie 33 Enfiler au cordon de foie 33 Une des perles que voici. »3 Ah! que vous êtes fou » , dit la Belle , voilée D'un éventail fur fes yeux abaifTé ! Mais un quart-d'heure a peine étoit paffe , Qu'une perle fut enfilée. Glycere alors la prenant dans fa main , D'un ton naïf: « Que cette perle eft belle ! 53 Ah ! mon ami, je voudrois bien, dit-elie, 33 En avoir un collier demain» ! L  ioa HISTORIETTES EN VERS. CONTÉ II. LE MALIN MARG UIL LIER. jL'Ambition gagna jufqu'au bon Monfieur Drome. De fa Paroifle oh le fit Marguillier. tc Un Marguillier, dit-il,doit être un habile homme ». Dcs-lors en habile homme il prétendit briller. II acheta des Heures pour la Meffe En beau maroquin; & fans celïe De feuilleter il faifoit fon devoir. Mais ce bon Monfieur Drome ! il ne favoit pas lire. II prit fon livre un jour, fans s'en appercevoir, Du haut en bas, regardant fans rien voir ; Et fes levres d'aller 8c venir fans rien dire. Lors un voifin: cc Mais vous n'y penfez pas : 33 Votre livre efl tourné, dit-il, du haut en bas ». A ces mots Monfieur Drome, en fecouant la tête, Et ne daignant pas fe facher : « Qu'il efl de gens bornés, répond-il! Cette béte 33 Ne voit pas que je fuis gaucher 33!  LIVRE Q U ATR IÉ ME. i63 CONTÉ III. LE LONG RÉVE. Une veuve Génoife, & de noble familie , Avoit fdle jeune & gentille. Elle cherchoit pour gendre un jeune homme bien fait, Aimable, noble 8c riche, efprit, & coeur parfait. Voila, ce me femble, une fïlle Très-difficile a marier. Mais a moins de cela, fa mere N'auroit jamais conclu 1'affaire ; Elle eüt cru fe méfallier. Des concurrens grande fut 1'afïïuence. Amours jeunes 8c vieux afllégeoient la maifon; Mais tout en calculant richeiTe, efprit, naiiTancc, Tandis que Ia mere balance, La fïlle, (Ifabelle efl fon nom ), S'eft décidée. Elle avoit le cceur tendre Et ces coeurs-la, comme vous favez bien , Choififtent moins qu'ils ne fe laiffent prendre. Lij  16*4 HISTORIETJES EN VERS. L'Amant qu'elle écouta fe nommoit Alexandre. Ce jeune homme avoit tout & rien , C'eft-a-dire , le coeur, 1'efprit, fans la richelTe ; Même plufieurs fufpeétoient fa NoblefTe. Ifabelle, fans le vouloir, Le vit un jour; il demeuroit en face. Elle 1'aima fans s'en appercevoir; Et depuis elle étoit fans ceflè a fa terrafle, Pour être vue , autant que pour le voir. L'amour qu'on gêne a le droit d'ordinaire D'abréger le préliminaire. On fit parler les yeux; après , les billets doux ; Vinrent bientöt les rendez-vous. Vers la terralTe on dirigeoit Péchelle , Quand Phébé fous la nue éteignoit fon flambeau ; Alexandre, en un mot, fit tant prés de la Belle, Qu'il lui fit accepter Panneau. En Italië on fait qu'il efl de mode , Qu'unanneau fans témoinforme les plus faints nceuds; Ufage aux Amans fort commode, Mais qu'auffi les parens trouvent fort fcandaleux. Sa mere cependant, (c'efl Monna qu'on 1'appelle )  LIVRE QUA TR IÉ ME. 165 A fait un choix, en parle a fa fïlle Ifabelle; Mais pour toute réponfe on lui montra 1'anneau. Dieu fait a cet affront nouveau, Quel fut le courroux de la mere ! Et c'étoit peu que la colere: La vengeance fuivit; car, plus prompt que le vent, Un char mena fur 1'heuie Ifabelle au Convent, Peignez-vous fes chagrins, fa fombre inquiétude , Son défefpoir. Cet auffere féjour, Qui pour l'indifference, efl une folitude , Se change en prifon pour Famour. Bientöt la Renommée en feme la nouvelle. L'Amant au pied du mur, qui renfcrme la Belle , Vient s'affeoir vainement ou roder tout autour; Ses foupirs douloureux, égarés nuit & jour , Sans être recueillis , font envoyés vers elle; Et les pleurs qu'a fes yeux arrache un tendre amour, Ne coulent plus dans le fein d'Ifabelle. II s'effbrce en vain d'attendrir Ceux a qui du Couvent les portes vont s'ouvrir -y Chaque Valet répond a fa voix lamentable Par le filence ou le courroux, L iij  10*6" HISTORIETTES EN VERS. Et n'eft pas moins inexorable Que les grilles & les verroux. Ifabelle a la fin voyant que la priere Ne gagnoit rien fur le coeur de fa mere , Ofe invoquer la rufe en faveur de 1'amour. Elle atfèfta de jour en jour Prés de 1'Abbefte un air tranquille $ Elle montroit un maintien plus fenfé, Un regret amer du paffe , Et le defir d'être docile. L'Abbeffe alors ayant jugé Par fes lecons ce jeune coeur changé , A fa mere auffi-töt en porta la nouvelle. Sa mere par degrés oublia fon courroux ; Et la maligne Demoifelle, Un matin, la pria d'un air modefte & doux, De lui laiffer paffer quelques jours auprcs d'elle. Elle 1'obtint. Pour elle on avoit préparé Un lit pres de la chambre oü repofoit fa mere. Or, une nuit, tremblante & d'un air effaré , Auprès d'elle a grand bruit elle court fans lumiere cc Ma mere! 6 Cicl! je n'en peux plus ! hélas!.,  LIVRE QUA TR IÉ ME. 167 Monna s'éveille : « Eh bien ! qu'as-tu donc ? —Gel ! 33 un fonge.... » Je tremble encore. — Un fonge ! eh! quoi! ne 33 fais-tu pas 33 LeProverbe qui dit que tout fonge eft menfongc ? 33 — Oui; mais celui qu'ici je viens d'avoir, 33 Eft un fonge, maman, d'une nouvelle efpece. 33 Si vous faviez tout ce qu'il m'a fait voir ! 33 Vous-même, ainfi que moi, cela vous intérene. ,3— Ton fonge m'intérefte auffi ? 