176 MÉMOIRES 1'autre chemin traversoit 1'Ukraine , et condiusöit a Moscow par des déserts impraticables. Charles XII se détermina pour ce dernïer , ou paree qu'il avoit ouï dire qu'on ne vaincroit jamais les Romains que dans Rome , et que la difEculté de 1'entreprise irritoit son courage ; ou paree qu'il comploit sur Mazeppa , prince des Cosaques , qui lüi avoit prOmis de fournir son armée de vivres , et de le joindi-e avec un nombre considérable des siens. Le Czar fut averti des intrigues de ce Claque ; il dissipa les troupes que Mazeppa assembloit, et s'empara de ses magasins ; de sorte que , lorsque le roi de Suède arriva dans 1'Ukraine , il ne trouva que des déserts affreux, au lieu d'un pays abondant en subsistances , et Un prince fngitif qui venoit chercher un asile dans son camp , audieu d un allié puissant qui lui amenat des secours. Ces contre-temps ne rebutèrent point Charles XII \ il assiégea Pultava , comme s'il n'eut manqué de rien. Lui qui avoit été invulnérable jusqu'alors, fut blessé a la jambe en s'amusant a reconnoltre cette bicoque de trop prés. Son général Loewenhaupt, qui lui amenoit des vivres, des munitions et un secours de treize mille hommes , fut battu par le Czar a trois reprises , et obligé dans cette nécessité de brülerles convois qu'il conduisoit; il n'arriva au camp du roi qu'avec trois mille hommes de troupes, exténués de fatigues , et qui augmenlèrent dans le camp la disette qui y régnoit. Le Czar s'approcha bientó-t de Pultava ; et dans celle plaine se donna cette bataille si célèbrc  lyS MÉMOIRES crut dégagé de sa parole et du traité d'Alt-Ranstsedt; il s'aboucha a Berlin avec le roi de Danemarck et Fréderic I; ensuite de quoi Auguste rentra avec une armée en Pologne, et le roi de Danemarck attaqua les Suédois en Scanie. Fréderic I, que ces puissances ne purent ébranler , demeura neutre. En Pologne, tous les partisans des Suédois se tournèrent du cóté des Saxons. Stanislas étoit auprès de l'armée Suédoise que Crassau commandoit : ce général se trouvant resserré par les Moscovites et les Saxons , traversa la nouvelle Marche, et se rendit a Stettin, sans qu'il en püt demander la permission a Fréderic I, qui voyoit «vee déplaisir ces passages et ces armées nomhreuses dans son voisinage. Le roi fit un voyage a Koenigsberg , oü il obtint du Czar , qui s'y étoit rendu , qu'il rétabliroit le jeune duc de Courlande , neveu de Fréderic I, dans ses Etats, a condition qu'il épouseroit la nièce de Pierre-Alexiowitz. Ce prince ne recevoit que de bonnes nonvelles de ses troupes ; elles ne se distinguèrent pas moins en Flandre qu'en Balie ; elles firent des merveilles sous le commandement du comte de Lottum, tant a la bataille d'Oudenarde qu'au siège de Lille. Les Frangois,découragésparlemauvais succès de leurs armes et par la perte de trois grandes batailles rangées, faisoient a la Ffaye des propositions de paix ; mais la fermentation des esprits étoit encore trop grande , et les espérances des deux partis' et leurs prétentions trop oulrées  t>k Brandebourg. ryn pour qu'on put parvenir a s'accorder. Si les hommes étoient capables de raisou , feroient-ils des guerres si longues, si acharnées et si onéreuses , pour enrevenir tót ou tard a des conditions de paix, qui ne leur paroissent intolérables que dans les momens oü la passion les gouverne , ou dans lesquels la fortune les favorise ? Les alliés ouvrirent Ia campagne par la prise deTournai et la bataille de Malplaquet, oü ie prince royal se trouva en personne. Le comte de Finck eut beaucoup cle part a cette victoire ; il fut le premier qui forca Ie retranchement franeois avec les Prussiens; il forma ses troupes sur le parapet, et dela il soutint la cavalerie impériale, que les Frangois repoussorent a deux reprises , jusqu'a ce qu'un plus grand nombre de troupes se joignant aux siennes yinrent mettre le dernier sceau k cette victoire. En Poméranie, les Suédois faisoient appré- ir'»hender par leurs démonstrations qu'ils n'eussent dessein de pénétrer en Saxe ; le roi craignit que la guerre ne se portat enfin dans ses pro, pres Etats , et dans Fintention d'assoupir les troubles du nord, il prit toutes les mesures qui pouvoient les augmenter. II proposa 1'entre tien d'une armée de neutralité ; mais cette aruiée ne s assembla jamais. Crassau consentit a une suspension darmes ; Charles XII, qui 1'apprit, protesta du fond de la Bessarabie contre toute neutralité : ce traité ébauché fut rompu, et il eut le sort de tous ces actes publics, que la nécessité <4 Memoires hors dc ses lignes, afin d'être a portéede tombe? sur le liane gauche de ceux qui pourroient venir S'attaquer de ce cóté la. Charles XII, trompé par la feinte du prince d Anhalt, ne put arrivera temps pour s'opposer a son débarquement. Connoissant 1'importance de cette ile, quoiqu'il n'eut que quatre mille hommes, il s'avanca de nuit versie prince d'Anhalt, tant pour lui cacher le petit nombre de ses troupes , que dans 1'espérance de lo surprendre. II marchoit a pied 1'épée a la main , a la tête de son infanterie , qu'il conduisit jusqu'au bord du fossé. II arracha de ses propres mains les chevaux de frise qui le bordoient; il fut blessé légérement dans cette attaque, et le général During tué a ses cótés. L'inégalité du nombre, 1'obscurité de la nuit, 1'effort de ces six escadrons Prussiens , qui tombèrent surle liane des Suédois , les obstacles d'un retranchement garni de chevaux de frise, et surtout la blessure du roi, toutes ces raisons, disje , firent perdre aux Suédois les fruits de leur valeur. La fortune avoit tourné le dos a cette nation ; tout s'aeheminoit a son déclin. Le roi, blessé, se retira pour se faire panser ; ses troupes rebutées s'enfuirent ; Ie lendemain douze cents Suédois furent faits prisonniers a la Fehr-Schanz ; et l'ile da flugen fut entiérèment oecupée par les alliés. On donna beaucoup de regrets a la mémoire du brave colonel Wartensleben , qui fut tué a la tête des gendarmes Prussiens, après avoir contribué en grande partie a ladéfaito des Suédois.  de BltANDEBOWRG. 2öS Après cette infortune, Charles XII abandonna l'ile de Rugen et repassa a Stralsund. Cette ville étoit presque réduite aux abois. Les assiégeans , parvenus a la contrescarpe , commencoient déja a construire leur galerie sur le fossé principaj, Le caractère du roi de Suède étoit de se roidir contre les revers ; il vouloit s'opiniatrer contre la fortune , et défendre en personne la brèche a laquelle les assiégeans al-' loient donner un assaut général. Ses généraux se jetèrenta ses pieds, pour le conjurer de ne pas s'exposer aussi inutilement; et voyant qu'ils ne pouvoient pas le fléchir par les prières , ils lui firent voir le danger qu'il courroit de tomber entre les mains de ses ennemis. Cette appréhensionle détermina enfin k abandonner cette ville: il s'embarqua sur une légère nacelle, avec laquelle il passa a la faveur de la nuit au milieu de la Hotte Danoise qui bloquoit le port de Stralsund, et il gagna avec peine le bord d'un de ses vaisseaux, quile transporta en Suède. Quatorze années auparavant il étoit parti de ce royaume comme un conquérant qui alloit assujettir le monde a sa fortune, et il y re vint alors comm» xmfugitif, poursuivi par ses ennemis , dépouillé de ses plus belles provinces, et abandonné de son armée. Dès que le roi de Suède fut parti, la ville de Stralsund ne songea qu'a se rendre : la garnison capitulaleayde décembre. Le général Ducket , qui en étoit gouverneur , envoya au quartier du roi de Prusse, pour traiter des articles de lacapitulation. La garnison se rendit prisounière de  üoö M jé m o i ri r s guerre ; et deux bataillons Prussiens , autaut de Saxons , et autant de Hanovriens prirent possession de cette ville. De tous les Suédois faits prisonniers dans le cours de cette campagne , le roi forma un nouv eau régiment d'infanterie, qu'il donna au prince Léopoldd'Anhalt, second hls de celui qui commandoit ses armées. Ensuite de cette expédition,les vainqueurs se partagèrent les dépouilles des vaincus. Le roi conserva cette partie de la Poméranie qui est située entre 1'Oder et la Peene, petite rivière qui sort du Mecklenbourg , et qui va se /eter dans la mor üPeenamunde. La Poméranie située entre la Peene et Ie duché de Mecklenboui-g fut restituée a la Suède paria paix de Stockholm; ct George , roi d'Angleterre . acheta les duchés de Brème et de Verden, que le roi de Danemarck avoit conquis sur la Suède , et que la maison de Hanovre possède encore de nos jours. Quoique la paix ne fut pas encore conclue , Ie roi jouissoit déja tranquillement de ses conquétes ; il alla en Prusse, oü il ne se fit point couronner. II pensoit que cette vaine cérémonie convenoit mieux k des royaumes électifs quï; des royaumes héréditaires. En méprisant tous les dehors de la royauté , il n'en étoit que plus attaché ken remplir les véritables devoirs. II parcourut la Prusse et la Lithuanie, et il fit le projet de réparer dans ces provinces la misère et lé dépeuplement que la peste y avoit occasionnés. Pour ne point interromprel'enchainement des  21» MÉMOIRES élevé en Espagne un homme d'un esprit étendu et entreprenant, profond, hardi, fécond en ressources , et fait enun mot pour agrandir ou bouleverser les empires. C'étoitl'abbé Alberoni, Italien de naissance, que le duc de Venclóme em>mena en Espagne, oü son habileté se fit d'abord connoltre par le renvoi du cardinal del Giudice , qui gouvernoitce royaume, et dont il occupala place. Alberoni fit des pas de géant vers la fortune ; il s'insinua dans 1'esprit de la reine , qui étoit une princesse de Parme, et il seconda les vues qu'elle 'avoit d'établir ses fils en Italië. La flotte que Ie roi d'Espagne avoit d'abord destinée au secours des Vénitiens, fut employee a la conquête de l'ile de Sardaigne, qui appartenoit k l'empereur. Cagliari passa sous le pouvoir des Espagnols, et toute la province fut dans peu subjuguée. Les représentations de l'Angleterre et de h Franee n'empêchèrent pas Ia reine d'Espagne de suivre les desseins qu'Alberoni, devenu cardinal, lui suggéroit. Cette princesse avoit secrètement résolu de conquérir tout ce qu'ellepourroit de 1'Itabe. L'empereur, aux pressantes sollicitations de l'Angleterre, avoit consenti de donner 1'investiture de la Toscane, duParmésan et dn Plaisantin, è 1'infant Dom Carlos; mais Philippe V s'obstinoit a demander le royaume de ' Naples. Ce débordement d'ambition d'une puissance nouveliement établie, porta l'empereur, le roi de France, et celui d'Angleterre, h la conclusion de la quadrupïe alliance, comme une diguepuis"  de Brandebourg. 21 i santé qu'ils opposoient aux entreprises de Phi-j lippe. Les Hollandois , qui devoient accéder 4 cette ligue, seréservèrentpour la médiation, et ils furent remplacés par le duc de Savoie. Cette formidable alliance n'altéra ni les projets d'Alberoni, ni la fermeté de la reine d'Espagne, ni le désir qu'avoit le roi son époux d'établir sa familie.La flotte Espagnole, que 1'Europe croyoit destinée pour Naples, aborda a Palerme, qui se rendit; et le marquis de Léde prit le titre de vice-roi de Sicile. Cependant 1'amiral Bing vint avec vingt vaisseaux Anglois dans la Méditerranée, battit la flotte Espagnole dans le Fare ; mais, quoiqu'il eüt pris quatorze de ses plus beauxvaisseaux, il ne put empêcher que le marquis de Léde ne prit Messine. Le duc de Savoie se détermina dans cette nécessité a troquer avec l'empereur la Sicile contre le royaume de Sardaigne, dont il prit le nom dans la suite. Le génie d'Alberoni, trop peu occupé d'une entreprise, étoit si vaste, qu'il en méditoitplusieurs a la fois. Ses desseins s'étendoient de tous les cótés, comme ces mines quipoussent au loin dans la campagne plusieurs rameaux éloignésles uns des autres, qui jouent successivement, et font sauter les ennemis aux endroits oü ils s'y attendent le moins. FTne mine avoit crevé en Italië, une autre fut éventée en France. C'étoit la fameuse conjuration que le prince Celamare forma contre le régent. Selon ce projet, 1'Espagne devoit faire un débarquement sur. les cótes de Bretagne, rassembler les mécontehs du Poitou, saisir le roi et le duc d'Orléans, «• O a  214 MÉMOIRES ministère de Suède, étoit dans le nord ce qu'Alberoni étoit dans le sud. Ses intrigues agitoient tous les cabinets des princes. Ses desseins ne se < bornoient point k 1'Europe. II étoit né pour devenir le ministre d'Alexandre ou de Charles XII; mais en formant les plus grands desseins il sur«hargeoit la Suède d'impóts, afin de pouvoirles exéeuter. La misère dupeuple, et la faveur dont il jouissoit, lui attirérént la haine du publijc. Dès que la nouvelle de la mort du roi se répandit, la nation fit le procés a son ministre; 1'envie inventa un nouveau crime pour le charger. II fut accusé d'avoir calomnié la nation auprès du roi,etil eut la tête tranchée. En punissant Gcertz, les Suédois flétrissoient indirectementla réputation d'un héros dont ils adorent encore a présent la mémoire. Mais le peuple est un monstre composé de contradictions , qui passé impétueusement d'un excès a 1'autre, et qui dans ses caprices protégé ou opprime le vice et la vertu indifféremrfient. Le tróne vacant de Suède fut rempli par Ulrique , steur de Charles XII, et épouse du prince héréditaire de Hesse-Cassel. Fréderic-Guillaume ne put s'empêcher de répandre quelques larmes, lorsqu'il apprit la mort prématurée de Charles XII. II estimoit les grandes qualités de ce prince, dont il étoit devenu Pennend a regret, et par une espèce deviolence. JL'exemple de Charles XII avoit fait tourner la tête a plusieurs petits princes d'AHemagne, trop , foibles pour 1'imiter. Le ducCharles Léopoldde Mecklenbourg forma lepro/etambitieux delever une armée ; et pour fournir aux frais de son en-  DE BRANDEBOURG. 2i5 tretien, il fouïa ses sujets par des vexations énormes. Lè poids des impóts sappesantitaun point, que la noblesse excédée en porta ses plaintes a Vienne, oü elle fut appüyée par Berhsdorff, imuistre de Hanovre, mais Mecklenbourgeois de naissance. II obtint de l'empereur un décret fulminant contre le duc, Quoique ce prince eüt épousé la nièce du Czar, pour s'assurer dW puissante protection, cela n'empêchapas l'empereur, poussé par Bernsdorff, de donner un dó-, cret de commission a l'électeur de Hanovre, et au duc de Brunswick, pourprendre cepays en séquestre. Le roi de Prusse se plaignit a Vienne de ce qu'étant directeur du cercle de la basse Saxe, ce décret ne lui avoit point été adressé. L'empereur lui répondit qu'il étoit contre les loix de 1'Empire de charger le roi de ce séquestre, a cause qu'il avoit 1'expectative sur le Mecklenbourg. Sur quoi le Czar déclara qu'il ne souffriroit jamais qu'on opprimat un prince qui venoit d'entrer dans sa familie. Ce qui arréta le plus Fréderic-Guillaume dans cette affaire, c'est que le roi d'Angleterre ayant eu 1'adresse de se faire médiateur de la paix que la Prusse négocioit en Suède, devoit alors être traité avecbeaucoup de ménagement, de sorte que les Hanovriens restèrent en possession du séquestre, dont ils font monter les frais k quelques millions. Cette affaire est demeurée en ces termes ; et elle y est encore au temps que nous écrivons cette histoire. Quoique la paix ne fut pas conclue avec Ia Suède , elle étoit autant que faite. Le roi, qui voyoit U trajiquillité de s$s États assurée, com-  216 Mi m.o i.n. k. s menca dès-lors véritablement & régner, c'est-idire , a faire le bonheur de ses peuples. ' Ce prince- haïssoit ces génies remuans qui commumquent leurs passions tumultueuses dans toutes les régions oü 1'intrigue peutpénélrer. II n aspiroit point a la réputation de ces conquérans qui n'ont d'autre amour que celui de la gloire, mais bien a celle deslégislateurs qui n'ont d'autre objet que le bien et la vertu. II pensoit que le courage d'esprit si nécessaire pourréformer des abus et pour introduire des nouveautés utiles dans un gouvernement, étoit préférable a cette valeur. de tempérament qui fait affronter les plus grands dangers , sans tfrainte a la vérité , mais souvent aussi sans connoissance. Les traces que la sagesse de son gouvernement a laissées dans 1'Etat, dureront autant que la Prusse subsistera en corps de nation. Fréderic-Guillaume établit alors véritablement son systéme militaire, et le lia si étroitement avec le reste du gouvernement, qu'on ne pouvoit y toucher sans hasarder de bouleverser 1'État méme. Pour juger de la sagesse de ce systéme , peut-être qu'il ne sera pas inutile d'entrer ici dans quelque discussion sur cette inatière. Dés le règne de Fréderic I il s'étoit glissé quantité d'abus, touchant les taxes qui étoient devenues arbitraires. Les cris de tout 1'État en demandoient la réforme. Lorsque cette matiére fut examinée , il se trouva qu'il n'y avoit aucun principe selon lequel les possesseurs des terres fussent taxés de payer les contributions j que dans quelques endroks on avoit conservé le«  *t8 M É M O ï « E S rent florissantes , et elïes fournirent d 'étoffes de laine une grande partie des peuples du nord. Afin que cette armée , qui dès 1'an 1718 montoit a prés de 60,000 hommes, ne devint point k charge a 1'Etat par le nombre de recrues dont elle avoit besoin, le roi fit une ordonnance par laquelle chaque capitaine étoit obligé d'enróler du monde dans 1'Empire; et quelques années après , les régimens se trouvèrènt coraposés a moitié de citoyens , et a moitié d'étrangers. Lë roi repeupla la Prusse et la Lithuanie, que la peste avoit dévastées. II fit venir des colonies de la Suisse , de la Suabe et du Palatinat, qu'il y établit avec des frais énormes. A force de temps et de peine, il parvint enfin a rebatir et a repeupler ce pays désolé , que la ruine avoit effacé pour un temps du nombre des terres habitables. II parcouroit annuellement toutes ses provinces, et dans cette évolution périodique, il encourageoit en tout lieu 1'industrie , et faisoit naitre 1'abondance. Beaucoup d'étrangers étoient appelles dans ses États : ceux qui "établissoient des manufactures dans les villes , et ceux qui y faisoient connoitre des arts nouveaux, étoient excités par des bénéfices , des privilèges et des récompenses. L'esprit d'intrigue et la malice d'un simple particulier altéra pour un temps la tranquillité dont j'ouissoient la cour et 1'Etat. Ce malheureux étoit un gentilhomme Hongrois ; il se nommoit Clément. II fondoit les espérances de sa fortune sur la subtilité de sa fourberie. II avoit été employé dans les affaires en subalterne par te  É 51 O r R E S qui concourent k un méme mouvement sont compliqués , et moins ils sont d'usage. L'enthousiasme d'Alberoni ne se communiqua point aux princes qui devoient être les executeurs de son projet; il étoit vivement frappé de ses idees , les autres 1'étoient foiblement. Lors méme que le bon sens se laisse entrainer dans Ia carrière hasardeuse de 1'imagination , il n'y fait pas un long chemin. La réflexion 1'arrète , la prévoyance 1'intimide , et souvent les obstacles le découragent. C'est ce qu'Alberoni éprouva de la part des princes qu'il vouloit engager dans ses vues. Il tomba lui-même dans le piège qu'il avoit tendu k la tranquillité de 1'Europe, et il repassa en Italië a la faveur des passeqoorts qu'il recut des puissances qu'il avoit le plus griévement offensées. On prévint un embrasement qui pouvoit devenir funeste a 1'Europe , en éteignant le flambeau qui étoit prêt a le causer. La chüte d'Alberoni remit 1'Espagne dans son vrai point d'équilibre. Elle rechercha 1'amitié de la France , et accéda même a la quadruple alliance , pour que sa réconciliation en fut plus sincère. Le régent, qui parvint a terminer aussi glorieusement les démêlés qui s'étoient élevés entre la France et 1'Espagne , n'eut pas le bonheur de préserver ce royaume d'un bouleversement plus grand et plus général que ceux dont les guerres longues et ruineuses sont d'ordinaire suivies. Le systême de Law avoit poussé 1'entêtement dés Franeois pour Ie papier j'usqu'a la folie. Quelques fortunes subites firent extrayaguer la nation, et  BE I? lt A K U E B O TT ft G. 2,2,% ©e fut en outrant les choses qu'elle les perdir. Dès 1'an 1716 Law étoit devenu directeur de Ia banque royale. II commenca dès-lors k déployer son fameux systême en établissant la compagnie d'occident, ou du Mississipi, et Ia banque dont le roi de France étoit tout-a-la-fois le protecteur et le propriétaire. Les desseins du régent et de Law étoient de doubler les fonds du royaume en balancant le crédit du papier par Ie réel de 1'argent, pour attirer peu-a-peu les espèces dans les coffres du souverain. L'arrêt du 2 aoüt 1719 pórte défense aux particuliers , sous les plus fortes peines, de garder chez eux en argent au-dela de 5oo francs. Aux premières actions en succédèrent de nouvelles, qu'on nomma les fdles ; enfin ces filles enfantèrent des petites-filles , et le papier créé par ce systême monta k trois milliars soixante-dix millions. Toutes les dettes de 1'Etat furent acquittées par des billets timbrés k un certain coin. Les fondemens de eet édifice n'avoient été faits au commencement que pour une certaine proportion. On voulut la porter au doublé , et aü quadruple ; il s'écroida bientót, bouleversa le royaume, et renversa en même temps 1'architecte qui 1'avoit construit. Law pensa plus d'unê fois être lapidé par le peuple, lorsque son papier tomba en décadence. II quitta enfin le royaume ~, abandonnant la charge de conjróleur-général des finances, dont il avoit été revêtu au commencement de 1'année , et les grands établisse* mens qu'il avoit dans ce royaume. Law n'étoit pas riche ,. lorsqu'il vint en France ; il en repar  aa4 M é m o i r e s tit da méme , et se réfugia a Venise , oü il Unit ses jours dans 1'indigence. II y a peu d'histoires qui dans un aussi court espace représententautantd'ambitieuxhumiliés. Les fortunes rapides de Gcertz , d'Alberoni, de Law , se prócipitèrent aussi subitement qu'elles s'étoient élevées ; mais 1'ambition n'est pas capable de conseil, elle s'égare en suivant un chemin bordé de précipices. Après les chütes d'Alberoni et de Gcertz, le sud et le nord de 1'Europe respirèrent également. La paix que le roi négocioit a Stockholm , fut enfin conclue. Sa modération climinua ses avantages. D'Ilgen ne cessoit de lui représenter, selon 1'usage des ministres , qu'il devoit profiter de ses avantages , et qu'en se roidissant encore, la Suède seroit contrainte de lui céder l'ile de Rugen et la ville de Wolgast; et qu'il obtiendroit de méme des Danois les franchises des péages du Sttnd. La réponse du roi se trouve dans les archives, écrite de sa propre main : » Je suis 5> content du destin dont je jouis paria gréce du j) Ciel, et je ne veux jamais m'agrandir aux dé» pens de mes voisins II paya deux millions k la Suède pour 1'enclavure de la Poméranie, de sorte que cette acquisition étoit plutót un achat qu'une conquête. Le roi d'Angleterre , qui avoit par sa médiation accéléré la paix de Stockholm , fit peu de temps après la sienne avec 1'Espagne ; et Philippe V céda Gibraltar et Port-Mahon a l'Angleterre , a condition que le roi George ne se mêleroit plus des affaires d'Italie. A  r»e Bhandebourg. a2^ A Vienne on étoit mécontent et envieux des avantages dont jouissoit le roi de Prusse. La maison d'Autriche vouloit que les princes d'Allemagne, qu'elle regarde comme ses vassaux, la servissent contre ses ennemis , et non qu'ils fissent usage de leur force pour leur propre agrandissement. Le grand électeur ayoit secondé 1 empereur , a cause que leurs intéréts étoient souvent liés ensemble. Le roi Fréderic 11'avoit ' secouru tant par ses préjugés, qu'afin d'être reconnu roi de Prusse. Fréderic-Guillaume qui n'avoit ni préjugés ni intéréts qui jusqu'alors 1'attachassent a la maison d'Autriche , ne lui fournit point de secours dans les guerres de Hongrie ni de Sicile. II n'étoit lié avec 1'empe. i eur par aucun traité; et de plus, il s'excusa sous prétexte qu'il avoit a craindre de nouvelles entreprises de la part des Suédois. Dans le fond il étoit trop clairvoyant pour forger ses propres chalnes , en travaillant k 1'agrandissement de la maison d'Autriche , qui aspiroit en Allemagne a une domination absolue. La politique sage et mesurée de Fréderic- t?Afc Guillaume se tournoit entiérement a 1'arrangement intérieur de ses États. Il avoit établi sa résidence k Potsdam , maison de plaisance qui originairement n'étoit qu'un chétif hameau de pêcheurs. Il en fit une belle et grande ville, oü Jleurirent toutes sortes d'arts, depuis les plus communs jusqu a ceux qui servent au raffinement du luxe. Des Liégeois qu'il avoit attirés par ses Lbéralités,yétablirentunemanufacture darmes qui fournit non-seuleinent l'armée, mais encorft 7ome II. p  22Ö M K MOIRÉS les troupes de quelques puissances du nord. On V fabriqua bientót des velours aussi beaux que ceux de Gènes. Tous les étrangers qui possédoient quelque industrie , étoient recus , établis et récompensés a Potsdam. Le roi établit dans eette ville , dont il étoit le fondateur , un grand höpital, oü sont entretenus annuellement a.5oo enfans de soldats, qui peuvent apprendre toutes les professions auxquelles leur génie les détermine. II établit de même un hópital de fdles, qui sont élevées aux ouvrages convenables a leiu sexe. Par ces arrangemens charitables il soulagea la misère des soldats chargés de familie , et i) procura une bonne éducation a des enfans auxquels les pères n'étoient pas en étatdela donner. 11 augmenta Ia même année le corps des cadets . oü 3oo jeunes gentilshommes font leur noviciat du métier des armes. Quelques vieux officiers veillent aleur éducation ; et ils ont des maltrepour leur donner des connoissances et pour leur apprendre les exercices qui conviennent è des personnes de condition. Il n'est aucun soin plus digne d'un législateur que celui de 1'éducation de la jeunesse. Dans un ags encore tendre ces jeunes plantes sont susceptibles de toute-; sortes d'impressions. Si on leur inspire 1'amou: de la vertu et de la patrie, ils deviennent d< bons citoyens; et les bons citoyens sont les der niers remparts des empires. Si les princes méri tent nos louanges en gouvernant leurs peuples avec justice, ils enlèventnotre amour, en éten dant leurs soins jusqu'a Ia postérité. Le roi envoya la même année le comte df  BE BHANBEBOUJIO. 327 Truchsès en France pour féliciter Louis XV, qui ayant atteint 1'age de majorité fut sacré k Rheims. Les calomnies que Fon avoit répandues contre '733le duc d'Orléans , avoient fait des impressions si fortes dans le public, que Ia France s'attendoit chaque jour a la mort de son roi, lorsqu'elle vit arriver inopinétnent celle du régent. Ce prince ayant passé le temps oü il avoit coutume de se faire saigner, fut attaqué d'apop'lexie entre les bras de la duchesse de Tallart, dans un moment d'extase qui fit douter s'il avoit rendu 1'ame par un sentiment de plaisir ou de douleur. Lorsque le roi Auguste de Pologne apprit les détails de cette mort, il dit ces mots de 1'Ecriture : » Ah ! que mon ame meure de la mort de 1» ce juste 3)! Le cardinal du Bois avoit précédé le régent de quelques mois , et le peuple divul. guoit qu'd étoit parti pour préparer un quartie» au régent chez quelque Fillon de 1'autre monde. La régence finit par la mort du duo d'Orléans , et le duc de Bourbon devint premier ministro. Ce changement dans le gouvernement de la France , et quelques entreprises de la maison d'Autriche contraires aux traités de paix , firent changer tout le systême de 1'Europe. Voici de quoi il étoit question. L'empereur avoit fait expédier des lettres de commission aux marchands d'Ostende pour trafiquer aux Indes. Cela réveilla 1'attention de toutes les nations commercantes ; la France, l'Angleterre et la Hollande , alarmées d'un projet qui leur étoit égalenient préjudioiabje, g/unirent pour demander la P 3  2ii8 Mémoires suppression cle cette nouvelle compagnie : mais la cour cle Vienne ne s'en émut point, etvoulut soutenir son projet de commerce avec hauteur. i.rip On eut recours aux voies de conciliation , comme aux moyens les plus équitables, pour terminer ces différens, et pour concilier d'autres intéréts, tels que la succession éventuelle de Parme et de Plaisance. On assembla un congrès a Cambray, oü personne ne voulut céder de son terrein. Les ministres disputèrent, comme de raison, avec chaleur. Chacun soutenoit sa cause par des argumens qu'il croyoit sans replique. Les mai tres d'hótel et les marchands de vin s'enrichirent; les princes en payèreut les frais, et le con grès se sépara sans avoir rien décidé. Pendant que ces politiques discutoient vainement d'aussi grands intéréts, Philippe V échappant a la vigilance de son épouse , abdiqua subitement en faveur de son hls Louis. C'étoit pour lui procurer cette couronne dont il se démettoitvolontairement, que la France avoit prodigué tant de trésors ; mais la mort de son lils , qui lui remettoit les rênes du gouvernement entre les mains , ne lui laissa pas le temps de se repentir de son abdication. I,25. A peine étoit-il remonté sur le tróne, qu'il ht un traité de commerce avec l'empereur a 1'insu de l'Angleterre. Le comte de Koenigseck, am i bassadeur de Charles VI k Madrid, avoit leurré la reine d'Espagne du mariage de Dom Carlos avec 1'archiduchesse Marie-Thérèse, héritière de la maison d'Autriche ; et I'espérance de réu  DE B R A N D E E O V II C, 22g wir dans leurs maisons toutes les possessions de Charles V, porta la reine et le roi d'Espagne a faire des conditions très-avantageuses a l'empereur. Le roi George soupeonnoit que 'ce traité contenoit des articles secrets a 1'avantage du prétendant. La France étoit mécontente de ce que 1'Espagne par ses subsides mettoit 1'empereur en état de soutenir la compagnie d'Ostende, Le roi de Prusse étoit faché de quelques décrets fulminans que Charles VI lui avoit envoyés au sujet de certaines redevances. qu'il exigeoit des fiefs de Magdebourg. Ces trois puissances ayant toutes des griefs contre la cour de Vienne, s'unirent par des engagemens étroits, qui de-: voient être d'autant plus durables, qu'ils étoient soutenus par leurs intéréts particuliers. Cette conformité de sentimens donna lieu au traité de Hanovre. La forme du traité étoit défensive, et rouloit sur des garanties réciproques. La France et l'Angleterre s'engageoient, d'une faoon vague et susceptible de toutes sortes d'interprétations , d'einployer leurs bons offices pour que les droits de la Prusse sur la succession de Berg ne recussent aucune atteinte après la mort de l'électeur Palatin. La Suède, le Danemarck et la Hollande accédèrent ensuite a ce traité. La France et l'Angleterre en vouloient effectivement a la maison d'Autriche. Dans cette intention ils espéroient se servir du roi pour enlever la Silésie a l'empereur. Fréderic-Guillaume n'étoit pas éloigné de se charger de 1'exécution de ce projet. II deman- doit qu'on ioijmït une seule brigade de Hano1 > ^ p 3  2.3o Mémoires vriens k ses troupes, afin de ne pas s'engager tout seul dans une entreprise aussi importante; ou que les alliés convinssent avec lui d'une diversion qu'ils feroient d'un autre cóté, en mêma temps qu'il commenceroit les opérations en Silésie. Quoique cette alternative parut raisonnable, le roi d'Angleterre ne voulut jamais s'expliejuer sur cette matière. A peine les alliés eurent-ils signé leur traité k Hanovre, qu'une autre alliance se fit a Vienne entre l'empereur, le roi d'Espagne, le Czar et quelques princes d'Allemagne. C'est par le moyen de ces grandes alliances, qui séparent 1'Europe en deux puissans partis, que la balance des pouvoirs se soutient en équilibre , que la force des uns tient la puissance des autres en respect, et que la sagesse des habiles politiques prévient souvent des guerres, et maintient la paix, lors méme qu'elle est sur le point d'étre rompue. Dès que Ie Czar eut signé le traité de Vienne, il fit de fortes remontrances au roi de Prusse sur le parti qu'il avoit pris, lui insinuant avec ces espèces de menaces auxquelles les expressions polies servent de véhicule, qu'il ne verroit pas indifféremment que les Etats héréditaires de l'empereur fussent attaqués. Pierre I mourut dans ces circonstances, laissant dans le monde plutót la réputation d'un homme extraordinaire , que d'un grand homme , et couvrant les cruautés d'un tyran des vertus d'un législateur. L'impératrice Catherine , sa femme , lui succéda, Elle étoit Liyoniennede  J, E h R A N I' E E O L' li C. Zli naissance, et de la plus basse extraction , étant veuve d'un bas officier Suédois. Elle devint malrresse tour-a-tour de quelques officiers Russes , depuis , de Menzikof; enfin le Czar en devint amoureus, et se 1'appropria. En 1711, lorsque le Czar s'approcha du Pruth avec son armée , les Turcs passèrent cette rivière, et vinrent se retrancher vis-a-vis de son camp : il avoit en front deux cent mille ennemis, et a dos une rivière qu'il ne pouvoit passer , manquant de pont. Le grand-visir;quirattaquaadifférentes reprises, voyant ses troupes souvent repoussées, changea de dessein. Il apprit paria déposition d'un transfuge, que l'armée Moscovite souffroit une disette cruelle , et que dans le camp du Czar il n'y avoit de vivres que pour peu de jours. Sur cela il se contenta de bloquer les Russes ; c'étoit ce que Pierre Icraignoitle plus. Son armée étoit presque fondue ; il lui restoit a peine trente mille hommes, accablés de misère, énervés par lafaim, sans espérance, et par conséquent sans courage. Dans cette situatiën désespérée, le Czar prit une résolution digne de sa grandeur d'ame. Il ordonna au général Tscheremetof que l'armée se préparat a combattre le lendemain, afin de se frayer un chemin a travers les ennemis au bout de la baïonnette. Il fit ensuite brüler tous les bagages , et se retira dans sa tente accablé de douleur. Catherine conserva seule la liberté d'esprit dans ce désespoir commun, oü tout le monde attendoit la mort, ou la servitude. Elle témoigna un couraee au-dessus de son sexe et de sa nai^ P 4  z^3 M é m o i n E s sance ; elle tint conseil avec les généraux, et ré»o ut de demander la paix aux Turcs. Le chanceher Schaffirof dressa la lettre du Czar au visir que Catherine fit signer k Pierre I k force de caresses, de prières et de Iarmes; elle ramassa ensuite toutes les richesses qu'elle put trouver dans le camp, et les envoya au visir. Après quelques renvois, les présens opérèrent lenreffet. La paix fut conclue, et le Czar, en cedant Asow aux Turcs, se tira d'un pas aussi dangereux que celui que Charles XII trouva 4 Pultava, l ecueil de sa fortune. La reconnoissance du Q ^ proportionnée ^ Catherine lux avoit rendu; il la trouva digne de gouverner un Etat qu'elle avoit sauvé ; il la déf *°n eP°use' « elle fut couronnée impératnce. Cette princesse gouverna la Russie avec sagesse et avec fermeté, et elle continua d'observer les engagemens que le Czar avoit pris avec lempereur Charles VI Pendant que toute 1'Europe s'armoit, Louis XV epousa la fille deStanislas Leckzinski, roi detróne de Pologne. Le duc de Bourbon, qui avoit choisi la reine de France, se maria peu de temps après avec la princesse de Bheinfels, dont la beauté etoit touchante. On prétend que le roi de France lm dit qu'il choisissoit mieux pour Iuimème que pour les autres. Cependant la reine de France marqua dans Ia suite qu'elle réparoit par son cceur et par son caractère les charmes passagers d une beauté que le moindre accident fait évanomr. ■f« Toute 1'année 1726 se pass£t en pre'paratifs  24° Mém o«i n e. s béri après son abdication. On prétend qu'il conserva toujours ce caractère d'autorité qu'il avoit eu comme roi, et qu'ayant quelque mécontentement contre le marquis d'Ormea , et quelques autres ministres, il voulut contraindre .ion fds a les disgracier. Le marquis d'Ormea , mformé des intentions du roi Victor , craignit de voir sa perte assurée , s'il ne prévenoit ce prince. II alia chez le roi de Sardaigne , et lui persuada que son père conspiroit, vouloit remonter sur le tróne, et il le pressa si vivement, que Ie père fut arrèté et conduit au chateau de Chambéri, ou il mourut. Un prince est bien a piaindre de se trouver vis-a-vis de son père dans des circonstances aussi épineuses , ou il a la nature , 1'intérêt et la gloire a combattre. En Pmssie , mourut la méme année le jeune czar Pierre II. II étoit fiancé avec une princesse Dolgorucki. Cette maison eut des vues pour placer sur le tróne cette princesse ; mais la nation voulut unanimement que Ie sceptre demeurat dans la maison de Pierre I. On 1'offrit k Anne, duchesse douairière de Courlande , qui 1'accepta. D'abord les Russes limitèrent sonpouvoir; mais la familie des Dolgorucki tomba , et son autorité devint despotique. Elle entretint, de méme que ses prédécesseurs , les liaisons qui subsistoient depuis long-temps avec la maison d'Autriche. d. L'empereur Oublia bientót les services que Ie roi lui avoit rendus en quittant 1'alliance de TTanovre. II s'accommoda avec le roi d'Anjrleterre , et lui donna 1'inyestiture du duché de Brèmc  D E B T. 1 X I) E E O l) li G. jgXg Brème et du pays de Hadeln , sans songer aux intéréts de la Prusse. L'ingratitude est une monnoie décriée, et qui cependant a cours par-tout. La mort de tant de princes, le déplacement de tant de ministres , le renouvellement et le changement de tant d'alliances produisirent des combinaisons d'intéréts tout nouveaux en Europe. L'Angleterre , réconciliée avec 1'Espagne et 1'Autriche , joignit une hotte nombreuse a celle d'Espagne, pour transporter Dom Carlos en Italië. Au commencement du siècle , la grande Breragne s'étoit ruinée pour chasser les Espagnols du royaume de Naples et du Milanès , paree qu'elle croyoit la puissance de Philippe V trop redoutable avec sespossessions j et k peine vinct ans s'étoient écoulés que les navires Anglois ramenèrent les Espagnols en Italië , et donnèrent a 1'infant Parme et Plaisance, dont le dernier duc venoit de mourir. En ce même temps les Corses se révoltèrent contre les Génois è cause de la dureté de leur gouvernement. L'empereur y envoya des troupes au secours des Génois, qui réduisirent les rebelles k 1'ohéissance. Ces révoltes se renouvellèrent souvent jusqu'a 1'an 1736, que les Corses choisirent pour leur roi un aventurier, nommé Théodore de Neuhof. On présuma que le duc de Lorraine,qui depuis devint empereur,fomentoit cette rebellion ; cependant par le secours des Franeois , l'ile de Corse fut entiérement rangée^sous 1'obéissance de ses maitres. On crut alors que 1'Italie étoit menacée d'une Tomé tl. Q  3^3 MÉMOIRES nouvelle guerre. La reine d'Espagne , toujours inquiète et toujours en action, faisoit de grands armemens ; cependant, au-lieu de tomber sur 1'Italie , ses troupes allèrent en Afrique , et s'emparèrent d'Oran. La reine d'Espagne obtint un bref du pape , qui enjoignit au clergé de payer le dixième de ses revenus , tant que dureroit la guerre contre les infidèles. Dès ce moment la reine se proposa de perpétuer cette guerre a jamais , et en sacrifiant tous les ans une centaine d'Espagnols, qui périrenten escarmou chant contre les Mores , elle resta en possession des dlmes de 1'Église , qui font un revenu trèsimportant pour la couronne. Ainsi les maitres du Pérou et du Potosi , faute d'argent, se mettoient aux aumónesdes prêtres de leur royaume. Après toutes ces digressions, il est temps que nous revenions a Berlin, oü Seckendorff par ses intrigues avoit beaucoup étendu son crédit. II auroit bien voulu gouverner la cour tout-a-fait. Dans ce dessein, il proposa au roi de s'aboucher avec l'empereur , qui s'étoit rendu a Prague, espérant de se rendre siutile pendant ce séjour, que la confiance que le roi avoit en lui ne pourroit que s'accroitre infiniment. Le roi, qui mettoit dansles affaires la bonne foi de ses mceurs , consentit sans peine a ce voyage , sans prendre aucune mesure sur le but de cette entrevue , ni sur 1'étiquette qu'il méprisoit. Son exemple servit de témoignage , que la bonne foi et les vertus , si opposées k la corruption du siècle , ne sauroient y prospérer. Les politiques ont relégué la candeur dans la vie civile ; et ils se voient  d ë Brandebourg. si au dessus des loix, qu'ils font observer aux autres , qu'ils se livrent sans rétenue k la dépravation de leur ceeur. Les moeurs Unies du roi devinrent les victimes de 1'étiquette impériale. La garantie de la succession de Berg, que Seckendorff avoit formellement promise au nom. de l'empereur , s'en alla en fumée ; et les ministres de l'empereur étoient dans des dispösitions si contraires k la Prusse , que le roi vit très-ckirement , que s'il y avoit èn Êurope une cour portee k contrecarrer ses intéréts , c'étoit surenient celle de Vienne. Ce prince s'ëtoit trouvé auprès de l'empereur comme Solon auprès de Crésus, et ürévint a Berlin toujours riche de sa propre vertu. Les censeurs les plus pointilleux ne purent reprocher k sa conduite qu'une probité poussée k 1'excès. « Cette entrevue eut le sort qu'ont k plupart des visités que les rois se rendent. Elle refroi- 1733; dit, ou ( pour le dire en un mot) elle étèignit 1'amitié qui régnoit entre les deux cours. Fréderic-Guillaume partit de Prague plein de mépris pour la mauvaise foi et 1'orgueil de k cour impériale , et les ministres de l'empereur dédaignoient un souverain qui voyoit sans préoccupation la frivolité des préséances. Seckendorff trouvoit les prétentions du roi sur Ia succession de Berg trop ambitieuses , et le roi trouvoit les refus de ces ministres trop grossiers. II les regardoit comme dés fourbes qui manquoient Impunément k leur parolé. Malgré tant de sujets de mêcontentement, le roi maria son fils ainé, par complaisance pour 1*. Q *  sJLA Mémoires cour de Vienne, avec une princesse de BrunswickBévern , nièce de 1'impératrice. Pendant la célébration de ces noces , on apprit que le roi d avec la fermeté d'un philosopbe, et la résignation d'un chrétien. II conserva une présence d'esprit admirable jusqu'au dernier moment de sa vie, ordonnant de ses affaires en politique, examinant les progrès de sa maladie en physicien, et triomphant de la mort en héros. Il avoit épousé en 1707 Sophie Dorothée , fille de George de Hanovre, qui devint roi d'Angleterre. De ce mariage naquirent Fréderic II, qui lui succéda ; les trois princes, Auguste-Guillaume , Louis-Henri, et Ferdinand ; Wdhelmine , margrave de Bareuth ; Fn deun ^ mendians. 1 L'an 16*5 Ia cour enjoignit par un édit a tous les sujets , a 1'exception des prêtres et des échevms, de se rendre avec armes et bagage k un lieu marqué, oü des cornmissaires dèvoient les passer en revue : on choisit de ce nombre 3,qoo hommes , qui furent partagés en vingt-cinq compagnies d'infanterie , et en dix escadrons iö3 5- Après la paix de Prague, le comte de Schwartzenberg persuada a George - Guillaume d'augmenter ses troupes, et de les entretenir moyennant les subsides que les Espagnols et l'empereur lui payeroient: selon le projet de ce mini.tre, le nombre devoit en étre porté a 25,ooo hommes. Les levées se hrent, et ces troupes prétèrent serment a l'empereur et a George-Guillaume ; t ój iorsqu 'elles passèrent en revue k Neustadt-Ébersv.alde, onen htledénombrement suivant, savoir/ NFA N TERIKt C A VA L E R TE. P«desf INom-Jorades ' I dcs Noms bredesj des Noms \C °^~ com- des réglmens. t'nmas-j com- des légimens. 03 ™™~ sins. man- ,c:iva_ [dans. Ilers' itiStl KlitZi"S - - «5o| Colo- fJc™ Rodl<«v " ~ '.Kracht - - 96oJncls. L^~h £ Tiurgsdorff- jncxJ «««rgsaoru - j0o ,Colo-I/Dargitz i. - ?üoj fl»Pothaus«n | tater Kracht 66o Colo-i Oold'acKer - Pn.n fw«tCU L~ 55°3 LVorhaucr - ?£ Co!o- j Waldow-Ker- 9 to J9J Totti acs fantsssins. ?,oooj ïotal des cavaliers. Stfca  de Brandebourg. »f>5 Elitzing , qui commandoit ce corps , est le premier général dont il soit fait mention dans 1'histoire .du Brandebourg. Ces troupes furent augmentées et diminuées selon les temps , les moyens et les occasions ; mais elles ne passèrent Jamais onze mille hommes. Ceorge-Guillaume laissa en mourant la milice suivante a son hls : INFANTERIE. CAVALERIE. Nombre Nombre Noms des régimens. des fan- Noms des régimens. des ca- tassiris. vaiers. I'■■■■gsdorff - - 800 Goldacket - - 900 Kracht - - - 600 Lvtdtckc - - - 600 "Voldtmann - - üoo Rochovv - » - 1000 Trotte - - - 1200 Goldacker - - 200 '1 otal des fantassins. 3,600 Total des cavaliers. -i5°o ' Fréderic-Guillaume parvint a la régence dans ün temps de calamité : pour soulager ses provinces épuisées d'hommes et d'argent, il lit une réforme dans ses troupes ; la cavalerie , sur ce qu'elle refusa de luiprêterle serment ordinaire, fut congédiée ; et l'électeur , afin de s'en faire nn mérite auprès de l'empereur, lui céda deux mille chevaux : Pélecteur ne conserva que deux cents maltres , et deux mille fantassins , qui formoient les régimens des gardes , de Burgsdorff, ' de Trotte et de Ribbeek. Fréderic-Guillaume fut le premier électeur qui entretint a son service un corps d'armée dircipliné réguliércment : les bataillons d'infaa-  2'f' Mémoires terie étoient composés de quatre compagnies , a i jo têtes cliacune ; un tiers du bataillon étoit arme de piqués ; Ie reste avoic des mousquets , 1infanterie portoit des habits dordonnance et des manteaux ; les cavaliers se pourvoyoient eux-mêmes darmes et de chevaux; ils avoient la e r. o u r g. 3G7 Lottum.) Spahn, Siegen, Manteuffel, Schenck, Wallenrod , Strantz , Reinau , Hall , Ellert, Quast: dragons, Waldeck, Canitz, Kalckstein, Lesguevang, Lelindorff, Sack et Schlieben. Comme le dessein de l'électeur étoit d'attaquer les Polonois, dont la force principale consiste en cavalerie, il se peut qu'il voidüt leur opposer les meines armes, et un corps en état de se faire respecter d'eux. Son infanterie monta jusqu'a dix mille six cents hommes, consistant dans les régimens des gardes a pied, du grand-maitre d'artillerie Sparr, de Waldeck, Groote, comte de Waldeck, Kalkstein, Klingsporn, Dobenek, Goetz, Hast et Eulenburg. Pendant tout le cours de la guerre que ce prince fit avec les Suédois en Pologne, Waldeck , en qualité de lieutenant - général, commanda les troupes sous lui. Une partie de cette armée suivit l'électeur en i'ologne ; le reste des troupes fut distribué dans les provinces. Après que Fréderic-Guillaume eut fait sa paix avec les Polonois, il secourut le roi de Danemarck , que Charles-Gustave assiégeoit a Copenhague; il marcha en personne dans le Holstein , a Ia tête de quatre mille hommes d'infanterie , el de douze mille chevaux, dont la moitié étoit composée des cuirassiers de l'empereur. Ajuès la paix d'Oliva, l'électeur fit encore une réduction dans ses troupes ; mais elle ne fut pas considérable. II entretint depuis un nombre de généraux, ce qui prouve bien qu'il devoit avoir des soldats a proportion. Le maréchal  a6S 51 i m o i ii k s Sparr est le premier qui ait. porté ce caraetére dans Ie service de Brandebourg : les généraux qu'il avoit alors, étoient Derfflinger, grand-maitre d'artillerie : lieutenans-généraux, le prince Jean-George d'Anhalt, le comte Dohna, le baron de Kannenberg, et le sieur de Goltz : majors-généraux, les sieurs de Pfuhl, de Ba;r , de Gcertzke, de Quast, d'Ellert, de Spahn et da Trotte. Lorsque la guerre de 1672 commenca, l'électeur entretint vingt-trois mille cinq cent soixante-deux hommes : l'armée qu'il conduisit en Alsace au secours de l'empereur, étoit de dixhuit mille combattans ; il augmenta ensuite ses troupes j'usqu'au nombre de vingt-six mille hommes, et s'en servit dans ses campagnes glorieuses de la Poméranie, qu'il conquit, et de la Prusse, dont il chassa les Suédois. A 1'avénement de Fréderic-Guillaume , les troupes étoient mal payées et mal entretenues : cette espèce de confusion dura jusqu'a 1'année 1676, que Grumkow, ministre des hnances , mtroduisit 1'accise dans les villes. Ce revenu hxe et assuré fut assigné a la caisse de guerre; le pret du fantassin alloit a un écu et demi par mois, et la paie des officiers étoit assez mince. Pendant la guerre de Pologne et celle de 1672, Fréderic-Guillaume entretint ses troupes tantót par les subsides des Suédois, et tantót par ceux des Autrichiens , des Espagnols et des Franeois ; mais depuis 1'année 1676 1'augmentation de ses revenus par le moyen des accises , et le duché de j\Iagdebourg, dont il entra en possession,  de Brandebourg. üGq «vee 1'amélioration cle ses provinces, qui serelevoient insensiblement cles calaraités que leur avoit fait souffrir la guerre cle trente ans, toutes ces ressources bien administrées lui fournirent le moyen d'entretenir par lui-méme un corps de troupes considérable. A la mort du grand - électeur son armée se trouva forte des troupes de campagne suivantes; INFANTERIE. 1 CAVALERIE. Noms des régimens. Bataillons. Noms des régimens Escadrons. Gardes - - - 6 Gardes du corps - Electrice - - - 2 Grands mousquetai- Prince électoral - 2 res - - - - a Prince Philippe - 2 Grenadiers a chevaj 1 Prince d'Anhalt - 2 Régiment du corps Derfflinger - - 2 Prince électoral - 3 Holstein - - - 2 Anhalt - - - Spahn - - - 2 Derfflinger - - « Pcenhoff- - - 2 Spahn -' - - Earfus - - - 2 Briquemaut - - 3 Zieten - - - 2 Litwitz - - - 3 Courlande - - 3 Dn Hamel - - 5 Belling - - - 2 Prince Henri de Saxe 3 Varenne - - - 2 ' 7- ; ; ■—— Total des cuirassicrs. 33 Pccllnitz - - - 1 , . Dragons. Cournaud - - 1 , . Regiment au corps 4 Briquemaut - - . Derfflinger - - 4 'lotalderinfailieiie, 35 Toul de Ja cavalerie. 