L E CRI DE LA DOULEUR SUR LA Tombe D E M ARIE-ANTOINETTE. A L 0 N D R E Si & fe trouve A LA H A T E, . Chez P. F. GOSSE, Libraire & Imprimeuf de LL. AA. SS. & R. 1 7 9 3-   L E CRI DE LA DOULEUR SUR LA MARIE-ANTOINETTE. C^uelle fombre & morne confternation m'environne! . . j tous les yeux répandent des larmes, tous les cosurs exhalent des foupirs. Pourquoi ces témoignages déchirans de l'affli&ion; publique? . . . dites quelque calamité nouvelle ménaceroit-elle Tunivers? Mais vous ne me répondez point. . . Vos pleurs redoublent. . . ahï je le vois ils expriment vos regrets, plutót que vos craintes. C'eft une perte cruelle que vous déplorez. . . moi auflï je pleurerai avec vousjdites-moi cc que vous avez perdu, malheureux3 Vous frémiffez! . . . Dieux! votre fecret funefte commence h fe dévoiler a moi. A 1'ïiorA 2 TOMBE D E  4 Le Of ie U Douleur reur qui vous accable, a rindignation qu'expflment vos regards, j'appercois un nouveau forfait que méditent les tirans de ma patrie. Rompez, rompez ce filence qui me glacé d'effroi.... parlez; qü'eft devenu cette Reine infortunée? eh bien. . . vous vous taifez. . . ó Douleur! elle n'eft plus Quoi la fille des Céfars, 1'époufe du plus puisfant Roi de la terre: celle que le Ciel doua de tant de grandcs qualités, celle que la nature orna de tant de graces; cette Princefle fenfible qui confola tant de malheureux, cette Reine bienfaifante qui pofféda longtemps 1'amour de fes fujets ? . . . elle n'eft plus. . . . , Elle n'eft plus. . . ah! tant mieux fes malheurs font finis. . . . Leur poids, fans doute, aura rompu la trame de fes triftes annccs. . . . Comme une fleur fuperbe, que le vent brulant du midi' déffèche & fait voler loin de fa tige, cette grande Reine aura été renverfée, par le foufle deftruéteur de Padverfité. Elle n'eft plus, pleurons j mais feulement fur fes enfans, qui ne  fur Ia Tombe de Marie-Antoinettc. 5 retrouveront plus une fi bonne mère. . . . Pour elle, la morta été un bienfait. . . elle la réunie a fon époux. . elle la élevée dans le fein de celui qui la confolera de tant de peines; maintenant elle eft heureufe. ... Et fur la terre que de maux & d'outrages la mcnacoient encore? une longue & dure captivité? . . 1'échafaud pentere! . . . elle n'eft plus. , . ah! tant mieux..,. Malheureux comme je m'abufe! comme je cherche a tromper ma douleur par une erreur, cruelle fans doute, mais que je trouve douce encore prés de 1'affreufe vérité. Ah! c'eft envain que je voudrois me la déguifer cette vérité cruelle, c'eft envain que je voudrois éloigner de moi, 1'image horrible qui me pourfuit fans cesfe, de toutes parts on me crie; „ non, non, ce grand courage auroit furvecu a fes infortunes: il auroit peut-être encore rappellé fur la France d'heureufes deftinées; mais il vient de fuccomber fous la fureur de fes ennemis. Les cruels, ont trainé cette héroïque Princeffe, devant un tribunal fanguinaire; la plus inique des fentences a prononcé fa mortj & fa tête eft tombée fous A3  6 Le Cri de Ja Douleur le fer qui abattit celle de fon époüx". Grand Dieu! le voila donc confommé, ce crime horrible, dont 1'attente gla9oit d'effroi tous les coeurs. II eft confommé; & ceux qui Font commis vivent encore! . . . fans doute c'eft pour effraïer la terre par de nouveaux forfaits? Déja leur barbarie fixe peut-être le jour, oü ils réuniront les enfans, au père , a la mère, qu'ils ont égorgés; Et vous auffi, vous tomberez, fous leurs poignards, Princefie augufte, dont la vertu afflige & irrite leur fcélérateffe! Ils vous immoleront ainfi que ces orphelins, qui n'ont plus que vous dans leur mifère, a 1'idole féroce de leur liberté, au phantóme monftrueux de leur République! O qui me donnera la forqe de furmonter 1'horreur qui m'accable, qui fournira des exprelfions a ma douleur? Je veux remplir un devoir pénible & facré. . . je veux me trainer fur la tombe ■ de Marie-Antoinette. ... je veux être le premier a 1'arrofer de mes larmes. . . d'autres la loueront mieux que moi; plus éloquens, mais  fur U Tombe de Marie-Antoinette. 7 non pas plus fenfibles, ils diront fes malheurs,fes vertus a lapoftérité;moi je neveux parler qu'ame ames fenfibles qui m'entourent. Leur affliéboa eft vive; je veux Faccroitre encore par la vue de mon afili&ion extréme. Je veux qu*en voyant couler mes pleurs, ils en répandent auffi fur moi; & qu'ils s'écrient „ qui plus que lui, fut un fujet fidéle! " Mes amis, dans cette folTe funêbre, fous cette terre fraichement remuée, repofent les triftes reftes de Marie Antoinette d'Autriche Reine de France & de Navarre. Ciel! vous entends-je dire, depuis quand donne-ton aux Rois de fi humbles Sépultures? autrefois leurs cendres respe&ées, repofoient dans des maufolés magniöV ques, fur les quels tous les arts, a 1'envi, tra^ coient les expreffions de la douleur publique. Maintenant, pourquoi les peuples leur refufentils ce témoignage éclatant de leurs regrets? ahï mes amis, ce ne font pas des peuples fideles qui ont conftruit cette fépulture, ce font des fa£tieux^ ce font des régicides qui l'ont creufée,avec leurs poignards, pour y précipiter leur Reine., A 4  8, - . Le Cri d&"Ja Doükür i- .,-Peuple féroce rappeUe-toi ce jour, oü Mariê. Thérèfe accorda fa fille aux voeux de ce Roi que tu^as immolé ? Rappelle-toi le moment oü cette jeune Princefle parvint fur tes frontieres; ceux oü elle traverfa tes villes & tes Campagnes? avec quel empreflement tu te portois en foule aux lieux que. fa préfence devoit embellir. Quels tranfports ne faifoit tu pas éelater en < voyanf celle qui devoit être un jour ta Reine, parée de tous les charmes féduifans, de toutes les graces tpuchantes? Alors tu ne pus refufer ton amour, a- eet air de bonté qui accompagnoit toutes fes. a&ions, a ce fourire aftable qui embeiiiiïoit tous fes regards. Peuple! Peuple! tu Taimerois encore , fi chaque jour, elle fe fut montrée au milieu de Xol Et vous ville criminellg qui venez de répandre fon fang, vous rappeller ai-je aufli 1'accueil que vous fites a cette jeune Princefle, lorfqu'accompagnée de fon époux, elle fe. rendit dans votrefein, oü 1'appelloient vos cris impatiens ? Vous djrai-je quelles preuves vous lui donnates de votre joie, de votre ivrefle, de votre admiration? &emettrai-je devant vos yeux. le tableau touchant,  fur la Tombe de Marie- Antoinette. 