O E U V R E S POSTHUMES . P E FREDERIC IL RO I DE P RUS S E. T O ME V. A AMSTERDAM, c h e z D. J. CHANGUION. 1789.  k  MEMOIRES DEPUIS LA PAIX DE HUBERTSBOURG 1763 JUSQU'A LA FIN DU PARTAGE DE LA POLOGNE 1775.   MEMOIRES DEPUIS LA PAIX DE HUBERTSBOURG 1763 JUSQU'A LA FIN DU PARTAGE DE LA POLOGNE 1775- AVANT-PROPOS. T'ivois eu lïeu de croire que les derniersouvra^es politiques & militaires que je donnerois% la poflérité feroient ceux qui contiennent ce qui s'eft paffé en Europe depu1S l'anhée 1756 jusqu'a Tannée 1763, oülapaut de Hubertsbourg fut conclue. Après tant de campagnes laborieufes qui avoient ufé mem tempérament, mon age avancé commencoït it me faire teffentir les infirmités qui enétoient ks fuites néceffaires , me laiffoit emrevoir eomme prochaine la fin de ma carrière, & me faifoit augurer que les feuls fervices que je pourrois encore rendre a FEtat, feroient d et^acer par une adminiftraüon fage & aöwe A 3  6 AVANT • PROPOS» maux infinis que la guerre avoit caufés dans toutes les provinces de la domination prusfienne. On devoit fe flatter, après les violentes fecouifes que 1'Europe avoit éprouvées durant la dernière guerre, qu'a tantd'orages fuccéderoit un temps calme & ferein. Les puiflances prépondérantes étoient fatiguées des efförts prodigieux qu'elles avoient été obligées de faire. L'épuifement deleursfinances leur infpira des fentimens de modération «jui bannirent ceux de 1'animofité auxquels elles ne s'étoient que trop abandonnées. LaJTes enfin de tant de travaux inutiles, elles nedéfirèrent que 1'afFermiiTement de la tranquillité publique. Cette tranquillité étoit plusnécesfaire encore a la PruiTe qu'au refte de 1'Europe, par ce qu'elle avoit porté presque feule tout le fardeau de la guerre. On ne peut fe repréfenter cetEtatquefous 1'image d'un homme criblé de bkffures, afFoibli par la perte de fon fang, & prés de fuccomber fous le poids de fes foufFrances; il lui falloit du régime pour fe remettre, des toniquespour lui xendre fa vigueur, & des baumespourconfo. lider fes plaies. Dans ces et" jonétures Ie gouvernement n'avoit d'autre xemple a fuivre  AVANT - PROPOS. f que celui d'un fage médecin, qui a 1'aidedu temps & par des remèdes doux rétablit les fbrces d'un corps exténué. Ces confidérationsétoient fi puiflantes, que lé gouvernement intérieur de PEtat abforba toute mon attention. La noblefle étoit dans un état d'épuifement, k petit peuple ruiné, nombre de villages avoient été brülés, beaucoup de villes détruites , foit par des fiéges, foit par des incendiaires apoftés parl'ennemi; une anarchie compléte avoit boukverfé tout 1'ordre de la police & du gouvernement; les finances étoient dans la plus grande confufion; en un mot la défolation étoit générale. Ajoutez a tant d'embarras, que les vieux confeillers 6c miniftres des finances étoient morts durant le cours de cette guerre, & qu'ifolé, pour ainfi dire, & manquant d'aides , je fus obligé dfi choifir de nouveaux fujets, & de les former en même temps aux emplois auxquels je les deftinois. L'armée ne fe trouvoit pas dans une meilleure fituation que le refte du paysj dix-fept batailles avoient fait périr la fleur des officiers & des foldats ; les régimens étoient délabrés, & compofés en partie de déferteurs , ou de prifonniers de Tennemi. A 4  I AVANT - PROPOS. L'ordre avoit presque difparu, & ladifcipline étoit relachée au point, que nos vieux corps d'infanterie ne valoient pas mieux qu'une nouvelle rhilice. 11 fallut donc penfer a recruter les régimens, a y rétablir l'ordre & la difcipline, furtout a ranimer les jeunes officiers par Paiguillon de la gloire, pour rendre 'a cette maffe dégradée fon ancienne énergie. Le tableau que préfentoit la politique n'étoit pas plus flatteur que eenx que nous venons d'expofer. La conduite de 1'Angleterre fur la fin de la dernière guerre avoit rompu notre alliance avec elle; la paix féparée qu'elle fit avec laFrance, les négociations qu'elle entama en Rulfie pour me brouiller avec 1'EmpereurPierrelII, les avances qu'elle avoit faites a la cour de Vienne, pour lui facrifier mes intéréts, toutes ces infidélités ayant diffous les liens qui m'avoient uni a la Grande Bretagne, me laiflbientaprès la paix générale iiölé & fans alliés en Europe. Cette fituation critique ne fut pourtant pas de durée, & fur la fin de Pannée 1763. !es affaires prirent une face plus favorable. La cour de Ruffie avoit été comme étourdie par la révolution fubite qui s'y étoit faite; il  AVANT • PROPOS. ? lui falloit du temps pour reprendre fes efprits. A peine la nouvelle Impératrice eut-elle asfuré 1'intérieur de fon gouvernement, qu'elle porta fes vues plus loin; elle ferapprocha de Ja Prufle: d'abord ce ne furent que des explications; bientöt le befoin mutuel de s'unir ne parut plus problématique. Dans le temps que cette négociation commencoit a s'échauffer, mourut Augufte III, RoidePologne, & eet événement inattendu fut fuffifant pour accélérer la conclufion d'une alliance défenfive entre la Ruffie & la Prufle. L'Impératrice voulut difpofer a fon choix de ce tröne vacant ; la Pruffe étoit 1'alliée qui pour cette fia lui convenoit le mieux 5 aufïï bientöt après Stanislas Poniatowsfcy fut-il élu Roi de Pologne. Cette éleftion n'auroit point eu de fuites facheufes , fi 1'Imrératrice s'en étoit tenue - la; mais elle exigea de plus que larépublique accordat des privileges confidérablesaux diffidens. Ces prétentions couvelles fuulevèrent toute la Pologne; les grands du roy aume implorèrent le fecours des Turcs \ bientöt la guerre s'alluma, & les armées rusfes n'eurent qu'a fe Aontrer pour vaincre les «ufulmans dans toutes les rencontres. Cette  ÏO AVANT - ÏROPOS. guerre changea tout Ie fyftème politique de 1'Europe ; une nouvelle carrière venant a s'ouvrir, il falloït être fans adreiTe, ou enfeveli dans un engourdiflement ftupide, pour ne point profiter d'une occafion auffi avantageufe. J'avois lu la belle allégorie du Boyardo; je faifis donc aux cheveux 1'occafion qui fe préfentoit, & a force de négocier, je parvins a indemnifer notre monarchie de fes pertes paiTées , en incorporant la Prufle polonoife dans mes anciennes provirices. Cette acquifition étoit une des plus importantes que nous puffions faire , paree qu'elle joignoit la Poméranie a la Prufle oriëntale, & qu'en nous rendant maitresde la Viflule, nous gagnions Ie doublé avantage de pouvoir défendre ce royaume, & de tirer des péages confidérables de la Viflule, tout le commerce de la Pologne fe faifant par cette rivière. Cette acquifition de Ia Pomérellie, qui fait époque dans les annales de Ia Prufle, m'a paru aflez remarqujble pour qu'on dut en transmettre les détails a Ia poftérité , d'autant plus que j'ai été témoin & acteur dans eet événement. Les negociations dont je fais 1'expofé dans eet  AVANT- PROFOS. ÏI euvrage, fe trouvent toutes en original dans le dépöt des archives des affaires étrangères. J'ai divifé ces mémoires en trois chapitres; le premier traite des négociations & des affaires de la politique depuis la paix de Hubertsbourg jusqu'a la pacification de la Pologne; le fecond embraffe les affaires de finances , les nouvelles branches de commerce qui ont été établies , les défrichemens fait dans différentes provinces, les produits de la Prufle occidentale, & les améüorations dont elle eft fufceptible ; le truiüème contient tous les objets qui ont rapport a 1'armée, fon rétablilTement, fon augmentation, le nombre des nouveaux corps levés depuis 1'acquifition de la Pomérellie, 1'état destroupes fixé en temps de paix a 186,000 hommes , 1'artillerie , tous les arrangemens néceflaires pour mouvoir cette maffe. Je dois en même temps avertir le lefteur, qu'ayant fenti quelque répugnance a parler toujours de moi - même durant une longe narration, j'ai préféré a eet égoïsme ré volant le parti de parler des faits en tiercé perfonne. Je me borne donc fimplement a roffice d'un hiftorien qui veut décrire avec vérite & avec  ïü AVANT • PROPOS. clarté les chofes qui fe font palTées de fo» temps , fans exagérer ni falfifier les moindres circonftances. Je n'ai jamais trompé perfonne durant ma vie, encore moins tromperai-je la poftérité.  TABLE DES MATIERES. CONTENUES Dans le Tomé V. Mémoires depuis la paix de Hubertsbourg &c. &c. Chap. I. Mt la Politique depuis 1763 jusqu'a 1775- Page 1» Chap. II. Bes Finances. 5a* Ghap. III. Du Militaire. 1,17' Chap. IV. Be ce qui ie ft pajfé dt plus important deptus 1774; jusqu'a 1778.  Mémoires de la guerre de 1778, page jg5. Correfpondance de VEmpereur £? de rimpéra. trice Reine avec le Rot, au fujet de la fuc- I cejjion de laBavière, & négociation deBraw 223.  DE LA POLIT1QUE Depuis 1763 jusqua 1775. Pour nous faire une jufte idee de la fituatioa politique de 1'Europe après la paix de Hubertsbourg, il faut fe rappeler que touces les puiflances étoient presque également épuifées. LaFrance avoit fait la paix avec f Angleterre, faute da fonds fuffifans pour la campagne de fannée 1763. L'Impérawice Reine n'auroit pas fait non plus la. paix de Hubertsbourg, fi les refiourcespécuniaires ne lui euffent totalement manqué. Le Roi de Prufle étoit le feul qui eütencorederargentcomptant , paree qu'il avoit eu la prudence d'avoir toujours une année d'avance dans fes coffres. Cependant ce rnanque de numéraire influoit dans les vues politiques, & chaque puifiance défiroit le Biaifitfén de la tranquillité publique , pour avoir le temps de regagner des forces. C'efl probablement une des caufes qui contribuèrent le plus a maintenir le traité que 1'Empereur, la France & 1'Efpagne avoienr conclu a Ve:failles; la maifon d'Autriche en retiroit fans doute le plus grand avartage, paree qu'étant afl'urée de la France, Ciav. flfih. de Fr. II. T. V. A  s. MEMOIRES j elle n'avoit rien a craindre ni ^>our la Flandre ni pour 1'Italie, & qu'ainfi elle étoit maltrefle d'employer toutes fes forces contre la Prufle , fi le befoin fe requéroit. D'autre part la France n'ayant rieu a redouter de la maifon d'Autriche, voyoit fes frontières a 1'abri de toute infulte; & comme on n'entrevoyoit point la poffibilité d'une guerre de terre ferme , elle pouvoit donner toute fon attention a rendre formidable fa flotte, qui jointe un jour a celle de 1'Efpagtie devoit en impofer a la marine angloife. Ces vues de prévoyance étoient fondées fur de bonnes raifons; on avoit précipité la conclufion de la paix d'Aix-la-Chapelle; bien des points qui devoient être clairement énoncés, n'étoient qu'effleurés, comme celui de la pêche accordée aux Francois fur les bancs de Terre neuve, Ia rancon de la Manille que 1'Angleterre demandoit a 1'tfpagne , & autres chofes, k la vérité de peu d'importance, mais qui fuffifent & fourniffent des prétextes k des têtes inquiètes qui veulent embrouiller les affaires. Ces raifons de convenance réciproque n'étoient pas les feules qui unüToieiu les deux maifons de Bourbon a la maifon de Habspourg renouvelée; le caraftère & la facon depenferdes Miniflres qui gouvernoient a Vienne & k Verfailles n'y contribuoit pas moins: le Prince Kaunitz , d'un caraftère haut & impé ieux , envifageoit le traité de Verfailles comme le chef-d'reuvre de fa polttique; il s'applauduToit d'avoir dé-  DE 1763 JUSQJTA 1775. 3- farmé les anciens ennemis de la maifon d'Autriche, & de les avoir engagés affez avantpourfervir 1'Empereur contre le Roi de PrulTe: le Dac de Choifeui étoit né Lorrain; fon père, leComte de Stainville , avoit été Ambafladeur de la cour de Vienne k Paris , de forte que BI. de Choifeui fe croyant encore vaiïal de 1'Empereur, étoit intérieurement plus attaché a 1'Autrichequ'k la France. II n'efl donc pas étonnant que Ia prévention de ces deux premiers Mlniflres pour cette alliance la maintint, & qu'elle continue a durer tant que fes promoteurs conferveront kur crédit fur fefprit de leurs maitres. Si d'un autre cóté nous tournons nos regards vers la PrulTe , nous la trouvons comme ifolée & fans alliance aucune ; en voici la raifon. Lorsque le Sieur Pitt quitta le miniftêre , fa place fut donnée a 1'Ecoflbis Bute; ce minifire anglois romptt toutes les liaifons qui fubfiltoient entre nos deux cours; 1'Angleterre, comme nous 1'avons rapporté, ayant fait fa paix avec la France , lui avoit facrifié les intéréts de Ia Prufle , & av.oit offert la conquéte de la Siléfie k la maifon d'Autriche , pour renouveler a ia faveur de ce fervice les anciennes liaifons de la cour impériale avec celle d'Angleterre; & comme fi ce n'en étoit pas aflez de tous ces procédés, le Sieur Bute avoit mis tout en osuvre a Pétersbourg pour 'orouiller le Roi avec TEmpereur Pierre lil; en quoi cependant il ne put réuflïr. Tant de mauvaife foï A «  4 MEMOIRES avoit rompu tous les Hens formés entre la Prufle & f Angletterre ; & cette alliance que 1'intérêt réciproque avoit produite, fuccéda 1'inimitié la plus vive & la haine la plus violente, de forte que le Roi derheura feul fur le charnp de bataille, fans a la vérité que perfdnne fattaquat, mais aufli fans que perfonne fe préfentat pour Ie défendre. Cette lituation, foutenable tant qu'elle étoit paffagère, ne devoit pas durer; aulïï changea-t-elle bientöt. Vers la fin de 1763 1'on commenca de négocier en Ruflie, pour conclure avec cette puiflance une alliance défenfive; il n'y avoit alors a Pétersbourg que le Comte Panin qui füt favorable a la PrulTe; f ancien ennemi du Roi, 'leChancelier Befluchew, ce promotenr de toutes les brouilleries qu'il y eut entre les deux cours, s'oppofoit fourdement k la négociaiion, & il éioit foutenu auprès de l'Impératrice par le Comte Orlow. Les cours de Vienne & de Dresde intriguèrent fous main autant qu'elies purent pour traverfer le Comte de Solins. Les Autrichiens repréfentoient a 1'Impérairice de Rusfie que leur puiflance étoit la feule dont 1'alliance püt être avantageufe aux Rufies, paree que la cour de Vienne étoit 1'unique qui püt les aflïfter contre les Tufcs', leur commnn ennemi. Les Saxons avoient d'autres raifons pour faire manquer les négociations du Comte Solms; Os follicitoient Tappui & la protedlion de 1'Impérairice, afin de fe frayer Ie chemin a la fucceflion du trónedePologne, a-u cas qu'Augufte III, vintad^céder. Lm  DE 1753 yUSÖU'A 1775. 5 Saxons, gouvernés par le Comte de Bruhl, de tout temps ennemi des Prufliens, étoient d'ailleurs difpofés a joindre leurs intrigues a celles de toute autre puiflance , pour contrecarrer ou diminuer toutes les chofes qui pouvoient donner au Roi de 1'influence dans les affaires de l'Europe. 11 falioit un événement inattendu pour terminer cette crife; il arriva a pointnommé; Augufte III, Roi de Pologne, mourut a Dresde le 4 Oaobre de la même -année. Son rils, l'Eledeur de Saxe, fuivit de prés fon père au tombeau i le petit-fils d'Augivfte, qui devint alors Eleftenr, n'avoit pas encore atteint l age de majorité. Ces deuxmorts fi prornptcs, & ce jeune Prince en tutelle, changèrent fubitement la face des affaires; depuis, les intrigues ,& les cabales des Francois, des Saxons.& des Autrichiens ne purent rien effectuer a Pétersbourg. Le Comte Panin gagna le deflus & devint premier Minfiflre ,• & par une fuite de 1'afcendant qu'il avoit fur fefprit de 1'lmpératrice, il lui perfuada de placer un Piafte fur le tróne de Pologne; pour aller au plus für, Catherine communiqua fes projets au Roi de Pruffe. Ce prince promit de les appuyer , & fans attendre la fignaturs du traité qu'il négocioit a Pétersbourg, fon miniftre a Varfovie fut chargé d'affifber celui de la Ruflie qui fe trouvoit dans cette capitale, & de faire au fujet de 1'éledtion future les infinuations les plus fortes & les plus nerveufes tant au Primat qu'aux plus grands feigneurs de la Pologne. Cette démarche A-S  MEMOIRES bien calculée décida enfin rirréfolution de la cour de Pétersbourg; les miniftres de Ruflie marquèrent .1 leur fouveraine combien 1'afliftance du Roi de Prufle avoit facilité leurs négociations; ce qui acheva de déterminer cette princefle k conclure ï'alliance que le Roi lui avoit propofé. Au mois de Janvier 1764 le contreprojet fut envoyé de Berlin au Comte de Solms, & après que quelques cifficultés eurent été levées touchant le concours & faffittance que 1'lmpératrice exigeoit du Roi, ce traité important fut figné dans le courant du nois de Mars. Pour ne pas étre trop long, je me contenterai «Ten rapporter en peu de mots la fubltance. Le traité étoit limité, & ne devoit durer que huitannée ; on. y ïlipuloit la garantie mutuele pour les pofleflions des deux puillances contrattantes; on ue devoit faire ni trè^e ni paix fans un confetuement mutuel ; on fe promettoit réciproquement raffiflance d'un corps de 10,000 horomes d'infanlerie & 'de 2,000 chevai'x; par un article feeret on avoit ftipulé qu'on évalueroit ce fecours. au cas que le Roi füt attaque vers le Rhin, ou 1'lrapératrice vers !a Crimée, k une fomme annuelle de 400,000 roubles ou 480,000 écus de notre moneoie. Quant a la Pologne, on s'engageoit as'oppofer'a ce que ce royaume devint héréditaire, & il ne pas foufftir les entreprifes de ceux qui tenteroient, en changeant la forme du gouvernement, *Ty introduire le pouyoir monarchique. On pro-  DE 1763 JUSQJTA 1775. 7 mettoit de plus de protéger les difïïdens contre 1'öppreflion de 1'églife dominante. Enfin , par une convention fecrète, fignée le même jour, on s'engagea de faire en forte que 1'éleaion tombêt fur un Piafte, & ce Piafte fut Stanislas Poniatowsky, Stotnic de Lithuanie, dès long-temps connu de 1'Impératrice de Ruflie, & dont la perfonne lui étoit agréable. Bientöt dix mille Ruffes s'approchèrent de Varfovie, tandis que fur les frontières de la Pologne les troupes prufliennes fatfoient des démonflrations qtii pouvoient convaincreces républicains, ainfi que les puiflances étrangères , que ceux qui voudroient s'ingérer danscette ék&ion contre la volonté de la Ruflie & de la PrulTe, trouveroient a 'qui pailer, & feroienr bien d'y penfer plus d'une fois. Le temps appro-choit oü devoit s'aflembler la diète d'életfion; il étoit de la dignité des deux cours tfy envoyer un Miniftre titré & du premier ordre; le Roi deltina cette ambafiade au Prince de Carolath Schranaich, qui fe rendit aufluót è Varfovie. L'on changea la forme de la diète; elle futafleuiWéefoiislenom de Confédération, afin d'annuller le Liberum veto, ou le Nie Pos valium -du parti contraire, & afin que la pluralité des voix fat fuffifante pour donner la fanftion aux réiblutions qu'on feroic prendte aux députés des palatinats. A cette diète en fuccéda une autre au mois d'Aout, qui prit éga'ement la forme d'une confédération ; ce fut cellequi par les fortes recommandations &Tappui A 4r  t MEMOIRES 1765. des Ambafladeurs rufie & pruflïen élut unanimtmentle 7 Septembre Stanilas Poniatovvsky Roi de Pologne; & ce prince fut recounu pour tel pat toutes les puiffances de 1'Europe. II fallut encore une troifiéme diète pour le couronnement. Les Czartorinsky, oncles du nouveau Roi, fe prévalurent de la confédération qui fubfiftoit encore, pour abolir entièrement le Liberum veto; ce qui les auroit rendus les maitres abfolus <3es délibéraiions de cette république. Le Roi de PrulTe craignit que ces mouvemens ne tiraffent a conféquence, en introduifant un changement confidérable dans Je gouvernement d'une république auffi voifine de fes Etats que la Pologne; il en avertit la cour de Pétersbourg , qui entra dans fes vues; toutefois on laifTa fubfifter la forme de la confédération jusqu'a la prochaine diète. Ce ne furent enfuite que négociations infructueufes pour 1'abolition d'mie douane générale que la diète de convocation avoit fubuïuiée a la douane de la noblefle; ce nouvel étabüfiement étant contraire au traité antécèdeutde Wélau, autorifoit le Roi ii ufer de reprdfailles envers la république. Le Sieur de Goltz fut envoyé a Varfovie, pour concilier ce différent; on s'en remit a 1'arbiirage de flmpératrice de Ruflie, & les nouvelles douanes furent abolies de part & d'autre. La cour de Pétersbourg, mécontente de laconduite du Roi de Pologne, & encore plus de la sonduite .des Czartorinsky fes oncles, qni le go,u-  DE 176% JUSQU'A'J775- 9 vernoient, envoya a Varfovie le Sieur de Saldem,. pour les obferver, & pour leur faire les remontfances convenables r afin qu'ils miflent plus de' modérarion & de fageffe dans leurs procédés. De Varfovie ce négociateur paffa par Berlin, chargéde valles projets,- le Comte Panin les avoit formés, & fon goïït le portoit k 1'oftencation & kté* clat. Le Sieur de Saldem, qui n avoit ni manières, ni fouplefl'e dans 1'efprit, prit le ton d'un diftateur romain, pour obliger le Roi a confentir i racceffïon de 1'Angleterre, de la Suède, du Danemarclc & de la Saxe au traité de Pétersbourg. Ce projet étant entièrement contraire aux intéréts de-la l'rufle, le Roi n'y pouvoit donner les mains. Comment en effet pré.endre que le Roi pilt des atrangemens avecTAngleterre, aprês tout ce qu'il avoit éprouvé de fa part? L'affiftance de la Suède, du Danemarck & de la Saxe étoit nulle, paree qu'on ne pouvoit les faire agirqu'enleurpayant de gros fubfides ; & de plus., étant unies avec la Ruffie, elles pouvoient trop partager 1'infiuence que le Roi efpéroit de gagner dans ce pays-la. H valoit donc mieux les en éloigner a, temps,. d'au. tant plus qu'il ne faut pas multiplier les êtres fans néceffité.. Toutes ces raifons portèrent le Roi 4 décliner les propofnions du Sieur de Saldem. Ce Minilire prit feu, fe croyant le préteur Popilius, & prenant S. M. pour Antiochus, Roi de Syiie ; il voulut prefcrire des lois a un fouverain -,1e Roi > qui ne fe croyoit pas du tout Antiochus, congé* A SS  i& MEMOIRES dia le Miniftre avec tout le fang froid poflible, ea 1'aflurant qu'il feroit toujoürs 1'ami des Rufles, mais qu'il ne feroit jamais leur efclave. M. de Saldetn , mécontent d'avoir trouvé un prince ti peu foumis a fes commandemens, fe rendit de Berlin a Coppenhague, oü étalant tout a fon aife fon defpotisme, & fes prétentions illimitées, il fubjugua tellement 1'efprit du Roi de Danemarck, qu'il chafla les minifires & les généraux qui lui déplaifoient, & les remplaca par fes créatures; après quoi il conclut un traité éventuel d'échange du duché de Holftein Gottorp, qui revenoit au Danemarck pour les comtés d'Oldenbourg & de Delmenhorft, que les princes de Holftein rece« voient a la place de ce qu'il? perdoient. Sur la fin de cette année on afiTembla encore une diète en Pologne. L'Impératrice de Ruflie s'étoit déclarée la proteftrice des diflïden3, dont un eertain nombre êtoit Grec; elle deraanda qu'on leur accordit le libre exercice de leurreligion, & qu'ils puflent polTéder des charges tout comme leurs compatriotes. Cette propofitiotf fut la femence de tous les troublÊs & des guerres qui s'enfuivirent. L'Envoyé de Prufle préfenta un mémoire a la diète, pour lui infinuer que fon maitre ne pou. voit voir d'un «eil indifférent 1'abolition du Libérutn vM, 1'établiflement des nouveaux impóts,& 1'augmentation des troupes de la couronne; & la république eut égard a cette repréfentation. Elk s'eut pas la méme complaifance pou: les privilé-  BE 176% JUSOITA 177%; «' ges qu'on avoit demandés en faveur des diflldens; bien loin d'y déférer, la diète confirma par une efpèce d'enthoufiasme fanatique les conftitutions dont les diflldens avoient le plus a fe plaindre. Tout ce que la cour de Ruflie put obtenir deplusfavorable fut de diflbudre cette diète & la confédération qui 1'avoit formée. L' Impératrice , piquée au vif de la groflièreté infolente dont lesPolonois ufoient envers elle , prit la réfolution de foutenir Ia caufe des diflidens a force ouverte; tout de fuite elle invita le Roi a coopérer pour fa part aux mefures qu'elle vouloit prendre; a quoi ce prince étoit dé ja- engagé en vertu de fon traité d'alHance. Pendant toutes ces agitations de la Polagne fe conclut le mariage du Prince de Prufle avec la Princefle Elifabeth , qnatrième fille du Duc de Bronfwic. La fuccelfion ne rouloit que furquatre têtes; le Prince de Prufle, le Prince Henri, qui fut enlevé par la petite vérole peu detempsaprès, ie Prince Henri, frère du Roi, & le Prince Ferdinand, qui n'avoit alors aucun fuccefleur male. • Mate revenons a la Pologne dont nous nous fommes écartés. Le defpotisme avec lequel la cour de Pétersbourg agiflbit dans cette république , révoltoit les Sarmates ainli qu'une partie de ■ -1'Europe contre la Ruflie. La cour de Vienne avoit peine a cacher fa jaloufie & fon mécomentement» La France, qui confervoit encere desleues de «et efprit de grandeur quis'étoit tant hm* A 6 r?fi*.  12 MEMOIRES nifefié du temps de Louis XIV, ne pouvoit digérer qu'il srrivat un gtand événement en Europe fans qu'elle y eüt aucune part. Le Due de Choifeui, qui jouiffoit de-la puiflance royale fans en avoir le titre , étoit 1'homme le plus inquiet & le moins endurant qui füt jamais né en France ; il envifageoit 1'éleclion d'un Roi de Polo» gne fans le concours de fon maitre comme une avanie faite au royaume; pour venger cetafFront idéal, il auroit incefiamment engagé la France dans une nouvelle guerre, s'il n'avoit été retenu par 1'épuifement des finances & pai 1'éloignement de Louis XV. pour de pareilles entreprifes. II fe dédommageoit de rimpuiflance d'agir darts laquelle il étoit, en chicanant les Rufles dans toutes les occafions; ainfi, pour refufer a 1'Impérarrice le titre de Majefté Impériale, ileutrecours a f Académie francoife, qui fut obligée de décider que cette expreflion n'étoit pas francoife; ce font-la de petites vengeances, indignes de grands -cceurs ; aufli ne rapporterois-je point ces mifères, fi elles ne peignoient le caracrère des hoin- Dès 1'année 1765 1'Empereur Franeois I. étok décédé a Infpruck. Son fils Jofeph , qui avoit «Sté couronné Roi des Romains, lui fuccédafans obflacle» Ce jeune prince fit une tournée en Bohème & en Saxe, pour exarniner les terrains qui avoient fervi de théatre a la dernière guerre, Comme il devoit palier par Torgau, le Roi lui  DE 1763 JUSgtLTA 1775. ï$ fit propofer une entrevue, a laquelle i'Impératri* ce fa mère & le Prince Kaunitz s'oppofèrent. L'Empereur reffentit quelque chagrin de ce refus, & fit infinuer au Roi de Prufle qu'il trou« veroit bien moyen, de réparer la grofïïéreté que fes pédagogues lui faifoient comraettre. . Cependant le mé.contentement des Polonois de* venoit presque général; toute la nation jetoit les hauts cris; & les en croire, c'étoit la religioncatholique que les Rufles vouloient détruire, & tout prince né dans le fein del'églife apoftolique & romaine étoit obligé en confcience de les a£filter. Ces clameurs, fouvent répdtées, commencoient a faire impreflion fur la cour de Vienne. L'humeur qu'avoit prife l'Impératrice occafionna quelque mouvement des troupes dans les provinces autrichiennes; on commencoit a travailler a iles arrangemens militaires , non pas tels qu'ils font néeeffaires pour entrer incefiamment en campagne, mais de la nature de ceux. q>;i fervent è 1'acbeminement d'un grand deiïein qu'on médite; le bruit de eet armement qui fe répandit promptement partout, canfa quelques alarmes a la cour de.Pétersbourg; & les inquiéttides oü fetrouvoit 1'J.mpératrice de Ruflie , dounérent lieu a une convention fecrète entre ceye.puiflance & la Pruffe, qui fut prorr.ptement conclue. Eile portokï3 en fubflance, que 1'Impératrice feroit entrer un corps de troupes en Pologne , pour foutenir !e parti des diflidêns , & que p.our éviter de donA 7 Aviiï.  MEMOIRES ner de nouveaux ombrages a Ia cour de Vienne, le Roi fe borneroit a appuyer les entreprifes des Rulles par des déclarations vigoureufes & capables d'intimider les mécontens; on ftipula toutefois que fi la cour de Vienne faifoit entrer des troupes. en Pologne pour agir hoftilement contre les RufTes, en ce cas S. M. fe déclareroit& agiroit ouvertement contre les Autrichiens, en faifant même une puiflante diverfion dans leurs Etats; & de plus , qu'en confidération de cette guerre que le Roi auroit a foutenir uniquement pour les intéréts de la Rulïïe, 1'Itopératrice aflilteroit ce prince par un corps de fes troupes , & lui procureroit un dédommagement convenable après la conclufion de la paix. Les liaifons qui de jour en jour devenoient plus intimes entre le Roi & la Ruflie en impofèrent a la cgut de Vienne, & paree que les hazards auxquels elle s'expoferoit, étoient plus confidérables que les avantages qu'elle pouvoit fe procurer, elle prit le parti de demeurer trauquille fpeétatrice desévénemens. Cette même année le mariage de la Princefle Wilhelmine , nièce du Roi, fut conclu avec la Prince d'Orange; cela ne pouvoit iufluer en rien dans Ia politique, & ce mariage fe bornoit ft procurer un "établiflement honnête a une Princefle de la maifon. Mais retournons aux affaires de la Pologne. En fuivant les infligations de la Ruflie les diflldens fortaèrent une confédération , protégée par le»  DE i?6i JU SOU'A \77$> »5 troupes ruffes qui venoient d'entrer dans ce royaume. En même temps le miniftre pruffien , réfidenc a Varfovie, y déclara que le Roi regardoit le rétabliffement des difïïdens comme une claufe du traité d'Oliva & de fon alliance avec 1'Impératrice de Ruflie , & qu'il prioit la république d'avoir égard a leurs griefs. Le Roi de Pologne donna audience aux députés de ces diflldens i ce qui produifit un fenatus-confilium, lequel convoqua une diète extraordinaire. Cette diète s'affembla fous les aufpices des troupes ruffes qui entouroieut Varfovie. Le Prince Repnin, Ambaffadeur de Catherine , n'employa que des moyens violens pour fubjuguer la diète ; il fit enlever FEvêque de Cracovie , celui de Kiovie , & le peiit Général de la couronne Rezewusky, tous ennemis déclarés des difiidens, lesquels furent envoyés en exil au dela de Moscau vers la Sibérie; les autres nonces furent obligés de limiter la durée de la diète au i de Février 1767, & fon nomma des commiffaires de pouvoirs pour conciure les affaires définitivement au nom de la république. Le miniftre de Ruflie, celui de Prufle & ceux des cours proteftantes, ainfi que les maréchaux des diflldens affiftèrent aux féances de cette commiflion; la fe figua un afte en venuduquel les diflldens furent rétablis dans tous leurs droiïs, Peu de temps après on procéda a la fignature des lois cardinales du royaume, par lesquelles le pouyoir des premières charges de la république & 5 Oft.  ie MEMOIRES? mité, nommément de celle du grand général; la diète fut obligée de confiriner ces lois nouvelles-, après quoi elle fe fépara. Tant d'atftes de fouveraineté qu'une puiflance étrangère exercoit dans cette république, foulevèrent ft. la fin tous les efprits; la fierté du Prince Repnin ne les radouciflbit pas; ceux qui occupoient les premières charges, le cceur ulcéré de la dirninution de leur pouvoir, ne pouvoient digérer des changemens auffi préjudielablesè leur autorité qu'aviliflans. Les évêques dont la moitié' du diocèfe étoit compofée de diflldens, & qui fe flattoient d'augmenter leurs dixmes par leur converfion, voyoient par ces nouvelles lois leurs efpérances anéanties; ils fe lièrent d'intérèt, & prévoyant que le peuple ne s'enflammeroit pas pour quelques torts dont ils fe plaignoient, ilréfolurent d'employer le fanatifme pour exciter ces ames ftupides ft la défenfe de leurs pontifes. Les évêques & les magnats, qu'un mécontentement égal réu» niflbit, répandirent dans le public que la Ruflie d'accord avec le Roi de Pologne vouloit abolir la religion catholique apoftolique & romaine;que tout étoit perdu fi 1'on ne prenoit les armes, & que s'il fe trouvoit encore des catholiques zélés & fervens, ils devoient tous accourir pour défendre & pour fauver leurs autels. Le peuple, vexé dans différentes contrées oü les troupes rufles étoient diflribuées, avoit déja commencé ft s'impatienter, & ft diverfes reprifes il avoit manifeflé  DE 1763 JUSQJTA 1775. 17 fon mécontentement. Cette maffe imbécille, & faite pour être menée par ceux qui fe donnent la peine de la tromper, fe laiffa facilement féduire par les prêtres; la caufe de la religion futle fignal, & le mot de ralliement; le fanatifme s'empara de tous les efprits, & les grands profitèrent de Tenthoufiafme de leur ferfs, pour fecouer un jong qui commencoit a leur devenir infupportable. . Déja s'échappoicnt des éiincelles de ce feu qui couvoit encore fous la cendre; peut-ètre que la prépondérance des cours alliées fauroit étouffé , fi la France, qui par jaloufie vouloit divifer& troubler le Nord a force d'exciter ce feu, n'tüt caufé 1'embrafement général qui s'enfuivit. Le Duc de Choifeui étoit dévoré d'ambition, & vouloitdonner de 1'éclat k fon nviniflère; trop prévenu d'un foi-difant tellament du Cardinal de Richelieu, il avoit toujours préfente a 1'efprit la promeffe du Cardinal a Louis XIII, qui! feroit refpecter fa monarchie a 1'Europe entière; & lui fe propofoit de faire refpedter Louis XV. Mais les temps & la (1tuation des affaires étoient en tout diffemblables. Premièrement la France c'étoit point du temps du Cardinal accablée de dettes: en fecond lieu depuis le i7me fiècle 1'Europe avoit tout a'faitchangé ; la Ruflie, a laquelle nous voyons jouer uu fi grand róle maintenant, étoit inconnue, la PuifTe & le Biandebourg étoientfans énergie; la Suède briiloit & a préfent elle eft éclipfée: & d'ailleurs quels projets peut former un miniftre, quand les  18 MEMOIRES moyens de les exécuter lui manquent, & que Ia crainte d'une banqueroute générale 1'obügent ft fe bomer aux intrigues, & a écarter toutes les entreprifes hardies qui pourroient le tier de fon inadion ? Ces obftacles qu'on ne pouvoit lever, fans calmer finquiétude de M. de Choifeui reflerroient fon génie; & ne pouvant mettre en aftion les grands.relTor!s de la politique, il fe contentoic de tracalTer. Outre la 'jaloufie que donnoit ft Ia France 1'éleaiou d'un Roi de Pologne ft laquelle elle n'avoit aucune part , ft Verfailles on ne pouvoit pardonn-er a 1'Impéiatrice de Ruflie d'avoir abandonné la grande alliance, & d'avoir fait une paix féparée avec ie Roi de Prufle. M. de Choifeui, pour s'en vtnger, exeita contre Catberine les Polonois & les Turcs; il vouloit qu'en même temps les Suédois fiflent une diverfion en Finlande & dans 1'Eftonie,. & il efpéroit par ces différens moyens d'allumer une guerre contre Ia Ruflie , dont il lui feroit difficile de forrir avec avantage. Dés - lors les émiflaires frar.cois fe répandirent partout; les uns encourageoient les Polonois ft dé~ fendre leurliberté; les autres couroient ft Conftantinople exciier la Porte ft ne pas voir avec des yeux indiflerens le defpotifme qu'une puiflance voifine exercoit en Pologne; d'autres fe rendoient ft Stockholm, pour cabaler ft la diète, pourchanger la forme du gouvernement, & rendre Ie Roi fouverain, afin qu'en faveur des Turcs & des Polonois il fit une diverfion contre les Rufles. M.  DE 1763 JUSQJTA 1775. - 19 de Choifeui, non content de tant d'intrigues, vouloit encore détacher lc Roi de Prufle d'une puiflance qu'il efpéroit d'écrafer d'autant plus facilement; mais il n'y réuflït pas; & il échoua également en Suède, oü a la diète le partie rulle 1'emporta fur celui de la France. Mais il en fut autrement en Pologue, ainfi qu'en Turquie. Dés le mois de Mars il fe forraa dans la ville de Bar en Pologne une confédération contre la Ruflie; le Comte Kraszinsky en fut élu Maréchal. Cette confédération en produifit plufieurs autres ; les confédérés fignalèrent le premier afte de leur foulevement, en annullant toutes les nóuvelles lois; maïs loin de fe bomer a ce premier eflai de leur force, enivrés d'efpérances & dans le délire des paflïons , i!s n'arpiroient pas a moins qu'a détróner le Roi, & n'attendoient que 1'occafion pour exécuter leur deflein. Le Roi de Pologne en fut inttruit; alarmé du danger qui le menacoit, il affembla un fevatus-confilir.m, oü 1'on convintqu'on rcclameroit fafliftance de la Ruflie, pour protéger Poniatowsky qu'elle avoit placé fur le tróne; ce fut le fignal des holFitités; les Ruffes, qui n'avoient pas 10 mille hommes dans ce royaume, batiirent cependant tous les confédérés qui leurréfiftoient; mais comme ils n'étoient pas affez nombreux pour les détruire, eet eflaim de guépes difperfé d'un cóté reparoiffoit affitót d'un autre. Dans une de ces rencontres qu'il y eut en Podolie , les Ruffes, fans le favoir, pourfuivirent les  20 MEMOIRES confédérés jusques fur le territoire des Turcs; h petite ville de Balta, ou- les Polonois s'étoient fauvés, fut brülée. Cette violation de territoire oftobre. fut le prétexte dont les Turcs pour fervir d'entrepót au comme ce des deux nations, une amnidie géafra e pour les Crecs q li avoient embraffé le parti  DE 1763 JUSQJPA ï7?$. 85 des Rufles, & avanc toutes chofes 1'élargiflement du Sieur Obreskow, qui étoit aux Sept tours. Des conditions aufli énormes auroient achevé de cabret la cour de Vienne; peut-être même rauroient-elle» portée aux réfolutions les plus violentes, fi on les lui avoit communiquées. Cette raifon empêcht Ie Roi de lui en donner la moindre connoiflance. Ce prince préfé;a les voies de la douceur,lesplu« fiïres pour ne choquer perfonne. II s'expliqua amicalement avec l'Impératrice de Ruflie, fans la coniredire; mais pour qu'elle fentit elle-même la d'.fiiculté qu'il y ajroit a faire confentir le Grand Seigneur a l'indépendance des Tartares, il lui repréfenta les obllacles presque invincibles que la cour de Vienne mettroit a ce que la Ruflie, e» pofl'édant la Valaehie & la Moldavië, devint fa voifine, & que file dans 1'Archipel donneroit dela jalüufie & de 1'envie a toutes les puiflances maruiines; & il confeilla a l'Impératrice de limitei fes prótentions aux deux Cabardies, a lavilled'Afof avec fon territoire, & a la libre navigatioD dans la mer Noiie; ii ajouta que ce n'étoit par aucun fentiment de jaloufic de 1'agrandiflement de rimpératrice qu'il s'expliquoit ainfi , mais dans funique vue qu'au moyen de ces adouciflemens 1'on püt parvenir a éviter que d'autrcs puiflancesen prenant part a cette guerre ne la rendiflent générale,- que d'ailleurs les Turcs étoient déja convenus de deux points, celui d'accorder l'amniftie abx Grecs & celui de relacher le Sieur ObïëSB 6  3* MEMOIRES kow. C«s repréfentations, quoique fort modérées, parurent faire quelque peine ftl'Impératricei elle donna ft connoiire qu'elle ne s'étoit pa3 attendue ft rencontrer des oppofitions de la part de fon meilleur allié; & comme elle continuott d'infifter fur fon projet, è qnelques peuies reftrictions prés, le Roi fe vit dans la néceflïté de le communiquer ft ia cour de Vienne; S. M. accompagna cette pièce de tous les adouciffemens dont elle étoit fufceptible, & pour ne point effaroucher le Prince Kaunitz, il lui fit ïnfinuer que ce n'étoit pas le dernier mot de la cour dé Ruflie, qui fans doute étoit difpofée ft fe relacfrer fur les articles qui rencontreroient le plus de difHculté. Les précautions que Ie Roi prenoit, étoient d'autant plus néceffaires, que la cour impériale ne 'cachoit plus fes projets, & que tous les mouvemens qu'on voyoit en Hongrie annoneoient une prochaine rupture avec la Ruflie. La cour de Vienne étoit décidée ft ne pas fouffrir que le théatre de la guerre s'érablft au delft du Danube; elle efpéroit même qu'ft la faveur d'une médiation armée, elle pourroit forcer les Rufles ft reflitueraux Turcs la Moldavië & Ia Valachie, & de plus fti les faire défifter de 1'indépendance des Tanares qu'ils demanJoient. Dans cette vue des troupesdltalie, de la Fiandie, & de 1'Autriche avoient marché en Hongrie; 1'ënvoyé de PEmpereur s'é. toit même expliqué fur ce cnapitre aflez pofitiveuenc avec le Roi; il éioit allé jrjsqu'ft denjandfö  BE 176-3 JUSQJTA 1775. 37 qu'au cas que les Rufles fufient attaqués touse autre part qu'en Pologne, Ia Prufle demeuritneutre; ce qui lui fut netteraent refufé. Le Prince Kaunitz fe flattoit, ft Ia faveur de ce plan, d'agrandir la maifon d'Autriche, fans qu'elle eü't la peine de faire des conquêtes; il comptoitbienque la Porte payeroït cette afliftance , en cédant ft l'Impératrice Reine les provinces qu'elle avoit perdues par la paix de Belgrad. En même temps que Vienne étoit remplie de projets & la Hongrie de troupes, un corps autrichien entra en Pologne & s'empara de la feigneurie deZips, fur laquelle la cour avoit des prétentions. Une démarche aufli hardie étonna la cour de Pétersbourg, & ce fut ce qui achemïna le p!us le traité de partage qui fe fit dans la fuïte entre les trois puiflances. La principale raifon étoit celle d'éviter une guerre générale qui étoit prés d'éclore; i! falloit outre cela entretenir ïa baiances des pouvoirs entre de fiproches voifins; & comme la cour'de Vienne donnoit fuffifamment ft connoltre qu'elle vouloit profiter des troubles prcfens pour s'agrandir, le Roi ne pouvoit fe difpenfer de fuivre fon exemple. L'Impératrice de Ruflie, irritée de ce qued'autres troupes que les fiennes ofoient faire la loi en Pologne, dit au Prince Henti, que fi Ia cour de Vienne vouloit démembrer la Pologne, les autres voifius de ce royaume étoient en droit d'en faire autant. Cette ouverture fe fit ft proposcar après avoir tout examiné, c'étoit 1'unique voie qui teltai. »7  3« MEMOIRES d'éviter de nouveaux troubles & decontemer tout le monde. La Ruiïïe pouvoit s'indemnifer de ce que lui avoit coüté la guerre avec les Turcs, & au lieu de la Valachie & de Ia Moldavië qu'elle ne pouvoit pofleder qu'après avoir remporté autant de victoires fur les Autrichiens que fur les Mufulmans, elle n'avok qu'a choifir une province de la Pologne k fa bienféance, fans avoir de nouveaux risques a courir; on pouvoit afiigner a rimpératrice Reine une province limitrophe de la Hongrie, & au Roi ce rnorceau de la Prufle polonoife qui fépare les Etats de la Prufle royale; & par ce nivelleraent politique la balance des pouvoirs entre ces trois puiflances demeuroit a peu prés la même". Néanmoins, pour s'afiurer davantage de 1'intention de la Ruflie, le Comte de Sohns fut chargé d'examiner fi ces paroies écbappées k rimpératrice avoient quelque folidité, ou fi elles avoient été proféré^s dans un momentd'hutneur? & d'emporicment pan'ager. Le Comte de Spjmj trouva les feminiens partagés fur ce fujer. Le Comte Panin, qui avoit fait déclarcr au coinmeucement des troubles de la Pologne que la Ruflie maintiendroit 1'indivifibilité de ceroyaume, fentoit de la répugnance pour ce démembrement ; il promit néanmoins de ne s"y point oppofer, fi l'affaire paflbit au confeil; mais l'Impératrice étoit flattée de 1'idée qu'èlle pourroit fans dangeréten«ke les limites de fon empire; fes favoris & quelque* minifires qui s'ea appercurenc, fe langèrenc  DE 1761 JUSQJfA 177$. 