4 >  »7° MÉMOIRES Oiitre co nombre de troupes, les garnisons •■'toient a part, et il y avoit i COMPAGNIES a Memel - - - 3 a Colberg - - - 4 a Kustrin 4 a Spandau 2 •i Peitz - - . .(jw ,-. a Friderichsbourg - j a Francfort - - 1 Total des garnisons - i£> Pendant la régence de l'électeur , les bataillons étoient composés de quatre compagnies, la compagnie de cent cinquante hommes. Selon ce calcul, un bataillon faisoit six cents tètes ; 1'infanterie de campagne, vingt et un mille combattans ; les troupes de garnison, deux mille sept cents ; et la cavalerie, comptant 1'escadron a sixvingts maitres, quatre mille huit cents chevaux ; de sorte que le total de l'armée montoit a vingtliuit mille cinq cents combattans. L'infanterie combattoit alors sur cinq ou six bles de hauteur; les piquiers faisoient un tiers de bataillon ; le reste des soldats étoit armé da mousquets a 1'allemande. L'infanterie, quoiqu'assez mal vêtue, avoit, outre ses habits d'ordohnance, de Iongs manteaux roulés et replies sur les épaules, a peu-près de la facon que des bustes antiques nous représententles consulaires Romains. Lorsque 1'électeur fit cette célèbre expédition de Prusse en biver, il fit distribuer des bottines a ton* les fantassins,  ft 74 SI £ M O I 5 ï S INFANTERIE. I CAVALERIE. Noms des régimens. Bataillons.jNoms des régimens. Escadrons» Garde Manche - 2 Gardes du corps - 4 Gardes - - - 3 Gendarmes - - r Régiment du Roi - 4 Régiment du corps 3 Margrave Albert - a Prince royal - - 3 Margrave Louis - 3 Margrave Fréderic 3 Anhalt - - - 3 Wartensleben - 3 Holstein - - - 2 Heiden - - - 3 Lottum - - - 2 Schlippenbach - - 3 Vieux Dohna - 2 Bareuth - - - 3 Prince de Hessc - i Katt - _ _ _ 3 Jeune Uohna - - 2 — 1 Arnim - - - 2 Total des cuirassiers. 2y Dccnhoff - - - - Finck - 2 Dragons. Varcnne - - - 1 Du Troussel - - r „. . . . 1 r. , , Regiment du corps 4 / rr, , , . Margrave Albert a> Truchses - -- 1 . ■ * . Anspach - - 41 ?/lden 1 Derfflinger - - 4) * Margrave Henri- 2 Pannewitz _ _ t Anhalt-Zerbst - t , ... I 1 Van der Albe - 41 Total de l'infanterie. 3IJ Total de la cavalerie. 53 Compagnies de Garnisons i3. Le total de cette armée pouvoit faire trent© mille combattans. Au commencement de ce siècle 1'usage des' piqués fut aboli, et on y substitua des chevaux de frise. Ces piqués n'étoientutiles que pour défendre les gens de pied contre la cavalerie ; dans des sièges, dans des retranchemens, et dans cent autres occasions pareilles, les piquiers n'étoient d'aucun usage. Les vieux officiers eurent bien  MjÊMoirtEs drons; deux compagnies firent 1'escadron, ei soixante maitres la compagnie. En 1717, il bréa les dragons de Schulenbourg, forts de cinq escadrons; etil troqua douze pots du Japon contre un régiment de dragons que le roi de Pologne vouloit licencier; le colonel Wenssen le recut, et on 1'appella depuis , le régiment de porcclaine. L'année 1726, les grenadiers a cheval de Schulenbourg, Wenssen et Platen furent doublés., et chaque régiment forma ensuite dix escadrons. De 1719 a 1734 il augmenta l'infanterie d'un officier par compagnie ; il leva les régimens de Dossow, Thiele, Mosel, Barleben, et les bataillons de Kaders et de Lilien ; il aj'outa ensuite k chaque bataillon une compagnie de grenadiers de cent hommes. L'artillerie fut partagée en deux bataillons, dont l'un fut destiné pourservir en campagne, et 1'autre en garnison. II créa un corps de miliee de cinq mille hommes, dont les officiers et les bas officiers reeoivent la demipaie ; ces milices se rassembloient tous les ans pendant quinze jours, pour faire 1'exercice. Après toutes ces augmentations, l'armée Prussienne se trouva forte de soixante-douze mille combattans ; tel en étoit 1'état le 3i mai de 1'année 1740. Cette armée étoit composée des troupes suiyajxtes;  be Brawdebourg. *79 ■IN FA NT11R1 E. IN FA NT ER IE. Noms des régimens. Bataillons. Noms des régimens Bataillons. " ~~" —~—— Ttansport »fi Gardes - - - 3 La Motte - - - '2 Prince royal - - 2 Borck -. - Margrave Charles 3 Schwérm - - - Anhalt Dessau - 3 Derschau - - 2 Glasenap - - - 2 [^c'lsi - - - - - Holstein - - - 9 Margrave Henri - Brédow - - - 9 Anhalt Zerbst - - riantz - - - 2 Sidow - - - - Prince Didier - 1 Prince Léopold - Roeder - - - 2 Dohna - - - 2 Grrevenitz - - 2 Jeetz - - - - 2 Wédel - - - 2 Kalckstein - - 2 Marwitz - - - 2 Barleben - - - = Léwald - - - 2 Dossow - - - 2 Hcenhoff - - - * Krceeher - - - * Glaubitz - - " 3 Beaufort - - - Leeben - - - 2 Artillerie- - - j " „g Total de rinfameric. 6j CAVALERIE. CAVALERIE. Noms des régimens. Escadrons Noms des régimens. Escadrons. Gendarmes - - 5 Dragons. Prince Guillaume 5 Scluüenbourg, grc-. Régiment du corps 5 nadiers ? " 10 C. Carabiniers du corps 5 Barenth " " 10V Buddenbrock - 5 " " 10 ) 45 Katt - - - - 5 Thimen ~ - 5( Brédow 5 Mcellendorf - 5f Vieux Waldow - 5 Sonsfeldt - - 5 > Gesier - - - 5 Margrave Fréderic 5 Hou sa ros. Jeune Waldow - 5 Wurm - r - 3 ? g Prince Eugene - 5 jBrunikowski - 3 S ^ Total des cuirassien. 60 lTotaldesdrag.ethous. 5'  aSo M i m o i n e s RÉGIMENS DE GARNISONS. BATAILLONS. Artillerie ' - _ De 1'Hóuital - a Mémel - - _ _ , Wobser - ~ a Pillnu Sack - - . i Colberg - - _ _ , Persode - - i Magdebourg - - _ , Total des garnisons. - 5 Toute l'armée, tant infanterie que cavalerie, fut mise en quartier dans les villes , afin d'y inTroduire et d'y maintenir la discipline ; le roi publia un reglement militaire, qui instruisoit chaque officier de son devoir ; il y tenoitla main lui-même : des officiers respectables par 1'ége et parle service, étoient a la té te de tous les co°rps, et ceux-la affermissoient la subordination par leur exemple et par leur sévérité. Le roi faisoit tous les ans la revue des troupes; il leur faisoit faire quelques évolutions; et comme il étoit luimême 1'inspecteur de son armée, il n'y fut point trompé. Dans les commencemens, lorsqu'on introduisit ces nouveaux exercices, les officiers igno rotent la méthode facile qu'on a trouvée depuis de ks enseigner, et ils netoient rhétoriciens qu a coups de béton, ce qui rendit eet ouvrage long et difficile. On purgea dans chaque régiment le corps des officiers, de ces gens dont Ia condmte ou la naissance nerépondoit point au metier de gens d'honneur qu'il, devoient faire • •« ucputs, la délicatesse des officiers rie soüffrit  be Bhasdiboiiiio. 38Ï terre ; ils n'étoientpas maitres de leurs chevaux ; et leurs officiers n'avoientaucune notion du service de la cavalerie , nulle idee de la guerre, ancune connoissance du terrein, ni théorie ni pratique des évolutions qu'il convient k la cavalerie de faire dans un jour de combat. Ces bons officiers étoient des économes , qui regardoient leurs compagnies comme des fermes, qu'ils faisoientvaloir lejdus qu'ils pouvoient. Outre les choses que nous venons de dire , la longue paix avoit abatardi le service. Au commencement du règne de Fréderic-Guillaume on avoit rafliné sur 1'ordre des régimens et sur la discipline ; mais comme il n'y avoit plus rien a faire'de ce cAtéla, les spéculations s'étoieut tournées sur ces sortes de choses qui ne donnent que dans la vue. Le soldat vernissoit son fusil et sa fourniture, le cavalier sa bride, sa selle, et méme ses bottes ; les crins des chevaux étoient tressés avec des rubans ; et a la fin la propreté , qui de soi-même es"t utile , dégénéra en abus ridicule. Si la paix avoit duré au-dela de 1'année , 17.40. il est k croire que nous en serions a présent au fard et aux mouches ; mais ce qui étoit plus déplorable encore , c'est que les grandes parties de la guerre étoient tout-a fait négligées, et que notre génie se rétrécissoit de j'our en j'our davantage par les petits détails. Malgré tous ces abus, l'infanterie étoit bonne; il y régnoit une discipline sévère et un grand ordre : mais la cavalerie étoit absolument négligée ; le rei qui s'étoit tróuvé a la bataille de Malplequet, avoit vu repousscr par trois fois celle  2&f Mihdujj des impériaux; et dans les sièges de Menin, de Tournai et de Stralsund ou il se trouva, il n'y avoit aucune occasion pour la cavalerie de briller. Le prince d'Anhalt étoit a peu-près dans des préjugés seinblables ; il ne pouvoit pardonner k la cavalerie de Styrum la défaite de la première bataille de Hcechsta;tt; et il s'imaginoit que cette espèce de milice étoit si journalière , qu'on ne pouvoit pas compter dessus. Ces malheureux préjugés furent si funestes k notre cavalerie, qu'elle demeura sans discipline, et qu'elle ne fut parconséquent d'aucun usage lorsque dans la suite on voulut s'en servir. Les officiers d'infanterie s'appliquèrent beaucoup a leur métier ; ceux de la cavalerie, presque tous répandus dans les petites villes , avoient moins d'intelligence et de vivacité que les autres. Parmi les généraux il y avoit plus de braves gens que de gens de tète : le prince d'Anhalt étoit d'eux tous 1'unique capable de commander une armée ; il le savoit, et il tiroit tout le parti qu'il ( pouvoit de sa supériorité, afin de se faire recher) auprès de Magdebourg, et il n'accorda la paix a ces provinces qu'il avoit subjuguéei , qu'a condition qu'elles embrasseroient le christianisme. L'impuissance de résister k un ennemi aussi redoutable , et la crainte des menaces, conduisirent ces peuples au baptême , qui leur fut administré dans le camp de l'empereur; mais la sécurité les ramena tous è 1'idolatrie , dès que l'empereur se fut éloigné de leur voisinage avec son armée. L'empereur Henri 1'Oiseleur triompha ensuite , a 1'exemple de Charlemagne , des habitans des bords de 1'Elbe et de 1'Oder ; et ysy. après bien du sang répandu, ces peuples furent subjugués et convertis. Les chrétiens détruisirent par zèle les idoies du paganisme, de sorte qu'il ne nous en est presque resté aucun vestige. Les niches de ces idoies vacantes furent remplies de saints de toute espèce; et de nouvelles erreurs succédèrent aux anciennes. Environ 1'année g4q > l'empereur Othon I fonda les évêchés de Brandebourg et de Havelberg (c) : il crut apparemment opposer par (n) Dans le huitième siècle. (l>) Henri Meibomius. (e) Angelus. T a  sqs Mémoires ce moyen une digue au débordement de 1'idolatrie , a laquelle ces peuples étoient enclins; comme les princes batissent des citadelles clans des villes nouvellement conquises , pour réprimer 1'indocilité et la mutinerie de leurs habitans. Le Brandebourg , une fois converti au ehristianisme , tomba bientót dans 1'excès du faux zèle : il se rendit a la fois tributaire du pape , de l'empereur, et du margrave qui le gouvernoit. Le peuple ne tarda pas a se repentird© sa sottise ; il regretta ses idoies, qui étoient des objets palpables de son culte , et qui lui étoient bien moins onéreuses que les tributs qu'il payoit tous les ans au pape , qu'il no voyoit jamais. L'amour de la liberté, la force d'un ancien préjugé, 1'avantage de son intérêt, tout le ramena a ses faux dieux. Mistevoïus, roi des Venèdes , se mit a la tête du parti du paganisme renaissant , et il rétablit 1'ancien culte , après avoir chassé le margrave Thierry de Brandebourg. Ce furent encore des guerriers qui pour la troisième fois rétablirent 1© christianisme dans le Brandebourg: la religion catholique triomphante y parut alors sans contrainte , et entralna après elle les plus grands scandales. Les évêques étoient ignorans, cruels, ambitieux, et de plus guerriers ; ils portèrent les armes en personne contre les margraves et contre d'autres voisins , pillant, ravageant, brülant les contrées , et s'arrogeant ( malgré une vie aussi souillée de crimes ) un pouyoir absolu sur }es consciences.  Ces désordres étoient si communs dans ces temps , que 1'histoire en fourmille d'exemples; je me contenterai d'en rapporter deux seulement. En 1278 ,1'archevêque Gunther de Magdebourg fit la guerre au margrave Othon, surnommé le Sagittaire, le fit prisonnier, et l'obligea de se ranconner moyennant une somme de sept mille marcs d'argent (a). En 1391,1'archevèque Albert, qui étoit toujours armé, se saisit du sieur de Brédow , qui étoit gouverneur général de la Marche, prit la ville de Rathenow, et pénétra le long de la Havel, le flambeau dans une main, et 1'épée dans 1'autre, et désola ainsi tout le pays. L'ignorance crasse ou vivoient ces peuples pendant le treizième siècle, étoit un terrein oii la superstition devoit fructifier : aussi ne manqua-t-on pas de miracles , ni d'aucune supercherie capable d'affermir 1'autorité des prêtres. Lceekel raconte gravement, que le prince Othon ayant été excommunié par 1'archevèque de Magdebourg pour des raisons frivoles , se moqua des censures de 1'église; mais qu'il fut bien attrapé k son tour, iorsqu'il vit que des chiens affamés ne vouloient point mauger des viandes de sa table; et il rentra en lui-méme. Ces chiens étoient sans doute orthodoxes; malheureusement 1'espèce en est perdue. Les vierges miraculeuses, les images secourables et les reliques des saints avoient alors (ö) Lceekel. T 3  s94 Mémoiris une vertu toute singulière (a). Le sang de Bélitz entr'autres étoit fort renommé ; voici co que c'étoit. Une cabaretière de cette ville vola une hostie consacrée , et 1'enterra sous un tonneau dans sa cave , pour avoir meilleur débit de sa bière; elle en eut des remords, car les cabaretières ont la conscience délicate • elle dénonca son crime au curé, qui vint en pro= cession avec tout son attirail sacerdotal pour déterrer 1'hostie ; en enfoncant la pelle en terre, on vit bouillonner du sang et tout le monde cria au miracle. L'imposture étoit trop grossière, et 1'on sut que c'étoit du sang de boeuf qUe la cabaretière y avoit versé. Ces miracles ne laissoient pas de faire impression sur 1'esprit des peuples , mais ce n'en étoit pas assez (b) : la cour de Rome, toujours attentive a étendre sa domination k 1'ombre des autels , ne négligeoit aucun des moyens qui pouvoient Vy conduire. Dans le treizième siècle se formèrent la plupart des ordres religieux; le pape ' en établit en Allemagne et dans le Brandebourg le plus qu'il put, sous prétexte d'affermir par-la les esprits dans le christianisme. Les misanthropes, les fainéans , les paresseux et toutes sortes de gens qui s'étoient déshonorés dans le monde, se réfugièrent dans ces esdes sacrés ; ils appauvrirent 1'État de sujets, en se séquestrant de la société , et en renoncant a la bénédiction que Dieu donna a nos pre- {*) 1249 » Annales de Brandebourg.  » E B K A S I) E 1! O u ft o. tcjy de sa liberté, étendit de tous cótés la sphère de ses connoissances. AftTICLE TROISIÈME. De la Religion sous la réforme. «Te ne considérerai poiat 1'ouvrage de la réforme du cóté de la théologie et de 1'histoire; les dogmes de cette religion et les événemens qu'elle ht naitre, sont si connus , que ce n'est pas la peine de les répéter: une révolution si grande et si singulière , qui changea presque tout le systême de 1'Europe , mérite d'être examinëe avec des yeux phiiosophiques. La religion catholique , qui s'étoit élevée sur la ruine de celle des juifs et des païens , subsistoit depuis quinze siècles ; humble et douce sous les persécutions, mais fiére après son établissement , elle persécuta a son tour. Touc les chrétiens étoient soumis au pape , qu'ils croyoient infaillible ; ce qui rendoit son pouvoir plus étendu que celui du souverain le plus despotique. Un misérable moine s'éieva contre une puissance si solidement établie ; et la moitié de 1'Europe secoua le joug de Rome. Toutes les raisons qui contribuèreut a ce changement extraordinaire , subsistant longtemps avant qu'il vint a éclorre, préparoieni d'avance les esprits a ce dénouement. La religion chrétienne étoit si dégénérée, qu'on n'y reconnoissoit plus les caractères de son iusututioa. Rien ne surpassoit dans son origine la  ÜCjS M É M O I ïl E S sainteté de sa morale; mais Ia pente du coeur humain a la corruption en pervertit bientót Fusage. Ainsi les sourees les plus pures du bien sont devenues des principes de toutes sortes de maux pour les hommes. Cette religion, qui enseignoit 1'humilité , la charité et la patience , s'établit par le fer et par le feu ; les prêtres des autels , dont la sainteté et la pauvreté de-. Toient étre le partage , menerent une vie scandaleuse ; ils acquirent des richesses , ils devinrent ambitieux; quelques-uns furent des princes puissans : le pape qui originairement relevoit des empereurs , s'arrogea Ie pouvoir de les faire et de les déposer; il fulmina des excommunications ; il mit des royaumes en interdit; et il outra si prodigieusement les choses , que de quelque mauière que ce fut, il falloit a la hn que le monde se révoltat contre tant d'abus. La religion changea ainsi que les mosurs ; elle perdit de siècle en siècle sa simplicité naturelle , et a force de fard, elle devint méoonnoissable. Tout ce qu'on y ajouta n'étoit que 1'ouvrage des hommes ; il devoit périr comme eux. Au concile de Nicée (a), la divinité du Fils fut déclarée égale k celle du Père (b); et le Saint-Esprit, annexé & ces deux personnes , forma la Trinité. On défendit aux prêtres de se marier , par les ordonnances d'un O) L'nti 3»5. (/>) Origène et S. Justin n'étoient pas de ce sentiment; ce demier dit d.ms son Pialogue , pag. 316, que Ia grandeur du l iij n approehe pas de celle du Père.  DE 1' H A N D E li O V il fi. 29Q eoncile de Tolède ia) ; cependant ils ne se soumirent a la volonté de 1'Egiise que dans Ie treizième siècle ; le eoncile de Trente en fit depuis un dogme. Le culte des images avoit été autorisé par le second eoncile de Nicée (b) et la transsubstantiation fut établie par les pères du eoncile de Trente (c). Les écoles de théologie soutenoient déja 1'infaillibilité du pape , depuis que les évêchés de Rome et de Constantinople se trouvoient en opposition. Quelques solitaires fondèrent des ordres religieux, et rendirent toute spéculative une vie qui doit se passer en action pour le bien de la société; les couvens se multiplièrent a 1'infini, et une grande partie du genre-humam y fut ensevelie. Enfin toutes sortes de supercheries s'inventèrent, pour surprendre la bonne foi du vulgaire ; et les faux miracles devinrent presque. commuris. Ge n'étoit point cependant par des changemens qui regardoient 1'objet de la foi, que la réforme pouvoit venir dans la religion : du nombre des gens qui pensent, la plupart tournent toute la sagacité de leur esprit du cóté de 1'intérèt et de 1'ambition ; peu combinent des idéés abstraites , et encore moins réfléchissent profondément sur des matières aussi importantes ; et le peuple , la plus respectable , la plus nombreuse et la plus infortunée partie (a) Term 1'année 40e. (é) Én 786. (t) Tcnu en 1545.  3üo Mémoires de Ia société, snit les impressions qu'on hu donne. II n'en étoit pas ainsi du pouvoir tyranniqua que le clergé exercoit sur les consciences. Les prétres dépouilloient les hommes de leurs biens et de leur liberté ; eet esclavage , qui s'appe-, santissoit chaque jour, excitoit déja des murmures. L'homme le plus stupide comme Ie plus spirituel, dès qu'il a de la sensibilité, s'appercoit du mal qu'il souffre; tous tendent a leur ' bien-être; ils endurent un temps : mais è ia fin la patience leur échappe ; et les vexations que tant de peuples souffroient, auroient immanquablement donné lieu a quelque réforme si le clergé Romain , fortement agité par des dissentions intestines , n'eut enfin donné \uU même le signal de la liberté, en arborant 1'é-, tendard de la révolte contre le pape. Les Vaudois, les Wicléfites et les Hussites avoient déj'4 commencé è remuer; mais Luther et Calvin, aussi audacieux , et nés dans des conjonctures plus favorables, consommèrent enfin ce grand ouvrage. Les Augustins étoient en possession du tralie des indulgences ; le pape chargea les Dominicains de les prêcher, ce qui excita une querelle funeuse entre ces deux ordres. Les Augustins déclamèrent contre le pape; Luther, qui étoie de leur ordre , attaqua avec véhémence les abus de 1'Eglise j il arracha d'une mam hardie une •partie du bandeau de la superstition. II devint bientót chef de parti; et comme sa doctrine dépouilloit les évéques de leurs bénéfices,  DE B R A N D E S O V R ti. 5ot èt les couvens cle leurs richesses , les souverains suivirent en foule ce nouveau convertis* seur. La religion prit alors une forme nouvelle, et se rapprocha beaucoup«le son ancienne simplicité: Ce n'est point ici le lieu d'examiner , s'il n'etit pas mieux valu lui laisser plus de pompe et d'extérieur, pour qu'elle en imposat davantage au peuple , qui n'est frappé et nc juge que par les sens : il paroit qu'un culte tout spirituel, et aussi nu que 1'est celui des protestans, n'est pas fait pour des-hommes matériels et grossiers , incapables de s'élever par la pensée a 1'adoration des plus sublimes yérités. La réforme fut utile au monde, et sur-tout aux progrès de 1'esprit humain. Les protestans, obligés de réiléchir sur des matières de foi, se dépouillèrent tout d'un coup des préjugés de 1'éducation , et se virent en liberté de se servir de leur raison , de ce guide qui est donn« aux hommes pour les conduire , et dont au moins ils devroient faire usage pour 1'obj'et le plus important de leur vie. Les catholiques , vivement attaqués , furent obligés de -se défendre , les ecclésiastiques étudièrent, et ils sortirent de 1'ignorance crasse et honteuse dans laquelle ils croupissoient presque généï-alement. S'il n'y avoit qu'une religion dans le monde, elle seroit superbe , et despotique sans retentie: les ecclésiastiques seroient autant de tyrans . qui exereant leur sévérité sur le peuple, ii'au-  roieuc d'indulgence que pour leurs crimes: Ia foi, 1'ambition et la politique leur asserviroient 1'umvers. A présent qu'il y en a plusieurs , aucuno de ces sectes ne sort, sans s'en repentir, des voies de la modération. L'exemple cle la réforme est un frein qui empéche le pape de se livrer k son ambition, et il craint avec raison la défection cle ses membres , s'il abuse de son pouvoir; aussi devint-il sobre d'excommunications, depuis qu'une pareille démarche lui enleva Henri VIII et le royaume d'Angleterre. Le clergé catholique et le protestant, qui s'observent avec une disposition égale a la critique , sont obligés des deux cótés k garder au moins une décence extérieure ; ainsi tout reste en équilibre : heureux , si 1'esprit de parti, le fanatisme et un excès d'aveuglement ne les précipitent jamais dans les guerres dont la .fureur est le partage , et que des chrétiens ne devroient jamais se faire ! En regardant la religion simplement du cóté de la politique, il paroit que la protestante est la plus convenable aux républiques et aux monarchies. Elle s'accorde le mieux avec eet esprit de liberté qui fait 1'essence des premières. Car dans un Etat ou il faut des négocians , des laboureurs, des artisans , des soldats, des sujets en un mot, il est sür que des citoyens qui font voeu de* laisser périr 1'espèce humaine, deviennent pernicieux. Dans les monarchies, la religion protestante , qui ne relève de personne , est entiérement soumise au gouvernement; au-lieu que la ca-  SoG M é r.i o i n v, s Fréderic I fit quelquefois fermer les églises catholiques par représailles des persécutions que l'électeur Palatin fit souffrir k ses sujets protestans ; mais le libre exercice de religion fut toujours rendu aux catholiques. Les réformés essayèrent de persécuter les luthériens dans le Brandebourg ; ils profitèrent des dispositions ou le roi étoit en leur faveur, pour établir des prétres réformés dans des villages oii il y en avoit eu de luthériens ; ce qui prouve bien que la religion ne détruit pas les passions dans les hommes , et que les gens d'Eglise , de quelqu'opinion qu'ils soient, sont toujours prêts k opprimer leurs adversaires , quand ils se croient les plus forts. II est honteux pour 1'esprit-humain d'avouer qu'au commencement d'un siècle aussi éclairé que Pest le dix-huitième, toutes sortes de superstitions ridicides se soient encore conservees ; les gens raisonnables , comme les esprits foibles , croyoient encore aux revenans. Je ne sais quelle tradition populaire portoit qu'un spectre blanc se faisoit voir a Berlin toutes les fois qu'un prince de la maison devoit mourir : le feu roi ht saisir et punir un malheureux qui avoit joué le revenant ; les esprits , rebutés d'une aussi mauvaise réception , ne se montrèrent plus, et le public fut désabusé. En 1708, une femme qui avoit le malheur d'ètre vieille , fut bnilée comme sorcière. Ces suites barbares de 1'ignorance affectèrent vivement Thomasius, savant professeur de Halle,-  de Brandebourg. 307 'd Cöuvrk de ridicule les juges et les procés de sorcellerie ; il tint des conférences publiques sur les causes physiques et naturelles des choses, et déelama si fort, qu'on eut honte de continuer Fusage de ces procés ; et depuis lui le sexe put vieillir et mourir en paix. De tous les savans qui ont illustré 1'Allemagne , Leibnitz et Thomasius rendirent les plus grands services a 1'esprit-humain ; ils enseignèrent les routes par lesquelles la raison doit se conduire pour parvenir a la vérité ; ils combattirent les préjugés de toute espèce ; ils en appellèrent dans tous leurs ouvrages a 1'analogie et a 1'expérience , qui sont les deux béquilles ayec lesquelles nous nous trainons dans la carrière du raisonnement; et ils hrent nombre de disciples. Les réformés devinrent plus pacifiques sous le règne de Fréderic-Guillaume, et les querelles de religion cessèrent ,• les luthériens profitèrent de ce calme. Francke , ministre do leur parti, établit, sans y mettre du sien, un collége a Halle , ou se formoient de jeunes théologiens , et dont sortirent dans la suite des essaims de prêtres , qui formèrent une eecte de luthériens rigides, auxquels il ne manquoit que le tombeau de S. Paris, et un abbé Bécherand pour gambader dessus : ce sont des jansénistes protestans , qui se distinguent des autres par leurs rigidités mystiques. Depuis parurent toutes sortes de quakers, les zinzendorffiens , les gichteliens , sectes plus ridicules les unes que les autres, qui outrant B 3  5o8 MÉMOIRES les principes de la primitive église (a) , torn* bèrent dans des abus criminels. Toutes ces sectes vivent ici en paix, et contribuent également au bonbeur de 1'Etat. II n'y a aucune religion qui sur le sujet de la morale s'écarte beaucoup des autres : ainsi elles peuvent être toutes égales au gouvernement qui conséquemment laisse a chacun la liberté d'aller au ciel par quel chemin il lui plait: qu'il soit bon citoyen , c'est tout ce qu'on lui demande. Le faux zèle est un tyran qui dépeuple les provinces : la tolérance est une tendre mère qui les soigne et les fait ileurir. JJcs Moeurs, des Coutumes , de l'Industrie, des Progrès de l'Esprit-humain dans les Arts et dans les Sciences. JPour acquérir une connoissance parfaite d'un État,il ne suffit pas den savoir 1'origine, les guerres, les traités, le gouvernement, la reli gion ; d'être instruit des revenus du souverain: ces parties sont a la vérité les principales auxquelles s'attache le pinceau de Fhistoire ; il en est cependant encore d'autres qui, sans avoir ie brillant des premières , n'en sont pas moins utiles. Nous comptons de ce nombre tout ce La communauté des biens et 1'égalité des conditions . un dit même qu'ils usent également des femmes dans leurs BSiemblées.  ii e Buandeeoïhg. 5og qui se rapporte aux moeurs des habitans , comme Forigine des nouveaux usages, 1'abolition des anciens , la naissance de l'industrie , les causes qui 1'ont développée , les raisons de ce qui a haté ou rallenti les progrès de 1'esprit-humain, et sur-tout ce qui caractérise le plus le génie de la nation dont on parle. Ces objets intéresseront toujours les politiques et les philosophes , et nous osons avancer avec hardiesse, que cette sorte de détails n'est en aucune faeon indigne de la inajesté de 1'histoire. Nous ne présentons au lecteur dans eet ouvrage qu'un choix des traits les plus frappans et les plus caractéristiques du génie des Brandebourgeois en chaque siècle ; mais quelle différence entre ces siècles ! Des nations qu'un océan immense sépare, et qui habitent sous les tropiques opposés , ne différent pas plus dans leurs usages que les Brandebourgeois d'eux-mèmes , si nous les comparons du temps de Tacite au temps de Henri 1'Oiseleur, ceux de Henri 1'Oiseleur a ceux de Jean le Cicéron; enfin ceuxda aux habitans de 1'électorat sous Fréderic , premier roi de Prusse. Le grand nombre des hommes, distrait par la variété inhnie des objets, regarde sans réflexion la lanterne magique de ce monde : il s'appereoit aussi peu des changemens successi fs qui'se font dans les usages , que 1'on passé légérement dans une grande ville sur ces ravages que la mort y fait journellement, pouryu qu'elle y épatgne le petit eerde de peir-  BE FiKA-f DEBOOilC. 3l5 ques autres chefs des armées Romaincs. Si 1'on appiaudit au courage d'une nation qui (toutes choses égales) est victorieuse d'une autre, com« bien plus ne doit-on pas admirer la bravoure de ces Germains qui, n'ayant pour eux que la confiance en leur propre force, et une inflexible opiniatreté a ne point céder la victoire, triomphèrent de la discipline romaine, et de ces légions qui avoient a peine achevé de subjuguer la moitié du monde connu ? Quoi qüen aient dit la plupart des historiens, il n'en est pas moins vraisemblable que les Romains passèrent 1'Elbe malgré les Suèves; car on a découvert auprès de Zossen (a), dans un champ quarré, de huit cents pas, quantité d'urnes pleines de médailles de l'empereur Antonin et de 1'impératrice Faustine, et de quelques affiquets dont se paroient les dames Romaines. Ce n'est pas assurément un champ de bataille, car les Suèves n'auroient pas enfoui sous terre 1'argent de leurs ennemis pour honorer leurs funérailles; on peut en conjecturer, ce me semble , avec certitude, que ce lieu servit de camp a quelques cohortes détachées, auxqueues les Romains avoient fait passer 1'Elbe, pour étre avertis des mouvemens' et de 1'approche des barbares. Brandebourg est la plus ancienne ville de Ia Marche; les annales (b) fixent safondation al'an du monde 3588, ce qui seroit 4i6 ans avant Fère (a) A sis milles de Berlin, (b) Imyriinses en 1595.'  ó '■,f' M i f.r o i n r. s debourg, qni étoit alors catholique, et pourquoi ils y furent reeus, quoiqu'on détestat leur hérésie. m Les princes de Ia maison de Luxembourg foulèrent les peuples très-impitoyablement j dans Jours besoins ils engageoient 1'électorat a ceux qui leur prëtoient les plus grosses sommes. Ges créanciers, qui regardoieut ce malheureux pays comme une hypothèque, commettoient toutes sortes de vexations pour s'enrichir; ils y vivoient k discrétion, comme dans une province ennemie. Les voleurs infestoient les grands chemins; lapolice étoit inconnue, et la justice hors d'activité. Les seigneurs de Quitzow et de Holtzendorff, indignés du joug odieux que portoit leur patrie, firent une guerre ouverte aux sous-tyrans qui 1'opprimoient. Dans cette confusion totale, et pendant cette espèce d'anarchie, le peuple gémissoit dans la misère : les nobles étoient tantót les instrumens, tantót les vengeurs de la tyrannie J et le génie de la nation, abruti paria dureté de 1'esclavage et par la rigueur d'un gouvernement barbare , demeuroit engourdi et paralitique. Epoque troisième. i4'5- L'Empereur Sigismond débrouilla ce chaos, en conférant le Brandebourg et la dignité electorale k Fréderic de Flohenzollern, burgrave de Nuremberg. Ce prince exigea 1'hommage de ses nouveaux suj'ets: mais le peuple qui ne connoissoit que des maitres cruels, eut de la peine «se souaiettre k cette domination douce el légi-  DE BrANDEBOURO. 5 f *) time. Fréderic I réduisit les gentilshommes a 1'obéissance, par la terreur que répandit le gros canon avec lequel il forcoit les chateaux des rebelles ; ce canon étoit une pièce de 24 liyres, en quoi consistoit toute son artillerie. L'esprit de sédition ne se perdit pas si vlte ; les bourgeois de Berlin se révoltèrent a différentes reprises contre leurs magistrats. Fréderic I appaisa ces éineutes avec douceur et sagesse. La nécessité obligea ce prince d'hypothéquer les péages de Schievelbein et de Drambour'g au sieur Denys d'Osten, pour obtenir la somme de i5oo florins, donc il avoit besoin pour se rendre a la diète de Nuremberg. Les cboses restèrent dans cette situation jusqu'a Jean le Cicéron ; eet électeur fit les premiers efforts pour tirer le peuple de son imbécillité et de son ignorance. C'étoit beaucoup dans ce temps de ténèbres de s'appercevoir qu'on étoit ignorant. Quoique cette première aurore du bon esprit ne füt qu'un foible crépuscule, elle produisit toutefois la ibndation de 1'université de Francfort-sur-l'Oder («). Conrad Wimpina, professeur de Leipsick, devint le premier recteur de cette nouvelle université ; et il en dressa les statuts ; mille étudians se firent inscrire dès la première année dans les fastes de 1'université.' II arriva, pour les progrès des sciences, que Joachim Nestor les protégea autant que son père ; c'étoit le Léon X du Brandebourg : il pos- ('a) En i^cJ.  jao Mémoires sédoit les mathématiques, I'astronomie et l'bistoire ; il parloit avec facilité le franeois, 1'italieh et le latin ; il aimoit les belles - lettres , et il fk des dépenses considérables pour encourager ceux qui s'y appliquoient. Ce n'étoit pas 1'ouvrage d'un Jour que de civihser une nation qui avoit été sauvage pendant tant de siècles; il faut bien du temps pour que la douceur du commerce des sciences se communiqué a tout un peuple. Les jeunes gens étudioient a la vérité ; mais ceux qui étoient dun age mür , demeuroient attachés a lêufs anciens usages etaleur grossiéreté; les nobb-.s voloient encore sur les grands chemins; la dé* pravation des moeurs étoit si générale en Alle raagne, que la diète de 1'Empire assemMée a Trèves voulant y mettre un frein-, défendit de blasphémer et de s'abandonner a ces excès de débauche quiravalent rimmanité etrendent les hommes inférieurs aux animaux. II y avoit dès dors des vignes plantées dans 1 électorat ; le baril de vin se vendoit dans cc temps 5o gros, et le boisseau de seigle 21 liards : les espèces commencoient a circuier davantage. Joachim Nestor ht méme construire quelques batimens, entr'autres le chateau de Potsdam: tout le monde étoit habillé a 1'allemande, cc qui répond a peu-près a 1'ancien habillement espagnol. Les hommes portoient des pourpoints etde largcs fraises : les princes, les comtes et les chevaliers portoient des chaines d'or.au cou (a): {» Lceckcl.  uk B n a n d e e o u n «. Zzü ii n'étoit permis aux gentilshomm.es que d'avoir trois anneaux dor a la cravate ; 1'habillement des femmes ressembloit a celui des Augsbourgeoises ou des hlles de Strasbourg. On commenca enhn k connoitre un certain luxe proportionné a ces temps ; mais comme on ne trouve point que 1'industrie ni le commerce du Brandebourg hssent des progrès k proportion des dépenses, 1'augmentation des richesses et leur cause demeurent un probléme difhcile a résoudre. Dès 1'année i56ó on s'appereoit d'une grande différence dans les dépenses des élecleurs ; car lorsque Joachim II se rendit k la diète de Francfort (a), il eut G8 gentilshommes k sa suite, et 45a chevaux dans ses équipages (b). Le £;rand jeu s'introduisita Berlin au retour de ce voyage; cette mode passa de la cour a la ville, oü 1'on fut obligé de la défendre , k cause que quelques bourgeois avoient perdu plus de mille écus dans une séance. Les annales disent qu'au mariage de Joachim II avec Fledwige , hlle de Sigismond, roi de Pologne, l'électeur coucha la nuit des noces armé de toutes pièces auprès de sa jeune épouse; comme si les tendres combats de Famour demandoient des préparatifs aussi redoutables. Un mélange de férocité et de magnificence entroit dans toutes les coutumes de ces temps. Ces sin- (rz) En convoqnée par l'empereur Ferdinand pons l'c'.ection d'un roi des Romains. (.'■) Loeckel. Tomé II. X  ^ Mémoires beth , reine d'Angleterre , se prévalut de h «tottise de ses voisins , en attirant dans ses États les manufacturiers de Gand et de Bruges ■ ils y travaillèrent les laines d'Angleterre , et 'obnarent qu'on en défendit la sortie. Nos manufacturiers n'avoient fait jusqu'alors de bons draps que par le mélange des laines angloises avec les nó-tres , et. comme celles-la Vinrent a manquer, nos draps tombèrent. Les electeurs de Saxe, Auguste et Christian, suivirent 1'exemple de la reine Élisabeth, en attirant dans leurs pays des ouvriers Flamands , pi rendirent leurs manufactures florissantes Le manque de laines étrangères, la décadence de nos manufactures et 1'accroissement de celles de nos voisins , accoutumèrent Ia noblesse du Brandebourg a rendre ses laines aux étrangers , ce qui détruisit presqu'entiérement nos fabnques. Jean-Sigismond , pour les relever , défendit 1'entrée des draps étrangers dans ses Etats : mais cette défense devint préjudiciable, a cause que les fabriques du Brandebourg ne pouvoient pas fournir les draps dont le pays avoit besoin ; ce qui obligeoitVPavoir recours a 1'industrie des voisins. II y a grande apparence qu'on auroit fmaginé des expediens plus Jleureux , mais Ia guerre de trente ans survint, et elle renversa les projets , les manufactures et 1'État. A 1'avénement de Fréderic-Guillaume k fc régence de 1'électorat, on ne faisoit dans ce pays in chapeaux, ni bas, ni serges, ni aucune toffe de laaie : 1 industrie des Franeois nous éa.-  de Brandebourg. 029 richit de toutes ces manufactures ; ils établirent des fabriques de draps , de serges , d'étamines , de petites étoffes , de droguets, de grisettes , de crépons, de bonnets etde bas tissus au métier, de chapeaux de castor, de lapin et de poil de Kètrè ; des teintures de toutes les espèces. Quelques-uns de ces réfugiés se firent marchands , et débitèrent en détail 1'industrie des autres : Berlin eut des orfèvres , des bijoutiers , des horlogers , des sculpteurs ; et les Franeois qui s'établirent dans le plat-pays, y cultivèrent le tabac , et firent venir des fruits et des légumes excellens dans les contrées sablonneuses , qui par leur soin deyinrent des potagers admirables. Le grand électeur , pour encourager une colonie aussi 11 til e, lui assigua une pension annuelle de quarante mille écus, dont elle jouit encore. Ainsi 1'électorat se trouva plus florissant vers la fin de la régence de Fréderic-Guillaume , qu'il ne 1'avoit été sous aucnn de ses ancêtres; et la grande augmentation des manufactures étendit les branches du commerce , qui roula dans la suite sur nos bleds , sur les bois, sur les étoffes et les draps, et sur nos seis. L'usage des postes , inconnu jusqu'alors en Allemagne , fut introduit par le grand électeur dans tous ses États , depuis Emmeric jusqu'a Memel. Les villes payoient des taxes arbitraires , qui furent abolies ; Fétablissement de Faccise les remplaca. Les villes commencèrent' a se policer ; on pava les rues , et 1'on placa de distance en distance des lanternes pour les  55o M K M o i n E s éclairer. Cette police étoit d'une néoessité indispensable ; car les courtisans étoient obligés d'aller, montés sur des échasses, au chateau de Potsdam lorsque la cour s'y tenoit , a cause des boues qu'il falloit traverser dans les rues. Le grand électeur , quoique généreux et magnihque pour sa personne , ht des loix somptuaires : sa cour étoit nombreuse et sa dépense se faisoit avec dignité. Aux fêtes qu'il donna au mariage de sa nièce la princesse de Courlande , cinquante-six tables de quarante couverts furent servies a chaque repas. L'activité uitatigable de ce grand prince donna a sa patrie tous les arts utiles ; il n'eut pas le temps d'y a/outer les arts agréables. Les guerres continuelles et le mélange des nouveaux habitans avoient déja fait changer les anciennes mceurs ; beaucoup d'usages des Hollandois et des Franeois devinrentles nótres. Les vices dominans étoient 1'ivrognerie et 1'interet; la débauche avec les femmes étoit ignoree de la jeunesse , et les maladies qui en sont les suites étoient inconnues alors. La cour aimoit les pointes , les équivoques et les bouffons. Les enfans des nobles se remettoient aux études ; et Féducation de la jeunesse tomba insensiblement entre les mains des Franeois ; nous leur devons aussi plus de douceur dans le commerce et des manières plus aisées. Le changement qui arriva dans eet Ltat après la guerre de trente ans , étoit universel; les monnoies s'en ressentirent ainsi que tout Ie reste. Autrefois le mare dargent étoit sur ! >  ÏJ E BllANDEKOURG. 33i pied de neuf écus dans tout 1'Empire, jusqu'a 1'année i65i , oü les malheurs des temps forcèrent le grand électeur d'avoir recours a toutes sortes d'expédiens pour fournir aux dépenses de 1'Etat. II ht publier la méme année un édifc qui fixoit le prix des monnoies courantes, et il fit battre des gros et des fenins pour des sommes considérables ; Ia yaleur intrinsèque de ces espèces répondoit a-peuqorès au tiers de leur valeur numéraire. Le prix de cette monnoie étant idéal, elle fut aussi-tót décriée, et tomba a la moitié de sa valeur ; les vieux écus de bon alloi montèrent a vingt-huit , a trente gros, et dela vient ce que 'nous appellons Fécu de banque. Pour remédier a ces abus, les électeurs de Brandebourg et de Saxe s'abouchèrent è Zinna (a) , et ils convinrent d'évaluer les monnoies sur un nouveau pied, moyennant lequel le mare fin d'argent, avec ce qu'on appelle en style de monnoie Ie reméde , devoit étre rendu au public généralement dans toutes les espèces de monnoies, de 1'écu jusqu'au fenin , h dix écus seize gros : depuis on frappa les fiorins et les demi-fiorins ; et le prix du mare d'argent demeura fixe a dix écus. En 1690,1 'électeur Fréderic III se concerta avee l'électeur de Saxe et le duc de Hanovre sur les moyens de soutenir la monnoie sur le pied de la convention de Zinna ; mais en ayant reconnu Fimpossibilité, ils convinrent que 1'espèce cou- (a) En i E I? n. A W D E II O U ft G, S5j i'Aliemagney voyageoit: un j'eune-homme passoit pour imbéciïle, s'il n'avoit séjourné quelque temps k la cour de Versaiïles. Le goüt des Franeois régla nos cuisines, nos habillemens, et toutes ces bagatelles sur lesquelles la tyrannie de Ia mode exerce son empire. Cette passion, portee a 1'excès , dégénéra en fureur ; les femmes , qui outrent souvent les choses, la • poussèrent jusqu'a 1'extravagance (a). La cour ne donnoit pas tant dans les modes étrangères que la ville ; la magnificence et I'étiquette y décoroient 1'ennui; on s'enivroitinéme en cérémonie. Le roi institua 1'ordre de 1'aigle nóir , tant pour avoir un ordre comme en ont tous les rois , que pour " procurer a cette occasion une fête, qui ressemble assez a une mascarade. Ce roi, qui avoit fondé une académie par complaisance pour son épouse, entretenoit des bouflbns pour satisfaire a sa propre incli- O) La mère du poëte Canitz ayant épnisé la France en tnodes nouvelles , pour renchérir sur les autres dames de Berlin , commit a un marchand de faire venir de Paris un mari jeune , beau , vigoureux , poli, spirituel et noble , supposant que cette marchandise s'y trouvoit aussi communément que des pompons dans une boutique. Le marchand , tout nouveau dans cette espèce de métier , s'acquitta de sa commission comme il put ; ses correspbndans trouvèrent enfin un épouseur ; c'étoit un homme de 50 ans 5 il se nommoit le sieur de Brinbock, d'un tempérament foible et valétudinaire. II arrivé ; madame de Canitz le voit , s'effraie , et 1'épouse. Ce fut un bonheur pour les Prussiens que ce mariage etU tournê au mécontentenient de la dame , autrement son exemple auroit été suivi ; nos beautés auröient passé dans les mains des Franeois ; et les Berlinois anroient été réduits, comme les Romains , i enlever les Saline* de leur voisinage, 2ume II. y  558 M I M O I (l I 3 nation. La cour de la reine Sophie-Chailoi étoit toute séparée cle 1'autre : c'étoit un temple oü se conservoit le feu sacré des Vestales , l'a-< syle des savans et le siège de la politesse. On regretta d'autant plus les vertus de cette princesse , que celle qui lui succéda (a) , se livra aux dévots, et passa sa vie avec des hypocrites , race médisante qui verse 6es poisons sur la vertu en sanctifiant ses propres vices. Enfin des adeptes parurent a. la cour : un Italien, nommé Cataneo , assura le roi qu'il avoit le secret de faire de lor; il en dépensa beaucoup , et n'en fit point. Le roi se vengea de sa crédulité sur ce malheureux , et Cataneo fut pendu. • 1713. L'Etat changea presqu'entiérexnent de forme sous Fréderic-Guillaume Ij la cour fut congédiée , et les grosses pensions souffrirent une réduction; beaucoup de personnes qui avoient entretenu carrosse , allèrent a pied, ce qui fit diro au public que le roi avoit rendu 1'usage des jambes aux perclus. Sous Fréderic I, Berlin étoit 1'Athènes du Nord; sous Fréderic-Guillaume , elle en devint la Sparte. Tout ce gouvernement fut militaire; 1'augmentation de l'armée se fit, et. dans 1'ardeur de ces premiers enrólemens, quelques artisans furent faits soldats, ce qui répandit la terreur parmi les autres , qui se sauvèrent en partie. Cet accident imprévu causa de nouveau un dommage considérable a nos manufactures. (a) Une princesse de Mecklenbourg, pour Ie faire paroitre au grand jour. Comme les semenses ont besoin d'un terrainpropre pour leur développement, de même les nations demandent un concours de conjonctures heureuses pour sortir de leur engourdissement, et recevoir, pour ainsi dire, une nouvelle vie. Tous les États ont eu un certain cerele d'événemens a parcourir , avant que d'atteindre a leur plus haut degré de perfection : les monarchies y sont arrivées. par une allure plus lente que les républiques, et s'y sont moins soutenues ; et s'il est vrai de dire que la forme de gouvernement la plus parfaite est celle d un royaume bien administré , il n'est pas moins certain que les républiques ont rempli le plus promptement le but de leur institution , et se sont le mieux conservées, paree que les bons rois meurent, et que les sages loix sont im* mortelles. Sparte et Rome , qui furent fondées pour êtreguerrières, produisirent, l'un©, cette phalange invincible , 1'autre , ces légions qui subjuguèrent la moitié du monde connu. Sparte enfantales plus 'mistres cap'taines; Rome devint une pépinière de héros. Athènes , h laquelle Solon avoit donné des loix plus pacihques , devint le berceau des arts. A quelle perfection ses poétes , ses orateurs et ses historiens ne parvinrent-ils point ? Cet asile des scienccs se conserva jusqu'a 1'entière ruine de 1'Attique. Carthage , Venise , et méme la Hollande , furent lióes au commerce par leurs institutions, E Ij RARD EÜffTjRSi 351 George-Guillaume consulta les Etats pour la dernière fois (a), pour savoir s'ils trouvoient bon que 1 électeur fit alliance avec les Suédois en leur remettant ses places , ou s'il devoit suivre le parti de l'empereur. Depuis , Schwartzenberg , ministre tout puissant d'un prince foible, attira a sa personne toute 1'autörité dit souverain et des États ; il imposa des contributions de sa propre autorité ; et il ne resta au* États, de cette puissance dont ils n avoient jamais abusé, que le mérite d'une soumission aveugle aux ordres de la cour. Les électeurs n'avoient eu d'autre conseil que les États jusqu'au règne de Joachim-Fréderic : ce prince forma un conseil composé du ministre de la justice, du ministre des finances, de celui qui avoit les affaires de 1'Empire, et du maréchal de la cour; un stadthalter y présidoit. De ce conseil émanoient toutes les sentences en dernier ressort, les ordres tant au civil qu'au militaire, les régiemens de la police ; et c'étoit lui également qui dressoit 1'ins»ruction des ministres qui étoient employés i des cours étrangères. Lorsqu'un voyage ou la guerre obh'geoit l'électeur a quitter ses États , ce conseil exorooif. les fonctions de la souveraineté ; il donnoit des audiences aux ministres étrangers ; il avoit en un mot le même pouvoir que la régence d'une minorité pendant la tutelle d'un prince. Le pouvoir du premier ministre et du corc-  35i M i h n i ii é s seil étoit presqu'illimité 3 le comte de Schwartzenbergsous George-Guillaume avoit augmenté son autorité au point, qu'elle étoit pareille a celle des maires du palais, du temps des rois de France de la première race : mais 1'abus énorme qu'il en fit, dégoüta l'électeur FrédericGuillaume de tout premier ministre. Nous vovons , par les régiemens que ce prince donna (a), qu'il distribua a chacun de ses ministres des départemens différens, et qu'il établit dans chaque province deux conseillers , pour régler les affaires qui la concernoient, et en rendre compte. Fréderic-Guillaume résida k Kcenigsberg en Prusse pendant les premières années de sa régence : il pourvut le conseil qu'il laissa k Berlin , d'amples instructions relatives au temps et aux circonstances oü il se trouvoit; les troupes recevoient leurs ordres des plus anciens généraux qui se trouvoient dans la province , et les gouverneurs des places les recevoient immédiatement de sa j>ersonne. A la mort du chancelier de Göetze, cette dignité fut supprimée, et le baron de Schwófin devint premier président du conseil. Les départemens se trouvèrent partagés , de sorte que tout ce qui étoit du ressort des loix , s© portoit au conseil de la justice, qui avoit un président k sa tête : la juridiction des officiers de la cour dépendoit du capitaine du chateau ; les finances du prince se trouvoient ad- (0) En 1Ö51  » E BlllHDEEOHie. 