MÉM O IRE A D R E S S É AVX NOTABLES, S ü R LES ET AT3- CENERAUX. A L E Y D E. I788.  OiV convoque une Affcmblée de Notables ; cn leur demande leurs avis pour la convocatïon des Etats- Généraux. II ejl utile que les Notables foient inflr\iitspar l'opinion publique: & l'opinion publique ne feforme elle-même que par la difcuffion. , Ce Mémoire femble réunir toutes les queftions qui concernent la convocaüon des ÊtatsCénéraux , leur compofuion, les éleslwns des JDéputés , & les délibérations des Ordres ; un feul principe répond a toutes les queflions , & les difpojltions a fuivrc n'en font que les conféquences. 11 ejl impojjible de rien faire s'il n'y a pas un principe fixe & dèterminé. Toutes les déci- Jions font arbitrair es , quand chaque décijion nejl pas la fuite d'une regie établie, & ne femble elle- même quune exception. Si les regies font pnfes dans le drolt naturel , c'eft par un fentiment unanime quune Nation tntiere confpire a les exe'cutery & Vautorite qui les maintient j s'appuie fur le fentiment unanime de la Nation.  M E M O I RE A D R E S S É AUX NOTABLES, SUR LES ÉTATS-GÉNÉRAUX* JjE premier foin des Étars-Généraux fera decablirles formes qui doivencêcre obfervées dans la fuite pour la convocation & la compofition des États- Généraux. Commenc les Etats-Généraux pourronr-ils érablir les formes les plus utiles, s'ils font eux-mêmes mal compofés , & fi 1'inrérêc de fe perpéïuer telsqu'ils feront, alteretous les pria> A ij  UI cipes qui doivent former l'afTemblée des Repréfentans de la Nation ? Les Aflemblées précédentes des États-> Généraux ont été formées fans regie , & il femble que leur compoficion a changé avec la conftitution de PÉtat. Quand les premiers États-Généranx ont été convoqués j les Lettres de convocation étoient adreflees auxEvêques, & aux Barons ; il paroit qu'ils y étoient appelles par leur' rang. C'étoit un devoir pour eux d'y afllfter ; c'étoit une prérogative de leur état & de leur puiflance. lis avoient eu conftamment le droit d'alMer dans les anciennes Aiïemblées nationales fous la première & la feconde Race , dans les Confeils & dans les Pariemens. On ne fit point de changement dans leurs prérogatives, & dans leurs obligations ; mais on voulut contrebalancer leur pouvoir par un pouvoir trop long-tems inconnu, celui du Tiers-État.OnappellalesDéputés desVilles. La plupart des Villes long - tems foumifes au pouvoir des Barons , & même des Seigneurs 3 en avoient été fucceflivemenc affranchies par des Chartres & des Privilé-  r 5 t ges accordés par les Rois. Ce fut depuis St. Louis un fyftême fuivi par tous les Rois j de multiplier les franchifes des Villes , afin d'afibiblir la puifiance de3 Seigneurs; & les Députés des Villes furent admis aux États - Généraux , dans un tems oü les Seigneurs n'avoient pas encore perdu leur puiiïance. Ainfi les Évêques & les Seigneurs pouvoient, & devoient tous comparoitre , & n'étoient point nommés par éledtion. 11 paroit que ce droit d'afliftance n'a point été contefté jufqu'a Louis XI; mais un grand nombre de ceux qui compofoient alors ces deux premiers Ordres, regardoit cette affiftance aux États comme une charge , & cherchoit a s'ert difpenfer ; on voit des Ordonnances des Rois qui font injondtion aux Prélats & Seigneurs de fe rendre a la convocation toutt excufation cejfante. Les guerres de Religion , en élevant la Tiers-État , la Nobleflè , le Clergé inférieur , abbaiflerent les Prélats & les Seigneurs. 11 y eut des Affemblées régulieres du Clergé , dan.s lefquelles on admit le fecond Ordre. Le premier & le fecond Ordre A iij  ia du Clergé furent nommés par éiedion. La Chambre Eccléfiaftique , dans les ÉtatsGénéraux , fe forma par éleftion comme les Aflemblées du Clergé. L'Ordre de la Noblefle ue fut point compofé des Barons & Seigneurs plus puiffans. Des Gentilshommes furent élus & députés de la Noblelfe de leurs Provinces. Les Villes perdirent elles - mêmes leurs privileges dans le troifieme Ordre, comme les Prélats & les Haut-Seigneurs dans les deux autres Ordres. C'étoient les bonnes Villes autrefois qui compofoient le Tiers Étar. On admit dansle Tiers-État des Avocars, des Greffiers , des Procureurs du Roi, des Lieutenans de Baillage , des Juges de la Prévöté , des Tréforiers de France, des Bourgeois des VilUes, comme des Maires & Confuls de Communautés. Les éledions ne furent pas cependant fondées fur des principes fixes ck déterminés; on n'exigeoit point que les Députés fuffent propriétaires debiens fonds ; on ne les élifoit point au •titre de leurs offices ou de leurs places;  f7] on ne fe rendoit point compte des principes qu'on devoit fuivre ou qu'on avoit fuivis dans leur éle&ion. II faudroit en conclure que les députations ont été des adtes de confiance perfonnelle , fi 1'influence des Officiers de Juftice qui préfidoient aux éle&ions, & celle des Maires & Confulsqui préfidoient aux municipalités , ne 1'avoient pas emporté fur toutes les confidérations perfonnelles ; il y avoit même quelquefois des places qui donnoient le droit de députation aux États-Généraux, Si dans la plupart des Provinces les Ordres fe font aflemblés par Baillage, pour élire leurs Députés , 1'État des éligibles n'étoit pas déterminé; celui des Ele&eurs nel'étoit pas davantage ; on ignore quel en étoit le nombre , ainfi que la qualité dans chaque B aillage : étoient-ce des propriétaires.de biens-fonds ? étoient-ce des perfonnes plus ou moins riches de richefies mobiliaires ? falloit-il payer une certaine taille dans le Tiers-Etat ? on n'a confervé aucuns renfeignemens fur les conditions qui pouvoientdonner le droit de luffrage. A iv  f8] Ainfi Ton ne fait point a quel titre