39 ie fon fentiment, de forte que le projet de par. tage paffa a la pluralité des voix. On annonca au Roi de Prufle Ia réTolution qui venoit d'être piife, comme un expediënt qu'on avoit imaginé pour le dédommager det fubfides qu'il avoit payés è. la Ruflie. Le Comte Panin, en coramuniquant au Comte de Solms les chofes que nous venons de rappotter, exigea comme un préalable que le Roi fondat les fentimens de Ia cour de Vienne au fujet de ce partage. Sur cela le Roi en fit 1'ouverture au Baron de Swieten, en 1'aflurant que la Ruflie ne témoignoit aucun mécontentement de ce que les Autrichiens avoient pris pofleflion de Zips, & que Sa Majefté, pour donner des preuves de fon amitié a L. M. impériales, leur confeilloit de s'étendre dans cette partie de la Pologne felon leurbien. féance , ce qu'elles pourroient faire avec d'autant moins de risque que leur exemple feroit imité par les stuntel puiflances voilines de ce royaume. Cette ouverture, toute cordiale qu'elle étoit,-ne fut point accueillie par la cour de Vienne comme on s'en étoit flatté. Le Prince Kaunitz étoit trop préoccupé du projet qu'il fe préparoit a mettre en exécution; il trouvoit plus d'avantage dans 1'alliance des Turcs, qu'il ne croyoit en pouvoir efpérer d'une alliance avec la Ruflie; il répondit donc fèchement, que fi fa cour avoit fait occuper quelques parcelles de la Pologne fur les conins de la Hongtie, ce tfétoit pas a deffein de le*  4^ MEMOIRES garder, mais uniquement pour obtenir juftree fur queiques (ommes que la maifon d'Autriche réclamoic de la république, & qu'il n'avoit pas imagtné qu'un objec d'aulïï peu de valeur pur faire naitre 1'idée d'un plan de partage donc 1'éxecution feroit hérilfée de difficukés infurmontabIes>,acaufe qu'il étoit amant qu'impoflible d'établir une égalité parfaite enire les dilférentés portions des trots puiflances; qu'enfin un tel projet ne pouvant fervir qu'a rendre la fituation de 1'Europe plus critique encore qu'elle ne Wtoit, il déconfeilloit a S. M. pruffienne d'entrer dans de telles mefures; H ajouta d'un air d'indifférence que fa cour étoit préte a évacuer fes diflricts que fes troupes avoient occupés, fi les autres puiflances en veuloient faire autant. Ces dernières paroles étoient comme wi reproche tacite aux Rufles qui avoient des armées en Pologne; elles regardoient également Ie Roi, qui avoit tiré un cordon de troupes depuis le pays de Croflen jusqu'au dela de la Viftule, pour g'arantir fes Etats de Ia pefte qui faifoit alors en Pologne de grands ravages. Dans une affaire de cette nature il ne falloit pas fe laifler décourager par des bagatelles. On pouvoit prévoir que la cour de Vienne changeroit de fentimens, fitót que la Riiffia & la Prufle feroient bien d'accord, paree que les Autrichiens préfereroient d'avoir part a ce partage a tenter les hazards de la guerre contre aufli forte partie. Ajoutez a cela que rimpératrice Reine n'avan; d'sllié que ia  DE 1763 JUSQU'A 177$. *» France , ne pouvoit nullement alors compter fur des fecours. Pour profiter de combinaifons aufli fcvorables, le Roi réfolut de poufler 1'affaire du partage; il obferva le filence envers la cour de Vienne, pour lui laifier le temps deréfléchir. En même temps le Comte de Solms fut chargé d'avertir la cour de Ruflie que les ouvertures du traité de partage avoient été faites ft Vienne , & que quoique le Prince Kaunitz eüt évité jusqu'alors de s'expüquer fur ce fujet, on pouvoit néanmoins prévoit qu'il y donneroit volontiers les mains , auflïtót que les deux autres puiflances feroientconvenues de leurs intéréts réciproques; il fe fervit de ce motif pour accélérer la conclufion de cette affaire , paree qu'il n'y avoit pas un moment ft perdre. Peut-être que la lenteur & la parefle habituelle des Rufles auroit encore trainé Ia chofe «1 longueur, fi la cour de Vienne n'eüt fervi le Roi fans le vouloir; tous les jours elle faifoitnaltre par fa médiation de nouvelles difficultés pour la paix; fouvent elle chicanoit avec aigreur les Ruffes fur leurs énormes prétentions, & s'expliquoit d'un ton defpotique fur les articles de Ia paix qu'elle rejetoit, favorifant les Turcs en tout ce qui dépendoit d'elle. Mais les mouvemens qui fe faifoient dans 1'armée de Hongrie achevèrent de rendre les Autrichiecs fufpeds ft la cour de Pétersbourg. Dans ce même temps le bruit courut que les impériaux négocioient un traité it fubfides ft Confiactinople } cette dernière nou-  4« MEMOIRES &4 Juin. veile donna 1'alarme au confeii de Pétersbourg, & le Roi, qui communiquoit aux Rulles tous les avis propres a découvrir les intrigues des Autrichiens, parvint enfin a tirer Ia cour de Pétersbourg de la léibargie dans laquelle elle étoit plongée. L'Impératrice de Ruflie fentit lebefoinqu'elle avoit d'être afliftée par Sa Majefté ; elle jugea que pour s'aflurer de ce prince, il falloit lui procurer des avantages, de forte que le Comte de Pauin déclara au Comte de Solms qu'il n'attendoit que le projet de partage , pour entrer avec lui en conférence fur ce fujet. Ce projet s'expédia bien vite a Pétersbourg. 51 donnoit carte blance a la Ruflie, qui pouvoit choifir en Pologne felon fa convenance telle province dont elle jugeroit a propos de prendre poflefllon. Le Roi demanda pour fa part la Pomerellie, le diftrict. de la grande Pologne en dica de la IS'etze, 1'évêché de Varmie, les palatinats de Marienbourg & de Culm, laifl'ant les Autrichiens maiires d'accéder a ce traité s'ils Ie jugeoient a propos. Tous les arrangemens qui fe prenoient a Berlin comme a Pétersbourg n'empêchoient point le Prince Kaunitz d'aller fon train; il accrochoit, par mille difficultés que fa médiation lui fourniflbit, la négociation de la paix avec les Turcs; il rejetoic furtout Partiele des ceflions de la Valachie & de la Moldavië , que les Ruffes exigeoient de la Porte ; fier des of&es que lui faifoit le Sultan , & croyant que le  DE 1763 JUSQJTA 1775- 45 nombre des troupes aflemblées en Hongrie pouvoit en impofer amant aux Pruflïens qu'auxRusfes, il fit déclarer au Roi que les conditions de paix propofées par la Ruflie étoient diamétralement oppofées aux intéréts de la monarchie autrichienne, qu'elles tendoient a renverfer 1'équilibre de 1'Orient, & que fi la cour de Pétersbourg ne vouloit pas les modérer, Leurs Majeftés impériales feroient forcées de prendre part a cette guerre ; qu'elles fe flattoient que dans ce cas le Roi obferveroit une parfaite neutralité, d'autant plus que fes engagemens avec la Ruflie fe bornoient a la Pologne, dont les Autrichieus re fervés au Grand Seignaur. Cette propofuion fut rejeiée; Osman en préfenta une plus modérée, mais qui fut aufli peu admife que la première, fur quoi il déclara qu'après avoir épuifé tous les moyens qui lui étoient permis par fes inlïructions , qu'après avoir modifié par des adouciffemens les articles qui faifoient le plus de peine aux Ruffes, voyant néanmoins que fans égard pour la modération du Grand Seigneur 011 rejetoic toutes fes propofitions, il ne lui reftoit qü*a demander des chevaux pour s'en retourner ft Conflantinople. M. Orlow le prit au mot; fes intéréts perfonnels le rappeloient ft Pétersbourg, on fes ennemis profitant de fon abfence étoient parvenus ft le fupplanter; ainfi ce congrès qu'on avoit eu tant de peine ft faire affembler, n'atteignit pas la findu même mois. PIuj les affaires prenoïent vers te Nord & 1*0rient une tournure avantageufe ft la Ruflie, plus la France, mécontente du peu de confidération dont elle jouvffoit, effayoit de fe dédomraager par fes intrigues de 1'afcendant qu'elle avoit perdu ; elle . C 5  53 MEMOIRES 38; Aofit. "e flattoit de pouvoir Ie regagner en mettant Ia Suède en jeu. Le Prince royal de Suède, qui yoyageoit alors en France, fe trouva précifément i Paris lorsqu'il apprit la mort du Roi fon père.. Les miniflres de Louis XV, pour profher de Ia :onjoncture, prirent des engagemens fecrets avec :e jeune Prince; il lui promirent d'acquiter les irrérages de la dernière guerre, que la France deyoit ft la Suède: la forame en montoita 1,300,000 icas; une partie lui en fut remife ft Paris, & on ui fit efpérer le refte au cas qu'il voulut 1'employer ft changer la forme du gouvernement en Suède, en s'y rendant fouverain. Dès-lorscejeune Prince vif, ambitieux, mais léger, fe livra fans réferve ft 1'exécution de ce projet, ft laquelle la diète qui alloit s'aflêmber pour fon couronnemenc, lui fourniftoit une occafion favorable. De retour ft Stokholm on envoya des émiflaires munis d'argent dans toutes les provinces duroyaume,. pour corrompre les députés, & une partie des troupes; fon frère, le Prince Charles, fe mit ft la xête d'un de ces corps , pour le conduire ft Ia ca-pitale au fecours du Roi. Mais le jeune monar-que n'attendit pas fon arrivée; il avoit gagné Ie. régiment des gardes & celui de 1'artiUerie; ils'em. para pour leur moyen de. 1'arfenal, fit braquer les canons fur les places & dans les ruts,. aflembla le fénat intiraidé par un appareil qui lui étoit fi nouveau , & fe fit déclarer fouverain par ce corps, qui repréfentoit toute la nation..  SE i/f53 JÜS&ir A i77$. $9 Cel événement inattendu caufa quelques inquiétudes a la cour de Berlin; le Roi s'étoit engagé par fon traité avec la Ruffie a foutenir la forme du gouvernement établie en Suède 1'année 1720. Ce Prince n'ignoroit pas la vive impreflion qu'une révolution aufli fubite feroit fur l'Impératrice de Rusfie. Le congrès de Foxfiani venoit a la vérité d'être rompu; mais les Rufles & les Turcs étoient de nouveau en pourparlers pour en aflembler un autre a Bucharefi: fi la paix venoit a fe conclure entre ces deux puiflances, il falloit s'attendre qu'ineeflatnment la Ruflie travailleroit a remettrele gouvernement fuédois fur 1'ancien pied; le jeune Roi de Suède, qui comptoit fur 1'appui de la France, ne fe feroit jamais défifté de bon gré de la fouveraineté a laquelle il venoit de parvenu; c'étoient-la des matériaux pour une nouvelle guerre, dans laquelle le Roi auroit été obligé c\e combattre contre fon propre neveu; & la nature, qui parle aux coeurs des rois tout comme a ceux des particuliers, fe révoltoit comre ce parti. D'autre part la politique % la foi des traités exi^eoient qu'on le prit: dans eet embarras le Roi fe fervit de la cour de Vienne, afin que par fes rep'éfentations acelle éé Pétersbourg on püt parvenir a calmer la première effervefcence de la Ruflie. Les mouvemens-de colère & de vengeance 1'auroient cepen-dant emporté dans i'efprit de l'Impératrice de Rusfie, li les-Turcs n'avoient pas réfifté avec beau-coup. de fermeié-aux conditions dures & facheu* CL 6  feo MEMOIRES fes qu'on vouloit leur faire accepter; en même temps que du cóté de Ia Suède, le Roi concevant le danger dont il étoit menacé de Ia part de la Ruflie, fe propofoit de mettre d'avance le Danemarck hors de jeu, pour n'avoir qu'un ennemi a combattre a la fois. Ceci nous engage a reprendre les chofes de plus haut, pour expofer avec précifion les raifons qu'avoit le Roi de Suède d'agir ainfi. Le Roi de Danemarck étoit monté trop jeune fur letröne pour que fon expérience püt étre formée; il étoit entouré d'anciens miuiflres rompus dans les intrigues de cour, qui plus intérelTés que citoyens n'ambitionnoient que de gouverner leur maitre; & comme ces rivaux luttoient pour fe fupplantermutuellement, cela donnoit lieu a de fréquentes disgraces; chaque jour produifoit de nouveaux miniftres & de nouveau projets de gouvernement. Le Sieur de Saldern, qui fe trouvoit alors a cette cour en qualité de miniftre de Ruflie, avoit, comme nous 1'avons dit, moyenné 1'échange du duché de Gottorp contre ceux d'Oldenbourg &deDelmenhorft; ce miniftre d'une cour étrangère, mais trop puisfant a Coppeuhage, perfuada au Roi de faire un tour dans les pays étrangers, voulant Ie détourner de vifiter, comme il en avoit 1'intention, le royaume de Norvège, oü l'on, craignoit qu'il n'introduiflt des nouveautés préjudiciables a fes intéréts. Peu après fon mariage avec.la PrincefleMathilde, fceur du Roid'Angleterre, ilpanitdeCop-;  DE 1763 JUSQJTA 1775. éi penhague, fe rendic a Londres, & de la a Paris * fes courtifans & ceux qui 1'environnoient, fortifioient fon penchant a la volupté & a la débauche; de retour de fes voyages, il en rapportaune maladie dont il n'avoit pris aucun foin; la Reine fon époufe, fous prétexte du rétablifleinent de fa fanté, s'empara de fon efprit, & lui propofa un médecin nommé Struenfée , comme fhorame le plus capable de le guérir. L'accés que ce médecin eut a la cour, lui fit gagner imperceptiblement plus d'afcendant fur 1'efprit de la Reine qu'il n'étoit convenable a un homme de ce cette extraction. Cette liaifon, qui de jour en jourdevenoit plus intime, obligeoit la Reine a prendre les plus grandes précautions pour que le Roi ne pilt pas s'appercevoir de ce qui fe paffoit; on prétendoit que pour en être für, la Reine & le médecia avoient imaginé, fous prétexte de donner des remèdes au Roi, de lui faire prendre de 1'opium. L'ufage trop fréquent de ces foporifiques ahéra confidérablement 1'efprit de ce jeune prince: ileut des abfences & fi fortes & fi longues, que la Reine & re médecin s'emparèrent des rènes du gouvernement: Struenfée fut créé premier Minifire, & fut réellement Roi de Danernarck durant quelques mois. La nation danoife fut indignée. On découvrit enfin qne le projet du Miniftre étoit de fatre déclarer Ie Roi incapable de régner, & fous ce prétexte apparent de s'emparer de la tutelle da royaume ; ce qui acheva de révolter les efprits. C7  Si MEMOIRES On auroit cru fe couvrir d'opprobre, en expofam le royaume a tomber fous une femblable domination. Des gardes de la marine qu'on avoit voulu caffer, paree que la cabale fe défioit de ieur fidé» lité, donnèrent le premier branie a la révolution. Les deux généraux d'Eickftasdt &deCce)ler, tous deux Poméraniens de nailTance , & le Miniftre d'Etat d'Often fe rendirent en fecret chez la Reine Julie, belle-mère du Roi; üs lui peignirent des couleurs les plus vives les péüls auxquels fa perfonne, celle de fon beau-fils, & tout le royaume étoient expofés, & la conjutèrent de prendre dan» un moment aufli critique un parti décifif; ils la <3éterminèrent a fe rendre , après un bal qui devoit durer avant dans la nuit, par un efcalier dérobé dans la chambre du Roi, pour 1'avertir da péril imminent qui le menacoit, & 1'obliger a figner inceflanrment un ordre par lequel les généraux étojent autorifés, 1'un a arrêter la Reine Mathilde, & 1'autre a s'aflurer du médecin premier Miniftre. Ce projet s'exécuta comme il avoit été médité: on enferma la Reine dans une forterefle, & le médecin ainfi que fes adhérens furent traduits devant les juges: la crainte des fupplices leur fit avouer tous les attentats dont on les accufoit; li managede la Reine Mathilde fut caflè; le Roi d-'Angleterre obtint qu'on permït a cette princefle de Ibrtir du Danemarck, pour fe retirer dans Véleftorat de Hanovre: elle s'établit a Zuil, oü el e fut traités pat fon fiére avec diftinclion. Le me-  DE 1763 JUSQJTA 1775. 63 decin , & le Baron de Brand, après qu'on leur eut fait le procés, furent décapités: la Reine Ju» He,, belle-mère du Roi, prit le maniement des affaires. Tout fut foible dans les commencemens d'une telle adminillration , qui en effet n'étoit qu'une tutelle. L'aliénation d'efprit du Roi équivaloit a une minorité. Les Norvégiens, qu'on avoit accablés d'impóts pour foutenir la banque, qui étoit fur le point de faire faillite, les Norvé* giens, dis-je, commencêrent ft différentes reprifes ft manifefter leur mécontentement. La révolution que fubit presque en même temps le gouvernement fuédois, donnèrent de vives alarmes ft la cour de Coppenhague, qui craignoit les entreprif;s d'un jeune prince voifin, ennemi né des Danois; la Reine Julie envoya le Général iluth avec quelques troupes en Norvège, afin de garantir ce royaume contre toute invr.uon étrangère. Ce mécontentement des Norvégiens, leurs dispo'fitions peu favorabies ft la cour, voilft fur quoi le Roi de Suède fondoit fes efpérances. Quelques députés des payfaus de ce royaume, qui fe rendirent auprès de lui dans le bourg d'Eckhohnfund , l'affurèretu qu'il n'avoit qu'ft fe muntrer avec quelques troupes fur lturs frontières, pour aniiner les payfans norvégiens, & pour leur faire ft tous embrafi'er fon parti. Sans examiner fi c'étoit Ia nstion qui s'expliquoit paria bouche de ces députés, ou s'ils n'étoient que les organes de quelques niécontens obfeurs, le Roi partit brus-  9 Nov. 64. MEMOIRÊS quement, fous prétexte de faire ce qu'on appelle en Suède tErie Gatta: il fit la tournée de fes provinces méridionales en Scanie & vers les frontières de la Norvège; de la il envoya un inémoire a la cour de Danemarck, concu en termes menacans, par lequel il demandoit raifon des armemens extraordinaire6 que cette cour faifoit en Norvège; en même temps il préparoit tout de fon cóté pour entreprendre la guerre; des troupesfuédoifts, manies d'artillerie, s'approchoient de laNorvège: fes émiffaires en foule rödoient dans ce royaume, pour exciter le peuple a la fédition; il fit des tentatives infruétueufes pour biüler le chantier de Coppenhague; enfin tout fe préparoit a une rupture entre ces deux royaumes, & peut-être s'en feroit-elle enfuivie, fi la cour de Berlin par les repréfentations les plus fortes n'avoit engagé ces deux puiffances a s'éclalrcir mutuellement furleurs foupcons, & a fe réconcilier; fur ces répréfentations le Roi de Suède s'en retourna dans fa capitale, & les Danois fe raffurèrent. Si le chatfgement du gouvernement en Suéde avoit déplu a rimpératrice de Ruflie, ces mouvemens du Roi fur les frontières de la Norvège fa choquèrent encore davantage; elle craignoit qu'un jeune prince aufli remuant, aufli inquiet que le Roi de Suède, n'entreprit avec la même légéreté de 1'attaquer fur les frontières de 1'Eftonie & de la Finlande, Ces deux provinees étoient alorsdégarnies de troupes: les armées rufles étoient danf  de 1763 jüsqjta 1775. 65 ia Beflarabie, dans la Crimée, & plus de 50,000 hommes inondoient la Pologne; 1'Impérairice jugea que dans ces circonftances, en faifantdesconquêtes en Oriënt & en fubjuguant les Sarmates, elle ne devoit pas négliger d'aflurer fes anciennes poöefïïons. Elle rappela dans cette intention 30,000 hommes des troupes qui étoient en Pologne, pour les employer a garnir & a défendre ta Livonie & les provinces qu'elle croyoit expofées aux infultes des Suédois; d'autre part elle fe monira plus difpofée a un nouveau congrès pour la paix avec les Turcs. Ce congrès s'ouvrit a Buchareft; Ie Reis Effendi étoit le plénipotentiaire de la Porte & le Sieur Obreskow celui des Rufles : les deux miniftres plénipoténtiaires de la Prufle & de 1'Autriche ne s'y trouvêrent point, paree que les Ruflesavoient été mécontens du Sieur Thugut, qui avoit alïïflé au premier congrès comme Miniftre de l'Impératrice Reine. Les Rufles commencèrent par renouveler leurs prétentions exorbitantes; enfuiteils fe retachèrent fur plulieurs articles; mais la ceflion des places de la Crimée Kerfch & Jenikala, (Ituées fur le détroit de Zabache, dont la poflefllon ouvroit aux Rufles Ie paflage de Ia merNoire, fut un obftacle invincible a la conclufion de la paix; Ie corps des Ulemas, ou gens de Ia loi, déclara au Grand Seigneur qu'il ne confentiroit jamais que par cette ceflion on mit la Ruflie en état d'équipper une flotte qui menaceroitConftau- 2Ó 0&.  66 MEMOIRES 1773. Mars tinople même du plus imminenc danger; la Rus-fie déclara de fon cóté que Ia .polTeffion de ces deux places étoit une condition dont elle ne fe départiroit jamais. Sur cela chacune des deux cours envoya fon ultimatum a fes plénipotemiaires: les Rufles ofTrirent de fe reiacher fur ce qu'ils avoient démandé en argent, a condition que les Turcs confen iffent au refte , & les Turcs olïnrent 21 millions de roubles aux Rufles , s'ils vouloient remettre les chofes fur le pied oü elhs étoient avant le commencement de cette guerre. Ap:ès que les conditions eurent été réfufées de part & d'autre vers Ia fin du mois de Mars, ce fecond congrès fut rompu comme le premier. Deux raifons contribuèrent a rendre ce congrès infrucïueux: la première, les condiiions onéreufes , humiliantes & dures auxquelles Catherine vouloit foumettre Muftapha; fautre, les intrigues de la France , qui non contente d'employer les corruptions pour gagner les principaux vizirs & feigneurs de la Porte, relevoit leur courage par 1'efpérance que le Roi de Suède porteroit la guerre en Finlsnde, pour faire une diverfion en leur faveur , & ils ajoutoieut que la France armoit actuellement a Toulon une nombreufe elcadre , qu'on enverroit aux échelles du Levant , pour s'éiablir en croifière dans 1'Archipel. La cour de Verfailles ne fe borna point a ces petites intrigues : elle défapprouvoit la conduite de rimpératrice Reine , qui étant fon allide s'étoit  DE 1763 JUSQJTA 1775. °> unie avec la Ruflie & la Pruffe, & avoit pfisle parti des puiffances que la France regardoit comme fes ennemies. Pour fe venger des Autriehiens, on projeta ft Verfailles une quadruple alliance entre les cours de Verfailles, de Madrid, de Turin & de Londres. On commenca par mettre eu jeu toutes fortes d'inirigues, afin d'indifpofer 1'Angleterre contre la Prufle & contre la Ruflie. Les émiffaires francois répandoient nombre de pamflets ; " dans les uns ils démontroient aux Anglois le tort confidérable que fouffroit leur commefeë, depuis que le Roi de Prufle étoit en pofleflion du port de Danzic; dans d'autres ils exagéroient les pertes que le commerce d'Angleterre feroit, fi les Ruffes obtenoient la libre navigation fur la mer Noire. Ces écrirs firent enfin quelque impreflions, la fougue angloife fut promptement excitée, & fans favoir pourquoi , la nation jua les hauts cris, en difant que le port de Danzie alloit ruiner le commerce de la grande Bretagne. 11 n'eft pas néceffaire de rapporter ici tous les défagrèmens auxquels ces clameurs don■ «érent lieu mais-il eft indifpenfable de rapporter que les Anglois s'adreffèrent aux Ruffes, & qu'ils exigèrent de l'Impératrice que fon miniftre conjointement avec celui d'Angleterre donnaffent la' loi au Roi de Pruffe dans fes propres Etats, qui lui appartenoient ft aufli bon droit que les provinces que les deux autres puiffances venoient é'envahir., pönr qu'il facrifiat fon intétêt ft leurs  «8 MEMOIRES caprices. Les RalTes n'entrèrent pas entièrement dans ces idéés extravagantes des Anglois; la guerre avec les Turcs duroit encore; le Roi payoit des fubiides; ils devoient donc le ménager. II y euc quelques négociations vagues avec la cour de Pétersbourg touchant les douanes & les péages de la Viflule & touchant le port de Danzic; après quelques explications de part & d'auire, après qu'on eut remontré a cette cour que chacun étant maitre chez foi, on ne devoit point étre inquiété dans radminiftration de fes finances, les Rufles trouvèrent ces raifons valable», & les chofes reftèrent fur le pied oü elles étoient. Le projet des Franfois & des Anglois étoit plus artificieux que nous ne 1'avonsrepréfenté; leurvue étoit de brouiller Ia Prufle & la Ruflie au fujet du port de Danzic; & quoique 1'événement n'eut pas répondu a leur attente, les Anglois ne laifTêrent pas de témoigner a Ia cour de Pétersbourg k quel point ils étoient jaloux & envieux du commerce de la mer Noire que les Rufles avoient intention d'exercer; mais la rupture du congrès de Buchareft les délivra pour lors de leurs appréhenfions. Les troubles inteftins de la cour de Pétersbourg, & les différens partis qui travailloient k perdre leurs antagoniftes, influoient dans les affaires, *& occafionnoient de nouvelles conteftations, tantóc pour le port de Danzic, tantót fur les péages, enfin fur les limites des nouvelles afquifuions: on  DE 1763 JÜSQJTA 1775- 69 pouffa Ia mauvaife humeur jusqu'a chicanerleRoi fur une banlieue fituée au dela de Ia Netze, qu'il avoir inférée dans fa démarcation: on lui fit d'autres difficultés fur le territoire de Thorn, qu'on prétendoit qu'il avoit trop rétréci, quoiqu'on 1'eüc réglé fur les cartes géographiques les plus exaftes qu'on avoit pu fe procurer. Les Rufles firentdes querelles femblables aux Autrichiens fur un terrain qu'ils s'étoiënt approprié au dela du San , & qui étoit aflez confidérable. Le Roi promit d'avoir la complaifance pour 1'Irnpératrice de Ruflie de s'accommoder a quelques égards a fes defirs, a condition toutefois que les Autrichiens fiffent de même; mais la cour de Vienne afficbant la hauteur, & étalant toute fa dignité, déclara qu'elle ne céderoit pas un pouce de fes pofleffions; cette déclaration fiére & déterminée des Autrichiens fit que les Rufles gardèrent le filence, & qu'alors les chofes reflèrent fur le pied oü elles étoienr. Toutes ces petites tracafleries tiroient leur origine de Ia haine que le Comte Orlow, devenu Prince, avoit contre le Comte Panin: il 1'accufoit d'avoir réglé trop avantageufement les partages des allié» de la Ruflie, & le Miniftre, qui voyoit fon crédit chanceler, n'avoit pas le courage de foutenir avec fermeté les points dont on étoit tombé d'accord dans la convention fignée par l'Impératrice de Raflle & le Roi de Prufle . Dans ces tempsla les nóces du grand Duc fe célébrèrent a Pétersbourg; le Corfite Paniu, qui avoit éié fon Gou- jHiilet.  7o MEMOIRES verneur, le quittaalors; & non feulement rimpératrice le récompenfagénéreufement, maisdétrompée des calomnies par lesquelles on avoit voulu le noircir dans fon efprit, elle Lui rendit fa confiance. Ce fut le Roi qui parvint a fixer fur la Princefle de Darmfladt, propre fosur de la Princefle de Prufle, le choix que rimpératrice fit d'une belle-fille; pour avoir du crédit en Ruflie, il falloit y placer des perfonnes qui tinflent a la Prufle* On devoit efpérer que le Prince de PrulTe, lorsqu'il parviendroit au tróne, en pourroit tirer de grands avantages. M. d'Aflebourg, fujet du Roi & qui avoit paffe au fervice de l'Impératrice, fat chargé de parcourir toutes les cours d'Allemagne oü il y avoit des princefles nubiles, & d'en faire fon rapport. II choifit la Princefle de Darmfladt, qui fut défignée pour époufer le grand Duc. Tandis que la ville de Pétersbourg célébroii par des fêtes ce mariage, la diète de Pologne s'affembloit a Varfovie; les trois cours y publièrent un tnanifefte avec une déduftion de leurs droits; on demanda au Roi & a la république de figner i)le traité de ceflion pour les trois cours, 2) la pacification de Pologne, 3) une fomme fixe pour 1'entretien du Roi, 4) 1'établiflement du confeil permanent, 5) un fonds afluré pour que la république püt entretenir 30,000 hommes. En méme temps chaque puiflance fit entrer en Pologne un corps de 10,000 hommes. Toutes envoyèrent  DE 176-3 JUSOJTA 1775. 71 également un général a Varfovie; les Autrichiens, Richecourt; les Ruffes, Bibikpw; les Prulïïens, Lentulus. Ils avoient ordre d'agir de concert & de févir contre les feigneurs qui voudroient cabaler, ou mettre des obftacles aux nouveautés qu'on vouloit introduire dans leur patrie. Au commencement les Polonois firent les revêches; ils répugnoient a tout ce qu'on leur propofoit; les nouces des palatinats 11'arrivoient point a Varfovie. Fatiguée de ces Iongueurs & de cette obtlination, la cour de Vienne propofa de fixer un jour pour 1'affemblée de la diète, avecmenace que fi les nonces manquoient de s'y tronver, les trois cours fans différer pattageroient entr'ellestout le royaume; mais on ajoutoit aufli, que par égard pour eux, & s'ils donnoient des marqués de leur docilité, auflitót après que 1'acte de ceflion auroit éré figné , les trois puiffances retireroient leurs troupes du territoire de la république. A peine cette déclaration fut-elle publiée que tout s'arrangea comme de foi - même. La diète s'affembla le 19 Avril: le traité de ceflion fut approuvé, & figné premièrement avec les Autrichiens, eufuite avec les Ruffes, & celui des Prufliens le 18 Septernbre. On convint que des commiflaires feroic-nt envoyés pour régler les frontières. La république renonca en faveur de Sa Majeflé a Ia réverfibilité du royaume de Pruffe & des fiefs de Lauenbourg, de Butow & deDraheiin: on aboBt puifieurs articles du traité de Wélau: ongaran-  72 MEMOIRES tit a la Pologne toutes les provinces qui lui testoient. Le Roi promit de plus de conferverdans fa ponion la religion catholique fur le pied oü il favoit trouvée, & l'on renvoya a des actes féparés les articles dont on conviendroit pour le commerce. Ce traité, ainfi que ceux des autres cours, ne fut figné d'abord que par les deux Maréchaux de la confédération & par le Préfident de la délégation, ainfi que par les Minidres des trois cours. Ces Miniftres commencèrent enfuite a traiter avec les membres de la délégation. On convint de Ia création d'un confeil permanent, & l'on en renvoya la difcuffion, qui devoit être longue & dé* taillée, aux aflemblées fuivantes. Les Polonois, qu'il faut confidérer comme la nation la plus légère & la plus frivole de 1'Europe, fe flattoient, fans le moindrefondement, d'anéantir dans peu 1'ouvrage des trois puiflances voifmes; voici comme raifonnoient ces tétes fans dialectique. La campagne des Rufles n'a pas été heureufe cette année-ci; ils feront donc accablés 1'année prochaine: les zélateurs de Tanden gouvernement anarchique ajoutoient, en exagéranties chofes, que le G^and Seigneur a la tête de fes braves janiflaires pénétrerjit bientót en Ruflie , brüleroit Mofcau & Péter.'jourg, détrónerc it l'Impératrice, & partageroit entre lui & les Polonois les débris de ce vafle empire. Pour ju ver combien leur mauvaife volonté ou* troit les mauvais fuccès des Rufles, il fera néces-  DE 17CT3 JU SQL' A 1775. 73 faire de rapporter cè qui fe- paffa entre les armé.'S dans cette campagne, & même de remonte: un peu plus haut. Depuis la rupture du congrès de Bucharelï l'Impératrice deRulïïe, accoutumée aux exploits inconcevables de fes troupes, crut qu'au moyen d'une nouvelle viftoire elle pourroit fiécbir 1'obftination du Sultan, & Ie faire confentir aux conditions de paix dont elle ne vouloit pas fedéfilter. Elle manda donc au Maréchal de paffer le Dauube avec fon armée, & d'attaquer 1'ennemi partout oü il le trouveroit: le Maréchal avoit quelque répugnar.ce ft commeme fa réputation dans une entreprife aulTi hazardeufe; il en repréfenta les difficultés , le Danube large d'un mille dans ces contrées, 1'impoflibilité d'y faire des poqts, i le danger de débarquer ft 1'autre bord fous Ie feu j de 1'ennemi; il ajouta qu'on ne trouveroit aucun é'abiilTement dans la Roméüe & qu'on devoit craindre d'expofer 1'armée dans des circonttances pareilles ft celles oü Pierre I. s'étoit trouvé au bord du Prutb. Ces repréfentations furent vaines: les raifons de guerre céJërent a 1'impatience de rimpératrice ; M. de Romcmzow fut contvaint de pafl\-r le Danube avec fon armée forte de 35,000 hommes: il repoulfa & défit un corps d'obfervation que les Turcs avoient avancé vers les bords du fleuve: il marcha enfuite fur SiliftKa^ qu'il avoit intention de prendre; cette ville eft fituée' dans une gorge; elle n-'a point d'ouvrages qui la défendent, mais les montagnes qui 1'environnent Omv. (ojlb, dc Fr. II. T. V. D 13 Ji 1-  74 MEMOIRES de deux cótés étoient bien foriinées; trente mille Turcs y campoient, & 1'armée du grand Vizir, poftée fur Ie mont Hémus, étoit a portée de la fecourir. Le Maréchal Romanzovv approchant de Siliftria, réfolut de prendre cette ville d'emblée: il partagea fon armée en différens corps, les uns pour foutenir les batteries qui tiroient fur le camp des ennemis, d'autres pour attaquer Ia ville par fendroit oü la gorge de montagnes s'ouvroit le plus, & le refte demeura comme en réferve, foit pour foutenir les attaques , foit pour protéger la retraite. Les Turcs attaquèrent avec leurs fpahis cette réferve, & les corps qui couvroient les batteries , en même temps qu'ils prirent a dos les détachemens qui étoient a la vérité entrés dans Siliflria , mais qui furent obligés enfuite de s'en retirer avec une perte affez coulidérable. Le Grand Vizir , informé de ce qui fe paflbit , détacha promptement un gros corps de troupes a dos de 1'armée rufië, pour garnir un défilé par lequel il falloit qu'elle repaffat pour pouvoir regagner les bords du Danube. Si le Grand Vizir avoit fu profiter de 1'occafion, il auroit engagé fans perdre de temps une affaire d'arrière-garde avec 1'armée de M. de Romanzow qui fe retiroit, & il y a toute apparence qu'il auroit détruit cette armée rufïïenne qui avoit paffe Ie Danube. Mais les deftinées n'avoient pas réfolu que les chofes tournaffent ainfi; le Grand Vizir demeura tranquillement dans forj camp, & le Maréchal Romanzow  DE 1763 JÜSQJTJ 17Ï5- 75 ayant é é averti qu'un corps de Turcs s'étoit poflé fur fes derrières, envoya le Général Weiflinann a la tête d'un détachement, pour déloger les troupes ennemies de leur embuscade: ce brave Général, après des efforts de valeurincroyables, réulïït, mais en y perdant la vie. Cet important avantage donna a 1'armée rulTe la facilité de regagner le Danube: il n'y avoit pas aflez de barques pour transporter ces troupes tout a- la fois; il fallut y employer trois jours, fans qu'il vint en penfée aux Turcs d'attaquer les portions de f armée qui attendoient le retour de leurs bateaux, ou d'apporter le moindre obftacle a leur palTage. L'Impératrice de Ruffie fut très-raécontente de cette expédition,- il fallut tirer des troupes de 1'Ingrie, de 1'Eftonie & de la Pologne, pour renforccr 1'armée de la Valachie; cependant on ne fe découragea poinr. On forma de nouveaux projets, & l'on réfulut a Pétersbourg de les exécuter fur la fin de 1'amomne de Ia même année. II faut favoir que cbez les Tcircs c'eft 1'uage que les troupes afiatiques retournent chez elles au commencement de 1'aTrière-faifon. Les Rulles, qui en étoient inftruhs, voulurent profiter de 1'affoiblilfement de 1'armée du Grand Vizir après le départ d'une aulli grande multitude de combattans; par ordre de l'Impératrice M. de Romanzow envoya différens détachemens de fes troupes au deli du Danube, & le Maréchal avec le gres de 1'armée, confiftant en 20,000 hommes a peu prés, D 2  j6 MEMOIRES couvrit derrière ies fleuves les provincés conqnifes de la Valachie & de la Moldavië, II déiacha le Général Ungern, Ie Prince Dolgorouki Sr le Général Soltikow, chacun a la tête de 3,000 hommes. Ungern & Dolgorouki donnèrent fur une troupe de Turcs qu'ils inirent en fuite: ils prirent le Serasquier qui les commandoit & quelques canons ; leur ordre portoit de marcher de-la fur Warna, pour s'emparer.de ce pofle important & du port, par lequel les troupes du Vizir tiroient leurs magafins fur la mer Noire. Le malheur voulut que ces deux généraux fe brouillörent; Ungern s'avanca feul vers Warna; il trouva la ville bien fortifiée, entourée d'un folTé profond rempli d'eau; une forte garnifon la défendoit, & le port étoit rempli de frégattes turques, dont 1'arrillerie fouettant tout le rivage, incommodoit beaucoup les troupes rufles. M. d'Ungem comprh qu'il lui étoit impoflible de forcer cette place; ayant abandonné ce deflein , il fut dans fa retraite vivemenc larcelé par les Turcs: il y perdit fon canon, fans compter une partie affez confidéiabie de fon monde. II regagna cependant le Danube, tandis que de leur cóié les Turcs s'emparèrent du magafin que les Rufles avoient raflemblé pour cette expédition; ce qui les obligea tous a repaffér le Danube, ^ ils rejoignirent leur armée harafles, aftarnés, & confidérablement fondus. II fembloit alors que la fortune, par un eflët de fes caprices, laffe d'avoir fi conftarament favorifé  DE 1763 JUSQJTA 1715. 