9 d'un peuple immenfe pntourant 1'heritier de fes Rois, Ja jeune & belle époufe qu'il vient de choifir, & les 'ccmblant tous deux d'amour & $fe bénédictions? Oui! ville barbare, je te rediraï tout cela pour affliger ta cruauté, pour accroitre1 tes remords; & puifiè ce fouvenir que je vais rappeller, s'attacher comme une furie a tes pas, te fuivrp $j te déchirer fans cefie! Marie-Antoinette parotffez! Venez vous rendre aux defirs d'une cité immenfe qui brüle de vous connoitre. Suivez votre augufte époux qui veut montrer a fes fujets futurs, que le choix qu'il a fait, eft digne d'accrqitrc la tendrefie qu'ils lui portent. Paruiffez! eet air de majefté & de grandeur imprimé fur votre front, mentre que le ciel le fit pour porter la couronne. Paroiflez! & cette bonté, cptte douceur qu'on lit fur votre phifionomie noble & touchante, vont vous gagner Jes creurs de tous ces francois qui vous attendent. Empreffez vous de fatisfaire le befoin qu'ils éprouvent, de vous voir & de vous aimer? qu'ai-je dit, jeune Princefle? non! non! n'arrivez pas, Fuyez, fuyez plütót ce peuple perfide qui vous'  to Le Cri da' la Douleur appelle. IVécoutez, pas fes vceux, fes Cris d'allegrefie; dérobez vous a fes hommages; tout Cela couvre un piege funefte. Aujourd'hui, il, vous encenfe, ü vous bénit, il vous loue; de* main, demain peut-ètre, Ü boira votre fang. Mais vous n'écoutez pas ma voix fidele qui vous previent du danger. Votre cruelle deftinée vous entraine, votre coeur vous féduit; allez donc! Mais fouvenez vous que vous ne ferez pas toujours aimée de ce peuple volage. Vous arrivez enfin, a Paris: les flots d'un peuple ennivré de joie fouvrent pour vous faire un pafiage; vous avancez au milieu des acclamations publiques. Votre beauté, vos graces exitent 1'admiration; vous ia lifez fur tout les vh fages, qui fe tournent vers vous. Ecoutez ce que va vous dire cepreux chevalier qui s'avance a votre rencontre. II eft d'une race qui fut toujours chèrc a fes Rois, toujours utile a fa patrie. Lui méme , digne hériticr de fes nobles ayeux, nous xetrace; leur fidélité, leur franchife, &: leur courage O). Plus jaloux de briller par fes act'ions, que par fes paroles; il ne fe piqué pas  fur Ia Tombe de Marie- Antoinette. u d'ctre élogucnt. „Madame, vpus dit-il, vous avez la fous vos yeux, deux cents mille amou-reux de votre perfonne. " Le ton qui accompagne ce pcu de paroles, Fair refppétable de ce? lui qui les prononcc, appellent fur vos levres le fourire de la reconnoiffance. Ah! oui fouriez a ce généreux viellard. , . . C'eft le père d'un fujet fidéle qui ne ypus quittera pas dans vos malheurs; qui affrontera Ja mort pour vous defendre ; qui la receyra pour vous avoir fervi. Mais ce que vous a dit ce vénérablp guerrier, avec cette noblc franchife; tous les yeux , toutes les bouches vous le répetent. Vous & votre époux, vous rempliffez ce peuple du plus confolant cfpoir; en vous voyant il oublie fes maux, il fe promet un heureux avenir. II vous fuit, il fe prefle fur vos pas; il vous a vu, il veut vous revoir encore. Ce tendre emprcffement, cette aimante curiofité, vous touche & vous attendrit. Votre caiur fe livre a laplus douceillufion; vous vous croyez au milieu de vos plus tendres amis. II s'établit entr'cux & vous xm dialogue touchant & entrpcoupé, marqué de vctre part par le fou-  12. ; Le Cri de la Douleur rare., Jes regards de la bienveillance, l'afteaion patexnelle; & de la Jeur par les aeclamations tuxaultueufes, les cris d'allegrefie. Que.vois-je! vos larmes coulent, les yeux de votre époux en lépandent aufli; je vous entends vous écrier tous deux, ah. le bon peuple! , . . . le bon peu-> M Quq dites vous, Roi & Reine infortunés? vous trouvez bon ce peuple qui vous entoure? ah! nommez-le plutót, peuple trompeur & perfide. Ses tranfports, font les carefles du tigre, dont la patte meurtriere joue avec la proie qu'il va dévorer. Un jour il portera la confternation & la mort dans votre palais, il égorgera vos gardes, il vous entrainera de force au milieu de lui pour vous accabler d'humiliations & d'outrages. Un jour il vous livrera a une fedte barbare, il vous laiflera jetter dans les fers. Un jouril fe prelfera autour de votre échafaud, il hatera par fes clameurs féroces, 1'inftant de votre fuplice. Unjour, un jour! il poulferades crisdejoie a la vuc de vos tètes fanglantes. . . . Eh aujour.d'huivous 1'appellez bon!  fur la Tombe de Marie- AnMnette. ■ Oh! mes amis il feroit bon encore , ce peuple" fi diftingué autrefois par fa douceur, fon humanité, fon amcur pour fes maitres; fi des factieuX n'avoient pas étcint fes veitus en donnant des armes a fes pafïïons. 11 le feroit, fi d'habiles tirans ne 1'avoient pas conduit au crime par le fanatisme & la terreur. Mais féduit par des erreurs funeftes, enchainé par une feéte infernale, il a renvcrfé & foulé aux pieds tout ce qu'il refpectoit autrefois, il a brifé tous les objets de fon amour. Le malheureux! dans fcn aveugle ivresfe, il tourne contre lui-même fes piqués & fes poignards; il dechire fcn fein, il fait couler fon fang, il porte le fer & la flame dans fes provnv' ces; & fi le biel n'arrcte pr.s fa rage, il fe punira lui-mème des crimes qu'il a commis.- Qu'est-ce donc que cê peuple, entre les mains tluquel les philofophcs veulent placer la fouveraincté & 1'Empire ? Ouvrez l'hiftoire, étudiezle fous tous les gouvernemens, fuivez-le dans toutes les révolutions qui ont troublé 1'univers;. vous ne verrez en lui qu'un vieil enfant aveugle & crédule, inconftanr & cruel. Tantöt il- b'aife leê  14 - Le C/7 dë la ï)ouleuf cliaines dont un tiran Faccable, tantót il brife le fcêptre du Roi le plus jufte. Ici il rampe aux pieds de fes flatteurs; la il bannit le citoyen vertueux qui lui dit des verités utiles. Volage dans fes gputs,il brife le foir 1'idole qu'il avoit élevée le matin. Enthoufiafte de la nouveauté, il oublie, pour le bouffon qui 1'amufe, le héros qui vainquit pour fa gloire. Lache & fupliant dans les revers, il eft ingrat, infolent & cruel dans fes triomphes. Timide fous le joug des loix, tigre féroce dans la licencej c'eft. un efclave vil & rampant, c'eft un defpote aveugle que Fon gouveme par fes paflions. . . Eh! Voila le maitre que vous voulez nous donner philofophes cruels? . . . Ah! je le vois, vous voulez qu'il règne, mais dans 1'efpoir d'ètre fes vifirs. Ce peuple qui, fous une autorité ferme & bienfaifante, avoit acquis quelques vertus, & furtout Famour de fes maitres; vit alors, avec tranfport, celle qui devoit un jour régner fur lui. $1 crut que tant de beautés cachoient Fame la plus belle; il en efpérades bienfaits;du bonlieurj' & fon efpoir ne fut pas trompé.  fur Ja Tombe de Marie-Antóinette. t$ • Je tous en attefte ici, vous tous qui fütes affez heureux pour approcher de cette augufte Princefle, dans les temps qui précédèrent fes. infortunes, ditesnous, fi fon premier, fcn plus prefiant befoin , nefut pas 1'amour des Francoisj C fon defir le plus vif, ne fut pas toujours d'êixe ^imée d'eux? Et que ne faifoit elle pas pour rendre ce defir fatisfait! qui pouvoit refufer fon creur a cette affabilité léduifante, a ce peu de paroles prononcées avec ie ton de i'intérèt le plus tendre? Quelle douleur n'étoit pas appaifée par ce mot confolateur, que fon ame fenfible lui accordoit ? On Fapprochoit & Fon fe croyoit heureux , on lui parloit de fes peines, & Fon étoit confolé! Comme fa touchante bonté donnoit des charmes, aux refpe&s, aux fervices que vous lui. rendiez? .... Je vous en attefte, vous tous qui Fapprochates, &. qu'une ambition ardente & décue ne rendit pas injuftes k fon égard; vous qui la vites dans Féclat de fon rang ; vous qui la, connutes dans fa vie privée; & vous tous aufli Le Cri de la Douleur . Qui plus que