oa doirélire , aquel titre on doit être élii. Ces titres feront-ils établis par le Gouvernement ? feront-ils JaifTésa la difpofitioa des Provinces ? Si chaque Province veut fe faire des regies, ces regies feront faites par les Juges & Bailiis , ou par les Confeils de Villes , ou par les Affemblées Provinciales , ck les Pays d'États. Les Pays d'États pourroient retrouver d'anciens ufages, qui fembleroient devoir leur fervir de regies. Mars les Mèrnblées Provinciales font nouvelles, n'ont point d'ufages, <5c dans leur compofition adtuelle, elles ne peuvent pas nommer les Députés des Provinces pour les Etars-Généraux ; & dans les Pays d'Éracs même on n'a confervé que les formes des éledlions a faire , fans déterminer le nombre & Ia qualité de's Elefteurs & des éligibles, Ce ne font point les Confuls des Villes ni les Juges & Baillis, qui doivenc donner des regies pour la compofition des ÉtatsGénéraux; ils ne peuvent que fuivre les formes qiii furent pratiquées dans ks MU  [9] lages & dans les Municipalités, & il s'agit de favoir fi ces formes doivent devenir des regies. II y aura beaucoup de troubles & de diffenfions , foic pour établir les principes fbit pour élire fans principes. II y aura des réclamations de route part fur les Elections } & ces réclamations peuvent être très-facheufes, par le doute qu'eïles peuvent répandre fur la légitimité de la compofition & des délibérations des EtatsGénéraux. II faudroit donc que Ie Gouvernement put donner des regies pour fixer la qualité des éleóteurs & des éligibles. Ceftici la plus intéreflante des queftions a faire fur les Etats-Généraux , & celle dont dépend la décifion de toutes les autres. Peut-on donner le droit d'élire, ou d'être éligible 3 a des citoyens fans propriété fonciere, qui n'ont d'autre intérêt que celui des places qu'ils occupent , des profeffions qu'ils exercent, & des Corps auxquels ils appartiennent ? ou faut-il réferver aux feuls propriétaires de biens - fonds Pavantage  d'être les repréfentans, & de nommer les repréfentans de la Nation? II faudroit favoir pourquoi les Etats-Généraux d'une Nation font affemblés. Eft-ce pour traiter toutes les affaires de la Nation ? eft-ce pour traiter feulement d'une partie de fes intéréts ? Quels feront les intéréts dans lefquels fe renferrneront les Etats-Généraux ? Nous pouvons du moins juger des objets dont les Etats - Généraux doivent s'occuperdans leur première affemblée, par les difpofitions adluelles desefprits , & par les réfultats des circonftances. Il paroit que Ia Nation defire une réforme dans les Loix. Leur complication force les Cours a fe faire leur propre Jurifprudence. Leur Jurifprudence ne devroit étre différente que par des Coutumes locales. Elle differe encore dans 1'application des Loix communes. Les Loix crimineiles ont fur-tout excité J'attention publique j & chacun fent la néceffité de corriger les formes difpendieufes des procédures civiles. On peut donc croire que les Etats-Généraux s'occuperont de Ia réforme de la Juflice, comme de I'améiioration des Finances. Toutes les claffes de Citoyens font inté-  [»] reffées dans 1'ordre de Ja Légiflation. Les Loix concernent la liberté , la süreté perfonnelle , les droits de tous les O rdres & de tous les Corps , comme ceux des Ciroyens , & les propriétés de tous- les genres , comme celles des biens-fonds. Comment peut-on exclure une partie nombreufe de ceux que Ia Légiflation intérefle, du droit de participer a la Légiflation? Comment peut-on s'accoutumer a voir les Députés des Villes, & des grandes Villes, exclus des Etats-Généraux, quand les yeux du voyageur, en parcourant la France , n'appercoivcnt, pour ainfi-dire, & ne confiderent que les Villes, quand les Villes font habitées par toutes les clafles les plus nobles & les plus puiflantes , quand elles raflemblent toutes les connoiiTances > tous les mouvemens & tous lesTvénemens qui femblent compofer l'hifloire de la Nation? Quand même les Etats - Généraux ne traiteroient que des lmpóts; les Impóts , établis-fur toutes les fortes d'objets, font devenus les intéréts direds de tous les Citoyens \ il y a des Impóts fur toutes les produdions des Arts & des Manufadures ,  t •» ] fur toutes les confommations , comme fur les revenus des terres. Les Impóts font les objets les plus importans des adminiftrations municipales. II y a des objets de 1'Adminiftration Nationale qui concernent les Villes, comme les Campagnes, tels que les canaux, les grands chemins , Sc toutes les entreprifes dJutilité publique. Les Villes ont toujours été regardées comme le centre des rxcheflèS & des forces des Etats; & c'eft leur efprit, leurintérét, Sc leur aftion qui gouvernent les Nations. Comment pouvons - nous croire que la caufe des Propriétaires des biens - fonds qui font difperfés , ifolés , fans rapport entr'eux, qui font eux-mêmes habitans des Villes, qui font accoutumés a. partager les intéréts prétendus, Sc tous les préjugés des Villes qu'ils habitenc, pourra I'emporter fur cette réunion impofante deforce, de richeiTe Sc de puiflance , qui forme les Villes. II s'agit de favoir , fi Pon veut remonter aux principes: Qu'eft-ce que les Villes ?  [IJ] Ce font les entrepots des confommatïons de tous genres qui proviennent des produits de la terre ; ce font les afiles des Citoyens, qui ne peuvent fe vêtir , fe loger ., fe nourrir, que des produdions de Ia terre. Obfervez , féparez, décornpofez les élémens des Villes ; c'eft la terre qui les a créées, qui les alimente., & qui les conferve; les Villes fubfiftent des Campagnes; Les Villes feront plus riches & plus abondantes dans la proportion du commerce qui leur convient, quand les terres feront mieux cultivées & plus fécondes. C'eft du fort des Campagnes qu'il faut s'occuper , pour entretenir la profpérité dans les Villes. Ce font les propriétaires des biens-fonds dont les intéréts deviennent les intéréts univerfels de la Nation, La bonne Adminiftration eft celle qui veille a Ia confervation de la feule propriété qui fe reproduit & fe perpétue, & fans laquelle il n'y a point de propriété. On diroit que la Légiflation entiere n'a rapport qu'aux propriétés des biens-fonds , puifque les produdions de la terre font la matiere de tous les travaux , 1'objet de tous les  F 14] echanges , I'aliment du commerce de tous Jes genres , & Ia fource de toutes les richeffes. Les Loix relatives a la liberté, a Ia sóreté perfonnelle , femblent plus étendues que celles despropriétés, puifqu'elles intéreffent ceux qui ne poITedent rien , comme ceux qui poITedent; mais tous les principes en font d'une telle importance pour les propriéraires, & les propriétaires font tellement répandus dans toutes les claflès de Ia fociéré, qu'il neft pas poffible qu'une alTemblee de propriétaires foit tentée d'altérer les principes de la liberté <5c de la süreté perfonnelle. II faut même avouer que ces principes empruntent leur plus grande force de ceux de la propriété, & c'eft pourquoi la fociété ne peur pas avoir les mêmes égards pour un vagabond fans polTeftion & fans aveu , que pour un Ciroyen propriéraire & domicilie. Examinez, confidérez les intéréts nationaux fous tous leurs rappons ; vous verrez qu'ils font tous communs aux propriétaires des biens-fonds, & vous verrez qu'il y en a beaucoup qui font étrangers aux claffes  r« 51 nori-proprlétaires j ily a non-feulement des intéréts de la Nation étrangers a ces clafles non-propriétaires , elles ont même des intéréts contraires a celui de la Nation. C'eft a ces claiTes qu'il appartient de fe combattre les unes les autres, de demander des priviléges exclufifs, de vouloir fubordonner aux commodités de la main - d'ceuvre le, prix des matieres premières, d'écarter le commerce étranger qui faciliteroit les jouifTances , diminueroit les dépenfes , & par-la méme accroïtroit les facultés des Ciroyens , & de préjudicier a la fécondité de la terre par des régiemens qui retiennent fes produdions au prix auquel elle dok diminuer fes reprodudiions. Doit-on admettre, dansles États-Généraux , des clafles auxquelles beaucoup d'intérêts nationaux font étrangers, des clafles dont les intéréts font fouvent contraires a ceux de la Nation > II faut rappeller les chofes a leurs prin-; cipes. La Nation entiere eft fupérieure a tous les corps , états & profeffions des Citoyens. Ce font les Citoyens, ce ne font pas les  corps qui, font membres de Ia Nation: C'eft au nom de la Nation que les Corps exercent leurs pouvoirs ; ils ne peu* vent pas fe confondre avec ia Nation même dont les pouvoirs leur font confiés. Les corps peuvent avoir des intéréts contraires a ceux de la Nation. La Nation en eft Juge , & ceux qui doivent être jugés nepeuvent pas faire partie du Tribunal qui les juge. Si la Nation étoit fi peu nombreufe , que tous les Citoyens pulTent fe réunir enfemble , & délibérer, fur leurs affaires, la Nation s'aiTembleroit tout entiere , & ne difteroit pas fes délibérations par des repréfentans. Chaque Citoyen , jouilTant de fes droits par lui-même, n'affifteroit pas comme Juge ou comme Adminiftrateur ; il aflifteroit comme Citoyen. Qu'eft-ce qu'un Citoyen? C'eft un homme domicilie dans un Pays. II ne peut pas y avoir de Cité dans les lieuxoü il n'ya pas de domicile. Le domicile, ainfi que 1'étymolo. giel'annonce, eft la maifon & Ia terre. Qui- conque  [ï7l eonque elt fans terre & fans maifon , n'a pas un véritable domicile ; il n'a pas une propriété fixe attachée au lieu qu'il habite; il peut difparoïtre, emporter fes richelfes mobiliaires ; il ne perd rien ; fa fortune fe tranfporte & difparoit avec lui. Les Princes peuvent donner des Lettres de naturalifation ; les Loix peuvent autorifer des ades d'un domicile conventionnel ; une convention n'eft pas une réalité ; les Princes & les Loix peuvent faire une fuppolition , une fidion; ils ne peuvent pas changer la nature des chofes. Aucun iien nécelTaire n'attache un homme a fon Pays „ quand il ne poflede ni terre ni maifon. Sa Patrie efl pour lui comme un terre étrangere , dont il peut s'éloigner a fa volonré; il ne fouffre point de 1'excès des charges qui pefent fur les fonds; fouvent même il en profite par le haut prix des emprunts d'un État en défordre. Les chofes ne font point égales entre les Propriétaires des biensfonds 6c lui; il ne partage point tous leurs intéréts, & cependant il n'a pas un intérêt jufte & légitime qui ne lui foit comrnun  fi«] avec euxj il vit des produdions de leurs terres , il réclame , comme eux , la liberté, la füreté perfonnelle, Sc les droits des places qu'il occupe. Les intéréts forment les droits ; on n'a pas le droit de traiter pour les Propriétaires des biens-fonds quand on eft fans intérêt pour eux , ou quand on a des intéréts contraires.. Ainfi les Propriétaires des biens-fonds font les repréfentans néceflaires de tous les Citoyens qui n'en ont point, & il effc jufte qu'ils ne foient eux-mêmes repréfentés que par des Propriétaires de biensfonds ; c'eft: 1'intérêt général de la Nation qui doit former 1'efprit de ceux qui la repréfententj il faut les choilir parmi ceux qui partagent 1'intérêt général de la Nation. Les Villes font partie des clalfes nonpropriétaires; leurs revenus proviennent des impofuions qu'elles établilTent fur les denrées , tantót de leur territoire , tantöt de celui des Communautés voifines. Les Villes font d'abord les ennemies des Campagnes, enfuite des autres Villes; elles 1'atnibuent des droits Sc des privileges ;  [*9l leurs Adminiftrateurs, dans la plupart des Provinces, font d'un feul Ordre ; les Offices de Maires font financés; les éledions font dominéés dans les petites Villes, par la préfence d'un Juge 5c d'un Procureur du Koi. Les formes des éledions, dans les Villes principalen , n'ont rien de populaire ; elles dépendent d'un pouvoit fupérieur d'un Ordre ou d'un autre. La nomination d'un Prévöt des Marchands ou d'un Maire eft réfervée au Roi; les Confuis , dans un grand nombre de Communautés , ne poITedent point de biens - fonds , n'en connoilfent point les charges & les befoins j & font portés par toutes leurs idéés a. contrarier le véritable intérêt des propriétés foncieres. 