77 les Rufles , allok palier dans le parti contraire; de'ja deux expéditiöns confécutives en Romélie avoient manqué; & comme fi ce n'étoit pas asfez, les Cofaques du Don & ceux qui font fur le Jayck dans Ie voifinage d'Orenbourg fe révoltèrent: ils (ë plaignoient principalement de ce que la cour avoit violé leurs privileges en les enrégimentant comme des troupes régulières; de ce qu'on avoit tïré 20,000 hommes d'entre leurs compatiiotes pour les envoyer contre les Turcs, & de ce qu'on épuifoit leur province, en lui faifant livrer plus d'hommes & de chevaux qu'elle n'en pouvoit fournir. U11 vagabond fe mit k leur tèie: il leur perfuada qu'il menoit avec lui 1'Empereur Pierre III, qui vouloit détróner fa femme 1'Impératrice, pour placet fur le tróne fon fils !e Grand Duc. Quelques provincés voifines fe joignirent a ces rebelles: leur nombre, qui augmentoit chaque jour, contraignit rimpératrice a retirer ce qu'elle put de troupes del'Eltonie, del'Ingrie & de la Pologne, pour les oppofer aux mutins; le Général Bibikow fut mis k la tête de ce corps qu'on avoit ainfi aflëmblé a lahate; mais quelque diligent qu'il füt, il ne put arriver au royaume de Cafan qu'au mois de Mars de 1'année 1774. Tous ces contretemps, qui étonnoient une cour accoutuniée k des profpérités continuelles, infpirèrent ii 1'Impératiice des fentimens plus pacifique.s; elle craignit avec raifon que le grand nomD 3  y8 MEMOIRES bre des rectues qu'on exigeoit des provincés, & qui occafionnoit ddja des murraures, ne fit pasfer les Rulles de la mauvaife volonté a une révolte ouverte. Ajou:ez a ces confidéfations que les fuccès qui avoient, pour ainfi dire, éMoui les yeux de 1'Europe au commencement de cette guerre , avoient beaucoup perdu de leur éclat dans le cours de cette derrière campagne. Comme la cour avoit une envie fincère de rétablir ia paix, le Comte Panin rcquit le Comte de Sohns de mander au Sieur de Zegelin, Miniftre du Roi a la Porte, qu'on le prioit de faire en fon propre nom les propofitions fuivantes au Cadiiesker qui géroit lés emplois du Giand Vizir pendant fon abfei.ce: i) que la Porte fe déliftat de la poflefiion de Kerfch & de Jenik*ia: a ) que la Crimée fut gouveruée par fon Chan, fans que la Ruflii ni les Turcs s'en mèlaffent: 3 ) que la libre navigation de la mer Noire fe bornat aux vaiffeaux rnarchands, dont aucun ne pourroit avoir plus de 4 a 5 canons, & qu'on interdit aux vaiffeaux rusfts armés en guerre 1'entrée de tous les ports qui font fous la domination dei Grand Seignear: 4) qu'Oczakow au lieu de Kïnburn demeurat aux Ruffes, pour qu'ils euffënt au moins une place forte avec un port fur Ia mer Noire; & qu'en coniïdérntion de eet accord les Ruffes rendiffent aux Turcs Bender & toutes les auttes conquêtes qu'il* avoient fakes fur eux. Pour ménager la délicateffe de lTmpératrice Ca  DE 1763 jfUSQU'A I775- 79. ther'ne, qui répugnoit a faire la première des propofnions de paix a fes ennemis, le Roi fe chargea d'autant plus volontiers de les faire paffer a Conrtantinop'e, qu'il étoit intéreflë lui-même si mettre fin a cette guerre, qui pouvoit produire par fa conrinuation des événemens défagréables & facheux. Cette nouvelle tentative de pacificationt ne réufiït pas mieux que les précédentes. Ces deux puiflances étoient trop hautes & (fop fières pour qu'on püt les accommoder. Sur ces entre- 1774. faites mourut a Conftantinople Muftapha, qui avoitFévne' régné durant le cours de cette guerre. Son frère Achmet occupa le tróne après lui. Ce prince ne connoiflbit que la prifon du férail, dans laquelleil avoit éié élevé; ignorant, d'un efprit aufli borné" que foible, il remit les foins du gouvernement entre les mains de fa fceur & de fon Grand Vizir, & fon ne s'appercut pas d'un changement de régne. Cependant, malgré la fierté qu'aflectoient ces deux cours, fentant également le befoin de rétablir la paix, & dégoutées de tant de congrès inutilement aflemblés, elles tentèrent un nouveau moyen de conciliation ; elles renouèrent une négociation directe entre le Grand Vizir & le Maréchal Romanzow. Mais elle fut accrochée demêrne & par 1'indépendance de la Crimée & par la cellïbn des places que la Ruflie demandoit: cette affaire languit ainfi jusques au mois de Juin, oü la campagne s'ouvrit. Pour é-iter un engagement général, le grand  8 o MEMOIRES .Vizir avoit choifi fon C2mp fur les moïitagnes de Ja- Bulgarie, & i! n'oppofoit a M. de Romanzow que de gros détachemens. Celui-ci défirant de rétablir fa réputaiion , qui avoit foulFen par les opéraiions malheureuiës de fa dernière campagne, aprés avoir paffi le Danube avec fon armée, trouva le moyen de tourntr celle du Grand Vizir avec des corps détachés qui battirent toutes les troupts qu'ils rer.contrèrent; alors M. de Romanzow forüfia ces corps, dont 1'uti fut aflëz heureux pour défaire & pour enlever un convoi confidérable, deftiné pour la grande armée turque: bientót le Vizir fe vit comme affamé dans fon propre camp. Le Général Kaïnenski lui coupa lacogimunicaiion avec Adiiar.ople. Si ce Turc ayoit eu dc !a hardieffe, il fe feroit rouvert cette communication 1'épée a la main, d'autant plus que la plus grande partie de fes troupes manquant de nouriiture, 1'abandonnèrent après avoir pillé fon propre camp. Cela fit tourner la téte a ce malheureux grand Vizir, & il fe crut obligé de figncr toutes les propofitiors de paix que le Maréchal Romanzow voulut lui prefcrire. Cetie paix produifit 1'indépendance de la Crimée; elle valut aux Ruffes la ceflion des places d'Afow, de Kinburn, & de Jtnikala; les Turcs leur accordèrent encore la libre navigation dans 1'flellcfponr, dans la Fropomide, & dans 1'Archipel, & une fomme de 4 millions & demi de roubles en forme d'indemnifaiion pour les frais de la  DE 1763 JUSQU'J 1775. »t guerre. Ces préliminaires fi glorieux pour rimpératrice Catherine furent fignés Ie 10 Jufflet J774dans le camp du Maréchal Romanzow. LeGrartd Vizir ramena fans différer le peu de troupes qui lui refloient a Adrianople, oü il mourut de douleur. La profpérité dont jouiffoit 1'empire de Ruflie par les avantages qu'il acquéroit fur les Türcs, étoit contrebalancée par 1'inquiétude que la révolte des Cofaques lui caufoit. Ce Pugatfchef qui étoit a la tére des rebelles eut 1'adrefFe d'attirer dans fon parti les peuples qui babitentles bords du Jayck jusqu'a ceux qui habitent les environs de Mofcau; la noblefle même cotnmencoit a fe lalfler féduire, & il ne marquoh a ce chef de "parti que 1'afliflance de la fortune pour eot.fommer la révolution qu'il fe propofoit dè faire dans eet empire. Mais la paix qui venoit d'ètre conclue a«c les Turcs fit avoiter toutes fes entreprifes; les iröupês que 1'Impérartice retiroit de fa Roméiie, furent employees contre le rebelle; elles l'entourèrent de tous eótés, diffipèrent fon parti, & lui couperen, la retraite; enfin tiahi par uo de' fes adhérens, il fut livré aux Rufles, & condamné au fnpplrce qu'il avoit mérité. Pendant tout ce temps-Ia fa diète de Pologne & la déiégatton travailloient a ce qu'on nommoic la réforme du gouvernement, Tout ce qui concemoit le confeil permanent fut réglé: on afligna des fonds pour 1'entretien du Roi , que l'on Isa a la fonuue dé 1,200,900 écus. On deftina d'auD 5  8a MEMOIRES tres fonds pour 1'entretien de 1'armée. L'arcicle qui regardoit les diflldens étant regardé comme le plus délicat ft caufe de la ferfheutation qu'il pouvoit caufer dans les efprits, fut réfervé pour la fin de la diéte. Une nouvelle rumeur fe répandit alors en Pologne: la nation fe plaignoithautement fur ce qu'on difoit que les Autrichiens & les Prulfiens ne raettoient point de hornes ft 1'extenfion de leurs limites. Ces plainies n'étoient pas tout ft fait dépourvues de fondement; c»r les Autrichiens en abufant d'une carte peu exacte de Ia Pologne , comme elles 1'étoient toutes , ajaut confondu le nom de deux m-iéres, la Sbruze & Ja Podhorze , avoient fous ce pré exta étendu leurs limites bien au delft de ce qui leur étoit asfignS par le traité de paitage. Or on étoit convenus que les différens partage feferoknt avec une fi parfaite égalité, que les portions échuei aux trois puiflances ne feroient pas plus confidérables Jes unes que les autres. Comme donc les Autrichiens avpient enfreint cette condition , le Roi fi; crut autorifé ft faire de même: il étendit en conféquence fes limites & enf.rma la vieille & Ia nouvelle Netze dans la partie de la Poinerellie qu'il pofl'édoit déjft. La cour de Pétersbourg intervint dans cette affaite, & ie Roi s'engagea de reflerrer les limites de fon cordon , ft condition que la cour de-Vienne en feroit autant. Les Polonois, infur. més de ces altercations entre les trois cours, crurent que c'étoit le moment, par le moyen de leurs  DE lid JUSQJfA \77$. ?3 intrigues , de parvenir a femer la divifion, 1'aigreur & Penvie entre ces puiflances. Dans cette intention le Comte Branlcky, grand Général de la Pologne, fut envoyé a Pétersbourg, fous prétexte de plaider la caufe de la république, mais plus encore pour aigrir fefptit de lTmpératrice contre la Prufle & 1'Autriche. Avant que d'étre grand Général il avoit accompagné a Pétersbourg Poniatovvsky, qui n'étoit pas Roi encore. Quoi* que eet envoyé ne remplit pas le grand but de Ia république, qui étoit d'annuller tout ce qui s'étoit fait, il parvint pourtant a irriter la vanité ruflienne, en repréfentant a l'Impératrice que fon honneur étoit engagé a ne pas fouffrir que les Prusfiens & les Autrichiens étalaffent leur defpotifme en Pologne: on expédia d'abord des lettresdéhortatoires au Roi, ainfi qu'a l'Impératrice Reine, pour les engager a ne point abufer des complaifances que rimpératrice avoit eues a 1'égard de leurs intéréts. Le Roi répondit avec politefle a cette exhortatron, en priant l'Impératrice Catherine de fe rappeler Partiele fondamental du traité de partage, qui portoit fur 1'égalité des portions, & il ajouta que pourvu que les-Autrichiens voulus. fent prefetire de jufles bornes a leurs acquifitions , il fe défifteroit volontiers de 1'étendtie des limites qu'on trouvoit équivoque, n'ayant point d'intérét qu'il ne facrifiat a 1'avantage de conferver 1'amitié de Plmpératrice. La réponfe de l'Impératrice Reine éioit toute différente de celle-la: elle fe resD 6  84 MEMOIRES •fentoit du ftyle de celui qui f avoir. diclée; fèche & fiére , elle annoncoit la ferme réfoluiion des Autrichiens de conferver ce dont i!s étoient en pofleffion. Tous ces détails dans lesquels nou1! fommes entrés ne doivent pas nous occuper alfez pour que nous ne jetions pas les yeux fur le refte de 1'Europe : toutes les puilfances dennent a Ia chaine générale qui !ie les intéréts po!i:iques, & l'on ne doit omettre aucun des événemtus qui peuvent influer plus ou moins fur ce qi.i arrivé dans le Mai, monde. Louis XV. venoit de terminer fa carrière au commencement de-cette année: il mourut de ■ la petire vérole. Les évêques qui l'tifliltèrent dans fes derniers momens agirentavec une cagoterie révolrante; ils 1'obligèrent a demander pubiiquement pardon au public de fes fOiblellès. Ce prince étoit bon, mais fans fermeté: il n'avoit de défautque celui d'ètre Roi. La nation francoife-, infatiable de nouveautés, ennuyée de fon long règne, déchrra impitoyablement fa métnoire. Enfin ce fuccefieur impatiemment attendu prit la place de fon grand-père. Louis XVI, parco qu'il ne faifoit que de devenir Roi, fut d'abord applau. di: fon règne étoit l'age d'or, perfonne ne feroit mécontcnt fous fon gouvernement , il ïamenoit les temps de Saturne & de Rhéa. C'éioit-lale • langage de 1'enthoufiafme; la vérité (ë borne tl dire que ce jc-ure prince choifit pour fon Mentor M. de Maurepas, ancien Miniftre disgracié. fous  DE 1763 JUSQJTA 1775. 85 le règne de Louis XV. L'age avancé de ce premier Miniftre ne permettoit pas d'efpérer que fous fon adminiftration la France püt regagner la confidération qu'elle avoit perdue ; fa politique devoit fe borner a maintenir les cbofes dans 1'état ou il les trouvoit ; comment fe feroit-il engagé dans de grandes entreprifes P Un oftogénaire n'en pouvoit voir la fin. II devoit fans doute travailler au rétabüflement des finances, mais par quels moyens? en modérant les dépenfes f il s'attiroit la haine de tous les grands du royaume ; en trouvant de nouveaux fonds ? tous les moyens étoient épuifés : il ne reftoit d'expédient fage que celui de faire une banqueroute raifonnée , pour prévenir une banqueroute totale, & il craignoit que fi cela arrivoit de fon temps," ce ite fiït une tache pour fon adminiftiation. La feule chofe qui fignala fa rentrée dans le miniftère, fut qu'il réiablit 1'ancien parlement, & qu'il contribua a 1'exil de M. de Meaupou, de quoi il fut loué par les gens de robe, & défapprouvé par les politiques. La France craignoit alors que les bfouilleries entre l'Efpagne & le Portugal au fujet du fort St. Sacramenten Amérique n'occafiotmafleut une rupture entre ces deux puiflances: l'Angleterre ne le craignoit pas moins, paree qu'elle -même avoit envoyé des troupes en Amérique a Bolton & dans d'autres colonies, pot:r appsifer.le mécontentement que ces provin» ces effuyofcot de ia part Ju gouvementdelarnèreD 7  86 MEMOIRES patrie. Si Ia guerre s'allumoit entre le Porrugal & 1'Efpagne, le Roi d'Angleterre étoit obligé de fecourir celui de Portugal ; ce qui ne pouvoit manquer de le commettre avec les Elpagnols, qui pour fe venger, auroient affifté les colonies angloifes, & auroient par conféquent mis la natioa en danger de perdre les pofleflions importantes de 1'Améiique. Afin de le tirer de ce pas embarraflant, la cour de Londres gagna 1'Empereur de Maroc, & le difpofa tout de fuite a déclarer Ia guerre a 1'Efpagne; en fourniflant une occupation aufli férieufe a la cour de Madrid, les Anglois fe flauèrent de diffêrer les hoftiiités entre 1'Efpagne & ie Portugal, & de gagner également le temps Öe foumetire leurs propres colonies. Tant d'intérets importans firent alors perdre 1'Europe de vue aux Anglois. • Ces conjonétures favorifaient les intérêis du Roi; pendant que les Anglois & les autres puisfances fe trouvoient dans une fituation embarasfante, & que fongeant a leurs propres intéréts ils donnoient moins d'attention i. ce qui paflbit dans le refle de 1'Europe, le Roi avoit moins a craindre de la jaloufie importune des Anglois, qui fe feroient a coup fut mélés de ce qui regardoit le traité de partage. On eflaya donc, a 1'aide de la cour de Ruflie, de terminer les dirférens qu'on avoit avec les Danzicois: les miniftres de Prvifle & de Ruflie négociérent avec les maires & les fxndics ile cette ville , mais iDfruftueulemeni;  DE 1763 JUSOLPA 1775. 87 caux-ci étoient fi entêtés d'une efpèce de defpotisme en fait de commerce qu'ils s'étoient arrogé fur les autres villes fituées le long de la Viftule, qu'ils auroient cru fiétrir leur dignité en cédantfur la moindre bagatelle. Le minifire de Ruflie s'appercut que par les voies de la douceur il ne feroit pas avancer fa négociation ; il leur déclara donc que puisqu'ils n'avoient aucun égard auxremontrarxes de rimpératrice, il les abandonnoit a leur fort; fur quoi il s'en tetourna tout de fuite a Pétersbourg rendre compte de fa miffion. Le miniftre de Prufle partie également pour Berlin. Si la déclaration des Rufles avoit été plus vigoureufe, les Danzicois fe feroient fans doute accornmodés ; mais Catherine aimoit mieux laifler cette épine au pied de fon allié, que de 1'atracher, paree que les différens de Ia PrulTe avec cette ville fourmfioient un fujet de chicane tout préparé, donc la Ruflie pouvoit fe fervir au moment oü labonne intelligence entre ces deux puiflances s'altéreroit. L'harmonie entre les deux Impératrices étoit bien plus dérangée encore qu'entre la Prufle & la Rus. lie. Les difficultés de la cour de Ruflie au fujec des lifières des acquifitions autrichiennes commencoient a choquerlahauteurdelTmpératriceReine, & dans le temps que les efprits s'aigrifloient, on reciat la copie d'un traité figné de la cour de Vienne & de celle de Conftantinople; la date en étoit de l'année 1771. Quoique la pièce ait été impriraée, nous croyons pourtant devoir en rappor-  88 MEMOIRES ter le fommaire. L'Impératrice Reine s'engage (voici les termes) d'obliger la Ruflie, foit pat la négociation, foit par les armes, a reftituer toutes les conquêtes qu'elle a faites fur la Porte, a raifon de quoi Ie grand Seigneur lui payera un fubfide de 10 millons de piaflres, pour 1'indemniftr des frais de la guerre; de plus il lui cédera une partie de la Valachie & quelques diftriéts du territoire de la Moldavië. Quoique ce traité n'eüt pas été ratifié, Ie Prince Ksunitz fut aflez babiie pour faire payer d'avance a fa cour une fomme •or.üdérable; & bien que depuis il fignat Ie traité de par age des trois couronnes, il n'en fuivit pas rnoins fon plan: i! ne voyoit que 1'intérêt de fa cour, peu délicat fur les moyens qu'il employoit: aufli s'appercut - on que ie Miniftre impéiial te Sieur de Thugut, qui aflifta aux différens congrès qui fe tintent entre les puiflance belligérantes, tra. verfoit autant qu'il Ie pouvoit les intéréts de la Ruflie, mais non affez adroitement pour que les cours de Péterfbourg & de Berlin ne s'en appcrcuflent point & ne découvrifient pas fes manoeuvres. Cette conduite de la cour de Vienne lui fit perdre le pen de confiance qu'on avoit encore en ■ elle. L'Impératrice Catherine & Ie Roi de Prufle y furent fenlibles; l'on s'appercevoit a Pétersbourg que les Rufles n'avoient- gagné tant de batailles, n'avoient fait tant de conquêtes que pour 1'avantage de la cour de Vienne, qui n'avoit obligé les Rufles a reudr^ a.ix Turcs la MolJavie & Ia Vals-  DE i;53 JUSOU'A 1775. 89 dve, que pour en faifir eefuite elle-même une partie; on fentoit q ie ces uforpations, qui tonclioient presque a Choczim, ren.roient la cour impériale, a la première guerre que les Rufles auroient avec les Turcs , aibitre des événemens, paree que fes pofleflions nouvelles lui donnoient Ie moyen de couper par le Dnieiler les Rufles de la Pologne, d'oü iis doivent tirer leurs magafins. Le Roi avoit aufïï des ftijets de plainte contre Ia cour de Vienne, paree qu'elle étoit caufe qu'il avoit fait défifter les Rufles de leurs conquêtes. Ces menées découvroient 1'avidité de s'agrandir des Autrichiens, leur ambition déméfurée, & devoient avertir les autres puiffances d'être en garde contre ce qu'ils pourroient vouloir entreprendre h 1'avenir. L'on favoit que le jeune Empereur défiroit la conquête du Frioul vénitien, qu'il avoit formé des projets fur la Bavière, qu'il méditoitde s'emparer de la Bofnie, fans compter laSiléfie, 1'Al 'ace & la Lorraine , dont il n'avoit pas oublié la pene. Ce Prince é:ant ainfi difpofé , il falloit par principe s'oppofer a fon agrandiffement. Le? Ruffes auroient voulu que le Roi fe chargeat de tout, & que comme un vaillant champion il provoquftt 1'Autriche au combat. Mais les Tures, qui étoient léfés , gardoient un morne filence; comment afïïfter qui ne fe plaint pas? Les Rusfes étoient épuifés par Ia guerre dont ilsfortoient, fans avoir les moyens ni la volonré de fe joindre au Roi. La France r.e s'étoit point expliquée fur  po MEMOIRES 177S- le fujet de ces événemens, & PAngleterre étoit engagée dans une guerre civile avec fes colonies, emreprife par efprit de defpotifme, conduiie avec maladrriie; & l'on. pouvoit s'aitendre qu'elle ne fe termineroit pas dans les premières années. Ces confidérations réunies firent que la cour de Berlin demeura dans i'maetion , & le Roi écrivit a Pétersbourg qu'il ne lui convenoit pas de faire le Don Quichotte .des Turcs. Dans le temps que l'animofité étoit la plus vive entre ces trois cours, la délégatlon devoit envoyer des députés pourrégler avec ceux des trois puisfances les limites de leurs poUelïions. Ceux des Autrichiens & des Pruffiens ne purent convenirde rien , pas même des lieux qui devoient fixer les limites des frontières. Le Prince Kaunitz demanda la médiation de la Ruflie & de la PiufTe; mais les efprits dans ces cours étoient trop aigrispi.ur qu'elle put lui être accordée, & quoique 1'anpéra-rice Thérère & le Roi gardafiènt leurs extenfions, ils n'en purent obtenir de la république la ceflion légale. 11 réfulte donc de tout ce que nous venons d'expofer, que 1'Europe n'étoit pas dans une fnuation flable & ne jouiflbit pas d'une paix affurée; partout le feu couvoit fous la cendre. Au Sud de 1'Europe on pouvoit prévoir que la guerre civile des Anglois avec leurs colonies deviendroit générale , pour peu que la France & 1'Efpagne yprisfent part. 11 en étoit de même du traité de parta-  DE 1763 JUSQITA 1775. 91 gè, qui pouvoit occafionner de nouveaux troubles, (i la fanftion de la république de Pologne ne le contirmoit. A 1'égard de la paix entre les Rufles & les Turcs, les conditions en avoient para ü révoltames a Conllantinople, que i'imérèt du bien public fembloit devoir rompre ce que lanéceifiié avoit fait conclure. La révolution en Suède laiflbit également des germesde mécontentement dans ie Nord. Mais furtout que ne devoit-on pas attendre de 1'ambitios d'un jeune Etnpereur, fecoudée par les artifices d'un Miniflre habile & adroit? Toutes ces confldérations obligeoient les fouverains prudens ademeurer fur leurs gardes, & refter bien arcnés, & k ne pas détourner les yeux d'affaires qui pouvoient s'er.ibrouiller au moment oü l'on s'y attendroit le moins. II femble , en parcourant 1'hiftoire, que les viciflitudes & les révolutions foient une des lois permanentes de la nature: tout dans ce monde eft fujet au changement, & cependant des fous s'attachent aux objets de leur ambition & les idolatrent, & ils ne fe détrompent point des illufions de cette lanterne magique, qui fans ceffe fe reproduit a leurs yeux. Mais il eft des hochets pour tout age; 1'amour pour les adolefcens, l'ambition pour l'age mür, les calculs de la politique pour les vieillards.  pa M E M O I R E S CHAPITRE IL Des Finances. LfES princes doivem être comme la 'ance d'Achille, qui, faifoit le mal & qui le guériflbit; s'ils caufent des maux aux peuples, leur devoir eft'de les réparer. Sept années de guerre contre presque toutes les puiffances de 1'Europe avoient a peu pres épuifé les finances de 1'Etat ,■ Ja Pruffe, les provincés du Rliin, & celles de laWeflphalie, de même que 1'Oftfrife n'ayant pu être défendues, étoient tombées au pouvoir des ennemis. Leur perte caufoit un déficit de trois millions 400 mille écus dans les caiffes royales, tandis que la Poméranie, l'éieclorat, & les confins de la Siiéfie étoient occupés pendant une partie de la campagne par les Rufles, les Autrichiens & les Suédois ; ce qui les mettoit hors d'état d'acqu'uter leurs contributions. Cette fituatiön embarraffante obligea Ie Roi d'avoir recours pendant cette guerre a 1'économie la plus exacle, 6k a ce que la va'eur la plus déte;minée peut fuggérer pour parvenir a une fin heureufe. Les resfources dont on avoit 1111 befoin urgent, fe trou- ! voiert dans les contributions de la Saxe , dans ! les fubfides de i'Angleterre , & dans 1'aitération «les mounoics, remède aufli violent que préjudi- ;  DE 1763 JUSQJTA 1775. 93 ciable , mais unique dans ces conjonctures pour foutenir 1'Etat. Ces moyens bien ménagés fournirent tous les ans aux cailfes royale? les avances des frais de la campagne & de la paye de farmée. Tel écoit 1'état des finances, lorsque la i7S3paix de Hubertsbourg fut conclue ; les caiiïes étoient en fonds , les magafins formés pour la campagne étoient remplis, & les chevaux pour 1'armée , 1'artillerie & le train des vivres , tout étoit complet & en bon état. Ces relfources defiinées pour la continuation de la guerre, devinrent encore plus utiles pour Ie rétabliffeinent des provincés. Afin de fe faire une idéé de la fubverfion générale du pays , & de fe repréfenter la défolation & le découragement des fujets, il faut fe figurer des confées entiéreident ravagées, oü l'on découvroit a peine les traces des anciennes habitations , des villes ruinées de fond en comble, d'autres a demi confumées par les flammes, treize mille maifons dont il ne paroiflbit plus de veftiges, les terres non enfemencées, leshabitans dépourvus de grains pour leur nourriture, lescultivateurs manquant de 60 mille chevaux pour Ie hbourage, & dans les provincés une diminution de 500,000 ames en comparaifon del'année 1756; ce qui eft ccuifidérable fur une populatiön de 4,500,000 ames. La noblelfe 6k le payfan avoient été pillés, ranconnés, fourragés par tant de différentes-armées, qu'il ne leur reftoit que  94 MEMOIRES Ia vie, cc de miférables haillons pour couvrir leur nudité; point de crédit pour fatisfaire feulement aux befoins journaliers que la nature exige; plus de police dans les villes; a 1'efprit d'équité & d'ordre avoit fuccédé un vil intérêt & un défordre anarchique ; les colléges de juflice & de finances avoient été réduits a 1'inactivité par les fréquentes invafions de tant d'ennemis; le filence des lois produifit dans le public le gottt du libertinage & de-la naquit une avidité dugaindésordonnée; le noble, le marchand, le fermier, le laboureur, le manufacturier, tous rehaufibient a 1'ènvi le prix de leurs denrées & marchandifes, & ne fembloient travailler que pour leur ruine mutuelle. Tel étoit le fpectacle funefie que tant de provincés naguères fioriflantes préfentoient après la guerre ; quelque pathétique qu'en püt être la defcription, elle n'approcberoit jamais de fiinpreflïon touchante & douloureufe qu'en produifoit la vue même. Dans une fituation aufli déplorable il falloit oppofer le courage a 1'adverfité, ne point défespérer de 1'Etat, mais fe propolër de 1'améliorer plus que de Ie rétablir; c'étoit une création nouvelle qu'il falloit entreprendre. On trouva dans les caifles les fonds pour rebatir les villes & les villages : on tira des magafins d'abondance les grains qu'il falloit pour la nourriture du peuple & pour Fenfemencemetit des terres: les chevaux deftinés pour l'artrflerie, le bagage 6c lesvivres,  DE 1763 JUSQJTA 1775. ps furent employés au labourage. La Siléfie fut dé» cbargée de contributions pour lix mois , la Poméranie & la nouvelle Marche pour deux ans. Une fomme de 2 millions 339,000 écusfoulagea les provincés, & acquitta les contributions qu'elles avoient empruntées, pour fatisfaire aux impofitions que les ennemis en avoient exigées. Quelque grande que füt cere dépenfe, elle étoit néceflaire, ou plutót indifpenfable. La fituation de ces provincés après la paix de Hubertsbourg rappeloit celle oü fe trouva le Brandebourg après la fameufe guerre de trente ans. L'Etat alors manqua de fecours par 1'impuilfance oü étoit le grand Eleéteur d'aflifter fes peuples; & qu'en arriva-t-il? qu'un fiècle entier s'écoula avant que fes fticcefieurs parvinflënt a rétablir les villes & les campagnes dévaftées. Un exemple aufli frappant détermina le Roi a ne pas perdre un mom«nt dans des conjonctures aufli facheufes, & a réparer par des fecours prompts & fuffifans les calamhés publiques. Des largefles multipliéesrendirent le courage aux pauvres habitans, quicommtn9oient a défefpérer de leur fort ; avec les moyens qu'on leur fournit 1'efpérancs fe réveilla; les citoyens reprirent une nouvelle vie; le travail encouragé produifit 1'activité; famour de la parrie fe réchauffa; 6k dès-lors toutes les terres furent de nouveau cultivées, les manufactures fe raniraèrent,-& la police rétablie corrigea fucceflivement les vices qui s'étoient enracinés durantl'anarchie.  96 MEMOIRES Pendant cette guerre les conf.illers les plus agés & tous les miniftres du grand directoire étoient morts fucceflivement; & dans ce temps de troubles il avoit été impoffible delesremplacer. L'embarras étoit-de trouver des fujets capables degérer ces différens emplois: on chercha dans les provincés , oü les bons fujets étoient aufli rares que dans la capitale; enfin M. de Blumenihal, M. deMasfow, M. de Hagen & le Général de Wédel furent choifis pour remplir ces pofles importans; quelque temps après M. de Horfl eut le cinquième département. Les premiers temps de radminiflration furent durs & f&cheux; toutes les recettes avoient des non-valeurs, & néanmoins il falloit acquitterexactement les charges de 1'Etat. Quoiqu'après la réduction farmée eüt été fixée pendant la paix a 150,000 hommes , on étoit embarrafl'é a fournir 1'argent néceflaire pour les payer. Pendant la guerre on avoit payé en billets tout ce qui n'étoit pas militaire; c'étoit encore une dette qu'il falloit acquitter ,. & qui outre les autres payemens nécefl'aires incommodoit beaucoup. Cependant, le Roi parvint, dès la première année après la paix, a contenter tous les créanciers de 1'Etat. & a ne pas devoir un fols de ce que lui avoit coüté la guerre. On auroit dit que les dévaflations eaufées par la guerre n'étoient pas fuflifantes pourruiDer & abymer 1'Etat; elle fut a peine terminée que de fréquens incendies firent presque autant de mal  DE 1-63 JUSQU'A 1775. 97 mal que ceux que les ennemis avoient caufés. La ville de Kcenigsberg fut deux fois réduite en een-De 1755 dies; eu Siléfie un même fort détrtiifit les villes * de Freytodtel, Ober-Glogau, Parchwitz , Hay-. nau, Naumbourg am Queis & Goldberg; dans 1'électorat, Nauen ; dans la nouvelle Marche, Galles- & une partie de Landsberg; en Poméranie, Belgard & Tempelbourg. Ces malheurs exigeoient fans celfe de nouvelles dépenfes pour les réparer. Afin de fuffire a tant de befoins extraordinaires, il fallut imaginer de nouvelles refiburces; car outra ce qu'exigeoit le rétabliflement des provincés, les fortifications nouvelles & la refonte des canons emportoient des fommes confidérables; ce dont nous parierons en fon temps. On ufa d'induftrie. Les revenus des péages & des accifes n'étoient pas exaclement adminillrés, a. caufe que les co;nmis manquoient de furveillans; afin d'établir fur un pied foiide cette partie importante des revenus de la couronne, & ceux qui avoient été a la tète de cette branche d'adminilïration éiant morts pendant la guerre, le Roi fe trouva obligé d'avoir recours a des étraigers, & ptit a fon fervice quelques Francois routinés de longue main a cette partie. On n'établit point des baux k forfait, mais une régie, comme le parti le plus convenable, moyennant lequel on pouvoit empêcher les commis de fouler k s peuples, ainfi qu'on ne voit que trop de pareils abus en Ftance. Les impóts fur les grains furent rabaiffés, Sc le ptix del* OtHV. tojih. dc Fr, II, T. f'. E  98 MEMOIRES bierre tant foit peu rehauflé , pour qu'il y eftt une compenfation. Par ce nouvel arrangement les produits augmentêrent, furtout ceux des péages, qui faifoient entrer dans le royaume de 1'argent. etranger; mais le plus grand bien qui enréfulta , fut celui de diminuer la contrebande, fi préjudiciable aux pays oü il y a des manufactures. Lorsqu'un pays a peu de produétions a exporter, & qu'il eft dans la néccflïté d'avoir recours h l'induftrie de fes voifius, la balance du commerce lui doit éire défavorable: il paye plus d'argent a 1'étranger qu'il n'en recoit; & fi ci la coniinue , après un certain nombre d'années il doit fe trouvet dépourvu d'efpèces: ótez tous les jours de 1'argent d'une bourfe, & n'en remettez point, elle fera bientót vide. Voila de quoi la Suède peut fervir d'exemple. Pour obvier a cec ïnconvénient , il n'y a d'autre moycii que celui d'augmenter les manufactures; on gagne tout fur fes propres productions , & on gagne au moins la main - d'ceuvre fur les étrangères. Ces affertions aufii vraies que palpables fervirent de prin. cipes au gouvernement; ce fut d'après elles qu'il diiigea toutes fes opérations de commerce. Aufii dès 1'année 1773 il y eut 564 fabriques nouvelles dans les provincés. Entr'autres on établit une fabrique de porcelaine a Berlin, qui faifant fubfifter 500 perfonnes, furpafl'a bientót celle de Saxe. On établit une fabricaiion de tabac , dont une compagnie fe chargea : elle avoit des établifle-  DE 1763 JUSQjTif 1775. 99 mens dans toiTtes 1 s provincés qui Fourniflbient a la confommation de ces provincés, & gagnoit par ce qu'elle vendoit a 1'étranger 1'achat des feuilles de la Virginie. Les revenus de la couronne en furent augmente's , & les actionnaires retirèrent 10 pour cent de leurs capicaux. La guerre avoit rendu le change défavantageux au commerce des Pruffiens, quoique d'abord après la paix la mauvaife monnoie eüt été refondue, & remife fur 1'ancien pied: il n'y avoit que 1'établilTement d'une banque qui piit obvier a eet inconvénient. Des perfonnes remplies de préjugés, pour n'avoir pa6 aiïez approfondi cette maüère, foutenoient qu'une banque ne pouvoit fe foutenir que dans un Eiat républicain, mais que jamais perfonne n'aufoii de confiance enunebanque établie dans une monarchie. Cela étoit faux; ca'r il y a une banque a Coppenhague, il y en a une a Rome, & une autre a VL>nne. On'aisfa donc au public la liberté de raifomier a fa guife, & l'on procé.ia a 1'exécution. Des dilférens genres de ces comptoirs , après les avoir bien comparés, pour juger de celui qui s'adapteroit le mieux a la nature du pays, on trouva que la banque de giro, en y ajoutant un lombard, feroit la plus convenable. Pour 1'établir la cour débourfa 800,000 écus, comme devant fervir de fonds a fes opérations. Au commencement la banque fit quelques pertes, & fouffiit, foit par 1'ignorance , foit par la friponnerie de ceux qui E a  MEMOIRES en avoient l'adminiftration. Mais depuis que M. de Hagen la dirigea , 1'exaftitude & Pordre s'y établirent. On ne créa de billets qu'autant qu'il y avoit de fonds pour les réalifer. Outre 1'avantage que eet établilïement procuroit pour la facilité du commerce, il en réfulta encore un autre bien pour le public. Dans les temps précédens c'étoit 1'ufage que 1'argent des pupilles füt dépofé a la juflice, & ces pupilles, qui ne tiroient pendant la durée des procés aucun revenu de leurs capitaux , devoient encore en payer un pour cent par année; depuis, ces fommes furent dépofées a la banque, qui en donna trois pour cent aux pupilles, de forte qu'efféctivement, en comptant ce qu'ils payoient autrefois a la juliice, ils en gajjnoient quatre. Enfuite la banqueroute de Neuville & d'autres marchands étrangers occafionna Ia faillite de quelques marchands pruffiens; le crédit auroit fouffert, fi par 1'intervention de la banque il n'avoit été foutenu & relevé. Bientót le change ie mit au pair; les marchands furent alors convaincus par les effets, que eet établiffement étoit utile, & néceflaire a leur commerce. Déja la banque avoit des comptoirs dans toutes les grandes villes du royaume; mais elle avoit de plus des maifons dans toutes les places commercantes de 1'Europe; cela facilitoit fa circulation des efpèces, les payemens des provincés, en même temps que le lombard empêchoit les ufuriers de ruiner les maEufscturiers pauvres, qui ne pouvoient pas afl'ez  DE 1763 JUSQU'A 177$. rot promptement débiter leur ouvrage. Outre le bien qui en revenoir au public, la cour fe préparoit par le crédit de la banque des reiïburces pour les grands befoins de 1'Etat. Les princes font comme les particuiiers dans le cas d'amafTer d'un cóté, s'ils ont d'un autre des ^épenfes a faire. Les bons agricnlteurs condutfent des ruilfeaux, & s'en fervent pour arroftr les teiroirs arides, qui faute d'humidiïé ne feroient d'aucun rapport; par le même principe Ie gouvernement augmentoit fes revenus, pour les employer aux dépenfes néceffaires au bien public. II ne fe borna point a rétablir ce que la guerre avoit détruit; il voulut perfectionner tout ce qui étoit fusceptible de perfe&ion. II fe propofa donc de tirer parti de toute forte de terrain, en défrichant les marais, en améliorant les terres par ï'augmentation des batliaux, & même en rendant le fable utile par les bois qu'on y pouvoit planter. Quoique nous entrions dans de petits détails, nous nous flattons néanmoins qu'ils pourront intéreffer la poftérité. La première entreprife de cette espèco regarde la Netze & Ia Warthe, dont on défricha les bords, après avoir faigné les eaux croutes par différens canaux qui menoientdiverfement ces eaux vers 1'Oder; il en coüta 750,000 écus, & 3,5°° families furent établies dans ces contrées. La noblelfe & les villes dans le voifinage de ces rivières augmentèrent confidérablement leurs revenus. L'ouvrage fut achevé en 1773, & des-lors E 3  101 MEMOIRES la population y montoit a 15,000 ames. On faigna enfuite les marais qui vont a Friedberg, oü Ton établit-400 families éirangères. En Poméranie on faigna les Lacs de la Madue & de Leba, au moyen de quoi ia noblefie gagna crente mille arpens en prairies. De pa'reils éiabliflemens etirent également lieu aux environs de Stargard, de Gammin, de Treptow, de Rugenwalde, & de Colberg. Dans la Maiche on faigna les marais de la Havel, ceux du Rhin vers Fehrbellin, ceux du Finow entre Ratenow & Ziefar, fans compier 1'argent employé a 1'amélioration des terres de la nobleffe, qui montoit a des fommes confidérables. hn même temps on élevoit en Ftife dans Ie Dollart des digues par le moyen desquelles on regagnoit pied a pied le terrain que la mer avoic fubmergé en 1724. On établit dans le pays de Magdebourg 2,000 families nouvelles,- leurs bras y étoient d'autant plus nécelfaires, qu'auparavatu les payfans de Ia Thuringe y venoient aider a faire la récolte; depuis on fe paiïft d'eux. La couronne polfédoit trop de métairies; plus de 150 furent changées en villages, & ce qu'elle y perdit de revenus, fe trouva richement compenfé par 1'augmentation de la population. Une métairie ne contient guères plus de 6 perfonnes, & dés qu'elles furent convenies en villages, elles eurent 30 habitans chacune pour le moirs. Quelque foin que fe füt donné le feu Roi pour repeupler la Prufle, qui en 1'année 17051 avoit é é délblée parlapefte,  DE 1763 JUSOU-A 1775. 1C3 il n'éiM, fa population pourra s'accrohre de plus de 100,00» ames. La Siléfie ne mérhoit pas moins d'attendon & de fuini pouv fon rétabliifement que les autres provincés : on ne fe contenta pas de remettre les chofes fur Tanden pied , on voulut les perfection-1 ner; on rendit les prêtres utiles. en obügeant tous les riches abbés d'établir des manufaétures; icï c'étoient des ouvriers qui faifoient du linge de tablc, la des moulins a huile, en d'autres lieuxdes tanneurs, ou des ouvriers en cuivre ou en fer d'archal, felon que cela convenoit auxlieux, ainfi qu'aux prodüftions du pays. De plus on augmenta le nombre des cultivateurs de la bafie Siléfie de 4,000 families. On fera furpris fans doute qu'on ait pu multiplier a ce point ceux qui vi. voienr de 1'agriculture, dans un pays oü auctui cbamp ne demeure inculte. La raifon en eft que bien des feigneurs, pour augmenter leurs domaines , s'étoient imperceptiblement approprié les terres de leurs fujets; fi Ton avoit toléré cetabus, avec le temps plufieurs cenfes feroient demeurées vacantis, & la terre manquant de bras pour la travatllet , auroit diminué de rapport ; a la fin cheque village auroit eu fon feigneur, fans avoir £ 4  104 MEMOIRES de cei'fiers : or les poiïeflions fom des citoyens attachés a leur patrie , ceux qui n'ont aucuiié propriété ne pouvant s'attacher a un pays oü ils n'ont rien a perdre. Toutes ces chofes ayant été repréfentées aux feigneurs, leur propre avantage les fit confentir a remettre leurs payfans fur 1'ancien pied. En rêvanche le Roi fecourut la noblefle par des fommes confidérables , pour rétablir fon crédit entiêrement tombé ; bien des families endettées avant ou par la guerre étoient fur le point de faire faillite ; la juflice leur accorda des lettres de répit pour deux ans , afin qu'ayant le temps de remettre leurs terres en valeur, ils fe trouvaflent en fituation de payer au moins les intéréts. Ces lettres de répit achevèrent de perdre le crédit de la noblefle. Le Roi, qui fe faifoit un plaifir & un devoir d'aflilter le premier & le plus brillant ordre de 1'Etat, paya 300,000 écus de dettes de la noblefle; mais la ('omme dont les terres étoient chargées montoit a 25 million d'écus, & il fallut recourir a des remcdes plus efficaces. On aflembla la noblefle, qui fous' la forme d'Etats s'tn^agea folidairement pour Ks dettes contraftées. On créa pour 20 millions des billets, qui mis en circulation, avec 2oo,goo écus que le Roi y ajouta pour réalifer les payemens les plus prelfés, rétablirent dans peu le crédit, &400 des families les plus diftinguées durent leur confervation a ces mefures falutaires. En Poméranie & dans la nouvelle Marche la nobkli'e étoit aufli rui-  BE 1763 JUSQJTA 1775. 105 née qu'en Süéfie. Le gouvernement paya pour elle 500,000 écus de dettes, en ajoütant autres 500,000 écus pour remettre leurs terres en valeur. Les villes qui avoient le plus fouffert de la guerre furent également foulagées : Landshut recut 200,000 écus , Suiegau 40,000, Halle 40,000, Crofle 24,000, Reppen 6,000, Halberftadt 40,000 , Winden 20,000, Bielefeld 15,000 , & celles du comté de Hohenflein 13,000 écus. Toutes CvS dépenfes étoient néceflaires ; il falloit fe hater de rtpandre de 1'argent dans les provincés, pour les rétablir d'autant plus vite. Si dans- ces conjonétures on avoit ufé d'une économie rigide , il fe feroit peut - être écoulé cent années avant que le pays fut redevenu florilfant; mais par la célérité dont on ufa, plus de cent milleperfonnes revinrent dans leur patrie. Aufïï, dés. 1'armée 1773 , la population , comparée a> ce qu'elle étoit en 1756 , avoit augmenté de plusde 200,000 mille ames. On ne s-'en tint pas la-i confidérant que le nombre des habiians fait las ncheffe des fouveraii.s, on uouva moyen d'étab-iir dans la haute Siléfie 213 nouveaux villages-,, dont les habitans montoient a 23,000 ; & Tom forma le plan d'augmenter le nombre des cukivateurs en Pöméranie de 50,000 & de 12,000dans la Marche éleétorale f ce qui fut exécuté vers Tannée 1780. Pour connoïtre le réfultat de ces opérations, il n'y a qu'a comparer la population de Tannée 1740 avec celle de 1779; eu voi>ci Texpofé: E 5-  ic4 M E M O I R E S Prufle 1740 • - 370,000 haYtans. in 1779 - - 780,000 - • Eleftorat ..... 174a - - 4Üe,ooo - en 1779 • - 710,000 - - Msgdebourg & Halbsrlhdt 1740 • - 220,000 - en 1779 • - sScyxo - - Silïfie - ..... 1740 - - i,ico,coo - en 1779 - - 1,52e 001 - - Augraentation - 1,12.0,000 - (Dn croirok que d'auffi énorraes largeffcs devoient épuifer les fonds Ör les revenus de la couronne; cependant il faut ajouter encore les dépenfes qu'occafionnèrent les forrerefles, tant cel!es qu'on perfectionnoit que les nouvelles que 1'oa eonflruifit, & 1'argent qu'il falloit pour rétablir Partillerie; le total de cette fomme montoit 45 mMions 900,000 écus. Toutefois le gouverr.emc-nt fit face a tout. Le Roi ne faifoit point de ces dépenfes d'oftentation fi communes dans lei grandes cours: il vivoit comme un particulier, pour ne pas rnanquer a fes piincipaux devoirs. Au moyen d'une écogomie rigide, le grand & le petit iréfor furent remplis; le premier, pour fournir aux dépenfes de la guerre, le fecond, pouracheter les chevaux & tout ce qu'il faut pour mettre 1'armée en mouvement. De plus, 900 000 écus furent dépofés a Magdebourg & 4,200,000 écus « Breslau poa* 1'achat des fourrages. Cet argenï  DE 1763 JUSQJTA Ï775- »°7 étoit en caiiïe lorsque la guerre s'alluma entre rimpératrice Catherine & Muitapha. Selon les traités il fallut tous les ans fournir 500,000 écus de fubfldes aux Ruffes, tant que durèrent les troubles de Ia Pologne & ceux de la Turquie. Le bien de 1'Etat &; la foi des tiaités exigeoientcette J76$>» dépenfe, qui d'ailleurs venoit mal a propos, furtout a caufe des grandes entreprifes de finance dont on étoit occtipé, & qui abforboient feules des fommes confidétables. II convenoit donc è la politique d'indemnifer 1'Etat de ces fommes qu'on envoyoit en Ruflie, & qui fans les circonflances oü l'on fe trouvoit, auroient pu s'employer d'une manière p'us uTile pour les provincés de la domination prufiienne. 11 furvint l'année fuivante une I?'°> ftérilité générale dans tout Ie Nord de 1'Europe, caurée par des gelées tardives qui firent périr tou- \ tes les prodcélions de la terre; nouvelle mifère a craindre pour le peuple, nouvelle néceflité de lui donner des fecours. On donna aux pauvres du blé gratis; mais comme la confotnmation des den» rées diminuoit, il y eut dans les produits des accifes une non-valeur de 500,000 écus. Le Roi avoit Ferme de grands magafins d'abondance tant en Siléfie que dans fes pays héréditaires; 76,000» vvinfpels pour nourrir 1'armée pendant douzemois, 9,000 winfpels deflinés uniquement aux befoins de la capitale. D'auffi fages arrangemens préfer- 277*. verent le peuple de la difette dont il étoit menaté: 1'armée fut noutrie des magafins; outre les E 6  io3 MEMOIRES grains donnés au peuple, on en fournit pour les femailles. La récolte manqua encore Tannée d'après; mais fi le boifieau de Teigle Te vendoit dans les Etats du Roi deux écus & quelques gros, chez les voifins la mifère étoit encore plusgtande. En Saxe & en Bohème le boilfeau fe vendoit cinq écus. La Saxe perdit plus de ioo,oco habiians que 1a famine emporta, ou qui s'expatrièrent. La Bohème perdit 180,000 ames au moins; plus de 20,000 payfans de Bohème & autantdeSaxe cherchèrent un afyle contre la mifère dans les Etats du Roi ; ils furent recus a bias ouverts, & furent employés k peupler ks nouveaux étabiifiémens qu'on avoit formés. Les malheurs que refiemoient les fujets des autres puiflances, venoient de ce que dans aucun pays excepté ceux de la Prufle il n'y avoit des magafins d'établis. Cependant ces calamités, auxquelles on avoit pourvu & que Ton pouvoit détourner par les précautions que la pruderce avoic fuggérées, n'empéchèrent pas le gouvernement de continuer avec la même activité les améliorations du pays, dont il avoit arrêté le projet. L'expérience démontroit que la mortalité des'beftiaux étoit plus fréquente dans le Brandebourg que dans la Siléfie; 011 en trouva deux raifons, favoir que dans les Marches & les autres provincés on ne fe fervoit pas comme en Siléfie de ce fel pétrifié qu'on lire des falines de Wiliczka; & que les hateitans des Marches & de la Poméranie 11e nourris-  DE 1763 JUSQU'A 1775. 