33 Moi, je ne vois dans tout ceci 33 Pour nous aider, que le bon Pere Hylaire. 33 Dans les fonges il lit, comme dans fon Bréviairc. „ Eh ! mon Dieu, je voudrois déja qu'il fut ici ». On fe leve; au nom de la mere, Le Moine eft appellé foudain. C'étoit un homme peu malin , Mais favant & pieux ; Monna lui dit: cc Mon Pere , 33 C'eft pour un fonge, & nous croyons qu'enfin 33 Vous allez nous donner la clef de ce myftere 33. Le Moine répondit: cc Je crois 33 Que les rêvcs font des menfonges ; L iv  i6S BIS TO R1ETTE S EN VERS. » Mais Dieu néanmoins quelquefois » A daignés'expliquer aux hommes par des fonges >»» Après cela, fous un grave maintien , S'étant affis prés d'Ifabelle , II la pria de raconter le fien, Très-clairement. « Je le veux bien, dit-elle ». Alors les yeux bailfés, Fair modefte & debout, Elle commence ainfi devant fa mere ; En les priant tous deux d'écouter jufqu'au bout Le long récit qu'elle va faire. « Hier m'ctant couchée avec 1'efprit chagrin , " Alfez tard, contre mon ufage, 33 Je n'ai pu m'endormir que tout prés du matin. 33 J'ai cru me promener fous un Ciel fans nuage, •«3 Auprès des ondes de I'Arno , »3 Dont mille fleurs émailloient le rivage ; 33 Et j'ai fini par m'afleoir fous 1'ombrage 33 Du plus verdoyant arbrilfeau. 33 Tout-a-coup devant moi s'avance 33 Un char brillant, riche avec élégance ; 33 Une moitié du char auroit par fa blancheur ,  LIVRE Q UATRIÉME. 169 33 Effacé le teint de 1'ivoire; 33 L'autre moitié par fa noire couleur, 3> Eut fait palir 1'ébene la plus noire. 33 Une blanche colombe, avec un noir corbeau, 33 Cötc-a-cöte attelés , fuffifoient au fardeau 33 Du char roulant fans fracas & fans guide ; » Et du milieu du char, d'un feul cöté noirci * 33II s'élevoit un fiege vuide, 33 Moitié blanc, moitié noir aufll. »3 Tandis que j'admirois fa ftructure légere , 33 Oü le travail furpaiïbit la matiere, 33 Une invifible main m'a, je ne fais comment, 33 Au haut du fiege afiife mollement. 33 Comme je m'y placois, la blanche colombelle 33 Et le corbeau noir avec elle , 33 Ont déployé leurs ailes vers les Cieux. 33 J'ai traverfé cette voute immortelle, 33 Plus vïte qu'un éclair dans les airs n'étincelle. 33 /Vprcs avoir couru des yeux 33 Les merveilles dont elle abonde, 33 Le char m'a dépofée, en quittant ces beaux lieux, *> Dans une falie ronde, au contour fpacieux, 33 Auprès d'un globe auffi de forme ronde,  170 HIS TOR IET TES EN VER S. 33 Qui m'a femblé myftérieux. 33 Tandis que j'attachois a cette étrange fcene 53 Un regard de furprife & de frayeur troublé, 53 Le globe, avec un bruit qui s'entendoit a peine, 35 S'eft entr'ouvert, puis exhalé; 33 De fa cendre encore fumante , 33 S'éleve un fiege, oü je vois dominer 33 Un jouvenceau qu'une fiamme ondoyante 33 Semble vêtir & couronner. 33 Vers moi je 1'ai vu fe tourner; 33 Mais fon vifage éclatant de lumiere, 33 M'a fait baifler aufti-töt la paupiere. 33 Mon ceil veut fe r'ouvrir: effbrts trop impuiftans! 33 J'étois aveugle. Alors je fens 33 Qu'un bras, accompagné d'une voix de tonnere, 33 M'enlevedans les airs, m'y fait tourner long-tems, 33 Et me dépofe fur la terre. 55 Devant moi j'allois fans rien voir, 33 Quand tout en cheminant j'ai cru m'appercevoir 33 Que dans une prairie on m'avoit defcendue; 33 Puis une voix plus douce arrivé jufqu'a moi,  LIVRE QU ATRIÉME. 171 33 Et m'adrefle ces mots: Fille , rajfure-toi « La clarté va t'éire rendue. » Eu cöté de la voix je me tourne auffi^töt, 33 Pour la remercier tout haut 33 D'avoir rendu la paix a mon ame inquiete ; 33 Je veux parler & me trouve muette. 33 A ce nouveau malheur je rêvois triilement; 33 Un inconnu -qui vient me prendre 33 Par la main trcs-obligeamment, 33 Sur le gazon m'ordonne de m'étendre., 33 Et j'obéis aveuglément. 33 Mais j'ctois étendue a peine, 33 Que j'ai fenti ma tête au bord d'une fontaine. 33 La voix m'ordonne alors de puifer de ma main 33 Dans cette onde facrée, & j'y puife foudain: 33 Puis j'en verfe fur ma paupiere 33 Qui fe ranime, & s'ouvre a la lumiere. 33 Qu'avec plaifir mes yeux s'égaroient fur le bord 33 De cette riante fontaine ! 33 Mais le cceur me battoit fi fort, 33 Que je ne refpirois qu'a peine. 33 Un vénérable Hermite alors s'offre a mes yeux ;  i72 HISTORIETTES EN VERS. 33 Modefte eft fon habit, fon air, majeflaeux ; 33 Sa barbe fur fon fein defcend a 1'aventure ; 33 Des joncs trelïes lui fervent de ceinture ; 33 Et pour orner fon front, il a fu marier 33 A des touffès de fleurs un rameau d'olivier. 33 Au fein d'une grotte fauvage , 33 Un tröne fans éclat s'élevoit prés de moi: 33 C'eft-la qu'étoit aflls 1'Hermite j fon vifage 33 Imprimoit le refpeél fans infpirer Peffroi. 33 Tout auprès étoient deux fontaines, 33 Qui n'ayant rien appris de l'art, 33 Creufant leur lit dans la roche au hazard, 3> Laiflbient rouler leurs ondes incertaines. 33 Le rivage de 1'une étoit couvert de lys 33 Que 1'aurore avoit enrichis 33 De diamans & de perles brillantes ; * 33 Le bord de l'autre étoit triftement nuance 33 De violettes paliiTantes, 33 D'un teint rouge & prefqu'effacé : 33 L'une a pas léger bondiftante, 33 Sur un fable d'argent rouloit 33 Son eau limpide & jailliftante;  LIVRE QUA TR IÉ ME. 173 » Et l'autre péfamment traïnoit 33 Son onde noire & croupiHante. 