P R É F A C E. C'Est a vous, mes amis , que foffre cetouvrage ; D'un coeur qui vous chérit eest un léger hommage. Vous y verrez du sérieux Entremêlé da badinage, Des traüs un peu facétieux, Dont la morale au moins est sage. Mais nimaginez pas que la morgue tfauteur, De Yamour-propre en moi fortifiant terreur, M'inspire dans cette Pré/ace: Ma passion ma fait la loi , Et les charmans accords d'Horace M'ont fait poëte malgré moi. Ma Muse tudesque et bizarre, Jargonnant un francois barbare, Dit les choses comme elle peut; Et du compas parfait bravant la symmètrie, Lepurisme gênant, et la pedanterie, Exprime au moins ce qu'elle vent. A 4  E p i t n s s. i5 A HE11M0TIME, Sur ïavantage des Lettres. ÉPITRE II. t Ecoutez, Hermotimè ; une amitié sincère Reraplit mon cceur pour vous des sentimens d'un père; Votre bonheur a fait 1'objet de tous mes vceux. Ah ! faut-il vous prier de vouloir étre heureux? Si j'ai haté les fruits de votre tendre enfance, Je vois, plein de douleur, dans votre adolescence, Le cours impétueux de vos égarpmens, Cet empire fatal qu'ont usurpé vos sens , Le frein de la raison secoué dans un age Ou d'horribles périls bordent votre passage, Ces feux séditieux qui brulent votre cceur ; Tout ce que je prévois, hélas ! tout me fait peurVous entrez dans le monde encor jeune et novice. Et marchant sur les pas des compagnons d'Ulysse. Je vous vois prisonnier dans ce palais honteux Oü Circé transforma ces captifs malheureux; C'est-la que les plaisirs ont la voix des Syrènes, Leursprestiges charmars, 1'ordont brillent vos chalncs La licence, le bruit, la fausse liberté Vous tiennent engourdis dans votre oisiveté. Je vous dois mes secours, je veux d'un bras stoïqw Vous tirer malgré vous de ce palais magique, Tlompre un charme fatal, et faire évanouir Ce songe du bonheur dont vous croyez jouir. Si le vice abxutit et rend rhomme difforme ,  *S E p i t m s, Devez h vos vertus votre première forme; Eeprenez ces travaux qui relèvent le cceur , Qui nourrissent 1'esprit, qui mènent a 1'honneur, Je pardonne Vos goüts au vulgaire imbécille , Qui de ses passions porte le joug servile, Qui ne distingue point, dans sa brutalité , Le plaisir crapuleux d'avec la volupté, Les ülles de Vénus d'avec les Propétides, Et qui ne peut remplir des momens toujours vides. Suivezl'instinctdupeuple, ou suivez la raison, Qui vous fait par ma bouche une utile lecon: Préférez ses conseils; la raison salutaire N'interdit point a 1'homme un plaisir nécessaire. Apprenez que c'est moi qui dois vous enseigner Les plaisirs gUi 5Ur vous sont dignes de régner ; Qui bien loin d'amollir ou de corrompre 1'ame, %3\Tourrissent dans 1'esprit une diyine /lamme, Qui charment la jeunesse et la caducité, Brillans dans la fortune et dans 1'adversité; Ces vrais biens, au-dessus de la vicissitude, Nous suivent dans le monde et dans la solitude; Malades comme sains, de nuit comme de jour Dans nos champs , k la ville, en exil, a la cour' lis font dans tous les temps le bonheur de Ia vie. Les dieux, pour nous marquer leur clémence infinie, Ayant pitié des maux des fragiles humains, Leur ont pré té 1'appui de deux étres divins ; L'un c'est le doux sommeil, 1'autre c'est I'espérance. Mais de ces mêmes dieux la puissante assistance Pour les sages exprès fit un consolateur, Pallas nous amena ce secours enchanteur, ' C'èsl 1'étude en un mat, beauté toujours nouvelle • Plus on la vort de prés. plus elle paroit belle ; Les  E r i t n ï s. iy Les hommes fortunés que son amour remplit Négligent les faux biens , et cultiyent 1'esprit; Lascience est le don que sa main distribue, Mais ne présumez point qu'elle se prostitue : lies arts sont comme Eglé, dont le cceur n'est rendu Qua 1'amant le plus tendre et le plus assidu. Si vous savez 1'aimer, prodigue en ses largesses, Elle ouyrira pour vous des sources de richesses ; L'usage qu'on en fait les augmente encor plus, C'est le trésor sacré de routes les vertus. La Vérité , tenant la plume de 1'histoire j Embrassant tous les temps, présente è la mémoire Ces empires puissans que le Ciel fit fleurir, Qu'on vit naltre, monter , s'abaisser et mourir. Cest-la qu'on appi end 1'art de régner sans puissance, En pliant les esprits au gré de 1'éloquence ; Qu'on se connoit soi-même, et que maitre de soi, En domptant ses désirs, on est son propre roi: Qu'avancant pas k pas , 1'expérience stire, A force de sonder, devine la nature ; Qu'a 1'aide du ealcul dont 1'esprit est mum, L'homme peut pénétrer jusques dans 1'infini, Remonter des effets k leurs premières causes j. Et saisir les Hens les plus secrets des choses. Oui, le sage en effet, maitre des élémens, Piassemble tous les lieux, réunit tous les temps: ïl voit avec mépris, sur ce triste hémisphère, De la grandeur des rois Ia splendeur passagèrè^ Et ces riens importans que 1'on croit ici-bas Si dignes d'exciter la fureur des combats; Jamais des passions le charme ne 1'abuse. Ainsi lorsque Mételle assiégea Syracuse, Archimède ignoroit, dans un sage repos, Torne HL R  53 E p i r n * s. Le succès des Romains dans leurs dernlers assauts : Avidement épris d'une étude profonde , Amant des vérités , il éclairoit le monde; Dans sa sublime extase il ne s'appercut pas Du monstre dont le fer lui porta le trépas. Ce citoyen des cieux, habitant sur la terre , Déploroit les humains qui se faisoient la guerre ; Soa esprit, affermi contre les coups du sort, Méprisott les faux biens, les malheurs et la mort. Mais ces antiques faits vous paroissent des fables: Voyez donc de nos jours des exemples semblables ; Voyez ce philosophe entouré de jaloux, Toujours persécuté , toujours modeste et dous. LorsqueBayleeutappris qu'un démon scolastiqne(«), Animé contre lui d'un zèle fanaiicjue , Avoit a Rotterdam fait rayer les tributs Que le Batave épris payoit a ses vertus ; Tout pauvre qu'il étoit, se mettant a sourire , II plaignit son rival et poursuivit d'écrire. Malgré la noire envie , et les grands en courroux, Les trésors de 1'esprit restent toujours k nous; lis sont.... Mais je vous vois sombre, distraitettiède; Je lis sur votre front 1'ennui qui vous excède : » Observez , dites-vous , soixante bons quartiers j> Qui distinguent mon nom de ceux des roturiers ; » On connoit mes aïeux ; mon antique noblesse » M'allia dans 1'Empire k mainte Hère altesse ; » Je possède des biens, des talens , de 1'esprit, » Et je plais , si j'en crois ce que le monde en dit; » La Nature agissant comme une tendre mère, » A si bien fait pour moi, que 1'art n'a rien a faire. (a) Jutisu,  E f Al T H EJ(} J'en convicns, la Nature eut des égards pour vous; Mais, sans vous courroucer, et soit dit entre nous , Elle eut autant de soin de cette pierre brute , De ce cocon de soie au ver servant de hutte, De la vigne qui croit sauvage dans les champs. C'est 1'art qui les raffine , il taille les briilans, Et ce cocon filé, passant sur des roulettes , Artistement tissu par mille mains adroites , Eblouit dans 1'étoffe , et ses riches couleurs L egalent k 1'iris et surpassent les fleurs. La vigne produiroit, sans jardiniers habiles , Au-beu d'un doux nectar, des pampres inutiles; Quand la Nature a fait, c'est a 1'art de polir, Et le grand point consiste k savoir les unir. "Vous avez degrands biens; mais pouvez-vous donc croire Qu'un peu de vil métal vous combiera de gloire 5 Et que de vos aïeux les insignes vertus Honorent votre nom depuis qu'ils ne sont plus ? Votre esprit est imbu des préjugés yulgaires, Vos parchemins usés ne sont que des chimères ; Le mérite est en nous , non pas dans ces faux biens Que le hasard réclame et reprend comme siens. Quelle erreur d'y placer notre bonheur suprème ! Leur prix est idéal, ils ne sont rien d'eux-méme. Vingt mille francs k Brieg font un homme opulent ; S'il les porte a Berlin , il n'est qu'un indigent : Quand Berlin le méprise et que tout Brieg 1'admire, Ne faut-il pas conclure , en plaignant son délire , Que 1'homme en tout ceci n'étant compté pour rien, Le cas qu'on fit de lui retomboit sur son bien? Ce sujet me rappelle un conté assez grotesque D'un certain vieux Bernard, personnage burlesqnc a Qui seigneur suzorain d& huit millions d'écus, B 3  20 E P I T R t S. Sans graces, sans talens, mais fier d'étre un Plutus, Tenoit les vendredis, par grandeur, table ouverte, Et pour tout parasite également couverte : Dans la maison logeoit un aimable Bernard , Qui nourri d'ambroisie , abreuvé de nectar, Jeune écolier d'Ovide , imitateur d'Horace, Sur le Pinde auprès d'eux avoit choisi sa place. Vint a cette maison un duc des plus gourmets, Qui sur ses doigts savoit 1'Apicius Francois. Qui voulez-vous ? lui dit un suisse a bonne mine : Celui des deux Bernards auprès duquel on dine . Piépondit le seigneur d'un air déterminé , Méprisant les Bernards , estimant le diné , Trouvant k la Tnaisnn, a la table peut-être Tout bon et rien de trop , exceptez-en le maitre, Hermotime , les biens ne font que des j'aloux , lis semblent nos amis , ils sont k nos genoux, La fortune k leur gré d'un sot fait un Voltaire : Sommes-nous mallieureux? nous cessons de leur plaire; Leur Iache dureté nous traite en inconnus , La main qui les nourrit ne les retrouve plus : S'ils vantent des vertus qu'en nous ne vit personne, Ils blament des défauts que leur haine nous donne. Le mérite, a la longue, a coup-sur est vengé D'un Midas par le peuple en grand homme érigé s Tout 1'appareil pompeux de sa magnificence En vain cachoit d'un fat la sotte insuffisance ; C'est un ballon bouffi qui s'enfle par le vent; Percez-le, 1'air s echappe , il s'affaisse k 1 'instant. La Fortune en ses dons n'en a point de solides, Ses progrès sont subits , ses chütes sont rapides ; Je méprise un faquin de titres revctu, Mon encens n'est offert qua la seule vertu,  E p i T R S S. Sï Au jeune Algarotu, qui d'une .rdeur actiyo Défiche son esprit, 1'exnbellit, leculnve , Ausceptique d'Argens , au sage Maupertms, _ A 1'Homère Francois , des arts le digne «ppm. Voulez-vous être aimé ? voulez-vous etre utdeJ Soyez sage en vos mceurs, et dans les arts habxle , On rit dL ignorant, on fuit un debauché ; Le mérite a la longue est toujours recherche, Le besoinle connoit, il 1'impore ladnme Le premier des plaisirs est pelui de s mstrmre . C'est peut-ètre le seul qui souffre des excès, Et que les noirs remords n'accompagnent jamais. Mais vos plaisirs pervers , qu'avec raison je blamo , Laissentennous quittantunvide affreux dansl ame, Et le pesant ennui, blasé sur tous les gouts, L'air sombre, 1'ceil éteint,vient s endormir chez nous. Si 1'appat de la gloire en secret vous attire, Sachez que les talens ont le droit d'y conduire, Et que la Renommée eut les mêmes égards Pour les Els d'Apollon que pour le hls de Mars. On a vu des héros qui rendirent hommage Au mérite, k 1'esprit, a la vertu du sage... Le vainqueurdel'Asie, ensubjuguant cent rou Dans le rapide cours de ses brillans exploits , Estimoit Aristote et méditoit son livre; Heureux si son humeur , plus docile k le suivre, Réprimant un courroux trop fatal k Clitus, N'eüt par ce meurtre affreux obscurcx ses vertus i Mais ce même Alexandre, arrétant sa furie, Dans Thèbes de Pindare épargna lapatrie. La Grèce étoit alors le berceau des beaux-arts, La science y naquit sous les lauriers de Mars. De la gloire des rois yum juges que nous sommes .  103 E j» i ,t n b $. L'époque des beaux-arts est celle des grands hommes Avant qu'on eut vu Rome aupoint de sa splendem Ee senat n lionoroit que la seule valeur • Ma» Ie grand Africain, destructeur deNumance, Protecteur d Ennius, ami de la science, Appntpar son exemple a ses grossiers rivaux Viieies arts n'ont jamais dégradé de héros, ^esarymt après lui, le vainqueur de Pompée _lmt dans ses mains le sceptre etlaplume etl'épée, Wepms, 1 heureux Auguste, appaisant 1'univers, Uansuntemple pompeux plaoa le dieu des vers. Ea Muse de Virgife, et la lyre d'Horace, Ala posténté pour lui demandant grace, £ar 1 effet enchanteur de leurs illusions Uetournèrentnos yeux de ses proscrip dons, Après les Antonins, Mars rempli de furie Ramena dans ces lieux 1'antique barbarie Apollon prit son vol vers la céleste cour Ee dieu du gout quitta ce terrestre séjou'rLe Tibre vit les Huns se disputer ses rives\ -t-tl on n'entendit plus que Muses fugitfves Attendrir 1'Orient de leurs tpistes récits. Douze siècles après s'éleva Médicis, A sa voix, les beaux-arts, rappellés a la vie, ^our la seconde fois ornèrent 1'Italie. Frangois premier en vain chezses peuples grossiers lJes Grecs et des Latins transplanta les laurier, • Ces temps si fortunés n'étoient pas prés d'éclore; iücheheu par ses soins en prépara 1'aurore; Eouis a sa couronne ajouta ce neuron, II eut, tout a la fois, Térence, Cicéron, Sophocle, Euclide, Horace, Anacréon, Sallusta. *t 1 on reyit les jours d'Alexandre et d Auguste, '  E p i t n s s. a^ 'Ainsi tous ces héros, clans ces temps fortunés, Ont étéparles arts doublement couronnés: L'exemple et le plaisir guidoient vers la science, Et la gloire en éioit 1'illustre récompense. Ou'heureux sont les mortels avides de savoir I Eclairer notre esprit est pour nous un devoir. La science, Hermotime, est pour celm qui 1 anno Un organe nouveau de son bonheur suprème. Esprits anéantis, automates pesans, Imbécilles humains absorbés dans vos sens, Onvoit revivre en vous ce monarque superbe Qui privé de raison dans les bois broutoit 1'herbe : Votre vie est un rêve, un stupide sommeil; Et vous aurez vécu sans avoir de réveil. Craignez ce sort affreux, ó mon cher Hermotime 1 Prés de vous assoupir, que ma voix vous ranime: Laissez , laissez périr des imprudens , des fous, Piongés dans leurs plaisirs, noyés dans leurs dégoüts: Opprobres des humains que le monde méprise... La sagesse prospère oii périt la sottise. A tout être créé le Ciel accorde un don; Aux animaux 1'instinct, aux hommes la raison: Qui vers les vérités sent son ame élancée, Animal par les sens, est Dieu par la pensée. Pourriez-vous négliger ce présent précieux ^ Qui rend 1'homme mortel un citoyen des cieux? .. L'esprit se perd enfin chez les Sardanapales ; II est pareil au feu qu'attisoient les Vestales, II faut 1'entretenir, 1 etude le nourrit, S'il ne s'accrolt sans cesse, il s'éteint et périt.. . Voila le seul parti que le sage ait a suivre. Végéter c'est iuourir, beaucoup penser c'est vivre- B4  E ? ! T R U. 'i 11 venge sa patrie , il raffermit le tróne , II brave les périls , il cherche les hasards , II conduit le's assauts , il force les remparts, II reooit ce baton qui tourne tant de tétes, Et ses combats nombreux sont suivis de conqnétes; Quelques membres de moins,quelques succèsdeplus, Damon seroit 1'égal Et le Ciel le devoit a Fhumaine misère : Inférieur en force k tous les animaux, L'bomme auroit succombé sous le nombre des maux; Imbécille en naissant, exposé sans défense , La mort 1'eiit moissonné dès sa plus tendre enfance, Un tissu délié, de fragiles ressorts Artistement unis composent notre corps ; Contre les aquilons et la bise pergante Rien ne nous garantit qu'une peau transparente ; II falloit en tout temps combattre les saisons , Tondre, bier, ourdir et tramer les toisons , Charpenter dans lesbois, creuser dans les carrières, Et sur des chars tremblans mener delourdespierres. .Mais sur tout autre soin il falloit se nourrir t Expliquer ses besoins, s'aider, se secourir, Par des sons variés, irfterprètes de 1'ame, Du feu qui la nourrit communiquer la (lamme, Pour notre sureté créer des arts nouveau*, Rendre le fer tranchant, doinpter les animaux i Ainsi sur nos dangers la Nature attendrie, A la foiblesse humaine accorda 1'industrie. Mais lorsque notre orgueil sur le bon sens prévaut, Que notre esprit trop vain veut s'élever trop haut, Que Tbomme veut percer de ses yeux témérairrs La nuit dont la Nature a voilé ses mystères , Son audace frivole, auTlieu d'embrasser tout, De son étroite spbère apprend a voir le bout. iXon, 1'esprit hors des sens n'a plus irrtelligenee ,  44 E r I T R E s. Nos organes grossiers font toute sa puissance; Notre raison sans eux, comme un esquif léger, Sans boussole et sans mats Hotte au gré de la mer ; Jouet des aquilons, perdant le port de vue, Elle échoue aux écueils d'une terre inconnue y A des absurdités tout systême conduit; En évitant Scylk, Charybde m'engloutit... Seroit-ce donc a 1'liomme a décider en maitre Sur tant de profondeurs qu'il ne sauroit connoitre ? Par le rapport des sens et leurs illusions II rer.oit des objets quelques impressions ; A 1'entendre on diroit que le Maltre du monde, Quand il forma les cieux, quand il abaissa 1'ohdo, Daigna le consulter sur ces profonds desseins Qui règlent la nature et fixent les destins ; Et 1'orgueilleuse Athéne et Ia savante Piome Définissoient les dieux, tout en ignorant 1'homme. Est-ce k toi, vil mortel, a 1'esprit limité, D'asservir sous tes loixTimmense éternité? Pai~le , insecte orgueilleux, qui régis 1'empyrée, Vois 1'abyme des temps et Ja courte durée : Aurois-tu précédé ces siècles si nombreux ? Toi qui ne vis qu'un jour, qui t'engloutis en eux, Ton oeil qui peut k peiue endurer la lumière, Prétend percer des cieux la brillante carrière ? Plutót des humbles champs oü s'élève Berlin, J/on pourroit découvrir le superbe Apennin , Que de connoitre k fond tous les premiers principes Et pour les deviner fussions-nous tous Oedipes, De cent difhcultés ce mystère muni, • En petit comme en grand présente 1'infini. Demande a ce docteur ce qu'est Ia cohér'encë> S'il connut la matière et sa pure substauce?  E P I T K I S, 4'J ïl avcmra que non; mais sans cesse il écrit En mots alambiqués un roman sur 1'esprit: Par un obscur jargon il veut expliquer 1'ame. C'est un soufflé, une essence, une divine flamme: II invente des mots aulieu de définir , Et se perd dans sa route au-lieu de 1'applanir. Sur des sujets abstraits sa raison trop stérile , Voulant être profonde , est tout au plus subtile. Sait-il donc s'il est libre , ou si sa volonté Obéit en esclave a la fatalité ? 11 ne se connoit pas , mais son esprit devine Que ce vaste univers n'éut jamais d'origme, Ou prétend expliquer comment Dieu par trois mots Tira 1'ordre du sein de 1'antique chaos ; Et ce juge éclairé , décidant sans connoitre , Dira comme de rien se peut former un être ? Sait-il ce qu'est le vide ? A-t-il pu concevoir » Comment, tout étant plein, tout a pu se mouvoirra Laissons a eet Anglois , digne de notre estimo , L'honneur d'avoir trouve, par un calcul subiime, Les effets merveilleux nés de 1'attraction ; Qu'il daigne m'expliquer ce qu'est 1'impulsion , Et quel est ce pouvoir dont 1'effet peut produirc Qu'un corps, pesant sur 1'autre, également l'attire ? Le grand jXewton 1'ignore , et son art n'en dit rien ; Qui poussera plus loin son calcul que le sien P Dans une région de ténèbres couverte , Qui de ces grands secrets fera la découverte , Si eet esprit puissant fait pour y réussir, Malgré tous ses efforts n'a pu les éclaircir ? Lorsqu'un enfant d'Euclide avec exactitude Veut marquer sur un plan les lienx, leur latitude , Niveler des vallons ou mesurer des champs ,  4" E I' I T ft E S, II épróüvé d'abord ses divers instrumens ; Son opération dépend de leur justesse. Cet usage en effet est rempli de sagesse ; Si 1'on veut raisonner, n'est-il pas de saison De connoitre avant tout quelle est notre raison ? Mais l'homme qui s'ignore, aü hasard s'abandonne j II rejette , il approuve , il décide , il ordonne : Resserré dans lui-mêmo , un désir curieux Egare sa pensee et la perd dans les cieux. Sait-il si la raison est frivole ou solide? Si son esprit ardent peut se tenir en bride ? Ou si , nialgrë ce frein, par des écarts fréquen's L imagination emporte le bon sens ? Mais 1'orgueil dans son coeur respecte sa folie , 11 craint un examen qui toujours l'humilie. On diroit en effet que notre esprit tiompem . Froid pour la vérité s echauffe póur Terreur ; Dans cent absurdités sa foiblesse nous plonge r T Uil brillant merveilleux le séduisant mensonge S'imprimant dans 1'esprit avec facilité , Nourrit de fictions notre crédulité r II est comme un rairoir dont la glacé iniidelle, Lo'in de peindre a nos yeux une image réelle . !)es rayons qu'il recoit confondant les clartés , Débgure les traits qui lui sont présentés. L'homme ne connoit pas jusqu'oü va sa foiblesse .-' Au sein de Ia folie il vante sa sagesse ; Enivré d'amour-propre il chérit sês talens , Et de sa propre mam se parfume d'encens. Ce n'est pas sans raison que mon chagrin faccusé : Du matin jusqu'au soir voyez comme il s'abuse ; Qu'un adepte paroisse , et promette son or , Cent dupes du grand oeuvre en attendront leur sort;  E v i * k i 5. -i; Leur erreür ne voit pas , du gain trop animée , Que leur bien au creuset se dissipe en fumée. Qu'un astrolögue vienne , et lisant dans les cieux , Annonce par son art un avenir facheux, Le peuple plein d'effroi, rêveur et taciturne , Tremble pour les malheurs que lui prédit Saturnë „ Et croit, pour avertir de grands événemens , Que Dieu daigne troubler 1'ordre des élémens. Quoi! ces astres muets sont-ils donc des prophètes ? Quoi! tout est-il perdu quand on voit des comères ? .['en sais dont les cerveaux sont vivernent frappés D'esprits et de vampirs autour d'eux attroupés ; Les ombres dans la nuit leur semblent des fantómes: Sans cesse en frenesie , ils en ont les symptómes, Et toujours alarmés de spectres ëffrayans , Ils accusent les mOrts des crimes des vivans. Les superstitieux, encor plus ridicules , Sur les absurdités n'ont jamais de scrupules j Combien n'a-t-on pas vu d'habiles imposteurs Du stupide public cimenter les erreurs ? Sous des mots captieux proférer des oracles ? Par des prestiges vains fabriquer des miracles ? Rassemblons tous les temps, voyons tous les payS De Lisbonne k Pékin , d'Archangel k Memphis , S'en trouve-t-il un seul, je consens qu'on Ie nomme. Dont le culte insensé n'ait pas dégradó 1'homuie? Oui. l'homme de tout temps fut le jouet honteux Des grossières erreurs des prétres frauduleux ; II a tout adoré jusqu'a la plante vile (») ; L'encens fuma jadis devant le crocodile. Ó comble de forfaits ! nos antiques CermainS  46 E ï' r t n e s. Prodigtioient leur encens k cles dieux inJiumalns. L'erreur leur iramoloit, pour appaiser leurs haines Sur des autels sanglans des victimes humaines. Du moins le moade en paix, suivant ses visions, N'avoit point combattu pour ses opinions ; Mais les chrétiens depuis dans leur sang se plongèrent; Pour des dogmes nouyeaux parfureur s'égorgèrent; Défenseurs d'une foi qu'ils ne comprenoient pas , Ces déVots assassins se portoient le trépas : Et le monde changea pour des erreurs nouvelles Ses antiques erreurs , sans rien gagner par èlles : Tant dans 1'aveugleinent le vulgaire plongé Ou doute par foiblesse, ou croit par préjugé. Mais que devient au fond cette raison si vaine , Reine des animaux qui fait tant la hautaine ? .ïe n'y vois que foiblesse et qu'imbécillité ; Le bon sens est captif de la crédulité ; ITne erreur singuliere est süre de séduire : Eolard nous en a pu k saint Médard instruire. Le bon sens est voisin du transport insensé , L'entre-deux par malheur est: bien pen nuance : Oui, 1'ame la plus forte est pleine de foiblesse ^ Ce n'est qu'un bon esprit qui voit sa petitesse. Les hommes doivent tout aux organes des sens ; Leur ministère instruit leurs esprits impuissans ; Par eux en combinant s'acquiert 1'expcrience, C'est le seul point d'appui de leur intelligence} Mais ne fugeant de tout que par comparaison, Dès qu'ils sortent des sens ils perdent leur raison* De leur esprit borné lapetite étendue Ne peut saisir ni rendre une chose inconnue ; De tant de mots nouveaux les sons articulés Enveloppen', des rions en termes ampoulós. Do  E P I T II E s. 49 i >e ce vasle univers atome imperceptihle , Crois-tu que 1'inlini devoit t'ê'tre accessible ? Dans tes pro/ets hautains il n'est point de milieu, Tes destins sont d'un homme, et tes yocux sont d'un Dieu. Tandis que 1'aigle atteint le séjour du tonnerre , La timide Progné vole en rasant Ia terre ; Ni trop haut, ni trop bas , prenons un vol moyen , La prudence le règle et lui sert de soutien. Non, ne condamnons point eet amour des sciences. Qui remplic notre esprit d'utiles connoissauces ; Qu'un sage soit savant; mais loin de s'entéter , Qu'apprenant a connoitre il apprenne a douter , Et que de sa raison gouvernant la foiblesse > Dans son propre néant il puise la sagesse. fin peu d'or pour un pauvre est un immense bien ,' C'est apprendre beaucoup de voir qu'on ne sait rien. De tous les animaux que Punivers enferme , Chaque espèce a ses loix, ses limites, son terme; La Nature fixa, par ses arrangemens, Leurs domaines bornés a certains élémens. L'homme est ainsi qu'Anthée , illustré pat la fable i Sur terre ce géant fut toujours indomptable , Mais par Hercule un jour dans les airs élevé, Perdant son élément il périt étouffé. II faut, sage d'Argens , s'enfermer dans sa sphère. Qui pourroit respirer hors de son atmospbère , Dans 1'orbe de Mercure ou bien de Jupiter ? Le paon périt sous 1'eau, le dauphin meurt a ['air, De )uème notre esprit, sans tenter rimpöesible, J\e doit jamais sortir hors du monde sensible j Q'est 1'orgueil en un mot qu'il nous faut étouff r, L'homme est fait pour agir, non pour philosopher. Nos organes , d'Argens, seroient d'au'tre fabfiqtie, 2'ujiic 111. n  r)0 E V I T n E s. Si i'hoinme eut été fait pour Ia métaphysique ; Notre esprit dégagé des terrestres Hens Pourroit, en s'élevant aux champs aériens , Y voir ce qu'il suppose et tout ce qu'il ignore . Ces esprits immortels, ce Dieu que 1'on adore ; Nos yeux seroient peroans , nos désirs satisfaits . On n'auroit plus besoin du microscope anglois : Point de problême alors , tout seroit axiome , On pourroit disséquer la monade et 1'atome , Et prenant la nature a 1'instant que tout nait. Décomposer cbaque être , et savoir ce qu'il est. L'Éternel nous cacha ces objets des sciences , 11 nous rendit heureux sans tant de connoissances; Plions modestement nos voeux a ses arrêts, Du lot qui nous échut soyons tous satisfaits ; Qu'a notre esprit débile et prudemment timide La modération serve toujours de guide. Ce fut dans son école ou fleurit autrefois Ce philosophe Grec (a) dont nous suivons les loix { Ce sage , de 1'erreur craignant le bras magique , Contr'elle se couvrit de 1 egide sceptique ; De notre foible esprit il connoissoit 1'orgueil, Et d'un systême adroit le dangereux écueil. Cicéron , son disciple , au fond de 1'Ausonie Transporta son école et sou académie ; Philosophe prudent, généreux sénateur , Père de la patrie , et fléau de l'erreur. O sage Cicéron ! présidez a ma verve, Soyez mon Uranie et soyez ma Minerve, Vous de qui 1'éloquence en plein barreau dompM  E i' i t n e s. gj Le rapace Verrès, 1'affreux Catilina | Qui retiré depuis dans les champs de Tuscule, Apprites a douter au monde trop crédule , Et peignant la vertu dans route sa beauté , Montr^tes le chemin de la félicité... Oui, laissöns dans les cieux la science sublime > Travaillons dans le moride a détruire le crime. Que sert-il après tout a 1'esprit curieux De descendre aux enfers , d'escalader les cieux ? Loin de nous égarer dans ce sombre dédale , Appliquons notre esprit k 1'utile mórale : C'est elle qui sondanttous les replis des cceurs , .Sans fard ose aux mortels reprocher leurs noirceurs, Dévoiler léurs défauts , attaquer leurs caprices, Distinguer hardiment leurs vertus et leurs vices, Dompter des passions tous les transports outrés , Changer des furieux en humains modérés, Nous apprendre h connoitre au fond ce que nous som me* Et rabaisser les rois jusqu'au niveau des hommes : 'C'est elle qui nous fait triompher des revers. O céleste Morale ! épurez tous mes vers : Accordez Epicure avec 1'épre stoïque, Rendez 1'unplus nerveux, 1'autre moins tyrannic-ue, Préparez le chemin qui mène k la vertu, Plus on 1'adoucira, plus il sera battu. Tant que la destinée et sa vicissitude Prolongera mes jours , j'en ferai mon étude , Et sans perdre k connoitre un temps fait pour jouir, Descartes ni Leibnitz nepourront m'éblouir. D 3  5a E P I T K E S. AU COMT.E G OTTER. Combien de travaux il faut pour satisfaire das Mpicuriens. ÉPITRE VI. C3 Comte fortuné , qui dans t'indépendanc'e Jouissez en repos des fruits de 1'opulence, Fils chéri de Bacchus et de la Volupté , Nourri dans le berceau de Ia prospérité ! L'instinct vaut a vos yeux toute philosophie , Vous mettez a profit les douceurs de la vie ; Dans les bras des plaisirs, sans vous charger de soms* Vous laissez aux mortels, pour vos nombreux besoins, Epuiser leurs talens , les arts et Pmdustrie. Dans la pompe des rois votre grandeur nourrie , Ignore les détails qui vous rendent heureux; Si vous y descende'z, c'est d'un air dédaignenx, Ou c'est pour mépriser un ouvrier vulgaire , De vos différens gouts esclave mercenaire ; Vous prétendez sans peine avoir tous les plaisirs, Ordonner , et d'abord contenter vos désirs : Trop promptement lassé par un luxe ordinaire, IIvous faut du nouveau dont 1'attrait vous sait plaire . Par des raffinemens ressusciter vos goats , Recourir a la mode , invention des fous. Quel terrible embarras de servir votre table ! Souvent votre Joyard veut se donner au diable . Pour inventer des mets , dignes dons de Comus , Sousieurs déguisemens a peine encor cozmus;  F, p i t a ï s, Et vous n'appercevez sous tant de mascarades Que patés , hachis fins , farces et marinades , Vous ne connoissez plus la chair qui vous nourrit, Salisfait d'assouvir votre avide appétit; Mais promptement puni d'un excès qui vous (latte , II faut avoir recours aux enfans d'Hippocrate, Et réduire a la casse , a la manne , au séné, D'un appétit glouton le goüt désordonné. Tels sont tous ces repas goutés dans 1'indolence, Oii 1'ennui, compagnon de la magnificence , Souvent jette au hasard ses languissans pavots, Fait bailler l'enjoument et glacé les bons mots. Tandis que les festins , le luxe et la paresse De vos sens émoussés sédnisent la mollesse , Qu'il encoüte aux humains pour contenter vos goüts! Oue de bras occupés a travailler pour vous ! Kegardez ce spectacle , et souffrez que ma Muse De leurs nombreux travaux un moment vous amuse ; Ces objets ne sont bas que pour des ignorans. Cet immense univers , ces divers élémens Fournissent vos repas ; la féconde Nature Piéserve ses faveurs aux enfans d'Epicure : Nos ruisseaux,nos étangs vous donnentleurs poissons, L'air donne ses oiseaux , la terre ses moissons, Et la mer vous présente , en fouillant ses abymes , Ces monstres recherchés , malheureuses victimes De la voracité des célèbres gourmets. Mais laissons pour un temps tous ces étranges mets, Ces poupaz's , ces turbots et ses ragouts bizarres , 1 Moinsbienfaisans,moins bons que singuliers et raresj Loin de 1'art des Nevers et du raffinement, Considérons ce pain , pur et simple aliment, Quisert touiours de base a notre nourriture; ü 3  E p i t it e s. 5j Trop ïoindes laboureurs qui peuplentles hameaux, Vous couvrez de mépris leurs utiles travaux. Vous ignorez encor par quel immense ouvrage Le Frangois prépara eet excellent breuyage, Ce vin que vous buvez d'un air de connoisseur, Et dont vous nous vantez la sève et la douceur ; Les fertiles cóteaux oü serpente la Saone L'ont fait croitre et mürir vers la fin de l'autoinne ; Le vigneron soigneux en cultiva le plant, II donna des appuis au débile sarment, II pressa des raisins la liqueur empourprée , Dans la cuve en bouillant de la lie épurée j Ce jus clarifié sans mélange, sans art, Vieilli dans ses yaisseaux devient ce doux nectar Dont les ilots de rubis colorent votre verre. Et ce brillant cristal que vous jetez par terre, Ce vase transparent que vous n'estimez plus Dans lesbruyans transports des plaisirs de Bacchus, Vous le devez encore a 1'industrie huinaine: La cendre, la fougère , et Ie sable d'arène , Préparés par les mains d'un habile artisan, Changent de forme et d'être en un brasier ardent; Leur composition, de dure et de solide, Par la vertu du feu , soudain devient fluide; L'ouvrier , en soufflant par un tube de fer, Dilate cette masse et la gonlle par 1'air ; Souple au gré du ciseau dont elle est arrondie , Elle devient cristal dès qu'elle est refroidie , Et permet aux rayons d'oser Ia traverser. Ainsi s'est fait ce verre oü 1'on vous voit verser Cette boisson des dieux, cette liqueur riante , Qui vous fait savourer sa mousse pétillante. Avec plus d'art encor se font ces grands trumeaux D 4  £G J- p i t n rr s. Pent laglace polie, égale et sans défnüts; Vous rend exactement, comme un pnrirait Rdêfe, Les différens obj'ets qui sont vis-a-vis d'elïe. C'est-la tous lesmatins , après votre réveil, Sur lechoix des atours que vous prenez conseil • Ce miroir toujours vrai règle votre parure, II vous fait arranger la fausse chevelure Qu'on emprunta d'autrui, qu'on boucla tout exprès, Pour que votre front cbauve eut de nouveauxattraits. Et eet babit superbe , avorton de la mode , Qui plus il paroit beau , plus il est incommode, Vous dérobe sous 1'or le drap et sa couleur, Savez vous qui 1'a fait ? Ce n'est pas le tailleur , Qui toisant votre corps sur son moule faeonne I je drap auné, coupé, recousu , qu'il galonne. Examinez ces champs , ces bosquets , ces vallons: Voyez-vous oe berger qui conduit ses moutons ? II les tond deux fois 1'an ; leur utile dépouille Se convertit en fd . passant sur la quenouille; Pour en faire une étoffe on monte des métiers , Minerve dans eet art forma les ouvriers : Que d'bommes occupés , et que de mains adroifes Sur la trame avec bruit font voler les navet tes ! Un nouvel univers nous fournit la eouleuf Qui fait perdre k ce drap sa mal-propre bl'anchèur : Des cpideurs de 1'iris on a 1'art de le teindre ; Pour lui donner du lustre on emploie un cylindre Qui de son poids égal, en roulant, 1'aplatit; Par ces travaux s'est fait le drap qui vous vètit. O triomphede 1'art et de 1'adresse Ktfltoifte .' Ces tableaux sont tissus d'or, de soie et de laine; Un élève d'Apelle en donna le dessin, Corrège et Raphaël conduisirent sa niain; •  ■ F. | i t r. e s. Dompte Montézuma, subjugue ses Fiats. LAiuéricain trouble voit, rempli d'épouyante, Approcher de ses bords une ville floUante , Et buit cents Espaguols lui paroissent des dien* , lis portent le tonnerre, ils lui lancent leurs feux; Des monstres inconnus , des centaures rapides L'atteignent en courant de leurs traits homicideS : Tout se soumet, tout plie , on enchaine le roi, Cortes aux Mexicains fait respecter sa loi: Ces cruels conquérans,dans ces champs de leur gloire, Par des meurtres affreux ternissent leur victoire; Lescaciques, les rois sont livrés au trépas. Depuis, 1'astre brülant de ces ricbes climats , En dardant ses rayons sur cette ardente zóne , Ne vit plus de cacique ou de roi sur le tróue ; Le peuple avoit péri comme ses souverains , Les fleuvei regorgeoient du sang des Mexicains : 1'arini tant de fureurs et tant de funérailles On fouilloit dansles monts; du sein de leurs entraiMes L'Espagnol retiroit ce dangereux métal, Du vice des humains mobile principal; Les riches minéraux que cacboit lAmérique , La dépouille des rois , les trésors du Mexique, Et tous ces biens gagnés par des crimes hardis, Pour enrichir Madrid passèrent a Cadix. On timbra les lingots , la pièce eut son poids juste , De Charles (a) a chacune on imprima le buste, r.es signes des valeurs recurent divers noms , < )n vit piastres, ducats , pistoles , patagons ; Par les ressorts nombreux qui meuvent le commerce, Ce métal en Europe a pleine main se verse. (r.') Ctinilcs-Quint,  E f i t n ï s. 61 Voyez-vous de bateaux ces grands flcuves couverts? Ils portent nos raoissons dans de lointaines mers ; L'Espagnol les recoit, il nous rend des espèces , Et de ce troc heureux dérivent nos richesses ; Les tributs du Mexique, en Prusse transporu's , Entretiennent les arts dans les grandes cités ; Ils font naitre le luxe , enfant de 1'opulence , Des villes aux hameaux circuler la dépense 5 Le laboureur qui vend le fruit de sa sueur , Du prix qu'il en recoit va payer son seigneur; C'est lui qui vous fournit, a force de fatigue , Ces ducats dont au jeu vous ètes si prodigue. Jugez , Comte , jugez. par ces foibles dessins , Des travaux étonnans qu'embrassent les humains ; Je n'ai pas tout clépeint, la matière est inimeii.se , Et je laisse a Bernis sa stérile abondance. Mais ceci vous suffit, vous voyez les liens Dont 1'avantage égal unit les citoyens , L'industrie en tous lieux qui s'acprolt et s'exercè , L'ouvrage encouragé par 1'appat du oommerce ; L'Asie etl'Amérique ont contenté nos goüts, Nous trayaillons pour eux, ils iravaillent pour hólis. Méprisez-vous encor ces artisa'ns habiles , A vous, k leur patrie , au genre-humain utiles ? Leurs occupations les renden t veitueux : Comte , de leur bonheur devenez envieuX ; Vos jours semblentplus longs que chez eux les semnine Les vrais plaisirs sont ceux qu'ont achetés les p< : La paresse offre a l'homme une Fausse douceur: I^e travflil est pour lui la source du bonheur.  6a £ t i ? n t s. A MAUPERTUIS. ■La Providence ne s'intéresse point a V individu , mais a ïespèce. É P I T R E VIL JNl Ou , ne présumez point, sublime Maüpeftüis . Que Dieu règle un détail trop au-dessous de lui: De nos frêles destins , de notre petitesse Le Ciel n'occupe point sa suprème sagesse ;' Quoi! notre individu , quoi! nos nombreux besoins Méritent-ils sur eux de distraire ses soins ? Ce moteur inconnu , cette cause première, En donnant une forme k 1'antique matièm, Aux étres imposa ses imrnuables loix : Vers un centre commun gravitent tous les poids. Le feu dans 1'air élève une /lamme ondoyante, L'eau sans rétrograder suit le cours de sa pente'. Tout genre est limité dans son petit circuit ; D'un pepin de pommier 1'arbre se reproduit, Mais jamais ce pepin ne produira de roses : Les effets sont toujours les esclaves des causes. Ainsi l'homme en naissant recut les passions, Ces tyrans de son cceur et de ses actions ; Leur empire est connu par des effets semblables, La trahison naquit des haines implacables; L'amour k ses douceurs mêle un cruel poison , 11 égare 1'esprit et séduit la raison; Inquiet, soupconneux, rempli de jalousie, II produit la fureur ou Ja mélancolie :  GS E P I T R E S. De ce vaste univers, de ces morides sans nokArë Qui nagent dans le vide autour de leurs soleils , Supérieurs aunótre, ou du moins ses pareils. Des plus puissans Etats examinons 1'histoire : Je vois de grands revers a cóté de leur gloire ; La Grèce, jadis libre , esclave des Romains ; La maitresse des mers et des champs africains . Par Scipion conqnise , abattue et rasée. Par les Huns et les Goths je vois Rome embra-■>'<• lei tout un pays submergé par les flots, La, Marseille livrée aux fureurs d'Atropos; Tant de vastes États , tant d'immenses colosses Ébranlés et détruits par des peuples féroces ; De la vicissitude ils se ressentent tous. Vous voyez donc que Dieu ne descend point a nou ' Insensible aux iléaux qui ravagentle monde, Nous n'occupons jamais sa sagesse profonde : II voit tout dans le grand ou l'homme est englouti. Oui, dans 1'immensité l'homme est anéanti , Oui , cette vérité, qui blesse une ame vaine , Par les événemens paroit claire et certaine. Lorsque l'astre des jours qui règle les saisons . De ses rayons ardens vient brüler nos moissons . Etque les cieux d'airain, qu'a grands cris on imploïv Refusent aux mortels jusqumix pleurs de 1'aurore, L'État prévoit sa perte , il va manquer de pain ; Le besoin, la paleur , la misère, la faim , L'horreur , le désespoir, et la mort implacable Font dans toutle royaume un ravage effroyable. Si Dieu daignoit veiller sur nos foibles destins . A ces calamités donneroit-il les main.? Verroit-il de sang-froid le démon de la guc-rre Voler d'un i>ó!e k 1'autre , en détruisant la tem ?  gg E P I T R E S. Ktle royaurae en deuil déploroit ses enfans. 14 Du mal contagieux 1'attaque étoit subite, De ceux qu'il atteignoit la vie étoit proscrite; Une chaleur ardente a 1'instant les brüloit , L'haleine leur manquoit, la soif les accabloit; Ilsbuvoient,maishêlas!nos ileuves dansleurs course s, Sans éteindre leur soif, auroient tari leurs sources ; Pareils a la fournaise oü 1'on verse de 1'eau , Leurs entrailles sentoient accroltre un feu nouveau, Leurs yeux étinceloient, leur gorge étoit aride, Leur langue desséehée, et leur couleur livide; Lün vers 1'autre en tremblant ils étendoientles bras, Ils portoient sur leur front 1'arrét de leur trépas ; Ces cadavres vivans dans des douleurs affreuses Sentoient couvrir leurs corps de taches venimeuses , De ces charbons crevés sortoit un poison noir, Ils mouroient dans les eris et dans le désespoir. O temps infortunés! ó temps vraiment funestes! II n'étoit plus alors de Nisus ni d'Orestes; Les nceuds de 1'amitié , ceux de la parenté, Rien ne pouvoit lier le peuple épouvanté. Faut-il le rappor ter? ó comble de nos crimes \ On fuyoit lachement ces plaintives victimes , Qui sentoient les fureurs de la contagion; On les kissoit mourir sans consoktion : La faim a tant de maux vint joindre sa souffrance, Alors de tous les cceurs disparut 1'espérance. Peiguezrvous, s'il se peut, les horreurs de ces temps , Les pkces, les maisons pleines de nos mourans; Li le frère expirant sur le corps de son frère ,] Le cadavre du fils couvrant celui du père ; Li, de tristes sanglots et des cris douloureux, De laojentables voix qui s'éleyoient aux cieux:  E P I T K E 5, G Et portés par la foule au fort de la mêlée , Nous voila des secrets de 1'absurde assemblee. Uu jeune fou disoit, parlant vite et très-haut: i> Puisse-t-il plaire au Ciel d'allumer au plus tot, E 4  72 E P I T R ]£ s. »(Qu'importe au sud,au nord, en quel lieu de la terre ?) 3) Pourexaucer mes vceux, une sanglante gnerre! « On connoltroit alors le prix que nous valons ; j) Loin de nous consommer , ainsi que nous faisons » Dans les honneurs obscurs des grades subalternes , » On connoltroit en nous des Eugène modernes «, De jeunes officiers se parloient sur ce ton , Un poil follet a peine ombrageoit leur menton. ' Au même instant arrivé une foule nouvelle, Dont 1'épais tourbillon nous entraine avec elle j Vingt personnes au moins , croyant se réjouir, Se parloient a la fois sans penser, sans ouïr ; Ce llux impétueux, qui vient et nous inonde, Se dissipe a 1'instant et se perd comme 1'onde ; Tout change , et nos voisins sont d'autres inconnus} Alors tout fratchement dans la foule venus ; Un squelette ambulant me passé et me coudo-ie , Disant a son ami: -a Dieu ! que j'aurois de joie 5) Si le Ciel bienfaisant, renouvellant ses dons , 3> Daignoit me départir deux vigoureux poumons .' » Un siècle tout au moins j'aurois dessein de vivre «, La toux en 1'étouffant 1'empêcha de poursuivre. Bientót d'autres passans s'approchèrent de nous , tin personnage agé se distinguoit d'eux tous ; 11 disoit d'un ton sec a 1'un de ses confrères ! 3) II vous plait de louer 1'ordre de mes affaires , 3j Mais ne présumez pas que je me trouve heureux, 3> Tantquelesdieuxcruelsn'exaucentpas mes voeuxj ï> Je leur ai demandé que ma stérile flamme 3> Put encor procurer un seul fils k ma femme , ■» Mes avides neveux désirent mon trépas , » Mes biens accumulés seront pour des ingrats «, QueJqnes collatéraux , qui prés de lui passèrent,  E P I T R E S. 75 Bras dessus, bras dessous, vivementl'embrassèreiu; Et de mille facheux qui discouroient sans choix, Le bruyant carrillon fit étouffer sa voix. .Nous entendons chanter, on éclatoit de rlre ; Tous ceux qui de 1'amour sentoient le doux empire, Auprès de leurs beautés faisoient les doucereux ; Un homme très-réveur étoit tout auprès d'eux , II se promenoit seul d'un pas grave et stoique , En se frottant le front d'un air mélancolique ; Ses yeux iixés sur terre exprimoient sa douleur. Touché de ses soupirs , ému de son malheur , Lui promettant mes soins et ma foible assistance, Je le presse sur-tout de rompre le silence : 3> Ah ! puisse Bestuchef périr tragiquement! Reprend-il, et soudain me quitte brusquement. rrbéophile a la fin brülant d'impatience S'écria:»Dieu, quelsgens !ah, quelleextravagance ! j) Partons , et dès demain revenons tous les deux ; 33 Puisse le juste Ciel écarter les facheux , 3) Et nous favoriser d'un temps doux et propice « ! Appercevez du moins quelle est votre injustice, Vous , dis-je, qui frondez tous ces gens a projets : Vous en formez ici pour de moindres sujets j Au-lievi de relever les foiblesses des autres , II seroit plus sensé de corriger les vótres : J ouissons dès ce soir de ce charmant jardin , Le présent est plus sür que n'est le lendemain ; Souvent un ciel serein se couvre de nuages , Aux charmes des beaux jours succèdent les orages. Mon Frère , je vous fais le tableau de nos mceurs-. "Voyez ces insensés en proie ft leurs erreurs , Uévorés de désirs et nourris de chimères , S^élel er Föllèinent au-dessus de leurs spbères ,  cV, E p i 4 r e M Les pleurs Je Ia patrie, et ma reconnoissance 5 Ces faits que publira I'auguste Vérité , Seront 1'exemple un jour de la posten'té; Elle apprendra de vous comment s'élève 1'ame j Lorsque 1'amour du bien et la gloire 1'enflamme: Que 1'immortalité me prête son burin , Je vais graver vos noms sur le durable airain. J'attesterai comment votre ardeur généreuse Confondit des Césars 1'aigle présomptueuse, Dans combien de combats , sous vos efforis soumis, J'ai vu plier 1'orgüeil de nos fiers ennemis. Illustres fils d'Albert, 1'ennemi , de son foudre, Tous les deux, justeCiel! vous a réduits en poudre; Mais si vous périssez, c'est sur le champ d'honneur ,• Très-dignes rejetons de ce grand électeur Qui jadis comme vous risqua cent fois sa vie Pour défendre 1'Etat, pour sauver Ia patrie. CherFinck,ahSchulembourg,quejeplains votre sort! Toi, brave Fizerald, spectateur de ta mort, Étoit-ce donc a moi de fermer ta paupière? Que ne promettoit pas ton illustre carrière, Si Ie dieu des combats , de tes exploits jaloux, jN'eüt trompé notre espoir en t'arrachant a nOus ? Tous ces vaillans guerriers au trépas se dévouent, Les Anglois sont surpris, et les Ffongrois les louenf:: Dans ce fameux combat, si long-temps disputé , L'amour de la patrie et 1'intrépidité Les firent triompher, a force de constance , Des vieilles légions, fières de leur vaillaUce , Qu'Eugène avoit su rendre invinsibles sous lui ; Et 1'Autrichè contre eux en vain cherche un appui.. Que dirois-je de vous , héros couverts de gloire, tA qui la Piusse doit la seconde victoire?  E r i r r i i. Rien ne vous ébranla : ces perfides Saxons , Mëditant en secret d'infames trahisons, Rompoient les nosuds sacrés d'une triple alliance, Ils quittoienc la Bavière et la Prusse et la France ; Jaloux de nos succès , qu'ils ne pouvoient ternir , lis fuyoiènt et par crainte et pour nous affoiblir; I ,e Lorrain s'avancoit vers 1'Elbe épouvantée, Mais par votre valeur son onde ensanglantée Apprit a l'Océar» vos immortels exploits. Hélas! cher Rotte mbourg, est-ce vous que je vois Victimede lamort? Dieux! quel sanglantspectacle! Aux Dieux mon amitié demandoit un miracle, Et Mars vous rappella des portes du trépas; L'Autrichien sentit le poids de votre bras , Et-vos regards mourans Jouirent de sa fuite; Werdecket Buddenbrock, ardens a la poursuite, Dans ces funèbres champs terminèrent leurs jour.s..; Rientót la politique , appellant des secours , Ligua cent nations qui j'uroient notre perte; De leurs soldats nombreux la terre fut couverte , Et 1'on voyoit marcher sous 1'aigle des Romains Croates et Saxons, Rarbares et Germains ; Tropfiersde leurs proj'ets,pleins d'uneardeur extréme. Ils descendoient déjèi des monts de la Bohème: TJn présage trompeur , un chimérique espoir , Et leur présomption leur faisoient entrevoir De la Prusse aux abóis la facile conquéte : Sans songer aux combats, ils régloient dans leur tétè Le partage des lieux qu'ils croyoient subjuguer. Que de sang généreux ce jour vit prodiguer.' Schwérin, Truchsès, During, vous perdites la vie, Arotre sort glorieux est digne qu'on 1'envie. . . Quoi! sont-ce des dragons?sont-ce des demi-dieux' . F a  S4 E P I T R E !t. Qui renversent par-tout 1'ennenii devant eux? Quel nombre'de captifs et de drapeaux signaie De leurs brillans exploits lapompe triompbale ! Ainsi lorsque les vents déchainés sur les oaux Versie prochainrivage amoncèlent les flots, Dünchocimpétueuxles digues sont pei c =es, Les bois déracinés, les maisons renversécs, Et la nier en fureur, s'élancant sur les champs, Dans leur fuite engloutit leurs pales habitans. ïnvincibles héros , oui, dans ce jour de gloire Votre insigne valeur nous donna la victoire : Que de sang précieux, ó généreux guerriers , Dans ce jour de carnage arrosa vos lauriers !.. Prusse , de tes héros la race est immortelle, Ce phénix dans tes camps sans fin se renouvelle, II naitdans tes périls de nouveaux défenseurs. Nos ennemis vaincus raniment leurs fureurs. Sur les monts sourcilleux de la sombre Bohème , Aux complots meurtriers j'oignant le stratagéme , Ils formoient des projets dictéspar le courroux , Lenombre étoitpour eux, la valeur fut pour nous : Héros qui confondez leur funeste artifice, OWédel,notreAchille,etvous Goltz, notre Ulysse, A vos bras généreux nous devons nos succès, Les larmes des vainqueurs arrosent vos cyprès ; Que d'obstaclesvaincus par vos cceurs magnanimes.' Les tonnerres d'airain , des rochers, des abymes , Des volcans infernaux , des dangers imprévus, Vingt peuples réunis, tout cède a vos vertus. . . Mais quels sont ces héros dont la brillante audace Affronte dans nos camps les frimats et la glacé i' Le Lorrain qui s'armoit au milieu de 1'hiver, Nousportoit dans ses mains et la llainme et Ie £er:  86 E, F I T R E -5. Et vos lauriers sanglans sont baignésde seslarmes 3 Oui, Manes généreux, nos regrets vous sont dus, Notre reconnoissance égale vos vertus... Telle est de nos héros la valeur admirable, Tel est le point d'honneur pur, simple et véritable Fécond en grands exploits , soumis a son devoir, TJtile a sa patrie, et doux dans le pouvoir. L'Etat fait affronter les périls de la guerre ; Qui sauve sa patrie est un dieu sur la terre ; Par le puissant effort d'un esprit vertueux , II perd pour ses parens le jour qu'il recut deux- Ainsi Léonidas, au pas des Thermopyles , S'immola pour Ja Grèce, et rendit inutiles Les efforts redoublés de ces fiers conquérans j Son audace étonna la valeur des Persans. Ainsi chez les liomains le généreux Décie Pour fixer la victoire abandonna sa vie. Illustres défenseurs! héros des Prussiens! Vous avez surpassó ces héros anciens , Vous serez désormais nos dieux et nos exen>pl< s. Malheureuse jeunesse , accourez a leurs temples: Abhorrez vos fureurs; loin de vous égorger , Apprenez que vos jours doivent se ménager. Si vous osez jamais prodiguer votre vie , Ainsi que ces héros^mourez pour la patrie : Leurs noms fameux iront jusqu'a la fin des temps , Tant que eet univers aura des habitans , Et que 1'astre des jours, du haut de sa carrière , Dispensera sur eux sa brillante lumière.  E p i t r. e s. "7 AU GÉNÉRAL BRÉDOW, Sin- Ia Rèputaiion. ÉPITEE X. J^Rédow, l'homme est auxyeuxd'uncenseuréquitablo Un être raisonneur plutót que raisonnable : Son esprit inquiet, vain , superficiel, Embrasse 1'apparence , et manque le réel ; Sa foiblesse entrevoit, et son orgueil décide. Est-il rien de plus faux et rien de plus stupide Que la frivolité de tant de jugemens , Que ces décisions d'ineptes suffisans , Que tant de tribunaux qui sans régies ni titres Des réputations se rendent les arbitres ? C'est la que Ia Sottise ad'ardens zélateurs : J'ai vu , discret témoin de leurs propos moqueurs , Le mérite modeste attaqué sans scrupule , La folie en crédit, le bon sens ridicule. Quand , pour les intéréts du Kan son souverain , Mustapha d'Oczakow se rendit k Berlin, Sa barbe , son caftan excitèrent a rire ; Le courtisan moqueur , enclin k la satire , Bempli de préjugés contre les musulmans , Épiloguoit leurs moeurs et leurs ajustemens ; Les plus polis disoient, peut-on étre Tartare ? Pas und'euxne savoitque ce peuple barbare , Qupique de nos habits les siens soient différens , Avoit conquis la Chine, et soumis les Fersans. Mais la ré/lexion les effraie et les géne , y esprit,d'nnmot plaisarit peut accoucher sans peine.  