vous, Reine infortunée, que je pleure, fit cette trifie expérience des hommes ? Le nombre de vos ennemis s'accrut toujours par celui de vos bienfaits; & vous aigrites les cqeurs par ce qui auroit du captiver leur bienveillance! Le dirai-je ? ce qui excita furtout 1'envie, & la hainé des courtifans contre Marie-Antoinette, ce fut ce pouvoir fi jufte & fi doux que le coeur le jrioins fenfible n'auroit pu refufer a fes charmes, & que 1'ame vertueufe de fon. époux, accorda a fes grandes qualités. Ce pouvoir qu'ils auroient tous voulu poffédcr, alluma la jaloufie dans les plus ambitieux. Ceux qui défefperoient de le parta,ger, voulurent le rendre odieux & le détruire, par leurs foupcons, leurs reproches, leurs infinuations perfides. Ils favoient combien Louis aimoit fon peuple:' combien il étoit jaloux d'en être aimé; il fe flatèrent que la voix de cc peuple qui s'éléveroit cóntre fon époufe, 1'engage.xoit a la priver de fa confiance. Ils coururent donc répandre dans le peuple le poifon qui les dévoroit. Leurs calomnies furent repouflees 4'abord avec indignation; mais en les reproduifant fans cefie fous des formes nouvelles; en Iqs  fur Ja Tombe de Marie* Antoinette. 21 étayant des fautes des miniftres & des malheurs d'une adminiftration, depuis longtemps déplorables, ils parvinrent enfin a les perfuader a la mul-» titude, toujours crédule & foup9cnneufe; Malheureux! que voiis a fait cette Reine ma* gnanimé , pour travailler ainfia la perdre ? Quoi t des calculs d'ambition fans refultat, des projets détruits, des efpérances trompées, peuvent vous rendre ainfi faux & cruels? Ne voyez-vous pas combien votre conduite eft lache & odieufe? Vous abufez-vous au point de penfer, que la hai* ne du peuple pourra légitimerla vötre? HommCs perfides! cette haine qu'il vous föra fi facile d'exalter ferat-elle plus jufte que celle qui vous anime ? Ce peuple faura-t'il difccrner les véritables auteurs de fes maux ? reeonnoitra-t'ii cê qui, dans fa facheufe fituation, eft dü aux fautes des règnes précédents, ou a celles de 1'autorité aftuelle ? Croyez-vous que le fentiment dè ce qu?il fouffre, accru par vos infidieufes clameurs; n'itouffera pas fa confcience & le cri-de la juftice ? Ah! dans fon mécontentement extréme, itcher.ehera, un objet fur lequel, il puifle exhaler-Ta B 3  22 Le Cri de la Douleur haine; vos voix coupsblcs lui nommeront fa Reine : il 1'adoroitj il la déteftera déformais. Son aveugle furcur, oubliant tout le bien qu'elle fit, Faccufera de fes malheurs paffe», de fes malheurs préfens; fes infortunes n'auront commencé •que par elle, n'auront été accrues que par elle;. & leur poids enfin, n'en fera devenu accablant que par fes déprédations, fes favoris, fon luxe, fes faibleffes, fes vices mème ! Tel eft le peuple il idolatre, ou il abhorre. - O Reine! tu eus fans doutc des faibleffes; mais quel homme en fut exempt? tu commis peut-ètre des fautes; mais lorfque rien ne peut s'oppofer a nos défirs, lorfque nous ne pouvons connoitre, ou deviner la vérité, que paria droiture de notre co:ur, eft-il done fi aifé de n'en pas commettre ? ah! que les hommes juftes élcvent la voix; qu'ils nous difent s'il eft facile aux Rois, d'éviter les piéges que leur tendent les paflions de leurs courtifans; qu'ils nous apprennent s'ils peuvent toujours fe défendre de la flaterie qui veut les féduire ou de la cupidité qui les importune? entourés d'objets qui leur cachent  fur Ja Tombe de Marie-Antoinette. 23 le bien, trouvant tous les moyens de faire le ■ mal, eft-il donc étonnant que leur vie foit tachée de quelques erreurs? Et lorfque ces erreurs font rachetées par de grandes verras, peut-on fans in? juftice leur refufer fon indulgence?. ..Mais voila les hommes! corrompus, ils veulent que ceux qui les gouvernent foient fans reproche; Et lorsque tous les vices font dans leurs coeurs, ils ne pardonnent pas auxRois leurs imperfe&ions. Oh! Marie-Antoinette comme le Francois fidele oublioit-les tiennes, en voyant les qualités de ton ame fenfible & la grandeur de ton caradtère. Ce peuple lui-méme-, qui loin de toi ap« plaudiflbit a tes détraóteurs, pouvoit-il repouffer 1'admiration que tu hii infpirois en te montrant au milieu de lui? abfente,il déteftoit ton nom,ü t'imputoit tous fes maux.; paroiffois-tu, il abjurok fon injufte reffentiment. Le fouvenir de tes tienfaits faifoit taire la calomnie , 1'amour qu'on t'avoit porté, fe ranimoit dans tous les coeu-s; &c 1'on s'écrioit encore, vive! vive! la Reine. i Mes amis, rappellez-vous ce jour, oü le paB 4  ■24 Le Cri de la DouUur lais de nos Rois fut affaUli par une horde de bri~ gands, qu'avoit raffemblé pour le crime, un parent dénaturé, un prince ambitieux & lache. La Reine échapée a leur fureur, fe fauve dans la chambre de fon époux; elle y trouve fes enfans, elle n'a plus de craintes. Cependant les cris, d'un peuple égaré, lui préfagent de nouveaux périls. Ses ennemis veulent fa mort, ils lui crient de^'offrir a leurs coups. Mille fufds font dirigée fur le balcon, oü 1'appelle la fédition, la haine & la rage; elle s'y montre & les affalfins laiffent tomber leurs armes. Son courage fublime épouvante leur férocité, la Majefté de fon front réveille leur refpcót, Je calme de fes regards éteint leur colère; & le pardon généreux qui fe peint fur fes levres, porte le repentir & le remord dans leurs cccurs. Envain ik veulent retrouver leur coupable fureur; leur bouche ne peut plus prononcer que des voeux ardens pour celle, que tout-a-l'heure, ils vouloient égorger. < . Vous Prince! dont la vile fcélérateffe payoit des aflaffins, mais n'o-foit fe mettre a leur tête;  i fur h Tombe de Marie* Antoinette. 25 vous conjurés qui ferviez les projets de eet homme eoupable, en excitant au crime cette multitude févoce; que penfates vous de la magiianime clémence de cette Princefle, qui a peine fauvée de vos poignards ,• daigna oubiier vos cruels desfeins ? jf'ai tout vu , fat tout entendu, triais fat tout oublié, répondit-elle aux Magiftrats députés vers elle, pour lui demander fon témoignage fur les événements de cette horrible nuk." O Reine rejettez cette funefte indulgence! laiflez punir vos ennemis, car c'eft le feul moyen, d'éteindre leur féroce rage* Si vous leur pardonnez, il n'en feront que plus acharnés a votre pertej ils s'irritteront de devoir la vie a celle dont ils confpirèrent la mort; & leur haine s'accroitra de tout ce qu'ils devroient a la reconnoiflance. lei, ames fenfibles qui m'écoutez, laiflez couler vos larmes, ne contraigncz par votre dou>leur. Quelle qu'en foit la violcnce, le trifte récit que je vais vous faire, en légkimerokune plus grande encore! . Marie-Antoinette entrainée par la révolte, ain> B 5  20 Le Cri de la Douleur fi que fon époux & fes enfans, au fein d'une capitale en délire, y fignale fon arrivée par un trait éclatant de bienfaifance. Cent mille écus ■ qu'elle donne aux families les plus indigentes , montrent dès les premiers inftans, qu'elle eft la vengeance que médite fon coeur. Plus touchée des malheurs oü elle voit