109 foient pas leurs beftianx dans les étables, mais les menoient paitre dans des temps oü quelquefois la nielle avoit envenimd les herbes. Depuis qu'on eut introduit cette nouvelle facon de nourrir les beftiaux, la mortalité devint vifiblement moins fréquente, & les pofl'efleurs des terres eurent moins de malheurs a réparer qu'autrefois. Parl'attention qu'on mettoit a favoir tous les produits étrangers qui entroient dans lepays, on trouva, endépouillant les régitres de la douane, qu'il entroit pour 280,000 écus de beurre étranger; afin de fournir foi-même une denrée aufii néceflaire, on calcula tout ce que les nouvelles améliorations pourroient produire; une vache- en convertiflant fon lait en beurre r.ipporte communément 5 écus, & par les défiicbeinens nouveaux auxquels on travailloit oh calcula que 1'entretien alloit a 48,000 vaches, ce qui répond a un produit de 240,000 écus. Mais il faut décompter la confommation de propriétaires, & en ajoutant ce qu'il falloit, le nombre des vaches devoit monter a 62,000. 11 reftoit encore cette difficul é a lever; tou'efois il étoit poflible d'y parvenir, paree qu'il reftuit après tout ce qui s'éioit enirepris des terrains moins étendus a défricher, 6k qui pouvoient fuppléer au relle. Le gouvernement, qui fe propofoit de perfectionner tout ce qu'il y avoit de défectueux dans les anciens ufages, examinant avec attention les diflerentes panies de 1'économie rurale, trouva qu'en général tout qe qu'on appelle communes E ?  i io MEMOIRES portoit prêjudice au bien public; ce ne fut qu'a? pres la féparation des communes que l'agriculture des Anglois commenca a profpérer. Tout gouvernement monarchique qui imite les ufages introduits dans les républiques, ne mérite pas d'é. tre accufé de defpotifme. On iinita donc un auffi louable exemple ; on envoya des comraisfaires de juftice & d'économie pour féparer & les paturages & les arpens qui étoient ou mêlés ou en commun. Dans les commencemens cela rencontra de grandes difficultés , paree que la coutume, reine de ce monde, régne impétieufemert fur des efprits bornés ; mais quelques exemples de pareils partages exécutés a la fatisfaction des propriétai<-es firent impreffion fur le public , & bientöt cela fut introduit généralemenc dans toutes les provincés. Dans une panie du Brandebourg & de la Poméranie fe trouvent des terrains élevés, éloignés des rivières & des ruisfeaux, qui p»r conféquent manquent des paturages & des engrais nécelfaires pour la culture det champs: ce défaut tenoit plns au local qu'au manque d'induflrie des propriétaires, & quoiqu'il ne foit pas donné aux hommes de changer la nature des chofes , on voulut tmarder quelques effais, pour apprendre par 1'expérience ce qui feroit faifable, ou ce qui ne pourroit pas réuffir; pour eet effet on eut recours a un fermier anglois, par le moyen duquel on fit un efi'ai dans un des bailliages de la couronne, 5a méthodt  DE 1763 yuSQJTA 177S- m étoit de planter dans des charaps fablonneux de» navets qu'on nomme turnips en anglois ; il les laifibit pourrir, aprés quoi il femoit ces champs de trèfle & d'autres herbages , qui les transformoient en prés artificiels, par le moyen de quoi l'on augmentoit la quantité du bétail d'un tiers fur chaque terre. Cette épreuve ayant fi bien réufli, on eut foin de généralifer dans les provinces une économie aufli avantageufe. Nous avons déja dit que la guerre & les fréquentes invafions des ennemis avoient introduit une pernicieufe anarchie dans les provincés héréditaires; elle s'étendoit non feulement fur 1'économie rurale & fur les finances, mais encore fur les bois, que les grands maiires des fvrèts avoient minés felon leur fantaifie, faute d'être furveillés. Une g u ene opiniatre , dont les fuccès ne pouvoient'pas tous être heureux , fit juger a ces forètiers & a quelques fousconfeillers des finances qui participèrent aux déprédations , que 1'Etat étoit perdu fans reflburce , qu'il alloit devenir dans peu la proie des ennemis, & que ce qu'ils pouvoient faire de mieux dans une fituation aufli défefpérée éioit de vendre a leur profit tout le bois qu'ils pourrolent abattre, paree que perfonne ne leur demanderoit o>mpie de leurs malveriations. En conféquence de cette faufle idéé ils avoient fi bien dévafté lesforêts, qu'on n'y voyoit qu'a peine quelques arbres ifolés au lieu des bois tüuffiis qui s'y trouvoient auparavaut. L'on fut  112 MEMOIRES obügé de publier de nouvelles ordonnances, tant pour planter des bois que pour fixer une coupe proportionnelle felon les différentes efpéces des arbres, afin d'y meure une régie que perfonnene püt enfreindre, & furtout pour en avoir fuffifamment, foit pour batir, foit pour ehauffer, article qui ne doit point être négligé dans les pays du Kord. Avant Ia guerre on avoit retiré des Marches & de Ia Poméranie un revenu annuel en bois qui fouvent paflbit 150,000 écus ; il fallut recourir aux expédiens pour réparer ce produk. Dans cette intention on établit un droit de tranfit fur les bois des pays étrangers qn'ön faifok floiter fur 1'Elbe & fur 1'Oder, & par ce moyen on pouvoit acheter a bon marché Ie bois de la Saxe, de la Bohème & de la Pologne, & le_revendre avec avantage aux nations qui _avoient des floites marchandes ou des vaiffeaux de guerre a conflruire; on fe mit ainfi en état de ménager les forêts , auxquelles il falloit donner le temps de recroltre, & l'on remplaca la perte des revenus d'une maniére durable. Le gouvernement ne doit pas fe bomer a un feul objet; I'intérêt ne doit pas être 1'unique mobile de fes actions-, le bien public qui a tant de branches diverfes, lui ofFre une fbule de matières dont il peut s'occuper, & 1'éducation de Ia jeunefie doit être confidérée comme une des principales: elle influe fur tout; elle ne crée rien a la vérité, mais elle peut corriger des défawts, Cet-  D E 1763 JUSOU'J 1775, 113 ie partie fi intéreiTatue avoit peut-être été trop négligée auparavant, en particu'ier dans le platpays & da'ns les provincés. Voici en quoi confifioietu les vices qu'il y avoit ft réformer. Dans les villages des gentilshommes des tailleurs faifoient "le métier de maltres d'école, & dans les terres dela couronne les baillis les choififfoient fans difcernement. Pour retrancher un abus aufli pernicieux, le Roi fit venir de la Saxe de bons maitres d'école ; il augmenta leurs gages, & l'on tint la main ft ce que les payfans leur envoyaflent leurs enfans pour les faire inftrnire. En même temps l'on publia une ordonnance qui enjoignoit aux eccléfiaftïques de ne point admettre les jeunes gens ft la communion, ft moins que dans les écoles ils n'euffent été inftruits dans leur religion; on ne jouit pas d'abord de femblables arrangemens & Ie temps feul peut en faire récueiilir les fruits. On donna les mêmes foins a la réforme de tous les colléges fondés pour 1'inflruction de Ia jeunefl'e; les pédagogues ne s'appliquoient qu'ft remplir Ia mémoire de leurs élèves , & ne travailloient point ft former & ft perfectionner leur jugement. Cet ufage, qui étoit une continuation de 1'ancienne pédanterie tudesque, fut cortigé , & fans négliger ce qui eft du département de la mémoire , les inftituteurs furent chargés de familiarifer des la jeunefle leurs élèves avec la dialeélU que, afin qu'ils appriflent ft raifonner, en tirant  1.14 MEMOIRES des conféquences juftes des principes qu'ils avoient établis & prouvés. Pendant que tout étoit en acïion dans 1'Etat, que chacun y travailloit pour perfeciionner ce qui étoit de fon réflbrt, le traité de partage entre les trois couronnes fut figné. La Piufl'e acquit, comme neus l'avons rapponé, la Ponurellie, les pa■ latinats de Culm & da Marienbourg, 1'évéché de Varmie, la ville d'Elbing, une partie de la Cujavie, & une partie de la Posnanie. Cetre nouvelle province avoit environ 500,000 habitans. Les bonnes terres font du coté de Marienbourg, le long de la Viftule , aux deux bords de la Netze, en y ajoutant 1'évéché de Varmie. Mais dans la Pomereiüe & le palatinat de Culm en revanche il y a bien des contrées couvertes d'un fable ari. de. Llavantage de cette acquifition confiltoitprincipalement -«n ce que joignant la Poméranie a li PrulTe royale, elle rendoit le gouvernement maitt* de la Viflule, par conféquent du commerce de la Pologne; & en ce que vu la quantité de blé que ce royaume exporte, les états pruffiens n'avoient plus a craineire délbrmais ni la difette ni la famine. Cette acquifition étoit donc utile, & pouvoit devenir importante au moyen de fages arrangemens; mais lorsque cette province tomba fous la dominaiion prufiienne, tout s'y rcfl'entoit del'anar chie, de la cor fufion & du défordre qui doiver, régner chez un peuple barbare, croupiffant Jant  DE i;63 JUSOU'J 1775. 115 1'ignorance & dans la ftupidité. On commenca par le cadaftre des terres, pour proportionner les charges; la coHtribution fut léglée fur le même pied que dans la Prufle royale: los eccléfiaftiques payèrenr ft 1'inllar des évêques & des abbés de la Siléfie: les liarofties devinrent les bfens de la couronue ; elles avoient éié des fiefs donnés ft vie Comme ceux des Timariois chez les Turcs; leRoi dé.lommagea les proprié aires par une fomme de 500,000 écus, qui leur fut payée une fois pour toutes. On iiuroduifit des poftes dans ce pays agrefte & barbare, furtout des colléges de jiaftice, dont le nora avoit ft peine été connu dans ces contiées. On réforma quantité de lois aufli bizarres qu'extravagantes; on en appeloit en dernier reflbrt de la fentence de ces colléges au tribunal fupérieur de Berlin. Le Roi fit creufer un canal qui coüta 700,000 écus, pour joindre de„'1773* Nakel ft Bromberg la Netze avec la Vifiule, au moyen duquel ce grand fleuve avoit une communication directe avec 1'Oder, la Havel & 1'EIbe. Ce canal avoit un doublé ufage; il faifoit écouler les eaux croupiflantes d'une grande étendue de terrain, oü l'on pouvoit établir des colons étrangeis. Tous les batimens économiques tomboient en ruine ; il en coüta plus de 300,000 écus pour les rétablir. Les villes étoient dans 1'état le plus pitoyable. Culm avoit de bonnes mumlles, de grand es églifes, nrns au lieu de rues on nevoyoit que les cavts dei mailbns qui avoientexiflé autre-  116 MEMOIRES fois ; & de 40 maifons qui formoient la grande place, 28 fans portes, fans tuit, ni fenêtresmanquoient de propriéiaires. Btornberg étoit dans le mëme état. Leur ruine datoit de Tannée 1709, oü la pelïe avoit ravagé cette province", mais les Polonois n'imaginoient pas qu'il fallut réparerles malheurs. On aura peine a croire qu'un tailleur étoit un homme rare dans ces malheureufes contrées; il fallut établir des tailleurs dans toutes les villes, de même que des apothicaires, des charrons, des menuifiers & des macons. Ces villes furent rebaties & peuplées. Culm eut une maifon oü 50 jeunes perfonnes de la nobleffe font élevées par des maitres confacrés a leur infiructions : 150 maitres d'école tant protellans que catholiques furent placés dans difterens endroits & payés par le gouvernement. On ne favoit ce que c'étoit que Téducation dans ce malheureux pays; aufïï étoit-il fans meeurs comme fansconnoilTances. Enfin Ton renvoya en Pologne plus de 4,000 Juifs, qui mendioient, ou voloient les payfans. Comme ie commerce faifoit la branche principale des produits de la PrufTe occidentale, on rechercha foigneufement tout ce qui pouvoit Tétendre ; la ville d'Elbing y gagna le plus eu attirant a elle le commerce qui précédemment s'étoit fait par Danzic ; on forma pour le débit du fel une compagnie, qui au moyen d'une réuibution annuelle de 70,000 écus qu'elle payoit au Roi de Pologne , eut le monopole de cette  DE 1763 JUSOWA ms. u? denrée dans tout le royaume , ce qui en o'oligeant les Autrichiens a lui vendre leur fel de Wiliczka , rendit ceire compagnie florilTante. Les revenus de la PrulTe occidentale furent portésen tout a deux^millions d'écus; qui joints a ce que la banque , faccife , & le tabac rapportoient, produilirent a 1'Etat une augmentation de revenus de plus de cinq millions. C'eft ainfi qu'un fyftêrne de finance toujours perfeclionné , & fuivi de père en fils, peut changer un gouvernement, & le rendre, de pauvre qu'il étoit, affez riche pour ajouter fon grain dans la balance des pouvoirs qu'ont les premiers mo« narques de 1'Europe. CHAPITRE III. Du Militaire, Sept campagnes, qui avoient produit dix fept batailles rangées & presque autant de combatsnon mnins fanglans, trois fiéges entrepris par l'armée & cinq a foutenir, fans compter des entrepiifes fur les quartiers d'biver des ennemis, ou autres expéditions militaires a peu prés femblables, avoient tellement ruiné l'armée, qu'une grande partie des meilleurs officiers & des vieux foldats avoient péri en combattant. Pour en juger , on n'a qu'a fe rappeler que le gain de la bataille de Prague coüta  Il3 M,E MOIRÉS feul so,ooo hommes; qu'on ajoute a ce calcul que nous avions 40,000 prifonniers des Autrichiens, qu'ils en avoient presque autant des nötres, au nombre desquels il falloit compter au dela de 300 officiers; que les höpitaux étoient tous remplis de bleffés, & que dans les régimens d'infanterie on ne trouvoit guères au dela de cent hommes qui euflent fervi au commencement de cette guerre. Plus de 1500 officiers péris dans différentes actions avoient extrêmement diminué la noblefle, & ce qui en refloit dans Ie pays étoient ou des vieillards ou des enfans, qui ne pouvoient fervir. Le manque de gentilshommes & le nombre de places d'officiers vacantes dans les régimens, firent qu'on eut recours a la roture pour les remplir. II y avoit des bataillons auxquels il ne refloit que huit officiers pour le fervice; les autres étoienr ou morts, ou prifonniers, ou bleffés. II eft facile de conclure de ces circonflances facheufes que les anciens corps mêmes étoient fans ordre, fans difcipline, fans exaétitude, & par conféquent manquoient d'énergie. Voila quel étoit 1'état de l'armée, Iorsqu'après la paix de Hubertsbourg elle rentra dans fes anciens quaniers. Les régimens fe trouvoient alors plus compofés de naturels du pays que d'étrangers: les compagnies étoient fortes de 162 hommes; on en renvoya 40, qui devinreut utiles en remettant les terres en culture. Les bataillons  DE 1763 yUSQU'A 17-5. ito francs fervirent a compléter les régimens de garnifon , qui congédièrent également ce qu'ils avoient de foldats nationaux de trop. La cavalerie réforma 150 hommes par régiment; les houfards chacun 400; ainfi les provincés gagnèrent par cette rdforme 30,780 cultivateurs qui leur manquoient. On ne s'en tint point la; autrefois le nombre des nationaux avoit été arbitraire; on le fixa a 720 hommes pour chaque régiment, & ce qui manquoit pour compléter la compagnie fut levé chez l'ötranger. Les foldats des cantons eurent la permilïïon de fe marier fans le confentement de leur capitaine; peu fe vouèrent au célibat, & le grand nombre aima mieux contiibuer a 1'accroifiement de la population. Les effets de ces bons arrangemens répondirent a 1'attente du gouvernement, & déja en 1773 le nombre des enró'és furpaflbit confuiérablement celui de l'année 1756. Précédemment les capitainesrecrutoienteux-mêmes leurs compagnies de 1'argent qu'ils retiroient de la piye des femefires. Cette méthode avoit donné lieu ii trop d'abus; les officiers pour épargner 1'argent enróloient par force ; tout le monde ciioit, aucun prince ne vouloit permetire de telles violences fur fon territoire. On changea donc cette économie de facon que le Cénéral Wartenberg tira feul la paye des femeftres, dont les capitaines recevoient outre leur paye 3oécusparmois; on fe fervoit du fnrplus pour les enrólemens, qui prodiufoiens par an 7 ou 8 mille foldats levés dans  120 MEMOIRES les pays énangers, lesquels avec les femmes & les enfans qu'ils menoient avec eux, formoient une colonie militaire d'environ io,ooo perfonnes. Quoiqu'un fils unique de payfan ne devint pasfoldat, d'année en année l'armée gagnoit pour la taille, & en 1773 il n'y avoit plus de compagnie dans les régimens d'infanterie dont les foldats eusfent au deflbus de 5 pieds 5 pouces. Les régimens taflt d'infanterie que de cavalerie furent partagés ên difFérentes infpections, afin d'y faire renaltre 1'ordre, 1'exacYitude, la févérité dela difcipüne ; pour qu'il y eüt una égalite parfaite dans l'armée, & que tant les officiers que les foldats euflent les mêraes directions dans un régiment comme dans 1'autre. Les régimens du Rhin & du Wéfer eurent pour Infpecteur le Général Duringshofen; ceux du duché de Magdebourg 'le Général Saldem; ceux de 1'électorat furent partagés entre M. de Ramin, M. de Steinkeller, & le Colonel Buttlar; ceux de la Poméranie échurent au Général Mcellendorf,- ceux de ia Prulfe au Général Stutterheim, & ceux de Siléfie au Général d'infanterie Tauenzien; le Lieutenant Général de Bulow eut 1'infpeetion de la cavalerie de la Prufle; le Général Seidlitz de celle de Siléfie; le Général Lcellhceffel de celle de Poméranie & de la nouvelle Marche, & celle de 1'éleétorat & du pays de Magdebourg fut mife fous la direétion du Général Krufemarck. Rien ne coüta plus de peines que de rétablir 1'or-  DB 1763 JUSQJJ'A 1775. W* F-orcre & la difcipline dans cette infanterie fi fort déchue de ce qu'elle avoit été autrefuis. U fallut de la févérité pour rendre le foldat obéiiTant, de l'exercice pour Ie rendre adroit, & une longue babitude pour lui apprendre a charger fon fufii 4 fois en une minute, a marcheren ligne fans flottement, & enfin a favoir fe prêter a toutes les manoeuvres que des occafions différentes dans la guerre pouvoient exiger de lui. Mais lorsqu'on eut fait avec les foldats, il fut plus difficile encore de former les jeunes officiers, & de leur douner 1'intelligence néceflaire dans leur métier. Pour leur faire acquérir 1* routine de ces manceuvres, on les exerca dans le voifinage de leurs garnifons aux diffèrens déploiemens, aux attaques de plaifie, aux.attaques des poftes fordfiés, ainfi qu'a celles des villages, aux manceuvres d'une avantgarde, a celles d'une retraite, aux quarrés, pour favoir comment ils devoient attaquer, & comment ils devoient fe défendre. Cela fe pratiquoit pendant tout 1'été, & chaque jour ils répétoient une partie de leur lecon. Pour rendre ces pradques générales., les troupes s'aflembloient deux fois, 1'une au printemps & 1'autre en automne; il né fe faifoit alors que de grandes manceuvres de guerre, des défenfes ou des attaques de poftes, des. fourrages, des marches dans tous les genres, & des fimulacres de bataille oü les troupes enagiflant, défignoient les difpofnions qui en avoient été faites. Ainfi , fuivant 1'expreffion de Végèce , la OW poJ>h. dc Fr. II. T,K F  las MEMOIRES paix devint pour les armées pruffiennes une école & la guerre une pratique. On ne duit pas croire cependant que d'abord après la paix les premières manceuvres fuflent des plus brillantes: il faut du temps pour que la taflique mife én pratique devienne une chofe habituelle, que les troupes exécutent fans difficulté. La précifion qu'on déftroit d'établir, ne commenea a devenir fenfible que depuis Tannée 1770. Dèslors l'armée prenant une autre face, on auroit pu, fans craindre de fe troraper, la mener a la guerre avec beaucoup de confiance. Pour parvenir a ce degré de perfeélion (i int-éreflant pour le bien de 1'Etat, on avoit dégagé le corps des officiers de tout ce qui tenoit a la rotule; ces fortes de fujets furent placés dans des régimens de garnifon, oü i's valoient au moins ceux auxquels ils fuccédoient, qui étant irop inêrmes pour fervir furent penfionnés; & comme le pavs même ne fourniflbit pas le nombre de gentilshommes que demandoit Tannée, on engagea desétrangers, de la Saxe, du Mecklenbourg, ou de TEmpire, parmi lesquels il ferencontroit quelques bons fujets- II eft plus néceflaire que Ton ne croit de porter cette attention au choix des officiers, paree que d'ordinaire la noblefle a de 1'honneur. 11 11e faut pas difconvenir cependant que quelquefois on rencontre du mérité & du talent chez des perfonnes fans naiflance ; mais cela eft rare, & dans c* cas on fait bien de les conferver. Mais en gé-  DE 1763 JU SOU' A 1775. "3 néial 'A ne refte de reflburce a la noblefle que de fe dirttnguer par l'épéé; fi elle perd fon honneur, elle ne trouve pa? mime un refuge dans la maifon paternelje ; au lieu qu'un rotluier, après avoir comrais des baffefles, reprend fans rougir le métier de fon père, & ne s'en croit pas plus deshonoré. Un officier a befoin de diverfes connoiflimces; mais une des principales eft celle de la fortification. Y a-t-il des fiéges? il trouve occafion de fe diftingner ; eft - it dans une ville affiégée? il peut rendre de bons fervices; faut-il fortifier un camp? ou profite de fon intelligence; y a-t-il quelque village a fortifier dans les poftes avancés de la chaine des quariiers d'hiver? on 1'emploie, & pour peu qu'il ait de génie, il trouve cent occafions de fe faire connoltre. Alin que les officiers ne manquaffent point d'inftruaion dans une partie du génie aufli utile, le Roi avoit adjoint a chaque infpeaion un officier du génie , pour donner aux jetines officiers les connoiflances qui leur manquoient a eet égard. Aptès qu'ils avoient sppris les élémens de eet art, 011 leur faifoit tracer des ouvrages adaptés aux différens terrains; ils prenoient des camps , ils difpofoient la marche des colonnes, & fur leurs plans ils n'ofoient pas même omettie les poftes avancés de la cavalerie. Cette étude étendit la fpbère de leurs idéés, & leur apprit a penfer en grand ; ils fe firent des régies de caftrométrie, & acqukent dès leur F a  124 MEMOIRES jeunelTe les lumières que doivent avoir les généraux. L'attention qu'on apponoit a perfeflionner 1'infanterie de campagne, n'erapêcha pas d'avoir 1'ceil fur les régimens deftinés a fervir en garnifon. Ceux qui défendent les places peuvent rendre d'aufll grands fervices que ceux qui gagnent des batail. les. On purifia ces régimens de tout ce qui étotc fufpect, tant parmi les officiers que parmi les foldats ; on les difciplina comme les régimens de campagne, & toutes les fois que le Roi faifoit la revue des troupes dans les provincés, ces régimens de garnifon y figuroient également. Ces corps étoient moins grands que lesautres pour la taille; il ne s'y trouvoit cependant aucuh foldat qui eut moins de 5 pieds 3 pouces, & quoiqu'ils nechargeaffent pas auffi vice que 1'infanterie de campagne, aucun général dés l'année 1773 n'auroit été fiché de les avoir dans fa brigade. Quant a Ia cavalerie, il s'en falloit beaucoup qu'elle eut fait des pertes proportionnées a celles de 1'infanterie; comme elle avoit été viftorieufe dans toutes les occafions, les vieux foldats & les vieux officiers s'étoient a peu de chofe prés confervés. II arrivé toujours que plus la guerre dure & plus 1'infanterie fouffie; & par un effet contraire plus la guerre dure & plus la cavalerie fe perfeftionne. On eut un foin particulier de fourriir a ce corps refpeftable les meiileurs chevaux qu'on put trouver, 11 y avoit pourtaat quelque*  DE 1763 JUSOITJ 177S- ^-S reproches a faire a quelques uns de nos généraux de cavalerie, qui ayant eu des détachemens a conduire , avoient mal-adroitement fait maticcuvrer 1'infanterie ; le même reproche pouvoit fe faire aufli a quelques officiers d'infanterie qui employèrent leur cavalerie avec peu de difcernement. Afin d'empêcher que ces fau;es groffières n'euffent lieu a 1'avenir, le Roi compofa un ouvrage de tafll* que & de caftrométrie, qui contenoit des régies générales, tant pour Ia guerre défenfive que pour la guerre ofFenfive ; des ordonnances différentes pour les attaques & les défenfes s'y trouvoient défignées avec toutes les difpofitions adaptées a des terrains connus de toute l'armée. Ce livre méthodique & plein de préceptes évidens, confirroés par toutes les expériences des guerrespaffées, fut dépofé entre les mains des infpeileurs. lis le donnoient a lire aux généraux comme aux corn« mandeurs des bataillons, ou des régimens de cavalerie; mais d'ailleurs on eut la plus grande aiteution a empêcher que le public en eüt aucur.oconjioifTance. Cet ouvrage produifit plus d'effet qu'on 11e 1'efpéroit: il ouvrit 1'efprit des officiers fur des manceuvres dont ils n'avoient pas compris le fens: leur intelligence fit des progrès vifibles; & comme les fuccès de la guerre roulent principalement fur 1'exécution de la difpofkion , & que plus on a de généraux habiles , plus on peut s'affurer de réuffir, on avoit lieu de croire qu'après tant de peines pour inftruire les officters, les ordres feF 3  ti6 M E M O I R E S roient exafttment fuivis, & que les généraux re Feroient pas des faur.es affez confidérables pour caufer Ia pene d'une bataille, Selon les ufages qui s'étoient établis pendant la dernière guerre, 1'artillerie étoit devenue une partie principale des armées: on avoit fi prodigitufement angmenté le nombre des canons, que cela dégénéra en abus. Mais pour ne point perdre fon svsntarre, il en falloit avoir tout autant que Tennemi; pour eet efFet on commenca par rétablir. f artillerie de campagne, & l'on eut £68 canons a refondre. On procéda enfuite aux canons des foiterefles, qui en partie étoient évafés. On Inventa des efpèces de tombereaux, afin que. chaque bataillon d'infanterie eüt toujours avec fui des charges de réferve , qui étoient enfermées pour chaque peloton daus des facs féparés, ce qui en facükoic ia diftribunon. On doubla les moulirs a poudre, qui en fabriquèrent fix mille quiistaui par année; en même temps les forges travailloient a fondre des bombes, des boulets & des grensd<.s royales. Les fortereffes furent pourvues de bois de charpente & de foliveaux pour 1'ufage des batteries, & comme on vouloit avoir toute une artillerie do réferve pour l'armée, on fondit en fus 868 canons de campagne. Tous ces difFérens ouvrages, en y ajoutant 60,000 quintaux de poudre, Furent fournis aux arfenaux vers la fin de 1777. II en coiita pour ï'anillerie, pour la téparation de fes  BE !73 JUSQJTA 1775- «*7 chariots & de fon train , 1,960,000 deus; c'étoit beaucoup, mais la dépenre étoit néceffaire. En commencant la gaerre de 1756 ■» Pruffe n'avoit que deux bataillons d'artilleiie. Ce nombre étant trop inférieur a celui de 1'ennefhi, on le porta a fix bataillons , chacun de 900 hommes, outre les compagnies détachées , & diftribuées dans les différentes fortereffes. Ce corps après la paix refta fur pied tel qu'il étoit, & l'on conflruifit de grandes cafernes a Berlin, pour qu'éranttour jours alfemblé , il füt mieux & plu* égalemenc drefle a 1'ufage auquel il étoit deftiné. On fit infiruire les officiers dans la fortification, afin qu'ilJ fe ptrfeaionnalfenr en 1'art des fiéges. Les canonniers & les bombardieis s'exer9oient tous les ans. 11 falloit que dans une nuit ils euiïent conftruitune bacterie; ils apprenoient a démonter le canon de. 1'ennemi, a tirer a ricochet,.& a bien jeter les bombes, mnlgré les diffdrentes diretfions des veins qui les chafiant de cöté ou d'autres les détournent de leur direction 5 d'autre part on faifoit avancer en lignc les canons de campagne , comme s'ils eufï'ent été diftribués entre lesbataillons; ils étoient obügds de profiter de la moindre butte de terre, pour ne négliger aucun de leurs avantages, &de vifer toutes les fois avant de tirer leur coup. Comme 011 raffi.ioit fur tout, on avoit inventé une espèce nouvelle d'obufiers, dont la grenade portoit a 4,000 pas i les bombardiers furent dreffés a favoir s'en fervir a diverfes diftances, & l'on s'apF 4  til MEMOIRES percut que pour donner aux canons de campagne le dernier degré cfagilité dont ils fontfufceptibles, il faudroit encore angmenter 1'artillerie d'un eertain nombre de manoeuvres, afin qu'a forcedebras les canons demeuraflent invartablement auprès des bataillons en avancant. L'armée avoit fait bien des campagnes, maisfouvent le quartier général avoit manqué de bons maréchaux de logis; le Roi voulut former ce corps, & cboifit douze officiers qui avoient déja quelque teinture de génie, pour les dreffer lui - même; dans cette vne on leur fit lever des terrains, marquer des corps, fortifier des villages, rettancher *les hauteurs, élever ce qu'on* appelle des palanques, marquer les colonnes des marches, & furtout cn les fiyla a fonder cux-mémes tous les marais & tous les ruifieaux, pour ne pas fe méprendre par négligence, & donner a une armée pour ïppui une riviére guéable , ou bien un marais par Icquel 1'infanterie püt marcher fans ie mouilIer la cheville du pied; ces fautes font de trésgrande conféquence, puisque les Fran9ois n'auroient pas été battus a Malplaquet, ni les Autrichiens a Leuthen, s'il n'en avoient commis de femblables. L'éducation des jeunes gens de qualité qui fe voue aux armes eft une chofe qui mérite les plus grands foins: on peut les former dés leur jeunefle au métier auquel ils fe deftinent, & les avancer par de bonaes études de raanière que leur capaci-  DE 1763 JUSQJTA i77S> **9 té fok comme un fruit qui n'en vaut que mieux pour être précoce. Durant la dernière guerre 1'éducation des cadets avoit dégénéré au point, qu'a peine les jeunes gens qui fortoient de ce corps favoient lire & éctire; afin de couper le mal par la racine, le Roi mit ft la tête de cette inflitution le Géuéral Buddenbrock, 1'homme du pays fanscontredit le plus capable de vaquer ft eet emploi. En même temps on cboifit de bons infikuteurs, & on augmenta leur nombre ft proportion des élèvesqu'ils devoient inflruire. Poor fubvenir aufli au manque d'éducation de la jeune noblefle poméranienne, dont les pareus étoient trop patwes poor v pourvoir eux-mêmes, le Roi inflitua une école tos la ville de Stolpe, oü 56 enfans de condition étoient nourris, *êtus & élevés ft fes dépens. Aprés qu'ils avoient paffe les premiers élémens des connoilfances & terminé leurs humankés, ils en^ troient dans fïnltitut des cadets, oü leur éducation étoit perfeclionnée. Les inftructions rouloienc principalement fur Phifloire, la géographie, la lo* gique, la géométrie, & Part de la fortification;, connoilfances dont un officier peut difficilement palier Un académie fut fondée en même temps v dans laquelle entroient ceux des cadets qui annoncoient le plus de génie; le Roi en régla lui-même la forme & fournit une inltruction qui contenotc fobjet des études de ceux qu'on y placeroit & de 1'éducation qu'ils y recevroient: on choifitpour profefleurs les perfonnes les plus habiles qu'on put-  130 ME MO I RE S trouver en Europe: 15 jeunes gentüshommes y e'toient élevés fous les yeux de cinq gouverneurs. Toute leur éducation tendoit a leur former Ie jugemenr. L'académie p-ofpéra , & foumit depuis des fujets utiles, qui furent placés dans l'armée. Après Ia conquête de Ia Siléfie on y avoit confiruit différentes placés; la pinpan avoient befoin d'étre perfectionnées; il fallut encore en batir une nouvelle a Silberberg, afin d'étre majtre des débouchés qui mènent vers Glatz a gauche, & vers Braunau a droite. Ces Qiivrages difféfens avoient coüté en 1777 la fomme de 4,146,000 écus, tandis qu'en Poméranie on fortifioit la ville de Colberg, qui coüta 8©o,coo écus. Lors de 1'invafion des Rufles on s'étoit appercu qu'en des cas. pareiJs cette place pouvoit devenir de la dernière impoitsnce. Quoiqu'on travaillat dans toutes les forterefl'ts avec vigueur, il refloit encore en 1778 quelques dépenfes a faire, pour finir tout ce qui étoit prés d'être achevé: le tout pouvoit monter a la fomme de 20®,coo écus. Le Général de Wartenberg, qui dirigeoit 1'écoromie militaire, étoit aufli occupé dans fon département que les autres officiers dans leurs parties différentes. On profitoit de la paix pour fe préparer a la guerre. En 1777 on avoit fabriqué a Spandau 140,000 nouveaux fufils , on avoit fait des épées de rechange pour toute Ia cavalerie , des bandoulièrcf, des felles, des brides, descein-  LE 1763 JUSOUA t77S- »3» pitpns, des marmites, des pioches, des haches, & une foumiture compléte de tentes pour toute •We. Ces immenfes apprêts étoient dépofes, les fufils dans 1'arfenal, & le rede dans deux grands batimens'qu'on appeloit les garderobes de l'armée. Outre tout eet appareil on avoit mis a part la fomme de 3 millions, pour fournir en temps de guerre a la remonte de la cavalerie , ainfi que pour mr.nlrcer les uniformes qui fe perdoient dans les baailies; une autre fomme étoit defiirée pour les ftais de raugmemation de 22 ba atllons francs. Toutes ces choüs ainfi préparées d'avance allégeoient au moins pour quelques campagne lepoids de la gueice, fi accablant pour les finances quand elle eft de dürée. L'article des magafins militaires ne fut point oublié ;on en forma deux, 1'un a Magdebourg, Taatre dans les places de ia Siléfie, cbacun de35»ooo winfpels de feïgle, pour entretenir durant une année deux armées de 70,000 hommes. Le premier é-oit deftiné aux troupes qui devoient agir vers la Bohème ou la Moravie, & le fecond pour cel, les dont les opéraiions feroient ditigées vers la Saxe ou 'vets la Bohème. Le prix de ces magafins étoit évalué a- 1,700,000 écus. On les entama duiant les trois années de difette dont nous. avons parlé précédemment; mais dès Tannée 177S ils furent rétablis teis qu'ils avoient été précédetn» ment. Kous avons parlé des magafins du Général W«r  r32 MEMOIRES tenberg & des grands magafins d'abondancè qua l'on avoir amaffés ; mais cela n'étoit pas encore ftffifanc pour que l'armée pilt entrer en campagne auflitót que Ie befoin le demanderoit. Un des articles les plus difficiles étoit de trouver & de rasfembler tous les chefaux néceflaires au mouvement d'une aufli grande machine. Cette multitude de canons introduite par 1'ufage demandoit ua nombre immenfe de chevaux pour les tranfporter; il en falloit outre cela pour les tenees, pour les •officiers & pour les vivres. On compta qu'en tout la fomme en montoit a 60 mille. Après la paix l'armée avoit été mife fur le pied ie 151,000 hommes; les troubles qui s'élevérent «n Pologne faifaat appréhender qu'une nouvelle guerre ne s'allumat, le Roi jugea a propos en ^1768 d'augmenter de 40 hommes les compagnies de douze régimens d'infanterie; pour les loger if fallut batir des cafernes, qui coótèrent 360,000 icus. Les houfards & les Bosniaques, qui ne faifoierfr que 1100 têtes, furent portés a 1400» Un bataillon de 1000 hommes fut levé aux ordres de M. de Rofïïéres pour Ia défenfe de Süberberg. Ces différentes migmeiitations mirent l'armée en temps de paix fur le pied de 161,000 kommes, dont elle étoit compofte. Ces effurts étoient néceflaires: les conjonclures öü 1'ou fe trouvoit, obligeoient de fè préparer a tout événement. Surtout durant le cours de 1'ansée 1771, pendant que les négociations étoient  BE 1763 JÜSQJPA 171$. »3Ï les plus vives, il étoit irripoflible de devinerquel parti prendroit la cour de Vienne , fi ce feroit celui de la Porte ou celui de la Ruflie ; mais* comme les apparences étoient que la maifon d'Autriche penchoit plus du cóté des Turcs que de celui des alliés du Roi, il fut réfolu de remonter toute la cavalerie, en y joignant I'augmetitation. Ce furent 8,000 chevaux qu'on acheta tout a la fois; bientót le bruit s'en répandit dans toute l'Eitrope;la cour de Vienne cotnprit que le Roi de Prufle s'étoit déterminé a foutenir de toutes fes forces fon alliée l'Impératrice de Ruflie. Le concert de ces trois cours occafionna le partage de-la Pologne, comme nous 1'avoirs déia dit dans le chapitre qui traite de la politique; ce chapitre-ci n'étant defliné qu'a ce qui regarde le militaire , nous n'envrfagerons cette acquifition que fous ce point de vue-la. Elle étoit d'une trés-grande importance en ce qu'elle joignoh la Poméranie a la Prufle royale. On aura remarqué, en lifant l'hiftoire de la dernière guerre, que le Roi avoit été obligé d'abandonner route» les provincés qui étoient féparées ou trop- éloignées du corps de 1'Etat. Ces provincés étoient celles du bas Rhin & de la Weflphalie^, ftmout la Prufle royale. Cette dernière fe trouvoit non feulement fépaïée mais coupée de Ia Poméranie & de Ia nouvelle Marche par un fleuve d'une profondeur & d'une largeur confidérables: il fattoit être le maitre de la Viflule pour pouvoir foaP? -  134 MEMOIRES tenir la Prufle royale; mais depuis le partage le Roi pouvoit élever des places fur les bords de ce fieuve, & s'aflurer les paflages felon qu'il le jugeoit convenable; & pouvoit non feulemei t défendre le royaume contre les ennemis, mais fe fcrvir en cas de malheur de la Vittule & de la Netze, comme de bonnes barrières, pour empècher 1'ennemi de pénétrer foit en Siléfie, foit dans la Poméranie & la nouvelle Marche. D'autre part cette nouvelle acquifition fourniflbit les moyens d'augmenter confidérablement l'armée. E le fut mife en temps de paix fur le pied de 186,000 hommes, & l'on réfolut de la porter en temps de guerre, avec les bataillons francs & autres corps pareils , au nombre de 218,000 combattans. * Voici en quoi confifia 1'augmentation: Quatre bataillons de garnifon & des compagnies de grenadiers, faifant - 3,'5o hommes Deux nouveaux bataillons d'ar- tillerie. 2,510 - - Six régimens d'infanterie fur le pied de paix - - - 8>5°o - Un régiment de houfards • - i>4°° " " Trente fix régimens d'infanterie, la compagnie augraentée de 20 hommes. • 8>°4° - - Les chafleurs augmentés de - - 3°° - Une nouvelle compagnie de mineurs 150 - - Vingt cinq nouveaux majors avec autant d'ai-  DE 1763 JUSQJJ'A 1775. 135 des de camp furent créés pour commander les bataillons de grenadiers; autrefois on les prenoit des régimens en temps de guerre ;maintenant cette charge eft devenue permanente. Outre cela les artilleurs qui fervoient 1'artillerie volante furent remontés, afin qu'exercés en temps de paix, ils devinlfent plus utiles en temps de guerre. Le total de cette nouvelle augmentation confiftoit enf25,220 hommes ; & 1,250.000 écus, ailignés fur la PrulTe occidentale, furent deftinés a Tentretien de ces nouvelles troupes. Quelque changement qu'on falTe dans TEtat, il s'enfuit toujours des conféquences auxquelles Je gouvernement doit penfer a temps. Les forces de TEtat s'étant accrues, il falloit faire un calcul nouveau de ce que coüteroit a Tavenir une campagne. En Tannée 1773 l'armée confiftoit en 141 bataillons de campagne, 63 efcadrons de cuirafiiers, 70 de dragons, 100 de houfards, outre une artillerie de" campagne comporée de jj,6oo canonniers & bombardiers, fans compter 1200 artilleurs diftribués pour le fervice des forterelTes , & 36 bataillons de garnifon. Sur ce tableau de Tartnée tel qu'on vient de le repréfenter, en y ajoutant Taugmentation de 22 bataillons francs, 011 fit le devis de ce que couteroient les premiers frais pour mettre cette machine en branie. En fuivant le même principe on calcula la dé. penfe extraordinaire de cette armée pendant la durée d'une campagne > & pour ne s'y point  12,6 MEMOIRES trornper, on fe régla fur la campagne la plus coü*teufe de la dernière guerre, oü s'étoient données les batailles les plus fanglantes, c'elt a dire fur 1'année 1757. 11 vaut mieux dans ces fortes d'é» valuations rnettre les fommes plus confidérables que trop foibles, paree qu'on ne perd rien au fupeiflu, & qu'on rifque beaucoup s'il n'y a pas alfez d'argent. CHAPITRE IV. De ce qui iejl pajfé de plus important depuis }771r jusqua 1778. J774 On fe perfuadera bien que la jaloufie, la haine & 1'envie qu'avoit excitées parmi les puiflances de 1'Europe le partage de la Pologne, ne fe diflipèrent pas tout d'un coup. La chofe étoit récente, & Ia fenfation en avoit été trop forte, pour que les fouverains regardaflent avec les yeux de 1'habitude un événement dont leur amour propre étoit choqué. La France fe rappeloit avecun chagtin fecret fes efïörts inutiles pour foutenir Ia confédération de Ear; elle ne pouvoit fediffimuler le mauvais fuccès de Ia guerre qu'elle avoit confeilié aux Turcs d'entreprendre contre la Ruflie f elle étoit en quelque facon humiliée de voir qu'une monarchie comme Ia fienne eüt eu fi peu d'inliuence dans les troubles qui avoient déchiré  BE 1775 JUSQJTA 1778. W la Pologne; elle ne craignoit pas moins cette liaifon qni coramencoit a fe former entre rimpératrice Reine, l'Impératrice de Ruflie & le Roi de Prufle. Une femblable unipn donnoit a ces puiflances une prépondérance trop décidée en Europe, pour qu'a Verfailles on püt 1'envifager avec des yeux indilférens ; mais ces apparences étoient trompeufes, & il s'en falloit de beauconp que 1'amitié de ces trois puiflances fut aufli étroite que le public pouvoit fe le figurar. Louis XVI venoit de monter fur le tröne; un évêque lui remit le teflament politique que le Dauphin, père du Roi, lui avoit confié, pour le donner a foa fils lorsqu'il parviendroit a la régence. Le Roi fe fit une loi de fuiyre en tout les volontés de fon père, & ce fut en conféquence de ce teflament que M. de Maurepas, difgracié par Louis XV, devint premier Miniftre de Louis XVI, que M. d'Aiguillon fut exilé, & qu5 M. de Choifeui perdit a jamais 1'efpoir de rentrer en faveur. M* de Maurepas touchoit a fon feizième luftre; il avoit été long-temps Miniftre fous letègneprécédent ; il polTédoit la routine des affaires; il avoit 1'efprit orné, & une tête capable de vaftes deffeins; mais il n'étoit plus dans l'age, comme nous 1'avons remarqué, oü 1'ame remplie d'ardeur entreprend hardiment de grandes chofes. La mauvaife adminiftration des finances fous le règne précédent pouvoit conduire a une banqueroute gésérale. II étoit d'autant plus atterré de cette idee,  l3« MEMOIRES que cette banqucroute auroit au. moins écrafé 40,000 families, qui avoient placé tout leur bien dans les fonds publics; & quoique les miniftres ne foient guères fenfibles aux malheurs des peuples, ils le font pourtant au blame, qui enretombe néceffairement fur eux. Le traité de Verfailles, quoique peu avantageux a la France, Jubfifloit toujours. M. de Maurepas avoit de plus a ménager la jeune Reine, fceur de 1'Empereur Jofeph, & Alle de - Marie Thérèfe, qui avec un peu de complaifance pouvoit d'un jour a 1'autre gagner affez d'afcendant fur 1'efprit du Roi fon époux pour le gouverner entièreinent;. de forte que ce vieux Mentor d'un pupille qui n'avok aucun caractère fixe, employoit tour a tour la pmdence & la fermeté pour empêcher que le royaume ne tombat en quenouille. La France, d'un autre cóté, toujours rivale de 1'Angleterre, voyoit avec plaifir les troubles qui s'élevoient en ■Amérique entre les colonies & la mère-patriei Elle encourageoit fous main 1'efprit de révolte qui s'y manifeftoit, & animoit les Américains a foutenir leurs droits contre le defpotifme qua le Roi George III. vouloit y établir, en leur préfentant en perfpective les fecours qu'ils pouvoient attendre de 1'amitié du Roi très-Chtétien. La cour de Londres nous préfente un tableau tout différent de celui que nous venons de crayonner. C'eft l'Ecoflbis Bute qui gouverne ie  DE'\775 JUSQU'A 1778. 