553 sninistrées par la chainbre des domaines , qui étoit partagée en différens départemens ; le sieur de Meinders , et après lui le sieur de Jéna en eurent la direction générale. Un consistoire , composé moitié de prêtres , moitié de laïques , gouvernoit les affaires ecclésiastiques. Outre ces colléges susmentionnés. Ia chancellerie des fiefs décidoit de toutes les affaires féodales. Les clioses restérent a-peu-près sur lë méme pied sous le règne de Fréderic I (a), avec cette différence qu'il se laissa sans cesse gouverner par ses ministres, Danckelmann , qui avoit été son précepteur , devint maltre de 1'Etat. Après sa disgrace, le comte de Wartenberg succéda a sa faveur et a son pouvoir : Kamecke aiiroit de méme succédé au grand chambellan, si la mort du roi n'avoit mis fin a sa faveur naissante. Fréderic • Guillaume I (b) changea toute la forme de 1'État et du gouvernement : il limita le pouvoir des ministres ; et de maitres qu'ils avoient-été de son père , ils devinrent ses commis. Les affaires étrangères furent remises aux sieurs d'Ilgen et de Kniphausen : ces ministres conféroient avec les envoyés , et entretenoient la correspondance avec les 'ministres Prussiens dans les diffprentes cours de 1'Europe ; ils étoient chargés sur-tout des affaires de 1'Em- (a) Depuis ïfiotf (^) Depiiis 1713. Tumc II  354 MilïOIBE J pire, des limltes de 1'Etat et des droits de la maison. Le baron de Plotho eut la direction générale de la Justice, et après sa mort, lo sieur deCocceji faisoit la charge de chancelier: sous lui le sieur d'Arnim avoit le département des appels et de la justice civile de Prusse et de Bayensberg ; et le sieur de Katsch fut mis a Ia téte de la j'ustice criminelle. Le sieur de Printz, grand maréchal de k cour, devint président du consistoire supérieur, et fut chargé de 1'inspection des universités , des fondations pieuses, des canonicats, et des affaires des Juifs. Les finances étoient, des parties du gouvernement, celle qui avoit été le plus négligée : le roi y fit des arrangemens tout nouveaux ; il établit le grand directoire en 1723. Ce collége est divisé en quatre départemens , a la tête de chacun desquels est un ministre d'État. La Prusse , la Poméranie et la nouvelle Marche, avec le commissariat de guerre , formèrent Ie premier département, qu'eut le sieur de Grumkow. L'électorat de Brandebourg et le cor.ité de Buppin formèrent le second département, qu'eut le sieur de Kraut. Les États du Rhin et duWéser, avec les salines et les postes, furent le partage du troisième , qu'eut le sieur de Goerne ; et le qüatrième eut k direction de la- principauté de Halberstadt , du comté de Mansfeld , des manufactures , du papier timbré et des monnoies ; il échut au sieur do Fuchs, et après sa mort au sieur cle Viereck Le roi combina le commissariat avec les        (EUVRES PRIMITIVE S D E FRÉDERIC II. T O M E II.  I  192 D-3 (E U V R E S PRIMITIVES D E FRÉDERIC II, ROI DE PR.ÜSSE, O u Collection des Ouvrages qu'il publia pendant son règne. Imitateur heureux d'Alexandre et d'Alcide , U aimait mieux pourtant les vertus d'Aristide ! VOLTAIR E. T O M E II. Amsterdam, 1790.   MÉMOIRES POUR SERFIR A L'HISTOIRE DE LA MAISON D E ERANDEBOURG* A 3   AU P R I N C E DE PRUSSE. MON CHER FRERE, J'Ai employé depuis quelque temps les momens de mon loisir a faire Tabrégé de Vhistoire de la maison de Brandebourg. A quipourroisje mieux adresser eet ouvrage qua celui qui sera unjour ïornement de cette histoire ? qua celui que la naissance appelle au tróne, et auquel jai consacré tous les travaux de ma vie ? Vous étiez instruit des actions de vos ancétres avant que je prisse la plume pour les écrire. Les soins que je me suis donnés en faisant eet abrégé, ne pourront servir qua vous en rappeller la mémoire. Je nai rien déguisè, je nai rien tü : faireprésenté les Princes de votre maison tels quils ont été. Le méme pinceau qui a peint les vertus civiles et milüaires du grand Électeur, a touché les dèfauts du premier Roi de Prusse, et ces passions quiparles desseins cachés de la Providence ont servi dans la suite des temps a porter cette maison aupoint de gloire oü elle estparvenue. Je me suis élevé au-dessus de tous les prójugés. J'at A 4  8 Au Pkince de Prusse. regardé des princes, des rois, des parem comme des hommes ordinaires. Loin d'étre séduit patla domination, loin d'idoldtrermes ancétres, j'ai bldmé le vice en eux avec hardiesse, paree quil ne dok pas trouver d'asile sur le tróne. J'ai loué la vertu par-tout oü je tai trouvée , en me dijen dant méme conlre l'enthousiasme qu'elle inspire , afin que la vérité simple et pure règndt seule dans cette histoü'e. S'il est permis aux hommes de pénètrer dans les temps qui doivent s'écouler après eux ; si ton peut, en approfondissant les principes, deviner leurs conséquences; je présage , par la connoissance que j'ai de votxe caractère, la p?;ospéritc durable de eet empire. Ce n'est point l'effet d'une amitié aveugle qui me séduit en völre faveur ; re n'est point le langage d'une basse flatterie, que nous détestons tous deux également; c'est la vérité qui m'oblige de dire, avec une satisfaciion intérieurc, que vous vous êtes déja rendu digne du rang ou la naissance vous appelle. Pous avez mérité le titre de défiinseur de la, patrie ; en exposant généreusement vos jours pour son salut. Si vous ne dédaigndtcs pas de passer par les grades subordonnés du militaire , c'est que vous pensiez que pour bien commander il falloit auparavant savoir obéir ; c'est que votre modération vous défendoit de vous parer de la gloire que le vulgaire des princes est avide d'usurper sur l'expérience des anciens capitaines. Uniquement attaché au bien de l'Etat, vous avez fait taire toutcs passions et tout intérét particulier, lors-. qu'il étoit qucstioit. de son servi< e. ("ctoit par un  Al Prike de Psïïssh. 9 mime principe que Boufflers s'offrit au Roi de. France, lors de la campagne de 1709, et qu'il servitsous Villars.quoiqu ilfut. I'ancien de cc Maréchal. Souffrez que je vous applique ce mot de Fillars: lorsqu'il vit arriver d l'armóe son doyen, et qu'il sut qu'il venoit pour servir sous ses ordres, ü lui dit: Des compagnons pareils valent toiijours des maltres. Ce n'est pas seplement sur ee sangfroid inaltérable dans les plus grands pêvils , sur cette résolution toujqurs pleine de prudcnce dans les momens dêcisifs, qui vous ont fait connoüre des troupes comme u?r des iustrumens principaux de leur victoire , que je fonde mes espérances et celles du public. Les rois les plus valeurcux ont souvent fait le malheur des Êtats , témoiu Vardeur guerriere de Francais I, de Charles XII, et de tuut d'wtres princes qui ont pensè se perdre , ou qui ont ruiné leurs affaires par un débordement d'ambidon. Permettez-moi de vous le dire, c'est la douceur, l'humanitó de votre caractère ; ce sont ces larmes sinceres et vraies que vous avez vcrsécs , lorsqu'lin accident subit pensa terminer mes jours, que je regarde comme des gages assurés de vos vertus , et du bonheur de ccux dont le del vous confiera le gouvernement. Un ceeur ouvert d l'amitié est au-dessus d'une ambition basse: vous ne connoisscz d'autres regies de votre conduite que la justice, et vous n'avcz d'autre volonté que celle de cpnserver l'estime des sages, C'étoit ainsi quepensoient les Antonin, les Tite, les Trajan, et les meillcurs princes , qu'on a xsmmés avec raison les dêlices du genre-hu-  j» AuPrince dï Phïïssï, niain. Que je suis heurcux, mon eher Frère, da connoitre tant de vertus dans le plus proche et leplus cher de mes parens ! Le Gel ma donna wie ame sensible au mérite , et un caeur capable de reconnoissance ; ces Hens , joints d ceux de la nature, m'attacheront d vous d jamais. Ce sont des sentimens qui vous sont connus depuis long-temps, mais que je suis bien-aise de vous réitérer dlatétede eet ouvrage, et, pour ainsi dire, d la face detunivers. Je suis avec autant 'd'amitiê que d'estime, MON CHER FR ERE, Volre fidéle Frère etserviteur F R £ D E R I C.  11 JD X S C O Tf JU $ PRÉLIMINAIRE. L'Histoire est regardée comme 1'école dos princes : elle peint a leur mémoire les règnes des souverains qui ont été les pères de la patrie, et des tyrans qui 1'ont désolée; elle leur marqué les causes de 1'agrandissement des empires, et celles de leur décadence ; elle déploie une si grande multitude de caractères, qu'il s'en trouve nécessairement de ressemblans a ceux des souverains d'e nos jours; et prononcant sur la réputation des morts, elle juge tacitemenf les vivans. Le blame dont elle couvre les hommes vicieux qui^Ke sont plus, est une lecon de vertu qu'elle fait a la génération présente : 1'histoire paroit lui révéler quels seront sur elle les arrêls de la postérité. Quoique 1'étude de 1'histoire soit proprement celle des princes, ejle n'est pas moins utile au^  i% Discours pai ticuliers ; c'est la chaine des événemeris dV* tous les siècles jusqu'a nos jours. L'homme de loi , le politiquele guerrier, lorsqu'ils y ont rccours, apprennent la connexion que les choses présentes ont avec les choses passées; ils trouveut dans 1'histoire 1'éloge de ceux qui ont bien servi leur patrie , et combien sont en abomination les noms de ceux qui ont abusé de la confiance de leurs citoyens ; ils acquièrent une expérience prématurée. Rétrécir et bomer la sphère de ses idéés au Ueu qu'on habjte , restraindre ses connoissanees a ses devoirs privés, c'est s'abrutir dans 1'ignorance la plus grossière. Pénétrer dans les temps qui nous ont précédés ; embrasser le monde entier , avec toute 1'étendue de son esprit, c'est faire réellement des r.nnqnétes sur 1'ignorance et sur Terreur; c'est avoir vécu dans tous les siècles , et devenir en effet citoyen de tous les lieux et de tous les pays. Comme les histoires uniy(|rselles servent k nous orienter dans cette multitude de faits qui sont arrivés dans tous les pays; que, de 1'antiquité la plus reculée , elles nous conduisent avec ordre par la succession des temps, en marquant de certaines époques principales qui servent de points d'appui a la mémoire : de mém*} , . oires particulières ont leur utilité . en ce lust-  PRÉLIMINAIRE. 1 < qu'elles détaillent les suites des événemens q>ii se sont passés dans un empire, en se bornant a eet objet nnique. Les histoires universelles nous présentent un grand tableau , rempli d'un nombre prodigieux de figures, dont de fortPs ombres en couvrent queïques-unes , trop "pen distinctes pour qu'on les remarque. Les histoires particulières tirent üne figure de ce tableau ; elles la peignent en grand ; elles Tavan* tagent des effets des lumières et des clairs obscurs qui la font valoir ; et mettent Ie public en état de la considérer avec 1'attention qu'ellft mérite. Un homme qui ne se croit pas tombé du ciel, qui ne date pas 1'époque du monde du jour de sa naissance , doit être curieux d'apprendre ce qui s'est passé dans tous les temps et dans tous les pays. Si son indifférence ne prend aucune part aux destinées de tant ^randes nations qui ont été les jouets de la fortune, du mofns s'intéressera-t il k 1'histoire du pays qu'il habite, et verra-t-il avec plaisir les événemens auxquels ses ancêtres ont parti cipé. Qu'un Anglois ignore la vie des rois qur ont occupé le trone de Perse, qu'il confonde ce nombre infini de papes qui ont gouver;: • l'Église, on le lui pardonnera ; nxais on. u'auru  • i' .Discours pas la mé me indulgence pour lui , s'il n'es-è point instruit de 1'origine de son parlement, des coutumes de son isle , et des différentes races de rois qui ont régné en Angleterre. On a écrit l'hisfoire de tous les pays pölicés de 1'Europe; ii n'y avoit que les Prussiens qui n'eussenf. point la leur. Je ne compte point au nombre des historiens un Hartknoch, un Puffendorff, auteurs laborieux a la vérité , qui ont compilé des faits,et dont les ouvrages sont plutót des dicrionnaires historiques que des histoires mêmes. Je ne compte point Lceckel, qui n'a fait qu'une chronique diffuse, oü 1'on achète un événement intéressant par cent pages d'ennui. Ces sortes d'auteurs ne sont que des manoeuvres, qui amassent scrupuleusement et sans clioix quantité de matériaux, qui restent inutiles jusqu'a ce qu'un architecte leur ait donné la forme qu'ils devoient avoir. II est aussi peu possible que ces compilations fassentune histoire,, qu'il est impossible que des caraetères d'imprimeriè fassent un livre , a moins d etre arrangés dans 1'ordre qui leur fait composer des mots, des phrases et des périodes. La jeunesse impatiente, et les gens de goüï avares de leurs momens , ne se pré tent que difficilement a la lecture de ces volumes immenses;  Préliminaire. i5 des lecteurs qui s'humanisent avec une brochure , s'épouvantent dun in-folio ; et par ces raisons , les auteurs que je viens de nommer, éroient peu lus ; et 1'histoire de Brandebourg et de Prusse, peu cónnue. Dès le règne de Fréderic premier on sentit le besoin qUon avoit dun auteur qui rédigear dans une forme cónvenable cette histoire. Tessier fut appellé de Hollande pour sê chargef de eet ouvrage ; mais Tessier fit un panégy: rique, au-lieu d'une histoire ; et il paroit qu'il a ignoré que la vérité est aussi essentielle k 1'histoire , que 1'ame 1'est au corps humain. J'ai trouvé devant moi cette carrière vide , et j'ai essayé de la remplir, tant pour faire un ouvrage utile , que pour donner au public une histoire qui lui manquoit. J'ai puisé les faits dans les meilleures source* que j'ai trouvées : dans les temps reculés , j'ai eu recours k César et k Tacite : dans les temps postérieurs, j'ai consulté la chronique deLcectel, Puffendorff et Hartknoch ; et sur - tour j'ai dressé mes mémoires sur les fastes et les doeumens authentiques qui se trouvent dans les archives royales. J'ai rapporté les faits incerlains , comme incertaines ; et les lacunes . jé  D i s e o 0 R » les ai laisséös comme je les ai trouvées : je me suis fait une loi d'étre impartial, et d'envisager tous les évenemens d'un coup-d'ceil philosophique ; persuadé que d'être vrai, c'est le premier devoir d'un historiën. Si quelques personnes délicates se trouvent offensées de ce que je n'ai pas fait mention de leurs ancètres d'une manière avantageuse , je n'ai qu'un mot a leur répondre ; c'est que je n'ai pas prétendu faire un éloge, mais une histoire ; qu'on peut estimer leur mérite personnel, et blamer les faütes qu'ont faites leurs pères ; choses très-compatibles. II n'est d'ailleurs que trop vrai, qu'un ouvrage écrit sans liberté ne peut être que médiocre ou mauvais ; et qu'on doit moins respecter les hommes qui périssenf, que la vérité qui ne meurt jamais. Peut-être y aura-t-il des personnes qui trouveront eet abrégé trop court, et j'ai a leur dire que je n'ai point eu intention de faire un ouvrage long et diffus. Qu'un professeur curieux de minuties me sache mauvais gré de n'avoir pas rapporté de quelle étoffe étoit fhabit d'Albert surnommé 1'Achille, ou quelle coupe avoit le rabat de Jean le Cicéron; qu'un pédant de RatisWsne ine trouve très-blamable de ce que 7*  PRÉLIMINAIRE. i y je n'ai pas copié dans mon ouvrage, des pj oeès, des négociations, des contrats , ou des traités de paix , qu'on trouve ailleurs dans de gros livres : j'avertis tous ces gens-la que ce n'est pas pour eux que j ecris : je n'ai pas le loisir de composer un in-folio ; k peine puis-je suffïrè a un abrégé historique; et je suis d'ailleurs fermement de 1'opinion, qu'une chose ne mérite dV-tre écrite qu'autant quelle mérite d'étre retentie. C'est par cette raison que j'ai parcouru rapidement 1'obscurité des origines et 1'administration peu intéressante des premiers princes. II en est des histoires comme des rivières, qui ne deviennent importantes que de 1'endroit ou elles commencent k ètre navigables. L'histoire de la maison de Brandebourg n'intéresse crue depuis Jean Sigismond, par 1'acquisition que ce prince fit de la Prusse , autant que par la succession de Clève , qui lui revenoit de droit en vertu d'un mariage qu'il avoit contracté ; c'est depuis cette époque , que la matière devenant plus abondante , elle m'a donné le rnoyen de m etendre k proportion. La guerre de trente ans est bien ouirement intéressante que les démélés de Fréderic I avec Tome II. jj  i8 Discours les Ntirembergeois , ou que les carrousels d'Albert 1'Achille. Cette guerre , qui a laissé des traces profondes dans tous les Etats, est un de ces grands événemens qu'aucun Allemand ni qu'aucun Prussien ne doit ignorer. On J voit d'un cóté 1'ambition de la maison d'Autriche, armee pour établir son despotisme dans ï'Empire, et d'un autre, la générosité des princes d'Allemagne , qui combattoient pour leur liberté ; la religion servant de prétexte aux deux partis. On voit la politique de deux grands rois s'intéresser au sort de 1'Allemagne , et réduire la maison d'Autriche au point de consentir par la paix de Westphalie au rétablissement de cette halance qui maintient 1'équilibre entre 1'ambition des empereurs et la Iiberté du collége électoral. Des événemens de cette importance , qui influent jusqu'en nos jours dans les plus grandes. affaires, demandoient detre plusdétaillés:aussi leur ai-je donné 1'étendue que comportoit k nature de eet ouvrage. J'ai revu, corrigé et augmenté cette édition, autant que d'autres occupations plus graves ont pu me le permettre : la première édition ne s'étant faite que sur une copie peu correcte , j'ai taché de rendre celle-ci plus exacte, tant «m considération de la matière , qu'en considé-  PRÉLIMINAIRE. l(y ration du public, que tont homme qui écrit, doit respecter. II vient de paroitre un abrégé chronologique de 1'histoire de France , qu'on peut regarder comme un elixir des faits les plus remarquables de cette histoire («): le j'udicieux auteur de eet ouvrage a eu 1'art de donner des graces a la chronologie même ; savoir ce que ce livre contient, c'est posséder parfaitement 1'histoire de France. Je ne me flatte point d'avoir mis les mêmes agrémens dans eet essai ; mais je croirai mes peyies récompensées , si eet ouvrage peut devenir utile a notre jeunesse , et ménager du temps aux lecteurs qui n'en ont point a perdre. Quoique j'aie prévu les difficultés qu'il y a pour un Allemand d'écrire dans une langue étrangère, je me suis pourtant déterminé en faveur du franeois , k cause que c'est la plus polie et la plus répandue en Europe, et qu'elle paroit en quelque facon fixée par les bons auteurs du siècle de Louis XIV. Après tout, il n'est pas plus étrange qu'un Allemand écrive de nos jours en franeois , qu'il ne 1'étoit du (a) C'est celui da présiderft Hénaiüt. Ba  ao Discours ï r i l i m ï k a i r e. temps de Cicéron qu'un Romain écrivit en grec. Je n'en dirai pas davantage sur mon Iivre; ou il arriveroit que la préface deviendroit plus longue que 1'ouvrage méme : c'est aux lecteurs h juger si j'ai reinpli la tdche que je me suis proposée , ou si j'ai perdu mes peiues et mon temps.  MÉMOIRE S POUR SERVIR L'HISTOIRE DE LA MAISON r> e BRANDEBOURG. La maison de Brandebourg, ou plutót cella de Hohenzollern , est si ancienne , que son origine se perd dans les ténèbres de 1'antiquité. On pourroit rapporter des fables ou des conjectures sur son extraction; mais les fables ne doivent pas étre présentées au public judicieux et éclairé de ce siècle. Peu importe que des généalogistes fassent descendre cette maison des Colonnes; et que, par une bévue grossière, ils confondentle sceptre qui est dans les armoiries de Brandebourg , avec la colonne que cetta maison italienne porte dans son écusson; peu importe enfin que 1'on fasse descendre les cointes de Hohenzollern, de Witikind , des Guelfes, ou de quelqu'autre tige : les hommes, ce me semble , sont tous d'une race également ancienne. Après tout, les recherches d'un généalogiste , ou Poccupation des savans qui traraillent sur 1 etymologie des mots ,'sont des ob- B 3  22 MÉMOIRES je ts si minces, que par cela même ils ne sont pas dignes d'occuper des têtes pensantes ; il fant des faits remarquables, et des choses capables d'arrêter 1'attention des personnes raisonnables. Nous ne nous amus erons donc point a nous alambiquer 1'esprit sur ces recherches, aussi frivoles que peu intéressantes. Tassillon est le premier comte de Hohenzollern connu dans 1'histoire ; il vécut a peu prés 1'année 800. Ses descendans ont été Danco, Rodolphe I, Othon , Wolffgang , Fréderic I, Fréderic II, Fréderic III, Burchard, Fréderic IV, Rodolphe II, dont les vies obscures ne sont pas oonnues. Conrad, qui vivoit vers 1'année 1200 , est le premier burgrave de Nuremberg dont 1'histoire fasse mention. Ses successeurs furent Fréderic I en 1216 , Conrad II en 1260 , Fréderic II en 1270. On trouve que Fréderic III hérita de son beau-frère , le duc de Méran, les seigneuries de Bareuth et de Cadelsbourg. Jean I lui succéda en 1298 , et a celui-ci Fréderic IV en i332. Ce burgrave rendit des services importans aux empereurs Albert, Henri VII et Louis de Baviére , dans la guerre que le dernier fit a Fréderic d'Autriche. Le burgrave le battit, le fit prisonnier, et le livra a 1'empereur, qui par reconnoissance lui fit présent de tous les prisonniers qu'il avoit faits sur les Autrichiens. Fréderic IV les relacha, a condition qu'ils ha prêteroient hommage de leurs terres ; et c'est 1'origine des vassaux que les margraves de Fran. conie ont encore en Autriche.  de Brandebourg. a5 Les successeurs de Fréderic IV furent Conrad IV en i334, Jean II en , Albcrt VI, dit le Beau, en i36i , et le neveu d'Albert, Fréderic V , que 1'empereur Charles IV déclara prince de PEmpire en i363, a la diète de Nuremberg, et qu'il nomma même son lieutenant. Fréderic V partagea en 1402 les terres de son burgraviat entre ses deux hls Jean III et Fréderic VI; mais Jean III étant mort sans enfans, toute la succession paternelle échut a Fréderic VI. Ce prince entra en 1408 avec ses troupes surle territoire de la yüle de Rothweil, qui étoit mise au ban de 1'Empire, etrasa plusieurs cha. teaux. En 1^1 , ilpiit possession du gouvernement de la Marche, que 1'empereur Sigismond lui avoit donné. Les derniers électeurs de Brandebourg n'ayant pas résidé dans la Marche , la noblesse s'en prévalut : elle étoit indépendante , mutine et séditieuse. Le nouveau gouverneur se ligua avec les ducs de Poméranie , et livra une sanclante bataille a ces rebelles auprès de Zossen:. il fut pleinement victorieux , et rasa quelquesuns des forts qui leur servoient de retraite , mais il ne put entiérement dompter la familie de Quitzow, qu'après lui avoir enlevé vingtquatre chateaux en état de défense. Nous voici parvenus a la belle époque de la maison de Hohenzollern ; mais comme la voila transplantée dans un nouveau pays , il est bon de donner une idee de 1'origine et du gouvernement du Brandebourg. - ,  *4 Mémoires Les pays qui composoient alors 1'électorat de Brandebourg , étoient ia vieille Marclie , la moyenne , la nouvelle, la Marche Uckerane , la Prignitz ; mais la nouvelle Marche étoit engagée a 1'ordre teutonique, et 1'Uckerane usurpéo. par les ducs de Poméranic. Le mot de margraviat signiile originairement gouvernement de fronttere. Les Romains établirent les premiers des gouverneurs dans le pays qu'ils avoient conquis en Allemagne. On remarque cependant qu'ils n'ont jamais passé 1'Elbe. II semble/que le caractère farouche et belliqueux de ces peuples, selon Tacite , les garantit constamment contre les entreprises des Romains. Les Suèves, les plus anciens habitans de Ia Marche, enfurentchassés par les Venèdes , les Slaves, les Saxons et les Francs ; et Charlemagne eut bien de la peine a les subjuguer en 780. Ge ne fut que 1'an 927 que le roi Henri 1'Oiseleur établit des margraves dans ces pays , pour contenir ces peuples enclins a la révolte, aussi-bien que leurs voisins, dont Ia valeur errante s'exernoit par des incursions et des ravages. Sigefroi, beau-frère de 1'empereur Henri 1'Oiseleur, fut, selon Enzelt, le premier margrave de Brandebourg en 927. Ce fut sous son administration que les évéchés de Brandebourg et de Havelberg furent établis par 1'empereur Othon I, et ce ne fut que vingthuit ans après qu'il fonda celui de Magdebour*. On compte neuf races différentes de margraves de Brandebourg , depuis Sigefroi jusqua nas jours; say oir, celles des Saxons, de Wal-  bkBrawdkbourg. a5 beek, de Stade, de Plcetzk, d'Anhalt, de Bavière , de Luxembourg , de Misnie, et enfin celle de Hohenzollern qui subsisteactuellement. Sous le gouvernement des Saxons , un roi Venede, nommé Mistevoi, ravagea totalement les Marches, et en chassa les gouverneurs.L'empercur Henri II reconquit ce pays de nouveau; les barbaxes furent battus , et Mistevoi y périt avec 6,000 des siens. Les margraves, pour ètro rétablis , n'en possédèrent pas plus tranquillement le Brandebourg: ils eurent des guerres k soutenir contre les Venèdes et d'autres peuples barbares , et tantót battus, tantót battant, leur puissance ne s'affermit que sous Albert 1'Ours, le premier de Ia race Anhaltine, qui étoit ïa cinquième de celles des margraves. Les empereurs Conrad III et Fréderic Barberousse 1'élevèrent, le premier au margravïat, et le second k la dignité electorale, environ Tan ii54- Ptibislas, prince des Venèdes, qui n'avoit point d'enfans , prit tant d'amitié pour Albert 1'Ours, qu'il lui légua par son testament, en 1144,la moyenne Marche. Cet électeur possédoit alors la vieille et la moyenne Marches, la haute Saxe, le pays d'Anhalt, et une partie de la Lusace. Il y a un vide dans les archives, et dans 1'histoire une obscurité impénétrable sur les princes de la race Anhaltine. On sait que cette ligne s'éteignit en i3aa par la mort de Waldemar, et de Henri, prince mineur. L'empereur Louis de Bavière , qui régnoit alors , regardant la Marchö comme un fief dévolu a 1'Empire , la donna k son hls Louis , qui fut le premier de 'a B *  M É M O I It E S sixième race. Cet électeur eut trois guerres k soutenir ; 1'une avec les ducs de Poméranie , qui envahissoient la Marche Uckerane ; 1'autre avec les Polonois, qui ravageoient le district de Sternberg; et la troisième eontre un imposteur, quiprenantle nom deWaldemar, dernier électeur de la maison Anhaltine, se fit unparti, s'empara de quelques villes , mais fut enfin défait. Ce faux Waldemar étoit le fils d'un meüriier de Bélitz. Louis le Romain (a) succéda k son frère ; et comme il mourut de même sans enfans, son troisième frère Othon lui succéda. Ce prince étoit si pusillanime, qu'après la mort de son frère , il vendit en ïójd 1'électorat, pour deux cent mille florins d'or, a 1'empereur Charles IV? de la maison de Luxembourg , qui ne lui paya pas méme cette somme modique. Charles IV donna la Marche k son fils Wenceslas, et voulut l'incorporer a la Bohème, dont il étoit roi. Wenceslas étant devenu roi de Bohème , Sigismond son frère recut 1'électorat. La nou? veile Marche échut en partage a Jean , son frère cadet, et Jean étant mort, elle fut réunie avec 1'électorat; mais Sigismond ayant besoin d'argent, engagea cette province aux chevaliers de 1'ordre teutonique en 14.02. Sigismond, devenu roi de Hongrie, engagea la Marche a Josse, margrave de Moravie ; celui-ci la céda a son beau-frère Guillaume , margrave de Misnie , qui ne la posséda que pendant une année. Josse. (a) Ce snrnon) lui fut domié , paree qu'il étoit r,é i Roxs  d ï. BiiAsnnioüK g, 27 étant mort, 1'électorat retomba a l'empereur Sigismond. Cette coutume singulière de vencjre et d'acheter les Etats, qui étoit si fort a la mode dans ce siècle, prouve bien certainement la barbarie de ces temps, etle misérable état danslequel étoient ces provinces , que 1'on vendoit a si vil prix. L'empereur, qui ne pouvoit pas vaquer lui-méme a 1'administration de 1'électorat, y établit un gouverneur: son choix tomba sur Fréderic VI du nom, burgrave de Nuremberg , frère de Jean III de la maison de Flohenzoliern ; et c'est 1'histoire de ce prince que nous allons écrire. FRÉDERIC I. C^E fut 1'année i/JiS que l'empereur conféra la dignité électorale et la charge d'archi-chambellan du S. Empire Romain , a Fréderic VI de Hohenzollern, burgrave de Nuremberg , et qu'il lui fit la cession en propre du pays de Brandebourg. Ce prince , que nous appellerons désormais Fréderic I , en recut 1'investiture des mains de son bienfaiteur , a la diète de Constance, 1'an i4x7- H Jouissoit alors de la vieille et de la moyenne Marches. Les ducs de Poméranie avoient usurpé la Marche Uckerane : 1'électeur leur fit la guerre , les battit a Angermunde , et réunit a la Marche une province qui y étoit incorporée d'un temps immémorial. La nouvelle Marche étoit encore cngagée k  sS MÉMOIRES Fordue teutonique , comme on 1'a dit plus haut; mais 1'électeur, qui étendoit les vues de son, agrandissement, s'empara de la Saxe, dont 1'électorat étoit vacant par la mort du dernier électeur de la branche Anhaltine. L'empereur, qui n'approuva pas cette acquisition, en donna, l'investiture au margrave de Misnie ; et Fréderic I se désista volontairement de sa conquête. L'électeur lit le partage de ses Etats par son testament. Son hls ainé,surnommé 1'Alchimiste, fut privé de ses droits par son père, qui le laissa aVec le Voigtland et son creuset. Son second hls Fréderic eut 1'électorat. Albert, surnommé 1'Achille, eut les principautés de Franconie ; et Fréderic , surnommé le Gros , eut la vieille Marche : mais la mort de Fréderic Ie Grosréunit cette province a 1'électorat de Brandebourg. Cette équité naturelle , qui veut qu'un père fasse un partage égal entre ses enfans , étoit encore suivie dans ces temps reculés. On s'apr percut dans la suite , que ce qui faisoit la fortune des cadets, devenoit le principe de la décadence des maisons. Nous verrons cependant, dans cette histoire, encore quelques exemples. de partages semblables. Fréderic I mourut eu  II B R A E D I B O l' Jl (i. FRÉDERIC II, Surnommé Dent de Fer. FRéderic II fut surnommé Dent de Fer h canse de sa force. On auroit dü 1'appeller le Magnanime , a cause qu'il refusa la couronne de Bohème , que le pape lui offrit, pour en dépouil1 er George Podiébrad ; et la couronne de Pölogne , qu'il déclara ne vouloir accepter qu'au refus de Casimir , frère du dernier roi Ladislas. La grandeur dame de eet électeur lui attira la confiance des peuples ; et les États de la basse Lusace se donnèrent k lui par inclination. La Lusace étoit un hef de la Bohème. George Pcrdiébrad, qui en étoit roi , ne youlut point que cette province passit sous la domination de Fréderic II : il porta la guerre en Lusace et dans la Marche. Ces deux princes firent un traité k Guben en 1462, par lequel Cotbus, Peilz, Sommerfeld , Bobersberg, Storkow et Beskow , furent cédés en propriété k 1'électeur , par la couronne de Bohème. L'électeur, qui ne vouloit point faire des acquisitions injustes , savoit fake valoir ses droits, lorsqu'ils étoient légitimes 5 il racheta (a) la nouvelle Marche de 1'ordre teutonique , auquel j'ai déjk dit qu'elle avoit été engagée. En 1464? Othon III, dernier duc de Stettin, vint amourir , et l'électeur entra en guerre avec le duc deWolgast. En voici la raison: ( cn faveur de son frère Albert, surnommé 1'Achille ; car il n'avoit point d'enfans. Ce prince , qui avoit professé le désintéressement et la modération pendant toute sa vie , ne s'écartant point de ces principes , ne se réserva qu'une modique pension de f),ooo ilorins, avec laquelle il vécut en phiJosophe, jusqu'a i'année 1471, qu'il mourut accablé d'iniirmités. ALBERT, Surnommé 1'Achille. .Albert fut surnommé Achille et Ulysse k cause de sa prudence et de sa valeur ; il avoit $7 ans lorsque ,son frère lui céda la régcnce. II  BE EjlAMDICOCRC, 5ï «voit fait ses plus belles actions lorsqu'il n'étoit que burgrave de Nuremb erg. Comme margrave de Bareuth et d'Anspach , il fit la guerre a Louis le Barbu , duc de Bavière , et le fit même prisonnier. Il gagna huit batailles contre les Nurembergeois, qui s'étoient révoltés et lui disputoient les droits du burgraviat. Il enleva un étendard k un guidon de cette ville au péril de sa vie , combattant seul contre seize hommes , jusqu'a ce que le secours des siens lui arrivüt. Jl s'empara de la ville de Greiffenberg, comme Alexandre de la capitale des Oxidraques , sau tant lui seid du haat des murailles dans la ville, oü il combattit jusqu'a ce que ses troupes ayant forcé les portes , vinssent le secourir. Albert gouvernoit presque tout 1'Empire , par la conliance que l'empereur Fréderic III lui témoignoit. II conduisit les armées impériales contre Loius le Riche, duc de Bavière , et contre Charles le Hardi, duc de Bourgogne , qui avoit mis le siège devant Nuys (a); et Albert disposa ce prince a la paix. Ce fut cette négociation qui lui acquit le surnom d'Ulysse } et il mérita toujours celui d'Achille, soit k la tére des troupes dans les combats, soit dans ces jeux, images de la guerre , qui étoient si fort k la mode dans ce temps-la. II gagna le prix dans dix-sept tournois , et ne fut jamais désarconné. L'usage de ces combats scmble être originairement franeois, Peut-être que les Maures qui inondèrent 1'Espagne , 1'établirent dans ce pays (a) La ville de Nuys est dans l'^ectorat Je Cologne.  «a M'é u o i n e s avec leur galanterie romanésque. Ontrouye dans 1'histoire de France , qu'un certain Godefroi de Preuilly, qui vivoit 1'an 1060, étoit le rénovateur de ces töurnois. Cependant Charles le Chauve , qui vivoit 1'an 844, en avoit déja tenu k Sfrasbourg , lorsque son frère Louis d'Allemagne 1'y vint voir. Cette mode passa en Angléterre dès 1'an 1114 , et Richard d'Angleterre 1'établit dans son royaume 1'an 1194. Jean Cantacuzène dit qu'au mariage d'Anne de Savoie avec AndronicPaléologue , empereur Grec, ces combats, dont 1'usage étoit venu des Gaules , se eélébrèrent en 1226. II y périssoit souvent du monde, lorsqu'ils étoient poussés a outrance. On lit dans Henri Cnigston, qu'il se ik un tournoi k Chalons en 1274, au sujet d'une entrevue entre la cour du roi d'Angleterre Édouard et celle du duc de Bourgogne , oü beaucoup de chevaliers Bourguignons et Anglois demeurèrent sur la place. Les tournois passèrent en Allemagne dès 1'an 1136. Les chevaliers s'envoyoientdes lettres de défi d'un bout de 1'Europe a 1'autre ; et il n'étoit permis qu'a ceux qui étoient armés chevaliers de faire de ces défis. Leurs lettres portoient a peuqjrès, qu'un tel prince, s'ennuyant dans une lache oisiveté, désiroit le combat, pour donner de 1'exercice k sa valeur , et pour signaler son adresse. Elles marquoient le temps , le nombre des chevaliers , 1'espèce d'armes, et le lieu oü le tournoi devoit se tenir ; et enj'oignoient aux chevaliers vaincus de donner un brasselet d'or aux chevaliers vainqueurs , et un brasselet d'argent a leurs écuyers. Les papes s'éleyèrent conire ces  d i Brandébötjrg. p5 ees dangereux divertissemens. Innocent II en 1140 , et depuis , Eugène III au concile de Latran en i5i.3, fulminèrent des anathêmes , et prononcèrent 1'excommunication contre ceux qui assisteroient k ces combats. Mais , malgré la soumission qu'on aroit alors pour les papes , ils ne purent rien contre ce fatal usage , auquel une fausse gloire et une fausse galanterie donnoient cours, et que la grossiéreté des mocurs faisoit servir de spectacle , d'amusement et d'occupation , proportionné a la barbarie dos siècles qui le virent naitre. Car, depuis ces excommunications , 1'histoire fait mention du tournoi de Charles VI, roi de France, qui se tint k Cambray en i385, de celui de Franeois I, qui se tint entre Ardres et Guines en i5zo , et, de celui de Paris eni55o, oü Flenri II recut une blessure a 1'oeil, par tas éclat de la lance du comte de Montgommeri, dont ce roi mourut onze jours après. On voit par-la que c'étoit alors un grand mérite k Albert Achille d'avoir remporté le prix dans dix-sept tournois ; et qu'on faisoit, dans ces siècles grossiers , le même cas de 1'adresse du corps , qu'on en faisoit du temps d'Homère. ]\'otre siècle , plus éclairé , accorde , plutót qu'aux vertus guerrières , son estime aux talens de 1'esprit, et a ces vertus, qui élevant 1'hómme presque au-dessus de sa condition, lui font fouIer ses passions sous les pieds, et le "rendent bienfaisant, généreux et secourable. Albert Achille réunit donc ses possessions de Franconic k 1'éleitörat, par l'abdication de son Wi>m* II. C  54 MÉMOIRES frère en i47°- Après avoir pris la régence . it fit un traité de confraternité 1'an i/yjS avec les rnaisons do Saxe et de Ilesse, qui régloit entre elles la succcssion de leurs Etats , en cas qu'une de leurs lignes vint a s'éteindre. La mêrae aunée il ordonna de sa propra succcssion entre ses fils ; 1'clectorat tomba en partage a Jean , dij le Cicéron ; le second de ses fils eut Bareuth ; et le cadet, Anspacli. Albert abdiqua enfin 1'électorat en 1476, en faveur de Jean le Cicéron. Sa fille Barbe , qui épousa Henri, duc de Glogau et de Crossen , fit passer ce dernier duché a la maison de Brandebourg. Son con* trat de mariage portoit, qn'au cas que le duc Henri vint a mourir saus eufans , l'électeur auroit urie bypothó(jUS dé 'ÏOjOoo ducats sur le duché de Crossen. Le cas vint a écheoir ; Jean le Cicéron se mit en possession de la ville de Crossen> et maintint cette acquisition. Le troisième fils d'Albert Achille , Fréderic le Vieux, margrave d'Ant>pach , fut père de George le Pieux , qui reent le duché de Jregerndorf du roi de Bohème. II n'est pas inutile de rapporter a cette occasion , que ce margrave George d'Anspach et duc de Jregerndorf fit un contrat avec les ducs d'Oppeln et de Batibor , par lequel les survivans" hériteroient de ceux qui jnourroient sans enfans. Ces deux ducs ne laiisèrent point de lignée , et George recueillit la succession de ces duchés. Depuis, Ferdinand, frère de Charles V, et héritier du royaumc de 'Bohème, dépouillale margrave George, d'Oppeln et de Batibor ; et lui promit, pour dé-  de Bhandeeoch c. 33 dommagement, une somme de i3o,ooo florinsP qui ne füt jamais payée. JEAN LE CICÉRON. On lui donna le surnom de Cicéron a cause de son éloquence naturelle. II réconcilia trois rois , qui se disputoient la Silésie; sayoir, Ladislas de Bohème , Casimir de Pologne , et Mathias de Hongrie. Jean le Cicéron et l'électeur de Saxe entrèrent en Silésie a la té te de 6,000 chevaux, et se déclarèrent ennemis de celui des rois qui refuseroit de préter 1'oreille aux paroles de paix qu'ils leur portoient. Son éloquence, a ce que disent les annales, moyenna 1'accord de ces princes, par lequel la Silésie et la Lusacs furent partagées entre les rois de Bohème et de Hongrie. Je voudrois que 1'on eüt rapporté d'autres exemples de 1'éloquence de ce prince • car, dans celui-ci, les 6,000 chevaux paroissent le plus fort argument. Un prince qui peut décider les querelles par la force des armes, est toujours un grand dialecticien 3 c'est un Hercule qui persuade a coups de massue. Jean le Cicéron eut une guerre a soutenir contre le duc de Sagan, qui formoit des prétentions sur le duché de Crossen; l'électeur le battit prés de cette ville, et le ht méme prisonnier. On peut juger des moeurs de ce temps par Jean, duc de Sagan , qui eut la cruauté de laisser mourir de faim un frère avec lequel il s'étoit brouillé. Jean le Cicéron mourut 1'an ï409- II laissa deux fils, 1'un Joachim , qui ]yi Cs*  36' M é u o i n i s succéda a 1'électorat; et le second, Albert, qui devint électeur de Maïence , archevéque de Magdebourg, et éyêque de Halberstadt. J O A C H I M I , Surnommé Nestor. Tl, recut le surnom de Nestor , comme Louis XIII celui de Jus te, c'est-a-dire, sans que 1'onen pénètre la raison. Joachim n'avoit que seize ans lorsqu'il devint électeur. Le comté de Ruppin étant devenu vacant par la mort de Wichmann, comte de Lindau , l'électeur réunit ce lief a Ia Marche. II mourut en i535 , laissant deux hls ; savoir, Joachim, qui lui succéda, et le margrave Jean, auquel il légua la nouvelle Marche, Crossen , Sternberg et Cotbus. JOACHIM II. Tl parolt qu'on revint, du temps de JoachimIT, de 1'abus de donner des surnoms aux princes. Celui de son père avoit si mal réussi, qu'il étoit devenu plutót un sobriquet qu'une illustration, La flatterie des courtisans, qui avoit épuisé les comparaisons de 1'antiquité, se re tourna sans doute d'un autre cóté; et il faut croire que 1'amour-propre des princes n'y perdit rien. Joachim II hérita 1'électorat de son père, comme nous venons de le dire. Il embrassa ia doctr.'ne de Luther en i55>c,. On ne sait pas les  D E B a A N D E B o- u n O. 07 circonstances qui donnèrent lieu a ce changement ; ce qu'il y a de certain, c'est que ses courtisans et 1'évêque de Brandebourg suivirent son exemple. Une nouvelle religion, qui paroit tout-a-coup dans le monde , qui divise 1'Europe , qui change 1'ordre des possessions , et donne lieu a de nouvelles combinaisons politiques , mérite que nous donnions quelqu'attention a ses progrès j et surtout que nous examinions par quelle vertu elle produisoit les conversions soudaines des plus grands Etats. Dès 1'année 1400 , Jean Hus commenca k prêcher sa nouvelle doctrine en Bohème ; c'étoienl proprement les sentimens des Vaudois et de Wiclef auxquels il adhéroit. Hus fut brülé au concile de Constance («). Son prétendu martyre augmenta le zèle de ses disciples. Les Bohémiens, qui étoient trop grossiers pour eatrer dans les disputes sophistiques des théologiens , n embrassèrent cette nouvelle secte que par un esprit d'indépendance et de mutinerie, qui est assez le caractère de cette nation. Ces nouveaux convertis secouèrent le joug du pape , et se servirent des libertés de leurs consciences , pour couvrir le crime de leur révolte. Tant qu'un certain Ziska fut leur chef, ce parti fut redoutable. Ziska remporta quelques victoires sur les troupes de Wenceslas et de Sigismond , rois de Bohème ; mais après sa mort les hussites furent en partie chassés de ce royaume ; et 1'on (0) L'an u'.5 , sorw le pre Jcr.n XXIH. C 3  ™ M £ m o i n e s ne voit point qnc Ja doctrine de Jean Hus sa soit étendue hors de la Bohème. L'ignorance étoit parvenue a son comble dans les XIV*. et XVe. siècles. Les ecclésiastiques n'étoient pas mé me assez instruits pour être pédans. Le relachement dans les mceurs, et la vie licencieuse des moines , faisoient que 1'Europe ne poussoit qu'un cri, pour demander la réforme de tant d'abus. Les papes. abusoient ntême de leur pouvoir a un point qui n'étoit plus tolérable. Léon X faisoit dans la chrétientó un négoce d'indulgences , pour amasser les sommes dont il avoit besoin pour batir la basilique de S. Pierre a Rome. On prétend que ce pape fit présent a sa sccur Cibo du produit que rapporteroient celles que 1'on vendroit en Saxe. Ce revenu casuel fut alTermé : ces étranges fermiers voulant s'enrichir , choisirent des moines et des quêteurs propres a rarnasser les plus grandes sommes ; et les commis de ces indulgences en dissipèrent une partie par des déi ordres scandaleux. Un inquisiteur nommé Tetzel, et des Dominicains, furent ceux qui s'acquittant si mal de cette commission, donnèrent lieu a la réforme. Le vicaire-général des Auguslins, nommé Staupitz, dont Fordre avoit été en possession de ce négoce, ordonna a un de ses moines , nommé Luther, de prècher contre les indulgcnces. Dès 1'an i5i6, Luther avoit déj'a combattu les scolastiques : il s'éleva alors avec plus de force contre ces abus ; il avanoa d'autres ju-opositions douteuses ; puis il les soutint, en les munissant de nouvelles preuves, I! fut enfin  d e B r a n d e e o v r g. % eseenimunié do pap* on iSaW Ü avoit goüté le plttkif de dire ses sentimcns sans contramte ; il s'y Hvra depuis sans hornes. Il renonea au froc et épousa Catherine de Bore en i5aj, encourageant par son exemple les prétres et les moines a rentrer dans les droits de la nature et de la raison. S'il rendit des citoyens a la patrie il lui rendit aussi son patrimoine , en mettant'dans son parti beaucoup de princes pour qui la dépouille des biens ecclésiastiques étoit une doüce ainorce. L'électeur de Saxe fut le premier qui embrassa sa nouvelle secte. Le Palatinat, la Hcsse , le pays de Hanovre, le BrandebbWg . la Souabe, une partie de 1'Autriche, de la Bohème, de la Hongiie, toute la Sdesie ét le Kord , recurent cette nouvelle rel.gion. Les dogmes en sont si connus, que je me crors dispensé de les rapporter. Peu de temps après, Calvin parut en I'rance, en i535. Un Allemand nommé Woldemar, qui éWit luthérien, avoit inspiré ses senlimens a Calvin, avec lequel ililt comioissance a Bourges. Malgré la protection que Marguerite de NaVan» accordoit a ce nouveau dogme , Calvin jut bbligé de quitter la France a différentcs reprises. Poitiers fut 1'endroit oü il ht le plus de prosétytes. Ce converiisseur , qui croyoit conhoitre le génie de sa nation, s'imagina quelle seroit plutót persuadée par des chansons que par des argumens ; et il composa , dit-on, un vaudeville , dont le refrain étoit : 6 moines ! ö meines ! il faut vous marier (fl) : ce qui eut (a\ Vafez te Dictïonnaife de Moiévi, atticle Calvin. ^ ■ 0 4  4° MÉMOIRES un succes étonnanfc Calvin se retira k BAle, 011 il fit imprimer ses Institutions. II convertit ensuite la duchesse de Ferrare , fille de Louis XII. En i556, il acheva de ranger la ville de Genève a ses sentimens ; et il y fit bi uier Micliel Servet, qui étoit son ennerai: de persécuté il de vint persécuteur. La religion réformée, tantót perséeutée , tantót tolérée en France, servit souvent de prétexte a des guerres sanglantes, qui pensèrent plus d'une fois bouleverser ce royaume. Henri VIII, roi d'Angleterre , auquel Ie papa Léon X avoit donné le tilre de défenseur de la foi , paree qu'il avoit écrit contre Luther , Henri VIII, devenu amoureux d'Anne de Boulen , et ne pouvaut persuader le pape de rompre son mariage avec Catherine d'Arragon, s'en sépara de sa propre autorité. Clément VII, qui succéda a Léon X , 1'excommunia imprudemment ; et dès 1'année i533 il secoua le jong da pnpe ; il se fit pape a Londres , et fraya IuiSnoine le chemin ala nouvelle religion qui s'établit après lui en Angleterre. Si donc on vent réduire les causes des progrès de la réforme a des principes simples , on verra qu'en Allemagne ce fut 1'ouvrage de 1'intérêt 3 sn Angleterre , celui de l'amour ; et en France , celui de la nouveauté , ou peut-être d'une chanson. II ne faut pas croire que Jean Uns , Luther ou Calvin, fussent des génies supérieurs. II en est des chefs de sectes comme des ambassadeurs : souvent les esprits médiocres réussissent le mieux , pourvu que les eonditions qu'ils offrent soient avantageuse*.  n f. Brand ebo.flf ?i o. A1 Les siècles de 1'ignorance étoient le règne des fanatiques et des réformateurs. Il semble que 1'espril humain se soit enfin rassasié de disputes et de controverses. On laissa argumentcr les ihéologiens et les métaphysiciens sur les bancs de 1'école, et depuis que dans les pays protestans les ecclésiastiques n'ont plus rien a perdre , les chefs des nouvelles sectes n'ont plus rien 4 gagner. L'électeur Joachim II acquit, par la communion sous les deux espèces , les évéchés de Bran* debourg, de Havelberg et de Lebus , qu'il incorpora a la Marche. II n'entra point dans 1'union que les princes protestans Jfirent aSmalcalde en 1555; etil maaltint la tranquillité dans 1'électorat, tandis que la guerre désoloit la Saxe et les pays voisins. La guerre de religion commenca en i546, et hnit par la paix de Passau et d'Augsbourg. L'empereur Charles-Quint s'étoit mis h la tête des catholiques. L'illustre et malheureux JeanFréderic , électeur de Saxe , et Piiilippe le Magnanime , landgrave de Hessc , étoient les chefs des protestans ; l'empereur les battit en Saxe , auprès de Muhlberg. Lui et le cardinal Granvelle se servirent d'un stratagême indigne, pour tromper le landgrave de Hesse. CharlesQuint se crut autorisé par la phrase équivoquft d'un sauf-conduit, a mettre le landgrave dans la prison, oü il passa une grande partie de sa vie. L'électeur Joachim , qui avoit été le garant de ce sauf-conduit, fut outré de ce manque de foi; dans sa colère il tira s,on épee contre le dnc  4*2 MÉMOrRKS d'Albe ; mais on les sépara. Jean-Fréderic dé Saxe fut déposé ; l'empereur donna eet électorat au duc Maurice , qui étoit de la ligne Albertine. Cependant Joachim ne se couforma point a Vinterim que l'empereur avoit fait publier. Les électeurs de Saxe et de Brandebourg furent chargés par l'empereur de mettre le siège devant Magdebourg ; cette ville se rendit, après s'étre défendue quatorze mois ; la capitulation étoit concue avec tant de douceur, que 1'empereür eut peine a la confirmer. L'arehevêque de ATagdebourg étant décédé, les chanoines élurent h sa place Fréderic, évéque de Havelberg , second hls de l'électeur Joachim ; et après la mort de celui-la , l'électeur eut assez de crédit pour y faire succéder le troisième de ses hls , nommé «Sigismond , qui étoit protestant. Ce fut eet électeur qui iit batir la forteresse de Spandau en i > > >. L'ingénienr qui la construisit, s'appelloit Giromeia. 