33 Tant de prodiges a la fois , 33 A chaque inftant me charmoient davantage; 33 Quand le vieillard avec fes doigts, 33 Vint me bénir; & de la voix 33 Je repris auffi-tót 1'ufage. ;j Profternée a fes pieds j'allois lui rendre hommage; 33 Mais il m'arrête, & me dit gravement: 33 Obfèrve^ bien, fans jamais vous diflraire , 33 Ce que je vais ou dire ou faire ; js Soye^ bien attentive au moindre mouvement. 33 Entre 1'une & l'autre fontaine 33II fe place d'un air ferein ; 33 De la main droite, il lance au limpide baflin 33 Une pierre. Elle y plonge a peine , 33 Que j'en ai vu fortir un enfant qui brilloit 33 D'une blancheur éblouiflante ; 33 Sa chevelure en boucles badinoit, 33 Et fans orgueil fon front fe couronnoit 33 D'une auréole étincellante. 33 L'enfant s'eft mis fur Pheure a chanter, a danfer;  174 H1ST0RIETTES EN VERS. 33 Je 1'ai vu dans Pair s'élancer, 33 Comme s'il avoit eu des ailes, 33 Puis a mes yeux fe perdre 8c s'effacer 33 Dans les régions immortelles. 33 Le vieillard, de fa gauche, a fait voler foudain 33 Une autre pierre au noir bailln. 33II en fort auffi-töt un enfant lourd, noiratre, 33 Et Ie corps tacheté d'une lamme olivatre. 33 Comme il fembloit a tout moment 33 Secouer douloureufement 33 La flamme qui mordoit fon corps & fon vifage , 33 Un abïme auflï-töt s'ouvre fur fon paffage; 33 Et 1'enfant noir, par un pouvoir fatal, 33 Efl defcendu dans ce goufire infernal, 33 Tout en pouiTant des cris de douleur & de rage. 33 Ges prodiges divers occupoient mon efprit, 3» Et me laifToient interdite, étonnée; 33 Quand le vieillard fe rapproche, 8c me dit: 33 Ce que tu viens de voir comprend ta deflinée : 33 Si tu fais m'obéir, je te promets le fort 33 De cet enfant a la tête étoilée,  LIVRE QUA TR IÉ ME. ils 35 Qui des flots de lait, dont il fort y 33 V°.rs le Ciel a pris fa volée. 33 A mes confeils fi tu n'ajoutes foi, >3 Semblable a Venfant noir englouti dans Vabime, 33 Tu te verras plonger > miférable viclime, 33 Aux gouffres infernaux, & ta mere avec toi. 33 La joie & le chagrin, Ia crainte & 1'efpérance, . 33 Tour-a-tour agitoient mon fein : 33 Ordonnez, ai-je dit, ö Melfager divin; 33 Ordonnez, & comptez ftir mon obéiffance. 33 Le Ciel, dit-il alors, par ma voix te prefcrit ^D'époufer le jeune Alexandre; 33 Par un gage facré, ton coeur s'e/l laij/e prendre , 33 Et le don de l'anneau dans le Ciel efl écrit. 33 II faut encor qiiau premier Prêtre , 33 Tu donnés de ta main cent écus au plutot; 33 Que d'une pauvrefille il en faffe la dot, 33 Et que du choix il fait le mattre 33. Le bon Moine fuivit cette narration Pendant une heure 8c davantage, Ne pouvant foupeonner une fïlle a cet age ,  ■vj6 HISTORIETTËS EN VERS. D'avoir imaginé pareille fiétion ; II fut loin d'y voir un menfonge , Et crut qu'en cette occafion , Le Ciel avoit daigné s'expliquer par un fonge. La mere eüt bien voulu tout au moins difputer: Mais du rêve aufll-tót rappellant la mémoire , Le bon - homme en reprit Fhiftoire, Et fe mit a Pinterpréter. La fontaine de lait défignoit Pinnocence ; La fource noire, le pêché ; A fa voix leur cceur fut touché ; Enfin, tout fut vaincu par fa fainte éloquence. On lui compta les cent écus; Et fans jetter ailleurs de regards fuperflus, II en dota fa pauvre niece. Ifabelle s'unit a Pobjet de fes voeux, Et rendit fon amant heureux Par fon amour & fon adrefle. CONTÉ  LIVRE Q U A TR IÉ ME. i77 G O N T E IV. LA CON SU LTATION. Faudea-T-il que je me marie? Tantöt je dis oui, tantöt non. Des dangers des deux parts alarment ma raifon; Et cent fois le jour je m'écrie: Prendrai-je femme, ou vivrai-je garcon? De mes vieilles erreurs j'ai fouffèrt maint dommage; II eft tems de les voir finir» A mes parens, a Dieu, j'ai promis d'être fage ; J'ai donné ma parole & je dois la tenir. II faut que jeune (fe fe paffe; Mais la mienne eft paffee, & dès longs-tems, dit-on. Je veux changer enfin ma folie en raifon ; Or, pour y réuffir, que faut-il que je fafTe ? Prendrai-je femme, ou vivrai-je garcon? Bon! quand j'y penfe, un feul mot me délivre D'un doute a mon repos fatal; M  ï78 H IS TORIET TES EN VER S. J'étois garcon lorfque je vivois mal, Prenons donc femme pour bien vivre. C'en eft fait, allons; dès ce jour, Dès ce moment, vite a 1'Eglife ! Mais fi le repentir m'attendoit au retour ? Si j'allois faire une fotife f Cela peut être; car enfin, Si j'époufe une Demoifelle, Gare la fierté, le dédain; Jolie, elle va m'être a coup sur infidèlle; Méchante, quel enfer ! j'en mourrai de chagrin. Une bonne femme eft fans doute Un grand tréfor; bien le garde, qui l'a ! Mais, qui m'indiquera la route Pour rencontrer ce phénix-la ? Quel fardeau qu'une femme ! il faut être fincere; Avec celles d'autrui j'ai bien fouffert, ma foi 1 Que fera-ce, bon Dieu ! fi j'en prends une a moia Et fans avoir encor le droit de m'en défaire ? D'un autre cöté néanmoins, Si j'embrafte le mariage, Je'fais entrer 1'ordre dans mon ménage;  LIVRE QUATRIÊME. 