E P I T R B S. ArTëctons eet air haut ct ce ton fiiffiSatit Dont 1 icliot public respecte 1'ascendant, Et nous subjuguerons notre absurde auditoire- Un sot trouve toujours un plus sot pour le eroire ♦ Une voix imposante, un maintien effronté Sont de forts argumens pourle peuple hébété. Des cju'un livre nouveau s etale chez Néauhue, Nos beaux esprits manqués , sur le titre du tome' d ugent sévérement louyrage et son auteur; Tóutquartier de Berlin a certain connoisseur Qui sur ces nouveautés raisonne , dogmatise , Du vulgaire a son gré gouverne la bêtise. L'unsoutient que Voltaire estdépourvu d'espn'r Mais que Baebr doit cbarmev tout lecteur qui le lit Qu Euler en vaius calculs met sa philosophie Que Maupertuis des Dieux parle comme unimpie Que Sacfc est amusant, et Montesquieu diffus. ' Les Gr;lees , dit un autre, inspirent Heinius , Haller a son avis 1'emporte sur Horace , Et Gottsched doit tenir le sceptre du Parnasse : VL'das jugcoit ainsi sur le sacré vallon Des pipeaux du satyre et du luth d'Apollon • Qu heureux seroient nos jours si tout juge profane J ortoit comme ce roi la coiffure dün dne .' Ah .' quel plaisir de voir ces censeurs refrognés Dans toute leur folie en public désignés I Mais nous voyons par-tout fourmiller dans le mondo De ces louches esprits dont ma patrie abonde • \ irgile avec Segrais s'est trouvé comparé , Anguste aux Antonins fut souvent préféréDes imposteurs mitrés, qu'on nomme les saints pères Nous ont peint Julien sous les traits des Tibèi es •' ' Tout 1 univers reeut ces mensonges pieux,  9° E P I T R E S. Eblouis par 1'espoir, attirés par la mode , lis éprouvent sur euxquels serout ses effets. Ne vous souvient-ilplus du règne des sachets , Eameuxpréservatif d'un mal qu'on appréhende , Aussi sür que les os dün saint de la légende ? J'ai vu , Brédow, fai vu, mes chers concitoyens, Chargeant de ces sachets leurs cous luthériens , Dans leur crédulité braver Ia lethargie , Et ne plus redouter les coups d'apoplexie ; Faut-il approfondir si le remède est bon , Si c'est un antidote ou si c'est un p'oison ? Claudine 1'applaudit, Marthe s'en est servie, Suffit, il faut en prendre au risque de sa vie. . , Sur la fortune enfin on ne voit pas plus clair , Tant l'esprit des humains est frivole et léger. Rappellez-vous les temps de Law et du systême : Jadis les bonschrétiens couroient moins au baptème, Que le peuple Franeois, dans ses transports outrés,, S'empressoit de gagner de ces papiers timbrés 3 La triste Vérité dissipant leur chimère , Au sein de leurs trésors érala leur misère. Quoi, Brédow , vous riez de mes raisonnemens J Vouspensez, je le vois, que ces beaux argumens, Ne sont qu'un jeud'espril düne Muse badine, Qui plaisante des sots et de la médecine. Ces portraits , dites-vous, malignement tracés , Ne représentent point des citoyens sensés; Et mespinceaux, trempés aux couleurs de Tenières, Peignent dün peuple obscurles sottises grossières. Soit, mais ce peuple abject, que vous m'abandonne/ , C'est lui quifait le nombre ; et du moins convenez Que les trois-quarts du monde ignorant et stupide Ne saitpasdans ses choix quel motif le déeidr .  E p i t {i r. s. 9t Hébien, puisqu'il le faut ,plaoons-nous sur lesbancs, Examinons tous deux la raison des savans ; Ces esprits pénétrans , amateurs des sciences , Sans doute aiuont acquis de vastes connoissances. Prenons ce fameux Sack , ce suppót de Calvin , Ce zélateur couru du sexe féminin , Qui deux fois par semaine , en style de sopbiste , Fulmine 1'anathême etproscrit le déiste; Si le hasard caché qui préside au destin, Audieu d'avoir formé sa cervelle a Berlin, L'avoit fait naitre a Pvome, il seroit catholique, A Péra musuiman, et paien en Afrique; Nourri dès le berceau d'autres opinions, II auroit combattu pour ces religions: De puissans préjugés , sucés dès son enfance , Offusquant sa raison , font toute sa science 5 Par de sombres terreurs ses esprits égarés Adorent en tremblant des mystères sacrés : Ce docteur k son gré gouverne le vulgaire , TJne foide stupide environne sa chaire, Avec un saint respect 1'écoute en sommeillant, Le croit sans le coinprendre et 1'admire en baillant, Ou'au sortir du sermon 1'auditeur imbécille Entende un libertin glosant sur 1'Evangile, ]1 dévore aussi-tót ces plaisantes lecons, 11 prend quelques bons mots pour autant de raisons j Dévot sans examen, libertin sans scrupule , De chrétien qu'il étoit, il devient incrédule: Son esprit incpnstant est dépourvu d'appui, De fragiles roseaux sont plus fermes que lui. Le peuple veut juger, le docte croit connoitre. Piaisonner sans raison, c'est le fond de notre ètre. NI m'allez point citer le sublime Newton ,  3$ E n t i i s, Qui s'élevant plus haut qu'Archimède et Pk ton, i Dit qu'autour du soleil nous faisons une ellipse ■ Newton, le grand Newton fit son Apocalypse • ' Quoique par" son algèbre il calculat les cieux, ftursamtJean, comme nous, eet Angloisrêva cieux Ten mimporte après tout que des savans célèbres -Lgarent leur raison au sein de ces ténèbres • Mais ce qui doit toucher tout homme de bon sens, C est la funeste ivresse et les écarts frequens D'un peuple mesuxé , timide , flegmatique, llépublicain zélé , coramercant pacifique , Qui suivant les conseils dün frippon d'écrivain , Fit la guerre a. la France et Nassau souverain. A Cologne vivoitun frippier de nouvelles, Singe de 1'Arétin, grand faiseur de libelles : Sa plume étoit vendue , et ses écrits mordans Lancoient contre Louis leurs traits impertinens ; Deux fois tous les sept jours pour lui rouloit la pi esse, Et ses feuillets, notés par la scélératesse, i Décorés des vains noms de foi, de liberté , Etoient lus du Bataye avec avidité : De ce poison grossier ie succès fut rapide, Le peuple et les régens suivant leur nouveau guide , Ces bons marchands, heureux dans le sein de lapaix, Publièrent la guerre en haine des Francois ; Thérèse de leurs bras fortifia sa ligue , F.t ne dut ce secours qu'au sermpn de Hodrigue. Ainsi d'un scélérat le vai'n raisonnement Devint 1'opinion du vulgaire ignorant : Plein de ses préjugés il donne son suffrage, il approuve, il condamne , il loue, il vous outrage, 11 veut apprécier les grands et les héros, San» les ayoir coimus, il reprend leurs défauts. . .  E P I T B I S. n'» Quand Mars au front sanglant, par sa funeste escorte Du palais de Janus a fait ouvrir la porte , Dès qu'on voit dans les champs déployer les drapeaux, Les glaives meurtriers sortir de leurs fourreaux■, Sans savoir la raison de leur haine cruelle , D'un des rois le vulgaire embrasse la qucrelle. J'ai vu de nos Germains le bon sens perverti, Plein d'un instinct avengle embrasser un parti, De 1'Autriche oublier 1'insolent despotisme , En faveur de Thérèse outrer le fanatisme , Détester Charles-Sept, Prussiens , Bavarois , Et du Lorrain vaincu pröner les grands exploits. O leplaisant projet de ce peuple caustique , Qui reprend un héros sur 1'art de la tactique, Qui veut juger d'un camp, n'en ayant jamais vu , Et dispose un combat sans avoir combattu { Chacun, jusqu'au beau-sexe, en ces graves matières Croit pouvoir décider par ses propres lumières ; Devant son tribunal, ministres, généraux , Et les rois agresseurs et les rois leurs rivaux Recoivent leur arrêt en moins d'une minute, Et la navette en main 1'on juge dé leur chute : Dans eet aréopage on décide des noms, On élève , on détruit les réputations; ■ La vertu , les talens , le sceptre , la tiare , II n'est rien qu'on épargne en ce siècle bizarrt. Ce digne protecteur des arts et des talens , A qui la France a du ses destins üorissans, Colbert, de 1'industrie et le moteur et 1'ame , Souffrit après sa mort un traitement infame. Louis , qui dans 1'Europe étala sa grandeur , Bienfaisant dans sa cour , terrible k 1'empereur , Louis, que les travaux, les arts et la victoire  94 É i i t h ü fi D'un pas toujours égal élevoient a Ia gloire,Dès qu'une fois la mort ietrancha ses destins , Son tombeau fut couvert par des couplets rnalins , Et le Francöis léger , enivré de folie , Dii plus grand de ses rois osa llétrir la vie. Brédow, tel est le peuple, et 1'idiot public, Rien ne peut échapper k sa Iangue d'aspic ; C'est eet étrange oiseau rempli d'yeux et d'oreilles ,• De climats en climats publiant des merveilles; Qui ne peut assouvir sa curiosité , Qui confond le mensonge avec la vérité; L'inquiète cabale et la perfide envie, La haine, la fureur, 1'infame calomnié L'instruisent en passantde faits remplis d'liorreurs >' Et bientót 1'univers répète ces noirceurs • Etre blessé du monstre est un mal inéurable. Eb bien! que pensez-vous? l'homme est-il raisonna bl que 1'Oder déifie ; Vous enfin que 1'envie admire en frémissant, Vous que vos ennemis estiment en tremblant, Oui, vous qui contraignez jusqu'au vice lui-méme. A rendre hommage en vous aux vertus qu'il blasphéme . La Vérité s'arrache k ces coeurs furieux: Ainsi 1'enfer connolt et déteste les Dieux. Si le simple mérite est digne qu'on 1'admire, Quand la beauté s'y joint, il en a plus d'empire Le stoïque Zénon, dans sa rigidité, Auroit connu par vous le prix de la beauté, (a) MesdarfièslM margravcs de Bareuth et d'Ansimch , madsifla la dtichesse de Brunswick et madami.- la miirgrave de Schwe.U. G a  I i to« E r t T n e s. Il eüt été surpris de se Irouver sensible. Ah ! malheur air mortel dont 1'ame est mflexible ! La raison ne doit point détruire l'homme en nous, Quand le cceur s'attendrit, l'esprit en est plus doux. Oui, j'adore les Dieux dans leur plus bel ouvrage , Je vois dans vos attraits leur véritable image ; Cet hommage si pur et détaché des sens Se doit, comme aux vertus, aux charmes , aux talens, Mais tandis crue je vois la Snéde fortiuiée Ne devoir qu'a vos soins sa haute destinée, Vous le dirai-je ici, 1'oserai-je, ma Sceur ? C'est sa prospérité qui fait tout mon malheur: Ah ! si j'ai pu chanter votre gloire future , Je sens en même temps murmurer la Nature. . . Amitié , don du Ciel , sacrés liens du sang! Si nous devons tous deux nos jours au même liane , Parlez, enfin, parlez, sentimens d'un ccmir tendre , Rendez compte des pleurs que vous a fait répandie Ce départ douloureux, cet adieu si touchant. Accablé de chagrin dans cet affreux moment , Je vous quittai, ma Sceur, m'arrachant a vos charmes, Que ce triste congé fut arrosé de larmes ! Ce jour pour mon repos fut un fatal écueil, Ma douleur a jamais en fait un jour de deuil. Un éternel adieu! ma Sceur , quel sort barbare ! Triste nécessité,'devoir qui nous sépare ! Falloit-il a mon peuple immoler mon bonheur? Heureux sont les mortels qui loin de la grandeur Réunissent en paix leur tranquille familie, Dont un toit peut couvrir et mère et fils et iille ! Satisfaits de leur sort dans leur obscurité, Le bonheur estle prix de leur simplicité! Us ne redoutsiit point la fortune bizarre ,  E P I T R E S, 101 Et I'abyme des mers jamais'ne les sépare; Les brigues, les complots que forme 1 étranger, Amusent leur loisir , loin de les affliger; Mais sur-tout, et c'est-la ce qui me désespère , C'est chez eux que la soeurpeut vivre auprès du frère. QneljS écarrs insensês ! oü vais-j'e m'égarer? Aimons sans intérêt, et sachons préférer Le bien de nos amis a notre bonheur même. Je vois sur votre front poser le diadême ; Si la Suède connoit le prix de nos bienfaits, ]\Te souillons pas nos dons par d'impuissans regrets , Étouffons nos soupirs et supprimons nos larmes. Loin de vous,mais toujours le cceur plein de vos charmes, Votre félicité fera tout mon bonheur. . . Je le préviens déja ce siècle de grandeur, Ce temps oü j'entendrai la prompte Renommee Répétant les accens de la Suède charmée , Vous nommer a grands cris,en comptant vos exploits, Le modèle du sexe et 1'exemple des rois. A PODEWILS, Sur ce quon ne fait pas tout ce quon pourroitfaire, É P I T R E XII. LAborieux ami, dont l'esprit paciüque Dirige le vaisseau de notre république", Vous , dont 1'activité remplissant mes desseins, D'un ceil toujours ouvert veille sur nos destins , Ne remarquez-vous pas, en passant en revue L'Europe , chaque jour présente k votre vue, G 3  102 E p i i n e s. Dans clcs climats divers et parmi tant de loix , Que du moine au pontife , et des commis aux rois, Aucun mortel ne fait tout ce qu'il pourroit faire * Le fds ayeuglément suit les pas de son père ; II n'est aucun Etat qui ne soit plein d'abus , Onles souffre,ons'enplaint, n'exigeons rien de plus. Si quelque citoyen , pour 1'État plein de zèle , Ouvre au bonheur public une route nouvelle, Entrant dans la carrière, il est d'abord lassé, Et quitte son ouvrage a peine commencc'. Ces mortels adorés , dont 1'ame magnanime Servit le genre-humain sans briguer son estime s Qui de tant de bienfaits , d'utiles changemens Laissèrent après eux d'illustres monumens , Ces demi-dieux sur terre avec un esprit ferme Vouloient obstinément arriver k leurterme : La volonté peut tout; qui ne veut qu'a demi , Sort du sommeil, se léve , et retombe endormi. . . En tous lieux, en tout genre on voit des genshabi les , Bienpeu dün si grand nombre ontpassé pour iitües , S'ils n'ont point travaillé pour leur bien mutuel; La paresse, 1'ennui, 1'intérêt personnel Ont fait évanouir , dans leurs ames communes „ Des désirs vertueux digues de leurs fortunes. . . Eh ! qu'importe en effet k la société Qu'un ministre , absorbé dans la prospérité , Ayant sans être roi la puissance suprème , Pour le bien de 1'Etat trouve un nouveau systëme, Si quittant ce dessein, distrait par cent obj'ets , II n'exécute point ses, louables projets? L'unpréfère aux travaux les plaisirs de la vie L'autré craint en secret de réveiller 1'envie, Et d'entendre crier contre le noyatéur  E v ï t n e s. 100 Ce peuple , de 1'usage aveugle sectateur , Patron des vieux abus , insensible aux services , Qui compte les bienfaits pour autant d'injustices. I n autre dans son cceur des biens sent les attraits , Immole ses devoirs a de vils intéréts , Capable de servir 1'État et la Couronne , II ne voit-, ne connolt, n'aime que sa personne, Ces indignes mortels qui tolèrent nos maux , Laissent nos loix, nos moeurs, et tout dans le chaos j, C'est un plaisir divin de pouvoir tirer 1'ordre De la confusion et du sein du désordre; Mais quelque s.ort malin, par des moyens secrets, Retarde, et bien souvent enchaine nos progrès; L'intérêt, le dépit, lacrainte, la paresse, Sont les laches ressorts de 1'humaine foiblesse ; L'homme a rimmanitó paya toujours tribut, Guerriers, ministres, rois, aucun n'atteint son tuf. Voyez-vous ces guerriers, au sein de la victoire , Marquer imprudemment des bornes a leur gloire, Préparer un pont d'or a 1'ennemi qui fuit, Et de tous leurs travaux perdre eux-mêmes le fruit ? L'amour-propre avec peu satisfait de kii-même, Se flatte, s'applaudit, s elève au rang suprème, II caresse un héros, il lui montre ses faits Par un verre trompeur qui grossit les objets ; II lui dit: » C'est assez, et votre ardeur guerrière 33 Dans ce jour mémorable a rempli sa carrière. » Conservez les lauriers dont vous êtes muni L'ouvrage est commencé qu'il croit avoir hni. Si le vil intérét d'un ministre s'empare, Si la corruption de son devoir 1'égare , Du bonheur de 1'Etat, de 1'intérét publics Il fera sans renaorcls un indigne trafi^ t G 4  104 E p i t ï; r s, Embrouillera les loix, et se livrant au Hce, Au temple de Thémis il vendra la justice ; Sa voix dans les conseils, organe des voisins , Fera par artiiice agréer leurs desseins , Et troublant a leur gré le repos de la terre, Entrainera 1'Etat dans 1'horreur de la guerre ; Untraitre s'enharditde forfaits en forfaits. Mais vous reconnoissez, a ces infames traits, Ces monstres qua regret nous a tracés l'histoire, Dont le peuple ulcéré déteste la mémoire; Qui sans cesse abusant du noin du souverain , Opprimoient ses suj'ets sous leur sceptre d'airai'n ; Et dans ce second rang plus fiers, plus intraitablea Que ne furent jamais les maitres véritables, Impérieux , et durs, et prompts k le trahir, Le rendoient méprisable en se faisant haïr, l el étoit ce Séj'an, dont 1'indigne statue Par le sombre Tibère enfin fut abattue: Tels , sous ces empereurs au vice trop enclfas, On abhorroit Pallas, Narcisse et TigiUin : Tels sous les foibles rois de la première race , Les maires du palais, en occupant leur jilace , Imposoient aux Francois un joug oriënt al. Quel abus des grandeurs et du pouvoir royal.' Quelle utile lecon aux ministres, aux princes. Qui loin de s'occuper du bien de leurs provinces % Puissans pour leurs voisins, misérables chez eux, Ontle cceur dévoré de soins ambitieux; Ou qui vpluptueux, piongés dans 1'indolence En d'indignes mortels ont mis leur confiance! II n'est aucun Etat, quelque réglé qu'il soit, Oü pour le bien public la réforme n'ait droit, Oii 1'usage et la loi, run a 1'autre contraires x  E p i t r f. s. *Qa N'offenscnt du boa sens les préceptes sévères. De ces difücultés on sent les embarras , Mais pourquoi, dites-vous, ne les lève-t-on pas ?. . Sachez comme en effet le monde se gouverne. Ceux devant quile peuple en tremblant se pros terne, Elevés dans la pompe et dans 1'oisiveté, D'un ouvrage suivi redoutentl'apreté ; Ocpupés de plaisirs , au sein de la mollesse, Ces fainéans heureux respectent leur paresse ; Les affaires iront selon le gré des Dieux , Tous les événemens étoient prévus par eux, Et le soin que du monde a pris la Providence , De travaux superflus en honneur lesdispense : Leurlache quiétude adopte ces raisons Et perd dans seslangueurs les jceurs etlessaisons : Ces fardeaux de la terre , engourdis sur le tröne , Insensibles pour nous , tendres pour leur personne , Semblables par leurs moeurs aux rois 01 ientaux, Sans procurer le bien , tolèrent tous les maux. Si la Saxe , autrefois puissante etfqrtunée , A vu depuis dix ans changer sa destinée , Préparersa ruine , abaisser son crédit , Ses peuples opprimés , sou fonds'a rienréduit; N'enchargez point leur prince, iln'estpoint tyrannique, Rienne peut remuer son ame léthargique; Condamnez sa foiblesse et son oisiveté, S'il cause tous leurs maux , c'est sans méchanceté ; I! s'endort sur des fleurs , et ses mains incertainés De 1'État chancelant laissent flotter les rênes. A vec d'anciens abus, la mollesse des cours , L'oisivetédes grands, le monde va toujours; Mais les vices des rois sont la première cause, Que pour le bien public on fait si peu de cliose.  ïoG E P I T il E S. Réprimons la satyre, épargnons nos égaux: Ah ! serions-nous les seuls exempts de ces défauts? Avons-nous en tout temps la méme vigilance ? Dans nos travaux divers la même prévoyance ? Et n'est-il pas des jours oü l'esprit détendu Incapable d'agir demeure sans vertu ? Oü, loin d'approfondir letout ou sa partie, A peine glissons-nous sur la superficie ? De ma légéreté vous me voyez rougir ; La mort est un repos , mais vivre c'est agir : Le temps , qui fuit toujours , auroit dünous apprendre Que nos jours sontcomptés, qu'il ne faut rien suspendr-e, Qu'il faut par les cheveux saisir 1'Occasion , Et passer constamment ses jours dans l'action : La Parque coupe en vain Ie hl de notre vie , Nous 1'allongeons assez dès qu'elle estlfien remplie, Dès que nous dirigeons au bonheur des humains L'usage du pouvoir qui repose en nos mains: A ce but nos desseins doivent tous se réduire; L'ame est inépuisable et peut toujours produire, Yoyez ces orangers féconds dans 1 ous les temps , La sève leur fournit ses tributs abondans ; Ces fleurs, ces pommes dor, qu'ils produisent sans ee*se Semblent nous reprocher notre indigne paresse. Si je chante en mes vers la male activité , Ne me supposez point follement entété De ces esprits ardens qui désolentla terre , Et par inquiétude entreprennent la guerre ; Non, je n'admire point ce fougueux roi du Nord , Qui cherchant les travaux , les dangers et la mort , N'ayant d'autre plaisir que le trouble des armes, A détrèner les rois trouva ses plus doux charmes ; Et loin de ses sujets. qu'il ne gouyernoit pas,  E p r t r e s. lf'7 Conquéroitla Pologne enperdant ses Etats. Mais dans un citoyen revêtu de puissance , Je blame hautement le goüt de 1'indolence ; Son emploi, son honneur, son plaisir, son pouvoir , Tout devroit Tammer a remplir son devoir. S'il est trop négligent, il est un infidèle ; Et la paresse en lui peut être criminelle ; On n'a pas de mérite a s'abstenir du mal , Étre ardent pour le bien , c'est le point principal. Si Ton daigne approuver qu'un poëme agréable Orne la vérité des attraits de la fable ; Si la naïvetépeut étre de saison , Pour adoucir les traits de Paustère raison , Qu'on me permetle ici d'emprunter ses nuances , Pour cacher sous des ileurs Tapreté des sentenees. Sur le sommet dün mont de rochers hérissé , Le temple de la Gloire étoit jadis placé : Elle promit un prix a ceux dont le courage , Surmontant ces dangers , yiendroit lui rendre hommage. Un jour tous ses amans , excités par ce prix , Tentèrent de monter k son sacré pourpris : En approchant du mont, les uns , pleins de surprise, Restoient tout étonnés de leur grande entreprise ; Plus loin de jeunes gens légers , fbux , amoureux , Alloient cueillant des fleurspour Tobjet de leurs veem.; D'autres d'un pas timide entroient dans la carrière , Effrayés du danger retournoient en arrière , Et d'autres fatigués, rebutés , abattus , Se couchoient sans vigueur sur le roe étendus ; On en voyoitplus haut monter avec audace , Jaloux de leurs rivaux, leur disputer la place, Au bord du précipice , au point de succomber , Se heurter en fureur, au bas du mont tombef.  108 II 1> I T R E 8. Un sage , sans envie et sans incertitude , Par un sentier plus cour t, et même encor plus rltde * Animé par le prix que la Gloire promet, De Focliers en rochers vola jusqu'au sommet: C'est la qu'il fut regu dansles bras de Ia Gloire , Et son nom fut écrit au temple de Mémoire , Dans ce livre si court, oü sont les noras fameux Desmortels dont le cceur fut ferme et vertueux. La Déesse , approuvant 1'effort de son courage , Lui dit: « Soyez heureux , jouissez du partage » De ces esprits actifs , auteurs , rois et guerriers , » Le repos est permis , mais c'est sous les lauriers «„ A MA SCEUR DE BAREUTH, Sur Vu sage de la Fortune. ÉPITRE XIII. Du songe des grandeur* I'image éranouie M'a rendu tout entier a la pbilosophic. Evitant les facheux , le tumulte et le bruit, 3e profite du temps chaque instant qu'il s'enfuit ; J'achète k peu de frais mille plaisirs champétres , J'arrondis des berceaux, je fais taillerdes hètres, Je lis La Quintinie, et par son art divin Je change un sable aride en fertile jardin ; La, je me plais a voir pousser, verdir, éclore Des fleurs que le midi recut des dons de Flore ; Mon ami Philémon vient dans ces lieux reclus Disserter avec moi du prix qu'ont les vertus, Etlorsque son discours échauffe mon génie ,  E P ITS E S\ 109 Je 1'enrichis des traits qu'offre la poésie ; Une feuille, une fleur , et de moindres objets A nos moralités fournissent des sujets : La Nature k nos yeux est pleine de merveilles. Nous admirons souvent le peuple des abeillos ; O quel plaisir, ma Sceur , de les voir travailler Ce doux suc quel'instinct leur apprit a piller ! De leurs soins mutuels , et de leur vigilance Résulte pour 1'essaim la commune abondance ; L'un travaille pour 1'autre , etce miel apprêté Appartient sans partage a la communauté. Pourcpioi ne suit-onpas , disois-je , leur exemple? L'homme alieu de rougir chaque fois qu'il contemple Cette heureuse union et 1'ordre sans égal, Qui concourt en effet a leur bien général. L'abeille a, mieux que nous , régie sa république ; On n'y voit point de mouche altière et magniliquo Refuser a ses soeurs le fruit de ses travaux ; L'orgueil et 1'intérèt respectent leur repos... Fiére raison humaine , orgueilleuse folie , Que de ces animaux 1'exemple t'humüie ! Notre cceur endurci méprise les humains ; L'homme change de moeurs en changeant de destins: Enivré de 1'éclat de son bonheur suprème, II fuit son origine , il s'ignore lui-mème. Qui diroit, lorsqu'on voit ces grands si dédaigneux, Que les pauvres sont faits du même limon qu'eux , Que ces gueux enlambeaux, courbés sous les misères, Marqués des mé mes traits sont en effet leurs frères ? L'orgueil les a changés , c'est 1'ouvrage du sort, Du riche au misérable il n'est plus de rapport; A leur destin commun rien ne les intéresse, Ce sont des animaux de différente espèer :  i io È p i t n e s. Les loups sanss emouvoir regardentles faucons Du sang de la colombe arroser les vallons. Que Je suis en courroux lorsque certaine akesse Jusqu'auxche vaux, aux chiens prodiguesa tendresse On diroit que pour eux le destin l'agrandit; De sa folie dépense ils tirent le profit; Ces chevaux superilus s'engraissent k Ia crèche, Tandis qu'abandonné le pauvre se dessèche; II nage dans le luxe , il ne yit que pour lui , Et c'est un songe vain que le malheur d'autrui.: Cet abus, je 1'avoue , k tel point m'importune , Que jen ai méprisé les grands et la fortune. »' Vous en étes surpris Prepartit Philémon i » Le monde est inhumain, ingrat et sans raison. » Pour moi, depuislong-tempsj'apprisile connoitre, » Jadis de la Fortune on m'a vu le grand prêtre , » Son temple étoit rempli de sots adulateurs , » L'univers y venoit demander des honneurs. » Le courtisan disoit: O puissante Déesso ! 3> Donnez-moi du pouvoir, afin que jen oppresse » Un rival odieux qu'on dit de mes amis ; » Le roi lui demandöit des esclaves soumis ; » Un homme du bel air, k mine évaporée , » Vouloit un grand état, une maison dorée ; » Un franc dissipateur exigeoit un gros bien , » Pour qu'il eut le plaisir de le réduire a rien; » L'avare lui disoit: Déesse salutaire , » Donnez-moi bien de 1'or, afin que je 1'enterrc; *> Un comte en se dressant, crioit avec fierté , » Quand parviendrai-je au rang que j'ai tant méiité? » Je n'aurois jamais fait, si de tant de prières jj Je voulois rapporter les phrases singulières : y> Bref, aucun ne pensoit clans ses bizarres vceux ,  È r I TRES. 111 v Au noble ét doux plaisir de faire des heureux; » Et ma Déesse aveugle/inégale et quinteuse , » Sur 1'emploi de ses dons nullement scrupuleuse * » Refusoit par travers, ou donnoit sans raison «. La Fortune , lui dis-je, est un cruel poison: Lorsqu'elle a pu remplir l'esprit de sa chimère ; Elle altère le fond du meilleur caractère ; L'homme dans ses transports s'imagine être un dieu , R prétend que pour lui 1'encens fume en tout liem Ces grands , enorgueillis deleurmagniiicence , Pensent qu'ils sont 1'objet pour qui la Providence Fit sortir du néant ces êtres si divers Qui rampent sur ce globe, ou volent dans les airs; Ils se placent eux seuls au centre de ce monde, Et tout le reste est bien, quand pour eux tout abonde; Tendres sur leur sujet, insensibles pour nous , Ivres de leurs plaisirs, de leur grandeur jaloux, Semblables aux rameaux dont les feuilles stériles Du tronc qui les nourrit tirant les sucs utiles , Dans un feuillage vain étalent leur beauté , Laissent leurs tendres fruits sécher h leur cóté; Est-ce donc pour eux seuls que se filtre la sève Qui par tant de tuyaux jusqu'aux branches s'élève ? Ah ! quelle heureuse main coupera ces rameaux, Des présens de Pomone injurieux rivaux ? Avec trop de chagrin j'en vois grossir le nombre. Philémon repartit, prenant un air plus sombre : » Peut-être verroit-on plus de coeurs bienfaisans , 3) Mais ce monde pervers estpeuplé de méchans; « Les bienfaits sont payés de noire ingratitude ; « Qui fait de la sagesse une profonde étude, 3> S'il connoit les mortels, ne les servira pas «. Qu'il est beau, Philémon, de faire des ingrats!  112 E P T T R E s. Faüt-il, lorsqü'aux vertus un doux penchantnous guidö. Que 1'aüstère raison contre le cocur décide?. . O vous, sage Minerve, aimable et tendre Sceur , O vOus qui possédez tous les talens du cceur, Vous pensez, je le sais, qu'un noble caractère Ne trouve en sa grandeur de plaisir qu'a bien faire. Et qu'a communiquer a l'homme son égal Les faveurs dont pour lui le Ciel fut libéral. Ces colonnes dont 1'art d'un habile arclutecte Sait orner noblement sa facacle correcte , Ces masses ne sont pas de ces vains ornemens Que la profusion ajoute aux batimetts; Mais leur commun concours , leur force réunic, Soutient solidement la facade embellie, Notre grand édifice est la société; Tout citoyen concourt k son utilité ; L'embellir n'est pas tout, et pour le dire encore, La bonté la soutient, le faste la décore. O puissante Nature ! ame de 1'univers ! Souffre que tes secrets éclatent dans mes vers ; Ménagère ou prodigue, on te voit toujours sage , Ton dessein permanent mène tout a 1'usage. Voyez ces réservoirs qui pour ses grands desseins Aux entrailles des monts sont creusés, par ses mains. Les ileuves orgueilleux en ont tiré leur source, Dün humide cristal ils fournissent la course ; Enfuyantde leur sein, j'eunes, foibles ruisseaux. Ils arrosent les prés de leurs fécondes eaux; Mais bientót agrandis, endés d'eaux passagères^ lis portent leur tribut k des roers étrangères , D'oü le soleil après les changeant en vapeurs , Coutte k goutte en plcuvant les rend sur les haufenrs ; Ce n'est point pour croupir que les monts les amaSsei t, Par  e ï i ï n e s. nS Par ces mêmes canaux le Sort veut qu'ils repassent. Et tels sont les devoirs attachés aux honneurs : Des dons de la Fortune heureux dispensateurs, Les grands pour les Etats sont la soürce fécondc Qui porte 1'abondance et le bonheur au monde. Que j'aime ce discours quün sage magistrat (a) Tint au peuple Piomain séparé du sénat! Autourdu mont sacré triomphoit la Discorde , Son éloquente voix rétablit la concorde. 3> La république, amis , leur dit-il, est Ie corps 5) Dont tous les citoyens sont autant de ressorts ; » Un seul membre perclus peut troubler l'harmonic « Qui maintient Ia santé, qui prolonge la vie : » Supposons que la bouche, aimant mieux discourir. » Refusat a son corps le soin de le nourrir ; j> L'animal épuisé dans sa langueur mourante , 3) Seroit mis au tombeau par la faim dévorante. ■» Membres séditieux, injustes plébéïens , 3) Servez votre sénat et soyez citoyens «. Quelque soitlehaut rang qu'on tienne en sa patrie. De Ia totalité 1'on fait toujours partie : Si par vous les humains ne sont pas secourus , L'Etat ne voit en vous que dès membres perclus. Modérons nos transports , évitons la satyre , C'est peu de condamner, le grand art est d'instruite; Euseignons en amis , sans prêcher en censeurs , Comment l'homme sensé doit user des grandeurs , Comment fuyant l'orgueil, la haine , la Vengeance , Sa bonté doit sur-tout annoncer sa puissance. « H n'est rien de plus grand dans ton sort glorieux,, 33 Que ce vaste pouvoir de faire des heureux , 33 Ni rieri de plus divin dans ton beau caractère, (rz) Ménénius Agrippar. Tome IIT.  it4 E r i r n e s. « Que cette volonté toujours pfète ale faire Osoit dire a César ce. consul orateur, Qui de Ligarius se rendit protecteur; Et c'est k tous les rois qu'ilparoit encor dire: 3> Pour faire des heureux vous occupez 1'empire , 3> Astres de lünivers , votre éclat est pour vous, » Mais de vos doux rayons Pin fluence est pour nou;.«. Les grands, ces hls chéris de 1'aveugle Fortune , Sont couverts de mépris si leur ame est commune. Néron , quoique César , fut haï des Romains ; Rome pour leurs vertus chérit les Antonins : Bienfaisans Antonins .' mes héros, mes exeinples , II faut vous invoquer , vous méritez des temples ; Si de foibles humains peuvent atteindre aux Dieux , Vous étes immortels, adorables comme eux: Je sens a votre nom dans [e fond de mon ame, Que 1'amour des vertus redouble encor sa flamme , Oui, j'en présume mieux du triste genre-huniain. Julien peu connu fut Ie dernier Romain. Que de monstres affreux profanèrent le tróne , Et firent éclipser 1'éclat de leur couronne ! Mais faut-il étre roi pour être bienfaisant ? West-il plus de vertus quand on est moins puissant?* L'occasion peut rendre un pauvre serviable , Dans 1'état médiocre on sera secourable ; Si 1'on est riche , au pauvre on doit son superna ; Un grand doit protéger 1'indigente vertu; Dans la prospérité 1'ame entière s'étale; On la voit ce qu'elle est, avare ou libérale ; JNos états sont divers, nos devoirs sont commune Ainsi latendre fleur nous donne ses parfums, La campagne ses bleds, les arbres leurs ómbrages , Les rochers leurs métunx, les prés leurs palur;1^*-. >  E-ïu't n f. s< t{'Si L'océan sés poissons , et les vents leur fralcheur. Ainsi 1'astre du Nord guide le voyageur; Ainsi lorsque la nuit répand ses voiles sombres, La sceur du dieu du jour vient éclairer les ombres. Ainsi le grand flambeau, moteur de runivers, De ses rayons brillans remplit le champ des airs ; Par lui-même fécond , son influence pure Ranime tout, et rend la vie a la nature. A SCHWE'RTS, Sur les Plaisirs. É P I T R E XIV. De nos brillans plaisirs aimable directeur O vous qui gouvernez, au gré du spectateur j Les jeux de Terpsichore et ceux de Polymnie, Les pleurs de Melpomène et les ris de Tbaiie ! Lequel de ces plaisirs pourroit selon nos vceux Contribuer le plus k faire des heureux ? Seroit-ce , dites-moi, la joie impétueuse, Du brillant carnaval, fille si dangereuse, Si chère k nos galans, si funeste aux époux, Lorsque sous plus d'un masqué onvoit de jeunesfoux Suivre les étendards du beau dieu de Cythère, Enflammés de ses feüx, prompts a se satisfaire, Sauter, tourbillonner au son des instrumens, Et s'enivrer enfin de cent plaisirs bruyans ? L'aurore en plein hiver si lente et si tardive, Paroit selon leurs vceux trop prompte et trop act/t e. Quoiqüe de leur amour le rapide roman Souvent en un quart-d'heur* ait dégoüté ï*aïnahf ii j  ii6 E p i t r e s. Peut-être aimeriez-vous qu'on préférat la scène Oü Molière traca, de sa naïve veine, De nos bizarres mceurs 1'humiliant tableau. 33 Cherchez, me dites-vous, un spectacle nouveau: 53 Allez a ce palais enchanteur et magique 33 Oü 1'optique , la danse , et 1'art de la musique , 33 De cent plaisirs divers ne forment qu'un plaisir; 33 Ce spectacle est de tous celui qu'il faut choisir. 33 C'estda que 1'Astrua par son gosier agile 33 Encbante également et la cour et la ville, 33 Et qtie Félicino par des sons plus touchans 33 Sait émouvoir les cceurs au gré de ses accens ; 33 C'estda queMarianne, égale a Terpsichore, 33 Entend tous ces bravo dont le public 1'honore ; 33 Ses pas étudiés, ses airs luxurieux, 33 Tout incite aux désirs nos sens voluptueuxcc Je vous entends : sachez que dans le fond cle 1'aina J'aime tous ces plaisirs qu'un faux mystique blaiue; Ami des sentimens des épicuriens , Je laisse la tristesse aux durs stoïciens ; Sicomme Thèbe, hélas ! notre ameavoit centportes, J'y laisserois entrer les plaisirs en cohortes. Tout le monde après tout ne pense pas ainsi ; J'ai vu d'outrés chasseurs , en haussant le sourcil, Bailler et s'endormir au sein de ces merveilles; Nul son ne peut flatter leurs stupides oreilles, Leur esprit occupé de cerfs , de sangliers, Audieu de voir Cinna, ré voit aux lévriers. J'ai vu sur vos gradins frémir d'impatience Plus d'un vieil Harpagon rêvant a la finance, Pressé de visiter ses serrures, ses huis , Et de compter tout seul ses sacs pleins de louis : Vous savez qu'au spectacle un certain hls d'Euclid'-  E f r t k i Si 117 S'avisa d'égayer son cerveau trop aride; Sans entendre, sans voir, et même sans parlep, II se mit en révant d'abord a calculer Les effets de la voix, 1'espace de la salie, Le théatre , 1'optique et le grand cintre ovale : Cela fait, ne trouvant rien de toucliant pour lui, Et se sentant glacé de dégout et d'ennui, Sans qu'il eüt vu fmir un acte , est-il croyable ? II sortit brusquement, donnant le tout au diable. Quel feu n'anime point toutes nos actions , Lorsqu'on nous voit servir nos propres passions ? . Mais nous sommes glacés pour les plaisirs des autres. Si notre instinct nous force a préférer les nótres, Tolérons dans chacun ses propres sentimens , Comme les traits de l'homme, ils sont tous différens; Oui, bénissons plu tót la sage Providence, Qui suffisant a tout avec tant d'abondance, Ayant a 1'infmi varié tous nos goüts, Pourvoit en même temps k les contenter tous ; Sans quoi ces doux plaisirs, seids charmes de ce monde, Seroient pour les humains une source féconde De jalouses fureurs , de démélés cruels ; On verrok k la fin les malheureux mortels, Pour satisfaire un goüt, ensanglanterla terre, Et le plaisir feroit le sujet de la guerre... Pensez-vous donc qu'il faille aux hommes fainéans Des plaisirs merveilteux pour chatouiller leurs sensf Que manquant de spectacle ou de feux d'artifice , Ils aient droit d'accuser le Destin d'inj'ustice ? La Nature attentive en tout temps a voulu Suffire a nos besoins, et même au superilu ; Elle transforme , au sein des misères humaines , En désirs les besoins, en yolupté les peines; H 5 , ■  i18 E r r t n i: s. C'est d'elle que nous vient je charme de 1'araoür, Aussi doux pour Colin que pour 1'homme de cour; C'est d'elle que nous vient le sommeii délectable, Secours voluptueux, au corps si favorable. Dans une ardente soif trouvez un clair ruisseau, C'est boire du nectar que d'avaler son eau : Quand le lion brülant nous fait rechercher 1'ombre, Quel bien de respirerl'air frais dans un bois sombre! Sur le duvet des prés couché nonchalamment, De laisser son esprit errer tranquillement! Mais enfin , quel spectacle approche de 1'aurore ? La nuit fuit, et bientót un beau pourpre colore Un tiers de 1'horizon aux bords de 1'orient; On voit palir les feux du yaste firmament, Le brouillard se dissipe , et du haut des montagnes Quelques foibles rayons vont dorer les campagnesj Zéphyre en voltigeant vient agiter les ileurs, Un instinct de plaisir s'empare de nos corurs ; Le monde est renaissant, Fastre de la lumière Remplit de son éclat sa brillante carrière, Des flambeaux de la nuit ses rayons triomphans, Paroissent et plus purs et plus étincelans ■ Dites, par quel prestige, ou bien par quel miracla L'art pourra-t-il jamais atteindre a ce spectacle, F.t par quelles couleurs peindrez-vous du soleil La pompe fastueuse, et leclat sans pareil ? C-raun n'imitera point, quoiqu'il soit un grand mal Êre, Le doux gazouillement si simple et si champêtre Du tendre rossignol et des chantres des bois, Quand 1'aube dün beau jour sembleexciter leur voix. Une nymphe k quinze ans, de sa beauté parée , A vos visages peints doit étre préférée, Malgré Ie vermillon, les pompons et le fard ,  Etitrfs. 119 La nature a le droit de triompher de 1'art. Tels sont les doux plaisirs d'une vie innocente ; Si leur simplicité vous paroit moins brillante Que vos fêtes , vos jeux , ou tout est cadencé , Sachez mi e tant unis ils n'ont jamais lassé ; Ils sont comme un ruisseau, qui voit couler sans peins Son onde de cristal sur 1'argentine arène, II embellit les prés en les rendant féconds , II ne se vante point de ses superbes ponts , Et sans avoir 1'honneur qu'ont les grandes rivières, / De porter des bateaux décorés de bandières , Et de laver les murs des plus grandes cités , Oüpar nos bons Germains leurs flots sontinsultés , Sa course moins gênée en est bien plus égale. Goütez de ces plaisirs qu'enseigne ma morale : Les remords dévorans ne les suivent jamais, On en jouit sans trouble , on les prend sans excès, On y revient toujours lorsqu'on est las des votres. Dans tout age nos goüts sont succédés par d'autres ; Le printemps nous soumet k 1'inconstant amour , La Gloire , en notre été , sur nous règne k son tour, Dans 1'automne souvent 1'intérét en ordonne, Et 1'hiver de nos jours se plaint, gronde et raisonne; Des visages ridés, des cheveux blanchissans Sont honteux d'arborer tous vos déguisemens ; Dans la décrépitude il siéroit bien sans doute D'endosser sans désirs le masqué et la bahoute \ L'amour n'a plus pour eux ni flècbes ni carquois, Et la caducité n'en recoit plus de loix; L'amour aux cceurs glacés paroit une folie, En les abandonnant l'amour les humilie ; Ils blasphêmentles Dieux qu'ils avoient adorés, Ils ne sont qu'impuissans et non pas modérés. H 4  Ï20 V. Vi i t n e ». Sans passions , adieu vos galantes merveijles, Les sens sont comme soura's au rapportdes oreilles. Les yeux sont-ils frappés des objets Jes plus bcaux ? C'est 1'ombre d un palais qui se peintsur les eaux, Tandis que chaque dot d'une course légere Enrporte en s'échappant cette ombre passagère; Ainsi pour un vieillard passent les voluptés. Jouisspns des plaisirs sans en étre entétés; Scinverts , heureux qui s'en va reprenant sa houletto Ketrouver ses jardins , ses bois et sa retraite , Après que sur la scène il a vu dans un champ Amollir par des pleurs le fier Coriolan j Ou sauver , au milieu de la Grèce assemblée , La triste Iphigénie au point d'étre immolée ! Tout ce brillant fracas a la fin assourdit, 3ït l'homme dissipé lui-mème s'étourdit: Dans une vie errante et presque vagabonde , SuiVea le tourbillon de la cour et du monde , Toujours embarrassé d'affairés fainéans , Profondément remplis de cent z-iens importans . Et sans cesse entralné par le torrent rapide Des plaisirs répélés , dont la mode décide, De cette oisiveté prompt a vous infecter , Sans vivre , sans penser , réduit a végéter, Au grand monde, au spectacle empressédeparoiiie , Vous vous fuirezde crainteun jour de vous connoitrt . Qui veut s'étudier doit chercher le repos , La , seul aveo lui-méme il peut voir ses défauts. C'est ainsi de son temps que doit user le sage ; De 1'art de se connoitre il fait l'appreiitissage, Et dans un examen souvent trop odieux , Vainqueur des préjugés qui fascinoient ses yeux „ ïl foule sous ses pieds l'arlihcieux masqué  E V 1 T R V. S. l 2 l Oui cachoit ses travers, ou son humeur fantasque , Repousse 1'amour-propre, en son cceur renaissant, Qui (latte ses désirs , et blesse en caressant. Je vois que vous pensez que toute comédie Reprend le ridicule et réforme la vie ; Oui, mais ce Jeu plaisant, quelquefois trop houffon , Effleure nos défauts sans attaquer le fond ; On y cherche un bon mot, qu'aiguise la satyre ; Ce n'est point un sermon , au théatre on veut rire. Montrez-moi, s'il se peut , un mortel vicieux Que votre comédie ait rendu verlueux :.. Non , cet auguste emploi ne fut point son partage: Qui veut se corriger trouve unpénible ouvrage , C'est le combat interne et laréllexion Qui nous font approcher de laperfection. Oui, notre vrai bonheur et notre récompense , C'est d'établir la paix dans notre conscience. Schwerts, de vos vains plaisirs on ne doits'occuper Que lorsque du trayail il faut se dissiper. A ALGAROTTÏ. ÉPITRE XV. .Almable rejetonde 1'antique Ausonie , En qui 1'on reconnolt tout le brillant génie , L'urbanité , le goüt de ces esprits ornés Que Rome produisit en ses temps fortunés! D'oü vient, Algarotti , que l'homme né caustique Jusques sur ses amis se permet la critique ? Qu'a trouyer des défauts occupant sa raison ,  122 E r> i t r f. s. Au nectar de Péloge il mèle du poison ? ]\ 'est-ce point 1'amour-propre, ingénieux Protée , Quiprenant de l'esprit la figure empruntée , Des mceurs , du ridicule, et des défauts d'autrui Elève un monument qu'il érige pour lui ? Ou seroit-cequ'unDieu, dont nous sommes Pouvrago, Eüt empreint dans nos cceurs une secrète image , Qui retracant les traits de la perfection, Nous fait juger d'autrui par la comparaison? Cherchons moins d'argumens pour pallier un vice Que forma 1'amour-propre au sein de la malice. Un courtisan adroit condamne ses rivaux , Düne main complaisante il flatte ses défauts ) JI n'est point médisant, il s'en feroit scrupule ; Mais d'un sot plaisamment il rend le ridicule : Cet esprit pénétrant, dont ilse fait honneur , Me faitcraindre sa langue,et soupconner son cceur r S il étoit bienfaisant, son éloquence vaine Ne déchireroit pas toute l'espèce humaine : Sur les défauts d'autrui beaucoup moins rigoureux, Par charité souvent il fermeroit les yeux. Mais de ces scrutateurs la langue trop hardie Glacé chez les mortels 1'amitié refroidie, Placant a tout propos des simalins, des mais, Juges de leurs amis , ils leur font leur procés. Méme, k force de gout et de délicatesse , Ils prennent en horreur notre fragile espèce : Dans ce siècle de fer , dans ces temps corrompus, II n'est plus par malheur d'Achate , de Nisus; L'homme plein de bonté passé pour imbécille, L'amitié s'exprimant prend le ton de Zode. » Lycidas mon ami, dit lün, me fait bailler , i> Perse seroit charmant s'il n'aimoit k raüler,  E r I T R F. s. 125 » Chrysippé est ennuyeux, il est toujours sublime, » Et 1'emporté Damon a tout propos s'anime ; » Ménélas est trop fier, Sulpicius trop bon, » L'économe Lycas est plus qu'un Harpagon, » Héraclite hypocondre en lui-même se mine , » Et Narcysse , en vrai fat, chérit sa bonne mine », Par de pareils propos , pleins de malignité, On renverse l'esprit de la société. Ah ! si l'homme du moins, dans sa folie extréme, Faisoit sans préjugés un retour sur lui-même ; II trouveroit en lui le nombre des défauts Qu'il va si hautement blamer chez ses égaux ; On le verroit bientót, quand son ami le blesse, Compenser avec lui fpiblessé pour foiblesse, Et 1'aidant a voiler certains défauts trop nuds , Pielever de bon cceur 1'éclat de ses vertus. Qui trouve tout mauvais , est rempli de malice, Un ceil qui voit tout jaune est atteint de jaunisse ; Souvent les préjugés et les préventions Nous dictent les arrêts de nos décisions. La Nature , en suivant ses maximes constantes, Tailla tous les objets a faces différentes, Burrhus voit le dessus , Séjan voit le revers ; Dela sur un objet cent jugemens divers. J'ai honte qu'un soldat, nourri dans 1'ignorance, Béprouve d'un lettré 1'étude et la science, Ou lorsqu'aux financiers quelque pédant fourre De leur utile emploi fait un portrait outré, Ou qu'en argumentant l'homme de loix s'engag-^ A prouver qu'un soldat est un anthropophage: Extravagans , bouffis de vos foibles exploits, Dom Quichottes zélés de vos divers emplois, Ne verrez-vous jamais que 1'immense TS'ature  ïij li v 1 i n r. s. A bien plus d'une'fin a fait la créature? Tout étre eut ses destins, tout homme eut ses lalens, > Et pour le bien du monde ils sont tous différens. Si chacun s'enróloit sous Cujas et Barthole, Oui de ses bras nerveux rendant la terre molle, Décbireroit son sein , cultiveroit son champ , Ramasseroit les bleds coupés d'un fer tranchant? Sera-ce 1'avocat qui pourra vous défendre, Si quelque prince actif, prét a tout entreprendre, Forme sur le royaume un projet dangereux, Et vient couvrir vos champs de ses soldats nombreux ? Supprimons le soldat ou le jurisconsulte : Même danger alors pour 1'État en résulte ; Ce seroit un vaisseau privé de matelots , Voguant au gré d'Éole, a la merci des Hots. De ces instincts divers l'espèce et la nuance Fait, loin de la blamer, bénir Ia Providence : Ne condamnons jamais que le vice effronté , Trop funeste ennemi de la société. On peut vous pardonner 1'humeur acaridtre , A vous que la Nature a traités en maratre , Vous, malheureux Thersite , et vous triste Brunei Oui, vengez-vous sur nous des cruautés du Ciel. Mais qu'.un homme d'esprit se porie a la folie D'obscurcir les talens , de ternir le génie ; Que par malice enclin a blamer ses égaux , Taupe sur leurs vertus et lynx sur leurs défauts II se fasse un plaisir de critiquer, de nuire , Non, c'est a quoi mon cceur ne peut jamais souscrire. Ce sujet me rappelle un conté qu'on me fit Dans cet age oü la fable instruisoit mon esprit. En ces temps ou le monde étoit dans son enfance, Chaque étre étoit, dit-on, doué de connoissanco,  lï I' I T K E «. ÏQJ La raison éclairoit les sages animaux, L'on eritendoit parler jusques aux végétaux; Toute chose en naissant sembloit étre parfaite, Et ni plante ni fleur n'étoit alors muette. Dans un certain jardin, en ces temps renommé, Que 1'auteur par oubli ne nous a pas nommé , La Rosé , en s'admirant, et méprisant la Vigne , Lui dit un jour : » Je plains ta destinée indigne , » Si l'homme ne tailloit tes rameaux superllus, « Si tu n'élevois pas tes pampres abattus , » Entourant tendrement cet ormeau charitable , n Tes sarmens languissans ramperoient sur le sable ; » Tes seps disgraciés ne portent point de fleurs , 33 Tesfeuillessontsans ombre et tes fruits sans odeurs. » Auxrayonsd'unbeaujourlorsqu'onmevoitéclore, 33 Mon éclat cède a peine au pourpre de 1'aurore , » Cet encens recherché, ces baumes peu communs » N'ont pas ladouce odeur qu'exhalent mes parfums; *. Nous sommes des festins les compagnes fidtlles, 93 J'orne dans des bouquets la coiffure des belles , « Et reine des jardins , mes charmes rayissans 33 Assurent mon empire établi sur les sens... 3) Je vaux bienplusque toi, ditla Vigne k la Rosé t 33 Trop peu durable deur, souvent a peine éclo.sc . 3> Un soufile d'aquilon vient terminer ton sort, 33 Le jour qui t'a vu naitre est le jour de ta mort j ,3 J'estimerois bien plus tes qualités divines, 33 Si ta tige inégale enfantoit moins d'épines , 33 Si joignant k tes fleurs 1'avantage des fruits, 3) Tu devenois utile ainsi que je le suis. 33 Regarde mes raisins si féconds en délices, >3 Qui ne préféreroit mon vin a tes calices? 33 Ces grappes au pressoir réduites en liqueurs  12ö E p i t n e s. 3) Chassent 1'ennui chez l'homme, et raniment les cceurs i n Mes pampres ont orné, dans des fêtes galantes, » Le thyrse de Bacchus, la tête des bacchantes ; " Ta beauté n'a qu'un temps , et je dure toujours ». tlngrös vilain chardon, écoutant leurs discours, Occupant un terrain qu'il rendoit inutile, Leur dit, en hérissant son panache stérile , « Je n'ai ni vos parfums, ni vos fruits de bon goüt, 33 Mais tout terrain m'est bón, ma plante vient par-touf', 3> Et vos fruits et vos fleurs, de quel nom qu'on les nommey 33 Ne sont qu'un vil tributqüe vouspayez a l'homme,- •3 De notre liberté nous connoissons le prix, >3 Allez, et des chardons n'attendez que mépris ié. Déja ces végétaux se seroient fait la guerre , lis se seroient battus , mais ils te'noient en terre. Au fort du démélé l'aigle de Jupiter Entendit leurs brocards , planant sur eux en Fair : 33 Étouffe, vil chardon, dit-il, ta voix profane, » Bebut de la nature , et pdture de l'ane ; 33 Que ma lecon t'apprenne a te moins eslimer. 