11 falloit bien que 1'on füt extrêmement privé de toutes sortes darts dans ces temps , pour avoir recours aux étrangei*s dans les moindres choses. Mais comment pouvoit-on défendre des places , si on ne savoit pas les fortifier? Le margrave Jean, frère de l'électeur, fit en mème tejnps travailler aux ouvrages de Kustrin et de Peitz. C'étoit peut-être une mode alors de fortilier les places ; l'empereur Charlesuint en donna 1'exemple 'a Gand , a Anvers et a Milan : si 1'on avoit eu une idéé distincte de 1'usage que 1'on en peut faire, ou auroit eu des. iuiréiiieurs.  30 e Brandei! o,tr n • 4^ Joachim II obtint en i56g de son beau-frère Sigismond-Auguste , roi de Pologne, le droit de succéder a Albert-Fréderic de Brandebourg, duc de Prusse , au cas qu'il mourut sans héritiers ; elAl s'engagea de secourirla Pologne d'un certain nombre de troupes , routes les fois qu'elle seroir attaquée. Le règne de ce prince fut doux et paisible. On Faccusa de pousser la ïibéralité au point d'étre prodigue. II mourut en J E A N - G E O R G E. JÈan-George hérita par cette mort 1'électorat de son père Joachim II, et la nouvelle Marche, de son oncle le margrave Jean. Son gouverne ment fut pacihque , et ne tient ici que par le hl de 1'histoire chronologique. II est a remarquer qu'unede ses femmes fut une princesse de Lignitz , noinmée Sop/de. La branche des margraves de Bareuth et Anspach vint a s'éteindre : il partagea cette succession entre ses deux hls radets ; Cliristian , 1'ainé des deux , devint 1'auteur de la nouvelle tige de Bareuth ; et Ernest, de celle d'Anspach. L'électeur mourut 1'an i5g8. JOAC H I M-FRÉDERIC. T * iJ Oachim-Fréderic avoit cinquante-deux ans , lorsqu'il parvint a la régence. Pendant la vie de son père , il jouissoit des évèchés <\c Magde-  44 M i ven e s bourg, de Havelberg et. de Lebns. Lorsqu'il succéda a Jean-George , il se dérnit de 1'archevêché de Magdebourg en faveur d'un de ses fds , nommé Christian-Guiliaume. II administra la Prusse pendant la déuience du duc AlbertFréderic. II recueillit la succession du duché de Ja;gerndorf, qu'il céda a un de ses fils , nommé Jean-George, pour le dédommager de> levêché de Strasbourg, auquel il avoit été obligé de renoncer. Dans ces temps-lales successions se réunissoient souvent, et se divisoient de mème : la mauvaise politique de ces princes rendoit le travail que la fortune faisoit pour 1'agrandissement de leur maison, ingrat et inutile. Joachim-Fréderic fut le premier prince qui établit un conseil d'état. II reste a jager quelles devoient avoir été 1'administration du gouvernement, la justice et la conduite des finances, dans ce pays grossier et sauvage , ou il n'y avoit pas mème de personnes préposées pour vaquer u ces emplois. L'électeur s'apperrmt sans doute de la. nécessité qu'il y avoit de pourvoir a 1'éducation de la jeunesse car ce fut a cette intention qu'il fonda lo collége de Joachimsthal. Cent vingts personnes y sont élevées, nourries et instruites, selon 1'institution, dans les belles lettres. Le grand électeur transféra depuis ce collége a Berlin. La pauvreté du pays et. le peu despèces qui rouloient, donnèrent lieu aux loir somptuaires que l'électeur fit publier. li mourut 1'année tGo3, agé de soixaute-trois ans.  i> s. Brandïbodihi. 45 j E A N - S I G I S M O N D. jEan-Sigismond avoit épousé h. Koenigsbérg, 1'an i5g4> Anne., fdle alnée d'Albert, duc do Prusse, héritièré de ce duché et de la succession de Clève. Cette succession étoit composée des pays de Juliers , Berg, Clève, la Mark, .Bavensberg et Ravenstein. Le morceau étoit hop tentant pour ne pas exciter 1'avidité da tous ceux qui avoient espérance d'y participer. Avant que de parler des droits des électeurs de Brandebourg et des ducs de Neubourg, il est bon d'expliquer les prétentions de la Saxe, pour ne point embrouiller les matières. L'empereur Maximilien avoit domié 1'expectative de cette succession aux princes des deux lignes de Saxe; savoir, 1'Ernestine et 1'Albertine, au défaut de tous les héritiers males et femelles des ducs de Clève. Car les patentes que le duc de Juliers, Guillaume , obtint de l'empereur, font foi que ce hef tomboit en quenouille. JeanFréderic, dernier électeur de Saxe de la maison Ernestine , épousa Sibylle , fille de Jean III, duc de Juliers. Le duc Guillaume de Clève , fils de Jean de Juliers , épousa la fille de Ferdinand , nièce de l'empereur Charles-Quint. Ce mariage, joint au mécontentement que l'empereur avoit de ce que Jean-Fréderic de Saxe étoit un des membres de 1'union de Smalcalde , le portèrent a confirmer au duc Guillaume le droit qu'il avoit de disposer de la iuccession en faveur d« ses C *  45 Mémoires filles au défaut des héritiers males. Le fds de ce duc, nommé Jean-Guillaume , mourut sans enfans en i6og. Ainsi cette succession retomba k ses soeurs. L'alné© , nommée Marie - Eléonore , avoit épousé le duc de Prusse Albert-Fréderic. La seconde , Anne, étoit mariée au prince Palatin de Neubourg. La troisième, Magclelaine, étoit femme du comte Palatin de Deux-Ponts. La quatrième , Sibylle, étoit mariée k un prince d'Autriche , margrave de Burgau. Ces quatre princesses et leurs enfans préten-r dirent k cette succession. La maison de Saxe ajoutoit au droit de réver» sion le mariage de l'électeur Jean-Fréderic avec la princesse Sibylle, tante du défunt. Marie-Eléonore , femme d'Albert de Prusse , fondoit ses droits sur son contrat de mariage en 1572, qui portoit en termes exprès , que si son frère venoit a mourir sans enfans, elle et sa postérité hériteroient des six duchés, en vertu des pactes fondamentaux des années 1418 et 1496, par lesquels les filles alnées ont le droit de succéder. Le duc de Prusse s'engagea a payer deux cent mille florins d'or aux soeurs de sa femme , pour les satisfaire par cette somme sur toutes leurs prétentions. Si Marie-Eléonore eüt été en vie au décès de son frère, il est fort probable qu'il n'y auroit point eu de démélé ; mais étant morte, sa fille Anne , femme de l'électeur Jean* Sigismond, rentroit dans les droits de sa mère. Cette succession deyoit dono tomber sur son  ))£ BpaKDEIOURC. f\J chef, puisqu'elle représentoit Marie-Eléonore : et c'étoit le point de la contostatiori. Les prétentions d'Anne , duchesse de Neubourg, se fondoient sur ce que sa söeiir MarieEléonore étant morte , elle rentrbit dans ses droits , et devehoit par conséquent 1'alnée de ses fmtres soeurs, étant plus proche parente qu'Anne de Brandebourg, qui étoit nièce du défunt. Il n'y avoit que les pactes de familie et le conirat et ia Prusse imita son exemple. Son fils Albert Fréderic lui succéda en 1568. Ilrecut Fin•vestiture du roi Sigismond-Auguste, a laquelle eut partl'envoyé de l'électeur Joachim II. C'est eet Albert-Fréderic qui épousa Marie-ÉIéonore, fille atnée de Guillaume , et soeur du dernier duc de Clève. Jean-Sigismond fut le gendre et le. tuteur de ce duc de Prusse. La niort de son beau-père le fit entrer entiérement dans la possessionde ce duché, Fan 1G18. Jean-Sigismond s'étoit fait réformé dèsl'an 1614,pour complaire aux peuples du pays de Clève , qui devoient devenir ses sujets. L'empereur Rodolphe II mourut pendant Ia régence de l'électeur. Le collége électoral élut en sa place Mathias , frère du défunt. L'électeur sentant les approches de lage f et se voyant accab.lé d'infirmités , remit la régence a son fils George-Guillaume, et mourut peu de temps après- D 3  52 MÉMOIRES GEORGE-G UILLAUME. 1619. (jEorge-Guillaume parvint k 1'électorat 1'an 1619. Sa régence fut la plus malheureuse de toutes celles des princes de sa maison. Ses-Etats furent désolés pendant le cours de la guerre de trente ans, dont les traces funestes furent si profondes , qu'on en voit encore des marqués au temps que j'écris cette histoire. Tous les fléaux de l'univers fondirent a la fois sur ce malheureux électorat. II voyoit a sa tête un prince incapable de gouverner , qui avoit choisi pour son ministreuntraitre (a) a sa patrie. Une guerre , ou plutót un bouleversement général, survint en même temps. II fut inondé par des armées ainies et ennemies^ également pillardes et barbares, qui se heurtant comine des vagues agitées par une tempête , tantót le couvroient de leur nombre , et tantót se retiroient après 1'avoir ruiné. Et enfin, pour mettre le comble a la désolation, ce qui échappa de ses habitans au fer du soldat, périt par des maladies malignes et contagieuses. La mème fatalité qui persécuta eet électeur . parut s'acharner sur tous ses parens. GeorgeGuillaume avoit épousé la fille de Fréderic IV, électeur Palatin. II étoit par conséquent beaufrère du malheureux Fréderic V, élu et couronné roi de Bohème , battu au Weissenberg , (a) U comte de Schwaruenberg, ftadhondet dc l?. Marche.  be Brandebourg. 53 dépouillé du Palatinatet mis au ban de 1'Empire par l'empereur Ferdinand II. Le duc de Jasgerndorf, oncle de George-Guillaume , fut dépossédé de son pays , paree que ce prince avoit embrasséleparti de Fréderic V; et l'empereur donna ses biens confisqués k la maison de Lichtenstein, qui en est actuellement en possession. L'électeur protesta en vain contre cette violence. Enfin son second oncle , 1'administrateur de Magdebourg, fut déposé et mis au ban de 1'Empire, pour être entré dans laligue de Lauenbourg, et pour s'être allié avec le roi de Danemarck. L'empereur , victorieux de ses ennemis , étoit presque despotique dans 1'Empire. La guerre de trente ans avoit commencé dès 1'an 1618, k 1'occasion de la révolte des Bohémiens , qui élurent pour leur roi Fréderic V, électeur Palatin j mais comme nous nous bornons aux événemens qui regardent directement 1'histoire de la maison de Brandebourg , nous ne ferons mention de cette guerre qu'autant quelle aura du rapport avec cette histoire. La trève que les Hollandois et les Espagnols avoient conclue en 1609 pour douze ans , étoit prés d'expirer; et les duchés de succession de Clève, ou ces deux nations avoient des troupes , devinrentle théatre de la guerre. Les Espagnols forcèrent la garnison de Juliers , que les PIollandois tenoient pour l'électeur: Clève etLippstadt serendirent a Spinola. Les Hollandois chassèrent cependant en 1629 les Espagnols du pays de Clève, et reprirent quelques villes pour l'électeur. Georce-Guillaume et le duc de Neubourg D 3  ^4 MÉMOIRES disposèrent les Espagnols en i63o è évacueruno partie de ces provinces : les Hollandois mirent garnison dans les places de 1 électeur , et les Espagnols dans celles du duc ; mais eet arran. gement ne fut pas de durée. En i635 , laguerre recommenca dans ces provinces avec plus de violence qu'auparavant; et pendant toute la régence de 1 électeur, les provinces de cette succession furent en proie aux Espagnols et aux Hollandois, qui s'emparoient des postes , surprenoient des villes , gagnoient des avantages les uns sur les autres, les reperdoient demême, et cependant il ne se passoit rien de considérable. Les exactions des officiers et le brigandage des soldats faisoient, dans ces temps-la , la partie principale de Tart militaire. 4 ió2o. Quoique l'empereur affectat une souveraineté indépendante , les princes de 1'Empire ne iaissoient pas d'opposer a son despotisme une fermeté qui 1'arrétoit quelquefois : ces princes formoient des ligues qui donnoient souvent Yb* larme a Vienne. Les électeurs de Brandebourg et de Saxe intercédèrent auprès de l'empereur pour leur 1 collèguc l'électeur Palatin , mis au ban de 1'Empire ; et ils refusèrent de reconnoitre 1'électeur Maxirnilien , duc de Bavière , que Ferdinaud II avoit élevé a cette dignilé, au préjudice de la maison Palatine , et contre lesloix de 1'Empire. Selon la bulle d or , un empereur n'est point en droit de mettre au ban de 1'Empire , ni de dégrader un électeur , sans le consentement unaïiime de toute la diète assemblée en corps. Ces  D F. B II A TH V E B O U R G. 53 intercessions ne produisirent aucun effet ; et l'empereur, qui n'étoit occupé que de sa vengeance personnelle , se irouvant en force , ne fit aucun cas dtes libertés du corps germanique, ni des loix de 1'éqnité. Dès ce temps l'électeur et son conseil pré- 1621 virent les approches de la guerre, et la nécessité qui les y entraineroit, par la complication d'éyénemens qui la rendoit presqu'inévitable. D'un cóté, des droits a soutenir sur la succes- iCn siou de Clève : de 1'autre , la guerre de trente ans: et de plus , les dissensions que la religion avoit fait naitre , et qui occasionnoient des cabales et des ligues puissantes; des guerres déja 16:4 allumées , et d'autres prés d'embraser son Etat, avertissoient George-Guillaume de se préparer a les soutenir, lorsqu'ilne pourroitplus Téviter. Son premier ministre, le comte de Schwartzenberg, proposa a différentes reprises de lever un corps de vingt mille hommes , qu'il vouloit faire passer au service de 1'empereur : mais on prit de si mauvaises mesures , et 1'on fit des arrangemens si ridicules , qu'on assembla k peine six mille hommes. Les progrès de la réforme , qui divisoit 1'AIlemagne en deuxpuissans partis, acheminèrent insensiblement les choses a une guerre ouverte. Les protestans , intéressés a soutenir 1'exercice libre de leur religion, et k retenir les biens des ecclésiastiques , qu'ils avoient conhsqués , firent une confédération k Lauenbourg. Christian IV, roi de Danemarck , et les ducs de Luiiebourg , deHolstein, de Mecklenbourg, et P4  M É M O l ïl E S 1'administrateur de Magdebourg, oncle de 1'éleo« teur, y entrèrent. L'empereur en prit ombrage ; et j'ugeant au-dessous de lui d'employer les IÖ55- voies de la négociation et de la douceur , pour ramener les esprits a un accommodement, il envoya Tilly a la tête de douze mille hommes dans Ie cercle de la basse Saxe. Tilly se présenta devant Halle ; et quoique la ville se füt rendue sans résistance, il la liyra au pillage. Wallenstein s'approcha dans le méme temps des évêchés de Halberstadt et de Magdebourg , avec douze mille Autrichiens. Les États de la basse Saxe , étonnés de ces hostilités , demandèrent k l'empereur de s'accommoder : mais ces propositions n'empechèrent point Tilly , ni Wallenstein , d'envahir les pays de Halberstadt et de Magde^ bourg. Christian-Guillaume , administrateur de Magdebourg, futdéposé (a); et contre Pattenta de la cour impériale, le chapitre donna sa nomir nalion k un fils cadet de l'électeur de Saxe, nommé Auguste. L'administrateur déposé joignit ses troupes h celles que leroi de Danemarck avoit fait entrer en basse Saxe , pour soutenir la confédération de Lauenbourg. Christian - Guillaume et le comte de Mansfeld , qui commandoient cette armée , attaquèrent Wallenstein au pont de Dessau , et furent battus; ils se sauvèrent, après leur défaite , dans la Marche de Brandebourg , qu'ils pillèrent. Un autre corps que le roi de Danemarck avoit en basse Saxe du cóté de Lut- fa) L'em,j>ereij( avoit desseinde donner c? bénéfice i son (ils.  de Brandeeouru. . 5y ter, fut battu en même temps par Tilly- Le voisinage et les victoires des impériaux obligèrent George-Guillaume de se souinettre enfin auxvolontés de l'empereur, et de reconnoitre la nouvelle dignité de Maximilien de Bavière. Le roi de Danemarck , qui se releva de ses 1626 défaites , reparut 1'année suivante avec deux armées , dont il commandoit 1'une, et 1'admimstrateur 1'autre ; mais découragé par les mauvais succès qu'il avoit eus , il n'osa pas se présenter devant Tilly , qui occupoit Brandebourg , Bathenow, Havelberg et Perleberg. Mansfeld , qui rassembla de méme les débris de son armée , entra dans les Marches malgré la volonté de l'électeur. Les impériaux détachèrent contre lui sept mille hommes , auxquels l'électeur en joignit huit cents sous les ordres du colonel Kracht; ce corps passa la Warte , et dissipa les troupes fugitives de Mansfeld. Par ces foibles secours que l'électeur donna alors , il parolt clairement qu'il n'avoit que peu de troupes sur pied.. Les impériaux profitèrent de leurs avantages, et ils mirent garnison dans toute la Poméranie; et comme il y avoit quelque apparence que le roi de Suède,al'exemple de celui de Danemarck, embrasseroitleparti des princes protestans d'Allemagne , que les catholiques alloientopprimer, l'empereur se servit de ce prétexte pour paroitre le défenseur de 1'Empire , lors même que son intention secrète étoit de disposer selon sa volonté de ce duché , dont la succession retomboit a 1'électeur après la mort du duc Bogislas , qui  ■'<" MÉ MOTHES «'avoit point de lignée. Stralsund résista aux impériaux; Wallenstein y mit Ie siège , etleleva «prés j avoir perdu douze mille hommes : ce nombre me paroft exagéré de beaucoup , vu la foiblesse des corps donton se servoit alors; et il est apparent que les chroniqueurs de ces temps y ont a/outé quelque chose , par amour du merveilleux. La ville de Stralsund , qui s'étoit maintenuepar son courage, se méfiantde ses forces, conclut une alliance avecle roi de Suède, Gustave-Adolphe, et reout une garnison Suédoise de neuf mille hommes. r. L'empereur cependant, enflé des succes que ses généraux avoient eus en Allemagne , et croyant 1'occasion favorable pour abaisser les princes protestans et la nouvelle religion, publia son fameux édit de restitution.Cette ordonnance enjoignoit aux princes protestans de rendre k I'église les biens dont la réforme les avoit mis en possession depuis la transaction de Passau («). Tous y auroient fait des pertes considérables ; Ia maison de Brandebourg se seroit vue dépouillée des évêchés de Brandebourg , de Havelberff et de Lebus. Ce fut le signal qui arma de nouveau les protestans contre les catholiques. Les projets ambitieux de Ferdinand II ne se bornoient pas a rabaisser les princes de 1'Empire; il avoit toujours des vues sur 1'archevêché de Magdebourg : cependant Wallenstein, qui ( r. B R .u'Dïtoim g. sixième partie lui appartenoit. On a eonservé le Oom des régimens Brandebourgeois qui étoient de cette armée, savoir, Borgsdorff, "Volkmann, Franeois Lauenbourg , et Erentreich Borgsdorff] Avec ces troupes il se présenta devant Francfort, et mille Autrichiens en sortirent par capitulation; la garnison impériale de Crossen en sortit le baton blanc a la mam. Pendant que Bannier dirigeoit les opérations militaires de la Suède , Oxenstiern devenoit 1'ame des négociations. Ce chancelier ayant trouvé avantageuse 1'aHiance qu'il avoit faite a Fleilbron avec les cercles de 1'Empire , en pro-1654. posa une pareille aux cercles de la haute et basse Saxe : elle se conclut effectivement a Halberstadt ; et les électeurs de Saxe et de Brandebourg en devinrent les membres principaux. Ce ministre voyant les armées de Suède partout triomphantes , et les princes de 1'Empire alliés ou dépendans de la Suède , crut sa puissance si bien établie , que rien ne pourroit désormais lui résister : dans cette persuasion il leva le masqué dans 1'assemblée qui se tint a Francfort-sur-le-Mein ; et il proposa , que pour dédommager la Suède des dépenses qu'elle avoit faites en faveur des princes protestans, 1'Empire lui cédat la Poméranie après la mort de son dernier duo. Cette proposition ( soit dit en passant) étoit ]e vrai commentaire du manifeste que Gustave - Adolphe avoit publié lorsqu'il entra en Allemagne. L'électeur de Brandebourg se trouya extrémeinent blessé de cette proposition  74 d"öxenstiêrd , qui tendoit a le frnstrer de ses droits sur la Poméranie ; et l'électeur de Saxe, qui s'étoit flatté de gouverner 1'Allemagne, étoit dans une jalousie extréme du pouvoir de ce chancelier, et de la iierté qu'affectoient les Suédois. Le malheur voulut que dans ces circonstnnces 1'archiduc l erdinand et le cardinal Infant remportassent a IVordlingue une victoire compléte sur les Suédois ; ce qui acheva d'ébranler des alliés qui avoient d'aüleurs , comme nous 1'avons dit, de véritables sujets de mécontentement. L'empereur , attenrif k diviser 1'Alïema^ne liguée contre lui, profita avec hahileré des dispositions pacifiques, de ces deux électeurs ; etil fit avec eux sa paix a Prague. Les conditions i 'i5- ^e ce traité, signé le 20 de mars i655, furent: que le second hls de l'électeur de Saxe resteroit administrateur de Magdebourg, et que les quatre bailliages (a) démembrés de eet archevêché demeureroient en toute propriété a la Saxe : l'empereur promit a l'électeur de Brandebourg de maintenir ses droits sur la Poméranie, ét de ne plus revendiquer les biens d'église qu'il possédoit: il confirma de plus les pactes de oonfratermté entre les maisons de Brandebourg de Saxe et de Hesse. Après cette paix , les troupes impériales et Saxonnes nettoyèrent les évêchés de Magdebourg et de Halberstadt des Suédois qui lés in. (a) Qnerfurt^Jmerback, Eotirg et Dahnie.  1) E B 11 A iV B I B O t) 11 G. y5 festoient; la ville de Magdebourg tint seule pour les Suédois. La Poméranie, le Mecklenbourg et la vieille Marche se ressentirent de nouveau des troubles de la guerre : les impériaux et les Saxons occupoient tous les bords- de 1'Elbe et do la Havel; mais cela 11'empêchoit pas les Suédois de faire des courses bien avant dans le pays , et de pousser même leur parti jusqu'a Oranienbourg. Bannier , pour éloigner la guerre de la Poméranie, qu'il vouloit conserver a la couronne de Suède, assembla son armée a Balhenow, et marcha par Wittemberg a Plalle , espérant encore de délivrer la garnison Suédoise de Magdebourg, que les impériaux tenoient extrêmement pressée. L'électeur de Saxe accourut en Misnie, oü il se joignit a un corps d'impériaux que Morosini commandoit. La guerre s'arrêta long-temps aux bords de la Saaie ; les Saxons contraignirent cependant Bannier a se retirer , et les impériaux prirent Magdebourg. Bannier passa par Ie pays de Lunebom g, et re vint dans la Marche; Wrangel le joignit avec un renfort de huit mille hommes : ils surprirent et forcèrent Brandebourg et Bathenow, oü il y avoit garnison impériale. Ainsi ce malheureux électorat devenoit la proie du premier occupant ; ceux qui prenoient le nom d'amis , de même que ceux qui se disoient ennemis déclarés, en tiroient des contributions exorbitantes , pilloient , saccagcoient, dévastoient le pays , et y faisoient les maitres pendant qu'ils y étoient. Toutes les villes siiuées le long de la Havel furent, en moins de  76 MÉMOIRES six semaines , deux fois pillées par les Suédois, et une fois par les impériaux. Cette désolation étoit universelle; le pays n'étoit pas ruiné, mais il étoit abimé totalement. La fatalité de ces temps fit crue la fortime ne se déclara jamais entiérement pour un parti 5 et que semblant vouloir perpétuer la guerre, elle relevoit inopinémentceux quelle avoit abattus , et rabaissoit ensuite ceux qu'elle avoit relevés. La manièr'e dont on faisoit la guerre alors, étoit différente de celle dont on la fait a présent. Les princes ne faisoient que rarement de grands efforts pour lever des troupes ; ils entretenoient en temps de guerre une , ou , selon leur puissance , plusieurs armées ; le nombre de chacune ne passoit pas d'ordinaire vingt-quatre mille hommes. Ces troupes vivoient du pays oü elles étoient employées ; elles cantonnoient ordinairement, et ne campoient que lorsqu'elles vouloient donner bataiile ; ce qui leur rendoit les subsistances faciles. Lorsque l'empereur ou le roi de Suède vouloient exécuter quelque grand projet, ils joignoient deux armées , au moyen desquelles ils gagnoient la supériorité. Les généraux dont les corps étoient les plus foibles, ayant comparé les forces des ennemis avec les leurs , se retiroient sans combattre ; et comme ils vivoient également par-tout a discrétion , il leur étoit indifférent d'abandonner un pays , paree qu'ils en trouvoient toujours un autre u piller. Cette méthode prolongeoit la guerre, ne dccidoit de rien , coiisomrnoit plus de giftad?  de JjHandebouhg. 77 par sa dwée que celles d'a présent; et la rapine et le brigandage des troupes dévastoicnt totalement les provinces qui servoient de théatre de guerre aux armées. Bannier remporte une victoire k Witstock i«3& sur les impériaux et les Saxons. Les Suédois reprennent tout-a-coup la supériorité ; les troupes battues et fugitives ne s'arrêtent qua Leipsick ; les Suédois inondent la Marche de nou^eau'; Wrangel entre a Berlin, et y met cinq compagnies en garnison ; après quoi il redemande a l'électeur ses forteresses. George-Guil. laume, qui s'étoit retiré a Peitz, lui répondit qu'il s'abandonnoit a la discrétion des Suédois ; mais que les impériaux étoient maitres de ses places, et qu'il n'en pouvoit pas disposer. Wrangel prit ses quartiers, et hiverna dans la nou\ elle Marche. Dans ce temps mourut Ferdinand II, ce fier 1Ö32 oppresseur de 1'Allemagne ; son fils Ferdinand III, qu'il avoit fait élir'e roi des Bomains , lui succéda , comme si ce tröne avoit été héréditaire. Bogislas , dont la familie avoit possédé le duché de Poméranie pendant 700 ans, mourut de mème durant ces troubles ; et avec lui s'éteignit toute sa maison. Les armées Suédoises, maitresses de la Poméranie et des Etats du Brandebourg même , empêchèrent l'électeur de faire valoir ses droits sur ce duché ; il se contenta d'envoyer un trompette aux Etats de la Poméranie , pour leur ordonner de traiter les Suédois comme des ennemis. Cette ambassade singu•ïiéra n'eut aucun effet: sans doüte que 1'élec-  78 Mémoires teur se servit d'un trompette , k cause qu'il crut qu'il passeroitplus faciiement qu'un homme de condition, a travers les troupes Suédoises. Cependant les impériaux, sous les ordres de Hatzfeld et de Morosini, chassèrent Bannier de la Saxe, le poussèrent au-dela de Schwedt, et reprirent Landsberg. Klitzing , a la tête des Saxons , nettoya en même temps la Marche ct les bords de la Havel, et délivra ce pays des Suédois. La guerre qui voyageoit d'une province a 1'autre , se transporta de nouveau en Poméranie , ou les impériaux furent joints par trois mille Hongrois. La Poméranie eut le sort des Marches ; exposée aux mêmes brigandages , elle fut prise, reprise , brülée et ruinée. ,ö33- Alors la fatalité voulut que les Suédois recussent de puissans secours ; ce qui leur donna le moyen de contraindre les impériaux k fuir devant eux jusqu'en Bohème. Mais quelques revers qu'éprouvassent les troupes Autrichiennes, rien ne fut capable de détacher les élccteurs de Brandebourg et de Saxe de l'allianc E I! O V R R. 79 ment leurs conrjuêtes ; et leur expédition devint inutile. Les Suédois firent ressentir a Ia Marche les pertes qu'ils avoient faites en Livonie ; ils surprirent a Bernau quinze cents Brandebourgeois, que Borgsdorff commandoit; Déwitz prit la route de la Silésie , et Bannier saccagea la Saxe et le pays de Halberstadt. Axellillo , qui commandoit a Berlin , serre. Spandau de prés , et bloqua légéreinent Kustrin, ou l'électeur s'étoit retiré avec sa cour fugitive. Dans ces temps, les Etats de Poméranie se tinrent, et l'électeur y envoya des députés : les Etats ne favorisèrent point les Suédois ; et les envoyés de l'électeur a la diète de Batisbonne y tinrent la place des ducs de Wolgast et de Stettin. Comme les Etats de la Prusse devoient sf tenir cette année a Koenigsberg, George-Guillaume s'y rendit, pour y solliciter le paiemesr de quelques subsides arriérés ; mais il mourut a Koenigsberg le 3 de décembre , laissant a son hls Fréderic-Guillaume un pays désolé, dont ses ennemis étoient en possession; peu de troupes, des alliés dont 1'affection étoit équivoque , ct presqu'aucune ressource. On ne sauroit, sans blesseries Ioix de 1'équité. charger George Guillaume de tous les malheur:, qui arrivèrent pendant sa régence. S'il fit des fautes capitales , elles consistèrc-nt en ce qu'ii plae.a sa confiance dans le comte de Schwartzenberg , qui le trahit, et qui, selon quelques historiens , avoit formé le projet de se faire luijnême électeur <)e Brandebourg ; il étoit catiic-  8o M K MO I II E S lirpie ; il avoit toujours tenu le parti de I'empereur ; et il se flattoit d'autant plus de sa protection, que les forteresses.de 1'électorat avoient élé livrées a 1'empereur , auquel les oommandans avoient prêté serment. On doit sur-tout reprocher a ce prince de n'avoir pas levé, avant que la guerre vint ravager ses Etats, un corps de vingt mille hommes , qu'il étoit en état d'entretenir ; ces troupes auroient servi k soutenir ses droits sur la succession de Clève , et plu» utilement encore a défendre ses provinces. Si l'électeur avoit été armé de la sorte , Mansfeld et 1'administrateur de Magdebourg n'auroient p is entrepris , comme ils le firent, de traverser 1'électorat ; l'empereur Ferdinand II se seroit empressé de lui témoigner des égards j et il n'auroit dépendu que de lui de devenir ou 1'allié ou l'ennemi des Suédois , au-lieu d'étre 1'esclave du premier yenu , comme il Ie fut. Dès-lors que George-Guillaume ne prit pas ces mesures , la complication bizarre des confonctures ne lui laissa plus que le choix des fautes ; il fut obligé d'opter entre les impériaux et les Suédois , et comme il étoit foible , ses alliés furent toujours ses maltres. Le zèle avec lequel l'empereur persécutoit les protestans, son fameux édit de restitution, les vues qu'il avoit sur 1'archevêché de Magde-* bourg, et sur-tout la manière despotique dont il vouloit gouverner 1'Allemagne , ne pouvoient inspirer a l'électeur que de 1'éloignement pour ce prince. D'un aulre cóté , les dangers qu'il y avoit k s'allier avec une puissance étrangère , les  BE ÜSASDïBOïïIKi. 8t les pillages inouis que les Suédois exergoient dans les pays de Brandebourg , la herté d'Oxenstiern , et le dessein que cette couronne avoit formé d'acquérir la Poméranie , empêchoient George-Gnillaume d'entrer dans 1'alliance des Suédois : il appréhendoit de plus, qu'ils ne so servissent de lui, comme d'un instrument principal , pour lui arracher la succession de la Poméranie. En certains temps révolté contre la dureté de Ferdinand II, il se jetoit, comme par désespoir, dans les bras de Gustave-Adolphe ; et dans d'autres, poussé a bout par les projets d'Oxenstiern, il recherchoit 1'appui de la cour de Vienne. Dans une incertitude continuelle , sans force et sans puissance , il tournoit de gré ou de force du cóté du plus fort; et la fortune , qui passoit tous les jours des armées impériales aux Suédoises , et des Suédoises aux impériales , se plut k rendre ce prince la victime de sa légéreté ; de sorte que les alliés n'eurent jamais des avantages assez suivis pour le protéger, comm« ds 1'auroient dü , contre les entreprises de leurs ennemis communs. FRÉDERIC-GUILLAUME, Le grand Électeur, V Béderic-Guillaume naquit 4 Berlin le 6 d» février 1620. 11 étoit digne du nom de grand, que ses peuples et ses voisins lui ont donnï dune commune voix. Le Ciel 1'avoit formé exprés pour rétablir par son acïivité 1'ordre dans Tvme II. p  S5ï mémoires tin pays on la mauvaise administration de Ia régence précédente avoit mis une confusion totale, afin d'être le défenseur et le restaurateur de sa patrie, Fhonneur et la gloire de sa maison. Le mérite d'un grand roi étoit uni en lui a la fortune médiocre d'un électeur : au-dessus du rang qu'il occupoit, il déploya dans sa régence les vertus d'une ame forte, et d'un génie supérieur ; tantót tempérant son héroïsme par sa prudence , et tantót s'abandonnant a ce bel enthousiasme qui eiilève notre admiration. Ilrétablit ses anciens Etats par sasagesse , et en acquit de nouveaux par sa politique. Il forma ses projets , et lui-méme les mit en exécution. Les effets de sa bonne foi furent, qu'il assista ses alliés ; et les effets de sa valeur, qu'il défendit ses peuples. Dans les dangers imprévus il trouvoit des ressources inopinées ; et dans les petites choses, comme dans les affaires importantes , il parut toujours également grand. L'éducation de ce prince avoit été celle d'un héros ; il apprit k vaincre dans un Age oh le commtin des hommes apprend a bégayer ses pensées. Le camp de Fréderic-Henri d'Orange fut son école militaire ; il assista aux sièges des forts de Schenk, et de Bréda. Schwartzenberg , ministre de George-Guillaume , connoissant 1'esprit transcendant du jeune prince , 1'éloigna de la cour de son père , et le tint eu Hollande autant qu'il le put, ne sentant pas ses vertus assez pures pour qu'elles soutinssent 1 examen d'un surveillant aussi éclairé. Le jeune prince yiut cependant trouyer son  de Brandebourg. 83 père, malgréle ministre , et fit avec l'électeur le voyage de Prusse, oü la mort de Gebrge-Guillaume le mit en possession de ses États. Fréderic-Guillaume avoit vingt ans Iorsqu'ü parviflt h la régence ; mais ses pro vinces étoient en partie entre les mains des Suédois , qui avoient fait de 1'électorat un désert affreux, oü 1'on ne reconnoissoit les villages que par des monceaux de cendres qui empéchoient Pherbe d'y croitre , et les villes que par des décombrés et des ruines. Les duchés de Ia succession de Clève étoient en proie aux Espagnols et aux Hollandois, qui en tiroientdes contributionsexorbitantes, et qui les pilloient sous prétexte de les défendre. La Prusse , que Gustave-Adolphe avoit envahiepeu de temps auparavant, saignoit encore des plaies qu'elie avoit recues durant cette guerre. Dans des con/onctures aussi désespérées , oü son héritage étoit envahi par tant de souverains, prince sans être en possession de ses provinces , électeur sans en avoir le pouvoir, allié sans avoir d'amis , Fréderic-Guillaume commenca sa régence ; et dans cette première j'eunesse, qui étant 1'age des égaremens rend a peine les hommes capables d'obéissance, il donna des marqués d'une sagesse consommée , et de routes ces vertus qui le rendoient digne de commander aux hommes. II commenca par établir de 1'ordre dans ses finances; il proportionna sa dépense h sa recette, et se défit des ministres dont la mauvaise administration avoit Ï9 plus contribué aux malheurs  84 Mémoires de ses peuples. Le comte de Schwartzenberg qui voyoit son autorité limitée, se démit de luimême de ses emplois : il étoit gouverneur de Ia Marche , président du conseil, grand-chambelIan , et grand-commandeur de Malte ; il avoit; réuni sur lui toutes les charges importantes ; il étoit plus souverain que son maltre. II avoit été une créature de la maison d'Autriche. A la mort de l'électeur George-Guillaume il alla demeurcr a Spandau , ou il mourut la même année. Son fils, qu'il avoit fait élire coadj'uteur de 1'ordre et de la commanderie de Malte , ne fut point reconnu par l'électeur; ce prince lui fit de plus restituer tous les bailliages appartenant k 1'Etat, que le comte son père s'étoit appropriés. Après la mort de ce comte, l'électeur envoya le baron de Borgsdorff a Spandau et a Kustrin, pour opposer son scellé sur les effets du défunt; les commandans de ces forteresses refusèrent de lui obéir , sous prétexte qu'ils ne dépendoient que de l'empereur , auquel ils avoient prèté serment. Borgsdorff dissimula ; et sans relever par d'inutiles paroles 1'insolence de ce refus, il fit observer Rochau , commandant de Spandau , qu'il saisit un jour , que par imprudence il étoit sorti de sa forteresse ; mais il eut 1'adresse d'échapper. Les commandans des autres places , intimidés pareet exemple, se rangèrent incontinent k 1'obéissance. l6,„ Ladislas, roi de Pologne, donna 1'investirure de la Prusse a Fréderic-Guillaume , qui la reeu.'. en personne, et s'engagea de lui payer un tribur annuel de cent yingt mille florins , ct de ne faire  de Dranbebotjrg. b5 ni trève ni paix avec les ennemis de cette couronne : le baron de Loeben recut celle de 1'électorat de l'empereur Ferdinand III; mais il n'obtint point celle des duchés de la succession de Clève, paree que les différens pour cette succession n'étoient pas décidés entre les prétendans. Après avoir satisfait k ces formalités , 1'élec- 1643. teur ne pensa qu'aux moyens de retirer ses provinces d'entre les mains de ceux qui les avoient usurpées; ilnégocia, stsapolitique le fitrentrer dans la possession de ses biens. II conclut une trève (a) pour vingt ans avec les Suédois, qui évacuèrent la plus grande partie de ses Etats ; il paya cent quarante mille (b) écus aux garnisons Suédoises qui tenoient encore quelques villes , et leur fit livrer mille boisseaux de bied par an. Il fit de même un traité avec les Hessois , qui lui remirent une partie du pays de Clève , dont ils s'étoient emparés ; et il obtint des Hollandois 1'évacuation de quelques autres villes. Les puissances de 1'Europe , enfin lassées d'une guerre dont le poids s'appesantissoit , et qui de jour en jour devenoit plus ruineuse , sentirent toutes un même désir de rétablir la paix entr'elles. Les villes d'Osnabruck et de Munster 1645, furent choisies, comme les lieux les plus propres pour ouvrir les conférences ; et Fréderic-Guillaume y envoya ses ministres. La multitude des matières, la complication (a) A Stockholm ; Gcetzeet Ceüetrtniai furent ses envoyés. (4) Qui font prés de sop mille écus de notre monnoie. F 5  f>C M j'; m oir.es des cuises , tant d ambitieux a contenter , ia religion , les prééminences , le compromis de 1 'autorité impériale et des libertés du corps germanique ; tout ce chaos énorme a débrouiller occupa les plénipotentiaires jusqu'a 1'année 1647, qu'ilscohvinrententr'eux des articles principaux de la paix. i64f. Nous ne rapporterons point le traité de Westphalie dans toute son étendue , et nous nous contenterons de rendre compte des articles de ce traité qui sontrelatifs a cette histoire. La France , qui avoit épousé les intéréts de Ia Suède , demandoit que ce royaume cons'ervat Ia Poméranie, en dédommagement des frais que la guerre avoit coütés a Gustave-Adolphe et a ses successeurs ; et quoique 1'Empire et 1'électéür refusassent de se désister de la Poméranie, c 1 couvint enhn que Fréderic-Guillaume céde- 2 oit aux Suédois la Poméranie citérieure , les * les deRugen et de Wollin, les villes de Stettin, ■ie Garz, de Golno , et les trois embouchures de i 'Oder : ajoutant que si les descendans males de la ligne électorale venoient a manquer, la Poméranie et la nouvelle Marche retomberoient k la ■Suède ; et qu'en attendant il seroit permis aux deux maisons de porter les armes de ces provin< es. En équivalent de cette cession, on sécularisa en faveur de l'électeur les évéchés de Halberstadt , de Minden et de Camin , dont on le mit en possession , de même que du comté de Hohenstein et de Régenstein ; et il recut 1'expectative de 1'archevêché de Magdebourg, dont Auguste de Saxe étoit alors administrateur. Quant a la  de Bk A.N d V. b o t>r o. 87 religion, on convint que la luthérienne et la calviniste seroient désormais autorisées dans le Saint-Enipire Romain. Cette paix, qui sert de base a toutes les pos- i6^8sessions et a tous les droits des princes d'Allemagne , dont Louis XIV devint le garant, fut publiée 1'année 1648. L'électeur, dont on avoit ainsi fixé les inté- 1649. réts, conclut 1'année suivante un nouveau traité avec les Suédois pour le réglement des limites , et pour 1'acquit de quelques dettes , dont la Suède ne voulut payer que le quart. Ce ne fut 1650. que 1'année i65o que 1'électorat, la Poméranie et les duchés de Clève furent entiérement évacués par les Suédois et par les Hollandois. Le duc de Neubourg pensa jeter alors les affaires dans la même confusion dont on venoit de les tirer avec tant de peine ; il s'avisa de persécuteravec rigueur les protestans du duché de Juliers et de Berg : sur quoi Fréderic-Guillaume se déclaraleur protecteur, et envoya son général Spar avec quelques troupes sur le territoire du duc , lui faisant en même temps proposerun accommodement par la médiation des tlollantlois. Charles IV, duc de Lorraine, prince errant ctvagabond , chassé de ses Etats par la France, et qui avec un petit corps de troupes menoit plutót la vie d'un Tartare que d'un souverain , vint dans ces entrefaites au secours du duc de jVeubourg ; son arrivée pensa faire évanouir les disposiiions pacihques des deux partis. On s'accorda cependant; quant k 1'ordre des pos.ses- F 4  T Mémoires sions, on s'en tint au traité de Westphalie («) j et quant a la liberté de conscience, a ceux qu'on avoit faits depuis 1'année 1.612 jusqu'a 1'année 1647. Dans ces temps il arriva en Suède un événement dont la singularité attira les yeux de toute 1'Europe : la reine Christine abdiqua la couronne de Suède en faveur de son cousin Charles-Gustave , prince de Deux-Ponts. Les politiques, qui n'ont I'esprit rempli que d'intérêt etd'ambition , condamnèrent beaucoup cette reine : les cour' tisans , qui cherchent des finesses par-tout, débitoieiit que 1'aversion qu'elle avoitpour Charlesr Gustave , qu'on lui vouloit faire épouser, avoit poussé cette princesse a quitter la souveraineté : les savans la louèrent trop de ce qu'elle avoit renoncé aux grandeurs par amour de la philosophie ; si elle avoit été véritablement philosophe elle ne se seroit point souillée du meurtre deMonaldeschi, et elle n'auroit point regretté, comme elle le fit a Rome , les grandeurs qu'elle avoit quittées. Aux yeux des sages la conduite de cette reine ne parut que bizarre 5 elle ne méritoit ni iouange ni blame d'avoir quitté le tróne : une action pareille n'acquiert de grandeur que par 1'importance des motifs qui la font résoudre , par les circonstances qui 1'accompagnent, et par la magnanimité dont elle est soutenue. A peine Charles-Gustave fut-il monté sur le (<0 Le duché de Clève, et les comtés de la Mnrk el de Ra^ensbergéchurene i 1'Élecicnr; Juliers, Berg et Ravenstcin a, d ,C, . ■ 1 . j •( i, 4  J) E li II A N D I: B O U li C. 89 tróne. qu'il s'occupa des moyens de se signaler par les armes. II s'en falloit de six ans que la trève que Gustave-Adolphe avoit faite avec la Pologne j ne fut expirée ; son dessein étoit de porter Jean-Casimir ( qui depuis 1'an 1648 avoit été élu roi k la place de Ladislas ) k renoncer aux prétentions que la couronne de Pologne formoit sur celle de Suède et k lui céder la Livonie. Fréderic-Guillaume, qui se défioit de CharlesGustave, pénétra dès-lors quels étoient ses desseins,- mais pour flatter ce prince, il termina par sa médiationles démêlés que la régence Suédois» de Stade avoit avec la ville de Brème, relatifs aux Jibertés de cette vide Anséatique. Les Suédois , qui publioient que leurs armemensne regardoientque la Russie, demandèrent è l'électeur ses ports de Pillau et de Mémel, de même que Gustave-Adolphe avoit demandé k George-Guillaume ses forteresses de Kustrin et de Spandau. Les conjonctures avoient bien changé depuis ces temps-la ; et le prince auquel les Suédois s'adressoient , étoit bien un autre homme que George-Guillaume. L'électeur rejet.i «vee hauteur les demandes qu'on lui avoit faites avec indiscrétion; aj'outant que, si l'intentiorj du roi de Suède étoit positivement d'attaquer la Russie , il s'engageoit de fournir un corps de buit mille hommes pour cette guerre; d'autant plus, que les progrès des Moscovites en Pologne lui faisoient appréhender qu'ils ne s'approchassent de ses frontières. Cette défaite artilicieuse fit connoitre aux Suédois que l'électeur n'étoit ni timide , ni dupe.  9° M É K O I 11 E S II avertit cependant la république de Pologne du danger qui la menacoit; et celle da le pria de 1'assister de son artillerie, de ses troupes et de ses bons conseils : cette prière fut suivie d'une ambassade , qui demanda sa médiation, afin de hater son accommodement avec la Suède; et '•elle-ci d'une autre , qui le pressade fournir des subsides pour subyenir aux frais de la guerre. L'électeur, qui connoissoit les, délibérations tlimultueuses de cette république, incertaine dans ses résolutions , légère dans ses engageraens , préte a faire Ia guerre sans avoir préparé les moyens, épuisée par la rapine des grands, et mal obéie par ses troupes , répondit qu'il ne pouvoit pas se chargerdes malheurs qu'il appréhondoit, ni sacrifier le bien de ses provinces pour sauver cette république , qui paieroit ses services d'ingratitude. Afin d'assurer la tranquillité de ses États k Ia veille d'une guerre prés de s'allumer , il fit avec les Hollandois une alliance défensive, qui devoit durer huit ans; il rechercha 1'amitié de Cromvel, eet usurpateur heureux, qui, sous le titre de protecteur de sa patrie , y exereoit un despotisme absolu ; il essaya de se lier avec Louis XIV, qui depuis la paix de Westphalie étoit devenu 1'arbitre de 1'Europe; il flatta de même Ia hauteur de Ferdinand III, afin de 1'engager dans ses intéréts. Mais il ne reout en réponse que de ces vaines paroles dont la politesse des ministres assaisonne Papreté des refus : Ferdinand III ugmenta ses troupes ; et l'électeur suiyit tos ■ïxemple. ,  n f. Bhandebotju-g. J}1 Les 'soupcons crue 1'électeur avoit eus des des- «dgS seins de la Suède , ne tardèrent pas k se confirmer ; un corps de Suédois , commandé par le ^énéral de Wittemberg , traversa la nouvelle Marche sans en avoir fait la réquisition , et marcha vers les frontières de la Pologne : a peine Steinbock attaqua-t-il ce royaunie , que deux Pnlatinats de la grande Pologne se rendirent a lui. Comme tout 1'effort de la guerre se portoit du cóté des frontières de la Prusse , l'électeur y marcha a la tête de ses troupes , afin d'être plus a portée de prendre des mesures , et de les exécuter avec promptitude ; il conclut k Marienbourg une alliance défensive avec les Etats de la Prusse Polonoise, qui roula sur un secours mutuel de quatre mille hommes que se promettoient les parties confédérées , et sur 1'entretien des garnisons Brandebourgeoises dans Marienbourg, Graudenz, et quelques autres villes. Les Suédois n'étoient pas alors les seuls ennemis de la Pologne ; le Czar avoit pénétré jusqu'en Lithuanie dès 1'année précédente. Cette irruption avoit pour prétexte 1'omission frivole de quelques titres que la chancellerie Polonoise avoit oublié de donner au Czar ; et il étoit bien étrange qu'une nation qui ne savoit peut-être pas lire , fit la guerre k ses voisins pour la vétille grammaticale d'une adresse delettre. Cependant les Suédois , profirant de 1'embarras de leurs ennemis , faisoient des progrès considérables ; maifres de la Prusse, ils y prirent des quartiers en s'approchant de Kcenigsberg.  f>2 mémoires Ces entreprises rendoient k situation de l'électeur plus dure de jour en jour; il touchoit au moment qu'il nepouvoit plus conserver sa neutrahte , saus exposer la Prusse a une ruine inévnable. Comme les Suédois lui avoient fait k plusieurs reprises des propositions avantageuses, U s attacha a leur fortune , et conclut a Kcenigsberg son traité avec cette couronne , par lequel il se reconnoissoit vassal de la Suède , el lui pro metto.t hommage de la Prusse ducale , a conditum qu'on séculariseroit 1'évëché de Warmie en sa faveur. Pour fortiher son parti, FrédericGuillaume entra en alliance avec Louis XIV qui lui garantit ses provinces situées le long du Rhm et du Wéser. 11 changea depuis a Marienhourg son traité avec les Suédois en alliance offensive : le roi et l'électeur eurent ensuite une entrevue en Pologne , oü ils convinrent des projets de leur campagne, et sur-tout des moyens de reprendre Varsovie des mains des Polonois , qui venoient d'en déloger les troupes Suédoises! ^ L'électeur marcha ensuite par la Mazovie, et joignit 1'armée Suédoise au confiuent du Bog etde la Vistule : les alliés passèrent le Bog, en mëme temps que 1'armée Polonoise passa'la Vistule a Varsovie ; de sorte qu'il n'y avoit plus d'obstacle qui les séparét. Les ministres de France, Mrs. d'Avaugour etde Lombres, se flattoientdeconcilierles esprits par Ie moyen de leurs négociations ; ils passèrent pour eet effet souvent d'un camp a 1'autre; mais les Polonois, hers de leur nombre (ö), mépris ant {a) I'.s avoient 40,000 coniV>auans.  