que ce peuple fe précipite, que des injuftes torts qu'il a cu envers elle,; on voit qu'elle veut ïe détromper & non pas le punir. Pour y réuffir elle ne fe fervira pas des mêmes armes que fes ennemis. Si elle fauve de leurs projets deftru&eurs, la France ,■ Louis, fes enfans; ce fera d'une maniere digne d'elle. Aux difcours féduóteurs des faétieux, elle oppofe fes bienfaits; fon affabilité a leur rage, fes vertus a leurs complots» - Ah! fi la plus profonde corruption n'eut pas, depuis longtemps, préparé les fran9ois a la réf volte & aux crimes; ces foins touchans d'une Reine généreufe auroient triomphé des coupables deffeins de tant d'hommes pervers. Töt-ou tard ce peuple éclairé par fes remprds, eut rc"eonnu fes erreurs & détefté fes forfaits. Sa fidé-  fur la Tombe de Marie* Antoinette. '27 li té féduite,mais non pas étouffée, 1'auroit ramené aux pieds du thröne du meilleur des Rois. Elevant vers lui fes mains foumifes & fuppliantes, il lui auroit dit: ,, ó Louis! toi qui chaque jour de tón règne , voulus le bonheur de tes fu~ jets, vois-les, a tes genoux, te prier de les fauver de leur ruine. Ils ont cru des hommes perfides qui les trompoient par de féduifantes chimères ; ils ont plus efpéré du zèle hipocrite de ces faótieux, que de la bonté de ton cceur: 1'infor• tune & la mifere les ont avertis de leur funefte erreur. Toi qui les aime, ayez pitié de leur •fort, qui s'agrave chaque jour; venges-les de leurs faux amis qui vouloicnt aufli te perdre; & fois déformais le feul arbitre de leurs deftinécs - ' Mais le Francois n'étoit plus vertucux! une philofophie corruptrice avoit détruit,par fes faus- ■ fes maximes, fa religion, fes mceurs, fes préju. gés utiles; elle ne lui avoit laiffé que fes vices & fes paffions. Son cccur ouvert a la feduétion, ■ touché de tout,excepté du bien, ne pouvoifplus étre regagné par une Princeffe, qui ne vouluic  3-8 Le Cri de'Ja DóuJeuf intéreffer que les vertus qu'il montroit autrefois. Aufiï s'apper9ut-elle bientöt que 1'efpoir qu'elle avoit fondé fur lui étoit inutile & vain. Alors elle voulut chercher ailleurs des rémèdes a tant de maux; mais n'appercevant partout,:que des ■caufes d'infortunes encore plus grandes jelle s'en-* veloppa de fon courage Sc attendit, avec calme , les coups noüveaux que lui d'eftinoit la fortune. Je vous ai vue} grande Reine, je vous ai vu dans ces jours de révolte, de trouble & d'orages, préfenter ün front toujours majeflueux, toujours fercin, aux cris féditieux, aux impréCations ména9antes. La mème au milieu des dangers, au milieu des témoignagcs d'amour qui échapoient encore quelquefois a vos rebelles fu~> jets, vous étonniez par votre inaltérable conftance, vos ferviteurs, vos ennemis, la France, 1'Europe entiere. On ne pouvoit fe défendre d'admirer ce fublime courage , qu'attaquoient vaine* ment les perils, les complots, les outrages, le crime même acharné a votre perte , le crime intimidé, béguéyoit en votre préfence. Telle vous parütes le 6 0<5tobre oü commencèrent vos longues infortunes; le 25 Juin 1794 qui  Jur Ia Tombe de Marie* Antoinette. sfcg ykrivervos chaincsjle 20 Juin 1792 précurfeur des plus finiftres événements 3 le. 1 o Aeüt- oü vous futes précipitée du thröne. Tellé on vous a vue- encore ce jour, ce jour funcfle ! c* èl Marie-Antoinettc, comme Reine vous étiez au defiüs de i'humanitéj mais vous futes époufe & mere! Ces deux titres qui vous rendoient fi chcrs ,Louis & vos enfans, iöfpiröient quelqiiefots des craintes a votre ame fenfible. Dans le fiience.de votre palais, lom des regards importuns, vos pleurs couloient fouvent,fur les malheurs qui menafoient votre familie. O ai, mes amis, cette Reine fi courageufe qui s'offroit fans palir a la rage d'une multitude barbare, craintive lorfque fes dangcrs pouvoient attcindre fon fils; voloit éperdue a fon apparte* ment, le fcrroit dans fes bras & s'écrioit, dans fon héroïque douleur, „ Fran9ois!Francois! vous ne frapperez le fils de vos Rois qu'après avoir égörgé fa mère ! Surprife un jour dans cette pofture touchante par Louis Seize; Je vous ai cherchée longtemps & vous m'avez inquiété, lui dit le Roi; fit 01 s (i mon pofte, répondit-elle en montrant fon. fils.  3<3 Le Cri de la Douleur Quel étok donc ce grand cara&ère toujours fupérieur aux revers; toujours ferme, inriébranlable, au fein des plus cruelles infortunes? Quelle étoit cette femme noble & fiére, fenfible & bienfaifante a la fois, qui bravoit la haine de fes ennemis, qui foutenoit le courage de fa familie, qui exaltoit Ie zèle de fes ferviteurs fidèles ? 6 Nation malheureufe, comme tu pleurerasunjour laperte quetu viens de faire en elle! Et toi, jeu4e enfant, fi le ciel dans fa miféricorde, brife les fers qui font les hochets de ton enfance pour. te placer fur le thróne de tes pères, tu cliercheras aufli un jour autour de ce thróne, cette mère tendre qui eut guidé ton inexpérience ;foutehu ce fceptre, trop pefant pour tes jeunes mains. Infortuné! tu ne la trouveras plus. Mes amis j'approche, je touche a ces jours d'horreur & de fang qui ont terminé la carrière de la plus malheureufe des Reines. ó! que la tache que j'ai entreprife eft pénible & déchirantc! . . Mes forces fuccombent fous les atteintes de ma douleur. . . . pourquoi n'ai-je pas pleuré feul dans le filence? . . . pourquoi ai-je entrepris  fur Ja Tombe de Marie- Antoineite. 31 ce funefte récit? . . . . ó! que 1'indignation, la foif de la vengeance , raniment donc ma voix, que coupent, qu'étouffent mes fanglots. I Au fein de Paris, dans cette tour antiquc Ss fombre, dont les fenêtres fontarmées de grilles , dont les portes font chargées de verroux, don? une garde nombreufe occupe & défend les approches: font captifs, Louis Seize, Marie-A117 toinette, leur fceur, leurs enfans. C'eft la que des conjurés cruels ont renfermé cette déplorable familie après 1'avoir arrachéc de fon palais par la violence & la trahifon. C'eft la qu'une fecte féroce, qui a foif du fang de ces auguftes victimes, ira les chercher 1'une après 1'autre, pour leur donner la mort. j Déja elle veut que leur fupplice commence !... Elle penfe qu'il feroit confolant pour ce Roi, fi. fenfible, de déplorcr fes malheurs avec les objets, chersa fon coeur, qui les partagent; elle veut lui ravir ce bien, le feul hélas! qui lui refte. Elle 1'arrache des bras de fa familie éperdue, qui ne le reverra plus que pourle perdre a jamais Roi malheureux! Cette derniere & touehante entrevue, fera 1'épreu-  32 Le Cride 'la -Douleur• re la plus forte qu*ait eu a fontenirton courage/, tu la demandes cependant a tes tirans comme une douce faveur. Ah! ne crainspoint d'être? refufé! il eft doux pour ces hommes cruels, de.' permettre a un père d'annoncer, lui-mèrne, fon trépas a fa familie infortunée Dieux! avec quel empreffement, la tienne, qui ignore ton funefte fort, fe rend auprès de toi! Elle t'embrafle avec tranfpcrt;ellet'entoure, elle te demande qui apü lui rendre un bonlieur, dont elle fut privée fi longtemps ? Dans 1'émotion vive de fa joie, elle fe berce des plus douces efpérances & ton ame fenfibie fe plait a la laiffer dans fa confolante errem\ Mais il faut te féparer d'elle. II eft temps de la quitter pour ne plus la revoir.... Alors ton funefte fecrett'échappe; tu apprends a ton époufe , a ta fixur, a tes enfans, que bientót tu n'exiftera plus pour eux. Ce coup eft trop fort pour Marie-Antoi-" nette; elle tombe fans connoiffance, la paleur de la mort eft fur fon vifage, elle va expirer..