179 Pour moi, plus d'embarras, de peines, ni de foins. De mon lit, de ma table, on fera fon affaire; Je vais, bien affuré qu'on veille a mes befoins, Ne m'occuper qu'a ne rien faire. Si je fuis trifle, on faura m'égayer; Malade, dans mon lit, on viendra me choyer. Quand je rentre, quelle allégreffe 1 On fe leve d'un air joyeux, Puis on me baife avec tendreffe. Cela ne laiffe pas que d'être gracieux ! Oui, c'eft le parti le plus fage: Prenons femme. Une femme égaie une maifon, II fe peut que dans mon ménage Ce miel attire maint frêlon.... Oh ! ce point-la, ce fera mon affaire. Dieu tienne en paix tous mes voifins! Mais pour eux je n'irai pas faire Tous les jours noces & feftins. D'ailleurs ces liaifons, quand un homme a pris femme, Je fais trop a quel prix fouvent on les réclame. J'ai vu de ces voifins qui, la main fur le coeur, De leur tendre amitié vont parler a Monfieur, Et ne la prouvent qu'a Madame. M ii  iSo HTS TORIET TES EN VERS. Fort bien. Je ferai donc, quittant le célibat, Des ferviteurs a Dieu, des fujets a 1'Etat. Je ferai ?... N'eft-ce pas parler en témérake f En fuis-je bien certain? J'en ai vu, j'en vois tant, Qui de leurs fils font bonnement Les nourriciers, quand un autre eft leur pere ! Peut-être encor ma femme aura L'humeur coquette; il lui faudra, L'hiver, I'été, riche parure, Ajuftemens, joyaux, bagues, ceinture j Car elles aiment tout cela Plus que Sermons. Peut-être a ce goüt-la, Elle joindra l'humeur impérieufe ; II faudra du refpeêt; il faudra que Monfieur, Pour plaire a la belle orgueilleufe, Joigne au nom de mari, Pemploi de ferviteur. Combien a ce portrait pourroient fe reconnokre ! 'Combien vous en voyez, fans tous ceux que je voi Ce ferok en ce cas grande folie a moi De me faire Valet, quand je peux vivre en Maïtre, Mais non, j'ai tort de m'alarmer; Je la chcifirai douce, honnête 5  LIVRE Q UA TR1.Ê ME* ï8x Elle n'aura d'autre projet en tête Que de prier Dieu, de m'aimer. Tout le quartier la prendra pour modèle; Elle aura l'humeur douce avec un coeur fidéle» Allons; m'y voila réfolu; Oui; c'en eft fait, je me marie. II ne me manque plus qu'une femme ioliej Je crois avoir déja conclu ; Je tiens déja le contrat qui me lie...» Ma foi, tout réfléchi, je ne fuis plus tenté; Ce régime pour moi feroit peu falutaire:. Et je crois que pour ma fanté. Je dois vivre célibataue». Ainfi parloit un de ces Chevaliers,; Dont nos antiques Fabliers Nous ont confervé la mémoire. II demeura garcon. Un de nos beaux-efprits* Ces jours derniers, en lifani? cette hiftoire, Nous dit: «II a mal fait, pour ne pas faire pis ■* Müf  iS2 H1ST0RIETTES EN VERS. CONTÉ V. LA PRÉ VO YA N CE. & end re moitié, s'écrioit un mari, Se voyant prêt a paffer Tonde noire! Ah! fi je meurs, refpeéte ma mémoire, Et qu'au tombeau je fois encor chéri. N'époufe point cette tête frivole, Cet Officier dont je fus fi jaloux. Raflure-toi, dit-elle, cher époux ; Va, meurs en paix, un autre a ma parolen  LIVRE QUATRIÉME. 183 CONTÉ vr. LE MURIE Ré *CJn de ces Curés d'autrefois^ ( Nous en avons encor fur ce modele J De ces bons Pafteurs Villageois, Qui vont du Payfan chez le riche Bourgeois En cheveux plats, troulTant leur foutanelle, Et promenent par-tout leur gaité paternelle; Qui, quand le jour a difparu, Pour fouper chez le voifin Pierre f Entrent en faluant d'un ton doux & bourru, Et tenant fous leur bras, avec la bonne chere, Du pain cuit a leur four, & du vin de leur cr«J Un Curé donc, vers la cité prochaine, Sur fa jument nonchalamment huché s Alloit fe pourvoir au marché De vivres pour une femaine< Ce matin la s'étant levé Un peu plus tard qu'a 1'ordinaire * Pour ne pas perdre tems 5 il s'étoit réfervé M iv  i84 HISTORIETJES EN VERS. De dire en route fon bréviaire. Tandis que fa monture alloit d'un air benin, Crins épars, & rênes fiotantes, II appercut fur un arbre voifin Des mures bien appétiffantes, Qui par bouquets bien noirs pendoient fur le chemin. Notre Pafleur aimoit a la folie Les müres, comme 1'on va voir. II s'arrête, voulant en paffer fon envie , Regarde au fruit - mais comment en avoir? Nature avoit obftrué Ie paiTage; Le mürier tout autour étoit embarraue Par un épais builfon d'épines hérilfé; Le tronc d'ailleurs fortifié par Page, Avoit très-haut prolongé fon branchage; On n'y pouvoit atteindre. Alors a fa jument Tracant une route nouvelle, II la fit entrer bonnement Dans les buifions, puis monta fur la felle. Debout, fur une branche appuyé d'une main,' De Pautre il touche au fruit qu'il détache foudain. Chaque müre bien colorée,  LI F RE QUATRIÈME. 