I)F. BltAïDItOïïRG. Cp les alliés , dont les forces ne montoient qua seize mille hommes , rejetèrent avec insolenco toutes les propositions que leur hrent ces média teurs. L'armée Polonoise étoit dans un camp retranché; sa droite s'étendoit vers un marais, et la Vistule , qui couloit en ligne transversale de leur .dos vers leur gauche , couvroit en méme temps cette aile. Charles-Gustave et Fréderic-Guillaume marchèrent a eux le 28 de juillet de grand matin. Le roi, qui menoit la première colonne , passa un petit bois, et appuyasadroite a laVistule; mais Ie terrein étoit si étranglé, qu'en se déployant il. ne pouvoit présenter h 1'ennemi qu'un front de douze escadrons et de trois bataillons. Le camp des Polonois étoit fort de ce cóté-la , etdifficile a attaquer; ce qui obligea le roi de resteren colonne , et la journée se passa en escarmouches et en canonnades. L'électeur , qui commandoit la gauche , laissa le bois que le roi avoit passé , sur sa droite ; et comme lanuit survint, l'armée demeura dans cette position , sans repaitre es »ans quitter les armes , jusqu'au retour de 1'aurore. Le lendemain 29, l'électeur s'empara d'une colline qui étoit vers sa gauche , d'oü il découvrit au-dela de ce petit bois une plaine propre & étendre ses troupes ; il fit défiler sa colonne par sa gauche , en la déployant dans la plaine , et assurant son flanc par six escadrons qui le couvroient. Les Tartares appercurent ce mouvement et attaquèrent l'électeur de tous eótés ;  94 MÉMOIRES mais ils furent repoussés , et son aile se forma entiérement dans la plaine ; sur quoiles Tartares firent une nouvelle tentative , qui leur réussit aussi mal que la première, et ils se retirèrenten confusion vers leur camp. Le roi voyant qu'il étoit impossible d'attaquer le retranchement des ennemis du cê-té de la Vistule , se prépara a changer sa disposition : 1'infanterie Polonoise, qui faisoit mine de sortir de son retranchement, le contint pendant un temps ; mais quelques canons qu'il mit en batterie vis-a-vis des ouvertures de ce retranchement, firent un si grand effet, que routes les fois que les troupes Polonoises essayèrent de déboucher, elles furent mises en confusion, ct eontraintes d'abandonner leur entreprise. Pendant ce temps, Charles-Gustave changeant son ordre de bataille , retira ses troupes par le bois qu'il avoit passé la veille , et vint se former sur la plaine, a la gauche des troupes que l'électeur avoit déja déployées. L'armée Polonoise sortit alors de son retranchement par sa droite , et forma un front supérieur i celui des alliés; elle avoit disposé touto sa cavalerie sur sa droite , que couvroit un village garni d'infanterie , qui étoit flanqué et défendu par une batterie placée sur une éminence. Le roi de Suède se porta avec sa g'aüchs sur leur flanc droit: aussi-töt les Polonois mirent le feu au village , 1'abandonnèrent, et se rallièrent derrière un village plus en arrière, qu'un marais couvroit : le roi les poursuivit, et leur gagna le flanc pour la séconde fois ; ce qui  deB'handebovag. g5 próduisit de la part des Polonois un nouvel incendie de village , et une nouvelle retraite. Dans ce dangér, la cavalerie Polonoise fit un efïbrt général; elle attaqué les alliés en flanc , en dos et de front tout-ada-fois : comme tontes les troupes étoient disposées pour les bien recevoir , la réserve repoussa ceux qui venoient pnr derrière ; les troupes qui étoient dans les flancs, ceux quivinrent de ce cótéda , et Ie corps de bataille les mit en désordre après quelques dé charges , de sorte qu'ils fuyoient de tous les cótés. Lanuit déroba pour cette fois une victoire compléte aux Suédois; ils attendirent, sur Ie champ de bataille , les armes a la main , que le jour vint achever leur triomphe. Le lendemain de bonne heure , le roi deSuède jugea a propos de changer son Ordre de bataille ; il forma ses deux premières lignes d'in ■ fanterie , et mit sa cavalerie sur Ia troisième , a 1'exception des cuirassiers et des dragons Brandebourgeois , que l'électeur mit k la droite de ses troupes, trouvant 1'occasion convenable de s'en servir. L'enncmi étoit demeuré en possession d'un bois situé vis-a-vis de la gauche ; on y détacha tine brigade d'artillerie soutenue de cinq cent., chevaux. Après quelques décharges de canons , la cavalerie chassa Pennend du bois , et les alliés le firent occuper par deux cents fantassins. Cette opération étoit d'autant plus nécessaire, que tant que les enneinis restoient maltres de ce bois , ils protégoient leur cavalerie , de manière qu'on auróit pu difficilertient 1'entamer. L'ólec-  3^ M É M O I n E S deur attaqua alors la cavalerie Polonoise, qui étoit en bataille sur une liauteur, la culbuta dans un marais qu'elle avoit a dos , et Ia dissipa entiérement: 1'infanteric ennemie, abandonnée de ses geus de cheval, et ayant perdu ses canons dès la veille , s'enfuit dans une confusion totale , sans attendre les Suédois et les Brander bourgeois ; elle passa en lid te la Vistule dans un si grand désordre, que beaucoup de monde se noya ; et ne se croyant pas méme en süreté derrière cette rivière, elle abandonna Varsovie, qui se rendit dès,le lendemain aux vainqueurs. L'armée Polonoise perdit six mille hommes dans ces combats différens ; et les alliés, fatigués de tant de travaux , et exténués pour n'avoir point pris de nourriture depuis trois jours, se trouvèrent hors d'état de poursuiyre les vaincus. Jean-Casimir avoit assisté en personne k la défaite de ses troupes ; la reine son épouse et quelques-unes des premières sénatrices de ce royaume en avoient été les spectatrices du pont de la Vistule ; mais elles ne servirent qu'a multiplier les embarras , la confusion et la honte d'une déroute totale. Après que l'armée victorieuse eut pris quelque repos, elle fit une marche de six milles d'Allemagne a la poursuite des Polonois ; mais l'électeur laissa quelques troupes aux ordres du roi de Suède , et re tourna en Prusse avec le gros de son armee , pour en chasser des Tartares qui y faisoient des incursions. Comme il remarquoit le besoin extréme que Charles-Ons- tavc  de Brandebourg. 97 tave avoit de son assistance , il se servit de cette conjencture avec tant d'habileté , qu'il obtint 1'entière souveraineté de la Prusse par le traité de Labiau ; la Suède ne se réserva que la succession éventuelle de ce duché. L'électeur notiha a l'empereur le gain de la bataille de Varsovie ; mais Ferdinand III, qui appréhendoit encore les Suédois , qui voyoit a contre-cceur la bonne intelligence qui régnoit entr'eux et les Brandebourgeois , et qui de plus envioit les succès brillans de ces deux héros, se contenta de lui répondre : » Qu'il plaignoit les Polonois » d'avoir affaire a deux aussi braves princes ». L'empereur, qui étoit alors en paix avec tous 1(157. «es voisins , crut qu'il étoit de sa dignité de se méler des troubles de la Pologne , soit pour défendre ce royaume , soit pour abaisser le roi de Suède , soit pour en prohter lui-méme ; il envoya Hatzfeld k la téte de seize mille hommes au secours de cette république. Le Danemarck épousa également les intéréts de la Pologne en haine de la Suède. Cette ligue puissante devenoit pour Gustave un présage certain de 1'inconstance de Ia fortune. Ferdinand III, non content d'assister les Polonois de ses troupes , voulut les délivrer d'un ennemi redoutable, et il sollicita Fréderic-Guillaume dans les termes les plus pressans de se détacher des Suédois. L'électeur , pressé de tous les cótés , se ré-, solut a prévenir les loix de la nécessité; il se prêta de bonne grace k ce qu'il n'étoit pas en état de refuser : et prévoyant que l'empereur et le roi de Danemarck pouvojentle contraindre Tome IT. G  g8 MÉMOIRES de qui! fer le parti .des Suédois , en faisant une irruption dans ses Etats d'Allemagne, il signa k Wélau sa paix avec les Polonois. Cette couronne reconnut la souveraineté de la Prusse ; elle lui céda les bailliages de Lauenbourg et de Butow , en dédommagement de 1'évêché de Warmie ; la ville d'Elbing lui fut engagée moyennant une somme d'argent; et la succession de Prusse fut étendue sur ses cousins les margraves de Franconie ; la Pologne et le Brandebourg se promirent un secours réciproque de deux mille hommes. L'électeur évacua toutes les villes dépendantes de cette république oü il avoit garnison ; et ce traité important fut confirmé a Bromberg. Comme les anciennes liaisons que l'électeur avoit eues avec la Suède et avec la France étoient rompues par la paix qu'il venoit de faire avec les Polonois, il trouva a propos d'y suppleer par des liaisons nouvelles , et il fit une alliance avec l'empereur etleroi de Danemarck. Par ce traité, Ferdinand III s'engageoit defournir six mille hommes ; et Fréderic-Guillaume , un contingent de trois mille cinq cents hommes, a celles des parties contractantes qui pourroient en avoir besoin. L'archiduc Léopold remplit alors le tróne impérial, devenu vacant par la mort de l'empereur Ferdinand III; l'archiduc Ferdinand , que dès 1'année i653 son père avoit fait élire roi des Romains malgré la bulle d'or et contre 1'intention de Ia plupart des princes de 1'Empire , étant mort du vivant de son père. Cependant le roi de Suède , irrilé de ce que  E E B R A W D E B O O R G.' gn 1'empereur et le roi de Danemarck faisoient avorter dès leur naissance les projets qu'il avoit sur la Pologne, s'en vengea sur le Seeland , oü il fit une irruptlon, et forca le roi de Danemarck a signer sa paix k Boschild. A peine cette paix fut-elle conclue , que le roi de Danemarck la rompit; etle retour de la liberté détruisit 1'ouvrage de la contrainte. Fréderic III de Danemarck , quoiqu'agresseur, sollicitales secoursde l'empereur et de l'électeur contre la Suède, e* les obtint. Fréderic-Guillaume, prêt k secourir le roi de Danemarck , établitle prince d'Anhalt gouverneur de ses Etats pendant son absence. II partit de Berlin a la téte de sa cavalerie et de trois mille cuirassiers impériaux ; il forca les Suédois qui étoient dans le Holstein k se retirer au-dehl de 1'Eyder, et mit garnison Brandebourgeoise et impériale k Gottorp ; après avoir chassé les Suédois de l'ile d'Aland, il mit ses troupes en quartiers d'hiver dans le Jutland. L'année d'après il ouvrit la campagne par la u>sï' prise de Friderichsode et de l'ile de Fennoë. Mais 1'entreprise qu'il forma sur l'ile de Fionie lui manqua , a cause que huit vaisseaux de guerre Suédois dissipèrent les barques chargées de ses troupes de débarquement. Pour diviser davantage les forces des Sué,dois , de Souches entra avec les impériaux et deux mille Brandebourgeois (a) dans la Pomé- (a) Le comte de 'Dobna y commandoit les troupes de l'4le«- tfün bii5j.r> *.9iÏK3iiiiir»}}f '1 a^'i 1 • > •  f0o M É 51 O I R I S ranie extérieure. Lui et Starenberg s'emparèrent de quelques pstites villes de l'ile de Wollin , et mirentle siège devant Stettin; Wurtz, qui en étoit commandant, fit une belle défense. La renommée annonca cette expédition en Danemarck. , oü Wrangel commandoit les Suédois ; il vola au secours de la Poméranie , débarqua a Stralsund , surprit deux cents Brandebourgeois dans l'ile d'Usedom, et jeta seize cents hommes de secours dans Stettin. Wurtz ne laissa pas languir ce secours dans 1'oisiveté ; il fit une furieuse sortie, chassa les impériaux de leurs approches , encloua leur canon , porta la terreur dans leur camp, et les contraignit de lever le siège, qui avoit déja dure 4.6 jours. La guerre se rapprochoit des pays de Brandebourg , depuis que Wrangel avoit marché en Poméranie ; ce qui porta l'électeur a quitter le Jutland. II suivit Wrangel; il prit Warnemunde et Tribsees , battit en personne un détachement de trois cents chevaux auprès de Stralsund, et finit sa campagne par la prise de Demmin. 'Tandis que la guerre se faisoit vivement dans le Holstein et en Poméranie, les Suédois avoient délogé les Polonois du grand et du petit Werder, et de la ville de Marienbourg dans la Prusse iCS9. royale : ils en furent chassés 1'année d'après par les impériaux et lés Polonois ; et Polentz , général de l'électeur, fit une irruption en Courlande , oü il leur prit quelques villes. II est nécessaire d'ajouter pour le plus grand eclaircissemeat de ces faits militaires, quela plu-  de B iv a n n e n o v n o. 101 part des villes qui soutenoient des sièges alors, ne résisteroient pas viugt-quatre heures a lamanière dont on les attaque a présent ; a moins qu'elles ne fussent soutenues par une armée entière. Charles-Gustave mourut k la fleur de son Age, parmi le trouble et les agitations oü il avoit plongé le Nord; la minorité de son fils Charles XI, qui avoit cinq ans, modéra 1'instinct belliqueux des Suédois, accoutumés a être aniniés par 1'exemple de leurs maïtres. Jean-Casimir, roi de Pologne, avoit abdiqué presqu'en mème temps la couronne , et les Polonois avoient élu a sa place Michel Coribut. Après Ia mort du roi de Suède et 1'abdication du Polonois , les animosités cessèrent de part et d'autre. Les parties belligérantes , qui soupiroient après la paix , ne demandoient que leur süreté ; et comme elles se trouvoient toutes dans les mêmes dispositions, elles convinrent d'ouvrir les conférences dans 1'abbaye d'Oliva, proche de Dantzick. L'ambition n'ayant aucune part a ces négociations, elles parvinrent bientót k une fin heure-use; on garantit k l'électeur le traité de Bromberg , et 1'on reconnut sa souveraineté sur la Prusse. Les autres puissances convinrent entr'elles de rétablir 1'ordre des possessions sur le pied oü elles avoient été avant ie commencement de cette guerre. Les États de la Prusse se soumirent avec peine 16G01 au traité de Bromberg ; ils prétendoient que la Pologne n'avoit aucun droit de disposer de leur iiberté. Un géntilhomme, nommé Bode, plas G 3  102 MÉMOIRES séditieux que les autres, fut arrêté ; et après gue les premiers mouvemens de cette révolte se furent appaisés, l'électeur reent en personne 1'hommage des Prussiens a Kcenigsberg. itfSi. La tranquillité qui régnoit dans toute 1'Europe, permit a l'électeur de donner toute son iC6s. attention au bien de ses peuples : s'il devenoit le défenseur de ses Etats en temps de guerre, il iö6«. n'avoit pas moins la noble ambition de leur servir de père en temps de paix j il soulageoit les families ruinées par les ennemis ; il relevoit les murailles détruites des villes • les déserts devenoient des champs cultivés 5 les forêts se changeoient en villages; et des colonies de laboureurs nourrissoient leurs troupeaux dans des endroits que les ravages de la guerre avoient rendus 1'asile des bêtes sauvages. L'économie rurale, cette industrie si méprisée et si utile, étoit encouragée par:ses soins. On voyoit journellement quelques nouvellès créations; et 1'on parvint a foi-mer Ja cours d'une rivière artificielle, qui joignant la Spféë k 1'Oder, facilitoitle commerce des provinces, et abrégeoit le transport des marchandises tant pour la Baltique que pour 1'Océan. Fréderic-Guillaume étoit plus grand encore par Ia bonté dé son caractère et par son application au bien public, que.par ses vertus militaires et sa politique mesurée, qui lui faisoient faire toutes choses de la facon dont il le falloit pour rénssir , et dans le temps oü elles devoient étre faites. La valeur fait les grands héros : 1'humanité fait les bons princes. iG-o. Unies , n'étoient pas si cachés qu'il n'en transpirat quelque chose : ceux qui sont les moins intéressés dans les affaires , y sont souvent les plus clairvoyans. Fréderic-Guillaume prévit que la paix que la France venoit de faire avec 1'Espagne , pourroit devenir funeste aux Hollandois ; il essaya de détourner 1'orage qui menacoit cette république. Louis XIV, bien-loin d'adopter des sentimens aussi pacifiques, tacha d'enTrainer l'électeur lui-même dans la guerre qu'il vouloit faire aux Hollandois ; il chargea de cette commission le prince de Furstenberg, qui se rendit a Berlin; et ce prince vit avec étonnement un souverain qui préféroit les sentimens de 1'amitié et de la reconnoissance aux amorces de 1'intérét et aux appèts de 1'ambition. II se forma bientót une ligue pour le soutien i.w. des Provinces-Unies : l'électeur de Brandebourg et celui de Cologne, 1'évêque de Munster etle duc de Neubourg, signèient un traité a Biele-  lo6 MÉMOIRES feld ; mais k peine eet engagement fut-il pris , que l'électeur de Cologne et 1'évêque de Munster passèrent dans le parti contraire. t6?-- La Hollande, attaquée par la France en 1672, harcelée en même temps par l'électeur de Cologne et 1'évêque de Munster, étoit dans une situation a n'oser attendre des secours de la générosité de ses alliés. Les malheureux font une expérience certaine du cceur humain ; le déclin de leur fortune est comme un thermomètre , qui indique en même temps le refroidissement de leurs amis. Leurs provinces étoient conquises par Louis XIV , leurs troupes intimidées et fugitives , et la ville d'Amsterdam sur le point d'être prise : dans eet état commentosoient-elles espérer qu'un prince eüt 1'ame assez magnanime pour affronter les hasards que cette république avoit a craindre pour elle et pour ses défenseurs, en s'opposant au monarque le plus puissant et le plus heureux de 1'Europe , dans le cours triomphant de ses prospérités ? Cependant ce défenseur se trouva ; et Fréderic-Guillaume eut Fame assez grande pour conclure une alliance avec cette république , lorsque toute 1'Europe comptoit la voir submergée par les Hots sur lesquels elle avoit régné avec un empire si absolu. II s'engagea de fournir un corps de vingt mille hommes , dont la moitié devoit être k la paie de la république. L'électeur et la Hollande se promirent de plus de ne point faire de paix séparée avec leurs ennemis. Peu de temps après, l'empereur Léopold accéda a cette alliance.  de Brandebourg. 107 Cependant les succès rapides de Louis XIV avoient fait changer la forme du gouvernement de Hollande ; le peuple , que la calamité publique et les intrigues du prince d'Orange rendoient furieux , accusa le pensiqnnaire de tous ses malheurs, et vengea sur les frères de Wit avec une cruauté inouie les maux que la Hollande avoit a souffrir. Guillaume d'Orange fut tumultuairement élu stadhouder par Ie peuple ; etce prince, ègéde dix-neufans, devintl'ennemi le plus infatigable que Fambition de Louis XIV. ait eu a combattre. L'électeur, parent du nouveau stadhouder, s'empressa de lesecourir; a peine eut-il assemblé ses troupes , qu'il s'avanca a Halberstadt, 01Y Montécuculi le joignit avec dix mille impériaux. II continua incontinent sa marche vers la Westphalie. Sur le bruit de son approche , Turenne quitta la Hollande , prit quelques villes dans le pays de Clève , et vint k sa rencontre a latète de trente mille Franeois. La ville de Groningue évacuée par 1'évêque de Munster , etle siège de Maéstrichtlevé par les Franeois, furent les seuls fruits de cette diversion. L'électeur vouloit combattre Turenne , et marcher tout droit au secours des Hollandois ; mais Montécuculi, qui avoit des ordres secrets de ne point agir offensivement, ne voulut point y consentir; il allégua toutes sortès de mauvaises raisons pour en dissuader l'électeur, qui n'étantpas assez puissant pour agir avec ses propres forces , fut oontraint de seconformer auxintentions de l'empereur. II marcha donc du cóté de Francforc-sur-  ,fl8 MÉMOIRES le-Mein, en donnant avis au prince d'Orange des raisons de sa conduite ; cette marche obligea pourtant Turenne de repasser le Rhin a Andernach, et débarrassa les Hollandois de trente mille ennemis. Turenne auroit été suivi, si la chose n'avoit dépendu que de l'électeur , qui avoit fait des préparatifs pour passer le Rhin a Nirstein; mais Montécuculi s'y opposa hautement, et lui déclara que les impériaux ne passeroient pas cette rivière. La campagne s'écoula ainsi infructueusement; et l'électeur prit ses quartiers d'hiver en Westphalie. Les Franeois profitèrent de cette inaction ; Turenne passa le Rhin a Wésel, s'empara du duché de Clève et du comté de la Mark , et s'avanca vers le Wéser ; 1'évèque de Munster tenta inutilement de prendre Bielefeld. On conseilla k l'électeur de remettre ses affaires a la décision d'une bataille ; le prince d'Anhalt étoit de eet avis , et le fortifioit de bonnes raisons. Il soutint que si Turenne étoit battu , il seroit obligé de repasser le Rhin; et que s'il étoit vainqueur, il ne pouvoit pas poursuivre les troupes vaincues, a cause qu'il se seroit trop éloigné des frontières de la France. L'électeur penchoit assez pour eet avis : c'étoit un dimanche ; et les ministres, autant timides vis-avis des Franeois qu'envieux de la réputation du prince d'Anhalt , engagèrent le prédicant a allonger son discours : le sermon dura prés de trois heures; ce qui leur donna le temps d arranger les choses de facon que ce projet vint a  de Brandebourg. 10") manquer. Les troupes de l'empereur refusèrent d'agir; et l'électeur crut qu'il n'étoit pas assez fort pour se mesurer seul contre la France sans Ie secours de ses alliés. Ce prince ne pouvant pas vaincre Turenne par les armes, le vainquit dans cette campagne par générosité. Un Franeois , nommé Villeneuve, qui étoit dans le camp de Turenne , offrit k l'électeur d'assassiner son général; Fréderic-Guillaume eut horreur de ce crime, et avertit Turenne de se garder du traitre , ajoutant qu'il embrassoit avec plaisir 1'occasion de lui témoigner que 1'estime qu'il avoit pour son mérite , n'étoit point altérée par le mal que les Franeois avoient fait souffrir a ses provinces. Les Hollandois devoient les subsides qu'ils i673. s'étoient chargés de payer ; l'empereur et 1'Espagne n'avoient point encore pris parti .contre la France; et toutes les provinces que l'électeur possédoit en Westphalie étoient perdues. Tant de raisons jointes k son impuissance disposèrent Fréderic-Guillaume k faire son accommodement avec laFrance : la paix fut conclue a Vossem, et Louis XIV laratifiadans son camp devant Maès. tricht. On rendit k l'électeur toutes ses provinces , a 1'exception des villes, de Bees et de Wésel, que les Franeois gardèrent jusqu'a ce que la paix avecla Hollande fut conclue. L'électeur promit de ne plus assister les Hollandois, se réservant toutefois la liberté de défendre 1'Empire au cas qu'il füt attaqué ; le reste de ces articles de paix rouloit sur 1'indemnisation des dommages qu'avoient faits les troupes Frau-  lio MÉMOIRES coises , que Louis XIV promit de payer a l'électeur. Tous les efforts qu'il fit pour disposer le roi de France a comprendre les Hollandois dans cette paix, furentinutiles; ils'étoit sacrifié pour sauver cette mallieureuse république. Si tant de princes plus puissans qua lui eussent imité en partie sa générosité, la Hollande auroit été sauvée plutót, et l'électeur ne se seroit pas vu contraint de plier sous la puissance du roi le . plus formidable de 1'Europe. Louis XIV avoit terrassé les Hollandois, obligé leurs alliés a. les abandonner, et contenu les deux maisons d'Autriche dans 1'inaction. Cependant 1'arc de triomphe qu'on lui fit ériger devant la porte S. Denys pour la conquête de la Hollande , n'étoit pas encore achevé , que cette conquête fut perdue. Les Franeois avoient occupé trop de places , ce qui affoiblit considérablement leurs armées ; ils avoient négligé de s'emparer d'Amsterdam, 1'ame decetEtat; les JTollandois lachèrent leurs écluses pour se sauver; Turenne ne put empêcher la j'onction du prince d'Orange et de Montécuculi: toutes ces choses jointes ensemble firent perdre aux Franeois leur avantage , et les contraignirent d'évacuer la Hollande. Louis XIV, afin de regagner la supériorité d'un autre cóté , s'empara de la 1674. Franche-Comté : Turenne entra dans le Palatiji.it; ses troupes y commirentdesexcès énormes. L'électeur Palatin , qui de son chateau avoit vu brüler plusieurs villages , s'en plaignit a la diète ; et l'empereur . qui avoit tranquillement vu subjueucr !a Hollande , sortit de sa léthargie  de Brandebourg. Ui pour secourir 1'Empire ; il rompit avec Ie roi de France, et c'est peut-être la seule guerre que la maison d'Autriche ait entreprise pour la süreté et la défense de 1'Allemagne. Léopold se joignit k 1'Espagne et a la Hollande , et Fréderic-Guillaume s'engagea de conduire seize mille hommes au secours de 1'Empire ; les Hollandois et les Espagnols lui promirent de le soulager en partie dans 1'entretien de ses troupes. Comme Louis XIV attaquoit 1'Empire , la résoIution que l'électeur prit de le secourir dans cette occasion, n'étoit point contraire aux engagemens qui subsistoient avec la France depuis la paix de Vossem. Le commencement de cette campagne fut malheureux pour les alliés. Le prince d'Orange venoit d'être battu k Senef par le prince de Condé; Turenne, qui avoit passé le Bhin a Philipsbourg , remporta une victoire sur le vieux Caprara, combattit le duc de Lorraine Charles IV a Sinzheim , et marcha dela k Holzheim , oü il défit Bournonville y qui commandoit un gros corps d'impériaux. L'électeur passa le Rhin k Strasbourg, et joignit Bournonville peu de jours après sadéfaite: il trouva les généraux qui commandoient cette armée , divisés et animés les uns contre les autres , et plus occupés a se nuire.qu'a vaincna les ènnemis. Depuis la jonction des Brandebourgeois, l'armée impériale étoit forte de plus de cinquante mille hommes. L'électeur , qui cherchoit Ia gloire , et qui vouloit combattre , pressa Bour-  112 MÉMOI It E S noaville d'y consentir , mais vainement. L'armée prit le camp de Kokersberg ; les Brandebourgeois s'emparèrent du petit chèteau de Woselsheim ; et Turenne , qui méditoit un plus grand coup, repassa la Saar et se retira enLorraine. Ainsi se perdit infructueusement cette campagne , oü les troupes de 1'Empire manquant deprofiter de leur supériorité , laissèrent a leurs ennemis le temps et les moyens de leur porter les coups les plus dangereux ; l'électeur établit ses quartiers depuis Colmar jusqu'a Masmunster, et les impériaux bloquèrent Brisac. Turenne étoit toujours bien fort vis-a-vis d'une armée oü régnoit la discorde ; il recut un secours de dix mille hommes de l'armée de Flandre. Après avoir reculé comme Fabius , il avanca comme Annibal. L'électeur avoit prévu ce qui devoit arriver, et il avoit conseillé a Bournonville a différentes reprises de resserrer ses quartiers éparpillés. Bournonville étoit confiant; la retraite des Franeois 1'endormoit dans une sécurité dont on ne put pas le faire sortir; il ne voulut jamais consentir k rapprocher ses quartiers. Cependant Turenne passé les défilés de Thann et de Bedfort , pénètre dans les quartiers des impériaux , en enlève deux, fait prisonnier un régiment de dragons («) Brandebourgeois , bat Bournonville dans le Sundgau auprès de Muhlhausen, et poursuitce général, qui se joint en hare a l'électeur, (*) Régiment de Spsc-n.  BE B R A N D E B O U H. G. nJJ lequel avoit assemblé ses troupes a Colmar. Turenne arrivé, il présente sa première ligne vis-a-vis du front de ce camp, qui étoit inattaquable , et le tourne avec la seconde. L'électeur, posté dans un terrein serré , pris en flanc par Turenne, et contrarié par Bournonville , décampa pendant la nuit, et repassa le Bhin a Strasbourg. Les impériaux levèrent le siège de Brisac , et les Franeois devinrent les maltres de 1'Alsace. Fréderic-Guillaume prit ses quartiers en Franconie avec ses Brandebourgeois. Les mauvais succès que l'électeur eut dans cette campagne , ne doivent pas surprendrè ceux qui connoissent les principes selon lesquels se conduit la cour deVienne. Les ministres de l'empereur étoient bien inférieurs aux ministres du roi de France , et Bournonville ne pouvoit pas se comparer a Turenne. A Vienne, des ministres qui n'étoient que politiques, dressoient dans la retraite de leur cabinet des projets de campagne qui n'étoient point militaires ; et ils prétendoient mener les généraux par la lisière , dans une carrière oü il faut voler pour la remplir., A Versailles , des ministres qui savoient que le détail des expéditions militaires n'étoit pa* leur fort, s'en tenoient aux idéés générales des projets de campagne, et croyoient les Condé et les Turenne d'assez grands hommes, pour s'en rapporter a eux sur la manière de les exécuter (ö). (a) Le cardinal de Richclieu montrant vm jour sur une carti \ endroit oii Bernard de Weirnar devoit passer une rivière, le Tctme II. II  \l£ M É 2VÏ O I 11 E S Les généraux Franeois , presque souverains dans leurs armées , s'abandonnoient a la libre impulsion de leur génie ; ils profitoient de 1'occasion lorsqu'elle se présentoit : au-lieu que Les ennemis la perdoient souvent par 1'envoi de courriers , qui demandoient a l'empereur la permission d'entreprendre des choses qui n'é« toient plus faisables a leur retour. L'empereur , qui dans ses armées décoroit Félecteur de la représentation, ne mettoit sa conhance qu'en ses propres généraux ; dela vint que Montécuculi fit manquer les projets de la campagne de 1672, et que Bournonville fut -cause des malheurs qu'on éprouva en Alsace. Le conseil de Vienne , qui n'étoit point sur les lieux, intimidé par la perte des batailles de Senef, de Sinzheim et de Flolzheim , pensoit que 1'Allemagne seroit perdue s'il risquoit la quatrième ; ajoutons a cela la mésintelligence des généraux de 1'émpereur. Ces raisons prises ensemble firent que Fréderic-Guillaume ne parut jamais aussi admirable a la tête des impériaux qu'a la tête de ses propres troupes. Pendant que Turenne assuroit les frontières de la France par son habileté, le conseil de Louis XIV travailloit a le débarrasser d'un enneini dangereux; et afin de séparer FrédericGuillaume des impériaux , la France lui suscita une diversion qui le rappella«dans ses propres Etats. général Allemand lui donna sèchement sur les doigts , el lui dit: :> M. le Cardinal, votre doigt n'est pas un pont. «  de Brandebourg. x i £ Quoiqu'en iGj5 la Suède eut fait une alliance défensive avec l'électeur, la France trouva le moyen de la rompre ; et Wrangel entra dans les Marches de Brandebourg a la tête d'une armée Suédoise. Le prince d'Anhalt, qui en étoit gouverneur, se plaignit améreraent de cette irruptiou; Wrangel se contenta de lui répondre que les Suédois se retireroient avec leurs troupes., dès que l'électeur auroit fait sa paix avec la France. Le prince d'Anhalt informa l'électeur de la désolation de ses Etats, et des pillages que les Suédois y exercoient j et comme il avoit trop peu de troupes pour se présenter devant une armée, l'électeur approuva qu'il se renferma» dans Berlin pour y attendre son arrivée. Tandis que les troupes Brandebourgeoises se refaisoient des fatigues de la campagne d'Alsace dans les quartiers d'hiyer de la Franconie , les paysans de la Marche, désespérés des vexations des Suédois , s'attroupèrent, et remportèrent quelques avantages sur leurs ennemis ; ils «voient formé des compagnies ; 1'on voyoit sur leurs drapeaux le nom de l'électeur, avec cette légende : Pour le Prince et pour la Patrie, Nous sacriflrons notre vie. Wrangel, qui tenoit pourtant une espèoe d'ordre parmi les Suédois , tomba malade ; et son inaction augmenta les concussions et les pillages. Les églises n'étoient point épargnées , et 1'avidité intéressée du soldat le poussa aux plus grandes cruautés. H a  TtG Mémoires Les Marches , qui soupiroient après leur libérareur, ne 1'artentlirent pas long-temps; Fréderic-Guillaume , qui se préparoit a se venger rle la mauyaise foi des Suédois , partit de ses quartiers de la Franconie , et arriva le 11 de juin S Magdebourg. II fit fermer les portes de cette forteresse incontinent après son arriyée , e-t ilusade toutes les précautions possibles , pour dérober aux ennemis les nouvelles de son approche. L'armée passa FElbe yers le soir , et arriva par des chemins détournés la nuit d'après aux portes de Rathenow : il fit aArertir de son arrivée le sieur de Brist (a), qui étoit dans cette ville ; et concerta avec lui en secret les moyens de surprendre les Suédois. Brist s'acquitta habilement de sa commission ; il donna un grand souper aux officiers du régiment de Wangelin , qui étoient en garnison k Rathenow; les Suédois s'y livrèrent sansretenue aux charmes de la boisson , et pendant qu'ils cuvoient leur vin , l'électeur fit passer la Havel sur différens bateaux k des détachemens d'infanterie, pour assaillir la ville de tous les cötés. Le général Derfflinger , se disant commandant d'un parti suédois, poursuivi par les Brandebourgeois, entra le premier dans Rathenow; il fit égorger les gardes, et en même temps toutes les portes furent forcées ; la cavalerie nettoya les rues , et les officiers Suédois eurenï de la peine a se persuader a leur réveil qu'ils étoient prisonniers d'un prince qu'ils croyoient (a) II étoil conseiller de ptovincc, et ttès-attxcbé ï l'é;ecte»r.  de Brandebourg. 117 encore avec ses troupes dans le fond de la Franconie. Si dans ces temps les postes avoient été établies comme a présent, cette surprise auroit presqu'été impossible ; mais c'est le propre des grands hommes de mettre a profit jusqu'aux moindres avantages. L'électeur , qui savoit de quel prix sont les momens a la guerre, n'attendit point a Bathenowque toute son infanterie 1'eüt joint; il marcha avec sa cavalerie droit a Nauen, afin de séparerle corps des Suédois. qui étoit auprès de Brandebourg, de celui qui étoit auprès de li.ivelberg. Quelque diligence qu'il fit dans cette conjoncture décisive , il ne put point prévenir les Suédois, qui avoient quitté Brandebourg au biuitde son approche, et s'étoient .retir és par Nauen une heure avant qu'il.arrivAt ; iLles suivit avec vivacité , et il apprit, par la déposition des prisonniers et des déserteurs, que ce corps marchoit a Fehrbellin, ou il s'étoit donné rendez-vous avec celui de Havelberg. L'armée Brandebourgeoise consistoit en cinq mille six cents chevauxelle n'avoit point d'infanterie , et menoit cependant douze canons avec elle. Les Suédois comptoient dix régimens d'infanterie et huit cents dragons dans leur camp. Malgrél'inégalité du nombre , et la différence des armes , l'électeur ne balanr.a point d'aller aux ennemis , ahn de les combattre. Le 18 de juin il marche au* Suédois. 11 confie seize cents chevaux de son avant-garde au prince de Hombourg, avec ordre de ne rien engagcr, mais de recoruioltre 1'ennemi. Ce prince part; H 3  118 M é m o i n r. s et après avoir traversé un bois, il voit les troupes Suédoises campées entre les villages de Hackenberg et de Tornow , ayant un marais a leur dos , le pont de Fehrbellin au-dela de leur droite, et une plaine rase devant leur front; il pousse les grandes gardes, les poursuit et les mène battant jusqu'au gros de leur corps; les troupes sortent en même temps de leur camp, et se rangent en bataille. Le prince de Hombourg , plein d'un courage bouillant, s'abandonne k sa vivacité , et engage un combat qui auroit eu une fin funeste , si l'électeur, averti du danger dans lequel il se trouyoit, ne fut accouru k son secours. Fréderic-Guillaume , dont le coup-d'ceil étoit admirable , et 1'activité étonnante, iit dans 1'instant sa disposition ; il profita d'un tertre pour y placer sa batterie, et en fit faire quelques décharges sur les ennemis. L'infanterie Suédoise Cn fut ébranlée; et lorsqu'il vit qu'elle commencoit k flotter, ilfondit avec toute sa cavalerie sur la droite des ennemis , 1'enfonea et Ia défit. Les régimens Suédois du corps et d'Ostrogothie furent entiérement taillés en pièces; . la déroute de la droite entraina celle de la gauche ; les Suédois se jetèrent dans des marais, oü ils furent tués par les paysans , et ceux qui se sauvèrent, s'enfuirentpar Fehrbellin, oü ils rompirent le pont derrière eux. Il est digne dé la majesté de 1'histoire de rapporter la belle action que fit un écuyer de l'électeur dans ce combat. L'électeur montoit un eheval blanc ; Froben, son écuyer, s'appereut  nu li R A K D E ü O TJ Tl G. T1 <) que les Suédois tiroient plus sur ce cheval, qui se distinguoit par sa couleur, que sur les autres , il pria son maltre de le troquer contre le sien , sous prétexte que celui de l'électeur étoit ombrageux, et a peine ce fidéle domestique 1'eut-il monté quelques momens , qu'il fut tué, et sauva ainsi par sa mort la vie a 1'élec,eur. Ce prince , qui n'avoit point d'infanterie , ne put ni forcer le pont de Fehrbellin, ni poursuivre 1'ennemi dans sa fuite ; il se contenta d'établir son camp sur le champ de bataille oü il avoit" acquis tant de gloire. II pardonna au prince de Hombourg d'avoir exposé avec tant de légéreté la fortune de tout 1'État, en lui disant: » Si je vous jugeois selon la rigueur des » loix militaires, vous auriee mérité de perdre 5) la vie ; mais a Dieu ne plaise que je ternisse 3) 1'éclat d'un jour aussi heureux , en répandant » le sang d'un prince qui a été un des princij> paux instrumens de ma victoire ! » Les Suédois perdirent, dans cette journée aussi célèbre que décisive, deux étendards, huit drapeaux , huit canons , trois mille hommes, et grand nombre d'officiers. Derfflinger arriva avec 1'infanterie , les poursuivit lelendemain, fit beaucoup de prisonniers, et reprit, avec leur bagage , une partie du butin qu'ils avoient fait dans les Marches de Brandebourg. L'armée Suédoise, qui étoit fondue et réduite a quatre mille combattans, se retira par Buppin et Witstock dans le duché de Mecklenbourg. H 4  120 AI É 11 0 I K E S Peu rle capitaiaes ont pu se vanter d'avoir fait une campagne pareille a celle de Fehrbellin. L'électeur, forme un projet aussi grand que hardi, et 1'exécUte avec une«rapidité étonnante; il enlève un quartier des Suédois , lorsque 1'Eurppe le croyoit encore en Franconie ; il vole aux plaines de Fehrbellin , ou les ennemis s'assembloient; il rétablit un combat engagé avec plus de courage que de prudence ; et avec un corps de cavalerie inférieur et harassé de fatigues d'une longue marche , il parvient a batfre une infanterie uombreuse et respectable , qui ayoit subjugué par sa valeur 1'Empire et la Pologne. Par Fhabdeté de sa conduite il laisse a juger ce qu'il auroit fait, s'il avoit été le maltre d'agir en Alsaco selon sa volonté. Cette expédition , aussi brillante que valeureuse, mérite qu'on lui applique le Veai, Vidi, Vici, de César ; il fut loué par ses ennemis, béni par ses sujets ; et sa postérité date de cette fameus© journée le point d'élévation oü la maison de Brandebourg est parvenue dans la suite. , Les Suédois , battus par l'électeur , furent dé. clarés ennemis de 1'Empire, pour 1'avoir attaqué dans un de ses membres; s'ils avoient été secondes de la fortune, peut-étre auroient-ils trouyé des alliés. L'électeur, fort des secours des impériaux et des Danois , attaqua a son tour les Suédois dans leurs provinces 5 il. enlra en Poméranie , et se rendit maitre des trois principaux passages de. la Peene. Les Brandebourgeois prirent la ville de Wol-  Tl E I! f. a n I) f. b o tj n o gast et l'ile de Wollin ; Wismar ne se rendit aux Danois qu'après que le prince de Hombourg les eut joints avec un renfort des troupes électorales. Les intéréts qui lioient également le roi de 167,'!. Danemarck et le grand électeur dans la guerre qu'ils faisoient aux Suédois, furent resserrés plus étroitement par une alliance qu'ils concurrent ensemble au commencement de 1'année 1676. La forte garnison que les Suédois avoient a Stralsund , incommodée du voisinage des troupes Brandebourgeoises, tenta pendant 1'hiver de les déloger de l'ile de Wollin ; Mardefeld y passa avec un detachement Suédois , et assiégea les troupes électorales qui en défendoient la capitale. La vigilance du maréchal Derfflinger leur fit payer assez cher leur entreprise ; il rassemblaquelques-uns de ses quartiers, passa dans File de Wollin , battit Mardefeld, et 1'auroit entiérement défait, si le Suédois n'eüt gagné ses vaisseaux en hare, et ne se fut sauvé aStralsund. Au commencement de la campagne, la Baltique se vit couverte de deux puissantes Jlottes , qui bloquèrent les Suédois dans leurs ports , et les empêchèrent d'envoyer des secours en Poméranie : 1'une étoit la flotte que les Hollandois envoyoient au secours des alliés, commandée par 1'amiral Tromp , le plus grand marin de son siècle : 1'autre étoit celle du roi de Danemarck, sous les ordres de 1'amiral Juel, qui ne le cédoit guère en réputation au premier. Les  !S2 M É M O T R S S capres Brandebourgeois se distinguèrent même dans cette campagne, et firent des prises sur les Suédois. Cette nation prévoyant qu'il lui seroit impossible de résister au nombre d'ennemis qu'elle venoit de s'attirer, hasarda quelques propositions de paix, pour détacher l'électeur de ses alliés, et peut-être même pour le commettre avec eux : voici comment la Suède s'y prit. Wangelin , qui avoit été fait prisonnier k Bathenow, fit quelques ouvertures , promit de grands avantages , et se servit de toutes les séductions de la politique, pour engager l'électeur a se réconcillier avec la Suède; mais Fréderic-Guillaume , loin d'entrer dans aucune négociation , rejeta loin de lui des propositions aussi contraires a sa gloire. II se mit a la tête de ses troupes , et prit Anclam , malgré 1'opposition qu'y mit le général Kcenigsmark ; il tourna ensuite ses armes victorieuses vers Stettin, qu'il se contenta de bloquer , la saison étant trop avancée pour en faire le siège dans les formes. La campagne suivante s'ouvrit sur mer par une bataille navale, oü la flotte Suédoise fut défaite par celle des Danois. Charles XI, qui n'avoit été que pupille jusqu'alors , parvenu a 1'age de majorité , commenca a paroitre comme roi; il se mit a la tête de son armée j et pour son coup d'essai il gagna la fameuse bataille de Lunden en Scanie, oü Christian V fut mis en fuite , après avoir laissé six mille hommes sur la place.  BE B I\ A TT B E E O V R C. 1ZÖ La fortune des Suédois, qui prévaloit contre le roi de Danemarck. , devenoit impuissante contre l'électeur; cette campagne de Poméranie fut pour les Suédois une des plus malheur reuses. L'électeur , qui pendant 1'hiver avoit bloqué Stettin, ht ouvrir la tranchée le 6 de juin devant cette place ; les Brandebourgeois attaquèrent cette ville par la rive droite de 1'Oder ; et les Lunebourgeois , qui s'étoient joints a l'électeur , poussèrent leurs approches du cóté de la rive gauche de cette rivière : le siège dura six mois de tranchée ouverte. Les fortihcations de Stettin consistoient dans des boulevards de terre , entourés d'un fossé , et défendus par une mauvaise contrescarpe ; quelques redoutes en étoient les seuls ouvrages extérieurs. Selon la méthode dont on se sert pour assiéger les places a présent, cette bicoque n'auroit pu faire une longue résistance : alors les troupes de l'électeur, accoutumées aux guerres de campagne , n'avoient point 1'experience des sièges , elles étoient excellentes pour des coups de main , mais elles menoient peu de gros canons , peu de mortiers avec elles , et manquoient sur-tout d'habiles ingénieurs. Stettin capitula le i4 décembre. La garnison étoit réduite k trois cents hommes 5 et les relations de ces temps assurent que les assiégeans y perdirent dix mille hommes. Il paroit cependant clairement que ce nombre a été erossi, soit que ces auteurs crussent qu'un siège ne devenoit fameux qu'a proportion du monde  124 MÉMOIRES qu'il coutoit, soit qu'ils lussent trompés euxmêrnes par de fausses nouvelles.Les plus grandes forteresses maconnées, casematées et minées , que de grandes armées assiègent, ne coutent pas aussi cher aux princes qui le prennent, qua ce mauvais retranchement coüta, selon ces auteurs , aux Brandebourgeois. Après la prise de cette ville, les Lunebourgeois se retirèrent chez eux. Les avantages brillans que l'électeur remporta sur ses ennemis, ne firent pas sur la cour impériale 1'impression favorable a laquelle on devoit s'attendre ; l'empereur vouloit avoir de foibles vassaux et de petits sujets, et non pas des princes riches et des électeurs puissans. Comme sa politique tendoit au despotisme , il comprenoit de quelle importance il étoit de tenir les princes dans la médiocrité et dans 1'impuissance. Ses conseillers ( et entr'autres un certain Hocherus ) eurent même 1'impudenee de dire : » Qu'on voyoit a Vienne avec chagrin » qu'un nouveau roi des Vandales s'agrandlt sur » les bords de la Baltique ». Ou il falloit le souffrir et se taire, ou il falloit avoir des moyens pour 1'empêcher. Pendant que les expéditions militaires de l'électeur n'étaloient qu'une suite de prospérités et de triomphes, Louis XIV donnoit des loix a 1'Europe , et lui prescrivoit des conditions de paix. Par le traité de cette année, la France resta en possession de la Franche-Comté, qui y fut annexée pour jamais , d'une partie de la Flandre Espagnole, et de la forteresse de Fri-  be Bhandebourg. 135 bourg. Après que cette paix eut été signée 4 Nimègue , le prince d'Orange tenta vainement de la rompre , en livrant 1'inutile combat de StDenys, oü le duc de Luxembourg triompha malgré la ruse et la mauvaise foi de son adversaire. Les Hollandois , en faisant cette paix , avoient pensé a eux, et point a leurs alliés : Fréderic-Guillaume leur reprocha leur ingratitude; mais la chose étoit dès-lors sans remède. La France proposa ft l'électeur de rendre aux Suédois les conquêtes qu'il avoit faites sur eux, et de les indemniser des frais de la guerre. 11 auroit été difficile que Louis XIV eüt prescrit des conditions plus humiliantes a un prince abattu par ses défaites; aussi l'électeur n'en voulut-il point entendre parler : ses vceux s'élevoient plus haut, et il espéroit de conserver par des traités ce qu'il avoit acquis par des combats. II gagna plus par ses négociations k la paix de Westphalie, qu'il ne gagna pendant tout le cours de sa vie par les armes et par ses nombreuses victoires. La guerre continua en Poméranie. Les Suédois enlevèrent dans l'ile de Rugen deux détacliemens, 1'un Danois, 1'autre Brandebourgeois. chacun fort de six cents hommes ; et le roi do Danemarck perdit Christiania et le district d© Blekingen. La fortune de l'électeur , ou pour mieux dire, son habileté, n'étant assujettie k aucun hasard , parut dans cette guerre également stable ; il recut un secours de quatre mille Lunebourgeois, avec lesquels et a 1'aide des yaisseaux  12.6 MÉMOIRES Danois il fit une descente dans l'ile de Rugen „ en chassa les Suédois , et leur enleva la Fehrschanz ; il s'empara tout de suite de l'ile de Daenhohn, passa a Stralsund, et fit bombarder cette ville avec tant de vivacité , qu'elle se rendit au bout de deux jours. II termina enfin cette belle campagne par la prise de Gripswalde. II sembloitque la fortune se plüt a fournir k ce prince des occasions oü il püt déployer ses grands talens ; è peine avoit-il iini sa campagne qu'il apprit que le général Horn étoit venu de la Livonie inonder la Prusse avec seize mille Suédois. II recut cette nouvelle sans étonnement, et y remédia sans embarras ; son esprit fertile en expédiens lui fournissoit en foule des projets, dont il ne lui restoit a faire que le choix et 1'application. II pensa et il exécuta dans le même moment ; le général Goertzke fut détaché avec trois mille hommes ; il arriva heureusement k Koenigsberg, oü il se joignit a Hohendorff, et se tint dans l'inaction jusqu'a 1'arrivée de l'électeur. Pour fortifier son parti, Fréderic-Guillaume lit une alliance défensive avec ces mémes Hollandois qui 1'avoient abandonné avec tant de lécheté ; il les dispensa de lui payer les subsides arriérés , leur fit la cession réelle du fort de «Schenk, et n'en recut en récompense que de frivoles garanties, que ces répubiicains ingrats refusèrent même d'accomplir. Les Suédois avano.oient en attendant, etfaisoient des prqgrès en Prusse ; ils avoient brüló en passant le fauxbourg dc Memel, ets'étoient  de Brandebourg. 127 *mparés de Tüsit et d'Insterbourg; leurs troupes s'étoientétendues, etleurspartis couroient tout le pays. L'électeur répara bientót ces pertes par sa prodigieuse diligence. Le dix de janvier il part de Berlin, se met a latere de neuf mille hommes, avec lesquels Derfflinger avoit pris les devans , passé la Vistule le i5, précédé par la terreur de son nom, qui étoit devenu redoutable aux Suédois. Horn se confond a son approche ; il perd Fespérance de résister au vainqueur de Fehrbellin; il se retire, et ses troupes se découragent. Goertzke prohte de ce trouble , le suit, le harcèle, le retarde ; et ce commencement de désordre fait perdre huit mille hommes aux Suédois. Un grand nombre de paysans , qui s'étoient joints au corps de Goertzke , se jetèrent sur les traineurs, et sur ceux qui s'écartoient de l'armée Suédoise , les firent prisonniers, ou les massacrèrent. L'électeur, qui ne perdoit pas ses momen* dans 1'oisiveté, se trouvoit sur les bords du Frisch-Haff; il avoit fait préparer des traineaux, sur lesquels il mit toute son infanterie et ses troupes dans 1'ordre oü elles devoient combattre ; la cavalerie a leurs cótés suivoit l'électeur, qui faisoit de cette facon étrange et nouvelle sept grands milles d'Allemagne par jour : on étoit surpris de voir cette course de traineaux d'une armée sur la glacé unie d'un golfe qui, deux mois auparavant, avoit été couvert de vaisseaux de toute la terre, que le commerce de la Prusse y attiroit.  MÉMOIRES La marche de 1'électeur avec son armée ressembloit au spectacle d'une fête galante et superbe ; 1'électrice et toute sa cour étoient avec lui sur des traineaux ; et ce prince étoit reeu dans tous les endroits oü il passoit, comme le libérateur de Ia patrie. Arrivé k Labiau , il détacha Ie général Tréfenfeldt avec cincr mille chevaux , pour arrêter les Suédois et lui donner le temps de les joindre ; il fit le même jour une traite considérable sur le golfe de Courlande, et arriva le 19 de j'anvier avec son infanterie a trois milles de Tilsit, oü les Suédois avoient leur quartier : il apprit, le même j'our, que Tréfenfeldt avoit battu deux régimens des ennemis auprès de Splitter , et qu'il leur avoit pris vingt-huit drapeaux («) et étendards , deux paires de timbales , et sept cents chariots de bagage. Les Suédois , battus par Tréfenfeldt , harcelés par Gcertzke , et intimidés par le voisinage de l'électeur, abandonnèrent Tilsit, et se retirèrent du cóté de la Courlande ; Gcertzke atteignit leur arrière-garde , forte de quatorze cents hommes , entre Schulzen-Krug et Coadj*ut , et la défit entiérement. Il revint d'un cóté , et Tréfenfeldt de 1'autre , tous deux chargés de trophées , ramenant le butin que les (a) Ou les Suédois étoient extrêmement fondus , pour avoir eu tant de drapeaux nuprès d'un corps aussi foible; ou il s'estglis-é quelque faute de nombre : j'aurois ïiésilé de rapporter ce fait, s'il n'étoit pas constaté jar différente* re'ations nui se trouvent dans les archives royales.  