« ah! mourrez, mourrez trop infortunée Princefle' vous éviterez un avenir bien plus cruel! . . Mais tine providence funefte la rappelle a la vie. Elle tounie encore fes yeux fur- fon époux > elle lui  fur la Tombe de Marie-Antbinette. 33 demande fi elle pourra le revoir, avant qu'il aflig au fupplicé ? a demain lui répond-t'il en s'arrachant de fes bras. . . . Et ce demain ! C'eft 1'éternité La votre grande. Reine va bientotcommencer! iVos ennernis irritës de vous voir furvivre fi long-; temps au vertueux Louis, appellent a grands cris 1'heure de votre mort; il eft temps quelle fonnè pour leur rage, leur prudence feule 1'éloigne encore. Ils craignent que cette capitale, jufqu'alors fpeétatrice lache ou indifférente de tous leurs forfaits, ne fe fouleve enfin contre le nouveau qu'ils méditent; ils veulent fonder fes difpofitions avant de le commettre. Au milieu de la nuit, lorfque tout dort autour de vous; & que vous mème li vree au fommeily oubliez un inftant le fentiment de vos peines: des hommes féroces viennent vous arracher au repos, pour. vous conduire dans la prifon deftinée aux plus vils fcélérats. II faut vous léver a la hato, il faut les fuivre fans favoir ce qu'ils vont ordon^ ner de vótre fort. . .Envain vous leur, demandeC  ö4 - Le Cri de Ia Douleur riez de vous laiffer dire un dernier adieu a vos enfans, a votre foeur chérie; ceux qui les ont envoyés leur deffendirent furtout d'ètre humains! II, faut les fubre! eft leur réponfe a cette unique. priere que vous leur 'fakes. Votre courage vous foutient, ó fille des Cefars! II eft fublime ce eourage! . . . puifque feule, dans les ténêbres, entre des hommes inconnus & fanguinaires, abandonnant une prifon qui vous eft chère par les ob-* jets que vous y laiffez, ignorant oü 1'on vous conduit; vous ne laiffez échapper ni plaintes, ni reproches. Eh! qu'elle eft profonde aufii la fcé- • lerateffe de vos ennemis! Comme ils veulent agraver vos infortunes par tous les rafinemens de la plus ingénieufe perfécution! 1'heure, le temps, le lieu, ils choififfent tout ce qui peutaccroitrela 'terreur, rendre plus poignans les outrages. Mais leurs cruels ^fforts fe brifent contre vótre ame héroïque; rien ne 1'abat, ni les refus inhumains, ni les ténêbres de la nuk, ni ces voutes fombres oü 1'on vous fait paffer, ni ce noir cachot oü 1'on vous précipitc. C'eft dans cet horrible cachot, féjour ordinai-  fur Ja Tofnbe de Mêrle- Antoinette. re du crime, que Marie-Antoinette va attent dre Finftant de fon fupplice. Paris apprend qu'ek le y a été jettéej & Paris fe cait fur les dangersqui la menacent. Alors les Jacobins triomphent j~ rien ne s'oppofe plus a la mort de leur malheuren, fe viótime; & ils ordonnent a un tribunal fanguinaire de Ja prononcer. Qui le croiroit ce tribunal héfite, il frémit. . . Accoutumé a condamner 1'innocent, il s'épouvante du nouveau crime, qu'on lui demande; il répond qu'il n'a aucun ritte pour accufer & pourfuivre, celle que 1'on foumet a fa parricide juftice. II n'importe > Magis^ trats de fang, on ne vous demande pas de la trouver coupable! Portez feulement fa fentence de mort; &vos maitres feront contens. Colorez. fi vous voulez votre criminelle complaifance; pat une apparente crédulité, pour toutes. les ealom-* nies abfurdes ou atroces, qui furent répanduesfur cette Reine qu'ils déteftent; inventez en même de nouvelles pour rendre fa mémoire odieufe; peuleur importe, pourvu. qu'ils voient torn-? ber fa tète fur 1'échafaud! ' . ..■ - Vous ferez obéis, Tirans féroces!- Ces hom* C a  ^ Le Cri de la Douleur mes que vous chargé&tes de frapper, du glaive dè la juftice, tous les objets de votre haine,tous les rivaux de votre funefte domination, ne bal^ncent plus a jugei- Marie-Antoinette. Déja ils ont créé l'adte d'accufation qui- doit 1'emmener devant eux; déja eft dreffée la fentence qui doit lalivreraux boureaux. ' Un jour, quelques heu•res fuffiront, pour interroger fon innocence; pour écouter fes défenfeurs, pour entendre des témoins achettés & corrompus ; pour prononcer 1'arrêt fatal. Un jour encore, Tirans,8c votre cruauté fera fatisfaite! O! fille des Céfars, oü te conduifent donc ces fatellites farouches? O! veuve d'un Roi qui fut, fi puifiant, oüvas-tu dans ce lugübre cortège, fi différent de la pompe dont je t'ai vu environ»ée? Tous ces hommes qui t'entourent fourient a tes malheurs! Deux cependant paroiflent encore s'intérefTer a ton fort Veulent-ils te défen- dxe de la rage de tes ennemis, de la corruption de tes juges? hommes généreux abandonnez eet efpoir! quelle que foit votre éloquence, quelle que foit la juftice de la caufi? que vous aHez  fur Ja Tombe de Marie- Aitoinette. 37 fb'ateh&j vos efforts ferontvains: on veut que .Finnocence périfle! Sur ce funefte fauteuil, ou s'afféoit Marie-Antoinette, elle n'a été appellép que pour entendre fa condamnation! Quel . eft votre nom ? lui demande le chef de ces affaffins juridiques. Son nom, fcélérat! ... ah!üs-le fur Ce front majeftueux qui te fait palir d'éffroij écoute ta confcience bourrelée qui te le répête; devine.le a 1'horreur dont tous tes complices font faifis. Son nom ? eh! ne reconnpis-tu pas en elle, cette Reine qui confola tant de malheureux, qui pardonna tant de coupables, qui fe fit aimer, même de fes gardes & de fes géoliers? Juge pervers! laiffe la ces formes dont s'enveloppe la juftice; & montre nous, dans tout fon jourj Finiquité de la tache qu'on ta prefcrite. . Réponds-moi toi-mcme! de quel crimè accufe-tu cette grande Reine? d'avoir dilapidé, distu, les financcs de 1'Etat j d'avoir confpiré conti e cette anarchique & féroce licence que tu appelles la liberté de la patrie ; d'avoir. .... htimme fallacieux, ignores-tu donc que tous ces prétendus crimes, ont déja été imputés a fon époux; C 3  3 8 Le Cri de la Douleur ; qu'ils ont déja fervi de pretexte a 1'affaflinat de j ce Roi jufte '& vertueux ? ignores-tu auffi qu'un ïnonarque dans fa route puiffanCe ne fauroit avoir de complices ? S'il eft méchant, anathême fur les . miniftres qui exécutent fes ordres tiranniques: mais non fur fa familie qui ne peut jamais fe fous- . traire a la plus aveugle obéiffance. D'ailleurs nous diras-tu que fi Louis n'eut été que foible, . tes tirans 1'euflent envoyé au fupplice?... Et puifqu'ilsl'ont jugé coupable, peux-tu accufer fa veuve d'avoir abufé de fa foiblefle? . . . Mais n'importe, quellcs que foient 1'abfurdité, 1'injustiqe de tes accufations, je vais y répondre, Tu dis que Marie-Antoinette de concert, ou en trompant fon époux , a ruiné les finances du royaume. Mais quelles feront tes preuves, fur la vérité de cette imputation ? Sera-ce le déficit de 1789? mais il en exiftoit déja un de vingt fept millions a la mort de Louis quinze, & les revenus de 1'état étoient hipotêqués pour plufieurs années. Si ce déficit s'eft accru, accufes-en une guerre maritime de cinq ans, entreprife pour aider un peuple h conquerir fon indépendance;  fur Ia Tombe de Marie- Antoinette. 