33 II faut étre parfait quand on veut tout blémer.33 Et s'adressant après a ces diverses plantes , 33 Réprimez, leur dit-il, vos satyres mordantes, 33 Et sans vous avilir par vos propos amers, 33 Applaudissez plutót a vos talens divers : 33 Tout est ce qu'il doit étre, et les vignes et ro^es 33 Tiennent toutes leur rang selon l'ordre des choses33 N elevez pas trop haut vos téméraires vceux 3,. Oui, la perfection est l'attribut des Dieux, Du bon et du mauvais Ie bizarre assemblage, De ce foible univers doit étre Ie partage. La terre si féconde a d'arides cantons, L été brüle d'ardeur , l'hiyer a ses glaeons;  È V i t b £ s. 1-J.J Ce globe raboteux, hérissé de montagnes, A des gouffres, des bois, des mers et des campagne^; Le feu dévore tout, 1'air est trouble des vents : Cet éternel combat maintient les élémens. Qui se peint tout enbeau dans ces lieux qu'il haluU-. Méconnoit la Nature, et rêve en Sybarite ; Qui trouve tout mauvais, trahit son intérêt: II faut prendre ici-bas le monde tel qu'il est. A F I N C K. La Vertu préférable a 1'Esprit. ÉPITRE XVI. XjE défaut principal du siècle ou nous Vivons, Digne des habitans des petites maisons , C'est que jusqu'au cerveau le plus paralytique , Chacun de bel esprit au fond du cceur se piqué : Cette fureur s'accrolt et nous possède tous : Non, les Abdéritains ne furentpas plus foux. . Le monde aime l'esprit, il rit de la bétise : L'esprit, l'esprit, dit-on, et nous serons de mise: Du plus sot sur ce point 1'aveuglement est clair , Et s'il ne sait penser il en affecte 1'air; Pareil a ces taureaux qui dans un champ aride Paroissent se nourrir, et ne machent qu'a vide, Le pédant le plus lourd se croit spirituel, Et sur-tout dans le monde on veut passer pour uA Ah! que ne fait-on pas pour usurper ce titre ? L'un, fléau des auteurs, s'érigeant en arbitre, Avec moins de talens que ses riyaux n'en ont,  128 E P I T R E S. Admire ce qu'il fait, déchire ce qu'ils font, II pense qu'en jouant le röle de Zoïle L'univers abusél'en croira plus habile. Un autre plus pervers va jusqu'a la noirceur , Aux charmes de l'esprit il immole son cceur, Prépare des poisons, s'arme de la satyre , Comme un chien furieux attaque, mord, déchire ; De 1'encens des humains son esprit altéré Ne s'estperdu d'honneur que pour étre admhv. D'autres présomptueux, qui s'élèvent aux nues, Débitent hardiment leurs visions cornues, Du vulgaire ignorant se font les précepteurs, Etse flattemt d'atteindre au rang des grands auteurs; Mais le public ingrat, dédaignant leurs hommages , Siffle cruellement Pauteur et ses ouvrages. J'en ai même connu d'assez écervelés, Et du faux bel esprit assez ensorcelés , Pour oser nier Dieu, présent k leur mémoire , Lorsque tout l'univers nous annonce sa gloire; II leur importoit peu d'avoir raison ou tort, Ils vouloient s'illustrer d'un brevet d'esprit fort, Et pour se distinguer du vulgaire orthodoxe, Ces raisonneurs abstraits s'armoient du paradoxe. A ce prix que le Ciel nous privé de l'esprit! C'est dans un vase impurun miel doux qui s'aigrit; C'est 1'esclave du cceur, il en recoit 1'empreinte ; Chezle tendreilestdoiix,chezledurpleind absynthe, Défenseur obstiné de nos productions, Avocat éloquent d'indignes passions, C'est un sophiste adroit, dont 1'argument perfide Etouffe le flambeau dont la raison nous gu¥cfe. L'esprit n'en est pas moins un présent ptécïciix', Que l'homme ingrat reent de la faveur des Cieux ,  E ï> I T R E S. II est nn rayon pur de 1'essence divine , Qui faitpenser, agir, dont 1'ame s'illumine; 11 voit dans le passé, perce dans 1'avenir, Concoit, juge , conclut, prouve et sait délinir j Et dün principe admis tirant la conséquence, 11 guide a la raison, et mène a Ia prudence : La Nature voulut que ses puissaHs ressorts Fussent etle moteur et 1'ame de nos corps. Mais cet esprit vanté, divin par son essence, N'aura jamais chez moi 1'inj'uste préférence Sur un cceur simple et pUr, fidéle a son devoir. Ayez de la mémoire , ayez ün grand sa voir, Soyez spirituel, plaisant, pro fond, sublime; Ce n en est pas assez, je veux qu'on vous estime ; Mon suffrage en un mot n'est dü qu'a la vertu; Sans vertu tout esprit est mal fait et tortu ; Elle fait 1'ornement et la base de l'homme: Sectateur de Genève ou sectatenr de Rome , Soyez bon citoyen, et mon cceur vous chérii ; Charmé de vos vertus plus que de votre esprit , Vous m'inspirez alors une amitié sincère. L'esprit n'altère point le fond du caractère. Cet auteur tant noté (a), détesté des Francois , Qui contre le régent décpcha tant de traits, Et couvrit des attraits d'une douce harmoni® L'a'ssassinat affreux que fit sa calo'mnie, Avec quelques talens avöit tant de noirceur, Qu'en tolérant se's vers oüabhorroit son cceui . Avec beautoup d'esprit on peut étre perfide, Trompeur, frippon, brigand, scélérat, pameide. (a) ta Grange'. 'j'nine Hl  1JO E F I T R E S. Cromwel, qui chez 1'Anglois fit respecter ses loix, Qui du tröne sanglant précipita ses rois, Cromwel, ce fourbe heureux, sans qu'il daignat parol tre, Fit sur un échafaud exécuter son maitre ; "Vainqueur dans les combats il soumit ses égaux ; Cromwel eut quelques traits qui forment les héros, Un esprit malfaisant, toujours enclin anuire , Séduisant quelquefois, ne peut toujours séduire: Souvent il éblouit par des dehors brillans, Mais lorsqu'on les connoit, on hait tous les méchans; Leur esprit est pareil aux arides contrées, Qui portent pour tout fruit des ronces bigarrées, Les malheureux efforts de leur fécondité, Nous nuisent encor plus que leur stérilité. .« Si le public, poussé d'un caprice bizarre, Admire aveuglément le singulier, le rare; Je prétends lui produire, en un terme prescrit, Pour un homme d'honneur cent personnes d'esprit ï J'entends ici 1'honneur pris dans un sens sévère , Qui ne brilla jamais dans une ame vulgaire. Le monde de nos moeurs juge légéremeHt. II condamne, il approuve, et sans discernemeuF Trouve la probité, la bonté, Ia prudence , Ou le sage éclairé n'en voit pas 1'apparence. Le nonchalant Simon passé pour fertueux, S'il n'est point criminel, c'est qu'il est paresseux ; Le sot Afranius d'aucun mal no s'avise, Ce n'est point sentiment, dans le fond c'est bétise -. Le scélérat Damon craint d'étre confondu , Ses vices sont couverts du fard de la vertu, Si vous sondez son cceur ce n'est qu'bypocrisie. Plein d'un meilleur esprit, 1'ame du vrai saisie, Varus couibat le charme et 1'abus des plaisirs,  É r i t r e i Réprime 1'intérét, étouffe ses désirs, Piabaisse sonorgueil, hitte contre lui-méme, Ltsertle genre-humain cju'il déplore et qu'il aim<*. Telles sont les vertus d'un digne citoyen, Tel doit étre tout sage et tout homme de bien: Ce caractère heureux, cette vertu si rare, C'est le plus beau présent dont la Nature avare Ait honoré jamais la foible humanité. Oui, mortel généreux, exemple de bonté, Oui, mon ame attendrie, admirant ta sagesse, Pardonne en ta faveur aux vices de l'espèce; Tandis que tant d'humains sOntfoibles , chancelans, Pareils aces roseauxagitéspar les vents , Mon h eros , tel qu'un chêne affermi dans la terre ■ Résiste a la tempéte , et brave le tonnerre : Le crime essaie en vain de souiller son honneur, Et 1'envie impuissante en frémit de fureur ; II est comme un vaisseau qui triomphe d'Eole , Ses voiles sont l'esprit, la gloire est sa boussolc , Son jugement le sert comme un'pilote heureux; i Les ouragans qu'il craint sont ses désirs fougueux} Le rivage charmant oü tend son espérance , C'est un port peu connu, la bonne conscience ; Dans ce port fortuné , terme de ses succès, II jouit constamment d'une éternelle paix. Pourroit-on présumer qu'une vertu si pure Sortlt souvent des mains de 1'avare Nature ? Et pour notre malheur n observoris-nous donc pus Pour un cceur généreux qu'on trouve mille ingrats ? Cette perfection, cette sagesse égale, C'est Ta Vénus des Grecs fa) en genre de morale. (e.) Fameiise ststuc ét ThiJir s. 1 2  tU e p i * » * *■ Ëprouvons au creuset tous vos esprits charmans j J'y vois peu de solide et beaucoup d'agrémens ; C'est un propos léger, plein de plaisanterie, Un ton de politesse et de galanterie ; Mais gardez-vous bien deux, un rien peut les piquer, Et malheur a celui qu'ils voudront attaquer ; II n'est dans leur commerce aucun lien durable , Point de pouvoir sacré , point de droit respectable, Bienfaiteurs, ennemis , a leurs yeux sont egaux, Nulle empreinte ne tientdans leurs légers cerveaux, Ils vous sacrifirontpourun trait de folie : Sans dessein, sans objet, tout sert a leur sailhe, lts brodent en riant vos plus légers défauts , (Is mourroients'il falloit supprimer leurs bons mots ; «•ils empruntent de vous, c'estpour ne rien vous rend. e En vain vous les pressez , il n'en faut rien attendre ; Ou leur ingratitude , oubliant vos bienfaits , Jusqu'a la trahison portera leurs forfaits ; Dangereux par leur langue ils le sont par leur pi urne, Jê les vois sous leur main amasser un volume , Pt de mauvais plaisans devenus plats auteurs , D'un déluge de vers chargeant leurs éditeurs lis deviendront du jour la fable et Ia nouvelle y . Tous leurs livres seront une longue querelle, Écrits injurieux , ou fatras insensés , Tantót calomnians et tantöt accusés. Le Parnasse , infecté de leurs injures sales, Est surpris de parler le langage des halles. Voyons un bel esprit d'un coup-d'ceil différent, Donnons lui quelqu'emploi, certainéclat, un rang. Qu'on le place a la cour, il en saisit 1'usage j [l intrigue, il cabale , en secret il outrage Un Mécène en faveur qu'il trouve en son cheium  E p 'i rr it * fl KJ° STA est juge, au barreau voyez cet mimmaia, Devant son tribunal la justice est vénale Le droit entre ses'mains devient un vrai oodale ; L'innocence opprimée élève en vain sa voix, Le corrupteur 1'étouffe, et fait taire les loix. Que sera-ce , grand Dieu ! Quelavemr sinistre, Si le prince aveuglé le prend pour son ministre ! D'aberd 1'extravagant, Alberoni nouveau, De la guerre en Europe allume le flambeau , II veut se faire un nom, 1'extravagant se flatte De 1'immortalité dont jouit Hérostrate. L'honnête homme n'a pas autant de fauxbrillant; Mais sür en son commerce , ami sage et prudent, II est toujours égal, discret en chaque affaire , Simple au sein de la cour, doux , quoique militaire. Auteur sans arrogance, et juge sans «rreur , II ne s'écarte point des régies de rhonneur. Dites a vptre gré lequel est préférable , Ou cet homme en tout temps modeste, sür, aimable, Ou cet esprit brouillant qui pousse en ses écarts, Comme un feu d'artifice, un nombre de petards; Qui produit a la fois la fumée et les dammes, Et qui met sans pudeur 1'Europe en épigrammes ; Qui change dans un jour , tantót blanc, tantótnoir, jVotre ami le matin, votre ennemi le soir; Qui parle, se repent, affirme , désavoue , Et qui sait vous blamer de même qu'il vous loue ? Consultez le bon sens, sourd a vos préjugés, Comparazdes tous deux, pesez-les , et jugez.  j34 L p i t m s. A CHAZOT, Sur la modération dans l'amour. épitre xvil Ne pensezpoint, Chazot, vous que l'amour possède, Que marchant sur les pas du fougueux Diomède, En vers injurieux j'ose blesser Vénus; Pour les dieux des plaisirs mesrespects sontconnus: Si j'attaque 1'Amour, c'est qu'il peut souvent nuire; Je veux le modérer, et non pas le détruire ; Conservez votre vue a travers son bandeau. Un amant me paroit dépourvu de cerveau , Quand pieds 'et poings lies il se livre au caprice D'un sexe plein d'appas , mais rempli de malice, Qui de nos passions saisissant les travers , S'en sert adroitement pour nous donner des fers. Pensez-vous qu'al'Amour, comme au seul Dieu suprème II faut immoler tout jusqu'a la vertu même ? Votre raison répugne a de tels sentimens. L'amour croit avec nous a la deur de nos ans : L'age des passions est 1'heureuse j'eunesse , Un cceur novice ést prompt a brüler de tendresse : La Nature , attisant ses feux séditieux, De la vigueur des sens enfans impétueux , Excite vivement la jeunesse fougueuse A courir de l'amour la carrière épineuse ; De datteuses erreurs, et des désirs puissans Triomphent sans combats de son foible bon sens, Sil'onnous peint l'amour sous les traits del'enfance, C'est que ce vieil enfapt n'eut jamais de prudence;  E r i t k e s. i34 lï estle compagnon de l age des erreurs ; Un sourire, un regard le rend maitre des cceurs ; Dompté par la raison, vainqueur par le délire , II vit dans la jeunesse, il 1'anime , il 1'inspire. Mais quand on a passé cette heureuse saison , Que 1'age k pas tardifs amène la raison , Que le sang refroidi se calme dans nos veines, Pourquoi par métaphore , en bénissant ses chaines, Aller sacrifier aux autels de Vénus , Et rappeller FAmour qui ne vous entend plus ? Dans nos temps corrompus remarquez, je vous pi ie. Combien d'originaux de la galanterie La province et la cour ont en foule produits , Qui pleins de vanité, da faux bel air séduits , Nous vantentles ardeurs de leurs flammesstérile-... Vieux guerriers languissans, vous n'êtes plus Ach i I!. ■ s. Vos feux se sont éteints , un dieu vous a quitté, La honte estle seul prix de la témérité. Ah ! ne regrettez plus votre superbe maitre, • Vous avez servi tous un dieu sans le connoitre, Son église eut le sort des églises du temps , L'hérésie kla Kn sapaleurs fondemens. Le bon vieux temps n'est plus , le siècle dégénéré , L'Amour étoit jadis tendre, discret, sincère : II n'est plus k présent que léger et trompeur , La débauche succède aux sentimens du cceur, On se prend sans amour, on se quitté de même , Souvent quand on se hait, on se jure qu'on* s'aime , On se brouille, on revient, on change, on se repi end, De nos jours la tendresse et s'achète et se vend. Cet homme du bel air, prodigue de caresses, Voudroit comme Tarquin suborner nos Lucrèces 5 §'il essuie un refus, pour venger cet affront, 14  E P I T R E S. Salanguo sur leurs mceurs distille sonpoison; S'il est vainqueur, voyez ce galant coryphée D'une indigne victoire ériger un trpphée , Amener sps captifs , comme un autre César, Dans un jour de triomphe, attachés a son char. Et se vanter tout haut de son bonheur insigne. Non, de ces procédés la bassesse m'indigne, li n'est plus de secret, d'honneur , de bonne foi, L'amour est détróné , l'orgueil donne la loi. Je ne fais qu'efdeurer, mais si je voulois mordre, Je vous exposerois le coupable désordre Quün amant du bel air, par salégéreté, Fait et fera toujours dans la société; Comment dans nos maisons un enfant né du crim * Usurpe biens et droits sur le fils légitime , A 1'abri d'un faux nom réunissant sur lui, Malgré toutes les loix, 1'héritage d'autrui.' Vous direz qu'un mari se rit de cet échange, Et que le talion avec plaisir le venge ; Soit, mais 1'ordre établi n'en est-il pas trouble, Quand un crime produit un crime redoublé? Quelusage du temps ! indignes Sybarites, Vps amoureux larcins sont donc tous vos mérites?. Supposons qu'un galant, favorisé du sort, Atteignlt dans sa course aux ans du vieux Nestor, Examinons tous deux la vie iixéguiiére Qu'on lui verroit mener dans sa longue carrière. De sa jeunesse ardente il donncra les jours Aux charmes inconstans des frivoles amours • .Mais puni des excès de sa flamme légère, De ses fougueux écarts emportant le salaire , .11 quitte la roture, et dans un plus beau chauip Des feinmes de la cour il grossit son romxti,  E p i t ï\ e s. *3y II intrigue, U tracasse , il entreprend , il tente, II abuse a son gré d'une fille innocente, II remplace l'amour, dont il est inoins séduit, Par 1'éclat indecent , le scandale et le bruit; La se pré tant au goüt d'une femme quinteuse , lei se ruinant pour plaire a la jo.ueuse ; Bientót par la coquette adroitement trompé , Et désigné du doigt par le monde attioupé ; Enfin par ce désordre usé même avant 1'age , N'ayant plus de l'amour que le flatteur langage , Et gardant pour le sexe un goüt enraciné , 11 régnoit autrefois ; je le vois enchainé , Je le vois sous le joug d'une femme insolente , Excité par le fiel de sa langue méchante , Et par son artifice en cent facons commis, II est forcé de rompre avec tous ses amis. Si j'avois de mes jours a rendre un pareil compte . Votis m'en verriez rougir de dépit et de bonte ; Qu'un galant effronté s'en fasse seul honneur , Je méprise sa gloire en plaignant son erreur.. . Ah ! sans nous avilir, restons ce que nous sommee Tous ces efféminés ressemblent-ils aux hommes.'1 Livrés a la mollesse , et perdus sans retour , Dans 1'ordre le plus bas esclaves de 1'Amour, Ce sont les descendans du lache Héliogabale. Mais Hercule, dit-on, lila bien pour Omphale : Soit, égalez d'abord son courage inoui, Terrassej des tyrans ; etfilez comme lui: Servez votre pays comme il servit la Grèce; Et méritez le droit d'avoir une foiblesse. Diane ornoit les units , avant qu'Endymion Fit naltre dans son cceur sa folie passion: Avant qu'après Daphné 1'on yit courir son ItóM  i58 E p i r n i s. II avoit parcouru l'un et 1'autre hémisphère ; Pluton dans les enfers , tenant 1'urne en ses mains, Avoit j'ugé long-temps tous les pales humains , Avant que de Cérèsil enlevat la hlle.. . A Virgile ou Voltaire on passé une cheville j Aux petits rimailleurs , dépourvus de beautés, Dont les défauts nombreux ne sont point rachetés , On marqué des mépris, le sifflet les assomme ; Je ne vous passé rien , si vous n'êtes grand homme, Tout fait illusion k vos jeunes désirs , L'Amour, lesj'eux, les ris, la troupe des plaisir; i De ce perfide enfant la cour voluptueuse , Tranquille en apparence , est toujours orageuse : Arrachez tout-a-fait le bandeau de yos yeux , Appercevez enfin ces pièges dangereux. A Cythère un beau j"our Vénus, par fantaisie , Des habits de Minerve embellit la Folie, Et voulut qu'elle ouvrit son école aux amans ; La Folie affecta Ie ton des sentimens, JLt leur fit des sermons sur l'amour platonique j Les sages, dédaignant sa parure héroïque , Découvrirent d'abord sa marotte a grelots; Mais elle demeura la maitresse des sots ; Son université, qui s'accroit et prospère , A banni le bon sens , en prêchant 1'art de plaire • Dela nous sont venus tant de fades galans, Piomanesques esprits, amans extravagans. Le début de 1'amóur est doux et plein de cjiarmes ; A ses premiers assauts a-t-on rendu les armes:' Son rapide succes le rend maitre de tout, Sa fin c'est Ie regret, le dépit, le dégout; C'estun chevalfougueux qui s'emporte et vous im, , II est trop dangereux en lui lachant la bride ,  E i' t t n e s. 109 La sagesse est le mors qui le peut arréter... Voyez donc si j'ai tort de ne vous point flatter ; Examinez ici que de maux dans ce monde A causés cet Amour que dans mes vers je fronde. Léandre pour Héro périt dans l'Hellespont , Le maitre en 1'art d'airner fut banni dans le Pont; Tant qu'Achille amoureux écouta sa colère , Hector du sang des Grecs faisoit rougir la terre ; L'adultère Paris alluma ce flambeau Par qui le vieux Priam, descendant au tombeau, Dans la fatale nuit, la dernière de Troie, Vit aux flammes des Grecs sa capitale en proie. Si vous me demandez des exemples plus grands, Les fastes des humains en ont rempli les temps. On ne reconnolt plus, tantle sort est injuste, Le bras droit de César, le fier rival d'Auguste, Sur les mers d'Actium esclave de 1'Amour, Lorsqu'il perd Cléopatre et sa gloire en un jour. Quand TAnglois dans Paris porta sa yiolence, Agnès k Charles-Sept fit oublier la France. Du grand Turenne enfin imprimez-vous ce trait, Envers son roi 1'Amour le rendit indiscret. Craignez donc cet enfant et ses flèches doréös , Gardez-vous de porter ses brillantes livrées; Ilfaitsesplus grands maux, même en vous caressant Et s'il perdit Didon, ce fut en 1'embrassant. Qui pourroit raconter toutes ses perfidies, Et combien ses fureurs ont fait de tragédies? Ne vous attendez point que dans mes vers mordans J'ajoute a d'anciens faits des exemples récens, Je me suis pour toujours interdit la satyre; II est bon de reprendre, et cruel de médire, Mais par quelle raison décrier les plaisirs ?  1 fO E P I T ft T. 8. Est-il rien de plus doux que les tendres désirs ? Et que peut-ongagner, quand düne humeur austèra On va préchant toujours la morale sévère, Dans des vers chevillés tristement vertueux? Quoi, veut-on repeupler des couvens de Chartreux? Veut-on que la raison, outrageant la Nature, En herbe ose étouffer notre race future ? Serions-nous par raison de ces monstres hideux, Par un bacha jaloux réduits k leurs neveux? Je veux étre Ixion, je veux étre Tantale, Si jamais a ce but a tendu ma morale ; La sagesse, Chazot, prudente en ses leoons, Evite les excès ou donnoient les Catons. Loin d'ici ce docteur qui sans cesse nous damne j L'amour est approuvé ; 1'abus on le condamne. flien n'est de sa nature absoluinent mauvais : Mais Ie bien et le mal sont voisins d'assez prés. L'amour paroit semblable aux plantes vénéneuses, Mortelles quelquefpis , et toujours dangereuses; Mais en les mitigeant, de savans médecins S'en servent, par leur art, au salut des humains: Loin d'étre un aliment, ce doit étre un remède. Un amour modéré peut venir k notre aide, Quand lassés dün travail long et laborieux, Nous empruntons de lui quelques momens joyeux. Si je vous ai tracé d'une touche légere Les écueils différens qu'ont les eaux de Cytbère , C'est pour vous empécber d'y périr quelque jour; Arrosez cependant les myrthes de 1'Amour, Et sujvant les conseils que vous die te ma verve, En adorant Vénus n'oubliez pas Minerve, Et recueillez toujours, sensible a votre nom, Les suffarages de Mars ayec ceux d'ApolIon.  E v i T R £ s. i/f* Ainsi 1'on vit jadis dans Rome florissante , Lorsque tant de héros la rendoient triotnphante, Que dans le Panthéon le sénat vertueux, Avant tous les talens adoroit tous les Dieux. AU MARÉCHAL KEITR Imitation du LivRe III de LucnicE. ■Sur les (>ames terreurs de la mort, et les frayeur* d'une autre vie. É P I T R E XVIIL Il n'est plus ce Saxon, ce héros de la France , Qui du superbe Anglois renversala balance, De 1'aigle des Césars abaissa la fierté , Dompta dans ses roseaux le Relge épouvanté, Et rendit aux Francois leur audace première. Ah ! Mars dans les combats prolongea sa carrière ; Mais le cruel trépas, qui dans ces champs fameux Respecta du héros les jours victorieux, Et ménageoit en lui les destins de la France, Dans les bras de la paix qu'on dut k sa vaillancr , Le frappe dans son lit, et lui laisse, en mourant, Envier les destins qu'ont eus en combattant, Le généreux Belle-Isle et 1'illustre Bavière : Ce héros triomphant est réduit en poussière; Tout est anéanti, de 1'Achille Saxon II ne nous reste rien que son illustre nom, Des sons articulés , des syllabes stériles Qui frappent du tympanles membranes subtdes.  É P I T R È S. Et vont se dissiper dans 1'espace des airs Tandis que le grand homme est rongé par les vers Nossonpirs, nosregrets, ce souvenir, sa gloire ' Ses combats oü toujours présida la victoire, ' I out se perd a la fin, 1'immensité des temps Aósorbepisqu'auxnoms desplusgrands couquérans. & Maunce n estplus, dites , fc*.^ a crai.id.-e ? ■N ous qui 1 avons perdu c'est a nous de nous plaindre; C est un pilote heureux qui vient d'entrer au port. Le sage de sang-froid doit regarder la mort • JJes maux désespérés son secours nous délivre, II n est plus de tourmens dès qu'on cesse de vivre Qui connoit le trépas, ni ne ftrit „i ne craint... Le n'est pas, croyez-moi, ce fantome qu'on peint, Ce squelette effrayant dont Ia faim dévorante Engloutit des humains la dépouille san Qui part du bois ardent dont elle se nourrit, Et dès qu'il tombe en cendre , elle baisse et périt, Oui, tel est notre sort, et je vois d'un ceil ferme. Que le temps fugitif m'approche de mon tesme» Craindrois-je le trépas et ses coups imprévus ? Je sais qu'il me remet dans Letatoüje fus Pendant 1'éternité qui précéda mon étre; Etois-je malheureux avant qu'on me vit naitre ? Je me soumets aux loix de la nécessité , Mes jours sont passagers , mon étre estlimité, Je prévöis mon trépas , faut-il que j'en murmme? Ah ! mortel orgueilleux, écoute la Nature : C'est peu d'avoir sur toi répandu ses faveurs , Elle veut bien encor détruire tes erreurs , Vaincre tes préjugés , dissiper tes chimères, Enfin t'initier k ses savans mystères: » Je t'ai donné la vie , et c'est par mon concours » Que se forma ton corps, que s'accrurent tes jours i « D'organes déliés la tissure subtile 33 Auroit dii t'annoncer que ton étre est fragile : >3 A des conditions tu vis quelques momens'33 Quand je te composois de divers élémens » 3; Je leur promis alors que Ia mort équitable 3> Acquitteroit un jour cet emprunt charitable j 33 Jouis de mes bienfaits, mais garde monaccord ; 33 Je t'ai donné la vie, et tu me doista mort; 33 Tu veux que mon secours allonge tes années, 33 Redoute, malheureux, tes tristes destinées; » Je vois fondre sur toi les maux et la douleur, 33 Le chagrin dévorant te rongera le cceurj 33 Réduit tl désirer la fin de ta carrière3, 3> Ta main k tes parens fermera la paupière , K ü  l48 E P I T R E S. » A tes plus chers amis, k ta postérité ; » Isolé dans le monde en ta cadueité, v Et perdant chaque jour tes sens et ta pensee, « De tes derniers neveux tu seras la risee. » F.ugène et Marlborough, malgré leurs grands exploits, » Ont senti les effets de ces sévères loix; » Condé , le grand Condé survécut a lui-méme; 3) LAuguste des Francois, malgré son diadèuie , 3) Eprouva 1'infortune a la fin de ses ans, 3) Et vit dans le tombeau porter tous ses enfans a. Voila ce que diroit notre mère commune ; Hélas ! trop vain mortel, son discours t'importune < Ton cceur aime le monde , il brille, il éblouit; Mais sa figure passé , et tout s'évanouit. Malgré tant de dangers j tu désires la vie , Le bien de tesparens , leur amour t'y convie ; Ta fin seroit pour eux un lamentable deuil, Tes affaires un temps ont besoin de ton ceil; Ah ! que de grands projets ta mort vfendroit suspendr. ! Tu n'as rien achevé , que ne peut-elle attendre ? Eh ! pourquoi, malheureux, ne t'es-tupöint haté ? Croyois-tu donc jouir de 1'immortalité ? Apprends que nos désirs nous suiventen tout age , Et que personne enfin n'acheva son ouvrage Avant que d'arriver a son terme fatal. Ou plus tót ou plus tard , le trépas est égal; Tous les temps écoulés sont effacés de 1'étre, (^ent anspassés sont moins que 1'instant qui va naitrc. Toutchange, et c'est, cher Keith, laloi de l'univers Les fleuves orgueilleux renouvellent les mers; On engraisse la terre aride sans culture , Lorsque 1'air s'épaissit, Rn zéphire 1'épure ; Ces globes enflammés qui parcourent les cieux,  E P I T R E S. 1 i') De 1'astre des saisons renouvellent les feux: La Nature attentive , et de son bien avare , Fait des pertes toujours, et toujours les répare: Depuis les élémens jusques aux végétaux , Toutchange et reproduit quelques objets nouveauxr La matière est durable et se métamorphose ; Mais si 1'ordre 1'unit, le temps la décompose. Le Ciel pour peu de temps nous a prêté le jour; Mais tout doit s'animer, tout doit avoir son tour : Sommes-nous malheureux si la Parque infidelle Ne fda pas pour nous les jours de Fontenelle f Seroit-ce donc k nous k redouter la mort ? A nous pauvres humains, frêles jouets du sort, Qui rampons dans la fange , et dont l'esprit frivole S'il ne possédoit point le don de la parole , Seroit égal en tout a ceux des animaux ? Ah ! voyons dans la mort la fin de tous nos maux. Ennemis irrités, armez votre vengeance, Le trépas me défend contre votre insolence. Grand Dieu .'votre courroux devient même impuissanl. Et votre foudre en vain frappe mon monument; La mort met k vos coups un éternel obstacle. J'ai vu de l'univers le merveilleux spectacle, J'ai joui de la vie et de ses agrémens ; Et je rends de bon gré mon corps aux élémens. Quoi, César qui soumit sous son bras despotique Tout l'univers connu , Rome , sa république ; Quoi, Virgile ,1'auteur des plus sublimes vers; Newton , qui devina les loix de l'univers ; Que dis-je ? et vous aussi vertueux Marc-Aurèle , L exeraple des humains , mon héros , mon modèle 5 Vous avez tous subi les arréts du trépas. Ah ! si le sort cruel ne vous épargna pas, K 3  1-J° E r i t s e s, Devons-nous murmurer si la Parque lassée Vient du lil de nos jours tranclier la trame usée ? Qu'ost-ce que nos destins?L'homme nait pour souffn II élève , il détruit, il aime , il voit mourir, II pleure , il se console il meurt enfin lui-méme. YpUa, pauvres humains , votre bonheur suprème ; .Nous ne quittons ici qu'un séjour passager, Nous vivons dans le monde , ainsi qu'un étranger Qui jouit en chemin d'un riant paysage, Et ne s'arrête point aux gltes du voyage... Cher Keith , suivons les pas de nos prédécesseurs, Fjaisons a notre tour place k nos successeurs ; Tout le monde a les siens, et nous aurons les nétjes. Ceux qui nous pleureront seront pleurés par d'autres. Allez , laches humains , que les feux éternels Empêchent d'assouvir vos désirs criminels , ~\ os austères vertus n'en ont que 1'apparence. Mais nous qui renoncons k toute récompense , Nous qui ne croyons point vos éternels tourmens, L'intérêt n'a j'amais souillé nos sentimens ; Le hien du genre-humain, la vertu nous anime, L'amour seul du devoir nous a fait fuir le crime ; Oui, finissons sans trouble,et mourons sans regrets, En laissant l'univers comblé de nos bienfaits. Ainsi 1'astre du jour au bout de sa carrière Piépand sur 1'horizon une douce lumière, Et les.derniers rayons qu'il darde dans les airs Sont ses derniers soupirs qu'il donne a l'univers.  e P I T R E S< A D A R G E T. Apologie des Rois. épitre xix. De mes productions laborieux copiste , Qui de tous mes écrits sous ta clef tiens la liste, Confesse-moi, Darget, les secrets de ton cceur ; Dis-moi, que penses-tu d'un maitre si rêveur , Inégal, agité , pensif, distrait et sombre , Tel qu'est un algébriste en combinant un nombre ? Le plaisir vainement veut dérider son front, ïl parol t absorbé dans un travail profond ; Tu lui vois tellement faire la sourde oreille, Qu'a peine , quand tu lis, Cicéron le réveille. Alors , réfléchissant au fond de ton cerveau Sur un roi si rêveur dans un poste si beau, Tu penses en toi-méme , enviant ma fortune : » Astolphe n'a pas seul son bon sens dans la lune, » Un roi dans l'univers n'a rien a souhaiter, » Que son sort est heureux, s'il sait en profiter ! » II peut tout ce qu'il veut; ó trop fortunés princes, j) Arbitres souverains de nombreuses provinces , » Janus ouvre son temple ou le ferme aleur cboix , 3) Les mortels semblent nés pour fléchir sous leurs loix; 3> Idoles des humains , demi-dieux de ce monde , 33 Le Ciel qui les chérit les sert et les seconde : 3> S'il plaisoit au Destin de couronner Darget, 3) Au-lieu d'approfondir un pénible projet, 3> Ses beaux jours couleroient de plaisirs en délices , K 4  'J2 E I' I T R E S. P A ses vceux les Amours seroien t toujours propices » Buvant, nant, chantant du spir jisquau ££' Les Dzeujc^mè, les Dieux enyiroient son destin - Qiu sous le diadême , 1'air mélancolique, ■ N estriengu unhVp0condre,unrêveurlunatique,, Appaise le courroux dont il est animé • i on erreur t eblouit, et juge téméraire 1 u suis les préjugés qu'adopte le vulgaire : Ecartous I'apparèil, ^lfiisiön , 1'éclat -xaminons ici le fond de notre état. La médiocrité fait le sort de ta vie, Tes jours sont tous égaux, et ta fortune unie Je placant au milieu des deux extrémités, ■Des besoins indigens, des superfluités, Lcueils ou si souvent Ie genre-humain échoue, De ses biens mesurés en ce monde te doue ; Plus eleve qu un nain, plus petit qu'un géant, C est étre comme il faut; c'est tonsort, sois content L.bre des embarras et d'un travail pénible, J on ame peut goüter un sort doux et paisible Jouissant du présent sans prévoir 1'avenir ' Tous tes soins sur toi seul peuvent se réunir... Ah . trop heureux Darget! qui dans ta vie obscure Ne crains pour ton honneur 1'outrage ni 1'injure Que sur les noms connus des grands et des héros' L envie, en frémissant, répandit a grands flots. ' Pourvu qu en ta maison ta femme douce, honnétr, D un bruyant carrillon ne rompe point ta tète , Qu elle daigne du moins le soir, a ton retour T accueilbr, t'embrasser, ranimer ton amour': Pourvu que du cerveau nulle acreté facheuse m P°I le sur tes 7eux humeur douloureuse,  E i' i ï ii v s. i53 Pourvu queDalichamp (a) t'assure ta santé, Que manque-t-il alors a ta félicité? Je vois a ta froideur, ton air, ta contenance , Que tu crois , cher Darget, rempli de méfiance, Qu'égayant mes crayons par un riant tableau, Je flatte tes destins en les peignant en beau. Eb bien donc, j'y consens , il ne faut plus rien laire, O le facheux métier que d'être secrétaire Auprès dün maitre auteur, soi-disant bel esprit, Qui du matin au soir lit, versifie, écrit, Et croit la Renommée, avec ses cent trompettes, Occupée a próner ses friyoles sornettes ! Tous les jours par cahiers tu mets ses vers au net, Et quand tu les lui rends, Dieu sait le bruit qu'il fait; D'un sévère examen le pointilleux scrupule S'étend sur chaque point et sur chaque virgule; La sont des E muets qui devroient être ouverts , Ou c'est un mot de moins qui fait clocher un vers r Puis en recopiant cet immortei ouvrage, Tu donnés son auteur au diable a chaque page ; Tel est de ton histoire en deux mots le précis. Mais viens, apprends de moi quels sont les vrais soucis Qui de nous est lié des plus fortes entraves, Des Darget ou des rois qui sont les plus esclaves. Tu crois par ce début que j 'orne mes discours Des paradoxes vains, la honte de nos jours, Qui heurtantle bon sens, aux vérités rebelles, Débitent des erreurs sous des formes nouvelles. Soit paradoxe ou non, c'est une vérité, Qu'on sent trop malgré soi, qu'on tait par vanit'é... L'emploid un souverain, Darget, n'est pasfacile , ((j)Chirurgien  1;*4 E P I T K E S. Quand il vent goiiverner en roi vraiment habitf>, Que sans se rebuter d'un pénible travail, U régie en ses Etats jusqu'au moindre détail. La. Tbéfnis redressant sa balance inégale, Et réprimant en va in la discorde infernale, Auxlorx de Pérpiité conformant ses arrêts, Dolt dans un temps donné terminer les procés ; Un monstre renaissant, qu'on nomme la Chicane, En aboyantconlr'elle élève un front profane, Et lorsque dans les fers on veut le captiver, 11 sechappe a 1'instant, et revient vous braver ; Cet ouvrage est pareil a ceux de Pénélope : Mais qui ne deviendroit a bon droit misanthrope, Quand ayant terminé cent procés fatigans , On voit dans les plaideurs autant de mécontens, Qui mesurant leurs droits au gré de leurs caprice's, De propos diffamans accablent la jüstice ? II faut taxer le peuple : il subvient aux emptois Attachés a la cour, aux finances, aux loix; Ce que donne a 1'État Ie fuseau, la charme, Aux héros, ses vengeurs, de droit se distribue; Et c'est a 1 'équité de régler ces impóts , Sur les biens des sujets différens, inégaux; Quand le peuple se plaint qu'on charge les vilLigo>, Le courtisan prétend qu'on augmente ses gages • Lt féconds en projets qui bercent leur espoir, Aucun ne veut donner, et tous veulent avoir; Qu'heureux seroit le roi, qui véritable adepte, Du grand oeuvre un beau jour trouveroit Ia recette! Plus heureux s'ilpouvoit, élevantleur raison, rléaliser 1'Etat qu'imagina Platon ! VTais voici d'autres soins : il faut qu'un bras sévère Hetienne en son devoir le fougueux militaire ;  E V i t K t s. *5j Dans son libertinage un farouche soldat,, Païjure a ses sermens, renverseroit 1'Etat; En ses prétoriens Rome eut autant de trattres , l!s marchandoientl'empire, etlui donnoient de:, maltres; 11 faut que ces lions , pour les combats nourris , Par Rellone lachés, soient clomptés par Thémis; Mais pour assujettir leur fiére indépendance, Mais pour donner un frein a leur folie licence, II nous faut tour-a-tour employer la rigueur, L'espérance, la crainte, et même la douceur ; II faut pour que 1'Etat ne perde point sa gloire, Au milieu de la paix préparer la victoire, Afin que tant d'esprits, unis par le devoir, Ne forment qu'un seul corps, qu'un seul chef fait mouvoir. C'est lui dont la raison, pour servir la patrie, Guide* excite , modère ou retient leur furie. » Ah ! grace au Ciel, dis-tu , prenant un air aisé , » Mon maitre en ce discours enfin s'est épuisé «. Epuisé ? Moi ? Mais oui, Darget, cette matière Pour un homme d'Etat est une ample carrière ; Je ne t'ai présenté que trois points différens , 11 en est plus de mille, et tous sont importans. Dans le gouvernement la süreté publique Ne peut se soutenir que par la politique ; En unissant des rois elle oppose k propos Le pouvoir des amis au pouvoir des rivaux, Et par les poids égaux d'un prudent équilibre, Elle maintient 1'Europe indépendante et libie : Tant que la bonne foi paria dans les traités, Ces utiles liens ont été respectés ; Mais bientót 1'intérêt, corrompantla droitme, Amena 1'artifice et même 1'imposture : La politique alors adopta le soupcon ;  1' "» E r i t 11 i s, L'envie aux noirs serpens, 1'affreuse trahison, Préparèrent de loin les jours de la vengeance, Et de tant de forfaits on fit une science; Le monde fut peuple d'illustres scélérats, Peste du genre-humain et fieau des Etats. La sagesse elle-même adopta ces maximes, Et devint criminelle en combattant les crimes j Dans le conseil des rois on osa les citer, Tout pacte eut un sens louche et put s'interpréterj Tout traité fut suspect et devint un problême, La fraude sur son front posa Ie diadême ; Des crimes dont le peuple est puni par les loix, Devinrent des vertus appartenant aux rois... Depuis que les forfaits parurent légitimes, Nous voyonssous nos pas s'entr'ouvrir des abymes 5 Nous sommes entourés de cent pièges tendus , Comme sur ces glacis, avec art défendus, Oü Passiégeant timide, en main tenant la sonde, Avance en éventantles mines k la ronde. Entreles souverains il n'est que peu d'amis. Les plus proches voisins sont les plus ennemis. L'un de 1'autre en secret ils trament la ruine, II faut qu'on les observe, il faut qu'on les devine , Et d'un ccil pénétrant lisant dans 1'avenir , II faut y voir le mal que 1'on doit prévenir. Tels sont les soins, Darget, que la couronne exige} Mais k moins que le Ciel ne fasse un grand prodige, Lors méme que Ie prince est quitte envers 1'Etat, Le peuple de son roi juge comme un ingrat. On veut qu'il sache tout, la guerre et la finance, L'art de négocier , et la j'urisprudence, Qu'il soit universel dans ce vaste métier, Dont chaque point demande un homme tout entierj  É P I T R K S. i5j Celui qui 1'offensa le trouve trop sévère j L'autre le croit trop cloux, celui-ci trop colère. Fait-il la guerre Pon dit: «C'est un roi furieux, » Le Ciel, pour nous punir, 1'a fait ambitieux «. S'il se maintient en paix : » Ce monarque stupide » Redoute les dangers, la gloire 1'intimide «. S'il gouverne lui seul: » C'est un prince jaloux, » Têtu, capricieux, qui ne suit que ses goüts «. Commet-il de 1'Etat le soin a ses ministres? » Pourquoitolère-t-il tous leurs complots sinistres cc? A-t-il des favoris ? » Son foible fait pitié «. N'en a-t-il point? » Ce prince est sourd a Familie «4 L'un est trop remuant, l'autre craint la fatigue, L'économe est vilain, le libéral prodigue, Et le galant sur-tout passé pour débauché: Tel est de notre état le portrait ébauché. Comment joindre,Darget,toutgrandsrois que noussommes. Les vertus qu'ont les Dieux aux foiblesses des homoi' s? L'humanité n'a point tant de perfections : Si nous voulons des rois privés de passions Dont la tranquillité ne sauroit étre émue, Allons, qu'Adam (a) travailleet fasse une statue. Et pourquoi se flatter d'appaiser ces frondeurs ? César eut ses jaloux, Titus eut ses censeurs. Veux-tu savoir pourquoi la cruelle satyre S'acbarne sur les rois, et toujours les déchire? C'est que, par son penchant aimant la liberté, L'homme hait un pouvoir qui n'est pas limité; Et du maitre au sujet la grande différence Rabaissant son orgueil, blesse son arrogance. L'un se dit en secret: » Je condamne le roi, (a) Scu!r-lcur.  l 58 t r r T n » II n'a jamais l'esprit de penser comme moi «* Un autre dit tout haut: » Si j etois dans sa place, » Notre gouvernement auroit une autre face «l Vois-tu ce peuple abject d'obérés mécöntens, Solliciteurs facheux de tous postes vacans ? Tous veulent les avoir, on les donne aux plus dignes, Alors de ces jaloux les satyres malignes, Qui comme autant d'affronts regardent les refus , Défigurent nos traits , noircissent nos vertus. De nouveaux mécöntens cette troupe grossie Epilogue tout haut Ie cours de notre vie; Le Ciel même jamais n'a pu les contenter, Un roi, foible mortel, pourroit-il s'en flatter? Aimer toujours le bien, le suiyre par principe, Mépriser un vain bruit, dont 1'écho se dissipe, C'est la notre parti: laissons donc bourdonner Cet essaim de frelons, sans nous en chagriner : A ces juges des rois si nous osions répondre, Par le mot de 1'énigme on pourroit les confondre : Jls n'ont vu que de loin ces importaris objets. Ces censeurs pointilleux sont autant de Dargets , « La critique est aisée , et 1'art est difficiïe « , Un citoyen charmant fait un roi mal-habile, Et tous oes Phaétons, si savans dans notre art , Tomberoient de 1'Olympo en guidant notre ch'rir. Ne pense point, Darget, que dangereux sophiste, De cent rois criminels affreux apologiste , Abusant de ma lyre et du charme de°s vers. Je chante des tyrans, 1'horreur de l'univers • Ma Muse ose blamer la funeste conduüe De ces vulgaires rois sans honneur, sans merite Endormis sur le tró-ne , ou pleins de vains projett, 1 «rp mous pour le urs yoisins, t rop durspdür le urs „ jV f, •  i F. p i t n e j, i'5g Je vals te crayonner leurs traits d'après nature , TJn tel..., mais mon discours te lasse outre mesure . Tu brüles , cher Darget, de revoir ta maison, Oü ta femme t'attend pour plus d'une raison; Je crois ouïr gronder ta cuisinière experte, Déja le róti sèche, et la table est couverte, Tes ragoüts délicats vont tous se refroidir, Et ton cocher la-bas fouette k nous étourdir. Dix heures vont sonner ; lassés de ton absence, Tes valets excédés grondent d'impatience. Pars donc, puisqu'il le faut, mais conviensavec moi Que les grands ne sont pas plus fortunés que toi. A MON ESPRIT. ÉPITRE XX. *Ecoutez, mon esprit, je ne saurois le taïre, Les contes que sur vous tous les jours j'entends faire, Vos défauts , vos travers m'ont mis au désespoir. Quoi! vous étudiez du matin jusqu'au soir? D'un violent-désir suivant 1'intempérance, Vous faites le savant! Ah ! quellc extravagance .' En feuilletant sans cesse un auteur vermoulu . Qui lassa les Achards, et qu'aucun roi n'a lu. Vous voulez, imitant les Huets, les Saumaises . Vous remplir le ceryeau de leurs doctés fadsises ? O Ciel! un roi savant! ce mot me fait frémir; Jamais dessein plus fou pouvoit-il vous venir ? Qu'un roi sache arréter un calcul de finance, Parafer un traité, signer une ordonnance;  i6ö E p I T JA E S. C'est beaucoup dans le siècle öul'onvitaujourd'hui, Peut-on en conscience exiger plus de lui? Un roi doit soutenir la maj'esté du tröne ; Tout plein de la grandeur dont 1'éclat 1'envirönne, Fier envers ses voisins, et toujours dédaigneux, II doit vivre d'encens égal en tout aux Dieux • Qu'importe le savoir? la science parfaite C'est de cönnoftre a fond les loix de 1 etiquette ; Cette règle des cours occupe auprès des grands Ces oisifs affaires qu'on nomine courtisans. ^ Oui, marmottez tout bas au ministre en silence Un compliment obscur dans un jour d'audience, Soyez chasseur outré, forcez-vous a j'ouer, Et sur-tóut sans rougir entendez-vöus louer, Empressez-vous au próne, et baillez au spectacle, Soyez morne au souper, ne parlez qu'en oracle, Et par air de grandeur affectez de l'amour, Voila comment un roi doit ennuyer sa cour; Tel étoit le métier qu'il voits falloit apprendre. . Vos plaisirs, mon esprit, ont droit de me surprendre; L'étude, qui pour vous a tant de volupié, Déroge a vos grandeurs, et perd Ia royauté. Je vous dirai bien plus: pour comble de manie, On vous dit possédé de Ja métromanie ; Oui, vous êtes poéte en dépit d'Apollon : Pouvez-vous renier ce poéme bouffon («), < )ii d'un style mordant blessant toute la terre,V ons critiquez les Cieux au mépris du tonnerrc . El- sur Homère même aiguisant vos bons mots, O) Le Palhdion, en vi Chants; ee jolt Poümo ne se tronvr que dans rédiüon gr. in.3« , i0lls titre d'An,.sterdnm ,73o, de, dXuvresposthiunts de Frêdcric II, tomc VIII. {Ifote d> PÉdk )  Vous altirez sur vous 1'essaim de ses dévots? Pouvez-vous ignorer, que sous différens titres On voit courir de vous des Odes , des Épttres, Oü, comme la Neuville échauffant vos poumons Vous prêohez la vertu par d'ennuyeux sermons " Du langage francois ignorant les finesses , Vous mettez Vaugelas et d'Olivet en pièces ; Ah ! si Eoileau vivoit, peut-être un beau matin Votre nom dans ses vers remplaceroit Cotin. Que la rougeur du moins vous en monte au viiagi Ayez bonte du temps qu'absorbe un tel ouvra.<-,Et sans vous dessécher Je cerveau vainement", Quittez du bel esprit le fol amusement. Mais vous me répondez » qu'amant de 1'liarmom'e, h Transporté malgré vous par le dieu du génie, » Vous pouvez librement suivre votre plaisir, -> Quand le roi fatigüé vous donne du loisir; » Que sipours'amuseronvoitplusd'ungrand prince » Prendre dans ses filets les daims de sa province ; » Vous charmez vos ennuis par des écrits divers, » Inondant le papier d'un déluge de vers «. Comment! lorsque d'un cerf précipitant la fuite Des princes et des chiens courent k sapóursuite , Et qu'ils font la curée au milieu des marais, Au-lieu d'être affecté par les mêmes attraits \ Vous poursuivez chez vous une bizarre rime, Un mot que votre sens exige et quii'exprime ? Ah ! quel étrange esprit Ié Ciel m'a-t-il donné, .Si contraire a nos mceurs, si mal morigéné, Qui par bizarrerie k sa grandeur rebelle Prétend. s'ouyrir tout seul une route nouvelle? Oui, vous me soutenez » que s'il falloit toujours ■ • Vous occuper de riens. grand ouvrage des cours, Terne ITT, t  162 E r I T R E 5. » Vous quitteriez plutót grandeur , sceptre, patrie, w Et des rois empesés la lourdo confrairie «. Enfin vous ajoutez » que vos savans écrits » Mériteroient 1'estime , audieu des vains mépris j) D'un peuple plein d'erreur, d'un vulgaire imbécille -■> Qui juge en vrai Midas , et prononce en Zoïle tu J'enconviens, mon esprit, mais n'allezpas choquer Des usages recus qu'on risque d'attaquer. Je vous rends simplement, sans étre safyrique, Tous les bruits que sur vous répand la voix publique. On se moque sur-tout du peu de gravité Dont vous assaisonnez 1'auguste royauté ; II est sur vos défauts plus d'un Caton qui veille , Et j'entends très-souvent qu'on se dit a 1'oreille : 3) N'avons-nous pas, amis, un bienplaisant consul cc ? Mais vous comptez toujours suivant votre calcul: 3) Ces censeurs, dites-vous , sont aisés a confondre, 33 Et voici de ma part ce qu'on peut leur répondre: 33 Ivre de mes plaisirs , ai-je comme un ingrat, 33 Négligé mes devoirs ? sacrifié 1'Etat ? 33 M'a-t-on vu du public tromper les espérances ? 3) Trainer de longs procés? embrouiller les finances ? 33 Oublier les traités , pour penser aux beaux-arts ? m Mais si sur tous cespoints j'ai fait briller mon zèle, 33 Si Pon m'a vu toujours a mes devoirs fidéle, 33 Du peuple et du soldat prévenir les désirs , 33 Par quelle cruauté fronde-t-on mes plaisirs ? >3 Je vois couler mes jours au sein de 1'innocence, 33 Enchanté des attraits dont brille 1'éloquence: 3> J'ai su monter ma lyre k différens accords , » Chez Horace et Maron je puise mes trésors. s> Je ne me datte point de pouvoir les atteiadrfj  E P I T i*j E s. f(J3 b Mais un peu plus bas qu'eux je n'ai point k me plaindre. 33 Eh quoi! dans ma grandeur et dans ma royauté » Je ne jouirai point du peu de liberté >3 Qu'un berger., conduisant son troupeau pacifique, » A de chanter le soir une chanson rustique , 33 Quand, 1'ombre ayant chassé les ardeurs du soleil, 33 Le plaisir lui prépare un tranquille sommeil? 3j Achille pourra donc, dans son jaloux délire, 3. Appaiser son courroux par les sons de sa lyre ; » Et moi je ne pourrai, moi seul dans l'univers, >) Adoucir mes travaux par le charme des vers ? 33 Quoi! Pon m'interdira les sotirces du Permesse ? 33 Du monde prosterné voyant grossir la presse, 53 Je serai dans ma niche , au milieu de ma cour, 33 Encensé par des sots comme le saint du jour? ■*> On me rendra martyr de la cérémonie ?. 33 Ah .' secouons le joug de cette tyrannie , 3) Tant pis si le bon sens paroit hors de saison, 3) Je m eclaire auflambeau que porte ma raison P 33 Et bravant des censeürs la sotte fantaisie, ' 3) Mon goüt préfère a tout Pauguste pöésie. 33 Puisque jen ai tant dit, comparons une fois 3> Les lauriers dApollonet les lauriers fles rois. 33 Nous deyons nos transports au seul dieu du génie 1 33 Le hasard qui préside au destin de la vie, 3> Fait au plus grand héros succéder qUelquêfois 33 Un stupide foetus sur le tróne des rois 33 Qui végète sans vivre, et des humains'l'arbitre, » N'a pour toute vertu que 1'enflure d'un titre • 33 Mais les fils d'Apollon s'élèvent jusqu'aux cieux; » Quand nous osons parler le langage des Dieux/ * A Peilïe parle-t-il le langage des bétes j f Des lauriers toujours verds ontcoiironnénos têtes, L 3  iü-j. E v i t n É s. tt Plusd un roi par nos chants est devenu faiiieux, 3) Notre gloire jamais n'a rien einprunté d'eux : i) En vain de notre sort un souverain décide , » Son exil dans le Pont n'avilit point Ovide : o Qu'un prince sans honneur , sur le tróne amollij » Termihe sa carrière , il est mis en oubli; » Son nom dans un bouquin de généalogie » Pourra servir d'époque a la chronologie , » Ces rois anéantis restent pour toujours morts. O Mais de nos vers heureux les sublimes accords, » Des siècles destructeurs percant la nuit obscuu i) Font passer notre nom a la race future; » Nos durables travaux, victorieux des temps, o Ont vu des plus grands rois périr les monumens ; ' ; De la superbe Troie il n'est tracé légère, h Quand appès trois mille ans nous conservons Homère ; ii Depuis que Ie trépas, redoutable aux humains, i) D'Auguste et de Virgile eut tranche les destins. » Lassé de ces combats que 1'histoire nous vante, » Aux exploits du héros mon ame indifférente » N'y voit que de hauts faits^qu'ont produits tous i) Au fer des Grecs vengeurs, a leurs Hammes en proi » II touche par l'amour de la triste Didon, » Du bücher funéraire allumant le brandon. i) Quel feu , quand sur le Styxil fait voguer Fnéo ! ) 11 me guide aux enfers, j'y vois la destinée D Des descendans d'Anchise et du peuple Romain » J'évoque avec Virgile un nouveau genre humain . Du Gange aux bords des mers ou le soleil expire v Je vois 1'heureux Octave étendant son empire • 53 Des enfans cVApoIlon, héros . soyez jalou^ -  En i ii es, i*" » César Fif tout pourlui, Virgile tout pour vous. » Mais du pouvoir des rois connoissons Forigine ; » Pensez-vous qu'élevés par une main divine, » Leur peuple, leur Etat leur ait été commis, Comme un troupeau stupide a leurs ordres soumis? » Les crimes effrontés, 1'artifice des traitres, » Forcèrent les humains a se donnerdes maitres , é> Thémis arma leur bras de son glaive vengeur, 33 Pour inspirer au vice une utile frayeur; » D'autres en usurpant un bien illégitime, » Devinrent souverains en prodiguant le crime, » Et passent pour héros chez les ambitieux. 3) Notre origine est pure, elle nous vient des cieux; » Apollon nous placa vers le haut du Permesse, >3 C'est Fimmortalité qui fait notre noblesse... as Ah! si jamais les grands n'avoient fait que des vers, 3i Qu'ils auroient épargné de maux a l'univers ! ?) César moins enivré du pouvoir despotique , 3) Auroit par de beaux vers charmé sa république , » On n'auroit point connu ces deux triumvuats, r> Sanguinaires Hens d'illustres scélérats , 33 Qui sur les grands de Rome exereoient leur venge.mce. 3> Si le héros du Nord , si fier de sa vaillance, 33 Moins roi,moins souverain que chevalier enant, >j Audieu d'être amoureux d'Alexandrede-Gran«l , n Eüt choisi pour modèle Horace ou bien Pindai e , 3) II n'eüt point imploré le Turc et le Tattare. r. Les muses de tout temps ont adouci les mceurs ; 3. Leurs exploits sont des jeux, leurs armes sont des fleurs. » Dans les tranquilles bois oü ces nymphes habitent, 33 Des plaisirs délicats les charmes les excitent, 33 Leurscceursne sonttouchés quepar le sentinientcc. Mais que dis-je ? A quoi sert ce long raisonnement f  Quel flux impétueux d eloquence frivole ! Quel inutile abus du don de la parole ! Ce n'est pas contre moi que vous devez plaider , C'est l'univers entier qu'il faut persuader, 11 ne se nourrit point d'une vaine fumée j Sa critique sur-tout viveinent animée, Rit de vosméchans vers.. » Mais quoi! s'ils éloient bon *> Et s'ils pouvoient charmer, en variant leurs sons, ï> D'Argens, Algarotti ? Si Maupertuis les loue ? » Si 1'Homère Francois lui-même les avoue ? » Si la postérité... « Quelles sont vós erreurs ! Connoissez, mon esprit, le poison des flatteurs ; Leurs sonsplus dangereux que le chant des Syrènes, Peuvent bien enchanter vos veilles et vos peiues , Mais imitez Ulysse, et sourd k leurs accens, Rejetez pour jamais un si funeste encens. Pouvez-vous ignorer qu'un roi, quoi qu'il propose, Et quoi qu'il entreprenne, excelle en toute chose ? S'ilaimeles dangers, les combats, leshasards, Pour 1'élever plus haut on abaissera Mars j • S'il est fort, aussi-tót le flatteur sans scrupule l Lui prouve que d'Alcide il est le seul émule ; Son coeur est-il d'amour facile k s'enilaimiier? C'étoit pourlui qu'Ovide avoit fait 1'Art d'aimer : Lorsqu'è de mauvais vers comme vous il s'amus* II rend jusqua Voltaire enyieux de sa Muse : Revenez, mon esprit, de votre aveuglement, Que 1'amour-propre enlin le cède au jugement, Est-il chez les humains de vertu sans mélanges ? Rabattons sans orgueil les ïrois-quarts des louanges Que certains beaux esprits vous donnent a i'excès : Vous faut-il tant d'encens pour ces foibles succèsl Qu'avec Horace un jour votre Muse barbar j  E P I T R E S, I Ü7 Pour voüs apprécier humblement se compare; Alors de vos écrits les défauts dévoilés Vous feront convenir du peu que vous valez ; Détestantde vos vers 1'insipide volume, Vous remettrez d'abord 1'ouvrage sur 1'enclume. Etudiez sur-tout la docte antiquité, Plus vous approcherez de son urbanité, Plus vous aurez de goüt pour ses divins ouvrages, Et plus vous aurez droit d'attendre des suffrages. C'estda votre modèle , et ces trésors onverts Orneront vos écrits, et plairont dans vos vers ; Mais puisque je vous vois toujours inébranlable, Que les vers ont pour vous un charme inconcevable , Que ne pouvant vous taire , et marmottant tout bas, Comme cet indiscret confident de Midas, Vous contez aux roseaux mes passe-temps frivoles , Du moins consolez-moi de vos visions folies; Apprenez quelque jour aux lecteurs indulgens, Si vous pouvez percer la sombre nuit des temps, Ou si quelque hasard vous amène au grand monde , Quel étoit cet auteur dont la Muse féconde, Monta sur 1'Hélicon sur les pas du plaisir, Et composa des vers pour charmer son loisir. Dites que mon berceau fut environné d'armes, Que je fus élevé dans le sein des alarmes , Dansle milieu des camps, sansfaste, sans grandeur, Par un père, sévère et rigide censeur; Que je fus écolier des plus grands capitaines; Qu'a Sparte cultivantles douces mceurs d'Athènes, Je fus ami des arts plutót que vrai savant, Et que sans écouter un orgueil décevant, Et simple courtisan des blies de Mémoire, Je n'aspirai jamais a k sublime gloire L 4  E P I T ft E S. D'étre le plus fétépanni leurs noumssons, Que sachant me borner et rabaisser mes sons Je me suis contenté de pei„dre ma pensee, £t de parler raison en prose cadencée. Ihtes rple j'ai subi, bravé 1'adversité, Mms que parmi les rois depuis on ma compté , At estez baidiment que la philosophie dinëe ?