HE B R A ïf D E B O TJ R O, 12 il profita de cette occasion pour mettre garnison Brandebourgeoise a Gretzil, et il établit a Embden une compagnie de négocians , qui commercèrent en Guinee, et y batirent le GrandFriedrichsbourg. Ces petits progrès n'étoient pas comparables k ceux de Louis XIV. Ce monarque avoit fait de la paix un temps de conquêtes ; il avoit établi des chambres de réunion , qui par 1'examen d'anciennes chartres etd'anciens documens, lui adjugeoient des villes et des seigneuries, dont il se mettoiten possession sous prétexte que c'étoient originairement des fiefs ou des dépendances delapréfecture de Strasbourget de 1'Alsace. L'Empire , épuisé par une longue guerre, se contenta d'en faire par écrit des reproches a Louis XIV; mais l'électeur, qui n'avoit point iöSi été compris dans la paix de INimègue , refusa de signer cette lettre , et conclut une alliance avec l'électeur de Saxe et le duc de Hanovre , pour le maintien de la paix de Westphalie et de St-Germain. Louis XIV, qui ne vouloit point être troublé 1682 par l'empereur ni par 1'Empire dans ses conquêtes pacihques, fit jouerdes ressorts en Oriënt qui ne tardèrent pas k mettre Léopold dans des «ïmbarras extrêraes, I 3  i 54 M é m o i n i s II s'en falloit de deux ans que la trève que les iniidèles avoient faite avec les chrétiens (a) ne fut écoulée ; cependant les Turcs , appelles par les protestans de Hongrie , qui s'étoient révoltés i63j- contre la maison d'Autriche , vinrent avec une armée formidable j'usqu'aux portes de Vienne. Léopold , qui de méme que les princes de sa maison , n'étoit pas guerrier , se sauva k Liuz malgré toute sa hautêur ; cependant Vienne fut secourue par Jean Sobieski, roi de Pologne, un des grands hommes de son siècle ; et l'empereur ' rentra a Vienne ayec moins de gloire que de bonheur. II ne vouloit plier, ni devant la France, qui investissoit Luxembourg,ni devant le Turc, qui avoit assiégé sa capitale ; quoique dans 1'impuissance de résister a aucun de ses ennemis. Les représentations du pape , des électeurs de Brandebourg et de Bavière , et des principaux princes de 1'Allemagne , le portèrent enfin a conclure une trève avec la France, qui fut siguée le i5 d'aout 1684. L'électeur fit la méme année une alliance avec les cercles de la basse Saxe et de la Westphalie , pour leur commune défense ; on y stipula que les princes qui rassembleroient les troupes confédérées , tireroient des contributions des États voisins ; ces traits caractérisent trop les mceurs de ces temps-la pour les oinettre. L'électeur avoit des prétentions sur les duchés de Ja?gerndorff, Batibor , Oppeln , Brieg , Wolau et Lignitz , situés en Silésie : ces duchés t» Après 1» bataille de St-Gotliaré.  de Bjiandebottr g. i55 lai étoient dévolus en toute justice , par des traités de confraternité faits avec les princes qui les avoient possédés, et confirmés par les rois de Bohème. Il se Jlatta d'avoir trouvé une conjoncture favorable pour demander k l'empereur qu'il fit justice a ses prétentions ; et il sollicita en même temps 1'investiture de Magdebourg. Léopold, qui ne connoissoit cle droits que les siehs , de prétentions que celles de la maison d'Autriche , et cle justice que sa fierté , accorda ce qu'il ne pouvoit pas refuser , c'est-a-dire , Yin- 162$.. vestiture du duché cle Magdebourg. II fit une tentative pour obtenir deux mille' hommes de troupes Brandebourgeoises , qu'il vouloit faire servir dans la guerre contre les Turcs ; mais l'électeur étoit trop mécontent de lui pour les lui accorder. Deux mille Brandebourgeois se joignirent aux troupes de Sobieski, et aidèrent les Polonois a repousser les Turcs qui les attaquoient. Tous les événemens sembloient concourir aux avantages de l'électeur. Louis XIV, dont Ia politique avoit protégé les protestans d'Allemagne contre l'empereur , persécuta ceux de son royaume , qui étoient inquiets et remuans, et il troubla la France par la révocation du fameux édit de Nantes : il se fit une émigration dont on n'avoit guère vu d'exemples dans 1'histoire ; un peuple entier sortit du royaume par esprit de parti, en haine du pape , et pour recevoir sous un autre ciel la communion sous les deuxespèces. Quatre cent mille ames s'expatrièrent ainsi , et abandonnèrent tous leurs biens pour détormer duns d'autres temples les vieus I 4  M É M O I R E s pteaiunes de Clément Marot. Beaucoup enrichirent l'Angleterre et la Hollande de leur industrie ; vingt mille Frangois s'établirent dans les F:tats de l'électeur ; leur nombre répara en partie le dépeuplement causé par la guerre de (rente ans. Fréderic-Guillaume les recut avec la compassion qu'on doit aux malheureux . et avec la générosité d'un prince qui encourage les possesseurs d'arts utiles a ses peuples. Cette colonie prospéra toujours , et récoinpensa son bienfaiteur de saprotection; 1'électorat de Brandebourg puisa depuis dans son propre sein une infinité de marchandises qu'auparavant il avoit été obligé d'acheter de 1'étranger. Fréderic-Guillaume s'appergut que sa pitié le brouilleroit avec Louis XIV; et comme on regardoit en France de mauvais ceil 1'asile qu'il avoit accordé aux réfugiés , il corrtracta de nouvelles liaisons avec l'empereur, et lui envoya, sous la conduite du général Schcening , huit mille hommes, pour s'en servir contre les Turcs en Hongrie. Ces troupes eurent grande part a i« )&■ la prise de Bude ; elles acquirent une réputation distinguée a 1'assaut général de cette ville, oü elles entrèrent des premières. L'empereur leur refusa cependant, après cette campagne, des quartiers en Silésie , et elles retournèrent hiverner dans la Marche de Brandebourg. En récompense de ce service , l'empereur céda ensuite le rv.rcle de Swibus a l'électeur , en forme de dédommagement de ses justes prétentions. Le refuge des Frangois a Berlin, et les secours que lelecteur avoit accordés a 1'empe-  r»1 e 15 n a n d e % o u n g. i 3y reur, achevèrent d'indisposer Louis XIV contre lui; ilrefusa cle continuer le subside annuel qu'il lui payoit depuis la paix de St-Germain. Cependant Louis XIV violoit ouvertement, sous prétexte de remplir 1'esprit du traité de Niraègue , la trève qu'il avoit conclue avec l'empereur ; il s'emparoit d'un grand nombre de places de la Flandre j il prit Trèves , et en fit raser les ouvrages , et 1'on travailloit a force a relever les fortifications de Huningue. II soutenoit les prétentions de Charlotte , princesse Palatine , épouse du duc d'Orléans , sur quelques bailliages du Palatinat, droits auxquels elle avoit renoncé par son contrat de mariage. Un voisin aussi entreprenant donna enfin 1'alarme a 1 Allemagne ; et les cercles de Souabe , de Franconie et du bas Rhin firent une alliance a Augsbourg , pour se garantir des entreprises continuelles que formoit 1'ambition de ce monarque. Tant de sujets de plaintes ne purent exciter IÖ37l'empereur a s'en faire raison ; la guerre des Turcs rendoit Léopold circonspect , et le gouvernement foible d'Espagne ne sortoit point de sa léthargie. Nous verrons cependant dans la suite que 1'élection du prince de Furstenberg, que le chapitre de Cologne fit par les intrigues de la France , obligea enfin l'empereur de rompre avec un voisin dont les entreprises ne gardoient aucunes mesures, et qui ne connoissoit aucunes bornes a sa puissance. L'électeur ne vit point Ie commencement de cette guerre. II accorda pour la seconde fois sa protection a la ville de Flambourg , que le roi  i38 M k m o i r e s rle Danemarck assiégeoit 'en personne; ses envoyés , Paul-Fuchs et Schmeltau , firent consentir Fréderic V 4 leyer son camp de devant cette ville , et a rétablir toutes les choses sur le pied oü elles étoient avant cette nouvelle entreprise. Environ dans ce temps le duc de Weissenfels s'accorda avec l'électeur sur les quatre bailliages démembrés du duché de Magdebourg dont ce duc étoit en possession; l'électeur «cheta celui de Bourg pour trente-quatre mille écus , et renonea aux prétentions qu'il avoit sur ceux de Querfurt, Juterbock et Dahme. Le Nord fut sur le point d'être troublé inopinément par les différens que le roi de Danemarck eut avec le duc de Gottorp , touchant la paix de Roschild , par laquelle le roi de Suède CharlesGustave avoit procuré k ce duc 1'entière souveraineté de ses Etats. Les Danois , en haine de cette paix, chassèrentce prince du Sleswic , et déclarèrent qu'ils étoient résolus de conserver la possession de ce duché comme celle du Danemarck méme. L'empereur Léopold voulut se mêler de ces différens ; mais le roi de Danemarckne consentitas'enremettre de ses intéréts qu'entrê les mains de l'électeur de Brandebourg. On tint des conférences k Ffambourg et a Altona; Fréderic V offrit au duc de Gottorp de lui céder de certains comtés , dont les produits égaleroientles revenus du Sleswic, a 1'exception de la souveraineté ; le duc refusa ces offres» L'électeur n'eut point la satisfaction de conclure 1'accommodement, et la mort termina sa j ''gence glorieuse.  i) e B n a n i> e is p xr n g. x 5 dignité électorale. La créution de ce  de Brandebourg. ifö neuvième électorat rencontra beaucoup d'oppositions dans 1'Empire ; il ne se trouva que les électeurs de Brandebourg et de Saxe qui 1'appuyèrent: mais l'empereur, qui avoit besoin de secours réels , ne crut pas les acheter trop cher en les payant par des titres frivoles. II sembloit que cette époque favorisat 1'am- »94bition des princes de 1'Europe. A peu prés dans le méme temps que le prince d'Orange mit la couronne d'Angleterre sur sa téte , Ernest, duc de Hanovre, de vint électeur; Auguste, électeur de Saxe, se frayoit le chemin au tróne de Pologne ; et Fréderic III rouloit déja dans sa tête Ie projet de sa royauté. Comme c'est une des actions principales de la vie de ce prince ; que eet événement est des plus import ans pour la maison de Brandebourg, et qu'il sert de nceud a la politique de Fréderic III, il est nécessaire que nous exposions ici ce qui y donna lieu, par quels moyens on 1'exécuta, et tous les détails qui influèrent sur ce projet et sur cette négociation. L'ambition de Fréderic III se trouvoit resserrée , tant par son état que par ses possessions. Sa foiblesse ne lui permettoit pas de s'agrandir aux dépens de ses voisins, aussi forts et aussi puissans que lui. II ne restoit de ressources a ce prince que 1'enflure des titres pour suppléer a 1'intrinsèque de la puissance ; et par ces raisons tous ses vceux se tournèrentducóté delaroyauté. On trouve dans les archives un mémoire raisonné, qu'on attribue au père Vota jésuite ; il roule sur le choix des titres de roi des Vandales  M É M O I H V. S ou de roi de Prusse, et sur les avantages que Ia maison de Brandebourg retirera de sa royauté : on crut même que c'étoit ce jésuite qui avoit inspiré k Fréderic III 1'idée de cette nouvelle dignité. On s'abuse d'autant plus que sa société ne pouvoit prendre aucun intérét al'agrandisse, ment d'un prince protestant; il est plus naturel de croire que 1'élévation du prince d'Orange et les espérances d'Auguste de Saxe avoient donné de la jalousie a Fréderic III, et excité en lui 1 emulation de se placer sur un tró-ne a leur exemple. On se trompe toujours , si 1'on cherche hors des passions et du cceur humain les principes des actions des hommes. Ce projet étoit si difficile dans son exécution, qu'il parut chiznérique au conseil de l'électeur. Ses ministres Danckelmann et Fuchs se récrioient sur la frivolité de 1'objet, sur les obstacles insurmontables qu'ils prévoyoient a le faire réussir, sur le peu d'utilité qu'on devoit s'en promettre , et sur la pesanteur du fardeau dont on se chargeoit par une dignité onéreuse a soutenir, qui dans le fond ne rapporteroit que de yains honneurs ; mais toutes ces raisons ne purent rien siir 1'esprit d'un prince amoureux de ses idéés , jaloux de ses voisins, et ayide de grandeur et de magnificence. Danckelmann data sa disgrace de ce jour; il fut envoyé a Spandau dans la suite du temps, pour avoir dit son sentiment avec hardiesse, e£ pour avoir montré la vérité avec trop peu d'adoucissement a une cour corrompue par la flat" terie, et contredit un prince vain dans les prq.  de Brand ETspunu. l55 jets de sa grandeur. Heureux sont les princes dont les oreilles moins délicates aiment la vérité-, lors même qu'elle est prodiguée par des bouches indiscrètes! MaLs c'est un effort de vertu dont peu d'hommes sont capables. A la faveur de Danckelmann succéda un jeune courtisan, qui n'avoit de mérite qu'une connoissance parfaite des goüts de sonmaitre ; c'étoitie baron de Colbe , depuis comte de Wartenberg. Sans avoir ces qualités brillantes qui enlèvent les suffrages, il possédoit 1'art de la cour, qui est celui de 1'assiduité, de la flatterie, et en un mot de la bassesse : ilentra aveuglément dansles vues de son maltre , persuadé que servir ses passions s-'étoit affermir sa fortune particulière. Colbe n'étoit pas assez simple pour ne pas s'appercevoir qu'il avoit besoin d'un guide habile dans sa nouvelle carrière : d'Ilgen, secrétaire dans le bureau des affaires étrangères , gagna sa confiance, et le dirigea avec tant de sagesse , que Colbe fut déclaré premier ministre , et qu'il fut mis a la tête du département des affaires étrangères. Fréderic III n'étoit en effet llatté que par les dehors de la royauté, par le faste de la représentation , et par un certain travers de 1'amourpropre qui se plak a faire sentir aux au tres leur jnfériorité. Ce qui fut dans son origine 1'ouvrage de la vanité, se trouva dans la suite u'n chef* d'oeuvre de politique : la royauté tira la maison de Brandebourg de ce joug de servitude oü la maison d'Autriche tenoit alors tous les princes d'AUemagne. C'étoit une amprce que FiédtricIII  M E M O 18 ï 5 jetoit k toute sa postérité, et par laquelle il sembloitlui dire:» Je vousaiacquis untitre, rendez» vous-endigne; j'ai jeté lesfondemens de votre » grandeur, c'est a vous d'achever 1'ouvrage ». II employa toutes les ressources de 1'intrigue , et fit jouer tous les ressorts de la politique pour conduire son projet jusqu'a sa maturité. C'étoit un préalable dans cette affaire, des'assurer des bonnes dispositions de l'empereur ; son approbation entrainoit les suffrages de tout le corps germanique. Pour prévenir favorablement 1'esprit de ce prince , l'électeur lui remit le cercle de Swibus, et se contenta de 1'expectative qu'on. lui donna sur la principauté d'Ostfrise etle comté deLimbourg.Par lesmêmes principes, les troupes P>randebourgeoises servirent dans les armées impériales en Flandre, surle Rhinet en Hongrie ; les intéréts de l'électeur, qui n'avoit ni directement, ni indirectement part k ces guerres, auroient été plutót d'observer une exacte neutralité. Quoique Fréderic III eut préparé tous les moyens qui devoient mettre la dignité royale dans sa maison, il ne pouvoit pas poursuivre ce dessein en le brusquant, et il falloit attendre que les eonjonctureN U- ('avorisassent; nous verren» dnns la suite commcnt tous les événemens concoururent a lui en faciliter 1'exécution. Pendant que l'F.urope ittfk déchirée par des gm-rrcs violentes, il aceotr.moda, a 1'exemple de sou père . Ir;* ducs dc Mecklenbourg-Schwérin et de St« élit7., qui avoient entr'eux des dé3i!i' éi touchant la successinn. 11 fonda 1 uniyersité de Halle, et y attira d'ha-  DE IiRASDEBOURC. 1S7 biiesprofesseurs; et afin de facditerle commerce que cette ville fait cle ses seis, il fit construire do belles écluses sur la Saaie, qui la rendirent plus navigable. Berlin vit alors une ambassade qui parut d autant plus extraordinaire, qu'un nommé le Fort représentoit 1'ambassadeur Moscovite, et qu'il avoit a sa suite Ie Czar Pierre Alexiowitz. Ce jeune prince s'étoit appercu, a force cle génie, qu'il étoit un barbare , et que sa nation étoit sauvage ; il sortit alors pour la première fois de ses États, ayant formé le noble pro jet de s'instruire , et de rapporter dans le sein de sa patri» les lumières de la raison et 1'industrie qui lui manquoient. La nature avoit fait de ce prince un grand homme ; mais un défauttotal d'éducation 1'avoit laissé sauvage. Dela résultoit sans cesse dans sa conduite un mélange extraordinaire d'actions véritablement grandes et de singularités, de reparties spirituelles et de manières grossières, de desseins salutaires et de vengeances cruelles : il se plaignoit lui-même de ce que parvenant a policer sa nation, il ne pouvoit encore dompter sa propre férocité. En morale e'étoit un phénomène bizarre, qui inspiroit 1'admiration et 1'horreur: pour ses sujets c'étoit un orage, dont la foudre abattoit les arbres et les clochers , et dont la pluie rendoit les contrées fécondes. De Lerlin il se rendit en Hollande , et dela en Angleterre. L'Europe s'acheminoit dès-lors k grands pas vers la paix générale ; les alliés étoient rebutés du mauvais succès de leurs armes; et Louis XIV,  i58 M é m ö r n f. s qui voyoit Charles II , roi d'Espagne, sur söh déclin , et d'un tempérament a ne pas promettre une longue vie , se préta facilement a la paix. Quoiqu'il rendit ses conquétes presque sans restriction , il sacrifia ces avantages pas* sagers a des desseins plus durables ; il avoit besoin de la paix pour faire lespréparatifs d'une guerre dont l'obfet étoit de la dernière importarice pour la maison de Bourbons La paix fut conclue a Ryswic; et l'électeur, qui n'avoit concouru a cette guerre que par complaisance, n'en retira non plus aucun avantage. lSo3. Dans le nord, Auguste de Saxe obtint la couronne de Pologne par une seconde élection, qui Fempörta sur celle du prince de Conti, par les soins de Flemming son ministre et son général, par 1'approche de ses troupes, et par ses libéralités réelles , plus efhcaces que tögo. les magnihques promesses del'abbé de Polignac. Le nouveau roi de Pologne s'étoit épuisé par ses dépenses , ce qui 1'obligea de vendre k Fréderic III 1'advocatie de 1'abbaye de Quedlinbourg et Pétersberg , prés de Halle. L'électeur profita des troubles de la Pologne , èt s'empara d'Elbing pour se rembourser d'une somme que les Polonois lui devoient. On moyenna un accommodernent, par lequel les Polonois lui engagèrent une couronne- et des bijoux russiens, qui sont encore conservés a Kcenigsberg; aprés quoi l'électeur fit évacuer la -ville , et conserva du consentement de la république la possession du territoire d'Elbing. ijoa L Europe ne tarda pas k être agitée par dos  de Brander oürg. i5g troubles nouveaux au commencement de ce siècle, a cause de la succession de Charles II, roi d'Espagne , qui vint k mourir ; la maison de Bourbon et celle d'Autriche se la disputoient. On avoit essayé de prévenir les guerres sanglantes auxquelles cette succession devoit donner lieu. Louis XIV étoit convenu d'abord d'un traité de partage avec les puissances maritimes. Charles II, indigné de ce traité , avoit institué par un testament le jeune prince électoral de Bavière, son neveu , héritier de tous ses Etats. Mais toutes ces espérances furent trompées ; le prince de Bavière mourut; on fit un second traité de partage, qui n'eut pas plus lieu que 1ö premier :1e destin de 1'Europe étoit d'avoir la guerre. L'empereur protestoit contre tout partage ; il soutenöit 1'indivisibilité de la monarchie Espagnole , et prétendoit qu'étant d'une méme maison divisée en deux branches, elles avoient droit de succéder 1'une a 1'autre, celle d'Espagne k celle d'Autriche , et celle d'Autriche k celle d'Espagne. L'empereur Léopold etLouis XIV étoient au même degré; tous deux petits - fds de Philippe III, tous deux avoient épousé des filles de Philippe IV. Le droit d'ainesse étoit dans la maison de Bourbon, et Louis XIV fondoit principalement ses droits sur ce fameux testament de Charles II, que le cardinal Portocarrero et son confesseur lui firent signer agonisant et d'une main tremblante ; ce testament changea la face de 1'Europe.  ï6o Mémoires Louis XIV céda ses droits au second de ses petits-iils Philippe d'Anjou, espérant d applanir, par le choix de ce prince éloigné du tróne de France, les diflicultés et les obstacles que la jalousie de 1'Europepourroitporter a sagrandeur ; Phdippe passa en Espagne ; il fut reconnu roi par tous les princes , al'exception de l'empereur Joseph. Au commencement de cette guerre, la France étoit au comble de sa grandeur. Elle se voyoit victorieuse de tous ses ennemis; la paix de Ryswic faisoit 1 'éloge de sa modération ; Louis XIV déployoit dans 1'univers entier sa splendeur et sa magnificence ; il étoit craint et respecté. La France étoit comme un athlète préparé seul au combat, qui entroit dans une lice ou il ne paroissoit encore aucun adversaire. Rien n'étoit épargné pour les préparatifs des armemens de mer et de terre également nombreux. Dans ses plus violens efforts cette monarchie entretint quatre cent mille combattans j mais les grands généraux étoient morts, et il se trouva, avant que le mérite de Villars se fut fait connoitre , que la France avoit huit cent mille bras , mais point de tête : tant il est vrai de dire que la fortune des Etats ne dépend souvent que d'un seul homme. La maison d'Autriche étoit bien éloignée de se trouvêr dans une situation aussi heureuse; elle étoit presqu'épuiséepar les guerres continuelles qu'elle avoit soutenues ; son gouvernement étoit dans la langueur et dans la foiblesse, et cette puissance , jointe au corps germanique. ne pou- voit  DE BltASDEBOURO, iGl voit rien sans le secours des Hollandois et des Anglois i mais avec moins de ressources et de troupes que la France, elle avoit a la téte de ses armées le prince Eugène de Savoie, Le roi Guillaume, qui gouvernoit 1'Angleterre ét la Flollande , étoit dans 1'engourdissement de la surprise en apprenant la mort de Charles II, et il reconnut le duc d'Anjou roi d'Espagne par une espèce de précipitation ; mais dès que la rérlexionl'eutramené &son flegme naturel, il se déclara pour la maison d'Autriche, paree que la nation Angloise le vouloit, et que son intérét sembloitle demander. Le Nord étoit lui-méme plongé dans la guerre que Charles XII portoit en Danemarck. La jeunesse de ce prince avoit inspiré a ses voisins 1'audace de 1'attaquer; mais ils trouvèrent un héros qui j'oignoit un courage impétueux a des vengeances implacables. Fréderic III, qui étoit en paix, prit part a la grande alliance qui se formoit contre LouisXIV, dontle roi Guillaume étoit 1'ame , et l'archiduc d'Autriche'le prëtexte ; il prit des subsides, afin de soulager la prpdigalité de sa magnificence, et il crut que les secours qu'il fournissoit aux alliés lui frayeroient le chemin ala royauté. Par uneffet étonnant des 'contradictions auxquelles 1'esprit humain est sujet, ce prince, qui avoit I'ame si fiére et si vaine, s'abaissoit a se mettre aux aumónes de princes qu'il ne regardoit que comme ses égaux. Toutes les offres que lui fit la France pourle détacher des alliés, furent inutiles ; ses engagemens étoient pris , et il se trouvoit lié p; r T«me II L  ï6z MÉMOIRES des snbsides, par «oninclination et par ses espérances. Ce fut dans ces conjonctures que se négocia k Vienne le traité de Ia couronne par lequel l'empereur s'engagea de reconnoltre Fréderic III roi. de Prusse , moyennant qu'il lui fournlt un secours de dixmille hommes k ses dépens pendant le cours de toute cette guerre, qu'il entretintune compagnie de garnison a Philipsbourg, qu'il fut toujours de concert avec l'empereur dans toutes les affaires cle 1'Empire , que sa royauté n'altérat en rien les obligations de ses Etats d'Allemagne, qu'il renoncAt au subside que la maison d'Autriche lui clevoit, et qu'il promlt de donner sa voix pour 1'élection des enfans males de l'empereur Joseph , » k moins qu'il n'y eut des raisons graves » et indispensables qui obligeassent les électeurs ■» d'élire un empereur d'une autre maison ». Ce traité fut signé et ratifié: Rome cria, et Varsovie se tut : 1'ordre teutonique protesta contre eet acte, et osa revendiquer la Prusse. Le roi d'Angleterre, qui ne cherchoit que des enne • mis k la France , les achetoit a tout prix ; il avoit besoin des secours de l'électeur dans la grande alliance, et il fut des premiers a le reconnoltre. Le roi Auguste, qui affermissoit sa couronne sur sa tête , y souscrivit; le Danemarck, qui craignoit et n'envioit que la Suède , s'y prêta facilement. Charles XII, qui soutenoitune guerre diflicile , ne crut pas qu'il lui convlnt de chicaner sur un titrepouraugmenterle nombre de ses ennemis; et 1'Empire fut entrainé par l'empereur comme on 1'avoit prévu.  DE BrtANBEEOTJRG. lQ5 Ainsi se termina cette grande affaire , qui avoit trouvé de 1'opposition dans le conseil de l'électeur, dans les cours étrangères, chez les amis comme chez les ennemis; a laquelle il falluf une oomplication de circonstances aussi extra ordinaires pour qirelle put réussir ; qu'on avoit traitée de chimérique, et dont on prit bientot une opinion différente. Le prince Eugène dit en 1'apprenant: » Que l'empereur devroit faire » pendre les ministres qui lui avoient donné un 31 conseil aussi perfide Le couronnement se fit 1'année suivante. Le roi, que nous appellerons désormais Fréderic I, se rendit en Prusse; et dans la cérémonie du sacre on observa qu'il se mit lui-même la couronne sur la tête. II créa en mémoire de eet événement 1'ordre des chevaliers de 1'aigle-noir. Le public ne pouvoit cependant revenir de la prévention dans laquelle il étoit contre cette royauté: le bon sens du vulgaire désiroit une augmentation de puissance avec une augtnentation de dignité. Ceux qui n'étoient pas peuple pensoient de même : il échappa k 1'électrice de dire a quelqu'une de ses femmes : « Qu'elle étoit " au désespoir d'aller jouer en Prusse la reine „ de théètre vis-a-vis de son Ésope «. Elle écrivit k Leibnitz : v Ne croyez pas que je préfère ■» ces grandeurs et ces courónnes dont on faitici » tant de cas , aux charmes des entretiens phi» losophiques que nous avons eus a Charlotten> bourg tc Aux pressantes sollicitations de cette prineesse se forma k Barlin 1'flcadémie royal» de-  *&4 Mémoires sciences, dont Leibnitz futle chefS; on psrsuada a Fréderic I qu'il convenoit a sa royauté d'avoir une académie , comme on fait accroire k un nouveau noble qu'il est séant d'entretenir une meute : on se propose de parler en son lieu de cette académie avec plus d'étendue. Le roi s'abandonna après son couronnement au penchant qu'il avoit aux cérémonies etala magnificence, sans plus y mettre debornes;a son retour de Prusse il fit une entrée superbe a Berlin. Pendant le divertissement de ces fétes et de ces célébrités on apprit que Charles XII, eet Alexandre du Nord, qui auroit ressemblé en tout au roi de Macédoine s'il eut eu sa fortune, venoit de remporter sur les Saxons auprès de Riga une victoire compléte. Le roi de Danemarck et le Czar avoient attaqué ( comme on 1'a dit) ce jeune héros , l'un en Norwège et 1'autre en Livonie : Charles XII forca dans sa capitale le monarque Danois k faire la paix ; dela il passa avec huit mille Suédois en Livonie, défit quatrevingt mille Busses auprès de Narva, et battit trente mille Saxons au passage de la Duna. La fuite des Saxons les entralna vers lés frontières de la Prusse. Fréderic I en fut d'autant plus inquiet que la plus grande partie de ses troupes servoit dans les armées impériales, et que la guerre s'approchoit de son nouveau royaume ; Charles XII promit cependant la neutralité pour la Prusse , en considération de 1'intercession de l'empereur, de 1'Angleterre et de la Hollande.  de Brandeeourg. l65 Ces années étoient 1'epbque des triomphes dn roi de Suède ; il disposoit en souverain de la Pologne; ses négociations étoient des ordres, et ses batailles des victoires. Mais ces victoires , toutes brillantes qu'elles étoient, consumoient les vainqueurs, et obligeoient. le héros a renouveller souvent ses armées. Un transport de troupes Suédoises se rendit en Poméranie ; Berlin en prit 1'alarme. Ces troupes n'en traversèrent pas moins 1'électorat et se rendirent en Pologne , lieu de leur destination. Le roi leva huit mille hommes de nou velles troupes; au-lieu de les employer a la süreté cle ses États , il les envoya en Flandre a l'armée des alliés. II se rendit lui-méme au pays de Clève , pour recueillir 1'héritage de Guillaume d'Orange , roi d'Angleterre, au trc-ne duquel Anne , seconde fille du roi Jacques s succéda. Les droits de Fréderic I se fondoient sur le testament de Fréderic-Henri d'Orange, qui avoit substitué ses biens,au casd'extinction des males , a sa fille épouse du grand électeur. Le roi Guillaume laissa un testament tout contraire en faveur du prince Frison de Nassau, dont les Frats généraux devoient étre les exécuteurs. Les biens de la succession consistoient dans la principauté d'Orange , de Meurs , et dans différentes seigneuries et fonds de terre situés en Hollande et en Zélande. Fréderic I menacoit de retirer ses troupes de la Flandre , si on ne lui rendoit justice ; cette menace persuada aux Hollandois que ses droits étoient légitimes. On parvinl cependant k ré» L 3  ' ï66 Mémoires glerles conditions d'un aecord provisionnel, qui partageoit 1'héritage en deux parties égales'; un gros diamant fut d'abord remis k Fréderic I, et il consentit a laisser ses troupes en Flandre. Louis XIV mit le prince de Conti en possession d'Orange; le roi s'en trouva griévement offensé : ilaugmenta son armée, etpritméme des troupes de Gotha et de Wolfenbuttel a son service. -II déclara peu après la guerre a la France, a causo que l'armée de Boufflers avoit commis quelques excès dans le pays de Clève. Louis XIV ne s'appercut pas qu'il eüt un ennemi de plus ; et le nouveau roi fit en cela beau. coup pour sa passion, mais rien pour ses intéréts. Tl manifestoit sa haine pour la France dans toutes jes occasions: il obligea le duc Antoine Ulric de Wolfenbuttel k renoncer aux engagemens qu'il avoit pris avec Löuis XIV, après que les ducs de Ffanovre et de Zeil eurent dissipé les troupes qu'il entretenoit au moyen des subsides franeois, -03. ' Dans ce temps , 1'Angleterre faisoit des efforts prodigieux pour la'maison d'Autriche; ses ilottes transportèrent l'archiduc Charles, qui depuis de vint empereur, dans le royaume d'Espagne , tju'une armée Angloise devoit aider a lui con-. quérir : 1'enthousiasme de 1'Europe pour la maison d'Autriche surpassoit tout ce qu'on en peut imaginer. Tant que dura la guerre de succession, les troupes Prussiennes soutinrent avec éclat la réputation qu'elles avoient acquise sous le grand électeur ; elles prirent Kayserswerth prés du Rhin, et dans cette action de Hoechstant, oü  I) E II R A N D E I! O U R G. 167 Villars surprit et battit Styrum, le prince d'Anhalt fit une belle retraite avec les huit mille Prussiens qu'il commandoit. Je lui ai ouï dire que , iorsqu'il s'appercut de la confusion et de la fuite des Autrichiens, il forma un quarré de ses troupes, et traversa une grande plaine en bon ordre jusqu'a un bois, qu'il gagna vers la nuit, sans que la cavalerie Francoise osét 1'entamer. Le succès des troupes Prussiennes sur le Rhin , et leur bonne conduite en Souabe , ne rassurèrent pas Fréderic I contre 1'appréhension que lui donnoit le voisinage des Suédois ; rien ne leur résistoit alors. Le génie de Pierre I , la magnificence d'Auguste , étoient impuissans contre la fortune de Charles XII. Ce héros étoit a la fois plus valeureux que le Czar, et plus vigilant que le roi de Pologne. Pierre préféroit Ia ruse a 1'audace; Au guste, les plaisirs aux tra* vaux ; et Charles , 1'amour ,de la gloire a la possession du monde entier. Les S'axons étoient souvent surpris ou battus : les Moscovites avoient appris a leurs dépens 1'art de se retirer . a propos ; ils ne faisoient qu'une guerre d'iucursions. Les armées Suédoises étoient seules jusqu'alors assaillantes et victorieuses t mais Charles XII , dont i'inflexible opiniatreté nu mollissoit jamais , ne savoit exécuter ses projet* que par la force; il vouloit assujeftir les événe. mens comme il domptoit ses ennemis. Le Czar et Ie roi de Pologne suppléoient a eet enthousiasme de valeur par les intrigues du cabinet: üs réveilleient la jalousie de 1'Europe, et suscitou;.v ï envie contre le bonheurd'un jeune prince sin* L 4  J°o Mémoires bitieux, implacable clans ses haines, et qui ne savoit se venger des rois ses ennemis qU'en les détrónant. Ces intrigues n'empêchèrent pas Fréderic I, qui n'avoit point de troupes a sa disposition , de conolure une alliance défensive avec Charles XII, qui avoit une armée victorieuse dans le voisinage. Fréderic I et Stanislas reconnurent réciproquement leur royauté : ce traité ne dura qu'autant que la fortune de Charles XII ne se démentit point. l?D3> Quoique cette alliance dut rassurer le roi, il fournit toutes ses places de la Prusse de garnisons suffisantes, et il envoya de nouveaux secours a l'armée alliée en Souabe, Ce fut dans cette province que les Prussiens eurenf une part considérable au gain de la fameuse hataille de Hcechstam : ^ls étoient k la droite sous les ordres^du prince d'Anhalt, et de ce corps d'armée que le prince Eugène commandoit. A la première attaque la cavalerie et 1'iufanterie impériale plièrent devant les Franeois et les Bavarois ; mais les Prussiens soutinrent Ie choc et enfoncèrent les ennemis. Le prince Eugène vint se mettre a leur tête ; piqué de la mauvaise manoeuvre des Autrichiens , il dit qu'il vouloit combattre avec de braves gens , et non avec des troupes qui lachoient }e pied. C'est un faitconnu, que myiord Marlborough prit vingt.sept bataillons et quatre régimens de dragons prisonniers dans Ie village de Bleinheim, et que le gain de cette bataille lit perdre aux Franeois la Bavière et la Souabe,  de Brandebourg. i6g Mylorcl Marlborough se rendit a Berlin, après aYoir terminé cette glorieuse campagne , pour disposer Fréderic I k 1'envoi d'un corps de ses troupes en Italië. Cet Anglois , qm avoit jugé des projets de Charles XII en voyant une carte eéoeraphique étendue sur sa table, pénétra facilement le caractère de Fréderic I en jetant un regard sur sa cour. 11 étoit rempli de sounussion et de souplesse devant ce prince; iï flattoit adroitement sa vanité, et s'empressoit a lui présenter 1'aiguière lorsqu'Ü se levoit de table. Fréderic ne put lui résister , et il accorda aux flattenes du courtisan ce qu'il auroit peut-être refuse au mérite du grand capitaine et a 1'habileté du pro, ( fond politique. Le fruit de cette négociation fut que le prince d'Anhalt marcha en Italië a la tête de huit mille hommes. La mort de la reine Sophie-Charlotte mit 1705 alors toute la cour en deuil. C'étoit une princesse d'un mérite distingué , qui joignoit tous les appas de son sexe aux graces de 1'esprit et aux lumières de la raison ; elle avoit voyagé dans sa jeunesse en Itahe et en France sous Ia conduite de ses parens ; on la destinoit pour le trone de France. Louis XIV fut touché de sa beauté ; mais des raisons de politique firent échouer son mariage avec le dauphin. Cette princesse amena en Prusse 1'esprit cle société , la yraie politesse , et 1'amour des arts et des sciences. Elle fonda , comme on 1'a dit plus haut, 1'académie royale ; elle appella Leibnitz et beaucoup d'autres savans k sa cour. Sa curiosité youloit saisir les premiers principes des choses ;  !7° M é ji n i u e s Leibnitz , qu'elle pressoit un jour sur ce sujet, lui dit:», Madame, il n'y a pas moyen de vous' » contenter; vous voulez savoir Ie pourquoidu w pourquoi ». Charlottenbourg étoit le rendezvous des gens de goüt ; toutes sortes de divertissemens et de fêtes variées k ViaBm rendoient ce séjour délicieux et cette cour brillante. Sophie-Cbarlotte avoit 1'ame forte 5 sa religion étoit épurée , son humeur douce , son esprit orné de la lecture de tous les bons livres franeois et italiens. Elle mourut a Hanovre dans le sein de sa familie; on voulut introduire un ministre réforrné dans son appartement: » Lais*» sez-moi mourir, lui dit-elle , sans disputer ». Une dame d'honneür qu'elle aimoit beaucoup fondoit en larmes : » Ne me plaignez pas , re» prit-elle, car je-vais k présent satisfaire ma » curiosité sur les principes des choses que Leib» nitz n'a jamais pu m'expliquer , sur 1'espace, ■>i sur 1'infini , sur 1'étre et sur le néant; et je ;> prépare au roi mon époux le spectacle d'une » pompe funèbre, oü il aura une nouvelle occa» sion de déployer sa magnilicence «. Elle recommanda en mourant a l'électeur son frère les savans qu'elle avoit protégés , et les arts qu'elle avoit cultivés j Fréderic I se consola , par la cérémonie de ses obsèques , de la perte d'une épouse qu'il n'auroit jamais pu assez regretter. 1706. En Italië , la guerre cottimencoitadevenir plus vive ; les Prussiens , que mylord Marlborough y avoit fait marcher , furent battus a Casano avec le prince Eugène , et k Calcinato , lorsque le général Reventlau qui les commandoit , y  O i. 15 R A N I> E C O R U G. 171 fut surpris par Ie grand prieur de Vendóme. Le prince Eugène pouvoit être battu ; mais .?»?. il savoit réparer ses pertes en grand homme; et 1'échec de Casano fut bientót oublié par le gain de la fameuse bataille de Turin , auquel les Prussiens eurent une part principale. Ouoique le duc d'Orléans proposat aux Franeois de sortir de leurs retranchemens , son avis ne fut point suivi : la Feuillade et Marsin avoient des ordres de la cour qui portoient, a cc; qu'on assure , de ne point hasarder de bataille ; celle de Flcechstsett avoit intünidé le conseil dë ' Louis XIV. Les Franeois , qui auroient été du doublé su périeurs aux alliés, s'ils les avoient attaqués hors de leurs retranchemens , leur furent inférieurs par-tout , k cause que les quartiers différens qu'ils avoient k défendre étoient d'une étendue immense , et de plus séparés par la Doire. Les Prussiens , qui avoient 1'aile gauche dc l'armée des alliés , attaquèrent la droite du retranchement franeois qui s'appuyoit a la Doire : le prince d'Anhalt étoit déj'a au bord du fossé, et la résistance des ennemis ralentissoit la vigueür de son attaque , lorsque trois grenadiers se glissèrent le long de la Doire, et tournèrent le retranchement par un endroit ou il n'étoit pa-, bien appuyé a cette rivière. Tout-d'un-coup une voix s'entendit dans l'armée Franeoise : Nous sommes coupés. Elle abandonnesonposte,prend la fuite ; et en méme temps le prince d'Anhalt escalade le retranchement, et gagne la bataille. Le prince Eugène en fit un compliment au roi;  «7^ MÉMOIRES féloge de ses troupes devoit lui faire d'autant plus de plaisir, qu'il partoit d'un prince qui devoit bien s'y connoltre. Fréderic I fit pendant cette guerre quelques acquisitions pacifiques. II ttchcta le coruié do Tecklenbourg en Westphalie du comte de Solui'. Braunsfels ; et madame do ÏN^uiours, qui étoit en possession de la principauté dc Ncuchatel , venant de mourir, le conseil d'État de jN'eucIultel prit la régence , et élut quclques-uns de .-..■> membres pour juger des prétentions que le roi de Prusse formoit d'un cóté, et ton* les parens de la maison deLongueville d'un autrc. La principauté de Neuchatel futad/'ugée hu roi, comme ayant les meilleurs droits en qualité d'héritier de la maison d'Orange. Louis XIV s'éleva contre cette sentence ; mais il avoit de si grands intéréts a discuter, qu'ils firent évanouir devant eux ces petits litiges ; et la souveraineté de Neuchatel fut assurée a la maison royale par la paix d'FJtrecht. Charles XII étoit parvenu alors au plus haut période de sesprospérités : il avoit détróné Auguste de Pologne , et lui avoit prescrit les loix d'une paix dure a Alt-Ranstaedt, au milieu de la Saxe. Le roi voulut disposer le roi de Suède a quitter la Saxe; il lui envoya son grand maréchal Printz, pour le prier de ne point troubler la paix de 1'Allemagne par le séjour qu'il y faisoit avec ses troupes. Charles XII, qui avoit d'ailleurs le dessein de quitter les États d'un prince qu'il avoit mis aux abois , pour renouveller la méme scène avec le  *> e Brandebourg. 17?» tzar a Moscow , trouva mauvais que Printz lui fit de pareilles propositions , et lui demanda ironiquement, si les troupes Prussiennes étoient aussi bonnes que les Brandebourgeoises ? » Oui, » Sire , lui répondit 1'Envoyé , elles sont enu core composées de ces vieux soldats qui se £ trouvèrent a Fehrbellin. « Charles XII obligea l'empereur, en passant par la Silésie, arestituer cent vingt-cinq églises aux protestans de ce duché. Le pape en murmura , et n'épargna pas les protestations et les plaintes; Joseph lui répondit, » que si le roi de » Suède lui eüt proposé de se faire luthérien » lui-même , il ne savoit pas trop ce qui en » seroit arrivé, cc Ces mêmes Suédois , qui faisoient alors la jtcL'. terreur du Nord , rétablirent, avec les Prussiens et lesHanovriens , dans la ville de Flambourg, le catme qu'une sédition populaire avoit troublé. Fréderic I y envoya quatre mille hommes , pour soutenir les prérogatives des échevins et des syndics. II eut quelques démèlés avec ceux de Cologne , a cause que la populace de cette ville avoit enfoncé les portes du résident Prussien , qui tenoit une chapelle réformée dans sa maison. Le roi fit arréter des marchandises des négöcians de cette ville , qui descendoient le Rhin et passoient par Wéseï ; et il menaca d'interdire le .entte catholique dans ses Etats , comme il en avoit usé lorsque l'électeur Palatin avoit persécuté les protestans du Palatinat. La crainte de ces représailles fit rentrer la ville de Cologne dans son devoir, et lui apprit que la tolérance  '74 MÉMOIRES est une vertu dont il est quelquefois dangereux de s'écarter. 1 \ La cour de Fréderic I étoit alors pleine d'intrigues j 1'esprit de ce prince étoit flottant entré les cabales de' ses favoris , comme une mer agitée par des vents différens. Ceux qui 1 approchoient de plus prés n'avoient que peu de génie ; leurs artifices étoient grossiers , et leur manége peu adroit: tous se haïssoient, et brüloient en secret du désir de se supplanter : s'ils s'accordoient , ce n'étoit que sur une égale disposition s\ s'enrichir aux dépens de leur maitre. Le prince royal avoit peine a cacher Ie mécontentement qu'il avoit de leur conduite. Les marqués de sa mauvaise volonté leur suggérèrentle dessein d'affermir leur crédit par un nouvel appui ; ils persuadèrent au roi de passer a de troisièmes nóces , quoiqu'il fut inlirme , qu'il ne vécüt que par 1'art des méde eins , et qu'il chicanat par un reste de tempérament un soufflé de vie qu'il alloit perdre. Le sieurMarschal de Biberstein se chargeade cette intrigue : il représenta au roi que Ie prince roWl n'auroit point d'enfans de son épouse , fille de l'électeur George de Hanovre , quoiqu'alors méme elle fut enceinte ; que Ie bonheur de ses peuples demandoit qu'il songe.it sérieusement a affermir sa succession ; qu'il étoit encore vigouteux , etqu'aprés ce mariage il seroit sur de voit passer h ses descendans cette couronne qui lui' avoit coüté tant de peine k acquérir. Ce même discours , répété par différentes personnes , persuada ce bon prince qu'il étoit 1'homme Ie plus  «ï. BrandeboüAc. 175 rigoureux de ses Etats : les médecins achevèrent de le déterminer au mariage , en 1'assurant que son tempérament souffroit du célibat. On lui ohoisit une princesse de Mecklenbourg-Schwérin , nommée Sophie-Louise , dont l age , les inolinations , la facon de penser, ne s'accordoient point aveo les siennes ; il n'eut d'agrément de cette union que la cérémonie des noces , qui fut célébrée avec un faste asiatique; le reste du mariage ne fut que malheureux. La fortune se lassa enfin de protéger les ca- i?oj. piices de Charles XII. II avoit joui de neuf années de succes ; les neuf dernières de sa vie ne furent qu'un enchainement de revers. 11 venoit de rentrer yictorieux en Pologne avec une armée nombreuse , chargée de trësors , et des dépouilles des Saxons. Leipsick fut la Capoue des Suédois : soit que les délices de Ia Saxe eussent amolli ces vainqueurs , soit que la prospérité enflat 1'audace de ce prince et le poussat au-dela de son but, il n'eut plus que des malheurs affreux a essuyer ; il vouloit disposer de la Russie comme de la * Pologne , et détróner le Czar comme il avoit détróné Auguste. Dans ce dessein il s'avanca vers les frontières de Ia Moscovie , oü deux chemins le conduisoient: l'un par la Livonie , oü tous les secours de la Suède étoient a portée .de le joindre par mer , par lequel il auroit pu s'avancer jusqu'a la nouvelle ville que le Czar fondoit alors sur les bords de la Baltique, et détruire pour jamais le Jierj, qui devoit joindre la Bussie avec 1'Europe :  DE Bil A RB EB OüRO, 177 cél&hre entre les deux hommes les plus singuliers de leur siècle. Charles XII, qui jusqu'alors comme 1'arbitre des destins n'avoit rien trouvé qui arrêtat ses volontés , fit tout ce qu'on pouvoit attendre d'un prince blessé et porté sur des brancards. Pierre Alexiowitz, qui n'avoit été que législateur jusqu'alors , assistéde Menzikof, montra dans cette journée qu'il possédoit les talens d'un grand capitaine , et que ses ennemis lui avoient appris & vaincre. Tout étoit fatal aux Suédois ; la blessure de leur roi qui 1'empêchoit d'agir, la misère qui leur otoit les forces pour combattre , un corps détaché quis'égara le jour de cette bataille décisive , le nombre de leurs ennemis , et le temps qu'ils avoient eu d'élever des redoutes et de disposer avantageusement leurs troupes : enfin les Suédois furent battus , et perdirent, par un instant décisif et malheureux , le fruit de neuf années de travaux et de tant de prodiges de valeur. Charles XII fut réduit a chercher un asile chez les Turcs : ses haines implacables le suivirentè Bender , d'ou il essaya vainement par ses intrigues de soulever la Porte contre les Moscovites ; il devint ainsi la victime de son inflexibilité d'esprit, qu'on auroit appellée opiniatreté s'il n'eut pas été un héros. Après cette défaite, l'armée Suédoise mit bas les armes devant le Czar aux bords du Borysthène , comme l'armée Moscovitel'avoit fait devant Charles XII aux rives de la Baltique après la bataille de Narva. Auguste , qui vit son anfcagoniste re.nversé } se 'Jovie II. M  -go MÉMOIRES la force secondée cle conjonctures favorables rompt dans un autre. Du cóté du sud, la France renoua les négocialions de la paixa Gertruidenberg, et dès les premières conférences , elle s'engagea a reconnoitre la royauté de Prusse et la souveraineté de Neuchatel. L'ouvrage de la paix avorta encore , et les Prussiens furent employés dans cette campagne sous le prince d'Anhalt, aux sièges d'Aire etde Douai, qu'ils prirent. Le roi déclara alors qu'il ne rendroitpas la ville de Gueldre ou il avoit garnison, que les Espagnols ne lui payassent les subsides qu'ils lui devoient j et il conserva le possession de cette ville paria paix. Dans ce temps mourut le duc de Courlande , neveu du roi; les Moscovites s'emparèrent de nouveau de la Courlande ; ils prirent Elbing: mals comme le roi avoit des droits sur celte ville, un bataillon Prussien y fut mis en garnison. Le passage et le voisinage de tant d'armées avoit porté la contagion en Prusse ; la disetto, qui commengoit a s'y faire senlir vivement, augmenta la violence et le venin de la peste. Le roi, auquel on cachoit une partie du mal, abandonna ces peuples a leur infortune ; et tandis que se» revenus et ses subsides ne suffisoient pas mêm» ala magnificence de sadépense , il vit périr malheureusement plus de deux cent mille ames qu'il auroit pu sauver par quelques libéralités. Le prince royal, révolté de la dureté que son père marquoit aux Prussiens , paria fortement aux comtes de Wartenberg et de Witgens-  de Brandebourg. 181 tejui («), afin de procurer des secours et des vivres k ces peuples, qui périssoient autant par la misère que par la contagion. 11 trouva ces manistres inflexibles ; ils lui refusèrent sèchement d'acheter pour dix mille écus de bied, dont ore auroit au moins pu soulager lei habitans de Koenigsberg. Vivement piqué de ce refus, ce prince résolut de perdre ces ministres iniques : il fit j'ouer toutes sortes de ressorts pour les éloigner. La fortune a ses revers, la cour a ses orages : le parti des Kameke, envieux de la faveur de Wartenberg , fut charmé d'employer le prétexte du bien public pourservir aux vues de son ambition. Un jeune courtisan de cette familie, qui jouoit souvent aux échecs avec le roi, trouva le moyen de lui faire tant d'insinuations contre ces ministres , et de lui répéter si souvent la même chose , que Witgenstein fut envoyé k la forteresse de Spandau, et Wartenberg exilé. Le roi se sépara du grand chambellan qu'il chérissoit, en fondant en larmes : Wartenberg se retira dans le Palatinat avee une pension de vingt mille écus , et il y mourut peu après sa disgrace. Dans lenord, Charles XII avoitrefusé la neu- i?.5 tralité , comme nous venons dele dire : le Czar, les rois de Pologne et de Danemarck se servirerit de ce prétexte pour 1'attaquer en Poméranie. Fréderic I refusa constamment d'enlrer dans cette ligue j il ne vouloit point exposer ses Etats aux incursions, aux ravages et aux hasards de la (n) Directeurs des fiiiasces. M 3  I O f H t il O I II E 5 de sedécider, ou que ceprince se crut assez for£ pour résister seul a Louis XIV. Sa condition n'en devint que plus mauvaise. Le roi fit alors surprendrela garnison Hollandoise qui étoit k Meurs , et inaintint par la possession les droits qu'il avoit sur cette place. Mais les sentimens pacifiques du sud n'in/luèrent point sur le nord. Le roi de Danemarck entra dans le duché de Brème et prit Stade ; le Czar et le roi de Pologne tentèrent une descente dans l'ile de Rugen , que les bonnes mesures des Suédois firent manquer. Les alliés ne furent pas . -plus heureux au siège de Stralsund, qu'ils furent obligés de lever. Steinbockvenoit de remporter une victoire sur les Saxons et sur les Danois a Gadebusch dans le Mecklenbourg; et un renforC de dix mille Suédois étant arrivé en Poméranie, tont Ie pays fut délivré d'ennemis. Les Danois, obligés d'abandonner Rostock, remirent cette ville aux troupes du roi comme directeur du cercledela basse Saxe; mais les Suédois en délogèrent les Prussiens. La neutralité du roi n'en souflrit aucune atteinte; et il continua de négocier, afin de porter les esprits a quelque conciliation, et pour conjurer les orages qui s'assembloient autour de ses États. Au commencement de i7i3, Fréderic I mourut d'une maladie lente, qui avoit depuis longtemps miné ses Jours ; il ne vit point la consommation de la paix, ni le rétablissèment du repos dans son voisinage. R eut trois femmes : la première fut une prineesse de Hesse, dont il eut une fille, ma-  T) 2 B II A N D E B O U B. O. i&5 riée au prince héréditaire de Hesse, a présent roi de Suède (a) 5 Sophie-Charlotte de Hanovre mit au monde Fréderic-Guillaume , qui lui succéda ; et ü renvoya la troisième , qui étoit une .princesse de Mecklenbourg, a cause de sa démence, Nous venons de voir tous les événemens de Caraela vie de Fréderic I; il ne nous reste qu'a jeter '-10•rapidement quelques regards sur sa personne et sur son caractère. II étoit petit et contrefait ; avec un air de fierté, il avoit une physionomie commune. Son ame étoit comme les miroirs qui réfléchissent tous les objets qui se présentent 5 ilexible a toutes les impressions qu'on lui donnoit, ceux qui avoient gagné un certain -ascendant sur lui, savoient animer ou calmer son esprit, emporté par caprise, doux par nonchalance. II confondoit les choses vaines avec la véritable grandeur, plus attaché a 1'éclat qui éblouit,qu'a 1'utile qui n'est que solide : il sacrifia trente mille hoinmes de ses sui'ets clans les différentes guerres de l'empereur et des alliés , a!in de se procurer Ia royauté ; et il ne désiroitcette dignité avec tant d'empressement, qu'afm cle contenter son goüt pourle cérémonial, et de justiner par desprétextes spécieux ses fastueuses dissipations. II étoit magnifique et généreux ; mais a quel prix n'acheta-t-il pas le plaisir de contenter ses passions ? II trafiquoit du sang cle ses peuples avec les Anglois et les Hollandois, comme ces (a) L'an 1751.  