39 accufes-en fur-tout, un miniftre autrefois cher au peuple, qui ne foutint fon adminiftration que par des impöts immoraux & ruineux. Sera-ce le Hvre-rouge ? II prouve que dans 1'efpace de quin'ze ans, Louis Seize & la Reine, pour leur dé* penfe perfonnelle, leurs fantaifies, les récompenfes accordées par eux aux lettres & aux talens, les bienfaits qu'ils répandirent fur leurs ferviteurs & leurs fujets de tout rang, ont dépenfé deux cents miUions. La fomme des revenus de 1'Etat pendant ces quinze années fut a peu prés de fept milliars. Tu dis que la voix publique a accufé fouvent la Reine d'avoir fait palfer des fommes énormes afon frère, Jofeph fecond. Mais crois-tu que 1'hipocrite vertu de Necker n'eutpas quelquefois, dans fes difcours, dans fes ouvragcs, fait paroitre aux yeux de la nation qu'il vouloit féduire , des traces de cette coupable libéralitc. Mulle part cependant il n'en .dit un mot, il n'en lailfc cchappcr un foupyon ? Tu dis qu'elle a confpiré contre la liberté. de C4  4£> . • Le Cri de la Douleur < . la..France en voulant armer contre elle lés PuifTan,ces étrangères. Mais ne te rappelle-tu pas que les défénfeurs. de Louis, accufé d'avoir eu les mêmes intentions, prouvèrent jufqu'a 1'évidence, que les démarches fermes & preflantes du Roï avoient au contraire éloignë la guerrè dont 1'autri, che ménacoit la révolution dès les premiers temps de fon exiftence ? La guerre a&uelle ce font tes maitres qui font déclarée. Pourfuis, de quoi Paccufes-tu encore? dravoir fuivi fon époux a Varennes. Mais dis-moi, quel cöde barbare a jamais fait un crime a une femme, de fuivre la fortune d'un époux malheureux? ne feróit-elle pas coupaBle au contraire de 1'abandonner? D'ailleurs ce voyage, cette fuite, conime tu veux Fappeller,' n'étoit-ellé' pas permife par la Conftitution? i Qu'ajoutes-tu encore a ces vaïnes & iniqüës inculpations? Diras-tu qu'elle a provoqué les jotirnées du cinq & fix Odtobre oü elle n'a évité la mort, que par la fidélité de fes gardes & la graiïdêur de fon courage? diras-tu aufli qu'elle a  fur ia Tombe de Marie-Antoinette. provoqué la révolution du dix Aoüt, qui la pre» cipicée du thróne & plongée dans une étroite prifon? diras-tu que dans cette prifon même,oü elle étoit environnée de gardes, de délateurs, d'efpions, elle confpiroit encore contre ton horrible République? diras-tu qu'elle y a commis des forfaits, des crimes atroces? Tu héfites? tu rougis ? Dieux! que vas-ui me dire l ..... . .... liomme barbare! eet outrage manquoit encore aux infortunes de Marie-Antoinette! H falloit que la calomnie qui troubla fes beaux jours; vint accröitre," auffi, 1'horreur de fes derniers inftants! II falloit, qu'en 1'accufant d'un crime auiïï impoffible qu'odieux , elle étouffat tout a fait la pitié dans le coeur de ce peuple aveugle , qüi ne défiroit pas aiTez vivement fa mort! .... Crel -"quelle fcélérateife! aller tromper, aller féduire par des careffes, des préfens- que' dis-je, aller troubler mème par une boiiTon ennivrante & empoifonnée, 1'innocente candeur d'un enfant, pour lui faire accufer fa mère! lui faire dire, par d^infidieufes queftions, par des interprétations perfides, que les touchantes careffes qu'il én TC9Ut, n'étoient que des emportemens eoupablés  42 . . . Le Cri.de-Ia Douleur . .d'unefemme corrompue! Ah! 1'homme éclairéa ..quelqu'il foit, frémit d'indignation, en voyant qu'il eft des monftres capables de créer une pa. xeille horreur! mais le ,peuple, le peuple croit! Sc c'eft tout ce qu'il vous faut juges féroces!..« t Prononcez, prononcez, donc votre fentence! qu'attendez-vous encore ? n'eft-ce pas la le dernier .coup que vous vouliez porter a fon innocence? ah! elle eft pure encore cette innocence! elle s'élève contre vous; hatez-vous donc d'en éloi.gner 1'importune image! Dites, quelle eft la peine que.mérite cette Princefle infortunée, qui attendfans effroi votre jugement?/.. Vousl'avez accufée de plufieurs crimes; vous avez cherché partout des preuves contre elle; vous n'en avea trouvé aucune; que mérite t-clie donc ? .... La mort! .... La mort! & vous lui demandez fi elle n'a rien a dire fur 1'application de la loi? De.quelle loi , nous parlez vous donc ? feroit-ce de la profcription barbare que vos tirans ont prononcé eontre toutes les vernis? oh! non, contre cette  fur Ia Tombe de Marie-Antoinette. 43 loi elle n'a rien a dire. Elle ne s'abaiffera pasta vous prier d'adoucir fa fentence; elle ne vous donnera pas le barbare plaifir, de 1'outrager encore par un féroce refus. La mort étoit la feule faveur qu'elle attendoit de vous; une peine plus douce 1'auroit affligée.... Ce quelle a a dire encore > juges fanguinaires ? .... Rien! . Oui rien! mais un jour fes vengeurs éléveront la voix pour elle. Ils vous demanderont compte de 1'arrêt atroce que vous venez de rendre. Tremblez, tremblez alors, car vous auffi, vous entendrez prononcer contre vous, la mort; la ■ mort la plus cruelle ! Mais oü m'entraine ma douleur ! de quel fpéctacle déchirant, horrible, veut-elle me rendre letemoin? Que vois-je ? une prifon obfeure.1.,. la prifon des fcéiérats! une foule immenfe -en remplit les cours, fe prcfic fur tous les paflages qui y conduilent. Elle attend avec une féroce impatience que la vklime s'offre.a fa vue; elle trépigne apres 1'inftant de 1'accompagner' :au fupplice, Tigres, foyez fatisfaits! la porte 's'Öuvre déja j le fifflement des! gonds a retenti dans  44 Ctï de ld Douleur «ion cceur. Une femme en fort .... elle Iè$§ «ncore ün front calme & majeftueux O douleur! c'eft Marie-Antoinette. . . . mais quoi? les airs retentiffent de cris de joie, d'ap- plaudiifemens Barbares! pouvez -vous bien encore, infulter 1'innocencè malheureufe, a ce dernier moment oü le crime même excite lapitié! ...La fille des Céfars eft placée fur un infame tombereau. A deml-nue, les mains chargées d'infames liens, elle s'avance au milieu E'un peuple immenfe, empreiTé a la fuivre ; elle traverfe les rangs ferrés d'une armée, qui ne fut levée que pour proteger le meurtre & le pilIage. Dieux! quelle eft grande encore au fein de 1'horreur qui 1'environne! Les imprécations, les hurlemens ne troublent pas fon courage, n'altèrent pas fa réfignation. Elle marche a 1'échafaud d'un air ferein & tranquille j il fe préfente 5 & elle le voit fans palir. Öh! arretez, arretez, il en eft tems encore; arretez multitude féroce, foldats cruels! fauvez cette grande Reine du trépas, brifez fes fers délivrez fon jeune fils, immolez vos tirans. Coür-  fur Ja Tombe de Marie-Antoinette. 