«« pas et réformé ma vie • 1 >ites qu'en admirant U systéme des'cieux J ax préféré ma lyre aux arts fastidieux; Que sans bair Zénon j'estimois Épicure Et pratiquois les loix de la simple Nature • Que je sus distinguer 1'bomme du souverain, Que ja fus roi sévère et citoyen bumain ; Mats quoiqu'admirateur de César et dAlcide J aurois suivi par goüt les vertus d'Aristide Lorsque la Parque enfin , lasse de ses fuseaux Terminera mes jours d'un coup de ses ciseaux', Que sur ma cendre éteinte abolra Ia satyre j Dites que méprisant tout ce qu'en pourra dire Un esprit irrité, chagrin, mal-fait, torcu, Trop rigide censeurde ma foible vertu, Saus airner lalouange, iusensible k tout'bbime J'aj toujours conservé le repos de mon ame " Et que m'abandonnant a la postérité Elle peut me juger en toute liberté.  ODES. A LA C A L O M N I E. ODE PREMIÈRE. C^Uel est ce monstre , ou ce faufómc Qui poursuit sans cesse mes pas ? Echappé du sombre royaume, Ses yeux me iancent le trépas ; Ce spectre li vide et farouche Vomit de sa profane bouche Des flots d'amertume et de fiel: Hors Ie mensonge et Funposture , L'aigreur, la fourbe et Ie parjure, IIneut jamais de corps réei. Barbare fille de 1'Envie, Je reconnois tes lacbes traits, A ta rage, non assouvie De trahisons et de forfaits ; A 1'impudence de tes ceuvres , A tes serpens , k tes couleuvres Qu'allaite 1'aziimosité; Au voile qui couvre ta tête, Au son de ta fausse trompette, Organe de 1'iniquité. Des noirs flambeaux de Tisipbouó Animant les sombres lueurs , Th les agit0S prés du trCme,  3 7° Odes. Qui clisparolt sous leurs vapcurs: Et dès que ta fureur 1'assiège , De 1'innocence qu'il protégé , 11 n'entend plus les tristes cris ; Bientót complice de ton crime, Le tróne, en te servant, opprime Tous ceux que ta haine a proscrits. Du masqué de la politique Tu couvris tes difformes traits : L'audace de ta langue inique Aux rois intenta le procés ; D ün mugissement effroyable Contre moi ta haine coupable Fait retentir toutes les cours.: Désormais 1'ame des ministres, Tu changes, ó projets sinistres ! En sombres nuits leurs plus beaux jours-, Ainsi 1'agile Renommee, Pleine de tes discours pervers, De ta rage qu'elle a seméo, Empoisonne tout l'univers. De ses nouvelles affamée, L'Europe, avalant la fumée Qu'exbale ton soufflé infecté, Dans les erreurs oü tu la plombes. Prend les oracles des mensonges, Pour Farrèt de la vérité. Ta rouille s'attache sans cesse Aux noms céfèbres et fameux ; Leur beauté trop briljante blesse Tes yeux louches et téaébreux:  Odes. ' ifji L'affreux démon qui te possède, Flétrit César chez Nicomède, N'épargna pas les Scipions ; Tu Hs exiler Bélisaire; Ta magie aux yeux du vulgaire Changea leurs lauriers en chardons. Quel fut jamais le grand mérite Contre lequel tu ne t'aigris ? Tu ne poursuivis point Thersite , Mais Achiile entendit tes cris ; Afin d'éteindre 1'héroïsme , En Grèce on vit de 1'ostracisme S'armer tes disciples cruels ; Les grands hommes sont tes victimes, Leur sang répandu par tes crimes Eume encor sur tes noirs autels. Luxembourg, dans ta folie ivresse, Fut accusé d'enchantemens; Eugène même en sa jeunesse (a) Porta les marqués de tes dents ; Colbert, ministre respectable , Du vil opprobre qui 1'accable Fait encor rougir les Francois ; De Louis, ce monarque auguste , On osoit insulter le buste Le moment d'après son décès. Ton poignard, qui frappe la gloire, Fait ressusciter les héros ; (rz) On 1'a'ppêlloit a Paris Dame Clnmle , Conmie # Rome on gppeUoit Cciar la femme cie tous les uisris,  J":! O » E Si PhiS dun guerrier dut sa victoire Aux aiguillons de ses rivaux: Et s'il franchit tous les obstacles, Son nom, après tant de miracle's, Sert dantidote a tes venins; En t'acharnantauxnoms célèbres. Leur grand éclat dans tes ténèbres En éblouit plus les humains. Je ne crains donc plus les reprocl.es D'avoir souffert de ton courroux, Quand tous les traits que tu décóches Sur la vertu portent leurs coups. En vain 1'on s'oppose a ta ruse , Minerve, en s'armant de Méduse , Ne sauroit te pétrifier: E>u temps seul 1'heureux bénéfico Feut, en découvrant ta malice, Au grand jour nous justifier. Et vous, ses nourrissons perfides, Par Ie monstre même allaités , Vous dont les langues parricides Ont sucé ses méchancetés , Ajoutez votre voix profane, De Pimposture infame organe, A ses farouches hurlemens; Battez plutót les hots de londe, De ma tranquillité profonde Uien n ebranle les fondemens. .Jandis qu'en nos jardins éclose, Et voltigeant de fleurs en fleurs', De son nectar qu'elle compose  Odes, 173 L abeiile amasse les douceurs ; / En sugant une plante vdfe Des frelons la troupe stérde , Prépare et distille son hel; Quand rers la ruche industrieuse Bourdonne la mouche envieuse , L'essaim prend son essor au ciel. Unsi , quand heureuse et tranquille, «Satisfaite de son destiu , L'innocence, toujours utile , Travaülé au bien du genrediumain ; L'on voit entre tes mains barbares Les fers tranchans que tu prépares Aiguisés avec tant d'ardeur , Pour détruire j'usqu'au vestige Le nouveau monument qu'érige Et la sagesse et le bonheur. Cent fois j"ai vu tes mains ingrates , Par d'indignes raffinemens , Caresser les morts, que tu dattes Pour mieux déchirer les vivans : Tes crimes , que la nuit recèle < Craignent le j'our qui te décèle, Pareils aux lugubres corbeaux, Qui dans les cyprès les plus sombres De leurs cris effrayant les ombres , S'attroupent autour des tombeaux. Et toi, venimeuse vipère, Toi dont la morsure d'aspic Ülessa ce régent débonnaire , Prince né pour le bien public :'  ï?4 Ode s, Tigre sangui'naire et sauvage) Je renonce a 1'ingrat ouvrage D'adoucir tes féroces moeurs ; Plutót sous son ardent tropique , Le Maure des monstres d'Afrique Pourroit-d dompier les fureurs. Soyez 1 emule de Virgile, Et régnez sur le doublé mont, Mais les hurlemens de Zoïle Vous font déserter 1'Hélicon ; Et 1'aigle aüdacieuse et lière , Qui s'élevoit dans sa carrière Jusqu'au palais du dieu du jour, Baissant 1'aile , qu'elle déploie , Subitement oiseau de proie Se change en rapace vautour. En consacrant Ia Calomnie , Le cceur enflé de ses venins r Vous prostituez le génie , Vos chants et vos concerts divius. IN'abusez point de votre veine. Des eaux limpides d'Hippocrène Son bel empoisonne Ie cours. Je préfère a votre éloquence Le sage et vertueux silence De Bernard , chantre des Amours. Ainsi Ia Naïade éplorée , Quand aux vents mutins et fougueux Son onde tranquille est livrée, Sent bouillonner ses fonds pierreux } Du sein de ses grottes profondes,  O D E S. ijS Le limon se mêle a ses ondes j Et trouble le cristal des eaux; Mais dans le calme , transparente , Et plus claire suivant sa pente , Rien d'impur n'altère ses flots. Ainsi ces forfaits qu'on publie, S'ils sont nouveaux , frappent les airs , On les méprise , on les oublie ; Le libelle est rongé des vers Le seul mérite véritablo En soi trouve un appui durabïe Contre 1'imposteur effronté : II oppose , sans qu'il s'abuse, A 1'injustice qui 1'accuse L'équitable postérité. La vérité défigurée Triomphe a la fin de Terreur; Contre 1'imposture sacrée Julien trouve un défenseur : Lorsque la haine et sa cohorte , Lorsque la jalousie est morte , La vertu paroit sans abri; Et toujours dans 1'auguste histoiiV. Nous voyons refleurir la gloire Que 1'enyieux avoit flétri.  O i» i s, A G li E S S E T. ODE II. Dlvinité des vers et des êfres qui pensent, Du palais des esprits , d'oü partent tes éclairs , Du brillant sanctuaire ou les humains t'encensent., Écoute mes concerts. Rien ne peut résister a ta force puissante , Tu 1'rappes les esprits , tu fais couler nos pleurs , 'i'on éloquente voix, flatteuse ou foudroyantc ■ Est maltresse des cceurs. Tes rayons Iumineux colorent Ia nature, Ta main peupla la mer , 1'air , la terre et les cieuv . Pallas te doit 1'égide , et Vénus sa ceinture; Tu créas tous les Dieux. Sous un masqué enchanteur Ia ficlion hardie < lacha de la vertu les préceptes charmans; I ,a véi i té sévère en parut embellie , Et toucha mieux nos sens. Tü chantas les nero's : ton sublime génie, En son immensité bienfaisant etfécond, Relevant leurs exploits. embellissant leur fie . Les fit tout ce qu'ils sont. Auguste doit sa gloire a Ia lyre d'Horace , Virgile lui voua ses nobles fictions ; SéduitsparleursbeauXjVers .lesmortels lui fonf.gracé De ses proscriptions Tandis  Odes. jrw Tandis qu'appesantis, vaincus par Ia matière, Les vulgaires humains , abrutis , fainéans, Végètent sans penser, et n'ouvrent Ia paupière Que par 1'instinct des sens. Tandis que des auteurs 1'éloquence déchue Croasse dans Ia fange au pied de 1'Hélicon , Se déchire en serpent, ou se tralne en tortue Loin des pas d'Apollon $ O toi, fils de ce dieu, toi nourrisson des Graces .' Tu prends ton vol aux cieux qu'habitent les neuf Sceuxs Et 1'on voit tour-a-tour renaltre sur tes tracés Et des fruits et des fleurs. Tes vers harmonieux, élégans sans parure, Loin de 1'art pédantesque en leur simplicité, Enfans du dieu du Goüt, enfans de la Nature [ Prèchent la volupté. Tes soins ïaborieux nous Vantent la paresse ; Et chacun de tes vers parolt la de'mentir: Non , je ne connois point la pesante mollesse Dans ce qu'ils font sentir. Au centre du bon goüt d'une nouvelle Athéne ■ Tu moissonnes en paix la gloire des talens Tandis que l'univers, envieux de la Seine , Applaudit a tes chants. Berlin en est frappée : k sa voix qui t'appelle, Viens des Muses de 1'Elbe animer les soupirs, Et chanter, aux doux sons de ta lyre immortelle L'amour et les plaisirs, Tomé II7.  x78 Odes. LA FERMETÉ, ODE III. Fllreur aveugle du carnage, Tyran destructeur des mor tels , Ce n'est point ton aveugle rage A qui j'érige des autels ; C'est a cette vertu constante, Ferme , héroïque, patiënte , Qui brave tous les coups du sort; Insensible aux cris de 1'envie, Qui pleine d'amour pour la vie, Par vertu méprise la mort. Des Dieux la colère irritée Contre 1'ouvrage audacieux Du téméraire Prométhée, Qui leur ravit le feu des cieux, Du fatal présent de Pandore Sur l'univers a fait éclore Des maux 1'assemblage infernal: Mais par un reste de clémence, Ces Dieux placèrent 1'espérance Au fond de ce présent fatal. Sur ce prodigieux théatre Dont les humains sont les acteurs, La Nature , envers eux maratre, Semble se plaire a leurs malheurs; Mérite, dignité, naissance,  Odes» i Rien n'exempte de Ia souffrance , Dans nos destins le mal prévaut; Je vois encliainer Galilée , Je vois Médicis exilée , Et Charles («) sur un échafaud, lei ta fortune ravie Aniine ton ressentiment ; La ce sont les traits de 1'envie Qui percent ton cceur innocent; Ou sur ta santé florissante La douleur aiguè et percante Répand ses cruelles horreurs ; Ou c'est ta femme ou c'est ta mèrc , Ton fidéle Achate , ou ton fiére, Dont la mort fait couler tes pleurs- Tels sur une mer orageuse Naviguent de frêles vaisseaux, Malgré la fougue impétueuse Des barhares tyrans des flots ; Par les vents les vagues émues, Soudain les élancent aux nues , Les précipitent aux enfers ; Le Ciel annonce leur naufrage, Mais rassurés par leur courage, lis bravent la fureur des mers. Ainsi dans ces jours pleins d'alanues, La constance et la fermeté Sont le bouclier et les armes Que j'oppose k 1'adversité : O) Charles I, roi d'Angletevre. M s  Rn Que Ie Destin me persécutë , Qu'il prépare ou hate ma chute, Le danger ne peut m'ébranler. Quand le vulgaire est plein de crainte, Que 1'espérance semble éternte , L'homme fort doit se signaler. Le dieu du Temps , d'une aile prompto S'envole et ne revient jamais; Cet étre en s'échappant nous compte Sa fuite au rang de ses bienfaits; Des maux qu'il fait et qu'il efface , Il emporte jusqu'a la tracé ; II ne peut changer le Destin : Pourquoi dans un si court espace, Du malheur d'un moment qui passé Gémir et se plaindre sans fin? Je ne reconnoïs plus Ovide, Triste et rampant dans son exil, De son tyran flatteur timide, Son cceur n'a plus rien de viril; A 1'entendre , on diroit que 1'homui*», Hors des murs superbes de Rome , Are trouve plus d'espoir pour soi: Heureux si pendant sa disgrace 11 eut pu dire comme Horace, Je porte mon bonheur en moi! Puissans esprits philosophiques, Terrestres citoyens des cieux, Flambeaux des écoles stoïques, Mortels , vous devenez des dieuXÏ Votre sagesse incoraparable  Odes. ï8i Votre courage inébranlabla Triomphent de 1'humanité : Que peut sur un cceur insensible Déterminé, ferme, impassible, La douleur et 1'adrersité ? Tiégulus se livre k Carthage, II quitte patrie et parens, \ Pour assouvir dans 1'esclavage La fureur de ses fiers tyrans : J'estime encor plus Bélisaire Dans 1'opprobre et dans la misère, Qu'au sein de la prospérité; Si Louis paroit admirable, C'est lorsque le malheur 1'accable, Et qu'il peid sapostérité. Sans effort une ame commune Se repose au sein du bonheur; L'homme jouit de la fortune Dont le hasard seul est 1'auteur. Ce n'est point dans un sort prospère Que brille un noble caractère; Dans la foule il est confonclu : Mais si son cceur croit et s'élève Lorsque le Destin se soulève, C'est 1'épreuve de la vertu. L'aveugle Sort est inflexible, En vain voudroit-on 1'appaiser; A sa destinée invincible Quel mortel pourroit s'opposer? Non, toute laforce d'Alcide Contre un torrent d'un cours rapide M 3  Odes. N'auroit pu le faire nager: II nous faut d'une ame constante Souffrir la fureur insolente D'un mal qu'on ne sauroit changer. LA FLATTER IE. ODE IV. C^Uelle fureur ! quel dieu m'inspire ! Quël feu s'empare de mes sens ' Vie'ns, Muse, reprenons la lyre , Cédons a tes enchantemens; Soutiens-moi, vertueux Alcide, Toi dont la valeur intrépide Comhattitdes monstres affreux; Comme toi vengeur de la terre, II faut que je porte la guerre A des monstres plus dangereux. Les tempêtes dont le ravage Brise les vaisseaux aux rochers, Et couvre les mers du naufrage De cent audacieux nochers: Les airs dont 1'haleine empestée Fait de la terre dévastée L'affreux théatre d'Atropos, Sont moins craints sur cet hémisphère Que n'est le ilatteur mercenaire , Qui corrompt le cceur des héros. L'insinuante Flatterie Est la fille de 1'Intérêt,  Odes. i83 L'artifice qui 1'a nourrie, Des vertus lui donna 1'apprét; Elle est sans cesse au pied du tróne, Son vain encens qui 1'environne, Enivre les rois et les grands ; Le masqué de la politesse Couvre la rampante bassesse De ses faux applaudissemens. Tel un serpent caché sous 1'herbe, Serrant ses anneaux tortueux, Dérobe sa tête superbe A FAfricain audacieux: II rampe ainsi pour le surprendre ; Le piège qu'il a su lui tendre Est caché sous 1'émail des fleurs ; Ou telle une vapeur légere Egare, a 1'instant qu'elle éclaire, Les trop crédules voyageurs. Un adulateur politique Couvre par la feinte douceur D'un éternel panégyrique L'apprêt d'un venin corrupteur; Sa bouche est trompeuse et perfide, Sa langue est un dard homicide Qui frappe etperce sans effort, Comme le chant de la Syrène Dont la mélodie inhumaine Par le plaisir donne la mort. O Ciel! quelle métamorphose En cèdre change le roseau , D'un vil chardon fait une rose, M 4 0 V  iH Odes, Ou d'un ciron fait un taureau! Mévius devient un Virgile, Thersite est 1'émule d'Achille: Tous les objets sont confondus: Rois, connoissez la Flatterie, C'est elle dont l'idol4trie De vos vices fait des vertus. Souvent son indigne bassesse Adora d'infames tyrans, Approuva leur scélératesse, Et leur vendit cher son encens. La fortune présomptueuse, La trahison, 1'audace heureuse Trouvèrent des adulateurs ; Cartouche orné d'une couronne, Ou Catilina sur le tróne, Auroient-ils manqué de hatteurs ? Lorsque pressé de veine en veine Mon sang s'enibrase en s'agitant, Etporte sa ilamme soudaine Jusques dans mon cceur palpitantj Que déja mon ame obscurcie M'abandonne a la frenesie; En vain le flatteur effronté, D'une éloquence décevante, Vantera ma couleur brillante Et 1'embonpoint de ma santé. Loin que Ia basse flatterie Puisse colorer nos défauts, < lette coupable idolatrie Ternit la gloire des hérosj  Odes. jt85 Loués ou blamés par les hommes, Nous demeurons ce que nous sommesj Malades, sains, dispos, perclus: Non, ce n'est point arotre éloquence, C'est 1'aveu de ma conscience Qui décide de mes vertus. Louis, qui II t trembler la terre, Ce roi donton craignoit le bras, Louis étoit grand k la guerre Et très-petit aux opéras. Tous ces monumens de sa gloire, Qu'un roi consacre a sa mémoire, Rendent son triomphe odieux; Et je méconnois sur le tröne Le conquérant de Babylone, Lorsqu'il se dit le fils des Dieux. Réyeillez-vous de votre ivresse, Rois, princes, savans et guerriers , Et subj'uguez une foiblesse Qui llétrit vos plus beaux lauriers : Voyez 1'océan du mensonge Oü votre aveugle amour vous plonge : Vous vous noyez par vanité : Que votre ame aux ilatteurs rebelle Brise le miroir infidèle Qui lui cache la vérité. O Vérité pure et brillante ! O fille immortelle des cieux! De la demeure étincelante Daignez descendre sur ces lieuxj La lumière est votre partage s  *8ö Ode s. Dissipez le sombre nuage Dont l'orgueil couvre Ia raison ; Comme aux doux rayons de 1'aurora Le brouillard épais s'évapore , Qui s etendoit sur 1'horizon. Ministres, qui suivez 1'exemple Des Cynéas et des Mornay, Vous seuls- vous méritez un temple Aux plus grands hommes destiné ; Vous, dont la critique sévère En reprenant a 1'art de plaire , Vous êtes seuls de vrais amis. Flatteurs , n'employez plus la ruse ; Ne croyez point qu'elle m'abuse , Je connois vos traits ennemis. Césarion, ami fidéle , Plus tendre que Pirithoüs , Je retrouve en toi le modèle De la première des vertus. Que notre amitié sans foiblesse Nous dévoile avec hardiesse Et nos erreurs et nos défauts : Ainsi 1'or que le feu prépare , Se purifie et se sépare Du plomb et des plus vils métaux.  Odes. 187 LE R ÉTABLISSEMENT D E LA CgA DÈMIE. ODE V. Que vois-je ! Quel spectacle ! O ma chère patrie ! Enfin voici 1'époque oü naltront tes beaux jours ; L'ignorant préjugé , Terreur , la barbarie Gbassés de tes palais, sont bannis pour toujours : Les beaux arts sont vainqueurs de Tabsurde ignorance; Je vois de leurs héros la pompe qui s'avance , Dans leurs mains les lauriers, la lyre et le compas ; La Vérité , la Gloire , Au temple de Mémoire Accompagnent leurs pas. Sur le vieux monument d'un ruineux portique , Abattu par les mains de la Grossiéreté , S'élève élégamment un temple magnifique Au dieu de tous les Arts et de la Vérité ; C'est-la que le Savoir, la liaison, le Génie, Ayant vaincu 1'Erreur a force réunie , Elèvent un trophée aux dieux leurs protccteurs ; Ainsi qu'au Capitole Se portoit le symbole Du succès des vainqueurs. Sous le règne honteux de Taveugle ignorance, La terre étoit en proie a la stupidité , Ses tyranniques fers tenoient sous leur puissance Les membres engourdis de la simplicité;  Odes. LiwffiiB» étoit ombrageux, crédule, abject,timide, La Vérité parut et lui servit de guide ; 11 secoua le j'oug des paniques terreurs , Sa main brisa 1'idole Dont le culte frivole Nourrissoit ses erreurs. Sur la profonde mer oü navigue Ie sage, De sa foible raison uniquement muni, Le ciel n'a point de borne et Peau point de riyage , II est environné par 1'immense infini ; II le trouve par-tout et ne peut le coinprendre ; II s'égare, il ne peut ni monter ni descendre , Tout offusque ses yeux, tout échappe a ses sens j Mais 1'obstacle Pexcite, Et la gloire Pinvite A des travaux constans. Par un dernier effort la raison fit paroltre Ces sublimes devins des mystères des dieux; C'est par leurs soins que l'homme appreml k les connoitre • Ils éclairènt Ia terre, ils lisent dans les cieux ; Les astres sont décrits dans leur oblique course , Les torrens découverts dans leur subtile source ; lis ont suivi les vents, ils ont pesé les airs , Ils domptent la nature, Ils fixent la figure De ce vaste univers. L'un par un prisme adroit et d'une main sayante Détache cet azur, cet or et ces rubis , «Ju'assemble des rayons Ia gerbe étincelante Dont Phébus de son tróne éclaire le pourpris. L'autre du corps humain, que son art exainine t  Odes. i8r) Décompose avec soin la fragile macïiiae Et les ressorts cachés a 1'oeil dün ignorant; Et tel d'un bras magique Vous touche, et communiqué L'électrique torrent. Je vois ma déité, la sublime Eloquence , Desbeaux jours des Romainsnousramener les temp», Piessusciter la voix du stupide Silence, Des dammes du Génie animer ses enfans. ïci coulent des vers, la se dicte 1'histoire , Le bon goüt reparott, les filles de Mémoire Dispensent de ces lieux leurs faveurs aux mortels, N'écrivent dans leurs fastes De leurs mains toujours chastes Que des noms immortels. Tel au faite brillant de la voute azurée On nous peint de cent dieux 1'assemblage divers; La Nature est soumise k cette ame sacrée Qui gouverne les cieux, Ia terre et les enfers : Dans cette immensité chacun a son partage ; Aux antres de 1'Etna Vulcain forge 1'orage . Eole excite en 1'air des aquilons mutins , Tandis que Polymnie Par sa douce harmonie Enchante les humains. Telle brille en ces lieux cette auguste assemblee, Ces sages confidens , ces ministres des dieux , Ces célestes flambeaux de la terre aveuglée, Le préjugé lui-même est éclairé par eux; Leurs soins ont partagé 1'empiredessciences, ïiöur sénat réunit toutes les connoissances  ïgo o des. Leur esprit a percé les sombres vérités, Leurs jeux sont des miracles, Leurs livres des oracles Par Apollon dictés. Fleurissez, Arts charmans ; que les eaux du Paclole Arrosent désormais vos lauriers immortels ; C'est k vous de régner sur le monde frivole , C'est au peuple ignorant d'honorer vos auteis : J'entends de vos concerts la divine harmonie , Le chant de Melpomène et la voix d'Uranie; Vous célébrez les dieux, vous instruisez les rois ; Une main souveraine, Un goüt puissant m'entraine Sous vos suprémes loix. LA GUERRE DE 1747* ODE VI. Ü*Ellone, fusqu'a quand ta rage frénétique Veut-elle désoler nos peuples malheureux ? Et pourquoi voyons-nous de leur sang héroique En tous lieux prodiguer les torrens généreux ? La terre infortunée est livrée au pillage , Aux dammes, aux combats, aux meur tres, au carriasrè Et la mer n'appercoit sur ses immenses bords Que des naufrages et des morts. Ce monstre au front d'airain, Ie démon de la guerre, Monstre avide et de sang et de destruction, Ne s'est donc arrogé 1'empire de la terre  Odes. toi Que pour Pabandonner k la proscription ? Jamais le vieux Caron n'a tant chargé sa barqne ; De ses funestes mains la redoutable Parque N'a jamais a la fois rompu tant de fuseaux Oü tenoient les jours des héros. La Discorde barbare , encor toute sanglante , Secouant ses flambeaux, excitantses serpens , Del'antique chaos sombre et farouche arnante, Ebranle la Nature, et poursuit les vivans ; Elle guide leurs pas d'abymes en abymes , Le désespoir, la mort, latrahison, les crimes, Complices et vengeurs de ses cruels forfaits, Couvrent Ia terre de cyprès. Quel transport inoui! quel nouveau feu m'anime ! Un dieu subitement s'empare de mes sens , Apollon me possède , et son esprit sublime Va préter a ma voix ses immortels accens. Que l'univers se taise aux accords de ma lyre , Rois , peuples , écoutez ce que je dois vous dire, Appaisez les transports de vos sens agités , Pour recevoir ces vérités .' Vous, juges des humains , vous nés dieux de la terre Oppresseurs orgueilleux de ce triste univers , Si vos bras menacans sont armés du tonnerre, Si vous tenez captifs ces peuples dans vos fers, Modérez la rigueur d'un pouvoir arbitraire ; Ces humains sont vos Hls , ayez un cceur de père ; Ces glaives enfoncés dans leur malheureux Hanc ; Sont teints de votre propre sang. Tel qu'un pasteur prudent, a son devoir fidéle, Défend etgarantit son troupeau bien-aimé  *f)3 Odes. Contre la dent duloup et la griffe cruelle Du lion par la faim au carnage animé; Quand le tyran des bois s'échappe et prend la fuite, Son troupeau se repose et palt sous sa conduite ; Et s'il trait ses brebis, s'il les tond dans ses bras, Sa main ne les égorge pas. Tel est pour ses sujets un tendre et bon monarque , I lumain dans ses conseils, humain dans ses projets t II allonge pour eux la trame de la Parque , II compte tous ses jours par autant de bienfaits; Ce n'est point de leur sang qu'il achète la gloire , II laisse a ses vertus le soin de sa mémoire : Tels furent ces héros , Titus , Marc-Antonin j Les délices du genre-huinain. Abhorrez a jamais ces guerres intestines i I/ambition fatale allume ce dambeau . De l'univers entier vous faites des ruines , Et Ia terre se change én un vaste tombeau. Quelle scène tragique étale ce théètre ! L'Europe a ses enfans trop cruelle maratre * De 1'Asie étonnée arme Ie puissant bras, Pour les dévouer au trépas. La Sibérie enfante un essaim de barbares, Les froids glaeons du nord mille fiers assassins f Je les vois réunis, Caspiens et Tartares, Marcher sous les drapeaux bataves et germains : Quel démon excita votre farouche audace ? Oui, 1'Europe pour vous n'a plus assez de place, La fureur des combats vous guide sur les mers > Pour troubler un autre univers. Quitte enfin le séjour de la voute azuréè. » Déesse  O D K S. Jg» Dëesse dont dépend notre félicité , Ö Paix ! aimable Paix ! si long-temps désirée , Viens fermer de Janus le temple redoute ; Bannis de ces climats 1'intérêt et 1'envie, Rends la gloire aux talens , k tous les arts la vie 1 Alors nous mélerons a hos sanglans lauriers, Tes myrtes et tes oliyiers, LES TROUBLES DU NOR D ODE VIL T ' J Umvers ébranlé ne respire qu'a peine , Tout le sang fume encor que sa rage inhumaine Ayoit fait ruisseler dans 1'horreur des combats'; On ne voit sur la terre Que traces de la guerre , Et traces du trépas. Tel, après que la (lamme exerca sa furie , Accablé des débris de sa triste patrie , L'habitant malheureux voit dans Pabattement Ces inonumens funestes, Ces ruines , ces restes Dün long embrasement. Tels nostristes regards nous découvrent nos pert=s Du Danube et du Rhin les campagnes désertes • De la fureur des rois les yestiges sanglans , * Des murs réduits en poudre, Des palais que la foudre Laisse encor tout fumans. Torna III. |rf  lg4 Odés. Les cris des orphelins , lés veuves éplorées Demandent tristement aux lointaines contrées < Les auteurs de leurs jours ou leurs époux péris i Ah! families trop tendres , II n'est plus que les cendres De vos parens chéris. Dans son épuisement 1'Europe frénétiquè Sentit de ses transports la folie héroïque , Et sa foiblesse enfin rallentit ses fureurs, Désarma la vengeance, Réprima 1'insolence De ses fiers oppresseurs. La Paix, du haut des cieux de Bellone vengée, Vint planter sur ces bords 1'olive négligée; Sous cent verroux de bronze elle enferma Janus , Ramenant sur ces rives Les Muses fugitives, Qu'on ne connoissoit plus. C'est toi, fille du Ciel, dont la douce puissance, Ramène les plaisirs, les arts et 1'abondance, Qu'exiloit loin do nous 1'impitoyable Mars : Le peuple qui respire Sous ton heureux empire, Ne craint plus les hasards. Mais deja sous 1'Etna 1'audacieux Typhée Sentrenaitre en son sein sa fureur étouffée; II veut rompre les fers qui causent son tourment? De son terrible gouffre, Le bitume et le soufre Coulent comme un torrent.  Odes» ^ Des froids antres du nord s'élèvent des tempêtes, Un orage nouveau vient menacer nos têtes, te fer de 1'étranger veut couper nos moissons : Ah .' quelle ardeur funeste, Ou bien quel feu céleste Embrasa ses glaeons ? O vous ! qui n'enfantez que des complots sinisi i (Fléaux du genre-humain, ambitieux ministres D esclaves entourés tous flétris de vos fers, Vos funestes intrigues Vos cabales, vos brigues Désolent l'univers. Votre esprit occupé de projets tyranniques « Pour usurper le nom de fameux politiques , De crimes, d'attentats, de forfaits enivré Se livre a son caprice, Et pour lui la jüstice N'a plus riendesacré» De lafoi de vos rois 1'auguste privilège .Ne sauroit arrêter l'audace sacrilège mi impetueux cours de vos débordemens - La guerre qui s'élance , Flattant votre arrogance, Rojnpra tous yos sermens, Déplorables sujets, qu'ön méprise et qu'on brave j Nés libres , mais au fond esclaves d'un esclave , .Contre des inconnus, quand il veut se venger . Gladiateurs sans haine Vous courez dans 1'arène Pour vous entr'égorger. N »  i96 Ode s. Mais le péril s'accroit, lesrtuages grossissent, Les ventssontdéchainés et les cieux s'obscurcissent, Le tonnerre en grondant va tomber en éclats, Menagant de sa chute Les provinces en butte De deux puissans Etats. De notre illusion le brouillard se dissipe ; Dans ce mystère obscur je lis, nouvel Oedipe , Que Paigle des Césars par un dernier effort, Tremblant, mais plein de rage, Enhardit au carnage Tous ces guerriers du nord. Secouant ses flambeaux, Ia Discorde infernale Iiépandant les venins de sa bouche fatale, D'une nouvelle Amate empoisonna le cceur; Elle trouble la terre, Elle appelle la guerre Pour servir sa fureur. Ah! quand reviendrez-vous, heureuses destinées, Qui sous le vieux Saturne ourdites les années, Et les jours fortunés de l'univers naissant? Seroit-ce que nos crimes Nous rendent les victimes D'un vengeur tout puissant ? Et quoiqu'en aboyant 1'indiscrète satyre Divulgue avec aigreur que l'univers empire, Que nous serons suivis de plus méchans neveux; Méprisons ces chimères: Oui, nous valons nos pères; Ils yaloient leurs aïeux.  Odes. Mais quel Dieü secourable a par sa voix puissante Arrêté dans son cours 1'audace violente, Dont étoient animés nos furieux riyaux ? II prolonge la trève, II éinousse le glaive Qu'aiguisoit Atropos. Tel que le Dieu puissant qui domine sur 1'onde , D'un coup de son trident frappa la mar profonde, Dont 1'amant d'Oritliie excitoit la fureur; Les yagues s'appaisèrent, En grondant respectèrent Les loix d'un Dieu yainqueur. Ainsi lorsque Louis en Albion s'explique, Que l'univers entend de sa voixpacilique Retentir en toutlieules magnanimes loix; Mars suspend les alarmes, Et renfernae ses armes Qui menaeoient cent rois. Venez, plaisirs charmans , venez, graces naïves, Que vos jeux désormais embellissent nos ri ves, Je consacre mon luth au beau dieu des Aniours; Je suis sous son empire, Déjace dieu m'inspire, Adieu Mars pour toujours. N 3  J93 Odes, AUX PRUSSIENS. Le Courage, ODE VIII, PEupIes que la valeur conduisit k la gloire Héros ceints des lauriers que douue la Victoire, Luians cheris de Mars, comblés de ses faveurs Craignez que la paresse, L'orgueil et la mollesse Ne corrompent vos mceurs. Par 1'instinctpassager d'une vertu commune Un Etat sous ses loix asservit la Fortune, II brave ses voisins, il brave le trépas j Mais sa vertu s'efface, Et son empire passé, S'il ne le soutient pas. Tels furentles vainqueurs de la fiére Ausonxe, Ennemis des JAomains, rivaux de leur génie, Ils imposoientleur joug k ces peuples guerriers; Mais Cartbage 1'avoue, Le séj'our de Capoue Flétrit tous ses lauriers. Jadis tout 1'orient trembloit devant 1'Attique, Ses valeureux guerriers, sa sage politique, De ses puissans voisins arrétoient les progrès, Quand la Grèce opprimée Défit 1'immense armée De 1'orgueilleux Xerxès.  Odes 393 A 1'ombre des grandeurs elle enfanta les vlees, ^ L'intérêt y trama ses noires injustices, La lacheté parut oü régnoit Ia valeur, Et sa force épuisée La rendit la risee De son nouveau vainqueur. Ainsi, lorsque la nuit répand ses voiles sombres, L'éclair brille un moment au milieu de ses pmbres, Dans son rapide cours un éclat éblouit; Mais dès qu'on 1'a vu naitre, Trop prompt k disparoitre, Son feu s'anéantit. Le soleil plus puissant, du haut de sa carrière, Dans son cours éternel dispense salumière, II dissout les glacons des rigoureux hiyers; Son influence pure JAanime la nature Et maintient Funivers, Ce feu si lumineux dans son sein prend sa source; II en est le principe, il en est la ressource ; Quand la vermeide aurore éclaire 1'orient, Les astres qui palissent, Bientót s'ensevelissent Au sein du firmament, Tel est, 6 Prussiens, votre auguste modèle, Soutenez comme lui votre gloire nouvelle, E-t sans vous arrêter k vos premiers travaux, Sachez prouver au monde Qu'une vertu féconde. En produit de nouyeaux. 4'  Des empires fameux Vicroul f B^n n eton arrété par l'ordre des , Ou prospère le sage, L'imprudent fait naufrage, Le sort est en nos mains. Héros, vos grands exploits elèveat,cet empire Soutene. votre onvrage, ou votre gIoire * £. Un V°J touJ«™ -pide il faut vous élever ' Et monté uisqu'au falte, ' Tout mortel qui s'arrête Est prés de reculer. Dans le cours triomphant de vos sueeès prospêres Soyez humains et doux eénére„v aai ™ p6i?es' Ft rr„a * . j. genereux, debonnaires . ft* que .ant dennemis sous vos coups abattus, Rendent un moindre hommage A votre ardent courage, Qua vos rares vertus. A MAUPERTUIS. La vie eu un sonse O D E IX. ' OMaupertuis, cher Maupertu.s Que notre vie est peu de chose! Cette fleur qui brille aujourd'hui, Demam se fanea peine éclose: Tout périt, tout est emporté Par Ia dure faralité  O IJ z S. 201 Des arréts de la Destinée ; Votre vertu, vos grands talens Ne pourront obtenir du temps Le seul délai d'une journée. Mes beaux jours se sont écoulés; Ainsi qu'une onde fugitive Mes plaisirs se sont envolés, Aucun pouvoir ne les captive : Déja de la froide raison Je suis Ia stoïque lecon ; Lorsque je baisse, elle s'élève, Le présent s'échappe sans fin, L'avenir est très-incertain, Et le passé bien moins qu'un réve. Homme si fier, homme si vain De ce que ton foible esprit pense, Connois ton fragile destin, Et réprime ton arrogance; Ton terme est court, il est borné ; Le sort du jour oü l'homme est né, L'entralne vers la nuit fatale 5 La dans la foule confondus, Les Virgile, les Mévius Ont une destinée égale. Vous que séduit 1'éclat trompeur D'un bien passager et frivole, Vous qui d'un métal suborneur Avez fait votre unique idole, Pour qui voulez-vous 1'amasser ? Vous que le monde voit passer Corame une /leur qui naft et tom''e,  202 Ode s, Mortels, déplorez vos erreurs; Vos richesses et vos grandeurs ' Vous suivront-elles dans la tombe ? Comment a tant de vains objets Immole-t-on sa destinée? Comment tant de vastes projets ' Pour une course aussi bornée? Héros, qui préparez des fers A ce malheureux univers ! Pour rétablir votre mémoire, Rappellez-yous cés conquérans Inscrits dans les fastes du temps ; Pourrez-vous égaler leur gloire ? Je veux que de vos grands exploits La terre paroisse alarmée, Et qu'au niveau du nom des rois Vous élève la Renommée ; La paix termine vos combats , Enfin victime du trépas , On dit un mot de votre vie; Bientöt les siècles destructeurs Font périr toutes vos grandeurs j L'homme meurt, le héros s'oublie. Tant de grands hommes ont été; Les siècles grossiront leur nombre : Elevez-vous a leur cóté , Vous serez caché dans leur qmbre j Si votre ignorante fureur Prit 1'ambition pour 1'honneur , Quel sera votre sort funeste ? Souvent un tyran furie nx  Odes. 8o3 Vante ses exploits glorieux, Quand tout l'univers le déteste» Que de siècles sont écoulés , Depuis qu'une force féconds Fixa les élémens troublés , Et du chaos forma le monde ! Le temps soumet tout è sa loi, Le présent s'enfuit loin de moi, L'avenir s'empresse a le suivre : Homme, ton terme limité N'est qu'un point dans 1'éternité ; Étre un moment s'appelle vivre. Si l'homme pouvoit subsister Au moins deux ages dans ce monde , Peut-être oseroit-on ilatter L'orgueil sur lequel il se fonde. Vos vceux , mortels audacieux , Vont a vous égaler aux Dieux; Vous, nés pour ramper dans la fangc , Pour vivre un instant, pour périr ; Vous , nés pour vous anéantir , Vous aspirez a la louange ! Pourquoi rechercher le bonheur ? Pourquoi craindre le bras céleste ? Le bien est un songe flatteur, Et le mal un songe funeste ; Tous ces divers événemens Sont des objets indifférens Pour qui connolt notre durée 5 Partez chagrins , plaisirs , amours , Je vois la trame de mes j'ours Dans la main d'Atropos Ijvrée.  a4 Ode s, Biens , richesses , titres , honneurs , Gloire , ambition , renommee , Eclats faux , éclats imposteurs , Vous n etes que de Ia fumée I Un regard de Ia vérité De votre fragile beauté Fait évanouir 1'apparence ; Non , rien de solide ici-bas , Tout jusqu'aux plus puissans Etats , Est le jouet de Finconstance. Connoissons notre aveuglement, Nos préjugés et nos foiblesses, Tout ce qui nous parolt si grand N'est qu'un amas de petitesses ; Transportons-nous au haut des cieux, De sa gloire jetons les yeux Sur Paris , sur Pékin_, sur Rome : Leur grandeur disparoit de loin ; Toute la terre n'est qu'un point, Ah ! que sera-ce donc de l'homme ? Nous nageons pleins de vanité Entre le temps qui nous précède , Et 1'absorbante éternité De 1'avenir qui nous succède. Toujours occupés par des riens , Les vrais Tantales des faux biens , Sans cesse agités par 1'envie , P!eins de ce songe séduisant, Nous nous perdons dans le néant: Tel est le sort de notre vie.  Odes. soü A VOLTAIRE. Qu'il premie son parti sur les approches de la vieillesse et de la mort. O D E X. Soutien du goüt, des arts , de Féloquencp , Fils d'Apollon, Homère de la France ! Ne te plains point que 1'Age , a pas haüfs , Vers toi s'achemine , Et sans cesse mine Tes jours fugitifs. La Providence égale toutes cïioses; Le doux printemps se coiironne de roses , L'été de fruits , 1'automne de moissons; L'hiver, 1'indolence A la jouissance Des autres saisons. Voltaire , ainsi l'homme trouve en tout age Des dons nouveaux dont il tire avantage ; S'il a passé la fleur de ses beaux jours, La raison diserte Remplace la perte Du jeu , des amours, Quand il viedlit, sa superbe sagesse , Avec dédain condamne la jeunesse, Qiii par instinct suit une aimable erreur ; L'ambition vainö  ■ E°6 O B E 9. L'exciie et 1'entraine Aux champs de 1'honneur. Lorsque Ie temps qui jamais ne s'arrétó , De cheveux blancs a décoré sa téte , Par sa vieillesse il se fait respecter; L'intérêt 1'amuse D'un bien qui 1'abuse , Et qu'il faut quitter. Toi, dont les arts Elent la destinée , Dont Ia raison et la mémoire ornée Font arlmirer tant de divers talens ; Se peut-il, Voltaire , Qu'avec 1'art de plaire , Tu craignes le temps ? Sur tes vertus ce temps n'a point de prise , Un bel-esprit nous charme a barbe grise ; Lorsque ton corps chemine a son déckn, Le dieu du Permesse Te remplit sans cesse De son feu divin» Je vois briller la beauté rajeunie Des premiers ans de ce vaste génie * Et c'est ainsi que 1'astre des saisons 3 Des bras d'Ampbitrite Lance aux lieux qu'il quitte Ses plus doux rayons. Hélas ! tandis que le foible vulgaire , Qui, sans penser , languit dans la misère , Tr&lne ses jours et son nom avüi; Sortant de ce songe,  O t> 2 9. 8O7 Pour jamais se plonge Dans un sombre oubli: Tu vois déja ta mémoire estimée, Et dans son vol la prompte Renommee Ne publier que ta prose et tes vers ; Tu recois 1'hommage, ( Qu'importe k quel age ?) De tout l'univers. Ces vils rivaux dont la cruelle envie Avoit versé ses poisons sur ta vie , Que tes vertus ont si fort éclipsés ; Vrais pour ta mémoire , A chanter ta gloire, Se verront forcés. Quel avenir t'attend , diyin Voltaire , Lorsque ton ame aura quitté la terre A tes genoux vois la Postérité; Le Temps qui s'élance, Te promet d'avance L'immortalité.  ao8 n V d r. 3. S U R LA GLOIRE(4 ODE XI, TT UN dieu s'empare de mon ame • Je sens une céleste ardeur : O Gloire ! ta divine /lamme M'embrase jusqu'au fond du cceur f ' Kemph de ton puissant délirë , Par les doux accords de ma JyVe Je veux célébrer tes bienfaits : Tu couronnes le vrai mérite ; Et ton divin laurier excite Les humains a tous leurs succès, Nos vertus mènent k la Gloire , Et la Gloire mène aux vertus ; Elle est mère de la Victoire Elle déchaine les vaincus ; Cicéron lui dut leloquence, Sénèque , la vaste science • Elle forma les vrais Césars .Sortez des voütes ténébreuses , Dites-nous , ames généreuses , Qui vous fit braver les hasards ? Déja je vois des Tbermopyles Les magnanimes défenseurs , S'immolant, pour sauver leurs villes («) Faite en 1734,  Odes. 30g Des ravages de leurs vainqueurs j Et si leur valeur en inipose, Au nombre leur courage opposa L'inébranlable fermeté ; Tandis que le fer les abyme , La Gloire seule les anime , Leur montrant 1'immortalité. Généreux captif de Carthage , Trop infortuné Régulus ! Victime d'une aveugle rage, Ou victime de tes vertus .' Exemple illustre de 1'nistoire ! Plutót que de trahir ta gloire , Ta foi, ton honneur , tes sermens< Pour le salut de ta patrie , Tu bravas JYumance en furie , Et tu péris dans les tourmens. Quel est ce héros ? c'est Eugène , Ce fortuné triomphatcur; De la victoire qu'il enchaine La Gloire a partagé 1'honneur-:Protectrice de cet Alcide , Son étendard brillant Ie guide Aux bords du Danube et du Rhin , Contre Tinfidelle en Hongrie, Dans les champs sanglans d'Itaiie, Pour le couronner a Turin. Enfans des arts et du génie, Fils de Minerve et dApollon, Qui vous excite et vous coavie A monter sur le doublé mont? Wome til O  2>o Odes. Parlez, répondez-nous , Hómère / Horace , Virgile et Voltaire ; Quel dieu préside k vos concerts ? Vous aspirez tous a la gloire ; Et pour vivre dans la mémoire , L'honneur lime et polit vos vers. Le scélérat au regard louche Se trompe toujours sur l'honneur ; La gloire a son ame farouche Paroit un excès de fureur : II ne sort point de son ivresse; Sa raison coupable et traitresse Défigure la vérité : Dans son aveuglement étrange , 11 se croit digne de louange , Lorsque son crime est détesté. Qu'un Hérostrate , objet de blarae, Armé d'un flambeau dévorant, Exposé aux fureurs de la flamme , Ün temple antique et florissant! Que Thaïs , trop présomptueuse , Aspire k se rendi e fameuse, En détruisant Persépolis ! Aux fastes sacrés de la gloire , On noircit les nóms et 1'histoiro Et d'Hérostrate et de Thaïs. Sors des cendres , Rome païenne . Viens te reproduire k mes yeux : Va confondre Rome chrétienne , Et ses prêtres ambitieus : Du sein de ta vertu féconde , Oppose les vainqueurs du monde  Odes. sh A tous ces prêtres imposteurs; A tous ces frauduleux pontifes , * Qui sur des livres apocryphes Fondent leur culte et leurs erreurs, O Gloire ! k qui Je sacrifié Mes plaisirs et mes passions : O Gloire ! en qui je me confie , Daigne éclairer mes accions : Tu peux, malgré la mort cruelle, Sauver une foible étincelle De l'esprit qui réside en moi, Que ta main m'ouvre la barrière , Et prêt k courir ta carrière, Je veux vivre et mourir pour toi. SÜR LE TEMPS. ODE XH, Ta, qui n'admets rien de solide Dont 1'essence est le changement, O Temps , que ta cotirse est rapide ! Que tu passes légérement ! Le globe que le ciel enferme , N'a point de puissance si ferme, Que tu n'entraines avec toi, Rien n'arréte ta violence Et le moment même oü je pense , S'enfu-',, déja bien loin de moi. Les jours, qui composent nia vie, Me sont comptés par les destins , O 3  312 Odes. Des tras Ia douceur m'est ravie, Les autres me sont incertains ; Le passé n'a plus aucun charme , L'avenir me trouble et m'alarme ? Le présent m'est un foible appui j Et comme un point indivisible, Ou comme un atome insensible , II passé , et je passé avec lui. Fatale erreur qui nous entratne , Nous poursuivons de vains objets i Pour une fortune incertaine Nous formons mille vains projets» L'homme conduit par des caprices Semble oublier dans les délices Que le Ciel a borné ses jours. Plein du doux poison qui 1'enivre f *> II s'embarrasse autant de vivre , Que s'il devoit vivre toujours. Vainement il voit que Ia Parque Nous tient tous soumis a ses loix, Ut que tous passent dans la barque Oü jamais on n'entre deux fois ; La raison et 1'expérience Ne peuvent par aucune instance TAéveiller ses sens engourdis ; Pour suivre ces fidèles guides , Ou ses vertus sont trop timides , Ou ses vices sont trop hardis. Jusqu'a quand , vanités mondaines , Enchanterez-vous nos esprits ? Tiendrez-vous toujours dans les chaines  Odes, »ï3 Nos coeurs de vos charmes épris ? Passerons-nous dans i'esclavage Toutes les saisons de notre age , Sans que nous puissionsen sortir? Nous faudra-t-il donc pour victime Donner notre jeunesse au crime , Notre vieidesse au repentir ? Non , faisons un meilleur usage D'un trésor qui nous vient des Cieux: Le temps est court, qu'on le ménage ; Tous les momens sont précieux. Que les vertus, que la sagesse Occupent notre ame sans cesse ; De tout vice fuyons lecueil: Que notre esprit souvent médite, Combien la distance est petite Du berceau jusques au cercueil. O 3  ÉPITRES FAMILIÈRES. A MON FRÈRE HENRI. Zes Plaisirs des Grands. ÉPITRE PREMIÈRE O TT U courez-vous? » Ah! je fais la campagne => Je ne veux pas tout vif m'ensevelir; » Lorsque ff suis, d'abord i'ennui me gagne; » Rester tout seul; autant vaut-il mourir. » J'aime Rer'.in : c'est la que dans Ie monde * Le doux plaisir en cent facons ahonde; n Jeunes beautés, bals, festi'ns, en un mot ai Y trouve tout quiconque n'est pas sot». Oui, vous pouvez yous amuser, mon Frère, ]NTos belles sont faciles a plier, Berlin fournit aisance et bonne chère, Mais ces plaisirs qu'ont-ils de singulier ? v C'est chez Milon que se donne une fète; » On sera seul; Milon n'a convié a> Que quatre-vingts personnes ». C'est honnère On vient, on entre, on est srrpplicié ; En se pressant on s'étouffe a la porte; On perce enfin des deux bras , k main forte : Voila d'abord trente tables de jeu, Et qui n y joue y paroit sans aveu ; Tous sont rêveurs, attentifs a leur róle : Lün, en suant, attend un as de cceur; Et celui-la, qui méditoit k yole,  El"I T HES FAMILlÈUES. 2l5 Sur ses écarts écume de fareur : Pourquoi ce bruit? et qu'est-ce qu'on regarde? Philinte a-t il un transport au cerveau? » Pis que cela; certain roi de carreau » Entre ses mains est arrivé sans garde »» On voit plus loin, dans un coin isolé, Force joueurs ; le Hasard tient la table : L'or en monceaux s'y présente étalé: Son grand pontife, a face vénérable, Mêle en ses mains un jeu bariolé : Tout a 1'entour une immense cohue Sur ce grand prêtre a dirigé la vue : Le bon public a quelquefois raison. Quant au prélat, ce respect 1'importune : II est adroit;le bon seigneur, dit-on, De ses dix doigts gouverne la fortune; Un feu soudain s'empare de ses sens; Le front ridé, le regard plus farouche, Des mots coupés s'échappent par élans Comme en grondant rudement de sa boucbe; Trés - attentifs y sont ses courtisans: Ce peu de mots, ce sont autant d'oracles, Oui, sur le sort opérant des miracles, Ont 1'art de rendre, en trés-peu de momens , Humbles ou fiers, les petits et les grands: Tel pame d'aise, et tel autre blasphême ; L'un vend, hélas ! son bien qu'il a perdu , L'autre enivré de son bonheur extréme, Court acheter ce que l'autre a vendu. Quand 1'heure sonne, il faut se mettre a table, Et regagner dans un ample soupé , Eujoué, vif, brillant et délectable, Le temps i^erdu, dans 1'ennui dissipé, O 4  »i6 Epitres iAini,ir>Ej, Et qu'emporta ce jeu si détcstable. Voyons : voila plus de trente laquais, A pas comptés, qui suivent a la file D'Apicius un habile profès; De tant de plats on nourriroit la ville; Le sleur Hamocb, plus lier que Paul Émile, De la cuisine au sallon du palais Mène en grand'pompe un soupé de Luculle; Le moindre plat, c'est lui qui 1'intitule t)'un nom baroque et très-mal assorti; De cette armee il estle quartier-maitre; La pour 1'entrée, ioi pour le róti, H sait placer le plat comme il doit être; Tiagóüts nouveaux, patés, fins entremets, En les louant a messieurs les gourmets. De tant de plats quelle odeur dégoutante! L hóte prenant la mine plus riante, Trouve qu'Hamoch surpasse ses pro/ets; On va sasseoir; et cette compagnie, Quoique sournoise, est tout au mieux choisit\ Mais tout le monde est stupide ou muet j Ah.' cette paire est au mieux assortie : De ce baron si maigre et si duet, Cette bégueule est la vieille ennemie; Certaiu procés les a rendus rivaux; Avec quel air ils se tournent le dos! De ces paniers dorés par des réseaux La place a table est d'avance remplie • Et sur la chaise , en serrant les genoux, A peine encore en reste-t-il pour vous. De ba-, arder Damis auroit envie; Mais s'il affecte un air de rêverie, C'est par prudence; il craint ce médisan! y  E PIT HES FAMILIE HES, »*7 Ce vieux baron, a langue de serpent. L'hóte attentif a ranimer son monde, Dit quelques riens , fait le mauvais plaisant; II sert cent mets qui courent a la ronde : « Que le plaLsir s'ernpare de céans! „ Dit il; messieurs, qu'ici la joie abonde >> Corinne jeüne et pour un million Ne goüteroit de cette sauce fine; Elle pourroit laver le vermillon, Qui fait 1'éclat de sa lèvre divine. Si Marianne, au visage poupin, Ne mange pas un seul morceau de pain y C'est qu'en son corps étroitement serrée, Elle craint trop que la galimafrée N'aille gater le corsage divin De cette taille en tous lieux admirée. A l'autre bout, sans s'en embarrasser, Le comte mange a se déboutonner; De tous les plats goüte l'un après l'autre; Avec Hamoch se met k raisonner; DApicius le comte est grand apótre , Et les Nevers pourroient le consulter, Julie enfin rompt ce cruel silence, Et se tournant, dit d'un air d'indolence : » Ah! c'est affreux : tout ce jour il a plu ; 3> En vérité, c'est un nouveau déluge ». Merlin répond : » Tout comme vous j'en juge; » Et 1'almanach ainsi 1'a résolu », Merlin dit bien : ce docte personnage De son savoir fait un riche étalage ; Hors 1'almanach jamais il n'a rien lu, Le discours tombe , on baille; on prend courage , On le reiève; on parle de pompons,  218 Er-ITllES FAMlLlèUES, De gands glacés, coiffures et jupons , ' Et 1 on médit un peu de ftosalie • Elle est absente; et la noire Sylvie Ne trouve rien d'aimable en sa beauté. Ne croyez pas que ce soit par en vie • Son cceur, dit-elle, estplein de charité,- Mais le bon goüt, qu'elle trouve irisuke Quoiqu k regret la presse et la convie De rendre hommage k la sincérité. Bientöt après on parle comédie : - Ah/ Ia Marvide a 1'air dün éléphant, * Dit I une; c'est une exécrable actrice : » La Rousselois est un corps élégant » Elle est bien mise ; ah! c'est un" vrai délice » Lorsquelle ,oue ; au vrai, mal on Pentend : » Mai. ce nest rien; va-t-on la pour entendre ,f Valere sait, a ne s'y point méprendre, Que le Plutus de Saxe ruiné Va dans huit jours vendre sa garde-robe j. Sur quoi chacun , en faisant 1'étonné , Sur monseigneur très-malignement da'ube ; De brocarder chacun se met en train, Et 1'on médit doucement du prochain. Mais s'endormant par tant de balourdises, De main en main se donnent des devises ' ■ Qu'en ricanant le heau-sexe relit; A ces soupers on ménage l'esprit, Et 1'on s'occupe en lisant les bêtises Que le galant confiturier produit. On imagine une santé nouvelle ; A 1'équivoque on rit, on applaudit y La pointe en est digne de Fontenelle : On veut parler; et ce jargon forcé,  Epitkes familières. aig Ne tenant rien de la gaieté naïve , Meurt en naissant dans la bouche craintive , Aussi souvent qu'un mot est prononcé. On se regarde , on est embarrassé , Et tous les mots expirent sur la langue. L'hóte le voit, et, pour en bien user , D'un conté plat il vient les amuser ; Mais il en est pour sa sotte barangue : Par bienséance un moment on sourit y On dit • baillant | que 1'on se divertit: Mais en secret maudissant 1'assemblée , On voudroit fort, pour que 1'enUüi finlt. Que de sommeil elle fut accablée. Cloris alors , sur un ton aigrelet, D'un vaudeville entonne un vieux couplet, Et pousse en l'air, de cette voix aiguë , De Jongs hélas ! qu'on entend de la rue ; Et d'un accent tudesque qui déplait, Elie assaisonne un air de dageolet. Eglé , qui croit qu'elle a la voix plus belle , En détonnant cbante un air d'opéra Très-langoureux , que coraposa Campra ; Un fat se pame et jure qu'elle excelie a Ah ! de chanter , non , tu ne cesseras , Maudite voix, pire que la erécelle ; Un siècle entier, je crois , tu chanteras ! ; Pour vous cbarmer, dit-elle , je vous pnei, » Prêtez 1'oreille a cette bergerie l „ Cet air pour moi semble fait tout exprès ; „ J'ai de inon mieux saisi le goüt francois ; p Ces ports de voix qu'avec force j elève , „ Ces tremblemens battus si lentement, Ces longs fredons.. qui n'on: ni fttm trère,  Epitres familières, » Font de ce chant les plus doux agrémens ; » De ce sallon même , saus qu'il m'en cqüte, » Ma forte voix fera sauter la voute «, L'hóte pélit; il croit de Jéricho Qu'il a chez lui la trompette fatale ; II est tremblant pour les murs de sa salie ; Pour éviter 1'effet de cet écho, II rompt les chiens et bavarde morale ; Et ce discours les amuse a ravir : Mais dans le temps que ce seigneur déploie Des argumens ennuyeux a mourir, Sa chère épouse a travers vient glapir , Et minaudant croit réveiller la j'oie : Chassant le dieu libertin du plaisir , La bonne dame, induite par le diable , Au lourd Ennui donne la primauté, Qui force enfin , par importunité , Tous ces bAilleurs a se lever de table, Aux violons alors on a recour; La joie enfin régnera dans ce jour. Aux menuets , aux graves polonoises , Vont succéder frétillantes angloises : Tous ces muets dansent, sans se parler ; Les spectateurs disent, par bienséance , Quelques douceurs , avec tant d'indolence, Que cet Amour de froid parolt geler: L'Oisiveté , qui regarde la danse, Rit souvent haut, sans trop savoir pourquoi. Le jour paroit; avec indifférence , Mais sans regret, on retourne chez soi, En se fiattant de faire accroire aux autres , Qu'on s'est au bal diverti comme un roi. Ces plaisirsda , mon Frère , sont les vótres ;  gflTRÏ S FAMHIERE5. 