18; Et qu'il ne cueille qu'avec choix, En noirciflant fes levres & fes doigts, Parfume fon palais d'une liqueur fucrée. Sa monture fous lui refle fans mouvement 5 Quoique mainte épine la piqué; Et le Maïtre gaillardement Admire en bien mangeant, fon humeur pacifique, Puis fongeant quelle eft a fon tour Son attitude, il fe met lors a dire: « Parbleu, quelqu'un qui maintenant pour rire cc Viendroit a crier hu ! me feroit un bon tour » ! Tout en parlant ainfi, lui-même II prononce ce mot, D'un ton fi haut, Que 1'animal, d'une vitefle extreme, Part comme un trait, & fans faoon II vous jette fon homme au milieu du buifibn. Dans ces filets de brouffaille & de ronce, Le malheureux qui par fes vains eflbrts, En s'agitant de plus en plus s'enfonce, Perd la force & 1'efpoir de s'élancer dehors. Comme vous jugez bien, le Curé d'ordinaire  tS6 HISTORIETTES EN VERS. Ne couchoit pas fur Pédredon moë'lleux; Mais le lit de fon Prefbytere Etoit encor plus mou que ce lit épineux. Piqué devant, piqué derrière, S'égratignant de tout cóté, II fallut palier la, geignant, enfanglanté, Tout le jour & la nuit entiere. Tandis qu'il fe fent prés d'expirer de douleur, Au logis fa béte innocente Arrivé, & fon afpeét y porte la frayeur. Sa felle retournée, & fa bride tramante Font craindre le dernier malheur: On croit le Curé mort. Sa Servante fidelle En pleurant jette les hauts cris; Et plus d'un Valet avec elle Suit, pour Ie retrouver, le chemin qu'il a pris. Toute la nuit envain ils ont cherché leur maïtre; Le matin un Valet s'approche du mürier, Et le Curé de s'écrier: « Aufecours! fauvez-moi, qui que vous puüTiez ètre On reconnoït fa voix, on y court aulfi-töt; Surpris, on lui demande avant que de rien faire,  LIVRE QUATRIÊME. 187 Qui l'a mis la. cc Vous le faurez tantöt, Dit-il, 33 mais commencez par me tirer d'afïaire »* On Ie retire enfin, mais non pas fans effbrt, Parlant a peine, a demi-mort. Dans fes prönes depuis, fongeant a fes blefïures 3 A fes Paroiffiens il recommandoit fort, S'ils rencontroient de belles müres, De prendre la fuite d'abord: cc On y court, difoit-il, comme a des époufailles 5 33 Le Diable efl la pour vous tenter; n II vous conduit a 1'arbre, il vous y fait goüter ; 33 Puis vous jette dans les brouffailles»».  488 HIS TORIETTES EN VERS. CONTÉ VII. LE CASUISTE. \ ieüx Dévot & jeune Dragon Difputoient, pour fe faire entendre Lequel étoit plus de faifon En amour; demander ou prendre, Le Beau Sexe eft capricieux, Dit le Dragon; prendre vaut mieux. Monfieur, dit l'autre, j'en appelle; C'eft la douceur qu'il faut choifir. J'y vois tout gain: car une Belle, Qui ne cede qu'a fon defir, Du pêché prend moitié pour elle Et vous doublé encor le plaifir,.  LIVRE QUATRIÉME. 18$ CONTÉ VIII. LE MARC HÈ ROMPU. ILt A garde d'une fille eft chofe mal aifée. Si vous 1'inftruifez trop, elle fera rufée ; Sans peine a vous tromper elle réuflira. Rendez-la fotte? hélas! fimple, fans artifice, Par ignorance elle fera Ce que fait l'autre par malice. Une Beauté jeune & novice, Vivoit dans un hameau feule avec fes ennuis. Que dis-je ? elle y patfoit & les jours & les nuits Avec une vieille Nourrice; C'eft être pis que feule. Amour y vint auffi. II parloit au cceur de la Belle ; Mais point d'Amans n'approchoient d'elle. Et vous favez, vous qui lifez ceci, Que 1'amour fans amant n'eft qu'un nouveau fouci. Dans cette vague inquiétude, Sans trop favoir pourquoi, Lucette a tout moment  ij?o HISTORIETTES EN VERS Se plaignoit de fa folitude ; Mais le pere étoit fourd. II avoit fait ferment Qu'elle conferveroit ce tréfor d'amourette Que par contrat le pere vend Au vieux mari publiquement. Tandis que la fïlle en cachette Pour rien le donne au jeune Amant. La Nourrice au logis la laiffe un jour feulette, Pour aller au marché voifm. Paffe, avec une oie a la main, Sous la fenêtre, un vrai Lubin Et des mieux tournés. La fillette L'appelle; il fe retourne & s'arrête foudain. On lui fait figne ; il monte, 8c Dieu fait quelle joie ! Lucette fort naïvement S'informe de Lubin s'il veut vendre fon oie. » Volontiers, lui dit-il gaiment. Le dróle qui la voit jolie, Demande un prix auquel elle n'entendoit rien, Mais qu'elle accorda vite, & qui fans tricherie Lui fut payé. Vous jugez bien A quel chagrin la Nourrice efl en proie, Quand Lucette au retour lui raconte combien  L IV RE QU ATR1ÊME. 101 Elle vient de payer fon oie. Ce furent des cris, des fureurs ! Puis les menaces, les querelles j Mais ce font-la de ces malheurs Que ne réparent chez les Belles Ni les menaces 3 ni les pleurs. II fallut fe réfoudre a prendre patience. La Nourrice a la fin laffe de s'emporter, Regarde 1'oie avec concupifcence, Et fort, 1'inftant d'après, pour aller acheter Ce qu'il lui faut pour 1'apprêter, Bientöt Lubin de reparoïtre , D'aller, venir fous la fenêtre; Et Lucette de 1'appeller Bien vite pour le quereller.. cc Méchant ! lui dit-elle en colere, » Vous avez donc ofé me tromper fur le prix ? « Remportez-moi votre oie} elle eft encore entiere ; » Et rendez-moi foudain ce que vous m'avez pris ». Lubin n'attend pas qu'on lui dife Deux fois la chofe; & fans nulle remife II rendit le païment; c'eft-a-dire, je crois, Que Lubin fut payé deux fois s  iQ2 HISTORIETJES EN VERS. Et remporta fa marchandife. Si-tót qu'on revient du marché s II faut entendre 1'innocente Raconter a fa Gouvernante Comme elle a rompu le marché » « En me voyant, dit-elle, il vouloit rire : )> Mais j'ai grondé, j'ai menacé ; y> II m'a tout rendu fans rien dire ; » Ce marchand-la n'eft pas intérene »« CONTÉ  LIVRE QUA TRI É ME. m CONTÉ IX. LA MÉLOMANIE. M es chers Amis, dites-moi: par hafard Connoiftez-vous le bon Monfieur Bruyart ? Son nom pour vous eft étranger peut-être Par fon portrait vous 1'allez reconnoïtre. C'eft en mufique un fervent Amateur; C'eft dire en bref qu'il fe croit connoiffeur. Mais cet amour qu'il fent pour Ia mufique, Eft une fievre, une fureur ; Et pour en exprimer 1'ardeur, Point n'eft de ftyle hyperbolique. ïl ne recevroit point, füt-il né fans défauts, Un Domeftique, un Palefrenier même, S'il n'avoit la voix jufte ; il eft dans fon fyftême Ou'avec une voix faufle un homme a le coeur faux. Sous des notes bien ou mal mifes, Tous les mots font pour lui des paroles exquifes. Enfin vous lui feriez un plaifir bien plus grand D'aller lui chanter des fottifes, Que de lui dire un compliment. N  ip4 HISTORIETJES EN VERS. Or, je vous dois un récit très-fidèle D une hiftoire arnvée au cher Aloniieur Bruyart. II cherche un bon parti pour fa fïlle Ifabelle j Mais il veut n'accepter pour elle Qu'un maïtre confommé dans 1'art Dont aujourd'hui Paris offre plus d'un modele. II exige qu'en un concert Son gendre chante a livre ouvert; Qu'en fons mélodieux il déclare fa flamme ; Qu'il s'accompagne en exprimant fes vceux ; Et qu'a la noce , époux heureux , Lui-même, entrès-beaux airs, laffe 1'épithalame. L'agile Déité qui va toujours volant, Qui n'apprend nos fecrets qu'afin de les répandre, La Renommée avoit annoncé le talent D'un grand Muficien, dont 1'organe brillant Eft tour-a-tour léger ou grave, vif ou tendre, Compofiteur habile & chanteur excellent. Son nom c'eft Altini. Vous devez bien comprendre Que ce récit charma Ie bon Monfieur Bruyart. Sans s'informer, & même fans 1'entendre, Jaloux de pofféder ce grand Maïtre de 1'art,  LIVRE QUA TR IÉ ME. x9s II l'a déja choifi pour gendre, A ce Vinuofe fameux II écrit donc en diligence Le fuppliant d'un ton refpeélueux De venir partager une fortune immenfèv II ne lui marquoit pas quel étoit fon deüein ; Et fans s'en informer, Altini part foudain. On Pattendoit avec grande afHuence Dans un fallon de très-riche apparence i D'inftrumens, cYauvres tapilfé. Pour ne pas perdre tems, dans fon impatïence, Tout au milieu, Bruyart avoit déja placé Un Notaire, fon Clerc, un contrat tout dreffé ; II vouloit, en entrant, Payant bien embralté , Le maner d'abord, pour faire connoiffance. II arrivé. Bruyart fe leve avec fracas, D'aife tout tranfporté s'élance dans fes bras, D'une tremblante main PembraiTe avec tendrelTe; De l'autre, lui préfente une plume a 1'inftant; cc Maïtre , dit-il, on vous attend. » Signez ; & vïte, le tems preffe Surpris de cet accueil bien fait pour 1'étonner, Nij  i96 HISTORIETTES EN VERS. II Signor Altini, quoique avec politeffe , Demande quel écrit on 1'invite a figner. a Quel écrit, dit Bruyart tout ravi d'aliégreiTe 3 53 Le contrat qui par de faints nceuds 53 Va vous unir a ma familie, 55 Qui vous fait 1'époux de ma fille , 53 Et qui me donne en vous un fils déja fameux 5>, Le pauvre Maitre alors fourd a ce doux langage, Aux fpeétateurs un peu furpris Montrant fes genoux arrondis Et fon menton qu'aucun duvet n'ombrage : cc Monfieur, dit-il d'un air un peu honteux, 95 Votre fille efl charmante, & doit faire un heureux. i3 Mais pourquoi me choifir, avant de me connoïtre ? 35 Dans 1'art du chant, j'en conviens avec vous, 33 J'ai ce qu'il faut pour devenir fon maitre, .3 Je ne vaux rien pour être fon époux,  LlFRE QUA TRIÊME, iP7 CONTÉ X. LE PRESSENTIMENT. O e r t a r n mari, dont je tairai Ie nom, Un beau matin fut furpris par fa femme, Comme il contoit a la jeune Toinon.... Contoit! que dis-je ? il lui prouvoit fa flamme Sans équivoque. Une femme, dit-on, En pareil cas, conferve encor fa têtej Mais un mari qu'on furprend eft fi béte ! Le mien confus fe profterne aux genoux De fa moitié, qui lui dit: cc Traitre ! infame f » T'y voila pris ! fais-tu bien, entre nous, 33 Ce que mérite un fi perfide époux f 33 Tout, répond-il. J'ai trahi votre flamme5 » J'ai mérité le même traitement. 33 Va, je favois, dit-elle, fermement 33 Qu'ainfi par toi je ferois outragée. 33 J'en eus hier un für preflentiment, 33 Et dès hier Jacob m'en a vengée. Niij  io8 IIISTORIETTES EN VERS. CONTÉ XI. L E NA U F R A GE. N vaifTeau fur 1'onde lancé, Etoit en proie aux fureiirs de 1'orage ; Le nocher vaincu, harraiTé, N'attendoit plus que le naufrage. 'Après avoir franchement, fans détour, Juré, prodigué le blafphême, Prieres, vceux eurent leur tour, Signe que le vailfeau touche au moment fuprême* Dans un coin le Chef vit auffi Des fcélérats qui faifoient leur priere ; « Paix-la , marauds, leur dit-il en colere ! » N'apprenez pas aux Dieux que vous êtes ici».  LIVRE QUATRIÊME. \99 CONTÉ XII. LE CHEVAL GRIS. J£3 Vous connoiflez mon nom, ma valeur, mes exploits; 33 Après cela, Seigneur, puis-je prétendre 33 A me voir honoré du nom de votre gendre ? 