139 Roi & le royaume; femblable a ces efprits malfaifans dont on parle toujours & qu'on ne voit jamais, il s'enveloppe ainfr que fes opérationsdes plus profondes ténèbtes; fes éiniffaires. fes créatures font les refforts avec lesquels il meut cette machine polif'que felon fa volonté. Son fyftème politique eft celui des anciens Torys, qui foutiennent-que le bonheur de 1'Angleterre demande que le Roi jouiffe d'un pouvoir defpotique, & que bien loin de contracter des alliances avec les puiflances du continent, la Grande Bretagne doit fe bomer uniquement a étendre les avantages de fon commerce. Paris eft a fes yeux ce qu'étoit Carthage a ceux de Caton le cenfeur. Bute détruiroit en un jour tous les vaiffeaux francois, s'ü en étoit le maitre & s'il pouvoit les raffembler. Impérieux & dur dans le gouvernement , peu foucieux fur le choix des moyens qu'il emploie, fa mal-adreffe dans le maniement des affaires 1'emporte encore fur fon obltination. Ce Miniftre, pour remplir fes grandes vues.comroenca par introduire la corruption dans la chambre bafle. Un million de livres fterlings que la nation paye annuellement au Roi pour 1'entretien de falifte civile, ne fuffifoit qu'a peine pourcontenter la vénalité des membres du parlement. Cette fomme deftinée pour 1'entretien delafamiile royale , de la cour, & pour les ambaffades , étant annuellement employée a dépouiller la nation de fon énergie, il nereftoit au Roi George III,  1,4» MEMOIRES I?75. pour fubfifter & pour foutenir a Londres ia dignité royale, que 500,000 écus qu'il tiroit de fon eleftorat de Hanovre. La nation angloife , dégradée par fon fouverain même, n'eut depuis d'autre volonté que la fienne ; mais comme fi ce n'en étoit pas aflez de tant de prévarications, le Lord Bute voulut frapper un coup plus bardi & plus décifif, pour établir plus promptement le defpotifme auquel il vifoit; il engagea le Roi a taxer par des impót» arbitraires les colonie* américaines, autant pour augmenter fes revenus, que pour donner un exemple qui pat Ia fuite des temps püt étre imité dans Ia Grande Bretagne; mais nous verrons que les fuites qu'eut eet afte de defpotifme, ne répondirent point a fon attente. Les Américains, qu'on n'avoit pas daigné corrompre , s'oppofèrent ouvertement a eet impöt fi" contraire a leurs droits, a leurs coutumes, & furtout aux libenés dont ils jouiC foient depuis leur établiflement. Un gouvernement fage fe feroit haté d'appaifer ces troubles naiffans; mais 1'e miniflère de Londres agit d'aprës d'autres principes; il fufcita de nouvelles brouilleries avec les colonies a 1'occafion des marchands qui avoient le monopole de certaines marchandifes des Indes orientales, qu'on voulut les forcer d'acheter. La dureté & la violence de ces procédés acheva de foulever les Américains; ils tinrent un congrès a Philadelphie, oü renonfanc au joug anglois, qui déformais leur deve-  DE 1775 JUSOJTA 177$' 141 non infupportable , ils fe déclarèrent libres & indépendans. Dès-lors voila la Grande Bretagne engagée dans une guerre ruineufe avec fes propres . colonies: mais fi le Lord Bute fe montra mal adroit dans la conduite de cette affaire, il le pa> rut encore davantage dans 1'exécution & lorsque la guerre commenca. II crut bonnement qne 7,000 hommes de troupes téglées étoit un nombre fuffifant pour fubjuguer 1'Amérique; & comme il n'avoit pas.Tart de Newton dans les calculs, il s'y trompa toujours. Le Général Washington , qu'a Londres on appeloit le chef des rebelles, remporta dés les premières hoflilités quelques avantages fur les royaliftes affemblés prés de Bofion. Le Roi, qt oires, fut fur- pris de Ia nouvelle ie eet échec, & le gouvernement fe vit obügé de changer.de mefures. II étoit évident que le nombre des troupes en Amérique étoit trop foible pour. remplir le deffein qu'on vouloit exécuter; i! falloit donc avoir une armée, quoiqu'on fentlt toutes fes difficultés qu'il y avoit a trouver ce monde, & a le raffembler. Les Anglois ont manqué de tout temps d'art & de fouplefle dans leurs négociations; attachés avec acharnement a leurs intéréts, ils ne favent pas fiatter ceux des autres; ils penfent qu'en offtant des guinées, ils peuvent tout obtenir. Ils s'adreffèrent d'abord 8 l'Impératrice de Ruflie, & la choquèrent d'autant plus par leurs demtndes, que la fierté de cette princefle regar- 177S.  I+2 MEMOIRES dok" comme bien au deflbus d'elie d'accepter des fubfides d'une autre puiflance. Enfin ils trouvèrent en Ailemagne des Princes avides ou obérés, qui prirent leur argent; ce qui leur valut is ,000 Heflbis, 4,000 Bronswicois, laoo hommes d'Aufpach, amant de Ilanau, fans compter quelques centaines d'hommes que leur fournit le Prince de Waldeck. Outre cela la cour envoya 4,000 Hanovriens a Gibraltar & a Port - Mahon, pour en relever les garnifons angloifes, lesquelles furent de la cotiduites en Amerique. Toutes ces troupes fervirent fous les aufpices du Lord Howe & de fon ftère 1'Amira!, comme nous le rapporterons en fon temps. Chaque campagne coüta a 1'Angleterre 6 millions de livres fterllngs, on 36 millions d'écus. On comptoit alors que les dettes de Ia Grande Bretagne montoient déja a 900 millions d'écus. Une campagne ne fuffifoit pas pour foumettre les colonies; ainfi l'on prévoyoit dés lors que dans peu Ia dette nationale pafieruit un milliard. La campagne fuivante ne produifitaucun événement décifif, & les Américains fe foutinrent contre le Lord Howe & tous les renforts qui 1'a. voient joint; mais vers la fin de 1'année 1777 la fortune commenca a fe déclarer en faveur des colonies. Sur les ordres de la cour le Général Bourgoyne partit du Canada avec 13 000 hommes, pour fe reirdre a Bolton, felon le projet qu'on lui avoit donné a exécuter; tandis que le Lord Howe, qui n'étoit informé de rien, s'étoit em-  DE 1775 JUSQJTA 1773. 143 paré de Philadelphie. Ce défaut de concert acheva de ga^er les affaires; Bourgoyne , qui manquoit de chevaux pour le transport de fes vivres, & avoit entrepris une expédition impraticable relativement aux lubfillances, fut obligé defe rendre prifonnier avec toutes fes troupes aux Américains qu'il croyoit lübjuguer Un événement de cette nature auroit autrefois foulevé toute la nation contre le gouvernement, & caufé même une révolution ; il ne produifit alors qu'un léger murmure, tant Pamour des richelfes 1'emportoit fur 1'amour de la partie, & faifoit préférer k ce peuple, autrefois fi noble & fi généreux, 1'avantage petfonnel au bien généraf. Le Roi d'Augleterre, qui foutenoit le fyftème de Bute par obfiination, fe roidiflbit contre les obftacles qu'il voyoit naitre fous fes pas. Peu fenfible aux malheurs qui retomboient fur fon peuple , il n'en devenoit que plus ardent pour 1'exécuiion de fes projets, & afin de gagner la fupériorité furies Américains, il faifoit négocier dans toutes les cours de rAllemagne, pour en tirer le peu de fecours qu'elles pouvoient encore lui fournir. L'Allemagne fe ïeffentoit déja de la quantité d'hommes qu'on en avoit tirée, pou<- les envoyer dans ces climats loin ains, & le Hoi de Pruffe voyoit avec peine l'Erapire dépourvu de tous fes défenfeurs, furtout dans le cas oü il furviendroit une nouvelle guerre; car dans les troubles de 1756 la bafl'e Saxe &. la Weftphalie feules avoient  1774' I4+ MEMOIRES aflemblé une armée, avec laquelle on avoit arrété & dérangé tous les progrès de l'armée francoife. Par cette raifon il chicana le paflage des troupes des princes qui en donnoient a 1'Angletetre, lorsqu'elles fe trouvoient obligées de paffer par le pays de Magdebourg, celui de Minden, ou par le bas Rhin. Ce n'étoit qu'une foible revanche du mauvais procédé de la cour de Londres au fujet de la ville & du port de Danzic; toutefois le Roi ne voulut pas poulfer les chofes trop loin; une longue expérience lui avoit appris qu'on ttouve une multitude d'ennemis dans le monde, & qu'il ne faut pas s'en fufciter foi -même de gaieté de cceur. Vtjila en g os 1'idée qu'on peut fe faire de 1'Angleterre pendant le peu d'années dont nous nous fommes propofé de décrire les événemens. Nous la quitterons maintenant, pour préfenter le réfumé de ce que pendant la même époque il fe palfa de mémorable en Pvuflie. L'Impératrice de Ruflie fortoit de la guerre qu'elle avoit faite aux Turcs, couverte de gloire par les fuccès que fes troupes avoient eus contre fes ennemis ; mais 1'Etat étoit presque épuifé d'horames & d'argent, & la paix fi mal aflurée, que le grand Vizir déclara lui-même au Prince Repnin, Ambafladeur a la Porte, qu'a moins q«e le Chan de Crimée ne rentrat fous la domination de la Porte, & que l'Impératrice de Ruflie ne reflitua't Kerfch & Jenikala , la fmix qu'on avoit extorquée aux Turcs ne feroit point de durée.  ' DE \77S JUSQJTA 1778. 14S Sur cette déclaration les tronpes ruffes occupèrent Perekop, & auffï.ótles hoftilités recommencèrent en Crimée. Ce n'étoit pas une guerre dans les formes, oü deux grandes armées fe trouvaflent en préfence 1'une de 1'autre, mais c'étoient des incurfions oü des troupes turques débarquoient en différens parages, ce qui occafionnoit de petits combats, dont toutefois les Ruffes fortirent toujours viiftorieux. Cependant eet état d'incertitude inquiétoit l'Impératrice, paree qu'elle étoit obligée d'affembler fon armée fur les frontières de la Tartarie, & de tenir un gros corps a Kiow, pour 1'oppofer en cas de néceffïté a un corps de 40,000 Turcs campés prés de Bender, qui de la, en traverfant la Pologne, pouvoient facilement fe porter vers la partie des provincés ruffes fituée a 1'autre bord du Niefter; ainfi fans avoir ni la paix ni la guerre, les dépenfes de rimpératrice étoient aufli grandes que fi la guerre avoit été déclarée entre les deux puiflancs. L'intérieur de la cour de Pétersbourg fourniflblt des évéuemens d'une autre nature, mais qui tiennent également a 1'histoire de ce temps. LTmpératrice voyant que fon fits, le grand Duc, étoit en £ge de fe matier, délibéróit fur Ie choix de 1'époufe qu'elle vouloit lui donner. Ce devoit être une princefle d'AHemagne, dont l'age & la perfonne convinflent i fon nis. Ce choix n'étoit pas indifférent pour la cour de Berlin, cette nouvelle liaifon pouvant devenir favorable ou contraire a fes intéréts. Oiuv. pfth, ie Fr. II, T. V. G I778i  i46 MEMOIRES L'AlIemagne étoit alors ftérile en princeffés; il ü'y en avoit que trois ou quatre, qui puil'ent être propofées, paree que les unes étoient trop agées & les autres trop jeunes. Celles auxqueiles on pouvoit penfer, étoient une iosur de 1'Electeur de Saxe, une Princefle de Wurtemberg trop jeune, & trois Princefles filles du Landgrave de Darmfladt. La fceur ainée de ces Princeflés de Darmfladt étoit inariée au Prince de Prufle; ainfi il y avoit tout a gagner, fi une de ces Ptincefles deveuoic grande Duchefle, paree que les nceuds de la parenté fe joignant a ceux de 1'alliance, ils fembloient annoncer que Tunion de la Prufle & de la Ruflie feroit par la plus cimentée que jamais. Le Roi mét tout en oeuvre pour arranger les chofes de la forte, & il fut aflez heureux pour réuflir entièrement. Les Princefl'es de Darmfladt palférent par Berlin,- elles arrivérent a Pétersbourg; la feconde des filles du Landgrave fut celle qui emporta la pcunme, & le mariage fut folennetiement céiébré; mais il ne rcufiïtpas, & donna lieu a un grand nombre d'intrigues 6c de Scènes facheufes. 11 s'étoit élevé en même temps de nouvelles chicanes a Varfovie fur les poflelïïons que les pwilfances co partageantes occupoient en Po> logne. Les Sarmates, en fe plaignant amèrement, accufoient les Autrichiens & les Prufliens d'en avoir étendu les limites beaucoup au dela c!e ce qui leur avoit été accordé par Ie* traités»  DE ws'jUSQjrA 177*' H7 Ces plaintes avoient fait impreffion fur 1'Impératrice de Ruflie , dont 1'ambition s'applaudiflant d'avoir donné des provincés a de grands fouvèrains, étoit encore plus fiattée d'en fixer les hmi[es. Puur prévenir les fuites que pourroit avoir ■ le mécontentement de l'Impératrice, fi on nel'appaifoit pas au plutót, le Roi réfolut d'envoyer le Priflce Henri a Pétersbourg, fous prétexte de faire une vifite a 1'lrnpératrice , laqnelle 1'avoit invité a fe rendre 1 fa cour. II faut ajouter a cect que le Roi s'étoit concert* avec Ia cour de Vienne pour que les deux puiflances confervalTent leurs polfcfflons intaftes, en laiflant crier les Polonois & en tactaant d'appaifer la cour de Ruflie- man le Prince Kaunitz, attaché a fa politique, dans fintention de brouilier les cours de Berlin & de Pétersbourg, fit déclarer a cette dernière que rimpératrice Reine, par la feule envie d'obhger.1 Impératrice de Ruflie, avoit réfolu de rendre a la république de Pologne une partie du palatmat de Lublin, toutes les terres qui fe trouvent au dela de la rive droite du Bug, la ville de Calimlr & quelques aotres morceaux encore qu'elle pofledoït. Le Prince Henri arriva donc a Pétersbourg dans des conjonftures aufli fingulières que facheufes. II avoit a combattre les Francois, les. Efpagnols & les Autrichiens. -A peine eut-il vu rimpératrice que la grande Dscheffe vint amourir en mettant au monde un enfant mort. Le Prince, qui fe trouva préfent a cette fcène, srulfla G a  l48 MEMOIRES pératrice dans ces triftes circonftances autant qu'il dépendoit de lui; il prit un ibiu particulier du grand Duc, atterré par un fpeflacle aufli nouveau pour lui que lugubre. 11 ne Taband onna point, & ayant non feulement contribué a rétablir fa fanté, fon chef - d'oeuvre fut en particulier de raccommoder entièremeut la mère & le fils, dont la mésintelligence s'étoit beaucoup augmentée depuis le mariage de la grande DuchelTe, & faifoit appréhender qu'il n'en réfultat des fuites facheufes ou pour Tun ou pour 1'autre. LTrapératrice fut vivement touchée du fervice que le Prince Henri lui avoit rendu, & depuis ce temps fon crédit s'accrut de jour en jour. Il en fit bientót un trés -bon ufage. L'Impératrice étoit dans 1'intention de remarier promptement fon fils; le Prince lui propofa la Princefle de Wurtemberg, petite-nièce du Roi, qui fut auflitót agréée. II fut outre cela réfolu que Ie Prince Henri mèneroit le grand Duc a Berlin, oü il verrok cette Trincefle, & oü les promefles fe feroient; aprés quoi il la ramèneroit en Ruflie, pour que les nóces fe fiflent a Pétersbourg. Le Prince trouva plus de difficultés pour éluder les refiitutions que les Polonois esigeoient du Roi. La cour de Vienne avoit donné 1'exemple de ces refiitutions; la Ruflie infiftoit .pour que le Roi imitat Ta conduite. Cette affaire fut donc remife a la médiation de M. de Stackelberg, Ambafladeur de Ruflie en Pologne, & après s'être arrangé Ie mieux  DE \77S JUSQJTA 1778. 149 que Ton put, la cour de Berlin rendit a la réputfquë une partie du lac de'Goplo, la rive gauche de la rivière de Drevenza & quelques villages aux environs de Thorn. Nous ne rapporterons point ici en détail la réception du grand Duc. Ce fut une fête perpétuelle depuis les frontières jusqu'a Berlin, oü le luxe & le goüt fe difputèrent les honneurs qu'on rendit a eet illuftre étranger. On ne croyoit point a Vienne que le grand Duc viendroit a Berlin. Le Prince Kaunitz, comptant fnr le fuccès de fes manigances, étoit perfuadé que fa cour ayant été la première a reftituer quelques terrains aux Polonis , il avoit par cette complaifance irrémiffiblement brouillé les cours de Berlin & de Pétersbourg; & au moment qu'il penfoit préparer fon triomphe, il app'rend que le grand Duc eft aBerlin, qu'il époufe la Princefle de Wurtemberg, & que 1'intimité entre la Prufle & la Ruflie eft plus. grande que jamais. Mais fi ce Miniftre avoit manqué fon coup en Ruflie, il s'en étoit dédommagé aux dépens des Turcs; car la cour de Vienne, fous prétexte de régler les limites qui féparent la Hongrie & la Valachie, s'étoit eraparée du diftrift de la Buckowina, qui s'étend jusqu'a un mille de Chotzim. Les Turcs avoient été afléz ignorans, ou pour mieux dire aflez ftupides pour confentir a ce démembrement de leurs Etats, fans qu'il y eüt une raifon valable pour 1'autorifer & fans fe plaindre. Les autres puif-  i5» MEMerRES Ti* 4» fences ne penfoient pas ainfi. La RufSe avoit xaifon d'êtte jaloufe de 1'acquifuion de la cour de Vienne vers le Dniefier, paree que cette poffef-' fion, en 1'approchant fi fort de Chotzim, mettoit les Autrichiens en état de difputer aux Ruffes !e paffage du Dniefier toutes les fois qu'ils voa-; droient pouffer leurs conquêtes foit en Moldavië, foit en Valachiev & même qtaand on auroitjaifle paffer leurs troupes, les Autrichiens, maitres dela JJuckowina, pouvoient les couper de leurs fubfis. tances , ou du moins tenir te balance dans lei. guerres entre les RiuTes & les Turcs felon qu'ils ie jugeroient convecable & leurs intéréts. D'autre part les Autrichiens inttiguoient fans relache a Gonftantiuople, afin d'entretenir 1'aigreur que la dernière paix avoit laiffée entre la Porre & la Ruffie, & d'occafionner de nouvelles-brouilleries. Les Fran9ois foufifoient également le feu de leur eóté. Ces manceuvres fourdes animèrent enfin Ie grand Seigneur, & occafionnèrent les déctarations au Prince Repnin dont il a été fait mention, & cette efpèce de guerre dans Ia Crimée, qui fut «ppaifée enfuite. Vienne étoit alors dans 1'Europe le foyer des projets & des intrigues. Cette cour fi altière, afin de parvenir k domiuer furies autres, portoitfes vues de tous cótés, pour étendre fes limites & pour engloutir dans fa monarchie les Etatf qui fe trouvoient fitués a fa bienféance. Du cóté de 1'orient elle roéditoit de joindre la Servië & la Bosnië a. fes vaftes poffelïïons. Ah,  DE 1775 JUSQITA *$» midi, tentée de fe faifir d'une pattie des pofleffions de la république de Venife, elle n'attendoit que t'occafion de joindre Triefte & le Milanois au Tyrol par un démembrement qui étoit a fa bienféance. Ce n'en étoit pas affez; elle fe promettoit bien après la mort du Duc de Modêne, dont un Archiduc avoit époufé 1'héritière, de revendiquet té Ferrarois, polTédé par les papes, & de dapouiller le Roi de Sardaigne du Tortonois & de l'Alexandrin, comme ayant toujours appartenu aux ducs de Milan. Vers 1'occident la Bavière lui préfentoit un raorceau bien tentant?. Voifine de 1'Autriche, elle lui ouvroit un paflage vers le Tyrol. En la pofledant la maifon d'Autriche voyoit le Danube couler presque toujours fous fa domination. On fuppofoït outre ceiaqu'U étoit contraire a rintérét de 1'Empereur de laifl'er réunir la Bavière & le Palatinat fous un même fouverain, & comme eet héritage eut rendu 1'Elefteur palatin trop pniffant, il valoit mieux que 1'Empereur le prit pour lui-même. De la en femontant le Danube » on rencontre le duché de Wurtemberg, auquel la cour de Vienne penfoit avoir des prétentions bien légitimes. Toutes cesacquifnions auroient formé comme une galerie, qui de Vienne en fe Mant les unes aux autres la conduifoit jusqu'aux bords du Rhin, oü 1'Alface, qui avoit fait anciennement partie de 1'Erapire, pouvoit être répétée, ce qui menoit enfin a la Lorraine, qui naguéres avoit été le domaine des G 4  Ï52 MEMOIRES ancérres de Jofeph. En nous tournant vers Ie feptentrion, nous rencontrons cette Siléfie dont 1'Autriche rie pouvort oubiier la perte, & qu'elle fe propofoit bien de recouvrer aufïïtót qu'elle en trouveroit 1'occafion.' L'Empereur ne favoit pas cacher & voiler fes valles deireins. Sa vivacité le trahilfoit fouvent. Pour en rapporter un exemple, il fuffit de dire que vers la fin del'année 1775 le Roi de Pruffe eut quelques forts accès de gontte confécutifs. Van Svvieten, Miniffre de Ia cour impériale a Berlin, fuppofa que cette goutte étoit une hydropifie formée, & flatté de pouvoir annoncer a fa cour Ia mort d'un ennemi qui longtemps avoit été redoutable pour elle, il manda hardiment a 1'Empereur que Ie Roi tiroit vers fa fin, & qu'il ne paffefoit pas 1'année. Voila toutes les troupes amrichiennes en marche ,■ leur rendezvouseft marqué en Bohème, & 1'Empereur attend plein d'impatietiCe a Vienne la confirmation de cette. nouvelle, pour pénêtrer tout de fuite en Saxe, & de la fur les frontières du Brandebourg, afin de propofer au fuccefieur du tróne 1'alteruative, ou de rendre tout de fuite la Siléfie a la maifon d'Autriche, ou de fe voir écrafé avam de pouvoir fe mettre en défenfe. Toutes ces chofes , qui fe firent ouvertement, s'ébrujtèrent parrout, & ne cimentèrent point 1'amitié des deux cours, comme on peut bien fe 1'imaginer. Cette fcène parut d'autant plus finguliére, que le Roi de Pruffe n'ayant été atteint que d'une goutte ordinaire, en  DE 177S yUSQ.ITJ 1778- 153 étoit déjft guéri avant que l'armée autrichienne füt raflerablée. L'Empereur alors fit retourner toutes fes troupes dans leurs quartiers ordinairer. L'armée d'après, favoir en 1777, 1'Empereur fit un voyage incognito en France. Le féjour qu'il fit ft Paris & ft Verfailles ne contribua pas ft refferrer 1'union des deux nations. II avoit heaucoup plus de monde & d'aménité que Louis XVI. Cela caufa des jaloufies au monarque fran^is, qui s'en cachok ft peine. Jofeph voulut enfuite parcouik les provincés de la France, & peut.être que s'obfervant moins que dans la capitale du :royaume, il laifïa échapper des marqués trop fenfibles du chagrin qu'il éprouvoit en voyant de bons établiiTemens de manufactures ou de commerce, ou d'autres chofes pareilles, qui étoient autant de preuves de findullrie nationale. Ces chores, quelque* petites qu'elles fufient, n'échappèrent pas ft la fagacité francoife. L'Empereur .s'étoit diftingué par fapolkeffe ft la cour; mais fe comraignant moins dans les provincés, il parut piutót envieux qu'ami de la nation chez laquelle il fe trouvoit, & perdit tout le crédit que fa genti lelie lui avoit acquis. D'autre part ce voyage fit un elfet tout différent fur Jofeph. II avoit parcouru . la Normandie, la Bretagne, la Provence, le Lauguedoc, la Bourgogne & la Franche- comté; toutes provincés,qui autrefois gouvernéespardesfouverains, quoique vaflaux, avoient été par la fuite des temps infenfiblement incorporées dans la inö<ï 5  15+ M E M O TR E S narchie francoife. Ces objets, qui le frappoient vivement, oceafionnoient la compiraifon humili. ante, felón lui, qull faifoit de cette maffe rèunie fous un chef, & du gouvernement germanique, dont ft la vérité li étoit 1'Empereur, mais dans iequel il fe trouvoit des rois & des fouverains affez guiiTans pour lui réfifter; même pour lui faire la guerre. S'il en avoit eu les moyens, il auroit voulu réunir inceffamraent toutes les provincés de 1'Empire ft fes domaine?, pour fe rendre fouverain de «e vaile corps, & élever paree moyen fa puilfance au defiüs de celle de tous les monarques de 1'Europe. Ce projet 1'occupoit fans celfe, & il penfois que la maifon d'Autriche ne devoit jamais le perdre de vue. C'étoit de ces principes ambitieux que partoit 1'ardeur avec laquelle il convoitoit la Ba■vière;& quoique Ia mort de TElecreur deBaviêTeae parüt point devoir étre prochaine, TEmpereur a'épargna rien pour mettre 1'Elefteur palatin & fes. -fdniures dans fes intéréts.. te Roi de PrulTe, toujpurs attentif aux démarches de larour de Vienne, fut des premiers ft découvrir ce ntyttère. Cette cour étoit trop dangereufe & ttop puiffante pour 4tre négligée» & d'ailleurs il faut connoitre les projets de fon ennemi, fi Ton veut s'y oppofer. Ifc réfulte des faits différens que nous venons d'expofer, que la paix de 1'Europe étoit menacée de tous les cótés;. le feu couvoit fous la cendre, un tien pouvoic en faire fortlr des nnmrries. LaRufSe s'attendoit d'un moment ft. 1'autre ft êrre atW-  DE 1775 JUSQJTA' 177?. & quée par les Turcs 5 fi la guerre n'étoit point déclarée, il fe commettoit des hoQilités de part & d'aurre. La dernière guerre avoit occalionné des dépenfes énormes ft rimpératrice ■ la Ruflie en étoit presque épuifée, furtout ft caufe des ravages de Pugatfchef dans la province de Ca fan, & de la deftruftion des mines qui dans ces contrées font d'un rapport trés - conlidérable. A Vienne un jeune Empereur, dévoré d'ambit tion , avide de gloire, n'attendoit qu'une occafion 'pour trcubler le repos de 1'Europe. II avoit deux Généraux, Lafcy & Laudon, qui s'étoient acquis de la réputation dans la guerre précédente. Son armée étoit mieux entretenue & fur un meilieur pied qu'elle ne 1'avoit jamais été. II avoit augmenté le nombre des canons de campa. gne & 1'avoit porté jusqu'ft deux mille. Ses finances , qui fe reffentoient encore des frais immenfes de la dernière guerre, n'étoient pas fur un pied tout ft fait folide. On évaluoit les dettes de 1'Etat ft 100 millions d'écus , dont on avoit réduit les intéréts ft 4 pour cent ; mais le peuple étoit furchargé des plus durs impöts; chaquejour on en ajou'oit de nouveaux; & malgré tout 1'argent qu'ft force de prefier les provincés on rasfémbloit ft Vienne, en déduifant la dépenfe fixe & couchée fur 1'ordre du tableau 51 ne refloit ft l'Impératrice Reine qne deux millions dont a'.le püt difpofer; ainfi il n'y avoit d'autre'fonds que celui de quatre millions d'écus que le Maréchal G 6  I5ó MEMOIRES de Lafcy avoit épargnés fur 1'entretien de l'armée ; mais par 1'exacïitude de la banque de Vienne a payer les intéréts des capitaux que la cour avoit empruntés, elle avoit afliiré & confolidé fon crédit tant en Hollande qu'a Gênes, deforte que fi Ia cour jugeoit a propos de recourir a de nouveaux emprunts , elle pouvoic fe flatter de trouver de nouvelles reflources. Ajoutez a ce crédit fi bien établi une armée de 170,000 hommes toujours entretenus, & tout lecteur conviendra que 1'Autriche avoit alors une puiflance plu? formidable que ne 1'avoit jamais été celle des Empereurs précédens, fans en excepterCharles Quint même. La France , telle que nous 1'avons dépeinte, étoit bien déchue , fi nous comparons fon état politique préfent a ce qu'il étoit durant les belles années de Louis J#V. 11 fembloit que fafécondité tpuifée u'eüt plus la force de produire d'auffi grands génies que ceux qu'elle formoit slors. Ecrafée par le poids de dettes énormes, elle en étoit fans celle aux expédiens. Un controleur général des finances étoit regardé comme un adepte; on vouloit qu'il fit de 1'or, è/quand il n'en fourniflbit point a proportion desbefoins, on le chalfoit aufikór. On fit enfin choix du •Sieur Necker, tout calvinifle qu'il étoit. On espéroit peut - être qu'un bérérque , tnaudit pour reaudit, en faifant un pscte avec le diable fourBiroit les fommes néceflaires aux vues du gon-  D E i?75 JUSOU'A 1778. 157 vernemen*.. L'Ecat entretenojt 100,000 hommes de troupes réglées. & 60,000 de milices. Ses ports étoient dégarnis de vaiffeaux. M. de Maurepas fe fervit du temps oü l'r\ngleterre faifoit ü* mal a propos la guerre a fes colonies, pour relever la marine francoife. On travailla dans tous les chantiers dés Tannée 1776. Trente fix vaisfeaux de ligne étoient déja conftruits, &dèsl'aanée 1778.1e nombre en éteit augmenté & montoit a 66 , fans compter les frégattes & les autres batimens. Les lies & les colonies d'Amérique étofent toutes bien fournies de troupes. Peutêtre n'avoit-on pas eu la même attention pour les poffefiions francoifes des Indes orientales. Tant de mefures préalables auroient dü ouvrir les yeux aux Anglois; elles leur pronoltiquoient une prochaine rupture avec la France, s'ils avoient fu prévoir. La fituation de la France, quoique peu brillante, n'en méritoit pas moins Tattention des au'res puiffances. Ses dettes la mettoient dans Timpuifl'ance de foutenir une longue guerre , mais forte de Talliance de 1'Efpagne & de Taffi.lance qu'elle en pouvoit tirer, on la voyoit épier le moment pour tomber comme un faucon fur fa proie , & fe venger fur la Grande Bretagne des maux qu'elle lui avoit caufés durant la guerre précédente; & en général on ne pouvoit tien traiter d'important en Allemagne, ni dans le Sud de 1'Europa, fans fe concerter ou s'entendre vee cette puiffance. O 7  ï5« MEMOIRES L'Angleterre , corame nous 1'avons dit, étoit fous le joug des Torys, accablée de dettes, en'gagée dans une guerre ruineufe, qui augmentoit les dettes nationales de 36 millions d'écus par an; pour frapper fon bras droit de fon bras gauche, elle épuifoit toutes fes reflburces & s'acheminoit a grands pas vers fa décadence. Ses miniftres accumuloient les fautes; la principale confiftoit a porter en Amérique une guerre donr il ne pouvoit lui revenir aucun avantage. Elle fe brooilloit aufli fans raifon avec tout le, monde;, nous en exceptons les Franpois, perpétuels enntmis de 1'Angleterre; mais k cour de Londres étoit également mal avec 1'Efpagne au fujet des chicanes qui s'étoient élevées entre ces nations pour Me tfe Falkland; & depuis la mort du dernier Roi de Portugal 1'Angleterre avoit entièrement perdu 1'influence qu'elle avoit dans ce royaume. Ses procédés hauts, durs & defpotiques a 1'égard du gouverneur de S*. Euftache lui avoient fait perdre famitié & la confiance des Provincés unies. Le Roi d'Angleterre, en quaüté d'Electeur de Hanovre, avoit mécontenté la cour de Vienne, «n lui refufant des pafteport pour des chevaux deremonte, que l'on accorda toujours en pareils cas.. 11 avoit indifperfé 1'Impéra'rice de Ruflie. Depuis 1'aventure de fa fceur la Reine Mathilde, 1'inimitié du Danemarck étoit manifefte. Le Roi de Prufle avoit encore pius de griefs que les autres. II pouvoit reprocher au Roi d'Anglg terre la paix con--  DE iffS JVSQJTA 1778. i5> G4ue avec la France , par laquelle 1'Angleterre abandonna 1* PrulTe, & toutes les manigauces mifes en jeu pourle dépofféder du port dè Danzic. L'Augleterre ne pouvoit donc attribuer qu'i fa propre iuconduite le délaiffement & Tabandon gé* néral oü elle fe trouvoit alors. La Suède, qnoiqu'elle eüt changé fa forme de gouvernement, n'avoit point gagné desfprcesnouvelles. La balance de fon commerce lui étoit défavorable; elle ne recevoit point de fubfides dela Fratace; aufii avoit-elle ft peine les moyens de fè défendre & fe trouvoit-elle hors d'état d'attaquer perfonne. Le Danemarck avoit une bonne fiotte & 3o,coo fddats; mais fa foiblefle le mettoic presque de niveau avec la Suède. Le Roi deSardaigne fe trouvoit comme garrotté par 1'alliance de la France & de 1'Autriche; il ne pouvoit rien par lui-même; il ne pouvoit figurer qu'avec lefe, cours d'un aliié puifi'ant, de forte que dans Tétat aftuel des chofes on ne devoit pas le mettre au deffus de la Suède & du Danemarck. La Pologne, pleine de têtes remuantes mais légères, n'entretenoit que 14,000 hommes, &'fes finances n'étoient pas même fuffifantes pour mettre en aftion ce petit nombre de troupes. Le minifire de Rusfie gouvernoit ce royaume au nom de Timpératrice , a peu prés comme autrefois les proconfuif romains gouvernoient les provincés de 1'empire 11 ne s'agiffoit donc point réailement de ce qu'on penfoit ou projetoit & Varfovie; il fuffi&ir. de fa-  t6m MEMOIRES Toir ce qu'on avoit réfolu a Pétersbourg, pour porter fon jugement fur la Pologne. La Pruffe avoit joui de quelque tranquillité pendant cette paix ; aitentive aux projets que forgeoient fes voiflns, mais ne fe mêlant directement d'aucune affaire, elle s'étoit appliquée principale•ment a rétablir fes provincés ruinées. La population avoit pris des accroiflemens confidérables; les revenus de 1'Etat fe trouvoient augmentés de plus d'un quart de ce qu'ils étoient en 1756; l'armée étoit entièrement rétablie, & depuis Tannée 1774 le Roi entretenoit 186,000 hommes, bien difciplinés & qu'il pouvoit mettre en action d'un jour a 1'autre. Ses fortereffes étoient pour la plupart achevées & en bon état, fes magafins reroplispour une campagne, & il avoit des fommes affez confidérables en réferve pour foutenir feul la guerre pendant quelques années. La Rufïïe étoit 1'unique alliée de la Pruffe. Cette liaifon auroit été fuffifante, fi Ton n'avoit pas eu lieu de craindre qu'une nouvelle guerre en Crimée n'empêchat rimpératrice de Ruflie de fournir au Roi les fecours qu'elle lui devoit felon les traités; Dailleurs la cour de Berlin ayant ménagé toutes les puiffances, n'étoit brouillée avec aucune; mais lesfoup- ■ cons que donnoient les vues ambitieufes de 1'Empereur, faifoient pronoftiquer avec certitude qu'au premier événement inattendu 1'explofion de ce •voican auroit lieu. II s'étoit déja élevé des troubles dans 1'Empire a 1'occauon de la vifitation de  DE 1775 JUS QU'A 1778. 161 la chambre'impériale k Wetzlar. Ce tribunal de juftice ayant trés-injultemenc rempü fes fonïtions, occafionna les plaintes de nombre de princes qui fouffroient de fes prévarications. "^a cour de Vienne, Ioin de punir ou de chalTer les coupables, (qui étoient fes créatures,) s'obflinoit a les foutenir. Le Roi de PrülTe & le Roi d'Angleterte, comme Eleéteurs, avec un parti confidérable, contraignirent les Autrichiens a céder fur plufieurs points. Enfin de quelque cöté qu'on jetat fes regards, on voyoit la tranquillité de 1'Europe fur le point d'étre troublée. Pour ne point agir inconfidérément pendant ces conjonftures critiques, il étoit néceflaire que la Prufle s'entendit avec d'autres puiflances, & qu'elle fut au vrai dans quelles difpofitious fe trouvoit la Frauce. Les" anciennes liaifons de la cour de Berlin & celle de Verfailles étoient rompues depuis 1'année 175Ó. La guerre qui fe faïfbit: alors, 1'enthoufiafme des Francois pour 1'Autriche, les effi.rts qu'ils firent pour écrafer le Roi de Prufle, (expreflion qu'ils avoient fouvent employée ,) enfin 1'animcfité qui s'en étoit enfuivie, n'avoient pas rapproché les efprits. Ces furies de plaies font irop douloureufes pour pouvoir fe confolider promptement. Après la paix de 1763 1'auimofité fe tourna en froideur; enfuite la coi;r de Berlin s'unit par des traités a celle de Pé.ersbourg , & comme 1'lmpéiatrice de Ruflie n'aimoit pas la France, le Roi de Prufle ne pouvoit alors, s'il vouloit ménager fon unique alliée,  16a M E~M O 1 R E S fe rapproeher trop des Francois. Ce fut par cette raifon que M. de Guines, créature de Choifeui & Miniftre de la cour de Verfailles a Berlin, put d'autant m<*fns pouffer avec fuccès fes négociitions, que dés l'année 1770 les affaires de Polo-' gne commencoient a s'agiter, & que Ie Roi ne pouvoit en même temps être du part* des Ruffes, qui foutenoient le Roi Poniatowsky, & de celui des Francois, qui appuyoient la confédération de Bar. Bientót après furvinrent les incidens qui pro. duifirent le partage de la Pologne dont nous avons parlé précédemment, & dès-lors plus que jamais toute intimité avec la eour de Verfailles fut interdite. Outre ces obflacles que nous venons d'expofer , il y avoit de plus 1'alliance qui fubfiftoit entre la France & l'Autriche, qui mettoit des entraves encore plus confidérables a toute liaifon qu'on auroit pu contracter avec la France ; va qu'aufli long-temps que ce traité fubfiftoit, elle ne pouvoit fans 1'enfreindre entrer dans les vues de la cour de Berlin. Mais comme vers l'année 1777 toutes les affaires de Ia Pologne furent terminées»: & que le théatre de la politique préfentoit des décorations nouvelles; qu'outre cela un nouveau Roi & d'autres miniflres gouvernoient la France» il y eut dès-lors moyen de rapproeher les cours de Pétersbourg & de Verfailles, paree que les mêmes acteurs ne fubfifloient plus. Le reffentiment de rimpératrice de Ruflie ne pouvoit pas s'étendrs far leurs fucceffeurs.  MEMOIRES D E LA GUERRE DE 1778.   iC5 MEMOIRES De la guerre de 1778. J^Sk, f Rês avoir expofé comment fe fit le partage de la Pologne entre la Ruflie , 1'Autriche & la Prufle, nous crümes que ce feroit le deruier événement remarquable du règne du Roi; cependant le delTin , qui fe joue de la prévoyance humaine , en ordonna autrement. La mort foudaine d'un Prince , qui ne ,paroiflbit ni apparente , ni prochaine, troubla fubitement la tranquillité dont jouifloit 1'Europe. L'Elefteur de Bavière prend la petite vérole, & Ia nouvelle de fon décés arrivé lors même que celle de fa guérifon rendoit fefpérance a tous ceux qui s'intéreffoient a fa confer.ation. Dèslors la guerre devint presque inévitable ; car l'on fut inftruit que la cour impériale & le jeune Empereur Jofeph avoient formé le projet d'envahir la Bavière a la mort de 1'Eleóteur. Ce delfein avoit été concu par 1'Empereur Fraucois, qui pour y donner quelque apparence de juftice, avoit fait époufer a fon fils la fceur de 1'Elecleur de Bavière, pour aequérir le droit de revendiquer 1'héritage allodial de cette fuccefiion ; mais cette Princefle étant roorte fans  m MEMOIRES lignée, ce prétexte ne pouvoit plus fervir. La cour impériale n'ayanr de prétention ni légitiroe, ni apparente fur eet électorat, fe fervit de ceraains anciens documets, & des droits de fuzeraineté qu'elle croyoit avoir comme Roi de Bohème fur les fiefs de la Bavière. Elle avoit d'avance gagné tous les minillres de 1'Electeur pa* latin & ce Prince même, auquel elle promit des éi'.bliflemens avantageux pour fes enfansnaturels, pourvu qu'il leur facrffiat fes fuccefleurs légitimes , a la rête desquéls étoit le Duc de Deuxponts. A peine apprit-on a Vienne la mort de 'd'Elecleur de Bavière que le confeil s'aflembla •, 1'Empereur propofa d'envahir la Bavière; 1'impératrice Rtine confentit avec répugnance a une démarche aufli violente , ou plutót elle fe laifla entrainer a la perfuafion du Prince Kaunitz, qui i'aflura que eet événement n'auroit point de fuites , & que 1'Europe confternée ou léthargique H'oferoit pas traverfer 1'Emperenr dans une entre* prife aufii hardie que décifive. D'abord 16 bataillons , 20 efcadrons & 80 canon» fe mettent en marche. L'Ele&eur palatin, qui étoit a Mu> nicht, palit a cette nouvelle; & il figne une convention, en abandonnant les deux tiers de la Bavière aux délirs des Autrichiens. Cette aélion violente fe répaadit partour. L'Empereur s'étoit trop découvert pour que 1'Europe ne jugeat pas de ce qu'annoncoit de fultes une ambition audï forte. Dans* ce moment de ctife il fajjoit pren-  DE LA GUERRE DE 1778. &7 ctre un parti, ou celui de s'oppofer avecvigueur a ce torrent , qui alloit fe déborder fi rien ne 1'arrètoit, oü il falloit que tout prince de ÏEm. pire renoncat aux priviléges de fa liberté, paree qu'en demeurant dans 1'inacTion, le corps gerraanique fembloit approuver tacitement le droit que •1'Empereur vouloit s'arroger de difpofer defpotiquement des fucceffions qui viendroientavaquar ; ce qui tendoit au renverfement général des lois, des traités , des confraternités & des privileges qui alfuroient les poffelÏÏons de cesprinces. Toutes ces funeftes conféquences n'avoient point écnappé a la pénétration du Roi; mais avantque d'en venir aux remèdes violens, il y avoit des arrangemens préalables a prendre; il falloit que le Prince de Deuxponts proteflat contre le traité de Munich; que la Saxe réclamat 1'affiftance du Roi pour fa fucceffion allodiale; mais furtout que l'on prelfentit les cours de Verfailles & de Pétersbourg, afin de pénétrer leur facon de penfer, d'être für a quoi 011 pouvoit s'attendre de leur part. L'Eleéteur de Saxe s'adrefla le premier au Roi, après s'être vainement adreffé a Ia cour de Vienne , dont la hauteur ne daigna pas même 1'honorer d'une réponfe , paree" qu'ayant presque entiérement dépouillé 1'Electeur palatin , ce prince fe trouvoit hors d'état de fatisfaire la Saxe fur ce qu'elle exigeoit de la fucceffion allodiale. La cour de Vienne , qut d'autre part agiflbit avec plus de précipitatioa que deprudence, avoit né-  jUS MEMOIRES gligé de s'affurer du Prince de Deuxponts, légitime fucceffeur de l'Eieéteur palatin, dont 1'accelïïon étoit abfolument néceflaire pour rendre le traité de Munich valable. Elle avoit de plus traité cette affaire avec fi peu de fecret & de ménagement, que toutes fes démarches étoient connues depuis dix ans qu'elle couvoit ce projet. C'efl: ce qui engagea Ie Roi a envoyer le Comte de Gcertz incognito a Munich , oü il arriva a point nommé , pour arréter le Prince de Deuxponts au bord du précipice oü il alloit s'abymer. Le Comte de Gcertz lui repréfenta qu'il ne gagneroit rien en ratifiant le traité de fon oncle, au lieu qu'en proteftant contre 1'illégalité de eet afte, il confervoit 1'efpérance de fe faire reftituer une partie du cercle de Bavière , que 1'Eleéleur palatin avoit abandonnée a 1'Autriche. La force de la vérité fe fit fentir a ce jeune prince & ft proteflation parut peu de temps après ; il écrivit en même temps au Roi, pour lui demander fon appui & fon aflillance. Dèslors cette affaire commenca a prendre une forme régulière. La cour de Berlin , cbargée des intéréts de 1'Electeur de Saxe & du Prince de Deuxponts , trouva des motifs'fuffifans pour entamer une négociation avec la cour de Vienne touchant la fucceflion de la Bavière. C'étoient des efcarmouches politiques, qui donnoient le temps de s'inftruire foncièrement du parti que Ia France prendroit, & de ce qu'on penfoit a Pétersbourg.  