221 Leur carrillon n'a plus d'appas pour moi. Société douce et bien assortie , Bien moins nombreuse et d'autant mieux cboisie J Délassemens innocens de l'esprit; Propos légers , qui sur mille matières , En voltigèant répandent des lumières ; Oü sans éclat, mais h propos , on rit, Sans que jamais des langues meurtrières, Pleines de Hel , rendent a leurs manières Quelques bons mots qu'en plaisantant on dit J Outrera-t-on 1'injure et le scandale En préférant h ce goüt qui périt, Le faux clinquant, 1'ennui dont se bouffit. Votre stupide et bruyante rivale ? Ab, peuple né le jouet des erreurs ! Si follement envieux des grandeurs ! Voyez de prés le néant de ces fêtes , Qui tant de fois ont captivé vos têtes ; Ayez pirié de nos destins heureux. Quand vers le Ciel j'ose élever mes yeux, Je dis tout bas : » Fortune secourable ! » Ne permets pas qu'un orgueil détestable , » Me remplissant d'inutiles désirs , « Corrompe en moi le goüt des vrais plaisirs- T » De ces plaisirs d'un esprit raisonnable ; « Et laisse-moi, Fortune , par pitié , » Un cceur toujours sensible a 1'amitië  3?2 EPt TRES IAJIUi è R E S. APOELLNITZ. Le Pouvoir des Richesses: ÊPITJRE II. MÉprisera, qui Ie veut, les richesses | Leur faux éclat et leur frivolité , Leur embarras , leur inutilité j Ces vains dédains ne sont que des finesses Pour les avoir se font mille bassesses ; Si leur éclat n'a point su me frapper ; Si jusqu'ici leur force enchanteresse N'a point en 1'art de me préoccuper, Le monde enfin vient de me détromper. Je vois par-tout que la grande dépense, Les biens, le luxe et la magnificence Du sot public se sont fait estimer : » Verrès, dit-on, est digne de primer; » II a tout net vingt-mille écus de rente , » Bonne cuisine, et du vin que 1'on vante, » Qu'en cave il tient, sans vouloir 1'entamer » Au moins depuis Pan mil six centsoixante : h Son train est grand et sa maison briljante ; » C'est un seigneur qu'on ne peut trop aimer «. Ce gros Crésus, qui paroit inutile , A tous les arts donne occupation, Et dela vient qu'on le chérit en ville ; La dépense est sa forte passion ; Son luxe , au moins, fait vivreVindustrie : Pour lui 1'on fait beaucoup d'orféyrerie ;  Èpitïies fa ii i ti k m si 223 Le peintre vit de sa profusion ; Et 1'architecte orne sa galerie : 11 met Fargent en circulation , Et sa maison vaut une hótellerie. Quand Vadius , d'un ton de flatterie Vient louanger 1'inepte Bavius , Le doux espoir sur lequel il se fonde, C'est d'emprunter de lui nombre d'écus..t Oui, 1'intérêt est le roi de ce monde; II règle tout dans ce siècle falot; En enrageant le malheureux le fronde, Mais qui n'a rien, fait le róle d'un sot: Un vrai Platon vivant dans la misère , Ne recevroit qu'humilians rebuts; Mais 1'opulént Matthieu, dit FInsectaire ,• A des respects, et trés-humbles saluts. Ce cher métal, ce beau don de Plutus Peut tenir lieu de rang et de noblesse; li donne au sot, esprit, bon sens , vertus f Nombre d'amis, maitresses encor plus; Par sa vertu vraiment enchanteresse, Aucun Richard n'essuya de refus. Au bon vieux temps oü dorissoient nos pères ) Le sentiment formoit le noeud des coeurs : Les passions alors étoient sincères, L'or n'avoit point pu corrompre nos mceurs : L'Amour tout seul possédoit sön empire; Savoir aimer, c'étoit Fart de séduire; Pour tout présent on donnoit quelques fleurs. Et ce bouquet, venant d'une main chère, S'estimoit plus que tout l'or de la terre ; Baisers légers étoient grandes faveurs. Mais k présent tout se yend, tout s'achète;  S24 E Fr trés FAMILIEivis, Et la devote, ainsi que Ia coquette, A son mari fait trouver un rival; Ce marché-la se fait a la toilette, Au plus offrant/è I'amant libéral: Du doux sonpir a la faveur parfaite, Tout a son prix, et l'amour est vénal. On apprend tout: cette ville causeuse Sur le caquet n'a rime ni raison : On sait le prix d'une beauté fameuse, Tout comme on sait le prix d'une maison t On dit tout haut: » Que telle aimable femme » Pour cent louis sent allumer sa flamme t * Aj'oute-t-on encor deux fois autant? » La passion s'empare de son ame , » Ce vil métal est maitre de ses sens , » EtI a rend tendre envers tous ses amans cc,, Cette Corinne, autrefois tant courue, Depuis six mois de prix a fort baissé; La jeune Eglé nouvellement venue , A tout d'un coup doublé ment rehaussé. 'Vous savez bien que cette vieille amante, Cette Laïs, a la téte tremblante, Aux longs tetons , si dasques et pendans, Dont le pinceau grossiérement abuse Du vermillon brossé sur la céruse, Rend a présent k ses jeunes amans Ce qu'elle avoit, dans la fleur de ses ans, Eut de pront en marchandant ses charmes ; A ses attraits l'or seul fournit des armes. Le bon pays oii tout peut s'acheter! O siècle heureux qu'on ne peut trop vanter! Ayez du bien, c'est la grande maxime , Et vous paierez des femines , de 1'esfime, Amis  Er I TRES F AMI LI In ES. aa'5 Amis, respects etréputation, Cocüs titrés et de condition. Les tendres coeurs se vendent a 1'enchère ; Et sans rougir, la noblesse ose faire Un vil métier contraire a la pudeur* Humiliant, llétri du déshonneur , Que la grisette k 1'ame mercenaire Fait par débauche et souvent par misère. Qu'arrive-t-il de ces coüteux marchés? Nos beaux seigneurs trouvent des infïdeïïes j Ils sont toujours imprudemment trichés Par leurs amis, ainsi que par les belles; Un freluquet enlève leurs donzelles ; Ils sont cocus sans en étre fachés; Leur amour vain, magnifique et bizarre. Se refroidit; Ie mépris les sépare; Et ces amis, qu'ils croyoient attachés . Sont trés zélés tant que dure leur table : Si la ruine entralne ces seigneurs , Que la Fortune ingrate les accable; Ces scélérats sont de tous leurs malheurs Indifférens et joyeux spectateurs. Si 1'avantage insigne des richesses N'a rien de vrai que des dehors trompeur-,, Fuyez, Poellnitz, ses charmes imposteurs; Ses faux dehors cachent des petitesses; La Fortune a de légères faveurs. Sur vos vieux jours elle sema des fleurs; Et c'est bien plus que toutes ses largesses, Aimez le poste oü le Ciel vous a mis; Dans votre état on a de vrais amis, Et quelquefois de fidelles maitresses. Teutte /ƒƒ. p  S26 Epitres FAMILïÈRES. A FOUQUET. Sur le présent et le passé. ÉPITRE III. Pourquoi toujours nous próner Ie vieux temps ? Se répéter, et se .tuer de dire, Que les humains sont bétes et méchans, Et que le monde en vieillissant empire? Ces vieux propos des modernes frondeurs, Sont tous marqués au coin de la satyre, Et 1'acreté qui les force a médire , Pour avilir notre siècle et nos moeurs , Des temps passés leur fait vanter 1'empire. Le grand Maurice (a) a-t-il moins de vertus Que n'en avoit certain Cincinnatus? Maurice, au vrai, d'une très-noble issue, Ne mena point de ses mains la charrue; Mais dans la Flandre en tous lieux confondus, Les Ffollandois furent-ils moins battus? Quoi! nos auteurs sont-ils des misérables, Pour composer leurs écrits en francois ? Bien différens , sublimes et parfaits » Étoient, dit-on, ces Grecs tant admirables ». Virgile, Horace ont écrit en latin, Les Grecs en grec, et nous dans notre langue : Il est plaisant qu'un censeur clandestin Prétende ici qu'en hébreu 1'on harangue. Ah! dans ces j'ours ou notre heureux destin Nous a fourni, pour effacer Homère, ( dans leurs emportemens, Sera brisee en cent mille fragmens Ah, quel dépit! ce teint, plus beau qu'albatre öe jaunira; plus de roses, de lis; Ni plus d'amant de charmes idoMtre • Vieilles laidrons n'ont plus de beaux Tircis En vain tout 1'art rafhné des ruelles Pompons brillans, mèlés de fleurs nouvelles, Pareront-ils vos attraits surannés; L'ajustement et les atours des belles Bien loin d'orner vieilles sempiternelies, Semblent jurer avec des fronts fanés. Am0ur co1uet plane sur vos tétes,  E PIT HES FAMILIE RE 5. ü33 Qui vous protégé aux bals, soupers et fêtes, Qui de vos yeux nous décoche ses traits , De ces beaux yeux s'enfuira pour jamais. Jeune beauté paroit toute adorable ; Vieille guenon du public est la fable : De vos vieux jours je plains raflliction; II n'est alors aucun moven de plaire, Hors que ce soit la conversation ; Mais sans esprit comment y brille-t-on ? Yieille bégueule , ennuyeuse commère , En ne faisant que contes de grand'iuère „ JV'attire pas la foule des chalans; Du vestibule, une odeur pestifère Dégoütera vos tristes courtisans, De 1'air impur, de i'affreuse atinosphère, Que sans relache exhale le cautère. Dieu sait comment les Cbazots de ces temps, Les damerets , les jeunes Ferdinands, Gens nés moqueurs et très-peu cbaritables, Plaisanteront vos faces vénérables; Quand requinquant vos spectres ambulans , II vous plaira de faire les aimables : • Oui, votre porte ouverte a vos galans, Par leur concours ne sera plus usée ; Vous en serez la fable et la risée, Et je vous vois regretter les rigueurs, Dont k présent, exercant vos caprices, Vous dédaignez cette foule de coeurs Dont vos amans vous font les sacrifices j Et je prévois que vos attraits usés, Voyant déchoir leurs folies espérances, S'abaisseront a faire des avances A ces amans a présent méprisés;  4 ErjTREs FAHnji-jts. MaiSvainement;carIarouilIedera,a Telestlesortdesfriyoles 8 Dont Ia beauté fairlWquepltage; Maiscro7ez.moi,reSpectable Ca»U Votre vertu vous sauve du nauiWe Qu importe enfxn que 1'age destructeur De vos attraits ternisse la freichéur» O est attaquer la moitié de vous-même • Maxs votre esprit que ƒ estime et que ;aime A vos attraits est bien supérieurIWezie Temps et sa rage insolenteU ne peut rien sur votre belle humeur, Ai sur votre ame impassible et constante Vous meprisez lasotte gravité Dont a la cour s'enfle une gouvernanteVotre sagesse est toujours indulgente Et votre esprit rappeIJe la gailé Dans les ennuis d'une cour indolente Bxen plus encpr vous êtes par pïé'té Bonne huguenote et pourtant tolérante. Apres ce trait, adorable Camas', Ah ! quel mortel ne vous aimeroit pas ? Les ignorans vous jugent ignorante, Et les savans vous prennent pour savante , Vous vous pliez avec facilité, Au goüt, aux mceürs de la soc'iété ; Vous savez rire et plaire a la jeunesse; L age sensé prise votre sagesse; Et complaisante et pleine de bonté Vous supportez de 1'infirme vieillesse Le bavardage et la caducité. C'est par ces traits que yotre ame accomplie  E r I T H E S F AMI L j ÈilE s. A par Festime acquis de vrais amis; Ne pensez point qu Amour plein de folie, Papillonnant trouve en effet unis Ces éventés que la débauche lie. C'est sur Festime, et c'est sur les vertus Que -Famitié véritable se fonde; Vous possédez ces titres, et de plus Vous avez 1'art de plaire a tout le monde. Oui, désormais, Camas, je chanterai Ce beau génie, et je consacrerai A vos vertus mes talens et ma verve, Et dans mes vers je vous implorerai, Comme Pallas et comme ma Minerve. A J O R D A N. Sur VEtude. É P I T n E V. FLore aux aboïs faisant place k Pomotié , De nos jardins s'enfuit avec le Temps: L'Été nous quitte ; et les vents de FAutomne Fanent les fleurs et dessèchent les champs : L'astre du jour , foible, tremblant et pale , D'un feu moins vif réchauffe ce canton ; De son palais Paurore matinale Déja plus tard parolt sur 1'horison. Colin , Lycas , transportés d'alégresse , De nos guérets rapportent les moissons ; Et les transports de leur bruyante ivresse Font retentir 1'écho de leurs chansons : La liberté , l'amour , Findépendance  Versent slir eux plus de fëlicitd. DansT^T14 kl)1"srich« abondance «a„slevamWet rorgucil ^ lis pensent peu, leur estomac digère , t3nS 56 douter qu'ils ont un mésentère ■ A-eur exercice et leur sobriété Leur sont garans d'une bonne santé - öans se bercer de visions cornues Jls ne vont point se perdre dans les nues j ^onnojssant peu la sombre antiquité , Et sans souci pour Ie destin du mende Dans leurs hameaux règne une paix profonde , Les ,eux , les ris , ram0ur et la gaité. JJe Hntéxèt la tyrannique idole „ les vit Point acconrant au Pactole s Porter le joug de la Cupidité ; ' La vame Gloire impérieuse et folie N'a pu jamais tenter leur vanité ; Et de leurs vceux 1'Arrogance frivole N'importuna point la Divinité. Ils sont heureux dans leur rusticité 5 Tandis qu'en ville, au centre des tumultes Enseveli dans les vapeurs occultes Du pays grec et du pays latin, Digne Jordan , tu lis et tu consultes Tous ces savans dont le savoir certain Est le flambeau du foible genre-humain. Pour te tirer de ta mélancolie, Pour t'inspirer notre aimable folie , Ma muse et moi nous mimes en chemin Tu sais très-bien que nous autres poétes En peu de temps faisons de longues traites : Amsi d abord nous fümes h Berlin,  Epitïies FAJIILiÈRES, 287 En approchant de tes doctes retraites , Prés de la porte , orné de ses vignettes , Je fus frappé dün gros Saint Augustin , Qui, de travers , s'appuyoit sur 1'ouvrage Dün grand bavard , savant Bénédictin : La se trouvoit rangé sur le passage D'auteurs en us le pédantesque essaim ; De Quatre-gros (a) méritant le suffrage ; Qui dans ta salie , en bravant le Destin , Grands de renom , mais pauvres d'équipage * Ne sont vêtus qu'en sale parchemin. Passant enfin du sacré vestibule Au cabinet, dans 1'asile divin Qui te renferme , ainsi qu'un capucin , Je vis 1'auteur dont la plume polié Eloquemment défendit la folie , Ton gros portier, tel que Grandonio , Le sieur Erasme en grand in-folio ; Je le passai, percant avec surprise li 'énorme tas des pères de 1'Eglise , J'arrive enfin auprès de ton bureau. C'estda , Jordan , que tes savantes veilles . En cophte , en grec t'apprennent cent merveilles , Qu'avec ardeur tu mets dans ton cerveau. Lfi se trouvoit 1'ouvrage incognito De 1'inconnu, mais fameux Aboesite (b) : La se trouvoit tout le recueil nouveau Des derniers vers que fabriqua Rousseau Depuis le temps qu'il se fit hypocrite. (0) lïouquiniste. (b) Professeur Csnevois que Jordan cite comme un grand auteur , tnais que personne n'a 1'honnenr de connoitre.  ^8 Enrnrs P.uruuius, Je vis encor rangé sur tes rayons Un gros recueil d'injures bien écrites D UU huS«'3not contre les Jésuites • Je vis aussi quelques réflexions D un prestolet déclamant comme au próne Contre la Béte et contre Babvlone, Par charité damnant les mécréans: Pour papégauts livres édifians. Pres d eux étoit le fiyre des insectes fa), Enbnla source oüronpmsa les sec tes (A). Auprès de toi résidoit Apollon , Qui déineubloit, pour remplir ton Lycee , Son cabmet et méme 1'Hélicon. Il appelloitune ombre au w Cetoit Horace, ami de la raison Qui,transporté du feu de son génie , Chantoit les vers de sa muse p* ;e Et te disoit: » Cboisis les meilleurs Viris ♦ " TCr01S-moj . <* soin a tout est préférabl'e » Ees grands pro/ets sont insensés et vains j * Car, de7 n°s 'Ws Je 0 ^t peu durable «. Auprès de lui, Despréaux se rangeoit, Ami du sens et de 1'exactitude Trop satyTiq et quelmiefois Mais dont la Iyre au Parnasse plalsoit. Dun air aisé Lucien, qui suivoit, Sage , plaisant et sans sofficlrude Du haut du Ciel tous les dieux dénichoir, Et hbrement sur leur compte rioir Desbords du Pont, cberchant la compagnie 00 Réautnur. {*>) Lri 15. .Je.  Epitres fa'juiEats. u3y Le tendre O vide après ceux-ci venoit, Et des couleurs de son riche génie Trop brillamment décoroit 1'élégie ; Avidement pourtant on le lisoit. Plus loin , parut ce célèbre sceptique («), Qui bien armé de sa dialectique , En un champ-clos combattit les docteurs , Qui sut a bout pousser le fanatique , Et foudroyer l'orgueil théologique , En détruisant le règne des erreurs. La , j'appercus le vieux bon-homme Flomère, Qui . se voyant obscur.ci par Voltaire , Dans son poëme avec soin se cachoit, Et des Ligueurs 1'Iliade couvroit. Au-dessus d'eux , en belle reliure , Je vis 1'auteur qui peignit la Nature (b), Ce bel-esprit qui par ses vers divins Illustra plus 1'empire des Romains , Que les Césars n'ont pu par la victoire En assurer la grandeur et la gloire. C'estda , Jordan , chez ces illustres morts , Que ton esprit de la nature entière Approfondit 1'essence et les ressorts , Et prend si haut son vol et sa carrière. J'estime fort tes soins laborieux , Et tes travaux profonds et studieux; Mais , cher Jordan , te couvrant dans ta vie De ces lauriers rares et précieux, Qui sur le Pinde excitent tant d'envie , Dis-moi, Jordan , en es-tu plus heureux ? («) Bayle. (f) Vtrui!?.  2/|Ö Éri Til ES fAltluiuES. Comptons ici les pe.'nes qu'il faut prendre , 1 Pour arriver k 1 nnmortalité t' Si tu gagnas en t'efforeant d'apprendre , Tu perds , Jordan , ta propre liberté : Oui, dans Terreur, en toi l'orgueil préfère Un vain encens, une vapeur légère Au vrai bonheur, a la félicité, Que tu pouvois, ayant le don de plaire, Trouver chez nous dans la société. Comme 1'on voit a la fin de 1'automne, Ayant payé ses tributs a Pomone, I a terre en paix respirer le repos % Ainsi, Jordan, renonce a les travaux : Reviens chez nous ,-dans ce sé/our paisible, De 1'amitié recueillir tout le fruit» Assez long-temps, par un travail pénible , Tu cultivas le champ de ton esprit, L'étude enfin, crois-moi, devient nuisible, II faut par fois se dónner du répit: Tout se repose ; et même la Nature Fait aux étés succéder les hivers; Mais le printemps répare avec usure Le temps stérile ou dormoit l'univers. Plus d'un plaisir est préparé pour Fhomiite . Mais de ses biens négligent économe, Il n'en sait point lirer tout 1'usufruit. Chazot se plait dans la chasse et le bruif;, Le bon Jordan dans ses savantes veilles, Césarion a vider des bouteilles, Un courtisan a briller a la cour, Un amoureux a soupirer d'amour, L'ambitieux a sentir la fumée D un vain encens qu'offre la Renommee j Le  E P I T It E S ÏA JIU1ERE5. 2^ ï Le gros Auguste (a) & payer des desserts, Et moi peut-ètre a cheviller des vers. Nos plus beaux jours se passent comme une ombre; Sage Jordan, pourquoi borner nos goüts ? Ah! je voudrois en augmeuter le nombre; L'homriie sensé doit les réunir tous. Pensant ainsi, ta sagesse épurée N'est point austère, insupportable, outréej Dans les momens d'une aimable gaité, J'ai vu ta tête au Pinde révérée, Du tendre myrte et de pampre parée; Et j'ai cru voir assise a ton cóté Ton Uranie en Vénus décorée, Et la Raison, des Graces entourée, Qui par principe aimoit la Volupté. Viens donc jouir sous un autre empyrëe. Du doux plaisir qui fuit avec le temps : Hate tes pas ; car dans cette contrée, Point de salut pour nous sans les Jordans, Je t'attendrai sous ces hêtres antiques, Qui relevant leurs fronts audacieux , Entrelacant leurs branchages rustiques, Et nous donnant leurs ombres pacifiques , Semblent toucher a la voute des cieux : Au.lieu, Jordan, de nos riches portiques, Sous leurs abris , simples, non magnifiqueSj La Volupté régnoit chez nos aïeux. C'est-la qu'en paix je vois couler ma vie Sans préjugés et sans ambition; Cherchant le vrai dans Ia philosophie, Et me bornant a ma condition : (a) Le Roi de Pologne, Augnste III, Tomé UT Q  2^2 E P I T II E S F A M I I. I È II E S. La, plein du dieu de qui le feu m'inspire, Je peins en vers quelques légers tableaux, Et de ma voix accompagnanfrna Jyre, Je fais souvent répéter aux échos Les noms chéris d'ainis que je révère. Et méprisant ennemis et rivaux, Compatissant, ami tendre et sincère, Toujours enclin a servir les humains, J'attends sans peur 1'arrét de mes destins. A MA SCEU11 DE BAREUTH. Sur ses malheurs et notre amiué. É P I T R E VI. Digne et sublime objet d'une amitié sincère, Sceur, dont la solide vertu T'a fait 1'idole de ton frère; O toi! que le Destin têtu Poursuivit constamment d'une rigueur sévére; O toi! dont le coeur débonnaire Par un tissu de maux ne fut point abattu; Depuis nos jeunes ans, un sort toujours contraire* Obstinément sut t'accabler; L'injustice dardantsa langue de vipère, Osa de plus te désoler. Dans ton premier printemps, un foudre politique Sur ta téte vint k ere ver, Et la méchanceté, par un sentier oblique, Contre ton innocence eut 1'art de soulever De ton sang, justet Dieux.! la «ourcü alors inique.  E PIT HES F A M Til £ JVt 5. j '") Tu plias sous Ie joug de 1'humble adversite; Le premier soleil de ta vie, Eclipsé dans son cours par un nuage impie , Te plongea dans Pobscurité. Enfin, qui n'auroit cru que le sort et 1'envie Auroientusé leurs traits dèsdors a t'affronter? Mais k présent la maladie, Par un tourment nouveau, vient te persécuter, Dieux ! détournez de ma pensee L'objet d'un présage effrayant; De douleur mon ame oppressée, Mon cceur abattu, défaillant, Tremblent dans ce péril extréme, Que la Mort, de son fer tranchant, Ne me sépare en ce moment De cette moitié de moi-méme. Plutót tournez sur moi, Destins ou Dieux j'aloitx' Le redoutable poids de vos inj'ustes coups! Frappez, puisqu'il le faut, de votre faux sariglante, Je m'offre victime innocente; Mais ne frappez que moi; sans me plaindre de vous Je bénirai plutot votre main bienfaisante ; Oui, je détournerois, impitoyables Dieux, Votre colère vengeresse : De tes jours, chère Soeur, de tes jours précieux En me sacrifiant par effort de tendresse Mes vceux sont exaucés; de plus heureux destins Ecartent déja les nuages, Et feront succéder des jours clairs et sereins Au déchalnement des orages. Le haut du ciel s'ouvre pour moi, Dans mon transport divin j'y voi Les destins fortunés qui pour vous se préparent; Q a.  a,{ l Epithes rAjtiLiniïs. Les chagrins sont bannis, tous les maux se réparent. Tous les Dieux k la fois dans 1'Olympe assemblés, Regrettant les malheurs sur vous accumulés, Veulent en réparer la honte; Et piqués d'émulation , Ils ont tous résolu que chacun pour son compte Vous fera réparation. Mais de cette troupe immortelle Minerve, qui vous fut fidelle, Mérita seule exemption. La tendre beauté de Cythère Arma pour vous son fils 1'Amour: Rends-toi sur ton aile légere, Dit-elle, au terrestre séjour. Ce n'est point cetAmour au cceur changeant et doublé, Dont la brutalité s'applaudit dans le trouble; Dont le funeste empire est tout cet univers; Mais le dieu du tendre Hyménée, Ce dieu que votre destinée Vous peint mieux que ne font mes vers. Diane des bois accourue, Dit: Que ma chasse contribue A rendre variés les divertissemens Dont jouit ma princesse en ces bois innocens. Aussi-tót vos rochers d'animaux se peuplèrent; Dans vos sombres forêts les biches s'attroupèrent; Le cerf recut la mort de vos adroites mains; Le renard fut forcé, fuyant de sa tanière; Le cruel sanglier termina ses destins; Et d'un coup bien visé 1'adresse meurtrière, Partant aussi-tót que 1'éclair, Précipitadu haut de la plaine de 1'air, La perdrix, le faisan et le coq de bruyère.  E r I T R F. S FlMIllÈRES. s45 Apollon qui voyoit les succès de sa sceur, De vos plus doux destins voulut avoir l'honneur^ Avec les iilles de Mémoire, 11 descendit dans 1'auditoire, Que vous élevates aux arts; II j planta ses étendards; Et la touchante Melpomène, Au milieu des fureurs, des poisons, des poignards, Fixa sur la tragique scène Et votre goüt et vos regards. Après elle parut Tlialie, Sévère au sein de la folie; Qui sur le ridicule oü tombent les humains, Jette son sel a pleines mains. Lors vint du sein de TAusonie, L'harmonieuse Polymnie, Qui joignoit avec art a ses diyins accords, Aux doux charmes de la musique, Tout ce qu'a de pompeux un spectacle magique, Oü la profusion étale ses trésors. Ainsi que la troupe de Flore, Vint la bande de Terpsichore; Les Graces arrangeoient ses pas entrelacés, Et d'entrechats brillans avec art rehaussés. Enfin la Danse et la Musique, La Scène tragique et comique, Tous, k vous plaire , intéressés , S'animoient d'un même courage, Pour obtenir votre suffrage. Plus loin la troupe des savans, Sous les auspices d'Uranie, Venoit avec cérémonie, Pour vous consacrer ses talens. Q3  2-^ ' F !> I T n E S FjIM1I,if,resj Dans 1'ivresse de 1'ambroisie, Proférant d'immortels accens , Ma déité , la Poésie .Vous offroit son divin encens. La, bravant les glacés de 1'age , Un vieux chantre (#) prenoit courage } Et célébroit vos agrémens. Pour moi, jeune écolier d'Horace , A peine ai-je au pied du Parnasse Passé mon troisième printemps , Que rempli d'une noble audace , J'ose vous consacrer mes cbants : Ni le secours tardif des ans , Ni le secours prompt de Minerve, N'ont fait mürir ma jeune verve : Mais , chère Sceur , mes sentimens, Trop vifs pour souffrir la réserve , 'Affrontent tous ménagemens. Qui, plein du beau feu qui 1'anime, llrave la césure et la rime, Mais sait 1'art de parler au coeur, Surpasse d'un froid orateur Le purisme pusillanime. ( Quoi! leur brillante aurore et leur fatal déclin N'auront duré qu'un seul matin ? La Mort sèche et livide arme sa main tremblante , Je vois sa faux étincelante Menacer Hérement la trame de vos Jours. Ah ! de ta fureur dévorante , Barbare , au moins suspeucls Ie cours. Des enfans d'Hippocrate un funèbre cortège Vous tient au lit et vous assiège Par ses drogues et ses onguens, Se perd en ses raisonnemens , 'Abuse ses dévots et ne vous trompe guère : Aux superstitieux Lucrèce lit la guerre , Vous la faites aux charlatans. Hé quoi! l'homme d'esprit, avec l'homme vulgaire Est donc assujetti sous 1'empire des sens ? ' Hélas! il est trop vrai: l'homme est bien peu de chose Et, s'il s'épanouit comme une fraiche rose * II se fane au soufde des vents : TTn fragile tissu de libres diaphanes, Des ressorts déliés , de débdes organes , De nos jours fugiüfs sont les foibles garans ; L'artiste arrangement de ce frivole ouvrage', Est 1'ceuvre dün auteur plein d'ostentation, ' Et s'il nous fit a son image, 11 ne pensa point a 1'usage ,  IlriTTVES FAMILlÈrtES. 243' Que dans ce monde nous ferions De ce corps fait de fdigrane : Etui ridicule , oü le crane Recèle mille passions. Quand des Amours badins la compagne riante , En séduisant nos eoeurs , endamme nos désirs , Dün prestige enchanteur la force décevante Persuade a dArgens d'une voix complaisante , Qu'il est 1'aigle en amour, Hercule en ses plaisirs. Dès que 1'Amour volage une fois nous affecte, II se fait un miracle , un changement soudain ; Le débile et rampant insecte Pense que son corps est d'airain. Partez , Plaisirs , partez ; k jamais je vous quitte : De vos brillans dehors mon ame fut séduite : Tumulte , Astuce , Vanité , Douce Erreur , flatteuse Chimère , De votre peu de savoir-faire Mon esprit n'est plus entété : Revenu de ma folie ivresse , Le rêve disparoit et 1'enchantement cesse , Tout fait place a la vérité. Le palais enchanteur oü m'attiroit Armide, Est par 1'expérience au juste apprécié. Plaisirs , vous ne pouvez ni remplacer ce vide, Ni tranquilliser 1'amitié.  a5o Eïitüks awmhEs. A D'ARGENS. Invitation aux plaisirs de Sans-SoucL ÉPITRE VIII, WLi, 1'lnver décrépit fuit devantle printemps ; Les aquilons fougueux, 1'impétueux borée , Ne se déchainent plus sur nos fertiles champs f Et la vague liquide est enfin délivrée De ses glacons engourdissans : Dessus une arène dorée Nos ruisseaux tortueux serpentent librement t Des mains de la Nature élégamment paree , Simplement, sans art décorée , Flore embellit ces lieux par ses riehes présens. Tout renait sous le ciel : 1'année adolescente Rappe 11e de nos jours la jeunesse charmante ; La rose le dispnte aux rubis éclatans, L'émeraude le cède aux feuillages naissans • Mille brillantes fleurs éniaident ce booa«e Et les chantres des bois , par leur tendre ramage , Font répéter leurs sons aux échos indiserets. Mais , indolent marquis, tandis que je vous fais , De cette saison ravissante , Par mes crayons quelques portraits x La Paresse , qui vous enchante , L'oeil chargé de pavots , engourdie et pesante , Sous ses loix vous oaptive enfin. Hermite au centre de la ville , Et presqu'inconnu dans Berlin , En vain la campagne fertile  'E p i t n e s familie hes. a5i Vous offre un plus riant destin. Quittez cet ennuyeux asile , Les noirs chagrins , les embarras , Ces soucis , ces procés , ces rats , Qui ne font qu'échauffer la bile : Suivez les plaisirs sur mes pas ; Venez a Sans-Souci: c'est la que 1'on peut étre .Son souverain, son roi, son véritable maitre; Ce champêtre séjour, par sa tranquillité, Nous invite a jouir de notre liberté. D'Argens, si vous voulez connoitre Cette soUtude champêtre, Ces lieux oü votre ami composa ce discours, Oü la Parque pour moi file les plus beaux jours ; Sachez qu'au haut d'une colline, D'oü 1'ceil en liberté peuj: s'égarer au loin , La maison du maitre domine : D'un ouvrage fini 1'on admire le soin, La pierre sous la main habilement taillée, En divers groupes travaillée, Décore 1'édifice et ne le charge point. A 1'aube ce palais se dore Des premiers rayons de 1'aurore, Sur lui directement lancés : Par six terrasses différentes, Vous deseendez six douces pentes, Pour fuir dans des bosquets de cent verds nuancés. Sous ce branchage épais, des nymphes enfantines Font sauter' et jaillir leurs ondes argentines Sur des marbres sculptés, qui ne le cedent pas Aux chef-d'oeuvres des Phidias. La le train de mes jours a la démarche unie; La ne règne point la folie  -oa E ut At s 1 a jiiiijhes. Des assommans et longs repas, Que la coutume règle avec sa tyrannie; Oü 1 ennui baillant s'associe A la profusion des modernes Midas; Oü le rire glacé tout hautement renie La discordante compagnie, L etiquette et les embarras. Une table a midi frugalement servie, Qu'on sait assaisonner par d'utiles propos, Oü les traits pétillans de la vive saillie S'égayant quelquefois sur le compte des sots, i pourvoit sans excès aux besoins de la vie ; On y préfère des bons mots La saillante plaisanterie, A la gourmande intempérie De vos Apicius et de tous leurs héros. La ne parolt point sur la scène, Dans les convulsions des longs embrassemens, L'infame Fausseté, ni 1'implacable Haine, Dont la perfide bouche articule avec peine La trahison des complimens. La ne se trouvent point ces gens Que 1'amour-propre peint des couleurs les plus belles, Qui sur tous les sujets sont de parfaits modèles; Leur discours est comme un miroir Oü leur fatuité s'admire et se fait voir. La ne se trouvent point ces bégueules titrées, Ces prudes en chaleur, ces froides mijaurées , Qui discutent des riens, et qui rient en charus, La, grace au Ciel, sont inconnus Ces longs discoureurs méthodiques, Argumenteurs métaphysiques, 'Fous anes baptisés en us.  E f I T IV E S F A M I L I E R E 8. a53 La n'habitent point la Critique Au ris malin, a 1'air caustique; Ces atrabilaires Argus A 1'ongle venimeux, a la dent qui déchire, Aux infernales eaux abreuvant leur satyre; Et ces bavards et ces facheux, Tous parasites ennuyeux. Cette tranquille solitude Défend, comme un puissant rempart, Contre tous les assauts qu'avec la multitude La turbulente Inquiétude Livre aux sages amans des sciences , des arts. Ah ! d'Argens, que l'espèce humaine Est sotte, folie, avide et vaine ! Heureux, qui retiré dans un temple k 1'écart, Voit, sous ses pieds, grossir etgronder les orages Contemple de sang-froidles écueils, les naufrages, Oü les ambitieux, vains jouets du hasard, De leurs tristes débris vont couvrir les rivages! Heureux, cent fois heureux, le mortel inconnu, Qui, d'un esprit non prévenu, Kepoussant hardiment le poison de la Gloire, De sa coupe jamais n'a bu; De qui le goüt solide est enfin revenu De tous ces vains lauriers que dispense l'histoire; Et qui, par ses vertus vers son siècle acquitté, N'élève point d'autels a sa propre mémoire, Ne gueuse point 1'encens de la postérité! Méprisons tous ses fous qui priment sur les autres Marquis, ces faux plaisirs ne seront pas les nótres Ah ! plutót 1'on verra d'Argens levé matin, L'ane emporter le prix k la rapide course . La Camas devenir catin.  »54 "R****** r^inuijtEj. Ou 1'Elbe regorgeant remonte* vers sa source Laissons les glorieux eux-mêmes s'applaudir, Et tandis que leur faim ne pourra s'assouvir Qu entassant les pro/ets que forme 1'inconstance Que morts pour le présent, iU vivent d'espéranc'e Pratiquons, nous, 1'art de jouir; Et laissant abboyer et Cerbère et 1'Envie Considéronsle temps, dont Ie rapide cours Aous ravit, en fuyant, les instans de la vie Précipite nos plus beaux jours , Et nous entraine, héias ! avec trop 'de furie , De la vive jeunesse a Ia caducité : La fleur k peine éclose est aussi-tót flëtrfe • A peine l'homme est-il, qu'on dit: A-t-il été ?.. Déja votre ame est alarmée ' ' Du ton de la réflexion : Oui, la vie est un songe, une vaine fumée; Un théatre oü 1'illusion A fait un trafic de chimère. Mais dela ma conclusion, D'Argens, ne doit pas vous déplaire J Ma sincère amitié vous conjure de faire Usage du plaisir qui fuit; De fixer d'une main légère La jouissance passagère Qui paroit et s'évanouit. Que m'importe demain quel est le jour qui suit.» Que les aveugles Destinées Nous gardent de longues années, Répandent sur nos sens leurs divines faveursOu que nous accablant d'infortunes cruelies ) Leurs bras appesantis nous combient de riguèurs » Parons toujours nos fronts de ces roses nouvelle, •  E PI TRES FAMILIÈRES. 3j5 Bemplacons les vrais biens par de douces erreurs; A ces Ainours badins allons ravir les ailes, Et décochons leurs traits droit au cceur de ces belles: Nous ne sommes enfin maitres que du présent; A différer le bien, souvent 1'bomme s'abuse : Jouissons de ce seul instant, Peut-étre que demain le Ciel nous le refuse. a maupe11tuis, Sur son retour a Pa/is. ÉPITRE IX. Vc us revoila donc a Paris, Parmi messieurs les beaux esprits; Au centre de la politesse, Des arts et de 1'urbanité Que posséda jadis la Grèce; Caressé par une duchesse , Désiré, par-tout invité ; Jouissant dans votre patrie, Et de Festime et de 1'euvie, Qu'attire toujours après soi Le mérite, dont 1'éminence A la méprisable ignorance, Tacitement donne la loi. Que la France sera jalouse, Qu'FIymen, par le cboix d'une épouse, Ait fixé vos vceux a Berlin! » Ma chère , c'est un géomètre, j) Dira I'une d'un air malin ; » Dans le monde il passé pour étre » D'un jugeinent net et certain v.  356 Epitres eamilières. Le feu lui montant au visage, Elle sent d'autant plus Toutrage Que vous faites a ses attraits : L'autre répond, pleine de rage : » Ah! c'est qu'il n'est pas bon.Francois «. Bientöt un nouveau flux de monde Vous entralne vers ce séjour, Oü, de la nature profonde, L'art a tétons suit le détour. Dans cet aréopage auguste, On distingue ce vieux Nestor, Beste chéri de 1'age d'or, Dont l'esprit gai, profond et niste, Semble triompher de la mort («). La sont protégés d'Uranie Et les Clairauts et les Mairans, Votre émule de Laponie , Et tant d'autres, tous vrais savans. Dela vous vous rendez au temple Qu'Armand fonda, tant pour son nom Que pour le culte d'Apollon; Oü 1'étranger ravi conteinple Tous les dieux de votre Hélicon : Quarante plumes triomphantes Y portent des coups foudroyans Aux solécismes renaissans. Dans cette compagnie illustre, L'un brille d'un plus vif éclat; II en est 1'ornement, le lustre; Du Pinde il a le consulat; Comme un cèdre, qui se redresse, frf) Fontcnelle. Léve ,  E PI TH ES rAHiLlÈKES, Léve, sur la forét épaisse, Son front superbe et sourcilleux i De même ce moderne Homère, Au-dessus du savant vulgaire, Semble porter son vol aux cieux. Plus loin, aux bords de 1'Hippocrèné, On voit 1'amant de Melpomène, Son Gatilina dans les mains, Faisant haranguer sur la scène Le Démosthène des JAomains. La , prenant une autre tournure , Chiche de mots, mais plein de sens, Vsbec crayonne a ses Persans, De nos moeurs la folie peinture. Et plus loin, sur un flageolet, Un héroïque perroqüet.... Mais quels sont ces cris d'alégresse, Ces chants, ces acclamations? Le Francois, plein de son ivresse, Semble vainqueur des nations; II 1'est; et voila que s'avance La pompe du jeune Louis : LAnglois a per du sa balance, LAutrichien, son insolence ; Et le Eatave encor sürpris , En grondant, bénit la clémence De ce héros dont 1'indulgence Pardonne après 1'avoir soumis. Ce prince, a son peuple qui 1'aime, Immole son ambition; Plus grand, k mon opinion, De s'être subjugué lui mêirie, Que s'il eüt, moderne Césart Torne III.  Z58 E P I T 11 E S Ï1MII.IKRE5, Attaché la Flandre a son paar. Les Francois suspendent leurs arnies ; Les arts, les plaisirs et l'amour Bannissent les froides alarmes : Mais régna : chacun a son tour. Ces cyprès qu'un sang magnanime Arrosa, pour punir le crime De vingt rois contre vous liés, Soudain se changent en lauriers. Les roses couronnent vos têtes , Tous les jours sont des jours de fêles, Quand Janus ferme son palais... Qu'il est beau de cueillir la paix Au sein brillant de la victoire ! Louis, ton immortelle gloire Va de pair avec tes bienfaits. De cette charmante patrie, Maupertuis , goütez les douceurs; Mais, du centre de ses splendeurs, Ecoutez du moins,, je vous prie, Les tristes regrets qu'a Berlin Exhale votre académie : Ce sont des plaintes d'orphelins, Bevendiquant en vous leur père; Leurs pleurs et leur douleur amèr«? Fléchiroient des coeurs de marins. Toute leur gloire est éclipsée, Toute leur grandeur est passée. Telle qu'on voit dans un jardin, La rose, manquant de rosée, Se détrir dès le lendemain; Tel ce corps, sans votre présence, Dans les langueurs de 1'indolence,  Er-ITRES PAMILJïKtS. ss'J>) S'achemine vers son cléclin. Lorsqu'un berger sage et fidéle, Sait quelques loups dans son cantbn, Abandonne-t-il ses moutons A leur dent vorace et cruelle? Et vous qui fites soulever Les argumentateurs sophistes, Tous les professeurs monadistes, Criant par-tout pour nous braver ; Et que, dans 1'obscurité sombre , Ils ferraillent encor dans 1'ombre; Qu'on entend par-tout disputer, Distinguer, prouver, réfuter, Et pérorer des gens austères Du style aigre des harangères; Dans 1'acharnement du combat De tous ces cuistres è rabat, Vous quittez ces champs de bltailJes» Et fuyez en poste a Versailles, Pour respirer votre air natal. Ainsi Rome de ses murailles Vit la retraite d'Annibal; Et tandis que 1'Africain loue Ce courage aux Romains fatal, Le héros s'endort a Capoue. Votre Capoue est dans Paris; La volupté chez nous proscrite, Ce peuple doux et sybarite, Nombre de commodes maris, Au différent métaphysique Des revers facheux pronostique... A Paris, il est des élus Du dieu de la délicatesse; R 2  *6o E I» I T ft E S ÏAKIuiR£5, Leur esprit est plein de finesse ; Deux partent des traits imprévus, Brillans de feu, de gentillesse : C'est-la que vous êtes sans cesse; Mais de chez eux seroit exclus, Quiconque nommeroit fespèce De nos bons professeurs en us. Quittez ces divins sanctuaires Etd'TJranie et de Clio; Suivez mes avis salutaires; Allez retrouver vos corsaires, Dans votre port de Saint-Malo. C'est-la que mon esprit sans crainte Et sans alarmes vous saura; Je n'appréhende point 1'empreinte, Que sur votre cerveau fera L'e'loquence^rossière et plate, Et 1'atticisme d'un pirate, Füt-ille fils de Guay-Trouin, Demi-homme, demi-marsouin; Gar mon amour-propre se flatte, Que Saint-Malo devant Berlin Baisse Ie pavillon k plein. Quand de Ia Mer Ffyperborée, L'astre étincelant des saisons Aura fondu tous les glacons; Qu'ici la Nature paree, Etd'éclatans rayons dorée, Poussera feuilles et boutons ■ Que le printemps, de sa livrée Décorera tous cescantons: Alors cet astre secourable, Dans une saison favorable,  Epitiies iamilièiies. aGi Protégera votre retour. L'Académie inconsolable, Dès 1'aurore de ce beau jour, Quittantles noires élégies, Célébrera par ses orgies L'empire de son président; Et dans ces j'ours tissus de soie, Retentiront des cris de j'oie De 1'Elbe j'usqu'a 1'Eridan. A CÉSARION. Souhaüs de paix pendant la guerre de i74i< É P I T R E X. De ma bavarde poésie Ne vous lasserez-vous j'amais ? Et des camps de la Silésie, N'attendrez-vous de moi que nouvelles de paix? Lorsque Mars m'étourditdu son de sa fanfare, Et que tout ici se prépare A vider par le fer un illustre procés; Ma cervelle est assez bizarre, Pour barbouiller ces vers aussi foux que mauyais. Mais puisqu'enfin de ma folie Césarion se dit 1'aimable protecteur, Qu'il veut m'érigeren auteur, Son attente sera punie; Au dieu de ces beaux yers parfumés d'ambroisie, R 3  üGa E r i t ii e s tamjlières. D'une détestable liqueur Je ne vous offre que la lie; Et poétique gazetier, Des nouvelles de ce quartier, Dans un pompeux amas d'inutiles paroles, Je veux vous faire ici quelques contes frivoles. Apprenez donc que nos Césars, Désoeuvrés dans ces champs de Mars, Ne font que rire, aimer et boire; Tandis que nos plaisans housards, En préludant sur la victoire, PrennentMercure pour la Gloire: S'ils se trompent si lourdement, C'est qu'ils ne sont pas trop savans, Peu versés en mythologie, Guère plus en théologie, Confondantles biens et les gens: Tandis qu'engraissés de pillage , Chez nos rivaux ils font tapage ; Nous demandons de vous, digne suppöt des arts , Qu'auterme de tous nos hasards, Vous nous conduisiez vers ce temple Oül'étranger surpris contemple Toute la grandeur des Roinains, Dans leurs plus florissans destins: Dans cette salie orbiculaire, La basilique et sanctuaire Des voluptés et des plaisirs; Ou nous entendrons les soupirs De la touchante Melpomène; Oü nous verrons tout le domaina Et des Muses et d'Apollon; Dans 1'opéra ce dieu fera le violon ,  E p j T S E s F a MII.iÈRFS. .263 ïl daignera lui-même inspirer 1'harmonie, Et soutenir la mélodie ; Du chant, des instrumens, iluniraleson Au charme d'une voix sonore; De plus, il daignera nous enrichir encor e, En y j'oignant 1'illusion Que met la décoration A la danse de Terpsichore. La, n'ayant plus rien sur les bras Des héroïques embarras Qui me font grisonner la tête; Oubliantle dieu des combats, Nous pourrons célébrer la fête De Cypris et du tendre Amour; Les coeurs seront notre conquête , Le cu d'Eglé, notre tambour ; Et les Graces seront de jour; Les bouteilles seront nos armes, Les myrtes seront nos lauriers, Et les bacchantes nos gendarmes ; Les lits seront témoins de nos exploits guerriers; De plus, la bahoute et le masqué Pourront nous tenir lieu du casque; De légers escarpins serviront de coursiers; Dans ce nouveau palais (a) de noble architecture, Nous jouirons tous deux de la liberté pure, Dans 1'ivresse de 1'amitié; ✓ L'ambition, 1'inimitié, Seront les seuls péchés taxés contre nature ; Le culte ne s'adressera, Et notre encens ne fumera, («) Clurlottjnbom'?. .  *U É»ït»s« ïamiLiè n£ Que sur ]es autels d'Epicure Tandis que /e vous fa» eette aimable pBw6uw, Ues plaisirs dont nous jouirons, Vous languissez dans les prisons Du terrible dieu d'Epidaure: A sesprêtres, vos assassins, Par erreur nommés médecins, Si vous voulez guérir encore ' Faites prendre tous les matins Doublé portion d'ellébore: Alors quand le triste Orion Sur nos champs dépouillés de ïa moxssoii nouvelle Wra, par les vents, etla neige et Ja gréle ' Vous verrez , ch'er Césarion, * Dans les murs de notre Ilion \ De retour, votre ami fidéle,/  X' A R T DE LA GUERRE. CHANT PREMIER. "Vous qui tiendrezun jour par Ie droit de naissanc* Le sceptre de nos rois , leur glaive et leur balance, Vous le sang des héros , vous 1'espoir de 1'Etat, Jeune Prince , écoutez les lecons dün soldat, Qui formé dans les camps, nourri dans les alarmes, Vous appelle a la gloire, et vous instruit aux armes, Ces armes, ces chevaux , ces soldats , ces canons , Ne soutiennent pas seuls l'honneur des nations ; Apprenez leur usage et par quelles maximes Un guerrier peut atteindre a des exploits sublimes : Que ma muse en ces vers vous tracé les tableaux De toutes les vertus qui forment les héros , De leurs talens acquis et de leur vigilance , De leur valeur active et de leur prévoyance, Et par quel art encore un guerrier éclairé De 1'art méme franchit le terme resserré. Mais ne présumez pas que dangereux poè'te Entonnant des combats la funeste trompette , Ebloui par la gloire , iyre de son erreur , J'inspire a votre audace une aveugle fureur. Je ne vous offre point Attila pour modèle , Je veux un héros juste , un Tite , un Marc-Aurèle . Un Trajaq, des humains et 1'exemple et l'honneur ,  L'A n t de la Gut urtE. Que la vertu couronne ainsi que la valeur. Tombent tous les lauriers du front de la victoire y Plutót que Pinjustice en ternisse la gloire !.. O bienfaisante Paix , et vous Génie heureux , Qui sur les Prussiens veillez du haut des cieux .' Détournez de nos champs, des cités, des frontières , Ges ravages sanglans , ces fureurs meurtrières, Ces illustres fléaux des malheureux humains. Si mes voeux sont recus au temple des destins , Consentez qu'a jamais ce florissant empire Goüte sous votre abri le repos qu'il désire , Que sous leurs toits heureux les laboureurs contens Recueillentpoureux seuls les moissonsde leurs champs Que sur son tribunal Thémis en assurance, Réprime 1'injustice , et venge 1'innocence ; Que nos vaisseaux légers , fendant le sein des eaux, Ne craignent d'ennemis que les vents et les flots ; Que tenant dans ses mains 1'olivier et 1 'égide , Minerve sur le tróne a nos conseils préside. Mais si d'un ennemi l'orgueil ambitieux De cette heureuse paix rompt les augustes nceuds, Rois , peuples , armez-vous , et que le Ciel propice Soutienne votre cause , et venge la justice. C'est a toi, dieu terrible , k toi, dieu des combats, A m'ouvrir la barrière, a conduire mes pas. Et vous charmantes soeurs , déesses du Permesse , Gouvernez de ma voix la sauvage rudesse , Rendez d'un vieux soldat les chants mélodieux, Accordez ma trompette au luth harmonieux. J'entreprends de placer par une heureuse audace , Le dieu de la victoire au sommet du Parnasse ; Je veux armer vos fronts de casques menacans. Ma main ne peindra point le transport des amans ,  C H A N T P il I K I E R. :dr- Leurspeines, leurs plaisirs, leurs larcins ,1e urs carf JN i des coeurs des héros les indignes foiblesses ; Que le chantre du Pont, dans ses douces erreurs. Va rite le dieu charmant qui causa ses malheurs, Qu'a ses flatteurs accens les Gracessoient sensibles; Je ne vous offrirai que des objets terribles , Vulcain, qui sous 1'Etna par ses brülans travaux Forge, a coups redoublés, les foudres des héros , Ces foudres redoutés entre des mains habiles , Qui tantót font tomber les fiers remparts des villes , Tantót percent les rangs dans 1'horreur des combats, Et font dans tous les temps le destin des Etats. Je peindrai les effets de cette arme cruelle Qu'inventa dans Baionne une fureur nouvelle, Qui du fer et du feu réunissant 1'effort, Aux yeux épouvantés offre une doublé mort. Au sein de la mélée , au milieu du carnage , On verra des héros le tranquille courage, Réparer le désordre , et prompt dans ses desseins . Disposer, ordonner, enchainer les destins. Avant que de traiter ces matières sublimes , II faut vous arrêter aux premières maximes. Ainsi quand 1'aigle enseigne a ses jeunes aiglons . A diriger leur vol aux champs des aquilons, Couverts k peine encor d'une plume nouvelle . La mère en s'élevant les porte sur son aile. O vous ! jeunes guerriers , qui brülant de valeur Préts a vous signaler dans les champs de 1'honriciu, Vous arrachez aux bras düne plaintive mère, N'allez point vous llatter, novices a la guerre , Que vous débuterez par d'immortels exploits : Passez, sans en rougir, par les derniers emplois; Durement exercés dans un travail péniblè ,  v.dS L' Au * de li a Guerre. Du fusil menaeant portez le poids terrible, Jiendez votre corps souple a tous les mouvemens Que le dieu des guerriers enseigne a ses enfans ; Tous fermes dans vos rangs, en silence immobiles, L'coil fixé sur le chef, a ses ordres dociles, Attentifs a sa voix, s'il commande , agissez, En mouvemens égaux a 1'instant exercez, .Apprenez a charger vos tubes bonheides , Avancez fiérement a grands pas intrépides , Sans flotter, sans ouvrir et sans rompre vos rangs : Tirez par pelotons en observant vos temps ; Prompts sans inquiétude, et pleins de vigilance, Aux postes dont sur vous doit rouler la défense , Attendez le signal, et marchez sans tarder : Qui ne sait obéir ne saura commander. Tel sous Louis de Bade exercant son courage rinck (<«) de Part des héros a faitl'apprentissape. Des troupes qu'on rassemble en formidables corps , J.es derniers des soldats composent les ressorts Ges ressorts agissans, ces membres de 1'armée D'un mouvement commun la rendent animée. ( Test ainsi pour fournir aux superbes jets d'eau Que Versailles renferme en ses vastes enclos, Qu'a Marly s'éleva cette immense machine Qui rend la Seine esclave , et sur les airs domme;Cent pompes, cent ressorts & la fois agissans Pressent dans des canaux les flots obéissans : Jusqu'a la moindre roue a sa tóche marquée; Qu'une soupape cède , ou foible ou détraquée, La machine s'arrête , et tout 1'ordre est détruit. (.;) Lc mnréchnl Finck , mort cn 1736,  ChANT premie Ai 2S9 Ainsi dans ces grands corps que la gloire conduil, . Que tout soit animé d'un courage docile; La valeur qui s'égare est souvent inutile , Des mouvemens trop prompts, trop lents, tropincertaiiis Font tomber les laur iers qu'avoient cueillis vos mains. Aimez donc ces détails, ils ne sont pas sans gloire , C'estda le premier pas qui mène a la victoire; Dans des honneurs obscurs vous ne vieillirez pas . Soldat vous apprendrez a régir des soldats ; Bientót chef éclairé d'une troupe intrépide, Marchant de grade en grade oule devoir vous guide, Vous verrez sous vos loix un bataillon nombreux; Présidez a sa marche et gouvernez ses feux, Montrezdui dans quel ordre un bataillon s'avance , Charge, tire, recharge, et s'arrête ou s'élance. Les Prussiens nerveux, tous robustes et grands, Vainquent leurs ennemis, combattant sur trois rangs; Surplus de profondeur leurs rivaux, pleins d'audace, Résistant un moment leur ont cédé la place. II faut qu'un bataillon marche d'un pas égal, Qu'il ne prodigue point son tonnerre infernal, Que son front hérissé pointant la baïonnette, Etonne 1'ennemi, le force k la retraite. II faut renouveller vos combattans altiers , La mort aux champs de Mars moissonne les guerriers ; Pour maintenir l'honneur de ces troupes augustes , Choisissez avec soin des hommes forts, robustes : Mars veut que sans quitter leurs rangs et leurs drapp.aux lis portent en marchant les plus pesans fardeaux; Des corps moins vigoureux, vaiucus de lassitude, N'atteindroient pas la fin d'une campagne rude. 