4$ fez! courrez! c'eft le feul moment qui vous refte pour détourner la vengeance divine, qui ya s'appéfantir fur vous. Mais je vous parle envain; vous brulez de voir répandre le fang de votre Reine. Eh! bien que votre cruauté foit heureufe! La fille des Céfars, dépouillée de fes vétemens, eft déja entre les mains des boureaux. O trop infortunée Reine , allez vous réunir a votre époux j montez au ciel! ... Déja elle eft fur 1'échafaud & elle y paroit digne encore de régner; déja elle a courbé fous la niche meurtriere ce front quiporta le diadême ... le fignal eft donné, 1'infernale machine femeut, le glaive tombe, & la tête roüie pale & fanglante ! O crime ! crime atroce dont 1'image me fuivra fans cefle, dont la mémoire fouillera a jamais ma patrie!... Vous monftres odieux, qui Kavez fait commettre, venez raffafier vos regards de ce fpedtacle fi doux pour votre haine! Voyez couler le fang de cette héroïque Princeife, qui ne fut coupable a vos yeux, que par fon grand caraftère, fes éminentes qualités, qui effrayoient yotre farouche prévoyance. Buvez, buvez ce  46 Le 'Crf dé h Douleur fang, dont vous montrates une foif fi ardentë?"' Et toi peuple antropophage, que tardes-tu a te jetter fur ces refles palpitans; a les déchirer,a t'en arracher les lambeaux ! O ville crirainelle! la mefure de tes iniquités eft comblée déformais! Un Dieuirrité va léver enfin fur toi fon bras puifiant. Son Ange exterminateur planera fur tes rues, tes places publiques, tes jardins. La foiidre,le fer, la flamme, porteront la défolation & la mort dans ton fein. Tes habitans feront tous immolés, tes maifons feront toutes réduites eft cendre j & Favenir épouvanté par tes crimes, frémira auffi de leur punition! Et vous Rois de FEurope dont ce crime nouveau doit accroitre Findignation, écoutez ce que vous difent par ma voix, tous les amis de votre autorité & de votre gloire. „ II eft temps, il eft temps enfin, que vous employez toute la puiffance que la ciel a remife en vos mains, a venger tant de forfaits. De la guerre que vous foutenez, dépend le fort de vos Empires, de vos peuples, de vous-mêmes. Si vous êtes vaincus 'vos têtes tomberont auffi fous les coups de la re-  Jiir la Tombe de Marie-Antoinette. 47 volte; fervez-vous donc. pour vaincre de tous.. les moyens qui font en votre pouvoir. Ecartez tiet autre foin; renoncez k vos projets ambk üeux, k vos vues d'agrandiiïement; n'opprimez pas le foible, quandvous avez le coupablea punir. Surtout, furtcut, éloignez toute idéé de conquête ! furlaFrance. Toutés fes Villes, toutes fes provinces font teintes du fang de fon Roi; ce fang crieroit contre vous, contre vos defcendans. Combattez feulcment pour raffermir vos thrönes ébranlées , pour relever celui des Bourbons j pour fauver la France, PEurope , le monde entier de leur perte. Combattez pour anéantir cette fe£te atroce, qui dans fes jours de triomphe, vous défignoit déja comme fes vi&imes; & qui tót-ou-tard boira vdtre fang, fi vous ne Pétouffezvcus-mêmes dans le fien. Rois de 1'Europe, jamais vous n'eutes a foutenir une guerre plus jufte, plus fainte, plus néceiiaire; quelqu'un de vous pourroit-il donc demeurer neutre encore? Pourroit-il voir avec indifférence la barbarie aux prifes avec la civilifation? Non, non, levez vous tous auffi contre. Pennend féroce qui s'eft levé contre vous! entourez-le de vos nombreux fcataillons, attaquez-le, poiüTez-le fans relache.  48 Le Cri dc la Douleur fur la Tombe GV. qu'il tombe, qu'il périffe; & la pofterité dira un jour de vous avec reconnoifiance; ils fauyèrent h monde, ils fur ent les yengeurs de Louis & de Marie-Antoinette. " O Reine! qui dans vos jours de puiffance & de bonheur, vous montrates fenfible & bienfaifante; qui dans Vos jours de captivité 8c d'infortune, parütes grande 8c rnagnanimei vous que 1'on vit, oubliant vos propres mallieurs, ne déplorer que ceux de votre époux, de vos enfans, de votre foeur, de ma coupable patriej fans doute vous avez trouvé dans le ciel la juftice que les hommes vous refufèrent fur la terre. Ah! dans ceféjour de gloire oü vous avez rejoint Louis, daignez recevoir avec bonté 1'hommage douloureux 8c vrai que mon coeur fidele vient de rendre a votrè mémoire. Ce que j'ai dit tous les Frane.ois, qui m'entourent, le penfent St le repetent. O! Marie-Antoinette, ils foupirgnt tous après le jour, oü réunis fous les ordres de deux Princes, que Padverfité a trouvé fi grands, ils pourront brifer les fers de leur jeune Roi, venger vos infortunes, ou mourir!  ■ N O TE '5*.' ' ' ' '49 (<») LeMaréchalde Briflac Gouverneur,de Paris, j? f (é) Voici quclques détails intéreffans, au fujetde l'entrcc publique de la D?uphine a Paris, que ,1'on. trouve dans un ouvrage du temps, dont j'ai copié .mème quelques expreiïions. —— „ Le Couple augufte fut pénétré d'attendiïiTement. Pour répondre a 1'emprcflernent du public il fe promena dans le jardin des Thuilerics. La foule étoit telle que ce jardin quoiqu'immenfe, femblofÈ inondé de fpcctsteurs. La joie fayonnoit fur le vifage de la PrincefTe, ainfi que fur celui de M. le Dauphin (Louis XVI), qui demandoit fouvent s'il n'arrivoit point d'accident, & fi les gardes emprclfés a contenir la multitüde ne faifoient du mal a perfonne? L'un & 1'autre s'écriolent avec réconnoiffance: ah! le bon peuple. Ils remonterent au cbiteau & cömme malgré leurs diflererites courfes beaucoup de gens ne fembloient pas zvoiï encore fatisfait leur curiofité, M. le Dauphin & Madame la Dauphine fe montroient fur une galerie qui domine la terraffe du chdteau bientöt inondée de flofs de fpeöateurs; il s'établit alors entre le peuple & ce couple augufte, ■ «»# efpèce de dialogue tendre & entrecoupé marqué par te fourire, les regards de la bienveillance, Vaffe&ion paternelle d'une part & les acclamaticn's sumultueufes & fans /uite de Vautre, " (Journal hiftor. de la révol. de la Magift. en france). (O Je cite ici au hazard quelques traits de bienfaffêince, 'd'hunlanité & de géiiërofité de Marie-Antoi'nctte, que tout le monde li feu, mais qüe'beauccup de gens ons  5° NOT ES. oublié. J'en puife d'ailleurs le récit dans. une fource, qui ne fauroit ctre fuspeaéc de partialité en faveur de cette infortunée Pritïceffe, puisque c'eft un öuvrage fait depuis la révolution par un Auteur Patriote. „ Louis XV chalfunt dans la forêt deFontainebleau,un cerf furieux, percé de plufieurs coups, franchit la muraille peu élevée d?un pctit jardin dans le villagf d'Achére, s'élance fur un payfan occupé a bécher & lui enfoncê fon bois dans le ventre. Des voilins témoins de ce cruél accident & voyant le jardinier fur le point d'expirer, accoururent apprendre cette triftc nouvelle a fa femme qui travailloit aux champs a une demi-lieue de la. Cette femme fe mit alorsa poufler les hauts cris, a donner toutes les marqués du plus violent défespoir. Madame Ia Dauphine fe trouvant non loin de eet endrolt au rendez-vous de la chafTe, entend les gémiffemens douloureux de cette femme; elle s'approche a pied & veut favoir quelle en eft la caufe. On lui raconte ce qui vient d'arriver aa village d'Achére. A ce récit la fenfiblité de la Princefle eftvivement afteaée;, elle lui donnetout