BE LA GUERRE DE 1778. 169 bourg. Sous prétexte d'une ignorance affeftée, on demandoit h la cour de Vienne des éclaircisfemens fur les droits qu'elle prétendoit avoir fur la Bavière ,• l'on expofoit fes doutes; on alléguoic le droit public, & ce que les lois & les coutumes avoient d'oppofé a ces prétentions; l'on rappeloit les articles formels du traité de Weliphalie qui régloient cette fucceffion; enfin l'on mettoit la cour impériale dans des embarras d'autant plus grands, qu'étant furprife par la mort inopinée da 1'Electeur de Bavière, ellë avoit manqué de temps pout donner a fon ufurpation des couleurs apparentes, qui pulTent en import; auffi fes défenfe* furent-elles fi foibles & fi mauvaifes, qu'on les réfuta facilement. Dans ce conflit des plus grandes affaires, le Roi fe trouvoit plus gêné par la pofition aauelle des puiffances prépondérantesque par celle des Autrichiens. La France étoit liée k l'Autriche par le traité de Verfailles; s'étoit-elle arrangée ou non avec 1'Empereur? Ce prince lui avoit-il promis des ceffions en Flandre , pour qu'elle confentlt a 1'ufurpation de la Bavière ? préféreroit elle a la garantie du traité de Wellphalie le traité de Verfailles ? Enfin dans les dé-, mêlés qui s'annoncoient, demeurercit-elle neutre, ou bien affitleroit elle l'Autriche? II étoit de la dernière importance d'avoir des notions filres fur tous ces points, pour ne point fe précipiter dans une entrepiife, fans en prévoir les fut* tes. Tous ces points furent développés fuccefSr lm. tejlh. dl Fr. II. T, T. H  »;o MEMOIRES vement a Verfailles; l'on connut que le miniftère défapprouvoic intérieurement la conduite des Autrichiens; que par ménagement pour la Reine de France, fille de Marie Thérèfe, on ne fe déclareroit point contre 1'Empereur, mais aufli qu'on ne fe départiroit pas de la garantie de la paix de Weflphalie. Cela vouloit dire que la France fe propofoit de conferver la neutralité ; ce qui paroiflbit un bien petit róle pour une aufli grande puiflance, qui du temps de Louis XIV avoit fixé les yeux de 1'Europe étonnée: mais bien des r?ifons motivoient cette conduite. Le poids des dettes énormes dont le royaume étoit chargé , & qui en 1'augmentant menacoit d'une banqueroute générale ; l'age de M. de Maurepas, qui touchoit a fon feizième luflre; 1'éloignement que la nation francoife avoit pour une guerre en Allemagne, fortifie par le peu de réputation que les armées fran£oifes avoient acquife dans leurs dernières campagnes contre les alliés que le Prince Ferdinaud de Eronfwic commandoit; les engagemens que la France avoit pris avec les colonies angloifes de f Amérique, qui 1'obligeoient a foutenir leur indépendance, & cela dans un moment oü elle avoit réfolu de déclarer par mer la guerre a la Grande Bretagne. Pour armer tant de vailfeaux l'on travailloit dans tous les chantiers. Tout 1'argent que 1'indulirie pouvoit ramafler, étoit defliné pour la flotte, & il ne refloit tien pour d'autres opérations, Cet état d'irnpuiflance n'empêchoit pas le  DE LA GUERRE DE 1778- »7» miniCtère de voir avec chagrin les pas audacieux du jeune Empereur pour s'acheminer au defpotifme. H faifoit de la Bavière une galerie pour s'approcher de 1'Alface & de la Lorraine; il fe frayoit en même temps un cliemin en Lombardie, projet dont le Roi de Sardaigne appréhendoit le contrecoup, & dont il portoit des plaintes arnères en France. Toutes ces différentes idéés, tous ces motifs réfumés mettoient le miniftère de Verfailles dans des fentimens favorables pour le Roi de Pruffe, paree qu'irétoit bien aife que quelque puiflance que ce füt s'oppofat a 1'ambition déméfurée d'un jeune Prince qui pouvoit póuffer fes projets d'agrandiffement bien loin, s'il n'étoit arrêté au commencement de fa courfe. La France demeuroit dans une efpèce d'apathie , & elle voyoit en même temps les deux plus puiflansprinces d'Allemagne s'affoiblir réciproquement. Telles étoient les difpofitions de la cour de Verfailles , fur lesquelles on pouvoit compter. Il restoit a pénétrer avec le même foin quelles étoient les .vues & les fentimens de la cour de Pétersbourg. L'Impératrice de Ruflie étoit 1'alliée du Roi de Pruffe- mais elle fe trouvoit a la veille d'une nouvelle guerre avec la Porte, ce qui devoit la gêner, en lui ötant les moyens de remp'.ic fes engagemens envers la Pruffe. II étoit facile de prévoir que les Autrichiens mettroient la rufe en oeuvre, pour accélérer les hoftilités entre les Ruffes & les Turcs; c'étoit une diverfion, qui en H 2  MEMOIRES occupaut ailleurs la cour de Pétersbourg , Tempécheroit de fournir des fecours aux Pruffiens, [& donneroit par conféquent beau jeu aux vaftes deffeins de TEmpereur. II étoit important pour les Pruffiens de prévenir la cour de Vienne, & de contrecarrer les intrigues qu'elle fe préparoit a mettre en oeuvre a Conftantinople. Ce fut a cette fin que le Roi eut recours aux bons offices de la France auprès de la Porte. La cour de Verfailles s'en chargea, & Ton verra par la fuite de ces mémoires que fes foins ne fürent pas fans effet. La itégociation des Francois fut fecondéepar un fléau ipouvantable; une pefte plus maligne qu'a 1'ordinaire affligea la ville de Conftantinople , oü elle fit de terribles ravages, & en pénétrant dans 1'intérieur du féraii, obligea le grand Seigneur a fe réfugier dans une de fes maifons de plaifance a quelque diftance de la capitale. Une calamité aufii générale infpira a cette nation des fentimens plus pacifiques; elle railentic 1'efprit rcmtiant & inquiet de HalTan Bacha, grand Amital de la Porte, qui étoit le vrai promoteur de la guerre que le grand Seigneur méditoit contre la Rufliece qui applaniflbit le chemin aux infinuations pacifiques des Francois. Quoique ces différentes mefures levaflent bien des obftacles, il refloit encore d'autres difficultés & furmonter, pour que tout füt applani. Ces difficultés venoient des miniftres de Ruflie, qui avoient peu ou point d'idée du fyftème germanique, Néanmoins la cour de  DE LA GUERRE DE 1778. 173 Pétersbourg fut convaincue de 1'injuftice des procédés de 1'Empereur, & comprit que ce prince, qui ne devoit être que le chef de 1'Empire, afpiroit ft s'en rendre Ie defpote. On négocioit donc ainfi dans toutes les cours de 1'Europe; tandis qu'a Vienne on s'appercevoit par les mémoires que le Baron de Riedefel préfentoit au nom de la PrulTe, que touchant la fucceffion de Bavière on raifonnoit ft Berlin fur des principes tout oppofés ft ceux de la cour impériale. Cette cour en concut des foupcons, & fe doutant que les chofes pourroient en venir ft une brouillerie ouverte,dêS le commencementdeMarseile réfolut de raflémbler fes forces en Bohème. Les ordres furent donnés aux régimens dTtalie, ft ceux de Hongrie & ft ceux de la Flandre, de hater leur marche pour s'y rendre. Or dès qu'une armée auffi nombreufe s'alfemble fur les frontières d'une proviuce, la fureté de TEtat exige qu'on fe mette également en force, pour ne pas recevoir la loi de fon voifin. Ces confidérations engagèrent le Roi ft mettre fes troupes en mouvement, pour former deux armées , chacune de 80,000 hommes. L'une, fous les ordres du Prince Henri, fut deftinée ft s'afiembler aux environs de Berlin, pour être ft portée de joindre promptement les Saxons, au cas que 1'Empereur tentftt de faire une invafion en Saxe. L'autre armée, ft Ia tête de laquelle le Roi avoit réfolu de fe mettre, avoit &n rendez -vous en Siléfie. Sa Majefté partit ie H 3 . ,  MEMOIRES Berlin le 4 d'Avrtl pour Breslau, d'oü elle fe rendit ft Frankenftein, oü les itoupes de Siléfie airivérent le même jour- Cela formoit un corps de 30,000 hommes, avec lesqueis il falloit établir une défenfive, pour atrendre que les Pruffiens, les Poméraniens, & ceux de la Marche électorale eufiènt le temps de les joindre. Dans cette vue on prépara un camp retranché dans le comté de Glatz fur les hauteurs de Pifchkowitz, dont la gauche étoit flanquée par les canons de la forterefle & couverte par le ruilTeau de la Steina, duquei par le moyen d'une éclufe on avoit formé une inondation. • i Tandis qu'on s'occupoit de ces préparatifs, arriva un courrier de 1'Empereur, chaagé de lettres pour le Roi. *) Elles contenoient de ces lieux ,(communs vagues fur le défir de maintenir la paix & de mieux s'entendre, Le Roi y répondit avec toure la politelfe convenable, inllnuant ft 1'Empereur, qu'en limitant fes prétentions fur la Bavière il étoit maitre de conferver la paix, & que fa modération lui feroit plus d'honneur que ne pourroient faire les plus brillantes conquêtes. Bientót le courrier revint avec une autre lettre, dans laquelle 1'Empéreur voulut juflifier fes droits. Elle fut réfutée par des argumens tirés du droit féodal, des paftes de familie, & du traité de Wefiphslie ; *) La copie de ces lettres fe trouve & la fin de ces mémoires.  DE LA GUERRE DE 1778. 175 enfin un troifième courrier fuccéda aux précédens; 1'Empereur, faifant femblant de fe relacher, propofoit une négociation qui füt confiée au Comte de Cobenzl, Miniftre de Vienne ft Bertin. Le Roi comprit bien que 1'Empereur vouloit gagner du temps, pour aflembler toutes fes troupes en Bohème, pour fortifier tous les poftes qu'il prétendoit occuper, & pour ramaffer les chevaux d'artillerie , de bagage & de vivres , qui manquoient encore ft fon armée; mais comme i! importoit de montrer de la modération dans cette affaire, pour ne point choquer la France &la Ruffie, le Roi confentit ft tette négociation. quoiqu'il füt facile de prévoir quelle en feroit 1'iffue. Les Autrichiens étalèrent toutes leurs mauvaifes preuves, qui furent léfutées d'une facon victorieufe par les miniftres pruffiens, fans que la cour de Vienne voulüt fe défifter le moins du monde de fes ufurpations; enfin pour tertniner cette plaidoirie infruftueufe, fon déclara pour Xultimatum, que (i les Autrichiens ne confentoient pas ft reftituer la plus grande partie de la Bavière ft 1'Electeur palatin , on prendroit ce refus pour une déclaration de guerre. C'étoit ce que défiroit 1'Empereur; il afpiroit ft fe rendre indépendantdel'Impérairice fa mère, par le commandement des armées & par 1'éclat qu'il efpéroit d'obtenir par fei fuccès; toutefois il a paru par la fuite des événemens que fes combinaifons n'étoient ni juftes ai H 4  MEMOIRES exaétes. II étoit haï de la noblefTe, laquellel'aCf cufoit d'avoir Ie deffein de la rabaifler. Dés le 4 de Mai les armées, tant celle de Siléfie que celle de Saxe, étoient formées; la négociation de Berlin fe rompit Ie 4 Juiliet, & le 6 toutes les troupes fe mirent eu marche. Pour mieux cacher fes delTeins, l'armée de la Siléfie cantonnoit dans une efpèce de coude depuis Reicbenbach, Frankenftein jusqu'a NeilTe. Par cette pofition il étoit impoffible que 1'ennemi put deviner fi les forces du Roi fe porteroient vers la Moravie , ou en Bohème. L'armée impériale avoit un corps de .'30,000 hommes en Moravie, commandé par le Prince de Tefchen. Ce corps étoit retranché prés de Heydepiltfch fur les bords , de la Mora, pour couvrlr Olmutz. L'armée de 1'Empereur étoit derrière 1'Elbe dans des fortifi • cations inexpugnables , depuis Kcenigsgranz jusqu'a la petite ville d'Arnau.. Le corps du Maréchal de Laudon, de 40 a 50,000 hommes, garnifibit les poftes de Reichenberg, Gabel &Schlukenau vers Ia Luface; le gros de fon monde étoit entre Leutmeritz, Lowofitz, Dux & Tceplitz. Le projet de campagne que le Roi avoit formé, éroit bien différent de celui qu'il lui fallut Vxécuter. 11 fe propofoit de porter Ia guerre en Moravie, de laiffer en viron 20,000 hommes pour couvrir le comté de Glatz & les paflages de Landshnt, de tournet le pofte de Heydepiltfch, (ce  DE LA GUERRE DE 1778. 177 qui étoit faifable , ) d'engager une affaire avec les Autrichiens & fi le fuccès en étoit heureux, d'envoyer un détachement de 20,000 hommes derrière la Morava droit a Presbourg, par oü fon gagnoit le pont du Danube qui s'y trouve, l'on coupoit l'armée impériale de tous les vivres qu'elle tiroit de la Hongrie, & en faifant de la des incurfions vers Vienne, on obligeoit la cour pour fa propre fureté d'attirer une partie de fes troupes & 1'auire cóté du Danube pour couvrir la capitale, de forte que 1'affoibliffement des armées de Bohème auroit donné beau jeu au Prince Henri & auroit facili.é toutes les opérations de fa cam-, pagne. . , „ „ Quelque avantageux que füt ce projet, le Roi fut obligé de s'en défifter par les raifons fuivantess en premier lieu les Autrichiens ne laiffèrent qu'en-' viron 10,000 hommes en Moravie; le refte, com» mandé par le Prince de Tefchen, joignit 1'Empereur après de Jaromirs. U réfultoit de la que fi le Roi entroit en Moravie avec 60,000 hommes, toute l'armée de 1'Empereur, portéè a 80,000 combattans , auroit tenté une diverfion dans la baffe Siléfie, contre laquelle les troupes, dont oa deftinoit Ie commandement au Général Wunfch, auroient été trop inférieures en nombre pour y pouvoir réfifter; ce qui auroit mis le Roi dani 1'obligation d'abandonner 1'offenfive dans la haute Siléfie, pour courir défendre le comté de Glatz ou les montagues de Landshut: en fecond liet», U S  178 MEMOIRES la raifon principale qui détermina pour 1'entrée en Bohème, fut que 1'Electeur de Saxe craignoit que les Autrichiens ne filTent une invafión dans fes Etats, & ne prilfent Dresde, avant que les Pruffiens pulfent arriver a fon fecours. II falloit empêcher 1'Empereur d'exécuter ce deltein au cas qu'il 1'eüt concu ; car il en auroit réfulté que 1'Elefteur de Saxe accablé auroit pu être forcé k changer de parti, ou au moins qu'au lieu d'éta. blir le théatre de la guerre en Bohème, on 1'auroit par mal -adrelTe établi en Saxe. II fallut donc que le Roi entrat en Bohème avec fes forcesprincipales, pour fe préfenter vis-a-vis de 1'Empereur, & 1'empêcher de renforcer le corps du Maréchal Laudon, qui fans fecours étoit trop foible pour s'oppofer aux entreprifes dn Prince Henri; mais d'autre part l'on ne pouvoit pas lailTcr la haute Siléfie fans défenfe, & il falloit oppofer des troupes au Général Ellerichshaufen, qui fe tenoit dans le camp de Heydepiltfch derrière la Mora. Ce furent Mrs. de Stutterheim & de Werner que l'on chargea de ce commandement, avec environ 10,000 hommes. Voici comment le projet fur la Bohème s'exécuta. L'armée de Siléfie entra dans le comté de Glaiz; l'avant-garde occupa le pofte important du Rafchberg, d'oü elle fe porta fur Nachod, lerefte de l'armée fuivant 1'arrière. garde. Le 7 Juill. Ie Roi fit une reconnoifiance a la eëte de 50 efcadrons de dragons & de houfards. Pour qu'on fe falie une. idéé nette de la pofi-  DE LA GUERRE DE 1778. 179 tion de 1'ennemi, il faut favoir que les Autrichiens avoient alfez bien fortifié la ville de Kcenigsgrauz pour qu au moins elle püt foutenir un fiége de quelques femaines; a quoi contribuoit principalement Ie conflutnt de 1'Adler & de 1'Elbe, au moyen duquel ils avoient formé des inondations difficiles a faigner. Cette ville faifoic 1'appui de la dtoite de leur camp. Au dela de 1'Elbe & prés de Kcenigsgrauz campoit un corps de grenadiers & quelque cavalerie dans des ouvrages qui reiTembloient plu;ót a une ville fortifiée qu'a des retranchemens de campagne. De Semonitz a Schurz s'étendoit un autre corps environ de 30,000 hom mes, couverts par des foffés de 8 pieds de profondeur, de 16 de large , bien fraifés & paliffadées, & par furcroit entourés de chevaux de frife qui lioicnt enfembie les ouvrages féparés; plus loin s'élevoit la hauteur de Kukus, qui commandant ces bords-ci de 1'Elbe s'étend de colline en colline par Kcenigsraal vers Arnau; d'oü cette chaine de montagnes aboutit a Hohenelbe, oü elle fe joint & fe confond avec les montagnes que l'on nomme le Riefengeburge. Tous les paffages de 1'Elbe étoient défendus par de triples redoutes. L'ennemi avoit fait des abatis d'arbres aux fommets de ces montagnes couvertes dé bois, derrière lesquels campoient 40 bataillons de la réferve, pour porter -de prompts fecours aux lieux que les Pruffiens auroient la témérité d'attaquer, au cas qu'il füt poffible d'emporter fucceffi^eraeni H 6  li» MEMOIRES ce nombre de redoutes & d'ouvrages munis do 1500 canons en batterie. Ajoutez a tant de difficultés la plus conlidérable, & qui empêchoic abfolument de tenter le palfage de 1'Elbe, c'efl: que depuis |aromirs jusqu'aux hautes montagnes le lit de la rivière eft bordé a chaque rive de rochers de douze & plus de pieds de hauteur; ce qui empêche d'y jjeter des ponts & de la franchir en d'atitres lieux que ceux oü fes-ponts font déja établis. L'ennemi s'étoit principalement attaché a fortifier ces paffages, dont une furabondance d'ouvrages rendoit 1'approche impratic«b!e. Quelque impofant que füt 1'afpeA de ce camp formidable, on fe flatta pourtant durant les premiers jours de gagner par adreffe ce qu'on ne pouvoit emporter par la force. L'on avoit deflein d'oppofer a la partie de l'armée autrichienne campée entre Jaromirs & Schurz un corps de troupes capable de la tenir en refpea; on le deftinoit en méme temps a faire de faufles attaques d'un cóté fur le vitlage de Hermannirz & de 1'autre fur Kcenigsfaal, tandis que le gros de l'armée fe glilferoit par Ia vallée de Sylva, palTeroit la nuk 1'Elbe au village de Werdeck , enfileroic le chemiin de Prausnitz pour gagner les hautenrs de Schwitfchin, qui étant les plus hautes , dominoient toute la contrée, & Ie camp même de l'ennemi. S'il avoit été poffible aux Prulliens de s'y établir, ils coupoient 1'aile droite des impériaux de 1'aile £auche, les obligeoient a combaure a kur défa«  3E LA GUÈRRE DE 1778. 18* «ntage, ou bien a fe retirer plus honteufement encore. En conféquence de ce projet le Roi fe campa a Welfsdorf avec 25 bataillons feulement & 60 efcadrons. C'étoit ce corps qui devoit masquer les mouvemens de la grande armée. Celle-la demeura dans le pofte de Nachod, d'oü il étoit plus facile de la faire manceuvrer, foit fur la droite, foit a la gauche principalement de cette avantgarde. Comme il étoit néceflaire de reconnoltre exacl ment la pofition de l'ennemi, pour s'affurer fi le plan dont nous avons parlé pouvoit s'exécu» ter, ou s'il étoit de nature a être rejeté, l'on déguifa les reconnoiflances fous différens prétextes apparens ; tamót on donnoit 1'alarme a quelque quartier de l'ennemi, quelquefois on engageoitdes efcarmouches avec fes poftes avancés; le plus fouvent on fourrageoit fous fon canon. Ce fut dans les différentes occafions que fournirent ces petites opérations de guerre , qu'en s'approchant de Kcenigsfaal & du village de Werdeck, on découvrit auprès de Prausnitz un camp fort, a peu prés de fept bataillons, & derrière ce pofte fur le croupe du mont de Schwitfehin un antre corps d'environ „quatre bataillons. Cet précautions de l'ennemi mettant des obftacles infurmontables aux deffeins qu'on avoit formés, mirent le Roi dans le néceflité d'y renoncer, pour imaginer d'autresexpédiens. La diftribution des troupes étoit bonne autant qu'on pouvoit exécuter le premier projet; elle pouvoit a Ja longue devenir vicieufe , fi l'on fe II 7  ifa MEMOIRES contentoit d'un fi foible corps pour 1'oppofer a toutes les forces de 1'Empereur. La difiribution de l'armée fut donc changé;; 40 bataillons formèrent Ie camp de Welsdorf; le Lieutenant Général Bulow fut placé avec quelques bataillons & 30 efcadrons a Smirfitz ; le Général Falkenhayn au défilé de Kowalkowitz, qui étoit derrière l'armée; le Général Wunfch avec 20 bataillons a Nachod, pour couvrir les convois de l'armée, &le Général Anhalt avec 12 bataillons & 20 efcadrons tout a fait fur la droite de l'armée a Pilnikau vis-a- vis d'Arnau & de Neufchlofs ; mais fa communicanon étoit aflurée avec l'armée du Roi par la forêt de Sylva , oü les Pruffiens avoient des poftes. Tandis que ces mouvemens fe faifoient en Bohème , & que l'armée de 1'Empereur étoit fi occupée d'elle-même, que la crainte d'éire attaqué d'un moment a 1'autre, écartoit toute, penfée de détacher vers le Maréchal Laudon, le Prince Henri gagna Dresde fans oppofiiion: de la il poufla des détachemens en Bohème a la rive gauche de 1'Elbe; mais par une manoeuvre alfez lefte, quoique difficile , il fe porta en Luface, laifiant le Général Platen h la tête d'environs 20,o©o hommes pour couvrir Dresde; & 18,000 Saxons s'étant joints a fes troupes, ce Prince fe porta en Bohème par différens corps, qui tournant & attaquant les détachemens que l'ennemi avoit a Schlukenau, Rumbourg & Gabel, les dépoftèrent &  DE LA GUERRE DE 1778. 183 leur prirent 1500 hommes & 6 canons. S. A. R# fit fortifier les environs de Gabel, dont la défenfe : fut confiée aux Saxons, & s'avanca avec Ia gros 1 de l'armée a Nimes, oü elle fe pofla dans un camp d'une forte affiette. Ce coup, auquel les impériaux n'étoient point préparés, dérangea tout le projet de leur défenfive. Le Maréchal Laudon ; abandonna avec précipitation les poftes d'Auflig & de Dux, mais ce qui doit furprendre d'avantage, fes fortifications de Leutmeritz, avec le magafin qui s'y trouvoit. Le Général de Platen profita avec célérité de cette faute; il prit Leutmeritz, s'avanca vers Budin fur 1'Egra, & poufia fon avantgarde jusqu'ü Welwarn, qui n'eft qu'a trois milles de Prague. L'alarme & la confternation fe répan1 dirent dans cette grande ville; la première noblesfe, qui s'y étoit raflemblée, fe fauva, & la capitale refta quelques jours comme deferte. Le Maréchal Laudon ayant, comme nous 1'avonsrapporié, abandonné toute la vive gauche de 1'Elbe, ne fe crut en fureré qu'il Mutichengrauz auprès de Jung Bunzlau; & comme les ennemis avoient tout i craindre pour l'armée de 1'Empereur, le Maréchal Laudon gamit de gros détachemens tout le 1 cours de 1'Ifer, qui coule ou entre desrochers, 1 ou entre des marais. Dans la haute Siléfie les Prufiïens avoient furpris dans leur camp de Heydepiltfch deux régimens de dragons iinpériaux & les avoient presque ruinés. Ce fu: dans ces circonftances, oü la guerre étoit  ' iS4 M E M ê I R E S bien décidée, oü les Pruffiens avoient déja quelques avantages, oü dans le royaume de Bohème quatre grandes armées étoient en aólion les unes contre les autres, qu'arrive a Welsdorf un étranger, qui s'annoncant Secrétaire du Prince Gallizin, Miniftre de Ruflie a Vienne, demande a parler au Roi. Ce foi-difant Secrétaire étoit le Sieur Thugut, ci-devant Miniftre de 1'Empereur a Conflantinople. II étoit chargé d'une lettre de rimpératrice Reine pour Ie Roi. Nous nons contentons d'en rapporier la fubftance : l'Impératrice rémoignoit fon chagrin des brouilleries & des troubles qui venoient de naitre; 1'appréhenfion qu'elle avoit pour la perfonne de 1'Empereur; le défir de trouver des rempéramens propres a concilier les efprits, en priant le Roi d'entrer en explication fur ces différeus fujets. Le Sieur Thugut prit epfuite la parole, & dit au Roi qu'il feroit f^cile de s'entendre. fi Ton y procédoir de bonne foi. L'intention des Autrichiens étoit de gagner ce prince par des offres fi avantageufes , qu'elles le fiflen: défifter de fappui qu'il préfoit a fElefteur palatin. Pour eet effet Thugut 1'aflura que fa cour non feulement ne s'oppoferoit point a fa fuccesfion éventuelle des margraviats de Bareuth & d'Anfpach, mais qu'encore elle offroit fon appui a la Prufle pour le troc de ces margraviats contre des provincés limitrophes du Brandebourg, eorame la Luface, ou le Mecklenbourg, fi le Roi Ie jugeoit conforne a fes intéréts, Le Roi lui ré-  DE LA GUERRE DE 1778. 185 pondic que fa cour mêloit & confondoit enfemble des chofes qui n'avoient aucune connexion, favoir fa fucceffion légitime & inconteftable fur ces margraviats avec fufurpation de la Bavière, & 1'intérét de fes Etats avec 1'lntérêt de 1'Empire, dontil embralfoit la caufe; que fi l'on vouloit s'entendre, il étoit néceflaire que fa cour fe défiftat d'une partie de la Bavière, & qu'on prit des mefures pour qu'il 1'avenir des afr.es d'un defpotifme aufli violent ne troublaffent plus Ia fécurité du corps germanique, en branlant fes plus fermes fondemens; & qu'al'égard de cette fucceffion il étoit bien éloigné deforcer un prince quelconque a troquer fes Etats contre ces margraviats; enfin que fi un troc pareil avoit lieu, il falloit que ce füt de bon gré qu'il s'arrangeftt. Le Roi ajouta, que ceci ne s'étant traité que verbalement, il vouloit bien, pour donner a rimpératrice des preuves évidentes de fes difpofi. tions pacifiques, minuter quelques articles principaux, qui pourroient fervir de bafe au traité qu'on fe propofoit de faire. Thugut s'offrit pour fecrétaire ; mais le Roi, qui ne fe fioit ni a fon ftyle, ni a fes intentions, les coucha lui-même parécrit. Certainement 1'Impératrice Reine auroit biengagné en les acceptant. La cour de Ruflie ne s'étoit point encore déclarée : la France confeilloita l'Autriche de faire la paix; mais fes avis avoient peu d'influence fur 1'efprit ardent du jeune Empereur, & fur le génie impérieux du Prince Kaunitz. Voici le réfumé de ce projet: l'Impératrice re»*  l8 vres des contrées oü ils pouvoient aittindre, & i. dècamper quand tout étoit mangé. On employa toute la prévoyance & toute Ia prudence convenable pour affurer ce mouvement. Les hauteurs qui Tont derrière 1'Uppau furent garnies d'infanterie & de canons; les poftes avancés fe replièrent fur l'armée, & la retraite fe fit avec tant d'ordre, que l'ennemi ne put entamer 1'arriêre-garde; fi Ton en excepte une légére pandourade, rien ne troublst les troupes dans leur marche, qu'elles continuörent jusqu'a Trautenbach, oü Ton féjourna peu de jours» De-Ia l'armée fe repiia fur Schazlar, dont le pofte couvre toute la balie Siléfie. M. de Warmler s'étoit préparé ce jour pour engager une affaire d'arrière-garde. Par précipation il n'attendit pas que les Pruffiens fuflent en marche pour les acta« quer, & engagea fur notre gaucha une affaire da pofte. La brigade de Keiler, qui occupoit une hauteur de cette exr/émité, fe défendit vaillamment, & repouffa l'ennemi, dont la perte fut Ja 40» hommes. Cela fait, les troupes fe rendirenc it Tendroit de leur deftination. Le Prince héréditaire partit de Schazlar avec 10 bataillons; il fut I 2  186 MEMOIRES joint a Munlterberg par 30 efcadrons de Tannée du Roi, avec lesqueis 11 fe mit en cbeiuin pour la haute Siléfie, oü il prit le commandement de tout le corps qui fe trouvoit dans cette province. II arriva a Troppau vers la fin de Septembre. Le renfort qu'il menoit dans la haute Siléfie, étoit calculé ponr contrebalancer un détachement a peu 'prés de la même force que 1'Empereur envoyoit i M. d'Ellerichshaufen, & qui auroit donné aux impériaux une fupériorité trop confidérable fut M. de Stutterheim , fi Ton n'y avoit pourvu a temps. Cette campagne s'étoit -bien vlte terminée; on étoit a la fin de Septembre; la faifon des opérations miütaires n'étoit point écoulée; on devoit donc foupconner que l'ennemi ne s'en tiendroit pas la, & qu'après avoir obfervé pendant la campagne jane défenfive aufii exacte que celle que nous avons rapportée, il couvoit encore quelque defl'ein, & méditoit peut-être de faire une campagne d'hiver. Deux points principaux pouvoient être les objets d'une irruption pour les Autrichiens; Tun d'attaquer en force le corps du Prince héréditaire; 1'autre de forcer les pafiages de la Luface. Un tmpereur jeune & ambitieux, k la téte de fes troupes, qui brüloit de fe fignaler par quelque coup d'éclat, donnoit un air de vraifemblance aux projets qu'on lui fuppofoitrftce qui méritpit afluré. ment un examen réiléchi. Les tentatives que 1'ennemi pouvoit méditer fur 1» haute Siléfie, pa-  DE LA GUERRE DE 177$. 197 roiflbient les plus faciles; il avoit de gros maga- f fins ft Olrnutz & tout ce qui eft néceflaire pour. le tranfport de fes fubfiftances; de plus il ne falloit que chafler les Pruffiens de Troppau , pour les forcer a abandonner TOppa & ft fe retirer vers Cofel & Nêifle. Le defftin de pénétrer en Luface rencontroit plus de difficultés. Le Prince dê Bernbourg y commandoit un corps de 20,000 hommes; les impériaux n'avoient poiut de maga* fins ft portée de la Luface; les vivres étoient rares du cóté de Schlukenau'. Gabel, Rumbourg & Friedland, de forte que l'ennemi auroit eu de la peine ft y amafler aflez de fubfiftances pour un corps de troupes confidérable; toutefois comme il pouvoit difpofer de tous les charrois de la Bohème, il auroit pu ft grands frais & avec du temps former des magafins dans cette panie,pour fe préparer ft une telle entreprife, très-difficile rektivement au pofte de 1'Eckartsberg. Moins on voyoirclair dans les vues' de l'ennemi, plus il falloit fe préparer pour tous les cas. A cette inteution M. de Bolfe fut détaché avec 10 efcadrons & 5 bataillons pour Lcewenberg & Greifenberg; fes ordres portoient d'obftrver le Général Alton, qui occupoit Friedland & Gabel, & au cas que ce Général voulüt entamer le Prince de Bernbourg , de prendre l'ennemi ft dos, & de ( fe concerter en tout avec ce Prince. D'un autre cóté le Prince Henri, qui campoit ft Ncellendorf, envoya un détachement fous le Général McellenI 3  jpS MEMOIRES dorf a Bau zen, pour joindre Je Piince de Bernbourg, au cas que les Autrichiens tournaflent de fon cóté; & fuppofé que cette expédition devint plus férieufe & qu'une partie de 1'airnée ennemie voultu prénetrer en Lufsce, pour marcher a Lauban avec eo bataiilons & 30 efcadrons. afin de couper les aflaiilans de leurs vivres. Lorsque le Général Mcellendorf quitis ia Bohème pour fe rendre a Bautzen, il fut attaqué par lts Autrichiens, qui furent repouflès avec une pene aflez confidérable. Le Major d'Anhalt, qui fervoit fous le Général Moellendorf, fe diftmgua beaucoup dans cette petite affaire. Tant qu'on ne 'fut point a quoi les ennemis fe détermineroknt, le Roi demeura a Schazlar; mais fitót qu'on s'appercut qu'ils ne faifoient aucuns préparatifs vers la frontière de la Luface pour «maffer des magafins , & que le corps qu'ils avoient fur cetre frontière étoit même inférieur a celui des Pruffiens, il parut alTez probable que Ia tranquillité fe maintiendroit de ce cóté • la pendant 1'hiver. Dês-lors le Roi eut la liberté de tourner toutes fes penfées vers la haute Siléfie; tVailleurs le froid cornmencoit a fe faire fentir aflez vivement dans les montagnes de la Bohème; il gefoit toutes les nuits; les Autrichiens n'avoient aucun co ps d'armée dans le voifinage. Toutes ces confidérations parurent fuffifantes pour lever le camp, & mettre les troupes qui devoient défendre la frontière en cantonnement entre Lands-  DE LA GUERRE DE 1778. 109 hut, Giiflhu, Hirfchberg , Schmiedeberg & Friedland. Elles confiftoient en 20 bataillons & 30 efcadrons, dont le Général Ramin avoit le comma'idement. Cette pofition étoit la même que le Roi avoit occupée en l'année 1759. Seizc bataillons & quinze efcadrons partirent a part, pour fe rendre dans ia haute Siléfie; le Roi les joignit a Neifle, fe mit a leur tête & marcha a Neuftadt. Voici les raifons de ce mouvement. Le Roi avoit toujours eu deflein d'attirer la guerre en Moravie; le Prince héréditaire occupoit Troppau; les ennemis avoient Jsegerndorf & pouvoient de-la le couper de Neifle & de Cofel. C'étoit donc une néceflité d'occuper Ja;gerndorf, pour aflurer par cette pofition la chalne des quartiers d'hiver derrière 1'Oppa. On étoit obligé d'ailleurs de prendre des établilfemens folides dans la haute Siléfie, pour fe mettre en état de faire le printemps fuivant les plus grands efforts en Moravie. Lei troupes du Roi chaflerent fans peine les Autrichiens de Jajgerndorf, & l'on s'occupa dès-lors a fortifier la ville, la montagne & la chapelle, & les villages les plus expofés aux infultes de l'ennemi. Le Prince héréditaire en fit autant a Troppau, & ces deux villes, par les fortifications qu'on y ajouta, devinrent de bonnes places a 1'abri de toute infulte. Dès Ia mi - Novembre ces ouvrages étant en aflez bon état, le Roi fe rendit a Breslau, tant pour prendre des arrangemens pour Ia campagne prochaine, qu'afin de veiller I 4  «oo M E M 0 IR E S. aux négociations, qui commenpoient ft prendre une tournure aflez ïntéreffante, K'ayant pas voulu rorhpre le récit d'une campagne ftérile en grands événemens, nous croyons devoir reprendre maintenanc Ie fil des affaires politiques. La cour de Pétersbourg étoit celle qui iméreflbit le plus, paree que c'étöit d'elle unique■ment dont on pouvojt attendre des fecours réels. L'Impératrice de Ruflie s'étoit- engagée d'aflïfter le Roi fiiót que fes différens avec la Porte ottomanne feroient vidés. Le Roi, qui voulut mettre l'Impératrice dans le cas d'aecompUr fa promeffe , s'étoit par une fuite de la bonne harmonie qui s'établiffoit entre Ia France & Ia Prufle adreffé au miniftère de Verfailles, afin qu'il fe chargeat de la médiation entre les Turcs & les Ruffes, & les Fiancois avoient réuflï ft faire confen. tir la Porte ft s'accomoder avec fes ennemis, en rendant les vaiffeaux ruffes qu'elle avoit pris aux Dardanelles, & ft reconnoitre le Chan des Tartares protégé par Catherine. A peine ces nouvelles anivèrent elles a. Pétersbourg, que 1'Impêrai tricê, raffurée fur la tranquillité de fes Etats, & ilattée par 1'ambition de prendre une part directe aux affaires d'Allemagne,-fe déclara ouvertemenc , pour la Pruffe. Ses miniftres taut ft Vienne qu'a , Ratisbonne déclarèrent en fubftance: „qu'ellepri„oit lTrrpérairice Reine de donner une fatisfac„tion entière aux princes de 1'Empire-ft l'égard de leurs gtiefs, & furtout des juftes fujets de plainte  DE LA GUERRE DE 1778. 201 „que leur fourniffoit 1'ufiirpation de la Bavière, „ faute de quoi l'Impératrice de Ruflie feroit dans „1'obligation de remplir fes engagemens envers S. „M. pruflienne,en lui envoyant le corps de trou„ pes auxiliaires qu'elle lui devoit felon Ia teneur „des traités.,, Cette déclaration fit 1'eftet d'un coup de foudre fur la cour de Vienne. Cet événement inattendu troubla & dérangea fa fécurité; Ie Prince Kaunitz fut embarraiTé , n'ayant riem prévu. Jofeph, qui défiroir ardemment la continuation de la guerre, profita du trouble & de la perplexité oü il trouva l'Impératrice fa mêre, 6c lui fit ligner un ordre pour augmenter fon armée de 80,000 recrues; i! s'écrioit qu'il falloit tour mettre en ceuvre, épuifer toutes les reffources, pour rendre dans ce moment décifif la maifon d'Autriche plus formidable que jamais; il penfoit que les dépenfes une fois faites, rien ne pourroit nrrêter la continuation de la guerre; mais rimpératrice étoit dans des fentimens tout oppofés. Elle foupiroit après la fin de ces troubles; elle mettoit tout fon efpoir en la médiation de la France, qu'elle avoic demandée; fes- peuples , furchargés d'impöis, ne pouvoient point fournir les fommes immenfes que les frais de la guerre exigeoient; les emprunts étrangers ne rempliflbient point les attentes de la cour; enfin 1'argent manquoit a tel point, que fouvent les foldats étoient fans paye & inanquoient des befoins journaliers; & les perfonnes les plus éclairées prévoyoient avec douleur I 5  202 MEMOIRES un berjleverfement général de la monarchie, fi otJ ne Ie prévenoit en fe prêtant de bonne grace aux propofitions d'une paix raifonnable. Déja l'Impératrice avoit follicité, comme nous 1'avons dit, la médiation de la France ,• elle avoit de méme imploré les bons offices de Ia cour de Ruflie, & par un hazard fingulier la dépêche de Vienne & la déclaration de Pétersbourg étant parties en même temps , arrivèrent a peu prés le même jour au lieu de leur deftination. Ceia tourna a 1'avantage du Roi, paree que fi Ia demsnde des Autrichiens füt atrivée a Pétersbourg avant le départ de la déclaration, il eft s préfumer que rimpératrice de Ruifij 1'auroit fupprimée. D'autre part le Roi, qui par fes émiflaires informé de tout, ue demandoit pas mieux que de s'accomoder avec la cour de Vienne, pourvu toutefois qu'on maintint les conftitutions de fEmpire dans leur intégrité, & qu'on ne négligeat ni les intéréts de 1'Eleéteur de Saxe, ni ceux du Prince de Deuxponts , & qu'il füt a 1'abri de toute chicane k 1'égard de la fucceffion des margraviats fur lesquels il avoit des droits incontefiables; & bien éloigné de s'oppofer a la médiation de la France,ce prince envifageoit la cour de Verfailles comme garante de la paix de Weftphalie, & comme autant intéreffée que la Prufle même a ne pas permettre que 1'Empereur par fon ufurpatlon de' la Bavière fe frayit un chemin, foit pour tomber fur le Roi de Sardaigne en Italië, (ce qu'on craignoit fort a  DE LA GUERRE DE 1778. 203 Turin.) foit'pour pénétrer avec plus de facilité en Alface & dans la Lorraine. L'Electeur de Saxe étoit coufin de Louis XVI, & le Prince de Deuxponts fon protégé. Néanmoins c'auroit été manquer de prudence que de confier entièrement les intéréts de la Prufle & de 1'Allemagne ft un miniftère fans vigueur, & q»i n'ayant aucune volonté ferme, pouvoit fe laifler ébranler par les machinations de la cour de Vienne. Pour prémunir M. de Maurepas contre toute propofnion des Autrichiens direftement oppofée ft la pacification. de 1'Allemagne, le Roi lui envoya un mémoire raifonné, qui contenoit les motifs qui rendoient telle condition de paix acceptable, & telle autre au contraire non -admiflible, avec un réfumé des articles principaux & indifpenfables pour la paix générale. Cette pièce fit un effet fi avantageux, que la France 1'admit pour bafe de la négociation dont elle s'étoit chargée ft Vienne. M. de Breteuil, Ambaiïadeur de France ft cette cour,éprouva de la part de 1'Empereur des difficultés qui renaiiToient a chaque propofition qu'il mettolt en avant; mais cela n'empêcha pas l'Impératrice Reine d'admettre le projet de pacifkation tel que la France 1'avoit minuté. Sur ces entrefaites le Prince Repnin arriva a Breslau de la part de l'Impératrice de Ruflie; il y parut plus fous les dehors d'un miniftre piénipotentiaire qui venoit difter de !a part de fa cour des lois ft 1'Allemagne, que comme un général delliné ft conduire un corps I 6  2©4 MEMOIRES. auxiliaire h l'armée prufiieune. Le Roi avoit pra< pofé a Ia cour de Pétersbourg d'employer Ie printemps fuivant le corps des Rufles contre la Ludomerie & Ia Gallicie, oü il y avoit peu de troupes; de pénétrer en Hongrie, oü 1'approche des Rufles auroit fait révolter tous ceux de la religion grecque qui étoient répandus dans la Crpatie, dans la Hongrie, dans le bannat de Témes,var & dans la Tranfylvanie; le Roi s'étoit même offert d'y jolndre un corps de fes troupes & d'abandonner toutes les richefles de ces provincés aux Rufles. Ce projet fut rejeté. Le corps que les RulTes devoient fournir felon le traité, confistok'en 16,000 combattans; l'on y mit un prix G énorme, qu'il ne pouvoit jamais s'évaluer par les fervices qu'on en pouvoir attendre. II en auroit coüté par an au Roi deux mülions, & outre cela un fubfide de 500,000 écus pour une guerre que Ia Ruflie ne faifoit point aux Turcs. Le Baron de Breteuil, Ambafladeur a la cour impériale, étoit flatté de devenir le pacificateur de l'Alleraa£ne-; il fe plaifoit a fe reprefenter qu'en fuivant les traces de Claude d'Avaux, plénipotentiaire a la'paix de Weftphalie, ce lui feroit un acheminement pour monter aux premières dignités dans fa patrie, & furtout au miniflére des affairesétrangères. II mit toute fon aétivité en jeu & travailla avec. tant de perfévérance, que vers Ia fin de Janvier il envoya a Breslau au prince Repnin le plan de padlication générale, tel que Ie Roi 1'avoit con.  DE LA GUERRE DE 1778. So$ eu, & qu'il avoit été approuvé par rimpératrice Reine. Les conditions étoient telles que nous les avont marquées. L'on communiquaceprojetde paix auxalliés de Ia PrulTe; les Saxons fe récriérent; ils faifoient monter leur prétention fur les alleux de laBavière a la fomme de quarante millions de fiorins,& ils prévoyoient avec douleur, que s'ils en obtenoient fix ce feroit beaucoup; ils exigeoient de plus que 1'Empereur renoncat a toutes les prétentions féodales qu'il prétend comme Roi de Bohème avoir fur la Saxe & fur la Luface, & furtout ils s'étoient flattés de gagner quelque dédommagemenc en fonds de terre pour arrondir leur territoire. Le Prince de Deuxponts de fon cóté s'opiniatroit a foutenir que la Bavière ne devoit être démembrée en aucune manière; il s'offroit a céder une partie du haut Palatinat, pour conferver le cercle de Burghaufen; avec. cela il ne confentoit qu'avec une extréme répugnance aux dédommagemens que i'Eiecteur de Saxe avoit a prétendre. Pour contenter le défir de fes alliés, le Roi fit une nouvelle tentative, principalement relative a Ia Bavière & au cercle de Burghaufen, pour ellayer s'il ponrroit obtenir pour eux quelques conditions plus favorables'de la cour de Vienne; mais bien toin d'y acquiefcer, Ie Piince Kaunitz, effarouché des nouvelles demandes des Pruffiens, répondit fièrement que le projet de pacification communiqué par TAmbafladeur de France au Prince Repnia étoit Cultimatum de la cour de Vienne, & qua I 7  aoS MEMOIRES rimpératrice étoit réfolue a facrifier jusqu'au dernier homme de fon armée, plutót que d'adhérer a de nouvelles conditions aufli humiliantes & aufli contraires a fa dignité que celles qu'on venoit de lui préfenter. II n'y avoit rien que de fort naturel è demander la reflitution entiêre d'une pro> vince envahie & ufurpée ; mais la France & la Ruflie ne vouloient que la paix ; la première, pour fe délivrer des follicitations de 1'Empereur, qui lui demandoit des fecours; la feconde,pour ne point aflifter les Pruffiens de fes troupes. Elles agirent eu confèquence, & preffèrent les Miuiflres pruffiens de ne point former d'obftacles nouveaux a la pacification générale. Le Roi, gêné par des puiflances médriatrices qui méritoient les plus grands égards, n'eut pas la liberté d'affifter fes alliés avec le zèle qu'il fentoit pour etix; il ne pouvoit pas heurter de front en même temps l'Autriche, la France & la Ruflie; il voulut pourtant concerter avec cette dernière lesm-efures qui reftoient a prendre; cj qui recula d'un mois faflemblée du congrès , paree qu'il falloit ce temps pour avoir la téponfe de Pétersbourg. Kous emploirons ce délai a mettre fous les yeux du lecteur le précis des opérations militaires qui occupèrent les troupes pendant eet hiver. On fe rappellera que nous avons lailfé le Prince héréditaire dans la haute Siléfie , occupé a foutenir fa pofition de Troppau & de ]a;gernrf, donnant la chaffe aux ennemis, tamót du  LE LA CUER\RË DE 1778. 