'Tels au milieu des bois les chênes sourcilleux Affrontent les assauts des vents impétueux,  .170 . L'An c r> e r. a G ti e h ji t, Tandis qu'a leurs cótés le soufflé de Borée Renverse des sapins la tige resserrée. Tels sont ces hommes forts, ces robustes lionS Dont il faut repeupler nos braves bataillons. Si voulant acquérir une gloire certaine, Vous aspirez au nom de fameux capitaine, Des armes connoissez les emplois différens, A les bien manier exercez vos talens. Au combat du Lapitheil faut savoir encore [Jnir cet art guerrier qu'inventa le Centaure } Apprenez a dompter la fougue des chevaux, Qu'un nouveau Phivinel vous montre leurs défauts, Qu'ils sautent les fossés au gré de votre audace. Accoutumez vos reins au poids de la cuirasse , Que votre front pressé ne se plaigne jamais, Lorsque sur lui le casque a sillonné ses traits. La valeur sans adresse est tót outard trompée : Exercez votre bras a manier 1'épée ; Cette arme redoutable , et prompte en ses effets, Epouvanteet détruit les ennemis défaits; Mars daigne Fapprouver, il veut dans labataille Que le fer meurtrier porte des coups de taille. N'employez point le feu, combattant a cheval, Son vain bruit se dissipe, et ne fait point de mal; Parez quand il le fatit vos coursiers sur la croupe, Apprenez dans les champs a ranger votre troupe; Serrez vos cuirassiers, et que votre escadron, Des autres peu distant, garde le méme front. Faites-voiis enseigner par un guerrier habile Comme en ces mouvemens ce corps devient agile, Comment en un clin-d'oeil, par ses conversions, II prend, quitte ,reprend d'autres positions , Se transporte soudain, se forme avec yitesse,  CüiKT PniMIIK, 2-1 Dans des terrains divers manoeuvre avec souplesse; A 1'ordre de ses chefs attentif et soumis, Sur les ailes des vents fond sur ses ennemis, Et de son choc serré les pousse et les renverse, Lespoursuit dans les champs, les force etles disperseLa Grèce la première a planté nos lauriers : Spartefutle berceau, 1'école des guerriers . La naquirent jadis 1'ordre et Ia discipline; La phalange aux Thébains a dü son origine. Miltiade, Cimon, sageEpaminondas, Vous fites des héros de vos moindres soldats; I/artsuppléoitau nombre, et 1'audace aguerric . De 1 orgueil desPersans vengea votre patrie O jour de Salamine ! ó jour de Marathon ! C'est vous qui de la Grèce éternisez Ie nom. Regardez ce héros, ce roi de Macédoine, II donne a ses amis ses biens, sonpatrimoine ; Mais riche en espérance, et fier de ses vertus, II fond sur les Persans, il défait Darius ; (1 subjugua 1'Asie, et sa forte phalange Asservit le Granique et 1'Euphrate et Ie Gan^o. 'Dos bords de 1'orient le formidable Mars Dans le sénat Ilomain porta ses étendards: Ce peuple de guerriers , amoureux des alarmes. .Apprit de ce dieu méme è manier les armes; II combattit long-temps ses belliqueux voisins } A le favoriser il forca les destins ; Etrusques et Sabins, vaincus par sa vaillance, Gouvernés par ses loix, accrurent sa puissance; Fiére de ses exploits Paigle des légions Prit un vol élevé vers d'autres régions ; Rome de ses rivaux imitatrice heureuse, Tournant contre eux leurs traits, en fut victorieuss,  *7 . I/Art t de la Gutnac.' Ses camps furent changés en d'invincibles forts, Le Danube les vit, et trembla pour ses bords i Rome ainsi triompba du Germain, de ITbère De ce peuple faroucbe babitant d'Angleterre, De tous les arts des Grecs , des fins Garthagmois ; Des défenseurs du Pont,des grands corps des Gaulois, Et de tous les Etats qui composoient le monde. Mais cette discipline, en vicloires féconde, Qui les fit arriver au point de la grandeur, Sous les derniers Césars n'étoit plus en vigueur ; Alors les Gotbs, les Huns, les vagabonds Gépides , 'Moins guerriers que brigands, et de pillage avides , Ravagèrent 1'empire en proie a leurs fureurs. Vainement le Romain chercha des défenseurs, Et ce puissant Etat, touchant a sa ruine, Regretta, mais trop tard, 1'antique discipline. Cet art qui se perdit, après un long déclui, Sortit de son tombeau sous le grand Charles-Quint; Sous ce guerrier fameux Ia Castille aguerrie Fit craindre aux nations sa brave infanterie ; L'ordre 1'avoit soumise a sa sévère loi, Mais sa gloire périt dans les champs de Rocroi. Alors dün joug honteux rejetant 1'insolence , Exercé par Maurice a venger son offense, Apprenant k combattre, apprenant a servirLe Batave fut libre en sachant obéir; Et 1'exemple imposant de ce grand capiiaine Développa bientót les talens de Turenne ; Il apprit aux Francois le grand art des héros, Dont le sage Louis seconda les travaux; Le militaire alors eut ses loix et sa règle ; Mais Louis dans sa cour méconnut un jeune airle, Fds tendrement chéri de Bellone et de Mars, TSugène,  C li a t> t p a Eiim. 2~\> Eugène, le soutien du tróne des Césars. Sous ce savant guerrier, Defsau, dans son jeune Age, Fit de 1'art des combats le dur apprentissage, Et les Dieux protecteurs des camps autrichiens, Devinrent avec lui les Dieux des Prussiens. Voilacömme en tout temps 1'artque je vousenseigne, A soutenu les rois, a maintenu leur règne. Et si la discipline en est le fondement, Si sa force soutient ce vaste ba timent, Jugez de sa grandeur et de son importance. On ne peut 1'acquérir que par 1'expérience : Malheur aux apprentis dont les sens égarés Veulent, sans s'appliquer , franchir tous les degrës ! Tel étoit Phaéton , ce jeune téméraire : A lui prêter son char il conttaignit son père ; Sans qu'il süt gouvernér des Coursiers si fougüeux, Sans savoir le chemin qu'ils tenoient dans les cieux, Du char de la lumière il prit en main les rénes, Parcourant égaré des routes incertaines ; La foudre le frappa, dü vaste champ des airs Son corps précipité s'abyraa dans les mers. Téméraires, craignez Ie sort qui vous menace, Phaéton périt seul par sa funeste audace , Si vous guidez trop tót le char brillant de Mars , Songez que tout 1'Etat doit courir vos hasards. CHANT S ECOND. (^Uand sur cet univers la Discorde fata Ia Se déchalne des bords de la rive infernale, Que ses cris furieux excitent ses serpens , Qu'elle secoue en 1'air ses flambeaux dévorans 6ur les palais des rois répand leurs étincelles ; Tom é UT, g  ■ 1 Sj4 L1 Art n e la Guerre. Alors envenimant leurs funestes querelles , La vanité , 1'envie et 1'animosité Chassent de leurs conseils la paix et 1'équité ; La vengeance k leurs yeux offre sa douce amoree, Et tous leurs démèlés se vident par la force. Par ses premiers succès le monstre encouragé , Avide encor du sang dont il a regorgé , Invoque par ses cris le démon de la guerre , Et les fléaux cruels qui désolent la terre. Alors s'ouvrent par.tout les magasins de Mars, Les tonnerres d'airain garnissent les remparts , L'acier battu gémit sur la pesante enclume, Et 1'air est infecté de soufre et de bitume ; Ces immenses cités, oü les heureux sujets Jouissoient des plaisirs , des arts et de la paix t Sont pleines de soldats, de machines et d'armes; Ces guerriers rassemblés respirent les alarmes, La trompette guerrière éclate dans les airs , On n'attend pour agir que la fin des hivers. La saison des plaisirs , oü le dieu de Cytbère Fait respirer l'amour a la nature entière , Ou les mortels en paix se livrent a ses feux, N'offre que des dangers aux cceurs audacieux j Mais la gloire a caché ces périls k leur vue. Dès que 1'air s'adoucit, que la neige fondue Tombe en flots argentés de Ia cime des monts, Et serpente en ruisseaux k travers les vallons, Que les prés émaillés par des fleurs différentes Présentent aux troupeaux leurs pAtures naissantes, Que les bleds verdoyans embellissent nos chanqu, Dès que Flore aux humains annonce le printemps; Ces guerriers préparés contre des coups sinistres, Des vengeances des rois redoutabb.s ministres,  P a \ ir i. sico .v n. - 2-5 Volentpour s'assembier daas les champs de l'honneur, Et tout pleins dü désir de marquer leur valeur, Ouittent 1'abri du toit pour la toile légere; Leurs voisins effrayés appréhendent la guerre, Et de leurs laboureurs les champs abandonnés, Par des bras étrangers vont étre moissonnés. Vers uhlieu désigné cette troupe guerrière S'assemble pour camper sur un front de bandiere. Si-tót qu'on a choisi les lieux des campemens, On voit tracer , batir, et cröitre , en peu de temp . Placesj maisons, palais de cette ville immense; L'élite de 1'Etat y tient sa résidence , Le travail y préside ; il élève ces toits Sansl'aide du ciment, des piérres, ni du bois; Tout soldat est macon; cet architecte habile Fait, transporte , et refait cette cité mobile. II faut beaucoup d'acquit, de 1'art et des talens . Pour choisir son terrain, et pour prendre ses camps, Cette utile science est sur-tout estimée. Vmdez-vous par vos soins assurer votre armée? Formez-vous le coup-d'oeil sur des signes certains , Faites un bon emploi des différens terrains. Ici vöus rencontrez des hauteurs escarpées, La des vallons, des champs, ou des terres coupées; Dans des occasions et des temps différens, Ils vous sérviront tous a soutenir vos camps; D'eux dépend votre sort quand le combat s'appréte. Vos troupes sont un corps dont vous étes la té te; Il faut penser pourlui, ranimer son effort, Agir quand il repose, et veiller lorsqu'il dort; En vous tous ces guerriers placent leur confiance, Leurs destins sont commis k votre prévoyance; Répondez a leurs voeux par votre babileté, x S a  *j6 L'Art de la Güt.rse. Le soldat de vous seul atterid sa süreté. Si vous voulez tenter Ia fortune ineertaine, Avide de combats campez-vous dans la plaine, Rien n'y peut empêcher vos divers mouvemens : Placez pour süreté des corps sur vos devans, N'éloignez pas les camps des bois et des rivières, Couvrez de cet abri les villes nourricières. . II faut que votre corps, sur deux lignes rangé, Occupe son terrain avec art ménagé; L'infanterie au centre, et sur-tout sur les ailes Placez de vos dragons les cohortes nouvelles; Ceux qui par pelotons menacent du trépas, Font le corps de bataille, et vos coursiers ses bras; Des deux có-tés sans gêne il faudra les étendre; Attentifaux moyens qu'ils ont pour se défendre, Au lieu qui leur est propre assignez chaque corp.- , Dans un terrain contraire ils perdent leurs ëffdrts. Ces centaures vaillans, dont la course légère Fait sous leurs pieds adroits disparoitre la tèrrè , Et soulève dans 1'air des nuages poudreux, Ne sauroient s elancer dans des lieux montagneux, Les terrains sont égaux pour votre infanterie, Montagnes, défilés, bois, collines, prairie, Elle franchit la plaine a grands pas menaoans, Escalade les monts et les retranchemens, Elle attaque ou défend, avec même avantage, Tous les postes divers oü le combat s'engage. Tel que dans le printemps un nuage orageux Gronde, et vomit soudain de ses llancs ténébreu v Les éclairs menacans, et la gréle et la foudre, Renverse les épis, et les réduit en poudre ; Tels ces braves guerriers par des gerbes de feu 1 errassent 1'ennemi qui s'abat dcyant eux.  Chant seqont). 277 Si votre expérience est déja consommée, Vous saurez appuyer les flancs de votre arinée ; Un bois, une rivière, un village , un marais, Par leurs difficultés en défendent 1'accès : Votre ennemi eonfus respectera ces bornes. Le taureau se confie en ses superbes cornes, Jl terrasse les ours, les lions, les chevaux, Fiérement attentif a leurs brusques assauts, .11 marche dans 1'arène , il s'élance, il s'arrête, II refuse les dancs et présente la tête. Gravez dans votre esprit ce principe important: Qui cache sa foiblesse est un guerrier pnident. Le héros d'Ilion, illustré paria fable, Achille au talon prés étoit invulnérable ; Vous 1'êtes sans vos ilancs; donnez-leur un appui. Ou vous pourrez par eux succomber comme lui. Le sort peut relever vos foibles adversaires, Si les événemens vous deviennent contraires; Si leur troupe grossit par des secours nombreux, Quittez des champs ouverts les postes hasardeux ; Vous suppléez au nombre , et par votre science Vous choisissez des camps propres pour la défense, Dans d'épaisses forêts , sur le sommet des monts, Ou derrière un torrent placant vos bataillons. Ce n'est pas encor tout; qu'une route inconnue Pour sortir de ce poste ouvre une libre issue; Alors maitre absolu de tous vos mouvemens, Vous enchalnez le sort et les événemens; L'ennemi, que votre art a su rendre immobile, Consumera sans fruit son audace inutile. /.pprenez k présent comme il faut dans ces camps, Selon les loix de Mars ranger les combattans. Soutenez par le feu laligne de défense , SS'  279 L' Art de l'a G è ebbï. Et de vos bafaillons reraplissez la distanco Par vos foudres d'airain, dont les coups ménacans Impriraent 1'épouvante au cceur des assaillaus. ' Derrière ces volcans, d'oü part la flamme ardente, Placez des cuirassiers la cohorte brillante; Si vos rivaux de gloire, animés par l'honneur Percent par votre ligne et forcent sa valeur, ' Ebranlez vos coursiers; que la tranchante épé* Du sang des ennemis aussi-tót soit trempée. Ainsi par 1'art du chef ie docile terrain Contre undanger pressantprête un secours cerfaïn Amsi 1'habileté corrige la fortune ; Mais la prudence est rare \ et 1'audace est commune ■ Varron fut un soldat, Fabius un héros. Tel s'élevant aux cieux le sommet de 1'Athos Voit le fougueux Borée assembier les images , II entend a se.s pieds éclater les orag<*5 , : Son front toujours serein, ou se biisent les vei ; Méprise le tonnerre et ses bruits impuissam. Tel du haut de son camp brayant le sort contraire FJn héros de sang-froid voit son fier adyersaire, Epuiser contre lui sa frivole fureur. t Si le dieu des combats vous marqué, sa faveur' Si du génie en vous hrillent les étincelles, Vous trouverez par-tout des fprts, 'descitadellcs . Que les mains dek mortels n'ont jamais travaillés', Po.stes que la nature a seule ainsi taillés : L'ignorantvoitceslieux,maisc'estSanslesconno;ii( Lesage les saisit, Ce sont des coups de mail,, Ainsi.dans un Beu fort le fier Léonidas Se défendit long-temps avec peu de soldats • Un monde de Persans\ aussi fiers qu'inhabÜec Se Vireni arretés au pa* des Thermop- fes;  C II A N T S E C O N IJ. S79 La Grèce par son art sut confondre Xerxès Dans le rapide cours de ses brillans succès. Ainsi se disputant la victoire et l'empire, Transportant les hasards d'Ausonie en Epire, Le héros du sénat, 1'idole des Romains Du fds dAnchise un temps balanca les destins. Monts de Dyrrachium, oü Rome étoit campée, Vous forcites César arespecter-Pompée ! Sans risquer de combat, maitre de la hauteur, Le sénat triomphoit, Pompée étoit vainqueur ; Mais trop facile aux vceux d'une jeunesse ardente, Lasse de ses travaux, valeureuse, imprudente, A peine quitta-t-il son poste avantageux, Que Mars lui fit sentir des destins rigoureux, Dans ce jour décisif, dans ce combat unique Oü César soumit Rome au pouvoir despotique. Vous Montécuculi, 1 'égal de ce Romain, Vous, sage défenseur de 1'Empire et du Rhin, Qui tintes par vos camps, en savant capitaine, La fortune en suspens entre vous et Turenne, Mes vers oubliroient-ils vos immortels exploits ? Ah ! Mars pour les chanter ranimeroit ma voix. Venez, jeunes guerriers, admirez sa campagne, Oü sesmarches, ses camps sauvèrentl'Allemagne, Oü se montrant toujours dans des postes nouveaux, II contintles Francois, et brava leurs travaux; Mais ne présumez pas qu'il se tint immobile : Quoiqu'un camp vous paroissa une superbe ville, La guerre veut souvent d'autres positions, II faut surl'ennemi régler ses actions, Le prévenir par-tout, occuper un passage, Marcher rapidement, saisir son avantage, Se retirer sans perte, avancer a propos, S 4  aöo 17Art de ia G verre. Et toujours 1'occuper par des desscins nouveaux. Quandparordre du chefle vieux camp s'abandonne, Tous les corps séparés se mettant en colonne, Forment en s'avancant quatre corps différens, L infanterie au centre, et les coursiers aux dancs ; Sous leurs pieds dans les airs s'élève Ia poussière ; L'ennemi, qui de loin voit leur troupe guerrière Enreplis tortueux couvrir les vastes champs, Comme aux bords africains ces énormes serpens, Tout armés et couverts d'une écaille brillante; A cet aspect terrible il frémit d'épouvante, Et croit voir devant lui s'avancer le trépas... Quand vous marchezen ordre, etprétpour les combats, Afin qu'avec plaisir Bellone vous regarde, Poussez devant 1'arinée une forte avant-frarde, Ne 1'abandonnez pas, sachez la soutenir^ Ou l'ennemi trop prompt pourroit vous en punir. .Semblable a ce fanal qui précéda Moyse, Ce corps vous garantit contre toute surprise. II est plus d'un moyen de transporter les camps ; S'il faut vous ébranler en tournant par vos flancs 'Qua. la droite ou qu'ailleurs le besoin vous appelle, Vos deux lignes alors marchent en parallèle, Le sort peut quelquefois abaisser les vainqueurs, Condé s'est yu battu, Turenne eut des malheurs ; ' Alors il faut céder a ce destin contraire, On peut en reculant tromper son adversaire, C'est Ia que l'art du chef doit se faire admirer, Si sans confusion il sait so retirer, Son bagage escorte part, etprévientsaperte, Par un corps qui ]a suit son armée est couverte Et tandis qu'il garnit Ie fier sommet des monts ' Ses guerriers rassurés. Jraversent ]es va!Ions.  CllANT SHCOND, SlBl Ce héros gagne ainsi, sans que son nom s'expose, Un poste avantageux oii sa troupe repose. En passant les foréts et les monts des Germains , Varus négligea trop le soin de ses Romains, 11 oublia de 1'art les régies salutaires , Ses camps étoient peu sürs, ses marches téméraires, II gujda sessoldats en d'affreux défilés, Ou par Arminius ils furent accabiés. Frappé de leur destin le pacilique Auguste S'écria dans 1'effort d'une douleur si juste : 53 O Varus ! ó Varus ! rends-moi mes légions ». «S'il eüt vu les Romains dans leurs posillons, 11 auroit plutot dit : « Général incapable, » Occupe les hauteurs d'oü l'ennemi t'accable «... Voila quels sont do 1'art les principes certains , Pour mouvoir de grands corps, et cboisir des terrains; De 1'ordre dans les camps, une marche bien faite , Un poste avantageux, une belle retraite, Décident du destin des rois et des Etals... Vous, illustres guerriers, guides de nos soidats, Apprenez par mes vers les loix de la tactique, Et par leur théorie allez a la pratique. Si vous voulez passer sous un are triomphal, Campez en Fabius, marchez comme Annibal. CHANT TROISIÈME. ~\Ous avez parcouru les arsenaux de Mars : C'est peu d'étre enrólé sous ses fiers étendards, C'est peu que d'un soldat le courage s'estime, Si maitre de son art il ne tend au sublirae. Suivez-moi dans son temple, obseryez , pénétrez Ses mystères diyins, de la foule igncrér-;  sSa L'Art de i.x Gükrre. Loin des sentiers battus, oü rampe le vulgaire, D'un pas sage et hardi marchez au sanctuaire. ' "Voyez-vous ces cbemins raboteux, resserrés, Teints du sang des héros, d'abymes entourés? Sur ce rocher sanglant, voyez-vous dans la nue De ce palais sacré la superbe étendue? Sou fake est dans 1'Olympe, au-dela du soleil, Oü des dieux inimortels s'assemble le conseil, Ses fondemens d'airain touchent au noir Tartare. Alecton, la Discorde avec la Mort barbare, Les gardes redoutés de ces lieux effrayans , Lancent en vain sur vous des regards foudroyansj La Gloire vous rassure et sa voix vous appelle", La Gloire ouvre le temple, avancez avec elle. Je vois les chastes soeurs dans ces parvis sacrés; Leurs utiles travaux n'y sont point ignorés : TJn compas a la main j'appercois Uranie, Qui mesurant la terre et sa forme aplatie, JNTous dépeint en petit, par ses crayons diserts, Les différens Etats que contient l'univers; Chaque point sur la terre a son ordre et sa place; D'un hémisphère a l'autre elle a marqué la tracé. Sanson avec Vauban, ses dignes favoris, Des novices guerriers cultivent les esprits; Elle leur montre a tous, dans des cartes guernères, Les pays, les cités , les monts et les rivières , Lesforts que 1'on doitprendre, et ceux qu'on doit laisser, Les chemins reconnus qu'un corps peut traverser. Plus loin c'est Calliope en caressant la Gloire, Des rois et des héros elle conté 1'histoire; Ses jeunes auditeurs, attentifs a ai voix, S'échauffent au récit de leurs mrWes exploits, Et la Muse , en traitant des matières si ïtautes,.  Leur montre k profiter cles succes et des fautes. Voyez-vous la Morale a 1'air majestueus, Qui chasse du parvis les cceurs présomptueux? Elle enseigne aux guerriers, d'un ton de voix sévère , Les devoirs de l'honneur et d'un mérite austère, Cbndamne l'mtérêt et la férocité, Dans Ie sein des horreurs prêche 1'humanité, Étouffedans ses mains les serpens de 1'envie, Et veut pour. 1'État seul qu'on prodigue sa vie. Approchons-nous. Bellone, un glaive dans la main, Fait tourner sur ses gonds cette porte d'airain, Qui cache pour jamais a tout guerrier vulgaire Les secrets que le Dieu renferme au sanctuaire, Connus des favoris qu'il place a ses cótés. Dans le fond de ce temple, entouré de clavtés, S v r un tróne éclatant de grandeur infmie, S.putenu dans les airs des ailes du Génie, Faroit le dieu Terrible en tpute sa splendeur: Dn voit auprès de lui 1'intrépide Valeur, Le tranquille Sang-froid qui sans crainte s'expose, Le vigilant Travail qui jamais ne repose, La Ruse al'oeil malin , qui féconde en détours, Par ses déguisemens se fournit des secours, Qui prend dans le besoin une forme empi untée, S'écbappe, et reparoit comme un autre Protée : L'Imagination aux yeux étincelans, Brülant d'un feu divin qu'elle porte en ses llar.es, Avec rapidité coneoit, forme , dessine Mille brillans projets, que Pallasexamine. Plus loin les yeux baissés, etle maintien dif rrc■: On voit 1'impénétrable et fidéle Secret; Sondoigt mystérieux repose sur sa bouche, Ce confident de Mars sait tout ce qui le touche.  Le t, óne est entouré de lauriers éternels, Qu u presente lui-même aux demi-dieuxmortels A ses vrais favoris, qui dignes de leur gloire, Aux efforts du génie ont soumis la victoire ' .ouronnes des héros, c'est vous dont les appas Entrainent les guerriers dans 1'horreur des combats l Les autres passions sont pour vous étouffées Dans ce temple brilhmt, décoré de tropbées Oü Mars régie è son gré Ie sort du genre-humain, l iacesdans 1'entre-deux des colonnes d'airain, On peut des hls du Dieu distinguer les statues, I-ouIantles nations que leurs mains ontvaincues. -La sont ces deux héros, tant de fois comparés, Montés au premier rang par différens degrés, Le vainqueur des Persans, le vainqueur de Pompée, La terre de leur nom est encore occupée. Lè paioit Miltiade, Alcibiade, Cimon, PaulEmile, Quintus, Fabius, Scipion; Plus loin, Ie grand Henri, Condé, Villars,Turenne Lè Montécuculi, de Bade, Anhalt, Eugène, L'heureux Gustave Adolphe, et le grand Électeur. La sortant fralchement de la main du sculpteur, On voit une statue élégante et nouvelle; Son front est ombragé d'une pahne immortelle : G'est ce fameux Saxon, le héros des Fran?ois, Que la Mort dans son lit abattit de ses traits. Venez, /eunes guerriers, voici I'Expérience : Par d'immenses travaux elle acquit la science; ■Son front est ombragé de cheveux blanchissa'ns, Ses membres recourbés sentent le poids des ans; Son corps cicatrisé, tout couvert de blessures, Du temps qui nous détruit affronte les injures ; Présente a tous les faits, présente a tous les lieux .  C H A N T T R O I S IÉ M E. a85 File instruit les esprits de ce qu'ont vu ses yeux. Elle vous fera voir dans la guerre Punique, Par quel coup Scipion sauva Piome en Afrique, A Cartliage effrayée attirant Annibal, Le forga de combattre en son pays natal; Un général vulgaire, un moins vaste génie, Satisfait d'accourir aux champs de 1'Ausonie, Peut-être eüt défendu son pays ravagé, II eüt seuvé 1'Etat, mais ne Feut point vengé. La Discorde, en troublant la maitresse du monde. Dans les divers partis en héros fut féconde : Voyez Sertorius, qu'on ne peut accabler, Avancer a propos, quelquefois reculer; Assuré par 1'appui des rochers d'Ibérie, Arrêter des Piomains la valeur aguerrie : Tant un génie heureux qui possède son art Du destin de la guerre écarté le hasard I Un guerrier plus ardent, moins sage et moins habile. De 1'apreté des monts quittant le sür asüe, Eüt cherché ses rivaux, qui dans leur camp nombreux. Amenoient la Fortune, et Pompée avec eux. Icile grand Condé, fils chéri de Bellone, De la France étonnée assure la couronne. II falloit arréter par des coups éclatans Dün heureux ennemi les succès trop constans. Dans ce jour décisif pour 1'Espagne et Ja France, L'audace du héros fit plus que la prudence; Un chef plus circonspect, et moins entreprenaut, N'auroit point hasardé ce combat important; L'Espagnol enhardi par le Francois timide, Vers Paris eüt poussé sa fortune rapide... Voyez du fond du nord, oü règnen.t les hiveis, Cette flolte ótrangère avancer sur nos mers;  S(fi6 L' A i( T DE L A G utHIi E. Elle porte Gustave et le sort de 1'Empire : Des Germains divisés la Discorde 1'attire , La Prudence le guide, et Mars est avec lui; Des peuples opprimés trop dangereux appui . 11 vient, il est armé contre la tyrannie • Dont Vienne menacoit la fiére Germanie. Gustave s'établit sur les bords de Ia mer, Ou Stralsund lui présente un port toujours ouvcrt JA, soit que le des tin protégé son audace, Ou que du sort jaloux il sente la disgrace , 11 est sur des secours qu'arment ses défenseurs, Pour servir sa fortune ou venger ses malheurs. II marche enconquérant, le bonheur l'accompague > II parcourt, il délivre, il dompte 1'Allemagne," II remet dans leurs droits cent princes outragés; Protecteur redoutable k ceux qu'il a vengés, A ses desseins secrets il fait servir sa gloire... Si la Parque fatale, au sein de la victoire, Neut arrêté sa course, et tranché son destin. L'Empire auroit nourri deux maitres dans son sein. La regardez Eugène, et sa marche hardie, Quand 1'empire des lis tenoit la Lombardie; Les Alpes au héros préparent le chemin , II les franchit, il vole, il délivre Turin; Marsin, qui défendoit une trop vaste enceinte, Vit par-tout son armée a la fuite contrainte , Et par ce seul exploit le rapide vainqueur, Rend la triste Italië è son foible empereur. Suivez ce grand Eugène aux champs de la Hongrie, Du Danube en sa marche il longe la prairie, II assiège Belgrade, et voit les Musulmans A leur tour 1'assiéger dans ses retranchemens ; H pousse ses travaux, il ressarre la place.  Chaüt t ii or s i è ai e. ,287 Du Visir téméraire il rnéprise l'audace, 11 le laisse avancer par un travail nouveau, II lui laisse le temps de passer un ruisseau; Alors sans balancer ce fils de Mars s'élauce, Sur eux ses cuirassiers fondent en assurance, Tout fuit devant ses pas, le Turc plein de frayeur. Cède le champ de gloire et Belgrade au vatnquour. Sortez de 1'Elysée, ombrc illustre et chério, Quittez pour nous des cieux 1'immortelle patras, Dün regard paternel voyez vos desecndans; De 1'art qui vous fit vaincre , instruisez vos enfans 5 Enfans de ce héros , je vous donne pour maiti ts , Non des guerriers obscUrs,mais vos propres ancóti 'ös : Electeur généreux , c'est donc vous que ie vois ? Vos peuples sont encor tout pleins de vos exploits; C'estaleurs cris touchans, c'est a leur voixplaintive, Que du Pihin tout sanglant abandonnant la rive , L'Elbevous vit soudain voler a leur secours... L'Etat étoit en proie aux tigres , aux vautours , Les fiers enfans des Goths ravageoient nos conti écs , Ils brüloient nos cités au piilage livrées , Wrangel, fier d'un succès qui n'avoit rien coüté , S'endort dans son triomphe avec sécurité ; La foudre le réveille au bord du précipice , Tin Dieu vengeurparolt, un Dieupournouspropsce-t Venir , voir , triompher, fut 1'ouvrage d'un jour. Le Suédois consterné par ce subit retour , Surpris dans ses quartiers par ce nouvel Alcide, Veut en vain s'opposer a sa course rapide. O champs de Fehrbellin ! témoins de ses hauts faits, Vous vites les Suédois attaqués et défaits... Tel j'adis du Très-Haut exeroant la vengeance , D'un peuple dans ses camps punissant rairoganc0,  ö8fi L'A ut de la C o r. n r c. L'Ange exterminateur frappa les Philistins. Tel et plus grand encore en ses heureux destins , Gmllaume dans ce jour , au-dessus de sa gloire j Exerceda clémence au sein de la victoire : «pardonneèHombourg dont 1'imprudente ardew ■Engagea le combat, séduitpar la valeur ; H fait grèce aux captifs, k ces bandes altières J De 1'Etat désolé cruels incendiaires » Mais s'il sait pardonner a ceux qu'il peut punir , Des bords qu'ils ravageoient ardent a les bannir, II fait fuir devant lui leur troupe épouvantée Vers les flotsde la mer qui 1'avoient apportée. Ces exploits sont suivis par des exploits nouveaux: La Prusse k son secours appelle ce héros ; Les rigueurs de 1'hiver , les Hots couverts de glacé , Audieu de Parréter, secondent son audace Et Thétis , étonnée aux bruits de ces récits, Voit transporter des camps sur ses flots endurcis; II vient, et son nom seul, qui répand 1'épouvante , Confond des ennemis la fureur insolente 11 vient, il est vainqueur, tout fuit devant ses pas Et sans même combattre il venge ses Etats. Ce héros, qui jouit d'une gloire immortelle, Doit, nourrisson de Mars, vous servir de m'ódèle ; Sanscesse étudiez, comme cetÉlecteur, Les différens pays ou vous guide l'honneur. Digérer vos projets, c'est remplir votre attente, L'imagination souvent est imprudente; Ne comptez jamais seul, et sachez supposer Tout ce que l'ennemi pourra vous ópposer ; Vos desseins sont manqués, si par votre prudence Vous n'avez point pourvu pour votre subsistance. Ce roi, qui des destins éprouva les excès, N'etïi  Tj TT \ Jf T T B O T S T È M t: 2R9 l^'eètpointperdu le fruit de neuf ans de Succès. Si dans des champs déserts conduisant son armee, Le Czarnél'eütbattue, affoiblie, affamée. Que le foüdre, en secret enfermé dans les airs. Sur l'ennemi sürpris tombe avec les éclairs ; Toujours prêt, touj'öursprompt, mais jamais téméra-re, Croyez que rien n'est fait, tant qu'il vous resteè faire, Et ne soyez content de vos plus beaux succès, Qu'autant qu'un plein effet répond k vos projets. Ainsi, lorsque de Dieu la sagesse profonde Du ténébreux chaos eut arraché le monde, II trouva l'univers par son soufflé animé, Conforme au grand dessin qu'il en avoit förmé. CHANT QUATPiIÈME. Lorsqu'au siècle de fer, sièclé oü naquit le vice, L'audace du plus fort tenoit lieu de justice , Contre de fiers voisins, au pillage excités, On entoura de murs les naissantes cités : Bientöt pour asservir des citoyens rebelles, L'autorité des rois batit des citadélles, On éleva des forts et des remparts nouveaux" Sur la cime des monts, aux confluens des eaux ; D'ouvrages menacans On ceignit les frontières. Tel que du doublé rang de ses dents carnassières, Le lion rugissant présente avec fierté Le terrible appareil au Maure épouvanté; Tel d'un puissant Etat la frontière assurée, Bravant des ennemis la fureur conjurée, Ralentit leur ardeur par ses puissans remparts. La guerre en tous les temps futle premier des arts ; Tante III, T  ago L'AET DE u Gunnat. Ainsi que .ses progrès cet art eut son enfance i La Grèce et 1'Ausonie, assurant leur puissance, N'avoientimaginé de plus puissans secours, Que 1'épaisseui des murs, et la hauteurdes tours. De ce.-; lieux élevés ils défendoient les brèches, En employantlafronde ou décochant des iièches , Des pierres écrasoient les soldats assaillans. Lorsqu'on senoit de prés ces défenseurs vaillans, Lorsqu'on battoit un mur par des béliers terribles . De bitunie et de poix les masses combustibles Tomboieutsur la machine, et des traits meurtriers Percoient les assaillans malgré leurs boucliers ; Souvent les généraux, lassés d'efforts stérdes, Quittoient pleins de dépit ces travaux inutiles. Je ne vous parle point de cesiège fameux , Qui fitpérir Priam et ses fils malheureux , J'honore d'Ilion la poétique cendre, Et ces combats livrés sur les bords du Scamandre ; Alais ce sujet si beau, par Virgile chanté, Oteroitames vers leur mile £;ravité. Voyez Rome occupée a prendreSyracuse, Et Mételle employer la valeur et la ruse, Pour emporter ces murs a force de travaux; La , voyez Ar chimède éluder ces assauts, De la ville et des tours réparerles ruines, Arrêter les Romains et bi üler leurs machines. Marseiile de ses forts, jusqu'alors indomptés, Repoussa de César les assauts répétés; Lasséde ces longueurs, mais sür de sa fortune, César soumit Marseiile a 1'aide de Neptune. Les sièges des Romains, tous longs et meurtriers , Suspendoient les destins des plus fameux guerriers. Long-temps après César, le démon de la guerr»  C H A JS T Q V A t III 4 M E. 3T) l Des maias.de Jupiter arracha le tonnerre : Toutcliangea dans cet artpar ces foudres nouveaux; L'airain voiniten 1'air des globes infernaux, Qui s'élevant aux cieux par une courbe immense , Bedoublent, en tombant, de poids, de véhémence , Abiinentdes cités, s'envolent enéclats. Et de leur danc cruel font sortir Ie trépas. Bientöt de ces remparts le canon homicide, Avec un bruit affreux, et dün essor rapide, Au méme instant que 1'ceil peut voir partir 1'éclair , Atteignit l'ennemi d'une masse de fer; Dans les murs des cités le bouletformidable, Rend k coups redoublés la brècbe praticable, Cesmiracles de 1'art, a nos jours réservés, Par le dieu des combats aux sièges approuvés, Se font par le charbon , le soufre etle salpêtre. Depuis que ce secret chez nous s'est fait connoltrf*, L'industrie invemtive, abondante en secours, Défendit les cités sans élever des tours; Par des difficultés bien plus ingénieuses, On évita 1'effet de ces foudres affreuses. Vous célèbre Vanban, favori du dieu Mars, Vous le sublime auteur des modernes remparts, Que votre ombre apparoisse a nos guerriers novices; Montrezdeur par quels soins et par quels artifices Vous avez assuré les places des Francois, Contre les bras germains, et les canons anglois ; Comment votre savoir, par des routes nouyelles, A su multiplier les défenses cruelles. Ces ouvrages rasans, enterrés, protégés, Ne sont des feux lointains j'amais endommagés, Munis de contre-forts k certaines distances , ils sont envitonnés par des fossés immenses, T a  20,2 L'Art de la Guerre. Les bastions voisins llanquent les bastions, Ils tournent vers leur gorge en forme d'orillons ; Au milieu des fossés, et devant les courtines, Je vois des ravelins chargés de couleuvrines, Ces ouvrages coupés par sa savante main, Par un nouveau rempart disputent le terrain • Autourde ces travaux, dans un plus vaste espace, L'enveloppe s'élève, elle couvre Ia place; Devant sont des fossés, Ik le chemin couvert, La palissade enfin, qui montre un front altier > Et ce glacis sanglant, que déferid le courage, Théatre des combats, théatre du carnage. Que d'utiles travaux, de secours étonnans, L'homme a tirés des arts soumis k ses talens ! Qui ne diroit, a voir les remparts de la France, Que tout est épuisé dans 1'art de la défense? Non, ne le pensez pas, voyez ces souterrains ; 'Fout 1'enfer s'associe aux fureurs des humains • Ces glacis sous vos pas contiennent des abymes , Le salpêtre et la flamme attendent leurs victimes lis partent de la terre, ils couvrent les remparts D'armes, de sang, de morts, et de membres épars. Malgré tant de travaux, tant de traits redoutaöhs Les places de nos jours ne sont point imprenables. Cet art ingénieux, soutien des défenseurs. Par des secours égaux arme les agresseurs. L'attaque a sa méthode; un chef expert et sage A traversies périls s'ouvre unlibre passage ; 11 entouré les forts par ses guerriers nombreux: S'il craint des ennemis les pro/ets hasardeux, S'il craint qu'un général entreprenant, habile, N'ose forcer son camp, et secourir la vüle, La terre seremue, et tous les combattans,  Chant qua tii li me. aeu sont couronnés des mains de la Victoire; Tel k ses grands exploits en joignit de nouveaux, Qui perdit en-Un jour le fruit de ses travaux. Tomé III. y  3o6 L'Art de la Guerre. Tel parut le vengeur de la funeste Troie , Contre cent rois ligués sa valeur se déploie, Diomède est valncu, les Grecs sont accablés ; Aj'ax fuiten courroux, ses vaisseaux sont brü!é.% Hector combat Patrocle , il lui prend cette lance Qui du fds de Pélée exercoit la vengeance : Mais le sort 1'abandonne après tant de bonheur, Le Troyen dans Achille a trouvé son vainquewn Du lier rival du Czar voyez la destinée, Favorable neuf ans, neuf ans infortunée ! Si d'aussi grands héros, dans les combats expei Bs, Ont terni leurs exploits par de honteux revers . S'ils sont enfin tombés au fond des précipices, Qu'osez-vous espérer, dans 1'art de Mars novice' : Dans nos camps par Bellone a peine encor sev; ' . • Sur les devoirs d'un chef foiblement éclairés i' Maismalgrémesconseds,dans votre ardeur première, Comme un coursier fougueux, laché dans la cara iSi, . Vous bridez de courir et de vous signaler j Craignez un fol orgueil qui peut vous aveugler, Craignez votre amour-propre et ses douces amorce-,, Eprouvez avant tout vos talens et vos förces, Etne prenez jamais des vceux ambitieux Pour 1'effort du génie en vous victorieux. En vain possédez-vous la force d'un atblète Qui dans Londres combat au bruit de la tromn.: tle, Admiré par le peuple, applaudi par les sots, , Et de ses bras nerveux terrassant ses rivaux; Quand vous ressembleriez a ces fils de la terre, A ces rivaux des dieux, qui leur firent la gucn\>, Qui pour braver 1'Olympe, en leur rebelhon, Soulevèrent 1'Ossa sur le mont Pélion ; Quand du ditu des combats vous auriez le couragè,  CllAÜT SIX ik ME. 50J lVe vous attendez point & gagner mon suffrage; Taille, force, valeur, tout est insuffisant, Minerve exige plus dün général prudent. II faut que son esprit, guidé par la sagesse , Soit vif sans s'égarer, et prudent sans foiblesse, Qu'il agisse a propos, que maitre des soldats, H les fasse mouvoir dans 1'horreur des combats: Au désordre al instant qu'il porte un promptreml [.<, Et ranime le corps qui s'épuise ou qui cède ; Qu'en guerrier prévoyant il prépare de loin' Tous les secours divers dont 1'armée a besoin j Qu'en ressources fécond, toujours infatigable, Par sa faute jamais le Destin ne 1'accable. Formez-vous douc l'esprit, sur-tout Ie jugement Attendez tout de vous, rien de 1 'événement; Soyez lent au conseil, c'est-la qu'on délibère', Mais Iorsqu'il faut agir paroissez téméraire, ' Et n'engagez jamais sans de fortes raisons Ces combats oü Ia mort fait d'affreuses moissons Les forces de 1'Etat sont en votre puissance , Des soldats généreux vous guidez la vaiilarc'ePrompts pour exécuter 1'ordre du général, ' lis volent aux dangers dès le premier signal • Dès que vous commandez, Ieur cohorte aguerrië Fond sur vos ennemis , comme ün tigre en furie Tombe sur un lion, lui déchire le ilanc, Le terrasse , 1'abat, s'abreuve de son sang. Lelendemain, grand Dieu.'surces champs deba'p \'!» Regardez ces mouians, ces tristes fkhêrkilles ' Et parmi ces ruisseaux du sang des ennemif ' Voyez couier le sang de vos meilleurs ami,.' Joyez dans le tombeau ces guerriers matóanlnes De votre arnbfMoamalheureasesvictimes, V 3  5oS L' A II T DB LA G U È II R E. Leurs parens éplorés, leurs épouses en deuil, Qui dans votre triomphe abhorrent votre orgueiL Plutót que de souiller vos mains de tant de crimes, Plu tót que de jouir d'honneurs dlégitimes , Périssent a jamais les cruels monumens, Moins dus a vos exploits qu'a vos égaremens .' Qui voudroit a ce prix gagner la renommee? En père bienfaisant conduisez votre armee , Dans vos moindres soldats croyez voir vos enfans. Ils aiment leurs pasteurs, et non pas leurs tyrans < Leurs jours sont a 1'Etat, leur bonheur est le nóu e, Avare de leur sang sacrifiez le vótre. Tant que Mars le permet il faut les ménager; Quand le bien de 1'Etat les appelle au danger, Lorsqu'entre vos drapeaux et ceux de 1'adversair* II faut savoir fixer le destin de la guerre, Alors sans balancer, sans chercher de détours , Disposez, attaquez, et prodiguez leurs jours ; C'estda qu'ils feront voir leur ardeur valeureuse, Et qu'ils sauront périr d'une mort généreuse. Un sage général, dont Bellone est 1'appui, Combat quand il le faut, et jamais malgré lui; Rempli de prévoyance, et sür de sa cohorte, II pare tous les coups que l'ennemi lui porte; S'il pense eri général, il s'expose en soldat, Loin de Ie recevoir, il donne le combat; Le sort des assaillans est toujours favorable. -L'effort du Her bélier, par son choc redou table, S'ouvre un libre passage, et renverse les tours D 'ou 1 assiege tremblant croit défendre ses jours : Lemurlong-temps battu cède au poids qui 1'enfor.ce. Attaquez donc toujours, Bellone vous annonce Des destins fortunés, des exploits écktans,  C ii a n t s ï x i è m e. Sog Tandis que vos guerriers seront les assaillans. Si malgré tous vos soins la Fortune légère Passé de vos drapeaux a ceux de 1'adversaire, Opposez aux revers un front toujours serein, Par votre habileté corrigez le destin, Des guerriers abattus ranimez le courage, Montrez-vous ferme et grand tant que dure 1'orage : Comme une sombre nuit, par son obscurité, Des feux du firmament relève la clarté, De même vos malheurs, autant que Ia victoire, Par votre fermeté vous couvriront de gloire; Ne désespérez point, sür des secours de 1'art, La sagesse touj'ours triomphe du hasard. Si Villars fut forcé de se battre en retraite, Denain de Malplaquet effaca la défaite ; Souvent un seul moment répare un long malheur, De vaincu qu'il étoit Villars devint vainqueur. On gagne les combats de diverses manières; Ceux connus sous le nom d'affaires régulières, Nous offrent des deux parts des efforts généraux. Des postes retranchés, des hauteurs , des ruisseaux, D'affaires de détail sont les sanglans thé&tres , Le terrain bien choisi les rend opiniatres. Voyez-vous dans ces champs en bon ordre avancer Ces deux corps au combat tout prêts k s'élancer, Leur front qui s'élargit, s'étend et se déploie ? L'un dans 1'instant formé va fondre sur sa proie : Ces escadrons serrés, dün cours impétueux, Volent k l'ennemi qui s'enfuit devant eux : Dans d'épais tourbillons de soufre et de poussière On voit briller de loin la lame meurtrière, Ils pressent les fuyards par leurs coups dissipés , Du sang des ennemis leurs glaives sont trempés. V 3  "i© L'A rt de i a Guerre, lei 1'infanterie , ayant perdu ses ailes, Redoute des vainqueurs les attaques cruelles j Cent tonnerres d'airain annoncent le trépas; Les corps victorieux s'avancent a grands pas. Sur leur front menacant brille la baïonnette ; L'ennemi consterné médite sa retraite Des bataillons entiers 1'attaquent dans le ftanc, II craint, il cède, il fuit, la terre boit son sang : Des tubes meurtriers par la poudre enflammée, Ils lancent le trépas sur la troupe alarmée, Qui s'enfuit dans les champs en pelotons épars, Sans ordre, sans conseil, sans chef, sans étendards j Loin de calmer la peur qu'aux vaincus il inspire, Loin de faire un pont d'or au chef qui se retire, Le parti trioinphant saisit 1'occasion, II poursuit chaudement le gain de 1'action, II veut en ce jour méme achever son ouvrage. Ainsi le grand Eugène, a ce fameux village (a) Oü Tallart et Marsin s'étoient très-mal postés, Dün effort général donna de tous cólés, II enfonca leur centre, il coupa leur armee, R'ei'nheim vit des Francois 1'audace désarmée. Quel nombre de caprifs sur ce sanglant terrain ! L'ennemi des Césars fuit jusqu'au bord du Rhin. Ainsi prés d'Almanza quand les lis triomphèrent, Que les lions Bretons a leurs efforts cédèrent, Au tróne de Castille , au trone dArragon, Berwick par ses exploits placa 1'heureux Bourbon. Yoici d'autres combats : la sur cette colline 1 )ont le sommet au loin sur la plaine domine, Voyez-vous étendus ces bataillons altiers ? C'/) II«c!btK'.t.  ClIAST SnÜHE. 31 1 I ,a poussière de loin s'élève dans les airs , L'ennemi marclie ; il vient, il se forme , il se range, II place sur un front sa puissante phalange, Son terrain se refuse aux efforts des coursiers, Derrière sa bataille il met ses cuirassiers ; Le chef s'avance seul, il doit tout reconnoltre, II peutvaincreence jourparuncoup-d'ceildemaüre, S'il fait des lieux, des temps un choix prémédité , S'il prend son ennemi par son foible cóté; De sa droite s'avance un corps d'infanterie, Elle franchit les monts malgré 1'artillerie; Dans son poste attaqué, renversé, confondu, L'ennemi se débande et s'enfuit éperdu, Le désordre est par-tout, le vainqueur en proüte, Les cuirassiers oisifs volent a lapoursuite. Ainsi le grand Condé fut vainqueur k Fribourg, Ainsi devant son roi, dans un aussi grand jour, On vit prés de Lawfelt le valeureux Maurice, En offrant a Pluton le sanglant sacrilice Des Bretons, des Germains, des Bataves fuyards, Sur le haut de leurs monts planter ses étendards. Tel est de nos combats 1'ingénieux systême, Tous les camps retranchés sont attaqués de même; Souventleurs boulevards, sans prudence tracés, Ont de foibles appuis, ou de mauvais fossés, La moitié des soldats tient des lieux inutiles, Clouésa leurs terrains ils restentimmobiles , Tandis que l'ennemi fait manceuvrer ses corps, Et peut en liberté diriger ses efforts. Kien n'arrète un héros, quand Bellone le guide ! Si dans un camp choisi son ennemi timide, Des maux qu'il a soufferts encore épouvanté, Craint 1'effort dangereux du bras qui 1'a dompté, V 4  Si* VA kt DE LA GlTEIinz. Et se fait du terrain un invincible asile, Ce héros le contraint, par sa maneeuvre habijfe A donner ces combats qu'il avoit évités • I marche 4 c dessein vers les grandes cités, I donne a 1 ennemi plus d'une jalousie, I seprépare,ilfeint, iltourne, il se replie II paroit menacer trois villes a la fois •. Elles sont dans 1'attente et craignent'toutes trois Tandis qu en tous les cceurs la terreur est semée De son triste adversaire il affame 1'armée Des heux qui ront nourrie y CQupe ,eg ^ Et la farce au combat pour prolonger ses jours; II faut vaincre ou périr, il n est plus de retraite, Le iaon ne quitte point la biche qui Palkite • Un chef risquera tout plutót qu'abandonner Ses depóts abondans , qu'il voit environner Lorsque, pour se soustraire a votre dihVence Votre ennemi d'un ileuve implore 1'assistance' Et croit vous arréter par ses rapides flots Imitez d'Annibal le plan et les travaux- ' Du Rhóne les Romains occupoientle rivale ieint, marche plus bas, et se fraye impasse 4i sait mindre la ruse avec 1'activité, ° ' Et trompe le consul, qui Ie croit arr'été Soutien de mes rivaux, digne appui de ta rein» Charles d un ennemi, sourd aux cris de la haine* * Recois 1 eloge pur, 1'hommage mérité, Je le dois a ton nom comme k la vérité Ces hots majestueux, cette rivière immense Qui separe a jamais 1'Empire de la France Ces ennemis nombreux qui défendoient se's bords 5 opposèrent en vain k tes nobles e Pforts' Qu'attendez-vous, guerriers, d'un sage capi- »  C II A N T S I X I È M E. 3l 3 Rhin, ennemi, tlangers, rien n'arrête Lorraine; Charles en quatre corps sépare ses soldats, A l'endroit oü Coigny ne s'y préparoit pas ; Son pontconstruit soudain seconde son audace , II surprend les Francois, il pénètre en Alsace. Oublirai-je, Louis, le grand jour de Tolhus, Ces Bataves postés , attaqués et vaincus, Tes guerriers dans le Rhin, sous tes yeux, a Janage , Gagner en combattant l'autre bord du rivage? C'est k de tels exploits que Mars daigne applaudir, Un noble enthousiasme y peut seul réussir. Si votre coeur aspire k la sublime gloire , Sacbez vaincre, et sur-tout user de la victoire; Le plus grand des Bomains par ses succès divers, Le jour qu'a son pouvoir il soumit l'univers, Sauva ses ennemis dans les champs de Pharsale. Voyez k Fontenoi Louis,.dont 1'ame égale, Douce dans ses succès, soulage les vaincus, C'est un dieu bienfaisant dont ils sont secourus; Ils baisent enpleurant Ia main qui les désarme, Sa valeur les soumit, sa clémence les charme; Dans le sein des fureurs la bonté trouve lieu, Si vaincre est d'un héros, pardonner est d'un dieu. Suivez, jeunes guerriers, ces illustres modèles, Alors la Renommée, en étendant ses ailes, Mêlant a ses récits vos noms et vos combats, Portera votre gloire aux plus lointains climats! A cebruit la Vertu, du haut de 1'empirée, Retrouvant des héros dignes du temps d'Astrée, Betrouvant des guerriers remplis d'humanité, "Viendra pour vous guider a 1'immörtalité. Dans ce temple sacré, bati pour 1'innocence , Les yertus des mortels trotivent leur récompensc:  3i4 L'Art de i,a Guerre. Li sont tous los esprits dont les savans travaux Enrichirent 1'Etat, trouvant des arts nouveaux • Li sont tous les bons rois, les magistrats augustes, 'I rès-peu de conquérans,mais tousles guerriers ƒ ustes. Si vous prenez un Jour un vol si généreux, Si vous vous élevez jusqu'au falte des cieux,' Souvenez-vous au moins qu'une Muse guerrière Vous ouvrant des héros la fameuse barrière, Excitatie vos travaux du geste et de la voix, Par Pappas des vertus sut héter vos exploits.  PIÈCES DIVERS ES. S T A N C E S. Paraphrase de l'Ecclésiaste. Homme , qui marches dans I'ómbra De les préjugés flatteurs ; De ces tyrans enchanteurs Je veux dissiper le nombre, Et percer la vapenr sombre Dont t'offusquent tes erreurs. Ce spectacle rnagnifique , < le monde oü tant de plaisirs Enflamment tes vains désirs , A 'est qu'un beau palais magique , Qu'habitent Ie crime iuique , Les regrets et les soupirs. Sur ce théatre fertile En tant de variétés , Tout ce que ton ceil débile A pris pour des nouveautés, Sont d'une scène mobile De vieux objets répétés. I a tendre et brillante rose , Qu'au matin 1'on voit éclose , Se fane a la fm du jour: Tel estle sort sans retour  3i6 Pi*c«, n,vnlSE, De l-objet qui t'en impose , L age en baniiira l'amour. L'oeil cpxi briguoit ton homma-e & etemt et perd sa splendeur ■ L'éclat de ce beau visage Se ride , et de sa paleur Souffrant le livide outrage N'inspire plus que 1'homw. Si le faste et 1'opulence T'attirent par leurs appas ; L'envie épiant tes pas En trompant ton espérance, Va noyer ta j'ouissance Dans une mer d'embarras. Ou bien de sa bouche impie , La farouche calomnie Noircit tes brillans exploits , Et de sa perfide voix Excite contre ta vie Et les peuples et les rois. Vainement ton cceur déplore , Tant de destins ennemis ; Quel noir chagrin te dévore ? A ton ;oug sois plus soumis. Le bonheur dès ton aurore , Ingrat, te fut-il promis ? Le Ciel k son gré dispense Ses faveurs et son courroux ; Prosternés h ses genoux  P i r c r. s Divrnsïs. %iy ïl trompe notre espérance : L'univers est pour nous tous L'empire de 1'inconstance. L örgueil, au front insolent, Murmure des moindres peines t Je vois dans ses plaintes vaines L'elfort toujours irapuissant D'un forcat foible et tremblant Qui se débat dans ses chaines. L'ardeur de la passion Dans Ie printemps de Ia vie Au tendre amour te convie : La superbe ambüion Succède a cette folie; Mais tout n'est qu'illusion. L'esprit humain, dottant dans son incerlittule, Se plonge tour-a-tour , sans régie , sans appui , Dans les convulsions de son inquiétude , Ou d ans la léthargie oü 1'entretient 1'ennui. Pourquoi tant de travaux et de soins inutiles ? Quoi! sans cesse Terreur nous doit-elle éblouir? Le temps s'enfuit, mortels, apprenez a jouir De moinens passagers , et de plaisirs faciles. La cabane oü le pauvre a peine est k couvert, Les palais somptueux des maitres de la terre , Sont sans distinction écrasés du tonnerre ; Tout homme doit souffrir , ou bien il a souffert. Le même champ prodiut la plan te salutaire, Et les poisons mortels de 1'affreuse Circé .  