11 femble que ce combat éternel des Villes avec les propriétés foncieres d.evroit être enfin terminé par les États - Généraux ; & comment peut-on 1'efpérer , li les Villes elles mêmes compofent les États«; Généraux, & dident les délibérations. Les Propriétaires des biens-fonds forment la Nation. Ce font eux qui doivent juger de tout ce qui s'oppofe a leurs intéréts. Le Bij  [io] Procés n'eft pas douteux entr'eux & Iet Villes; il s'agic feulement d'examiner les objets fur lefquels 1'intérêt des Villes eft en oppofition avec celui des Propriétaires , afin de faire perdre aux Villes tout ce qui peut produire cette oppofition. On doit entendre les réclamations des Villes ; on ne doit pas demander leurs fuffrages. II eft bien difficile pourtant d'interdire abfolument aux Villes 1'entrée des ÉtatsGénéraux. Les Nations, comme lesparticuliers, font gouvernées par ce qu'elles voient; on ne pourra pas difpofer les efprits a peufer que les Députés de Paris, de Lyonf de Nantesj de Bordeaux & de Marfeille, ne doivent pas entrer dans les États de Ia Nation. On peut accorder rentree aux Députés d'une Ville , dans chaque Province ou Gouvernement, en attendant qu'elles en foient exclues par les progrès d'une adminiftration mieux entendue. Les Villes n'auront pas la force d'oppofer leurs prétentions a 1'intérêt général du Commerce & des propriétés , quand leurs;  repréfentans feront en petit nombre, quand le grand nombre ne partagera point leurs préjugés, quand leurs principaux Habitans, quii'ontauflï propriétaires de biens-fonds,fauront bien diftinguer les intéréts fadices des Villes de leurs intéréts réels, qui fe confondent avec 1'amélioration des propriétés territoriales. On comprendra dans Ia fuite, par un effet infaillible du progrès des lumieres, qu'il n'y a point de raifon pour admettre les Députés des Villes dans les États-Généraux , comme ©n ne fait point fiéger au rang des Juges ceux qui doivent être jugés ; & c'eft alors que feront anéanties toutes les oppolïtions, qu'une Affemblée de Propriétaires peut avoir a craindre des préjugés qui gouvernent les adminiftrations municipales. II y a des Pays d'États oü lés États euxmêmes nomment les Députés de leur Province aux États-Généraux. Si dans ces Etats même le Tiers-Etat n'étoit compofé que desMaires & Confuls des Villes, & fi les Offices des Maires étoient financés , ou fi les Confuls.n'étoient pas élus librement par les fuffrages, Biij  r 1^1 ou par les reprëfenrans des Propriétaires de biens-fonds , le Tiers - Etat n'olTriroit pas la véritable repréfentation du troifieme Ordre de la Province: Padminiftration des Provinces participe aux vices des adminif-; trations municipales , quand les adminiftrations municipales compofent un Ordre entier dans Padminiftration des Provinces. II y a deux fortes de propriétés territoriales en France, les Seigneuries & les Domaines; il femble que les Seigneuries nedevroient être regardéesque comme des charges établies fur les Domaines, & les Domaines comme les véritables propriétés foncieres, dont les Seigneuries ne feroient que les charges. II faut reconnoitre cependant que ces charges portent 1'empreinte de la Nobleffè, & qu'elles forment Pétat des plus grands & des plus puilTans Propriétaires. II en réfulte une diftin&ion de Propriétaires , qui peut former deux Ordres dans la Nation. Chacun de ces deux Ordres peut fe partager en deux , par 1 etat des perfonnes qui poITedent les Seigneuries & les Domaines.  On a confidéré comme un corps particulier dans la Monarchie , les Miniftres de la Religion, auxquels des pofleffions territoriales ont été données, & leurs poffeftjons appartiennent a leurs places. On a formé un feul Ordre des polTeifeurs de biens - fonds qui font Miniftres de la Reli gion; foit qu'ils poITedent des Seigneuries ou des Domaines. 11 en réfulte trois Ordres , celui des Eccléliaftiques, celui des Seigneurs, & celui des Propriétaires de Domaines. Dans 1'Ordre Eccléfiaftique , il s'eft, formé une divifion de places, qui a fait oublier la divifion des propriétés. La Jurifdi&ion Epifcopale a diftingué les Evêques de tous les autres Eccléfiaftiques. Les Evêques ont formé le premier Ordre du Clergé. Les Eccléfiaftiques ont formé le fecond Ordre du Clergé. II n'y a point de raifon pour détruire cette diftindion dans les Etats-Généraux , paree que les Evêques poITedent prefque tous des Seigneuries 3 & paree qu'ils polfe* Biv  [ M ] denr aufli les Abbayes & les terres les plus conlidérables. L'Ordre des Miniftres de la Religion a toujours eu le premier rang dans la Monarchie depuis douze cents ans, & il forrrte le premier Ordre dansles États-Généraux. Le fecond Ordre, qu'on appelle celui de la Noblefie , devroit être 1'Ordre des Seigneurs de Terres. Le troifieme Ordre devroit être celui desP roprietaires de Domaines } il faudroit y comprendre