33 J'attends votre réponfe ; elle fera mon fort ; 33 Songez, de grace, avant de me la rendre, *> Qu'elle va décider ou ma vie, ou ma mort. 33 Je fais quelle eft votre familie, Dit le Vieillard; 33 je connois vos exploits; 33 Je crois a votre amour, fans peine je concois 33 Qu'on puifle avoir de Pamour pour ma fille 5 33 Ainfi que vous, je vois qu'elle a 33 Efprit, vertus, attraits; joignez a ces dons-la, 3» L'efpoir d'un bien que je peux dire immenfe; 33 Avec cela, j'ofe croire entre nous 33 Que, füt-ce un Prince, il n'eft perfonne en France 33 Qui ne s'enorgueillit du nom de fon epoux. 33II n'eft pour Pobtenir, reflbrt que Pon n'emploie; 33 Mais rien ne preflê; & pour la marter,  204 HISTORIETTES EN VERS. 33 Je peux attendre. Enfin je crains tout Chevalier 33 Qui, comme fon faucon, ne vit que de fa proie Le Chevalier n'eut pas en ce moment La force de répondre a ce dur compliment. Dans le bois le plus folitaire II court enfevelir fa honte & fa colere; La douleur fuccede au courroux ; Et des larmes d'amour inondent fa paupiere, Jufqu'a 1'heure oü Nina revient au rendez-vous. «Ode mon coeur, dit-il, fouveraine Maitreflè ! 33 C'eft aujourd'hui, c'eft en ce lieu 33 Qu'il faut vous dire un éternel adieu. 33 Soit maudite a jamais la cruelle richefle 33 Qui m'arrachant a vous, me condamne a mourir ! 33 —Ah! mon Ami, dit-elle avec tendreflê, 33 Si j'aimois a 1'avoir, c'étoit pour vous 1'offrir. 33 Mais il nous refte encore un rayon d'efpérance: 33 Vous avez, a Medot, un vieux oncle; & je penfe 33 Qu'il pourra feul nous fecourir. >3 C'eft 1'ami de mon pere; ils s'aiment dès l'enfancej 33II doit, pour vous, avoir de 1'amitié; »> Allez lui confier quel ferment nous engage:  LIVRE QUATRIÉME. 205 33 Sans doute il a connu 1'amour dans fon jeune age, 33 De nos maux il aura pitié. 33 Or, pour nous rendre heureux ,il fuffira, j'efpere, 33 D'un bienfait fimulé; que de fa belle terre, 33 Pour huit jours feulement, il vous cede moitié. 33 Alors fans peine de mon pere 33II m'obtiendra pour vous; 8c quand tout fera fait. 33 Nous lui rendrons 1'aöe de fon bienfait. 33 Ai-je, ö mon doux Ami, befoin de fa richeffe, 33 Pour vous aimer.... pour te chérir ? 33 —Ah ! grand-merci, dit-il, Maitreffe ; 33 Sans ce mot-la j'allois mourir 33. Chez fon oncle aufli-tot il court, Amant fidele, Le fupplier de fervir fon amour, Mais fans lui dire que la Belle L'a payé d'un tendre retour. « Votre choix efl plein de fageflê , Dit 1'oncle; 33 je connois beaucoup votre MaitreiTè; 33 Je me plais a la regarder, :s A 1'écouter aufli; fa familie m'efl chere ; 33 Je me fais fort de 1'obtenir du pere , » Et de ce pas je cours la demander 3J#  206" HISTORIETJES EN VERS. En efiet, notre Amant le voit a 1'inftant même Monter a cheval & partir. Pour exprimer fa joie, il faudroit la fentir. En attendant 1'inftant d'obtenir ce qu'il aime, Prés d'un chateau voifin il va dans un tournois Se fignaler par de nouveaux exploits. Pendant tout le chemin, rien ne put le diftraire De fonger au bonheur dont il alloit jouir. Hélas ! il ne foupconne guère Que fon oncle eft perfide, & fonge a le trahir. L'oncle fut bien recu du pere. Après avoir caufé , fait bonne-chere; «Mon Ami, lui dit-il, je fuis un vieux garcon; 33 Manger & dormir feul m'ennuie. 33 Si votre Nina fe marie , s> Vous allez être aufli feul dans votre maifon. w Arrangeons-nous • votre fille m'eft chere ; 33 Donnez-la moi, je lui donnc mon bien; 33 Je quitte ma terre , & je vien 33 Vivre avec vous ma vie entiere 33. Ce difcours enchanta le pere; II embralfa fon vieux gendre cent fois,  LI F-RE QUA TRIÊME. 207 Et rappellant Nina, lui fit part de fon chcdx. Jugez, hélas! de fa douleur amere. La larme aux yeux, le cceur dévoré de chagrin, Au rendez-vous elle courut foudain : Mais las ! elle y vint feule, Amante infortunée ! Et tandis qu'en effet fon Amant au tournois Laméritoit par de nombreux exploits, Elle fe crut abandonnée. Le lendemain on doit partir Pour aller a Medot fêter le manage ; Et fur 1'heure on fait avertir Les vieux amis du voifinage. II falloit voir arriver ces barbons , Au vifage ridé, courbés fur leurs batons, Ala démarche chancellante, A la tête chauve & tremblante ! Vous n'avez pas vu de vos jours De noce plus burlefque attrïfter les Amours. On eüt dit, k les voir de par-tout a la ronde S'alfembler tous au même lieu, Qu'ils venoient la fe dire adieu, Tout en partant pour l'autre monde.  ioS HISTORIETTES EN VERS. Cependant malgré fon chagrin, La trifte mariëe arrange fa parure ; Et cachant les maux qu'elle endure , II lui faut affecter un front calme & ferein. Le jour venu, pour le voyage On s'appercut qu'il manquoit un courfier. On favoit que le Chevalier Avoit un cheval gris, cheval de haut parage , Le plus beau des courfiers. Un valet affez fot Crut faire un grand cadeau fans doute a la future, Que de lui procurer, pour aller a Medot, Une aulfi brillante monture. Sans mot dire, Sc fans confulter, Au Chevalier il courut 1'emprunter. Ce dernier} ignorant cette trame cruelle, De fon hymen attendoit la nouvelle. La plus douce efpérance enivroit fes efprits; Quand tout-a-coup il voit paroïtre Un valet qui le prie au nom de fon vieux maitre De lui prêter fon cheval gris. « Oh! de grand cceur; mais qu'en a-t-il affaire ? 33 Car des chevaux, j'en ai moins qu'il n'en a. 33 —C'eft qu'a Medot demain nous conduifons Nina. 33 A  LIVRE Q UA TRIÉME. -op ?