Juste et Ie crime insehsé\ Dans Ie rapide cours de nos frêles aflll De ce vaste univers 1'éternel Architecte STANCES A VOLTA I li! E, Sur ce que M. Hont, rn.arc.hand de vin de » n étoit ven,, A TASa j de Jiruxcllex, éton venu aTVésel, apportant al'auteur uneFnür, en vers, de Voltaire , et que le Bni1 ■ , ' parlafièvre-quarte. ^ votre passé-port munj, Et dün cerrain petit mémoire , S'en vint ici le sieur Honi, Qni s'applaudissoit de sa gloire. Ah ! dis-je , apótre de Bacehus , Ayez pitié de ma misère ; De votre vin je ne bois plus ; J'ai la fièvre; c'est chose claile. Apollon , qui me fit ces vers, F^t'lieu.ditil, dc médcciüfl :  PiiIces Divrnsr.s. 3uJh Ecoutez leurs charmans conceits , Epiouvez leur force divine. Je lus vos vers, je les relus ; Mou ame en fut plus que ravie ; Je fus guéri; du moins je crus Que ces vers me rendoient la vie. Et le plaisir et la sanfé Que vous eütes 1'art de me rendre . Et force curiosité , Dün saut m'emportèrent en Flaudre, Enfin , je verrai dans huit jours Le généreux rival d'Homère ; Et quittant la morgue des cours , Je pourrei vivre avec Voltaire. Partez, Honi, mon précurseur, Muni de ce nouveau diplome : L'intérêt est votre moteur ; Le mien , c'est de voir un grand homme. STANCES Contre un médecin qui pen sa tuer tik pauvre goutteux a force de le faire su<.r. JE chante la palinodie ; II faut publier en tout lieu , En admirant la pharmacie , Qü'Hippocrats» est un puissant dieu.  3a l) PlECES I) I V E n S E 3. De ce dieu le pouvoir énorme A fait un prodige nouveau ; Voyez mon corps rpii se transforme , Et s'écoule comme un ruisseau. Déja je deviens une souroe , Et serpentant sur ce limon, Je veux atteindre , dans ma course , Ce beau deuve dans ce vallom Öui, Ik mes ondes amoureuses Iront se meier pour toujours Aux ondes pures et fameuses Du deuve , objet de mes amours. Lk, soit qu'il passé une prairie i Ou bien qu'il parcourt des climats Plus arides que la Libye , Je ne 1'abandonnerai pas : Soit enfin qu'il se précipite Du haut des monts en écumant, Ou bien qu'il dirige sa fuite Vers 1'insatiable océan :. Soit qu'en sa course vagabonde , Unmonarque enchalnant ses eaux? Par un grand art force son onde A jaillir en divers jets d'eaux : Ce m'est indifférente chose , Et je bénirai les destins , De ce que ma métainorpliose Me gararitlt des médecins. STANCES  PlÈCES DIVERSE S. om STANCES IRRÉGULIÈ11ES Sur la Tranquïllité. Nc-n> ce n'est point au dieu qui répand lespm ots , Au dieu de qui Ia main pesante Plonge tout l'univers dans un profond repos \ Que ma muse , a peine naissante , Prétend consacrer ses travaux ; Je laisse aux muses indolentes , Aü haut du Parnasse expirantes , Tout l'honneur d'invoquer ce léthargique dieu r Qui veut monter sur Ie Parnasse, Doit choisir la première place ; Entre bon ou niauyais Ü n'est point de milieu. Pour moi, je chanterai ce dieu rempli de charmes , Ce père des plaisirs , l'ennemi des alarmes , Quipréfère les oliviers Aux rameaux précieux des palmes triomphantes : Et qui refuse les lauriers , Lorsque leurs feuilles sont sanglantes. O vous, Plaisir charmant.' douce Tranquïllité J Nous recevons de vous les vrais biens de la vie; Dans votre calme heureux, la haine ni 1'envie N'interrompent jamais notre félicité. Qu'importent les grandeurs, présens de Ia Fortune? Qu'importe de Crésus 1'inutile trésor ? Le sage fuit des rois la faveur importune; Les biens sont Ie j'ouet du sort .- lil. T£  5^2 P I i. C £ S DIVEÜSIS. Ces noms si fastueux qui font trembler la terre, D'arbitres des humains, de foudres de la guerre, Ces noms a qui Terreur érige des autels Qui sont le digne prix des déaux des mortels, S'achètentpar le sang, le meurtre et le carnage. • Mt.ri ~:M>ï' v'^htöiuutG.tia'u ai aki r i Remarquez ce héros si fier de son courage, Dont Tintrépide cceur méprise le danger; Qui brave mille morts au front de son armee, Et qui dans le péril brüle de s'engager : Dans le fond de son cceur, il craint la Renqmmée Et ce que l'univers de lui pourra juger. Qu'auroient fait les vainqueurs des Gaulcs ei d'Asie, Vous, Alexandre, et vous, César, Sans de vaillans soldats, prodigues de leur vie, Et sans le secours du hasard ? L'un audieu d'être roi, né patre en Macedonië , K'auroit point renversé le tróne de Cyrus; L'autre, sans Targent de Crassus, Sans l'orgueil de Pompée et sans le bias d'Antoin* , K'auroit point asservi les Romains abattus. Ces destins sont fameux, mais leur vicissitude Méle Tamertume au bonheur : Quel est donc ce frivole honneur, Qu'on ne doit point a soi, mais a la multiiiuie? De ces triomphes vains mon cfeur n'est plus tenté; Je plains Tavcuglement profane, Dont la sombre fureur émane De cet heroïsme entété. Ces champs si forl unés oü rèrme Toijid nice,  FlECES DIVERSE S. 523 Qui rédhauffés des feux de 1'astre des saisons, Produisent de riches moissons; Ces champs qu'habitent 1'innocence, La candeur et la tempérance, Si la guerre y venoit.répandre sa fureur, Seroient changés soudain en théatres d'horreur; La terre abondante et fertile Présenteroit un champ stérile; Et 1'on verroit, dans ces climats, Les épis moissonnés par d'avides soldats , Les arbres renversés, les maisons abattues, Et des hommes sans frein, répandus dans les rues Porter par-tout le fer, la flamme et le trépas : Ces charmanslieux, témoins des danses ingénues Dont Julie et Chloé célèbrent leurs plaisirs, De leur rustique amour expriment les désirs, Entendroient mille cris élevés jusqu'aux nues, Capables de nous attendrir, Des victimes de la patrie, Que Mars, exercant sa furie, Inhurnainement fait périr : Loin de voir ces ébats qui nous donnent Ia vie, Un spectacle effrayant viendroit par-tout offrir Ceux k qui le fer 1'a ravie. Malheur k 1'inhumain qui sentit Ie premier De trop d'ambition son ame surmontée , Et qui du funeste laurier Cueillitla branche ensanglantée! Son exemple, k jamais fatal au genre-humaui^ De 1'enfer amena sur terre Le démon cruel de la guerre, Armé dün doublé front d'airain : X 2  02.\ PltCF.1 DIVEHSïS. La Justice depuis avec nous fit divorce: L'Equité disparut; tout plia sous la Force; Et de paisibles rois changés en conrpérans, De la Gloire avalant la trop datteuse amorce, Furent pirates et brigands. Pyrrhus , en tentant la fortune, Gémissoit sous le póids d'une ardeur importune „S'il chereboit des dangers et d'illustres rivaux, Courant le fer en main de contrée en contréé , Son coeur désiroit moins la palme des héros . Qu'il ne se promettoit de ses projets nouveaux, Qu'au bout de sa course égarée Son prix seroit le doux repos. O seul et vrai bonheur! 6 seul bien de la vie! Présent précieux d'fjranie! Tranquillité d'esprit difficile a trouver, Et difficile a conserver ! Ton secours a l'espèce humaine , Fait supporter 1'adversité, Modère la prospérité, Et calme, dans 1'ame hautaine, L'amour de la vengeance et le feu de Ia haine*: Ta vertu doit son étre a la lédexion ; Mais ta plante belle et tardive Ne prospère point sur la rive, Que possède 1'Ambition. Qu'en vain les volages mortels, Jouets des passions, j'ouets de 1'inconstance, Se consument d'impatience, En prenantles faux biens ponr les seuls biens réels!  P I E C E S DIVERS F 3. §3 5 Qu'en proie a leur incertitude , Désir'eux d'obtenir, lassés de posséder, Ils soient, par leur inquiétude , Ou par ambition prêts a tout hasarder! Pour moi, je veux jouir de ce temps favorable, Sans donner de regrets aux jours qui ne sont plus, Et sans m'embarrasser, par des soins superilus, De 1'avenir impénétrable : Pourquoi former de vains projets, A de fameux revers sujets ? Dans le cours de nos ans, terme si peu durable, Je veux sur mon chemin du moins seiner des fleurs, Et peignant tout en beau, rendre ma vie aimable ; La vérité désagréable Ne vaut pas mes douces erreurs. VERS Sur In Tie gucrricrc, faits dans la campagne du Rhin en 1754. Li Oin de ce séjour solitaire, Oü , sous les auspices charmans De 1'amitié tendre et sincère, Je goütois tous les agrémens D'un commerce doux, fait pour plaire : Dans un séjour plus turbulent , Mon inconstant destin me guide; Le dieu des combats y préside. Ce dieu si fier, si violent, Ne respire que les alarmes; Au haut d'un trcpfiée éminent, X 3  3a6 PlÈCES DIVERSEs> S'élève son tróne insolent, Entouré de casques et darmes : Bellone au regard inhumain, Sur ses cruels foudres d'airain, Aux ordres de ce dieu soumise, Auprès de ce tróne est assise: Proche d'elle, 1'Ambition, Par 1'appat de 1'Illusion, Attire le peuple et 1'amorce : La, parolt la nerveuse Force, ' La Confiance et la Valeur, Et le Courage téméraire, Avec 1'Audace sanguinaire, S'appuyarrt sur le Point-d'honneur; Et rintérêt et la Licence, La brutale Férocité, Ministres de sa violence, Sont tous placés a son cóté. Cette cour pleine d'insoleuea Ne désire que les combats, Ne respire que la vengeance ; Le sang ruisselle sous ses pas, Le fier Orgueil et 1'Arrogance ,Y sèment 1'horreur du trépas: Oü ce dieu tient sa résidence, II fait oeraciner expres Tous les oliviers des forêts • II ne souffre dans sa présence, Que les lauriers et les cyprès. Sa voix excite le carnage; 11 fait entrer ses courtisans Dans de sombres accès de rage ; Et ces sanguinaires agens,  PlÈCES DlVEIlSE S. 337 Insensibles, dans leur furie, Au plaisir de donner la vie, Se font gloire de la ravir. Quelle horreur que de s'assouvir Du sang , grand Dieu , d'un propre frère ! Mortels, le jour qui nous reluit, Nous fut donné d'un commun père : L'affreux trépas qui nous poursuit, Sous nos pieds creuse notre tombe: L'homme est une ombre qui s'enfuit, Une 1'eur qui se fane et tombe : Mille chemins nous sont ouverts, Pour quitter ce triste univers ; Et la Nature si féconde N'en fit qu'un pour entrer au monde. Ah ! mortels, quelle est votre erreur, De prêter vos mains meurtrières, Et vos talens et vos lumières, Au meurtre, au carnage, a 1'liorreur? Bien que servant sous les bannières De ce dieu rempli de fureur, Tandis qu'il ravageoit la terre , J'ai su conserver ma douceur; Dans l'acharnement de la guerre, J'ai respecté 1'humanité, Et la candeur et Péquité : Si j'ai su faire mon office, Sans êtrë farouche et cruel, C'est qu'on peut aller au bordel Sans j prendre Ia chaude-pis.se. X 4  °'2^ PlÈCES DIVERSES. DISCOURS Sur les Iguorans. Le beau Balbus, dont 1'aimable flgureBassemble en lui les dons de la Nature, lui, qu'on diroit que 1'Amour a formé Pour plaire au monde et pour en étre armé; Ce beau Balbus n'est qu'un fat a ma vue , Dont le discours vous assomme et vous tue, Dont l'esprit froid, raboteux et nouveau, ' Ne tire rien de son vide cerveau ; Qui sur tout point décide sans connoitre, • Et dont Ie fort est d'étre petit-maltre. Je me trouvois chemie profond Jordan, En compagnie, avec cet ignorant: Jordan plaignoit les malheurs de Ia guerre ; On raiso.nnoit des frais crue 1'Angleterre Faisoit toujours avec profusion, Pour contenter sa vaste ambition. » Madrid, je crois, en est la capitale , v Reprit Balbus ; la cour impériale » N'a-t-elle point jadis résidé-la ? «. Point, lui dit-on; Madrid est loin dela. Comme onrégloitles destins de 1'Europe, Que des Etats on tiroit 1'horoscope, On poursuivit, malgré ce chak-bahan. Pour terminer cette guerre sanglante, II seroit bon qu'en bate le sultan Fit avancer la troupe triomphante De ses spahis, dans les combats brillante, Pour attaquer 1'Autriche dans l'mstaut;  V 11. CES DIVERSIS. TlZQ Sans cc moyen , nul roi ne s'accommode.,, j> Mais ce sultan habite Tantipode, Kous dit Ealbus; et chacun, en riant, Prenoitpitié de ce fat ignorant. 33 Pour moi, dit-il, tranquille en ma coquille , » Je ne connois qu'a peine ma familie; » Peu soucieux de ces grands démêlés, ■>■> Dont vos esprits me paroissent troublés, » Ce sont pour moi des contes de grand'mères; » Et, dans le fond , un homme tel que moi, 3> Sans s'informer de ce chaos d'affaires, » Pour s'appliquer n'a point de temps k soi 33... Quoi! vous croyez qu'il ne faut rien apprendre » Notre art, dit-il, est 1'art de nous répandre, 3> Et de fournir, a la ville , k la cour, 3> A tout moment quelque conté d'amour; y> Tous les talens dès le berceau nous viennent; 5i Les gens bien-nés de leurs parensles tienneut. On m'a conté que des gens tels que vous, j> Pour trop apprendre en sont devenus fous : m Sans 1'embaiTas d'une étude importune, i-> Un ignorant parvient a la fortune. » Passé qu'un gueux rampant a nos genoux, » Pour se tirer du tas bourbeux de fange 3> Oü son état méprisable le range, ii Par le savoir s'élève jusqu'a nous ; 13 Mais ce seroit en nous extravagance, 3) De recherchcr 1'inutile science ii Qu'a deux genoux révère le savant: >i Eh ! que diroit la bonne compagnie, « En me voyant crasseux comme un pédant? 3> Cette sottise , avec raison punie, » En trouvera, dans Ie nombre charmant  'a° PlÈCES DITERSIsi » De mes amis , plus d'un qui me renic b. Dans ce moment un Président vint-la, Qui de ses jours Je latin ne paria ; Qui n'ayant lu ni Cujas ni Barthole , Juge au hasard et buvants'en console; Chez un seigneur ce juge dépravé Avoit passé moitié du jour a table, Ou Maupertuis s'étoit aussi trouvé. Nous abordant avec un air affable, II veut savoir quel est donc ce docteu'r, Ce Maupertuis, ce grand aplatisseur, Avec lequel il fut en compagnie. < ■ est, lui dit-on, ce fameux voyageur, Qui parcourant la froide Laponie, Par les efforts de son puissant génie A mesuré, secondé d'un secteur, Du monde entier la forme et la figure; Et son calcul, qui soumet la nature, A deviné le plan de son auteur. . . a> Dans les vieux temps, dit notre homme en fu ?> On extirpoit sorciers et diablerie ; » Mais dans nos jours , siècle doux et poli, » Le zèle antique est par trop amolli ». . . Calmez, calmez cette ardeur fanatique, Lui dxs-je alors; non , ce puissant appui Du grand Newton, le sage Maupertui Ne s'est servi d'aucun secours magique : Si son travail a perfectionné Un art ingrat, dont le calcul stérile Est du succès rarement couronné, Son but tendoit a vous le rendre utile. Voyez-vous bien ces grands ohateaux flottans Rapidemeut feadre le sein de 1'onde,  Pi È CES DIVERSE S. OJl Pour vous porter, des bouts d'un autre monde, Tous les besoins du luxe de ces temps ? C'est le calcul, aidé de la boussole , Qui leur soumet Neptune ainsi qu'Eole : Gardez-vous donc , dans de faux jugemens, De condatnuer 1'élite des savans. Un gros prélat a démarche tardive, Dans ce moment plein d'intolence arrivé; Et la Mollesse avec POisiveté, Sembloient avoir, avec leurs mains douillettes , Pétri son teint, tout brillant de santé. Ce confesseur de toutes les caillettes Sur un sopha recueillit ses esprits; Car ce saint homme, excédant sa portee, Avoit gravi, sans aide, la montée : II prétendoit, avec un doux souris , 33 Que le Très-Haut, quoique prudent et sago, 3) Donne aux élus les peines en partage; 3) J'ai fait, dit-il, un très-beau mandement 33 In.cxcenso contre tout mécréant; 33 Je 1'ai conclu , pour soutenir mon théme-, si En pronongant un terrible anathéme ». . . C'est jfort bien fait, répondent nos frippons ; Lorsqu'on n'a pas do puissantes raisons, Pour ramener un rebelle k 1'Eglise, Le plus court est qu'on 1'anathématise... 3) Vous le voyez, repartit le prélat, >3 Quels sont les soins de mon épiscopat: 33 J'ai fait des saints 1'histoire intéressante ; 33 Mais que dit-on de mes nouveaux sermons ? 3) On vend par-tout cette oeuvre édifianté »... Ils sont très-beaux, mais ils sont un peu longs; Et Masaillon vous rend de grands services,  553 P I i C ï S *f > I T E R S K $, II vous fournit de bons et forts secours. » Öbservez bien, du déluge a nos jours , » En les peignant, j'ai foudroyé les vices; 3> J'ai condamné ces spectacles d horreur', » Bal, opéra, redoute, comédie ». .. Vous les avez sans doute vus, Monsieur? Dis-je en tremblant... „ Dieu garde! de ma vie .. Quoi! vous , prélat qui ne connoissez rien, Vous décidez et du mal et du bien? Allez ouïr déclamer sur la scène Ces beaux morceaux que Molière a laissés , Oü nos défauts par lui sont terrassés; 11 n'est rien la ni d'impur ni d'obscène : En badinant ils savent convertir; De nos travers leur jéu nous fait rougir : Quand les sermons fulminans que vous fites N'ont jusqu'ici point fait de prosélytes , Tartuffe au moins charme jusqu'en ce jour; De ses grands traits la beauté non ternie A fait rougir plus dün prélat de cour , En démasquant Ia folie hypocrisie : La comédie est comme un grand miroir; Quiconque y va, peut tout du long s'y voir : La se présente un mari trop crédule, Et du grondeur le chagrin ridicule, L'impertinent, le marquis, le pédant, Le fourbe adroit, I'avare , 1'ignorant, Mon gros prélat étoit prés de répondre , Lorsque 1'on vit arriver en pompons, Jeunes bc-autés avec leurs greluchons, Dontle fracas faiüit a me confondre : En moins de rien maitresses du discour,.. Toutes parloient de sentimens d'amour-.;  PlÈCES BIVEIVSES. Et décidoient en tranchant la dispute, ('ent questions en moins d'une minute : M'appercevant qn'ils n'alloient pas iinir, Je me sauvai, n'y pouvant plus tenir. Je le vois bien : tout ce monde profane , Disois-je alors, est fait pour les erreurs; S'il applaudit, s'il juge , s'il condamne , C'est un aveugle arbitre des couleurs : Avec quel front, avec quelle arrogance. Dans nos cités figure 1'Ignorance! Elle paroit au palais de Thémis , En long manteau bien doublé de fourrure : Et n'ayant d'yeux que ceux de ses commis, Elle est toujours dupe de 1'Imposture. On larecut dansles camps des guerriers, • Chez Lowenhaupt, chez Cumberland qu'elle aime, De gros chardons lui servent de lauriers : Elle a par fois parcouru la Bohème ; La , du vieux Brogle elle ordonna les camps , Elle accoucha de ses succès brillans : L'occasion s'échappe devant elle ; Mais tous ses soins sont pour la bagatelle. Cette idiote entre chez tous les grands : Elle engendra menins et courtisans ; Son bras hardi changea bien, sans scrupule . Un diadême en bonnet ridicule : Plus d'un pays par elle est gouverné ; Mais son triomphe est sur-tout dans 1'Église : Tout tonsuré , par elle endoctriné , Lui fait ses vceux d'éternelle sottise , D'aveugle foi, d'horreur pour les savans. Oui, la Fortune , en caprices bizarre , 8'y prend si mal, que l'homme de talen-.  &>4 I3 i i; C e s niVEUSts. Est très-souvent supplanté par 1'ignare ; Chez nous , ailleurs, et dans tous les climats C'est, en deux mots , 1'histoire des Midas. DISCOURS Sur la Fausseté. jVLiudit soit Ie mortel dont la sombre malice La première eut recours aux traits de 1'artifice Qui foulant a ses pieds 1'auguste Vérité , Du fard de Ia vertu couvrit sa fausseté .' De ses yeux clignotans la timide paupière Ne soutüit point 1'éclat des feux de la lumière; Triste ennemi du jour, les ombres de la nuit ' Secondoient son dessein par le secret conduit. Le monde , imitateur de ce coupable exemple , Laissa la Vérité , sans culte , dans son temple ; Depuis, chez les humains tout parut confondu, Et le mérite simple au crime fut vendu. Le fourbe , osant encore aspirer k I'estime , Usurpa follement le nom d'esprit sublime / II resta peu d'amis ; et la Duplicité , Adoptant les dehors de la Sincérité , Sous ce déguisement, difficile k connoitre Confondit I'ami vrai, I'imposteur et le trait're Elle ose impunément abuser l'univers • Elle croit que ses traits, loin d'étre découverts Echappent au public , dupé par sa finesse : ' Et sa securité se fonde sur 1'adresse. » II suffit ( me disoit un jeune-homme évcnté De son esprit brillaut fortement entété, )  P I È C E S DIVIRSIS. 535 31 II siiflit k mes vceux , pour m'assurer de plaire , »> De changer a propos d'air et de caractère : 3) Taciturne, Caton , avec mes bons pareus , 3> Aussi fou que la Lippe avec les jeunes gens ; 3) Quelquefois débitant des propos de morale , 3i Ou pourceau d'Epicure et vrai Sardanapale ; » Maitre de ma personne et sur de mon maintieii, 3) Pantomime accompli, et savant comédien; 3i De mes fins agrémens le public idolali e , 33 Docile k mes désirs , s'attroujje a mon théatre ; 33 Lorsque je tiens a tout, mon cceur ne tienta rien ; 3i Je flatte tout le monde et plais par ce moven. » Le siècle est fait ainsi; le monde que j'abuse . 3i Prétend étre abusé ; sa volonté m'excuse ; " Je parviens a mon but, en me jouant de lui: 3i On siffleroit par-tout 1'homme franc aujourd'hui; 3i La simple vérité sent trop 1'impolitesse, 3i La cour a , pour 1'ouïr, trop de délicatesse ; 3i On craint le sobriquet d'honnêtehomme grossder; >i Le courtisan sur-tout doit faire son métier: 3i La mode est notre loi; le temps qui nous consnme 3i Asservit les vertus et tout a la coutume.31. Quoi! la mode auroit droit de détruire k son gré Le lien des mortels de tous le plus sacró ? La bonne foi seroit sujette k son caprice ? On verroit succomber la vertu sous le vice, Et le fourbe k ses pieds fouler la probil é ? Le monde périroit sans Ia sincérité! Toi-même le premier , que l'erreur environne, Si, sans penser , ton ame au crime s'abandonne : Qu'un scélérat plus fin , pratiquant tes lecons , Te tende un piège adroit, et par ses trahiscns De sa fausse amitié te rénde la victime ,  336 P I & C E S DIVERSE S. Qua tu déclameras alors contre le crime, Contre la fausseté qui pré te a l'ennemi Les couleurs , les dehors qu'a le sincère ami.' Ah ! que tu maudiras ces vaines accolades , Et ces convulsions de fausses embrassades , Ces complimens menteurs , ces protestations , Des sentimens du cceur froides allusions ! Crains d'un perfide ami Ia douceur affectee } Dans ses déguisemens c'est un autre Protée ; Sa peau d'agneau te cacbe un dangereux Eon , II change de couleurs comme un caméléon! A quoi connoitras-tu le motif qui I'inspire , S'il t'aime , s'il te hait, s'il trame , s'il conspire ? Nous de vinons au moins k 1'air des animaux , S'ils sont amis de l'homme, ou bien méchans et faux: Le paisible mouton , en bélant, broute 1'herbe , Le liou rugissant paroit fier et superbe , Le sanglier faroucbe écume de fureur, Le lièvre doit sur-tout sa vltesse a la peur, Le tigre au regard faux est sanguinaire et traitre, Le chien, qui nous caresse, est fidéle a son maitre. Mais nous, qu'un méme auteur doua des mêmes traits Nous n'avons dans nos yeux ni vertus ni forfairs • Un démon peut avoix le corps parfait d'un ange ; A juger des dehors , notre esprit prend le change. Dans ce doute cruel, soupconneux, incertain , Tu te défierois donc de tout le genre-humaiu ? Dans ton humeur chagrine , a bon droit misantbrope, Euyant la compagnie et détestant 1'Europe, Et voyant sous tes pas des ablmes ouverts , Tu trouverois ici 1'image des enfers ; Eb quoi ! si tu vivois chez des anthiopophages , Pourrois-tu i-edouter de p!us cruels outtages ? Non ;  P ï È C E S D I V E R S E 3. §3j Non ; tottt est confondu dans la société , Tout périt, en un mot, sans la sincérité. Comme on voit des joueurs la compagnie inique Par une volte adroite eniler sa boürse étique , Par flux ou parreflux, Ou dupans Ou dupés : Ainsi nous verroit-on et trömpeürs et trompés. Tu flattes tes défauts , lache, par ta carësse j Ah ! tremble , malheureux , de quitter la sagesse ï La fausseté te plait: redoute ses progrès ; Tu parviendras peut-étre au comble des forfaitsi Des vices des humains la nuance est légère; De 1'artificieux le perfide est le frère ï Dans ce dédale obscur , privé de la raison , Tu pourras t'égarer jusqu'a la trahison. Ainsi, du haut d'un roe k cime blanchissante , Tombe et tourne un amas de neige étincelanto ; Son volume s'accroit et grossit en roulant, Bientót on le verra finir en s'écroulant. Ainsi du premier crime est la suite facheuse ; Ce poids qui nous entraine en sa course orageuse, Augmente k chaque instant notre peryersité; Et d ecoliers, docteurs dans la méchanceté, En étendant par-tout Ia pratique des vices, Nous tombons d'ün abyme en d'affreux précipices. Dans ce monde méchant on në peut étre bon, Dira du (a) Florentin le disciple profond: Entourés de filoux, nous nous armons de ruse; Qui prétend nous duper, mérite qu'on 1'abuse; Et colorant ainsi les vices de son coeur> II trouve 1'innocence 011 je vois la noirceur; II modela long-temps sa morale farouche (/t) Mathiavel. '2 unic II/. Y  S3S PlÈCES DIVEnSES. Sur César Borgia, Mahoniet et Cartouche; Ses mots entortillés ont un sens captieux; II est profane un jour, l'autre religieux; Et de 1'hypocrisie d prend le masqué utile, Pour armer les fureurs du vulgaire imbécille; Mais dans 1'art des frippons ce scélérat savant A caché sous des ileurs les pièges qu'il nous tend. Cen'estque pourun temps que prospère lefourbe; Son esprit tortueux, fallacieux et courbe , Toujours obscurément le conduit a sonbut; Le prestige finit dès son premier début, De sa duplicité les ressorts se découvrent, Le charme disparoit, tous les yeux enfin s'ouvrent. Qu'il rampe obscurément, en horreur chez les siens, Parmi le dernier rang des derniers citoyens ! Que ce serpent, couvert d'ordure et de poussière , Croupisse dans la fange et craigne la lumière! Maitres de l'univers, simulacres des dieux, Vous qu'un pouvoir suprème éleva jusqu'aux cieux, Comment tolérez-vous 1'infame politique Que dans vos cabinets la trahison pratique? O temps ! ó moeurs! ó honte ! illustres scélérats ! Le Ciel n'a couronné que des princes ingrats. Ah ! si 1'Honneur étoit errant, sans domicile , II faudroit qu'en vos cceurs il trouvAt un asile; II faudroit retrouver chez vous la Vérité, Et toutes les vertus de la Divinité : Les princes bienfaisans en sont la vive image; Mais la Duplicité, mutilantleur visage, De leur couronne arrache un des plus beaux deurons. La bonté fait les dieux ; le crime, les démons : Choisissezde ces deux, des vertus ou des vices: Ou soyez nos ty'rans, ou soyez nos délices;  PlÈCES DITEHSES. 33<) 11 n'est aucun milieu qui vous semble permis, tJn prince vertueux ne peut 1'être a demi : TTn peuple a 1'ceil de lynx sans cesse vous contemple; Vos mceurs a l'univers doivent un grand exemple ; Le public trop facile et trop tót corrompu, Par k contagion de vos vices imbu, Sur vos traces.... Mais quoi! pen dis trop, je m'égare: Respectons dans nos vers la pourpre et k tiare. L'honnéteté se peint de différens crayons; Ce sont des traits de llamme et d eclatans rayons. Pour tromper un rival, Mazarin par finesse Voulut cbarger Fabert d'une fausse promesse; Mais Fabert refusa ce méprisable emploi : « Non, pour des vérités, seigneur, réservez-moi, » Quand vous voudrez, dit-il, tenir votre parole, » Pour y donner du poids, commandez et je vole « Modèle des humains ! ah .' puissé-je en mes vers Publier tes vertus au bout de l'univers ! Ainsi cetÉlecteur, source de notre gloire, Aussi grand dans Ia paix qu'au sein de la victoire, Dans un jour de combat émule dangereux, Se montra des Francois l'ennemi généreux : Un scélérat (a) s'offrit d'assassiner Turenne; 11 Je sais vaincre, dit-il, et ne sais point trahir«. La Vérité déteste une finesse infame : Son discours est pour nous le miroir de son ame; Elle joint avec art a la sincérité Fes graces, la douceur, Fantique urbanité. Ne soutenez donc plus, esprits souillés de crimes, A qui 1'enfer prêcha ses maudites maximes, Que le grand art du monde est J'étre fourbe et fin ; (» Ce "ïaUieiueux s'ainwiüoit Villetieuve. Y 3  $4° P i i c e s èiVïrseS, Et que la Vérité, facheuse au genre-humain, Décrépite harpie, est faite pour déplaire : Allez, voyez Camas , vous clirez le contraire. AUX MANES DE CÉSARION. Qu'entends-je? Juste Dieu! quelle affreuse nouvelle? Césarion n'est plus! le livide Trépas Tranche, de sa faux cruelle, Le hl de ses beaux jours, ses charmes, ses appas. Quel affreux désespoir! Ami tendre et fidéle ! Je sens mille poignards qui me percent le coeur : Ah! ce coeur déchiré palpite de fureur; Tu n'es plus! c'en est fait, ma perte est éterneüe : Mon amour, qui te suit jusqu'aux bords du néant, Au-dela du trépas te respecte et t'honore; Oui, j'e t'estimai vivant, Et j'e te chéris encore. Tu vis, sans t'ébranler, la Mort qui nous détruit: Dans ce moment affreux dont frémit la nature, Ton courage étonnant te soutient , te conduit, Et ton ame j'uste et pure Méprise des enfers la frivole imposture, Et les sombres terreurs d'un avenir fortui t. Si durant tes beaux jours tu suivis Epicure, Par un généreux effort, Tu surpasses Zénon au moment de la mort. Hélas! qu'est devenu ce cceur si magnanime? Cet esprit tendre et sublime? Vit-il encor? n'estil plus ? Grand Dieu ! quel affreux abyme.' Tout est anéanti, l'esprit et ses vertus :  PlÈCES DIVERSE S. 3il S'il respiroit encor, son ombre ou sa pensee De 1'empire des morts se seroit élancée Vers le séjour des vivans, Pour soulager mes tourmens. Ah ! triste souvenir! regret plein d'amertume! Stoïcisme insensé, vainement on présume De se munir par toi contre les coups du sort; J'ai cru mon ame impassible, A tout malheur insensible ; Je suis détrompé : ta mort.... Juste Dieu ! quel coup terrible! Ciel! ma douleur mortelle et m'égare et me perd. Grand Dieu ! ton moment suprème !.... Dans ce désespoir extréme, Ma raison inutile en de si grands revers , Conspirant contre moi-méme, Rend mes cbagrins plus amers. Hélas ! j'ai tout perdu, je perds 1'ami que j'aime. Je reste seul, sans toi, dans ce vaste univers ; Ces jours sont écoulés comme des ombres vaines, Ou nos deux caeurs unis, ne formant qu'un seulcoour, S'entre-communiquoient leurs plaisirs et leurs peines Et ne pouvoient jouir que d'un même bonheur. Entre nous aucun partage, Même goüt et même usage ; Notre tendre amitié nous rendoit tout commun ; Jamais froideur ni nuage Ne put exciter 1'orage D'un différent importun. Les Jeux et les Plaisirs t'accompagnoient sans cesse; Et ton esprit, nourri des plus galans écrits , Avoit 1'art d'ennoblir par sa délicatesse Les bruyans transports des Ris : Y 3  PlÈCES D I V E R S E S. Digne , par ta politesse , D'étre mis au niveau des célèbres esprits Dont s'applaudissoit la Grèce, Ou dont se vante Paris: Plus digne , par ton cceur , d'occuper une place Chez le peu de héros connus par ramilié : Si je savois jouer de la lyre d'Horace , Je ferois retentir les échos du Parnasse Des regrets de ce coeur toujours au tien lié» Disant : Césarion passé Achate etPirithoüs, Pylade , Oreste et Nisus : J'immortaliserois , dans 1'ardeur qui m'endamme Les éclatantes vertus Qui brilloient dans ta belle ame. Mais , Dieu! je vois le jour, et tu ne le vois plus II n'est dono que trop vrai: la Mort inexorabL liavit également le vulgaire hébété Et l'homme le plus aimable ; Elle n'épargne rien, vertu ni dignité .' Sur les rives du Cocyte, II n'est vice ni mérite ; Ce qui n'est plus n'ayant qu eté, J'y vois dans 1'égalité Hector, Achille et Thersite. Vers ce séjour obscur j'avance promptement; Mes heures et mes jours volent rapidement .Et ma carrière, a plus de la moitié remplie, Me présente sa sortie. Dans peu je te joindrai dans ton noir monument La , dans cet asile sombre , Je veux m'unir è ton ombre, Et la chérir eonstamment.  PlÈCES DIVERSE S. 545 Tandis que le Destin m'arréte dans ce monde , Plein de ma douleur profonde , Portant au fond du coeur 1'empreinte de tes traits , 3Nul bonheur ne pourra diminuer ma plainte ; Sous tes funèbres cyprès , J'irai, sur ta cendre éteinte , Renouveller mes regrets , Mon désespoir, mes alarmes ; Te vouer ces soupirs pour moi si pleins de charmes, Mes tendres vers et mes pleurs , Et joncher ton tombeau des myrtes et des fleurs Qu'auront arrosés mes larmes. Qu'heureux est le mortel qui peut dün front serein Voir de 1'affreux trépas les cruelles approches , Et qui subit son destin , Sans terreur et sans reproches ! A LA BARONNE DE SCHWÉP.IN, Sur son Mariage avec le Schulthiss Lentulus. D Aignez recevoir ce fromage , Comme prémice de 1'hommage De messieurs les Treize Cantons. II est vrai que peu nous pensons ; Mais lorsque notre ame sommeille , L'Amour en sursaut la réveille : O pour l'amour , nous le senions ; Aussi nous nous réjouissous , De ce qu'en ce jour d'alégresse , Lentulus vous fera Suissesse : Suissesse est un titre d'homieur: Y 4  ' -» t P r È, C E S DIVEIlSEf, U vaut mieux que celui dAbbesse, D'Excellence , de Votre Altesse: Bien en voudroient de tout leur cceur , Qui pourroient bien n'en tater guère ;' Car jeune Suisse , en sa vigueur , Vaut mieux que prince octogénaire : Mais , pour vous , gardez-vous-en bien , De vieillir dans ce beau lien ; Et comme en Suisse on vous marie, De votre nouvelle patrie, II est temps de savoir les loix, Sachez donc qu'aux beautés ai.nables, Qui, par leurs charmes adorables , Subjuguent et bergers et rois , Nos Suisses galans, bien affables , Ont assuré les plus beaux droits. Tout peu faconnés que nous sommes, II n'est point, parmi tous les hommes Des Pantins ou Topinamboux , En fait de preuves de tendresse , En fait de fidèles époux, ( Exceptez-en la politesse ) De plus parfaits maris que nous. Mais lorsqu'une femme ou maitresso Sent de la caduque vieillesse Sur elle appesantir les coups ; Alors , pour comble , sa tristesse N'a d'hommages que nos dégoüts. Des yeux rouges ( comprenez-vous j ? Peau tannée et gorge flétrie, Cbeveux grisons , branlantes dents , Dos convexe , et genoux tremblans Sont des meubles de tópperie,  P IKCES DIVEÏSE8. S-'j.'V Qui ne trouvent plus de chalands Dans toute notre Suisserie. Eussiez-vous cent fois plus d'appas Que Vénus n'en eut en sa vie , Que Fa man te de Ménélas , Ou la bonne *****.• Ah ! ce qui n'est plus , on 1'oublie ; Vieille , vous ne nous plairez pas ; C'est pis encor ; car la police , Et la vénérable justice Très-vivement vous poursuivront; Et gravement vous soutiendront, Que par infernale malice , Vous voila dans la vétusté. Ah ! que d'esprits profonds en Suisse . En physique, en moralité! Ils disent: La malignité Des femmes fait le caractère; D'ou vient qu'une jeune beauté Devient une vieille sorcière. Ceci bien plus vous surprendra: Chez nous on ne vit, ni verra De radoteuse ridicule : Dês que jeunesse abandonna Personne qui la posséda, Si-tót la justice la brille, Sans repentir et sans scrupule : Car, chez nous , sorcières on a, Et, je crois, tant on brulera, Qu'un jour a Zug, ou bien a Berne, Vos di vins charmes on verra; Alors dans le fond de 1'Averne, Sorcières on reléguera,.  Pr n ces niTiRSEs, Et tlésormais plus n'y croira. Oui, par vous la Suisse embelli© Se corrigeant de son erreur, En abjurant son hérésie , Et chantant Ia palinodie, Fera 1'aveu de tout son coeur, Qu'il n'est d'autre sorcellerie Ni de prestige suborneur, Que la séduisante magie Des yeux de ce sexe vainqueur. LE MIRACLE MANQUÉ: C O N T E. JE veux chanter, sur mavielle profane, Un conté vrai qui surpasse Peau-d'ane. Objets usés, que nos tendres aïeux Trouvoient si beaux, k présent chassieux; Je vous implore, éternelles grand'mères, Que chaque hiver assemble autour des feux, Dignes suppóts des contes merveilleux. Et vous aussi, mesdames les sorcières, Dans ce beau champ conduisez-moi des yeux Et vous, sur-tout, dont 1'art et la puissance Forca 1'enfer, et frappa dans Endor Les yeux dün roi, par un prophéte mort. Messieurs les saints, souffrez par bienséance", Que je vous place ici selon le tour. O vous , des Cieux les sombres interpre tes .' Doublés frippons , menteurs , et pis, prophóles l Enseignez-moi les captieux discours, Dont vous saviez fabriquer vos oracles;  P I !■: C E S DIVERSE S. Z\~J Je dois ici célébrer les miracles D'un preux cafard, cagot et triple-saint, Vieux vétéran, maquignon de Calvin. Les vents fougueux déchalnés en barbares, Fabricateurs de rhumes et catarres, Vinrent 1'hiver répandre sur Berlin, A droite, k gauche, énormes maladies : Et peu touchés de l'amour du prochain, Distribuoient nombre d'apoplexies: La faculté, maudissant leur essaim, Laissoit mourir et perdoit son latin; Tous les quartiers chantoient leurs éiégies, Invectivant contre Éole et Destin. Dans les douceurs d'une paix fraternelie, Gromaticus vivoitavec deux soours; ( Qui du beau temps fabriquoient la nouvelle, Faisoient par an deux almanachs menteurs, Ou se trouvoit 1'histoire peu fidelle, Ou bien plutót Fimpertinent roman Des grands ilambeaux cloués au firmament.} Gromaticus, docteur d'astrologie, Du bon Phébus faisoit le substitut; Et renommé savant dans la magie, F)e chaque fou recevoit le tribut, Seul revenu dont long-temps il vécut: Lorsque la Mort, qui faisoit sa récoke, En tapinois sur le champ 1'accola, Subitement en un seul tour de volte, Sur le carreau roide mort le coucha. D'abord grands cris ; ses bonnes sccurs pleurèrent. Et tout-a-coup si fortement hurlèrent, Qu'a ce grand bruit leurs voisins s'éveillèrent: Ua peuple entier chez le mort s'assembia;  543 p . 1 Il'CES UIVEIlSES. V^dec^ent de toutes les affaires, ^reertamcastrès.experteSjdito Qaoigue manquant de rime et de raison. Dans cette foule et parmiletnmulte rZr .concours de PeuPIe c™> Parol^ondaxn une ngure occulte, Al«dhagard,a 1'air fastidieux, Kouche béante, et face triste et sombre: Du nom enfer sembloit sortir cette ombre; Chacun leprit pour unmagicien, Pour un démon, pour un anti-chrétien : L auroit-on cru? ce farfadet sinistre, A largeaudace, a rabat de ministre, Etoit, dit-on, grand théologien. D «bord du mort les deux somrs lentourèrent, De les aider humblement le prièrent; Sur quoi rêvant, le bon prélat enfin,' Sans autre avis, résolument décide,' Qu'en invoquant le céleste devin, On nourrira ce cadavre livide, De restaurans, de bouillons et de vin? Le piquera par une cantharide, Pour rappeller son esprit clandestin : » Je vais, dit-il, confondre 1'incrédule, » Etl'esprit-fort, encor plus ridicule ; » Ces scélérats crèveront de chagrin, » Voyant le mort ressusciter demain L'invention fut par-tout applaudie; Et tout s'empresse alors dans la maison : L'une, a la héte, apporte Peau d'Hongrie; L'autre , en courant, du baume d'Arable;  PlÈCES DIVIRSES. $j^n La, prés du feu, on réchauffe un bouillon, De tous cótés c'étoit beau carrillon; Tous les parens chez Ie mort s'empressèrent Si rudement des coudes se choquèrent, Qua terre on vit sauter plus d'un flacon, Que se choquant des holes se brisèrent. Comme au rivage on voit après le flux Dans peu de temps succéder le reflux; On vit ici se presser par la porte, D'un peuple fou la nombreuse cohorte; II entre, il sort, et par le défilé, Lassé de voir, il s'étoit écoulé. Le saint alors dévotement s'avance: » Ne perdez point, leur dit-il, patience; j) Tout doit, a gré, dans peu nous réussir; » Pour le présent laissons , par bienséance, » Au pauvre mort le loisir de dormir : j> Sortons; deinain il faudra revenir Après qu'au mort on eut ouvert la bouche> Et que sa soeur, bonne et sainte Nitouche , L'eut abreuvé d'un bouillon restaurant, Chacun s'en fut, rempli de ce spectacle, Et curieux de 1'inouï miracle, Qu'opéreroit le pieux charlatan. Ce jour enfin, pour leurs souhaits, arrivé ; Avant qu'un coq eüt chanté Ie matin, Des bons parens la troupe fugitive Vint promptement retrouver leur cousin; On le revit, hélas ! toujours de même , Roide, immobile , et le visage blême; Le saint re vint, et fortement promit, Que par 1'effet de son pouvoir suprème. On re verroit le mort sortir du lit;  OJO PlÈCES DIVIüsi. i, Sur quoi d'abord nouveaux bouillons on lit Enfin pendant huit jours on attendit; Point de miracle; on attend le quinzième; En espérant on ra jusqu'au vingtième ; Mais pas un mot que le bon saint leur dit, Pour le malheur du mort, ne s'accomplit : Quel fut heks! 1'abattement énorme, Lorsque youlant juger du fait en forme, Jusques au fond le cas s'approfondit: Quelqu'un du mort leva la couverture; Ciel! il sentit... fais-en la conjecture, Ami lecteur; je sais que tu m'entends; Etvolontiers de cette image impure Je veux ici t'épargner la peinture. Bref, on vit bien qu'il étoit enfin temps Que le bon mort fut mis en sépulture; Et le cafard, malheureux en augure, Devint depuis la fable des parens. Lorsqu'une fois on est en train de croire, L esprit se plie a toute absurdité; La fable alors passé pour vérité, Et le menscmge est égal k 1'histoire : On s'étourdit; on recoit toute erreur Qu'un cerveau creux engendra par boutade Quand une fois Ie bon sens bat cliamade, Adieu raison, a jamais serviteur !  PiÈces n i v f. a s e s. S'il LE SE1UN ET LE MOINEAU: F a k l e. On se fait des grandeurs une très-fausse idéé; Les estime le plus qui les connoit le moins : Telle ame , de leur soif se trouvant possédée, Perd, pour les acquérir, et son temps et ses soins. Dans tous les états de la vie, On trouve du haut et du bas, Et tel, dont le bonheur inspire de Tenvie, Se plaint de ce qu'il ne 1'a pas. Ecoutez sur ceci le conseil charitable , Qu'osent vous indiquer les oiseaux de ma fablo. Unjour,dansungrandbourg ,certain Moineaubanal, Des plus galans Moineaux redoutable riyal, Le plus estimé chez les belles, Galant, joli, coquet un brin, Voloit, de ses rapides ailes , A 1'entour d'un chateau Hanqué de deux toureUes, Palais du seigneur suzerain: 11 appergoit, au fond d'une gentiile cage, Juché dessus son bois, un merveilleux Serin, Qui le ravit par son ramage. j> Hélas ! se disoit-il, du peuple des oiseaux » Au fyeau Serin échut le raeilleur appana;;e: 3) A 1'abri des saisons, k 1'abri de 1'outrage , 33 Logé comme un seigneur, il ignore mes maux i 3> Tandis que mouillé par 1'orage, 3> Je grelotte sur des roseaux, »3 II vit en trés-grand personnage, >3 II se mire dans des trumeaux; 3> Son bon maitre Farms k la rage,  35* P i è c e s nivEnstü, » II le nourrit de sucre ou d excellent biscuit s » Tandis qu'en ce maudit village , » A coups de feu 1'on me poursuit, » Que j'erre comme un misérable, » De cent caresses on 1'accable^ « Sort cruel ! oü m'as-tu réduit ? « Que ne süis-j'e né son semblable ? Notre gentil Serin, quoique sans trucbementj Comprit maitre Moineau,etl'onsentbien comment; Un Serin du bel air, qui vit dans le grand monde, Füt-il même tant soit peu sot, Doit deviner a demi-mot Les autres oiseaux k la ronde. II répondit au gros Motneau, Dans son dialecte d'oiseau : « Ami, ta cervelle est timbrée; » Parlant avec esprit, tu raisonnes bien mal : 33 Ma cage richement dorée >3 Te rend en secret mon rival : 33 Ah ! dans la plus superbe cage , 33 Ces fers et ma captivité 33 Me font sentir le poids d'un pénible esclavagc. 33 Que m'importe la vanité? 33 Sois satisfait de ton partage: J3 Point de bonheur sans liberté «. A  PlÈCES DIVERSE S. 353 A VOLTAIRE, Sur sa Comédie de Nanine. J'Ai vu le Roman de Nanine, Elégamment dialogué , Par hazard, je crois , relégué Sur la scène aimable et badinc, Ou triomphèrent les écrits De 1'inimitable Molière. Si sa Muse fut la première Sur le théatre de Paris Qui donna des graces aux ris, Gare qu'elle soit la dernière. H terrassa tous vos marqüis, Précieuses, faux beaux-esprits , Faux dévots k triple tonsure, Nobles sortis de la roture, Médecins, j'uges et badauds: Molière voyoit la nature, II en faisoit de grands tableaux. Les goüts frelatés et nouveau*, Qu'introduisirent ses rivaux Lassés de sa forte peinture; A la place de nos défauts Et d'une plaisante censure Qui pouvoit corriger nos mceurs . Surent affadir de ïhalie Le propos léger, la saillie Dont sa morale est embellie; Et pour comble de leurs erreurs Ils déguisèrent Melpomène, Tomé III. £  354 Pli-CES DIVERSE S Qui vient sur Ia comique scène Verser ses héroïques pleurs Dansles atours d'une bourgeoise Languissante, triste et souruoise, Disant d'amoureuses fadeurs. Dans cette nouvelle hérésie On connolt aussi peu le ton Que doit avoir la comédie , Qu'on trouve la religion Sous les traits de 1'apostasie. Comme vous n'avez pu réussir a m attirer dans la secte de la Chaussée, personne n'en viendra a bout: j'avoue cependant que vous avez fait de Nanine tout ce qu'on en pouvoit espérer. Ce genre ne m'a jamais plu ; j'e concois bien qu'il y a beaucoup d'anditeurs qui aiment mieux entendre des douceurs ;i la comédie, que d'y voir jouer leurs défauts, et qui sont intéressés a préférer un dialogue insipide.u cette plaisanterie fine qui. attaque les mceürs. Piicn n'est plus désolant que de ne pouvoir pas étre impunément ridicule. Ce principe posé, il faut renoncer a Part charmant des Térence et des Molière, et ne se servir du théatre que comme d un bureau général de fadeurs ou le public peut apprendre k dire :7 e vousaimc, de centfagons différenles. Mon zè-lepour la bonne comédie va si loin, que j'aimerois mieux y étre j'oué, que de donner mes suffrages a ce monstre batard et flasque, que le mauvais gout du siècle a mis au monde. Depuis Nanine j'e n'entends plus parler de vous , donnez-moi donc quelque signe de vie.  PliciiS Dl VERSE S. 555 Votre Muse est-elle engourdie ? L'hiyer a-t-il pu la glacer ? Le beau feu de votre génie Ne sauroit-il plus s'élancer? Ab ! c'est un feu que Proznéthèe Sut dérober aux Dieux jaloux: De cette flamme respectée Ne parions jamais qu'a genoux. Chez vous elle ne peut s'éteindre; Mais pour que je n'ose m'en plaindre, J'exige quelques vers de vous. C'est un défi dans routes les formes; vous passerez pour un lache, si vous n'y répondez ; l'esprit ni les vers ne vous coutentrien; n'imitez donc pas JesHoïlandois qui, ayant seuls des clous de giro/Ie, n'en vendeflt que par faveur. Horace votre devancier envoyoit des épitres a Mécène tant qu'il en vouloit; Virgile votre aïeul ne faisoit pas despoëmes épiques pour tout le monde, mais bien des églogues ; mais vous dans 1'opulence de l'esprit et possédant tous les trésors de 1'imagination la plus brillante, vous êles le plus grand avare d'esprit que je connoisse : faut-il étre aussi difficile pour quelques vers de votre superflu qu'on vous demande ? Ne me fachez pas; mou impatience me pourroit tenir lieu d'Apollon, et peut-être ferois-je une satyre sur les avares d'esprit: mais si je regois de vous une lettre bien jolie, comme vous en faites souvent, j'oitblierai mes sujets de pluinte et je vous aimerai bien. Adieu.  356 PlÈCES DIVERSE S. A V0LTAI11E, Sur un songe littéraire. La nuit compagne du repos, En nous dérobantla lumière, Avoit jeté sur ma paupière Ses plus léthargiques pavots; Mon ame étoit appesantie Et ma pensée anéantie, Lorsqu'un songe d'un vol léger Me fit passer comme un éclair Aux bords fleuris de 1'Elysée : Li , sous un berceau toujours vei cl Je vis 1'ombre immortalisée De 1'aimable Césarion. Dans la plus vive émotion Je m'élaneai soudain vers elle : » O Ciel! est-ce toi que je vois, » Disois-je, ami tendre et fidéle ? » Toi que j'ai pleuré tant de fois, si Toi de qui la perte cruelle » M'est encor récente et nouvelle » \ La, dans ces transports véhémens Je vol© k ses embrassemens ; Mals trois fois cette ombre si cbère, Telle qu'une vapeur légère , Semble s'échapper a mes sens. 33 Le destin qui de nous décide 3) Défend k tous ses habitans, 33 Dit il, d'approcher des vivans,  Pièces divehses, 35y 5» Mais j'ose te servir de guide; 33 C'est tout ce que je puis pour toi: 33 Vers ces demeures fortunées 33 Oü les vertus sont couronnées, 33 Je vais te mener; viens, suis-moi ». La, sous d'ombrages admirables Des myrthes mélés de lauriers, Je vis des plus fameux guerriers Les fantómes incomparables: 33 De ces illustres meurtriers 3> Fuyons, me dit-il, au plus vlte, 3) Des beaux-esprits cherchons 1'élite >\ Plus loin sous un bois d'oliviers Entremêlé de peupliers, Je vis Virgile avec Homère, Tous deux paroissoient en colère : Je vis Horace qui grondoit Et Sopbocle qui murmuroit. Une ombre qui de notre spbère Dans ces lieux descondit naguère, Tous quatre les entretenoit, Et j'entendis qu'elle contoit, Qu'en ce monde un certain Voltaire De cent piqués les surpassoit.. C'étoit la divin6 Emilie (a), Qui jusques dans ces lieux porloit L'image de ce qu'en sa vie Le plus tendrement elle aimoit. Mais ces morts entrant en furie, Sentoient encor la jalousie , (a) La marquise dn Caitriet. Z 3  3j8 PlÈCES niTEUSES, Qui lutine les beaux-esprits, Ils avisèrent par folie De venger leur gloire avilie, Ils appellèrent a grands cris Un monstre qu'on nomme 1'Envie, Sèche et décrépite harpie, Qui bait la gloire et les écrits De tous les nourrissons chéris De Mars, d'Apollon, de Minerve, » Allez, dirent-ils, a Paris; ■» Sur ce Voltaire et sur sa verve « Exercez toutes vos noirceurs ; » Complotez, tramez des horreurs; 3) Allez soulever le Parnasse, « Que le moindre s'cribe croasse, « Envenimez les rimailleurs : » II est coupable, il nous surpasse! 3> Punissezde de son audace; 33 Que sans cesse en butte a vos traii -, 3) 11 déteste tous ses succès; 33 Etnbouchez le sifflet funeste, 33 Et soutenant nos intéréts, 33 Faites sur-tout tomber Oresm 33. Le monstre partit a 1'instant, Et moi soudain en tressaillant, D'abord je m'éveille, et mon sö£ge Dans 1'obscurité se replonge. Voda ce que j'e songeois derniérement, et j'e pen. sois me ranger du parti de ces bons poëtes trépassés; ils n'ont pas tort d'être de mauvaise humeur; vous abusez trop étrangement du privilège de grand géniej vous allez a la gloire par autant de chemins qui  P i è c h 5 diverses. ' o5g y ménen t; vous me re venez comme ce conquérant, qui croyoitn'avoir rien fait, tant qu'il restoit encore une partie du monde a conquërir. Vous venez d'entamer les états de Molièce; si vous le voulez fort, sa petite province sera daüs peu conquise. Je vous remercie de ce nouvel Harpagon , qui est, selon moi, une Comédie de mceurs ; si vous 1'aviez faite plus longue, il y auroit eu apparemment plus d'intérèt. Voyez combien je vous ménage; je ne vous importune point pour vous voir a présent, j'attend* que Flore ait embellt ces climats, et que Pomone nous annonce d'abondantes moissons , pour vous prier d'entreprendre ce voyage; j'attends que mes lauriers aient poussé de nouvelles branches pour vous en couronner : au moins souvenez-vous qu'-après le duc de Richelieu, personne n'a de droits plus incoutestables sur vous que votre tudesque confrère en Apollon. Vale.  56o TABLE. Po ésies du Pliilosoplie de Saus-Souci. Pag. 5 Préfacc a /nes Amis. m E p i T IV e s p h i l o s O I' ii i o uis. Epitre I. A mon Frère de Prusse, sur la vraic vertu,.n . «poMioni ^ai'iüLnodfi'b sjuoi. je tuc^Q EriTiiE II. A Hermotime, sur Vavantage des l.crtres. j 5 E pit re ITT. Sur Ia gloire et sur Fintérét. '££ Ei'i the IV. A Bot.tembourg, sur les yoyages. $A Epitre V. A d'Argens, sur la foiblesse de f esprithumain. /2 r.riTRï VI. Au Comte Gotter. Combien detravau c il faut pour sali faire, des Epicuriens. 5a Epitre VII. A Maupertuis. La_ Providence tic /intéresse point ii Vindividu•■, mais a l'espèce. 6a Epitre VIII. A mon Frère Fcrdinand , sur les vceux des humains. rj\ Epitre IX, A Still, sur Vemploi du courage, et sur le vraipoint-d'honneur. rjQ Epitre X. Au Général Brédow, sur la réputation. $j Epitre XI. A ma Sceur de'Suède, sur Téclat nu elle rsndit a la Suède. qj  T A B L E. m Epitre XII. A Podewils, sur ce quon ne fait pas loiLt cc, quon pourroit faire. 101 Epitre XIII. A ma Sceur de Bareuth , sur Tusagede la fortune. \oS Epitre XIV. A Schwerts, sur les plaisirs. 115 Epitre XV. A Algarotli, sur les mèdisances de, ■1'amour-propre. fcai Epitre XVI. A Finck. La vertu préférablc a f esprit. 127 Epitre XVII. A Chazot, sur la moderation dons l'amour. 1o. \ Epitre XVIII. Au Marcchal Keilh. Imitatinn. du Livre III de Lvci'èce. Sur les vennes lerreurs de la mort, et les fraycurs d'une autre via. i/ji Epitre XIX. A Darget. Apologie des Rois. 15i Epitre XX. A mon Esprit. i5fj Odes. Ode I. A la Calomnie. 3Go Ode II. A Gresset. 1 - Ode III. La Fcrmeté. \ -S Ode IV. La Flatterie. 18 z Ode V. Le rétablissement de l'Académie. • 187 Ode VI. La Guerre de i*jfyl' 1 vf> Ode VII. Les troubles du Nord. ig3 Ode VIII. Aux Prussiens. Le courage. icfi Ode IX. A Maupertuis. Ia vie est un songe. £(>(»  S6a TAB L F Ode X. A Voltaire. Qu'ü prentte son para su, tes approches de la eieillesse et de la mort. 20'} Ode XI. Sur la Gloire. aoy Ode XII. Sur le Temps. ai, Epitres familières. Epitre I. A mon Frère Hcuri. Les plaisirs des Grands. ^ Epitre II. A'Poeünitz. Le pouvoir des richesses. 22a Epitre III. AFouquet, sur le présent et le passé. 226 Epitre IV. A la Comtesse de Camas, sur Cesprit et la beauté. „jfo Epitre V. A Jordan, sur Vétude. 255 Epitre VI. A ma Sceur de Bareuth, sur ses malheurs et notre amitié. <.