également tous les Propriétaires. de Maiions qui ne poITedent point de Seigneuries. II feroit jufte feulement qu'on ne put avoir fa voix pour élire , & qu'on ne put être éligible, qu'alors qu'on pofféderoit une certaine valeur déterminée en Domaine & en Maifons. Les Etats - Généraux feroient par - la même compofés des Propriétaires de biensfonds de toutes les clafles. Les Poflefieurs les plus confidérables, Sc les Hommes les plusconnus par leurs talens ou leurs vertus parmi les Propriétaires de biens - fonds , feroient égalementappellés par les fuffrages  ' É 5 3 de leurs concitoyens , & traiteroient det intéréts communs des propriétés, qui fonc les vrais intéréts de la Nation. On a dit que les Pairs ne font point éligibles y paree qu'ils forment le Confeil du Pioi ; les Pairs même Paccompagnent \ 1'ouverture des Etats - Généraux, comme membres eflentiels de fon Confeil. Plus on examine la formation des anciennes Alfemblées des Etats-Généraux, & plus il eft démontré qu'aucun principe n'a dirigé les éledions des Repréfentans de Ia Nation. Quand les Prélats & les Hauts - Seigneurs avoient droit d'affiftance dans les Etats-Généraux , ce droit n'étoit que Ia fuite de celui qu'ils avoient d'alïifter auxcon» feils du Roi. Les Pairs font Confeillers nés de la Couronne; & les Evêques confervent encore le titre de Confeillers du Roi en tou* fes Confeils ; il s'en falloit bien que ce titre , commun aux Prélats & aux Barons, fut une exclnfion des Etats-Généraux , quand c'eft a ce titre même que les Prélats & les Barons étoient convoqués. On ne retrouye dans la fuice aucun momi-  un ment, aucun adle qui leur ait fait perdre leurs droits. Les Evêques en jouilfent par éle&ion ; les Pairs ne peuvent pas en être privés; on peut dire qu'ils n'étoient point élus. On n'a pas le droit de dire qu'ils n'étoient pas éligibles. On n'avoit point conlïdéré le principe de Ia propriété. C'étoient, dans le Tiers-Etat, les Communautés des Villes & celles même des Arts & Métiers, qui concouroient aux élections. Les fix Corps de Paris furent appellés a PAflemblée générale de la Ville , préalable aux Etats de 1614. Des Magiftrats de Cours Souveraines, au nom de leur Compagnie, ont été membres des Alfemblées générales des Villes, pour drelfer les plaintes , doléances & remontrances des Peuples, qui devoient être portées aux Etats-Généraux. Les Magiftrats qui ne croyoient pas avoir d'autre exiftence que celle de leurs offices nè comparoilfoient qu'au nom de la Magiftrature dans les Alfemblées des Villes, & ils avoient compris qu'ils ne pouvoient 3 cn qualité de Magiftrats > être Membres  1*7.) d'aucun des trois Ordres dans les EtatsGénéraux. C'eft la Nation aujourd'hui qu'on veut aflembler , & ce ne font pas les Corps , ce font les Propriétaires qui forment la Nation. Un Citoyen ne peut pas perdre par des emplois illuftres, par des fondions honorables, & par des profelfions utiles j les droits que fes poiTelïïons lui donnent. Un Pair eft un plus grand & plus noble Propriétaire, puifque fa terre même eft érigée en Pairie. Un Magiftrat , un Conful, un Bailli devient éligible quand il a des Domaines ou des Seigneuries; un Commercant, un Cultivateur, un Artifan j s'il poffede un fonds delavaleur requifej peut être député aux Etats-Généraux. Ainfi nulle claiTe de citoyens n'eft privée desavantages de fa propriété. II en réfultera plus d'émulation pour acquérir des fonds ; les biens-fonds acquerront plus de valeur , & c'eft un grand bien dans un État, que 1'accroilfement de la valeur des biens-fonds. Cependant on n'aura point a craindre les préjugés des différentes profeflions. On n'aura point a craindre que  des hommes fans pofieflions mécónrioilTent les droits & les avantages des propriétés territoriales, & combattent 1'intérêt de la Nation. Tel eft Pheureux accord de tous les droits naturels , que 1'intérêt général du Commerce, toujours contraire a la jaloufie nuifible de chaque clafle de Commercans , concourt avec 1'intérêt des propriétés; & cette jaloufie nuifible de chaque clalfe de Commercans fera bannie des États-Généraux, quand ils ne feront compofés que de Propriétaires. On fent a quel point il eft a defirer que les intéréts des trois Ordres foient communs, & ne foient jamais, oppofés ; & nous pouvons obferver combien on fait tomber de divifions & d'oppofitions dans leTein des États-Généraux , en donnant 1'exclufion a tous ceux qui ne font pas polfeiTeurs de biens-fonds. II s'agit de favoir a préfent quelles font les oppofitions qui doivent s'élever dans rAflemblée méme des Propriétaires , & quels feroient les moyens de les prévenir & de les éteindre. . Le Clergé a des privileges ; il accorde  1*9] des dons gratuits. II eft impofé féparémenr. II eft fufpect aux deux autres Ordres ; on ignore ce qu'il poflede & ce qu'il donne. II fuffit qu'on Tignore, pour croire qu'il ne contribue pas au fervice de 1'État dans la proportion de fes biens, comparés a ceux des deux autres Ordres. Si les Etats-Généraux doivent s'afTembler tous les cinq ans, le Clergé n'a point d'intérêt a féparer fes Alfemblées de celles de la Nation. Ses privilégés font confervés quand il s'impofe librement; il n'en jouit pas moins de fa liberté, quand on rend aux deux autres Ordres 1'avantage de la partager avec lui : le Clergé doit mettre le plus fenfible intérêt a démontrer la proportion de fes contiibutions avec celles des autres Citoyens. Le Clergé reprendra fon refpedtable rang parmi les Propriétaires de tous les Ordres , quand il leur aura fait connoitre la jufte étendue de fes charges, & quand ils partageront fes privilégés. La Noblefte eft affranchie de la taille. Ce privilége eft attaché aux perfonnes dans Ja plupart des Provinces; il eft attaché aux biens-fonds dans quelques autres.  