J $6 3VI K ?,T O I R E s Tartares vagabonds qui vendent leurs troupeaux aux bouchers de la Podolie pour les égorger. Lorsqu'il vint en Hollande pour recueillir la succession du roi Guillaume, il fut sur le point de 7-etirer ses troupes de Flandre ; on lui remit un gros brillant de cette succession, et les quinze mdle hommes se firent tuer au service des alliés. Les préjugés du vulgaire semblent favoriser ia magnificence des princes; mais autre est la libéralité d'un particulier, et autre est celle d'un souverain. Un prince est le premier serviteur et ie premier magistrat de 1'État; il lui doit compte de 1'usage qu'il fait des impóts ; il les léve, aiin de pouvoir défendre 1'État par le moyen des troupes qu'il entretient, afin de soutenir la dignité dontil est revétu, de récompenser les services et le mérite, d'établir en quelque sorte un équilibre entre les riches et les obérés, de soulager les malheureux en tout genre et de toute espèce ; afin de mettre de la magnificence en tout ce qui intéresse le corps de 1'État en général. Si le souverain a 1'esprit éclairé et le coeur droit, il dirigesra toutes ses dépenses a 1'utilité du public et au plus grand avantage de ses peuples. La magnificence qu'aimoit Fréderic I n'étoit pas de ce genre; c'étoitplutót la dissipatïond'un prince vain et prodigue ; sa cour étoit une des plus superbes de 1'Europe ; ses ambassades étoient aussi magnifiques que celles des Portugais ; ii fouloit les pauvres, afin d'engraisser les nchcs; ses favoris recevoientdefortes pensions, taiulis que ses peuples étoient dans la misère ;  I) Ë B 11 A K D E B O ff K O, 187 sés batimens étoient somptueux, ses fètes superbes ; ses écuries et ses offices tenoient plutót clu faste asiatique que de la dignité européenne. Seslibéralités paroissoientplutót 1'effetdu hasard que celui d'un choix judicieux: ses domestiques faisoient leur fortune, lorsqu'ils avoient souffert des premières saillies de son emportement; il donna un fief de quarante mille écus k un chasseur qui lui ht tirer un cerf de haute ramure. La bizarrerie de sa dépense ne frappe jamais plus vivement, que lorsqu'on en compare Ia totalité avec celle de ses revenus, et qu'on ne fait de toute sa vie qu'un seul tableau: onest alors étonnédevoir desparties d'un corps gigantesque a cóté de membres desséchés qui périssent. Ce prince voulut engager ses domaines de la principauté de Halberstadt aux Hollandois, afin d'acheter le fameux Pit, brillant dont Louis XV lit 1'acquisition du temps de la régence ,- et il vendoit vingt mille hommes aux alliés, pour avoir Ie nom d'en entretenir trente mille. Sa cour étoit comme une grande rivière , qui absorbe 1'eau de tous les petits ruisseaux; ses favoris regorgeoient de ses libéralités , et ses profusions coütoient chaque jour des sommes immenses ; tandis que la Prusse et la Lithuanie étoient abandonnées k la famine et a la contagion, sans que ce monarque généreux daignat les secourir. Un prince avare est pour ses peuples comme un médecin qui laisse étouffer un malade dans son sang ; le prodigue est comme celui qui le tue a force de le saigner. Fréderic I n'eut jamais d'inclinations cons-  i88- M i u o i ïi i s tentes, soit qu'il se repentlt de son mauvais choix, soit qu'il n'eüt point d'indulgence pour les foiblesses humaines : depuis le baron de Danckelmann jusqu'au comte de Wartenberg, ses favoris eurent tous une fin malheureuse. Son esprit foible et supers titieux avoit un attachement singulier pour le calvinisme, auquel ïl auroit voulu ramener toutes les autres religions. II est a croire qu'il auroit été persécuteur , si les prétres se fussent avisés de joindre des cérémonies aux persécutions. II composa un livre de prières, que pour son honneur on n'imprima pas. Si Fréderic I est digne de louange , c'est pour avoir touj'ours conservé ses Etats en paix, tandis que ceux de ses voisins étoient ravagés par la guerre ; pour avoir eu le cceur naturellement bon ; et si 1'on veut, pour n'avoir pas donné d'atteintes a la vertu conjugale : enfin il étoit grand dans les petites choses, et petit dans les grandes ; et son malheur a voulu qu'il fut placé dans 1'histoire entre un père et un iils dont les talens supérieurs le font éclipser. FRÉDERIC GUILLAUME, Second Roi de Prusse. deric - Guillaume étoit né k Berlin le i5 d'aoüt de 1'année 1688 ( comme nous 1'ayons dit) de Fréderic I, roi de Prusse, et de SophieCbarlotte, princesse de Hanovre. Son règne commenca sous les auspices favorablesdela paix,  de B h a n » e b o u n c. iSj Cette paix fut conclue a Utrecht, entre la France, 1'Espagne, 1'Angleterre , la Hollande , et la plupart des princes de 1'Allemagne. Fréderic-Guillaume obtint que Louis XIV reconnüt sa royauté, la souveraineté de la principauté de Keuchatel , et qu'il hu garantit le pays de Gueldre et de Kessel, en forrne de dédommagament de la principauté d'Orange, k laquelle il renonca pour lui et pour ses descendans. La France et 1'Espagne lui accordèrent en même temps le titre de Majesté , qu'elles ont refusé encore long-temps aux rois de Danemarck et de Sardaigne. Après le rétablissement de la paix , toute 1'attentionduroi se tourna sur 1'intérieur dn gouvernement. II travailla au sétablissement de 1'ordre dansles finances, lapolice , la justice, et le militaire; parties qui avoient été également négligées sous le règne précédent. II avoit une am» laborieuse dans un corps robuste ; jamais homme ne naquit avec un esprit aussi capable da détails. S'il descendoit jusqu'aux plus petites choses , c'est qu'il étoit persuadé que leur multiplicité fait les grandes. II ramenoit tout son ouvrage au ■tableau général de sa politique, et travaillant a donner le dernier degré de perfection aux parties, c'étoitpour perfectionner le tout. Il retrancha toutes les dépenses inutiles , et boucha les canaux de la profusion par lesquels son père avoit détourné les secours de 1'abondance publique a des usages vains et superflus. La cour se ressentitla première de cetteréforme. ]J ne conserva qu'un nombre de personnes né-  IQO Memoires cessaires k sa dignité , on utiles a 1'État. De cent chambellans qu'avoit eus son père, il en resrt* douze ; les autres prirent le parti des armes ou devinrent des négociateurs. 11 réduisit sa propr© dépense a une somme modique, disant qu'un prince doit étre économe du sang et du bien de ses suj'ets. C'étoit a eet égard un philosophe sur le rróne, bien différent de ces savans qui font consister leur science stérile dans la spéculation des matières abstraites qui semblent se dérober a nos connoissances. II donnoit 1'exemple d'une austérité et d'une frugalité dignes des premiers temps de la république Romaine: ennemi du faste et du dehors imposant de la royauté, sa stoïque vertu ne lui permettoit pas méme les commodités les moins recherchées de la vie. Des moeurs aussi simples, une frugalité aussi grande, forV moientun contraste parfait avec la hauteur el. la profusion de Fréderic I. Les obj'ets politiques que ce prince se proposoit par ses arrangemens intérieurs, étoient de se rendre formidable a ses voisins par 1'entretien d'une armée nombreuse. L'exemple de GeorgeGuillaume lui avoit appris combien il étoit dangereuxde ne pouvoir pas se défendre; et celui de Fréderic I, dont les troupes étoient moins a ce prince qu'aux alliés qui les payoient, lui avoit fait connoitre qu'un souverain n'est respecté qu'autant qu'il se rend redoutable par sa puissance. Lassé des humiliations que tantót les Suédois et tantót les Russes lirent essuyer a Fréderic I, dont ils traversoient impunément les Etats, il voulut protéger efiicacement ses  DE B II A N D E li O ü ft G. TOjï peuples contre 1'inquiétude de ses voisins, et se mettre en même temps en éfat de soutenir ses droits sur la succession de Berg, qui alloit étre ouverté a la mort de, l'électeur Palatin, dernier prince de la maison de Neubourg. Quoiquè le public soit de la prévention que le proj'et d'im gouvernement militaire ne venoit pas du roi même, mais qu'il lui avoit été suggéré par le prince d'Anhalt, nous n'avons point adopté cette opinion, a cause qu'elle est erronée, et qu'un esprit aussi transcendant que 1'étoit celui deFréderic-Guillaume, pénétroit et saisissoit les plus grands objets, et connoissoit mieux les intéréts del'Etat qu'aucun de ses ministres, ni de ses généraux. Si des hazards peuvent faire naltre les plus grandes idéés , nous pouvons dire que des officiers Anglois donnèrent lieu k Fréderic-Guillaume de former les projets qu'il exécuta dans la suite. Ce prince ht dans sa j'eunessè les campagnes de Flandre , et comme il assistoit au siège de Tournai, il trouva deux généraux Anglois qui disputoient vivement ensemble : l'un soutenoit que le roi de Prusse auroit de la peine a payer quinze mille hommes sans subsides et 1'autre soutenoit qu'il en pouvoit entretenirvihgt mille. Le jeune prince, tout en feu, leur dit: Le roi mon père en entretiendra trente mille lorsqu'il le voudra. Les Anglois prirent cette réponse pour la saillie d'un jeune homme ambitieux,quirelevoitavec exagération les avantages de sa patrie; mais Fréderic-Guillaume , parvenu au tróne , prouya plus qu'il n'avoit ayan prouver a un homme clairvoyant la nécessité d'une chose par de boanes raisons , qu'il est , pour ainsi dire , inrpossible de faire sentir 1'évio8 , M é m o i n e s imagination ardente . qui souvent outroit les choses. Né pour les heaux-arts, qu'il cultiva, il eut les foiblesses des héros. Son tempérament encourageoit son cceur a la sensibilité. 11 lit 1'abbédu Bois cardinal, moins paree qu'il servoit 1'Etat que paree qu'il étoit le ministre secret de ses passions. La calomnie osa charger ce prince douxet humain du plus horrible des forfaits, du dessein d'empoisonner son pupille et son roi. Un crime utile n'inspire pas moins d'horreur aux ames bien nées, qu'unemauvaise action perdue; mais 1'apologie véritable du régent, c'est le règne de Louis XV. Pour assurer la paix du royaume , et pour écarter toutes les occasions de disputes, le régent conclutle traité de barrière a Anvers , par lequel il fut arrèté que les Hollandois entretieudroient garnison dans Namur, Furnes , Tournai, Ypres , Menin, etle fort de Knock, moyennantsix cent mille ilorins d'Allemagne, que la jnaison d'Autriche s'engageoit de leur payer par an;envertu de quoi ils renongoient a Ia régie des Pays-Bas, dont 1'entière possession resta a l'empereur Charles VI. Les guerres qui se succédoient les unes aux autres, empêchoient 1'Europe de j'ouir desfruits de la paix. Dèsl'année ïyiS les Turcs étoient entrés dans la Morée, qu'ils avoient enlevée aux Vénitiens. Le pape, qui craignoitpour 1'Italie, conjura l'empereur de prendre la défense de la chrétienté. Charles VI assemblades troupes en Hongrie, afm de favorker les Vénitiens par la diversion qu 'd  de Brandebourg. 209 qu'il alloit faire contre les Turcs. Dès 1'année 1716, le prince Eugène avoit battu le grand-visir auprès cle Péterwaradin et pris Témeswar. Cette année il entreprit le siège de Belgrade, et fortifia son camp d'un bon retranchement. Les Turcs vinrent assiéger l'armée du prince Eugène, et non contens de la bloquer , ils s'avancèrent verslui par des approches et des tran-' chées. Eugène, après leur avoir laissé passer un ruisseau qui les séparoit de son camp, sortit de ses retranchemens le 16 aout, les attaqua, les battit, et leur prit canons, bagages', enunmot, tout leur camp; et Belgrade, qui n'avoit plus de secours k espérer, se rendit au vainqueur par capitulation. Le maréchal de Stahrenberg, ennemi du mérite d'Eugène, déclama contre sa conduite, qu'il taxoit d'imprudente-, et paria avec tant de force , qu'il s'en fallut peu que l'empereur ne fit traduire le héros de 1'Allemagne devant un conseil de guerre, pour avoir exposé l'armée impériale k périr sans ressource. Cependant la gloire d'Eugène étoit si brillante, qu'elle fit éclipser 1'envie et ses envieux. L'année suivante les Turcs firent la paix k Passarowitz, et cédèrent a l'empereur Belgrade et tout le bannat de Témeswar. Les Vénitiens, qui avoient servi de prétexte aux conquêtes de Charles VI, payèrent par la perte de la Morée les acquisitions que fit l'empereur, et ils s'ap-' percurent, mais trop tard, que le secours d'un allié puissant est toujours dangereux. Charles VI étoit a peine sorti de cette guerre, qu'il eut d'autres ennemis a combattre. II s'étoit Tome II. O  31* MÉMOIRES semblerles Etats généraux, qui représentent Ia nation en corps, et faire nommer le roi d'Espagne tuteur de Louis XV et régent de France. Un hasard singulier fit avorter ce dessein. Le secrétaire duprince Celarnare étoit un des chalans de la Fillon, personne renommee pour les mariages clandestins qui se faisojent chez elle. L'industriede cette femme avoit serviplus d'un© fois le régent et le cardinal du Bois. La Fillon trouvant un jour le secrétaire d'Espagne plus rêveur qu'a son ordinaire, et ne pouvant tirer de lui le sujet de sa mauvaise humeur, luilachaune fille adroite, et rusée, qui le fit boire etparler. Cette fille le fouilladans son ivresse. Les papiers dont il étoit chargé parurent a la Fillon de si grande conséquence, qu'elle les porta dans 1'instant au régent. Ce prince fit arrêter sur le champ le secrétaire. Tous les complices de la conjuratioii furent découverts. Il encouta la vie a cinq gentilshommes Bretons. Le duc du Maine, le cardinal de Polignac et quelques autres seigneurs furent exilés. La cour envoya des troupes en Bretagne; et lorsque }e duc d'Ormond s'y présenta avec la hotte Espagnole , personne ne remua. La constance du régent ne fut jamais aussi ébranlé® que par eet événement. Quelques personnes ont prétendu qü'il méditoit son abdication , mais qu'il fut retenu par la fermeté du cardinal. du Bois, qui admiroit les voies dont la Providence s'étoit servie dans cette affaire pourconserver la régence entre les mains du duc d'Orléans. L'Europe étoit comme une mer agitée, qui  Bi Brandebourg. ziZ gronde encore après 1'orage , et ne se calme que successivement Les malheurs' de Charles XII ne 1'avoient point corrigé de ses passions. Son ressentiment, qui Ie suivit en Suède, éclata contre le Dane- . marck. II attaqua la Norwège, ayant avec lui le prince héréditaire deHesse, qui venoit d'épouser sa sceur, la princesse Ulrique, 11 prit Christiania; mais ne pouvant forcer la citadelle.de Fridrichshall, et manquant de subsistances , il abandonna ses conquêtes. L'appréhension des Busses 1'avoit retenu en Scanie; il fit cependant cette année une nouvelle irruption en Norwège, il assiégea Fridrichshall, et fut tué dans la tranchée. Cette valeur, dont il étoit si prodigue, lui devint funeste. Un coup de fauconneau , tiré d'une hicoque , termina la vie d'un prince qui faisoit trembler le nord , dont la valeur tenoit de 1'héroïsme, et qui auroit été le plus grand homme de son siècle, s'il avoit été modéré et juste. La mort de ce prince fut Ie signal de 1'armistice. Les Suédois levèrent le siège de Fridrichshall; ils repassèrent leurs frontières, et les Danois ne les suivirent pas. Avec Charles XII expirèrent ses projets de vengeance. II étoit encore occupé des plus vastes desseins ; animé contre le roi George d'Angleterre, qui lui avoit enlevé les duchés de Brème et de Verden, il alloit former une alliance avec" le Czar, afin de chasser la maison de Hanovre d'Angleterre , et d'y rétablir le prérendant. Gcertz, qui succéda au comte de Piper dans 1* ' 3 0 3  de Brandebourg. 217 impóts sur le pied oü üs étoient avant la guerre de trente ans , mais que tous les propriétaires des terres défrichées depuis ce temps , dont le nombre étoit considérable , étoient taxés différemment. Afin de rendre ces impóts proportionnels, le roi fit exactement mesurer tous les champs cultivables , etrétablit 1'égalité des contributions selo n les différentes classes de bonnes et mauvaises terres; et comme Ie prix des denrées étoit de beaucoup haussé depuis la régence du grand électeur, ilhaussa de même les impóts a proportion de ce prix ; ce qui augmenta considérablement ses revenus. Mais afin de répandre d'une inain ce qu'il recevoit de fautre , il créa quelques régimens d'infanterie nouveaux , et augmenta sa cavalerie ; de sorte que l'armée montoit a 60,000 hommes , et il distribua ces troupes dans toutes ses provinces , de sorte que 1'argent qu'elles payoient al'Etat, leur retouruoit sans cesse par le moyen des troupes ; et afin que le paysanne füt point chargé par 1'entretien des soldats, toute l'armée, tant cavalerie qu'infanterie , entra dans les villes. Par ce moyen les accises augmentoient les revenus , la discipline s'affermissoit dans les troupes , les denrées haussoient de prix, et nos laines , que nous vendions aux étrangers , et que nous rachetions lorsqu'ils les avoient travaillées, ne sortirent plus du pays. Toute l'armée fut habillée de neuf réguliérement tous les ans , et Berlin se peupla d'un nombre d'ouvriers qui ne vivent que de leur industrie, etquinetravaillent que pour les troupes. Les manufactures , soudement établies, devin-  de Brandebourg. 219 prince Eugène , et depuis par le maréchal da Flemming. A force d'impostures il étoit parvenu k seiner la mésintelligence entre la cour impériale et celle de Saxe. Comme il ne vivoit que d'artifices , il lui falloit souvent des dupes nouvelles ; il résolut detendre ses contributions jusque sur laboursa du roi. II vint a Berlin , et s'introduisit a la cóur en s'offrant de découvrir des secrets de la dernière importance. Ses secrets consistoient dans une conjuration imaginaire , tramée entre 1 empereur et le roi de Pologne , dans laquelle les principales personnes de la cour étoient impliquées. Clément assuroit que ces personnes mécontentes avoient été corrompues par 1'appat des richesses et par des vues d'ambition. Le plan de la conjuration étoit, k ce qu'il prétendoit . de saisir la personne du roi dans un chateau nommé Wusterhausen, oh il passoit réguliérement deux mois de 1'automne , et de le livrer a 1'empereur. Ce qui donnoit en quelque sorte dela vraisemblance a ce projet, c'est que ce chateau n'étoit qu'a quatre milles des frontières de la Saxe, et que le roi y étoit sans gardes. Fréderic-Guillaume méprisa d'abord ces in- o sinuations , et il ne fut ébranlé que par une lettre du prince Eugène, remplie de ce dessein, que Clément lui montra. Ce scélérat se fit fort de convaincre entiérement le roi de tout ce qu'il avoit avancé, en lui produisant des lettres du prince d'Anhalt , du général Grumkow et d'autres seigneurs de la cour. Tant d'effronterie et de hardiesse jeta le roi dans de cruels soup-  230 M i M O I H B s cons et dans des méhances continuelles. II se proposa enfin d'éprouver en sa présenee, si Clément connoitroit 1'écriture des personnes qu'il accusoit. On jeta sur une table une liasse de lettres de différentes mains , en 1'obligeant den reconnoltre 1'écriture. Cléments'y trompa, etsa fourbe fut découverte. Dans sa prison il avoua qu'il avcit contrefait 1'écriture et le sceau du prince Eugène. II recut le juste salaire que méritoient ses impostures et ses méchancetés; il fut pendu. Cependant ces fausses accusations ne laissèrent pas de renverser quelques fortunes et de causer pour un temps des méüances et des ombrages. La calomnie s'introduit plus facilementdans 1'esprit des princes que la jusufication, Ils connoissent assez les hommes pour savoir qu'il n'est guère de vertu sans tache, et ils voient tant d'exenqiles de la méchanceté du coeur humain, qu'ils sont plus sujets a étre trompés que des particuliers qui vivent éloignés du monde. Les mensonges de Clément avoient pris crédit en quelque manière a la faveur de la conjuration du prince Celamare, dont 1'exemple étoit encore tout récent. Cette conjuration, bien plus réelle que celle de Clément, eut aussi des suites bien plus importantes. Au moyen de la quadruple alliance qui venoit de se conclure , le régent avoit la facilité de se venger , sans courir le moindre risque, des entreprises du cardinal Alberoni. II n'en laissa pas échapper 1'occasion, et il publia, e'n déclarant Ia guerre a 1'Espagne , qu'il n'en vouloit qu'au premier ministre. Berwick, a Ia  BE B R A N D E B OU R#s 3521 tête de l'armée de France , prit St-Sébastien et Fontarabie , tandis que la flotte Angloise désola les ports de St-Antoine et de Vigos, et que Mercy passant en Sicile avec l'armée de l'empereur , obligea le marquis de Léde a lever le siège de Mélazzo, et reprit la ville et la citadelle de Syracuse. Le roi d'Espagne marcha avec són armée sur les frontières de son royaume. Il conduisoit une colonne de ses troupes , la reine la seconde , et ie cardinal la troisième ; mais ils n'étoient pas faits tous les trois pour commander des armées, et le roi , découragé par la mauvaise tournure que prenoit pour lui le commencement de cette guerre , aima mieux sacrilier son ministre , que d'exposer samonarchie a de plus grands hasards. C'étoit effectivement 1'unique moyen de rétablir dans 1'Europe une paix solide. Qu'on eut donné deux mondes comme le nótre a bouleverser au cardinal Alberoni, il en auroit encore demandé un troisième. Ses desseins étoient trop vastes , et son imagination trop fougueuse. Il avoit résolu de chasser l'empereur de 1'Italie, de rendre son maitre régent de la France , et afin de remettre le prétendant sur le tróne d'Angleterre , il vouloit animer Charles XII contre le roi George , et armer les Turcs et les Busses contre l'empereur Charles VI. La raison qui fait échouer tous ces vastes projets des ambitieux, c'est ( k ce qu'il paroit) qu'en politique comme en méchanique , les machines simples ont un avantage extréme sur eelles qui sont trop composées. Plus les ressorts  de Brandeisourg. u e Bkisdeiiourö, 233 de guerre. Trois vaisseaux de ligne moscovites vinrent hiverner en Espague dans le port de St-André. Les Anglois mirent trois flottes en mer, dont 1'une Ht voile aux Indes, l'autre sulles cótes d'Espagne, et la troisième vers la Baltique. La France augmenta ses régimens, et créa une milice forte de soixante mille hommes. Le roi se trouvoit dans une situation difficil© et embarrassante, a la veille d'une guerre dont il couroit Ie plus grand risque, sans assurance de secours de ses alliés, exposé k 1'irruption des Moscovites , et devenant 1'exécuteur d'un plan qu'on lui cachoit. On avoit désigné les provinces qu'on vouloit cenquérir ; mais on n'avoit pas réglé le partage qu'on en vouloit faire; et pour tout dire, le ministre Hanovrien du roi George affectoitde traiter le roi de Prusse en puissance subalterne. Tant de dangers , si peu d'avantage, etcetexcès d'arrogance, dégoütèrent le roi du ton impérieux que ses alliés affectoient de prendre avec lui, et dès ce temps il pensa a trouver ses süretés dilleurs. Cette année fut funeste aux premiers ministres. Le duc de Biperda fut congédié et arrêté k Madrid, pour avoir fait le traité de Vienne ; il se sauva de prison, et passa chez le roi de Maroc, ou il mourut peu de temps après. Le duc de Bourbon eut un sort plus doux, mais a-peuprès semblable. L'adresse de 1'ancien évéque de Fréjus, précepteur du roi de France, le fit exiler : le précepteur devint premier ministre et cardinal. Les premières fonctions de son ministère furent de soulager le peuple des impóts  JÜ4 M i ïu o i n | s qui I'arcabloient; il fit autaat de bien aux linances du roi, oü il mit de 1 economie, que de mal au militaire, et sur-tout a la marine, qu'il négligea. Souple, timide et rusé, il conserva les vices d'un prétre dans lesfonctions du ministère ; tant il estrrai que les emplois décorent les hommes, mais ne les changent pas. Nous pourrions aj'outer a ses disgraces 1'élection et la chüte de Maunce, comte de Saxe, devenu duc de Courlande par le choix des États, et chassé de son pays par la violence des Russes. G'est ce même comte de Saxe que nous avons vu briller a la tête des armées de Louis XV, et dont les grandes qualités tiennent lieu de la plus noble origine. L'Europe perdit cette année deux têtes couronnées ; Vim.' pératrice Catherine mourut, et Pierre Alexiowitz, petit-fds de Pierre I, lui succéda. C'étoit un enfant qui croissoit sous les yeux de quelques Boïards attachés aux anciens usages de ieur nation , et qui préparoient a ce jeune prince une tutelle éternelle. En Angleterre, George se*ond succéda a son père, qui venoit de mourir. Fréderic-Guillaume et George II, quoiqu'élevés presqu'ensemble, quoique beaux-frères, ne purent se souffrir dès leur tendre jeunesse. Cette haine personnelle, cette forte antipathie pensa devenir funeste a leurs peuples, lorsqu'ils occupèrent tous deux Ie tróne. Le roi d'Angleterre appelloit celui de Prusse, monfrère le sergent, et Fréderic-Guillaume appelloit le roi George , mon frère le comédien. Cette animosité passa bientót des personnes aux affaires, et ne manqua pas d'influer dans les plus grands évé-  I) E Jl IV A N I) E I! O U ft O. 235 nemens. Tel est le sort des choses humaineSj que des hommes conduits par des passions les gouyernent, et que des causes puériles dans leur origine deviennent les principes d'une suite de faits qui donnent lieu aux plus grandes révolutions. D'abord après 1'avénement de George II au fröne, le comte de Seckendorff vint a Berlin. II servoit comme général en même temps l'empereur et la Saxe ; il étoit d'un intérêt sordide ; ses manières étoient grossières et rustres ; le mensonge lui étoit si habituel, qu'il en avoit perdu 1'usage de la vérité. C'étoit 1'ame d'un usurier, qui passoit tantót dans le corps d'un militaire, tantót dans celui d'un négociateur. Ce fut cependant de ce personnage que se servit la Providence pour rompre le traité de Hanovre. Seckendorff avoit servi en Flandre au siège de Tournai, et a la bataille de Malplaquet, ou le roi s'étoit trouvé. Ce prince avoit une prédilec- 1727. tion singulière pour tous les officiers qu'il avoit connus dans cette guerre. II se plaignita ce général du mécontentement que lui donnoient les alliés. Seckendorff entra d'abord dans son sens , et il condamna sans peine les mauvais procédés, de la France, et sur-tout de l'Angleterre. II paria de l'empereur comme d'un prince plus solide dans ses engagemens, et plus ferme dans ses amitiés. II fit envisager 1'union de la Prusse et de 1'Autriche dans le point de vue le plus avantageux; il représenta comme une perspective riante la facilité avec laquelle l'empereur accord^roit au roi toutes ses süretés pour 1'entière  %Jr> Mémoires possession de la succession de Berg • enfin il s'einpara de 1'esprit du roi avec tant d'adresse , qu'il le disposa a signer a Wusterhausen un traité avec l'empereur. II consistoit dans des garanties réciproques et dans quelques articles relatifs au commerce de sel que le Brandebourg fait par 1'Oder avec Ia Silésie. J7»3. ^ A peine ce traité fut-il conclu, qu'il pensa s'allumer une guerre en Allemagne, entre les rois de Prusse et d'Angleterre, sur un sujet de si peu d'importance, qu'il n'en pouvoit servir de prétexte qu'a des princes très-disposés a se nuire. La dispute vint sur deux petits prés situés aux confins de la vieille Marche et du duché de Zeil, dont les limites n'étoient pas réglées, et sur quelques paysans Hanovriens que des officiers Prussiens avoient enrólés. Le roi d'Angleterre, qui étoit u Hanovre, fit arréter par représailles quarante soldats Prussiens , qui traversoient son pays avec des passe-ports. Ces prince* ne cherchoient que des prétextes pour se brouiller. Quelquefois méme les rois s'épargnent cette peine. Le roi de Prusse trouva son honneur in. réressé dans 1'affaire des petits prés, et dans l'arrêt des quarante soldats, et il s'abandonnoit a sa haine et a son ressentiment. L'empereur attisoit ce feu ; il auroit été bien aise de voir que les princes les plus puissans de l'AUemagne s'entre-détruisissent. II promit un secours de douze mille hommes. Le roi de Pologne, mécontent de celui d'Angleterre , en offrit un de nuit mille hommes.  » T. A N p E B O U 11 (1, 2^ Toute la Prusse étoit déja en mouvement ; les troupes filoient toutes vers 1'Elbe; Hanovre irembla. George , qui ne s'attendoit point k la guerre, somma la Suède, le Danemarck, la Hesse et le Brunswick, qui recevoient des subsides anglois, de lui fournir des troupes ; et il sonna le tocsin en France , en Bussie et en Hollande. L'empereur, dans 1'intention d'encourager Ie roi a cette rupture, lui garantit toutes ses possessions du Wéser et du Bhin. Cette affaire alloit devenir des plus sérieuses, lors qu'elle prit inopinément une face différente. Le roi assembla un conseil, composé de ses principaux ministres et de ses plus anciens généraux ; il leur proposa 1'état de la question, et Jeur demanda leur sentiment. Le maréchal de -Natzmer, qui étoit un janséniste protestant, fit un long discours, par lequel il déplora la religion protestante prés de se voir éteinte par la dissention des deux seuls princes d'Allemagne qui en étoient les protecteurs. Les ministres appuyèrent sur les raisons secrètesqu'avoit la cour impériale d'aigrir les esprits avec tant de malice, dans une affaire d'elle-mème peu importante, et qui étoit encore en termes d'accommodement. Un prince qui écoute des conseils, est capable de les suivre. Le roi remporta ce jour sur lui-même une victoire plus belle que toutes celles qu'ü eüt pu remporter sur ses ennemis. II fit taire ses passions pour le bien de ses peuples, et les ducs de Brunswick et de Gotha furent choisis de part et d'autre pour accommo der ces petits différens.  ü3ö* M é m o r n e s L'empereur fit ce qu'il pnt pour traverser cette négociation ; mais elle fut promptement terminée. On relacha les soldats Prussiens, on rendit les paysans de Hanovre ; et 1'affaire des prés fut terminée. Ces sortes d'accommodemens, faits k 1'amiable, sont d'autant plus sages , que les princes, après les guerres les plus heureuses, sont tót ou tard obligés d'en revenir la, sans obtenir de plus grands avantages. Cet exemple de modération de Ia part de Fréderic; Guillaume est peut-être unique dans l'histoire. Ce prince, toujours plus occupé du bien de ses suj'ets que de son ambition particulière, fonda 1'hótel de la Charité k Berlin sur le modèle de 1'hótel-Dieu k Paris. II bétit la Frédericstadt, qui par 1'étendue , la régularité des vues, toutes tirées au cordeau, et la beauté des édifices surpasse de beaucoup 1'ancienne cité, et il eutle plaisir d'y recevoir le roi de Pologne. L'entrevue de ces deux princesse passa dans les festins et dans les magnificences. Cependant on ne cessoit de négocier, pour prévenir les troubles de Ia guerre. Les puissances convinrent d'assembler un congrès k Soissons, oü se rendirent les ministres de toutes les cours intéressées au traité de Hanovre et de "Vienne, et les avantages que IaFranceetl'Angleterre offrirent a 1'Espagne, la détachèrent de 1'intérèt de l'empereur. 17=9. Le traité de Séville fut une suite du congrès de Soissons. Les articles de ce traité sont d'autant plus remarquables, qu'ils ouvrent k 1'Espagne 1'entrée de 1'Italie, et que l'Angleterre s'engage a faire toniber la succession des ducs  I> E Uil A N » E R Ö U' P.T.. «ie ï'arme er de Plaisance a L'infant Dom Carios, en considération des avantages que I'Espague permet aux Anglois de gagner par le trafic de 1'Assiento. Le roi de Pologne, qui étoit venu k Berlin !:?' 1'an 1728, voulu t a son tour étaler sa magnificence aux yeux du roi en lui donnant des fétes. toutes militaires. Il rassembla ses troupes ( a5 mille hommes) dans un camp auprès de Badeberg, village situé sur 1'Elbe ; les manoeuvres qu'il ht faire k son armée, étoient une image de la guerre des Bomains, mêlée aux visions du chevalier Folard. Les connoisseurs jugèrent. que ce camp étoit plutót un spectacle théatral, qu'un emblême véritable de la guerre. Pendant ces démonstrations apparentes d'amitié, les intrigues d'Auguste dans toutes les cours de 1'Europe tendoient a frustrer Fréderic Guillaume de la succession de Berg, et a la faire retomber k la Saxe. Ce camp, cette magnifi cence et ces fausses marqués d'estime étoient des artifices par lesquels Ie roi de Pologne crut endormir le roi de Prusse; mais celui-ci en pénétra les motifs, et n'en détesta que plus s* 1'ausseté. Ces sortes d'actions semblent permises en politique, mais elles ne le sont guère en morale ; et a le bien examiner, la réputation de fourbe est aussi flétrissante pour le prince même, que désavantageuse a ses intéréts. On crut que de semblables réflexions dégout tèrent le roi Victor de sa royauté ; mais effectivement ce ne fut que 1'amour qu'il avoit pour madame de St-Sébastien, qu'il épousa- a- Cha'iu-  de Brasdeeodïïg. 347 cardinal Fleury auroit pu éviter facilement, les armées Frangoises ayant passé le Rhin a Strasbourg , prirent Kehl, qui est une forteresse de 1'Empire. Les ennemis de la France prohtèrent de cette faute, ettirèrent desinductions malignes d'une conduite qu'ils avoient intérêt de rendre suspecte. En même temps la guerre s'alluma en Italië. Les troupes Frangeises joignirent celles du roi de Sardaigne auprès de Verceil; elles prirent Pavie , Milan , Pizzighitone et Crémone. Le marquis de Montemar se joignit aux alliés, et les Espagnols se préparèrent a la conquête du royaume de Naples. Quoique l'Angleterre ne fut point impliquée dans cette guerre , elle pensa être ébranlée par des troubles domestiques. George II avoit formé le projet de se rendre entiérement souverain dans la grande Bretagne. C'étoit une entrepris© qu'il ne pouvoit pas conduire k force ouverte, mais sourdement, et par des voies détournées. Introduire 1'accise en Angleterre, c'étoit enchainer la nation. Si 1'affaire eut réussi, elle auroit donné au roi un revenu hxe et assuré, dont il auroit augmenté le militaire, et affermi sa puissance. Walpole proposa 1'introduction des accises a quelques membres du parlement dont il se croyoit assuré ; mais ceux-ci lui déclarèrent, que s'ils les payoient, c'étoit pour souscrire au courant des sottises , mais non pas aux extraordinaires , comme 1'étoit celle-la. Malgré ces représentations , Walpole porta Faffaire au parlement, oü il harangua avec tant de force , que son éloquence 1'emporta sur Pult- Q 4  '734 a48 Mé m o i k r s nei, et sur la cabale contraire A la cour. Sa victoire parut si compléte , que le bill des accises passa par une grande majorité de voix. Le Jendemain il pensa y avoir une émeute dans la ville Les smgneurs et les principaux marchands présenterent une adresse au roi pour demander la suppression du bill. Quoique ie parlement fut entouré de gardes, le peuple s'attroupa en grand nombre; il jetoit des cris séditieux, et commencoit a faire des avanies aux gens du roi. II ne leur manquoit qu'un chef , et la révolte éclatoit. Walpole , qui vit que cette affaire devenoit séneuse, jugea qu'il falloit céder. II cassa le bill sur le champ, et sortit du parlement couvert d un mauvais manteau qui le déguisoit , en criant : hberté ! liberté ! et point d'accises ' II trouva le roi a St-James , qui s'armoit de toutes pèces ; il avoit mis le chapeau qu'il portoit k Malplaquet ; il essayoit 1'épée avec laquelle il avoit combattu k Oudenarde , et il vouloit se mettre a la téte de ses gardes, qui s'assembloient dans la cour , pour soutenir avec fermeté J'affaire des accises. Walpole eut toutes les peines du monde a modérer son impétuosité, et il lui représenta avec la généreuse hardiesse d'un Anglois attaché a son maitre , qu'il n'étoit pas lemps de combattre , mais bien d'opter entre le bill et la couronne. Enhn Ie projet de 1'accise tomba; et le roi très-mécontent de son parlement, se défra de son autorité , dont il avoit pensé faire une triste expérience. Ces troubles intérieurs 1'empêchèrent alors de se mêler dela guerred'Allemagne.  i> e Brand i b o u r g. 2<[o Nous avons dit que Kehl avoit été pris par les Franeois, et que la rupture étoit ouverte. L'empereur, a qui la France avoit donné si beau jeu , n'eut point de peine k faire décïarer 1'Empire en s a faveur. Ildemandaau roi les secours stipulés par 1'alliance de 1728, et il menacoit en cas de rerus, de rétracter la garantie qu'il avoit donnée du duché de Berg. Le roi, qui étoit demeuré heütre dans les troubles de la Pologne , quoique ^es intéréts le sollicitassent en faveur de Stanislas , se déclara dans cette occasion pour l'empereur, quoique ses intéréts j fussentcontraires. II n'avoit d'autre politique que la probité , et il observoit ses engagemens si scrupuleusement, que son avantage ni son ambition n'étoient jamais óonsrdtés , lorsqu'il s'agissoit de les remplir. En conséquence de ces principes , il lit marcher dix mille hommes au Rhin , qui servirent pendant cette guerre sous le prince Eugène de Savoie. Au commencement du printemps le maréchal ■ le Berwickforea les lignes d'Ettlingen, que le duo de Bévern avoit fait construire pendant 1'hiver, et il vint mettre le siège devant Philipsbourg. Eugène, qui avoit k peine vingt mille hommes avec lui , se retira a Heilbron, oh il attendit que les secours qu'on lui avoit promis , fussent arrivés. 11 revint ensuite se camper au village de Wiesenthal, a une portée de canon du retranchement franeois. Le roi se rendit dans l'armée de l'empereur, accompagné du prince royal, tant par la curiosité que par 1'attachement extrême qu'il avoit pour ses troupes . et il vit que leb héros, comme les atrtres hommes , sont sü-  s5o Mémoires jets a la caducité. II n'y avoit plus dans cette armée que 1'ombre du grand Eugène. II avoit survécu a lui-méme ; et il craignoit d'exposer sa réputation , si solidement établie , au hasard d'une dix-huitième bataille. Un jeunediomme audacieux auroit attaqué le retranchement Franeois, qui n'étoit qua peine ébauché lorsque l'armée vint a Wiesenthal. Les troupes Francoises étoient si proches de Philipsbourg, que leur cavalerie n'avoit pas assez de terrein pour se mettre en bataille entre la ville et le camp, sans houffrir beaucoup de la canonnade ; elle n'avoit qu'un pont de communication sur le Rhin , et en cas qu'on eut emporté le retranchement, toute l'armée Francoise, qui n'avoit point de retraite , auroit péri infailliblement : mais le destin des empires en ordonna autrement. Les Franeois prirent Philipsbourg a la vue du prince Eugène, sans que personne s'y opposat. Berwick; .fut tué d'un coup de canon. Le maréchal d'Asfeld lui succéda dans le commandement. Le roi, dont les fatigues avoient achevé de déranger la santé , prit un commencement d'hydropisie qui 1'obligea de quitter l'armée ; et le reste de cette campagne se passa en marches et contremarches, d'autant moins décisives, que le Rhin séparoit les Franeois et les impériaux. En Italië , les Franeois prirent Tortone, battirent le maréchal de Mercy a Parme , et s'em. parèrent de presque toute la Lombardie. Cependant le prince de Hildbourghausen fournit au maréchal de Kcenigseck le projet de surprendre l'armée Francoise, qui étoit campée sur  de Brandebourg. 2:")i les bords dela Secchia; ce qui s'exécuta de facon que Coigni et Broglio furent attaqués de nuit, surpris et chassés. Le roi de Sardaigne répara leur faute par la sagesse , et les alliés remportèrent la victoire de Guastalla sur les Autrichiens. Dom. Carlos entra en même temps dans le royaume de Naples , et en recut 1'hommage. Montemar affermit son tróne par le gain de la bataille de Bitonte. Visconti et les Autrichiens '75Sfurent chassés de ce royaume ; et Montemar passa de la conquête de Naples è celle de la Sicile. II prit Syracuse, et se rendit maltre de Messine , qui capitula après avpir fait une assez bonne défense. En Lombardie, les Autrichiens furent encore battus a Parme 3 et sur le Bhin , la campagne fut plus stérile que 1'année précédente. L'armée impériale fut augmentée par un secours de dix mille Russes. L'inquiet Seckendorff obtint du prince Eugène un détachement de quarante mille hommes , avec lequel il marcha sur la Moselle. Il rencontra l'armée Francoise auprès de 1'abbaye de Clausen. La nuit sema la confu sion et 1'alarme dans les deux camps ; et les. troupes chargèrent des deux parts, sans qu'il parut d'ennemis. Le lendemain, Coigni repassa la Moselle, et se campa sous ïrèves. Secken dorff Ie suivit , et les deux généraux apprirent dans ce camp que les préliminaires de la paix entre l'empereur et le roi de France étoient signés, Cette négociation avoit été conduite secrétc mont entre le comte de Wied et le sieur du  ' ;a II ï AI O I m $ Theil. Ils étoient convenus qu'Auguste seroit reconnu roi de Pologne par Ia France, que Stanislas renonceroit a toutes ses prétentions k cette couronne, en faveur du duché de Lorraine , dont il jouiroit, et qui seroit réversible a la France après sa mort; qu'en échange de cette. cession, on donneroit au duc de Lorraine-, gendre de Charles VI, la Toscane en dédommagement; de plus, l'empereur reconnut Dom Carlos roi des deux Siciles , et il recut le Parmesan et le Plaisantin pour équivalent de cette perte. II fut encore obligé de céder le Vigevanèse au roi de Sardaigne ; en faveur de quot Louis XV lui promit la garantie de la pragmatique-sanction. L'empereur et la France firent cette paix sans consulter leurs alliés, dont ils négligèrent les intéréts. Le roi .se plaignit de ce que la courde Vienne n'avoit pris aucune mesure avec celle de Versailles pour assurer la succession de Berg. Ce prince s'étoit remis de son hydropisie; mais ses forces étoient si épuisées, que son corps ne secondoit plus les intentions de son ume. II eut cependant Ie plaisir de voir prospérer une nouvelle'colonie qu'il avoit établie en Prusse dès 1'année 1732. 11 étoit sorti plus de vingt mille ames de 1'archevêché de Saïzbourg , par zèle pour la religion protestante. L'archevéque avoit persécuté quelques-uns de ces malheureux avec plus de fanatisme que de prudence. L'envie cle quitter Ia patrie gagna ióT>euple. et deyint épidémique. Cette émigra-  T) E BltAKDKlOl'll O. 30 > Toutes ces insinuatious différentes ne partoient effectivement que de 1'impératrice, de Bartenstein, de Seckendorff, et du prince de Hildbourghausen, qui s'étant lies ensemble , faisoient jouer secré cement tous ces ressorts ; et fles haines et des intrigues de cour firent ré->oudre sans raison valable cette guerre, dans laquelle l'empereur fut en quelque facon étonné de se voir engagé. Le grand duc de Toscane, ci-devant duc de Lorraine , fut créé généralissime des armées impériales. Seckendorff commanda sous lui, ou ( pour mieux dire) Seckendorff commanda en chef. Au commencement de la campagne , les impériaux prirent Nissa. Ce fut oü se borna leur fortune. Le prince de Hildbourghausen se fit battre avec un détachement qu'il commandoit a Banialuka. Khévenhuller leva le siège de Widdin , et fut vivement pressé par les Turcs, qui passèrent le Timoc , et donnèrent sur son arrière-garde. Le Tost-Bacha reprit Nissa, et l'empereur fit trancher la tête a Doxat, qui avoit rendu cette place sans faire assez de résistance. Vers la fin de cette année mourut la reine d'Angleterre , qui avoit j'oui d'une espèce de réputation due k la bonté dont elle honoroit les savans. La campagne suivante fut malheureuse pour |»-$, les Moscovites et pour les Autrichiens. Munnich entreprit vainement de pénétrer du cóté de Bender dans la Bessarabie. Ce pays avoit été ruiné par les Tartares , et il n'osa s'y enfoncer, sans craiudre pour ses troupes les mêmes rrud-  M É M O I R E'S h urs mie les Suédois y avoient éprouvés. La peste qui fit des ravages extraordinaires a Oczakow, 1'obligead'abandonner cette ville, et Lascj ne put faire aucun progrès dans la Crimée. La mauvaise tournure que prit la guerre de Hongrie , abattoit 1'esprit de l'empereur. II regrettale grand Eugène (mort en 1737) auquel il devoit la gloire de son règne. La fortune de 1'État, disoit-il , est-elle donc morte avec ce héros ? Mais aigri des malheurs de la guerre , il s'en prit a ses généraux. Seckendorff fut mis en prison au chateau de Grastz; et Koenigseck eut en Hongrie le commandement de l'armée. Les impériaux furent battus en plusieurs rencontres. Les Turcs prirent le vieux Orsowa et Méadia. Ils mirent le siège devant le nouvel Orsowa, qu'ils levèrent, ayant été repoussés k Cornia. Mais Koenigseck , qui se retna mal k propos après sa victoire , leur donna le moyen de recommencer ce siège. Le nouvel Orsowa ne tint pas long-temps , et les Turcs y prirent tout ie gros canon de l'empereur. II se donna encore une bataille auprès de Méadia, aussi peu décisive que la première, ou les impériaux eurent lo dessous. 9. L'empereur , irrité de ses pertes, ne savoit k qui s'en prendre ; il punissoit ses généraux, mais c'étoient les projets de campagne qu'il devoit réprouver. L'expérience a fait voir, dans les guerres de Hongrie , que toutes les armées qui se sont f'ïoignées du Danube ont été malheureuses , a • aiise qu'elles s'éloignoient en même temps de leur  öe Brardebouug. leur subsistance. Lorsqu'Eugène fit la giiërre contre les Turcs, il ne sépara jamais son année ; et dans ces temps modernes , 1'envie qu'avoierit les généraux en crédit a la cour de commander des corps séparés , fit que toute l'armée étant en détachemens, n'étoit nulle part formidable. Les viedles maximes étoient négligées , et les généraux étoient d'autant plus a plaindre , que la' cour les jetoit dans des incertitudes perpéruelles par le nombre d'ordres contradictoires qu'elle leur envoyoit. On óta le commandement de l'armée a Koenigseck, de même qu'a ses prédéeesseurs ; et pour le consoler, on le fit granclmaitre de la maison cle Fimpératrice. Olivier Wallis fut choisi pourle remplacer. Ce maréchal écrivit au roi, et il dit dans sa lettre : L'empe* s> reur m'a confié le commandement de son 3' armée; le premier qui 1'a conduite ayant moi, » est enprison; celui auquel je succöde , a été » fait eunuque du serrail ; il ne me reste quó 5i d'avoir la tête tranchée a Ja fin de ma camw pagne ». L'armée impériale , forte de soixante mille hommes > s'assembla auprès. de Belgrade; celi-s des Turcs étoit plus nombreuse du doublé. Wallis marcha a 1'ennemi , sans savoir précisément sa force ; et sans avoir fait la moindre disposition, il attaqua avec sa cavalerie par un chemin creux un gros corps de janissaires , posté dans des vignes et des haies auprès du village de Grotzka, et fut battu dans ce déhlé avant que son infanterie eut le temps d'arriver. Celleda lutmenée a la boucherie avec la méme impru. Tut/ui II. R  BE BRANDEBOURG. aSo, paix, k quelque prix que ce fut. II eut 1'imprudence de se rendre chez les Turcs sans aucune scireté et sans être muni de passe*ports, qu'on , demande toujours en pareilles occasions. Hfut arrêté , la peur le saisit, et il signa la paix avec précipitation. II en coüta a l'empereur le royaume de Servië et la ville de Belgrade. La fermeté de Cagnoni en imposa au visir. Cet ltalieu eutl'adresse de conclure en même temps la paix pour les Moscovites ; les conditions furent què 1'impératrice rendi-oit Asow et toutes ses conquêtes. Olivier Wallis ne se trompa pas beaucoup dans le pronostic qu'il avoit fait. II fut mis en prison dans la forteresse de Brunn ; et Neuperg, moins coupable encore , fut coriduit dans la citadelle de Glatz. Ce maréchal avoit eu, outre les ordres cle l'empereur, des instructions p&sitives du gra'ndduc pour hater 1'ouvrage de la paix. Ce princo craignoit que l'empereur son beaü-père ne mon rut avant la fin de cette guerre , et ne lui attirat sur les bras, par la succession litigieuse des pays héréditaires, de nouveaux ennemis, auxquels ii n'auroit pas été en état de résister. Bientót une nouvelle guerre s'alluma dans le sud entre l'Angleterre et 1'Espagne, a cause de la contrebande que les marchands Anglois faisoient daris les ports de la domination espagnole;. L'objet de ce différend rouloit peut-être sur une somme de cinquante mille pistoles par an, et les parties dépensèrent de chaque cóté plus de d.x iHillions pour la soutenir. Ba  2G2 MÉMOIRES la produit, toute la terre conviendra qu'on trouve dans la vie laborieuse de ce prince et dans les mesures qu'il prit avec sagesse, les principes de la prospérité dont la maison royale a joui après sa mort. Du Militaire depuis soninstitution jusqu'a la firz du règne de Fréderic-Guillaume. Les premiers électeurs de la maison de Brandebourg n'entretenoient aucune milice réglée ; ils n'avoient qu'une garde a cheval de cent hommes , et quelques compagnies de lansquenets partagées dans les chateaux ou places fortes, dont ils augmentoient ou diminuoientle nombre selon le besoin. Lorsqu'ils appréhendoient la guerre, eux et les Etats convoquoient 1'arrièreban; c'étoit, pour ainsi dire, Parmement général de tout le pays ; la noblesse devoit former la cavalerie, et ses vassaux enrégimentés deVoient composer 1'infanterie de cette armée. Cette manière de lever des troupes, et de former des armées , étoit alors générale en Europe ; les Gaulois, les Germains, les Bretons en avoient toujours usé de même ; et elle s'est conservée encore jusqu'a présent chez les Polonois , qui appellent eet armement de toute Ia nation, la Pospolite Ruszeni. De méme que les Polonois, les Turcs ne se sont pas.