I'or qu'elle a dan» fabourfe & poufie 1'humanité jusqu'h chercher a confoler cette infortunée Villageoife. Elle fait enfuite avancer fa calèche, engage la payfaune h.y monter, ainfi qu'un jeune enfant & deux Villageoifes, & charge le nommé d'Arras, valet de pied, de réconduire cette pauvre femme chez-elle, & de venir lui rendre compte de 1'état du mari. Tandis que Madame la Dauphine, attendrie jusqu'aux larmes, attendoit avec inquiétude le retour  N O TE & 51 .Valet de piedV le Roi paroit; on 1'informe de ce qui vient de fe palier , il partage I la douleur! de fa beile fille» ordonne que fon premier chirurgicn , aille chaque-joirr vifiter le bleflë, & il s'écrie; —*— qu'il feroit malheu» reux que eet homme vint a mourir! Comment confoler & Ia veuve & 1'enfant ? ah! Papa, reprend Mad;-* me la Dauphine, en les tirant de la mifère, nous pou- rons au moins diminuer la cruauté de leur fort. Le payfan fut rappellé a la vie pour bénir fon augulte tfienfaitrice." ■ „ Pouvant dispofer d'une fommc afiez confidérable, fruit de fon gain au jeu, cu de fes épargnes, Madame la Dauphine deïnanda a fon premier maitre d'hötel un état de töUtes les perfonnes peu opulentes attachées h fon fervice. Après avoir jetté les yeux fur cette liftc, elle vit que fes fonds pouvoient s'étendré fur un plus grand nombre d'infortunés & ajoüta de fa main les noms dó pluiieurs de fes domeftiques, dont elie avcit lu11'ihdigen'có & fur le vifage & dans 1'habillement; calculant enfuite, d'après fon ca:ur fenfible & jufte ce qu'elle devoit donner, elle fit diftribuer a chacun d'cux une fofnrne proportionnée a leurs bcfoins. " „ M. Léon, dire&eur de la monnoiedc Rennes, n'avcit '■pour tout bien que fa charge qui lui coutoit ccntmilla D 3  52 NO TES. Uvres & lui en rapportoit dix a douze mille par an# Avec ce revenu il vivoit d'une manière honorable quoiqu'il fe vit pere de feize enfans; mais fa charge ayant été fupprimée par Védit de février 1772, tout moyeri de fubfifter lui fut enlevé. Dans ces triftes circonftances, fon époufe & lui prirent 1'occafion du voyage de la Cour a Compiegne pour s'y rendre dans un grand chariot couvert, avec toute leur familie. A peine y furcnt-ils arrivés, qu'ils mirent tout en ceuvre pour intéreffer les crcurs fenfibles. Leur malheur après bien des obftacles vint enfin a la connoiffance de Madame la Dauphine. Cette Pnnceffe fe déclara aufluör leur protectrice & courut peindre a Louis XV la cruelle fituation de cette familie infortunée. Le Rol repondit, qu'il 1'avoit déja reeommandée au Controleur - général, & qu'il favoit que M. Léon méritoit par fa probité, d'être bien placé. Munie de ce fuffrsge, 1'augufle Princefle mande 1'abbé Terrai, & lui déclare qu'elle nomme 1'infoituné attquel elle s'intereffe a une place actucllcment vacante dans la finanee, dont le revenu égale au moirs cc a\ de 1'ancienne charge de M. Léon. Le Controleur-général fut obligc d'applaudir a eet acT:e de bienfaifance qui excita 1'admiration de toute la Cour. " „ Dcvenue Reine de France, Madame le Dauphine ne fe montra pas moins fenfiblc aux peincs des malheureux. Dans ka commenceme.is du mois d'Aout 17.76, la Reine  N O T E 1 53 traverfant a pied le village de St. Michel, fitué prés de Verfailles, appercut une vieille femme infïme qu'entouroient plufieurs petits enfans. Le tableau qui repréfentoit a l'fttttë compatilTante de Sa Majefté, ce que la nature humaine offre de plus intérefTant dans les deux extrèmcs, Pémut auffitöt & lui fit fuspendre fa marche; elle s'approcha de la vieille payfanne, 1'interrogea avec autant de douceur que de bonté , & apprit que cette bonne femme grand'mere des enfans qui 1'environnoient, étoit dans fa caducité & malgré fon indigence, 1'unique appui de ces Orphelins. Touchée de ce qu'elle entendoit, ce ne fut point afTez pour cette Princefle bienfaifante de lui faire difiribuer fur le champ des fecours en argent, elle jetta des yeux attendris fur le plus jeune de ces Orphelins, agé de trois ans, & déclara qu'elle vouloit s'en charger & qu'ullè en feroit prendre foin. Cet heureux enfant fut élevé en effet fous les yeux même de la Reine, qui lui permcttoit de jouer chaque jour dans fon appartement, & le combloit des plus tendres careffes. " „ Le Marquis de Pontecoulant, Major des Gardes du Corps, eut le malheur, du vivant de Louis XV, de déplaire a Madame la Dauphine, & quoique 1'objet fut léger, cette Princeffe avoit paru en recevoir beaucoup deméeontentement, au point d'avoir dit qu'elle ne 1'oublieroit jamais, Lorsqu'elle devint Reine, cet officier craignit D 3  que Sa Majefté ne tint parole; il crut devoir prévenir tout défagrement & il prit le parti d'offrir fa démifïï.om A alja„tro,uyer le Prince de Beauveau, lui peignit fa douleur, lui fit entendre que la crainte d'effuyer quelque mortificatipn de la part de la Reine étoit le feul motif de fa démarche, qu'il feroit au défespoir de, quittcr le fervice du Roi, & qu'il feroit trop heureux fi Sa Majefté vouloit 1'employer autrement. Le Capitaine des gardes fe chargea de la démifïion, mais avant de 1'offrir au Roi, alla chez la Reine & lui expofa 1'amertume dans la quelle étoit plongé M. de Pontecoulant, par la crainte de déplaire dans fes fonaions a Sa Majefté;elle répondit avec la .noblefle de Louis XII qu'elle ne fe fouvenoit point étant Reine, des injures faites a Madame la Daur phine, & qu'elle prioit M. de Pontecoulant de les oufclier lui-même." „ La Tragédie de Muftapha & Zéangir par M. de Champfort ayant eu le plus grand fuccès, Ie Roi donna une penfion de douze cents livres a ce pcëte eflimablc Cc'eft un patriote qui parle); & ce bicnfait inattendu lui fut annoncé en ces termes par Ia Reine elle-même: — Monficur de Champfort au plailir que m'a procuré Ia repréfentation de votre piece, j'ai voulu joindre celui de vous annoncer que le Roi pour encourager vos talens , & récompenfer vos fuccès, vous fait unc penfion de douze cents livres.'»  N Ö T E $. 55 „ La Reine crut avec raifon que le meilleur moyen dé rendre grSces 'a Dieu de fa fécondiré, (après la naiiïance du premier Dauphin ), étoit de faire beaucoup d'heureux en un feuljour. En conféquence, Sa Majefié 'réfolutdé marier cent filles pauvres & vertueufes, choifies dans toutes les paroiues de Paris, & de leur faire donner & chacune cinq cents livres de dot, deux cents livfes pour habiller de neuf les nouveaux époux & douze livres pour le rcpas de nöce. Cette Princefle promit encore de payer les mois de nourrilTe de leur premier enfant & accorda aux mères qui nourriroient ellcs-mèmes, une layettc & un tiers de plus par mois qu'aux autres." (Anecdotes du regne de Louis XVI. T. i % II feroit impolfible de rapporter ici tous les bienfaits que Marie-Antoinette répandit fur la claflc indigente, & les prifonniers malheureux, de la Capitale. Je dirai feulement qu'elle ne laiffa palfer aucune époque importante de fa vic, fans leur faire diftribuer des fommes confidérables. Etc'eu; ce peuple,qui a vömi des applaudiffcr?:e:is féroces au moment de fon iupplice j F I N.