107 cóté de Grsetz, tantót a Mashrifch Oftrau, tantck vers Lichten. Les Autrichiens croyoient de leur cóté que c'éto-U une humiliation de laifler lee Pruffiens tranquillment les maitres d'une pan ie de leur territoire; ils auroient voulu tout tenterpour les en déloger ; mais ils prévoyoient qu'ils ne pourroient reprendre les villes de Troppau & de Ja:gerndorf fans les ruiner & les brüler totalement. Ce moyen paroiffant trop dur a l'Impératrice Reine , les généraux autrichiens imaginèrent qu'en coupant l'armée du Prince héréditaire de Neifle, f_ d'oü ils fuppofoient fauflement qu'elle tiroit fes vivres,) ils obligeroient ce Prince a évacuertoute la haute Siléfie. Dans 1'intention d'exécuter ce projet le Général Ellerichsbaufen, avec unrenfort de 10,000 hommes qu'il avoit recu de la Bohème , établit fon quartier a Engelsbetg, petite ville fituée dans les gorges des montagnes, dont f une aboutit a Branna proche de Jajgernsdorf, 1'autre débouche a Hof, & la troifiême, qui pasfe par Zuckmantel & Ziegenhals, aboutit a cette plaine qui s'étend de Weidenau a Patfchkau , NeilTe & Neuftadt. Ce corps, environ de 15,000 hommes, placé avec eet avantage, donnoit différentes alarmes a nos quartiers; tantót il fourrageoit prés de Neifle , mais toujours repouffé ; tantót il inquiétoit les environs de Jasgemdorf, d'oü le Général de Stutterheim, qui en avoit le commandement, le renvoya bien battu. Enfin Us de ces échaufiburrées, qui ue laiffoiem pas de  »«8 MEMOIRES fatiguer les troupes , le Prince héréditaire de Eronfwic réfolut de les alarmer a fon tour. II rafTembla fes quartiers & fondit avec trois corps féparés fur les poftes de Branna, de Lichten & de 1'Engelsberg. Les impéüaux prirent Ia fuite auflitót que les Prufliens fe montrèrent; le Prince leur prit 4 canons ik 50 prifonniers ; mais leur terreur fut fi grande, qu'ils s'éloignèrent des cantonnemens prufliens, & que les troupes de Troppau & de Jagerndorf purent jouir de quelque tranquillhé. Alors M. d'EHerichshaufen tourna fön attention entière vers Zuckinantel & Ziegenhals, d'oü il faifoit journellement des incurfions dans le plat pays. Les troupes pruffiennes de Neufladt & de Neifle s'oppofoient a chaque moment aux déprédations que l'ennemi vouloit commettre; ce qui occafionna différéntes efcarmouches, oü 1'infanterie & la cavalerie prufliennes fe diftinguèrent également; mais ce genre de petite guerre n'entre pas dans le plan des mémoires que nous nous fommes propofe d'écrire. Toutefqis on réfolut de réprimer la témérité des ces fortes d'entreprifes; il falloit du repos aux troupes pendant 1'hiver, & elles avoient aflez de temps pour fe battre durant la faifori des opérations de campagne. Pour amener les chofes k cette fin & coupcr le mal par fes racines , on réfolut de déloger les Autrichiens de leur pofte de Zuckmantel, fi la chofe étoit faifable. M. de Wunfch, qui fe trouvoit avec dix bataillons dans le comté de  DE LA GUERRE DE 1778. aoj Gla'z, oü jusqu'alors il étoit tefté dérceuvré, crut qu'il pourroit s'en étoignér pour peu de temps fans trop hazarder par une courte abrence. 11 laiffa le Prince de Philipsthal avec deux foibles bataillons a Habelfchwerdt; il arriva ii Ziegenbals, dont il chaffa les ennemis, & les pourfuivit dans des gorges que forment les montagnes jusqu'a Zuclo mantel; mais ce pofte avoit été rendu infoutenable pour les Pruffiens, a caufe des hauteurs qui le dominent, & que les Autrichiens avoient non feulement garnies de canons, mais encore retran-' chées par des ouvrages confidérables, dont il étoit iropoffible de les expulfer; il 1'étoit même de les tourner, paree qu'on ne pouvoit gravir contre ces montagnes trop hautes , trop roides & trop efcarpées-. M. de Wunfch, convaincu pbyfiquement qu'il ne pouvoit rien entreprendre de ce cóté-la fur l'ennemi, & qu'un plus long féjour ne feroit qn'une perte de temps, s'achemina pour retoutner a fon ancien pofte auprès de Glatz. En palfant Landeck il entendit une canonnade aflez vive du cóté de Habelfchwerdt; il tourna auflitót de ce cóté; mais a peine eut-il fait quelque chemin, qu'il rencontra 250 foldats du régiment de Luck, qui s'étoient ouvert un paflage, & qui lui apprirent que le Prince de Philippsthal avec le refte du régiment s'étoit laiffé furprendre par les Autrichiens. Bientót M. de Wunfch entendit une autre canonnade; l'ennemi attaquoit une efjrèce de palanque ou de redoute dans laquelle le Géné-  aio MEMOIRES pruffien avoit IaiiTé 100 hommes pour la défendre. Les obufiers autrichiens y mirent le feu-, écleCapitaine Capelier, qui fe fignala par fa belle réfistance, fut obligé de fe rendre avant 1'arrivée du fjicours, de forte que M. de Wunfch fe jeta avec tout fon corps dans la forterelTe de Glatz. Wurmfer & les impériaux, qui n'avoient aucune connoiflance de cette redoute, avoient eu deflein de marcher droit a Glatz & de furprendre la ville. Leur projet ne pouvoit aucunement s'exécuter par furpiife; les ouvrages de cette fortereiïe font tels, qu'ils ne peuvent être infuités, a moins que l'ennemi n'entreprenne un (lége dans les formes. M. de Wurmfer eut toutefois favantage de prendre quelques quartiers dans le comté , & il fe fiattoit bien que pour le déloger du domaine pruflien, Ie Roi tireroit des troupes de la haute Siléfie, afin de les employer contre lui, & que par la le cordon de Troppau & de Jajgerndorf & l'armée du Prince 'héréditaire fe dégarnilfant, M. d'Elletischshaufen auroit beau jeu, & trouveroit le moyen d'entreprendre avec fuccès contre les Pruffiens , & de nettoyer ces bords de 1'Oppa qui donnoient tant de jaloufie aux impériaux ; mais les chofes tottrnèrent autrement que les Généraux ennemis ne 1'imaginoient & ne lg défiroient. Le Roi fe mie a Ia tête de quelques bataillons de fa réferve qui avoient hiverné aBreslau, auxquels fe joignirent les gardes du corps, les gendarme*, & le régiment d'Anhalt, avec lesquels ii  DE LA GUERRE DE 1778. 211 fe rendit a Reichenbach , & M. de Ramin evtvoya 4 bataillons au Généial Anhalt, qui en avoit 4 fous fes ordres. Tout ce corps occupaFried■ hnd & les retrancbemens qu'on y avoit faits. Puur chalTer l'ennemi de Wallenbourg le Général Leflwitz fe porta fur Scharfeneck, & le Général Anhalt fur Braunau. Les impériaux prirent la fuite de tous cótés; a peine M. d'Anhalt put-il attraper une cinquantaine de pandours. Dans le même temps que ces corps avancoient, le Roi occupa Silbetbcrg , pour être de-la a portée de donner des fecours oü il feroit néceflaire. Ce mouvement fit une telle impreflion fur les ennemis, qu'ils évacuèrent la ville de Habelfchwerdt & fe fauvèrent en Bohème. On avoit pourvu a tout; fi l'on avoit laiffé les impériaux tranquilles en Bohème fur les frontières de Ia Saxe, toutes leurs troupes auroient reflué vers la Siléfie, & M. de Wurmfer auroit été renforcé confidérabïement ; afin donc que 1'attention de l'ennemi füt divifée & qu'il penfat plutót a fa fureté qu'a inquiéter la Siléfie , M. de Mcellendorf ramafla quelques troupes , partit de la Saxe , marcha a Brix, battit avec fa cavalerie le parti qui lui étoit oppofé, prit trois canons, 350 prifonniers., & le magafin qui étoit dans la petite ville de Brix. La nuit il arriva qu'un bas officier du régiment de Wunfch déferta, & pour fe venger de fon major il meua tout de fuite les houfards autrichiens dans le même village, dont il enleva ce major & cinq  212 MEMOIRES drapeaux; tant il eft vrai qu'un officier ne peut jamais ètre aflez fur fes gardes pour éviter d'étre furpris; une aventure pareüle* étoit arrivée quelques mois auparavant en Siléfie au régiment de Thadden, cantonné dans le village de Dietersbach prés de Schmiedeberg. Les houfards firent nne faufte attaque fur un pofte du régiment, tandis qu'une autre troupe pénétrant par un jardin & une gratige dans Ia maifon du commandeur, en enleva trois drapeaux, ayant été cbaffée avant de pouvoir emporter les autres. Ces mits ne font pas honneur au fervice prufïïen ; mais dans le grand nombre d'officiers qui compofent cette ar» inée, tous ne fauroieet étre également éclairès & vigilans. •/ Pendant que la guerre fe faifoit fans égard a la faifon, le courrier que Ie Roi avoit envoyé avec fon ultimatum revint de Pétersbourg, & les deux cours étant convenues fur tous les articles qu'il contenoit , le Prince Repnin 1'envoya a M. de Breteuil a Vienne. Cet Ambafladeur manda que cette pièce avoit cauré beaucoup de fatisfaftion a l'Impératrice Reine, & que l'on fe propofoitd'asfembler un congrès pour mettre la dernière maiii a la pacification générale. La poflérité pourra-t-elle croire que dans de pareilles circonftances , lors méme que la cour de Vienne paroiflbit férieufemenc dans 1'intention de terminer la guerre, un Général Wallis avec 8 ou 10,000 hommes fe foit préfenté tout a coup devant la ville de Neuftadt,  DE LA GUERRE DE 1778. 253 oü Ie régiment de Prufle & le bataillon de Preuts étoient en garnifon; l'ennemi ne pouvant emporter la ville, y jeta tant de grenade royales d'une vingtame d'obufiers qu'il menoit avec lui, que le fcu prit au bardeau dont la plupart des maifons font couvertes, & que 240 babitations furent confumées par les (lammes;.mais la garnifon tint bon; . le Général Stutterheim, averti du mouvement des ennemis, les prit a dos vers Branitz; les troupes cantonnées a Rofswalde vinrent fur un flanc des Autrichiens, des détachemens de Neifle fur 1'autre. Wallis ne pouvant pas s'arrêter plus long-temps fans expofer tout fon corps, fe retira fur Zuckmantel, & fut pourfuivi & renvoyé jusques dans fon repaire. Cette expédition, méditée par 1'Empereur, avoit été prefcrite au Général Wallis. Ce prince fuppofant Ie Roi de Prufle ardent & d'une vivaci.é étourdie, croyoit qu'en aigriffant fon esprit par la ruine d'une de fes villes, il le rendroit plus renitent & plus difHcile pour la négociation qui devoit s'entamer; & que peut-être 1'humeur .qu'il en auroit, le porteröit a la tompre; maïs cette expédition des Autrichiens ne tourna pas aleur avantage. Peu après Ie Prince Repnin recut une dépêche de M. de Breteuil , qui lui marquoit combien l'Impératrice Reine défiroit impatiemment unefuspenfion d'armes; le 4 Mars le Roi recut ces nouTelles a Sllberberg & donna ordre a fes généraux  2J4 MEMOIRES de prendre des mefures avec ceux des ennemis, pour régler avec eux la tréve qu'on avoit propofée. Le 7 fut le terrne marqué pour celle de la Bohème; la 8 pour celle de la haute Siléfie & de la Moravie,- le 10 pour celle de la Saxe & de la Bohème. Ce terme arrivé, on mit les troupes dans des quariiers plus étendus, afin de leur procurer plus d'aifance, & d'éviter furtout les maladies contagieufes qui commencoient a régner fur les frontières. Le Roi fe rendit Ie 6 a Breslau, pour conférer avec le Prince Repnin; Ia ville de Tefchen fut agréée d'un commun accord pour le lieu des conférences, & le Roi nomma M. de Riedefel fon Miniftre plénipotentiaire a ce congrès. Arriva alors a Breslau M. de Terring - Seefeld en qualité de Miniftre de 1'Electeur palatin; lui, le Prince Repnin, M. de Riedefel, M. de Zinzendorf, Miniftre de Saxe, & M. de Hofenfels, Envoyé de Deuxponts, toute cette maffe de négogiateurs partie pour Tefchen , oü ils furent joints par M. de Breteuil, AmbalTadeur & plénipotentiaire du Roi de France, & par M. de Cobenzl, chargé d'un même emploi par lTmpératrice Reine. LTmpératrice vouloit fincèrement Ia paix • mais quelque empreflement qu'elle eüt de la voir bientót rétablie, elle n'avoit pu parvenir a infpirer les mêmes fentimens a 1'Empereur fon fils. Ce prince, comme nous 1'avons dit précédemment, croyoit fon honneur Jéfij, s'il ne foutenoit point  DE LA GUERRE DE 1778.. 215 nvec fermeré une démarche que fon ardeur lui 'avoit fait entreprendre. Dés que les Miniflres ouvrirent leurs conférences a Tefchen , le Comte Cobenzl acquiefca purement & fimplementauplan de pacification propofé par la France; il ne fit aucune difficulté & parut aufli content qu'on pouvoit le défirer; on crut que eet ouvrage feroit promptement terminé, lorsque le Prince Repnin recut un counier de la part de M. d'Aflebourg, Miniflre de lTmpératrice de Ruflie a Ratisbonne, lequel lui mandoit que 1'Electeur palatin lui avoit déclaré qu'il ne pouvoit, ni ne vouloit donneraucuue fatisfaclion a l'Eleéteur de Saxe, & qu'il aimoit mieux s'en tenir a fon traité précédent fait avec la cour de Vienne , que de foumettre fes intéréts aux décifions du congrès de Tefchen. M. de Breteuil & le Prince Repnin le prirent tous deux fur le haut ton, & s'armant de toute la dignité convenable a des plénipotentiaires d'auffi grandes puiflances, ils déclarèrent que toutes les parties contraftantes ayant déja adopté le plan de pacification qui leur avoit été propofé, ils confidéreroient déformais comme ennemi celui desfouverains qui voudroit contrevenir a fon premier engagement. Alors le Comte de Cobenzl & le Palatin plièrent , & des courriers furent expédiés, qui partirent en hate pour Vienne. Cela n'empêcha pas qu'on ne vit renaltre d'autres difficultés, qui barroient a cbaque pas la chemin aux média-  2IÖ MEMOIRES teurs. Un jour c'étoient les Saxons., dont on ne pouvoit fatisfaire les prétentions; un autre c'étoit le Miniftre de Deuxponts, qui pour faire briller fon zèle demandoit pour fon piince une augmentation d'appanage énorme & foutenoit fon fyftême favori, en prouvant que la Bavière étoit un duché indivifible; il fallut que le Roi s'en mélat pour que les chofes n'allaflent pas trop loin. Avec le fecours des médiateurs il parvint, quoiqu'avec peine, ft calmer la chaleur déplacée de ces deux Miniftres; l'on démontra au Saxon, que fans la France, Ia Ruflie & la Prufle, qui 1'afliftoient, fon Elecïeur n'auroit pas retiré une obole de la cour de Vienne , quelques juftes que fuflent fes prétentions; qu'ainfi il agiroit raifonnablemenc en fe contentant de la fomme qu'avec bien de la peine on lui faifoitrobtenir. On s'expliqua de même ft peu prés avec celui de Deuxponts, en lui rap. pelant qu'ayant perdu les trois quarts de la Bavière, fon prinee devoit fe trouver heureux qu'on lui en reftituat les deux tiers. A peine avoit-on' tranquillifé ces deux Miniftres, que 1'Electeur palatin fe remit fur les rangs, pour produire de nouvelles chicanes. La France en füt fachée, & le Miniftre de Louis XVI. ft Munich y paria fur Ie ton que prenoit Louis XIV. au milieu de fes triomphes. Néanmoins ces altercations continuèrent ft Tefchen , & furent pouffées au point, que les plénipotentiaires mêmes coramencoient ft fedé- £«r  DE -LA GUERRE DE 1778. 217 Hor du fuccès de leur négociation. Déja fix femaines s'étoient écoulées iufrucïueufement; on éteuc 8U ao d'Avril, lorsqu'ii arriva de Coniiantinople a Vienne un courrier avec la nouvelle de la paix cpnclue entre la puiffance ottomanne & la Ruflie. H ne falloit pas moins qu'un événement aufli important pour flechir l'ame inquiète du jeune Empereur. Tant que les apparences de guerre entre la Ruflie & la Porte avoient annoncé une rupture prochaine entre ces puiflances , Jofeph n'avoit confidéré la déclaration de Ia cour de Pétersbourg en faveur de la Prufle & de 1'Empire que comme un fimple difcours, paree que la Ruflie fe trouvant aflez occupée en Crimée & foutenir le Chan, fon protégé, contre la puiflance ottomanne, qui vouloit le détróner, elle n'auroit ni la force, ni les moyens de foutenir efficacement la Prufle; mais le rétablifletneot de la paix détruifoic toutes'les efpérances dont 1'Empereur s'étoit flatté; ü ne pouvoit pas fe déguifer que la Ruflie ayant maintenant les bras libres, étoit maiirelfe. d'employer fes forces comme bon lui fembleroit; que par conféquent elle pouvoit faire marcher un fi puiflant corps de troupes au fecours du Roi, que la PrulTe gagneroit par la une trop grande fupériorité d'hommes, contre laquelle il feroit impoffible aux troupes impériales de foutenir une campagne avec dignité, & a plus forte taifon fi la guerre venoit a trainer en longueur. La paix Ot*v. fojlh, dl Fr, U T. V. K  2i8 MEMOIRES des Ruffes doit donc proprement fervir d'époque pour dater 1'ouverture du congres affemblé a Teschen. Dès ce moment les machines de 1'Empereur s'arrêièrent, 1'Electeur palatin & fon pléifipotentiaire fe tinrent dans un filencerefpeéhieux; le Comte de Cobenzl devint plus liant, & abandonnant fes propofitions vagues, il s'expliqua rrmdement & nettement fur les matières qu'il traitoit avec les médiateurs. Toutes ces circontrauces favorables avancèrent fi promptement eet ouvrage, qu'en moins de quinze jours tout le monde étant d'accord, la paix fut conclue & fignée'le 23 Mai, jour de la naiffance de lTmpératrice Reine. Nous nous contenterons d'en rapporter les articles principaux, favoir: que 1'Empereur rendroic toute la Bavière & le haut Palatinat a 1'Electeur palatin, a 1'exception du cercle de Burghaufen; que la fucceffion de ces Etats feroit afiurée au Prince de Deuxponts, ainfi qu'a toutes les branches collatérales qui avoient les mêmes droits; que" 1'Electeur de Saxe obtiendroit pour dédommagement Ia fomme de 6 millions de florins, payable en termes annuels de 500,000 florins ; que 1'Empereur renonceroit en faveur de la Saxe au fief de Schcenbourg, enclavé dans eet électorat; qu'a 1'égard de la fucceffion des margraviats de Bareuth & d'Anfpacb, qui devoient retomher a Ia Prufle, 1'Einpereur reconnoiffoit Ia légicimité de ces droits, & promettoit de ne plus s'oppofer a  DE LA GUERRE DE 1778. ai* cette réunion; que de for, cóté le Roi deTrufle renoncoit a fes prétentions fur Juliers & Bergue en faveur 'de la branche de Sulzbach, moyennanc le renouvellement de la garantie que la France. lui avoit donnée de la Siléfie par le traité de 17415 que le Duc de Mecklenbourg obtiendroit le droit de non appellando, poor 1'indemnifer de fes prétentions; & enfin que le préfent traité feroit ga. ranti par la Ruffie, par la France & par tout le corps germanique. A peine le traité fut - il Hgné que les Pruffiens par bon procédé évacuèrent tout de fuite ce qu'ils oceupoient de poffeffious autrichiennes. Telle fut la fin de ces troubles de rAUemagne; tout le monde s'attendoit a une fuite de quelque. campagne» avant de les voir terminer; mais ce ne fut qu'un mélange bizarre de négociations, &d'entreprifes militaires, qu'il ne faut attribuer qu'aux deux faflions qui divifoient la cour impériale , dont 1'une gagnoit le deffus pour quelque temps & bientót étoit réprimée par 1'autre. Les officiers étoient dans des incertitudes perpétuelles, & perfonne ne favoit fi l'on étoit en-paix ou en guerre; fituation défagréable qui continua jus^u'au jour que la paix fut fignée a Tefchen. II parut que les troupes pruffiennes avoient de l'avantage fur leurs ennemis toutes les fois qu'elles pouvoient combattre en régie, & que les impériaux 1'emportoienr pour les rufes, les'furprifes & les K 2  sta o MEMOIRES itratagèraes qui font proprement du refibrt de la petite guerre. Fait a Potsdam ce 20 Juin 1772. Fb eberic.  CORRESPONDANCE d e L'EMPEREUR et de l'IMPÉRATRICE REINE avec le ROI, au sujet de la succession de la bavière.   223 Copie 'd'une kitte de la propre matn reur au Rot de Prusse, écrite cTOlmutx, le 13 Avril i?7%' MoNSIEUX. MON FRERE. Si j'ai differé jusqu'a ce moment, ci de remplir nne promefie mutuellement comractée entre nous, tant a NeilTe qu'a Neuttadt, de nous écrire directement, c'eft que préparé a tous les événemens, jevoulois attendre que je fuffe moi-même éloigné de la capitale , & par conféquent de tout ce qut peut reffentir finefle & politique, pour commuciquer a V. M. mes idéés, que je crois plus anaSogues a nos vrais intéréts que toute brouillerie qu°e nous pourrions avoir enfemble. Je les ai rédigées dans le pi de convention ci-joint, que j'ai Thonneur dj lui envoyer. Je n'y ajoute aucune féflexlon, bien certain qu'il ne lui en échap• pera aucune dont 1'objet peut êtrefufceptible. En même temps je fais cbarger Cobenzl des pleins pouvoirs nécefTairesvpour que fi V. M. adopte ce projet; Ton puifle d'abord procéder a lafignature, & fi elle déliroit quelque changement ou explication fur des acceflbires, je la prie de me les faire connoltre par fa réponfe directement. Elle peut «ompter d'avance que je ne m'y refuferai pas,, fi-  234 CO RRESP O ND ANCE je le puisj ainfi que naturellement tout fera die, fi cela ne lui convenoit en facon quelconque. Je ferois vraiment charmé de rafFermir par la de plus en plus une bonne intelligence qui fetile doit & pent faire le bonheur de nos Etats, qui avoit déja fi heureufement & avantageufement commencé, qui de ma part étoit d'abord fondée fur la haute eflime & confidération que le génie & les taiens fupéiieurs de V. M. m'avoient fu infpirer , qu'une connoifiance perfonnelle avoit augmentée , & que je fouhaite vraiment de perpétuer par des aflurances & témoignagesréitérésd'une amitié fincère avec laquelle je ferai toujours be Monsieur mon Frere et Cousin le trés • affedtionné Frere & CouGn JoSEPH. Projet de Conventibn qui seft trouvé joint a la lettre. Sa Majefié lTmpératrice Reine apoftolique Sa Majefié Ie Roi de Pruffe ont vu avec ure vraie peine que les affaires de la fuccefiion de Baviére prenoient une tournure fi critique & fi embarraiFante, que non feulement il y avoit tout a craindre préfentement pour la tranquiilité de 1'Ai!emagne,mais qu'auffi on devoit appréhender dans favenir les fuites les plus facheufes de conjonctures de la même efpèce;. & Leurs dites Majeftés  AU SUJET BE LA BA F IE RE 225- étant animées 1'une & 1'autre du-deur fincère «Técarter amant que poffible tout ce qui pourroit altérer la bonne imelligence & 1'amit.é-qm fubf.ftent entr'elles, ainfi que le repos général de 1 Empire germanique, elles font entrées ft ce f.Jet danseur» concert amiable, & fur les-éclairdlfemens. Lnces données d'une part par ^ pératrice Reine, & Mvies de 1'autre des déclara. Ls de Sa Majefté le Roi de PrulTe, elles ont: dans eet efprit de conciliation chargé leurs Miniftres refpeftifs, munis de leurs pleins pouvoir^ de conclure & ar-rêter une convention de-la teneur fU7nReconnoit Sa Majeflé- prudentie 1^ validité de la convention faite le 3 Janvier de Tannée courante entre Sa Majefté lTmpératrice Reine apoftolique & Son Alteffe féréniflkne éteftoraie pa!*tine, ainfi que la légitimitéde Tótat depofieffion des diftrlfts de la Bavière, occupés enconfëquen, ce par Sa Majefté impériale apoftolique. 2 Et atrendM que dans- cette convention les fcux parties contante* fe font expreiTément- ré* förvé la faculté de faire-entr'elles une conventton ultérieure fur Téchange ft régler d'après les coavenances réciproques,. foit des diftrifts q«. fon. tombés en partage ft Sa Majefté- impénale&apc*tolique & ft la maifon-d'Autriche, foit de la totalité. da pays,- ou. feulement de quelques p»rt«s*> promet Sa Majefté- pruffienne de laiffer; exécuter^ifiblement les échangsB en qaeftion, bien-es*-.*"  ■j»5- CORRESPÖND/iPïCE du néanmoins que les acquifitions a faire ne puif« fènt porter fur aucun pays immédiatement limitrophe des Etats aétuels de Sa Majefté pruffienne. 3. En revanche reconnolt S. M. I. & apostoliqt'e d'avance la validité de 1'incorporation des pays d'Anfpach & Baremh a la primogéniiure de féleftorat de Brandebourg , & promet de fon cóté- 4. De laifler confommerpaifiblement tout échange qui pourroit être fait de ces pays d'après les convenances de Sa Majeflé piuflienne, bien entendu néanmoins que les acquifitions a faire ne puiflent porter fur aucun pays immédiatement limitrophe des Etats aftuels de Sa Majefté l'Impératrice Reine de Hongrie & de Bohème. Rêponfe de la propre mailt du Roi £/*EmpeReur, datée de Schctnwahle le 14 Avril 177?: Monsieur mon Frere, 3'ai recu avec toute la fatisfaétion poflible Ta fcttre que V. M. I. a eu la bonté de m'écrire. Je n'ai ni miniftre ni fcribe avec rnoi; ainfi V. M. 1. voudra bien fe contenter de la réponfe d'un vieux foldat, qui lui écrit avec probité & avec franchife fur un des fujets les plus importans que la politique ait fournis depuis long-temps. Perfonne plus.que moi ne défire de maintenir la paix Sl ia bonne, harmonie entre les puiflances de l'Ei».  AU SUJET DE LA BAVÏERE rope;mais il y i desbornes a tout,& U fe trouve des cas fi épineux, que la bonne volonté ne Mfit pas feulepour maintenir les chofes dans le repos & u tranquillité. Que V. M. me permette de lui expofer uettement 1'état de la queftion de nos affaires aftuelles. II s'agit de favoir fi un Empereur peut difpofer felon fa volonté des liefs de' f Empire? Si l'on prend 1'affirmative, tous cesfiefs deviennent des Timariots, qui ne font qu'a vier & dont le Sultan difpofe après la mort du poffeffeur. Or c'elf ce qui eft contraire aux lois,. aux coutumes & aux-u violente dont la Bavière vient d'être envahïe. Moi, comme membre de 1'Emphe & comme «yant raff pelé la paix.de Weftphalie par le traité de Hubertsbourg je me trouve directement engagé a foutenir les'immunités.les liber.és & les droits du corps^ germanique, les capitulations impériales, par les*queiles on limite le pouvoir du chef de 1'Empire,. afin de prévenir les abus qu'il pourroit faire de fepréémitience. Voila,-Sire, au vrai f état des o>o fes. Mon intérêt perfonnel n'y eft pour 0*0 ; asais je fuis petfuadé que V. M me «garderaK 6  mS CORRESPOND ANCE elle.même comme un homme lache & indignede fon eftime, fi je facrifïois baffémentles droits, immunités & piiviléges que les Elecreurs & mol avons recus de nos ancêtres. Je continue a lui parler avec la même franchife. J'aime & j'honore Ta perfonne. II me fera certainement dur decombattre contre un prince doué d'excellentes qualités, & que j'efthne perfonnellement. Voici donc felon mes foibles lumières des idéés que je foumets aux vues fupérieures de V. Mi I. Je con» feflfe que la Bavière felon le droit de convenance peut convenir a la maifon impériale; mais comme d'ailleurs tout autre droit lui eft contraire dans cette poifeffion, ne pourroit on pas par deséquivalens fatisfaire le Duc de Deuxponts? Ne pourroit-on pas trouver de quoi indemnifer 1'Eleéteur de Saxe fur-les alleux de la fucceffion de Bavière? Les Saxons font monter leurs prétentions a 37 millions de florins; mais ils en rabattrotent bien quelque chofe en faveur de la paix. C'eft, Sire, a de* telles propofitions, en n'oubliatit pas le Duc de Mecklenbourg,. que V. M. I. me verroic concourir avec joie, paree qu'elles feroient conformes a ce que demandent mes devoirs & la place que j'occupe. J'aflure a V. M. que je ne m'expliquerois pas avec mon frère avec plus de franchife que j'ai 1'honneur de lui parler. Je la prie de faire fes réflexions fur tout cequejeprends la lib;rté de lui repréfenter; car voila le fait dont il, s'agit. La fucceffion d'Anfpach y eft tout-a^.  AU SUJET DE LA SJ FIERE, AU étrangère. Nos droits font fi légttimes, que perfonne ne peut nous les rendre litigieux. Celt ce van Swieten qui m'en paria, il y a ]e crois ouatre a fix ans, & qui me dit que la cour impériale feroit bien aife s'il y avoit quelque troc a propofer, paree que j'óterois a fa cour la fupériorité de voix dans le cercle de Francome, & qu'on ne voudroit pas de mon voifinage pres d'Egra en Bohème. Je lui tépondis qu'on pouvoit fe tranquillifer encore , paree que la Margrave d'Anfpach fe ponoit bien , & qu'il y avoit tout a parier qu'il me furvivroit. Voila tout ce qui s'eft paffé fur cette matiére,. & V. M. Ipeut étre perfuadée que je lui dislavérité. Quant au dernier mémoire que j'ai recu du Prince Kaunitz, ledlt Prince paroit avoir. eu deThumeur en le dreffant. La téponfe ne pourra arriver ici que dans huit jours. J'oppofe mon fiegme a fes vivacités, & j'attends furtout ce que V. M. L aura la bonté de décider fur les fincères repréfentations que. je prends la libèrté de lui faire, étant avec la plus haute eftime.& avec la plus haute confidération, Monsieur, mon Frere, de votre majeste imperiale le bou Frère & CouCn E r e d e ri c. S'il m'èft arrivé de manquer au cérèmonial, j'en fais mes excufes a V. M. I.; mais foi d'hoa- K-7.  *3«- CO RRESPO ND A NCB neur, a 40 milles a Ia ronde il n'y a perfonnff qui puiffe m'inftruire. Lettre de la propre main de /'Empereur adres* fée au R o 1. De Littau le 16 Avril 1778. Monsieur mon Frere,. Dans ce moment je viens de recevoir Ia lettre de V. M. Je Ia vois dans une erreur de fait, & qui change entièrement fa longue tirade , mais furtout la queftion; cela m'engage donc pour Ie bien de 1'humanité a Ia lui éclaircir par cette lettre. Dans tout ce qui s-'eft fait en Bavière , ce n'efl point 1'Empereur qui agit , mais fEledenr de Bohème & 1'Archiduc d'Autriche, qui comme Co-Etat a fait reconnoitre fes droits, & s'eft arrangé par une convention libre & amicale avec fon Co-Etat & voifin, l'Electeur palatin, devenu feul héritier.des-Etats de la Bavière. Le droit de s'entendre' & arranger-avec fon voifin fans-fa* veu d'un tiers a toujóurs- paru jusqu'a préfent v.n droit inconteflable a quiconque n'eti pas ddpendant, & par conféquent tous les princes de 1'Empire font toujours exercé de droit & de fait. Quant' aux prétentions fur 1'allodial de ia cour de Saxe & du Duc de Mecklenbourg, dont elle veut bien me parler, il me paroit que c'eft une affaire litigieufe a décider de van t qui il compè. te, ou a arranger uniquement avec 1'faéritier, qui-' tü TElecleur palatin, felon les pactes de familie,  A'U SUJET DE LA BA-FIERS. «31 Pour S. M. Impératrice Reine, je crois pou*' voir affurer que le droit de regrédience dont elle a touché quelque chofe dans la réponfe qu'elle a donnée, elle pourra même ne plus le faire valoir, en faveur des autres héritiers allodiaux & pour leur faire plaifir. Pour le Duc de Deuxponts, il eft prouvé qu'il n'a aucun droit, tant que l'Eleöeur palatin exifte , & il lui eft libre d'accéder ou non a la convention qui s'éft faite, & quoiqu'il ait autorifé préalablement l'Elec>eur a s'arranger en fon nom & au nom de tous fes héritiers avec S. M. rimpératrice fur la fucceffion de Bavière, fes droits refteront néanmoins intaeles, & S. M. ne fe croira point obligée vis-a-vis de lui a fa convemion, & par conféquent dans le cas de faire de nouveaux arrangemens, ou de procéder par la voie légale que ' fon bon droit lui donne, vis-a-vis du Duc de Deuxponts , lorsqu'il fera dans le cas de'fuccéder k l'Ele.éteur palatin. Par les raifons ci -allégtiées s, qui font toutes des faits prouvés, je crois que V, M. fera convaincue entièrement que le mot de defpotifme dont elle fe f'ert, & que j'sbhsjrepoür le moins autant qu'elle, eft de trop, & quei'Empereur n'a fait autre chofe dans toute cette occurrence , que de promettre k un chacun qui feplaindra a lui en bonne forme & lui fera connoitre fes droits , de lui adminiftrer prompte juflice, tout comme S. M. lTmpératrice Reine n'a fait que faire yaloir fes droits & les conftater par une convers-.  »3* CORRESPONDANCË tion libre; & elle faura par conféquent, avec tous ies moyens qu'elle a, défeudre fes poffeffions» Voila le vrai état de la queftion , qui fe réduit a favoir fi quelque loi d'Empire empêche un Electeur de faire avec fon voifin un arrangement & une convention fans fintervention des autres, qui leur convient mutuellement, ou non. j'attendrai avec tranquillité ce qu'il lui plaira de me répondre, ou de fairê. j'ai appris tant de chofes vraiment uti. ies déja de V. m., que fi je n'étoit pas citoyen, & fi quelques millions d'êtres qui par la en fouffriroientcruellement, ne me tonchoient-, je iuidiroit presque que je ne ferois pas faché qu'elle m'apprit encore a être génétal.. Néanmoins elle peut compter que le maintien de la paix, & furtout avec elle, que j'honore &.aime vraiment, eft mon fincère défir, & que 400,000 braves gens ne de. vroient point être employés a s'égorger mutueile. ment, & cela pourquoi/ & a quoi bon? & fans en prévoir furtout de patt ni d'autre des fiuits qui les puiirent valoir. Voiia.mes fincères réflexions; j'ofe les communiqner a V. m. avec la cordialité & franchife poflible, étant avec. la plus haute &p.arfaite confidération. Monsieur mon Frere,. de v o the majeste. le bon Frèfe & Coufirfj o s e &bv  AU SUJET DE LA BAVIÈRE. 033 Lettre de la propre maln du Roi a /" E m p areup.. De Scbamwalde le 18 Avril 1778. Monsieur mon Frf.'re, Les marqués d'atnitié que V. M. L daigne me donner, me font d'un prix ineftimable, car certainement perfonne ne la confidère, & fi elle me permet de le dire, n'aime plus fa perfonne que je ne le fais. Si des caufes imprévues donnent lieu a des diverfirés d'opinions fur des matières politiques, cela n'altère en rien les fentimens que mon cceur lui a voués. Puis donc que V. M. I. veut que je lui parle avec ma franchife ordinaire fur les matières épineufes qui font maintenant 1'objet principal de nos occupations, je fuis prêt a la fatisfaire, a condition toutefois qu'elle aura la mème indulgence pour ma fincérité qu'elle a bien voulu avoir jusqu'ici. Je la prie d'avance de ne pas croire , que féduit par une folie ainbuion , j'aie la démence de vouloir m'étiger en arbitre des fouverains. Les pafiions vives font amorties & ne font pas de faifon a mon age, & ma raifon a fu prefcrire des bornes a la fphère de mon aaivité. Si je m'imèreiïe aux événemens récens de la Bavière, c'eft que cette affaire eft compliquée avec 1'intérêt de tous les princes de 1'Empire , au- nombre desquels je fuis compté. Qu'ai-je donc fait? j'ai examiné les lois, lesconftitutions germaniques, Partiele de la paixdeWeftphalie telatifa la. Bavière., & j'ai comparé le tout  234 CORRESPO ND/iNCE a 1'événeraent qui vient d'arriver, pour voir fïces lois & ces traités pouvoient fe concilier a\/ec cette prife de poffeffiou, & je corrfeffe qu'au lieu des rapports que je déürois d'y trouver,- je n'ai rencontré que des contradictions. Pour en dérailler p!us clairement mes remarques a V. M. I. qu'elle agrée que je me ferve d'une comparaifon: je fuppofe donc que la branche des Landgraves de Heffe a préfent régnante füt fur le point de s'éteindre, & que 1'Electeur de Hanovre par un traité fignéavec le dernier de ces Princes, s'emparat de Ia Heffe fous prétexte de fon confentement; les Princes de Rheinfels, qui font de la même familie, réclameroient fans doute eet héritage, paree qu'un poffeffeur de fief n'en eft que I'ufüfrukier, & que felon toutes les lois féodales ii ne peut tranfiger, ni difpofer de fes poffefnons fans Ie confentement des agnats, e'eft a dire des Princes deRheinfels, & devant tous les tribunau:.. Je juftice i'Electeur de Hanovre feroit repris de s'être mis psr les armes en poffesfion d'un bien litigieux , 5c il perdroit fa caufe avec dépens. Autre eft le cas de fucceffion d'une familie éteinte, de laqueUe les héritiers ont droit de prendre pofkffion, ainfi qu'il s'eft fait en Saxe a la mort des Ducs de Merfebourg, de Naumbourg & de Zeitz. Telles ont été jusqu'ici les lois & les coutumes du St. Empire romain. J'en viens aétuellement au droit de regrédienca dont il eft fait mention dans Ié manifefte que la cour impériale a publié. Je me fouviens encore  AU SUJET DE LA BAFIERE. 23S qu'en l'année 174° ^ Roi de Po,0Sne fu valok ce droit, pour sutorifer les prétentions qu'il formoit fur la Bohème du chef de la reine fon époufa, & je me rappelle que les miniftres autrichiens d'alors réfutèrent vivement les argumens que les miniftres de Saxe déduifoient de ce droit, que ceux d'Autriche perfévérèrent conftamment a trouver invalide & inadmiffible: or fe peut-il qu'un droit foit mauvais en un temps & devienne bon dansun autre? J'avoue a V. M. I. qu'il me paroit que cela implique contradiaion. V. M. L ajoute dans ia lettre a 1'égard du Prince de Deuxponts, qu'onpourroit s'accommoder avec lui a la mort de 1'Eleaeur de Bavière: elle m'enhardit aflez pour que j'ajoute, & pourquoi pas a préfent? Car effeaivement ce feroit conferver les germes de nouveaux troubles & de nouvelles divifions , quand rien u'empêche de les prévcnir a préfent. Qu'elle a» irouve pas mauvais que j'ajoute encore un mot i 1'égard de 1'Elefteur de Saxe, qu'on veut afligner •i 1'Eleaeur palatin; mais il faadrok donc achever de dépouiller ce dernier, (5 l'on vouloit fatisfaire 1'autre. Ne trouveroit-on pas d'autres expédiens pour le contenter? Je crois que la chofe en vaudroit la peine;. il faudroit les articuler ces expédiens , ils ferviroient de points fixes fur lesquels on pourroit négocier. Enfin, Sire,.puisque V. M. h m'enhardit, puisqu'elle fouffre qu'on lui dife la vérité, puisqu'elle alt fi digne de 1'enteadre, elle ne défapprouvera  236 CORRESPONDANCE pas qu'en Int ouvrsnt mon coeur, je jette enavant quelques idéés qui peuvent fervir de matière de conciliation. Je crois toutefois qu'une difcuflion de cette nature exige qu'on la traite par des miniftres. C'eft a elle a décider fi elle veut charger de fes ordres a ce fujet le Comte de Cobenzl, ou qui elle jugera a propos de nommer, pour accélérer un ouvrage aufli avantageux a 1'hnmanité. Je confefle que c'eft un chaos difficile a débrouiller; mais les difEculrés doivent plutót encourager que rebuter. Si on ne peut les vaincre , 1'humanité exige au moins qu'on 1'eflaye, & fi l'on veut fincêrement la paix, il faut la cimenter d'une faeon durable. Que V. M. I. foit perfuadée d'ailleurs que je né confonds jamais les affaires & fa perfonne. Elle a Ia bonté de me badiner. Non, Sire, vous n'avez pas befoin de maltre. Vous jouerez tel róle que vous voudi ez, paree que le ciel vous a doué des plus rares talens. Qu'elle fe rappelle que Lucullus n'avoit jamais commandé d'armée lorsque le fénat romain 1'envoya dans le Pont. A peine y fut-il arrivé que pour fon coup d'eflai il battit Mithridate Que V. M. I. remporte desvicroires, je ferni le premier a 1'applaudir; mais 'j'a« joute, que ce ne foit pas contre moi. Je fuis avec tous les fentimens de la plus parfaite eftime & de k plus haute confidération. Monsieur mon Erere, be vctre majeste imperiale le bon Frère & Coufia Fredexic.  AU SUJET DE LA BAFJER.E. 237 Lettre de /'Emper sur. De Kmiigsgratz, le IQ yzOT'// I778. Monsieur mon Frere, La leure amicale que V. M. vient de m'écrire me touche feufiblement, & fi la haute confidération & j'ofe le dite la vraie amitié que j'ai toujours eue pour fa perfotine, pouvoit auginenter, certainement elle feroit bien faire pour cela. Je vais donner part a S. M. lTmpératrice Reine des intentions remplies d'humanité qu'elle contient, & qui font dignes d'un aufli grand homme qu'elle. Je puis d'avance 1'aflurer que S. M. a déja donné & donnera encore a Cobenzl les iuftruénons néceflaires , pour recevoir & fe prêter a toutes les propofitions conciliatoires qui feront décentes & poffibles, tant a ce que S. M. fe doit a elle-même qu'a fon état, afin d'éloigner, tant pour ce moment que pour les occafions a vcnir, Ie fléau de la guerre entre nos Etats refpectifs. Quelque difficile que cela paroilfe, fi l'on veut bien, cela pourra réuflir, & nous aurons par la acquis tous deux une gloire bien plus réelle que ne feroient toutes les victoires-* & les bénéuclaons de tous nos fujets, la confervation de t*nt d'hommes, feront les plus beaux trophées qu'on pourroit acquérir - & il n'appartient a en femirlav:.!:nirqu'aceux qui comme elle apprécient le prix de rendre les hommes heureux. V. M. eu me parlant des moyens pour confer-  238 CORRESPOIVD ANCE ver Ia paix, paroit vouloir faire la guerre k ma ■raifon par les complimens trop flatteurs qu'elle me fait, & qui devroient me tourner la tête, C je ne connoiflbis tout ce qui me manque en expérience, en talens. Eloigné pat caraétère de toute vanité & du plaifir d'être próné , je lui avouerai néanmoins que je ne puis être infenfible k l'eftime & a 1'approbation d'un bon juge comme elle. Je la prie de vouloir bien être petfuadée des fentimens de la plus haute & parfaite confidération & fincère amitié que je lui ai voués perfonnellement pour la vie, étant Monsieur mon Frere, de Votre Majeste le boa Frère & Coufia J o s e pii. Lettre de la propre main du Roi a /'EmpEREURt De Sehcenwalde le 20 Avril 1778. Monsieur mon Frere, Rien ne peut être plus glorieux pour V. M, I. que la réfolution qu'elle daigne prendre d'elfayera conjurer 1'orage qui fe prépare, & quimenacetant de peuples innocens. Les fuccès, Sire, que les plus illuflres guerriers ont fur leurs ennemis, fe partagent entre bien des têtes,■ qui par leur valeur & leur conduite y concourent. Mais les bienfaits des fonverains envers 1'humanité leur font  AU SUJET DE LA BAFI ERE. 239 ■uuioue ' 'tic attribués, paree qu'ils tiennentala bonté de leur cara&ère, comme a 1'élévation de leur génie. II n'eft aucune efpèce de réputat-ion a laquelle V. IYI. I. n'ait droit de prérendre, foit que ce foit des traits de valeur, foit que ce foit des actes de modération. Je la crois également capable des uns comme des autres, & V. M. I. peut étre perfuadée que j'agirai rondement, & me prêterai de bonne foi a tous les moyens de conciliation que fon pourra propofer, d'une partpourprévenir 1'effufion de fang innocent , & de 1'autre, Sire par les fentimens d'admiration que j'ai pour votre perfonne, & dont les profondes impreiiïons ne s'eflaeeront jamais de mon cceur. Que V.M.I. foit perfuadée que fi je me fuis hazardé a lui ouvrir les fentimens que j'ai pour fa perfonne, c'eft 1'expreflion pure & fimple de la vérité, L'onm'accufe d'être plus fincère que ftnueaWi & je fuis incapable de dire ce que ie n"e penfe pas. C'eft en attendant ce qu'il plaira ï V. M. I. de régier pour 1'imporr.ante négociation dont il s'agit, que je kv prie de me «roire avec tous les fentimens de la plus parfaite eftime & de la pius haute confidération, Monsieur mon Frere, de Votre ï'ujeste Imperiale le bon Tière & Coufin Frederic  2£j.o CO RRESPONDANCE Capie de la lettre du Miniftre de Ruflie a Vienne, le Prince de Gallizin au Roi. Sire, S. M. rimpératrice Reine m'a confié la réfolution qu'elle vient de prendre de dépêcher vers V. M. 1'Envoyé M. Thugut, chargé d'une lettre pour elle, ainfi que d'ouvertures tendantes aarrêter les progrès de la méfintelligence furvenue entre les deux cours. Elle m'a reqnis de le munir d'un paffcport fous le nom de quelqu'un qui eft attaché au fervice de mon augufte fouverairte, ainfi que d'une lettre pour Votre Majefté. • J'ai d'autant moins héfité de me rendre a fes ordres & a fa volonté , que je fuppofe que la commiflion dont M. Thugut eft chargé, fera agréable a Votre Majefté. Rien n'égaleroit mon bonheur, fi après avoir fervi d'inftrument a aclieminer 1'action la plus héroïque da règne de V. M., celle de rendre la paix a 1'Allemagne a la téte de fes puifiantes armées, j'ofois encore me flatter que V. M. daignera agréer les hommages que je porte a cette occafion a fes pieds, & les fentimens du pkis profond refpeél nvec lequel je fuis Sire, de Votre Majeste le trés -humble, trés - obéiflant & trésfoiimi» fervireur vienne Demetry Prince Gallizin. Je ia JajUet 1778.  