éloignés de cette coutume ; k 1'exception d'un 'corps régie k\o trente mille janissaires qu'ils enti etiennent, ils ne font jamais la guerre , sans armer les  DL lilUSDEBOVIlG. 2f>5 nations de 1'Asie mineure , de 1'Egypte, de 1'Arabie et de la Grèce, qui sont sous leur domination. Pour en revenir a 1'histoire de Brandebourg, lorsque Jean-Sigismond se crut a la veille de recueillir la succession de Juliers et de Berg, prévoyant qu'il seroit obligé de soutenir ses droits par la force des armes, il ordonna un armement général de sept cent quatre-vingt-sept chevaliers , qui se trouvèrent au lieu de 1'assemblée : il en choisit quatre cents des plus lestes ; la noblesse fournit d'ailleurs mille fantassins, sans compter les piquiers dont le colonel Kracht recut le commandement; et de plus, les villes mirent deux mille six cents hommes en campagne. Ces troupes étoient entretenues aux dépens des Etats, et pour 1'ordinaire elles ne recevoient la paie que pour trois mois, terme après lequel chacun s'en retournoit chez soi ; l'électeur nommoit les officiers ; et dès que le besoin de ces arrnemens cessoit, ces troupes étoient licenciées tout k fait. La régence orageusè de George-Guillaume nous fournit quelques exemples de ces sortes d'armemens. En 1620 (o), k 1'occasion de la guerre de trente ans, les Etats levèrent des troupes, en leur donnant le privilège de faire des quêtes dans tout le pays pour fournir a leur subsistance ; les paysans avoient ordre de leur donner un liard chaque fois qu'ils gueuseroient, et des coups de (a) Chronique de SctaM, R 4  DE BïlANDEBOURC, 2-1 Sa cavalerie avoit encore 1'anciemie armure en entier; elle ne pouvoit guère etre disciplinée, car chaque cavalier se pourvoyoit cle chevaux . d'habits et d'armes ; d'ou il résultoit une bigarrure étrange pour tout le corps. II paroit que Fréderic-Guillaume préféroit sa cavalerie k son infanterie : il combattit a la téte de la première aux batailles de Varsovie et de Fehrbellin. II avoit tant de confiance dans cette troupe, qu'on trouve fréquemment dans 1'histoire , que sa cavalerie menoit du canon avec elle. II est trèsapparent que cette prédilection n'étoit pas sans fondement, et que l'électeur ayant fait ses remarques sur la nature de ses États, qui sont plats pour la plupart, et sur les troupes de ses voisins, principalement des Polonois , qui consistent presque toutes en gens de cheval, préféra par ces raisons sa Cavalerie a son infanterie, comme lui étant d'un usage plus universel. Du temps de Fréderic-Guillaume on ne for,moit point de magasin ; le pays ou 1'on faisoit la guerre fournissoit k 1'entretien des troupes, tant pour la paie que pour les vivres. On ne campoit que lorsque 1'ennemi s'approchoit de l'armée. et qu'on pouvoit ou vouloit en venir aux mains: par ces raisons on quittoit un pays après 1'avoir mangé ; les armées vagabondes désoloient une province après 1'autre, et les guerres se perpétuoient d'autant plus, que les armées éroienl petires, leur entretien peu couteux, et que les généraux qui conduisoient les troupes , trou- Voientle moyen de s'enrichir en prolongepnt l.t guerre, .  »~2 MÉMOIRES Parnvi les généraux de 1'électeur, Ie vieux Derfflinger et le prince Jean-George d'Anhalt avoieut la plus grande réputalion. Sile conseil du prince d'Anhalt avoit été suivi en 1673, l'électeur auroit attaqué Turenne , et peut-être 1'auroit-il battu. Le prince d'Anhalt passoitpour sage, et Derfflinger pour entreprenant : ce dernier servit bien son maitre a la surprise de Rathenow, a la poursuite des Suédois après la bataille de Fehrbellin, et a hater la diligence extraordinaire des troupes dans I'expédition de Prusse. Après Derfflinger, les plus estimés de ses généraux étoient Gcertzke, qui surpritles Suédois en Prusse, auprès de Splitter et Tréfenfeldt, qni les expulsa entiérement de ce duché. L'art de fortifier réguliérement les places, ainsi que celui de 1'attaque etde la défense, étoit entiérement inconnu ; l'électeur n'avoit pas même un ingénieur médiocre k son service : il s'amusa six mois devant Stettin, quoique la place fut très-mauvaise : il ne prit Stralsund qu'en la brulant par ses bombes: les ouvrages dontil enloura les murs de Berlin, étoient mal construits, ayant cle longnes courtines et des bastions avec des faces plates, de sorte qu'aucun ouvrage n© se flanquoit. II en est de la guerre comme des autres arts ; elle ne se perfectionne point tout d'un coup, et c'est assez qu'en fait de tactique l'électeur ait laissé des exemples qui dans tous les temps serviront de lecons aux plus habiles oapitaines. Le règne de Fréderic, premier roi de Prusset est  de Brandebourg. 378 est rempli des fréquentes réductions et augmentations de l'armée ; les subsides étrangers, selon qu'il en recevoit, étoient le thermomètre qui régloit leur nombre, tantót plus considérable et tantót de beaucoup diminué. Après la mort de Fréderic-Guillaume, on fit une augmentation dans les troupes ; les bataillons furent mis k cinq compagnies, et on leva sept nouveaux bataillons, savoir, deux de Lottum, deux de Schomberg, et un de Sidow. La cavalerie fut augmentée de même de dix-neuf escadrons, savoir, deux des gardes du corps, trois de Bareuth , trois de Schoening, quatre d'Anspach, quatre de Sonsfeldt, et quatre de Brandt. L'année d'après , en 16*80,, dix bataillons et six escadrons Brandebourgeois passèrent au service' de la Hollande. Après la paix de Ryswic, les ba-' 1(197taillons furent réduits a quatre compagnies, et la compagnie k quatre-vingts hommes ; de sorte que quatre-vingts compagnies, tant d'infanterie que de cavalerie, furent congédiées. En 1690,,; les bataillons furent remis k cinq compagnies e en 170a, les régimens d'Albert, de Varenne, de Schlabbrendorff, d'Anhalt-Zerbst et de Sidow, furent mis k douze compagnies, et passèrent au service des Hollandois ; ils y demeurèrent tant que dura la guerre de succession : en 1704 et 1705, le roi mit tous les régimens de cuirassiers a trois escadrons, et ceux des dragons a quatre. A la mort de ce prince son armée étoit com- »r*a. posée des régimens suivans : Tornt 21. g  de. BRASDEjoirnc. 2-/5 de Ia peine a quitter cette arme , pour laquelle ils avoient les préjugés d'une longue habitude ; mais comme la guerre perfectionne la guerre, on se délit encore des mousquets, a cause que les mèches s'éteignoient souvent par la pluie, et ön les remplaoa par les fusils. Sous le règne de Fréderic I la discipline s'affermit dans les troUpes ; elles s'aguérirent tant en Flandre qu'en Italië. Les officiers qui servirent en Flandre , apprirent leur métier des Hollandois ; ils furent alors nos mal tres, et 1'on imita la grande propreté dont les troupes Angloises donnoient 1'exempïe. Le margrave Philippe, grand-maitre de 1'artillerie, fut le premier qui rechercha la taille des hommes ; les compagnies de grenadiers de son régiment étoient au-dessus de la taille ordinaire. Le prince d'Anhalt suivit eet exemple, et le prince royal 1'imita de même ; depuis il s'introduisit parmi les officiers un esprit de chois pour 1'espèce d'hommes qu'ils employoient pour soldats, et on ne prit plus que des gens grands, forts et robustes, Toutes les troupes avoient des habits d'ordonnance : ceux qui vouloient servir dans la cavalerie, payoient a la vérité pour être recus ; mais ils étoient armés et habillés aux dépens de Ja couronne. Les fantassins étoient prodigieusement chargés en campagne; ils porloient, outre leurs armes et leur manteau , leur tente , leur havre-sao et des ch evaux de frise, et combattoient encore. sur quatre files, S a  27S Mémoires Le prince d'Anhalt, qui avoit fait la guerre avec le prince Eugène, tant dans 1'Empire qu'en Italië et en Flandre, avoit fait une étude profonde du métier des armes : il commanda souvent les troupes auxiliaires des Prussiens , comme on 1'apu voir dans 1'histoire. Ce prince leur ht observer une discipline rigoureuse ; et sévère observateur de la subordination, il Ia poussa k ce grand point d'obéissance qui fait la plus grande force d'une armée ; mais comme ses attentions se bornoient a l'infanterie, la cavalerie fut beaucoup négligée. Tant d'ofiiciers qui faisoient la guerre dans des pays de places fortes , ou 1'on ne fait qu'as siéger et défendrc des villes, nous enrichirent enfin de 1'art de la fortification; beaucoup acquireht assez d'intelligence pour conduire les attaques et les tranchées, ou pour défendre une forteresse assiégée. Fréderic I fit fortifier Magdebourg et Wésel, selon la méthode de Vauban et de Cochorn ; il avoit a son service le général Schcening , commandant de Magdebourg , qui entendoit bien cette partie du militaire, et Bot, qu'on accusa cependant d'être plus habile magon que savant ingénieur. Les guerres de Flandre, du Bhin et d'Italie avoient formé chez les Prussiens beaucoup d'officiers de réputation. Le margrave Charles, qui mourut en Italië, se couvrit de gloire k la bataille de Nervinde. Le général Lottum fut trés. estimé ; il commanda les troupes de Prusse a l'armée de Flandre. Le général Tetlau fut tué k  i> e BitAjBEiounc. 377 la bataille de Malplaquet. Dans cette méme bataille , le comte de Fink. donna des marqués de sa capacité ; il emporta le retranchement franeois, et s'y maintint, quoique la cavalerie impériale en fut rechassée par trois fois. A la bataille d'Oudenarde, le général Natzmer, a la tête des grands mousquetaires, perca trois lignes de la cavalerie Francoise, et y fit des prodiges de valeur. Au-dessus de tous ceux da s'élevoit le prince d'Anhalt; il avoit par devers lui les actions les plus brillantes , et la confiance générale des troupes : ce fut lui qui sauva l'armée de Styruin a Hcechstaïtt, par une belle retraite dont nous avons parlé en son lieu ; ce fut lui qui contribua beaucoup au gain de la seconde bataille de FIcechstaïtt, si funeste aux Franeois; et ce fut lui que le prince Eugène reconnut comme 1'auteur principal de la victoire de Turin. Ce prince joignit beaucoup de prudence aune rare valeur; mais avec beaucoup de grandes qualités, il n'en avoit guère de bonnes. Tels étoient a peu-prés l'armée et les généraux qui la commandoient, lorsque FrédericGuillaume, second roi de Prusse, parvint au tróne : ce prince augmenta le prêt du soldat, qu'il mit a deux écus par mois, outre six gros pour les chemises, guêtres , souliers, etc. L'an 1714» les compagnies d'infanterie furent mises a six-vingts hommes. En 1715, il créa le régiment de Léopold, et le forma des prisonniers faits sur Charles XII ; i'année 1718, il mit tous les régimens de cavalerie sur cinq esca- S 3  de Brandebotj r <5. i8f parmi leurs compagnons que des gens sans reproche. On rangeoit les bataillons sur quatre files ; mais ils chargeoient sur trois. Les bataillons contenoient quatre divisions, et chaque division deux pelotons, la compagnie de grenadiers a part. Le prince d'Anhalt qui avoit étudié la guerre comme un métier, s'étoit appercu qu'on ne tiroit pas des fusils tout 1'avantage qu'on pouvoit en attendre , il imagina des baguettes de fer, et trouva le moyen d'apprendre aux soldats a charger avec une vitesse incroyable : depuis 1'année 1733 le premier rang chargea la baïonnette au bout du fusil. L'exercice se faisoit alors de Ia facon suivante : on commencoitpar le maniement des armes ; ensuite on chargeoit par pelotons et par divisions ; on avangoit lentement en faisant le même feu; on faisoit la retraite k peu-près également; après quoi on formoit deux quarrés , impraticables vis-a-vis des ennemis; et 1'on finissoit par un feu de haie très-inutile. Cependant toutes ces évolutions se faisoient déja avec tant de précision, que les mouvemens d'un bataillon étoient semblables au jeu des ressorts de la monti'e la mieux faite. Le roi abolit les manteaux, et raccourcit 1'habillement dans l'infanterie ; et pour la rendre plus légère dans sa marche, il affecta k chaque compagnie deux chevaux de bat, pour porter en campagne les lentes et les couvertures des soldats.  »8a i M t m o i r e s Le roi institua par prévpyance clans tonfes ses provinces des magasins d'abondanoe , qui servoient a soulager le peuple en temps de disette, et qui lui procuroient des magasins touE faits pour l'armée en temps de guerre. "Vers Pannée 1730 la fureur des grands hommes parvint k un point, que la postérité aura peine k le croire 5 le prix commlin d'un homme de cinq pieds dix pouces du Rhin étoit de sept cents écus ; un homme de six pieds étoit payé mille écus ; et s'il étoit plus grand , le prix augmentoit encore de beaucoup; il y avoit plusieurs régimens qui n'avoient point d'hommes au-dessous de cinq pieds huit pouces ; le plus petit homme de l'armée avoit cinq pieds six pouces, bien mesurés. Pour mettre de 1'ordre dans ces enrólemens, qui se faisoient dans le pays avec confusion , et qui donnoient lieu k mille procés entre les régimens , le roi, dès 1'année 1733, partagea toutes les provinces en cantons ; ces cantons furent assignés aux régimens ; ils pouvoient en tirer en i :mps de paix trente hommes annuellement, et on temps de guerre jusqu'a cent; ce qui rendit L'armée immortelle , en lui fournissant un fonds assuré par lequel elle s'est saus cesse renouvellée depuis. La cavalerie, de méme que l'infanterie , étoit composée de trés grands hommes, montés sur des chevaux énormes ; c'étoient des colosses sur des éléphans, qui ne savoient ni manoeuvrer ni < ombattre ; il ne se faisoit aucune revue ou par mal-adresse il ne tombat quelque cavalier par  de Baandebouro. aSJ d'officiers, réparoient dans l'armée toutes les pertes que la mort y causoit; ce qui réussissoit d'autant mieux, que ces jeunes gens sortoient d'une école militaire avec toutes les eonnoissan'ces qu'un officier doit avoir. Tels furent les progrès de lamilice Prussienne jusqu'a la mort du roi Fréderic-Guillaume I. On pourroit appliquer a cette milice ce que Végèce dit de celle des Bomains,» leur discipline les » fit triompher des ruses des Grecs, de la force » des Germains, dela grande taille desGaulois, » et de toutes les nations de la terre ». DE LA SUPERSTITION et de la BïEIGION. Je divise en trois parties ce morceau, qui concerne la religion et la superstition; et je présenterai, pour plus de clarté etd'ordre, la religion sous le paganisme, sous le papisme et sous la réforme. Article premier. De la Religion sous le Paganisme. Le Brandebourg a suivi les cultes différens des divers peuples qui Font habité. Les Teutons, qui furent ses plus anciens habitans, adoroient un dieu nommé Tuiston; César dit que c'est le Dispater engendré par la Terre, et qui avoit lui-même un fils nommé Man. Le culte que les Germains rendoient a leurs dieux, étoit porportionné a leurs moeurs simples, mais sauvages et grossières : ils s'assem-  M É M O I II E S bloient dans des bois sacrés, chantoient des hj : nes a riionneur de Jenrs idoies, et leur sacrifioient mème des victimes humaines. 11 n'y avoit point de contrée qui n'eut son dieu particulier : les Vandales en avoient nu nommé Triglaf. On en trouva encore un au Harlungerberg auprès de Brandebourg 3 il étoit représenté avec trois tétes, ce qui marquoit qu'il régnoitau ciel, sur la terre et dans les enfers {ei), c'étoit apparemment la trinité du paganisme. Tacite rapporte que les Germains avoient un certain nombre de chevaux blancs, qu'ils croyoient être instruits des mystères de leurs dieux ; et qu'on nourrissoit pour la déesse Hertha un cheval noir, qui passoit pour 1'interprèie de ses volontés (!>) : ces peuples adoroient aussi des serpens, et 1'on punissoit de mort ceux qui en tuoient. Dans le cinquième siècle les Vandales abandonnéren leur patrie pour inonder la France, 1'Espagne et même 1'Afrique (c): les Saxons, qui revenoient alors d'Angleterre, firent une descent e a 1'embouchure de 1'Elbe , et prirent pos. session de ces contrées entre 1'Elbe, la Sprée et 1'Oder, que les naturels du pays avoient abandonnées ; leurs dieux et leur religion passèrent avec eux dans le Brandebourg. La principale de leurs idoies s'appelloit Irmansceulc, ce qui signifie colonne d'hman : les savans étymologistes ( tholique établit un État spirituel, tout puissant, fécond en complots et en artilices dans 1'État temporel du prince ; que les prêtres , qui dirigent les consciences et qui n'ont de supérieur que le pape , sont plus maltres des peuples que le souverain qui les gouverne; et que par une adresse a confondre les intéréts de Dieu avec 1'ambition des hommes , le pape s'est vu souvent en opposition avec des souverains sur des sujets qui n'étoient aucunement du ressort de 1'Eglise. Dans le Brandebourg , et dans la plupart des provinces de 1'Allemagne , le peuple portoitimpatiemment le j'oug du clergé Romain. C'étoir une religion trop onéreuse pour des pays aussi peu opulens ; le purgatoire , la messe des morts et des vivans , le jubilé , les annates , les indulgences , les péchés véniels et mortels , les pénitences changées en amendes pécunkires, les affaires matrimoniales , les vceux, les offrandes , étoient autant d'impóts que le pape levoit sur la crédulité, et qui lui donnoient des revenus aussi solides que ceux que le Mexique fournit a 1'Espagne. Ceux qui les payoient, étoient épuisés et mécontens ; il n'étoit donc pas même nécessaire d'employer 1'évidence des argumens> pour disposer ces esprits a recevoir la réforme ; ils crioient contre le clergé qui les opprimoit: un homme vint qui promit de les en délivrer , et ils le suivirent. Joachim II fut le premier électeur qui embrassa la religion luthérienne. Sa mère , qiu étoit une princesse de Danemarck , lui eom-  muniqua ses sentimens ; car Ia nouvelle doctrine avoit pénétré en Danemarck , avant que d'êfre reoue dans le Brandebourg. Le pays suivrt Texemple du prince, et tout Ie Brandebourg se fit protestant. Mafthieu de Jagow, évèque de Brandebourg, administra Ie Sacrement sous les deux espèces dans le couvent des moines noirs ; ce couvent devint ensuite Ia catliédrale de Berlin. Joachim II se distingua dans le parti, tant par les lettres de controverse qu'il écrivit nu roi de Pologne, que par les discours élór ,-quens ( a ce que disent les auteurs a) que ces prince prononca a la diète d'Augsbourg en faveur des protestans. La réforme ne put point détruire toutes les erreurs ; quoiqu'elle eut ouvert les yeux dit peuple sur une infimté de superstitions , il s'en. conserva encore beaucoup d'autres : tant Ia pente de 1'esprit humain vers Terreur est inconcevable. Luther, qui ne croyoit point au purgatoire, admettoit les revenans et les démons dans son systême ; il soutint même que Satan lui apparut a Wittemberg, et qu'il Texorcïsa en lui j'etant un cornet d'encre k la tête. H n'y avoit alors presqu'aucune nation qui ne fut inibue de pareils préjugés; la cour et (a plus forte raison ) le peuple avoient Tesprit rempli de sortilèges , de divinations , de re. ve.nans ct de démons. En i555, deux vieilles femmes passèrent par 1'épreuve du feu , pour se purger de Taccusation de sorcellerie. La O) Lceckel, Aunalcs de Brandebourg.  DE BrtANDEBOüIVG. 5o5 cour avoit son astrologue. L'un prédit k la naissance de Jean-Sigismond que ce prince seroit heureux, k cause qu'au même temps on avoit découvert au ciel une étoile nouvelle dans la constellation de Cassiopée. L'astrologue n'avoit pas prédit cependant que Jean-Sigismond se feroit réformé pour gagner les Hollandois, dont les secours lui devinrent utiles dans la poursuite de ses droits sur le duché de Clève. Depuis que le schisme de Luther divisoit I'église , les papes et les empereurs hrent toutes sortes d'efforts pour amener les esprits a ia réunion ; les théologiens des deux partis tin rent des conférences tantót k Augsbourg , tantót a Thorn 5 on agitoit les matières de religion u toutes les diètes de 1'Empire : mais toutes ces tentatives furent inutiles j il s'ensuivit enfin une guerre cruelle et sanglante, qui s'appaisa et se ranima a différentes reprises. L'ambition des empereurs , qui vouloient opprimer la li berté des princes et la conscienee des peuples, J'alluma souvent; mais la rivalité de la France, et l'ambition de Gustave-Adolphe, roi de Suède, sauvèrent 1'Allemagne et la religion du despotisme de la maison d'Autriche. Les électeurs de Brandebourg se conduisireni «vee sagesse dans ces troubles ; ils furent modérés et tolérans. Fréderic-Guillaume , qui avoit acquis par la paix de Westphalie des pro vinces qui lui donnoient des sujets catholiques j ne les persécuta point; il perinit même k quelques families juives de s'établir dans ses Etats et leur accorda des synagogues. Tume II. Y  Sic- Mémoires sonnes avec lesquelles on est le plus Hé : cependant , après une courte absence , on trouve a son retour d'autres habitans et des modes nouvelles. Qu'il est instructif et beau de passer en revue tous les siècles qui ont été avant nous, et de voir par quel enchainement ils tiennent a nos temps ! Prendre une nation dans la stupidité grossière , la suivre dans ses progrès, et la conduire j'usqu'au temps oü elle s'est civilisée; c'est étudier dans toutes ses métamórphoses le ver a soie devenu chrysalide et enlin papillon. Mais que cette étude est humiliante ! II ne paroit que trop qu'une loi immuable de la nature oblige les hommes a passer par bien des impertïnences pour arriver a quelque chose de raisonnable. Remontons aux origines des nations ; nous les trouverons également barbares: les unes sont arrivées , par une allure lente et par bien des détours, a un certain degré de perfection : les autres y sont parvenues par un essor rapide : toutes ont tenu des routes différentes ; et encore la politesse , Pindustrie et tous les arts ont-ils' pris dans les différens pays oü ils ont été transplantés, un goüt de terroir qu'ils ont recu du caractère indélébile de chaque nation. Ceci se fera sentir davantage , si nous lisons des ouvrages écrits k Padoue , k Londres, ou a Paris; ils se distingueront sans peine , quand même les auteurs y traiteroient la mème matière; je n'en excepte que Ia géométrie.  1) E 15 n A M D E B OV 3\0. 3ll La variété inépuisable que la Nature jette dans ces caractères généraux et particuliers , est une marqué de son abondance , mais en même temps de son économie; car quoique les nations innombrables qui couvrent la terre aient chacune leur génie différent, il semble cependant que certains grands traits qui les distinguent les unes des autres, soient inaltérables : tout peuple a un caractère a soi, qui peut étre modifié par le plus ou le moins d'éducation qu'il reeoit , mais dont le fond ne s'efface jamais. Nous pourrions facilement appuyer cette opinion sur des preuves physiques; mais il ne faut pas nous écarter de notre sujet. II s'ensuit donc que les princes n'ont jamais totalement changé la facon de penser des peuples ; qu'ils n'ont jamais pu forcer la Nature k produire de grands hommes , lorsqu'elle s'y refusoit. Quoique le travail des mines soit soumis a leurs ordres, les veines fécondes ne le sont pas ; elles s'ouvrent tout-a-coup en fournissant des richesses abondantes, et se perdent dans le temps qu'on les poursuit avec le plus d'avidité. Quiconque a Lu Tacite et César, reconnoltra encore les Allemands , les Franeois et les Anglois aux couleurs dont ils les peignent; dixhuit siècles n'ont pu les effacer : comment donc un règne pourroit-il effectuer ce que tant de siècles n'ont pu faire ? Un statuaire peut tailler un morceau de bois dans la forme qu'il lui plait ; il en fera un Esope , ou un Antinoüs ; mais il' ne changera jamais la nature  3l3 MÉMOIRES inhérente du bois : certains vices dominans et eértaines vertus resteront toujours a chaque peuple. Si donc les Romains nous paroissent plus vertueux sous les Antonin que sous les Tibère , c'est que les crimes éfoient sévéremcnt punis ; le vice n'osoit lever sa tête impure : mais les vicieux n'en subsistoient pas moins. Les souverains donneront un certain vernis de politesse a leur nation ; ils maintiendront les loix dans leur vigueur , et les sciences dans la médiocrité : mais ils n'altéreront jamais 1'essence des choses ; ils n'ajoutent que quelques nuances passagères a la couleur dominante du tableau. C'est ce que nous avons vu de "nos jours en Russie. Pierre I ht couper la barbe a ses Moscovites ; il leur ordonna de croire a la procession du Saint-Esprit; il en fit habiller quelques-uns a la francoise ; on leur apprit mème des langues : cependant on distinguera encore long-temps les Russes des Franeois, des Italiens, et des autres nations de 1'EuTope. II n'y a, je crois , que la dévastation entière des Etats et leur repeuplement par des colonies étrangères, qui puissent produire un changement total dans Fesprit d'un peuple : mais qu'on y prenne bien garde, ce n'est dès-lors plus la même nation; et il resteroit encore a savoir, si Fair et la nourriture ne rendroient pas avec le temps ces nouveaux habitans semblables aux anciens. \ous nous sommes crus obligés de séparcr  ii e Bi:.i!fi)E!Oun o. 5i5 ce rïiorceau , qui traite des mceurs des Brandebourgeois , du reste de 1'histoire , a cause que dans celle -Ik on s'est restraint a la politique et k la guerre ; et que ces détails qui regardent les usages , 1'industrie et les arts , étant répandus dans tout un ouvrage, auroient peuten tre échappé au lecteur: au-lieu qu'il les trouve k présent sous un seul point de vue, ou ils forment seuls un petit corps d'histoire. Les auteurs latins m'ont servi de guide dans les commencemens de eet ouvrage, au défaut total de ceux du pays : Lceckel, que j'aurailieu de citer souvent, m'a éclairé dans les régences ténébreuses des margraves des quatre premières races ; et les archives m'ont fourni des matériaux pour ce qu'il y a de plus remarquable a dire des temps ou la maison de Hohenzollern a possédé eet électorat, ce qui nous rauiène jusqu'a nos jours. Epoque première. DAns la longue énumération que Tacite fait des peuples d'Allemagne , il s'est trompé sur le mot d'Ingevoner, qui signifie habitans ; et sur celui de Germanier, qui veut dire gens de guerre, que 1'ignorance de la langue lui fait prendre pour des nations particulières : la quantité de ces guerriers dont 1'Allemagne étoit remplie, lui donna le nom de Germanie. Les premiers habitans de la Marche furent des Teutons, et après eux les Semnons, dont Tacite dit que c'étoient les plus nobles d'entre les Suèves. Dans ces temps recidés 1'Allemagne étoit tout-  Si4 Mémoires a-fait barbare ; les peuples grossiers et a moitié sauvages habitoient les forêts ; de mauvaises cabanes leur servoient de demeures ; ils se marioient jeunes, et peuploient d'autant plus que les femmes étoient rarement stériles. La nation alloit toujours en se multipliant; et comme les enfans se bornoient a cultiver les champs de leurs pères , au-lieu de défricher des terres nouvelles, il s'ensuivoit que ces petits héritages ne fournissant pas , dans les meilleures années méme , a 1'entretien d'un peuple aussi nombreux, les obligeoienta s'expatrier, pour trouver ailleurs leur subsistance ; dela ces grands débordemens de barbares qui inondèrent les Gaules, YA frique, et même 1'Empire Romain. Les Germains étoient chasseurs par, nécessité, et guerriers par instinct ; leur pauvreté rendoit courtes les guerres intestines qu'ils se faisoient, car 1'intérêt ne s'en méloit j'amais. Leurs généraux, qui depuis devinrent leurs princes, s'appelloient Fursten, ce qui est une déiivation du mot de conducteur. Ils étoient renommés par leur taille haute, et pour avoir des corps robustes, et endurcis aux travaux les plus pénibles. Leurs vertus principales étoient la valeur, et la hdélité avec laquelle ils observoient leurs engagemens ; ils célébroient ces vertus par des hymnes , qu'ils apprenoient a leurs enfans, pour les transmettre a leur postérité. Les auteurs 'latins rendent eux-mêmes un illustre témoignage a la valeur des Germains, en nous apprenant la défaite de Varusl et de queb  3i6 M £ m o i n e s vulgaire, On dit qu'elle rut bdtie par le méme Brennus qui saccagea Rome, et qu'elle en recut son nom. On entrevoit dans 1 obscurité les noms de quelques rois Vandales (a), qui furent remment plus ambitieux et plus inquiets que les autres. On trouve de plus dans les annales que Wittikmd, roi des Saxons, Hermanfried, roi de Thuringe, et Richimire, roi des Francs, s'allièrent, domptèrent les Semnons, et entourèrent les prenners de murailles les villes conquises, pour contemr le pays dans 1'obéissance. Epoque seconde. Cïïarlemagne prit enfin Brandebourg r« . er Henril Oiseleur ayant entiérement subjW'les Saxons qux hanitoient ces contrées, établit margraves ou gouverneurs de frontières (c) Les mceurs s adoucirent sous les margraves ■ mais le pays étoit très-pauvre. II ne produSï que les denrées les plus nécessaires fla vie 1 avoit besoin de 1 industrie de ses voisins - 'e comme personne nc recherchoit Ia sienne 1'ar gent ressortoit en plus grande m> n entroit. Cette disproportion dans la circulation des especes, qui alloit toujours a leur diminu non, baissoit le prix de toutes choses ; les den rees étoient a un si vil prix, que du temns dZ margrave Jean II d'Ascanie, le'boisseau dffro ' ment se vendoit 28 liards, celui de seigle a8 de- (a) Hotems et Wenceslas. (Y') En ?8i. (<■•) En 9zS.  r> E B U A N D F. B O TT IX G. S17 nïers, et six poules s'aclietoient au marche pour un gros. Les Berlinois passoientflès-lors pour des maris aussi fidèles que jaloux; les chroniques en rapportent unexemple sensible (o). Sous larégenct de l'électeur Othon de Bavière, un secrétaire de 1'archevéque de Magdebourg voulant aller k Berlin aux bains publics , rencontra dans la ruc une jeune femme de bourgeois, et lui proposa eu badinant de se baigner avec lui. La femme sc trouva offensée de cette proposition; le peuple s'attroupa; et les bourgeois de Berlin qui n'entendoient pas raillerie. trainèrent le pauvre secrétaire dans une place publique , oii ils le décapitèrent sans autre forme de procés. S'ils sont jaloux, du moins exercent-ils a présent des ven geances plus douces. Le pays croupissoit dans une misère affreuse sous la régence des princes des quatre premières races, et il n'en pouvoit sortir, passant sans cesse d'une main a une autre. Othon de Bavière fut ©bligé de vendre 1'électorat a l'empereur Charles IV (Z>). Celui-ci s'établit a Tangermunde : iJ y tint une cour brillante, et y batitun assez vaste chateau, dont on voit encore les ruines. Pendant que Josse administroit le Brandebourg, les Vaudois, persécutés en France, se réfugièrent dans la ville d'Angermunde, k laquelle on donna le surnom d'hérétique. On ne voit pas pourquoi les Vaudois cherchèrent un asile dans le Bran- (a) Locckel, en 1364, \t>) En «?*  022 M É M O T R E S gularités venoient de ce que le siècle vouloit jiortir de la barbarie; il cherchoit le bon chemin et le manquoit; sa grossiéreté confondoit les cérémonies avec la politesse, la magnificence avec la dignité, les débauches avec le plaisir, la pédanterie avec le savoir, et les platitudes grossières des bouffons avec les ingénieuses saillies de 1'esprit. On doit rapporter au règne de Joachim II la fondation de 1'université de Koenigsberg par Albert de Prusse. Les dépenses allèrent toujours en augmentant : Jean-George ht des obsèques superbes u son père ; c'est la première pompe funèbre accompagnée de magnificence, dont 1'histoire de Brandebourg fasse mention. Le goüt des fêtes étoit la passion de ce prince ; il aimoit a donner sa grandeur en spectacle. II célébra («) la naissance de 1'alné de ses princes par des fêtes qui durèrent quatre jours. Ces divertissemens consistoient dans des tournois, des combats de barques, des feux d'artifice et des courses de bague. Les seigneurs qui composoient les quatre quadrilles, étoient vêtus en velours richement brodé en or et en argent. Mais le carac tère du siècle percoit k travers toute cette magnificence. A la tête de chaque quadrille étoit un bouffon, qui sonnoit du cor d'une facon ridicule, en faisant cent extravagances ; et la cour monta au donjon du chateau pour voir tirer le feu d'ar- (a) Lceckel.  DE BrAN-DEEOURG. 3a3 tifice (a). Au passage de Christian, roi de Danemarck, par Berlin, l'électeur lui ht une réception superbe : il alla au-devant du roi, accompagnó de nombre de princes, de comtes, de seigneurs, et d'une garde de 3oo chevaux. Le roi ht son entrée dans un char de velours noir galonné en or, tiré par huit chevaux blancs, dont les mords et les caparacons étoient d'argent: on 1'accabla de fétes daas le goüt des précédentes. Peut-être qu'on poussa le luxe tróp loin; car Joachim-Fréderic ht des loix somptuaires. Il employa ses revenus k des usages utiles j il fonda le collége de Joachim, depuis transféré k Berlin par l'électeur Fréderic-Guillaume, oii cette école est de nos jours la plus florissante et la mieux réglée de tous les Etats de la Prusse. II manquoit encore sous la régence de JeanGeorge beaucoup d'inventions qui contribuent a la cominodité de la vie. L'usage commun des carrosses ne remonte pas plus haut qüa JeanSigismond ; il en est parlé a 1'occasion de 1'hommage de la Prusse, que ce prince rendit k Varsovie : il eut a sa suite 36 carrosses a six chevaux, outre un cortège de 80 chevaux de main. L'ambassade qui se rendit a la diète de 1'Empire pour 1'élection de l'empereur Mathias, eut 3 carrosses avec elle: c'étoient de mauvais coches, composés de quatre ais grossiérement joints en- ( E B O V IV G. o33 la suite ; il décora 1'arsenal de ces trophées et de ces beaux mascarons qui font l'admiratioii des connoisseurs , et il fit fondre la status équestre du grand électeur, qui passé pour un chef-d'ocuvre, et la statue pédestre de Fréderic I, estimée des connoisseurs. Le roi embeUit la ville de Berlin de 1'église du Cloitre . des arcades et de quelques autres édifices encore ; et il orna les maisons de plaisance d'Oranienbourg, de Potsdam et de Charlottenbourg , par toutes sortes d'augmentations et d'embellissemens. Les beaux-arts , enfans de 1'abondance, commencèrent a-deurir : Facadémic des peintres , dont Peene , Mayer, Weidemann et Leigebe étoient les premiers professeurs , fut fondée ; mais il ne sortit de leur école aucun peintre de réputation. Ce qu'il y eut de plus remarquable , et ce qui intéresse le plus les progrès de 1'esprit-humain . ce fut la fondation cle Facadémie royale des sciences en 1700. La reine .Sopliie-Charlotte y contribua le plus : cette princesse avoit le génie d'un grand homme et les connoissances d'un savant; elle croyoit qu'il n'étoit pas, indigne d'une reine d'estimer un philosophe. On sent bien que ce philosophe dont nous parions , étoit Leibnitz; et comme ceux qui ont recu du Ciel des ames privilégiées , s'élèvent ó. 1'égal des souverains , elle admit Leibnitz dans sa familiarité;'elle fit plus, elle le proposa comme seul capable de jeter les fondemens de cette nouvelle académie, i teibnitz , qui avoit plus d'une arae, si j'ose  534 MÉMOIRES tn'exprimer ainsi, étoit bien digne de présider dans une académie qu'au besoin il auroit représentée tout seul : il inslitua quatre classes, dont 1'une de physique et de médecine, 1'autre de matliématiques , la troisième de la langue et des antiquités d'Allemagne , et la dernière des langues et des antiquités orientales. Les plus célèbres de nos académiciens furent messieurs Basnage , Bernoulli , La Croze, Guillelmini , Hartzoeker , Herman , Kircli , Boemer , Stürm , Varignon , des Vignoles , Werenfels, et Wolff: depuis on y recut messieurs de Beausobre et Lenfant, savans dont les plumes auroient fait honneur aux siècles d'Auguste et de Louis XIV. Othon de Guérike florissoit encore a Magdebourg : c'est le même auquel nous devons Finvention de la pompe pneumatique , et qui par une heureuse destinée a rendu héréditaire è ses descendans son esprit philosophique et inventif. Les universités prospéroient en même temps: FTalle et Francfort étoient fournies de savans professeurs : Stahl, Hoffmann, Stryck,Thomasius , Gundling , Ludewig et Wolff tenoient le premier rang pour la célébrité , et faisoient nombre de disciples. Wolff commenta 1'ingénieux systême de Leibnitz sur les monades , et nova dans un déluge deparoles, d'argumens, de corollaires et de citations , quelques problêmes queLeibnitz avoit jetés peut-ètre comme une amorce aux métaphysiciens. Le professeur de Hallo écrivit laborieusement nombre de  i) f. B n a M i) r t'. o u r c. 33 » volumes qui , au-lieu de pouvoir instruire des hommes faits, servirent tout au plus de catéchisme de dialectique pour des enfans. Les monades ont mis aux prises les métaphysiciens et les géomètres d'Allemagne , et ils disputent encore sur la divisibilité de la matière. Le roi fonda même a Berlin une académie pour des jeunes gens de condition , sur le modèle de celle de Luneville : malheureusement elle ne subsista pas long-temps. Ce siècle ne produisit aucun bon historiën. On chargea Teissier d'écrire 1'histoire du Brandebourg ; il en fit le panégyrique. Puffendorff écrivii: la vie de Fréderic-Guillaume ; et pour ne rien omettre, il n'oublia ni ses clercs de chancellerie, ni ses valets-tle-chambre , dont il put recueillir les noms. Nos auteurs ont, ce me semble , toujours pêché , faute de discernerles choses essentielles des accessoires , d"éclaircir les faits, de resserrer leur prose trainante et excessivement sujette aux inversions , aux nombreuses épithètes , écrivant en pédans plutöt qu'en hommes de génie. Dans cette disette de tout bon ouvrage en prose . le Brandebourg eut un bon poéte; c'étoit le sieur de Canitz. Il traduisit heureusemem quelques épitres de Boileau ; il ht des vers a 1'imitatlon d'Horace, et quelques ouvrages ou il est tout-a-fait original : c'est le Pope de 1'AJlemagne, le poéte le plus élégant, le plus correct et le moins diffus qui ait fait des vers en notre langue. Communément en Allemagne le pédantisme affect* jusqu'aux poetes I M  t> Ê BliANDEBétflVO» OOg Le roi porta un prompt remède k ces abus , et il s'attdcha avec une attention singidière au rétablissement et aux progrès de 1'industrie., II défendit par un arrêt sévère la sortie de nos laines ; il établit le Lagerhaus (a) , magasin d'oü 1'on avance des laines aux pauvres manufacturiers , qu'ils restituent par leur ouvrage, Nos draps trouvèrent un débit assuré dans l t consommation de l'armée , qui fut habillée de neuf tous les ans; Ce débit s'étendit jusque chez 1'étranger. La compagnie de Russie fut formée 1'année 1725. Nos marchands fournisSoient les draps pour toutes les troupes Russes ' mais les guinées angloises passèrent en Moscovie, et elles furent Tbientót suivies de leurs draps , de sorte quö notre commerce cessa. Nos manufactures en souffrirent au commencement : mais d'autrës sorties s'ouvrirent. Les ouvriers n'eurent plus assez de nos propres laines ; on permit aux Mecklenbourgeois de nous vendre les leurs ; et dès 1'année 1733 nos manufactures étoient si ilorissantes , qu'elles débitèrent chez 1'étranger quarante-quatre mille pièces de drap, de 24 aiines chacune. Berlin fut comme un magasin de Mars : tous les ouvriers qui peuvent être employés pour une armée, y prospérèrent; et leurs ouvrages furent recherchés par toute 1'Allemagne. On établit a Berlin des moulins de poudre a canon ; a Spandau, des fourbisseurs ; a Potsdam , des (a) Er» 1714  7> \o M r m o i n e s armuriers; et a Neustadt, des ouvriers qui travailloient en fer-et en cuivre. Le roi donna des immunités et des récompenses k tous ceux qui s'établirolent dans les villes de sa dominatlon : il ajouta tout le quartier de la Frédericstadt k sa capitale , et couvrit de maisons les places qu'avoit occupées 1'ancien rempart. II créa Ia ville de Potsdam («), et il la peupla; il ne fit pas le moindre batiment pour lui-méme , mais tout pour ses suj'ets. L'architecture de son règne est généralement infectée par le goüt hollandois : il seroit. k désirer que les grandes dépenses que ce prince fit en batimens , eussent été dirigées par de plus hahiles architectes. II eut le sort de tous les fondateurs des villes qui, occupés de la solidité de leurs desseins, ont la plupart négligé ce qui, avec la même dépense , les auroit embellies et ornées davantage. Berlin , après son augmentation, recut une police nouvelle (b), sur le pied a peu-près de celle de Paris. On établit dans tous les quartiers de la ville des officiers de police; 1'usage des* fiacres fut institué en même temps ; on p'urgea la ville de ces fainéans qui se nourrissent a force d'importunités, et ces malheureux objets de nos dégouts et de notre compassion, envers lesquels la nature n'a été qu'une maratre, trouvèrent des asyles dans les höpitaux publics. (a) A peine y avoit-i! 400 habitans dans cette ville , au-liea «ju'il y en a a préfent plus de 30,000. (*) En 1734.  j) b 13 r a sf d e n o u r o. 34i Pendant que tous ces changemens se firent, le luxe, la magnificence et les plaisirs disparurent; 1'esprit d epargne s'introduisit dans tous les états , chez le riche comme chez le pauvre. Sous les règnes précédens, beaucoup de nobles vendoient leurs terres pour acheter du drap dor et des galons ; eet abus cessa ; dans la plupart des Etats Prussiens, les gentilshommes ont l)esoin düne bonne économie pour soutenir leurs families, & cause que le droit de primogéniture n'a point lieu , et que les pères ayant beaucoup d'enfans a établir , ne peuvent procurer que par leur épargne un revenu honnête a ceux qui après leur mort partagent leur maison dans des branches nouvelles. Cette diminution dans la dépense du public n'empécha pas beaucoup d'artisans de se perfectionner ; nos carrosses , nos galons , nos velours et nos ouvrages d'orfévrerie se répandirent par toute 1'Allemagne. Mais ce qu'il y eut de déplorable , ce fut que pendant qu'on faisoit des arrangemens si utiles et si grands, on laissa tomber dans une décadence entière 1'académie des scienses , les universités , les arts libéraux et le commerce. On remplissoit mal et sans choix les places qui venoient a vaquer dans 1'académie royale des sciences; et par une dépravation singulière, le siècle affectoit de mépriser une société dont L'origine étoit aussi illustre , et dont les travaux tendoient autant a 1'honneur de la nation qu'aux progiès de 1'esprit-humain. Pendant que tout ce corps tomboit en lethargie , la médecine et Y 3  3 (2 M É M O I H K s la chymie se soutinrent; Pott, Marggraff et Klier combinoient et décomposoient la matière; ils éclairoient le monde par leurs découvertes 3 et les anatomistes obtinrent un théatre pour leurs dissections publiques , qui devint une école florissante de chirurgie. Mais la faveur et les brigues remplissoientles chaires de professeurs dans les universités; les dévots, qui se mêlent de tout, acquirent une part a la direction des universités 5 ils y persécutoient le bon sens, et sur-tout la classe des philosophes : Wolff fut exilé , pour avoir déduit avec un ordre admirable les preuves de 1'existence de Dieu. La jeune noblesse , qui se vouoit eux armes , crut déroger en étudiant; et comme 1'esprit-humain donne toujours dans les excès, elle regarda 1'ignorance comme un titre de mérite, et le savoir comme une pédanteria absurde. La même raison ht que les arts libéraux tombèrent en décadence. L'académie des peintres cessa ; Pesne, qui en étoit le directeur, quitta les tableaux pour les portraits ; les menuisiers s'érigèrent en sculpteurs , et les macons en architectes. Un chymiste , nommé Bcettcher , passa de Berlin a Dresde, et donna au roi de Pologne le secret de cette porcelaine qui surpasse celle de la Ghine par 1'élégance des formes et la hnesse de la diaprure. Notre commerce n'étoit pas encore né ; le gouvernement 1'étouffoit, en suivant des prin« ipes qui s'opposoient directement a ses prQ. grès : il n'en faut point conclure que lmration  be Bjaandebotjrg. 543 manque du génie propre au négoce. Les Vénitiens et les Génois furent les premiers qui Je saisirent. La découyerte de la boussole le fit passer chez les Portugais et les Espagnols ; il s etendit ensuite en Angleterre et en Hollande; les Franeois s'y appliquèrent des derniers, et ils regagnèrent de vltesse ce qüils avoient négligé par ignorance. Si les habitans de Dantzick , de Hambourg, de Lubeck, si les Danois et les Suédois s'enrichissent tous les jours par la navigation ; pourquoi les Prussiens n'en feroient-ils pas autant ? Les hommes deviehnent tous des aigles , quand on leur ouvre les chemins de la fortune ; il faut que 1'exemple les anime , que 1'émulation les excite, et que le souverain les encourage : les Franeois ont été tardifs , nous le sommes de même ; peut-étre notre heure n'est-elle pas encore venue. On songeoit moins alors a étendre le commerce qu'a réprimer les dépenses inutiles ; les deuils avoient été autrefois ruineux pour les families ; on donnoit des festins aux enterremens ; la pompe funèbre étoit même coüteuse : toutes ces coutumes furent abolies ; on ne drapa plus les maisons ni les carrosses; on ne donna plus de livrées noires; et depuis on mourut a fort bori marché. Ce gouvernement tout militaire influa dans les moeurs, et régla même les modes : le public avoit pris par affectation un air aigrehn ; personne dans tous les États Prussiens n'avoit plus de trois aunes de drap dans son habit, ni moins de deux aunes d'épée pendues a son cóté. Les 1 4  Ï)E BnAJfDEBOVS». 355 Ünances : autrefois ces colléges occupoient quarante avocats , pour soutenir les proeès qu'ils se faisoient, en négligeant les affaires pour lesquelles ils étoient préposés. Depuis leur réunion , ils travaillèrent d'un commun accord au bien de 1'État. Sous ces départemens principaux , le roi établit dans chaque province un collége de justice etun collége de hnance subordonnés aux ministres. Les ministres des affaires étrangères , ceux de la j'ustice et ceux des finances , faisoient journellement leur rapport au roi, qui décidoit en dernier ressort de toutes les affaires. Pendant tout son règne , il ne parut pas Ia moindre ordonnance qu'il n'eut signée de sa main, ni la moindre instruction dont il ne fut 1'auteur, II déclara tous les fiefs allodiaux, moyennant une certaine redevance ahnuelle que les propriétaires payèrent k 1'État. Fréderic-Guillaume employa quatre millions cinq cent mille écus au rétablissement de la Lithuanie: il mit six millions pour rebatir les villes de ses États , augmenter Berlin , et fonder Potsdam ; et il acheta pour cinq millions de terres, qu'il ajouta k ses domaines.  356 TABLE. Me Mflisi pour servïr a i'Histoire de la Maison de Brandebourg. Page 5 Au Prince de Prusse. 7 'Discours Préliminaire, 11 Fréderic I. 27 Fréderic II, surnommé Dent de Fer. 29 Albert, surnommé VAchille. J5o Jean le Cicéron. 35 Joachim I, surnommé Nestor, 56 Joachim II. ibid. Jean-George. 45 Joachim-Fréderic. ibid. Jean-Sigismond. ^ ^ George-Guülaume. 5?, Fréderic-Guillaume i le grand électeur. 81 Fréderic III, premier Roi de Prusse. 147 Tréderic-Guülaume I, second Roi de Prusse. 188 Du Militaire depuis son institution jusqu'a la fin du regne de Fréderic-Guillaume^ 263 De la Superstition et de la Religion. z8S Articls I. De la Religion sous le Paganisme, ibid. Articlb II. Conversion des Peuples au Christianism:, et de Pètat de la Religion Catholique dans le Brandebourg. 2?J Article III. De la Religion sous la réforme. 20^»  T A B L E. 357 Des Mceurs , des Coutumes , de l'Industrie, des Progrès de l'Esprit-humain dans les Arts et dans les Sciences^ 3o8 Époque première. 313 Epoque seconde.. 316 Epoque troisième. 318 Du Gouvernement ancien et moderne du Brandebourg.