^3 Epitre VII. A Maupertuis , sur son arriuée a Berlin et sa maladie. „/„ Epitre VIII. A dArgens. Invitation aüx plaisirs de Sans'Souci. 0/yo Epitre IX. A. Maupertuis, sur son retour a JJaris. ^5 Epitre X. A Césarion. Souhaits de paix pendant laguerre de 17/^1. zq1 LArt de la Guerre, Poëmecn six Chants. üCj PlÈCES divers es. Stances. Paraphrase de l'Ecciésiaste. ZiS Stanccsa Voltaire, tur ce que Af. Honi, marchand  TABLE. 5G5 de vin de Bruxelles, étoit venu u Wèsel, apportant è Tauteur une Epitre en vers, de Voltaire , et que le Roi avoit alors dessein d'aller en Flandrc; mais quil en fut empéché par lafièvre-quarte. 51 8 Stances contre un Médecin quipensa titer un pau vre goutteux a force de lefaire suer. 51 Bes esprits engourdis , des étres imbécilles De la société membres très-inutiles Qui n'étant animés par le bien ni h mal Seroient ensevelis dans un sommeil fatal Nos desirs sont des feux qui réchauffent notre am, C es leur embrasement qu'on redoute ou qu on bkm, 11 est certam miheu qu'il faut savoir tenir • La sagesse , mon Prère, y fait enfin venir ' Mais c'est bien a mon age a parler de sagesse ! De mes egaremens je sens toirte Iïvresse, Je sens , en proférant le nom de la vertu ' De mon aveu secret mon orgueil confondu'; Sans trainer ce discours et trop long et trop ampïr Ah . Je deyrois plutót vous précher par 1'exemp!,,'  E p I T n E S. SUR LA GLOIRE ET SUR L'INTÉRÊT. ÉPITRE III, Soit dégout, soit dépit, ou bien soit que tout s'use Je reviens de 1'erreur dont Ie monde s'abuse. '' Mon feu s'éteint, je touche è 1'arrière-saison, II est temps d'écouter la tardiye raison. Tout plait également a 1'ayeugle jeunesse : D autres temps, d'autres mceurs ; a la fin la sagesse Etouffe les transports de nos désirs ardens. Ah remplacons 1 erreur par 1'utile bon sens, Et la balance en main, pesoxi:> au poids du iusf,* Les cruautés d'Octave, et les vertus d'Auguste. Ce mot tant prodigué, le nom de vertueux, Quel abus le fait prendre k tant d'ambitieux?' Les plus savans projets, et 1'art le plus sublime Deviennent odieux lorsqu'ils servent au crime, Qu'au milieu de Paris un prélat insolent Gouverne les ressorts d'un peuple turbulent; Que la révolte enfin contre la cour éclate, Le tout pour s'ombrager d'un chapeau d'écarlate : Qu'il laisse k son orgueil pervertir ses talens : J'y vois d'un forcené les excès violens, Pour avoir usurpé 1'autorité suprème, Conduit sa tyrannie avec art et systéme , Pourétre habile, heureux, vigilant, séducteur, Cntrépide aux combats, et rapide vainqueur, Cromwel, qui de son roi prépara le supplice. Pouvoit-il colorer sa barbare in/ustice? Auroit-il pu souffrir qu'un impudent flatteu?  E P I T R E S. &5 Osat nommer vertil son atroce fureur? En vain 1'encens dans Rome a fumé pour Augustëj Malgré 1'apothéose il fut crael, injuste, En noyant dans le sang le plus pur de 1'Etat La liberté, les loix, et les droits du sénat: Quelle horrible vei tu qui répand 1 epouvante ! De ses lauriers affreux la moisson abondante Sous sa coupable. main fut prompte a se flétrir. Comment sans murmurer enfin peut-on souffmQu'un lache , un Harpagon, un misérable avare Du nom de vertueux sans scrupule se pare? Par quel droit ose-t-il prétendre a eet honneur ? D'un titre glorieux il est 1'usurpateur ; U n'a pas des vertus les deliors hypocrites. Quels sont donc ses hauts fait3,quela sont ses grands mérites? L'insatiable soif qu'il a d'accumuler Est 1'unique talent qu'il nous puisse étaler ; II en fait jour et nuit sa misérable étude. Observez les accès de son inquiétude : Son navire est frété, préta sortir du port-, Un vent facheux 1'arrête, il querelle le sort, II brüle de partir, et son espoir le flatte D'acquérir les trésors de 1'Inde et de 1'Euphrate, D'enrichir ses neveux dans ces climats lointains Dont un fameux Génois découvrit les chemiris: Mais 1'aquilons'appaise, on 1'appelle, il s'embarque, Onlèvel'ancre, il part plus contentqu'unmonarque, II brave les dangers, il brave les saisons, L'été n'a plus de feux, 1'hiver plus de glacons; Plus dur dans ses travaux que ne le fut Alcide, II n'est plus de péril quand 1'intérêt le guide. Un nuage orageux vient obscurcir les airs, Les flots, lancés aux cieux, retombent aux enfen ;  2^ E v i t n b s, Eole se dëchaine, et pousse dans sa rage Le vaisscau dématé sur le proeliain rivage , Et sur des ais brisés , pilotes, matelots, Se sauvent a la nage en abjuxant les ilots: Notre avare maudit eet élément perfide; A peine est-il sauvé que 1'intérèt avide , Sans daigner lui donner le temps de se sécher, L'entraine en lui disant: » Debout, il faut mareber, " Méprise des dangers la terreur importune ; » Les chemins épiueux som ceux de la fortune », Le péril qui n'estplus est bientöt oublié. Co malheureux avare, a 1'intérêt lié, NTiésite qu'un moment; sa funeste habitude, L'ardente soif de 1'or, 1'espoir , 1'inquiétude, Chassent de son esprit tout désir de repos, Le sommeil sur son front voit faner ses pavots ; Et notre forcené, tout mouiHé du naufrage, Une seconde fois court affronter 1'orage. . . Pourra-t-il dévorer ses trésors amassés, Ces barres, ces lingots dans sa cave entassés? Desfauxetdes vrais,biens vainsjugesque nous sommes! Le sort plus qu'on ne pense égale tous les hommes; A nos nécessités le Ciel avoit pourvu. Quel usage Midas fait-il du superiïu ? Je vois de jour en jour accroitre ses misères Par de nouveaux besoins devenus nécessaires , Moins riche des trésors dont il sent 1'embarras , Que pauvre de tous ceux qu'il ne possède pas. C'est bien pis si ce fou , comblant le ridicule , Sans j'ouir de son bien sans cesse 1'accumule, Afin qu'un beau matin la mort, a 1'ceil hagard, De sa tranchante faux moissonnant le richard, Mette en possession de cette immense proie  Epttb.es. VJ Un parent affamé , qui s'en pame de j'oie , Qui sans donner le temps d'enterrer le vilain , Vide son coffre fort, et boit son nieilleur vin : .Tel est d'un faux esprit 1'égarement extréme. L'avare est 1'ennemi le plus grand de lui-mème ; Mais 1'ambitieux 1'est de tout le genre-humain : II marche a la grandeur le poigrtard a la main : Ses desseins, ses liauts faits sont autant d'injustices, Tout jusqu'a ses vertus devient en lui des vices. Ces tristes passions charment des cceurs pervers , Ilenversent les États et troublent 1'uniyers. Je vais sur ce sujet vous conter une histoire: Le sordide Intérét, et la superbe Gloire , Voyageant par le monde , enróloient ici-bas Tous ces fous qu'on voit en différens climats, Patres, bourgeois, guerriers, prétres, seigneurs, mimstres, Etoient bientöt séduits par leurs bienfaits sinistres. Ils virent, en passant prés d'un petit hameau, Un berger peu connu qui guidoit son troupeau, Jl se nommoit Damon , et malgré sa naissance , Des plus rares talens il avoit la semence , De 1'esprit, un cceur tendre , et dans sa pauvreto Du gout pour le repos et pour la liberté , Seul avec sa Phyllis , ses moutons , sa houlette, II vivoit loin du monde, heureux dans sa retraite. » Quel berger, dit la Gloire ! Ah ! verrons-nous tous deux s» Qu'ilnous fasse 1'affrontd'être heureuxanosyeux? » Nous avons égaré dans nos routes scabreuses » Des plus sages humains les ames vertueuses ; 11 Que de mqrtels sans nous, dans le sein de la paix, » Jouiroient d'un bonheur que nous n'avons jamais ! « Aurons-nous vainement troublé toute la terre, v AUumé {ant de fois le flambeau de la guerre,  E P I T R E S. » Et nagé dans Ie sang des guerriers expirans ? » Quoi! tandis qu'ici-bas nous sommes toutpuissans, » Monfrère, verrons-nous lachement, sans rien dire, » Que eet heureux berger échappe a notre empire ? » Ah ! troublons son repos , égarons sa vertu, » Qu'il tombe dans Ie piège a nos pieds abattu ». Alors , pour mieux voiler leur funeste imposture p Ils prennent d'un berger 1'habit et la figure , Ils abordent Damon d'un air doux et flatteur : La Gloire parle ainsi: » Je te plains , cher pasteur; » Faut-il que les talens dont ton esprit abonde » Restent enseyelis pour nous et pour le monde ? » Quitte 1'obscurité, connois-toi mieux, Damon, ■» C'est une doublé mort que de mourir sans nom ; is II faut a tos vertus uiib illustre carrière. » II est temps, viens, suis-moi, parois a la lumières m Cesse de te cacher ton mérite éminent, » La Fortune t'appelle et la Gloire t'attend. a J'annonce a ton génie une grandeur certaine , i) Choisis, deviens auteur, ministre , ou capitaine ? » De tes contemporains applaudi, respecté, » Ton nom peut passer même k 1'immortalité. » Vois-tu bien ces bergers, éblouis de ta gloire, » S'écrier, tout surpris et ne pouvant le croire : yj C'est donc la ce Damon que nous connümes tous ? » Colin et Licidas en sont déja jaloux ; » Ah,qu'ils vont envier tes grandeurs sans pareilles « Damon a ce discours, nouveau pour ses oreilles, Sent un trouble secret; un charme suborneur A porté son poison jusqu'au fond de son cceur, L'ambition soudain de son esprit s'empare. li'Intéret attentif s'appergoit qu'il s'égare; 1! saisit le moment qu'il est déjk trouble,  r, P I T R E S. ' S9 AEn de lui donner un assaut redöuble, Et d'exciter encor, dans le fond de son ame , L'insatiable soif de son métal infame : » Connois ton ignprance , ó rustique pasteur. . Wends de moi, dit-il, quel est le vrai bonheur! v Tu n'es qu'un indigent, et tu crois être sobre; » Vas, ta simphcité dans le fond n'est qu'opprobre. » Quoi! Damon lachement esclave d'un troupeau. » Abreuve ses brebis, les tond de son ciseau, » Tandisquetantd'humains,vivantdansl'opulence, » Ont consacré leurs jours a la molle indolence ? » Ah ! quel luxe charmant s'étale chez les grands . « Des palais somptueux logent ces fainéans ; 3) Leurs promenades sont des pompes triomphales, » Leurs repas des festhas, lcmr3 jcux des saturnales; » Les humains ici-bas aux richesses soumis » Leur doivent leurs honneurs, leurs talens, leurs arms. » Sans argentil n'est rien que misère et bassesse, „ On próne vainement la stérile sagesse : » Un esprit merveilleux , un mérite divin, » Vous laissent sans argent, un vertueux faquin. » L'or a, dans ces climats , une entière puissance , » II donne k tous vos gouts une heureuse influence: « Faut-il faire valoir des droits litigieux? » Votre cceur brüle-t-il d'un feu séditieux? » Frappezd'unmarteaud'or,lesportes sontouvertes, « Vos talens sont prónés, vos sottises souffertes ; » De 1'univers entier ce précieux métal 3> Est le premier mobile et le nerf principal «. Le malheureux Damon, que 1'Intérêt assiège , 3NTe peut plus résister, et tombe dans le piège : Ses moutons et Phyllis , objets de ses plaisirs , Sont effacés soudain par de nouveaux dé.>irs.  5o E P I T R 1? S. Ce charnpêtre sé/our lui derient insipHe ' De. grandeur, et des biens sentant la soif avide ? 11 abandonne enfin Phyllis et ses brebis. Dieux! que devintes-vous, malheureuse Phyllis» Gette amante aussi-tót, demi-morte et gfccée Rappelle son amant d'une yoix oppressie ; Ses larmes et ses cris ne peuvent 1'attendrir Lmeonstant de sang-froid part sans Ia secourirL interet 1 endurcit, et la Gloire hautaine En mépnsant Damon , avec elle 1'entraine ' Que d'attraits .éduisans n'a pas la nouveauté Pour un jeune pasteur dont la siznplicité Sort novice et sans fard des mains de la Nature ' Incertam sur le choix, il erre a 1 aventure Le désir de hriUer et d'aocruérir un nom Des neuf savantes Soeurs le rend le nourrisson ■ ftans cesse d se dépeint ses haute, destinées , ' II en veutpar ses soins rapprocher les années • Ses rapides travaux abrègent son chemin , U passé promptement par le pays latin . Sans prendre ses degrés sur les bancs d'Uranie Secondé dans son vol des ailes du Génie, On le yoit, au grand jour publiant ses écrits Se placer parmi vous , messieurs les beaux esprits, Mais la fureur des vers et la rage d'écrire Font hurler contre lui la mordante satire : 11 voit dans ses censeurs un peuple de jaloux, De ce genre de gloire il ressent les dégoüts , Et blamant hautementson ardeur téméraire ïatigué de leurs cris, il apprend a se taire. Damon quitte le Pinde, et des desseins plus hauts L eicvent au théétre ou brillent les héros • 11 vole curies pas de Mars et de Béüone,  E P I T 1 I s, 33 Damon retrouve enfin sa première raison ': II maudit 1'Intérét, la Gloire et sa folie , Et reprend ses moutons et sa première vie. Phyllis a son retour , la constante Phyllis , Embrassant son amant, vit ses voeux accomplis : Damon jouit en paix d'une heureuse vieillesse , Et gouta les plaisirs que donne la sagesse. Heureux qui du bon sens pratiquant les lecons , N'abandonna jamais Phyllis ni ses moutons ! Les frivoles faveurs que fait la Renommee Sontquelques grains d'encens qui s'en vont en furnco; Un corps sain, des amis, 1'aisance, un peud'amour, Sont les uniques biens du terrestre séjour; Ils sont autour de vóus, mais semblable a Tantale , L'onde en vain se présente k sa lèvre fatale , Le vrai bonheur est fait pour les coeurs vertueux... Allez donc maintenant, avare, ambitieux, Foïlement vous bouffir de pompeuses chimères; JN"os fortunes , mortels , ne sont que passagères. Tel possède aujourd'hui de superbes jardins, Qui seront dès ce soir peut-être en d'autres mains. Ces biens nous sont pré tés, rien n'est sur, tout varie, El le monde pour nous n'est qu'une hótellerie. Le Temps emporte tout, les maitres , les suiets ; n j • . . , ~ v/ ^ u„i v,^,>„,gJ c l0 ; Pourquoi, sans profiter des biens qu'on nous des tine, Nourrir en notre esprit une guerre intestine ? Ah ! malheur a ce prix k qui veut s'élever ! Mais par tout ce discours qu'ai-je voulu prouvev? Que sur la mer du monde un pilote bien sage Doit préférer lc port aux risques du naufrage. .7'ome IIT. C  fi ë P i t R r. s. A II OTTEMBOURGj Sur les Voyagcs. ÉPITRE' I V. j 'Enconviens, Rottembourg,qüöi que 1'onemprésume • L'homme est un animal guidé paria continuo ; D'aveugles préjugés son esprit gouverné , Est par un vieil usage aux abus enchainé. L'immortelle Sottise , allant de race en race , Maitrisera toujours la foible populace ; Le siècle la transmet aux siècles a venir ; Tout sot est son sujet; né pour la soutenir , II pratique avec soin ce ridicule code. Je ne vous peindrai point les travers de la mode Le bizarre pouvoir de ses frivole* droits, Ses fantasques décrets , ses tyranniques loix , Ses caprices , ses goüts , son audace effrontée , Ses changemens subits qui la font un Protée j Je conterois plutót les roses du printemps Les épis de 1'été , les grappes des sarmens , Et de 1'hiver glacé.... Mais sans ce préambule , Un exemple au grand jour mettra ce ridicule. Remarquez, Rottembourg, que de pères chez nous, Malgré leurs cheveux gris n'en étant que plus fous, Prévenus pour un fils que leur amour protégé, Lui font courir 1'Europe au sortir du collége ; Lors même que ce fds est dépourvu de sens, Pleins de leurs préjugés, ces obslinés pareus Osentnous soutenir qu'ainsi Ie veut 1'usage , Et qu'ils ont décidé que leur cber fils voyage ;  K P 1 T R É S. 35 C'est un rein iele sur , et dès long-temps prescrit, Qui guérit la cervelle et donne de 1'esprit.. . Qu'un Dieu, fléaudes sots, puisse un jourles confondn L'air qu'on prend a Paris, ou qu'on respire a Löttdre, Raffineroit-il plus que celui de Berlin Les tissus engourdis d'un cerveau né mal-sain ? l.'esprit est inhérent etpropre k la personne , Le climat n'y fait rien, la Nature le donne ; ITn organe bouché ne se formeroit pas Dans les serres oii 1'art mürit les ananas. Ah ! verrai-je toujours 1'Allemand imbécille , De ses opinions esclave trop docile , Penser et raisonner si ridiculement ? Un jour je m'emportai et leur dis brusquement: » Avez-vous résolu dans votre frénésie » De vous déshonorer avec votre patrie , » En promenant par-tout, sans valable raison ; » L'opprobre de la Prusse et de votre maison ? w Et que diront de nous les nations polies ? » Certes leur vanité rira de nos folies; 3> En voyant arriver ce vol de nos badauds,' » Ils nous traiteront tous de Huns , de Visigol hs. 3) Je crois voir des Francois qui secouant la tête ï) Diront avec dédain : Ah ! que ce peuple est béte l L'esprit est concentré chez les Parisiens , « Protégeons par pitié ces pauvres Prussiens »i Ainsi je leur parlai ; les raillant sans scrupule, Des plus fortes couleurs peignant leur ridicule; ï)e leur opinion rien ne les fit changer , Ef 1'univers entieren diit-il enrager , Les nations verront promener par Ie monde Ce fils oü tout 1'espoir de leur maison se fonde. . Bóit. qu'il voyage donc, s'il le faut, avijourd'hm f ÓM  S6 E p i r ft e s. Je 1'attends de pied ferme a son retour cheas lui: Que sait-il? qu'a-t-il vu pendant sa longue absence? A-t-il 1'esprit de Still ? en a-t-il la prudence ? Point du tout, remarquez son plumet incarnat, De stupide qu'il fut il est devenu fat ? Et jouant 1'étourdi, sans pouvoir jamais l'étre , C'est un lourdaud badin qui fait le petit-maitre. Chrysippe, dites-vous, est unliomme prudent; Son fils qui doitpartir a 1'esprit trans eend ant; Son école est le monde , et son père qui 1'aime , Assuré de ses mceurs , 1'abandonne a lui-méme ; Avec son esprit vif joint a tant de talens, II ne fréquentera que les honnétes gens , Et les bonnes maisons.... dites les dangereuses ; Chez 1'abbesse Faris et ses religieus'es Votre phénix des nis décemment introduit, De son zèle dans peu recueillera le fruit; Au pieux exercice ardemment catholique , II en emportera , Dieu sait quelle relique, Qui macérant sa chair, lui fera ressentir D'un plaisir passager le cuisant repentir. S'il passé chez 1'Anglois , citoyen de taverne , Impudent, crapuleux , ce cynique moderne Prendra tous les défauts de cette natiou ; Bizarre et singulier par affectation, II fera vanité d'étaler sa folie : Dieu vous garde sur-tout, pour comble de manie , Qu'il ne s'avise un jour d'avoir le spleen par goül ; Que poussant 1'anglicisme insensément au bout, Pour marqué des progrès qu'il fu dans son voyage, II ne se pende un jour a la fleur de son age .' Si Faris le retient dans un hotel garni, Voyez son char superbe artistement ycrni,  E P I T ï\ E S. Z~ Ses laqnais chamarrés, ses festins , sa dépense , Au cours , k 1'opéra , sa folie extravagance, Et pour prix de ses soins son bien en moins d'un an Fricassé par Manon, perdu dans un brelan. Après tant de plaisirs , tant de galanterie , Que va-t-il faire enfin dans sa triste patrie? Ce seigneur opulent, qui prodiguoit son bien, Puni de ses excès, doit par-tout, et n'a rien, Et pour lui la Fortune ayant tourné sa roue, Sans laquais , sans carrosse il trotte dans la boue; Ses créanciers brutaux , par un arrêt fatal, L'enverront dès demain crever a 1'hópital. Mais Posthume,dit-on, doit vous charmer sans doute, Ce père prévoyant choisit une autre route ; Son fils doit voyager en sage citoyen , II a pour conducteur un théologien : Cet austère mentor, guidant ce Télémaque, Saura le ramener innocent vers Itliaque , Et des séductions garantissant son coeur.... Suflit, ]'e vous entends ; ce dévot gouverneur, Brutalement savant, sans monde, sans manières , Déplacé dans le siècle , et manquant de lumières , Auroit besoin lui-méme, abn qu'on le soüffrit, D'unmaitre qui daignèt raboter son esprit. Que peut-il résulter de ce choix ridicule ? Le pupille encloitré, tenu sous la férule Par ce cuistre ombrageux, de ce dépot jaloux, Gardé dans sa maison sous de doublés verroux, De prisons en prisons yoyageant par le monde, De 1'univers entier pourroit faire la ronde : II verroit tout au plus les dehors des cités, Des enseignes , des mufs, et des ahtiquités; II n'aura fréquente, grace au cuistre ineommode , C 3  F. v i t n e s. 39 Jls ont sans doute un but, et ces sages parens Auront pensé sur-tout au bien de leurs enfans. Ditës, lorsque vos fils de leurs couteux voyages Reviendront étrangers par 1'air et les usages, Qu'ils serontplusFrancois, plus Anglois queGermains, Quels utiles emplois leur préparent vos soins ? S'il faut juger des faits par notre expérience, Le hasard en décide, et non votre prudence.^ Je vois vosvoyageurs s'empresser chaque jour : L'un juge postulant se présente k la cour; II a pris ses degrés, et soutenu ses thèses Al'université des coulisses francoises ; De crainte que Cujas ne gdtat son cerveau, II ne lut que Mouhi, Moncrif et Marivaux ; 11 n'est aucun discours que son esprit fertile N'embellisse d'un trait cité d'un vaudeville. O le juge excellent! Heureux sont les plaideurs Dontle sort dépendra de pareils rapporteurs ! Le flasque Dameret, fils chéri de sa mère, Jeune atblète énervé des combats de Cythère, Désire de couvrir ses membres délicats Du fer et de 1'acier dont s'arment les soldats ; II n'a jamais connu Vauban , Folard , Feuquière f Mais 1'Art d'Aimer d'Ovide est son cours militaire, Cet autre k son retour va se mettre a 1'écart, Imite ses aïeux et se fait campagnard ; C etoit bien employé d'aller en Angleterre , Pour sf'enterrer tout vif dans le fond d'une terra. Voila comme ces fous ont usé de leur temps j Mais que dirai-je enfin de tant de jeunes gens, Errans comme ce Juif qu'on dit courir le monde „, Qui livrés aux travers dont leur esprit abonde, Prirent, en voyageant , un goüt si yagabond, C 4  4° E p .i t a k s. Et ne pouvanl depuis rester k la maison , Se dévouant par clioix aux grandes aventure., Emirent en frippons tout chargés d'imposturesY L'Allemagne , féconde en plats originaux En compte chezlesgrands desplus fons,des plus' sots; Leur impuissant orgueil, plein de la cour de Franoe \ Innte les Louis par leur magnificence. Des princes dont 1'État contient six mille arpens, Réduisent en jardins la moitié de leurs champ;, ; ' Et pour avoir chez eux Marly, Meudon , Versaiües , Oppressent leurs sujets géinissans sous les tailles ; * Dans leurs vastes palais on .chercheroit un jour, Avant que d'y trouver le prince avec sa cour. Dixhouretsfontleurmeute,etcentgUeuxk-uraimée; Ils sont nourris d'encens , ils vivcut de fumée ; C'est le faste des rois, grayé dans leurs cerveaux, Qui hate leur ruine au fond de leurs chateaux. Hélas ! pour gouverner leurs petites provinces , Falloit-il voyager, et voir tant d'autres princes', Enfler leur vanité, se rendre malheureux ? Qu'on eut fait sagement de les garder chez eux.' Ces exemples récens ne corrigent personne , La coutume se suit, soit mauvaise , soit bonne , L'homme est imitateur sans penser , sans juger; Comme il voit qu'on voyage , il s'en va voyager. Une meute dépeint les gens de cette classe ; Elle suit Farfillau qui la mène et qui chasse : S'il aboie, aussi-tót tout aboie après lui, Sans connoitre le cerf qui devant elle a fui, .Sans savoir oü ce chien par sa course les mène lis japent après lui, ne le suivant qu'a peine... JYos gothiques aïeux , dans leur grossiéieté , Ignoroient les douceurs de la société ;  E P I T n E s. Les arts qui florissoient en France , en Italië , IV'avoient point réchauffé la froide Germanic ; De la Seine et du Tibre ils décoroient les bords ; Le besoin demandoit qu'on voyageat alors. L'Allemagne depuis , quittant sa barbarie , Par les arts a son tour a la fin fut polie : L'urbanité romaine orna toutes les cours , Mais sans autre dessein on voyagea toujours. Cet abiis , en croissant, allant a la sottise , Infecta nos vertus des moaurs de la Tamise. Mais malgré la coutume , et tous ses sectateurs, II est des gens sensés au-dessus des eireurs', Qui présageant de loin , et calculant d'avance , Pèsent leui's actions au poids de la prudence. Oui , Varus a raison, il pi étend que son fils Augmente ses talens par des talens acquis , Et des pays Iointains rapporte en sa patrie, De la capacité , du gout, de 1'industrie , Afin que plus utile a soi-même, a 1'Etat, Dans 1'emploi qui 1'attend il serve avec éclat. C'est ainsi que 1'on voit sur des troncs ordinaires Enter soigneusement des branches étrangères , Pour recueillir un fruit plus doux , plus excellent. Ainsi 1'heureux Jason revint en conquérant Kapporter la toison dans Argos sa patrie. II faut au voyageur un but et du génie. Tandis que dans mes vers je vous tiecs ce discours , Je vois de chez Vincent partir de jeunes ours ; Coutume , opinion, vous gouvernez le monde, Le sage vainement vous attaque et vous fronde. 11 n'est que trop certain, les écarts des aïeux iN'ont jamais corrigé leurs indiscrets neveux. J'abaudoune le monde en proie u sa bêtise;  E r i t n e s. Qu'il coute de travaux, de soins et de culture ! Voyez ces laboureurs dès 1'aube yigilaus , Qui guident la charrue et cultiventles chauips ; lis éterniserit 1'art qu'enseigna Triptolème ; Par leurs rustiques mains le grain divers se sèuie, On creuse avec le fer, on ferme les sillons , L'ouvrage a préparé d'abondantes moissons; En vainsur les guérets 1'aquilon soufflé et gronde , Vers le riant printemps la semense féconde, Se sentant des faveurs de la blonde Cérès , Germe , pousse , s'élève et couvre les guérets, De sa plante touffue en été jaunissante ; Alors le laboureur saisit sa faux tranchante , Et moissonne a grands coups cette forèt d'épis, Et 1 on voit sur ses pas ses enfans accroupis , Qui recueillant le bied de leurs rateaux fidèles , Après 1'avoir lié 1'entassent en javelles ; Dela le boeuf tardif vers le plus proche lieu Traine a pas lents ce poids qui fait gémir 1'essieu : Plus loin des bras nerveux, forts de leur tempéraucffij Par des coups redoublés le battent en cadence. Et séparent enfin par leurs pesans lléaux L'aliment des humains de celui des troupeaux. Voici de nouveaux soins: ce gram que 1'on sépare 3 Par un autre instrument se broie et se prépare ; II change de nature , une pierre en tournant Opère ce miracle a la faveur du vent.j C'est une poudre fine artistement broyée, II faut pour vous nourrir qu'elle soit délayée , Que la chaleur du four et 1'aide du levain Par un dernier effort la transforment en pain. Dans vos riches palais, votre fiére mollesse De ce sioiple aliment dédaigne la basscsse.  E r i t n f s. f17 Ces coiïtours, ces couleurs animent Ia tenture , Iia haute-lisse exacte égale la peihtürë. Oui, Mercier (a), ton aiguille , a. l'aide du fuseau , Peut concourir au prix qu'on destine au pinceau : Tout personnage a vie, il agit, il s'élance , Le lointain fuit des yeux , aidé par la nuance : Ces ouvrages parfaits , pousses au clair obscur, Couvrent dans vos palais la nudilé du mur : Vos yeux pour leurs beautés sontpleins d'indifférence ; A quoi servent ces biens sans goüt, sans connoissance? 31 faut avoir sur eux quelqu'érudition , Ou bien point de plaisir dans leur possession. Ah! si dans vosgrands biens vous voulez vous cómplsire, Qu'un sentiment plus fin sur les arts vous éclaire ! 'Ajoutez au bonheur un goüt plus raffiné, Apprenez h connoitre , ö mortel förtuhé ! De quel prix est pour vous 1'industrie et 1'ouvrage; Du moins k ces travaux clonnez votre suffrage. Mais je parle des arts du ton d'un amateur. La moindre attention lasse votre Grandeur ; Vos sens sont engourdis , vous sortez d'une fète, Les vapeurs du diné vous montent a la lête ; Vous allez digérer dans un profond repos : Tja mollesse déja vous couvre de paA'ots ; Vous allez vous livrer, fatigué de la table , iSur un sopha commode, au sommeil délectable ; Ou bien sans y penser je vous vois parcourir Des romans libertins , ennuyeux a mourir, Oeuvres qui de nos temps dénotentlcs misères , Et partagent le sort d'insectes éphémères; Vous lisez ces écrits, de' 'votre propre aveu , («) Le premier qui ait fait des tnpisserics afiérfihi  5fl 'E f I T II ! S, Pour tuëf les momens jusqu'a 1'heure du jeu; Cette heure sonne enfin, votre carrillon chante. Savez-vous comme onrcnd cette montre agissante? Par quels moyens secrets ses ressorts différens Travaillent de concert a mesurer le temps ? Comment sur soa cadran en tournant en silence , L'aiguille, en vous marquant le moment qui s'élauce, Aidé du carrillon dont le bruit retentit, Du matin jusqu'au soir, Comte, vous avertit De Ia fin de vos jours , dontle terine s'avance, Et de ce temps perdu par votre nonchalance ? Mais tout est préparé, votre jeu vous attend , Votre front s'éclaircit , votre cceur est content; En vain 1'obscure nuit baisse ses sombres voiles, L'industrie a pour vous inventé des étoiles , Qui de votre salon chassent 1'obscurité , Et ravissent les yeux par leur vive clarté : lei d'un jeu nöuveau 1'amusement s'apprête, Vous comptez sur le sort qui règne k la comète. Ces cartons par Muller (a) timbrés , bariolés, Sont par vos doigts adroits rapidement mêlés, Et leurs combinaisons, que le hasard amène , Règlent de votre jeu la fortune incertaine ; Ces louis, ces ducats, entassés en monceaux, Vont passer tour-a-tour a des maitres nouveaux. Mais d'oü vous vient eet or, ce métal pur et rare? Qu'importe , dites-vous , quel climat Ie prépare ? On ne 1'a point creusé dans ces monts sourcilleux Qui non loin de Goslar s elèvent jusqu'aux cieux; Leur stérile tribut, dont on se glorifie, N'enrichira jamais la vide Westphalie. (,z) Chargé d:> timbre des cartes a Beclin.  E P I T li E S. &9 Ali, cher Comte! apprenez, a votre étonnement. Les prodiges qu'on doit au pouvoir de 1'aimant; De ses propriétés la vertu découverte Aux sciences montra plus düne route ouverte ; L'art a ces vérités joignit 1'invention , Le fer obéissant connut 1'attraction ; Et frotté par 1'aimant on vit 1'aigmlle habile Vers le póle tourner sur son pivot mobile ; Un Génois , partagé d'un esprit créateur , Amant des vérités et rempli de valeur, Assuré des effets du pouvoir magnétique, Fonda sur leurs vertus son pro jet .héroique, II Ht sur des chantiers construire ses vaisseaux f Les peuples de Lusus furent ses matelots, Ses mats vinrent d'ici, ses voiles du Batave. Son goudron des climats oü naJt le Russe esclave ; Et ce nouveau Jason s'embarqua sur les uiers , Résolu de trouver un nouvel un'vers. On léve 1'ancre, il part guidé par sa boussole, II brave tous les vents déchalnés par Éole, Tous les flots soulevés du fougueux océan : Saproue, en fendant 1'eau, s'approche du couchant. Et ballotté long-temps entre le ciel etl'onde, Après un long voyage il trouve un autre monde. Ferdinand , attentifa d'aussi grands travaux, Fait du port de Cadix partir d'autres vaisseaux, De Dieu dans l'Amérique il veut venger la cause, Les Saints sont ennichés sur }es bords du Potose j Les Incas détrónés sont livrés a la mort. Ainsi 1'espoir du gain, 1'ardente soif de 1'or Apprit aux Espagnols , secourus par Neptune , Sur des bords étrangers a cliercher la Fortune , Pprtès , le fier Cortes, ayec peu de soldats  E n t i e s. 63 La colère est subite, aveugle en ses accès* Et pousse les humains au comble des forfaits. Nous sommes tous marqués dün de ces caractères r Ils ont, vous le voyez, des suites nécessaires : Un Héraclite pleüré , un Démocrile rit, L'atrabilaire est dur, et 1'humain s'attendrit. Dieu fit ces passions ; une main inconnue Dans un ordre ignoré par-toutles distribue. Tant de variétés, tant de destins divers Par leurs combinaisons décorent l'univets , Et dün spectacle usé renouvellent la scène. Mais 1'Etre tout-puissant ne se met point en peine Du róle que je joue et du sort qui m'attend ; Mon principe m'entrame , et je suis son torrent: Si du faite des cieux il abaisse sa vue, 11 voit, d'un ceil égal, la rose et la ciguë : Le grand est son ouvrage, et dans 1'immensité 11 sait manifester toute sa majesté: Dans de vastes desseins ce Dieu peut se complaire ; Mais il est sourd aux cris du stupide vulgaire : Sans soins, sans embarras, sans peine, sans tourmenf. 11 sait que la Nature exécutant son plan Obéit a ses loix sans leur donner d'atteinte , Et garde les vertus dont il 1'avoit empreinte. Tel, sür de son ouvrage, un horloger expert Agence des ressorts pour agir de concert, Et donne au mouvement son allure constante; Au principe moteur la montre obéissante , Dans 1'absence du maitre accomplit ses desseins ; Et tel, ayant posé des principes certains, Dieu soumit les effets a leurs premières causes: Sür des événemens il laisse aller les choses : Ce qui nous paroit bien, ce qui nous parolt mal,  u/{ , E p r t ii e s, Tout concourt en effet a son plan général. , s Les loix qu'a la matière imposa sa sagesse Se bornent au devoir de conserver l'espèce; Tout ce qui se détruit doit être reinplacé. Ainsi le temps présent répare le passé, Ainsi nous occupons les places de nos pères , Les aigles, lesvautours engendrentdans leurs air es; Le Pihin fournit la mer du tribut de ses eaux; Li naissent des foréts , ici des végétaux; Leur semence diverse , également féconde > Alors qu'il dépérit, renouvelle le monde ; Mais leur force inhérente et leur fécondité" Ne produit qu'un seul genre a jamais limité» Connoissez la Nature ; attentive a l'espèce , Nos pertes par ses soins se réparent sans cesse; Par sa fécondité le monde est maintenu, Et son sein abondant fournit au superflu : Elle sait que le gland peut reproduire Un chène, Mais de ces glands perdus elle n'est point en peine Qu'ils tombentles Invers, abattus par les vents, Et sans multiplier pourrissent dans les champs. Qu'un déluge en été détruise la semence , Le grain en d'autres lieux revient en abondance : Que 1'Afrique fournisse aux besoins des Franeois , Queles champsdesGermains nourrissentles Anglois, Ges objets, grands pour nous, petits pour la Nature, N'importent point au monde, il poursuit son allure. Voyez, quand leprintemps vient déchainer les eaux f < >ue les torrens saxons font enlier nos ruisseaux , Dans son cours orgueilleux 1'Elbe majestueuse , Etendre sur les prés sa fange limonneuse , Changer en serpentant la forme de son lit, Couvi ü im de ses bords de son oude qui fuitj Saus  E p i t n e s. C) 'j Sans égard au terrain> qu'il soit le mien, le vótre , Ce qu'elle prend k 1'un, elle le rend a 1'autre. Ainsi pour 1'univers il n'est rien de perdu; Mais Dieu ne descend point jusqu'a 1'individu .II rit de 1'homme vain, qui rempli de lui-même , Mécontent de son sort, blame 1'Etre-Supréme. Eh quoi !la taupe aveugle en son vil souteriain Doit-elle critiquer les palais de Berlin? Peut-elle appercevoir leur immense étend ue ? A sa motte de terre elle borne sa vue. Maupertuis, l'homme est taupe, étroitement borat'. Par 1'instinct de ses sens il se trouve enchainé ; Ses jugemens sont faux , ses lumières trompeuses. Ce campagnardseplaintquedes sourcesbourbeuses Coulent par le gagnage a travers ses vallons , II accuse les dieux; connoit-il leurs raisons ? Ce marais desséché qui forme sa prairie , A 1'utile ruisseau doit son herbe neurie , Et ces eaux serpentant par des détours divers , Par les bouches dün lleuve enrichissent les mers. Tels sont nos préjugés: l'homme d'un regard louche Voit et sent vivement le malheur qui le touche : Mais il n'appercoit point dans la totalité Le bien que son mal fait a la société... Atome imperceptible , insecte qui murmure , De quel tort teplains-tu? Que te doit la Nature? T'avoit-elle promis de troubler lünivers Pour t'épargner des soins, des peines, des revers ? Etouffe ton orgueil, qui te rend misérable, Et souviens-toi toujours du ciron de la fable. Dans 1'ordre général, par le Ciel arrêté, Un homme, un Ëtat même est k peine compté % Tin empire n'tst rien, il disparolt dans 1'ombrc Tome III. É  E p i t n e s. {'>-? Ces crimes, ces fureurs, ces pays ravagés, Ces massacres affreux de mortels égorgés, Tous ces combats sanglans qui nous enserelissent, Ces générations qui par le fer périssent ? Malgré tant de fléaux cruels au genre-humain, L'espèce fiérement triomphe du destin; Qu'un monarque absolu, par des arrêts très-sages 1'roscrive les moineaux qui pillent les villages , Le mal qu'ils souffriront de sa rigidité , N'approchera jamais de leur fécondité. Les animaux privés , aux humains serviables , Ont pour multiplier des ressources semblables j Notre Voracité de leur chair se nourrit, Mais ilen nait par-tout bien plus qu'il n'en périt» Ce mal contagieux est présent a ma vue Qui ravit la génisse au joug de la charrue; Nos prés semblent déserts; sur nos troupeaux nombreux La mort appesantit son glaive rigoureux ; Tous les secours de 1'art leur furent inutiles, Nos champs, sans leurs travaux, vont demeurer stériles j Le triste laboureur pensif, désespéré , Sans toucher son rateau demeure désceuvré : Les Francois, les Bretons t la vaste Germanie, La Prusse, tout le Nord et la froide Scythie Eprouvent de ces maux les cruelles rigueurs. Mais la mort vainement exerce ses fureurs; Voici d'autres troupeaux, parés de leur jeunesse, La Nature par eux réparera l'espèce. Cette calamité rappelle a mon esprit Les funestes fléaux dont Ia Prusse souffrit, Citoyens malheureux ! 6 ma chère patrie ! t)e votre triste sort mon ame est attendrie. Le trépas n'épargnoit le peuple ni les grands , E a  7 > E P I t R e S. Attristés du passé , dégoütés du présent, I onder sur 1'avenir leur espoir inconstant; D'un bonheur idéal soigneux de se repaitre, Ils vivent dans les temps qui doivent encor naitre, Et yont en étourdis importuner les dieux De frivoles projets , de vceux audacieux; Ilemplissez leurs souhaits, la colère céleste Ne put jamais leur faire un présent plus funeste. Mais ouvrons a leurs yeux le palais des destins ; Observez ce concours de malheureux humains, Qui passant tour-a^tour de 1'espoir a la crainte , Mécontens de leur sort au Dieuportent leur plainte. II leur répond k tous ; » Tremblez, foibles moreels , i) Renoncez a changer mes décrets éternels , « Connoissez 1'avenir ; la liaison des choses , v L'enchainement des faits assujettis aux causcs , » Tout obéit aux loix de la nécessité. j> Voyez , voila le temps , voila Ia véiïlé , » Ils vont hater pour vous 1'ordre des destinées, ;> Présenter a chacun le cours de ses années ; » Dans I'immense avenir quel est 1'événement, » Qui peut remplir les vceux de votre égaremeut? x Quittez les vains proj'ets oü votre esprit se fonde , 1 Vos vceux dans le chaos replongeroient le monde ; v, C'est par mes sages loix que je J'ai maintenu , » Rien ne doit se changer lorsque tout est prévu ; » Les sorts sont partagés, soyez contens des vótres, Ceux que vous désirezfont les destins des autres j » Et si j"avois été flexible a vos soupirs , - Vous seriez tous punis par vos propres désirs. » Toi, guerrier imprudent, un autre tient ta place . » Vois sa funeste fin , frémis de son audace : II aimoit les dangers . il cbci choil les combats;  E F I T R E S. 7:' » Le voila moissonné par la faux du trépas, 3> Toi, qui du vieux Nestor désires les aimées , v Peins-toi dans ce vieillard les tristes destinées » Qu'en t'accordant ses jours le Ciel te préparoit; » 11 n'a plus de plaisirs, son bonheur disparoit: v II vit dans les dégoüts ; Fage, la maladie 33 Ronge insensiblement la trame de sa vie , 3) De sa foible raison consume le flambeau, 3) Et par de longs tourmens le conduit au tombeau. 3) Approche , vieux Crésus , mécontent imbécille ; 33 Possesseur malheureux düne femme stérile , 33 Vois-tu chez ton voisin ce fds tant désiré? 33 C'est un lache , un ingrat, un fils dénaturé. 3> Misanthrope absorbé dans tas frayeurs sinistres, 3> Au-lieu d'un Bestuchef vois deux nouveaux ministres »3 Plus fiers , plus corrompus et plus entreprenans ! 3j Ah ! modérez, mortels , vos désirs violens ; 3) Un ciel toujours serein, un bonheur sans mélange 3> Etoient-ils faits pour vous qui rampez dans la fangc ? k Rien ne vous étoit dü, j'ai beaucoup faitpour vous, 3) Ingrats k mes bienfaits , redoutez mon courroux «.. II dit, et dans Finstant, a ses accens terribles , Le palais et le Dieu devinrent invisibles , Et ce peuple a projets détrompé de ses vceux Dit, en se résignant, laissons agir les Cieux. Ou'est-ce que nos souhaits ? des plaintc-s insensées s D'inutiles regrets, de frivoles pensées , Des songes turbulens dün sommeil agilé , Et l'éternel dégout d'un bien qu'on a goüté. N otre sort est marqué ; l'homme déraisonnable Veut changer a son gré son arrèt immuable, Tandis que Jupiter de deux vases égaux \rerse sur les humains et les biens et les maux.  y6 Epitb.es. Mortel extravagant, fragile créature, Prétends-tu renverser 1'ordre de la nature , Et jouir d'un bonheur toujours pur et parfait? Dis-moi qui t'a promis eet étrange bienfait ? Réponds,pourquels humains lestroisParquessévèics Ont-elles donc sans fin filé des jours prospères ? Consultons , s'illefaut, ces poudreux monumens , Ces fastes échappés a 1'injure des temps , Fouillons 1'antiquité, rappellons la mémoire De ces illustres morts qui vivent dans 1'histoire : J'en vois comblésd'honneurs,j'en vois chargés de fers, Et tous ont dans leur vie essuyé des revers. . . Crésus se crut heureux; une foule importune De courtisans flatteurs adoroit sa fortune ; II apprit de Solon, qui lui prédit son sort, Qu'on nepeutdire un homme heureux avant sa mort. Cyrus, quile vainquit, et qui dompta 1'Asie , Perdit bientót après sa fortune et sa vie , Une femme (a) mit fin a ses destins heureux. Le vainqueur de Pharsale , entouré d'envieux, Au sein de la fortune, au sein de la victoire, Comblé de biens, d'honneur, de pouvoir et de gloire, Arbitre des humains et maitre du sénat, Est a Rome immolé par les mains d'un ingrat. Je pourrois vous citer 1'exil de Rélisaire , Un Fréderic Second errant dans la misère , Ce roi neuf ans heureux et neuf ans fugitif, Que Pierre a Pultava vit presque son captif. Oui, tel est notre sort, nos courtes destinées Sont tristes dans un temps , dans d'autres fortunées. Faut-il pour le prouver, échauffant mes poumons , (a) Tomiris.  E p i t n e 9. 77 D'exemples entassés renforcer mes raisons ? Cette instabilité du monde fait 1'essence, N'en faisons-nous pas tous la triste expérience. 'Mais un coeur ulcéré, plein d'orgueil et de bel, Se révolte tout haut contre 1'arrét du Ciel : Les choses a ses yeux semblent changer de formes, Ilprend des accidens pour des malheurs énormes... » Passé que le vulgaire éprouve des hasards , » Mais les gens tels que moi méritent des égards « , Disoit un certain homme, ennuyé de 1'attente Du bien qu'il espéroit par la mort de sa tante. Varus est mécontent, il ne sait pas pourquoi, Mais son chagrin le ronge et lui donne la loi. Si Plancus fait des vceux, c'est que Plancus s'ennuie; II veut des nouveautés qui dissipent sa vie. Galba, devenu prince, est las de son bonheur, II n'a plus de repos qu'il ne soit électeur; Mais a. peine 1'est-il, que sa folie extréme Veut décorer son front du sacré diadême , Et mécontent bientót de cette dignité, II envie aux Césars leur vaine majesté : Ses vceux vont en croissant, il est incorrigible: Oui, rendre heureux un fou, c'est une oeuvre impossible. O le sage discours que le vieux Cynéas Eit au bouillant Pyrrhus , qui ne 1'écouta pas! b) Quittez ces vains pro jets dont votre esprit s'enivre, 3) Apprenez k jouir, c'est apprendre k bien vivre «... Je suis de son avis , ici-bas tout mortel Doit jouir du présent, c'est le seul bien réel. Le temps qui ruit toujours, emporte nos années; En dévorant sans fin nos frêles destinées, H s'échappe, il s'envole, et ne revient jamais s Et notre esprit chagrin dans ses sombres accès,  78 E r i t r z s. Quand Ie bonheur présent lui pèse et l'impOrtune. De 1'avenir qu'il craint se fait une infortune. Mais ce triste avenir que 1'on veut pénétrer, Les favorables dieux nous le font ignorer. .Si l'homme étoit instruit, au jour de sa naissance , Des desseins qu'a sur lui la sage ProvideuCe, L'un, prévoyant ses maux , deviendroit furienx , L'autre , sür de ses biens , seroit trop tót las deux ; Etl'ennui , le dégout, la tristesse ennemie, Armant leur désespoir, abrégeroient leur vie. Oui, laissons 1'avenir dans son obscurité , Le Ciel 1'a de nos yeux prudemment écarté. Sans murmurer en vain contre la Providence, Supprimons de nos vceux 1'orgueiIIeuse imprudence ; Que le Ciel a son gré dispose des humains , C'est a nous d'obéir a 1'ordre des destins. A S T I L L, Sur Tempïoi du courage, et sur le vrai point d honneur. EPITRE IX. &fiH,stif Ie point d'hoiineur peu de gens sontd'acro' ■ L'un pense qu'il suffit d'oser braver la mort; 11 pousse un fanatique a faire un crime atroco; L'ambitieux le croit une valeur féroce , S'emportantsur des riens ,facile a s'einbraser, Que la seule vengeanoe a le droit d'appaiser ; Ce fier ressentiment d'un chimérique outrage Ressemble a la fureur beaucoup plus qu'au oouragë,  E P I T R E S. 79 Uien n'est plus clpigné du véritable honneur. Nous admirons I'effet d'une utile valeur , Lorsque dans les combats son ardeur aguerrift Affronte les dangers pour servirla patrie ; Qui manque a ses deyoirs obscurcit ses vertus , Et ses plus beaux lauriers sont bientöt abattus. Ea Suède a de nos jours souffert cette infamie ; Elle qui subjugua la fiére Germanie , A vu de ses guerriers les coeurs abatardis Succömber sous 1'effort d'ennemis enbardis. La Finlande , témoin de leur honteuse fuite , Sous un jong étranger naguèrefutréduite. Par un destin pareil, ces fiers républicains Dont la valeur brisa les fers de leurs Tarquins . Et nova dans le sang 1'idole politique Qu'élevoit dans leurs murs un rnaitre ryrannique , Virent clégénérer leurs indignes neveux , Et souiller les vertus qui paroient leurs aïeux ; De leurs laehes soldats la déroute fut prompte , Lawfelt èt Fontenoi sont témoins de leur honre : Le Batave , a la peur indignement livré , Cherchoit dans ses roseaux un asile assuré. Telle estlaldcheté dün cneur pussillanime , La foiblesse est sa honte,. etla peur est son'crime, Le véritable honneur tientun milieu prudent, II n'a point de foiblesse , il n'est jamais ardent: Assuré de son cceur et maitre de lui-même , Ce n'est pas un vain nom , mais la vertu qu'il aimé> Mais sile point d'honneur catise d'autres effets , S'il produit des débats, des meurtres, des forfaits. Sa vertu disparolt, et c'est scélératesse. Cet excés perd souvent 1'indocile jeunesse 4 < Au violent cotirroux prompte k s'abandonner.  Ho V, p i T r, r s. Elle est sur un seul mot prête a sassassiner ; L'honneur est dans sabouche, etpleined'arrogance, De ce nom respecté décorant sa vengeance , Et ne distinguant point dans son aveuglement E'ennemi de 1'ami , 1 étranger du parent, Elle courts egorger sans avoir 1'ame noire, Et pense par le crime arriver k la gloire. .. " Les premiers mouvemens doivent se pardonner, L'impétueux courroux ne peut se gouverner ; Mais Iorsque de sang-froid , sans haine , sans colèrc y Un préjügé cruel que Ie monde révère , Pour sauver leur honneur oblige deux amis , De combattre en champ-clos comme des ennemis< Qui ne déploreroit qu'un caprice bizarre Impose k 1'honneur même une loi si barbare ? Sont-ce desinsensés , sont-ce des furieux Que ces vengeurs cruels d'un honneur odieux ? Non ,c'estunpeuple doux, généreux , magnanime , Qu'un préjugé funeste entraine dans le crime, Qui du Ciel partagé düne rare valeur , Ert pervertit 1'usage , et la change en fureur. Arrétez, malheureux ! ayez 1'ame attendrie; Votre sang est trop pur , trop cber a la patrie ; N'en couvrez point la terre oü vous yltes le jour Ah ! qu'avide de sang 1'implacable vautour Tombe sur la colombe ou sur la tourlerelle , Et décbirant leur sein de sa serre cruelle , Disperse dans les bois leurs membres palpitans , Tous les vautours sont nés pour êlre des tyrans: Mais vous , 6 Prussiens ! vous êtes tous des frères , Respectez vos foyers, vos pénates , vos pères, Ces intéréts sacrés qui sont communs a tous; Arrétez vos fureurs et suspendez vos coups: Cetta  E P I T R E S. Si Cette terre, inhumains , qui vous sert de patrie , Se voit avec horreur de votre sang rougie, m Verrai-je , ó Ciel! dit-elle, égorger mes enfans , » Leurs parricides mains leur déchirer les flancs ? Quelmonstre des enfers, quelle affreuse Euméuide » Ramène les forfaits que vit la Thébaïde' ? 3> Parlez , êtes-vous nés des dents dece dragon 31 Abattupar Cadmus prés du mont Cythéron, 3> Dont le venin semé produisit sur la terre 33 Un peuple qui périt en se faisantla guerre ? 3> Ne vous ai-je nourris que pour m'abandonner , 33 Pour trahir votre mère, et vous exterminer ? 3> Barbares assassins ! Si j'ai pu vousproduire, 3; C'étoitpour vous aimer , et non pour vous détruire; 33 Epargnezce beau sang ; que mes rivaux jaloux, 33 Vaincuspar vos exploits, périssent sous vos coups. >3 Oui, signalez. contre eux le vertueux courage 2) Quitourné contre vöus n'est quüne aveugle rage. 33 Vos duels a mes yeux vous font des meurtriers , 33 Des mains de la Victoire attendez vos lauriers; 33 Le courage rend-il les humains sanguinaires ? 3) Quel pouvoir avez-vous sur les jours de vos frères:' 3. Quittez de vos fureurs 1'affreuse illusion «. . . J'applaudis de bon cceur a notre nation , Lorsque de ses succès, présens a ma mémoire , Je me rappelle ici la grandeur et la gloire. Manes que je révère, invincibles héros Dont la haute valeur terrassa nos rivaux , Souffrez que j'ose orner mes poèmes funèbres Des noms que vos vertus ont rendus si célèbres. Si ma lyre eut jamais des sons harmonieus , Qu'elle m'aide a chanter vos exploits glorieux; Tant d'ennemis yauicus , tajtude traits de clémencc, Tonic III, p  E P I T R E S, 85 » Qua nos embrasemens Berlin serve deproie; » Faisons de leurs palais une seconde Troie ; » Tous leurs fiers défenseurs, dans leurs sanglans combats, » Ont été inoissonnés par la faux du trépas , » Le plus pur de leur sang acheta leur victoire ; » Tombeaux de leurs héros, vous 1'êtesde leur gloire! »Le succès nous appelle , il est temps , vengeons-nous «. A ces mots , nos guerriers pleins d'un noble courroux , vS'élancent aux combats, les Cieux leur sont propices, Les forêts , les torrens , les monts , les précipices, Que Ia Saxe étonnée enferme dans son sein , Uien ne peut s'opposer a leur heureux destin. .Sur ses remparts affreux 1'ennemi se rassure , II faut vaincre a la fois et 1'art et la nature ; Ils volent sur des monts tout chargés de frimats , Que défendoient le feu, le fer etle trépas ; lis volent: rendez vous, cédez k leur courage, Cédez, foibles efforts d'une impuissante rage : La Mort fond sur Brédow par des coups impréyus, O Mort cruelle, arrête , épargne ses vertus ! . . Des ennemis altiers 1'espérance est détruite , Vers Dresde consternée ils prennent tous lafnite. Ah! Polentz, Kleist, Rindorff, quels coups vous ont pércés ? Vous nous rendez vainqueurs; grand Dieu, vous périsscz! Quel barbare a sur vous porté^a main sanglante ? 11 n'est plus d'ennemis, leur rage est impuissante, La Prusse a triomphé dans ces fameux combats Du terrain, des saisons, du nombre des soldats , lit la gloire a vos mains en étoit réservée. La patrie, en ce jour par vos exploits sauvée , Notre triste patrie , en proie a ses douleurs , Appelle en gémissant ses vaillans défenseurs ; Vos périls 1'ont plongée en d'affreuses alarmes , F 3 •  E.n i ï t s. 09 Et Julien passa pourun monstre ödieux ; Un sage (a), après mille ans débrouilla son histoire, La Vérité parut, et lui rendit sa gloire. Tout Paris condamna 1'auteur (t>) laborieux ',!it<' dans un parallèle exact, ingénieux, D'Homère et de Zeuxis comparala science ; Des lettrés étrangers forcèrent ceux de Franco A priser eet ouvrage , approuvé d'Apol'on. Londres ne connut point la muse de Milton; Long-temps après sa mort 1'Anglois mélancolique Appercut les beautés de son Poëme épique : Si 1'ouvrage étoit bon , il le fut de tout temps: Mais il faut de bons yeux pour juger des talens, Je vois que ces écrits , et ces pièces nou velles , Vous semblent dans le fond d'aimables bagatelles ; Vous pensez qu'en payant 1'ouvrage a 1'éditeur , Le droit de le juger appartient au lecteür , Que l'un aime le simple et 1'autre le sublime , Que soutenir son cboix n'est pas un si grand crime; Mais que tous les humains pensent profondément, Lorsqu'il faut décider d'un sujet important, D'un sujet dont dépend leur'fortune et leur vie. Ah .' c'est-la , cher Brédow , queparöit leur folie ; Erreur , sur notre esprit jusqu'ovi va ton pouvoir ! Dans ce siècle éclairé , plein d'un profond savoir , De nos bons Berlinois la cervelle insensée Prend la poudre d' Alhiaut pour une panacee; Aucun d'eux ne connoit 1'empirique docteur , ] :uremède nouveau téméraire inventeur; Sans un long examen , qui leur est incommode , L'abbé de la Blettcrie , dans sa Vie de Julien. {0) L'abbé du Bos , Réi'k'xions sur la r'césie et la Feinture.