AU SUJET DE LA BAVIÈRE. 24? Rêponfe de S. M. au Prince de Gallizin a Vienne, Du camp devant Jaromirs le 17 Juillet 1778. Monsieur le Prince de Gallizin, Indépendamment da ce que la dernière négociation avec la cour de Vienne a été rompue, je ne fuis pas fi éloigné de la paix, que fi la cour de Vienne vouloit faire des propofitions acceptables., & qui pulfent fe concilier avec le maintien du fyflème du corps germanique, je ne fufle toujours trés difpofé a les recevoir- & fi M. Thugut eft chargé de quelque propofition, je ne faurois refufer, pour-lebien de 1'humanité, de Tentendre , & de faire un dernier effort pour concilier ces troubles. Sur ce je prie Dieu qu'il Vous ait, M. le Prince de Gallizin, en fa fainte &digne garde. Copie de la lettre de S, M. /Tmperatrice Reine, envoyée par le Sieur Thugut. Monsieur mon Frere et Cousin, Par le rappel du Baron Riedefel & pat I'entrée des troupes de V. M. en Bohème je vois avec une extréme fenfibilité 1'éclat d'une nouvelle guerre. Mon age & mes fentimt ns pour la conferiation de la paix font connus de tout le monde ,& je ne faurois lui en donner une preuve plus réelle que par la démarche que je fais'. Mon cceur Qeuv, tiiflh. de Fr. II, T. V,  a4a CO RRESPO ND ANCE Diaternel eft jufternent allarmé de voir a l'armée deux de mes fils & un beau-fils chéri. Je fals ce pas fans en avoir prévenu 1'Ecnpereur mon fils; & je lui demande même pour tout le monde le fecret, quel qu'en foit le fuccès. Mes vceux tendent a faire renouer & terminer la négociation, dirigée jusqu'a cette heure par S. M. 1'Empereur, & rompue a mon plus grand regret. C'eft le Baron Thugut, muni d'inftructions & d'un plein pouvoir, qui lui remettra celle-ci en main propre. Souhaitant ardemment qu'elle puiffe remplir nos rceux, conformément a notre dignité & fatifaction, je Ia prie de vouloir répondre avec les mêmes fentimens aux vifs défirs que j'ai de rétablir notre bonne lntelllgence pour toujours, pour le bien du genre humain, & même de nos families, étant de Votre Majefté la bonne Soe;ir & Coufine Marie Therese. Copie dun póftfcrit a la lettre ci- defus de ITm- peratrice reine. Le ia. C'eft dans ce moment qu'arrivent les nouvelles du 8 & du 9 de l'armée, qui m'annoncent fon arrivée vis - a • vis de nous. Je m'empreffe d'au. tant plus a expédier ceci, crainte de quelque accident qui changeroit la fituation préfente. Je compte après le départ de Thugut expédier un courtier a 1'Empereur, pour empêcher par la peut-  AU SUJET DE LA B/iFIERE- «43 écre quelques pas précipités, ce que je fouhaite de bon cceur. Je fuis, de Votre Majes'te, Ia bonne Scenr & Coufiie Marie Therese. Copie du plein pouvoir de la propre main de /Tmperatrice Reine, dont foriginal & étè rendu au Sieur Thugut, a fVekdorf le 17 Juillet 1778. Plein pouvoir pour le Baron de Thugut, afin de conclure avec S. M. le Roi de Prufle urne, convention, felen les intentions que je lui ai confiées. Le 12 Juillet 1778. —^ Marie Therese. Copie dei propofitlons de Sa Majeflé /Tmperatrice Reine. 1. LTmpératrice gardera de fes pofleflions actuelles en Bavière une étendue de pays d'un million de revenus & rendra le refte a 1'Electeur palatin. 2. Elle conviendra inceflamraent avec f Eleéteur palatin d'un échange a faire de gré a gré de ces pofleflions contre quelqu'autre partie de la Bavière , dont le revenu n'ira pas au dela d'un raillion, & qui n'avoifinera pas Ratlsbonne, nin'aura Pinconvénient de couper la Bavière en deux, comme les pofleflions actuelles. L s  344 CORRESPONDANCE 3. Elle réunira fes bons offices a ceux de S. M. le Roi de PrulTe pour ménager fans délai un arrangement jufte & équi able entre TElefteur palatin & 1'Elefteur de Saxe relativement aux prétentions de ce dernier fur Talleu de Bavière. Copie des csdditions du Roi aux propofitions ci-dejfus. 4. L'Impératrice ne voudra-t-elle pas relfcher de fes droits fur quelques fiefs de Ia Saxe, dont elle prétend la fuzeraineté en qualité de Reine de Bohème? 5. Ne pourra-t-on pas accommoder le Duc de Mecklenbourg par quelque petit fief de TEmpire? 6 Eft ce que Ton conviendra encore de régier la fucceffion de Bareuth & d'Anfpach felon qu'on 1'avoit ftipulé dans Ie traité, en y ajoutant que TEleéteur de Saxe fe fera rendre Thommage éventuel des deux margraviats, & que le Roi de Pruffe recevra également Thommage de la Luface? 7. Lèvera-t-on le blocus de la ville de Ratisbonne, oü la diète de TEmpire eft raffemblée? Voila a peu prés des points dontilfaudroitconvenir, pour pouvoir figner des préliminaires. Copie de la riponfe du Roi a la lettre ci -dejfus. ce 17 Juillet 1778, Madame ma Soeur, M, Thugut ïn'a rendu la lettre dont Votre Ma-  AU SUJET DE LA BAVIÈRE. 245 jefté Impériale & Royale a voulu le charger pour moi. Perfonne ne le connolt ici, ni ne faura qu'il y a été. 11 étoit digne du caraflère de Votre Majefté Impériale & Royale de donner dss marqués de magnanimité & de modération dans une affaire litigieufe, après avoir foutenu Ia fucceffion de fes pères avec une fermeté héroïque. Le tendre attachement que Votre Majefté Impériale marqué pour 1'Empereur fon fils & pour des Princes remplis de mérite, doit lui attirer les appiaudiflomens de toutes les ames fenfibles, & cela augmente, s'il fe peut, la haute confidération que j'ai pjur fa perfonne facrée. M. de Thugut a minuté quelques points, pour fervir de bafe a une fufpenfion d'annes. J'ai dü y ajouter quelques articles, mais dont en partie l'on étoit déja convenu , & d'autres qui je crois ne rencontreront guères de difficultés. En attendant, Madame , que la réponfe arrivé, je ménagerai fi bien mes démarches, que Votre Majefté Impériale n'aura r!en a craindre pour fon fang, & pour un Empereur que j'aime,& que je confidère, quoique nous foyons dans des principes différens a l'égard des affaires d'Allemagne. M. Thugut va partir inceffamment pour Vienne, & je crois que dans'fix ou fept jours il pourra être de retour. En attendant je fais venir des Miniftres, pour mettre la dernière maiti a cette négociation, au cas que Votre Majefté Impériale & Royale daigne' agréer quelques articles néceflaires que j'ai ajoutés, pour que E 3  24Ö CORRESPOND ANCE les préliminaires puiflent être fignés. Je fuis avec la plus haute confidération, Madame ma Soeur, de Votre Majeste Imperiale et Royale Ie bon Frère & Coufin. FrederIC. Copie d'une feconde lettre de Sa Majefié ("Im p zratrice Reine envoyée fom fimple couveit du Prince Gallizin, /ans lettre de ce Miniftre. ce ai Juillet 1778. Monsieur mon Frere et Cousin, Thugut eft arrivé hier fort tard, & m'a remis la lettre de Votre Majefté du 17 de ce mois. J'y ai vu a ma grande fatisfacïion fes fentimens conformes aux miens pour la paix, & tout ce qu'elle veut me dire d'obligeant. Ayant informé 1'Empeleur de 1'expédition de Thugut, je vais lui communiquer tout de fuite ce qu'il m'a rapponé. Je m'empreflerai, dès que je ferai en état, de lui donner tous les éclatrcilfemens qu'elle me demande. En attendant je fuis avec toute 1'eftime, Monsieur mon Frere et Cousin, bonie Sceur & Coufine Marie Therese.  AU SUJET DE LA BAVIÈRE. 247 Copie, de la réponfe du Roi d la lettre cideflus. ce aj Juillet 1778. Madame ma Soeur, La lettre que Votre Majefté Impériale .& Royale a eu la bonté de m'écrire, rn'eft bien parvenue. J'attendrai, Madame, ce qu'elle & fon augufte fils jugeront & propos de décider fur la fituation actuelle des affaires, & je dois prévoir des fuites heureufes de leur fageffe & de leur modération. Ja réitère encore a Votre Majefté Impériale & Royale 1'affurance que je lui ai donnée précéJemment, que je compafferai fi bien mes démarches, qu'elle pourra étre fans inquiétude fur le fort des perfonnes qui a bon droit lui font chères & précieufes. Rien de décifif ne fe paffera avant, Madame, que Votre Majefté Impériale & Royale n'ait jugé a propos de me faire tenir'fa réponfe. Je fuis avec toute 1'admiration & Ia plus haute confidération, Madame ma Soeur, de Votre Majeste Imperiale et Royale 1« bon Frère & Conün. F r e d e ric. Copie d'une lettre du Roi a Sa Majeflé rimpératrice Reine. ce 28 Juillet 1778. Madame ma Soeur, Quelque éloignement que j'aie d'importuner VoL 4  24» CORRESPONDANCE (re Majefté Impériale & Royale par mes lettres, j'ai cru cependant deyoir dans les conjonctures aftuelles lui préfenter quelques idéés qui me font venues touchant la pacification générale de 1'AIkmagne. Je les ai erues les plus propres a concilier prornptement les préfens démêlés. Je les foumets aux lumiêres fupérieutes de Votre Majeflé Impériale, lapriant, fuppofé métne qu'elle ne dut pas les agréer, de les attribuer uniquement a la fincérité avec laquelle j'emre dans fes vues pacifiques, & au dcfir de fauver tant de peuples innocens des malheurs & des fiéaux que Ia guerre attire inévitablement aprés elle. Je fuis avec les fentimens de la plus haute confidération, Madame ma Soeur, be Votre Majeste Imperiale et Royale Ie boa Frère & CouGni Frederic. Copie thi prtpofitUns annexées d la lettre cidefus, pour un nouveau plan général de conciliation. i) Sa Majeflé l'Impératrice Reine reftituera a "Elefleur palatin tout ce qu'elle a occupé en Bavière & dans Ie haut Palatinat. Ce prince lui cédera en retour Ie diftriét de Burghaufen depuis Paffau le long de 1'Inn jusqu'au confluent de la Salza, & le long de Ia Salza jusqu'aux frontières de Saizbourg, prés de VVildshut; le refte du diftrict de Burghaufen, ainfi que Ia riviére del'Inn, devant refter a la maifon palatine. Par ce moyen,  AU SUJET DE LA BAVIÈRE. 24? la cour de Vienne obtiendrok fans conteftation une province grande & fertile, qui arrondiroit fi bien l'Autriche, qui eft bordée d'une belle rivière, & qui contient la forterefle de Schardingen avec d'aucres villes confidérables. La Bavière ne feroit pas coupée en deux, & la ville de Ratisbonne? ainfi que la diète, refteroient libres. 2) Si la cour de Vienne avoit de la répugnancea indemnifer la maifon palatine par quelque ceffion en pays, elle pourroit le faire en quelque facon, quoique d'une manière nullement propor»tionnée a cette ceflion, en renoncant a fes féodalhés, ou droits de fuzeraineté, dans le haut palat-inat & en Saxe, & en payant ttu million d'écusa 1'Electeur de Saxe. Par ces deux derniers articles la cour de Vienne fatisferoit 1'Eiecteur de Saxe fur fes prétentions allodiales, a la place de FElecteur palatin, libéreroit celui ci de cette obligation, & indemniferoit en quelque facon Ia maifon palatfne de Ia perte du diftriét de Burghaufen. On pourroit ajouter pour la fatifaftion de 1'Eleéteur de Saxe, la petite principauté de Mindelheim, comme un franc alleu, & le petit diftricï de Rothenberg, appattenant au haut Palatinat, mais enclavé dans le territoire de Nurnberg. Toutes les eonfidérations d'équité , d'honneur & d'intérêt exigent que 1'échange des diftriéls occupés en Bavière, la fatisfacYion de la maifon palatine & de celle de Saxe, en général 1'arrangement de lafucceflïon de Bavière, ne foient pas renvoyés a une L 5  *5° CORRESPONDAMCE négociation & difcuflion particulière, mais qu'on régie le tout dés a préfent, avec la concurrence de S. M. le Roi de Prufle, comme ami & allié de ces deux maifons. On pourroit leur propofer ce plan & les inviter a y accéder, dés que L. M. I. en feroient d'accord avec S. M. le Roi de Prufle; & on a tout lieu d'efpérer qu'elles ne s'y refuferont pas, vu la nature du plan & des circonftances. 3} Dés que la fucceffion de Bavière feroit ainfi arrangée, Sa Majefté Impériale , ainfi que 1'EJecïeur de Saxe, renonceroient a toutes prétentions ultérieures fur la Bavière & le haut Palatinat, & on alfurerolt expreflëmeni la fucceffion de ces deux pays fans exception aux Princes palatins de Deuxponts, après 1'extinction de la ligne préfente de Sulzbach. 4) Les fiefs devenus vacans a 1'Empire par la mort du dernier Eieéteur de Bavière ,. feroient conférésa 1'Electeur palatin, & après lui a la ligne de Deuxponts. 5) Sa Majefté 1'Emperenr voudra bien conférer n'n de cas petits fiefs aux Ducs de Mecklenbourg, ou bien leur donner le privilege de non appellando dans tout leur duché, pour les indemnifer de leurs prétentions fur une partie du landgraviat de Leuch» tenberg. 6) Leurs Majeftés 1'Empereur & l'Impératrice Reine voudront bien renoncer aux droits de féodalité ou autres que Ia couronae de Bohème  AU SUJET DELA BAVltRE. 351 pourroit avoir dans les pays d'Anfpach & Bareuth, & s'engager a ne jamais mettre aucune oppofition a ce que les pays d'Anfpach & Bareuth puiffent être incorporés a la ptitnogéniture de 1'éleftorat de Brandebourg. Si S. M. le Roi de PrulTe & 1'Eleéteur de Saxe pouvoient convenir de faire un échange des pays d'Anfpach & Bareuth contre les margraviats de la haute & bafle Luface, & de quelques auircs diftriéts felon leur convenance , Leurs Majeftés Impériales & Royales n y feroient aucunement contraires, & elles renonceroient plutót dans le cas exiftant a tout dro« de féodalité, de réverfion, d'achat, ou autres droits qu'elles pourroient avoir fut la Luface entière, ou fur quelques parties de ce pays, de forte que S. M. le Roi de PrulTe & fes héritiers & fuccefleurs puflent pofléder ce pays libre de toutes prétentions ,de la part de la maifon d'Autriche. Ce plan paroit conforme a Téquité , aux circonflances, & au plus grand avantage de la maifon d'Autriche. Si Ton pouvoit s'accotder la deffus il ne feroit pas difficile de le rédiger en for. me'd'articles preliminaires, ou de traité défmitif. Copie d'une troi/ième lettre de Sa Majeflé tl * peratrice Reine. ce 1 d'AoftC Monsieur mon frere etCousin, Le Baron Thugut alloit partir pour fe rendre auptès de V. M., lorsqu'il me parvint fa lettre L 6  as* €0 RRES POND ANC E du 28 de Juillet, accompagnée d'un nouveau plan général de conciliation. Je 1'avois chargé de tous ces éclaircifiemens qu'elle auroit pu fouhaiter, & des propofitions réciproques de ma part qui me paroiflbient pouvoir amener un arrangement entre nous. Mais celles que V. M. vient de me faire a mon grand regret, changent fi.fort 1'étatdeschofes, qu'il n'eft pas polïïble que je puilfe luiendire ma penfée tout de fuite. Je tacherai de le faire 3e plutót que poflïble, & c'eft pour 1'en prévenir, que je lui adrefle la préfente,. en la priant d'être perfuadée de la confidération avec laquelle je fuis ? moksieur mon frere et cousin,. je Votre Majeste. Bonne Soeur & Coufine' Marie Therese. Cepie de la réponfe du Roi d la lettre cidejfm, se s d'Aoür.. 1778. Madame ma Soeur et Cousme, Je viens de recevoir la lettre que Votre Majefté Impériale & Royale a eu la bonté de m'éerire. Je fens, Madame, que des chofes- de cette importance demandent une müre délibération. J.'attendrai donc avec patience les réfolutions que Votre Majefté Impériale & Royale aura prifes & qu'elle daignera me communiquer par M. is Thugut, en 1'aflurant des fentimens de. la  AU SUJET DE LA B A FIERE. 253 plus haute confidération avec lesquels je fuis i, jamais, Madame, ma Soeur. et Cousine , de Votre Majeste Imperiale et Royale le bon Frère & coufifïi F r e d e ri c. Copie d'une quatrième ïettre de Sa Majefté Timperatrigë Reine. ce tf- d'Aoftu Monsieur mon Frere et Cousin, J'ai annoncé a V. M. par ma lettre du 1 que je lui ferois tenir Ie plutót que poflible ma penfée fur la propofition d'un nouveau plan génétal de conciliation. En confèquence Thugut etl chargé de lui faire une contre-propofition de ma part, pour termïner tout d'un coup les malheurs d'une guerre cruelle & deftruaive. Je me rap* porte a ce que Thugut lui expofera, & je fuis avec toute la confidération, Monsieur mon Frere et Cóusin, de Votre Majeste bonne Soeur & Coufi'c Marie Th/eresb. ' Copie dé ia contre-propofition, dont il eft question dans la lettre ci-deffus. LTmpératrice Reine n'érant pas anirnée de vuesd'agrandiffement , & ne défirant principalement L- 7  s56 CO RH E S PO ND ANC E que le maintieii de fa digtiïté, de fa confidération politique & de 1'équilibre en Alleraagne, Sa fus. dite Majefté déciare qu'elle eft difpofée & déterminée a reftituer tout ce qu'elle a fait occuper par fes troupes en Bavière & dans le haut Palatinat, & a délier l'Eleéteur palatin des engagemens qu'il a pris avec elle par la convention du 3 Janvier, fous la condition fine qua non qu'il plaife a S. M. Pruffienne de s'engager en due forme, pour elle & fes fuccefleurs, de ne pas réunir les deux margraviats de Bareuth & d'Anfpach a la primogéniture de fa maifon, aufli long-temps qu'il y exiftera des princes putnés, ainfi qu'il eft ftatué dans la fanction pragmatique établie dans la maifon de Brandebourg, & qui étant confirmée pat les Empereurs & TEmpire, a obtenu force de loi publique. Comme au moyen d'un tel arrangement toute la fucceflion de Bavière feroit rejnife dans fon état primitif, la difcuflion & le jugement des prétentions des autres parties intéreffés a ladite fucceflion feroient renvoyées auxvoies ordinaires de juftice prefcrites par les lois & Ia conftitution de TEmpire, conformément a ce que S. M. Pruffienne dès le commencement avoi' pröpofé elle.même.  AU SUJET DE LA BAVIÈRE. 255 Copie de la réponfe du Roi a la lettre cidejfus. Cc 10 d'Aoüt 1778, Madame ma Soeur et Cousine, M. Thugut m'a rendu la lettre que V. M. Impériale & Royale a eu la bonté de m'écrire- U m'a décliné les propofitions dont il étoit chargé, & comme- elles n'étoient pas conciliantes, il remarqua 1'éloignement que je témoignois pour les accepter. II me dit qu'il y avoit peut-être des moyens qui reftoient encore pour pacifier les troubles de 1'Allemagne, & qu'il avoit été chargé par V. M. Impériale & Royale d'en faire les ouvertures. ' Sur quoi je lui ai propofé de s'aboucher avec mes Miniftres, pour eflayer fi certe dernière tentative réuffira mieux que les précédentes. V. M. Impériale & Royale me rendra au moins le témoignage, que fi cette oeuvre falutaire ne parvient pas a une heureufe fin, ce ne fera pas ma faute. Je fuis avec Ia plus haute confidération, Madame ma Soeur et Cousine, be Votre Majeste Imperiale et Royale le bon Frère & Cottfin. Frederic.  «§ö* CORRESPONDANCE PIECES AUTHENTIQUES de la.négociation de Braunau, laquelle après celle de Welsdorf entre le Roi & Ie Sieur de Thugut, a eu lieu audit couvent deBraunau entre le Sieur de Thugut & les deux Miniftres pruffiens Ie Comte de Finckenftein & le Sieur de Hertzberg; mais ne dura auffi que depuis le 13 jusqu'au 15 Aoüt, oü. elle fut rompue *% No. r. Propofition de Sa Majefté l'Impératrice Reine, que M. de Thugut a remife au Roi, au camp de Welsdorf en Bohème? h 11 Aoét 1778, &> enfuite aux Miniftres pruffiens a Braunau. Comme Ie Sieur de Thugut avoua lui-même qu'elle avoit été déclinée par le Roi a Welsdorf, Une fit que la réitérer; mais elle fut mife de c6té, & ilfit tout de fuke la propofition contenue fous No. 2,. *) Ces pièces font déja imprimées S 1» fuite d'un tnêmoiré qui fert a leur éclaircitfiment fous'ie titre: Dt'cUrethn ulte'rieure de S. M. le Rei di truffc *nx Etati de f Empire, ah ma's d'Oclolre 17785 roaiscoraine eet écrit eft devenu rsre, on croit bien faire de reimprimer ici ces pièces, qui jettent un jour fi Ju«nineux fur tgute T.ffaire de Bavière.  AU SUJET DE LA BAPIERE. «57 Cette propofition eft Ia même qui fe trouve ala page 332; c'eft pourquoi on fa omife ici, & on n'en rapporte que la rubrique. No. 2. Propofition! de Sa Majeflé l'Impératrice Reine, que M. de Thugut a remife! au mini fiere du Roi dam la première confé' rence tenue au couvent de Braunau en Bohème le 13 Aoüt 1778. 1. L'Impératrice Reine borneroit les avantages qui doivent lui revenir de fa prétention fur la fucceflion de Bavière & de fa convention avec TEleeteur palatin, a 1'acqujfition d'un revenu d'un feul million de florins. 2. L'Elefteur palatin & la maifon palatine en retour céderoient a l'Impératrice Reine, &refpectivement échangeroient avec elle , la partie de la Bavière & du haut palatinat renfermée dans la délimitation ci-defibus expliquée. La ligne de démarcation commenceroit auprês de Kufftein dans le Tyrol; elle fuivroit le cours de iTnn jufqu'a Waiïerbourg; de la elle feroit continuée vers Landshut a Lanckwat, enfuite a Perbing , Donauftauf , Nittenau , Neubourg, Retz jusqu'a Waldmunchen le long du grand chemin qui conduit a Toms en Bohème. Cette ceflion fe feroit en la manière fuivante. L'on feroit une évaluation exafte de tous les reYenus de cette étendue de pays. Cette é«lua-  253 CORRESPOND ANCE » tion feroit faite fur les lieux f après les comptes eriginaux de la recette générale exiflans dans les. dépots de Munich; elle feroit réglée & vérifiée par une commifïïon coiupofée d'un commilTaire de l'Impératrice Reine, d'un autre de 1'Elefleur palatin , & d'un troifième nommé par le Duc de Deuxponts. Cette évaluation faite, il en feroit prélevé un million de florins pour le préciput que rimpératrice Reine fe feroit réfervé & Sa fusdite Majefté compenferoit exaétement & fidellement tout 1'excédent par la ceflion qu'elle feroit a 1'Electeur palatin d'autres pofleflions d'un revenu égal, & de telle autre manière dont les trois commiflaires ci-deflus mentionnés librement & de plein gré convieudroient entr'eux. LTmpératrice Reine céderoit nommément al'Elefteur palatin tout ce qu'elle poffède dans le cercle de Souabe, en cas que les revenus de la nouvelle acquifition qu'elle feroit en Bavière & dans le haut Palatinat, déduftion faite de fon préciput d'un revenu d'un million de florins, fuflenttrouvés égaux aux revenus des fusdites pofleflions en Souabe, dont 1'évaluaiion feront également conftatée par 1'exhibition des comptes originaux de Ia recette. Si les revenus de Ia nouvelle acquifition en Bavière fe trouvoient être moindres, les ceffions que lTmpératrice Reine feroit en Souable, y feroient proportionnées, & fi les revenus de 1'acquifition en Bavière & dans le haut Palatinat excé-  AU SUJET DE LA BAVIÈRE 259 doient le préciput de lTmpératrice Reine enfemble avec les revenus des pofleflions autrichiennes dans le cercle de Souabe, S. fusdite M. dédommageroit également avec exaditude & fidélité 1'Electeur palatin , foit par d'autres ceflions d'un revenu égal dans les Pays - bas, foit en fe cbargeant d"une portion proportionnée des dettes de la Bavière, foit en telle autre manière dont les trois commiffaires cideflus mentionnés librement & de plein gré fe feroient accordés entr'eux. 3. S. M. lTmpératrice Reines'engageroit, pour elle & fes héritiers, de ne faire aucune oppofition jt la téunion des deux margraviats de Bareuth & d'Anfpach a la primogéniture de 1'éleétorat de Brandebourg, & fi S. M. le Roi de Prufle trouvoit a propos de faire un échange des pays de Bareuth & d'Anfpach contre la haute & la bafle Luface, lTmpératrice Reine non feulement n'y apporteroit point d'obitacle, mais faciliteroit plutót eet échange en ce qui dépendroit d'elle, & nomïnément par la renonciationqu'elleferoitafesdroits de féodalité, de réverfion & autres fur la haute & bafle Luface. 4. L'on traiteroit aufli dans la préfente négociation fur la fatisfaétion a procurer a l'Eledeur de Saxe de la part de 1'Elefteur palatin relativementa fes prétentions allodiales, par 1'entremife des bons offices réunis de S. M. lTmpératrice Reine & de S. M. le Roi de Prufle. 5. Pour faciliter 1'arrangement fur les prétentions  2éo CORRESPOND ANCE allodiales de TEIeéteur de Saxe, lTmpératrice Reine renonceroit a fes droits de féodalité & autres qu'elle a fur quelques fiefs en Saxe. 6. S. M. l'Impératrice Reine réuniroit fes voix a celle de S. M. le Roi de Pruffe pour faire conférer pat 1'Empereur & TEmpire au Duc de Meeklenbourg un des petits fiefs vacans. No. 3. Réponfe du miniftère prufien aux propofitions que M. de Thugut a portées au Roi de la part de S. M. rimpératrice Reiti e. Ces propofitions confiftent dans unealternative, dont la première partie porte: que S. M. l'Impératrice Reine voudroit reflituer tout ce qu'elle a fait occuper en Bavière & dans Ie haut Palatinat, & délier TEIeéteur palatin de la convention du 3 Janvier, fous la condition que le Roi de Pruffe s'engage de ne pas réunir les deux margraviats de Bareuth & d'Anfpach a Ia primogéniture de fa maifon aufïï long-temps qu'il y exifteroit des princes pulnés, ainfi qu'il étoit ftatué dans Iafanctionpragmatique de la maifon de Brandebourg, qui étant confirmée par TEinpereur & TEmpire, avoit obtenu force de Ioi publique. Cette propofition eft inadmifïïble, par les raifons qui ont déja fonvent été alléguées&aétailléesdans les conférences de Berlin. La fucceffion aux margraviats d'Anfpach & Bareuth appartient incon»  AU SUJET DE LA BAVIÈRE. 161 tefhblement a la maifon de Brandebourg leute; il n*apparfient qu'a cette maifon feule de régter Tordre de fa fucceffion , & eet ordre a été réglé par le confentement unanime de tous les membres de la fusdite maifon. La prétendue fanftion pragma. tique n'elï autre chofe que le teflament de TEIeéteur Albert I, qui a été fait par eet EU-fteur & a été confirmé a fa demande par TEmpereur Frédètic lil. 11 a donc auffi pu étre changé parfesfuccefleurs,du confentement unatiime des membres de la maifon de Brandebourg, La c'önfirmat ón impériaie, qui n*eft qu'une ferawllK ordinaire, ne fauroit avoir Ftffce qt/-ën faveur des parties iméres■ fées, qui ('om les Teuts princes de Brandebourir, & qui y out renoncé. Eüe ne fauroit ê;re réclartée par un autre Etat de TEmpire non ftrtêreiTé a eet ' ordre de fucceffion , qui par la même raiföu n'aausfi aucun droit d'y intervenir, ni d'en difpenfer. On peut dire la même chofe de TEmpire, dont la concurrence a la fusdite conflrmation de Fréderic ïll. ne confifte que dans le fimple énoncé de cette confirmation, qu'elle avoit été faite du confentement de TEmpire. Par toutes ces raifons S. M. le Roi de Prufle ne fauroit jamais admettre aucune parité ni compenfation entre Tórdre réglé de ia fucceffion inconteftable de fa maifon aux margraviats d'Anfpach & de Bareuth, & laprétention non fondée de la maifon d'Autriche fur la fucceffion de Bavière, qui n'appartient qu'a la maifon palatine, comme oa a prouvé Tun & Tautre point de lama»  26a CORRESPO ND ANCE tiiére ia plus évidente. L'équité ne permet pas d'attribuer le refus de la fusdite propofition au défir d'un agrandilfement injufte & dangereuxpour les voifins. Le Roi a donné des preuves alfez convaincantes de fon défintéreflement dans toutle cours de la négociation précédente, en n'infiftant que fur les intéréts de fes alliés , fans chercher aucun avantage particulier. Sa Majefté eft d'ailleurs trop perfuadée des hautes lumières & des fentimens élevés de S. M. rimpératrice Reine , pour pouvoir s'imaginer que cette augufte Prin' cefle veuille envier & contefter d'avance a Ia maifon de Brandebourg une fucceflion légitime, mais incertaine & éloignée , ni qu'elle puiffe y attacher le maintien de fa dignité , de fa confidération politique, & de 1'équilibre en Ailemagne. L'obfervation par laquelle on finit Ia première propofition, feroit bonne, & conforme a la justice & aux intentions du Roi , fi l'arrangement propofé pouvoit être concilié avec les droits iuconteftables de la maifon de Brandebourg. Cet arrangement eft aufli énoncé d'une mailtere, que £il pouvoit en être queflion , il refleroit encore douteux fi fous le nom des parties intéreffées la cour de Vienne ne voudroit pas revenir a fes prétentiens & les faire valoir d'une autre manüre igalement préjudiciable. Le fecond membre de 1'alternative propofée par M. de Thugut fe réduit a ua nouvel arrangement, felon lequel lTmpératrice Reine voudroic  AU SUJET DE LA BAVIÈRE. 263 acquérir Ia partie de la Bavière & du haut Palatinat qui eft exprimée dans le fecond article des fusdites propofitions. On n'a qu'a comparer avec la carte géographique de Bavière la démarcation enoncé» dans cet article , pour voir d'un coup d'ceil combien cette acquifition feroit immenfe& dangereufe pour tout 1'Empire, & combien 1'arrangement propofé feroit préjudicable a la maifon palatine, & anéantiroit toute fon exiftence politique. La cour de Vienne couperoit la Bavière par une ligne transverfale depuis le Tyrol jnsqu'a la Bohème-, elle obtiendroit non feulement toute la bafle Bavière, fur laquelle elle forme des prétentions, mais aufli une grande partie de la haute Bavière, fur laquelle elle n'en a formé aucune jusqu'ici; elle emporteroit fi non la partie la plus grande de la Bavière & du haut Palatinat, du moins la plus fertile, la plus riche & la plus peuplée , contenant les rivières du Danube , de 1'Ifer, de 1'Inn & de la Salza, avec les richesfalines de Reichenhall, & elle ne laifleroita la maifon palatine que la partie Ia plus mauvaife de ces deux duchés, qui ne confifte qu'en bois &enfable, qui ne peut fe foutenir fans le fecours de 1'autre partie & en feroit toujours dépendante , & qui refteroit pourtant chargée d'un fardeau immenfe de dettes. La partie de Ia Bavière dont on demande la ceflion, & dont le ptix principal confifte dans la contiguité & les qualités intrinfèques , ne fauroit jamais être compenfée par des  «6+ CORRESPOND ANCE équivalens éloignés, éparpillés, & d'une qualité fort inférieure a tous égards. En général toute Ia méthode propi-fée d'acquérir la partie de la Bavière qu'on demande , & furtout i'excéJent de la prétention autrichitnne par une évaluation en revenus & par des équivalens, eft aufli nouvelle que préjudiciable par fes conféquences. D'abord la tour de Vienne n'a aucun dtoh fondé fur aucune partie de la Bavière; fi elle en avoit, elle fauroit fur une partie déierminée de pays, mais non fur un million de revenus. Si dans les pourparlers de la négociation précédente il a été queftiond'un certain revenu, 011 n'a pas fongé d'accorder a la cour de Vienne un préciput; "maïs on a toujours .offert des territoires déterminés, & on a demandé •des équivalens en territoires déterminés, enadmettant pour le bien de la paix des équivalens moindres que les pays cédés, & en fuppofant ainfi que la cour de Vienne gagneroit par la le préciput de revenus qu'elle a en vue. Pour fentir de quelle dangereufe conféquence feroit pour la maifon palatine 1'évaluation des pays & céder par les revenus aétuels, on n'a qu'a confidérer que la Bavière eft jufqu'ici notoirement le pays le plus mal administré de toute 1'Allemagne, de forte qu'un diftricT: qui .-rapporte a préfent un million de revenus, en rapporteroit bientót le doublé & le iriple a la cour de Vienne, & la maifon palatine y perdroit'ceque la maifon d'Autriche y gagneroit. Si l'on vouloit aufli tenvoyer i'évaluation & l'é- change  AU SUJET DE LA EAV1ERE. 265 ektnge en queftion a une commiffion a établir entre les cornmiffaires de rimpératrice Reine , de 1'Eleaeur palatin & du Duc de Deuxponts, lefort de la maifon palatine, & furtout celui du Duc de Deuxponts, feroit expofé a des événemens éloignes & incertains, dont on fent aifément les fuites fans les détailier ici, & le Roi perdroit par la tout le but de fon intervention. Le même renvoi de f arrangement général de la fucceffion de Bavière ne permettroit par d'arranger dans la négociation préfente la fatisfaaion de 1'Eleaeur de Saxe, que M. de Thugut a propofée dans le quatrième article, & en général 1'arrangement qu'il vient de propofer, mettroit la maifon palatine entièrement hors d'état de contribuer a la fatisfaaion de celle de Saxe. Quand on voudra pefer avec équf é & fans prévention toutes les eonfidèrations qu'on vient d'alléguer en précis, on ne fauroit trouver étrange que Sa Majefié ne puiffe pas donner les mSïns a ces propofitions, & a un arrangement qui démembreroic d'une manière énorme 1'important duchéde Bavière; qui anéantiroir presque la maifon palaü• ne , & la priveroit de la plus grande & de la plus précieufe partie de fon pattimoine incontefiabie ,airangement auquel par ces raifons le Duc de Deuxponts ne confentiroit jamais, comme il fa déclaré pofitivement; qui enlèveroit les moyens de procurer a la maifon de Saxe une fatisfaaion raifonnable fur fes prétentions allodiales; qui procurerok a la éim/. t>fh. de Fr. II. T. f. M  t66 CO RRESPO ND ANCE maifon d'Autriche fans aucun titre valable un agrandiiTement exorbitant; qui renverferoit ainfitoutl'équilibre du pouvoir en Ailemagne; qui affeéteroit par fes conféquences la liberté & la fureté de tout TEmpire & de fon fyfième, & par fes fuites aufli celle du Roi; & feroit par Ia & a tous égards directement contraire a la dignité & aux intéréts les plus effentiels de S. M., ainfi qu'aux engagemens qu'elle a pris, & au but qu'elle s'eft propofé en intervenant dans 1'affaire de Bavière. Le Roi rend juflice aux fentimens de S. M. l'Impératrice Reine, & il efl perfuadé que fes difpofitions pour la confervation de la paix font auflï pures & aufli fincères que les fiennes; mais S. M. regrette que les propofitions qu'on a faites en fon nom ne répondent pas a un but fi falutaire. Dans la précédente négociation Ie Roi a offert pour le bien de la paix de s'empioyer il procurer a S.^M. l'Impératrice Reine, par un arrangement général de Ia fucceflion bavaroife, la ceflion de deux diflricts de Ia Bavière confidérables & avantageufement fitués pour arrondir la Bohème & l'Autriche, contre des équivalens en paystrês-médiocres. Dans la préfente négociation S. M. a fait offrir un de ces difhifts contre un équivalent trêspeu confidérable en argent & en ceflion de droits de nulle valeur, fans exiger qu'il foit donné en pays; & elle croit avoir donné par la des preuves éclatantes de Ia plus grande modération, & de fon ééfir fincère de complaire a Leurs Majeftés iropé-  AU SUJET BE LA BAVIÈRE. 26? riales & de contribuer a leur fatisfaaion; mais comme toutes ces propofitions. n'ont pas été acceptées, S. M. ne fauroit s'empêcher de s'en dédire & d'attendre qu'un changement de principesamène une négociation plus heureufe & plus efïïcace. No. 4. Note que le Baron de Thugut a remife au mini fiére du Roi le 15 Slout 1778, après qu'on lui avoit remis la róponfe du Roi aux propofitions del Impératrice Reine. Le Baron de Thugut eft fenfiblement afïïigé de ce que la ruptur.1 dont la préfente négociation a peine commencéi eft menacée, pnroit éloignerde nouveau la fin li déirtable des malheurs qu'a enrraïnés la ïrrésintelligence furvenue entre les deux cours. Pour ne lailfer rien manquer du cóté de fon zèle, & pour conftater la droiture des défirs pacifiques de lTmpératrice Reine, il a 1'honneur de déclarer d'après les intentions que S M. lui a confiées, que le but principal de S. fusdite M., dans les limites qui. ont été propofées pour la cesfion & refpeaivement échange en Bavière , n'a point été une vue d'agrandiflement, mais plutót celle d'une communication & d'une liaifon convenable entre fes différens Etats, laquelle d'ailleurs paroiffoit pouvoir être obtenue, fans préjudice de la maifon palatine, au moyen de Ia compenfation exaae & fidelle qui a été offerte de tout ce qui furpafferoir un revenu d'un million de florins; j|u'en conféquence de cela, fi pour la ceflion & M. a  a63 CORRESPONDANCE refpeétivement 1'échange en Bavière, un projet de limites comme celui qui fe trouve marqué fur la carte ci-jointe, *) eft jugé acceptable, il pourfuivra avec plaifir la négociation furie pied de Tévaluation propofée, & fi une telle évaluation, malgré la facilité & f exaétitude qui femble deyoir en réfulter pour les cotnpenfations, eft abfolument jugée inadmifiible, il écrira a Vienne pour demander des ordres, & pour être autorifé fur des équivalens qu'on pourra offrir d'après le principe dont la cour de Berlin jusqu'a préfent eft convenue ellemêtne, qu'il eft jufte qu'il revienne a S. M. l'Impératrice Reine un avantage raifonnable de fes droits fur la fucceflion de Bavière & de fa convention avec TEIeéteur palatin. Braunau le 15 Aoüt 1778. No. 5. Réponfe du miniftère du Roi a la note du Baron dc Thugut. Le miniftère du Roi a examiné, avec le zêle le plus fincère pour le rétabliflement de la bonne in« 'telligence entre les deux cours, la note que M.le *) Cette nouvelle ligne de démarcation que M. de Thugut propofa en remettant cette note, alloit de Kufftein ie long de 1'Inn par Wafllrbourg, Muldcrff, Marckt , Pfarrkirchen , Ofterhoven , Deckendorf, Vichtach & Waldmunchen jusqu'aux frontières de Bohème. Elle étoit marquée comme la première avec de 1'mcre rouge fur une carte de Homsna & •n en a tiré une copie.  AU SUJET DE LA BAVIÈRE. 269 Baron de Thugut vient de lui remettre, après avoir recu la réponfe de- S. M. aux nouvelles propofitions de S. M. lTmpératrice Reine. U regrette de ne trouver rien dans cette note qui puiffe apporter un changement a la réponfe fusdite. Quoique 1'étendue du territoire qu'on y demande, foit moindre que celle des propofitions précédentes, elle embrafle toujours une partie du Danube, toot le courant des rivières de ïTnn & de la Salza. la moitié du diftrict de Straubing & tout le dtftnct fertile & confidérable de Burghaufen , avec les falines de Reichenhall , qui font abfolnment néces* faires a la Bavière, & trop importante* pour pouvoir ê re compenfées par quelque objetquecefoir. L'évaluation des territoires de Bavière d'après les revenus préfens ne fauroit jamais avoir lieu, fans tournet a un profit exorbitant de la maifon d'Autriche, & a une perte trop grande'de la maifon palatine, par les raifons qu'onadéjitalléguées, que ces pays adminifirés au plus mal jusqu'ici, preduiroient a une meilleure adminiftration en pen de temps un furplus trop grand pour pouvoir fervir a évaluer le prix du pays même, & a le proportionner au prix d'un autre pays dont les revenus ont été pouffés au degré dont ileftfufcepuble. Le principe fuppofé: que S. M, l'Impératrice Reine doit, par une fuite de fes droits fur la fucceffion de Bavière & de fa convention avec 1'Elefteur palatin , prélever un million de revenus fur 1'échange en queftiou, eft une fuppofition que la M 3  370 CORRESPONDANCE . cour de Berlin n'a jamais reconnue & ne pourra jamais admettre, non plus qu'une reconnoiffance des droits de la maifon d'Auiricbe fur la Bavière. On a fait voir dans la réponfe précédente, qu'on mettoit 1'avantage de S. M. l'Impératrice Reine dans la qualité intrinfêque des pays qu'elle obtiendroit par 1'échange, fans compter que 1'avantage qui réfulte de la contiguité & de 1'arrondiifement, eft déja alfez grand. Si le million dé florins devoit être prélevé de la portion de la Bavière diminuée qu'on demande dans la dernière note, furtout fi elle étoit évaluée felon Ie revenu préfent, l'équivalent de la maifon palatine feroit tellement diminué, qu'il feroit réduit a peu de chofe. Enfin tout renvoi des échanges a faire & en général de 1'arrangement final de la fucceffion de Ba. vière fans Ia concurrence du Roi, eft contraire au but que S. M. s'eft propofé dans fonintervention, & a celui d'un accommodemeat ftable & folide,. qu'on doit fuppofer aux deux cours. Quand on réunit toutes ces confidérations, on trouvera que les méines obftaclos qui ont rendu, inadmiflibles les précédentes propofitions de la courde Vienne, s'oppofent auffi au nouveau projet de M. Ie Baron de Thugut. S. M. lTmpératrice Reine obtiendroit toujours par cet arrangemenr, non mie fimple ligne de communication entre fes Etats > laquelle fubfifte déja aflez indépendamment de cette acquifition, mais plutót un agrandiflement trop «onfidérable, gratuit & dépourvu de titres. Ou  AU SUJETLE LA BAVIÈRE 47» »e fauroit donc que fe référer * la première réponfe qui a été donnée ce matin a M. Ie Baron de Thugut, & attendrequ'un changement de principes amène des circonftances plus favorable pourle fuccès d'uue négociation future. Braunau 16 15 Aoüt 1778.