Ito] Cetre' trifte diftinction eft une fource de jaloufie & de divifion entre la Nobleflê Sc le Tiers-Etar. II n'y a point de raifon pour que les Citoyens foient taxés dans leurs perfonnes. Les impóts font par leur nature une portion de revenus enlevée aux Citoyens. C'eft fur les fortunes que les impóts font percus , & ils doivent être en proportion avec les revenus. On ne propofe pas de faire tout-a-coup un partage égal des impofitions entre les claiTes différentes , & de faire fupporter une augmentation fubite d'impóts i celles qui n'étoient pas foumifes a la taille ; mais il faut obferver que dans les pays de Taille perfonnelle 1'opération eft prefque achevée. On a foumis les Fermiers des Gens d'Eglife Sc des Nobles a ia taille ; leur taxe eft appellée la taille d'induftrie. On la leur fait payer en proportion des terres qu'ils exploï-; tent. On n'a réfervé le privilége des Nobles que pour quatre charmes ; c'eft une trèsfoible exemption que celle qui réfuite de 1'exercice du privilége. Le privilége même n'eft prefque exercé que par ceux qui ne  In) pofledent que quatre charrues, ou qui né; jouiflent du moins que d'une fortune bornée, & la diftinction de la taille perfonnelle femble abolie dans tout le Royaume ; on a refpedté le privilége, on en a détruic 1'effet. L'intérêt des trois Ordres eft devenu le même, on ne peut pas augmenter les tailles fans accroitre les charges des Propriétaires exempts , comme celles des Propriétaires taillables. II y a plus de difficultés dans les pays de taille réelle , paree que la progreffion des tailles forme un impöt conlidérable , qui n'eft point du tout fupporté par les biens nobles ; il faudroit reverfer tout-a-coup un excédent fenfïble de contribution fur les biens exempts , & ces furcharges fubites & violentes ont les fuites les.plus facheufes dans les families. On feroit éprouver une véritable injuftice aux polfeffeurs des terres nobles,qui les ont acquifes avec leurs exemptions a titre onéreux , & qui perdroient une partie du prix de leurs acquifitions. On donneroit aux polfelfeurs des biens taillables une faveur a laquelle ils n'ont point  de droit, puifqu'ils ont acquis a moindre prix une terre qui paie plus d'impot. La diftinction des biens exempts , ou non, exempts 3 n'a rien d'injurieux pour les Roturiers, paree qu'ils jouiffent des exemptions des biens nobles qu'ils poITedent, comme les Nobles payent les charges de leurs biens taillables. II paroït qu'on peut fe borner a diminuer la charge des biens taillables , quand les befoins de 1'Etac pourront le permettre , & a ne point établir de nouvelles impofitions qui ne foient également fupportées par les biens nobles & par les biens taillables. Ainii , la diftindtion difparoitroit par degrés , & 1'on feroit avec le tems les changemens utiles fans révolution. • Dans la fuite, l'intérêt des terres mieux connu, celui même des Seigneurs entraineroit la ceffation fucceffive des droits des Seigneuries les plus nuifibles a la culcurej & c'eft alors que la Nation tout entiere , réunie comme un feul corps par tous fes intéréts , exerceroit toute fa force, & pourroit parvenir au dernier degré de fa profpérité ; c'eft alors auffi que la Noblefle la plus riche &  êt Ia plus puiflante par lbn rang , par fes places, par- fes pofiélTions , & par cette tradition de gloire & d'honneur qui forme l'opinion publique , mériteroic coute la confianee d'une Nation dont elle partageroit tous les intéréts ; la NoblelTe auroit plus de pouvoir pour faire le bien, & la Nation aimeroit a. choifir fes repréfentans dans la claiTe la plus puilfante, qui deviendroit la plus utile. 11 n'y auroit point auffi dans eet ordre nombreuxdes propriétaires, de citoyens diftingués par leurs talens & leurs ver-tus , qui ne fulfent appelles par leurs concitoyens a concourir avec la Noblelfe pour le fervice de la Patrie. Les Députés feroient moins nombreux , quand on ne craindroif plus 1'oppofition des Ordres entr'eux, & les grands intéréts delaNation feroient confiés a ceux qui pourroient mieux les faire valoir dansl'intervalle des Etats-Généraux. Dans toutes les nations , & dans les Républiques, comme dans les Monarchies, ce font les principaux citoyens qui font portés, par le voeu public, a la tête de 1'Adminiftration. II faut qu'il y air de grands vices dans Ia confticution d'un Ecatj G  ' [34] pour déranger eet ordre naturel des fociétés, fondé fur les pofleftions & fur les opinions , & ce font ces miférables diftindions pécuniaires que la NoblelTe en France a trop ambitionnées , qui lui ravilTent la confiance de la Nation , & qui la privent de cette puilTance réelle qui doit faire fa véritable diftindion ; c'eft paree que la Taille eft établie fur le Peuple , qu'il faut que le Peuple prennè fes Repréfentans dans une clalTe inférieure ;auffi long-tems que la NoblelTe doit préférer le foible privilége des quatre char* rues franches de Taille , a la confiance de la Nation , il faudra que ces deux Ordres foient diftingués paria qualité des perfonnes ajoutée a celle des biens. Les propriétaires du Tiers Etat, mieux inftruits, ne voudront point confier leurs pouvoirs aux Nobles PofielTeurs de Domaines , qui réclatneront des Privileges, Sc il en réfultera dans les prochains EtatsGénéraux une divifion qui n'exiftoit pas dans les Etats-Généraux des deux derniers fiecles. Cette divifion peut devenir nuifible par  Ia difpofidon des efprits , toiijours cöri-. forme a la compofition des Ordres. La NobleiTe & le Tiers-Etat partagés par des fentimens bien plus que par des intéréts