> —A Medot! que va-t-elle y faire ? 33 —Se marier. Ignorez-vous 33 Que votre oncle eft venu la demander au pere, 33 Et que demain il fera fon époux 33 ? A ce fatal récit qu'il ne fauroit comprendre, II demeure muet de furprife & d'horreur; II fe fait répéter tout ce qu'il vient d'entendre , Tant il a peine a croire une telle noirceur. Et ce qui femble encore accroïtre fa fureur, C'eft qu'il n'en peut tirer vengeance. Sans rien ouir, fans rien voir, un moment, Les yeux moines, baiffes, ce malheureux Amant Dans fa chambre a grands pas fe promene en filence, Puis comme reprenant tout-a-coup fes efprits, Sans expliquer le trouble qui 1'agite, II fait feller fon cheval giis Qu'au valet il remet bien vïte. « Oui, dit-il en lui-même, il le faut, je le doi; 33 Envoyons-le, quoi qu'il m'en coüte ; 33 Nina doit s'en fervir, & ne pourra fans doute 33 Le monter fans fonger a moi. 33 Ah ! qu'une fois encor je $s dans fa penfée!.. 4 O  210 HISTORIET TES EN VERS. « Mais je 1'accufe a tort; fon coeur eft innocent; 33 A prendre un autre époux fon pere l'a forcée ; 33 Et comme moi peut-être elle pleure a préfent. 33 On la mene a 1'Autel, on 1'y mene en viéiime ; 33 Ah ! loin d'ofer lui faire un crime 33 De mon malheur, je dois plaindre le fien. 33 Oui, quoiqu'elle me foit ra vie, 33 J'ai fon cceur, & toute ma vie Je fens bien qu'elle aura le mien 33. Cela dit, il ordonne a fes gens de paroitre ; II leur partage de fon mieux Le peu d'argent qu'il a ; puis les larmes aux yeux. II leur dit qu'ils n'ont plus de Maitre, Et qu'ils peuvent quitter ces lieux. Ces pauvres gens, qui 1'aimoient comme un pere, Demandent par quel crime ils ont pu lui déplaire. « Non, je fuis content de vos foins , Dit-ïl, 33 & je voudrois au moins »3 Vous en offrir un plus digne falaire. 33 Mais je fuis las de vivre pour fouffrir; 33 Cherchez un nouveau maitre, & me laiflez mourirsj. Tous fes valets en proie aux plus Yives allarmes ,  LIVRE QUATRIÊME. aii Som a fes pieds, les arrofent de larmes ; « Vivez, lui crioient-ils, & fouftrez-nous toujours » Auprès de vous. pour veiller fur vos jours «. Mais de fa vie enfin jaloux de voir le terme, Toujours en proie a fes ennuis, Sans répondre un feul mot, dans fa chambre il s'enferme, Pour y pafler la plus longue des nuits, II n'eft pas feul en proie a ce cruel martyre* Nina, vingt fois le jour, loin de fe confoler, Avoit tenté de s'en aller Bien loin, tout aufti loin qu'auroit pu la conduire Son défefpoir. On avoit par malheur Obfervé tous fes pas, on craignoit fa douleur. Mais quelle fut, hélas ! fa triftefle mortelle, Quand malgré fon chagrin, Nina, prés d'y monter, reconnut a la fin Le cheval gris arrêté devant elle ! La pauvrette voudroit en vain Cacher fes pleurs, ils inondent fon fein. Mais comme elle quittoit la maifon paternelle, A la nature on fit honneur on  2i2 EIS TORIETTES EN VERS. Des regrets que 1'Amour arrachoit a fon cceur. On s'achemine enfin. Comme la moins preffée, Nina fuivoit la troupe; elle avoit pour parrain Et pour guide un vieux Chatelain , Qui pour avoir dormi trop peu la nuit paffee, Tout en caufant, s'endormit en chemin. Pour retarder un peu fon malheur qui s'avance s Tout en rêvant au Chevalier, Elle rallentiffoit les pas de fon courtier, . Qui fembloit avec elle être d'intelligence. II cheminoit lentement, triflement. Cependant on atteint un endroit qui partage En deux fentiers la route oü 1'on voyage j L'un a Medot mene direöement, L'autre au chateau du malheureux Amant. Chacuu prend auffi-töt le fentier du village ; Mais le beau cheval gris que ne guide aucun frein, Soit habitude , mftinót, foit que 1'Amour peut-être Le dirigeat d'une inviiible main, Prend le fentier qui conduit vers fon Maïtre, Us étoient déja loin , quand Nina brufquement  LIVRE QUATRIÊ ME. 213 Sort de fa rêverie : un premier mouvement La fait crier après fon guide, Qui fommeilloit encor profondément; Mais malgré le danger 1'Amour feul en décide, Eh ! quel malheur peut jamais être égal Au fort qu'on lui deffine, a cet hymen fatal ? Sans favoir oü conduit cette route nouvelle, Elle la fuit aveuglément ; Elle obéit a fon guide fidéle Qui la conduit tout droit a fon Amant. Oh ! quel étonnement, quels tranfports d'allégrelTè. Quand fur le chemin qu'elle a pris, Nina voit, reconnoït 1'Amant qui rintéreflê, Et que le Chevalier revoit fon cheval gris Qui lui ram ene fa Maitreffe ! Quand par elle il eut tout appris, Au cheval gris, avec quelle tendreife II rend graces de fon bonheur ! Comme il le baife, le careffe, Et lui donne les noms d'ami, de bienfaiteur l Puis regardant Nina, triomphant, il s'écrie : ixite des Fabliaux, 1C3 IA. Le Souhah raifonnable, 1 jtf LIVRE QUATRIÉME. I. Les Perles, iyp II. Le malin Marguillier, 1($a III. Le longRêve, imité de 1'italien du Lafca, 163 IV. La Confultation, imité des Fabliaux, 177 V. La Prévoyance, . jg2 VI. Le Mürier, imité des Fabliaux, ig^ VII Ie C^e, ' jg| tÏ1 r H^arché romPu> imité des Fabliaux, 180 1A.. La Melomanie y I0, X. Le Preffentiment, JQJ XL Ie Naufrage , ™g XU. Xe Cheval gris, imité des Fabliaux, 199 Fin de Ia Table.