contraires , refientiront dans le cours des affaires les plus importantes } I'influence de leur mutueile oppofition, &c le defir jaloux d'une vaine exemption fera perdr3 a la NobleiTe fon crédit 5c fa prépondérance dans 1'AfTemblée de la Narion. C'eft aux Notables a confidérer quejs doivent être les differens effets de la dit* férente compofition des Ordres. Si les Lettres de convocation n'excluent pas tous ceux qui ne font pas Proprié-^ taires de biens-fonds, en fixant la valeur des terres qui doivent donnet le droit d'élection, & celui d eligibilité, les Etats-Généraux feront compoiés d'un ordre de perfon* nes qui devroient en être exclues. Ce feront leurs voix qui dicteronc les houveaux régiemens pour la fuite, & les Etats-Généraux feront a jamais mal conftitués. Le Gouvernement doit -faifir le feul moment oü il pui (Te fe fervir de l'opinion publique pour donner la ioi. L'opinion publique C ij  eft toujours favorable aux idees juftes adoptées par le Gouvernement. Les Lettres de convocation expoferoient les principes & tel pourroit être 1'effet de 1'impreffion générale, que les difpofitionsdes Etats-Généraux en feroient les conféquences ; on verroit les réclamations des intéréts particuliers & des préjugés , étouffées par le cri de la raifon univerfelle , & les Etats - Généraux affranchis, des erreurs les plus dangereu-: fes en adminiftration pourroient avoir une conftitution durable. C'eft alors qu'ils fuivroient fans obftacle les mêmes principes qui auroient préfidé a leur formation ; ils examineroient cette infïnité de loix diétées par les intérêtsparticuliers , par ceux du fifc , par ceux des Ordres , des Corps , & de toutes les Clafles privilégiées qui combattent l'intérêt des Propriétaires ; 1'efprit qui les auroit raffembiés dirigeroit leurs recherches & leurs délibérations. Les Etats-Généraux feroient les Protedteurs des propriétés , Sc cette leule vue conftamment fuivie fuffiroit pour opérer les plus grands changemens dans 1'ordre de la législation.  L'Adminiitration changeroir d'efprit & d'objet dans toutes les parties du Royaume; on ne s'occuperoit plus laborieufement de tout ce qui doit être laifle a la liberté & a 1'adtivké des citoyens ; on ne troubleroit plus, par une infinité de régiemens, de prohibkions & de droits , toutes les branches du commerce ; on ne fouffriroit plus que les villes , ennemies des campagnes , ennemies les unes des autres, fe filfent une forte de guerre mutuelle pat l'interdi&ion du commerce qui devroit les rapprocher & les réunir; l'intérêt des propriétés, appliqué fucceflivement a tous les objets de 1'Adminiftration , feroit fentir quels font les établilfemens nuifibles & quelles font les entreprifes utiles dans tous les genres. Toute autre compofition des Etats Généraux fe relfentira des vices & des préjugés des Corps & des Clafles favorifées qui fuivent d'autres intéréts que ceux de la Nation, & les Etats-Généraux fans cefle arrêtés par leurs propres difpofitions, intérefles a maintenir les maux qu'ils devroient réparer , ne feront pas le bien C iij  [3«] qu'ils pourróient faire. La compofition des Etats-Généraux eft peut-être un plus grand objet que chacun des objets dontils doivent s'occuper , paree que telle eft 1'influence de leur compofition, qu'elle doit leur donner 1'efprit qui di&era leurs délibérations. Chacun des autres objets femble palTager: la conftitution des Etats-Généraux eft durable , & peut leur donner un efprit éternellement utile ou préjudiciable au bien du Royaume. Si tels étoient les principes des Lettres de convocation, que les propriétaires des biens-fonds duiïent compofer les différens Ordres des Etats-Généraux, fi les fentirnens des trois Ordres étoient réunis par les intéréts des propriétés foncieres ., qui font toujours les mêmes dans leur rapport avec les contributions, 0n n'auroitpas befoin d'avoir des Etats-Généraux aulli nombreux; on n'auroit pas befoin de féparer les Ordres dans les délibérations a préndre fur leurs intéréts communs ; le Clergé tiendroit fes aflemblées féparées pour les objets purement religieux ; les trois Ordres auroient pen d'pccafipns. de fe cpnfulcer en particulier  fur des objets civils , & c'eft alors que les Etats-Généraux pourroient délibérer fans divifion & fans confufion. Les principes a fuivre dans la compofition des Ordres doivent avoir une influence néceftaire fur les formes de la convocation des Etats-Généraux & de 1'éledtic-n des Députés, & fur celles de leurs alfemblées & de leurs délibérations. On fait que les Lettres de convocation étoient adrelfées aux Gouverneurs des Provinces. Les Gouverneurs des Provinces les envoyoient a tous les Baillis royaux de chaque Gouvernement. Les Baillis affembloient le Tribunal du Baillage , pour lire , publier & faire enregiftrer les Lettres de convocation. Ils affignoient en conféquence le jour de 1'éleftion. lis _adrefioient les Lettres de convocation , avec norification du jour d'aflignatioa , a tous les Eccléfiaftiques , ainfi qu a tous les Nobles & a tous les Maires & Confuls des Communautés du relfort de leurs Baillages. Les Eccléfiaftiques s'alTembloient chez C iv  Ü4o] I'Evêque, s'il y en avoit un, ou dans le hen indiqué par les lettres du Bailli. . La NobleiTe s aiTembloit dans Ie' Iieu indiqué par les lettres du Bailli, avec les Députés des Communautés qui formoient le Tiers-Etat. Les Députés des Communautés étoient nommés par I'alTemblée de leurs ParoifTes ou Communautés. Dans I'alTemblée des ParoifTes ou Communautés, on appelloit les Seigneurs, les Nobles & les Eccléfiaftiques. Quand les Eccléfiaftiques s'afTembloient au Iieu indiqué par les. iettres des Baillk avec les Nobles & Jes Députés des Communautés , le Clergé fiégeoit a la droite, la NobleiTe a Ia gauche, & le Tiers-Etat au bas de Ia Salie. Telles font les formes qu'on a fuivies pour les eJed.ons des Députés auxEtats dei6r4. II faut diftinguer ces fórmes par rapport aux deux premiers Ordres & par rapport au Tiers-Etat. Les Baillis n'afTembloient point les deux premiers Ordres avant les Etats de Tours en 1485; les Prélats & les hauts Seigneurs  [40 étoient invités , par des lettres qui leur étoient adreflees diredement, a fe rendre aux Etats-Généraux ; les Baillis aflembloient les Députés des villes de leursBaillages pour faire leurs éledions. On a renvoyé les Eccléfiaftiques & les Nobles pardevant les Baillis , quand les Eccléfiaftiques & les Nobles ont été nommés par éledion ; cependant les Eccléfiaftiques Te font toujours aflemblés pardevant les Evêques , dans les Baillages qui comprennent des Evêchés; & quand les Baillis d'une ville épifcopale ont eu la prétention d'aflembler les Eccléfiaftiques pardevant eux , on a fait droit fur la réclamation des Evêques. Les Baillis autrefois étoient des Seigneurs diftingués par leur naiflance, par leurs fervices militaires & par leurs pofleftions. Les Baillis n'ont plus confervé que Ie nom de ceux auxquels ils femblent avoir fuccédé ; leurs places n'ont rien de commun avec celles des anciens Baillis. Les Baillages fe font multipliés ; des Provinces nouvelles ont été réunies , qui n'avoient point connu les ufages qu'on avoit fuivis -dans le Royaume avant leur réunion.  C4* ] Les afTembléesd'éledion peuvent fe tenir auffi bien dans les Maifons-de-ville, ou dans des lieuxconvenables, que dansles Salles d'audience , & la préfence d'un Juge ne peut iervir qu'a gêner la liberté des fuffrages. On en a bien fenti 1'influence dans les Etats de 1614. Le plus grand nombre du Tiers-Etat étoit compofé des Officiers des Baillages. On veut favorifer la liberté -des éledions ; il ne faut pas conferver de formes qui doivent la reftreindre. Un Juge ne doit pas aftifter aux éledions en qualicé de Juge. Si 1'on fuit la regie des propriétés, il faut qu'il foit propriétaire pour prendre féance dans I'alTemblée & pour donner fa voix. Les Officiers de Juftice des Baillages ne doivent pas avoir plus de privileges que les Magiftrats des Cours Souveraines , ■qui ne doivent être Eledeurs ni éligibles qu'au titre de leurs propriétés : c'eft toujours le même principe qui doit déterminer la qualité de ceux qu'on doit admettre & de ceux qu'on doit exclure. On peut fuivre dans le Clergé les mêmes formes par lefquelles on nomme les Députés aux affemblées du Clergé général,  [43] en invitatie tous les Eccléfiaftiques de chaque Diocefe a concourir aux éledions. Le Clergé d'un Diocefe peut s'affembler a 1'Evêché , comme dans un. Synode. L'affemblée du Clergé de chaque Diocefe nommera fes Députés a la Métropole. L'affemblée des Députés par-devant le Métropolitain nommera les Députés aux EtatsGénéraux. L'affemblée de la Métropole fera compofée des Evêques fuffragans , des Députés des Chapitres de Cathédrales & de Collégiales, des Députés des Prieurs & Curés , & des Députés des Communautés Réguljeres qui ppffedent des biensfonds. Les propriétaires dans 1'ordre de la NobleiTe peuvent s'affembler pargouvernemens, dans la ville la plus confidérable, & nommer leurs Députés aux EtatsGénéraux ; ou , ft leur affemblée étoit trop nombreufe dans quelques Provinces , iis pourroient former des affemblées de Diftri&s qui nommeroient des Députés a I'alTemblée du Gouvernement , pour élire leurs Repréfentans dans TOrdre de la NobleiTe. Les propriétaires dans 1'ordre du Tiers-  Etat s'affembleroient par Paroifle ou par Diftridpour nornmer leurs Députés a l'affemblée du Gouvernement, qui feroit les éledions dans 1'Ordre du Tiers-Etat. II n'eft pas douteux que ces formes font plus propres & plus convenables k chaque Ordre , que celles des alfemblées pardevant les Baillis ; ce font les formes lïmples & naturelles que fuivroient les alfemblées de chaque Ordre , s'il n'y avoit point d'ufages établis ou de regies prefcrites ; & ces formes ne font que Pexercice de Ia plus entiere liberté. On n'appelleroit point les Eccléfiaftiques & les Nobles pour aflïfter j dans les Paroiffes & Communautés, aux alfemblées des propriétaires du Tiers-Etat. II faudroit avoir un certain revenu , un bien d'une certaine valeur, pour être Electeur, ou pour être éligible. Cette derniere obfervation faitnaitre une queftion. Savoir , fi la valeur du revenu doit être Ia même dans les différentes Provinces , pour donner le droit d'éledion & celui d'éligibilité.  [45] II y a des Provinces dans lefquelles le nombre eft plus ou moins grand des Propriétaires d'un certain revenu. Une regie uniforme admettroit , excluroit un plus grand nombie de Propriétaires dans une Province que dans une autre; il feroit même a craindre que, dans des Pays oü les forrunes font infiniment di vifées, le plus grand nombre des Propriétaires fut exclus pas 1'effet d'une regie uniforme ; il né feroit pas jufte d'exclure le plus grand nombre des Propriétaires. Ce font des détails a régler ; on ne parle ici que des principes a fuivre. En général, il faut étendre, & non refferrer la liberté des éle&ions. II ne s'agic d'exclure que ceuxauxquels une trop foible propriété femble donner un trop foible intérêt pour la chofe publique , ou ceux de cette claffe nombreufe d'Habitans de village qui font nés fans fortune , qui font nourris fans éducation , & qui vivenc fans expérience & fans idéés. Ces Habitans même pourront fe raffembler dans leur Paroilfe pour former uns voix de plufieurs voix, & pour concourk  i4